Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 334
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- Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 334
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BULLETIN DE LA SOCIETE
DES E TUDES O CEANIENNES
N°334
Janvier /Avril
Nature & Histoire
BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N°334 - JANVIER /AVRIL 2015
Sommaire
Avant-Propos du président ........................................................................p. 2
Fasan Chong dit Jean Kape
La vallée de Punaru’u - Histoire d’un développement
mal contrôlé et conséquence sur l’équilibre hydrologique.....................p. 4
Matthieu Aureau
Politiques publiques de gestion des submersions aux Tuamotu :
L’exemple de l’aménagement des abris anticycloniques........................p. 24
Rémy Canavesio
Ossements d’oiseaux sub-fossiles de l’île de Eiao
Archipel des Marquises..............................................................................p. 39
Michel Charleux
Pouvanaa a Oopa : La révision du procès de 1959 en marche ..............p. 57
Jean-Marc Regnault
L’assassinat du “ Père Vanille ”,
commerçant et ethnographe amateur ......................................................p.101
Roland Kaehr
Hommage à Jean-Louis Candelot ............................................................p.139
Michel Bailleul
Assemblée générale ordinaire de la SEO du 26 février 2015.................p.143
Procès-verbal, bilan moral, bilan financier, budget prévisionnel
Photo couverture, Vallée de Punaru’u © M. Aureau
Photo 4e de couverture, Pouvanaa a Oopa © Collection J-M. Regnault
Avant-Propos
Chers membres de la Société des Etudes Océaniennes,
Chers lecteurs du BSEO,
Bienvenue dans le premier Bulletin de cette année qui, nous
l’espérons bien, nous réservera une certaine sérénité dans nos
actions en ces temps d’incertitude. En effet, faute de moyens
idoines pour entreprendre des initiatives de conservation, on
reste acculé dans une posture de survie.
Comme dans le précédent Bulletin, la Nature prend une
bonne place dans les articles proposés ici. En effet, Matthieu
Aureau nous apprend beaucoup de choses à travers l’étude
hydrologique qu’il a menée dans la vallée de Punaru’u, une des
grandes, riches et belles vallées de Tahiti. Rémy Canavesio
quant à lui nous renseigne sur les politiques de gestion des submersions aux Tuamotu.
Michel Charleux nous fait partager les résultats de ses
recherches archéologiques sur l’île d’Eiao aux Marquises,
notamment sur les ossements d’oiseaux.
Pouvanaa a Oopa, l’illustre Metua, va remémorer à certains
son souvenir à travers l’article de l’historien Jean-Marc
Regnault qui nous parle de la révision de son procès.
L’article sur l’assassinat du Père Vanille et un hommage à
notre sociétaire et ami Jean-Louis Candelot viennent clore ce
numéro.
2
N°334- Janvier / Avril 2015
Nous remercions infiniment nos contributeurs qui nous
confient leur article permettant ainsi au BSEO de continuer à
paraître pour le plaisir de nos lecteurs.
Vous trouverez par ailleurs le procès-verbal de notre assemblée générale ordinaire, du 26 février dernier, avec les bilans de
l’exercice passé et le budget prévisionnel de cette année.
Le premier Salon du livre de Rimatara nous a réservé,
contre toute attente, une bonne surprise grâce notamment à
notre ami Daniel Margueron que nous remercions au passage.
Enfin, deux de nos administrateurs viennent de présenter
leur démission poussés par le poids de l’âge et des petits ennuis
de santé. Nous souhaitons donc à Constant Guéhennec et Moetu
Coulon-Tonarelli de profiter pleinement de leur famille respective et de jouir de plus de repos.
Merci de votre fidélité au BSEO et bonne lecture !
’Ia ora na !
Le président
Fasan Chong dit Jean Kape
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La vallée de la Punaru’u
Histoire d’un développement
mal contrôlé
et conséquences sur
l’équilibre hydrologique
Introduction historique
Au début des années 1960, la France prépare l’installation
du Centre d’Expérimentations du Pacifique (CEP) destiné à
encadrer une série d’essais nucléaires sur les atolls de Mururoa
et Fangataufa. Ce projet stratégique pour l’Etat s’est accompagné d’un développement soudain de l’ensemble de la Polynésie
et de son île principale, Tahiti, avec la nécessité de construire
de larges infrastructures capables d’accueillir l’immense logistique devant appuyer l’établissement des bases militaires. La
Polynésie française est alors passée « d’une économie de comptoir à une économie de garnison » (Peaucellier, 2011).
Ouvrant les principales voies de communication à l’international, l’Aéroport International Tahiti Faa’a et le Port Autonome de Papeete furent les deux plus grands chantiers des
débuts de l’histoire récente de la Polynésie française. L’aéroport, situé à 5 km du centre de Papeete, a été édifié sur un motu,
îlot de sable corallien, Motu Tahiri (L’îlot où souffle une brise
légère). L’établissement public territorial le Port Autonome de
Papeete, est créé le 5 janvier 1962 et inauguré en 1966, est situé
N°334- Janvier / Avril 2015
Carte : Collection DEQ
sur l’îlot de Motu Uta et protégé par une digue érigée sur le
récif. Ces constructions ont nécessité l’apport important d’agrégats pour remblayer les espaces gagnés sur le lagon et
construire les digues de protection. Située à 10 km au Sud de la
zone aéroportuaire et dotée d’un gisement alluvionnaire important (Figure 1), la vallée de la Punaru’u fut presque « naturellement » choisie comme réservoir en produits alluvionnaires
fluviatiles (sables, graviers, galets). Au cours des décennies suivantes, l’arrivée des personnels militaires et de nombreux capitaux a contribué à l’expansion continuelle de la zone urbaine de
Tahiti avec l’impératif de disposer de volumes en matériaux de
construction toujours plus importants pour appuyer l’urbanisation croissante.
Fig. 1 - Une proximité intéressante entre la vallée de la Punaru’u
et les chantiers de l’Aéroport International de Faa’a et du Port Autonome
de Papeete dans les années 1960
(Tiré de Masson et Jousse, 1986)
5
En 1977, la réglementation1 interdit l’exploitation de matériaux en site littoral et dans le lit des cours d’eau. Pourtant en
1988, les volumes prélevés dans la basse et la moyenne vallée,
depuis les débuts de l’exploitation de la Punaru’u, sont estimés
à près de 1 million de mètres cubes. Les matériaux étaient
extraits à la fois dans le lit mineur de la rivière et dans le lit
majeur. Sous la pression d’une demande soutenue, l’exploitation du lit majeur a nécessité l’ouverture de souilles profondes
de 15 à 20 mètres sous la surface. Ces fosses furent par la suite
comblées de terre, de tout-venant et certainement d’éléments
plus douteux issus de nombreuses décharges sauvages dont la
présence est régulièrement mentionnée par les riverains installés
depuis plusieurs décennies.
Lorsque la ressource de la basse vallée s’est tarie, les
exploitants sont remontés en amont pour extraire les alluvions
de la moyenne vallée. Cette extension de la zone d’exploitation
fut engagée sans plan d’aménagement. En septembre 1985, le
Schéma Général d’exploitation des granulats proposa de régulariser la situation en encadrant l’activité des entreprises d’extraction et en préconisant une exploitation limitée au lit majeur
avec des souilles fermées. Cependant, Masson et Jousse,
auteurs du rapport Schéma expérimental d’exploitation de matériaux et d’aménagement de la vallée de la Punaruu (1988) pour
le Service de l’Equipement, notent que l’exploitation était toujours maintenue en 1986, et que de nouvelles concessions
furent accordées la même année pour exploiter les alluvions
plus en amont. En 2014, la moyenne vallée de la Punaru’u est
toujours un site de production d’agrégat.
1
Délibération n° 77-142 du 29 décembre 1977, modifiée par celle enregistrée le
23 février 1978, sous le n° 78-29, portant réglementation des carrières à Tahiti,
Moorea et Raiatea, avec interdiction d’extraction dans les lits des rivières et les
bords de mer.
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Au cours des années 1980, les terres remblayées dans la
basse vallée de la Punaru’u furent le lieu d’implantation d’activités industrielles importantes. Initialement contenue dans la
basse vallée, la zone industrielle s’est petit à petit étendue pour
couvrir un espace total de 78 ha. Son extension, au début des
années 1990, attribue définitivement une vocation industrielle
à la basse vallée de la Punaru’u, qui devient la plus grande zone
manufacturière de la Polynésie française. A l’échelle de l’île,
cette concentration des activités a sans doute permis d’éviter
une dispersion des établissements industriels et de perturber
trop fortement les équilibres naturels et écologiques d’autres
sites (Masson et Jousse, 1988).
Toutefois, la vallée de la Punaru’u n’est pas un espace
extensible et ses ressources alluvionnaires arrivent à épuisement
alors que les politiques de développement et de travaux publics
imposent un apport toujours croissant en granulats. La discussion argumentant le « sacrifice » d’une vallée aux nécessités
économiques, pour protéger l’état naturel des autres rivières de
Tahiti apparaît aujourd’hui de plus en plus obsolète. Les projets
d’extraction alluvionnaires sont effectivement de plus en plus
récurrents sur d’autres sites. L’exploitation de carrière de roche
massive peut également apparaître comme une solution alternative. Toutefois, le coût des agrégats est plus élevé avec cette
dernière solution, et la situation géographique des carrières reste
un problème à surmonter.
Dans le contexte d’un développement économique soudain
et rapide à partir des années 1960, la vallée de la Punaru’u a
servi de réservoir d’agrégats pour soutenir les aménagements et
le développement de l’île Tahiti. L’exploitation de la partie aval
de la vallée a certainement été plus rapide que la mise en place
des réglementations et des contrôles permettant d’envisager une
vision durable des ressources. Outre “les dommages très importants subis par ce site sur le plan environnemental” (Masson et
Jousse, 1988), les impacts sur la dynamique hydrologique du
7
bassin versant sont nécessairement importants. L’ambition de
cet article est alors de présenter les effets d’une anthropisation
rapide et peu encadrée sur les équilibres hydrologiques de la
vallée de la Punaru’u et d’offrir, par l’histoire, un regard
informé sur les risques engendrés par une exploitation excessive
des ressources alluvionnaires et hydriques des vallées des îles
hautes de la Polynésie française.
Mécanisme hydrologique et canalisation de la rivière
Les alluvions correspondent à l’accumulation successive de
matériaux arrachés à la roche mère par l’écoulement des eaux
de surface qui participent largement au phénomène d’érosion.
Sous l’effet du climat tropical, les pluies très abondantes en
Polynésie française engendrent un important ruissellement qui
alimente les rivières des îles hautes. Le caractère torrentiel de
ces cours d’eau favorise l’effet d’érosion, la dégradation et le
transport des matières alluvionnaires vers les zones aval de la
vallée. Les alluvions regroupent l’ensemble des roches fracturées, galets, graviers ou sables qui sont transportés ou déposés
par la dynamique de l’eau à l’échelle d’un bassin versant. Il est
intéressant de différencier les alluvions récentes qui structurent
le lit des rivières et les alluvions anciennes qui forment les
couches de sol sur quelques dizaines de mètres après leur accumulation sur plusieurs centaines voire milliers d’années.
Les alluvions constituent une matière première de qualité
pour l’industrie du bâtiment et les infrastructures routières. Ces
granulats sont largement utilisés dans la production de béton.
Cette ressource minérale est d’autant plus intéressante qu’elle
est facilement accessible, son extraction ne nécessitant qu’un
tractopelle ou une excavatrice.
L’exploitation du lit mineur est assez vite limitée quantitativement. Les extractions peuvent alors se poursuivre sur les
berges qui forment le lit majeur, dans les couches de sol formées d’alluvions anciennes. La basse vallée de la Punaru’u fut
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pendant plusieurs décennies le site privilégié de ces extractions.
Il est difficile d’estimer les volumes d’alluvions extraits, les
données officielles sont parcellaires et ces estimations sont très
certainement sous-évaluées. Pour l’année 1988, l’estimation de
Masson fournit un ordre de grandeur avec une extraction de
plus de 800 000 m3, l’auteur précisant que les volumes annuels
extraits étaient très certainement supérieurs dans les décennies
1960 et 1970. Un rapport du Conseil Economique, Social et
Culturel (Tama et Temarii, 2011), note que pour l’année 2010,
les volumes extraits officiellement sur l’ensemble de l’île de
Tahiti (avec des demandes d’autorisations) s’élèvent à 758 000
m3, « mais ces chiffres ne reflètent qu’une partie de la réalité
puisque des extractions sont, sans aucun doute, effectuées sans
autorisation ». Dans ce texte, les besoins de la Polynésie sont
estimés en moyenne à 1,3 million de m3 par an, avec de fortes
variations en fonction des politiques de grands travaux qui peuvent être conduites.
Dans la partie haute des vallées, la rivière polynésienne
s’écoule généralement au cœur d’un espace étroit encadré par
les contreforts abrupts des crêtes d’altitude. S’adaptant à la forte
topographie, la pente longitudinale présente de nombreuses ruptures émaillées de rapides et des cascades qui font la renommée
des cours d’eau torrentiels. Par le phénomène d’érosion, des
fragments de roches sont arrachés aux falaises abruptes. Sous
l’action de l’eau et du frottement, ces roches se fendent, s’altèrent, se polissent façonnant cet ensemble de galets, de débris
rocheux et de sédiments, les alluvions. Ces alluvions se déposent et s’amoncellent tout au long du parcours de la rivière. En
aval, la pente moins forte, l’élargissement de la vallée et du lit
majeur favorisent les dépôts alluvionnaires et sédimentaires sur
les berges. En s’accumulant, ils forment des îlots plus ou moins
temporaires. Sans intervention humaine, la rivière dessine de
larges méandres à travers ces amoncellements naturels jusqu’à
son exutoire. La sinuosité est accentuée par la force centrifuge
9
qui exerce une pression sur la partie extérieure des courbes. Ce
parcours naturel ralentit la vitesse d’écoulement, favorise l’infiltration et donc la recharge des nappes phréatiques supérieures, d’autant que le milieu alluvionnaire est fortement
perméable. Les écosystèmes humides se développent, filtrent
l’eau et stabilisent les berges. L’équilibre de la rivière et de son
environnement se construit au cours du temps. Sa signature
hydrologique se caractérise par un régime torrentiel où les
débits de base sont plutôt faibles. Lors de forts épisodes pluvieux, les rivières peuvent atteindre des niveaux de crues
importants. Les espaces « libres » formés par les îlots alluvionnaires deviennent des zones inondables où la rivière peut déborder. La force de l’écoulement diminue d’intensité minimisant
les impacts destructeurs dans les zones en aval. En effet, lors de
fortes crues, c’est plus la puissance de l’eau que les volumes en
jeu qui engendrent des effets délétères dans les plaines.
Lorsque le cours de la rivière est artificiellement modifié,
l’équilibre hydrologique des basses vallées est totalement bouleversé. Les impacts directs sont immédiatement observables,
puis des conséquences malheureuses plus indirectes apparaissent au fil du temps. Dans la vallée de la Punaru’u, les premières modifications anthropiques datent du début des années
1960. Avec un recul de plus de cinquante années, l’état de cette
vallée emblématique de Tahiti permet d’apprécier objectivement les conséquences à long terme de l’intervention humaine.
L’histoire contemporaine de cette vallée doit fournir quelques
axes de réflexion pour évaluer la pertinence de l’exploitation
des ressources naturelles dans d’autres vallées.
Pour extraire les alluvions dans l’ensemble du lit majeur de
la vallée, le cours tortueux de la rivière impose de fortes
contraintes techniques, ne serait-ce que pour l’acheminement
des engins d’extraction et de transport. Il apparut alors nécessaire de contraindre le cours de la rivière le long de la berge
gauche. Cette canalisation put également paraître justifiée en
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arguant la mise en protection des zones côtières et des aménagements urbains en aval. Il existe peu de documentation technique décrivant ces modifications pour la basse vallée
jusqu’aux années 1980. A cette époque, l’extension de la zone
d’extraction de produits alluvionnaires vers la moyenne vallée
s’avère indispensable, le premier gisement dans la basse vallée
se tarissant. Initialement, cette extension fut engagée sans plan
d’aménagement. En septembre 1985, le Schéma Général d’exploitation des granulats proposa de régulariser cette situation
en encadrant l’activité des entreprises d’extraction et préconisa
une exploitation limitée au lit majeur avec des souilles fermées
pour éviter l’exploitation dans le lit mineur. Pourtant en 1988,
Masson et Jousse notent que l’exploitation dans le lit mineur
était maintenue en 1986 et s’étonnent que de nouvelles autorisations furent même accordées. L’objet de ce rapport devait
également permettre d’encadrer l’aménagement du nouveau
chenal pour endiguer la rivière sur l’amont (Figures 2 et 3). Les
différentes phases de travaux entre 1980 et 1995 ont abouti à la
canalisation de la rivière sur la totalité de la basse et moyenne
vallée sur une distance de 5,5 km, du pied du plateau Tamanu à
l’exutoire. Les préconisations techniques (Masson, 1985 et
1986 ; Masson et Jousse, 1988) conditionnaient la modification
du lit par un ensemble de contraintes importantes. Le profil des
pentes du canal devait préserver un écoulement continu tout en
évitant le risque de dépôts sédimentaires pouvant générer des
barrages artificiels et induire ponctuellement des inondations.
L’abaissement du niveau du lit de la rivière devait également
être contrôlé pour limiter au maximum les risques de pollution
des nappes superficielles. Trente ans plus tard, il apparaît que
les besoins économiques et industriels ne furent pas toujours en
adéquation avec une gestion pérenne de la rivière. Les curages
successifs destinés à l’évacuation des dépôts alluvionnaires se
sont parfois élargis en prélèvement pour la production d’agrégat,
les volumes extraits dépassaient notablement les autorisations
11
Collection DEQ
officielles. Le lit de la rivière s’est finalement affaissé, et en certaines sections, la pente longitudinale s’est fortement accentuée.
L’écoulement est alors plus rapide, la force de l’eau est accentuée et son pouvoir d’érosion augmenté. De même, les spécifications d’enrochement et de consolidation des berges,
certainement suivies à l’époque, souffrent aujourd’hui d’un
manque d’entretien et de surveillance qui fait apparaître en certains lieux des risques d’effondrement. Un enchainement dangereux se met alors en place puisque la déstabilisation de la
structure du chenal augmente les risques de dégradation et
d’inondation, principalement en période de crue. Au cours des
dernières décennies, la modification du lit de la rivière a transformé le chenal imaginé en un canal d’évacuation.
Fig. 2 - Vue aérienne depuis l’aval
avant les aménagements de la
moyenne vallée (1985)
(Tiré de Masson et Jousse, 1986)
Fig. 3 - Représentation schématisée
du cours naturel de la rivière.
Le tracé noir foncé dessine le futur
tracé du lit de la rivière
(Tiré de Masson et Jousse, 1986)
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N°334- Janvier / Avril 2015
En hydrologie de surface, l’une des approches utilisées
pour évaluer le débit d’un cours d’eau est de considérer les
forces de frottement qui ralentissent l’écoulement. La formule
la plus utilisée est l’équation de Manning (1891). Elle s’appuie
sur la notion de rugosité (Q) qui intègre cette résistance aux
flux. Elle s’exprime par :
où Rh est le rayon hydraulique [m] ; Sh est la pente hydraulique
ou pente du cours d’eau [m/s] ; et nm est le coefficient de rugosité de Manning [m1/3/s].
Cette équation, dérivée de l’hydraulique, intègre l’influence
de la rugosité sur la dynamique de l’écoulement ; plus nm est
grand et plus l’écoulement est freiné. Plusieurs études ont montrées depuis longtemps (Chow, 1959), qu’entre un cours d’eau
à l’état naturel dont le tracé est dessiné de méandres, avec un lit
remplit de pierres et d’herbe, et un canal en terre rectiligne, non
enherbé, le coefficient de rugosité nm varie d’un facteur 8. En
simplifiant l’interprétation, cela signifie que dans un cours
d’eau canalisé, les forces de frottement sont huit fois moins
importantes que dans un lit naturel.
Finalement, la forte anthropisation du lit de la rivière de la
Punaru’u et de ses berges a engendré la mise en place d’un
canal favorisant l’écoulement très rapide des eaux vers l’exutoire, donc vers le lagon, éliminant de fait les apports hydrologiques, hydrogéologiques et écologiques d’un cours d’eau dans
la basse vallée. Le canal réagit aujourd’hui comme une sorte de
toboggan d’évacuation créant une dynamique de surface qui a
été nommée l’« Effet Toboggan » (Figure 4) (Aureau, 2014).
13
Collection DEQ
Fig. 4 - Illustration de la géométrie du lit modifié de la rivière
engendrant l’ « Effet Toboggan »
(Tiré de Masson et Jousse, 1986)
En période sèche, la rivière se tarit dans sa partie anthropisée. La surface du lit est recouverte d’une pellicule solidifiée de
sédiment limoneux (Figures 5 et 6). Cette pellicule a l’aspect
d’un ciment naturel qui imperméabilise le lit. Ce phénomène
qui n’a pas été constaté dans un autre cours d’eau de Tahiti
semble avoir pour origine une fine poussière issue du traitement
des agrégats et des différentes activités de la zone industrielle.
Cette poussière est présente partout et s’observe sur la végétation environnante. Des tests d’infiltration fournissent une évaluation de la conductivité hydraulique à saturation naturelle
(Ks) qui permet d’apprécier la très faible perméabilité de ce sol,
Ks = 2,2 . 10-7 ± 2,7 . 10-8 (Aureau, 2014). Cet effet de cimentation associé à l’accélération de l’écoulement et à la disparition
du substrat alluvionnaire, neutralise les phénomènes d’infiltration et ainsi l’alimentation de la nappe alluviale supérieure.
14
© Photos : M. Aureau
N°334- Janvier / Avril 2015
Fig. 5 - Aspect général de la
cimentation du lit de la rivière.
Fig. 6 - Détail de la cimentation
du lit de la rivière.
La nappe supérieure présente entre 0 et 15 mètres sous la
surface, en fonction du niveau de saturation du sol, se recharge
essentiellement par interaction avec la rivière et par l’infiltration
superficielle lors de fortes précipitations. Mais l’aménagement
industriel de la basse vallée s’est accompagné d’une couverture
du sol par un revêtement d’asphalte pratiquement imperméable.
Le ruissellement de surface est alors très largement et artificiellement accentué aux dépens de l’infiltration. De la même
manière, la terre profondément remodelée et tassée autour des
zones d’extraction est un frein à la recharge de la nappe supérieure.
Cette nappe est visible au travers des profondes souilles
d’extraction encore ouvertes (Figure 7). En dehors du témoignage d’un prélèvement alluvionnaire très important, ces
souilles sont des ouvertures sur l’écoulement souterrain et donc
des sites de pollution potentielle. Malheureusement, leur mise
en exploitation et leur suivi restent mal encadrés et contrôlés,
sans doute par un manque de moyen des autorités. Toutefois,
il a été montré (Aureau, 2014) que les volumes d’eau en jeu
dans le sous-sol et la dynamique de l’écoulement souterrain
15
© Photo : M. Aureau
(la transmissivité2 latérale est beaucoup plus rapide que l’infiltration) protège les nappes plus profondes et la qualité de l’eau
puisée par forage en aval. Mais il ne peut-être exclu qu’une
dégradation accentuée du sous-sol de la basse et de la moyenne
vallée, n’entraîne, dans le futur, des risques de pollution accrus
qui remettraient en question la présence de certaines activités.
Fig. 7 - Souille d’extraction alluvionnaire située à la limite amont de la zone
industrielle, profondeur entre 15 et 20 mètres
En dehors des effets écologiques indiscutables, les conséquences de l’anthropisation excessive de la rivière occasionnent
des risques pour la pérennité des activités dans la zone industrielle. Par l’accélération de l’écoulement et l’entretien inadéquat
2
Souvent utilisée pour décrire les aquifères confinés, la transmissivité décrit la
quantité d’eau qui peut-être transmise horizontalement suivant l’épaisseur saturée (elle est égale à la conductivité hydraulique à saturation (Ks) multipliée par
l’épaisseur de la zone saturée).
16
N°334- Janvier / Avril 2015
du chenal, les risques d’inondations et de déstabilisation des
berges sont accentués. L’amoncellement des débris charriés en
période de crue peut également créer des barrages temporaires
engendrant un débordement des eaux. D’un point de vue hydrogéologique, l’aquifère alluvionnaire superficiel n’est plus
rechargé en période d’étiage. Même en période humide, son alimentation est fortement limitée.
Pour prolonger ce travail, il serait pertinent d’évaluer quantitativement les conséquences de la pollution terrigène sur le
développement des fonds sous-marin. L’intervention humaine,
dans les vallées tahitiennes, impacte nécessairement l’équilibre
naturel des zones côtières. Une approche complémentaire s’intéresserait également à l’impact du développement des plantes
envahissantes3 sur l’érosion pour apprécier l’accumulation des
effets perturbateurs sur un système naturel.
Captage d’alimentation en eau potable
A l’Ouest de l’île de Tahiti, la vallée de la Punaru’u s’étend
sur 14 km, d’Est en Ouest, des flancs de la montagne Orohena
au centre de l’île vers son exutoire dans la baie dite de « la
Pointe des pêcheurs ». C’est le second plus grand bassin versant
de Tahiti, il couvre une surface de 43,18 km2. La partie Nord de
la vallée (Figure 8) est délimitée par la succession des plus hauts
sommets de l’île, le mont Marau (1493 m), les pics du Diadème
(1321 m), le sommet de l’Aora’i (2066 m) et l’Orohena (2 241 m),
point culminant de la Polynésie française. Sur une orientation
Est, Sud-Est, la vallée est délimitée par les monts Vaiava (1696 m),
Teamaa (1532 m) et Mahutaa (1501 m). Le point culminant de
la crête Sud est le mont Tahiti (1368 m).
3
Communication personnelle, Butaud J.F., 2015.
17
© Photo : M. Aureau
Fig. 8 - Frontière Nord de la haute vallée de la Punaru’u
Le bassin versant de la vallée de la Punaru’u peut être divisé
en quatre parties distinctes : le delta qui définit la zone de plaines
large de 500 m entre l’embouchure et l’entrée de la vallée proprement dite ; la basse vallée qui s’étend sur 1,5 km à partir de
la côte vers l’amont en couvrant un espace de 139 ha ; la
moyenne vallée qui suit le cours de la rivière sur 4 km jusqu’au
pied du plateau Tamanu. Ce plateau, d’une superficie de 603 ha,
forme une frontière naturelle où débute la haute vallée qui s’ouvre sur un véritable cirque long de 8,5 km et d’une largeur oscillant entre 4 et 5 km. La haute vallée, qui couvre une surface de
3 576 ha, représente 83% de la surface totale du bassin versant.
A l’image des cours d’eau de type torrentiel, l’hydrologie de
rivière de la Punaru’u est fortement dépendante de l’aléa climatique. La réactivité de la rivière est évaluée entre 12 et 24 heures
après un important épisode pluvieux. Les pentes fortes (supérieures à 30°) qui occupent 65% de sa surface y jouent un rôle
fondamental. Le débit moyen journalier de la rivière est égal à
2,21 m3/s. En étiage, il diminue à 0,6 m3/s. Le débit maximum
instantané fut mesuré à 39,17 m3/s le 18 janvier 2007 à 2 heures
17 minutes. En volume cumulé, la rivière de la Punaru’u a évacué 71 318 794 m3 d’eau au cours de l’année 2012.
18
© Google Earth
N°334- Janvier / Avril 2015
Fig. 9 - Utilisation de la ressource en eau dans la vallée de la Punaru’u
L’eau de la vallée de la Punaru’u ne représente pas un intérêt
stratégique pour la seule industrie privée. Un syndicat intercommunal exploite un captage destiné exclusivement à l’Alimentation en Eau Potable (AEP) des communes de Punaauia, Faa’a et
Paea. Ce captage, situé à la limite entre la moyenne et la haute
vallée à la cote 130 m au pied du plateau Tamanu (Figure 9), fut
mis en service en 1983. L’accès à l’eau potable de milliers de
foyers en dépend directement aujourd’hui.
Le captage est une construction en béton relativement
importante couvrant la rivière sur les 40 mètres de sa largeur et
formant un bassin de rétention au-dessus (Figure 10). L’eau est
guidée vers une ouverture, de 7 à 8 m de largeur, sur laquelle
est positionnée une grille. Une part de l’eau s’écoule à travers
cette grille avant d’être dirigée vers la conduite forcée. Le tropplein rejoint le lit de la rivière. Lors des crues, des volumes
d’eau beaucoup plus importants peuvent déborder sur la partie
droite du captage.
Le captage AEP fonctionne de manière discontinue. Il est
fermé lors des épisodes de crues, la rivière charriant d’importants volumes de sédiments issus de l’érosion provoquée par le
ruissellement. Par contre, lorsque le niveau de la rivière revient
à un écoulement plus stable (débit de base), ou en période
d’étiage, le fonctionnement du captage est optimal. En période
de sécheresse, le captage absorbe la totalité de l’eau de la rivière.
19
© Photo : M. Aureau
Fig. 10 - Captage d’Alimentation en Eau Potable de la Punaru’u à la cote 13
Fig. 11 - Débits de la rivière et débits de la prise d’eau en fonction des
pourcentages d’eau captée par rapport aux volumes disponibles
(Aureau, 2014)
La Figue 11 permet d’observer l’impact de la prise d’eau sur le
débit de la rivière. Les débits de la rivière et les débits du captage
sont présentés en fonction des pourcentages d’eau interceptée par
le captage, lorsque la prise d’eau est ouverte. Ces proportions
sont classées de l’impact minimum vers l’impact maximum.
20
N°334- Janvier / Avril 2015
Plus le débit de la rivière diminue et plus la capacité de production du captage augmente pour atteindre un fonctionnement
maximum lorsque le cours d’eau est à son étiage. Pendant 50 %
du temps d’ouverture, le captage laisse moins de 600 l/s pour la
rivière. Pourtant cette valeur, égale au débit de base, devrait correspondre à l’écoulement minimum de la rivière en aval du captage. Un jour sur quatre (25 % du temps) le débit de la rivière
en amont du captage est inférieur à 800 l/s, la prise d’eau
absorbe alors la presque totalité du débit disponible.
Avant les années 1990, la rivière de la Punaru’u était observée avec une acuité plus fine. Cinq stations hydrométriques installées et suivies par l’ORSTOM (Office de la Recherche
Scientifique et Technique d’Outre-Mer) sont recensées sur le
cours d’eau principal. Au moins deux points de mesure sont
situés en aval du captage qui fut mis en service en 1983. La station positionnée à la côte 50 fut fonctionnelle de 1974 à 1982.
A l’entrée de la zone industrielle, sous le viaduc (côte 10), une
station RT1 permettait de mesurer l’écoulement de la rivière à
l’exutoire de la basse vallée juste à l’amont du delta. Cette station fut installée en 1983 et les dernières données trouvées
datent de 1991. Les données issues de ces stations sont tirées
des annales hydrologiques éditées par l’ORSTOM (Lafforgue,
1987 et 1993). Ces deux stations sont distantes de 2 km exactement. Les chroniques de débit issues de ces stations sont les
seules informations objectives sur l’écoulement de la rivière en
aval du captage avant son exploitation. Jusqu’en 1982, le débit
instantané, enregistré à la côte 50, ne fut jamais inférieur à 177
l/s et la moyenne du débit minimum instantané annuel entre
1972 et mars 1983 est de 382 l/s. En 1985, le débit minimum
enregistré par la station RT1 est de 71 l/s. Puis, à partir de cette
période, la rivière est asséchée pendant des semaines entières.
La conclusion inévitable est l’impact prépondérant de l’exploitation du captage de la Punaru’u sur l’assèchement périodique
de la rivière à partir de la moyenne vallée. La préhension d’eau
21
ne respecte pas la nécessité légale d’assurer un débit réservé
(Code de l’Environnement, 2010) pour tout ouvrage interceptant un écoulement en eau vive. Le captage de la Punaru’u semble ainsi mal dimensionné au regard des débits de base et
d’étiage de la rivière. Les conséquences sur la flore, la faune et
plus généralement sur le milieu naturel sont irrémédiables.
Conclusion
La vallée de la Punaru’u est exploitée pour ses ressources
depuis plus de 50 ans. Elle abrite la plus grande zone industrielle de la Polynésie française. Cette exploitation a débuté par
la nécessité d’un développement industriel et économique très
rapide. Des préconisations et des contrôles ont cherché à encadrer ces activités par la suite. Malheureusement, il apparaît
aujourd’hui que les efforts ne furent ni suffisants, ni suffisamment suivis dans le temps. Les conséquences des modifications
de la structure hydrologique d’une vallée naturelle s’observent
encore, des décennies plus tard. Les contraintes et les compensations envisagées doivent perdurer sur des périodes aussi
longues, ce qui peut être difficile à assumer dans un contexte de
développement et d’urbanisation croissante.
Il est certain que le développement du Pays nécessite la
production de volumes importants d’agrégat et que l’alimentation en eau potable des populations est une obligation incontournable. Toutefois, il est primordial d’envisager les
conséquences à moyen et long terme, des conséquences souvent
irrémédiables. Dans les années 1960, la basse vallée de la
Punaru’u fut « sacrifiée » au développement nouveau de la
Polynésie française, d’autres vallées ont pu être ainsi préservées. Mais actuellement, les ressources de la vallée de la
Punaru’u s’épuisent et les impacts d’une exploitation très
importante ont totalement modifié l’équilibre naturel du site.
Sur le long terme, les exigences du développement, les intérêts
économiques et la préservation des milieux imposent des
22
N°334- Janvier / Avril 2015
contraintes divergentes qu’il est nécessaire de surmonter pour
assurer la pérennité des ressources pour tous. L’histoire de la
vallée de la Punaru’u est un exemple à analyser et à méditer
lorsque se pose la question de l’extraction alluvionnaire dans de
nouvelles vallées. L’histoire doit être une expérience du passé
et non un cheminement circulaire.
Matthieu Aureau
BIBLIOGRAPHIE
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de la Punaru’u - Tahiti, Thèse de doctorat, Université de la Polynésie française,
pp.258.
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pp. 680.
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de l’ORSTOM. Service de l’Equipement de la Polynésie française. BP. 85 Papeete,
Tahiti, Polynésie française. pp. 298.
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de l’ORSTOM, pp. 112.
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of the Institution of Civil Engineers of Ireland, 20, pp. 161-207.
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et d’aménagement de la vallée de la Punaruu. C.E.T.E. Méditerranée. Département Aménagement, Construction, Environnement. Toulouse, France, pp.75.
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naturels en Polynésie française. Conseil Economique, Social et Culturel de la Polynésie française, adopté en commission le 5 juillet 2011 et en assemblée plénière
le 12 juillet 2011.
23
Politiques publiques de gestion
des submersions aux Tuamotu :
L’exemple de l’aménagement
des abris anticycloniques
Dans l’archipel polynésien des Tuamotu, les tsunamis
transocéaniques et l’activité séismique sont à peine perceptibles
et ne représentent pas un risque important. Les cyclones, en
revanche, exposent la population à un danger de mort certain,
dramatiquement illustré par les épisodes de 1878, 1903, 1905
et 1906 au cours desquels la population de l’archipel fut réduite
de plus de quinze pour cent (765 morts au total).
Pour faire face à ce risque, les stratégies des politiques
publiques se sont organisées autour de trois piliers principaux :
l’amélioration de la prévision des phénomènes météorologiques
dangereux par Météo-France (Canavesio, et al., 2014) la caractérisation des risques extrêmes en termes de fréquence et d’intensité par différents bureaux d’étude (B.R.G.M1. notamment),
et l’aménagement en conséquence du littoral par les acteurs de
la gouvernance locale.
1
Bureau des Ressources Géologiques et Minières.
N°334- Janvier / Avril 2015
En termes d’aménagements, la priorité a été donnée à la
sécurisation des personnes plutôt qu’à celle des biens face à un
aléa secondaire des cyclones mais extrêmement destructeur :
la houle et la submersion qu’elle provoque. Cette sécurisation
passe par la construction d’abris surélevés dits « anticycloniques » dans lesquels les habitants doivent pouvoir se réfugier
en cas de cyclone.
Après avoir exposé les enjeux de cette politique publique
dans le contexte environnemental et territorial particulier des
Tuamotu, nous analyserons les principales caractéristiques de
cette gouvernance du risque cyclonique (acteurs, logique générale, limites). Enfin, l’historique de la politique de construction
des abris anticyclonique montrera que cette stratégie établie
depuis plus d’un siècle reste encore largement inachevée.
Ces analyses résultent d’enquêtes menées en 2013 et 2014
dans l’archipel des Tuamotu dans le cadre d’un post-doctorat,
d’entretiens réalisées dans les administrations polynésiennes et
d’un vaste travail d’archive conduit en Polynésie et aux
archives d’Outre Mer d’Aix en Provence.
Les enjeux du risque cyclonique dans l’archipel
Etant presque exclusivement composé d’atolls non soulevés2, l’archipel des Tuamotu est extrêmement vulnérable aux
submersions. En effet, les motu (îlots coralliens) dont l’altitude
est presque toujours inférieure à cinq mètres (et souvent inférieure à trois mètres) sont très exposés aux montées du niveau
de la mer, que celles-ci soient progressives et durables (réchauffement climatique) ou qu’elles soient brutales et temporaires.
Les fortes houles de Sud qui se produisent occasionnellement
durant l’hiver austral ─ comme celles d’août 2011 (hauteur
2
Un léger bombement de la plaque océanique au Sud-Ouest de l’archipel explique
le soulèvement marqué de Makatea (plusieurs dizaines de mètres au-dessus du
niveau de la mer), et celui beaucoup plus modeste des îles de Niau et d’Anaa.
25
significative de 4,5 m environ) ou celle de juillet 1996 ─ suffisent à provoquer des submersions importantes (élévation du
niveau du lagon pouvant atteindre plus de deux mètres3). Lors
de ces évènements relativement fréquents, la surcote du lagon
par ensachage peut causer d’importants désagréments : perte de
récoltes de coprah, salinisation temporaire de la lentille d’eau
douce, inondation des habitations etc. Elles ne représentent en
revanche, pas de risques importants pour la vie des 15 342 habitants4 et ont des conséquences limitées sur les structures et aménagements édifiés par les populations.
Les cyclones sont porteurs de risques incomparablement
supérieurs. L’action du vent (Laurent & Varney, 2014) mais surtout celle de la submersion engendrée par la houle qui peut
atteindre plus de 10 m (Damlamian, et al., 2013 ; Perdreros, et
al., 2010), voire plus de 15 m dans les cas extrêmes (Canavesio,
2014) affecte la totalité des enjeux portés par ces îles basses. En
effet, dans le cas des submersions cycloniques les plus fortes,
les atolls sont exposés à une destruction totale. Les constructions « en dur » peuvent être entièrement détruites de même que
les formations végétales. L’étude des archives historiques
(Canavesio, 2014) et les recherches en géomorphologie littorale
(Etienne, 2012 ; Terry, 2007 ; Harmelin-Vivien M. & Laboute P.,
1986) ont montré que ces évènements climatiques extrêmes
pouvaient même modifier très largement le trait de côte des
ilots coralliens habitables5. La construction d’aménagement
3
Témoignages recueillis lors d’une enquête de terrain menée par l’auteur à Makemo
en février 2014 dans le cadre d’un postdoctorat. Lors de la houle de juillet 1996, le
niveau du lagon de Makemo aurait connu une surcote légèrement supérieure à
deux mètres provoquant la submersion de la quasi-totalité du village.
4
Population calculée à partir du recensement de 2012 (Makatea et les Gambier
non comptés).
5
Le 8 février 1906 le rivage oriental du motu sur lequel se trouve le village de Tukuhora à Anaa aurait été déplacé de près de 300 m en environ 3 heures.
26
N°334- Janvier / Avril 2015
défensifs tels que des digues doit être envisagée à l’aune de la
puissance destructrice de cet aléa (Rios-Wilks, 2013) capable
de déplacer des blocs de corail de plusieurs centaines de tonnes
sur le platier (Goto, et al., 2011).
Cet aléa est donc le principal risque pour les infrastructures
mais aussi pour les habitants. Dans le passé, plusieurs catastrophes ont illustré la vulnérabilité des populations aux submersions cycloniques. Si celles de 1878 à Kaukura (117 morts) et
celle de 1903 à Hikueru (377 morts) peuvent – en partie – être
attribuées à la méconnaissance du terrain par les victimes6, les
hécatombes de 1903 à Marokau (96 décès pour 183 habitants7)
et de 1906 à Anaa (95 décès pour 546 habitants) témoignent de
la vulnérabilité des populations insulaires à ce risque dans un
milieu parfaitement connu. L’analyse des archives a montré que
lors de ces évènements, la quasi-totalité des décès étaient causés
par des noyades et que les survivants trouvaient leur salut soit
par la fuite rapide vers des motu moins exposés (tous les motu
d’un même atoll ne sont pas exposés simultanément à la même
houle), soit grâce à la résistance d’un arbre dans lequel ils se
seraient accrochés (figure n°1), soit encore en mettant à profit
leur capacité à résister à la noyade en nageant de longues heures
dans le lagon après avoir été emportés par les vagues.
6
Lors de ces deux évènements, la plupart des victimes se trouvaient loin de leurs
villages. A Kaukura, elles étaient au coprah « au secteur » et à Hikueru la plupart
des victimes étaient originaires d’autres atolls de l’archipel et attendaient l’ouverture officielle de la saison de la plonge nacrière.
7
Recensement de 1892.
27
Fig. 1 - La submersion de l’atoll d’Hikueru en janvier 1903
vue à l’époque par le dessinateur de l’Illustration.
(Source : Mémorial Polynésien T4 1891-1913 (pp. 378-379)
Les politiques publiques de prévention /
prévision des risques cycloniques
Depuis les cyclones du début du 20ème siècle, les administrations successives (coloniales puis territoriales) se sont efforcées de prendre des mesures visant à limiter la vulnérabilité à
cet aléa. En la matière, la tragédie de 1903 fut un véritable
déclencheur. Peu de temps après le passage du cyclone, l’administration coloniale des Etablissements Français d’Océanie
(E.F.O.) nomma une commission chargée d’établir une stratégie
cohérente face à ce risque. Cette commission qui s’est réunie le
6 septembre 1904 est à l’origine du déploiement de plusieurs
postes d’observations météorologiques équipés de baromètres
dans l’archipel mais également du financement d’une étude
visant à construire des « plateformes qui serviraient de refuge
aux indigènes en cas d’inondation ou de cyclone » (Charlier,
1904). Moins de deux ans après cette catastrophe, un embryon
28
N°334- Janvier / Avril 2015
de la politique publique actuelle de gestion du risque cyclonique était donc déjà établi. Elle s’articulait autour du dipôle
« prévision / aménagements préventifs » qui structure encore
largement les politiques publiques contemporaines de gestion
des risques climatiques.
Depuis cette époque, les progrès réalisés en matière de
modélisation numérique de l’atmosphère ont permis de repenser complètement les stratégies face à ces risques, en proposant
la mise en place de systèmes d’alertes, parfois plusieurs jours
avant la survenue d’un phénomène dangereux. Lors de certains
cyclones touchant des littoraux continentaux (Golfe du
Mexique, Chine…), ces alertes se traduisent par d’immenses
campagnes d’évacuation des populations exposées (Goen &
Polivka, 2010). Dans les archipels polynésiens ce type de
réponse s’avère totalement inadapté étant donné les conditions
très spécifiques du peuplement (dispersé à l’extrême) et la morphologie de ces îles basses. En effet, la dispersion de l’habitat
et l’isolement (parfois renforcé par l’absence d’aéroport) s’opposent à l’évacuation des insulaires vers d’autres îles, d’une
part, alors que la platitude de ces îles ne permet pas de garantir
la sécurité en dehors de sites spécifiquement aménagés, d’autre
part. Dans ces conditions particulières, l’amélioration des prévisions météorologiques par les modèles dits « opérationnels »
ne représente pas une garantie décisive pour la mise en sécurité
de populations incapables de fuir face à l’aléa.
Conscients des limites de la prévision « en temps réel » des
cyclones et des particularités de l’archipel, les acteurs de la
gouvernance de ces îles ont établi une stratégie basée sur
l’adaptation et la résilience plutôt que sur la fuite devant l’aléa.
Plusieurs bureaux d’étude (dont le BRGM) ont été sollicités
pour réaliser des simulations de submersion des îles polynésiennes dans des conditions dites « extrêmes ». Il ne s’agit donc
pas ici de faire de la prévision « en temps réel », mais de
reprendre des situations météorologiques passées et de les
29
appliquer à différentes îles pour évaluer la vulnérabilité aux
submersions de chaque portion du littoral. A partir de ces simulations (Lecacheux, et al., 2013 ; Damlamian et Kruger, 2013 ;
Perdreros, et al., 2010 ; etc.), des ébauches de Plans de Prévention des Risques (PPR) ont donc pu être établis montrant l’intensité possible des submersions et permettant d’établir un
zonage des risques. Une fois ces zonages réalisés, il revient aux
tenants de la gouvernance locale (maires notamment) de mettre
à profit ces études pour établir à titre préventif des plans d’urbanisme intégrant ces risques (construction d’ouvrages défensifs, règlementation en matière d’urbanisme…). Enfin, en cas
de survenue d’un cyclone, l’exécution du plan d’alerte et de
secours spécialisé incombe au directeur de cabinet du Hautcommissaire ainsi qu’au directeur de la défense et de la protection civile après déclenchement du « plan cyclone » par le
Haut-commissaire (Journal Officiel, 2011) dont les choix sont
éclairés par les prévisions établies par Météo-France.
En dépit de ces avancées, les réponses trouvées actuellement ne permettent pas la mise en sécurité des habitants en cas
de cyclone dans l’archipel des Tuamotu. La prévision météorologique « en temps réel » de ces phénomènes à des échéances
de plusieurs jours reste trop peu fiable pour permettre l’évacuation d’une population extrêmement dispersée et isolée. Les
simulations et l’étude des archives ont par ailleurs montré qu’il
n’existait pas de refuges naturels satisfaisants en cas de houles
exceptionnelles pour les habitants des atolls. Face à ce constat
établi de longue date ─ et qui n’a pas été remis en cause par les
progrès récents réalisées en matière de modélisation ─ la solution atypique de l’abri anticyclonique a été considérée comme
étant la plus pertinente.
30
N°334- Janvier / Avril 2015
L’aménagement des abris anticycloniques :
un siècle de mise en place laborieuse
Si le concept d’abri anticyclonique est à la fois simple et
ancien, la construction des ces édifices dans la totalité des atolls
habités des Tuamotu se heurte à une multitude de difficultés. Les
cyclones meurtriers de 1878, 1903 et 1906 avaient montré à
l’administration coloniale la vulnérabilité de ces îles aux submersions dont les habitants étaient parfois contraints de monter
dans les cocotiers pour échapper à la noyade. Dès 1904, un budget fut donc alloué à l’étude chargée de déterminer la faisabilité
de la construction d’un grand nombre de « plateformes » sur lesquelles les habitants des différentes îles pourraient se réfugier en
cas de submersions (Charlier, 1904). Ce projet de longue haleine
restera cependant sans suites, probablement relégué au second
rang des priorités dans une période où les finances publiques
étaient grevées par une multitude de dépenses non prévisibles en
1904, que ce soit à l’échelle des E.F.O. (les énormes pertes économiques provoquées par les cyclones de 1905 et 1906), ou au
niveau de la métropole (la préparation de la guerre).
L’abandon de cet ambitieux programme de construction de
plateformes anticycloniques qui fut établi suite au traumatisme
provoqué par les cyclones du début du XXème siècle n’aura
aucune conséquence fâcheuse dans les décennies suivantes. En
effet, la faible fréquence des cyclones dans l’archipel déjà relevé
par Marcadé (1915) et confirmé par des études statistiques plus
récentes (Larrue & Chiron, 2010) s’est matérialisée par l’absence de phénomène météorologique fortement destructeur8
dans les Tuamotu pendant plus de 70 ans (entre 1906 et 1982).
8
En l’absence de suivis systématiques de l’atmosphère avant 1970 (premiers satellites), il est difficile d’affirmer qu’aucune dépression tropicale n’ait atteint le stade
de cyclone aux Tuamotu entre 1906 et 1982. On notera cependant que, dans la
mémoire collective, cette période est considérée comme étant exempte de
cyclones aux Tuamotu et que l’étude des archives ne permet pas de remettre en
cause ce ressenti.
31
Pendant toute cette période, la réalisation d’aménagements
lourds et coûteux destinés à protéger les populations des submersions cycloniques perdra donc progressivement de sa légitimité,
tant auprès des pouvoirs publics qu’auprès de la population dont
la mémoire des hécatombes passées s’effaçait progressivement.
La grande crise cyclonique de 1983 (Dupon, 1987 & 1984 ;
Merle & Tourre, 1984) caractérisée par la survenue de 5 cyclones
dans l’archipel en seulement quatre mois (dont 3 d’intensité
supérieure à trois sur l’échelle de Saffir Simpson) fera brutalement sortir les politiques publiques de prévention des risques
naturels de la torpeur dans laquelle elles s’étaient installées. Si
les pertes humaines de cette série de cyclone demeureront relativement modestes (moins de 10 morts) au regard de celles du
début du XXe siècle, le bilan matériel et les destructions engendrées par le vent et la mer (notamment à Anaa) imposèrent à la
gouvernance de l’époque de remettre rapidement sur pieds une
politique publique efficace pour réduire la vulnérabilité des
habitants de l’archipel. Reprenant l’idée de 1904, la stratégie
choisie consista à construire au plus près des habitations une
série d’abris anticycloniques dans les îles qui furent les plus
sinistrées par les cyclones récents.
Au début des années 1980 la situation économique de la
Polynésie française est bien plus favorable qu’à la veille de la
première guerre mondiale et le soutien massif de Paris dans le
contexte du C.E.P. permettent de débloquer rapidement des crédits pour la réalisation de ce programme. Ce dernier reçoit, en
outre l’aval du très médiatique vulcanologue Haroun Tazieff
alors chargé par François Mitterrand de la prévention des
risques naturels et technologiques majeurs. Dès le 9 août 1983
et sur ordre d’une commission technique des risques naturels9
9
Les recommandations disponibles le 9 août sont le résultat de décisions prises dès
le 24 mars 1983 (soit avant la survenue des cyclones Veena et William !) par cette
commission présidée par le conseiller du Gouvernement Boris Léontieff. Cette
commission s’est réunie une dizaine de fois au cours de la seule année 1983.
32
N°334- Janvier / Avril 2015
qui se réunira une dizaine de fois au cours de l’année 1983, le
Commissariat à l’Etude et à la Prévention des Risques Naturels
Majeurs (à Paris) et les services de l’Equipement de Polynésie
disposent de recommandations10 élaborées par différents bureaux
d’étude pour réaliser des abris anticycloniques pouvant résister
à des vents de 300km/h et aux submersions engendrées par une
houle de 10m avec une période de 10 secondes11. Une douzaine
d’abris essentiellement financés par le territoire12 seront rapidement construits dans les Tuamotu au cours des années suivantes,
notamment dans les îles qui furent les plus sévèrement affectées
par les cyclones de 1983 (Anaa, Arutua etc.). Si ces initiatives
représentent une avancée majeure et une stratégie cohérente face
à cet aléa, ces abris sont bien loin de couvrir les besoins de la
population de l’ensemble des atolls (une quarantaine d’îles habitées). Pour autant, le programme de construction cessera presque
totalement dès 1987, bien avant d’avoir permis d’assurer la sécurité de tous les habitants des Tuamotu.
Il faut en fait attendre une vingtaine d’années pour voir
redémarrer ce programme. En 2008, dans la mouvance d’une
prise de conscience grandissante de la menace que représentent
les risques climatiques, un contrat de projet est signé entre l’Etat
français et le Territoire de la Polynésie française pour achever la
construction des abris. Ce contrat financé pour moitié par l’Etat
et pour moitié par le Territoire ambitionne de fournir un abri à
la totalité des habitants vivant dans des îles peuplées de plus de
10
11
12
Commissariat à l’Etude et à la Prévention des Risques Naturels Majeurs, 1983.
Les analyses les plus récentes (Canavesio, 2014 ; Goto, 2011) montrent que, du
point de vue de la houle, ces valeurs sont probablement assez nettement inférieures aux situations extrêmes dans l’archipel.
En 1983, la commission technique des risques naturels évalua à 334 millions de
Francs Pacifique le coût de la réalisation de 10 abris (Hereheretue, Vahitahi, Aratika, Fangatau, Anaa, Napuka, Arutua, Tureia, Ahe et Nukutavake). Le financement devait être à la charge du Territoire à hauteur de plus de 80 % (277 MFCP),
le reste (57 MFCP) étant à la charge des communes.
33
40 habitants13. Cela implique donc de construire des abris dans
de nombreuses îles qui en sont dépourvues, mais aussi de réhabiliter les abris construits dans les années 1980. Enfin, dans certaines îles (Hao, Tureai, Puka-Puka etc.), il est prévu de réaliser
des extensions aux abris existants pour garantir une surface de
1,5 m² d’abri par habitant. Le coût de ce projet qui reprend les
préconisations techniques de 1983 était initialement estimé à
4 milliards (XPF) mais a été revu en très nette hausse (estimé
aujourd’hui par la Direction polynésienne de l’Equipement à
13 milliards14) et représente donc à l’échelle de l’archipel un
coût de 850 000 XPF par habitant selon cette dernière estimation15. Afin de maximiser les services rendus par cet énorme
investissement, le contrat de projet prévoit que différents services publics (infirmeries, écoles, mairies…) puissent occuper
les locaux et garantir ainsi le bon entretien des infrastructures.
Fig. 2 - La construction de l’abri anticyclonique de Makemo
(Cliché de l’auteur en février 2014)
13
Les rares habitants des îles dont la population est inférieure à 40 habitants (souvent de l’habitat temporaire) devant se rendre jusqu’aux îles les plus proches
dotées d’un abri en cas de cyclone.
14
La différence s’explique en grande partie par une mauvaise estimation initiale
du coût du foncier.
15
Soit environ 7000 euros par habitant (15306 habitants concernés par l’opération).
34
N°334- Janvier / Avril 2015
Malgré les surcoûts, le programme semblait bien engagé
pour arriver enfin à son terme. En novembre 2013, dans un
contexte de tensions avec l’Etat français, le Territoire présidé
par Gaston Flosse décida pourtant de cesser sa contribution au
financement du contrat de projet sous couvert de désaccord au
sujet des compétences des différentes parties de la gouvernance16. Cette décision provoqua la déprogrammation des projets n’ayant pas encore atteint la phase du chantier.
Situation en
octobre 2014
Nom des îles
Aménagements réalisés
ou en cours de finalisation
Abris insuffisants
ou vétustes
Hereheretue, Tematangi, Aratika, Hao, Fangatau, Anaa,
Faaite, Katiu, Takapoto, Reao,
Tureia, Apataki,
Marokau, Vairaatea, Tikehau,
Fakahina, Kaukura,
Tatakoto, Makemo, Takume,
Nukutavake, Arutua,
Raroia, Pukarua, Niau, Taenga,
Napuka
Amanu, Puka-Puka
Aucun abri
spécifique
Hikueru, Manihi,
Takaroa, Ahe,
Fakarava, Kauehi,
Rangiroa, Vahitahi,
Tepoto-Nord,
Raraka, Mataiva
Population
4 753
4 098
6455
Pourcentage de la
population concernée
31%
27%
42%
Fig. 3 - Couverture de la population des Tuamotu par les abris anticycloniques
(Direction de l’Equipement de Polynésie)
Grâce à cette seconde phase de construction initiée en
2008, la vulnérabilité globale des habitants des Tuamotu a néanmoins beaucoup reculé et de nombreux atolls disposeront d’infrastructures globalement17 satisfaisantes en cas de submersions
16
La double fonction des abris (protection civile en cas de cyclone et fonctions
diverses d’utilité publique (mairie, infirmerie…) en temps « normal) est au centre
du débat portant sur la légitimité du retrait du financement territorial. En effet,
en Polynésie, l’Etat français a conservé la compétence « sécurité » civile.
17
Les abris anticycloniques sont assurément les bâtiments les plus résistants aux
submersions dans chacune des îles de l’archipel. En raison de contraintes foncières, certains d’entre eux ont néanmoins été construits à proximité du récif
(côté océan) dans des zones où les cyclones sont en mesure de déplacer des
blocs de plusieurs dizaines de tonnes (Goto, et al., 2011 ; Biukoto & Bonte-Grapentin, 2008). Dans le cas des submersions les plus extrêmes ces abris pourraient donc subir de sérieux endommagements.
35
majeures. La situation reste cependant très inégale (figure n°3).
Fin 2014, l’état d’avancement des différents chantiers permet
de dire qu’une vingtaine d’atolls disposeront dans un avenir très
proche (achèvement des travaux en cours) des aménagements
préconisés par les études réalisées en 1983. Une dizaine d’îles
disposeront d’abris soit vétustes soit de dimension insuffisante
pour accueillir correctement l’ensemble des habitants (extensions et/ou rénovations interrompues suite à la décision de
novembre 2013). Enfin, une autre dizaine d’îles – dont la plus
peuplée de l’archipel – ne disposeront d’aucune infrastructure
spécifiquement conçue pour résister aux submersions cycloniques et conserveront donc une vulnérabilité à cet aléa relativement proche de ce qu’elle était au début du XXe siècle.
Conclusion
La stratégie déployée en Polynésie pour réduire la vulnérabilité des habitants des îles bases aux submersions cycloniques
est tout à fait atypique dans la mesure où elle ne peut reposer
sur une évacuation vers des secteurs non submergeables. L’idée
générale dictée par les particularités de l’archipel consiste donc
à maintenir les habitants sur les zones soumises à l’aléa mais en
réduisant très massivement la vulnérabilité par la construction
d’abris anticycloniques.
Cette stratégie « du bunker » a cependant un coût très élevé
et se confronte donc au défi classique des politiques publiques
préventives très onéreuses : le problème de légitimité. L’étude
historique de la mis en place de ces aménagements montre que
la légitimation de ces énormes investissements a reposé sur des
argumentaires variés circonscrits à de brèves périodes d’action
entrecoupées de plusieurs décennies d’immobilisme.
En effet, les deux premières phases actives de mise en place
de cette stratégie (1904-1906 et 1983-1987) sont clairement des
réponses à un traumatisme cyclonique venant rappeler la vulnérabilité des habitants des îles basses aux submersions. Dans ce
36
N°334- Janvier / Avril 2015
contexte post-traumatique, les gouvernances disposaient de
« fenêtres d’action » durant lesquelles les opinions publiques
étaient à même d’accepter – et dans certains cas réclamaient –
le financement de ces lourds aménagements. Du point de vue
des politiques publiques, la logique de ces actions est donc
autant préventive que curative dans la mesure où elles répondent d’une action post-traumatique et visent à montrer le volontarisme des acteurs de la gouvernance.
La troisième phase active dans cette politique publique de
lutte contre les submersions a débuté en 2008 et répond à une
logique différente, témoignant de la mise en place d’un nouveau
paradigme. En effet, au cours des trente dernières années (et
plus particulièrement depuis les tempêtes de 1999 en France),
la lutte contre les risques naturels est devenue un élément
important des politiques publiques françaises. Par ailleurs, dans
le cadre plus général encore de la lutte contre le changement climatique, les submersions représentent un aléa particulièrement
médiatisé auxquelles les opinions publiques sont particulièrement sensibles. Cette sensibilisation permet – voire exige – de
débloquer rapidement des crédits pour lutter contre ces risques,
fournissant une légitimation à la mise en place du contrat de
projet de 2008.
Les périodes d’inaction ou de blocage de ce vaste programme d’aménagement montrent en revanche que la politique
de gestion des risques climatiques en Polynésie n’a pas bénéficié au XXe du contexte favorable à la pérennisation des investissements préventifs dans le temps long. La faible fréquence
des cyclones dans les Tuamotu et la mauvaise transmission de
la mémoire du risque pourraient expliquer la faible durabilité de
la vigilance à ces risques.
Rémy Canavesio
Laboratoire USR 3278, Criobe CNRS-EPHE, Criobe
37
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38
Ossements d’oiseaux sub-fossiles
de l’île de Eiao
Archipel des Marquises, Polynésie française
Résumé : Au cours de la mission archéologique « Eiao.
2010 », un petit fagot d’ossements d’oiseaux a été recueilli sur
l’un des sites principaux de l’île à 1,33 m sous le niveau du sol
actuel. Vestiges d’un frugal repas, ces ossements sont
aujourd’hui datés. Leur identification a permis de déterminer
neuf individus susceptibles de représenter au minimum six
espèces différentes. Certains de ces ossements sub-fossiles,
semblent appartenir à des espèces qui ne sont pas signalées
aujourd’hui sur Eiao, posant la question de leur disparition.
Abstract : During the « Eiao. 2010 », archaeological fieldwork, a small bundle of bird bones have been collected on one
of the main sites of the island, 1,33m under the present ground
level. Vestiges of a frugal meal, these bones are now dated. Their
identification has permitted to identify nine individuals susceptible to represent at least six different species. Some of these subfossil bones, seem to belong to species which are not known on
Eiao today, asking the question of their disappearance.
Keywords : Eiao, Pterodroma, Puffinus, datation, Marquises,
sub-fossiles.
Présentation de l’île
Située à l’extrémité septentrionale de l’archipel des Marquises, à une centaine de kilomètres au Nord/Nord-Ouest de
Nuku-Hiva, l’île de Eiao aujourd’hui déserte, couvre un peu
moins d’une quarantaine de km². Quart d’un ancien volcan de
type hawaiien, dont la partie émergée est vieille de 5,5 à 4,95
Ma, elle affecte la forme d’un croissant d’environ 13km de
long, large tout au plus de 4 km (Figure 1) et culmine à 577 m
au Mouatiketike. Domaine territorial, rattaché administrativement à la Municipalité de Nuku Hiva, l’île, très érodée, est
malheureusement très déboisée. Cette déforestation qui affecte
près de 60% de la surface de l’île peut avoir été causée par un
appauvrissement progressif du sol en sels minéraux lié à son
ancienneté, mais plus probablement à d’importantes modifications climatiques anciennes qui ont entraîné l’absence
d’eau. L’introduction au XIXème siècle de mammifères herbivores tels que vaches, chevaux et moutons n’est vraisemblablement pas étrangère au phénomène et l’a probablement
amplifié. Le cheptel de plus d’un millier de moutons ensauvagés qui subsiste sur Eiao renforce dramatiquement l’érosion
et la déforestation.
Eiao bénéficie depuis 1971 d’un statut de protection (Arrêté
2559 DOM du 28 Juillet 1971 ; Arrêté 2021 du 9 Avril 1976 ;
Délibération 95-257 AT du 14 Décembre 1995 ; Arrêté 1225 PR
du 14 Août 2000 classant Eiao en « Aire naturelle protégée de
catégorie IV » ; Arrêté 1485 CM du 27 Septembre 2011 relatif
aux sites naturels). L’accès à l’île est réglementé, mais l’absence
de tout contrôle sur l’île elle-même autorise malheureusement
toutes les atteintes au milieu naturel et au patrimoine culturel.
L’avifaune actuelle a été bien étudiée (Thibault, 1989), mais le
chat, le cochon1, le rat noir,... introduits volontairement ou non
1
Les premiers cochons ont été introduits par les Marquisiens eux-mêmes lors du
peuplement de l’île, tout comme le rat polynésien.
40
Figure 1 : Localisation de Eiao dans l’archipel des Marquises Nord. Carte de Eiao avec le carroyage kilométrique mis en place
pour repérer les sites. Le site sur lequel les ossements d’oiseaux ont été mis au jour se situe sur la dalle D6.
lors des différentes tentatives de mise en valeur à partir du
XVIIIe siècle, font peser une lourde menace sur elle.
Constituant avec la proche Hatuta’a et l’îlot Motu One un
ensemble mixte associant patrimoine naturel et culturel à un
riche environnement marin, Eiao a été inscrite sur la liste des
sites proposés au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Le dossier en cours pourrait aboutir à l’issue d’une lourde procédure
de quelques années.
L’île n’abrite aujourd’hui aucune population humaine, mais
a pourtant été peuplée par le passé, comme l’attestent les nombreux paepae2 et les innombrables ateliers et nappes d’éclats que
l’on trouve dispersés en surface, sur toute son étendue, particulièrement sur le « plateau de Tohuanui », dans la partie du centreNord. Cette richesse en sites archéologiques est due au fait que
l’île possède l’un des plus importants gisements de basalte à grain
fin pour le Pacifique sud-oriental, un matériau dont il était aisé de
tirer des outils tels que les lames d’herminette. Ainsi, Eiao futelle, à l’époque pré-européenne, un important centre de production d’outillage lithique dont les traditions orales rapportent la
qualité, et dont il est attesté aujourd’hui qu’il était diffusé dans
tout l’archipel marquisien et même bien au-delà (Charleux,
2012). Cette situation et la richesse en sites justifiaient que plusieurs missions et des fouilles soient menées sur l’île.
Recherches antérieures
Les premières observations archéologiques ont été réalisées
par Ralph Linton en 1921 et publiées en 1925 (Linton, 1925).
Elles se limitaient à la description succincte de 7 sites. En 1980,
Jean-Louis Candelot complétait cet inventaire en publiant les
2
Construction lithique, surface pavée ou dallée qui servait de base à une structure
d’habitat. Les paepae de Eiao ne sont en rien comparables aux paepae mégalithiques que l’on rencontre sur Nuku Hiva.
42
N°334- Janvier / Avril 2015
plans et les descriptions de sites qu’il avait pu relever en 19721973, alors qu’il participait à la campagne de sondages du
CEA/BRGM (Candelot, 1980).
Il fallut attendre 1987 pour que les premières fouilles soient
réalisées. En Juillet-Août 1987, avec le soutien du CNRS, de la
Marine Nationale et du Département Archéologie du Centre
Polynésien des Sciences Humaines rattaché au Musée de Tahiti
et des Îles, j’ai mené une mission de 32 jours qui a permis une
première prospection sur une grande partie de l’île. Soixantedix sites nouveaux étaient répertoriés, un seul était très modestement fouillé. Pour des raisons professionnelles, aucune
publication n’a rendu compte de ces recherches qui ne seront
partiellement rapportées qu’en 2007 dans le rapport interne de
la DIREN relatant la mission pluridisciplinaire de 2007 (Charleux, 2007 ; Butaud & Jacq, 2007). Si un volumineux matériel
lithique avait été collecté, aucun ossement n’avait été rapporté
de cette mission. Des charbons de bois avaient été recueillis,
mais ils ont malheureusement été égarés entre la Polynésie et la
métropole, réduisant à zéro tout espoir de datation.
En 1998, Barry V. Rolett effectuait une courte mission de 5
jours, relevait la position de quelques sites et publiait plus tard
un article se limitant à rapporter ce qu’il considérait être
l’unique lieu d’extraction du basalte (Rolett, 2000 & 2001)
mais qui n’est en fait qu’une excavation d’origine naturelle
(Charleux, 2013). Aucune fouille n’ayant été entreprise, aucun
vestige osseux n’est reporté.
Recherches en cours
Ces dernières années, j’ai pu organiser quatre nouvelles missions de longue durée sur Eiao : « Eiao. 2010 » de 50 jours du
1er Mai au 20 Juin 2010 ; « Eiao. 2010. 2 » de 23 jours du 25
Septembre au 17 Octobre 2010 ; « Eiao. 2011 » de 34 jours du
12 Mars au 14 Avril 2011 (Charleux, 2011); enfin « Eiao. 2013 »
de 104 jours du 21 Février au 4 Juin 2013 (Charleux, 2013).
43
Ces missions ont permis d’effectuer des sondages et des
fouilles, et donc de collecter une masse importante de vestiges
d’origine organique : charbons de bois, ossements divers,
écailles de poissons, tests de mollusques, fragments de corail.
Ils constituent autant d’informations sur l’environnement de
l’époque, l’activité humaine passée, et permettent, en particulier, de dater cette dernière (Charleux, en préparation).
En l’absence quasi totale d’une toponymie et afin de faciliter l’inventaire des sites, l’île a été découpée en 66 dalles de
1km2 notées de A7 à K4 (Figure 1). Ainsi chaque site a été
affecté d’un numéro précédé du numéro de la dalle où il est
situé, ce qui rend sa localisation plus aisée.
Les efforts de recherche ont essentiellement porté sur la dalle
D6 qui présente en effet une importante densité de sites (paepae,
ateliers…), de vastes étendues couvertes de nappes d’éclats et au
moins l’un des lieux supposés de l’extraction du basalte (Figure 2).
Le lieu de la découverte qui nous intéresse, MEI.D6.029, se situe
dans la partie centrale de cette dalle. C’est l’un des diverticules
d’une ravine naturelle creusée par les eaux de ruissellement
lorsque les pluies sont suffisamment abondantes (Figure 3). Cette
ravine comporte trois diverticules que j’ai dénommés « fosses ».
La « fosse » constituant le site MEI.D6.029.F2 est le résultat d’une intense érosion qui a dégagé sur sa paroi Est des
niveaux anciens dont quatre sont particulièrement riches en
éclats de basalte. L’un de ces niveaux d’éclats, le Niveau II, présente par ailleurs une lentille d’accumulation qui a livré une
impressionnante quantité de charbons de bois.
A l’extrémité Sud de MEI.D6.029.F2 (front « amont » en
quelque sorte), l’érosion a dégagé une accumulation d’éclats et
de blocs de basalte moyens à très gros. (Figures 4a & 4b). C’est
au sein même de cet amas d’apparence confuse, qu’à 1,33 m
sous l’actuelle surface, ont été mis au jour, lors de la mission
« Eiao. 2010 », quelques ossements d’oiseaux ayant miraculeusement résisté à l’action des eaux de ruissellement.
44
Figure 2 : Carte provisoire des sites de la Dalle D6
(constructions lithiques, ateliers et zone probable d’extraction du basalte).
Les ossements fossiles ont été mis au jour en D6.029 en plein centre de l’image.
Figure 3 :
Plan du site MEI.D6.029
avec ses trois « fosses »
naturelles MEI.D6.029.
F1 (au sud-est),
F2 (au centre) et
F3 (au nord-ouest).
Il s’agissait d’une trentaine de fragments d’os, exclusivement des os longs, soigneusement rangés en une sorte de petit
« fagot ». Aucun autre type d’ossement n’y était associé. Bien
que fragiles de par leur nature, certains d’entre eux présentaient
des stigmates permettant leur identification. Ils ont été déterminés avec l’aide du Pr. Alan Tennyson, Conservateur du Fossil
Vertebrate Department, Te Papa Museum, Wellington (Nouvelle-Zélande). (Tableau 1, Figures 5 & 6).
L’un des ossements n’a pu être rattaché à l’une des espèces
reconnues. Le petit paquet d’os est constitué des restes osseux
de, non pas huit, mais neuf individus, ce qui est tout à fait exceptionnel pour une quantité d’ossements aussi peu importante.
La disposition des ossements « en fagot » lors de leur
découverte exclut la mort naturelle ou même accidentelle de
neuf individus en un même lieu. Par ailleurs, si aujourd’hui la
présence d’une population de rats noirs (Rattus rattus), de chats
(Felis catus) et de cochons ensauvagés (Sus scrofa) fait peser
une lourde menace sur l’avifaune, à cette époque, n’existait sur
l’île qu’un nombre limité de prédateurs des oiseaux : l’Homme
bien évidemment, mais également quelques cochons polynésiens
(Sus scrofa), de rares chiens (Canis familiaris) et des rats polynésiens (Rattus exulans)3 (Charleux, 2013). Le rassemblement
des os « en fagot » traduit une action nécessairement humaine.
Nous sommes donc bien en présence des reliefs d’un repas pour
le moins frugal d’un ancien Marquisien qui avait soigneusement
rangé les ossements à côté de lui après avoir consommé les
chairs. Il avait fallu au préalable, qu’il rassemble neuf individus
d’espèces différentes, une opération qui suppose une capture
pour ceux qui nichent au sol, une chasse ou un piégeage.
3
La présence de ces Mammifères a été confirmée par les fouilles réalisées en 2013.
46
Figure 4a :
C’est dans la partie
inférieure de cet amas
d’éclats et de blocs
constituant l’extrémité Sud
de MEI.D6.029.F2
qu’ont été recueillis
les ossements d’oiseaux.
0 Couche humifère
1 Fins sédiments bruns
Figure 4b :
Stratigraphie du front Sud
de MEI.D6.029.F2.
2 Sédiments argileux + blocs gris-bleu
3 Sédiments argileux gris-bleu
4 Niveau d'éclats + blocs basaltiques gros à très gros
5
6
7
8
Sédiments argileux gris-bleu
Eclats très nombreux
Blocs basaltiques + éclats + ossements [croix]
Blocs basaltiques + sédiments gris-bleu
9 Gros blocs basaltiques + sédiments bruns
10 Fond de la ravine MEI.D6.029.F2
48
Phaeton rubricauda
Pterodroma ultima
Puffinus bailloni (lherminieri)
Anous stolidus
Fregata (minor ?)
Sula sula
24
23
22
25
21
20
Sulidae
Fregatidae
Laridae
Procellariidae
Procellariidae
Phaethontidae
Famille
Noio, Koio
Mokohe
Faufee,
Hauhee
Noddi brun
Frégate du Pacifique
Fou à pieds rouges
1
1
1
1
Ka’ako
Puffin d’Audubon
2
Nombre
individus
2
Toake
Nom
Marquisien
Pétrel de Murphy
Paille-en-queue à brins rouges
Nom Français
Société, Tuamotu, Gambier, Australes. Plus
abondante dans le Nord que dans le Sud
de la Polynésie française. Abondante
aux Marquises. Nicheur sur Eiao.
Tous les archipels, plus abondante dans le
Nord que dans le Sud de la Polynésie
française. Abondante aux Marquises.
Tous les archipels.
Abondant aux Marquises.
Tous les archipels sauf les Australes.
Abondant à Hatuta’a. Non recensé à Eiao.
Présent sur la plupart des autres îles
marquisiennes.
Tuamotu Sud et Est, Gambier, Australes.
Rare dans la Société. Niche à Hatuta’a.
Non recensé actuellement aux Marquises.
Société, Tuamotu, Australes,Gambier.
Peu abondant auxMarquises sauf Hatu iti,
Hatuta’a, Fatu Uku.
Aire géographique actuelle
Tableau 1 : Détermination des ossements d’oiseaux d’origine archéologique de Eiao. (Mission EIAO.2010)
Nom scientifique
Sachet
n°
N°334- Janvier / Avril 2015
Parmi ce nombre restreint d’individus on compte au moins
six espèces différentes. Deux de celles-ci, Pterodroma ultima
(Figure 7) et Puffinus bailloni (Figure 8) nous intéressent
particulièrement car ces deux espèces, sans avoir disparu de
l’avifaune polynésienne, n’ont jamais été citées sur Eiao. Par
contre, ce n’est pas la première fois qu’elles sont citées lors de
fouilles archéologiques dans l’archipel des Marquises. En effet,
lors de celles qu’il a menées sur le site de Hanamiai sur l’île de
Tahuata en 1984 et 1985, B. Rolett a recueilli 713 ossements et
fragments d’ossements d’Oiseaux (Rolett, 1998). Parmi le
grand nombre d’espèces que D. Steadman a pu y identifier, il y
a cinq des six espèces de notre assemblage de MEI.D6.029.F2,
et en particulier Pterodroma ultima et Puffinus bailloni.
(Tableau 2)
Nom scientifique
des espèces
trouvées à Eiao
NISP
Nombre de restes
identifiés à l'espèce
NISP
Identification
limitée au genre
Phaeton rubricauda
11 pour P. lepturus
Pterodroma ultima
2
202 Pterodroma sp.
Puffinus bailloni
72
2 Puffinus sp.
Anous stolidus
10
Fregata (minor ?)
0
2 Fregata sp.
Sula sula
2
15 Sula sp.
Tableau 2 : Nombre de restes identifiés sur Tahuata
pour les 6 espèces présentes sur Eiao.
NISP : nombre d’individus identifiés (d’après Rolett, 1998).
49
Il convient cependant de se garder de conclusions hâtives,
car deux espèces voisines de Pterodroma ultima (Pétrel de
Murphy), Pterodroma alba (Pétrel à poitrine blanche) et Pterodroma heraldica (Pétrel du Hérald) (comm. pers., J.-Cl.Thibault, 2013), nichent aujourd’hui aux Marquises. Si on ne
trouve pas ces deux espèces sur Eiao, Pterodroma alba niche
sur le proche îlot de Hatuta’a distant de quelques kilomètres
seulement. Or, les ossements de ces deux espèces sont très voisins de ceux de Pterodroma ultima. Force est d’admettre l’attribution des ossements sub-fossiles de Eiao à Pterodoma ultima
avec prudence.
Dans les différentes couches culturelles du site de Hanamiai (Tahuata), seuls deux ossements ont été attribués à Pterodroma ultima, mais 202 ont été rattachés au genre Pterodroma
sans qu’il soit possible d’aller jusqu’à préciser l’espèce. Il n’est
pas impossible que certains de ces ossements soient de l’espèce
ultima... ou d’espèces très voisines telles que Pterodroma alba.
Que ce soit dans les fouilles de Hanamiai ou dans celles de
Eiao, on soulignera le faible nombre d’ossements identifiés
comme appartenant à l’espèce P. ultima et les différences
minimes qui existent entre les os de cette espèce avec ceux des
espèces P. alba et P. heraldica ; des facteurs qui laissent planer
un doute fut-il léger sur la présence de Pterodroma ultima à
l’époque pré-européenne sur Eiao. Seules des analyses génétiques permettraient de lever ce doute, encore que toutes ces
espèces voisines et leurs hybrides soient très proches génétiquement.
Si on écarte une confusion dans les identifications, la présence d’ossements sub-fossiles de Pterodroma ultima aux Marquises, alors que l’espèce est actuellement absente de l’archipel
représente une découverte digne d’intérêt. Elle pourrait être
interprétée comme une contraction de l’aire de répartition de
cette espèce (comm.pers., J.-Cl.Thibault, 2013). Et ce, en
quelques siècles.
50
Figure 5 : Fragments d’ossements de Fregata sp
Figure 6 : Ossements de Pterodroma ultima
Quant à l’espèce Puffinus bailloni (Puffin d’Audubon)
aujourd’hui abondante sur Hatuta’a (Tropical Shearwater) (Thibault, 1989), elle n’a jamais encore été notée sur Eiao4. A titre
de comparaison, soixante douze ossements de Puffinus bailloni
ont également été recueillis dans les dépôts des cinq phases culturelles mises en évidence par B. Rolett à Hanamiai (op. cit.).
Afin de dater les ossements de Eiao, trois fragments osseux
pris parmi les ossements brisés indéterminables, donc d’espèces
mélangées, ont été envoyés au Radiocarbon Dating Laboratory
de l’Université de Waikato (Nouvelle-Zélande). Si on se réfère
aux 6 espèces auxquelles ces fragments appartiennent fort vraisemblablement, ils proviennent d’oiseaux de mer, ce que confirment les valeurs isotopiques. Malgré les corrections en fonction
de la courbe de calibration marine et celles liées au réservoir
marin régional, l’âge obtenu peut paraître surprenant :
1228±25BP (Wk-34345). Il peut s’expliquer par le fait que les
individus peuvent s’être nourris dans une zone où le carbone
ancien est remonté du fond de l’océan par le phénomène de
upwelling. De ce fait l’âge calibré serait nettement moins ancien
(comm. pers. du Dr Fiona Petchey, Radio Carbon Dating
Laboratory, University of Waikato). Dans l’immédiat et dans
l’attente d’analyses complémentaires, nous considèrerons la
date de 870-640BP à 2σ transmise par le laboratoire, soit 10801319 calAD (XIe- début du XIVe siècle). Cette date est cohérente avec les diverses datations associées à l’activité de travail
du basalte sur ce site et les sites voisins de la dalle D6.
4
Un autre puffin nouvellement noté pour Eiao est P. pacificus, le puffin du Pacifique, dont un crâne collecté dans une falaise du flanc Est de l’île par J.F. Butaud
lors de la même mission de 2010 a été rapporté à cette espèce par J.C. Thibault
(comm. pers. 2010).
52
Figure 7 : Pterodroma ultima
Photo : © F.Jacq
Figure 8 : Puffinus bailloni.
Photo : © F.Jacq
A titre de comparaison, les vestiges osseux de Pterodroma
ultima recueillis par B. Rolett dans les couches culturelles des
Phases I, II et III de Hanamiai sont respectivement datés de
1025-1300AD pour les deux premières et de 1300-1450AD
pour la dernière, respectivement XIe-tout début du XIVe et
XIVe-XVe, mais la décroissance du nombre de vestiges au cours
des siècles pourrait traduire un appauvrissement de la population de cette espèce de 1025 AD à 1850 AD (XIe au XIXe siècles). Ceux de Puffinus bailloni, sont également datés de
1025-1300AD, donc du XIème-tout début du XIVe siècle, ce
qui est cohérent avec l’âge des ossements de Eiao.
Avec les réserves exprimées plus haut pour Pterodroma
ultima, on pourra donc considérer que Pterodroma ultima et
Puffinus bailloni étaient présents sur Eiao entre le XIème et le
XIIIe siècle, voire peut-être plus tardivement. Se pose la question de leur disparition sur cette île. Pour quelle(s) raison(s) et
quand ces disparitions ont-elles eu lieu ? La consommation des
oiseaux par l’Homme est attestée. On peut imaginer une surconsommation de Puffinus bailloni et Pterodroma ultima, mais
dans ce cas, on devrait retrouver ces ossements en abondance.
Le ramassage intensif des oeufs de Pterodroma ultima mais
aussi des poussins et des adultes sur une île de surface relativement limitée, pourrait avoir progressivement abouti à leur
extinction. Il ne faut cependant pas sous-estimer l’impact des
cochons et des rats polynésiens. Si on considère qu’il s’agissait
du Pterodroma alba, cette espèce ne nichant apparemment pas
dans les falaises, mais au sol sur les plateaux, cette situation la
rend très sensible aux cochons. Ainsi sur l’île pourtant voisine
de Hatuta’a mais dépourvue de cochon, Pterodroma alba est-il
encore présent. Puffinus bailloni niche davantage en falaise.
L’espèce est donc moins sensible à l’Homme et aux autres prédateurs. Elle a ainsi pu subsister plus longtemps, au point que
certains pensent même qu’il y en a peut-être encore aujourd’hui
54
N°334- Janvier / Avril 2015
à Eiao sur des sites les plus favorables (comm.pers., J.F.
Butaud, 2013).
D’autres ossements d’oiseaux ont été recueillis en fouille
sur d’autres sites lors de la récente mission « Eiao.2013 », attestant que les oiseaux étaient consommés sur l’île. Peut-être une
preuve que la nourriture n’était guère très abondante à l’époque.
Cependant, dans aucun autre site nous n’avons retrouvé cette
disposition « en fagot ». L’homme du site MEI.D6.029.F2 était
manifestement un homme soigneux.
Michel Charleux
UMR 7041 ArScAn,
Ethnoarchéologie préhistorique
Remerciements
- A. Tennyson, Conservateur du Fossil Vertebrate Department, Te Papa Museum, Wellington (New-Zealand) a
aimablement déterminé les ossements sub-fossiles recueillis à Eiao.
- La mission archéologique « Eiao. 2010 » a bénéficié, dans le cadre d’un Contrat de Projet Etat-Pays, d’un important soutien financier du CIRAP par l’intermédiaire de l’UPF.
- La Marine Nationale (Frégate Le Prairial et son hélicoptère Alouette III embarqué, ainsi que la Vedette Patrouilleur La Railleuse), a assuré le transport des matériels et des hommes depuis Papeete tant à l’aller qu’au retour,
ainsi que l’hélitreuillage des 5,5 tonnes de matériel et vivres sur les lieux du camp de base de la mission à 500m
d’altitude.
- Le Service de la Culture et du Patrimoine, le Ministère Polynésien de la Culture et le CRIOBE ont apporté un soutien logistique et technique.
- L’Etat et le Pays par le biais de la Commune de Nuku Hiva et de l’Association Motu Haka, en accordant plusieurs
emplois aidés - respectivement 4 CDL et 6 CPIA - ont permis de constituer une équipe marquisienne pour la
durée de la mission.
- Il convient par ailleurs de signaler l’aide apportée par les entreprises polynésiennes privées : Air Tahiti Nui, Air
Tahiti, Vaimato, Essor Import, ECO, Brasserie du Pacifique et Gaz de Tahiti.
- C. Sospedra, F. Jacq et J.-F. Butaud ont participé activement aux recherches. F. Jacq a par ailleurs conçu les cartes
à partir des données qui avaient pu lui être fournies.
- J.-Cl.Thibault et J.-F.Butaud ont émis de judicieuses remarques lors de la relecture du manuscrit.
- Que tous trouvent dans cet article l’expression de ma plus profonde reconnaissance.
55
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servir au plan de gestion de l’aire protégée de l’île de Eiao, archipel des Marquises, groupe Nord », pp.75-81 et 112-124. CHARLEUX, M., (2007b). − Rapport d’une mission sur Eiao (Archipel des Marquises – Polynésie Française), Volet « Archéologie .
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établissements d’enseignement, etc.. L’un des 11 kakemonos était consacré à l’avifaune.
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56
Pouvanaa a Oopa :
La révision du procès de 1959
en marche1
2015
Présentation du supplément au livre
Le Metua et le Général : un combat inégal
La Chancellerie a déclaré, le mercredi 26 février 2014, dans
un communiqué de presse qu’ « au vu des éléments, versés au
soutien de la requête et issus des archives, sur le contexte politique et judiciaire de l’affaire, ainsi que des témoignages produits par l’avocat du territoire et recueillis de mai à juillet 2013,
la garde des Sceaux a estimé que la requête devait être examinée
par une autorité judiciaire indépendante, qui appréciera si ces
éléments sont de nature à faire naître un doute sur la culpabilité
de Pouvanaa a Oopa, avant de saisir la Cour de révision ».
Cette annonce intervint un an après que l’Assemblée de la
Polynésie française eut adopté une résolution en faveur de la
révision du procès de Pouvanaa a Oopa.
1
Supplément au livre : Le Metua et le Général : un combat inégal, publié par les
Éditions de Tahiti, novembre 2009.
Le communiqué de la chancellerie ajouta :
« Christiane Taubira a décidé de renforcer le service compétent de la Chancellerie en charge de ces dossiers pour
que le travail engagé depuis plusieurs mois sur le dossier
pénal et les archives, se poursuive afin d’assurer la rédaction de l’acte de saisine.
Ce 27 février, l’Assemblée nationale examine une proposition de loi relative à la réforme des procédures de révision
et de réexamen d’une condamnation pénale définitive. La
ministre soutient pleinement cette proposition de loi. La
révision éventuelle de la condamnation de Pouvanaa a
Oopa relèvera alors de cette procédure rénovée ».
La chancellerie est allée plus loin encore, le 20 juin 2014, en
saisissant la commission de révision des condamnations pénales.
Madame Taubira a précisé qu’elle avait fait procéder par ses services à « une analyse complète du dossier de la procédure et des
pièces versées au soutien de la requête [s’appuyant sur les archives
de l’époque] ainsi que des témoignages recueillis de mai à juillet
2013, produits par l’avocat du Territoire ». La nouvelle loi relative
à la révision des procès n’ayant pas encore été publiée, seule la
Garde des Sceaux pouvant saisir la Cour de Cassation, celle-ci a
donc franchi une étape importante en saisissant la commission de
révision qui défèrera ou non le dossier à la Cour de révision.
La révision n’est acquise pour autant. La prudence s’impose, mais nous n’avons jamais été si près du but. Même en cas
d’échec sur le plan judiciaire, il est maintenant historiquement
établi que le Gouvernement central ne supportait plus la présence de Pouvanaa à la tête du conseil de gouvernement local
et qu’il fallait prendre des mesures – illégales s’il le fallait –
pour aboutir à son éviction.
Ce complément à l’ouvrage écrit avec Catherine Vannier
veut porter à l’attention du public intéressé par l’histoire du
Fenua les éléments tirés des archives consultées en 2012 qui
jettent une lumière nouvelle sur les événements de 1958.
58
N°334- Janvier / Avril 2015
Introduction
L’ouverture des archives en 2012
et les faits nouveaux qui apparaissent
L’année 2012 nous apporta son lot de « bonnes » surprises.
Le film de Marie-Hélène Villierme, Pouvanaa a Oopa,
l’élu du peuple, rencontra un succès inattendu lors du Festival
du Film océanien (FIFO) en février 2012. Ce fut une véritable
révélation : les Polynésiens tiennent à la révision du procès. Si
pour eux, il est de toute évidence innocent, ils seraient particulièrement reconnaissants que la preuve fût apportée de cette
innocence. Ils se reconnaissent dans la phrase de Pouvanaa :
« La France est une grande nation, c’est pourquoi elle me rendra justice ».
Dans notre ouvrage de 2009, nous énumérions les documents que nous espérions voir déclassifier, notamment le Fonds
privé Jacques Foccart qui dépend d’une autorisation de l’Élysée, laquelle nous avait été refusée par deux fois.
Or, le 3 février 2012, Monsieur le Président de la République, dans ses vœux aux Polynésiens déclara :
« Je souhaite que nous puissions regarder en face toute
notre histoire, sans en occulter les éventuelles zones d’ombre. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé aux ministres concernés de permettre aux historiens d’avoir accès à
l’ensemble des archives disponibles sur Pouvanaa a Oopa.
Pour ma part, j’autoriserai la consultation des documents
contenus dans le fonds Foccart. Nous verrons bien, à la
lumière de ces archives, si un procès en révision se justifie ».
Il faut donc imaginer que les services de la Présidence disposaient de notre ouvrage et avaient été suffisamment convaincus pour que cette ouverture – que les ministres de la Justice
successifs refusaient – prît enfin consistance.
59
Pendant la campagne électorale présidentielle, M. François
Hollande fit la même promesse.
Nous entreprîmes alors les démarches nécessaires auprès de
divers fonds d’archives. La Présidence de la République nous
autorisa à consulter deux cotes sur trois dans le Fonds Foccart.
Les archives du Conseil de Défense – particulièrement difficiles
d’accès pour les chercheurs – nous furent en partie ouvertes.
Celles des Comités de Défense de la Quatrième République
avaient été déclassifiées, tout comme celles du Conseil des
Ministres de juin à décembre 1958.
Grâce à Monsieur le Président de l’Assemblée de la Polynésie française, nous pûmes obtenir une mission afin de
dépouiller ces archives.
Nous avons pourtant essuyé un refus des archives du Service historique de la Défense sur l’installation de Centre d’Expérimentation. Nous apprîmes par le Ministère des Outre-Mer
que les archives du Bureau d’études du Haut-Commissariat de
Papeete avaient été totalement détruites en 2007 ou 2008, alors
qu’elles devaient recéler des dossiers significatifs. Nous espérions que les autorités locales demanderaient des explications à
l’État car la destruction d’archives publiques doit répondre à
des règles strictes. A notre connaissance, rien ne fut entrepris en
ce sens.
Cependant, nous avons maintenant assez d’éléments nouveaux pour que Madame la Garde des Sceaux puisse engager le
processus de révision si elle estime que nos recherches sont suffisamment probantes.
Nous renvoyons aux éléments nouveaux par rapport à la
demande de révision de 1988 que nous avions établis en 2009
pour l’ouvrage Le Metua et le Général :
– le courrier du cabinet du ministère d’Edmond Michelet
– les rapports du capitaine de Gendarmerie Bouvet
– les courriers entre le gouverneur, le procureur, le ministre
de la FOM et la Cour de Cassation de l’époque qui tendent
60
N°334- Janvier / Avril 2015
à montrer que le pouvoir politique a fortement pesé sur le
déroulement de la procédure judiciaire
– l’analyse du procès manifestement inéquitable.
Ce qui va suivre, c’est l’énumération des éléments nouveaux trouvés dans les archives consultées lors de notre mission
d’octobre 2012, complétés par d’autres recherches en 2013.
Nous avions remis à l’assemblée de la Polynésie française
un rapport très complet qui dénonçait à la fois le complot du
Gouvernement central pour éliminer Pouvanaa et le complot
des élites locales allant dans le même sens. Le temps n’est pas
venu de révéler les turpitudes de ces « élites »2 et nous nous
contenterons d’exposer les faits qui mettent en cause le Gouvernement central de l’époque.
2
Si nous attendrons encore pour dénoncer des comportements fort discutables,
nous voulons néanmoins signaler que la personne de Jacques-Denis Drollet que
d’aucuns ont visé comme « traitre » envers Pouvanaa, n’apparaît jamais dans les
archives consultées comme un des protagonistes du complot contre Pouvanaa,
bien au contraire (son attitude au procès de 1959 a révélé qu’il avait été l’un des
seuls défenseurs du Metua).
61
PREMIERE PARTIE
La volonté du Gouvernement central
d’éliminer Pouvanaa
Cette volonté s’exprime principalement dans un texte
contenu dans les Archives nationales regroupant les interventions et les décisions prises en Conseil des ministres du 1er juin
à fin décembre 1958.
Cote d’archives : F/60/2721
Conseil de cabinet du mardi 7 octobre 1958 :
Communication de Bernard Cornut-Gentille, ministre de la
France d’outre-mer : dossier de 34 pages.
Le ministre dresse un sombre bilan de la situation outremer à la veille du retour au pouvoir du général de Gaulle :
« Nous avons pu prendre conscience de l’état de dégradation profonde.
La loi-cadre était partout dépassée, les éléments subversifs
s’agitaient en toute liberté, l’Administration française était
défaillante ou domestiquée… Tout était sur le point d’éclater par la conjugaison des poussées internes, des pressions
extérieures.
[Il y avait lieu de] prévoir une catastrophe généralisée ».
Le ministre dresse, pour l’outre-mer, le bilan du référendum
du 28 septembre 1958 avec les aspects positifs, mais il exprime
également des inquiétudes :
« Les opposants se sont comptés et si c’est parfois mince en
résultats électoraux, le Parti de l’Indépendance est né.
Les efforts de subversion vont aller grandissants ».
Le ministre fait preuve d’une remarquable lucidité :
« Il n’est pas inexact de dire qu’il n’y a finalement que peu
de différence dans le fond entre le « NON » de la Guinée et
62
N°334- Janvier / Avril 2015
le OUI du Dahomey et du Sénégal… L’option pour le OUI
n’est pas fondamentalement différente de celle du NON
(souligné par nous). Nous allons connaître les tortuosités et
les chantages auxquels ne vont pas manquer de se livrer
certains gouvernements qui nous ont dit OUI ».
Notons que cette analyse pour l’Afrique est particulièrement pertinente si on l’applique aussi à la Polynésie (64% de
OUI) et à la Nouvelle-Calédonie (98% de OUI). Les résultats
entre les deux TOM ne diffèrent que par l’habilité tactique du
leader calédonien Maurice Lenormand que le Gouvernement
central va déstabiliser rapidement3.
Le ministre évoque alors le cas du Niger4, de la Côte française des Somalis et celui de Tahiti.
A Tahiti :
« La situation est confuse. L’assemblée territoriale profondément divisée, le Conseil de gouvernement est en pleine
lutte intestine, le Député Vice-président a pris avant le référendum la tête de l’opposition en faveur du NON et
réclame ouvertement l’indépendance immédiate.
En ce qui concerne la situation de fond de jure, mêmes observations que pour Djibouti : impossibilité de maintenir en
place un Vice-président se comportant comme il le fait, mais
3
Pouvanaa tombe vite en raison de sa mauvaise appréciation des risques politiques qu’il prenait en prônant le NON. M. Lenormand est plus coriace. Celui-ci
soutient le OUI, mais reste un opposant à la présence française - du moins telle
qu’elle se présente. Il ne peut empêcher, dès 1958, des manœuvres visant à l’écarter du pouvoir. Le Gouvernement n’a de cesse de chercher à le renverser et y parvient en 1963. Voir Regnault J-M., « Gouverneurs du Pacifique (1958-1977) » in
Audigier F., Lachaise B., Laurent S., Les gaullistes, hommes et réseaux, Paris, Nouveau monde éditions, 2013, p. 261 à 282.
4
Il y a de nombreuses différences, certes, entre le Niger et les TOM du Pacifique,
mais dans deux cas, un leader qui recommande le NON au référendum est acculé
à la faute et éliminé de la vie politique.
63
Photo : Fonds Foccart issu des archives nationales
impossibilité légale de dissoudre le Conseil de gouvernement
avant d’avoir recueilli l’avis de l’assemblée territoriale (or,
cela demande 3 semaines en raison de l’éloignement des îles)
et il est impossible d’attendre ce délai.
Deux mesures s’imposent sans délai :
- Remplacer le gouverneur
- Dissoudre l’assemblée territoriale ».
Note manuscrite de l’auteur de la photo :
La maison du député Pouvanaa A Oopa portait cette inscription singulière :
« VOTEZ NON – VIVE DE GAULLE »
Dans ce document apparaît la volonté du pouvoir central de
se débarrasser de Pouvanaa a Oopa sans même user de procédures légales. Nous avons souvent entendu dire que le général
de Gaulle était étranger à l’arrestation de Pouvanaa. Or, les
documents prouvent qu’il présidait le conseil de cabinet qui prit
cette décision.
Le document porté à la connaissance du Conseil des ministres
le 7 octobre a vraisemblablement été rédigé quelques jours plus
tôt. Or, la situation avait évolué rapidement et déjà des décisions
avaient été prises, notamment le projet de suspension du conseil
64
N°334- Janvier / Avril 2015
de gouvernement comme en témoignent des textes de Jacques
Bruneau venu sur le Territoire en mission (voir par ailleurs) :
Dans un télégramme sans date de J. Bruneau pour J. Foccart et André Rives-Henrys5, le premier fait des suggestions :
«Demande obtenir décision immédiate dissolution Conseil
de gouvernement sous peine de voir situation actuellement
excellente, grâce à action énergique et intelligente du gouverneur Bailly, se détériorer rapidement. Opinion locale
risque de s’échauffer devant l’attitude butée de Pouvanaa
qui aurait dû tirer les conséquences logiques de sa défaite
et qui continue à exercer ostensiblement les marques extérieures de sa fonction ».
Le 4 octobre, une lettre manuscrite de Bruneau à Foccart
(portant mention dans les archives : vu par Cornut-Gentille) se
fait pressante :
«J’espère que la décision de dissolution du Conseil de gouvernement a été prise par Paris car le §3 de l’article 92 [du
statut] le permet.
On ne peut attendre que ce Conseil soit renversé par la
majorité actuelle de l’AT. On ne pourra réunir les 20 signatures et procéder au vote que fin octobre (conseillers dans
les îles). Or, c’est faire le jeu des séparatistes locaux.
Pendant ce temps, Pouvanaa continue de se pavaner ostensiblement dans sa voiture à cocarde, déclarant « je suis
toujours le roi, la radio française a interverti les chiffres du
NON et du OUI, en Algérie, en Afrique noire » etc…
5
Sur le rôle de Rives-Henrys dans la politique polynésienne en 1957-58, voir Le
Metua et le Général, p. 278-279.
André Rives de Lavaysse dit Rives-Henrys, né en 1917, décoré de la Croix de
guerre, de la Médaille des Résistants et des Évadés a été membre du comité
directeur du RPF et chargé de mission dans divers cabinets ministériels entre
1954 et 1960. Il est élu député UNR en 1962. En 1971, il est inculpé dans le scandale de « La Garantie Foncière ». Le 19 mars 1974, il est condamné à trente mois
de prison dont vingt avec sursis.
65
Malgré efforts excellents et réels de Bailly (Pouvanaa n’a
pas pu aller dans les îles sauf Bora Bora), il n’a pas eu la
radio, jusqu’au dernier jour6, ses meilleurs équipiers l’ont
lâché et ont pris la parole à la radio… il garde 35% des
voix. Et encore le référendum a un sens particulier que
n’aurait pas une élection législative.
Donc très urgent de dissoudre le Conseil mais pas l’Assemblée ».
Le lendemain, 5 octobre 1958, dans une autre lettre manuscrite, Bruneau écrit à Foccart pour le remercier d’avoir obtenu
la dissolution du conseil de gouvernement (il voulait dire la
« suspension ») que la rue Oudinot estimait impossible 24 h
auparavant.
Dans son rapport de mission du 3 novembre, il précise :
« Il est bon de rappeler que la suspension du Conseil de
gouvernement par le gouverneur, obtenue malgré un
premier avis contraire du ministère de la FOM a été un des
éléments déterminants qui ont amené Pouvanaa à lancer
6
Plusieurs textes dans les archives attestent que Pouvanaa n’a pas pu librement
mener la campagne du référendum. Ceci a été corroboré par une déclaration télévisée de l’ancien sénateur Gérald Coppenrath sur RFO Polynésie en octobre 2008.
Une note du 26 septembre 1958 indique que « les moyens officiels d’information
ont été renforcés » Fonds Foccart 1073.
Dans une lettre du 7 octobre 1958, Freddy Fourcade (un gaulliste de Polynésie)
explique au gouverneur Cédile (ou Cédille), membre du cabinet du ministre de
l’outre-mer :
« C’est à l’appui déterminé des missions protestantes et catholiques [que nous devons
le succès] en particulier grâce à Mgr Mazé qui, déjà en 1940 avait appuyé la France
libre (ce qui est inexact, remarque de J-M Regnault). Une véritable coalition s’est
créée contre Pouvanaa avec l’Administration, les partis politiques, les Anciens Combattants et les Français libres. Cette coalition a conduit à une véritable obstruction
qui a empêché Pouvanaa de toucher les archipels éloignés ».
Inversement, dans ce message chiffré depuis la Marine de la part du gouverneur
Bailly qui donne le programme de la tournée de ce dernier aux ISLV du 18 au 26
septembre 1958, on trouve cette information : « [L’aviso] La Confiance sera présente à Tahiti le jour du référendum et des dispositions ont été prises pour le vote du
personnel » (Foccart 1073).
66
N°334- Janvier / Avril 2015
l’ordre d’incendier Papeete ». (Références aux Archives
nationales : 5/AG/(FPR)/1072)
Si on se reporte aux dates, il apparaît que la décision a été
arrêtée finalement à Paris et que le gouverneur et J. Bruneau en
ont été informés sans doute le 5 octobre.
Le rôle de J. Foccart dans la décision semble fondamental.
Effet, une lettre à de Gaulle du 19 septembre, de la Ligue de la
France libre et combattante, signée par Alfred Poroi et Robert
Charon, s’inquiétait de la situation à Tahiti. La réponse de Foccart, le 22 octobre, sous-entend son rôle ou celui du Gouvernement : « Depuis la date de vos correspondances, des décisions
ont été prises qui permettent d’envisager l’avenir avec beaucoup plus de confiance ».
On remarquera que J. Foccart parle de décisions et n’utilise
pas le terme qui serait plus approprié (celui de « mesures ») s’il
s’agissait d’une réponse aux actions éventuelles de Pouvanaa.
C’est l’aveu que le sort de Pouvanaa s’est scellé par volonté du
Gouvernement.
L’exécution de la décision
Il y a donc une volonté délibérée de s’en prendre à Pouvanaa. Il reste à donner l’ordre d’exécuter la décision prise à Paris
le 7 octobre. Le gouverneur reçoit des directives de son ministre
de tutelle, comme le prouve le télégramme 78/79 du 7 octobre
1958 (donc envoyé dans la foulée du conseil des ministres) du
ministre Bernard Cornut-Gentille évoqué déjà dans notre
ouvrage :
« Je vous prie de prendre de votre propre initiative toutes
mesures de fait rendues nécessaires par la situation notamment suspension Conseil de gouvernement ou du vice-président dudit Conseil7 ».
7
Centre des Archives de l’Outre-Mer (Aix-en-Provence), Carton Fonds ministériels
1/ télégrammes/1125.
67
Bailly annonce par télégramme du 8 octobre qu’il suspendra dans la journée le conseil de gouvernement8, ce qu’il met en
œuvre effectivement.
Ainsi, il est clair que le gouverneur est en relation constante
avec le Gouvernement central et que les décisions sont prises
en symbiose.
Peut-on imaginer que le Gouvernement se soit contenté
d’une simple mise à l’écart politique, sans chercher à aller plus
loin ? La comparaison avec le Niger et le Territoire de la Côte
française des Somalis est éclairante. Nous la traitons à part dans
le point 7 de la rubrique « Pour appuyer cette thèse d’un complot du Gouvernement ».
La suspension du conseil de gouvernement :
une manœuvre juridique
Dans une lettre manuscrite du 15 octobre 1958, J. Bruneau
écrit : « L’Assemblée territoriale régularisera à compter du
8 octobre la dissolution du Conseil de gouvernement actuellement suspendu de façon illégale ». Qu’en est-il de la légalité de
cette décision un peu « miraculeuse » qui a permis de répondre
à « l’urgence » notée par le Gouvernement central et de pousser
éventuellement le député à la faute comme le laisse entendre J.
Bruneau ci-dessus ?
Dans les attendus de l’arrêté de suspension, tel qu’il figure
au JOPF, le 8 octobre 1958, le gouverneur ne se réfère pas au
décret d’application de la loi-cadre qui ne lui donne aucun pouvoir en la matière. Il s’appuie sur le fait qu’il a signé et promulgué l’arrêté du 13 décembre 1957, portant désignation des
services publics dont sont individuellement chargés les ministres. Ce qu’il a signé, il estime donc pouvoir le reprendre et il
invoque finalement « les nécessités de l’ordre public ». L’ordre
8
Centre des Archives Contemporaines de Fontainebleau ou CAC, n° 940 165, article 18.
68
N°334- Janvier / Avril 2015
public est-il été menacé ? Par qui ? Par les amis de Pouvanaa
seulement ?
En vertu du pouvoir discrétionnaire que lui accorde le décret
de 18859, le gouverneur juge donc qu’il y a menace. Préserver
la sécurité des citoyens, cela passe-t-il par la suspension du
conseil de gouvernement ? Or, l’arrêté du gouverneur considère
que le conseil élu doit disparaître « jusqu’à la formation, suivant
les procédures légales, d’un nouvel organe exécutif local, le
conseil de gouvernement de la Polynésie française est suspendu,
tant en ce qui concerne les attributions collégiales qu’en ce qui
concerne les attributions individuelles de ses membres ».
Certes, le conseil de gouvernement n’est que suspendu
puisque le décret d’application de la loi-cadre en prévoit la dissolution par le Gouvernement de la République, mais le gouverneur est sûr de son fait puisqu’il précise : “jusqu’à la
formation d’un nouvel organe exécutif local”. Pour lui, la dissolution est acquise, le Gouvernement l’ayant déjà décidée
comme semble l’indiquer du reste la communication de CornutGentille du 7 octobre en Conseil des ministres.
La crainte de la sécession
Ce qu’il est important de retenir, c’est que Paris envisage
de dissoudre l’assemblée territoriale à majorité RDPT. Pour
quelle raison ? Un autre télégramme apporte la réponse. Il s’agit
du télégramme n°70 du 15 septembre 1958 du ministre
(Archives d’Aix-en-Provence) au gouverneur, donc avant la
tenue du référendum. C’est Paris qui décide du statut que la
Polynésie devra adopter (aucun souci de respecter les choix
offerts par le projet de Constitution) : « Il doit être bien entendu
que la Polynésie française doit demander le statut de Territoire
d’Outre-Mer et non celui de membre de la Communauté ».
9
L’article 40, premier alinéa, du décret de 1885, dispose que “le gouverneur pourvoit
à la sûreté et à la tranquillité de la colonie”.
69
Ainsi, avant même le référendum du 28 septembre 1958, il
apparaît clairement que le gouvernement de De Gaulle ne voulait en aucun cas que la Polynésie n’entrât dans la Communauté
puisque cela pouvait l’amener rapidement à l’indépendance.
Une autre preuve de ce refus opposé par le Gouvernement
à une éventuelle option du Territoire pour le statut d’Etat de la
Communauté est à chercher dans une déclaration de Michel
Debré, ministre chargé d’établir les nouvelles institutions.
En vue du référendum de 1958, Michel Debré intervint le
27 août devant le Conseil d’Etat et dessina les objectifs du Gouvernement pour l’outre-mer. Il distingua plusieurs ensembles,
dont l’un comportait la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie
française « qui ne peuvent en aucun cas prétendre vivre
seules ». Alors que le projet de Constitution comportait trois
options possibles pour les territoires qui souhaiteraient rester
français (départementalisation, entrée dans la Communauté,
maintien du statut Defferre), M. Debré déclara que la NouvelleCalédonie et la Polynésie française devaient maintenir leur statut de TOM. Autrement dit, les populations seraient consultées,
mais elles n’auraient pas le choix. Le télégramme cité plus haut
procède de cette volonté gaulliste.
Revenons au vœu émis par le ministre dans son texte proposé au Conseil des ministres du 7 octobre (la dissolution de
l’assemblée). Celle-ci ne se réalise pas. Dans le télégramme
déjà cité (n°78/79 du 7 octobre 1958) le ministre de la FOM
écrit également :
« Dissolution assemblée territoriale est envisagée. Indiquez par retour dans quel délai minimum compte tenu des
nécessités matérielles les élections peuvent avoir lieu
après publication du décret de dissolution. Le délai légal
de 3 mois est en effet incompatible avec le calendrier institutionnel ».
70
N°334- Janvier / Avril 2015
Dans le télégramme envoyé en réponse au ministre, le 8
octobre, le gouverneur Bailly émet un avis formellement défavorable à la dissolution de l’Assemblée pour deux raisons :
- « elle est exigée dans les termes les plus excessifs par
Pouvanaa qui ne manquerait pas de s’en servir pour les
prochaines élections »
- « Pouvanaa pourrait l’emporter aux prochaines élections
et ce serait la sécession ».
L’idée du gouverneur est donc que Pouvanaa reste populaire bien que la population ne l’ait pas suivi au référendum10.
La nouvelle assemblée (majorité derrière Pouvanaa et CéranJérusalémy) demanderait à devenir Etat membre de la Communauté et le nouvel Etat que serait devenu la Polynésie pourrait
utiliser quand il le voudrait l’article 86 de la Constitution pour
obtenir l’indépendance11.
Dans la lettre de F. Fourcade à Cédile, du 7 octobre, on
peut lire :
« Faut-il dissoudre l’Assemblée territoriale ? Pouvanaa
reprendrait la majorité et proposerait un statut d’Etat indépendant, d’où réaction du chef-lieu, émeutes, chaos… »
Dans un texte remis à Léopold Sédar Senghor, Céran-Jérusalémy retrace les événements de 1958 et écrit qu’à la date du
7 octobre :
10
Plusieurs documents montrent que, de l’avis de tous les observateurs de la vie
politique (principalement des adversaires de Pouvanaa), en cas d’élections territoriales ou législatives, Pouvanaa pourrait assez facilement retrouver une majorité des suffrages. La raison en serait que cette fois, les Églises ne prendraient
plus parti et que les électeurs reviendraient naturellement vers Pouvanaa.
Notons que B. Cornut-Gentille lui-même avait bien analysé que le OUI outre-mer
n’avait qu’un sens très relatif.
11
Un télégramme de Bruneau à Foccart et Rives-Henrys du 9 octobre 1958 est
accompagné d’un document selon lequel le gouverneur émet un avis défavorable à la dissolution de l’Assemblée territoriale. Le gouverneur a consulté les
Bambridge père et fils, Leboucher, Céran-Jérusalémy, Vanizette, Poroi, Hervé qui
verraient avec beaucoup d’appréhension la dissolution. Ils craignent tous de
nouvelles élections mal préparées.
71
« Le oui a triomphé et les brimades et provocations commencent à pleuvoir sur Pouvanaa. Mais Céran-Jérusalémy
arrive à prendre contact avec Pouvanaa par personne
interposée en vue d’un éventuel regroupement du RDPT
pour la préparation du futur statut du Territoire (qui devait
être vraisemblablement celui d’Etat dans la Communauté) ». (Fonds Foccart 1073)
C’est ce «danger » que le Gouvernement central et le gouverneur appuyé par les adversaires de Pouvanaa avaient bien
perçu et qu’ils voulaient conjurer.
Le ministre de l’OM revient sur ce thème, le 7 novembre
1958, dans un télégramme chiffré au gouverneur :
« Concernant le choix d’un statut territorial, j’estime préférable à tous égards que l’assemblée territoriale se prononcerait dans le cadre de l’option offerte par la
Constitution en faveur du statut de territoire au sein de la
République… J’ajoute qu’il convient surtout d’éviter qu’un
défaut d’entente entre partisans de la départementalisation
et les partisans du statut territorial aboutisse à la solution
extrême du statut d’Etat » (Fonds Foccart 1073).
Quand le gouverneur Sicaud dressa le bilan de son action
(lettre à J. Foccart, 12 mars 1960, Fonds Foccart 1073) il rappela que « lorsque le Gouvernement m’a envoyé en Polynésie
française en octobre 1958, c’était avec une mission bien précise : rétablir l’ordre, ramener le calme, réaffirmer l’autorité,
faire adopter le statut de TOM ». Il conclut : « Objectifs
atteints ».
Il est donc clair que la raison d’Etat était bien supérieure au
respect du suffrage universel.
72
N°334- Janvier / Avril 2015
Le traitement particulier des Territoires d’Océanie
Lors du Conseil de Cabinet du 25 juin 1958 (Archives
nationales F/60/2718), le principe est retenu de modifier les
conditions d’exercice de la présidence des conseils de gouvernement dans les TOM. La présidence exercée jusque-là par le
gouverneur Chef du Territoire sera transférée au Vice-président.
Autrement dit, avant même l’idée de la Communauté, un approfondissement de la loi-cadre est envisagé.
Or, en Polynésie française comme en Nouvelle-Calédonie,
c’est un mouvement inverse qui est préparé et mis en œuvre.
Comment expliquer cette différence de traitement ?
Le 14 août 1964, Alain Peyrefitte entendit le Général s’exprimer ainsi :
« Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, aussi bien que
dans celui de la Polynésie, il ne peut y avoir de question
quant à notre souveraineté ! Leur situation n’a aucun rapport avec les territoires que nous avons affranchis.
En Calédonie, tout a été fait par la France. Les Français
d’origine sont la moitié de la population. Il faut s’acheminer
vers un statut analogue à celui des départements d’outre-mer.
La Polynésie, c’est soixante-dix mille habitants. Le développement, l’information, la scolarisation, la pratique du français doivent être le corollaire de l’installation du Centre
[d’essais nucléaires] et demeurer après lui »12.
J. Foccart résuma la pensée du Général à l’égard des TOM
d’Océanie :
« Dans les territoires du Pacifique, de Gaulle tenait à ce
que toutes les dispositions fussent prises pour que nous
restions très longtemps. Il était soucieux de tenir les étrangers à l’écart des installations nucléaires de Polynésie et
12
Peyrefitte A., C’était de Gaulle, tome 2, de Fallois/Fayard, 1997, p. 121-122.
73
des gisements de nickel de Nouvelle-Calédonie [...]. Plus
généralement, la pérennité de la présence française dans
cette partie du monde lui tenait à cœur [Il n’envisageait
pas l’indépendance des Nouvelles-Hébrides] »13.
Les explications du Général données à A. Peyrefitte et
celles de J. Foccart semblent mettre l’accent sur l’intérêt particulier que la France aurait eu à garder des deux « confettis de
l’Empire ». Une « raison d’Etat » expliquerait-elle alors l’attitude de la France à l’égard des deux leaders, M. Lenormand et
Pouvanaa a Oopa ?
En ce qui concerne la Polynésie, des documents trouvés en
janvier 2013 éclairent aussi la situation.
Le 6 novembre 1958, une instruction au sujet des forces
armées (destinataires : Pierre Guillaumat, ministre des Armées
et les chefs d’état-major) sans doute rédigée par de Gaulle luimême apporte une lumière nouvelle :
« La France doit se préparer à un conflit mondial et doit
disposer de sa propre Défense…
Quoiqu’il arrive de la France à la suite d’un conflit mondial, la survie de la nation et de l’Etat ne serait imaginable
que par l’ordre et l’organisation… Le caractère maritime
et aérien de nos forces, combiné à l’existence de terres
françaises situées au plus loin des océans, le fait que notre
territoire nous offre des refuges montagnards et insulaires,
peu sensibles à n’importe quels coups, nous mettent à
même de le faire. Ainsi, grâce à la dispersion, surviendrait
alors, l’élément grâce auquel le pays pourrait reprendre
une première consistance… » AN : AG/(1)/511.
13
Foccart parle, op. cit., p. 255-256.
74
N°334- Janvier / Avril 2015
« Grâce à la dispersion… ». Ainsi, la France menacée, partiellement détruite, pourrait « reprendre une première consistance ». En 1962, de Gaulle précisa sa pensée dans l’attente
d’une dissuasion opérationnelle : « Ayons quelques forces outremer pour tenir nos bases (Mers-el Kébir, Dakar, Fort Lamy,
Diégo, Fort de France, Nouméa, Papeete)… » (Archives nationales, AG/(1)511, 16 février 1962).
Faut-il rapprocher ces phrases du discours prononcé à
Papeete par de Gaulle en 1956 : « Tahiti, là où elle est, entourée
d’immensités invulnérables de l’Océan, Tahiti peut être demain,
un refuge et un centre d’action pour la civilisation tout
entière » ?
Nous évoquerons plus loin le rapport qui peut également être
établi entre l’établissement du CEP et l’arrestation de Pouvanaa.
Conclusion provisoire :
Les choses sont claires : le gouverneur a pour mission de
s’assurer que l’assemblée, dans sa composition pourtant favorable à Pouvanaa, soit amenée à conserver le statut de TOM
(mais amputé de son autonomie acquise par la loi-cadre)14.
Comment opérer ce renversement de tendance ? Une seule
réponse est possible : il faut manœuvrer pour déconsidérer et
éliminer Pouvanaa.
Pour appuyer cette thèse d’un complot
du Gouvernement central :
Quelques documents, livrés à la connaissance du lecteur,
doivent lui permettre de se forger sa propre opinion.
14
Nous montrerons par ailleurs que les textes étaient déjà prêts avant le référendum et que le vote de l’Assemblée du 14 novembre pour les entériner ne revêt
aucun caractère démocratique.
75
1/ Message « très secret » à transmettre à de Gaulle, expédié par l’Amiral Richard Evenou avec l’accord du gouverneur,
7 septembre 1958 (Fonds Foccart 1072) :
« Durant escale à Tahiti ai pris contact avec autorités
civiles, gouvernementales, association des Français libres
et autorités militaires en particulier Comar Papeete et
Commandant « La Confiance » qui vient d’effectuer croisière dans archipels des Australes, Marquises et Tuamotu.
Impression générale est que populations de Polynésie française n’ont pas compris le sens véritable du référendum.
Le leader communiste Pouvanaa qui jouit d’un grand prestige personnel leur répète inlassablement qu’ils peuvent voter
NON sans pour cela cesser d’appartenir à la communauté
française à laquelle la population est très attachée… ».
2/ 14 octobre 1958 : lettre du contre-amiral Evenou au
Ministre des Armées
L’amiral souligne le concours de la Marine dans la préparation du référendum et en particulier le soutien apporté par
l’aviso « La Confiance » aux ISLV et tournées aux Australes,
Gambier et Marquises. Cette tournée aurait donné « d’excellents résultats ».
Il résulte des deux documents ci-dessus de l’amiral Evenou
que, d’une part, pour l’armée la menace communiste (donc la
subversion) justifie sans doute une action préventive et que,
d’autre part, en Polynésie comme ailleurs outre-mer, l’Armée a
largement participé à la campagne référendaire. Une façon très
autoritaire de respecter la démocratie ?
3/ Qui est Jacques Bruneau et qu’est-il venu faire à Tahiti ?
Les archives du fonds Foccart apportent des éclaircissements sur ce personnage évoqué succinctement dans notre livre
et qui semble disposer d’autorité. N’écrit-il pas à Foccart le 5
octobre, donc avant que le conseil de gouvernement ait été
76
N°334- Janvier / Avril 2015
suspendu : « Je vais mettre sur pied maintenant le conseil nouveau de coalition que la majorité de l’AT élira prochainement » ?
Le 3 novembre 1958 : un carton écrit par Bruneau à Foccart
porte l’en-tête du ministère des Affaires étrangères avec les
extraits suivants :
« Suis rentré cette nuit de Tahiti… Il paraît que Matignon
aurait déclaré n’être pas au courant de ma mission officieuse en Polynésie française. Pourtant, je ne pense pas
avoir fait de mauvais travail et je compte sur toi éventuel
lement pour mettre les choses au point…»
Bruneau a rédigé un rapport qui permet de comprendre ce
qu’il a fait. Extraits de ce rapport :
« Séjour effectué en Polynésie française du 1er au 29 octobre. Voir mes télégrammes chiffrés via FOM et Marine.
Mettant à profit mon congé annuel, je m’étais rendu en
Polynésie française pour répondre à l’invitation de l’Assemblée territoriale et du gouverneur Toby qui m’avait officiellement invité en 1957 pour me remercier d’avoir, à la
suite d’une mission remplie pour le compte du MAE en
mars 1957, réussi à faire aboutir le projet d’aéroport international de Tahiti qui avait été abandonné jusque-là pour
des raisons financières.
J’avais été convoqué à la Présidence du Conseil le 12 septembre 1958 par M. J. Foccart qui me donna, en raison du
crédit personnel que j’avais obtenu en Polynésie, des instructions pour faire prévaloir parmi les milieux politiques locaux
une solution pro-française concernant le statut du Territoire.
Je pris contact avec la FOM les 17 et 27 septembre avec
Rives-Henrys qui me précisa le sens de cette mission... »
Le sens de sa mission était donc de « faire prévaloir une
solution pro-française concernant le statut du Territoire ». Dès
son arrivée, il écrit des rapports à J. Foccart, parfois sous forme
77
de télégramme chiffré (d’abord depuis le bureau du gouverneur
et ensuite depuis la base marine). Il s’attache certainement à
donner une cohésion aux adversaires de Pouvanaa, sans qu’il
soit convaincu de leur capacité à être efficaces15. Il s’attache
surtout à « piéger » Pouvanaa comme semble l’indiquer sa lettre manuscrite du 15 octobre à Foccart : « Pouvanaa a trouvé
pour nous la solution que nous cherchions en vain pour l’éliminer de la scène politique future ».
4/ Sur le peu de liberté de la Justice à l’égard des politiques,
se référer au livre Le Metua et le Général (chapitres XX, XXI
et XXII).
Voir aussi ce passage d’une lettre de J. Foccart à Sicaud, le
2 janvier 1959 :
« Personnellement, je ne pense pas qu’il soit possible d’obtenir des élections [législatives] retardées pour les raisons
que vous invoquez. Cela tient à la politique générale. Toutefois la décision appartient à votre ministre de même qu’en
ce qui concerne le jugement de Pouvanaa ».
Il semble donc que ce serait à J. Soustelle, alors ministre de
la FOM, de « chapeauter » le procès… Un non respect manifeste du principe de séparation des pouvoirs ?
5/ Sur la manipulation des hommes politiques locaux par
les autorités, le rapport de mission de J. Bruneau est très éclairant. Nous nous contentons de l’évoquer sans entrer dans « les
détails » actuellement, mais les indications données par J. Bruneau sont accablantes.
15
« Nos amis de l’UTD sont divisés, peureux et vraiment d’un niveau bien peu élevé »,
écrit-il à Foccart le 15 octobre. « Je vais essayer de recoller les morceaux de l’UTD
autour de Rudy [Bambridge] dont le manque de personnalité, hélas, fait qu’il ne s’impose pas assez à ses amis » écrit-il encore quelques jours plus tard.
78
N°334- Janvier / Avril 2015
6/ L’idée d’une manipulation, voire d’un complot pour arrêter Pouvana a Oopa est également appuyée par le cabinet d’Edmond Michelet (voir Le Metua et le Général, p. 333 à 338). Le
chef de cabinet écrit au ministre de la FOM que Pouvanaa a été
arrêté « dans des conditions provoquées ».
La démarche du cabinet d’E. Michelet – texte intégral dans
les archives du CAC, 940165, article 18, constitue un indéniable fait nouveau : le ministère désapprouve ses services de
Polynésie et les accuse de manipulation politique.
7/ Pour appuyer la thèse d’une élimination de Pouvanaa par
des moyens autres que légaux, la comparaison avec le Niger et
la Côte française des Somalis est éclairante.
Le 7 octobre 1958, on l’a vu, se tint un conseil de Cabinet,
c’est-à-dire sans la présence du président de la République,
mais sous la direction de De Gaulle. Trois TOM font l’objet
d’une analyse pessimiste qui confirmerait selon le Gouvernement français que le mouvement en faveur de l’indépendance
est en train de prendre de l’ampleur. Voici des extraits du rapport de B. Cornut-Gentille.
Niger :
Etendue énorme, division profonde entre Est et Ouest mettant
en concurrence RDA et PRA. Niger misérable dans ses
moyens et possibilités revêtait lors du référendum une importance capitale du fait de la nécessité de l’empêcher d’être le
jumeau de la Guinée. Par suite des erreurs de l’Administration, de ses capitulations et de l’audace de son chef de gouvernement, ce territoire a failli capoter dans une forme de
gouvernement extrémiste et totalitaire. Un net redressement
a été opéré et les dangers immédiats ont été conjurés. Cependant le Gouvernement est composé d’hommes ayant fait voter
NON et l’assemblée territoriale est elle-même discutable, compte
tenu des événements politiques de ces dernières semaines.
79
Côte française des Somalis
Situation très confuse
Le Vice-Président dont on connaît les attaches avec Le
Caire, s’est découvert, a pris position pour le NON et se
livre à des déclarations anti-françaises d’une grande violence. Il devrait créer un parti de l’Istiqlal.
4 ministres qui avaient dénoncé leur VP se sont ralliés à lui.
Manifestation en ville au cours de laquelle le VP a été
sérieusement contusionné, 2 ministres arrêtés pour port
d’armes.
Sur mon ordre, le gouverneur a pris une mesure de facto
suspendant la totalité du Conseil de gouvernement
Les dispositions en vigueur ne permettent pas de dissoudre
un Conseil de gouvernement sans avis préalable de l’AT.
Or, la dernière réunion prouve confusion et impossibilité de
dégager une majorité alors que la conduite du Vice-Président du Conseil de gouvernement rend impossible de tolérer la situation.
La dissolution de l’AT doit donc intervenir, mais fixer auparavant la date des prochaines élections, mais aussi avoir
une appréciation plus complète de la situation.
Deux mesures s’imposent à bref délai :
– Remplacement du gouverneur qui n’a ni autorité ni sangfroid
– Dissoudre l’AT.
Je proposerai ces mesures au prochain Conseil.
Tahiti (7 octobre 1958) [voir le texte déjà cité]
Nous renvoyons à ce que nous avons écrit dans notre livre
à propos du Niger et de son leader Djibo Bakary.
En ce qui concerne la Côte française des Somalis, Colette
Dubois apporte un éclairage intéressant (in, C-R. Ageron, Marc
Michel, L’Afrique noire française lors des indépendances,
CNRS-éditions, 2ème édit de 2010, p. 696).
80
N°334- Janvier / Avril 2015
Le leader Mahmoud Harbi déclare dans Le Monde du 7
août 1958 que « l’indépendance que nous demandons ne veut
pas dire divorce, ni sécession ». Il défend le NON qui recueille
25% des suffrages. L’AT en fut profondément divisée. La
démission d’Harbi est réclamée par ses adversaires. Le 2 octobre, Harbi est démis de ses fonctions, ce qui conduit à des incidents violents lors de manifestations en sa faveur (il est
lui-même blessé). La répression s’abat. La France jusque-là
favorable aux Issas, se rapproche des Afars (notamment par une
nouvelle loi électorale plus favorable à ces derniers). Une nouvelle assemblée est élue fin novembre dans ce contexte, avec la
venue au pouvoir du rival d’Harbi : Gouled. Harbi en est réduit
à se réfugier à Mogadiscio. En 1960, il est tué dans un accident
d’avion.
Le général de Gaulle fait escale à Djibouti le 3 juillet 1959
et indique que la France entend rester présente quoi qu’il arrive.
Il évoque l’intérêt stratégique du lieu.
Ainsi, dans trois cas, il est avéré que le Gouvernement central ne se contenta pas d’une élimination politique par le jeu de
majorités qui auraient été constituées plus ou moins démocratiquement.
Les intérêts stratégiques de la France étaient en jeu.
D’après Jacques Foccart16, de Gaulle souhaitait rester à Djibouti
encore une vingtaine d’années.
Que conclure ? Les situations des trois TOM présentent
suffisamment d’analogies pour établir que de toute façon les
leaders nationalistes devaient être éliminés.
L’historique des événements d’octobre 1958 en Polynésie
française est suffisamment éloquent pour que le doute sur la
culpabilité de Pouvanaa soit à retenir.
16
Foccart parle, Entretiens avec Philippe Gaillard, Paris, Fayard/Jeune Afrique, tome
1, 1995, p. 255-256.
81
Photos : Fonds Foccart, archives nationales
Note manuscrite de l’auteur de la photo : Samedi 11 octobre 1958. A 8h30, barrage au pont de l’Est menant vers
le domicile du Député. Plus de 5000 personnes désiraient voir de près l’arrestation du Député.
Note manuscrite de l’auteur de la photo : Samedi 11 octobre 1958. A 9h10, Pouvanaa à Oopa en présence de sa
nièce, de son fils et des autorités fait sa dernière prière d’hypocrite avant de se rendre entre les mains de la justice.
Note manuscrite de l’auteur de la photo : Samedi 11 octobre 1958. A 9h10, Pouvanaa a terminé sa prière, il se rend
à la justice.
82
N°334- Janvier / Avril 2015
DEUXIEME PARTIE
Une raison d’Etat… nucléaire ?
Dans nos articles et ouvrages nous nous sommes interrogé
sur le refus obstiné de donner l’autonomie à la Polynésie, à défaut
d’indépendance, en 1958 et au cours des années qui suivirent.
Cela nous a amené alors à poser la question des liens entre l’affaire Pouvanaa et l’installation du CEP17. Le choix de la Polynésie pour l’implantation du CEP avait-il été longuement mûri ?
Résumons le résultat de nos recherches
et nos hypothèses
Quelques éléments chronologiques permettent de se faire
une idée du cheminement des choix stratégiques français en
matière de Défense.
Fin octobre 1954
Création d’un Comité des explosifs nucléaires
30 novembre 1956
Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) chargé des études préparatoires
aux explosions atomiques
5 décembre 1956
décret secret créant au CEA un Comité des Applications Militaires de l’Énergie
Atomique (CAMEA)
fin janvier 1957
rapport Ailleret sur le choix des sites
18 mars 1957
général Ailleret supervise la totalité des essais au sein du groupe mixte
Armées-CEA
7 et 15 mai 1957
Un comité interministériel décide de la construction de l’aéroport de Tahiti-Faaa
23 juillet 1957
choix de Reggane
1er octobre 1957
bataillon du génie commence les travaux d’aménagement de Reggane
17
Sur l’histoire du CEP, voir le site historique de l’Assemblée de la Polynésie française, http://histoire.assemblee.pf chapitre 1957-1977 (avec chronologie et bibliographie)
83
11 avril 1958
décision gouvernementale de procéder aux essais début 1960
18 avril 1958
Ailleret doute de la pérennité des sites sahariens et demande que l’on reprenne
les études sur les sites d’outre-mer
22 juillet 1958
De Gaulle confirme la décision du 11 avril
12 novembre 1958
Le haut-commissaire à l’énergie atomique confirme que le Sahara devra être
remplacé par « une île du Pacifique ».
1959
L’ingénieur général Gougenheim cherche des sites d’essais notamment dans
les Tuamotu du sud
13 février 1960
première explosion à Reggane
5 mai 1961
Inauguration de la piste de l’aéroport (3 461 mètres)
27 juillet 1962
Le Conseil de Défense décide du transfert des essais nucléaires en Polynésie
Chronologie sommaire
Nous nous étions appuyé sur le livre du général Ailleret18
qui avait été chargé de trouver des sites où la France pourrait
effectuer des essais. C’était après la crise de Suez en 1956 qui
avait révélé que la France était devenue une puissance secondaire, ce qui avait convaincu les gouvernements de doter le
pays d’une arme nucléaire.
Le général avait écarté les Tuamotu qui semblaient pourtant
lui convenir par le fait que Tahiti ne disposait pas d’aéroport et
que les rayons d’action des avions ne permettaient pas de joindre régulièrement la Guyane (impossible de passer par les
Etats-Unis) et un centre polynésien. Il retint donc le Sahara tout
en laissant entendre que lorsqu’il faudrait en venir aux essais
thermonucléaires, les Tuamotu seraient le lieu idoine.
Des détracteurs firent alors valoir – et ils le font toujours
malgré les documents nouveaux mis sous leurs yeux – que la
France était incapable de prévoir quoi que ce fût à long terme
18
Ailleret C., L’aventure atomique française. Souvenirs et réflexions, Paris, Grasset,
1968.
84
N°334- Janvier / Avril 2015
et que la Polynésie avait été choisie dans la précipitation après
les accords d’Evian qui mettaient fin à la guerre d’Algérie.
En 1998, nous consultâmes les archives de l’Armée de
Terre à Vincennes qui contenait les dossiers sur le CEP. Les
résultats de ces recherches furent divulgués dans des conférences et des articles et surtout, avec des précisions nouvelles,
dans un livre19. Les archives contenaient le rapport secret du
général Ailleret dont il ne rapportait qu’un paragraphe dans son
livre de souvenirs. Le rapport détaillait les sites qui auraient pu
être retenus avec des cartes que l’Armée mettait d’ailleurs à
jour régulièrement…
Le Gouvernement français se résolut à commencer les
essais au Sahara et entrepris des travaux dès octobre 1957. La
Polynésie était-elle alors oubliée ? Non, car le général Ailleret
qui dirigeait les travaux au Sahara s’inquiéta, dès le 18 avril
1958, du fait que les conditions politiques ne tarderaient pas à
compromettre les essais. Il proposa alors de chercher un site en
métropole (ce qui lui semblait difficile) ou d’aller dans une île
de l’Union française selon sa propre étude. En 1959, l’ingénieur
militaire Gougenheim fut chargé de déterminer où des essais
pourraient être effectués. Il retint plusieurs sites dont Fangataufa. La preuve était faite que la Polynésie retenait l’attention
de l’Armée, mais les détracteurs pouvaient insinuer que les stratèges avaient toujours un plan B si ce n’est un plan C… Il est
vrai que des études furent entreprises en France continentale
(les Alpes) et en Corse. Tout indique que les sites envisagés présentaient de graves inconvénients. Le 12 novembre 1958, le
directeur du CEA, Francis Perrin, explique que cette solution
métropolitaine n’est pas sérieuse.
19
Regnault J-M., La France à l’opposé d’elle-même, Essais d’histoire politique de
l’Océanie, Éditions de Tahiti, 2006, 228 p.
85
Les archives du CEP permettaient d’établir une chronologie précise des recherches qui, à partir de 1961, réorientèrent
le choix vers la Polynésie. En mars 1962, l’armée retint le site
de Moruroa que le conseil de Défense du 27 juillet suivant
entérina.
Nouveaux éléments : un document irréfutable
En octobre 2013, nous consultâmes les archives de la
Défense pour la période allant du 1er juin 1958 à la fin de cette
même année, lorsque de Gaulle revint au pouvoir comme président du Conseil. On pouvait imaginer que le Général avait
pris des décisions importantes et que retrouver des comptes-rendus de réunions avec les responsables de l’Armée, cela pourrait
révéler des faits importants.
Le Général organisa, en effet, des « Réunions de Défense
nationale », réunions dont on peut se demander si elles étaient
juridiquement régulières puisqu’elles s’étaient déroulées hors
de la présence du président de la République dont la Constitution faisait pourtant le « Chef des armées ». Il est vrai que dans
la débâcle de la IVe République, le parlement avait accordé « les
pleins pouvoirs » au Général le 2 juin 1958 et ce dernier s’était
attribué le portefeuille de la Défense nationale. Le problème de
la légalité était devenu secondaire. La question de leur régularité juridique ne se posait guère.
Sous la IVème République, les problèmes de Défense se
réglaient dans les Comités de Défense nationale présidés par le
Chef de l’Etat qui y jouait du reste un rôle qui dépasse celui
qu’on lui attribue généralement. Les archives sont déposées aux
archives nationales. Sous la Ve République, furent et sont encore
tenus des Conseils de Défense dans lesquels le président de la
République tient le premier rôle. Les archives se trouvent au
Secrétariat général à la Défense et à la Sûreté nationale Boulevard
Latour-Maubourg à Paris. Dans la période transitoire, les Réunions de Défense nationale ne répondaient à aucune procédure
86
N°334- Janvier / Avril 2015
habituelle… comme si de Gaulle président du Conseil, ce
n’était déjà plus tout à fait la IVème République.
Le 12 novembre 1958 se tint une réunion dont les historiens devront désormais admettre qu’elle est capitale pour l’histoire de la France, car c’est ce jour-là que se décida la politique
de Défense nucléaire voulue par le général de Gaulle (qui
concrétisa ainsi ce que les précédents gouvernements avaient
préparé). Les chefs d’état-major, les ministres des Armées et
des Affaires étrangères et Francis Perrin (directeur du HautCommissariat à l’énergie atomique) participèrent aux décisions.
Une sorte de verbatim permet de connaître les échanges entre
ces hautes personnalités. Manifestement, le Sahara posait de
gros problèmes techniques et politiques pour des essais importants et le ministre des Affaires étrangères s’inquiéta de ce qui
se passerait quand il faudrait passer aux explosions thermonucléaires. Francis Perrin répondit :
« Dans quelques années, il sera indispensable de choisir un
autre polygone situé soit dans les îles du Pacifique, soit aux
Kerguelen ».
Quelques années étaient en effet nécessaires pour que des
aéroports fussent construits. F. Perrin prit donc à son compte les
réflexions du général Ailleret de janvier 1957 et d’avril 1958.
Les contacts devaient être fréquents entre les deux hommes. Au
cours de cette réunion du 12 novembre, F. Perrin balaya d’un
revers de main toute possibilité de réaliser des essais en métropole, même si les études se poursuivaient.
On sait que les essais aux Kerguelen ne pouvaient pas se
concrétiser. Quant au Pacifique, seules la Nouvelle-Calédonie
et la Polynésie pouvaient être retenues (Wallis et Futuna
n’étaient pas encore un TOM en 1958) et la première posait
problème en raison de sa proximité avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Le général Ailleret avait bien estimé les possibilités de la Polynésie dès 1957 (voir La France à l’opposé
d’elle-même).
87
Un point capital : si, pour la première fois, il apparaît que
les plus hautes autorités avouaient, ce 12 novembre 1958, que
le Sahara n’était envisagé qu’à titre provisoire, force est de
considérer que le professeur Perrin n’avait pas imaginé ce jourlà la nécessité technique et politique de quitter le Sahara et ne
s’était pas forgé cette certitude sans en avoir discuté avec le
général Ailleret. C’est donc sans doute avant le retour au pouvoir du général de Gaulle que le projet d’installations expérimentales en Polynésie était né parmi les principaux
responsables de la Défense.
La conclusion est désormais claire. Dès 1957, les responsables de la Défense avaient prévu que la Polynésie serait le
centre d’essais dont la France avait absolument besoin. Seuls
les délais de mise en application de ce projet n’étaient pas réellement programmés. Il ressort de la réunion du 12 novembre
1958 évoquée plus haut que faire des essais rencontre deux problèmes : techniques et politiques. A un moment donné, surtout
lorsque sont réalisées des explosions de grande puissance, les
problèmes politiques égalent, voire dépassent les questions
techniques. Autant dire que le choix de la Polynésie était en
quelque sorte contraint, car c’était le seul endroit du territoire
national où les problèmes politiques seraient limités… dès lors
que l’on se serait débarrassé de l’homme qui pouvait être un
trublion, Pouvanaa a Oopa.
De nouveaux éléments concernant la construction
de l’aéroport
Une des principales raisons qui firent écarter la Polynésie
comme site d’essais en 1957 était l’absence d’aéroport. Nous
avions émis une autre hypothèse : la décision de construire l’aéroport avait été prise dans l’optique du CEP. Alors que la France
refusait cette construction en invoquant le manque de moyens
financiers, brutalement ceux-ci furent débloqués moins de quatre mois après que le général Ailleret ait rendu son rapport.
88
N°334- Janvier / Avril 2015
La concordance des faits était troublante et était étayée par
d’autres éléments que l’on trouve dans cet ouvrage. Mais, une
fois encore, il manquait un ou des documents plus précis.
Or, en janvier 2013, nous eûmes accès, aux Archives diplomatiques françaises à La Courneuve, au verbatim de la réunion
qui aboutit à la décision. Alors que plusieurs participants (dont
le fameux Jacques Bruneau dont il est question plus haut) insistaient sur la nécessité de créer cet aéroport pour le développement économique du Territoire, le représentant de l’aviation
civile déclara : « c’est un aérodrome dont la réalisation est prévue davantage pour des motifs d’ordre politique général que
pour des motifs de transport aérien... le trafic touristique restera limité… » (Archives diplomatiques, 139 QO 19, réunion
interministérielle du 7 mai 1957). Le même fonds d’archives
montre bien que les raisons économiques n’ont pas été décisives pour cette construction qui fut pourtant menée tambour
battant. Que recouvre exactement l’expression « des motifs
d’ordre général » ? Dans les archives diplomatiques, il est
beaucoup question de politique. Il faut montrer que la France
est présente dans la région. Il est nécessaire aussi de faire un
signe en direction des Polynésiens qui seraient enclins à se détacher de la France. Ces arguments semblent, en fait, cacher une
raison que l’Etat ne veut pas avouer. En effet, pourquoi faudraitil aussi brusquement résoudre des problèmes qui n’étaient pas
neufs ? C’est trop gros pour que la proximité dans le temps
entre le rapport Ailleret et la décision de construire l’aéroport
soit seulement fortuite.
89
Conclusion
Désormais, des faits s’imposent.
La raison d’Etat
Sur l’hypothèse d’une éviction de Pouvanaa pour une raison d’Etat qui serait le nucléaire, les archives consultées n’apportent pas d’élément nouveau à proprement parler. Néanmoins,
elles montrent à quel point, vers la fin de la IVe République, tout
est mis en place pour que la France dispose d’une dissuasion
nucléaire. La continuité entre la IVe et la Ve Républiques en la
matière a été déjà soulignée par divers auteurs. Les textes que
nous citons confirment et accentuent cette analyse.
Cela signifie que le nucléaire est devenu une priorité. Le
Sahara, dès l’origine n’est qu’un champ d’expérimentations
provisoire puisqu’on sait qu’il ne pourra pas être utilisé pour
des tirs de grande puissance, ce qui est l’objectif essentiel du
projet nucléaire.
Bien sûr, tous les responsables politiques ou même militaires ne sont pas au courant des projets et de leurs implications.
Cela peut expliquer que, même au sein du Gouvernement, tous
ne soient pas sur la même longueur d’ondes comme le montre
la réaction d’Edmond Michelet. Il n’en va pas de même avec B.
Cornut-Gentille. Il n’est guère possible de disjoindre l’action du
ministre de la FOM de la volonté du Général. Dans ses
Mémoires, de Gaulle précise que B. Cornut-Gentille fait partie
des quatre ministres qui « se trouvent sous [sa] coupe plus
directe »20 (avec Maurice Couve de Murville, Emile Pelletier et
Pierre Guillaumat).
Cette dernière donnée permet de mesurer que les consignes
et ordres donnés par B. Cornut-Gentille aux gouverneurs de la
Polynésie ne devaient pas être ignorés du Général…
20
Mémoires d’Espoir, Plon, 1999, p. 31.
90
N°334- Janvier / Avril 2015
Le Metua et le Général :
un combat inégal devant la raison d’Etat
« Un combat inégal », telle est bien la constatation qui ressort de l’histoire polynésienne comme nous l’avions noté avec
Catherine Vannier. Les archives récemment consultées montrent
encore bien davantage que nous ne l’avions révélé cet acharnement contre le Metua et la volonté du Gouvernement central de
faire en sorte qu’en aucun cas la Polynésie ne pût s’orienter vers
l’indépendance, pas même du reste conserver son statut d’autonomie (rogné dès décembre 1958). Tous les documents révèlent
que les enquêtes du gouverneur attestaient que Pouvanaa restait
trop puissant, même après son échec au référendum du 28 septembre, et qu’il serait trop dangereux de le laisser libre et couvert par son immunité parlementaire.
De ce qui précède, il résulte que l’histoire du Pays devient
de plus en plus explicite. Toutes les hypothèses se confirment
et convergent vers des évidences :
– 1/ Oui, dès 1957 la Polynésie devait être le futur polygone d’essais nucléaires.
– 2/ Oui, l’aéroport a été construit dans cette optique.
– 3/ Oui, Pouvanaa fut victime d’une raison d’Etat qui le
dépassait. Il ne put résister à la volonté du gouvernement
central et des puissantes personnalités locales de l’éloigner de son Fenua.
Si l’Histoire rend ainsi justice au Metua, il reste à espérer
que la Justice rendra une décision historique en « déchargeant
la mémoire du mort » (selon la formule juridique) des accusations formulées contre lui dans un procès inéquitable pendant
lequel les règles élémentaires du droit des justiciables ont été
bafouées
La révision a buté en 1993 sur deux faits que nous rappelons : les témoignages à charge et la perquisition au domicile de
Pouvanaa a Oopa.
91
Les éléments que nous avons énoncés tendent à semer le
doute quant à la validité des témoignages et à la validité des
procédures pour les recueillir. Quant à la perquisition, elle procède de la même veine et le courrier du cabinet du Garde des
Sceaux de l’époque suffit à la discréditer.
La thèse d’un « coup monté » ou tout au moins celle de la
provocation (voir la correspondance de J. Bruneau) prend corps
dans les archives consultées.
C’est l’acharnement contre le député qui ressort aussi de
ces archives. Il émane autant des autorités de l’Etat que des personnalités du monde politique ou du monde économique de
Tahiti. Cet acharnement se poursuit après l’arrestation de Pouvanaa. Sans grand souci de vérité quant à la culpabilité, il s’agit
de le faire condamner à coup sûr. Les tentatives de dépaysement
du procès, l’immixtion répétée du politique dans le cours de la
Justice, la mise en place de cellules dites « d’action psychologique » afin de déconsidérer l’accusé et la façon dont le procès
a été conduit montrent et démontrent que l’élimination du
député comptait davantage que d’établir la véracité des faits.
Pourtant, des voix s’étaient élevées (jusque dans les rangs
des opposants au député) pour mettre en doute que, dans le
milieu tahitien, une telle affaire pût être montée et échouer aussi
lamentablement. Rien n’y fit. Pouvanaa était un “criminel”
comme le gouverneur lui-même l’avait proclamé, faisant fi de
la présomption d’innocence.
L’étude du procès met en lumière le fossé qui s’était établi
entre des cultures différentes et que, rapidement, Pouvanaa a
Oopa s’en est remis à ce qu’il pensait être la Justice divine plutôt
que de chercher à affronter celle des hommes en laquelle, déjà
depuis longtemps, il ne croyait guère car il la pensait - à tort ou
à raison - comme une des manifestations du colonialisme.
Enfin, il est manifeste que Pouvanaa a Oopa a été victime
d’une raison d’Etat. Quand le Conseil des ministres de la République estime qu’on ne peut pas garder « un tel vice-président »
92
N°334- Janvier / Avril 2015
(7 octobre 1958) même si - et surtout si - le suffrage universel
pourrait lui être favorable, c’est bien que la volonté de garder la
Polynésie... “française”, pèse davantage que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il y a donc bien derrière l’offensive contre le député une raison d’Etat. Consisterait-elle à
vouloir assurer la tutelle du Territoire pour faire plaisir à
quelques grosses fortunes locales ou à satisfaire un caprice de
l’Etat fier (ou désireux) de garder en son sein la Nouvelle
Cythère ? Les documents que nous avons trouvés tendent bien
à avancer l’hypothèse d’une mise en réserve du Territoire pour
de futurs essais quand les circonstances viendraient à l’exiger.
Le dossier de police administrative que nous avons
dépouillé au Ministère de l’Intérieur (voir le chapitre XXIV du
livre Le Metua et le Général) confirme a posteriori la peur
panique qu’avaient les autorités de l’Etat de ce personnage
vieillissant et malade. Mais alors, qu’en était-il quand il était au
sommet de sa popularité et d’une énergie indomptable ?
Précisément, il fallait le dompter.
Nous rejoignons donc l’analyse du cabinet d’E. Michelet :
« seules des raisons électorales peuvent justifier la privation de liberté de ce Tahitien pour lequel des Tahitiens voteront encore, même après sa mort ».
93
ANNEXE
Le côté fantaisiste de l’accusation
au regard des mentalités et usages polynésiens
Document 1
Le document qui suit présente un grand intérêt car cette
version ironique des événements de l’année 1958 à Tahiti révèle
à quel point l’affaire Pouvanaa a été montée de toutes pièces.
Note de Céran-Jérusalémy du 3 octobre 1959 21
Pour l’auteur22 les événements des 29 et 30 avril 1958 et
l’affaire de l’incendie dont est accusé Pouvanaa sont étroitement liés.
Pour l’affaire des « incendiaires » on peut développer
quelques considérations.
La plupart des protagonistes firent preuve de peu de conviction. Indéniablement un certain flottement succéda à une 1ère
impulsion due à une cause inconnue de beaucoup. Cette
impulsion était-elle due à un réflexe de défense provoqué
par la peur à la suite de « bruits » vrais ou faux ? Par qui
ont été propagés ces bruits ? Et leur but n’était-il pas justement de provoquer cette réaction ? Cette impulsion résultait-elle d’un réflexe d’obéissance exploité par des
provocateurs ? Ou était-ce une manifestation d’exaspération et de colère consécutive aux brimades diverses qu’avait
eu à supporter Pouvanaa ? Peut-être même peut-on voir
21
Source : Fonds Foccart 1073.
22
J-B. Céran-Jérusalémy est-il réellement l’auteur de cette note ? On sait qu’il utilisait le plus souvent « la plume » de Pierre Dilhan pour rédiger les articles de
fond ou les rappels historiques dans son journal Te Aratai.
94
N°334- Janvier / Avril 2015
dans ce mouvement un réflexe de défense du Pouvoir établi
(contrairement à ce qui a eu lieu en avril) puisqu’il s’agissait en fait d’un député en fonctions et d’un Vice-président
de conseil de gouvernement peut-être suspendu mais non
déchu ?...
Si l’on veut bien considérer le nombre de bouteilles jetées
et, parmi elles, la proportion curieuse de maladroits malgré
l’adresse bien connue de Tahitiens (dont des Anciens Combattants de 14-18 et 39-45) ; si on veut bien considérer
cependant la grande simplicité de cette arme et sa terrible
efficacité, ainsi que l’aptitude des maisons de Tahiti à flamber et, finalement l’insignifiance des dégâts dans une
période où les passions étaient exacerbées depuis avril, on
conviendra que l’Affaire des « incendiaires » n’a été ni préméditée puisqu’inorganisée, ni d’ailleurs spontanée ; car
si cette idée était née spontanément chez les manifestants
excités, personne ne les aurait arrêtés et ils ne se seraient
surtout pas arrêtés d’eux-mêmes. Enfin, curieusement en
cette période troublée, l’esprit de haine était évidemment
absent.
Ajouter qu’étant donné impossibilité de garder un secret à
Tahiti, non seulement on ne peut pas parler de préméditation, mais il semble également que les préparatifs
impromptus ont dus être bien brefs…
Sur le 28 avril [en fait le 29, note de J-M. R]
Affaire longuement préméditée, minutieusement préparée ; il s’agissait de profiter du 1er prétexte venu pour
soulever l’opinion par une propagande mensongère (au
besoin par des faux), d’exciter à la haine de personnes, et
finalement contrecarrer le pouvoir établi à la suite des
nouvelles institutions découlant de la loi-cadre des TOM.
Cette affaire a donc débuté par un complot contre la
sûreté de l’Etat ; s’est poursuivie par une, puis plusieurs
95
réunions illégales, sans grands efforts de la part des responsables de l’ordre public pour les disperser ; a continué par une incitation à l’émeute, voire au meurtre à en
juger par quelques cris entendus ; par le refus d’obéir aux
sommations faites et par quelques autres délits mineurs
tels que bris de clôtures, menaces diverses, injures, faux
et usage de faux, jets de cailloux et pression envers une
Assemblée législative en fonction. Les dégâts se sont révélés insignifiants eu égard à ce qu’ils auraient pu être, et
le sang n’a pas coulé, mais chacun a senti qu’il s’en est
fallu de peu. Peut-être les chefs d’accusation ci-dessus ne
sont-ils pas exactement libellés, mais ils n’en sont pas
moins parfaitement clairs. Sans doute sont-ils également
incomplets et un juriste en ferait probablement apparaître
un nombre bien plus élevé.
Inutile d’insister sur les diverses complicités parmi les
représentants des pouvoirs publics…
Personne ne peut nier les tragiques conséquences possibles : d’abord un massacre par une foule excitée, et il
aurait suffit d’un blessé dans la foule, puis la réaction, puis
les règlements de compte ultérieurs…
Donner une évaluation du bilan probable est évidemment
impossible, mais à considérer l’atmosphère de la ville au
cours des quelques jours postérieurs aux émeutes, on peut
affirmer que les habituelles séquelles d’une guerre civile
auraient mis Papeete à feu et à sang.
En conclusion, dans cette affaire, les crimes sont bien
mieux caractérisés, la manifestation est dirigée contre le
pouvoir établi, il y a eu préméditation, les coupables principaux sont bien connus (malheureusement d’ailleurs), les complicités sont nombreuses, les dégâts matériels effectifs sont
légèrement supérieurs (les conséquences auraient pu comprendre entre autres, l’incendie de la ville), une atmosphère
96
N°334- Janvier / Avril 2015
de haine est instaurée, […] et pas une sanction n’est prise
(sauf plus tard contre les victimes de l’agression).
Ajoutons que le prétexte de la manifestation, l’impôt sur le
revenu, est partiellement adopté quelques temps après par
les amis des manifestants qui vont même jusqu’à s’associer
avec les amis politiques des « incendiaires » présumés pour
former une majorité politique soutenue par l’Administration locale.
[…]
[Au référendum] le oui a triomphé et les brimades et provocations commencent à pleuvoir sur Pouvanaa. Mais
Céran-Jérusalémy arrive à prendre contact avec Pouvanaa
par personne interposée en vue d’un éventuel regroupement du RDPT pour la préparation du futur statut du Territoire (qui devait être vraisemblablement celui d’Etat dans
la Communauté).
C’est alors que l’Adversaire, appuyé par certaines Autorités locales, précipite l’événement qui va permettre l’arrestation de Pouvanaa.
Il paraît que Pouvanaa reconnaît avoir peut-être dit dans
une de ses réunions politiques, que la ville de Papeete
méritait d’être brûlée !... Mais il semble que personne à
Papeete n’a pu encore affirmer que quelque chose dans ce
sens ait été préparé par Pouvanaa.
D’autre part, comment se fait-il qu’une seule extrémité
(côté station gazoline) de la ruelle passant devant la maison de Pouvanaa n’ait été gardée par la police et pas l’autre extrémité (menant à la maison du Président de la
section des Français libres de l’Océanie française >>> [il
s’agit de Robert Hervé dont la maison reçut une bouteille
incendiaire selon l’accusation, note de J-M. R].
Enfin, comment a-t-on osé créer le désordre voulu après le
jet d’une seule bouteille de gazoline qui ne s’est même pas
97
enflammée et que l’incendiaire était arrêté avant le lancement de la bouteille suivante ?
Il faut rappeler que plusieurs déclarations de témoins ont
été obtenues après menaces ou promesses.
S’il y avait des preuves éclatantes contre Pouvanaa, pourquoi ne l’avoir pas jugé immédiatement ? Pourquoi n’y at-il pas eu de levée d’immunité parlementaire ? Pourquoi
l’avoir maintenu plus de dix mois au grand secret, où seul
son avocat à Papeete pouvait lui rendre visite ?
Ajouter à tout cela que Pouvanaa – s’il n’a pu réunir en sa
faveur la majorité au référendum a récupéré la confiance
de la grosse majorité des populations tahitiennes. Dans les
prochaines élections générales, Pouvanaa gagnera.
Avant d’accuser Pouvanaa à tort et à travers, ne pas
oublier :
– Que Pouvanaa était volontaire en 14-18
– Que Pouvanaa a été un des vingt premiers résistants de
Tahiti, ayant parcouru personnellement Tahiti et îles voisines pour faire signer la pétition de ralliement à de
Gaulle
– Que son fils Marcel Oopa était aussi à Bir-Hackeim.
Pour l’amour de Tahiti et de la France, il serait donc
inconcevable de laisser se faire l’irréparable.
98
N°334- Janvier / Avril 2015
Document 2 23
Dans une lettre au gouverneur Cédile du 14 octobre 1958,
Freddy Fourcade, président de l’Union patronale, fait part avec
naïveté de son étonnement sur les circonstances de l’arrestation de
Pouvanaa (que le témoignage de Céran-Jérusalémy corrobore) :
« Une chose m’inquiète : le « coup » tel qu’il a été préparé
ne cadre pas avec la mentalité tahitienne et, en arrêtant Pouvanaa et les siens, peut-être n’a-t-on pas décapité l’organisation. Si on veut retrouver la paix pour des années, il est
indispensable que ce doute soit levé. Aussi serait-il bon que
Paris envoie rapidement un inspecteur spécialisé pour rechercher les ramifications, du côté communiste en particulier ».
Ainsi, une personnalité locale montre son scepticisme car
sa connaissance du milieu polynésien l’incite à penser que l’affaire ne pourrait avoir été montée que par des forces extérieures au Fenua. Il pense à un complot communiste fomenté
depuis on ne sait où. En fait, c’est dans l’entourage de F. Fourcade que le complot a été ourdi, mais il n’a pas été mis dans la
confidence.
Freddy Fourcade ajoute :
« Pouvanaa a tenu chez lui de nombreuses réunions qui
regroupaient de plus en plus de monde et devenait de plus
en plus inquiétant.
Journée de vendredi, plusieurs d’entre nous ont reçu l’information que les partisans de Pouvanaa se proposaient
d’incendier plusieurs bâtiments (exemple : le magasin
Martin).
23
Sources, Fonds Foccart 1072
99
Le gouvernement local n’a peut-être pas attaché à ces renseignements tout le crédit qu’il convenait. Par contre, Tony
Bambridge a décidé de doubler les équipes qu’il avait et
qui, depuis une quinzaine de jours patrouillaient la ville
pendant la nuit […]… On peut dire que par les précautions
qu’il a prises, Tony Bambridge a sauvé Papeete et nous lui
devons tous beaucoup de reconnaissance ».
Ainsi F. Fourcade confirme que le vendredi 10 octobre
beaucoup de personnes avaient entendu dire que Pouvanaa projetait d’incendier la ville. Or, le capitaine Bouvet fait part de sa
surprise lorsqu’il apprend la nouvelle, le 10 octobre vers 23h.
Autrement dit, tout le monde savait… mais pas les autorités !
L’inanité de la charge pesant sur Pouvanaa est ainsi démontrée.
Jean-Marc Regnault
100
L’assassinat
du “ Père Vanille ”,
commerçant et ethnographe amateur
Né le 4 février 1870 à La Chaux-de-Fonds dans les montagnes du Jura suisse 1 , voué au commerce mais doué pour
l’écriture autant que pour les langues, Eugène Hänni, dit le Père
Vanille, était très désireux de courir le monde 2. Après avoir travaillé comme comptable en Suisse, en Italie, en Espagne et en
Angleterre, il passe de l’Amérique du Sud à l’Amérique du
Nord puis s’embarque en 1894 pour Tahiti, caressant un rêve
que résume ainsi O’Reilly : « Philatéliste convaincu et commerçant imaginatif, il faisait le tour du Pacifique à la recherche
1
Article actualisé repris de la Revue historique neuchâteloise N°3 – 2014, pp. 123150, avec l’aimable autorisation des éditeurs.
2
Malgré nos recherches poursuivies depuis des années, certaines informations
demanderaient encore à être recoupées et plusieurs points sont demeurés obscurs, marquant les limites de notre enquête.
Pour l’aide apportée, nous remercions les descendants de Jules Jacot Guillarmod,
notamment Jean Lambert Des Arts, et son biographe feu le professeur Georges
Terrier, le regretté cartophile Roland Gutzwiller, le collectionneur Raoul Céré et la
galeriste Caroline Markovic, feu le spécialiste Paul-Yvon Armand, qui a éclairé notre
ignorance en cartophilie et corrigé nos erreurs, l’échéphile Thierry Wendling, JeanJacques Fernier, Alex W. du Prel et tous les informateurs restés anonymes, les
Archives de l’Etat à Neuchâtel (AEN), la Bibliothèque de la Ville de La Chaux-deFonds, la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, les Archives de la Seine, le
Musée de la Police à Paris ainsi que les Archives de la Préfecture de police au Pré
Saint-Gervais, enfin particulièrement Robert et Denise Koenig à Papeete.
d’une île sauvage encore indépendante dans laquelle il pourrait
devenir Directeur des Postes, émettre des timbres et battre monnaie, deux des privilèges de la souveraineté, grâce auxquels il
se voyait déjà en train de faire sous les cocotiers des îles Sousle-Vent une facile, rapide et mirobolante fortune3… ».
Rentré tout aussi pauvre trois ans plus tard à Saint-Blaise,
village des environs de Neuchâtel, son projet n’ayant pu se
concrétiser 4, Hänni séjourne quelques mois à Bâle, puis part
pour Paris où il se lance dans diverses opérations commerciales,
notamment sur des denrées coloniales. Etabli dans le quartier
de la Roquette, il est étranglé dans le modeste logement qui lui
sert aussi d’entrepôt, 104, boulevard Voltaire.
Assassiné le matin du vendredi 28 février 1908, il est
trouvé mort par sa concierge le lendemain comme l’annonce la
presse du samedi soir. Informé le mardi 3 mars par le « Journal » de Paris que lui envoie son ami Horni5 de la triste nouvelle
que reprend le même jour la Feuille d’Avis de Neuchâtel6, son
3
Patrick O’Reilly, Tahiti au temps des cartes postales, Paris, 1975, p. 9.
4
Dans une carte postale de Borabora du 26 janvier 1895 à son ami le Dr Jules Jacot
Guillarmod, Hänni écrit : « en ce qui concerne la fameuse question à laquelle j’ai
fait allusion à diverses reprises, elle reste toujours en plan, car dans ces contrées
le terrain est passablement rebattu et je crois qu’il faudra que j’en revienne à mon
ancienne idée, c-à-d [de] filer sur le continent noir, mais en atten[dan]t comme
rien ne presse, je ne vois pas d’inconvénient à prolonger mon séjour en Polynésie : tantôt je suis stable, tantôt je passe d’île en île pour varier les plaisirs ; ».
5
Ce surnom (ainsi le St Plet dont est affublé Hänni) désigne Olivier Clottu, père du
futur gendre de Jacot Guillarmod. Le périodique a pu être identifié comme Le
Petit Journal, N° 16 501, du dimanche 1er mars qui, parmi d’autres faits divers à
sensation, titre en première page : « crime boulevard voltaire – Trouvé bâillonné
et étranglé – qui a tué le marchand de vanille ? »
6
Plus encore que son confrère du Bas, L’Impartial, reprenant des informations de
la presse parisienne, hypothèses non vérifiées et affabulations comprises, rend
abondamment compte de « L’affaire Hänni » non seulement pendant toute cette
semaine, ajoutant des croquis approximatifs, recueillant des témoignages locaux,
sans compter.la chronique d’un correspondant parisien qui signe « C. R.-P. » mais
jusqu’au terme du jugement. Ce ne sont pas moins de 13 articles qui ont été
repérés, certains sur 4 colonnes en première page.
102
Fig. 1. Carnet de Jules Jacot Guillarmod
(Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds)
Fig. 2. Faire-part d’Eugène Hänni
(AEN)
ami d’enfance le Dr Jules Jacot Guillarmod (1868-1925), alors
établi à Lignières, « en reste tout “chose” tout le matin. Rien fait
de bon » (carnet XXVIII).
La manière dont ce dernier entamera sa préface aux souvenirs d’Eugène Hänni7 (1908c : 1-18) témoigne de l’émoi, pour
ne pas dire de la consternation, qui a saisi ses amis et connaissances à l’annonce de sa fin brutale et prématurée, les privant
d’« un camarade au cœur d’or » ainsi qu’il l’écrit dans la
Feuille d’Avis de Neuchâtel et du Vignoble Neuchâtelois du
9 mars8 (1908a). Entre le médecin et l’aventurier qui, en jeunes
galopins, avaient « mistonné » ensemble, des liens intimes
s’étaient noués dès l’adolescence, d’étroite et franche amitié
puis d’estime réciproque, renforcés par une commune passion
pour les voyages9 et le jeu des échecs.
Mais, dès le lendemain, Jacot Guillarmod commence à
rédiger un hommage qu’il remet au journal le 6 et qui paraît le
9 sous le titre « L’odyssée d’un Neuchâtelois autour du
monde ». Le faire-part publié le 3 mars avisait simplement
« que Dieu [l’]a rappelé à lui subitement à Paris, à l’âge de 38
ans. », indiquant le prénom exact de son père – que l’« Acte de
décès » a baptisé Edmond – et attestant que sa mère (née Lucie
Humbert Droz) était décédée, qu’il avait un frère célibataire
alors à Montreux et un autre marié avec enfants à Genève.
7
Jules Jacot Guillarmod (éd.), Eugène Hänni : Trois ans chez les Canaques : odyssée
d’un Neuchâtelois autour du monde : avec une notice biographique par le Dr J. Jacot
Guillarmod et une carte de l’Archipel de Tahiti, Lausanne, 1908, p. 1-18.
8
Jules Jacot Guillarmod, « L’odyssée d’un Neuchâtelois autour du monde : Eugène
Hänni », Feuille d’Avis de Neuchâtel et du Vignoble neuchâtelois, lundi 9 mars 1908,
p. 3-4.
9
Hänni a signé quelques-unes de ses lettres « Pérégrinomane Célibatophile ».
104
N°334- Janvier / Avril 2015
Agissant à la demande d’Edouard Hänni que son fils chérissait et auquel il écrivait sans relâche, désireux de laisser
témoignage des aventures et des mérites de son condisciple,
Jacot Guillarmod s’engage à « faire un livre des mémoires de
Eug. Hänni ». A côté du courrier qu’il a reçu personnellement10,
« Ces lettres, admirablement calligraphiées et partant si faciles
à lire » comme il les qualifie dans la Feuille d’Avis, il dispose
de l’abondante correspondance adressée au père de la victime,
qu’il a peut-être complétée ; vu les délais, il est pourtant douteux qu’un vaste rassemblement des écrits de Hänni ait pu être
opéré, tels ses échanges épistolaires avec ses compatriotes Itchner et de Weiss restés aux îles-Sous-le-Vent. Jacot Guillarmod
s’est surtout abondamment servi du « copie-lettres » récupéré
de Hänni11, encore que l’établissement des sources reste ardu et
quelque peu hypothétique.
10
En octobre 2011, une grosse enveloppe marquée au crayon bleu « Lettres de /
Eugène Hänni » a refait surface chez un de ses héritiers. Elle contient des cartes
postales et des lettres d’une écriture souvent minuscule principalement à « Mon
cher Cobus » [Jacot Guillarmod] qui remontent à février 1889, lorsque Hänni est
employé à Sursee et se poursuivent jusqu’en janvier 1902. Elle porte des marques
de préparation à l’édition au crayon bleu. Y apparaissent de petits dessins et des
coups de la longue partie d’échecs commencée le 6 mars 1891 à Gênes et qui,
selon ce qui est peut-être une légende, se serait conclue par un « pat » concédé
par Hänni lors de leurs retrouvailles en avril 1897 sur le bateau reliant Naples à
Gênes. De la correspondance était aussi destinée à « Horni » [Olivier Clottu].
Seules trois missives se rapportant au séjour dans les îles y figurent : une carte
postale de Borabora du 26 janvier 1895, une autre de Huahine du 28 juin de la
même année et une lettre de Huahine datée d’avril 1896. D’après le premier
document, l’essentiel des témoignages épistolaires de Hänni « avec
illustra[tio]ns » avait été adressé à son « pater familias » et l’« ampleur de [ses]
manuscrits » l’avait dégoûté d’une recopie, ce qu’il répète dans le second « vu la
quantité respectable de maculature de [sa] confection dont il est détenteur », ce
que confirment les carnets de Jacot Guillarmod qui suivait ainsi les aventures de
son ami.
« il faut 3½ mois entre l’aller & le retour et encore ne faut-il pas expédier une lettre ou carte après le 14 d’un mois, autrement il y aurait 1 mois de retard en sus. »
(« E.H. S. Francisco 26 Décbre 93 », à Jacot Guillarmod)
11
Une mauvaise lecture atteste que le médecin s’est fondé sur cet original.
105
Son tempérament froid (pudeur ?, neutralité ?) l’a préservé
de vains apitoiements et son dynamisme a rapidement pris le
dessus. Grâce à ses notes personnelles, il est possible de suivre
les étapes principales de l’édition des souvenirs de son ami. Dès
18 ans et jusqu’à dix jours avant sa mort en Afrique, pendant
près de 40 ans, il a en effet tenu avec rigueur un journal – très
abrégé mais ne comptant pas moins de soixante-quatorze carnets et six mille pages – qui renseigne jour après jour sur ses
activités.
Le nécrologue ne parle encore, il est vrai, que d’une intention – « un fort beau volume que je publierai peut-être un jour
si l’occasion s’en présente. » –, mais Jacot Guillarmod passe
rapidement à sa concrétisation. Le 14 mars arrive « la caisse de
Paris & les copies de Lettres de Eugène » qui lui sont communiquées et dont il fait tirer des extraits par sa femme et des
membres de sa famille. Le médecin s’attelle sans tarder à l’ouvrage, reçoit des épreuves de l’éditeur Payot, l’un des quatre ou
cinq qui s’étaient intéressés à la publication, épreuves qu’il corrige en se faisant aider par des proches, tout en soignant ses
malades et en s’interrompant pour un accouchement. Au bout
de quinze jours, il avait déjà pu envoyer à Lausanne « 120 pages
de manuscrit & des photos p[ou]r le livre ».
Le journal du praticien indique qu’il s’est également occupé
de la couverture du livre, très discrètement signée des deux initiales « H.R. ». Sur fond de décor exotique de palmiers en bord
de mer, dans un médaillon ovale entouré d’une guirlande, est
inséré le seul portrait connu d’Eugène Hänni affublé de son lorgnon pince-nez. Un examen attentif révèle une retouche l’ayant
privé d’un couvre-chef, un canotier indigène dont il possédait
plusieurs exemplaires, porté incliné sur l’arrière12.
12
L’article du 7 mars en première page de L’Impartial le figure ainsi coiffé sur un
dessin levé d’après une autre photographie.
106
N°334- Janvier / Avril 2015
En date des 6 et 12 mars, le carnet fait mention d’un certain
« Robert » qui semble une piste d’abord très séduisante mais le
porteur du nom se révèle être Samuel Robert, l’éditeur du Bulletin de Saint-Blaise auquel Jacot Guillarmod a également
confié une notice nécrologique – de même qu’il rédigera plus
tard un article destiné au Messager boiteux pour l’an de grâce
1909 –, notice qui ne paraîtra que le 13 mars dans le N°11 et
pour laquelle il a demandé 10 francs13.
Un article du Musée neuchâtelois : « Suppositions autour
d’un projet de timbre-poste » nous a fait retrouver par hasard
l’artiste sollicité qui – intuition ou chance ? – s’appelait bien
Robert sans pour autant appartenir à la famille du célèbre peintre romantique Léopold Robert, et se prénommait Henri14. Neuchâtelois d’origine, né à Paris le 21 avril 1881, décédé à
Lausanne le 9 décembre 1961, Henri-Marcel Robert s’était établi à Fribourg en 1904 où il fit toute sa carrière comme enseignant et peintre, signant souvent de ses initiales « H.R. ». Sa
première exposition avait eu lieu en 1903 à la Société des Amis
des Arts à Neuchâtel15.
Les archives de la maison d’édition ayant été passées au
pilon en 1945, toute trace de l’auteur de la couverture et ses
éventuelles sources d’inspiration ont disparu mais l’identification ne laisse aucun doute.
En dépit du décès de sa mère, le 8 avril, qui ne freine pas
son ardeur, Jacot Guillarmod réquisitionne la main d’œuvre disponible (« je fais bûcher tout le monde à la copie »), si bien qu’il
13
Jules Jacot Guillarmod, « Eugène Hänni », Bulletin de Saint-Blaise et des communes environnantes 11, 1908, pp. 3-4.
14
Jean-Pierre Jelmini, « Suppositions autour d’un projet de timbre-poste », Musée
neuchâtelois, 1991, pp. 251-256.
15
Marcel Robert, Henri Robert (1881-1961), [Chambésy], 1993.
107
livre, le 15, la fin du manuscrit et, complétant sa nécrologie,
attaque la préface « dure à venir » qu’il termine en six jours. Le
27 avril, il commande une carte géographique au cartographe
neuchâtelois Maurice Borel. L’affaire a été si rondement menée
qu’à peine plus de cinq semaines ont suffi à la préparation. Le
27 mai, il écrit « à Payot dont [il a] reçu la couverture définitive
& la nouvelle qu’ils renoncent à l’avant-propos de Ph[ilippe]
Godet. Quelle veine. ». La suite est tout aussi rapide puisque le
livre, fort de 344 pages, paraît le 15 juin déjà, à Lausanne, au
prix de 3 francs 50, ce que la Feuille d’Avis de Neuchâtel
signale deux jours plus tard en assortissant l’annonce du commentaire suivant :
Quant au livre lui-même, il est de la victime, puisque ce
sont les lettres dans lesquelles Eugène Hänni raconte ses trois
années de séjour dans les îles de la Société, en plein Pacifique.
Hänni savait voyager, c’est-à-dire qu’il ouvrait l’œil et notait
avec soin ce que son expérience de la vie lui faisait remarquer.
Son livre serait donc intéressant en soi, si les événements ne lui
avaient pas donné une actualité toute particulière.
En réalité, tout en prétendant avoir laissé la plume à son
camarade, Jacot Guillarmod semble s’être permis en toute amitié d’innombrables interventions personnelles, opérant de larges
coupures ou brodant apparemment des passages, inventant surtout le titre du livre et ajoutant de nombreuses fois « canaque »
là où Hänni, qui en use certes occasionnellement, avait simplement écrit « indigène » ou « Polynésien ».
Courant à cette époque, ce gentilé malencontreux se rencontre par exemple comme équivalent de naturels ou de natifs
dans le récit de la longue croisière de noces, Chez les cannibales, publié en 1903 par le comte Rodolphe Festetics de Tolna
– que Hänni rencontra le 17 avril 1894, lors de l’escale de son
yacht à Rurutu [la carte indique 19 IV 94]. Il n’en suscite pas
108
Fig. 3. Couverture du livre Eugène Hänni : Trois ans…,
signée Henri-Marcel Robert
(archives de l’auteur)
moins la réprobation de Paul Huguenin, ancien instituteur missionnaire à Raiatea16, dans sa critique de l’ouvrage :
« le petit livre du « Père Vanille » nous a causé une légère
déception. Le titre d’abord nous a froissé. Froissé ? dira
l’ami qui a réuni ces lettres ? Oui, en qualité de « fetii »17
de plusieurs indigènes de Tahiti et de Raiatea. Oui, froissé.
Les Tahitiens ne sont pas des Canaques. Les appeler
Canaques est la plus grande injure que vous puissiez leur
faire. Nous nous rappelons l’indignation avec laquelle de
tout petits gamins répondaient à des soldats français :
« Nous ne sommes pas des Canaques. » – Les Canaques
sont les habitants de la Nouvelle Calédonie que les Polynésiens, à tort ou à raison, considèrent comme un peuple inférieur. Mais ce qu’il y a de piquant, c’est que le mot
Canaque vient du mot polynésien Tangata (prononcé à
Tahiti taata), qui signifie « Homme ». Les Tahitiens ne
devraient donc pas être froissés d’être appelés des
« Hommes », et cependant ils le sont d’être appelés
Canaques.18 »
16
Paul Huguenin (1870-1919) est une personnalité remarquable et la diversité de
ses dons le destinait à une œuvre que la mort ne lui aura pas laissé le temps
d’accomplir. Responsable des écoles à Uturoa de 1896 à 1899, il mettra son âme
d’artiste, écrivain et plus encore dessinateur, au service d’une monographie ethnographique intitulée Raiatea la Sacrée (1902), que mentionne René Gouzy
(Paradis : mers bleues, blanches goélettes (Tahiti – Moorea – Tuamotou – Toubouaï
– Iles Sous-le-Vent), Paris et Neuchâtel, 1936, pp. 175-176). Dix ans plus tard, ses
impressions de voyage lui donneront l’occasion de rédiger un ouvrage plus
populaire, Aux îles enchanteresses. Lausanne, 1912, qui recoupe largement et
accrédite les observations de Hänni.
17
Parent à la mode du pays (Note de Paul Huguenin).
18
Paul Huguenin, [« Compte rendu Hänni, Trois ans… »], Bulletin de la Société neuchâteloise de géographie 19, 1908, p. 208.
110
N°334- Janvier / Avril 2015
Tout grand voyageur alpiniste et photographe passionné
qu’il fut19, le médecin apparaît nettement moins ouvert que son
ami défunt, aggravant le ton quelque peu raciste de l’époque et
perpétuant à propos des terres du Pacifique et de leurs habitants
la fable convenue des grands enfants d’un paradis. Se laissant
manifestement entraîner par sa plume, il porte de même sur son
cadet mais presque contemporain des jugements manquant parfois de nuance.
Fondant divers apports en un seul texte, supprimant des
répétitions, corrigeant tant l’orthographe que le style, introduisant du même coup des fautes, sans parler de quelques erreurs
de lecture, simplifiant, interprétant, « traduisant », pratiquant
aussi des interversions – quand il n’a pas tout bonnement récrit
le texte – jusqu’à bouleverser la chronologie, confondant conséquemment les lieux mais maintenant certaines redites que
Hänni eût probablement supprimées20, Jacot Guillarmod a travaillé avec une célérité ahurissante ; par manque de temps évidemment, il ne s’est pas embarrassé d’un excès de rigueur ni ne
s’est soucié de vérifications poussées, ce que relève notre instituteur :
« Nous avons encore une légère critique à faire à l’éditeur
des lettres de Hänni. Bien que ce dernier calligraphiât supérieurement ses missives, il se trouve une coquille qui se
répète d’un bout à l’autre du volume et qui devient agaçante à la lecture. Partout où Hänni a écrit deux i de suite,
19
Dans l’ouvrage qu’il lui consacre, Charlie Buffet, Jules Jacot Guillarmod pionnier
du K2 : un explorateur photographe à la découverte de l’Himalaya, 1902-1905,
Genève, 2012, p. 9, reprend la confusion parlant de: « Hänni qui, bientôt, va
voguer autour du monde, jusque chez les Canaques. ». De surcroît, il ne crédite
Jules Jacot Guillarmod que d’avoir préfacé Trois ans… (ibid., p. 16).
20
Bien que destinées à quelque « lecteur », les notes du voyageur ne l’étaient pas
telles quelles à la publication ; nul ne saurait toutefois préjuger du parti qu’il en
eût tiré lui-même.
111
on a imprimé un ü avec un tréma ; ainsi fetü, quatre fois
dans les pages 110 et 111, au lieu de fetii (deux i), arü pour
arii, Teurnarü pour Teurnarii. La carte de l’archipel de
Tahiti contient également bien des noms écrits incorrectement : Maopiti pour Maupiti, Tetouaora pour Tetuaroa, et
tous ces trémas inutiles et absurdes sur Tahïti, Raïatea, etc.
Pourquoi orthographier tantôt à la mode tahitienne, tantôt à
la mode française et placer des accents aigus sur les e des
mots indigènes écrits en italique ? Mais, à la vérité, ce sont
là des péchés véniels, car les lecteurs qui s’en apercevront
seront fort peu nombreux et le volume n’a aucune prétention scientifique ni littéraire.21 »
Au terme du processus éditorial, Jacot Guillarmod a rendu
les documents qui lui avaient été confiés et un incroyable sauvetage prouve que certains sont revenus dans la famille Hänni.
En 2004, le Musée d’ethnographie de Neuchâtel (MEN) a pu
faire l’acquisition d’un lot incomplet d’archives, vouées à la
destruction et récupérées in extremis, qui provenaient d’un
parent : les affaires d’Heinrich Eugen Hänni (1911-2003),
architecte doué pour le dessin – il affectionnait notamment les
locomotives –, resté lui aussi célibataire et décédé sans descendance au printemps précédent, avaient purement et simplement
été jetées à la rue !
Sur les quatorze cahiers d’écolier préservés, douze sont
autographes, dont un de dessins non datés de Rurutu et des
îles Sous-le-Vent, collés et protégés par des serpentes en
papier de soie, et un, scolaire, de géographie des cantons
suisses, précautionneusement gardé ; les deux autres sont des
copies de correspondance de la main d’une tante célibataire,
21
Paul Huguenin, [« Compte rendu Hänni, Trois ans… »], Bulletin de la Société neuchâteloise de géographie 19, 1908, p. 208.
112
N°334- Janvier / Avril 2015
Julie Humbert-Droz22, habitant à La Chaux-de-Fonds et avec
laquelle Hänni a eu des rapports de confiance suivis, discutant
avec elle de la propriété de certains termes et sollicitant ses corrections.
Neuf cahiers manuscrits et autographes se succèdent de la
manière suivante : Tahiti N°1 ; Tahiti N°2 ; Rurutu N°1 ; Rurutu
N°2 ; Rurutu N°3 ; Rurutu N°6 & retour à Tahiti – ce qui signifie qu’il manque en tout cas Rurutu N°4 et Rurutu N°5 – ; îles
Sous-le-Vent N°1 ; suite 1 ; suite 2. Ils couvrent la période de
décembre 1894 au début de l’année 1895. Le dixième entame
la transcription du Code de Huahine, sans doute au cours du
premier séjour.
Pour l’année 1895 et la suite, il n’existe que la copie par sa
tante23 des lettres et des cartes postales qu’elle avait reçues24. La
dernière copie, bien postérieure, ne concerne nullement le voyage
de Hänni puisqu’elle est celle de lettres, toujours à sa tante, lui
faisant visiter à sa suite « l’Exposition [universelle] de Paris en
1900 », mais très incomplète étant donné qu’elle porte le N°4.
Seul le recto des pages des cahiers, divisées en deux horizontalement, a été utilisé par Hänni et sa petite écriture serrée
de myope court verticalement, sans guère de ratures, sinon de
rares modifications immédiates et quelques renvois, corrections
de relecture voire rajouts suscrits ou souscrits en caractères
22
Après la perquisition du 1er mars au domicile parisien de Hänni, la police trouvera « une chaîne en métal jaune avec clé de montre et médaille portant les initiales JH le 3 mai 1832 » (main courante du commissariat de police du
11e arrondissement – Roquette – CB 43.40 N°326, consultée aux archives de la
Préfecture de police le 19 août 2011). Elle est décédée à Bienne le mercredi 15
janvier 1902, « dans sa 69me année ».
23
Ce cahier porte au crayon sur la couverture les inscriptions « N°3. 1895. J H D »
et « J. Humbert-Droz [ ] / rue du Progrès 20 / à la Chaux-de-Fonds ».
24
Arrivé à Auckland, Hänni lui écrit ainsi : «J’espère que tu as bien reçu ma carte
de Rarotonga et que tu la conserveras religieusement. », d’autant qu’elle était
affranchie avec un timbre-poste « à l’effigie de la reine Makea ».
113
microscopiques, parfois au crayon. Est-ce le « volumineux
copie-lettres » dont parle Jacot Guillarmod, conservant soigneusement les doubles des missives envoyées en Europe par Hänni,
« dont le bas de [l’] échine servait de presse » ?
A mieux les considérer, il ne s’agit pas de brouillons ou de
copies de lettres mais de ses notes originales dont il devait
extraire la substance de sa correspondance, non sans probables
variations de rédaction et de contenu. Parfois premier jet d’une
plume précipitée – certains passages semblent même écrits sur
le vif puisqu’il dit par exemple : « maintenant », « en ce
moment » ou « ce matin » – ces souvenirs sont le plus généralement le fruit d’une élaboration poussée, condensant nombre
d’observations et témoignant d’une connaissance approfondie
de son « terrain ».
Une recherche subséquente sur l’Internet a révélé que le
nom de Hänni était lié à l’existence insoupçonnée et néanmoins
connue de cartes postales25. Cette découverte a renvoyé inévitablement aux deux publications du R.P. Patrick O’Reilly en
1969 sur les photographes puis en 1975 sur les cartes postales
de Tahiti. O’Reilly constate, troublé : « Chose curieuse, dans
cette même série de cartes postales, des vues différentes de
groupes certainement pris le même jour et par la même personne, portent, au lieu de “[A.] Itchner, Huahine”, la mention :
“E. H[ä]nni, éditeur”. »26.
Fils de Hans Konrad Itschner et de Elisabeth Honnegger,
Albert (Edouard) Itchner serait né le 25 juillet 1864 dans le canton de Zurich. Après un séjour d’une dizaine d’années en
25
Interrogé par la Gazette de Lausanne (10.03.1908, p. 2) à l’annonce de l’assassinat,
Paul Huguenin avait fourni quelques vérifications au rédacteur et précisé : « Sauf
erreur, Hänni n’a rien édité excepté des cartes postales fort intéressantes, dont
je vous envoie quelques-unes. », cartes qui furent exposées dans la vitrine du
journal, rue Pépinet 3.
26
Patrick O’Reilly, Les photographes à Tahiti et leurs œuvres, 1842-1962, Paris. 199,
p. 84, n. 58.
114
N°334- Janvier / Avril 2015
Californie, il s’était établi à Fare sur l’île de Huahine, y épousera vers 1896 ou 1897 Tetuanui Ritia Teihotu Ahupu dont il
aura neuf enfants et y décédera le 29 décembre 1939, selon
O’Reilly27.
Certains collectionneurs restent persuadés que Hänni a fait
des photographies avec l’appareil d’Itchner, induits en erreur
par le commentaire de O’Reilly à propos de cartes de Raiatea
qui « sont l’œuvre d’un Suisse, Eugène Hänni » et « Le photographe, sans doute Hänni, a dû prendre les deux clichés le
même jour. »28.
C’est ce même point de vue contestable qu’a adopté récemment l’Inventaire cartophile beaucoup plus complet et systématique de Raoul Céré qui attribue des séries de cartes soit à
Hänni, soit à Itchner, tout en notant les recoupements29.
Malgré ses erreurs et ses confusions, dans des « Notes préliminaires » publiées en 1972, O’Reilly avait déjà entrevu tout
le potentiel documentaire du fonds : « L’intérêt des cartes Itchner-Hänni, en ce qui concerne les Iles-sous-le-Vent est manifeste. J’ignorais – et le regretté Commandant Cottez autant que
moi – lors de nos recherches sur les Pavillons de la Polynésie
française, les cartes représentant les membres des familles
royales, fort souvent photographiées avec leurs couleurs. Et
bien qu’ayant professionnellement feuilleté 10 000 ouvrages
traitant de la Polynésie française et recensé leurs illustrations,
je n’avais jamais rencontré – hormis deux dessins à la plume de
Paul Huguenin, l’auteur de Raiatea la Sacrée – aucune image
d’une “marche sur le feu”. Les cartes postales nous ont apporté
la preuve qu’un photographe en avait observé une dès 1896…
Et ainsi de suite… »
27
Complété par Stuart K. Hitchner (divers courriels).
28
Patrick O’Reilly, Tahiti au temps des cartes postales…, pp. 104 et 108.
29
Raoul Céré, Inventaire cartophile de Polynésie française : cartes postales anciennes
1898-1915, s.l., 2005.
115
Or, parmi les amputations dues à Jacot Guillarmod se
découvrent des passages concernant Albert Edouard Itchner et
ses activités de photographe dont Hänni, par deux fois en tout
cas, laisse entendre – même s’il a pu s’y essayer – qu’il ne suivra pas les traces – ne fût-ce qu’à cause de sa myopie30 –, se
contentant de lui acheter quelques tirages sans tenter de se muer
lui-même en professionnel.
Dans la lettre à sa tante datée « Ile de Raiatea, 26 mars
1895 »31 qu’elle a recopiée, Hänni dit lui envoyer six tirages sur
mince et fragile papier pour lesquels il lui fournit un descriptif précieux qui va bien au delà d’une simple légende, ajoutant même aux
souvenirs vécus un développement historique. Seule une partie du
texte – la plus générale – avait passé dans l’ouvrage imprimé.
La description détaillée de ces photographies, qui datent
donc toutes d’avant 1895, a permis d’y faire correspondre,
image après image et non sans hésitations, des impressions
connues ou parties de celles-ci, deux des six vues ayant paru
groupées avec une autre sur une même carte dite Gruss.
L’hypothèse la plus vraisemblable est que Hänni, en amateur, les a fait imprimer de même que d’autres images, au cours
de son séjour à Paris au retour des îles, en première approche
entre fin 1897 et début 1908.
30
Dans sa carte de Huahine du 28 juin 1895, Hänni, après l’avoir félicité de la réussite de ses examens de médecine, glisse à Jacot Guillarmod : « …si tu faisais une
découverte fin de siècle en trouvant p. ex. un remède contre la myopie autre
que des besicles, tu n’oublieras pas de m’en expédier une fameuse dose pour en
faire bénéficier mes quinquets. »
31
« Comme il y a 6 photos, tu peux en garder 3 et laisser les autres à papa ; comme
tu lui as laissé le choix au sujet des vues de San Francisco ; c’est à toi, cette foisci de choisir. Tu feras bien toutefois de voir ton relieur, Monsieur Fasler ou son
successeur pour faire coller sur carton celles qui ne le sont pas, autrement elles
se rouleraient et se gâteraient facilement ; toutefois, si tu es impatiente de les
montrer à droite et à gauche avant de les faire coller, aie soin de les placer dans
un livre entre les feuillets, afin d’éviter qu’elles se recroquevillent. […] j’ai numéroté ces photos au dos. »
116
Fig. 4. Carte de visite de Eugène Hänni
(AEN)
Fig. 5. Carte de Eugène Hänni à Olivier Clottu
(coll. Roland Gutzwiller)
Ainsi que l’avançait Jacot Guillarmod, Hänni avait dû
ménager à son départ des contacts commerciaux32 d’autant
qu’une partie de ses occupations sur place avait consisté en
petites spéculations33. Mais, c’est seulement au tournant du siècle qu’il met en place un échange de vanille – que Jacot Guillarmod lui achetait à ses passages à Paris et qu’il revendait à ses
proches et amis – contre de la bimbeloterie parisienne, comme
l’apprend une lettre à sa tante datée de fin août 1900 où il lui
décrit l’Exposition de Paris et où il ajoute hors de propos :
« J’ai reçu dernièrement une longue lettre du Zurichois,
Itchner de Huahine. Comme sa plantation ne lui rapporte pas
encore assez, il a ouvert un magasin et trafique avec les indigènes. Il m’a proposé de m’envoyer de la vanille par colis postaux, pour que je la vende ici et lui expédie en retour de la
bijouterie de pacotille. J’ai accepté de faire un premier essai.
Nous verrons ce que cela donnera, quand la marchandise arrivera ici en février ou en mars. »
C’est du reste ce commerce qui lui vaudra le surnom de
« Père Vanille » mais il y a tout lieu d’imaginer qu’il ne s’est
pas contenté des seules denrées coloniales et que son esprit
d’entreprise l’a conduit non seulement à vendre des cartes34
32
Lors de la perquisition du 1er mars, la police trouvera dans une boîte en fer
« deux chèques de 500 francs sur la Banque de l’Indochine à l’ordre de Frank
Homes à Papeete » connu comme bijoutier et éditeur de cartes postales (main
courante du commissariat de police du 11e arrondissement – Roquette – CB
43.40 N° 326, consultée aux archives de la Préfecture de police le 19 août 2011).
33
« Mes occupations consistent simplement dans l’achat ou l’échange de produits
du pays aux indigènes pour le compte de maisons de commerce de Tahiti auxquelles je sers d’agent. Seulement on ne gagne pas grand-chose à faire ce
métier-là : on est exposé à des pertes : on en fait aussi, bref je ne suis pas encore
en passe de devenir un Crésus. » (lettre à Jacot Guillarmod, Huahine, avril 1896).
34
L’Impartial , dans son numéro du 4 mars, prétendait : « ici s’écrasent par centaines
de mille des collections de cartes postales représentant des vues de tous les
pays du monde ».
118
N°334- Janvier / Avril 2015
mais à se faire l’éditeur part à deux d’une série de photographies de son compatriote demeuré en Polynésie, chacun ayant
droit à sa propre édition, et ceci après 1900.
Comme acharné philatéliste, marqué par son rêve de fortune lié à l’Union postale qui l’avait conduit sous les tropiques,
Hänni ne pouvait qu’être attentif au véritable boom de la carte
postale illustrée qui culmine au moment de l’Exposition universelle inaugurée le 14 avril 1900, à Paris35. C’est par millions
qu’elles sortent de presse chez une foule d’imprimeurs.
En dépit de leur verso identique tant en ce qui concerne
l’image que la mention d’éditeur et la légende imprimés en carmin, jusqu’aux détails typographiques, le descriptif des cartes
accessibles sur des sites de vente permet de constater l’existence de deux séries chronologiquement aisées à situer : certaines présentent, selon la terminologie ancienne, un recto
« exclusivement réservé à l’adresse », d’autres un recto divisé
conformément à l’arrêté français du 18 novembre 1903 qui
autorise l’adresse sur la partie droite et la correspondance à
gauche.
Rien ne vaut dès lors la chance de pouvoir manier des originaux – qui réservent le plaisir de découvrir sur de la carte
ivoire de bonne qualité des versions coloriées, rehaussées
manuellement à l’aquarelle – dans la collection d’un amateur
passionné qui nous a accueilli dans le Sundgau. Par un hasard
vraiment extraordinaire y figurait une carte « E. Hänni, éditeur » légendée « Tahiti : Préparation du Coprah ».
35
D’après la littérature, c’est le 1er octobre 1869 que Heinrich von Stephan, futur
directeur général des postes de l’Empire germanique, lance un nouveau support
de correspondance, la toute première carte postale étant envoyée le 14 septembre 1870 par ballon lors du siège de Strasbourg. Il organise la Conférence internationale de la poste à Berne en 1874 qui aboutit à la création de l’Union
générale des postes, rebaptisée Union postale universelle (UPU) en 1878. La première carte postale illustrée (au verso), apparaît en 1889 avec l’inauguration de
la tour Eiffel, dessinée par le graveur Léon-Charles Libonis.
119
Retournée, elle montrait un dos non divisé et était adressée
à Olivier Clottu. Carte « nuage », elle comportait dans les
réserves du côté illustration un texte qui ne pouvait être que d’un
Hänni ayant utilisé sa propre production, ainsi que le confirmaient ses initiales. Postée de Paris Bd Richard-Lenoir et timbrée du « 2.1.03 » à 17 heures, elle était arrivée le lendemain en
Suisse à Saint-Blaise, démontrant non seulement la rapidité des
postes de l’époque mais prouvant surtout que la sortie de presse
des cartes remontait au moins à décembre 1902 et que celles-ci,
selon O’Reilly, avaient pu parvenir à Tahiti vers 1903-1904.
Hänni n’avait eu que l’embarras du choix pour trouver un
imprimeur afin de commercialiser les six portraits envoyés à sa
tante auxquels se sont ajoutés d’autres sujets, des paysages
notamment, dont le photographe avait complété son répertoire
pour une nouvelle clientèle. Contrairement à ce qu’écrit Hänni,
Itchner ne s’est pas contenté de portraits « commerciaux » mais
a également photographié des paysages. L’une des cartes, Au
quartier du commerce à Fare, montre sa boutique à l’enseigne de
« Epicerie Quincaillerie "A. Itchner " Mercerie Nouveautés ». Il a
de même consacré un véritable reportage ethno-photographique
(5 cartes connues) à l’umu tī ou « marche sur le feu », un rite que
les deux protagonistes ont dû vivre ensemble.
Le Bottin de 1902 fournit l’adresse d’une bonne trentaine
d’établissements de phototypie en mesure de tirer des cartes postales sur la place de Paris ou y ayant une représentation. D’après
certaines caractéristiques, il paraît presque certain que le mandat
a été confié à une maison spécialisée, l’imprimerie Albert Bergeret à Nancy (AB & Co), « de loin le plus gros éditeur à clientèle de l’époque » et « qui mettait un point d’honneur à ne
jamais apposer sa marque sur les cartes qu’il imprimait », selon
Paul-Yvon Armand (comm. pers.) ; faute d’archives (registre des
clients, carnets de commande, par exemple), l’identification de
l’imprimeur ne peut être confirmée.
120
N°334- Janvier / Avril 2015
Le détail des procédés employés dans ce type d’édition
n’est pas connu non plus avec précision mais il serait erroné –
nous y avions cédé – de s’inspirer des habitudes typographiques
traditionnelles en imaginant que Hänni, fin calculateur anticipant le changement de norme postale, ait fait réserver une partie
du tirage de l’illustration. Une seconde impression – et non un
simple retirage partiel – reprenant de mêmes sujets et se conformant aux nouvelles normes a par conséquent été réalisée
entre 1903 et 1908.
L’impression de cartes postales se faisait en deux temps et
selon des techniques distinctes. Les images au format standard
des supports (9 x 14 cm) imposées franc-bord étaient d’abord
tirées sur d’immenses dalles de verre qui pouvaient atteindre
près d’1 m2 ; contrecollées sur du papier multicouche et découpées, les planches imprimées passaient ensuite à la presse typographique.
Les séries Hänni/Itchner n’ayant pas été numérotées
comme le faisaient plusieurs éditeurs, même en supputant les
dimensions de la forme (de 32 sujets jusqu’à plus du double), il
serait hasardeux de tenter d’évaluer le nombre de cartes à cause
du groupage habituel ou d’une éventuelle duplication de certains sujets pour occuper toute la surface disponible. En se fondant sur les spécimens actuellement connus, le total des vues
semble dépasser la centaine, ce qui ne préjuge en rien de l’importance de chacune des deux (ou plus exactement des quatre)
éditions (les tirages étant usuellement de cinq cents jusqu’à la
limite d’un millier d’exemplaires).
L’examen des originaux a révélé l’existence d’une troisième série plus récente à laquelle Hänni ne semble pas avoir
participé, situable entre le 1er août 1904 et le 19 avril 1909,
d’après Raoul Céré ; la typographie est différente, la couleur de
l’encre nettement plus violacée, la mention éditoriale peut figurer en romain mais aussi en italique. Un espace étant désormais
à disposition au recto pour le message, le sujet repris au verso
121
occupe souvent toute la surface, parfois avec un meilleur
cadrage – mais cela peut être le contraire ! Une carte, Vue prise
à Fare, après un cyclone fixant l’état délabré du commerce
d’Itchner permet de dater la prise de vue puisqu’il s’agit de la
tornade du 7 février 190636.
Reste un ensemble de cartes dépourvues de mention d’éditeur : dans certains cas, celle-ci pourrait avoir disparu accidentellement au massicot, la coupe n’étant pas toujours régulière,
mais leur parenté avec les autres réalisations identifiées est
indubitable ; ce qui est beaucoup plus troublant est l’existence
de cartes connues d’une même édition sans aucune mention
éditoriale explicable !
Il y a lieu de revenir enfin sur les circonstances obscures de
la tragique fin d’Eugène Hänni. Même s’il n’est nullement
exceptionnel, l’assassinat de la rue Voltaire n’a pas manqué de
provoquer « une vive émotion dans le quartier de la Roquette »
où s’était établi le marchand depuis quelques années37. Jacot
Guillarmod dans son premier article nécrologique cède à la
rumeur de l’époque et parle de l’assassin comme d’un
« apache ».
Sous ce terme exotique apparu au début de la Belle
Epoque, peut-être inspiré entre autres auteurs par Gustave
Aimard – l’une des lectures de Hänni –, sont désignées notamment les bandes de jeunes voyous de la rue de Lappe, adjacente
à la rue de la Roquette, comme celles des autres banlieues de
Paris. Le phénomène apache suscite de très larges échos, alimentés par la presse – ainsi Le Petit Journal illustré du 20 octobre
36
A. Itchner a produit de surcroît trois cartes connues concernant les Marquises.
37
L’écho de ce crime sera largement diffusé au delà de Paris, du pays de Neuchâtel
et de la Suisse romande jusqu’à Saint-Etienne notamment et, finalement, jusqu’à
Marseille.
122
N°334- Janvier / Avril 2015
1907 titre-t-il en première page sous une illustration saisissante
en contre-plongée : « L’apache est la plaie de Paris. Plus de
30 000 rodeurs contre 8 000 sergents de ville ! » – et répercutés
dans la littérature.
Au moment du crime, Hänni avait établi sa boutique depuis
environ deux ans au 104, boulevard Voltaire après avoir résidé
au 56 du même boulevard, comme l’indique le Dictionnaire de
la cartophilie francophone d’Armand père et fils, « information
[...] prélevée dans le Guide Berry paru en 1905 » :
Eugène Hanni
Négociant, 56, bd Voltaire, Paris 11e. Spécialisé dans la CPI
des colonies : vues et types de Madagascar, Guyane, Tahiti, La
Réunion, Martinique, Sénégal, en CP neuves.
Le premier article de la Feuille d’Avis de Neuchâtel, « Un
Suisse assassiné à Paris », à côté des détails sordides sur
l’odieux meurtre, donne d’intéressantes mais insuffisantes précisions :
C’est au rez-de-chaussée, au fond d’une petite cour, qu’un
nommé Eugène Hänni, âgé de trente-cinq ans [en réalité trentehuit], marchand de vanille et de produits exotiques, a été trouvé
étranglé. Originaire de La Chaux-de-Fonds et très connu à
Saint-Blaise qu’il habita longtemps, il occupait là depuis deux
ans, moyennant un loyer annuel de trois cents francs, deux
pièces obscures, remplies de boîtes, de bidons et de colis.
Une visite sur les lieux procure une idée plus précise que
ne le permet l’article. L’immeuble au numéro 104, doté actuellement de trois entrées sur le boulevard, comportait deux blocs
à l’époque. Celui du milieu (104 bis), une fois traversé, s’ouvre
sur une plateforme intérieure donnant accès à une maisonnette
de deux étages, celle dont le marchand de vanille occupait le
123
« rez-de-chaussée, au fond d’une petite cour »38. La discrète
Impasse Popincourt partant perpendiculairement de la rue du
même nom y conduit actuellement.
Qu’est-ce qui peut bien avoir attiré l’assassin ? Le Bottin de
l’année 1906 confirme le déménagement de Hänni, d’abord étiqueté, par erreur de lecture ou de copie, marchand de « vaisselle », mention corrigée plus loin. Mais surtout, il est possible
de savoir par cette source que l’adresse était précédemment
celle de « Silbermann frères, bijoutiers en or » : une plaque ou
une indication aurait-elle malencontreusement subsisté ? 39
Cependant que la Sûreté effectue son travail, Edouard
Hänni, que son grand âge empêche de se déplacer, demande
qu’il soit sursis à l’inhumation et envoie à Paris un greffier de
Saint-Blaise pour le représenter aux obsèques de son fils. L’enterrement a lieu le jeudi 5 mars à 8 ½ h ; parti de la Morgue, le
convoi se rend directement au cimetière parisien de Bagneux.
Relayant les informations des dépêches parisiennes tel Le
Temps, la Feuille d’Avis de Neuchâtel commence par couvrir assez
abondamment l’affaire dans la rubrique « ETRANGER », titrant
« Le crime mystérieux » ou « L’assassinat du boulevard Voltaire ».
Des soupçons mettent en cause diverses personnes, des
bruits invérifiables et les hypothèses les plus diverses circulent ;
l’enquête s’égare sur des pistes incertaines comme sur les
motifs du crime, s’interrogeant sur les fréquentations de Hänni,
38
D’après le rapport de police, la courette fermée était alors inaccessible (main
courante du commissariat de police du 11e arrondissement – Roquette – CB
43.40 N° 326, consultée aux archives de la Préfecture de police le 19 août 2011).
En plus de la description très détaillée, un croquis du logement – non préservé
– avait été esquissé. L’assassin est donc entré comme un client ordinaire, sans
susciter la méfiance de Hänni et a dû l’étrangler par traîtrise.
39
En réalité, s’il faut en croire l’article paru en page 8, le 2 janvier 1909, dans la
Feuille d’Avis de Lausanne, l’assassin connaissait Hänni à qui il achetait «de “l’essence de roses”, qu’il débitait le soir, à la terrasse des cafés.» et, «l’avant-veille du
drame», sans ressources, s’en serait fait refuser un prêt.
124
Fig 6. Publicité
(L’Impartial du 5 janvier 1909)
Fig. 7. Plan du boulevard
Voltaire
(archives de l’auteur)
Fig. 8.
M. Hamard arrivant
pour faire les constatations
(illustration parue en première page
du Petit Journal du 3 janvier)
sur de longs téléphones et d’étranges démarches entreprises,
semble-t-il, pour un correspondant resté aux îles, le Lausannois
Henri Samuel Charles de Weiss (11 août 1875 – après
août 1912), à moins qu’il ne s’agisse d’un autre expatrié, un
certain Porlier…
Peu avant de rentrer en Europe40, dans un court message
daté de Huahine, Hänni avait noté en juin 1896 : « …Mon
départ réduira à trois le nombre des Suisses qui ont planté leurs
tentes dans l’archipel de la Société. Outre les deux dont je t’ai
parlé dans mes précédentes lettres, MM. de Weiss de Lausanne,
et [Itchner] de Zurich, il en est arrivé un autre, il y a quelques
mois, un M. Paul Huguenin, du Locle, envoyé à Raiatea par la
Société des Missions de Paris, en qualité de maître d’école.
Ayant quitté cette île, je n’ai pas eu le temps de visiter le Suisse
en question, ce que je regrette, car avec un Loclois je me serais
trouvé en pays de connaissance. ». Celui-ci écrira plus tard :
« C’est aussi un regret pour nous d’avoir passé si près l’un de
l’autre à Raiatea sans avoir eu l’occasion de nous rencontrer. »41
40
« Les deux derniers mois que j’ai passés à Huahine, j’ai été terriblement tracassé
par des maux de dents, et c’est ce qui m’a fait hâter mon départ pour un pays à
dentistes. » (Jules Jacot Guillarmod (éd.), Eugène Hänni : Trois ans…, 1908, p. 274).
41
Il peut sembler étonnant que trois compatriotes isolés et apparemment relativement proches géographiquement se soient manqués ; si les nouvelles circulaient, les déplacements, comme le signalent tant Hänni que Huguenin, n’étaient
pas faciles – situation qui perdure aujourd’hui pour quelques îles isolées. Paul
Huguenin arrive à Raiatea après que Hänni l’a quittée et il n’aura donc pas l’occasion de faire sa connaissance, contrairement à ce qu’affirme le journaliste René
Gouzy dans un article truffé d’erreurs publié par la Feuille d’Avis de Neuchâtel
d’octobre 1935 qui suscita un ferme correctif de la part du vétérinaire Marc Jacot
Guillarmod, frère cadet du docteur. Gouzy prétend rapporter des propos que lui
aurait confiés le vieillissant Itchner rencontré à Papeete en 1934, qu’il qualifie de
« vieil ami » (René GOUzY Paradis…, p. 162 et 164) et dont il donne un portrait
photographique assis sur un fauteuil tressé ; selon lui, Eugène – prononcé Utène
par les Tahitiens – Hänni aurait été connu à Rurutu sous le nom de « Matatitia ».
126
Fig. 9. « Hänni, photographié, il y a dix ans [sic],
à Taïti, avec un groupe d’habitants/du village où il résidait »
(dessin publié dans L’Impartial du 8 mars 1908)
Fig. 10. « Hennequin Assassin présumé de Hanni »
(d’après La Libre Parole du mercredi 4 mars 1908)
(archives de l’auteur)
Introuvable pendant deux mois, le présumé assassin identifié comme un certain « Aristide Hennequin » est finalement
arrêté après une longue cavale le vendredi soir 24 avril à Marseille. Il déclare se nommer en réalité « Isidore-François [Vermeire], être né à Monskron [Mouscron] (Belgique) le 4 avril
1876, et s’être fait appeler successivement » d’une demi-douzaine de noms. Il est trouvé porteur du livret militaire d’un aidecuisinier navigateur, réputé intempérant, retrouvé blessé et noyé
un mois et demi plus tôt dans un bassin de Nice. Des « chinoiseries de valeur, qu’on suppose avoir été dérobées par Vermeire
dans le magasin du père Vanille » sont découvertes dans ses
bagages, rapporte la presse.
L’été venu, la presse locale se fait plus silencieuse ; quotidien paraissant à La Chaux-de-Fonds, L’Impartial du 30 août
indique en page 4 « que le procès de l’assassin […] devait s’ouvrir incessamment devant les assises de la Seine., à Paris. » et
qu’« un de nos abonnés [resté malheureusement anonyme] a eu
l’obligeance de nous apporter une fort belle collection de cartes
postales de pays exotiques, cartes qu’il recevait en temps et
lieu, de la part d’Eugène Hänni […] en conséquence, exposées
dans nos vitrines de la librairie Courvoisier, sur la Place du
Marché. ». Puis le fil se perd et il faut dès lors chercher à Paris
dans le Recueil de la Gazette des Tribunaux sous « Justice criminelle » pour repérer la comparution de l’accusé, en une session supplémentaire de la Cour d’assises de la Seine, tout à la
fin de l’année, les 30 et 31 décembre 1908, où Hänni est même
baptisé « Eugène Vanille » !
Bien qu’incapable de fournir son emploi du temps pendant
la nuit du 27 au 28 février, Vermeire, n’ayant non seulement
jamais passé aux aveux mais au contraire persisté à nier formellement, défendu par un habile avocat, ne peut qu’être mis au
bénéfice du doute ou de la présomption d’innocence, malgré ses
antécédents et les graves soupçons portés sur lui. Le verdict
128
N°334- Janvier / Avril 2015
paraît brièvement au début de l’année suivante, même pas
signalé dans la table du recueil.
La Feuille d’Avis de Neuchâtel qui, le 31 décembre, a
annoncé l’audience, rapporte dans son premier numéro de 1909,
sans autre commentaire ni réaction, contrairement à sa consœur
lausannoise :
Après une demi-heure de délibérations, le jury a rendu un
verdict négatif et la cour a acquitté Vermeire.
L’Impartial, dans son édition du mardi 5 janvier s’étend
quant à lui sur deux colonnes en première page et ajoute un
commentaire de son « correspondant à Paris » :
« Le jury parisien vient d’acquitter l’assassin présumé de
Hänni, le Belge Vermeire, qui n’aura pas eu dans sa vie entière
un plus beau cadeau de nouvel-an. Je ne veux pas discuter le
point de savoir si la justice a bien ou mal prononcé. […]. L’impression de ceux qui ont suivi les débats de cette cause est que
l’acquittement a été une chose excessive comme la condamnation à mort, réclamée par le parquet, en aurait été aussi une. »
Dans le carnet XXIX de Jacot Guillarmod pour cette
période, la nouvelle n’a laissé aucune trace.
Il fallait certes éviter de commettre une erreur judiciaire
mais le sentiment très désagréable est que le procès a été bâclé.
Nos dernières recherches laissent hélas ! peu d’espoir que des
archives de police et des éléments de l’enquête aient été conservés qui permettraient d’en mieux juger42.
42
Aux Archives de la Seine consultées le 7 septembre 2011 ne figure que la décision de relaxe sur papier non officiel.
Le registre de la Morgue consulté le 9 décembre 2014 aux Archives de la Préfecture de police au Pré Saint-Gervais, qui, sous l’entrée N° 174 décrit avec force
détails la tenue de la victime, le confirme par l’annotation que les dossiers ont
été transmis à « Mr Ausset juge d’Instron ». Il nous a par ailleurs été signalé que
des séries d’archives judiciaires anciennes ont été détruites.
129
Si un certain mystère subsiste à propos de ce crime crapuleux resté impuni, « dont l’unique mobile a été le vol », semble-t-il, le destin des biens de Hänni n’est pas moins obscur et
c’est dans des circonstances fort rocambolesques qu’une partie
de ses papiers a été retrouvée !
Rien n’apparaît concernant la liquidation de son logement.
A part les marchandises commerciales, il semble avoir possédé
divers souvenirs dont ces « chinoiseries de valeur ». Mais d’où
provenaient les 16 objets des « Iles de la Société »43 donnés au
MEN en 1909 par ses héritiers, non nommés ? Dans un même
mouvement, sa « famille » faisait au Musée d’histoire naturelle
le « don précieux » d’« une belle collection de coquillages
recueillies par lui à l’île de Rurutu » 44. Quant à ses autres passions, un article tardif du Bulletin de Saint-Blaise signé O.C.
[Olivier Clottu] affirmait en 1939 : « On ne sut jamais ce
qu’étaient devenues ses superbes collections de timbresposte 45, qu’un de ses amis de Saint-Blaise avait encore admirées chez lui peu avant sa mort, soigneusement classées dans
des boîtes et des albums. »
43
Très modestes, ils consistent en 4 pièces de tapa, 4 chapeaux, 1 écuelle en noix
de coco, 4 paires de castagnettes, 1 rouleau de feuilles tressées et 2 nattes (MEN
V.520 et V.583 à V.597).
44
« Les déterminations faites par le Dir. du Musée, Dr Paul Godet, ont été revues
par Mr Phil[ippe] Dautzenberg, le savant malacologiste de Paris […] La collection
Hänni comprend 134 espèces, parmi lesquelles dominent les Cones, les Porcelaines et les Cérithes. (20 Cones – 24 Porcelaines – 12 Cérithes) et plus de 800
exemplaires » (Archives du Muséum aimablement communiquées par Mme Celia
Bueno le 16 septembre 2014).
45
Hänni l’avait trimballée tout au long de ses pérégrinations. Dans un P.S. à sa lettre du 26 mars 1895, il recommande à sa tante : « N’oublie pas, s. t. p., de me
retourner à l’occasion les timbres affranchissant la présente ; je tiens en tout cas,
au moins à ceux collés du côté de l’adresse. », continuant d’en recevoir d’autres
qui complètent sa collection.
Dans son numéro du 4 mars, L’Impartial rapportait au contraire que lors de la
perquisition par la Sûreté « Une collection de timbres rares attire l’attention ».
130
Fig. 11. Ordonnance d’acquittement
(Archives de la Seine, Paris)
Le fonds Hänni se limitait-il à de simples notes de fine
observation certes mais assez anecdotique ? 46 Un Paul Huguenin espérait une véritable moisson ethnographique :
« Hänni avait, au dire des indigènes, tant écrit, pris tant de
notes, que nous nous étions imaginé qu’il avait accumulé de
précieux documents ethnographiques, et, grâce à sa connaissance de la langue tahitienne, sauvé de l’oubli les contes et
légendes que transmet encore la tradition orale, et qui bientôt
ne trouveront plus une bouche pour les répéter ni une oreille
pour les écouter. Il se peut que ces documents aient été collectionnés par lui et que la même main criminelle les ait supprimés
avec leur auteur ? »
Comme Hänni semble avoir relevé quelques lois du code
pénal de Rurutu et retranscrit le début de celui de Huahine, il
n’est pas impossible que sa récolte ait compris d’autres données, encore que cela reste douteux et qu’il y ait désormais peu
de chance de retrouver quoi que ce soit.
Il n’empêche, ses notes fourmillent de détails sur la vie
quotidienne, les procédés techniques, les produits, le prix des
marchandises, les lieux, les personnes… que Jacot Guillarmod
souvent n’avait pas repris.
Si l’ouvrage publié par lui a connu un grand succès
puisqu’une publicité de la Librairie Payot parue à la fin du Bulletin de la Société Neuchâteloise de Géographie de 1908
indique : « Le Père Vanille (Eugène Hänni). Trois ans chez les
46
Sinon dans la perspective d’en tirer un roman, du moins Hänni pensait-il exploiter tout ce qu’il avait abondamment « écrit, griffonné & gribouillé », comme le
révèle sa lettre de Huahine d’avril 1896 : « je m’occupe d’une manière plus ou
moins zélée à rassembler, coordonner et rectifier les quantités de notes que j’ai
prises au cours de mon séjour dans ces îles et ce afin d’arriver à en faire en les
liant et en les amalgamant, q[uel]q[ue] chose ressemblant au brouillon d’un
bouquin ou peut-être même de deux, car il y a abondance de matière et je ne
sais quand j’en verrai le bout. ».
132
N°334- Janvier / Avril 2015
Canaques (2e mille) In-16… fr. 3,50 », et que plusieurs expressions locales sont données en exemple dans le Dictionnaire historique du parler neuchâtelois et suisse romand de
Pierrehumbert, en revanche il n’a pas été réédité, sinon sous
forme électronique le 30 mars 2009 47.
Il importe désormais de raviver la mémoire d’un humble
voyageur ayant su accueillir l’Autre et qui, pour ne pas apporter
une contribution « scientifique » n’en livre pas moins un témoignage criant de vérité digne d’intéresser les lecteurs d’aujourd’hui, rendant avec autant de couleur que de précisions le
détail de nombreuses pratiques.
A côté d’une indéniable et saine curiosité, sa formation
commerciale l’a assurément rendu attentif à la qualité des produits et aux procédés techniques de fabrication dont il est capable de rapporter le processus complet. La précision et la valeur
de ses observations témoigne autant de son ouverture et d’un
effort soutenu que de sa bonne intégration dans le milieu indigène, impossibles sans un séjour prolongé.
Le commentaire abondant et précis qui accompagne l’envoi
par Hänni des six photographies d’Itchner à sa parenté est
exemplaire. Quand O’Reilly « légende » en faisant appel à son
érudition, Hänni décrit très exactement le sujet qu’il a sous les
yeux et donne des détails qu’il serait impossible de deviner ; on
peut même penser qu’il a assisté à la prise de vue.
Son cahier de croquis, pour maladroits qu’ils puissent
paraître parfois, offre un apport ethnographique qui n’est pas
à négliger et, pour certaines scènes, rare ou même inédit.
47
Parti de l’incroyable sauvetage des manuscrits du « Père Vanille », l’auteur a
transcrit les autographes subsistants et rétabli le texte conforme de ses souvenirs, palliant certains manques par des extraits du livre de Jules Jacot Guillarmod. Augmentée de tous les croquis inédits d’Eugène Hänni et d’un choix des
cartes postales illustrées qu’il avait éditées, la publication en est prévue en
automne 2015 par Haere Pō à Papeete sous le titre Eugène Hänni : Tahiti, Rurutu
1894 - 1896 Iles Sous-le-Vent : Odyssée d’un Suisse en Polynésie.
133
Il prouve incidemment que Hänni se passait allégrement de tout
« attirail photographique ».
Quant à ses écrits, pour peu que le lecteur d’aujourd’hui se
replace dans le contexte du temps et fasse abstraction de certaines expressions et de quelques tics langagiers, Hänni fait
montre d’une profonde empathie et révèle une approche
presque professionnelle. Malgré un tour assez goguenard sinon
un peu dépréciatif et parfois même un peu méprisant – à y bien
regarder il s’agit surtout d’un humour verbal dont il est coutumier –, il manifeste généralement un réel intérêt pour les coutumes indigènes. Il les décrit avec une sympathie amusée et un
peu condescendante, sauf en ce qui concerne certaines
croyances, ou est résolument critique – comme il l’est du reste
aussi à l’encontre de comportements européens. Il dépasse en
tout cas la séduction de l’étrangeté et, surmontant ses réticences, ose petit à petit tenter l’expérience de la découverte de
l’altérité.
Pendant son second séjour à Huahuine en 1895, Hänni est
le seul étranger assez curieux et intrépide pour pratiquer l’observation participante en vivant de l’intérieur une cérémonie. Il
a en effet « eu l’occasion d’assister et de prendre part » à un
umu tī (c’est-à-dire four à tī), soit le passage dans une fournaise
ardente dont il garda un souvenir cuisant sur lequel il passe, si
l’on peut dire, comme chat sur braise. Tant Jacot Guillarmod
que Gouzy avaient néanmoins rapporté dans la Feuille d’Avis
de Neuchâtel la mésaventure que cite beaucoup plus récemment
Guillemin 48.
Certes, Hänni n’a ni objectif théorique, ni méthode de terrain qui confèrent à son séjour et à ses observations les qualités
d’une véritable enquête ethnologique. S’il ne s’est guère préoccupé des traditions anciennes, il rapporte consciencieusement
48
Fanch Guillemin, Les sorciers du bout du monde, [Valbonne], 2003
134
N°334- Janvier / Avril 2015
et de manière détaillée ce qu’il peut observer à la fin du
XIXe siècle, en pleine phase d’acculturation et ses remarques
montrent à l’évidence l’acuité de son regard. Sans formation, il
s’est intéressé à la vie polynésienne en dépit des préjugés de son
époque, ne répugnant par exemple nullement à goûter à la cuisine locale. Pour autant, il a su préserver son identité et son statut d’Européen, bien conscient que vouloir imiter ses hôtes,
notamment quant aux vêtements ou aux manières de table, le
ferait baisser dans leur estime.
Sur l’île de Borabora, il s’était ainsi trouvé invité à un
grand banquet festif à Vaitape :
« On se met donc à table […] Il y a des assiettes, mais naturellement les ustensiles de bouche font défaut. Le seul instrument est un grand couteau destiné à entamer le porc et à faire
des rations. Mais on s’en sert le moins possible. […] Pour mon
compte, je m’étais muni de mes ustensiles européens, et pus
ainsi manger à ma façon. Tous les autres convives se servaient
de leurs dix doigts avec l’aisance qu’ils ont acquise grâce à la
longue habitude. »
Mais, sans se faire pour autant « sauvagiste », il sait s’adapter si la situation l’impose :
« comme on ne possédait dans tout Avera, ni couteau de
table, ni fourchette, je me mis à imiter mes indigènes, purement
et simplement, ce que je fis sans trop de simagrées, vu qu’il y a
assez longtemps que je me trouve en Polynésie pour pouvoir,
lorsque besoin est, me conformer aux usages du pays. »
Cette attitude ne pouvait que conduire au relativisme culturel, par exemple à propos de la façon de se saluer en se frottant
le nez :
« La méthode des Blancs leur semble bizarre et stupide et
ils s’en tiennent à la leur qui leur paraît plus décente et plus raisonnable. Autre pays, autres mœurs, et après tout, chacun son
goût. »
135
Avec ce respect mutuel, tout indique que Hänni a été bien
accepté 49; il est seulement dommage qu’aucune confirmation
en retour n’ait pu en être obtenue.
Laissons à Paul Huguenin le soin de conclure :
« [Le volume] est bourré de récits savoureux et de descriptions amusantes. Le plus grand éloge que nous puissions en
faire, c’est que nous y avons trouvé un accent de vérité, de
sincérité absolues ; à ce point de vue le livre du Père Vanille
est bien un document scientifique tout à fait dans l’esprit de
notre époque qui, même en littérature, abandonne peu à peu
l’imaginaire pour chercher ses documents dans l’observation minutieuse et exacte de la réalité. »
Roland Kaehr
ancien conservateur adjoint au Musée d’ethnographie,
Neuchâtel mars 2015
49
Il a pourtant refusé de convoler et de « courber l’échine sous un joug dont je
puis fort bien me passer » : « ne crois pas que je songe à me marier dans ces îles :
je tiens au contraire à être libre, ne voulant pas me fixer définitivement dans ces
parages et je ne me soucierais pas non plus de ramener une Polynésienne en
Europe », écrit-il à Jacot Guillarmod de Huahine en avril 1896.
136
N°334- Janvier / Avril 2015
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138
Hommage à
Jean-Louis Ramiro Teuruarii Tamatoa
Candelot
Jean-Louis Candelot s’est éteint le mercredi 15 avril 2015,
à l’âge de 67 ans.
Il était « membre à vie » de notre Société depuis près de
quarante-cinq ans.
C’est à Tubuai, en 1978, que je fis sa connaissance. Il était
responsable des installations d’observation des secousses sismiques – en fait, il était en alerte à chaque essai nucléaire souterrain à Moruroa, et il devait entretenir plusieurs sismographes
placés dans l’île. Nos épouses étant marquisiennes, nos relations de sympathie devinrent vite des relations d’amitié. Ce
n’est que peu à peu que j’ai découvert ce qu’avait été sa vie.
Né à Papeete en 1947, il était parti tout petit, vers 1950,
avec son père, en métropole ; sa mère, institutrice originaire des
Australes, restait au pays – qui s’appelait encore Établissements
Français de l’Océanie. Son père avait déjà une carrière militaire
bien remplie. Resté dans la famille, dans le nord de la France,
Jean-Louis ne le voyait que par intermittences, à ses retours
d’Indochine ou d’Algérie. En 1961, c’est dans ce dernier pays
où il le suivit, qu’il eut la révélation, dans un livre, des légendes
d’Océanie, cette partie du monde où vivaient sa mère et son
frère. Mais c’est en 1965 qu’enfant de troupe, il arriva à Tahiti
d’où il embarquait à bord d’un navire de la Marine Nationale
pour les Marquises, à la faveur d’un déplacement du Gouverneur. Il y découvrit des parents, dont il ignorait tout, et retrouva
sa mère alors institutrice à Tahuata.
Ensuite, pendant quelques années d’activité militaire, il
vécut à Tahiti où il se maria et où, à ses moments de loisirs, il
prit goût à la recherche des vestiges laissés par les anciens Polynésiens. Son ardeur se trouva renforcée par sa rencontre avec
José Garanger, qui l’incita à publier l’état de ses recherches à
Eiao, l’île où il séjourna en 1972-1973, alors que le BRGM étudiait la possibilité d’y effectuer les essais nucléaires souterrains.
A Tubuai, il allait intégrer l’Éducation nationale et nous
devînmes collègues de travail. Il enseignait au CETAD, et ce fut
dans cette structure technologique qu’il termina sa seconde carrière en 2007. Quand il quitta Tubuai, au début des années 80,
avec Célestine, sa seconde épouse, et six enfants, ce fut pour
intégrer le collège de Hakahau, à Ua Pou. Là, il put donner libre
cours à sa passion, ou plutôt à ses passions : l’archéologie, bien
sûr, mais aussi l’histoire, les contes, les légendes, les mystères
de l’archipel...
Il intégra l’association Motu Haka O Te Henua Enana, créée
en 1978, et qui avait pour but « la sauvegarde du patrimoine culturel marquisien ». En 1993, j’étais avec lui à Taiohae pour
l’inauguration du Centre de Documentation des Marquises.
Jean-Louis écrivait beaucoup, mais publiait peu. Il était en
correspondance avec une multitude de chercheurs passionnés
des Marquises, répartis partout dans le monde. Son savoir faisait de lui une référence respectée et recherchée. En plus de ses
articles de fond sur l’archéologie aux Australes et aux Marquises, on peut retrouver des extraits de ses ébauches de livres,
des anecdotes historiques dans le mensuel Tahiti-Pacifique. La
SEO a publié plusieurs articles particulièrement documentés (le
dernier en date, de décembre 2013, sur le naufrage de la
Matilda à Ua Pou).
140
A Ua Pou, au festival des Marquises en 1995.
A Atuona en 2012 (séminaire UNESCO)
Déjà malade, éprouvant des difficultés à marcher, il décida
en 2011 de se rendre en France à un rassemblement de l’École
des Enfants de Troupe de l’Armée de Terre (Il était membre de
la première promotion, à Issoire.) Ce voyage fut en fait un tour
du monde, le menant de l’Île de Pâques jusqu’en Espagne, de
France en Angleterre, puis Hong-Kong, Pékin, Tokyo, « 56 000
bornes pour partager quelques bons moments de camaraderie à
Saint-Affrique ! »
En 2012, je le retrouvai aux Marquises à l’occasion de la
mission des experts pour le classement au patrimoine mondial
de l’UNESCO.
Enfin, en 2013, il se rendit en famille à Honolulu où il
retrouvait ses amis et correspondants du Bishop Museum.
Et puis la maladie a fini par venir à bout de son énergie.
Il repose, selon ses dernières volontés, à Tiarei.
Il a emporté dans la tombe sa médaille de l’Ordre National
du Mérite.
Michel Bailleul
142
Assemblée générale ordinaire
de la Société des Etudes Océaniennes
le 26 février 2015
PROCÈS VERBAL 2015
L’Assemblée Générale Ordinaire de la Société des Etudes
Océaniennes (S.E.O.) commence à 14 h 30 en présence de 24
membres, dont certains sont porteurs d’un pouvoir pour 5 adhérents, sur une liste de 41 membres résidant à Tahiti et à jour de
leur cotisation.
Le quorum est atteint, soit le ¼ des membres présents ou
représentés pour pouvoir délibérer valablement l’ordre du jour
suivant :
a) Bilan moral 2014
b) Bilan financier 2014
c) Programme d’activités 2015
d) Budget prévisionnel 2015
e) Questions diverses
Avant de commencer à débattre l’ordre du jour prévu, le
président Jean Kape présente le nouveau directeur du SPAA,
Tamatoa Pommier, et lui laisse la parole. Ce dernier assure l’assemblée de son soutien à la Société dont il est d’ailleurs membre. Il souhaite par ailleurs prendre le temps de la réflexion
avant de se pencher sur la situation de notre bibliothèque qui a
suscité des interrogations lors de la dernière AGO, jusqu’à envisager une AGE sur cette question. Il dit vouloir commencer par
effectuer des aménagements de son service pour faciliter l’accès
à l’information.
a) Bilan moral 2014
Le bilan moral du président a été lu par la secrétaire Eliane
Hallais Noble-Demay dont ci-après les points développés :
1. Les trois BSEO de l’année : N°331, N°332, N°333 ;
2. Les Salons du livre : 3 contre 7 en 2013 ;
3. Représentation de la SEO dans d’autres structures ;
4. Projets et aides ;
5. Partenaires et institutions.
Quelques interrogations portaient notamment sur les salons
dont certains n’ont pu être assurés par manque de participants…
Il est vrai que certains salons s’avéraient lourds à gérer alors
qu’ils n’étaient pas rentables.
Après discussion, le bilan moral est approuvé à l’unanimité.
b) Bilan financier 2014
Le bilan financier est présenté par le trésorier, Yves Babin,
qui signale les réductions budgétaires opérés d’autant que la
subvention accordée par le Pays n’a finalement pas été versée
dans l’année. Quelques publications prévues ont été reportées.
Après discussion, le compte de trésorerie de l’exercice 2014
(en annexe) est approuvé à l’unanimité et quitus accordé au CA.
c) Programme d’activités 2015
Le programme comprend :
1. L’édition et réédition des BSEO et ouvrages ;
2. Les Salons du livre à Tahiti et dans les îles ;
3. Les conférences.
Après discussion, le programme d’activités est approuvé à
l’unanimité.
d) Budget prévisionnel 2015
Le budget prévisionnel (en annexe) est présenté en équilibre à hauteur de 9650 000F.
Après discussion, il est approuvé à l’unanimité.
e) Questions diverses
1. Projet d’arrêté du SPAA
144
N°334- Janvier / Avril 2015
Compte tenu des évènements intervenus au SPAA et des
rencontres avec sa direction, le CA a estimé inopportun
de convoquer les membres en AGE comme cela a été
décidé en AGO l’année dernière, pour débattre de la
situation de la bibliothèque de la SEO.
2. Contributions aux BSEO
Le CA informe l’assemblée de quelques difficultés à
trouver des articles pour le BSEO. Il invite donc les
membres à proposer des contributions.
3. Numérisation des BSEO
La numérisation des BSEO est une question qui revient
sans cesse et invite la SEO à évoluer dans ce sens pour
satisfaire les besoins de notre époque.
4. Renouvellement du CA en 2016
Le président rappelle que le CA sera renouvelé l’année
prochaine et une invitation est faite aux membres intéressés à se faire connaître assez tôt afin de mieux s’informer
de nos missions… Deux de nos administrateurs d’un âge
avancé présentent d’ailleurs aujourd’hui leur démission
pour des raisons personnelles. Il s’agit du vice-président
Constant Guéhennec et de madame Moetu Coulon-Tonarelli. Il leur adresse les remerciements de la SEO pour les
services rendus durant plusieurs mandatures.
Le président rappelle également que la SEO fêtera son
centenaire en janvier 2017 et ajoute que nous devons
célébrer comme il se doit l’anniversaire notre société
savante qui contribue à garder vivante la mémoire du
Pays voire de l’Océanie.
A 16h15, l’ordre du jour étant épuisé, le président remercie
l’assemblée et clôt la réunion.
Le président : Fasan Chong dit Jean Kape
La secrétaire : Eliane Hallais Noble-Demay
145
Chers membres de la Société des Etudes Océaniennes, permettez-moi d’abord de vous adresser mes sincères salutations et celles
de votre Conseil d’Administration en ce début d’année. Je tiens
aussi à vous remercier de votre fidélité à notre Société qui a tant
besoin de garder sinon d’augmenter le nombre de ses adhérents.
Voici en résumé le bilan moral de l’année passée.
BILAN MORAL 2014
Le Bulletin
La S.E.O. a publié trois bulletins en 2014 :
– Le BSEO N°321, dédié aux Tuamotu des années
soixante, avec notamment deux articles proposés, un par
le docteur Barbier, qui officia à Makatea, et l’autre par M.
Luc André, qui décrit son séjour à Fangataufa. On y
trouve aussi un article de notre collègue Robert Koenig
« Collecter… collectionner » ; un de Christian Beslu sur
la monnaie « Des billets comme s’il en pleuvait » et une
chronique d’un temps marquisien de notre vice-président
Constant Guéhennec sur l’amour de Taha et Teapo, la
belle Marquisienne et le jeune officier français.
– Le BSEO N°322, rend davantage hommage aux vertus
des plantes, avec un article du docteur Ehrhardt sur le Nono
ou Noni et l’autre d’un collectif qui participa à une mission
scientifique pluridisciplinaire aux îles Marquises sur les
utilisations thérapeutiques des plantes dans la pharmacopée
traditionnelle dans cet archipel. La navigation trouve aussi
une bonne place dans ce BSEO avec le récit du séjour de
la Frégate HMS Briton à Nuku Hiva en 1814 présenté par
Denise et Robert Koenig ou encore la navigation ancestrale
tahitienne rapportée par les Espagnols lors de leur séjour
dans nos eaux dans les années 1772/1774 que nous présente Liou Tumahai dans 2 articles.
– Le BSEO N°333, dédié à la Nature et la Navigation, nous
incite à jeter un regard plus attentif sur la nature avec l’article
146
N°334- Janvier / Avril 2015
d’Elisabeth Worliczek sur « Le changement climatique à
Rangiroa… » et à travers « La botanique à Tahiti » d’après
une lettre des années 1840 du docteur Francis Johnstone, traduite et commentée par notre collègue botaniste Jean-François Butaud. Quant à la navigation, l’Amiral Desclèves nous
rappelle les talents du tahu’a et navigateur polynésien Tupaia,
originaire de Ra’iataea, qui sillonna le Pacifique aux côtés du
renommé Capitaine James Cook. Liou Tumahai nous présente encore ici 3 autres articles sur le séjour des Espagnols
dans nos eaux. Enfin, notre collègue Constant Guéhennec,
amoureux des langues polynésiennes nous fait partager ses
trouvailles en matière d’expression populaire à Tahiti.
Remercions donc nos contributeurs qui nous font confiance
en nous confiant leurs articles à publier, permettant ainsi à notre
Bulletin de continuer à paraître et à enrichir la connaissance sur
notre pays et notre région. Que tous ceux qui apportent une participation à sa réalisation soient également remerciés : maquettiste, imprimeur, membres du comité de lecture… Il convient
aussi de remercier les médias qui nous aident à faire connaître
au grand public notre Bulletin à chaque sortie.
Les Salons
Pour diverses raisons, la SEO n’a pu être présente qu’à 3
manifestations l’année dernière contre 7 en 2013, pour présenter ses productions :
a) Le premier Salon des Marquises (Nuku Hiva fin avril et
Hiva Oa début mai) grâce à notre collègue Robert Koenig.
b) Le Salon de Papeete « Lire en Polynésie », en juin, avec
une permanence assurée par quelques administrateurs et
membres bénévoles : C. Guéhennec, Y. Babin, E. Hallais-Noble Demay, M. Tonarelli, J-F. Butaud, Ph. Raust,
M-N. Frémy, T. Tahauri et A. Tixier ;
c) Le Salon de Papara en novembre, tenu par les administrateurs C. Guéhennec, P. Blanchard et D. Margueron.
147
Pour les autres événements, la participation de la SEO s’est
faite par l’intermédiaire du guichet unique de l’AETI que nous
tenons à remercier au passage. C’est le cas pour :
– Le Festival International du Film Océanien (FIFO) en février;
– Le Festival du ’Uru en mars à Papeete ;
– Le Salon de Paris, en mars ;
– Le premier Salon des Australes à Tubuai, en mai ;
– Le Salon Lire-Sous-Le-Vent à Ra’iatea, en mai ;
En revanche la SEO n’a pas du tout pu participer aux derniers salons de l’année :
– Le Salon de Taiarapu à Taravao, en décembre ;
– Le Marché de Noël à To’ata, en décembre.
Compte tenu des difficultés rencontrées pour la gestion des
salons, il est fait appel aux membres de bien vouloir venir donner un coup de main aux administrateurs pour assurer la permanence à notre stand lors des prochaines manifestations.
Représentation de la S.E.O. dans d’autres structures
La S.E.O. est représentée dans les structures ci-après :
a) Conseil d’administration du Musée de Tahiti et des îles
– Fare Manaha : deux membres ;
b) Conseil d’administration de l’Association des Editeurs
de Tahiti et des Iles (A.E.T.I.) : un membre ;
c) Commission des sites et monuments naturels : un membre ;
Là où la SEO a deux sièges, le président désignera un
administrateur pour siéger avec lui.
Projets et aides
Pour réaliser ses projets, la S.E.O. a besoin de soutien et
surtout d’aide financière régulière. Après des années de fonctionnement sans solliciter d’aide, elle a présenté une première
demande en 2013 et a obtenu une subvention de 2.000.000 cfp.
Cette somme lui a permis de remplacer un ordinateur et de
rééditer un livre. Elle a présenté une nouvelle demande l’année
dernière, mais les fonds pourtant accordés n’ont pas été versés
148
N°334- Janvier / Avril 2015
dans l’année, cela l’oblige à restituer ces fonds et de formuler
une nouvelle demande pour 2015.
Partenaires et institutions
Nous remercierons toujours le Pays, à travers notamment
le Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel (SPAA)
qui héberge notre Société depuis des années. Ce service a vu un
changement de son directeur en cours d’année et ce dernier a
déjà commencé à apporter des changements dans l’organisation
générale qui verrait une amélioration de l’espace d’accueil
consentie à la SEO. A sa prise de fonction, il nous a accordé une
entrevue pour nous rassurer de son soutien. Interrogé sur le projet de complément de l’arrêté n°1331 CM du 4 août 2010 qui a
suscité des émois au sein de la SEO l’année dernière et qui a
fait l’objet d’une discussion passionnée lors de notre dernière
AGO, il nous a rassuré qu’il prendrait le temps d’examiner ce
projet. Compte tenu de nouveaux éléments liés à ce projet, le
CA a jugé inopportun de convoquer les membres en AGE
comme cela avait été initialement prévu.
Et pour conclure ce bilan moral, il est rappelé aux membres
que le mandat de l’actuel Conseil d’administration arrive à
échéance l’année prochaine. Les membres désireux de faire partie
de la nouvelle équipe devront faire acte de candidature par écrit au
moins 14 jours avant la date de la prochaine AGO. Il est en outre
recommandé aux nouveaux candidats éventuels de se faire connaître le plus tôt possible afin qu’on puisse les inviter à se familiariser
aux travaux de base en assistant aux séances du Conseil d’Administration ou encore de sa déclinaison en Comité de lecture.
Tel est le bilan moral que nous soumettons à votre approbation.
’Ia ora na !
Le président :
Fasan Chong dit Jean Kape
149
150
AU 31.12.2014
Total
Postes
Report au 31/12/13
Cotisations
Ventes directes
Ventes en librairies
Salon Paris
Salon Papeete
Salon Raiatea
Salon Taravao
Salon Papara
Salon Mahina
Salon Moorea
Autres salons
Redevances reprographie
Publicité
Subventions
Dons
Mouvements
(fonds caisse...)
11 455 000
Recettes
Prévues
3 167 866
1 100 000
700 000
1 100 000
50 000
300 000
50 000
50 000
50 000
50 000
50 000
50 000
37 134
300 000
2 900 000
1 500 000
Approuvé par l'Assemblée générale du 26 février 2015
COMPTE DE TRÉSORERIE
6 043 824
Réalisées
3 167 866
959 352
508 861
1 042 800
29 582
187 540
14 760
0
28 400
0
0
84 663
0
0
0
0
20 000
En banque
CCP
BP
Total
2011
57 029
1 750 562
1 807 591
2012
123 409
2 657 984
2 781 393
2013
278 193
2 889 673
3 167 866
Dépenses
Postes
Prévues
Fonctionnement
550 000
Salaire + cotis. CPS
1 500 000
livres/bibliothèque
50 000
livres/boutique
150 000
Salon Paris
30 000
Salon Papeete
50 000
40 000
Salon Raiatea
10 000
Salon Taravao
10 000
Salon Papara
10 000
Salon Mahina
15 000
Salon Moorea
15 000
Autres salons
BSEO 330 + envoi
700 000
700 000
BSEO 331 + envoi
BSEO 332 + envoi
700 000
700 000
BSEO 333 + envoi
Mouvements (fonds caisse...)
Centenaire 1ère GM
700 000
Carnet de voyage
1 000 000
Rééd. De Bovis
700 000
Rééd. Chefs et notables
700 000
700 000
Rééd. Papeete naguère
Matériel bureautique
250 000
33 607
Représentation
Solde (à reporter)
2 141 393
11 455 000
Total
2010
76 308
3 168 932
3 245 240
Réalisées
288 354
1 297 940
36 920
119 500
0
50 000
0
0
0
0
0
0
600 525
680 678
525 650
0
20 000
0
0
0
0
0
484 540
19 830
1 919 887
6 043 824
2014
261 331
1 658 556
1 919 867
N°334- Janvier / Avril 2015
BUDGET PRÉVISIONNEL
2015
Approuvé par l'Assemblée générale du 26 février 2015
En banque au 31 décembre 2014
CCP : 261 331
BP : 1 658 556
Total : 1 919 887
Recettes
Dépenses
Report : 31.12.14
Cotisations
Ventes directes
Ventes en librairies
Salon Paris
Salon Papeete
Salon Raiatea
Salon Taravao
Salon Papara
Salon Mahina
Salon Moorea
Autres salons
Redevances DD
Publicité
Subventions
Dons
1 919 887
1 000 000
600 000
1 000 000
50 000
200 000
15 000
30 000
30 000
30 000
30 000
120 000
25 113
200 000
2 900 000
1 500 000
Fonctionnement
Salaire + cotis. CPS
Livres/bibliothèque
Livres/boutique
Salon livre/Paris
Salon Papeete
Salon Raiatea
Salon Taravao
Salon Papara
Salon Mahina
Salon Moorea
Autres salons
BSEO 333 + envoi
BSEO 334 + envoi
BSEO 335 + envoi
Rééd. De Bovis
Rééd. Chefs et notables
Rééd. Papeete naguère
Centenaire 1ère GM
Editions à définir
Représentation
Solde (à reporter)
400 000
1 500 000
50 000
150 000
30 000
50 000
40 000
10 000
10 000
10 000
15 000
15 000
700 000
700 000
700 000
700 000
700 000
700 000
700 000
1 000 000
20 000
1 450 000
Total
9 650 000
Total
9 650 000
151
PUBLICATIONS DE LA SOCIETE DES ETUDES OCEANIENNES
Prix réservé aux membres, en vente au siège de la Société c/o Service du patrimoine archivistique et audiovisuel
• Dictionnaire de la langue tahitienne
Tepano Jaussen (13ème édition)...................................................... 2 000 FCP 17 €
• Dictionnaire de la langue marquisienne
Mgr Dordillon (3ème édition).......................................................... 2 000 FCP 17 €
• A Dictionary of some Tuamotuan dialects
J.Frank Stimson et Donald S. Marshall........................................... 2 000 FCP 17 €
• Mangareva Dictionary
Edward Tregear.............................................................................. 2 000 FCP 17 €
• Journal de James Morrison, second maître à bord de la Bounty
Traduction Bertrand Jaunez........................................................... 2 000 FCP 17 €
• Etat de la société tahitienne à l’arrivée des Européens
Edmond de Bovis .......................................................................... 1 200 FCP 10 €
• Chefs et notables au temps du Protectorat (1842-1880)
Raoul Teissier................................................................................ 1 200 FCP 10 €
• Les Etablissements français d’Océanie en 1885
(numéro spécial 1885-1985)........................................................ 1 200 FCP 10 €
• Dossier succession Paul Gauguin
BSEO N°210 .................................................................................. 1 200 FCP 10 €
• Papatumu - Archéologie ................................................................. 1 200 FCP 10 €
• Généalogies commentées des arii des îles de la Société
Mai’arii Cadousteau....................................................................... 1 500 FCP 13 €
• Tahiti au temps de la reine Pomare
Patrick O’Reilly.............................................................................. 1 500 FCP 13 €
• Tahiti 40,
Emile de Curton ............................................................................ 1 500 FCP 13 €
• Tranche de vie à Moruroa
Christian Beslu .............................................................................. 2 200 FCP 19 €
• Naufrage à Okaro, épopée de la corvette Alcmène (1848-1851)
Christian Beslu .............................................................................. 2 000 FCP 17 €
• Les âges de la vie – Tahiti & Hawai’i aux temps anciens
Douglas Oliver............................................................................... 2 500 FCP 21 €
• Océania - Légendes et récits polynésiens ..................................... 2 200 FCP 19 €
• Collection des numéros disponibles
des Bulletins de la S.E.O. : .............................................................. 200 000 FCP 1676 €
Anciens numéros du BSEO, nous consulter
Tout envoi postal comprend des frais de port, nous consulter.
Pouvanaa a Oopa
Te metua
N° ISSN : 0373-8957
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 334