Bulletin de la Société des Études Océanienne numéro 331
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BULLETIN DE LA SOCIETE
DES E TUDES O CEANIENNES
N°331
Janvier /Avril 2014
TuamoTu
des années soixante
BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N°331 - JANVIER/AVRIL 2014
Sommaire
Avant-Propos du président ....................................................................... p.
Fasan Chong dit Jean Kape
Journal d’un médecin à Makatea au temps de la C.F.P.O. ............. p.
Docteur Claude Barbier
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Fanga, en Polynésie française dans les années soixante ................... p. 78
Luc André
Les bananes de Polynésie........................................................................... p. 120
Docteur Jean-Paul Ehrhardt
Collecter… collectionner ........................................................................... p. 133
Robert Koenig
Des billets comme s’il en pleuvait ........................................................... p. 146
Christian Beslu
Taha et Teapo, chronique d’un temps marquisien ............................. p. 153
Constant Guéhennec
Errata .............................................................................................................. p. 163
Jean-Louis Candelot
Procès verbal de l’Assemblée Générale Ordinaire............................. p. 164
Bilan moral
Compte de trésorerie
Budget prévisionnel
Publications de la Société des Etudes Océaniennes ................................ p. 174
Photo de couverture : Makatea, J. Kape
Avant-Propos
Chers membres de la Société des Etudes Océaniennes,
Chers lecteurs du BSEO,
Bienvenue dans ce premier numéro du BSEO de l’année qui
fait davantage un clin d’œil à l’archipel des Tuamotu avec deux
articles sur deux atolls d’aspect différent : Makatea, culminant
à une centaine de mètres, est dépourvu de lagon tandis que Fangataufa qui est situé à plusieurs centaines de kilomètres à l’est
est un classique atoll bas avec un lagon intérieur. Tous deux ont
connu une aventure humaine importante dans le développement
économique de la Polynésie française des années soixante du
siècle dernier. A cette époque, ces deux sites ont vu défiler
beaucoup de monde, l’exploitation du phosphate pour l’un et
les essais nucléaires pour l’autre.
Nous remercions bien entendu leurs auteurs et ceux des
autres articles de ce numéro qui apportera nous le souhaitons
une plus large information sur la Polynésie et leur part de plaisir
aux fidèles lecteurs du BSEO.
La SEO a participé en ce début d’année à deux manifestations où un stand unique du livre a été mis en place et géré par
l’AETI (Association des Editeurs de Tahiti et des Iles) : le FIFO
(Festival du film océanien) en février et le Festival du ’Uru en
mars. Ne pouvant participer au Salon du livre de Paris en mars,
nos titres ont néamoins été présentés par d’autres membres de
l’AETI qui s’y étaient rendus. Il en sera de même pour le Salon
de Nuku Hiva et celui de Hiva Oa, en avril et mai, où nos livres
seront remis à nos collègues de l’AETI. Il convient donc de
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remercier nos collègues et surtout le président de l’AETI pour
ses diligences afin que tous ses éditeurs puissent participer à ces
manifestations en personne ou par délégation.
Par ailleurs, le Salon « Lire en Polynésie » de cette année,
sur le thème de l’amour, est avancé au mois de juin alors qu’il
était habituellement organisé en fin d’année. Un article répondant à ce thème figure dans le présent Bulletin. Nous attendons
aussi confirmation du premier Festival du livre proposé par le
Lycée de Taiarapu pour le 1er semestre. Parmi les nouveautés de
l’année, nous serons présents en fin d’année au Marché de Noël
qui réunira tous les membres de l’AETI.
Notre Assemblée générale ordinaire a eu lieu le 20 février,
vous trouverez dans ce numéro son procès verbal avec les
pièces annexes habituelles. Elle s’est en outre prononcée pour
une Assemblée générale extraordinaire à organiser pour déterminer l’option à prendre quant à la situation de notre bibliothèque qui fait l’objet d’un projet d’arrêté (voir le bilan moral).
Enfin, nous invitons nos membres à venir renforcer les
administrateurs, dans la mesure de leur disponibilité, pour gérer
nos stands lors des manifestations afin d’offrir à nos visiteurs
un meilleur accueil.
Bonne lecture !
’Ia ora na !
Le président
Fasan Chong dit Jean Kape
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Journal d’un médecin
à Makatea,
au temps de la Compagnie Française
des Phosphates de l’Océanie
Prologue
C’est en juin 1958 que je tombe par hasard sur une annonce
dans la revue “Le Concours Médical” rédigée à peu près en ces
termes : Compagnie minière située dans le Pacifique Sud
recherche médecin de préférence marié pour signature d’un
contrat de quatre ans. Je réponds immédiatement à cette
annonce pour poser ma candidature. En retour, lettre de M.
Lamotte, directeur général adjoint de la Compagnie Française
des Phosphates de l’Océanie (2, rue lord Byron Paris 8ème) souhaitant prendre contact avec nous fin juillet et nous offrant de
prendre en charge les frais de déplacement à Paris.
Accueil très cordial de M. Lamotte qui nous explique qu’il
s’agit d’une mine d’extraction de phosphate située sur l’île de
Makatea dans l’archipel des Tuamotu occupant environ trois
mille personnes et qu’il s’agit d’un poste de médecin en second
à pourvoir le plus rapidement possible. Ma situation de famille
avec un enfant de quelques mois et une femme en attente d’un
second ne lui parait pas du tout rédhibitoire et il nous conseille
de prendre contact avec un certain docteur Villaret habitant
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Paris et ayant fait des remplacements à Makatea. Ce dernier,
auquel j’écris immédiatement, me répond le 28 juillet depuis
son lieu de vacances en Charente pour me dire que ce poste lui
parait intéressant pour un jeune médecin comme moi désireux
de mettre un peu d’argent de côté en vue d’une installation
future et qu’il me conseille la lecture d’un de ses derniers bouquins “Archipels Polynésiens”, prix littéraire du tourisme 1957.
Il me donne par ailleurs le nom du médecin en place à Makatea,
le docteur Roques, et me conseille de le contacter.
Le parfum des îles commence à nous monter à la tête et
après lecture du projet de contrat qui nous est fourni début août,
nous proposant un salaire mensuel de 34.083 francs CFP avec
voyage à Tahiti en 1ère classe sur le paquebot mixte Calédonien
au départ de Marseille, nous faisons un saut au Raincy pour en
parler à mon père. Quand je lui parle de la Compagnie Française
des Phosphates de l’Océanie, il se renseigne et s’aperçoit que
son président directeur général, M. Lenhardt, est un ancien élève
de Polytechnique. Il prend son annuaire d’anciens élèves et le
contacte sans me le dire, pour m’annoncer quelques jours plus
tard qu’il lui a posé la question suivante : “Cher ami, si tu avais
un fils médecin qui veuille aller passer quatre ans sur ton île, que
lui conseillerait-tu ?” Et son ami Lenhardt lui aurait répondu
qu’il lui aurait sans aucun doute déconseillé ce projet !
C’est donc malgré la mise en garde de mes parents et sans
beaucoup d’enthousiasme non plus du côté de mes beauxparents (et on les comprend, voir partir fille et petite fille) que
nous décidons malgré tout de maintenir notre candidature.
Début août, retour chez mes beaux-parents à La Garde et coup
de fil de M. Lamotte nous donnant rendez-vous à Marseille
pour finaliser définitivement les termes du contrat et le 6 août
une lettre nous arrive de la C.F.P.O. nous indiquant que nos
places sont retenues en première classe sur le paquebot Calédonien qui doit quitter Marseille aux environs du 8 novembre
prochain.
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Nous prenons contact avec le docteur Roques, médecin en
place à Makatea et avec Mme Chardin, femme du directeur de
l’exploitation, pour avoir une idée des bagages à prévoir surtout
au point de vue vestimentaire. Ils nous conseillent le moins de
vêtements possible, la tenue habituelle se ramenant à une chemise tahitienne et à un short, le plus simple étant de s’équiper
sur place. Ils nous conseillent cependant pour moi l’achat d’une
veste de soirée blanche. Le docteur Roques étant seul actuellement, dit nous attendre avec plaisir et impatience. Par ailleurs,
m’ayant laissé entendre que nous pouvions être confrontés à
pratiquer quelques petites interventions chirurgicales, je
m’achète le petit livre du parfait anesthésiste.
Le voyage
Le 8 novembre 1958 nous voici donc quai de la Joliette à
Marseille, avec Catherine, cinq mois, prêts à embarquer sur le
Calédonien, paquebot mixte des Messageries Maritimes, qui
assure, avec ses deux jumeaux, le Polynésien et le Tahitien, une
liaison mensuelle Marseille-Sydney. Arrivée prévue à Tahiti à
la mi-décembre. Accueil chaleureux, ambiance de croisière sur
ce bateau très confortable dans notre cabine de première classe.
En route donc pour Alger, notre première escale, où nous
retrouvons comme prévu le capitaine Laurant, mon beau-père,
venu nous souhaiter bon voyage.
C’est le grand départ ensuite avec passage du détroit de
Gibraltar quelques heures plus tard. La houle de l’atlantique
plus ample et très différente de celle de la Méditerranée nous
surprend agréablement et va nous bercer jusqu’à Madère. Dans
le bateau nous prenons nos habitudes et faisons des connaissances parmi les passagers grâce surtout à bébé Catherine qui
réjouit notre entourage et passe de mains en mains.
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Le paquebot mixte Calédonien
Le lendemain matin, arrivée à Funchal avec escale d’une
journée permettant la découverte d’une ville noyée dans les
bougainvilliers.
La vie s’organise à bord avec nombreux tours de pont en
guise de gymnastique matinale. Catherine, la plus jeune passagère du navire, est autorisée par le commandant de bord à nous
accompagner dans son “bambi-rêve” pour les repas dans la salle
à manger de première classe, ce qu’il faut considérer comme
une faveur. Deux jours plus tard nous voilà en vue de Pointe-à
-Pitre pour une escale de 48 heures. Descente à terre avec nos
amis Dubourg et visite d’un grand marché en plein air au centre-ville. Halte ensuite dans un petit café où nous dégustons un
rhum blanc. Chaleur tropicale et rhum blanc aidant nous font
voir la vie en rose.
Départ pour Fort-de-France ensuite où, là également, nous
attendent deux jours de repos. Direction ensuite l’île de Curaçao
où notre paquebot doit faire escale pour mazouter avant la traversée du Pacifique. A Curaçao, courte escale d’une demi-journée qui nous laisse le temps de faire un saut en taxi à
Willemstad, la capitale de cette petite île hollandaise. Retour à
bord du Calédonien qui prend la route vers Colon, à l’entrée du
canal de Panama. Nous passons la nuit en attente avec de nombreux autres navires dans la grande baie voisine de la ville de
Colon à l’entrée du canal de Panama. Départ dans le courant de
la matinée et entrée impressionnante dans le canal où nous
sommes pris en remorque par des motrices sur rail circulant le
long du canal qui nous amènent à la première écluse. Une
seconde écluse nous permet d’arriver sur le lac Gatun, immense
lac parsemé d’îles et entouré de forêts tropicales que nous traversons pour gagner la seconde portion de canal qui doit nous
mener à la ville de Panama. Nous croisons dans une portion du
canal un immense panneau rappelant le souvenir de Ferdinand
de Lesseps et après avoir franchi les écluses de Pedro Miguel et
de Miraflorès et être passé sous le pont encore en construction
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de la grande route trans-américaine, nous nous engageons dans
l’océan Pacifique, sans faire escale à Panama, pour les dix jours
de traversée qui nous séparent de Tahiti.
Les fêtes succèdent aux soirées dansantes mais le grand
jour arrive. En effet, après avoir laissé à bâbord l’archipel des
Galapagos, nous allons franchir l’équateur et, bien entendu, le
passage de la ligne, ça s’arrose. Le 1er décembre au matin tous
ceux qui passent la ligne pour la première fois sont convoqués
sur le pont arrière autour de la piscine, Catherine comprise, bien
entendu. La foule des passagers s’est rassemblée tout autour. Le
commissaire de bord dans sa tenue de Neptune et trident en
main préside à la cérémonie du baptême. Il nous badigeonne la
tête de mousse, nous impose le trident sur le front, affirmant
qu’il a bien été témoin que nous venons de pénétrer dans l’hémisphère austral et ces deux assistants nous balancent dans la
piscine. Remise ensuite d’un beau diplôme sous les applaudissements de la foule, pot final et, le soir, grande soirée tahitienne
animée par les tahitiennes présentes à bord. Nous découvrons
le tāmure.
C’est ensuite le grand bleu pendant une semaine avec des
couchers de soleil et des clairs de lune splendides. Enfin, le 8
décembre 1958, l’équipage nous signale qu’à l’horizon on aperçoit les premiers atolls des Tuamotu. Nous traversons l’archipel
tout au long de la journée. Les passagers à destination de Tahiti
commencent à faire leurs bagages, les autres poursuivront
ensuite vers Port-Vila, Nouméa et Sydney et les Australiens
n’arriveront que dans une huitaine de jours.
Le 9 décembre au matin apparaît enfin à l’horizon l’île de
Tahiti et son mont Orohena culminant à 2.200 mètres ; au fur et
à mesure que nous approchons une couronne blanche d’écume
nous signale le récif séparant le lagon de l’océan. Le Calédonien s’approche de la passe et se trouve immédiatement entouré
d’une multitude de pirogues à balancier venues nous souhaiter
la bienvenue et qui vont nous accompagner jusqu’au quai où
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des centaines de personnes sont rassemblées pour nous attendre.
Chemises tahitiennes, paréos et couronnes de fleurs composent
un bouquet de couleurs extraordinaire.
Dès que nous avons mis pied à terre nous sommes accueillis par les Le Hebel et les Pivot qui sont les représentants de la
Compagnie à Papeete et Jacqueline et Catherine sont couvertes
de couronnes de fleurs. Ils nous accompagnent ensuite à notre
hôtel et nous expliquent que l’Oiseau des Iles II, le bateau de
la Compagnie assurant la liaison hebdomadaire avec Makatea,
ne doit partir que dans 48 h, ce qui nous laisse le temps de
découvrir un peu Tahiti. Le personnel de l’hôtel nous réserve un
accueil extraordinaire de gentillesse et nous inspire une
confiance telle que nous n’hésiterons pas à lui confier Catherine
le lendemain soir pour répondre à l’invitation à dîner que vient
de nous adresser le médecin-chef de l’hôpital de Papeete.
C’est donc dans un état d’esprit très décontracté que, le lendemain matin, nous louons une voiture et partons faire le tour
de l’île dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Faaa
d’abord en pleins travaux d’aménagement du lagon en vue de
la construction du futur aérodrome qui sera inauguré en mai
1961. C’est ensuite, jusqu’à l’isthme de Taravao, un bord de
mer paradisiaque avec ses plages de sable blanc et ses cocotiers
avec vue sur Moorea. Retour ensuite par une côte plus ingrate
et plus rocheuse avec un lagon moins grand et des plages de
sable noir. Arrêt bien entendu au trou du souffleur de Tiarei.
Enfin, avant le retour à l’hôtel, tentés à Arue par une belle plage
de sable noir, nous nous y aventurons avec Catherine pour tâter
l’eau du Pacifique.
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Arrivée et installation à Makatea
Le lendemain c’est le grand départ ! L’Oiseau des îles II
nous attend en partance pour Makatea ! C’est une goélette assez
confortable en service dans la Compagnie depuis deux ans et
remplaçant l’Oiseau des îles I qui commençait à donner des
signes de faiblesse. Elle assure un service hebdomadaire avec
Makatea, île située à environ 300 km au nord-est de Tahiti dans
l’archipel des Tuamotu et représente un véritable cordon ombilical avec le chef-lieu du Territoire, aucune liaison aérienne
n’étant possible et Makatea n’étant desservie par aucune autre
liaison maritime. En plus, comme nous le verrons plus loin, les
conditions de mouillage à Makatea étant assez précaires, il peut
arriver en cas de très mauvais temps que les habitants de Makatea restent quinze jours dans l’isolement le plus complet.
Départ donc dans la soirée en vue d’arriver le lendemain de
bonne heure. La mer est belle mais tangage et roulis nous changent du confort du Calédonien, sans parler de l’odeur du coprah
mélangée à celle du mazout, cocktail auquel nous finirons par
nous habituer.
Le lendemain matin à l’aube, l’île commence à apparaître
à l’horizon et se présente comme une falaise inaccessible plongeant directement dans la mer sans le moindre lagon. De ce fait
le petit port de Temao, seul accès maritime possible, n’est en
réalité qu’une rade foraine constituée d’un certain nombre
d’énormes bouées ancrées à 100 m du rivage par une trentaine
de mètres de fond et permettant aux navires de se rapprocher le
plus près possible de la côte. Quelques grosses chaloupes pontées font ensuite la navette entre le navire et une minuscule
petite darse de quelques dizaines de mètres carrés creusée à
l’explosif dans le platier et permettant le débarquement des passagers, de leurs bagages et de toutes les marchandises apportées
chaque semaine par l’Oiseau des îles II. Ces chaloupes jouent
également le rôle de remorqueurs pour aider les phosphatiers et
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autres minéraliers à s’arrimer aux bouées de la rade foraine et à
se brancher sur l’énorme jetée métallique pouvant se déployer
jusqu’à environ 100 m vers le large pour acheminer sur un tapis
roulant le phosphate pulvérulent ou pomper le mazout destiné
à alimenter la centrale électrique située sur le plateau à 80 m
d’altitude.
Jacqueline et moi avec Catherine dans les bras et nos
quelques bagages, embarquons donc sur une des chaloupes en
question, laquelle, après avoir attendu la bonne vague, nous
propulse dans le petit chenal aboutissant au quai où nous attendent M. Chardin le directeur et sa femme, le docteur Roques et
sa femme et quelques autres membres des cadres de la Compagnie. Petit discours de bienvenue et colliers de fleurs, puis
direction la vaste plateforme roulante (qu’on appelle ici le plan
incliné) qui nous hisse électriquement 80 m plus haut, là ou se
trouve les bureaux, la centrale électrique et l’usine de concassage du phosphate. Vue imprenable depuis notre île de huit kilomètres sur sept ayant vaguement la forme d’un rein sur la mer
infinie de tous les côtés.
Les présentations étant faites et notre bonne arrivée dûment
enregistrée dans le bureau du directeur, nous embarquons dans
le seul véhicule existant sur l’île avec celui d’un des commerçants chinois pour faire les cinq cent mètres nous séparant de
Vaitepāua, le village où sont regroupés les maisons d’habitation
du personnel, les camps des travailleurs, les commerçants chinois et l’hôpital, sans oublier le magasin, le cercle de la Compagnie, un terrain de basket et un tennis. Toutes ces maisons
sont des maisons en bois avec toiture de tôle ondulée de style
colonial qui ont été fabriquées sur place par l’atelier de menuiserie de M. Chênais. Elles sont sur pilotis de façon à laisser un
vide sanitaire d’une cinquantaine de centimètres sous la maison.
La nôtre, noyée dans la verdure et située à deux pas de l’hôpital,
nous fait, d’emblée, très bonne impression (voir photo). Elle est
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La navette entre le bateau et le port
entourée d’un petit jardin avec une pelouse bordée de faux
caféiers et ombragée par un splendide banian. Un bougainvillée
en fleurs agrémente la façade. A l’arrière, des cocotiers, des
bananiers et un papayer nous séparent de la brousse quasiment
impénétrable du fait du relief extrêmement accidenté caractéristique de cette île, j’en parlerai plus loin.
Un saut à l’hôpital situé à deux pas avec le docteur Roques.
J’y fais connaissance du dentiste, le docteur Dao, de Ly Siou,
l’infirmier-chef, des deux autres infirmiers, Vetea Tetuanui et Guy
Maiotui, d’Hiri Richmond, la sage-femme et de Rahera Mahoni
la fille de salle. Bonne impression et ambiance chaleureuse.
C’est ensuite l’installation dans la maison, laquelle, comme
vous pouvez le remarquer sur la photo, est largement ouverte
sur l’extérieur, en particulier la salle de séjour. Il n’y a pas de
fenêtre et, le soir, les larges baies sont fermées par des abattants
qui protègent du soleil dans la journée. Seul problème, qui au
bout de 48 h deviendra un problème majeur, les nonos, ces
fameux moustiques qui ne font pas de bruit et piquent nuit et
jour malgré les applications de citronnelle, les tortillons chinois
et autres vaporisations de produits divers. Bref, excédé et surtout inquiet pour Catherine, je me retrouve dans le bureau du
directeur pour lui dire qu’il nous est impossible de vivre dans
ces conditions et que la pose de moustiquaires sur toutes les
ouvertures de la maison nous parait impérative et conditionne
la poursuite de notre présence à Makatea. Très compréhensif il
fait immédiatement appel au responsable du service charpente,
M. Chênais, qui dans les deux ou trois jours qui suivent nous
installe des moustiquaires sur toutes les fenêtres de la maison.
Nous créons sans le vouloir un précédent et bientôt la plupart
des maisons des cadres de la Compagnie se voient dotées également de moustiquaires. Il suffisait de demander !
L’électricité provient de la centrale de la Compagnie qui
alimente tout le village et toutes les installations portuaires en
110 volts et selon des normes américaines (50 périodes) ce qui
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nécessite d’équiper tous les appareils de fabrication française
d’un petit transformateur et, en particulier d’installer sur le
tourne-disque une rondelle lui permettant de tourner à la bonne
vitesse. Le téléphone (un central d’une centaine de postes) nous
relie à tous les services et tous les cadres administratifs de la
Compagnie.
Une citerne recueillant les eaux de pluie alimente douche
et lavabo. A la cuisine l’eau est rendue potable grâce à un filtre
à deux bougies Chamberland qu’il faut changer souvent, la
peinture rouge de la toiture en tôle ondulée les encrassant rapidement. Les W.C. sont dans un petit cabanon attenant à la maison et la chasse d’eau est remplacée par un peu de chaux vive
qui, ma foi, fait très bien l’affaire. La cuisine est équipée d’une
cuisinière à gaz que nous venons d’acheter chez Le Bihan à
Papeete, d’un réfrigérateur de chez Solari toujours à Papeete et
du traditionnel mōrī gaz1 (petit réchaud avec réservoir à pétrole
muni d’une pompe permettant de le mettre sous pression et de
faire bouillir rapidement une casserole d’eau).
N’oublions pas enfin de mettre sous les quatre pieds de la
table de la cuisine une petite coupelle remplie de pétrole pour
empêcher les fourmis de s’attaquer aux moindres miettes traînant sur la table après les repas ! En dehors des fourmis qui
sont peu gênantes, signalons les margouillats qui, dès la tombée de la nuit s’installent près des lampes pour participer avec
nous à la lutte contre les moustiques et, malheureusement, de
temps en temps, quelques cent-pieds (scolopendres) dont la
morsure est assez douloureuse. Ce qui n’empêche pas qu’il soit
d’usage de marcher pieds nus dans la maison et de laisser ses
savates japonaises à la porte.
1
Le mōrī gaz est une lampe à pétrole munie d’une pompe (comme celle du
réchaud “primus” ici mentionné) et d’un manchon qui lui donne une lueur similaire à celle d’une lumière électrique (note : FC-SEO).
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A l’extérieur, aucun animal dangereux et, en particulier pas
de serpent. Seul, le kaveu (crabe de cocotier) dont les pinces
sont très puissantes pourrait être dangereux pour un petit enfant
mais il ne sort que la nuit et la brousse étant quasiment impénétrable il ne pose pas de problème.
Nous voilà donc installés, l’année s’achève. Noël approche
mais il est bien difficile de le réaliser sur cette île où, à longueur
d’année, la température oscille entre 28 et 30°, où tous les jours
le soleil se lève à 6h et se couche à 18h et où les saisons sont à
peine sensibles. Nous mettons en place et décorons dans la salle
de séjour une belle branche de tamaris qui fera office de sapin
de Noël et, en short et chemisette, installés sur un pē’ue (natte
d’origine végétale) au milieu de la pelouse avec Catherine, 6
mois, qui gazouille, nous ne nous sentons pas si mal que ça !
Tenue de soirée au Cercle pour la fête de fin d’année rassemblant les cadres et leurs familles (une centaine de personnes). Soirée dansante agrémentée de chants et danses
tahitiennes et le lendemain, 1er janvier, retrouvailles de tous en
fin de matinée sur la grande place devant le comptoir de la
Compagnie pour la traditionnelle photo de groupe.
L’année 1959
Les journées s’organisent petit à petit de la façon suivante :
debout à sept heures et après un petit déjeuner agrémenté soit
d’un jus de pamplemousse (de délicieux gros pamplemousses au
jus rose) ou d’orange (à Tahiti les oranges ont l’écorce verte), je
passe la matinée à l’hôpital en consultation et visite les malades
hospitalisés avec mon confrère le docteur Roques. L’après-midi
sieste jusqu’à trois heures, retour à l’hôpital ensuite pour la
contre-visite et d’éventuelles consultations. De son côté, Jacqueline va faire ses courses au magasin de la Compagnie ou chez
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Maison de fonction
Ah Ken, un des commerçants chinois. Le soir, avant la tombée
de la nuit à six heures, promenade avec Catherine dans sa poussette sur le seul chemin de l’île soit vers l’ouest en direction de
Temao, le port, pour admirer le coucher de soleil, soit en direction de Mōumu à 3 km vers l’est, petit village rassemblant
quelques farés de pêcheurs au pied de la falaise dans le seul
endroit un peu accessible avec un semblant de plage. Il va de
soi qu’il n’est pas question de se baigner du fait de l’absence de
lagon. Le bord de mer se ramène à quelques mètres de plage
corallienne sur laquelle on ne peut marcher facilement qu’avec
des sandales plastiques. Dès qu’on met le pied dans l’eau on
plonge immédiatement dans “le grand bleu” avec l’arrière pensée d’une rencontre avec un requin ! Donc, prudence. Seule baignade possible, le petit port de Temao où l’on peut barboter un
peu si la mer n’est pas trop mauvaise.
Ayant mis en annexe les deux rapports annuels d’activité
concernant les années 1960 et 1961 et dans lesquels vous trouverez détaillées toutes les activités du service de santé pendant
ces années là, je ne m’étendrai pas trop sur mes activités médicales proprement dites qui se ramènent essentiellement à de la
petite chirurgie et à des consultations de pédiatrie, les travailleurs polynésiens étant venus avec femme et enfants ce qui
porte la population de l’île pendant notre séjour à trois mille
personnes.
Je me contenterai donc, au fil de mes souvenirs, d’essayer
d’évoquer les faits qui nous ont paru marquants au cours de
l’année 1959. N’oublions pas cependant un autre volet de l’activité médicale des médecins de la C.F.P.O. à Makatea, à savoir
que sur décision du gouverneur de la Polynésie Française, ils
sont nommés médecins arraisonneurs et médecins des fonctionnaires et des indigents de l’île. C’est ainsi qu’à partir de février
1959, ma nomination m’ayant été notifiée, je partage avec mon
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Embarcation contenant l’équipe d’arraisonnement
confrère le docteur Roques la distrayante mission d’accompagner le pilote et le chef de poste, l’adjudant-chef de gendarmerie Gilain, pour monter à bord de tous les navires (phosphatiers
et pétroliers) qui se présentent en vue d’un mouillage à Temao.
Mission distrayante et parfois sportive car, en cas de forte
houle, il n’est pas évident de sauter du canot sur l’échelle de
coupée ! Il s’agit ensuite de vérifier le livre de bord pour s’assurer qu’aucun malade contagieux n’y figure et ne risque de
mettre pied à terre.
Pour commencer l’année, notons que nous apprenons incidemment que la “Compagnie Française des Phosphates de
l’Océanie” qui dépendait de “l’Anglo-French Cy” sous le
contrôle du groupe Unilever venait d’être rachetée par le groupe
“Compagnie Financière de Suez-Banque de l’Indochine”. C’est
M. Michel Caplain qui est nommé nouveau vice-président de la
Compagnie. Ce qui ne change rien à notre destin mais, comme
vous le verrez plus loin, nous donnera l’occasion d’accompagner ce nouveau président dans un voyage de découverte des
Îles sous le Vent.
Courant février-mars Catherine nous inquiète un peu car
elle parait fatiguée, manque d’appétit et traîne une petite fébricule2. Nous demandons à descendre quelques jours à Tahiti et
du 5 au 9 mars, accompagnés de Tearai, une de nos deux
employées de maison, et malgré la grossesse avancée de Jacqueline qui doit accoucher début avril, nous nous retrouvons
dans une villa qui nous est prêtée dans le district de Punaauia.
Après consultation et examens sanguins à l’hôpital de Papeete,
le diagnostic d’hyperéosinophilie tropicale est posé en rapport
2
qui comme chacun sait en milieu médical, est un brusque accès de fièvre de bas
grade (note : CG-SEO)
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N°331- Janvier / Avril 2014
avec une poussée de microfilariose, maladie endémique en
Polynésie transmise par les fameux naonao (moustiques). Un
traitement antifilarien à base de Notézine entraîne une guérison
rapide et, de retour à Makatea, Catherine retrouve sa bonne
humeur et fait ses premiers pas très normalement en juin.
Pendant ce temps, le 31 mars, naissance de Philippe grâce
aux bons soins de Hiri Richmond, notre sage-femme qui, je
dois le dire, est très sécurisante. Je vais déclarer sa naissance au
tāvana (le maire) de Vaitepāua. Le maire, un homme charmant,
enregistre les trois prénoms que je lui propose, Philippe, Marcel, Georges, et me suggère, comme c’est l’usage, d’ajouter un
prénom tahitien. Il me propose Matauira qui veut dire “l’œil
vif”, ce que je trouve tout à fait adéquat, mais, négligence de ma
part, je ne vérifie pas l’ordre dans lequel il inscrit ces prénoms
sur le livret de famille et ne réalise pas qu’ayant inscrit
Matauira en premier, c’est ce prénom qui va devenir son prénom officiel. Et Philippe le traîne encore à l’heure actuelle avec
bonne humeur heureusement ! Par chance le Père Romain, curé
itinérant dans les îles Tuamotu, est de passage et Philippe est
baptisé le 5 avril dans la petite église St. Clément de Vaitepāua.
Nous voici donc responsables de deux enfants en bas âge.
Heureusement que nous sommes bien servis avec deux
employés de maison, Terani et Tearai qui, rapidement, vont
bientôt presque faire partie de la famille tellement elles sont
contentes de s’occuper des deux petits pōpa’a si blonds et si
mignons. N’oublions pas non plus Mlle Boubée, l’assistante
sociale, toujours de bon conseil et qui sera pour Jacqueline d’un
grand réconfort.
Réconfort dont elle aura d’autant plus besoin que je suis
désigné pour partir dans les jours qui viennent en mission de
recrutement dans les îles Australes.
21
Mission de recrutement aux Australes
A la mi-avril, donc, tous les travailleurs et leurs familles,
originaires des îles Australes et dont le contrat de travail arrive
à expiration, embarquent sur l’Oiseau des Iles II. Ils sont
accompagnés d’un certain nombre de cadres de la Compagnie,
(en particulier le recruteur, Noël Frogier et le médecin, moi, en
l’occurrence !) dont la mission est de procéder au recrutement
de nouveaux travailleurs en remplacement de ceux qui reviennent au pays. Ces contrats sont généralement d’un an, certains
acceptent de les renouveler, d’autres, les plus nombreux, préfèrent regagner leur île et, avec l’argent gagné, se payer la
“Vicky” dont ils rêvent (marque de vélomoteur très répandu
dans tout l’archipel et très commode pour circuler dans les mauvais chemins des îles).
Départ donc de Temao avec première escale à Papeete où
nous attend Mgr Mazé, évêque de Papeete, qui souhaite profiter
de l’Oiseau des Iles II pour visiter cette partie de son diocèse difficilement accessible (pas encore d’aérodrome à cette époque,
certaines urgences médicales pouvant parfois être évacuées par
hydravion). Plein sud ensuite en direction des trois îles prévues
au programme, à savoir Rurutu, Tubuai et Raivavae. Forte houle
et impression de départ à l’aventure pour ce parcours de plus de
1.000 kilomètres en direction du tropique du Capricorne au
cours duquel nous croisons d’assez près une baleine. Très bonne
ambiance à bord malgré roulis et tangage. Arrivée le matin en
vue de Rurutu. Cette île formée d’un fond corallien surélevé il y
a quelques millions d’années par un mouvement volcanique peut
faire penser un peu à Makatea par ces falaises et un lagon peu
important tout en étant beaucoup plus accueillante. Nous arrivons en vue du village de Moerai où nous débarquons par baleinières un certain nombre de travailleurs originaires de ce village,
l’Oiseau des Iles II ne pouvant évidemment pas franchir le récif,
la passe et le lagon étant trop peu profonds.
22
N°331- Janvier / Avril 2014
Noël Frogier et moi faisons partie de ceux qui mettent pied
à terre. Nous devons rejoindre Avera par la route pour y retrouver l’Oiseau des Iles II qui doit y débarquer d’autres travailleurs
et surtout pas mal de marchandises, toujours au moyen d’une
navette de baleinières, ce qui prend pas mal de temps. Pendant
ce temps, Noël Frogier qui circule dans cette île comme un
poisson dans l’eau, se fait prêter deux chevaux (heureusement
très pacifiques car c’est ma première expérience d’équitation)
et nous voilà partis en direction d’Avera sur un chemin superbe
qui traverse l’île de part en part avec des vues sur la mer dignes
des meilleurs prospectus touristiques. Au fil des rencontres le
long du chemin, Noël Frogier fait son travail de recruteur et
donne rendez-vous à la mairie d’Avera à ceux qui paraissent
intéressés par un engagement de travail à la C.F.P.O. C’est là
qu’aura lieu la visite médicale et la signature du contrat après
un accueil chaleureux du gendarme chef de poste faisant fonction de maire, de notaire, de postier, de juge et j’en passe !
Le lendemain, départ pour Tubuai, l’île des Australes exactement située sur le tropique du Capricorne, au sud-est de
Rurutu. Là, également, en vue de Mataura, village principal de
l’île, mouillage au large. Dans la même baleinière que Mgr
Mazé nous débarquons sur un wharf où nous attendent en grand
uniforme, le capitaine Bouvet, chef de poste, M. l’administrateur Fèvre et M. Montet, inspecteur du travail, sans oublier
vahinés et colliers de fleurs. Après ce cérémonial d’accueil et le
débarquement des travailleurs et de leurs familles, grand mā’a
tahiti (repas tahitien traditionnel) en plein air. C’est après les
activités habituelles de recrutement que le capitaine Bouvet me
propose une place dans sa jeep pour faire un tour de l’île. Là
encore, plages de sable et cocotiers permettent, au modeste photographe que je suis, de réussir quelques clichés paradisiaques,
mais, de ce tour de l’île, je garde le souvenir précis et émouvant
d’un arrêt dans une superbe propriété habitée par un officier de
marine y ayant pris sa retraite. Après les salutations d’usage je
23
sens cet homme d’une soixantaine d’années visiblement
angoissé qui me demande de lui prendre la tension et d’examiner son cœur. Il m’explique que l’absence de médecin l’inquiète, qu’il aurait besoin de quelques médicaments d’urgence
pour le cas où il ferait un infarctus. Bref, je lui laisse une
seringue et quelques ampoules pour le tranquilliser et prend
conscience des mauvais côtés du paradis polynésien !
Dernière étape de notre mission de recrutement, l’île de
Raivavae située encore un plus au sud et à l’est. C’est, à l’est,
l’avant-dernière des îles de l’archipel des Australes, la dernière
étant Rapa (Rapa Iti pour ne pas la confondre avec l’Ile de
Pâques, Rapa Nui) située encore à 500 km plus au sud-est.
L’Oiseau des Iles II mouille en vue du village d’Anatonu mais
la baleinière nous mène à travers le lagon jusqu’au wharf du
village de Rairua. Même accueil du chef de poste et de l’administrateur. Mgr Mazé y aura fort à faire car les mille habitants
de l’île sont pratiquement tous protestants et assez rigoristes !
D’ailleurs, toutes les femmes qui se sont massées pour nous
accueillir sont vêtues de robes blanches et non de paréos fleuris.
Impression d’une île beaucoup plus sauvage que les deux précédentes et d’une population plus typiquement polynésienne.
Rien de bien extraordinaire à noter au cours de cette escale.
L’Oiseau des Iles II ayant fait le plein de nouveaux travailleurs
et de leurs familles, remet le cap sur Papeete, puis sur Makatea
où je retrouve avec joie Jacqueline, Catherine et Philippe en
bonne santé et mon confrère, le docteur Roques, impatients de
me retrouver.
La vie quotidienne à Makatea reprend son cours et le mois
de mai 1959 est marqué par l’achat chez Tony Bambridge à
Papeete d’une superbe machine à coudre Elna qui permet à Jacqueline de devenir une maîtresse de maison parfaite ! Heureusement les soirées sont agrémentées par quelques mondanités !
En effet nous nous recevons beaucoup à dîner entre cadres de
24
Oiseau des Iles II mouillé en rade foraine à Makatea
la Compagnie en particulier avec les Chardin, les Pitras, les Oin
et les Roussin. Jacqueline est à la hauteur sauf le soir où, arrivant dans la salle de séjour avec son plateau d’apéritif, un margouillat tombe du plafond et s’écrase inopportunément sur le
plateau créant horreur, surprise et chute du plateau avec tous les
verres et les bouteilles ! Souvenir amusant a posteriori mais pas
sur le moment ! Toujours en mai souvenir d’une soirée fastueuse chez les Roussin à l’occasion de leurs cinquante ans de
mariage.
C’est également à cette époque que de grandes fêtes marquant le cinquantenaire de la C.F.P.O. sont organisées à Makatea. Banquet et ’ōte’a avec le groupe de danseurs de Rurutu ;
Ce groupe d’hommes formé de travailleurs originaires de l’île
de Rurutu est très réputé et leurs danses guerrières évoquent
irrésistiblement le fameux haka des “All Blacks” de Nouvelle
Zélande.
Les jours passent et le 20 juillet 1959, nouvel ordre de mission de rapatriement et de recrutement aux Iles Sous-Le-Vent.
Au programme, Raiatea, Tahaa et Bora-Bora.
Mission de recrutement aux Iles Sous-Le-Vent
Départ donc dans les jours qui suivent avec les participants
habituels sur notre vaillant Oiseau des îles II commandé par le
capitaine Coulomb. A notre sergent recruteur, Noël Frogier,
s’ajoute cette fois-ci, notre dentiste Dao et sa vahiné et le directeur de la Compagnie et sa femme, M. et Mme Chardin.
Après une rapide escale à Papeete pour charger de la marchandise à destination des Iles-Sous-Le-Vent nous embarquons
le lendemain en direction de l’île de Raiatea, la plus importante
des îles de cet archipel. Mouillage dans le port d’Uturoa, ville
principale de l’île et deuxième agglomération de Polynésie par
son importance. J’en profite pour aller saluer le médecin du petit
26
N°331- Janvier / Avril 2014
hôpital d’Uturoa qui m’entraîne ensuite boire un pot à l’hôtel
Hinano (du nom de la bière locale) où nous retrouvons la plupart
de nos amis. A l’époque pas d’autres liaisons avec Tahiti que les
goélettes locales, quelques liaisons aériennes avec l’hydravion
“Catalina” d’Air Tahiti qui dessert également Bora-Bora.
Après accomplissement des traditionnelles visites d’embauche de nouveaux travailleurs, départ pour l’île sœur de
Tahaa (elles partagent le même lagon) située à quelques encablures au nord et mouillage dans la baie de Hurepiti permettant
ensuite de rejoindre le village de Vaitoare. Impression de végétation luxuriante et sensation d’être au bout du monde surtout
le soir après six heures quand la nuit tombe brusquement et,
qu’en l’absence d’électricité, seuls quelques mōrī gaz s’éclairent dans les farés.
Départ le lendemain pour Bora-Bora, petite île au nord-est
entourée d’un immense lagon avec récif agrémenté de nombreux motu dont l’un, au nord de l’île, suffisamment grand pour
que les américains aient pu y construire pendant la guerre du
Pacifique un aérodrome encore en service actuellement et grâce
auquel depuis cette année fonctionne une liaison Paris-Bora
Bora via Los Angeles avec navette ensuite jusqu’à Papeete
grâce à l’hydravion Catalina dont je parlais plus haut. La seule
passe de l’île permettant de pénétrer dans le lagon est la passe
de Teavanui. Elle est suffisamment large et profonde pour que
l’Oiseau des Iles II puisse l’emprunter et, en suivant un chenal,
nous débarquer le long du wharf du village de Vaitape où nous
attendent les officiels de l’île ainsi qu’une foule de parents et
d’amis des travailleurs de retour au pays. Après effusions et colliers de fleurs, temps d’arrêt devant la tombe d’Alain Gerbault,
dont les aventures ont bercé ma jeunesse et, pendant que chacun
s’affaire à ses occupations, je pars à la découverte de l’île. J’y
découvre immédiatement les traces des 5.000 soldats américains
qui ont stationné sur l’île de 1942 à 1946 avec de nombreuses
batteries de canons abandonnés le long du rivage et les restes
27
d’un port dans la baie de Faanui permettant l’accostage d’assez
gros navires. S’y trouve d’ailleurs au mouillage le patrouilleur
Lotus stationnaire de la Marine française en Polynésie et ses
marins jouant à la pétanque sur le quai ! Retour à Vaitape pour
les traditionnelles visites d’embauche où j’apprends qu’a été
organisé, en l’honneur de notre directeur et de sa femme, une
pêche aux cailloux. Elle aura lieu le lendemain matin ce qui
retardera notre départ d’une journée.
Le lendemain de bonne heure nous nous retrouvons sur un
petit promontoire au bord d’un secteur du lagon judicieusement
choisi pour profiter au mieux du spectacle. A nos pieds une
nasse d’environ 20 m2 a été confectionnée avec des gros blocs
de corail avec une entrée qu’il sera possible de fermer au dernier moment par un barrage en feuilles de palmier qui vient
d’être confectionné sous nos yeux. En face de nous un secteur
de lagon d’environ 500 m de longueur est limité de chaque côté
par une dizaine de pirogues à balancier qui, au signal donné,
démarrent ensemble à la rencontre les unes des autres en frappant l’eau avec un gros caillou attaché au bout d’une corde.
Elles rabattent ainsi petit à petit les poissons vers la nasse,
laquelle au dernier moment est refermée par le barrage en
feuilles de palmiers. Honneur ensuite à l’invité de marque,
notre directeur en l’occurrence, à qui on confie un harpon enrubanné avec pour mission de s’approcher de la nasse et, sous les
yeux de la foule enthousiaste, d’essayer de harponner le premier
poisson. La nasse grouillant de poissons de toutes tailles, il n’a
aucun mal à réussir à en sortir un sous les applaudissements.
C’est la curée ensuite avec sortie d’un joli requin de belle taille.
Retour ensuite dans l’après-midi vers Papeete où nous arrivons
en soirée et mouillons à quelques encablures d’un joli voilier,
l’Eole, propriété du navigateur solitaire Guy Clabaut dont plus
personne ne se souvient à ce jour !
Retour à Makatea le lendemain.
28
N°331- Janvier / Avril 2014
Ceci nous amène au mois d’août. Voilà six mois que nous
sommes à Makatea et nous commençons à trouver nos
marques. Tant que nous sommes deux médecins sur place nous
pouvons descendre de temps en temps quelques jours à Papeete.
Ce que nous faisons en septembre grâce à la gentillesse de notre
ami le dentiste Dao qui met à notre disposition un petit faré
qu’il possède dans le district de Faaa. Nous avons la surprise et
le plaisir d’y retrouver René Mathieu, un ami d’enfance de
Condat en Féniers (Cantal) qui, après avoir fait l’Ecole Coloniale, a bourlingué en Afrique et aux Comores et vient d’être
nommé en poste en Polynésie. Souvenir d’une soirée au
Queens 3 avec lui et nos amis Dubourg. Nous aurons l’occasion
de le revoir de temps en temps durant notre séjour, d’abord en
célibataire puis rapidement avec une charmante tahitienne,
Nuni, qu’il épousera plus tard et avec laquelle il aura trois
enfants et s’installera définitivement à Papeete où il est encore
à l’heure actuelle.
Fin septembre, petit carton dans la boite aux lettres rédigé
comme suit : “Marc Lamotte d’Incamps, directeur général de la
Compagnie Française des Phosphates de l’Océanie, prie le docteur et madame Barbier de lui faire le plaisir d’assister au cocktail offert le 1er octobre à 16h30 au Cercle de la C.F.P.O. en
l’honneur du passage de Monsieur le Ministre Jacques Soustelle
à Makatea (tenue de ville)”. C’est la première visite d’un membre important du gouvernement à laquelle nous aurons le plaisir
d’assister, ce ne sera pas la dernière ! En effet, la mine de phosphate de Makatea étant l’entreprise la plus importante de Polynésie, nous aurons la visite ensuite de Robert Lecourt en 1961,
sans parler de tous les gouverneurs du Territoire qui se sont
3
Il faut lire Quinn’s ou son nom complet Quinn’s Tahitian Hut, un bar-dancing situé
sur le front de mer de Papeete, véritable institution du siècle dernier qui possédait un orchestre local de talent, propre à entretenir durant quelque quarante
années cette joie de vivre tahitienne faite de bringues sans fin et de rencontres
impromptues. (note : CG-SEO)
29
succédés et qui sont venus nous saluer, Mr Sicaud, Mr Huber,
Mr Cédile, Mr Grimald, si mes souvenirs sont exacts.
Le 1er octobre donc, vers 8 h du matin, nous sommes avec
tous les cadres de la Compagnie et leurs femmes, en attente de
l’arrivée de la Confiance le patrouilleur de la Marine Nationale
à bord duquel doit arriver le ministre et sa suite au port de
Temao. Les hommes en costard-cravate et les femmes avec leur
plus belle robe et le collier de fleurs qu’elles destinent aux arrivantes. A l’heure dite arrivée de la baleinière lourdement chargée du ministre, de son aide de camp, du gouverneur, de
monsieur Lamotte d’Incamps, directeur général de la C.F.P.O.,
de M. Pujol et du commandant de la Confiance ; ces dames arrivent par la baleinière suivante. Poignées de mains, remises de
colliers à ces messieurs par un groupe de jolies Tahitiennes et
salut aux couleurs. Le spectacle est splendide d’autant plus
qu’en arrière plan il se trouve que le phosphatier Hoyo Maru de
la Mitsui Line est en chargement. Après les petits discours de
bienvenue, le cortège emprunte le plan incliné pour se retrouver
à pied d’œuvre quatre-vingt mètres plus haut.
Mise en route ensuite du programme que nous retrouverons
identique à chacune des visites officielles qui se succèderont
tout au long des années suivantes, à savoir, le matin, embarquement dans les deux wagons réservés aux passagers du petit
train à voie étroite qui dessert les chantiers pour une visite de
l’extraction, puis visite de l’hôpital. Après le repas, l’aprèsmidi, rassemblement de toute la population sur le terrain de basket pour remise de décorations et autres médailles du travail,
discours du tāvana puis d’une petite écolière représentant la
jeunesse studieuse de Makatea, remises de colliers de fleurs par
les guides protestantes et spectacle de danse tahitienne par le
groupe des Rurutu. Et, bien entendu, à 16h30 nous nous retrouvons pour le cocktail final. Rude journée pour le ministre qui,
avant de partir, exprime le désir de monter à bord du phosphatier japonais pour une petite visite de courtoisie.
30
Des autorités en visite à Makatea
L’année se termine avec les traditionnelles fêtes de Noël au
cours desquelles je suis désigné pour faire le Père Noël et distribuer les cadeaux aux enfants. Elle se termine aussi avec le
départ du docteur Roques qui ne souhaite pas renouveler son
contrat et qui va donc quitter Makatea à la fin décembre. Il est
muté à sa demande à la Miferma, une importante mine de charbon en Mauritanie ce qui le rapprochera de la métropole.
L’année 1960
Le 19 janvier une note de service m’informe que je suis
nommé chef du service de santé de la C.F.P.O. à Makatea avec
salaire en conséquence. J’aurai dû m’en douter étant seul médecin sur la place. Cette situation va durer jusqu’au mois de mai,
époque à laquelle débarquera le docteur Saint Martin, sa femme
et ses deux filles, mais nous en reparlerons. Cette nouvelle responsabilité implique surtout l’impossibilité pour moi de quitter
l’île jusqu’à l’arrivée d’un second médecin et me confronte à
des décisions éventuellement graves à prendre en cas de maladie ou d’accident nécessitant une évacuation sur Papeete,
sachant que les liaisons avec Papeete n’ont lieu qu’une fois par
semaine si le temps est beau.
Cette situation ne se produira heureusement qu’une fois. Un
travailleur jeune et robuste se présente à l’hôpital avec un tableau
d’appendicite aiguë typique nécessitant avec évidence une intervention chirurgicale et une évacuation sur l’hôpital de Papeete.
Temps de chien, hélas, l’Oiseau des îles II est dans l’impossibilité
de venir et de mouiller en rade foraine de Temao. Il se trouve
forcé d’annuler sa liaison et nous nous trouvons forcés, Ly Siou
et moi de prendre la décision d’intervenir avec nos modestes
moyens et mon manque d’expérience chirurgicale (se ramenant
heureusement à de nombreuses aides opératoires au cours de mes
deux années à l’internat de l’hôpital d’Orléans). Et, nous voilà,
32
N°331- Janvier / Avril 2014
Ly Siou anesthésiste avec son masque d’Ombredanne et son
mélange de Schleich endormant notre malade et moi, incisant
l’abdomen au point de Mac Burney et finissant par dégager un
appendice largement gangrené et nageant dans le pus. Nettoyage
et application large de poudre de Tifomycine (qui nous a rendu
tant de services avant qu’elle ne soit retirée de la circulation), fermeture avec un bon drainage et suites opératoires sans problème
avec guérison en quelques jours ! Encore merci mon Dieu pour
la bonne et robuste nature de ce jeune polynésien.
Les jours passent et le climat chaud et humide avec une
hygrométrie telle que tout a tendance à moisir, en particulier le
cuir et même le verre, nécessite que nous achetions un coffre en
bois de camphrier pour mettre le maximum de choses à l’abri.
Il fait pratiquement toujours beau mais souvent un gros nuage
passe et déverse en quelques minutes une chaude ondée qu’on
entend venir de loin par le bruit qu’elle fait en se déversant sur
les toits de tôle ondulée. La circulation sur l’île se fait souvent
à bicyclette, bicyclettes qui ont tendance à être considérées par
les Tahitiens comme propriété collective. Ainsi il arrive souvent
qu’on ne la retrouve pas à l’endroit où on l’a laissée, ce qui
n’est pas grave car sur cette île de si petite dimension rien ne
peut véritablement se perdre ! Chaleur, humidité et absence de
saisons bien marquées finissent par provoquer une certaine
indolence, on devient fiu. Alors que la première année je jardinais et bricolais avec ardeur, mes activités se ramènent maintenant à construire un modèle réduit de notre maison en
allumettes, c’est dire !
En mars, l’arraisonnement du phosphatier japonais Shuumei Maru me permet de faire la connaissance du docteur Saito,
médecin à bord de ce navire. En effet, alors que sur les pétroliers américains qui nous ravitaillent il n’y a jamais de médecin,
l’équipage des bateaux japonais en possède un, ce qui me simplifie le travail sur le plan du contrôle médical. Le docteur Saito
s’exprimant relativement bien en français nous fraternisons
33
rapidement et je l’invite à déjeuner à terre. Jacqueline et moi en
gardons le souvenir d’un homme d’une extrême courtoisie et
gentillesse, ravi d’être reçu en famille. C’est ainsi qu’à son passage suivant il nous offrira la jolie poupée japonaise ornant
encore à l’heure actuelle notre salon condatais et qu’il se chargera ensuite en échange d’un don en café de nous ramener une
série de bols en laque. Je ne saurai trop insister sur la bonne
éducation de tous ces marins japonais contrastant avec le style
un peu rustre et bon enfant des équipages américains traitant
notre équipe d’arraisonnement comme si nous étions de bons
sauvages mourant de faim et vivant dans l’attente de leurs cartouches de cigarettes !
Début avril, changement de maison. La direction
consciente de l’accroissement régulier de notre famille nous
propose de nous installer dans une grande maison voisine de
celle des Chardin d’un côté et de M. Gauthier de l’autre. Cette
maison est noyée dans une végétation superbe à l’ombre d’un
grand ’uru ou maiore (arbre à pain) et d’un grand manguier.
Bananiers et papayer poussent un peu partout et nous disposons
même d’un poulailler avec des poules qui, curieusement,
nichent le soir dans les arbres mais nous fournissent des œufs
de temps à autre. Un jardinier tahitien entretient le jardin avec
une lenteur remarquable cependant que nos deux employées de
maison, Tearai et Terani s’affairent dans la cuisine. La maison
est beaucoup plus grande avec une immense véranda qui nous
permettra des réceptions fastueuses et servira d’aire de jeu parfaite pour les enfants. Nous sommes donc bien installés pour
l’arrivée sans problème de Véronique le 16 avril. Bien entendu
je ne tombe pas dans le piège de l’ordre des prénoms et Véronique, Marie, Paule aura pour prénom tahitien Maire 4 (prononcez
4
Une fougère odorante, mais il existe aussi un arbuste au feuillage odorant
appelé le Maire Makatea qui ne pousse en Polynésie française qu’à Makatea
(note : FC-SEO).
34
N°331- Janvier / Avril 2014
Mahiré) qui est le nom d’une jolie fougère. Le Père Romain Le
Gall la baptisera le 1er mai avec pour parrains par procuration
Mme Pitras et M. Gauthier.
Le mois de mai est également marqué par l’arrivée des
Saint Martin, le docteur Hubert Saint Martin, sa femme Annie
et leurs deux filles Brigitte et Carole (13 et 15 ans). Ce confrère
charmant à la quarantaine passée et avec lequel je travaillerai
toujours en très grande confiance, lui étant plus âgé et plus
expérimenté que moi, généraliste installé en banlieue de Paris,
en a eu assez d’une vie surmenée dans un climat qui ne lui plaisait pas et, comme moi, a été tenté par cette expérience polynésienne de quatre ans. Seul problème pour lui et qui ne se posait
pas pour moi, la scolarisation de ses deux filles. Jusqu’à la fin
de mon contrat nos relations seront de plus en plus amicales et,
quelques années plus tard, nous nous retrouverons dans le midi
de la France pour évoquer cette tranche de vie. Sa présence va
donc me permettre de souffler un peu.
Toujours au mois de mai nous est annoncé la visite de
M. et Mme Caplain, le président directeur général de la Compagnie financière de Suez et sa femme. Comme je l’évoquai
plus haut la C.F.P.O. a changé de direction et les Caplain sont
trop heureux de venir visiter leur nouvelle acquisition dans les
mers du sud. Branle bas de combat à Makatea dans tous les services en vue de l’accueil de ces importants personnages ! Désignation d’un groupe de jeunes tahitiennes pour la remise des
colliers de fleurs, décoration des deux wagonnets réservés aux
visites des sites d’extraction, etc, etc. Arrivée de l’Oiseau des
Iles II le matin de bonne heure, réception d’accueil en haut du
plan incliné et embarquement de tous dans ce petit chemin de
fer à voie étroite d’environ sept kilomètres qui permet d’accéder
aux divers chantiers. Peut-être est-ce le moment, me semble-til, d’expliquer un peu mieux en quoi consiste le travail d’extraction de ce fameux phosphate. Pour ce faire j’extrais les lignes
suivantes du site “www.tahitihéritage.pf”. Elles expliquent très
35
bien en quelques mots le travail qui attend les travailleurs que
je vais recruter dans les îles.
“Le minerai se trouve sur l’île de Makatea sous forme de
sable phosphaté, parfois de blocs durs, quelquefois formant des
couches stratifiées peu épaisses en affleurement à la surface du
sol. Lorsque celui-ci est débroussaillé, apparaît alors une surface plane assez régulière. Une fois enlevée la couche de sable
phosphaté apparaît enfin les féo (colonnes de calcaire dur).
C’est entre ces féo qu’est extrait en profondeur le phosphate.
Le phosphate de Makatea se serait développé au sein de sédiments organiques lagunaires, comme à Mataiva, puis aurait été
porté à l’air libre lors d’un soulèvement sismique, comme à
Nauru et Christmas.
La nature même du gisement exige comme outils de travail
ces archaïques mais indispensables instruments que sont la
pelle, la brouette et le seau. Il s’agit en effet de racler une multitude de petits trous que seule la pelle atteint, ou des puits (pot
holes) parfois si étroits qu’un seau est nécessaire pour amener
le minerai en surface. La dispersion de ces féo, impose l’usage
de la brouette pour rassembler le phosphate. Un convoyeur à
bande promène son tapis en caoutchouc sur des centaines de
mètres en formant des bretelles et des détours de façon à relier
tous les chantiers, et se charge alors de transporter le phosphate dans une trémie. C’est alors qu’intervient le petit train
dont les wagonnets acheminent le minerai brut vers les installations de broyage, séchage et de stockage.”
Pour l’instant, le petit train n’achemine pas du phosphate
mais tous les cadres de la Compagnie et leurs femmes. Arrêt
traditionnel au grand pot hole5 de 50 mètres de profondeur qui
5
Anglicisme qu’on pourrait traduire par /marmite du diable ou marmite de géant/
et plus simplement gouffre naturel au fond duquel se trouve, issue des eaux de
ruissellement une nappe d’eau douce importante ce qui est le cas à Makatea.
(note : C.G.-SEO)
36
N°331- Janvier / Avril 2014
permet d’atteindre la nappe phréatique et au fond duquel, autrefois, l’eau douce était pompée avant que toutes les maisons ne
soient équipés de réservoirs recueillant l’eau de pluie. M.
Caplain se fait présenter quelques contremaîtres et retour
ensuite jusqu’au village de Vaitepāua pour finir la matinée par
la visite de l’hôpital où Saint Martin et moi pouvons plastronner
à notre aise en faisant visiter notre domaine !
L’après-midi, spectacle de danse et autres réjouissances
comme à chaque visite de personnages officiels. Le DC7 de la
T.A.I6 au départ de Bora-Bora prévu pour ramener les Caplain
à Paris n’étant prévu que dans quatre jours (rappelons que l’aérodrome de Faaa n’est toujours pas terminé), il est convenu que
l’Oiseau des Iles II les amènera à pied d’œuvre par le chemin
des écoliers, à savoir Papeete où il doit repasser par les bureaux
de la Compagnie et ensuite direction Bora-Bora via Moorea et
Huahine. J’ai la chance de faire partie du voyage pour assurer
une présence médicale à notre président et à sa femme !
Notre passage à Tahiti coïncide par chance avec l’arrivée
du superbe voilier-école de la marine chilienne, l’Esmeralda.
Spectacle grandiose dans le petit port de Papeete. Départ le lendemain matin pour Moorea où nous sommes à pied d’œuvre
quelques heures plus tard et, après que l’Oiseau des Iles II ait
franchi la passe de Vaiare, nous faisons une pause au superbe
hôtel de Vaiare avant d’embarquer dans un truck en direction de
la baie de Cook où nous nous arrêtons à Paopao pour visiter un
atelier de séchage de vanille. Le tour de l’île se poursuit avec
un arrêt au temple de Papetoai et se termine dans la soirée par
un mā’a tahiti à l’hôtel de Vaiare.
6
La T.A.I. ou Transports Aériens Interinsulaires était une compagnie aérienne française qui a donné naissance en 1963 après mariage avec l’Union Aéromaritime
des Transports (UAT), à UTA ou Union des Transports Aériens, aujourd’hui disparue. (note : CG-SEO)
37
Départ le lendemain pour Huahine, une des îles Sous-leVent les plus originales. Presque coupée en deux, Huahine Nui
et Huahine Iti sont reliées par un isthme qui sépare la baie de
Maroe et la baie de Bourayne. L’Oiseau des Iles II mouille au
nord de l’île au village de Fare. Excursion ensuite sur le lac
Maeva, une ancienne partie du lagon transformée en grand lac
d’eau douce à la suite de son isolement de la mer par un soulèvement sismique de cette partie de l’île. Nous embarquons dans
une grande baleinière et passons devant le village lacustre de
Maeva avec ses faré sur pilotis et ses pièges à poissons. Pied à
terre ensuite et visite d’un des nombreux marae qui témoignent
de l’ancienne civilisation polynésienne qui a particulièrement
perduré à Huahine. La baleinière nous dépose ensuite à l’est de
l’île sur une splendide plage de sable blanc au bord du lagon et
nous rejoignons à pied le motu (îlot) de Vaiorea où nous attend
l’Oiseau des Iles II.
Et c’est l’arrivée à Bora-Bora dans la soirée au wharf de
Vaitape. Le lendemain, l’avion de la T.A.I. ne décollant que
dans l’après-midi, petite excursion jusqu’au village d’Anau
pour faire quelques photos et acheter des coquillages.
Retour vers le sud jusqu’à la plage de la pointe Matira avec
baignade générale (y compris le président directeur général et
sa femme). En route enfin, en milieu d’après-midi, avec la
baleinière de l’Oiseau des Iles II sur un petit motu situé non loin
du grand motu sur lequel est situé l’aéroport de Bora Bora pour
une dernière promenade et pour une dernière baignade en attendant l’arrivée de la vedette de la T.A.I. qui nous amène tous au
bungalow de l’aéroport nous permettant d’assister à l’embarquement de M. et Mme Caplain sur le DC7 à destination de la
métropole via Honolulu. Et c’est le retour ensuite vers Makatea
où je retrouve femme et enfants en bonne santé.
A la mi-juin, la présence du docteur Saint Martin me le permettant, je sollicite trois semaines de congé à prendre à Tahiti
38
N°331- Janvier / Avril 2014
sachant que le faré dont dispose la Compagnie dans le district
de Paea est disponible. Le 17 juin donc embarquement de toute
la famille sur l’Oiseau des Iles II, Jacqueline, Catherine, Philippe, Véronique, Tearai, Terani et moi pour trois semaines de
vacances à Tahiti. Location d’une voiture à Papeete et en route
vers Paea où nous découvrons en bord de lagon le joli faré de
la Compagnie au milieu des cocotiers, des frangipaniers et des
tiarés. Vue superbe sur Moorea et couchers de soleil splendides.
Couchers de soleil qui nous rappellent qu’il n’y a pas d’électricité dans le district de Paea et qu’il faut s’organiser pour allumer le frigo à pétrole (qui ne fonctionnera bien que s’il est calé
parfaitement à l’horizontale) et allumer les lampes Aladdin
(lampes à pétrole dont il faut coiffer la mèche après allumage
par un manchon à incandescence et qui donnent une lumière
très agréable).
Trois semaines de farniente avec courses à Papeete le
matin, baignade et canotage l’après-midi sur la pirogue à balancier dont nous disposons avec la maison, découverte avec
masque et tuba de la richesse des fonds du lagon. Visite de nos
amis Dubourg qui nous font profiter de leur canot à moteur.
Rencontre également avec l’ami René Mathieu qui ne se sépare
plus de son amie Nuni. Sieste l’après-midi en évitant de la faire
sous un cocotier pour ne pas recevoir un coco sur la tête ! Bref,
la belle vie avec les trois enfants qui se régalent sur la plage et
progressent dans tous les domaines
Mais tout a une fin et retour à Makatea dans les premiers
jours de Juillet où nous retrouvons notre nouvelle grande maison, plus ombragée et plus agréable à tous points de vue.
N’ayant pas pu profiter du “juillet” de Papeete (rappelons que
la fête du 14 juillet s’étale sur tout le mois de juillet en Polynésie) nous participons à celui de Makatea avec fête nautique à
Temao avec courses de pirogues, ’ōte’a du groupe de danseurs
de Rurutu et grand bal au Cercle avec tous les cadres de la
Compagnie. Par ailleurs les semaines sont marquées par les
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départs et les arrivées des uns et des autres en route ou de retour
de la métropole, départs et arrivées qui s’accompagnent évidemment chaque fois d’une invitation à un repas d’adieu ou de
bon retour. C’est dire que les mondanités ne manquent pas et
nous obligent à compléter notre garde robe en commandant
robes et costumes à Paris.
Au mois d’août, Saint Martin de retour des Australes
revient avec un petit cochon qui lui a été offert en vue de finir
ses jours au four tahitien.
C’est le prétexte parfait pour organiser un mā’a tahiti avec
tout le personnel de l’hôpital. C’est ainsi qu’un beau soir sur la
terrasse de l’hôpital nous nous retrouvons une trentaine de personnes, couronnes de fleurs sur la tête en train de déguster le
petit cochon accompagné d’un pōpoi (purée d’ignames) et après
un bon fāfaru (poisson cru macéré avec des chevrettes) en
entrée, le tout accompagné de bière Hinano à volonté. Inutile de
décrire l’ambiance en fin de repas quand les infirmiers sortent
leurs guitares et autres ukulele pour nous initier au tāmure. Un
bon souvenir pour les deux filles de mon confrère qui s’en donnent à cœur joie avec les jeunes.
Le dimanche matin même en l’absence du Père Romain, le
diacre responsable de l’église Saint Clément dirige une petite
cérémonie de prière à laquelle nous assistons ponctuellement
avec une bonne partie des cadres de la Compagnie. Mais la
concurrence est rude avec les protestants et les adventistes qui
ont chacun leur lieu de culte et où se retrouve une partie importante de la population tahitienne. Sans oublier de temps à autre
le passage de Témoins de Jéhovah.
Comme je le disais plus haut les activités minières de notre
île (la C.F.P.O. représente l’employeur le plus important de la
Polynésie) attirent forcément la visite des responsables politiques du Territoire. Ce qui ne manque pas de se produire en
septembre avec la visite du gouverneur Huber et en octobre
40
La fête
avec celle du gouverneur général Cédile. C’est à chaque fois
l’occasion de quelques festivités après la visite des chantiers et
de l’hôpital et l’après-midi de ces journées là est toujours considérée comme fériée.
En octobre nouvelle mission de recrutement aux Iles-SousLe-Vent. Mon confrère Saint Martin venant d’effectuer une
mission aux Australes, c’est à moi de repartir. Cette mission de
recrutement se ramènera finalement à une courte virée à BoraBora où nous mouillons pendant 48h et où j’ai le temps de me
balader assez largement dans les environs de Vaitape et où je
suis frappé à chaque fois, comme dans toutes les îles que j’ai
visité et qui n’ont pas l’électricité, par la mélancolie qui s’en
dégage quand, brusquement, vers 18h, le soleil se couche et que
la nuit s’installe. On comprend ce qu’est le mal des îles qui peut
saisir parfois les jeunes autochtones, mal qui, de temps en
temps, les pousse à embarquer sur leur pirogue et à se laisser
dériver vers un avenir qu’ils espèrent meilleur. C’est peut-être
de cette façon que se sont peuplés les îles de tous ces archipels
du Pacifique Sud ?
Retour à Makatea où l’activité médicale bat toujours son
plein avec une population de 3.000 habitants : lutte antifilarienne, lutte antituberculeuse, vaccination des enfants, suivi des
accouchements (153 en 1960) et, le plus difficile, commande
annuelle des médicaments basée sur la consommation des
années précédentes et préparation du rapport annuel (voir en
annexe les rapports 1960 et 1961). C’est vers cette époque
qu’une note nous parvient signalant une épidémie de poliomyélite dans la région d’Hokkaïdo au Japon et nous demandant de
redoubler de vigilance au cours de l’arraisonnement des phosphatiers venant de cette région. Heureusement pas de problème.
Autre fait notable à cette époque, Jacqueline, sur les conseils
du chef de poste, l’adjudant-chef Gilain, décide de passer son
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N°331- Janvier / Avril 2014
permis de conduire, ce dernier, parmi ses multiples fonctions,
étant en capacité de délivrer les permis de conduire. La voilà
donc au volant de l’unique voiture de l’île et sur l’unique route
carrossable de quelques kilomètres ayant pour principal obstacle
un passage à niveau sans barrière, en train de prendre quelques
leçons avec le chef de poste qui aboutissent à un examen passé
avec succès qui lui permet d’utiliser la 2CV de location dont
nous nous servons pendant nos séjours à Papeete. Ce permis présenté en France quelques années plus tard au cours de divers
contrôles de gendarmerie remporte toujours un vif succès.
Fêtes de fin d’année sur le modèle de celles de l’année précédente avec soirée dansante dans la grande salle du Cercle et
photo traditionnelle le lendemain 1er janvier 1961 sur la grande
place devant le magasin.
L’année 1961
Pour rompre un peu la monotonie des jours et quand nous
commençons à devenir fiu3, nous avons la possibilité de changer de cadre et d’aller faire un petit week-end à Mōumu, le
petit village de pêcheurs situé au nord de l’île et où la Compagnie possède un petit faré dont on peut disposer à tour de
rôle. C’est ce que nous faisons dans le courant janvier avec les
trois enfants. Si du côté de Temao le “plan incliné” permet une
descente sans problème au pied de la falaise, côté Mōumu il
faut emprunter un chemin de chèvre noyé dans la brousse qui
descend de façon assez dangereuse. Mais une fois à Mōumu
le cadre est digne de l’île de Robinson Crusoë et, à condition
d’être équipé de sandales plastiques, on peut profiter d’un
3
Etat de lassitude, d’ennui… (note : FC-SEO)
43
semblant de petite plage avec quelques trous d’eau permettant
aux enfants de barboter.
Quelques autochtones habitent ce village. Ils se consacrent
presque exclusivement à la pêche sur leur pirogue à balancier.
Ils proposent à la vente de temps en temps sur la place de
Vaitepāua du thon ou des mārara (poissons volants) et même,
parfois, nous permettent de goûter un beefsteak de tortue de
mer. Week-end agréable et dépaysant.
N’allez pas croire qu’il n’y a pas d’autres distractions sur
cette île. A Vaitepāua il y a une salle de cinéma dans laquelle a
lieu de temps en temps la projection d’un film, le plus souvent
d’amateur, et, parfois, une conférence ou une exposition organisée par un conférencier ou un artiste de Papeete. Le seul
inconvénient de cette salle, c’est le grondement provoqué par le
passage d’un nuage chargé de pluie sur sa toiture en tôle ondulée rendant toute audition impossible et Dieu sait qu’il en passe
assez souvent des nuages chargés de pluie ! Pluie tropicale relativement chaude et ne durant pas longtemps. Parapluie inutile
et si on est trempé il suffit de cinq minutes pour se changer.
C’est à cette époque que commencent à circuler des bruits
concernant l’avenir de l’exploitation des phosphates de Makatea. La ressource s’épuise et le phosphate, de plus en plus difficile à extraire, nécessite toujours autant de main-d’œuvre pour
un rendement en baisse. Par ailleurs on apprend que la Compagnie vient de mettre en exploitation une mine de manganèse à
Forari aux Nouvelles Hébrides et, déjà, des cadres de la Compagnie en fin de contrat à Makatea postulent pour partir là-bas
(nos amis Chênais en particulier). Un observateur de
l’O.R.S.T.O.M. est d’ailleurs depuis quelques jours à Vaitepāua
pour enquêter sur l’impact qu’aurait sur l’économie du Territoire la fermeture de Makatea. On sait que l’avenir confirmera
toutes ces rumeurs et que mon confrère Saint-Martin sera le
dernier médecin de la C.F.P.O.
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Vue sur Mōumu
Photo ©J.Kape
Toujours à cette époque, je retrouve une photo d’un jeune
étudiant, Jean Clérault, élève de l’Ecole Centrale se destinant
sans doute à l’Ecole des Mines et venu faire un stage d’un mois
à Makatea. Sur la photo c’est l’heure du départ à Temao, il est
chargé de colliers de fleurs que viennent de lui offrir cinq ou six
vahinés qui s’accrochent à son cou pour des adieux déchirants.
On sent que dans son rapport de stage l’extraction du phosphate
ne figurera peut-être pas au premier plan !
Mais revenons à des choses plus sérieuses ! C’est en mars
que le phosphatier Cape Ortegal en cours d’opération de mouillage sur cette fameuse rade foraine de Temao tombe en panne
de moteur et, le temps étant très mauvais avec un vent du sud
rabattant vers la côte, est drossé sur le récif malgré les efforts
des chaloupes de la C.F.P.O. qui sont impuissantes à le maintenir au large. Il va rester là pendant quarante-huit heures, le nez
contre la falaise, le temps de la remise en état de son moteur et,
bien entendu, sera le but de promenade de toute la population
de l’île. Moteur réparé, mer calmée et marée favorable, il faudra
les efforts conjugués de toutes les chaloupes pour qu’il puisse
sortir de ce mauvais pas sans trop de dégâts.
Il y avait un certain temps que nous n’avions pas eu la
visite de quelques personnalités officielles. Rassurez-vous, elles
arrivent ! Fin mars, M. Dewez, un membre important du conseil
d’administration de la Compagnie s’annonce et vient passer 48
h à Makatea. Courant avril c’est le gouverneur Grimald qui
vient visiter les installations de l’île. Enfin, cerise sur le gâteau,
début mai, branle-bas de combat après l’annonce de l’arrivée
sur le stationnaire de la marine nationale du ministre des Départements et Territoires de la France d’Outre-Mer, Robert
Lecourt. Je ne reviendrai pas sur les festivités qui vont se dérouler à l’occasion de son passage, elles vont être calquées sur
celles qui se sont déroulées il y a deux ans à l’occasion du passage de Jacques Soustelle et nous laisserons le souvenir d’une
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N°331- Janvier / Avril 2014
journée festive grandiose avec, parmi les médailles remises,
celle du Mérite Social à Mlle Boubée, notre assistante sociale.
Au mois de mai le directeur local, M. Chardin, profitant du
passage à Makatea de M. et Mme Lenhardt, le président directeur général de la Compagnie et sa femme, propose aux cadres
qui le souhaitent une excursion d’une journée à Rangiroa, l’atoll
des Tuamotu le plus proche de Makatea (80 km environ). Je
laisse Jacqueline y aller seule et me charge de la garde des
enfants. Elle part le matin de bonne heure et arrive à Rangiroa
en fin de matinée au village principal d’Avatoru. L’immense
lagon de Rangiroa, véritable mer intérieure de 50 km sur 20 km,
est accessible à l’Oiseau des Iles II par une passe suffisamment
profonde bien que siège de violents courants de marée. A
l’époque l’île est très peu peuplée, il n’y a pas d’aérodrome, la
perliculture et la culture de la vigne n’existent pas encore. L’eau
douce provient des citernes d’eau de pluie. Au programme la
visite de l’église, de la maison du chef de poste et surtout,
l’après-midi, promenade dans le lagon avec séance de pêche à
la traîne. Vers 18 h, coucher du soleil (sans qu’il soit possible
de voir le rayon vert) qui sonne l’heure du retour. Jacqueline
garde un mauvais souvenir de l’arrivée à Temao à la nuit tombante. L’accès au quai, déjà assez difficile en temps normal et
par mer calme du fait de l’étroitesse de la petite passe permettant d’entrer dans la darse, l’est encore plus ce soir-là du fait
d’une forte houle. La chaloupe faisant la navette avec l’Oiseau
des Iles II se présente devant ladite passe chargée d’une dizaine
de personnes dont Jacqueline. Le pilote attend la bonne vague
pour lancer son moteur mais, manque de chance, il se rend
compte qu’il embarque de telle sorte qu’il ne passera pas et
manœuvre pour faire une nouvelle tentative. Les passagers s’inquiètent et, parmi eux, une Tahitienne entonne le cantique
« Plus près de toi mon Dieu ». Vous imaginez l’ambiance...
Tous arrivent finalement à bon port mais persuadés qu’il viennent d’échapper à la mort !
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Mai 1961, c’est également l’inauguration et la mise en service de l’aéroport de Faaa à Tahiti qui va permettre des liaisons
plus directes avec la France via Los Angeles et finira par rendre
non rentable la liaison Marseille-Sydney par les paquebots des
Messageries Maritimes. Le port de Papeete ne verra plus passer
que des paquebots de croisière venant surtout de la côte ouest
des Etats-Unis comme, pendant notre séjour, le Monterey et le
Mariposa (que les Tahitiens appelaient le Ménopausa comptetenu de l’âge moyen des touristes).
Du 12 au 19 juillet nous reprenons quelques jours de
vacances pour découvrir l’ambiance du “Juillet” à Papeete.
Cette fois-ci nous profitons de la maison de la Compagnie
située à Punaauia, le district chic de l’île. La maison, toujours
en bord de mer, est plus vaste et plus confortable mais la plage
est moins agréable qu’à Paea. L’ambiance à Papeete est encore
plus festive que les autres années du fait de la présence de toute
l’équipe de cinéastes américains occupée au tournage du film
« Les révoltés de la Bounty ».
Une extraordinaire reconstitution de la goélette La Bounty
est au mouillage dans le port de Papeete et fait le but de promenade de toute la population de l’île. La présence du personnage
principal, Marlon Brando, circulant dans les rues de la ville
déchaîne les passions. Personnage que nous pourrons approcher
de plus près au cours du bal du Gouverneur le soir du 14 juillet
dans les jardins de son hôtel et qui nous décevra car petit et
avec des chaussures à talons compensés. La journée du 14 juillet est marquée, le matin, par le défilé militaire (Infanterie de
Marine et équipe de France militaire de foot-ball de passage à
Tahiti), suivi par les courses de pirogue à un, deux, six et douze
rameurs, les pirogues à voile et les pirogues de guerre. Le spectacle est splendide dans le lagon avec Moorea à l’horizon.
L’après-midi flânerie dans la ville où la fête bat son plein,
baraques, grande roue, etc. et le soir le bal du gouverneur avec
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nos amis Roussin, Barrier et Dubourg, sans oublier René
Mathieu et Nuni.
Dans les jours qui suivent invitations à déjeuner chez les
uns et les autres et souvenir en particulier d’un repas chez René
Mathieu et Nuni qui nous font découvrir leur maison à l’entrée
de la vallée de la Papenoo.
Retour à Makatea et reprise du travail à l’hôpital. Nous
sommes bien complémentaires avec Saint Martin ce qui est
d’autant plus important que Ly Siou vient de partir en vacances
en France. Il est remplacé par Vetea, l’infirmier le plus ancien
qui assume bien ses nouvelles responsabilités mais n’a pas les
capacités de Ly Siou. Ce qui implique pour nous une présence
plus importante. D’autant plus que dans le courant du deuxième
semestre 1961 nous participons, à la demande d’un médecin de
Papeete, à un travail sur la répartition des groupes sanguins
parmi les travailleurs immigrés à Makatea. Une centaine de prélèvements parmi les travailleurs venant de tout l’archipel nous
permet d’apporter une petite pierre à un travail qui va faire l’objet d’une publication dans l’American Journal of Physical
Anthropology et les remerciements de l’hôpital de Papeete.
Août 1961, Jacqueline, vingt-cinq ans ! Nous les fêtons à la
maison avec les Saint-Martin, les Masquellier, les Roussin,
Mlle Boubée et les trois enfants. Un peu de nostalgie car, à part
les liaisons épistolaires, il est difficile d’avoir des nouvelles de
la famille Barbier en France et, encore plus, de la famille Laurant à Colomb Béchar. A noter cependant que le courrier arrive
plus rapidement depuis la mise en service de l’aérodrome de
Faaa. Mais les photos ne remplacent pas la présence et les
enfants grandissent loin de leurs grands-parents. Ils se portent
bien et ont leur tenue du dimanche pour aller à l’église Saint
Clément où, même en l’absence du Père Romain, a lieu une
petite cérémonie de prière présidée par un diacre !
Le 2 septembre je repars en mission de recrutement aux
Australes. Cette fois-ci seulement à Rurutu et Tubuai. Arrivée
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comme d’habitude au large du lagon d’Avera et débarquement
des passagers par baleinière. L’Oiseau des Iles II va mouiller
ensuite de l’autre côté de l’île en face du village de Moerai pour
décharger diverses marchandises et, en particulier une jeep que
nous sommes admiratifs de voir installer sur la baleinière qui
doit franchir ensuite une étroite passe, siège de courants souvent
assez violents. Mais tout se passe bien, contrairement au yacht
malchanceux d’un couple de navigateurs solitaires qui se trouve
renversé sur le récif à deux pas de l’Oiseau des Iles II et auquel
nos marins vont essayer de porter secours mais sans trop d’espoir de pouvoir sauver leur bateau.
Départ le lendemain pour Tubuai, pour moi la plus belle île
des Australes où, profitant de la voiture du chef de poste, j’en
profite pour faire une belle balade autour de l’île et photographier plages et rivières pendant une matinée et par un temps
immuablement beau. Visites d’embauche terminées, nous reprenons la mer le lendemain pour le voyage de retour. Il sera marqué non par quelques passages de baleines comme lors de ma
dernière mission de recrutement mais par le sauvetage d’un petit
voilier désemparé, le Perkins que nous sommes obligés de prendre en remorque jusqu’à Papeete en marchant à petite vitesse.
Et c’est le retour à Makatea où la vie quotidienne reprend
son cours avec les petites promenades quotidiennes vers
Mōumu ou Temao avec arrêts chez grand-père Lazare ou chez
le commandant Guède, le capitaine du port et sa femme, des
gens charmants dont la maison domine toutes les installations
du port et permet une bonne vision du chargement des phosphatiers. Quelques distractions à noter vers cette époque à savoir la
mise à l’eau d’un catamaran construit par un ouvrier de la Compagnie et qu’il a fallu descendre en bord de mer par le plan
incliné avant baptême et mise à l’eau par Mme Chardin. Autres
distractions, un match de foot entre vétérans en tenue tahitienne,
des courses de pirogues à Temao entre les bouées de la rade
foraine.
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Plan incliné
Fin octobre nous sommes informés par le Père Romain
qu’une chapelle vient d’être construite à Rangiroa dans le village d’Otepiti et que Mgr Mazé, évêque de la Polynésie souhaiterait profiter de l’Oiseau des Iles II pour s’y rendre et présider
la cérémonie d’inauguration et de bénédiction de cette chapelle.
Les cadres de la C.F.P.O. souhaitant participer à cette journée
seront, bien entendu, les bienvenus. Arrivée donc de Mgr Mazé
par la liaison hebdomadaire de l’Oiseau des Iles II et départ le
lendemain matin pour une excursion d’une journée à Rangiroa.
De bonne heure le matin l’Oiseau des Iles II se présente devant
le village d’Avatoru où une passe assez profonde lui permet de
pénétrer dans le lagon, véritable mer intérieure assez profonde
pour lui permettre de nous débarquer à quelques encablures du
village d’Otepiti après une traversée prudente d’une cinquantaine de kilomètres à l’autre bout de l’atoll.
Plus qu’une chapelle c’est une véritable petite église que
nous découvrons au milieu des cocotiers et entourée d’une foule
endimanchée. Bénédiction de l’église suivie d’une messe solennelle célébrée par Mgr Mazé et agrémentée par de joyeux cantiques tahitiens. Un repas en plein air autour de l’église termine
la cérémonie et vers quatre heures, nous allons visiter les deux
curiosités du secteur, à savoir un cocotier dont le tronc à mihauteur se ramifie en deux branches, chose, parait-il, extrêmement rare et un requin dormeur domicilié à quelques centaines
de mètres au bord du lagon et qui, très placidement, se laisse
observer sans crainte avec sa petite bouche le rendant incapable
d’être dangereux. Retour à Makatea à la nuit.
C’est vers cette époque que les Saint Martin et nous
sommes invités à un mā’a tinito (repas chinois) chez les
Ly Siou, de retour de leurs vacances en France. Mme Ly Siou,
fine cuisinière nous prépare un canard laqué dans les règles de
l’art. Bon souvenir de la gentillesse de ce couple qui, l’un et
l’autre, nous auront toujours été d’un grand secours et réconfort.
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Eglise du village de Otepipi
L’année s’avance et les bruits évoquant la fin de l’exploitation du phosphate dans un délai relativement court deviennent
de plus en plus insistants et l’on parle de plus en plus du transfert des activités de la C.F.P.O. à Forari aux Nouvelles
Hébrides. Les Saint-Martin s’étant bien adaptés à la vie makatéenne, avec leur accord, je laisse entendre à la direction que je
ne serai pas contre l’idée de partir six mois plus tôt que prévu
dans mon contrat en renonçant aux congés prévus pour être pris
en métropole, ce qui nous ferait partir à la fin mai 1962. Echo
favorable dans les hautes sphères de la direction parisienne et
dès le 9 janvier 1962 je recevrai du chef de l’agence C.F.P.O. à
Papeete confirmation d’une réservation pour le vol de la R.A.I.8
Faaa-Orly via Los Angeles du 23 mai prochain.
Nous voici bientôt en décembre avec la préparation des fêtes
de Noël toujours un peu nostalgiques dans ce climat tropical qui
n’évoque en rien les paysages de neige et les forêts de sapin. Climat tropical qui, il faut bien le reconnaître, est assez débilitant et
qui n’encourage pas beaucoup à entreprendre. Petit à petit on
devient de plus en plus fiu. On est en forme le matin, on végète
l’après-midi et on retrouve du tonus le soir quand la chaleur est
tombée. Cela rappelle d’ailleurs un peu le rythme de vie que nous
avions connu à Colomb Béchar où, l’après-midi, les activités ne
reprenaient qu’à seize heures. C’est pourquoi aussi quand on se
reçoit le soir entre amis les conversations tournent toujours autour
de la métropole, de ses paysages, des souvenirs de vacances.
Trêve de nostalgie, il faut aller chercher une branche de
tamaris pour dresser un bel arbre de Noël. Quand aux treize
desserts, on a dans le jardin des bananes, des mangues, des
papayes, un ananas, des noix de coco et des fruits de notre arbre
à pain, que demander de plus !
8
Sans doute une erreur de plume, la compagnie aérienne RAI (Réseau Aérien
Interinsulaire) desservant la Polynésie avec des hydravions; il faudrait sans doute
lire la TAI qui elle faisait la liaison jusqu’à Los Angeles et Paris. (note : CG-SEO)
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Fête de Noël bien calme en famille et, le 28 décembre,
comme chaque année, repas tahitien rassemblant tout le personnel de l’hôpital et leur famille. Tenue tahitienne de rigueur, couronne de fleurs sur la tête, guitare, ukulele et hinano9 à volonté.
Ambiance garantie.
La naissance imminente de Béatrice ne nous permet pas de
participer à la traditionnelle soirée dansante du 31 décembre mais
nous sommes bien présents le lendemain matin sur la photo de tous
les cadres et de leur famille sur la grande place devant le Cercle.
L’année 1962
Et c’est le 19 janvier 1962 à 1 h 15 du matin la venue au
monde assez laborieuse de Béatrice. A la mairie, bien entendu,
je fais attention à l’ordre des prénoms, Béatrice, Brigitte (pour
rappeler le prénom de Brigitte Saint Martin qui a accepté d’être
sa marraine), Marie, Uranui (Ura qui veut dire rouge, pourpre,
couleur royale et Nui qui veut dire grand, vaste, étendu. Uranui
pouvant évoquer une flamme royale et, en tahitien désigne souvent “ l’oiseau de feu”).
Par chance le Père Romain sera de passage à Makatea à la
fin du mois ce qui permettra de baptiser Béatrice le 31 janvier
à l’église St Clément entourée de son parrain (par procuration
M. Mulliez, un cadre de la Compagnie, mon frère Alain sera le
vrai parrain) et Brigitte Saint Martin sa marraine et en présence
des Chardin. Le soir, à la maison, dans notre grande véranda,
un cocktail très réussi rassemblera tous nos amis jusque tard
dans la soirée. Nous pourrons ensuite nous endormir comme
chaque soir bercé par la cavalcade des rats de cocotier sur notre
toiture en tôle ondulée. Rats dont Jacqueline a trouvé d’ailleurs
un exemplaire dans le four de la cuisine un matin en voulant
l’allumer et qu’elle a bien failli faire griller !
9
Hinano est la marque d’une bière locale (note : CG-SEO)
55
Et nous voilà en février à un peu moins de quatre mois de
notre départ, lequel, comme vous l’imaginez, commence à être
au premier plan de nos préoccupations. D’autant plus que ce
départ va s’accompagner d’un véritable déménagement car, en
trois ans, on accumule tout un tas de choses qui commence à
représenter un volume très important : coffre chinois en camphre, linge de table, linge de maison, caisses de livres, machine
à coudre, électrophone, service de table, matériel de cuisine,
jouets des enfants dont deux tricycles. Sans parler des souvenirs
polynésiens : une caisse de coquillages dont un gros bénitier, un
kaveu formolé monté sur socle, une grande rame marquisienne,
une poupée japonaise et douze bols en laque, une grande coupe
marquisienne, un serre-livre marquisien, deux ukulele, trois costumes tahitiens pour enfants, une maquette de pirogue à balancier, une maquette de notre maison en allumettes, une planche
à pain et à fromage en bois des îles, des portes couteaux en
corail, sans parler des coupons de tissu paréo et autres tīfaifai et
pē’ue. J’en passe sans doute ! Mais, grâce à Dieu, la Compagnie se chargera de prendre tout cela en charge et de l’acheminer en métropole par bateau. C’est dans cette perspective que,
environ un mois à l’avance, nous demandons au service charpente de nous fabriquer des caisses suffisamment solides pour
supporter un voyage d’un mois de Makatea au Raincy. Il en
faudra huit pour un poids total de 628 kg.
Dans les jours qui précèdent le départ, soirées d’adieu à
l’hôpital, chez les Saint Martin, les Chardin et les Roussin entre
autres. Nous sommes convoqués à l’aéroport de Faaa le mercredi 23 mai à 8h45 et c’est la veille que nous embarquons sur
l’Oiseau des Iles II après la traditionnelle cérémonie de départ
à Temao, embrassades, colliers de fleurs et de coquillages, à la
grande joie des enfants qui montent gaillardement sur la baleinière nous permettant de rallier le bord (sauf, bien entendu,
Béatrice dans son couffin).
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Le voyage de retour
Après une bonne nuit à Papeete, nous sommes à pied
d’oeuvre le mercredi 23 mai à 8 h dans la salle d’embarquement
de l’aéroport de Faaa dans l’attente du départ de notre avion
vers Los Angeles. Parmi les passagers sortant de l’ordinaire,
comme nous avec nos quatre enfants en bas âge, on trouve un
missionnaire de retour en métropole et un enfant souffrant
d’une tumeur au cerveau et rapatrié sanitaire pour être opéré en
France.
Décollage comme prévu vers 10h avec, dans un premier
temps, un survol splendide d’un certain nombre d’atoll des Tuamotu et des Marquises, avant de prendre de l’altitude et de filer
vers Los Angeles où nous devons faire escale et changer de
compagnie aérienne pour prendre un vol Air-France vers Orly
avec escale technique à Montréal. Voyage confortable avec des
hôtesses de l’air aux petits soins pour faire réchauffer les biberons de Béatrice et arrivée comme prévu à Los Angeles vers
20h locale. Tout le monde descend et bien que nous ne soyons
qu’en transit, passage obligatoire de la douane qui n’en finit
pas et au cours duquel les douaniers nous confisquent et nous
détruisent quelques oranges tahitiennes qu’ils aperçoivent parmi
nos bagages à main. Comme nous changeons de Compagnie
aérienne et que nous ne devons repartir avec Air France qu’à
minuit, nous embarquons tous, qu’on le veuille ou non, dans
plusieurs autocars qui nous amènent dans un vaste cabaret dansant aux fin fonds de la ville de Los Angeles. Idée louable en
soi pour nous faire patienter agréablement jusqu’à minuit et
d’ailleurs la plupart des passagers sont très contents, mais le
brave missionnaire parait un peu surpris sans parler du jeune
évacué sanitaire qui doit suivre également le mouvement. Quant
à nous, notre arrivée suscite immédiatement l’enthousiasme de
l’orchestre qui attaque “la Madelon” puis “Auprès de ma
blonde”. Reprise du voyage sur un avion d’Air France qui se
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pose à Montréal en fin de nuit dans le but de faire le plein de
carburant. Cette intervention devant durer une bonne heure, les
passagers sont priés de descendre en laissant leurs bagages et
sont dirigés vers une salle d’attente de l’aéroport. Passablement
énervés par l’épisode de Los Angeles et les enfants dormant
tous plus ou moins nous refusons énergiquement de bouger et
notre détermination parait tellement évidente que le personnel
de bord accepte que nous restions à bord pendant qu’une équipe
de femmes de ménage fait un peu de nettoyage sous nos pieds !
En route enfin vers la France où notre arrivée est prévue le
jeudi 24 mai à 21h locale. Survol de l’Atlantique sans histoire
mais, arrivés au-dessus d’Orly, un orage assez violent oblige
l’équipage à faire deux ou trois tours d’approche avant de pouvoir se poser. Nous pensons à nos parents qui sont là à nous
attendre et notre impatience devient grandissante. Les enfants
sont prêts et nous avons même réussi à leurs mettre des chaussures en leurs expliquant qu’il était impératif qu’ils les gardent
aux pieds le plus longtemps possible ; et c’est l’arrivée dans le
hall de l’aéroport devant un escalier roulant qui doit nous mener
à l’étage supérieur.
Brève escale au Raincy et départ à Kehl où papy Laurant
est en garnison. Retour ensuite à La Garde où nous commençons à prospecter dans le sud-est en vue de la création d’un
cabinet de médecine générale. Quelques jours à Condat, bien
évidemment, avant l’achat sur un coup de coeur de la maison
située 13, avenue Notre-Dame de Santé à Carpentras où j’ouvre
mon cabinet le 1er janvier 1963. Et, depuis, Notre-Dame de
Santé nous protège !
Claude Barbier
Médecin-chef du service de santé
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Makatea
Photo ©J.Kape
ANNExE 1
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ANNExE 2
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ANNExE 3
makatea : rapport annuel 1960, le 3 février 1961
Hygiène et médecine préventive
• Lutte anti-filarienne
A Makatea, comme dans toute la Polynésie, l’endémie filarienne parait
stabilisée depuis quelques années. L’enquête annuelle effectuée par les
services de l’Institut de Recherche en octobre a montré un nombre de
porteurs de microfilaires ayant peu varié par rapport à l’année 1959 :
1959
1960
Nombre de prélèvements
2040
1840
Sujets positifs
138
140
Pourcentage
6½%
7½%
Il semble que les personnes infestées soient, non pas résistantes à l’action de la Notézine, mais représentent un reliquat de sujets qu’il a été
impossible de traiter correctement pour des raisons diverses : refus du
médicament, contre-indications, absences ou déplacements.
Ceci montre que le péril filarien bien que pratiquement en voie de disparition ne doit pas être sous-estimé et que les mesures si fructueuses
appliquées ces dernières années doivent être maintenues fermement
pendant encore longtemps.
Ces mesures se sont traduites en 1960 à Makatea de la façon suivante :
a) Mesures d’hygiène générale : épandage de crésyl et pétrole sur les
lieux susceptibles de favoriser le développement des larves de moustiques (363 litres de pétrole et 205 litres de crésyl). Débroussage de voisinage des habitations et ramassage des ordures. Le ramassage des
ordures qui est une mesure anti-filarienne de premier ordre a été
négligé et mal compris jusqu’à présent. Nous l’avons signalé à plusieurs
reprises au cours de l’année. Nous croyons savoir que cette question va
enfin être réglée de façon satisfaisante en 1961. Nous en prenons note.
b) Utilisation des insecticides : dans ce domaine la réception dans le
courant de l’année du vaporisateur « Vermorel » de 50 litres nous a
beaucoup facilité le travail. L’ensemble habité de l’île a été divisé en
11 secteurs ; deux séances de vaporisation ont lieu par semaine couvrant chacune un secteur ; ainsi le cycle complet s’effectue en cinq
semaines environ. Un seul inconvénient : l’efficacité du produit diminue beaucoup par temps de pluie, or depuis la réception de l’appareil le temps a été malheureusement anormalement pluvieux.
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N°331- Janvier / Avril 2014
c) Chimiothérapie : Traitement des porteurs de microfilaires par cures
successives de Notézine jusqu’à disparition des microfilaires du sang.
d) Désensibilisation des sujets atteints de manifestations chroniques
(crises de lymphangite fréquentes chez de vieux filariens non porteurs de microfilaires par exemple) par une injection hebdomadaire
d’antigène de « Dirofilaria Inmitis » (filaire de chien).
• Lutte antituberculeuse
La lutte antituberculeuse a été amplifiée à Makatea en 1960 par les
mesures suivantes :
a) Radioscopie de toute la population à partir de l’âge scolaire. Ce gros
travail a permis le dépistage de 7 nouveaux malades (15 sont en traitement actuellement).
b) Vaccination obligatoire des nourrissons par le B.C.G..
c) A la suite de la visite en octobre du docteur Massal, directeur de l’Institut de Recherches, chargé de la lutte antifilarienne et antituberculeuse, nous avons mis au point pour 1961 les modalités de traitement
suivantes :
– traitement à Makatea de tous les tuberculeux (y compris les bacillaires qu’on hospitalisait autrefois à Papeete) par l’aménagement de
deux petites salles de l’hôpital et par la formation de laborantin qu’à
reçu notre infirmier Vetea après un stage six semaines à l’hôpital de
Papeete, formation qui lui permettra de faire les recherches de BK
dans les crachats et les urines.
– d’une enquête complète sur la tuberculose à Makatea par intradermo réaction à la tuberculine de toute la population.
Avant d’en terminer avec la lutte antifilarienne et antituberculeuse, il
faut signaler toute l’aide et la compréhension que nous avons trouvé
cette année à Papeete, aussi bien à l’Institut de Recherches qu’à l’hôpital. Cette aide s’est traduite en particulier par la possibilité accordée à
deux de nos infirmiers de faire un stage de perfectionnement, l’un à
l’Institut de Recherches, l’autre au laboratoire de l’Hôpital.
• Lutte contre la typhoïde
Des cas de typhoïde assez nombreux ayant été enregistrés à Makatea
en décembre 1959 et janvier 1960, nous avons demandé l’autorisation
à la Direction du Service de Santé de pratiquer d’autorité la vaccination
de la population de moins de 40 ans par le vaccin triple associé. Non
seulement cette autorisation nous a été accordée mais la direction du
Service de Santé a même rendu cette vaccination obligatoire peu de
temps après dans tout le Territoire.
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Elle a été entreprise dès le mois de février et à la fin décembre tous les
travailleurs étaient vaccinés, tous les enfants en âge scolaire et tous les
commerçants chinois. Il reste encore les femmes du personnel C.F.P.O.
qui seront vaccinées dans le premier trimestre 1961.
Le résultat a été immédiat puisqu’au moment où nous écrivons ces
lignes (mi-janvier 1961) aucun cas de typhoïde ne s’est encore manifesté malgré une saison pluvieuse entraînant par conséquent des
risques plus grands de contamination des eaux de boisson.
A titre indicatif : nombre de doses de vaccin injectées en 1960 : 2.134.
Par ailleurs la lutte antityphoïdique a été complétée par une analyse
bactériologique des principales sources d’eau de boisson dans les
camps et chez les chinois, analyse qui a permis de dépister trois citernes
dont l’eau n’était pas potable. Un nettoyage et une désinfection soigneuse des dites citernes a permis de remédier à cet état de choses.
• Visites sanitaires
Nous avons repris en 1960 la tradition des visites sanitaires mensuelles
des camps de travailleurs abandonnée depuis quelques années. Un
camp est visité chaque mois avec le chef du Service Central. L’effort a
surtout porté cette année sur l’ élimination la plus complète possible
des constructions parasites, des drums inutiles accumulés par les Tahitiens autour de leurs logements et sur la modernisation des douches et
des W.C.. Le ravitaillement en eau n’a posé aucun problème car il n’y a
pas eu de période de sécheresse.
Parallèlement à ces visites et avec l’aide du chef de poste nous avons
inauguré des visites sanitaires chez les commerçants chinois dont les
arrières boutiques d’une façon générale se sont révélées d’une saleté
repoussante. La menace de procès verbaux a permis quelques améliorations mais il reste encore beaucoup à faire et nous intensifierons nos
contrôles en 1961.
• Police sanitaire et soins aux équipages
Les visites d’arraisonnement des phosphatiers n’ont posé aucun problème sur le plan médical malgré l’inquiétude créée par une épidémie
de poliomyélite dans la province d’Hokkaïdo au Japon au début de septembre. Finalement aucun phosphatier japonais venant de cette région
ne s’est trouvé en situation telle qu’elle justifie la quarantaine.
Pas de difficultés non plus pendant l’année avec les équipages des
pétroliers. Environ une quinzaine de marins ont reçus des soins à l’hôpital pour des affections sans gravité. A signaler seulement une
appendicite.
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N°331- Janvier / Avril 2014
activité du Service Social
Sous l’impulsion de Mlle Boubée jusqu’en avril et de Mme Beck ensuite,
le Service Social a fonctionné parfaitement cette année encore. Rappelons ses activités qui sont multiples et absorbantes :
– consultations des nourrissons impliquant la préparation des visites
hebdomadaires, la tenue à jour des carnets de distribution de lait,
les pesées et les soins aux nouveaux nés (en particulier surveillance
du pansement ombilical jusqu’à la chute du cordon).
– chez les enfants plus grands, tenue à jour des carnets d’allocations
familiales.
– chez les enfants en âge scolaire organisation de toutes les visites de
médecine préventive et hygiène (radioscopie annuelle, vaccinations
contre la variole et la typhoïde, séances d’épouillage, etc…)
– enquêtes sociales, recherche de malades, organisation de l’arbre de
Noël pour les enfants des travailleurs.
En résumé et pour information : distribution de 18.853 boites de lait –
456 bouillies diverses – 2.054 petits pots Gerber – 4 biberons.
activité de la maternité
153 accouchements ont eu lieu à la Maternité se répartissant comme
suit :
Hiri Richmond : 110 accouchements
Heures de surveillance de jour .......... 174
Heures de surveillance de nuit .......... 269
Ly Siou : 43 accouchemenbnts
Heures de surveillance de jour .......... 70
Heures de surveillance de nuit .......... 122
Sur ces 153 accouchements, 6 ont abouti à la naissance d’un enfant
mort-né et 2 ont nécessité l’application de forceps (dont un avec version par manoeuvres internes).
L’état civil de Makatea donne en 1960 un nombre de naissances de 147.
On peut donc constater avec satisfaction que pour la première fois
cette année tous les accouchements ont eu lieu à la Maternité.
A ce propos signalons l’excédent de naissance à Makatea en 1960 :
naissances 147 – décès 34 : excédent 113
activité du cabinet dentaire
Extractions dentaires : 1.551 – soins terminés : 417
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activité de l’hôpital
• Consultations externes :
Travailleurs :
Blessés ........................................... 836
Malades ........................................ 3 736
Familles et hors C.F.P.O. .......... 5 862
Total : 10 434
Ce tableau qui comptabilise les consultations montre que nous avons
en moyenne 1 consultation par jour chez les travailleurs et 15 chez les
familles.
Les chiffres mensuels de consultants du côté des familles sont intéressants à rapprocher des chiffres des deux dernières années. Ils mettent
clairement en évidence l’existence de deux petites épidémies chaque
année, l’une vers mars-avril (infections des voies respiratoires), l’autre
vers octobre (infections intestinales). A noter qu’en 1960 à l’épidémie
du mois d’octobre s’est ajoutée une épidémie de rougeole.
Le nombre des consultations ne renseigne pas exactement sur le nombre des malades. Aussi pour les travailleurs est-il intéressant de connaître le nombre de malades par rapport à l’effectif total de 700 environ.
Après calcul on arrive à 1.643 malades dans l’année soit un peu plus de
4 malades par jour (0,6% de l’effectif par jour) avec durée moyenne de
maladie de 3 jours environ.
• malades hospitalisés :
Ils ont été 258 au total dans l’année (67 travailleurs C.F.P.O. – 101 adultes
hors C.F.P.O. – 90 enfants de moins de 6 ans)
• accidents du travail et activité chirurgicale :
107 accidents du travail qui se répartissent comme suit :
membres inférieurs :
pieds .............................................................. 52
cuisse, jambe et cheville ....... 38
membres supérieurs :
mains ............................................................ 41
bras, avant-bras, poignets ... 11
têtes :
face ................................................................. 10
crâne ............................................................. 6
autres parties du corps : .............................................................................. 9
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N°331- Janvier / Avril 2014 3
Donc peu de différence avec l’an dernier. Voici le classement des accidents par service :
Service extraction : 105 (32% par rapport à l’effectif)
Service mouvement et traitement : 13 (17%)
Service mécanique, électricité et centrale : 17 (28%)
Service charpente : 10 (21%)
Service du port : 9 (23%)
Service administration et divers : 12 (sans valeur)
L’activité chirurgicale de l’année effectuée sur place peut se résumer de
la façon suivante en ne tenant compte que des interventions ayant
nécessité une anesthésie générale.
Janvier :
excision et suture d’une plaie de la jambe
réduction d’une luxation de la mâchoire
Février :
incision d’un abcès profond de la cuisse
Juillet :
appendicectomie (effectuée en urgence, la liaison avec
Papeete étant interrompue pour cause de mauvais
temps)
Octobre : accouchement compliqué d’une version par manœuvre
interne et forceps
L’activité chirurgicale ayant nécessité l’évacuation sur Papeete a été la
suivante :
Février :
sub-occlusion par tumeur maligne
Mars :
double fracture de la mâchoire
Juillet :
cure chirurgicale d’un adéno-lymphocèle
Juillet :
cancer de la langue
Octobre : appendicectomie
• Visites d’embauche et recrutements
Les visites d’embauche et de renouvellement de contrat se font toujours suivant les normes des années précédentes en particulier pour
tout ce qui concerne les tests d’aptitude physique permettant de déterminer le coefficient de robustesse. Ces tests ont fait leurs preuves et
nous sont très utiles pendant les recrutements pour la sélection des
candidats. A ces examens se sont ajoutées cette année la radioscopie,
la vaccination DTTAB et, pour les sujets arrivant des îles, une recherche
systématique des microfilaires dans le sang.
Les recrutements n’ont plus maintenant l’importance qu’ils avaient autrefois. Les travailleurs sont bien sélectionnés et deviennent plus sédentaires. Les voyages dans les îles leurs permettent surtout de prendre leur
congé et nous n’avons à embaucher que peu de nouveaux (une trentaine
cette année). Les voyages ont été sans histoires (cf. rapports de mission).
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Gestion de la pharmacie
La gestion de la pharmacie suppose essentiellement la prévision de nos
besoins en médicaments six mois à l’avance. Cette prévision se heurte
à l’estimation d’un certain nombre de facteurs variables :
– nombre de malades pouvant varier brusquement avec les petites
épidémies.
– arrivée des commandes en retard sur la date prévue (en particulier
la commande prévue pour arriver à Makatea en octobre 1960 et
arrivée de façon échelonnée dans le courant du mois de décembre).
– changement de médecin impliquant le changement d’un certain
nombre de spécialités.
– mise de la pharmacie au goût du jour (médicaments nouveaux).
– date de péremption des médicaments et parfois mauvaise
conservation non prévue de certains produits à emballages non
tropicalisés.
Ly Siou s’est fort bien tiré cette année encore de toutes ces embûches
et, à part les cas de typhoïde plus nombreux que d’habitude en début
d’année qui ont entraîné un épuisement prématuré de notre stock de
dragées de Tifomycine avec obligation de commande en France par
avion, nous n’avons manqué de rien d’essentiel en cours d’année.
Les dépenses annuelles en médicaments ont été de 1.613.000 francs
sans changement important par rapport à 1959 (1.531.717 francs). Nos
prévisions pour 1961 (1.800.000 frs) sont calculées assez largement et
ne seront certainement pas dépassées.
Le personnel
Nous avons donné en temps utile des appréciations individuelles sur
chaque membre du personnel. Il est inutile de se répéter. L’équipe de
l’hôpital n’a pas changé par rapport à l’année 1959. De ce fait elle est
devenue plus homogène et plus efficace et Ly Siou dans sa fonction
d’infirmier-chef a montré un doigté parfait pour prévenir et apaiser les
petits conflits internes. Un bon esprit a régné pendant tout l’année dans
le service et les infirmiers semblent avoir bien compris le sens de leur
travail et ont su être disponible chaque fois qu’on a eu besoin d’eux en
dehors des heures de service.
Le docteur Saint Martin est arrivé au début mai. C’est un confrère charmant et expérimenté. La plus franche sympathie préside à nos relations.
Le médecin-chef du service de santé : Claude Barbier
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N°331- Janvier / Avril 2014
ANNExE 4
makatea : rapport annuel 1961, le 19 février 1962
Hygiène et médecine préventive
• Lutte antifilarienne
Comme chaque année depuis 1958 nous ferons le point de la lutte antifilarienne à Makatea en utilisant les résultats de l’enquête du mois d’octobre effectué par l’Institut de Recherches de Papeete avec l’aide de
notre infirmier Guy Maiotui. Le principe de l’enquête reste toujours le
même. Une goutte de sang est prélevée sur chaque individu à partir de
un an.
Ce prélèvement étudié au microscope révèle ou non la présence de
microfilaires. Les sujets positifs sont traités 8 jours de suite à la Notézine.
Ceux qui restent positifs malgré ce traitement subissent un nouveau
traitement de 8 jours. Six mois après, traitement de rappel de 8 jours
pour tous les sujets positifs au premier prélèvement.
Cette année les résultats sont les suivants :
Rappel ...................................................... 1960
Nombre de prélèvement .......... 1913 ................... 1840
Sujets positifs ...................................... 143 ................... 140
Pourcentage ........................................ 6,4% ................... 7,5%
A première vue ces résultats peuvent sembler un peu déçevants
puisqu’il semble que, malgré le traitement, il reste toujours autant de
porteurs de microfilaires. En réalité sur les 143 sujets positifs en 1961,
132 sont des nouveaux qui n’ont jamais été traités, originaires pour la
plupart des îles Australes. Les 11 autres étaient positifs l’an dernier mais,
en dernière analyse on en trouve 5 qui ont refusé le traitement, 3 qui
présentaient une contre-indication et 3 qui n’ont pas terminé le traitement. Ainsi, l’efficacité de la Notézine n’est absolument pas à mettre en
cause.
On peut espérer en 1962 un pourcentage plus faible car, pour la première fois cette année, l’Institut de Recherches a organisé une campagne antifilarienne aux îles Australes. Par conséquent tout nouvel
arrivant à Makatea venant de ces îles aura, en principe, déjà été traité
et ne faussera pas nos résultats.
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En dehors de cette chimiothérapie de la filariose, nous avons continué
l’application des diverses mesures destinées à lutter contre les moustiques :
– épandage de pétrole........... 151 litres
– épandage de crésyl............... 141 litres
– vaporisation de D.D.T.......... 248 litres
Dans ce domaine, hélas, le bilan n’est guère encourageant et, malgré
nos efforts, les moustiques continuent à proliférer allégrement ! Que
faire d’autre sans engager des moyens sans rapport avec le but à atteindre ? Il faut remarquer cependant à notre décharge la totale inefficacité
du produit insecticide « Vaporal » qui nous a été livré avec le pulvérisateur « Vermorel » de 50 litres. D’autre part, ce pulvérisateur sur lequel
nous fondions de grands espoirs s’est révélé, d’une part d’un maniement extrêmement fatigant et, d’autre part, d’un entretien assez délicat. Enfin, l’année extrêmement pluvieuse n’a pas facilité les choses.
• Lutte antituberculeuse
La lutte antituberculeuse est organisée maintenant de façon assez satisfaisante. Nantis d’un bon appareil radio et d’un infirmier sachant rechercher les B.K., nous sommes complètement indépendants de Papeete,
ce qui évite bien des allées et venues pour les malades. Nous nous
contentons de déclarer les malades à l’Institut de Recherches chargé de
la lutte antituberculeuse qui nous rembourse les frais de traitement.
Parmi les mesures préventives, citons :
– la radioscopie annuelle obligatoire de toute la population. Le nouveau poste de radioscopie arrivé en mars répond tout à fait à nos
besoins. Il nous a permis cette année le dépistage de 8 malades.
– la vaccination BCG des nouveaux-nés qui a lieu régulièrement tous
les premiers mardis de chaque mois depuis décembre 1960. Nous
vaccinons également tous les enfants à cuti-réaction négative
vivant en milieu contaminé.
Les mesures curatives :
– isolement et traitement à l’hôpital des malades bacillaires. Nous
avons prévu en 1961 l’aménagement de deux salles un peu isolées
à l’intention de ces malades mais, malheureusement, le service
Force et Entretien n’a pas pu nous donner satisfaction et le travail
est reporté à l’année 1962.
– traitement ambulatoire des malades non contagieux avec visite
mensuelle le premier lundi de chaque mois. Nous avions à la fin de
l’année 25 malades en traitement.
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N°331- Janvier / Avril 2014
Enfin l’enquête complète sur la tuberculose par intra-dermo réaction à
la tuberculine que l’Institut de Recherches devait faire subir à toute la
population n’a pas eu lieu comme promis. Nous souhaitons qu’elle ait
lieu en 1962.
• Hygiène générale
L’évènement marquant de l’année aura été la mise en service d’un
camion benne destiné au ramassage des ordures. Cette mesure longtemps souhaitée parce qu’elle paraissait seule capable de régler la question du nettoyage des camps a immédiatement porté ses fruits et je
crois que l’impression générale est la constatation d’un changement
très net dans l’aspect des camps et de la voirie. L’utilisation des trous de
feo comme décharge ne pose pas de problème et les risque de pollution des eaux du « pot.hole » sont nuls.
Autre sujet de satisfaction, l’éternelle question de la prolifération des
chiens à Vaitepāua est enfin réglée grâce au dynamisme et à l’initiative
de notre nouveau chef de poste, M. Maldini. Sur le vu d’un rapport du
Service Médical (novembre 1961), M. Maldini a pris le taureau par les
cornes et a adopté les mesures que nous lui suggérions : ouverture
d’un registre permettant l’immatriculation des chiens, abattage des
chiens errants non revendiqués, port d’un collier obligatoire mentionnant le nom du propriétaire, construction d’une petite cage-fourrière
permettant de garder les chiens 24 heures, enfin, dans les camps, tolérance d’un seul chien par foyer. Tout ceci s’accompagnant d’une séance
de ramassage de chien tous les trois mois permet en fin de ramener le
nombre de ces derniers à un chiffre acceptable.
Enfin nous continuons les visites de surveillance sanitaire des boutiques
des commerçants chinois. Facilités leurs sont données d’évacuer leurs
ordures par le camion-benne de la Compagnie. Ils n’ont donc plus d’excuses si la propreté de leurs arrières-boutiques laisse à désirer.
Notons, pour terminer que cette année nous n’avons pas besoin d’ouvrir une rubrique concernant la lutte contre la typhoïde. La vaccination
de toute la population est effective et il n’y a pas eu un seul cas de
typhoïde en 1961.
• Police sanitaire et soins aux équipages
Trente-sept navires ont été arraisonnés cette année à Temao. Aucune
difficulté ne s’est présentée sur le plan médical. Les phosphatiers japonais qui représentent la majeure partie des navires arraisonnés ont un
médecin à bord, ce qui explique que nous n’avons jamais de problème
avec eux. De ce fait les soins aux équipages concernent toujours les
71
bateaux anglais mais se ramènent à très peu de choses. En 1961, le 25
avril, soins à deux matelots de l’Avonbank et le 18 août soins à un matelot du Crainforth .
activité du Service Social
Mlle Boubée au retour de son congé en métropole a repris son activité
au Service Social début février cependant que Mme Beck quittait la
Compagnie. Que ce soit les consultations de nourrissons ou les visites
de médecine préventive pour les enfants des écoles, tout a fonctionné
normalement et de façon satisfaisante.
Les données suivantes résument l’activité en 1961 des consultations de
nourrissons :
– nombre de nourrissons vus en consultation
1021
– boites de lait distribuées................................................ 17955
– bouillies diverses...................................................................
1282
– boites Gerber............................................................................
1888
La grosse augmentation des boites de bouillies distribuées par rapport
à l’an dernier provient d’un lot assez important qui nous a été cédé par
le magasin en cours d’année. Nous continuons à distribuer les bouillies
Nidine, Phosphatine et Blédine qui sont malheureusement des bouillies
à cuire et, de ce fait, d’un emploi un peu compliqué pour les Tahitiennes
mais les bouillies instantanées sont très chères et les Gerber céréales
que nous avions envisagé un instant d’utiliser se conservent très mal et
moisissent rapidement.
Le nombre des vaccinations pratiquées chez les enfants dans le courant
de l’année est le suivant : B.C.G. – 152, antivariolique – 42, D.T.T.A.B. – 216.
activité de la maternité
148 accouchements ont eu lieu se répartissant comme suit :
Hiri Richmond : 122 accouchements
Heures supplémentaires de nuit .......................................... 302
Heures supplémentaires de jour........................................... 243
Ly Siou : 22 accouchements
Heures supplémentaires de nuit........................................... 40
Heures supplémentaires de jour........................................... 45
Accouchements à domicile.............................................................
4
Les complications obstétricales ont été les suivantes :
5
Fausses couches (vues à la maternité...............................
Accouchements d’enfants mort-nés..................................
2
3
Délivrance artificielle.......................................................................
72
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Accouchements de jumeaux.................
2
Malformation.......................................................
1
(cécité)
A l’état civil : naissance................................ 148 (en 1960 : 147)
Décès.......................................................................... 34
(en 1960 : 34)
Excédent.................................................................. 114 (en 1960 : 113)
Ceci pour une population de 3.071 habitants (statistique Molet en janvier 1962) se répartissant ainsi : Métropolitains 75 – Chinois 300 –
Autochtones 2.675 – divers 21
activité du cabinet dentaire
Extractions dentaires......................................... 1627
Soins terminés......................................................... 432
activité de l’hôpital
• Consultations externes
travailleurs
malades............................................................. 5769
blessés................................................................ 1258
Familles et hors CFPO....................................... 4954
Total : 12001
A noter, par rapport à l’an dernier, une diminution des consultations des
familles et hors CFPO (4 954 au lieu de 5 862), mais une forte augmentation des consultations des travailleurs aussi bien malades que blessés
(1 258 au lieu de 836 et 5 769 au lieu de 3 736). Pour les blessés nous en
reparlerons plus loin. L’augmentation des travailleurs malades est due
aux épidémies de rubéole et oreillons en mars-avril et à une poussée
grippale en juin-juillet et août.
Comme chaque année l’étude de la courbe des consultations des
familles et hors CFPO fait ressortir deux clochers : l’un en février-mars,
l’autre en octobre. Celui de février-mars représente une recrudescence
des affections des voies respiratoires et celui d’octobre une recrudescence des affections intestinales. En plus de ces phénomènes habituels
nous avons eu cette année des épidémies de rubéole, oreillons et varicelle. En y ajoutant la rougeole d’octobre 1960 on peut raisonnablement espérer maintenant être débarrassé de ces maladies pendant
quatre ou cinq ans.
La rubéole n’a pas provoqué d’ennuis chez les femmes enceintes protégées par les gamma-globulines mais chez celles qui, pour une raison
ou l’autre n’ont pas pu ou voulu se soumettre à ce traitement il faut
73
déplorer la naissance d’un enfant aveugle et de deux accouchements
d’enfants mort-nés.
Combien de malades pour ces 12.000 consultations de l’année ? Chez
les travailleurs 1.881 malades donnant un peu plus de 5,1 malades par
jour (4,1 en 1960) ou 0,7% de l’effectif par jour. La durée moyenne de la
maladie a été de 3 jours environ.
• malades hospitalisés
travailleurs......................................................................... 68
adultes hors CFPO...................................................... 35
enfants (moins de 6 ans)....................................... 108
Total : 211
Sur les 108 enfants hospitalisés dans l’année, 71 l’ont été pour des affections intestinales allant de la diarrhée banale à la toxicose. S’il faut incriminer le climat évidemment assez chaud, il faut surtout penser au
manque de connaissances en hygiène des mères de famille tahitiennes,
à leur nonchalance naturelle les poussant à négliger les soins les plus
élémentaires à leurs enfants, enfin au mode de vie dans les camps où
l’entassement des familles dans des bâtiments extrêmement chauds
entraîne une transmission rapide des maladies. En face de ces problèmes on ne saurait trop souligner l’importance de nos deux chambres climatisées à l’hôpital et le rôle primordial des consultations de
nourrissons.
• malades et consultants dirigés sur Papeete
En plus des hospitalisations sur place un certain nombre de malades
ont du être envoyés à Papeete, leur état soit trop grave pour être justiciable des seuls moyens de notre hôpital soit que nous n’ayons pas
posé le diagnostic. En voici la liste (en dehors des cas chirurgicaux traités dans le paragraphe suivant ) :
- fièvre inexpliquée ................................................... 2
- cystite d’origine indéterminée .................... 1
- néphrite........................................................................... 2
- tuberculose rénale (pour confirmation) 1
- toxicose ........................................................................... 1
- lèpre ................................................................................... 1
- éléphantiasis ............................................................... 1
- suspicion d’abcès froid ...................................... 1
Total : 10
74
N°331- Janvier / Avril 2014
Enfin des consultants ont été adressés dans les services de spécialité de
l’hôpital de Papeete en particulier O.R.L. et ophtalmo :
- ophtalmologie (le plus souvent pour
prescription de verres correcteurs)........... 8
- oto-rhino-laryngologie ..................................... 2
- radiologie ...................................................................... 2
Total : 12
• accidents de travail, activité chirurgicale
L’augmentation est assez notable par rapport à l’an dernier : 212 au lieu
de 167 mais, par contre, aucun accident grave dans l’année.
Les accidents du travail se classent de la façon suivante :
membres inférieurs :
- pieds .................................................................... 59
- jambe, cuisse ................................................ 54
membres supérieurs :
- mains .................................................................. 47
- avant-bras et bras ..................................... 18
tête :
- face ....................................................................... 10
- crâne ................................................................... 9
divers ....................................................................... 15
Classement par service :
Extraction............................................................ 159 (48,5% de l’effectif)
Mouvement et Traitement ................... 13 (17,5% de l’effectif)
Mécanique, Electricité, Centrale...... 6 (10,4% de l’effectif)
Charpente .......................................................... 8 (10,7% de l’effectif)
Port ......................................................................... 6 (15% de l’effectif)
Divers ..................................................................... 21
En comparant avec les chiffres de l’an dernier on constate que le pourcentage d’accidents par rapport à l’effectif de chaque service a diminué
au port et dans les ateliers, qu’il est resté stationnaire dans le service
Mouvement et Traitement mais, qu’à l’Extraction, il est passé de 32% à
48,5%. Les raisons de cette augmentation doivent être trouvées, je
pense, dans l’exploitation de chantiers plus difficile d’accès, en particulier dans certaines zones de « dispersé » où le phosphate a été particulièrement dangereux à extraire cette année.
75
L’activité chirurgicale en 1961 a été très faible. Elle se résume comme
suit pour les interventions sous anesthésie générale :
Malades opérés sur place :
- février.............. amputation d’un doigt et réparation d’un autre
- mai..................... suture d’un biceps brachial sectionné
Malades envoyés à Papeete :
- janvier............. plaie de l’œil
- février.............. plaie torpide du cuir chevelu
- avril.................... fracture du crâne
- juillet................ écrasement d’un pied par roue de wagon
- novembre.... appendicite
- décembre.... hernie
Gestion de la pharmacie
La gestion de la pharmacie nous a occupé cette année plus que les
autres années à cause de l’absence de Ly Siou. Vetea, chargé de le remplacer, a d’ailleurs fait preuve de très bonnes qualités d’organisation et
nous a rendu de grands services.
Les dépenses en médicaments évoluent de la façon suivante depuis
1959 :
Prévisions
Dépenses réelles
Année 1959....................................................................... 1 531 717 francs CFP
Année 1960...................................................................... 1 613 000 francs CFP
Année 1961........................... 1 800 000................. 1 556 422 francs CFP
Année 1962........................... 1 500 000
Nos prévisions 1962 sont calculées au plus juste et nous avons fait un
très gros effort dans notre commande de spécialités pour nous limiter
aux médicaments absolument indispensables. Par ailleurs nous pensons préférable pour beaucoup de spécialités d’un emploi courant et
de prescription impossible à prévoir, de nous ravitailler au jour le jour à
Papeete évitant ainsi des pertes par stockage inutile (il est à noter que
le prix de revient à Makatea d’une spécialité commandée chez Labonor
est le même, à quelques francs près, que celui du même produit acheté
à Papeete où les pharmacies nous consentent une réduction de 15%.)
Cependant tant que la population de l’île restera aux environs de 3000
personnes, il faut considérer que les prévisions 1962 sont vraiment un
minimum. A moins qu’on ne réussisse à jouer sur d’autres facteurs en
76
N°331- Janvier / Avril 2014
essayant par exemple d’obtenir la suppression des 5% de droits d’entrée en Polynésie (suppression accordée en février 1962) en mettant en
avant les services rendus par l’hôpital à la population hors CFPO ou en
essayant d’obtenir que l’intermédiaire Labonor réduise un peu sa marge
bénéficiaire.
Le personnel
Pas de changement cette année dans l’équipe de l’hôpital à part l’arrivée en cours d’année de Monique Thuret au poste de secrétaire.
L’absence de Ly Siou pendant la plus grande partie de l’année a donné
un surcroît de travail aux autres infirmiers et surtout des responsabilités
plus grandes à Vetea qui a tenu le poste d’infirmier-chef. Il a donné
toute satisfaction dans la gestion de la pharmacie mais, bien sûr, a eu
plus de difficultés que Ly Siou pour se faire obéir et respecter des autres
infirmiers. Tout s’est bien passé cependant. Stéphane, depuis deux ans,
progresse très bien, il est devenu un élément stable du service et on
peut compter sur lui. Parmi les autres une mention spéciale à Rahera
Mahoni, notre femme de charge, qui fait sérieusement et efficacement
un travail énorme à l’hôpital, bien qu’ingrat et obscur. Elle est un élément important de la bonne marche du service.
Toute l’équipe dans son ensemble a fait preuve d’un très bon état d’esprit. Je pense que cet état d’esprit est dû à la stabilité du personnel
depuis plusieurs années, stabilité qui a entraîné plus de solidarité entre
eux et nous a permis avec le docteur Saint Martin de mieux les connaître et de mieux comprendre et prévoir leurs difficultés.
Le médecin-chef du service de santé : Claude Barbier
77
Fanga en Polynésie française
dans les années soixante
Préface
Fanga était le diminutif que l’on employait souvent pour
parler de Fangataufa ce petit atoll moins connu que son voisin
Moruroa dont il est distant plein Sud à une vingtaine de mille
marins. Pourtant cet atoll a lui aussi enduré un grand bouleversement durant la période des essais nucléaires français en Polynésie française.
Le narrateur, Monsieur Luc André, alors technicien du Service des Travaux Maritimes1 a séjourné un an sur le site de Fangataufa 2 . Il avait précédemment collaboré aux travaux
d’extension du port de Papeete.
1
Service constructeur de la Marine Nationale, créé au 19ème siècle il a fusionné
avec le Service du Génie et l’Infrastructure de l’Air en 2005 pour constituer un
Service interarmées pour les besoins et les missions du Ministère de la Défense.
(note : CG-SEO)
2
Atoll fermé, alors inhabité, qui a la particularité comme l’atoll Moruroa d’être la
propriété de l’Etat Français depuis 1964. Fangataufa abritait entre autres oiseaux
marins une colonie de pailles-en-queue (tavake en langue pa’umotu), un oiseau
magnifique avec sa plume rectrice rouge longue et ondoyante. (note : CG-SEO)
N°331- Janvier / Avril 2014
Prendre position a posteriori, pour ou contre le fait
nucléaire des expérimentations n’est pas son propos. Il a souhaité par ce témoignage dire son ressenti, une manière de rendre
hommage à des hommes de terrain, Polynésiens et Métropolitains, et gens venus d’ailleurs, Légionnaires, Portugais, tous
chevilles ouvrières de ces travaux d’infrastructure et de génie
civil hors du commun entrepris sur ces atolls des Tuamotu
avant qu’ils ne deviennent champ clos d’expérimentations.
En prologue, le narrateur a voulu aussi raconter le Pacifique
Sud et le Tahiti de ce début des années soixante du siècle dernier où évoluait à son rythme, une communauté polynésienne
avec ses pleins et ses déliés, juste avant le déferlement de la
vague C.E.P. (Centre d’Expérimentation du Pacifique) qui va
bousculer une société toute entière. Des images certes jaunies
par le temps, mais toujours savoureuses.
C. Guéhennec (SEO)
79
En cette soirée du 12 janvier 1963, il régnait à bord une
atmosphère inhabituelle. Et pour cause, le lendemain, tôt dans
la matinée, le bateau arriverait à Tahiti. De nombreux passagers
ne voulaient pas manquer ce moment là. Après le dîner ils ne
s’attardèrent pas longtemps dans les salons.
Le navire, le Mélanésien, était ce qu’on appelait un bateau
mixte, c’est-à-dire mi-paquebot, mi-cargo. Il appartenait à la
Compagnie des Messageries Maritimes. Ce type de bâtiment
s’était développé à l’époque coloniale, pour desservir des
escales où le trafic, relativement peu important, ne nécessitait
pas l’utilisation de navires spécialisés.
Les trois plus grandes compagnies françaises se partageaient la desserte de régions du globe. La principale et la plus
prestigieuse, la Compagnie Générale Transatlantique, avec ses
paquebots de luxe, avait le Havre comme port d’attache. Elle
reliait cette ville à l’Amérique du Nord et en particulier à NewYork. Sur les côtes de l’Afrique et de l’Amérique du Sud on
pouvait voir les bateaux de la Compagnie des Chargeurs Réunis, et en Extrême Orient et dans le Pacifique, ceux des Messageries Maritimes.
Après la seconde guerre mondiale, ces deux dernières compagnies maritimes se lancèrent dans le transport aérien en
créant, l’une l’U.A.T. (Union Aéromaritime de Transports) en
1949, l’autre la T.A.I. (Transports Aériens Intercontinentaux) en
1946. En 1962 ces deux compagnies fusionnèrent et prirent le
nom d’U.T.A. (Union de Transports Aériens). Celle-ci fut
absorbée par Air France en 1993.
Pour renouveler sa flotte qui était composée de bateaux
anciens, construits entre les deux guerres, la Compagnie des
Messageries Maritimes mit en service, en 1956, sur sa ligne du
Pacifique, deux bateaux mixtes, neufs et identiques, le Tahitien
et le Calédonien. C’est sur ce dernier que le Général de Gaulle
80
N°331- Janvier / Avril 2014
et son épouse firent le voyage à Tahiti. Le Général qui effectuait
alors sa « traversée du désert », puisqu’il n’exerçait plus de
fonctions officielles depuis sa démission du gouvernement en
1946, voulait rendre visite aux Tahitiens et aux Calédoniens qui
s’étaient ralliés à la “France Libre” et s’étaient battus au sein du
Bataillon du Pacifique.
Ces bateaux, après leur départ de Marseille, faisaient escale
à Madère, aux Antilles (Fort de France) à Curaçao, et, après
avoir franchi le canal de Panama, aux Marquises (Taiohae), à
Tahiti (Papeete), aux Nouvelles Hébrides, condominium francobritannique, devenu indépendant en 1980 et qui a pris le nom
de Vanuatu, en Nouvelle-Calédonie (Nouméa). Le voyage se
terminait à Sydney en Australie. Leur vitesse moyenne était de
17 nœuds. Ils effectuaient une rotation tous les quatre mois.
Pour augmenter la fréquence des dessertes, un troisième
navire fut mis en service en 1958. Contrairement aux autres,
c’était un navire ancien. Avec son étrave verticale, sa coque
rivetée, sa haute cheminée tubulaire et ses mâts haubanés, il ne
pouvait pas cacher son âge. Bien que battant pavillon français,
son équipage, mis à part le personnel hôtelier, était italien. En
1977 ces bateaux furent désarmés et il n’y eut plus de liaisons
régulières par mer pour les voyageurs avec la métropole.
En effet, à la fin des années cinquante, un bouleversement
dans le transport des passagers s’était produit, avec la mise en
service des avions longs courriers à réaction américains : le
Boeing 707 et le Douglas DC 8. Ces appareils allaient deux fois
plus vite et emportaient trois fois plus de passagers que leurs
prédécesseurs à hélices. De ce fait le transport par mer des
voyageurs, qu’il fallait héberger et nourrir pendant de longues
traversées, n’était plus rentable. Le transport des marchandises
lui aussi avait évolué. De nouveaux cargos, les rouliers, équipés
d’une rampe de chargement et d’engins de levage perfectionnés
81
avaient été construits, car seuls les grands ports étaient équipés
de grues pour effectuer les manutentions.
En provenance de Sydney, le Mélanésien avait fait escale à
Nouméa le jour de Noël 1962. Les passagers avaient embarqué
en fin d’après-midi. Le bateau avait largué les amarres le lendemain matin et gagné l’océan, en passant entre l’îlot Brun et
l’île Nou, qui font face à la ville. Depuis, cette dernière, qui
était au 19e siècle un lieu de détention des bagnards, a été rattachée à Nouméa, lors de l’extension du port.
La ville est située au sud-ouest de la Nouvelle-Calédonie,
sur une grande presqu’île très découpée et formée de plusieurs
collines. L’une d’entre elles fut arasée pour y construire le quartier commerçant. Le travail fut exécuté en majeure partie par les
bagnards. Avec les moyens dont on disposait à l’époque ce fut
certainement un travail long et pénible.
Le 27 décembre le Mélanésien jetait l’ancre dans la baie de
Port-Vila, capitale des Nouvelles-Hébrides, sur l’île d’Efaté.
Cet archipel était, depuis 1906, un condominium franco-britannique, un accord étant intervenu pour mettre fin aux politiques
rivales des deux pays dans la région.
Un modeste quai, réservé aux caboteurs, ne permettait pas
aux bateaux ayant un tirant d’eau un peu important d’y accoster.
La petite ville était alors constituée, en grande partie, de
constructions en bois couvertes de tôles ondulées, entourées
d’une riche végétation.
Deux petites îles font face à la cité. Sur l’une d’elles, Iririki,
se trouvait la résidence britannique. A travers les arbres on pouvait apercevoir de coquets bâtiments entourés de jardins fleuris
et de pelouses soigneusement entretenues. En haut d’un mât
flottait l’« Union Jack ». Sur la hauteur, derrière le front de mer,
dans un parc, se trouvaient la demeure et les services de l’administrateur français.
82
Le Calédonien quittant Tahiti, 1963
Sur la route côtière, un artiste peintre d’origine normande et
qui avait vécu à Nouméa, avait trouvé refuge sous un appentis
adossé au pignon d’une maison. C’était un marginal qui vivait
pauvrement. Un instituteur nommé Durand l’avait pris sous sa
protection. Il enseignait dans une école située dans une cocoteraie, en bordure de la lagune d’Erakor. Le bâtiment en parpaings
non enduits et recouverts des inévitables tôles ondulées peintes
en rouge, ne comportait qu’une seule salle de classe. L’année
scolaire venait de se terminer. Les grandes vacances avaient
commencé un peu avant Noël. Sur le tableau noir le maître avait
placé un grillage, sur lequel étaient accrochées des poupées en
chiffons faites par les élèves. De part et d’autre, il avait écrit, à
la craie, un poème de Jules Supervielle, à droite en français, à
gauche en bichelamar, un dialecte parlé par les indigènes et composé de mots français anglais et mélanésiens.
Au nord de l’île, à proximité d’une mine de manganèse à
ciel ouvert, on pouvait voir deux autobus parisiens avec leur
couleur d’origine. Un modèle datant de 1934, avec sa plateforme à l’arrière. Ils servaient à transporter le personnel.
Dans la rade des barges chargées de coprah s’étaient rangées contre la coque du Mélanésien qui, avec l’aide de ses mâts
de charge, le transférait dans ses cales.
Après six jours d’escale le bateau reprit la mer pour Espiritu-Santo, la plus grande île de l’archipel. Il y arriva le lendemain, et put cette fois accoster à un quai construit par les
Américains pendant la guerre du Pacifique. Pendant quatre
jours il compléta son chargement de coprah.
Les Japonais avaient installé sur cette île une usine, où ils
traitaient le poisson pêché par leurs chalutiers dans les eaux de
la région.
Ayant repris sa route vers l’Est, le 12 janvier, peu avant
midi, le Mélanésien passa près de l’atoll de Mopelia, la terre
84
N°331- Janvier / Avril 2014
habitée la plus à l’ouest de l’ensemble des îles et atolls qui
constituent la Polynésie Française. A l’œil nu on pouvait apercevoir, au milieu des cocotiers, quelques farés montés sur pilotis, devant lesquels les rares insulaires regardaient passer le
bateau. Isolés comme ils l’étaient, ce spectacle n’avait pour eux
rien d’habituel.
Pour le déjeuner les passagers gagnèrent les salles à manger. Dans l’une d’elles, un Australien, qui semblait tout droit
sorti du bush3 avec sa carrure à la John Wayne et son abondante
chevelure blanche. Il prenait ses repas à la même table qu’un
couple d’enseignants français du lycée Lapérouse, à Nouméa.
Elle, était professeur de lettres et lui de mathématiques. Dans la
conversation ce dernier parlait souvent d’une de ses élèves, qui
avait particulièrement retenu son attention, ce qui agaçait sa
femme. La jeune fille en question, métissée, brillait par son
intelligence et sa beauté. Sa longue chevelure brune, son teint
cuivré, lui donnaient beaucoup de charme. Sur la plage de
l’anse Vata, dans son petit bikini blanc elle ne pouvait pas passer inaperçue. Séduite par un amiral, veuf, celui-ci malgré les
réticences de sa hiérarchie, finit par l’épouser. Ils eurent une
fille. Leur différence d’âge était très grande. Cette union ne dura
pas très longtemps. Ils se remarièrent, chacun de leur côté. Elle
fut l’une des nombreuses épouses d’Edouard Ruault, un ancien
garçon de café, plus connu sous le nom d’Eddie Barclay. Musicien, il commença à faire fortune, en important des Etats-Unis
les premiers disques microsillons. Il devint ensuite une vedette
du show-business, et ses réceptions dans sa villa de St-Tropez
sont restées célèbres.
3
Le bush, bois et broussailles et terres semi-arides, compose une grande part du
paysage rural en Australie.
85
Une arrivée à Tahiti
Le 13 janvier, à l’aube, quelques passagers étaient déjà sur
le pont. A tribord, sur un ciel où commençaient à pâlir les
étoiles, se dessinait la silhouette de l’île de Moorea. Quand le
bateau eut parcouru les 17 kilomètres qui la séparent de Tahiti,
il faisait grand jour. Cette dernière, comme sa voisine, bien que
d’origine volcanique, ne ressemble pas à l’image que l’on se
fait habituellement d’un volcan. Certes les pentes convergent
vers le centre, mais il semble qu’une explosion ait déstructuré
l’ensemble, formant ainsi de nombreuses failles et plusieurs
sommets. Le plus haut, l’Orohena, culmine à 2.232 mètres. Il
est difficilement accessible. Par contre, avec un peu de courage
et de persévérance, il est plus aisé d’atteindre l’Aorai, qui de ses
2.064 mètres, domine Papeete.
Après avoir franchi la passe naturelle ouverte dans la ceinture corallienne qui enserre le lagon, le navire laissa sur bâbord
un îlot verdoyant, le Motu Uta où était implantée une bâtisse
d’aspect modeste. C’était un ancien lazaret qui accueillait,
autrefois, les voyageurs que l’on mettait en quarantaine pour
des raisons sanitaires.
Au fond de la rade, au pied de la montagne, s’étire la ville
de Papeete. Elle se présentait alors comme un ensemble assez
disparate de bâtiments en bois, d’un bleu délavé, recouverts de
tôles ondulées peintes en rouge. L’unique étage reposait sur des
poteaux en bois. Au rez-de-chaussée se trouvaient des commerces.
Des constructions en dur, peu nombreuses, venaient rompre
la relative uniformité du front de mer. De droite à gauche : le
temple de Paofai, puis l’immeuble de la Marine qui date probablement du 19 ème siècle. Un commandant de la Marine,
Luc-Marie Bayle, qui était aussi artiste-peintre, avait eu l’idée
86
N°331- Janvier / Avril 2014
de le faire peindre en rouge carmin, avec des encadrements de
portes et fenêtres blancs. Avec le concours des banians d’un vert
foncé qui se trouvaient à proximité, c’était du meilleur effet.
Malheureusement cela dut déplaire à l’un de ses successeurs,
qui, à l’occasion d’un ravalement, le fit badigeonner de la couleur grise dont la marine revêt ses bateaux. Accolé au bâtiment
administratif, la résidence personnelle du commandant et de sa
famille, donnant sur un petit jardin public, le parc Bougainville.
De l’autre côté du square, la Poste, à l’époque le bâtiment le
plus récent, œuvre d’un architecte local qui avait conçu aussi
l’aérogare de Faaa, alors en construction. Ensuite l’hôtel Stuart,
le magasin Donald et autres petits commerces près du marché,
une centrale électrique, qui était alors la seule source de production de courant pour alimenter la ville de Papeete et ses environs. En fin de courbe constituée par le front de mer, un
terre-plein nommé Fare-Ute, la base de la Marine Nationale,
avec un petit quai où venait accoster le stationnaire la Bayonnaise, un ancien dragueur de mines britannique; toute proche
était la cale de halage qui ne pouvait accueillir que des bateaux
de faible tonnage, et enfin deux réservoirs à carburant qui servaient à alimenter la centrale thermique et les véhicules de l’île,
alors peu nombreux.
Le Mélanésien avait l’habitude de s’amarrer le long d’un
quai d’environ 230 mètres, situé en centre ville. C’était, à
l’époque, le seul ouvrage permettant à des paquebots ou à des
cargos d’accoster. Du pont supérieur on pouvait voir à terre un
bâtiment cubique à un seul étage. Sur sa façade était inscrit en
grosses lettres noires “Assemblée Territoriale”. Au rez-dechaussée se trouvaient les bureaux du Service des Douanes et
de la Police des Frontières.
Quelques Tahitiens et Tahitiennes, dépêchés par le Syndicat
d’Initiative, vêtus de paréos et coiffés d’une couronne, attendaient le moment où ils pourraient souhaiter la bienvenue aux
nouveaux arrivants. Dès que l’échelle de coupée fut mise en
87
place deux ou trois hommes se mirent à jouer du ukulele, et un
autre à frapper avec un bâton, sur un to’ere, cylindre en bois
creux et ajouré. Son usage est dominant dans le tāmure, une
danse favorite des Polynésiens. Les femmes, les bras chargés de
colliers de fleurs s’empressèrent de monter à bord, pour les
mettre au cou des passagers.
En bas, sur la route qui longe le lagon, bien que ce soit un
dimanche et que l’heure fut matinale, il y avait beaucoup d’agitation. Peu de voitures, mais des vélomoteurs, des bicyclettes,
de nombreux piétons et quelques trucks. Ces véhicules servent
au transport des voyageurs et des marchandises. Ils sont constitués d’une carrosserie en bois, fabriquée localement, montée sur
un châssis importé. L’accès se fait par l’arrière, et les deux banquettes longitudinales facilitent la convivialité. Mis à part le
pare-brise qui protège le conducteur, il n’y a pas de vitres, mais
de larges ouvertures qui permettent d’admirer le paysage. La
décoration en est fort variée et haute en couleurs. Le matin,
venant des districts, ils convergent vers Papeete par l’unique
route qui fait le tour de l’île. En raison de son étroitesse, et pour
des raisons de sécurité, la vitesse y est limitée à 60 km à
l’heure, les habitations étant disséminées le long du littoral.
L’île de Tahiti est composée de deux anciens volcans juxtaposés, un grand, Tahiti Nui, et un plus petit, Tahiti Iti, plus
communément appelé la presqu’île. Ils sont reliés par l’isthme
de Taravao.
La route côtière qui fait le tour de Tahiti Nui est longue de
cent vingt kilomètres. Deux branches de quinze kilomètres desservent la presqu’île.
En 1989, pour permettre l’installation d’ouvrages hydroélectriques sur la rivière Papenoo, on aménagea une piste sur
laquelle peuvent circuler des 4 x 4. Longue de trente neuf kilomètres, elle relie la côte Est à la côte Ouest, et passe à proximité
du lac Vaihiria.
88
N°331- Janvier / Avril 2014
Auparavant, pour atteindre ce lac, il fallait emprunter, dans
le district de Mataiea, un sentier mal tracé car peu fréquenté,
long de dix huit kilomètres. Il traverse d’abord une prairie où
paissent des vaches, puis une bambouseraie, et ensuite et surtout remonte le cours de la rivière Vaihiria qui coule entre des
parois rocheuses. On doit la franchir un très grand nombre de
fois, car on est constamment obligé de passer d’une rive à l’autre, avec parfois de l’eau jusqu’aux genoux, car il n’y a pas de
ponts. L’humidité est intense dans cette vallée. En fin de parcours on franchit les bords d’un cratère4, et l’on découvre une
petite étendue d’eau d’un vert sombre, dans laquelle se reflète
la roche basaltique de la montagne. Un vrai décor Wagnérien !
Sur la rive du lac, des scouts avaient, dans le passé,
construit un abri sommaire pouvant permettre à trois personnes
d’y coucher sur un lit de fougères.
Grimper au sommet de l’Aorai est aussi une autre excursion que peuvent entreprendre les randonneurs. Il se trouve à
l’extrémité d’une arête qui a son origine près de la côte Est5 de
l’île et qui se prolonge vers l’intérieur en prenant de la hauteur.
Pour y parvenir on emprunte d’abord, à partir de la commune
de Pirae, une petite route qui conduit à Fare Rau Ape, appelé
aussi le Belvédère, à 600 mètres d’altitude.
On pouvait alors y voir les ruines de ce qui avait dû être
une auberge, et un baraquement occupé par quelques militaires
chargés de la surveillance.
Ils prêtaient des pantalons de treillis aux promeneurs imprévoyants, car le sentier qu’ils allaient emprunter, peu fréquenté,
était bordé d’une végétation épineuse, que l’on devait souvent
4
Plutôt les lèvres de l’éboulement qui a conduit à la formation du lac. (note : FJBSEO)
5
En réalité la côte Nord (note : JFB-SEO)
89
écarter pour pouvoir passer. Il fallait aussi emporter suffisamment d’eau, car il n’y a pas de source sur le trajet.
La progression se fait sur le flanc de la montagne, jusqu’à
ce que l’on atteigne, sur la crête, le fare Ata, un refuge non
gardé. Il était alors en relativement bon état et pouvait accueillir,
pour la nuit, quelques personnes sur des planches.
Ensuite, commence la partie la plus impressionnante du
parcours. Le chemin qui continue à monter, suit la crête dont
la base va en s’amenuisant. On arrive enfin sur une petite plateforme donnant sur une pente abrupte de plusieurs centaines
de mètres. Quand le ciel est dégagé la vue est magnifique. C’est
une belle récompense après bien des efforts. A l’ouest se profile
l’île de Moorea, et au nord le petit atoll de Tetiaroa, alors propriété de l’acteur Marlon Brando.
Une petite cabane très délabrée pouvait à la rigueur, servir
d’abri, mais il fallait bien se couvrir pour y passer la nuit, car il
fait froid en altitude. Quel contraste avec le littoral !
Ainsi donc, ce matin du 13 janvier 1963, il y avait beaucoup d’activité dans le centre ville, et particulièrement aux
abords du marché, situé un peu en retrait du quai du Commerce,
rebaptisé, depuis son élargissement, boulevard Pomare. Dans le
temple de Paofai les fidèles étaient nombreux pour assister au
culte. Les femmes étaient vêtues de robes blanches et coiffées
d’un chapeau clair, fait de fibres végétales tressées, provenant
des Iles Australes, dont c’est la spécialité. Les hommes portaient une chemise blanche et un pantalon noir ou blanc. A la
cathédrale les vêtements étaient plus colorés. Pour les femmes
des robes dites mission, à la forme très enveloppante, qui
avaient été imposées par les premiers missionnaires, et pour les
hommes des chemises confectionnées dans du tissu de paréo.
La cathédrale consacrée en 1875, ressemble à une petite
église de campagne de la métropole. Pour pouvoir accueillir
90
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plus de monde, on avait érigé une galerie en forme de U, reposant sur des piliers en fonte. Au cours de la restauration de l’édifice, en 1967, elle fut démolie pour redonner au bâtiment son
aspect originel. Pendant les travaux et les années qui suivirent,
les offices eurent lieu sous un grand hangar situé sur le terrain
de la Mission Catholique. Depuis il a été remplacé par une nouvelle église moderne, œuvre de l’architecte Claude Vasconi, et
plus en harmonie avec l’environnement.
Sur le quai de l’Uranie, qui faisait suite au quai du Commerce, et lui aussi rebaptisé boulevard Pomare, en souvenir des
derniers souverains de l’île, se trouvait un établissement
modeste mais incontournable, à la façade ornée de bambous :
le Quinn’s. C’était un dancing très fréquenté, le plus célèbre de
Tahiti. Il y avait deux accès, donnant sur le quai, fermés par des
portes type saloon, et entre lesquelles, à l’intérieur, se trouvait
une petite estrade réservée aux musiciens. Habituellement ils
n’étaient pas plus de quatre. Deux jouaient de la guitare électrique, un autre du saxophone et le dernier de la contrebasse.
Elle avait la particularité d’être constituée d’un bidon vide et
d’un manche à balai. Une grosse ficelle, que le musicien faisait
vibrer, reliait le haut du manche, posé sur le bidon, à la poignée,
qui normalement servait pour son transport. Devant eux, une
piste de danse. Ce n’était pas un parquet ciré, mais un plancher
vermoulu, qui avait oublié depuis longtemps l’odeur de l’encaustique et usé par des générations de danseurs. Autour de la
piste des tabourets en bois étaient reliés au sol par une grosse
chaîne, pour qu’ils ne puissent pas servir de projectile quand
l’atmosphère était trop échauffée par une consommation abusive d’alcool, surtout de bière. Une brasserie dans l’île commercialise sa production sous la marque Hinano. Au fond de la
salle, dans une sorte d’alcôve, une vahiné, coiffée d’une couronne de fleurs et vêtue d’un more, venait, à intervalles plus ou
moins réguliers, s’exhiber sur un air de tāmure. Ce n’était pas
91
des recrues de premier choix, et leur sourire découvrait parfois
des gencives plus ou moins édentées. L’eau des sources, qui
transite à travers des roches volcaniques, manque de calcium et
de nombreux Tahitiens doivent se faire appareiller.
Près du Quinn’s il y avait un bar-restaurant, lui aussi à la
structure en bois et aux murs en bambous le Vaima. C’était,
toutes proportions gardées, à Papeete, ce qu’est le Sénéquier à
Saint Tropez. On s’y donnait rendez-vous pour se désaltérer, car
il fait chaud sous les tropiques, mais aussi pour bavarder et
échanger des nouvelles. Près du bar un tableau noir permettait
aux clients d’y laisser, inscrits à la craie, des messages à destination de leurs amis et connaissances. Le téléphone était encore
peu répandu. La station de radio locale destinée au public avait
une portée très limitée et ne diffusait des programmes que
quelques heures par jour, tôt le matin, au moment du repas de
midi et en soirée. La télévision, en noir et blanc, devait faire son
apparition en 1965. Sur le devant de la scène du Vaima, et donnant sur le quai où étaient amarrés quelques bateaux de plaisance, une terrasse comportait des tables basses et des fauteuils
laqués blancs. La serveuse vêtue d’une robe en tissu paréo, et
portant une fleur d’hibiscus ou de tiaré sur l’oreille, après avoir
pris la commande revenait avec son plateau, en traînant les
pieds, comme la plupart des habitants de l’île, chaussés de
tongs.6 Comme les clients de passage n’étaient pas nombreux,
elle avait vite fait de repérer le nouvel arrivant. Elle s’asseyait
sur l’accoudoir du fauteuil du consommateur et entamait la
conversation en le tutoyant, comme c’est la coutume.
Périodiquement des bateaux de croisières faisaient escale à
Papeete, au cours de leur périple dans le Pacifique. Deux battaient pavillon britannique : le Northern Star et le Southern
Cross. Ils étaient identiques, leur cheminée à l’arrière. Deux
6
Nom utilisé en métropole pour désigner à Tahiti de façon prosaïque, une paire
de savates. (note : CG-SEO)
92
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autres, appartenant à la compagnie Matson Line, étaient américains, et ressemblaient beaucoup au Pacific Princess du feuilleton « La croisière s’amuse». Ils se nommaient respectivement
Monterey et Mariposa. Les Polynésiens, qui ne manquent
jamais une occasion pour plaisanter, avaient rebaptisé ce dernier
le ‘‘Ménopausa’’. En effet les passagers étaient composés
d’hommes, mais surtout de femmes, d’un âge avancé.
Contigu au Vaima, à l’angle du quai de l’Uranie et de la
rue Jeanne d’Arc, on découvrait l’Hôtel du Pacifique, genre
d’établissement connu, sans restauration, dont les lits étaient
occupés la nuit mais aussi le jour, souvent par les équipages
des navires en escale. L’auteur de ce récit était allé un jour y
chercher un touriste qu’il avait rencontré. C’était un cadre de
banque qui paraissait jouir d’une bonne situation. Il avait pris
un congé sabbatique pour faire le tour de la planète et ce au
moindre coût.
Le bâtiment en bois, d’une couleur bleue délavée, n’avait
qu’un seul étage. Les chambres étaient disposées de part et
d’autre d’un long et large couloir. En guise de portes, des
paréos défraîchis. Comme lit, un sommier étroit recouvert d’un
matelas à la propreté douteuse. Pour la toilette, une cuvette, à
l’émail ébréché, venait s’encastrer dans une petite table métallique percée d’un trou. Comme il n’y avait pas l’eau courante,
un broc servait à l’alimenter. A côté, un seau destiné aux eaux
usées. Du plafond pendait une ampoule à incandescence poussiéreuse de faible intensité et dépourvue d’abat-jour.
La tenancière, une femme d’un certain âge, avait cette
allure joviale commune au peuple polynésien. En 1971, ce fût
probablement un court-circuit ou une cigarette mal éteinte qui
provoqua un incendie qui se propagea aux immeubles voisins.
Un lieu emblématique du vieux Papeete fut réduit en cendres.
Depuis, à cet endroit, situé au cœur de la ville, s’élève un centre
commercial, certes plus fonctionnel, mais moins pittoresque.
93
Non loin de là, un autre dancing, le Col Bleu, à la façade en
bois, décorée de peintures représentant des “Gars de la marine”
et un salon de coiffure, tenu par une dame venue de France, qui
l’avait baptisé Absalon. Elle était assistée par deux Tahitiennes
qui faisaient les shampooings. Quand elles massaient consciencieusement le cuir chevelu, le parfum de la fleur de tiaré
qu’elles portaient sur l’oreille et qui se mêlait à leur odeur sui
generis suscitait une sensation empreinte de volupté. Tout à côté
était le magasin Aline, un genre de Monoprix, propriété d’un
Chinois, comme beaucoup de commerces.
Un peu plus à l’intérieur, rue Colette, le seul cinéma de
l’île, le Bambou, sa façade étant, comme celle du Quinn’s,
entièrement revêtue de ce matériau. Les sièges, à ossature
métallique, étaient en contreplaqué. L’assise venait parfois à
manquer, et quand on voulait prendre place dans l’obscurité, on
se retrouvait alors les fesses par terre. En sortant, il était fréquent de constater que du chewing-gum était resté collé à ses
vêtements.
Dans la rue, devant l’entrée, des commerçants ambulants
proposaient des rafraîchissements disposés sur des voiturettes à
deux roues. Il y avait bien sûr l’inévitable Coca-cola, des jus de
fruits et des noix de coco. Après les avoir percées on en aspirait
l’eau avec une paille. Le lait, lui, est obtenu en pressant la pulpe
qui garnit l’intérieur de la coque. Pour prendre un repas, il y
avait à proximité deux restaurants chinois, le Mandarin et le
Waikiki, ce dernier étant plus populaire.
En haut de l’avenue Bruat, perpendiculaire au front de mer,
dans le quartier de Sainte-Amélie, au pied du mont Faiere, se
trouvent la gendarmerie, la caserne de l’infanterie de marine et
l’infirmerie de garnison. Le bureau du médecin la salle de soins
et les chambres sont disposés autour d’un patio qui forme un
cloître. Au milieu pousse un gazon assez grossier, qui se reproduit par marcottage. Chaque matin un bidasse, muni d’un balai
94
Papeete, le centre ville, 1963
en paille de riz et d’une pelle, ramassait les feuilles tombées des
arbres situés aux alentours et sans se lasser il chantait “Et j’entends siffler le train” une rengaine à la mode de Richard
Anthony. Ce train n’existait que dans la chanson, car le plus
proche était à environ deux cents kilomètres, à Makatea, un
atoll qui a la particularité d’être émergé et de ne pas avoir de
lagon. Jusqu’au milieu des années soixante, une société française y extrayait du phosphate. Chargé sur des wagonnets, tirés
par de petites locomotives à vapeur, il était conduit à un wharf,
d’où il était déversé dans des cargos qui l’emportaient au Japon
ou en Amérique.
Au début de l’année 1963, une rumeur circulait à Papeete.
Le gouvernement français, à la suite des accords d’Evian, qui
avaient donné son indépendance à l’Algérie, envisageait de
transférer son centre d’expérimentation nucléaire, situé au
Sahara, en Polynésie. En 1962, une mission composée de civils
et militaires, et dont la mission avait été tenue secrète, s’était
rendue à bord de l’aviso Francis Garnier, dans le sud de l’archipel des Tuamotu. Ce bateau anciennement italien, avait été
cédé à la France au titre des dommages de guerre. Avec les stationnaires la Dunkerquoise basée à Nouméa et la Bayonnaise à
Papeete, il représentait, modestement, la Marine Nationale dans
l’Océan Pacifique.
Le choix des enquêteurs se porta sur les atolls de Moruroa
et de Fangataufa pour les campagnes de tirs à venir, d’abord en
aérien puis souterrains et l’atoll de Hao pour y installer une base
avancée, Tahiti constituant la base arrière.
Au service hydrographique de Brest fut confié le soin
d’établir les plans de ces atolls. Les deux premiers étaient inhabités, alors qu’à Hao se trouvait un village et sa population.
Le premier ouvrage de ce qu’on allait appeler le Centre
d’Expérimentation du Pacifique (C.E.P.) fut d’installer, à
96
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Tureia, un petit atoll habité situé à 55 mille nautiques au nord
de Moruroa, une station météorologique. Initialement, les expériences devant se faire dans l’atmosphère, il était important de
connaître le régime des vents dans la région.
L’implantation du C.E.P. allait avoir des conséquences
socio-économiques sur l’ensemble de la Polynésie Française.
Afin de soustraire Tahiti à son isolement, une piste d’aviation
de classe internationale avait déjà été construite et inaugurée,
en mai 1961, à quelques kilomètres de Papeete, dans le district
de Faaa. Longue de 3.500 mètres, elle avait été construite dans
le lagon, à cheval sur un motu. Les travaux avaient été confiés
à la Société Française de Dragages et de Travaux Publics. Des
camions allaient chercher des matériaux dans le lit de la rivière
Punaruu pas très éloignée, pour le remblayage. L’aérogare ne
fut ouverte au public que dans le courant de l’année 1963. En
attendant une aérogare de fortune fut construite en préfabriqués
située au bord du lagon côté océan, et les liaisons inter-îles
étaient assurées par un hydravion quadrimoteur le Bermuda.
C’est à cette époque que furent construits les premiers
hôtels de tourisme. A Faaa, au bord du lagon l’Hôtel Tahiti et à
Pirae, dans une cocoteraie, l’Hôtel Taaone, qui fut détruit plus
tard par un incendie. C’est sur son emplacement et sur les terrains situés aux alentours, que furent édifiés les bâtiments du
Centre d’Expérimentation du Pacifique comprenant : les
bureaux de l’Etat-major, des mess, des logements, un hôpital.
A Moorea, aussi, s’ouvrirent deux hôtels le Bali Hai et l’hôtel Eimeo (ancien nom de l’île), ce dernier dans la baie de
Cook, où furent tournées, en 1962, des scènes du film Les
Révoltés du Bounty avec Marlon Brando. C’est cette année là
que le Club Méditerranée accueillit ses premiers G.M. (gentils
membres) dans son village situé au nord-ouest de l’île, dans le
district de Tiahura. Dans un premier temps, il ne les reçut que
97
de juin à septembre. C’était la meilleure période de l’année en
ce qui concerne le climat et les vacanciers étaient alors peu
nombreux. Pour pouvoir rentabiliser l’entreprise et la faire fonctionner toute l’année, une campagne de publicité fut lancée aux
Etats-Unis, le confort des installations amélioré, en particulier
par la construction de sanitaires dans chaque faré. Entre le BaliHai et le Club Med, la route qui ceinture l’île, longue de
soixante quatre kilomètres reçue des aménagements, suppression des ornières et épandage de soupe de corail afin de la rendre plus carrossable.
Sur la rive Ouest de la baie de Cook, on peut voir la petite
église Saint Joseph où eut lieu le mariage de Jacques Chégaray
avec une Polynésienne. Grand voyageur et écrivain on lui doit,
entre autres : Tahiti l’enchanteresse, Bonheur à Bali, Mon tour
du monde en bateau stop.
Séparée de la baie de Cook par le mont Rotui, la baie
d’Opunohu est aussi grande, mais plus sauvage. Sur son rivage
un américain, M. Kellum et sa femme habitaient une maison en
bois, préfabriquée en Californie. Son père, très fortuné et grand
navigateur, avait été séduit par la beauté du lieu et en avait
acheté une grande partie. Le terrain ayant été laissé dans son
état naturel, son fils dut rétrocéder à l’administration la plupart
des terres cultivables. On y fait pousser aujourd’hui des
légumes et des fruits, en particulier des ananas.
Pour aller à Moorea, le seul moyen était alors d’emprunter
la goélette Potii Moorea7 (Enfants de Moorea), qui assurait une
liaison quotidienne entre Papeete et le petit port de Vaiare, à
l’est de l’île. C’était une embarcation en bois, vétuste, propulsée
par un moteur diesel monocylindre, qui faisait teuf-teuf. Il ne
fallait pas être pressé. Les voyageurs s’asseyaient sur quelques
bancs, ou, le plus souvent, à même le pont, au milieu d’animaux
7
Plutôt fille de Moorea : pōti’i signfie fille (note : FC-SEO)
98
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et de marchandises. A l’aller, généralement, tout se passait bien,
mais au retour, l’après-midi, l’alizé s’était levé et, fréquemment,
une houle se formait, faisant rouler le bateau bord sur bord. Il
fallait avoir le cœur bien accroché et, pour certains, s’allonger
sur le dos pour remédier au mal de mer.
Avec l’installation du C.E.P. il devenait évident que, dans
son état actuel, le port de Papeete serait dans l’impossibilité
d’accueillir une augmentation du trafic maritime. On décida
donc de l’agrandir et de le moderniser. C’est la S.F.D.T.P. qui
venait de construire la piste de Faaa, et qui possédait encore une
antenne sur place, qui fut adjudicataire du marché.
La maîtrise d’ouvrage fut confiée à un ingénieur des Ponts
et Chaussées, Directeur des Travaux Immobiliers et Maritimes
et à son adjoint, un ingénieur du B.C.E.O.M.
On commença par augmenter la surface du terre-plein de
Fare Ute pour y installer une zone industrielle. Ensuite, dans le
lagon, on ceintura avec des rideaux de palplanches des plateaux
coralliens immergés, en y incorporant l’îlot Motu Uta. Une
drague, venue des Etats-Unis (la New Jersey) pompa de la
soupe de corail pour remblayer le tout, que l’on réunit, par un
pont, à la zone de Fare Ute.
Pour protéger les ouvrages on édifia sur le récif frangeant
au nord de la passe, une digue en béton.
Les deux hangars, très laids, qui se trouvaient près du centre-ville, furent détruits. On en construisit sur ce qu’on appelle
maintenant Motu Uta, près d’un nouveau quai, auquel viennent
s’amarrer les cargos. L’ancien, quai rebaptisé “Quai d’honneur”, est réservé aux paquebots, essentiellement des navires de
tourisme.
Parallèlement à ces travaux, on procéda à l’élargissement
de la route du front de mer, que l’on porta de deux à quatre
voies, séparées par un terre-plein central, où l’on planta des
flamboyants.
99
Sur l’atoll de Moruroa
En juillet 1963, des militaires du Génie de la Légion Etrangère, débarquèrent sur l’atoll de Moruroa, improprement
appelé, Mururoa, pour procéder aux premiers aménagements
des futurs sites de tirs. Ils furent bientôt suivis par ceux du
Génie de l’Air et par du personnel des Travaux Maritimes et de
la CITRA, l’entreprise de travaux publics qui avait obtenu le
marché. Tout ce monde était acheminé, dans un premier temps,
soit par l’hydravion Bermuda, affrété à cette occasion, ou par
bateaux. Moruroa possède, sur sa côte nord-ouest, une large
passe naturelle, qui leur permettait de pénétrer dans le lagon.
C’étaient des chalands de débarquement, semblables à ceux utilisés par les américains sur les plages de Normandie en juin
1944. Ils étaient chargés de matériel de travaux publics et de
baraquements préfabriqués, prêts à être assemblés, pour héberger le personnel.
L’atoll n’avait jamais été habité en permanence. A son
extrémité est, la plus large, il y a une cocoteraie. Des Polynésiens y venaient quelques jours par an, pour y récolter des
cocos. Pour s’assurer un gîte, ils avaient construit un abri fait
de troncs de cocotiers et recouvert de palmes. C’était le seul
vestige d’une présence humaine, avec une tombe qui sera protégée pendant le temps des expérimentations.
Afin de bâtir un plan cohérent de l’atoll, le Service Hydrographique de la Marine avait établi des points géodésiques, auxquels, pour la plupart, il avait donné des prénoms féminins, qui
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servirent ensuite à désigner la quarantaine de zones8 qui enserraient l’atoll.
Les liaisons effectuées par l’hydravion civil Bermuda
n’étaient que provisoires. Le rôle de cet appareil était de desservir les principales îles et atolls de la Polynésie Française
dépourvus de piste d’aviation. En effet, à cette époque il n’en
existait que trois : celle de Bora-Bora, construite par l’armée
américaine en 1942, celle de Tahiti-Faaa, inaugurée en 1961 et
celle de Raiatea, mise en service en 1962. Les liaisons entre ces
trois îles étaient assurées par un avion DC4. Quand en juillet
1964 le terrain provisoire aménagé par le Génie de l’Air à
Moruroa, fut exploitable, des Breguet-deux-ponts militaires,
venus de métropole, assurèrent le trafic avec Tahiti. Ces avions,
des quadrimoteurs, étaient aménagés pour recevoir des passagers à l’étage supérieur et des marchandises à l’étage inférieur.
Eventuellement ce dernier pouvait être équipé de sièges légers
type 2 CV Citroën. Ils ne furent construits qu’en dix neuf exemplaires, dont douze desservirent, sous les couleurs d’Air France,
l’Afrique du Nord, à partir de la métropole. Au lendemain de la
guerre, l’industrie aéronautique française avait eu bien du mal
à se reconstituer. Les Américains détenaient pratiquement le
monopole de la fabrication des avions, et particulièrement celle
des longs courriers, avec les DC6 de Douglas et les prestigieux
Constellation de Lockheed. Leurs usines avaient tourné à plein
8
Depuis Aline près de la passe au NO, jusqu’à Martine et Anémone en zone vie au
NE, en passant par Irène et Kathie en zone piste d’atterrissage et zone technique.
On notera pour la petite histoire que ça n’est pas la première fois qu’un “théâtre
des opérations” est découpé par les militaires en secteurs féminisés. Ainsi au Tonkin dans la cuvette de Dien Bien Phu où une partie du Corps expéditionnaire
français s’était retranché en 1954, avant de vivre l’enfer et la fin sans gloire de la
guerre indochinoise, Dominique, Eliane, Isabelle, Claudine Françoise et Huguette
étaient le nom de points d’appui; une manière de rendre moins inhumaine la
pièce qui devait se jouer en ces lieux. (note : CG-SEO)
101
régime pendant les hostilités, sans avoir eu à subir les effets
destructeurs des bombardements.
Tous les jours, sauf le dimanche, un Breguet-deux-ponts
quittait l’aéroport de Tahiti-Faaa, à huit heures, pour Moruroa.
Il lui fallait quatre heures pour arriver à destination. Auparavant, avec l’hydravion, le voyage durait cinq heures trente.
Après l’embarquement des marchandises et des passagers
et la mise en route des quatre moteurs, l’appareil gagnait lentement l’extrémité nord de la piste. Face à celle-ci les moteurs
étaient accélérés l’un après l’autre, puis les quatre ensembles,
pour faire monter la pression d’huile et s’assurer de leur bon
fonctionnement. Puis c’était l’envol.
A mi-parcours il commençait à survoler l’archipel des Tuamotu. Il était environ dix heures et à ce moment là les effets du
soleil sur l’eau se font sentir. Une légère brume recouvre
l’océan et il se produit un phénomène étrange : les plus petits
atolls que vus du ciel on peut découvrir dans leur totalité,
paraissent comme en sustentation au-dessus de l’océan. Leurs
récifs couverts de sable blanc et de cocotiers font penser à ces
couronnes, faites de fleurs de tiaré et de feuilles de fougères,
dont se coiffent les Polynésiens à l’occasion des fêtes. Leurs
lagons rivalisent de beauté avec leur eau turquoise dont les tons
varient selon leur profondeur. L’un des plus beaux, sinon le plus
beau, est celui d’Anaa, avec son fond sableux, peu profond,
d’une grande pureté, qu’enserre un récif corallien de forme
ovale. Ce sont ces teintes qui font que l’on parle souvent de
bleu des mers du sud, mais l’océan, profond, demeure bien, lui,
bleu marine.
A midi l’avion se posait à Moruroa. Quand, à partir du mois
de décembre 1965, il faisait escale sur l’atoll de Hao, situé à
102
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900 km de Tahiti et à un peu moins de 500 km au nord-ouest de
Moruroa, il fallait compter une heure de plus. Les passagers
étaient exclusivement des hommes, car pendant plusieurs
années les femmes n’eurent pas accès aux sites de tirs.
Par sa taille Hao est après Rangiroa, le plus grand atoll des
Tuamotu. Dans sa plus longue dimension il mesure 52 km. On
y installa, à proximité du seul village, Otepa, une base logistique pour satisfaire les besoins opérationnels des différentes
campagnes de tirs et l’on y construisit une piste de 3.400
mètres, susceptible d’accueillir les navettes spatiales américaines au cas où elles seraient en difficulté.
A Moruroa, dans la cocoteraie, on aménagea une zone vie.
Il n’était pas prévu qu’elle puisse recevoir tout le personnel, car,
dans un premier temps, quand les explosions étaient aériennes,
tout le monde devait quitter l’atoll. On fit donc venir de métropole des paquebots, qui, avant leur indépendance, assuraient, au
départ de Marseille, des liaisons avec les pays du Maghreb. On
les rebaptisa et leur donna des noms de provinces françaises :
Maine, Maurienne, Médoc, Morvan, Moselle. Certains appelaient non sans humour cette petite flotte la “Messmer line”
nom du ministre des armées de l’époque.
Bien qu’elle fût navigable on améliora l’accessibilité de la
passe en éliminant de son fond, à l’aide de charges creuses
posées par des plongeurs, les protubérances calcaires qui
auraient pu constituer un danger pour la coque des bateaux. On
construisit un quai pour le déchargement des marchandises et le
C.E.A fit édifier trois blockhaus.
103
A Fanga
Peu avant d’atterrir à Moruroa on aperçoit l’atoll de Fangataufa, situé à quarante cinq kilomètres au sud. Il forme sur
l’océan une sorte de rectangle de cinq kilomètres sur neuf.
Selon sa situation par rapport au vent dominant et à la houle, il
présente des aspects divers. C’est le cas pour tous les atolls.
Jusqu’à ce que le C.E.P le choisisse pour y faire des expérimentations, vu sa petite dimension, son absence de passe et sa situation à l’extrémité de l’archipel des Tuamotu, personne ne s’y
était intéressé. Pourtant cet atoll était un sanctuaire pour les
oiseaux marins. Sa couronne corallienne servait de refuge à des
fous, des frégates, des pailles-en-queue, des sternes… et il recelait dans son lagon de nombreux poissons : des requins, des
poissons-perroquet, des balistes…
La côte nord de Fangataufa, qui fait face à Moruroa, est
constituée d’un platier émergé dépourvu de végétation, entrecoupé de plusieurs passages d’eau peu profonds entre lagon et
océan appelés hōā, qui délimitent ainsi une succession de petits
îlots. Il en est de même pour la côte ouest, plus longue et qui
s’incurve à l’intérieur du lagon. A la jonction des deux s’est
constitué un îlot un peu plus élevé, recouvert de sable, où se
dressent quelques cocotiers. C’est à cet endroit que le Service
Hydrographique s’était installé, afin de procéder à des relevés
topographiques destinés à l’élaboration d’une cartographie des
lieux. Les côtes Est et Sud, elles forment un cordon continu,
plus élevé et arboré.
Fangataufa, le campement 9,1965
9
A droite du campement le hōā dans lequel sera creusée la passe.
Pour pouvoir aménager le site, le premier objectif consista
à créer une passe, afin de permettre aux bateaux de pénétrer
dans le lagon. Pour limiter les déblais un hōā de la côte nord fût
choisi ce qui se révéla par la suite ne pas être un choix idéal; on
procéda à des sondages pour connaître la nature du sol. Au vu
des carottes extraites on se rendit compte que celui-ci n’était pas
compact et qu’il ressemblait plutôt à un millefeuille. On estima
qu’en trois mois de travaux on pourrait obtenir le chenal prévu,
de 200 mètres de long sur 60 de large et 7 de profondeur. Il fallut trois fois plus de temps en raison des difficultés rencontrées.
La première consista à acheminer du matériel. La côte, déchiquetée, battue par la houle, est dangereuse et ne permet pas à un
navire d’accoster, et les fonds, trop importants, ne permettaient
pas de mouiller sur une ancre. Comme solution on utilisa une
chaloupe détachée d’une goélette, qui se tenait à distance. Il fallait toute l’habileté des rameurs polynésiens et en particulier du
barreur, pour réaliser un échouage sans dommage. Ce dernier
attendait, comme les surfeurs, l’arrivée d’une vague plus imposante, pour diriger l’embarcation vers le rivage. En général cela
se passait bien, mais il y eut cependant quelques naufrages.
Pour faciliter ces opérations, on entreprit l’aménagement
d’une petite darse, peu profonde, et ainsi de permettre à des
pontons de livrer des engins plus importants, avec moins de
risques. Les quelques ouvriers, qui travaillaient les pieds dans
l’eau, disloquaient la dalle corallienne avec un marteau-piqueur
actionné par un compresseur. Les déblais étaient évacués avec
des brouettes, que les travailleurs eurent bientôt l’idée de remplacer par des petits radeaux, qu’ils confectionnèrent euxmêmes avec quelques planches et des fûts vides de 200 litres.
Avec l’arrivée de trois foreuses montées sur roues, pour
être facilement déplacées, de leur compresseur, et d’une grue,
montée sur chenilles pour effectuer le déblaiement, le percement de la passe put commencer.
106
Fangataufa, la passe, 1966
Le personnel était hébergé sous des tentes, à proximité du
chantier, sur un îlot, entre deux hōā, îlot dont la superficie équivalait à peu près à celle de deux terrains de football. Une légère
couche de sable recouvrait par endroits la dalle avec au centre
un bosquet de mikimiki (Pemphis acidula). Cet arbuste, au bois
très dur, est considéré par les Polynésiens comme un porte-bonheur. Après en avoir enlevé l’écorce, ils en fixent une branche
sur un support, la place sur un meuble dans leur faré et y suspendent des colliers de coquillages.
L’effectif de l’entreprise était réduit. Il comprenait un
conducteur de travaux, neuf foreurs, deux conducteurs d’engins,
un géomètre, un comptable, un cuisinier, un homme à tout-faire,
qui aidait ce dernier. Il fut bientôt complété grâce à l’arrivée
d’un ingénieur mécanicien et d’un ingénieur des travaux
publics qui prît la direction du chantier.
Un militaire du contingent tenait le rôle d’infirmier et de
radio. Le Service des travaux immobiliers et maritimes, maître
d’ouvrage, était représenté par un technicien et un surveillant
de chantier.
En plus des petites tentes, biplaces, deux autres, plus
grandes, avaient été dressées. L’une servait de réfectoire et l’autre de bureau et de dortoir pour le personnel des T.M. et les visiteurs occasionnels. L’ameublement était plus que sommaire :
des lits de camp avec une paillasse, comme tables de chevet des
caisses qui avaient contenu de la dynamite, sur lesquelles était
posée une lampe à pétrole. Par la suite on fit venir un petit
groupe électrogène. Pour la cuisine, une armature faite de tubes
soutenait une couverture en tôles ondulées, des feuilles de
contreplaqué obturaient trois côtés. A l’intérieur, exigu, l’équipement était restreint : une cuisinière et un réfrigérateur à
pétrole et quelques étagères pour la vaisselle et la batterie de
cuisine.
108
Fangataufa, la côte est,1978
photo©François Grillet
Malgré la présence d’eau de tous côtés, ce qui faisait défaut
c’était l’eau douce. Sur les atolls les habitants récoltent l’eau
des toitures qu’ils stockent dans des citernes. Pour la boisson on
buvait avec parcimonie de l’eau en bouteille et pour la cuisine
et la toilette on utilisait de l’eau en provenance de Tahiti ou de
Mangareva, acheminée jusqu’à Moruroa par un petit bateau
citerne. Là, elle était transvasée dans des poches caoutchoutées,
qui altéraient son goût, et livrée à Fangataufa, avec la nourriture, par la goélette qui assurait une liaison à peu près bi-hebdomadaire. Par la suite, à Moruroa, compte tenu du nombre
croissant de résidents, on construisit une petite usine de dessalement d’eau de mer.
Contrairement à ce qui se passe, en particulier dans les pays
anglo-saxons, très soucieux de ces problèmes, rien n’avait été
prévu pour satisfaire ses besoins naturels. Il fallait s’éloigner du
campement et pour certains, s’accroupir à la limite de l’îlot, les
fesses tournées vers l’océan. Pour remédier à cet inconvénient
les coffreurs de l’entreprise fabriquèrent une guérite qui fut placée sur quatre fûts remplis de béton, ancrés sur le bord du récif,
sur sa partie immergée. On y accédait par une planche inclinée.
Quand la mer était forte on avait l’impression qu’elle allait tout
emporter. Les vagues qui surgissaient par le trou pratiqué dans
le plancher faisaient alors office de papier toilette. Cet endroit
était fréquenté. En effet les mesures d’hygiène étant loin d’être
respectées, les intestins en souffraient beaucoup. Les denrées
venues de loin subissaient de nombreuses manipulations et la
chaîne du froid était assez souvent interrompue.
Si les mouvements du personnel se faisaient généralement
avec la goélette, les cadres utilisaient un hélicoptère qui assurait
de fréquentes liaisons avec Moruroa. Il apportait aussi le pain.
Cet appareil, une Alouette II avait une très faible capacité. En
plus du pilote et du mécanicien, il ne pouvait emporter que trois
110
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passagers. Comme il n’était équipé que d’un seul moteur et
qu’il survolait l’océan, par mesure de sécurité les portes étaient
enlevées et le troisième passager, celui du milieu, était remplacé
par un radeau de sauvetage gonflable, sur lequel était fixé un
gros poignard prévu pour se défendre d’une éventuelle attaque
de requins.
Le creusement de la passe, à partir du lagon, avançait très
lentement. La grue avait bien du mal à ramener dans son godet
muni de grosses dents, les morceaux de corail disloqués, qu’un
tracto-pelle répandait ensuite de part et d’autre du futur chenal.
On se rendit compte que l’action des explosifs ne donnait pas
les effets désirés. On dut resserrer le maillage des forages.
D’autre part les foreurs, qui travaillaient les pieds dans l’eau,
souffraient de multiples blessures causées par les coraux. L’ingénieur décida donc de combler la partie du hōā non encore disloquée avec des déblais déjà retirés, pour leur permettre d’être
au sec.
Les tubes, au bout desquels était fixée une couronne diamantée, étaient enfoncés jusqu’à moins dix mètres. Avant de les
retirer un boudin de dynamite, relié à un cordon détonant était
introduit. Hélas, ce qui pouvait arriver de désastreux, un jour se
produisit ; en retirant les tubes la charge explosa, tuant le
contremaître métropolitain et ses deux aides polynésiens. Pour
éviter qu’un tel drame ne se reproduise, il fut décidé qu’avant
de retirer les tubes métalliques de forage on devait introduire
des tubes en PVC, restant en place. Pour ne pas retarder le
chantier, on les fit venir de France par avion.
Une flottille composée de cinq hydravions Catalina avait
été envoyée par l’Aéronavale en Polynésie pour assurer la protection des sites, et éventuellement porter secours aux habitants
des îles et des atolls. Ne disposant pas de piste d’atterrissage,
111
un de ces appareils assura désormais, à la place de l’hélicoptère,
les liaisons avec Fangataufa. Pour ce faire, il fallut éliminer, sur
le tracé de son amerrissage, les nombreuses chandelles coralliennes qui effleuraient la surface de l’eau du lagon. Ce travail
fut exécuté à l’aide d’explosifs par trois plongeurs venus de
Moruroa. Des balises de repérage furent fixées sur le récif.
Les Catalina pourvus d’une coque et de roues escamotables, pouvaient se poser sur une piste ou sur l’eau. De fabrication canadienne, ils étaient propulsés par deux moteurs. Dans
leur version militaire l’aménagement intérieur était sommaire :
pas de cloison de séparation avec le poste de pilotage, pas d’habillage des parois. Deux banquettes longitudinales pouvaient
accueillir une dizaine de passagers. Au moment du décollage,
quand les moteurs étaient à plein régime, les vibrations étaient
fortes et le bruit assourdissant. A l’amerrissage, quand il y avait
du clapotis sur le lagon, l’appareil rebondissait plusieurs fois
avant de s’immobiliser. Quand l’eau était trop agitée les vols
étaient annulés.
Le niveau du lagon n’était pas tout à fait constant. Quand il
y avait une forte houle, celle-ci franchissait parfois le récif, et il
se remplissait. Ce phénomène d’ensachage se produisait surtout
sur la côte ouest, la plus exposée. L’eau s’évacuait ensuite, plus
ou moins vite, par les hōā. Un jour, alors qu’il faisait beau et
qu’il n’y avait pas un souffle de vent, les vagues prirent une
hauteur inhabituelle. Au début, sur le chantier et le campement,
on ne s’inquiéta guère, habitué que l’on était parfois à patauger,
mais il fallut bientôt se rendre à l’évidence que la situation était
exceptionnelle. L’eau continuant à monter, la décision fut prise
d’abandonner les lieux, et de se réfugier sur l’îlot où avait été
basé le Service Hydrographique. C’était le point le plus élevé
le moins éloigné. Le C.E.A. y avait dressé, depuis peu, quelques
tentes pour y recevoir ses hôtes de passage. Après avoir utilisé
le poste de radio pour avertir Moruroa, il fut déposé dans la
112
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benne du tracto-pelle, mise en position haute. A l’armature
métallique d’une baraque en cours de montage furent accrochés
sacs et valises. Ensuite ce fut l’embarquement dans un canot,
avec le strict minimum. En fin d’après-midi un Catalina survola
l’atoll pour rendre compte de la situation. Durant la nuit les
“Robinsons” se tinrent en éveil, redoutant de devoir monter aux
quelques arbres présents, pour échapper à la noyade. Au lever
du jour, ils purent constater que l’eau refluait. Vers midi ils
regagnèrent leur campement. C’était la désolation. Les tentes,
ancrées dans la dalle, et que l’on avait eu la précaution d’ouvrir
avant le départ, s’étaient couchées. Une grande partie du petit
matériel avait été emportée dans l’océan. Les arbustes avaient
retenu quelques matelas. La force de l’eau avait même déplacé
le tracto-pelle. Cependant le travail put reprendre assez rapidement. Au cours d’une reconnaissance, on se rendit compte que
les trois quarts de la couronne corallienne avaient été submergés. Seul le sud et le sud-est avaient été épargnés.
C’est probablement un peu avant cet épisode, qui aurait pu
avoir des conséquences fâcheuses, que le commandement du
C.E.P. décida d’aménager sur le récif, au nord-est, une piste
pour des avions. Les liaisons maritimes dépendaient trop des
conditions climatiques. Par mauvais temps les accostages
étaient difficiles. Sur les cinq Catalina, trois avaient éventré leur
coque sur des coraux, en amerrissant sur des atolls qui n’avaient
pas été préparés pour les recevoir. Ils étaient hors d’usage.
Le percement de la passe accusait un sérieux retard. Les
hautes autorités souhaitaient vivement, que les ouvrages à
construire sur l’atoll soient terminés avant le premier tir, prévu
à Moruroa, en juillet 1966.
Deux techniciens venus de Papeete, procédèrent au levé du
terrain. Ensuite un bulldozer s’efforça, tant bien que mal, en
arrachant la végétation et en raclant les coraux d’obtenir une
surface relativement plane qui devait être recouverte de sable.
Or ce matériau faisait défaut. On fit venir une petite drague
113
suceuse pour aspirer du sable dans le lagon. Etant donné son
faible tirant d’eau et allégée au maximum, elle réussit, à marée
haute, à entrer dans un hōā. Les tubes par lesquels transitait le
sable furent acheminés sur un ponton double, articulé. Ils étaient
maintenus par des câbles. En approchant de la darse, sous l’effet
des vagues déferlantes, ceux-ci se rompirent. Les tubes se mirent
à rouler et tombèrent dans l’océan. Il fallut toute l’habileté du
Polynésien qui participait à la manœuvre, pour ne pas être écrasé
et tomber à son tour. Ce fut un moment impressionnant.
Hormis les végétaux, les débris coralliens, repoussés pour
faire la piste servirent à élever une plateforme d’environ un mètre
de haut, sur laquelle des légionnaires vinrent, après y avoir coulé
une dalle en béton, monter deux hangars. Après l’expérience du
tsunami il n’était plus question de construire au ras du sol.
Cette situation inattendue devait se reproduire peu de temps
après, mais cette fois sous une forme plus prévisible ; celle
d’une tempête. Le ciel s’obscurcit, le vent se mit à souffler violemment et de grosses vagues vinrent déferler sur la côte nord,
où étaient situés la future passe et le campement. Il fallut l’évacuer pour passer la nuit sous les hangars montés par les légionnaires et dormir, plutôt mal que bien, sur la dalle en ciment.
Le lendemain matin les éléments s’étaient calmés. Cette
fois les installations avaient moins souffert. La passe ouverte
sur toute sa longueur, mais pas encore navigable, avait servi
d’exutoire et le phénomène était différent.
Les trois spuds supportant des foreuses et celles-ci, qui perçaient obliquement, pour faire sauter le seuil côté océan, étaient
toujours en place, mais les cordons qui reliaient les charges
d’explosifs avaient été arrachés. Il fallut faire appel aux plongeurs pour les récupérer et pouvoir procéder à des explosions,
pour continuer le travail sans danger.
114
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Après ces deux incidents on décida de déplacer la zone vie
dans un lieu moins exposé. D’ailleurs il allait falloir l’agrandir
avec l’arrivée de travailleurs portugais. Ils devaient participer à
la construction de quelques ouvrages en bordure du lagon, et
d’un blockhaus destiné à abriter des instruments d’enregistrement. Des baraquements préfabriqués furent montés sur une
vaste plateforme, elle aussi surélevée. Ils comprenaient dortoirs,
salle à manger et sanitaires. Pour les cadres l’entreprise confectionna quelques petits farés faits de bois et d’isorel et recouverts
de tôles protégées du soleil par des feuilles de cocotiers.
L’emploi du temps chargé des personnels leur laissait peu
de temps pour les loisirs. Le travail commençait le lundi matin
et se terminait le samedi soir. Par ailleurs, contrairement à
Moruroa, où il y avait un foyer, le cinéma en plein air, des terrains de football, de volley-ball, de tennis et quelques dériveurs
pour faire de la voile, rien n’avait été prévu à Fanga.
Quand ils n’étaient pas trop fatigués, certains allaient, le
soir, sur le bord du récif, pêcher des langoustes à la lueur
d’une lampe à pétrole. En déplaçant les pierres derrière lesquelles elles se cachaient, il fallait prendre des précautions
pour ne pas se faire mordre par des murènes. Cette récolte, pas
toujours fructueuse, améliorait les repas qui laissaient souvent
à désirer.
L’ingénieur avait reçu un poste de radio à piles, avec lequel
il ne réussissait à capter, et faiblement, que des émissions en
espagnol, en provenance d’Amérique du Sud. Il n’était pas possible de recevoir Radio-Tahiti qui d’ailleurs n’était pas audible
sur toute l’île, à cause du relief.
Le personnel des Travaux Maritimes présent sur le site
avait la possibilité d’aller passer un week-end à Tahiti : tous les
quinze jours pour ceux qui y avaient de la famille, toutes les
quatre semaines pour les célibataires.
115
A l’aérogare de Faaa, un camion G.M.C rescapé de la dernière guerre et équipé de bancs, assurait le transport jusqu’au
centre de Papeete, distant d’environ cinq kilomètres.
A Fangataufa des hōā ayant été comblés, les déplacements
vers la passe purent se faire par un chemin longeant la piste
d’aviation en voie d’achèvement.
Celle-ci, une fois terminée, permit à des Breguet-deuxponts d’apporter le ciment, la ferraille et d’autres matériaux
nécessaires pour la construction des ouvrages, mais réalisée à
la hâte et avec les moyens du bord, la piste se révéla tout de
suite très fragile. Le sable, délavé, débarrassé de ses éléments
fins, manquait de cohésion et était difficilement compactable. Il
formait comme un tapis de microbilles, que l’émulsion de goudron, répandue à sa surface, avait du mal à stabiliser. A chaque
atterrissage, à l’endroit de leur impact, les roues des avions
endommageaient le revêtement. Deux Polynésiens furent préposés pour effectuer les réparations.
Si le temps d’exécution imparti avait été plus long, il aurait
mieux valu utiliser, à la place du sable, de la soupe de corail
extraite de la passe après l’enlèvement des couches supérieures
du récif. C’est avec ce matériau que dans les îles et sur les atolls
où la circulation est faible et les crédits réduits, que les Polynésiens recouvrent leurs routes. Elles ont l’aspect d’une chaussée
en béton, mais l’inconvénient de devenir très glissantes par
temps de pluie.
Pendant ce temps le chenal continuait de se creuser et il fut
bientôt possible d’y faire passer des chalands. C’est au passage
de l’un deux, après l’explosion meurtrière, le tsunami et la tempête, qu’un nouvel incident, qui aurait pu avoir des conséquences funestes, se produisit. Pour le laisser passer, le
conducteur de la grue, qui lançait son godet pour extraire du
corail, arrêta son engin. A son insu, son adjoint polynésien eut
la mauvaise idée de s’allonger sur une chenille pour se reposer.
116
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Quand la grue reprit sa rotation, un robinet de purge le blessa
grièvement à l’abdomen. Aussitôt averti par radio, le chirurgien
du service médical de Moruroa, accompagné d’un infirmier
arriva rapidement par hélicoptère. Après lui avoir administré
quelques soins de première urgence, il l’emmena pour pouvoir
l’opérer. L’homme s’en tira, alors que l’on ne donnait pas cher
de sa peau, tant les risques d’infection étaient grands.
Une fois que le chenal eut atteint la profondeur demandée
de moins sept mètres sur toute sa longueur, on fixa de part et
d’autre, sur des ducs d’Albe constitués de palplanches, des
balises pour permettre aux navires venant du large de mieux le
repérer, et de faciliter ainsi leur entrée dans le lagon. Pour
mesurer les effets de l’ouverture de la passe sur celui-ci, on installa deux marégraphes, un côté océan, l’autre côté lagon. Un
représentant des Travaux Maritimes venait quotidiennement
s’assurer de leur bon fonctionnement et relever les données.
Pour ses déplacements, maintenant de plusieurs kilomètres,
il avait à sa disposition une camionnette 2 CV Citroën. La forte
humidité ambiante provoquait des inconvénients. Le soir il
fallait la garer face à l’Est, et le lendemain matin, après avoir
soulevé le capot, attendre que le soleil ait séché les circuits électriques pour pouvoir la faire démarrer. D’autre part, la carrosserie, mal protégée pour ce genre de climat, souffrait énormément.
La poussière de corail est très corrosive. Le plancher fut le premier à être attaqué par la rouille. Il fallut le remplacer par du
contre-plaqué marine. Puis ce furent les pourtours des roues et
le bas de la caisse, qui ressemblèrent bientôt à de la dentelle.
Comme cela avait été fait pour les Catalina il fallut aménager, dans le lagon, entre la passe et le blockhaus, qui constituait
désormais le centre des activités du site, un passage, débarrassé
des écueils coralliens pour les bateaux.
117
Fin mai 1966, les ouvrages dévolus par le Ministère de la
Défense à la Direction des Travaux Maritimes : l’ouverture
d’une passe, l’aménagement d’une piste et la construction de
quelques petits ouvrages maritimes, étaient terminés ; au
Commissariat à l’Energie Atomique (C.E.A.) : le gros œuvre
du blockhaus était achevé. Son équipement était prévu pour
plus tard.
L’entreprise de travaux publics CITRA, qui, après un appel
d’offres, avait obtenu le marché, avait réalisé les travaux dans
les délais prévus.
Celui-ci, rédigé par un Ingénieur Général des Ponts et
Chaussées, Inspecteur Général des Travaux Immobiliers et
Maritimes, contenait des clauses qui tenaient compte de l’éloignement et de l’isolement peu communs des chantiers.
Dans le courant du mois de juin 1966, le personnel se trouvant encore sur l’atoll dut le quitter, le premier essai nucléaire
en Polynésie étant prévu début juillet, à Moruroa. Le tir eut lieu
le 2. La bombe avait été fixée sur une barge ancrée au milieu du
lagon. Un nuage blanc s’éleva dans l’atmosphère, et, en se
développant, prit la forme d’un gigantesque champignon.
Les expérimentations nucléaires dans le Pacifique se déroulèrent sur une période de trente ans. Quarante et un tirs, les premiers, furent aériens, cent quarante autres souterrains, le
dernier, à Fangataufa, le 27 janvier 1996, sous le lagon. Dans
un très bel ouvrage Les Atolls de l’Atome, le journaliste et écrivain Bernard Dumortier en a raconté l’histoire.
Depuis, tout ce qui pouvait l’être a été démantelé, détruit
ou recyclé. Ces sites demeurent interdits car ils ne sont pas
exempts de dangers. A Moruroa, un détachement du bataillon
d’Infanterie de Marine, basé à Tahiti, assure en permanence une
mission de surveillance. A Fangataufa, dénudé par un tir thermonucléaire, la nature a repris ses droits. De la végétation a
118
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repoussé sur la couronne corallienne qui sert à nouveau de
refuge aux oiseaux marins : frégates, fous, sternes, pailles-enqueue… et des requins, des poissons-perroquet, des balistes
sont venus repeupler le lagon. Presque ignoré depuis la nuit des
temps, ce petit atoll a retrouvé sa tranquillité, mais des vestiges
de cette époque subsisteront à jamais.
Luc André
Empereur
Pingouin
Kilo
passe
Pavillon
1 cm = 1 km
Frégate
Echo
atoll de
Fangataufa
Terme sud
119
Les bananes de Polynésie
D’après Grotto (2009), ce sont les vendeurs d’esclaves
arabes qui auraient donné à la banane son nom populaire. En
arabe, banan signifie « doigt ».
En Polynésie, la banane, avec l’ananas, la pastèque et le
citron représentent les 9/10ème de la population fruitière. Avant
de parler des différentes espèces de bananes, nous parlerons des
bananiers.
Les bananiers
De la classe des Monocotylédones, de l’ordre des Scitaminales, les bananiers appartiennent à la famille des Musacées,
proche des Strelitziacées où l’on range l’arbre des voyageurs.
Ce sont des plantes herbacées, vivaces par les ramifications
de la partie souterraine de leur tige. Les pseudo-troncs, tendres,
sont formés par l’intrication des gaines foliaires et leur taille
atteint plusieurs mètres. Chaque tige fructifie, fane et meurt
remplacée par des rejetons latéraux.
La vie de ces herbes géantes n’excède guère une année,
mais leur pérennité est assurée par une succession végétative.
Chaque tige donnant plusieurs rejets, le bananier à l’état sauvage ou laissé à l’abandon forme une touffe épaisse de pseudotroncs de divers âges.
La tige vraie, courte et épaisse, nommée rhizome, bulbe ou
souche, produit de nombreuses racines adventives. Le méristème
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terminal se maintient proche du niveau du sol au cours de la
phase d’émission des feuilles (25 à 35). Les gaines forment
donc un faux tronc cylindrique et se terminent en pétioles allongées dont le prolongement constitue la nervure centrale du
limbe ellipsoïdal. Ces limbes sont fragiles et souvent découpés
en lanières par le vent. Le bourgeon terminal forme ensuite une
inflorescence, dont le pédoncule s’allonge au cœur du faux
tronc pour finalement apparaître au milieu du bouquet foliaire.
Généralement, l’inflorescence se recourbe alors vers le sol et
pend obliquement ou verticalement.
L’axe floral ou rachis porte une serpe de groupes de fleurs
(ou « mains ») disposés en spirale. Les premières mains sont
uniquement des fleurs de caractère femelle, dont les ovaires se
développent en bananes. On peut en compter jusqu’à quatorze.
Après quelques groupes de fleurs intermédiaires, le bourgeon ne différencie plus que des mains de fleurs mâles, en
grand nombre à l’extrémité pendante du rachis, qui s’allonge
jusqu’à la fanaison de la plante. Ainsi, un bananier ne donne
qu’une série de feuilles et qu’un seul régime puis disparaît
(Leroy, 1968).
Pour bien murir, les bananes doivent être récoltées vertes :
si le régime est laissé sur pied, la pulpe du fruit reste gorgée
d’amidon et ne devient pas sucrée (dans le cas des variétés à
fruits doux).
Espèces polynésiennes : leurs origines
Les nombreuses variétés (ou cultivars) de bananes trouvées
dans les îles se ramènent à deux espèces introduites par les premiers Polynésiens mais également depuis la redécouverte occidentale (modifié d’après Pétard, 1986).
Les espèces « polynésiennes » sont originaires du sud-est
asiatique introduites par les Polynésiens lors de leur implantation. En dehors des fē’i qui poussent à l’état sauvage sur les
montagnes, les bananiers sont cultivés autour des villages et
121
Origine
Nom scientifique
Introductions
polynésiennes
Musa troglodytarum
Fē'i
Huetū
Musa x paradisiaca
Mei'a
(mā’ohi, 'ōre'a, pou)
Meika, Mei'a
(mao'i, 'ore'a, poupou)
Musa x paradisiaca
Mei'a (rio, hāmoa, tara
pua'atoro, pūrō’ini…)
Mei'a, Meika (pime…)
Introductions
modernes
Noms vernaculaires Noms vernaculaires
tahitiens
marquisiens
chaque famille possède sa plantation. Selon Brown (1931), les
Marquisiens cultivaient 75 variétés de mei’a dont mei’a mao’i,
la plus ancienne, celle dont toutes les autres proviennent (par
culture ou sélection) et utilisée en médecine traditionnelle.
Dans toutes les îles, les bananes sont consommées en
grande quantité. Les régimes, cueillis encore verts, sont suspendus sous un abri. Si on a besoin d’une grande quantité de
bananes (banquet), on active la maturation des fruits en plaçant
les régimes dans une fosse avec quelques fruits de pandanus. La
maturation est achevée en quelques jours (Pétard, 1986).
Ecologie, culture et soins à la plante et aux régimes
Les bananiers ont des besoins précis quant au climat. La
température la plus favorable est de 25°C. En dessous de 20°C,
la végétation est ralentie. Les fruits sont endommagés à une
température inférieure à 12°C (ce qui est d’ailleurs la limite de
refroidissement dans les navires transporteurs).
Les besoins en eau sont élevés de par une grande surface de
transpiration et un développement racinaire souvent faible. On
les estime sous les tropiques à 100-120 l par mois.
Les vents sont dangereux tout d’abord à cause des limbes
qu’ils lacèrent et plus encore par les cassures des pseudo-troncs.
Le manque d’ensoleillement peut limiter la croissance et réduire
le rythme des émissions foliaires, qui est d’une nouvelle feuille
122
Photos ©J.Kape
Régime de bananes rio sur pied1
Régime de fē'i sur pied2
1
Ce régime est prêt à être coupé pour laisser les fruits murir à l’abri ou en fosse si
on veut accélérer la maturation (note : FC-SEO).
2
Ce régime est presque prêt à être récolté. Contrairement aux autres espèces de
bananes qui ont le régime qui pend le long du tronc, celui de l’espèce fē’i est
pointé vers le ciel (note : FC-SEO).
par semaine. L’aération du sol est plus importante que la
richesse minérale, qu’il est toujours possible d’améliorer.
Le premier soin en culture est d’obtenir une terre meuble
perméable aux racines des bananiers. Les travaux de défoncement ou labour sont fonction de la terre choisie. En forêt, on se
contente souvent d’un abattage des grands arbres, sans dessouchage, mais avec nettoyage du sous-bois.
Il est très important de drainer le terrain avant la plantation.
La protection contre les inondations est indispensable, le bananier étant sensible à la présence d’eaux stagnantes (pas plus de
2 ou 3 jours).
Pour la multiplication, des rejets coniques sans feuille ou
des souches de bananiers venant de fructifier sont placés dans
des trous de 0,60 m ou dans des sillons de 0,50 m de profondeur.
Une bananeraie peut durer plusieurs dizaines d’années.
Généralement, après 3 ou 4 ans, on procède à un renouvellement de la bananeraie en passant à une nouvelle parcelle de
terre et en procédant à une replantation.
Il est bon d’analyser le sol avant la création d’une bananeraie. On apportera tout ce que le sol ne peut fournir : azote
minéral (20 à 30 g de N par plant, tous les trimestres) et souvent
le potassium en fonction de la richesse du sol. Les carences les
plus fréquentes sont celles en azote, en potasse et en magnésium. Mais on connaît aussi celles du phosphore, soufre et zinc.
Les engrais sont localisés en couronne autour de la base du
bananier. Les amendements sont épandus dans les trous et les
fossés.
Le bananier ne supportant pas la concurrence des mauvaises herbes, les sarclages, fauchages sont de règle aux
époques de récolte où le sol est plus éclairé. En dehors de l’œilletonnage (choix et conservation d’un seul rejet « fils »), la
plante ne demande pas de soins particuliers si ce n’est le tuteurage à la sortie de l’inflorescence à l’aide de bambous ou de
bois. Après trois mois, si le grossissement des bananes est
124
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suffisant, on collecte le régime en coupant préalablement, pour
les cultivars de grande taille, le pseudo-tronc (Leroy, 1968).
Les prédateurs et les maladies
L’insecte nuisible le plus connu est le Cosmopolites sordidus (coléoptère) dit charançon du bananier, dont la femelle
pond à la surface des souches. Les larves y creusent des galeries
qui, si elles sont nombreuses, diminuent la production des
plantes. La lutte consiste à épandre ou à pulvériser à la base des
touffes divers insecticides (HCH) à raison de deux traitements
par an.
Des vers nématodes (Radopholus similis) parasitent les
racines. Depuis une quarantaine d’années, on assiste à une
régression des fē’i par suite de la propagation des vers perceurs
qui s’attaquent de préférence à cette espèce de bananier. Autrefois, le fruit du fē’i formait la base de la nourriture tahitienne.
Aujourd’hui, il est presque devenu un luxe. Il figure toujours
obligatoirement dans les banquets mais a cessé d’être l’aliment
quotidien de la classe laborieuse du fait de son prix trop élevé
(Pétard, 1986).
Les bananiers peuvent être la proie de certaines viroses.
La chute de la production entre 1975 et 1990 serait imputable à l’introduction de la mouche orientale des fruits du
Queensland (Bactrocera dorsalis), introduite en Polynésie dans
l’année 1975. C’est la femelle qui est responsable des dégâts en
pondant dans la pulpe des fruits. De ses œufs sortent des asticots blancs qui se nourrissent de la pulpe, rendant la banane
impropre à la consommation.
Une autre mouche, la mouche pisseuse (cicadelle, Homalodisca vitripennis), introduite en Polynésie en 1999, s’attaque
aux feuilles et tiges et libère la sève du bananier, ce qui est
néfaste à la fructification. Outre le bananier, elle s’attaque au
corossolier, aux avocatiers et à des centaines d’autres espèces
fruitières.
125
Autre parasite à causer la chute de production : les cochenilles, notamment Icerya seychellarum, dont la présence en
Polynésie est signalée par Hammes & Putoa (1986).
Des pucerons de l’espèce Pentalonia nigronervosa sont
signalés par Hammes & Putoa à la même date.
Un champignon, Marasmus semiustus, surnommé le pourridié, s’attaque aux racines et au pseudo-tronc. Il est reconnaissable à ses coupelles d’un blanc immaculé.
Enfin, d’autres champignons s’attaquent aux fruits mûrs.
C’est le cas de Glomerella cingulata, responsable de l’anthracnose. Dernier champignon redoutable, le Mycosphaerella fijiensis, responsable de la maladie de Sigatoka, caractérisée par le
séchage des feuilles, notamment du mēi’a hāmoa.
Suivant les cas, la lutte consiste à épandre ou pulvériser à
la base des touffes des insecticides (HCH, atomisations d’huiles
minérales raffinées) ou des pulvérisations sur les feuilles. Le
traitement peut être fait au sol par des appareils portés à dos. Il
suffit de 10 à 15 l/ha avec une périodicité qui peut être de 10
jours dans les cas dangereux.
L’intérêt alimentaire des bananes
Elles sont une bonne source de vitamine C, de vitamine B6
et de fibres. 100 g de la partie comestible renfermant les constituants suivants selon Mme Ranzoin L. et al. (1961).
Etat de la Valeur
Banane calorique
(kcal)
Eau
(g)
Ordinaire
90
75
Sèche
292
126
Protides Lipides Glucides Minéraux
(g)
(g)
(g)
(g)
Vitamines
C B1 B2 PP
1,4
0,5
20
4,2
1,2
66
0,32
2-12 0,16 0,08 0,50
N°331- Janvier / Avril 2014
Les bananes vertes sont une excellente source d’amidon
résistant, qui tend à être digéré plus lentement et ne provoquant
pas de libération de glucose dans le sang. Cet amidon peut
réduire le risque de plusieurs types de cancers, notamment du
cancer du colon. Les bananes rouges (fē’i) contiennent plus de
vitamine C, de bêta-carotène et d’alpha-carotène que les jaunes.
Elles sont une excellente source de potassium (300 à 400 mg
par banane). Les bananes peuvent aider à réduire le risque d’hypertension et d’accident vasculaire cérébral par suite de leur faible teneur en sodium.
Les fē’i et les mei’a indigènes sont rôtis dans le ahimā’a
(four tahitien) avec le porc et les poissons et remplacent le pain.
En écrasant les fruits cuits de fē’i et en délayant cette pulpe
avec un peu de lait de coco en consistance de miel épais, on
obtient le pōpoi fē’i, aliment des bébés, de couleur jaune d’or,
exerçant un effet laxatif (Pétard, 1986).
Avec les bananes hāmoa et rio, on prépare aux Australes et
aux Marquises, une conserve nommée piere. Les fruits sont
épluchés, fendus en quatre longitudinalement ; on enlève le centre (trophosperme) et on expose les fragments au soleil jusqu’à
l’obtention d’une teinte brune uniforme. On les agglomère en
les comprimant, on les enveloppe dans des feuilles sèches de
bananier et les paquets sont ficelés. Ce piere, qui se conserve
plusieurs mois, est précieux pour les équipages de goélettes.
L’intérêt médical des bananes
Un remède maison : la pelure de banane est utilisée pour
éliminer les verrues et aussi pour calmer les piqûres de moustiques. Après une piqûre d’insecte, le frottement de la peau avec
une pelure de banane amoindrit l’enflure, atténue les démangeaisons et l’irritation résultant de la piqûre. On attribue ces
effets aux enzymes à l’intérieur de la pelure.
La recherche a mis en évidence trois propriétés thérapeutiques de la banane (Grotto, 2009).
127
D’abord un effet antiulcéreux. La recherche a découvert
que les bananes stimulent la production par les cellules de la
muqueuse digestive d’un agent protecteur contre les acides. Les
bananes contiennent un inhibiteur de protéase. Ce composé aide
à neutraliser les bactéries nuisibles comme celles responsables
de la plupart des ulcères de l’estomac.
Un effet anti-diarrhéique : des chercheurs ont fait passer
des tests à trois différents groupes d’enfants souffrant de diarrhées. Un groupe a été traité avec une diète incluant des
bananes, un deuxième groupe a reçu de la pectine, et au troisième groupe on a donné du riz nature. Le « groupe des
bananes » est celui qui a le mieux réussi. 82% des enfants ainsi
traités se sont rétablis en quatre jours.
Une réduction du risque du cancer du rein : une enquête sur
une large population a montré que les femmes qui mangeaient
des bananes quatre à six fois par semaine réduisaient leur risque
de développer le cancer du rein de 50% par rapport à celles qui
n’en consommaient pas (Grotto, 2009).
Les vertus culinaires des bananes
Il faut 15 minutes pour obtenir des bananes flambées. Pour
cela, il faut disposer de 6 bananes, d’un peu de farine, de 30 g
de beurre, d’une mignonette de raisins secs et fruits confits,
d’une mignonette de sucre et d’un fond de rhum. Mettez la
farine dans un grand ravier et farinez vos bananes épluchées.
Faites fondre le beurre dans la poêle et mettez à cuire vos
bananes à petit feu. Saupoudrez-les de sucre, mettez les raisins
secs et les fruits confits. Après 3 minutes, versez le rhum et
enflammez. Servez les bananes dans un plat chaud. Vous avez
là un excellent dessert.
En revanche, le pain aux bananes demande un temps de
préparation et de cuisson de 60 minutes (selon Grotto, 2009).
Les ingrédients comportent, pour une dizaine de portions :
128
N°331- Janvier / Avril 2014
• 1 tasse et demie de bananes en purée
• 2/3 de tasse de cassonade légère
• 65 ml (1/4 de tasse) d’huile de colza
• 1 blanc d’œuf de gros calibre
• 1 œuf de gros calibre
• 1 tasse (250 ml) de farine tout usage
• 3/4 de tasse de farine de blé entier
• 4 ml (3/4 de cuillère à thé) de crème de tarte
• 4 ml (3/4 de cuillère à thé) de bicarbonate de soude
• 3 ml de cannelle
• 1,5 ml de muscade
• 3 ml de sel
On préchauffe le four à 180°C. On verse dans un grand bol
la banane, la cassonade, l’huile et les œufs et on mélange
jusqu’à ce que tout soit uniforme. On mélange la farine, la
crème de tarte, le bicarbonate de soude, la cannelle, la muscade
et le sel dans un autre bol. On ajoute le mélange de farine au
mélange de banane en remuant jusqu’à l’obtention d’une
consistance moelleuse. On verse la pâte (avec une cuillère) dans
un moule à pain généreusement graissé d’enduit à cuisson antiadhésif. On fait cuire pendant 40 minutes. On laisse refroidir 15
minutes avant de démouler. Rien n’est aussi bon que du pain
aux bananes. Selon Grotto (2009), chaque portion fraichement
cuite contiendrait 132 calories, 5 g de lipides, 0,5 g de gras
saturé, 18 mg de cholestérol, 19 mg de sodium, 20 g de glucides, 1 g de fibres, 13 g de sucres et 2 g de protéines.
Les vertus tinctoriales du fē’i
Le fē’i ou bananier fehi est un « véritable arsenal de matières
colorantes ». La pulpe du fruit à maturité est colorée en rouge.
Elle vire au jaune orangé après cuisson. Le colorant passe dans
les urines qui deviennent jaunes verdâtres. L’intensité de cette
coloration inquiète ceux qui, débarquant à Tahiti, sont invités
pour la première fois à un tāmā’ara’a (Pétard, 1986).
129
Le tronc lui-même renferme une sève violacée qui s’écoule
à la moindre incision. Elle tâche le linge de façon indélébile,
d’où son emploi comme encre à marquer. C’est en trempant
dans la sève du fē’i des morceaux de bambou effilés que les
Tahitiens recopièrent la première bible apportée par les missionnaires anglais.
Selon Cuzent (1858), la sève de fē’i est miscible à l’eau,
insoluble dans l’alcool et l’éther. Elle vire au rouge carmin sous
l’action des acides, au vert foncé sous l’action des alcalis, au
pourpre violacé en présence de chlorure stanneux, au bleu foncé
en présence de sel potassique.
En traitant ce suc par une quinzaine de sels métalliques et
en plongeant dans les différents mélanges des boules de laine ou
de coton, Cuzent a obtenu une gamme de tissus colorés de toutes
les nuances du rouge, du bleu, du lilas, du jaune et du vert.
La production des bananes en Polynésie
La banane et l’ananas (à Tahiti et Moorea) représentent
avec la pastèque (ISLV) et les citrons (Tahiti, Marquises) les
9/10ème de la production fruitière polynésienne. Selon les estimations du Servie de l’Economie Rurale, la production des
bananes (exceptée) aurait été de 425 tonnes en 1975 et de 550
tonnes en 1985. La production, selon l’Institut d’Emission
d’Outre-mer (Edition 2008), est présentée dans le tableau
suivant :
Années
2003
2004
2005
2006
2007
Tonnes
814
859
972
558
567
Variation Part relative
2007
2007/2006
2%
6,4%
La production des bananes fē’i est incluse dans les productions vivrières. La banane fē’i vient en troisième position après
le taro et la patate douce.
130
N°331- Janvier / Avril 2014
Années
2003
2004
2005
2006
2007
Variation
2007/2006
Taro
Patate
douce
Fē'i
Divers
542
604
651
639
532
-8,9%
186
174
201
85
123
44,6%
105
138
122
114
154
135
151
111
131
101
-12,9%
-9,3%
Conclusions
Les bananes sont indispensables à la vie polynésienne, surtout du point de vue alimentaire. Cela exige la vigilance du Service du Développement Rural et des soins réguliers de la
population vis-à-vis de ses bananeraies.
Outre les dangers de certains parasites (notamment les vers
pour les fē’i), les vents peuvent lacérer les limbes, casser les
faux troncs et déraciner les bananiers. Les cyclones peuvent
entrainer des destructions généralisées.
Enfin, d’un point de vue médical, la banane présente un triple intérêt : antiulcéreux, anti-diarrhéique et anticancéreux.
Riche en potassium mais très faiblement salée, elle doit figurer
au régime des hypertendus.
Photo ©J.Kape
Dr. Jean-Paul Ehrhardt
Plusieurs cultivars de bananes présentées 3 à la foire agricole
de Vaitupa-Faaa en 2012
3
Rio, rimarima, hāmoa, mā’ohi, pūrō’ini, fē’i…
131
BIBLIOGRAPHIE
Brown F.B.H. : Flora of South Eastern Polynesia I,
Monocotyledons, Bernice P. Bishop Museum Bulletin 84, 1931, p.159-160.
Cuzent G.: A propos de la sève colorée du Fei.
Messager de Tahiti, 8 mars 1857.
Réédition Archipel de Tahiti, pp 201-203 et p.193.
Grepin F. et m. : La Médecine Tahitienne traditionnelle, RAAU Tahiti,
Les Editions du Pacifique, 1984.
Grotto D.W : 101 aliments qui peuvent vous sauver la vie.
ADA éditions, Varennes, Québec, 2009.
Leroy J.F. : Les fruits tropicaux et subtropicaux.
Que sais-je ?, P.U.F., 1968, p. 78-90.
Petard P. : Quelques plantes utiles en Polynésie française et RAAU Tahiti.
Editions Haere Pō, Papeete, Tahiti, 1986, p.117.
Service de Protection des Plantes. Liste des prédateurs de Musa sp. et de la
banane plain - Motu Uta 10 janvier 2011.
Hammes C. & Putoa R. 1986. Catalogue des insectes et acariens d’intérêt
agricole de Polynésie française. Papeete : ORSTOM, (02),
260 p. multigr. (Entomologie Agricole. Notes et Documents ; 02).
Ranzoin L. et al., Paris, 1961.
Institut d’Emission d’outre-mer. 2009. La Polynésie française en 2008
– Polynésie française / Rapport annuel 2008. Paris – Papeete.
132
Collecter… collectionner
De la naissance de l’esprit public
de collection
Dans un pareil cas, existerait-il alors
Cratyle et une image de Cratyle ? ou bien deux Cratyle ? […]
N’as-tu pas le sentiment de tout ce qui manque aux images
pour être les choses mêmes dont elles sont les images ?
Platon, Cratyle 432 c et d, 385 av. J.-C.
Comme le rappelle l’étymologie indo-européenne leg, la
racine de toute collection est d’abord une collecte, et tout commence avec l’esprit de cueillir, de choisir et de rassembler. A
l’origine cela peut être des paroles dites à haute voix, le logos,
ou écrites, l’”écriture”, et cet ensemble devient, dans une
société plus policée, liturgie (leitourgia, “service public, service
de culte”) ou collecte (“le fait de placer ensemble”), et le mot
“collection” lui-même désigne d’abord le fait de réunir avant de
prendre au XVIIe siècle son sens “moderne”.
Pour toute collection, il s’agit de bien elegere c’est-à-dire
de bien choisir, de bien cueillir, encore faut-il que ce soit avec
discernement et intelligence (intellegere) sans passer, hélas, à
côté, neglere… En un mot, le collectionneur doit pouvoir et
savoir re-cueillir, mettre de côté (de son côté), et doit seligere,
sélectionner et éliminer1.
Des collectes d’objets
Si l’on veut bien esquisser une brève histoire de la collection en Océanie orientale en prenant l’exemple des découvreurs
occidentaux de nos îles, il est évident que les collections océaniennes sont d’abord (déjà pour James Cook et plus encore pour
1
La langue tahitienne exprimerait-elle, d’ailleurs, cet esprit de collecte-collection ?
Mentionnons rapidement la collecte d’argent (Lemaître 1995, p. 60), huihuira’a moni
avant de nous attacher à cet esprit d’amasser des collectionneurs. Davies (18511984, p. 290) utilise tapapa pour « to gather against a time of need » ou encore tauteute (p. 261), « a large collection of different kinds of food ». Au-delà de la question
si sensible de la nourriture, qu’en est-il du fait de collectionner des objets ?
Davies cite ahuena (p. 13) « property or other things heaped together » que
reprend Tepano (1887-1996, non paginé, le seul à reprendre le mot de « collection ») « collection de divers objets ». Pour être encore plus précis, Davies utilise
d’abord ahui (p. 13), « to collect various articles of proprety into one place », idée
que reprend Tepano pour un « ramassis d’objets pour les mettre à part », puis
amui (p. 21), « to collect, to add, put together, et cela devient pour Tepano une
« collection, assemblée, addition arithmétique ».
Un tel ensemble peut devenir précieux, ce que Davies désigne par pueraa (p. 208)
« a collection, magazine or treasury ; also the time and place when things are collected » ; chez Tepano pueraa est un » trésor » et puea, une « collection » (ce qui
n’est pour Davies (p. 208) que « a heap, or collection »…
Et s’il s’agit d’une grande collection ? Pour Davies (p. 117), c’est ihoa qu’il faut pour
dire « a great collection or heap of property », et Mai-Arii (1973, p. 19) reprend
ihoa pour une « grande collection »… mais précise « (anc.) » !
Il n’est pas étonnant que la langue tahitienne soit si rigoureuse pour distinguer les
variantes de l’accumulation de biens éphémères, et en particulier celle de la nourriture (ne faut-il pas faire face à des situations d’urgence plutôt collectives et à la
nécessité d’une redistribution ultérieure ?) – plutôt que de thésauriser les produits
de l’art ou de l’artisanat… Cet esprit polynésien n’est-il pas aux antipodes de l’esprit
occidental de la collecte-collection – comment en aurait-il pu être autrement ?
Un souhait donc, que la thésaurisation de notre époque ne soit pas, ne soit plus
la porte ouverte à la spéculation privée mais plutôt au public océanien ! Laissonsnous entraîner par cette poétique constance ou par ce trait fondamental du
verbe putu utilisé par Mai-Arii (p. 77) pour « amasser des plantes, des plantes odorifantes » ; 150 ans auparavant, Davies (p. 217) ne prenait-il pas putu « to collect
spices or fragrant herbs for the sweet monoi »… Une exposition qui sentirait bon,
quelle belle perspective pour une prochaine exposition !
134
Andreas Dettloff, 2002, in Utopic n°1 juin-juillet 2004, Tahiti
ses successeurs du siècle des Lumières) une collecte d’objets
naturels ou artificiels ramenés en Angleterre pour le roi et la
Royal Society (et destinés à rembourser les frais des expéditions). Si les premiers trouvent leur place dans la classification
de Linné, les seconds sont exhibés en trophées, en dépouilles
ou en panoplies : les armes, les outils et les objets de la vie quotidienne en pierre, en bois, en plumes et en végétal sont rassemblés et témoignent d’une supériorité : celle d’une histoire en
marche ou en étapes, ce qui permet de jeter un regard en arrière
et espérer un progrès prometteur.
Un demi-siècle plus tard, un an avant la bataille de Fei Pi,
la collecte reprend afin d’enrichir le tout nouveau Musée de la
Société des Missions de Londres ; en octobre 1814, le deuxième
étage de l’ancienne demeure des Lords-maires de la City abrite
les “curiosités” recueillies aux quatre coins de la planète, mais
surtout en Océanie ; il ouvre ses portes au public en avril 1815.
Là aussi l’histoire semble en marche : les trophées sont plus
religieux, ils attestent une forme de liturgie désormais convertie… Collecte iconoclaste d’objets sacrés devenus païens…
Cet esprit de collecte occidental a dû bien amuser les habitants des îles du Grand océan — tant que le tapu était respecté.
N’ont-ils pas vite analysé et compris ce que désirait la plupart
des étrangers ? Ces derniers, ne désiraient-ils que ce confectionnaient depuis si longtemps les premiers, qu’ils pouvaient si
aisément remplacer ? Ce qui avait vraiment de la valeur ne pouvait être animé que par les gestes et les paroles qu’eux seuls
pouvaient faire ou prononcer ! Rapidement fabriqués à la
demande, la matière première étant facilement disponible et la
technique maîtrisée depuis des siècles, les objets désirés étaient
simplement troqués avec les nouveaux produits industriels. Les
objets exportés par les marins devenaient des curiosités, ancêtres des curios, et ceux importés par les insulaires étaient rapidement assimilés, comme en témoignaient les nouveaux
vocabulaires techniques et religieux.
136
N°331- Janvier / Avril 2014
La vraie valeur n’était pas le support matériel et tangible –
superficiel et éphémère signe de supériorité. Il est dans la collecte et le recueil de ce qui est important dans les îles – le droit
à la terre et à la mer, il est la collection des généalogies2.
La collecte des objets océaniens n’est plus, au XIXe siècle,
le monopole des musées anglais puis français et allemands : elle
devient le fait des premiers trafiquants, des colons et des administrateurs, et ce qu’ils ont collectionné pour eux suit les nouveaux et multiples et tortueux circuits des échanges, des
transferts, des héritages dans le cadre d’un commerce international.
Ce qui change aussi, en Europe d’abord, c’est le regard
porté sur ces objets recueillis ailleurs. En 1859, au moment où
commencent les premiers travaux du canal de Suez et où Darwin publie De l’origine des Espèces, ils ne sont plus les
babioles et les bibelots, souvenirs de voyages ou de séjour. Ils
intéressent désormais les ethnologues et autres – logues tournés
vers le passé présent des sociétés traditionnelles, et bientôt les
artistes, qui prophétisent les sociétés à venir.
Que reste-t-il à collecter ? Et, osons le dire, à piller ? Beaucoup et trop. Ainsi, en 1917, Gustave Julien, gouverneur des
Etablissements français d’Océanie alimente d’une part les
champs de bataille européens de futurs Poilus et considère,
d’autre part, “la nécessité et l’urgence de recueillir, conserver
ou protéger avant qu’ils ne disparaissent, les derniers témoins
de la civilisation maorie”. C’est un esprit nouveau, un peu sur
le modèle du Museum d’Histoire naturelle et culturelle de l’Etat
de Hawai’i de 1889 ou de la Polynesian Society de 1892.
Il s’agit de recueillir sur place, de rassembler sur place, de
protéger sur place. C’est la justification même de la Société
2
Il suffit, aujourd’hui encore, de s’imprégner de la liturgie attentive, silencieuse et
concentrée qui se déploie dans la grande salle de consultation des archives foncières du Service du patrimoine…
137
d’études océaniennes : une mission politique, c’est-à-dire
sociale et scientifique (les concepts de culture et de culturel, qui
justifieront bientôt tout et rien, ne sont pas encore devenus les
tartes à la crème du prêt-à-penser de la correctitude bien pensante), indissociable d’un possible “profit matériel et moral”.
Mission confiée à ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui
une société de notables (cf. la liste des membres résidents de la
SEO – pour y figurer ne fallait-il pas être coopté jusque dans les
années 1960…?)
Si le premier arrêté de mars 1917 constitue le bureau de la
Société, le deuxième, en juin, organise “la conservation des
monuments et objets ayant un caractère historique ou artistique
intéressant les Etudes Océaniennes, et interdisant l’exportation
des fragments et objets de même nature”. Non seulement sont
institués un classement et un inventaire pour les conserver, mais
l’article 5 précise : “L’exportation hors de la Colonie des fragments de monuments mégalithiques ou de pierres portant des
inscriptions, dessins ou traces quelconques de l’industrie ou de
l’art primitif, est interdite sauf autorisation spéciale du Gouverneur. Les objets exportés en fraude et qui viendraient à être
découverts seront confisqués et déposés parmi les collections
de la Société d’Etudes Océaniennes”.
Tout est là et, désormais, à côté des collections privées ou
religieuses apparaît un nouvel état d’esprit public, celui de la
Société des études océaniennes.
Pendant près d’un siècle elle s’enrichit, au gré des Assemblées générales et des choix de ses présidents – et surtout de la
confiance que lui portent les gens – de collections d’objets et de
paroles pour les mettre à la disposition du public océanien et
des chercheurs, avant que le Musée de Tahiti et des îles n’accueille à partir de 1971 ce que la Société a recueilli…
Désormais l’homme de la modernité du XX e siècle
collecte/collectionne tout et n’importe quoi — comment
138
N°331- Janvier / Avril 2014
consommer non pas de l’éphémère, mais de l’authentique ?
Dans ce nouveau monde du jetable, du manipulable et du reproductible, comment se conserver si ce n’est en s’entourant d’objets-souvenir de ce qui s’est passé ? De ce qui est unique ? De
ce qui s’est vraiment passé ? L’objet est toujours à prendre, il
est préhensible, mais est-il com-préhensible ? Comment séparer
le vrai du faux ?
C’est la tâche dévolue aux vrais et faux experts attachés
aux musées, aux galeries d’art et aux ventes aux enchères. Ils
authentifient, ils certifient, ils donnent une vraie valeur… Ni les
collectionneurs – connaisseurs ou non, ni les marchands d’art –
érudits ou non, ni les gens de passages dans nos îles, les touristes, les militaires, les fonctionnaires n’échappent aux apparitions d’objets anciens sortis des mains habiles d’un artisanat
attentif à cette nouvelle ressource de revenus, inspiré par les
catalogues des musées mêmes. L’objet insulaire d’exotique
devient objet d’art primitif puis premier3 – presque objet d’art
tout court. L’artisan change de statut, devient artisan d’art,
artiste même ; il signe son œuvre, la photographie pour son
press-book, honore des commandes et livre des marchandises
tout en défendant ses droits d’auteur… Et l’objet collecté/collectionné de changer, lui aussi, de statut et de prix…
Par ailleurs, les sociétés insulaires, soucieuses de défendre
leur identité dans la modernité, cherchent désormais à se réapproprier les premiers objets, conservés depuis deux siècles dans
les musées d’outre-mer ; à retrouver le respect des ancêtres dont
les restes humains se trouvent encore, après avoir quitté les
vitrines publiques, dans les réserves des institutions étrangères.
3
Cela sous-entend qu’il existe toujours une forme d’art sinon éternelle du moins
toujours aboutie et achevée ailleurs, comme en miroir. Les îles de la NouvelleCythère, du bon ou du noble Sauvage, reflètent les sociétés qui les regardent et,
les renvoyant à leurs fantasmes, leur deviennent ainsi invisibles, terra nullius…
139
L’authentique, serait-ce ce qui se trouvait d’avant le Contact
fatal, du temps où il n’y avait pas de temps et pas d’Histoire ?
Ces sociétés n’échappent ni à l’archéologie ni à la linguistique
qui déroulent devant elles le long temps des grandes migrations,
des conquêtes des îles du Grand océan.
Des collectes d’images
Si la carte n’est pas le territoire (Alfred Korzybski), que
dire de l’image ? Elle donne moins à voir la chose vue par l’auteur que sa représentation, son image mentale et, au fond, son
idéologie.
Les magnifiques gravures des trois voyages de Cook ont
fait le tour du monde et surtout des esprits : est-ce ainsi que les
hommes vivent ? chante Léo Ferré sur un poème d’Aragon.
C’est ainsi qu’on a imaginé qu’ils vivaient, qu’on a gravé et
immobilisé dans le cuivre 4, il y a deux siècles, la représentation
d’une société aristocratique occidentale en train de mourir.
Les images, elles, ont perduré, elles sont devenus la représentation de la société insulaire elle-même, leur modèle, leur
idéal. Les Océaniens, et plus encore les Polynésiens orientaux,
se les ont appropriés. Elles sont devenues leur passé et elles inspirent aujourd’hui encore, sur les marae ou dans les maisons de
groupe, la représentation, la mise en scène des paysages, des
décors et des personnages d’avant le Contact, ainsi que le jeu
de la Conversion. La danse, le chant et le théâtre sont les
moments de cette Histoire, ce qui reste, les monuments que
visitent touristes et locaux.
Qu’importe que les images soient fausses ! Que les peintures, les gravures des premiers navigateurs et missionnaires ne
soient pas la re-production des événements passés mais leur
4
Ainsi de la géographie remise en place dans l’exposition Cook 1.2.3. au Musée de
Tahiti et des îles, janvier-mai 2013.
140
re-production destinée d’abord aux acheteurs de récits édités
par la Royal Navy ou aux abonnés des Reports of the Missionary Society.
Les archives marines ou ecclésiastiques ne se sont ouvertes
à la curiosité des nouveaux chercheurs qu’au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale : elles ont révélé les ancêtres des premières gravures et peintures – ainsi que toute la richesse des
correspondances et des dessins des premiers missionnaires et de
leurs femmes. Le brouillon, les esquisses, le premier jet de leurs
descriptions, seraient-ils plus vrais que l’illustration achevée ?
Extraordinaires témoignages avant que la grande machine
à propagande des Etats ou des Eglises ne les avale et ne les
recrache, rendus corrects, justifiant ainsi, dès le commencement, auprès des contribuables ou des donateurs la dépense des
grandes expéditions et d’une nécessité civilisatrice…
Et Gauguin là dedans ? Car il ne s’agit pas, ici, d’agiter son
nom pour vendre des cendriers ou des pāreu ou une destination…
Gauguin vient après tout cela, et son premier regard sur la
Polynésie, en juin 1891, est celui de l’enterrement du roi
Pomare V. Mais que donne-t-il à voir ? Que reste-t-il après le
passage des peintres officiels ? Pour Nietzsche, contemporain
de Gauguin, la réalité est “terrible et problématique”.
Gauguin hésite entre la défense des colons menacés par le
péril jaune et celle des indigènes menacés par les impôts et –
s’il faut bien vivre à Tahiti ou aux Marquises, avec qui ? Gauguin choisit les deux, successivement. Pétri lui-même de souffrances, Gauguin est attentif aux souffrances des autres, il sait
s’indigner et s’impliquer : il peint, certes, mais il sculpte aussi,
il grave, il cuit, il imprime et, surtout, il écrit.
Alors, que peut-il y avoir après Gauguin ?
Quelle indignation et quelle implication ?
Cette exposition de tableaux retrace notre XXe siècle, la représentation de paysages vides de toute humanité au moment
où la population des îles explose et passe de 30 000 habitants
en 1900 à 55 000 en 1946 puis à 268 000 en 2012 ; celle de
paradis passés sinon perdus, alors que l’exploitation de la perle
remplace celle de la nacre, la cocoteraie les jardins traditionnels
et l’explosion de la zone urbaine celle des bombes aux Tuamotu ; celle du bon vieux temps où il faisait bon vivre, ce qui
permet de passer sous silence la lutte des castes et les bidonvilles de nos cités. Seul, peut-être, Gouwe échappe à cette illusion… encore faut-il ne pas se tromper d’illusion !
C’est pour cela que le choix chronologique de cette exposition aux étapes décennales nous semble judicieux et les
tableaux de la Société des études océaniennes y trouvent, parmi
d’autres, une place naturelle : tableaux offerts en cadeaux, en
hommage, tableaux commandés et achetés, tableaux hérités 5,
ils rappellent tous le cheminement complexe qui mène, sur près
d’un siècle, à une collection étonnante.
Qu’ils soient objets ou tableaux, sont-ils les témoins endormis d’un moment – à faire parler et témoigner ? Ou les agents
dormants d’une puissance étrangère – prêts à se éveiller et à
nous menacer dans nos habitudes ? Ou bien encore, semblables
à nos propres collections de vieilles cassettes, d’anciennes disquettes, d’antiques S 8, ne sont-ils pas là, muets et immobiles,
parce que nous n’avons plus les moyens de les faire fonctionner ? En fait, ils attendent patiemment… leur heure et c’est là
toute la tâche et la responsabilité d’une exposition comme celleci, leur permettre de rencontrer aujourd’hui leur public, ce
public du Musée de Tahiti et des îles qui sait bien qu’il y a le
5
Souvent et longtemps la SEO s’est confondue avec le musée de Papeete, heureusement que tous les tableaux se trouvent désormais au seul Musée de Tahiti et
des îles.
142
Photo, 2013, Performance de Tapunui, atelier des tropiques,
route des Colline, coll. privée
temps de la parole et celui du silence – et que tous les deux
sont éminemment respectables.
Précisément, l’art n’est-il pas ce contournement du spectateur, sa précipitation dans le jamais-vu, dans le non-pensé et
dans l’incompréhensible des émotions ? Le tableau ne dit rien,
et surtout pas la légende écrite sur son étiquette, il interloque.
Et s’il re-dit, c’est du déjà vu, et le spectateur se détournera et
passera son chemin.
Si l’art naît sous le regard du spectateur, dans sa prise par
le collectionneur, cela veut dire que le tableau, l’objet doivent
d’abord échapper à son auteur pour se présenter dans une galerie, dans un musée ou sur la route des Collines de Tahiti6, ce
nouvel Atelier des tropiques, – afin de s’offrir. Et il y a toujours
un prix.
Celui de casser le miroir pour entrer dans un nouveau
monde.
Robert Koenig
Nous remercions Andreas Dettloff et Michael Koch
pour leurs dialogues socratiques.
6
N’importe quel automobiliste peut s’étonner de cette véritable performance
contemporaine, et les embouteillages permettent heureusement le temps de
prendre son temps, de regarder et de s’interroger.
144
N°331- Janvier / Avril 2014
BIBLIOGRAPHIE
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SEO, Papeete
145
Des billets
comme s’il en pleuvait
C’est en 1980, lors du dépôt du « trésor de Mataiea » au
Musée de Tahiti et des Iles qu’Anne Lavondes, alors responsable du Musée, fit appel à mes connaissances en numismatique
pour expertiser ce paquet de pièces trouvées lors de travaux
dans les fondations du temple de Mataiea, ce que je fis bien sûr
avec plaisir, à l’unique condition de pouvoir en rédiger un rapport pour la S.E.O ; d’où un premier bulletin (N°212 de septembre 1980). Ma collection de pièces et billets s’étoffant au cours
du temps, je fis une étude plus détaillée sur la circulation
monétaire en Océanie française depuis la mise en place du Protectorat en 1843. Avec l’aide de Teva Sylvain (Pacific Promotion) et de l’IEOM (Institut d’Emission d’Outre-Mer), cette
étude fut diffusée dans un petit ouvrage « Tahiti & sa monnaie »
qui parut en décembre 1997.
La dernière émission de billets par l’IEOM date de 1967 et
il semble qu’ils ne correspondent plus aux normes modernes et
qu’il est nécessaire de les remplacer. Ainsi, l’émission en janvier 2014 de nouveaux billets pour tous les Territoires français
du Pacifique me donne l’opportunité de reprendre ces différentes études. Bien qu’à notre avis, il eut été plus judicieux de
remplacer carrément les francs CFP par des Euros (ce qui devra
arriver un jour), il apparait que nos dirigeants tiennent pour
l’instant terriblement à notre folklorique monnaie pourtant
Emission de la caisse agricole
de Papeete (Tahiti)
10 Francs / 2 Tara, 1880
Date de création : arrêté du 27 juillet 1880
Créé le 30 juillet 1863, la Caisse Agricole fut la première à émettre
des billets de banque dont la principale particularité était d’être rédigé à la fois
en francs français et en Tara
(déformation tahitienne du dollar) : 10 Fr. = 2 Tara
difficilement échangeable ! C’est, de plus, le moment qu’a
choisi un roitelet local récemment «auto proclamé» pour commencer son règne en frappant sa monnaie (l’unité en étant le
patu), amenant quantité de sourires dans nos archipels mais
également de vives réactions parmi les autorités du Pays.
Pour achever le tout, l’office des Postes émet une série de
timbres représentant les nouveaux billets et sur lesquels la
valeur fiduciaire apparaissant en demi-teinte à coté de la valeur
faciale des vignettes ne manquera pas d’amener quelques
petites questions de la part des philatélistes.
Avant l’arrivée des Européens, il n’y avait pas en Océanie
de notion de commerce ni de monnaie et la subsistance de
chaque individu, quelle que soit sa classe, dépendait d’un système de prestations et de contre prestations tenant à la fois du
don, du troc, de l’offrande et aussi souvent du chapardage. Les
dieux et les grands chefs étant malgré tout les mieux servis,
mais un monnayage quelconque ne serait venu à l’idée de personne.
A l’installation du protectorat français en 1842, cette
méthode de vie traditionnelle s’était déjà largement effacée
devant la façon de voir et de faire des Européens et de l’invasion des innombrables pièces métalliques venues du monde
entier. Les Polynésiens durent donc apprendre à travailler pour
recevoir une rémunération « sonnante et trébuchante ». De
nombreux arrêtés furent pris par le gouvernement pour essayer
d’imposer la circulation de l’argent uniquement français et
régulariser l’imbroglio monétaire qui régna malgré tout
jusqu’en 1911.
C’est le 30 juillet 1863 qu’est créée à Tahiti la Caisse Agricole pour aider les agriculteurs-éleveurs dans leurs activités.
Elle est transformée en banque de prêt le 10 avril 1866 et autorisée à émettre des « bons de caisse », garantis par la valeur du
coton et des nombreux terrains en sa possession ; ces bons
148
avaient cours au même titre que la monnaie nationale introduite,
elle, sur le marché, via le Trésor Public. Imprimés localement
sur papier ordinaire, ces bons furent rapidement réduits à l’état
de chiffons, nécessitant de nombreuses réimpressions.
Après la Caisse Agricole, plusieurs banques, publiques ou
privées, virent le jour avec plus ou moins de bonheur à partir de
1900. Toutes s’essayèrent à l’émission de billets lesquels n’eurent pas un énorme succès auprès de la clientèle : D’abord la
banque de l’Indo-Chine (Indosuez), la banque André Krajewsky
en 1914, la banque Chin Foo en 1930, la banque Socredo
en 1959, la banque de Tahiti en 1969, la banque de Polynésie
en 1973.
Les difficultés d’approvisionnement au moment des
conflits mondiaux obligèrent les autorités à demander à la
Chambre de Commerce d’émettre une monnaie provisoire (dite
monnaie de nécessité) mais de nombreux commerçants se permirent de fabriquer la leur propre sur toutes sortes de supports
dont il n’est pas rare de trouver encore quelques exemplaires au
font de vieux tiroirs pour la plus grande joie des collectionneurs…
Christian Beslu
150
Avant d’émettre des billets ressemblant à de véritables billets
de banque (25cts, 50cts 1 & 2 frs), la banque Krajewski se contenta
de surcharger ses cartes commerciales.
Taha et Teapo,
chronique d’un temps marquisien
Max Radiguet est né à Landerneau en 1816 et il est mort en
1899 à Brest. Il sert comme secrétaire de bord en 1837 lors
d’une mission de diplomates français venus aux Antilles afin de
parachever les termes de l’indépendance de Haïti.
De 1841 à 1845 Radiguet accomplit un périple qui le
mènera en Amérique du Sud et en Océanie. Il embarqua à bord
de la Reine Blanche le navire amiral de Du Petit Thouars dont
il sera le secrétaire durant la campagne 1842-1845 dans l’archipel des Marquises.
De son séjour en Océanie Max Radiguet rapportera ses
“souvenirs de voyage” qu’il va consigner dans “Les derniers
sauvages, vie et mœurs aux îles Marquises”, un livre qui fut
publié chez Hachette à Paris en 1860 et qui aurait été réédité
sept fois1.
1
Cet ouvrage est sans doute disponible à la lecture dans les bibliothèques
publiques, et sûrement sur le site Gallica.bnf.fr - deux éditions, celle de 1882 et
celle de 1929 paraissent être accessibles à la vente aux bibliophiles, via Internet.
Ce livre a été réédité aux éditions Phébus en 2001. Une autre édition de juin 2012
a paru chez Hachette-Livre en partenariat avec la Bibliothèque nationale de
France, c’est une reproduction de l’édition de 1882.
Ses contemporains finistériens ont qualifié Radiguet de littérateur, terme un peu obsolète aujourd’hui et sans doute trop
restrictif car il serait plutôt un chroniqueur doublé d’un romancier maniant la plume avec aisance.
Le contenu de son ouvrage s’inscrit dans le droit fil de ceux
de ses prédécesseurs du 18e siècle, les naturalistes qui accompagnèrent en Océanie les “marins-découvreurs”. Il est aussi très
proche de l’étude réalisée par Von Langsdorff avec l’aide de son
informateur Joseph Kabris (ou Cabris) qu’il rencontra en 1804,
lors de son court séjour à Taiohae.
Radiguet ne fait pas œuvre d’anthropologue stricto sensu.
Il accomplit certes une mission d’exploration aux Marquises,
mais il se met en totale immersion dans le monde des îliens
avec une réelle volonté de rencontres et d’échanges. Il est vrai
qu’il compare, qu’il hiérarchise mais il ne rejette pas l’humanité
de l’autre même si les habitants “sont d’une curiosité qui va
jusqu’à l’extravagance”2 pour reprendre un mot de Montesquieu qui se moquait de l’indigène parisien.
Des exégètes ont qualifié Radiguet d’ethnocentriste. On
pourrait rétorquer que le colonisateur est par essence pétri
d’ethnocentrisme. Or l’écrivain n’échappe pas à la règle qui est
de donner une image de son temps avec les concepts de son
temps. “Comment peut-on être Persan” disait Montesquieu.
Dans son récit d’exploration copieux, Radiguet nous donne
à voir la vie des Marquisiens au quotidien. Il nous dit leurs
attentes, leurs craintes. Il a un œil partout, à l’affût du divers. Il
nous parle de la place que chacun tient au sein de sa communauté. Longuement il décrit les âges de la vie, de la naissance
jusqu’à la mort. Radiguet a aussi le souci d’apprendre à désigner
2
Citation extraite de la lettre xxx de “Lettres Persanes”.
154
Te vahine
Dessin de Constant Guéhennec
titres, concepts et objets dans la langue de la Terre des
Hommes. Enfin il n’hésite pas à dire les heurts inévitables des
Marquisiens avec l’occupant et même de jeter un regard réprobateur sur le rouleau compresseur colonial, système dont il est
partie prenante nolens volens. Observateur appliqué, Max Radiguet s’efforce d’apprécier de l’autre l’ébauche de sa pensée.
Dans son livre, un chapitre entier comportant une trentaine de
pages est consacré à deux personnages, le couple Taha et Teapo,
objet de notre intérêt.
Taha est une jeune Marquisienne tout juste nubile. Teapo
est un jeune officier français, sans doute un midship ou un
enseigne de vaisseau de l’escadre.
Donnons la parole au conteur et partiellement à ses deux
personnages :
“Je n’ai pas à raconter leur vie” écrit Radiguet “mais seulement les derniers jours et la mort de Taha. Je me bornerai donc à dire qu’ils vivaient ensemble, tranquilles, gais
insoucieux, quand tout à coup, sans cause apparente, Taha
devint triste et se prit à passer de longues heures, immobile et silencieuse...”
...“Parfois elle toussait mais les rhumes sont si communs
dans la baie de Taiohae, que Teapo ne s’en préoccupait pas.
Es-tu malade ? lui demanda-t-il...
Non je suis heureuse”.
La maladie ayant fait peu à peu son chemin. Radiguet
poursuivit son récit :
“Le service de Teapo le retenant au dehors une partie du
jour, il avait confié Taha aux soins de la garde indigène qui
était une de ses amies. Quand il revint dans la journée,
156
N°331- Janvier / Avril 2014
Taha cousait deux largeurs de l’étoffe blanche achetée la
veille et murmurait ces paroles bien connues de Teapo,
tandis que sa compagne marquait le rythme en frappant
des mains :
“Te kahu moni te eva eva ma Tuhiva e
Mahea miti et mahea miti Teapo e
Ta kahu kua ponio nio
Ma te menava; mahea Taha e
Mahea ii moheu e
Mahea imo ehu hei o Manu e
Heii moheu pahoe ua te eva toe pavio e.3
“On marche à Tuhiva avec l’habillement d’or,
Où va Teapo ? Il va mettre le manteau rouge de sa bienaimée
Comment s’appelle-t-elle ?
Elle s’appelle Taha
Où vas-tu Manu ? dit-elle à sa mère ?
Je vais voir la fête
Parce que j’ai vu flotter le pavillon.
Ce que Taha chantait ainsi, c’était un komumu 4 des jours
heureux; ce qu’elle cousait en chantant c’était un linceul.
S’adressant à son compagnon Taha donna ses instructions :
– “Ecoute bien Teapo, dit-elle, quand je serai morte, tu peigneras mes cheveux en deux parts, tu mettras autour de
3
Note de Max Radiguet : Un pavillon rouge hissé au grand mât des navires de
guerre indiquait aux indigènes que l’accès du bord leur était permis; le même
signal les autorisait à communiquer avec l’établissement.
4
/te komumu/ un chant païen (in Dordillon “Grammaire et Dictionnaire de la
Langue des Iles Marquises)
157
mon front le pa’e 5 de Vaitahu, autour de mon corps cette
fine tapa blanche de ton pays et, par dessus la tapa plus
forte que voici...”
– “Tout ce que tu voudras je le ferai” répondit Teapo.
Puis vint le temps de l’apparition des revenants, te vehine
ha’e.
Kaoha ! vehine ha’e, kaoha ! s’écriait-elle de sa voix la
plus suppliante... Laisse-moi vivre... Je n’ai que trente
récoltes de mei 6.
La mort fît son oeuvre. Radiguet le conteur conclua. Au
petit matin :
“Teapo secoua cette lourde torpeur qui suit d’ordinaire la
fatigue des insomnies tourmentées. Pour la dernière fois
alors, contemplant ce pauvre jeune visage de seize ans,
livide, émacié, défiguré, vieilli par la mort; le coeur plein
de tendre piété et les yeux pleins de larmes il prit des mains
de la jeune indigène une tapa où elle venait d’entasser des
fleurs et des herbes aux puissants arômes et il en répandit
tout le contenu sur le corps.”
Comme toute relation amoureuse flirtant avec la tragédie,
celle de Taha et de Teapo est poignante, plutôt empreinte de langueur indéfinissable, pour rester dans le ton des romantiques de
la première moitié du 19e siècle. En effet, Max Radiguet a
5
/te pa’e/ un ornement de tête (in Dordillon)
6
Note de Max Radiguet : on fait deux récoltes de mei par an.
Quand Radiguet parle du mei aux Marquises il faut comprendre te kuru ou te ’uru
dans les autres archipels d’Océanie, soit le fruit de l’arbre à pain.
158
N°331- Janvier / Avril 2014
magnifié cette mort, en accordant à son personnage Taha, l’insigne honneur de mourir comme l’héroïne de “La Dame aux
Camélias” atteinte de phtisie, avec emphase. Ce roman
d’Alexandre Dumas fils, contemporain de Max Radiguet, fût
publié en 1848; il eût du succès, il sera adapté pour le théâtre
en 1852.
Cette belle histoire d’amour de Taha et Teapo est hélas
inaccomplie car les acteurs n’ont pas su ou n’ont pas pu conserver la maîtrise du temps, ou pour le moins, ils n’ont pas su l’apprivoiser. Or qui dispose de la maîtrise du temps à Landerneau
ou à Taiohae, peut moduler à volonté son équipée humaine.
Notons également que le conteur nous dépeint Teapo
comme un personnage quelque peu falot, comme s’il existait en
tant que faire-valoir, alors que la jeune Taha nous paraît avoir
plus de consistance même quand elle s’abandonne à la mélancolie. Manifestement Radiguet a fait œuvre de romancier avec
quelques touches de pathos, puisant dans la réalité du moment ;
peut-être même a-t-il construit son propos à partir de souvenirs
autobiographiques.
Cette aventure amoureuse réunit et elle sépare, deux personnes tout à fait dissemblables. L’une de par sa formation d’officier de Marine a sans doute cherché et trouvé sa vérité dans
les sciences ; mais le Discours de la Méthode est-il suffisant
pour sonder et les cœurs et les âmes !
L’autre, mature malgré son jeune âge, porte en elle des siècles de civilisation marquisienne jamais laissée en friche.
Tous deux sont croyants, là est sûrement leur ciment, même
si leur schéma religieux n’a pas la même portance. Alors fallaitil, comme ces religieux catholiques espagnols du 16e siècle de
Valladolid , débattre de l’humanité d’une indigène en quête
d’altérité ?
Radiguet a évité le piège de la controverse.
159
Mais qui dira jamais le jeu de Cupidon dans cette curieuse
alchimie qui fait naître plus qu’une entente cordiale entre deux
êtres, soit le don de soi à l’autre !
La trame de ce récit des amours contrariées se trouve à
nouveau sous la plume de Pierre Loti vingt ans après, avec
“Rarahu idylle polynésienne” (ou “Le mariage de Loti”) dont
l’action se passe à Tahiti. Plus tard encore, Puccini crée
“Madame Butterfly” en 1904, un opéra en trois actes inspiré
d’une histoire de John Luther Long. Cette fois l’indigène amoureuse est Japonaise7 et l’exote qui a goûté à la sensation du
divers est un officier de l’US Navy. Rien de nouveau sous le
soleil.
Dans l’avant-propos de son ouvrage Max Radiguet dit vouloir révéler au lecteur les impressions de sa vie aux Marquises
faites de “surprises et de joies naïves”.
Rejoignons-le dans sa résolution et invitons le lecteur à
découvrir ou à redécouvrir “Les derniers sauvages, vie et
mœurs aux îles Marquises”, et surtout, à goûter cette histoire
d’un autre temps, le temps marquisien, qui ne saurait laisser
indifférents, les amoureux et les autres.
Dans l’immédiat, je livre au lecteur, cette bluette inédite,
mais sans prétention, en hommage à Taha et à Teapo.
7
Cio-Cio San ou Madame Butterfly n’avait que 15 ans elle aussi.
160
Île de Nuku-Hiva
Photo ©J.Kape
Le chant de l’alizé
Les seins de Naia lourds et ronds comme des soleils
vivaient libres sous la caresse des alizés.
Nul encore n’avait approché leurs contours délicats, ni
altéré la finesse de leur grain quand un jour, égaré et poussé par
on ne sait quel vent coquin, un doigt vint doucement s’échouer
sur les rivages sereins d’une large aréole aux couleurs de miel,
tout près d’un mamelon qui s’embrunit et se dressa soudain,
comme pour mieux voir l’intrus. Mais l’hôte imprévu semblait
si fragile et si hésitant que le mamelon au cœur tendre fit doucement vibrer toute la peau alentour pour réveiller le naufragé
et le mettre en confiance.
A partir de ce jour, les seins de Naia, libres et ronds comme
des soleils vécurent heureux. Ils étaient devenus la caresse. Leur
onde frémissante troublait d’aise notre hôte visiteur qui avait
trouvé là, sur ces rivages, un bonheur sans pareil. Il vivait pleinement nourri du lait et du miel d’une nature généreuse, comme
au temps où la vie était une harmonie d’une étrange pureté.
Le chant de l’alizé raconte encore que cette histoire
ancienne déjà, s’est déroulée bien au-delà du tropique du Cancer, sur un petit atoll que protégeait le dieu Ta’aroa.
On dit aussi que nul vent mauvais ne gagna ses rivages.
Constant Guéhennec
162
E r r a t a
“Le naufrage de la Matilda à Ua Pou en 1814”
(BSEO n°330 - Déc. 2013, p.67)
La sagacité de l’un de nos membres, M. Bernard Pichevin, a permis de relever une
erreur de transcription de l’auteur dans le titre de l’article ; lire :
“Le naufrage de la Matilda à Ua Pou en 1815”.
Photo ©J.Kape
Ceci ne change rien au contenu de l’article.
Dont acte : J-L Candelot
Le port de Hakahau (Ua Pou) en 2007
Compte-rendu
de l’Assemblée générale ordinaire
de la Société des Etudes Océaniennes
le 20 février 2014
PRoCèS VERBaL 2014
L’Assemblée Générale Ordinaire de la Société des Etudes
Océaniennes (S.E.O.) commence à 14h20 en présence de 23
membres, dont certains sont porteurs d’un pouvoir pour 19
adhérents, sur une liste de 83 membres résidant à Tahiti, à jour
de leur cotisation. Le quorum est atteint, soit le ¼ des membres
présents ou représentés pour pouvoir délibérer valablement l’ordre du jour présenté par le président :
• Bilan moral
• Bilan financier
• Programme d’activités 2014
• Budget prévisionnel 2014
• Questions diverses
Le bilan moral
Le bilan moral rédigé par le président a été lu par la secrétaire
Eliane Hallais Noble-Demay dont ci-après les principaux
points développés :
N°331- Janvier / Avril 2014
• Les trois BSEO de l’année 2013
• Les salons
• La représentation de la SEO dans d’autres structures
• Les projets et aides
• Les partenaires et institutions
Alban Ellacott s’interroge sur les problèmes d’agenda du
conseil juridique consulté au sujet du problème de la propriété de la bibliothèque et propose de changer d’interlocuteur.
Le Président Jean Kape propose de discuter de ce problème
en questions diverses.
Le bilan moral a été approuvé à l’unanimité.
Le bilan financier
Ce bilan est présenté par le trésorier Yves Babin. Il remercie
les administrateurs qui n’ont pas demandé de contribution
financière pour leur déplacement aux différents salons.
La nouvelle édition du dictionnaire tahitien-français de Tepano
Jaussen propose 1500 exemplaires grâce notamment à la subvention de 2000000F/cfp accordée par le gouvernement, qui a
permis également l’achat de matériel de bureautique.
Mme Anne Lavondès a fait un don à la SEO. La reconnaissance d’intérêt général permettrait d’en obtenir davantage. Le
dossier est en cours sous la responsabilité de Pierre Blanchard.
Les publications non réalisées sont en cours : a) De Bovis,
que Frédéric Torrente actualise ; b) Papeete de naguère, pour
lequel Daniel Margueron développe un index.
La subvention versée en décembre n’a pas permis la concrétisation de tous les projets. Elle a toutefois permis l’achat
d’ouvrages pour enrichir la bibliothèque.
Après discussion, le compte de trésorerie de l’exercice 2013
(en annexe) a été approuvé à l’unanimité avec quitus accordé
au CA.
165
Le programme d’activités 2014
Le programme d’activités de l’année présenté comprend :
• Les publications : 3 BSEO, 2 ouvrages, 2 rééditions
• Les salons du livre : salons habituels et nouveaux
• Les manifestations diverses
Après discussion, le programme d’activités 2014 a été
approuvé à l’unanimité.
Le budget prévisionnel 2014
Le trésorier présente le budget prévisionnel de l’année qui
prévoit entre autres la publication d’un livre sur le centenaire
de la Première Guerre mondiale plutôt que celle d’un bulletin. Il semble en effet essentiel d’étoffer nos publications très
demandées lors des salons, en particulier ceux qui se tiennent
hors de la Polynésie. Le succès rencontré par la réédition de
Oceania l’y incite.
Le Président rappelle que notre bulletin est ouvert à toutes les
contributions concernant l’Océanie et il fait appel à des
contributeurs.
Marc Vigouroux propose un texte sur l’archéologie industrielle de la Polynésie. Son ouvrage sera examiné en comité
de lecture. Ce comité s’engage à répondre rapidement aux
auteurs.
Marie-Noëlle Frémy confirme sa participation à la conception de la publication sur le Centenaire et nous tiendra informés des travaux de la commission 1914/2014.
Après discussion, le budget prévisionnel 2014 (en annexe) a
été approuvé à l’unanimité.
Les questions diverses
La discussion s’engage sur la situation de la bibliothèque de
la SEO, qui a été abordée dans le bilan moral. En effet, le
SPAA compte soumettre au gouvernement un projet d’arrêté
166
N°331- Janvier / Avril 2014
complétant celui du 4 août 2010 qui abroge celui du 31
décembre 1921.
Les débats ne permettant pas de décider sur la question, le
Père Christophe Barlier propose une Assemblée Générale
Extraordinaire pour réfléchir sur le problème et inviter des
juristes à donner leur éclairage.
Cette proposition est soutenue à l’unanimité.
Le Président veillera à son organisation.
A 16h30, le Président remercie les membres présents et lève
la séance.
BILan moRaL 2013
Chers membres de la Société des Etudes Océaniennes, permettezmoi à l’aube de cette nouvelle année de vous adresser les meilleurs vœux de votre Conseil d’administration, en espérant que
l’année 2014 nous apportera au moins autant que l’année dernière.
Voici succinctement le bilan moral de l’année écoulée.
Le Bulletin
La S.E.O. a publié trois bulletins en 2013 :
– Le BSEO N°328, dédié à Afa’ahiti, la presqu’île de Tahiti,
avec notamment des articles proposés par Liou Tumahai,
Josiane Teamotuaitau et René-Jean Devatine.
– Le BSEO N°329, rend davantage hommage au ’uru, le
fruit de l’arbre à pain, avec une recette de bonbon au pōpō
’uru d’Elizabeth Poroi ou les techniques modernes de
transformation alimentaire révélées par Corinne Laugrost.
Daniel Margueron nous gratifie quant à lui de l’épopée du
mythique Bounty, venu à Tahiti en 1788 récupérer des
plants de ’uru, et qui a fini brûlé à Pitcairn. On y trouve aussi
une nouvelle vision de l’histoire de Rapa par Christophe
167
Serra Mallol ou encore les poteaux anthropomorphes
sculptés des îles Marquises présentés par Guillaume Molle.
De son côté, Robert Koenig nous invite à découvrir le
musée ‘O Reilly ou le musée d’Océanie. Enfin, ce numéro
signale l’acquisition récente d’une lettre manuscrite de la
reine Pomare IV, mise en vente sur internet par un collectionneur suisse. Elle est désormais la propriété du SPAA.
– Le BSEO N°330, nous fait le tour de l’Océanie avec
notamment un article de Riccardo Pineri sur les usages de
la longue-vue autour des voyages de James Cook ; un de
Natacha Gagné sur les Māoris de Nouvelle Zélande ; celui
de Pierre Ottino sur Eiao et celui de Jean-Louis Candelot
sur le naufrage de la Matilda à Ua Pou. On y trouve aussi
deux chants de Papara recueillis par A. Baessler et présentés par R. Koenig et un hommage à Maco Tevane, qui fut
membre à vie de la SEO et directeur du Fare Vāna’a.
Remercions d’abord nos contributeurs qui nous confient
régulièrement leurs articles permettant ainsi à notre Bulletin
de continuer à paraître et à enrichir la connaissance sur notre
pays et notre région. Que tous ceux qui apportent une participation à la réalisation du Bulletin soient également remerciés : la maquettiste, l’imprimeur, les membres du comité de
lecture… Il convient aussi de remercier les médias qui nous
aident à faire connaître au public notre Bulletin à chaque
sortie, ainsi que nos actions et projets.
Les Salons
La S.E.O. a participé à 7 manifestations en 2013 pour présenter
ses productions :
• Le Salon de Paris en mars, tenu par les administrateurs
R. Koenig et E. Hallais ;
168
N°331- Janvier / Avril 2014
• Le Salon Made in Fenua à Papeete en mai, tenu par nos
trésoriers Y. Babin et P. Blanchard ;
• Le Salon des associations à Papeete en septembre, tenu par
les administrateurs Y. Babin, C. Guéhennec, P. Blanchard,
M. Tonarelli et notre secrétaire T. Raufauore ;
• Le Salon de Papara en octobre, tenu par les administrateurs
C. Guéhennec, M. Tonarelli et D. Margueron ;
• Le Festival International de la Bounty en octobre, tenu par
les administrateurs R. Koenig, D. Margueron, O. Babin et
notre secrétaire T. Raufauore ;
• Le Salon de Papeete en novembre, tenu par les administrateurs C. Guéhennec, M. Tonarelli, D. Margueron, E. Hallais,
notre secrétaire T. Raufauore et Mlle T. Tahauri, membre de
la SEO ;
• Le Salon de Taiarapu en novembre, tenu par les administrateurs C. Guéhennec, D. Margueron, P. Blanchard et Mme
J. Teamotuaitau, membre de la SEO.
Outre ces Salons, la S.E.O. a participé aux Journées européennes du patrimoine en septembre, à l’Assemblée de Polynésie française où R. Koenig a fait une conférence sur « La
bibliothèque de la SEO, patrimoine océanien » et également
au SPAA à Tipaerui pour des visites guidées de notre bibliothèque assurées par nos administrateurs C. Guéhennec,
Y. Babin et R. Koenig.
Les Salons sont très importants pour notre Société qui saisit
ces occasions pour communiquer sur ses actions, faire adhérer de nouveaux membres et bien entendu espérer vendre ses
publications afin d’assurer le salaire de la secrétaire et pouvoir continuer à publier son Bulletin.
169
Représentation de la S.E.O. dans d’autres structures
La S.E.O. est représentée dans les structures ci-après :
• Conseil d’administration du Musée de Tahiti et des îles –
Fare Manaha : deux membres ;
• Conseil d’administration de l’Association des Editeurs de
Tahiti et des Iles (A.E.T.I.) : un membre ;
• Commission des sites et monuments naturels : un membre ;
Le Conseil d’administration se concertera bientôt pour désigner ses représentants dans ces structures.
Projets et aides
Pour réaliser ses projets, la S.E.O. a besoin de soutien et surtout d’aide financière régulière. Après des décennies sans solliciter d’aide, elle vient de bénéficier d’une subvention du
Pays de 2.000.000 cfp, et nous tenons ici à remercier le
ministre de la culture d’avoir été sensible à notre requête.
Cela a permis de rééditer le dictionnaire Tepano Jaussen.
Avec cette aide, nous avons pu aussi acheter du matériel de
bureautique destiné au travail de la publication, du catalogue
et de l’inventaire de notre bibliothèque.
Etant à l’écoute de nos usagers, nous essayons de donner une
suite à leurs doléances jugées légitimes. Nous envisageons
par conséquent de rééditer certains ouvrages comme cela a
été fait pour le livre Océania en 2012. De même, nous envisageons de regrouper certains articles anciens pour en faire
des livres à thème.
Partenaires et institutions
Nous remercierons infiniment le Pays, à travers notamment
le Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel
(SPAA) qui héberge notre Société depuis des années. Toutefois, cette cohabitation pourrait prendre une nouvelle tournure
170
N°331- Janvier / Avril 2014
si le projet d’arrêté initié par le SPAA aboutit. En effet, ce
service envisage de proposer au gouvernement d’apporter des
compléments à l’arrêté n°1331 CM du 4 août 2010 qui a
abrogé l’arrêté du 31 décembre 1921 confiant à la SEO l’administration de la bibliothèque et du musée de Papeete. Votre
CA qui est majoritairement pour garder le contrôle de notre
bibliothèque, de crainte de voir disparaître notre Société
savante, s’est adjoint le service d’un conseil juridique dans
cette optique. Ce dernier n’a malheureusement pas encore
fait savoir les résultats de ses démarches auprès de la juridiction administrative qu’il proposait de saisir ; son agenda n’a
pu permettre de dégager un rendez-vous qui lui a été sollicité
depuis près d’un mois afin de permettre à l’AGO d’apprécier
le dossier et de se prononcer.
Tel est le bilan moral que nous soumettons à votre approbation.
’Ia ora na !
Le président
Fasan Chong dit Jean Kape
171
Total
Postes
Report au 31/12/12
Cotisations
Ventes directes
Ventes en librairies
Salon Paris
Salon Papeete
Salon Raiatea
Salon Taravao
Salon Papara
Salon Mahina
Salon Moorea
Autres salons
Redevances reprographie
Publicité
Subventions
Dons
Mouvements (fonds caisse...)
12 000 000
Recettes
Prévues
2 781 393
1 100 000
1 058 000
1 600 000
70 000
300 000
100 000
50 000
50 000
50 000
50 000
50 000
40 607
300 000
2 900 000
1 500 000
8 331 664
Réalisées
2 781 393
1 047 414
626 434
1 033 300
83 890
300 300
0
57 500
58 800
0
0
169 220
0
100 000
2 000 000
33 413
40 000
Approuvé par l'Assemblée générale du 20 février 2014
Compte de trésorerie au 31 décembre 2013
2010
76 308
3 168 932
3 245 240
2011
57 029
1 750 562
1 807 591
2012
123 409
2 657 984
2 781 393
Dépenses
Postes
Prévues
Fonctionnement
580 000
Salaire + cotis CPS
1 500 000
livres/bibliothèque
50 000
livres/boutique
50 000
Salon Paris
30 000
Salon Papeete
50 000
Salon Raiatea
40 000
Salon Taravao
15 000
Salon Papara
15 000
Salon Mahina
15 000
Salon Moorea
20 000
Autres salons
20 000
BSEO 326/327 + envoi
700 000
BSEO 328 + envoi
700 000
BSEO 329 + envoi
700 000
BSEO 330 + envoi
700 000
Mouvements (fonds caisse...)
Rééd. Tepano
1 400 000
Rééd. De Bovis
700 000
Rééd. Chefs et notables
700 000
Rééd. Papeete naguère
700 000
Matériel bureautique
500 000
Représentation
33 607
Solde (à reporter)
2 781 393
Total
12 000 000
En banque
CCP
BP
Total
Réalisées
513 488
706 161
96 559
198 119
0
50 000
0
0
0
0
0
5 000
716 520
602 016
544 100
0
40 000
1 448 000
0
0
0
220 260
23 575
3 167 866
8 331 664
2013
278 193
2 889 673
3 167 866
Budget prévisionnel 2014
Approuvé par l'Assemblée générale du 20 février 2014
En banque au 31 décembre 2013
Recettes
Report : 31.12.13
Cotisations
Ventes directes
Ventes en librairies
Salon Paris
Salon Papeete
Salon Raiatea
Salon Taravao
Salon Papara
Salon Mahina
Salon Moorea
Autres salons
Redevances DD
Publicité
Subventions
Dons
3 167 866
1 100 000
700 000
1 100 000
50 000
300 000
50 000
50 000
50 000
50 000
50 000
50 000
37 134
300 000
2 900 000
1 500 000
Total
11 455 000
CCP : 278 193
BP : 2 889 673
Total : 3 167 866
Dépenses
Fonctionnement
Salaire + cotis CPS
Livres/bibliothèque
Livres/boutique
Salon livre/Paris
Salon Papeete
Salon Raiatea
Salon Taravao
Salon Papara
Salon Mahina
Salon Moorea
Autres salons
BSEO 330 + envoi
BSEO 331 + envoi
BSEO 332 + envoi
BSEO 333 + envoi
Rééd. De Bovis
Rééd. Chefs et notables
Rééd. Papeete naguère
Centenaire 1ère GM
Carnet de voyage
Matériel bureautique
Représentation
Solde (à reporter)
550 000
1 500 000
50 000
150 000
30 000
50 000
40 000
10 000
10 000
10 000
15 000
15 000
700 000
700 000
700 000
700 000
700 000
700 000
700 000
700 000
1 000 000
250 000
33 607
2 141 393
Total
11 455 000
PUBLICATIONS DE LA SOCIETE DES ETUDES OCEANIENNES
Prix réservé aux membres, en vente au siège de la Société c/o Service du patrimoine archivistique et audiovisuel
• Dictionnaire de la langue tahitienne
Tepano Jaussen (13ème édition)...................................................... 2 000 FCP 17 €
• Dictionnaire de la langue marquisienne
Mgr Dordillon (3ème édition).......................................................... 2 000 FCP 17 €
• A Dictionary of some Tuamotuan dialects
J.Frank Stimson et Donald S. Marshall........................................... 2 000 FCP 17 €
• Mangareva Dictionary
Edward Tregear.............................................................................. 2 000 FCP 17 €
• Journal de James Morrison, second maître à bord de la Bounty
Traduction Bertrand Jaunez........................................................... 2 000 FCP 17 €
• Etat de la société tahitienne à l’arrivée des Européens
Edmond de Bovis .......................................................................... 1 200 FCP 10 €
• Chefs et notables au temps du Protectorat (1842-1880)
Raoul Teissier................................................................................ 1 200 FCP 10 €
• Les Etablissements français d’Océanie en 1885
(numéro spécial 1885-1985)........................................................ 1 200 FCP 10 €
• Dossier succession Paul Gauguin
BSEO N°210 .................................................................................. 1 200 FCP 10 €
• Papatumu - Archéologie ................................................................. 1 200 FCP 10 €
• Généalogies commentées des arii des îles de la Société
Mai’arii Cadousteau....................................................................... 1 500 FCP 13 €
• Tahiti au temps de la reine Pomare
Patrick O’Reilly.............................................................................. 1 500 FCP 13 €
• Tahiti 40,
Emile de Curton ............................................................................ 1 500 FCP 13 €
• Tranche de vie à Moruroa
Christian Beslu .............................................................................. 2 200 FCP 19 €
• Naufrage à Okaro, épopée de la corvette Alcmène (1848-1851)
Christian Beslu .............................................................................. 2 000 FCP 17 €
• Les âges de la vie – Tahiti & Hawai’i aux temps anciens
Douglas Oliver............................................................................... 2 500 FCP 21 €
• Océania - Légendes et récits polynésiens ..................................... 2 200 FCP 19 €
• Collection des numéros disponibles
des Bulletins de la S.E.O. : .............................................................. 200 000 FCP 1676 €
Anciens numéros du BSEO, nous consulter
Tout envoi postal comprend des frais de port, nous consulter.
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 331