Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 329
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- Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 329
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-
BULLETIN DE LA SOCIETE
DES E TUDES O CEANIENNES
N°329
Septembre 2013
BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N°329 - SEPTEMBRE 2013
Sommaire
Avant-Propos du président .......................................................................................p.
Fasan Chong dit Jean Kape
L’épopée du Bounty dans les mouvances de l’imaginaire,
inscription d’un mythe dans l’histoire...................................................................p.
Daniel Margueron
2
4
Te pōpō ‘uru, merveilleux chaton de l’arbre à pain ...........................................p. 23
Elizabeth Poroi dite Zaza
Le fruit de l’arbre à pain, intérêt et techniques des
transformations alimentaires ...................................................................................p. 34
Corinne Laugrost
Une nouvelle vision de l’histoire de Rapa ?
Des éléments sur l’existence de marae anciens sur l’île ....................................p. 44
Christophe Serra Mallol
Archéologie et fonction rituelle de la maison tapu,
les poteaux anthropomorphes sculptés des îles Marquises .............................p. 72
Guillaume Molle
1847, 1944, 2013, odyssée d’une lettre manuscrite
de la reine Pomare IV à Bruat du 30 mai 1847 ...................................................p. 104
Jean Kape & Robert Koenig
Le musée ‘O Reilly, cela se mérite ! ........................................................................p. 110
Robert Koenig
Catalogue des publications........................................................................................p. 112
Aquarelle de couverture : Descente des plants de ‘uru vers le Bounty
Avant-propos
Chers membres de la Société des Etudes Océaniennes,
Chers lecteurs du BSEO,
Remercions nos contributeurs pour leurs articles qui permettent
à notre Bulletin d’exister afin de partager les richesses historiques,
ethnographiques de notre pays, voire de notre région d’Océanie.
Ce numéro commence par un clin d’œil au ‘uru, le merveilleux
arbre à pain, arbre mythique, légendaire, et festif lors des tāmā‘ara‘a.
Le 329 paraît en effet entre deux événements consacrés à cet « arbre
de vie des Polynésiens » : le premier « Festival du ‘Uru », en
mars 2013, et le premier « International Bounty Festival », fin octobre.
Les recettes traditionnelles des pōpō ‘uru nous amènent aux techniques les plus modernes de la transformation du fruit en farine ou en
flocons — et sa valeur nutritionnelle nous rappelle le prétexte du
séjour du Bounty à Tahiti : nourrir les esclaves des plantations de la
Jamaïque ! Et aussi le tournage de « Mutiny on the Bounty », en 1962,
un budget gigantesque de 19 millions de dollars, avec Marlon Brando
(comme Fletcher Christian), Trevor Howard (comme capitaine Bligh)
et Tarita Teriipaia (en princesse Maimiti) comme principales vedettes.
Ce film a provoqué une certaine effervescence parmi la population de
Tahiti, et bon nombre de Polynésiens enrôlés par le MGM se voyaient
du jour au lendemain en possession d’un pactole inattendu (10 $ par
jour !) leur permettant de s’offrir des biens utiles et parfois superflus,
jusque là inaccessibles. Avec l’ouverture de la piste de Fa‘a‘a en 1961
puis, l’année suivante, le tournage des Révoltés du Bounty, les pratiques monétaires allaient prendre une nouvelle tournure dans la
société tahitienne, prémisses des bouleversements à venir.
Nous sommes aussi heureux de présenter dans ce numéro une
lettre manuscrite de la reine Pomare IV au gouverneur Bruat en mai
1847. Elle a été acquise auprès d’un collectionneur résident suisse qui
l’a mise en vente sur internet très récemment.
2
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Nous tenons à rassurer les usagers que nous mettons tout en oeuvre pour rééditer rapidement le dictionnaire de Tepano Jaussen. Sa
sortie en librairie est imminente.
Pendant le premier semestre 2013, la SEO a participé en mars au
Salon du livre de Paris et en mai au Salon Made in Fenua à Papeete.
Ces deux événements nous ont été bénéfiques, sans toutefois rapporter des rentrées importantes d’argent. Deux auteures du BSEO n°328,
Josiane Teamotuaitau et Liou Tumahai, ont été enchantées de pouvoir
lire et commenter à Vaiete des extraits de leurs articles en français, en
anglais et en espagnol.
Notre Société a également participé aux expositions organisées
par le Service du Patrimoine archivistique et audiovisuel, notre partenaire privilégié : celle du « Jour de l’An chinois » en février et celle
de la « Semaine polynésienne des Archives » en juin, avec des visites
guidées de notre bibliothèque.
Aux côtés du SPAA, la SEO était présente lors la visite du
Ministre du Logement, des Affaires foncières, de l’Economie numérique et de la Communication, Marcel Tuihani, le 30 mai, et de celle
du Haut-Commissaire de la République en Polynésie française, JeanPierre Laflaquière, le 12 juillet. Ces deux personnalités ont apprécié
le rôle joué par notre Société dans la conservation et le partage du
patrimoine immatériel du pays.
Par ailleurs, la SEO continue de remplir sa mission du mieux
qu’elle peut, en espérant des jours meilleurs, surtout avec un peu
d’aide du Pays ou de l’Etat pour financer plusieurs projets, en particulier la réédition des ouvrages les plus demandés, et un Bulletin spécial consacré au centenaire de la Première Guerre mondiale. Ce
conflit dévastateur a emporté à jamais loin de leur terre bon nombre
de Polynésiens valeureux ; ceux qui sont revenus sont désormais
connus sous le nom de « Poilus tahitiens ».
Si vous détenez des témoignages ou des documents à ce sujet, n’hésitez pas à nous contacter ou à prendre la plume, comme certains l’ont
déjà fait, afin de les partager avec nos lecteurs d’aujourd’hui et à venir.
Bonne lecture du Bulletin 329 !
‘Ia ora na !
Le président
Fasan Chong dit Jean Kape
3
L’épopée du Bounty
dans les mouvances de l’imaginaire
Inscription d’un mythe dans l’histoire
« Pourquoi un tel mythe1 autour du Bounty ? » s’interroge
un internaute2 dans un forum public. C’est une bonne question,
en effet, mais la suite qu’il lui donne : « alors qu’à la base et
pour l’époque c’était un fait divers, une mutinerie parmi tant
d’autres3 » peut sembler néanmoins quelque peu réductrice.
1
Selon les énoncés, on peut trouver le ou la Bounty. Quel est, en définitive, le genre,
d’un bateau ? En anglais les navires prennent toujours la marque du féminin
(« She »), ce qui explique que, lors de traductions, le féminin est automatiquement
adossé au nom du bateau. En français tout dépend du type de bateau et parfois
du contexte. Les bateaux militaires portent le genre du nom propre (exemple : la
Jeanne (d’Arc), le Charles de Gaulle), mais on dira naturellement le croiseur Jeanne
D’Arc. Concernant les navires de pêche, de commerce et civils, l’article suit le genre
du bateau : un pétrolier (le Bellamya), un paquebot (le France, le Normandie), une
goélette (la Kekanui). Pour les bateaux de plaisance, on a tendance à supprimer l’article : « Groupama suit Club Méditerranée » dira un journaliste de radio ou de télévision. (source wikipedia). Le mot bounty signifie en anglais : bonté, générosité.
2
Sur le forum du site : www.yahoo.com/question.
3
Michel Le Bris (spécialiste de la littérature maritime et créateur du festival Etonnants
voyageurs de Saint-Malo) rappelle que les conditions de vie étaient à l’époque
« abominables sur les bateaux de la Royal Navy » et que les navires « étaient au bord
de la mutinerie en permanence et que les officiers n’avaient pas d’autre choix que de
faire régner la terreur. La dernière utopie pirate est la révolte du Bounty contre le capitaine Bligh ». Interview donné lors de la publication du livre D’or, de rêves et de sang.
L’époque de la flibuste, Hachette Littératures 2001. (Internet, SCEREN-CNDP 2003).
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Elle nous pousse en effet à nous interroger, -et la tenue à Tahiti
du « Festival international Bounty » en octobre 2013, organisé
par la Jeune Chambre économique de Tahiti nous y incite-, non
seulement sur l’événement lui-même, mais surtout sur sa transformation en référence culturelle majeure, reconnue par un
large public.
Les ouvrages écrits consacrés à cette aventure sont légion4.
D’une aventure vécue à la littérature qui s’en est, depuis plus de
deux siècles, emparée de très nombreuses fois5 en offrant aux
lecteurs des « variations imaginatives6 » multiples, de l’écrit à
l’écran ensuite, lequel a produit trois films de type hollywoodien au cours du XXe siècle, avec des acteurs connus, on peut
d’abord effectivement se demander si la mutinerie du Bounty et
les suites qu’elle a connues sont en elles-mêmes un événement
banal ou au contraire déjà exceptionnel. Et, par ailleurs dans
quelle mesure l’art lui a-t-il conféré une portée quasi universelle, parce qu’il a rencontré voire touché un ou plusieurs éléments constitutifs, structurels et profonds des sociétés
humaines, occidentales notamment ?
4
Il faut distinguer les récits des protagonistes (Bligh 1790, traduit en français la
même année, 1937), Morrison 1825 (écrit en 1792, publié en français en 1966),
de leurs descendants (Young 1894, Metcalfe 2004 et 2006 en français), les
comptes-rendus du Conseil de guerre et des procès (Barney 1794, Rutter1931),
les récits des navigateurs du XIX° qui allèrent à Pitcairn (Beechy 1831, Shillibeer
1833, Moerenhout 1837, Edwards 1915), des mémoires (Heywood 1832, Murray
1853), des biographies (Rawson sur Bligh 1930), les récits historiques (Greatheed
1821, Barrow1836, Belcher 1870, Rodwell 1898, Vidil 1932), les registres de Pitcairn (Lucas 1929) des œuvres littéraires : poésie (Byron 1813, Becke 1898), nouvelles (Charmier 1838), contes (Twain 1878), théâtre (Pitcairn Island, musique et
ballets, Londres 1816), récit (Verne), histoire romancée (Soulié 1928), romans
(Nordhoff et Hall 1932, Merle 1962, Metcalfe 2004, en français en 2006). Des peintres ont aussi représenté certains épisodes (Dodd 1790)….
5
La trilogie de Nordhoff et Hall : Les révoltés de la Bounty, Pitcairn et Dix-neuf
hommes contre la mer a été traduite en 34 langues et s’est diffusée à plus de
11 millions d’exemplaires.
6
Citation puisée chez le philosophe Paul Ricœur (Soi-même comme un autre, 1990).
5
L’histoire du Bounty
Commençons par le dénouement ou du moins par le dévoilement de l’épopée. En 1808, le baleinier américain Topaz commandé par le capitaine Folger aborde l’île de Pitcairn et
découvre, stupéfait, une communauté humaine, mieux une
société organisée, sereine et en bonne santé, ignorée jusqu’alors
du reste du monde. De passage à Rio de Janeiro, ce capitaine
informe l’Amirauté de sa découverte, mais l’Institution anglaise
ne réagit pas, ses préoccupations sont, à cette époque7, ailleurs
et l’histoire de la mutinerie est réglée voire oubliée. Quelques
années plus tard, en 1814, Thomas Staines, commandant les
deux frégates anglaises Briton et Tagus accoste sur une île
encore très imparfaitement connue des cartes maritimes : Pitcairn. Il y rencontre le « patriarche » et seul survivant de la
mutinerie, John Adams qui lui raconte, selon son point de vue,
l’aventure du Bounty et les vingt quatre années d’isolement
dans lequel vient de vivre la communauté anglo-tahitienne,
maintenant forte de quarante cinq personnes, en grande partie
métisses, population s’étageant sur trois générations…
L’histoire réelle débute, en fait, à partir 1787, lorsque le
Bounty (ex charbonnier Bethia), commandé par le capitaine
William Bligh (qui a déjà voyagé en Océanie avec James Cook)
se voit confier la mission d’aller chercher des plants d’arbre à
pain à Tahiti pour les transplanter aux Antilles anglaises afin d’y
nourrir, au meilleur prix, les esclaves travaillant dans les plantations. Le voyage pour Tahiti commence le 23 décembre 1787
et, après bien des péripéties, notamment climatiques, le navire
arrive dans l’île -reconnue en 1767 par le navigateur Wallis-, le
26 octobre 1788. L’escale dure six mois jusqu’au 4 avril 1789 au
cours de laquelle les plants son progressivement embarqués tandis que les marins coulent des jours heureux auprès des vahinés
7
Cf. les guerres napoléoniennes.
6
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accueillantes. Peu après le départ de Tahiti, une prompte mutinerie est fomentée par le chef de quart devenu premier lieutenant Fletcher Christian, las de subir l’autoritarisme voire le
despotisme de Bligh. Le capitaine est immédiatement abandonné sur une chaloupe avec dix huit marins, il atteindra miraculeusement Timor distante de plus de 6500 km et rejoindra
l’Angleterre le 14 mars 1790. Bligh sera innocenté par la justice
anglaise. L’Amirauté va néanmoins dépêcher à Tahiti la Pandora afin de ramener les mutins demeurés sur l’île. Des quatorze marins retrouvés, dix seulement arriveront vivants en
Angleterre. La justice en acquittera sept mais trois seront
condamnés à être pendus. Après 1792 et les épisodes judiciaires, l’histoire du Bounty cessera d’intéresser le public
anglais.
Les mutins, quant à eux, recherchent une île où ils souhaitent vivre sans être repérés. Après Tubuai où ils s’estiment mal
reçus et où les relations avec les insulaires sont conflictuelles,
ils retournent à Tahiti d’où ils repartent, non sans avoir
« enlevé » par ruse des Tahitiennes. L’île salvatrice souhaitée
s’appelle Pitcairn8 ; cette petite île, inhabitée, a été visitée par
le navigateur anglais Carteret en 17679, elle est encore mal
connue mais surtout elle est imparfaitement située sur les cartes.
C’est un îlot montagneux possédant de l’eau et des surfaces cultivables. Seul l’accès est, selon la direction des vents qui soufflent, délicat. Les mutins en compagnie des femmes tahitiennes
(dix Anglais, six Polynésiens (dont deux originaires de Tubuai),
douze vahinés et un enfant) s’y installent à partir du 2 juillet
1790. Le bateau, condamné à être brûlé, afin qu’il ne soit pas
8
L’île est située par 25° 04’ Sud et 130° 05’ Ouest, elle a été annexée par l’Angleterre en 1838. C’est aujourd’hui la dernière possession du Royaume Uni dans le
Pacifique.
9
Le nom de Pitcairn a été donné en l’honneur d’un jeune marin de l’expédition de
Carteret, Robert Pitcairn, qui a aperçu le premier ce rocher (4 km2) émergeant de
l’océan.
7
repéré par les Anglais, s’ils les recherchaient, l’est prématurément le 23 janvier 1790, annihilant pour toujours toute tentative
de fuite. Les mutins fondent alors une société qui connaîtra bien
des conflits liés notamment à l’inégal partage des terres et des
femmes, des drames et des meurtres, avant de couler enfin des
jours paisibles. John Adams, alias Alexander Smith, le dernier
survivant de la mutinerie, décide vers 1799, d’instruire les
jeunes de l’île en leur apprenant à lire et à écrire et grâce à une
Bible, récupérée sur le Bounty avant son incendie, il fait
renouer l’île avec les principes évangéliques qui apportent la
paix à cette petite communauté, traumatisée par le déferlement
de violence qu’elle avait connu. Une société puritaine10 se développe alors11.
L’histoire se prolonge par de nouveaux épisodes : en 1831,
suite au rapport du commandant du Blossum, Beechy, le navire
anglais Comet est chargé d’emmener les habitants de Pitcairn à
Tahiti, par crainte d’une surpopulation et d’une raréfaction de
la nourriture. Arrivée sur place, la population de Pitcairn est
choquée par les mœurs licencieuses tahitiennes et de plus elle
attrape des maladies dont elle était épargnée jusqu’alors, fatales
pour certains membres de cette communauté préservée. A sa
demande la population est ramenée à Pitcairn où elle doit réinvestir les lieux, rebâtir les maisons et remettre en culture les
terres. La question d’une émigration se repose quelques années
plus tard, en 1853 et cette fois les Pitcairniens sont partagés par
ce nouveau projet, mais finalement ils sont convaincus et à bord
du Morayshire, chargé de tous leurs biens, ils gagnent l’île de
10
On se rappelle que dans les années 2000, le dévoilement d’inceste à Pitcairn a
défrayé la chronique et donné lieu à un important procès qui fut médiatisé. Les
mœurs ont bien évolué depuis l’époque puritaine.
11
En 1792, le capitaine Bligh revient à Tahiti à bord de la Providence, avec la même
mission que cinq ans plus tôt : déplacer des plants d’arbres à pain jusqu’aux
Antilles. La mission a été accomplie et les arbres se sont adaptés à leur nouvel
environnement.
8
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Norfolk12, anciennement lieu pénitentiaire. Une partie de la
population reste dans cette île et y demeure encore aujourd’hui,
une autre partie, inadaptée et désappointée revint à Pitcairn. Les
descendants du Bounty ont donc essaimé dans deux îles du
Pacifique-Sud : Pitcairn, l’île originelle et Norfolk, l’île de l’expansion démographique et d’une relative adaptation au monde
moderne.
Permanence de l’événement
Aujourd’hui, la geste « bountienne » est, comme il se doit,
commémorée voire célébrée à l’occasion du « Bounty Day », le
23 janvier à Pitcairn (jour de l’incendie volontaire du navire en
1790) et le 8 juin à Norfolk (fête nationale).
Les habitants de Pitcairn rejouent le débarquement des premiers mutins13, puis fleurissent un cénotaphe, se rendent en
chantant au cimetière pour honorer la mémoire des ancêtres,
enfin une famille parmi les premières arrivées est nommée
« famille de l’année ». On brûle également un modèle réduit du
Bounty. Des jeux sont également organisés pour les enfants. A
Norfolk, la cérémonie entre dans une stratégie de promotions
touristiques qui attirent les visiteurs de l’étranger, ce qui change
l’esprit et le contenu de la cérémonie : cette dernière s’identifie
partiellement à un spectacle costumé réinventant la tradition.
Néanmoins, ce sont les ancêtres (mutins) qui sont célébrés dans
les deux îles.
Paola Giuge14 qui a étudié le phénomène, estime que cette
« performance » annuelle construit une « identité » qui
12
L’île de Norfolk, repérée par James Cook en 1774, est située entre la NouvelleZélande et la Nouvelle-Calédonie. Elle jouit d’un climat moins tropical que Pitcairn. A partir de 1826, elle devint une colonie pénitentiaire et ce, jusqu’en 1853.
13
Cf. Wikipedia.
14
La cérémonie du Bounty Day : l’histoire des révoltés du Bounty comme récit fondateur sur les îles de Pitcairn et Norfolk et ses représentations en Occident, thèse soutenue à Montréal, département d’anthropologie, août 2011.
9
« émerge de la manipulation de faits historiques ». Elle pense
en outre que « cette micro-identité influence certains aspects du
micro-vécu » et que cette commémoration est importante « pour
saisir l’importance du processus de construction identitaire ».
Il s’agit, en ne rappelant que certains actes de la violence originelle (la mutinerie, l’incendie du bateau), mais non les violences inter ethniques qui ont contaminé les relations sociales
et auraient pu totalement déstructurer la société, jusqu’à son
éventuelle disparition, il s’agit donc de maintenir voire de
conforter une identité sociale locale fragilisée. Cette commémoration a pour effet d’une certaine manière de « mythifier » l’histoire « bountienne » de chacune des deux îles.
En Polynésie aussi l’histoire n’est pas totalement oubliée :
pour bien montrer que les faits vécus et les conflits entre loyalistes et mutins sont, à Tahiti, encore vivants voire réactivés
dans l’affect des descendants, lors de la « célébration du
220e anniversaire du H.M.S. Bounty (27 octobre 1788)… les
descendants des marins fidèles au capitaine Bligh ont refusé de
se joindre aux descendants des mutins ». Et David Townsend,
descendant du chirurgien du Bounty ajoute : « ce que les insulaires de Norfolk et de Pitcairn fêtent, n’est rien d’autre qu’une
célébration de piraterie du navire15 ». La cérémonie eut quand
même lieu, en 2008 donc, à la pointe Vénus, en présence de
quatre vingt deux personnes venues de Norfolk et d’une résidente de Pitcairn, auxquelles se sont joints les familles des
mutins ayant fait souche à Tahiti.
Cette année 2013 à la fin du mois d’octobre, un événement
international Bounty va se dérouler à Tahiti. C’est pour cette
manifestation culturelle qu’a été écrit cet article.
15
www.tahitipresse.pf
10
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Les résonances culturelles de l’histoire du Bounty
Cette aventure du Bounty, avec ses nombreuses ramifications et ses rebondissements, est déjà riche voire tragique en
elle-même. Plus de deux siècles après les faits, l’histoire n’est
pas oubliée, bien au contraire, elle est souvent réactualisée par
la littérature et le cinéma. En 2011 encore, les éditions L’Age
d’Homme ont traduit en français le récit de l’écrivain italien
Eugénio Corti intitulé L’île Paradis. Ce récit, découpé en deux
cent vingt sept scènes, comme le scénario d’un film à venir,
souhaite rester fidèle à l’histoire : il reprend les aléas, les vicissitudes de la vie quotidienne à Pitcairn et cherche surtout à
opposer le mythe des mers du Sud à la réalité humaine où existe
voire domine de manière constante le mal, toujours prompt à
s’éveiller et à s’exprimer. Pourquoi et comment se conjuguent,
dans le temps et l’espace, l’Eden et le problème du mal,
consubstantiel à l’homme, telle est la problématique traitée dans
ce livre récent. En effet L’homme ne fonctionne-t-il pas bien
souvent dans une perspective binaire voire manichéenne.
Pour expliquer la force du mythe né de cette aventure,
quels sont donc les éléments fondamentaux contenus dans l’histoire du Bounty qui révèlent et rencontrent des phénomènes
sociaux et culturels majeurs ?
C’est d’abord une aventure maritime, laquelle, à l’image
des aventures d’Ulysse narrées dans l’Odyssée, de nombreux
récits de voyage -à commencer par celui de Marco Polo-, dont
les contenus de Montaigne à Rousseau ont été instillés dans la
littérature et la pensée anthropologique, du roman Moby Dick,
des nombreux récits de Jules Verne etc., aventures qui ont passionné, de génération en génération le lectorat soucieux de sortir de son cadre existentiel quotidien. Les enfants quant à eux,
nourris au lait des récits maritimes, ont développé le sentiment
intérieur qu’il existe des pays de rêve, de cocagne, des pays
pour aventuriers libres et intrépides. La littérature a longtemps
été perçue comme la narration d’aventures, réelles ou fictives,
11
avant que le cinéma ne lui ravisse sa spécificité. De son côté,
l’aventure maritime, s’approprie les riches thématiques de la
mer et du voyage. La littérature maritime renvoie à un imaginaire fécond, renouvelé d’époque en époque, où l’on rencontre
en outre les représentations évolutives de l’ailleurs et de l’inconnu, entre rêves, illusions et tragédies.
L’histoire « publique » du Bounty se déroule ensuite entre
les années 1789 et 1792, dans les mers du Sud, objet, à
l’époque, c’est-à-dire depuis l’arrivée des Européens à Tahiti
(1767), d’un triple mythe : philosophique, sociologique et
sexuel. Ce mythe déroule les notions d’utopie, d’état de nature,
d’excellence sociale, de paradis – climatique et agricole – , de
bons sauvages, de femmes belles et disponibles, de liberté,
enfin d’exotisme. La mutinerie du Bounty a lieu peu de temps
après le départ de Tahiti où le navire avait effectué un long
séjour au cours duquel les marins avaient largement goûté aux
délicatesses des vahinés et en gardaient le souvenir fantasmé et
déjà, sans doute, la nostalgie.
Aux mythiques mers du Sud s’ajoutent également les questions relatives à l’insularité, notion qui parcourt la culture occidentale depuis la Grèce et qu’elle se plaît à revisiter notamment
à partir de la Renaissance. L’île est un espace d’utopie16 chez
Thomas Moore, Campanella et autres penseurs de cette époque.
Lieu clos par excellence, il fonctionne comme un laboratoire ou
un terrain d’expériences humaines ou sociales. C’est dans l’île
que le nouvel arrivant oublie son passé et renaît à une nouvelle
existence où se conjuguent l’isolement, la sécurité et une forme
de bonheur calme.
En outre, l’histoire du Bounty s’identifie à une aventure
humaine, l’histoire complexe d’une mutinerie sur un navire britannique, qui renvoie ainsi aux nombreuses problématiques de
la relation humaine – un bateau constitue un microcosme social
16
Voir le numéro 301 du BSEO consacré aux Utopies insulaires, Papeete 2003.
12
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pertinent – , de la violence institutionnelle, de la transgression,
de la révolte contre une autorité ou un ordre jugé injuste, enfin
de la prise de pouvoir et de sa gestion.
A la suite de cette mutinerie s’ajoutent d’un côté la situation
et le devenir du commandant Bligh, déposé avec les marins restés fidèles, sur une chaloupe en pleine mer, voué à une mort certaine et de l’autre la vie et l’avenir des mutins une fois le
pouvoir pris par Christian à bord du Bounty. Deux histoires
parallèles s’engagent alors, lesquelles s’ouvrent sur de nouvelles aventures et problématiques.
Côté Bligh, l’errance sur les flots, la survie difficile lors de
la dérive maritime, le sauvetage final à Timor, le retour en
Angleterre, l’épisode judiciaire et l’affirmation finale que l’autorité, le droit et la force de la loi doivent régner et toujours
l’emporter, tous ces éléments contiennent des logiques et des
fictions possibles.
Côtés mutins, l’errance également, le périple à la recherche
d’une île d’accueil encore inconnue, l’enlèvement des jeunes
femmes tahitiennes, la crainte permanente d’être découverts par
un navire anglais envoyé dans les parages à leur recherche,
l’installation à Pitcairn, l’île exil sans retour, où se crée et se
construit une société pluri ethnique inégalitaire qui va osciller
entre la contrainte, le désordre et la violence meurtrière inter
raciale jusqu’au jour où l’adhésion à une religion et aux principes moraux qu’elle induit, jugulera la violence humaine ; ces
épisodes constituent, partiellement ou en totalité, un réservoir
où l’on peut puiser une inspiration fictionnelle quasiment illimitée. L’aventure a tourné au tragique, le mythe à viré au cauchemar. La vie des mutinés à Pitcairn renvoie aux questions
relatives à la constitution d’une société, son organisation, les
relations humaines et les hiérarchies sociales (le type d’autorité,
le statut des ethnies, de la femme et des enfants), la propriété
des terres, la production et la répartition des richesses, l’occupation du temps etc.
13
L’histoire se retourne ensuite sur elle-même et sur les mutinés : une fois captifs dans l’île de Pitcairn, ils deviennent des
« prisonniers de l’évasion ». La liberté conquise devient un
piège. L’île-paradis se transforme en île-prison, où le huis clos
géographique et humain conduit le groupe à la violence et aux
meurtres. Cette aventure qui aurait pu permettre à la vie dans
cette île de constituer une sorte de société parfaite et heureuse
voire exemplaire, révèle la face maudite de la réalité humaine :
sa folie meurtrière, un ordre social injuste, l’impossible pacification d’une aventure qui avait commencé par une triple violence,
la mutinerie, l’enlèvement des Tahitiennes et l’incendie du
Bounty et dont les acteurs n’ont pas su ou voulu changé sa nature.
Cette mutinerie et la suite des événements renvoient à des thèmes
à des valeurs qui agitent, font vivre, font évoluer les sociétés : la
révolte, la liberté, la violence, la domination, l’inégalité, la
morale, la conspiration, l’enfermement, la résignation etc.
Voilà présentés les quatre axes, fort productifs en terme
artistique, à partir desquels tout un réservoir fictionnel, dont se
sont emparés la littérature depuis le XIXe siècle et le cinéma au
cours du XXe siècle, va, librement, se déployer. Librement
signifie aussi que l’histoire sera transgressée, parfois mythifiée,
souvent réécrite et interprétée à convenance. En deux mots, le
contraire d’une histoire oubliée, délaissée, morte.
En effet du récit vécu par un témoin-acteur, James Morris17
son à l’adaptation libre de Robert Merle (L’île, 196218), en
passant par le récit quasi journalistique de Jules Verne (1879),
sans oublier la trilogie de Charles Nordhoff et James Norman
Hall (Les révoltés de la Bounty, Dix neuf hommes contre la
mer et Pitcairn, 1932 et 1934), l’épopée du Bounty a inspiré de
nombreux romanciers qui ont chacun raconté l’histoire ou l’une
17
Le Journal de James Morrison a été traduit par Bertrand Jaunez et publié par la
Société des Océanistes en 1966 à Paris puis par la SEO à Papeete.
18
Une version télévisuelle, sous forme de feuilleton, a été tournée à partir du
roman de Robert Merle par François Leterrier en 1987.
14
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de ses composantes, interprété l’aventure et choisi d’adopter un
point de vue particulier de cet événement. C’est en cela que
l’aventure du Bounty est devenue un mythe culturel. A chaque
époque se dessine une vision, une interprétation qui se fond
dans l’actualité des mentalités.
De même cette aventure s’est particulièrement bien adaptée
au cinéma19 : après une première version semi-documentaire
proposée par l’Australien Charles Chauvel en 1933, le cinéma
grand public de type hollywoodien a présenté d’abord, en 1935,
un film de Franck Lyod, version très libre de l’histoire avec
Charles Laughton et Clark Gable20, puis la seconde, celle de
Lewis Milestone, en 1962 avec Marlon Brando et Tarita Teriipaia qui est certainement le film le plus connu et le plus populaire – le plus romantique aussi. La dernière version date de
1984 elle est due au Britannique Roger Donaldson avec l’acteur
Mel Gibson qui y joue le rôle de Christian Fletcher 21.
L’île très politique de Robert Merle 22
Il faut le dire d’emblée, afin d’évacuer la question et aborder le fond du roman, ou du moins les intentions explicites de
son auteur. Qu’importent, tout au long de ce volumineux récit
19
Pour une analyse des films inspirés par l’histoire du Bounty, on lira l’article de
Sonia Faessel (Université de la Nouvelle-Calédonie) intitulé Le Bounty ou comment
le cinéma transforme l’histoire en mythe, dans l’ouvrage collectif Histoire de la Franconésie. Regards croisés sur le Pacifique Sud, éditions Les Indes savantes, Paris 2009.
20
Film qui a reçu l’Oscar du meilleur film en 1935.
21
Le film a été directement inspiré par l’ouvrage de Richard Hough, Captain Bligh
and Mr Christian.
22
Robert Merle (1908-2004), est un écrivain français auquel on doit notamment
Week-end à Zuydcote (1949), ouvrage consacré par le prix Goncourt et la série
Fortune de France qui a fait de cet universitaire angliciste, très engagé politiquement, un écrivain populaire et à succès. Il publie l’Ile en 1962, roman qui reçut le
prix de la Fraternité ; il lui est décerné, le 28 juin 1962, par Charles Palant, secrétaire général du MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les
Peuples). On lira avec profit la seule biographie de Robert Merle, écrite par Pierre
Merle, l’un de ses fils : Robert Merle, une vie de passions, éditions de l’Aube, 2008.
15
de près de sept cents pages, les inexactitudes, les anachronismes,
les invraisemblances, les erreurs orthographiques, et toutes les
inauthenticités qui peuvent agacer un historien attentif aux faits
ou un océaniste scrupuleux. Après avoir tenté d’écrire un roman
historique sur l’aventure du Bounty et la vie à Pitcairn, tentative
à laquelle l’auteur a finalement renoncé, Robert Merle cherche
plutôt sa voie dans une analogie de situation historique et du côté
de l’imagination créatrice. Le Bounty s’appelle désormais le
Blossum23, Bligh se nomme Burt, Fletcher devient Mason. Et
pour bien montrer que l’histoire événementielle ne constitue pas
la première référence du roman, Mason tue Burt à bord du Blossum et devant l’équipage, après que ce dernier eut fait battre à
mort un jeune marin, Jimmy, innocent et sans reproche. Le personnage principal du roman n’est pas Mason, mais Purcell, car
à la différence du cinéma hollywoodien ayant toujours privilégié
la mutinerie elle-même, ce qui intéresse le romancier Robert
Merle, c’est l’existence à Pitcairn, et la vie entre les communautés qui constitue une sorte de société-laboratoire.
Le roman est dédié à Magali, une jeune femme qui entre
dans la vie de l’écrivain, alors qu’il écrit l’Ile au cours de l’année 1961 :
« J’ai écrit l’Ile sous l’influence de la guerre d’Algérie.
Dans ce livre, les Anglais sont les Français et les Tahitiens sont
les Algériens. J’en étais tout à fait conscient, mais je voulais
simplement prendre plus de recul par ce procédé, et j’ai placé
cette histoire à Tahiti au XVIIIe siècle 24 ».
La grille de lecture est ainsi posée : le roman est celui de la
révolte contre l’arbitraire et la tyrannie post mutinerie. C’est
23
Le nom de Blossum vient d’un bâtiment qui fit escale à Pitcairn en 1825. Son
capitaine, Beechy s’est vivement intéressé à l’histoire de la société pitcairnienne
et en a fourni une narration faite à partir de témoignages.
24
Rappelons que Robert Merle est né en Algérie où il a vécu jusqu’à la mort de son
père en 1915 et qu’il y est retourné comme professeur à l’Université d’Alger,
après l’indépendance, de 1962 à 1964.
16
N°329 • Septembre 2013
aussi un roman contre la colonisation : les Tahitiens sont les
colonisés, sans droit politiques, ni terre, ils doivent se soumettre
au monde et aux désirs des Blancs, ils ne peuvent pas non plus
choisir, comme le font les Britanniques, leur femme. Elles sont
d’ailleurs moins nombreuses sur l’île que les hommes, ce qui
entraîne frustrations et désir de vengeance auprès des Tahitiens
qui doivent se partager celles qui n’ont pas été les préférées des
anciens mutins. Le Bounty réitère l’histoire éternelle de la
domination dans un lieu qui se clôt : l’île qu’on ne peut quitter
devient un lieu d’enfermement. La révolte, on pourrait écrire la
mutinerie des Tahitiens, n’est que la conséquence d’une situation existentielle générale trop inégale « La mutinerie est une
révolution en miniature » écrit Pierre Merle, le fils biographe
de l’écrivain. Ce qui intéresse l’auteur dans ce roman, c’est de
mettre les personnages en relation, en situation, de les voir et
les faire évoluer. Ici ce sont les relations inter ethniques qui
dominent. On perçoit les limites de la soumission25, on voit naître progressivement les conflits qui, ne trouvant pas d’exutoire,
se transforment en violence, en meurtre et finalement en guerre.
L’allusion à la situation algérienne est transparente au fil du récit.
Purcell, le personnage principal est un double, un « autoportrait romancé » de l’écrivain, un être que la vie et plus particulièrement l’enfance a brisé et dont il essaie pourtant, au fur
et à mesure que le roman se construit, de l’éloigner, de le dégager
de sa propre aventure humaine. Il demeure comme son créateur
le pacifiste impuissant des années quarante. Purcell qui a déjà
25
Il est paradoxal d’observer que les mutins du Bounty, anciennement révoltés,
deviennent ou se révèlent être, au fil de l’aventure à Pitcairn, des dominants
impitoyables, comme s’ils n’avaient pas conscience que leur révolte contre Bligh
était peut-être aussi porteuse d’une humanité plus juste et généreuse, non seulement pour eux, mais pour les autres hommes. Dans la même problématique
l’écrivain Victor Segalen a écrit, au début du XXe siècle et en substance, que le
Breton acculturé et colonisé qu’il était, ne se conduirait pas, à son tour, en Polynésie en colonisateur… Les Immémoriaux en sont l’expression littéraire vivante.
17
vécu à Tahiti où il a appris la langue, la parle et sert donc d’intermédiaire traducteur, considère les Tahitiens à égalité. Il représente l’idéal d’homme pour Robert Merle, celui qui respecte
l’autre et de fait, il se trouve porteur de l’utopie humaniste. Face
à la mentalité discriminante des mutinés anglais, Purcell est toujours mis en minorité et peu à peu considéré comme un traitre.
Chaque individu, ethniquement parlant, est sommé, au fur et à
mesure que les relations s’enveniment et deviennent violentes,
de choisir son camp, celui des Anglais ou celui des Tahitiens.
Purcell est pris entre deux feux. Rejeté par ses collègues
anglais, mais ne connaissant pas le sentiment des Tahitiens qu’il
a défendus, à son égard. Les femmes, quant à elles, éprouvent
alors un conflit moral de loyauté : tahitiennes mais également
« mariées » avec des Anglais. Purcell qui a essayé en vain
d’empêcher l’exclusion des Tahitiens des différents partages, est
accusé de trahison. Il croit qu’une autre histoire humaine est
toujours possible et partage l’idée qu’une « guerre est là comme
une maladie », il mettra toute son énergie à rapprocher les
points de vue dans un esprit de justice et de respect.
Mason, le mutin devenu capitaine, n’agit pas dès lors qu’il
devient chef, comme Burt, le commandant du Bossum. Il n’a
rien d’un héros, il ne cherche pas non plus à le devenir ; rapidement on lui découvre une absence d’autorité et il devient moins
respecté, il perd même à Pitcairn la fonction sociale qu’il avait
acquise à la faveur de la mutinerie. Lorsque le pouvoir donne le
sentiment qu’il s’affaiblit, les rapports de force ethniques se
renversent : le dominé perçoit la faille pour attaquer voire renverser l’ordre qu’il conteste26. Emergent, dans de telles situations troublées, des pseudo-démocrates, savamment populistes,
dont l’habileté permet de manipuler les populations naïves ou
peureuses. Mac Leod est ce personnage qui profite de la situation pour créer un mini parlement dont il tire les ficelles ou
26
On pense en filigrane à la fin de la IVe République.
18
N°329 • Septembre 2013
modifie les règles du jeu lorsqu’il n’obtient pas ce qu’il veut.
De plus il professe un racisme qui va contaminer l’île et entraîner la guerre. Robert Merle aborde donc la question ici de
l’émergence du politique à Pitcairn.
La dernière scène du roman, au-delà des faits rapportés, se
transforme en une belle allégorie humaniste. Après différents
massacres, Purcell demeure le seul Blanc vivant encore sur l’île.
Le chef tahitien, Tetahiti, sûr de son autorité, cherche à réintroduire le mode de vie traditionnel et la coutume, il ordonne à Purcell de quitter l’île avec sa femme -pourtant tahitienne-,
exprimant ainsi son rejet de l’étranger et sa volonté de retour à
une organisation culturelle originelle et non contaminée par l’histoire récente. Ce dernier s’exécute et s’attèle à reconstruire sur les
restes d’une ancienne chaloupe du Blossum, un esquif. Peu avant
que Purcell ne prenne la mer, Tetahiti souhaite « essayer » le
bateau avec lui. Ils embarquent tous les deux, mais rapidement
une violente tempête se lève, le bateau, malmené, manque
constamment de chavirer, de plus il prend l’eau à chaque déferlante et menace de couler. En plus les vents contraires éloignent
l’équipée de l’île, au point qu’ils pensent être bientôt perdus. Ils
croient leur dernière heure arrivée. Une lutte entre la nature en
furie et eux, la fragile humanité, se joue. Finalement ils regagnent
Pitcairn. Au cours de cette aventure dans l’adversité, Tetahiti a
découvert, non plus la confrontation avec l’altérité anglaise, mais
la complémentarité, la solidarité et l’entraide.
A l’issue de cette épreuve vécue, alors que les deux personnages sont encore sur la grève, nimbée d’un brouillard épais,
qui les rend invisibles l’un à l’autre, Tetahiti déclare et ce sont
les dernières paroles échangées du roman : « O Adamo (surnom
de Purcell), je t’ai trouvé ! » On comprend alors qu’il lève la
condamnation à l’exil de Purcell qu’il avait prononcée. La
contradiction ethnique est maintenant transcendée : Tetahiti et
Purcell se reconnaissent hommes et égaux. La sagesse et la tolérance ont prévalu in fine.
19
« Mais que sont les révoltés du Bounty devenus27 » ?
« Plus de deux cents ans après les événements, un homme
installé dans son salon, mène une véritable enquête historicothéâtrale cherchant à démêler le mythe de la réalité ». C’est
ainsi que Sébastien Laurier présente le travail auquel il s’est
attaché et qui a abouti à une pièce de théâtre en 2009. Celle-ci
a été présentée dans la région bordelaise durant les saisons
2010-2011 ainsi qu’au festival d’Avignon en 201028. Il faut
donc bien croire que nous pouvons lire l’histoire du Bounty en
chaussant nos lunettes contemporaines et découvrir dans les
faits anciens un écho audible aujourd’hui. Cette démarche le
conduit à « inventer sa propre vérité : la figure d’un Robinson
contemporain qui se heurte à ses illusions et qui réalise une
quête beaucoup plus intime, beaucoup plus enfouie qu’il ne
l’avait envisagée ». C’est pourquoi le personnage s’adresse aux
spectateurs en ces termes : « Et notre histoire débute avec cette
question que je finirai par vous poser : mais vous savez ce
qu’ils sont devenus, ces révoltés du Bounty » ? Ce devenir interrogatif ne renvoie pas à une histoire reconstruite ou recréée, ce
devenir, c’est dans notre modernité qu’il convient de la découvrir. C’est en ce sens que réside l’actualité de l’épopée du
Bounty : une histoire qui renvoie à une gestion calamiteuse du
même et de l’autre, une histoire où l’un nie l’autre et veut, non
le connaître mais le dominer ; cette petite île, en plein Pacifique,
est donc encore utilisée pour représenter la vie des gens, d’un
27
Cette phrase rappelle, en le reprenant en partie, le premier vers de la poésie de
Rutebeuf (XIIIe siècle), « Que sont mes amis devenus …», connue aujourd’hui surtout grâce à la magnifique mise en musique effectuée par le chanteur Léo Ferré.
Le thème de cette complainte est la fuite du temps.
28
A propos de ce spectacle, Philippe Binet écrit dans la Dépêche de Tahiti le
17 mars 2009 : « Pendant une heure et demie, Arnaud Churin tient la scène…il réussit surtout à montrer pourquoi cette petite société de Pitcairn se détruit. Un joli divertissement, assorti d’une prouesse d’acteur sur un sujet tellement d’actualité : la vie
d’un groupe, d’une société ».
20
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groupe, d’une société : « Je ne pourrai pas m’empêcher de dire
que cette histoire est fascinante, qu’elle est tout simplement
l’histoire de l’humanité, l’histoire d’Adam et d’Eve, d’Abel et
de Caïn, l’histoire de la colonisation par l’Occident, celle de la
révolte des indigènes et aussi l’histoire de la guerre des sexes »
déclare l’auteur de cette pièce. L’analogie alors éclate entre la
solitude d’une île où se vivent des drames et la solitude d’une
scène de théâtre où se disent ces drames. « A partir de l’histoire
de ce bout de rocher, j’ai rencontré l’histoire du monde »
déclare encore Sébastien Laurier. Dans notre monde désenchanté, un homme, à travers ses questionnements, se bat avec
la réalité, cet homme ne souhaite qu’une chose, continuer à
espérer, à rêver à une meilleure humanité. « Ce soir, j’aime la
marine » chantait Jean Ferrat, en mémoire et en hommage à
l’audace des marins du Potemkine qui avaient refusé de réprimer une juste mutinerie ; c’était en 1905 dans la Russie tsariste,
mais déjà entrée en convulsion pré-révolutionnaire.
Le Bounty ? J’ai réservé le meilleur pour la fin (la faim) :
c’est aussi une barre chocolatée29 qui tire son nom de la présence, en son centre, d’une pâte composée d’une crème à base
de noix de coco. En réalité, cette friandise fonctionne dans notre
univers mental comme la célèbre « Petite Madeleine » de
Proust : la noix de coco constitue la mise en abyme et la métaphore des îles des mers du Sud, elle rappelle que là, précisément, où, jadis, s’est déroulée une mutinerie, se révèle encore
et surtout, de manière rémanente, un monde géographique et
fictionnel conséquent.
Daniel Margueron
29
Produit phare de l’entreprise américaine Mars Incorporated, société créée en
1911, spécialisée dans la production agroalimentaire.
21
BIBLIOGRAPHIE
Attard Stéphane et HAGAN John, Bounty : Les prisonniers de l’évasion, 2004.
Cormerais Jean-Pierre, Les îles infortunées, éditions France-Empire, Paris 1988.
Corti Eugénio, L’île paradis, traduit de l’italien par Gérard Genot, éditions L’Age
d’Homme, Lausanne, 2011.
Giuge Paola, La cérémonie du Bounty Day : l’histoire des révoltés du Bounty comme
récit fondateur sur les îles Pitcairn et Norfolk et ses représentations en Occident,
Faculté des Arts et des Sciences de Montréal, 2011, téléchargeable sur internet.
Laurier Sébastien, Mais que sont les révoltés du Bounty devenus ? Ou la recherche du
paradis perdu expliquée à ma fille, création théâtrale, théâtre Jean Vilar, Suresnes 2009.
Merle Robert, L’île, éditions Gallimard, Paris 1962.
Metcalfe Rowan, Passage de Vénus, traduit de l’anglais par Henri Theureau, éditions Au vent des îles, Papeete 200630.
Morrison James, Journal, traduit de l’anglais par Bertrand Jaunez, SO Paris puis
SEO Papeete 1966.
Nordhoff Charles et HALL James Norman, L’île Pitcairn, traduction M. de Wasmer,
éditions NRF, Paris 1939, Les révoltés de la Bounty, traduction Guillaume Capela, éditions de la Nouvelle Revue Critique, Paris 1935, Dix neuf hommes contre la mer, traduit de l’anglais par J. Guichard, éditions Robert Laffont, Paris 1953.
Verne Jules, Les Révoltés de la Bounty, Paris 1879, réédition Folio Junior, 2004.
Vibart Eric, Naissance d’un paradis au siècle des lumières, éditions Complexe 1987.
Vidil Charles, Histoire des mutinés de la Bounty et de l’île de Pitcairn (1789-1930), éditions Payot, Paris 1932.
www.la saga du Bounty.
30
L’auteure de ce roman, Rowan Metcalfe (1955-2003) est présentée en quatrième de couverture comme une « descendante directe de Mauatua, une des vahine que les marins de la Bounty
emmenèrent avec eux à Pitcairn ». Est-ce à dire que son ouvrage exprime un point de vue polynésien sur l’aventure du navire et l’histoire relatée ? Dans l’affirmative, l’intérêt du livre serait
bien augmenté, car on aurait à lire un témoignage indigène sur une aventure qui en manque
cruellement. Interrogé à ce sujet, voici ce que nous écrit Henri Theureau, le traducteur du
roman : « Rowan « Pahutini » Metcalfe est une kiwi, donc une occidentale et les efforts intéressants
qu’elle fait pour se glisser dans la peau de son ancêtre, restent des efforts d’occidentale -comment
pourrait-il en être autrement ? Les 9/10èmes de sa documentation sont bien évidemment des
sources occidentales (Cook, Bligh, Ellis…). Elle s’est découverte assez tard descendante plus ou
moins directe de Christian et de sa vahine Mauatua, a eu l’idée de ce récit par son ancêtre et est
venue à Tahiti faire des recherches pour compléter celles qu’elle avait faites par ailleurs à Pitcairn,
Norfolk etc. Je ne pense pas que ce livre repose sur des témoignages, mais uniquement sur des
recherches, en y ajoutant un féminisme latent : faire revivre cette Mauatua (Grand mât) qui était
un des moteurs de Christian, revenir au plus près de la vérité historique, mettre en avant la force
de ces femmes qui survivent lorsque les hommes s’entretuent… Dans ses meilleurs moments, elle
me fait penser à Victor Segalen et à sa démarche : rechercher ce que pouvait bien être le point de
vue indigène débarrassé des à-priori occidentaux, tout en s’efforçant de créer un rythme, une couleur de langue qui crée cette distance et évoque “les beaux parlers” anciens ».
22
Te pōpō ‘uru1
Merveilleux chaton de l’arbre à pain
Certains événements plus ou moins récents relatifs au
‘uru 2, le mythique fruit de l’arbre à pain si cher aux Polynésiens, m’ont replongée dans mes souvenirs d’enfance, à propos
du pōpō ‘uru. Des souvenirs enfouis, des souvenirs d’une
époque où tout était utilisé, réutilisé et où rien ne se gaspillait.
Ma tante et mère adoptive m’a proposée un jour de révéler au
plus grand nombre la recette du pōpō ‘uru confit. Elle m’a également encouragée à parler des différentes utilisations de cette
inflorescence mâle de l’arbre à pain, si insignifiante a priori.
Les événements en question
Pour la première et unique célébration de la Journée du
‘Uru, le 21 novembre 2011, je fus sollicitée pour présenter une
friandise faite de chatons de l’arbre à pain : le pōpō ‘uru confit
ou monamona pōpō ‘uru. Je me suis appliquée à décliner la
recette de ma grand-mère, recette qui fut quelque peu délaissée
jusqu’alors, car assez laborieuse à préparer. Entre autres, j’ai eu
grand plaisir à vanter les qualités du pōpō ‘uru, mêlant images
et souvenirs d’enfance avec une certaine émotion.
1
2
Chaton de l’arbre à pain.
Fruit de l’arbre à pain.
On peut dire que cette Journée du ‘Uru fut une réussite au
vu des différents participants venus nombreux présenter leur
savoir-faire, leurs connaissances de l’arbre à pain. Le public a
apprécié les prestations des uns et des autres : des préparations
traditionnelles propres à chaque archipel (kāaku, pōpoi, po‘e)
aux préparations modernes et mécanisées sous toutes les formes
et pour tous les goûts (en chips, frites, flocons, farine, pain…).
Des artisans ont exposé leurs créations sur le thème : tīfai3
fai , tapa 4 et objets divers.
Des conteurs ont réjoui le public, surtout les scolaires, avec
des légendes, des poèmes et des hīmene 5.
Si certains n’avaient jamais entendu parler du pōpō ‘uru
confit, d’autres cependant, la cinquantaine bien passée, ont
retrouvé une des saveurs de leur enfance.
Le dernier événement sur le ‘uru, fruit providentiel de
l’ “Arbre de vie des Polynésiens”, fut le premier Festival du
‘Uru, du 14 au 17 mars 2013, à Te Fare Tauhiti Nui, la Maison
de la Culture de Papeete. Une très belle fête, bien animée et
colorée avec une participation beaucoup plus conséquente d’acteurs, d’amateurs, de spécialistes, de scolaires, d’étudiants et de
visiteurs. L’association des Editeurs de Tahiti et ses Iles, était
également de la partie pour présenter des ouvrages en rapport
avec le thème de la manifestation.
Un concours de plats cuisinés à base de ‘Uru fut organisé
et apprécié par tous. Un ancien proviseur du Lycée hôtelier de
Tahiti présidait un jury qui eut fort à faire pour désigner les
vainqueurs. Les veloutés, ragoûts et gratins ont rivalisé avec les
flans, les sorbets, les po‘e et faraoa ‘uru pē 6. Nos amis antillais
présentèrent également leurs spécialités relevées au piment.
3
Couvre-lit fait de pièces de tissu diverses représentant un thème : patchwork.
Tissu fait avec d’écorce d’arbre dont l’arbre à pain.
5
Chants.
6
Pain fait avec du fruit mûr et ramolli de l’arbre à pain.
4
24
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Chaque participant commenta sa recette avec passion et certains
n’hésitèrent pas à l’agrémenter d’un ‘ūtē ou d’un pāta‘uta‘u et
cela dans une ambiance festive et bon enfant. Mes monamona
pōpō ‘uru7 furent engloutis en un rien de temps.
Ces deux événement dédiés au ‘uru ont permis aux participants et au public de découvrir un peu plus le tumu ‘uru8, arbre
exceptionnel, généreux, aux fruits de formes et tailles variées,
générant différentes préparations gastronomiques dont certaines
inédites et parfois surprenantes.
La légende du ‘uru
La légende de Ruata‘ata9, la plus populaire, révèle l’origine
du tumu‘uru, un arbre merveilleux et essentiel dans la vie des
Polynésiens. Elle fut contée à la Journée du ‘Uru en 2011 par
Isidore Hiro, le frère du célèbre poète disparu Henri Hiro. On y
apprenait comment Ruata‘ata, pour sauver sa famille d’une
grande famine, se transforma, une nuit en un majestueux arbre,
le tumu‘uru, dont la réputation dépasse nos frontières. Au Festival du ‘Uru de 2013, ce fut le talentueux animateur John Mairai, également auteur, conteur, homme de théâtre et ami du
regretté Henri Hiro, qui emmena le public à Raiatea avec verve
sur les traces de Ruata‘ata et du premier tumu‘uru.
Alimentation, gastronomie…
Si le tumu ‘uru est véritablement l’“Arbre de vie des Polynésiens” pour ses multiples usages : nourriture, médecine traditionnelle, habillement et constructions diverses, son fruit est
résolument une source alimentaire inestimable et recherchée.
7
Friandise faite de pōpō ‘uru.
Arbre à pain.
9
In Tahiti aux temps anciens de Teuira Henry, p. 438, publié par la Société des Océanistes en 1968.
8
25
Les Anglais l’ont d’ailleurs bien compris puisqu’ils vinrent
à armer le célèbre Bounty commandé par le non moins célèbre
capitaine Bligh, le dépêchant à Tahiti afin d’y recueillir quelques
plants à acclimater aux Antilles. D’ailleurs, un festival international sur l’épopée du Bounty est en préparation et devrait se
faire dans quelques mois. Un autre événement donc qui nous
ramènera cette année au savoureux et emblématique ‘uru.
Si le fruit de l’arbre à pain est bien connu pour ses qualités
nutritives et tient une place prépondérante dans la gastronomie
polynésienne, on connait beaucoup moins l’utilisation du pōpō
‘uru en tant que friandise : le pōpō ‘uru confit. Encouragée par
quelques personnes de mon entourage, je livre ici la recette du
pōpō ‘uru confit de ma grand-mère qui m’a été transmise par
ma mère.
Les ingrédients :
- 40 à 50 pōpō ‘uru
- 2 litres d’eau
- 1 kg de sucre roux
- 2 citrons
- une demi-gousse de vanille
Les étapes :
Ramasser les pōpō ‘uru tombés du jour ou de la veille, les
peler, les nettoyer soigneusement à l’eau, puis les essorer
avant de les mettre dans une grande marmite remplie d’eau
en y ajoutant le sucre, le jus de citron et la vanille.
Laisser cuire au moins deux à trois heures jusqu’à évaporation du liquide.
Retirer les fruits gonflés de sirop, les mettre à sécher pendant un ou deux jours au soleil.
Les découper en bâtonnets puis les ranger dans une boîte
hermétique.
26
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Je me souviens encore que, petite, ma mère nous préparait
du pōpō ‘uru qu’elle faisait cuire dans un grand tura10 avec de
l’eau, du sucre roux, du jus de citron et un peu de vanille. C’est
une préparation qu’elle cuisait sur un feu de bois. Au bout de 2
à 3 heures de cuisson, elle sortait les fruits gonflés de sirop, les
mettait à sécher 2 jours au moins au grand soleil, puis, elle les
découpait en bâtonnets et les rangeait soigneusement dans une
boîte métallique. Je me souviens aussi qu’elle en préparait juste
avant les fêtes de Noël et c’était, avec les “bonbons coco” de
toutes les couleurs, une de nos friandises préférées.
Les jeux
Les enfants ont naturellement un grand besoin de jouer :
une activité saine en somme et nécessaire à leur croissance et à
leur épanouissement.
Dans mon enfance, les jeux étaient saisonniers et, pendant
la floraison de l’arbre à pain, les pōpō ‘uru étant abondants, on
s’en servait comme projectile dans le pere pata11. Ce jeu rimait
donc avec les batailles de pōpō ‘uru que livraient les gamins de
ni‘a12 (haut) à ceux de raro (bas) à Punaauia. C’était durant ces
jeux, certes un peu brutaux, qu’on mesurait ses qualités de chef
et, était champion celui qui faisait « mouche » à tous les coups.
Après, on se quittait copains et on était quitte pour quelques
bleus. Quand le vent était favorable et constant, on s’adonnait
au ha‘ape‘e pāuma13. En dehors de ces jeux dictés par les éléments de la nature, on revenait au pata pōro14, au rore15, à la
toupie…
10
Touque alimentaire.
Jouer à la fronde.
12
Les gamins de ni’a habitent la partie du district de Punaauia du côté de Paea et
ceux de raro du côté de Fa’a’a.
13
Jouer au cerf-volant.
14
Jouer aux billes.
15
Echasses.
11
27
Arme
Le pata, constitué d’une pièce souple contenant le projectile, est rattachée à deux lanières de caoutchouc fixées à une
branche de goyavier en forme de « Y ». Cet objet fait main,
devenait une arme redoutable à qui savait l’utiliser. C’est ainsi
que les garçons l’utilisaient parfois pour abattre des merles et
des busards. Très adroit à ce jeu là, mon frère pouvait décrocher
un nid de guêpes perché tout en haut des ‘aito16 ou assommer
un épervier en plein vol. C’était un des moyens d’éradiquer
cette espèce introduite initialement pour lutter contre la prolifération des rats ; ce rapace se révéla finalement un prédateur
pour la faune aviaire endémique, contribuant ainsi à la disparition d’espèces rares. Pour une tête d’épervier que l’on apportait
fièrement chez le chef du district, on percevait une récompense
de 50 Francs CFP, l’équivalent de 5 billets de cinéma. Une fortune à cette époque et une vraie aubaine pour ces habiles chasseurs en herbe.
Autres usages
On retrouve également le pōpō ‘uru dans un usage thérapeutique. Un ami m’a fait part d’une vertu du hī‘ata (pédoncule) de pōpō ‘uru que l’on broie pour en extraire quelques
gouttes d’un liquide qui calmerait les douleurs d’oreille.
On dit aussi que le pōpō ‘uru sec brûlé produit une fumée
qui servait de répulsif contre les insectes : moustiques, etc.
A l’école de mes cinq ans, on écrivait sur l’ardoise avec le
tara fetu‘e17, faute de crayon- ardoise, et le pōpō ‘uru, débarrassé de sa peau, servait d’éponge afin d’y effacer nos premières prouesses d’écolier.
16
17
Casuarina equisetifolia.
Tara (pointe) fetu‘e (oursin crayon).
28
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Chants
D’un naturel joyeux, le Polynésien aime exprimer ses sentiments, entre autres par un pehe (chant) ou pehepehe (poème).
C’est aussi sa manière de se rappeler une scène de vie, un événement exceptionnel. C’est ainsi que naissent entre autres les
‘ūte et pāta‘uta‘u, pour la plupart improvisés, scandés et répétés
de générations en générations.
Parler de la légende du ‘uru et de Ruata‘ata de nos jours,
c’est également se remémorer d’Henriette Winkler, une chanteuse à la voix exceptionnelle, immortalisée dans ce célèbre
‘ūtē18.
Quel bonheur pour moi de faire découvrir à certains le pōpō
‘uru confit et de rappeler à d’autres le bon souvenir des préparatifs de cette friandise, malheureusement délaissée au profit de
celles importées !
Puisse la recette du pōpō ‘uru confit de nos anciens servir
aux lecteurs de cet article, qui tente modestement de restituer
la place oubliée du chaton de l’arbre à pain dans la vie du
Polynésien.
Bonne lecture et bon appétit !
Elizabeth Poroi dite Zaza
18
Type de chant qui décrit d’habitude des scènes de vie avec des paroles bien souvent comiques.
29
‘Ūtē nō te ‘uru 19
Tātou pauroa i teie ‘āru‘i
‘Ia ora i te fārereira‘a ai… ē
Mea aroha rahi Ruata‘ata ri‘i
Tei pohe i te tau o‘e ra ē
Tei ha‘apohe roa i tōna nei tino
‘Ei mā‘a nā te mau tamari‘i
Reo iti fa‘ateni tō Ruata‘ata ri‘i
I ni‘a i tāna vahine ra ē
Ananahi roa ‘ia po‘ipo‘i a‘e
Haere mai ‘oe i rāpae ē
I rāpae mai o te ana rahi ra
Tei reira ‘o te tumu rā‘au ē
‘O te tumu o te rā‘au ē
‘O tō‘u ho‘i ïa tino ē
Te mau ‘āma‘a ni‘a iho roa ra
‘O tō‘u ho‘i ïa ‘āvae ē
Te mau rau‘ere ni‘a iho ē
‘O tō‘u ho‘i ïa rimarima ē
Te mā‘a menemene ni‘a iho a‘e ho‘i
‘O tō‘u ho‘i ïa upo‘o ē
Teie te i‘oa o te rāau rahi
‘O te uru āhani māua ē
Ā hē hē hē… a ha ā…
Auē… rave iti noa mai te mā‘a o te uru
Tunutunu iho ‘ia ‘ama maita‘i
Panapana iho te mau pa‘a ri‘i
Tu‘u atu i roto i te pape
Auē he ho‘i ē !
Fa‘a‘amu i te mau tamari‘i
Ai ē…
30
N°329 • Septembre 2013
Chant de l’arbre à pain
Nous tous ce soir
Vivons pleinement notre rencontre
Quelle peine de penser à Ruata‘ata
Qui mourut pendant la disette
Se laissant mourir
Pour nourrir ses enfants
D’une voix fière Ruata‘ata
Dit à sa chère épouse
Demain de bonne heure
Tu sortiras
De la grotte
Il y aura là un grand arbre
Le tronc de l’arbre
C’est mon corps
Les branches dessus
Sont mes jambes
Et les feuilles
Sont mes mains
Le fruit rond dessus
C’est ma tête
Voici le nom de cet arbre
Te uru āhani
…
Tu prendras le fruit de l’arbre
Tu le feras bien cuire
Tu retireras la peau
Le mettras dans de l’eau
Et
Tu nourriras les enfants
…
19
Chant déclamatoire tiré de
la légende de Ruata‘ata
qui s’est métamorphosé
en tumu ‘uru. Il fut merveilleusement interprété par
la regrettée Henriette Winkler, originaire de Raiatea,
qui serait l’île d’origine de
cette légende.
31
E Pāta‘uta‘u nō te ‘uru 20
hē… hī !
Ēēē mā‘a maita‘i te ‘uru
E tunu ‘ia ‘ama
Pāhi te pa‘a
Tā‘iri‘iri ‘ia u‘au‘a
‘Iriti te hune
E ‘ai te ‘i‘o
‘Iriti te hune
E ‘ai te ‘i‘o
Pāta‘uta‘u nō te pōpō ‘uru21
Ē hē… hī !
Pōpō ‘uru, ‘uru pōpō ē
Hiri ahā ahā ā
‘A ‘ohi te pōpō ‘uru ē
Hiri a aha aha ā
Tipitipi atu, tāra‘i atu
Tu‘u atu i roto i te pāni ē
Ēhē, mani‘i atu te pape
Āhā, ‘e te meri ‘ute ē
Hiri ā ā ā
Hiri āhā ā hā ā
Hiri ā ā ā
Hiri āhā ā hā ā
Ēhē pōpō ‘uru monamona ē hī
Āhā pōpō ‘uru monamona ē hā
20
21
Chant (dynamique) populaire du ‘uru.
Chant composé et interprété par Elizabeth Poroi, institutrice retraitée.
32
N°329 • Septembre 2013
Chant du fruit de l’arbre à pain
Ah !
Le ‘uru est un bon fruit
Qu’il faut cuire sur un feu vif
Retirer la peau
Et le battre pour en faire une pâte
Retirer le cœur
Pour manger la chair
Chant du chaton de l’arbre à pain
Ah !
Chatons,
Ah !
Ramassons les chatons de l’arbre à pain
Ah !
Epluchons-les, séchons-les
Mettons-les dans la marmite
Ajoutons de l’eau
Et du miel roux
Ah !
Ah !
Ah !
Ah !
Ah ! succulents chatons
Ah ! succulents chatons
33
Le fruit de l’arbre à pain :
intérêt et techniques
des transformations alimentaires
Le département des industries agroalimentaires (IAA) du
service du développement rural a pour mission la conception
des études et programmes visant à développer les possibilités
de conservation et de transformation des produits agricoles.
C’est dans ce cadre que lui a été confié la valorisation du fruit
de l’arbre à pain par la transformation.
Pourquoi transformer le fruit ?
Le développement de la culture de l’arbre à pain en Polynésie française constitue une alternative de substitution aux
importations de céréales avec pour objectif final l’amélioration
de la sécurité alimentaire du territoire. Le poids de la tradition
et la valeur nutritionnelle du fruit sont des atouts majeurs de ce
potentiel de développement qui a cependant été limité jusqu’à
présent par la haute saisonnalité du fruit et son caractère hautement périssable.
Valeur nutritionnelle du ‘uru
Le ‘uru (Artocarpus altilis) constitue une source d’hydrocarbones non négligeable dans l’alimentation des Polynésiens puisque,
d’un point de vue quantitatif, c’est le 3ème vivrier traditionnel
consommé avec 11,9 kg/an/hab (Etude de consommation 1995).
N°329 • Septembre 2013
Le fruit à pain est donc essentiellement un aliment énergétique, riche en calories. Cependant, et contrairement au riz
blanc largement consommé en Polynésie, c’est aussi une assez
bonne source de calcium et de vitamine C. Par ailleurs, le ‘uru
est riche en fibres, qui diminuent les risques de surpoids
ou d’obésité.
Par comparaison à celle du riz blanc, une portion alimentaire de ‘uru (soit la moitié d’un petit ‘uru) assure une partie non
négligeable des apports journaliers recommandés en minéraux
et vitamines. La couverture en vitamine C est ainsi estimée à
67%. Le riz blanc, pauvre en minéraux et en vitamines, assure
essentiellement un apport énergétique et protéique.
Uru cuit
103
Riz blanc cuit
123
g
70
1.3
0.6
26.1
15.7
2.5
69
2.3
0.2
28
25.2
0.8
Calcium
Magnésium
Potassium
Sodium
mg
mg
mg
mg
18
23
436
1
4
13
10
5
Vitamine A
Β-carotène
Vitamine C
Vitamine B1
Vitamine B2
µg
µg
mg
mg
mg
2
23
22
0.08
0.04
0
0
0
0.03
0.01
Valeur énergétique
kcal
Eau
Protéines
Lipides
Glucides
Dont amidon
Fibres alimentaires
g
g
g
g
The Pacific Island Food composition tables, Commission du Pacifique sud, 2004.
Breadfruit, D. Ragone, Breadfruit, Artocarpus altilis, IPGRI, 1997.
35
Composition comparée du ‘uru et du riz blanc (pour 100 g)
Fruit à pain
Pourcentage des besoins quotidiens d’une femme adulte satisfait par la moitié d’un petit ‘uru cuit
67%
5%
6%
8%
e
cin
s
rie
m
ciu
Cal
B2
ine
am
Vit
B1
ine
am
Vit
C
ine
am
Vit
nes
téi
Pro
o
Cal
5%
Nia
11%
5%
Fer
5%
Riz blanc
Pourcentage des besoins quotidiens d’une femme adulte satisfait par une tasse de riz blanc cuit
1%
1%
2%
4%
e
cin
m
ciu
Cal
B2
ine
am
Vit
B1
ine
am
Vit
C
ine
am
Vit
nes
téi
Pro
3%
Nia
o
Cal
0%
Fer
12%
s
rie
8%
Périssabilité du fruit
Le ‘uru est un fruit climactérique à savoir qu’il subit après
récolte une crise respiratoire qui provoque son mûrissement
brutal en 1 à 3 jours. Après étude du comportement physiologique postrécolte du fruit dans nos laboratoires, des essais de
conservation réfrigérée ont été menés.
Les résultats obtenus ne sont pas concluants avec seulement
8 à 10 jours de conservation possible entre 10 et 12°C. Le
stockage réfrigéré du fruit peut être étendu avec un bon maintien de ses qualités organoleptiques à 15 jours en abaissant la
température à 4°C. Cependant, la basse température provoque
un brunissement important de l’épiderme du fruit qui, sans
affecter ses qualités internes, provoque une dépréciation importante de sa valeur marchande.
36
N°329 • Septembre 2013
La conservation en frais du ‘uru n’étant donc pas une solution à son caractère hautement périssable et saisonnier, sa transformation devient une nécessité dès lors que l’on souhaite étaler
sa consommation tout au long de l’année. Par ailleurs, le
recours à la transformation agroalimentaire va permettre de
diversifier les produits à la consommation.
Les transformations agroalimentaires
du fruit de l’arbre à pain
Les transformations culinaires traditionnelles
Le ‘uru est traditionnellement cuit au feu de bois avec sa
peau ou, après pelage et découpage, à l’étouffée au ahima’a
(four tahitien). La cuisson au feu de bois est la plus courante.
Le ‘uru est directement déposé sur le feu et laissé à cuire environ 30 minutes de chaque côté. Il est retourné de temps en
temps, jusqu’à ce que chaque face de la peau soit cuite au point
qu’une fine couche de cendre grise apparaît. Il est alors retiré
du feu et épluché. La cuisson directe sur un brûleur à gaz, plus
rapide, tend à se généraliser. Après cette cuisson, les tranches
de ‘uru peuvent être frites dans l’huile pour être consommées.
Le ‘uru était traditionnellement conservé sous la forme
d’une pâte fermentée, le Mama, pour faire face aux périodes de
disette : les ‘uru dont le trognon a été retiré sont pelés et découpés puis placés dans une fosse tapissée de feuilles de ti tassées.
Le tout est ensuite recouvert de terre. Après fermentation le Ma
ma était cuit au ahima’a et pouvait se conserver jusqu’à un an.
La fabrication du Ma ma est toujours d’actualité. Il est
ajouté en petite quantité à du ‘uru frais pilé pour fabriquer le
popoi ‘uru traditionnel.
37
Le ‘uru cuit peut être également malaxé en pâte et
consommé après addition de lait de coco, c’est le ka‘aku marquisien.
Le ‘uru permet également la fabrication de desserts tel que
le po‘e ‘uru avec le fruit bien mûr ou pē (malaxage de la pulpe
à laquelle on ajoute un peu d’amidon avant cuisson) ou le pōpō
‘uru obtenu par confisage des inflorescences mâles.
Les nouveaux produits alimentaires
Semi-industrialisation du procédé de fabrication du Ma
L’orifice pédonculaire du fruit est percé et rempli d’eau de
mer pour provoquer en une nuit sa maturation. Le fruit est
ensuite pelé, écœuré et découpé avant d’être écrasé au pressepurée mécanique. La fermentation est ensuite réalisée avec égouttage en cuve inox dans des feuilles de bananiers en 80 jours.
‘Uru pré-cuit congelé
Les ‘uru matures sont cueillis à maturité. Ils sont épluchés,
écœurés et découpés en quartiers de 1,5 à 2 cm d’épaisseur. Ces
derniers sont ensuite cuits 25 à 30 mn à la vapeur d’eau puis
refroidis à température ambiante. La cuisson des fruits avant
congélation est essentielle car elle détruit les enzymes responsables du noircissement de la pulpe.
Refroidis, les quartiers sont ensuite conditionnés en sachet
souple de 1 à 2,5 kg, suivant le marché, visé et congelés en
chambre froide négative.
Dans ces conditions, un rendement global de 75% peut être
escompté avec des fruits de d’un poids d’environ 1,5 kg.
Le produit ainsi obtenu se conserve au minimum 4 mois.
Après décongélation, le réchauffement du produit une quinzaine
de minutes à la vapeur permet d’obtenir un produit équivalent
au produit traditionnel.
38
Etude de la crise respiratoire du ‘uru
Préparation du popoi ‘uru
‘Uru cuits au feu de bois
Popoi ‘uru
Farine de ‘uru
Les ‘uru sont pelés et découpés en morceaux de 5 à 8 mm
d’épaisseur avant d’être placés dans un séchoir à air chaud
durant 24 h. Le produit séché est préalablement broyé grossièrement puis plus finement pour obtenir la granulométrie propre
à la farine. La farine est ensuite ensachée manuellement.
Le rendement de la transformation est d’environ 24%.
La farine de ‘uru est, contrairement à la farine de blé, une
farine sans gluten (le gluten est responsable de nombreuses
allergies). Toutefois l’absence de gluten rend difficile la panification du pain de ‘uru et on mélange les deux farines pour améliorer la levée du pain (incorporation à hauteur de 15%).
‘Uru séchés
Broyage grossier
‘Uru 10 kg
Manuel
Epluchage
Tranchage
Séchoir à air
Chaud 24 h
Séchage
Broyage grossier
Broyage fin
Manuel
Broyage fin
40
2,4 kg farine
Ensachage
Fermentation anaérobie
Presse purée mécanique
‘Uru 1,5 kg
Manuel
8 tranches/fruit
‘Uru pré-cuits congelés
Epluchage
Tranchage
Ecoeurage
20 mn
Cuisson vapeur
Air
Refroidissement
1,1 kg
Congélation
Flocons de ‘uru
Les ‘uru sont lavés, épluchés et tranchés puis mis à cuire
dans un four à vapeur. Ils sont ensuite réduits en purée au
presse-purée. Le produit obtenu alimente ensuite le cylindre
sécheur où il subit une déshydratation puis la floconneuse où
les flocons sont homogénéisés. On procède ensuite au pesage et
à l’ensachage des flocons.
Le produit final peut être réhydraté instantanément et
convient donc bien aux utilisations dans le cadre de cuisine
d’assemblage.
Le rendement de la transformation se situe autour de 20%.
Flocons de ‘uru
‘Uru 10 kg
Presse purée
Cylindre sécheur
42
Manuel
Lavage
Manuel
Epluchage
Tranchage
Four cuisson à vapeur
Cuisson
Presse purée
Réduction en purée
Cylindre sécheur
Déshydratation
Floconneuse
Floconnage
Peseuse/Ensacheuse
2,4 kg farine
Ensachage
N°329 • Septembre 2013
Conclusion
La valorisation du fruit de l’arbre à pain par la transformation
agroalimentaire doit permettre d’aplanir le problème de saisonnalité du fruit et se présente comme la seule solution envisageable à son caractère hautement périssable, sa conservation en frais
ayant été écartée. Cette valorisation du fruit par la transformation
est donc une étape incontournable au développement économique de la filière de l’arbre à pain en Polynésie française.
Corinne Laugrost
Photo Jean Kape
Crédits photos : Département Industries Agro-Alimentaires,
Service du Développement Rural (à l'exception de la photo popo 'uru
provenant de tahiti-infos.com du 21 novembre 2011).
43
Une nouvelle vision
de l’histoire de Rapa ?
Des éléments sur l’existence
de marae anciens sur l’île
Isolée des autres îles de l’archipel des Australes auquel elle
est rattachée administrativement et de Tahiti par la distance et
l’organisation des transports, Rapa est la plus septentrionale des
îles de Polynésie française. Cet isolement a permis a la société
rapa de préserver quelques unes de ses spécificités socioculturelles, notamment en matière de gestion des ressources terrestres et marines, et oblige ses habitants à recourir en majorité à
l’autoproduction (pêche, agriculture, cueillette) et aux échanges,
nombreux au sein d’une communauté très soudée.
Ces particularités m’ont amené à mettre en œuvre un séjour
de six mois en 2010-2011 pour étudier en profondeur ces spécificités, quarante ans après le précédent séjour de longue durée
de Allan Hanson en 1966 (onze mois), qui avait lui-même suivi
de quarante ans celui de John Stokes en 1920 pendant neuf
mois. L’objectif de ce séjour de « terrain » était de mener une
double recherche1 :
1
Je remercie Simone Grand pour sa relecture attentive et exigeante de ce texte.
Ce travail a bénéficié d’une aide de l’Agence Nationale de la Recherche portant
la référence ANR-09-BLAN-0360-02.
N°329 • Septembre 2013
– sur le système alimentaire rapa, depuis les modes de productions jusqu’aux modes de consommation alimentaires,
à partir d’observations participantes, de récits de vie et
d’entretiens qualitatifs,
– sur les activités quotidiennes et les affects liés, par passation d’un questionnaire quantitatif auprès de la population
résidente âgée de quinze à soixante ans, et d’entretiens
qualitatifs de validation des hypothèses.
Avant de séjourner sur l’île, je me suis procuré l’exhaustivité des documents écrits existants sur l’île, qui font tous mention d’une caractéristique architecturale : la présence d’une
douzaine de structures lithiques en forme de dôme qui dominent
la baie principale de l’île, des forts ou pa. Aucun écrit ne fait
mention de l’existence de lieux de culte pré-européens qui se
trouvent sur toutes les îles anciennement habitées de Polynésie
française, les marae ou meae, ni d’effigies en pierre souvent
associés à ces lieux de culte, les tiki. Les lieux de culte auraient
été intégrés dans les structures des pa et en particulier leurs
dômes (Walczak 2003), ou aménagées dans des cavités dans les
fondations (Stockes 1930, Caillot 1932).
Cette caractéristique a pu faire penser au navigateur Thor
Heyerdhal que les sociétés de Rapa nui (l’île de Pâques) et de
Rapa pouvaient provenir d’Amérique du sud, thèse qu’il a tenté
de prouver en organisant un voyage en radeau depuis le continent sud-américain vers les îles polynésiennes (Heyerdhal
1957), et qui a été mise à bas grâce notamment à l’étude des
caractéristiques génotypiques et phylogénétiques des Polynésiens et des similarités linguistiques et culturelles avec les populations du sud-est asiatique (Kirch 1986, Terell et alii. 1997…).
Toutefois, la lecture approfondie d’un manuscrit non
publiée d’un ethnologue américain, John F.G. Stoke, fait mention de l’existence de trois marae à Rapa, deux recouverts par
45
les eaux et un terrestre. Ayant retrouvé pendant mon séjour sur
l’île le site de ce présumé marae terrestre, le plus immédiatement accessible, sa destination en tant que lieu de culte et de
sacrifices, si elle était avérée par des travaux archéologiques
plus fouillés, permettrait de jeter une lumière nouvelle sur la
connaissance de l’histoire de Rapa.
Brève présentation physique de l’île de Rapa
Ile la plus au sud de Polynésie française, Rapa (ou Oparo)
fait partie de l’archipel des Australes. Elle se situe à 1240 km
au sud-est de Tahiti, à 750 km de Tubuai centre administratif de
l’archipel des Australes, et à 480 km de Raivavae l’île la plus
proche. Située à 480 km au sud du tropique du Capricorne, l’île
connaît de fortes variations saisonnières et l’hiver austral peut
y être rude : les températures sont les plus fraîches de toute la
Polynésie française. De ce fait, les cocotiers poussent difficilement et leurs noix n’arrivent jamais complètement à maturité,
l’arbre à pain maiore y est absent, et la température de l’océan
n’est pas suffisante pour permettre la formation d’un récif frangeant corallien.
Les pluies sont abondantes et réparties sur toute l’année.
Lors d’orages tropicaux périodiques, le niveau des eaux dans
les ruisseaux s’élève brutalement ; les embouchures de vallées
se transforment alors en marécages et des chutes d’eau apparaissent sur toutes les hauteurs. Le ciel est souvent couvert, et
change rapidement de physionomie avec la variation des vents
qui affectent l’île. Les rafales maximales atteignent 120 km/h,
et apparaissent tout au long de l’année. Associée à la houle,
parfois forte et croisée, la violence des vents rend parfois
impossible l’accostage à Rapa et surtout l’entrée dans la baie
et oblige les navires à rebrousser chemin, après des dizaines
d’heures de mer…
D’une surface de quarante km² environ, d’une longueur de
sept km sur six kilomètres de large, elle est hérissée de monts
46
N°329 • Septembre 2013
acérés et culmine à 633 mètres (le mont Perahu), reste d’un volcan dont la partie centrale s’est effondrée en une caldeira aux
murailles abruptes. Des îlots se rencontrent tout autour de l’île,
et des falaises rendent l’approche de l’île difficile, certaines
d’entre elles mesurant jusqu’à 300 mètres de haut en à-pic.
L’île est très découpée par des murailles abruptes et des
pics crénelés : elle « ressemble de loin à un grand château-fort
du moyen-âge » (Caillot 1932 : 7). Elle ne possède pas de plateaux, mais une crête centrale à partir de laquelle partent des
arêtes secondaires pour terminer en petites vallées traversées de
petits ruisseaux qui serpentent jusqu’en bord d’océan. Le pourtour de l’île est échancré par de multiples baies. La baie principale, qui pénètre de 2000 mètres de long et de 800 mètres
environ de large jusqu’au centre de l’île et formant un remarquable port naturel, est celle de Aurei2, plancher d’effondrement
de la caldeira, au début de laquelle se situent les deux seuls villages de Rapa, Aurei et Area, distants de 1500 mètres de part et
d’autre de la baie.
L’île a un aspect plutôt aride sur ses terres les plus élevées,
les collines sont couvertes d’une herbe rase et de pin des
Caraïbes autour de Aurei par suite d’une plantation dans les
années 1980 qui n’a jamais été suivie d’entretien, et les vallées
sont parcourues par de petits ruisseaux le long desquels on
trouve des bosquets d’arbres, des caféiers aujourd’hui souvent
abandonnés et envahis par les goyaviers de Chine, des bananiers, orangers et citronniers. Les tarodières, en activité ou
abandonnées, tapissent le lit des vallées jusqu’à leur embouchure dans la mer. Exceptée à l’embouchure des rivières, la
terre n’est en général pas très fertile.
2
La toponymie de la baie et du village du même nom varie selon les sources. On
la trouve ainsi écrite Haurei, Ahurei ou Ha’urei. La lettre « h » n’existant pas en
langue rapa, nous l’écrirons simplement Aurei.
47
L’île est aujourd’hui la plus isolée de Polynésie française
puisqu’elle ne possède pas d’aéroport, et qu’un cargo mixte
assure une liaison avec Tahiti et les Australes une fois tous les
deux à trois mois.
Rapide rappel de l’histoire de Rapa
Le premier contact avéré avec les Européens eut lieu le
22 décembre 1791 par George Vancouver, le nombre d’habitants était alors estimé à environ 1500 personnes. Les Rapa se
répartissaient en 14 ou 15 ramages familiaux, « tribus complètement indépendantes les unes des autres » (Caillot 1932 : 29),
qui se partageaient les terres, chacune dominée par un village
fortifié ou pa ou pare, uniques en Polynésie française, souvent
construit à l’intersection d’une crête principale et de crêtes
secondaires, et maîtrisant chacun une des quinze baies que
compte l’île. Ces clans auraient pu être au nombre de dix-huit
au début du XVIIIe siècle. Stokes relève quinze pare, villages
fortifiés dominés par une structure en forme de dôme, mais
environ trente-cinq sites aménagés qui auraient pu accueillir au
total jusqu’à trois mille personnes. On note aujourd’hui encore
les traces de travaux d’aménagements considérables : terrassement et murs de soutènement en pierres sèches, renforcés par
des fossés de protection. Les terrasses d’habitations anciennes
comportaient des fosses de stockage pour les réserves de taro
(tio’o). La densité humaine par rapport à la surface totale de
terres cultivables a pu être l’élément déterminant des nombreuses guerres qui opposèrent les clans entre eux au cours de
leur histoire selon Hanson (1973 : 14), hypothèse confirmée par
les travaux récents en archéologie ayant montré l’impact rapide
des premiers Polynésiens sur leur environnement (Hunt et Lipo
2006, Kennett et al. 2006, Wilmshurst et al. 2011…)
Rapa fut évangélisée par des missionnaires britanniques
dans les années 1820 à 1830, et la dépopulation progressive de
l’île marqua son histoire au dix-neuvième siècle. A partir des
48
N°329 • Septembre 2013
années 1830, l’île fut régulièrement fréquentée par des navires
européens qui venaient vendre des étoffes principalement
contre des perles et des nacres, apportant avec eux des maladies
inconnues auparavant à Rapa. Une fois les huîtres perlières et
les nacres épuisées à Rapa, les Rapa durent louer leurs services
dans d’autres îles, et notamment dans les Tuamotu. Puis, suite
à l’appauvrissement des lagons paumotu dans les années 1840,
les Rapa revinrent dans leur île où ils firent pendant plus de
vingt ans du commerce de taro avec les Paumotu qui n’en produisaient pas suffisamment pour leur consommation.
Entre 1847 et 1880, Rapa servait d’escale aux navires de passage reliant l’Australie et l’Amérique par Panama, et de dépôt
de charbon pour les bateaux courriers de la ligne Sydney-San
Francisco et Southampton-Nouvelle Zélande (Le Chartier
1887 : 188). Un acte qui mettait Rapa sous le Protectorat tahitien fut signé en 1867 avec le roi Parima et ses sous-chefs, puis
l’île fut placée sous Protectorat français en 1881, avant l’annexion de l’île par la France en 1887 et son rattachement administratif et judiciaire à Tubuai la même année.
A partir de 1902, l’île est en contact régulier avec Tahiti par
navire. Entre 1903 et 1914, il fut question de faire de Rapa le
grand port français du Pacifique, avec le projet renaissant de
construction du canal de Panama. Mais Tahiti ayant une surface
plus étendue, possédant des ressources plus abondantes et étant
mieux placée pour les échanges interinsulaires, le projet fut
délaissé. Le port et la base navale furent finalement construits
à Tahiti, et Rapa retomba dans l’indifférence du reste de la
Polynésie et de la France.
La population connut une forte émigration des hommes
dans les années 1910-1940 pour travailler notamment comme
plongeurs pour la nacre et les perles, et comme marins. En
1951, l’île dispose d’une école, d’une infirmerie et un dispensaire, et s’y implanteront la même année une station radiométéo et le spécialiste qui en sera chargé.
49
En 1956, le navigateur Thor Heyerdahl procédera aux premiers travaux de fouilles archéologiques, notamment sur le pa
de Morongouta3. Il déblaiera et mettra à jour les fondations des
anciens remparts et plates-formes du pa, dénombrant plus de
quatre-vingt terrasses, pour une hauteur de 50 m. sur 400 m de
diamètre, « le plus grand ouvrage d’architecture qu’on eut
jamais découvert en Polynésie » (Heyerdahl1995 : 374). Il note
qu’à l’époque de son séjour, l’île n’était touchée qu’une fois par
an par une goélette de commerce venant de Tahiti pour échanger des marchandises manufacturées ou industrielles contre du
café (Heyerdahl 1995 : 365).
Peuplée aujourd’hui de 480 habitants selon le recensement
de 2007, c’est l’île la moins peuplée de l’archipel des Australes
(ISPF 2007). Après un ralentissement de son taux de croissance
démographique depuis la fin des années 1980, son taux de
croissance est négatif depuis 1996. Les deux tiers de la population résident dans le village d’Aurei, et le tiers restant dans celui
de Area et dans le fond de la baie (Tukou).
Ile la plus enclavée de la Polynésie française, Rapa est toutefois dotée d’infrastructures tant portuaires, routières ou sportives remarquables pour la taille de l’île.
Sur l’inexistence de marae à Rapa
A notre connaissance, aucun des ouvrages publiés sur
Rapa, qu’il s’agisse d’écrits de missionnaires ou de visiteurs
(Ellis 1972, Moerenhout 1959…), ou encore d’archéologues ou
d’anthropologues (Heyerdahl 1957, Fer et Malogne-Fer 2000,
Walczak 2003, Kennett et al. 2006…), et notamment les plus
documentés (Caillot 1932, Hanson 1973), ne mentionne l’existence d’un ou plusieurs marae ou meae sur l’île. Ellis (1972 :
673) ne fait qu’évoquer la religion des Rapa en la jugeant
3
Il en tirera un ouvrage Aku-Aku. Le Secret de l’île de Pâques, dont le dernier chapitre
est consacré aux fouilles à Rapa.
50
N°329 • Septembre 2013
« extrêmement grossière » et basée sur « des prières, des
offrandes et des sacrifices ». Caillot évoque seulement l’existence, a priori pour chacun des clans de l’île de Rapa, d’une
« petite enceinte sacrée » et d’un « autel devant lequel ils faisaient des prières et offraient des sacrifices » (1932 : 57). Ces
lieux de culte auraient été situés près des pa, sur les lignes de
crête des montagnes qui entourent l’île.
S. et K. Routledge (Hanson et O’Reilly 1973 : 24), qui passèrent dix jours à Rapa en 1921 pour des recherches archéologiques, avec un temps affreux qui les conduira à abréger leurs
recherches, concluent sur l’absence de marae. J. Walczak qui procéda à deux séries de fouilles ponctuelles conclut dans le même
sens : « Les pa […] sont associés à une absence totale de marae »
(2003 : 35) et encore « Rapa se caractérise par l’absence des structures lithiques rectangulaires à vocation politico-religieuse qui sont
attestées ailleurs en Polynésie orientale, que ce soit sous la forme
de marae (Société), heiau (Hawai’i, meae (Marquises) ou ahu
(Pâques) » (2003 : 38). C. Ghasarian, suite à quatre séjours de
moins d’un mois, conclut également « les investigations archéologiques n’ont jusqu’à présent mis au jour ni marae, ni tiki, communs
dans le reste de la Polynésie » (Make et Ghasarian 2008 : 7).
Nous avons eu l’opportunité de lire la totalité du manuscrit
de l’anthropologue américain John F.G. Stokes4, rédigé en
1930, dont la commune de Rapa possède une copie du document original déposé au Bishop Museum de Hawaii. Membre
de la Bayard Dominick Expedition, sous les auspices du Bishop
Museum, John F.G. Stokes est arrivé à Rurutu en décembre 1920
où il passa trois mois pour une étude ethnologique, avant d’atteindre Rapa en avril 1921, où il resta jusqu’à janvier 1922
4
Pour les références tirées du manuscrit de Stokes, la numérotation des pages
étant multiple et souvent redondante, nous utiliserons les références de page
entourées d’un cercle dans le manuscrit. La traduction de l’américain en français
est de notre fait.
51
en compagnie de son épouse. Il effectua alors un important travail de recueil ethnologique de la culture matérielle des Rapa,
et en profita pour photographier l’ensemble des membres de
cette communauté.
Sa lecture fut délicate, mille pages en partie tapuscrites et
bien souvent manuscrites, raturées de notes et corrections de
l’auteur ou de son relecteur ultérieur pour une publication qui
n’eut jamais lieu, avec des passages qui se répètent bien souvent. Edwin N. Ferdon mentionna en 1956 dans son rapport
d’expédition archéologique l’existence de « trois ou quatre
marae » dans l’île mais il semble seulement reprendre les travaux de Stokes sans plus de description (Hanson et O’Reilly
1965 : 33) ni de fouille sur ce site. Stokes est donc le seul à évoquer l’existence de trois marae (ou meae ?) dans sa partie
« Temples, idoles et monolithes » (1930 : 889-902), sur treize
brèves pages d’un manuscrit qui en compte plus d’un millier au
total. Ses informateurs locaux précisent que les trois marae sont
tous situés sur des terres côtières basses, auxquels on se serait
référé à travers le nom des petits terrains sur lesquels ils étaient
situés : Otoko, Teneiare et Ma’ara, noms des terrains probablement issus de ceux des temples, d’après Stokes.
La situation des lieux décrits par Stokes ne correspondait
pas aux noms de lieux actuels lors de mon séjour. J’ai dû vérifier sur la carte toponymique de l’île issue du travail de
l’UCJG5 locale à partir des souvenirs récoltés auprès des gardiens des terres, du Conseil des Sages et des anciens de l’île, et
me référer aux explications données par le policier municipal
de l’île, Alain Faraire, pour la dénomination actuelle des lieux.
5
L’Union Chrétienne des Jeunes Gens est une association dépendante de l’Eglise
Protestante Ma’ohi. Très représentée à Rapa, elle s’est donné comme objectif de
travail en 2010 la recollection des noms de lieux de l’île.
52
N°329 • Septembre 2013
Les trois sites s’avèrent être les suivants :
– Otoko, situé à l’est du village de Aurei, entre le « petit
quai », jetée de pierre devant le temple de Aurei, et le
quai d’embarcation des navires, à la limite est des terres
de l’ancien clan Okopou. ;
– Teneiare, situé dans la partie nord ouest de la baie de
Aurei, à l’est de l’îlot Tapu’i. Comme le précédent, situé
sous les eaux de la baie de Aurei ;
– Ma’ara, seul marae terrestre selon les informateurs de
Stokes, situé sur la partie ouest de la baie de ‘Angaira’o,
au nord est de l’île, à l’angle de la rivière Togatoga et du
rivage, duquel il est distant de 15 mètres environ, dans les
terres de l’ancien clan Mato.
Selon Stokes, les pierres du premier auraient pu servir à
construire l’ancien quai de Aurei, le second aurait été situé à
l’époque de son séjour dans la mer et aurait pu être transporté
depuis l’îlot voisin de Tapuki au fond de la baie de Aurei. Le
troisième, celui de Ma’ara dans la baie de ‘Angaira’o, serait le
seul dont de larges parties de murs étaient encore debout au
moment du séjour de Stokes à Rapa. Il le décrit comme suit 6 :
Il est situé à l’extrémité de la baie Agairao, à l’angle
de la rivière Togatoga et du rivage, duquel il est distant de
15 mètres environ. Ma’ara est dans le territoire Mato, qui
est séparé des terres Okoitope à l’est par la rivière. Il n’y
a pas d’indications actuelles de structures en bois que les
fondations en pierre du marae auraient supportées.
6
La traduction est de notre fait, ainsi que la conversion des mesures anglosaxonnes. Les noms propres cités sont laissés tels qu’apparaissant dans le manuscrit. Les dessins et plans indiqués dans le texte ne font pas partie du manuscrit
que nous avons pu consulter. Des références laissées en blanc dans le texte apparaissent comme « manquantes » dans notre traduction du texte.
53
Selon le dictionnaire de Tregear, Mahara est un des
« espaces-temps » dans la cosmogonie maori, et dans le
dialecte de la Polynésie du sud, Mahara, Ma’ara et
Mehara recouvrent l’idée de souvenir ou de pensée.
Le marae (dessin 36) occupe la couronne de terre alluviale qui descend doucement vers la mer sur le nord, et
vers la rivière sur le sud. Son travail en pierre de maçonnerie sèche consiste à présent en une terrasse, de 3 mètres
de large et 6 mètres de long avec une face incurvée à l’opposé de la mer. La surface de cette terrasse est située de 60
à 75 cm au-dessus du contour du sol, et est pavée avec des
pierres de taille moyenne. Un monticule ou un mur de
135 cm lui est attenant à l’arrière, composé de petites
pierres sur la surface et à l’intérieur, et de pierres de taille
moyenne sur les côtés. Sa surface est de 45 cm au-dessus
de celle de la terrasse. A l’arrière se situe également une
enceinte non pavée de 6x6 mètres — (en mesures extérieures) avec des murs de 75 cm de large et 60 cm au-dessus du sol, fait de pierres de taille moyenne. Le niveau des
murs est de 30 cm en-dessous du mur qui sert de support
nord-est au monticule. Le travail de maçonnerie de leurs
sections, auxquels je me référerai comme unité, est de
bonne qualité. Les pierres du terrain sont des cubes grossiers de 45 cm de côté et les plus petites pierres du monticule font de 10 à 13 cm de côté.
Une seconde unité est accolée à l’enceinte du premier,
et s’étend 2 mètres au-delà est un espace triangulaire de
terre entouré par un mur de 45 cm de haut sur le côté sud
et de facture très grossière. L’autre monticule est légèrement courbé, un alignement de larges pierres, de 55 à
110 cm3, qui se termine par une colonne horizontale de 1,60 m
de haut sur 45 cm de large, incluse dans la maçonnerie
54
N°329 • Septembre 2013
qui joint le coin du monticule. Cette colonne semble avoir
été érigée à l’origine, et aurait fait partie de la première
unité.
La confection de deux unités diffère tellement en apparence qu’elle indique des périodes distinctes, la plus
récente étant à l’évidence la seconde. Le caractère grossier
de la seconde suggère un travail récent, mais il est difficile
d’entrevoir une raison utilitaire à un mur de 45 cm de large
et d’une hauteur moindre. Les natifs supposent que ces
deux unités formaient le temple. Il est évident que la
deuxième unité a été ajoutée en des temps pré chrétiens.
Plus vers l’ouest et à environ 45 mètres de distance se
trouve un autre mur de pierres, une petite enceinte dans
laquelle a été récemment construite une maison locale servant d’abri pendant les travaux d’agriculture. Bien que
cette maison n’ait aucun lien avec le temple, elle occupe
indubitablement la place d’une construction qui en faisait
partie. Le site n’appelle toutefois aucun souvenir dans l’esprit des habitants actuels. Les murs de pierre sont petits, de
45 à 60 cm de haut et de large, et d’une construction correcte. Un des murs continue presque jusqu’au rivage, et
semble avoir servi de limite à l’espace sacré, puisqu’on ne
trouve aucun vestige archéologique plus vers l’ouest. La
terre de Ma’ara continue un peu plus au-delà de cette
direction.
Le mur d’enceinte aboutit dans la direction du parc à
poissons décrit p. [manquant] plutôt particulier pour Rapa
du fait de ses murs inhabituellement importants.
A la suite de la lecture du manuscrit de Stokes et après identification topographique des lieux présumés (voir carte de Rapa),
j’ai interrogé les anciens de l’île, et notamment les membres
55
du To’ohitu7 ou Conseil des Sages, sur l’existence d’un ou plusieurs marae sur l’île. Leur réponse fut invariablement la
même : Rapa est la seule île habitée de Polynésie française où
il n’existe ni tiki ni marae, spécificité revendiquée dont on tire
une partie de sa fierté d’être rapa.
Le maire actuel de l’île, Tuanainai Naari, étant très impliqué dans la mise en valeur de la culture ancienne de Rapa, je lui
fais rapidement part de mon interrogation quant à l’existence de
vestiges terrestres d’un temple ancien. Sa réponse fut la même
que celles des anciens interrogés : il n’a jamais été fait mention
d’un marae sur Rapa.
Une remise en question de l’histoire ancienne de Rapa ?
Souhaitant tout de même vérifier les indications de Stokes,
le maire et moi partons une fin d’après-midi en voiture près des
lieux présumés des sites marins des deux premiers marae
décrits par Stokes, Otoko et Teneiaere.
7
Le To’ohitu (littéralement « conseil des sept », plus communément nommé
Conseil des Sages à Rapa), est une structure traditionnelle issue des ti’a’au, gardiens des terres, nommés à vie par les membres des grands ramages de l’île et
dont le titulaire, homme ou femme, siège au sein du Conseil. Son existence a été
reconnue par le Pays et l’Etat par Délibération du conseil municipal le 07 juillet
1984, et dispose d’un règlement intérieur établi en rapa en 2002 et complété en
2006 par 27 articles qui établissent les règlements concernant la gestion de la
terre : autorisation de construire individuelle ou collective, construction de chemins et de routes, agriculture, gestion des animaux, gestion du rahui maritime...
Son rôle est de gérer les terres et les conflits pouvant subvenir entre les habitants
à leur sujet. Son but est notamment de « veiller qu’aucun travail de cadastrage
ne puisse avoir lieu, que personne ne puisse avoir un titre de propriété, qu’aucune location de terre ne puisse être effectuée, qu’aucune réservation de terres
ne puisse être opérée et qu’aucune opération de vente soit acceptée » (règlement intérieur 2002, p. 2). Il se réunit au moins une fois par mois, ou en fonction
des conflits à gérer et des questions soumises par le conseil municipal ou des
individus. Chaque réunion (apora’a To’ohitu) fait l’objet d’un compte rendu, et le
cas échéant de l’établissement d’autorisation (parau faati’a) de construire ou d’exploiter une ou des parcelles de terre, ou encore d’une réponse écrite au conseil
municipal (pahonora’a i te anira’a a te faaterera’a oire).
56
Le premier site, Otoko, ne recèle plus de pierres visibles
dans l’eau. Mais reste visible, en bord de mer en face de la maison du responsable local du Service du Développement Rural,
une pierre levée. D’après le maire, cette pierre, imposante par
sa dimension (plus de 1,50 m de hauteur pour un diamètre d’environ 50 cm), gisait au sol depuis de nombreuses années, et a
été récemment relevée par des hommes de l’île. Selon Stokes,
les pierres de ce marae qui avait été recouvert par les eaux de
la baie, des pierres brutes non dégrossies de taille moyenne,
auraient été utilisées pour bâtir le « petit quai », dont la base est
formée de pierres recouvertes aujourd’hui de béton.
Le second site, Teneiare, se situe dans la partie marécageuse du fond de la baie de Aurei, à Tukou. Terre d’élection des
troupeaux de taureaux et de chevaux sauvages, particulièrement
boueuse, elle est difficile d’accès à pied. Mais on y aperçoit
encore, de part et autre du marécage aux anciens lieux-dits
Aitira et Re’ure’u, deux pierres levées jumelles mentionnées
par Stokes (1930 : 891-892) d’une hauteur d’environ 2,70 m et
d’environ 30 cm de diamètre, partiellement recouvertes d’eau à
leur base quand la marée est haute. Selon Stokes (1930 : 892)
ces blocs seraient connus comme Tekao, c’est à dire « chevron
de sol », noms qui auraient pu être ceux des petits terrains sur
lesquels ils reposaient, et qu’on retrouve à divers endroits
autour de la baie. La tradition recueillie par Stokes les aurait
destinés à être les chevrons de la maison « gouvernementale »
de Rapa, celle du dernier roi de Rapa, ou encore des pierres servant de bornes de limite à un terrain considéré comme sacré et
donc tapu, interdit. La proximité d’un marae à côté de la résidence du roi correspondrait d’ailleurs aux coutumes polynésiennes en général. Le site initial de la résidence royale comme
celui du marae sont maintenant sous les eaux de la baie, un fait
qui reste inexpliqué par la tradition ou par les récits locaux
selon Stokes, mais qui pourrait s’expliquer par une baisse de la
ligne de rivage de 90 à 120 cm au cours des trois derniers siècles,
58
La pierre levée du site de Otoko à l’est de Aurei
ce qui pourrait être confirmé par de récents travaux archéologiques remarquant que les sites d’anciennes tarodières sont
aujourd’hui recouvertes par l’eau de mer (Kennett, Anderson,
Prebble, Conte et Southon 2006 : 348), et que les effets
conjoints de la remontée régulière du niveau marin depuis la
dernière glaciation et de la subsidence continue de l’île auraient
élevé le niveau moyen de la mer de dizaines de centimètres par
siècle, jusqu’à 165 cm depuis les premières traces d’installation
humaines sur Rapa (ibid. : 350). Il resterait encore dans la mer
selon Stokes une courte ligne de pierres taillées, pierres taillées
par ailleurs inexistantes à Rapa, chacune d’environ 30x45x60
cm, que les informateurs de Stokes ne réussirent jamais à trouver, du fait d’un hypothétique changement de lieu par transport
depuis l’îlot voisin de Tapuki dans les environs de Kapitaga
suite à un cataclysme selon Stokes. Visible depuis la surface de
l’eau quand on passe à sa verticale, le site sous-marin du marae
et son caractère sacré font pourtant partie de la mémoire des
anciens de l’île aujourd’hui, même si sa destination est oubliée,
puisque les grands-pères des adultes actuels recommandaient à
leurs petits-enfants de ne surtout pas passer au-dessus du site
immergé, à sa verticale, mais bien à côté, selon les entretiens
que nous avons menés sur place pendant notre séjour. Nous
n’avons pas pour autant pu vérifier si les pierres étaient taillées,
l’eau étant toujours troublée par des fonds vaseux à cet endroit,
et ne souhaitant pas déplacer les pierres existantes.
Malgré leur disparition quasi complète, l’existence des
deux premiers sites sous-marins ayant été rendue probable indirectement par la concordance des éléments accessoires décrits,
le maire fit part aux membres présents du To’ohitu, lors d’une
réunion du Conseil des Sages dans les jours qui suivirent, de
mes présomptions et qui, malgré leur doute, nous engagèrent à
vérifier de visu mes supputations. Une expédition fut organisée
un samedi matin, dès le lendemain de la réunion du Conseil des
Sages, afin de nous rendre en bateau sur le lieu présumé du site
60
Une des deux pierres levées visibles au fond de la baie de Aurei (Teneiare)
Vue du fond de la baie de ‘Angaira’o depuis la mer
terrestre. Etaient notamment présents : le maire de l’île, un de
ses conseillers municipaux également membre du To’ohitu qui
conduisait le bateau municipal, et le pasteur en formation
nommé à Rapa et y séjournant depuis quelques mois, très intéressé par les questions d’ordre culturel de l’île.
Mon épouse et moi retrouvons « Tavana » (le maire) à sept
heures du matin au « petit quai » de Aurei. En fait, le maire a
profité de l’immobilisation du bateau de la commune pour organiser une matinée pique-nique dans la baie de ‘Angaira’o, et
une vingtaine de personnes se retrouve sur le bateau, enfants
compris ; une des pompières municipales est également présente en cas de problème.
Le ciel est bleu, un léger vent souffle de l’est, et la mer est
déchirée de vagues courtes. Tous les enfants présents revêtent
un gilet de sauvetage, et nous partons à faible vitesse vers la
baie de ‘Angaira’o après une brève escale sur le quai de Area
de l’autre côté de la baie pour accueillir d’autres passagers.
Nous passons devant les baies de Akatanui et de Ta’utu, après
avoir dépassé l’îlot Tarakoi, puis devant la baie de Purauta,
dépassons la pointe Tematapu, suivis tout au long du trajet par
des pailles en queue, des tava’e, qui viennent depuis leur falaise
tourner autour du bateau avant de s’en retourner.
Après trois-quarts d’heure de navigation par bateau par le
nord-ouest de l’île, nous atteignons la baie de ‘Angaira’o, une
belle et large baie à la pente douce, au milieu de laquelle serpente une rivière. Entièrement consacrée à la culture du taro
jusque dans les années 1960, elle est aujourd’hui abandonnée
aux troupeaux de taureaux et chèvres sauvages. Nous installons
à l’ombre de pandanus un grand pe’ue sur lequel nous déposons
nos sacs à dos. Un feu est fait entre des pierres, en prévision du
déjeuner. Puis les femmes présentes partent immédiatement
ramasser des poulpes et des akaekae (limaces de mer), les
enfants se déshabillent et barbotent dans l’eau, et un petit
groupe composé du maire, du pasteur, de la pompière, de mon
62
N°329 • Septembre 2013
épouse et moi, part à la découverte du vestige terrestre mentionné par Stokes.
Le site se situe en bord de mer, sur la rive sud-sud-ouest de
la baie, caché par une végétation très dense de goyaviers sauvages, dont les troncs minces forment un rideau quasi impénétrable, et de pandanus. Le maire a apporté un coupe-coupe et
tâche d’éclaircir un chemin au milieu de cette brousse. Nous
finissons par tomber sur un gros amas de pierres d’environ 30 à
50 cm de côté, dans le prolongement sud-nord d’un premier
muret d’une trentaine de centimètres de hauteur dessinant une
enceinte de trois mètres de large sur six mètres de long environ
qui aurait été pavée (des pierres subsistent encore de part en part,
la face plate affleurant le sol) comme le note Stokes : « la surface
de cette terrasse est située de 60 à 75 cm au-dessus du contour
du sol, et est pavée avec des pierres de taille moyenne ». La
baisse de la hauteur moyenne du muret, ainsi que la disparition
quasi complète du pavage, sont sans doute dues au fait que les
pierres ont pu être utilisées par les Rapa pour la construction de
murs de soutènement dans les champs de taro de la vallée,
comme cela a été le cas des marae de Polynésie française en
général (Wallin 2003). Le mur nord de cette enceinte descend
jusqu’à la mer où il s’enfonce), et devant le site lithique on
devine dans l’eau l’alignement de pierres d’un ancien parc à
poissons aujourd’hui abandonné, constitué de pierres particulièrement imposantes, qui en font une structure unique à Rapa.
Les restes d’une deuxième enceinte apparemment non
pavée de six mètres de côté apparaissent immédiatement derrière la première par rapport à la mer, soit sur sa partie ouest. Le
muret qui l’entoure paraît encore plus large que celui de la première enceinte, d’une soixantaine de centimètres environ, et est
bâti à partir de pierres similaires à celles du premier muret
d’enceinte : moyenne à l’extérieur, et plus petite à l’intérieur en
« remplissage ».
63
En fouillant de façon concentrique autour des deux premières enceintes formant une première unité lithique, nous
aboutissons finalement sur un mur de soutènement d’une cinquantaine de centimètres de haut, formé de grosses pierres (40
à 60 cm de côté) sur ses parties extérieures et comblées de
pierres plus petites (10 à 20 cm) qui en soutient un second plus
petit, dans les environs nord des enceintes, et qui paraît former
un espace triangulaire à l’intérieur vide de pierres. A la jonction
des deux murs de cette seconde unité se trouve couchée à terre
une pierre d’une couleur plus foncée d’environ 1,60 m de long
et 50 cm de côté qui semble être une pierre dressée destinée à
marquer l’angle des murs, et qui selon Stokes aurait pu faire
partie de la première unité formée des deux enceintes.
Selon Stokes, « la confection des deux unités diffère tellement en apparence qu’elle indique des périodes distinctes, la
plus récente étant la seconde bien sûr. Le caractère grossier de
la seconde suggère un travail récent, mais il est difficile d’entrevoir une raison utilitaire à un mur de 45 cm de large et d’une
hauteur moindre. Les natifs supposent que ces deux unités formaient le temple. Il est évident que la deuxième unité a été
ajoutée en des temps pré chrétiens ». Il paraît donc évident que
les informateurs contemporains de Stokes aient connu cet
ensemble lithique, ainsi que sa destination pré-chrétienne.
Les restes d’une autre enceinte apparaissent à une quarantaine de mètres au nord ouest de la première unité, qui aurait
accueilli quelques années avant le séjour de Stokes une maison
d’habitation. Stokes évoque un mur partant de cette enceinte
jusqu’à la mer ; nous n’en avons pas trouvé trace, sinon des
pierres éparpillées parmi les racines des goyaviers formant toujours un rideau quasi-impénétrable.
Puis nous découvrons les restes assez bien conservés d’un
mur en équerre de cinquante mètre environ de long sur axe estouest dans la continuité des enceintes et de trente mètres de
large sur un axe nord-sud parallèle aux limites des enceintes,
64
Les restes du muret nord-sud d’enceinte
Le muret ouest-est qui se prolonge dans la mer
mur d’environ 1,40 m de haut et 50 cm de large formé lui aussi
de grosses pierres enfermant des pierres plus petites, qui semble
former la délimitation extérieure du site.
La totalité du site telle que nous avons pu l’observer constitue donc un ensemble qui semble formé d’un temple en bord de
mer, menant à un parc à poisson, flanqué à l’arrière d’une structure plus large (peut-être destinée à l’habitation du prêtre), le
tout ceint d’un mur de pierres, et entouré de structures plus
petites et peut-être de terrassements destinés à contenir des cultures de taro, le tout englobé dans ce qui semble être une vaste
enceinte pour une surface totale d’environ cinq mille mètres
carrés.
Les informations recueillies par Stokes lors de son séjour en
1920 sont plutôt succinctes, mais bien réelles, surtout concernant
le site de Mara’a. Un des principaux informateurs de Stokes à
Tahiti, Teraau, « pensait que l’endroit était consacré à ‘Iro, puissant et bienveillant, que de la chair humaine était mangée ici, et
que le temple a été construit par des gens aux temps de son grandpère. Cette période était postérieure à l’arrivée des missionnaires,
et l’incapacité de tous les Rapa actuels de faire la distinction entre
les événements anciens et modernes avant eux est tellement marquée que la chronologie n’a plus aucune signification ». Si Teraau
estime que le site constituait un lieu de sacrifice humain, un autre
des informateurs de Stokes, le chef du clan Mato, pensait que le
site était plutôt dédié au sacrifice de poissons, expliquant ainsi
l’existence du parc à poissons. Selon nous, l’une des hypothèses
n’exclut pas l’autre, puisque dans les Iles de la Société comme
dans le reste de la Polynésie (Hawaii, Nouvelle-Zélande, Cook),
les hommes sacrifiés étaient parfois appelés « poisson aux longues
jambes » (Serra Mallol 2010 : 187-188), le poisson étant aux
hommes ce que l’homme est aux Dieux (Handy 1985 : 194).
Il est difficile sinon impossible d’établir aujourd’hui si
Teraau et le chef du clan Mato ont fait appel à leur mémoire et
à l’histoire orale de leur famille, ou s’ils ont fait une analogie
66
Panorama du grand mur d’enceinte extérieur en équerre en bordure
de la partie boisée : à gauche du panorama la partie ouest-est (vers la mer),
et à partir des trois personnes la partie nord-sud (vers le fond de la baie).
avec la destination des principaux temples existant à Tahiti ou
à Raivavae, l’île la plus proche de Rapa, et dont l’histoire préeuropéenne était alors relativement bien connue. Mais il reste
que leur connaissance du site comme temple ancien est avérée.
Le nom Ma’ara pourrait être dérivé du terme mahara qui
signifie souvenir en re’o tahiti, et pourrait renvoyer à l’installation temporaire du prêtre-guerrier Hiro au cours de l’implantation de son système social et religieux en Polynésie orientale,
et notamment aux Australes et en particulier à Raivavae, l’île la
plus proche de Rapa, où existe également un marae consacré à
Hiro et nommé Te Mahara
Quoi qu’il en soit, il paraît néanmoins surprenant que les
différents archéologues qui se sont succédés sur l’île de Rapa
n’aient pas eu la curiosité de reprendre et vérifier les écrits de
Stockes, pour s’en tenir à l’avis généralement partagé de
l’inexistence de marae sur l’île. Certes, ces écrits sont difficiles
d’accès, comme l’est le site, mais apparaissent pourtant dans la
bibliographie des archéologues ayant séjourné sur l’île. Qu’il
s’agisse d’une lecture trop rapide de ces écrits ou même d’une
absence de lecture sinon par commentateurs interposés, il n’en
reste pas moins qu’un voile reste à lever sur cette question.
Les travaux qui restent à engager
Les recommandations que nous avons faites au maire de
Rapa sont de débrousser la totalité du site lithique, en élaguant
et coupant tous les goyaviers et pandanus qui s’y trouvent, mais
en vérifiant qu’aucun arbre ne soit déraciné ou la terre remuée
pour garder l’intégrité du sous-sol. Ces travaux de débroussaillage nécessaires faits, un périmètre de sécurité doit être instauré
autour du site afin d’en prévenir les détériorations par le
piétinement des taureaux et chèvres sauvages. Après s’être
assuré de la présence sur les lieux d’un archéologue, il sera alors
possible d’avoir une vue d’ensemble du site, et de réaliser des
schémas d’ensemble avec la perspective précise des différents
68
Plan général du site de ‘Angaira’o
éléments lithiques retrouvés. Un prochain séjour dans les mois
à venir que nous projetons à Rapa permettra de mener à bien
cette partie du projet.
Aucune fouille archéologique n’a jamais été menée sur le
site de bord de lagon ouest au fond de la baie de ‘Angaira’o. Il
serait alors intéressant de pouvoir procéder à des investigations
archéologiques de surface et en profondeur pour déterminer
précisément la destination du site, et à des datations, les dernières datations effectuées par des archéologues dans la baie de
‘Angaira’o (Kennett, Anderson, Prebble, Conte et Southon
2006) indiquant une installation aux alentours de 1350-1450,
soit deux siècles après les premières traces d’installation sur
l’île de Rapa.
Des travaux approfondis, de nature à la fois archéologiques
et ethnologiques, restent donc à mener pour lever un voile sur ce
qui pourrait constituer un élément remettant profondément en
cause les données historiques actuelles sur Rapa, et éclairer d’un
jour nouveau les modalités culturelles et religieuses de son histoire ancienne, y compris celles de ses pare et de leur destination
à propos de laquelle toutes les hypothèses semblent permises.
Christophe Serra Mallol
70
N°329 • Septembre 2013
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71
Archéologie et fonction rituelle
de la maison tapu
Les poteaux anthropomorphes sculptés
des îles Marquises
Comme dans d’autres régions polynésiennes, les structures
religieuses des îles Marquises exhibaient autrefois des éléments
de construction en bois investis d’une valeur tant fonctionnelle
que rituelle. Ceux-ci connurent cependant dans l’archipel un
développement esthétique tout à fait original puisqu’ils étaient
entièrement sculptés de figures anthropomorphes. Ces piliers de
cases, communément appelés « poteaux-tiki », constituent un
témoignage exceptionnel d’une conception symbolique des
maisons sacrées auxquelles ils étaient associés.
Pour les archéologues, il n’est pourtant pas chose aisée que
d’appréhender la notion de sacré à partir des seuls vestiges
matériels. Les rares artefacts conservés liés à la sphère religieuse sont souvent décontextualisés, perdant ainsi une partie
de leur valeur de marqueurs directs. Certes, l’étude des objets
répertoriés dans les collections apporte des informations très
utiles mais leur compréhension nécessite toutefois de se référer
aux interprétations ethnohistoriques, sous réserve que celles-ci
soient valables, pour saisir leur véritable fonction.
Carte de l’archipel Marquisien
(en italique, les noms des vallées citées dans le texte).
Dans le cas des piliers sculptés marquisiens, seul un très
faible nombre d’exemplaires a été préservé dans des collections
muséographiques ou privées dispersées à travers le monde.
Néanmoins, pour certains d’entre eux, nous connaissons leur
emplacement d’origine grâce à une étude approfondie menée
depuis plusieurs années sur l’île de Ua Huka, dans le groupe
nord (Molle 2011). L’association de ces pièces très rares et de
leur contexte archéologique nous permet aujourd’hui de les
concevoir dans leur double dimension, architectonique et cérémonielle.
Inventaire et identification des poteaux sculptés
des Marquises
Nos recherches, en grande partie basées sur la littérature
ethnographique et archéologique, nous ont conduit à identifier
plusieurs poteaux sculptés en provenance de l’archipel des Marquises. Le corpus sur lequel nous nous appuyons dans le cadre
de cette étude est cependant assez réduit, ce type d’artefact étant
devenu extrêmement rare. La principale raison de ce manque de
donnée vient du fait qu’il s’agit d’objets taillés dans du bois, un
matériau dont la durée de vie est très réduite dans un contexte
tropical humide. Si des poteaux sculptés étaient sans doute plus
nombreux autrefois, la plupart d’entre eux se sont naturellement
désagrégés suite à l’abandon des sites sur lesquels ils étaient
dressés. Il serait aussi possible d’évoquer l’influence des missionnaires catholiques dont l’action d’évangélisation a pu
mener à une destruction des anciennes « idoles païennes » auxquelles s’apparentent les piliers anthropomorphes, par ailleurs
rattachés à la sphère traditionnelle des tapu liés aux morts et
aux ancêtres. Enfin, il est fort possible que des poteaux aient été
très tôt collectés par des explorateurs et voyageurs européens
sans que cela ne soit mentionné dans les récits de voyage. Dispersés dans des collections privées à travers le monde, il n’est
donc pas aisé de retrouver leur trace. Par conséquent, notre
74
N°329 • Septembre 2013
inventaire consiste en une estimation minimale, mais pour
autant certaine, de 16 objets connus. Les principales informations sont synthétisées en annexe.
Sept poteaux sculptés de notre corpus, sur lesquels nous
reviendrons en détails plus loin, proviennent de l’île de Ua
Huka. Parmi les quatre découverts in situ sur un meàe (structure
cérémonielle) de la vallée de Hanaei, trois sont aujourd’hui
conservés sur l’île même dans le musée communal de Vaipaee.
Le quatrième, l’exemplaire A1 est, quant à lui, présenté au
Musée de Tahiti et des Iles (Inv. N°5695). Trois autres poteaux
sont connus de Ua Huka, provenant de la vallée de Hokatu où
ils furent collectés par l’expédition Pinchot. Deux d’entre eux
sont désormais au Musée de Tahiti (Inv. N°115 et N°116). Le
troisième exemplaire ayant été emporté aux Etats-Unis, nous ne
sommes parvenus à le localiser dans aucune collection muséographique. Nous disposons néanmoins d’une photographie
(Pinchot 1930 : 477). Le Musée de Tahiti expose aussi un pilier
(Inv. N°567) recueilli par le Père E. Esquenet à Ua Pou vers
1945 et déposé dans les collections des Pères du Sacré Cœur
avant d’être offert au Musée par Madame Teikiehuupoko en
19472. Un poteau fut collecté par le Père S. Delmas à Nuku
Hiva et déposé au Musée de l’Homme à Paris. Décrit comme
une représentation du dieu Tamiokio-Pu, il est inventorié dans
les collections du Musée du Quai Branly sous le numéro n°711938-33-2. K. Von den Steinen, dans son étude détaillée de l’art
statuaire marquisien (2005a [1928] : 99), fournissait descriptions et photographies de cinq poteaux sculptés dont l’origine
1
Nous suivons ici l’inventaire initial proposé par Linton qui identifiait chaque
poteau par des lettres de A à D.
2
Trois autres piliers sont mentionnés pour Ua Pou, sur le meàe Menaha de Heato
dans la vallée de Hakamo’ui, mais nous ignorons ce qu’il est advenu d’eux suite
à la visite du site par Von den Steinen (2005a[1928] : 71).
75
géographique est malheureusement inconnue. L’un était
conservé au Musée de l’Homme du Trocadéro3 et trois autres,
issus de la collection Godefroy, au Musée de Leipzig en Allemagne (Inv. n°1421, n°3069 et n°3070). Un dernier, acquis en
France, entra dans la collection personnelle de l’auteur mais
nous ignorons ce qu’il en est advenu suite à la dispersion de
celle-ci. Pour ce poteau, un doute subsiste néanmoins quant à
sa réelle identification en tant que pilier de maison dans la
mesure où sur le cliché (ibid. : 73, fig. 54) n’apparaît pas la
concavité sommitale caractéristique. Von den Steinen indique
cependant qu’une légère cavité centrale est présente (ibid. :
100). L’exemplaire de Philadelphie (Von den Steinen 2005b
[1928] : planche βD-1), qu’il semble désigner également
comme un pilier, ressemble plutôt à un tiki indépendant, aussi
ne l’intégrons-nous pas à notre corpus. Un poteau fait partie de
la collection Vérité à Paris et fut présenté au public lors de l’exposition « Découverte de la Polynésie » au Musée de l’Homme
sous le n°128 (Danielsson et al. 1972). Quelques indications
ainsi qu’une photographie sont fournies dans la notice du catalogue (1972). Dans cette même publication est indiquée sous le
numéro n°129 une pièce identifiée comme le « haut d’un poteau
de case » sculpté en tiki, appartenant à la collection Bouchard.
Le doute est permis en l’absence d’une description plus détaillée ou de cliché, aussi ne l’indiquons-nous dans notre inventaire
qu’à titre provisoire. Enfin, lors de notre étude, nous avons
appris l’existence d’un poteau conservé dans les réserves du
Musée de Tahiti et des Iles. Son conservateur, M. Tara Hiquily,
nous a donné accès à cette pièce que nous avons pu étudier sur
place. Le bois est très mal conservé et l’objet présente sans
3
C. Orliac (1990 : 41) mentionnait l’existence d’un poteau de maison de Nuku Hiva
inventorié au Musée de l’Homme sous le numéro M.H. 94-14-2. Il pourrait s’agir
selon nous de la pièce du Trocadéro décrite par Von den Steinen pour laquelle
ce dernier n’indique aucun numéro.
76
N°329 • Septembre 2013
conteste des traces de combustion laissant supposer un épisode
de chauffe qui a fragilisé l’ensemble. Un fragment de la base
était détaché et portait l’indication « Taipivai ». Il s’agirait donc
d’un exemplaire provenant lui aussi de Nuku Hiva.
Bien que les mentions de poteaux sculptés en bois soient
extrêmement rares dans la documentation ethnohistorique laissée par les premiers explorateurs ou par les ethnographes ayant
visité l’archipel à la fin du XIXe siècle, quelques auteurs y font
référence. Les éléments de description qu’ils nous ont laissés
nous permettent de considérer la place de ces objets dans leur
contexte architectural.
Les pièces dont il est ici question se classent dans une catégorie statuaire différente des tiki de taille moyenne disposés sur
les sites sacrés comme représentations des dieux et des ancêtres
et aisément transportables. Il ne fait aucun doute que les
grandes figures étaient autrefois les éléments porteurs d’une
construction en bois et en matériaux végétaux édifiée sur un
soubassement de pierre. Leur base était taillée en cône pour être
fixée dans le sol. Il existait plusieurs types de poteaux servant
à soutenir les poutres de la charpente. A l’avant de la maison,
en première ligne, on trouvait les piliers frontaux appelés tuutuu
supportant la poutre sablière transversale, kaava áó. Von den
Steinen les décrit comme « cylindriques, à peine haut comme
un homme » (1928 : 28). Dans les maisons plus imposantes, les
tuutuu étaient situés en retrait. Dans ce cas, la panne inférieure
du toit reposait sur une rangée de piliers rectangulaires plus
légers appelés katina disposés en avant, au niveau du seuil (cf.
Ottino 1990). Enfin, un troisième groupe de poteaux, simplement nommés pou, étaient disposés à l’intérieur de la maison
pour soutenir la panne faîtière. En raison de leur fonction, ceuxci étaient plus hauts que les piliers frontaux. Notons qu’il existait un autre type de pilier sculpté, non pas sous forme de
77
poteaux cylindriques mais plutôt de panneaux de grandes
dimensions, servant à soutenir la panne faîtière. Ils étaient placés à l’intérieur de la paroi végétale, les faces décorées de
motifs souvent géométriques tournées vers l’intérieur. Deux
exemplaires de 3,7 m de hauteur sont répertoriés par Lavondès
(1976 : 339 sq.). Aucun terme marquisien particulier ne semble
néanmoins se rapporter à cette catégorie d’éléments.
La plupart des maisons marquisiennes, qu’elles servent de
lieux de couchage, de réunion ou pour la préparation des repas,
ne présentaient pas de décoration ou très peu. Les motifs gravés
ou sculptés sur le bois étaient en réalité réservés à des constructions de prestige et hautement tapu, en particulier les « huttes
funéraires » (Von den Steinen 1928 : 99). Lorsque le poteau
était entièrement taillé pour lui donner une figure anthropomorphe stéréotypée, on parle de tiki pumei. Cette expression
souligne le matériau privilégié, à savoir le bois de tumu mei ou
arbre à pain (Artocarpus altilis). Il s’agit d’un bois léger et tendre bien que difficile à travailler en raison de sa forte teneur en
silice (Orliac 1990 : 41). Il résiste peu aux attaques d’insectes
de bois et à celles de champignons qui provoquent des dégradations très importantes au moindre contact avec une source
d’humidité (Butaud et al. 2008 : 315). Il s’agissait néanmoins
du principal bois d’œuvre employé pour les charpentes et les
éléments de soutènement. L’exemplaire recueilli par le père
Delmas à Nuku Hiva, aujourd’hui conservé au Quai Branly, est
également taillé dans du bois de Artocarpus altilis (Lavondès
1976 : 342 ; Orliac 1986) de même que l’autre poteau de Nuku
Hiva du Trocadéro (Orliac 1990 : 41). La pièce provenant de
Hakaohoka semble également avoir été taillée dans du bois de
mei, bien qu’aucune identification xylologique n’ait été réalisée
(Ottino & De Bergh 1990 : 8). Le poteau A de Hanaei en
revanche est identifié comme du Cordia subcordata. Le tou est
un bois plus résistant aux champignons et aux attaques d’insectes
78
N°329 • Septembre 2013
que le mei, ce qui explique sa plus longue durabilité et sans
doute le meilleur état de conservation de la pièce. Notons que
la légende de la photographie du poteau de Hokatu emporté par
Pinchot aux Etats-Unis (1930 : 477) précise qu’il s’agit d’un
bois de temanu (Calophyllum inophyllum), une essence également résistante elle aussi communément employée en sculpture.
On notera dès à présent que seul le groupe nord de l’archipel est représenté dans l’inventaire, bien que la provenance de
plusieurs pièces reste inconnue. Si le groupe sud a livré de très
nombreux exemplaires de figures en pierre (cf. Chavaillon et
Olivier 2007), la plupart des témoignages ethnohistoriques relatifs à des piliers anthropomorphes en bois concerne les îles de
Nuku Hiva et Ua Pou. E. Jardin indiquait pourtant que « les
poteaux des habitations de Hiva Oa, Tau ata et Fatu Hiva
étaient tantôt décorés de chevrons, triangles, rectangles, cercles, lignes droites ou ondoyantes, tantôt sculptés de motifs
anthropomorphes en rond de bosse » (1855 : 42, cité par Orliac,
1990 : 130). De même, décrivant des taha tupapaù (plate-forme
ou maison d’exposition des corps) de Hiva Oa, Linton affirmait
que la majorité des poteaux n’était pas décorée bien que certains étaient sculptés en forme de « Atlantid or Caryatid
figures » (1925 : 56). Il mentionne d’ailleurs l’existence de plusieurs piliers anthropomorphes sur quatre sites de l’île (cf.
supra). Aussi, la présence de poteaux-tiki dans le groupe sud,
du moins à Hiva Oa, est-elle attestée quand bien même nous
ignorons si certaines des pièces de notre corpus ont été collectées sur ces îles.
Les poteaux sculptés dans leur contexte archéologique
Les informations qu’il nous a été possible de recueillir à
propos de chacune des pièces sont très hétérogènes, tant d’un
point de vue quantitatif que qualitatif. Nous ne disposons quasiment d’aucune donnée métrique sur les dimensions des
79
poteaux. Par ailleurs, les états de conservation sont parfois si
mauvais qu’il est impensable aujourd’hui de retrouver l’aspect
originel de toutes les figures, leur posture ou les éléments de
décoration secondaires. Notre propos ici n’est donc pas de produire une analyse stylistique des piliers, ce qui d’ailleurs nécessiterait des déplacements dans chacune des collections pour les
étudier en détails. Nous souhaitons plutôt soumettre quelques
éléments de réflexion sur la fonction architecturale et rituelle
des poteaux en les replaçant dans leur contexte archéologique.
Pour cela, nous choisirons de raisonner à partir des exemplaires
les mieux connus et les seuls à avoir été découverts in situ, à
savoir ceux de Ua Huka pour lesquels des conclusions préliminaires ont déjà été présentées ailleurs (Molle 2011 : 258 sq.).
Le meàe Mataihemanu de Hanaei, Ua Huka
Les quatre poteaux les plus connus de Ua Huka furent
signalés pour la première fois par l’archéologue R. Linton qui,
en 1920-1921, menait des prospections sur l’île dans le cadre
de la Bayard Dominick Expedition soutenue par le Bishop
Museum de Honolulu. Ces prospections, loin d’être exhaustives, concernaient plusieurs vallées des côtes sud et est. Dans
la vallée de Hanaei, ses informateurs le conduisirent sur le site
d’un ancien meàe dont le nom, Mataihemanu, leur était encore
connu. Linton en dressa un relevé rapide mais s’attacha plus
particulièrement à la description des quatre poteaux anthropomorphes sculptés conservés sur l’une des structures (Linton
1925 : 122). Le site fut de nouveau visité en 1984 par E. Vigneron lors d’une mission coordonnée par l’Unesco et le Centre
Polynésien des Sciences Humaines. Il lui fut permis de détailler
quelques points de la précédente description et il eut l’occasion
de prendre de nouveaux clichés des poteaux, qui n’étaient plus
alors qu’au nombre de trois, lors de leur dépôt au musée de Vaipaee (Vigneron 1984 : 6 sq.). Enfin, en 1999, dans le cadre d’un
programme de recherches portant sur la préhistoire de l’île,
80
Relevé du meàe Mataihemanu indiquant la position approximative des deux poteaux en place en 1923 (Relevé E. Conte).
E. Conte conduisit une prospection intensive de la vallée et eut
l’occasion d’étudier de manière approfondie le meàe pour
lequel nous disposons désormais d’un relevé plus complet
(Conte et al., 2001). Son état de préservation était néanmoins
relativement mauvais et certaines parties du complexe n’ont pu
faire l’objet que d’une simple observation. Nous pouvons
cependant donner du site une description suffisante pour comprendre son aménagement général (cf. Conte & Molle 2012 :
52). Edifié sur un promontoire rocheux dominant la vallée et
offrant une vue sur la baie de Hanaei, le meàe s’inscrit dans un
rectangle de 20,5 x 8 m. La partie principale consiste en une
aire enclose par un muret de pierres et encadrée par plusieurs
plates-formes, ce qui fit dire à Linton que le site s’apparentait à
un tohua. La disposition relative des éléments infirment cependant cette proposition.
La partie ouest du meàe présente une structure de paepae
divisée en trois espaces distincts : une première terrasse
(notée A) correspondrait à la terrasse antérieure des maisons
marquisiennes bien que celle-ci, curieusement, ne soit pas entièrement pavée. Aménagée dans la pente qu’elle rattrape, elle
mesure 7,4 m de long pour 4 m de large. Sur cette terrasse et
légèrement décentrée au sud-est, une petite plate-forme pavée
rectangulaire de 3,05 x 1,3 m (B) est surélevée d’une quinzaine
de centimètres par rapport à A. Un tel aménagement est plutôt
inhabituel sur les plans « classiques » des paepae. En arrière,
on note les restes d’un alignement de dalles de keetu (tuf volcanique de couleur rouge) disposées de chant marquant la séparation avec la partie arrière de la structure. C’est à cet endroit
qu’étaient, selon Linton, implantés les poteaux sculptés. A
proximité de la plate-forme B gisait une autre dalle de keetu qui
appartenait autrefois à la bordure. Sous celle-ci furent découverts une dent de cochon et une dent humaine ainsi qu’un os
long humain. La présence d’ossements est en cela importante
82
N°329 • Septembre 2013
qu’elle confirme à la fois l’interprétation du site comme un
meàe mais indique aussi une probable fonction mortuaire de
l’ensemble. En arrière de la bordure de tuf, on trouve une
seconde terrasse un peu plus haute (C) qui, contrairement au oki
(zone de couchage) des paepae hiamoe, est entièrement pavée
de pierres de module moyen (30 x 30 cm) sur près de 5 m de
largeur.
A l’est, un mur de pierres dont la hauteur varie selon les
endroits entre 40 et 70 cm entoure un espace artificiellement
nivelé et non pavé (D). La végétation qui s’y est développée n’a
cependant pas permis d’observation plus précise de ces vestiges
par ailleurs extrêmement détériorés. Linton indiquait la présence d’un petit enclos rectangulaire qui semble correspondre à
l’élément E noté sur notre plan et qui ne consiste plus
aujourd’hui qu’en une concentration de pierres d’environ 1,8 x
1,4 m. Il décrivait également à l’extrémité est du monument un
ensemble de trois terrasses. L’état de préservation étant meilleure lors de sa visite, on suppose qu’il s’agissait bien de terrasses étagées bien qu’une seule soit encore visible
actuellement (F). Des zones de pavage plus basses sont néanmoins visibles autour. La plate-forme mesure 3,8 m de long
pour 2,9 m de large et sa hauteur est d’environ 50 cm par rapport au niveau de la cour D. Enfin, signalons l’existence d’un
alignement de pierres (G) de 70 cm de haut édifié parallèlement
au monument à 4,5 m de distance au nord-est de celui-ci.
Lors de sa visite en 1921, Linton put observer quatre
poteaux anthropomorphes sur le meàe de Mataihemanu. Il n’en
propose malheureusement aucun positionnement précis sur le
plan du monument. Au cours d’une récente mission de
recherche dans les archives du Bishop Museum de Honolulu,
nous avons pu retrouver des photographies inédites des poteaux
prises par Linton. Leur analyse nous a permis de resituer chacun
83
des éléments et de les identifier de manière incontestable. Deux
d’entre eux (p.A et p.B) étaient encore implantés à leur position
d’origine dans la bordure de keetu séparant les terrasses A et
C du paepae occidental. Les deux autres (p.C et p.D), semblet-il déjà érodés, se trouvaient un peu plus éloignés de la structure, laissant supposer qu’ils avaient été préalablement
déplacés, peut-être par les informateurs de l’archéologue.
Notons que le poteau D fut manipulé à plusieurs reprises et disposé contre un tronc de hau pour réaliser les clichés de ses différentes faces. Hormis ce geste, on suppose que les quatre
éléments furent laissés à leur place. Pourtant, les indications qui
suivent prouvent que les sculptures furent de nouveau déplacées. En effet, en 1970, F. Ollier eut l’occasion de visiter le site
et de prendre de nouvelles photographies. Il apparaît que les
poteaux avaient été regroupés à proximité de la structure. La
comparaison entre la photographie en couleurs d’Ollier et celles
de Linton montre, à 50 ans d’écart, la détérioration avancée des
sculptures soumises à un fort taux d’humidité ainsi qu’à l’attaque des insectes. Lorsqu’eut lieu la mission Unesco en 1984,
Vigneron ne retrouva que trois poteaux. Cette « disparition » de
l’un d’entre eux, le plus remarquable, s’explique par un épisode
quelque peu malheureux4. En 1970, le Pr. Shapiro de l’American Museum of Natural History, connu pour ses travaux antérieurs aux Marquises avec R.C. Suggs, était de passage dans
l’archipel à bord d’un yacht. Ayant sans doute eu connaissance
de l’existence du meàe et des sculptures associées, il se rendit
à Hanaei où il entreprit d’ouvrir quelques sondages sans autorisation officielle autour du monument. L’équipage emporta
également le poteau A, le mieux conservé des quatre, à destination des Etats-Unis. Alerté de cet événement, F. Ollier se rendit
sur place le surlendemain pour constater la disparition de la
4
Episode qui nous fut rapporté par F. Ollier lui-même (communication personnelle, juin 2011).
84
Photographie d’ensemble du meàe Mataihemanu prise en 1923.
Les deux poteaux A et B (à gauche) étaient en place sur le paepae
(photographie R. Linton, copyright Bishop Museum)
pièce et en avertit immédiatement le gouverneur à Papeete qui
prit les dispositions nécessaires. Les douanes saisirent l’objet à
son arrivée sur le sol américain et il fut renvoyé à Tahiti5. A
l’occasion de ce rapatriement, la pièce fut restaurée au Musée
de l’Homme à Paris et un moulage en résine synthétique de très
grande qualité fut réalisé. Ce dernier est aujourd’hui présenté
dans le hall d’entrée de la résidence du Haut-Commissaire à
Papeete tandis que l’original est exposé de manière permanente
dans une vitrine du Musée de Tahiti et des Iles sous le numéro
d’inventaire n°5695 (Mu-Liepman et Milledrogues 2008 : 99).
Lors de la mission de protection patrimoniale de 1984, et au vu
de l’état de dégradation fort avancé des poteaux subsistants sur
le site, il fut décidé d’emporter les pièces pour les déposer au
Musée communal de Vaipaee où elles sont désormais présentées au public. Les dommages cumulés du temps, de l’humidité
et des insectes les ont grandement détériorés et plusieurs fragments ont disparu en même temps que les traits du visage et du
corps autrefois finement sculptés se sont érodés.
Les poteaux de Hokatu
Trois autres piliers sculptés proviennent de Ua Huka. Ils
furent collectés par les membres de l’expédition Pinchot qui
nous livrent les circonstances de leur découverte (Pinchot
1930 : 481 sq.). Lors de leur séjour sur l’île en 1929, les visiteurs américains furent d’abord conduits par des guides locaux
sur le meàe Meiaute dans la vallée de Hane où ils virent les trois
tiki en keetu qui font aujourd’hui la renommée du site. Dans la
vallée voisine de Hana nui, l’ancien nom de Hokatu, il est dit
que des « chefs » vinrent à leur rencontre, leur proposant de les
5
La relation des déplacements récents du poteau-tiki de Hanaei diffère selon les
auteurs, bien que le récit d’Ollier soit le plus circonstancié. Lavondès expliquait pour
sa part que la pièce avait été exportée aux Etats-Unis en 1970 puis restituée par
l’American Museum of Natural History de New York en 1974 (Lavondès 1976 : 344).
86
Le poteau B de Hanaei
(photographies R. Linton, copyright Bishop Museum)
Le poteau D de Hanaei
(photographies R. Linton, copyright Bishop Museum)
emmener voir des tiki en bois. Faute de temps, il fut convenu
qu’ils reviendraient le jour suivant. Le lendemain, ils trouvèrent
les objets (trois poteaux en bois et une statue en pierre) disposés
sur la plage, que les Marquisiens insistèrent pour leur céder en
échange d’une somme dont le montant n’est pas précisé. Les
sculptures furent donc emportées à Tahiti et présentées au gouverneur de l’époque, M. Bouge, qui décida de diviser le lot en
deux parts. Deux poteaux restèrent sur le Territoire et furent
déposés au Musée (Inv. n°115 et n°116) tandis que le troisième
exemplaire et le tiki en pierre repartirent avec Pinchot pour les
Etats-Unis.
Bien que les membres de l’expédition n’aient pas visité le
site d’origine des poteaux, une information fournie par Linton
nous permet de l’identifier de manière presque certaine. En
effet, la seule mention de figures en bois dans la vallée de
Hokatu concerne le meàe Taiaipaiatea (site n°53 de Linton,
1925 : 124), récemment identifié comme la structure HKT-333 (Conte & Molle 2012 : 27). Il s’agit d’une grande terrasse
dont l’emprise totale avoisine les 367 m². Plusieurs zones
pavées couvrent sa surface. L’élément le plus remarquable est
le paepae supérieur noté A sur le plan, composé de deux terrasses pavées de dalles et de galets. C’est à cet endroit
qu’étaient, selon Linton, disposées les sculptures en bois, au
niveau de la bordure médiane de keetu. Dans la pente à l’arrière
du meàe, il signale également la présence de crânes et d’os
longs de trois individus. De plus, dans les racines d’un banian
poussant à proximité, d’autres crânes et au moins quatre cercueils
en bois contenant des os humains furent découverts. La présence
de ces vestiges matériels et osseux laisse supposer que le site
avait une vocation mortuaire. Nous sommes donc en mesure de
supposer que les poteaux emportés par l’expédition Pinchot
provenaient de ce site. S’il y avait eu d’autres figures sculptées
dans la vallée, et sachant que Linton était particulièrement
88
N°329 • Septembre 2013
intéressé par ce type d’artefact, son guide les lui aurait certainement indiqués. Le fait qu’il n’en ait mentionné aucune autre
à Hokatu est à ce titre assez révélateur. Le laps de temps très
court entre la description de l’informateur de Linton en 1923 et
le séjour de Pinchot en 1929 pourrait par ailleurs confirmer une
relative permanence de la mémoire des sites chez les habitants.
Les paepae funéraires de Ua Pou et Hiva Oa
Des exemplaires de l’île voisine de Ua Pou ont été décrits
dans leur contexte archéologique. Le pilier aujourd’hui exposé
au Musée de Tahiti (n°567) était autrefois dressé sur un paepae
de la vallée de Hakaohoka identifié comme la structure n°26
(Ottino & De Bergh 1990 : 9) bâtie dans un secteur marginal de
moyenne vallée. Il s’agit d’un site à fonction funéraire pour
l’exposition des morts. Il est associé à un autre paepae semblable ainsi qu’à l’abri funéraire d’Avau. La tradition orale a
conservé le nom de la princesse Vaehokaateui, la dernière dont
le corps fut déposé à cet endroit. Lors de la mission d’inventaire
de la vallée, d’autres poteaux de façade en bois étaient toujours
présents sur le site mais trop abimés pour que l’on puisse y
identifier de quelconques motifs décoratifs ou sculptures
(ibid. : 51).
Dans la vallée de Hakamoui se trouve le meàe Menaha
Takaoa, l’une des structures les plus impressionnantes de l’île
en termes de dimensions et de monumentalité (Linton 1925 :
134). Il s’agissait à l’origine du paepae du chef Puheputoka qui
devint un meàe après son décès au début des années 1800. Par
la suite, il fut dédié à Atua Heato, grand hakaìki et tauà qui parvint presque à unifier les chefferies de Ua Pou sous son
contrôle, ce qui lui valut d’être divinisé après sa mort (cf. Millerstrom 2003 : 42 ; Suggs 2005). Sur le meàe était édifiée la
maison funéraire de Heato, un paepae de 6,8 m de côté pour
1,2 m de hauteur. Von den Steinen, qui visita le site dont il prit
89
plusieurs photographies, indiquait alors que les piliers faîtiers
hauts de 4 à 4,5 m étaient encore debout et qu’en façade se trouvaient deux piliers anthropomorphes (2005a [1928] : 71). Un
autre pilier sculpté était dressé derrière la civière funéraire de
Teiki Taiuao, petit-fils et successeur de Heato (cf. figures 3 et 4
in 2005b [1928] : α Z).
Les seuls témoignages concernant la présence de poteaux
sculptés dans le groupe sud concernent Hiva Oa où Linton
visita quatre sites sur lesquels il observa des vestiges encore en
place. Chavaillon et Olivier n’en ont retrouvé aucun au cours
de leur récent inventaire (2007). Le meàe Muutea à Atuona
(SCP Inv. B09-11-01), sur lequel se dressait en 1923 un poteau
sculpté de manière très « naturaliste » selon l’auteur, a livré des
restes humains dissimulés sur et autour des plates-formes (Linton 1925 : 147). Dans la vallée de Hanahi, il découvrit l’emplacement d’un taha tupapaù qui selon les traditions fut construit
pour la cheffesse du lieu, la grand-mère du chef de Hanapaaoa
de l’époque. Les poteaux de façade de la maison étaient entièrement taillés alors que les poteaux faîtiers ne présentaient que
des petites sculptures de tiki en ronde-bosse dans leur partie
inférieure. (ibid. : 170). A Hanaiapa, le meàe Teohoteani (SCP
Inv. B39-05) montrait un poteau sculpté d’une largeur inhabituelle en façade de la maison principale (ibid. : 173). Enfin, à
Hanaui, Linton mentionne un paepae d’habitation appartenant
à un chef sur lequel étaient implantés plusieurs piliers sculptés
(ibid. : 175).
Cette présentation des contextes archéologiques auxquels
étaient associées des séries de poteaux anthropomorphes
confirme que ce type d’élément était réservé à des architectures
de rang supérieur et extrêmement sacrées. Il s’agit toujours de
maisons tapu édifiées sur des sites cérémoniels de meàe (voire,
dans le cas du paepae de Hanaui à Hiva Oa, d’une maison de
90
Relevé du meàe Taiaipaiatea
de Hokatu, avec la position
supposée des trois poteaux
sculptés.
En photo, l’exemplaire
emmené par l’expédition
Pinchot aux USA (Relevé E.
Conte, photographie Pinchot
1930)
chef)6. De plus, la description des sites et des vestiges en place
soutient fortement l’hypothèse d’une fonction funéraire les
reliant à la catégorie des taha tupapaù, c’est-à-dire des structures (allant d’une simple plate-forme à une maison construite
sur un paepae) plus ou moins temporaires dans lesquelles
étaient exposés les corps des défunts. A ce propos, Handy mentionnait des constructions tapu édifiées sur les meàe suite au
décès d’une personnalité de haut rang (1923 : 108). Le corps
d’un chef était notamment déposé dans un fa’e tapu avant
d’être transporté dans un faè tupapaù où il était préparé pour la
dessiccation. Les grands prêtres tauà bénéficiaient eux-aussi
d’une construction spéciale nommée faè vaka qui abritait le cercueil pendant le processus. Les informations ici synthétisées
montrent que c’est à cette classe d’édifices qu’étaient attachés
les poteaux-tiki. Confirmant les modèles ethnohistoriques, la
présence de figures sculptées constitue donc un véritable marqueur du statut cérémoniel et mortuaire de la construction7.
Analyse des éléments d’architecture
Si nous avons pu démontrer que les poteaux sculptés
étaient associés à des structures sacrées, il importe à présent de
préciser la manière dont ils s’agençaient les uns par rapport aux
autres dans leur fonction architectonique de soutènement.
6
Le P. Gracia mentionnait aussi des poteaux sculptés sur des maisons à Nuku Hiva
où se réunissaient les hommes pour prier (1843 : 55).
7
La seule représentation connue de poteaux sculptés nous est donnée par M.
Radiguet à Nuku Hiva (2001). Sur la gauche, on observe deux piliers en forme de
tiki soutenant une poutre à leur sommet. D’après la disposition des paepae à l’arrière, il ne fait aucun doute que le site qu’il dessine ici est un tohua (grande place
communautaire). La présence des piliers anthropomorphes n’est donc pas surprenante dans ce contexte sachant que sur les tohua étaient aussi aménagées
des structures cérémonielles. Les faisceaux situés immédiatement derrière les
poteaux renforcent cette idée puisqu’il s’agit de etua vahi, accessoires rituels
composés de rondins de bois enveloppés dans du tapa (Tautain 1897 : 672).
92
N°329 • Septembre 2013
Les maisons tapu étaient fermées par des palissades végétales et la toiture sur les côtés et à l’arrière, mais la façade avant
était largement ouverte (Stewart 1833 : 262). Les piliers antérieurs étaient donc bien visibles depuis l’extérieur contrairement
aux piliers faîtiers plus difficiles à distinguer dans l’obscurité
qui régnait à l’intérieur. Ceci explique que les sculptures en
ronde-bosse étaient principalement réservées aux piliers de
façade, comme le démontre très bien notre corpus. Seul le
poteau C de Hanaei est considéré comme un pou au vu de sa
hauteur plus importante que les autres (234 cm). Mais en réalité, il s’agit de l’unique poteau faîtier entièrement sculpté que
nous ayons répertorié. Les pou du meàe Menaha, d’une hauteur
d’environ 4 m, n’étaient taillés qu’à leur sommet pour recevoir
la panne mais aucune figure de tiki n’est visible sur le reste de
la pièce. De même, sur la structure de Hanahi à Hiva Oa, les
piliers faîtiers n’étaient décorés qu’à leur base de petits tiki
d’une cinquantaine de centimètres. Ainsi, seuls les tuutuu et les
katina disposés en façade faisaient apparemment l’objet d’une
attention privilégiée.
Le nombre et la position des poteaux sur le paepae varient
d’un site à l’autre. Linton supposait que six figures étaient à
l’origine dressées sur le meàe de Hanaei. Il base cette proposition sur le fait que les deux poteaux en place étaient disposés à
l’extrémité et à peu près aux trois-quarts de la bordure médiane
de keetu, suggérant une première rangée de quatre éléments qui
respecterait une symétrie et un équilibre de répartition en
façade, auxquels s’ajoutent les piliers faîtiers, dont le C, en
arrière. On peut logiquement supposer que le nombre de
poteaux en façade répondait proportionnellement à la longueur
de celle-ci. Or, les structures telles que les taha tupapaù ou les
faè tapu sont rarement de grandes dimensions, comme le prouvent les enregistrements archéologiques. De fait, un alignement
de quatre poteaux semble être un maximum. Stewart parle
93
systématiquement d’une série de trois sculptures dans tous les
« temples » qu’il vit à Nuku Hiva (1833 : 263). Cette évocation
d’une possible « trinité » de représentations trouverait peut-être
un écho sur le meàe de Hokatu qui lui aussi ne livra que trois
poteaux8.
La description que donne Linton de la position des deux
poteaux A et B en place à Hanaei est particulièrement intéressante et soulève une autre question relative à la fonction symbolique de leur implantation. En effet, il précise que la figure A
était orientée en direction de l’intérieur de la maison, regardant
vers le poteau B central quant à lui tourné vers l’extérieur de la
bâtisse. Cette remarque n’est pas isolée puisque d’autres témoignages indiquent une disposition semblable. Sur le meàe
Menaha de Hakamaoui, les deux piliers à motifs de tiki du paepae de Heato « tournaient le visage vers l’intérieur de la maison, l’un regardant le long du mur longitudinal, l’autre le long
du mur transversal, et donc tournant le dos à la plate-forme
extérieure » (Von den Steinen 1928 : 71). Handy (1923 : 154)
décrivait la structure d’une maison en disant que « the figures
carved on the end posts probably faced inward ». Stewart indiquait aussi ce caractère à plusieurs reprises : « I was attracted
across the way by a tabu house, against which three huge
images of wood were placed ; two with their faces inward
towards the thatch, and one with the face outward » (1833 :
258). Il semble plutôt s’agir ici de sculptures de petites ou
moyennes dimensions plutôt que de poteaux mais quand bien
8
A ce titre, il est intéressant de souligner que sur les marae des îles de la Société
comme sur ceux des Tuamotu, on trouvait presque toujours une trinité de pierres
dressées représentant les principaux ancêtres ou divinités tutélaires de la famille
ou du lignage. Cette série récurrente dans l’architecture sacrée de ces archipels
pourrait-elle répondre à une nécessité rituelle ancienne qui se serait manifestée
dans une règle architecturale étendue à l’ensemble de la région de Polynésie
centrale ? (cf. Garanger 1969 ; Conte 1990).
94
N°329 • Septembre 2013
même il s’agirait d’un autre type de représentation, la position
des figures les unes par rapport aux autres montre une correspondance avec les piliers dont les modalités d’emplacement et
d’orientation différentielle semblent bien généralisées.
Cette organisation se trouve confirmée par la forme ellemême des sculptures, en particulier le sommet de la tête dont
l’extrémité est façonnée de manière à permettre l’insertion et le
maintien de la panne sablière. Ainsi, selon sa position et son
orientation dans la rangée antérieure, chaque poteau était taillé
de manière différente dans sa partie sommitale pour recevoir la
poutre basse. Sur le poteau A de Hanaei, la concavité est aménagée dans la même direction que le regard du tiki, c’est-à-dire
parallèlement à la poutre de charpente. Le tiki B en revanche,
tourné vers l’extérieur, présente une incurvation transversale. Le
poteau D, pour lequel nous disposons d’une série de clichés
issus des archives du Bishop Museum, montre une concavité
identique à celle du poteau A ce qui suggère qu’il était initialement implanté à l’autre extrémité de la ligne de keetu. En nous
basant sur la remarque précédente, il est donc possible d’identifier l’emplacement des pièces de notre corpus dont le sommet
est suffisamment bien conservé pour en identifier le sens de l’incurvation. Il apparait que sur 12 d’entre eux, au moins sept sont
des poteaux d’extrémité et trois des poteaux centraux9. Si l’on
en croit les descriptions fournies plus haut, on peut supposer que
les poteaux faîtiers intérieurs étaient, tout comme les panneaux
décorés, orientés vers l’intérieur de la case. Il est cependant difficile de vérifier cette information sur le seul exemplaire connu,
le poteau C, car son très mauvais état de préservation ne permet
pas d’identifier la concavité supérieure.
9
La surreprésentation des poteaux d’extrémité ne serait aucunement surprenante
si la remarque faite à propos d’une trinité de piliers s’avérait exacte, créant de fait
un rapport de 2 pour 1.
95
Un autre argument stylistique soulignerait cette spécificité de
l’agencement à Hanaei. Les deux poteaux A et D situés à chaque
extrémité présentent une posture identique, les bras repliés le long
du corps et les mains posées sur le ventre. A l’inverse, le poteau B
central montre une position assez inhabituelle dans la statuaire
marquisienne, le bras gauche levé et la main touchant le menton.
Cette distinction dans l’attitude des figures pourrait éventuellement signifier un traitement spécifique de l’attitude selon leur
emplacement. Cette hypothèse est néanmoins contredite par les
piliers de Hokatu. Ici, les statues des extrémités présentent des
gestuelles différentes : le poteau A est identique au pilier B de
Hanaei avec sa main sur le menton, tandis que le poteau B montre lui une attitude classique avec les deux bras pliés sur le ventre.
Cet exemple traduit à l’inverse un cas de dissymétrie dans la posture des deux éléments complémentaires. Il est certain que cette
question trouverait certainement des éléments de réponse à travers une étude stylistique détaillée de chacune des pièces ce qui,
encore une fois, est malheureusement impossible au vu de leur
état de dégradation souvent très avancé. Il n’en reste pas moins
que dans le contexte artistique et intellectuel de l’ancienne société
marquisienne, la forme et la gestuelle données par le sculpteur à
la figure ne sont pas anodines et s’apparentent sans doute à la fois
à une conception symbolique de la maison tapu et à la fonction
rituelle des poteaux.
Statuaire et matérialité du rite
Au terme de cette étude, il convient d’appréhender ou du
moins de proposer une tentative d’explication de la fonction
symbolique des piliers anthropomorphes, au sujet de laquelle
les auteurs précédemment cités sont finalement restés assez
silencieux.
Nous avons démontré que les poteaux sculptés étaient des
éléments diagnostiques du statut très élevé des constructions sur
96
Poteau central
(concavité latérale)
Poteau d’extrémité
(concavité frontale)
Modalités de façonnage de la partie sommitale des poteaux
selon leur implantation
lesquelles ils étaient dressés. L’emploi de ces formes spécifiques dans l’édification de structures à vocation rituelle, voire
mortuaire, prouve la valeur qui leur était accordée. Dans son
article traitant d’une approche comparative des poteaux rituels
dans plusieurs archipels polynésiens, J. Kahn rappelait que dans
les « sociétés à maisons » auxquelles s’apparentent les cultures
austronésiennes du Pacifique, la plupart des activités des individus à l’intérieur du groupe social était chargée de sens, bien
au-delà de l’aspect domestique. De la même manière, les éléments matériels relatifs à l’architecture de la maisonnée ainsi
que l’agencement spatial et formel des structures d’habitat, des
temples et des communautés représentent souvent les multiples
facettes d’une différenciation sociale liée au rang hiérarchique,
au statut socio-politique, au niveau de richesse etc. (Kahn
2008 : 14). S’appuyant sur cette idée, son analyse venait à
considérer les poteaux de maisons en contextes polynésiens non
plus comme de simples éléments fonctionnels mais comme de
véritables « attracteurs rituels » (ritual attractors). Dépassant
les seuls critères de morphologie, de taille et de sélection des
essences de bois invoqués par l’auteur (cf. Kahn & Coil 2006),
les poteaux marquisiens, ne serait-ce que par le fait qu’ils soient
entièrement sculptés à l’image de tiki, s’inscrivent parfaitement
dans cette définition.
Tiki, entité créatrice autant que premier être humain, devint
progressivement un point focal de l’esthétique marquisienne, un
modèle stéréotypé servant à matérialiser dans la sculpture et le
tatouage l’influence des dieux et des ancêtres (cf. Ottino-Garanger 2010). En tant que statues de bois ou de pierre indépendantes, les tiki représentaient les chefs, les grands prêtres ou de
puissants guerriers défunts (Von den Steinen 2005a [1928] : 94)
et participaient aux nombreuses cérémonies ayant lieu sur les
meàe. Incarnations des divinités et points de référence cosmologiques et spirituels, ils maintenaient également une continuité
98
N°329 • Septembre 2013
sociale entre le groupe et ses ancêtres (Kahn 2008 : 15). Dans
le cas des maisons tapu et des taha tupapaù, les poteaux-tiki
jouaient le rôle d’ancêtres et de gardiens du corps du défunt disposé à l’intérieur de l’édifice et ce pendant toute la durée du
processus mortuaire. Eléments architectoniques par définition,
les figures étaient intégrées directement à la construction, symbolisant tout à la fois la fonction de soutien et de protection de
l’espace sacré et des individus qui y sont liés. A titre d’hypothèse, nous pourrions avancer une corrélation entre cette double
identité et l’orientation différentielle des poteaux de façade : les
piliers d’extrémité regardant vers l’intérieur « veillent » sur le
corps exposé tandis que les poteaux centraux tournés vers l’extérieur marquent et protègent une frontière entre l’espace des
morts et celui des vivants, le po et le ao, seuls les prêtres et les
proches parents étant autorisés à franchir cette limite pour administrer les traitements au mort.
En confrontant les données archéologiques et ethnographiques, ce travail aura essayé de tirer parti de la documentation
disponible pour éclairer la signification de ces objets devenus
extrêmement rares et qu’il importe de préserver dans les collections muséographiques, en tant que vestiges matériels originaux
d’une pensée symbolique et de croyances anciennes10.
Guillaume Molle
10
Je tiens à remercier M. F. Ollier qui m’a fourni les renseignements relatifs à la sortie du poteau A de la vallée de Hanaei à Ua Huka. Je remercie également Tara
Hiquily, conservateur au Musée de Tahiti et des Iles, qui m’a donné un accès au
pilier, jusqu’à présent inédit, conservé dans les réserves. Mes collègues Eric
Conte, Jean-François Butaud et Aymeric Hermann se sont montrés intéressés et
ont accepté de relire cet article. Qu’ils soient ici remerciés pour leurs commentaires utiles.
99
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100
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des Iles.
101
ANNEXE
Inventaire des poteaux sculptés marquisiens
conservés dans les collections
Ua Huka, Hanaei, meàe Mataihemanu (HNE-12-2)
Poteau de façade A, extrémité ; essence de bois : Cordia subcordata
Musée de Tahiti et des Iles, Inv. n°5695
(Réf. : Linton 1925 ; Vigneron 1984 ; Lavondès 1976 ; Conte & Molle 2012)
Ua Huka, Hanaei, meàe Mataihemanu (HNE-12-2)
Poteau de façade B, central ; essence de bois inconnue
Musée communal de Vaipaee
(Réf. : Linton 1925 ; Vigneron 1984 ; Conte & Molle 2012)
Ua Huka, Hanaei, meàe Mataihemanu (HNE-12-2)
Poteau faîtier C ; essence de bois inconnue
Musée communal de Vaipaee
(Réf. : Linton 1925 ; Vigneron 1984 ; Conte & Molle 2012)
Ua Huka, Hanaei, meàe Mataihemanu (HNE-12-2)
Poteau de façade D, extrémité ; essence de bois inconnue
Musée communal de Vaipaee
(Réf. : Linton 1925 ; Vigneron 1984 ; Conte & Molle 2012)
Ua Huka, Hokatu, meàe Taiaipaiatea (HKT-33-3)
Poteau de façade A, extrémité ; essence de bois inconnue
Musée de Tahiti et des Iles, Inv. n°115
(Réf. : Linton 1925 ; Pinchot 1930 ; Lavondès 1976 ; Conte & Molle 2012)
Ua Huka, Hokatu, meàe Taiaipaiatea (HKT-33-3)
Poteau de façade B, extrémité ; essence de bois inconnue
Musée de Tahiti et des Iles, Inv. n°116
(Réf. : Linton 1925 ; Pinchot 1930 ; Lavondès 1976 ; Conte & Molle 2012)
Ua Huka, Hokatu, meàe Taiaipaiatea (HKT-33-3)
Poteau de façade C, central ; essence de bois : Calophyllum inophyllum ?
Lieu de conservation inconnu
(Réf. : Linton 1925 ; Pinchot 1930 ; Conte & Molle 2012)
Ua Pou, Hakaohoka, paepae ava’o (structure n°26)
Poteau de façade, extrémité ; essence de bois : Artocarpus altilis ?
Musée de Tahiti et des Iles, Inv. n°567
(Réf. : Ottino et de Bergh 1990 ; Lavondès 1976)
102
N°329 • Septembre 2013
Nuku Hiva (exemplaire Delmas)
Poteau de façade, extrémité ? ; essence de bois : Artocarpus altilis
Musée du Quai Branly, Paris, Inv. n°71-1938-33-2
(Réf. : Lavondès 1976 ; Orliac 1986)
Origine inconnue
Poteau de façade, extrémité ; essence de bois inconnue
Musée de Leipzig, Inv. n°1421
(Réf. : Von den Steinen 2005a)
Origine inconnue
Poteau de façade, central ; essence de bois inconnue
Musée de Leipzig, Inv. n°3069 (Collection Godeffroy)
(Réf. : Von den Steinen 2005a)
Origine inconnue
Poteau de façade, extrémité ; essence de bois inconnue
Musée de Leipzig, Inv. n°3070 (Collection Godeffroy)
(Réf. : Von den Steinen 2005a)
Nuku Hiva ?
Poteau de façade, central ? ; essence de bois : Artocarpus altilis ?
Trocadéro, Inv. n°M.H.94-14-2
(Réf. : Von den Steinen 2005a ; Orliac 1990)
Origine inconnue
Poteau de façade ; essence de bois inconnue
Lieu de conservation inconnu (Collection Von den Steinen)
(Réf. : Von den Steinen 2005a)
Origine inconnue
Poteau de façade, extrémité ; essence de bois inconnue
Lieu de conservation inconnu (Collection Vérité, Paris)
(Réf. : Catalogue « Découverte de la Polynésie » 1972 ; Lavondès 1976)
Nuku Hiva, Taipivai
Poteau de façade, extrémité ; essence de bois inconnue
Musée de Tahiti et des Iles, aucun n° inventaire
Origine inconnue
« Haut de poteau de case sculpté » ; essence de bois inconnue
Lieu de conservation inconnu (Collection Bouchard, Paris)
(Réf. : Catalogue « Découverte de la Polynésie » 1972)
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1847, 1944, 2013,
odyssée d’une lettre manuscrite de la reine Pomare IV
En juin 1944, Jean Cottez1 faisait paraître dans la rubrique Histoire du
Bulletin de notre Société n° 71 de “Vieux papiers de l’amiral Bruat”
(pages 415 à 430).
Il s’agit de huit documents prêtés alors par le neveu de l’amiral,
M. Schaederlin, ils concernent, presque tous, les événements à Tahiti
de 1844 à 1847, ce qu’il est convenu d’appeler “affaire Pritchard” (document 1) et la guerre de Tahiti (documents 2 et 3), écrits par Bruat.
Les documents 4, 5 et 6 sont des lettres rédigées et signées par la reine
Pomare IV et adressées à Bruat ; le septième est une pétition des chefs en
octobre 1857 et le huitième, une lettre envoyée en octobre 1862 par la Reine
à Mme Bruat “gouvernante des Enfants de France”. Ils ont tous été écrits en
langue tahitienne, mais publiés dans leur seule traduction française.
En 2013 la lettre originale, un manuscrit de la reine Pomare IV, écrite
en tahitien2 en mai 1847 est mise aux enchères sur internet et acquise par
notre Société après avis du Service du patrimoine archivistique et audiovisuel qui souhaitait par ailleurs l’avoir dans ses archives.
Mai 1847.
L’amnistie générale (qui met fin à la guerre franco-tahitienne) a cinq
mois tout comme le nouveau calendrier tahitien qui met fin à l’ancien (le
29 décembre 1846, le dernier dimanche du dernier mois du calendrier hérité
des missionnaires anglais devient un samedi) et tout semble dorénavant
“normalisé” dans le Protectorat…
D’ailleurs le nouveau gouvernement sous l’autorité du premier Gouverneur des Etablissements français d’Océanie et Commissaire auprès de la
Reine des îles de la Société, afin de “sceller cette paix de façon plus matérielle [ne… proposent-ils pas] à la Reine de lui faire quelques cadeaux” [?].
La lettre de la Reine du 30 mai 1847 que nous publions ici est la
“réponse à ces avances”, comme le précise J. Cottez3.
Jean Kape & Robert Koenig
1
Jean Cottez (1894-1961) est un capitaine de frégate qui connaît bien le Pacifique.
Il a publié dans notre Bulletin entre 1933 et 1961 plus d’une vingtaine d’articles,.
2
Jean Kape a bien voulu transcrire la lettre royale et manuscrite et en proposer sa
version académique, avec l’aide de Johanna Nouveau qui est membre de l’Académie tahitienne et de la S.E.O.
3
BSEO n° 71 p. 423.
104
N°329 • Septembre 2013
Pièce n° 4 1
Bruat,
Papenoo, 30 mai 1847
Voici quels sont les différents objets dont l’envoi me serait
le plus agréable.
Ce sont : les choses qui composent un service de table, des
couteaux, des fourchettes, des grandes et petites cuillères, des
verres, des tasses, une grande théière, ainsi qu’un autre vase
pour contenir du café, et tous les autres objets qui conviennent
au service de table… des sièges, une grande table, des candélabres, une commode, de grandes glaces pour les appartements,
ainsi qu’une pendule, des rideaux de fenêtres, et les différents
objets qui conviennent à l’embellissement d’une maison,… des
carreaux de vitre… les objets nécessaires pour la cuisson des
aliments, et tout ce qui sert à la cuisine ;
Je désire également quelques belles étoffes de soie, de
jolies mousselines, des étoffes imprimées, et toutes les belles
choses de France, une grande épingle (pour broche de femme)
ainsi qu’une couronne d’or, des bracelets et des boucles
d’oreilles…
Des épaulettes pour Ariifaaite tane2 et de jolis habits militaires pour Ariiaue3 et Tamatoa4.
Pomare, femme Reine.
1
Extrait du BSEO n°71 (juin 1944) p. 422
Ariifaaite tane – Epoux de la Reine
3
Ariiaue mort en 1855, enfant de la Reine
4
Tamataoa – enfant de la Reine
2
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E Burua1,
Teie te mau mearii tau hinaaro ia hapono mai nau. Te mau
peu note amu raa maa, e tipi e te Patia, e Punu rahi, e te Punu
rii nainai, e te mau hapaina, ete mauaua pape mahana hana e
te mau peu atoa eau note amuraa maara, Te parahiraa ete hoe
amu raa rahi, etevai raa mori, ete piha ume, ete hio rahi no te
Fare, ete Uati rahi, ete mau peurii atoa e nehe nehe ai, te Fare,
eteamuraa maara, Etetu nuraa maa, ete mau peu enehenehe ai
te maa i a tunura, ete ahu paruru haa mara marama fare,
Eteahu mai tatai, Tirita, ete ahu pure pure mai tatai atoa, ete
mau taoa rii nehe nehe atoa, no Farani, ete ahu rairai maita
tai. Ete hoe pine, moni, pine rahi, ete hoe hei auro, ete hio haa
mara mara ma fare, ete ti paoti, farii Ti, ete hoe ti paoti note
Tao he, ei taoa mai tatai anae tau hinaaro ia hapono mai E te
auro no Ariifaaite, tane Ete hoe tau Pereue. no Ariiauae, e no
Tamatoa e na Tapea rima e na Tapea Taria nou
Papeete 30 Me 1847
Pomare ari’i
1
Reproduction numérique de la lettre originale de la reine Pōmare IV, avec son
tahitien de 1847…
108
N°329 • Septembre 2013
E Burua2,
Teie te mau mea ri’i tā’u hina’aro ’ia hapono mai nā’u. Te
mau peu nō te ’amura’a mā’a, e tipi ’e te pātia, e punu rahi ’e
te punu ri’i na’ina’i, ’e te mau hāpaina, ’e te mau ’āu’a pape
māhanahana ’e te mau peu ato’a e au nō te ’amura’a mā’a ra, te
pārahira’a ’e te hō’ē ’amura’a rahi, ’e te vaira’a mōrī, ’e te piha
ume, ’e te hi’o rahi nō te fare, ’e te uāti rahi, ’e te mau peu ri’i
ato’a e nehenehe ai te fare ’e te ’amura’a mā’a ra, ’e te tunura’a
mā’a, ’e te mau peu e nehenehe ai te mā’a ’ia tunu ra, ’e te ’ahu
pāruru ha’amāramarama fare, ’e te ’ahu maitata’i tirita, ’e te
’ahu purepure maitata’i ato’a, ’e te mau tao’a ri’i nehenehe
ato’a nō Farāni, ’e te ’ahu rairai maitata’i. ’E te hō’ē pine moni,
pine rahi, ’e te hō’ē hei auro, ’e te hi’o ha’amāramarama fare,
’e te tīpaoti fari’i tī, ’e te hō’ē tīpaoti nō te taohe, ’ei tao’a maitata’i ana’e ta’u hina’aro ’ia hāpono mai. ’E te auro nō
Ari’ifa’aite tāne ’e te hō’ē tau pereue nō Ari’iauae ’e nō Tamatoa ’e nā tāpe’a rima ’e nā tape’a tari’a nō’u.
Papeete 30 Me 1847
Pōmare ari’i
2
Transcription de la lettre de la reine Pōmare IV, avec corrections : l’utilisation de
signes diacritiques, le découpage des mots facilitent la lecture, mais il faudrait
rajouter quelques particules pour que le document soit conforme aux normes
d’aujourd’hui.
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Le musée ‘O Reilly,
cela se mérite !
‘O Reilly, cela se mérite comme le savent tous les chercheurs de la Polynésie orientale, sa Bibliographie, ses Tahitiens
sont des outils indispensables, parfois difficiles à trouver depuis
leurs premières éditions des années 60 et 70…
Mais le musée ‘O Reilly, ou plus précisément le Musée
d’Océanie, lui aussi se mérite, caché dans la maison des pères
maristes à La Neylière1, perdu à 600 m d’altitude parmi les
monts du Lyonnais dans la commune de 69590 Pomeys…
A l’initiative du père ‘O Reilly et inaugurées en 1971, rénovée en 2006, les quatre salles du musée d’Océanie exposent des
objets et des documents de Polynésie centrale (Wallis et Futuna,
Tonga et Samoa) et de Mélanésie (Fidji, Nlle-Calédonie,
Vanuatu, Salomon) : la première salle est la reconstitution de
l’intérieur d’un voilier au long cours, La Delphine (1836) et
affiche une extraordinaire carte-journal, une lettre en forme de
carte géographique écrite du 21 novembre 1840 à Lyon au
15 juin 1841 en Nlle-Zélande par le père Garin. Les vitrines et
1
La visite est gratuite et toujours guidée. Le musée est ouvert sur rendez-vous
pour les groupes et le dimanche à 15h. Merci à Philippe Schneider pour les précisions apportées et les clichés.
N°329 • Septembre 2013
les murs des autres salles présentent des outils, des armes et des
parures, mais aussi une presse à imprimer (anglaise, Stanhope
de 1790)et des ouvrages, et d’exceptionnels et rares dessins
« naïfs », par exemple ceux de Somuk (île de Bougainville) :
seuls un tambour de Tahiti et un tiki des Marquises représentent
la Polynésie orientale.
Comme tant d’autres, ce musée d’Océanie est riches d’exceptionnelles réserves, en particulier une collection de plaques
de verre des années 1880 et de photos anciennes ainsi que des
lettres manuscrites des premiers missionnaires et de nobreux
ouvrages. Fréquentées par des muséologues, elles s’ouvrent
désormais aux étudiants venus des îles et à la recherche de
sujets d’études… et de leurs racines, des scolaires de tous âges
et des associations culturelles fort diverses.
Le musée est géré par une association d’amateurs éclairés
et passionnés, leur accueil est chaleureux, tout à fait océanien !
Robert Koenig
111
PUBLICATIONS DE LA SOCIETE DES ETUDES OCEANIENNES
Prix réservé aux membres, en vente au siège de la Société/Service du patrimoine archivistique et de l’audiovisuel
• Dictionnaire de la langue tahitienne
Tepano Jaussen (13ème édition)...................................................... 2 000 FCP 17 €
• Dictionnaire de la langue marquisienne
Mgr Dordillon (3ème édition).......................................................... 2 000 FCP 17 €
• A Dictionary of some Tuamotuan dialects
J.Frank Stimson et Donald S. Marshall........................................... 2 000 FCP 17 €
• Mangareva Dictionary
Edward Tregear.............................................................................. 2 000 FCP 17 €
• Journal de James Morrison, second maître à bord de la Bounty
Traduction Bertrand Jaunez........................................................... 2 000 FCP 17 €
• Etat de la société tahitienne à l’arrivée des Européens
Edmond de Bovis .......................................................................... 1 200 FCP 10 €
• Chefs et notables au temps du Protectorat (1842-1880)
Raoul Teissier................................................................................ 1 200 FCP 10 €
• Les Etablissements français d’Océanie en 1885
(numéro spécial 1885-1985)........................................................ 1 200 FCP 10 €
• Dossier succession Paul Gauguin
BSEO N°210 .................................................................................. 1 200 FCP 10 €
• Papatumu - Archéologie ................................................................. 1 200 FCP 10 €
• Généalogies commentées des arii des îles de la Société
Mai’arii Cadousteau....................................................................... 1 500 FCP 13 €
• Tahiti au temps de la reine Pomare
Patrick O’Reilly.............................................................................. 1 500 FCP 13 €
• Tahiti 40,
Emile de Curton ............................................................................ 1 500 FCP 13 €
• Tranche de vie à Moruroa
Christian Beslu .............................................................................. 2 200 FCP 19 €
• Naufrage à Okaro, épopée de la corvette Alcmène (1848-1851)
Christian Beslu .............................................................................. 2 000 FCP 17 €
• Les âges de la vie – Tahiti & Hawai’i aux temps anciens
Douglas Oliver............................................................................... 2 500 FCP 21 €
• Océania - Légendes et récits polynésiens ..................................... 2 200 FCP 19 €
• Collection des numéros disponibles
des Bulletins de la S.E.O. : .............................................................. 200 000 FCP 1676 €
Anciens numéros du BSEO, nous consulter
Tout envoi postal comprend des frais de port, nous consulter.
N° ISSN : 0373-8957
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 329