Bulletin de la Société des Études Océaniennes, n° 328
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- Bulletin de la Société des Études Océaniennes, n° 328
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BULLETIN DE LA SOCIETE
DES E TUDES O CEANIENNES
Taiarapu
Presqu’île
N°328
Janvier / Avril 2013
BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N°328 - JANVIER /AVRIL 2013
Sommaire
Avant-Propos du président .......................................................................................p.
Fasan Chong dit Jean Kape
Deux journaux espagnols inédits : Novembre 1774 - Janvier 1775 (suite) ........p.
Traduction de Liou Tumahai
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Tour de l’île de Tahiti des Frères Nott et Elder (26 février-5 avril 1802) .....p. 21
Traduction de Josiane Teamotuaitau
De Hiti iti à Tevaitai en passant par Taiarapu ....................................................p. 30
Josiane Teamotuaitau
Epiphanie au Paradis ..................................................................................................p. 52
Josiane Teamotuaitau
To An Island Princess..................................................................................................p. 54
Robert Louis Stevenson
A une Princesse des îles ..............................................................................................p. 56
Robert Louis Stevenson (traduction : J. Teamotuaitau)
Two Tahitian Legends .................................................................................................p. 58
Robert Louis Stevenson
Deux légendes tahitiennes ..........................................................................................p. 63
Robert Louis Stevenson (traduction : J. Teamotuaitau)
The song of Rahero : A Legend of Tahiti ..............................................................p. 69
Robert Louis Stevenson
Le chant de Rahero : Une légende de Tahiti ........................................................p. 92
Robert Louis Stevenson (traduction : J. Teamotuaitau)
Le Grand Sud ................................................................................................................p. 121
René-Jean Devatine
Hommage à Solange Turia Drollet (1948 - 2013) ...............................................p. 129
Daniel Margueron
Bilan moral 2012 ..........................................................................................................p. 132
Compte rendu de l’Assemblée Générale Ordinaire ..........................................p. 139
Couverture : La vallée de Vaitepiha à Tautira - Photo J. Teamotuaitau
Avant-Propos
Chers membres de la Société des Etudes Océaniennes,
Chers lecteurs du BSEO,
‘Ia ora na i te Matahiti ‘Āpī 2013 !
Vous trouverez certainement plaisir à lire ce premier Bulletin de l’année qui est dédié à la Presqu’île et monté autour de la
thèse de madame Josiane Teamotuaitau qu’elle a soutenue brillamment en novembre dernier à l’Université de Polynésie française. Ses textes sont présentés dans les deux grandes langues
véhiculaires en Océanie, le français et l’anglais.
Daniel Margueron se fait quant à lui le porte-parole de la
SEO pour rendre hommage dans ce numéro à Solange Drollet,
qui s’en est allée en fin d’année après avoir publié un article
dans le dernier bulletin. Nous lui disons amicalement : Merci
beaucoup et bon vent chère Solange !
L’année écoulée s’est achevée sur une note plutôt encourageante, grâce notamment aux efforts déployés dans les salons
du livre ou autres, pour proposer nos publications, communiquer sur notre Société et recevoir de nouvelles adhésions et
quelques renouvellements. Le dernier rendez-vous de l’année,
le Salon du lire de Papeete, dédié au voyage, a été positif et
notre BSEO N°326/327 sur ce thème a été bien accueilli. Lors
de cet évènement quelques-uns de nos contributeurs ont été
heureux de participer aux tables rondes du salon. Nous les en
remercions vivement !
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N°328- Janvier / Avril 2013
Notre Assemblée générale annuelle, qui s’est tenue le 19
février, marque un nouveau tournant dans l’histoire de notre
Société, notamment par l’entrée au Conseil d’administration de
6 nouveaux membres portant désormais l’effectif à 14 administrateurs. Bienvenue donc aux nouveaux collègues qui ont
conscience de l’ampleur de la tâche et qui sont motivés à relever de nouveaux défis. Ces apports attendus viennent d’horizons et de générations divers : l’appel lancé a donc été entendu.
Vous trouverez dans ce numéro les documents relatifs à notre
A.G.O. et à la nouvelle composition du C.A. C’est l’occasion
pour nous de rendre hommage à l’ancienne équipe qui a fini la
précédente mandature avec un bilan raisonnable. De cette
ancienne équipe, notre ami Christian Beslu a tiré sa révérence,
en laissant toutefois un héritage remarquable et surtout son
empreinte, nous lui rendons ici un hommage à la hauteur de ses
talents et ses qualités humaines.
Bonne lecture !
’Ia ora na !
Le président
Fasan Chong dit Jean Kape
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Deux journaux espagnols
inédits
Novembre 1774 - Janvier 1775
(suite)
Le Journal de Máximo Rodriguez, édité par la Société des
Océanistes à Paris sous le titre Les Espagnols à Tahiti, est à présent connu des lecteurs intéressés par la culture polynésienne.
Pour le compléter ce séjour espagnol dans la presqu’île de Taiarapu et offrir une perception élargie à d’autres écrits et, sous différents angles, l’auteure de cet article propose ici la traduction
inédite de certains passages des Journaux de bord rédigés par
deux pilotes ; le premier auteur se nomme Juan Pantoja y
Arriaga (JPA) second pilote à bord de la frégate l’Aguila, commandée par le capitaine Boenechea, lors de la deuxième expédition espagnole à Tahiti en 1774 et a paru dans le Bulletin de
la Société des Etudes océaniennes n°326-327 ; voici le second,
écrit par Andia y Varela (AYV), capitaine et pilote du Jupiter,
paquebot-marchand navigant de conserve avec l’Aguila.
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II - Le Journal de bord inédit de Andía y Varela
(1772-1773)
Rapport transmis par le commandant de la frégate de la
Marine royale L’Aguila, don Domingo de Boenechea, à don
Francisco Javier de Morales, capitaine général et président du
Royaume du Chili. 1773.
Cher Monsieur, dans l’après-midi du 26 septembre de
l’année passée, du port de Callao, je mis les voiles à bord de
cette frégate que je commande, en possession du pli scellé (des
mains de) par son Excellence Vice-roi de ces royaumes, avec
l’ordre de ne l’ouvrir qu’une fois le navire parvenu au large de
ce port, à une distance de 10 lieues ; et, après l’avoir exécuté à
9 heures du soir dudit jour, une fois cette distance atteinte, je me
trouvai avec l’Instruction de faire d’abord la reconnaissance de
l’île de San Carlos (de Davis), puis, une fois celle-ci faite, de
revenir à ce port-ci1 où je trouverai toutes les dispositions nécessaires à la poursuite de la reconnaissance de l’île de Otaheti
(ainsi appelée par ses naturels, et Saint Georges par les Anglais)
[Tahiti]2; une fois mes officiers informés de cette instruction,
nous nous réunîmes et je déterminai, avec l’approbation de
tous, de prendre la direction de la dite île de Tahiti, car il
m’avait semblé que de la sorte la mission prendrait avantageusement de l’avance ; et naviguant à sa recherche, le 28 octobre
de ladite année, nous aperçûmes au matin une petite île rase ; je
tentai d’en faire la reconnaissance, sans pouvoir y parvenir, car
le canot ne pouvait accoster, ses plages étant entourées de
récifs, et la mer furieuse. Elle a des habitants, quoiqu’en petit
1
2
- Il s’agit du port de Valparaiso (Chili).
- Dès leur première occurrence, les mots tahitiens entendus par les Espagnols, et
retranscrits dans l’alphabet latin, sont recopiés en l’état, suivis entre crochets du
mot actuel.
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nombre, semble-t-il, car on en vit 19 tout au plus, portant cachesexe et tenant en mains quelques longs bâtons ; ils ont des
pirogues qui voguent à l’intérieur d’une lagune qui se trouve au
centre de la dite île ; il y a des cocotiers, en petit nombre toutefois, ainsi que de petits arbres.
Le 31 dudit mois d’octobre tout en poursuivant ma route,
j’aperçus une autre petite île rase, à laquelle je donnai le nom
de Saint Quintin ; on n’a pas pu procéder à sa reconnaissance,
car ses côtes étaient inaccessibles, et elle compte plus d’habitants que la précédente, avec la même végétation.
Je poursuivis ma destination jusqu’à l’après-midi du
er
1 novembre où j’aperçus une autre île plus grande que les précédentes, sur laquelle on ne put débarquer non plus pour les
mêmes raisons que celles précédemment évoquées ; elle est
touffue, avec plus d’habitants et je lui donnai le nom de Todos
Santos. Les naturels de ces îles manifestaient divers signes de
joie en voyant le canot s’approcher des plages. Les hommes
dans cette île portaient cache-sexe et bâtons tout comme dans
les précédentes, les femmes étaient couvertes de la taille
jusqu’aux genoux, et tout le monde est peint.
Tout en suivant ma route jusqu’au matin du 6 novembre je
découvris une autre petite île avec une colline élevée, que j’appelais San Cristobal ; je tentai de l’accoster, et pendant la
manœuvre, s’approchèrent contre nous, quelques-uns de ses
habitants assis dans leurs pirogues, apportant des noix de coco
et des fruits. Le canot se rendit à terre pour reconnaître l’île et
par la même occasion, pour voir s’il était possible de faire provision d’eau, étant donné qu’il en restait peu et qu’elle se trouvait en haut de la colline. Ses habitants sont à l’image de l’île,
et à terre ils reçurent les nôtres avec beaucoup de joie. Les
hommes également portent un cache-sexe et les femmes sont
couvertes à partir des épaules avec des couvertures faites
d’écorces d’arbres. Je suivis la route en emmenant un indien de
cette île de Tahiti, longeant ses côtes pour trouver un port, en
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même temps que le canot se rendait à terre pour chercher un
endroit où pouvoir mouiller avec la frégate.
Le 13 dans l’après-midi, inopinément je me retrouvai
échoué sur un haut-fond parmi les nombreux qui entouraient
l’île, et je fis tout mon possible pour en sortir, ce que je réussis
à faire mais en perdant la barre du gouvernail et en faisant éclater quelques planches du fond, sans aucune autre avarie,
puisque nous avions échoué une demi-heure environ. Après
avoir installé une autre barre et vérifié que la frégate ne faisait
pas eau, je continuai à longer jusqu’au 19 novembre dudit mois,
où j’entrai dans le port de Tallarabu [Taiarapu] (ainsi appelé par
ses naturels) et je lui donnai le nom de Santa Maria Magdalena
(alias l’Aguila).
Dans ce port je me pourvus d’une barre de gouvernail, d’un
mât de perroquet et d’une vergue de hune ; je fis provision de
lest, d’eau et de bois et, pendant toutes ces opérations, j’envoyai
la chaloupe en reconnaissance de toute l’île ; ce qui fut fait en
6 jours, et uniquement le tour, car on ne pouvait en faire la
reconnaissance exacte de ses terres, attaches et fonds de ports
puisque cette embarcation était requise dans le port en raison
des vents forts et averses orageuses que nous avions connus et
pour également remédier à toute urgence qui pourrait se présenter. La chaloupe vit également une autre petite île montagneuse,
que les naturels appellent Moorea ; je déterminai d’en faire la
reconnaissance à la sortie de ce port.
L’île de Tahiti a une circonférence d’environ 38 lieues, est
montagneuse, il y a des noix de coco, des bananes et d’autres
fruits ; on estime ses habitants à environ dix mille ; ils s’habillent comme ceux de San Cristobal, ils nous ont traités avec
affection nous donnant des signes d’être à l’aise avec nous.
Le 20 décembre nous sortîmes dudit port et je suivis la
route pour la reconnaissance de Moorea et le jour suivant, elle
était en vue, et je lui donnai le nom de Santo Domingo, mais je
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n’en fis pas la reconnaissance normale car le temps ne le permettait pas ni les courants non plus, ce qui me détermina le
22 dudit mois dans l’après-midi à prendre la route en direction
de ce port où je mouillai dans la nuit précédente sans que durant
toute cette navigation l’équipage ne tomba malade.
Je transporte à ce bord, de l’île de Tahiti (à laquelle j’ai
donné le nom de Amat), quatre indiens d’âge inégal, un premier
d’environ 32 à 34 ans, un autre de 22 à 24 ans, un autre encore
de 18 à 20 et enfin le dernier de 12 à 14 ; car celui que j’ai
embarqué de l’île de San Cristobal est resté dans celle de
Amat ; de ces quatre, j’ai l’intention de remettre trois à son
Excellence vice-roi par la première embarcation qui partirait de
ce port en direction de celui de El Callao, et d’en garder un pour
l’emmener à San Carlos dans le cas où il comprendrait la
langue ; en conséquence de quoi Votre Seigneurie daignera
prendre toutes les dispositions qu’il juge utiles de prendre, tout
comme celle de pouvoir les vêtir, car ils ne portent qu’une chemise de calicot et une culotte de toile, seuls vêtements que nous
avions pu leur fournir à bord.
De même Sa Seigneurie daignera communiquer rapidement
ses ordres, afin de ne pas perdre de temps, pour m’habiliter à
exécuter la mission qui m’a été donnée de l’île de San Carlos,
et bien d’autres encore qui fussent de l’agrément de S.S., avec
la satisfaction que je désire lui être agréable pour toutes les destinations et distances.
Que notre Seigneur garde en vie S.S. longtemps.
A bord de la frégate L’Aguila, mouillée dans ce port de
Valparaiso, le 22 février 1773.
Baise les mains de S.S. son plus reconnaissant serviteur
Domingo de Boenechea.
Monsieur don Francisco Javier de Morales.
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Journal du Voyage de José de Andia y Varela
Récit du voyage fait à l’île de Amat et de ses adjacentes,
sur ordre de son Excellence, don Manuel de Amat et Junyent,
chevalier de l’Ordre de Saint Jean et de l’ordre royal de Saint
Genaire, du conseil de S.M., son gentilhomme de chambre avec
entrée, lieutenant général des armées royales, vice-roi, gouverneur et capitaine général des royaumes du Pérou3.
Votre Excellence,
L’honneur avec lequel S.E. représente la grandeur du Roi
notre seigneur (que Dieu garde) dans cette vice-royauté du Pérou,
le grand succès avec lequel vous l’avez jusqu’à présent gouvernée,
la propension que vous témoignez à vouloir étendre ses territoires,
conjointement aux satisfactions avec lesquelles vous l’avez en partie atteint, porteront votre mémoire de par le monde pour l’éternité, et en particulier parmi les vice-rois de ce royaume.
L’île de Tahiti (qui aujourd’hui porte l’illustre nom de V.E.
et à la découverte de laquelle vous avez eu la bonté de m’envoyer en convoi de la frégate de guerre L’Aguila, en me distinguant parmi d’autres qui sollicitaient cet honneur) m’a donné
suffisamment matière à faire quelques réflexions, non seulement
sur le voyage et la découverte de ladite île, sa situation et celle
des autres îles adjacentes, mais également sur les us et coutumes
de ces îliens, et en particulier ceux de Tahiti en compagnie desquels je me suis trouvé quelques jours ; et quant à celles que ma
perspicacité m’a permis d’observer, je me suis efforcé de les
écrire, pour avoir aujourd’hui l’honneur de les présenter à Votre
Excellence, en l’assurant de n’avoir rien consigné qui ne fût, à mon
avis, systématiquement vérifié, afin d’en établir un compte-rendu
3
- Le manuscrit de ce voyage se trouve conservé dans la Bibliothèque nationale
de Santiago, un tome en folios de 130 pages.
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exact de tout. Bien qu’au début je m’étais proposé d’être succinct, je n’ai pas pu être bref ; et même si S.E. avait reçu d’autres
récits des ces îles en question, je me permets toutefois de dire
que nul autre que moi ne s’est efforcé d’en reproduire l’exactitude par obligeance pour Son Excellence ; de cette façon j’aurai
été tout au comble de mes désirs, si j’étais parvenu à telle satisfaction, ce qui représente à mes yeux l’une des plus grandes félicités auxquelles j’aurais jamais aspiré dans cette vie.
Monsieur, votre plus humble sujet et serviteur,
José de Andia y Varela
Qui vous baise les mains.
Son Excellence, don Manuel de Amat, vice-roi, gouverneur
et Capitaine général de ces royaumes du Pérou et du Chili, avait
donné l’ordre à la frégate de S.M. appelée l’Aguila, commandée
par don Domingo Boenechea, Capitaine de frégate de la Marine
Royale, de se rendre dans l’île de Amat, deux années auparavant découverte par le même Boenechea, afin d’y former un
établissement au nom de notre roi notre seigneur ; elle transportait à cet effet et à des fins de conversion des infidèles qui l’habitent, les révérends pères missionnaires de la propagation de la
foi, les frères Jéronimo Clota et Narciso Gonzalez, ainsi qu’également, afin de faciliter la communication et la correspondance
des uns et des autres, un interprète et deux naturels de la même
île, lesquels avaient été conduits à cette capitale lors du précédent voyage, et qui acquirent la grâce du baptême et la possession de notre idiome. Il détermina également d’affréter sur le
compte des finances royales mon paquebot nommé Jupiter, sur
lequel je m’embarquai en qualité de capitaine et premier pilote,
afin que, tout en naviguant de conserve de ladite frégate, sous
les ordres de son commandant, non seulement j’ai l’obligeance
de transporter la maison démontable dans laquelle devaient
habiter les-dits pères ainsi que quelques animaux d’espèces
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variées pour faciliter leur reproduction dans cette île-là, mais
pour que je servisse également de secours à la frégate ainsi qu’à
ses individus en cas de naufrage, outre le fait que nous devions
décrire d’autres îles dont on aurait des nouvelles.
[…]
Ce même jour du 14 (novembre), à 6 heures de l’après-midi,
alors que nous finissions de tirer un bordé près de la terre afin de
prendre le large, le vent tomba brusquement, et malgré toute
notre diligence pour y parvenir, nous fûmes empêchés par le
courant qui nous poussait beaucoup vers l’île, à tel point qu’à
2 heures et demie du matin suivant, nonobstant la nuit très noire,
nous voyions bien à courte distance le déferlement des vagues
sur les récifs entourant l’île. Me voyant exposé à cette situation
critique, je mis le canot et la chaloupe à l’eau pour faire remorquer le navire vers le large ; mais, quand bien même c’était l’accalmie, la grosse mer de l’est ne permettait pas aux embarcations
d’effectuer le remorquage du paquebot. Au milieu d’un tel
embarras, il plut à Dieu de nous aider en nous envoyant une
épouvantable tempête d’eau, de tonnerres et d’éclairs, sous un
vent d’ouest, pendant un court moment qui dura deux heures,
nous permettant de la sorte de nous dégager vers le large et de
nous réveiller à une distance de deux lieues de la terre.
Le 15, à 6 heures et demie, j’expédiai le canot avec à son
bord le second pilote en quête du port de Taiairapu, avec l’ordre
de le sonder, d’y trouver le meilleur mouillage et de fixer
ensuite à son embouchure et en hauteur, un pavillon en guise de
balise pour pouvoir entrer dans ce port.
Le motif qui m’obligea à prendre une telle décision était que
l’état du bétail qui se trouvait à bord, passé en compte de S.M.,
ne cessait de s’aggraver jusqu’au point de mourir. Il conviendrait, me semblait-il, de le descendre à terre et de construire une
clôture avec des pieux pour enfermer ces animaux la nuit, ainsi
qu’une cabane dans laquelle pourrait s’abriter une douzaine
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d’hommes armés, qui seraient chargés de les faire paître et de
les surveiller ; les animaux pourraient de la sorte se rétablir. Et
s’accomplirait ainsi le dessein de son Excellence vice-roi d’en
peupler l’île, mission que tant S.E. que mon commandant
mèneraient à bien, je n’en doute point ; mais à 9 heures j’eus le
plaisir de le voir, ce qui leva l’état d’alerte dans laquelle j’étais,
inquiétude davantage causée par son retard que par les signaux
réciproques de reconnaissance que nous avions échangés ; à la
même heure mon canot hissa le pavillon à l’entrée du port de
Taiarapu, pour qu’il nous servît de guide pour permettre à notre
navire d’entrer dans le port ; mais en voyant la frégate je lui fis
signe de revenir à bord.
Peu après, le canot de mon commandant se rendit à terre,
et, sur son ordre on me fit dire de remonter les petites embarcations à bord et de les rejoindre ; ce que j’exécutai, car ils
m’avaient hélé à la voix et demandé de passer à bord, ce que je
fis : et là, après les réjouissances générales que tout le monde
vécut lors de ces retrouvailles, sans pour autant que ni l’une ni
l’autre embarcation n’eut à subir le moindre dommage, il me
donna l’ordre de veiller à toujours me tenir près de lui, pendant
que l’on procéderait à la reconnaissance du port le plus approprié aux embarcations ; à cette fin, il avait déjà envoyé son
canot ce matin et il eut suffisamment de temps pour entrer dans
le port. C’est ainsi qu’il me communiqua par écrit un rappel du
règlement concernant le bon traitement et la bonne tenue à
observer avec les indiens, interdisant en même temps tout désordre que pourraient commettre les individus du paquebot avec
les femmes ; consignes que je fis lire et fixer sur le grand mât
aussitôt que j’eus regagné mon navire.
Depuis le 16 novembre jusqu’au 27 nous avions subi des
vents très variables, soufflant en général du nord, mais qui ne
nous étaient pas contraires pour parvenir à l’entrée du port où
nous devions jeter l’ancre ; pendant cet intervalle, nous reçûmes
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N°328- Janvier / Avril 2013
plusieurs fortes averses avec des rafales de vent qui nous obligèrent à ariser les voiles. Nous rencontrâmes également
quelques mouvements de courants qui nous firent dériver vers le
sud. A l’occasion d’une de ces journées, je pus observer longuement et exactement la latitude à laquelle se trouve située la partie
méridionale de cette île ; car, me trouvant dans le même parallèle
au moment de l’observation, je trouvai 17°59’ de latitude.
Le 27, le jour s’étant levé au port, avec le ciel clair et peu de
vent par le N.O. ¼ N., à 10 heures et demie du matin, le commandant me fit signe de me préparer à jeter l’ancre (ce à quoi je
m’étais déjà préparé), envoyant son canot en même temps, afin
qu’en se positionnant à l’entrée du port, il servît de balise que
nous avons suivie jusqu’au mouillage ; je jetai l’ancre, à
3 heures et demie, après que la frégate eut mouillé dans le port
de Tautira, auquel je donnai le nom de la Très Sainte Croix.
Bien que ce port soit suffisamment étendu pour accueillir
quatre à six embarcations, il n’offre en réalité, guère d’abri que
pour une petite ; en effet, l’entrée est formée par les récifs se
trouvant de part et d’autre, est presque aussi large que le port ;
de fait les embarcations se trouvent exposées aux vents du N.E.
nord et du N.O., qui, en soufflant très fort par la même entrée,
soulèvent une mer formée, en particulier aux abords de la pleine
lune, période pendant laquelle on subit continuellement des
tempêtes de vent et d’eau, accompagnées d’épouvantables
éclairs et tonnerres ; et comme disent les marins, en pareilles
circonstances, il ne reste plus que la bouée pour tout abri, ce qui
nécessite de solides amarres et de bonnes ancres ; avec l’assurance que celles-ci s’agrippent bien au fond, s’il est de bonne
qualité, requérant dans ces conditions la nécessité de mouiller
une à deux ancres supplémentaires à la proue, pour plus de
sécurité ; de plus il est certain qu’il ne sert à rien de les avoir à
bord, pour aussi prêtes qu’elles fussent ; car, dans le cas où
celles qui travaillent au nord feraient défaut, l’embarcation
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échouerait à terre bien avant que celles qu’on aurait nouvellement jetées au fond, eussent pu trouver une bonne prise.
C’est à l’abri de la pointe de récif formée par l’extrémité de
l’entrée du port, dans sa partie est, que le paquebot fut mouillé,
là où la mer est quelque peu calme ; toutefois vers l’est, depuis
le nord jusqu’au sud, la proximité des fonds n’offre d’abri que
pour une petite embarcation.
L’ancre du nord doit tomber tout au bord du récif, à 9 ou 10
brasses d’eau, et celle du sud, vers la faille, être un peu inclinée
vers la partie qui se trouve en son ouest, où l’on trouve 5 brasses ;
les fond marins de ces zones étant de vase et de sable, il faut éviter par endroits, les saillies qui longent vers la partie de l’est, en
face du ravin, dans les parages desquels se trouve le corps du
bateau à marée basse, à 7 brasses et à 7 brasses et demie à marée
haute, fixée au dehors avec un peu moins d’une demie amarre
pour celle du nord, et plus de deux tiers pour celle du sud.
Dès que l’on aura jeté l’ancre, on veillera, d’une part, à bien
amarrer le navire, à baisser mâts et vergues, et d’autre part, à
déverguer les voiles et dépasser les cordes de manœuvre les
moins nécessaires qui pourrissent car il pleut énormément.
Ce port a une rivière d’eau très pure à l’intérieur de la vallée ; mais à son embouchure, elle ne l’est plus en raison de la
mer qui y pénètre ; toutefois, à l’ouest du mouillage, à une distance d’un mille environ, il y a une population d’indiens et une
baie où l’on trouve une eau toute exquise qui, de plusieurs ruisseaux, coule des montagnes jusqu’à une distance de 6 à 8 pas
de la mer où elle disparaît dans le sable. Pour cette raison et en
l’absence de forte houle dans ce parage, risque que pourraient
courir les chaloupes à cause des récifs qui se trouvent en face,
lieu où la mer du large vient se fracasser laissant celle de l’intérieur toute calme, cet endroit permet de remplir très facilement la futaille ; il faut aussi ajouter la possibilité à plusieurs
barques de le faire simultanément, puisque cette baie est large ;
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les fonds sur la berge étant suffisants, elles peuvent s’approcher
de 4 à 5 vares de terre.
Quant au bois pour la consommation, je suis d’avis que pour
toute la durée du voyage, il faut le transporter de Lima, car le plus
propice à l’emploi souhaité pour notre usage, est celui de l’arbre
à pain, que les indiens appellent uru ; c’est une sorte de figuier
qui, outre l’inconvénient de l’embarquer humide, ne produit pas
de braises, même sec, et qui brûle comme fétu de paille ; à ce
défaut, il faut ajouter que, comme son fruit constitue leur principal aliment, ces naturels se refusent totalement à ce qu’un seul
arbre soit coupé, et l’on n’y parvient qu’à force d’éveiller un intérêt quelconque pour eux (en échange) ; c’est la même chose sur
le bord de mer où habitent ces indiens, avec toutes les autres
espèces d’arbres que l’on rencontre car, comme (pour nous) ils
sont spongieux, inadéquats pour le feu, ils ont tous une utilité
pour eux ; en effet, certains leur fournissent les fruits pour leur
alimentation, et d’autres, les écorces pour leurs vêtements.
Il est indéniable que l’on trouve dans les montagnes intérieures quelques bons bois, mais ils sont difficiles à descendre
jusqu’à la plage, tout aussi bien en raison de la nature scabreuse
du terrain que de la distance à parcourir ; certes l’on y serait
parvenu, mais au bout d’un certain laps de temps et en éreintant
nos gens par manque de bêtes ou d’attelages.
[…]
Depuis le 27 novembre 1774 où nous mouillâmes dans le
port de la Très Sainte Croix, alias Fatutira [Tautira], de l’île de
Amat ou Tahiti, jusqu’au 7 janvier de l’année suivante où nous
mîmes les voiles pour la découverte de l’île de Raiatea, le temps
fut employé à couper et à transporter les bois nécessaires pour
entourer un jardin et former une sorte de grand abri élevé,
recouvert de branchages, fixé sur des madriers, et terminé par
un toit en chevalet recouvert à la façon des indiens, ce que ces
derniers exécutèrent eux-mêmes ; c’est à l’intérieur de cet abri
que fut montée la maison que, pour le compte de S.M., j’ai
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transportée sur mon paquebot, pour servir d’habitation aux
pères missionnaires, et dans laquelle leur a été également aménagé un endroit ou rangement pour entreposer tous les vivres et
ustensiles de cuisine.
Le 6 décembre, au moment de couper un cocotier à cet
effet, tous les assistants furent avertis de s’écarter du danger
causé par sa chute. Un marin de la frégate, de la région de
Galice, du nom de Manuel Vasquez, avide de récupérer le cœur
de palmier qui est une nourriture prisée, ne s’écarta pas d’autant
que firent les autres, se contentant de s’abriter juste derrière un
autre cocotier qui se trouvait tout près de celui qu’on était en
train de couper, lequel penchait déjà vers la terre. Le malheur
voulut que le cocotier abattu tombât sur celui derrière lequel il
avait choisi de se protéger, et adoptant l’inclinaison de l’autre
cocotier, il tomba à une vitesse telle que, sans lui laisser le
temps de pouvoir fuir, le petit cœur de palmier qu’il désirait
manger lui donna un coup si fort sur la tête que il expira sur le
champ sans même ressentir la mort. Le lendemain il fut enterré
dans le cimetière prévu à cet effet, et les pères le bénirent ; tous
les indiens assistèrent à cet enterrement avec grand étonnement
et avec des signes de vénération devant le déroulement de la
cérémonie de notre Eglise Sainte Mère.
Le 1er janvier 1775, on débarqua la très sainte croix qui avait
été transportée de Lima et destinée à être installée dans l’île. Au
moment de la débarquer, la troupe et une partie de l’équipage
tirèrent les premiers coups de fusil, puis formant une procession
composée de quatre prêtres, de tous les officiers de guerre et de
mer de la frégate ainsi que de tout l’équipage du paquebot,
nous nous mîmes à chanter des litanies tout en marchant vers la
maison des pères missionnaires, pour nous arrêter devant celleci et le cimetière où l’on tira la deuxième salve ; aussitôt après
commença la messe, dite par le père frère Jeronimo Clota, et à
16
N°328- Janvier / Avril 2013
la fin de laquelle l’on tira la troisième décharge de fusils ; la
frégate répondit par 21 coups de canons, tout cela en signe de la
prise de possession de cette île faite au nom de notre souverain
Don Carlos III (que Dieu garde) ; à l’occasion de cette cérémonie, son portrait fut fixé sur la porte de la maison intérieure, suivie par une sorte de traité d’alliance ou d’amitié que conclut don
Tomas Gayangos au nom du roi et du commandant avec les
deux arii, en présence de tous les officiers de guerre et du comptable, les chargeant des bons soins et traitements qu’ils devaient
prodiguer aux pères. Je n’étais pas présent à cet acte, mais ils
m’informèrent qu’ils étaient envoyés à cette fin.
Les animaux qui sont arrivés vivants et qui ont été descendus à terre sur ordre du Commandant, le 12 décembre 1774, se
composaient de deux taureaux, un âne et une ânesse, cinq
cochons mâles et femelles, deux moutons et une brebis, avec en
plus deux boucs. Don Tomas Gayangos échangea une vache
qu’il transportait dans la frégate contre un des taureaux, et il en
résulta une portée de cette espèce. Lors du voyage précédent de
la frégate, dans le port de Tautira, ils avaient laissé quelques chèvres parmi lesquelles nous avons retrouvé un mâle et une
femelle, et avec les deux qui sont restées avec les pères, nous
pouvons en espérer une multiplication rapide ; mais point d’ânes
ni de moutons, parce que l’âne et la brebis sont morts à terre.
Je ne peux que mentionner l’ingratitude de l’indien, dit Thomas, son nom de baptême et dit Pautu, son nom de patrie. Le jour
où les indiens ont fugué, à la suite des jets de pierres que l’un
d’eux a lancés sur José Navarro, comme on l’a dit plus haut, les
deux pères missionnaires commencèrent à avoir peur et à craindre de rester dans l’île au péril de leur vie ; il ne leur restait plus
aucune garnison pour leur défense, et le doute ressenti pour leur
séjour, était général : la plupart croyait qu’ils retourneraient à
Lima, ainsi que Thomas et l’autre indien dit Manuel, lesquels,
une fois devenus chrétiens, quittèrent ladite ville pour regagner
17
leur patrie. Dès que cette idée eut germé dans l’esprit de Thomas,
oublieux des si grands bienfaits qu’il avait reçus des Espagnols
et principalement de Dieu qui voulut qu’il fût chrétien, il prit la
fuite en suivant les pas de ses arii et des autres indiens, auxquels
il disait de ne pas se fier à nous ; parce que toute l’affection que
nous leur montrions, les présents et cadeaux que nous leur faisions, les pères qui en signe de confiance et d’amitié, étaient
venus pour rester là et les animaux qui étaient transportés pour
cette fin, tout cela ne servait qu’à les tromper, à nous rendre seigneurs de l’île et à les réduire à l’esclavage. Pour appuyer ses
injures il ôta avec un total mépris les vêtements qu’il portait et
retourna à ses anciens habits ; les indiens avaient été complètement surpris par l’annonce de cette nouvelle, mais après avoir
parlé avec l’interprète et constaté la bénignité du commandant et
le peu d’intérêt qu’il accordait aux impostures de Thomas, ce qui
ne l’empêcha point de décider que les pères resteraient là, les arii
se firent à l’idée que notre amitié était sincère et que Thomas était
un imposteur, et d’ailleurs il était considéré comme tel, comme
voleur, et bien avant son retour de Lima.
[….]
Le 15 nous découvrîmes les îles de Santo Domingo4 et celle
de Amat. Aussitôt après (dans le sillage du commandant) nous
nous dirigeâmes en quête de la pointe méridionale de cette
dernière croyant trouver les vents d’est, auquel cas nous prendrions le (cap du) port avec plus de facilité ; mais ils se sont
maintenus au nord jusqu’au 20 janvier, où ils revinrent vers
l’est, ce qui nous permit de mouiller ce jour-là dans le port de
la Très Sainte Croix de Tautira, non sans, pour ma part, ressentir
un profond regret de n’avoir pas pu reconnaître toutes les îles
que nous avons découvertes durant cette campagne.
Le motif de notre retour dans ce port, comme cela a été dit
plus haut, n’était autre que celui de savoir si, durant notre
4
- Il s’agit de Moorea.
18
N°328- Janvier / Avril 2013
absence, les pères avaient rencontré quelque incident avec les
indiens. Ils ne connurent aucune adversité quant à leur sécurité,
bien au contraire la situation était (plutôt) favorable car les
indiens avaient fermé volontairement les devants et côtés de la
grande maison, avec de gros bambous tressés et amarrés les uns
aux autres ; le même travail avait été effectué pour le potager,
de pieu à pieu ; tant et si bien que, je crois que si les pères les
avaient bien considérés en retour et traités comme il faut, tout
devrait bien se passer pour eux, car ces gens-là sont dociles et
ils les avaient reçus en leur manifestant une sincère affection.
Dans ce même potager, à la demande des pères, je mis une
horloge solaire équinoxiale qui puisse servir à suppléer celle de
table qu’ils avaient à l’intérieur, ce dont ils me furent tous
reconnaissants.
L’accident arrivé au commandant (et dont la vie était en
péril), s’était aggravé durant le voyage-retour de Raiatea, et
dans l’attente imminente de sa mort, il a fallu séjourner dans ce
port huit jours de plus, pendant lesquels on se réapprovisionna
en eau, de quelques bananes, de noix de coco et de porcs.
Effectivement, le 26 janvier 1775, à 4 heures et demie de
l’après-midi, mourut don Domingo de Boenechea. Le 27, il fut
enterré au pied de la croix érigée dans le cimetière de la maison
des pères missionnaires, avec toute la solennité et les honneurs
correspondant à une personne de son rang.
Comme il n’y avait plus de raisons de rester davantage à
Tahiti, le retour vers Lima fut décidé ; sous les ordres de don
Thomas Gayangos, secondant le défunt commandant. Nous larguâmes les voiles le 28 janvier, pour cette direction avec un
vent du SE5.
[…]
Traduction : Liou Tumahai
5
- La suite du Journal relate le retour du navire jusqu’à Lima où ils arrivent le 13
avril, avec la mention de la découverte de Raivavae au passage, suivi du récit
établi par l’officier parti en reconnaissance de cette île (2 pages).
19
BIBLIogRAPhIE
Documents de référence : Copies de manuscrits déposés au Musée Naval de
Madrid (MNM), à la Bibliothèque Universitaire de Séville (BUS), et à la Bibliothèque
Nationale de Santiago de Chile (BNSC).
“Estracto del diario de vijae que acaba de hazer Juan Pantoja y Arriaga en la Fragata de S.M. nombrada Santa María Magdalena, alias el Aguila, de las yslas nuevamente descubiertas por el Capitán de esta clase Don Domingo de Boenecheam
habiendo dejado en la de Amat dos religiosos de la Seráfica orden de San Francisco de Asis, el ynterprete Maximom un grumete para que sirva a los Padres, los
dos yndios que tregeron a Lima en la dicha fragata el año 1772, una casa de
madera y víveres para un año…” (MNM- BUS) ;
“Relación del viaje hecho a la isla de Amat i sus adyacentes, de orden del Excmo,
señor don Manuel de Amat i Junient, caballero del órden de San Juan i de real de
San Jenaro, del consejo de S.M. su gentilhombre de cámara con entrada, teniente
jeneral de los reales ejércitos, virrei, gobernador i capitán jeneral de los reinos del
Perú.”(BNSC).
Bibliographie brève :
• O’Scalan, Timoteo :
Diccionario marítimo español, Museo Naval de Madrid, 1974.
• Rodriguez, Máximo :
Les Espagnols à Tahiti, Société des océanistes, n° 45, Musée de l’homme, Paris,
1995, 229 p., traduction française de “Españoles en Tahiti”, Crónicas de America 69, historia 16.
• Tumahai, Liou :
« Retour aux sources espagnoles », BSEo n° 284, février 2000, pp. 3-15 ;
« Etat de la langue tahitienne entendu en 1772… d’après un dictionnaire espagnol recueilli à la fin du XVIIIè siècle », BSEo n° 294, septembre 2002, pp.2-72 ;
« Tour de l’île en chaloupe espagnole, en cinq jours, à la force des rames, en
décembre 1772 », BSEo n° 312, avril 2008, pp. 94-106.
20
Tour de l’île de Tahiti
des Frères Nott et Elder 1
(26 février - 5 avril 1802)
Mercredi 3 mars
Nous quittâmes Faaone en pirogue pour nous diriger vers Afaahiti, à Taiarapu, non loin de l’isthme. Dans la soirée, nous rassemblâmes quatre-vingt indigènes, à qui s’adressa le Frère Nott, et qui
firent preuve d’une grande attention durant le prêche.
Jeudi 4 mars
Partis d’Afaahiti, nous nous arrêtâmes à Tehoro2. Nous parcourûmes le district et rassemblâmes cinquante indigènes à qui le Frère
Nott prêcha la Bonne Parole. Durant le sermon, le Frère Nott leur dit
que nous étions tous, eux comme nous, enfants d’un même homme
et d’une même femme. Un indigène demanda alors : « comment
s’appellent-ils ? »
En général, lorsque nous leur posons une question, ils répondent
immédiatement, et lorsque le Frère Nott demande : « Qui peut apporter le
Salut au pécheur ? », ils répondent parfois « des cochons et des perles ».
Depuis notre départ de Matavai, certains nous disent qu’avant
notre venue ils ignoraient que le fils de Dieu est le seul Sauveur. Ils
pensaient qu’offrir des cochons pouvait racheter leurs fautes. A trois
heures de l’après-midi, nous quittâmes Tehoro pour nous arrêter à
Tevaipohe pour la nuit. Sans grande difficulté, dans la soirée, nous
réunîmes plus d’une centaine de personnes à qui le Frère Nott
s’adressa. Plusieurs d’entre eux furent extrêmement attentifs et dirent
qu’il s’agissait bien là d’un « bon discours3 ».
1
- Pour une meilleure commodité de lecture, nous avons utilisé la graphie actuelle
pour les noms de lieux. Ce tour de l’île de Tahiti n’est qu’un extrait du Journal tenu
par henry Nott et James Elder, missionnaires de la London Missionary Society.
2
- Tehoro se situe dans le district de Pueu.
3
- on peut imaginer que les Tahitiens se sont exclamés « e parau mau » qui peut signifier
« it’s a true speech » en anglais, c’est-à-dire qu’ils ont apprécié la beauté du discours
sans forcément en saisir le sens. Nous pensons qu’ils ont sûrement été sensibles à l’art
oratoire du missionnaire, sans saisir le message que ce dernier tentait de transmettre.
Lorsqu’on leur explique que les esprits qui les importunent la
nuit - d’après leurs dires - pour leur réclamer des hommes, des
cochons et leurs biens les plus précieux, sont des menteurs, ils semblent prêts à nous croire. Ils semblent également enclins à accepter
l’idée que Jéhovah est le seul créateur du ciel et de la terre, mais
l’idée même que rien ne peut satisfaire davantage Jéhovah que l’incarnation puis la mort de son propre Fils les étonne au plus au point.
Vendredi 5 mars
Nous quittâmes Tevaipohe ce matin, puis nous arrêtâmes à
Teoneure. Là, le Frère Nott réunit vingt-trois personnes, plutôt inattentives malgré le faible nombre. Nous poursuivîmes notre chemin
jusqu’à Vaiteiro où nous devions passer la nuit. Plus tard, le Frère
Nott fit un culte à environ une centaine de personnes.
Samedi 6 mars
Nous quittâmes Vaiteiro pour Vahua. Le Frère Nott prêcha à
environ soixante-dix personnes. Nous arrivâmes dans la soirée à
Tautira où nous demeurâmes pour la nuit.
Dimanche 7 mars
Très tôt ce matin nous rassemblâmes nos effets avec l’intention de remonter la vallée de Tautira, pour réunir les indigènes et
prier. A peine avions-nous pénétré dans la vallée, que nous rencontrâmes cent-vingt personnes réunies là pour une célébration. Le
Frère Nott, jugeant l’occasion propice, entreprit immédiatement de
leur enseigner le Salut par le Christ. Une centaine d’entre eux écoutèrent avec attention, tandis que les autres, occupés à la préparation
de la fête, n’accordèrent que peu d’attention à ce qui se disait. Nous
remontâmes la vallée jusqu’aux dernières habitations. A la mi-journée, nous avions réuni soixante personnes à qui le Frère Nott
s’adressa, et qui firent preuve d’une grande attention.
En soirée, nous regagnâmes notre campement où le Frère Nott
s’adressa à soixante-dix-huit personnes. Ce soir-là, durant le sermon, le Frère Nott leur dit qu’il était conscient qu’en raison de la
noirceur de leur âme, ils ne désiraient pas connaître Dieu et ses
principes. Un homme intervint immédiatement et il nous parut
22
N°328- Janvier / Avril 2013
qu’il insinuait que le Frère Nott se trompait en disant cela. Il ajouta,
« peut-être ne pouvons-nous pas comprendre votre religion parce
que nos cœurs sont trop mauvais. » Le service terminé, un homme
important s’arrêta pour nous interroger à propos de Dieu. Il ressentait l’envie de prier Jéhovah et se demandait si les faux dieux de
Tahiti ne le tueraient pas s’il le faisait.
Lundi 8 mars
Nous restâmes à Tautira ce jour. Nous avions l’intention de
faire un sermon dans un district voisin, ce qui s’avéra impossible.
Mardi 9 mars
Nous quittâmes Tautira pour Vaitetute. Dans la soirée, le Frère
Nott prêcha aux soixante-quinze personnes assemblées là. Elles
semblèrent très concentrées durant le sermon. Nous eûmes un
échange sur la religion avec un homme originaire d’une petite île
située à deux jours de bateau à l’Est de Tahiti4.
Mercredi 10 mars
Nous poursuivîmes notre chemin sur un mille environ. Nous
réunîmes soixante personnes à qui nous nous adressâmes. Arrivés
à Atanua, nous rassemblâmes environ cent-vingt personnes à qui
nous prêchâmes en fin de journée. Après le service, notre hôte - un
chef important - déclara à ses compatriotes présents que les étrangers détenaient la vraie source de la connaissance et que, dorénavant il prierait Jéhovah.
Jeudi 11 mars
Nous continuâmes sur deux miles puis fîmes un arrêt à Papeurua5. Nous y rencontrâmes dix personnes venues des îles situées à
l’Est de Tahiti6. Durant plusieurs heures nous conversâmes sur des
sujets divers. Ils attendaient un vent favorable pour rentrer chez
4
- Cette île pourrait être Anaa, l’île des Tuamotu avec laquelle les échanges
étaient fréquents.
5
- Papeurua correspond à Vaiurua. Vai fut frappé d’interdit lorsque Vairaatoa/Pomare est arrivé au pouvoir (cf. E. Ahne sur le pi’i).
6
- Parmi ces îles de l’Est, dont sont originaires les interlocuteurs des Frères,
on peut supposer qu’il y a Anaa, Mehetia et Maatea.
23
eux. Dans la soirée, nous continuâmes notre expédition vers Mutui
où nous passâmes la nuit.
Vendredi 12 mars
Nous repartîmes au matin vers Papeurua ; trente-cinq personnes furent rassemblées pour le prêche. A midi, retour à Mutui.
Soixante-quatorze personnes assistèrent au sermon. Nous continuâmes en pirogue vers Tarurua où nous prêchâmes à une assemblée de quarante-cinq personnes dans la soirée.
Samedi 13 mars
Nous quittâmes Tarurua, puis passâmes par la pointe dangereuse de Taiarapu7 avec notre embarcation. Nous fîmes un arrêt à
Hutapu8 pour le sabbat.
Dimanche 14 mars
Nous partîmes très tôt ce matin pour le district voisin où nous
y dîmes un sermon devant cinquante-deux indigènes. A notre
retour, prêche à vingt-cinq autres personnes. Dans la soirée, on fit
un culte pour environ trente personnes à notre campement.
Lundi 15 mars
Ce matin, nous poursuivîmes notre chemin en pirogue jusqu’à
Ahui9 ; prêche à trente-six personnes. Continuâmes ensuite environ
deux miles pour nous arrêter à Mataa pour la nuit. Le soir, une
assemblée d’environ quatre-vingt-dix personnes assista au sermon ;
plusieurs d’entre elles étaient très attentives à notre message.
Mardi 16 mars
Nous poursuivîmes notre route jusqu’à Fare Mahora ; y avons
rassemblé soixante-dix-sept personnes ce soir pour la prière durant
laquelle elles furent très attentives.
Mercredi 17 mars
Nous quittâmes Fare Mahora pour nous diriger vers Vapua ; y
avons passé la nuit. Nous rassemblâmes cent-trente-trois indigènes
7
- Il s’agit de la pointe du Pari – ou falaises.
- hutapu se situe dans la partie Est du district actuel de Teahupoo.
9
- Ahui et Mataa sont des localités situées au Sud-Est de l’actuel district de
Teahupoo.
8
24
N°328- Janvier / Avril 2013
à qui nous nous adressâmes dans la soirée. Plusieurs d’entre eux
nous écoutèrent attentivement.
Jeudi 18 mars
Sommes parvenus à Mataoae10. Dans la soirée, y avons réuni
environ cent-soixante personnes pour le sermon ; plusieurs étaient
très concentrées.
Vendredi 19 mars
Grosses pluies aujourd’hui, qui nous ont empêchés de poursuivre notre route.
Samedi 20 mars
Quittâmes Mataoae ce jour et nous arrêtâmes à Papeuru11 ; y
avons réuni cent-dix personnes. Après avoir prêché, nous poursuivîmes jusqu’à Toahotu où nous nous passâmes la nuit.
Dimanche 21 mars
Tôt ce matin, nous avons traversé l’isthme pour nous rendre dans
le petit district de Oopu ; y avons prêché à seize personnes. Nous
étions très désireux de visiter ce district qui est un peu isolé. Nous
sommes rentrés au campement et, dans la soirée nous nous sommes
adressés aux quatre-vingt-dix personnes que nous avions réunies.
Lundi 22 mars
Avons quitté Taiarapu et sommes arrivés au district de Papeari,
près de l’isthme. Dans la soirée, nous avons rassemblé puis prêché
à une centaine de personnes.
Mardi 23 mars
Quittant Papeari, nous passâmes au district de Papeuriri12. Le
soir, nous réussîmes, non sans mal, à rassembler soixante indigènes
pour le sermon.
10
- Mataoae est un district qui se situait alors entre Teahupoo à l’est et Vairao
à l’ouest. Aujourd’hui Mataoae constitue une subdivision de la commune
de Vairao, chef-lieu de Taiarapu ouest.
11
- Papeuru, ou Vaiuru, est l’ancien nom de Vairao.
12
- Papeuriri - ou Vaiuriri - est une localité située dans la commune actuelle
de Mataiea. on donne parfois ce toponyme comme ancien nom de cette
commune.
25
Mercredi 24 mars
En raison de la pluie continue, nous ne sommes pas sortis
aujourd’hui.
Jeudi 25 mars
Avons quitté Papeuriri pour arriver à la limite Est du district
de Papara où nous avons réuni soixante-quinze personnes ; prêche
dans la soirée.
Vendredi 26 mars
Sommes parvenus à la limite Ouest de Papara, mais la pluie
incessante nous a empêché de réunir qui que ce soit.
Samedi 27 mars
Nous continuâmes jusqu’à Hafaena. Depuis que nous avons
passé l’isthme nos étapes se sont considérablement allongées car
tous les hommes d’importance sont partis pour Atehuru13 afin d’assister à la cérémonie qui s’y déroulera bientôt. Dans la soirée, nous
prêchâmes à cent-trente personnes.
Dimanche 28 mars
Tôt ce matin, nous nous dirigeâmes vers la limite Est de
Papara avec l’intention de visiter une vallée du nom de Taharuu ;
hélas, les dernières pluies ayant raviné profondément la vallée,
nous fûmes dans l’impossibilité de la remonter pour aller à la rencontre de ses habitants, aussi avons-nous regagné le rivage où nous
avons prêché à quarante-cinq indigènes. Environ un mile plus loin,
nous avons encore réuni quarante-cinq personnes à qui nous avons
délivré un sermon. Avons poursuivi notre route puis prêché à
trente-six personnes. Dans la soirée, nous parvînmes au lieu où
nous devions passer la nuit.
Lundi 29 mars
Très tôt ce matin nous sommes repartis vers le centre de
Papara, et dans une vallée appelée Tamarua, nous avons rassemblé
soixante personnes à qui nous avons prêché. Dans l’après midi,
nous avons continué sur un mille environ en amont de notre
13
- Parfois orthographié Atahuru.
26
N°328- Janvier / Avril 2013
campement. Dans la soirée, avons réuni et fit un culte devant une
assemblée de cent personnes.
Mardi 30 mars
Nous quittâmes Hafaena pour arriver à Atehuru, non loin de
l’endroit où se tenait la cérémonie qui avait commencé ce jour là.
Nous passâmes devant le grand marae ; nous y vîmes plusieurs
cochons de grande taille sur l’autel, et plusieurs sacrifices humains
qui pendaient aux arbres. A notre arrivée, les cérémonies du jour
étaient terminées. Pomare était en train d’offrir cinq ou six gros
cochons en offrande à leur grand dieu ’Oro à bord d’une pirogue
sacrée sur laquelle l’arche - ou lieu de résidence - de ’Oro avait été
placée. Nous rappelâmes à Pomare que Jéhovah est le seul vrai dieu
et qu’il n’y en a nul autre ; également que les cochons ne sauraient
le satisfaire, qu’en tuant des hommes il l’a offensé et que seul Jésus
Christ peut racheter les péchés du monde. Nous lui dîmes également
que le Christ reviendrait pour la résurrection des morts, le Jugement
Dernier et pour précipiter les pécheurs dans les flammes de l’enfer.
Tout d’abord, le chef fit mine de ne pas vouloir entendre, mais son
entourage continua de poser des questions ; alors seulement Pomare
déclara qu’il s’en remettrait à notre religion.
Mercredi 31 mars
Ce matin une étrange cérémonie païenne se déroula sur la
plage. Leur grand dieu ’Oro14 était posé sur un long banc de bois
recouvert d’étoffe15; le roi et plusieurs des prêtres étaient assis et
priaient ou chantaient pour ’Oro, mais nous ne fûmes pas en
mesure de comprendre ce qui se disait. Ils semblaient battre la
mesure avec leurs tambours et leurs conques. Les indigènes étaient
assis autour de l’idole à qui plusieurs d’entre eux s’exposaient de
la plus indécente des façons, et à intervalle, ils s’écriaient :
14
- Il s’agit de l’effigie ou to’o qui consistait en un morceau de bois recouvert
d’étoffe et aux traits parfois anthropomorphes.
15
- Il s’agit de tapa, étoffe faite à partir d’écorce battue qui représentait une
offrande précieuse.
27
« Maeva ari’i16 ». Ainsi se déroula la cérémonie plusieurs heures
durant et, de temps à autre, un Indien se disant inspiré par ’Oro se
tordait en des convulsions terribles et donnait des instructions sur
la procédure à suivre.
Jeudi 1er avril
Ce matin la flotte se dirigea vers le grand marae, où plusieurs
pirogues furent hissées sur le rivage avec un chargement important
de tapa en guise d’offrande pour ’Oro. La flotte resta à environ une
centaine de mètres de la rive, tandis que les prêtres priaient sur le
marae, en présence du roi et de l’effigie du dieu ’Oro, et que les
tambours résonnaient comme hier. Ceci dura quelques heures, puis
alors que des ordres étaient donnés, les équipages s’écrièrent :
« Maeva ari’i, Maeva ari’i ! » Alors les hommes, portant le dieu
’Oro sur leurs épaules, entreprirent une sorte de procession allant
et venant le long du rivage, tandis que des indigènes accourraient
devant la foule, en répétant les acclamations précédentes dans la
plus grande indécence, et que la flotte leur répondait dans les
mêmes termes.
Après cela, un conseil se réunit : Pomare, le roi17 et les principaux ra’atira18 se réunirent au marae. Le peuple de Atehuru était
assis d’un même côté de l’assemblée, Pomare et le roi à l’opposé,
et les orateurs prirent la parole à tour de rôle de part et d’autre.
L’objet de ce conseil était de décider de quelle manière procéder.
Après que le peuple d’Atehuru eût refusé de rendre l’effigie du
dieu qui était en leur possession, le roi intervint pour leur demander
de la restituer. Immédiatement, les orateurs d’Atehuru refusèrent.
Pomare s’adressa alors à son fils, le roi, pour lui demander d’accepter la volonté des Atehuru, car ils ne semblaient désirer garder
l’effigie que peu de temps, juste le temps qu’une cérémonie puisse
16
- Maeva ari’i signifie « gloire à toi, ô ari’i ! »
- Il s’agit de Pomare II, fils de Pomare I, désigné ici par le nom Pomare.
Pomare II, le « roi » des missionnaires, avait reçu l’investiture de son titre
de ari’i en 1791.
18
- Un ra’atira était un chef ou dignitaire.
17
28
N°328- Janvier / Avril 2013
se dérouler dans les règles19. Le roi s’adressa directement aux gens
d’Atehuru pour leur faire savoir qu’il ne partageait pas l’avis de
son père et exigea la restitution immédiate du dieu. Ils persistèrent
dans leur refus. Après avoir réitéré sa demande à de nombreuses
reprises, il se leva, en colère et ordonna à ses hommes de le suivre.
Immédiatement, les pirogues furent dépouillées de leurs
étoffes et quelques hommes du roi arrachèrent ’Oro des mains des
Atehuru avant de se sauver par la plage. Tous s’attendaient à ce que
les Atehuru les poursuivent pour reprendre ’Oro, et c’est ainsi
qu’éclata la guerre. On ordonna à la flotte d’approcher du rivage et
les fusils furent chargés.
Cependant les gens d’Atehuru, effrayés, se réfugièrent dans la
vallée. Ordre fut donné de ne pas les poursuivre ; Pomare, Itia20 et les
dignitaires demeurèrent sur la plage et enjoignirent leurs gens à regagner leurs embarcations. Malgré leur demande, plusieurs d’entre eux
les poursuivirent dans l’intérieur des terres et les défièrent au combat ; mais les Atehuru refusèrent. Pomare continua d’envoyer des
messagers pour ordonner à ses hommes de revenir, ce qu’ils acceptèrent finalement de crainte de l’offenser. Il ordonna ensuite aux
pirogues de rejoindre leur base et celles-ci s’exécutèrent. Plusieurs
repartirent par terre et, en chemin, pillèrent les cases qui avaient été
abandonnées. Tous parvinrent au point de rendez-vous en fin de journée. On nous informa que dès que ’Oro eut été dérobé, le roi avait
ordonné un sacrifice humain pour obtenir la clémence du dieu pour
l’avoir malmené de la sorte. De ce fait, un des ses propres serviteurs
fut tué sur la plage après que la flotte eût accosté.
Henry Nott /James Elder
Traduction et notes : J. Teamotuaitau
19
- Bel exemple de diplomatie de la part de Pomare et des divergences d’opinions entre père et fils…
20
- Itia était la femme de Pomare I désigné ici par le nom Pomare.
29
De Hiti iti à Tevaitai
en passant par Taiarapu
Taiarapu vu depuis Faatautia à hitiaa
Photo J. Teamotuaitau
Hiti Iti
Au fil du temps, la presqu’île de Tahiti a pris divers noms
qui lui ont été attribués en fonction d’évènements marquants
de l’histoire locale.
L’Académicienne tahitienne Mai Arii Cadousteau affirme
dans Généalogies commentées des ari’i des Îles de la Société,
que le premier nom de l’île de Tahiti était Hitinui. Tetunae Nui
-surnommé le législateur-, aurait ordonné que l’île ne soit plus
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appelée Hitinui -« grand Hiti1 »- mais Tahiti lorsque l’aîné des
enfants de son fils Aumoana i Farepua, « fut consacré sur le
marae Farepu’a puis porté sur le marae Tahiti ceint du maro
’ura et du maro tea2 et reçut le titre de Terii-nui-o-Tahiti, ce
qui signifie le grand roi de Tahiti. » [Cadousteau 1996 : 23]
Cette explication est reprise également par la Princesse
Ariimanihini Takau Pomare dans un discours prononcé au
Musée Gauguin le 6 novembre 1972 à l’occasion de la publication par la Société des Océanistes des Mémoires de la Reine
Marau Taaroa3. A la suite de cette consécration, la presqu’île
aurait donc été renommée Hiti iti -« petit Hiti ». On utilisait
également le toponyme Hitiitearapiopio que Henry4 traduit par
« bordure du chemin tortueux ». [Henry 1997: 75]
T. Salmon [1910 : 40] rappelle que Hiti était, à l’origine,
le nom de la pierre de fondation du marae Farepua de Vaiari
auquel se rattachent les premiers ari’i de l’île.
“The District of Vaiari, or Papeari, as it is now commonly called,
has the honour of being the “tumu,” or foundation, of Tahiti. There
exists to this day the “foundation stone,” if I may call it so, “Hiti,”
from which the name of Tahiti was taken. Whether it meant “east”
and “ta” “the lesser,” or if we take the whole word “Tahiti,” in its
meaning as “transplanted,” no one can tell now. One thing, however, seems clear. The god creator, Taaroa, decided that Nuutea
Tepurotu, “fairest of the fair,” chiefess of Vaiari, was to be the first
possessor of the first temple.”
1
- « hiti » signifie « bordure, extrémité ». (Davies)
- L’Académie tahitienne donne les définitions suivantes : « Maro tea = Ceinture
ornée de plumes blanches, insigne de la royauté à Porapora ; maro ‘ura = Ceinture ornée de plumes rouges, insigne de la royauté à Tahiti. »
3
- BSEO 179 p.139.
4
- Petite-fille du révérend John Muggridge orsmond, T. henry recueille les textes
collectés par son grand-père pour rédiger l’histoire de Tahiti dans Tahiti aux
Temps Anciens.
2
31
Une autre version affirme que le nom Hiti iti était attribué
à la petite péninsule jusqu’à ce que l’île connue aujourd’hui
sous le nom de Moorea5 prenne celui de Tahiti iti. D’après V.
Bodin6, c’est à la suite de cet évènement que la presqu’île devint Taiarapu. [Bodin 2006 : 121]
Taiarapu et Tevaitai
Selon T. Henry le toponyme Taiarapu renvoie au mythe de
la création de la presqu’île. Cette appellation que l’auteure traduit par « mer dérangée » ferait référence aux remous provoqués par la formation des deux péninsules constituant l’île de
Tahiti, sous les coups de hache du héros Tafai lorsqu’il trancha
« la tête du poisson Te-vā-i-tai7» pour l’immobiliser.
Si l’on reprend la version de cette légende livrée dans Tahiti
aux Temps Anciens, [Henry 1997: 454-460], l’on apprend qu’à
l’origine Tahiti faisait partie de Havaii8 -ancien nom de Raiateaet s’en serait détaché9 sous la forme d’un poisson à la suite de la
transgression d’un tapu10 imposé à Opoa par une jeune femme
nommée Terehe ; cette séparation de l’île originelle lui aurait valu
son nom de « Tahiti » -signifiant « transplanté » ou « retiré de
son lieu d’origine » selon le dictionnaire de Davies. Selon J. M.
Raapoto, Tahiti peut également signifier « transplanté à l’Est »
5
- Cette île est souvent appelée aujourd’hui « l’île sœur » de Tahiti.
- Linguiste tahitienne dont la thèse est publiée sous le titre Tahiti, la langue et
la société, Ura Editions 2006.
7
- Dans son livre, p. 460, l’auteure orthographie « Te-vā-i-tai (plaine de l’autre
côté) » contrairement aux autres auteurs qui notent « Teva-i-tai »
8
- Selon le mythe, le chenal séparant havaii/Raiatea et Uporu/Tahaa n’existait
alors pas, les deux îles ne formant qu’une entité.
9
- Selon Léonard Pia, notre informateur pour ce qui concerne la commune de
Toahotu en particulier, et dont la famille est originaire des Îles Cook, la tradition
populaire de ces îles fait également de Raiatea/Tahaa l’origine des Îles Cook.
Raiatea et Tahaa formaient alors une seule île dont un morceau se serait détaché et aurait dérivé jusqu’au Sud ; telle serait l’origine des Îles Rarotonga.
10
- tapu : un interdit, ou une restriction.
6
32
N°328- Janvier / Avril 2013
ou « transplanté sur le bord » [Raapoto JM 2004 :30]. L’immense anguille avala Terehe et fut possédée par l’esprit de la
jeune femme. Elle se fraya ensuite un chemin dans les profondeurs de la terre et fut guidée vers l’Est par Turahunui -prêtre
de Taaroa, dieu de la Création- qui le chevauchait, dressé sur
sa tête. Une fois arrivé sur le lieu de l’actuelle Tahiti, il était
nécessaire, selon cette légende, que les tendons du poisson
soient sectionnés afin que celui-ci soit totalement stabilisé. Tahiti Nui et Tahiti Iti ne faisaient alors qu’un.
Pour accomplir la cérémonie de sectionnement des tendons, le dieu de la mer, appelé Tinorua, consacra la hache nommée Tepahurunuimatevaitau. Le poisson était immobile mais
le sectionnement des tendons n’étant pas complet, le valeureux
Tafai se saisit de la hache divine et entreprit de sectionner les
tendons du poisson, après que d’autres s’y soient essayés en
vain ; il sépara ainsi les terres de la grande et de la petite péninsule formant l’île de Tahiti, ne laissant entre elles qu’un
isthme du nom de Taravao. Les terres dorénavant séparées à
l’Ouest par la mer de la baie Teauaa11, reçurent alors les noms
de Tevaiuta au Nord -regroupant Vaiari, Vaiuriuri, Atimaono
et Papara- et Tevaitai au Sud.
L’acte héroïque de Tafai ayant provoqué des soubresauts importants de la part du poisson, la mer s’en vit troublée, d’où le
nom de Taiarapu. Il est à noter que Tafai, fils de Hinatahutahu elle-même fille de Nona la célèbre mangeuse de chair humaine
du district de Haapape- et de Hema, était, selon la légende, un
géant très velu, aux cheveux clairs. En raison de ses caractéristiques physiques et de ses exploits, il reçut les noms de Tafaiiriura
–signifiant Tafai à la peau cuivrée12-, Vaitafai -« fixé par Tafai »
ou « rivière de l’infraction » [Raapoto JM 2004 : 33], allusion à
11
12
- ou Teaua.
- Notre traduction.
33
son rôle dans la stabilisation du poisson, et Tafaiuriitetuaihavaii
-référence à son exploit-, que l’on pourrait traduire par « Tafai,
tel le poisson-pilote de Havaii.»
D’après Cadousteau, l’origine du toponyme Taiarapu pour
désigner la presqu’île serait autre. Il s’agirait, à la base, du nom
d’un descendant de Teva, personnage important de l’histoire
tahitienne. Selon l’auteure, Tevaitai -« ou Teva de l’extérieur »par opposition à Te-vā-i-tai -« plaine de l’autre côté » de Henry,
est un nom qui apparaît après l’alliance dite Te Api Nui o Teva
conclue à Papara par les différents « princes régnants » issus
de l’ancêtre Teva13, fils de Hotutu14 et de Varimataauhoe15.
Pour plus de clarté, il nous faut rappeler l’histoire de Teva,
ce personnage illustre qui aurait donné son nom à la péninsule,
dont la généalogie nous est livrée par Cadousteau16, et dont la
légende nous est contée par Ariitaimai dans ses Mémoires.
Selon Cadousteau, le premier ancêtre consacré et dont le
souvenir est encore vivace dans les traditions orales est « Teraiho’aho’a-ia-Tane descendant de Taaroa-Tahi-Tumu. Il ceignit le maro ’ura et le maro tea à Opoa sur le premier marae
royal connu, le marae Vaearai. » Son fils ainé, Teriimarotea,
épousa «Tetuanuireia-na-ahu-e-rua o Vaiotaha, descendante de
Ofaihonu. » Leur union est à la base de la dynastie dite des ari’i
maro tea de Vavau.
De l’union de Teriimarotea et de Tetuanuireianaahuerua naquit Firimata o Hiti. Ce fils de Vavau quitta son île natale et se
rendit à Hitinui -appelée plus tard Tahiti-. Toujours d’après
l’Académicienne, à cette époque reculée, l’île de Hitinui était
13
- Adams henry and Marau Taaroa, Tahiti by Marau Taaroa and Henry Adams,
Memoirs of Arii Taimai e Marama of Eimeo, Teriirere of Tooarai, Teriinui of Tahiti,
Tauraatua I Amo, Paris, 1901, chapter II.
14
- Parfois orthographié « hototu » ; c’est le cas dans les Mémoires d’Arii Taimai.
15
- Dans les Mémoires, son nom est Varimatauhoe.
16
- Dans le BSEO n°212 page 727 et suivantes ; son article s’intitule « Les Teva,
ancienne dynastie tahitienne » par g. Cadousteau.
34
N°328- Janvier / Avril 2013
habitée par les manahune17, peuple polynésien de basse extraction. Établi sur l’île de Hitinui, Firimataohiti épousa Tetuanui i
Vaiari, fille d’un chef manahune puissant. De leur union naquit
Tetoaotemoana aussi appelé Teriitemoanarau. Ce fils prit pour
épouse Hiti de Punaauia ; ils eurent à leur tour un fils, du nom
de Tetunae Nui18, que l’on surnomme encore aujourd’hui le Législateur19. Cadousteau considère Tetunae Nui comme le père
de la dynastie des Teva20.
Généalogie de Tetunae Nui
D’après Mai Arii Cadousteau
Taaroa-Tahi-Tumu
Teraiho’aho’a-ia-Tane
Teriimarotea
Tetuanuireia-na-ahu-e-rua o Vaiataha
Firimata o hiti
Tetuanui i Vaiari
Tetoaotemoana/Teriitemoanarau
hiti
Tetunae Nui
17
- La tradition orale les décrit comme des hommes de petite taille, vivant dans
les vallées, et habiles dans les arts de la construction.
18
- ou Tetunae le grand.
19
- Ses « lois », préceptes de vie, ont été rapportées par la Princesse Marau, dans
ses Mémoires. Elles ont été en partie reproduites par Cadousteau dans Généalogies commentées des ari’i des îles de la Société, pages 20 et suivantes.
20
- Nous fournissons un arbre généalogique de cette dynastie dans les pages suivantes.
35
De l’union de Tetunae Nui avec Heumaiterai i Vaiotaha
fille ainée de Teriimarotea, naquit « Aumoana –Terii-te-moanarau i Farepua», lequel prit pour épouse « Teura-i-te-ra’i i maraetefanao e i Nuuroa », fille du chef Teriimarama de Eimeo.
[Cadousteau 1996 : 23]
Aumoanateriitemoanarau et Teuraiterai eurent cinq enfants :
- Tetunae,
- Teriievaoiterainuiatea o Taaroa, qui régna sur Eimeo,
- Tetuanuiiterai o Taaroa, qui épousa Tuiterai i Taputuarai,
- Tetuanuiaveroa o Taaroa, qui prit pour époux Teriivaetua
i Ahurai,
- et enfin, Hituterai o Taaroa.
En l’honneur de l’aîné des enfants prénommé Tetunae, le
marae Tahiti fut édifié à Vaiari -ancien nom de Papeari, chefferie importante dans le Tahiti ancien. A partir de ce moment,
comme nous l’avons énoncé plus tôt, le nom de l’île, Hitinui,
fut remplacé par Tahiti. Tetunae prend alors le nom de Teriinui
o Tahiti.
Tetunae prit pour épouse Hinaraiteupootinitini o Taaroa i
Vaiotaha. Ils eurent quatre enfants :
-Tetuanuiiteraiatea o Taaroa, aussi appelée Nuutea,
-Teriimarotea i Vaiotaha,
-Teriimaroura i Farepua,
- et Hotutu
D’après la légende, Hotutu, cette dernière enfant de Tetunae/Teriinui o Tahiti, devint cheffesse de Vaiari. Elle avait pour
époux Temanutunuu dont elle eut un fils nommé Teriitemoanarau. Afin que ce premier fils puisse être consacré dans les règles sur le marae21 familial, c’est-à-dire qu’il puisse ceindre la
21
- Lieu sacré dans la société tahitienne pré européenne. Les généalogies se
rattachaient à ces lieux.
36
N°328- Janvier / Avril 2013
ceinture de plumes rouges, insigne des plus grands, son père
partit pour les îles paumotu22 dans le but d’en rapporter les précieuses plumes.
Durant sa longue absence, son épouse Hotutu reçut la visite
d’un demi-dieu, un « homme-requin », du marae royal de Vaearai de Havaii ; il s’appelait Varimataauhoe. De leur union naquit
un garçon du nom de Teva. Le marae Mataoa fut élevé pour lui
à Papara, et il y ceignit la ceinture de plumes jaunes ou maro
tea23.
Teva eut deux épouses. De son union avec Huitoa i Iriti,
du marae Hitiaa, il eut cinq enfants :
- Aumoana i Mataoa,
- Afaahiti -appelé aussi Rapae ou Vaiovau-,
- Vairao -ou Fareaito-,
- Feu -également connu sous le nom de Vaiari iti-,
- et Mataiea.
D’une deuxième union, avec Huitoerau, cinq autres enfants
naquirent : il s’agit de
- Hui,
- Taiarapu,
- Tauira,
- Hae uta,
- et Hae tai.
L’on peut penser que la fille de Teva nommée Taiarapu, a
hérité de ce nom en référence à l’exploit accompli par le ’aito24
Tafai.
22
- Adjectif désignant les îles et les habitants de l’archipel des Tuamotu.
- Cette légende illustre les liens historiques établis entre havaii/Raiatea et les
Teva.
24
- Ce terme désigne un guerrier, un héros, un conquérant, ou un homme dont
la force physique est reconnue.
23
37
Grâce à l’influence de sa mère Hotutu, Teva put donner le
pouvoir à ses enfants sur différentes divisions territoriales correspondant plus ou moins aux communes actuelles de Tevaiuta
et Taiarapu25. Ces territoires devinrent par la suite des chefferies
constituant ce que l’on appelle encore Na Teva e vau -« les huit
Teva »-, union des Tevaiuta -« les Teva de l’intérieur »- et des
Tevaitai -« les Teva de l’extérieur ».
La fédération des Tevaitai basée à la presqu’île, fut ainsi
sous le contrôle de quatre enfants de l’ancêtre Teva : Afaahiti,
Vairao, Hui et Taiarapu exercèrent alors le pouvoir sur des divisions territoriales qui portèrent leur nom. Taiarapu et Hui
exerçaient le pouvoir sur une zone correspondant aux communes actuelles de Teahupoo et Tautira, tandis que Afaahiti connu aussi sous les noms de Rapae ou Vaiovau- était le ari’i
de Faahitirai -ou Afaahiti actuel-, et Vairao -aussi appelé Fareaito- celui de Vaiuru. [Cadousteau 1996: 31]. Nous proposons
à présent un tableau de la généalogie des Teva d’après les informations données par Cadousteau [1996 : 29-36].
25
- Ce que nous rappelons ici est une légende, aussi ne faut-il pas forcément la
prendre au premier degré, mais y voir une métaphore de l’histoire de la
construction de ces mata’eina’a regroupés sous le nom de Teva.
38
N°328- Janvier / Avril 2013
Généalogie des Teva
D’après M. Cadousteau
Tetuna’e nui
+
Heumaitera’i i Vaiotaha
Aumoana-Terii-te-moana-rau i Farepua + Teura-i-te-ra’i i Maraetefano e i Nuuroa
Tetuna’e, Terii-nui-o-Tahiti + Hinara’i-i-te-upoo-tinitini-o-Taaroa-i-Vaiotaha
Hotutu
+
Varimataauho’e i Vaeara’i (Havai’i)
Teva
+
Huitoa i Iriti du marae Hitiaa
1) Aumoana i Matao’a (qui succéda à son père à Papara)
2) Afaahiti dit Rapae ou Vaiovau
3) Vaira’o ou Fareaito
4) Feu ou Vaiari iti
5) Mataiea
Teva
+
Huito’erau
6) Hui
7) Taiarapu v.
8) Tauira
9 et 10) les jumeaux Hae-uta et Hae-tai
39
Cette légende relative à la naissance de Teva est si importante pour le clan que Marau Taaroa la rappellera lorsque l’ouvrage de P. Smith26 sur l’origine des Polynésiens sera publié.
G. Biddle raconte qu’elle se serait exclamée :
« He is quite mistaken, » said Marau. « The Tahitians are indigenous to the island. We were all descended from a shark. » [1968 :
178]
Taiarapu, nom de personne, est ainsi devenu celui d’un
mata’eina’a installé à la presqu’île27, avant de s’appliquer à
l’ensemble de la péninsule. Selon B. Saura, spécialiste en civilisation polynésienne, les mata’eina’a « sont une organisation
politique qui s’est constituée sur la base des groupes familiaux
‘āti », identifiés par les anthropologues28 comme un lignage ou
un ramage 29[2005: 76]. Même si la notion de clan ou de lignage
héritée de la culture européenne ne saurait englober totalement
la réalité océanienne de mata’eina’a , nous ne disposons pas de
notion plus proche pour définir cette dernière [Guiart 2009 : 16].
26
- Hawaiki: the original home of the Maori; with a sketch of Polynesian history
(1904). by Smith, S. Percy.
27
- Pour l’interprète Máximo Rodriguez qui séjourne à la presqu’île de novembre
1774 à novembre 1775, Taiarapu renvoie seulement à la partie Est de la péninsule.
28
- on doit à W. h. goodenough l’étude fondatrice sur l’organisation sociale des
sociétés insulaires. (1961 : Review of Social Structure of Southeast Asia by
george P. Murdock (ed.). American Anthropologist, 63:1341-7.) . Irving goldman
analyse quant à lui, les différences entre les diverses sociétés insulaires dans
« Variations in Polynesian social organization », JPS Volume 66 1957 No. 4 p
374-390. L’étude de goodenough est reprise par Judith W. huntsman dans
“Concepts of kinship and categories of kinsmen in the Tokelau Islands”, JPS,
Volume 80 1971 No. 3 , p 317 – 354.
29
- L’auteur rappelle la définition de ces termes tirée de l’ouvrage collectif « glossaire de la parenté » [2000 : 727- 730] à savoir « qu’un ramage est un groupe
dont les membres sont apparentés par les hommes (pères) et par les femmes
(mères) et qu’un lignage est un groupe de filiation moins étendu que le clan
et souvent nommé dont les membres se considèrent comme descendants
d’un ancêtre commun et sont effectivement à même de retracer généalogiquement ces relations (contrairement aux membres d’un clan). »
40
N°328- Janvier / Avril 2013
Saura précise également que «’āti et mata’eina’a sont des
groupes sociaux de nature proche » et que les «’āti […] se sont
progressivement transformés en ces entités plus complexes que
sont les mata’eina’a , ou chefferies - dès le XVIIIè siècle ».
[2005: 74]
Par ailleurs, si en général, « les mata’eina’a (tout comme
les ’āti qui les ont précédés) s’identifient […] à un territoire sur
lequel se trouve leur ou leurs marae […] [c]ette coïncidence
n’est pas absolue » [Ibid: 80]. Cette précision nous permet de
comprendre pourquoi il est si difficile de délimiter de manière
précise le territoire sous le contrôle de tel ou tel ari’i.
Notons qu’au XIXème siècle, Taiarapu et Hui désignaient
des mata’eina’a sis à la fois à Teahupoo et à Tautira, car les limites suivaient un axe Nord-Sud et non Ouest-Est comme dans
le découpage administratif actuel. D’ailleurs, un même ari’i,
Teariinavahoroa, régnait sur ces districts de Pueu, Tautira (sur
la côte Est) et Teahupoo (sur la côte Ouest). Pour Marau Taaroa, Hui et Taiarapu étaient des subdivisions du district de Teahupoo30. Le mata’eina’a de Taiarapu commençait à Pihaa
-Tautira actuel- et allait jusqu’à Taiariari- Teahupoo actuel.
L’administration française, dans son Bulletin Officiel de
184831, considère cependant que Hui et Taiarapu ne sont que
les noms « indigènes » correspondant aux noms « vulgaires »
de Tautira et Teahupoo.
D’après le Dictionnaire Larousse, « vulgaire » désigne « ce
qui appartient à la langue courante, non scientifique », et « se
dit de la forme d’une langue qui est employée par l’ensemble
de la population ». Pour « indigène », ce dictionnaire donne
30
31
- P.168 de ses Mémoires.
- Ces noms apparaissent précisément dans Tableau du recensement des Îles Taiti
et Moorea, fait le 1er février 1848, et des noms des chefs et délégués qui ont assisté
à l’Assemblée Législatives le 1er mars 1848, qui se trouve aux pages 28 et 29 du
Bulletin officiel de 1848, consultable au Service des Archives Territoriales de
Tahiti.
41
plusieurs définitions dont nous retiendrons les suivantes : « qui
était implanté dans un pays avant la colonisation » et « qui
appartient aux indigènes ». En vertu de ces définitions, l’on
peut donc déduire que Hui et Taiarapu correspondent aux noms
traditionnels, historiques, utilisés avant la colonisation, tandis
que Tautira et Teahupoo sont les noms usuels, utilisés communément par l’ensemble de la population au moment de la publication du Bulletin Officiel, en 1848.
Si Taiarapu est un nom encore employé aujourd’hui -et c’est
celui que nous utiliserons pour désigner notre objet d’étude-,
celui de Tevaitai, n’apparaît plus guère que pour désigner parfois
la population lors de manifestations culturelles en particulier32.
Ce toponyme apparaît dorénavant rarement pour référer au territoire, alors que Teva-i-uta est encore en usage aujourd’hui pour
désigner l’ensemble des terres composant cette commune. En
effet, dans le Décret n°72-407 du 17 mai 1972 portant création
des communes dans le territoire de la Polynésie française, Teva
i Uta figure comme l’une des neuf communes de Tahiti alors
que Teva i Tai n’y figure pas ; apparaissent par contre les communes de Taiarapu Est et Taiarapu Ouest.
En conclusion, Hiti iti, Tevaitai, et Taiarapu sont les appellations les plus connues pour désigner la presqu’île ; néanmoins, d’autres toponymes ont été attribués à la péninsule en
souvenir d’évènements marquants de son histoire ou pour rendre hommage à des guerriers valeureux. Nous nous sommes
demandée quels étaient ces héros, à quel évènement ces toponymes faisaient référence exactement et ce qu’ils désignaient
précisément.
32
- Un groupe de danse représentant la presqu’île aux festivités culturelles du
heiva à partir des années 1990, a pour nom Tevaitai et son cri est ‘Tevaitai e !
Ieieie !’ Ce cri peut se traduire par « gens de Tevaitai ! Ieieie ! » Peut-être en référence au ‘aito Teieie, à la plante du même nom (Freycinetia arborea), ou pour
rappeler la beauté des danseurs (ieie signifie aussi « beau »).
42
N°328- Janvier / Avril 2013
Upooeha, Manuatere et Teihipa
Upooeha
Upooeha est l’un de ces toponymes désignant Taiarapu
selon Ariitaimai. Il nous faut tout d’abord rappeler que Ariitaimai, de son nom complet « Ari’i’-o’e-hau Ta’aroa-ari’i Ari’i’ta’i-mai33 », est née en 1821 et était la sœur adoptive de la reine
Pomare IV. Elle succède comme cheffesse de Papara à son
grand père Tati après sa mort [Henry 1997 : 278] et épouse
Alexander Salmon, un négociant juif anglais, en 1842. Elle est
considérée comme une référence dans la connaissance de l’histoire de sa famille, celle des Teva. L’historien américain Henry
Adams qui la rencontre lors de son séjour à Tahiti en 1891
[O’Reilly 1975 : 18, 505] offre sa contribution à la rédaction
des mémoires de « la vieille cheffesse », mémoires qui sont publiées en anglais en 190134 et en français en 196435.
D’après Ariitaimai, le nom Upooeha36 aurait été donné à
tout Taiarapu en l’honneur de deux valeureux guerriers de la
presqu’île, nommés Teieie et Tetumanua, aussi connus sous le
nom de Ohiteitei37. Elle traduit Ohiteitei par « les deux serpents » [1964: 52]. Cette traduction ne nous satisfait pas du tout ;
elle est anachronique et renvoie à la Bible ; elle n’a donc n’a
pas de sens dans notre contexte. En effet, les serpents étaient
très certainement inconnus sur l’île de Tahiti avant l’arrivée des
33
- Telle est la transcription donnée par T. henry qui commet, à notre avis, une
erreur lorsqu’elle écrit Ari’i’-ta’i-mai. Ta’i signifie pleurer et tai signifie la mer.
Le nom donné à Ari’i-o’e-hau à son mariage avec Alexander Salmon, signifiait
« Prince venu de la mer », en référence à son époux venu d’ailleurs.
34
- Adams henry and Marau Taaroa, Tahiti by Marau Taaroa and Henry Adams,
Memoirs of Arii Taimai e Marama of Eimeo, Teriirere of Tooarai, Teriinui of Tahiti,
Tauraatua I Amo, Paris, 1901.
35
- Publication n°12 de la Société des océanistes.
36
- Dans les Mémoires d’Arii Taimai, le nom upoeeha apparaît, ce qui est vraisemblablement une erreur de frappe. Nous gardons l’orthographe qui fait sens.
37
- Notons que l’école primaire de Afaahiti/Taravao porte toujours ce nom en 2012.
43
Européens puisque nous n’avons pas trouvé de terme vernaculaire pour les désigner38. Il fallut attendre l’arrivée de la Bible
pour découvrir le serpent de la Genèse et que le terme ‘ōfī, tahitianisation du mot grec ophis, soit employé39. La traduction
de ce surnom proposée par l’auteure ne saurait donc convenir.
Nous serions d’avis de traduire Ohiteitei par « les grandes
pousses », traduction qui met l’accent à la fois sur la jeunesse,
la vigueur -ohi- et la grandeur -teitei- des personnages.
Marau Taaroa, fille de Ariitaimai et épouse de Pomare V,
explique dans ses Mémoires, que Teieie était le fils du ari’i de
Tautira, Tetuanuihaamarurai, et que son vrai nom était Teriinavahoroaitetautuaoterai i Matahihae. Il se serait fait une lance
spéciale avec du bois de ’ie’ie40. A partir de ce moment-là, il
aurait été connu sous le nom de Teieie te ohiteitei o na upoo
eha, nom qui serait devenu, d’après l’auteure, le titre officiel
des chefs de Tautira. Marau Taaroa traduit ainsi le nom du guerrier : « l’anguille qui se lance à la tête des deux Ha, Hui et Taiarapu » [1971: 183].
Nous proposons une autre interprétation de Teieie te ohiteitei o na upoo eha. Les Ohiteitei Teieie et Tetumanua étaient
connus pour leurs faits de guerre ; ils avaient, entre autres,
vaincu Teriirere, le ari’i de Papara [Marau Taaroa 1971 : 207209]. Teieie, quant à lui, avait joué un rôle déterminant dans la
bataille connue sous le nom de Vaitomoana. Tavi, ari‘i de Tautira, avait imposé un rahui41 pour la naissance de son fils. Ce
rahui fut brisé par la fille de Vehiatua/Teariinavahoroa [Bodin
38
- Nous avons cherché principalement dans le dictionnaire de Davies.
- Le Dictionnaire de l’Académie Tahitienne donne pour ce terme : ‘ŌFĪ :
n.c. (grec : oPhIS) Serpent. E pā’ari rahi tō te ‘ōphī i tō te mau manu ‘āvae maha
ato’a o te fenua = Le serpent était plus rusé que tous les quadrupèdes de la
terre (gen. 3/1).
40
- (Freycinetia impavida).
41
- Restriction, prohibition imposée sur des terres, des animaux, des produits de
la terre.
39
44
N°328- Janvier / Avril 2013
2006 : 364]. En conséquence, une bataille opposa Tavi et Teariinavahoroa. Teieie, cousin de Teariinavahoroa, prit fait et
cause pour lui, et défit Tavi. Mais quand il apprit les raisons de
la guerre, il considéra que son cousin était en faute et il décida
de prendre le pouvoir à la place de Vehiatua/Teariinavahoroa,
sur les terres conquises.
Pour ces raisons, Teieie a acquis une réputation de guerrier
à l’honnêté et au sens de la justice indiscutables. Nous pourrions de ce fait proposer l’équivalent suivant : « Teieie, le ohiteitei au service des quatre chefferies ». Les traditions orales
foisonnent d’histoires de ‘aito, sorte de champions, défenseurs
d’un mata’eina’a ou d’un ai’a42. Cette traduction nous semble
donc faire sens.
Par ailleurs, la signification de Upooeha -que l’on peut traduire par « les quatre têtes/chefs »- ne peut manquer d’évoquer
les quatre enfants de Teva, devenus ari’i de la presqu’île, dont
il a été question plus haut. Cette appellation pourrait donc bien
s’être appliquée à l’ensemble des mata’eina’a relevant des
Tevaitai.
Marau Taaroa écrit également que e Hā te Teva i tai et e
Hā te Teva i Uta composaient le clan des Teva et dans ses Mémoires, elle ajoute un autre nom, Haena, qui désignerait Taiarapu, ou les Teva i tai. En langue vernaculaire, hā, fā et maha
signifient quatre. Il nous semble tout à fait cohérent d’affirmer
que e Hā te Teva i tai désigne les Tevaitai -au nombre de quatre- et que e Hā te Teva i Uta renvoie aux quatre chefferies des
Tevaiuta. Il nous semble cependant plus délicat d’accepter que
Haena ait désigné Taiarapu. Un district de la côte Est de Tahiti
porte le nom de Mahaena, ce qui correspond, en ancien tahitien,
à Haena43. Nous pouvons dès lors supposer que Haena dont
42
43
- Pays natal.
- Máximo Rodriguez utilise ce nom pour désigner ce distict compris dans la
confédération de Teaharoa sur la côte Est de l’île de Tahiti.
45
Marau Taaroa fait état est Mahaena, ce qui pourrait signifier
que le pouvoir du clan des Teva s’étendait jusqu’à ce district à
une certaine époque.
Il est néanmoins légitime de penser qu’une erreur s’est
glissée dans ses Mémoires, dont on sait qu’elles ont été écrites
par Henry Adams sur la base des informations livrées par Arii
Taimai dont le but était, non seulement de laisser des témoignages de l’histoire de l’île de Tahiti mais aussi de rendre hommage à sa famille. Pierre Lagayette44 met d’ailleurs le lecteur
en garde :
« Il n’est pas injustifié de remettre en questions les thèses défendues
par Arii Taimai car […] elles exprimaient des préventions familiales
et pouvaient entraver la recherche d’une vérité objective. »
Manuatere
Dans « The History of the Island of Bora Bora and Genealogy of our Family from Marae Vaiotaha» , Tati Salmon, fils
de Ariitaimai Salmon, à qui il succéda à la tête de la chefferie
de Papara en 1890, raconte la légende selon laquelle lorsque
Taaroanui Maiturai -le célèbre guerrier et navigateur de l’île de
Vavau- vint à la rencontre de la belle Taurua de Papeari et dérober l’isthme de Taiarapu, il se fit surprendre par le Soleil, ce
qui l’empêcha de mettre son plan à exécution. Il donna le nom
de Manuatere à ce qui serait connu jusqu’à aujourd’hui sous le
nom de Taiarapu. Voici un extrait de cette légende racontée par
Tati en 1904.
“Vavau as he grows up becomes a warrior and navigator; his small
island does not furnish him room enough; he casts his eye to the
next island Havai (Raiatea), and marries Tetuamatatini. They have
a son Teohu Matatua i Havai. This son is, or becomes, chief of nine
districts, which the island was divided into, and governs them.
Vavau marries Toamu (Rarotonga); a boy is born, Mannatere ite
44
- BSEO vol. 16 n°200, 1977, « L’agression Pomare et l’usurpation du pouvoir »
par Pierre Lagayette, page 7.
46
N°328- Janvier / Avril 2013
po, but he does not stop there, but becomes a navigator, and is lost
sight of. But some time afterward, the name appears as the canoe
of Taaroa niu Maiturai, when he came to make love to Taurua of
Papeari, and to steal away the isthmus, but he was overtaken by
daylight, and was obliged to drop it, but gave the name Mannatere
– it is now known as Taiarapu.”
Précisons que nous avons retranscrit cet extrait tel qu’il apparaît dans le tapuscrit dont nous avons une copie, avec ce qui
est de toute évidence une erreur -Mannatere- de la part de la
personne qui a transcrit le texte, confondant le « u » manuscrit
original avec la lettre « n ». Dans la traduction française de ce
texte qui a été publiée dans le BSEO [97 : 315-330], nous avons
remarqué que le traducteur, qui savait de toute évidence que la
double consonne n’existait pas en langue tahitienne, a choisi
d’écrire « Manatere », ce qui a du sens. Néanmoins, après avoir
recoupé nos informations, il nous semble qu’il s’agit réellement
de Manuatere, et qu’il y a eu méprise sur l’orthographe lors de
la transcription du manuscrit de Tati Salmon.
Il est également possible que ce toponyme soit resté à Taiarapu en souvenir non plus de l’homme mais de la pirogue du
même nom, propriété de Taaroanui Maiturai -Taaroa niu Maiturai dans la première version de Tati-, venu à Vaiari pour courtiser Tetuanui -sûrement celle nommée Taurua dans le texte
précédent- ; il la lui aurait laissé en cadeau de mariage [Salmon
1910 : 45]. Cette pirogue était célèbre pour avoir transporté le
grand prêtre célèbre Teao jusqu’à Tubuai dans les îles Australes,
afin d’apporter la réponse à une devinette posée par le chef Raanui de Tubuai dans le but d’éprouver les connaissances du prêtre de Tahiti.
Ces précisions apportées, notons que cette légende -donnée
ici dans deux versions proches- nous rappelle la généalogie de
l’ancêtre fondateur de la dynastie des Teva que nous avons rappelée dans la partie précédente. Le héros de Vavau dont nous
parle Tati Salmon, serait-il l’ancêtre de Vavau aussi appelé
47
Teriimarotea ? Dans son ouvrage, Cadousteau rappelle, en effet,
que « des chefs guerriers de Havaiiki45 avaient effectué la
conquête de Hitinui ». Nous pouvons imaginer que le nom de
Vavau de la légende est une allégorie désignant ces guerriers
venus de l’île du même nom et mentionnés dans la généalogie.
Il est également possible que Vavau désigne ici la flotte de Firimata o Hiti, fils de Teriimarotea, dont il est dit :
« Firimata o Hiti, ce fils de Vavau quitta son île natale et se rendit
à Hitinui. » [BSEO 212 : 728]
Ce héros était, en effet, connu pour ses exploits maritimes
et son alliance avec Raiatea, Rarotonga, Teaotearoa/ZouvelleZélande et Tonga46. Tati indique bien un déplacement vers Tahiti de cet ancêtre :
“From Vavau’s first mate a second son was born, Firiamata o Hiti,
who came to Tahiti, bringing with him the stone Hiti, still seen at
Papeari.”
Ainsi, il se pourrait que la tradition orale ait fixé dans cette
légende un fait historique précis, à savoir l’arrivée dans l’île de
Hitinui/Tahiti du peuple de Vavau/Borabora. Il faut retenir, en
effet, que Vavau est avant tout le nom d’une île, et que la tradition orale semble avoir assimilé l’île et l’homme. Cette
conquête est avérée par l’existence à Tautira du marae Vaiotaha47 devenu ensuite Taputapuatea48, marae encore visible à
l’arrivée des Européens49. Ce passage d’un nom à l’autre s’expliquerait par le changement du statut même du marae ; de
45
- Raiatea.
- Page 10 de « Bora Bora », José garanger et Claude Robineau, Nouvelles Editions Latines, Dossier 21, Paris.
47
- Marae issu du marae Vaiotaha de Vavau/Bora Bora.
48
- Marae issu du marae Taputapuatea de havaiki/Raiatea.
49
- Claude Robineau explique l’organisation des réseaux de marae, dans son article intitulé « Marae, population et territoire aux îles de la Société. Le réseau
mā’ohi.» JSO N°128.
46
48
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marae familial à marae « tribal » ou « super tribal » [Oliver 1974: 664].
Au sujet de Tautira, T. Henry nous informe que
« Le marae était Pure-ora […] placé sous la protection de Taaroa
et Taputapuatea[…] après l’arrivée d’Oro à Tahiti. » [1997: 94]
Notons que pour l’auteure, le changement de nom s’est fait
à l’inverse de ce que nous venons d’énoncer,
« le grand marae international appelé Taputapu-atea à Opoa est le
plus ancien de tous les marae royaux dans l’Archipel de la Société.[…] Quand Oro, Dieu de la guerre, naquit, […] son père lui
donna pour demeure Opoa avec le marae Feoro. […] Le nom de
Feoro fut changé en Vai-’otaha […] qui devint le nom religieux de
tous les marae dédiés à Oro[…] » [Ibid: 126-128]
Aurora Natua50, cite également le toponyme Manuatere
mais, d’après elle, il désignerait Teahupoo. Dans « Te marae
rahi i Atahuru », elle affirme
”O Manuatere te ioa tahito o Teahuupoo ”,
ce qui signifie
« Manuatere est l’ancien nom de Teahuupoo ».
Ceci va dans le sens des informations que nous avons trouvées dans l’ouvrage de Teissier sur les généalogies des notables
de l’île de Tahiti. L’auteur utilise ce nom dans la généalogie des
Pomare. L’ancêtre Taaroamanahune épouse « Tetuaehuri de
50
- Anne Lavondes, directrice du Musée de Tahiti et des lles dit d’elle « Mais c’est
surtout la présence continuelle ,de Melle Aurora Natua, qui a passé des années
à s’occuper de l’ancien Musée, ses soins attentifs et sa vigilance constante qui
ont pu préserver si longtemps les objets et les livres de la malfaisance du climat et des insectes, et aussi parfois, malheureusement, il faut bien le mentionner, de celle des humains. Je ne saurai jamais trop dire tout ce que le nouveau
Musée de Tahiti et des Îles doit à la personnalité de Melle Aurora Natua et à
ses connaissances, tout ce qu’elle m’a enseigné sur l’origine des objets, leur
histoire, leur nom vernaculaire, leur fonction, leur place dans la littérature ethnographique ou de voyages. Ces objets, à vrai dire, elle seule les connaît parfaitement. »BSEO N°8 de juin 1979.
49
Manuatere, marae Matahihae, fille de Vehiatua i te matai, grand
chef de Taiarapu. » [1996 : 46]. D’après cette présentation généalogique, Manuatere semble renvoyer au territoire de Taiarapu originel, où se situait les marae Matahihae, puisque
Vehiatua i te matai tenait son titre de ce marae dont on sait qu’il
en existait au moins trois : à Mataoae, à Teahupoo, et à Tautira51. Manuatere pouvait ainsi désigner un mata’eina’a qui ne
s’étendait pas à l’ensemble de la petite péninsule, mais à l’Est
d’un axe Nord-Sud reliant Tautira et Mataoae.
Teihipa
On trouve un autre toponyme, Teihipa, dans un paripari
fenua donné par Madame Drollet à l’écrivain George Calderon
en 1906 et reproduit par lui dans son ouvrage intitulé Tahiti et
publié en 192252. D’après l’auteur, ce chant daterait de 1768 et
ferait référence à une bataille livrée par Vehiatua contre le
« roi » de la grande île. En note de bas de page, l’auteur ajoute
simplement : « Teihipa and Teahupoo, ancient name for Taiarapu », note qui, bien qu’approximative, signifie que Teihipa
et Teahupoo sont deux noms pour désigner un même
mata’eina’a, Taiarapu.
A notre avis, ce nom pourrait donc également désigner le
mata’eina’a originel de Taiarapu -recouvrant approximativement les districts actuels de Tautira et Teahupoo- mais pas la
presqu’île dans son entier. Il se pourrait aussi que l’écrivain ou
son informatrice aient commis une erreur, ou se soient mal
compris car Teihipa désigne par ailleurs la limite entre les districts actuels de Taravao et Toahotu. Nous n’avons pas trouvé
d’autres occurrences de ce toponyme, donc ne pouvons, hélas,
pas développer davantage sur l’usage éventuel de ce nom.
51
52
- Il semble que Teahupoo ait eu deux marae Matahihae. [Bodin 1996 : 360]
- Ce chant se trouve dans nos annexes, avec la traduction en anglais livrée par
Calderon.
50
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Pour conclure, nous pouvons dire que de la même façon
que, traditionnellement, l’insulaire portait divers noms au cours
de sa vie, noms qui rappelaient sa généalogie, les caractéristiques notoires de sa personnalité ou les évènements marquants
de son existence, la presqu’île s’est également vu attribuer divers noms, toponymes qui permettent de retracer son histoire.
Au vu de ces divers éléments, il est légitime de se demander
quel toponyme pourrait désigner le plus précisément la
presqu’île d’aujourd’hui ; à notre avis, Taiarapu serait ce terme ;
mais Taiarapu Nui53 -ou grand Taiarapu- serait le plus approprié
d’un point de vue administratif car il permettrait d’englober les
territoires autres que ceux de la petite péninsule, à savoir
Faaone et Mehetia, qui y sont rattachés administrativement.
Tahiti Nui vue de Pueu
Photo J. Teamotuaitau
53
- L’unique lycée public de la presqu’île en 2012, que l’on a tendance à désigner
improprement par ‘LEP de Taravao’, s’appelle en réalité Lycée Polyvalent de
Taiarapu Nui.
51
Epiphanie au Paradis
Lorsque Stevenson séjourne à Tautira, il ne livre guère de
détails sur les femmes de Taiarapu dans sa correspondance. Seule
une femme retient néanmoins son attention et mérite un poème ;
il s’agit de la princesse Moe à qui il doit de se rétablir de ses soucis de santé, grâce à ses repas de poisson cru et à ses massages.
Il lui dédie To an Island Princess, le 5 novembre 1888.
Moeterauri, appelée Moe ou Moe a Mai, est alors l’épouse
de Tamatoa V, fils de Pomare V et roi de l’île de Raiatea. Elle
fait partie du réseau par qui la famille Stevenson peut réellement intégrer la petite communauté de Tautira, car elle est de
sang royal et peut intervenir pour trouver aux visiteurs un logement chez le chef lui-même, Ori a Ori.
Comme les membres de l’illustre famille Salmon, Moe se
prend d’amitié pour l’écrivain et sa famille et, comme eux, aide
l’écrivain dans sa quête pour une meilleure connaissance des
traditions orales.
Dans son poème à la gloire de sa royale hôtesse, Stevenson
reprend les métaphores antiques et bibliques qui illustrent traditionnellement les mythes de la Vahiné et du Paradis retrouvé.
L’île de Tahiti y apparaît comme la Terre Promise après le
Déluge.
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Après un parcours initiatique, rain-deluged, wind-buffeted,
many a thousand and many a thousand hills I crossed and corners
turned, écrit-il, cette île est révélée à l’écrivain comme l’enfant
Jésus l’est aux yeux des Rois Mages ; dans un éclair de lumière,
snatched out of blindness. L’épiphanie qui se produit au contact
de cette île d’or dissipe toutes les ombres pour laisser place à la
pureté de l’innocence primitive -That keeps the land’s virginity
- et la félicité.
Les terres découvertes par l’auteur sont le refuge des
géants1 que l’on n’a pas à craindre - Laden with toys and flowers and food - et des enfants dont les rires résonnent dans le
village sans discontinuer. Ces terres sont Fairyland, ou le Pays
des Fées, pays de fantasmes, où tout est possible, grâce à un
simple coup de baguette magique…
Les êtres qui le peuplent sont des constructions fictives
empruntées à la fois à l’imagerie de la mythologie antique et du
conte de fées, et ne connaissent que l’abondance et la lumière.
La figure centrale qui concentre tous les fantasmes du voyageur
enfin parvenu au terme de son initiation est la fée, la princesse
Moe, qui apparaît auréolée - in broad noon - comme les icônes
de la religion chrétienne orthodoxe. La femme est devenue
dame ; elle est fée, elle est princesse…
Josiane Teamotuaitau
1
- Stevenson pense certainement au géant honoura lorsqu’il écrit ces mots.
53
To An Island Princess
Since long ago, a child at home,
I read and longed to rise and roam,
Where’er I went, whate’er I willed,
One promised land my fancy filled.
Hence the long roads my home I made;
Tossed much in ships; have often laid
Below the uncurtained sky my head,
Rain-deluged and wind-buffeted:
And many a thousand hills I crossed
And corners turned - Love’s labour lost,
Till, Lady, to your isle of sun
I came, not hoping; and, like one
Snatched out of blindness, rubbed my eyes,
And haÎled my promised land with cries.
Yes, Lady, here I was at last;
Here found I all I had forecast:
The long roll of the sapphire sea
That keeps the land’s virginity;
The stalwart giants of the wood
Laden with toys and flowers and food;
The precious forest pouring out
To compass the whole town about;
The town itself with streets of lawn,
Loved of the moon, blessed by the dawn,
Where the brown children all the day
Keep up a ceaseless noise of play,
Play in the sun, play in the rain,
Nor ever quarrel or complain; And late at night, in the woods of fruit,
Hark! do you hear the passing flute?
N°328- Janvier / Avril 2013
I threw one look to either hand,
And knew I was in Fairyland.
And yet one point of being so
I lacked. For, Lady (as you know),
Whoever by his might of hand,
Won entrance into Fairyland,
Found always with admiring eyes
A Fairy princess kind and wise.
It was not long I waited; soon
Upon my threshold, in broad noon,
Gracious and helpful, wise and good,
The Fairy Princess Moe stood.
Robert Louis Stevenson
55
A une Princesse des îles
Depuis mes plus tendres années
Mes lectures nourrissaient mon désir d’évasion
Où que j’aille mes rêves étaient peuplés
D’images fabuleuses de terre promise.
Que de chemins empruntés depuis ce temps !
Porté par le roulis des bateaux et le vent mauvais
J’ai traversé maintes collines et océans
Jusqu’à ce qu’enfin, Madame,
Contre toute attente,
Comme une révélation,
Votre île de soleil m’apparût enfin !
Oui, Madame, enfin, j’étais arrivé
Et trouvai là tout ce dont j’avais rêvé :
Le saphir bleu de la mer
La virginité de la terre
Les puissants géants des forêts
Jouets, fleurs et fruits…
Précieuse forêt d’abondance
Qui embrasse le village
De ses bras de verdure
Sous la lumière chaleureuse de la lune
Et la clarté prometteuse de l’aube ;
Les enfants dorés s’amusent
Sous le soleil, sous la pluie
Sans l’ombre d’une discorde
Et dans la nuit,
Au milieu des bois,
Entendez-vous la fugitive musique de la flûte ?
N°328- Janvier / Avril 2013
J’embrassai du regard les alentours
Et sus que j’étais parvenu au royaume des fées.
Ne manquait qu’un élément,
Car au royaume des fées
Il faut une Princesse douce et sage
Je n’eus guère à attendre
Car au seuil de ma demeure
Le soleil au zénith
Se tenait une fée
Gracieuse et bienveillante
Belle et sage Princesse Moe.
Robert Louis Stevenson
Traduction : J. Teamotuaitau
57
Two Tahitian Legends 1
Of the making of Pai’s spear
When the mother of Pai was carrying him, she had a longing to eat the root uhi, and she told her husband. Now, the root
grew wild in the forest in the vale of waters; so the husband
went there and began to dig in the morning of the day, and supposed himself to be alone in all the valley. But there dwelt in
the forest two weird women, and they marked him out for
death, and peeped and wove spells. The more the husband dug,
still, by the cantrips of the women, the root uhi sank the deeper.
All the first part of the day he labored there, hollowing out the
earth and throwing it over his head, for he was mighty of
strength; and when it came to be noon, he had dug so deep that
he lifted up his eyes and saw the stars. Then the weird women
came to the edge of the pit, and stoned him, and filled up the pit
with stones.
Now Pai grew up, and he would ask the other children,
‘Are you like me? Have you only a mother?’ and they would
say, ‘What nonsense! We have a mother and a father both.’ At
last he went to his mother. ‘Why have I no father?’ said he.
1
- Les légendes sont livrées ici telles quelles ont été publiées pages 568 à 572 du
Longman’s Magazine, VOL.XIX, November 1891 to April 1892, printed by Spottiswoode and Co, new Street Square, London.
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And she told him. ‘While I was still carrying you, I had a
longing to eat the root uhi, and he went into the vale of waters,
and was slain there by weird women.’ The child brooded upon
this, and his heart grew great for vengeance. So he came to his
mother again, and said, ‘Where shall I get a spear, and from
what wood?’ And she said, ‘There is a tree growing in the vale
of waters, and it is of that wood that you shall make your
spear. Go into the valley and you shall know the tree, for it is
the greatest in the forest.’ So he went into the valley, and supposed himself all alone, and there was the tree growing; and
he took hold of it, for he was mighty of strength, and sought
to pluck it out. But this was the tree of the weird women, and
they held by the roots; and the harder Pai pulled, the harder
they drew back. So they strained, the two against the one, and
the tree cried with the straining. But Pai was the more strong,
and the tree came up, and behold! The two weird women were
clinging in the roots. Pai slew them, and tied them up like fish,
and dried them in the sun; and he took the tree and made of
that the shaft of a spear, and he dug up a bone of his father,
and made of that the point. And he cast the spear for a trial,
and it pierced a hill at the head of the valley; and he fetched it
and cast it again, and it flew over the main island, and fell in
the district of Punavia; and he followed it and cast it the third
time, and it flew over the straits and pierced a mountain in
Moorea, and glanced beyond and fell and quivered in the isle
of Reiatea.
The spear-holes in the mountains are still visible. The vale
of waters –Vaitapiha- more literally (as I was told) chamber of
waters – is one of the loveliest ravines on earth, close beset with
strange mountains, filled full of forest and the sound of rivers
and the wind. The tale, which is here given without embellishment, was told me by Ariie, chief of Tautira, in the birthplace of
Pai- or Paitoa, as my author called him. But the abbreviation is
more general.
59
Honoura and the Weird Women
Honoura was born near Tautira, and was so huge a size,
foul of appearance, and gluttonous an appetite, that his parents
and his brothers hated him. One day he was fishing for crayfish
in the water of Vaitapiha, in a place which is still shown, when
his brothers came above him in the sides of the valley and loosened a rock and rolled it down upon his head. Honoura caught
it with his hand and sat upon it, and went on fishing. Then they
loosened another and rolled it down; and he caught it with his
hand and sat upon that also, and went on with his fishing. And
his brothers were ashamed and went away. But the parents at
last drove Honoura forth; and he crossed the backbone of
Taiarapu, and found a cave and lived there like a dog until he
had his growth. It is told he was so strong and greedy that he
could bend a fruit tree to the earth and strip it of fruit before he
let it rise again.
When he was grown he wandered the country as an ‘aito
or champion, and took sides in quarrels, and was ever victorious. The fame of the youth came thus to the ears of Teriirere,
head chief of the eight Tevas, and he called Honoura to Papara
to be one of his braves; and this was the place where the great
feat was done. The river Taru, which the traveler must now
ford, to his sorrow, was at that time dammed up by devils, and
lay in a pool, and two witches dwelt upon the bank, to be the
wardens of the spell. It appears this spell could be broken, and
the river loosed, by a man diving from the mountain. Many
‘aitos had tried the adventure and all perished; but now it was
the turn of Honoura. He went up by the house of the witches
and viewed the mountain, and there were three resting-places
on the way. So he climbed to the first resting-place and plucked
an aute with its scarlet flowers, and turned and cried out: ‘Two
witches of the river Taru! Take up your beds and go higher; for
I am going to dive, and the river will break over your house.’
Said the first witch to the second, when they sat in their house,
60
N°328- Janvier / Avril 2013
‘Here is another ‘aito ; perhaps we had better be careful.’ Said
the second: ‘Wait a little; we shall burn his bones in our fire like
the bones of those that went before him.’ Honoura, carrying the
aute, went on to the second and cried again in the same words
and with the same result. Then he climbed to the third, which
no man had dared to do before, and cried the third time. Then
the first witch said: ‘Sister, this man has climbed higher than
any of the others; he must be the strongest of all; perhaps we
had better be careful.’ Said the second: ‘He will have the larger
bones, and our fire will burn the brighter.’ They were so speaking when Honoura threw down the aute like a dart, so that the
water splashed to the threshold of the witches’ door. At this the
first witch lost heart altogether, and ran forth out of the house,
crying, ‘Honoura, come down, do not jump!’ But already he
had leaped; already she could see him cleave the air; and the
next moment he struck the surface of the pool, and the dam was
burst by the shock, and the river poured forth and carried away
with it the house and the two witches. Now when Honoura
came to the surface and stood in the torrent to which he had
given loose, and saw that the witches were gone, he made the
one step, and that was a mile long, and you can see the place
where he landed to this day; and he made the second, and overtook the crest of the flood, where the broken beams of the house
were tossing, and plucked out the two witches and set them safe
on the dry land.
The above story is compiled from two versions. The incident of the fishing I learned at Tautira, where people might be
supposed to know; but in this Tautira version the adventure of
the river Taru was a tissue of undecipherable drivel. At Papara
itself I got the edition here slavishly reproduced; I dare not say
that it sounds probable, but it is at least coherent. Honoura’s
footprint is still shown; and traces are to be observed not only
on the pool itself but of an artificial ladder up the mountain,
61
steps of rock being let into the face of the precipice, with three
well-marked resting-places, the first of which is scarlet to this
day with the ‘royal flowers’ of the aute: altogether a work of
considerable labour and difficulty, for which it is difficult to
assign a reason, and which excellently fits the legend, and with
which the legend has been adroitly fitted.
The rescue of the two witches is a singular gesture in a folk
tale. Honoura must have been the first humanitarian. In the Tautira version the champion’s name was Fanoura, which I should
have preferred; but the orders of my chief are not to be disregarded, and he insists upon the H.
The number two appearing in both these legends, when we
of Europe would have looked confidently for the number three,
is characteristic of Tahiti. I am tempted to explain it by the convenience of the dual pronoun; but I do not remember to have
remarked any similar tendency in the folk-lore of Samoa or
Hawaii.
The ‘witches’ or ‘weird women’ of these tales seem to be
human and alive, and to have no connection with the aitu-fafine
of Samoa –bush-wandering enchantresses of great beauty, and
fatal to beautiful young men.
Robert Louis Stevenson
62
Deux légendes tahitiennes1
De l’origine de la lance de Pai
Alors que la mère de Pai portait son enfant en son sein, elle
eut une envie irrépressible de manger de l’igname, uhi2, et elle en
fit part à son époux. Cette igname poussait alors à profusion dans
la Vaitepiha3, aussi l’époux s’y rendit-il. Il commença à creuser
dès le point du jour pensant être seul dans la vallée. Hélas, deux
sorcières vivaient dans cette forêt ; elles l’épièrent, imaginèrent un
stratagème, jurèrent sa mort. L’homme creusait encore et encore
mais voilà, la racine de uhi, ensorcelée, s’enfonçait toujours plus.
Il creusa la majeure partie de la journée, retirant avec
entrain la terre qu’il jetait par-dessus son épaule car il était très
fort ; lorsque le soleil eut atteint son zénith, il avait creusé si
profond que, les yeux levés vers le ciel, il voyait à présent des
étoiles. C’est alors que les sorcières approchèrent du bord du
gouffre et ensevelirent le malheureux sous les rochers.
Devenu jeune garçon, Pai demandait aux autres enfants :
« Êtes-vous comme moi ? N’avez-vous que votre mère ? »
Ceux-ci répondaient : « Comment ? ! Nous avons une mère et
un père. » Il demanda alors à sa mère de lui expliquer pourquoi
1
- Ces deux légendes rapportées par Stevenson ont été publiées dans le Longman’s Magazine de 1891, sous le titre Two Tahitian Legends ; I-Of the Making of
Pai’s Spear, II-honoura and the Weird Women.
2
- Dioscorea alata.
3
- Cette « vallée aux multiples rivières » à laquelle il est fait référence est la grande
vallée fertile du district de Tautira, dans la presqu’île de Taiarapu.
il se trouvait sans père. Sa mère lui fit alors la réponse suivante :
« Quand tu étais encore dans mon ventre, j’ai eu envie de manger du uhi, c’est pourquoi ton père s’est rendu dans la Vaitepiha
où il fut tué par les sorcières. »
L’enfant ressassa cette histoire et, peu à peu, son cœur
s’emplit d’une terrible soif de vengeance. Il retourna voir sa
mère et lui demanda :
« Où puis-je me procurer une lance ? Quel arbre dois-je utiliser ? »
Elle lui répondit : « Dans la Vaitepiha pousse un arbre dont ta
lance devra être faite. Va dans la vallée où tu le trouveras aisément, c’est le plus grand de tous les arbres. Il partit alors, seul
ou, du moins, le pensait-il…
Il trouva l’arbre, s’en saisit, car il était très fort, et essaya
alors de l’arracher. Mais cet arbre appartenait aux sorcières qui
s’accrochaient à ses racines ; Pai tirait et les sorcières tiraient de
plus belle. Ils continuèrent ainsi, à deux contre un, et l’arbre
grinçait sous leurs assauts répétés. Cependant Pai était d’une
force supérieure ; il réussit donc à arracher l’arbre, mais vit alors,
oh surprise, que les sorcières étaient agrippées aux racines.
Pai les tua, les lia comme on le fait avec le poisson, puis les
mit à sécher au soleil. Il prit l’arbre pour en faire sa lance, puis
déterra un os de son père pour en faire la pointe. Il essaya sa
lance en un jet qui perça une colline du bout de la vallée4. Il la
ramassa et la lança une nouvelle fois ; elle s’éleva au-dessus de
la grande île pour retomber dans le district de Punaauia5. Il la
suivit, la récupéra et la lança une troisième fois ; elle s’éleva
alors au-dessus du chenal, transperça une montagne à Moorea6,
et continua sa course pour atteindre l’île de Raiatea qui trembla
lorsqu’elle s’y planta.
4
- Il s’agit certainement de Vaiami. Un fai, figure géométrique traditionnelle exécutée à l’aide de ficelles, s’appelle te puta Vaiami, ou trou de Vaiami.
5
- Le district de Punaauia se trouve sur la côte ouest de l’île de Tahiti. Le nom de
ce district est très souvent mal prononcé et dit « Punavia », comme le fait l’auteur dans la version originale.
64
N°328- Janvier / Avril 2013
Après avoir conté cette légende, l’auteur ajoute :
« Les trous faits par cette lance dans les montagnes sont encore
visibles aujourd’hui. La vallée aux nombreuses rivières, Vaitapiha, signifiant plus précisément d’après ce qui m’a été rapporté,
« la chambre des eaux », est une des plus belles vallées qui existent ; encerclée de montagnes mystérieuses, sa végétation est
luxuriante et on y est bercé par le chant des rivières et du vent.
Cette histoire, livrée ici sans fioritures, me fut racontée par
Ariie, chef de Tautira, à l’endroit même où naquit Pai-ou Paitoa,
comme Ariie l’appelait. »
Honoura et les sorcières
Honoura naquit non loin de Tautira, et sa taille, sa laideur
et son appétit étaient tels que parents et frères l’avaient en horreur. Un jour qu’il pêchait des chevrettes dans la vallée Vaitapiha 7 , dans un lieu encore connu aujourd’hui, ses frères
escaladèrent les flancs de la vallée et firent rouler un rocher
pour l’écraser. Honoura l’arrêta d’une seule main, s’assit dessus
et continua de pêcher. Ses frères en firent rouler un second
mais, encore une fois, il l’arrêta d’une seule main, s’assit dessus
et continua de pêcher. Alors, ses frères, honteux, abandonnèrent.
Ses parents, hélas, le chassèrent loin de chez eux ; il passa la
crête de Taiarapu, trouva une grotte et y vécut comme un animal jusqu’à ce qu’il devienne un jeune homme. On raconte
qu’il était si fort et si gourmand qu’il pouvait faire ployer un
arbre pour le dépouiller de ses fruits avant de le relâcher.
6
- Moorea, île voisine de Tahiti, s’appelait autrefois Eimeo. La montagne percée
par la lance de Pai s’appelle Moua Puta.
7
- Cette vallée à laquelle il est fait référence est la Vaitepiha, grande vallée fertile
du district de Tautira, dans la presqu’île de Taiarapu.
65
Parvenu à l’âge adulte, il prit part à de nombreux combats,
et de défaites, ce ‘aito n’en connut point. C’est ainsi que sa
renommée parvint jusqu’à Teriitere, grand chef des huit Teva8
qui le fit mander à Papara afin qu’il se batte à ses côtés. C’est
là que se déroula le fait le plus glorieux de son histoire. La
rivière Taru9 qu’aujourd’hui le voyageur doit traverser à la nage
était alors emprisonnée dans un étang par des démons, et deux
sorcières qui habitaient sur le barrage étaient chargées de garder
ses eaux prisonnières. Il était dit que le sort ne pourrait être
brisé et les eaux libérées que par un homme qui plongerait du
haut de la montagne. De nombreux ‘aito avaient essayé et péri
dans l’entreprise, puis vint, un jour, le tour de Honoura. Il
grimpa au niveau du logis des sorcières, observa la montagne
et vit qu’il y avait trois terrasses qui y menaient. Il monta
jusqu’à la première plateforme, cassa une fleur de aute10 rouge,
se retourna et avertit les sorcières de la sorte :
« Vous deux, sorcières de la rivière Taru, prenez donc vos
nattes et montez plus haut, car je vais plonger et votre maison
sera détruite. »
A l’intérieur de la maison, l’une des sorcières dit à l’autre :
« Voilà un autre ‘aito, peut-être devrions-nous nous méfier… »
L’autre lui répondit : « Attends un peu et tu verras que nous brûlerons ses os comme nous l’avons fait avec ceux des ‘aito qui
l’ont précédé. »
Honoura, tenant toujours à la main le aute, se rendit au
second niveau et réitéra son avertissement dans les mêmes
termes et avec les mêmes effets. Il grimpa alors jusqu’au troisième niveau, ce que personne, avant lui, n’avait osé faire, et
avertit pour la troisième fois. La première sorcière dit alors :
8
- La confédération des Teva appelée Na Teva e va’u - ou huit Teva - regroupait
les Teva i uta - ou Teva de l’intérieur - et les Teva i tai - ou Teva de l’extérieur.
9
- Il s’agit vraisemblablement de la rivière Taharuu de Papara.
10
- Il s’agit du nom tahitien pour la fleur d’hibiscus.
66
N°328- Janvier / Avril 2013
« Ma sœur, cet homme a grimpé plus haut que quiconque avant
lui, il est sûrement le plus fort d’entre tous ; peut-être devrionsnous nous méfier. » L’autre lui répondit : « Qu’à cela ne tienne !
Ses os n’en seront que plus forts et notre feu plus intense ! »
Ainsi devisaient-elles lorsque Honoura lança le aute dans
l’eau comme il l’aurait fait d’une fléchette et l’eau éclaboussa
l’entrée de la maison des sorcières. Aussitôt la première sorcière
prit peur et s’enfuit à toutes jambes en hurlant : « Honoura, descends ! Ne saute pas ! » Mais il était trop tard ; elle le vit s’élancer dans les airs et, l’instant d’après, retomber lourdement dans
l’étang ; le choc fit exploser le barrage et l’eau dévala la pente
en rugissant, emportant dans sa course la maison et les deux
sorcières. Lorsque Honoura remonta à la surface et se dressa
dans le torrent qu’il venait de libérer, il vit que les sorcières
avaient été emportées ; il fit un premier pas, d’un mille de long,
dont on peut encore voir l’empreinte aujourd’hui ; il en fit un
second pour dépasser la crête des flots, et parvint aux débris
flottants de la maison des sorcières qu’il sauva en les ramenant
sur la terre ferme.
Après le récit de cette légende, R.-L. Stevenson apporte les
précisions suivantes :
« Cette histoire reprend deux versions. La partie concernant la pêche m’a été livrée à Tautira, où il est normal que les
gens connaissent cette histoire, mais dans cette version de Tautira l’aventure sur la rivière Taru était un tissu d’incohérences.
C’est à Papara que j’ai obtenu la version que j’ai reproduite ici ;
je ne puis dire qu’elle est probable, mais du moins est-elle
cohérente. On peut encore voir l’empreinte du pied de
Honoura, ainsi que des traces non seulement de l’étang luimême, mais également des marches de pierre, à pic, menant à
la montagne, avec trois plateformes bien définies dont la première est, encore aujourd’hui, couverte de fleurs royales, les
aute rouges. L’ensemble constitue un ouvrage impressionnant
67
dont il est difficile d’expliquer la présence et qui coïncide parfaitement avec la légende.
Le sauvetage des deux sorcières est des plus étonnants dans
un conte populaire. Peut-être Honoura est-il le premier humaniste. Dans la version de Tautira, le nom du champion était
Fanoura, nom que j’aurais préféré utiliser, mais les ordres d’un
chef ne supportent pas de contradiction, et mon chef11 insistait
pour que l’on utilise celui de Honoura.
‘Deux’ semble être un nombre symbolique à Tahiti, comme
il apparaît dans ces légendes, alors qu’en Europe, trois aurait
été plus courant. J’aurais tendance à penser que sa récurrence
s’explique simplement par la fréquence dans la langue du
déterminant duel12 ; je n’ai néanmoins constaté aucune tendance similaire dans le folklore des îles Samoa ou Hawaii.
Les « sorcières » ou « mauvaises femmes » de ces légendes
semblent humaines, vivantes, et semblent n’avoir rien de commun avec les « aitu-fafine » de Samoa, femmes enchanteresses
de grande beauté vivant dans les bois qui menaient les beaux
jeunes hommes à leur perte.
Robert Louis Stevenson
Traduction et notes : J. Teamotuaitau
11
- En 1888, Stevenson reçut le nom de Teriitera de la part de ori a ori, chef de
Tautira ; ce dernier prit le nom de Rui, équivalent de ‘Louis’ en tahitien, en
échange. Dès lors, l’auteur se considéra comme faisant partie du clan de ori a
ori, celui des Teva.
12
- Ce déterminant duel est ‘na’, article indéfini exprimant une idée de paire. « Na
vahine » signifie les deux femmes.
68
The song of Rahero
A Legend of Tahiti
To Ori a Ori
Ori, my brother in the island mode,
In every tongue and meaning much my friend,
This story of your country and your clan,
In your loved house, your too much honoured guest,
I made in English. Take it, being done;
And let me sign it with the name you gave.
I - The slaying of Tamatea
Teriitera
It fell in the days of old, as the men of Taiarapu tell,
A youth went forth to the fishing, and fortune favoured him well.
Tamatea his name: gullible, simple, and kind,
Comely of countenance, nimble of body, empty of mind,
His mother ruled him and loved him beyond the wont of a wife,
Serving the lad for eyes and living herself in his life.
Alone from the sea and the fishing came Tamatea the fair,
Urging his boat to the beach, and the mother awaited him there,
- “Long may you live!” said she. “Your fishing has sped to a wish.
And now let us choose for the king the fairest of all your fish.
For fear inhabits the palace and grudging grows in the land,
Marked is the sluggardly foot and marked the niggardly hand,
The hours and the miles are counted, the tributes numbered and
weighed,
And woe to him that comes short, and woe to him that
delayed!”
So spoke on the beach the mother, and counselled the wiser thing.
For Rahero stirred in the country and secretly mined the king.
Nor were the signals wanting of how the leaven wrought,
In the cords of obedience loosed and the tributes grudgingly
brought.
And when last to the temple of Oro the boat with the victim sped,
And the priest uncovered the basket and looked on the face of
the dead,
Trembling fell upon all at sight of an ominous thing,
For there was the ‘aito {1a} dead, and he of the house of the king.
So spake on the beach the mother, matter worthy of note,
And wattled a basket well, and chose a fish from the boat;
And Tamatea the pliable shouldered the basket and went,
And travelled, and sang as he travelled, a lad that was well content.
Still the way of his going was round by the roaring coast,
Where the ring of the reef is broke and the trades run riot the most.
On his left, with smoke as of battle, the billows battered the land;
Unscalable, turreted mountains rose on the inner hand.
And cape, and village, and river, and vale, and mountain above,
Each had a name in the land for men to remember and love;
And never the name of a place, but lo! a song in its praise:
Ancient and unforgotten, songs of the earlier days,
That the elders taught to the young, and at night, in the full of
the moon,
Garlanded boys and maidens sang together in tune.
Tamatea the placable went with a lingering foot;
He sang as loud as a bird, he whistled hoarse as a flute;
He broiled in the sun, he breathed in the grateful shadow of trees,
70
N°328- Janvier / Avril 2013
In the icy stream of the rivers he waded over the knees;
And still in his empty mind crowded, a thousand-fold,
The deeds of the strong and the songs of the cunning heroes of old.
And now was he come to a place Taiarapu honoured the most,
Where a silent valley of woods debouched on the noisy coast,
Spewing a level river. There was a haunt of Pai. {1b}
There, in his potent youth, when his parents drove him to die,
Honoura lived like a beast, lacking the lamp and the fire,
Washed by the rains of the trade and clotting his hair in the mire;
And there, so mighty his hands, he bent the tree to his foot So keen the spur of his hunger, he plucked it naked of fruit.
There, as she pondered the clouds for the shadow of coming ills,
Ahupu, the woman of song, walked on high on the hills.
Of these was Rahero sprung, a man of a godly race;
And inherited cunning of spirit and beauty of body and face.
Of yore in his youth, as an ‘aito, Rahero wandered the land,
Delighting maids with his tongue, smiting men with his hand.
Famous he was in his youth; but before the midst of his life
Paused, and fashioned a song of farewell to glory and strife.
House of mine (it went), house upon the sea,
Belov’d of all my fathers, more belov’d by me!
Vale of the strong Honoura, deep ravine of Pai,
Again in your woody summits I hear the trade-wind cry.
House of mine, in your walls, strong sounds the sea,
Of all sounds on earth, dearest sound to me.
I have heard the applause of men, I have heard it arise and die:
Sweeter now in my house I hear the trade-wind cry.
These were the words of his singing, other the thought of his
heart;
For secret desire of glory vexed him, dwelling apart.
Lazy and crafty he was, and loved to lie in the sun,
And loved the cackle of talk and the true word uttered in fun;
71
Lazy he was, his roof was ragged, his table was lean,
And the fish swam safe in his sea, and he gathered the near and
the green.
He sat in his house and laughed, but he loathed the king of the land,
And he uttered the grudging word under the covering hand.
Treason spread from his door; and he looked for a day to come,
A day of the crowding people, a day of the summoning drum,
When the vote should be taken, the king be driven forth in disgrace,
And Rahero, the laughing and lazy, sit and rule in his place,
Here Tamatea came, and beheld the house on the brook;
And Rahero was there by the way and covered an oven to cook. {1c}
Naked he was to the loins, but the tattoo covered the lack,
And the sun and the shadow of palms dappled his muscular back.
Swiftly he lifted his head at the fall of the coming feet,
And the water sprang in his mouth with a sudden desire of meat;
For he marked the basket carried, covered from flies and the
sun; {1d}
And Rahero buried his fire, but the meat in his house was done.
Forth he stepped; and took, and delayed the boy, by the hand;
And vaunted the joys of meat and the ancient ways of the land:
- “Our sires of old in Taiarapu, they that created the race,
Ate ever with eager hand, nor regarded season or place,
Ate in the boat at the oar, on the way afoot; and at night
Arose in the midst of dreams to rummage the house for a bite.
It is good for the youth in his turn to follow the way of the sire;
And behold how fitting the time! for here do I cover my fire.”
- “I see the fire for the cooking but never the meat to cook,”
Said Tamatea.—”Tut!” said Rahero. “Here in the brook
And there in the tumbling sea, the fishes are thick as flies,
Hungry like healthy men, and like pigs for savour and size:
Crayfish crowding the river, sea-fish thronging the sea.”
- “Well it may be,” says the other, “and yet be nothing to me.
Fain would I eat, but alas! I have needful matter in hand,
72
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Since I carry my tribute of fish to the jealous king of the land.”
Now at the word a light sprang in Rahero’s eyes.
“I will gain me a dinner,” thought he, “and lend the king a surprise.”
And he took the lad by the arm, as they stood by the side of the
track,
And smiled, and rallied, and flattered, and pushed him forward
and back.
It was “You that sing like a bird, I never have heard you sing,”
And “The lads when I was a lad were none so feared of a king.
And of what account is an hour, when the heart is empty of guile?
But come, and sit in the house and laugh with the women awhile;
And I will but drop my hook, and behold! the dinner made.”
So Tamatea the pliable hung up his fish in the shade
On a tree by the side of the way; and Rahero carried him in,
Smiling as smiles the fowler when flutters the bird to the gin,
And chose him a shining hook, {1e} and viewed it with sedulous eye,
And breathed and burnished it well on the brawn of his naked
thigh,
And set a mat for the gull, and bade him be merry and bide,
Like a man concerned for his guest, and the fishing, and nothing
beside.
Now when Rahero was forth, he paused and hearkened, and heard
The gull jest in the house and the women laugh at his word;
And stealthily crossed to the side of the way, to the shady place
Where the basket hung on a mango; and craft transfigured his face.
Deftly he opened the basket, and took of the fat of the fish,
The cut of kings and chieftains, enough for a goodly dish.
This he wrapped in a leaf, set on the fire to cook
And buried; and next the marred remains of the tribute he took,
And doubled and packed them well, and covered the basket close
- “There is a buffet, my king,” quoth he, “and a nauseous dose!”
- And hung the basket again in the shade, in a cloud of flies
- “And there is a sauce to your dinner, king of the crafty eyes!”
73
Soon as the oven was open, the fish smelt excellent good.
In the shade, by the house of Rahero, down they sat to their food,
And cleared the leaves {1f} in silence, or uttered a jest and
laughed,
And raising the cocoanut bowls, buried their faces and quaffed.
But chiefly in silence they ate; and soon as the meal was done,
Rahero feigned to remember and measured the hour by the sun,
And “Tamatea,” quoth he, “it is time to be jogging, my lad.”
So Tamatea arose, doing ever the thing he was bade,
And carelessly shouldered the basket, and kindly saluted his host;
And again the way of his going was round by the roaring coast.
Long he went; and at length was aware of a pleasant green,
And the stems and shadows of palms, and roofs of lodges between
There sate, in the door of his palace, the king on a kingly seat,
And ‘aitos stood armed around, and the yottowas {1g} sat at his
feet.
But fear was a worm in his heart: fear darted his eyes;
And he probed men’s faces for treasons and pondered their
speech for lies.
To him came Tamatea, the basket slung in his hand,
And paid him the due obeisance standing as vassals stand.
In silence hearkened the king, and closed the eyes in his face,
Harbouring odious thoughts and the baseless fears of the base;
In silence accepted the gift and sent the giver away.
So Tamatea departed, turning his back on the day.
And lo! as the king sat brooding, a rumour rose in the crowd;
The yottowas nudged and whispered, the commons murmured
aloud;
Tittering fell upon all at sight of the impudent thing,
At the sight of a gift unroyal flung in the face of a king.
And the face of the king turned white and red with anger and
shame
In their midst; and the heart in his body was water and then was
flame;
74
N°328- Janvier / Avril 2013
Till of a sudden, turning, he gripped an ‘aito hard,
A youth that stood with his omare, {1h} one of the daily guard,
And spat in his ear a command, and pointed and uttered a name,
And hid in the shade of the house his impotent anger and shame.
Now Tamatea the fool was far on the homeward way,
The rising night in his face, behind him the dying day.
Rahero saw him go by, and the heart of Rahero was glad,
Devising shame to the king and nowise harm to the lad;
And all that dwelt by the way saw and saluted him well,
For he had the face of a friend and the news of the town to tell;
And pleased with the notice of folk, and pleased that his journey
was done,
Tamatea drew homeward, turning his back to the sun.
And now was the hour of the bath in Taiarapu: far and near
The lovely laughter of bathers rose and delighted his ear.
Night massed in the valleys; the sun on the mountain coast
Struck, end-long; and above the clouds embattled their host,
And glowed and gloomed on the heights; and the heads of the
palms were gems,
And far to the rising eve extended the shade of their stems;
And the shadow of Tamatea hovered already at home.
And sudden the sound of one coming and running light as the
foam
Struck on his ear; and he turned, and lo! a man on his track,
Girded and armed with an omare, following hard at his back.
At a bound the man was upon him;—and, or ever a word was said,
The loaded end of the omare fell and laid him dead.
75
II - The venging of Tamatea
Thus was Rahero’s treason; thus and no further it sped
The king sat safe in his place and a kindly fool was dead.
But the mother of Tamatea arose with death in her eyes.
All night long, and the next, Taiarapu rang with her cries.
As when a babe in the wood turns with a chill of doubt
And perceives nor home, nor friends, for the trees have closed
her about,
The mountain rings and her breast is torn with the voice of
despair:
So the lion-like woman idly wearied the air
For awhile, and pierced men’s hearing in vain, and wounded
their hearts.
But as when the weather changes at sea, in dangerous parts,
And sudden the hurricane wrack unrolls up the front of the sky,
At once the ship lies idle, the sails hang silent on high,
The breath of the wind that blew is blown out like the flame of a
lamp,
And the silent armies of death draw near with inaudible tramp:
So sudden, the voice of her weeping ceased; in silence she rose
And passed from the house of her sorrow, a woman clothed
with repose,
Carrying death in her breast and sharpening death with her hand.
Hither she went and thither in all the coasts of the land.
They tell that she feared not to slumber alone, in the dead of
night,
In accursed places; beheld, unblenched, the ribbon of light {1i}
Spin from temple to temple; guided the perilous skiff,
Abhorred not the paths of the mountain and trod the verge of
the cliff;
From end to end of the island, thought not the distance long,
But forth from king to king carried the tale of her wrong.
To king after king, as they sat in the palace door, she came,
76
N°328- Janvier / Avril 2013
Claiming kinship, declaiming verses, naming her name
And the names of all of her fathers; and still, with a heart on the
rack,
Jested to capture a hearing and laughed when they jested back:
So would deceive them awhile, and change and return in a
breath,
And on all the men of Vaiau imprecate instant death;
And tempt her kings—for Vaiau was a rich and prosperous land,
And flatter—for who would attempt it but warriors mighty of
hand?
And change in a breath again and rise in a strain of song,
Invoking the beaten drums, beholding the fall of the strong,
Calling the fowls of the air to come and feast on the dead.
And they held the chin in silence, and heard her, and shook the
head;
For they knew the men of Taiarapu famous in battle and feast,
Marvellous eaters and smiters: the men of Vaiau not least.
To the land of the Namunu-ura, {1j} to Paea, at length she came,
To men who were foes to the Tevas and hated their race and name.
There was she well received, and spoke with Hiopa the king. {1k}
And Hiopa listened, and weighed, and wisely considered the thing.
“Here in the back of the isle we dwell in a sheltered place,”
Quoth he to the woman, “in quiet, a weak and peaceable race.
But far in the teeth of the wind lofty Taiarapu lies;
Strong blows the wind of the trade on its seaward face, and cries
Aloud in the top of arduous mountains, and utters its song
In green continuous forests. Strong is the wind, and strong
And fruitful and hardy the race, famous in battle and feast,
Marvellous eaters and smiters: the men of Vaiau not least.
Now hearken to me, my daughter, and hear a word of the wise:
How a strength goes linked with a weakness, two by two, like
the eyes.
They can wield the omare well and cast the javelin far;
Yet are they greedy and weak as the swine and the children are.
77
Plant we, then, here at Paea, a garden of excellent fruits;
Plant we bananas and kava and taro, the king of roots;
Let the pigs in Paea be tapu {1l} and no man fish for a year;
And of all the meat in Tahiti gather we threefold here.
So shall the fame of our plenty fill the island, and so,
At last, on the tongue of rumour, go where we wish it to go.
Then shall the pigs of Taiarapu raise their snouts in the air;
But we sit quiet and wait, as the fowler sits by the snare,
And tranquilly fold our hands, till the pigs come nosing the food:
But meanwhile build us a house of Trotea, the stubborn wood,
Bind it with incombustible thongs, set a roof to the room,
Too strong for the hands of a man to dissever or fire to consume;
And there, when the pigs come trotting, there shall the feast be
spread,
There shall the eye of the morn enlighten the feasters dead.
So be it done; for I have a heart that pities your state,
And Nateva and Namunu- ura are fire and water for hate.”
All was done as he said, and the gardens prospered; and now
The fame of their plenty went out, and word of it came to Vaiau.
For the men of Namunu- ura sailed, to the windward far,
Lay in the offing by south where the towns of the Tevas are,
And cast overboard of their plenty; and lo! at the Tevas feet
The surf on all of the beaches tumbled treasures of meat.
In the salt of the sea, a harvest tossed with the refluent foam;
And the children gleaned it in playing, and ate and carried it
home;
And the elders stared and debated, and wondered and passed the
jest,
But whenever a guest came by eagerly questioned the guest;
And little by little, from one to another, the word went round:
“In all the borders of Paea the victual rots on the ground,
And swine are plenty as rats. And now, when they fare to the sea,
The men of the Namunu- ura glean from under the tree
And load the canoe to the gunwale with all that is toothsome to eat;
78
N°328- Janvier / Avril 2013
And all day long on the sea the jaws are crushing the meat,
The steersman eats at the helm, the rowers munch at the oar,
And at length, when their bellies are full, overboard with the store!”
Now was the word made true, and soon as the bait was bare,
All the pigs of Taiarapu raised their snouts in the air.
Songs were recited, and kinship was counted, and tales were told
How war had severed of late but peace had cemented of old
The clans of the island. “To war,” said they, “now set we an end,
And hie to the Namunu- ura even as a friend to a friend.”
So judged, and a day was named; and soon as the morning broke,
Canoes were thrust in the sea and the houses emptied of folk.
Strong blew the wind of the south, the wind that gathers the clan;
Along all the line of the reef the clamorous surges ran;
And the clouds were piled on the top of the island mountain-high,
A mountain throned on a mountain. The fleet of canoes swept by
In the midst, on the green lagoon, with a crew released from care,
Sailing an even water, breathing a summer air,
Cheered by a cloudless sun; and ever to left and right,
Bursting surge on the reef, drenching storms on the height.
So the folk of Vaiau sailed and were glad all day,
Coasting the palm-tree cape and crossing the populous bay
By all the towns of the Tevas; and still as they bowled along,
Boat would answer to boat with jest and laughter and song,
And the people of all the towns trooped to the sides of the sea
And gazed from under the hand or sprang aloft on the tree,
Hailing and cheering. Time failed them for more to do;
The holiday village careened to the wind, and was gone from view
Swift as a passing bird; and ever as onward it bore,
Like the cry of the passing bird, bequeathed its song to the shore
- Desirable laughter of maids and the cry of delight of the child.
And the gazer, left behind, stared at the wake and smiled.
By all the towns of the Tevas they went, and Papara last,
The home of the chief, the place of muster in war; and passed
The march of the lands of the clan, to the lands of an alien folk.
79
And there, from the dusk of the shoreside palms, a column of
smoke
Mounted and wavered and died in the gold of the setting sun,
“Paea!” they cried. “It is Paea.” And so was the voyage done.
In the early fall of the night, Hiopa came to the shore,
And beheld and counted the comers, and lo, they were forty score:
The pelting feet of the babes that ran already and played,
The clean-lipped smile of the boy, the slender breasts of the maid,
And mighty limbs of women, stalwart mothers of men.
The sires stood forth unabashed; but a little back from his ken
Clustered the scarcely nubile, the lads and maids, in a ring,
Fain of each other, afraid of themselves, aware of the king
And aping behaviour, but clinging together with hands and eyes,
With looks that were kind like kisses, and laughter tender as sighs.
There, too, the grandsire stood, raising his silver crest,
And the impotent hands of a suckling groped in his barren breast.
The childhood of love, the pair well married, the innocent brood,
The tale of the generations repeated and ever renewed Hiopa beheld them together, all the ages of man,
And a moment shook in his purpose.
But these were the foes of his clan,
And he trod upon pity, and came, and civilly greeted the king,
And gravely entreated Rahero; and for all that could fight or sing,
And claimed a name in the land, had fitting phrases of praise;
But with all who were well-descended he spoke of the ancient days.
And “‘Tis true,” said he, “that in Paea the victual rots on the
ground;
But, friends, your number is many; and pigs must be hunted and
found,
And the lads troop to the mountains to bring the feis down,
And around the bowls of the kava cluster the maids of the town.
So, for to-night, sleep here; but king, common, and priest
To-morrow, in order due, shall sit with me in the feast.”
Sleepless the live-long night, Hiopa’s followers toiled.
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The pigs screamed and were slaughtered; the spars of the guesthouse oiled,
The leaves spread on the floor. In many a mountain glen
The moon drew shadows of trees on the naked bodies of men
Plucking and bearing fruits; and in all the bounds of the town
Red glowed the cocoanut fires, and were buried and trodden down.
Thus did seven of the yottowas toil with their tale of the clan,
But the eighth wrought with his lads, hid from the sight of man.
In the deeps of the woods they laboured, piling the fuel high
In fagots, the load of a man, fuel seasoned and dry,
Thirsty to seize upon fire and apt to blurt into flame.
And now was the day of the feast. The forests, as morning came,
Tossed in the wind, and the peaks quaked in the blaze of the day
And the cocoanuts showered on the ground, rebounding and
rolling away:
A glorious morn for a feast, a famous wind for a fire.
To the hall of feasting Hiopa led them, mother and sire
And maid and babe in a tale, the whole of the holiday throng.
Smiling they came, garlanded green, not dreaming of wrong;
And for every three, a pig, tenderly cooked in the ground,
Waited, and fei, the staff of life, heaped in a mound
For each where he sat;—for each, bananas roasted and raw
Piled with a bountiful hand, as for horses hay and straw
Are stacked in a stable; and fish, the food of desire, {1m}
And plentiful vessels of sauce, and breadfruit gilt in the fire;
- And kava was common as water. Feasts have there been ere now,
And many, but never a feast like that of the folk of Vaiau.
All day long they ate with the resolute greed of brutes,
And turned from the pigs to the fish, and again from the fish to
the fruits,
And emptied the vessels of sauce, and drank of the kava deep;
Till the young lay stupid as stones, and the strongest nodded to
sleep.
Sleep that was mighty as death and blind as a moonless night
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Tethered them hand and foot; and their souls were drowned, and
the light
Was cloaked from their eyes. Senseless together, the old and the
young,
The fighter deadly to smite and the prater cunning of tongue,
The woman wedded and fruitful, inured to the pangs of birth,
And the maid that knew not of kisses, blindly sprawled on the
earth.
From the hall Hiopa the king and his chiefs came stealthily forth.
Already the sun hung low and enlightened the peaks of the north;
But the wind was stubborn to die and blew as it blows at morn,
Showering the nuts in the dusk, and e’en as a banner is torn,
High on the peaks of the island, shattered the mountain cloud.
And now at once, at a signal, a silent, emulous crowd
Set hands to the work of death, hurrying to and fro,
Like ants, to furnish the fagots, building them broad and low,
And piling them high and higher around the walls of the hall.
Silence persisted within, for sleep lay heavy on all;
But the mother of Tamatea stood at Hiopa’s side,
And shook for terror and joy like a girl that is a bride.
Night fell on the toilers, and first Hiopa the wise
Made the round of the house, visiting all with his eyes;
And all was piled to the eaves, and fuel blockaded the door;
And within, in the house beleaguered, slumbered the forty score.
Then was an ‘aito dispatched and came with fire in his hand,
And Hiopa took it.—”Within,” said he, “is the life of a land;
And behold! I breathe on the coal, I breathe on the dales of the east,
And silence falls on forest and shore; the voice of the feast
Is quenched, and the smoke of cooking; the rooftree decays and
falls
On the empty lodge, and the winds subvert deserted walls.”
Therewithal, to the fuel, he laid the glowing coal;
And the redness ran in the mass and burrowed within like a mole,
And copious smoke was conceived. But, as when a dam is to burst,
82
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The water lips it and crosses in silver trickles at first,
And then, of a sudden, whelms and bears it away forthright:
So now, in a moment, the flame sprang and towered in the night,
And wrestled and roared in the wind, and high over house and tree,
Stood, like a streaming torch, enlightening land and sea.
But the mother of Tamatea threw her arms abroad,
“Pyre of my son,” she shouted, ‘debited vengeance of God,
Late, late, I behold you, yet I behold you at last,
And glory, beholding! For now are the days of my agony past,
The lust that famished my soul now eats and drinks its desire,
And they that encompassed my son shrivel alive in the fire.
Tenfold precious the vengeance that comes after lingering years!
Ye quenched the voice of my singer?—hark, in your dying ears,
The song of the conflagration! Ye left me a widow alone?
- Behold, the whole of your race consumes, sinew and bone
And torturing flesh together: man, mother, and maid
Heaped in a common shambles; and already, borne by the trade,
The smoke of your dissolution darkens the stars of night.”
Thus she spoke, and her stature grew in the people’s sight.
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III - Rahero
Rahero was there in the hall asleep: beside him his wife,
Comely, a mirthful woman, one that delighted in life;
And a girl that was ripe for marriage, shy and sly as a mouse;
And a boy, a climber of trees: all the hopes of his house.
Unwary, with open hands, he slept in the midst of his folk,
And dreamed that he heard a voice crying without, and awoke,
Leaping blindly afoot like one from a dream that he fears.
A hellish glow and clouds were about him;—it roared in his ears
Like the sound of the cataract fall that plunges sudden and steep;
And Rahero swayed as he stood, and his reason was still asleep.
Now the flame struck hard on the house, wind-wielded, a fracturing blow,
And the end of the roof was burst and fell on the sleepers below;
And the lofty hall, and the feast, and the prostrate bodies of folk,
Shone red in his eyes a moment, and then were swallowed of
smoke.
In the mind of Rahero clearness came; and he opened his throat;
And as when a squall comes sudden, the straining sail of a boat
Thunders aloud and bursts, so thundered the voice of the man.
- “The wind and the rain!” he shouted, the mustering word of
the clan, {1n}
And “up!” and “to arms men of Vaiau!” But silence replied,
Or only the voice of the gusts of the fire, and nothing beside.
Rahero stooped and groped. He handled his womankind,
But the fumes of the fire and the kava had quenched the life of
their mind,
And they lay like pillars prone; and his hand encountered the boy,
And there sprang in the gloom of his soul a sudden lightning of
joy.
“Him can I save!” he thought, “if I were speedy enough.”
And he loosened the cloth from his loins, and swaddled the
child in the stuff;
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And about the strength of his neck he knotted the burden well.
There where the roof had fallen, it roared like the mouth of hell.
Thither Rahero went, stumbling on senseless folk,
And grappled a post of the house, and began to climb in the
smoke:
The last alive of Vaiau; and the son borne by the sire.
The post glowed in the grain with ulcers of eating fire,
And the fire bit to the blood and mangled his hands and thighs;
And the fumes sang in his head like wine and stung in his eyes;
And still he climbed, and came to the top, the place of proof,
And thrust a hand through the flame, and clambered alive on the
roof.
But even as he did so, the wind, in a garment of flames and pain,
Wrapped him from head to heel; and the waistcloth parted in
twain;
And the living fruit of his loins dropped in the fire below.
About the blazing feast-house clustered the eyes of the foe,
Watching, hand upon weapon, lest ever a soul should flee,
Shading the brow from the glare, straining the neck to see
Only, to leeward, the flames in the wind swept far and wide,
And the forest sputtered on fire; and there might no man abide.
Thither Rahero crept, and dropped from the burning eaves,
And crouching low to the ground, in a treble covert of leaves
And fire and volleying smoke, ran for the life of his soul
Unseen; and behind him under a furnace of ardent coal,
Cairned with a wonder of flame, and blotting the night with
smoke,
Blazed and were smelted together the bones of all his folk.
He fled unguided at first; but hearing the breakers roar,
Thitherward shaped his way, and came at length to the shore.
Sound-limbed he was: dry-eyed; but smarted in every part;
And the mighty cage of his ribs heaved on his straining heart
With sorrow and rage. And “Fools!” he cried, “fools of Vaiau,
Heads of swine—gluttons—Alas! and where are they now?
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Those that I played with, those that nursed me, those that I nursed?
God, and I outliving them! I, the least and the worst I, that thought myself crafty, snared by this herd of swine,
In the tortures of hell and desolate, stripped of all that was mine:
All!—my friends and my fathers—the silver heads of yore
That trooped to the council, the children that ran to the open door
Crying with innocent voices and clasping a father’s knees!
And mine, my wife—my daughter—my sturdy climber of trees
Ah, never to climb again!”
Thus in the dusk of the night,
(For clouds rolled in the sky and the moon was swallowed from
sight,)
Pacing and gnawing his fists, Rahero raged by the shore.
Vengeance: that must be his. But much was to do before;
And first a single life to be snatched from a deadly place,
A life, the root of revenge, surviving plant of the race:
And next the race to be raised anew, and the lands of the clan
Repeopled. So Rahero designed, a prudent man
Even in wrath, and turned for the means of revenge and escape:
A boat to be seized by stealth, a wife to be taken by rape.
Still was the dark lagoon; beyond on the coral wall,
He saw the breakers shine, he heard them bellow and fall.
Alone, on the top of the reef, a man with a flaming brand
Walked, gazing and pausing, a fish-spear poised in his hand.
The foam boiled to his calf when the mightier breakers came,
And the torch shed in the wind scattering tufts of flame.
Afar on the dark lagoon a canoe lay idly at wait:
A figure dimly guiding it: surely the fisherman’s mate.
Rahero saw and he smiled. He straightened his mighty thews:
Naked, with never a weapon, and covered with scorch and bruise,
He straightened his arms, he filled the void of his body with breath,
And, strong as the wind in his manhood, doomed the fisher to
death.
Silent he entered the water, and silently swam, and came
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There where the fisher walked, holding on high the flame.
Loud on the pier of the reef volleyed the breach of the sea;
And hard at the back of the man, Rahero crept to his knee
On the coral, and suddenly sprang and seized him, the elder hand
Clutching the joint of his throat, the other snatching the brand
Ere it had time to fall, and holding it steady and high.
Strong was the fisher, brave, and swift of mind and of eye Strongly he threw in the clutch; but Rahero resisted the strain,
And jerked, and the spine of life snapped with a crack in twain,
And the man came slack in his hands and tumbled a lump at his
feet.
One moment: and there, on the reef, where the breakers
whitened and beat,
Rahero was standing alone, glowing and scorched and bare,
A victor unknown of any, raising the torch in the air.
But once he drank of his breath, and instantly set him to fish
Like a man intent upon supper at home and a savoury dish.
For what should the woman have seen? A man with a torch—
and then
A moment’s blur of the eyes—and a man with a torch again.
And the torch had scarcely been shaken. “Ah, surely,” Rahero said,
“She will deem it a trick of the eyes, a fancy born in the head;
But time must be given the fool to nourish a fool’s belief.”
So for a while, a sedulous fisher, he walked the reef,
Pausing at times and gazing, striking at times with the spear:
- Lastly, uttered the call; and even as the boat drew near,
Like a man that was done with its use, tossed the torch in the sea.
Lightly he leaped on the boat beside the woman; and she
Lightly addressed him, and yielded the paddle and place to sit;
For now the torch was extinguished the night was black as the pit
Rahero set him to row, never a word he spoke,
And the boat sang in the water urged by his vigorous stroke.
- “What ails you?” the woman asked, “and why did you drop
the brand?
87
We have only to kindle another as soon as we come to land.”
Never a word Rahero replied, but urged the canoe.
And a chill fell on the woman.—”Atta! speak! is it you?
Speak! Why are you silent? Why do you bend aside?
Wherefore steer to the seaward?” thus she panted and cried.
Never a word from the oarsman, toiling there in the dark;
But right for a gate of the reef he silently headed the bark,
And wielding the single paddle with passionate sweep on sweep,
Drove her, the little fitted, forth on the open deep.
And fear, there where she sat, froze the woman to stone:
Not fear of the crazy boat and the weltering deep alone;
But a keener fear of the night, the dark, and the ghostly hour,
And the thing that drove the canoe with more than a mortal’s
power
And more than a mortal’s boldness. For much she knew of the
dead
That haunt and fish upon reefs, toiling, like men, for bread,
And traffic with human fishers, or slay them and take their ware,
Till the hour when the star of the dead {1o} goes down, and the
morning air
Blows, and the cocks are singing on shore. And surely she knew
The speechless thing at her side belonged to the grave. {1p}
It blew All night from the south; all night, Rahero contended
and kept
The prow to the cresting sea; and, silent as though she slept,
The woman huddled and quaked. And now was the peep of day.
High and long on their left the mountainous island lay;
And over the peaks of Taiarapu arrows of sunlight struck.
On shore the birds were beginning to sing: the ghostly ruck
Of the buried had long ago returned to the covered grave;
And here on the sea, the woman, waxing suddenly brave,
Turned her swiftly about and looked in the face of the man.
And sure he was none that she knew, none of her country or clan:
A stranger, mother-naked, and marred with the marks of fire,
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But comely and great of stature, a man to obey and admire.
And Rahero regarded her also, fixed, with a frowning face,
Judging the woman’s fitness to mother a warlike race.
Broad of shoulder, ample of girdle, long in the thigh,
Deep of bosom she was, and bravely supported his eye.
“Woman,” said he, “last night the men of your folk Man, woman, and maid, smothered my race in smoke.
It was done like cowards; and I, a mighty man of my hands,
Escaped, a single life; and now to the empty lands
And smokeless hearths of my people, sail, with yourself, alone.
Before your mother was born, the die of to-day was thrown
And you selected:- your husband, vainly striving, to fall
Broken between these hands:- yourself to be severed from all,
The places, the people, you love—home, kindred, and clan And to dwell in a desert and bear the babes of a kinless man.”
Robert Louis Stevenson
Notes to the song of Rahero
INTRoDUCTIoN.—This tale, of which I have not consciously changed a single
feature, I received from tradition. It is highly popular through all the country of the
eight Tevas, the clan to which Rahero belonged; and particularly in Taiarapu, the
windward peninsula of Tahiti, where he lived. I have heard from end to end two versions; and as many as five different persons have helped me with details. There
seems no reason why the tale should not be true.
{1a} “The ‘aito,” quasi champion, or brave. one skilled in the use of some weapon,
who wandered the country challenging distinguished rivals and taking part in
local quarrels. It was in the natural course of his advancement to be at last employed by a chief, or king; and it would then be a part of his duties to purvey
the victim for sacrifice. one of the doomed families was indicated; the ‘aito took
his weapon and went forth alone; a little behind him bearers followed with the
sacrificial basket. Sometimes the victim showed fight, sometimes prevailed;
more often, without doubt, he fell. But whatever body was found, the bearers
indifferently took up.
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{1b} “Pai,” “honoura,” and “Ahupu.” Legendary persons of Tahiti, all natives of Taiarapu. of the first two, I have collected singular although imperfect legends,
which I hope soon to lay before the public in another place. of Ahupu, except
in snatches of song, little memory appears to linger. She dwelt at least about
Tepari,—”the sea-cliffs,”—the eastern fastness of the isle; walked by paths
known only to herself upon the mountains; was courted by dangerous suitors
who came swimming from adjacent islands, and defended and rescued (as I
gather) by the loyalty of native fish. My anxiety to learn more of “Ahupu Vehine” became (during my stay in Taiarapu) a cause of some diversion to that
mirthful people, the inhabitants.
{1c} “Covered an oven.” The cooking fire is made in a hole in the ground, and is
then buried.
{1d} “Flies.” This is perhaps an anachronism. Even speaking of to-day in Tahiti, the
phrase would have to be understood as referring mainly to mosquitoes, and
these only in watered valleys with close woods, such as I suppose to form the
surroundings of Rahero’s homestead. Quarter of a mile away, where the air
moves freely, you shall look in vain for one.
{1e} “hook” of mother-of-pearl. Bright-hook fishing, and that with the spear, appear to be the favourite native methods.
{1f } “Leaves,” the plates of Tahiti.
{1g} “Yottowas,” so spelt for convenience of pronunciation, quasi Tacksmen in the
Scottish highlands. The organisation of eight subdistricts and eight yottowas
to a division, which was in use (until yesterday) among the Tevas, I have attributed without authority to the next clan: see page 33.
{1h} “omare,” pronounce as a dactyl. A loaded quarter-staff, one of the two
favourite weapons of the Tahitian brave; the javelin, or casting spear, was the
other.
{1i} “The ribbon of light.” Still to be seen (and heard) spinning from one marae to
another on Tahiti; or so I have it upon evidence that would rejoice the Psychical
Society.
{1j} “Namunu-ura” The complete name is Namunu- ura te aropa. Why it should be
pronounced Namunu, dactyllically, I cannot see, but so I have always heard
it. This was the clan immediately beyond the Tevas on the south coast of the
island. At the date of the tale the clan organisation must have been very weak.
There is no particular mention of Tamatea’s mother going to Papara, to the
head chief of her own clan, which would appear her natural recourse. on the
other hand, she seems to have visited various lesser chiefs among the Tevas,
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and these to have excused themselves solely on the danger of the enterprise.
The broad distinction here drawn between Nateva and Namunu- ura is therefore not impossibly anachronistic.
{1k} “hiopa the king.” hiopa was really the name of the king (chief ) of Vaiau; but I
could never learn that of the king of Paea—pronounce to rhyme with the Indian ayah—and I gave the name where it was most needed. This note must
appear otiose indeed to readers who have never heard of either of these two
gentlemen; and perhaps there is only one person in the world capable at
once of reading my verses and spying the inaccuracy. For him, for Mr. Tati
Salmon, hereditary high chief of the Tevas, the note is solely written: a small
attention from a clansman to his chief.
{1l} “Let the pigs be tapu.” It is impossible to explain tapu in a note; we have it as
an English word, taboo. Suffice it, that a thing which was tapu must not be
touched, nor a place that was tapu visited.
{1m} “Fish, the food of desire.” There is a special word in the Tahitian language to
signify hUNgERINg AFTER FISh. I may remark that here is one of my chief
difficulties about the whole story. how did king, commons, women, and all
come to eat together at this feast? But it troubled none of my numerous authorities; so there must certainly be some natural explanation.
{1n} “The mustering word of the clan.”
Teva te ua,
Teva te matai!
Teva the wind,
Teva the rain !
{1o} “The star of the dead.” Venus as a morning star. I have collected much curious
evidence as to this belief. The dead retain their taste for a fish diet, enter into
copartnery with living fishers, and haunt the reef and the lagoon. The conclusion attributed to the nameless lady of the legend would be reached today, under the like circumstances, by ninety per cent of Polynesians: and here
I probably understate by one-tenth.
{1p} See note “1o” above.
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Le chant de Rahero
Une légende de Tahiti
Pour Ori a Ori1
Pour toi Ori, mon frère selon la tradition des îles
Et dans les autres langues, mon ami si cher,
Cette histoire de ton pays et de ton peuple
Que j’ai écrite en anglais
Lorsque j’étais l’hôte, objet de mille attentions, de ton foyer
chaleureux,
Accepte-la et permets que je la signe du nom dont tu m’as honoré.
I - Le meurtre de Tamatea
Teriitera
Cette histoire eut lieu jadis, comme le racontent les hommes
de Taiarapu…
Un jeune homme s’en alla pour la pêche et la chance lui sourit ;
Son nom, Tamatea2 le crédule, à la simplicité et la gentillesse
sans égales,
Au physique harmonieux, au corps agile, à l’esprit simple.
Sa mère le guidait et l’aimait plus qu’une épouse l’aurait fait,
1
- Le nom du chef de Tautira était ori-a-Vaitaata, d’après Patrick o’Reilly, Tahitiens,
Publication de la Société des océanistes, n° 36, Paris 1975, p. 422.
2
- Tamatea signifie littéralement « enfant clair » et se retrouve dans le nom d’une
subdivision du district appelé Rahero.
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Lui qu’elle chérissait comme la prunelle de ses yeux, elle, qui
ne vivait que pour lui.
Un jour Tamatea au teint clair revint de la pêche,
Hissant à la hâte sa pirogue sur la plage tandis que sa mère sur
la berge l’attendait.
« Ia ora na oe 3! dit-elle. Ta pêche est une aubaine.
Choisissons à présent le poisson aux plus belles couleurs pour
le ari’i4,
Car la peur est entrée dans son royaume et la rage gronde dans
tout le pays ;
Condamnés ceux aux pieds lourds, condamnés ceux aux
mains perfides,
Comptées les heures et les lieues, comptées et pesées les
offrandes,
Malheur à ceux qui se présentent sans sacrifice !
Malheur à ceux qui se présentent à la nuit tombée ! »
C’est ainsi que sa mère lui parla et le conseilla
Car Rahero5 agitait le pays et complotait contre le ari’i ;
Point n’est besoin de levain pour que la discorde s’élève
Lorsque les liens de l’obéissance sont lâches et que les tributs
s’accompagnent de rancœur.
Lorsqu’enfin l’embarcation se hâta, vers le temple de Oro
avec la victime à son bord,
Que le prêtre ouvrit le panier de palmes et que son regard se
posa sur le visage mort,
Un frisson parcourut l’assistance à la vue du mauvais augure,
Car là gisait le ’aito, sans vie, lui, de la maison du roi…
Sur le rivage, ainsi parla sa mère, et, fait remarquable,
Elle tressa un panier avec soin et choisit un poisson dans la
barque.
3
- « Bonjour ! »
- Ari’i : chef dans la société traditionnelle tahitienne.
5
- Rahero était le nom d’un district du sud de Taiarapu s’étendant de Vai-piere à Tapena et comprenant trois subdivisions ; Ati-tamatea, hotu-tua’ana et hotu-teina.
4
93
Tamatea, le docile, panier sur l’épaule, s’éloigna alors.
Il vogua, son chant accompagnant son périple,
Heureux homme qu’il était !
Cependant par la pointe rugissante il devait passer,
Là où l’anneau du récif est brisé,
Là où les vents contraires s’affrontent violemment.
Sur sa gauche, de la fumée, comme lors d’une bataille, les
flots frappant la berge,
Les montagnes dressées comme des tours de guet s’élevaient
dans l’intérieur,
Chaque cap, village, rivière, vallée et montagne portait un nom
Pour que les hommes n’oublient pas et puissent chérir,
Et il n’y avait point de nom de lieu qui ne soit loué dans les
chants,
Tous ces chants des temps passés, que les anciens enseignaient aux plus jeunes,
Et qu’à la nuit tombée, à la lueur de la lune,
De jeunes gens couronnés chantaient en chœur.
Tamatea, le tendre, prenait son temps,
Chantant tel l’oiseau puissant, sifflant tel la flûte sonore
Offrant son corps au soleil et se reposant à l’ombre généreuse
des arbres.
Dans le flot glacé des rivières il s’enfonçait jusqu’aux genoux
Tandis que lui revenaient à l’esprit les hauts faits des puissants
Et les chants de gloire des héros d’antan.
Ainsi parvint-il à l’un des lieux honorés entre tous de Taiarapu
Où la forêt silencieuse débouche sur la côte bruyante, au
niveau de la rivière ;
Là se trouvait le lieu de prédilection de Pai.
Là, dans toute la force de sa jeunesse, abandonné par ses
parents à la mort
Honoura avait vécu comme une bête, sans lumière ni chaleur,
Baigné par les pluies apportées par les alizés, les cheveux
englués de boue.
94
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C’était là que, grâce à ses mains puissantes, il avait fait plier
l’arbre sous son talon
Et, tenaillé par la faim, l’avait dénudé de ses fruits.
C’était là aussi que Ahupu, déesse du chant, tentait de percer
les secrets des nuages
Et que, sur les crêtes des collines, on la voyait marcher.
Rahero, homme d’ascendance divine, les avait pour ancêtres,
Et avait reçu en héritage un esprit rusé, un corps et des traits
beaux.
Très tôt dans sa jeunesse, Rahero, le ’aito, avait parcouru les terres
Charmant les jeunes filles de sa voix de miel,
Terrassant les hommes de sa main puissante ;
Il avait acquis une grande renommée dans sa jeunesse, mais
avec l’âge s’était posé,
Et composait à présent un chant d’adieu à la gloire et à la victoire.
Voici ce chant :
Maison de mes pères, maison sur la mer,
Vénérée par mes pères et plus encore par moi,
Antre de Honoura le puissant,
Ravin profond où se tient Pai,
J’entends encore au-delà de vos sommets boisés le cri de l’alizé.
Maison de mes pères, dans tes murs résonnent les rugissements
de la mer,
Chants les plus chers à mon cœur.
J’ai entendu les acclamations des hommes qui se sont élevées
Puis se sont tues,
A présent, chers à mon cœur, j’entends les rugissements de la
mer.
Telles étaient les paroles de son chant, mais tout autre était le
chant de son cœur,
Car un désir secret de gloire le dévorait, comme tapi dans le
tréfonds de son âme.
95
A la fois agile et paresseux, il aimait s’étendre au soleil,
Et appréciait les discussions oisives et les bons mots.
Quel paresseux il faisait ! Le toit de son logis s’effondrait,
Sa table était bien peu garnie, et le poisson pouvait nager en
paix devant lui,
Car il n’attrapait que ce qui était à portée de main et sans défense.
Il s’asseyait dans sa maison et riait mais, pour le roi, il n’avait
que haine,
Et en silence il ourdissait contre lui.
La traîtrise avait élu domicile en sa maison et il rêvait du jour où,
Sous les regards de la foule assemblée par les tambours,
Et une fois les choix exprimés, le roi serait écarté du pouvoir
dans la honte,
Et Rahero, le bon vivant, le paresseux, prendrait sa place.
Sur ces entrefaites, Tamatea apparut et vit la maison près du
ruisseau,
Tandis que Rahero se trouvait là et recouvrait son four.
Seuls les tatouages l’habillaient jusqu’à la taille
Et les palmes jouant avec la lumière ornaient son dos robuste
de leurs ombres.
Le pas du visiteur lui fit lever la tête d’un mouvement vif
Et l’envie soudaine d’un bon repas le fit saliver,
Car il avait bien remarqué sur l’épaule
Le panier qui protégeait du soleil et des mouches.
Rahero recouvrit son feu de terre, mais de viande dans sa maison il n’y avait point.
Il s’avança, prit le jeune homme par la main et le regarda,
Louant les plaisirs de la bonne chère et le bien fondé des
anciennes coutumes :
« Les anciens de Taiarapu, les pères de notre peuple
Mangeaient toujours de bon appétit
Se préoccupant ni des saisons ni des lieux,
Tantôt en pirogue, tantôt à pied,
Et la nuit, ils abandonnaient leurs rêves pour fouiller leur logis
96
N°328- Janvier / Avril 2013
En quête de quelque chose à se mettre sous la dent.
Il est bon pour le jeune de marcher à son tour sur les traces de
l’aîné,
Et regarde comme tu arrives à point nommé alors que je
recouvre mon feu ! »
« Je vois le feu pour cuire, mais point de viande à cuire ! »
s’exclama Tamatea,
« Allons donc ! fit Rahero. Ici, dans ce ruisseau, et là, dans la
mer profonde,
Les poissons sont légions, affamés comme des hommes à
l’appétit féroce
Et aussi goûteux et gros que des cochons.
Les rivières regorgent de chevrettes et la mer foisonne de
poissons. »
« Cela se peut bien, répliqua l’autre, mais, pour moi, il n’en
sera rien,
Je mangerais volontiers mais hélas, j’ai en main une charge
d’importance,
Car je vais de ce pas, apporter au roi jaloux mon poisson en
signe d’allégeance. »
A ces mots, le regard de Rahero s’illumina…
« Je vais gagner un repas, songea-t-il,
Et en même temps faire une surprise au roi. »
Il mena le jeune homme par le bras vers le bord du chemin,
Lui sourit, conversa, flatta, le gratifia de moult accolades.
Ainsi dit-il : « Toi qui chantes comme l’oiseau, jamais je ne
t’ai entendu »,
Ou encore : « De mon temps, les jeunes gens ne redoutaient
pas tant le roi,
Et que vaut une heure, lorsque le cœur ne connaît pas la ruse ?
Viens donc, assieds-toi et amuse toi avec les femmes un instant,
Tandis que je vais avec mon hameçon pêcher notre repas. »
Ainsi, Tamatea le tendre suspendit son panier aux branches
d’un arbre,
97
A l’écart et à l’ombre, et Rahero le conduisit à l’intérieur,
Lui souriant comme l’oiseau de proie à la vue de l’oiseau qui
se pose sur les baies.
Il choisit un hameçon étincelant, le contempla d’un air admiratif,
Prit une inspiration et le frotta contre son flanc de bronze.
Il étala une natte pour le fou et lui souhaita de s’amuser en
bonne compagnie,
Comme un homme qui se soucie de son hôte, de sa pêche et
de rien d’autre.
Et alors que Rahero s’éloignait, il s’arrêta et tendit l’oreille :
Le fou s’amusait à l’intérieur et les femmes riaient à ses plaisanteries.
Il se glissa subrepticement de l’autre côté du chemin,
A l’endroit ombragé où le panier était suspendu à une branche
de manguier.
A l’idée du tour qu’il allait jouer, ses traits se déformèrent.
Sans difficulté, il ouvrit le panier et découpa un beau morceau
du poisson,
La part des rois et des chefs, de quoi faire un bon repas,
L’enveloppa dans des feuilles, le mit à cuire au four,
Recouvert de terre.
Il prit ensuite les restes mutilés du tribut, les enveloppa pour
les étoffer
Et les remit dans le panier qu’il referma.
« Nous avons là de quoi faire un festin, mon seigneur, murmura-t-il,
Jusqu’à s’en rendre malade ! »
Et il suspendit de nouveau le panier à l’ombre, au milieu
d’une nuée de mouches :
« Et il y a même de quoi relever ton repas, roi aux yeux perçants… »
Dès que le four fut ouvert, l’odeur du poisson se répandit
agréablement.
98
N°328- Janvier / Avril 2013
A l’ombre, près de la maison de Rahero, chacun s’assit pour
manger.
Ils ouvrirent les enveloppes de feuilles en silence, lançant un
bon mot et riant parfois
Et levant les coupes de coques de coco,
Y plongeaient les lèvres et buvaient à pleines gorgées.
L’ensemble du repas se déroula en silence et dès qu’il fut terminé
Rahero fit mine de se souvenir qu’il avait à faire,
Estima l’heure qu’il était à la position du soleil, et ajouta :
« Tamatea, mon ami, il est temps de te remettre en route. »
Aussi Tamatea se leva-t-il pour accomplir ce qu’il avait promis et, ne se doutant de rien,
Remit le panier sur son épaule et salua chaleureusement son
hôte.
Une fois encore il dut passer par la côte rugissante.
Il poursuivit sa route et finalement aperçut une tache verte et
accueillante,
Puis les feuilles et les ombres des palmes, et enfin les toitures
des maisons au centre.
Là, sur un siège royal à l’entrée de sa demeure, se tenait le ari’i ;
Les ’aito en armes l’encerclaient, debout,
Tandis que les iatoai6 étaient assis à ses pieds.
Mais la peur était comme un ver dans son cœur et la peur
se lisait dans son regard :
Il scrutait le visage des hommes pour y déceler la trahison,
Et il tendait l’oreille à leurs discours pour y déceler les mensonges.
Tamatea se présenta à lui, le panier pendant à son bras,
Et l’assura de sa loyauté, debout, comme doivent le faire les
vassaux.
6
- Les iatoai regroupaient les nobliaux, classe sociale se situant entre les ari’i et les
manahune.
99
Le roi l’écouta en silence, les yeux fermés,
Tandis que de hideuses pensées envahissaient son esprit,
Alimentées par les peurs sans fondement qu’il éprouvait à
l’égard de son peuple.
Il reçut le présent en silence et congédia son porteur ;
Tamatea s’en alla donc, laissant le jour derrière lui,
Mais voilà, alors que le ari’i était toujours perdu dans ses pensées,
Une rumeur s’éleva dans l’assistance,
Les iatoai se donnèrent des coups de coudes et murmurèrent ;
Les murmures du peuple s’amplifièrent,
Et les ricanements se répandirent dans l’assistance à la vue de
l’impudente chose,
A la vue du présent indigne jeté à la face du roi.
Le visage du roi devint alors blême puis cramoisi de honte et
de rage,
Et son cœur dans son corps fut tour à tour de glace et de feu,
Et soudain, d’une main ferme,
Il saisit un jeune garde qui se tenait là, son ’omore7 à la main ;
Il vociféra un ordre, pointa une direction, donna un nom
Et se réfugia dans sa maison pour y cacher sa rage et sa honte
impuissantes.
A présent Tamatea le fou était loin sur le chemin de retour,
La nuit se levant face à lui, le jour déclinant derrière lui.
Rahero le vit passer et son cœur exulta
A la pensée de l’affront fait au ari’i et du mal causé à l’insouciant.
Et tous ceux qui habitaient sur sa route le virent passer et le
saluèrent,
Car son visage était celui d’un ami et il apportait des nouvelles du village.
Heureux de ces attentions et d’avoir accompli sa mission,
7
- Arme traditionnelle, lance ou casse-tête.
100
N°328- Janvier / Avril 2013
Tamatea rentrait chez lui, tournant le dos au soleil.
Et voici qu’était arrivée l’heure du bain à Taiarapu :
Les joyeux éclats de rire des baigneurs s’élevaient dans les airs
Et ravissaient son oreille.
La nuit était tapie dans les vallées tandis que le soleil s’attardait sur les crêtes,
Et au-dessus, les nuages livraient bataille à leur hôte,
Scintillant, étincelant sur les hauteurs,
Et la tête des palmiers était pareille à des joyaux
Qui projetaient l’ombre de leurs bouquets loin dans le soir
naissant,
Et l’ombre de Tamatea déjà parvenait à son foyer lorsque,
soudain,
Des pas rapides et légers comme l’écume s’approchèrent :
Il se retourna : un homme était à ses trousses,
Les reins ceints d’étoffe et armé de son ‘omore, il était sur ses
talons ;
En un bond l’homme fut sur lui et avant qu’un mot ne soit
prononcé,
La tête lourde de la massue s’abattit et Tamatea s’écroula…
II - La vengeance de Tamatea
Telle fut la trahison de Rahero, et telle demeura-t-elle, impunie.
Le ari’i était en sécurité chez lui et un gentil fou était mort,
Mais la mère de Tamatea leva les yeux au ciel, un désir de
mort dans le regard.
Toute la nuit et la nuit suivante, Taiarapu résonna de ses cris
de désespoir,
Semblables à ceux de l’enfant qui se retrouve dans les bois,
envahie par le doute,
Parce qu’elle ne voit ni foyer ni amis, car les arbres se sont
refermés sur elle
101
Et les montagnes l’emprisonnent.
Le cri animal de la mère déchira l’air en vain ;
Il perça l’oreille des hommes sans qu’ils l’entendent et blessa
leur cœur.
Mais, comme lorsque le temps change en mer dans les
endroits dangereux,
Et que soudain les vents de la tempête se regroupent dans le
haut du ciel,
Que le bateau se tient immobile, et que les voiles pendent au
mât, silencieuses,
Que le vent qui soufflait s’évanouit dans un soupir,
Et que les armées de la mort s’approchent à pas silencieux,
De même, ses cris de douleur cessèrent soudain.
En silence elle se redressa, et quitta la maison de son chagrin,
drapée de dignité,
Le fardeau de la mort en son sein et s’apprêtant à donner la
mort de ses mains.
Elle alla ici et là sur toutes les côtes de l’île.
Les hommes de Taiarapu racontent qu’elle ne craignait point
de s’aventurer seule
Au milieu de la nuit et dans les lieux maudits,
Et qu’elle voyait sans défaillir le ruban de soleil tournoyer
d’un marae à un autre
Tandis qu’elle conduisait le frêle esquif.
Elle ne reculait pas devant les sentiers de montagne et arpentait le haut des falaises
D’un bout à l’autre de l’île, sans se soucier de la distance,
Mais seulement d’avancer pour rencontrer les ari’i, l’un après
l’autre,
Pour leur conter le mal qui lui avait été fait.
Ainsi, l’un après l’autre, elle les rencontra tous, assis à l’entrée de leur territoire,
Faisant valoir son appartenance au clan, usant de ses talents
oratoires,
102
N°328- Janvier / Avril 2013
Rappelant son identité et la généalogie de ses pères,
Et malgré la douleur qui déchirait ses entrailles,
Faisait de l’esprit pour attirer leur attention,
Et riait lorsqu’ils répondaient à ses bons mots,
Les trompait alors un instant pour changer de ton et revenir en
un souffle
Réclamer la mort immédiate pour le peuple de Vaiau8.
Ses paroles tentaient les seigneurs (car Vaiau était une contrée
riche et prospère)
Et les flattaient (car qui pouvait oser les défier sinon les guerriers valeureux ?)
Et sa voix encore changeait subitement pour s’élever comme
un chant,
Évoquant le son des tambours, rappelant la chute des puissants,
Et invitant les esprits mauvais à venir se repaître de mort.
Ils se tenaient le buste fier, l’écoutaient puis secouaient la tête,
Car ils connaissaient la réputation des hommes de Taiarapu,
Au combat comme au repas,
Extraordinaires lutteurs et mangeurs, ceux de Vaiau n’étant
pas les moindres.
Elle parvint enfin au lieu dit Na-manu-ura, à Paea9,
Où vivaient les ennemis des Teva qui n’avaient que haine pour
leur nom et leur race.
Là, elle fut bien reçue et s’entretint avec le ari’i Hiopa.
Hiopa l’écouta, évalua les risques et considéra la situation
avec sagesse.
Ainsi s’adressa-t-il à elle :
« De ce côté de l’île, notre clan est à l’abri, mais au loin,
Là où souffle le vent se trouve Taiarapu la majestueuse,
Les alizés s’abattent avec force sur ses côtes,
Et rugissent sur les sommets escarpés des montagnes,
8
9
- Vaiau était un district situé à la pointe Sud-ouest de Taiarapu.
- District de la côte ouest de Tahiti, entre Punaauia et Papara.
103
Et leur chant se fait entendre jusque dans les forêts giboyeuses.
Puissant est le vent, puissant et fertile est le clan,
Renommé au combat comme au repas,
Extraordinaires lutteurs et mangeurs, ceux de Vaiau n’étant
pas les moindres.
A présent, écoute-moi, et reçois ces paroles de sagesse :
Sache qu’une force toujours s’accompagne d’une faiblesse,
Elles vont toujours par deux, comme une paire d’yeux.
Ils peuvent manier avec adresse le ’omore et lancer loin le
javelot,
Mais ils sont aussi gourmands et faibles que les porcs et les
enfants.
Plantons donc ici à Paea d’excellents fruits,
Plantons des bananes, du kava10 et du taro11, roi des tubercules,
Que les cochons de Paea soient tapu12,
Que les hommes cessent de pêcher durant une année,
Que de toute la nourriture qui existe sur Tahiti, on en trouve
trois fois plus ici,
Qu’ainsi la renommée de notre abondance se répande dans
l’île et que pour finir
Les langues de la rumeur la transportent où nous voulons
qu’elle aille.
Alors les porcs de Taiarapu lèveront leur museau en l’air,
Mais nous les attendrons patiemment assis,
Comme l’oiseau de proie attend près du piège,
Les bras calmement croisés jusqu’à ce que les porcs approchent,
En quête de nourriture.
Mais en attendant, construisons une maison en toroea13, bois
résistant,
10
- ’Ava en tahitien, (Piper methysticum).
- Colocasia esculenta.
12
- Interdits de consommation.
13
- Cyclophyllum barbatum.
11
104
N°328- Janvier / Avril 2013
Renforçons-la avec des liens incombustibles, posons-y un toit,
Qu’elle soit suffisamment résistante pour que la main de
l’homme
Ne puisse la démonter ni le feu la consumer ;
Et là, lorsque les porcs s’approcheront, alors une grande fête
sera donnée,
Et l’œil du jour viendra éclairer les fêtards, morts.
Qu’il en soit ainsi, car mon cœur est plein de pitié à l’évocation de ton malheur,
Et les Teva et les Manu-ura se haïssent comme le feu hait l’eau.
Tout fut accompli comme il l’avait annoncé et les champs
fructifièrent.
Alors la renommée de leur abondance se répandit et arriva à
Vaiau,
Car les gens de Manu-ura voguaient loin, poussés par le vent,
Et parvenus au large de la pointe Sud où se trouvent les villages des Teva,
Ils jetaient par-dessus bord leurs fruits abondants.
Et voilà qu’aux pieds des Teva les vagues déversaient sur
toutes les plages
Des trésors de nourriture, mêlés au sel de la mer,
Récolte agitée par l’écume que les enfants ramassaient lors de
leurs jeux,
Mangeaient et rapportaient chez eux.
Alors les aînés dévoraient des yeux, débattaient, questionnaient et devisaient.
Chaque visiteur était interrogé avec avidité,
Et peu à peu, d’un visiteur à l’autre, la réponse se précisa :
« A l’intérieur des limites de Paea, les fruits pourrissent sur le sol,
Et les cochons sont aussi nombreux que les rats.
Et à présent, lorsqu’ils partent en mer,
Les hommes de Manu-ura n’ont qu’à cueillir sous l’arbre
Pour remplir à ras bord leurs pirogues de mille choses délicieuses.
105
Durant tout leur séjour en mer, ce ne sont que craquements de
mâchoires
Qui se referment sur la viande,
Festin en proue, festin en poupe,
Tandis que le barreur se régale à la poupe, les rameurs se régalent bruyamment,
Et enfin, une fois leurs estomacs pleins, ils jettent par-dessus
bord
Ce qu’ils n’ont pas encore mangé ! »
Ainsi la rumeur d’abondance fut avérée,
Et comme la prise est ferrée,
Lorsque la mer cessa d’apporter son lot de présents,
Tous les porcs de Taiarapu levèrent le museau au vent.
Des chants furent entonnés, les hommes comptés, des histoires racontées
Sur les guerres anciennes et fratricides,
Et sur la paix qui avait unifié les différents clans de l’île.
Aussi déclarèrent-ils : « Mettons fin à la guerre et rendonsnous à Manu-ura
Comme un ami rend visite à un ami. »
Ainsi en fut-il décidé et une date fixée.
Dès le point du jour, des pirogues furent mises à l’eau
Et les maisons vidées de leurs occupants.
Le vent du Sud souffla avec force, ce vent qui rassemble les
Teva14.
Le long du récif, les colonnes de guerriers approchaient au
milieu des clameurs,
Tandis que les nuages s’amoncelaient au sommet des montagnes,
Comme une couronne posée sur une couronne.
14
- on disait alors - et on croit toujours - que la pluie et le vent accompagnaient le
clan des Teva.
106
N°328- Janvier / Avril 2013
La flotte glissait sur le lagon émeraude ; à son bord, un équipage insouciant
Faisant voile sur un lagon étale, humant l’air frais.
Le cœur léger, encouragés par un soleil qu’aucun nuage
n’obscurcissait.
De toutes parts ils surgissaient, tels l’écume du récif et les
tempêtes en montagne.
Ainsi fit voile le peuple de Vaiau, le cœur en joie,
Contournant la pointe aux cocotiers, traversant les baies peuplées,
Et passant devant tous les villages des Teva.
Tandis qu’ils poursuivaient leur route,
Gestes, rires et chants étaient échangés entre les embarcations,
Et tous les villageois se rassemblaient sur la côte,
La main en visière ou perchés dans un arbre
Afin de les saluer et les encourager pendant le court moment
de leur passage.
Le cœur léger, la flotte naviguait au vent puis disparaissait de
leur vue,
Vive comme l’oiseau furtif.
Son chant, tel le cri de l’oiseau, résonnait sur le rivage,
Faisant écho aux rires empreints de désir des jeunes femmes
Et aux cris de joie des plus jeunes.
Et l’observateur resté à terre observait le sillon en souriant.
Devant tous les villages des Teva ils passèrent, et Papara fut le
dernier ;
Siège du chef, lieu de rassemblement en temps de guerre.
Ils franchirent enfin les terres du clan pour rentrer dans les
terres étrangères.
Là, à l’ombre des cocotiers bordant le rivage,
Une colonne de fumée s’élevait en ondulant
Pour s’évanouir dans l’or du soleil couchant.
« Paea ! s’écrièrent-ils, voici Paea ! »
Et ainsi fut accompli le voyage.
107
Dès la tombée de la nuit, Hiopa descendit sur le rivage,
Regarda et compta les nouveaux venus ;
Les nourrissons qui, pressés, déjà couraient et jouaient,
Les enfants au sourire éclatant, les jeunes filles à la poitrine
naissante,
Et les femmes aux membres puissants, solides mères des
hommes.
Les seigneurs s’avancèrent, raides, sans ciller,
Tandis qu’à quelques pas derrière eux, jeunes gens et jeunes
filles
Se regroupaient en un cercle, attirés les uns par les autres,
Effrayés par leur propre personne, et tous conscients de la présence du ari’i,
Mais solidaires dans le regard et se tenant la main,
S’échangeant des regards doux comme des caresses
Et des rires tendres comme des soupirs.
Là se tenait également le grand seigneur, la tête couronnée de
sa chevelure d’argent,
Tandis que les mains impuissantes d’un nourrisson s’agrippaient à sa poitrine nue.
Enfants de l’amour, du couple bien assorti, génération innocente
Récit des générations répété et sans cesse renouvelé,
Le regard de Hiopa se posa sur eux, sur chaque génération,
Et l’espace d’un instant l’idée de son dessein le fit tressaillir,
Mais ces derniers étaient les ennemis jurés de son clan15,
Et l’instant suivant, il écarta de son esprit le sentiment de pitié,
Adressa ses salutations polies au ari’i, ses respects à Rahero,
Des louanges flatteuses à tous ceux qui pouvaient lutter,
Chanter ou se réclamer d’un ancêtre illustre,
15
- Dans ses Mémoires, Ariitaimai rappelle que « Les huit districts des Teva sur lesquels Papara exerçait son autorité de chef de clan partaient depuis la palissade
de Taiarapu à l’extrême Sud de l’île jusqu’à la limite d’oropaa, le grand district
situé près de Papara sur la côte ouest. oropaa comprenait deux divisions appelées aujourd’hui Paea et Punaauia. »
108
N°328- Janvier / Avril 2013
Et à ceux qui étaient bien nés, il rappela l’ancien temps.
« En effet, dit-il, à Paea la nourriture pourrit au sol mais mes
amis,
Vous êtes nombreux,
Et nos hommes doivent trouver les cochons et les tuer,
Et d’autres parcourent les montagnes pour en rapporter des fe’i16,
Tandis qu’autour des bols de kava17, déjà les jeunes femmes
s’affairent.
Aussi, restez donc avec nous cette nuit et demain, chefs, prêtres et hommes du commun
Prendront place selon leur rang autour du festin avec moi. »
La nuit n’apporta pas le repos car les hommes de Hiopa s’activaient.
Les cris des cochons retentirent lorsqu’on les égorgea,
Les cloisons de la maison furent huilées avec soin,
Et les nattes de feuilles étalées sur le sol.
Dans les vallées, la lune projeta l’ombre des arbres sur les
hommes nus
Préparant et portant les fruits,
Et partout dans le village les feux de palmes rougeoyèrent,
furent recouverts et piétinés.
C’est ce que firent sept des iatoai rythmant leur tâche de
chants
Alors que le huitième, aidé de ses pairs s’esquivait.
Dans le fond des bois ils œuvrèrent, empilant les fagots lourds
comme un homme,
Secs, et prêts à s’enflammer.
Ils avaient hâte de se saisir des flambeaux et de répandre le feu.
Arriva enfin le grand jour de fête.
Avec la lueur du jour les forêts s’animèrent sous le vent
Et les sommets frémirent sous le feu du jour.
16
17
- Banane plantain, (Musa troglodytum).
- Boisson cérémonielle enivrante faite à base de racines de ’ava.
109
Les noix de coco tombèrent en abondance sur le sol
Pour s’éloigner en roulant après un rebond.
Journée splendide pour une fête,
Vent magnifique pour un brasier.
Hiopa les accompagna vers le lieu du festin, père et mère,
jeune fille et nourrisson,
Eux tous qui étaient venus le cœur léger,
Se présentèrent tout sourire, tête ceinte de fougères, sans se
douter de rien.
Pour tous, on apporta en abondance du cochon cuit à point
sous la terre,
Tandis que des monceaux de fe’i, source de vie, attendaient
d’être dégustés.
Pour chacun, on empila des bananes crues ou cuites,
Comme on le fait à l’étable pour les chevaux, avec foin et
fourrage.
A cela s’ajoutait le poisson si convoité,
Des calebasses remplies de sauce,
Et des fruits de l’arbre à pain rôti sur le feu.
Le kava coulait à flot, comme si ce n’était guère que de l’eau,
Que de fêtes s’étaient déroulées avant !
Mais jamais aussi grandioses que celle donnée pour le peuple
de Vaiau.
Tout le jour ils se gavèrent comme des ogres,
Passant des cochons aux poissons et des poissons aux fruits,
Vidant les calebasses de sauce et s’enivrant de kava jusqu’à
plus soif,
Jusqu’à ce que les jeunes soient raides comme des statues
Et que les plus âgés piquent du nez,
S’enfonçant dans un sommeil contre lequel ils ne pouvaient
lutter,
Puissant comme la mort, profond comme le plus sombre des
abysses,
Qui les engloutit jusqu’à ce que leur conscience s’évanouisse,
110
N°328- Janvier / Avril 2013
Et que la lumière disparaisse derrière leurs paupières lourdes.
Tous, jeunes, vieux, tombèrent dans une torpeur immense :
Le guerrier naguère vaillant, le conteur à la langue déliée,
L’épouse prospère endurcie par les douleurs de l’enfantement,
De même que la jeune fille que les baisers n’avaient point
encore effleurée,
S’écroulèrent d’une même masse.
Hiopa le grand et ses lieutenants apparurent dans l’entrée,
silencieux ;
Déjà le soleil déclinait et embrasait les sommets du Nord,
Mais le vent ne faiblissait point et soufflait comme au matin,
Faisant choir les noix dans le crépuscule et, comme une bannière qui se déchire,
Au dessus des sommets de l’île, les nuages se fendirent.
Soudain, au signal, une foule silencieuse s’activa en hâte à la
tâche funeste,
Telle une armée de fourmis, entassant les fagots en bûcher
dense aussi large que haut,
Les entassant toujours plus haut autour des murs d’enceinte.
Le silence ne fut point perturbé car un sommeil lourd avait
envahi l’assemblée.
La mère de Tamatea se tenait au côté de Hiopa
Tressaillant de terreur et de joie comme la jeune fille à la
veille de ses noces.
La nuit tomba sur les ouvriers et Hiopa le sage fit en premier
le tour de la maison,
S’assurant que tout avait été fait dans les règles ;
Les fagots montaient jusqu’au toit, tandis que d’autres bloquaient les issues,
Et à l’intérieur de la maison assiégée la quarantaine d’invités
sommeillait.
Un ’aito fut alors envoyé et revint une torche à la main ;
Hiopa s’en saisit et s’exclama :
« A l’intérieur se trouve la vie de toute une terre, et regardez !
111
Je souffle sur les braises et sur les vallées de l’est,
Et le silence tombe sur les forêts et les berges,
Le bruit de la fête est étouffé et la fumée du festin s’élève
dans les airs,
La toiture se désintègre et s’écroule sur la salle vide,
Et le vent abat les cloisons. »
A ces mots il approcha le brandon des fagots,
Et une traînée rougeoyante se creusa un chemin comme une
taupe dans les bûchers.
Une fumée dense s’éleva alors,
Et de même que, lorsqu’un barrage est sur le point de rompre,
L’eau monte et s’écoule tout d’abord en filets argentés
Pour soudain le submerger et l’emporter,
En un instant la flamme jaillit et s’éleva dans la nuit,
Rugissant et luttant dans le vent au-dessus de la maison18 et
des arbres,
Dressée comme une torche étincelante, embrasant terre et mer.
La mère de Tamatea leva les bras au ciel en s’écriant :
« Bûcher de mon fils, vengeance des dieux bien méritée,
enfin, je te vois, oui, enfin !
Oh victoire ! Terminés enfin les jours de souffrance !
Le désir qui dévorait mon âme à présent se repaît de cette vision,
Et ceux qui immobilisèrent mon fils à présent se tordent de
douleur dans les flammes.
O combien précieuse est la vengeance
Qui s’accomplit après tant d’années d’attente !
Tu as étouffé la voix de mon enfant qui chantait comme l’oiseau ?
Ecoute donc à présent le chant du brasier !
Tu as fait de moi une veuve solitaire ?
Regarde donc ton peuple se consumer !
18
- D’après T. henry, cette maison reçut le nom de Te-ra-tore-re’a, le soleil aux
rayons jaunes.
112
N°328- Janvier / Avril 2013
Hommes, femmes et enfants entassés
Dont la chair, les os et les muscles se tordent dans les flammes,
Et déjà la fumée qui s’élève de vos dépouilles voile les étoiles
de la nuit. »
Ainsi parla-t-elle et le peuple vit alors
Sa silhouette se redresser et grandir devant le feu.
III - Rahero
Rahero se trouvait dans la pièce, endormi au côté de son
épouse,
Femme belle et joyeuse qui appréciait les plaisirs de la vie.
Sa fille, prête à marier, timide et rusée comme une petite souris,
Et son fils, agile comme un singe ; ils étaient tout l’espoir de
sa maison.
Il dormait, détendu, au milieu des siens, sans qu’aucun doute
n’effleure son esprit,
Et, dans son rêve, il lui sembla entendre un cri.
Il se réveilla alors et se leva d’un bond comme pour échapper
à ce rêve terrifiant.
Il était cerné par la fumée et une lueur infernale qui rugissait
Comme la cascade qui plonge dans les profondeurs abruptes
et soudaines.
Rahero tituba en se levant car il n’avait pas encore repris ses
esprits,
Et à présent les flammes s’attaquaient avec vigueur à la maison,
Attisées par le vent et dans une détonation fracassante,
Le toit éclata en mille morceaux et s’effondra sur les victimes
endormies.
La pièce majestueuse, la fête et les corps prostrés des hommes
Brillèrent un instant dans ses yeux
Pour ensuite disparaître, engloutis par la fumée.
Rahero reprit enfin ses esprits et ouvrit la bouche ;
113
Sa voix claqua comme une voile dans la nuit :
« Le vent, la pluie ! » Tel était le cri de son clan19.
« Debout ! Aux armes, gens de Vaiau ! »
Mais il ne reçut pour toute réponse que le silence,
Le son des rafales de feu, et rien d’autre.
Rahero se baissa et chercha à tâtons.
Il toucha le corps de sa femme et sa fille,
Mais la fumée de l’incendie et le kava leur avait déjà ôté la vie,
Et elles se tenaient raides comme des poteaux, face contre
terre.
Sa main se posa sur son fils et, soudain, une lueur de joie jaillit
de son âme meurtrie.
« Je pourrai le sauver si je suis assez rapide », se dit-il.
Il détacha alors le vêtement de ses reins et en enveloppa l’enfant.
Il noua ensuite le fardeau derrière sa nuque puissante.
Là où le toit s’était effondré, des rugissements s’élevaient,
Comme de la bouche de l’enfer.
C’est alors que Rahero partit, trébuchant sur les corps sans vie
de ses frères,
Et, s’agrippant à un poteau de la maison, il commença à grimper au milieu de la fumée ;
Lui, le dernier survivant de Vaiau et son fils, par lui, porté.
Le pilier rougeoyait sous les assauts du feu qui le consumait
Et qui lui mordit la main et les flancs jusqu’au sang,
Tandis que les fumées l’étourdissaient comme du vin et lui
piquaient les yeux.
Il continua cependant de grimper et parvint tout en haut, au
dernier obstacle.
19
- Le cri du clan des Teva était :
« Teva te ua, Teva te matai,
Teva te mamari, e mamari iti au na Ahurei », ce qui signifie :
« Teva la pluie, Teva le vent,
Teva aussi nombreux que les œufs de poisson
Appréciés de Ahurei. »
114
N°328- Janvier / Avril 2013
Il plongea la main dans les flammes et se hissa, vivant, sur le toit.
Mais, alors même qu’il se dressait péniblement,
Le vent accompagné de feu et de douleur l’enveloppa de la
tête aux pieds,
Consumant l’enveloppe de son fardeau qui se déchira en lambeaux ;
Alors le fruit vivant de son sang tomba dans les flammes.
Autour de la maison en feu les yeux des ennemis rassemblés
étincelaient ;
Ils s’assuraient, main sur l’arme, qu’aucun ne s’échappe,
Main en visière, tendant le cou pour mieux voir.
Les flammes portaient loin sous l’action du vent,
La forêt résonnait des éclats de feu et aucun homme ne pouvait y demeurer.
Rahero rampa alors et se laissa choir des auvents enflammés.
Il s’accroupit et, couvert de feuilles, enveloppé de fumée et de feu,
Il s’enfuit sans être vu pour avoir la vie sauve.
Derrière lui, sous la fournaise de charbons ardents,
Empilés sous les flammes et envahissant la nuit de fumée,
Les os de son peuple se fondaient en un brasier infernal.
Il s’enfuit sans but, tout d’abord, puis le rugissement des
vagues guida ses pas,
Et il parvint enfin au rivage.
Ses membres étaient engourdis, ses yeux étaient secs, mais
tout son corps était alerte,
Et la cage puissante de son torse se soulevait péniblement de
douleur et de colère.
« Fous de Vaiau ! s’écria-t-il. « Porcs gloutons ! Hélas, où
sont-ils à présent ?
Ceux-là mêmes qui partageaient mes jeux,
Ceux qui me chérissaient et ceux que je chérissais
Les dieux et moi leur survivons, moi le moindre et le pire
d’entre tous
Moi qui me croyais rusé, piégé par cette horde de porcs !
115
Et dans les tourments de l’enfer, me voilà, malheureux,
Dépouillé de tout ce qui était mien ;
De tout ! Amis et pères, têtes argentées du passé réunies en
conseil,
Enfants qui s’élançaient avec des cris innocents
Pour s’agripper aux jambes de leurs pères !
Et les miens, ma femme, ma fille, et mon fils robuste et agile
Qui plus jamais ne grimpera aux arbres ! »
Dans la nuit noire –les nuages s’amoncelaient dans le ciel et
engloutissaient la lune –
Rahero laissa monter la rage en lui, faisant les cent pas et se
mordant le poing ;
Se venger : voilà ce qu’il lui fallait.
Mais il y avait bien des choses à accomplir auparavant,
Tout d’abord arracher une vie d’un lieu mortel,
Une vie qui serait la racine de la vengeance,
La plante survivante de sa race.
Ensuite, il faudrait élever une nouvelle race qui repeuplerait
les terres du clan.
Tels furent les plans de Rahero, homme prudent malgré la
colère,
Et il s’en fut chercher les moyens de se venger et de s’échapper,
Un bateau qui serait dérobé par surprise, une femme qui serait
prise de force.
Le lagon sombre était calme et, au loin, sur la barrière de
corail,
Il voyait luire les brisants,
Et les entendait gronder et frapper.
Sur le récif un homme seul marchait ; il tenait un flambeau,
Observait et s’arrêtait, un harpon à la main.
L’écume bouillonnait contre ses mollets lorsque les lames
s’abattaient,
Et la torche tremblait dans le vent qui emportait avec lui
Des étincelles arrachées au brandon.
116
N°328- Janvier / Avril 2013
Au loin, sur le lagon sombre, une pirogue que guidait une
vague silhouette,
Sûrement la compagne du pêcheur, attendait patiemment.
Rahero regarda et sourit.
Il étira ses membres puissants,
Son corps nu meurtri et couvert d’écorchures, sans arme.
Il raidit ses bras, empli ses poumons d’air et à présent,
Homme fort comme le vent, condamna le pêcheur à la mort.
Il entra dans l’eau en silence et nagea jusqu’à l’endroit où se
tenait le pêcheur,
La torche brandie au-dessus de lui.
Les salves de la mer résonnaient en s’abattant sur le récif,
Et lorsqu’il fut parvenu juste derrière l’homme
Rahero se hissa sur les genoux sur le récif et se saisit soudain
de lui en un bond,
Une main agrippant la gorge, l’autre la torche, pour ne pas
qu’elle tombe,
Et il la maintint au dessus de sa tête.
Le pêcheur était fort et vaillant et avait l’esprit et le regard vifs ;
Il résista avec force à la prise, mais Rahero résista avec plus
de force encore,
Lutta, et l’épine de vie céda dans un craquement sonore ;
L’homme devint lourd entre ses mains, puis s’effondra à ses pieds,
Comme un poisson mort.
Il n’avait fallu qu’un instant, sur le récif où les brisants s’abattaient dans un éclair blanc,
Pour que Rahero se dresse, nu, le corps luisant et meurtri,
Vainqueur sans spectateur levant sa torche dans la nuit.
Mais dès qu’il eut repris son souffle, il se mit en position,
comme s’il pêchait,
Comme un homme qui pense au repas qu’il rapportera chez lui,
Et au festin qui le régalera.
Car, que pouvait bien avoir vu la femme sinon un homme
avec une torche ?
117
Puis l’espace d’un instant sa vue brouillée…
Et de nouveau un homme avec une torche ?
Et la torche avait à peine vacillé.
Rahero se dit : « Elle pensera sûrement que ses yeux lui ont
joué un tour,
Que ce n’est que le fruit de son imagination,
Et il faut donner au fou le temps de penser de la sorte. »
Aussi, durant un moment, il marcha sur le récif comme un
pêcheur aux aguets,
S’arrêtant parfois pour observer et frapper de son harpon.
Finalement un appel se fit entendre, et alors que la pirogue
approchait,
Comme l’homme qui n’en a plus besoin, il jeta sa torche à
l’eau.
Il grimpa à bord en silence pour s’asseoir près de la femme
Qui s’adressa à lui dans un souffle et dégagea la rame pour lui
faire de la place.
A présent la nuit était noire comme de la poix, et Rahero se
mit à ramer, sans un mot,
Et l’embarcation siffla dans l’eau sous ses coups de rame
vigoureux.
« Que t’arrive-t-il ? Et pourquoi avoir jeté la torche ?
Nous devrons en refaire une autre dès que nous arriverons à
terre. »
Rahero ne répondit pas, mais ses coups de rame redoublèrent
de vigueur.
Alors un frisson parcourut la femme :
« Arrête ! Parle donc ! Est-ce toi ? Mais parle donc !
Pourquoi restes-tu voûté à l’abri des regards ? Pourquoi se
diriger vers le large ? »
S’écria-t-elle à bout de souffle.
Mais aucune réponse ne lui parvint de la part du rameur
Qui s’activait de plus belle dans le noir.
Vers une brèche dans le récif, il dirigea l’esquif,
118
N°328- Janvier / Avril 2013
Et avec son unique rame qu’il maniait avec force et régularité,
Le mena jusqu’en haute mer.
La peur alors pétrifia la femme sur place.
Non seulement la peur d’être sur une barque à la dérive et sur
la mer profonde,
Mais une peur plus intense, de la nuit, des ténèbres et des
revenants,
Et de cette chose qui dirigeait la pirogue,
Avec une force et une détermination supérieures à celles des
hommes.
Car elle avait entendu bien des choses sur les morts
Qui hantent et chassent sur le récif
Pour se nourrir, comme les hommes,
Et qui pactisent avec les pêcheurs, ou les tuent pour les voler,
Jusqu’au moment où l’étoile des morts descend,
Que le vent du matin souffle, et que les coqs chantent sur le
rivage.
Et il ne fit aucun doute que la chose muette qui se tenait à ses
côtés
Appartenait aux ténèbres.
Toute la nuit le vent souffla du Sud,
Et toute la nuit Rahero lutta et maintint le cap au large,
Tandis que, silencieuse comme si elle dormait, la femme
recroquevillée tremblait.
Alors le jour commença à poindre.
Sur leur gauche l’île montagneuse se dressait,
Et au-dessus des sommets de Taiarapu, le soleil dardait ses
premiers rayons.
A terre les oiseaux commençaient à chanter,
Et la horde macabre des défunts était depuis longtemps retournée dans les ténèbres.
Sur la mer, la femme, courageuse statue de cire, se retourna
vivement
Pour regarder le visage de l’homme ;
119
Nul doute, elle ne le connaissait pas, il n’était ni de son
territoire ni de son clan,
Un étranger, nu comme au premier jour,
Portant les stigmates du feu,
Digne, carrure imposante,
Homme forçant le respect et l’obéissance.
Rahero l’observa également d’un regard fixe et grave,
Jaugeant les capacités de la femme à porter une race de
guerriers.
Elle avait les épaules solides et les hanches larges,
Les cuisses fuselées et la poitrine généreuse,
Et elle soutenait son regard avec bravoure.
« Femme, dit-il, la nuit dernière les hommes de ton clan,
Hommes, femmes et enfants,
Ont anéanti ceux de ma race par le feu.
Ils l’ont fait comme des lâches, et, seul survivant,
J’ai réussi à m’enfuir à la seule force de mes mains.
Je fais route à présent, avec toi pour seule compagne,
Vers les terres désertées et les foyers sans chaleur de mon
peuple.
Avant que ta mère ne naisse, le destin de ce jour avait été
décidé,
Et toi, désignée.
Ton époux, travaillant dur en vain,
Devait tomber entre ces mains.
Il était écrit que tu serais séparée des tiens,
Éloignée des terres et des gens que tu aimes
Maison, famille et clan,
Pour vivre dans une terre de désolation
Et porter les enfants d’un homme sans peuple. »
Robert Louis Stevenson
Traduction et notes : J. Teamotuaitau
120
Le Grand Sud
A la rentrée scolaire 1992, un poste de Sciences économiques et sociales a été créé au lycée polyvalent de Taravao,
situé dans la commune de Taiarapu Est.
Je me suis porté volontaire pour partager mon temps entre
le lycée Paul Gauguin et ce tout nouveau lycée, m’obligeant par
là à effectuer des allers-retours fréquents entre Papeete et la
Presqu’île.
L’espace de liberté pédagogique s’était restreint dans ce
vieux lycée Gauguin avec l’application stricte du “principe de
précaution” qui ne me permettait plus le style d’enseignement
actif que j’avais développé dans les années ’70.
Effectivement, ce nouveau lycée de Taravao n’était pas
encore ‘administrativement organisé’ et permettait de reprendre
mes méthodes personnelles. Il faut ajouter que j’entretenais
depuis 1968 les meilleures relations avec le Maire de la commune de Taiarapu Est, Tutaha Salmon, ancien député et
‘moteur’ de la Presqu’île.
Mon idée était de faire travailler les élèves sur « la Commune ».
En 1992, Taravao était encore un village endormi, avec néanmoins les équipements d’une ville : l’espace, la mairie d’Afaahiti,
la gendarmerie, les écoles, le collège, le lycée, la cathédrale, les
commerces et les banques, les activités primaires…
La commune de Taiarapu Est se composait et se compose
encore – mais pour combien de temps ? – des sections de communes de Afaahiti, Faaone, Pueu et Tautira. Dans cette liste,
point de Taravao et pour cause : administrativement, cette cité
n’existait pas et n’existe toujours pas en 2013 !
Hors les cours, les élèves ont donc travaillé sur la commune
et se sont concentrés rapidement sur Taravao. Les travaux pratiques se sont organisés sur « cette ville qui n’existait pas » et il
a été décidé, avec l’appui des autorités, de secouer la torpeur
ambiante en organisant une soirée ayant pour thème : « Naissance d’une ville ». Cette manifestation se déroulait – le hasard
fait bien les choses – dans le restaurant d’un ancien élève des
années ’70. Le repas était chinois, comme il se doit, avec les
“7 plats impériaux”. Les élèves avaient vendu toutes les tables
et organisé une tombola afin de constituer une cagnotte pour la
suite du projet. Les parents d’élèves avaient bien aidé à la réussite de cette soirée de « Naissance de la Ville de Taravao » et,
aux côtés du maire de la commune venu en famille, on remarquait une personnalité qui ajoutait à l’éclat de la manifestation,
la mairesse de Papara, Tuianu Legayic. Loin de ses “terres”,
elle avait saisi l’importance du symbole et apportait sa caution
à Monsieur Tutaha Salmon et au projet des jeunes.
La « naissance » de la ville fut donc une réussite et les
élèves passèrent naturellement à la suite, c’est-à-dire au baptême.
Le professeur annonça : « qui dit “ville” dit “organe de
presse” ; nous allons donc fonder un journal ! » Les élèves
n’étaient pas tout à fait enthousiastes mais il leur a bien fallu
passer par là ! Pour ne pas être freinés par l’administration du
lycée, ils se constituèrent en association, « Tuarua Taiarapu »,
ce qui introduisit de nouveaux travaux pratiques.
122
N°328- Janvier / Avril 2013
Et l’étude de la zone se poursuivait et se focalisait sur le
port de Faratea, le terme “port” étant un bien grand mot.
D’après les enquêtes menées, l’avenir de ce port était radieux,
avec le projet d’exploitation des phosphates de l’atoll de
Mataiva et les relations qui ne manqueraient pas de s’établir
avec les archipels.
La géographie convenue de l’île de Tahiti fut modifiée avec
un nord (Papeete) et un sud (Taiarapu). Taiarapu s’ouvrait donc
sur l’immensité australe et il fut décidé de nommer le futur
organe de presse : Le Grand Sud, sous-titré « Apato’a Iti », ce
qui signifie, non le ‘Petit Sud’ mais le “Cher Sud”.
Entre temps, le Maire avait organisé en début de week-end
une visite complète de la commune, emmenant ensuite les
élèves à une séance récréative sur l’îlot Martin, à proximité du
“Fenua aihere”. Les encouragements ne manquaient donc pas !
Quel symbole choisir pour cette nouvelle ville ? Son poumon
devant être le port, relié aux cinq archipels, les élèves cherchèrent
une fleur à cinq pétales. Et c’est ainsi que fut proposé à l’association l’appellation « Taravao, Ville des hibiscus ». Nom adopté.
La cagnotte constituée lors de la soirée “Naissance d’une
Ville” fut utilisée à la parution du programme des fêtes saluant
le baptême de “la Ville des hibiscus”.
Extrait de l’éditorial : « le travail de ce groupe d’élèves
constitué sous le nom ‘Association Tuarua Taiarapu’ continue
à porter ses fruits. A la base de son action, un constat tiré de
l’observation et corroboré par les chiffres des derniers recensements : la pression démographique est telle qu’une Ville Nouvelle apparaît spontanément. Et cette pression est le résultat de
la natalité (qui est ce qu’elle est dans les autres zones), mais
surtout de déplacements de population.
Ainsi, les élèves ont pu calculer qu’entre 1983 et 1988,
années des deux derniers recensements, Papeete a connu une
123
croissance annuelle de 0,1 % contre 4,0 % dans la Presqu’île !
Et, si l’on considère la section de commune d’Afaahiti, l’écart
passe de 1 à 49 !
Face à Papeete, ville asphyxiée, à la banlieue surpeuplée,
existe une alternative que la population adopte et adoptera de
plus en plus souvent : Taravao et la Presqu’île. Pour certains,
qu’importe le trajet si, rentré chez soi, on est au calme. Le trajet
n’existera plus lorsque le port de Faratea sera ouvert, procurant de l’emploi, donnant l’impulsion à la petite entreprise, au
commerce, aux échanges avec les îles.
C’est là le sens de l’action de « Tuarua Taiarapu » : promouvoir Taravao, la Baie Phaéton et la Presqu’île. Avenir exaltant. Mais qui sera l’architecte-urbaniste qui construira
Taravao, Ville des Hibiscus, pour en faire une des Reines du
Pacifique Sud ? »
Le programme des fêtes constitua le tremplin pour Le
Grand Sud qui sortit son “avant-premier numéro”. Le numéro 1
rassembla les événements liés au baptême de Taravao.
Le jeudi 15 décembre 1995, à l’issue d’un cross rassemblant 1000 élèves, le baptême eut lieu en présence du maire de
Taiarapu Est, du vice-président du Gouvernement, du représentant de l’amiral et du président de la Chambre de Commerce de
Papeete.
Le discours de Tutaha Salmon fut suivi de celui du Président de l’Association Tuarua Taiarapu et de celui de la vice-présidente Claudine Tchang, élève de Terminale ES, qui conclut en
proclamant :
L’Association Tuarua Taiarapu nomme Taravao
« Ville des Hibiscus »
Longue vie à Taravao !
Puis Michel Buillard, vice-président du Gouvernement
s’adressa aux milliers de jeunes rassemblés. Le maire de la
commune recevait alors un somptueux bouquet de fleurs de
124
Vaitea, une élève venue spécialement du Collège de Tipaerui
apporter le soutien de la Première Ville à la Deuxième Ville de
l’île de Tahiti.
Le tifaifai recouvrant le panneau tout neuf indiquant « Taravao, Ville des hibiscus » fut alors découvert par le vice-président du gouvernement, aidé du maire ainsi que du président et
de la vice-présidente de l’association Tuarua Taiarapu.
Et c’est au son de la musique des Troupes de marine que
plusieurs milliers de personnes, aux dires de la presse quotidienne du lendemain, défilèrent dans l’artère principale de Taravao, désormais Ville des hibiscus. C’est, à ce jour, la seule ville
de Polynésie à avoir reçu un nom de baptême et son logo.
Les festivités se poursuivirent avec animations, tournois de
volley-ball et de pétanque, course de VTT, et avec deux innovations : la course ‘viti-viti’ et le cross-pirogue. Voilà ce que
« Le Grand Sud » en disait :
« Sont organisées, entre autres, deux courses nouvelles
pour une Ville nouvelle :
La première est une course ‘contre la montre’ appelée ‘vitiviti’; en individuel, les pirogues se mesurent au chronomètre sur
une distance d’un kilomètre en baie Phaéton.
La deuxième, le ‘cross-pirogue’, est la réapparition, deux
siècles après, d’une pratique ancestrale. Maximo Rodriguez, le
premier Européen à avoir vécu à Tahiti et plus spécialement à
Tautira, raconte que les habitants de Tautira, lorsqu’ils se rendaient à Papeari, ne faisaient pas le détour par le ‘Pari’. Ils
abordaient à Faratea, pas très rassurés paraît-il vu la mauvaise
renommée du lieu, et chargeaient leur lourde pirogue sur le dos
pour traverser l’isthme à pied avant de reprendre leur parcours
marin. Le cross-pirogue est une course pour V3 ; elle consiste
donc à effectuer une boucle de 500 mètres dans le lagon de
Faratea, puis aborder et courir deux kilomètres jusqu’au ‘Port
Phaéton’, remettre l’embarcation à l’eau et effectuer une
deuxième boucle de 500 mètres. »
126
N°328- Janvier / Avril 2013
Deux équipes de garçons de Terminale ES ont effectué
cette course pour la première fois et en sont sortis épuisés !
Des piroguiers de Taiarapu Ouest, venus en spectateurs, ont
aussitôt relevé le défi et ont demandé à effectuer cette course
dans le sens inverse, puisque les pirogues se trouvaient à Port
Phaéton. Bien mal leur en a pris : épuisés, ils ont chaviré dans
le lagon agité de Faratea et ont été recueillis par un bonitier qui
rentrait de la pêche. Drame évité de justesse.
Le Grand Sud était un mensuel gratuit tiré entre 1500
et 2000 exemplaires et supporté par quelques encarts publicitaires. Le but était de pérenniser cette publication pour en faire
une petite entreprise cédée aux élèves acceptant de se lancer
dans cette aventure. Ce but ne fut pas atteint. La publication fut
régulière de 1994 à 2002.
Le lycée polyvalent de Taravao devenant “un lycée à part
entière”, je cessais mes allées et venues et réoccupait mon poste
au lycée Gauguin en 1997. Il était difficile d’intéresser les
élèves “du nord” à ce qui se passait au sud. Cet essai échoua et
Le Grand Sud continua sa route, piloté par une autre association, l’A.P.I., Association Presqu’île Information, qui le mena
jusqu’à sa dissolution, en décembre 2002.
De quoi se composait Le Grand Sud ? Journal d’information, il informait à partir d’un constat : le JOPF (Journal officiel
de la Polynésie française), en principe distribué aux communes,
n’arrivait pas à ses destinataires.
Le Grand Sud faisait donc le relais, informant une population de plus en plus intéressée des actes officiels concernant les
communes de Taiarapu Est et Taiarapu Ouest, mais aussi de
Hitiaa O Te Ra et de Teva i Uta. La partie ‘Associations’ informait de la naissance de très nombreuses associations avec la
liste du Bureau et leur but.
127
A plusieurs reprises, des coups de téléphone demandèrent
comment Le Grand Sud était au courant de subventions accordées, alors que les principaux intéressés ne l’étaient pas, et ce
qu’il fallait faire ! S’ajoutaient le tableau des permanences
médicales ainsi que le quotidien de la Presqu’île : remise des
clefs des “Fare MTR” par le ministre, dates de la Foire agricole… et le feuilleton « Les Rets de Taramea » avec le premier
tome intitulé « L’Homme au Sourire en Tranche de pastèque ».
Ce feuilleton de science-fiction raconte les démêlés de Taiarapu
avec les “Nordistes” du XXIIe siècle !
La population de la zone Sud était attachée à “son journal”
et a été déçue de constater sa disparition. Le Grand Sud constitue une page de l’Histoire de Taiarapu et il a pu durer quelques
années grâce au soutien de la mairie de Taiarapu Est ainsi que
de quelques mécènes qui ont compris avant tout le monde que
Taravao devait se développer : “Top News”, la “TEP”, “Morgan
Vernex” et quelques autres.
La « Ville » de Taravao a peut-être changé en vingt ans,
mais c’est surtout au cours des cinq dernières années qu’elle
s’est transformée. Si vous n’êtes plus allé à la Presqu’île depuis
quelque temps, allez-y et vous serez ébahi !
René-Jean Devatine
128
Hommage à
Solange Turia Drollet
(1948 – 2013)
Solange aurait pu, aurait dû intégrer le Conseil d’administration de la Société des Etudes océaniennes (SEO) à la faveur de son
renouvellement, lors de l’Assemblée générale ordinaire de
février 2013. Elle avait, d’ailleurs, commencé à participer aux travaux du Comité de lecture qui se réunit pour évaluer les articles
reçus et préparer le Bulletin.
Solange aimait la littérature, comme une lectrice attentive
d’abord, comme une écrivaine ensuite, activité à laquelle elle
s’était essayée et qu’elle souhaitait vivement poursuivre, dès lors
que ses activités professionnelles avaient cessé :
« Je suis passionnée par la littérature parce que c’est la seule
matière qui parle de l’homme. Quel est le sens de la vie ou de la
mort ? Regardons les choses en face et réfléchissons. Voilà l’objet de
la littérature. Plus le temps passe, plus nous approchons de la fin et
plus je me tourne vers l’essentiel. Et face à la tragédie de la condition
humaine, les constructions juridiques (nécessaires au fonctionnement
de la société) me paraissent moins importantes. Depuis des siècles
l’homme a été préoccupé par sa condition et les plus grands auteurs
nous ont légué leurs réflexions en utilisant toutes sortes de formes
d’expression, de la poésie à la comédie, sur un ton grave ou sur un
ton comique mais toujours en servant l’intelligence et l’esthétique. La
littérature c’est pour moi un voyage au centre de nous-mêmes avec
souvent des découvertes merveilleuses sur le beau et sur le vrai1.»
Solange a collaboré au Bulletin de la SEO à deux reprises. En
2000, dans le cadre du numéro spécial2 consacré à Pierre Loti (au
1
- Correspondance privée du 23 janvier 2011.
moment où se jouait à Tahiti l’opéra L’île du rêve), elle avait participé au chapitre intitulé lectures polynésiennes d’un mythe occidental3 en offrant son point de vue personnel sur le roman. Dans sa
contribution, elle évoquait, avec ses yeux d’adolescente, le fastueux Tahiti colonial à Papeete, comme le fait Marie-France Pisier
dans Le bal du gouverneur à propos de la Nouvelle-Calédonie, et
écrivait : « Nous étions toutes des Rarahu4 éblouies », attirées par
ces étrangers, même si le sermon du curé essayait de dissuader les
jeunes filles de s’approcher de la ville et du dangereux port…
Dans le dernier Bulletin de la SEO paru en décembre 2012,
numéro consacré aux navigations et au voyage5, elle avait relaté
l’épopée des Tahitiens en Nouvelle-Calédonie depuis les années 1950,
en parallèle à des recherches collectives effectuées sur le Caillou6.
En 2004, elle a publié dans la revue littéraire polynésienne Litteramaohi7, un récit intitulé Nouvelle inachevée d’une rencontre.
Elle y évoque des faits se déroulant en Nouvelle-Calédonie à
l’époque où elle était avocate à Nouméa.
Solange soignait toujours son écriture qu’elle voulait précise
et respectueuse de la norme classique. Sa formation de juriste8
s’exprimait aussi de cette manière.
1
- Correspondance privée du 23 janvier 2011.
- BSEo n°285/86/87, avril-septembre 2000, intitulé Supplément au Mariage de Loti.
3
- Aux côtés de Flora Devatine, Louise Peltzer, Winston Pukoki, Loanah Sanford et
Chantal Spitz.
4
- Rarahu est le nom de l’héroïne du Mariage de Loti.
5
- BSEo n°326/27 août-décembre 2012.
6
- Nouméa-Papeete : 150 ans de liens et d’échanges, ouvrage collectif sous la direction de Christiane Terrier et Véronique Defrance, édité par le Musée de la ville
de Nouméa en 2012. Non seulement Solange a participé à l’ouvrage, mais son
portrait y figure, au titre des Polynésiens ayant travaillé en Nouvelle-Calédonie.
Information fournie par Jérôme Charbonnier que je remercie.
7
- Litterama’ohi, n°6 de mai 2004.
8
- Notons ici les références de deux ouvrages incontournables écrits par Solange
Drollet : Le système polynésien de sécurité sociale (PUAM 1996) et Le droit du travail applicable en Polynésie française (2000, prix du meilleur ouvrage en droit
social délivré par l’Université d’Aix Marseille). La Revue juridique de Polynésie française (UPF, Papeete) a accueilli également ses contributions.
2
130
N°328- Janvier / Avril 2013
Elle a écrit, par ailleurs, le beau portrait biographique du chef
cuisinier Acajou dans un livre qui lui est consacré, publié l’an passé
par les éditions Au vent des îles9.
Et comme testament, si l’on peut parler ainsi, Solange venait
d’éditer, à compte d’auteur, la pièce de théâtre sur laquelle elle travaillait depuis des années, intitulée Une soirée merveilleuse. C’est
une comédie de mœurs de type « théâtre de boulevard » qui stigmatise gentiment les trois composantes « bourgeoises » du Tahiti
d’aujourd’hui : les Demis, les Popaa et les Chinois. Le thème
unique traité tout au long d’un dîner entre amis : la femme polynésienne, comme sujet de séduction. On aurait pu, avec ce lieu commun, craindre le pire, entre clichés, banalités et même vulgarités !
Eh non. Sa pièce maîtrise l’art théâtral, l’intrigue est menée avec
finesse et dynamisme, et Solange joue constamment, pour notre
plus grand plaisir, avec les mots. Manier l’humour et faire rire de
soi avec un tel détachement et sur un tel sujet, révèlent des qualités
rares. La couverture de l’ouvrage reproduit un tableau peint en
1987 par Solange elle-même.
Solange Drollet aurait pu et aurait dû devenir l’un des écrivains marquant de la littérature polynésienne contemporaine. La
vie ne lui en aura pas laissé le loisir. Hélas ! Son œuvre restera à
l’état de projets et certains textes inachevés.
Nous regretterons la simplicité de Solange, sa modestie, sa
gentillesse, sa discrétion et ses très nombreux talents…
Daniel Margueron
9
- Acajou, le parcours exceptionnel d’un enfant de l’île sacrée, Au vent des îles,
Papeete 2012. Le nom de Solange Drollet n’apparaît pas sur la première de couverture, mais sur la page intérieure de titre.
131
Bilan moral 2012
Chers membres de la Société des Etudes Océaniennes,
c’est avec plaisir que je vous adresse les meilleurs vœux de
votre Conseil d’administration pour cette année 2013 qui nous
apportera espérons-le plus de satisfactions dans nos actions.
Voici succinctement le bilan moral de l’année écoulée.
Le Bulletin
La S.E.O. a publié trois Bulletins en 2012 :
Le BSEO 324 est sorti en février, avec deux articles de Jean
Guiart « Les Océaniens, explorateurs ou colonisateurs ? La
vérité entre les deux ! » et « Tentative de chronologie océanienne » ; un article de Jean-François Butaud et ses amis sur
« Les plantes et les oiseaux de l’atoll de Temoe » et un de notre
vice-président Constant Guéhennec sur la « Petite histoire du
logo de la Société des Etudes océaniennes ».
Le BSEO 325 est sorti en octobre avec retard en raison de
quelques problèmes de conception, dont le C.A. tient ici à s’en
excuser. Ce numéro est riche en articles fournis par nos contributeurs : Riccardo Pineri sur « Le regard de l’étranger : Paul
Gauguin et la Polynésie » ; Aymeric Hermann sur « La vengeance légendaire de ‘Apaku‘a » ; Pierre Ottino sur l’« Etude,
moulage et tirage d’un grand panneau de pétroglyphes et du tiki
de Taaoa ; Jean-Pierre Ehrhardt sur « L’ananas (painapo) en
Polynésie française ; Bruno Saura sur « De la méthode à l’angoisse, réflexions libres au sujet du suicide et de la mort » ;
Robert Koenig avec « En marge d’Océania » ; le Messager de
Tahiti sur l’« Inauguration du phare de Haapape » en 1868 ;
Constant Guéhennec sur le « Périple au pays de l’absurde, présentation de deux articles » ; Jean Guiart en « Hommage à
Gilles Artur » et également les comptes rendus de l’A.G.O. et
de l’A.G.E. du 23 février 2012.
N°328- Janvier / Avril 2013
Le BSEO 326/327 a été livré juste la veille du salon « Lire
en Polynésie », du 6 au 9 décembre 2012 ; ce numéro double
est dédié aux voyages, qui est aussi le thème du Salon de
Papeete. On y trouve ces textes dont certains émanent d’auteurs
qui s’expriment pour la première fois dans le B.S.E.O. ou dans
un livre : Michel Charleux sur « Les grands voyageurs de Eiao :
la diffusion des lames d’herminette » ; Jean-Claude Teriierooiterai sur « La navigation astronomique traditionnelle tahitienne » ; Robert Koenig sur « Le tour de l’île de Tahiti par
Cook et Banks en 1769 » ; Liu Tumahai présente et traduit « Le
journal de bord inédit de Juan Pantoja y Arriaga (1795) » ; le
Messager de Tahiti relate « Le voyage aux Tuamotu de la Victorieuse en 1880 » ; Christian Beslu sur « La poste maritime
dans les Etablissements français de l’Océanie » ; l’Annuaire de
Tahiti sur « Les communications interinsulaires et au long cours
à Tahiti en 1885 » ; Hiria Ottino sur les voyages « De Kaimiloa
à ‘O Tahiti Nui Freedom » ; Yves Bennett sur « Des Polynésiens
à bord des navires au long cours » ; Daniel Margueron avec
« Peut-on réinventer le voyage ? L’Aranui, un cargo mixte, aux
îles Marquises 2012 » ; Solange Drollet sur « L’épopée des
Tahitiens en Nouvelle-Calédonie » ; Jacques Bayle-Ottenheim
et Daniel Margueron sur leur « Hommage à Jean-Jo Scemla
(1945-2007) ». La couverture de ce numéro à été réalisée gracieusement par Christine Fabre que nous remercions pour sa
contribution artistique bien adaptée au thème du Bulletin.
Remercions sincèrement tous ceux qui, de près ou de loin,
nous ont permis de relever le défi et de réaliser nos Bulletins : des
auteurs aux membres du comité de lecture ou de rédaction en passant par les professionnels de l’infographie et de l’imprimerie.
Comme d’habitude depuis quelques temps, la parution de
nos bulletins, excepté le dernier numéro, fait l’objet d’une médiatisation : conférence de presse, émissions radio et télévision, site
web et Facebook.
133
Suite à la révision de nos statuts et de nos démarches, nous
espérons voir cette année quelques encarts publicitaires dans le
B.S.E.O., respectueux de sa ligne éditoriale, afin notamment de
garantir sa production…
Les Salons
Notre Société a été présente à six Salons du livre en 2012
contre trois en 2011 :
– Le Salon de Paris en mi-mars, tenu par nos administrateurs Robert Koenig et Eliane Hallais Noble-Demay ;
– Le Salon de Moorea en fin mars, tenu par notre secrétaire
Michel Bailleul ;
– Le Salon de Saint-Malo en fin mai, tenu par notre trésorier-adjoint Daniel Margueron ;
– Le Salon de Papara en mi-novembre, tenu par notre trésorier
Yves Babin avec le concours de quelques administrateurs ;
– Le Salon de Taravao en fin novembre, tenu par notre trésorier et plusieurs administrateurs ;
– Le Salon de Papeete en début décembre avec la participation de tous administrateurs et de notre secrétaire.
Outre ces Salons, la S.E.O. a également été présente à d’autres événements et tenu un stand assuré par quelques administrateurs :
– La Journée internationale des monuments et des sites, à
l’ancienne Présidence en avril, à l’initiative du Ministère
de la Culture et du Patrimoine ;
– Le Festival des Tuamotu à Papeete, en mai, à l’initiative
de association culturelle Te Reo o te Tuamotu ;
– Les Journées européennes du patrimoine, au Musée de
Tahiti et des îles, en septembre, à l’initiative du Ministère
de la Culture et du Patrimoine ;
– Le Salon des associations à Papeete, en octobre, à l’initiative de la Jeune chambre économique de Tahiti.
134
N°328- Janvier / Avril 2013
Malgré la situation économique morose du pays, les Salons
locaux ont été généralement profitables à la S.E.O. alors que la
question de sa participation aux salons en dehors de la Polynésie pose de plus en plus de questions. Faut-il continuer à y
aller ? Le Conseil d’administration est plutôt d’un avis mitigé ;
si la participation à ces salons est effectivement bien perçue en
tant que tribune permettant au rayonnement de la S.E.O., l’aspect économique est par contre aléatoire. Quant à l’aspect organisationnel, cela a souvent été vécu comme un défi laborieux et
source de malentendus parfois difficiles. La grande vigilance est
donc de mise quant à une participation éventuelle de la S.E.O.
aux prochains salons extérieurs.
Tous les salons ont permis toutefois de communiquer
davantage sur la S.E.O. et d’obtenir de nouvelles adhésions ou
de renouvellement d’adhésion.
Le Conseil d’administration
Le mandat du Conseil d’administration arrive à échéance
cette année et, conformément aux dispositions statutaires, les
adhérents doivent procéder au cours de cette A.G.O. à son
renouvellement. Désormais, le C.A. peut compter jusqu’à 14
administrateurs. Le président a rappelé à maintes occasions l’intérêt d’avoir si possible au C.A. des représentants de différentes
générations, afin de mieux supporter le poids de ses actions et
celui imposé par la mutation de la société polynésienne. Il
convient ici de remercier chaleureusement notre collègue Christian Beslu qui tire sa révérence après de nombreuses années de
bons et loyaux services. Il a cependant proposé élégamment de
participer à l’occasion à certaines tâches, notamment au niveau
du Comité de lecture où son expérience sera un gage et appréciée à sa juste valeur.
Remercions également tous les candidats à cette nouvelle
mandature, les anciens qui souhaitent continuer à servir et les
nouveaux venus ; ils vont composer le nouveau Conseil
135
d’administration. Dans très peu de temps, lors du premier C.A.
de la nouvelle équipe, que nous allons élire aujourd’hui, le nouveau bureau de la S.E.O. sera formé et publié au J.O.P.F.
Il est à rappeler cependant que les missions de la S.E.O.
incombent à tous ses membres et non aux seuls administrateurs.
Ceux qui peuvent donc consacrer un peu de leur temps à la
S.E.O. sont les bienvenus, pour participer aux réunions du
comité de lecture voire du C.A. et également aux salons et
autres manifestations à venir.
Représentation de la S.E.O. dans d’autres structures
Jusqu’à présent, la S.E.O. est représentée dans ces structures :
• Conseil d’administration du Musée de Tahiti et des îles Fare Manaha, par Robert Koenig et Yves Babin ;
• Conseil d’administration de l’Association des Editeurs de
Tahiti et des îles (A.E.T.I.), par Yves Babin ;
• Commission des sites et monuments naturels, par Eliane
Hallais Noble-Demay ;
• Comité de pilotage du centenaire de la Première Guerre
mondiale, par Fasan Chong dit Jean Kape et Robert Koenig.
Ce Comité a été créé l’année dernière en vue des célébrations prévues par l’Etat en 2014.
Le nouveau C.A. procédera si nécessaire à la redistribution
des représentations de la S.E.O. au sein de ces entités.
Projets et stratégies
Certains projets ont pu être réalisés en 2012, d’autres le
seront normalement en 2013. Nous sommes fiers d’avoir pu
rééditer Océania, le tout premier ouvrage de notre Société,
publié en 1931 spécialement pour l’Exposition coloniale de
Paris. Il a failli être perdu car étant dans un état qui ne pouvait
tolérer davantage d’être manipulé. D’autres ouvrages sont dans
cette situation délicate et méritent sans doute une réflexion pour
136
N°328- Janvier / Avril 2013
leur sauvegarde et surtout leur mise à la disposition du public.
C’est peut-être là qu’il faut travailler pour obtenir de l’aide du
Pays, de l’Etat ou d’autres fonds afin de permettre leur diffusion. Nos statuts récemment rénovés permettent de solliciter de
telle aide. Nous n’avons pu le faire l’année passée étant dépassés par les événements.
L’idée d’acquisition d’un ordinateur performant a été évoquée ; cet outil permettrait au comité de rédaction de mieux suivre les textes proposés pour le B.S.E.O. et de faciliter leur
préparation et illustration avant de se mettre en rapport avec l’infographiste qui fait la mise en page définitive de la maquette.
La 14e édition du dictionnaire de Tepano Jaussen a souffert
d’un retard, la conception d’une nouvelle maquette a nécessité
plus de travail que prévu. On a profité pour y apporter quelques
aménagements afin d’améliorer sa présentation et sa maniabilité, en tête-bêche, pour accéder plus rapidement à l’une ou
l’autre des deux entrées. Toutefois, pour faire face à la demande
toujours importante, nous avons dû recourir à trois reprises au
cours d’année au retirage de la 13e édition.
Mais, nous allons reparler de ces projets dans la présentation du budget prévisionnel.
Relations avec les partenaires et institutions
Nous ne remercierons jamais assez le Pays, à travers
notamment le Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel (S.P.A.A.), qui héberge notre Société depuis des années.
Toutefois, la cohabitation cordiale entre la S.E.O. et le S.P.A.A.,
qui se renforce au fil du temps, ne doit pas nous faire oublier
nos obligations administratives voire juridiques qui régissent
nos relations. En effet, la S.E.O. devra signer sous peu la nouvelle convention qui la lie au Pays, représenté par le S.P.A.A.,
pour l’occupation des locaux indispensables à son activité. Le
C.A. s’est d’ailleurs penché sur le projet de convention au cours
de l’année passée. Consécutivement, la S.E.O. devra souscrire
137
une police d’assurance à responsabilité civile afin de se mettre
aux normes. Notre projet de budget devra par conséquent intégrer cette dépense nouvelle.
Les multiples démarches du directeur du S.P.A.A. ont par ailleurs dynamisé les relations de son service avec les autres organismes dont la S.E.O. Cela nous a permis de participer ensemble
à des manifestations sous l’égide du Pays, comme la Journée
internationale des monuments et des sites ou les Journées européennes du patrimoine. Dans la même mouvance, la S.E.O. a été
associée aux actions du S.P.A.A. qui organise des expositions
internes pour accompagner les grands événements annuels du territoire tels que la course mythique de pirogue « Hawaiki Nui »
ou le festival populaire et très ancien « Heiva i Tahiti ».
Aux côtés de ce précieux partenaire, la S.E.O. a reçu la
visite du vice-président du Pays ; de l’inspectrice générale des
bibliothèques de France ; et des représentants de l’Assemblée
de Polynésie française au sein de la Commission de la Communication, du Patrimoine culturel, de l’Artisanat, de la Jeunesse
et des Sports. Parallèlement à ces visites, le président et la
secrétaire de la S.E.O. ont également bénéficié d’une formation
dispensée par des experts du Service des Musées de France, sur
la conservation préventive des objets ou d’archives, aux agents
de différents organismes du Pays : Musée de Tahiti et des îles ;
Musée Gauguin, S.P.A.A. ; Centre des Métiers d’Art (C.M.A.) ;
Service de la Culture et du Patrimoine (S.C.P.) ; et la Maison de
James Norman Hall.
Tel est le bilan moral que nous soumettons à votre approbation.
‘Ia ora na !
Le président
Fasan Chong dit Jean Kape
138
Compte-Rendu
de l’Assemblée générale ordinaire
de la Société des Etudes Océaniennes
le 19 février 2013
L’Assemblée générale ordinaire de la Société des Études
Océaniennes est ouverte le mardi 19 février à 14 heures, dans
la grande salle de conférences du Service du Patrimoine archivistique et audiovisuel à Papeete, vallée de Tipaerui.
Elle est présidée par Monsieur Fasan CHONG, dit Jean
KAPE, président de la SEO.
Il y a 23 présents et 4 procurations valides.
Le quorum de ¼ des membres de la SEO résidant à Tahiti, soit
17,5 membres sur 70 cotisants à jour de leur cotisation, est atteint.
Le Président présente l’ordre du jour, à savoir :
- Bilan moral 2012
- Compte de trésorerie 2012
- Budget prévisionnel
- Renouvellement du conseil d’administration
- Questions diverses
Le bilan moral rédigé par le Président est lu par
Éliane Hallais Noble-Demay
Les principaux points développés sont :
- Les trois BSEO de l’année 2012
- Les salons
- Le Conseil d’administration
- La représentation de la SEO dans d’autres structures
- Projets et stratégies
- Relations avec les partenaires et les institutions.
Il n’y a pas d’observations.
Le bilan moral est adopté à l’unanimité des votants.
Le compte de trésorerie au 31/12/2012 est présenté
par notre trésorier
Notre président fait quelques remarques, en particulier sur
une plus grande attention portée aux dépenses de fonctionnement. Yves Babin ajoute que notre stock de livres représente un
capital de 9 649 900 francs. Philippe Raust se demande si une
bonne partie de l’argent que nous avons en banque ne pourrait
pas être placée sur un compte-épargne.
A propos de la reconnaissance d’intérêt général, notre Président constate que nous n’avons pas avancé, et que ce point
devra être traité en 2013.
Le compte de trésorerie au 31/12/2012 est adopté à l’unanimité des votants.
Le budget prévisionnel pour 2013 est présenté
par notre trésorier
Plusieurs membres s’interrogent sur la provenance des subventions, des publicités et des dons prévus dans ce budget. L’an
dernier, rien de prévu dans ces domaines n’a été réalisé.
Notre Président répond que nous avons été dépassés et
qu’aucune demande de subvention n’a été faite.
Un accord est en cours de finalisation avec l’OPT pour une
publicité dans le bulletin. Christian Beslu suit cette affaire.
Également, des demandes de subventions sont envisagées,
notamment auprès du Ministère de la Culture et une entrevue a
eu lieu à ce sujet avec le Chef du Service de la Culture et du
Patrimoine ; quelques devis sont déjà établis. La mairie de
Papeete pourrait subventionner l’édition prévue de « Papeete
jadis et naguère » (demande à finaliser avant fin mars).
Louis Savoie constate qu’on en reste au livre. Quid du
numérique ? Il lui est répondu qu’on y pense, mais qu’on attend
que des membres compétents s’investissent en ce sens.
Le budget prévisionnel est adopté par 26 voix. Il y a 1 abstention.
140
N°328- Janvier / Avril 2013
Le renouvellement du Conseil d’administration
Les 14 noms proposés sont élus à l’unanimité :
Olivier Babin
Yves Babin
Michel Bailleul
Pierre Blanchard
Jean-François Butaud
Fasan Chong
Moetu Coulon Vve Tonarelli
Constant Guéhennec
Éliane Hallais-Noble-Demay
Robert Koenig
Daniel Margueron
Philippe Raust
Louis Savoie
Frédéric Torrente
Le prochain Conseil d’administration est convoqué jeudi 21
à 9 heures afin de procéder à la composition du bureau.
Les questions diverses
Sont abordés les thèmes suivants :
- que tous les membres qui ont une adresse e-mail la communiquent
- que les membres réagissent aux articles publiés
- doit-on publier des articles en anglais ?
- a-t-on une philosophie éditoriale ? (voir l’article 1er de
nos statuts de 1917)
- doit-on privilégier les bulletins à thème ?
L’ordre du jour étant épuisé, le Président remercie les membres présents. La séance est levée à 16 heures 30.
Le secrétaire
Michel Bailleul
Le Président
Fasan Chong
141
Total
Postes
Report au 31/12/12
Cotisations
Ventes directes
Ventes en librairies
Salon Paris
Salon Saint-Malo
Salon Papeete
Salon Raiatea
Salon Taravao
Salon Papara
Salon Mahina
Salon Moorea
Autres salons
Redevances reprographie
Subventions
Dons
Mouvements (fonds caisse...)
8 242 591
1 200 000
1 200 000
Recettes
Prévues
1 807 591
1 000 000
900 000
1 355 000
60 000
0
310 000
120 000
70 000
60 000
60 000
60 000
40 000
6 773 199
Réalisées
1 807 591
1 318 583
1 036 670
1 767 600
79 280
34 357
326 720
0
49 200
53 500
0
31 800
47 350
45 548
0
0
175 000
Approuvé par l'assemblée générale du 19 février 2013
Compte de trésorerie au 31 décembre 2012
2011
57 029
1 750 562
1 807 591
8 242 591
1 300 000
710 000
30 000
10 000
1 807 591
Dépenses
Prévues
450 000
1 500 000
50 000
50 000
30 000
30 000
50 000
40 000
15 000
15 000
15 000
20 000
20 000
700 000
700 000
700 000
Total
Postes
Fonctionnement
Salaire + cotis CPS
livres/bibliothèque
livres/boutique
Salon Paris
Salon Saint-Malo
Salon Papeete
Salon Raiatea
Salon Taravao
Salon Papara
Salon Mahina
Salon Moorea
Autres salons
BSEO 324 + envoi
BSEO 325 + envoi
BSEO 326/327 + env
Mouvements (fonds caisse...)
Réédition Tepano
Réédition Océania
Représentation
Imprévu
Provisions
En banque : 31/12
2010
CCP
76 308
BP
3 168 932
Total
3 245 240
6 773 199
Réalisées
297 576
1 043 804
1 960
157 000
0
30 000
50 000
0
0
3 000
0
0
5 000
605 320
545 500
0
175 000
331 716
730 325
15 605
0
2 781 393
2012
123 409
2 657 984
2 781 393
Budget prévisionnel 2013
Approuvé par l'assemblée générale du 19 février 2013
En banque au 31 décembre 2012
Recettes
Report au 31/12/12
Cotisations
Ventes directes
Ventes en librairies
Salon Papeete
Salon Paris
Salon Raiatea
Salon Taravao
Salon Papara
Salon Mahina
Salon Moorea
Autres salons
Redevances DD
Publicité
Subventions
Dons
CCP : 123 409
BP : 2 657 984
Total : 2 781 393
Dépenses
2 781 393
1 100 000
1 058 000
1 600 000
300 000
70 000
100 000
50 000
50 000
50 000
50 000
50 000
40 607
300 000
2 900 000
1 500 000
Total 12 000 000
Fonctionnement
Salaire + cotisations CPS
Livres/bibliothèque
Livres/boutique
Salon du livre/Paris
Salon Papeete
Salon Raiatea
Salon Taravao
Salon Papara
Salon Mahina
Salon Moorea
Autres salons
BSEO 326/327 + envoi
BSEO 328 + envoi
BSEO 329 + envoi
BSEO 330 + envoi
Réédition Tepano
Réédition De Bovis
Réédition Chefs et notables
Réédition Papeete naguère
Matériel bureautique
Représentation
Provisions (à reporter)
580 000
1 500 000
50 000
50 000
30 000
50 000
40 000
15 000
15 000
15 000
20 000
20 000
700 000
700 000
700 000
700 000
1 400 000
700 000
700 000
700 000
500 000
33 607
2 781 393
Total 12 000 000
PUBLICATIONS DE LA SOCIETE DES ETUDES OCEANIENNES
Prix réservé aux membres, en vente au siège de la Société/Service du patrimoine archivistique et de l’audiovisuel
• Dictionnaire de la langue tahitienne
Tepano Jaussen (13ème édition)...................................................... 2 000 FCP 17 €
• Dictionnaire de la langue marquisienne
Mgr Dordillon (3ème édition).......................................................... 2 000 FCP 17 €
• A Dictionary of some Tuamotuan dialects
J.Frank Stimson et Donald S. Marshall........................................... 2 000 FCP 17 €
• Mangareva Dictionary
Edward Tregear.............................................................................. 2 000 FCP 17 €
• Journal de James Morrison, second maître à bord de la Bounty
Traduction Bertrand Jaunez........................................................... 2 000 FCP 17 €
• Etat de la société tahitienne à l’arrivée des Européens
Edmond de Bovis .......................................................................... 1 200 FCP 10 €
• Chefs et notables au temps du Protectorat (1842-1880)
Raoul Teissier................................................................................ 1 200 FCP 10 €
• Les Etablissements français d’Océanie en 1885
(numéro spécial 1885-1985)........................................................ 1 200 FCP 10 €
• Dossier succession Paul Gauguin
BSEO N°210 .................................................................................. 1 200 FCP 10 €
• Papatumu - Archéologie ................................................................. 1 200 FCP 10 €
• Généalogies commentées des arii des îles de la Société
Mai’arii Cadousteau....................................................................... 1 500 FCP 13 €
• Tahiti au temps de la reine Pomare
Patrick O’Reilly.............................................................................. 1 500 FCP 13 €
• Tahiti 40,
Emile de Curton ............................................................................ 1 500 FCP 13 €
• Tranche de vie à Moruroa
Christian Beslu .............................................................................. 2 200 FCP 19 €
• Naufrage à Okaro, épopée de la corvette Alcmène (1848-1851)
Christian Beslu .............................................................................. 2 000 FCP 17 €
• Les âges de la vie – Tahiti & Hawai’i aux temps anciens
Douglas Oliver............................................................................... 2 500 FCP 21 €
• Océania - Légendes et récits polynésiens ..................................... 2 200 FCP 19 €
• Collection des numéros disponibles
des Bulletins de la S.E.O. : .............................................................. 200 000 FCP 1676 €
Anciens numéros du BSEO, nous consulter
Tout envoi postal comprend des frais de port, nous consulter.
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 328