B987352101_PFP3_2012_326_327.pdf
- Texte
-
Bulletin de la Societe
des Etudes Oceaniennes
Naviguer, voyager...
pur,
Societe
Fondee
LE
1 er
c/o Service des Archives de
B.P. 110,
98713
e-mail:
JANVIER
:
1917
Polynesie frangaise, Tipaerui
Papeete, Polynesie frangaise
Facebook
•
Oceaniennes
Etudes
des
•
Tel. 41 96 03
-
Fax 41 96 04
Societe des Etudes Oceaniennes
seo@archives.gov.pf
•
web
:
etudes-oceaniennes.com
•
web
Banque de Polynesie, compte n°12149 06744 19472002015
CCP Papeete, compte n°14168 00001 8348508J068 78
Composition
du
:
seo.pf
63
Conseil d'Administration 2012
President
M. Fasan Chong dit Jean Kape
Vice-President
M. Constant Guehennec
Secretaire
M. Michel Bailleul
Mme Moetu Coulon-Tonarelli
Secretaire-adjointe
Tresorier
M. Yves Babin
M. Daniel Margueron
Tresorier-adjoint
Administrateurs
M. Christian Beslu
Mme Eliane Hallais Noble-Demay
M. Robert Koenig
Membre d'Honneur
M. Raymond Vanaga Pietri
des
Bulletin
DE LA SOCIETE
Etudes Oceaniennes
(POLYNESIE ORIENTALE)
N°326/327 Aout/Decembre
-
2012
Sommaire
Avant-Propos du president
Fasan Chong dit Jean Rape
grands voyageurs de Eiao
Michel Charleux
Les
:
la diffusion des lames d'herminette
tahitienne
navigation astronomique traditionnelle
Jean-Claude Teriierooiterai
La
Le tour de Pile de Tahiti par Cook et Banks
1769
en
p.
2
p.
4
p.
19
p.
45
p.
62
Robert Koenig
Le Journal de bord inedit de Juan
Presente
Le voyage
Le
La
et
Pantoja y Arriaga (1795)
traduit par Liou Tumahai
ties Tuamotu de la Victorieuse
aux
en
p. 100
1880
de Tahiti 1880
Messager
p. 108
de POceanie
poste maritime dans les Etablissements fran$ais
Christian Beslu
Les communications
interinsulaires
et au
long cours
a
Tahiti
en
1885
p. 114
Annuaire de Taliiti 1885
De Kaimiloa
a
p. 118
‘O Tahiti Nui Freedom
Hiria Ottino
Des
Polynesiens
a
bord des navires
au
long cours
p. 136
Yves Bennett
Peut-on reinventer le voyage ?
L’Aranui,
Daniel
L’epopee
un
cargo mixte,
aux
ties
Marquises
en
2012
p. 148
Margueron
des Tahitiens
en
Nouvelle-Caledonie
p. 181
Solange Drollet
Hontmage it Jean-Jo Scemla (1945-2007)
Jacques Bayle-Ottenheim, Daniel Margueron
Aquarelle
de couverture
:
A’amu 2012 pour la S.E.0.
P-191
Avant-propos
Chers membres de la Societe des Etudes Oceaniennes,
Chers lecteurs du BSEO,
Bienvenue
a tous
dans
voyage, theme retenu cette
dernier Bulletin de l’annee
ce
annee
pour le
«
qui est dedie au
Salon du lire de Papeete.
»
Remercions pour cela les contributeurs qui ont propose un article
afin de presenter leurs travaux ou simplement apporter leurs
temoignages
aussi divers que passionnants qui nous feront
le
chemin du
voyager par
reve au cours de traversees
toujours riches de sens.
Remercions
articles
de
et
egalement le Comite de lecture qui s’est penche sur ces
enfin le Comite de redaction qui s’est active dans la confection
ce numero.
Le dernier
cipation de
quadrimestre de l’annee a ete relativement riche en parti-
notre Societe
aux
evenements touchant
au
patrimoine
livresque:
•
Les Joumees europeennes du
et
•
des lies
(MTI),
du 15
au
patrimoine, au Musee de Tahiti
16 septembre, a l’initiative du Ministere
de la Culture et du Patrimoine ;
Le premier Salon des associations, 19 au 20 octobre a l’Assemblee de Polynesie, a l’initiative de la Jeune Chambre Econo-
mique de Tahiti (JCET);
•
Le Salon du livre de
de
•
Papara,
a
Papara,
du 15
au
l’initiative de 1’association
Le Salon du livre de
bre
•
a
Taiarapu,
la mairie de Taravao,
a
17 novembre
a
la mairie
Litterama’ohi;
du 29 novembre
au
l er decern-
l’initiative de la Circonscription
gogique de Taiarapu et Australes;
Le Salon du livre de Papeete, du 6
au
de l’Association des editeurs de Tahiti et
9 decembre,
ses
lies
a
(AETI).
peda-
l’initiative
N°326/327-Aout/Decembre
Saluons
2012
initiatives et reraercions leurs
organisateurs. Remercions
egalement les medias qui couvrent ces evenements et qui nous accueiUent
aussi regulierement sur leurs antennes ou plateaux pour parler de nos
publications...
ces
La S.E.O. eut
en
outre
l’honneur de recevoir la visite d’une
delegation
de la Commission de la Communication, du Patrimoine Culturel, de
l’Artisanat, de la Jeunesse et des Sports de l’Assemblee de Polynesie fran-
gaise, venue visiter les locaux du
Audiovisuel, le 5 novembre.
Nous
Service du Patrimoine
Archivistique
et
prions nos lecteurs de bien vouloir nous excuser pour le retard
qui a rencontre quelques problemes dans sa conception.
du BSEO N°325
Nous mettons la derniere touche
Tepano Jaussen qui
cette
opportunity
a
necessite
une
pour y apporter
a
la reedition du dictionnaire
nouvelle maquette. Nous saisissons
quelques amenagements: pagination,
pubbc pour cet ouvrage plus
introduction, maniabilite. L’engouement du
que centenaire n’a
Enfln,
pratiquement pas pris une ride.
nous vous
invitons
a nous retrouver en
2013 dans le
prochain
BSEO pour continuer le deli et decouvrir le nouveau Conseil d’administration. On verra peut-etre un sang neuf dans la nouvelle equipe qui mettra
en
chantier de
A
vous
nouveaux
projets.
l’approche des festivites de fin d’annee, le Conseil d’administration
souhaite de passer de tres bonnes fetes de la Nativite et du Nouvel An.
Bon voyage a tous
‘Ia ora na !
a travers
la lecture de
ce numero.
Le
Fasan
president
Chong dit Jean Rape
3
Les
grands voyageurs
de Eiao
:
la diffusion interinsulaire
et
inter-archipels
des lames d’herminette
historiques des grands navigateurs grace aux
joumaux de bord et aux traces archeologiques de leur passage ou de leur
naufrage. On a eu plus de mal avec la grande migration qui a abouti au
peuplement des lies polynesiennes. Une migration dont, aujourd’hui, on
ceme beaucoup mieux le trace et la chronologie, quoique ce soit encore
de facon approximative et sujet a discussions. Une fois ce peuplement etabli, les insulaires, loin de se replier sur eux-memes et de rester confines
sur leur lie, ont frequemment etabli des relations avec les lies voisines,
voire des archipels plus eloignes, que ce soit pour obtenir un materiau
qu’ils ne trouvaient pas localement (nacre, obsidienne...) ou lors
d’echanges socioculturels. Ces deplacements interinsulaires ou meme
inter-archipels des anciens Polynesiens, aujourd’hui bien attestes, se heurtent a l’absence d’ecrits et le plus souvent a la perte partielle ou totale des
On connait les voyages
traditions orales anciennes qui racontaient ces voyages qui restent des
exploits maritimes. Pour reporter sur la carte de I’immensite oceane ces
relations que les
archipel
logues de
ou avec
populations pouvaient entretenir au sein meme de leur
celles d’archipels plus eloignes, il revient aux archeo-
trouver
des outils originaux. Et pour tous, la premiere des
N°326/327-Aout/Decembre
2012
conditions est que les vestiges qui vont etre utilises aient ete recueillis in
situ dans des niveaux stratigraphiques bien definis et de preference dates.
outils, le premier a ete de chercher les similitudes dans les
formes (typologie des herminettes, des hamegons..ce sont les travaux
de Roger Green, de Robert C. Suggs, de Kenneth Emory, de Jose GaranParmi
ces
ger... Mais s’il apporta des informations interessantes, ses limites furent
vite atteintes car le risque d’une convergence de forme developpee en
dehors de tout contact, de toute relation, est bien reel. Un outil
avec des reserves.
Les
analyses
concernant
des tessons ceramiques
a
manier
(composition
chi-
mique de la pate, structure, composants...), tout comme celles de Fobsidienne dont la composition chimique est caracteristique d’un lieu
d’extraction,
temoins
se sont
revelees, depuis longtemps deja,
etre
d’excellents
d’echanges interinsulaires.
Occasionnellement, des vestiges animaux recueillis dans des restes
de cuisine ou des sepultures peuvent se reveler etre de remarquables traceurs.
Encore faut-il avoir les
leur identification. Outil
competences pour definir de facon absolue
faconne dans
espece exotique
d’une espece dont ce n’est pas l’aire de repartition,
voila des preuves d’un transport par les anciens Polynesiens et done de
relations interinsulaires. Ainsi, tres recemment, e’est une petite gouge
a
1'ile,
ou
omement
une
ossement ou test
fagonnee
dans le test d’un Terebridae {Acus crenulatus
,
precedemment
denomme Terebra crenulata ), qui etait jusqu’alors passee totalement inapercue dans les vestiges recueillis sur le site de Wairau Bar par Duff au
milieu du siecle dernier qui a permis de mettre en evidence une relation
entre
mets
1
la Nouvelle-Zelande et Hawai’i autrement dit entre deux des
,
du
triangle polynesien
som-
plus de 4 500 miles nautiques!
analyses ADN qui peuvent
anciennes a partir des restes d’orga-
separes de
Nous citerons pour memoire les couteuses
contribuer
a
reconstituer les routes
nismes vivants.
1
Janet Davidson, Amy
Findlater, Roger Fyfe, Judith MacDonald & Bruce Marshall, 2011.«Connections
with Hawaiki: the evidence of a shell tool from Wairau bar,
Marlborough, New Zealand »in Journal
of Pacific Archaeology, vol. N°2 Research report
5
bulletin
dc/ la
Society des &tude& Oceanienne&
Mais certains materiaux necessaires
a ces
analyses
ne
sont pas tou-
jours tres abondants (tests de mollusques, ossements...) voire rares
(obsidienne, si on exclut les importants gisements de Rapa Nui) ou meme
quasi inexistants dans le Pacifique oriental (ceramique).
II
en
volcanique.
des penu
contre, present dans toutes les lies hautes d’origine
Largement utilise, que ce soit pour fagonner les herminettes,
est un, par
d’autres outils, recueilli en abondance dans presque tous les
sites archeologiques, c’est le basalte. On le trouve meme occasionnelleou
des Tuamotu
presence dans un monde corallien est necessairement exotique. Que peut bien apporter une matiere
inerte dont la seule transformation par 1’homme s’est limitee a en enlever
ment sur certains sites
quelques
eclats pour obtenir
un
ou sa
outil ?
Le basalte
C’est la que sont intervenues les
tuellement par les
analyses geochimiques utilisees habi-
la fluorescence
rayons X. (XRF : voir
encadre). Car, et c’est la que ce basalte va pouvoir apporter la reponse a
nos questions concemant les echanges interinsulaires,
chaque volcan, du
geologues:
fait des differences dans les
sources
sous
magmatiques
des processus de
voisins et emet des
et
fusion du magma, est sensiblement different de ses
laves dont la composition geochimique constitue une veritable signature
propre au volcan. Cette signature chimique, veritable ADN volcanique »,
«
permettre de
volcan, done a 1’ile d’origine et servir ainsi
echanges. La technique demande un laboratoire
sophistique, onereux, couple a un traitement informatique que peu peuvent se permettre. Mais encore faut-il aussi pouvoir
disposer d’une base de donnees repertoriant toutes les sources regionales
de basalte et leur composition geochimique pour pouvoir comparer celle
va
de
remonter au
pour les
equipe d’un materiel
traceur
de l’herminette
cas
aujourd’hui,
celle des lieux d’extraction ! Ce n’est pas vraiment le
certaines lies etant sous-representees, mais les travaux uti-
avec
hsant le basalte pour mettre en evidence des echanges
sein d’un archipel ou entre archipels se sont largement
le debut des
de
6
plus
annees
interinsulaires,
au
developpes depuis
90 (Weisler M., Mills, P, Rolett, B...). L’analyse
de 220 echantillons
geopositionnes
sur
Eiao
participe
a
cet
effort
Les
analyses geochimiques ont montre que cette petite herminette
recueillie sur Hie de Hiva Oa provenait de Eiao.
Photo E. Olivier. Avec son aimable autorisation.
aouUetin de. la Jociele. dc.t Stjidex 0cca/tt'e/i//c,s
de
developper
base de donnees fiable et incontestable
une
d’extraction du basalte dans le
lister, A., Mills,
etait
a
honorer
d’excellent
L’ile
chipel
Hiva,
a
les beux
Pacifique sud oriental (Charleux, M.,
McA-
36 lames d’herminette d’Eiaot sar elle
personne.robustes et fexibles; on en faisait des cordes
P &
une
sur
Lundblad,
S.
paraitre).
aujourd’hui
deserte de Eiao est situee
a
P extreme nord de Par-
des Marquises, a environ 100 km au Nord/Nord Ouest de Nuku
s’etend sur 39,2 km 2 Geologiquement la plus ancienne de l’archi-
et
.
elle est constitute des restes d’un volcan de type hawai'en aux laves
fluides, qui a emerge il y a environ 5,5 millions d’annees. Plusieurs phases
pel,
d’activite ont suivi cette emergence durant 5 000 ou 600 000 ans, ensuite
comme le prouvent la presence de paleosols. Suite a divers mouvements
tectoniques, des fissures se sont ouvertes dans le volcan dans lesquelles le
magma injecte sous pression a forme les dykes. Les coulees et les dykes
n’auraient rien d’original, si le basalte qui les compose n’etait un basalte
a grain fin, c’est a dire un basalte dans la matrice duquel, les cristaux sont
de tres petite taille (inferieure a 0,1 mm), d’ou son nom. Cette propriete
des consequences sur l’avenir » d’un volcan a vrai dire assez banal
par ailleurs, car dans un tel basalte il etait facile de fagonner d’excellents
eut
«
outils
fithiques. Le debitage est relativement aise puisque le materiau est
homogene. Il a, dans 1’ensemble, des reactions mecaniques constantes et
uniformes, qui font que Partisan savait par experience tres exactement ou
apphquer une percussion pour obtenir telle ou telle forme d’eclat. Un facteur favorisant pour fagonner des outils de qualite. Cela ne serait pas le
cas avec la presence de gros cristaux, la fracture etant incertaine du fait
de proprietes physiques differenciees. Et les anciens Marquisiens, probablement peu apres avoir decouvert et peuple Pile, voici quelques 900 ans
apercevoir et d’utiliser ce materiau pour mettre en place une veritable industrie lithique que
ce soit des herminettes ou d’autres outils a partir d’eclats. Des milliers de
(Charleux, M., a paraitre ),
n’ont pas manque de s’en
produites au cours des siecles de «fonc«ile-atelier ». Une activite dont Pampleur est a elle
lames d’herminette ont ainsi ete
tionnement» de cette
seule
8
exceptionnelle par son importance.
N°326/327-Aout/Decembre
XRF, EDXRF, WDXRF...
en
XRF,
est
2012
composition geochimique...
quelques mots
et
I'abreviation de X-Ray Fluorescence, une technique d'analyse largement uti-
lisee par les geologues pour determiner la composition des roches etudiees. Le principe de
base est simple. Un faisceau de Rayons X de haute energie bombarde I'echantillon a analyser.
Ces
photons de haute energie excitent les atomes des elements chimiques qui composent
qui emettent alors des photons fluorescents. Ceux-ci sont analyses par un spectrometre: leur couleur est caracteristique d'un element chimique et leur intensite (le nombre
de photons par seconde) est proportionnelle a la concentration de I'element dans le mineral.
La methode a I'avantage d'etre non-destructive, ce qui permet d'analyser des objets archeologiques sans les alterer et I'analyse est reproductible.
Avec la technique EDXRF (Energy Dispersive X-Ray Fluorescence), I'analyse compte 3
etapes: le principe reste le meme, a savoir le bombardement de I'echantillon par des rayons
X de haute energie et remission de photons fluorescents. Ceux-ci passent dans un detecteur
qui les convertit en impulsions electriques. L'amplitude de ces impulsions est directement
proportionnelle a I'energie des photons re^us. Ce sont les signaux electriques qui sont analyses et«tries» grace a des logiciels pointus, ce qui permet de determiner tous les elements
simultaneities. Cette methode est egalement non-destructive et peut etre menee sur des
pieces entieres en prenant certaines precautions (surface plane, absence de patine et elements etrangers, etc.). Comme pour la technologie WDXRF, cette methode permet une analyse de tous les elements en quelques secondes. II est aussi possible de prelever une petite
quantite de roche (par micro forage) et de vitrifier la poudre obtenue en un petit disque. C'est
ce disque qui est alors soumis aux analyses.
Les basaltes, tout comme I'obsidienne, sont formes d'elements« majeurs», presents
en quantite importante exprimee en pourcentage
(Sif^, AI2O3, K2O...) et« d'elementtraces»dont la concentration s'exprime en parties par million (ppm) (Ni, Cu, Zn, Rb, Nb, Pb,
le mineral
Zr...). C'est essentiellement grace aux rapports entre certains elements-traces que I'on peut
prealable avoir etabli une base
precisement localises. C'est
d'origines,
ensuite la comparaison avec les valeurs connues qui servent de reference qui permettra de
preciser si oui ou non la roche provient de Eiao. On comprendra aisement que I'analyse portant sur des parties par million, elle doit etre rigoureuse. A I'University of Queensland, le
laboratoire de M. Weisler d'un montant de 6 millions de AUS$ est une enceinte encore plus
aseptisee que le meilleur des blocs operatoires. Les conditions d'analyse sont soumises a des
regies draconiennes. Meme I'eau utilisee est purifiee un grand nombre de fois afin de ne pas
mettre en evidence
differentes origines volcaniques. II faut au
de donnees
maximum
sur un
sur
des echantillons
fausser les resultats.
9
Temoins de
celle-ci,
aujourd’hui, disperses sur quasiment
toute l’etendue de Eiao, mais plus specialement dans sa partie Nord, plusieurs centaines de sites d’ateliers, nappes d’eclats de plusieurs centaines
de metres-carres, voire d’imposantes accumulations d’eclats, associes ou
on
trouve
des stmctures construites, vestiges de paepae et habitats divers. Une
population residait a demeure sur Eiao, meme si des« visiteurs» venaient
non a
occasionnellement rechercher des herminettes
leurs herminettes
ou
fagonner
eux-memes
soit peu credible par rapport
(quoique
hypothese
du gisement).
En utihsant de fagon importante ce basalte a grain fin, les anciens
Marquisiens ne se doutaient pas qu’ils leguaient aux futurs archeologues
un traceur de premier ordre. En effet, ce basalte a
grain fin possede bien
evidemment la signature geochimique qui caracterise Eiao. Ce qui fait que
pour tout outil trouve en fouille, quel que soit le lieu de sa decouverte, il
suffit de comparer sa composition geochimique avec la base de donnees
propre a Eiao. Si les deux resultats sont comparables, on peut affinner que
aux
«
cette
proprietaries
»
l’outil provient de Eiao. Il apporte la preuve de relations interinsulaires
entre Eiao et le lieu de sa decouverte, quel qu’il soit. Et cette relation peut
etre
datee grace
a
la position
stratigraphique
de l’outil!
Des herminettes voyageuses...
Et voila que Ton a decouvert que cette ile-atelier,
liers d’herminettes
avait ete le
laquelle des milpoint de depart d’une
sur
fagonnees,
probablement des milliers d’entre elles.
Meme si aujourd’hui, on n’en a retrouve que quelques-unes!
Certes, les traditions orales, par ailleurs tres pauvres, soulignaient
que Eiao etait un lieu de fabrication d’outillage (temporaire pour certains)
et qu’il avait une telle reputation qu’on allait sur cette petite Tie pour en
grande
ont ete
aventure maritime pour
rapporter des outils juges excellents. Mais
tifique
de
ces
La mise
entretenait
Oa,
est a
mene
10
n’avait pas la preuve scien-
relations.
en
avec
plus
on
evidence des relations anciennes que l’ile de Tahuata
Eiao revient a Barry Rolett. Cette lie, situee au sud de Hiva
sud-est de Eiao. En 1984 et 1985, B. Rolett
le site de Hanamiai. Il met au jour 38 herminettes
de 280 km
des fouilles
sur
au
Tri des eclats retires de la fosse de
Photo M. Charleux
dejection
bulletin
dc la
Society des &tude& Oieeame/mcs
completes ou fragmentees et 57 eclats provenant d’herminettes. Son idee :
avoir autant d’analyses que possible pour determiner les« artefacts» qui
proviennent geologiquement de Tahuata et ceux qui lui sont exotiques.
Finalement, ce sont 89 echantillons qui sont analyses (fragments ou eclats
d’herminette). Sur les 84 provenant des niveaux les plus anciens (Phases
I-III, datees de 1025-1450 AD), il compte 41 pieces qui proviennent de
Eiao. Pres de 50 % des herminettes ou fragments d’herminettes sont faits
dans le basalte
grain fin de Eiao! Les gens de Tahuata entretenaient done
des relations avec Eiao. Un long trajet qui fort probablement passait par
a
Hiva Oa et par Nuku Hiva. Les gens de Hanamiai allaient-ils sur Eiao pour
acquerir contre quoi ? des herminettes ebauchees, ou pour y faqonner
-
eux-memes
-
leurs propres herminettes ? Ou bien des gens de Eiao pasen lie pour echanger leurs herminettes contre des objets,
saient-ils d’ile
des materiaux qui leur manquaient ? Les traditions orales seraient plutot
faveur des deux premieres hypotheses, mais il ne faut pas renier d’au-
en
hypotheses. (Rolett et al. 1997 ; Rolett 1998 ; McAhster 2011)
Dans le site de Hanamiai, de faqon surprenante, l’outillage provenant
de Eiao se fait beaucoup plus rare a partir de 1450 AD, au point que e’est
le basalte de Tahuata qui domine tres largement ulterieurement. Ce declin
des relations avec Eiao a partir de 1450 AD, que Ton note egalement
simultanement dans d’autres lies, reste encore aujourd’hui mal explique.
En 1987, lors de ma premiere expedition sur Eiao, j’avais effectue
quelques sondages. Dans Tun de ces sondages, j’ai mis au jour deux petits
galets de cette phonohte a grenat typique de Hohoi, le fameux caillou
fleuri
endemique si Ton peut dire de Ua Pou a 170 km au sud-est
tres
«
»
«
»
de Eiao. Ces deux petites pierres sont une autre preuve des relations qui
pouvaient exister entre Eiao et d’autres lies marquisiennes. Plus recem-
ment,
l’analyse geochimique
E. Ohvier et C. Chavaillon
taire des
petroglyphes
d’une petite herminette pohe, recueillie par
de leurs remarquables travaux d’inven-
au cours
de Hiva Oa,
a
celui de Eiao. Meme si rherminette
ait ete decouverte dans
revele que le basalte utilise etait bien
ete trouvee en surface, le fait qu’elle
a
lieu difficile d’acces permet de penser qu’il
s’agit bien d’un apport ancien, confirmant que les herminettes de Eiao
voyageaient beaucoup.
12
un
N°326/327-Aout/Decembre 2012
II est quasi certain que d’autres
analyses sur des outillages trouves en
fouille dans
l’arcliipel reveleront un nombre important de relations interinsulaires, au sein meme de l’archipel marquisien.
Mais
toujours dans l’archipel des Marquises, autrement
proche banlieue de Eiao ! Proche banlieue parce que les
Marquisiens etaient de grands navigateurs et que quelques dizaines de
miles marins etaient une gentille promenade. On va voir que nos herminous sommes
dit dans la
nettes
«
ne se
En
»
de voyages
sont pas contentees
2007, Collerson
Science dans
intra-archipel.
et Weisler
ils etudient
publient un article dans la revue
l’origine de certaines herminettes. Parmi
lequel
celles-ci, la reference D465 trouvee dans les Tliamotii a Makatea est sans
conteste originaire de Eiao, un petit voyage de 1 200 km,
probablement
avec une etape sur l’un des atolls de
des
Tuamotu.
l’archipel
Au debut des
60 Roger C. Green fouille l’un des deux
annees
carres
du site Te Amaama
(ScMf5) sur ce qui est tout a la fois cour de l’ecole,
place
temple du village de Papetoai a Mo’orea, un secteur
aujourd'hui urbanise. Sous un four, dans un niveau partiellement
immerge, il met au jour 37 vestiges en basalte, dont la partie mesiale d’une
petite herminette achevee de section trapezoi’dale qui, a premiere vue, ne
presente qu’un interet tres relatif. Les analyses des elements associes stratigraphiquement permettent de la dater de 760±80BP, (Green, R.C., Rappaport, R.A., Rappaport, A., & Davidson, J. 1967 :182-197), ce qui la place
entre 1173-1406 AD a 2 Personne ne prete attention a ce vilain bout
du
et
.
d’herminette
tant lors des
cassee comme on en trouve
sie. On la range done
avec
en
Polyne-
les autres vestiges mis au jour durant la fouille
jour ou, 30 ans plus tard, Marshall Weisler, se
l’oublie... Jusqu’au
penche avec un regard different
et on
fouilles
sur ces
37
fragments de basalte.
Poursui-
anterieurs, il cherche a savoir si certains n’auraient pas
externe a l’archipel de la Societe. Il les soumet tout d’abord a
vant ses travaux
une
origine
une
analyse non
2
destructive
sous
EDXRF
2
.
Apres les premiers resultats,
il
Energy dispersive X-ray fluorescence. Cf encadre.
13
m ^bulletin da
la
Society de& &tude& Oxzeanienne&
plus perforraante. Pour cela, a l’aide d’un
chaque echantillon une petite quantite de
preleve
roche qui, apres divers traitements est soumise a une analyse sous
WDXRF 3 une technologie assez proche de la precedente mais plus pointue ». Et la, sous le spectrometre, le fragment d’herminette se revele avoir
une origine
exotique : les elements chimiques, leurs concentrations
coincident parfaitement avec ceux du basalte de Eiao ! Avec cette analyse,
decide d’utiJiser
foret
en
une
methode
dans
diamaut, il
«
,
»
«
qu’entre le Xlleme et le debut du XVe sieavait effectue, a
cles, petite
partir de Eiao, en direction du sud-ouest, un grand voyage de plus de
1 400 km sur l’ocean (769 miles nautiques)! Directement ? En «sautant»
d’ile en lie ? Nul ne peut repondre avec certitude a cette question, mais il
M. Weisler venait de demontrer
la
est
fort
herminette
probable
-
elle devait alors etre entiere
que la chaine des Tuamotu
a
-
constitue l’une des
etapes,
Tun des relais, de ce long periple. Voila done ce petit bout d’herminette
cassee temoin incontestable de grands voyages entre archipels!
En
1959,
R- Green fouille
recherche d’hamecons
tives
avec
cher plus
aux
Gambier. Il est essentiellement
a
la
pour etablir des chronologies comparaarchipels. Il met au jour 14 herminettes sans atta-
en nacre
celles d’autres
d’importance qu’a leur forme. A la fin des annees 90,
M. Weisler
evidence les nombreuses relations anciennes que Mangareva et 1’ile
isolee de Pitcairn avaient etablies entre 1000 et 1450AD. De fagon surpremet en
nante, il ne trouve pas sur Mangareva de vestiges faconnes dans le basalte
a grain fin de Pitcairn alors que la carriere de Tautama, la seconde source
de basalte
a
grain fin
pour le
Pacifique sud oriental n’est qu’a 600
km
au
sud-est.
Sur 14 herminettes recueihies par R. Green pres de trente
tot, il en selectionne deux. La premiere (repertoriee AMNH 85-
plus
2023) a
ete retrouvee dans un contexte stratigraphique sur Pile de Kamaka (carre
Al, niveau I) date de 640+60BP, (Beta 109016) cahbre a 1294- 1428AD
a
2
.
La seconde herminette
surface
3
sur une
repertoriee
plage proche
Wavelength dispersive X-ray fluorescence. Cf encadre.
14
AMNH 85-2032
de l’extremite nord du
a
ans
ete trouvee
village
en
de Rikitea.
Pacifque.
le
travers
a
hermintes
des
voyage
le
rep snta
carte
BSEO:
93
EIAO
65u/lciui
de /a
Jocieie des Slades Ocean
Le lieu de la decouverte de cette derniere herminette laisse
doute
planer
un
rorigine precise de celle-ci. Aurait-elle pu tomber de la poche
d’un marin occidental ou polynesien, d’un visiteur... qui se serait rendu
sur
Eiao
prealable ? Reconnaissons cependant que les visiteurs sur
Mangareva a cette epoque-la ne sont quand meme pas legion. Quoiqu’il
en soit M. Weisler soumet les herniinettes aux
analyses geochimiques et,
les deux herminettes s’averent avoir ete fagonnees dans le basalte de Eiao.
Eiao qui est a 945 miles nautiques de Mangareva. La encore, une navigation exceptionnelle de plus de 1 750 km, et toujours probablement en passant par les Tuamotu, ce qui n’enleve rien a
l’exploit.
sur
au
Toujours plus
Mais le
loin... et contre le vent
plus extraordinaire
c’est
ce
qu’ont mis
Piazza et E. Pearthree
en
1’actueUe
de Kiribati. Le site TE10 est
Republique
en
evidence A. Di
1999- Us fouillent alors dans les lies de la
un
complexe
Ligne,
d’habitat
de Pile de Tabueran (autrefois denommee Fanning). Il s’agit d’un vaste
depot ancien et des vestiges de deux habitats dates de 620±60 BP (Beta
141927)
et
810±50BP (Beta 142178) ce qui les place vers le XH-XTVeme
ce niveau, ils recueillent
quelques morceaux de basalte dont
siecles. Dans
petit fragment d’herminette qu’ils soumettent a une analyse sous
WDXRF. C’est la surprise, la composition geochimique de cet artefact est
un
tout
a
fait
comparable a celle du basalte de Eiao
viennent de demontrer que, la
encore entre
! Les deux
archeologues
le Xlleme et le XlVe
siecles,
longue
de 2423 kilometres (1310 miles nautiques) (Di Piazza/Pearthree, 2001)!
une
relation
a
ete etablie entre Eiao et
Si elle est aisee dans le
sens
Tabueran ! Une navigation
Eiao-Tabueran du fait des vents dominants
et
des courants, cette navigation est plus problematique dans le sens Tabueran-Eiao. Car elle doit se faire contre le vent. Mais sont-ce les gens de
Tabueran qui sont venus chercher une ou plusieurs herminettes sur Eiao
ou bien ceux de Eiao qui sont partis vers l’Ouest en
apportant avec eux
leurs outils traditionnels ? Se referant
logues
ties basses vers
vide
16
traditions orales, les anthropopenser que les voyages se faisaient plutot des
les lies hautes. Cette distance a travers un ocean quasiment
auraient tendance
est en
elle-meme
aux
a
tout a
fait
remarquable.
Peut-etre
un
voyage
en
trois
N°326/327- Aout /Decembre
etapes: des Mai'quises
De
plus,
Eiao,
cela suppose
c’est
impossible
au
un
«
aller et retour
»
lies de la Ligne.
! Naviguer de Tabueran vers
aux
les vents dominants, ce qui est purement
naviguer
avec une pirogue traditionnelle. Cela laisse supposer
que les
contre
navigateurs de Tabueran
Nino pour
nord des Tuamotu et de la
2012
profiter
aient attendu des conditions d’un
observee par des ethnologues dans d’autres ties
Di Piazza et E. Pearhree.
La presence de nombreuses herminettes
ou
comme
eclats de basalte proveperiodes dans le
de Eiao dans les sites marquisiens, a differentes
temps, traduit bien l’existence d’un reseau de relations
nant
bablement intenses
phenomene El
a deja ete
le soulignent A.
d’un inversement des vents. Cette attitude
au
sein
meme
de
l’archipel.
le
regulieres et pro-
Par contre, la presence
-
plus souvent d’un seul vestige isole sur d’autres ties, dans d’autres
archipels, ne traduit qu’une relation qui peut avoir ete unique, voire accidentelle. Elle peut apporter cependant des informations precieuses dans
le processus de peuplement de certaines ties.
Mais il est probable, vu l’importance de la production d’herminettes
sur Eiao, que les vestiges recueillis en fouille n’ont pas tous
parle et
que d’autres ties, d’autres archipels ont egalement beneficie de ces outils
aux qualites reconnues et reputees. Retrouver ces temoins a travers les
collections provenant de fouilles anciennes est un long et couteux processus. Les spectrometres portables en permettant d’etudier rapidement de
-
«
tres
nombreux echantillons de facon
non
destructive et
pharaonique devraient elargir la liste des destinations
sans
»
investissement
des herminettes de
de A. Hermann reveleront-ils que des herminettes de Eiao ont atteint les Australes ? Et si on analysait toutes les hermi-
Eiao. Les travaux
en cours
nettes trouvees en
s’attendre
a
fouille
depuis
les
plus
anciennes ? On
peut
encore
de nombreuses surprises.
Michel Charleux
Moorea, 9 septembre 2012
17
bulletin
d& fa
Society de& &tiule& (§ceanienne&
BIBLIOGRAPHIE
COLLERSON, KD, and Weisler Ml. 2007. Slone adze compositions and the extent of ancient Polynesian voyaging and
trade. Science 307 (1907-11).
DAVIDSON, J. Amy Findlater, Roger Fyfe, Judith MacDonald & Bruce Marshall, 2011.« Connections with Hawaiki:
the evidence of a shell tool from Wairau bar, Marlborough, New Zealand » in Journal of Pacific Archaeology, vol. N°2
Research report
CHARLEUX, M., 2011, Rapport preliminaire de trois missions archeologiques sur Eiao,«EIA0.2010»,«EIA0.2010.2 »
et«EIA0.2013». Rapport pour I'UPF, le CIRAP et le SCP. 64pp.
D! PIAZZA, A., et Erik PEARTHREE, 2001. Voyaging and basalt exchange in the Phoenix and Line archipelagoes: the
viewpoint of three mystery islands. In Archaeology in Oceania 36:146-152.
FINNEY, B. 1997. Experimental voyaging, oral traditions and long-distance interaction in Polynesia, in M.l. Weisler
(ed.), Prehistoric Long-Distance Interaction in Oceania: An Interdisciplinary Approach. New Zealand Archaeology Asso-
Monograph 21, Auckland: 38-52.
GREEN, Roger C, GREEN, K„ RAPPAP0RT, Roy A., RAPPAPORT, A., DAVIDSON, J„ 1967,« Archaeology on the island
of Moorea, French Polynesia». Anthropological papers of the American Museum ofNatural History, Vol. 51: part 2.
ciation
New-York.
DAVIDSON, J., FINDLATER, A., FYFE, R., MACDONALD, J. & MARSHALL, B. 2011.«Connections with Hawaiki: the evidence of a shell tool from Wairau Bar,
Marlborough, New Zealand. Journal ofPacificArchaeology, vol.2, n°2:93-102.
prehistorique d'Eiao aux lies Marquises. Bulletin de la Societe des Etudes
ROLETT BV. 2001. Redecouvert de la carriere
Oceaniennes 289/290/291:132-144.
ROLETT
BV, CONTE, E., Pearthree E, and Sinton JM. 1997. Marquesan voyaging: archaeometric evidence for inter-island
contact. In: Weisler Ml, editor.
Prehistoric Long-distance Interaction in Oceania: an Interdisciplinary Approach. AuckArchaeological Association, Monograph 21. p 134-148.
ROLETT, B.V., 1998. Hanamiai, prehistoric colonization and cultural change in the Marquesas Islands (East Polynesia)
Yale University Publications in Anthropology n° 81, 1998. New Haven: Dept, of Anthropology and The Peabody
land: New Zealand
Museum, xvi, 277 p.
WEISLER, M.l. 1998.«Hard evidence for prehistoric interaction in Polynesia », Current Anthropology, vol. 39 (4):
521-532.
WEISLER, M.l. 1996. Taking the mystery out of the Polynesian « mystery »islands: a case study from Mangareva and
the Pitcairn group, in J. Davidson, G. Irwin, F. Leach, A. Pawley and D. Brown (eds.), Pacific Culture History: Essays in
Honour of Roger Green. New Zealand Journal of Archaeology Special Publication: 615-629.
WEISLER, M. 1993. Long-Distance Interaction in Prehistoric Polynesia:Three Case Studies [PhD dissertation). Berkeley:
University of California.
WEISLER, Ml. 2002. Centrality and the collapse of long-distance voyaging
in East
Polynesia.
In: Glascock MD, editor.
Geochemical Evidence for Long-Distance Exchange. Westport: Bergin and Garvey, p. 257-273.
WEISLER, Ml. 2008. Tracking ancient routes across Polynesian seascapes with basalt artifact geochemistry. In: David
B, and Thomas J, editors. Handbook of Landscape Archaeology. Walnut Creek: Left Coast Press, p. 536-543.
WEISLER Ml, Conte E, and Kirch PV. 2004. Material culture and
geochemical sourcing of basalt artifacts. In: Conte E,
and Kirch
PV, editors. Archaeological Investigations in the Mangareva Islands (Gambier Archipelago), French Polynesia. Berkeley:
Contribution Number 62, Archaeology Research Facility, University of California, p. 128-148.
WEISLER
Ml, and Sinton JM. 1997. Towards identifying prehistoric interaction systems in Polynesia. In: Weisler Ml,
Long-distance Interaction in Oceania: an Interdisciplinary Approach. Auckland: New Zealand
Archaeological Association, Monograph 21, p. 173-193.
WEST, EW. 2000. Prehistoric Voyaging and the East Polynesian Homeland: an Analysis of Adzes from Eiao Island in the
Northern Marquesas: Unpublished m.s. University of Hawai'i Janet Bell Pacific Research Prize 2000. Pacific Collection,
Hamilton Library, University of Hawai'i at Manoa, Honolulu. 36 pp.
editor. Prehistoric
18
La
navigation astronomique
traditionnelle tahitienne
Un peu d’histoire
La
navigation traditionnelle,
prematuree des premiers contacts
L’astronomie fut sans doute la discipline la mieux
organisee chez les
Tahitiens. Leur maitrise de l’art de la navigation hauturiere durant plusieurs millenaires reclamait une parfaite connaissance du mouvement des
etoiles. La pratique astronomique, encore bien maitrisee au moment du
contact selon les indices obtenus de Tbpaia, disparait
prematurement avant
qu’elle puisse faire l’objet d’une etude.
victime
Envoye pour observer le passage de la planete Venus devant le disque
en 1769, James Cook, le plus fameux des
explorateurs, choisit
de debarquer dans la bale de Matavai la ou, deux ans plus tot, en 1767, le
du soleil
commandant Wallis mouilla apres avoir decouvert 1’ile. II construisit son
observatoire astronomique a la pointe Tefauroa, rebaptisee Pointe Venus.
Ce lieu est hautement
symbolique, puisque c’est la que se trouvait l’ecole
d’initiation des«savants »taliitiens, te ana vaha rau, «la grotte aux nombreuses orifices», autrement dit, l’abri des conn;iissances. Elle fut notamment
frequentee par l’un des plus grands heros navigateurs tahitiens, Hiro.
ses exploits ne manquent pas. A bord de Hohoio, sa
pirogue,
Les recits de
PPuf/clitt
c/e /a
Socieie c/es Stuc/en fitCCUfUCflflC&
il fit le tour de toutes les lies
connues
des Tahitiens. Le texte relatif
a
la
genealogie des etoiles precise en outre que Venus etait son guide en mer
(Henry, 1968, p. 369).
Le handicap de la langue n’a pas permis a Cook et a ses compagnons
de collecter plus que ces bouts de recits. Pour comprendre comment les
naviguer, il leur fallait maitriser la
langue. Leur savoir va demeurer pendant longtemps un mystere.
En revanche, Cook les vit mettre en pratique en plusieurs occasions
leur habilite technique sur l’eau. Il put egalement admirer la richesse et
la diversite de leurs moyens de transport: les piihoe, des« petites pirogues
a balancier
(taillees dans un seul tronc d’arbre), les pahi, les pirogues
doubles de voyage
(faites de planches cousues et dotees de He, des
voiles en pandanus »), les va’a taurua (destines au cabotage,
aujourd’hui appelees tpaerua dont Tetrave etait verticale pour augmenter
ses performances face a la houle), les pahi tama'i (pirogues de guerre
pouvant embarquer une centaine de guerriers), les va'a motu (pirogues
de lagon a balancier) et les va'a tira (a double coque dotes d’une longue
canne a peche a l’avant). Il apprit que certaines de ces embarcations partaient parfois fort loin, dans des lies eloignees situees a plusieurs jours de
Tahitiens utilisaient les
astres pour
«
»
»
«
mer et en
ramenaient de la nacre, des
perles et des plumes rouges. Marin
Tahitiens devaient etre des experts et,
accompli, comprit
qu’en l’absence d’instrument, seules les etoiles pouvaient etre leurs guides.
il
tres vite que les
Apres sa visite, le nombre de visiteurs ne cessa de croitre et, avec eux,
une autre vision du ciel. La planete Venus au nom tres poetique de
Ta'urua-nui-horo-ahiahi (« Grande festivite qui court dans le soir »)
adaptation phonetique en tahitien. Ta'urua-nui-itu‘i-i-te-porou-o-te-ra‘i (« Grande festivite qui frappe le zenith du ciel»)
sera dorenavant Iupiti, une transposition de
Jupiter ». Ta'urm-faupapa
(« Sirius»), l’etoile zenithale si importante de Tahiti, disparaitra tout simplement du vocabulaire tahitien et done du ciel. Les etoiles, les constelladons, les planetes ainsi que tout le savoir astronomique, heritage d’une
longue tradition, s’evanouiront et, avec elles, tout le concept porte par ces
deviendra Venuti,
son
«
noms.
20
N°326/327-Aout/Decembre
Les
Europeens
a
la decouverte de la
2012
navigation
traditionnelle
Entre 1822 et
l’amiral Paris
la
ne
1840,
les
capitaines Duperrey,
purent que deplorer
Dumont d’Urville
ou
le declin de l’art de Part de la navi-
de la flotte de pirogues doubles du roi Pomare
admiree par Cook en 1774 dans la baie de Matavai. Les
deplacements
entre les lies s’effectuaient desormais sur des
de
barques type europeen.
gation
et
disparition
La boussole, le compas, le chronometre et le sextant ont mis fin
a une
pra-
tique vieille de deux mille ans. II ne restait aux Taliitiens que de glorieux
souvenirs, essentiellement bases sur des recits relatant les epopees de
leurs heros navigateurs, Rata, Tafa‘i, Ta‘ihia et Hiro qui ont laisse leurs
empreintes dans toutes les lies.
-
Une autre consequence de
ce
bouleversement a ete la
calendrier astral. Son interet residait dans
sa
solution du
disparition du
probleme du
recadrage des lunaisons avec les saisons grace aux astres. Quatre d’entre
eux
entraient successivement dans le
jeu de mesure du temps, la Lune, le
Soleil, les Pleiades et Pollux. Ce qui laisse supposer des calculs complexes
et, done, un savoir scientifique.
Jacques-Antoine Moerenhout, qui avait une pietre opinion des insulaires, incapables, ecrit-il, de se rendre d’une He a l’autre sans l’aide des
Europeens, s’etait tout de meme demande, en 1830, s’ils n’etaient pas les
survivants d’une civilisation
«II
plus
brillante
done certain
:
seconde epoque pendant
parait
qu’il y
les
laquelle Polynesiens cultivaient jusqu’a un certain point les aits, les
sciences, et se livraient a la navigation. A cet ordre de choses, qui a du
se prolonger beaucoup dans
quelques-unes des Ties, aura insensiblement succede celui dont j’ai parle.
(Moerenhout, 1837)
Comme Ellis qui pensait que le mont Mem en Inde pouvait etre le pays
d’origine des Taliitiens, Moerenhout etait persuade que leurs nobles ancetres
civilises avaient pour patrie un continent englouti. Les interlocuteurs qu’il
me
a eu une
»
avait
en
face de lui n’etaient que les rescapes d’une culture
Ce
qui
reste du savoir
vreurs comme
ancien,
Cook. Grace
a ses
nous
le devons
observations et
a
en
en
partie
decadence.
a
des decou-
celles des naturalistes
21
bulletin
c/a ta
Jocieta c/cx liucc/cx Oceania
qui l’accompagnaient,
nous
des Tahitiens. La carte de
pouvons
apprecier le niveau de connaissance
l’accompagna pendant une
l’Angleterre, en temoigne. Elle nous
Tupaia, le tabu'a qui
voyage de retour vers
revele les talents de geographe de son auteur. Pas moins de 83 lies y sont
partie de
son
repertoriees, des lies Marquises a Rotuma. Chaque lie, precise-t-il, possede son etoile zenithale, il en enumere cent trente en les montrant du
qualites d’astronome. En outre, dans quatre d’entre elles, des contacts plus anciens entre Europeens et Naturels sont mendoigt,
revelant ainsi des
historien, il precise, que certaines escales furent
chaleureuses et, d’autres, dramatiques.
Cook reconnut en lui des talents de navigateur. En quittant Tahiti,
souhaitant revoir une derniere fois ses proches, Tupaia le guida aux lies
Sous-le-vent, ce fut la premiere grande decouverte de l’Anglais. Il comprit
a cet instant qu’il pouvait lui etre utile pour decouvrir l’hypothetique
continent austral. Tupaia, de son cote, insistait pour qu’il mette le cap a
l’Ouest, la ou, a vingt jours de navigation, s’etendent de grandes lies peuplees, les lies Samoa, Tonga et Fidji, qu’il avait reportees sur sa carte.
N’ecoutant que ses ordres, Cook mis le cap au sud. N’ayant rien decouvert de notable, il se rangea a l’avis du navigateur tahitien, il vira a l’Ouest
et rejoignit la Nouvelle-Zelande.
A la veille de sa mort a Batavia, Tupaia montrait encore du doigt
tionnes. Comme
un
Ta'urua-faupapa
,
Un
mesure
an
des
l’etoile zenithale de
son
lie.
Cook, Louis-Antoine de Bougainville avait deja pris la
dispositions des Tahitiens pour la navigation astronomique :
avant
Au reste, les gens instruits de cette
tion
22
nation,
sans
etre
astronomes,
pretendu nos gazettes, ont une nomenclature des constellations les plus remarquables; ils en connaissaient le mouvement
diume, et ils s’en servent pour diriger leur route en pleine mer d’une
He a l’autre. Dans cette navigation, quelquefois de plus de trois cents
lieues, ils perdent toute vue de terre. Leur boussole est le cours du
soleil pendant le jour, et la position des etoiles pendant les nuits,
presque toujours belles entre les tropiques. (Bougainville, 1771)
Malgre ce constat, il n’eut pas la luddite de porter la moindre attenaux appels pressants d’Aoutourou {Ahutoru ,), le jeune Tahitien qu’il
comme
Font
N°326/327-Aout/Decembre 2012
prit
sous sa
protection. Celui-ci
lie natale.
de
et
insistait pour le conduire a Ra'iatea son
simplement suivi, il aurait eu l’honneur
l’aurait tout
Bougainville
decouvrir, un an avant Cook, les lies de Huahine,
de Ra'iatea, de Talia'a
de Borabora.
En
1773,
second voyage, Cook, accompagne cette fois-ci de
Forster, des naturalistes allemands, put sillonner le Paci-
a son
Johann Georg
fique pendant deux annees et verifier la justesse des indications portees
sur la carte de Tupaia. Il decouvrit ou redecouvrit toutes les lies qui y
etaient placees, des lies Marquises a l’Est aux lies Fidji a l’Ouest.
Le sejour de ces savants parmi les Tahitiens fut plus long que les fois
precedentes; ils apprirent le tahitien et firent un lexique de sept cents
entrees d’un tres grand interet, le vocabulaire recueilli etant celui du
XVIIF siecle. Ils constaterent que, sur l’espace maritime explore long de
3500 miles nautiques (6,500 km) et large de 1200 miles nautiques
(2,200 km), vivent des populations qui, visiblement, partagent les langues
d’une meme famille, des mythes identiques, des mceurs et des coutumes
analogues etc. Indeniablement, il devait y avoir des echanges et, indeniablement, des contacts frequents entre elles. Or, sans instrument de navigation, comment faisaient-elles ?
La tradition orale nous a legue tres peu dedications. Les genealogies,
les mythes, les contes et les legendes sont, la plupart du temps, des recits
imaginaires qui nous privent d’une analyse plus rationnelle, mais qui,
confrontes aux releves des decouvreurs, pennettent de livrer leurs secrets.
C’est aux missionnaires de la London Misionary Society que nous
et
devons
quelques-unes
de
nos
connaissances. En
particular au
reverend
a partir de 1818, aupres du roi
l’ancienne
de
Pomare II et des derniers temoins
societe, sont devenus la
source principale d’information. La valeur de son oeuvre, une premiere
Orsmond, dont les
travaux
fois egaree, mais que
sa
reconstituer, repose
sur
ouvrages de la
meme
petite-fille,
Teuira
Henry,
la richesse des textes
a
reussi
en
partiellement a
tahitien. Les autres
grande valeur certes, ne sont que des
C’est facheux. Une lecture, debarrasverifier.
a
epoque, d’une
interpretations impossibles
see
de recueil
du filtre missionnaire, aurait pu
nous
apporter plus d’eclairages. Par
23
Q^u/lelin
de la
Society dcs Slades Oceanieaaes
exemple, l’ouvrage du reverend Ellis« A la recherche de la Polynesie d’autrefois 1 », est une description tres recherchee des coutumes taliitiennes,
mais sa sincerite ne peut etre evaluee. Ellis fait cependant etat d’un voyage
aux etoiles fort interessant entre Tahiti et Huahine en 1820, durant lequel
il put s’entretenir des methodes taliitiennes de navigation :
Les indigenes des lies etaient cependant habitues, jusqu’a un certain
1’aspect et la position des etoiles. Principalement
en
guides pour diriger leurs embarcations au-dessus des abimes. Quand ils partaient en voyage, ils choisissaient une etoile ou une constellation particuliere pour les guider
durant la nuit. Ils l’appelaient leur aveia et sous ce nom est maintenant designee la boussole parce qu’elle repond au meme but. Les
Pleiades etaient Xaveia favorite de leurs marins et c’est d'apres elles
que nous nous dirigeames la nuit. (Ellis, tome II, p. 567)
point,
a
reconnaitre
mer, elles etaient leurs seules
Il est done clair que les Tahitiens lisaient les etoiles et les utilisaient
pour naviguer. Cette aptitude ne semble pas relever du simple instinct.
Tous les ecrits sur le sujet semblent etablir qu’ils maitrisaient le mouvement
savoir,
des astres et les
certes
cycles climatiques, ecologiques et biologiques.
empirique, suffisait.
Meme s’ils n’avaient pas la
Ce
science, telle
qu’on la definit aujourd’hui, ils possedaient un raisonnement qui peut etre
considere
comme une
demarche
scientifique.
La vision tahitienne du ciel
La vision tahitienne du monde
ne
s’eloignait guere
de celle des peu-
pies du pourtour de la Mediterranee jusqu’a la fin du moyen-age. C’est ce
que rapporte Bhgh dans son journal lors de son premier voyage :
geographic sont tres simples: ils croient que le
disque plat et fixe tres etendu, et que le soleil, la lune et
les etoiles tournent autour d’elle. (Bligh, 1792)
«
Leurs idees
sur
la
monde est un
»
Cette vision d’un monde
plat
pour les Tahitiens, le monde est
«
’
Ellis, W„ 1972.
24
Les Tahitiens
a
est confirmee par Ellis qui ajoute que,
l’abri d’une voute :
imaginaient
que la
mer
qui
entourait leur lie etait
une
N°326/327-Aout/Decembre
2012
surface plane
et qu’a l’horizon visible ou a
quelques distance au-dela,
ra'i, rejoignait l’ocean, renfermant, comme dans une arche
ou un cone creux, les lies
qui se trouvaient dans le voisinage immediat (Ellis, tome II, p. 567).
le
ciel,
ou
»
A la
place d’une arche ou d’un cone, Henry voyait le dome du
ciel »,‘apu o te ra‘i, un bol geant renverse pose sur la surface de la Terre.
II en existait en tout dix, empiles les uns sur les autres. Le premier bol, le
plus proche, est appele Ra'i trntahi «le premier ciel», suivent ensuite Ra'i
tuanui, Ra'i tuatoru, Ra'i tmf, Ra'i tuarima, Ra'i tnaono, Ra'i tuafitu,
Ra'i tuavaru, Ra'i tuaiva et le plus haut, Ra'i tuatini «le dixieme ciel».
Chaque corps celeste qui parcourt ces cieux represente une divinite
ou l’esprit d’un defunt. C’est le cas de Ra, le Soleil, une divinite
presente
dans les rnythes, mais non veneree comme dans d’autres civibsations. En
revanche, Mamma, «la Lune », n’est point une divinite, mais un pays situe
peu loin, au-dessus de nos tetes. A tel point que Ton peut entendre la
deesse Hina battre 1’ecorce de Ycioa 2 (« banyan ») avec son i’e (« battoir ») pour fabriquer ses tissus en tapa. Mamma circule done dans le
premier ciel tout proche, et Ra dans le deuxieme juste au-dessus. Inevitablement le premier passera un jour devant le second, ce sera une echpse,
3
appelee par les Taliitiens nauta
Les autres astres sont plus loin, dans des cieux situes plus haut. Les
plus petits sont les plus haut places, dans le dixieme ciel, tout au sommet,
«
.
la
ou
le Vai
lleuve compose d’etoiles minuscules, l’eau du dieu Tane,
(« Voie Lactee ») ou nag eMa'opurotu son beau requin iden-
coule
ora
tillable par
un
,
son
etoile Fa‘arava-i-te-ra‘i (« Altair »). Tandis que
son
steme
blanc, Pira'etea (« Deneb ») s’est pose prudemment sur la berge.
II arrive que nous surprenions le deplacement des divinites, ce sont
des etoiles filantes Jetu-rere, ou des cometes,/eft7-ave. Leur trajectoire les
,
conduit
parfois a traverser comme un
bobde les dix cieux
et a
la Terre, elles deviennent alors meteores ,fetu-pao. Une fois
prennent le nom de ‘Opurei et sont venerees.
foncer
au
sol,
sur
elies
2
Plus
3
Cite par W. Ellis «/l la recherche de la Polynesie d'autrefois» tome 2, p. 209 (Societe des oceanistes, Paris 1972 N°25)
connu a
Tahiti
aujourd'hui sous le nom to
25
4
kftul/etw
de, la
Joaete des Shides &eeanu
Les termes
astronomiques
Chaque He possede son etoile, son ‘avei'a qui passe par son zenith,
porou-a-ra‘i. Celle de Tahiti est Sirius, Ta‘urua-nui-te-amo-‘aha ou
Ta'urua-faupapa.
Autour de chaque lie, en cercles concentriques, s’etendent les
oceans: tai le plus proche, tua, le plus eloigne ainsi que tous les moana
aux nombreux qualificatifs. Les eaux a l’horizon se perdent ensuite dans
les abysses appeles rua. De ces rua, jaillissent les vents et les astres
,
(Stimson).
fait, la rose des vents est appelee rua mata’i, et le compas
d’etoiles, rua fetu. L’horizon a l’Est (ou a l’Ouest) est divise en dix rua ;
la succession d’astres alignes qui y emerge porte egalement le nom de
rua
chemin d’etoiles (Stimson). Ces chemins d’etoiles traversent le
dome du ciel d’Est en Ouest. Elies sont assimilables aux parallels de nos
cartes. Le dieu Tane s’en est servi pour guider sa pirogue (Henry, 1968,
p. 475 ).
L’un de ces chemins d’etoiles materialise la trajectoire du Soleil au
chemin long ou Tropique du
solstice d’ete, Rua roa (ou Rua maoro)
Capricome; l'autre, celle du Soleil au solstice d’hiver, Ruapoto, chemin
court
ou Tropique du Cancer. Ces chemins sont connus aussi sous les
noms deAra roa ( ouAra maoro) elAra poto.
Lorsqu’on observe le Soleil se coucher pendant toute l’annee, il se
deplace sur l’horizon de Rua roa a Rua poto, du solstice d’ete au
solstice d’hiver ». Lorsqu’il a fait un aller-retour, il aura done accompli
un cycle, passant deux fois par le milieu de ce segment a l’equinoxe,
Le trajet du Soleil, ce jour-la, coincide avec la
ra-hiti, cycle solaire
ligne de 1 ’equateur celeste : les equinoxes sont les moments choisis dans
De
,
ce
»
«
,
»
«
«
»
»
«
«
1
«
.
»
le calendrier tahitien pour recaler les lunaisons avec les saisons.
A Hawai’i, l’equateur est appele ke alanui 0 kepiko 0 Wakea,
grand chemin
du nombril de Wakea
d’Atea.
4
Drollet A., 1989 [1922].
!
Makemson, M., 1938.
26
5
.
»,
Wakea etant le
nom
«
le
hawai’ien
N°326/327-Aout/Decembre
*
*
t
2012
*
4
♦
ns
:♦
-t
f1
*
3
cc
t
4
r
Sud
Rua 1
Rua 2
Rua 3
Rua 4
Rua 5
Rua 6
Rua 7
Rua 8
Rua 9 Rua 10
Horizon & I'Est
m
J
:
-
Figure 1
Les
a
eaux
plongent a I'horizon dans des abysses appeles rua. Chaque portion d'horizon,
I'Est, en comporte une dizaine. Les astres et les vents y emergent et y plongent,
leurtrajectoire porte de cefait le nom d erua.
I'Ouest et a
Les Tahitiens avaient aussi remarque que les
planetes
et la Lime
parcours analogue celle du Soleil, l’ecliptique. En parlant
de Jupiter, Henry precise qu’il suit la trajectoire de tua-o-urupo‘i
sur
le dos du soleil de l’aube », une bonne definition de l’ecliptique.
suivaient
un
a
,
Les Hawaiens
l’araignee
», et
Grace
meridien,
l’appellent ke ala o
ke
ku'uku'u,
«
«
le chemin de
les Maoris, te ara matua, «le chemin des parents 6
.
»
la carte laissee par Tupaia, nous avons aussi un nom pour le
la ligne Nord-Sud qui passe par Tahiti, rd avatea, « soleil de
a
midi 7 .»
Une classification des astres pour la navigation
Les Tahitiens distinguaient les etoiles ,fetu, des planetes, fetu-horo.
cinq planetes connues des Tahitiens sont: Venus: Ta‘uma-horopo‘ipo‘1 / Ta‘urua-horo-ahiahi -Jupiter : Ta‘urua-horo-po‘ipo‘i/
Les
Ta‘urua-horo-ahiahi /
Maunu‘ura /Fetu
ura
Td'urua-nui-i-tu’i-te-porou-o-te-raH
-
Mercure
:
Ta'ero, mata-piri-te-ra
-
Mars:
et Saturne
:
Fetutea.
6
Ibid.
7
Forster, J.R., 1996.
27
Fftid/cJi/i
dv /a
dociete de& 6tude& 0iceaMcnne&
trajectoire des planetes, tm-o-uru-po‘i, est reperee par deux planetes qui portent le nom de ta'urm, Venus et Jupiter: toutes deux servent
a la navigation d’Est en Ouest.
La
etoiles », n’etaient pas classees selon leur magnitude, mais
selon leur usage pour la navigation ; il existe deux classes de fetii utilisees
pour la navigation, les ta‘unia et les ‘ana. Nous verrons plus loin leur role.
Les fetii,
«
Comme
en
Occident, les Tahitiens regroupent aussi
certaines etoiles
qu’ils nomment hui fetii si elles prennent la forme d’une
si elles sont
figure, hamecon, oiseaux, perchoir, nasse... et hui tarava
la
comme
les
trois
etoiles
de
Ceinture
d’Orion.
alignees,
alignees
Ils possedent egalement un nom pour les nebuleuses, mahn et, pour
en
constellation
-
—
les parties claires du ciel,
Les
Rua, les
«
moana.
chemins d’etoiles
»
parmi les plus grandes et les plus brillantes sont done
classees dans une categorie appelee, ta‘u-rua repere de rua ». Le rua
est la serie d’etoiles situee sur la meme latitude qui suit ou qui precede
Douze etoiles
«
l’etoile ta’urua il peut se traduire par « chemin d’etoiles ». Par exemple,
Rua faupapa est le chemin d’etoiles que repere Ta‘urua Faupapa
,
«
Sirius
».
etoiles-reperes et leurs rua
correspondants, suivis de leurs noms respectifs en frangais:
Ta‘urua-i-te-ha‘apara’a-manu (Rua-i-te-ha‘apa‘ra‘a-manu)
Deneb (Cygne)
Ta‘urua-nui-o-mere (Rm-nui-o-Mere) Betelgeuse (Orion-Nord)
Ceinture
Ta‘urua-o-mere-ma-tutahi (Rua-o-Mere-ma-tutahi)
d’Orion (Orion-Sud)
Ta‘urua-feufeu (Rua feufeu) Alphard (Hydre-Nord)
Ta’urua-faupapa (Rua-faupapa) Sirius (Grand chien)
Ta‘urua-nui-fa‘atereva‘a-o-atutahi (Rua-o-atutahi) Fomalliaut
Ci-dessous la liste des douze ta’urua
»
«
-
-
-
-
-
-
(Poisson austral)
(Rua-o-Mere) Deneb Algedi (Capricorne)
Alnai'r (Grue)
Ta‘urua-manu (Rua-manu)
Ta‘urua-tupu-tainanu (Rua-tupu-tai-nanu) Canopus (Argo)
Ta‘urua-o-mere
-
-
-
28
N°326/327-Aout/Decembre
Ra
2012
(Ruapoto oilArapoto) Soleil (Solstice d’hiver)
Ra (Rua roa oi\Ara roa)
Soleil (Solstice d’ete)
Ta‘urua-nui-horo-po‘ipo‘i / Ta‘urua-nui-horo-ahiahi (Tua-oUmpo'i) Jupiter/Venus (Ecliptique)
-
-
-
Les pou, les
«
d’etoiles
piliers
»
Dix autres etoiles sont classees dans
categorie baptisee ‘ana
Chaque
pilier
d’etoiles ». II existe done dix pou qui soutiennent te tapo‘i-o-te-ra‘i, la
toiture du ciel ». Cette toiture est la coquille superieure du bivalve primitif Rumia, L’autre extremite, la base du pilier, repose le bivalve inferieur
a son endroit le plus stable, le pole celeste sud. En consequence, un pou
pilier d’etoiles est une serie d’etoiles alignee du Nord au sud qui, partant d’un ‘ana rejoint la paitie fixe de la voute celeste au sud. Par exemple,
Pou mua est le pilier d’etoiles alignees du Nord au Sud repere par Ana«
brillante
une
etoile ‘ana est le sommet d’un pou
».
«
«
«
»
mua
«
Antares».
Ci-dessous la liste des dix Ana
«
piliers
d’etoiles
»
etoiles brillantes
«
correspondants,
suivis de leurs
»
et
noms
des dix Pou
respectifs
en
francais:
(Pou-mua) Antares (Scoi-pion)
‘Ana-muri (Pou-muri) Zuben-Eschamali (Balance)
‘Ana-roto (Pou-roto)
Regulus (Lion)
Duhbe (Grande ourse)
(Pou-tia’ira’a)
‘Ana-tipu
‘Ana-heuheup (Pou-‘orerorerora‘a) -Alphard (Hydre)
Arctunis (Bou‘Ana-tabu’a-ta‘ata-metua (Pou vana‘ana‘ara‘a)
vier)
‘Ana-tahu‘a-vahine (Pou-ti‘ara’a) Procyon (Petit chien)
‘Ana-varu (Pou-nohora‘a)
Betelgeuse (Orion)
Phaet
‘Ana-iva (Pou-haerera‘a)
(Colombe)
‘Ana-mua
-
-
-
-
-
-
-
-
‘Ana-ni‘a
Les etoiles
(Pou-fa‘arava‘aira‘a)
Alphard
et
Betelgeuse
-
Polaris (Petite ourse)
sont
classees aussi bien dans les
‘ana que dans les ta'urua.
29
Q&uUetui d& Id Society de& &tude& Qcecmienne&
Methode de
aux
Premier
une
navigation traditionnelle
prealable avant de quitter
veia, l’« etoile zenithale
de Pile de
»
etoiles
:
identifier le
depart
ainsi que de
lie
I’ile-cible
L’etoile zenithale d’une lie est celle
un
point quelconque
situe
qui passe au-dessus d’elle ou sur
sur la meme latitude a une periode precise de
l’annee. Le trajet de cette etoile est de
Dans
de
Tahiti,
ce
fait
son rua.
Pimage ci-dessous, nous avons fait figurer les etoiles zenithales
Nuku-Hiva et Hawai‘i.
+r
—
^
_
‘Ana : tahu’ata’ata
Ta’urua-faupapa
J*r
AcQturus
Sirius
~
-T
-
-
Jau’ru-afeufeirAfphard-
_
HAWAI'I
TAHITI
NUKU HIVA
Figure 2
'Ana-tahu'a-ta'ata (Arcturus dans le Bouvier)
est
I'etoile zenithale de Hawaii.
Ta'urua-faupapa (Sirius dans le Grand Chien) celle de Tahiti.
Ta'urua-feufeu (Alphard dans I'Hydre) celle de Nuku Hiva.
Second
Pile de
prealable
depart
Le rua, la
mesure
position
avant de
en
quitter
une
latitude de Pile de
de la hauteur d’un astre
connu a son
lie
:
evaluer le
depart,
rua
de
est repere par la
zenith par rapport
a
Phori-
sud. Les astres ideaux pour une telle mesure sont ceux qui se trouvent le plus loin au sud : Tauhd, « Croix du sud »
Na Matarua « alpha
zon au
—
et
beta du Centaure
‘apato'a Achernar
«
30
»
».
—
Ta‘urua-tai-nanu
«
Canopus
»
et Ari‘i-o-
N°326/327-Aout/Decembre
Pour
sud)
sur
la
en
instrument la hauteur d’un astre
mesurer sans
faut tendre le bras
vers
l’horizon
sud
au
(pour les
a son
lies de
2012
zenith, il
l’hemisphere
tenant la paume de la main ouverte, Textremite du pouce posee
l’horizon. Il faut ensuite
longueur
mesurer
la hauteur de l’astre
de la main, celle-ci etant l’unite de
en se
servant
de
mesure.
Figure 3
A Tahiti, la hauteur de la Croix-du-sud
A Hawai'i, il fait la
Troisieme
a son
zenith fait environ deux mains et demie.
largeur du pouce. ATubua'i, il
prealable
avant
de
quitter
mesure
une
trois mains.
lie
reperes fixes au sol
La direction de chaque ile-cible est materialisee
:
prendre
deux
sol par l’alignement de deux reperes, des pics de montagne, des rochers, des dots, des
promontoires etc. Ainsi Tde de Tahiti est entouree de reperes qui donnent
au
la direction des des environnantes.
Parfois, les reperes sont sur l’de voisine : par exemple, pour se rendre a ‘Ana‘a a partir de Tahiti, d faut d’abord gagner l’de de Meheti'a. Une
fois sur place, d suffit de s’aligner sur l’axe de deux pics oriente sur Anaa.
De meme, pour se rendre a Huahine, les pics reperes se trouvent a Touest
de Moorea.
s’effectuent toujours avant le coucher du soled. Lorsque
la nuit tombe, les reperes au sol laissent la place aux etodes qui sont dans
leur prolongement. Le navigateur cale sa pirogue sur ce nouvel axe qui est
Les
departs
le 'avei ‘a de Tde-cible.
31
bulletin
dc /a
Pour des
Societc dc& fstudefr Occam
trajets
courts
l’« etoile zenithale
Pour atteindre
:
suivre le
‘dvei‘a,
»
une
ile,
de viser directement
son
si elle n’est pas
trop eloignee, le plus simple
etoile zenithale
Cela suppose
que le voyage ne dure pas longtemps, deux ou trois jours, et qu’il a lieu a
une epoque bien precise de l’annee, celle ou P etoile, en traversant la voute
est
celeste,
passe
au
avei ‘a,
son
«
».
zenith de File.
Le voyage de Tahiti
tahitiens,
a
ete
a Huahine accompli par Ellis et ses compagnons
realise de cette maniere : il n’a dure qu’une nuit et un jour,
les embarcations sont parties de Moorea,
ou
ils s’etaient rendus la veille.
Pour des
trajets longs : suivre les pou et les rua
Pour une navigation plus ardue, il faut assurer son voyage en s’alignant sur l’axe d’un pou pour un trajet du Nord au Sud, ou sur celui d’un
rua pour un trajet d’Est en Quest.
Figure 4
Le depart s'effectue avant le coucher du soleil,
le navigateurs'aligne sur 2 reperes au sol (2 pics de montagne par exemple).
32
N°326/327-Aout/Decembre
2012
navigation Nord-Sud :
suivre les pou, les piliers d’etoiles
Pour un voyage long, vers le Nord par exemple, il ne suffit pas simplement de suivre une etoile situee au Nord comme !Ana-tipu Duhbe »,
car celle-ci se deplace pendant toute la nuit vers l’Ouest. Une
pirogue qui
la prend pour cible finirait au bout de la nuit a incurver sa trajectoire pour
suivre le deplacement de l’etoile d’Est en Ouest. Il est done imperatif de
maintenir un cap vers le Nord en s’alignant, non pas sur une etoile, mais
sur une serie d’etoiles alignee du Nord au Sud comme les pou,
piliers d’etoiles». De ce fait, au lieu de viser ‘Ana-tipu il vaut mieux aligner sa pirogue sur le pilier repere par cette etoile: pour cela, il faut guetter le moment ou il est au zenith. Au cours de la nuit, il se deplace vers
l’Ouest et, quand il devient inexploitable, il faut guetter le pilier suivant.
Les dix piliers qui se succedent toutes les nuits sont sufflsants pour pouvoir
naviguer sur un axe Nord-Sud pendant toute l’annee.
Pour
une
«
»
,
«
«
Pour
une
navigation
suivre les rua, les
«
Est-Ouest:
chemins d’etoiles
»
voyage long, de l’Est vers l’Ouest ou vice-versa, il faut prealablement identifier le ta'urua de l’ile-cible. Une fois repere, il suffit de
Pour
suivre
soit
son
vers
un
ma, le
l’Ouest,
«
en
chemin d’etoiles» dont il est le repere, soit vers
gardant la meme latitude.
l’Est,
qui materialise le rua, il faut aligner son
(comme indique a la figure 5), en deviant
Pour suivre la serie d’etoiles
embarcation
le moins
sent
sur
l’axe du
rua
Des que les etoiles de la serie franchisce qui represente environ 20 degres —,
possible de l’axe du rua.
la hauteur d’une main
—
disparaissent sous l’horizon, il faut choisir celles qui les suivent ou qui
precedent. Au-dela de la hauteur d’une main, l’alignement de la
pirogue sur l’axe du ma devient impossible.
ou
les
33
bulletin
d& la
Society de& &tude& Gcea/ue/we&
Figure 5
Un
rua est une
serie
d'etoiles,
elles se levent ou
se
couchent a I'horizon;
la serie est reperee par son etoile la plus brillante, le ta'urua, traversant le del d'Est en Ouest.
Pour suivre un cap, il faut aligner son embarcation sur I'axe d'un rua.
Navigation par la methode des deux ta‘urua
Il est egalement possible de naviguer en utilisant deux ta'urua 1’un
a l’avant et 1’autre a l’arriere, situes dans le prolongement de I’axe de la
pirogue. Il suffit ensuite de s’aligner sur I’axe virtuel ainsi trace entre les
deux etoiles, la proue sur l’etoile situee devant et la poupe sur celle situee
a l’arriere. Cette navigation permet, le cas echeant, une navigation deviant
,
de I’axe d’un
rua ou
d’un pou.
Figure 6
La
34
navigation
par la methode des deux ta'urua.
N°326/327-Aout/Decembre 2012
Les rua, les
«
chemins d’etoiles
Le dome du ciel est ainsi divise
sieurs chemins
ressemblant
a
en
»
plusieurs ma,
c’est-a-dire
en
plu-
d’etoiles, plusieurs lignes d’etoiles orientees d’Est en Ouest,
des
parallels.
•JSJU'Tiy-.
Figure 7
Plusieurs chemins d’etoiles parcourent le del d'Est en Ouest.
Ci-dessous, a la figure 8, les dix ma reportes sur un disque representant le globe terrestre: le Rua i to'erau et le Rua i to'a sont les zones
situees au Nord et au Sud, semblables a des abysses ou les navigateurs ne
s’aventurent jamais.
’APA-TO’ERAU
Figure 8
Les rua reportes sur un
globe terrestre
35
Ci-dessous, a la figure 9, ont ete dessinees sur la carte representant
l’ocean Pacifique, les traces laissees par le passage des ta'uma : chacun
sert de repere
le
a
aux
Triangle polynesien
l’aide des
en
rua
chemins d’etoiles. Nous pouvons constater que
est« quadrille » par des chemins d’etoiles. Naviguer
rua,
aux
consiste
a
suivre
ces
chemins dans
une
navigation d’Est
Quest.
Figure 9
La
Comment
Tahiti
et
naviguer a l’aide
des poll et des
rua
idee de la methode traditionnelle de navigation a
judicieux est de donner un exemple, celle d’un voyage entre
Pour avoir
Tahiti, le plus
projection des ta'urua sur la carte du Pacifique
une
Nuku-Hiva.
quitter Tahiti, Tile de depart, le navigateur, connaissant au
prealable la position de 1’ile-cible, Nuku-Hiva, situe au nord-est, dont le
Avant de
etoile repere, Ta‘urm-feufeu choisit
de s’y rendre en prenant prealablement soin de s’aligner sur les reperes
au sol (selon Tupaia, les reperes au sol qui donnent la direction des lies
rua
est Rua-feufeu repere par
son
Marquises se trouvent sur Meheti’a).
36
,
N°326/327-Aout/Decembre
2012
Les vents et la houle etant du secteur
sud-est, le navigateur sait que s’il
Nuku-Hiva, les aleas de la derive risquent de lui faire rater
sa cible. II peut soit passer plus a l’Est, soit passer a l’Ouest de l’ile. II sera
impossible pour lui de determiner sa position par rapport a l’ile-cible.
Pour etre certain de toucher sa cible, il choisira volontairement de
prendre un cap plus au Nord en visant ‘Ana-tipu, Duhbe », le repere
du Pou-tia‘ira‘a. Il sera alors certain de couper la trajectoire de Rua-feufeu a l’Ouest de Nuku-Hiva. Il n’a plus qu’a virer a l’Est et a viser l’archipel
des Marquises, une cible plus grande que l’ile de Nuku-Hiva. A l’approche
de l’archipel, il guettera la houle, les oiseaux et les cumulus accroches aux
montagnes des lies hautes. Des qu’il a atteint une ile de 1’archipel, il saura
comment rejoindre l’ile-cible.
vise directement
«
Figure 10
En partant de Tahiti, Hie de depart,
le navigateur ne prend pas le trajet direct pour Nuku-Hiva, ITIe-cible,mais celui
a couper la trajectoire de Rua-feufeu a I'Ouest de Nuku-Hiva.
qui le conduit
37
iT&a/letin
dc la
Naviguer
en
Society des Stades Ocean
utilisant la nature
navigation par I’observation de l’environnement
La navigation astronomique par les rua, pour autant qu’elle soit efficace, n’est toutefois pas assez precise. Elle permet une approche grossiere : la precision est de l’ordre de 170 milles nautiques, soit environ
315 km. C’est la distance entre Tahiti et Maupiti. Autant dire qu’une Tie isolee est impossible a trouver. Ce qui peut expliquer Tisolement de Tile de
Paques.
Affiner la
Ainsi, le
21
septembre 1999,
de Paques
rejoindre 1’ile
pour
la
avec
pirogue Hokule ‘a quitte Mangareva
a son bord trois navigateurs expert-
mentes, Nainoa Thomson, Bruce Blankenfeld et Chad Babayan. Le voyage
devait prendre douze jours. A Tissue de ce delai, les navigateurs sentaient
bien que lTle etait toute proche. Tous leur sens etait en alerte. Ils cherche-
moindre indice qui pourrait les
aider ; au bout du compte, ils resolurent de sortir leurs instruments. Ce
hit le seul echec des navigateurs Hawai'iens en vingt-trois ans et douze
voyages a travers toutes les des du Pacifique. L’ile de Paques est la seule
rent
pendant quatre jours
en
scrutant le
pas faire partie d’un archipel. Les indices qui peuvent permettre
d’affiner la navigation astronomique sont nombreux.
lie
a ne
Choisir
comme
Au-dela de 25
ou
plus visible du large.
un groupe d’iles
milles
30
nautiques de rayon,
cible
Dans les groupes
insulaires,
ces
une
tie haute n’est
perimetres de 25
ou
30 miles se chevauchent souvent, formant des cibles plus grandes. Pour
atteindre une lie situee au sein d’un groupe d’iles, il vaut mieux cibler le
groupe puis, une fois le groupe atteint, rejoindre Tile cible.
Pour rejoindre par exemple une lle-cible comme Nuku-Hiva
des
en
par-
La distance
Marquises.
Tarchipel
Tahiti,
plus
plus au Nord et celle la plus au Sud est de 200 milles nautiques (360 km), ce qui est considerable au regard de la plus grande Iongueur de Nuku-Hiva (30 km).
tant
de
entre
38
Tile la
il est
sur
de viser
N°326/327-Aout/Decembre
Utiliser les couleurs de la
mer
La couleur de la
fonction de
fonds colores
au
mer
varie
milieu des
en
oceans
sa
profondeur:
2012
les hauts-
constituent d’excellents reperes pour
la navigation.
Les hauts-fonds situes pres d’une ile et d’un archipel sont des indications sur la distance qui reste a parcourir et sur la direction a prendre.
Les debris flottants
En
pleine mer,
d’une terre
les debris flottants permettent
d’indiquer la direction
fonction du courant et d’estimer la distance qui reste a parcourir. Une noix de coco sec, flottant au gre du courant, est un bon indicateur
de
en
de la distance
putrefaction
sejour du
:
il suffit d’examiner l’etat de la bourre
de l’eau de
ou
le
dans l’eau et, en
miner la distance parcourue. L’exercice peut se faire aussi avec une
de cocotier ou d’autres debris vegetaux prealablement etudies.
coco
degre
l’interieur pour apprecier la duree du
fonction de la vitesse du courant, deter-
coco a
palme
La houle autour d’une ile
Figure 11
La houle autour d'une ile
39
bulletin da la Society de& Qtudes Qcea/ueane&
Une
sence
houle,
si elle
d’un obstacle
ne
rencontre pas
cree une
d’obstacle,
houle secondaire
ou
reste
reguliere.
La pre-
deforme la houle prin-
cipale et provoque des turbulences. L’image ci-dessus (figure 11) indique
(A) la houle principal qui arrive du large, elle est reguliere ; lorsque
la houle principal rencontre une lie, cehe-ci renvoie en sens inverse une
la houle reflechie (B) ou alors, elle se courbe en contoumant Tile (C); a
l’arriere de File, la houle principal qui l’a contournee par la gauche et
en
par la droite s’est divisee et se croise en creant des turbulences (D).
En fonction des formes de houle rencontrees, le navigateur sait situer
l’ile
meme
Paku
s’il
:
ne
la voit pas.
la coloration
particuliere des
nuages au-dessus d’un
atoll
qu’elle se reflete
sur le nuage qui se trouve juste au-dessus. Ce phenomene porte le nom
de paku aux lies 'Iliamotu, en tahitien pa‘u, d’ou le nom de l’archipel en
Le
lagon
de certains atolls est d’une luminosite telle
tahitien, Pa‘u-motu.
Le reflet du
lagon
voit de fort loin alors
de Me d’Ana'a est
meme
que les cocotiers
ne
sont
; il se
pas visibles.
montagnes des lies
montagneuses peut engendrer de gros nuages
Les cumulus accroches
La chaleur des terres
particulierement fameuse
aux
immobiles au-dessus des Ties, les cumulus. La presence d’un cumulus
stable au milieu de nuages en mouvement signale la position probable
d’une ile.
Le vol des oiseaux et leur rayon d’action
Certains oiseaux de mer quittent la terre le matin pour
se
rendre
sur
les lieux de peche. Ils regagnent la terre a la tombee de la nuit. Leur vol,
le matin et le soir, indique la direction de Me et l’espece, le rayon d’action.
Le rayon d’action de certains oiseaux est
40
indique dans la figure
5.
N°326/327-Aout/Decembre
2012
Figure 12
Le rayon d'action des oiseaux de
mer
La reconnaissance du savoir tahitien
navigation fait appel a une somme de connaissances techniques et
scientifiques precises. Les Polynesiens, sounds a un environnement manLa
connaissaient pas d’autres voies de voyage que celles de l’ocean.
C’etait leur chemin obligatoire s’ils voulaient rencontrer leurs voisins. Les
time,
ne
parvenus a un etat de sensibilite vis-a-vis des
elements naturels tel que tout leur semblait accessible ; leur maitrise de
la navigation est demeuree inegalee. Au-dela des exploits de voyage et de
Tahitiens,
en
particulier,
sont
la lecture des signes, leur genie residait avant tout dans leur comprehence qui n’est pas
sion du positionnement par les ahgnements d’etoiles
sans rappeler les outils des geographes modemes, leurs latitudes et leurs
—
longitudes.
41
i
d&ulletin
da fa
doc/eta de& Gtadcs Oceaaie/me
point du systeme des piliers d’etoiles et des chemins
d’etoiles faisait du fa’atere va’a, du navigateur, un maitre astronome. Les
astres faisaient partie des mythes dans lequel il s’integrait par filiation. Ses
ancetres defunts, parfois devenus des dieux, etaient tous de belles etoiles
brillantes veillant sur leurs progenitures.
Le voyage realise par la flotte d eMana o teMoana a permis a sept
La mise
au
archipels, de conduire sans le moindre insnavigation pendant deux ans, de 2011 a 2012, sept tipaerua
a travers le Pacifique. Ils ont ete formes a Hawaii par l’expert inconteste
de la navigation aux etoiles, Nainoa Thomson, le meilleur eleve de Mau
Pialug. Depuis le premier voyage de Hdkule ‘a en 1976, une dizaine de
Hawailens maitrise la navigation aux etoiles.
La pirogue tahitienne Faafaite, qui a realise le periple avec Mana o
Polynesiens,
trument
de
issus de divers
et
teMoana est destinee
,
a
etre
l’ecole de formation
nelle de Tahiti. Assisterons-nous enfin
tahitienne
en
a
a
la navigation tradition-
la reconnaissance de
Tintelfigence
la matiere ?
Jean-Claude Teriierooiterai
42
N°326/327-Aout/Decembre
2012
BIBLIOGRAPHiE
Ouvrages specialises
AKERBLOM, Kjell, 1968, Astronomy and navigation in Polynesia and Micronesia, Stockholm, Ethnogratiska
Museet.
BEST, Elsdon, 1922, Astronomical knowledge of the Maori, Genuine and Empirical, Wellington, Dominion Museum.
-1959, The Maori division of time, Wellington, R. E. Owen.
CHAUVIN, Michael, E., 2000, Astronomy in Ancient Hawaii, Honolulu, Mauna Kea Books, 125 p.
CRUCHET, Louis, 2005, Le del en Polynesie, Essai d'ethno astronomie en Polynesie orientale, Paris, I'Harmattan,
256 p.
-
2006, A la decouverte du del
polynesien, Papeete, Ministere de I'Education, CRDP.
DESCLEVES, E., 2010. Le peuple de I'ocean, Tartde la navigation en Oceanie, Paris, L’Harmattan, 310 p.
DODD, E., 1986,« L'art de la navigation dans la Polynesie d'autrefois», Papeete, in BSE0, N°235, pp. 1-16.
Dl
PIAZZA, A. & PEARTHREE, E., 2007,« A new reading ofTupaia's chart», in JPS, Vol. 116, N°3, sept. 2007, pp.
321-340.
DRUETT Joan, 2011.
Tupaia, Captain Cook's Polynesian Navigator, Santa barbara, Denver, Oxford, Praeger, 255 p.
ELLIS, W., 1972, A la recherche de la Polynesie d'autrefois, Paris, Publication de la Societe des Oceanistes N°25,2
vol., 942 p.
EMORY, K. P., 1975, Material Culture ofthe Tuamotu Archipelago, Honolulu, Pacific Anthro. Records N°22, Bishop
Museum.
EVANS, J., 1998. The discovery ofAotearoa, Auckland, Reed Books.
FINNEY, Ben, 1979. Hokule'a: The Way to Tahiti, New York, Dodd, Mead & Company, 310 p. 2003. Sailing in the
Wake of the Ancestors, Reviving Polynesian Voyaging, Honolulu, Bishop Museum Press, 168 p.
GRAINDORGE, M. et GUEHENNEC, C„ 1988, Le del de Tahiti et des mersduSud, Papeete, Haere Po.
HADDON, A., and HORNELL, James, 1975, Canoes of Oceania, 3 vol., Honolulu, Bishop Museum Press, HENRY,
T., 1968, Tahiti aux temps anciens, Paris, Societe des Oceanistes, N°1, Musee de I'Homme, 722 p.
-
KOENIG, Robert, 1981,« Les navires europeens de la carte de Tupaia »in BSE0 n°217, Papeete, pp. 985 991.
KYSELKA, Will, 1987. An Ocean in Mind, Honolulu, University of Hawaii Press, 244 p.
KYSELKA, Will & LANTERMAN, Ray, 1976. North Star to Southern Cross, Honolulu, University of Hawaii Press,
-
152 p.
LAGUESSE, Janine, 1945,« A propos des connaissances astronomiques des anciens Tahitiens, BS0E, N°75, pp.
141-154. -1947,« Notes au sujet des phases de ia lune chez les Polynesiens», in BS0E, N°78, pp. 292-294.
MAKEMSON, Maud, 1938,« Hawaiian Astronomical Concepts», in American Anthropologist, N°40: pp. 370-383,
N°41: pp. 589-595. -1941, The Morning Star Rises, New Haven, Connecticut, Yale University Press.
MOERENHOUT,Jacques-Antoine, 1837, Voyages aux lies du grand Ocean, Paris, Adrien Maisonneuve.
musees de la
NEYRET, J., 1974, Pirogues oceaniennes, tome I: I. Melanesie, Paris, Association des amis des
VI. Autres
V.
IV.
III.
Inde,
II:
II.
Indonesia
Marine. -1974, Pirogues oceaniennes, tome
Polynesie, Micronesie,
continents, Paris, Association des amis des
musees
de la Marine.
Linguistiques, dictionnaires, grammaires
DAVIES, J., 1984 [1861].4 Tahitian an English dictionary, Tahiti, Haere Po.
en
DROLLET, A. 1989 [1922],«Rectifications a apporter a certains noms mal orthographies langue tahitienne»,
Papeete, in BSE0, N°248, pp.100-101
Societe des Etudes OceaJAUSSEN, T„ 1996 [1861]. Dictionnaire de la Langue Tahitienne, 8eme edition, Papeete,
niennes.
43
bulletin
d& fa
Society cfes 8tiufe& 0icea/ue/me&
RENSCH, K. H. 2000. The language of the noble savage, the linguistic fieldwork ofReinhold and George Forster in
Polynesia on Cook's second voyage to the Pacific 1772-1775, Canberra, Archipelago Press. 2003. Early tahitian,
the linguistic fieldwork ofJoseph Banks, Carl Solander, Maximo Rodriguez and Domingo Boenechea, Canberra,
:
-
Archipelago Press, 222 p.
STIMSONMARSHALL D., 1964. A Dictionary ofSome Tuamotu Dialects ofthe Polynesian language, The
Hague,
Nijhoff,The Royal Institute of linguistics and Anthropology.
Martinus
Relations de voyage
BEAGLEHOLE, John, C., 1962. The EndeavourJournal ofJoseph Banks 1768-1771, 2 volumes, Sydney, Angus and
Robertson.
BLIGH, William, 1792. A Voyage to the South Sea, undertaken by command ofhis Majesty, for conveying the breadfruit tree to the West Indies, in his Majesty's ship the Bounty, from edition published by permission of the Lords
Commissioners of the Admiralty, London.
COOK, James, 1777. A Voyage toward the South Pole and Round the World in the years 1772-73-74-75, 2 Volumes,
W. Strahan and! Cadell in the Strand, London. -1785. Captain Cook's third and last voyage to the Pacific Ocean
in the year 1776,1777,1778,1779 and 1780, London, faithfully abridged from the Quarto Edition, published
by order other Majesty. -1893 [reedition a partir de I'original]. Captain Cook's Journal During the First Voyage
hy Captain W.J.L. Wharton, R.N., F.R.S.,
Round the World, made in HM bark « Endeavour » 1768 1771, edited
-
Elliot Stock, London.
CORNEY, Bolton, Glanvill, 1919, The Quest of Tahiti by Emissaries of Spain during the Years 1772-1777,3
volumes, London, Hakluyt Society
FORSTER, Johann, Reinhold, 1996, [1778]. Observations made during a Voyage Round the World, Honolulu, U.
of Hawaii.
HAWKESWORTH, LL. D., 1773. An Account of the voyages undertaken by the order of his present Majesty for
making discoveries in the Southern Hemisphere, and successively performed by Commodore Byron, Captain Carteret, Captain Wallis an Captain Cook l. ..land the papers from Joseph Banks, William Strahan and Thomas Cadell,
London: Vol. 2 & 3: Cook's Endeavour Voyage.
-
HOARE, Michael, E., 1982. The Resolution Journal ofJohann Reinhold Forster 1772-1775, Volume I, II, III, IV, Lon-
don, The Hakluyt Society.
LEE, Ida, 1920, Captain Biigh’s second voyage to the South Sea, London, Longmans Green and Co, 290 p.
MORRISON, James, 1981. Journal de James Morrison, Societe des Etudes Oceaniennes, Papeete, 200 p.
PARKINSON, Sydney, 2004 [1773], A Journal of a voyage to the South Seas in his Majesty's ship, The Endeavour,
transcribed from the paper of the late Sydney Parkinson, from the Stanfield Parkinson, 1773, London.
44
Le tour de Pile de Tahiti
par Cook et Banks
1769
que nous connaissons de ce premier tour de Pile de 1769,
sont deux journaux, celui de Cook et celui de Banks; s’il y a pluTout
ce
en
ce
sieurs versions du
de Cook, la premiere est apocryphe (euphemisme pour dire douteuse et suspecte, qui parait deux mois apres le
retour de Cook le 11 juillet 1771) et la seconde, la mieux connue, est
par Hawkesworth en 1773 (dans l’ouvrage
trouvent aussi les recits de decouverte de Wallis et de Carteret). En
officielle,
se
journal
revue
et
corrigee
les 753 pages de la version du texte manuscrit de Cook, classe au
Patrimoine de Phumanite, ne paraissent qu’en 1893... Quant au journal
fait,
Banks, il n’a ete edite qu’en 1896
langue frangaise...
de
On
et n’a pas encore ete
peut confronter les differentes versions de Cook
traduit
avec
en
celle de
Banks, mais il ne s’agit pas ici de faire l’exegese du tour de Pile de 1769,
simplement proposer quelques pistes de lecture ou plutot d’ecoute et
beaucoup de questions: donnons deux exemples, a Papenoo ce 26 juin,
au premier jour du tour de Pile : Cook dit:
Je ne vis rim de remarquable, si ce n’est unporce/et rodplace sur
un autel oil, a cote, se trouvaient le corps ou les ossements d’unepersome.
Alors que Banks note :
A cote de la maison de
femme qui
hote se trouvait le corps d’une vieille
avait ete transportee de Matavai le 16juin. Il semble que
mon
m bulletin d& lev \$ociet& des Studes Qtxxmienne&
ce
soit I’endroit que notre hote avait requ en heritage d’elle et que
a cause de cela qu’elle avait du etre amenee id. Banks recon-
e’etait
nait le corps de cette dame, il 1’avait dejd vule 5 juin, depose non bin
du camp des Anglais sous un abri de pirogue: il decrit le poisson et la
offerte aux dieux (et non a la personne decedee, comme il le
specifie) afin de satisfaire la faim des divinites et eviter que celbs-ci
viande
ne
mangent le corps
eu
lieu.
ce
-
qui serait arrive si la ceremonie n’avait pas
celui de la rencontre, a la presqu’ile
avec le chef Vehiatua, le 27 juin : void ce qu’en dit Cook:
Nous avons rencontre le «roi» Vehiatua, un homme tres vieux a
Prenons
deuxieme
un
la barhe blanche,
avec
exemple,
peu de monde pour le servir. Nous
ne
Vavons
rencontre que pour le saltier...
Banks
nous en
revele
beaucoup plus:
Vehiatua etait assis pres d’un abri de pirogue
son
habitation. C’est
barbe blanche;
a
un
qui semblait etre
homme age et mince, aux cheveux et a la
se trouvait une femme agee de 25 ans
cote de lui
environ, jolie et qui s’appelait Tauhitihiti.
tres souvent, et les gens
nous
Nous avons entendu
disaient que e’etait
importante dans cette partie de Vile,
elle, dans la grande ib.
un
une
ce nom
femme tres
peu comme Purea l’etait chez
Lorsque Cook et Banks commencent leur tour de File de Tahiti ce
26 juin 1769, leur mission est terminee, le transit de Venus a ete assez
bien observe trois semaines auparavant, ils peuvent done faire un tour,
quitter la pointe Venus et y retoumer, c’est la definition meme du touriste,
celui qui revient a son lieu de depart.
Cook se donne une mission, reconnaitre les lagons, les sonder,
reconnaitre les passes et decrire les baies de Tahiti qui pourraient abriter
des navires, dresser une carte, dont il sera tres content, celle de son Atlas:
Cook ecrit
a son
Le plan
ou
retour:
le dessin
s’il n’est pas tres preevidence I’emplacement des baies et
quej’ai ejfectue,
meme
sujfisantpour mettre en
des ports ainsi que l’aspect general de Vile.
cis,
46
sera
1769
Tahit
de
Carte
bulletin
d& la
Mais
tour
ce
tSociete- des Slades Oceania
de File semble avoir ete bien improvise,
car en meme
temps Banks ecrit, le dernier jour, ou ils sont tous surpris par la pluie :
Nous avons eu beaucoup de chance, aucun d’entre nous n’avait
emmene
de vetement de
de faire le tour de Idle
en
rechange,
aucun
d’entre
nous
n’avaitpense
quittant Matavai...
anglais-tahitien leur pgnmet de
faire le tour de File, c’est aussi la maitrise de leur canot ou plutot de leur
pinasse, une petite chaloupe qui peut avancer a la voile et a la rame.
Si la maitrise d’un certain vocabulaire
Banks ecrivent dans leurs journaux : «Nous
ramons... », ce qui est invraisemblable ou un euphemisme admirable,
mais qui jette dans Fanonymat ceux qui rament et ceux qui sondent les
Cook tout
comme
profondeurs du lagon,
messieurs
ceux
qui marchent
c’est-a-dire
a
qui
terre.
suivent
a
Cook dit
bord de Fembarcation
ces
deux
qu’ils partent a trois le 26 juin,
guide indigene, Banks ecrit trois jours plus tard, le
tension a la presqu’ile: «Nous sommes 4 et avons des
et
avec un
29, jour de grande
armes pour 4». Il est vrai que le nombre des personnes qui les guident
ou qui les accompagnent est tres variable.
De temps
en
temps Cook
et
Banks remontent
parce que la marche leur semble trop difficile
par
bord de la
pinasse
(le long des falaises du Pari,
a
parce qu’ils sont fatigues, ou tout simplement parce que le
leur semble pas interessant, ou plus assez interessant, en par-
exemple)
ne
paysage
ticulier a la fin de leur tour. Ils ont
deja vu Punaauia, Faaa au mois de mai,
Papeete n’est pas interessant, c’est que cette ville n’existe pas encore.
Cette pinasse est done un vehicule de transport vital, et un abri
(Banks y passe meme une nuit lorsqu’il ne veut pas dormir au motu Tuarite), c’est aussi un lieu de refuge, on le voit bien au petit matin du 29 juin
a Vairao lorsqu’on leur annonce que leur pinasse a disparu, ils craignent
et si
pour leur securite et pour leur vie.
Banks pense immediatement que «les Indiens, nous trouvant
endormis, s’en sontprobablement empares d’abord et I’ont emmenee
qui signifiait qu’ils s’enprendraient a nous tres vite. Nous etions
4, nous n’avions qu’un mousquet et 1 boite de cartouches et 2pistolets
de poche, sans reserve ni de poudre ni de balles .»
-
ce
48
N°326/327-Aout/Decembre 2012
Un mousquet et deux
pistolets,
leur effet est bien
connu a
tout cas,
de
Bougainville,
mais
cilement et lentement
est-ce
Taliiti
ces armes sont
beaucoup d’armes a feu ? En
depuis le passage de Wallis et
pratiquement
a
usage unique, diffi-
rechargeable.
Cook et Banks donnent les
noms
des
guides qui
les accompagnent
le
depuis depart de Matavai, des guides qui changent, qui les guident puis
les abandomient: ils ne comprennent pas que, changeant de territoire, ils
doivent aussi
changer
de
guides.
naissance d’autorites differentes
Leurs
armes a
recon-
des terres differentes. Ainsi leur prede quitter la grande lie pour se rendre a
sur
guide veut les decourager
presqu’ile : seul les voir charger leurs
mier
feu brouillent la
pour defendre leur petit
groupe lui permet de franchir la frontiere entre les deux systemes de pou-
la
armes
voir.
C’est ainsi que s’ouvre la frontiere entre Tahiti nui et Taliiti iti, entre
de l’autre cote, l’accueil est tout a fait amical...
II y a d’autres gens, d’autres curieux, curieux de voir nos deux personnages: Cook et Banks rencontrent beaucoup de personnes qui n’ont
Porionu’u et
Taiarapu. Et,
jamais vu d’Europeens!
ans
apres
Walhs,
1
an
apres
Bougainvihe!
des autres, celle des Tahitiens et ceke des
la maniere d’avancer et d’accueilhr et d’etre accueilhs sont tres
La curiosite des
Anglais,
2
uns
et
presentes dans les 2 journaux, mais la violence, sous-jacente, toujours
prete
a se
manifester.
exemple. Le chefMatahiapo nous avait guide, nous dit
Cook,
lagon du Sud de la presqu’ile. Pourle remercier, nous lui
avons prete un grand manteau, une espece de houppelande dans
laquelle on peut s’envelopperpour dorrnir, il seplaignait d’avoirfroid
ce soir-la. Nous n ’avons d’abordpas cru quand on nous a dit qu ’il
etaitparti. Nous avonspoursuivi Matahiapo dans le noir en obligeant
quelqu’un a nous accompagner sur 3 ou 4 miles, et on nous a ramene
En voici
un
dans le
la cape.
Banks
c’est
son
que, depuis le vol de ses vetements au mois de mai,
habitude de se deshabiher et de poser ses habits en securite (ici,
rappeke
49
bulletin
_
dcy la
Society de& Student &ceanie/me
de dormir convert seulement, selon la coutume
locale, d’un tapa. Pour poursuivre le voleur, Banks s’arme de son pistolet,
menace un Tahitien de mort pour qu’il l’accompagne dans sa poursuite...
c’est dans la
Du
pinasse)
et
deja-vu...
1’ile, il y a aussi de la place pour rencontrer du
deja-vu, ou du deja-connu : a deux reprises, Cook et Banks se trouvent
places devant des objets occidentaux, des objets qu’ils reconnaissent
comme occidentaux, mais qui ne viennent pas d’eux et qui ont ete apporMats dans
ce
tour de
tes par d’autres.
D’abord, des le l jour, a Hitiaa, ce 26 juin, on leur montre l’emplacement d’un campement, celui d’une aiguade, les trous qu’ont laisse des
piquets de tente et l’emplacement de la croix ou Ton disait turn turn et
er
des tessons de vaisselle dans les traces d’un brasier. Banks
analyse
d’Espagnols
trompe,
parfaitement
comme il croit, mais cedes des Frangais, et turn turn signifie a genoia,
a genoia, ce sont les traces d’un certain Toottero, d s’agit, en fait, de Bougainvide : les habitants du deu leur expdquent meme qu’un des leurs, un
denomme Ahutoru, est parti a bord de ces navires soi-disant espagnols...
Peut-etre du cote de Hitiaa peut-on retrouver encore aujourd’hui les descendants de Reti, de ce chef, et done les cousins du premier touriste tahitien en Europe, qui est presente a Louis XV le 30 avrd 1769, bien avant
que ‘Omai ne soit presente le 17 juidet 1774 au roi George HI... !
meme
ces
Ensuite,
Cook
et
a
traces, mais
Pueu,
ce
ce ne
se
27 juin,
Banks les identifient
on
sont pas
celles
leur montre des boulets de
parfaitement,
ce
sont
canon.
des boulets de 12, de
(environ 6 kg), il y a meme une inscription sur certains,
quelques uns sont de marque anglaise avec leur grande fleche, d’autres
temoignent certainement de la mondialisation des boulets de canon...
12 livres
Enfin, toujours le
entoure, Cook
apergoit
Banks
a
Pueu, dans la grande foule qui les
reconnaissent pas
ne
grand monde,
viennent pas de leur
mais Banks
navire,
mais d’un
etranger. Qu’entendent-ds par omements ? Des petits objets
? de la verroterie ? Il n’a pas la curiosite de verifier
«made in» ? Nous n’en
50
ne
jour
des «omements» qui
autre navire
en verre
et
meme
saurons
pas
plus.
l’origine,
le
N°326/327-Aout/Decembre 2012
Par contre, derniers avatars de
occidentals, ce ne
plus
objets,
volaille, de la volaille
anglaise, un dindon et une oie : cela se passe a Vairao, le 28 juin. Ce sont
le dindon et 1’oie offerts par Samuel Wallis, capitaine du
Dolphin, a la
des
sont
reine Purea
mais des etres
ces rencontres
vivants, de la
1767. Les deux animaux semblent en bonne
en
sante et
Banks
fait apprivoises, suivant partout les
precise qu’ils
Indiens qui semblaient bien les aimer.
Pourquoi ces cadeaux ne se trouvent-ils plus a Papara, mais a Vairao ? Banks
n’apprendra les details de ce transfert que plus tard, lorsqu’ds
seront sur les terres de Purea et de Amo, a
Papara le 29 juin, ce sont des
de
prises
guerre!
sont tres gras et tout a
Interessons-nous
cours
de
ce
tour
de Pile
c’est vrai que c’est
aux relations de nos deux
personnages au
les dames du pays. Cook n’en parle jamais,
journal officiel. Mais meme dans la version
un
un
peu
avec
manuscrite,
qu’il detaille, par contre, c’est l’aspect maritime, bon
port ou non, bien abrite par le recif ou hauts fonds dans le lagon... II
ce
ne
parle
pas des
accueillir
une
dames,
flotte
ou
des
savoir de la baie de Vairao
porte-avions de la
France
en
Banks
72
ou
mais vante la baie de
Force
grands
navires
-
Vairao, qui pourrait
sur il ne peut rien
bien
qui accueiOera beaucoup plus tard les deux
alpha en 1966 et en 1968 ni du paquebot
74...
de
liberte, liberte de ton, liberte de moeurs, et meme
peut-etre un cote libertin. Ainsi le 28 juin, il note :
De nombreuses pirogues vinrent a notre rencontre avec, a bord,
quelques tres jolies femmes qui, par leur comportement, semblaient
a
plus
nous inviter a venir a terre. Ce que nous
fimes aussitot et nousfumes
bien requs par le chef du district de Vairao, Owiourou. Celui-ci
demanda a ses gens de nous preparer notre repas avec nos provisions
(nous avions une trentaine de uru, quelques fei et dupoisson), suffisant pour deuxjours.
Je restai tres pres des dames, esperant trouver ainsi un logement
moyen quej’avais souvent utilise. Elies etaient tres aimables, trop aimables parce qu’elles promettaient plus que je ne demandais. Mais, lorsqu’elles virent que nous etions determines a rester a cet
agreable,
un
51
d&uMetinr de /a Soclete de& &tiide& Ocea/uc/m cn
endroit, ellespartirent, I’une apres Vautre, me laisserent tomber a la
fin 5 d 6fois etje fus bien oblige d trouver d me loger tout sent,
penurie de nourriture
effet, un probleme se pose, pratiquement tous les jours a Matavai,
depuis le debut de mai et, bien sur, lancinant, tout au long de ce premier
La
En
de 1’ile. Celui du ravitaillement. Partout Cook
tour
Banks cherchent de
arbres
quoi
un
peu, mais surtout
partout ils constatent que les
deux personnages en ont besoin
manger, et presque
vides de fruit, et nos
pour accompagner leur viande sechee. Banks compte ce que les gens ont
a manger, du cote du Pari, du motu Tuarite ou Vaiotahi ou plutot
a
Fenuaino
un ou
pain
1
,
sont
du ihi e’est-a-dire des mape
deux canards et
Ce souci de
,
quelques courlis,
nourriture,
mais
un
fruit et demi de l’arbre
venus
a
pain,
d’Alaska...
peut-etre aussi la faim les poussent
a
des comportements violents et surprenants du cote de la presqu’ile :
Cook ecrit: Nous avons vu de nombreuses pirogues doubles et
fumes etonnes de trouver un grand nombre d’amis ou de connaissauces; nous etions persuades de trouver ici de quoi manger, mais
nous fumes degas unefois de plus. Pourtant les cocotiers etaient
pleins de fruits, mais nos amis n’avaient aucun droit sur eux ni sur
rien que
voyions.
precise : Nous avons demande d
nous
Et Banks
de
ravitailler. Ils
nos
amis de
nous
trou-
aurions, si
quoi
repondirent que
attendre
ce
nous
avons
pouvions
que
fait jusqu’a perdre
patience. Nous leur demanddmes de nousfaire tomber quelques noix
de coco (dont I’amande remplace le pain), ils repondirent «oui», mais
n’en firent rien. Determines a les obtenir, nous menaqames de couper
ver
nous
nous
-
les arbres
Personae
nous
aux
'
avec une
nefit
hachette s’ils n’accedaient pas d notre demande.
la moindre
la choisissions
cocotiers pour
-
objection a
maispersonne
nous
notre maniere de faire
non
-
si
plus n’a tente de monter
ravitailler.
Nous remercions Josiane Teamotuaitau pour cette
52
nous en
precieuse precision.
N°326/327-Aout/Decembre
Cependant nous avons
eu
hommes en train de debourrer
a nous
de la chance. Nous
un
tas de
noix,
vendre leur stock, 16 en tout, que
nous
nous
avons vu
les avons
primes
a
2012
deux
obliges
bord de la
pinasse.
En parlant
a ce
tendance
moment du
comportement de
nos
amis,
nous
qu’ils etaient etrangers a cet endroit et
pouvaient disposer de ces provisions. En
fait, auparavant, nous n’avionsjamais eu la moindre difficulty a obtenir d’eux les vivres, quand ils en avaient suffisamment.
avons eu
a
croire
que, par consequent, ils
C’est Banks
ce
qu’il
ne
qui fait le bon constat,
en
bon
naturaliste, il
est
attentif a
observe.
Il voit
des fruits, mais qu’ils ne seront pas murs avant
quelques semaines; que le mois de juin correspond a l’hiver austral, la
saison de la penurie. Il va plus loin dans son analyse, ce manque de fruit
qu’il
y
a
particulier de uru et la difficult^ a trouver des pores, ne sont-ils pas
dus a la presence, depuis de si longues semaines, depuis le 13 avril, d’un
et en
equipage d’une centaine hommes du cote de Matavai ? La pression economique exercee au nord de Taliiti ne se fait-elle pas sentir dans toute la
Grande lie ? Et s’il y avait autre chose ? Si cette reelle penurie est liee a un
conflit qui vient d’avoir lieu, dont il y a encore des traces, un conflit qui a
les allures d’une guerre totale, avec les habitations abandonees, detruites
et bailees, les arbres abattus ?
En
fait,
ce
probleme de nourriture peut etre aussi lie a un manque de
connaissances des
ressources
insulaires, il
est tres etonnant que Cook et
Banks puissent decrire des paysages agricoles a la presqu’ile et en admirer
les techniques d’irrigation, ou chaque ruisseau est canalise, coule entre
des talus empierres et ne pas y voir des tarodieres, avec des taros dont la
recolte peut se faire tout au long de l’annee: jamais cette ratine n’est mentionnee dans ce tour de 1’ile, ce qui est etrange, ni meme dans les repas
tahitiens 2
2
...
Je remercie M. Jean Guiart d'avoir attire
mon
attention
sur ce
point.
53
bulletin dey la Jociete- cle.i &tude& Dceanienne&
feculent est connu, Parkinson precise dans son Journal:
Des tubercules comestibles comme le taro, le ape et la patate
Pourtant
ce
douce. Ces racines, accompagnees de differentespurees oupates sont
leur repos principal quand il n’y a pas de fruits a pain.
La violence et le
juin 1769,
Le 28
sacre
nous
voici
a
la demiere
Pile. D’abord Cook et Banks sont de retour
moins
sur
les terres de Purea et de Amo
a
grande etape
en
de
ce
tour de
territoire connu,
Papara, mais,
a
leur
ou
grande
du
sur-
deux sont, au meme moment, a Matavai. Cook et Banks s’insprise,
tallent sans plus de fagon dans la case de Purea, la reine de Tahiti selon
tous
Wallis.
Tout s’eclaire
meilleure vision de
plutot Cook et Banks ont desormais une
l’organisation des pouvoirs a Tahiti, de ces chefferies
a
Papara,
ou
des royaumes. Banks arrive meme a reconstituer un pan
de l’histoire de Tahiti, les deux annees qui se sont ecoulees entre l’arrivee
qui
sont
comme
juin 1767 et celle de YEndeavour en avril 1769.
Des combats, une victoire d’un cote, la defaite de 1’autre, c’est pour
cela qu’en marchant au bord de mer de Papara, Cook et Banks marchent
en fait sur des quantites d’os humains, en particuliers des cotes et des verdu Dolphin
en
tebres. C’est ainsi que Banks comprend l’origine de ces machoires
humaines, qu’il avaient vues, la veille, attachees a une planche semi-cir-
culaire, 15 machoires
en
bon etat, il
n’y manquait
aucune
dent, des
machoires plutot «frarches» precise Banks, trophees qu’il compare
des tribus indiennes d’Amerique du Nord et au scalp.
C’est cela
qu’il comprend en voyant,
a
Papara,
ces cases
a ceux
detruites et
arbres abattus et tous les cochons emportes: Banks arrive meme a en
situer la date grace a sa maitrise du calendrier tahitien, Owirahew last,
ces
which
answers
notre mois
to our December
1768 le mois varehu qui
correspond a
de decembre 1768.
Papara n’est pas seulement un champ de bataille mais aussi le site de
la plus grande construction tahitienne, un merveilleux exemple de l’architecture indienne, ecrit Cook le 29 juin :
54
N°326/327-Aout/Decembre
Near this
place
stands the Morie of Oamo
or
Obarea,
a
2012
wonderfull
peice of Indian Architecture and far exceeds every thing of its kind
upon the whole Island, it is a long square of stone work built Pyrami-
dically, the base is 267 feet by 87, the breadth and length at top is 177
by 7. it riseth by large steps all round, like those leading up to a
sun dial, there are 11 of those each 4 feet
high which makes the whole
44
feet; the foundation is of squared rockstone of a redish
height
Colour one Corner Stone of which measured 4 F ..7‘ by 2 f 4 In. its
thickness 15 Inches; every step was composed of one row of Coral
rock very neatly squared the rest of round Stones like large pebbles
which seem’d to have been worked by their uniformness in size and
Shape of the Coral Stones some were large / 31/2 feet by 21/2 /
On the middle of the top stood the figure of a bird carved in wood and
near it lay the broken one of a fish carved in stone: there was no hollow
or cavity in the inside the whole being fill’d up with stone the whole was
inclosed in a Spacious Area part of one side of which it made, the Size
of this Area was 360 feet by 354F. incompass’d by a wall of stone, in it
feet
-
-
were
several Etoa trees,
or
Mode were Several small
what I call Cypress, and Plantains. Near to this
ones
all going to
decay, and on the beach bet-
lay great quantitys of human bones; near the
many large Altars Supported by 6 or 8 pillars each
great
about 10 feet high, on which were exposed meat for Eatua or God, there
we saw the Sculls and bones of many hogs and dogs.
This Morie stands on the South side of Opooreonoo Porionu’u upon
a low point of land about 100 Yards from the Sea, it appear'd to have
been built many years ago, being in a state of decay as most of their
ween
them and the Sea
Morie
were
Modes are, from this it should
seem
that this Island has been in
a
florishing state than it is a[t] present, or that Religious customs
nations, by these people less observed
Et Banks d’ajouter et de preciser:
After having setled our matters we took a walk towards a point on
which we had from far observd trees of Etoa, Casuarina eqiiisetifolia,
from whence we judgd that thereabouts would be some marai ; nor
were we disapointed for we no sooner arrivd there than we were struck
with the sight of a most enormous pile, certainly the masterpeice of
more
are, like most other
Indian architecture in this Island
-
so
and workmanship almost exceeds
all the inhabitants allowd. Its size
beleif, I shall set it down exactly.
55
bulletin
Jacielo dcs 6tude& Ocea/uc/i/i es
d& la
Its form
was
like that of Marais in
general, resembling the
roof of
a
smooth at the sides but formd into 11 steps, each of these
house,
4 feet in liight making in all 44 feet, its lengh 267 its breadth 71. Every
not
one
of these steps
most
neatly squard
were
formd of
one course
of white coral stones
and polishd, the rest were round pebbles, but these
seemd to have been workd from their
uniformity of size and roundness. Some of the coral stones were very large, one I measurd was 3_
by 2_ feet. The foundation was of Rock stones likewise squard, one of
these comer stone [s] measurd 4ft: 7in by 2ft: 4in. The whole made
a
part of one side of a spatious
area
which was walld in with stone, the
size of this which seemd to be intended for
a
square
was
paces, which was intirely pavd with flat paving stones.
It is almost beyond beleif that Indians could raise so large
without the assistance of Iron tools to
118
a
by
110
structure
shape their stones or mortar to
join them, which last appears almost essential as the most of them are
round; it is done tho, and almost as firmly as a European workman
would have done it, tho in some things it seems to have faild. The steps
for instance which range along its greatest lengh are not streight, they
bend downward in the middle
possibly the ground
of such
an
immense
forming
a
small
Segment of a circle
:
may have sunk a little under the greatest weight
pile, which if it happend regularly would have this
effect. The labour of the work is
prodigious: the quarry stones are but
few but they must have been brought by hand from some distance at
least, as we saw no signs of quarry near it tho I lookd carefully about
water, where indeed
it is most plentifull but generaly coverd with 3 or 4 feet water at least
and oftenest with much more. The labour of forming them when got
me
; the coral must have been fishd from under
great as the getting them; they have not
must also
have been at least
shewn
any way by which they could square a stone but by means of
must be most tedious and liable to many accidents by
us
as
another, which
the
breaking of tools. The stones are also polished and as well and
truly as stones of the kind could be by the best workman in Europe,
in that particular they excell owing to the great plenty of a sharp coral
sand which is admirably adapted to that purpose and is found everywhere upon the seashore in this neighbourhood.
About 100 yards to the west of this building was another court or pavd
area
in which
were
several ewhattas,
a
kind of altars raisd
on
wooden
N°326/327-Aout/Decembre
2012
pillars about 7 feet high, on these they offer meat of all kinds to the
gods; we have seen large Hogs offerd and here were the Sculls of
above 50 of them besides those of dogs, which the preist who accompanied us assurd us were only a small part of what had been here
sacrafisd.
This marai and aparatus for sacrafice belongd we were told to Oborea
and Oamo. The greatest pride of an inhabitant of Otahite is to have a
grand Marai,
in this
particular our freinds far exceed any one in the
Island, and in the Dolphins
time the first of them exceeded every
one
else in riches and respect as much. The reason of the difference of her
present apearance from that I found by an accident which I now
relate: in going too and coming home from the Marai our road lay by
the the sea side, and every where under our feet were numberless
human bones
cheifly ribbs and vertebrae.
So singular a sight surprizd me much ; I enquird the reason and was
told that in the month calld by them Owirahew last, which answers to
our December 1768, the people of Tiarreboo made a descent here
and killd a large number of people whose bones we now saw ; that
upon this Occasion Oborea and Oamo were obligd to fly for shelter to
the mountains, that the Conquerors burnt all the houses which were
very large and took away all the hoggs &c., that the mrkey and goose
which we had seen with Mathiabo were part of the spoils, as were the
jaw bones which we saw hung up in his house; they had been carried
away
as
trophies
manner as
Petits
and
are
usd
by the Indians
scalps.
here in
exacdy the
same
the North Americans do
marae
Cook ecrit le 27
a
Tautira : A
chaque endroit se trouve un
marae
sculpture representant une serie d’homme debout sur la
tete les uns des autres; ou encore d’une espece de treillis sur lesquels
orne
se
d’nne
trouvent des silhouettes d’oiseaux etc.
Banks decrit d’abord le cadre
Les maisons
n’etaientpas tres
grandes ou tres nombreuses, mais des grandes pirogues avaient etc
hissees sur la plage un pen partout, elles etaient presque innom:
brables.
57
bulletin
de /a
Societe de& 8hide& &eecuiicnne&
ily avait un marae c’est-a-dire uneplace a
enterrer les morts et beaucoup aussi d I’interieur des terres. Les marae
avaient la forme d’un toit, mais etaient plus propres et mieux entreterms, et decores de nombreux panneaux sculptes: au sommet, des
silhouettes d’animaux et d’hommes. Et plus precisement, sur I’un
d’eux la silhouette d’un coq peint en rouge etjaune, afin d’imiter les
plumes de ce volatile.
Sur quelques uns se trouvaient des silhouettes humaines, chacune
A
se
chaque
endroit
tenant debout sur la tete d’une autre
—
m’a dit que
on
c’etaitpre-
cisement I’ornement des endroits oil I’on enterrait les morts.
pres du Pari, Banks quitte la case et traverse dif; il voit sur les dalles plusieurs vertebres et cranes humains
Le lendemain
ferents
qui
marae
trainent la
(28),
comme
Le surlendemain
marae
et son
de noix de
dalles,
a
autres et
de 45
cote se
on ne
(29),
il etait
s’etait pas soucie de les enterrer.
du cote de Papeari, Cook decrit un autre
ome d’une pyramide haute de 5 pieds faite
des petites noix de Crateva [pua veoveo). Sur les
trouvent 3 cranes humains ranges les uns a cote des
et
protegee par un petit abri,
cm.
cranes
dallage
coco
:
si
Pres du marae,
se
une
trouve
un
de 26 cochons et de 6 chiens. La
Nous n’avons rien
vu
de
image grossiere
autel
ou
encore
en
pierre, haute
disposes les
plus precis :
avaient ete
Banks est
remarquable sinon que
cet endroit
ou
enterrer les morts etait inhabituellement propre. Il etait orne d’une
pyramide haute de 5 pieds,
et de Crateva, A
entierement couverte de fruits de panda-
milieu, une petite statue en pierre, grossierement sculptee. C’etait la premiere aperque depuis mon arrivee a
Tahiti, elle semblait avoir de Importance auxyeux des gens: elle etait
protegee des intemperiespar une espece d’abri construit specialement
a cette intention. A cote se trouvaient 3 cranes humains, tres blancs
nus
et propres et tout
58
au
fait parfaits.
mystere de Maui, incursion dans Part sacre
Un mystere, une enigme, des questions se posent dans le dernier disde Taiarapu. Cook et Banks y decrivent une oeuvre monumentale de
Le
trict
a
cote,
N°326/327-Aout/Decembre
vannerie,
vegetales,
ou
plus
2012
de sparterie, un objet fabrique en fibres
blanches et noires qui figurent des dessins de
exactement
de
plumes
tatouage.
piece exceptionnelle et unique a cette epoque, et dont
on peut avoir une petite idee en regardant d’abord d’autres objets semblables dans les lies du Pacifique comme par exemple les Rambaramp de
couvert
C’est
une
Malekula
au Vanuatu, portrait et recipient d’un chef mort, ou encore ces
de monnaie canaques ou, enfin ces recipients hawaiiens a ossements,
jadis decores de plumes. En fait, c’est un temoignage extraordinaire.
tetes
Cook
et
figure
sculpture monumentale de plus de
demi, nous dit Cook), qui represente une
sexe masculin. L’objet est fabrique en vannerie, tresse
Banks decrivent
2 metres de haut
humaine de
(7 pieds
une
et
des fibres de coco, nape ou eventuellement avec les racines
aeriennes de ieie (Freycinetia impavida) pour lui donner plus de solidite
avec
Cook compare cette curiosite des
Pobchinelle des jeux de marionnette.
grande taille.
vu sa
au
plus extraordinaires
Paradoxalement, les seuls objets sacres en vannerie connu jusqu’a
present de Tahiti sont plutot de petite taille, depassant rarement les 40 centimetres, ce sont les too.
Maui, c’est le nom rapporte par Cook et Banks, impressionne non
seulement par le nom prestigieux qu’il porte, par sa taille, mais aussi par
qu’il est totalement recouvert de plumes, chose totalement inedite
pour une sculpture de Tahiti et plutot connue de l’archipel de Hawaii, que
Cook et Banks ne connaissaient pas encore en 1769 ! La figure humaine
de Tahiti est recouverte de plumes blanches et noires. le noirpour les
le fait
«
cheveux et les tatouages, le blanc pour la peau », selon Banks et Cook.
Les coffrets a ossements hawaiiens ont disparu, voles en 1994 au
Bishop Museum, il nous reste heureusement les photographies de ces
objets extraordinaires et les commentaires de ces receptacles a ossements:
deux chefs du XVIe siecle, Liloa et son arriere
Lonoikamakahiki. L’effigie decrite par Cook et Banks est-elle un
ils
appartiennent
a
petit-fils
receptacle a ossement semblable ?
compris differemment par Cook
et Banks: le premier yvoit des knobs, c’est-a-dire des especes de boutons,
alors que le second aperqoit des horns, des cornes; et les Tahitiens
Les omements de tete sont observes et
59
Kjfc bulletin d& fa
Society de& Slade# (9cca///esm es
leur affirment que ce sont des taata iti, des petits
homines... comme sur la fameuse statuette de Rurutu...
qui les
entourent
basant
la
de Cook et de Banks, en respectant
les proportions, en tenant compte des details entrevus, void l’essai de
reconstruction ou de reconstitution d’Andreas Dettloff. Cet artiste a fait ce
En
se
choix de trois
figurines
1966
en
sur
description
chignons, dans lesquels pourraient se cacher des petites
sculptes comme dans le costume du deuilleur restaure
bois
British Museum ; et les tatouages s’mspirent d’un rare temoignage de tatouage tahitien sous forme d’un dessin de Parkinson, et celui
de la poitrine de l’omement pectoral d’un chef tahitien.
en
au
Retour
er
a
la
pointe
Venus
dernier jour du tour de Pile, RAS pourrions-nous
dire, le paysage est deja connu, nos deux messieurs etaient deja venus en
mai a Atahum, ils avaient vu et decrit le grand marae analyse par Aurora
Le l
Natua dans
juillet,
son
au
ouvrage, Te
marae
rahi 0 Atahuru.
Pendant les
quelques jours d’absence de Cook et de Banks, pendant
ce premier tour de 1’ile realise par des Europeens, les marins de XEndeavour ont commence le demantelement du fort du roi George qu’ils avaient
construit a la pointe Te Fau roa (future pointe Venus), ont controle Petat
de la poudre et des provisions pour la poursuite du voyage a la recherche
de la Terre Australe et charge 65 tonnes d’eau...
Ayons une pensee emue pour tous ces touristes qui font le tour de Tile
climatise en quelques heures, a ce qu’ils voient ou pas, a ce qu’on leur
montre ou non, a ce qu’on leur dit ou pas ou a ce qu’ils comprennent...
«
»
Et essayons d’ameliorer
propres tours de Pile ! Verrions-nous
que Cook et Banks ne Pont fait entre le
nos
plus ? Comprendrions-nous plus
26 juin et le l juillet 1769 ?
er
Robert Koenig
60
\fr
Cliche photographique pris par Joseph Banks le 29 juin 1769 a Toahotu,
banks©dettloff
Collection Andreas Dettloff
presqu'ile deTahiti
Le journal de bord inedit
de Juan
Pantoja y Arriaga
( 1795 )
Le Journal de Maximo
Rodriguez (MR) edite par la SEO sous le titre
LesEspagnols a Tahiti, est a present connu des lecteurs interesses par la
culture polynesienne. Pour completer ce sejour espagnol dans la
presqu’ile de Taiarapu et offrir une perception elargie a d’autres ecrits
sous differents angles 1’auteure de cet article propose en lecture, la traduction inedite de certains passages du Journal de bord redige par Juan
Pantoja y Arriaga (JPA), second pilote a bord de la fregate YAguila, commandee par le capitaine Boenechea, lors de la deuxieme expedition espagnole a Tahiti en 1774 ; le second journal est ecrit par Andia y Varela
(AYV), capitaine et pilote du Jupiter, paquebot-marchand navigant de
conserve avec YAguila. Ce dernier paraitra dans le prochain numero du
bulletin de la SEO.
correspondent aux mois de novembre,
janvier 1775 du Journal, deux mois et demi pendant
lesquels tout l’equipage espagnol et leurs officiers superieurs se trouvaient
aux abords et dans la presqu’ile de Taiarapu, a deux endroits successivement: d’abord a l’Est, a Taiarapu correspondant de nos jours a la localite
est qui se trouve dans les parages de Tactuelle passe de Tea i anui, anciennement nommee Aiurua et appelee Santa Maria de Magdalena par les Espagnols oil ils resterent peu de temps; en raison des mauvaises conditions
Les extraits selectionnes
decembre 1774
et
N°326/327-Aout/Decembre
2012
meteorologiques et du mauvais mouillage de ce premier lieu, ils sont
remontes plus au nord, vers la baie de Tautira, bien mieux abritee, qu’ils
baptiserent du nom de SanHsima Cruz de Ojatutira et ou ils purent
mouiller en toute quietude pour mener a bien leur mission : installer les
peres missionnaires.
Ces temoignages portant sur les evenements observes, vus et vecus
par ces deux auteurs (JPA et AYV), offrent des perspectives differentes :
exemple, pour un meme incident ou pour un spectacle tahitien, on
s’apercoit qu’ils peuvent parfaitement se completer du fait que les deux
pilotes n’ont pas pu tout observer ni tout retenir. Ils peuvent egalement
par
interpreter differemment
frappes ou
ou ne
retenir
qu’un seul element qui les
a
emus.
Ces ecrits offrent ainsi
un
panorama
incidents, des aventures, des anicroches,
assez
vecus
complet de ce sejour:
des
de part et d’autre; leur preperturbations et des soucis
provoque indeniablement de grandes
dans la population tahitienne ; les Espagnols et les Tahitiens entrent dans
sence a
une
reelle
zone
de turbulences
desordre, agitation, angoisse,
psychologiques et emotionnelles: ambiance,
peur, crainte, etonnement, tout cela
assure
admiration reciproque ressentie a la vue
en ces territoires inconnus;
de certaines techniques et pratiques, tantot reprobation devant certains
tantot
comportements ; les difficultes etaient nombreuses
et variees... ainsi que
des tentations... et il y avait de quoi attiser la convoitise.
Avertissement du traducteur:
Criteres de traduction:
s’agit d’une traduction fidele et adaptee a la langue moderne des
lecteurs contemporains, de copies de Journaux manuscrits, conserves
dans les archives espagnoles (Archives des Indes, Musee Naval de Madrid)
et chiliennes (Bibliotheque Nationale de Santiago de Chile).
II
A- Ont ete conserves les elements suivants:
-
-
terminologie ancienne de la navigation a voile espagnole ;
les appellations des lies et toponymes entendus par les Espagnols
la
63
bulletin de
donnes
la
Society dex Stadex Ocea/i
lies, aux baies, suivies de leur toponyme actuel: ex: Otajiti
[Tahiti], Tayarabu [Taiarapu], Ojatutira [Tautira] ; de meme les nouvelles
appellations que les Espagnols ont donnees aux deux baies: Santa Maria
Magdalena pour Tairapu et Santisima Cruz de Ojatutira pour Tautira;
San Damaso pour la baie de Havae, a Teahupo’o ; Le puerto de la Virgen,
pour la petite baie en face de la passe de Rautea;
les noms des aril, capitaines et les vocables tahitiens ont ete actuaUses a leur premiere occurrence : eri [ arii ].
Quant a la syntaxe, et pour la necessaire clarte de la phrase, on a
introduit un mot ou une expression entre deux parentheses pour clarifier
et
aux
-
certaines omissions de leurs pensees;
A certains passages, le style lourd,
parfois incoiTect, voire parle, a ete
respecte : en effet, les pilotes ecrivaient parfois comme ils parlaient et se
repetaient souvent; on a veille ainsi a traduire le plus fidelement possible
le mouvement de leurs pensees; la syntaxe espagnole ancieime a ete bousculee : les phrases espagnoles etant tres longues, souvent non ponctuees
ou de maniere fantaisiste ; elles ont ete
coupees en propositions plus
courtes et en
respectant leur unite de
sens.
B- Enfin les coupures sont
elles n’affectent
en
rien
signalees
la comprehension
par deux crochets [... ] ; car
des recits et leur deroulement
puisqu’elles portent sur des releves de sondes de profondeur d’eau estimee en brasse, sur des leves de cartes et de nombreuses donnees techniques de mesure de l’epoque devenues obsoletes comme l’unite de
mesure espagnole en vare (0,835 m)
ou encore les nombreuses estimations portant sur la longitude et la latitude ainsi que sur les positions
-
-
-
reelles des navires... etc.
Rappelons que les Espagnols venaient en mission d’exploration et
decouverte du Pacifique, mandates par le vice-roi du Perou, don Manuel
Amat. II leur fallait done tout relever, tout mesurer, tout cartographies bref
tout consigner meticuleusement. En ces temps lointains, ils ne disposaient
pas du GPS ni des nouvelles technologies; tout au contraire, ils naviguaient
a Testime ; ils avaient souvent du mal a situer la longitude tout en
disposant d’une latitude constante et du loch pour estimer
la position du navire. Vers la fin du XVIIIe siecle,
64
approximativement
periode qui nous
N°326/327-Aout/Decembre
dans
Journaux, ils avaient
2012
disposition le gouvernail
d’etambot, les voiles, le compas, le sextant, les horloges marines. Et c’etait
deja un grand progres pour Fepoque, en plus des cartes de routes de reference et les derniers leves etablis lors du
premier Voyage en 1772 ; mais
ils n’avaient pas la maitrise de la duree de la navigation. Les Espagnols, en
revenant a Tahiti pour la deuxieme fois en 1774, demeuraient de vrais
explorateurs au long cours, car ils avaient mis six mois pour accomplir
cette mission, de port a port, en effectuant un aller-retour au depart du
concerne
ces
a
port de El Callao de Lima.
Sans
plus tarder,
lisons cette selection de pages de
ce
Journal.
Liou TUmahai
Le Journal de Juan
Extrait du
Journal
Pantoja y Arriaga
de bord que vient de faire Juan Pantoja y
Arriaga
la Fregate de S.M. appelee Santa Maria Magdalena, alias YAguila, des
lies nouvellement decouvertes par le Capitaine Don Domingo de Boenesur
apres avoir laisse sur celle d eAmat, deux religieux de l’Ordre seraphique de Saint Francois d’Assise, l’interprete Maximo, un matelot pour
servir les Peres, les deux Indiens qu’ils avaient amenes a Lima dans ladite
chea,
fregate
en
1772,
les avoir laisses,
une
maison
nous avons
bois et des vivres pour un an ; puis apres
pris la route de l’Ouest sur ordre superieur,
en
jusqu’a rencontrer File que les naturels appellent du nom de Orayatea
[Raiatea], et nous La Princesa (Princesse), que nous avons parcourue
mais pas entierement, et nous revinmes sur Otajiti [Tahiti] ou nous limes
l’aiguade
bien,
;
nous
une
fois que
verifie et constate que les Peres allaient
Callao de Lima, port d’oii nous avions appareille
nous avons
rentrames sur
pour cette reconnaissance, lequel se trouve a la latitude S. de 12°7’et par
298° 15 de longitude du Meridien de Tenerife, selon la carte francaise et
je le dedie a la Tres Sainte Marie, avec le titre de Bon Vent, protectrice des
navigateurs qu’on venere aujourd’hui au College Royal et Seminaire de San
65
m S&u//ciin cfe la doc/efe des Glades Ocea/ueaaes
Pedro Gonzalez Telmo, extra
Jupiter,
avec son
muros
Don
Capitaine
de la ville de Seville. Le
paquebot
Joseph Andfa y Varela a voyage
1
de
conserve avec nous.
Indiens, des qu’ils apprirent a prier et certaines regies de
notre Religion, furent baptises, ce qu’ils regurent avec joie et allegresse,
leurs parrains ayant ete deux chevaliers officiers des troupes de la ville de
Lima, dont l’un deux etait le neveu de Monseigneur Vice-roi.
Les deux
(f. 17v) [... ]
Me,
Au matin du
14,
et le Commandant se rendant
nous
etions
a
environ
quatre lieues de
compte qu’il faudrait deux a trois jours
2
le vent venait de la proue, ordonna d’arriver et de
pour y parvenir, car
suivre la route pour Otajiti
clair
a une
[Tahiti].
distance de douze
a
On voit cet dot
colline par temps
ou
treize lieues.
Tahiti, distante
de six lieues, et nous avons bouline sous-le-vent pour reconnaitre la pointe
Le 14 dans
l’apres-midi
on
apergut la
terre et c’etait
duSE.
promulgue tres serieusement un edit destine a tous
les individus de la fregate pour qu’ils observent un bon traitement avec les
naturels de cette terre et qu’ils s’interdisent formellement toute relation
Le 15
avec
au
matin fut
les femmes
sous
peine d’un
chatiment
au canon
3
.
A huit heures
on
apergut une voile vers la terre
a
mis
sur nos
gardes,
car
mais qui n’a pu etre reconnue, ce qui nous
les habitants de Maitu [Mehetia] nous avaient
dit que l’Anglais (f. 18) avait mouille a Matabay [Matavai]. A neuf heures,
la voile apergue fut identifiee comme etant celle du paquebot. Nous limes
force de voiles, hissant les pavilions, et des que nous en fumes assez
proches, nous envoyames les signes de reconnaissance, aux endroits prevus a
cet effet dans les
instructions,
en
larguant les enseignes
accompa-
N,d,T,. dans ce journal nous privilegions le terme de paquebot, dans son sens vieilli de navire mixte transportant marchandises, counters et passagers.
2
Arriver: terme de navigation ancien: tourner le navire de maniere a avoir le vent plus en poupe (Dictionnaire
maritime espagnot, Musee Naval de Madrid, 1974); on dirait de nos jours: lofer ou venir au lof.
1
3
Le chatiment au
a un canon
66
canon:
il s'agissait dans la marine espagnole de cette epoque, de fouetter un marin attache
(cf.Dictionnaire maritime espagnol).
5
N°326/327-Aout/Decembre
gnees d’un coup de canon,
espagnole
en
navire eut ete
mis
en
ce a
poupe, et aussitot
quoi il correspondit
nous
reconnu comme etant
panne tout
en
avec sa
hissames la notre
une
2012
banniere
fois que le
notre conserve et nous nous sommes
descendant le canot
a
l’eau. A
onze
heures embar-
querent le lieutenant de
pilote,
tous
un
fregate Don Raymundo Bonacorsi, le second
sergent, l’interprete, Pautu, le plongeur, et l’equipage du canot,
armes.
Ordre queportait Don Raymundo Bonacorsi.
Des que celui-ci
quitte le bord avec son canot arme, l'un des
pilotes prendra le cap sur le port de Tayarabu [Taiarapu] pour verifier
tout d’abord si le paquebot Jupiter s’y trouve bien ou s’il est arrive dans
un autre port de cette lie ; ensuite, une fois cette verification faite, et pour
pouvoir entrer en toute securite en sondant dehors et dedans avec suffisamment de minutie, on verifiera conjointement si le parage est bon pour
que (f,18v) les Peres puissent subsister dans leur maison tout en veillant
qu’ils puissent disposer d’eau aux alentours. Une fois cette reconnaissance
faite, il continuera de naviguer a l’interieur du recif, il executera la meme
tache (diligence ?) dans les lies de Rosario 4 ainsi que dans le port de San
Ddmaso\ dans la mesure ou il pourra agir selon le temps qu’il trouvera
et aller voir la crique qui se trouve au N.O. dudit port de San Damaso.
aura
,
jour, le capitaine du paquebot flit appele a venir a bord sur ordre du Commandant; ce qu’il executa
immediatement, et des qu’il eut termine de s’entretenir avec le Commandant, il monta sur le gaillard d’arriere pour dire que cela faisait huit jours
qu’il etait arrive a cette ile, et lorsqu’il s’est rendu a terre, il fut regu avec
beaucoup d’affection par Yarii Titorea, gouverneur du port de Santa
6
Maria Magdalena, alias Taiarapu
A
cinq heures de l’apres-midi du
meme
.
4
il s’agirait des ilots de Oputotara
5
II s'agirait d'une baie
6
C'est le nom
qui
etTaaupiri.situes au sud de la presqulle de Tairapu.
proche de Teahupo'o, avec la passe de Havae.
designait a I'epoque la baie ou se trouve I'actuelle passe de Vaionifa,
appelee de nos jours
baie deTautira.
67
iT^id/etin
So tide
de /a
A six heures et
restes
a
bord,
et
Le 17 vint
&tudc& Ocea/u'v/mei
regagna son bateau, et nous tirames des
vers la terre, les autres vers la mer.
demie, il
bords dans la nuit, les
Le 16 arriva
des
uns
pirogue
une
avec
Indiens, dont (fol. 19) deux
six
ils y dormirent cette nuit-la.
autre pirogue avec la femme du
une
sont
7
capitaine Ytari pro,
s’etait trouvee la maistrance lors du voyage de
prietaire
1772 et contenant plusieurs babioles de Me pour etre echangees. A quatre
de la maison
ou
jour arriverent deux pirogues doubles; sur l’une
d’entre elles se trouvait Yarii Titorea avec sa famille, et le pere de l’indien
demie de
et
ce meme
choses
Manuel, lesquels apportaient diverses
arii monta
a
bord
avec sa
mandant et les autres
produites par le pays.
femme et ils furent tres bien
officiers;
ils firent des
recus
Cet
par le Com-
signes manifestant beaucoup
leur attachement et affection ; peu apres, monterent tous les Indiens,
parmi lesquels le pere de Manuel qui, soudain, vit son fils; ce spectacle
est motif d’un grand etonnement; en effet, ni l’un ni 1’autre ne purent se
parler tant ils se mirent a pleurer de joie, chacun pouvant imaginer ce
qu’il aurait bien pu se passer entre eux deux. A cinq heures et demie une
des pirogues s’en alia a terre, et ledit arii dit au notre qu’il voulait rester
nuit-la ; il (le commandant) ordonna alors de faire monter
les pirogues, lesquelles nous encombrerent fort pour les manoeuvres
(f. 19v) puisqu’elle elles allaient du grand mat au mat de misaine. Durant
bord
cette
la nuit,
nous
a
n’eumes
aucun
incident. A trois heures et demie de
midi du jour suivant, ils retournerent
Le 19
a
a
deux heures et demie de
l’apres-
terre.
l’apres-midi
nous nous
etions mis
panne pour attendre le canot qui venait a notre recherche avec le
pavilion largue. Il arriva a trois heures sans nouveaute, avec tous les
en
hommes de
l’equipage qui avaient quitte bord,
avec en
plus quatre arii et
Vehiatua, seigneurs de cette lie et de beaucoup d’autres avoisinantes a celle-ci: Hinoi frere de Otu, proprietaire de
l’un des districts appele Otiarey [Tiareij, des domaines de son frere
deux Indiens:
7
Itari
68
un
ce
sont Otu et
des nombreux capitaines de Vehiatua.
N°326/327-Aout/Decembre 2012
Titorea, beau-pere de Vehiatua
et
seigneur du port de Santa Maria Mag-
dalena alias
Taiarapu, des domaines de Vehiatua; Taruri ambassadeur de
Otu et Trajo [Teralio ?] frere de l’indien Manolito. Ces arii furent tous fort
bien regus par le Commandant auquel tous offrirent leurs couvertures,
manifestant
de joie, et
particulier 1 'arii Otu qui l’embrassait
d eArii. II lui offrit egalement la coubeaucoup
verture et la natte qu’il portait autour de sa taille, il l’enveloppa entierement avec celle-ci et les autres donnees par l’ambassadeur; pour eux ce
geste semble etre une preuve de grande amitie. Ce que je crois bien volontiers car c’est ainsi qu’ils font avec tous ceux qu’ils appellent tayo, may,
tay \taio maitai] (f.20) ce qui signifie dans notre langue, ami tres aime,
et egalement selon les dires de l’indien Manolito.
Pendant les jours oil les arii se trouvaient a bord, ils ne mangerent
que du poulet et du pore, car d’apres Pautu, ils ne mangeaient pas autre
chose provenant de nos nourritures. Ils apportaient leurs provisions qui
beaucoup
et
qui lui donnait le
en
nom
,
composaient de nombreux noix de coco sec, de bananes ecrasees avec
de l’igname et du urn, quelques paniers de tres petits poissons, grilles et
se
enveloppes
aime notre
dans des feuilles de bananiers. Ils ont
pain
et toute
la nourriture
grillee
egalement beaucoup
donnait; comme
qu’on leur
disait Pautu, ajoutant que pour toute nourriture chaude, ils ne la mangeaient pas autrement preparee. L’apres-midi oil ils etaient venus, on leur
avait prepare
quelques poules
et un
officier s’etait mis
a
les
decouper
et
repartir les morceaux, ce qu’ils prenaient quand on le leur offrait, mais
Otu non, car c’est l’lndien Pautu qui le lui donnait de sa main ; il arriva
en
egalement que lorsque l’officier voulut lui en donner de sa propre main,
il le refusa ; en revanche il ordonna a Pautu de le prendre et c’est alors
seulement il l’accepta. Je crois que ce geste est une des marques de consideration avec lesquelles ils lui temoignent sa grandeur.
lorsqu’on procedait a des virages de nuit, on constatait
que cet arii etait tres pusillanime parce que (f.20v) il avait extremement
peur quand il entendait le coup de canon tire en signe de virage, et il fallait
l’avertir auparavant, car il restait plus d’un quart d’heure comme un idiot.
On lui demanda quelle etait la cause de cette frayeur; Hinoi, son frere
Par moments
69
d&uf/ctin
repondit
de /a
Society des St/ides 0tceamennev
que la peur s’emparait de lui comme lorsque l’Anglais lui avait
de gens. On demanda a celui-ci de se rappeler s’il y avait eu
massacre tant
quelconque navire anglais dans Pile, comme on nous l’avait dit a Meherepondit qu’il y avait un mois et des jours qu’il etait parti, et qu’il
etait bien plus grand que notre fregate ; en entendant ses
propos, on
essaya d’en savoir plus et apres qu’on lui eut demande s’il y avait longun
tia ; il
embarcation etait venue,
comprit a partir de ses profregates
premiere fois en 1769,
lesquelles mouillerent dans le district de Matavai, qui est la pointe la plus
au N. de Tahiti;
grace a ses nombreuses demonstrations, nous comprimes
qu’ils firent plusieurs observations astronomiques, et qu’elles furent faites
de nuit sur une colline, pas tres haute ; ils firent egalement le tour de Tile
dans une de leurs petites embarcations, ils firent provision d’eau et de
bois, et pour chaque arbre coupe, ils leur donnaient une hache ; (f.21)
temps que
cette
pos que les deux
une
etaient arrivees pour la
de leurs embarcations echoua la
carenee,
Ils
puis
au
on
bout de
ou se
trouvait
YAguila, qu’ils
ont
trente-cinq jours ils naviguerent a l’E.
les revirent pas avant 1774, ou arriva une embarcation qui a
mouille dans le port de Ojatutira [Tautira], et qu’ils rencontrerent
ne
quelques differends avec Vehiatua, arii de ce district ou ils ne resterent
que cinq jours. A la suite de quoi ils leverent l’ancre pour aller mouiller
a Matavai ou ils installment un
baraquement sur terre, a 1’interieur de
ils
laquelle deposerent toute la futaille et la voilure pour leur verification.
Pendant ces travaux d’inspection, les Anglais firent du mal aux naturels, et
le plus grand mal commis fut de leur enlever leurs femmes, ou de les faire
cooperer par la force ;
consequence de quoi ces naturels tenterent de
leur voler leur construction ; pour cela ils se rejoignirent en une foule
immense et,
ils recurent
une
en
nuit, leur donnerent assaut;
mais ils furent entendus et
chatiment tres
grand parce que les gens du baraquement
firent feu sur eux, et ceux du bateau qui les mitraillerent egalement; des
qu’il fit jour, ils purent constater les degats qu’ils leur avait causes aux
un
indiens et ils
craignant que ces derniers ne reunissent tous
ceux de File, ce qui pourrait atteindre le chiffre de douze a treize mille
hommes, (f.21) d’apres ce que j’ai vu, aux occasions ou je suis sorti en
canot; ils deciderent de s’en aller et de ramasser progressivement en deux
70
se
retirerent
N°326/327-Aout/Decembre
2012
jours tout ce qu’ils avaient laisse sur la plage. Ils leverent l’ancre et poursuivirent vers I’O. jusqu’a parvenir a Raiatea ou ils mouillerent dans un
port qu’ils ont appele Gmmanino [Huamanino] ou ils resterent quinze
jours ; apres avoir appareille, ils parvinrent a File Tuajine [Huahine]
emmenant avec eux un Indien appele Jitijiti [Hitihiti]
qui, toujours selon
lui
a
dit
avoir mouille a Huahine dans un des ports qui se trouvent
Hinoi,
a 1’0., et ou ils sont restes
peu de temps.
Ensuite ils leverent la voile et
naviguerent quarante jours a l’O. pour
8
grande appelee Gmitajo [Vaitaho] ; mais d’apres
son signalement, il y a une autre (lie)
plus grande que Tahiti, ou ils mouilet
ou
ils
eurent
de
bons
contacts avec les Indiens auxquels ils achelerent,
rencontrer une tres
lie
des couleurs tres etranges; ils y resterent
vingt jours, leverent l’ancre et s’en revinrent a Tile de Raiatea, ou ils ancrerent dans le port de Huamanino, laissant a terre l’lndien
qui les avait
terent
plusieurs plumes ayant
accompagnes, apres lui avoir offert un fusil, un baril de poudre, un sabre,
hache et bien d’autres choses encore (f.22); puis, au bout de douze
une
a
treize
Matavai
jours, le
ou
les
navire leva l’ancre et s’en aba mouiller dans le port de
plumes
furent bien vendues
en
echange d’effets,
d’eau et
de bois que le pays offre, tout en achetant quelques arbres contre des
haches ; au bout d’un mois ils leverent l’ancre en direction vers l’E.
9
Il dit
egalement qu’une autre fregate frangaise s’y etait trouvee, mais
on ne put savoir le temps de son escale; en revanche, il est certain qu’elle
mouille dans le port dit Hitiaa, de Varii Oreti; le fond etait si mauvais
que, durant le temps de leur mouillage ils perdirent deux ancres, dont une
a
fut retiree par les naturels et qui se trouve a Raiatea,; c’est la tout ce que
put nous rappeler Varii Hinoi, ou du moins ce que l’on en a compris, et
sais si telle est la verite.
jeune tres serieux, devant avoir
dix-sept a dix-huit ans, de stature normale, de belle prestance, tres
robuste, de couleur plutot brune, je ne sais si c’est a cause du soleil qu’ils
regoivent en permanence ; de plus il a un grain de beaute tres noir sur la
joue gauche et un autre pas trop gros, sur la levre.
je ne
8
En reference a Vaitahu
9
En reference
a
Lui, c’est
un
capitale de IHe de Tahuata, dans I'archipel des Marquises.
Bougainville, mouille dans la baie de Tapora, a Hiti'aa, le 6 avril
La Boudeuse de
1768.
71
d&iilleti/i d& la docietv de& &tude& Oceame/ine&
(f.22v).
ceux
Les Indiens de File Vaitaho sont
en tout
point semblables
a
de Tahiti.
Journal de ce qui a ete execute et vu par ceux qui se trouvaient
sur le canot qui partit en reconnaissance de quelque crique ou port
dans file de Tahiti, conformement aux ordres donnespar le Commandant de lafregate Don Domingo de Boenechea au lieutenant defregate
Don
Raymundo Bonacorsi.
Le 15 novembre
1774,
a onze
heures du matin
nous
partimes pour
correspondant l’equipage, nous
guidames le paquebot qui se trouvait a proximite de la terre, auquel nous
avons dit, des notre arrivee, de mettre la barque a l’interieur avec la plus
grande vivacite, et pour le canot, des son retour de terre, de faire la meme
manoeuvre. Nous continuames avec le grand-mat et le misaine cap vers 0.
et par vent E.N.E. frais vers le port de I’Aguila, dans le district de Taiarapu,
quatre jours
avec
vivres et armement
a
heures; nous poursuivimes a l’interieur du
recif vers le N. jusqu’a la crique ou se trouve la maison et les parents de
Thomas Pautu. Nombreuses furent les pirogues qui entouraient le canot
poussant de grands cris en voyant leur compatriote Pautu. Nous debaret
quames en face de chez lui (f.23) ou il fut regu avec grande tendresse
joie ; tous ses parents et amis pleurent de joie, l’embrassent et Tenlacent
aux jambes ; l’empechent de passer pendant un moment, leurs sanglots
l’empechent de parler, et une fois passe ce premier elan naturel ils se
ou nous
arrivames
a
douze
il put enfin leur raconter, ce qu’ils ecouterent avec grand
etonnement et en silence jusqu’a une heure ou nous embarquames tous
consolerent
et
pour continuer notre commission. Ils nous accueillirent chaleureusement
avec des noix de cocos et des bananes, escortes par un grand nombre de
plage par une foule d’indiens.
Nous longeames la cote a l’interieur du recif, en compagnie du beauvinrent a notre
pere de Pautu, jusqu’au district de Tautira : a mi-chemin
rencontre Titorea et sa femme, ensuite Yarii Otu et Vehiatua, que nous
pirogues,
et sur la
regus dans notre canot; nous remarquames que Thomas
la vue de son arii Vehiatua, ota son chapeau et ne le remit plus
avons tous
Pautu,
72
a
*
N°326/327-Aout/Decembre
en sa
presence. Tous les
poncho
et couvertures
2012
Indiens, a une grande distance, baissaient leur
epaules pour les ceindre a leur taille, ceremo-
des
nie dont usent les hommes et les femmes
en
voyant leur arii Otu
et
Vehia-
tua, caciques principaux de llle. Nous trouvames une anse (f.23v) formee
par la pointe des recifs dans une belle vallee dont l’embouchure se trouve
la pointe du Puerto de la Virgeti 10 situee a
l’E.O. Les caciques debarquerent et des la fin d’une forte averse avec vent
faible du E.N.E., nous commenqames a sonder, naviguant d’une partie a
au
N.S. et le recif
au
N.
avec
l’autre ; en dehors des recifs face a l’embouchure, nous ne trouvames pas
plus de cinquante brasses de fond et, aux environs de l’extremite ou pointe
de recif S. [... ] dans la partie escarpee ou face a l’embouchure, c’est une
plaine,
a son
sommet
poussent des palmiers
d’autres arbres droits, qui
bas il y a une autre riviere ou
et
semblent pas fouettes par le vent; en
(f.24) vit Yarii Veliiatua, avec lequel se trouve
ne
en ce
moment
Yarn Otu
en
villegiature avec toute sa famille.
Ils nous dirent que dans cette crique une
il
a
de
cela environ un mois, et qu’un autre
mouille, y
11
(navire) est parti: ce dernier s’appelle Famre, et son capitaine Notute
embarcation
a
.
Apres
midi
nous
N.O.,
avec
avoir sonde et
reconnu
cette
crique,
a
six heures de
l’apres-
jetames le grappin a quatre brasses sable E. 14 S.E. Et 0.1/4
les maisons et la pointe du recif a une distance d’une encablure
demie de terre, la pointe N. de et tracer un plan de ce port de La Virgen.
Son embouchure Pile demeurant en vue, au N.l/4 N.; ensuite les deux
et
caciques principaux et Titorea, ainsi que bien d’autres, revinrent au bateau
et Vehiatua amena une pirogue chargee de bananes, de noix de coco, avec
un cochon et du poisson. Nous l’accueillimes lui tout seul avec quelques
noix de cocos afin de ne pas trop charger le bateau, tout en lui presentant
nos
remerciements et
quelques bagatelles
en
echange
comme
des hame-
qons et couteaux. Au bout d’un moment, une fois la priere terminee, ils
retirerent dans leurs cases, quant a nous, repas et repos!
Le 16
une
10
nous
Vierge,
nom
grappin au lever du jour, et tout en effectuant
principaux, on dressa le plan de cette crique ; pendant
levames le
serie de releves
Port de la
se
espagnol donne par Boenechea en
1772
a
la baie
se trouvant a
Pueu, actuellement
Faraari, a laquelle on accede par la passe de Rautea.
11
Allusion
probablement au navire Adventure de Tobias Furneaux. Notute: allusion au nom tahitien de Cook.
73
$
d&u/letin
de, /a
JocietA dex &Uide& Qcearii,
temps-la, arriverent deux Indiens caciques avec quelques parents et
acolytes. A six heures nous continuames a la rame et a la voile avec un faice
ble vent de terre
lequel
vers
nous nous
passe
assez
noir ;
ce
large,
le Port de la Virgen (f.24v) et
et
recif forme
nous
un
bon
dominants; et c’est pour
grande reconnaissance et
a
1’entree du recif par
passer pour
y rendre, se trouve une
avons sonde en son milieu vingt brasses sable
appretions
a
nous
mouillage,
mais il est
decouvert des vents
a
limes pas une plus
nous disaient qu’il y
cette raison que nous n’en
aussi parce que les Indien
dans le fond. A six heures trois quarts, nous arrivames au port de la Virgen, apres avoir vu et offert de cadeaux a Yarii
Pajariro [Pahairiro] et reconnu ainsi une partie du port. A sept heures et
avait
quelques patates
primes la direction du district de Ojitia [Hitiaa] afin de poudebarrasser, de jour, de la reconnaissance du port, ainsi que de
ses abords, bale ou avait mouille la fregate frangaise commandee par M.
Bougainville. Les deux caciques et leurs compagnons ne voulurent pas
nous suivre, vraisemblablement pour quelque motif d’indiscipline envers
Oreti, le cacique de ce district; ils nous disaient qu’ils ne voulaient pas s’y
rendre, car Oreti etait malade, alors que nous l’avions trouve en parfaite
sante, et ils debarquerent. Nous poursuivimes a la voile et a la rame vers
le N. sortant par la passe du port de la Virgen, et en dehors des recifs.
demie,
voir
nous
nous
onze
(f.25) Il faisait calme plat
et
heures
passe formee par des recifs courant au
milieu de cette passe nous sondons a 17
nous
arrivions
le soleil brillait de toutes
ses
forces. A
a une
entree a E.O. Au
N.S.,
brasses, fond de bloc de pierres, et en peu plus a l’interieur, du sable par
20 et 14 brasses, face a la passe, a une demi encablure de la terre et deux
du recif; mais vers le N., du gravier et ensuite de la pierre, si bien que
avec son
Yarii Oreti qui etait venu en personne avec sa pirogue pour nous rencontrer, nous dit que tout etait seme de pierres. Nous continuames en peu plus
vers
le N. pour
et aussitot
,2
Ce sont
de Tahiti.
74
apercevoir un
apres,
vers
autre
petit chenal
les lies de Rosario
12
,
sur
lequel deferle la mer,
tout etait parseme et
ceme
de
probablement desilots situes dans la baie et qui ne semblent plus repertories de nos jours sur la carte
N°326/327-Aout/Decembre 2012
recifs. Dans
naturels
ce
port
eux-memes
abrite, du N. jusqu’a E.S.E. selon les dires des
ce district, la petite passe s’est ouverte
par
non
habitant
la force continue des grosses marees; pour ces raisons, une connaissance
plus approfondie nous apparut vaine, considerant cela totalement inutile.
C’est
a
l’abri d’un fond
de terre que
se trouvant en
face de cet
embouquement proche
jetames le grappin qui toucha le fond des ecueils, alors
que commengait le repas. (f.25v). C’est entre les deux passes qu’avait
mouille la fregate de guerre frangaise, et au recif forme par la passe de la
nous
partie N. le cacique
plusieurs
nous
constituaient
accoururent
apportant
dit
un
qu’ils avaient laisse plusieurs ancres, et dont
danger. A la nouveaute du bateau, les pirogues
nattes et couvertures
afin de les troquer contre des
hamegons et autres bagatelles. Nous avions remarque que, dans
district, les femmes sont plus belles et plus attirantes que celles que
couteaux,
ce
avions
jusqu’a present. A une heure
et demie
sortimes par
meme passe pour traverser la baie et rentrer dans le
port dit de la Virou
nous
n’arrivames
avant
six
heures
et
demie
de l’apres-midi,
gen
pas
nous
vues
nous
la
parce que c’etait calme plat et que Ton n’avangait
soleil brillant de toute sa splendeur. [...].
qu’avec les
rames, le
cinq heures, nous levames l’ancre pour effectuer plusieurs
sondages des pointes principales doit au moins avoir deux encablures de
large (f.26) fond sablonneux dans toute la partie 0. et N. C’est un bon
Le
17,
a
port, decouvert et abrite des vents du premier quadrant, face a elle se
trouve une riviere, le terrain est moyennement spacieux, mais pas autant
qu’a Tautira.
L'arii Pahairiro
offrit des noix de
des
bananes,
le saluames en le quittant. A six heures nous poursuivimes vers le
S. par ou nous etions passes la veille, et en passant par le port et le district
de Tautira, nous apprfmes que les arii principaux se trouvaient a Taiarapu.
nous
cocos
et
et nous
Nous continuames
vers
la-bas pour arriver
a
la maison de Pautu,
a
neuf
heures et quart, Celui-ci passa quelques instants avec ses parents, quant a
nous, nous primes le frais et remplimes les barils a une tres belle source.
Nos hommes continuerent de
et
au
se
reposer d’avoir tant
pour venir ici
notre destination ; face
rame
dix heures et quart, nous poursuivimes vers
port de YAguila, nous amarrames pour recevoir Vehiatua et
a
pagnon Taruri, frere de 1 'arii Oreti:
avec eux
(embarques)
en
son com-
plus
dans
75
bulletin
dv fa
Society dc& Slades Oceanic*
le canot et accompagnes d’une quantite de pirogues qui nous suivaient de
conserve, nous sortimes en dehors des ilots se trouvant au S. du port de
I’Aguila,
et
gouvernant
trames dans les
a
recifs,
deux heures de
de faible
fond,
au
S.O.
tout en
avec un vent
passant
au
doux de E.N.E.;
nous
pene-
milieu de nombreux coraux, et
l’apres-midi nous sortimes par une petite passe, (f.26v)
car
les naturels
nous
avaient dit que le bateau
ne
pouvait
passer par 1’interieur. A trois heures et quart nous empruntames une autre
passe, d’un mille, un peu courte et qui forme comme un bout de cote
voire
un
hers du recif de l’E.
[...]
Nous achevames
(fol.27) de sonder la totalite de cette passe formant
le port, appele sur le plan San Damaso 13 mais il nous pamt fort peu approprie en raison aussi bien de son fond de pierres que de sa petitesse ainsi
que de
tre
sa
difficulty d’acces
heures et demie
nous
les vents dominants de cette saison. A quatouchames fond a une brasse et demie d’eau,
avec
fond d’ecueil de pierres, la petite pointe de cette crique se trouvant au S.
distante de la terre a vingt a vingt-cinq brasses et la pointe de Papara a
L’enseigne de vaisseau, Don Diego de Machado, se rendit a terre
Vehiatua, le soldat Maximo et Thomas Pautu ; ils virent le parage ou
se trouvait depose le cadavre de Yarii Taitoa; sa maison avait ete detruite
et ils dirent que le corps se trouvait en-dessous, mais Vehiatua ne leur permit pas de s’en approcher; en meme temps un Indien, poussant de grands
cris, arriva pour offrir un petit cochon blanc a Vehiatua, avec une pousse
de bananier. Un peu plus en avant nous rencontrames deux autres depots
de cadavres; quand bien meme ils eussent voulu effrayer les notres en
disant que le demon les voyait et qu’il leur ferait du mal, ceux-ci repondirent en lui montrant une petite croix que le demon ne pouvait rien contre
eux (fol.27v), et qu’il s’ecartait meme de ceux
qui portaient ce signe de
chretien ; puis s’approchant davantage ils remarquerent que les cadavres
etaient deposes sur une petite estrade elevee, au toit bien recouvert et bien
preserve de la montee possible de rats. Ils recouvrent le corps de couvertures
et leur deposent des portions de nourritures aux alentours. Les insulaires
O.N.O.
avec
13
Port
76
correspondant a la baie qui se trouve face a la passe de Havae au sud de Teahupo'o.
N°326/327-Aout/Decembre 2012
proteges derriere les
hension ;
notres
retirant
en se
s’approcherent mais non sans grande appre-
vers
l’embarcadere ils virent deux femmes
au
visage tout ensanglante, qui lavaient et nettoyaient les taches au bord de la
riviere ; s’enquerant du motif de cette etrange scene sanglante, ils apprirent qu’elles etaient parentes de Pautu et qu’en les voyant, elles commencerent a se piquer le visage avec force sanglots jusqu’a faire ecouler une
quantite de sang, manifestation ainsi la douleur que leur absence causait,
rituel qu’ils ont en usage, mais nous ignorons si elles le font avec les
ongles ou tout autre instrument
14
.
tua resta a terre avec son ami ou
15
Les notres
regagnerent le canot
et
Vehia-
ambassadeur de Otu. Ce district s’appelle
a la suite de mort de Taitoa. La nuit
appartient
comme de jour, calme plat.
(f.28) Lel8, a cinq heures du matin, nous levames l’ancre, Yarii
Vehiatua arriva avec Taruri et nous poursuivimes a l’interieur du recif en
direction de la crique ; et nous arrivames en vue de la petite passe du dis-
Oyaotea
et
a
trict de Mataoae
Vehiatua
16
.
[...]
Pendant
ce
temps qui fut
consacre a
sonder
et a
reconnaitre cette
17
crique, sachant qu’il s’agissait du district de Guayuru celui de Francisco
18
Ojellao [OHeiao] qui etait natif de cette lie et qui est mort a Lima le soldat Maximo Rodriguez s’en fut en pirogue a terre avec Pautu pour voir ses
parents et sa famille, mais ils ne trouverent aucun des deux et leurs compatriotes repondirent qu’ils se trouvaient a Taiarapu.
Une fois executees cette commission et ces reconnaissances qui nous
avaient ete ordonnees, a neuf heures et demie, nous rebroussames chemin
a 1’interieur des recifs en quete de la pointe S. et de la fregate. A onze
heures et demie nous arrivames au port de San Damaso, d’ou nous etions
partis le matin meme (f.29), toujours avec Yarii Veliiatua et Taruri; nous
,
,
14
D'autres sources (MR) de la
montes sur du
bois,
ou
des
meme
epoque, signalent qu'elles se laceraient le visage avec des dents de
tranchants de coquillages.
requins
morceaux
15
Plutot Vaiaotea a Teahupo'o.
16
Probablement Matahihae entre Vairao et Teahupo'o.
17
Vaiuru, ancien toponyme de Vairao.
18
Heiao, cf. Le Journal de MR, meme jour.
77
($u//ctin
Society des Slades Ocea/te
de la
funes halte pour preparer le repas. A onze heures trois quarts, nous poursuivimes a l’interieur du recif; a deux heures et demie nous en sortimes
pour longer, toujours a la rame, cette portion de cote sauvage. A trois
heures et quart la fregate etait en vue, situee au SE., et nous pointames la
proue sur elle, nous trouvant a une encablure de la terre entre Taiarapu
et la pointe S. de 1’ile. Les hommes n’avaient pas encore mange, entrete-
l’espoir de trouver le vent en arrivant a la pointe S. et de se nourrir
apres; la fregate etant toujours en vue mais, comme nos hommes fatigues
nant
d’avoir
rame
toute
la joumee
en
raison de
l’accalmie,
n’etaient
toujours
pas decides a la rejoindre puisqu’il se faisait tard. Nous longeames done
la cote et a six heures et quart nous ancrames a six brasses, fond de sable
et
pierres, dans le port de Taiarapu
ou
avaient coutume de descendre les
precedent a l’abri du N. Marii Vehiatua et Taruri
terre, Pautu, le plongeur et le soldat Maximo allerent
voir le petit jardin arbore et plante qui avait ete laisse au proprietaire de
la maison ou travaillaient ces charpentiers ci-dessus designes mais ils l’ont
trouve fort neglige et abandonne. Ils rencontrerent le Epure ou pretre, qui
charpentiers
du voyage
s’en furent donnir
ne se
differenciait
a
en
rien des autres:
en
revanche ils lui accordent beau-
les caciques le respectent.
coup d’attentions,
Le 19, a six heures nous levames Tancre pour sortir par la passe du
port de Taiarapu, avec a bord Yarii Otu et deux freres, Titorea et sa femme,
et meme
Vehiatua, Taruri, et le frere de Manuel. Nous continuames a la voile avec le
vent du N. jusqu’a huit heures; voyant que la fregate n’etait toujours pas en
vue, que le vent fraichissait en grains et que la pointe S. se situait au S.O.1/4
S. par rapport a nous, a une distance de quatre lieues et demie, nous
virames vers le port de Taiarapu ou nous franchimes a nouveau. A onze
heures et quart, presque tous les insulaires s’en allerent a teixe et Yarii Otu
ordonna a deux de ces serviteurs d’aller voir si la fregate apparaissait. On
preparait le repas lorsqu’a douze heures, ils dirent qu’elle
nous
ou se
etait visible ;
plan pour lever Tancre et sortir par la passe du port
trouvait la fregate au S.E.1/4E. Les insulaires revinrent, a Texception
laissames tout
en
de la femme de Titorea et du petit frere de Otu, nous naviguames
seule voile de misaine jusqu’a la fregate avec un vent du N.N.E.;
heures et demie
78
nous
arrivames bord
a
bord (f.30) incident
avec
a
la
deux
particulier.
N°326/327-Aout/Decembre
2012
louvoyons sans cesse sans perdre de vue la terre,
particuliere jusqu’au 22 novembre, jour oil, a trois heures,
aiTiva bord a bord une pirogue double dans laquelle venait Opo, femme de
Presentement,
sans
Titorea,
la forte
ron
toute en
sept
a
larmes,
des
mer et
suivies des
pirogues coulant quasiment a cause de
repetees, du fait que nous
averses
huit Iieues car,
a
en
raison du mauvais
nous
temps
trouvions
et
a
envi-
du faible vent,
le vent. Des que le mari la vit, il se mit egalement
pleurer, et apres avoir parle un moment, ils dirent qu’ils desiraient aller
terre parce que tous les Indiens de Hie et la plupart des sujets de Oni et
etions mis
nous nous
a
nous
nouveaute
de
sa
qu’ils
en
famille etaient
les avions
en
pleurer puisque cela faisait quatre jours
comme ils ne voyaient pas la fregate de la terre
train de
quitte Pile
avaient
raison de
sous
;
l’important assombrissement du ciel,
amenes a
ils croyaient que nous
Lima. Le Commandant considerant l’etat du temps et
qu’il y avait de la terre, fit savoir au arii Otu, au vu du danger
auquel ils s’exposaient, (f.30v) qu’il serait plus raisonnable pour tous d’attendre le jour suivant: pour nous, de nous approcher davantage de la terre,
la distance
de s’en aller. Une fois que le arii eut pris connaissance de cette
proposition, il repondit que c’etait tres bien, demontrant beaucoup de joie
et pour eux,
appelant notre commandant taio,
et
mai tai ;
on
hissa les pirogues
a
bord
quinze hommes monterent la garde armes.
on descendit les pirogues a l’eau et ils s’en allerent a terre avec uniquement les serviteurs. A douze heures on mit le canot
et cette nuit-la
A
a
onze
l’eau et
a
heures du 23
douze heure
un
quart
on
la terre, avec le lieutenant
sergent, le soldat Maximo et deux
fila
d’infanterie Don Juan de Manterola, un
autres, l’equipage du canot et moi-meme,
arii et leurs families
en
vers
tous armes, avec a
bord tous les
direction du Port de Santa Maria de Magdalena,
alias Taiarapu.
A neuf heures du matin du
24, le vent leger et variable
se
mit
a
souf-
fler par le S.S.E. et Ton forga la voile pour voir si le canot venait. A neuf
heures et demie le commandant convoqua ses officiers pour tenir un
conseil de guerre, montrant le journal du canot etabli lors de la reconnaissance des
ports,
mouillage (f.31);
trict appele Tautira,
le
et
prenant avis pour savoir lequel serait le mieux pour
tout le monde s’accorda pour
car
elle est la seule
a
avoir
la crique du disfond de sable et sans
aller
un
a
79
bulletin
de fa
Jodete des Slades Qccaniennes
pierre ; elle est par contre a decouvert au N.O. et Ton ne sait pas
beaucoup ; cependant les naturels disent qu’il n’en est
rien et que le vent est faible, que cela est sans doute du aux collines se
trouvant dans la partie S. L'autre port de La Virgen est plus a decouvert
aucune
si la
mer monte
mais il n’offre pas autant d’etendue de terres pour l’etablissement des
Peres.
cinq heures et demie de l’apres-midi, ils helerent le
paquebot, pour leur communiquer ce message du Commandant: comme
Le 24 du
mois,
a
les vents etaient faibles et
qu’ils avaient quelque peu louvoye pour mouiller
dans le port de Tautira, lieu ou ils avaient determine de se mettre, a
quelque distance de Taiarapu, il ne lui semblait pas convenable d’approcher ledit port, afin de ne pas perdre ce qui etait gagne, pour que le canot
puisse les
voir et
qu’il
soit visible du bord ;
qu’ils essayent
de forcer la
voile dans la nuit afin de faire jour dans le port de Taiarapu a une distance
de deux et demie a trois lieues, et qu’il se maintmt a vue pour pouvoir
(f.31v), l’intercepter, en le faisant remorquer par la
s’exposer a un danger quelconque ; de conserver de minuit
poupe,
au matin, une lumiere fixee au sommet du grand mat, qui est notre signal,
le tour de File nous ayant fait prendre conscience des difficultes.
reperer le canot
sans
Recit de
ce
qui arriva durant le voyage que
dans le Port de Santa Maria de
Magdalena,
nous
alias
avions
ejfectue
Taiarapu, pour
conduire les Ariiprincipaux et leurfamille.
demie, Don Juan de Manterola, un sergent, l’interprete
Maximo, deux soldats, l’equipage du bateau et moi-meme (JPA), tous
armes, nous quittames le bord pour nous rendre a la rame vers le port de
Taiarapu. Nous naviguames jusqu’a deux heures et demie, et peu de temps
apres nous hissames la trinquette avec le vent du S. quasiment calme. A
trois heures nous amenames la voile principale et la trinquette, pour continuer a la rame jusqu’a quatre heures, et nous recumes par le N.O. une
averse si forte qu’elle nous a obscurci toute la vue, (f.32) et j’ai releve la
pointe dite de Tautira a l’O.N.O. et la plus au S. de 1’ile au S.S.O. puis le
port de Taiarapu au S.O. tout cela a partir de l’aiguille, distance deux
A midi et
80
N°326/327-Aout/Decembre
lieues. A cinq heures et quart
poursuivi a la rame.
A six heures et demie
devait avoir
une
hisse
nous avons
a nouveau
la
2012
trinquette
et
par une passe, qui a mon avis,
encablure de deux tiers de large, situee plus au N. que
nous
entrames
Taiarapu, appelee Vaiurua [Aiurua] ; nous continuames a l’interieur a la
rame et a la voile, en compagnie d’un nombre infini de pirogues, jusqu’a
parvenir au mouillage ou la chaloupe avait fait l’aiguade lors du voyage
precedent de 1772, et qui est le parage ou se trouve la famille de Yarii
Otu. A
sept heures
et
demie
nous
mouillames par trois brasses et demie
fond, la poupe orientee au quart de vent, fond de gros sable et gravier.
Des que Yarii Otu sauta a terre, se presenta une rnultimde d’indiens, poude
300, faisant autour de lui un
grand cercle dans lequel se tenait la famille du arii Otu, face a lui; parmi
eux, un individu sortit pour venir lui presenter plusieurs pousses de
bananes qu’il lancait de temps en temps. Get arii se tenait toujours debout
au milieu du cercle, parlant fort; d’autres qui se trouvaient la (f.32v)
vant
atteindre le chiffre de
plus
ou
moins
qui voulaient s’approcher
de lui. Des que celui aux pousses de bananes eut fini, on lui apporta un
petit chien qui lui fut jete (aux pieds), une fois la ceremonie achevee.
munis de
longs batons,
contenaient les indiens
cote dudit arii ;
Deux femmes sortirent de cette famille et
se
mirent
pointes, elles
se
prosternerent,
des
coquillages
munis de
une
entendu
blessant le
fois cette ceremonie achevee, les indiens
disperser et a parler fort,
quelqu’un parler.
mencerent
se
avec
fois lacere, elles en recueilhrent le sang sur quelques
lesquelles elles s’habillent et arriverent au bord de la
visage, et celui-ci
toiles blanches, avec
riviere, pour se laver;
une
a
a se
Peu de temps apres la fin de cette
car
jusqu’alors
on
com-
n’avait pas
ceremonie, le arii Vehiatua, Seimit a importuner beaucoup Don
gneur de la moitie de 1’ile de Tahiti, se
Juan de Manterola pour se rendre a terre; 0 insista tant que ce dernier se
decida a accepter d’aller avec l’interprete Maximo, deux soldats, trois
matins,
bait
et
avec
moi-meme; mais nous y restames peu de temps
force
eau, tonnerre et
eclairs,
et ainsi
car
la nuit tom-
abondamment jusqu’a trois
heures du matin. A quatre heures du matin (f.33), on entendit a terre plusieurs coqs chanter. Le jour se leva avec les horizons et le ciel bien plombes
81
bulletin de
la
Society de& &tude& Ocean
le vent presque calme. A cinq heures et demie commencerent a venir
plusieurs pirogues si bien qu’a cinq heures trois quarts elles pouvaient
et
hommes s’en furent a terre pour
les
barils
d’eau
et
de
l’herbe
au
betail
porter
que nous avions a bord, mais
les indiens refuserent de laisser les notres revenir charges; ils se dispuetre au moins 200. Au meme moment six
taient
plutot pour savoir lequel (d’entre eux)
devait les porter. A six heures
arriva la
pirogue de Yarii Titorea portant un cadeau pour le Commandant
et Juan Herve, ce que j’ai bien recu, puis nous avons leve l’ancre et rame.
En depassant la pointe nous vimes la famille de le arii Otu occupee
par la
que celle d’hier apres-midi; nous continuames
pour sortir par la passe du recif de Taiarapu ou nous virames vers l’E.; et
apres avoir navigue environ une lieue et demie, ne voyant toujours pas la
meme
fregate
et encore moins
dames de
se
harangue
le
nous
mettre
plus
boucherent;
c’etait
vers
paquebot,
car
c’etait
mer
calme,
nous
deci-
le vent; peu de temps apres, les horizons
(f.33v) huit heures et demie du matin, et nous
sous
franchimes la passe du port de Taiarapu, sans vent et sous une trombe
d’eau. A onze heures et quart nous mouillames a six brasses, gros sable,
et nous arrivames presque inondes. A douze heures Don Juan de Manterola et Maximo s’en allerent
le sergent, les deux soldats et
quatre marins, pour constituer de quoi manger et voir avec les indiens s’ils
pouvaient grimper dans les cocotiers pour reperer la fregate. A douze
heures et quart ils
en
a
terre avec
descendirent pour annoncer qu’ils ne la voyaient
leurs indications elle semblait etre au N.E. En foi de
toujours pas ; d’apres
quoi nous levames l’ancre pour
continuer
a
la
rame
et a
la voile
avec
le
du N.O. faible. Nous sortimes par la passe de Taiarapu ; des que nous
atteignimes un mille environ, le vent fraichit par le N.N.O.; nous poursui-
vent
vimes
avec
commenca
deux voiles jusqu’a trois heures et trois quarts ou 1’horizon
a se boucher de toutes parts, le vent toujours calme, et la terre
s’etant obscurcie ;
en ne
voyant plus
aucune
embarcation,
nous
virames.
quatre heures, par le N., nous est tombee une averse avec un vent violent
qui dura jusqu’a quatre heures et trois quarts, mais nous etions deja entres
dans le recif du port de Taiarapu. Nous poursuivimes a la rame en car-
A
guant la trinquette (f.34),
vent
82
avec
d’averses. A cinq heures
le vent
nous
toujours calme,
accompagne soumouillames dans le port de la premiere
N°326/327-Aout/Decembre
fois, fond de sable et gravier.
retrouva a
se
ment
avec
la bache et Ton
l’apres-midi vint Varii
dire qu’on n’avait toujours pas vu la fregate. La nuit
les horizons bouches, le del avec des eclairs et le vent quasinous
sept heures
heures,
le ciel
se
de
et
demie, le arii Vehiatua
couvrit et il commenga
le vent frais du N.O.
mit
se
a
souffler,
a
la
retourna a terre. A
dix
pleuvoir jusqu’a douze heures,
pluie cessa.
heure du matin du 25, le temps fut couvert et il nous tomba
averse avec des trombes d’eau, vent, tonnerres et eclairs. A deux
A
une
monta
calme.
A
et
temps apres on
l’etroit dans le bateau. A six heures de
Vehiatua pour
tomba
Peu de
2012
une
heures et
demie, le vent frais souffla par le S. et tout s’arreta. A trois heures
demie, on entendit chanter plusieurs coqs, il fit jour avec les horizons,
et le ciel pas trop degage, avec une legere brume et le vent quasiment
calme. A cinq heures et demie un homme se rendit a terre avec l’interprete
et
pour apporter du sable et des
de pirogues commenga
bougies;
a
cette
heure-la un nombre infiiii
venir. A six heures et
a
E.;
trouvait
au
N.E. !4 E ;
quart ils virent la fregate
levames l’ancre
a toute vitesse et nous
qui
naviguames a l’interieur du recif (f.34v) jusqu’a pouvoir sortir par la
bouche de Taiarapu. A six heures et demie nous gouvemames au N.E. 14
se
ensuite il commenga
a
nous
pleuvoir,
avec un
vent N.
frais. A huit heures
on
largua le trinquet et on vit que l’embarcation qui avait ete apergue, etait le
paquebot. A huit heures et demie on cargua le trinquet et ferla les perroquets, hissant le pavilion qui etait notre signal d’appel. A huit heures et
trois quarts nous approchames de son bord et Ton nous remorqua par
l’arriere. A deux heures de l’apres-midi, nous larguames pour rejoindre
notre bord, et nous arrivames tous fort contents.
A dix heures et trois
quarts du 27 novembre,
on
mit le canot
a
l’eau
nous
Ton fit signe au paquebot de se preparer mouiller;
larguames dans le canot le second pilote avec moi-meme, accompagnes
de l’equipage correspondant pour nous rendre a la bouche du port. A une
et
a
aussitot apres
drapeau, signal indiquant qu’il se trouvait a l’entree
port et c’est a cette heure-la que nous larguames les enseignes. A une
heure le canot hissa le
du
heure et
demie,
avec
le canot
a
l’arriere, ils jeterent l’ancre
par tribord ;
83
dSuUetin- (te
/a
Jocietv c/ex Q/adcx Occa/it'e/i/icx
paquebot auquel on fit signe de mouiUer a une ancre, ce
qu’il executa aussitot apres. A deux heures et demie nous jetames une
petite ancre a treize brasses, fond de sable.
[••■]
ensuite arriva le
Recit de
avec
ce
qui arriva lorsque
nous
alldmes reconnaitre le port
le canot.
[•••].
A douze heures 1 Arii Vehiatua monta
a
bord,
l’interprete, le Commandant lui demanda
Peres; il repondit qu’il verrait avec ses Indiens.
de
un
terre, reunit tous
ses
Indiens et
Capitaines,
A
et par
l’intermediaire
endroit
une
ou
etablir les
heure il s’en fut
et s’assirent tous dans
a
une
les cotes quatre Capitaines et 1’arii face a eux. Pende deux heures ils furent occupes a cette harangue a la fin de
maison ;
grande
dant plus
laquelle ils se mirent tous a crier et sortirent de la maison, d’apres les propos de quelques-uns de la fregate qui ont assiste a la scene ; ils disaient
que toute leur harangue se resumait a savoir s’ils etaient heureux de ce
qu’ils (les Espagnols) etaient mouilles dans ce port, et s’ils voulaient donner un terrain aux Peres pour qu’ils restent; ce a quoi ils repondirent par
l’affirmative, eu egard a ce que nous y etions en l’an 1772, que nous ne
leur avions fait aucun mal et que nous voulions etre leurs amis, car (f.36v)
nous avions offert tellement de presents a leurs arii quand ils etaient venus
a bord. Tout ce qu’ils disent est vrai, parce que notre Commandant s’eversur
que aucun mal ne leur soit cause, et que tout ce que les notres
affirment est certain, propos qui furent portes a la connaissance du arii.
Je crois qu’il ne faut pas les traiter entierement de Barbares mais uniquetue a ce
qu’ils n’aiment pas notre religion, et que leur mode de pensee
et de reflexion est tres eloigne du concept que nous leur avions elabore.
A quatre heures le beau-pere Titorea arriva a bord, chacun dans sa
ment parce
les olSciers, il s’en alia a terre a quatre heures demie pour
leur montrer 1’emplacement qu’ils avaient destine aux Peres, et qui se
pirogue,
et avec
trouve a environ trente
Le 29
au
pas de
maison.
matin le commandant
sionnaires et Don Thomas
84
sa
se
Gayangos
rendit
a
terre avec
pour voir 1’endroit
les Peres mis-
designe
par le
N°326/327-Aout/Decembre
terrain
arii;
qu’il
ne
etait du
qui plut beaucoup
convenait pas
aux
au
Peres
commandant
car
une
le terrain etait
fois
qu’il l’a vu,
2012
alors
peu humide ; ceci
l’etat pour en faire les
un
fait que les Indiens le maintenaient en
pepinieres de leurs nourritures. Notre commandant, apres avoir
inspecte tout le terrain, fit savoir aux Peres qu’il n’y avait pas d’autre
emplacement a propos, pour plusieurs raisons, et parmi les plus imporsemis
au
ou
la proximite du arii, les maisons des capitaines et la
ce a quoi ils se conformerent, et on commenga a
delimiter l’endroit reserve au potager et a la maison. Celle-ci comprend
notamment
tantes,
riviere d’eau douce ;
une
fagade de vingt vares, vingt-neuf de profondeur ; pour le potager, la
19
fagade mais cent vares de profondeur. Une fois cette operation ter-
meme
minee, ils
parce
se
retirerent
qu’ils voyaient
parce que
nous
a
bord,
tous tres contents: de
meme
les Indiens,
que c’etait vrai que les Peres allaient rester, et
constations
un
debut bien favorable
a
notre
nous
dessein. Ce
jour-la on commenga a faire aiguade; accompagnes des charpentiers de la
envoya des gens couper le bois de construction pour la maison
et Ton devergua toutes les voiles, pour les mettre a secher puis les ranger.
Fregate,
on
Le 30
et
au
matin le Commandant s’en fut
la maistrance
20
;
on
commenga la
tache,
a
terre
avec
Don Juan Herve
tout le monde voulait voir l’en-
droit; en procedant a une nouvelle verification du lieu, il fallut borner
1’emplacement du potager de dix a douze vares par rapport a la riviere ;
sinon, on les privait de beaucoup de urn, qui se trouvaient dans les cent
vares; de plus les indiens se sentaient peines de voir leurs arbres abattus,
parce qu’ils se trouvaient tout pres et que leurs fruits constituent le pain
qu’ils mangent habituellement; pour cela, deux maisons genaient; leurs
proprietaires regurent l’ordre de les deplacer et l’indication du nouveau
terrain sur lequel les rebatir. A huit heures ces messieurs se retirerent en
laissant la maistrance decouper les arbres.
A dix heures du matin, Don Thomas Gayangos retouma a terre pour
proceder a une verification, a la suite d’une plainte des Indiens presentee
par l’intermediaire de l’interprete qui en avisa le Commandant. A onze
19
Unite de
20
L'ensemble des charpentiers, calfats et autres personnes, designes pour la
mesure
espagnole 0,835 m
reparation du navire.
85
d&uf/etin
de, /a
Society des &lude& Ocean
heures et quart la chaloupe revint avec le lieutenant emmenant prisonnier
le matelot Pedro Caravajal, lequel est bel et bien tombe a pieds joints dans
le
piege
des
21
A
.
onze
heures et demie
on
appela l’equipage
du
paquebot,
et
bord, on tira un coup de canon tout en hissant le drade chatiment; celui-ci ne fut pas execute, car il a ete reclame par
son
arrivee
a
peau
arii Vehiatura et
Hinoi, frere de Otu,
quelques
menace
caciques
et
et c’etait parce que ce
matelot avait
Indiens
capitaines
se
l’apres-midi du jour precedent; ce dont les
plaignirent aupres de l’interprete, Ini disant que
tous les Indiens allaient
quitter le district.
decembre, les Indiens, en voyant que les notres (f. 38) abattaient
plusieurs arbres, commencerent a s’agiter comme pour dire qu’ils ne voulaient plus que Ton poursuive la taille, ce dont l’interprete rendit compte
au Commandant; des que arii Vejhatua est venu avec les autres arii
Le 3
,
comme
dit
ils avaient coutume de le faire deux
il ordonna
l’un de
a
trois fois
chaque
jour, il lui
capitaines, appele Taitoa,
de prendre en charge cet abattage tout le temps qui serait necessaire a la
construction de la maison, de fagon a ce que les Indiens ne puissent en
aucune fagon s’opposer a quoi que ce soit; il avertit de laisser tailler tous
ceux que le dit Taitoa signalerait, etant donne que lui seul connait ceux qui
donnent de bons ou de mauvais fruits, afin que les Indiens ne pussent se
ce
qui
plaindre
se
de
passait,
et
a
ses
que Ton otat leur nourriture ; car ces arbres avaient leurs
ils n’appartenaient pas au seul arii bien qu’il fut proprietaire
ce
proprietaries,
de tout le terrain; mais ce dernier leur designe a chacun son lot de terrain,
et chacun le retribue par une contribution quotidienne, sans qu’ils ne trouredire de
vent rien a
vecue;
on
ce
systeme ; telle
lui fit
T experience que nous avons
que les arbres abattus, et ceux qui
est
egalement comprendre
abattre, etaient nombreux et se trouvaient a une certaine
que nos gens etaient en nombre insufflsant, epuises de la coupe
restent encore a
distance ;
et
parcourir deux lieues. Il donna alors l’ordre au dit capid’emmener avec lui (f.38v) le nombre d’lndiens necessaries pour
devaient
taine
encore
aider les notres,
21
Ce matelot a desobei
avec
86
les femmes.
lesquels
aux
arriverent
a
deux cents,
au
moins,
a
la fin de la
consignes du commandant repetees a leur arriver, notamment de ne pas commercer
N°326/327-Aout/Decembre 2012
(construction de la)
maison ;
ces
demiers tralnaient les arbres
sans
trop
foumir d’efforts, parce qu’ils connaissaient la route et qu’ils prenaient egalement la precaution d’utiliser la riviere ; il nous fallait parfois grimper plus
haut dans la montagne pour les trouver et une fois les troncs jetes dans la
riviere, il n’y avait plus aucun travail, car les courants les entramaient vers
la maison
et
meme.
Pendant
ce
temps,
nous
subimes de nombreuses averses,
selon les Indiens, si j’en crois les propos, il en sera toujours ainsi.
Le 4 du meme mois, a l’aube, a la pointe N.O. on vit venir vers nous,
pirogues tres grandes et nous en avons demande la raison aux nombreux Indiens qui se trouvaient a cote ; cela arrive chaque
fois avec ceux qui venaient echanger leurs affaires et avec les autres venus
juste pour voir ; ils repondirent que c’etaient les gens du arii Otu, qui
venaient de Opare, district ou il assiste, pour lui apporter de la nourriture
ainsi qu’a ses serviteurs; ils etaient en villegiature a Tautira et ils venaient
une
multitude de
meme
de
grande
renouer
guerre,
qui
amitie,
car
il y
a
peu de temps
avait ete declenchee
avec
encore
il y eut
une
Vehiatua pour defendre les
habitants de File deMoorea (f.39-) qui etaient toujours en guerre contre
eux, bien qu’en ce moment il ne l’etaient plus. Cette ile de Moorea se trou3 lieues environ de Tahiti, sur la pointe N.; a trois heures et demie
arriva a bord de son canot le capitaine du Jupiter amenant de son navire
verait
a
,
prisonnier, le marin Esteban Gomez, qui a ete
d’avoir frequente une femme. Cela s’est su parce
le
accuse
qu’il
a
par les Indiens
donne un mou-
affaire, il le lui reprit.
Elle alia se plaindre aupres des Indiens et ces demiers aupres dudit Capitaine, lequel porta l’incident a la connaissance du commandant, laissant
choir a la femme indienne et des
le choix du chatiment
a sa
qu’il
eut
conclu
son
discretion. Le lendemain
on
convoqua
l’equi-
du chati-
hissa le
drapeau
page du Jupiter, on tira un coup de canon, on
arii
a la vue de cette
Les
de
fouet.
et
on
lui
donna
ment,
cinquante coups
scene qui leur causa une tres grande surprise, laisserent entendre que les
Anglais avaient agi tout a fait a T oppose; a la suite de quoi le commandant
leur demanda d’informer les Indiens de la difference de religions qui
existe entre les deux nations. Les arii et les
Indiens,
une
fois
au
courant
particularite, dirent que, des qu’ils verraient a terre Tun des notres
parler avec une Indienne, ils viendraient en faire part a la fregate.
de cette
87
bulletin d& /a Society des Studies &cea/ue/i/ie&
(f.39v)
Si bien que
Indiens de monter
a
quelques-uns
bord
car
des notres durent
ils voulaient tout
manipuler,
empecher
et
il
en
les
venait
jamais a quatre ou cinq; et meme s’ils ne l’avaient pas reellement observe, ils commengaient a crier qu’ils les avaient vus se mettre
avec des femmes; c’est ce qui arriva et qui dura douze a quatorze jours,
mais par la suite, il se passa exactement cornme au debut, ils etaient (devenus) les courtiers titulaires d’un tel commerce.
Le 6 du mois, a six heures et demie, le Commandant s’en alia a
terre pour voir les murs qui se montaient. Mais ces derniers, des qu’ils
se sechaient, se craquelaient et s’effritaient; de ce fait le commandant
beaucoup,
et
cinq heures
decida de construire
une
midi,
le commandant filait
au
moment ou
pabssade.
A
et
quart de l’apres-
la terre,
vers
on
y entendit
des cris qui disaient mate, qui signifie quelqu’un mort ; en meme
temps ils faisaient des signes avec un tissu blanc, si bien que, aussi bien
les pirogues qui
se
trouvaient autour du Jupiter que celles de notre
fuir precipitamment; mais aucune ne se dirigeait vers
cote, se
l’endroit d’ou provenaient les cris, mais plutot en direction du port de
mirent
la
; outre cette scene, de notre
Virgen
bord,
on
voyait de nombreux
direction de la montagne. A cinq heures et quart, on
toute diligence le canot de terre, qui arriva bord a bord, avec
Indiens courir
largua en
a
en
le marin Manuel
Basquez, decede.
C’etait
un
de
ceux
qui decoupaient
les bois pour la maison des Peres, et un cocotier qu’il abattait, lui est
tombe dessus et il en est mort. Qu’il repose en paix ! A sept heures le
canot revint
en
En
que
le Commandant et
ses
Officiers, lesquels
vu
Ceux-ci mandaterent
aller,
avec
le arii Otu regagner ses districts avec plus de cent
passant par la montagne, en raison de l’incident de la mort.
dirent avoir
Indiens
de terre
ce
n’etait pas de
voyant cela,
Indiens pour lui dire de ne pas s’en
faute et encore moins celle des Indiens.
plusieurs
sa
il revint montrant toutefois
quelque
defiance. Les vents
que nous subissons soufflent plus du S.E. et S.S.E., quelques-uns du S.
et N.O. mais ils nous arrivent tres charges, provoquant beaucoup de
crachin. Le jour suivant, on dit la messe des Trepasses, puis le corps
fut leve et conduit a terre, et on lui offrit une sepulture, avec toutes les
formalites requises, devant la maison des Peres.
88
N°326/327-Aout/Decembre
Le 8 du mois,
saluant a la voix de
lever du soleil, on pavoisa et decora la fregate,
la fete de la Conception de la tres Pure
au
«
2012
Vive le Roi!
»
Vierge Marie, patronne des domaines d’Espagne. (f.40v) Au
coucher du soleil, on ota tout et redescendit les drapeaux dans les memes
et tres sainte
termes. Le lendemain on refit la
Princesse,
et
les
pilotes
chose pour l’anniversaire de la
s’en afferent lever le plan du port de La Virgen, et
meme
le surlendemain, celui de Santa Cruz de Fatutira 22
Le 11 decembre, a huit heures et demie, le arii Hinoi, frere de Otu,
est arrive a bord pour faire part au commandant de la fagon dont les
.
Indiens de la vallee s’etaient souleves
il retourna
lui avait
a
terre et il mit
offerte,
une
contre
le arii Vehiatua ; et aussitot
vieille casaque d’uniforme qu’un officier
temps les deux epaulettes qui avaient ete
mettant en meme
poches. Il partit avec quelques personnes marchant quade
course, accompagnant son frere qui se trouvait plus en
pas
avant pour aider Vehiatua. A huit heures, pour je ne sais quelle raison, le
oubliees dans les
siment
au
commandant envoya a terre Nicolas Toledo dans
un
douze pervit venir par la val-
canot avec
caporal, armes. A douze heures on
lee, de nombreux Indiens charges, les uns avec les toits des maisons,
sonnes,
sergent
et
d’autres
les
transportant des ele-
(de maison),
(f.4l) lestes de quelques nattes, parmi lesquelles,
trainaient a leurs pieds. Parmi ceux-ci,
hommes
une que quatre-vingts
quelques-uns aborderent et nous firent comprendre qu’ils avaient vaincu
Veliiatua, et que pour cette raison ils emportaient tout ce qu’ils trouvaient.
A une heure, les deux Am Otu et Vehiatua arriverent a bord, accompagnes
autres avec des moities
encore
ments et d’autres enfin
de
tous
leurs
capitaines,
tous avec
leur chemise et certains
meme avec
deux ; ils dirent que les insurges etaient deja mates, dont deux des plus
importants furent arretes, et que le lendemain ils allaient etre chaties a
parage, en presence de tous les siens. Depuis que
nous avons mouille, ces naturels nous avaient maintenu dans une confusion telle que nous ne savions plus ou ils avaient mis nos affaires comme
mort, dans le
meme
les vetements; les
22
au
uns
les donnaient, d’autres les
echangeaient,
mais dans
Aucun rapport d'evenements n'a ete pas fait par JPA entre le 8 et le 11 decembre; le lecteur pourra se reporter
Journal de MR et de AW, qui relate certains autres details.
89
bulletin
dv ta
Society de& Slides Ocea/Uenne&
la presente echauffouree, on leur a demande pour quelles raisons ils
n’avaient pas du tout porte ces vetements jusqu’au jour d’aujourd’hui; ils
repondirent qu’ils les conservaient pour les jours de danses,
de fetes dans
[marae] ou de guerre. Ces marae sont les lieux ou ils font
leurs sacrifices; tout cela, nous l’avons vu reellement, car dans l’apresmidi de ce meme jour, de nombreux Indiens sont venus dans leurs
pirogues, dans l’accoutrement ou (f.4lv) ils etaient chaque jour ; nous
avons vu beaucoup de deguisements, car chacun sortait celui qu’il avait;
il y eut un justaucorps porte par trois, parce que l’un portait une manche,
l’autre la deuxieme et le troisieme, le reste; d’autres encore, portaient une
jambe de culotte avec un seul collant; d’autres, une chemise toute dechiree, et enfin, chacun sortait ce qu’il avait pu echanger.
I’arii Vehiatua, avant de s’en aller pour la vallee de Santa Cruz de
Tautira, laissa a flot toutes ses pirogues, pour pourvoir s’enfuir vers Taiales
emmaraes
rapu et reunir toutes ses gens dans le cas ou il aurait ete vaincu.
Ces indiens se sont insurges parce que I’arti Vehiatua les avait chasses
de
ses
saient
terres, car, du fait du
a
troquer,
et
ils
ne
ils s’amu-
mouillage de la fregate dans ce port,
parvenaient pas
a
s’entendre pour remettre
au
compose de
nourriture le plus souvent, et qui est ce qui lui permet d’entretenir ses serviteurs. La nuit suivante, une fois bannis, ils se ruerent dans le port et com-
quotidien
le tribut
mencerent
a
qu’ils
doivent payer
a
cet
arii,
et
bruler les maisons et toutes choses
passage ; Vehiatua, des
fait tout abattre (f.42).
qui
se
se trouvant sur
qu’il les eut vaincus, fit la meme chose,
car
leur
il avait
capitaines apercurent la troupe a terre, ceux
qui les avaient vus, raconterent qu’ils se montraient tres joyeux, s’embrassant les uns les autres et leur demandant s’ils etaient venus pour les aider;
Des que les arii et les
ce a
quoi chacun leur repondit
restee
a
Le
terre
pour
Indiens courir
2i
1’aiguade
26 du mois,
a
a
que bon lui sembla. La maistrance est
23
composition de la voilure.
ce
et la
quatre heures de l’apres-midi, du bord,
terre, lancer les pirogues
a
90
vit les
l’eau et remonter tous la
Aucun rapport d'evenements n'a ete fait par JPA entre le 8 et 11 decembre; le lecteur pourra
qui relatent d'autres details.
Journal de MR et de AW,
on
se
reporter au
N°326/327-Aout/Decembre
2012
pointe E. comme pour aller a Taiarapu ; le commandant donna l’ordre a
Juan de Manterola de descendre le canot avec un quartier-maitre et trois
soldats. A quatre heures et demie le
marin Francisco Navarro ;
barque,
du
canot
paquebot
est venu avec
le
d’autres personnes de la meme
etait alle laver trois chemises et deux paires de calegons; comme
celui-ci,
avec
il poursuivait l’lndien qui les lui avait derobes, un autre lui envoya un jet
de pierres a la tete, et selon le chirurgien, il est reste plutot mal en point a
l’infirmerie de la fregate.
Aussitot apres, le canot arriva
avec un message de Juan de Manterola
le second Capitaine Thomas Gayangos pour aller
s’enquerir aupres des Indiens, des raisons pour lesquelles tout le monde,
sans exception, partait vers d’autres districts; sur le champ, on largua le
afin que descendit
canot avec, a
a
terre
bord, le second
d’autres officiers. A sept heures Nicolas
message de Don Thomas au commandant
et
Toledo revint pour remettre un
qui, peu de temps apres, s’en fut
revinrent
a
terre.
en
rapportant
(f.43)
tous
a
huit heures tous les Officiers
terre. A
les outils des
A neuf heures le blesse
charpentiers qui
se
trouvaient
reprit connaissance, confessa
et
regut l’extreme onction. A six heures et demie du matin du jour suivant,
on lui administra les Saints Sacrements; a huit heures et demie, le capi-
charge de la maison des Peres, aborda pour dire que son arii
avait arrete le delinquant et que les deux Indiens qui se trouvaient a bord
ainsi que l’interprete, pouvaient aller le chercher ; il ajouta que toute la
nuit ils n’avaient pas dormi, en raison de la grande peine qu’ils avaient
taine Taitoa
ressentie
avec cet
remettre le
incident et parce que les
delinquant
a
Don
capitaines
Thomas, puisqu’ils
de leurs maisons. Il decida de descendre
a
n’avaient pas voulu
1’avaient
terre ; pour
garde dans une
cela ils reunirent
de temps apres on largua le
canot avec Don Thomas Gayangos, le lieutenant d’infanterie, un quartier
maitre, et quatre soldats armes pour ramener le prisonnier. Pendant ce
les chevaliers officiers dans le
temps
on
montra
le blesse
a
carre
Taitoa et
et peu
on
lui fit savoir que le marin qui avait
les Indiens serait puni sur le canon. Ce que Taitoa comprit parfaitement. A onze heures et demie le Commandant fit porter un message a
menace
Don Thomas pour connaitre le motif du retard et il repondit que l’interprete, Thomas Pautu et Barbarua, etaient alles voir Vehiatua qui se trouvait
91
Society des Slades 6tccamenne&
uttctin de la
a une
distance d’une lieue environ, pour
ensemble (f.43v) le prl-
ramener
sonnier.
A douze heures et
quart les offlciers regagnerent le bord ; l’lndien
Pautu et Maximo sont restes
12 h 30. A deux
demarche, pour
hommes
armes
sept heures
heures,
revenir
a
a
terre ;
le canot
se
sept heures
s’en allerent
avec un
seul celui-ci remonta
rendit
sans
a
a
bord
a
terre, pour la
meme
et Pautu ;
quinze
l’interprete
sergent pour surveiller la maison. A
demie le commandant convoqua ses officiers pour les
consulter, et il en resulta que le canot fut arme, avec un officier, pour aller
mouiller sur la plage, afln de proteger la troupe qui se trouvait a terre.
et
A la suite
a ce
qui
medire les Indiens et
a
s’etait passe la nuit
faire
precedente,
on commenca a
comprendre a Pautu tout le mal qu’ils avaient
cause; il se mit a presenter ses excuses et on Ini demanda s’il voulait rester
ou aller a Lima, et il repondit que, meme si on ne le lui donnait plus aucun
cadeau,
il
se
jeune garqon fut du
trouvait tres content, et Manuel le
avis; les Officiers le blamerent pour
cette reponse; ensuite nous
meme
appiimes
par l’lndien Barbarua, que si l’on n’avait pas amene l’accuse et que si
Vehiatua s’etait retire, c’etait bien sous l’influence de Pautu ; ils (les offi-
ciers) voulaient l’arreter et le punir a bord parce qu’il n’avait pas suffisamment insiste pour que ses
(f.44)
Le
capitaines
jour suivant,
au
consentent
matin,
un
a
leur remettre l’accuse.
serviteur de Vehiatua arriva por-
message pour Don Thomas Gayangos lui disant de venir a terre,
il avait peur de monter a bord tout seul; l’instant d’apres, 1’interprete
et Taitoa arrivaient avec le meme message ; ces Messieurs se rendirent a
terre, l’interprete avec Don Thomas et Taitoa jusqu’a remonter la pointe
tant un
car
de l’E.; Monsieur constatant qu’il etait assez loin, ordonna a l’interprete
en question et a Taitoa d’avertir Vehiatua qu’il l’attendait. Ce dernier se
decida
a
venir,
reta pour
lui
et en
dire,
passant par la maison de Pautu, celui-ci sortit
lui passait par la tete,
le fit faire marche arriere pour
ainsi que d’autres choses
qu’il
qu’il serait tue s’il se rendait a bord; ce qui
aller au district de Oyaotea [Vaiaotea], sans
ramener
mots aux
92
que
l’interprete
ne
put le
disant que tout cela etait faux. Ce scelerat avait
vetements et remis son cache-sexe ; et il hurla de vilains
(a la raison)
deja jete tous ses
et Far-
et
hommes du bateau
ou se
trouvait
l’interprete,
pour voir s’ils
N°326/327-Aout/Decembre
2012
pouvaient le noyer en renversant le canot; celui-ci rendit compte de ce
qui se passait a Don Thomas, lequel se facha fort, et a trois heures et
demie ils revinrent a bord. A mon avis, je crois que le refus (f.44v) de
Vehiatua de venir a bord n’est pas du au jet de pierres que les Indiens a
lancees
terre avaient
matin de
ce meme
au
marin du
jour, il
se
paquebot,
mais
bord et
qu’il
trouvait
a
parce que le
s’etait rendu dans le
plutot
des sergents ; comme il faisait sombre et qu’il n’y avait personne, il
s’est installe ; mais le soldat des qu’il est entre et qu’il les y a trouves, a
carre
pense
qu’ils
etaient
Vehiatua etait
soldat
leva pour lui donner une claque
rien dire ils retoumerent a terre.
Le 30
on
il
train de voler ; il s’etait cache mais il
se
et sans
mere
en
son
repondit
on
et une
a
dernier pourquoi il avait quitte le bord et son district;
que Pautu ne cessait de lui dire que s’ils l’attrapaient, ils le tuele questionna au sujet de Pautu et il repondit qu’il n’avait plus
demanda a
raient;
que
qui Taccompagnait; le
bastonnade au serviteur,
dix heures de la joumee, accosterent Vehiatua, la
fils Hinoi et un nombre infini d’lndiens et d’indiennes;
decembre,
de Otu,
a vu
train de sodomiser le serviteur
en
ce
que le cache-sexe et qu’il ne voulait pas monter a bord ; on lui dit alors
tout le mal qu’il avait fait et combien il etait ingrat; que c’etait un grand
(f.45) ; Vehiatua
informe de l’absence totale de reconnaissance de Pautu, en echange de
tant de bienfaits requs, et quand bien meme il l’avait nomme capitaine, a
son retour, pour plusieurs petites choses qu’il lui avait donnees, ordonna
a tous ses hommes de le rejeter et de ne plus en faire cas. Taitoa avait
beaucoup contribue a la prise de cette decision, car c’est sur sa requete
que Vehiatua etait venu a bord, du fait qu’il etait toujours occupe par les
travaux de la maison des Peres lorsque les indiens etaient partis; comme
menteur
il voyait
puisqu’il inventait beaucoup
avec
quel
amour nous
de choses fausses
des propos
le
Commandant
voir
pour
le traitions, et tout
femme et
a
l’oppose
enfants,
il s’obligea a nous l’amener, et
Vehiatua,
quelques
il n'eut de cesse de le faire jusqu’a obtenir satisfaction; le capitaine Ytari,
maitre de la maison oil les charpentiers avaient travaiOe au precedent
de ces jours, de
voyage, y a beaucoup participe egalement; en effet, un
la
il
dit
venant
a
que les Indiens lui
fregate,
Taiarapu il est venu a. En
que Pautu disait
et
a
bord,
avec
autres connaissances
93
E-jjpE Julietta de la Jociele des Slades Qceanieaaes
avaient raconte
ce
qui
s’etait passe. Mais il n’en fit nullement
cas
; il vint
plusieurs petites choses qu’il avait apportees avec ses connaissances, et par l’intermediaire de l’interprete il fit
savoir au Commandant que (f.45v) que Vehiatua n’etait pas son ami,
puisqu’il l’avait fait appeler plusieurs fois et qu’il n’avait pas voulu venir,
parce que Pautu lui avait dit qu’il voulait le tuer. Et e’est ainsi que Ytari
a
bord
commenga a distribuer
et
famille tacha de rencontrer Vehiatua pour lui dire combien Xarii
de la fregate etait fache du fait qu’il ne venait pas le voir, alors qu’ils
avec sa
1’avaient
largement regale et qu’ils ne lui avaient fait aucun mal,
ni
a ses
serviteurs; il (Vehiatua) lui promit que le lendemain il viendrait sans faute
et e’est ainsi qu’il accomplit sa promesse. Ledit Ytari fit part au Commandant de la reponse que Vehiatua avait fait transmettre par
teurs, cet
un
de
ses
servi-
apres-midi-la.
jours-ci on a peu travaille sur la maison des Peres parce qu’il n’y
avait pas d’Indiens a disposition pour nous aider; on a demande a Vehiatua pour quelle raison il ne donnait pas a ses Indiens l’ordre de nous
aider, sinon la maison resterait toujours a batir et les Peres retoumeraient
a Lima; il en ressentit de la peine car il ne voulait pas que les peres s’en
allassent, et alors, en personne, il se rendit a terre et donna l’ordre a tous
les Indiens qu’il rencontrait, d’aider pour tout travail.
(f.46) Le 30 dudit mois, on descendit a terre les vivres des Peres avec
toutes leurs affaires, prenant ainsi possession de la maison ; cette nuit-la
fut la premiere ou iis dormirent a terre et la troupe qui s’y trouvait en facCes
tion,
se
retira.
Le l
er
janvier 1775,
a
cinq heures
du matin
un
garde se rendit a terre
quatre hommes pour aider les Peres a s’installer confortablement et
pour ranger leurs affaires. A sept heures et demie, pour je ne sais quel motif,
avec
conseil de guerre. A neuf heures la
troupe avec quinze hommes de plus se rendit a terre, tous armes, pour s’y
rassembler et faire feu a l’arrivee de la tres sainte Croix. A neuf et demie, elle
le commandant reunit
ses
officiers
en
fut benite, debarquee dans le canot, accompagnee par les deux aumoniers
et tous les officiers de guerre qui la transportaient avec toute la grande veneration et le
94
respect qui
se
doit,
et
des
qu’elle arriva,
la troupe tira
une
N°326/327-Aout/Decembre
premiere salve
arrivant
la
a
;
2012
procession se forma tout en chantant le Te Deum. En
des Peres, on commenca a celebrer le saint sacrifice de
une
la maison
F elevation de
Fhostie, on tira la deuxieme decharge, et au
moment de la poser a l’endroit designe a cet effet, (f.46v) on tira la troisieme
decharge, en saluant Vive leRoi en meme temps que de la fregate on tirait
vingt-et-un coups de canon. Cette ceremonie provoqua un tres grand etonnement chez les Indiens car un grand nombre d’entre eux se jeterent a l’eau
et d’autres prirent la fuite precipitamment; tous les notres etaient occupes
a leur dire de ne pas s’en aller, qu’on ne leur faisait aucun mal, car cela etait
un
geiba [heiva\ de Lima, qui veut dire danse. Tout te monde revint pour
assister a la representation et a onze heures, tout te monde revint a bord
ainsi que Varii Titorea qui, revenant de Papara, tout juste gueri d’un grand
catarrhe qui avait affecte toute sa famille, arrivait au moment de la ceremonie
et on leur avait dit d’y assister et de revenir ensuite.
A cette representation les arii etaient absents car ils s’etaient rendus
a d’autres festivites qui avaient lieu dans te district appele Vaiaotea, afin
de rendre toutes les civilites a certaines personnes de rang qui etaient
venues de Orayatea [Raiatea] pour se distraire et voir File.
messe
On
;
a
a
donne
a ce
district te
nom
de Santa Cruz de Tatutira.
nuit-la, il y eut un gros grain comme il y en a beaucoup ces joursForage passe, (f.47) on effectua la ronde de nuit comme d’habitude; et soudain, on vit deux hommes sauter dans l’eau, et aussi vite qu’ils
purent, ils prirent les petites embarcations; on reussit a les rattraper non
sans grandes difficultes; c’etaient les Indiens; on les fit monter sur te gail24
lard, on fixa a leurs pieds le cep attacha leurs mains, et a peine deux
Cette
ci et
une
fois
,
heures apres ils les avaient liberees eux-memes. Le lendemain a neuf heures
et demie, on les chatia sur te canon, leur faisant demander par l’interprete
quelle etait leur intention; ils repondirent que c’etait pour voter les cadenas
des tables de gamison, qui n’etaient pas rondes mais plutot plaquees; et
comme ils affectionnent tellement tout fer aplati, ils pensaient pouvoir les
arracher. Ils apprecient beaucoup ces fers avec lesquels ils fabriquent de
24
Cep: terme de marine signifiant le jas d'une ancre et par extension un lien. (Note S.E.O.)
95
d&u//eiin
c/c /a
Jocietc
de&
&tude& 6tcea/ucn/ie&
'
petites haches fort bien faites, ainsi que les cerceaux en metal des tonneaux,
plus grossiers et plus larges; par contre pour le couteau ils lie lui accordent
qu’une valeur de quatre sous. Pour effectuer cette punition, on fit appeler
Taitoa et on lui en dit la raison; il repondit que s’il est de la volonte du commandant de les chatier comme il le voulait, et que s’il souhaitait les noyer,
qu’il le fasse. Voici leur fagon de punir lorsqu’ils attrapent un voleur: ils les
emmenent en pirogue, pieds et mains attaches a une pierre et ils les jettent
a l’eau. Je n’ai pas vu le faire mais c’est eux
qui le decrivent ainsi; la punition
Titorea
et
sa
femme arriverent pour voir les voleurs, car les Indiens
achevee,
le leur avaient dit
a
terre. Ce dernier des
qu’il les vit et hit informe
des cir-
Constances, les poussa meme a terre avec une rame et leur fit mal. Le commandant ordonna de les renvoyer a terre, mais la mere de Vehiatua n’etait
d’accord, elle preferait les faire tuer; on lui repondit alors qu’ils avaient
sufflsamment punis, et a onze heures, ils se rendirent a terre. Ce jour-la
on guinda les mats et on hissa les grandes
vergues.
Le 4 janvier, arriverent a bord les am qui revenaient des representapas
ete
tions de Vaiaotea.
Le 6 dudit
mois,
on
la pointe N.O. une quantite de
arrivant des terres de Otu pour apporter a ce
vit arriver
a
pirogues, cent-trente-cinq,
dernier de la nourriture ; parmi ces pirogues, il y avait environ soixante,
tres grandes, avec deux voiles (f.48); les autres etaient de taille moyenne;
des qu’elles echouerent sur le rivage, il s’eleva un grand vacarme, car au
moment du debarquement de la nourriture, ceux qui se trouvent a terre
ont pour habitude de s’en emparer. le arii Hinoi voyant qu’il n’y avait pas
moyen de l’empecher et qu’ils voulaient tout prendre, en avisa l’interprete
qui est son grand ami; celui-ci se rendit sur la plage et poussant des cris
tout en donnant des coups de baton et de sabre, parvint a les calmer ; et
c’est pour cette raison qu’ils n’ont plus recommence ; ainsi lorsqu’arrivaient quelques pirogues, ils appelaient ledit interprete, et aucun n’osait
plus prendre quoi que ce soit.
Le 7 dudit mois, on mit a la voile et a onze heures et demie, on goupour aller en reconnaissance de Raiatea; notre depart hit quelque
chose de tres sensible pour les Indiens, car beaucoup pleuraient; nous
verna
embarquames 1’indien Barbarua avec nous comme familier de cette ile et
96
N°326/327-Aout/Decembre
2012
apprecie par les naturels, ainsi que deux autres Indiens qui
s’etaient caches, et qui se sont manifesto alors que nous etions a environ
dix a douze lieues. L’un etait serviteur de Otu, l’autre (f.48v) de Vehiatua.
sujet
tres
Le matin du
apergumes la terre bien rase au N.N.E., celle-la
Teturoa [Tetiaroa] 25 dit Barbarua, elle est tres fertile, et c’est la
s’appelle
que Ton
8,
nous
,
fabrique
les nattes fines ; pour
nous
elle
s’appelle Los
Tres Her-
[...].
memos
Le 26
a
quatre heures de l’apres-midi
mourut notre
Commandant
Domingo de Boenechea : Que Dieu le garde dans son repos eternel», assiste des Peres missionnaires; (f.57) des qu’il expira, on hissa a
l’avant et a l’arriere du navire, le drapeau en beme.
A six heures et demie du lendemain, on dit une messe basse et on
Don
«
pour rendre les honneurs funebres. A huit heures
arriverent de terre les Peres missionnaires; on celebra la vigile et la messe
prepara la troupe
armee
devant le corps du debint sous les salves drees par la troupe. A neuf heures
et quart, on embarqua dans le canot le cadavre accompagne de tous les
officiers et des pedtes embarcations de la fregate et du Jupiter ; des que
le canot fut largue, on dra sept coups de canon ; au moment ou il arriva
a
terre,
on se
mit
le passage, la troupe fit une premiere decharge et
moment de la sepulture qui se trouve devant la mai-
sur
une
autre encore au
son
des Peres. Les funerailles
cela avait
cause une
tres
achevees,
nous nous
retirames
grande confusion chez les Indiens,
bord; tout
plus encore
a
et
apres-midi-la je me trouvai a terre, et des la nouvelle du
deces, celle-ci se repandit chez tous les Indiens; ils en etaient si affliges
qu’ils ne parlaient meme plus, demandant de quoi il etait decede. A six
la mort,
car
cet
heures de la soiree
Le 28 dudit
nous
samedi,
levames la pedte
nous
ancre.
commengames
a
medre a
la voile ; il
man-
quait deux mousses appeles Manuel Montoro et Bias de la Candelaria, que
(f.57v) le commandant Don Thomas Gayangos ordonna de rechercher ;
un sergent avec l’interprete partit en canot et Varii Titora dans ses
pirogues vers le port de la Virgen ou ils les avaient retrouves endormis. A
25
Teturoa
a
represente
evolue en Tetiaroa en raison de la coutume du
un
arii important de cette
pi'i et du caractere devenu sacre de la syllabe -tu.qui
periode.
97
m bulletin da fa Societa cfes Stucfea 0cea/iieane&
heures et trois quarts, on fit toutes les manoeuvres pour 1’appareiUage
vue du retour a EL Callao, notre port de destination finale ; jusqu’au 31
onze
en
la vue de Tahiti et de la colline de San
Cristobal, car
les vents etaient faibles. Ces naturels en venant faire leurs adieux, montrerent une tres grande peine, beaucoup etait en pleurs, plus encore que
lorsque nous etions partis pour Raiatea, mais ceux qui le montraient le
plus, furent la mere de Otu et Taitoa.
Le jour meme de la veillee funebre les deux arii se trouvaient a bord
et le commandant dit a Vehiatua que, en tant que Seigneur de Santa Cruz
de Fatutira, il veille bien a ce que les Peres ne subissent aucun mal de la
part des Indiens; car sinon, lorsqu’il reviendra, il le ferait pendre sur le
nous
etions
encore a
champ et mettrait le feu a toute Tile sans laisser aucun survivant; il lui
repondit de ne rien craindre, et qu’en tout premier lieu ils ne manqueraient
nufiement de poisson, chaque jour, puisqu’ils en pechaient dans File; des
abondance,; les Indiens ne leur feraient
aucun mal car lui, les surveillerait; (f.58) mais, si jamais ils etaient en
guerre, et que les ennemis pouvaient leur faire plus de mal, il n’etait en rien
fruits ils
autres
en
responsable
et
subis;
point,
sur ce
auraient
en
n’allait pas en payer les dommages qu’ils auraient
on lui fit comprendre qu’il avait raison.
qu’il
Est-ce pour cette raison que ce garcon se nomme Barbare car il n’est
pas des plus habiles ni des plus experts. Il doit avoir environ vingt-deux
ans, il est bien
figure
blond,
; c’est seulement
des levres noires, tres corpulent, de bonne
notre arrivee que nous l’avions trouve tres laid,
avec
a
completement aifecte d’une maladie comme la lepre, a cause
de la boisson avec laquelle ils s’enivrent; et les officiers, en sachant la raison, commencerent a le reprimander et sont parvenus a Ten defaire com26
pletement et a notre depart 0 etait bien
mais il etait
.
[... ] fin du Journal de JPA.
26
Sur la route de leur retour a Lima,
vers
le 5 fevrier 1775, les
Espagnols decouvrent Raivavae. Ils mouillent a
Lima le 8 avril 1775. Le voyage aura dure 6 mois et 21 jours. Au bilan, deux morts, et deux blesses retablis. Quatre
jours apres arrive le Jupiter, qui a embarque deux indiens: un de Raiatea, et I'autre de Otu, qui mourut de la
petite verole au
Raiatea,
98
et
fregate ont emmene Barbarua, frere de la mere du arii Otu et natif de
pilote experiments de toutes les lies situees a I'est de Tahiti.
mois de mai. Ceux de la
I'autre s'appelle Puhoro,
N°326/327-Aout/Decembre
2012
BIBLIOGRAPHIE
Documents de reference:
Copies de
manuscrits deposes au Musee Naval de Madrid (MNM), a la Bibliotheque Universitaire de Seville
(BUS), et a la Bibliotheque Nationale de Santiago de Chile (BNSC).
1 "Estracto del diario de
-
vijae que acaba de hazer Juan Pantoja y Arriaga en la Fragata de S.M.
Magdalena, alias el Aguila, de las yslas nuevamente descubiertas por
el Capitan de esta dase Don Domingo de Boenecheam habiendo dejado en la de Amat dos renombrada Santa Marla
ligiosos de la Serafica Orden de San Francisco de Asis, el ynterprete Maximom un grumete para
que sirva a los Padres, los dos yndios que tregeron a Lima en la dicha fragata el ano 1772, una
de madera y vlveres para un ano.. ."(MNM- BUS);
viaje hecho a la isla de Amat i sus adyacentes, de orden del Excmo, sefior don
Manuel de Amat i Junient, caballero del orden de San Juan i de real de San Jenaro, del consejo
casa
2 -"Relacion del
de S.M.
su gentilhombre de camara con entrada, teniente
jeneral de los reales ejercitos, virrei,
gobernador i capitan jeneral de los reinos del Peru."(BNSC).
Bibliographie breve:
O'SCALAN, Timoteo: Diccionario marltimo espanol, Museo Naval de Madrid, 1974.
RODRIGUEZ, Maximo: Les Espagnols a Tahiti, Societe des Oceanistes, n° 45, Musee de I'Homme, Paris, 1995,
229p., traduction frangaise de "Espanoles en Tahiti", Cronicas de America 69, Historia 16.
TUMAHAI, Liou:
a. « Retour aux sources espagnoles», BSEO n° 284, fevrier 2000, pp. 3-15;
b. «Etat de la
langue tahitienne entendu en 1772... d'apres un dictionnaire espagnol recueilli a
la fin du XVIIIe siecle », BSEO n° 294, septembre 2002, pp.2-72;
c. «Tour de Hie en chaloupe espagnole, en cinq jours, a la force des rames,
BSEO n° 312, avril 2008, pp. 94-106.
en
decembre 1772»,
99
Le voyage aux lies l\iamotu
de la Victorieuse en 1880
te tere i te
mau
fenua
tuamotu
Lorsque les grands explorateurs de la fin du siecle dernier visitaient
1
nos parages et reconnaissaient les lies de la Societe, ils s’eloignaient toujours avec une certaine crainte de cet archipel aux lies basses, d’une
conformation tout-a-fait
speciale,
et
dont l’etroite bande de terre
ne se
lais-
apercevoir qu’a une tres-faible distance. C’etait l’archipel des lies Iliamotu qui conserve encore le nom d’lles Basses ou d’Archipel Dangereux,
que les navires evitent soigneusement et ne traversent que lorsque leur
sait
destination les y
oblige.
Aujourd’hui cependant,
Fakarava, qui fait partie de ce groupe,
vient de recevoir pour la premiere fois dans les eaux de son lagon interieur la visite de 1’un des plus puissants navires de guerre qui aient jamais
2
parcouru l’Ocean Pacifique ; et, d’un autre cote, le village de Rotoava a
ete pendant 3 jours le theatre d’une reunion des plus nombreuses et des
plus rares pour les habitants de ces lies, disseminees sur une etendue de
plus de 300 lieues de superficie.
'
Me de
Article repris du Messagerde Tahiti du vendredi 3
septembre 1880. Supplement au n° 36 pp. 189-191.
puissant cuirasse vient de Valparaiso: il a participe a la pacification des lies Marquises (1“ juin -30
juin 1880) et, retournant a sa base, la Station navale du Pacifique, protegera quelques mois plus tard, en janvier
1881, la population et les refugies de Lima a la fin de la guerre du Pacifique qui oppose le Perou au Chili. R.K.
2
En fait,
ce
Victoreus
La
bulletin
dv la
Society dev Stade& &ceanicnnes
portant le pavilion de M. le contre-amiral
Le cuirasse la Victorieuse
Petit-Thouars, partit de Papeete le lundi 23 aout pour Fakarava, ile
est etablie la Residence depuis le cyclone qui passa sur les Tuamotu en
B. Du
ou
fevrier 1878. II y avait a bord: le Roi Pomare V, accompagne de ses deux
freres, les princes Tamatoa et Taaroarii, M. le Commandant Commissaire
de la
qui
seize chefs de
Republique,
district,
et un certain
nombre
d’indigenes
avaient demande passage. La traversee fut
penible ; le vent soufflait
houleuse pour imprimer a la fregate,
force S.E., et la mer etait assez
ordinairement si tranquille, des mouvements de tangage et de roulis qui,
quoique lents, ne manquerent pas de produire leur effet habituel sur
avec
quelques passagers mal aguerris.
midi, Ton se trouva par le travers de Pile Niau, et
quelque temps apres on put apercevoir la cote, ou plutot les cocotiers de
Fakarava, dont la vue seule calma les souffrances des malheureux eprouves. Un drapeau frangais flottait au sommet d’un mat plante sur le recif,
indiquant la passe dans laquelle s’engagea la Victorieuse vers cinq heures
du soir. C’est alors que Ton put distinguer, a six milles de la, disparaissant
au mibeu des arbres, l’aviso le Chasseur, commandant Fleuriais, qui etait
arrive deux jours avant des lies Marquises pour etudier et preparer la
route a son puissant chef de File. Aussi, des qu’il 1’apercut, s’avanga-t-il
au-devant de lui, semblant lui indiquer son chemin. Mais la nuit qui survint
ne permit pas de gagner le mouillage de Rotoava, et la Victorieuse s’arreta
en dedans du recif, a quelques encablures de la roche Punio, situee vis-aLe mardi
vers
vis de la passe.
Le
et
lendemain,
la Victorieuse
etonnee de
,
a
l’appareillage fut donne,
Chasseur, suivit docilement son guide,
6 h. du matin, le
precedee
du
de
signal
fendre pour la premiere fois les eaux d’un lac sale. Au-devant
une flottille de petits batiments aux voiles blanches, cotres
d’elle s’avanga
et
que la violence du vent inclinait gracieusement sur l’eau, et
leur permettait non seulement de lutter de vitesse avec le puissant cui-
goelettes,
qui
rasse, mais
encore
A 8 h. du
proximite
de tracer autour de lui les circuits les
matin, l’ancre fut de
du wharf
en
corail,
plus capricieux.
jetee devant la Residence, a
d’une
population
a
flottaient,
laquelle
repetees l’infini, les
couvert
curieuse et etonnee, au-dessus de
102
nouveau
en ce
moment
N°326/327-Aout/Decembre 2012
couleurs nationales de la France. A 1’entree du mole etait dresse
un arc-
de-triomphe dont les montants disparaissaient sous du feuillage et meme
de la verdure, chose si rare dans cette contree si aride.
Le resident, M. de Keroman, vint a bord saluer l’Amiral et le Commandant et leur donner connaissance du programme des rejouissances.
«Toute la population vous attend sur le quai, dit-il, heureuse de saluer
en vous
les deux
plus grands representants de la France en
Oceanie.»
effet, le Roi, entoure de ses freres, l’Amiral et le Commandant,
accompagnes de la plupart des offlciers de la Victorieuse et du Chasseur,
tous en grande tenue, descendirent a terre, et furent obliges
pour se renEn
dre
a
la Residence de traverser deux
revetus
des costumes les
affronte
un
(6 districts)
Apataki
qui
voyage de
semaines pour venir assister
lie Anaa
aux
repondu a l’appel du Resident
plusieurs jours et meme de plusieurs
fetes de Rotoava:
319 personnes
36
19
Raroia
52
Faaite
44
Takapoto
6l
Anitua
17
Tetamanu
23
4
Manihi
22
Katiu
21
Niau
55
Kaukura
54
Makemo
10
Taenga
16
Hao
22
Fakarava
sexes
avaient
Rangiroa
Takaroa
des deux
plus bizarres.
Void la bste des districts
et avaient
bgnes d’indigenes
130
Total: 905 personnes
103
bulletin d& la tfocielv des $£ude& Ocean
Chaque district avait dans son habillement ses couleurs particulieres
et ses marques distinctives; les habitants d’Anaa se faisaient principalement remarquer par la richesse et l’originakte de leurs costumes. Ainsi on
voyait des femmes en petite jupe bleue serree a la taille, en caraco rouge
et la tete couverte d’un diademe en fer-blanc travaille et imitant a s’y
meprendre des fleurs namrebes; chez d’autres, les jupes etaient jaunes
ou bariolees, les casaques de meme couleur ; d’autres encore portaient
des vetements dont les dessins inimitables pretaient a la plus grande confusion et ajoutaient a la vue un charme de plus. Apres information, on apprit
que ces femmes ainsi habdlees, et dont les bas blancs font croire a un
maillot, forment des corps de ballet appartenant a differents theatres, installes sur plusieurs points du vibage. Les hommes avaient cherche a imiter
des costumes mibtaires; le shako bleu et le chapeau a claque rouge attiraient particulierement les regards, a la grande joie des proprietaries qui
aimaient a etaler ainsi leur luxe. Mais dans tout cela, ce qui faisait encore
le plus de plaisir, c’etait la prodigalite des drapeaux frangais flottant au
mbieu de cette multitude, et 1’entrain avec lequel ceux qui en etaient porteurs les agitaient, afin de bien montrer la joie interieure que leur avait
la reunion definitive de leur pays a la France.
Tous les districts defderent successivement devant le
cause
bours et
Resident,
tarn-
drapeaux
long discours au nom
d’Otepipi, district de File Anaa, fit un
de tous les habitants de l’archipel reunis, souhaitant
la bienvenue
a
en
Roi,
au
tete. Le chef
1’Amiral et
au
Commandant Commissaire de la
Republique.
L’Amiral y
mieux monter
le
Pacifique,
position
etre
:
repondit en quelques mots, et termina en disant que pour
le plus puissant batiment de guerre en ce moment dans
sur
il leur ofifrait de venir le visiter; tout
bs n’auraient
qu’a exprimer leur
a
bord serait
a
leur dis-
curiosite et leurs desirs pour
immediatement satisfaits.
de cette journee si bien commencee devait etre consades jeux divers; mais la force du vent, qui soulevait
regates
les hots bleus du lagon, empecha les batiments de jouter. L’Amiral envoya
L’apres-midi
cree aux
et a
la musique de la Victorieuse a terre, et descendit bientot lui-meme avec
M. le Commandant Commissaire de la Republique. Les habitants de
104
N°326/327-Aout/Decembre
2012
differents districts
se presenterent alors a tour de role devant
eux, ainsi
devant
tous
les
offlciers
reunis
sous
la
verandah
de
la
que
Residence, pour
chanter les himene les plus varies et executer les danses les plus originales que Ton puisse voir, danses tres renommees dans ces lies, dont elles
sont
la seule distraction.
Le soir il y avait
representation theatrale donnee par les habitants du
district d’Otepipi (ile Anaa). Ce theatre etait ce qu’il peut etre chez ce peupie naif et enfant, mais il n’en etait pas moins pour les Europeens une
chose nouvelle et curieuse : les himene, les danses indigenes, des especes
de pantomimes oil des animaux etaient grossierement representes, des
compliments a l’adresse du Roi, du Commandant et de 1’Amiral, des chants
sur l’hospitalite offerte par les enfants
d’Otepipi, formaient le fonds de
cette representation, qui dura plus de deux heures et dont les assistants se
retirerent enchantes.
Le
jeudi
matin hit
chefs Tliamotii reunis
a
repos et au travail. A 11 h. tous les
rendaient a bord de la Victorieuse, ou
consacre au
Rotoava,
se
dejeuner des plus copieux leur etait prepare dans la tourelle. A babord
et a tribord, entre les gros canons de 24, des tables avaient ete dressees,
ou chacun hit appele a prendre place. Au commencement du
repas, a
un
peine les chefs sont-ils assis, que l’Amiral et le Commandant, accompagnes
de quelques habitants notables des Tuamotu, viennent les visiter et s’assurer
que les ordres donnes
a
leur
egard
sont
bien executes. L’Amiral leur
fait repeter par l’interprete combien 0 est heureux de les voir
qu’il met a leur entiere et complete disposition.
Comme gage de leur soumission et de leur
ils offrent
ral et
avec
au
joie
bord,
sympathie pour la France,
titre de
present au Roi, a l’AmiCommandant Commissaire de la Republique, qui les accepterent
quelques
nattes
a
et reconnaissance.
A 1 h. de
l’apres-midi,
seur amenerent a
La
bien travaillees
a son
musique
tous
les canots de la Victorieuse et du Chas-
bord de la fregate la plus
recut l’ordre de
jouer,
grande pailie de la population.
et ces pauvres
habitants
se
presserent
emerveilles autour des musiciens pour ne rien perdre de ces accords
completement inconnus sur leurs recifs, oil n’avaient jamais resonne
jusqu’alors
que le tambour et le tam-tam.
105
Le branle-bas de combat
qui
purent reprimer un sentiment de
suivit
les etonna pas moins, et ils ne
lorsque le canon, dont la voix est
ne
frayeur
projectiles sur un
puissante a bord, langa
large, a 500 metres de distance.
si
ses
A 3 h. les
1
-
regates commencerent; elles
Course
l
a
er
prix
prix
3 prix
2
-
se
but
place
a
effet,
cet
divisaient en deux
au
courses:
la voile par des batiments au-dessus de 6 tonneaux:
100 fr.
2e
50
e
30
la voile par des batiments de 6 tonneaux et
au-dessous:
Course
l er
2
e
a
100 fr.
prix
prix
50
Six batiments etaient inscrits pour la premiere
course et
partirent au
signal donne par le canon de la Victorieuse.
Nous publions ici les noms des vainqueurs:
1
-
Cotre Matarii de 8 tonneaux, appartenant
,
l
2
-
a
l’indigene Marere,
a
l’indigene Kehega-
er
d’Arutua,
prix.
Cotre Apataki, de 8 tonneaux, appartenant
toro, d’Apataki, 2 prix.
e
3
-
Goelette Tou Haama, de 13 tonneaux, appartenant
a
M.
Hawkins,
e
de Papeete, 3 prix.
Cinq batiments etaient inscrits pour la deuxieme course, et les deux
prix furent remportes par:
er
1 Cotre Mamu Noa, de 5 tonneaux, patron Rua, de Faaite, l prix.
-
2
-
Le
Cotre
Tehoro, de 6 tonneaux, patron Nui, de Papeete,
lendemain, vendredi 27 aout, devait avoir lieu, vers
2
e
prix.
2 h. de
l’apres-
midi, une course d’ensemble entre les differents batiments ayant concouru
la veille, mais le calme qui regnait sur le lagon ne permit pas a tous les
navires d’y prendre part, et les prix furent repartis a titre d’encouragement
entre les patrons qui avaient deja pris leurs dispositions pour ce concours
d’honneur.
106
N°326/327-Aout/Decembre
2012
Parmi les choses
qui frapperent principalement d’etonnement ce peupie primitif, il ne faut pas oublier la lumiere electrique qui, pendant trois
soirs, vint jeter ses rayons magiques sur ces plages de sable et se jouer
dans le feuillage des cocotiers, dont les troncs projetaient leurs longues
ombres sur toute la largeur du recif. Etonnes, surpris, les indigenes admiraient un moment, et reprenaient ensuite leurs danses interrompues, dans
lesquelles le tambour et le tam-tam jouent un si grand role.
Tout ce temps passe en fete ne fut pas cependant completement
perdu.
M. le Commandant Commissaire de la
Republique
fut
en
relation
s’enquit de leurs besoins,
se fit rendre compte de leurs travaux au point de vue du commerce, des
plantations de cocotiers et de la peche des nacres dans differents lagons;
constante avec tous
les chefs reunis
a
Rotoava. Il
fit renseigner sur leurs moyens de communication entre eux et entre
les lies de ce vaste archipel, ainsi que sur l’ecoulement de leurs produits;
il leur donna a tous des conseils, et leur promit de venir de nouveau les
il
se
visiter dans
un
connaissance de
temps peu eloigne, afin de pouvoir donner
cause
le
en
toute
Tindustrie
plus grand developpement possible
possedent au fond
a
recifs habites, dont Taspect est si triste, mais qui
des tresors incalculables.
de
ces
appareilla des 6 heures du matin
lagon, precedee du Chasseur, qui ne s’en separa
qu’au dehors de la passe pour aller visiter d’autres lies de cet archipel,
dont Thydrographie est encore si peu connue.
Le samedi 28 aout, la Victorieuse
et traversa
de
nouveau
le
La traversee de retour fut
gaie
et courte.
Mais, il faut l’avouer,
ce
hit
secret plaisir que Ton revit les riantes vallees de Tahiti, qui, pour
habitant des lies Tuamotu particulierement, doivent etre regardees
avec un
un
comme un
veritable
paradis.
Le
Messager de Tahiti
1880
107
poste maritime dans
La
les Etablissements trancais
de l’Oceanie
1
Si le courrier flit
plutot
reduit durant les
annees
«missionnaires»
allant de 1’arrivee des premiers Europeens (1767) jusqu’a l’installation du
protectorat de la France sur Tahiti (1842), les contacts se firent de plus
plus nombreux, tant avec l’Europe qu’avec les Ameriques et l’Australie
des que les negotiants en tous genres se furent installes dans la colonie.
II est en effet reconnu qu’a l’epoque des grandes colonisations, les
prises de possessions etaient generalement et en premier lieu suivies par
l’arrivee de missionnaires de toutes confessions, laquelle entrainait irremediablement celles d’aventuriers et de negotiants. Les E.F.O. n’ont pas
deroge a la regie et Papeete se couvrit rapidement d’echoppes dont les
en
des proprietaries n’avaient aucune consonance tahitienne... Tahiti
devint en quelques annees le centre du Pacifique, veritable plaque tournoms
nante
ou
du
commerce
toutes
droit
ou
international. Ce fut d’ailleurs Fun des pays du monde
cours et Ton pretend meme que ce hit l’en-
les monnaies avaient
les
pieces d’or furent les plus nombreuses par rapport au nombre
(?).
de commergants
Ce texte a paru dans la
revue
Timbre magazine de juillet-aout 2002, pp. 76-80.
Tropic Bird etait un grand trois mats goelette de 368 tonneaux qui assura a partir de 1883 et durant
de longues annees une liaison reguliere entre San Francisco et Tahiti via Taiohae, aux lies Marquises.
Le voyage durait de 28 a 34 jours avec une dizaine de jours d'arret a chaque escale. Bien que moins
Le
regulierement, quatre autres navires americains semblables font la meme ligne en 1897, le City of
Papeete, le Norma, le Falcon et le Galilee. Ils sont, au depart de San Francisco, charges des produits les
plus divers et de quelques produits polynesiens au retour (agrumes, noix de coco, nacre, vanille etc.)
«Le voilier americain Tropic Bird, charge du transport de la correspondance et des passagers, fera
route pour San Francisco le lundi 15 fevrier courant. Les sacs postaux seront fermes le meme jour a
10heuresdu matin...»
(bulletin
Societa des &Uidas Ocean
da !a
Quoiqu’il en soit, les plus entreprenants des colons etaient surs de
reussir et d’importantes fortunes se creerent des le debut. Le courrier qui
s echangeait alors n’avait rien de «philatelique» ni de tres romantique et
il etait avant tout question de «gros sous”
(meme chez les
mission-
naires!).
Beslu
C.
Colection
Maunganui, Union Royal Mail Line entre 1923 et 1936,
Francisco-Tahiti-Rarotonga-Wellington-Sydney
Lettre postee le 6 novembre 1935 avec un petit plus, le timbre de I'abbe Rougier de llle de Christmas...
RMS
San
Courrier et
vees et
des
commerce
departs
etaient bien evidemment tributaires des arri-
des navires et il etait
important de
se
tenir constant-
des mouvements de ceux-ci. Parmi les premieres societes
la Maison Laharrague se montra particulierement active. Il
ment au courant
implantees,
s’agissait d’un negoce de foumitures maritimes,
ce
qui
recouvrait evidem-
large eventail de marchandises. La Maison mere se trouvait a Valparaiso qui etait a l’epoque le principal port de relache pour les bateaux
ment un
de Taliiti par le cap Horn et il etait interessant de posseder des filiales tant a Taliiti qu’a Bordeaux, ce que firent les Laharrague,
pere et fils.
allant
110
ou revenant
N°326/327-Aout/Decembre
2012
Beslu
C.
Colection
I, Neptunus Rex, King of the Seas, Son of
Saturn and Ops, send Greetings from the
Equator, Certifying that the R.M.S. Makura
passed over this Line at Long. 142.12 West,
Lat. 00.00 this day as postmarked.
ft-©-*
C-A
C/O
RMS Makura, Ship Company of New Zealand Ltd, entre 1908 et 1936,
Sydney-Auckland-Suva-Honolulu-Vancouver puis Sydney-Wellington-Rarotonga-Papeete-San Francisco
(timbre du dernier jour)
Jean-Baptiste tient done le comptoir de Papeete ou ses deux freres
viennent Pepauler de temps a autre (et creer d’autres commerces!). Ce
devait etre
dans les
un
homme instruit et meticuleux. Aucune faute
plis qui
nous
sont parvenus: et sur
les
d’orthographe
enveloppes de son abon-
dant courrier, les timbres sont soigneusement colies et surtout les batiments transporteurs sont nommement designes en faisant Partisan le plus
fructueux de la
philatelie maritime des E.F.O.
Les voiliers affectes
bord,
ni de marques
au
courrier n’avaient pas de bureaux postaux
postales,
ni
meme
de cachets nominatifs. Difficile
done de reperer les batiments transporteurs, si
tions
manuscrites,
en
a
principe obligatoires,
ce
n’est par les
designa-
mais bien souvent omises par
doute par manque de renseignements precis.
Ce n’est pas le cas des enveloppes Laharrague dont la plupart porte
thematiste » qu’a se
ainsi le nom du bateau postal. Il ne reste done au
les
expediteurs,
sans
«
mettre a
la recherche de documentation concemant le batiment
en
(caracteristiques techniques, ligne effectuee, photos, dessins,
capitaine etc.).
tion
quesage du
Ill
bulletin
dc la
Joc/ete dcx Sf/rde.t Ocean
II est bien evident que, pour qui connait un peu l’histoire du pays, ces
recherches ne peuvent aboutir qu’a un savoir encore plus etendu que la
la realisation d’un album veritablement
documentaire, depasde
timbres.
collection
simple
largement
La legende veut, par exemple, que les navires de guerre ne se chargeaient generalement pas de courrier ; certaines mentions manuscrites
prouvent qu’il y eut quand meme quelques exceptions.
En 1894, une entreprise locale, d’origine allemande, la Societe commerciale de l’Oceanie, assure avec le vapeur Croix-du-Sud une hgne reguquestion
et a
la
sant
Here entre Tahiti et la Californie. La maison Tandonnet Freres de
Bordeaux, dont Laharrague est justement le representant a Tahiti, possede
quelques voiliers qui assurent a peu pres regulierement des liaisons entre
Tahiti et la metropole en passant par TAustralie et le canal de Suez, mais
ce sont principalement des navires americains qui font la navette en San
Francisco et Tahiti en passant par les Marquises ou la SCO a de nombreux
comptoirs.
La
marcophilie maritime change d’aspect avec les accords passes au
debut du XXe siecle par la compagnie neo-zelandaise Union Steam Ship
Company dont les steamers possedaient chacun leur propre bureau postal.
transports devient alors en grande partie philatelique et
Ton verra appai'aitre de part et d’autre de l’ocean des specialistes des obhterations maritimes tel le Sieur Leralle dont tous les amateurs possedent
au moins une enveloppe et sans lequel la collection manquerait singulieLe courrier
rement
de
»
«
saveur.
enveloppes affranchies en timbres
des E.F.O. sont cependant relativement plus rares que les lettres portant
des timbres des Etats-Unis d’Amerique ou de Nouvelle-Zelande et, la aussi,
Les marques de
ces
bateaux
sur
les recherches peuvent se reveler passionnantes et peut-etre
longer en veritable aventure.
meme se
pro-
Christian Beslu
112
Franciso-ThtRgWelSyd
San Beslu
1936,
et
1923
entre
Line
Mail
Royal
Union
RMSaung i,
C.
Colection
Les communications
interinsulaires et
a
Tahiti
au
en
long cours
1885
1
aujourd’hui entre Tahiti et
les autres lies composant les Etablissements frangais de l’Oceanie sont les
Les moyens de communication existant
suivants:
Huit fois par an,
-
un
batiment
a
voiles quitte le port de Papeete,
emportant la correspondance, les passagers et les marchandises a destination des lies Tbamotu et des lies Marquises. II touche successivement a
archipels, Fakarava et Taiohae et rentre a
Papeete environ 35 jours apres son depart;
L’ile de Moorea est desservie chaque semaine par le vapeur Eva,
la Residence de chacun de
ces
-
qui part tous les samedis matins, a 7 heures, de Papeete pour Papetoai, et
quitte ce dernier poste, le meme jour, a 3 heures du soir, pour effectuer
son retour au
chef-lieu ;
fait le transport de la correspondance, des passagers et des marchandises pour les groupes de Tubuai et
Raivavae, qu’elle visite six fois par an ;
-
Une
petite goelette de
commerce
Les autres groupes, les Gambier et Rapa n’ont pas de service regulier
etabli et ne sont desservis que par les navires du commerce qui visitent ces
-
archipels,
Tous
Cetexte
a
deux fois par an.
services sont subventionnes par la colonie.
et par
ces
paru
en
les navires de l’Etat
1885 dans I'Annuaire de Tahiti
une ou
(imprimerie du gouvernement).
N°326/327-Aout/Decerabre
Avec San Francisco
Un service
mensuel,
2012
(Califomie)
par trois navires a voiles, accomplissant
chacun quatre voyages par an, existe entre Tahiti et San Francisco pour le
transport de la correspondance, des passagers et des marchandises.
assure
departs de Tahiti s’effectuent du 12 au 15 de chaque mois ; ceux
de San Francisco le ler. Le budget local fait aux entrepreneurs de ce serLes
vice
subvention annuelle de 75,000 francs.
On a lieu d’esperer qu’une ligne a vapeur reliera
une
colonie
a
a
prochainement la
la Califomie. Diverses propositions sont soumises
en ce
moment
l’examen des conseils locaux.
Avec
Valparaiso
Communications accidentelles et
rares
par les navires de
commerce.
Avec l’Australie
Les communications
ne
sont pas
regulieres,
Deux fois par an,
en
moyenne, des batiments du commerce font avec l’Austrahe le trafic des
viandes conservees, qu’ils apportent a Tahiti avec d’autres produits, parmi
lesquels dominent le savon et le genievre.
Independamment de ces relations, le transport a vapeur de l’Etat qui, tous
les cinq mois, fait la traversee de Tahiti en Nouvelle-Caledonie, permet de dirlger la correspondance sur Sydney ou Melbourne par le steamer annexe des
Messageries Maritimes.
Les voyageurs
profitent generalement de cette voie.
Avec la Nouvelle-Zelande
Les relations existant entre Tahiti et la Nouvelle-Zelande sont entretenues
par
d’Auckland qui envoient leurs
trois fois par an, visiter l’archipel de Cook, les lies sous
quelques
navires, deux
ou
maisons de
commerce
-le-vent et Tahiti.
l’archipel de Cook
archipel, place sur la route de la Nouvelle-Zelande a Tahiti, profite
Avec
Cet
du trafic existant entre
ces
voyages touchent
a
deux points. Generalement les navires qui font
Rarotonga, Tile principale du groupe.
ces
115
bulletin
da fa
ifac/cle des fjtuden Oceanienne&
Avec les lies Sous-le-Vent
Les navires du
les lies
merce
commerce
sont seuls utilises pour les
echanges
avec
le vent, mais les rapports sont frequents en raison du comactif qui se fait entre ces iles et la colonie de Tahiti. Des batiments
sous
de l’Etat visitent aussi
iles.
ces
Fanning, Carolines et Gilbert
Les rapports de Tahiti avec ces archipels sont rares, et c’est a des
intervalles fort eloignes que des navires de commerce de la colonie, allant
a Taventure, y tentent quelques operations commerciales.
Precedemment les relations avec les iles Fanning etaient assez
constantes. On en tirait du guano, qui etait offer! aux navires du commerce
Avec les iles
rentrant sans
Ces
fret.
operations
ont cesse par suite
de
l’epuisement des mines de cette
localite.
Avec la France
La
correspondance
San Francisco par
sur
Californie
a
les passagers pour la France sont achemines
service regulier de navires a voiles qui relie la
et
un
Tahiti. De San Francisco
a
New-York, le
transit s’effectue
en
sept jours par les voies ferrees, et la traversee de l’Atlantique s’accompht dans un laps de temps qui varie de six a dix jours par les steamers
six
ou
de la Compagnie Generate
Transatlantique.
Depuis quelque temps, une nouvelle voie ferree a ete ouverte au
tran-
sit des passagers et des marchandises entre San Francisco et la Nouvelle-
Orleans. De cette derniere ville, les paquebots de la Compagnie
Commerciale Transatlantique se rendent a Bordeaux en dix ou douze
jours.
Tous les
cinq mois,
un
transport a vapeur de l’Etat met Tahiti
en com-
ligne frangaise vapeur des Messageries existant
depuis le ler janvier 1883 entre Sydney et Marseille et reliee a la NouvelleCaledonie par des batiments a vapeur annexes d’un moindre tonnage.
munication
avec
la
a
de communication par batiments frangais
entre Bordeaux et les colonies de la Nouvelle-Caledonie et de Tahiti avec
Enfin
116
une
ligne reguliere
N°326/327-Aout/Decembre 2012
escale
au
Gabon, adjugee le 19 septembre 1883
des Transports
Cette
ligne
a
a
la
Compagnie Generate
frangais, fonctionne depuis cette annee.
exploitee au moyen de deux batiments a vapeur regu-
vapeur
est
liers qui viennent tous deux toucher a Tahiti en passant a Noumea, et de
quatre navires a voiles parmi lesquels deux doivent, suivant les conditions
du contrat, venir dans la colonie par la voie du cap Horn.
L’Administration locale est saisie
en ce
moment
d’un projet de la mai-
son Ballande de Bordeaux pour l’etablissement d’un service a vapeur entre
la Nouvelle-Caledonie et Tahiti, qui ferait quatre ou six voyages par an et
serait
cornme un
Avec
prolongement de la hgne des Messageries Maritimes.
l’Angleterre
et
Hambourg
les ports anglais et Hambourg
sont ceux indiques a Tarticle 9 pour les relations etablies avec la France,
en ce qui concerne la correspondance et les passagers.
Les moyens de communication
Les marchandises
ment
avec
exportees de Tahiti
a
destination sont ordinaire-
chargees sur les navires etrangers qui approvisionnent la colonie.
Beslu
C.
Colection
Le Mariposa au Port de
Papeete, Tahiti
117
De Kaimiloa
a
‘O Tahiti Nui Freedom
Journal de bord : samedi
En
que
«
you
»
regardant
in her
-
own
et c’est
la
notre
ou
pensees
sur
ocean
il faut lire les
II est 05h00. Nous
mes
fragilite
time, the
11
septembre
2010
la distance de cet ocean, je me dis
will either accept you, or swallow
sur
signes.
sommes encore entoures
de
penombre.
Et fort de
les signes,
cier est different. La houle
j’entends que le bruit des vagues sur le balanne se brise plus sur le flotteur, mais passe par-
dessus celui-ci. Et encore, et encore. A-t-on pompe durant le quart
precedent ? Non ? Oublie ! Alors qu’un lourd nuage charge de pluie vient
l’equipage
s’affaire
abaisser la
grande voile, je me
deplace sur le balancier, ouvre le capot et horreur! Completement
inonde ! bouteilles d’eau, morceaux de carton mouilles, hamegon,
masque, palmes, le tout flottant dans une eau, au ras du ama.
La grande voile est affalee, on essaye de nous placer face au vent pour
attenuer la houle, mais impossible. Ce que Ton vide du flotteur (pompe a
main, sceau, mains...) est instantanement remplace par une puissante
vers
nous, et que
a
-
vague.
Par
miracle, le temps
calme, et vers 08h30, nous sommes parvenus a vider le balancier de son eau, qui a retrouve sa hauteur normale sur
la
se
mer.
Et le soleil
se
leve,
diffuse, au-dela des
un
immense
nuages. Merci
cercle, la-bas
a 1’architecte,
au
sa
lumiere
aux
Affaires
loin,
merci
FNuire dom KapeJean
Tahit Photo
V
9&u/fetiii
da /a
merci
maritimes,
<
a
foetele
des
Slades Ocean
Manutahi, Edgard,
Marama et Guns
qui
ont
respecti-
calcule puis installe la mousse de flottaison. Sans cet ensemble de
personnes, le voyage se serait arrete ici, exactement au Sud 10°32,
vement
Est
163°52.
la, juste cette realisation que nous n’avons pas besoin de grande
catastrophe pour couler! Pas de typhons, pas de grandes vagues... Mais,
comme toujours, les problemes sont positifs: ils surviennent pour prevenir d’un probleme a venir. Sur la pirogue, le changement de tempo est
etonnant: d’abord une priere pour chaque respiration, puis au prochain
moment, quand la tension retombe, le silence ou le rire. Puis, un instant
encore apres, la fatigue, qui est aussi le prix du courage.
Et un arc-en-ciel droit sur nous. Et la journee se passe. La grande
voile est relevee, puis abaissee pour un nouveau grain, puis renvoyee.
Douche sous la pluie, la premiere depuis deux mois, les cheveux sont propres! La peau sent bon !
On croque le poisson seche et sale, il reste un peu de patate douce,
Et
tout
le monde
Vers
repos. Petite vitesse, tout le monde est heureux!
15h00, un couple de petits oiseaux noirs au ventre
au
blanc,
l‘eau, sans doute a pecher les petits poissons volants. Ils
planent, et ce faisant, posent leurs pattes sur l’eau, peut-etre pour mieux
rebondir. Des centaines de photos, quelques unes seulement precises. Un
mahimahi est capture, depece par Fai: la peau est arrachee, la chair est
decoupee et la moitie est mangee immediatement, l’autre sera sechee.
La journee se termine, encore peut-etre deux heures de lumiere. Je
rampe dans ma couchette humide, recupere un panier en fibre vegetal
accroche sur une poutre au dessus de mes pieds, je l’ouvre, en sors un
sac
en
plastic, le deroule, et sors le precieux livre qui
m’accompagne depuis des annees : Fung Yulan,^ short History of
Chinese philosophy. Ah ! Quel delice!
voguant
au ras
de
Le debut de
1’expedition
grand-pere, passionne d’liistoire, d’archeologie, de botazoologie, affreta et equipa le Kaimiloa, un voider de 4 mats.
Mon arriere
nique
et
de
Le navire
120
quitta
Hawaii le 9 novembre
1924 pour
un
voyage
qui allait
ekaimloa
L
bulletin
ifociete- de.i Studes Oceaa/eaacA
de la
jusqu’en 1929 : Fanning, Christmas, Penrhyn, Malden, Tongareva, Tahiti, Moorea, Samoa, Nouvelle-Zelande... equipee que l’anthropologie polynesienne nommera Expedition Kaimiloa ».
Medford R. Kellum Jr, mon grand-pere, faisait egalement partie du
voyage, accompagne de deux tuteurs. A Tahiti, il tomba sous le charme
durer 5 ans,
«
Gladys Laughlin, de quatre ans son ainee. Ils
se marierent en 1925 et vecurent sur une plantation dans la baie de Opunohu. Ils eurent deux enfants, Rotui et Marimari, ma mere. Rotui poursuivit ses etudes aux Etats-Unis, integra l’Armee de l’Air et devint pilote
de File de Moorea... et de
de Air Force One. Marimari, visceralement attachee a son Tie natale,
s’orienta vers l’archeologie polynesienne au cours d’etudes superieures
suivies
aux
plusieurs
Sud,
au
Etats-Unis, dans les universites d’Antioch
de Hawaii. Apres
et ethnologue en Amerique du
anthropologue
Madagascar, Paul M. Ottino,
annees comme
Sahara et
a
et
celui qui allait devenir
pour implanter a Tahiti une
pere, venait d’etre nomme en 1967
antenne de l’Office de la Recherche Scientifique et
mon
Technique
Outre Mer
(ORSTOM).
jeune, les hvres
Tout
les murs, les conversations, les discussions
sur
les nombreux invites, les entretiens dont j’etais temoin, mes papiers
brouillons au dos desquels je dessinais etaient souvent des plans, des
avec
cartes, des ebauches d’articles sur la culture, la langue et le peuplement
du Pacifique... D’ou venions-nous ? Du mythique continent Mu ? De
du Sud ? de l’Asie ? Et par quels moyens sommes-nous arrives
dans toutes ces lies eparpillees sur le plus grand ocean ? Les pirogues
l’Amerique
sont-elles
navigables
sur
de si
grandes distances
interrogations, murirent dans mon esprit
tard, a l’expedition xungen zhilu ».
pour
? Ces
conversations,
aboutir, 19
annees
ces
plus
«
Les
origines
des
Les ancetres des
Polynesiens
Polynesiens ont
dans l’histoire de rhumanite
1. la derniere
monde
20 000 km de l’Asie
a
122
un
double
exploit unique
:
grande migration
plus grand ocean du
realise
qui
reste
et
la colonisation
au cceur
l’Amerique centrale,
des
systematique du
echanges:
le
Pacifique,
*
N°326/327-Aout/Decembre 2012
2. la
premiere qui
grande
ne
s’est pas effectuee
a
pied,
mais
qui
a
necessite
technique empirique le savoir-faire pour la
construction de navires oceaniques, la connaissance et la comprehension
une
connaissance
et
:
des elements.
La vision des
explorateurs
question etait deja posee par les premiers explorateurs europeens.
L’Espagnol Pedro Fernandez de Quiros (1565-1614), qui traversa les lies
Marquises en 1595, pensait que les Polynesiens venaient de TerraAustralis Incognita ', cette large et riche terre du Sud, speculee des le XUe siecle,
La
necessaire pour compenser le
brer la Terre.
En
des continents
nordiques
et
equili-
1722, le navigateur hollandais Jacob Roggeveen (1659-1729),
pensait que
ou
poids
«
ce
avoir atterri
peuple,
descendant d’Adam, avait du etre cree sur place
avoir ete transporte par d’autres moyen, bien
ou encore
comprehension humaine demeure sans ressources a
quels moyens [les Polynesiens] auraient pu etre trans-
que l’habilite de la
apprehender
portes
2
».
par
Avec
ces
observations et
ses
de voyages des societes des
les origines de ces societes qui
notes
Pacifique debuta une recherche sur
3
avec des erudits, des scientifiques et des aventuriers
Les trois voyages du Capitaine James Cook (1728-1779), celui de
lies du
durera deux siecles
.
1768-71 QMS Endeavour), puis 1772-75 (HMS Resolution) puis 177679 (HMS Discovery),
avec
l’introduction du chronometre dans le second
voyage, allaient permettre de caiiographier et de debuter une etude scientifique de l’ocean Pacifique et de ses lies. Son ordre de mission lors de son
premier voyage sur le Endeavour etait de rechercher la Terra Australis, le
passage du nord-ouest, d’observer le transit de Venus et de Mercure ainsi
que &observer attentivement la Nature de la Terre, et les Produits de
«
'
Eisler, William, The Furthest Shore. Images of Terra Australis From the Middle Ages to Captain Cook. Cambridge
University Press, 1995
Citation de Durrans, Brian, Ancient Pacific voyaging, Cook's views and the development of interpretation, p. 142,
Edition T.C. Mitchell, 1979, in VakaMoana, p. 274
2
«Quand Roggenween decouvrit Pile de Paques en 1722, il aper$ut, a sa grande surprise, des blancs sur le
rivage». Expedition du Kon Tiki, Sur un radeau a trovers le Pacifique, Phebus libretto [1994] p21
3
123
d&uflctin
de, fa
Socicte des Slades' Ocean
cela ; les Betes et les Volailles qui les habitent ou lesfrequente, lespoissons qui peuvent etre trouves dans le rivieres ou le
long des Cotes, et
Nombres; et dans le cas ou vous trouverez des Mines, des Minedes pierres precieuses, ramenez des Specimens de chaque,
comme egalement des Specimens de Graines d’Arbres, de Fruits et des
ceux en
raux ou
Grains, autant que vous pouvez collecter... de meme, observez le
4
Genie, le Caractere, la Disposition et le Nombre des Natifs
»
...
Le
capitaine Cook
semblances
et ses
scientifiques
Paques
origine
au
conclurent
de similitudes culturelles et
physiques
peuples habitant le triangle polynesien,
et
sud-est et la Nouvelle-Zelande
sur
la base de
res-
linguistiques que les
de Hawaii
au
nord,
a
1’Tle de
sud-ouest partageaient une
d’une colonisation venant de
au
rejetant la possibilite
Terra Australis ou des Ameriques. Le naturaliste J.R. Forster, lors du
second voyage, reprenant les travaux entrepris des 1756 par Charles de
Brosses, regroupera ces peuples epars en un nom commun, les
«
commune,
Malais
en
separant les groupes d’iles habitees par des peuples
», en
avec
la peau
plus foncee et parlant une langue differente : cette division restera
d’actuabte pour les siecles a venir, avec la Polynesie a l’est, et la Melanesie
a l’ouest. Tupaia, le navigateur de Tahiti
qui embarqua sur le HM Bark
Endeavour, impressionna le Capitaine Cook et son equipage par sa
connaissance de la
embarcations
mer
rapides
et
des
des lies. Ce dernier nota
Polynesiens,
la
possibilite
avec
precision les
de les conduire
sur
de
longues distances en naviguant avec les etoiles.
Horation Hale (1817-1896), linguiste du United States Exploring
Expedition (1838-42), proposa une theorie resolument moderne. En
recourant a la linguistique, il fit de l’lnde de l’Est (East Indies) le point de
depart originel des Polynesiens, avec un second moyeu a Malekula, au
Vanuatu, puis, suivant les chemins linguistiques, a Fidji, puis Samoa et
Tonga. Les Samoans auraient continue vers les lies de la Societe et la Nouvelle-Zelande, et ceux de Tonga vers les Marquises, puis Hawaii 5
.
4
Captain Cook, James,
The Journals of Captain James Cook on his
Voyages ofDiscovery. Millwood: Kraus Reprint,
1988, cdxxxii-xxlxxxiv, in VakaMoana, p275
5
Hale, Horatio, United States Exploring Expedition 1838-42, Vol.VI, Ethnography and Philology. Philadelphia: Sherman, 1846, in VakaMoana, p280
124
N°326/327- Aout /Decembre
2012
Une
origine aryenne
Depuis les expeditions de James Cook, les chercheurs appliquaient
une comparaison linguistique et culturelle aux aires du Pacifique. Sur les
travaux de William Jones (1746-1794) qui, le premier, nota en 1786 les
similitudes entre les langues europeennes et le Sanskrit, le linguiste Max
Muller (1823-1900) assimila l’histoire des langues a l’histoire des races:
les Europeens et les Indiens partageaient ainsi un passe commun. Edward
Tylor (1832-1917), un des fondateurs de l’anthropologie, ajouta sur ces
liens linguistiques, religieux et mythologiques une dimension ethnographique. Puis des similitudes furent trouvees entre les langues malayo-polynesiennes et indo-europeennes. Les langues du Pacifique, disait-on,
recelaient des mots Sanskrits, et les coutumes, mythologies et pratiques
religieuses des habitants de ces ties rappelaient les antiques pratiques cultu6
relies aryennes. Abraham Fomander (1812-1887) de Hawaii et Edward Tre7
gear (1846-1931) de Nouvelle-Zelande en furent les plus ardents defenseurs.
A partir de la moitie du XIXe siecle (1850-1880), cette vue etait largement repandue et acceptee pendant pres d’un siecle. Parfois avec des
variantes, comme dans les ouvrages de Robin Daggett, The Legends and
the Myths ofHawaii (1888), avec sa theorie de l’origine des Polynesiens en Arabie, et de Peter Buck Vickings of the Sunrise (1938) avec
sa theorie du Moyen Orient.
«
»
»
«
Une
origine semitique
8
Certains missionnaires semblaient avoir des idees bien arretees
qui
dominaient les discussions jusqu’a la moitie du XK° siecle. L’evangehsation
avait ainsi pour vocation de sauver les ames et les personnes, et de les elever vers une societe meibeure. Ces societes humaines apparaissaient et dis-
fonction de leur superiorite morale, et les societes
etaient avancees du fait de
comme l’Europe occidental
paraissaient done
en
de progres
leur consubstantieUe
-
6
-
superiorite morale.
Les societes devenaient
arrierees,
Fomander, Abraham, An account ofthe Polynesian Race, its Origin and Migrations, and the Ancient History ofthe
Hawaiian People to the times ofKamehameha 1,3 vols, London :Trubner, 1878,1880,1885
7
Tregear, Edward, The Aryan Maori. Wellington: George Didsbury, Governement Printer, 1885
8
Editor K. R. Elowe, VakaMoana, p280, David Bateman & Auckland Museum, 2006
125
bulletin/ d& la Society des S/ades Oceanu
primitives, du fait d’une degenerescence de leur qualite morale. A cette
dimension ethique, s’ajoutait une distinction genetique. Les missionnaires
en question
prodiguaient naturellement une comprehension biblique de
l’origine
du monde ; les differentes
races descendaient des trois enfants
de Noah : Shem, Ham et Japheth. Les Europeens descendaient de Japheth,
les indigenes plus avances, dont les Polynesiens, de Shem et ceux plus pri-
mitifs,
comme
les
Papous
ou
les
Aborigenes,
de Ham.
Utilisant et adaptant les propos de l’Ancien Testament, les
Polynesiens
etaient
peut-etre un peuple ayant vecu en Mediterranee, une tribu perdue
d’lsrael, ayant erre dans le monde jusqu’a avoir atteint les distantes lies du
Pacifique... Appbques a changer les fondements culturels et rehgieux des
peuples du Pacifique (interdiction de voyager en pirogue, interdiction de
porter certains
vetements
traditionnels,
et
dans
orale et gestuelle, interdiction de reciter chants,
danser, destruction des
culture uniquement
hymnes, genealogies et de
une
religieux, les plus grands sont remplaces par
des temples et des eglises...), les missionnaires trouvaient des similarites
entre les traditions orales polynesiennes du
grand Pacifique et des evenements bibliques
comme le deluge. Us notaient done les« ridicules et
puerils mythes qui pourraient malgre tout apporter des
fragments, ou
sites
-
»
«
corroborer
avec
les Ecritures
societe, lorsque la Terre
»
afin de remonter
a
«la petite enfance de la
mouillee, des eaux du deluge9 ».
Dans la meme veine, le Mormon Joseph Smith (1805-1844) identifie
1’origine des Polynesiens a l’une des tribus perdues d’lsrael qui se serait
retrouvee en Amerique du Nord. Cette tribu dTndiens
d’Amerique semise
serait
ensuite
vers
tique
deplacee
1’Amerique Centrale, puis du Sud,
aurait rejoint Hawaii en 58 avant l’ere chretienne et de la, aurait colonise
le reste du
etait
encore
Pacifique.
L’Expedition du Kott Tiki
Thor Heyerdahl (1914-2002),
radeau
initiateur
en
1947 de la formidable
balsa Kon Tiki du
Pacifique oriental, du Chib a
Tahiti, est le navigateur le plus souvent associe a la theorie du peuplement
traversee en
9
Dunmore
126
en
Lang, John, Origin abd Migrations ofthe Polynesian Nation [1834], in VakaMoana, p280
N°326/327-Aout/Decembre
du
Pacilique a partir
de
l’Amerique
10
du XVIIIe siecle. L’idee lui etait venue
,
2012
idee en vogue depuis le debut
conclusion d’une rencontre avec
une
en
specialiste : Heyerdahl venait de lui remettre son manuscrit sur sa these
peuplement et le specialiste lui retorqua : Aucun peuple de I’Amerique du Sud n’apu atteindre les ties du Pacifique, savez-vouspourquoi ? La reponse est bien simple. Ils ne pouvaient pas y arriver
puisqu’ils n’avaientpas de bateaux ». «Ils avaient des radeaux!
Le vieillardsourit et dit tranobjecta d’un ton hesitant Heyerdahl.
d’aller
en radeau du Perou aux
quillement: bon, vouspouvez essayer
u
lies du Pacifique ! ». De cet echange est nee la necessite de doubler les
theories par des experiences concretes un precepte que j’allais par la
suite tenter de suivre et d’appliquer, dans mes propres disciplines.
L’expedition, racontee a la premiere personne, a eu sur le jeune que
je fus un impact majeur, tout comme en fin d’ouvrage la photo en noir et
blanc de notre propriete, les cocotiers en premier plan, la plage de sable
blanc, la jetee, un coin de la maison et les montagnes en fond, avec pour
11
legende : la terre que decouvritKon Tiki, fils du Soleil
un
du
«
-
-
«
-
«
.
»
Le continent Mil
Mu, du continent englouti. Le
la Lemurie, serait un continent
Et il y avait enfin la belle theorie de
continent
Mu, parfois confondu
avec
englouti il y a plusieurs millenaires, qui se situait dans le triangle polynesien de l’ocean Pacifique. Le patrimoine mythologique et archeologique
,0
D'Amerique oui, mais par des 'hommes blancs':« D'ou les Polynesiens tiraient-ils leur vaste savoir astronomique et aussi leur calendrier, calcule avec une precision etonnante ? Certainement pas des peuples melanesiens
ou malais de I'ouest. Mais la vieiile race d"hommes blancs et barbus', precisement, qui en Amerique avait enseigne aux Azteques, aux Mayas et aux Incas leur prodigieuse civilisation, etait elle-meme arrivee a etablir un calendrier curieusement sembiable et a se constituer un savoir identique sur les astres sciences a laquelle I'Europe
de ces temps-la etait loin d'atteindre», pi91. Egalement:«A leur arrivee dans les iles du Pacifique, les Europeens
furent tres etonnes de voir que beaucoup d’indigenes avaient la peau aussi blanche qu'eux et portaient une
barbe. Dans de nombreuses iles, des families entieres se distinguaient d'une fa{on frappante par leur teint dair,
leurs cheveux allant du roux au blond, leurs yeux bleu gris et des nez aquilins qui leur donnaient un aspect un
peu semitique», Expedition du Kon Tiki, Sur un radeau a trovers le Pacifique, Phebus libretto [1994], p20-21
11
Expedition du Kon Tiki, Surun radeau a trovers le Pacifique, Phebus libretto [1994], p24
'2
Expedition du Kon Tiki, Sur un radeau a trovers le Pacifique, Phebus libretto [1994], p257
-
127
bulletin
de la
Society des 6fades Ocean
du sud-est
asiatique, des lies du Paciiique aux Amerindiens feraient reference a une terre jadis immense qui aurait dispam lors d’un cataclysme.
Detruit par des tremblements de terre et des eruptions volcaniques et un
deluge, les lies de l’Oceanie en seraient les vestiges. C’est sur un continent
semblable qu’aurait vecu, selon la cosmogonie azteque, la troisieme
grande race ayant peuple le monde.
Bien plus tard, je decouvris avec nostalgie que l’existence meme d’un
continent
englouti
dans l’ocean
Paciiique etait irrealiste du fait de sa pro-
fondeur et de l’anciennete du bassin oceanique (ere primaire). Certains
des dequs deplacent maintenant Mu vers l’Antarctique qui aurait ete
suite
deplace
Antarctique
a un mouvement
avant sa couveiture
de l’axe de rotation de la terre...
de
un
glace.
Theorie actuelle
Le berceau des lointains ancetres
polynesiens, selon les donnees
Tarcheologie,
linguistique, de la botanique et de la
(ADN), sont a rechercher la ou se developperent les cultures
du sud-est du continent chinois, et tout particulierement de l’ac-
actuelles de
science
coheres
de la
tuel Fujian. Ces hommes confectionnaient des etoffes en battant des
ecorces, fabriquaient des ceramiques, pechaient et possedaient des
pirogues
Ces
a
balancier.
peuples apprirent a domestiquer nombre de plantes et d’animaux
qui les accompagneront durant des millenaires dans leurs migrations. Ils
se familiariserent avec un monde de plus en plus maritime et insulaire,
jusqu’a considerer la mer et l’ocean, non pas comme des obstacles en
marge du monde continental, mais comme un univers a part entiere. Alors
que partout ailleurs, les decouvertes se faisaient a pied, sur la terre ferme
ou,
plus rarement,
en
traversant des bras de mer,
tage, ici, l’ocean est un univers a part entiere,
de deplacement, de decouverte et de vie.
Tout
au
long de ce periple d’ouest en est,
rations de
en se
un
a
moyen de
travers
au
cabo-
subsistance,
l’ocean, les gene-
marins, mais aussi des
navigateurs, qui
pecheurs, chasseurs, cultivateurs, guerriers, artisans, artistes..., ont peu-
pie nombres d’lles
128
etaient certes des
hasardant
du
Pacifique.
Le Kon-Tiki et son
periple
Les merveilles du monde (chocolats
Fonds Margmon
Nestle-Kohler)
1957.
(ftu/lciin do la Joa'cte
Ils progresserent
vers
de
plus
en
de 4 000
plus
l’igname,
des
S/ades Oceania
au cours
plus insulaire,
des millenaires suivants
et
a
travers
un
uni-
penetrerent le Pacifique occidental il y a
L’etude de leur vocabulaire
apprend que le taro,
chien, le poulet... font partie de
ans.
nous
la canne a sucre, le pore, le
leur univers, auquel s’ajoutent progressivement l’arbre a pain, le cocotier,
le bananier... Les travaux actuels des archeologues sur l’emergence de
peuple austronesien, reperable jusqu’a 1’oree de notre millenaire,
par une ceramique dite Lapita, ont permis de situer une zone
“creuset” au nord des Salomon, vers les Bismarck, les lies de l’Amiraute,
et le nord-est de la Papouasie- Nouvelle-Guinee, ou, vers 2 500 avant J-C,
ont cohabite des populations de fonds culturels differents.
Dans cette region se sont operes de multiples contacts et echanges,
aboutissant a la mise en place de ce que Ton appelle le Complexe Culturel
Lapita; celui-ci s’etendra sur toute la Melanesie jusqu’a la Polynesie occice
notamment
dentale.
Le
Pacifique est aujourd’hui
aires culturelles
couramment subdivise
(Micronesie, Melanesie
en
trois
grandes
Polynesie) ; pourtant, linguiset
seuls
les
tiquement archeologiquement,
Polynesiens peuvent etre identifies comme un groupe unifie :
uniquement en Polynesie
trouvons-nous une affiliation coherente, significative d’un peupleet
«
ment et d’une culture partageant
Un
peuplement accidentel
Au debut du XLXe
une
ou
histoire
commune
13
.
»
intentionnel ?
siecle, la connaissance ancestrale de
construction
des pirogues s’est effondree, entrainant dans son sillage la quasi
tion de la connaissance de la navigation traditionnelle. Les debats
nant le
peuplement
de la
Polynesie
voire la
ce
concentrerent
sur
la
dispariconcer-
possibilite,
capacite, des Polynesiens a se deplacer puis a revenir sur de
longues distances maritimes. Les premiers Europeens a explorer la Polynesie n’avaient
-
13
"On the Roads of the Winds
doute
le fait que les polynesiens avaient colonise
1 1
deplacements intentionnels {purposive voyaging),
aucun
les lies suivant des
-
sur
'
archaeological history of the Pacific Islands before European Contact», Uni(page 211).
14
Ces deplacements intentionnels sont notes dans les tres nombreuses traditions orales polynesiennes.
-
an
versity of California Press, 2000, Patrick Kirch
130
N°326/327- Aout /Decembre
car
15
ils etaient temoins des
Autant
a
ete
theorie
autant sa
2012
grandes pirogues et de leurs capitaines
retentissant l’impact de l’exploit de Thor Heyerdahl,
a
.
trouve peu
d’echos dans les cercles savants.
1956, la theorie de Andrew Sharp sur le peuplement accidentel fut
largement et rapidement acceptee par les anthropologues, les archeologues
et les liistoriens comme une correction bienvenue a une image surrepresentee des Polynesiens en tant que grands voyageurs et colonisateurs. Au
heu d’accepter et de tenter de recreer ces navigations qui semblait necessiter des qualites de navigation et d’endurance surhumaines, le modele de
Sharp permettait a toutes les disciplines de simplement supposer que les
Polynesiens etaient incapables de navigation sur de longues distances contre
vents et courants. Ils avaient juste assez de capacites maritimes pour se mettre en danger et etre aleatoirement pousses par les caprices du vent et du
16
Le peuplement du Pacifique etait alors du a une longue succescourant
sion de derives et de chances, naviguant et s’installant au hasard des lies
En
.
croisees, voyageant sur les vents
Cette theorie
detruite
en
et
les courants portants.
prevalut pendant une vingtaine d’annee,
et
allait etre
1973 par Levison. II utihsa une importante matrice comportant
la force des vents et des courants provenant des documents hydrographiques navals disponibles de points specifiques du Pacifique (cf. carte).
possible de deriver d’est en ouest, il etait virtuellement impossible de se deplacer dans le sens inverse sans un deplacement intentionnel. Egalement, sur les 16 000 tests simules, pas une route
demarrant de Polynesie centrale ou orientale ne put rejoindre Hawaii!
Sur les 101 016 tests, s’il etait
Journal
de bord
:
dimanche 10 octobre 2010
22h30, j’entends beaucoup d’agitations sur le pont.
La grande voile vient d’etre affalee. Quelques minutes suivent, et Herve
vient me voir: peux-tu verifier notreposition sur la carte ? »Il est en
Hier
au
soir,
vers
«
hamais et
15
impermeable trempe.
Rencontre en plein ocean en
Tonga et Samoa.
16
wayfinders.com, site de PVS
1616 des
navigateurs Hollandais Schouten
et Le Maire avec une
pirogue entre
131
^
xfyiiUeti/h da fa Societa cfe& &tude& Otcea/iic/ifics
Je
me
leve immediatement, et
regarde
la carte
: nous nous
trouvons
4 miles nautique de Augulpelu Reef et nous avangons a une allure de
moins de 8 noeuds. Le risque se trouve done a moins de 30 minutes. Je
a
l’indique a Herve. Je sors, me dirige a l’endroit du roof oil j’avais laisse
mon pantalon et mon pardessus. Je l’enfile dans la
pluie, mais je suis deja
trempe. Je me dirige ensuite vers Sam, qui est la barre et lui indique notre
position, ce qui est devant. Je le repete a Koronui qui est assis a ses cotes.
Entre-temps, Hiroiti est entre se changer.
Herve me dit que nous allions toutes voiles dehors, tout droit. II avait
propose a Hiroiti de ralentir, refus. Puis Koronui est intervenu, a egalement
demande de ralentir la pirogue. Refus, puis 5 minutes apres, ordre du
Capitaine : on affale tout!
Sur le pont, sous une pluie battante, un vent de travers, un mouvement desordonne de la houle, je propose que, comme convenu, on
attende la journee ou du moins le lever du soleil pour tenter l’entree.
Koronui
dit: It is
knowledge to never make land by night.
l’exterieur, j’appelle Hiroiti qui est maintenant en pareu et allonge sur
sa banquette : Hiroiti! Hiroiti! Hiroiti! Hiroiti! Finalement
je descends,
me
common
De
je le vois les yeux ouverts, fumant de rage :
Hiriafe vois bien ce que tu fais.
De quoi parles-tu ?
Ce n ’est pas la peine de cachet; je vois tres bien ce que tu fais.
Tu as cache le recifsur la carte pour ne pas que je le voie!Je le sais!
Parlous de tout cela plus tard, je reponds. Pour I’instant,
qu’est-ce que Von fait ?
Aucune reponse. N’insistant pas, je remonte dans le cockpit, explique
la situation sans m’attarder, et nous decidons de retoumer a 180°. Sur ce,
et
«
—
—
—
—
le Hiroiti revient
pression
sur
le
une
stylo
dizaine de minutes apres, marque sur le log avec une
bille qui manque de dechirer la page: Hiriaprend
«
le commandement de la pirogue
diriger
la
pirogue
vers
», et
decide de
la terre. Koronui est
a
changer de
la barre,
et me
cap et de
« He is
dit:
suicide mission. He wants to go home, and to do that, he has to
wreck the vaka. » Et il essaye de maintenir la pirogue sur un axe le plus
on a
parallele
132
a
la cote, afin de gagner
un
peu de temps. Vers
03h30,
Hiroiti
Hiria et Punua (le
capitaine)
Photo Jean Kape
0
(Courtesy
G.
Irwin.)
WOO kilomtlcn
f$u//etin
de. /a
doc/ele des Otudes Ocea/iu
appelle Tahiti, et decide de maintenir le cap. Je lui repose la question,
Ne serait-ilpas mieux d’attendre un peu ici, de faire des
—
tours ?
—
Je
Non! On y va!
la carte, les differents points de dangers, et vais
l’avant. Finalement, a quelques centaines de metres du recif,
remontre a Herve
m’installer
a
Hiroiti decide de faire
quelques tours et d’attendre le lever du
soleil.
premiers rayons du soleil se levent vers 05h30. Nous distinguons
magnifique lie, toute boisee. De veritables boules de verdures posees
Les
une
l’ocean. Le tout entierement preservee. Le soleil se leve a l’arriere de
la pirogue, couche d’orange vif dans le ciel, puis de bleu, puis de bleu
sur
fence, puis de
noir
au
zenith... Le soleil du matin
en
donne d’abord
une
couleur orangee, puis elle se teinte d’or pour donner une lumiere si pure!
La balise qui arrive indique un recif sous-marin. Ce que je pensais
physique sur la carte, en est un invisible, sous l’eau.
Nous le suivons et avangons doucement le long du chenal bien balise vers
etre un etroit
chenal
des constructions.
Archeologie experimentale
Les ancetres des Polynesiens ont done realise un exploit unique dans
l’histoire de l’humanite: la colonisation systematique du plus grand ocean
du monde, le Pacifique, 20 000 km de l’Asie a l’Amerique centrale.
Depuis, cet ocean reste au cceur des echanges.
L’idee ? Retracer, en sens inverse, sur une pirogue traditionnelle a
voile et a balancier, le chemin de peuplement qui a debute il y a plus de
6 000
pirogue ‘O Tahiti Nui Freedom, construite en bois et en
quatre mois a partir d’un croquis de l’amiral Paris, a ainsi remonte cette
lente migration, d’est en ouest, des lies du Pacifique vers la Chine, le pays
annees.
La
grandes aires de peuplement deviennent ainsi les escales du
chemin du retour : Tahiti; Rarotonga, Tonga, Fidji, Vanuatu, Salomon,
Papouasie Nouvelle-Guinee, Palau, Philippines, Chine. La traversee dura
d’origine.
Les
123 jours.
Hina Ottino
134
Hiria
La
Ottino,Teraupo Richmond (le constructeur), Herve (I'architecte),
Kaitapu Maamaatuaiahutapu (le President de I'Association)
pirogue de la traversee
Forme
:
1 coque principale a bouchin,
1 balancier a bouchin,
2 traverses de balancier en lamelle-colle
Dimensions
:
longueur de coque
:
Lht
=
15,25 m/50ft
balancier
:
Lht
=
14,50 m/47,5ft
baumaxi
:
Lht
=
Greement
:
Surface de voile
:76,7 m
Deplacement
Equipage
:
6 tonnes
:
6 personnes
La
6,25 m/20,5ft
voilure aurique
2
en
charge
pirogue a balancier de la traversee est inspiree d'un plan historique releve a Tahiti par I'amiral Paris vers 1820
(construction type en planche de bois et cousue).
Le cabinet d'architecture naval«NG Yacht Design», a repris I'esthetique dans le respect des textes des Affaires
maritimes pour le type de navigation envisage et a con?u des plans afin de repondre aux exigences actuelles de
securite, de solidite et d'ergonomie: insubmersible, legere et rapide, la pirogue fut construite en bois epoxy, aux
normes de construction des navires de categorie I.
Polynesiens a bord
des navires au long cours
Des
“Autrefois les bateaux etaient
en
bois et les marins
en
fer.
Aujourd’hui, les bateaux sont en fer et les marins en bois”. C’est ce qu’un
capitaine norvegien nous disait lorsque j’etais marin dans les annees
1950. II nous faisait comprendre que dans cette decennie cinquante les
vieux
marins vivaient
a
bord des bateaux confortablement et
travaillaient moins
meme
dans le luxe
peniblement qu’a l’epoque
capitaine est la seule personne que j’ai connue qui avait navigue sur un
voilier a 1’age de 14 ans.
A Tahiti, apres la guerre 1939-1945 il y eut le retour des volontaires,
ceux de l’lnfanterie, ceux de l’armee de Fair, et ceux
qui ont servi sur les
navires de guerre, les marins de la France libre (F.N.F.L.). Mon frere Paul
Bennett s’etait embarque en tant qu’electricien sur le Cap despalmes qui
et
etait
des voiliers. Ce vieux
cargo transport de troupes; il y avait de nombreux Tahitiens a
employes dans plusieurs domaines. Ils etaient mecaniciens, electri-
un
bord,
marins de
Je peux me rappeler de quelquesJacques Drollet, Guy Brault, Brada Salmon, Louis Cheng, Jean
1
Helme Thunot, Bimbo et bien d’autres encore. Le Cap des palmes transciens, cuisiniers,
pont
etc.
uns comme
,
port de troupes servait aussi pour F evacuation des blesses de Guadalcanal
2
aux lies Salomons.
1
Jean Helme
a
navigue sur des navires battant pavilion fran^ais en tant que capitaine brevete
d'attache etait Noumea.
2
Mon frere Paul, atteint de la tuberculose a bord du
Cap des palmes, decedera en
1945.
-
son
port
^.v
1938
construien
norvegi n
navire
I,
Thor
d&ullelin
de !a
Society dc& Guides Qccanu
1946, peut
plus tard, quelques-uns retrouverent un
emploi dans le civil sur les goelettes locales et d’autres sur les navires de
commerce ou sur les paquebots comme Guy Brault a bord du Mariposa
et Jean Helme a bord de bateaux frangais. Cette periode marquera le debut
de l’embauche des Polynesiens sur des navires etrangers comme le Mariposa et le Monterey, paquebots americains de la Matson-line, et le Thor I,
cargo-mixte norvegien qui pouvait heberger 12 passagers a son bord. Les
Taliitiens furent embarques dans tous les professions: stewards, patissiers,
Des
etre
cuisiniers, mecaniciens
un
et
peu
matelots.
Papeete se faisait tres simplement, sans passeport. II
suffisait d’etre en possession d’un livret de marin que procurait sans difficultes l’agent Guy Grand du commissariat de police que tout le monde
connaissait a Papeete.
Apres 1947, la France commenca le recrutement de volontaires polynesiens pour l’lndochine et beaucoup de jeunes partiront par bateau aim
de defendre encore une fois la Patrie. J’avais un cousin, Poito Moutham
qui reviendra avec les plus hautes distinctions militaires en 1949, de cette
L’embauche
guerre
atroce
qui
a
ne se
terminera que bien
plus tard.
s’embarqua sur le Thor I en 1948 en tant
chambre pour passagers). II y avait plusieurs
Mon frere Ernest Bennett
que steward
(gargon
de
bord dont: Marcel Hugon, Coco Trafton, Harold Adams, Ruben
Doom, John Crake et Bill Crake ; il y en a eu d’autres qui n’ont fait qu’un
Taliitiens
a
seul voyage qui durait 3 mois. Les Taliitiens a bord des bateaux etrangers
se faisaient remarquer par leur bon comportement et le travail assidu
qu’ils foumissaient.
regie etait d’apprendre au plus vite a parler anglais,
permettre a d’autres Polycomporter
nesiens de pouvoir embarquer des qu’une occasion se presentait.
de bien
En
1949
La
et de travailler dur afin de
se
a
17
ans
je quittai l’ecole
ou
j’etais
en
classe de troisieme.
J’avais beaucoup de copains d’ecole qui partaient pour l’lndochine. C’etait
vraiment triste de voir ses propres amis partir.
intransigeante sur mon eventuel depart vers un pays en
guerre car elle avait deja perdu un fils en 1945. J’ai appris un jour que
mon copain d’ecole et de football Jacky Bambridge s’embarquait vers la
France en vue de rejoindre une affectation a bord du croiseur Jeanne
Ma
138
mere
etait
N°326/327-Aout/Decembre
d’Arc. II fera d’ailleurs carriere dans la Marine Nationale. Je
me
2012
suis senti
dors tres seul. L’idee de partir devenait une obsession, il fallait a tout prix
que je quitte Tahiti mais ma mere intervint et me somma de trouver un
emploi a Papeete le plus vite possible.
Pourtant, tout juste un mois plus tard, une petite chance se presenta,
et je dis “petite chance” car pour moi “une grande chance” etait de pouvoir
partir loin du pays.
Un
copain qui partait faire
son
service militaire
Etabhssements Laguesse.
proposa de le remplacer comme
fut
un
travail
Le
fait.
C’etait
formidable.
qui
patron et proprietaire,
M. Emile Laguesse etait un homme d’affaires de grande classe. II etait juste
vendeur
me
aux
Ce
courtois et genereux et il etait
connu et
respecte par tous,
meme
par
ses
concurrents.
Au
ami et
magasin, il y avait
peut-etre
meme un
etait
Auguste Stein qui
de marque. C’etait un grand
associe de M. Laguesse. Il s’agissait de M.
aussi
un
employe
horloger de profession.
Ma vraie chance fut de debuter
ma
carriere de travailleur
aux
cotes
de deux hommes qui etaient aussi ages que mon pere mais qui me parlaient serieusement, comme si j’avais leur age. Je me sends tres encourage
et
je commengai
a
C’est M. Stein
de temps
Comme
en
qui
m’a
temps de le
j’etais her d’etre
circulation de
ce
problemes personnels de cote.
mettre mes
appris a conduire une voiture ; il me demandait
apres le travail chez lui a Punaauia.
chauffeur ! Il faut dire qu’heureusement la
ramener
son
temps-la n’etait pas comme
celle
d’aujourd’hui.
Pendant les 6 mois que j’ai passes aux Etabhssements Laguesse, je
n’ai appris que de bonnes choses et de plus j’avais ma paye a la fin de la
semaine,
meme
si
ma mere en
recevait la moitie.
l’agent Guy Grand fait savoir a mon
I
pere qu’il a regu un telegramme provenant du capitaine du navire Thor
disant qu’il avait une place a bord pour moi comme cabin boy (gargon
Tout
au
debut de l’annee 1950,
de chambre pour les
Comme Ernest
que c’etait lui
qui
passagers).
mon
deja a bord du Thor /, j’ai vite compris
au capitaine de m’engager et de prendre
frere etait
avait propose
place, lui-meme devenant alors matelot de premiere classe. Je sais aussi
chose pour moi.
que ma mere a du lui dire a un moment de faire quelque
sa
139
bulletin da fa dociete
>
de& Otude&
Occa/t
d’environ 7000 tonnes, tres
connu dans les lies du Pacifique sud; c’etait un bateau entierement peint
en blanc. Pendant les annees de guerre, il desservait Tahiti, Samoa, Fidji,
Le Thor I etait
un
navire de
commerce
la Nouvelle-Caledonie et les Nouvelles- Hebrides
(aujourd’hui appelees le
Vanuatu), a partir des Etats-Unis et du Canada. On le surnommait le
“cygne blanc” The White Swan. Il fournissait l’avitaillement des lies en
produits alimentaires de toutes sortes; tout venant des Etats Unis et d’Austrade a l’epoque de la guerre.
Debut 1950, le Thor I comptait 7 Tahitiens a bord ; Les 3 anciens
Coco Trafton, Ruben Doom et Ernest Bennett et les 4 nouveaux, Denis
Brillant, Jaco Bell, Steven Ellacott et moi-meme Yves Bennett. Un voyage
entier durait trois mois. Le navire partait de San Francisco, cap au sud
et desservait Tahiti, Pago Pago (aux Samoa Americaines), Apia (aux
Samoa Occidentals). Une fois sur deux il touchait Nukualofa aux Tonga,
Suva et Lautoka aux Fidji, Noumea, Port Vila ou Santos aux NouvellesHebrides, puis retour vers San Francisco, Tacoma et Coos Bay aux USA,
puis New Westminster et Vancouver au Canada avant de revenir a San
Francisco.
J’avais effectue trois voyages a bord et a notre passage a Tahiti notre
frere Gardner s’est joint a nous. Nous etions alors 3 freres a bord du
meme
navire.
J’avais
a
constate que
San Francisco
en
De voir les autres
quelques Tahitiens du bord avaient deja debarque
quete d’aventure
partir
vers une
et
de decouverte de
nouvelle vie
nous
nouveaux
donnait
a mon
pays.
frere et
sur le voyage de retour vers l’Ameavant
notre
arrivee
a
San
7
Francisco, nous avons donne au
rique, jours
capitaine un preavis de disengagement; nous voulions quitter le bateau.
a
moi-meme 1’envie de les imiter. Done
Notre frere Gardner 3 n’etait pas content du tout de
quer, d’autant
plus qu’il
ne
maitrisait pas
encore tres
nous
bien
voir debar-
Tanglais.
peu plus de 2 semaines a San
le
cette
ville
de
bien
visiter
Francisco, temps
superbe, avant de retrouver
Ernest et moi-meme
3
sommes restes un
Mon frere Gardner Bennett naviguera 3 ou 4 ans plus tard sur d'autres bateaux norvegiens en tant que 4eme
ingenieur non brevete (les non brevetes etant consideres comme des sous-officiers).
140
Le radeau Kon-Tiki embarque
a
bord du Thorlen 1947
Aquarelle A’amu 2012
bulletin
un
de la
Society des- Otudes Ocean
emploi sur un autre bateau et repartir vers d’autres horizons.
cargo americain
question de retoumer a Tahiti!
1950, je trouvai une place sur le DonAurelio, un
battant pavilion panameen. Les 3 autres Tahitiens, Crake,
Trafton et Doom
nous
notre
esprit il
Mais dans
n’etait pas
A la mi-novembre
ficiers mecaniciens
4
.
precedes a bord de ce navire en tant qu’ofJ’etais moi-meme embarque comme cabin boy
avaient
de
chambre) pour les offlciers.
on comptait plusieurs nationalites. Le capitaine et les offlciers de navigation etaient norvegiens, le chef mecanicien
et le premier mecanicien des hollandais, les trois autres mecaniciens des
tahitiens et des argentins, le telegraphiste etait irlandais, le chef steward et
le maitre d’hotel etaient danois, le chef cuisinier norvegien, l’aide-cuisinier
panameen, le gargon de cuisine colombien, les mess-boys (gargons de
service) nicaraguayens et costaricains, le Bosco equatorien, le Charpentier
finlandais, les matelots mexicains, ecossais, chihens, et guatemalteques.
(gargon
A bord du DonAurelio
Le DonAurelio apres
chargement
a
San Francisco et Los
Angeles
cargaison de marchandises generates dans pratiquement
tous les ports de l’Amerique Centrale de la cote ouest, ainsi qu’en Colombie et au Venezuela, en Amerique du sud. A bord du bateau, nous ne nous
entendions pas tres bien avec les Latino-americains qui avaient un tempe-
dechargeait
rament
sa
incontrolable. Us
se
mettaient tres vite
en
colere et sortaient
un
qu’il y avait une bagarre. J’etais loge avec deux
cabine; un des deux voulut un jour me poignarder parce que j’avals ete plus fort que lui durant une lutte amicale. Je
fus contraint de changer de cabine apres seulement deux semaines a bord.
Le maitre d’hotel du nom de Leifhansen qui etait seul dans une cabine
pour deux personnes m’avait alors offert la place vacante.
Leif qui etait plus age que moi etait quelqu’un de bien et il est devenu
un ami. Il connaissait bien l’Amerique centrale et l’Amerique du sud. Il
avait d’ailleurs une copine dans chaque port a qui il rapportait un cadeau
a chaque passage. Il s’estimait etre l’homme le plus heureux de la planete.
couteau ou autre
autres
4
chose des
stewards dans la
meme
A bord du Don Aurelio Bill Crake etait second
4eme
142
ingenieur.
ingenieur brevete, Ruben Doom 3eme ingenieur et Coco Trafton
N°326/327-Aout/Decembre
Je
souviens
2012
toujours vetu de la meme fagon ; chemise
blanche,
pantalon kaki americain. Je l’ai d’ailleurs
rencontre a peu pres quatre ans plus tard a Newport en
Angleterre. C’etait
en ete. Je l’avais reconnu
grace a sa fagon de s’habiller. On marchalt en
sens inverse, lui rentrait a bord de son bateau et moi
j’allais en ville. II fut
me
qu’il
etait
manches courtes et
tres etonne
lorsque je l’ai appele
par son nom. On se trouvait a peu pres
l’un de l’autre et on etait seuls sur ce quai a ce moment
cinquante
precis. Cette
rencontre
demi-tour et
on
metres
a
y est
valait bien
petit verre en ville, done il a fait
alle. Pour les marins, le monde est petit. Quand on
un
navigue quelques annees sur differents bateaux et sur toutes les mers du
monde, on a des chances de rencontrer un jour ou 1’autre au cours d’un
a
nouvel
embarquement
ou
dans
un
port des hommes d’equipage qu’on
a
connus.
passage au Venezuela, le DonAurelio regut l’ordre de faire
route pour Santiago de Cuba puis, de decharger a Baltimore sur la cote
est des Etats Unis ou tout le monde devait debarquer, le bateau devant etre
Apres
un
vendu.
Nous arrivames le
jour du nouvel an 1951 a Cuba gouverne a cette
president Batista. Il n’y avait aucune restriction a Cuba. On
est reste au moins cinq jours et on peut dire que c’etait la fiesta tous les
jours. Leif n’etait jamais venu dans ce pays, il n’avait plus de cadeaux a
epoque par le
donner mais
Nous
ce
fut la fiesta
sommes
arrives
quand meme.
a
Baltimore
en
plein hiver;
il y faisait tres tres
froid. Bill Crake et Coco Trafton avaient pris la decision de rentrer
Francisco par le train. Ruben Doom voulut egalement retourner
Francisco et il
a
me
conseilla de le suivre. Pas question
New York. Peut-etre que c’etait pour
m’eloigner
! Il fallait que
encore
plus
a
San
a
San
j’aille
de Tahiti.
d’une chose, c’etait a New York que je trouverais le bateau qui
m’enverrait faire le tour du monde. Ruben prit la decision de m’accom-
J’etais
sur
pagner jusqu’a New York et
il rejoindrait San Francisco.
A New
pris
23
e
une
rue
York, il faisait
une
fois que j’aurais
ma
place
sur un
bateau
froid qu’a Baltimore. Nous avions
Y.M.C.A. (hotel pour jeunes gens) sur la
encore
plus
chambre pour deux au
avenue a Manhattan. Nous decidames de bien visiter New
de la T
143
d&ulfetw
York
d& fa
Society de& &tade& Oiccamc/mcs
depart et c’est ce que nous avons fait. La Statue de la
Liberte, Times Square, Broadway, Central Park, TEmpire State Building, et
bien d’autres sites connus. Un jour que nous etions proches de Times
Square nous avons decouvert dans une petite rue, l’enseigne d’un restaurant Le Steak de Paris. L’etablissement n’etait pas tres
grand, mais bien
La
decoration
etait
les
couverts
etaient
frangais.
superbe,
splendides et disavant mon
poses sur des nappes brodees. Ruben me dit que c’etait fabuleux et moi
de repondre oui, mais surement tres cher.
Nous
nous sommes
c’etait done la rencontre
assis
avec
bar apres
echange de “Bonjour”;
de vrais Frangais. Ce jour-la nous y avons
au
un
le boxeur Ray Famechon et avons trinque avec lui. Apres
verres nous nous sommes installes pour le diner, excellent
rencontre
quelques
le vin propose par la sommeliere. Ruben ne s’etait pas preoccupe
du prix et quand le moment crucial de payer fut arrive et que Ton nous
presenta l’addition Ruben ne broncha pas devant un total de $ 180 (dolcomme
lars US). 11 faut savoir qu’en 1951, ce montant representait deux mois de
salaire pour un travailleur moyen a Tahiti. Je ne sals si Ruben s’est dessaoule d’un seul coup, mais a aucun moment il n’a
donna meme $ 10 en pourboire a la serveuse.
De retour
Ruben
jamais
1’hotel,
ce
et surtout
les prix”. Je crois que lui aussi avait appris la meme
pourquoi regretter ? Tout etait tres bon et tous les
Mais
jour-la.
debarques
chacun. Ruben Doom
devoue
au
plus
Apres deux
du Don Aurelio
deuxieme visite
York,
L0vdal (le 0
avec au
moins
$
1000
en
poche
ami veritable, genpersonne formidable,
haut niveau, et c’est vrai, j’ai beaucoup appris de lui.
est une
un
semaines d’escale
de retrouver du travail
New
regia nos comptes gentiment, moitie-moitie et
dit alors: “Yves, je t’ai appris quelque chose aujourd’hui. Ne
manger dans un restaurant sans d’abord examiner le menu, la carte
deux avions
til,
on
le nord. II
me
des vins
legon
a
perdu
au
a New York il fallait
que j’entreprenne
bateau. Ce n’etait pas difficile. A ma
Shipping Office a Brooklyn un quartier de
sur un
Norwegian
cargo norvegien du nom de
dans
le
steward department oil je
prononce e), toujours
travaillais depuis un an et demi. Or je voulais desormais etre marin de
on me
proposa
un
poste
sur un
se
pont, pour plus de classe quoi! Jeans Levis
144
ou
Lee, chemise denim bleu
N°326/327-Aout/Decembre
clair,
couteau dans
un
voulais apres
mes
un
fourreau
18 mois de
a
la ceinture, c’etait
tout
2012
cela que je
mer.
bon bateau qui faisait la ljgne New York, Halifax et
St John (au Canada) puis descendait vers deux ports du Venezuela, avant
de toucher trois ports en Colombie et a Cristobal (au Panama). Sur le L0vLe L0vdal etait
dal
un
de devenir marin de pont
realise
et c’etait
egalement a
bord du L0vdal que j’ai appris que mon frere Ernest serait reste plusieurs
jours dans une baleiniere de sauvetage avec d’autres jeunes marins apres
que leur navire, le Florentine, aurait coule dans une tempete apres avoir
quitte les lies Philippines ; ils ont ete recuperes sains et saufs par la marine
,
mon reve
sera
5
americaine.
C’etait
en
juin 1951
je
pour marin de pont et
serais pas; desormais
d’abord
mes
que
je
suis devenu jungmann, terme
norvegien
deja d’un rang celui de mousse que je ne
vraie vie de marin allait commencer. Et tout
sautais
ma
vetements de travail
allaient subir
un
grand changement.
Plus
pantalons noir ou kaki.
Du mois d’aout 1951 a avril 1962, j’ai embarque a bord de mes
bateaux a partir de ports anglais, Londres, Cardiff, Liverpool et Newcasde.
J’ai embarque coniine matelot specialise, bosco ou charpentier sur des
navires de toutes sortes et de differentes nationalites, anglais, norvegiens,
suedois, finlandais, grecs. Sur des petroliers qui allaient au Golfe Persique,
ou sur des cargos qui allaient en Afrique et meme sur de vieux rafiots de
plus de cinquante ans d’age qui allaient jusqu’en Siberie via l’ocean glacial
de vestes blanches et de
Arctique.
1962 je suis revenu a Tahiti car je me suis rendu compte que
mes parents prenaient de Page. Ma mere avait 6l ans et mon pere 67 ans.
J’aurais tout fait pour rester a Papeete et travailler a terre, mais la
paye ne valait pas celle que l’on pouvait gagner sur un bateau et j’etais
devenu matelot specialise bosco ou charpentier et je n’avais que 30 ans.
Done en decembre 1962, j’ai repris la mer a bord du Thor I ; ca n’etait
la meme compas le meme navire que celui de 1950 mais il appartenait a
En mai
5
Mon frere Ernest naviguera
plus tard en tant que bosco (maitre d'equipage et done sous-officier) sur des navires
norvegiens et allemands.
145
*
bulletin/ (Jcy fa Society cfcs Stac/e# Ocea/iie/i/ie&
pagnie maritime; il faisait pratiquement les memes escales que son ame,
sauf que le Thor I de 1962 allait jusqu’en Australie, et avec ce dernier je
revenais
a
Tahiti tous les 3 mois et
mes
parents etaient
A bord du dernier Thor I il y avait
contents.
plusieurs Tahitiens,
tous
plus
jeunes que moi, il y avait Virau Ortas, Pierre Dehors, Claude Domingo, For6
tune Tessier, Marc Grand Joseph Fiu (qui est marquisien), Remy Ortas
,
7
apres moi. Il y avait
egalement deux stewardess tahimariees a deux officiers norvegiens du bord. Dorenavant le passeport etait obhgatoire pour tous.
Avec tous ces Tahitiens a bord, quelques Fidjiens et quelques Norvegiens, nous etions arrives a faire une tres belle equipe de football qui remportera en 1964 la coupe des bateaux scandinaves (Norvege, Suede et
qui embarquera
tiennes qui etaient
il fallait jouer contre une dizaine de
bateaux uniquement scandinaves dans les differents ports des Etats Unis
et au Canada que nous frequentions.
Danemark).
Il y
navires
Ce n’etait pas facile
car
bien d’autres Tahitiens qui ont navigue et travaille sur d’autres
etrangers comme le Thorscape et le Thorsisle qui etaient des
a
bateaux de la
meme
compagnie que le Thor I.
Les marins tahitiens etaient ni
plement
en
ecole dlngenieurs mecaniciens navals en
7
(quatre galons) qu'il deviendra.
anglais le mot feminin de steward.
Stewardess etant en
146
en
fer, ils
etaient tout sim-
en tant qu'ingenieur mecanicien; il aurait d'abord integre une
Norvege, condition essentielle pour acceder au grade de chef ingenieur
‘Marc Grand aurait "grimpe" tous les echelons
brevete
bois ni
de bons travailleurs.
N°326/327-Aout/Decembre 2012
J’aimerais terminer mon histoire 8
sont
ensemble
en disant
que la mer et les bateaux
de la vie des Polynesiens, et je me
pose la
partie integrante
question pourquoi il n’y a pas plus de marins tahitiens qui
guent
bord des navires marchands
a
peut etre
une
encore
navi-
frangais
etrangers. Il nous faut
des hommes comme l’agent Guy Grand et le capitaine du
et/ou
pilote Louis Le Caill, qui de leur temps, n’ont jamais cesse de parler
aux differents
capitaines de bateaux de l’assiduite des marins polynesiens.
port
et
Yves Bennett
80
ans
aujourd’hui
8
J'aurai done navigue 18 mois dans le steward department, environ 10 ans comme matelot de pont et matelot
specialise (en anglais able-bodied seaman) et 3 ans comme charpentier (en anglais ship's carpenter). J'ai servi
comme pumpman (operateur de pompe) sur un mineralier
norvegien; enfin j'ai ete bosco (en anglais bosun
diminutif de boatswain) pendant une annee, le terme bosco etant le diminutif en frangais de maitre d'equipage.)
A
epoque la hierarchie des officiers a bord etait:
Le capitaine (en anglais the captain ou the master), 4 galons
mon
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
Le chef ingenieur (the chief engineer),
4galons
Les officiers de pont ou de navigation:
Le chef des officiers (the chief officer) egalement
appele le second capitaine, 3 galons
Le
premier officier (the first officer), 3 galons
Le second officier (the second officer), 2 galons
Le troisieme officier (the third officer), 1 galon
Les officiers de la Machine:
premier ingenieur (the first engineer), 3 galons
ingenieur (the second engineer), 2 galons
Le troisieme ingenieur (the third engineer), 1 galon, sll est brevete
Le radio-telegraphiste (the radio officer), 1 ou 2 galons selon I'anciennete
L'electricien (the electrician), 1 ou 2 galons selon I'anciennete
Le chef steward charge de I'equipage de cuisine et de I'equipage de cabine (the chief steward), 1
Le
Le deuxieme
ou
2 galons
selon I'anciennete.
147
Peut-on reinventer le voyage ?
L’Aranui ,
aux
lies
cargo mixte,
un
Marquises
en
2012
L’homme n’a pas besom de voyager pour s’agrandir; il porte
lui I’immensite » ecrivait Chateaubriant qui conseillait a l’etre
«
avec
humain de demeurer
reverie immobile et de
plutot
se
dans
teriorite. Le terme «l’immensite »,
auquel
il renvoie
sa
conduire
generalement,
chambre, afin d’y poursuivre
comme un
employe ici,
mais
au
une
voyageur casanier de 1’inest situe non
dedans de
dans
l’espace
de beu
l’homme,
moins en expansion, de
sorte
considere, si ce n’est comme infini, du
receptacle cache et enigmatique. Et pourtant l’auteur des Memories d’Outre-tombe est alle decouvrir lui-meme son Amerique et s’est meme
rendu jusqu’a Jerusalem, la ville phare du judai'sme et berceau des rebgions monotheistes. J’allais chercher des images... des muses », ecrit-il
encore, attestant ainsi que le voyage contribue, pour cet ecrivain romantique, a stimuler son imagination et ses capacites d’invention. Entre mobiprotege
et
«
»
«
lite utilitaire et sedentarite
professee, ne s’agit-il, dans le cas de
Chateaubriand, que d’un simple paradoxe humain ? La vie deroule la
sinuosite de ses parcours, de ses traces laissees ou effacees, des affirm ations peremptoires vite dementies par l’experience.
Cet article souhaite faire le point sur la nohon de voyage aujourd’hui,
le differencier du concept de tourisme, tel qu’il s’est impose dans la
Voyager ga fait avancer,
publicite humoristique des annees 1990
Cliche Margueron
bulletin/ da la/ Society de& &tude& &cea/i
societe de loisirs
tourisme
»
Polynesie, enfin
en
qui effectue
tion
contemporaine. II presentera un survol historique du
une
croisiere
aux
il
demandera si le cargo mixte I’Aranui
lies Marquises, entre dans cette « redeflnise
voire cette rehabilitation du voyage et des vacances, souhaitee par
beaucoup.
Voyage
exotisme et colonisation
Le voyage jut d’abord collectif, souligne PaulMorand, migrations guerres, pelerinages, exodes, transfers etc. Le void qui revient
«
d
ses
le
origines,
au cours
deplacement par masses'
des ages,
a
».
Il est exact que le voyage,
a diverses fonc-
revetu de nombreux mobiles et obei
tions autorisant
l’analogie courante que la vie est aussi un voyage, dans le
l’espace. Puis il a pris des formes plus individuelles, a
temps et dans
compter du XVIe siecle (Montaigne)
avec
et notamment au cours
du XlXe siecle
les voyages d’ecrivains celebres: Chateaubriand, Stendhal, Nerval,
etc. Au debut du XXe encore, Part du voyage, qui associait
Baudelaire
rarete relative du
phenomene, luxe et esprit cosmopolite,
sans
neghger le
panache d’une certaine mise en scene, avait encore Here allure (Blaise
Cendrars, Paul Bourget, Pierre Benoit, Paul Morand, Somerset Maugham
etc.). C’est done par ces ecrivains que s’est developpee l’idee que le voyage
est une aventure philosophique, une experience personnels et fondatrice,
un
desir de connaissances
visite »,
une
et souvent
de rencontres
avec
l’autre,
«
le
exploration de soi et de ses bmites, sur les plans physique et
a tour flaneur, vagabond, pelerin, marcheur et
explora-
intellectuel. Tour
teur, le voyageur individuel modifie le rapport de son corps et de son
esprit a l’espace comme au temps. Le voyage, lent et initiatique, exerce sur
FOccident
ample fascination comme quete personnels, mise a
l’epreuve de soi », mais aussi depassement de soi et recherche si ce n’est
rencontre avec Talterite, afln d’atteindre, ce que certains voyageurs nomment,
1
une
une
certaine universalite.
Paul Morand (1888-1976), ecrivain-voyageur type de la
Le voyage, edition du Rocher, 1994.
150
«
premiere moitie du XXe. Citation extraite de i'ouvrage
N°326/327-Aout/Decembre
Pourtant« le divers decroit »
len
debut du
vingtieme siecle
2012
prophetisait deja l’ecrivain Victor Sega-
de ses voyages, en Oceanie et
il
constatait
le
monde avait tendance a s’uniformiser. Les
Chine,
que
voyages de decouvertes, les circumnavigations ont, en effet, ouvert la voie
au
: au cours
en
entreprises civilisationistes ». L’evangelisation, la colonisation, les
echanges commerciaux, le tourisme enfin produisent des effets niveleurs
aux
sur
«
les
populations
et
leur cadre de vie. Cette opinion est affermie par
sa magistrale et tres litteraire
premiere partie de
Claude Levi-Strauss dans
Tristes
tropiques (1955), intitulee La fin des voyages, dans laquelle il
exprime son desenchantement et se dit convaincu d’avoir vecu au
temps des vrais voyages, qaand s’offrait dans toute sa splendeur un
«
spectacle non encore gache,
contamine et maudit
sion du voyage confronts
l’avancee irreversible de la civilisation
«
a
».
Voyages, coffrets magiques aux promesses reveuses,
plus vos
tresors intacts. Une civilisation
trouble ajamais le silence des mers.
..
»
Il denonce l’illu-
vous ne
:
livrerez
proliferante et surexcitee
Et pour notre
region qui connut
la terrible guerre du Pacifique, il note : «Aujourd’hui oil des
liespolynesiennes myees de beton sont transformees en porte-avions pesamment
fond des mers du Sud... comment la pretendue evasion du
voyage pourrait-elle reussir autre chose que nous confronter aux
foirnes les plus malheureuses de notre existence historique ? 2 ».
ancres au
Cette reduction de la diversite
qui
va
du different
vers
le semblable
l’identique
pourtant pas fait disparaitre, loin s’en faut, le desir de
voyage, le voyage lui-meme et la litterature des lointains. En effet, une part
importante de 1’economie mondiale repose aujourd’hui sur les echanges
voire
et
n’a
le tourisme.
Le voyage est
deplacement geographique, il est aussi le recit que l’on
fait, c’est-a-dire une parole, un choix de mots, un ton, une logique de
transcription, un imaginaire de mots et de situations. Le voyage, s’il est
en
d’abord
sensation 3
l’est interieurement l’ecriture que Ton
cree, est essentiellement la rencontre avec l’alterite, naturelle et humaine,
2
!
«
une
»
comme
Tristes tropiques (1955), collection Terre humaine des editions Plon, Ter chapitre intitule La fin des voyages.
Paul Bourget, cite dans La pensee de Paul Bourget, I'exotisme par Anna Sebring, these, Grenoble 1933
151
bulletin
c/e /a
tout comme
voyage
doc/e/e
Test
des
Stccc/es 0icea/ue/i/ie&
egalement le langage.
risque comme
Et la litterature
s’apparente
incertain dans les mots, les siens et
profond mystere. L’espace litteraire est done en
rique avec l’espace geographique, arpente et decrit.
dans leur
Et si Ton voyage, si Ton
a ce
des autres,
lien metapho-
ceux
parcourt le monde e’est bien
souvent dans
les images et les mots'* deja vus, lus et parcourus dans les livres tant de
fois, de maniere a se situer dans une continuity culturelle et parfois a creer
nostalgie en confrontant le songe et la realite. Ce sentiment
sied si bien lorsque l’on superpose le meme objet geographique a differentes epoques. Et les mots, grace auxquels chacun tapisse son imaginaire,
le sentiment de
se
revelent bien souvent moins decevants que la realite rencontree.
Voyager, e’est parfois encore se construire une memoire et des
venirs, eprouver des sensations nouvelles.
Pour voir l’homme tel
sou-
qu’il est
l’Histoire, ou bien pour vouloir croiser le dernier sauvage, le
dernier eden, la derniere foret primitive. Pour simuler le retour vers un
passe aboli, chez soi, une origine supposee, une innocence perdue, l’uldevenu dans
refuge d’une pensee, d’un mode de vie ou d’un refus.
Multiple et paradoxal, tel est bien le voyage dans notre monde ou
bouger constitue bien souvent l’avatar, le ressort d’une vie de plus en
plus regulee et sedentaire.
time
»
«
Crise et rehabilitation du recit de voyage
La fin de la colonisation, dans les annees d’apres guerre, avait
—
pensait-on-
le
glas
d’une forme de recit de voyage
sonne
qui fonctionnait
domination de type imperialiste, comme l’extension d’une
rationalite unilateral aux nouveaux mondes, comme une appropriationdomestication. « L’ere du soupgon » avait atteint ce genre litteraire qui
comme une
pourtant, dans le passe,
grande importance, tant comme
lieu de passage, d’echanges et de malentendus entre les Europeens et les
autochtones, que dans la construction de Pimaginaire occidental sur l’auavait
eu
dela des terres
4
152
connues et
Voir Jean-Jo Scemla, Line
des
une
si
mers.
navigation bibliothecaire oceanienne, BSEO n° 228, Papeete, 1984.
MESSAGE RIES
MARITIMES
Les Messageries Maritimes font le tour du monde
Cliche Margueron
bulletin
En
de la
Society des. Studes &cea/u'<
d’une vision souvent reductrice
depit
savoir contenu dans
comme une somme
decouverte
absolue,
verite
a
posteriori,
».
un
humaines. 11
ne
fait,
on
De
ou
fautive des
aujourd’hui relativise,
peuples,
et
le
compris
de
Au-dela de
«
recits doit etre
ces
representations datee et situee, et non comme une
n’ayant en ligne de mire qu’une seule et indubitable
prismes deformants, le recit de voyage constitue,
materiau qui sert aux litterateurs comme aux sciences
peut
ses
en aucun cas
constate
une
etre
periode
neglige.
de relatif effacement du recit de
voyage entre 1950 et 1980, au cours de laquelle le lecteur a decouvert les
recits maritimes des « yachtmen tour-du-mondistes », activite en plein
essor
«
democratique
»
a
cette
epoque-la,
comme
si l’aventure etait des-
l’eau et dans cet espace restreint qu’est un voilier. Structure
close et autonome, le bateau offre la possibility de se rendre en des lieux
ormais
sur
du monde, notamment les
de
se
mouvoir
Depuis
redefinis
a
lies, difficilement accessibles,
mal
connues
et
plus
periode,
aisement.
le voyage et son recit ont ete ainsi repenses et
l’aune d’une massification des echanges -qui entraine un
cette
controle social
les recits rapportes- (tourisme et diminution du cout
d’une evolution dans les modes de transport (avions, ferry,
des
sur
voyages),
developpement de l’automobile et construction de routes) et de communication (satellite, presse et guides specialises, puis internet) et d’un desir
frequent de reconnaissance des cultures voire d’un respect affiche et souhaite des populations visitees. A ce souci humanitaire, on a ajoute desormais une dimension ecologique.
Aujourd’hui le voyage s’identifie essentiellement au tourisme et aux
vacances.
Le voyageur devient
touriste, identifie
comme
tel. Le droit
a ces
activites, au tourisme semble inscrit dans la Constitution de l’homme
modeme; on pourrait sans doute definir le degre de developpement d’un
«
»
pays a la quantite de ses ressortissants qui se deplace notamment a l’exterieur de ses frontieres. Le tourisme constitue de nos jours, on le salt,
premiere industrie mondiale. L’atout soleil et mer conjugues (« sea,
sun
et parfois
sex ») a beneficie a des pays qui ont betonne leurs
1’environnement
et produit une inegalite sociale rarement
cotes, sacrifie
egalee.
la
»
154
«
N°326/327-Aout/Decembre
2012
L’impact du tourisme sur l’ecologie et les populations locales notamment fait predire a certains penseurs que le tourisme pourrait etre le nouvel
5
enjeu du choc des civilisations De plus«le paradoxe du tourisme, declare
Rodolphe Cristin, c’est qu’il tue ce dont il vit. Partout sur la planete, on massacre l’environnement pour rendre les lieux accueillants. Cotes betonnees,
.
parkings,
consommation d’eau
a
outrance... Les touristes
represented une
infime minorite de la
population mondiale, mais ils ont un impact majeur
qu’ils
exploite, pollue, detruit».
Le respect des lieux et des populations doit-il etre des lors considere
comme un voeu partiellement pieux, lorsque l’on se rend compte que le systeme economique mis en place fait des cultures locales des spectacles permasur
les lieux
nents et
visitent. Le tourisme
les habitants des contrees visitees les acteurs d’un theatre d’ombres ?
L’intellectuel individualiste souvent elitiste
s’il s’en
defend-,
plages, les
et immeubles
pieds
-meme
voit d’un mauvais ceil le deferlement des vacanciers
sur
les
«
pour laisser la place aux hotels
dans 1’eau », l’organisation ultra rationnelle des vacances, «l’enfennement
quasi autiste dans les enclaves dereahsees » des centres de vacances et
rivages defigures
complexes touristiques, bref tout ce qui massifie, desindividuahse voire
deresponsabilise le citoyen dans son droit aux vacances.
La contradiction du voyage moderne
peut s’enoncer ainsi:
comment
conciber la banahsation du voyage (massification, rapidite, frequence)
avec la notion d’experience personnelle qualifiante, qui l'a longtemps
Voyage)-, c’est obeird une pulsion mmade, un peu libertaire, qui
nous pousse a I’aventure, a la decouverte, a la connaissance. Mais noire
fonde ?«
produit de consommation. On nous
vend sur catalogue du soleil ou de la neige, du divertissement ou de I’exotisme. La destination importe souvent moins que leprix, le confort le ser6
vice, le decor. La prestation touristique a remplace l’esprit du voyage ».
societe de bisirs afait du voyage
un
,
5
Titre du
numero
de la
revue
Herodote n° 127 de 2007.
Interview donne par Rodolphe Christin, iauteur de iouvrage Manuel de I'anti tourisme, editions Yago Dans
son Manuel de I'anti tourisme, Rodolphe Christin relance I'opposition traditionnelle entre le voyageur et le tou6
degats socio-ecologiques engendres par l'industrie touristique. Mais surtout,
au
fait de vouloir«partir en vacances»ce que cela dit de nous, de notre societe.
de
reflechir
son ouvrage permet
Le tourisme, ses tendances et ses consequences sont un revelateur de notre societe moderne. La sedentarite
riste. II denonce avec virulence les
recree en nous
le nomade provisoire.
155
En
Joc/ctc- des Chides Ocea/u'e/mes
c/c fa
-jfco|
v
effet, il faut avoir bien conscience que la demande touristique
tiple et ne se reduit pas a une seule formule
oil
la vie dans
un
hotel de luxe
avec
:
entre
est
mul-
le tourisme vert, le trek
piscine, l’eventail des desirs et des
offres est large.
7
(1999), l’universitaire Jean Chesneaux s’inspirant de trois« appels» complementaires au voyage, construit sa propre
theorie. Ces trois appels sont d’abord celui du geographe Domeny de
Rienzi (1789-1843), dont la destinee tragique fut surtout d’etre et de
demeurer un incompris, celui ensuite des nombreux romans de Jules
Verne ou le deplacement fait partie de la narration et de la fiction ; il s’appuie enfin sur sa propre experience personnelle en Asie au lendemain de
la guerre. C’est ainsi qu’il elabore son art du voyage en cherchant une
reponse a ce questionnement: Comment vivre le voyage dans la relation
reciproque de I’ailleurs et de I’ici, de I’alterite et de I’identite ? Comment
retrouver I’universel detriere Vexotique ? ». Jean Chesneaux consacre sa
conclusion au voyage, mode d’emploi a l’usage des voyageurs de
bonne volonte ou il decline un abecedaire de tout ce qu’il faut associer
pour reussir son periple. A comme accueil, G comme guides touristiques,
P comme photographier etc. Le voyageur ideal est, selon lui, celui qui privilegie «la lenteur, le detour, la rencontre fortuite... pour faire siens d’autres rythmes sociaux, d’autres heritages culturels, en quelque sorte d’etre
a rebours de la rapidite et de l’efficacite contemporaines. L’objectif final
Dans L’art du voyage
,
»
«
«
«
»
«
»
est
«
de redonner
cheminement
sens
a
dont
«
au
»,
voyage une portee philosophique : le lieu comme
1’ailleurs qui « conduit a l’autre », la recherche du
la modernite celebre la decheance
l’universel et la volonte
Le
«
d’etre dans le monde
sociologue Jean-Didier
consacres aux
voyages,
»,
Urbain
aux vacances
a
publie
8
la capacite d’atteindre
».
de nombreux ouvrages
moderne 9 qu’il traite
et au tourisme
7
Jean Chesneaux (1922-2007), specialiste de I'Extreme-Orient, a publie les livres suivants concernant le Padfique: Transpacifiques (1987), La France dans le Pacifique (1992), Tahiti apres la bombe (1995).
8
9
Voir Stanislas Breton, L'autre et I'ailleurs, Paris Descartes et Cie, 1995.
Jean-Didier Urbain: L'envie du monde (2001), La France des temps libres et des vacances (2002), L'idiot du
voyage (2002), Les vacances (2002), Sur la plage (2002), Secrets de voyages (2003),
(2003), Le voyage etait presque parfait (2008), L'envie du monde (2011).
156
Ethnologue mais pas trop
MESS AGERIES
GUIDE DES COLONIES
MARITIMES
FKANfAISES
COLONIES
DE L’OCEAN INDIEN
ET DE L’OCEAN
COTE DES SOMALIS
-
PACIFIQUE
LA REUNION
ETADLISSEMENTS FRANQAIS DE L’lNDE
fTABLISSEMENTS FRANCA1S DE UOCf ANIE
ETADLISSEMENTS FRANpAIS
DU
PACinpUE AUSTRAL
Margueron
Cliches
EN
CROISIERE
OCEANIE
L'ALGERIE, LES ANTILLES, CURAQAO, PANAMA, TAHITI,
LES NOUVELLES-HEBRIDES, LA NOUVELLE-CALEDONIE, MADERE.
Guide touristique des
Croisiere
en
Oceanie du 27 juin
15 000 F
en
au
1
0
annees
Q O O
I 7 O O
I
30, et
14 octobre 1938: Marseille, Port-Vila et retour,
F
dasse, 10 700 en 2° dasse
*
d&u/fctw
da la
Society de& Qutdes &cea/ii€M/ic&
leurs dimensions et points de vue critiques. Le titre L’idiot du
voyage attire notre attention : le voyage rendrait-il idiot, c’est-a-dire ignorant, l’etre humain ?« L’idiot du voyage, c’est le touriste. II est, on le suit,
dans
un
toutes
mauvais voyageur. C’est du moins la
le
aujourd’hui
mepris. Pourtant,
setts
commun,
en
que lui prete
longue tradition de
reputation
vertu d’une
le touriste n’estpas si idiot. Ilfaut lui reconnaitre,
outre ses utilites evidentes (economiques, politiques et culturelles), utte
intelligence du voyage, un univers quefonde, avec ses confins et
ses deserts, ses enfers et ses paradis, une geographie personnels: une
poetique de I’espace que manifeste une diversite de comportements.
Seulement voild: hante par le mythe du voyageur, le touriste
n’echappepas au mepris. Meprisant ses semblables, ilse meptise luimeme. Pris au piege d’un telparadoxe, les usages et les discours de cet
explorateur s’en ressentent, faisant de lui un personnage complexe et
10
complexe ». Cette presentation montre la complexity de la fonction du
reelle
personnage de touriste et des representations qui se sont construites
autour de lui. C’est, de plus, une fonction ephemere, car tout individu
peut,
a un
moment
de l’annee
se
transformer
Le touriste utilise les moyens de
en
touriste.
transport de
son
epoque
:
la dili-
gence, le bateau, le train, l’automobile, 1’avion etc.; a chacun correspond
des formes de voyage, des types d’observations et de decouvertes et sans
11
cela, conformement a ce que pensait Jacques Ellul :
c’est la technique qui impose son regard et ses determinations a 1’homme.
Voulant, lui aussi, rehabiliter le voyage touristique moderne,
Rodolphe Christin declare : c’est cela I’exotisme, cettepart de non vu,
de non vecu, que le voyage, parce qu’il change les perspectives et provoque des experiences inedites, permet de decouvrir et d’experimenter
mental plus que physique —, I’incertitude, la
malgre I’inconfort
peur parfois. Decouvrir, rencontrer, pour le meilleur et pour le pire.
doute de recits. Et
«
—
10
11
Presentation en quatrieme de couverture du livre.
Jacques Ellul (1912-1994), historien, sociologue et theologien protestant, penseur de la societe postindustrieile
ou
158
technicienne.
N°326/327-Aout/Decembre 2012
Etre
la,
vraiment la, conduit la conscience
dehors, hors de nos
au
horizons et des contours ordinaires de notre subjectivity grace a une
receptivitepleine et entiere, exacerbeepar le changement de contexte,
oil Von recueille le monde
ses
comme
mains. Une fois hors de
I’eau de la
source
dans le
creux
de
soi, Vanodin s’entoure d’une aura parti-
culiere, il ajjiche sa presence a Vinterieur de la conscience. C’est ainsi
que le voyagepermet d’acceder a Vuniversel en soi, via un detour qui
ouvre
«les portes de la perception
».
L’aventure du voyage moderne en Polynesie
L’ouverture du canal de Panama (1914) a ouvert le
laire
aux
relations commerciales maritimes directes
Paciflque insudepuis l’Europe ;
ainsi, des la fin de la guerre, les cargos mixtes de la Compagnie des MesMaritimes
sageries
12
ont
entrepris la
reguliere de leurs navires
(E.F.O 13 Nouvelle-Caledonie,
rotation
possessions frangaises d’Oceanie
Nouvelles-Hebrides). Trente a quarante jours desormais suffisent pour se
rendre de Marseille a Papeete, via Alger, Les Antilles et Panama avec un
dans les
depart
annees
.,
toutes les
plus
quatre
a
six semaines selon les
tard s’est constitue
a
Tahiti
de comite du tourisme avant l’heure
-
un
«
periodes. Quelques
Syndicat d’initiatives», sorte
14
dont la SEO
,
creee en
1917,
etait
partie prenante -, visant a creer et a organiser cette nouvelles activite economique, car dans les annees trente, la Polynesie a subi, elle aussi, les
consequences de la crise de 1929- C’est a cet effet qu’a ete convoque un
ecrivain,
vecteur
potentiel des
reves
(nostalgiques)
contexte, aussi, qu’il faut coml’erection du buste de l’auteur de Rarahu dans la vallee de la Fau-
desirs de voyage : Pierre Loti. C’est dans
prendre
occidentaux et des
ce
taua, en 1934, a l’initiative d’Andre Ropiteau et de la SEO, alors que
l’ecrivain exotique (mort en 1923) n’etait plus du tout dans l’actualite litteraire en France. Tres nombreux sont, dans l’entre-deux-guerres, les journalistes et ecrivains qui effectuent
12
13
14
une
escale
ou un
sejour dans les
Societe maritime frangaise ayant existe de 1851 a 1977 (site internet des M.M.).
E.F.O.: Etablissements Frangais de I'Oceanie, nom de la Polynesie Frangaise durant I'epoque coloniale.
SEO: Societe des Etudes Oceaniennes, societe savante locale.
159
(bulletin
c/e /a
doccete
des
Slades Otcva/ue/mes
rapportent un reportage, un recit ou
(Jean Dorsenne, Titayna, Pierre Benoit, Georges
Etablissements Frangais d’Oceanie
exotique
etc.).
un roman
Simenon
15
et
appel au voyage en Oceanie par le truchement de l’ecrivain roche-
Cet
fortais repose pouitant
T operation
malentendu extreme : il faudrait, pour que
fonctionne, d’une part que la vision du Tahiti
sur un
promotionnelle
qualifiante, d’autre part que le
temps n’ait pas transforme la Polynesie depuis le passage de Tecrivain, une
qu’en
a
donne Loti
en
1880 fut reellement
cinquantaine annees auparavant, ce qui la rendrait meconnaissable et ruinerait l’engouement souhaite pour un voyage a Tahiti. Il semble, au fil des
ecrivains-voyageurs aient reussi a denouer la
contradiction en distinguant le mythe exotique permanent (beaute de la
nature et des hommes, de la vahine notamment, mode de vie insulaire
etc.), des ombres casuelles creees et entretenues par la colonisation
(Titayna, Renee Hamon, Alain Gerbault, Marc Chadoume). Par ailleurs, le
desenchantement moral et intellectuel qui prevaut en Europe apres la premiere guerre mondiale, aide, objectivement, la Polynesie a valoriser ses
atouts esthetiques et existentiels. Le conflit entre l’appel au reve sur lequel
fonctionne le tourisme et l’authenticite historique et du reel est permanent.
En effet et malgre ce paradoxe, les voyageurs et joumalistes se sont deplaces et ont decouvert les charmes d’une Polynesie attrayante, souvent feminisee. Entre folle attente et disillusion, les voyageurs auront su trouver
alors les mots pour raconter l’atmosphere et la temporalite paiticulieres
des lies, a Tissue d’un sejour bien souvent tres court.
Le tourisme modeme s’est developpe en Polynesie un peu en deca de
16
la construction de Taeroport de Faa’a (ouverture du Club Mediterranee
annees, que certains des
en
1955
a
Moorea par Laris
Kindynis), mais il a pris son essor a Tarrivee
progressive des jets et des grandes companies aeriennes (TEAL, TAI, UTA,
Air New Zealand, Pan American, Air France, etc.), suite a Tachevement de
'5
Voir notre commentaire litteraire intitule«Tahiti, ITIe des voyageurs cosmopolites» dans Touvrage Tuimata
Kroepelien (Haere po 2008) et I'artide publie dans Les Nouvelles de Tahiti le 1" juillet 2000:«Silence et
de B.
solitude ou le bonheurtahitien».
16
Voir le livre de Sylvie Jullien-Para, Madame Bobby, editions Le Motu, Papeete 2007.
160
iuai du
Commerce,
«
i-«.
—
VANILLE
COPRAH
—
NACRE
GEnERALES
EXPORTATION MARCHANDISESTABAC
LIQUEURS
IMPORTATION
MEUBLES
ePICERIE
i
—
—
ARTICLES
DE
CHINE
—
SOIERIES
boutique
WHARF
La
R.
Proprlitalre
KLIMA,
Vis^-vie
de,
du
HACHl
MESSAGERIES
PAPETERIE
Dipotitaire
LIBRAIRIE
ARTICLES
DE
-
EMILE MA
et de la
Rue du
j
-
|| ENVELOPPES
I
Petite Polo/
MAGASIN
\
L’tL
L’tLECTRICrrf;
CONCERNANT
-
DE
TOUS PRODUITS
ATELIERS
ET CHAMBRES
I SERVICE
PARFUMS
-
SPORT
ETABLISSEMENTS
Marchi
Seul
ROTIN
EN
—
reprfiaentant
de la
POUR AUTOS
grande
marque
J
■
/
A
C
/
1
•
_
JEANNE-D’ARC
Service de Jour et
et
•
PRIX
-
TEL. N’ 161
de
nuiten de
confortables
luxueuses voitures
de I'ann6e
Chauffeurs
193 7
courtola pariant
pluilours lanfuaa
Ungues #
-
..
..
..
Par mllle
:
3 fr.
p ar
heure
;
15
1
EtabllHMements DONALD
TAHITI
LLOYD’S AGENTS
General
Shipping
Sl
Merchant*
SHIP
WINESCHANDLERY
SPIRITS
OF ALL
KINDS
TOBACCO PERFUMES
-
PROVISIONS
-
A. U.
Donald
At
Ltd
Agents
for
AUCKLAND,
Branches
at
Sam
"Reclame" dans
une
IV. Z. A
RAROTONGA
Taaaslii, Harqnnu
Francisco, London and
Australian Agents <
BURNS PHILP A
Co, Ltd
brochure presentant Tahiti en 1939
FondsMargueron
dfau/letin
la
de la
Society (leu toUides- 0iceanic/i/ics
1961. De grands hotels internationaux ont ete constants au
l’eau, a Tahiti, Moorea et Bora-Bora principalement, et un tourisme haut de gamme s’est ainsi developpe, d’abord toume vers le marche
des Etats-Unis. La frequentation touristique n’a pourtant jamais depasse,
les bomies annees, deux cent cinquante mille personnes, malgre les efforts
promotionnels et financiers deployes. Le developpement du tourisme en
pensions de famille date des annees 1970 et s’est adresse d’abord aux
piste
en
bord de
families de militaires presents dans le cadre du CEP 17 et aux fonctionnaires
civils (enseignants). 11 a conceme done d’abord une clientele locale, puis
s’est etendu
egalement a la clientele etrangere,
bon marche. On connart le debat
recurrent sur
mais il n’est pas
non
plus
les forces et faiblesses du
polynesien : eloignement, prix pratiques, services offerts etc.
Interrogeons-nous plutot sur le fait de savoir si l’offre touristique s’effectue
en Polynesie, au-dela du mythe ecule, sur des formes
originales ou inedites
de voyage. En s’appuyant sur les depliants touristiques, on peut dire qu’il
a longtemps privilegie 1’exotisme de la destination en misant sur la nature
insulaire, le climat tropical et la gentillesse polynesienne. Progressivement
il a decouvert l’interet culturel du pays, le tourisme vert, la plongee soustourisme
marine,
et
l’attraction de la croisiere maritime.
Le tourisme moderne recherche et
serait intacte et preservee et
prise
18
.
La
Polynesie mythique
ou
des lieux
ou
la nature
l’histoire moderne n’aurait pas eu de
dans cette definition et cette attente 19
entre
On recherche le lointain dans
peintre Gauguin, deja,
privilegie
l’espace
.
et
le temps
(cf. la demarche du
la fin du XIXe). C’est pourtant la une double mys-
a
tification:
-
d’une part
car
l’homme
a
fagonne depuis
deux siecles et demi la
les paysages (plantations de cocoteraies,
devenues parfois dominantes acacia, mico-
insulaire,
d’especes
nia etc.-, disparition de plantes endemiques voire d’oiseaux etc.),
nature
comme
introduction
17
CEP: Centre (('Experimentation du
18
Voir le livre de Mac Cannell D.,
-
Pacifique, present de 1963 a 1996.
Empty Meeting Grounds:«the Tourist Papers», London 1992.
19
On n'associera jamais la proximite qui existe entre les sites touristiques et les sites nudeaires I
162
N°326/327-Aout/Decembre
-
2012
d’autre part parce que le temps a fait egalement son oeuvre et ses
materielles (villages, routes, automobiles etc.) que moins
traces tant
visibles (evolution
ethnique et culturelle de la population)
sont
bien
presentes.
L’Oceanie
touristique joue
ainsi
a
la fois du contact
avec
l’etranger
(accueil, role de la femme...) qui est en permanence rejoue, et de la
negation de toute influence, comme si«l’immuabilite » etait le caractere
dominant des lieux. Ce sont bien entendu des representations toutes faites
produites par l’occident qui servent des interets mercantiles.
Venir en Polynesie, et qui plus est, jusqu’aux lies Marquises, representerait-il pour le touriste ce bout du monde et ce bout du temps ? « Le
temps s’immobilise aux Marquises» chante Jacques Brel, mais pour qui et
pour combien de temps ? On ne sort done pas vraiment du stereotype que
Ton cultive et reproduit allegrement. Une idee regue et un imaginaire actif
permettent-ils la rencontre de la realite des hommes au sein de leur environnement ?
Croisieres et cargos mixtes, l’aventure de VAranui
Le tourisme de croisiere maritime (et fluviale) se developpe
depuis
quelques decennies rapidement dans le monde. Cette forme de voyage nait
de la rencontre entre le tourisme, le voyage, le loisir et le bateau comme
mode de transport, qui permet de parcourir 70% de la surface de la planete. On voit meme maintenant de veritables villes flottantes accoster a
Papeete. Elies
n’ont rien
a
envier
a
la
«
Standard island
», inventee
par
(1895), qui circulait dans le
2
Tahiti et dont la surface -27km ne permetL’ile
Jules Verne pour
Pacifique de San Francisco a
tait pas de se frayer un passage
son roman
a
helices
-
entre
Tahiti et Moorea!
Dans le domaine du tourisme de
croisiere, il existe trois formules:
reguliere d’un navire entre les lies et archipels (cf. le paquebot
Paul Gauguin ), la croisiere a theme qui joint voyage et activites, type peinla rotation
ture, poterie, musique etc., et la croisiere oil sont reunis touristes, voyageurs locaux et fret. La Polynesie connait la premiere et la troisieme
formules.
163
bulletin
de fa
Jociete- des &
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 326-327