B987352101_PFP3_2011_323.pdf
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DE LA SOCIETE
OCEANIENNES
Societe
Etudes
des
Oceaniennes
Fondee LE 1 er JANVIER 1917
do Service des Archives de Polynesie frangaise, Tipaerui
B.P. 110,
•
98713 Papeete, Polynesie frangaise • Tel. 41 96 03 -Fax 41 96 04
e-mail: seo@archives.gov.pf • web : etudes-oceaniennes.com • web : seo.pf
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CCP Papeete, compte n°14168 00001 8348508J068 78
Composition du Conseil d'Administration 2011
President
M. Fasan Chong dit Jean Kape
Vice-President
M. Constant Guehennec
Secretaire
M. Michel Bailleul
Mme Moetu Coulon-Tonarelli
Secretaire-adjointe
Tresorier
M. Yves Babin
M. Daniel Margueron
Tresorier-adjoint
Administrateurs
M. Christian Beslu
Mme Eliane Hallais Noble-Demay
M. Robert Koenig
Membres Correspondants
M. Bernard Salvat • M. Darrell! Tryon
Membre d'Honneur
M. Raymond Vanaga Pietri
Bulletin
DE LA SOCIETE
des Etudes oceaniennes
(POLYNESIE ORIENTALE)
N°323
-
Septembre / Decembre 2011
Sommaire
Me’eti'a, Pile mysterieuse Frederic Torrente
-
Me’eti’a, Pile mysterieuse
p.
3
I
Les donnees du milieu naturel
p.
4
II
Le passe dans le paysage et les donnees de l’archeologie
p.
8
III Me’eti’a, espace du mythe et espaces dans le mytlie
p.
Les donnees de la tradition orale
p. 30
La iegende de Tuhiva et les liens avec Tautira
p. 32
Les chants
p. 35
13
p.
45
L’ancienne societe de Me’eti’a decrite par les Espagnols en 1772
p.
49
1773 et 1779, observations de James Cook
p. 61
Les relations interinsulaires
p. 63
1792, le retour de Bligh
p. 67
IV Premiers contacts europeens
V
p. 13
Les differents noms de File
Me’eti’a au XLXe siecle
La paix aux Tiiamotu et la fin des temps paiens
L’affaire Osnaburgh et le Protectorat
1845, mission mormone sur File de ’’Metia”
1854, visite du gouverneur Page a Me’eti’a
VI Comment une ile devient-elle privee ?
p. 70
p. 72
p. 75
p. 78
p. 83
p. 87
p. 88
Un projet de leproserie
Conclusion
p. 93
Parau no Meketika
p.
Portrait d’un collectionneur
-
96
p. 104
Christian Beslu
Compte rendu d’ouvrage
Mythologie du Pacifique, hi es dichotomie Julie Gueguen
-
p. 107
Croquis de I'Tle denommee Ysla de San Cristobal (Maytu)
lors de I'expedition espagnole de Dn Domingo de Boenechea en 1772.
© Real Academia de la Historia, Madrid / Archivo nacional de Espana.
Me‘eti‘a,
l’ile mysterieuse
L’lle de Me‘eti‘a (Mehetia) est Tune des plus meconnues de l’actuelle
Polynesie frangaise. Elle est aujourd’hui vide d’hommes, en raison de son
proprietaries n’occupent plus les lieux.
Cette lie est tombee dans l’oubli, n’ayant plus d’interet que pour les geologues et volcanologues qui surveillent l’activite de son point chaud. Mais
ce cone volcanique abmpt n’a pas ete toujours desert, puisqu’une population importante s’accrocha a ses pentes et s’y developpa, eut quelque
importance, puis petit a petit periclita.
Le mystere qui planait sur son passe a justifie la presente recherche
acces difficile et du fait que ses
qui, combinant les sources archeologiques, ethnographiques et historiques est destinee a porter un eclairage sur le role que jouaient certaines
1
petites lies peripheriques dans la Polynesie ancestrale
De nombreuses petites lies du Pacifique sont devenues ’’mysterieuses” parce que desertees, la memoire de leurs occupants peu a peu
.
erodee ou disparue a tout jamais.
Les lignes qui vont suivre se proposent de donner quelques ’’coups
de projecteurs” sur le passe de Me‘eti‘a.
1
Cette monographic insuloire est extroite d'un memoire de D.E.A. intitule La societe insulaire de Me'eti'a (Mehe-
frontia). Contribution a I'etbnologie et a I'histoire des ties de la Societe, soutenu a I'Universite de lo Polynesie
est
Docteur
Torrente
Frederic
de
la
S.E.O.
la
dons
cote
L4
16B195
coise en 2003 et entre sous la
bibliotheque
en
culturelle, laboratoire EAST, Universite de la Polynesie francaise.
ethnologie, anthropologie
bulletin </e /a Jociete de,s &/tdes 0t'cea/uen/ie&
>
I. Les donnees du milieu naturel
«
Oit I’homme ne va-t-ilpas s’accrocher ? »
propos de Louis Bemicot
passant devant Pile en 1920
L’Tle de Me‘eti‘a, est situee a environ 110 km a Test de Tahiti, par
17°9 de latitude S. et 148°2 de longitude 0., a Textremite est des actuelles
lies du Vent de l’archipel de la Societe. Elle se trouve pratiquement a michemin entre la presqu’ile de Tahiti et l’atoll de ‘Ana‘a dans l’archipel des
Tuamotu. Elle constitue la partie emergee d’un edifice volcanique sous-
marin, a la verticale du point chaud qui donna naissance aux lies de la
Societe. De petite taille (2,3 km
2
,
2 km de diametre), elle a la forme on-
ginelle d’un cone volcanique abrupt culminant a 435 m, oh se situe un
cratere parfaitement conserve.
Le volcan de Me‘eti‘a
Me‘eti‘a est un enorme volcan reposant sur des fonds oceaniques de
4200 m. L’ile represente la partie emergee de cet edifice. Elle constitue la
demiere-nee des lies de la Polynesie frangaise. Des coulees de lave du volcan
ont recouvert un ancien recif corallien qui s’etait constihie lors d’une phase
d’erosion entre deux periodes d’activite. Selon Jacques Talandier, «les dernieres coulees de lave sur cette lie remontent vraisemblablement a Tepoque
liistorique. La jeunesse du volcan Me‘eti‘a est attestee par la faible erosion
des pentes et du cratere, par le fait que la vegetation n’a pas encore colonise
la totalite des pentes de Tile et par (’absence de recif corallien continu a sa
Peripherie. Les laves sont trop recentes pour avoir pu faire l’objet d’une databon par la methode Potassium/Argon, mais le contexte de l’ile et le fait que
certaines legendes polynesiennes fassent etat de grands feux suggerent que
les denberes eruphons se sont prodmtes il y a moins de 2000 ans 2 .» Depms,
les demieres databons ont situe ces coulees entre 0 et 3000 ans 3
.
2
Talandier, 1983.
3
Duncan, Dotation des laves de Me'efi'a (non publie), in Clouard Valerie et Bonneville Alain, (2000).
4
N°323 Septembre / Decembre 2011
-
Elle a encore la forme d’un cone volcanique qui vient de naitre,
encore peu touche par P erosion marine et le ruissellement. L’altimde est
de 435 m, et la surface de 2 km 2 le rapport altitude /surface est de 216,
ce qui est le plus eleve de toutes les lies de Polynesie francaise.
,
La partie nord de Pile correspondant a la plus recente unite volca-
nique est particulierement abrupte, a la verticale du cone de cendres et
de scories qui plonge directement dans la mer, tailladee en barrancos par
les eaux de ruissellement, avec de frequents eboulements. La partie sud,
moins abrupte, est couverte de vegetation. C’est la que se situe un plateau
lequel l’homme s’est implante. I41e ne possede pas de cours d’eau, les
points d’eaux venant uniquement du missellement des pentes. 11 n’y a plus
de sources d’eau douce aujourd’hui, suite a un remaniement sismique
sur
situe aux alentours de 1909Un ancien recif est recouvert par des coulees de laves recentes. Au
sud de Me‘eti‘a, une roche coralbenne stratifiee en forme de champignon
s’eleve a plus de 10 m de la surface, attestant une baisse du niveau marin
ou bien une elevation brutale de 1’ile.
Activite volcanique
L’edifice volcanique repose sur des fonds oceaniques de 4000 m. 11
s’agit done d’une enorme construction dont on ne voit que la partie emergee. Actuellement, en dehors de Me‘eti‘a, trois autres orifices volcaniques
sont en activite dans la zone chaude : le Te-ahi-ti‘a, le plus proche de Tahiti
(40 km), dont le sommet se trouve a 1600 m de profondeur, le Rocard
(a 2000 m de profondeur), et le Mou‘a-piha‘a (a 160 m de profondeur
seulement). L’activite volcanique de cette zone se manifeste en surface
(cratere de Me‘eti‘a) par des emissions de fumerolles et en profondeur
dites
par des epanchements de lave fluide (lave en coussinet). Des crises
“volcano-sismiques” ont lieu regulierement. Elies s’accompagnent de tres
nombreux seismes de faible ampleur. En 1981, Me‘eti‘a a ete le siege de
3536 seismes de mars a novembre. La dissymetrie des versants s’explique
par l’opposition cote au vent et cote a la houle.
5
QhiUeti/i de la Society des Otudes &cea/u'e/i/ie&
>
Le paysage de File
La montagne Hi‘ura‘i, abrupte, est recouverte d’une vegetation dense
dans sa partie basse, qui se rarefie a mesure que Ton s’eleve. Le sommet
du pic comprend trois petits ressauts dont le plus eleve est Fare‘ura. Le
sommet de ce volcan culmine a 435 m.
Un cratere situe en contrebas du sommet occupe la partie nord de
File. Parfaitement conserve, il fait 1500 m de circonference et a une pro-
fondeur de 180 m, ou se situe la cheminee. Il n’y a pas de lac, le fond etant
couvert de vegetation. Les pentes vers le nord sont instables et de nom-
breux eboulements ont taille des canyons.
Vu l’etroitesse et le caractere abrapt du cone volcanique, le plateau offre
un espace de vie
providentiel, eleve d’une centaine de metres environ. Cette
elevation offrait une protection certaine en cas de raz-de-maree ou de fortes
vagues, par rapport aux atolls voisins. C’est un milieu mixte, a l’abri des
influences marines, recouvert par une belle foret-galerie avec des arbres gigan-
tesques. Ce terroir plat et fertile est relativement propice aux cultures vivrieres.
On ne remarque pas de constructions coralliennes subaeriennes,
mais des hauts fonds laissent supposer l’amorce d’un platier et d’un recif
frangeant. Le littoral est fortement indente par des baies au sud, dans lesquelles la mer s’engoufifre avec violence, dominees par des falaises vives.
Les plages de beach rock sont battues par la houle du large, et une grotte
a ete creusee dans la falaise par la mer: c’est ici que l’erosion marine est
la plus forte. Les littoraux ouest et est sont moins decoupes, traduisant
ainsi la moindre erosion marine. Il existe des plages de sable noir sur la
partie abrupte du nord, resultant d’incessants eboulements.
Le mouillage des navires est problematique, en fonction de la direction des vents et de l’etat de la mer. Les possibility de debarquement sont
difflciles, ce qui en fit un facteur d'isolement dans le passe. Une passe au
sud-ouest de File (nommee Fatiapo) traversant le recif frangeant se trouve
pied d’une haute falaise. Une autre passe, Manauea, plus praticable se
trouve a l’est, mais n’offre aucune protection selon le vent. Le debarquement est repute dangereux, et Ton peut, pour en juger, se reporter a certains recits figurant dans ce travail.
au
6
Vue aerienne du sommet et du cratere de Me'eti'a
(photo C.E.A. / Laboratoire de Geophysique de Pamatai)
Acces sur ie plateau, cote Est de Me'eti'a
(photo de I'auteur)
^bulletin de /a Societe* dex Studex OiceaMe/i/ic&
l
Si Me'eti'a est une lie particulierement abrupte et accidentee, posse-
dant une activite sismique, elle n’a cependant pas empeche une societe de
s’y installer. Remarquons que ce ne sont pas toujours les lies les plus attirantes qui determined 1’implantation humaine.
II. Le passe dans le paysage
et les donnees de Parcheologie
Les releves de Emory en 1930
A partir des 1920, le Bishop Museum de Honolulu programma une
exploration des lies de la Societe et de l’archipel des Tbamotu, dans le but
de dresser un inventaire systematique des sites de surface, double par une
vaste enquete ethnographique. Un petit cotre, leMahina-i-te-pi/a, fut afirete
a cet effet. Certaines lies eloignees ou difficiles d’acces, comme Me‘eti‘a,
furent cependant visitees, a 1’exception de Maiao et Tetiaroa. Cette expedition
pionniere fut une reussite et permit de localiser 240 sites. Me'eti'a fut visitee
par l’equipe d’Emory du 13 au 16 decembre 1930. Kenneth Emory etait
accompagne de l’archeologue neo-zelandais H. D. Skinner, du botaniste
M. L. Grant, et de Marcel Krainer qui, a cette epoque, etait proprietaire d’une
grande partie de l’ile. Les deux families qui vivaient alors sur l’ile les guiderent. Six marae furent decouverts en
parfait etat de conservation, ce qui
etonna Emory. Les vestiges de quatre autres marae etaient enfouis dans la
vegetation. Les scientifiques trouverent egalement de nombreux sites de maisons, parfois marques de simples terrasses, et des enclos de pierres grossierement assemblees. Des parcelles cultivees etaient encloses par des
murets. D’anciens defrichements, recouverts d’une couche de terre, etaient
gardes en culture. Ils firent l’ascension du volcan et descendirent au
fond du cratere ; ils n’y trouverent aucune structure lithique. L’interieur de
encore
la cheminee presentait des pentes inclinees ou les cendres etaient couvertes
par une vegetation de fougeres et de petits bosquets de purau. Des ‘ape et
quelques pieds defe'i croissaient alors tout au fond *.
1
4
Emory, 1933, pp. 114-115, traduit par Verin, 1964, pp. 67-68.
8
6
N°323 Septembre / Decembre 2011
-
Sur la terre Ponao, ils virent les fondations d’un
temple mormon pres
d’un petit cimetiere.
Au total, ils trouverent sur 1’ile 10 pilons et 28 herminettes. Certains
pilons (penu) n’avaient pas la forme commune de Tahiti, et certains
n’avaient pas de barre de tete.
Dims son rapport au directeur du Bishop Museum,
Emory notait qu’il
trouva a Me’eti’a un marae du type de ceux
qu’on rencontrait dans File
de Nihoa (archipel de Hawaii). Ils y trouverent aussi la « pierre la plus
finement travaillee » qu’ils n’avaient vue jusqu’alors en Polynesie 5 Emory
.
publia
en
1933 dans Stone Remains in the Society islands, le compte
rendu de ses fouilles, enrichi de genealogies, chants et legendes recueillis
dims les lies voisines.
Deuxieme visite du Bishop Museum en 1934
Le 12 mai 1934, l’equipe du Bishop Museum passu une journee sup-
plementaire sur Pile afin de reexaminer quelques mines sur lesquelles
Emory se posait des questions. Ils mouillerent pres du rivage flanque de
sinistres laves noires. Le troisieme groupe de debarquement chavira, et
Gessler, le joumaliste du Bishop Museum, fut projete sur des rochers ghssants et tranchants. Il atteignit difficilement le rivage, trempe et meurtri.
Le botaniste (St John), le malacologiste (Montague), et l’entomologiste
disparurent immediatement dans la brousse pour collecter.
L'ile en 1934 etait deserte et Patmosphere qui y regnait etait particuhere: ils trouverent un village abandonne, enveloppe d’une douce lumiere,
au milieu de bananiers de
grande taille. Emory notait dans son journal:
«jeudi 13 mui 1934: lie de Me’eti’a. Sous-le-vent de Pile au lever du jour.
Debarquai en premier, a Fatiapo. Clifford Gessler, dans le troisieme voyage
du canot, chavira. Trouve un nouveau marae. Quittons Pile a 2 h de
<
Papres-midi. Mer tres calme jusqu’a Anaa. ’»
Dans son rapport au Bishop Museum, il precisait: Je reexaminai
plusieurs mines pour lesquelles des questions restaient en suspens et, avec
«
5
6
Emory, 1931, p. 8.
Emory, Journal de bord de la Mangarevan Expedition, manuscrit, Bishop Museum.
9
(bulletin de la Socicte des Glades Ocea/t
l’aide de Gessler et d’un membre de l’equipage, nous creusames la cour
de Tune d’entre elles, prouvant de cette facon que les pierres dressees ne
marquaient pas l’emplacement de tombes humaines. Un marae jusqu’ici
non repertorie fut aussi decouvert.
7
Le malacologiste de l’equipe fit le recit suivant : En raison d’un fort
vent d’ouest, nous pumes accoster seulement du cote nord-est de Me, au pied
d’une falaise de 150 a 200 pieds de haut, ou un gros rocher a environ
30 pieds du rivage offrait une certaine protection contre les vagues. Sept
hommes debarquerent sur Me. Les deux premieres foumees eurent la chance
d’accoster facilement, mais la demiere fut delicate. En escaladant les falaises,
les coquillages n’etaient pas tres abondants, mais au sommet, dans un fouillis
de noix de cocos et de fruits de l’arbre a pain et d’arbres locaux, 5 ou
6 especes de petits coquillages se trouvaient par milliers. A midi, nous avions
»
«
deja reuni une consequente collection. Pour embarquer les 3 groupes, deux
heures furent necessaries. Me‘eti‘a est une petite ile de 3 miles de circonference environ, elevee de 1400 pieds. Elle est abrupte sur son cote nord et
s’incline graduellement vers le sud, depuis la base du pic. Llle est apparemment constitute de cendres volcaniques et de laves qui semblent geologiquement plutot recentes, si Ton en juge par la faible erosion des roches que nous
avons collectees dans cette partie. La jeunesse de Me est plus encore demontree par les coquillages. Seulement des especes repandues furent trouvees par
nous ou par Emory, qui en avait fait la collecte en 1930.»
La moitie environ de la
Le botaniste Harold St John indiquait:
superficie de Me‘eti‘a etait ravagee par les chevres, et un tiers recouvert
d’une belle foret et d’une vegetation originelle », et l’entomologiste E. Zimmerman, plus laconique, termina: A Meetia, les collectes furent pauvres
«
«
et les especes sont de toute evidence non
endemiques.
»
Travaux de Pierre Verin, en mars 1961
Pierre Verin, archeologue faisant partie de la mission Bishop
Museum/ORSTOM, passa trois semaines dans Pile, accompagne d’Henri
Picard et d’une equipe de travailleurs de coprah envoyee quelque temps
7
Emory, 1935, p. 38.
10
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auparavant par Tutaha Salmon, pour aider aux fouilles. Depuis la visite
d’Emory, l’archeologie avait fait de notables progres, en particulier dans
la methode de datation au Carbone radioactif. La methode stratigraphique
prenait alors le relais des releves de surface des pionniers.
Le releve d’Emory fut verifie, la position de certains sites sur la carte
etait parfois imprecise. De nouveaux sites furent decouverts, notamment
d’habitat, autant sur le plateau qu’en montagne 8 Des terrasses d’habita.
tion se situaient sur des pentes abruptes, sans edifice religieux associe,
laissant suggerer une occupation temporaire. D’apres P. Verin, ces villages
de montagne, a moins d’une heure de marche du rivage, auraient send de
refuges, car situes dans une zone pauvre en ressources vegetales 9 Nous y
reviendrons un peu plus loin.
.
Les fouilles realisees permettaient de montrer que « les marae
avaient ete detruits, puis reconstruits de fagon plus grossiere avant la chris-
tianisation, ce qui etait assez exceptionnel. Lors des guerres entre clans,
les marae des vaincus etaient detruits, le territoire ainsi profane. »
Trois sondages furent pratiques: « le premier sur une terrasse a
Vaiava. Un deuxieme sondage sur un site de maison pres de Vahu du
marae enclos de Mahutoa revela une couche de
coquillages (rna'oa) a
profondeur de 35 cm. Enfin une tranchee creusee sur la terre de
Ponao, pres du mur Fareohu, mit au jour des debris de nacre taillee, mais
une
des clous en cuivre etaient presents a la base de la couche culturelle. 10 »
P. Verin notait alors qu’« a peu pres tous les objets preleves en surface
etaient brises mais ils demeuraient suffisamment reconnaissables pour
affirmer, comme l’avait deja remarque Emory, qu’ils appartenaient tous a
des types qui se rencontrent communement a Tahiti. Aucun des 10 pilons
observes par Emory ne possedait a son sommet de barre transversale.
Cependant, une tete de pilon de ce type fut trouvee dans l’enclos du site 4
et il existe un pilon possedant cette particularite parmi les pieces de la collection Picard provenant de Me‘eti‘a. »
8
Verin, 1964, pp. 79-80.
’Verin, 1962.
10
Verin, 1961.
11
S>
bulletin de la Society des Slades 0icea/u€/me&
Des collectionneurs coniine Henri Picard (Papeete), Francois Bordes
(Fa’aone), mais egalement certains proprietaries de File, Snow et Terrie,
possedaient des objets pre-europeens de Me‘eti‘a. Un inventaire de ces
objets se trouve au Musee de Tahiti et des lies.
Le marae non denomme, decrit en 1772 par les Espagnols
Lors de leur visite de File, les navigateurs trouverent pres d’un groupe
de maisons un marae. Reprenons les sources espagnoles; Boenechea
note dans son manuscrit
11
:
«
Plus loin, je trouvai une enceinte de pierres
de 1 vara de large et 20 a 25 varas carres avec une grande palissade, et
Pinterieur, sur une surelevation, il y avait des tombes, les unes sur les
autres, ornees de poteaux sculptes, ou portant des inscriptions oil la
silhouette d’un petit chien predominait sur chacun : les Indiens ne voulua
rent pas s’approcher de cet endroit. »
Dans le manuscrit du Pere Joseph Amich, la version differe
12
: « Plus
loin, une enceinte de pierre de 20 a 25 varas, ornee a son pourtour de
poteaux sculptes coniine s’ils avaient du caractere, dont les Indiens ne
voulurent pas s’approcher, nous avons pense alors que e’etait un tombeau,
puisqu’ils en eprouvaient un profond respect.
13
Enfin, dans le journal de Bonacorsi (dans l’ouvrage de Corney ) :
Et plus loin, une enceinte de pierres de 20 ou 25 varas, au pourtour
orne de poteaux sculptes, coniine s’ils avaient du caractere, ce pourquoi
dont les indigenes ne voulaient pas en approcher. Ce qui, en regardant
bien, etait leur endroit funeraire pour lequel ils avaient un grand respect.
»
«
»
Coniey precise dans une note :
«
marae, ou sanctuaire a la memoire
des ancetres dispanis, possedant un Chien comme ancetre totemique ou
symbole du clan
14
».
"
Boenechea, Manuscrit, MS 1035, Lima. Un rare correspond environ a 0,86 m.
I!
Manuscrit de Amich, Museo Naval, Madrid, folio 111.
13
Journal de Bonacorsi, in Corney, vol. 2, p. 41.
Corney, 1913, vol. I, note 2, p. 296.
H
12
N°323
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Septembre / Decembre 2011
C’est la seule description historique d’un marae dont nous disposons
pour Me‘eti‘a. D’apres les mesures indiquees par les visiteurs espagnols
et la situation de ses vestiges,
Emory situait ce marae sur l’emplacement
du site 107, sur le plateau, pres du rivage sud.
III. Me‘eti‘a, espace du mythe
et espaces dans le mythe
Les differents noms de file
Coniine toutes les lies polynesiennes, l'ile changea de nom au fur et
a mesure de son
occupation par differents groupes, au gre des migrations
et des changements politiques. Son nom le plus ancien serait Tuhna. Elle
aurait egalement porte le nom de Ahu ou Ahuahu, d’apres les traditions
maories 15 Puis elle devint Me'etu (Meketu en pa'umotu), pour finale.
ment etre transformee en Me‘eti‘a (Meketika). Le nom actuel de Mehetia,
avec un
h, est une erreur qui s’est perpetuee depuis la fin du XIXe siecle.
Tiihua
C’est le plus ancien nom retrouve. Tu (dresse) hua (adj.: entiere-
ment) par analogie probable a son pic qui emerge des dots. Mais hua
signifie egalement l’endroit ou Ton cachait les femmes, les enfants et les
vieillards en temps de guerre 16 « L’ile Uihua est mentionnee dans les recits
.
historiques maoris,
ou elle est censee se trouver au sud-est de Hawaiki
(Tahiti). Teuira Henry apprit de Poroii, un vieux sage tahitien, que Tuhua
etait la meme Tie que Me‘eti‘a, et que c’etait son ancien nom. Le nom plus
moderne de Pile (Me‘eti‘a) est conserve dans les traditions des Maoris
Taranaki, comme celui d’une Tie pres de Hawaiki (Tahiti)
17
.
»
En 1927,
15
Best, 1976, p. 392.
16
Hua,«the aged, the infirm, women and children put in a place of safety in time ofwar», Davies, 1851,
p. 111.
17
Henry, 1911.
13
bulletin c/f !a Society de& &lude& Qcca/uc/wcx
l’ethiiologue neo-zelandais Eldson Best, dans une lettre a l’administrateur
des Tuamotu, demandait de faire des recherches sur une lie des Tuainotu
investigations menees par le capitaine Brisson resterent infructueuses
Ce nom avait ete oublie a Tahiti, alors que
son souvenir persistait chez les Maoris de Nouvede-Zelande. Emory, lors
de ses travaux sur Tile, en 1930, ecrivait: Comey s’est fie a certains eranommee autrefois Tuhua. Les
18
.
«
dits tahitiens pour affirmer que l’ancien nom de Me'eti'a etait« Tuhua ».
II pensait alors que « Tuhua etait une mauvaise transcription de Tuhiva,
ancien chef de Me‘eti‘a 19
.
»
Lors des grandes migrations des lies de la Societe vers Aotearoa, Tile
du Nord de la Nouvelle-Zelande, les groupes nommaient les terres nou-
velles en reference a leurs des d’origine, transferant ainsi leur toponymie.
C’est ainsi que « Mayor island », dans la baie de l’Abondance, dont le
nom maori est Tuhua , fut nommee lors du celebre voyage de
son de sa ressemblance avec Tuhua voisine de
sous le nom deAhu ou Maiteka
20
.
Toi, en rai-
Tahiti, de comiue egalement
D’autres toponymes correspondant a
lile sont retrouves: Hikurangi (Yli'wrdx), Maketu (Meketu), Irakau. Ces
analogies toponymiques suggerent ainsi des relations sur de grandes distances, de Tahiti via Me‘eti‘a et les des Cook, vers la Nouvede-Zelande. Ceci
pourrait exphquer, en outre, que Ton ait retrouve des objets de Me‘eti‘a
(herminettes,/><?««) aux des Cook et que, dans une genealogie de Rarotonga, nous retrouvions certains noms d’ancetres communs a la genealogie de Me‘eti‘a.
L’ancienne denomination de 1’ile Tuhua est done anterieure aux
migrations vers la Nouvede-Zelande, ce qui situe sa profondeur historique
et laisserait supposer un peuplement ancien, anterieur aux grandes migrations vers la Nouvede-Zelande. Ede aurait egalement, selon les traditions
maories, porte le nom deAhu ou Ahu ahu. Ce toponyme pourrait corres-
pondre a une periode plus archai'que.
18
Brisson, 1929, p. 258.
Emory, 1933, p. 110.
20
Best, 1925, pp. 276-277. L'ile de Tuhua, Mayor Island (Bay of Plenty, New Zealand) est un pic volcanique
19
abrupt.
14
N°323
-
Septembre / Decembre 2011
Me‘etu (Meketu)
Le changement du nom de l’ile en Me‘etu marqua Parrivee sur 1’ile
d’un nouveau groupe dominateur. Ce changement se situerait au debut de
la periode dite « des marae ». Une femme Me'etu, rattachee au marae
Naunau de Pora Pora fut probablement Pancetre eponyme de Pile 21 Les
.
qualificatifs dont Me'etu fut assignee sont porteurs de sens : Me‘etu nui, la
grande Me‘etu, signe son prestige d’alors, ce qui est confirme dans les
legendes. Me‘etu-nui-i-te-vai-‘ava‘ava correspondrait au territoire de la
chefferie. Nous pouvons ici remarquer l’importance que revet le morpheme tii (ku en hawai‘ien) qui rend a la fois l’idee d’« etre dresse ou se
tenir debout», l’idee de stabilite, d’eminence, de residence, dans les differentes langues polynesiennes 22 mais c’est aussi le nom d’une divinite
,
importante (aux cotes de Ta'aroa).
Me‘eti‘a (Meketika)
Le nom de Me'etu, comme beaucoup d’autres, subit lors de l’avenement de Pomare I une modification lexicale, la syllabe tii etant sacree fut
remplacee par ti‘a. 11 s’agit de la coutume du pi’i qui, comme Pexplique
Edouard Ahnne, signifiait crier, proclamer ». Les noms des chefs etant
sacres, les syllabes composant leur nom ne pouvaient plus etre pronon«
cees, sous peine de mort. Cet interdit fut attenue par le christianisme. Mais
la syllabe tii n’en demeurait pas moins sacree23 Ce nom Me'eti'a est reste
.
done jusqu’a nos jours. II est parfois noteMehetia, avec un « h », ce qui
provient, sans doute, comme Emory Pa remarque, d’une confusion chez
les Europeens avec Pocclusion glottale.
Noms de lieux et memoire toponymique
Notre propos est ici de determiner, parmi les toponymes connus de
Pile, lesquels sont en mesure de foumir des reperes sur le passe de cette
lie. En effet, si les hommes passent, les noms de terres et de lieux restent
21
Torrente, 2003, pp. 73-77.
Bare, 1992, pp. 78-79.
23
Ahnne, 1927, pp. 6-10.
n
15
bulletin dc fa Jocfeie- des 6/jtdcs Oceamennes
partie des toponymes de Me‘eti‘a flgurait dans les documents
fonciers et sur les plans cadastraux, une autre partie fut recueillie de la
bouche des demiers occupants de 1’ile en 1930 par Emory. Les noms de
terre (i‘oa fenua) constituent un premier reperage. En remontant dans
les documents fonciers, jusqu’a Fenregistrement des terres qui debute en
1852, nous avons pu retrouver le nom de certaines families occupant File
ancres. Une
1867, il existait trois groupes de terres denommees a
Me‘eti‘a: la plus grande terre, Mana‘ona‘o, et la montagne Hi‘ura‘i, revendiquee par Ti'apu a Tau (v) ; la terre Ta'araro, dite Fare'ohu, revendiquee
par Teumere a Taero ; les terres Pirirl, Team et Ponao, revendiquees par
Tetauira a Taihoropua, Tuahu a Manua, et Horoi a Fariapohe. D’autres
revendiquaient File entiere, comme Tiapu a Tau, Tevivi, Tualiu, Huira‘atira.
Ces demiers etaient probablement les demiers chefs qui beneficiaient par
leur statut des terres d’apanage (fari'i hau).
Certains noms de lieux depeignent communement les accidents du
terrain (Tematomato : matomato signifiant escarpe, plein de rochers
escarpes, et de precipices), ou decrivent le relief (Hiti-roa: la grande bordure), les passes (Fatiapo pourrait signifier qui se brise dans la nuit»),
ou Favancee corallienne situee sur la cote est (Home-ta‘are), n’apportant
rien de plus que la description physique des lieux. Mais d’autres noms
donnent quelques indications sur Fhabitat ancien. Par exemple Fare'ohu,
qui signifie maison ronde, circulaire, pourrait evoquer une maison
au XIXe siecle. En
«
‘
arioi 24 , mais ‘ohu en paTimotu est un rempart ou talus en terre, evoquant
des fortifications. L'ensemble de la terre Ta'araro est enclos par un mur
de pierre. La signification archeologique de telles fortifications ou hinites
reste a determiner.
Mais une question plus interessante d’un point de vue ethnologique
est le sens de certains noms derriere lesquels se dessine une geographic
symbolique, s’appuyant sur une cosmologie precise et parfois complexe.
24
Le fare 'arioi et le fare poie'e etaient des constructions circuloires destinees d I'accueil des voyageurs de rang
(Orlioc, 2000, pp. 89-93).
16
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Septembre / Decembre 2011
Nous prendrons ici deux exemples, celui du nom du sommet de 1’ile,
Hi'uraH, et celui d’une partie des flancs du volcan, nommee Farefaremata'i.
Le sommet de la montagne est nomme Hi‘ura‘i. Nous pouvons y voir
eperon du ciel », ou bien, par analogic, a la nature pisciforme des
25
ties, la « queue du poisson », ou encore, par anthropomorphisme, le
un
«
«
sommet des cheveux » de quelque divinite. Selon Bacliimon, «les mon-
tagnes representaient les mines des anciens piliers du ciel, en faisant des
lieux sacres, residence des dieux et des morts
26
L’analogic recurrente
Hikuragi (Hiku27
de Tekura
de
la
fondateur
etre
aussi
l’ancetre
se
trouve
genealogie
rangi)
».
entre toponyme et patronyme ressort encore ici, puisque
o Tuhiva.
Mais dans les legendes des Maoris de la cote est de la Nouvelle-Zelande,
notamment celles du ngati Pouru, Hikurangi est une montagne sacree qui
fut nommee en souvenir de « Te puke ki Hikurangi», situee dans leurs
(pres de Hawaiki). Plusieurs mythes sont rattaches a ce
mont. Dans celui de Paikea et de Rualapu vivant a Hawaiki, Te-puke-ki-Hikurangi etait une lie volcanique qui servit de refuge a un groupe ayant survecu
terres ancestrales
a d’enormes vagues
28
.
Dans les traditions des lies Cook relevees par Percy
Smith, Ruatapu vivait dans la generation de la flotte de pirogues qui partit de
Hawaiki vers la Nouvelle-Zelande via Rarotonga. II existe egalement un mont
29
Ikurangi a Rarotonga, nomme d’apres celui du meme nom pres de Tahiti
.
Toujours chez les Maoris, on croit, dans certaines regions, que quand Maui
pecha le poisson qui devint Tile du Nord, la premiere partie qui surgit des
eaux etait une
montagne nommee Hikurangi.
25
Dans le dictionnaire de Stimson, hiku est la queue, la partie arriere d'une pirogue.
26
Bachimon, 1990, p. 83.
Hiku applique d I'homme signifie« progenitor »(Stimson, 1964, p. 140.), ancdtre, fondateur, geniteur, qui
27
ferait de Hikurangi un ancetre fondateur deifie.
28
29
Orbell, 1995, pp. 52-53.
Smith, Percy, 1898, pp. 185-223.
17
bulletin de lev doctete dee dtudee Ocean
Le seul mont Hikurangi (Hi‘ura‘i) que Ton connaisse aujourd’hui
daiis la region se trouve etre a Me‘eti‘a. Si l’ile n’a pas ete elle-meme cette
montagne mythique, constituant un lieu de refuge ideal pour faire face a
de
«
grosses vagues », aiors elle a pu etre nominee en reference a celle-
ci. Notons toutefois la ressemblance frappante de Me‘eti‘a avec la representation de « Tepuke ki Hikurangi». Certaines legendes de Tahiti et de
Ra'iatea, faisant etat d’un
«
deluge », pourraient etre exemptes de syncre-
tisme et evoquer la realite d’un tsunami cataclysmique, comme par exem-
pie celui qui detruisit une partie de 1’atoll de Rangiroa (Ottino, 1965).
Un autre exemple de toponyme s’appuyant sur la cosmogonie ma'ohi
est Farefarematal Celui-ci nous renvoie a un cycle du mythe de Tafa'i, ou
Farefaremata'i est signale comme etant un « cratere- latrine », l’endroit
ou les
esprits 0matm-uru ) vont defequer. Comme l’explique Babadzan,
«le sens litteral du terme farefare-matai reste incertain. Farefare, forme
redoublee de fare, renvoie en tahitien d’avantage a un creux, une cavite
qu’a une maison {fare) (Davies). Quant a matai, il peut s’agir aussi bien
du vent mata'i que des presents faits aux visiteurs {matai), ou d’un
terme se rapportant a I’habilete, la connaissance, la dexterite {matai)
(Davies) 30 .»
Ce nom est egalement retrouve dans le mythe de la creation, dans les
notes du Reverend Orsmond compilees par Henry, comme etant la terre
des dieux-du-ciel« 0 Farefare-mata'i tefenua no te nu‘u atm i te ra‘i,
te fenua o te paperuru e te pape hau [... ] 3I
«
»
.
»
Enfin, la pierre, element immuable et charge de mana, incamait certains heros legendaires, jouant en quelque sorte le role de marqueur historique d’un territoire. Dans toute la Polynesie orientale, il existe des
pierres a fonction commemorative, qui fixaient la memoire de faits evenementiels dans certains lieux. A Me‘eti‘a, une pierre nominee Kararu, remplit probablement cette fonction, puisqu’elle correspond au nom d’un
30
Babadzan, 1993, p. 174, note 12.
31
Henry, 1988, p. 406.
18
Croquis de I'Tle de Maitea a 9 h 40', par Jules Louis Lejeune,
navire la Coquille (Duperrey).
© Atlas Lejeune, SH 356-fol.25v, Service Historique de la Marine, Paris.
Representation de Te puke ki Hikurangi chez les Maori.
© Orbell, 1995, p.52
O&uUetin de /a Society dc& Studea Oiceamcfi/ies
guerrier parata
i2
qui, dans le manuscrit de Manihi, est l’un des six guer-
riers de ‘Ana'a : Kararu 33 vivait a Raka (ancien nom du district de Tema-
rie). On le retrouve egalement dans une genealogie de cette lie. Cette
pierre est situee sur la grande terre de Manaonao.
Une autre pierre de grande envergure, sur la terre de Ponao, commemore Manu-te-‘a‘a qui, d’apres les legendes, aurait fait la guerre a Me‘eti‘a,
qu’il n'aurait pas reussi a vaincre. Caillot donne une version complementaire: Une legende locale raconte qu’un certain Manuteaha originaire de
«
Pile de Meetia aurait retourne et bouleverse File de Makatea34
Hen 17 nous apprend que Manu-i-te‘a‘a
Ta‘aroa.
«
35
.
Teuira
»
etait egalement T emanation de
Ta‘aroa-i-manu~i-te-‘a‘a aurait ete un oiseau gigantesque qui pou-
vait deraciner le plus gros arbre. La legende rapporte qu’il renversa la petite
colline de Ma'atea a Vaira'o, et elle est restee dans cette position depuis 36 »
.
Pendant les phases de colonisation du triangle polynesien, les differents groupes attribuaient a leurs nouveaux espaces les noms de lieux de
leur ile d’origine. Ainsi se trame un reseau sous-jacent de migrations, ou
le trajet des groupes est marque par certaines analogies toponymiques.
Le voyage de Turi sur la pirogueen est un exemple. Son recit hit
publie en 1900 par Percy Smith, la migration partant d’un endroit nomme
Te-paparoa-i-Hawaiki, ou les lies suivantes furent visitees: Whanga-paraoa,
Tutuhira, Rarohenga, Kuporu (Upolu), Wavau-atea (Vavau), Maiteka
37
(Maite'a, a Test de Tahiti) et enfin Rangi-atea (Ra'iatea) Turi est connu
.
dans les traditions de Tahiti et de Mangaia files Cook) pour avoir fait le
voyage retour de Aotearoa sur Tahiti, avec un arret a Mangaia
32
38
.
Smith
Parata est le nom que portaient les celebres guerriers de 'Ana'a qui ravagerent les Tuamotu. C'est le nom
d'un requin particulierement feroce.
33
34
35
Emory, Ottino, 1967, p. 46.
Caillot, 1909, p. 33.
Manufeao«the name of a god, wich was reported at ties to inspire the bird called areva.» (Davies, 1851,
p. 131.)
34
37
Henry, 1988, p. 395.
Percy Smith precise que Maiteka est Pile Osnaburg, nominee Maite'a par les Tahitiens, et Meketika par les
Paumotu.
20
N°323
-
Septembre / Decembre 2011
precise que «le trajet de cette migration est strictement en accord avec les
traditions de Rarotonga, excepte que nous apprenons maintenant que cette
branche particuliere de Polynesiens occupa Maiteka avant Rangi-atea, qui
est Ra'iatea des lies de la Societe. On peut remarquer que cette histoire
omet toute reference a Tawhiti-nui, ou Tahiti, qui est situee entre Maiteka
et Rangi-atea, mais la raison est claire : ces gens sont de groupes tribaux
distincts et de migrations differentes de ceux qui arriverent avec le Hot de
Tahiti autour de 1350, et ils ne retinrent que les noms des lies occupees
39
par leurs propres ancetres en ligne directe » Ce recit nous apprend done
que ces homines auraient initialement occupe Me'eti'a avant Ra'iatea, puis
.
auraient migre conjointement, via les lies Cook, vers la Nouvelle-Zelande.
La demarche comparative des noms de heux a l’interieur du triangle
polynesien s’est revelee particulierement feconde en ce qui concerne
Me'eti'a, permettant de retrouver d’anciennes appellations tombees dans
I’oubli a Tahiti, mais encore vivaces dans la memoire des Maoris lors de
leur recueil par Elsdon Best. Nous avons pu avoir un exemple de migration
protohistorique d’un groupe de Me'eti'a vers Aotearoa.
Ces heux nommes, ici oublies, sont ailleurs des heux de memoire.
Origine mythique de Pile
Dans la cosmogonie ma ‘ohi, les lies emergent uniquement en vue
de leur peuplement. Une de, selon Bachimon, n’a pas d’existence en
dehors de la societe qui l’habite 40 [...] il n’y a pas d’emergence insulaire
gratuite mais seulement en vue d’une colonisation ». Les recits mythiques
d’origine des des (parau tumu ) se presentent done comme une legitimation de ces societes insulaires, ou l’idee de territoire precede cede d’ess’insere sur le
pace insulaire. L’de de Me'eti'a, selon cette logique,
creation des des,
parcours d’une geographie mythique. Le mythe de
«
,
11
38
Best, 1925, p. 283.
39
Smith, 1900, pp. 213-214.
80
Bachimon, 1990, p. 91.
41
Bachimon, 1995, p. 234.
21
5 bulletin d& fa Societe des (J/ades Ocea/iiea/ie&
d’apres Peter Buck, suit ce schema: « Selon la mythologie, le groupe des
lies du Vent fut cree apres le centre religieux de ‘Opoa a Havai'i (Ra‘iatea).
En ce temps-la vivait une anguille geante qui se facha et brisa les fondadons de la terre entre Havai'i et Uporu (Taha‘a). La terre detachee deriva
poisson qui, conduit par le dieu Hi, installe sur sa tete
(Taiarapu), se dirigea vers Test. De ce poisson Tahiti nui se detacha un
fragment qui etait Mo‘orea. Puis le poisson abandonna d’autres fragments
qui devinrent les dots de Meti'a et Teti'aroa42
comme un gros
.
»
Ce mythe fondateur des des du Vent suit un parcours precis, sur
lequel
s’inscrit Me‘ed‘a. Dans les legendes recueilhes par le reverend Orsmond,
d est precise : « Ei topatopa no te i‘a na te fenua ra o Metu
o
(Meti'a), e
Te-ti‘a-roa, i tefa'aera'a mai iHiti ni'a [...] », que Teuira Hemy traduit
ainsi: « Les des de Meti'a (Chose-debout) et Teti‘a-roa sont des
dejections
du poisson, lorsqu’il s’arreta a Hiti-ni‘a [,..] 43 » Le terme «
topatopa »,
d’apres Davies, signifie «fausse couche ». Me‘eti‘a, comme Teti'aroa, serait
dans cette version une « de avorton », resultant d’une «fausse couche du
poisson Tahiti
»
arrivee avant terme, done inachevee. Cette metaphore
evoque la dependance des deux petites des a la grande Tahiti et, de fait, sa
subordination politique. Cette version, provenant de toute evidence de
groupes dominants, est destinee a legitimer leur controle sur ces des.
C’est le demi-dieu Tafa'i qui assure l’emergence et le positionnement
des des ainsi que leur stabilisation, sur sa pirogue Anuanua. D’apres
Bachimon, cette peche mythique en plusieurs etapes consistait d’abord a
reperer lTle par un remous, puis a la faire emerger a l’aide d’un hamegon,
a la positionner,
puis a la stabihser en coupant les tendons, meme si cette
stabilisation est temporaire“.
Une version de Temersion des des fut transmise en 1855 a Orsmond
par Tamera, pretre de Ra'iatea. Le texte vemaculaire n’apparait pas dans
42
Buck,] 952, pp. 79-80.
43
Henry, 1988, p. 456.
Bachimon, 1995, pp. 230-231.
44
22
N°323
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le recueil de Teuira Henry. « Se dirigeant ensuite vers le nord, ils apercurent les ilots de Te-ti‘a-roa faisant des efforts pour s’elever au-dessus des
dots ecumants. Ils jeterent alors leurs hamecons et les hisserent un a un.
Puis, avec leurs lances, ils couperent les tendons et fixerent les dots dans
leurs emplacements actuels. Poussant a l’est, ils constaterent que Me-tu
(Chose-debout, en tahitien moderne Me-ti‘a) etait deja installee. Tafai
declara alors qu’ils devaient se rendre dans d’autres regions pour y pecher
des terres et ils arriverent ainsi a Tai-e-va‘u et la, sous les gigantesques brisants, ils decouvrirent l’important archipel des Thamotu qu’ils remonterent
Le fait que Tile soit deja installee, hors de l’eau, revet
a la surface [...] i5
.
»
un caractere hors du commun dans le processus de creation des lies du
Vent, et laisse presager une certaine importance dans le peuplement des
archipels polynesiens.
Dans une autre version de la presqu’ile de Tahiti plus specifique a
Me‘eti‘a, contee par Te-Arapo, Tile ne peut emerger, car elle est rattachee
a Tahiti, malgre les efforts de Tafa'i pour la soulever:
«I vai noa na ‘oMe’etu i raro i te arepurepura’a o te tax,
‘aore e rave’a e ara’a ai.
Rave a’era ‘o Tafa’i uri uri i te tana ra ma’ira e hi ihora i tauafenua ra.
A mau ra te fenua i te matau, ‘aore e rave’a e mara’a ai, ‘ua fefe roa
te ma’ira a Tafa’i.
E aha ra te tumu i ‘ore i mara’a ai ?
No te mea ia e, ‘ua mau roa i te papa o Tahiti tei ha’uti’uti ato’a i te
faora’ahia mai ‘oMe’eti’a i ni’a i te iriatai.
No reira iparauhia e: ‘o Me’eti’a tepito o Tahiti.
E mea tapu-roa-hia te uaua e Tafa’i i mahuti ai ‘e i ara’a mai ai ‘o
Me’eti’a.
‘0 vai te pito o Tahiti ? ‘0 Me’eti’a
15
46
46
.
»
Henry, 1988, p. 571.
Te-Arapo, Te parau no Me'eli'a, enregistrement sonore, C.P.S.H.
23
bulletin dc /a Society cfe& &Uicfc& 0icea/NC/i/ics
«Ivai noa na ‘oMe’etu i raro i te arepurepura’a o te tai,
‘aore e rave’a e ara’a ai.
Rave a’era ‘o Tafa’i uriuri i te tana ra ma’ira e hi ihora i tam fenna ra.
A man ra te fenua i te matau, ‘aore e rave’a e mara’a ai,
‘na fefe roa te ma’ira a Tafa’i.
E aha ra te tumn i ‘ore i mara’a ai ?
No te mea ia e, ‘na man roa i te papa o Tahiti tei ha’uti’uti ato’a i te
faora’ahia mai ‘oMe’eti’a i ni’a i te iriatai.
No reira iparauhia e: ‘o Me’eti’a tepito o Tahiti.
E mea tapu-roa-hia te naua e Tafa ’i i mahuti ai ‘e i ara ’a mai ai ‘o
Me’eti’a.
‘0 vai te pito o Tahiti ? ‘OMe’eti’a 47
.
»
Me'etu etait restee sous les remous de la mer, il n’y avait pas moyen
de la soulever. Alors, Tafa‘i-uriuri prit sa canne et pecha cette terre. Quand
«
la terre fut accrochee a l'liamecon. il n’y avait pas moyen de la soulever, et
la canne a peche de Tafa'i se tordit. Pour quelle raison ne sortait-elle pas
de l’ocean ? Parce qu’elle etait fixee a la plaque de Tahiti qui etait secouee
aussi par cette tentative de faire emerger Me’eti’a au-dessus de Thorizon.
C’est pourquoi on dit que Me’eti’a est le nombril (pito) de Tahiti.
La ligne de Tafa’i etait sacree, voila comment Me'eti’a se detacha et
s’eleva.
48
Quel est le nombril de Tahiti ? C’est Me’eti’a
.
»
De cette version du mythe se degagent deux idees: L’une tout d’abord
selon laquelle les secousses de Tahiti sont exphquees par l’acharnement
de Tafa’i a couper les tendons qui la relient Me’eti’a, et quand cette derniere bouge, Tahiti bouge egalement. Meme si ce mythe a ete reinterprete,
il foumit une explication allegorique des secousses qui agitent frequemment
la presqu’ile de Tahiti, mettant ainsi en evidence une realite geophysique.
47
48
Te-Arapo, Te parau no Me'eti'a, enregistremenf sonore, C.P.S.H.
Traduction de Doris Moruoi, Departement de lo Tradition orale, communication personnels.
24
N°323
-
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L'autre idee est que Me'eti'a est consideree comme etaiit le
pito (nombril)
de Taliiti, evoquant ainsi le rattachement symbolique des deux lies.
Les liens legendaires entre Me‘eti‘a et Tahiti, exprimes par la meta-
phore du cordon ombilical, vont etre maintenant examines.
Me‘eti‘a, le nombril de Tahiti
Le rattachement de Me'eti'a a la plaque {papa : socle, fondement) de
Taliiti en ferait son pito.
Ce theme est recurrent, puisqu’on le retrouve dans un autre mythe,
celui de Maui. Ce dernier captura le soleil en Tattachant avec des cordes,
alors qiTil se trouvait a Tautira, sur la montagne Te-rua-o-mata‘i appelee
aussi Tahua-reva. Maui ne le relacherait que s’il accedait a sa volonte :
«
Ua tamata a te ra i te ha‘uti‘uti i te bo‘e
tamatara'a hope‘a, peneia'e i te mutu te taura.
‘Aore roa ra i mutu!
‘Ua haere roa te ha‘uti‘utira‘a o taua ‘ofa‘i ra o Pofatu-ta‘a e, i
Me'etu roa, ‘oia ho‘iMeheti'a.
No reira te tabi man ta‘atapa'ari iparau ai e:
«
«
0 Me'eti'a te pito o Tahiti®. »
II avait attache l’extremite de la corde au rocher Pofatu-ta‘a 50 elle
,
ne se detacherait done
plus. D’un ultime effort, le soleil essaya de faire
bouger et peut-etre de casser la corde, mais celle-ci ne cassait pas. La
secousse de ce rocher Pofatu-ta‘a alia
jusqu’a Me‘e-tu, e’est-a-dire
Meheti'a. Mais eOe ne cassait pas. Voila pourquoi certains anciens disent:
«
49
Me'eti'a est le pito (nombril) de Tahiti’ 1
.
»
Te-Arapo, 2001. Te 'a'ai no Maui.
5B
Pofalu est le nom generique pour designer la pierre. Emory signale qu’aux Tuamotu, ce sont des pierres dressees situees a I'arriere du 'ahu du marae (appelees egalement keho) (Emory, 1947, p. 19). A Toutiro, e'est le
nom
de la falaise du Mont Tahua-reva mais aussi une caverne (Pofatu-ra'a) dans la legende de Hono'ura
(Babadzan, 1993, p. 99.).
51
Traduction de Doris Moruoi, Service de la Tradition orale, CPSH.
25
,
Q&td/eiut de fa Societc des &//des Oceaniennes
Dans ce texte, nous apprenons que, pour les Tahitiens de la
presquTle, Me'eti'a etait considere comme le pito de Tahiti-iti, ceci suggerant que leurs liens etaient symboliquement de type cordon ombilical». Cette symbolique du nombril des lies, frequente dans la cosmogonie
«
‘ohi, a ete examinee dans les travaux de B. Saura qui en precise le
l’expression pito d’une lie (nombril et cordon ombi2
lical) traduit la notion de source, de point d’origine (turnup Employe
dans cette acception, ceci suggererait que Me‘eti‘a ait ete un lieu de
genese. Mais, toujours d’apres B. Saura, le pito d’une lie peut etre vu egalement comme le centre (pii), le noyau geographique d’une tie, qui plus
est, peut se trouver a distance de celle-ci, sur une autre lie. II est mentionne que l’interieur de la caldeira de la vallee de la Papeno‘o etait considere comme le pito de Tahiti nui. Dans ces conditions, le cratere de
ma
sens. En outre,
«
»
.
Me‘eti‘a aurait bien pu symboliser celui de Taliiti-iti.
L’image du cordon ombilical qui relie la presqu’ile tahitienne a
Me'eti'a revele une double symbolique 53 : topomorphique d’abord, dans le
exprime les bens geographiques et physiques (quand la
pierre Pofatu-ta‘a bouge a Tautira, Me‘eti‘a bouge aussi, ce qui est vrai dans
l’autre sens 54 ), mais egalement anthropomorphiques, dans le sens ou elle
identifie des relations nourricieres de type mere /enfant (hens de sang).
sens ou elle en
Dans un autre texte de Te-Arapo concemant Pomare ari‘i Taraho'i, nous
retrouvons le tenne « pii
fenuu
»
au
sujet d’une femme de Me‘eh‘a:« Tu‘u
hi toto i te tm o te tahu‘a ri‘a o te moana teiparauhia e ‘o na vahine
fanaupu fenm oMehetu tei huri aee nei i te to‘a muro Ra‘itu‘itu‘i e te
‘itea mai nei te papa o Turn hi'o ‘ei vai hopura'a no ‘oe te ari 'i fanau
Marama o Tahiti
[...] 55 .»
52
Saura, 2002, pp. 1-16.
53
Ibid., pp. 1-16.
Dans I'enquete orale que nous avons effectuee a la presqu'ile de Tahiti, notamment aupres d'une femme nee
54
d Me'eti'a, en 1930, ce theme revenait frequemment dans sa memoire, en ces termes:«Quand Me'eti'a bouge,
Taiarapu bouge. Me'eti'a, elle, est vivante.»
Te-Arapo, Parau no le Ai'a, 2001.
55
26
N°323
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Septembre / Decembre 2011
L’origine symbolique de File de Me‘eti‘a trouve done, en partie, sa
justification dans l’espace des mythes fondateurs de Tafa'i et Maui, mais
figure aussi dans certaines legendes, comme celle de HonoTtra.
Des volcans et des dieux
Certaines legendes indiquent qu’au temps ou les Maoris occupaient
Tahiti et les groupes voisins, done anterieurement aux premieres migrations vers la Nouvelle-Zelande, il y eut une coulee de lave sur Tile de
Me‘eti‘a (nominee alors Tuhua) 56
.
D’apres Jacques Talandier, ancien directeur du laboratoire de geophysique, le contexte de File et le fait que certaines legendes polynesiennes fassent etat de
grands feux suggerent que les dernieres eruptions se sont
57
il
produites y a moins de 2000 ans De memoire d’homme, le cratere est
.
eteint. Mais plusieurs temoignages actuels ou anciens 58 signalent des mani-
festations type fumees ou emanations de gaz, et la demiere crise volcano-
sismique de 1981, qui fit trembler Tahiti, laissent supposer des crises
volcaniques a une epoque protohistorique. Si les legendes maories correspondaient a une realite, la coulee de lave aurait eu lieu avant les grandes
migrations vers Aotearoa, vers Fan 1000 de notre ere (son peuplement est
estime entre 1000 et 1200 A.D. 59 ). Les premiers Polynesiens ont-ils ete
temoins de cette coulee de lave sur Me‘eti‘a ? Nous ne disposons malheureusement d’aucun recit a cet
egard. Neanmoins quelques indices epars dans
les mythes et legendes, dans les toponymes ou dans la litterature, nous permettent d’avancer, avec toutes les reserves qui s’imposent, cette hypothese.
Tout ceci nous conduit a nous interroger sur la fagon dont les
Ma ‘ohi pouvaient apprehender le volcanisme et les phenomenes associes. Utihsons pour cela quelques donnees hnguistiques, mythiques, topo-
nymiques, et quelques observations ethnographiques.
54
Leverd, 1912, J.P.S, vol. XXI, n°l, p. 11, note 36.
Talandier, 1983.
58
Propos rapportes par Tutaha Salmon, lors d'un entretien, en 2000.
47
59
Conte, 2000, p. 107 (A.D.
=
Anno Domini
=
apres Jesus-Christ).
27
Q\nffcli/i de fa Society des S/ades Oi'cca/t/c/i/tcs
Volcan se traduit par mou'aauahi (montagne defeu), mais aussi pai’
pere. Le tenne tutaepere exprime la lave, te mea e tahe no roto mai i te
mou'a auahi (ce qui coule de l’interieur de la montagne de feu). Le cratere
se dit auvaha no te mou'a
‘ama, (orifice, ouverture de la montagne de feu)
(bouche de la montagne de feu) 60
ou bien vaha no te mou'a auahi
.
Le cratere de Me‘eti‘a
L'ile possede le cratere le plus parfait d’un point de vue geologique
morphologique des archipels polynesiens en dehors de celui de Hawaii.
et
Si, pour les anciens Ma ‘ohi, la montagne etait le domaine des dieux et le
rnonde des morts, les crateres etaient en quelque sorte l’interface entre le
monde des vivants (Ao) et celui des morts (Pd). Celui du mont Temehani
a Ra'iatea est connu dans le chant de la creation comme etant «1’entree
du Po bl » ou residaient les dieux Tumu-nui et Rua-Tupua-nui. Le cratere
de Me‘eti‘a (Te-rua-to) devait vraisemblablement remplir la meme fonction. Dans 1’archipel des Tuamotu, d’apres Caillot, le Po correspondait a
«
un lac de feu a l’etat
liquide, alimente de temps en temps par les genies,
62
qui y precipitaient les ames de leurs ennemis ».
Revenons encore au cycle mythique de Tafa'i auquel le cratere de
Me‘eti‘a poun-ait etre connecte. Dans la version tahitienne fournie par Uira
de Vai'uru (Vaira‘o) et Taeaetua de Mehiti (Tiarei), Tafa‘i-i‘o-‘ura voyage
dans le monde des morts (Pd), a la recherche de son pere Hema. On lui
indique qu'il se trouve
«
en haut de cette
montagne, dans le trou en haut,
il est devenu la latrine des esprits mauvais 63 ». Babadzan precise que ce
(apo'o) est de toute evidence un cratere volcanique. Le craterelatrine est assimile a une maison (farefaretnata'i) M toponyme que nous
trou
,
retrouvons a Me'eti'a.
60
Dictionnaires de Tepano Jaussen et de I'Academie tahitienne.
Henry, 1988, p. 104.
42
Caillot, 1932, pp. 32-33.
61
63
64
Babadzan, 1993, p. 171.
Ibid., 1993, p. 171.
28
N°323
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Septembre / Decembre 2011
Tera ia, te titio noa hia ra e te nu'u varua ino, e Matuauru i
«
Farefaremata'i ua roa i te tutae, aita e mata.
»
Tafa'i grimpe sur la
montagne, extrait son pere des excrements, et alors que les esprits dormaient encore:
«
Tutui iho ra Tafa'i i tarn fare i te auahi, ama atura te varua
ino e to ratou atoa tutae e tae roa mai i teie nei b \ »
«
Tafa'i mit le feu a la maison. Tout briilait, esprits et excrements, et
il brule encore de nos jours 1 6
’
.
»
D’autres indices sont en faveur de l’activite volcanique, comme les
«
vents » de ‘Ui, la
gardienne du cratere, qui sont
«
si violents qu’ils fra-
cassent les pierres et fendent les arbres a pain », ou les excrements
qui
pourraient exprimer l’idee de lave, dans le cratere latrine. Babadzan precise dans son analyse que « c’est bien dans le cratere d’un volcan que se
trouve le seul mort auquel le mythe fasse reference
Tafa'i
67
.
-
Hema, le pere de
»
L’activite de Me'eti'a nous a permis de soulever la question du volca-
nisme, qui figure en bonne place dans les legendes de la Polynesie orien-
tale, par Tintermediaire de sa deesse Pere. Ce culte des volcans, evoque
par Caillot dans Tarchipel des Tuamotu, devait vraisemblablement concerner Tensemble des
archipels, et aurait pu conferer a Pile une place particuliere, plus ou moins centrale. Le simple fait que la memoire de ces
coulees ait ete conservee en Nouvelle-Zelande est assez probant. Cette pro-
blematique, a peine envisagee, fera l’objet d’investigations et de developpements ulterieurs.
65
66
Leverd, 1912, p. 11 (traduction anglaise) et p. 24 (texte tahitien).
Une note de Leverd precise qu'« il s'ogit surement d'un volcon»et y associe Me'eti'o«sur laquelle
il existe des recits legendoires, notamment les legendes maories qui indiquent que du temps ou ils
occupaient Tahiti et les groupes voisins, il y eut des coulees de lave d Tuhua (Me'eti'o)».
Babodzan, 1993, p. 173.
67
29
bulletin dc fa Society de& &tade& Oceana
t
Les donnees de la tradition orale
Les traditions concemant Me‘eti‘a sont relativement fragmentaires. Un
des principaux informateurs qui nous interesse ici est Paea-a-Avehe, chef de
File de ’Ana’a, ne en 1889. II avait recu les enseignements de son oncle
patemel Tiapu-a-Parepare alors qu’ils restaient isoles sur une lie pendant un
long moment. C’est Paea qui fournit a Emory un corpus de genealogies,
recits mythiques, recits heroiques guerriers, listes de noms (lies, ari'i
marae, pirogues) et toponymes. La memoire de File de Me‘eti‘a, Meketika
en langue pa'urmtu, etait conservee dans de nombreux atolls, ce
qui denote
le role important qu’elle a pu jouer au sein de cet archipel. Ailleurs, cette lie
tomba dans l’oubli des qu’elle fut desertee, dans la mesure ou la privation
de reperes residentiels des groupes faisait disparaitre Fancrage territorial de
la memoire. Comme l’explique P. Bachimon, une Tie desertee a toutes les
chances de se disloquer et de sombrer. C’est en cela qu’il y a intimite entre
,
«
l’humanite ma'ohi et son substrat insulaire68 »
.
Un autre pourvoyeur de traditions, a Tahiti, etait Pouira-a-Te‘auna, dit
Te-Arapo, un instituteur intarissable sur le passe des Ties. Dans les annees
soixante, il intervenait sur les ondes de Radio Tahiti, ravivant alors les histoires enfouies dans la memoire de certains auditeurs. Un recueil de ces
emissions a ete transcrit et rassemble, en langue tahitienne, par le service
de la tradition orale du ministere de la Culture. S’il ne cite malheureusement aucune source ni interlocuteur, les informations de Te-Arapo sont
cependant a prendre en compte comme faisant etat d’une memoire orale
collective encore vivace dans ces annees. Un savoir oral originel est parfois
amalgame avec des informations sortant des travaux des archeologues,
ethnologues, historiens, plus ou moins reinterpretes selon une vision du
monde propre. Te-Arapo avait visite Me‘eti‘a en 1924, et lui consacra une
emission dans laquelle il transmit« Teparau no Me‘eti‘a 69 ».
68
Bachimon, 1990, p. 53.
69
« Pam tumu no Tahiti
Hi», Piha toro'a ma'imi te mau parau tumu o le feaua a te Pu Te Anavaharau,
volume I, Service de la Culture, Polynesie francaise, 2001, pp. 18-20.
30
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L’ancienne chefferie de Me‘etu-nui-i-te-vai-‘ava‘ava
Les donnees recueillies par Emory et Stimson permettent de mettre
en evidence l’existence d’une chefferie ancienne et
prestigieuse sur 1’ile
de Me'eti'a, a Pepoque de ‘Aua de Tautira, pere du legendaire heros
Hono‘ura. Son chef Tekura-o-Tuhiva etait issu d’une
grande lignee de
ari'i 10 et jouissait d’un grand prestige. Plusieurs types de materiaux
permettent d’ebaucher la configuration de cette chefferie.
,
Genealogie de Tekura-o-Tuhiva
La genealogie de Tekura-o-Tuhiva figurait dans un puta
tupuna de
Paea a Avehe de Tile de ‘Ana‘a. Ce manuscrit hit epargne par le cyclone de
1906, qui ravagea l’atoll ou bon nombre de documents vemaculaires et
d’archives de l’archipel disparurent a jamais.
En tete du manuscrit figurait« Parau no Meketika, oiaMeketu nui
i te vai kava ». La version recopiee par Stimson 71 est sensiblement iden-
tique a celle d’Emory
72
,
mis a part quelques variantes dans l’orthographe
des patronymes. La lignee de Tuhiva place ce dernier dans les tout premiers ancetres de Me‘eti‘a. II est le fils de Meketu-vahine (Me'etu), qui a
donne son nom a Me, et de Hikuragi-tane, qui a donne son nom a la mon-
tagne de Pile et a une place de reunion (tahua). Cette genealogie remonte
20 generations avant 1900, ce qui placerait Tuhiva aux environs du
XlVe siecle 73 , a la periode des marae, selon la division de Jose Garanger.
Les recits legendaires le font figurer au temps du heros Ilono’ura, fils du
grand ‘Aua toa de Tautira.
70
te ari'i etait un chef au sommet de la hierarchic qui detenait le pouvoir politico-religieux sur un territoire
donne, appele chefferie.
71
Stimson, J. F, Manuscrit, Peabody Essex Museum of Salem (P-6546-6715MB200), Microfilm disponible a la
B.U.P.F (Fonds B. Sauro).
72
Emory, K. P., Manuscrit XG1, Microfilm Bishop Museum Hawaii.
Classiquement sur la base de 25 ans par generation, en emeftant des reserves sur la fiabilite des informations
(manipulations).
73
31
TJPtUelin c/e /a Jociete i/e.<i ptuc/cs Ocecmceone«?
Les anciennes genealogies n’indiquaient pas tous les noms (seulement les aines, les guerriers, ou les personnes
remarquables)
74
.
Sur le
tableau suivant de la genealogie (voir p. 96), ou 20 generations s’echelonnent avant 1900, l’ancetre fondateur de cette lignee pourrait se situer
vers
1425 A.D., si Ton evalue 25 ans d’intervalle entre chaque generation.
‘
Cette genealogie est imbriquee avec celle de deux ati
population
de ‘Ana a76
1
.
75
fondateurs de 1 a
Nous y reviendrons plus loin.
La legende de Idhiva et des liens avec Tautira
Toujours dans le puta tupuna de Paea figurait un recit concernant
cet ari‘i qui jouissait d’un grand prestige. 11 relate la visite de Rua a ‘Aua,
ari'i de Tautira, et les evenements qui documentent les plus anciens liens
genealogiques avec la presqu’ile de Tahiti. Emory donnait la traduction de
11
Stone Remains in the Society Islands », traduit
cette legende dans
par la suite en frangais par P. Verin. Cette legende etait connue dans Tensemble de l’archipel des Tuamotu, elle fut confirmee par Tetumu, le chef
de Faaite. Nous reproduisons ici le texte du manuscrit de Paea et sa tra«
duction 78
.
Teie tahi tua kakai no Meketika 79
Teie te ariki i ruga iho o Te-kura-o-Tuhiva
80
taua tau ka noho ai
Te-kura-o-Tuhiva i mga iho i taua henua nei, nanako akera kiMeketika kia kite ia kera Te-kura-o-Tuhiva, kua reko hia taua ariki ra ko
Te-kura te kaito o Tautira.
E haere ki Meketika kia kite ia Te-kura-o-Tuhiva, kua reko hia
taua ariki ra ko Te-kura-o-Tuhiva e, e tagata kite ki te hagapeu haka-
74
Otlino, 1965, p. 50.
75
Les 'ati sont des groupements socio-politiques localises, dependants d'un ancetre commun (Ottino).
76
Ottino, P, Emory, K.P., 1967, pp. 30-57.
77
Emory, 1933, pp. 111-113.
78
Verin, 1964.
77
Confirme par Tetumu (Faaitel
88
Note d'Emory:«see VT30: Rua a it aua no Tahiti in chants of Hono.»
32
N°323 Septembre / Decembre 2011
-
matamataea, eke atura taua kaito nei a Rua-Kaua &l Tae akera tarn
.
kaito nei iMeketika, roko hiatu Te-kura-o-Tuhiva te noho ra, kite mai
ra Te-kura-o-Tuhiva ia Kaua ki te vavi
hagatu, poro maira taua ariki
nei: ko Te-kura-o-Tuhiva ia Kaua; nako atura: ko vai ariki i eke mai
ai te tua o Meketu-nui-ki-te-vai-kava ? Poro maira taua kaito nei o
Kaua: ko vau ia o Kaua-nui no na te tokotoko ra ko Rua-i-havahava.
Nako maira Te-kura-o-Tuhiva: ka haere maira e te ariki o Tahiti e,
tika tura taua kaito nei ki Tahaki iho kia Te-kura-o-Tuhiva. Nako
atura Te-kura-o-Tuhiva ia Kaua: kapua tou tere ? Nako atura Kaua:
Toku nei tere ki au no tau rogo, e tagata kite koe ki te haga peu haka
matamata ea ki te tagata, no reira vau ki tae mai ai ki mm iau. Nako
atura Te-kura-o-Tuhiva: ka haere mai ka noho, kia kite koe i taku
haga peu e rave ki mua iau. Hakaviru akera Te-kura-o-Tuhiva ki te
kaiga katiga naRm-o-Kaua. Reko atura Te-kura-o-Tuhiva i taua haga
tagata. Kamui mai i konei tateu kia rave hia te haga peu katoa ei haka
matamataea ia Kaua. Hope maira tana haga tagata katoa i ruga i te
tahua i reko hia ra o Hikuragi, haka mata kera taua kai haga katiga
nei, e haga peu haka matamataea, haukai atura rateu ki te katiga,
matamataea roa kera tam kaito nei o Kaua, kua hope roa torn matagataga i taua kaiga katiga nei, reko atura Kaua i Te-kura-o-Tuhiva:
kua hakarare au e, e ariki peu koe e te kite haga pen katoa, tei nei ra
hoki kua kite au kua matagataga roa vau ki te haga peu tau i rave.
Horoga tura Te-kura-o-Tuhiva i tana vahine na Kaua. Rave akera
Kam i taua vahine neipoi atura 82 ram. E hope akera haka hoki atura
Kaua ki te vahine a torn taeake hoki atura Kaua ki taua kaiga i Tau-
tira. Km eke atu ia Honokura ki te haga ia Toarere o Honokura nei ei
tamaiti ia na Kaua i fanau, ka hoki atu ai Kaua na Meketika kua to
ia te vahine a Te-kura-o-Tuhiva kia Kaua. Kite akera Te-kura-o-Tuhiva
e, kua to tana vahine ia Kaua. Nako atura Te-kura-o-Tuhiva ki tana vahine
kua roaka to taua taki ki Tahiti-nui. Hanau maira taua vahine nei i taua
81
Note d'Emory :«no Tekura o Tukiva e Rua'aua nui », une deuxieme note precise «no Rua Kaua e Te Kura
o
Tuhiva»,«Mekelu nui i te vai kava.»
82
Verin, 1962.
33
iT&it/lctin do la Joaele dev £>tude& &cea/i
tama nei, topa tura ki te igoa o tam tamaiti nei ki Rrnrei, na Kaua
tarn igoa nei i reko atu i taua vahine nei, kia To no atu koe e kia
hanau mai, e tapa koe i te igoa ra o Ruarei, no reira i reko hiai taua
hernia nei e, ko Tahiti-nui a Ruarei. Ka toe atu ai Kaua i tana kaiga
taega mai o te tint o Raka e te tini o Purumeamea i reira
to Kaua pau haga ki taua haga tini tagata ra, kaore hoki tana tamaiti
i kite i te pau haga o tana makui o Kaua tei haga nua i ruga Hornkura. Hoki maira kua pau tana makui, Kua hope teie reko ! 8i
Alors que Te-Kura-o-Hihiva regnait a Me‘eti‘a comme chef supreme
de File, ce dernier etait repute pour son hospitalite. Rua-Kaua de Tautira,
Tahiti, pere de Honokura, partit en voyage et vint a Me‘eti‘a. Quand Tera. I reira te
Kura-o-Tuhiva l’apergut, il lui cria ces mots: “Ko vai ariki e eke mai ai
te tua o Meketu-nui-ki-te-vai-ava /'"(Qui est le chef du voyage autour
du dos (cote sous le vent) du Grand-Me‘eti‘a-a-l’eau saumatre ?) Kaua
repondit: “Ko vau ia, o KauaNui” (C’est moi, le Grand Kaua). Son mat
avait pour nom Rua-i-havahava. Te-Kura-o-Tuhiva reprit en ces termes son
adresse : “A haere mai ra e, e te ariki o Tahiti e” (Venez done, chef de
Tahiti). Une fois que Kaua fut a ses cotes, Te-Kura-o-Tuhiva dit: “Ka pua
ton tere” (Faites-moi connaitre la raison de votre voyage). Et Kaua de
repondre : “J’ai fait ce voyage pour vous rencontrer parce que j’ai entendu
dire que vous etes un homme qui sait recevoir.” Te-Kura-o-Tuhiva l’invita
a rester.
ses
Il se mit a faire preparer de la nourriture du pays et ordonna a
sujets d’effectuer le necessaire pour bien recevoir Kaua. Une fois qu’ils
furent tous reunis sur le tahua nomme Hikuragi, le festin commenga.
Kaua en profita amplement et se trouva pleinement satisfait. Il dit alors a
Thhiva : “On m’avait dit que vous etiez un homme de bien et de renommee, je me rends compte qu’il en est ainsi. Je suis tres satisfait de la facon
dont vous m’avez traite.” Te-kura-o-Tuhiva donna sa femme a Kaua et ils
dormirent ensemble. Quand il repartit a Tautira, il la rendit a son mari.
Lorsque Kaua revint a Me‘eti‘a, la femme de Te-Kura-o-Tuhiva etait, de
83
«
Temanako o te Ruou, Puta tupuna de Teave a karaga ( Ganaia )»Dans «Paea a Avehe Small Manuscript
Notebooks*, P6518-6545- HB110, Peobody Essex Museum of Salem, reel #4, catalog 121, Franck Stimson,
1923.
34
N°323
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Septembre / Decembre 2011
notoriete publique, enceinte de ses oeuvres. Des qu’il s’en etait
apergu,
Te-kura-o-Thhiva avait dit a sa femme: “Kua roaka to tarn taki ki Tahiti
mi” (Notre genealogie est transferee a Tahiti). La femme donna naissance
a un enfant
qui fut nomme Ruarei, ainsi que Kaua l’avait prescrit: “Kia to
noa‘tu oe e kia hanau mai, e topa, i te igoa nei, o Ruarei” (Si tu es
enceinte et donnes naissance a un enfant, nomme-le Ruarei). C’est pourquoi on dit que cette terre de Me‘eti‘a est le Tahiti-nui de Ruarei {no reira
i reko hia‘i tarn henua nei e ko Tahiti Nui o Ruarei). Alors que Kaua
vivait seul dans son pays et que son fils s’etait rendu aux Tuamotu a la
recherche d’un guerrier Toarere, les tribus de Raka et de Purumeamea
fondirent sur lui et le tuerent 84
.
Ce texte permet d’apprecier les anciennes relations entre deux chef-
feries prestigieuses: celle du ari'i de Tautira, ‘Aua-toa, et celle de Ihhiva,
ari'i de Me'etu.
D’apres la genealogie dont nous disposons, la profondeur historique
pourrait se situer au debut de la periode correspondant au nouveau systeme de stratification sociale des hui ari'i venants des lies Sous-le-Vent,
85
que Eddowes nomme Te tau hui ari'i Cette periode correspondrait egalement a l’epoque des anciens ‘ati que les travaux de Paul Ottino sur 1’atoll
.
de Rangiroa et de ‘Ana‘a 86 mirent en evidence.
Les chants
La memoire de Tbliiva etait presente dans tout l’archipel des Ihamotu.
Ce chef apparait notamment dans un ancien chant recueilli par Percy
Smith a partir du puta tupuna d’une femme de ‘Ana‘a qui avait ete redige
87
par son pere Tapanga, d’une famille de chefs de l’Tie vers 1840 Ce chant
s’apparente a une version de la creation, et la succession d’fles qu’il
.
84
Verin, 1962.
Eddowes 2001, p. 9].
84
Voir notomment Ottino, 1965,1972, et Ottino & Emory, 1967.
87
Smith, 1903, pp. 221-243.
85
35
bulletin c/e ta Society c/e.t Stecc/es 0cea/u
contient avec le nom des ari'i, suit le parcours suivant: Havaiki, Vavau,
Hiti-nui, Tonga-hau, Tahiti, Meketika, Makatea, Rangiroa, Arutua, Kaukura,
Apataki, Niau, Toau, Fakarava, Faaite, Anaa.
Tupu ake te henna Meketika,
Tupu hake te ariki Tuhiva,
Tetahi ariki Tara-Tu-vahu
Tetahi ariki fakatupnranga taua.
J. L. Young traduit ce passage : « La apparut la terre Me‘eti‘a, avec le
ari'i Tuhiva, le ari'i Tara-Tu-vahu, et un autre ari'i qui declencha une
guerre
88
.
»
Me ‘etu-nui-i-te-vai- ‘ava ‘ava
Emory collecta un autre chant dans les Tuamotu. Cefa'atara89 recite
par Tetumu et sa femme vahine Tau, dans Tile de Faaite, a ete enregistre
90
sur bande
conserve au Bishop Museum. Les
fa'atara, selon Ottino,
etaient une somme de donnees d’interet ethnologique,
exprimant surtout
Thumanisation du miheu naturel, melant precisions geographiques, description des oeuvres des hommes ainsi que certains mythiques, mais ils
,
,
contenaient aussi des donnees d’interet pohtique. La transmission de ces
chants etait assez fiable car on ne reflechit pas sur les
fa'atara, on les
recite 91 ». Le caractere polysemique de ces textes
rend
«
archai'ques
aujourd’hui leur traduction difficile. Cependant, ils fourmillent d’indices
precieux, que nous tenterons de dechiffrer, a la lumiere des donnees eth-
nohistoriques.
88
Ibid., p. 287.
89
Le fa'atara (fakolara en reo pa'umotu) est un chant de
glorification d'une terre (synonyme k'atenileni).
Les paripari fenua sont des«chants de terre».
90
Emory, Texte Manuscrit 1930, VT33, enregistrement Me'eti'a island chant, Himene record n° 49, Bishop
Museum, Hawaii.
91
Ottino, 1965, p. 139.
36
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Me'etu nui i te vai ‘ava'ava 92
Hi‘ura‘i 93 i ta'i hia e te ‘oma‘oma‘o94
Horua ta‘are'n afati a Ta'urm 96
Rave hia Te ara hihi e Tu
91
fahau i te ara ta, i Hopohopu hia,
Hopuhopu ai‘a.
A vehe te ‘ura i Hi'urai 98, ‘a ato i te pm o te atae ",
‘
‘Eiaha ra Me‘etu-nui ‘oi maumau hia e teManahune!
A ara, ‘a o te ‘eia i te fenua o Tuhiva ! m
Tuoro'oro mai Oro rimu m i ni‘a i Te-rm-honu m
,
‘Ua tere ha‘apapa Pae-noa m
92
Me'etu nui i te vui 'ava'ava sembie etre le nom de la chefferie de Me'etu dans son acception territoriale.
93
Hi'ura'i (Hikuragi ou Hikurangi suivant la graphie paumolu), nom de la montagne de Me'etu. Hikurangi est
la montagne mythique des Maoris qui sauva du deluge une population. Cette montagne etait a Tahiti. (Hi'u ta'i,
sommet du del,
94
pilier du ciel ?)
Une note d'Emory precise:« 0 Hiura'i i haha hia i te pou iri nuu »(Tati's note, 63, p. 30.).
95
Toponyme sur la carte, cote est, a I'endroit ou les vogues deferlent sur le haut fond de corail (surf).
Fatia-taurua est un toponyme, sur la Crete est du pic (Feti'a Taurua, Etoile du matin, Venus). Cette etoile aurait
ete un repere de navigation, guide de I'ile. Taurua etait egalement la ravissante femme de Tavi Hauroa, or/'/
96
de Tautira vers 1650 dans les Memoires de Marau Ta'aroa.
97
Peut-etre une mauvaise transcription de Tu faehau (le guerrier Tu) qui est un toponyme. Si nous considerons
le changement de Tu en Ti'a, Ti'afa hau evoque-t-il le recif plat ?
98
99
lei, Hi'ura'i (Hikuragi) est le nom de la place de reunion (tahua), indiquee dans la legende de Tekura o Tuhiva.
Fleur du 'atae: magnifiques fleurs rouges, 'ura signe de prestige.
100
Cette phrase indique que Me'etu est independante, et convoitee par les Manahune de Tahiti ou hien par des
groupes en opposition a la caste des Huiari'i (opposition Marama/Manahune).
101
Oro rimu (pousses d'algue, cheveux de 'Oro ?), allusion au dieu 'Oro ?
107
le "trou aux tortues" ou "la source de la tortue" est un toponyme de la baie ou se situe la grotte, au sud
de I'ile. II pourrait s'agir du nom d'un point d'eau; en effet, les Espagnols affirmaient que I'eau etait puisee
au
sud, pres du rivage. Un marae surplombe cede baie.
,03
Pae noa est peut-etre le nom d'un personnage ?
37
(Ruffetin do fa iSocieto de& &tude& Qx^eamenne
i ni‘a i Pohatu-o-‘Oro
m
:
Te-ara-pota‘a, Temihi a te tane, te ara ti‘a ra;
Tei Paru-0‘iri te au tapapa, ‘a heva iti e i Te ana tapaim 105 ;
Hem a‘e net au i te umu opi'o l06,
Na ni‘a Haera'i 107 i te haere i te au pure pure, te fana pu‘u m ;
Fariu ta‘u mata i muri,
ta‘u hip ra'a ‘tu i napu-tom ri‘i,
‘ua reva ratou i reira.
Na maeha‘a ho‘i teie,
ORa‘i-ura, Ra‘i-reia, Rai‘mata m
Te riro e ti‘ati‘a mou'a,
,
Meetu Nui e, Meetu Nui.
Ce chant avait ete traduit par Stimson. En voici une traduction litterale
en
frangais d’apres la traduction anglaise.
La grande Me'etu, a l’eau saumatre
Eperon montagneux du ciel ou resonnent
les cris des oiseaux de la foret
Pohatu o 'Oro (rocher de 'Oro ?) Pohatu: pierre dressee du ‘ahu oux Tuamotu. Duns le mythe de Tafa'i (version de 'Ana'a), Pofotu kura est le jeune frere de Hema, pere de Tafa'i. Dans le mythe de Maui, Pofatu ta'a a
Tautira, est I'endroit oil il attache une des cordes qu'il utilise pour capturer le soleil.
I0i
La grotte des jeunes princesses (une grotte se situe sur le rivage, dans la baie de Te-rua-honu).
106
Opi'o: immense four a cuisson lente, umu: four > four immense, allusion au cratere ?
=
107
Haera'i (Haerangi) est I'ancien nom de I'ile de 'Ana'a. II correspondrait egalement a une division territoriale
de 'Ana'a.
108
Idee de voyage, de passage oblige par Haerangi ?
IW
Ra'i-ura, ral-reira, ra'i-mata sont peut-etre, comme I'a indique Ottino pour Rangiroa, des nuages symbolisant
trois 'ali de Me'eti'a. (Ottino, 1965, p. 67). Le sens de la phrase suivante indiquerait que ces trois personnages
ou trois 'ati auraient
38
migre (changes en pierre).
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Septembre / Decembre 2011
[C’est l’endroit appele]
Horuata’are
l’etoile Ta’urua [Venus].
Le guerrier Tu emprunte [le chemin]
Te-ara-hi hi [le chemin des rayons soleil]
Te-ara-tai [le chemin bordant la mer]
[conduisant a]
Hopuhopuhia [« baigne dans les vagues»]
a l’endroit nomme
Hopuhopu ‘ai’a.
Enthousiastes etaient les oiseaux sacres ecarlates,
tournoyant au-dessus du pic Hi'ura'i,
rassemblant les fleurs rouges de l’erythrine.
Ne laissez pas Me‘etu-la-prestigieuse
etre envahie par les Manahune !
Prenez garde a ceux qui pourraient voler
la terre de Tuhiva!
Du dessus de Te-rua-honu
Oro-rimu criait ga et la.
Pae-noa le poursuivait
a
Pofatu-o-‘Oro [lapierre de ‘Oro]
sur le chemin circulaire Te-mihi-a-te-tane
vers l’endroit-ou-reside le Soleil.
On trouve a l’endroit Paru-‘o‘irie [poisson baliste]
Te-au-tapapa [le courant qui poursuit]
On pleure plaintivement
a Te-ara-tapairu [grotte des ainees de haut rang]
ou Ton a racle/creuse le four a cuisson lente.
39
bulletin/ de (a docieta den dtuden Ocea/iiesi/ien
l
On vient depuis Hae-ra’i [ Ana‘a]
par [le courant] Te-au-purepure
la vergue de la pirogue gonflee [par le vent].
Mes yeux ont regarde en arriere,
et alors je vis les triples,
ils etaient partis d’ici.
C’etaient les triples:
Ra'i ‘ura, Ra‘i reira, Ra’i mata
qui devinrent les fougeres [ou les pics]
de Me‘etu-la-prestigieuse.
Une autre version de ce chant nous est donnee par Te-ara-po, qu’il
recueillit aupres d’une vieille femme de Tautira s’exprimant en pa'umotu, une
des proprietaries de llle. Le chant est incomplet et quelques mots different.
Me’etu nui e i Vaiava
Hiura’i i te ta’ihia e te ‘oma’oma’o
Huru-a’e-taere
e
feti’a i te ao ‘o Ta’urua
Ravehia i te ara tahihi i Tu fa’a ao
i te ara tai hopuhopuhia
E hopuhopu ‘ai’a.
‘A vehe te ‘ura i Hiura’i
A ‘ato te pua o te ‘atae
Eiaha ra ‘o Me’etu nui e
‘ia maumauhia e te manahune.
40
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A ara ‘o te ‘eia hia te fenua o Tuhiva
Tuorooro mai i ‘Oro-rima
i ni’a i Te-rua-honu e
‘Ua tere hapahapa Pae noa a’e
i ni’a i Pohatn ‘o ‘Oro, te arapota’a
Te mihi o te tane i te ara ti’a ra.
Un chant de lamentation funebre en l’honneur de Te-Kura-o-Tdhiva
110
(Orotagi no Te-kura iMeketika) figurait dans le manuscrit de Stimson,
precedant le chant laudatif de Te-kura i Tahiti.
Orotagi no Te kura i Meketika
Kua pua e pua Te-kura i Meketika
Te-kura ka tu hina hoki
ko Te-kura e.
Kua pua e kua pua Te-kura i Meketika
Te-kura i hakamanahia e Tuhiva
hoki ko Te-kura e.
Kua pua e pua Te-kura i Meketika
ko Te-kura e tu mai Hikuragi
hoki ko Te-kura e.
Un dernier chant sur Me’etu etait connu par le chef Te-tumu de
Faaite. Emory 111 qui le recueillit precisait que ce chant etait en memoire
d’un defunt, qu’il a ete modifie et qu’il n’etait probablement pas tres
ancien.
110
Dans le dictionnaire de Stimson, Orotagi, est une oraison funebre: «It was sung at the burial of a king or
parent.»
,n
Emory, 1930, Manuscrit, folio VT 36, Bishop Museum. Dons une note, il precise :«Marama is a grave yard.»
41
i
bulletin c/e /a Society dev Shic/ea (9icea/uc/ines
Fanake ki raro te Mararm
Fanake ki te ata ka hiti
Ka hitiki moho tagi nini arofa.
Fanake ki raro te Mararm
Tei Irakau tam Marama
Fana koe ki raro teMarama
Tagi noapu nm taku tarm
Fakairi ki ruga Meketika
Ces quelques chants et la genealogie de Tuhiva nous ont permis de
preciser Importance de lachefferie de Me’etu nui.
Pirogue de voyage {pahi) des Tuamotu sur les rivages de Tahiti,
(gravure de Webber, 1774)
42
Carte des toponymes de Me'eti'a
(fonds Service de 1‘Urbanisme /Topographie, Papeete).
Le navire anglais Dolphin (capitaine Wallis) devant Me'eti'a, le 17 juin 1767
avant sa decouverte de Tahiti les jours suivants.
(gravure reproduite dans le Memorial Polynesien, tome 1, pp. 166-117, ed. Hibiscus)
Profil de I'Tle Me'eti'a denommee Osnaburg Island par le capitaine Wallis,
le 17 juin 1767,
avant sa decouverte de Tahiti.
© Hawkesworth, 1773, London.
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Septerabre / Decembre 2011
IV. Premiers contacts europeens
A minuit, un grandfeu se detacha de la cote
a une hauteur de
qid
nous
1400pieds,
prouva que cette ile etait habitee.
Samuel Wallis, 1767
Les premieres incursions des Europeens en Polynesie debutent par
la navigation de Mendana a partir de 1595 dans l’archipel des Marquises,
puis celle de Quiros dans les Tuamotu en 1606, de Le Maire et Schouten
dans les Tuamotu du Nord-Ouest en l6l6, de Roggeveen dans les Thamotu
Ouest en 1722. Les travaux recents d’Annie Baert ont souligne l’importance de ces premieres incursions dans les modalites du premier contact
entre le monde polynesien et TOccident. Me‘eti‘a n’etait pas La Decena de
Quiros, comme on le crut un long moment, le navigateur espagnol ayant
nomme ainsi 1’atoll de Tauere
112
.
Mais il est fort probable que les gens de
Me‘eti‘a, comme ceux des autres lies de la Societe, avaient connaissance de
l’existence de navires etrangers, avant que Wallis en 1767 ne les decou«
vre », ceci en vertu des relations
qui existaient entre les lies proches.
En juin 1767, le navire anglais Dolphin, commande par le capitaine
Wallis, a la recherche de la Terre Australe, traverse Tarchipel des Thamotu,
et s’approche d’une premiere terre elevee. Loin d’imaginer qu’il se trouve
a proximite de Tahiti, Wallis decide de s’approcher de cette petite He afin
d’y trouver de l’eau et des vivres frais qui commencent a faire defaut. Nous
resumons ici les faits tels
qu’ils ont ete relates par les Anglais.
Le 17 juin 1767, au lever du jour, l’equipage du Dolphin apergut une
terre dans le nord-ouest, formant un « pain de sucre ». A midi, ils etaient
a 5 heues de Tile et Wallis trouva que Me‘eti‘a ressemblait a la
montagne
du Mewstone de Plymouth. A cinq heures de l’apres-midi, le navire s’ap-
prochait par le sud-est a huit miles de la cote et louvoya toute la nuit.
1,2
Baert, 1999, p 12.
45
m bulletin de fa Society de& &Uide& Ocea/iien/ic&
Les Anglais virent un feu sur le rivage qui leur indiqua que « 1’ile, quoique
tres petite, etait habitee, et nous fit esperer que nous pourrions trouver
quelque mouillage dans les environs. Nous remarquames avec grand plaisir que la terre etait fort haute et couverte de cocotiers, signe infaillible
qu’on y trouvait de l’eau"
3
.
»
Le lendemain deux bateaux furent armes, equipes et envoyes a terre,
charges de presents, avec pour consigne de se ravitailler en eau et vivres
frais, et de trouver un mouillage pour le vaisseau. Plusieurs pirogues partirent du rivage vers le navire avec trois hommes a leur bord, mais
quand ils arriverent a portee de fusil, ils s’arreterent et nous regarderent,
plus loin, bien que nous limes toutes les demonstrations
d’amitie imaginables et nous leur montrames une foule de pacotille, mal«
sans vouloir aller
gre tout, aucun d’eux ne put etre convaincu de monter a bord
114
» Alors
le capitaine ordonna a son heutenant en second d’equiper et d’armer les
.
deux bateaux, et d’aller a l’abri de File pour sonder a la recherche d’un
mouillage. Le lieutenant Fumeaux embarqua dans la chaloupe et M. Gore
dans le cotre.
«
Nos bateaux quitterent le navire, et ramerent en direction
des pirogues, ce qui effraya fortement les Indiens, qui tous s’enfiiirent vers
le rivage, pagayant de toutes leurs forces, se suivant les uns les autres. Au
debut, nos bateaux leur laisserent prendre de l’avance, ce qui rendit les
indigenes tres joyeux, ils commencerent a pagayer plus doucement, pensant qu’ils pourraient echapper a nos bateaux quand ils le
jugeraient
necessaire. Peu apres, le heutenant ordonna a nos hommes de tirer de
toutes leurs forces sur les rames, pour convaincre les
indigenes que nos
bateaux allaient plus vite que les leurs. Quand ils s’aperqurent que nos
bateaux les rattrapaient, ils se mirent a pagayer comme des fous jusqu’a
ce que nos bateaux les
depassent, et que nos hommes commencent a rire
d’eux de bon coeur. Alors les indigenes commencerent a devenir joyeux a
leur tour et ne semblerent pas effrayes le moins du monde, et tous ramerent vers le rivage a la suite de nos bateaux.
Les hommes qu’ils virent
»
113
114
Hawkesworth, 1773, Vol. 1, pp. 430-432.
Robertson, 1948, p. 165-166.
46
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dans les pirogues etaient nus, a l’exception d’un homme plus age qui portait« une sorte de vetement blanc, ou quelque chose d’approchant, autour
de la taille, et quelque chose comme un turban autour de sa tete. »
Les bateaux firent le tour de File a la recherche d’un mouillage et
trouverent un seul point pour debarquer avec les chaloupes. A cet endroit
se tenait « une centaine d’hommes et leurs femmes a leurs cotes, tous
armes de lances et de batons », certains d’entre eux
portaient« des batons
blancs, paraissant etre des marques' d’autorite, attendu que ceux qui les
portaient etaient en avant, alors que les autres restaient en arriere.
Les Anglais laisserent tomber leur grappin pour la chaloupe, et l’equipage du cotre jeta le bout d’un cable aux insulaires. Ces demiers les inviterent par signes a venir a terre, mais le lieutenant Furneaux pensa qu’« il
n’etait pas prudent d’accoster, car les indigenes masses la etaient trop
»
nombreux ».
Un incident eut alors lieu, le premier malentendu. Quand les habitants de Me‘eti‘a realiserent que les Anglais n’iraient pas a terre, l’un d’entre eux s’approcha dans une pirogue et essaya de s’accrocher a la
ligne
de mouillage et de soulever le grappin du cotre. Au meme moment, les
autres se tenaient prets sur le rivage a haler le bateau a terre.
«
Au
moment ou l’homme souleva le grappin, Monsieur Gore tira un coup de
mousquet dans sa direction. Ceci effraya tellement l’indigene qu’il sauta
immediatement par-dessus bord et abandonna sa pirogue et revint au
rivage a la nage. Sur la greve, tous les indigenes semblerent extremement
surpris par le bruit du mousquet, mais plus encore quand ils virent la balle
frapper l’eau avec une force dont ils n’etaient pas accoutumes. Le pauvre
gars resta sous l’eau jusqu’a ce qu’il soit a proximite des rochers, et quand
il arriva a terre, tous les autres se rejouirent et rirent de tres bon coeur. »
Les habitants de Me‘eti‘a firent de nouveaux signes aux etrangers de
venir a terre, en leur montrant quelques cochons, volailles et fruits, mais
les Anglais refuserent de debarquer. En echange d’un cochon et d’un coq,
ils troquerent « des grains de verre, un miroir, une hache, quelques
peignes et d’autres bagatelles», ce qui attira les femmes restees en arriere
qui se precipiterent vers la greve, mais, immediatement renvoyees par les
47
bulletin c/e ta Jociete des O/ccdes 6>
■ceamames
hommes, elles« parurent tres mortifiees et fort mecontentes. Certains s’en
retournerent dans les bois, ramenant chez eux ce qu’ils avaient apporte.
Quelques-uns firent signe qu’ils reviendraient bientot, ce qui fit attendre
nos bateaux quelque temps, mais on ne les revit plus, ni sur l’eau, ni sur
la cote abritee de 1’ile. »
Ils n'apercurent pas d’eau sur la cote abritee, mais toute File etait
couverte de cocotiers et plusieurs autres sortes d’arbres fraitiers jusqu’au
sommet de la montagne. II y avait dans cette lie un homme d’age mur, qui
semblait jouir d’une certaine autorite sur les autres, « on le vit frequemment chatier les autres Indiens et tous paraissaient ecouter avec beaucoup
de respect ce qu’il disait. C’etait un homme fort et bien constitue, mieux
vetu que les autres, et il portait sur sa tete un grand turban blanc. » Toutes
les femmes avaient une sorte d’etoffe blanche autour des reins, et plusieurs
des hommes etaient nus. Furneaux regut une piece de cette etoffe.
A midi, les Anglais retournerent a bord du Dolphin. Furneaux fit son
rapport a Wallis. Les habitants parurent au capitaine « plus nombreux que
File n’en pouvait nourrir » et, comme il vit plusieurs tres grandes pirogues
doubles sur la greve, il jugea qu’il devait y avoir a peu de distance des lies
plus etendues ou l’on pourrait trouver des provisions en plus grande abondance, et il Fesperait avec moins de difficultes. Wallis fut de son avis et
decida d’aller plus loin vers l’ouest. Le bateau leva l’ancre a deux heures
de Fapres-midi, il la grande deception de son equipage. Le principal espoir
etait de trouver la haute terre qu’ils pensaient avoir vu le jour precedent.
Ce fut le seul reconfort pour etre parti si promptement de File d’Osna-
burgh ou ils avaient observe beaucoup de nourriture et des natifs armes
uniquement de massues et de lances
115
.
Wallis nomma cette lie Osnaburgh en l’honneur du prince Frederick,
eveque d’Osnaburgh. Puis il conclut: « Cette lie est presque circulaire et
a environ deux milles de tour. Elle git par 17° 51’ de latitude S. et 147° 30’
de longitude 0. La variation etait ici de 7° 10’ E. »
115
Rowe, 1955, p. 57 etpp. 60-70.
48
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Les contacts entre les Anglais et les insulaires de Me‘eti‘a furent done
difficiles, mais ce n’etait que le debut d’un malentendu qui se poursuivit
les jours suivants a Taliiti. Les travaux de J. F. Bare analysent parfaitement
ce malentendu
116
.
Notre propos n’est pas ici d’analyser cette rencontre
entre deux cultures dans le contexte de la decouverte europeenne, ni de
soulever la question de l'alterite, mais d’utiliser les temoignages de ces
premiers visiteurs pour nous concentrer sur le plan descriptif de cette
microsociete, afin d'en comprendre son evolution dans le temps.
L’ancienne societe de Me‘eti‘a
decrite par les Espagnols en 1772
Le temoignage des decouvreurs et visiteurs europeens, meme s’il n’of-
fre qu’un regard parcellaire, a la maniere d’un instantane photograpliique
sur une societe a un moment
donne, constitue un autre volet precieux pour
l’ethnohistoire. La presence espagnole a Taliiti de 1772 a 1775 fut a ce titre
importante et, pour File de Me‘eti‘a, estimable pour l’approche visuelle
qu’elle apporte. Ce sont les seuls navigateurs europeens qui, a cette epoque,
visiterent Finterieur de cette petite tie et approcherent les habitants dans
leur vie quotidienne. Le fait que File soit de petite taille et a une echelle
humaine donne a leur temoignage une valeur irrefutable, meme s’ils n’y
passerent que deux jours, avant de decouvrir File d’Amat (Taliiti).
Des recherches menees aux Arcliives des Indes a Seville et a Madrid
(Museo Naval, Real Academia de Historia) ont permis de reunir les documents espagnols originaux sur cette lie. A ces materiaux se rajoutent les
travaux de synthese de B. G. Corney (1914), Pugeault (1930), Claude
Robineau (1978), Francisco Mellen Blanco (1990,1992), H. Belgaguy
(1995) et recents de Liou Tumaliai (2000) sur les differentes expeditions
espagnoles a Tahiti.
Comment vivait-on a Me‘eti‘a a Fepoque de la decouverte euro-
peenne ?
1,6
Bare, 2002, p. 97.
49
$}tt//elin c/e fa Jociete c/ex Stuc/ex 0ce<a/uc/me/i
Depuis la visite de Wallis cinq ans auparavant, ou les contacts avaient
ete plutot houleux, puisqu’un malentendu avait declenche des coups de
feu, les insulaires de Me‘eti‘a avaient vu passer en 1768, les navires frangais La Boudeuse et YEtoile commandes par Bougainville, puis en 1769
le navire anglais Endeavour de James Cook. Ces derniers passerent pres
de Tile sans s’y arreter, se bomant a la decrire et a relever sa position.
Le 6 novembre 1772, apres avoir traverse l’archipel des Tbamotu, la freSanta
Maria Magdalena alias elAguila, commandee pai' Don Domingo
gate
de Boenechea, arriva a Me‘eti‘a. Les Espagnols denommerent cette lie
Cristobal»,
ou « Cerro de San Cristobal
117
».
«
San
Une chaloupe fit le tour de Me
afin de chercher un mouillage pour la fregate et se ravitailler. Des echanges
avec les insulaires eurent
lieu, et T equipage retouma a bord a la nuit. Le len-
demain un groupe dirige par Tomas Gayangos et Diego Machado debarqua
sud-ouest, pendant que d’autres pratiquerent des sondages et dresserent
118
plan de Me Les differentes observations decoulant de leur visite de Me
seront classees selon une grille ethnographique classique.
au
un
.
Habitat ancien a Me‘eti‘a
Conforme aux autres descriptions de Tepoque dans les autres lies,
l’habitat a Me‘eti‘a etait constitue de maisonnees reparties en plusieurs
hameaux de fagon eparse 119 La maisonnee constituait, selon Oliver, Turfite
.
elementaire d’habitat regroupant une famille etendue, en general la
branche d’un lignage. Elle comprenait plusieurs unites fonctionnelles,
associees a une structure ceremonielle ( marae tupuna). Le terrain par-
ticulierement accidente de Tile determina Tinstallation du milieu residentiel sur le plateau, au sud et a Test de Tile. La partie nord de Tile plongeant
verticalement dans la mer comporte egalement des terrasses d’habitat, qui
devaient sans doute jouer un role certain dans la surveillance du territoire.
117
lls nommerent cette lie par analogic de sa forme avec une colline de Lima.
Il!
Le seul plan de file qui existe avant 1928.
119
Oliver utilise le terme«scattered »pour caracteriser la repartition spatiale des maisonnees ( households ),
(Oliver, 1974, II, p. 694.). Selon Ottino, les groupements residentiels, concretement delimites par la com ('aua
fare), enserrent plusieurs demeures et foment des enceintes residentielles (Robineau, 1976, p. 124.).
50
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Septembre / Decembre 2011
Sur le plan qu’ils firent de File, les trois bales du sud sont beaucoup
moins creusees que sur la carte actuelle. Meme si la precision de la car-
tographie espagnole est parfois soumise a des severes critiques de la part
de leurs collegues britanniques, F erosion devait etre moins importante et
le paysage cotier devait s’approcher de celui represente sur la carte. Ce
qui suppose que certains sites d’habitat sur le plateau ont peut-etre disparu, par 1’effondrement de la partie sud du plateau.
Le temoignage des Espagnols est suffisamment precis et File de taille
assez reduite pour permettre de reconstituer l’espace d’habitat: ils gravirent peniblement le chemin taille dans la falaise surplombant le point de
debarquement sud-ouest (Fatia-po ) en s’agrippant aux racines et arriverent sur le plateau boise.
Les unites d’habitation
Arrivant par le sud-ouest sur le chemin qui traverse File, ils virent un
premier hameau compose de cinq
«
rancherias ». L’officier Diego
Machado decrivit des structures rectangulaires de type fare hau pape :
« Non loin de
la, je trouvai cinq huttes construites de bonne main, dont la
structure etait soigneusement ajustee et recouverte de feuilles de cocotier.
Leur plus grande hauteur etait de 3 varas et demi, leur longueur de 8 a
10, et leur profondeur de 4 a 5 varas. Elies n’etaient pas completement
fermees par le chaume, un espace de 2 varas et demi depuis le sol etait
ouvert sur le cote gauche. Le sol etait recouvert d’herbe qui rendait Finterieur confortable
120
.
»
Selon Orhac, ce type de fare est done compose
centraux supportant la panne faltiere, de deux
d’une rangee de poteaux
et d’une
poteaux lateraux supportant les pannes sablieres et les chevrons,
121
ces unites d’hapoutre de bordure reposant sur le sol Les fondations de
bitation rectangulaires sont des plates-formes de pierres plates ou de
dalles constituant un pavage ipaepae ), et l’on en retrouve les vestiges de
.
nos
120
jours, parmi la vegetation dense.
la
Boenechea, Monuscrit 112.4.11, Archivo General de Indias, Sevilla. Egalement dans«Espafia en Polynesia
oriental »Boletin de la Real Sociedad Geografica, p. 661.
121
Orliac, 2000, pp. 52-53.
51
SLd/e/in dc /a doc/'cte dc& &t/tdc.<i Qceanie/mes
Malgre l’apparente quietude qui regnait lors de la visite des etrangers,
les habitants de Me‘eti‘a devaient s’etre recemment livres a des combats
sanglants, puisqu’un trophee de guerre pendait dans la deuxieme habitation :
Dans la deuxieme hutte, je notai qu’ils avaient une machoire de
En effet, comme le precise Morrison dans son
cadavre suspendue 122
Journal a propos des guerres, la machoire inferieure etait detachee et gardee comme trophee de guerre 123 Chaque hutte etait entouree d’une pahssade. En poursuivant sur le chemin traversant la foret de grands arbres,
ils virent un autre hameau de sept huttes analogues a celles que nous
«
.
»
.
«
venions de rencontrer ».
Le mobilier
Le mobilier observe etait commun a celui des lies de la Societe, mais
les maisons possedaient toutes des repose-tete (tuauma) tres flnement
travailles, un petit tabouret a l’assise concave, tres adroitement sculpte ».
Selon Ellis, ces oreillers », qui etaient tallies d’une seule piece dans du
«
«
bois de tamanu, avaient le dessus incurve pour recevoir la tete 124 Ils aper.
curent egalement des paniers et des nattes en palmes de cocotier ou de
pandanus tresses et des grands plats concaves ( umete ).
L’eau potable
Si aujourd’hui File n’a pas de source permanente d’eau potable, il
semble qu’autrefois il n’en etait pas de meme. Les habitants indiquerent
la pointe sud-est ou se trouvaient leurs habitations, quand les visiteurs leur
demanderent par signes ou ils pouvaient trouver de l’eau douce. Le trans-
port de l’eau etait assure par portage depuis la source a l’aide de calebasses: « Un indigene nous apporta deux calebasses remplies d’eau
douce, lesquelles contenaient plus de la moitie d’un tonneau d’eau. Le lieu
ou avait ete puisee celle-ci est situe sur la cote sud de 1’ile, oil la mer
deferle avec violence. »
m
Boenechea, ibid.
123
Morrison, 1989, p. 144.
124
Ellis, 1972, p. 133.
52
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Septerabre / Decembre 2011
Techniques de cuisson, production et conservation du feu
Un umu (four a cuisson lente) fut apergu a proximite d’un fare :
J’observai egalement qu’ils gardaient le feu recouvert par certaines
pierres volcaniques dont le chemin abondait. Mais il semble que les visi«
»
teurs n’aient pas bien compris les modalites de fonctionnement de ce four.
En revanche, ils nous indiquent de quelle maniere le feu etait obtenu : « Ils
m’expliquerent par signes que quand ils voulaient allumer le feu, ils le faisaient en frottant deux batons ensemble. Ce procede d’obtention du feu
»
par friction etait de regie dans toutes les lies.
Circulation dans l’ile
Le chemin traversant le plateau emprunte par les Espagnols avait pro-
bablement le meme trace que celui que Ton retrouve aujourd’hui, reliant
les deux principaux points de debarquement du sud-ouest a la pointe est.
Celui-ci permettait d’evoluer en terrain relativement plat, ou se trouvait le
miheu residentiel. Certains amenagements, comme des marches taillees
dans la roche ou des remblais, permettaient de stabihser le terrain escarpe
abruptes
pres des falaises. D’autres chemins conduisaient
etaient
littoral
du
du nord de l’ile. Certains endroits
probablement plus
aux terrasses
accessibles en pirogue.
Exploitation des ressources terrestres
Ce plateau fertile, a l’abri des violences de l’environnement marin,
foumissait un cadre propice aux cultures
125
: « A cet
endroit commencent
des parcelles cultivees: Ici des cocotiers, la d’autres petits arbres portant
noirs que
cinq ou six gousses qui contenaient de petits haricots rouges et
les indigenes appelaient peonia
l26
en d’autres endroits une sorte de
,
127
un autre
a leur pedicule
pomme de pin dont les graines etaient sucees
128
trois especes de bananes de Guinee
gros fruit qu’ils consommaient cuit
,
,
Journal de Boenechea, ibid.
Cet aliment n'est pas determine.
127
Corney precise qu'il s'agit du fruit du pandanus.
,!S
126
128
Fruit de I'arbre a pain.
53
bulletin eta fa Societa cfc& &tudc& 0,ccame/mes
longues, et d’autres jaunes semblables a celles que Ton trouve en Guinee,
mesurant 14 quarta m de long et 3 pouces ou plus de diametres, qu’ils
m
L’arbre a
mangeaient apres les avoir roti et qu’ils nommaient mella
.
»
pain etait une ressource importante pour l’alimentation directe ou indirecte dans la constitution de reserves sous forme de pate imahi). L’ecorce
servait a la fabrication du tapa. Le bois servait a la construction, et sa seve
131
Les bananiers faisaient partie des ressources
a calfater les embarcations
.
domestiques.
Premieres introductions vegetales par les Europeens
Nous avons ici la relation des premieres introductions de plantes par
les Europeens dans les lies de la Societe. « Nous leur montrames comment
preparer la terre pour les semis. On leur donna des graines de mai's, de
ble, de citrouilles, melons, pasteques, patates douces, papayes et de Pail.
»
L’introduction de la papaye est ainsi documentee.
Elevage domestique
Jouxtant la maisonnee, on trouvait un enclos de pierre reserve a l’elevage des cochons: Je poursuivais et traversais un pare avec quelques
cochons gras a l’interieur, aussi gros que les plus beaux specimens que
Ton trouve a Lima. Le precieux cochon servait autant a la nourriture qu’a
«
»
1’echange ceremoniel entre les hommes ou en offrandes aux divinites. Certains animaux domestiques comme les volailles evoluaient en semi-hberte.
D’autres techniques d’utilisation des ressources etaient utilisees,
notamment la collecte des ceufs et la chasse de certains oiseaux marins.
Elies venaient completer les ressources marines, que les Espagnols ne
decrivent pas, mis a part le poisson qu’ils virent«suspendu dans un fare
que les habitants ne voulaient pas echanger ».
I!!
Un quarto correspond n un quart de vara.
130
Mei'a, banane.
131
Robineou, 1985, pp. 126-127.
54
,
N°323
-
Septembre / Decembre 2011
Demographic
Dans le manuscrit de Boenechea, l’officier vit « 100 indios entre
hombres, mujeresy ninos au point ou ils debarquerent et estima la
population de 1’ile a 200 personnes. Dans le journal du pereJose Amich,
»
la population est estimee par le Pere a cent cinquante ames. Cette estima-
tion, meme si elle parait disproportionnee par rapport a la surface de 1’ile,
semble neanmoins realiste, comme le fait remarquer Oliver : « Les eva-
luations de la population pre-europeenne sont souvent fantaisistes ou
contradictoires, excepte dans le cas de Me‘eti‘a: Quand les Espagnols la
visiterent en 1772, ils parcoururent la majeure partie de 1’ile et virent de
toute evidence la majorite de ses habitants, qu’ils rapporterent etre de
200 » (Comey 1913 : 296).
Description physique
Lors de leur traversee des Tuamotu, les relations des Espagnols avec
les insulaires s’etaient limitees a des echanges pirogues/navire/rivage. C’est
a Me'eti'a
qu’a lieu le premier contact avec les insulaires des iles de la
Societe dans leur environnement domestique. Les habitants sont decrits le
«teint mulatre, les cheveux coupes courts, tatoues sur la moitie du corps,
portant un cache-sexe ». Le pere Amich notait: Les Indiens de cette ile
sont de bonne constitution, d’un teint clair, et portant une minuscule
«
barbe. Leurs cheveux sont frises, quelques-uns les ont plats. Ils vont communement nus, seulement vetus d’un petit sarrau de fine natte ». Les piro-
guiers etaient« vetus seulement d’un cache-sexe et d’amulettes autour de
la poitrine (Juan de Herve). Les hommes, en plus du cache-sexe, portent
des ponchos d’etoffe finement travaillee ( tiputa) et les femmes des etoffes
blanches qu’elles tirent de l’ecorce d’un arbre, battue et travaillee, avec
lesquelles elles se ceignent la ceinture, et dont de nombreuses femmes se
couvrent tout le corps (Amich).
»
Connaissances geographiques
Un insulaire de Me‘eti‘a qui s’etait he d’amitie avec le charpentier, se
proposa comme guide pour le voyage a Tahiti. Les reperes qu’ils utilisaient
pour s’orienter, notamment l’ouest, etaient definis par rapport a la position
55
m bulletin (/a la Societa de& &Uu/e& Qcea/iienne&
du soleil.
«
Tahiti se trouvait la ou le soleil se couchait », pour indiquer
qu’il se situait vers l’ouest. Les premiers insulaires sont embarques comme
guides sur les navires europeens. Cet homme de Me‘eti‘a est le premier de la liste, et disparaitra des son arrivee a Tahiti, comme le remar»
«
quait le commandant Boenechea :
«
Ils s’en allaient subitement juste
132
apres, comme l’avait fait celui de San Cristobal
Les Espagnols releverent le nom vemaculaire de Hie qu’ils compri.
»
rent comme « Maytu », c’est-a-dire Me'etu.
Aspects politiques
Relations avec la presqu’ile de Taiarapu
Ce sont les Espagnols, lors de cette visite, qui nous apprennent que
«
Me‘etu etait sujette a la domination de Vehiatua, ari'i de la moitie de llle
d’Amat 133 ». Cette subordination pobtique serait probablement a nuancer,
si Ton considere la nouvelle conjoncture qui affecte Tensemble des lies de
la Societe apres 1’intensification des contacts avec l’Occident. Les lies
subissent le debut de transformations profondes et irremediables. En effet,
cette periode est marquee par une centrabsation des pouvoirs pobtico-
rebgieux autour de grandes confederations pobtiques dans Tile de Tahiti.
L’hegemonie pobtico-rehgieuse est marquee par la compebbon a Tahib de
deux grandes confederabons, Teva i uta et Teva i tai. L’extension territoriale
de cette derniere necessitait le controle des ressources des petites lies
environnantes, a plus forte raison quand d’anciennes albances existaient.
C’est precisement dans ce cadre que s’inscrivit l’allegeance de Me'etu,
devenant dans ce nouveau contexte une « dependance » du ari'i Vehiatua.
Cette dependance obhgeait les insulaires a rendre un tribut. Nous verrons
qu’une grande pirogue effectuait le voyage depuis Taiarapu deux fois par
an, dans ce dessein.
132
Corney, 1913, vol. I, p. 342.
133
Boenetheo, Manuscrit n° 208, Museo Naval, Madrid, folio 50.
56
N°323
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Septembre / Decembre 2011
Bannissement a Me‘etu
‘
Les Espagnols nous apprennent egalement que le ari’i Vehiatua se
servait de File de Me'etu comme lieu de bannissement, comme il est consi134
gne dans le rapport du commandant Boenechea : «Ils punissent egalement certains debts par le bannissement, but dans lequel certaines lies de
destinees, comme c’est le cas de Maitu, ou San Cristoval,
qui est assujettie a F autorite de Vehiatua, arid de la moitie sud-est de File
son domaine sont
d’Amat 135 .»
Le fait de bannir le malfaiteur de son territoire tribal etait frequent.
Nous pouvons encore relever l’assimilation vitale de l’homme a la terre
(fenua) et a son territoire (‘ai‘a ), dont la privation condamnait a errer
et« deriver
(painu) sans aucune attache, comme les ames des morts.
»
Aspects religieux
Les Espagnols nous donnent la description d’un des heux de cube de
1’ile, dont les habitants« ne voulaient pas s’approcher ». Ils y observerent
des poteaux finement sculptes.
Le chien, symbole totemique ou divinite ?
Les unu etaient des poteaux sculptes, surmontes de figurines d’ani-
totemiques. Sur les unu decrits par les Espagnols a Me‘eti‘a, l’effigie
d’un chien predominait partout. D’apres M. Eddowes, une des fonctions
maux
des unu etait de commemorer les ancetres divinises.
«
The more zoo-
morphic (unu) may have been signifying associatedfamiliars, personal gods come mediators to deities favoured by various lines in the
56
L’esprit des
form ofbirds, and other animals such as dogs and pigs'
ancetres defunts s’exprimait au travers d’animaux, de plantes, de pierres
ou d’elements naturels. Ces esprits appeles tdura se rattachaient a une
137
Le ‘ati
personne, un groupe social ou a une region geographique
.
»
.
134
Manuscrit de Boenechea, ibid.
135
Andia y Vorela, in Corney, II, pp. 264-265.
136
Eddowes, 1991, p. 84.
137
Ottino, 1965, p. 109.
57
(clan) etait ainsi caracterise par la possession d’un symbole gardien prestigieux, comme l’a montre P. Ottino pour le sud-est de l’atoll de Rangi138
roa
Ici, le chien pourrait bien etre le taura du bgnage rattache a ce
.
marae.
Qui plus est, d’apres Teuira Henry: Te uri, no To‘a-hiti mata ‘oa
ia ata, o ‘aoao o uri, e tauturu ia, eparum i te ta‘ata w Le chien etait
T emanation du dieu To'ahiti. L’aboiement du chien etait une aide, il consti«
.
tuait une protection pour l’homme. » « Na‘na i tia'i i te mau vahi ma'iri
ta‘ue, e i te mato ia ‘ore te ta'ata ia topa i reira, e na'na ipe‘e haere i
tefeia haere i tepeho ia ‘ore ia ro'ohia i te ino. [...] E ‘itea noa hia
epe'e ra‘a o ite ofafa'i
e te haere maira i te ‘atete o te ra'oere ra'au e
na
m
tepae mou‘a
.
Il surveillait les precipices et les falaises, pour empe-
cher les gens d’y tomber et suivait ceux qui s’avancaient au fond des vallees pour qu’il ne leur arrive aucun mal. [... ] Son approche etait
caracterisee par un bruissement de feuilles et des chutes de pierre le long
de la montagne. »
To'ahiti etait done le dieu qui protegeait des falaises abruptes et des
precipices, et sa presence a Me‘eti‘a n’aurait rien d’etonnant compte tenu
du terrain particulierement accidente, falaises et ravins.
Les Techniques
Le travail du bois
Les Espagnols remarquaient que les habitants travaillaient le bois:
«Ils realisaient le travail du bois entierement avec des hachettes de pierre
et des herminettes, de la meme maniere que les notres en fer
141
.
»Il sem-
ble que cette ile etait autrefois specialist dans le travail du bois, comme
Tavance Oliver 142
.
138
Ibid., 1965, p. 16.
Henry, 1988, p. 394.
190
Ibid, 1988, p. 390.
141
Bonacorsi, in Corney, 1913, II, pp. 38-42.
142
Oliver, 1974, p. 856.
139
58
Hakluyt Society
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Ser. II
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Hepr»>luced by Donald Macbeth
Plan et profils de Hie de San Cristobal visitee par les Espagnols en 1772.
(Reproduction dans I'ouvrage de Corney,T.1, p.295, d'apres un croquis original
de Juan de Herve, Archivo General de Indias, Sevilla).
dSuf/etin de fa Soeiete de& S/ades Ocean
Les pirogues
Le debarquement sur 1’ile etait realise avec de
petites pirogues a
balancier (de type va'a motu ), qui servaient egalement pour la
peche et
les deplacements autour de File, moyen qui par temps calme devait etre
plus rapide en certains endroits de File. La rapidite et maniabilite de ces
demieres leur permettaient de se rendre aupres des navires de
passage
pour les echanges. Ce sont ces pirogues qui vinrent en reconnaissance
du navire. Juan de Herve notait qu’il y avait« une
grande pirogue ipahi)
sur File de San Cristobal d’une
longueur de 16 varas, supportant 50
hommes d’equipage. Ils la gardaient remontee sur le
rivage afin qu’elle
puisse etre volee. Elle devait etre, sans aucun doute, separee en plusieurs pieces. Cette observation est un exemple des
techniques que cette
communaute
insulaire
utilisa
petite
pour s’adapter au mieux aux
ne
»
contraintes de son environnement. La configuration de File la
privait de
grandes plages
degage. Les rares petites plages de galets
etaient au pied des falaises. Ils devaient hisser leurs
pirogues pour ne pas
qu’elles echappent a leur surveillance, le milieu residentiel etant situe sur
le plateau.
avec littoral
Cette breve visite des Espagnols en 1772 nous offre en
un coup de
projecteur
sur cette
societe,
a
quelque sorte
l’epoque de Fintensification des
contacts avec les etrangers. C’est la seule observation directe
que nous
de
la
vie
de
ses
habitants
possedions
; elle temoigne de la vitalite de cette
population qui vivait sur un espace de 2 km 2 L’interieur de File ne fut en
effet jamais visite par les autres navigateurs de cette
periode, qui se limiterent a des echanges sur le rivage ou sur les navires au
mouillage.
.
Me‘eti‘a, un jalon maritime
Les escales transoceaniennes se multiphant, les navires
europeens
devenaient de plus en plus nombreux a toucher Tahiti. La situation du
pic
remarquable de Me‘eti‘a precedant de peu l’arrivee a Tahiti representait,
pour les navigateurs venant de Test, un bon point de repere visible. Cette
ile assura done la fonction de borne pour
a Tahiti.
l’atterrissage
N°323
-
Septembre / Decembre 2011
1773 et 1779, observations de James Cook
Le 25 aout 1773, les deux navires Adventure et Resolution furent
encalmines a quatre lieues de l’ile, probablement trop loin pour que des
pirogues viennent a leur rencontre. Les scientiflques du bord remarquerent avec interet son cratere eteint et la forme de son cone
abrupt
volcanique
143
.
En 1777, lors de son troisieme voyage, Cook apporte un
temoignage
important. Nous apprenons en effet que dans la petite lie de Mataia ou
d’Osnabrug, qui git a 20 Ueues a l’est d’Otaiti et qui appartient a un chef
otai'ken, auquel elle paye des tributs, emploie un dialecte different de celui
«
d’Otaiti. » Nous avons vu precedemment que Me‘eti‘a etait sous la domination de Vehiatua de Taiarapu. Mais paradoxalement, nous apprenons ici
que le dialecte parle sur File est probablement le paumotu, ce qui vient
corroborer les liens etroits avec ‘Ana‘a, plus importants qu’avec la
presqu’ile tahitienne.
Cook donne egalement une description remarquable des guerriers
de Me‘eti‘a: Ses habitants portent leurs cheveux tres longs, et lorsqu’ils
se battent, ils couvrent leurs bras avec une substance
gamie de dents de
«
requins, et leur corps avec une peau de poisson qui ressemble a du cha144
Ils se parent d’ailleurs avec des coquilles, des perles pokes qui
grin
sont eblouissantes au soleil, et ils en ont une tres large, qui leur tient keu
.
de boucker ou de cuirasse 145
.
»
Tout prete ici a croire que nous sommes
en presence de
guerriers parata.
Anderson, compagnon de Cook, mentionne un autre detail interes146
sant
: en visite aux lies Sous-le-Vent,
accompagne de Mai, il compare les
habitants a ceux de Taliiti, et nous note que «leurs ceremonies rekgieuses
et leurs opinions sont quasiment les memes. [...] Mais leurs superskkons,
ici, depassent largement cekes de Tahik, car la totakte de leurs habitants
143
Lors de ce voyage, Cook note le nom de«Moitea», J. R. Forster«Maiotea», mais G. Forster et Sparmann
notent« Madtea», ce qui sera le debut d'une confusion desormais frequente entre Me'eli'a et Makatea.
144
Chagrin: cuir grenu utilise en reliure.
145
Smith, 1880, p. 211.
146
Anderson, in Beaglehole, Voyages of James Cook, vol. Ill, port III, p. 843.
61
bulletin etc fa Socictc etc& &tuefe& &ceaniefwe&
se
prennent pour pas moins que des divinites, une notion que Mai sem-
blait confirmer, et ajoutait que les memes propos etaient tenus par les
habitants de Ma‘itaia, ou lie Osnaburg. »
Les affirmations de Mai nous apprennent done que les « superstidons» des insulaires de Me‘eb‘a etaient identiques a celles des lies Sous-
le-Vent, contrairement a celles de Tahid.
1788, passage de Bligh
Le 25 octobre 1788, le navire anglais Bounty passa tres pres de
Me‘ed‘a, que Bligh decrit comme
circulaire et elevee
n’ayant« pas plus
d’une heue dans sa plus grande etendue. » Les habitants residaient prin«
»
cipalement« sur la cote sud, ou le penchant de la montagne est plus graduel. La cote nord est si escarpee depuis le sommet jusqu’a la mer, qu’elle
ne saurait rien leur fournir.
»
En passant pres de la pointe nord-est
(Vaiava), Bhgh remarqua quelques habitations et son attention fut attiree
par une jolie maison sur une petite eminence, deheieusement situee,
dans un verger de cocotiers. Cette habitation etait probablement la propriete du (ou d’un des) ari'i de l’ile, sur un promontoire. Une vingtaine
d’insulaires suivirent le navire le long du rivage, en agitant des pieces
d’etoffe, mais le ressac etait trop fort pour que les Anglais puissent communiquer avec eux. Le capitaine Bhgh, dont la mission etait de ramener
des plants de l’arbre a pain, scruta la vegetation de File : Je remarquai
un grand nombre de cocoders, mais je ne vis aucun plantain ou bananier.
II y avait plusieurs autres arbres, mais nous n’en pumes distinguer les
especes. II nota sur la cote est« deux rochers remarquables et un recif
147
qui s’etend sur environ 1/2 heue a l’Est
James Morrison notait: Le 24 octobre, nous arrivames a File de
Meetia (ou lie Osnaburg) et, nous etant approches, nous vimes plusieurs
indigenes descendre sur les rochers dans la partie nord, agitant des morceaux d’etoffe blanche, mais aucun n’essaya de venir jusqu’a nous. Ayant
148
repris le large, nous arrivames a Tahiti
«
»
«
»
.
»
«
.
147
148
Bligh, 1792, p. 240.
Morrison, 1981, p. 12.
62
»
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L’equipage passa cinq mois a Tahiti, puis reprit la mer, oil une mutinerie eclata a bord, et devint celebre dans Thistoire de la marine anglaise
comme dans Thistoire de Tahiti.
Apres la mutinerie, venant de Tupua'i, avant d’arriver a Tahiti, les
mutins passent pres de Tile : « Le 20 septembre 1789, nous arrivames a
Meetia et, ayant empanne a Tabri de Tile, nous partageames la pacotille,
les munitions, le vin, et les hardes et apres avoir fait des lots nous les
mimes en surete dans la cabine jusqu’au moment ou le navire serait
mouille. Le 21, nous nous eloignames et le 22 ancrions dans la baie de
Matavai 149 .»
Les relations interinsulaires
Par sa situation, Me‘eti‘a constituait un espace tampon entre la
presqiTile de Tahiti et le monde des atolls. II est question ici de determiner
la place qu’occupait cette ile au sein des differents reseaux d’echanges
interinsulaires.
II existait une mobilite politico-religieuse importante, entre alhances
et guerres. Les alhances entre chefferies depassaient le cadre des iles, et
parfois le controle de certaines petites iles peripheriques servant de relais
etait un moyen d’assurer des relations avec des iles souvent tres eloignees.
De Tinegalite des ressources entre les atolls et les iles hautes volcaniques,
naissaient des relations d’echanges entretenues. En effet, on trouvait dans
les iles hautes volcaniques le basalte qui faisait defaut sur les atolls, ou
celui-ci etait necessaire, entre autre, a la fabrication des lames d’herminette, rendant la pierre volcanique, aux Tbamotu, tres prestigieuse. Certains aliments manquaient et les ressources des iles hautes etaient ainsi
convoitees. De Tautre cote, les habitants des atolls possedaient des res-
complementaires pour ceux des iles hautes (nacre, perles, plumes
ceremonielles...). Le clivage entre ces deux mondes necessitait des
sources
circulation des biens presespaces intermediaires servant de relais dans la
relais
tigieux. Comme le remarque C. Robineau, « Texemple de Me‘eti‘a,
149
Ibid., p. 54.
63
d&uIfeiAn cfc fa Society cfe& &tucfe& Oi'cea/uea/ie&
leslignes dechanges plus lointaines avecles Tuamotu, est peut-etre
plus interessant a considerer pour apprecier la realite de ces relations
sur
economiques maritimes
150
».
Me‘eti‘a, une ile relais
La situation intermediate entre ces deux mondes confere a Me‘eti‘a
place strategique, au meme titre que File de Makatea. Le temoignage
de Morrison est a ce titre assez explicite pour qu’il ne plane aucun doute
151
quant a l’importance de cette petite ile :
11s vont souvent d’ile en ile dans ces pirogues, en groupe de 10 ou
12 voiles, et grace a ces voyages, les objets de fer distribues a Taliiti sont
repartis dans les lies qu’ils connaissent. En echange, ils recoivent des
perles, des nacres, etc. Certaines ties dans lesquelles ils se rendent sont
eloignees de plus de 300 milles. Le chef de Taiarapu a une de ces pirogues
qui fait la navette entre Tahiti et Meetia, que nous appelons ile Osnaburg,
une
«
situee a 70 milles dans le sud-est de Taliiti. Cette ile etant sous sa souve-
rainete, il envoie des objets de fer et autres commodites europeennes en
presents aux chefs et ceux-ci lui envoient en retour des perles, des nacres,
de petits sieges, des« repose-tete
et des plateaux en tamanu, ainsi que
des plats du meme bois, des nattes, des tissus, de l’huile, des cochons, etc.
»
Cette pirogue revient rarement sans chargement. Grace a cette ile, ils com-
muniquent avec beaucoup d'autres situees au nord-est de Taliiti: ils profitent du vent du nord pour se rendre a Meetia et la, attendent que le vent
change pour leur pennettre de se rendre dans le nord-est, vers ce groupe
d’iles dont la capitale est Tapuhoe 152
150
.
»
Robineau, 1985, pp. 161-162.
Morrison, 1981, p. 166.
152
En 1774, les Espngnols indiquaient que I'atoll de 'Ana'a (Todos Santos) etait connu sous le nom de Te-piihoe.
Gayongos notait en effet« Tepujoe », qui a ete pris a tort par I'historien anglais Corney pour Tapuhoe. Cette
confusion perdure de nos jours alors que les Espngnols avaient bien compris«Te Pu-hoe»qui n'etait que I'evolution logique du terme«Te PO-tahi»apres avoir ete frappe par d'interdit de vocabulaire (coutume du pii).
C'etait effectivement le nom de I'entite politique des gens de 'Ana'a, et non pas celle de leurs voisins Tapu-hoe.
C'est bien sous cet ancien vocable de Pu-tahi que se nomment toujours aujourd'hui les gens de 'Ana'a.
1111
64
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Septembre / Decembre 2011
Les conditions de navigation
Selon Oliver, les voyages occasionnels vers les Tuamotu suivaient trois
routes principales: via Me‘eti‘a, via Makatea, ou directement 153 Le recit
.
de Morrison nous renseigne sur les conditions de navigation entre les lies
relativement proches.
Ainsi, les voyages vers Test: Tahiti -> Me‘eti‘a -> ‘Ana‘a etaient reaUses a l’aide des occasionnels vents d’ouest ou nord-ouest, c’est-a-dire
durant 1’ete.
En revanche, les voyages vers l’ouest dans le sens ‘Ana‘a -> Me‘eti‘a
-> Taliiti etaient
plus facilement reahsables en utihsant les vents portants,
dominant une bonne partie de l’annee.
II nous apprend egalement que des longs voyages vers certaines lies
lointaines etaient ainsi evites en utihsant des relais, oil les biens precieux
circulaient de proche en proche. Dans ce chainage d’iles, Me‘eti‘a occu-
pait une place strategique.
Le but des voyages a Me‘eti‘a
Les echanges avec la presqu’ile etaient en partie lies a la subordination politique a Veliiatua, lequel percevait un tribut. II avait tout interet a
controler cette lie, monopolisant ainsi les flux commerciaux. Nous ne
connaissons pas le niveau de pouvoir reel qu’exercait Vehiatua sur l’ile,
154
qu’il y avait place des chefs pour son gouvemement. 11 envoyait des objets en fer et autres
commodites» europeennes
comme present aux chefs, qui lui renvoyaient en echange des objets sculptes en bois. II semble que la foumiture de ces objets en bois etait, comme
l’avance OUver, une des specialisations des habitants de Tile. C’etait sans
doute leur facon de rendre le tribut. D’autres objets provenant des atoUs
(nacres, perles, plumes ritueUes) circulaient egalement. Selon N. Thomas,
nous savons seulement
«
puisque Morrison a precisement note que les contacts entre Me‘eti‘a et
Taliiti etaient controles par le chef du district de Taiarapu, on a la preuve,
non seulement de la possibilite d’un systeme de biens prestigieux, mais
«
153
Oliver, 1974, pp. 213-214.
13,1
Remarquons que Morrison signale plusieurs chefs sur file.
65
•(HtuMetin c/e /a Joc/c/e </c,i &tuc/e& &cca/iiennes
aussi de la monopolisation de certaines relations de commerce exterieur
qui permettaient l’importation d’objets precieux
155
».
Les consequences de l’escale a Me‘eti‘a
L’attente des vents favorables, notamment pour regagner l’atoll de
‘Ana‘a, pouvait parfois etre longue, ce qui suggere qu’a Me'eti'a, une population saisonniere venait se greffer a la population de 1’ile. Un mode de
peuplement intermittent venant se superposer a une population permanente ferait done l’originalite de cette petite communaute insulaire qui
2
vivait, il faut le rappeler, sur un espace d’environ 2 km Mais malheureusement, les sources restent muettes sur ce point relativement important.
La place preponderate occupee par cette de dans les grands reseaux
d’echanges est importante pour juger de la dynamique de cette petite
population. Il fallait, en effet, sur cet espace restreint, controler les capa.
cites d’accueil en fonction des ressources.
L’importance de cette escale est confirmee par le capitaine Wilson en
1797 : Leurs pirogues les conduisaient dans les lies du voisinage de
Tahiti: Maitea est vassale du chef Tiaraboo (peninsule de Taiarapu, Tahiti).
La liaison est assuree par une grande pirogue de guerre qui fait un ou
deux voyages chaque annee, en profitant du vent du nord-ouest pour s’y
rendre, et de l’alize pour en revenir. Dans cette lie, ils se procurent leurs
perles et leur nacre, des plats et des sieges en tamanu et d’autres objets.
Tapuhoe dont les nacres sont fameuses, se trouve plus loin dans la meme
direction. En echange de ce qu’ils regoivent, ils apportent des clous et tous
les objets de fer qu’ils peuvent trouver, et ces objets sont a leur tour echan156
ges dans d’autres lies eloignees
L’intensification des relations avec les Europeens et l’apparition du
fer entrainait une acculturation des communautes insulaires plus ou moms
rapide, en fonction des rapports directs, ou repercutes, comme a Me‘eti‘a,
par des flux de nouveaux objets.
«
.
'“Thomas, 1998, p. 139.
'“Wilson, 1799, p. 400.
66
»
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Le 4 mars 1792, Pile avait ete l’escale providentielle d’une chaloupe
de l’equipage du baleiniervMatilda, qui avait fait naufrage le 25 fevrier sur
l’atoll de Moruroa. Les marins reussirent a traverser les Tuamotu en baleiniere. Ils aborderent Me‘eti‘a le 4 mars et y passerent une nuit de repos
avant de repartir le lendemain pour Tahiti. C’est le recit que fit le
capitaine
Weatherhead a Bligh.
1792, retour de Bligh
Le 9 avril 1792, le navire Providence, ramenant Bligh a Taliiti, pour
achever sa mission, mouilla pres de la cote nord de Me‘eti‘a. Quelques
habitants de 1’ile reconnurent Bligh. Coniine a l’accoutumee, les insulaires
utiliserent leurs pirogues et monterent a bord du navire pour troquer.
Quatre petites pirogues vinrent a nous, avec lesquelles je troquais
quelques cocos, 2 fruits de l’arbre a pain cuits et un petit regime de plantains.
Bligh remarqua que les homines etaient tous semblables, de
basse classe ou tautous» ( teuteu serviteurs). II vit un homme d’un certain prestige («the superior man »), le arid rahi de Idle, portant une che«
»
«
,
mise europeenne qu’il pretendait detenir d’un certain « Pehteenee ». II
leur apprit que deux navires etaient passes en trois mois, mais il ne savait
pas de quel pays ils provenaient. Le arid de Me‘eti‘a desirait se rendre
Taliiti, mais Bhgh, pai’ prudence, refusa. Sachant que sa mission
serait dependante des bons rapports qu’il aurait avec les chefs au mouillage de Matavai, il ne voulait pas risquer qu’on le vit allie a un de leurs
ennemis, puisque des hens etroits existaient avec Vehiatua, rival des chefs
avec eux a
d’autorite a Matavai 157
.
Le recit de George Tobin 158 nous donne quelques details supplementaires sur le ‘ari'i : « Un de nos visiteurs qui se pretendait l’arii ou le chef,
et qui, pour avoir bu copieusement un breuvage alcoolise appele Yava
(kava), etait relativement bruyant et nous regut en grande pompe. Il etait
vetu d’une chemise europeenne pour laquelle il n’etait pas peu fier, et
nous fit comprendre qu’il se l’etait procuree sur une embarcation (pahi)
157
l58
Oliver, 1988, p. 92.
Tobin, 1792.
67
fAit/h/vt c/e /a tloccc/e de& 6/nc/e.c Oicua/iic/i/iex
qui avait recemment aborde Pile. On nous informa plus tard qu’il s’agissait
du bdemier Matilda. Les bateaux deriverent vers l’Est de Pile, jusqu’a ce
que le soleil couchant occasionne le depart de nos visiteurs qui, sans
attendre que les pirogues arrivent le long des hordes, sauterent par-dessus
bord, leurs presents anglais dans une main, nageant de l’autre.
Tobin termine par une description assez idyllique de Me‘eti‘a: Cette
petite lie qui fait moins d’une lieue de circuit, est un des plus beaux
endroits que Ton peut concevoir, etant en grande partie couverte d'une
grande variete d’arbres, notamment des arbres a pain, plantains et cocotiers. Le sommet a proprement parler est presque depourvu de verdure
et, sur un petit espace, se trouve un gouffre beant apparemment occasionne par quelque convulsion de la nature, c’est probablement le siege
d'un volcan. II y a plusieurs ravins depuis le sommet jusqu’a la mer,
comme Ton peut rencontrer dans les
pays les plus montagneux sous l’effet
de fortes pluies. Les habitations des natifs, comme cedes de Tahiti, sont
»
«
pres de la mer. »
Maitea island.
Aquarelle de George Tobin, H.M.S. Providence, capitaine Bligh 1792.
© State Library of New South Wales, digital collection n°a1279030.
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Fac simile du journal de bord de George Tobin, avril 1792, au large de Me'eti'a.
(Copie aux Archives Territoriales, Papeete).
bulletin (/<’ /a docicle c/es &Ui<{es 6cea/i/e/i/fcs
k
V. Me‘eti‘a au XIXe siecle
De profonds bouleversements vont conduire a Teffondrement de la
societe aiicienne et rendre ceitains territoires caducs. Le destin de l'ile de
Me‘eti‘a en est un exemple.
Le declin demographique au debut du XIXe siecle
Le 16 mars 1803,1 1 Margaret, baleinier americain, fait escale a
Me’eti’a ; le capitaine Turnbull nota que Tile comptait 150 habitants, et
qu’un chef de Taliiti gouvemait au nom de Pomare. Him bull vit aussi« une
pirogue double, qui avait ete envoyee de Tahiti pour recevoir le tribut
impose a ces lies. Une vingtaine de cochons et des cocos sont echanges
contre des haches, ciseaux, couteaux, papier, verres de vue.
L’ile est alors
comiue des navigateurs europeens pour ses qualites mercantiles 159 :
Les
vaisseaux peuvent se reapprovisionner a bien meilleur prix qu’a Tahiti.
»
«
»
Disparition de la population
Plusieurs sources mentionnent la disparition d’une partie de la population en mer, lors d’une tempete qui lit sombrer les pirogues se rendant
a Tahiti pour assister a des festivites.
Cette information apparait pour la premiere fois en 1854, dans un
article du Messager de Tahiti, ou Ton pouvait lire : « La tradition,
conforme en cela aux recits des premiers voyageurs, y conserve le souvenir d’une population plus nombreuse, engloutie il y a pres de soixante ans
dans une tempete pendant un voyage a Tahiti 160
1887 la meme information :
«
.
»
Puis on retrouve en
Cette lie possedait une population assez
dense qui sombra, dit-on, en se rendant ii Papeete un jour de fete. Les
soixante ou quatre-vingts survivants occupent encore les deux anciens vil-
lages
161
.
»
Caillot precise : « les differents arcliipels, les Tuamotu notam-
ment, essuyerent a diverses epoques d’effroyables cyclones suivis de
,5 >
Turnbull, 1807, p. 262.
Le Messager de Tahiti, lie Meetia, dimanche 26 fevrier 1854, Archives Territoriales.
111
Le Chartier, 1887, pp. 149-150.
160
70
N°323
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Septembre / Decembre 2011
raz-de-maree, qui causerent la mort de beaucoup d’habitants. Presque
toute la population de la petite lie de Meetia se rendant en
pirogues a une
fete qui avait lieu a Papeete fut, pendant la traversee, surprise par la tempete et se noya
162
.
»
Ces differentes versions s’accordent pour relater
qu’une bonne partie de la population de Pile a effectivement disparu dans
ces conditions. L’eveneraent, difficile a situer, doit etre
posterieur a 1803,
l’annee ou le capitaine Turnbull y denombre encore 150 habitants sur Tile.
La suprematie des guerriers parata
Les guerres menees de fatjon sporadique par les guerriers Parata a
partir de 1750 dans les Tuamotu du Centre, se transformerent en expeditions devastatrices, entrainant un exil de ses populations dans la presqu’de
de Taliiti, ou elles trouverent refuge 163
.
Nous apprenons dans les Transactions de la L.M.S. datees de 1806 que
«la population de Me‘eti‘a est deportee par’ les guerriers de ‘Ana‘a, et que
life est restee inhabitee pendant quelques annees 164 ». Ceci est confirme par
Moerenhout qui mentionne a propos des gueniers Parata : « Depuis cette
epoqnejusqu’en 1817, i/s resterent maitres de toutes les liesjusqu’a Maitea m (La Dezena de Quirds, TOsnabruckde Wallis et le Boudoir de Bougainvillej. Mais, alors, eblouis et pent-etre un pen effrayes de lagloire
de Pomare, i/sfirentprofession de soumission a ce chefet regurent, chez
eux, des missionnaires, qu’ilamena lui-meme
x(>b
.
»
L’Tle resta probablement deserte de 1806 a 1817, ou la paix instauree
par Pomare II favorisa le retour des groupes refugies a Tautira dans leurs
lies respectives. L’invasion de Me‘eti‘a par les gens de ‘Ana‘a peut panutre
surprenante compte tenu des anciens liens qui existaient entre eux. Le fait
qu’en 1797, Pile tombe sous le pouvoir de Pomare explique peut-etre les
motivations des Parata, dans leur volonte d’hegemonie.
162
Caillot, 1909, p. 73.
163
Ottino, 1972, p. 38
Transactions, Youl, Davies and others, 1806-1807, entry for 19 July, d'apres Oliver, 1974.
164
165
Me'eti'o est connue comme«MaTfeo»depuis Cook.
166
Moerenhout, 1959, tome II, pp. 371-372.
71
bulletin/ do la Societo de& Sfados Ocean
La paix aux Tdamotu et la fin des temps paiens
«
En 1817, un grand nombre d’entre eux retoumerent dans leurs lies
natales, accompagnes par Moorea, un de leurs compatriotes, qui etait un
homme pieux et auquel on avait enseigne a lire. En atteignant Ana ou l'ile
de la Chaine, son lieu de naissance, il commenga a instruire la population
avec un tel succes que, Dieu aidant, a l’exception des habitants d’un district, la population entiere accepta de renoncer au paganisme. On accusa
par la suite Moorea d’avoir trompe ses compatriotes par les recits qu’il fit
du changement qui s’etait produit a Tahiti, et il fut oblige de quitter File,
car sa vie etait menacee. Les
paiens, convaincus dans la suite qu’ils
Tavaient accuse a tort, brulerent leurs idoles et demolirent leurs temples.
Pres de 400 d’entre eux firent voile sur Tahiti pour demander leurs livres
et etre instruits 167
.
»
1821, passage de teachers a Me‘eti‘a
Davies ecrit: « Au debut de Tannee 1821, Moorea et un autre nomme
Teraa, tous les deux membres d’eglise, avaient ete, selon leur serieux desir,
envoyes de Wilks Harbour a Anaa, comme teachers parmi leurs compatriotes. Quelque temps apres, un Paumotu qui avait passe deux ans a Papetoai retourna chez lui, accompagne de deux autres teachers. Ils allerent
jusque dans Pile de Meetia oil ils resterent longtemps, puis partirent a
Anaa, et il semble que c’est a ce moment-la que la plupart des gens d’Anaa
et des lies voisines renoncerent a 1’idolatrie et
adopterent le christianisme.
Quelques chefs vinrent a Tahiti pour chercher les lois tahitiennes et pour
que le gouvernement de Tahiti nomme parmi eux des magistrats, ce qui
fut fait avant la mort de Pomare H. Apres sa mort, la plupart des Paumotu
a Tahiti retoumerent dans leurs lies
respectives
168
.
»
En 1821, les missionnaires Bennet et Tyermann notent: « Les lies suivantes sont connues pour avoir brule leurs idoles et s’etre declares fideles
a Dieu :
Tahiti, Eimeo, Huahine, Raiatea, Taha, BoraBora, Maupiti. Egale-
ment Tetaroa, Maiao iti, Tubuai et Rurutu [...] Nous pensons que
167
Ellis, 1972, p. 642.
I6!
Davies, 1961, p. 271.
72
quelques
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Septerabre / Decerabre 2011
lies de l’archipel Dangereux ont abandonne eux aussi le
attendent l’evangile 169
.
paganisme, et
»
William Ellis rencontre a Moorea des insulaires de ‘Ana'a, venus se
procurer des livres et des instructeurs: « Apprenant qu’ils avaient renonce
au culte des idoles,
je leur demandai pourquoi ils avaient abandonne leurs
dieux. Ils repondirent que ceux-ci etaient de mauvais
esprits et ne leur
avaient jamais fait aucun bien, mais avaient cause de
frequentes et desolantes guerres. L’indigene Moorea (professeur de christianisme et eleve
de l’ecole missionnaire, ne a Anaa), me dirent-ils, avait ete leur maitre et
les avait instruits au sujet du vrai Dieu. Ils avaient
pour son culte dans Pile
deja bati trois chapelles
d’Anaa, d’ou la plupart etaient originaires.
»
En mai 1823, la corvette frangaise La
Duperrey
Coquille commandee par
apprend de la bouche des
,
passe a Me‘eti‘a. Le docteur Lesson
missionnaires que « Temeharo, la divinite protectrice de la famille
Pomare, avait pour frere Ti‘a, qui a regu pour domaine la petite ile de Maitea qu’elle protegeait 170
.
»
1824, integration au royaume Pomare II
Depuis 1797, Tile etait passee sous la domination du ari'i Pomare.
Les premiers codes en 1819 posaient les nouveaux fondements de son
royaume chretien. En 1824, un code revise y integre les des environnantes,
et Me‘eti‘a devient de fait une dependance :
Ture na Tahiti, e Moorea,
e naMeetia, Ana, Auura, Matea, e Tetiaroa hoi m
Des grands juges ( ha‘ava rahi ), des juges de district ( ha'ava
mata'eina'a) des messagers de magistrats ( ha'ava ‘imiroa ) sont
«
.
,
«
»
»
nommes, charges de l’application des codes. Pour Pile de Me‘eti‘a, il
n’existe pas de grand juge (ce qui est probablement du a son rattachement
a
Tautira), mais les noms de deux juges de district sont donnes:
169
Tyerman et Benett, 1821.
170
Lesson, 1823, p. 400.
Pomore, Ture na Tahiti, e Morea, e na Meetia, Ana, Auura, Matea, e Tetiaroa hoi, L.M.S, Burder's Point Press,
171
«
Te man
1825.
73
bulletin (fc fa Society cfes Stade& 61cea/ue/i/ic&
haava mataeinaa hoi oMeetia [...] : o Tend ia, o Otomehau ia » qui
pouvaient etre des sous-chefs claniques ou territoriaux, ou bien les prinm
cipaux chefs de maisonnees {‘iato‘ai)
.
Du 13 an 14 mars 1829, Moerenhout, a bord du Volador, fait escale
sur File :
«
De temps immemorial, cette petite lie a ete connue des habi-
tants d’O-Tai'ti, qu’ils ont toujours consideree comme une dependance de
leur lie, quoique, dans le fait, elle fut plutot du domaine des Pomotu ou
habitants des lies de la Chaine | ‘Ana‘a], qui y residaient quelque fois et s’y
arretaient toujours, soit en venant de chez eux a O-Tai'ti, soit en retoumant
d’O-tai’ti chez eux. II s’y trouva pourtant, aussi, quelques habitants d’O173
tai’ti, et souvent un chef de cette lie
En 1832, Moerenhout, installe comme negotiant a Tahiti, envoie des
.
»
hommes couper du bois sur File. Ses hommes « virent des arbres d’une
taille si considerable qu’il leur eut ete impossible d’en operer le transport.
Les plus gros etaient pres des mines de marae. » II signale 20 ou 30 habitants en permanence et moins de 100 ou 200 habitants qui constituent une
population saisonniere, en attente des vents favorables. II signale aussi qu’a
Me‘eti‘a se trouvent« plusieurs sources d’une eau excellente 174 ».
En 1837, le navigateur francais Dumont d’Urville fait escale a Me‘eti‘a.
Un canot part reconnaitre File.
Le recit est interessant pour apprecier les changements dynamiques
qui regissent les nouveaux termes de l’echange, ou les fins commerciales
sont plus nettes, marquant le debut d’une nouvelle economie marchande.
«
Nous voguames vers le sud de File, partie la plus populeuse, et les habi-
tants etaient si bien au fait de visites
sur la
paralleles, que nous nous trouvames
des
bandes
de
cochons
et des mannes pleines de fruits et de
plage
legumes. On debattit les prix de part et d’autre avec quelque tenacite, mais
l’accord une fois consenti fut religieusement tenu ; on chercha ni a nous
172
Richaud, 2001, pp. 40-61.
Moerenhout, 1959, tome II, p. 374.
17,1
Moerenhout, 1959, tome I, pp. 210-211.
173
74
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voler, ni a tromper sur les objets. Je n’apergus que de loin le village dont
l’aspect attestait quelque aisance. Les maisons me semblerent propres et
entourees d’enclos. On me fit remarquer une
chapelle chretienne, batiment ovale, eglise de toute Tile.
»
Une nouvelle conjoncture,
la relache des navires baleiniers a Me‘eti‘a
La premiere moitie du XIXe siecle est
marquee par une intensification
de la peche a la baleine dans le Pacifique Sud. Les lies de la
bien
Societe,
representaient des lieux de
relache obliges. Les grandes lies comme Tahiti permettaient aux navires
de s’approvisionner en eau et en vivres frais, de faire fondre l’huile et d’effectuer les reparations necessaires. En 1845, 17 baleiniers americains
firent escale a Papeete. Le pic isole de Me'eti'a constituait un bon amer, et
que n’etant pas des zones de peche intensive,
sa situation isolee
permettait aux equipages peu scrupuleux d’agir en toute
tranquillite, loin des influences de Tahiti. De nombreux navires firent
escale sur Tile.
Le depouillement des joumaux de bord n’a malheureusement
pas ete
tres productif quant aux relations que ces marins eurent avec les habitants.
Ils obtenaient des cochons et des cocos.
Nous avons seulement releve le fait que deux hommes avaient tente
de deserter en se cachant dims Tile. Ils appartenaient au baleinier George
Howland 175 qui resta quelques jours au mouillage. Le troisieme jour, la
baleiniere ramena a bord les deux malheureux, John Smith et Bob Kanaka.
Les cas de desertion sur ces navires etaient nombreux et avaient lieu dans
toutes les lies.
L’affaire Osnaburgh et le Protectorat
Lors de Tinstauration du protectorat de la France sur les lies de la
Societe, Me‘eti‘a est le centre d’une querelle de possession entre la France
et TAngleterre.
175
Log book of Ship George Howland, Whaling voyage to N. and South Pacific Ocean, 1852-7, Microfilm #105,
Old Dartmouth Whaling Museum, New Bedford.
75
fDiu/lcliit da la J'oc/eU' de& S/udes QceanUnne&
En 1843, «lors de I’etabdssement du protectorat de la France sur les
lies Taiti, l’Angleterre voulant contrebalancer l’influence frangaise, eut Tintendon d’envoyer une expedition prendre possession, s’il en etait encore
temps, des lies Osnabruck [Me‘eti‘a], des Quatre couronnes [groupe des
lies Acteon], et de 1’ile isolee de Jesus [?]. Cette nouvelle est divulguee
»
dans les joumaux allemands et diffusee dans le journal frangais Le Siecle
du 4 fevrier 1843.
Ceci entraina une rapide reaction au ministere de la Marine et des Colo-
nies, ou le directeur demande des renseignements sur ces des inconnues. Une
176
:
note precise pour Hie Osnabruck ou Osnaburgh
Mai'tea, une des lies de
«
la Societe du Grand Ocean Equinoxial,
a l’Est d’Otaiti. Elle est soumise au sou-
verain d’Otaiti. Son circuit est de trois lieues. Elle est tres elevee et entouree,
a 1’Est par un banc de
rochers; sa cote nord est tres escarpee, mais celle du
sud laisse voir pres de la mer une petite plaine. Durant les vents variables, on
y envoie d’Otaiti des ouvrages en fer, qu’on echange contre des perles. Cette
petite de est bien peuplee, mais moins civilisee que Otaiti. »
1844, rapport de Vincendon Dumoulin
Vincendon Dumoulin, offlcier de Marine, fait sur Me‘eti‘a le rapport
suivant 177 :
«
Maitia : L’de Madia d’origine volcanique eleve a une hauteur de
quatre cent trente-cinq metres environ au-dessus du niveau de la mer un
solitaire, en partie revetu d’une fraiche et riante verdure. Foyer eteint
d’un ancien volcan, ede se montre a l’horizon comme un sein mamelonne;
sa base est formee de colonnes prismatiques, rangees avec la symetrie ordinaire des coulees de basalte, tandis que quatre a cinq pitons dechames
decoupent le sommet et marquent les contours du cratere. La vegetation
est tres active sur toute la surface de Maitia; seulement ede ne commence
a se developper qu’a une certaine distance du rivage, la ou la mer cesse de
cone
deferler avec violence. Le rebord est nu, mais les cendres volcaniques et
176
Note du 29 fevrier 1843, Ministere de la Marine et des Colonies, dossier n° B 4, carton 29, Centre d'Archives
d'Outre-mer, Aix.
177
Vincendon Dumoulin, Desgraz, 1844, pp. 183-185.
76
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les matieres brulees qui le constituent, tranchent avec le vert du
feuillage,
par les teintes les plus vivement colorees, depuis le rouge fonce jusqu’au
noir intense. Au niveau de la mer, une ceinture de
defend cette
coralligenes
lie, qu’il est tres difficile d’aborder avec des embarcations. Mai'tia presente
deja plus l’aspect des lies basses Pomotou, mais des sommets touffus, coupes par de sombres et fraiches ravines, des torrents, des arbres de haute
futaie, une riche et luxuriante verdure, des plateaux cultives et des habitadons cachees sous des berceaux de cocotiers. La
partie la plus populeuse
est situee au sud de Pile; les maisons
paraissent propres et entourees d’enclos. On y remarque une chapelle, batiment ovale, eglise de toute Pile. Cette
lie est extremement fertile a l’interieur: le fruit a pain, le taro, les bananes,
les noix de coco, ainsi que tous les autres fruits de Tai'ti,
s’y trouvent en
abondance, et l’on y voit plusieurs sources d’eau excellente ; mais elle est
d’un abord si difficile que les plus petits canots
n’y debarquent qu’avec
On
trouvait
en
des
arbres
si
1832
considerables
peine.
y
qu’il etait difficile
d’en operer le transport. Les plus gros etaient situes, comme a Tai'ti,
pres
des mines de Marais, et leur nombre prouvait que Pile avait eu jadis un
grand nombre d’habitants ; a la meme epoque, il n’y en avait guere que
vingt ou trente en permanence. On y en voit rarement plus de cent ou deux
cents, et encore, ces demiers ne sont-ils souvent que des voyageurs qui s’arretent pour attendre des vents favorables. D’apres la carte
deja consultee
par M. Duperrey, la plus grande longueur de Pile ne depasse pas en Iongueur un mille et demi du nord au sud, et un mille de largeur de Pest a
l’ouest. La circonference embrasse un contour de quatre milles environ ;
la superficie est insignifiante. Cinquante-sept milles la separent des rives
orientales de Tai'ti, dont elle est la sentinelle avancee dans Pest. »
«
Aux chiffres deja mentionnes nous
ajouterons ceux de la superficie
estimee des dots Tetouaroa et Maitia, omis dans les pages precedentes, en
raison de leur insignifiance. [...] Mai'tia: 300 hectares.
La reunion des c hiffres les moins eleves de la population estimee de
chaque archipel, donnera en meme temps, dans la limite la plus inferieure, une approximation generate du nombre des habitants repandus
sur cette
superficie d’environ deux cent mille hectares: (...) Mai'tia : 30
habitants, Tetouaroa: 300.
77
Q&uUetin de /a Society des Ote/des Gceaniennes
Cette meme nomenclature, en adoptant les chiffres les plus eleves que
indiques dans le recit, pour obtenir la limite la plus haute de
200
la population estimee, eprouve les modifications suivantes: Mai'tia
nous ayons
=
habitants, Tetouaroa: 300
178
.
»
1845, mission mormone sur 1’ile de Metia
Les missionnaires mormons ont beaucoup de succes dans les Tuamom, ou le nombre d’adeptes ne cesse de croitre. L’atoll de 'Ana‘a compte
un nombre important de convertis. Le 21 septembre 1845, une reunion
generate de tous les fideles de ‘Ana‘a, presidee par le missionnaire americain Benjamin Grouard, se tient a Tematahoa. L’eglise de Tile compte
alors 120 fideles. Mais malgre les nombreux convertis et nouveaux
adeptes, la vie de Grouard sur l’atoll n’est pas facile, comme il le precise
dans son Journal : Plus que jamais maintenant, j’eprouve le besoin
d’avoir quelqu’un qui puisse m’aider et avec qui je puisse debattre de nos
problemes. Mais helas, ou trouver un tel homme ? Je ne connais personne
dans un rayon de plusieurs milhers de milles, a part elder Pratt, et il est
sur une petite lie a environ cinq cents milles d’ici. Je ne sais pas que faire,
ni comment agir, mais il faut que j’obtienne de l’aide. Si Elder Pratt etait
seulement au courant de ma simation, je suis sur qu’il viendrait sans delai
«
»
«
a mon secours. Mais comment le lui faire savoir ? »
Apres avoir etudie le
probleme et beaucoup hesite, il decide que le seul moyen est d’aller
rejoindre Pratt a Tubuai avec les insulaires de ‘Ana‘a possedant des
179
pirogues doubles dont il donne une excellente description : Ces
embarcations qu’utihsent les natifs pour circuler d’une lie a une autre,
«
sont tres pratiques surtout par beau temps et par vent portant, mais dans
les tempetes, elles sont dangereuses, en particulier a cause de la fagon
dont elles sont construites. La quille de ces pirogues consiste en quatre ou
cinq morceaux, chacun de 20 a 26 cm de long et cousus ensemble grace
a une corde tressee a partir de l’ecale de la noix de coco. Des planches,
dont les dimensions varient suivant l’arbre ou elles ont ete taillees, sont
178
179
Ibid., p. 290.
Grouard, 1854, p. 253.
78
N°323
-
Septembre / Decembre 2011
ensuite placees sur la tranche sur la quille et attachees avec la meme corde
dont j’ai parle plus haut. D’autres planches sont ainsi successivement
posees et cousues jusqu’au moment ou la hauteur voulue a ete atteinte.
Certaines embarcations se composent de cinquante a cent planches, toutes
fixees de la maniere deja decrite, c’est-a-dire sans courbe ni coupe. Les
deux coques sont ensuite reliees ensemble par des traverses qui soutiennent
egalement une plate-forme servant de pont. Pas un clou ou un mor-
ceau de fer n’est utilise dans ce
type de construction. Les dimensions de ces
pirogues valient de 30 a 45 pieds et elles sont generalement greees en goelette. Je decide done d’aller a Tahiti avec un de ces bateaux, d’obtenir la un
quadrant et un compas, et de poursuivre ma route vers Tubuai, si aucune
meilleure occasion ne se presente. Apres avoir fait de ce probleme un
theme de prieres pendant plusieurs jours, je suis convaincu que dans ces
circonstances, je n’ai pas d’autre solution. Je demande done une embarcation aux natifs et gentiment, ils me l’offrent, la reparent et l’annent. »
Le 14 octobre 1845, Grouard quitte 1 Tie de ‘Ana‘a pour Tubuai:
«
Nous quittons Tile, le mardi 14 octobre, pousses par un bon vent. Notre
equipage est compose de huit personnes, ce qui est beaucoup pour un
petit navire connne le notre, mais, cependant necessaire quand il faut francliir le recif et tirer la pirogue sur la plage. Le temps est beau pendant les
premieres heures de notre voyage, mais a la nuit tombee, le vent commence a souffler et les
grains deviennent si violents que nous sommes obh-
ges d’amener toutes les voiles. »
Le lendemain, la pirogue fait naufrage a Me‘eti‘a: « Le matin suivant,
nous pouvons
porter un peu de toile et nous gouvernons vers Tile de
Metia. Malgre mon opposition, certains chefs a bord souhaitent s’y arreter,
mais a cause de nos efforts pour atteindre Tile avant la nuit, le vent
emporte notre mat de misaine tard dans Tapres-midi. Nous reussissons a
improviser un mat de secours sur lequel nous attachons la voile, mais une
soudaine rafale brise a son tour le grand mat. Une nouvelle fois, nous nous
mettons au travail pour preparer un greement de fortune, mais la nuit est
tombee et e’est dans Tobscurite complete que nous gouvernons vers Tile.
A 8 h du soir, nous atteignons la terre, pousses par un vent de tempete.
Des falaises escarpees se dressent juste devant nous, defiant la colere des
79
QSidfclin de fa So dele des Idhides &ieeanie/mes
vagues qui s’ecrasent sur les rochers avec un bruit assourdissant. Aussi
loin que l'ceil peut porter, le rivage n’est qu’un tapis d’ecume blanche provoque par le deferlement de la houle qui se lance avec une redoutable
furie sur le recif. Nous sommes deja engages dans les rouleaux et il est
impossible de battre en retraite, mais on peut distinguer une petite passe
large de quelques metres un peu sur notre gauche et qui semble epargnee
des tourbillons. Le bateau est maintenant devenu ingouvernable, et nous
sonunes a la merci des elements. Mais le
Seigneur nous protege car, rou-
les par les Hots, jetes sur les rochers et avec une des coques completement
detruite, nous reussissons quand meme a sauver nos vies et a recuperer
la totalite de nos affaires, si ce n’est quelques objets de peu de valeur. Si
nous avions heurte les rochers trois metres plus a gauche ou plus a droite
de l’endroit du naufrage, il est probable que nous aurions tous ete tues.
Dieu dans sa Providence nous a done conduits au lieu meme ou nous pouvions survivre a cette epreuve. Les natifs de Pile descendent la falaise pour
nous aider a recuperer nos affaires.
encore intacte et la tirons sur la
mages a part quatre
ou
Apres quoi nous detachons la coque
plage. Elle a resiste sans trop de dom-
cinq hordes enfonces. Lorsque nous avons flni de
rassembler nos epaves, nous etalons les nattes pour nous reposer jusqu’au
lever du jour.
Le lendemain, je me leve avec le cceur lourd: me voici done sur une
petite lie ou Ton ne trouve pas de pirogues, oil les navires ne s’arretent
que tres rarement, et avec notre propre embarcation en pieces. Ma deception est d’autant plus grande que j’avais souhaite pouvoir retrouver tres
vite le frere Pratt, mais helas, cet espoir est maintenant evanoui. Heureusement que les natifs qui m’accompagnent sont d’excehents constructeurs
de pirogues, et si aucune occasion ne se presente, j’espere quand meme
quitter cette lie avec notre propre bateau avant deux ou trois mois.
Ainsi immobilise dans Pile pendant 15 jours, Grouard va precher
l’Evangde et faire quelques adeptes: Nous obtenons done la pennission
des habitants de couper du bois et, en moins d’une semaine, la quille est
prete ainsi que toute une longueur de hordes. Pendant ce temps, je preche
Pevangile aux gens de Pile et bientot, deux d’entre eux me demandent le
bapteme. Quand un navire providentiel vient a passer : Apres quinze
»
«
»
80
«
N°323 Septembre / Decembre 2011
-
jours d’attente au cours desquels je n’arrete pas de prier pour qu’un navire
apparaisse, le miracle se produit. Craignant d’abord que ce bateau ne s’approche pas sufBsamment, je pars dans une pirogue avec un natif, pour aller
a sa rencontre. Nous
pagayons pendant cinq milles puis attendons qu’il
vienne a nous. J’avertis mon compagnon que dans le cas oil le capitaine
refuserait de se charger de mes bagages, il devrait retoumer a File et dire
a mes amis d’Anaa de terminer le
plus vite possible la pirogue et de me
avec
mes
affaires
a
Tahiti.
rejoindre
Quelques minutes plus tard, je suis a
bord du navire sur lequel flotte le pavilion tricolore et j’explique mon cas
au commandant qui
comprend Tanglais. Il me repond que je suis le bienvenu jusqu’a Taliiti, mais qu’il n’a pas de
temps d’attendre que l’on aille
chercher et que Ton emmene mes effets personnels. Je renvoie done mon
compagnon avec mes instructions et, vingt-quatre heures plus tard, je
debarque a Papeete sans un sou et avec a peine un vetement de rechange.
En decembre 1845, le missionnaire Pratt, a Tubuai, regoit une lettre
de Grouard dans laquelle celui-ci raconte son naufrage a Me'eti'a, en tentant de rallier ‘Ana‘a a Tlibuai pour venir le rejoindre, dans ces termes:
Une autre lettre m’informa qu’il etait parti sur une embarcation des
natifs que l’on appelle pahipaumotu, pour Tubuai en passant par Tahiti,
et qu’il lit naufrage sur une lie appelee Metia, qu’il avait ete embarque sur
un navire frangais qui venait a passer par la, et qui se rendait a Tahiti, qu’il
etait arrive dans cette lie et qu’il attendait les natifs qui etaient dans la
pirogue double, environ 25 ou 30 a passer a Tahiti pour lui, et me demandait si je ne voulais pas le retrouver a Tahiti en attendant qu’ils arrivent,
pour ensuite repartir ensemble a Tubuai. Comine le capitaine Sajat le lui
avait dit, il pourrait m’embarquer pour Tahiti si je le desirais. Il me dit
dans sa lettre que si je ne le retrouvais pas a Tahiti, il viendrait de toute
fagon me retrouver sur son pahi paumotu, tellement determine d’avoir
mon assistance a Anaa, il viendrait coute que coute, au peril de sa vie, sur
cette fragile embarcation, sa vie reposait entre mes mains parce qu’il ne
voulait pas venir lui-meme avec le capitaine Sajat 180
»
«
.
180
»
Pratt, 1990.
81
bulletin dc la Society des &Uide& Ocea/i/e/i/ics
Apres 5 jours de voyage Addison Pratt arrive a Tahiti le 20 decembre
et retrouve Elder Grouard chez le frere Lincoln. Pour les deux hommes
qui ont ete separes depuis un an, cette reunion est une occasion de se
prouver leur joie et leur affection. A quatre heures de l’apres-midi, j’accostai sur la plage de la ville de Papeete, et plus tard demandai ma route
au frere Lincoln, ou je rencontrai B. Grouard. Comme lui et moi avions
tous les deux oeuvre parmi ces lies, que nous avions debutee ensemble
cette fastidieuse mission, je ne m’occupe pas de decrire nos sentiments en
«
se rencontrant.
Nous avions ete separes depuis pres d’un an. Bien sur,
beaucoup de choses a nous raconter. Son embarcation n’etait
l’attendre 181
pas encore arrivee de Meetia, et nous n’avions plus qu’a
Ceci les obhgea a rester environ trois semaines a Tahiti.
nous avions
.
»
Extension de la Mission mormone aux l\iamotu
L’influence mormone est importante et bien implantee a ‘Ana‘a, qui
est un centre economique de la partie ouest de Tarchipel. Lors de la conference
generate de la Mission qui eut heu dans le village de Putuahara a
‘Ana‘a, Tile de Me‘eti‘a y est representee et compte 14 membres:
«
Le
24 septembre 1846, TEglise rassemblee selon la decision de la precedente
conference. Les branches suivantes etaient representees: Tubuai 6l mem-
bres, Metia 14 membres (sur cette Tie, 5 branches), Matea 81 membres,
Arutua 17 membres, Rairoa 10 membres.
La Mission continue a s’etendre aux 'Iliamotu. Cinq ans plus tard, la
goelette recemment construite par les fideles, quitte Arutua et s’arrete
l82
2 jours a Me‘eti‘a pour deposer les habitants qui etaient partis a Tubuai
Le 2 janvier 1852, Grouard et Pratt visiterent Me'eti'a. Ses cinquante
habitants, la plupart membres de la Mission, accueillirent avec joie Turuati
et Paraita, comme ils etaient alors surnommes. Un festin de cochons,
volailles, cocos, uni. Pratt decrivait les cultures luxuriantes, mais remar»
.
quait l’absence de taro. Ils requrent des nattes en presents.
181
182
Ibid., p. 262.
Ibid., p. 475.
82
N°323
-
Septembre / Decembre 2011
Pratt note : « Ils etaient tres desireux d’avoir un elder blanc parmi
eux, mais ils etaient aussi si peu nombreux que je n’osais pas leur promettre
plus, que de venir les visiter occasionnellement chaque fois que
j’aurai l’occasion de passer par la. Dans la soiree, nous retournames a
bord, et comme le vent etait toujours de face pour Tahiti, nous nous dirigeames sur Tubuai. »
Le succes croissant des mormons aux Tuamotu inquieta les missionnaires catholiques. En 1852, ‘Ana'a fut le theatre d’evenements sans pre-
cedents depuis le debut de 1’evangelisation de la Polynesie : une revoke y
eclata. Les missionnaires mormons furent expulses et contraints de rejoindre leur pays.
1854, visite du gouverneur Page a Me‘eti‘a
Le 26 fevrier 1854, le gouverneur Page visite Tile. Le Rapport de sa
visite 183 apporte un temoignage interessant sur la vie si mal connue de ses
habitants a cette periode. II est publie dans le Messager de Tahiti, que
nous livrons in extenso ici:
Monsieur le commissaire imperial, Gouverneur, chef de Division
Page, accompagne de Monsieur le Commandant Catinat, de Monsieur le
Capitaine directeur de l’artillerie et de ses deux officiers d’ordonnance,
est parti Dimanche dernier 19 fevrier sur l’aviso a vapeur le Duroc pour
visiter 1’ile Meetia, ou il a debarque le jour suivant apres avoir touche a
Tautira, chef-lieu d’un district de la PresquHe de Taiarabu.
Au retour de cette excursion, Monsieur le commissaire imperial a
sejoume pendant quelques heures a Pueu et est arrive a Papeete jeudi dernier, 23 fevrier.
181
182
183
Ibid., p. 262.
Ibid., p. 475.
Le Messager de Tahiti, n° 9, dimanche 26 fevrier 1854, Archives territoriales.
83
£ !■T&u/letin da /a Socicte des S/ndes Oicea/uc/i/ies
lie Meetia
Dans l’Est, et a vingt lieues de distance de Tautira, s’eleve verticalement du sein des profondeurs de l’Ocean Pacifique, un double roc qui
depasse d'une hauteur de quatre cents metres environ le niveau de la
mer : c’est File Meetia. Son origine est volcanique, ou plutot File entiere
n’est qu’un volcan eteint. Du sommet a la base, on trouve partout des
laves, des ponces, des greves volcaniques. Pas une pointe de rocher qui
ne porte la trace des feux souterrains du globe. Le piton du sud est un eratere beant. Quand on a peniblement gravi Farrete tranchante qui en fonne
les bords, si Fon s’assied un instant les pieds suspendus au-dessus de
Fabime, l’ceil plonge dans un vaste entonnoir de deux a trois cents metres
de profondeur, dont les parois et le fond sont tapissees de Fei au luisant
feuillage, de Hutus (barringtonia) qui, semblables a de gigantesques
camelias, y deroulent des ondes de verdure. Exepte dans le voisinage des
cretes, la vegetation a partout un caractere luxuriant. On y circule dans
une foret de Tamanu forts comme nos grands chenes, de cocotiers, d’arbres a pain, et de Hutus au tronc colossal. L’arbre de fer s’y montre en
groupes nombreux, ou s’etend en zones a diverses hauteurs. Le goyavier
n’a pas encore mordu sur cette terre, ni embarrasse le sol de son inextri-
cable fouillis. Au milieu de ces arbres vigoureux, les racines puissantes
embrassent des portions entieres de montagnes ou penetrent dans les
moindres fissures.
C’est un charme de marcher au hasard, inonde de la riche et douce
lumiere qui perce les voutes du feuillage. Mais on regrette qu’aucun oiseau
chanteur n’anime ces ombrages solitaires; parfois, seulement on fait lever
quelque volee de vertes tourterelles, ou bien Fon voit planer sur sa tete de blanches mouettes, des paille-en-queue qui vous jettent
leurs cris monotones. Enfin, dans l’azur lointain du ciel, se dessinent les
vastes ailes d’une fregate prete a fondre sur quelque proie endormie sur
sous la feuillee
les vagues. Les rats n’ont pas encore, comme a Tahiti, envahi la foret, et
Fon y rencontre ni serpents, ni reptiles venimeux.
C’est la que le long du bord abrupt de la mer, les debris accumules
de la montagne ont forme des esplanades ou terrasses de cent a deux
cents metres de largeur du plus riche terroir.
84
N°323
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Septembre / Decembre 2011
C’est la que les habitants ont elu domicile. Us sont industrieux et actifs.
Leurs maisons a varangues, a parois de roseaux entrelaces, devraient servir
de modeles aux Tahitiens, et les vergers qni les entourent, enclos de murs en
pierres seches pour exclure les cochons, abondent en cocotiers, en bananiers, en taros, en patates douces, en arbres a pain, en ignames qui foumissent une nourriture exuberante. Us sont trente en tout, quinze par district, car
Us constituent deux districts, aussi jaloux de n’etre pas absorbes l’un pai’ l’autre que pourrait l’etre l’Angleterre et la France de garder leurs nationality
respectives. La tradition, confonne en cela aux recits des premiers voyageurs,
y con sene pourtant le souvenir’ d’une population plus nombreuse, engloutie
il y a pres de soixante ans dans une tempete pendant un voyage a Talriti. 11s
semblent originaires de la presqu’ile de Taiarabu, oil Us se sont refugies
devant les invasions passageres des Pomotus de File d’Anaa. Et ce sont ces
emigrations qui rendent douteux les titres de chefferie et de propriete, soumis
en ce moment au jugement du gouvemeur. Doux, bienveUlants, hospitaliers,
avec queUe joie naiVe Us ont accueilli le representant de la France!
La cote est d’un abord difficile ; la, ni port, ni rade, ni mouUlage. Le
navire tient le large, et c’est en pleine mer, au milieu d’une mer secouee
par les vents continuels souvent tres frais, tourmentes par des courants vUs
et variables, qu’il faut sauter dans les canots qui vous portent au rivage. 11
y a deux points oil les barques peuvent accoster.
Au vent, on arrive pousse par la vague qui menace de vous briser sur
une cote de fer.
Mais le roc s’ouvre et presente une fissure de quelques
longueur. La, le flot se separe en deux,
roule a droite et a gauche ses volutes ecumantes et grondantes, et remplit
metres seulement de largeur et de
petit chenal d’un remous d’ecume oil le canot entre comme aspire par
le courant d’oii U sort de meme, renvoye par le flot qui recule.
ce
A peine entre dans les remous, vous etes saisis homines et canot par
les indigenes qui vous portent sur la greve.
Sous le vent, on prend terre aisement dans une petite crique assez
bien abritee ; on dit meme que pres de la, se trouve un plateau de roches
oil les
jeter l’ancre. Mais une fois sur la greve, il faut
goelettes pourraient
gravir un rocher abrapt dans le flanc duquel on a taille quelques marches
grossieres et les habitations sont loin.
85
i
de fa Society den Steides &tcea/ae/i/ten
N’est-il pas regrettable que cette oasis charmant du Pacifique manque
completement de sources ou de fontaines! Si, comme a Taliiti, des filets
d'eau argentes murmuraient a chaque pas en s’echappant des rochers, on
aimerait a passer des mois de loisirs dans cette retraite ou 1’on entend
bourdonner a son oreille ni moustique, ni insecte tracassier, ou Fair est
elastique et sec. Car toute l’humidite atmospherique est immediatement
absorbee par les plantes qui cherchent en vain dans les entrailles de la
terre. Les habitants n’ont pas pu encore construire des citernes, ils
croyaient avoir decouvert pres du debarcadere une source d’eau douce,
malheureusement, cette eau est saumatre. De quelque agrement que
puisse etre un coco frais pendant les heures chaudes du jour, n’avoir que
l’eau de coco pour meler a son vin, pour faire sa toilette, pour
preparer
le the ou le cafe, e’est un regime auquel ne s’adaptaient qu’avec peine nos
habitudes de civilisation. »
lie de Maitea a 8 heures et demi du matin (vue du Sud de I'Tle).
Croquis Jules Louis Lejeune sur la corvette fran^aise La Coquille
(commandee par le capitaine Duperrey).
© Atlas Lejeune, SH 356-fol.26r, Service Historique de la Marine, Paris.
86
N°323 Septembre / Decembre 2011
-
VI. Comment une lie devient-elle
Les lies sont les segments
privee
coupes d’un trajetfondateur;
si le trajet meurt, chaque ile revient a ta solitude
absolue de sa dechirure originelle.
Bonnemaison 184
Chronique d un abandon, annees 1860-1900
Dans la deuxieme moitie du XIX‘‘ siecle, la
population de Me'eti'a vit
repartie dans les deux villages, autour du petit temple mormon.
L'Tle sera de nouveau visitee par le gouvemeur, profitant des festivites
organisees pour l’inauguration, le 19 mars 1875, du temple protestant de
Tautira avec le pasteur Vernier. Le lendemain, la delegation se rend en
visite a Me‘eti‘a, qui depend du district de Tautira, sur le navire La Vire.
La population compte alors 46 personnes, la
majorite venant de Tautira,
le reste des Tuamotu. Il est rapporte qu’« ils
paraissent tres heureux de
leur isolement sur cette petite terre, d’une nature riche, ou ils trouvent
facilement a vivre, Mehetia etant abondamment pourvue de cocotiers, de
maiore et de fei. Ces braves gens, au nombre desquels on
distingue un
homme et une femme d’un age tres avance, ont ete tres flattes de la visite
inattendue du chef de la colonie, auquel ils ont exprime leur reconnaissance avec enthousiasme. 185 »
En decembre 1877, le Sunbeam
a
Me'eti'a,
ou
,
magniflque voider anglais, mouilla
l’equipage des epoux Brassey passa la journee. Ils brent le
tour de Tile et,
surplombant une baie, apergurent« quelques huttes cou-
vertes de palmes, a demi dissimulees dans la vegetation, sur Tune des-
quelles flottait un drapeau taliiben en lambeaux ». Apres un debarquement
perdleux, ils birent regus par les habitants les femmes dans de longues
robes, ornees de couronnes, les hommes dans des chemises bouffantes,
«
184
185
Bonnemaison, 1996, p. 434.
Le Messoger de Tahiti, n°l4, vendredi 2 avril 1875, ArchivesTerritoriales.
87
bulletin c/e /a Jociete c/cs Sfac/cs Occam
et portant des chapeaux de matelots omes de fleurs ». Ils furent conduits
aupres du chef de 1’ile et de sa femme, et ils regurent des presents des
insulaires. L'objet de leur visite intriguait ces derniers: « Pas vendre eau-
de-vie ? Pas voler hommes ? Alors quoi faire vous ici ?»Ils assisterent dans
la soiree au debarquement d’une goelette ramenant quelques habitants
chez eux. Les baleinieres etaient halees sur la greve a l’aide de rondins de
bois 186
.
Un projet de leproserie
Les petites lies satellites ont toujours constitue un lieu d’isolement:
lies prisons, lies lazarets, lies de deportation. Les hommes ont mis a profit
la difficulte et souvent l’impossibilite qu’il y avait de s’en evader, pour en
faire des lieux d’exil, de deportation et de reclusion, ou des lieux d’exclusion des lepreux 187 Ainsi, Pile de Me‘eti‘a, par sa petite taille, ses falaises
.
a
pic et son debarquement perilleux ofh’ait des conditions ideales d’isole-
ment. Cela faisait un moment que 1’ile se vidait, et l’administration eut
l’idee de Putiliser comme lazaret. L’histoire debute en 1874, quand on
recherche un lieu d’internement pour huit Chinois atteints de lepre. Le
188
Mais le
petit dot Motu uta, proche de Papeete, est propose a cet effet
15 octobre 1874, la colonie decide de transferer les lepreux de Motu uta
.
dans la vallee de Maruapo, en attendant de trouver un lieu plus adequat.
En 1885, le probleme n’est toujours pas regie : la determination de
ce lieu d’isolement est embarrassante. On propose 1’ile Masse
«
189
,
inhabitee,
pourvue d’eau douce, elle est suffisamment isolee pour rendre toute eva-
sion impossible, mais suffisamment proche d’un centre pour le ravitaillement ». Le 6 decembre
1890, une commission chargee d’etudier les
possibilites d’isolement abandonne le projet de Pile Masse et propose la
vallee de Puamau, toujours aux Marquises.
184
Brassey, 1890, pp. 200-204.
187
Aubert de la Rue, 1935, p. 95.
188
Sasportas, pp. 13-17.
188
Pile Masse est le nom europeen donne a Motane, aux Marquises.
88
N°323
-
Septembre / Decerabre 2011
En 1901, la lepre redouble d’intensite aux Tuamotu de l’Est et
ravage
l’Tle de Reao, qui va faire office de leproserie de 1’ensemble de l’archi-
pel
|l)0
.
Le 26 fevrier 1903, face a la demande
nouveau chef du Service de sante
pressante du Gouvemeur, le
repond dans ces termes: Je voudrais
«
cette leproserie a 1’ile Mehetia, en face de Tautira et a
vingt lieues de la
cote. Cette lie appartient a 4 ou 5 individus
qu’il serait facile d’indemniser.
pain, se prete a la culture du
taro, de la patate, de la canne a sucre, de 1’igname, etc. On y trouve suffisamment d’eau, bref, c’est un des
points de nos possessions ou les facilites
de 1’existence, surtout pour ces malheureux,
incapables bien souvent de
travailler, semblent le mieux assurees.
Elle est couverte de cocotiers et d’arbres a
»
Le 20 decembre 1911, les conditions d’un
village d’isolement sont
enfin edictees: une petite lie pourvue d’eau. Les ilots environnant Tahiti
ou Moorea sont
trop petits.
«
L’lle Mehetia, situee a 60 milles de Tahiti,
parait au premier abord propre a la creation d’une leproserie, mais elle
est eloignee, d’un abord difficile, meme
par beau temps. Montagneuse,
elle offre peu de terrain en plaine et peu de vallees. De plus Mehetia, vil-
lage lepreux, semblerait un lieu de deportation, et s’il appartient a la
Societe de se defendre contre l’extension de la lepre, il
apparalt comme
cniel
de
soustraire
les
malheureux
particulierement
pour toujours
lepreux
a la visite
possible de leurs parents.
»
Un examen des vallees de Tahiti sera effectue a la recherche d’un
nouveau site, et c’est la vallee de ‘Orofara
qui sera enfin choisie (arrete
du 27 mars 1912). Le projet d’isoler les lepreux a Me‘eti‘a est done defi-
nitivement abandonne.
Puis vient la serie des cyclones devastateurs qui va s’abattre sur les
Tuamotu, en janvier 1903, ravageant Hikueru. En fevrier 1906, un autre
cyclone s’abat sur l’archipel ou Ton denombre 500 moils. L’atoll de ‘Ana‘a
est ravage, sans que sa voisine Me‘eti‘a ne soit
epargnee. En 1909, un
seisme fait disparaitre la source sur Tile. Il semble que ce soit a partir de
cette date que l’lle se vide definitivement de sa
1,0
population.
Sasportas, 1924, pp. 13-17.
89
^bulletin do fa tSacielo des &Uidcs Ocea/iie/i/ies
Une lie privee
C’est probablement en lisant l’aiticle sur Me'eti'a
191
qui parat en 1926
dans Ie Bulletin de I’Agence generate des Colonies que Paul Everard, un
colon beige, eut connaissance de 1’ile. Ancien administrates au Congo
il s’etait installe depuis 1924 a Papara, ou il exploitait une plantation
beige,
de vanille. Mais il perdit tous ses biens dans un glissement de terrain lors
diluviennes dans lequel six de ses travailleurs anamites trouvede
pluies
quelques mois pour un pharmacien qui fit
faillite. C’est ainsi qu’il apprit que File de Me‘eti‘a produisait dix tonnes de
192
coprali par an. Il y acheta des terres pour developper la cocoteraie L’ile
rent la mort. Il travailla alors
.
de Me'eti'a etait recemment sortie de l’oubli par l’interet que le celebre
193
Le
Alfred Lacroix portait a la composition de ses laves
volcanologue
gouvemeur
.
Bouge envoya a cet effet le navire LaMouette lors d’une tour11 septembre 1928, des echantillons de laves
nee aux Tuamotu et, le
furent preleves
194
.
Les resultats firent l’objet d’une communication de
Lacroix a PAcademie des Sciences.
C’est ainsi qu’au terme de longues demarches, l’ile devint la propriete
privee d’un Europeen : Paul Everard acheta tous les droits indivis sur Pile,
alors que deux families continuaient a y vivre. En septembre 1928, le geometre Herault leva un plan de Pile
195
.
Il n’en existait en effet aucun depuis
celui etabli par les Espagnols en 1772.
L’acquisition des terres par Everard a Me'eti'a aura ete difficile et plusieurs recours auront eu heu au tribunal. L’ile produisait alors 28000 a
196 Mais
subitement, le 15 janvier 1930, Paul Everard
30000 oranges par an
deceda. Nous savons peu de chose sur ce qu’il a fait a Me'eti'a.
.
1.1
Collombet, Ernest, 1926.
1.2
Krainer, Tere, communication personnel^.
Lacroix, 1927.
193
1,4
195
1,6
Bouge, 1928.
Herault, 1928.
Notes de Marcel Krainer, archives familiales.
90
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CT1
O
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William Snow et sa famille a Me'eti'a en 1930.
(Photo archives familiales de Tere Krainer nee Ropiteau).
N°323
-
Septembre / Decembre 2011
L’ile reste habitee par les deux families Snow et Taliiri (en mai 1930,
notre informatrice Ahu'ura Snow nait sur File). Un membre de la famille
Everard est envoye a Tahiti pour regler la succession. Le 21
juin 1930,
Marcel Krainer debarque a Papeete, accueilli par
l’agent d’affaires d’Everard. II fait le voyage a Me‘eti‘a, mais il ne peut
debarquer en raison d’une
tempete qui les contraint a repartir. La deuxieme tentative, avec le bateau
affrete par le Bishop Museum, est egalement vaine, a cause du mauvais
temps. Il parviend quand meme a debarquer sur Tile, depose par la goelette Moana. Les families residant sur 1'ile ne lui font aucune difficult^
pour
reconnaitre les droits de propriete de ce « Popaa curieux 197 », et lui vendent tout. Marcel Krainer rentre a Taliiti.
Krainer s’attache a mettre Pile en valeur, de 1930 a I960. Il commence par
regler le probleme de l’eau en faisant construire deux reser-
voirs en ciment pour recueillir l’eau de pluie des toitures. Puis il introduit
des cochons. La cocoteraie est exploitee, la collecte des sacs de
coprah
frequence du passage des bateaux, qui se font de plus
en plus rares. L’ile
possede une belle foret, dont le bois est parfois exploite
est tributaire de la
pour les constructions a Taliiti. Les arbres fruitiers, notamment les oran-
gers, sont tres productifs. Albert Terrie, un ami des Krainer, employe pour
la construction des citemes, vivra sur l’ile avec sa famille plusieurs annees,
menant une vie mrale qu’il lui sera difficile de quitter; il en deviendra luimeme
proprietaire en mars 1961.
Depuis ce temps la, Pile, desertee de ses habitants est retournee a
l’etat sauvage.
Conclusion
L’ile de Me‘eti‘a, comme beaucoup d’autres petites iles, n’a plus Pirn-
portance qu’elle avait jadis. La singularite de ce volcan actif, a l’espace
relativement reduit et accidente, n’a pas empeche, nous l’avons vu, a une
societe de s’y implanter, les difficultes du terrain n’etant pas un obstacle
197
Notes de Marcel Krainer, archives familiales.
93
Sdulfetin da /a focieta de& St/tdev Oicca/uc/i/ies
t
majeur a 1’implantation humaine. Au contraire, pour des raisons de securite et de defense territoriale, la petite taille des lies devait etre un atout
non negligeable dans les reseaux insulaires complexes de la
Polynesie
ancestrale.
A travers les recits d’origine de cette lie, nous avons pu remarquer
que la memoire des lieux suit le deplacement de differents groupes au
cours de l’histoire. Les transferts de toponymie,
particulierement clairs
dans le cas de Me‘eti‘a, permettent de tracer d’anciennes migrations,
notamment vers la Nouvelle-Zelande, a une periode tres ancienne; Ils indi-
quent, en effet, que des groupes qui occupaient Me‘eti‘a (nominee Tuhua)
a une
periode archaique ont migre vers Aotearoa.
La tradition orale reexaminee a permis de determiner une deuxieme
periode de peuplement et de souligner l’importance d’une chefferie, celle
de Tuhiva. En etudiant ses rapports avec Texterieur nous avons pu envisager
son
origine a partir de Porapora. La recurrence de I’opposition Manahune /
Mamma dans les textes traditionnels souligne la volonte des groupes hui
ari’i des lies Sous-le-vent de legitimer leur domination. La lignee de llihiva
de Me‘eti‘a en est un exemple concret.
Cette lie a joue le role d’espace tampon entre deux mondes, celui des
lies hautes et celui des atolls. Les relations entre la presqu’ile de Tahiti et
Me‘eti‘a sont autant bien attestees par les traditions que par les temoi-
gnages des premiers visiteurs europeens. Ces hens semblent anciens et
attestent les rapports de competition entre deux entites politiques de pres-
tige equivalent.
A l’epoque des contacts europeens, Pile passe sous le controle de
chefs plus prestigieux de Tahiti, comme Vehiatua, puis, par la suite, sous
la domination de la dynastie des Pomare.
Les relations avec les Tuamotu, en particulier avec l’atoh de ‘Ana‘a
sont plus difficiles a determiner et font l’objet d’une etude plus large 198
.
1,8
Frederic Torrente, Ethnohistoire de Anna, un atoll des Tuamotu. These de doctoral d'ethnologie, anthropologie
culturelle, soutenue a I'Universite de la Polynesie francaise en 2010.
94
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Me‘eti‘a, ce microcosme situe entre le monde des lies hautes et celui
des atolls assura la fonction d’lle relais qui, selon les epoques, servit de
point d’appui a certains peuplements, ou de carrefour dans un systeme
d’echanges de biens prestigieux. Sa societe subit au cours du passe une
double influence : d’une part celle des Pa‘umotu (Cook remarquait qu’on
parlait a Me‘eti‘a un dialecte different de celui de Tahiti) et d'autre part
celle de Tahiti.
Les premieres chutes demographiques se situent autour de 1806, lors
de Tintensification des guerres menees par les guerriers de ‘Ana‘a. L’Tle
restera desertee
pendant plusieurs annees, comme le remarquent les navigateurs de passage. A la periode des missionnaires, Hie se repeuple progressivement. Dans la deuxieme moitie du XIXe siecle, la population de
Me‘eti‘a sera repartie en deux villages, dont Tun autour d’une Mission
mormone, vivant des ressources de Tile et des quelques passages de goelettes se faisant de plus en plus rares.
Une deuxieme chute demographique se situe au debut du XXe siecle,
ou une serie de cyclones meurtriers devaste les environs. A
partir de la,
Tile se vide progressivement de ses habitants qui n’auront pas resiste aux
assauts de la modemite.
Frederic Torrente
CL
4
-
^
CL° ^
Marae au-dessus de la baie de Te-rua-honu, Me’eti’a.
Croquis de K.P. Emory (Site 109, Emory, 1933, p. 27).
95
Parau no Meketika
(‘oia Meketu nui i te vai kava)
Genealogies recueillies en 1924 par Stimson (manuscrit Peabody Essex Museum P6546-6715
MB200) en 1930 par Emory, d’apres Paea-a-Avehe (ne en 1889, manuscrit Emory folio X.G.l)
-
j
20
metua
fanau
Meketu (v)
Te kura o Tu-hiva
Hikuragi (t)
19
18
Te Kura o Hi-hiva (t)
Vaiotu
Moeari (v)
Vaiotu (t)
Tagaroa i manalia
Moeata (v)
17
Tagaroa (t)
Tekura (v)
Varia (t)
Tagiltia
16
Temanava (v)
Kahiti te ata
Varia
Te niata
15
Tagihia (t)
Kapi rua (v)
Rua tamaliine
Te ata o tohu
Vaitu ma tagata
14
13
Rua tamaliine (v)
Temanava
Utmit henua (t)
Temanava (t)
Tuamea
Hau roro ariki (v)
Te ao fatuma
Te ata i vavau
12
11
Te ao fatuma (t)
Rua hakapiri anuanua
Viri tahi (v)
Rua hakapiri anuanua (v)
Tevahinetautaratua
Te ao puni ataherua (t)
Perehenua
Ugatama
Taliitonoku
10
Te vahine tautaratua (v)
Gaki
Poupouariki (t)
Horoki
Nanu
Hinagaro
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9
Gaki (v)
-
Septembre / Decembre 2011
Tefakari
Tetumu (t)
Tefakari (v)
Te makona
TU (t)
Te pure
8
Velii
Vahua
Hau mata
Te makona (v)
Hia rai rua (t)
7
Te tauru
Te mere
Marama
Te purotu
Marere kahu kura
6
Te tauru (t)
Maliagamaira
Hau (v)
Tagaroa
no kaukura
(te vahine Hau matagi)
Tagata
Ttitahiriragi
Te maui
5
Tagata (t)
Maru
Ta kaliu (v)
Tauaroa
Tamarua
Maru (t)
Kaitake (v)
Te aro atea
Taupe’
Tahi pera
4
Toro kura"
Rahea’"
Tupui
3
Tearoatea (v) no Rairoa
Purua
Rehua (t)
Purua (t)
Tautoru (v) no kaukura
2
Te hono
Te uhi
Hui raga
Maru
Rehua
1
Maru (t)
Mihaera
Terika (v) no Apataki
Mahe ata
Matu
Te verio
Aniete
97
(bulletin de /a tjoc/c/c des Studes Ocean
Te Iiuaai a TAUPE
Taupe (v)
Kaunuku
Patae (t)
Hihiata
Tiapu
(no Tikei
-
Takapua)
Te ragi matahira *4
Faairi *5
Teuruki
Teuru o liiva
Raa
Tuhiata (v)
Turihara
Tai'ti (t)
(no Taega)
Tbrihara (t)
Parepare
Hihiata
Mari (v)
(no Tenania Tenoruga)
Puai
Hi
Tiapu
Tehuaai a TOROKURA
Torokura (v)
Te galie
Aniota
Tatare (t)
No Ganaia
Tagihia
Tlihigo
Tegahe (v)
Tearo *8
Tealii (t)
Viri*7
(le pere etait anglais: Tihare)
Taui hara
Pure
Tahu nui
Te kohu
Te huaai a RAHEA
Rahea (v)
Taui ratea
Tehina (t)
Fare mata
No 'au'ura
Te hau rai
Gaki
Tauiratea (t)
Pou
Rimi
Temarara (v)
Rino
No Rairoa
Petero
Te lniaai a TERAGI
98
Te tara
Teragimatahira (t)
Makouri (v)
Tagaroa
Takume
PAEA
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Carte de localisation des sites archeologi-ques de Me'eti'a par Emory (1933, p.112).
N.B: les chiffres de 1 a 10 correspondent a la numerotation des sites de Pierre Verin (voir B.S.E.O. n°139,1964).
99
i
Qduffclin de /a Society des St/tdcs Ocean
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Christian Ghasarian, Pr. Serge Dunis et Pr. Bruno Saura, decembre 2010.
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TURNBULL, John (1807). Voyage aulour du monde realise en 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804, Xhrouet,
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0.R.S.T.0.M, archives S.E.0, Papeete.
VERIN, Pierre (1963). ((Aproposd'un ouvragesur Me'etia», BSE0 n°142, pp. 214-216.
VERIN, Pierre (1964).«Documents sur Pile de Me'etia », BSE0 n°l 39,1964, pp. 59-80.
VERIN, Pierre, 1962.«Emission culturelle sur Me'etia », Radio Tahiti (Lespinasse), texte de la communication,
Dactylography, Archives Territoriales, Papeete.
VERIN, SINOTO, EDDOWES, OTTINO, ROLETT, CHAZINE (2001). Papa Tumu, specialarcheologie,
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trand, Paris.
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1797, 1798 in the ship Duff, T. Chapman, London, 420 p., (1997) Hoere po, Tahiti.
103
Portrait d’un collectionneur
C’est en 1965, au club de judo de l’usine Thomson-Houston de Gen-
nevilliers, pres de Paris, que nous limes connaissance Remy et moi. J’y faisais fonction de moniteur et essayais d’apprendre quelques rudiments a
ce grand gaillard qui aurait, sans doute,
pu me balayer d’une gifle... Ce
fut le debut d'une belle amitie qui dure toujours.
Remy est ne a Fakarava le 17 septembre 1941, fils de Virituaragi Carbayol (Paumotu) et de Verani Utia (Rurutu). II vient tres tot a Tahiti avec
sa maman qui se fixe a Taravao avec
Henry Victor Picard, lequel devient
done son perefa‘a‘amu. Il va d’ecole en ecole, restant peu de temps dans
chacune a Taravao d’abord, a Punaauia ensuite (avec Aimee Lucas), a
Papeete enfin, aux colleges Vienot et Lamennais, pour terminer au Lycee
technique Gauguin (Taccord d’une bourse lui permet de continuer des
etudes techniques en metropole, a Boulogne-Billancourt). Il est alors
contacte par la SODETEG (filiale de la Thomson-Houston) en vue d’une
possible embauche au futur Centre d’Experimentations Nucleaires. Apres
acceptation, il est envoye en stage dans l’usine Thomson de Gennevilfiers
en 1964 et passe
quelque temps sur les sites nucleaires du Sahara, se trouvant ainsi dispense de service militaire. Il revient a Tahiti en fin 1965.
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Septembre / Decembre 2011
Henry Picard avait fait de bonnes etudes au college Lamennais ou
quelques Freres de Ploermel avaient su interesser leurs eleves a l’histoire
du pays en les emmenant parfois en sorties archeologiques. Henry avait
ainsi acquis de solides connaissances qu’il continua a cultiver apres
l’ecole. Lorsque Remy reintegra le fenua, Henry l’emmenait parfois avec
lui dans la montagne a la chasse aux cochons sauvages et, si les sangliers
n’etaient pas toujours au rendez-vous, il etait rare que leurs besaces ne
contiennent pas quelques antiquites lithiques, rapidement etiquetees,
repertoriees et soigneusement rangees sur des etageres s’averant de plus
en plus etroites...
C’est en 1966, a Moruroa, que nous nous retrouvames Remy et moi
1
en compagnie de trois autres Polynesiens ayant suivi la meme filiere,
embauches eux aussi par la Thomson ; ils devinrent tous de sohdes compagnons, m’aidant de leur mieux dans la decouverte des us et coutumes
du pays. Nous travaillames ainsi ensemble plusieurs dizaines d’annees sur
les sites nucleaires 2 Passionne d’histoire, je me trouvais evidemment de
nombreux atomes crochus avec Remy qui, bien que generalement peu
.
bavard, me fit entrer de plain-pied dans le monde oceanien du reel et du
sumaturel. Il me presenta a sa maman, delicieuse et douce personne ayant
eleve une multitude d’enfants fa‘a‘amu et bien sur a Henry Picard avec
lequel j’eus l’honneur et le bonheur de passer quelques fructueuses
heures. Je vis done pour la premiere fois une extraordinaire collection de
pierres travaillees que Remy continua d’entretenir et d’ameliorer apres le
deces de son pere.
Pour Remy les objets inanimes ont bien une ame. Il connait le moin-
dre de ses cailloux et l’histoire intime de chacun d’eux, quel qu’en soit le
(benefique, malefique ou sacre). Il donne l’impression de communier intimement avec eux. Sa reputation d’expert a depasse les hmites de
la Polynesie franqaise et nombreux sont les ethnologues et archeologues
mana
de tous horizons a lui rendre visite (comrne Sinoto, Emory, Verin...).
1
Adrien Poroi, Daniel Mataiki et Hiro Mataoa (Ouwen).
Voir aussi, du meme auteur d la SEO, Moruroa, apercu historique 1767-1964 (BSEO n°232 de septembre
1985) et Tranche de vie a Moruroa, (2003).
2
105
Nous eumes la chance de travailler tous les deux sur des fouilles orchestrees par le savant professeur Jose Garanger sur le marae Taata a Paea et,
plus tard, avec rethno-archeologueJean-Michel Chazine dans la vallee de
la Papenoo.
La collection s’est agrandie d’une multitude d’objets anciens, recuperes
dans tout le bassin Pacffique : toutes les societes reparties dans l’inunense
points communs que Remy a le don de
pressentir ? II possede egalement un gout tres prononce pour la peinture et
fait la joie des nombreux peintres locaux avec lesquels il entretient souvent
d’etroites relations; il est d’ailleurs difficile de trouver sur les murs de son
fare du quartier de la Mission un endroit non couvert de tableaux.
Une formidable collection d’hamegons en nacre a differents stades de
ocean n’ont-elles pas de nombreux
fabrication rempht toute une etagere; des pemi de tous les archipels polynesiens sont egalement bien mis en valeur. Quantite de bvres sur l’Oceanie
et de catalogues de ventes s’entassent dans des vitrines, permettant a Remy
d’agrandir encore son savoir. Les tiroirs contiennent aussi des albums de
timbres poste, de cartes postales... Sa boulimie de recherches n’a pas de
limite et Ton ne peut que regretter que ce puits de connaissances n’ait pas
encore ete nomme « consultant» aupres du ministere de la culture!
C. Beslu
Pierre touvee sur \'ahu d'un marae de Me'eti'a par Emory lors de sa prospection de 1930.
II note a son propos:« facing stone of coral from ahu of a marae on Meetia,
inner end grooved, width of face 5,5 inches, height 3,5 inches, length of stone 8 inches »
(Emory, 1933, p.10).
106
COMPTE-RENDU D'OUVRAGE
Mythologie du Pacifique,
tu es dichotomie
Dans son ouvrage, Pacific Mythology, Thy Name Is Woman, from
Asia to the Americas in the Quest for the Island of Women : how the
Neolithic Canoes left behind an Epic Wake, Serge Dunis, Professeur a
l’Universite de la Polynesie frangaise, a tente d’unir le destin de civilisations
eparses au travers d’une quete inedite vers la survie et la completion. Cette
quete n’est autre que la route du Pacifique, entamee il y a pres de 5000
ans sur les cotes du sud-est de la
Chine, longtemps avant qu’aucun Euro-
peen n’ait encore ose rever de son existence.
Au fil des quatre parties de ce livre, les lecteurs sont invites a suivre
le processus d’une reconstruction detaillee de ce qui se revele etre une
structure invisible mais indeniable, bant la civilisation austronesienne a
ses voisines
amerindiennes, quelque 18000 kilometres plus loin. Grace a
une combinaison de sciences exactes et de sciences humaines telles que
l’archeologie, la meteorologie, l’anthropologie, 1’ornithologie ou bien
encore la biologie marine, Serge Dunis n’est pas seulement parvenu a
reconstituer de maniere realiste le parcours et l’expansion de ces populations d’un bout a l’autre du plus vaste ocean de la planete, mais a egalement reussi a s’approprier le symbolisme de ce voyage unique dans le
temps et l’espace, afin de questionner les origines d’une union dichotomique entre nabire et humanite.
ij
(ftid/etin da la Joacte de& Studes Ocaamc/mcdi
Les lemons du del pere et de la terre mere
C’est tout d’abord dans un esprit sdentifique, que Serge Dunis a
mythologiques retragant Pepopee des civilisations du Pacifique. Par le biais d’une union asymetrique entre lyrisme
et empirisme, il a confronts la valeur symbolique de ces mythes a certaines
ceme les multitudes de recits
realites, afln de corroborer la these d’une expansion millenaire reliant la
Chine a l’Amerique du Sud.
Ainsi, l’apocalyptique inondation decrite par les Austronesiens
migration forcee vers Taiwan, il y a pres de
comme etant la cause de leur
5000 ans, ne serait que l’une des manifestations d’un phenomene bien
connu des meteorologues, baptise El Nino (« El Nino Southern Oscillation »). Ce phenomene cyclique affectant la pression atmospherique dans
le Pacifique Sud, est a l’origine de dereglements chmatiques ayant des
consequences parfois dramatiques sur la faune et la flore, mais egalement
sur les populations installees dans son sillage. Et c’est a lui que les civilisations du Pacifique doivent leur apprentissage de la mer ; sa violence et
imprevisibilite ayant exige une maitrise du nomadisme qui leur etait
jusque-la inconnue.
De la meme fagon, certaines representations anthropomorphiques
venerees par les Austronesiens et les Polynesiens ont ete replacees dans
un contexte didactique, ou leur valeur intrinseque residerait avant tout
dans 1’exemple qu’elles incament. En cela, la tortue austronesienne et l’albatros polynesien (ou toroa ), deux creatures essentielles aux structures
mythologiques de ces civilisations, seraient avant tout la representation
metaphorique d’un art de la survie autant que de la creation. La tortue,
symbole de completion cosmogonique, serait egalement le guide ayant
conduit les Austronesiens vers leur futur en tant que lapita, au gre de ses
propres migrations. Tout comme l’albatros aurait guide les Polynesiens
jusqu’a l’isolee Rapa Nui (Pile de Paques) et l’Amerique du Sud, grace a
son
capacite de vol hors-norme. Cet oiseau unique, couvrant des distances
aliant jusqu’a 13000 kilometres, est connu pour accompagner les marins
sa
lors de leurs voyages solitaires. Il ferait done le hen entre la foi d’une civilisation dans l’existence du renouveau a l’Est, et la realite d’un ocean
n’ayant aucune pitie pour ses naufrages.
108
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Septembre / Decembre 2011
Bien plus que la reconstitution empirique d’un cheminement
mythologique, le travail analytique et comparatif effectue par Serge Dunis perrnet
de constater la profonde symbiose entre les peuples du Pacifique et la
nature, dont ils ont fait un lent et parfois penible apprentissage. Une necessite pour leur survie, leur maitrise graduelle des elements et leur deference envers les creatures du ciel et de la terre sont devenues le
symbole
d’une quete metaphysique que l’auteur a su parfaitement restituer. En
cherchant a subsister, les hommes du Pacifique ont-ils jamais cesse de
remettre en question leur role au sein d’une nature impetueuse, dont il
leur a souvent semble qu’elle n’etait qu’une ennemie intime ? C’est une
question a laquelle cet ouvrage a egalement tente de repondre.
Entre metaphore et verite, la quete de « Pile aux Femmes »
Le second axe majeur de ce livre repose done sur le questionnement
metaphysique de certaines valeurs symboliques exprimees dans la mythologie du Pacifique. Apres avoir reussi a comprendre comment ces populations aventureuses avaient pu parvenir a leurs distantes destinations,
Serge Dunis a entrepris de comprendre pourquoi ces hommes ont un jour
decide de se lancer dans Pinconnu avec une telle volonte.
Ainsi, la separation originelle du ciel pere et de la terre mere exprimerait-elle le desespoir metaphorique de civilisations lancees entre terre
et mer, isolees par une nature ennemie et forcees de la conquerir afin de
survivre. L’asymetrie allegorique separant les genres faisant echo a ce
sentiment d’errance connu par les hommes, forces de se battre contre les
elements en lieu et place d’une completion salutaire. La femme, dont le
role de cueilleuse/horticultrice la place au centre de l’acte de creation, est
representee comme une extension de la terre mere ; elle appartient a la
terre. Cet ancrage naturel l’isole de l’homme, dont le role de chasseur/
pecheur le condamne a errer en quete de conquetes. Il represente la mer,
le mouvement ininterrompu et desespere d’un element incapable de trouver sa place. Au coeur d’une mythologie complexe reside ce paradoxe, ou
les hommes et les femmes sont separes par les elements, tels les elements.
La conscience et le desir de depasser cet isolement lethal serait le veri-
table vecteur de cette aventure vers l’inconnu. Ainsi la quete de « 1’ile aux
109
bulletin de la ijociete des- Studes 0tceanienne&
Femmes » representerait-elle F achievement, ou l’homme ne serait plus
condamne a errer et la femme serait liberee de son ancrage naturel. Le
mythe de Kae sur File Pandanus exprime ce desir. C’est dans l’union de
l’homme et de la femme qu’une verite fondamentale reside. Tout est destine
a ne faire
qu’un, y compris l’ocean Pacifique, ou la terre et la mer ne sont
que deux facettes d’un element unique, sublime par la quete d’une civilisation. L’auteur, au cours de ses travaux de recherche, est parvenu a mettre
au jour une unite transcendant les distances et la separation. II a decouvert
la verite d’une societe dont la force reside avant tout dans ses contradictions. Ces peuples isoles, perdus au milieu de l’ocean le plus vaste de la pla-
nete, ont appris parfois douloureusement que la dichotomie de Tunivers
etait faite pour etre unie et non separee. C’est pour cette raison et aucune
autre, qu’ils ont un jour vu leur destin dans l’inconnu de l’ocean.
Par-dela le questionnement metaphysique provoque par le sort des
civilisations qu’il a etudiees avec un inlassable devouement, Serge Dunis,
dans cet ouvrage, a egalement exprime l’entierete de sa propre quete de
verite. II a vu dans la volonte de ces hommes a vaincre l’adversite pour en
faire une alliee, le reflet de son propre combat pour la vie. Ce livre en est
temoignage poignant, ou le langage de la science se fond dans le
lyrisme d’un univers mythologique, et ou 1’union asymetrique entre
hommes, femmes, terre et mer donne lieu a un irresistible parcours vers
un
l’accomplissement.
Qu’il soit chercheur ou profane, le lecteur ne peut etre que transport^
par ce voyage millenaire au cceur de l’ocean Pacifique, mene par des
heros mythiques tels que Kae ou Maui. Chacun d’eux incarne la realite
d’une civilisation de navigateurs nes, en symbiose avec les elements et
capables de se reinventer a chaque decouverte. Entre Taiwan et Rapa Nui,
entre Austronesiens et Amerindiens, cette civilisation a traverse le temps
et l’espace dans un desir insatiable de vie, que Serge Dunis a assimile a sa
propre quete, son desir d’atteindre les origines de Thumanite ; d’atteindre
« File aux Femmes ».
Julie Gueguen
110
Rectificatif des Comptes de tresorerie 2010
Voir BSEO 322, p. 173
Cptes tresorerie 2010 SEO (RECTIFICATIF)
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Realisees
2 828 564 impayes lib Vaima 2010
646 572 Fcnt
65 500
500 000
282 845
Ventes directes
1 100 000
1 500 000
1 279 586
Ventes en libraries
2 300 000
2 653 530 Cotisation AETI
20 000
20 000
Salon PPT
300 000
254 000 Achat de livres
145 000
95 611
Salon Paris
115 000
115 000 Salon PPT
50 000
53 000
Salon Raiatea
55 500
45 000 Salon du livre/Paris
350 000
380 022
754 638 Salaire + cotis CPS
Salon Bora Bora
40 000 annule
Salon Raiatea
18 800
37 770
Salon Moorea
40 000 annule
Salon Bora Bora
70 000
0
Salon Taravao
80 000 annule
Salon Moorea
60 000
0
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80 000 annule
Salon Taravao
20 000
0
Salon Papara
40 000
48 100 Salon Marquises
90 000
0
167 504
0 Salon Papara
15 000
10 000
Achat/ARCH
Achat/ Acad Tahit
250 000
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10 000
0
Achat/ Montillier
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Billet AETI
Achat Caillot
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200 000
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50 600
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Dictionnaire de la langue marquisienne
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Etat de la societe tahitienne a l’arrivee des
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Journal de Janies Morrison, second maitre a bord de la Bounty,
traduit par Bertrand Jaunez
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(1842-1880),
Genealogies commentees des arii des lies de la Societe,
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N° ISSN: 0373-8957
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Mise en page: Backstage
L’ile de Me‘eti‘a (Mehetia) est l’une des plus
meconnues de l’actuelle
Polynesie francaise. Elle
aujourd’hui vide d’hommes, en raison de son
acces difficile et du fait que ses proprietaries
n’occupent plus les lieux. Cette lie est tombee
dans l’oubli, n’ayant plus d’interet que pour les
geologues et volcanologues qui surveillent l’activite de son point chaud. Mais ce cone volcanique
abrupt n’a pas ete toujours desert, puisqu’une
population importante s’accrocha a ses pentes et
s’y developpa, eut quelque importance, puis petit
a petit periclita.
est
Le mystere qui planait sur son passe a justi-
fie la presente recherche qui, combinant les
archeologiques, ethnographiques et historiques est destinee a porter un eclairage sur le
role que jouaient certaines petites lies peripheriques dans la Polynesie ancestrale.
sources
Frederic Torrente
N° ISSN: 0373-8957
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 323