B987352101_PFP3_2011_321.pdf
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Bulletin de la Societe
des Etudes Oceaniennes
Societe
des
Etudes
Oceaniennes
Fondee LE 1 er JANVIER 1917
do Service des Archives de Polynesie frangaise, Tipaerui
B.P. 110,
•
98713 Papeete, Polynesie frangaise • Tel. 41 96 03
-
e-mail: seo@archives.gov.pf • web : etudes-oceaniennes.com
Fax 41 96 04
•
web : seo.pf
Banque de Polynesie, compte n°12149 06744 19472002015 63
CCP Papeete, compte n°14168 00001 8348508J068 78
Composition du Conseil d'Administration 2011
Presidente
Mme Simone Grand
Vice-President
M. Fasan Chong dit Jean Kape
Secretaire
M. Michel Bailleul
Mme Moetu Coulon-Tonarelli
Secretaire-adjointe
Tresorier
M. Yves Babin
M. Pierre Romain
Tresorier-adjoint
Administrateurs
M. Christian Beslu • M. Constant Guehennec
Mme Eliane Hallais Noble-Demay
M. Robert Koenig • M. Daniel Margueron
Membres Correspondants
M. Bernard Salvat < M. Darrell! Tryon
Membre d'Honneur
M. Raymond Vanaga Pietri
Bulletin
de la Societe
des Etudes oceaniennes
(Polynesie orientale)
N°321
-
Janvier /Avril 2011
Sommaire
Avant-propos
La mission d’Edouard Raoul en 1887
4
p.
6
botanique, photographie et colonisation
a Tahiti:
Vaki Gleizal
Voyage en Oceanie dans le temps missionnaire
p.
-
Compte-rendu de missions dans l’archipel de la Societe ainsi qu’a Rurutu et aux lies Cook
Presente par Constant Guehennec
p. 21
Ancres, poids de peche ou ex-voto de tortue ? Un nouveau type d’objet hthique ancien
recueilb en mibeu marin a Ua Pou (lies Marquises)
Jean-Louis Candelot
p. 45
Pierre, Andre et Vahine
Daniel Margueron
p. 65
Mauvais traitement de la tradition orale en ethnologie
Jean-Marc Pambrun
p. 72
Hommage a Jean-Marc Pambrun
Eliane Hallais Noble-Demay
p. 88
Espace Debat
A propos du Rapport fait... par la commission des cultures en 1865
Simone Grand
p- 95
A propos d 'Un silence assourdissant de Robert Koenig :
Un silence qui rend sourd
Veronique Mu, directrice du Musee de Tahiti et des lies
et Pierre Morillon, chef du service des Archives
P- 101
A propos de la descendance d’Edouard Ahnne
Dr Lolita Schutz-Ahnne
P-105
Avant-propos
Cher membre, cher lecteur,
Ce premier numero de l’annee arrive un peu tard et nous vous prions
de nous en excuser.
Notre societe se trouve traversee par des tensions portant sur plusieurs aspects de son fonctionnement. Les ajustements seront l’occasion
d’une amelioration de l’ensemble et en particulier de la distribution des
bulletins, operation pour 1’heure encore source de beaucoup de desagrements.
Dans le present BSEO, decouvrons le regard de Vaki Gleizal sur la
botanique, la photographie et la colonisation a partir de la mission
d’Edouard Raoul en 1887.
Introduits par Constant Guehennec, interessons-nous aux ecrits missionnaires impregnes de la superiorite de leur pensee sur celle des insu-
laires. Transforme par le prisme de leur regard singulier, ils nous offrent
un fascinant discours sur une realite humaine autre,
revelant ainsi l’An-
gleterre du XVIIIe siecle avec ses obsessions. L’orthographe de l’epoque a
ete respectee.
Rencontrons Jean-Louis Candelot aux Marquises et accompagnons-
le dans 1’analyse d’objets lithiques en forme de tortue.
Saluons Jean-Marc Pambrun et son analyse critique d’un discours
ethnologique autorise et accueillons Thommage que lui rend Eliane Hallais
Noble-Demay.
4
Dans l’Espace Debat, votre servante interroge les propos des experts
en
agriculture du milieu du XKe siecle sur les Tahitiens et s’en etonne.
Quant a Veronique Mu, directrice du Musee de Tahiti et des lies et a Pierre
Morillon, chef du service des Archives, dans Un silence qui rend sourd,
ils retablissent une verite mise a mal par Robert Koenig au precedent
numero.
Notre prochaine assemblee generale aura lieu le 17 juin avec pour
ordre du jour: le bilan moral suivi du compte de tresorerie, du projet de
budget et des questions diverses. Venez nombreux et si vous ne pouvez
vous joindre a nous, merci de nous envoyer une procuration en blanc.
Ainsi nous n’aurons pas a revenir la semaine d’apres.
Par souci d’orthodoxie, votre conseil d’administration s’engage a
tenir l’Assemblee generale 2012 en fevrier au plus tard.
Bonne lecture
Simone Grand
5
La mission d’Edouard Raoul
en 1887 a Tahiti:
botanique, photographic
et colonisation
Le XKe siecle est a la fois le siecle de la multiplication des entreprises
coloniales et de l’invention de la photographie. La decouverte de Daguerre
est annoncee en France a l’Academie des sciences en 1839 mais il faut
attendre les annees I860 pour que les moissons d’images rapportees pro-
jettent dans les societes occidentales une vision plus precise de la diversite du monde. Toutefois l’apparition du daguerreotype va susciter diverses
prises de positions parmi les voyageurs, ecrivains et historiens de
l’epoque. Gerard de Nerval est largement hostile puisqu’il trouve que la
photo est un instrument de patience qui s’adresse aux esprits fatigues,
et qui, detruisant les illusions, oppose a chaque figure le miroir de la
1
verite ». Plus proche de nous, l’historien Raoul Girardet, a l’affirmation
categorique d’Emile Zola: dorenavant rien n’existera qui n’aura d’abord
ete photographie », apporte une correction qui donne ses limites a la photographie en tant qu’outil historique :
«
«
L’objectif est un ceil sans doute, mais un ceil qui ne s’ouvre que
lorsqu’on le souhaite et comme on l’entend. La realite qu’il restitue n’est
2
pas une realite exhaustive, saisie dans sa globalite
«
.
1
2
Voyage en Orient, in CEuvres completes de Nervol, p. 777.
R. Girardet, Le temps des colonies, Paris, Berger-Levrault, 1979, p.
»
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Janvier/Avril 2011
Est-il significatif qu’au developpement de cette nouvelle technique
qu’est la photographie corresponde une nouvelle phase de la colonisation
europeenne ? Precedee par une seconde vague des voyages d’exploration
de Livingstone, Brazza, Burton, Stanley, Dumont d’Urville, elle s’oriente vers
une expansion en direction de
l’Afrique, de l’Asie et de l’Oceanie. La pho-
tographie, desormais indissociable de l’expansion militaire et missionnaire,
illustre la chronique de la colonisation. Ainsi si le role de la photographie
dans la construction de l’image de l’Autre, ses rapports complexes avec la
culture coloniale sont aujourd’hui admis, il reste a decouvrir dans quelle
mesure les interets de l’histoire coloniale et de la
photographie ont
converge en Polynesie pour satisfaire a la fois la curiosite occidentale et
necessite de valoriser le pays colonise ? Comment leur rencontre s’est-elle
operee a Taliiti oil l’imaginaire de l’Ailleurs avait ete largement exalte par
la litterature et la peinture ? Une chose est certaine : a travers l’accumulation d’images se lit l’histoire pohtique et sociale de Tahiti, mais egalement se
dessine une histoire des mentalites de cette fin de XlXe siecle.
Les objectifs de la mission d’Edouard Raoul de passage a Tahiti de mai
partie les hens existants entre la photographie
et Tentreprise coloniale. Au XIXe siecle, les grandes expeditions sont la plu-
a octobre 1887 illustrent en
part du temps accompagnees ou suivies par 1’envoi d’ingenieurs, de savanLs
(Egypte, Algerie), et les principales missions d’exploration et de conquete de l’Afrique noire comprennent toujours un medecin
aux sohdes connaissances botaniques, tels Kirk avec Livingstone ou Ballay
et de naturalistes
avec Brazza
3
.
A la fin du XIXe siecle, les gouvemeurs des colonies recem-
ment conquises en Afrique et en Asie font egalement appel a des natura-
hstes charges d’inventorier et cartographier les ressources naturehes. Mais
les services rendus a Tentreprise coloniale par la botanique ne se limitent
pas a Tinventaire des produits susceptibles de devenir objet d’exploitation et
de commerce. Des la fin du XVHe siecle, la question du transfert des plantes
d’un point de la planete a un autre devient en enjeu crucial dans la lutte
economique que se livrent les puissances coloniales.
3
Voir a ce sujet Christophe Bonneuil, L'empire des plantes, Paris, CNRS, 2004.
7
bulletin </e la Joaete des Slades Oceania
Les Europeens s’efforcent tout d’abord d’enrichir leur potentiel de
production agricole en introduisant sur leur territoire des plantes utiles
exotiques telles que 1’opium, le the ou le coton. En outre, les puissances
qui disposent de colonies s’efforcent de transferer dans leur espace eco4
nomique des produits achetes a l’exterieur Pour mener a bien ces transferts et ces introductions devenus decisifs, on fait appel a des botanistes,
5
et Ton etablit des jardins dans les comptoirs et les colonies Un intense
trafic de voyageurs naturalistes» et de plantes approvisionne ces jardins
.
.
«
en nouvelles especes et les mettent en communication les uns avec les
autres, avec le Jardin des plantes de Paris pour plaque toumante. La botanique dent done une place de choix dans l’entreprise d’expansion coloniale frangaise. Les naturalistes jouent ainsi un role essentiel dans le projet
de conquete et de colonisation : les jardins botaniques servent a cette
entreprise tout a la fois de relais et de laboratoire.
Un secteur agricole problematique
En 1887 cela fait sept ans que 1’ile de Tahiti est passee du statut de
protectorat a celui de colonie. Par l’acte d’annexion du 29 juin 1880,
Pomare V, le dernier representant» de la famille royale a cede ses etats
«
Marquises en 1842, l’extension de la souverainete frangaise aux autres archipels se prolonge jusqu’en 1900 non sans
a la France. Commencee aux
heurts. Ainsi, il faut attendre la loi du 19 mars 1898 pour voir les lies
Sous-le-Vent integrer officiellement le domaine colonial apres des annees
de resistance
4
6
.
On sail par exemple que les epices, venues d'Orient, resterent longtemps monopole portugois puis hollandais,
jusqu'a ce que Pierre Poivre ne derobat des plants de cannelier, de giroflier et de muscadier aux Indes neer-
landaises pour les cultiver a Pile de France (lie Maurice). De meme, au debut du XVIIle siede, les Hollandais
sont parvenus b introduire le cafe a Java, dont la production supplante bientot celle du sud de I'Arabie.
5
Apres le jardin du Cap, cree des 1654 par lo Compognie hollandaise des Indes, viennent celui des Pomple(lie Maurice, 1735-36), de Port-au-Prince (Soint-Domingue, 1777), de Calcutta (1787)
mousses en lie de France
ou
de Bogor (1817), pour ne ciler que les plus importants.
Voir a ce sujet Anne-Lise Pasturel, Ra'iatea (J81S-1945): Permanences et ruptures politiques, economiques
These de doctoral d'histoire, Papeete, 2000, dans laquelle elle aborde la resistance des chefs des
et
6
culturelles,
lies Sous-le-Vent et notamment celle du chef Teraupoo face a I'annexion francaise.
8
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-
Des 1881 est mise en place une administration coloniale a la tete
d’un territoire en dehors des preoccupations nationales et
peu attache a
la France. Tahiti et les Ties polynesiennes sont un cas a
dans les colo-
part
nies frangaises: situees a 3000 heues de la
metropole et en dehors des
grands courants commerciaux, elles semblent repliees sur elles-memes.
Mai desservies par des lignes maritimes
que le gouvernement frangais
tarde a developper, la colonie manque de debouches
pour son commerce
et son agriculture.
Les problemes lies au secteur agricole ne sont
pas nouveaux en Polynesie. Des leur arrivee a Tahiti en 1797, les missionnaires furent
frappes
de constater la pauvrete des especes cultivables
disponibles dans les Ties
polynesiennes. Les premiers habitants avaient bien apporte avec eux au fil
de leurs migrations, l’arbre a pain et le taro pour les
plantes alimentaires
fondamentales, auxquelles venaient s’ajouter d’autres produits tels que
bananes, ignames, patate douce, etc. Avec peu de preparation ces plantes
foumissaient en quantite suffisante des substances alimentaires essentielles
telles que la fecule ou le sucre. A ces plantes introduites par les
Polynesiens viennent s’ajouter la vegetation indigene. Parmi elle, le cocotier
(Cocos nucifera) essentiel a la vie quotidienne aussi bien au niveau ahmentaire que pratique, le mape (Inocarpusfagifer) ou encore le
pandanus (Pandanus tectorius). Mais l’essentiel de
l’apport de plantes est
europeen. Les missionnaires qui les premiers produisent des recoltes
dignes de ce nom, cultivent avec succes le mais, la tomate, le haricot ou
encore le tabac. A tel point qu’ils mirent en place des 1818 une vraie
bgne
commerciale entre Tahiti et Port-Jackson en Austrahe par le biais du navire
Haiueis qui transportait outre du pore sale, de l’huile de coco, de l’arrowroot et divers fruits.
Un peu plus tard, le medecin et botaniste amateur Francis Johnstone,
medecin entre autre de la reine Pomare IV bit lui aussi a l’origine de Tintroduction d’une grande variete de plantes. A partir de 1836, II acchmate
cinquantaine d’especes ou de varietes nouvelles telle que la bougainvillee, plusieurs hibiscus, le lotus, l’oranger, le mandarinier, etc. Mais en
aucun cas il s’agissait d’entreprises agricoles de
grande envergure
une
9
Si
bulletin dc /a tJoc/e/c des Glades Occam
capables d’apporter a la nouvelle possession francaise une autosuffisance
ou des revenus
consequents. Trois obstacles majeurs rebutent les even-
tuels colons qui voudraient faire fortune a Tahiti dans le secteur agricole:
I’eloignement de Tahiti par rapport aux grands marches, le manque de
terres disponibles et une main d’ceuvre limitee elle aussi. En effet, l’entreprise coloniale frangaise est en marche depuis 1842 et le secteur agricole
souffre d’un manque recurrent de main d’oeuvre et de terrains disponibles. Les gouvemeurs se succedent et tentent vainement d’amener Tile sur
la voie du developpement economique mais le secteur agricole, victime
de la sous-exploitation des cultures destinees a l’exportation, ne decolle
pas. A cela il faut ajouter la nature meme du regime fancier polynesien,
veritable obstacle au progres economique voulu par la France. On ne va
pas s’attarder longtemps sur ce « casse-tete juridique
7
»
traite a maintes
reprises, principale difficulte rencontree par 1’administration et les volontaires aux entreprises agricoles:
«
La confusion et le desordre caracterisent le regime fancier: titres fan-
ciers imprecis en ce qui conceme l’identite des proprietaries, les limites
superficie des proprietes, actes d’etat civil trop longtemps fantaisistes, ne permettant pas de reconstituer d’authentiques filiations, irregularites et lacunes dans la tenue des registres de la conservation des
hypotheques... Les Oceaniens preferent demeurer dans l’indivision traditionnelle pour eviter de couteux et compliques proces... L’indivision
a son tour favorise les formes les plus paresseuses d’exploitations des
terres, allant parfois jusqu’a l’abandon total. Elle decourage les ameliorations puisque 1’exploitant n’est pas le seul beneflciaire de son travail
et la
et de ses sacrifices financiers
7
8
...
».
Voir M. Panoff, La terre el /'organisation sociale en Polynesie, Payot, Paris, 1970,286 p. et M. Panoff,«Un
demi-siede de contorsions juridiques, le regime foncier en Polynesie francaise», in The Journal of Pacific, Hislory, vol.l, Oxford University Press, 1966, p. 115-128. Les travaux de Michel Panoff sur le«casse-tete juridique»que represente encore a I'heure actuelle le systeme foncier ont parfaitement demontre la difficulte
d'imposer des lois juridiques europeennes a une societe empreinte de traditions. Pour I'Administration, ce sysqu'elle persistait d appeler«indivision», etait a I'origine de I'insuffisante mise en valeur des
terres et surtout de I'insecurite en matiere fonciere. Du fait de la propriete collective du sol, aucun Europeen ne
reussissait d obtenir des droits parfaitement reconnus. L'accord de plusieurs co-proprietaires etait necessaire
feme coutumier,
pour condure une transaction fonciere.
8
M. Guillaume,«L'Economie rurale de I'Oceanie francaise», dans I'Agronomie tropicale, 1958.
10
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La propriete collective du sol existant dans le cadre du
cier traditionnel polynesien est un obstacle
majeur
regime fon-
a la realisation des
mieres transactions foncieres commerciales entre
pre-
Polynesiens et
Europeens. En realite, durant toute la periode coloniale, deux visions diametralement opposees de la notion de terre s’affrontent. D’un cote la
vision europeenne pour qui la colonisation
implique l’idee d’exploitation
d’appropriation d’un territoire : la terre est alors symbole de production de cultures speculatives
d’exportation. De 1’autre la vision polynesienne pour qui la terre est la principale richesse, inalienable et ou la
notion meme de propriete n’existe pas. Traditionnellement en
Polynesie
le sol est un bien inalienable dont seuls les droits
d’usage peuvent etre
et
temporairement cedes a des tiers non originaires du groupe familial. Ces
droits se limitent au droit de residence et au droit d’exploitation des
plan-
tations vivrieres existantes.
Le code Pomare de 1842 avait donne des garanties de
terres etant donne
protection des
qu’il interdisait formellement la vente et la location de
terres a des Europeens et toute transaction fonciere a caractere commer-
rial entre les Polynesiens. Ce texte qui entendait conserver le sol
polyne-
sien en dehors des echanges economiques est modifie des 1844 et 1845 9
afin de permettre les transactions foncieres commerciales.
La loi du 24 mars 1852 sur
l’enregistrement et l’identification des
terres et de leurs proprietaries a introduit pour la
premiere fois et officiellement la notion de propriete individuelle du sol. Conformement a
celle-ci, les terres devaient etre inscrites sur un registre public. Des tribu-
polynesiens pour toutes les affaires concernant les revendications
foncieres sont mis en place cette meme annee. Ils sont maintenus long10
temps apres l’annexion puis disparaissent progressivement Durant toute
cette periode, l’administration tente de supprimer la propriete collective
qui freine considerablement les transferts de proprietes et qui empeche
naux
.
9
C'est d partir de ces«Lois revisees»que I'Administrotion engage lo lutte contre le systeme foncier coutumier.
10
C'est seulement par le decret du 5 avril 1945, d la faveur d'un texte conferant la citoyennete francaise a
toutes les personnes originaires des E.F.O, que sera officiellement consacree la
disparition des juridictions tahi-
tiennes.
11
bulletin dc fa Society dev Stude& Ot'ceaiuenne&
de fait la mise en place de plantations agro-exportatrices, ce qui constituait 1’objectif essentiel de l’administration coloniale frangaise. Le dispo-
sitif juridique inis en place pour creer une propriete fonciere polynesienne
individuelle n’aboutit pas au resultat escompte : la propriete collective du
sol a subsiste. Les revendications faites en nom personnel n’ont pas ete
mises a jour devant l’autorite judiciaire a la generation suivante, entrainant la reconstitution d’une propriete collective du sol, appelee « indivi-
sion » par le Code Civil. Dans certains cas, la propriete a ete revendiquee
en nom collectif et a done ete directement soumise a une forme de pro-
priete. Le retour ou le maintien dans l’indivision des terres revendiquees
apparart bien comme une forme de resistance du regime foncier traditionnel. Pour le geographe Francois Ravault, l’indivision apparart non
«
seulement comme une survivance du passe mais encore comme une reaction a une entreprise de depossession et une forme d’adaptation des Polynesiens
11
».
En 1854, sous le mandat du gouvemeur Joseph du Bouzet un phar-
macien de profession nomme Gilbert Cuzent debarque dans un Tahiti paci-
fie mais en manque d’inspiration. L’objectif de cet officier de marine est
clair, « creer des ressources au commerce et a l’industrie, de procurer
des frets de retour aux navires
12
».
II met a profit ses competences en fai-
sant un certain nombre d’experiences sur des racines, des fecules ou
encore des huiles. Hormis ses
analyses, il dispense des conseils pratiques
pour la culture des legumes et fruits europeens. Au pessimisme ambiant,
Cuzent oppose un Tahiti autosuffisant dans le secteur agricole en laissant
de cote l’idee d’un systeme de grandes plantations pour privilegier de
petites surfaces cultivees de fagon artisanale sans gros apport financier de
depart. Pour lui, il faut veritablement penser la colonisation en etudiant
les productions et la nature du sol, chercher a etablir des industries
«
capables d’ameliorer le sort des naturels
11
13
».
F. Ravault,«L'origine de la propriete fonciere des lies de la Societe: essai d'interpretation geographique»,
Cahiers de I'O.R.S.T.O.M.
12
G. Cuzent, Archipelde Tahiti, recherches sur les productions vegetales, Papeete, Haere Po, 1983, p. 9.
13
Ibid., p. 10.
12
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Malgre ces tentatives isolees, malgre la creation du Service du cadastre
le 5 novembre 1862 dans le but de controler les terres ainsi
que la creation de la Caisse agricole qui fait office de
banque geree par l’Administration et alimentee par les fonds
preleves sur le budget de la colonie, la
tendance ne s’inverse pas. Pourtant au milieu des annees
les E.F.O
I860,
pensent erffin voii naitre leur premiere entreprise agricole digne de ce nom
avec la plantation d’Atimaono. Le
proprietaire, l’Ecossais William Stewart,
-
fit venir plusieurs centaines de Chinois
pour palier le manque de main
d’ceuvre indigene et subvenir aux besoins de cette aventure
de
agricole
14
grande echelle plus de 1000 hectares consacres a la production de coton
dans une conjoncture de guerre de secession ou
l’Amerique n’en produit
Pour
William
Stewart mene a bien son projet, le
plus.
que
gouvemeur de
,
La Ronciere joue de son
pouvoir pour lui tailler un domaine considerable
la
pour
petite colonie. Apres deux ans de pressions aupres des proprietaires terriens locaux, William Stewart se retrouve
proprietaire d’une exploitation dont la surface est le double de celle
tous
les Europeens reunis
que
s’etaient constitue au fil des ans. Equipe d’une machinerie modeme sans
egale dans les E.F.O et beneficiant de concessions fiscales et douanieres
exceptionnelles, William Stewart s’attire les foudres des anciens colons qui
voient en ce traitement de faveur une
injustice de plus de la part d’un gouvemeur dont ils jurent la
perte. D’autant plus que I’administration a mis ses
bateaux a la disposition de Stewart pour le transport du fret.
Apres avoir ete de 1863 a 1874 le poumon economique du Protectorat, la paix revenue aux Etats-Unis et l’effondrement du cours du coton
ont raison de la plantation qui est declaree en failhte le 22 aout 1874.
La tentative d’Edouard Raoul
L’administration frangaise ne baisse pas pour autant les bras
puisqu’en 1887, le pharmacien botaniste Edouard Raoul est detache par la
Marine au Sous-secretariat des Colonies et charge par ce dernier d’une
mission autour du monde. Les instructions qu’il regoit lui
14
En tout, William Stewart possedait pres de 7000 hectares de terrains dont une
enjoignent
grande partie de montagne
escarpee.
13
iQ&itl/ctin dc la Joac/e de& Stades Ot'C€ame/uie&
d’etudier les productions de la flore tropicale afin d’acclimater dans les
possessions frangaises des« plantes productrices des matieres premieres
reclamees par le commerce et l’industrie ». II a la charge de decouvrir des
15
Durant trois
especes qui pourraient etre utiles aux colonies frangaises
.
la Nouans, il visite ainsi Madagascar, la Reunion, File Maurice, l’Australie,
velle-Zelande, les lies Tonga, les Samoa, les Fidji, La Nouvelle-Galles du Sud,
la Nouvelle-Caledonie, la Malaisie, la Cochinchine, le Tonkin et en Polynesie, les Tuamotu, Tubuai', Rapa, les lies sous-le-Vent et Tahiti. En arrivant a
Papeete en mars 1887 dans le but d’importer dans les E.F.O des plantes
utiles a l’agriculture et a l’industrie, il repond a la demande faite l’annee
precedente par la Chambre d’Agriculture de Tahiti. Lors de la seance du 23
mai 1887, le gouvemeur Lacascade
«
16
avait exprime ses intentions:
En venant au milieu des representants de l’agriculture, du commerce,
de Findustrie et du credit, je n’ai point la pretention de prononcer un
discours et pourtant je vise plus haut. J’ai caresse le desir d’entrer directement en relations avec vous et de jeter avec votre concours les bases
qui doivent faire l’objet de notre mutuelle etude. Je voudrais rechercher, en un
du programme des premiers travaux
-
travaux utiles et feconds
-
mot, le terrain commun ou doivent se concentrer tous nos efforts pour
developper les richesses naturelles de ce pays, en creer de nouvelles, et,
soutenue de nos produits, faciliter entre la metroune
exploitation
par
pole
et nous un commerce
d’echange profitable a tous deux
17
.
»
En cette fin de siecle, l’administration frangaise tente de relancer une
economie polynesienne en perte de vitesse. Les efforts se portent encore
sur le secteur de Tagriculture qui connait de nombreux echecs
et
toujours
et victime d’une crise depuis les annees 1880. L’effondrement mondial du
cours du coton a condamne cette culture dans les ties: les
15
exportations
A Tahiti, aux Marquises et a Rapa, Raoul espere introduire pas moins de 210 especes: I'Acajou de Saint-
Domingue, le Muscadier des Moluques, le palmier donnant I'huile de palme, etc. (voir liste complete
dans le
Journal Officiel des E.F.O de septembre 1887).
16
Theodore Lacascode (1841-1906), gouverneur des E.F.0 de 1887 a 1893. Son administration est marquee par
des accroissements de territoire: les lies Sous-le-Vent, Rurutu et Rimatara sont respectivement annexees a la
France en mars 1889 el aout 1900.
17
Journal Officiel des E.F.O, 26 mai 1887, Archives territoriales de Polynesie francaise, p.l 30.
14
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-
chutent de 600 tonnes en 1884 a 465 tonnes l’annee suivante 18 La culture
.
de la vanille se met en place a cette periode tandis les autres
telles que le cafe ou la canne a sucre sont peu a
productions
peu negligees. C’est done
phase delicate pour l’agriculture locale qui inquiete les pouvoirs
locaux. C’est pourquoi le gouvemeur Lacascade veut
ce secune
redynamiser
teur avec le concours de E. Raoul:
Oui, il importe de developper dans le pays une culture d’exportation,
Mais quelles cultures ? Comment les faire ? Par
les faire ? Messieurs
«
qui
de la Chambre d’agriculmre, c’est ici que commence votre role. Il n’est
pas possible qu’appuyes sur une Administration qui ne vous mesurera
jamais son concours, soutenus par un Conseilgeneral (...) eclaires
enfin par les conseils d’hommes pratiques, intelhgents, tels
que ceux
qui entrent dans votre composition et auxquels un ami de mes premieres etudes, un ancien compagnon pour beaucoup d’entre vous, M.
Raoul, pharmacien principal de la marine, vient apporter le concours
de ses lumieres et de ses connaissances scientifiques, il n’est
pas possible qu’avec de tels elements, vous ne fassiez avancer la solution du
19
probleme .»
La pepmiere que cree Edouard Raoul
comporte quarante serres et
offre l’opportunite d’enrichir et varier les ressources forestieres et
agri-
coles du pays grace aux especes qui ont ete recoltees tout au long de ses
escales autour du monde. Le gouverneur Lacascade a en effet mis a la dis-
position de l’envoye de Paris, le domaine de Mamao a Papeete : huit hectares de brousse dont plus de la moitie avait
appartenu a la famille royale
Pomare. Comme main-d’ceuvre, 1’administration lui attribue la douzaine
de malfaiteurs ou d’ivrognes que contient alors la prison de Papeete. Pendant quatre mois, Raoul payant de sa personne, consacre a la colonie
toute son energie et son savoir faire pour reahser son jardin d’accbmata-
tion. Le riche cbmat de Tahiti fait le reste. On trouve au jardin Raoul des
arbres nouveaux : cedres rouges d’Austrahe, bambou a barils, arbre a
caoutchouc, arbre du voyageur, etc.:
18
P-Y Toulellon, Tahiti colonial, Paris, Publications de la Sorbonne, 1984.
19
Ibid.
15
1 fTbu/lciin
«
tfc fa Joc/e/c (fes StaJcs &ceanie/me&
Parmi les deux mille plantes qu’il a apportees, il s’en trouve une
grande quantite qu’il s’est procuree grace aux facilites que lui donne la
mission qui lui a ete confiee; celles-la appartiennent done a l’Etat; mais
le plus grand nombre de ces plantes a ete achete ou collectionne a ses
frais, ou bien lui a ete donne personnellement: celles-ci constituent,
20
par consequent, sa propriete et il en fait don a la colonie
.
»
La pepiniere achevee, E. Raoul etablit un projet de reglementation
21
et
e’est a la Chambre d’agriculture que radministration attribue le soin de la
conservation des plantes, de leur utilisation, de leur distribution aux agri-
culteurs et proprietaries ruraux qui voulaient en assurer le developpement
dans leurs proprietes. La Pepiniere de Mamao devient un jardin botanique
sauvegarde du public E Raoul a ainsi accompli
sa mission et peut alors rejoindre la metropole.
et est placee « sous la
».
Un amateur de photographic coloniale
Mais l’interet de la mission Raoul ne reside pas seulement dans son
aspect botanique : parallelement Edouard Raoul constitue, a titre person22
nel, une collection de 126 photographies realisees par George Spitz. G.
Spitz est arrive a Tahiti comme soldat dans la marine et s’y fixe en 1880
lors de son conge. D’abord redacteur a la Societe commerciale de l’Oceanie, il fonde par la suite un atelier photographique et un commerce de
bijouterie.
L’activite de Spitz se situe a une epoque chamiere de l’histoire de la
Polynesie. Il est en effet le chroniqueur de ces Etablissements francais en
train de naitre. Aussi ne faut-il pas s’etonner de voir l’importance qu’il
donne a la presence mihtaire et coloniale : troupes, bateaux de guerre,
construction de casernes...
Mais il est egalement le photographe de Papeete, siege du pouvoir
politique, administratif et militaire: batiments officiels, palais de la reine,
consulat americain, rues, marche, depart des goelettes, port dont il est le
20
21
22
J.O.E.F.O du 24 novembre 1887, Archives territoriales de Polynesie francoise.
Voir p. 118 du J.O.E.F.O du 3 moi 1888.
Voir en annexe la lisle des photos de Spitz ovec leurs legendes.
16
N°321 Janvier / Avril 2011
-
premier a proposer une vue panoramique. Randonneur infatigable, il aime
photographier la nature polynesienne mais trouve toujours le moyen de
l’liumaniser en y introduisant un ou plusieurs sujets. La photographic de
cette epoque n’ose pas encore s’affirmer en tant
qu’art a part entiere; elle
reste sous l’influence de la peinture, qu’elle
s’emploie a imiter. Si la ville et
le port occupent une part importante de sa production, Spitz effectue des
prises de vue en studio : la plupart du temps, il ne resiste pas a la tentation de mettre en scene ses sujets sur des fonds peints:
Une part de sa production relativement peu importante, 400 a 500 cliches, qui s’echelonne sur plus d’une decennie, reflete une volonte
patente de satisfaire une clientele soucieuse de rapporter en Europe des
souvenirs conformes au gout de l’epoque. La representation coloniale
apparait au travers du prisme deformant d’un exotisme fin de siecle ».
L'illustration du mythe est pretexte a l’elaboration d’une mise en scene
de la vie polynesienne et d’une reinterpretation de la quotidiennete. La
realite est parfois codifiee, les situations theatraiisees 23
Pourquoi E. Raoul choisit-il G. Spitz ? Et pourquoi cet album photo ?
On s’accordera a penser que la plupart des images presentes dans la col«
«
.
»
lection photographique d’E. Raoul ne nous apprend pas grand chose sur
le peuple et l’histoire de Tahiti. En revanche, elles nous permettent d’ap-
prehender un peu plus la fagon dont l’Autre est pergu par le regard occidental. E. Raoul choisit Spitz car comme beaucoup de coloniaux arrivant a
Tahiti, il a la nostalgie d’une epoque revolue. A aucun moment, il n’est
question d’informer ou de denoncer les possibles vices de la colonisation;
il s’agit d’offrir une image a une correspondance. En effet, avec Spitz on
touche au reve colonial, a savoir le mythe tahitien revisite en cette fin XIXe:
ses plages, ses vahines, son chmat. Et au-dela de Texotisme, c’est en filigrane, 1’ideologie de la mission civilisatrice dont il s’agit en mettant en
avant l’image d’une colonisation parfaitement pacifique et comprise de la
plupart des colonises.
23
J-Y. Trehin, Tahiti, I'Eden a Tepreuve de la photographie, Poris, Gallimard, 2003, pp. 91-92.
17
(/bulletin de la Society de& $tude& Ocean
Sa collection de photographies sert a illustrer un album intitule « Mis-
sion autour du monde, Exposant E. Raoul
universelle de Paris en
24
»
qu’il presente a l’exposition
1889 oil il est nomme delegue de la section Tahiti
pour la manifestation. G. Spitz, qui avait regu a Papeete un prix pour son
travail en 1888 est aussi du voyage. Les photographies de Polynesie presentees a L’Exposition provenaient ainsi pour la plupart de la collection
personnelle de Raoul a laquelle se joignaient les oeuvres des studios Spitz
25
Les cliches de Spitz confortent un artiste qui se rend plusieurs
et Hoare
fois a l’exposition et qui n’est autre que Paul Gauguin. La puissance de
1’image vient en effet renforcer revocation fournie par toute une litterature sur la Polynesie que lui procure son ami Emile Bernard. L’idee d’aller
.
au bout du monde y fonder « L’Atelier des
tropiques
»
s’en trouve forte-
ment confortee. De surcroit, Gauguin a l’occasion de consulter le tome 4
d’une serie de six ouvrages, edites pour l’occasion : Les Colonies fran-
gaises
2b
dont le directeur est Louis Henrique, commissaire a l’Exposition
universelle et l’un des principaux acteurs de la presse coloniale fran-
gaise
27
.
Les neufs chapitres sur la Polynesie ont ete rediges par E. Raoul et
illustres de gravure sur bois tirees de photographies de Spitz provenant de
sa collection:
Mon cher Schuffeneker,
(...) J’aiunlivre du departement des colonies dormant bien des enregistrements sur Texistence de Taiti. Merveilleux pays dans lequel je voudrais y terminer mon existence avec tous mes enfants (...) Je ne vis
28
plus ici que dans cette esperance de la terre promise ».
«
21
L'album est visible aux archives du Musee de Tahiti et des lies.-
2i
L'un des premiers ateliers photographiques trees a Tahiti par le couple Charles et Susan Hoare, photographes
d'origine anglo-saxonne. A la mort de son mari en 1876, la veuve Hoare continue de realiser une quantile de
portraits de la societe tahitienne a la fin du XIXe siede. Elle devient meme photographe officielle de la famille
Pomare.
26
L. Henrique, Les Colonies francaises, t. IV, Paris, Maison Quantin, 1889.
Membre influent du Conseil superieur des colonies, il a fonde en 1882 le journal L'avenir des colonies et cree
deux ans plus lard la«Societe Francaise de Colonisation».
2!
Gauguin a Schuffeneker, laorana Gauguin, Tahiti, Musee de Tahiti et des lies, 2003, p. 16.
27
18
N°321 Janvier / Avril 2011
-
De fait, le travail d’E. Raoul se place dans la lignee des
expeditions
scientifiques des XVIIIe et XIXe siecles ou les offlciers de marine etaient
accompagnes de scientifiques, notamment de botanistes. II represente egalement le fonctionnaire colonial typique, ceuvrant pour la grandeur de la
France, amateur de photographies exotiques : par son biais et a travers la
photographic de Spitz, c’est le regard europeen qu’il porte sur le Tahiti de
la fin du XIXe siecle. En effet, la France s’est installee dans l’entreprise
coloniale en meme temps que naissait la Hie Republique naissante. C’est
une periode ou se dessinent les fondements de ce
qui va constituer une
culture coloniale a la frangaise. Cette culture devient un corps de doctrine
coherent, ou les differents savoirs sont assembles, affectant alors tous les
domaines de la pensee, de la connaissance et des institutions. La photographie, au meme titre que la presse, les expositions et plus tard le cinema
ou les manuels
scolaires, constituent un puissant support de diffusion de
cette culture. II faut dire que le contexte politique des annees 1870-1880
amene les
Frangais a suivre de plus pres l’actualite coloniale : les grands
joumaux participent a cet interet en se faisant l’echo des conquetes et des
nombreuses victoires outre-mer qui devaient compenser la perte de l’Alsace et la Lorraine. Les
photographes et leurs oeuvres sont les incontournables vecteurs de la colonisation de terres eloignees et plus
particulierement de cet ailleurs absolu que sont les lies, et de la plus
«
renommee d’entre
»
elles, Taliiti:
Depuis son entree dans l’Histoire, la Polynesie est si intimement liee
representations produites par la culture occidentale, qu’elle semble se resumer entierement a ceitaines de ces images (...) La Polynesie
«
aux
a
represente, dans le desenchantement du monde moderne naissant
europeen, un de ces endroits legendaries le plus recent et peut-etre le
dernier. 29 »
L’originalite de l’expedition Raoul reside dans ce double apport:
pour la colonie, l’introduction de plantes nouvelles necessaire a son essor
economique, pour la Metropole, une collection de photographies donnant
29
R. Pineri, L'ile-maliere de Polynesie, Paris, Balland, 1992, p. 126.
19
(bulletin de ta Society ilex &tudc& Ocean
Polynesie en vue de la participation a 1’exposition universelle. Son album de photographies de Spitz contribue a nourrir l’imaginaire frangais et conforte l’idee d’une colonisation reussie. Et meme si Ton
rien a la
peut pointer 1’orientalisme de certaines photos, celui-ci n’enleve
realite de la societe coloniale qui y transparait. La photographie du XIXe
une vision de la
peut nous sembler alors empreinte de restes d’attitudes coloniales
ou de
mises en scenes liees a la mentalite de l’epoque, elle n’en reste pas moins
une «trace »:
«
Les colons peuvent bien s’imaginer en train d’ecrire des pages d’epo-
pee, les photographes de l’epoque se contentent d’imprimer plutot
topographie. Ils ne metamorphosent pas le monde. Ils en font plus
modestement la cueillette. Ils relevent des empreintes. Ce sont les preune
miers ethnologues, mais tout a fait indifferents a la sociologie. Et meme
ils fixent des visages, des costumes, des coutumes, c’est finale-
quand
ment un paysage qui sort, la savane, la jungle, l’oasis.
30 »
Vaki Gleizal
30
C. Maurel, L'exotisme colonial: cent cinquante photographies du debut du siecle, Paris, R. Laffont, 1980,
P-12.
20
Voyage en Oceanie
dans le temps missionnaire
Les decouvreurs britanniques espagnols ou
frangais qui atterrirent en
Oceanie au XVIIFnie siecle ont largement rendu
compte de leur temps du
Contact avec les populations insulaires. Suivront l’amvee missionnaire dans
les lies de la Societe et aux lies Cook voisines et le temps de
Les relations de voyage dans les mers du Sud et plus
TEvangelisation.
particulierement
celle du Capitaine Cook ont eu un impact considerable en
Europe. Ces
nouvelles terres des hommes ont naturellement passionne le Reverend
anglais Thomas Haweis qui sera une des chevilles ouvrieres de l’evangelisation de ces populations des mers du Sud. La London
Missionary Society
ou Societe des Missions de Londres verra le
jour de cette volonte affirmee
et quand des fonds seront reunis un navire The
Duffsera affrete. Le navire
quittera l’Angleterre en 1796 avec les premiers missionnaires dont la plupart outre un certain degre d’instruction, avaient en mains un metier
solide comme charpentier, forgeron ou magon. Le principe premier de la
IMS comme le precise Tun d’entre eux J.Williams, est Turnon des chretiens de toute denomination. L’arrivee des missionnaires a Tahiti le 4 mars
1797 est connue. On sait Taccueil interesse qu’ils regurent de Tu, Pomare
I desireux d’asseoir durablement sa chelferie. On sait aussi les vicissitudes
qu’ils connurent durant deux decennies dans les archipels d’Oceanie pour
implanter le Christianisme et concevoir pour les populations un nouveau
modele de pensee dans un cadre base sur TEvangile. Ils ont dejoue au
quotidien les pieges d’une societe polynesienne en plein bouillonnement
ou paix de pacotille alternait avec
guerres et luttes d’influence.
OSu/Zetin c/e /a Jociete des Stccdcs fitcea/uemies
Nous souhaitons aujourd’hui reveler au lecteur quelques impressions
de voyage de ces missionnaires qui d’iles en lies, nous font part de leurs
attentes comme de leur craintes.
Ces textes extraits de recueils publies en France en 1821 et 1824 ont
l’anglais et nous les livrons en 1’etat, sans grand dommage
sans doute pour le lecteur malgre quelques insuffisances dans la forme.
Nous avons cru devoir ajouter quelques notes de bas de page quand le
ete traduits de
nom de certains personnages cites ou les noms de lieux n’etaient pas
explicites.
On pourrait s’etonner de trouver dans ce document un discours pro-
selyte. II faut bien imaginer que ces hommes de terrain etaient porteurs
d’un veritable apostolat car en charge de la bonne parole. En outre une
missive est bien plus riche par son contenu qu’un froid rapport de fonctionnaire. Dans ces lettres ou extraits, ces missionnaires exposent certes
passion leurs certitudes souvent empreintes de dogmatisme, mais ils
nous content aussi avec simplicity? leur peregrination au fil de l’eau, dans
les archipels d’Oceanie. On y parle de mille faits et gestes de ces Polyne6me
siecle a qui on enleva peu a peu idoles et
siens du debut du XIX
croyances ancestrales, mais qui, galvanises par de nouveaux concepts,
batirent allegrement des temples a la gloire de Jehovah plutot que des
avec
marae en l’honneur de Oro.
On notera sous-jacente l’intelligence de cette micro-communaute missionnaire qui avait tot compris Fimportance du chef, du metua devrait-t-on
dire car plus porteur de sens, et son role eminent dans une societe polynesienne installee en strates sociales hierarchisees et pourtant non figee.
Ce voyage en Oceanie dans le temps missionnaire ne saurait etre une
un regard sur la
page de l’Histoire Missionnaire mais plus simplement
confrontation de deux cultures de temps immemoriaux; heureuse
confluence de ces deux optimums ont dit les uns, malencontreuse rencontre ont dit les autres. L’honnete homme polynesien d’aujourd’hui
formera son jugement.
Constant Guehennec
22
Voyage en Oceanie dans le temps missionnaire
COMPTE-RENDUS DE MISSIONS
DANS L’ARCHIPEL DE LA SOCIETE
1
Un spectacle bien admirable et bien rejouissant va nous etre offert
dans ces lies lointaines. La bonne nouvelle du salut, apres y avoir retenti
pendant 20 ans, s’est ouvert enfin l’acces des consciences.
...L a Royal Admiral quitta l’Angleterre en Mai 1800, et
n’atteignit
Otaliiti qu’au mois de Juin de l’annee suivante. Les nouveaux ouvriers, reduits alors au nombre de huit, furent accueillis, non-seulement de leurs
freres, mais du peuple et des chefs, avec beaucoup d’affection ; et l’etat
ou ils trouverent la mission, les
remplit a la fois d’esperance et de couune
insurrection
rage.
Cependant,
qui, bientot apres, eclata dans Otahiti, leur fit courir les plus grands dangers. Des que la tranquillite fut
retablie, ils entreprirent de visiter tous les districts de File : et pendant
les annees 1803, 1804 et 1805, ils ne cesserent, malgre toutes sortes de
difficultes et de mepris, de precher l’Evangile a des milliers d’Indigenes.
Quelques uns sembloient les ecouter avec interet; mais le plus grand
nombre dedaignoit leurs predications, et ne les traitoit qu’avec la legerete
la plus decourageante.
II y avoit deja sept ans que ces admirables missionnaires faisoient
entendre aux insulaires d’Otahiti la Parole du Dieu vivant, lorsque Pun
—
d’eux ecrivit:
1
Extrait du recueil « Expose de I'etat actuel des missions evangeliques chez les peuples infideles», Jean
Achard, Geneve 1821 p.296 d 331
-
-
m bulletin de la Society des Slades Ocea/ue/mes
«
Nous continuous d’instruire les Otahitiens sur les choses du salut;
mais, selon toute apparence, aucun n’en a veritablement profite
jusqu’ici. Plusieurs d’entr’eux, sans doute, ont acquis une connoissance assez etendue des doctrines de
l’Evangile; mais cette connois-
qui sanctifle. Nos Otahitiens
paroissent tous encore de grossiers idolatres, ennemis de Dieu par
sance n’est pas la foi: ce n’est pas la ce
leurs mauvaises oeuvres, sans Christ et sans esperance. »
2
Quelques-uns d’entr’eux, ecrivoient-ils encore aux Directeurs en
1806, “quelques-uns d’entr’eux nous temoignent beaucoup de malveillance et le plus souverain mepris. Ils ne laissent passer aucune occasion de manifester leur haine de notre religion, et de nous faire
«
de leur
passer pour les auteurs de leurs maladies et de la detresse
condition presente. Mais on voit tres-clairement qu’ils tiennent ce langage contre le cri de leur conscience.
»
Cependant, les missionnaires, apres avoir longtemps dirige leurs efforts les plus assidus vers 1’instruction de la jeunesse, se virent en etat de
pouvoir annoncer aux Directeurs qu’ils avoient obtenu quelque succes
dans cette partie de leurs travaux. Ces heureux resultats les encouragerent
a s’occuper de la generation naissante avec une ardeur toute nouvelle, et
perfectionner dans ce but leur systeme d’enseignement. Ils s’occuperent
d’un vocabulaire regulier de la langue Otaliitienne ; ils recueillirent plus
de deux mille mots ; ils firent des syllabaires, et composerent un cate3
chisme qu’ils adapterent aux besoins de leurs ecoles naissantes
Ce fut aussi dans le meme temps qu’ils commencerent d’entretenir
4
des relations avec Port-Jackson et surtout avec l’infatigable Chapelain
de cette colonie, le Rev. Samuel Marsden, qui des-lors n’a cesse de rendre aux missions de la mer du Sud les services les plus importants.
a
.
,
2
II faut entendre«nux dirigennts»de la London Missionary Society.
Precisons que le premier ouvrage en langue vernaculaire concu par John Davies (qui composera plus tard le
premier dictionnaire) fut imprime a Londres en 1810 sous le titre Te aebi no Taheiti (soil I'abecedaire de lo
3
langue tahitienne). Tire d 700 exemploires il en resterait un original au Kon Tiki museum d'Oslo Get ouvrage
existe oujourd'hui d nouveau cor reedite en fac-simile par le Ministere de la Culture, Tahiti, annee 2000.
4
Port Jackson port noturel de I'actuelle ville de Sydney fOt le lieu d'implantotion de la premiere colonie eu-
ropeenne.
24
N°321 Janvier/Avril 2011
-
L’annee 1808 sembloit commencer sous les plus heureux
auspices,
lorsque la guerre civile, eclatant de nouveau, vint mettre en danger, pour
la seconde fois, la vie des Missionnaires. Un grand nombre des
sujets du
Roi Pomare, impatients de son autorite, prirent les armes et se souleverent contre lui; Ton en vint aux mains; les rebelles furent
vainqueurs;
ils se jeterent sur les proprietes des Missionnaires, brulerent leurs maisons, detruisirent leurs jardins et leurs plantations, s’emparerent de leur
betail et de toutes les proprietes de la Societe qu’on n’avoit pu sauver. II
est probable meme que les Missionnaires auroient ete les victimes de leur
fureur, si, par une dispensation remarquable de la Providence, un brick
anglais qui venoit de toucher a 1’ile d’Otahiti, ne se fut trouve la pour leur
offrir un asile. Tous les Missionnaires, a 1’exception de M. Nott, qui demeura seul avec
Pomare, se refugierent alors a Huaheine.
Les Chefs et le peuple de cette ile les accueillirent avec tant de
joie
et de cordialite qu’ils resolurent d’abord d’y poursuivre leurs travaux, et
qu’ils commencerent aussitot a y precher 1’Evangile. Mais, au mois d’Octobre 1809, deux vaisseaux anglais etant venus mouiller a Huaheine, y
rapporterent que Pomare avoit fait de vains efforts pour retablir son autorite dans Otaliiti, et que si jamais il parvenoit a prendre l’ascendant sur
les rebelles, on devoit s’attendre a ce que la tranquillite ne seroit retablie
dans cette lie qu’apres une lutte longue et sanglante. Ces rapports, la
crainte de perdre leur temps a Huaheine, leur etat de denuement, et le de-
couragement trop naturel ou tant de vicissitudes les avoient reduits, engagerent les Missionaires a profiter de l’occasion qui se presentoit a eux
pour quitter une terre ingrate. Ils s’embarquerent pour Port Jackson, le
20 Octobre. Cependant, MM. Hayward et Nott resolurent de ne point quitter Huaheine, de s’abandonner completement a la conduite du Seigneur,
et d’attendre avec foi Tissue des evenements.
Les Missionnaires arrives a Sydney, le 7 Fevrier 1810, y furent regus
avec bonte par le Gouvemeur
Macquarrie, et surtout par le digne M. Mars-
den, Ce respectable serviteur du Christ ne negligea rien pour subvenir a
la detresse de leur position, en meme temps qu’il employa tous ses efforts
et toute
Teloquence de son zele, pour les engager a reprendre leur
25
S&uUetub de* la ifociele des Stades Ocean
>
mission. Us etoient deja fort ebranles par ses vives exhortations, lorsqu’ils
regurent des lettres du Roi Pomare qui leur exprimoit
leur sur leur depart,
sa
profonde dou-
et qui les supplioit avec instance de revenir aupres
de lui. Vaincus enfin par des sollicitations si pressantes, cinq des Miset
sionnaires se
pour les lies, dans 1’automne de 1811,
rembarquerent
vinrent rejoindre MM. Hayward et Nott, qu’ils trouverent dans File d’Eimeo
5
.
de sa
Depuis leur retour, le Roi ne cessa de manifester la sincerite
profession chretienne par la predilection qu’il leur temoignoit publiquement. II paroissoit ne se trouver heureux que dans leur societe ; il te-
moignoit de jour en jour un desir plus serieux d’avancer
connoissance de
dans la
l’Evangile; il avoit sans cesse de nouvelles explications
points importans de la foi chretienne; et dans le cours
de I’ete suivant, les Missionnaires eurent l’extreme douceur, de se croire
a demander sur les
autorises a le regarder comme veritablement converti.
Leur joie fut, bientot apres, accrue par les dispositions que manifes-
toient plusieurs autres Indigenes, dont toute la conduite sembloit attester
la foi, l’esperance et la charite.
Les fruits du travail des missionnaires a Eimeo devinrent de plus en
les annees 1813 et 1814 ; en sorte qu’au mois
plus manifestes, pendant
d’Avril de cette demiere annee, ils furent en etat de rapporter aux Direcdes idoles
teurs, que le nombre des insulaires qui avoient abjure le culte
pour se hvrer a celui de Jehovah, s’elevoit cinquante personnes; qu’ils
recherchoient assidument les moyens de s’instruire; qu’ils pratiquoient
a
des devotions secretes; que la plupart avoient introduit dans leur famille
l’usage des prieres domestiques et d’une action de grace avant les repas;
sentir le bequ’ils observoient le repos du Dimanche; qu’ils paroissoient
soin du secours de Dieu pour le renouvellement de leur cceur; et qu’il y
avoit un changement tres frappant dans leur conduite morale.
5
Aujourd'hui Moorea Eimeo ou Aimeo ou Aimeho i te rava varu (que Teuira Henry
oux
26
-
huit rodiotions).
avoit troduit por: Aimeho
N°321 Janvier/Avril 2011
-
Ce rapport lie regardoit que 1’ile
d’Eimeo, parce que les missionnaires
continuoient d’y resider, et que le Roi n’avoit
pas encore pu retablir son auCependant, MM. Hayward et Nott venoient de faire un
voyage dans les lies de Huaheine, de Raiatea et de Taha ; ils avoient preche 1’Evangile aux Indigenes partout ou ils avoient
pu les rassembler ; et
leur cceur avoit ete rempli de joie
l’interet
et
l’attention soutenue avec
par
laquelle on les avoit ecoutes. « Les Dieux, ecrivoit M. Nott, sont tombes
dans un grand discredit; le peuple ne se fait
de les
torlte dans Otahiti.
plus scrupule
appeler
le
Bon
C’est
ainsi
Jehovah
Esprit.
la
sous
main
de
que,
puissante
Dieu, les orages dont cette Eglise naissante
venoit d’etre agitee, ne firent, en
dispersant ses ministres, que repandre la
bonne nouvelle avec plus d’etendue et de rapidite. Nous laisserons mainde mauvais esprits, tandis qu’il appelle
»
tenant les missionnaires reciter eux-memes la suite de leurs travaux et de
leurs succes. Le 13 Aout 1816, MM. Bicknell,
Crook, Davies, Hayward,
Henry, Nott, Tessier et Wilson, adresserent aux Directeurs une lettre dont
nous alloiis extraire les faits les
plus importans:
Notre derniere lettre etoit datee du 5
Septembre 1815. Tout etoit
«
alors pour nous plein de trouble et de confusion. La balance sembloit
egale entre les partis; Eon avoit encore bien des raisons de craindre
que les fauteurs du paganisme, qui s’etoient armes pour venger la cause
de leurs Dieux, n’obtinssent la victoire, et n’exterminassent, au moins
dans Otahiti et dans Eimeo, tous ceux qui s’etoient declares pour 1’Evan-
gile. Nous proclamames alors, pour le 14 de Juillet, une fete solennelle
d’humiliation, de jeune et de priere. Plusieurs centaines de nos insulaires se joignirent a nous pour implorer, la protection de Celui qui
tient en sa main le cceur de tous les hommes et le fil de tous les evenemens. Nous
osons croire
invoquames l’Eternel au jour de la detresse, et nous
qu’il a prete l’oreille a nos supplications, et que, selon sa
promesse, il nous a delivres, quoiqu’il ne l’ait point fait sans doute, par
les voies que nous eussions imaginees. »
Apres que tous les Otahitiens qui avoient fait profession du christianisme, furent parvenus, par un effet sensible de la protection divine, a se
refugier dans l’tle d’Eimeo, leurs ennemis se livrerent entr’eux successivement a des guerres d’extermination, jusqu’a ce qu’enfin les derniers
vainqueurs inviterent tous ceux qui ne s’etoient enfuis que pour cause de
27
bulletin e/c /a Joc/e/-e de& (Jfe/e/es 0cea/u<
religion a rentrer dans leurs foyers et dans les proprietes qu’on leur avoit
ravies. Cependant, comme cette reinstallation exigeoit, d’apres d’anciens
les emigres en possession de
usages, que le roi vint en personne remettre
ses sujets exiles, se mirent
et
tous
leurs biens, il en resulta que Pomare,
ensemble en mouvement pour retourner a Tahiti. Lorsqu’il approchoit de
He, il vit sur la plage les partisans de l’idolatrie rassembles en armes
ses canots furent
pour s’opposer a son debarquement, et meme des que
a portee, on fit feu sur les gens de son parti.
son
Pomare defendit aux siens de repondre a cette attaque ; il fit faire
les conferences s’enaupres des rebelles un message de reconciliation ;
dans leurs
rentrerent
gagerent; Ton traita la paix et bientot les fugitifs
foyers. Nous etions demeures a Eimeo.
Cependant, Ton ne tarda pas a voir que cette apparente reconciliation n’avoit pas etouffe les defiances et les animosites. Le dimanche, 12
Novembre 1815 pendant que Pomare et son peuple etoient rassembles
contre eux l’attaque la
pour le culte de ce jour, les idolatres dirigerent
plus furieuse et la plus inattendue. Leur prophete leur avoit promis une
victoire facile ; mais ils furent bien trompes dans leur attente. Avant que
quittassent Eimeo, nous les avions prevenus de la probabilite de quelque trahison de ce genre ; en sorte qu’ils ne se rendoient
dans
point au culte sans etre bien armes. Le premier choc les jeta d’abord
nos insulaires
une espece de trouble ; mais ils se furent bientot reconnus, ils firent face
aux ennemis et
l’engagement devint furieux. Comme on combattoit dans
les bois, ils n’en vinrent pas tous aussitot aux mains, en sorte que tous
se jeterent a genoux criant a Jehovah, et le
en eurent le
ceux
temps
qui
suppliant de soutenir sa cause contre les idoles des Parens.
6
Le chef de Papara principal appui des idolatres, fut tue des le com,
mencement du combat; cette mort mit le trouble dans leurs rangs, et le parti
du roi remporta bientot une victoire complete. Cependant, les vaincus furent
de douceur et de moderation ; Pomare defendit extraites avec
beaucoup
beaucoup
pressement qu’on les poursumt, et voulut qu’on traitat
les
Il
fut
proprietes
parfaitement obei;
d’egards les femmes et les enfans.
avec
6
Upufaro
28
N°321
meme des vaincus furent
-
Janvier/Avril 2011
respectees, leurs morts furent ensevelis avec de-
cence, contre l’usage barbare du pays, et le corps du chef de Papara fut envoye dans sa province, pour y recevoir les honneurs de la sepulture.
Ces evenemens et cette conduite eurent l’effet le
plus heureux sur
l’esprit des idolatres. Ils declarerent unanimement qu’ils n’avoient plus de
confiance en des Dieux qui les avoient
trompes, et qu’ils etoient maintenant disposes a recevoir une
religion qui se distinguoit si fort par son esde
douceur
et
de pardon. Le soir de la bataille, tous ceux
prit d’humanite,
qui professoient le christianisme se rassemblerent, pour rendre a Jehovah leurs actions de graces; et l’on vit meme, au milieu
d’eux, plusieurs
des hommes qui, jusqu’alors s’etoient montres les
plus ardens a soutenir
la cause des idoles.
Des evenemens a peu pres semblables ont fait
de la Societe, la cause de l’Evangile. Tapa, leur
triompher, dans les lies
principal chef et l’un des
plus ardens propagateurs de l’Evangile, ayant vaincu les rebelles qui
s’etoient armes contre les Chretiens et contre lui, sa conduite
pleine de
douceur et de sagesse a produit les memes effets a Raiatea
que celle de
Pomare a Tahiti... Les chefs de Borabora nous ont fait
supplier de leur en-
voyer quelqu’un de nous, pour les instruire, et Mai, le plus puissant
d’entr’eux, nous a ecrit une lettre, ou il nous represente que Jesus-Christ
et ses Apotres n’ont pas borne leur ministere a une seule ville ou a un
seul pays.
Nos ecoles prospererent: plusieurs centaines de nos ecoliers se sont
repandus dans les lies voisines, et Ton accourt a eux, pour apprendre a
Hre et a ecrire. Nous comptons deja plus de 3000 personnes qui possedent des livres, et qui sont en etat d’en faire usage.
Nous vous envoyons incluse une lettre du Roi Pomare qui nous a
remis ses idoles, en nous laissant le choix de les detruire ou de vous les
envoyer.
Le lecteur prendra plaisir, sans doute, a Hre ici les premiers
passages
de cette lettre. Elle est datee du 19 Fevrier 1816.
«
Amis, puissiez-vous etre sauves par Jehovah et Jesus-Christ, notre Sau-
veur! Voila ce que j’avois a vous dire, mes amis. Je desire que vous en-
voyez mes idoles en Angleterre pour la Societe des Missions afin que les
29
QSidlcti/i de la dociete de# Slade# Oiceanieruie&
l
C’etaient
Anglais puissent connoitre les Dieux qu’on adoroit a Tahiti.
les idoles de ma famille, depuis le temps de Taaroamanahune, Maintenant qu’on m’a fait connoitre le vrai Dieu, Jehovah il est Mon Dieu...»
Les idoles de Pomare furent d’abord envoyees a la Nouvelle-Galles,
—
d’ou M. Marsden a du les faire passer en Angleterre, pour le Musee Bri-
tannique.
de la So-
J’ai maintenant, ecrit ce digne missionnaire au secretaire
satisciete, en date du 31 Octobre 1816, j’ai maintenant Tinexprimable
«
faction de vous envoyer les depouilles de 1’idolatrie Otahitienne. Ces
idoles sont etendues sur ma table, et reellement, il faut l’evidence du
leur
fait, pour en venir a croire que des etres humains aient pu mettre
en
sahommes
des
immoler
et
leur
confiance en de
images,
pareilles
crilice de propitiation... Que d’heures d’angoisse j’ai passees, lorsque
la joie que
vu cette mission menacee d’une ruine totale ! Aussi,
j’ai
desire cej’eprouve est-elle au dessus de toutes mes expressions. Je
un systeme d’inlies
les
dans
pendant encore qu’on puisse organiser
des
dustrie, et que la Societe puisse parvenir, sans retard, a remplir par
occupations utiles, les dangereux loisirs de nos nouveaux convertis.
»
Le Roi Pomare et les missionnaires ont ete longtemps occupes de la
construction d’un vaisseau qu’on destine a porter l’Evangile dans les ties
Nouet a faciliter des relations commerciales avec la colonie de la
voisines,
velle-Galles. M. Marsden avoit envoye sur YActif un M. Nicholson pour en
10 Decembre
diriger la construction et pour le commander ensuite. Le
1817, on a profite de l’equipage de YActifpour lancer
a la mer le nouveau
batiment, et Pomare a voulu qu’on lui donnat le nom de Haweis
1
.
Void le sommaire des resultats de cette mission, tel que la Societe
de Londres le presentoit deja dans son rapport a l’assemblee generate
du 13 Mai 1819 :
1
°
Subversion totale de l’idolatrie des sacrifices humains, et de plusieurs autres rites abominables chez les habitans d’Otaliiti et de 8
le christianisme vient d’etre introduit.
dans
autres
ties,
lesquelles
des amis les
zeles des
plus
Note de I'auteur du texte: Le Reverend Docteur Haweis etoit en Angleterre I'un
recu une lettre naive et pieuse
missions de la mer du Sud. II est mort I'annee derniere peu de jours apres avoir
7
que Pomare lui avoit ecrite en langue
30
Otahitienne.
N°321 Janvier/Avril 2011
-
2° Abolition de l’infanticide, de
et de l’association nommee
l’usage d’abandonner les infirmes,
Arreoy qui se distinguoit par sa
8
,
barbarie.
3° Abolition de la coutume d’egorger les
prisonniers faits dans les
batailles, et grande esperance de voir eteint pour toujours le
fleau meme de la guerre.
4° Accroissement de la population
annees avec une
qui diminuoit depuis plusieurs
grande rapidite.
5° Reforme generate dans les moeurs et dans les habitudes sociales.
Les scenes scandaleuses, par
au
exemple, qui jadis se renouveloient
aujourd’hui
debarquement de chaque navire Europeen, ont
completement cesse.
6° Etabhssement des rapports
domestiques, autrefois inconnus. Les
femmes, nagueres les esclaves de leurs maris, sont maintenant
leurs compagnes.
7° Profession universelle de la Religion Chretienne,
profession qui
paroit sincere de la part du plus grand nombre.
8° Erection, des la fin de 1817, de 67 edifices consacres au culte
public dans la seule ile d’Otahiti, de 20 autres dans Pile d’Eimeo, et d’un grand nombre d’autres dans le reste de cet archipel.
9° Introduction d’un culte domestique dans la plupart des families.
10° Habitude presque generate d’observer le
jour du sabbat, et de
suivre les exercices du culte public, non seulement en ce
jour la,
mais aussi dans le cours de la semaine.
Ou comptoit deja, vers le commencement de 1818
plus de 5 000 de
qui savent lire dans leur propre langue, les choses magnifiques de Dieu. Le dernier rapport en compte 6 000 et Ton estime qu’avant
ces insulaires
peu ce nombre meme aura double.
Nous rangerons maintenant sous les chefs des
cipales,
ce
qui
quatre stations prin-
nous reste a dire sur l’etat actuel de cette admirable
mission.
8
Lire: Arioi de la confrerie du meme nom.
31
(Sitf/c/vi dc fa Jodele- de>s Stadcs 0.cea/ue/i/ics
lies de George
9
Les lies de George sont souvent confondues sons une meme dinomination avec celles de la Societe; mais il est plus exact de les en distin-
guer.
—
Les quatre principals de ces lies sont Otahiti, Eimeo, Tetaroa
10
Tapuamanu".
et
Otahiti
Nous marquerons a cote du nom de chaque missionnaire Fannie de
sa
premiere arrivie.
lie de 39 lieues de tour, nommie la Reine de l’Ocian Pacilique, diet presentant l’aspect d’un verger continu dans
visie en deux
presqu’iles
un
printemps perpetuel.
Henri Bicknel (1796), W.P. Crook (1796), Samuel Tessier (1800),
Charles Wilson (1800), Robert Bourne (1816), Missionnaires.
Les Missionnaires font chaque Dimanche deux services en Anglais et
deux en Tahitien. Outre ces offices les Missionnaires et les naturels se rasdu Disemblent
pour la priere au lever du soleil. Le soir
separement
manche est consacre a l’instruction des enfans. Tous les Lundis au soir,
aux
on tient des conferences ou les Otahitiens proposent des questions
Missionnaires. L’on tient encore des assemblies de priere tous les Mercredis au soir dans les districts d'Eimeo et d’Otahiti. Le premier Lundi de
chaque mois ainsi que cela se pratique aujourd’hui dans tous les pays
evangeliques, on se rassemble pour demander a Dieu 1’avancement de
missions.
son regne en tous lieux, et plus particulierement le succes des
12
Dans les assemblies des naturels les Ratiras et quelques-uns des anciens
Cette appellation pretait a confusion. II est vroi que Wallis ovait nomme file Tahiti«lie du roi George III»
atolls des Tuamotu Takaroa et Takapoto,
en I'honneur du roi d'Angleterre mais c'est aussi le nom donne aux
Tasmanie.
Sud
et
en
du
Shetland
du
roi
on trouve aussi des«ties
George»aux
9
10
Lire: Tetiaroa
11
Lire pour cette Tie rattachee d la commune de Moorea: Tapuai-manu ou Tapuaemanu qui signifie joliment
d'oiseau».
«empreinte d'oiseau»ou Mai'ao denomination actuelle qui signifie«serre
12
Lire: ra'atira, dasse de la societe tahitienne, entre les ari'i au sommet et les manahune a la base.
32
N°321 Janvier / Avril 2011
-
pretres dirigent les exercices religieux et commencent tour a tour les
prieres. Les prieres domestiques sont generalement usitees.
Ce fut en Juin 1817 que la premiere imprimerie fut etablie a Eimeo;
(car on avoit jusque la fait imprimer a la Nouvelle-Galles tous les Abecedaires, les Catechismes et les fragmens de la Bible qu’on avoit repandus.)
Le Roi Pomare a voulu composer lui-meme les premieres pages qui en sont
sorties. On a d’abord traduit et distribue que l’Evangile de Luc, avec quelques
parties detachees de l’Ancien Testament et des Actes des Apotres. Mais on
avance maintenant dans la traduction de l’Ancien et du Nouveau Testament.
«Ils comprennent l’Evangile de Luc, ecrit M. Crook, beaucoup mieux
que ne le fait le commun des Chretiens dans notre pays; et si vous leur
parlez de quelque sujet qui s’y trouve traite, ils savent aussitot vous en
indiquer la place et vous expliquer avec beaucoup de justesse le sens
de ce passage. Le gout de la lecture y devient de plus en plus general,
(ecrit encore M. Milne de Malacca). La premiere edition de TEvangile
de Luc s’est promptement ecoulee (a trois gallons d’huile de coco
l’exemplaire. On estime que dix jours sufflroient pour epuiser une edition de 10 000 exemplaires, etc.
»
L’un des spectacles les plus interessans qu’offre a Otahiti cette grande
revolution, c’est sans contredit l’etabbssement, parmi les naturels euxmemes, d’une Societe auxibaire de missions. C’est le Roi qui la preside.
«
Une Societe vient de se former ici a Tahiti, ecrivoit-il lui-meme dans
sa lettre a Mr.
Haweis. Nous 1’avons formee en Mai 1818. Nous re-
cueillons de l’huile de noix de coco, des pores, du bois de fleches et
du coton, pour servir a propager la Parole de Dieu. Notre affaire est de
vous envoyer dans votre lieu tout ce que nous avons recueilli: voila
notre affaire, a present.
verneurs.
Les Chefs de Tahiti en ont ete nommes Gou-
Nous avons aussi un Secretaire et un Tresorier. Quand elle
procedera dans le meme ordre que la votre alors tout ira bien.
Ce Prince, pour faire oubber tous les temples des idoles et pour pou»
voir rassembler en un meme beu les hommes de son peuple, a fait elever
a
Papoa, dans le district de Pare
sur
13
13
,
un immense edibce de 712
pieds de long
54 de large. Toute la magnibcence de Tarclbtecture Otahitienne a ete
Actuellement dans la commune d'Arue
33
bulletin (le la Society de& &tade& Gceanictuies
deployee dans la construction de ce temple qu’on a nomme Chapelle
Royale des Missions. L’on y a eleve 3 chaires, placees a une assez grande
distance les unes des autres, pour que 3 missionnaires puissent precher
temps sans que l’assemblee en soit troublee.
Le mois de Mai 1819 sera sans doute celebre a jamais dans Tahiti par
en meme
les importantes ceremonies qui viennent d’avoir lieu dans la Chapelle
savoir, l’inauguration meme de ce grand edifice, la celebration
Royale,
du premier anniversaire de la Societe des missions, la premiere promulgation des lois, et enfin le bapteme du Roi Pomare. Toutes les lettres que
les missionnaires ecrivent a cette occasion, respirent une sainte joie, et la
plus profonde admiration des voies du Seigneur.
Le jour de l’inauguration fut une fete nationale. Chacun s’etoit revetu
de ses plus beaux habits. Le Roi portoit un vetement blanc, et une natte
tressee lui couvroit les epaules. II etoit d’ailleurs chamarre d’ornemens
de belles etoffes
rouges et jaunes. La reine et ses dames s’etoient parees
indigenes; et rien ne troubla l’ordre ni la joie de cette solennite.
Le lendemain de ce grand jour, Ton celebra le premier anniversaire
de la Societe des missions; et Pomare profita de cette reunion extraordinaire de tout son peuple, pour lui proposer un code de lois qu’on avoit
Tous les chefs d’Otahiti,
prepare et qu’on a fonde sur la Parole de Dieu.
d’Eimeo et des lies voisines y adhererent d’une meme voix ; et le peuple
tout entier (au nombre de plus de 6000 hommes) les accepta de meme,
au milieu
des plus vives acclamations.
—
Cette grande assemblee finit
chants
religieux.
par une priere, une exhortation et des
Enfin, le Dimanche 16 Mai, une ceremonie bien plus solennelle ensujets de Pomare dans la chapelle royale, c’etoit le
Les missionnaires s’etoient suffisamment asbapteme de ce prince.
sures de la sincerite de sa profession chretienne; et lui-meme temoignoit
core rassembla les
—
depuis longtemps un vif desir de recevoir le sacrement du bapteme.
Eimeo
Cette ile a deux des meilleurs havres de tout l’Ocean.
William Henry (1796), James Hayward (1800), David Darling (1816),
George Platt (1816), Missionnaires John Gyles (1817), Cultivateur.
-
34
N°321 Janvier/Avril 2011
-
M. Hayward, parti de cette lie au commencement de l’annee der-
niere est arrive a Portsmouth le 27 Novembre, non seulement afin de re-
tablir une sante que de longs travaux ont fort compromise, mais surtout
afin de consulter avec les Directeurs sur les meilleures mesures a pren-
dre pour la conduite de la mission. L’on a decide qu’on y enverroit un
Surintendant, et qu’on entretiendroit d’ailleurs un agent a Port-Jackson.
M. Threlked (d’Huaheine) ecrivoit sur les habitans d’Emeo, peu de
jours apres y avoir debarque: II y a dans leur maniere d’etre quelque
chose de tres frappant: rien de rude ; rien d’indecent; rien d’impertinent; et cependant quelque chose de male et de prononce.
On parle beaucoup de leurs dons naturels. Ils disoient aux missionnaires qu’avant leur arrivee, les hommes d’Eimeo etoient aveugles De
Trois Yeux, des deux yeux du corps et de l’ceil de l’entendement; c’est-adire qu’ils ne savoient ni bre ni comprendre.
M. Darling, dans une lettre du 23 Septembre 1818 parle de
l’empressement des indigenes a demander les Ecritures. L’Evangile
de St Luc sortoit a peine de la presse qu’ils s’en emparoient avec une
incroyable avidite, sans attendre que nous l’eussions relie. Eux-memes
«
»
«
le reboient ensuite tres proprement avec des peaux de belier, en imitant le travail qu’ils nous avoient vu faire. »
Le 26 Mai 1818, les missionnaires assisterent a la dedicace d’une
vaste chapelle, qu’on a construite sur l’emplacement ou la Societe dite Ar-
reoy pratiquoit nagueres ses rites abominables. C’est la qu’apres avoir
traite des affaires publiques, on faisoit ruisseler le sang des victimes
humaines.
Quelques autres lies
Les deux autres Ties de George, Tetaroa et Tapuamanu
11
,
sont sous
les soins des missionnaires d’Otahiti et d’Eimeo. En 1817, la premiere de
ces Ties avoit
14
deja trois temples.
Tetiaroa et Tapuai-manu ouTapuoemanu
35
(bulletin de /a docietv des Studes 0ceani\
L’lle Pitcairine 15 habitee comme on le salt par les descendans d’un
equipage Anglais revolte contre son Capitaine vient aussi d’attirer Fatten,
tion de la Societe de Londres. Les Directeurs ont adresse dernierement au
vieux John Adams une lettre affectueuse avec un secours d’abecedaires,
de hturgies et de Bibles. On espere meme pouvoir bientot y envoyer un
Missionnaire.
Les lies Paumotu dont la ferocite et les coutumes abominables
etoient passees en proverbe viennent egalement d’abjurer le paganisme,
et
professent aujourd’hui la religion chretienne. Ces lies, situees a 30
beues a l’Est d’Otahiti etant bvrees aux horreurs d’une guerre civile, un
grand nombre des habitans vinrent aux lies de George pour y chercher un
asile et participerent a la revolution qui venoit de s’operer dans les sentimens rebgieux des Otahitiens. A leur retour dans leurs foyers plusieurs
d’entr’eux et surtout Mourea, jeune homme tres pieux qui savoit bre le Ta-
hitien, s’efforcerent de communiquer a leurs compatriotes la connois-
grands que tous les districts ont
abjure le paganisme, a Fexception cependant de celui ou Mourea est ne.
D’aibeurs, on rapporte que trois Ratiras (ou chefs de province) Otahitiens tous les trois distingues par leur piete, travaibent a se construire
de larges pirogues pour aber proclamer la bonne nouvebe dans quelques
sance du vrai Dieu. Leurs succes ont ete si
lies voisines.
Huaheine
Cette lie possede deux excebens ports
John Davies (1800), Henri Nott (1796), Charles Barf (1816), Wbbam Ellis (1816), J.-M. Orsmond (1816), Missionnaires.
A Huaheine, la version des 4 Evangiles, cebe des Actes et cebe des
Psaumes sont enfin terminees. La premiere edition de FEvangbe de Luc
etant epuisee, FEvangbe de Matthieu doit etre sous presse. Celui de St.
Jean et les Actes seront imprimes a Tahiti. L’on a pubbe d’aibeurs un recueil de cantiques en langue tahitienne.
15
Pitcairn une tie haute oil se refugia Fletcher Christian et les mutins de la Bounty-e st situee sous le tropique
du Capricorne au Sud-est de I'archipel des Gambier, a mi-distance entre Tahiti et Rapa Nui.
36
N°321 Janvier/Avril 2011
-
«
Si nous avions ici 50 Missionnaires ecrit Mr. Orsmond, nous avons
assez de
temples pour les occuper tous. Les naturels des lies voisines
Envoyez-nous des hommes qui
nous tendent les mains et nous crient:
nous instruisent...»
Raiatea
Lancelot-Ed. Threlkeld (1816) John Wiliams (1816), Missionnaires.
Les habitans de cette lie, jaloux de montrer aussi leur foi par leurs
organise de leur propre mouvement une Societe de Missions.
Deux mille insulaires, nagueres idolatres, chantant d’une meme voix les
louanges de Jesus-Christ, presentoient aux Missionnaires un spectacle delicieux. Monsieur Orsmond ouvrit la seance par un petit discours, dans
lequel il rappela les horribles assemblies qui se tenoient autrefois sous
I’influence des faux Dieux. Apres lui, Tapa, le plus puissant des Chefs de
cette ile, et l’un de ses Chretiens les plus zeles, prononqa lui-meme un disoeuvres ont
cours d’une veritable
«
eloquence.
N’oubliez pas, s’ecrioit -il, ce que nous faisions autrefois en faveur de
nos idoles. Instruisez done aussi d’autres
que vous
peuples; offrez avec joie ce
possedez ; mais souvenez-vous en meme temps que nombre
de ceux qui travaillerent a l’arche de Noe n’y furent point admis et perirent par le deluge. Prenez done bien garde a vous-memes, de peur
que vous aussi vous ne mouriez dans vos peches, apres avoir fait porter la bonne nouvelle du salut a des lies lointaines. »
Trois autres Chefs parlerent encore dans le meme sens avec beaucoup de chaleur.
Cependant, les Missionnaires ont souvent a deplorer dans cette ile les
funestes effets du passage des Europeens et des Americains.
Les trois autres ties de la Societe, Taha
encore sous
16
,
Borabora et Marua 17 sont
l’inspection des Missionnaires d’Huaheine et de Raiatea.
16
lire Taho'o
17
lire Maupiti, qui designe de nos jours I'oncienne Mouruo
37
Voyage en Oceanie dans le temps missionnaire
COMPTE-RENDUS DE MISSIONS
aijx Iles Cook et a Rurutu 18
«
Le rapport annuel et l’avant dernier numero du journal de la Societe
des Missions de Londres contiennent des nouvelles d’un si grand inte-
ret, que nous nous rejouissons d’avoir a les faire connoitre. Quoi de
plus etonnant, en effet, que d’entendre annoncer tout a coup la conversion de plusieurs iles sauvages a l’Evangile ! Et tel est pourtant l’eclatant succes qu’ont obtenu les travaux de cette societe. Pour
comprendre
la relation suivante, il importe de se souvenir qu’une deputation choisie dans son sein, avait ete chargee de visiter les iles de l’Ocean Paci-
flque ou la societe a fonde des stations; c’est de cette deputation qu’il
est parle et c’est a elle que s’adressent les missionnaires. De plus il faut
savoir qu’en 1821, M. Williams (missionnaire a Rajatea l’une des iles
de la societe) visitant pour sa sante la colonie situee au Sud de la Nou19
velle-Galles, avait, en passant, laisse dans Pile d’Aitutake deux insti-
indigenes avec des exemplaires d’Evangiles en langue
Tahitienne, et une provision de livres elementaires dans le meme
idiome. Deux autres instituteurs de Borabora furent de meme places
tuteurs
18
Extrait du retueil Archives du Christianisme au dix neuvieme siecle, septieme annee
-
a Paris au Bureau
des
Archives du Christianisme, chez H. Servier, libraire, rue de I'Oratoire n°6 Imprimerie de J. Smith, rue Mont-
1824 pages 569 a 573.
Note de la SEO:« Archives du Christianisme»fut fonde en 1818 par des Protestants de France. Destine aux
morency n°l6
-
-
membres de leur eglise ce recueil periodique servait de lien entre les Protestants de tous pays et rendait
compte des progres du Christianisme dans toutes les parties du monde.
19
Lire Aitutaki, atoll de I'archipel des Cook, a cent cinquante milles dans le nord de I'ile Rarotonga
N°321
-
Janvier/Avril 2011
dans une autre de ces lies peu connues. Deux ans s’etant ecoules sans
qu’on en eut regu de nouvelles, MM. Williams et Bourne resolurent de
les visiter en s’embarquant sur le brick 1 ’Endeavour appartenant aux
chefs des lies Leeward20 Ils partirent le 4 juillet 1823, prenant avec
eux six instituteurs natifs de
Rajatea et membres de cette eglise et de
.
celle de Tahaa avec leurs femmes, et arriverent le 9 du meme mois. »
Lettre de MM. Bourne et Williams, missionnaires, datee de
Rajatea,
11 aout1823.
Chers freres, Nous venons vous informer de notre retour et du sin-
gulier succes de nos travaux. Le groupe d’iles que nous avons visite est des
plus importans ; il comprend huit lies, dont quelques-unes sont habitees
et quatre surtout tres-peuplees. Trois ne sont nominees sur aucune carte,
et c’est providentiellement que nous y avons ete conduits.
Quelques-unes
n’avaient jamais vu de vaisseau et les autres n’en avaient point apercu de-
puis le passage du capitaine Cook
21
.
Nous avons etabb des instituteurs dans quatre d’entre elles et avons
le dessein d’y en envoyer encore, cinq ou, six, des qu’un batiment y retournera.
Reception de l’Evangile dans l’ile de Aitutake.
Le premier cri qui vint frapper nos oreilles et dont nous fumes salues
a Aitutake, fut:
Cela va bien a Aitutake, Aitutake a embrasse la bonne parole de Dieu; la parole de Dieu a jete de profondes racines a Aitutake; les
morals sont tous detruits, la varua ino est brulee. C’etaient de pareilles
choses qui se faisaient entendre de chaque canot a notre passage. Comme
nous avions de la peine a les croire, les naturels montraient leurs chapeaux sur leurs tetes, (signes de leur civibsation), pour nous convaincre
de la verite de ce qu’ils disaient, et agitaient leurs bvres en l’air. D’autres
nous suppbaient de les laisser monter sur le vaisseau : nous y admimes
«
»
20
Lire iles-sous-le-vent.
21
Note explicative de MM Bourne et Williams:«Ce groupe d'iles que nous designons sous le nom d'Tles Hor-
vey, le seul que presente lo carte, est situe ou sud-est des lies de lo Societe, entre le 19° et le 22° degre de
lalit. sud, et les 158° et 160 degres de longit. o.»
39
;
Q&uHetui <tc la Societe, Jcx Stades 0ce<uu<
le chef et un homme qui avait ete des premiers a recevoir l’Evangile, et
voici l’information que nous en resumes:
.que tous les morais de File avaient ete consumes et detruits, que
toutes les idoles qui restent etaient entre les mains des instituteurs, que
«
..
la profession du christianisme etait universeUe et sans une seule exception, qu’on a eleve un vaste batiment platre, pour servir de chapelle,
et qu’on n’attendait que notre arrivee pour en faire l’ouverture. »
Ces nouvelles nous frapperent d’etonnement.
Les instituteurs (indigenes) sont tous deux en bonne sante, et entierement appliques a leur oeuvre. Ils nous confirmerent tout ce qui nous
avait ete dit, ajoutant de plus, que le jour du Seigneur etait observe par
tous comme un jour saint; que tous
frequentaient le service, et que les
prieres de famille s’etabhssaient dans toutes les habitations.
Nous limes l’ouverture de leur grande chapelle en y etabhssant deux
predicateurs de plus, Paumoana et Maraitai avec leurs families; nous nous
limes donner toutes les idoles, et emmenames avec nous le jeune roi et sa
femme, avec le grand-pere du roi et sa femme ; aussi bien que Papeiha
l’un des premiers instituteurs, afin d’avoir plus de moyens de converser
avec le peuple des autres lies que nous avions l’intention de visiter.
22
Mangeea ou comme l’appellent les naturels Ahuahu etait la plus
proche; quoique nous ne puissions pas vous rejouir en vous annongant
un egal succes dans ce beu, nous croyons cependant que la relation de
,
notre visite, doit etre pour tous nos amis
l’objet d’un vif interet.
L’Evangile embrasse dans les lies de Maute et de Mitiaro
23
.
De Mangeea, nous funes voile pour Atoui. Nous trouvames deux
hommes que le frere Orsmond y avait laisses trois ou quatre mois
22
Lire Mongaio Tie la plus meridionale de I'archipel des Cook appelee oussi A'ua'u qu'on pourroit traduire por
tie surelevee, entossee, en roison de lo configuration particuliere de cette Tie comportont un noyau dur basaltique central entoure d'une couronne haute de makatea (corail fossilise) qui n'est pas sans rappeler I'ile Ma-
katea de Polynesie Francaise.
Lire Mauke et Mitiaro ties de meme configuration geologique que Mangaia situees d environ cent cinquante
23
milles dans le Nord-Est de Rarotonga.
40
N°321 Janvier/Avril 2011
-
auparavant, et qui etaient dans un etat digne de pitie. Tout leur avait ete
vole, et pour nous servir de leurs propres expressions, ils vivaient la
comme des pourceaux sans un morceau d’etoffe
ni nuit. Ils nous dirent que les
pour se couvrir ni jour
gens de ce pays etaient tres pervers et qu’au-
cun ne voulait les ecouter. Ils etaient fort
abattus; nous les encourageames
et subvinmes a leurs besoins aussi bien
que nous pumes. Nous sommes
obliges de renvoyer a notre journal pour le detail des succes qui nous attendaient a Atoui et dans les deux lies adjacentes qui sont sous T autorite
du meme roi. Nous avions un grand desir qu’il vint avec nous a Borabora,
mais il s’y refusa. Nous le primes pour deux ou trois jours sur mer; c’est
la qu’en lui prechant, en priant et conversant avec lui, nous le determi-
christianisme, a detruire tous ses moral's 24 et a elever une chapelle pour en faire Touverture
pendant que votre deputation
names a embrasser le
,
etait encore presente. Nous Tassurames que vous en seriez bien rejouis.
Nous gagnames sur lui de le faire venir avec nous a Maute et a Mitiaro et
d’y faire valoir son autorite pour etablir Haavi et Tauaa dans ces deux lies.
Il y consentit et son influence fut inappreciable; $’a ete le moyen de procurer
l’accomplissement de tous nos vceux ; il etait venu sur notre vais-
qu’un pauvre idolatre superstitieux, il y a ete conduit
a embrasser la parole de verite, a user de son influence
pour abolir le
seau n’etant encore
culte des idoles dans deux lies et a son retour, dans la sienne propre, il
etait fermement decide a en faire de meme.
Moyens pris pour introduire l’Evangile dans Tile de Rarotonga.
De la nous limes voile pour Rarotonga, lie superbe. Les habitans en
sont tres-nombreux. Nos gens employes dans cette tie, y avaient ete traites de la meme maniere que ceux de Mangeea, c’est pourquoi nous ne
voulions pas les y laisser. Mais Papehia, celui des instituteurs que nous
avions pris avec nous depuis Aitutake, se fit un plaisir d’y rester lui-meme,
jusqu’a ce qu’on put lui en amener un ou deux autres pour l’aider. Il eut
bientot un nombre suffisant de croyans pour commencer avec eux; nous
primes deux hommes et quatre femmes d’Aitutake, appartenant a Rarotonga, d’entre lesquels Tun est un chef qui a beaucoup d’influence et qui
21
Lire marae, lieu de priere et secrificiel d'avant le Contact.
41
m bulletin de la Joa'e/e des Etudes Qcea/iie/mes
avec tous les autres,
promit de demeurer ferme et fidele a la profession
qu’il avait faite quelque temps auparavant a Aitntake. Ne pouvant laisser
la d’instituteurs maries, nous fumes tres-joyeux d’avoir Papehia avec nous,
puisqu’il avait fait preuve de ce qu’il etait a Aitutake. Notre visite dans
cette lie est done loin d’etre sans interet, le Seigneur y agit de la maniere
la plus propre a y etablir sa gloire. Nous avons fait mention de vous partout ou nous avons ete, et Ton y anticipe avec un vif sentiment de plaisir,
le moment de votre presence. Nous avons la pleine esperance que dans
chacune de ces trois lies, on elevera bientot un temple et nous leur avons
donne lieu de s’attendre a ce que vous assistiez a l’ouverture de ce service. A Aitutake, nous comptons vous rejouir par la nouvelle du bapteme
des premiers chretiens de ce lieu. Nous avons tache de gagner les chefs
de chacune des lies que nous avons visites, mais nous n’avons encore
reussi qu’a Aitutake.
Nous en avons en notre possession toutes les idoles, et elles sont en
grande quantite. Si vous desirez de les prendre avec vous aux Indes, nous
ne les enverrons pas en Angleterre par le capitaine Charleton. Si vous
pouviez les voir et faire, a leur sujet, des questions a Tamatoa pour en recevoir des informations, avant qu’il retourne dans son pays, cela ajouterait beaucoup a l’interet du journal pour nos differens amis en Europe.
Lettre de MM. Tkrelkeld et Williams, datee de Rajatea, le 20 novem-
bre 1823
Chers Freres En Christ,
Le narre suivant d’une visite faite a Rurutu, et Rimatara, quoique
court, vous interessera parce qu’il montre que l’Evangile de Christ, semblable au levain de la parabole de notre Seigneur, repand insensiblement
sa sainte influence dans toutes les lies de l’Ocean pacifique ; et le seul
achemoyen humain, je le repete, qui semble aujourd’hui necessaire pour
d’une
ver de renverser partout le regne de Satan, e’est d’aller simplement
lie a une autre ! Les instituteurs sont prets, ils desirent d’aller en avant;
toutes les lies qui ont entendu quelque chose de l’Evangile et de ses ef-
fets, demandent l’instruction et Dieu lui-meme se montre favorable a nos
travaux, qu’il benit, comme vous l’attestera le dernier rapport qu’on vous
42
N°321 Janvier/Avril 2011
-
envoie; en y ajoutant, que nous nous hatons d’augmenter les sujets de joie
de ceux qui, avec nous, se rejouissent de la
du
de
prosperite
regne
Christ,
en tant que liee aux travaux des missionnaires.
Visite de M. Williams dans 1’ile de Rurutu
«
Le 10 octobre, je quittai Raiatea dans le dessein de visiter notre sta-
tion a Rurutu, et celle qui est en connexion avec
l’eglise de M. Orsjours, nous
mond a Borabora. Apres un voyage ennuyeux de six
arrivames a Rurutu et fumes heureux d’y trouver nos instituteurs et
leurs femmes en bonne sante. Nous recumes un accueil vraiment cor-
dial des habitans de cette belle ile. C’etait un vendredi,
une assemblee de tous les
jour oil ils ont
baptises et ils etaient tous reunis dans leur
jolie chapelle. Je desirai que Mahamene conduisit le service selon sa
coutume et sans faire attention a moi;
j’eus une grande jouissance. II
commenga par lire un hymne que la congregation chanta avec beaucoup d’expression. Apres la lecture de la priere, il prit son livre de
textes et lut le suivant:« C’est
pourquoi nous devons prendre garde de
plus pres aux choses que nous avons entendues, de peur de les laisser
ecouler. Et son discours, quoique peu regulier allait droit au but, et
fut prononce avec sentiment et energie. Apres l’avoir acheve, il dit:« Si
quelqu’un d’autre a encore une parole d’exhortation, qu’il la donne.»
Alors trois des naturels parlerent successivement, chacun d’eux citant
plusieurs passages de l’Ecriture sainte dans le courant de son discours.
Le premier prit pour le fonds de ce qu’il avait a dire, cette idee:« Nous
»
sommes tous des enfans de lumiere et non des tenebres » : et exhorta
la-dessus tous les autres a marcher comme des enfans de lumiere. Le
second parla de la priere, et invita tous ses freres a prier ce Dieu qui
avait deja exauce leurs prieres en envoyant ses serviteurs au miheu
d’eux. Le troisieme fit la comparaison de l’etat heureux ou ils se trouvent presentement avec celui ou ils etaient autrefois; mais en meme
temps, il les avertit de ne pas se contenter d’etre des chretiens de nom.
Leurs observations etaient justes et appropriees au sujet et exposees
avec une
chaleur dont je ne croyais pas que les Rurutuans fussent
doues.
A la suite de tout cela, je leur fis moi-meme un petit discours pour leur
exprimer la joie que je ressentais d’assister a leur assemblee, pour
louer leur zele et les exhorter a perseverer dans toutes sortes de bonnes
paroles et de bonnes oeuvres, et je terminai par la priere.
43
IQ&ttf/elin t/c /a Societe dcs Stoc/cs Ocea/ii
Le jour suivant, je visitai l’etablissement. II y avait plusieurs maisons
platrees et encore plus de maisons auxquelles on travaillait; mais j’appris avec chagrin qu’il y avait eu une maladie, funeste dont quarante
huit personnes avaient ete victimes, et entre autres le jeune Roi, dont
la mort etait devenue un sujet de division. Ne laissant qu’un fils en bas
age ; un parti des chefs a voulu mettre la regence entre les mains
d’Auura, tandis que la plus grande partie du peuple a choisi pour cela
le propre oncle du dernier roi. Auura et son parti se sont, la-dessus, determines a quitter l’etablissement et a en former un nouveau sur le cote
oppose de Pile ; ils en avaient jete les fondemens sept ou huit mois
avant mon arrivee. Guna, Pun de nos instituteurs, s’est joint a eux; Ma-
hamene est demeure dans l’ancien chef-lieu.
J’ai pense qu’il etait mieux de ne pas tenter de les reunir, comme d’ailleurs mon sejour dans File n’etait pas d’assez longue duree pour prendre suffisamment connaissance de l’etat des choses parmi eux et pour
esperer par consequent de bien reussir. Ils ont exprime le desir de rester comme ils se trouvaient maintenant; c’est pourquoi je leur ai montre les avantages qui pourraient resulter de leur separation actuelle,
s’ils avaient soin d’entretenir reciproquement en bon etat leurs stations, et de s’encourager a l’envi a faire des progres en toutes choses;
c’est a quoi P emulation qui commence a se faire sentir entre eux contri-
buera puissamment.
Ils ont forme une Societe de missions qui, pour produit de ses premieres souscriptions, a rassemble deja 900 bambous d’huile.
Le dimanche suivant, j’administrai pour la premiere fois la sainte communion a Rurutu ; les naturels etaient au nombre de seize commu-
nians, dont Fexperience individuelle etait satisfaisante aussi bien que
leurs reponses aux questions que je leur proposal. Puna et Mahamene
prirent tous deux, part a la celebration de ce service sacre; l’apres-midi
je leur prechai sur Hebr. XI, 11: Efforgons-nous done d’entrer, etc., et
apres le service, tous les habitans de Pile se trouvant la reunis, je jugeai
l’occasion favorable pour leur parler contre la desunion ; je leur observai que, quoiqu’il y eut deja trois stations distinctes, ils ne devaient
pourtant tous se considerer que comme une seule societe, reunie sous
un seul chef, et ayant part a un meme salut.
»
44
Ancres, poids de peche
ou ex-voto de tortue ?
Un nouveau type d’objet
lithique ancien
recueilli en milieu marin a Ua Pou
(lies Marquises)
I) La collection de M. Mate Bruneau
Lundi 4 janvier 2010, a Hakahau nous avons visite tous deux Steeve
Mansang au domicile du sculpteur Mate Bruneau, la collection d’ancres
ou de poids de peche que celui-ci a constitute au cours des annees
2000;
les photographies qui illustrent cet article sont de Steeve. Mate n’est pas
un collectionneur impenitent mais recueille volontiers
pour les preserver
Mate Bruneau et J-L Candelot
Q&u/letin de t'a Jociete des &tude& Ocean
de l’oubli et les mettre a l’abri les diverses pieces d’outillage lithique qu’il
lui ai’rive de trouver au hasard. II possede ainsi quelques objets rares tels
coquillage cassis et deux disques de pierre
apparentables a ceux du jeu hawaiien ‘ulu ma’ika (qui ont fait 1’objet
d’une etude precedente).
Certaines pieces sont facilement identifiables (plombees de leurre a
poulpe, sonde) et sont assez communes, par contre une serie d’objets
comme ayant pu servir
que nous avions definis en premiere approche
une herminette dree d’un
-
d’ancres
-
a retenu notre attention car les formes
presentent un type
homogene meme si les pieces varient par leurs dimensions et leur
masse. II s’agit d’objets lithiques trouves en milieu marin qui portent des
traces epaisses de concretions marines et qui pour la plupart ont ete reassez
cueillis dans la mer dans les parties nord et nord-est de l’ile (baies de Ha1
Aneou, Hakamoui) soit dans des anses, soit a faible distance
kanahi,
(15 a 30 m) du plader formant trottoir au bas des falaises. Nous propoLests-tortue ».
sons, fonction de 1’etude qui suit, de denommer ces objets:«
,
1
NB: Le tsunami du 1“ avril 1946 a fortement concerne les baies de Hakanahi, Aneou, Hakahau
et Hakamoui
les fonds marins.
(ou des temoins ont vu la mer se retirer tres loin du rivage) et a probablement du perturber
46
N°321 Janvier/Avril 2011
-
Piece n° 1
:
Trouvee
a
Aneou. Cet objet qui a l’aspect
d’une gourde plate est le plus volumineux de la collection et nous
nous sommes attardes a le
de-
tailler. Il s’agit d’une piece obte-
dans une lame de roche
nue
phonolitique (la pierre
«
tinte»
presente
grain fin) dont la masse est de 13,2 kg. Vue de
face la forme presente un quasi axe de symetrie vertical dont la Iongueur est de 43 cm; la largeur maximale mesuree au tiers inferieur de cet
au marteau et
un
2
,
axe est de 25 cm ;
l’etranglement du col a une largeur de 8 cm ; la tete
du tenon qui parait en partie cassee a une largeur de 10 cm avec une
echancrure en V ouvert. Vu de cote une face presente une allure convexe
tandis que 1’autre apparait plutot plate, l’epaisseur maxi est d’environ 12
Malgre les concretions marines, on constate que l’ensemble de l’objet a ete fagonne par taille et piquetage pour lui donner sa forme, particulierement la base qui suit un demi-cercle quasi parfait; par contre une
grande partie de la face plate parait avoir ete volontairement conservee a
l’etat brut d’origine.
cm.
2
Nous considerons orbitrairement que la vue de face est telle qui presente une partie plane.
47
bulletin da fa Society cfe& &tacfc<s Ocea/i
Terminologie descriptive d’un «lest-tortue
»
de File Ua Pou
Tete
Piece n° 1
48
-
Collection Mate Bruneau
N°321 Janvier / Avril 2011
-
Piece n° 2 : Trouvee a Hakanahi, ainsi
forme generale
se
que les pieces 3 et 5. La
de
la
n°
1. La piece d’une masse de
rapproche
piece
3,5 kg a ete fagonnee par taille et piquetage dans une lame de
dont les dimensions maxi sont de 16 x 25 cm
allure convexe, 1’autre une partie
phonolite
; une face presente une
plane. La base presente un arrondi
presente un tenon au col etrangle et
moins parfait que la piece n° 1, la tete
la tete du tenon a une nette echancrure en V.
Piece n° 3 : Trouvee a Hakanahi. La forme
rait de la piece n° 1 si ce n’est
generale se rapproche-
que la base parait en partie avoir ete bri-
qu’il y a une forte difference au niveau du tenon qui a un col assez
presente trois epanouissements. La piece d’une masse
de 4,3 kg a ete fagonnee par taille et
piquetage dans une lame de phonosee et
long et dont la tete
lite dont les dimensions restantes maxi sont de 16 x 19
sente une allure bombee, l’autre une
cm; une face pre-
partie plane. A l’origine les
dimensions de cette piece devaient etre intermediaries entre celles des
pieces 1 et 3.
Piece N°1
Piece N°3, foce plane
Detail du tenon
Piece n° 4 : Trouvee a Hakanahi sur la terre ferme parmi des
pierres
provenant d’un gisement destine a des travaux routiers: elle ne porte
aucune trace de concretions marines et s’il
y a une esquisse de tete de
tenon et col, les deux faces sont restees
planes; la longueur est de 29 cm.
II s’agit vraisemblablement d’une ebauche abandonnee car la
intacte
partie
restante n’aurait pu permettre de realiser une piece
correspondant au
modele des pieces 1-2-3. Ebauche ratee ou exercice d’entrainement a
l’usage d’apprentis ? Cette ebauche nous livre cependant le message que
49
les « lests-tortue » ont ete fagonnes sur les lieux memes et ne sont pas
d’importation ; il serait interessant que de futures prospections puissent
determiner si des ateliers de taille de ces objets auraient existe jadis dans
cette baie dont les structures archeologiques sont encore a ce jour gran-
dement inconnues.
Face plane restee brute
Face plane portant des traces
de piquetage
Protil indiquant le parollelisme
des fates
Piece n° 5 : Trouvee a Hakanahi. Il s’agit d’une piece obtenue dans
trachyte-phonolitique (teinte verdatre) dont la masse est de
4,7 kg. Bien qu’assez symetrique, la forme generate differe fortement de
une lame de
celle des pieces 1-2-3 en cela que le tenon se raccorde au corps de la piece
de l’objet se trouve
par deux forts epaulements qui font que la largeur maxi
1/3 superieur de l’axe. Vu de face, la longueur est de 25 cm ; la largeur
maximale mesuree au tiers superieur de l’axe de symetrie est de 22 cm ; le
col du tenon a une largeur de 5 cm; la tete du tenon large de 6 cm est asyau
metrique (ou endommagee) et presente quelques bossages qui l’apparentent un peu a la tete de l’objet n° 3
.
Vu de cote une face est nettement
plutot plate. On constate que le tenon
a regu un travail particulier au niveau du col pour qu’il soit davantage en
prolongement de la face plate que de la face bombee; par ailleurs le tenon
convexe tandis que l’autre apparait
se raccorde a la face dorsale par une sorte d’echine bien marquee lors du
fagonnage. L’etude detaillee de cette piece ainsi que l’avis de pecheurs nous
une repreportent a y voir, outre son possible role d’ancrage ou de lest,
sentation de tortue stylisee. Nous y reviendrons plus loin.
50
N°321 Janvier/Avril 2011
-
Face plane
Face bombee
Detail du tenon
Piece A : Trouvee a Hakamoui. Il s’agit d’un objet tres different des
pieces 1-2-3-4-5, en effet bien qu’il ait sejoume dans la mer et porte a sa
partie superieure une gorge circulate bien marquee permettant d’y fixer
une corde
ce qui laisse penser a une fonction de
son
plombee
et
ses
dimensions
inferieures
x
aspect general
(11,5 23 cm) l’eloignent
des pieces precedentes. La piece a ete fagonnee dans un bloc de basalte
d’allure parallelepipedique et la partie superieure qui ferait fonction de
—
—
tenon est bizarrement excentree par
«tenon » et certains details
rapport a l’axe longitudinal. Ce
(esquisse de bras et genoux ?) nous font pen-
ser a une ebauche de tiki double a tetes
asymetriques. Karl von den Stei-
3
a signale qu’a Fatuiva et Hiva Oa ce
genre de lest-tiki etait specifique
des filets destines a la capture des tortues.
nen
A gauche: Tiki double de Stockolm 1884;
d droite tele de lest provenant d'Atuona.
Von Steinen, fig 70 Tome II.
3
Steinen, Les Morquisiens et leur art, Tome II, p. 90.
51
I
^bulletin dc /a Joa'e/e des Qtadcs Ocean
Piece B cole dos
Piece B cote face
Piece C
Piece C : Trouvee a Hakamoui parmi les galets de plage. Matiere :
trachyte-phonolitique avec peu de concretions marines. Les faces sont
parallels et bien qu’il y ait la presence d’une sorte de tenon lisse, nous
pensons que cette forme est due a un hasard de l’erosion marine.
II) La collection de M. Herve Bruneau
Mardi 12 janvier 2010, j’ai, sur la suggestion de son cousin Mate,
visite a son domicile M. Herve Bruneau pour y etudier la collection d’an-
poids de peche qu’il a constitute ces dernieres annees; les
photographies qui illustrent cette partie de l’article sont de l’auteur. Herve
n’est pas un collectionneur forcene d’objets anciens et e’est au hasard
d’une partie de peche sous-marine avec d’autres plongeurs dans la baie
de Hakamoui qu’il y ont decouvert, a assez faible profondeur dans la mer
et non loin de la cote, un important gisement d’objets lithiques ayant l’allure d’ancres plates. Craignant qu’un pillage s’ensuive une fois la nouvelle connue dans 1’ile, il a decide de recuperer les pieces les plus
accessibles pour les abriter a son domicile. Selon ses dires, ce qu’il a remais
cupere n’est qu’une petite partie d’un ensemble assez disperse
cres et de
concentre a une trentaine de metres d’une petite anse de la cote ou la
profondeur moyenne est de 5 a 6m mais il y a aussi apergu d’autres pieces
4
De ce qu’il
a des profondeurs qui ne lui sont pas accessibles (-12 m)
a constate de visu, ces objets etaient soit isoles, soit groupes par deux ou
.
4
Nb: Par beau temps, depuis une emborcalion certains objets seraient discernables sur le fond.
52
N°321 Janvier/Avril 2011
-
trois. La collection rassemble des pieces sensiblement de meme masse et
gabarit car c’etaient cedes transportables sous l’eau ; Herve signale que
des pieces plus massives existent aussi mais qu’il n’a pas tente de s’en
occuper. Sa collection est done indicative mais non representative de Tensemble du gisement, toutefois elle apporte plusieurs complements a celle
de son cousin Mate. Ede comporte en tout 33 pieces; a l’origine leur
nombre etait plus important mais depuis, plusieurs lui ont ete subtidsees
a
domiede, notamment un important temoin archeologique dont la prel’hypothese que nous avons etabde en
sence in-situ sous la mer conforte
etudiant la codection de Mate Bruneau : que ces lests avaient a voir avec
des representations de tortue.
4 pieces Hekanahi
29 pieces Hakamoui
Fonction du temps dbre d’Herve, nous n’avons pu detaider autant
que souhaite sa codection, toutefois nous avons pu nous attarder sur
quelques pieces remarquables. La plupart proviennent de la baie d’Hakamoui (29), d’autres de la baie d’Hakanahi (4) et toutes ont ete recueillies en plongee. Les pieces provenant d’Hakamoui comprennent
quelques objets qui different des lests-tortue et sont des plombees
d’appats d’un modele connu a travers l’archipel. Une distinction est evidente au niveau de la matiere : les lests-tortue ont tous ete fagonnes
a partir de lames phonodtiques; les plombees, edes, ont ete taidees a
partir de roches agglomerees en pudding et presentent les surfaces rugueuses ou alveolaires permettant d’y faire adherer les appats.
«
«
»
»
53
i
Q&it//eiin de /a Societe dc& Stude& Ocea/i
Les pieces provenant d’Hakanahi.
Elies sont toutes presque entierement enrobees dans une couche
epaisse de concretions marines, ce qui a priori attesterait d’un plus long
sejour en mer que les objets provenant d’Hakamoui.
29 pieces Hakamoui
Piece la : Elle pourrait s’apparenter a la piece 1 de Mate Bruneau si ce
n’est qu’elle aurait ete parfaitement coupee en deux sur une longueur de
40 cm, la largeur maxi est de 19 cm au tiers inferieur et la base s’arrondit selon un quart de cercle. La tete du tenon presente une echancrure en
V elargi.
Piece lb : Sa forme parait un peu aberrante par son retrecissement, ce-
pendant la base est arrondie et la tete du tenon a une echancrure en V.
Longueur 38 cm.
Piece lc : La base parait avoir ete brisee anciennement et par sa forme
generate on pourrait l’apparenter a la piece 3 de Mate, si ce n’est le tenon.
Piece Id : Bien que plus petite, elle est fort comparable a la piece 5 de
Mate en cela que le tenon se raccorde au corps de la piece par deux forts
epaulements qui font que la largeur maxi de l’objet se trouve au 1/3 superieur de l’axe. La face convexe ou dos presente un bombement bien
marque mais le tenon est droit et n’a pas de tete bien differenciee.
54
N°321 Janvier/Avril 2011
-
Les pieces
provenant d’Hakamoui
Vu leur nombre et faute de
cune et nous ne decrivons
commune est que les
temps nous n’avons pu les detailler chales
que
plus remarquables. Leur
pieces« plates
»
caracteristique
pho-
ont ete fagonnees dans de la
nolite et que si elles ont toutes un tenon, les formes des tetes varient du
tenon droit et lisse au tenon a
bossage avec echancrure en V ouvert. La
collection comprend aussi quelques plombees de
a
en boule.
peche
Piece 2 A :
.
La forme de la tete du tenon se
piece n° 1 de Mate (qui a ete trouvee dans la bale
corps
rapprocherait de la
d’Aneou) mais les deux
epaulements du col, ainsi que la base, rappellent la piece n° 5 de Mate
(trouvee a Hakanahi). La piece a ete fagonnee par taille et piquetage dans
une lame de
trachyte-phonolite verte dont les dimensions maxi sont de 25
x 32
cm ; une face
presente une allure bombee, l’autre est presque entie-
rement plane.
55
(bulletin de la Jociete des S/ades Oceanieeuies
Piece 2 B : Elle differe des autres en ceci qu’elle parart avoir regu
surface; une face est fort convexe, l’autre
plane ; par ailleurs le col du tenon est creuse d’une large gorge circulate
dont le raccordement a la tete et l’aspect de celle-ci evoquent le gland d’un
elle
penis. Cette comparaison n’a rien de grivoise mais est plausible car
participe de la logique de representations sexuees parmi l’art des anciens
Marquisiens (voir les tetes de pilons).
un travail de finition sur toute la
Piece 2 C : Bien qu’une face soit en partie plate et 1’autre bombee
cette piece differe fortement des autres car la forte proeminence de la tete
du tenon, l’elongation du col et la dissymetrie de la base font qu’elle presente une allure phallique.
Piece 2B
Piece 2D
Piece 2 C
Pieces 2C et 2B C
Piece 2 D : Une face fort bombee, une face plane. Dimensions: 18 x
23 cm. C’est la plus etrange piece des deux collections puisqu’elle possede deux tenons droits (les tetes n’ont pas d’epanouissements lateraux)
56
N°321 Janvier/Avril 2011
-
bien differencies et fort ecartes en prolongement de la face plane. Nous
ne voyons pas de veritable
justification utilitaire a la realisation de ces deux
tenons qui, bien que permettant d’y amarrer tres efficacement une corde,
nous
paraissent relever d’avantage d’une intention esthetique ou esote-
rique : figuration de tortue a deux tetes ou evocation de dieu marin a deux
tetes comme les tiki-lest ?
Ill) Premier bilan
Nous remercions tres sincerement les deux inventeurs des sites, MM.
Mate et Herve Bruneau, qui nous ont permis d’etudier leurs collections et
d’apprehender ainsi la richesse probable et l’originalite des depots
lithiques en milieu marin pour File de Ua Pou. Nous soulignons que si
ces personnes n’avaient pas eu la confiance de nous aviser de leurs decou-
vertes, celles-ci resteraient pour longtemps encore inconnues alors
qu’elles peuvent contribuer a eclairer les traditions marines du passe.
En tout 41 pieces ont ete observees dont 35 possedent les caracte-
ristiques communes suivantes malgre des dimensions differentes:
Matiere
Forme
-
-
Face dorsale
-
Face ventrale
-
Tenon
Tete du tenon
-
-
Lames de phonolite ou trachyte-phonolitique.
Plus ou moins en forme de gourde plate.
Travaillee pour la rendre convexe, de foiblement a bombee.
Partiellement travaillee pour laisser une partie plane brute.
Bien developpe et souvent travaille dans le prolongement de la face ventrale.
Diverses variantes mais le modele d echancrure en V elargi domine.
Nous pensons que cette convergence de caracteristiques est suffisante
pour indiquer que ces objets qui ont l’apparence de lestssont specifiques
a 1’ile Ua Pou, maintenant a quel usage etaient-ils destines puisque certains paraissent avoir ete en partie volontairement brises ?
Ill) Argumentaire et discussion
Les collections de poids de peche au musee de Tahiti et des lies
L’inventaire des collections du musee qu’Anne Lavondes, premiere
directrice, a etabli en 1976 indique divers poids de peche ( Tove’e) d’origine Ua Pou qui paraissent avoir ete recueillis sur la terre ferme. En tout
57
bulletin dc /a Joc/ete- des Stetdcs Oc<ca/uesi/ics
17, qui se repartissent en plombees de leurre a poulpe
«
en
grain de
cafe »; plombs de sonde avec ou sans gorge en cone, piriforme, ovoi'de ou
spheroi'de... Selon leurs photos ou descriptions aucun ne correspond au
modele que nous etudions, par contre une piece provenant de Nuku Hiva
s’en rapprocherait selon sa description mais non sa matiere :
N° 1450 2) Poids de peche
3) Ke’a tuku honu (Suggs) 4) Nuku Hiva
6) Lave perforee 7) Deux faces planes, circulaire ; cote et base
convexes. Au sommet, une
protuberance importante, a section ovale,
separee du corps de l’objet par une gorge circulaire. 8) Haut.: 15,8
cm; larg: 12,6 cm; ep.: 8,2cm. 9) Designe par Suggs comme «leurre
a toitue ».
D'usages multiples, mais peu connus.
Selon Anne Lavondes:
«
Souvent negliges a cause de leur aspect peu elabore, les poids de
peche sont encore assez mal connus sous leurs formes archeologiques
et ethnologiques .../... La meme incertitude .../... subsiste sur la
fonction exacte de la plupart des poids de peche et on en est reduit a
des conjectures».
Aussi ne pouvons nous que supputer car dans 1’ile de Ua Pou il
n’existe aucune tradition orale a leur sujet mais il nous parait probable,
comme nous allons le developper plus loin, qu’ils aient eu une relation
avec les tortues, que ce soit pour leur
peche ou des rites cultuels.
Fonction d’ancre ? En premiere approche nous avions considere
les pieces 1 -2 -3 de Mate comme pouvant etre des ancres de pirogues, la
piece n° 1 pouvant remplir cet office mais ne correspondant
guere qu’au maintien d’une petite embarcation. Que penser alors des
pieces n° 2 (3,5 kg) et n° 3 (4,3 kg) de masse beaucoup plus reduite ?
Toutefois, l’aspect en «lame large» de ces trois pieces nous incitait a penser que plus que la masse, c’est la forme qui assurait la fonction. En effet,
une ancre en pierre de forme spherique a tendance sous l’effet des tracmasse de la
tions saccadees de sa corde d’arrimage a rouler et a se deplacer sur le
fond marin en fonction de la houle. Sur un fond sablonneux (comme c’est
le cas des baies de Hakanahi et Aneou) une ancre plate presente une plus
grande resistance au deplacement par un effet d’adherence ; ceci n’est
qu’une hypothese mais qui donne une explication au fait que ces ancres
58
N°321 Janvier/Avril 2011
-
aient une de leurs faces qui ait ete conservee en
grande partie plate. Main-
tenant, s’agit-il vraiment d’ancres d’embarcations ?
Fonction de lest ? Quel autre besoin maritime
un ancrage elabore ? A
pouvait necessiter
cela, une reponse : les grands filets de peche col-
lectifs tiea. En effet, ceux-ci, s’ils partent du bord de mer, ont besoin d’etre
solidement ancres par le fond a leur extremite et lestes en
ayant selon leur
longueur des ancrages intermediaires. La masse de ces
«
lests » aurait pu etre fonctionnelle tout en contribuant
tude de tortue a la charge magique ou mam
qu’etait
«
ancres » ou
par leur simili-
cense detenir le
filet;
soumise a diverses restrictions ou tabous, la peche des tortues etait a tra-
l’archipel une operation sacralisee qui necessitait de longs preparatifs,
journal de Porter5 a Nuku Hiva en 1813 :
vers tout
nous citons un extrait du
«I have seen Gattanewa with all this sons, and many others
sitting for
hours togheteher clapping their hands and singing before a number of
wooden little gods laid out in small house erected for the occasions,
and ornamented with strips of clothsI inquired the cause of
this ceremony of Gattanewa and he told me he was going to catch tortoise for the gods, and that he should have to pray to them several
days
and nights for success, during wich time he should be tabooed and dare
not entred a house frequented by women ».
Steinen 6 a Hiva Oa en 1897 precise:
,
,
«
Tiki doubles et lests de filet.
Les petites statues de pierre ont une relation tres speciale, pour ainsi
dire genetique, avec un ustensile tres important, le lest de filet, et en
particulier avec ceux qui etaient employes pour la peche a la tortue. La
tortue etait justement une nourriture hautement prisee, permise seulement aux pretres et aux chefs (vivants ou morts), et elle etait (de fagon
comprehensible) entouree de diverses ceremonies pour assurer, par
l’aide divine, une bonne peche, et une protection contre les requins
pour les plongeurs et il indique selon les sources dont il disposait a
»
son epoque: « A ma connaissance, les filets ne sont pas du tout
repre-
sentes dans les collections et les lests de filet sont rares. La litterature
5
6
Porter, p. 119
Steinen, Tome II, p. 89
59
bulletin i/c !a Jociete c/es litiidcA Qxxaniennc
est extremement insuffisante en ce qui concerne
l’impressionnant
domaine de connaissances de la peche polynesienne, avec ses engins,
ses methodes, ses coutumes ; c’est particulierement le cas aux Mar-
quises ».
s’il ne s’agissait que d’ancres et de lests a usage fonctionnel, on ne
devrait les trouver que disperses au hasard selon les accidents de peche
mais c’est loin d’etre le cas dans la baie de Hakamoui puisqu’il s’agit,
selon les plongeurs, d’un gisement de plusieurs centaines d’objets de
toutes dimensions qui sont repartis a differentes profondeurs dans une
plus lourds etant les plus au fond. L’interet a l’archeologie sous-marine en Polynesie est relativement recent mais a travers
le GRAN elle a permis d’attirer l’attention sur l’existence de gisements
sous-marins d’objets lithiques, le premier reconnu en 2003 dans une
Oa (Marpasse de Moorea (lies de la Societe), l’autre en 2006 a Hiva
zone assez restreinte, les
7
quises) dont l’abondance des pieces ne semble pas en rapport avec une
activite de peche ordinaire ou un chavirage de fret. Une hypothese de
depot cultuel sous forme d’ex-voto a ete emise et c’est celle-ci qui nous
parait la mieux adaptee pour tenter d’expliquer le gisement sous-marin de
Hakamoui 8
.
Fonction de leurre ou d’ex-voto ? « L’important temoin archeo-
logique derobe a domicile chez Herve etait une grosse... tortue en
corail qu’il avait decouverte en explorant le gisement de Hakamoui; il
avait d’ailleurs cru etre en presence d’une veritable tortue en train de giter
»
dans la mer car elle etait posee sur le ventre dans un creux de roche
sablonneux en forme de bassin dont il parait probable qu’elle y avait ete
volontairement placee. Ainsi s’eclaire peut-etre l’abondance du gisement
de «lests-tortue » dans les parages: soit les ex-voto d’un culte marin
dedie aux tortues, soit un simulacre de nurserie destine a attirer des tortues vagabondes (voir plus haut la definition du lest de Nuku Hiva par
1
GRAN: Groupe de recherche en orcheologie navale.
8
M. Pierre Kaiha nous n signale qu'un outre gisement sous-marin ourait ete decouvert par un touriste protilo plongee en bouteilles, au sud de file et d proximite de I'ilot Motu Oa, mais d grande profondeur.
quant
60
N°321 Janvier /Avril 2011
-
Suggs) ; peut-etre un peu des deux a la fois... Le Cdt Henri Jouan 9 indique
en
1857:
prelude a la premiere peche par le jeune et on a soin de jeter
a la mer une
image en pierre du dieu qui doit attirer les poissons, les
«...
on
tortues etc... »
Nous rappelons qu’aux temps anciens tout etait sacralise aux Mar-
quises : environnement, activates et objets et nous pouvons evoquer ici le
role des tiki-poissons 10 Ceux-ci, tailles dans la
pierre a l’image presque
.
grandeur nature de l’une ou l’autre espece de
mana par un rituel
poisson, etaient charges de
approprie puis disposes en des lieux precis dans les
montagnes dominant les baies ou dans la mer parfois, la ou Ton esperait
attirer le poisson de la meme espece. Toumes dans un
sens, les bancs de
poisson etaient attires; dans F autre, ils s’enfuyaient. Ainsi, en 1956 dans
File Fatuiva, F. Maziere signale qu’en montagne :
«
en
un gros bloc
(de pierre) d’environ 1,3 m de circonference est pose
oriente
equilibre,
plein ouest, il est sculpte en forme de tortue de
mer. Autrefois les pretres venaient
deplacer la pierre dans la direction
qui allait etre favorable a la peche ».
Les representations animalieres dans l’art marquisien sont
rantes et ce genre d’objet continue de susciter la convoitise.
peu cou-
Toujours est-
il que cette piece ayant ete attentivement observee par Herve, celui-ci a
ete en mesure d’en donner une
description assez precise, ainsi qu’un cro-
quis sommaire. D’abord une certitude de la matiere : un bloc de corail
globalement faqonne en forme de tortue. Il y avait une face plane, une face
fortement bombee imitant la carapace, un cou galbe, une tete arrondie en
proeminence du cou ; la longueur etait de l’ordre d’une soixantaine de
centimetres et la masse a ete estimee entre 25 -30 kg, d’ailleurs les plongeurs ont du utiliser l’aide d’une chambre a air de pneumatique pour Fextraire et le deplacer sous l’eau.
9
Jouan, p.64-65
Maziere, p.57.
10
61
^bulletin da la Societe de& &tude& 0cea/ucsme&
IV) Perspectives de recherches.
Diverses moutures preliminaires de cet article ont ete transmises
avis a des personnes ou services techniques censes s’investir a la
pour
connaissance du patrimoine polynesien ; a ce jour ou nous pensons qu’il
est temps que cet article soit diffuse, une seule personne nous aura
repondu : il s’agit de Madame Lavondes qui, bien que retraitee, nous a fait
la faveur d’un courrier prolixe fort documents et bien etaye ou son investissement desinteresse nous est un honneur. Comme elle nous a autorises
reprendre ses considerations, nous les ajoutons aux notres et il semble
qu’une des pistes qui se degage merite reflexion : celle autrefois d’un
Pile Ua
apport cultuel pa’umotu parmi la culture enema ancienne de
Pou. Nous ne pouvons nous appesantir sur ce sujet qui nous menerait bien
au dela d’un article qui se veut etre une simple divulgation de nouvelles
connaissances, toutefois, pour poser quelques balises il nous faut citer les
a
faits que:
Bien qu’a travers la Polynesie ancienne la peche et la consommation
des tortues aient jadis fait 1’objet de rituels sacralises, e’est aux Tuamotu
avec
que ceux-ci paraissent avoir acquis les plus grands developpements
11
sites
des
des ceremoniels complexes de veneration sur
appropries
.
11
EMORY Kenneth: Tuamotuan religious structures and ceremonies.
62
N°321
-
Janvier /Avril 2011
Le Pr Suggs a mis en evidence la relation forte entre un site ceremo-
niel de File Ua Pou ( ?nea’e Te Menaha Takao’a) aux
marae des Tuamotu 12
Marquises et divers
.
La vallee de Hakamoui ou se trouve le site du mea’e Te Menaha
Takao’a correspond a la baie ou se trouve le gisement le plus important
de lests-tortue.
V) Conclusion.
II a existe autrefois dans 1’ile Ua Pou une
«
production lithique de
» d’un
de
dont
le
choix
de la roche utilisee,
poids peche
type particulier
qui est une phonolite specifique de File, n’est pas anodin. Ces poids de
peche qui ont ete trouves in situ sous la mer, et en nombre suffisant pour
que l’on puisse parler de gisement, ont des caracteristiques qui signent
leur origine et nous les avons denommes lests-tortue en fonction de
leurs relations probables avec la peche ou le culte de cet animal. L’existence de gisements archeologiques sous-marins est de decouverte relativement recente en Polynesie Frangaise et ceux de Ua Pou ne font que
confirmer l’interet qu’ils presentent pour de nouvelles voies de recherche.
Il serait interessant de pouvoir verifier si ces«lest-tortue ont ete diffuses
depuis Ua Pou a travel’s l’archipel, voire en dehors de celui-ci, ce qui
pourrait signer la trace de relations inter-iles anciennes; nous esperons
que la piste des relations avec les Thamotu se voie consideree.
«
»
»
Ua Pou, le 24/01/2010
J-L Candelot
12
SUGGS Robert: te mea'e Te Menaha Takao'a, temoin d'une culture pa'umotu aux ties Marquises.
63
m bulletin d& la Society d&s &tude& Qcea/iien/ie&
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64
BSE0 n°
et des lies
Vahine Tauaroa photographiee
par Andre Ropiteau le 16 juillet 1934,
lors de ('inauguration de la stele Loti dans la Fautaua.
Cliche extrait de la revue L'illustration du 1 8 aoOt 1934. Fonds Beslu
Pierre, Andre et Vahine
Les plaques commemoratives relatant des faits ou des evenements du
Tahiti moderne,
0
decouvert » au XVIII par les Occidentaux, subissent
souvent la violence des hommes, quand ce ne sont pas les outrages du
«
temps. Ou tout simplement elles disparaissent, comme si l’evenement pouvait etre annule parce que le signe qui le rend visible, s’evapore du pay-
sage. II en fut successivement ainsi pour la plaque rappelant l’arrivee du
navigateur Bougainville a Hitiaa, pour celle concemant le sejour du peintre Matisse sur la fagade de l’hotel Stuart le long du front de mer, de la stele
commemorant l’arrivee des premiers Chinois sur le port de Papeete...
Et meme a Omoa dans la lointaine de marquisienne de Fatuiva, la plaque
1
bulletin de la Society dcx Stades Ocean
commemorative de l’arrivee des Espagnols dans cette lie, qu’ils avaient
rebaptisee
«
Santa Magdalena », s’est recemment eclipsee.
Dernier avatar de cette histoire polynesienne cahotante, celui qui
concerne la statue de Pierre
Loti, erigee a 1’initiative d’Andre Ropiteau
dans ce quartier excentre de la capitale, qui a perdu depuis longtemps son
charme (exotique et colonial s’entend !). Cette statue fut brisee et jetee
dans la Fautaua, la riviere des amours perdus, un soir de novembre 2009'.
Quelles que soient les« bonnes» raisons de vouloir faire disparaitre
les traces visibles d’une histoire conflictuelle (comme le sont la grande
histoire des pays et la petite, celle des hommes) voire polemique (quand
on ne se Test pas
appropriee collectivement), la realite, meme si elle fait
mal, survivra aux escamoteurs d’objets de memoire.
En realite, le patrimoine polynesien concerne autant les marae,
certes, un temps brise par les neophytes chretiens, que d’autres traces du
passe, comme ces plaques commemoratives, l’architecture coloniale, la
statuaire, etc.
Pierre et Andre
Pour en revenir a 1’indefendable deboulonnage de la statue de l’ecri-
vain Pierre Loti, j’ai pense qu’il fallait depasser la question circonstancielle
de 1’acte lui-meme, depasser egalement la polemique autour de l’ecrivain,
de son epoque (coloniale) et de l’ideologie portee par le roman « Le
mariage de Loti », en reintroduisant une dimension humaine, affective et
2
polynesienne dans l’affaire. On connart le nom de Pierre Loti on connart
3
encore un peu celui d’Andre Ropiteau ; j’ai done souhaite qu’apparaisse,
,
1
Voir dons le BSEO n°318 de janvier 2010, les reactions 6 la destruction du buste de Pierre Loti, page 94 d 120.
2
Voir le bulletin de la SE0 n° 285/86/87 d'ovril d septembre 2000, entierement consacre d Pierre Loti, d son
romon, a I'opera«L'lle du reve»et au monument de la Fautauo.
Andre Ropiteou (1904-1940), vigneron d Meursault (maison fondee en 1848) et amoureux de Maupiti; ego-
3
lement photogrophe et collectionneur. II a publie dons le BSEO, entre 1929 et 1938, plusieurs articles concernant
les legendes, les marae, Maupiti ou Pierre Loti. Lire d'Andre Ropiteau«Mon tie Maupiti», extraits de carnets
intimes, illustres par Jacques Boullaire, reedition le Motu, 1992; de Patrick O'Reilly:«Portrait d'Andre Ropiteau»(1940), devenu «Vignes, voyages, vahines»ou le bonheur d Maupiti (1950). Et la vie romancee d'Andre Ropiteau par Paul Mousset,«Mourir en homme »Kia mote too, editions Grasset, Paris 1949.
66
N°321 Janvier / Avril 2011
-
que vive et qu’on decouvre la jeune femme appuyee a la stame de Pierre
Loti, posant pour la photo, le jour de l’inauguration le 16 juillet 1934.
Cette femme, originaire de Pile de Maupiti, s’appelle Vahine Tauaroa,
elle fut la compagne d’Andre Ropiteau (de 1934 a 1940) et la mere de
leur fils, Paul Ropiteau 4 (ne en 1937). C’est done sur cette ile, que j’ai pu,
janvier 2011, grace a son petit-fils Hiro Ropiteau 5 et a son epouse
Christiane, rencontrer chez elle cette femme agee de 94 ans et evoquer
6
avec elle une histoire personnelle, vieille de
plus de soixante dix ans histoire qui redonne vie a la statue de Loti...
en
,
Nous sommes installes dans sa maison situee au centre de Vaiea, le
village de Pile ; son fare coquet domine legerement le lagon emeraude de
Maupiti que clot dans le lointain le recif barriere et le mom Tiapa’a. Toute
la famille presente, composee de quatre generations, s’assied autour de
Vahine ; elle pose sa main sur le genou de Christine ma compagne, et se
prete avec plaisir au jeu de se raconter.
Vahine Tauaroa 7
«
Ce n’est pas moi sur le monument de Pierre Loti. II (Ropiteau) a
choisi, pour representer Rarahu, une Lille de Mataiea, une belle tahitienne connue, mariee avec un Popa’a. J’etais presente a la fete, a
[’inauguration du monument, Andre m’a prise en photo (cliche p.65).
Je suis nee a Maupiti, A l’epoque, on travaillait la terre, les plantations,
le manioc le coprah, sinon il y avait de la famine. J’ai decide d’envoyer
notre amidon jusqu’a Tahiti. Le prix etait meilieur. Quand on se reveillait
le matin pour aller a l’ecole, il n’y avait rien dans le garde-manger, rien
ou un peu de uru de la veille. C’etait normal a ce moment-la.
comme ca notre vie. On etait pauvre. Il y a des
C’etait
jours ou on ne mangeait
1
Paul Ropiteau fut gendarme et maire de Maupiti durant deux mandatures.
5
Ne en I960, fils de Paul, commandant de bord b Nui.
6
J'aurais aime que la femme, sculptee sur le piedestal de la statue, fut Vahine Tauaroa. Malheureusement,
n'etant pas encore d I'epoque du projet de statue, entree dans la vie d'Andre Ropiteau, ce n'est pas elle qui a
servi de modele au graveur pour representer Rarahu, la compagne litteraire de Harry Grant alias Loti.
1
Vahine Tauaroa nee b Maupiti le 27 juillet 1916
67
j
Siid/etin de /a Jociete- de/i Qtadex Ocean/enties
des
pas avant d’aller a Tecole. On montait au cocotier et on mangeait
le
encore
route.
On
ne
de
la
le
des
plantait pas
long
goyaves
mangues,
cafe, c’est venu plus tard. Ce sont les gens des Tliamotu qui ont commence aussi a cultiver la pasteque sur les motu. On amenait la terre de
Me sur le motu. On cherchait des coquillages pour les vendre. Notre
maitre, il etait seul avec quatre vingt dix eleves en quatre divisions. L’Administrateur etait venu un jour a Maupiti et m’avait choisie pour aller a
Tahiti apprendre a faire Tecole pour aider le maitre. Finalement c’est
plus agee que moi qui a ete choisie.
Je n’ai jamais danse dans un groupe de danse, ma mere nous disait que
ce n’etait pas bien, maintenant les temps changent. Ma voix n’etait pas
jolie non plus pour chanter au temple. J’ai un peu joue de la guitare.
J’ai vecu longtemps a Tahiti, je suis partie pour amener les enfants a
Tecole. J’avais un grand terrain a Tahiti avec une grande maison. J’ai
ecrit a la famille vends tout, les cochons, je reste a Tahiti». Les enfants
etaient a Tecole des Freres, on habitait a cote. Je travaillais, je faisais le
menage chez un Chinois. Un jour j’ai eu envie de retoumer, je ne sais
plus pourquoi. J’ai loue un bateau des Tuamotu, j’ai mis toutes mes
8
affaires et je suis rentree. Comme la passe etait agitee on a tout sorti
par la fausse passe, tout, le frigidaire, les affaires.
Ma vie avec Ropiteau. Ma rencontre... oui... tout le temps on jouait
9
sur la route a pere et c’est la, il se promenait souvent sur la route, il
faisait des photos partout; souvent il passe par la, je ne faisais pas attention. Une fois ma grande soeur est venue avec une lettre pour me
demander s’il peut me voir. J’ai pas repondu. Une deuxieme lettre, une
ma cousine de quatre ans
«
,
troisieme lettre. J’ai commence a me toumer la tete! Et comment je vais
faire ? Il habitait de l’autre cote du village. La population savait que le
monsieur me cherchait. Ce que j’ai fait, j’ai fait le tour de Tile par Tautre cote! Il m’a demande si je veux rester la avec lui. J’avais dix huit ans.
Je ne peux pas. Il m’a dit de revenir le voir le lendemain. Il donnait
beaucoup a boire a mon pere du vin de ses vignes, mon papa aimait
bien boire. Je suis partie, j’ai fait le grand tour, la j’ai retrouve ma mere
qui pleurait, elle n’etait pas contente, elle voulait me taper, c’est mon
8
La passe de Maupiti est reputee pour etre dangereuse par vent fort. Claude Ener (Rene Charnay) raconte le
naufrage de«la Manuia»dans son recit«Maupiti (Arthaud 1969, reedite aux Editions du Pacifique 1995).
Jouer aux billes, au ballon, a la marelle...
9
68
*
N°321 Janvier /Avril 2011
-
pere qu’a pas voulu qu’elle me tape. On est tous rentres a la maison.
Apres, ma mere n’est plus venue me chercher, elle a compris!
Plus tard il a envoye de France du linge et une petite machine a coudre et
la j’ai fait mes robes. Il a connu d’autres femmes avant moi. Il partait...
revenait. Quand il revenait, elles etaient parties vivre avec un autre
homme. Je suis la quatrieme. Quand il est arrive le premier moment,
j’etais une enfant tres belle, brune. Quand il est parti il m’a dit« va avec
tes copains, mais ne reste pas ensemble 10 ». C’est comme ga que j’ai fait.
Quand Paul est ne, il n’etait pas la, il etait en France. Il ne voulait pas
m’epouser, il part quelque part, il revient. Quand il est arrive, il n’aimait
pas tellement entendre pleurer les enfants. Je ne sais pas s’il etait fier
d’avoir un enfant tahitien. Il me disait toujours de faire attention pour
ne pas avoir un enfant. Et moi j’ai fait de travers, c’est parce
que j’ai
envie d’avoir un enfant. Et flnalement j’ai eu l’enfant!
Il avait un petit bateau a voile et on voyageait tous les deux beaucoup, a
Tahiti, a Rapa. On laissait Paul a la famille. On partait parfois trois mois.
Un jour on etait la chez mon pere, on avait fini de manger a midi et on
regardait les gens dehors et lui, Ropiteau, il voyait un arbre qui etait
plante comme 5 a, un tiare Moorea. Il m’a dit« regarde, regarde! Et
cet arbre, il sautait et il a compris tout de suite qu’est-ce que ga veut
dire. Il m’a dit: c’est pas une bonne nouvelle ». Quand le bateau
arrive, il va recevoir une lettre, on va le convoquer, on lui demande de
rentrer pour faire la guerre.
Cette fois-ci je pars et ne reviendrai plus.
»
«
«
La guerre va eclater et moi je vais mourir dans cette guerre ».
J’avais vingt quatre ans.
11
Apres, j’ai regu une lettre du pere Patrick O’Reilly un grand ami a lui,
qui m’a ecrit que Ropiteau etait mort et m’a envoye un paquet de linge,
! J’ai
un pantalon et une veste pour Paul. On l’appelait aussi« Farani
Ma
mere
m’a
dit:
«il
falgarde tout le souvenir. J’ai beaucoup pleure.
,
»
lait choisir quelqu’un du pays ». Il est mort en traversant un champ, il
avait un pareu attache comme un garrot sur sa blessure. C’est comme
ga qu’on l’a reconnu. On l’a enterre.
Apres je suis restee avec un autre homme et j’ai eu trois lilies.
Traduction:«tu peux voir tes copains, mais ne le mets pas en menage avec Pun d'eux».
Celebre oceaniste francais (1900-1988) qui a herite de la bibliotheque d'Andre Ropiteau (environ 1500
volumes decouverts ou chines d travers le monde).
10
11
69
bulletin d& la Society des &tade& &cea/fie/me&
Ropiteau aimait bien Maupiti. II aimait les Tahitiens, il etait tres gentil
avec tout le monde. Il amenait toujours des barriquets de vin. C’est le
seul Europeen que les gens de ltle appreciaient. Il aimait bien voir le
pasteur et parler avec. Il est revenu six fois a Maupiti.
A Maupiti, il ecrit beaucoup. Un jour je me suis dit« qu’est-ce qu’il
ecrit ?». Je suis allee regarder dans le cahier. Il racontait son voyage et
puis il disait qu’il avait une femme et j’etais jalouse. Il avait aime une
femme de Moorea mais maintenant il ecrit qu’il etait avec une petite
qu’il aimait beaucoup. C’etait moi. Alors j’etais contente. Il ne m’a
jamais propose de partir en France avec lui.
Il a connu son fils, a presque un an. J’etais Here de mon gargon, il etait
beau, y a pas beaucoup d’enfants demis ici. Toute la famille venait le
voir dans son berceau! C’est seulement avec moi que Ropiteau a eu un
enfant. A l’ecole 5a allait... Il est entre a la caserne et la il a eu son travail
de gendarme.
Si mon fils s’appelle Ropiteau... ca c’est une grande histoire. On ne
peut pas donner le nom de la famille, c’est Patrick O’Reilly qui a tout
fait pour donner le nom. Il y avait son parrain qui etait instituteur a
Bora, Fichaux. Il a porte plainte. Il y a eu le jugement, j’ai dit:
«
je veux
simplement le nom et s’il a des biens dans le Pacifique oui, mais en
France, non A quoi 5a sert ? c’est loin. Qu’il porte le nom de famille,
».
c’est tout.
Plus tard je suis allee a Meursault
12
,
avec mon beau-frere
popa’a, on est
arrive a l’heure du repas, on avait honte. La femme a Jean
13
etait genee,
refaire
du
maa
a
le
tonton
dit
de
; ils sont
y avait pas assez a manger,
tres tres riches ces gens, ga se voit il y avait des chaises partout, et
toujours quand les parents disparaissent, les enfants se disputent pour l’heritage. On a ete dans les vignes. Jean, il est venu aussi nous
voir a Tahiti et est reparti.
Ma recette pour vivre longtemps ? Y’a beaucoup de gens qui me demandent. Pas d’alcool, pas de biere, nous on mange du poisson, du poisson
cru. Ici il n’y a plus beaucoup d’agriculteurs, on ne mange plus le bon
ma’a, on mange du riz, du pain, on achete le maa tahiti maintenant!
comme
n
13
Village de Bourgogne en Cote d'Or oil se trouvent les vignes et les chois de la fomille Ropiteou.
Le grand frere d'Andre, vigneron egalement.
70
N°321
-
Janvier/Avril 2011
A Maupiti, c’est mort, il ne se passe rien. A Tahiti, c’est comment la vie ?
£a change pas ? Papeete il y a toutes les races, les meilleures, les moins
bons. Je ne retoume plus a Tahiti avec mon age et mon fils est a cote de
moi ici. C’est flu quand c’est trop calme. Il faut que qa bouge un peu.
Dans le temps quand il n’y avait pas la television, les jeunes jouent a la
guitare sur la route le soir. Maintenant y a plus rien, tout le monde
devant la tele, comment ils s’amusent les jeunes ? qa change en mal.
La statue Pierre Loti de Tahiti, qa reste toujours ?... Aujourd’hui, on
fait plus attention. Il y a des gens nouveaux qui arrivent.
»
La conversation s’interrompt. Il est midi. Le dejeuner que Ton sentait
depuis longtemps, est pret. La famille entoure la matahiapo
unanimement respectee et dont la personnalite est toujours aussi forte.
Elle est heureuse du moment present et 1’exprime. Son fils Paul est place a
sa gauche, ses arrieres petites-filles a sa droite. Au cours du
repas, a la
demande de Hiro, elle recite, d’une memoire sans faille, la fable de La
Fontaine Le laboureur et ses enfants ». Elle nous fait comprendre que
le tresor de la vie, c’est bien le travail ». C’est sa morale, sa conviction. Le message qu’elle veut transmettre. D’Esope a La Fontaine, des ties
grecques jusqu’a Maupiti...
se preparer
«
«
Daniel Margueron
Vahine et Paul en 1938
Photo : Andre Ropiteau
Vahine et Paul en 201 1
Photo : Daniel Margueron
71
Elements pour une
autohistoire polynesienne
1
Du mauvais traitement
de la tradition orate
polynesienne en ethnologie
Avertissement:
Redige en 1989 sous le titre original De I’oral a I’ecrit. Les puta
tupuna de Rurutu par Alain Babadzan Essai de lecture symptomale,
-
le texte inedit qui suit a constitue le sujet d’une unite de formation
«
Anthropologie historique du Pacifique » preparee dans le cadre de l’obtention de mon diplome d’etudes approfondies (D.E.A.) en Prehistoire,
Ethnologie, Anthropologie delivre par l’universite de Paris I. Meme si cet
essai date aujourd’hui d’une vingtaine d’annees, il ne m'a pas paru utile
de le reactualiser, compte tenu du fait que l’etude d’A. Babadzan qui fait
ici l’objet de ma critique continue a etre consideree comme l’une des
contributions ethnologiques majeures a l’analyse des mythes, legendes et
traditions des societes polynesiennes, et partant de leur histoire. Moyennant seulement une revision
grammaticale et orthographique, il est done
livre en l’etat sans ajouts ni alterations.
1
Titre d'un ouvrage en preparation.
N°321 Janvier/Avril 2011
-
L’un des problemes auquel est confronte le
peuple polynesien est
celui de pouvoir faire reconnaitre et authentifier son histoire passee et presente. Les aristocrates d’hier et d’aujourd’hui, les conteurs de
mythes et
l’intelligentsia locale ou coloniale n’ont pas cesse, depuis l’arrivee des premiers Europeens, d’occulter en grande partie l’histoire du
peuple polynesien, sinon de la reduire a celle des popa’a et de la bourgeoisie
polynesienne. II n’est sans doute pas dans l’histoire coloniale de peuple
assujetti dont on connait le moins l’histoire et la culture. Et ce, malgre
l’abondante litterature qui figure sur le sujet. Deversoir de toutes les ideologies, cette bibliographic torrentielle s’illustre par le fait qu’elle ne dit pas
grand-chose sur le peuple polynesien. Chaque ouvrage est bien souvent
un conglomerat volumineux de
supputations, de futilites et de prejuges les
divers.
Pour
se
retrouver
dans
ce fatras, il faut plus que le
plus
courage
interesse d’un scientifique, il faut etre anime d’une volonte de renverser
l’ordre etabli, de lutter contre la repression des pseudos verites politiques,
de combattre enfin pour le retablissement de la verite historique.
Ce travail de redressement ne decoulera pas, ni d’une quelconque
intervention miracle, ni d’une soudaine prise de conscience de l’intelli-
gentsia, ni encore de l’accession du territoire de la Polynesie a l’independance. Il faut une revolution des idees accompagnee et mise en acte par
un immense travail de
decryptage et d’analyse des textes existants. Ce
labeur indispensable doit etre entrepris des maintenant et de faqon
consciencieuse. Chaque parcelle possible de la connaissance individuelle
et collective doit etre exploitee, chaque chemin emprante, chaque univers
explore sans complaisance et sans sectarisme. La realisation comme la diffusion de ce travail sont imperieuses. Il devra etre effectue a la hauteur et
selon les modalites de la volonte qui inspireront ses auteurs.
Cette introduction est courte et sommaire, elle n’est pas non plus aca-
demique. Elle fixe, en tout cas notre intention. Une intention qui se veut
dominee par la plus grande objectivite, meme si celle-ci risque de deranger.
Cette intention est simple dans Tenoned : «Contribuer a reecrire l’histoire
du peuple Polynesien depuis les temps les plus recules jusqu’a nos jours.»
73
(Ruf/etui de la Sociele des Slades &ceaniennes
Entreprendre une nouvelle approche de l’histoire polynesienne
requiert neanmoins d’enoncer certains principes methodologiques de
base. Cette definition indispensable d’un nouveau cadre d’analyse est inseparable de la critique circonstanciee de ce qui avait ete propose jusqu’a
present, de ce qui existait ou de ce qui n’existait pas.
L’une des premieres distinctions a faire avant d’aborder une quel-
conque lecture de l’histoire de la Polynesie, reside dans l’articulation histoire ecrite/histoire orale. C’est-a-dire dans le rapport autonome lie ou
separe entre les deux termes. Chacun d’entre eux merite un developpement particular, eu egard a leur specificite et a leur historicite dans le
temps et l’espace polynesiens.
Si l’idee couramment admise de l’anteriorite de l’oral sur l’ecrit
parait evidente, deux points ont ete neanmoins peu abordes par rapport
La contribution de chacune de ces formes de
au contexte polynesien :
narration et d’expression de la pensee et des evenements dans 1’histoire
Les mecanismes et les effets sur l’exactitude de cellede la Polynesie :
ci, de l’agencement et de la rencontre de l’ecrit et de l’oral. Cette articulation meritera, elle aussi, d’etre developpee.
-
-
De nombreux auteurs ont evoque les differences, les avantages et les
inconvenients de l’emploi de l’oral et de l’ecrit, en tant que forme de restitution des faits historiques. Mais peu y ont accorde une attention soutenue
des lors que Ton se place du point de vue de l’instrument de
conservation de la memoire ou du vehicule de la pensee signifiante et agissante. II a bien souvent ete fait peu de cas de la realite sociale et
historique
de l’oralite en tant que forme d’expression, de transmission et d’interpretation du patrimoine d’un peuple.
Il apparait, au contraire, que l’oral est une manifestation de l’incul-
peuple. L’ecrit serait la forme d’expression
de la pensee la plus elaboree et la plus sophistiquee qui soit. Elle serait
l’un des vecteurs
par la meme Pun des traits de la civilisation intelligente,
ture ou de la sous culture d’un
74
N°321 Janvier/Avril 2011
-
de l’objectivite et la plus sure garantie de la veracite des
L’adage
«
temoignages.
Les paroles s’envolent, mais les ecrits restent » illustre bien le
culte que les civilisations europeennes vouent aux ecritures, sources de la
certitude et du credible.
L’analyse la plus insidieuse produite sur ce sujet appartient a A.
Babadzan 2 Pourquoi s’attarder sur celui-ci ? Parce qu’il condense a la fois
.
les derniers acquis de l’ethnologie occidentale et un discours dont le
contenu se voudrait plus engage. Il fait
partie d’une nouvelle generation
d’ethnologues plus brillants, plus caustiques et helas !... plus positivistes.
Son article sur l’etat de la tradition orale a Rurutu (lies Australes) est un
modele du genre. Seduisant en tous points mais denue, en definitive, de
toute rigueur et de toute objectivity Le vice qui atteint son
analyse trouve
son origine dans un faux
postulat qu’il enonce d’entree :
«Une premiere constatation s’impose : la tradition orale, dans la definition canonique qui lui est habituellement reconnue, est en voie de dis-
parition dans cette He, qui passe pourtant
-
et a juste titre sans doute
-
pour l’une des communautes les mieux structurees socialement et les
plus traditionalistes de la Polynesie francaise.
A savoir que la figure et la fonction du «conteur» y ont deja disparu, et
qu’il n’y existe plus depuis ces demieres annees de personnage autorise qui puisse etre sollicite par la population ou les autorites pour trancher es-qualites sur tel ou tel point de la tradition (genealogies, partages
de terres, legendes, histoire locales, etc...)» (p. 223).
Voici ce qu’il faut lire :
«
«
La tradition orale
-
c’est-a-dire la tradition de l’existence d’un
conteur » pouvant trancher sur les genealogies, les partages de terres,
les legendes ou 1’histoire locale
-
a
disparu ou est en voie de disparition.»
2
«De I'oral 6I'ecrit: les puta tupuna de Rurutu ». Journal de la societe des oceanistes, Tome XXXV, n°65,
decembre 1979, pp. 223-234.
75
Pi bulletin/ da la Society des &tude& Gceanie/mes
Sans qu’il explicite « la definition canonique qui lui est habituellement reconnue », sous-entendue la definition canonique de la tradition
orale, l’auteur la reduit, neanmoins a un
«
conteur » dont la fonction
serait etendue a 1’ensemble de l’ile de Rurutu. La mise en place de ce
postulat errone se fait selon un principe dichotomique de
reduction/generalisation. D’une definition reduite a sa portion congrue, il
passe a la generalisation de la portee de cette demiere. Ce mauvais exercice est symptomatique de la tendance assuree des chercheurs de vouloir s’appuyer sur des definitions, afin de ne pas etre taxe d’empirisme.
Ces pseudos scientifiques ne se rendent pas compte a quel point ils pratiquent a la fois un mauvais empirisme et un lamentable rationalisme
scientifique.
Je reviendrai ulterieurement sur le contenu reel de cette definition
dont A. Babadzan ne donne pas l’origine et sur la portee reelle de la fonction du conteur a Rurutu. Ce qui est interessant pour le moment, c’est
de voir comment il va etayer et poursuivre sa demonstration.
«
»
Il reconnart neanmoins l’existence d’un
«
bon nombre de vieillards
capables de transmettre, en tout ou partie, certaines des legendes
anciennes parmi les plus populates
(id.). Mais il dit aussi que leur
connaissance est bien souvent fragmentaire, et qu’elle semble se referer
encore
»
registres en leur possession. Il pense aussi, sans en
etre tout a fait certain, que, d’apres les dires des anciens de Rurutu, un
au seul contenu des
vieillard decede auparavant etait investi de cette fonction de conteur et de
garant de la tradition locale. Bref, notre
«
scientifique
»
n’est sur de rien.
Il poursuit encore avec la meme incertitude sur le fait que ce vieil-
lard n’aurait pas trouve de successeur. Par contre, il est beaucoup plus
ferme sur l’inexistence de recepteurs parmi les jeunes qui exprimeraient
leur desinteret, voire leur mepris pour les choses du passe. C’est en definitive en fonction de cette succession d’incertitudes qu’il justifie la disparition progressive de la tradition orale a Rurutu. Ce deuxieme principe
fonde sur le couple affirmatif/dubitatif est egalement symptomatique de la
76
N°321 Janvier/Avril 2011
-
deformation ou du renversement du principe deductif de l’exploration des
faits sociaux. Au lieu de poser une hypothese prealable et de lui faire cor-
respondre une serie d’indicateurs, l’auteur pose un postulat et fait une
demonstration qui s’appuie sur une serie d’hypotheses non verifiables.
L’affirmation reside ici dans le postulat, et le doute dans les instruments
de la verification. Ce renversement methodologique a
pour effet d’entretenir un paradoxe : d’un cote le discours de l’auteur est d’une
apparente
verite, de l’autre, l’erreur est autorisee. Le produit de ce paradoxe est que
le mystere reste entier.
La premiere conclusion que l’auteur apporte a ce
developpement
hasardeux et fallacieux est «qu’il n’est plus de tradition orale qu’ecrite...»
(p. 224). II peut affirmer ceci, des lors qu’il a dit par ailleurs, que la
connaissance des vieux ne «semble se referer qu’au contenu des registres
en leur
possession.» (p. 223). U appuie cette idee par, cette fois-ci, une
affirmation:
«A l’heure actuelle cependant, hormis peut-etre la coutume du tere, ne
subsiste pratiquement plus du contenu et de la pratique de la tradition
orale que les documents ecrits auxquels il a ete fait allusion...*
(p.224).
Il precise neanmoins le contenu de son affirmation :
«... la mise en scene, les acteurs et les structures
legitimes de la transmission ont maintenant desormais disparu, le passage a l’ecriture,
parmi d’autres facteurs, rendant evidemment de moins en moins indis-
pensable le maintien d’une tradition orale du savoir traditionnel.» (id.).
On pourrait partager 1’avis d’A. Babadzan pour ce qu’il renferme d’evi-
dence, si ce n’est que Ton ne voit pas de quoi il parle a propos de la «mise
en scene* ou des «structures
legitimes*. Des lors que Ton ignore a quoi
exactement il fait allusion, il ne reste pour se convaincre que 1’idee que le
passage a l’ecriture a ete l’un des facteurs ayant rendu de moins en moins
indispensable le maintien d’une tradition orale du savoir traditionnel. L’auteur trouve cette consequence evidente. Il n’a pas froid aux yeux. Que Tap-
parition et le developpement de l’ecriture ait limite le maintien de l’oralite
77
bulletin dc/ fu Society de& $tude& Gcea/iie/i/ies
en tant que forme
d’expression et de transmission du savoir traditionnel,
voila qui est admissible. De la a penser que celle-la ait rendu moins indisle maintien de celle-ci... L’extension n’est pas permise. II faudrait
pensable
admettre pour cela une realite plus generate : les habitants de Rurutu
auraient deliberement reconnu tous les avantages et les ressources procures par l’ecriture et accorde une
quelconque superiority a celle-ci.
Allons plus loin : ils (les habitants de Rurutu) auraient decide ou fini
orale est caduque. Comment
par considerer que le maintien de la tradition
accepter, dans ces conditions, l’idee que, en moins d’un siecle
et demi,
qui constituait Tun des
fondements de sa civilisation ? Les «facteurs» n’y suffiraient pas. II faut
bien plus qu’un siecle de colonialisme et de repression, de destructuration sociale, pohtique et religieuse pour faire tomber l’oralite.
une communaute ait pu decider d’abandonner ce
Revenons aux manifestations concretes de la transmission des
connaissances traditionnelles. L’auteur signale l’existence hypothetique de
ces connaissances: les are vana’a.
ou etaient
lieux
particuhers
enseignees
Ceux-ci auraient ete «destines a 1’instruction des seuls aines males des
il
hgnages principaux» (id). II n’en est pas sur du tout. En outre, nous
parle de lieux d’apprentissage limites a l’education d’une population particulierement hmitee. Pour les autres, e’est-a-dire les cadets, les femmes
et les hgnages secondaires, les plus nombreux, il ne nous dit rien. C’est
plutot limiter la transmission, sinon introduire une discrimination sociale
a cette
demiere.
Bien sur, il nous parle du tere dont on doute du caractere ancien. Il
termine aussi en disant qu’en dehors «peut-etre» de la coutume du tere, la
pratique et le contenu de la tradition orale ont pratiquement disparu ;
seuls restent les documents ecrits appeles puta tupwia. Une nouvelle fois,
il va vite en besogne: La coutume du tere, a cause de sa contemporaneity
ne merite aucune
attention; les are vana’a, plus spectaculaires, sont evo-
enfin les documents ecrits sont
ques sans qu’il soit sur de leur existence ;
les demieres traces «du contenu et de la pratique de la tradition orale».
78
N°321 Janvier / Avril 2011
-
Mais de quelles pratiques et de quel contenu parle-t-il ? Connait-il le
contenu de la tradition orale ? Encore une fois, la
concoure a une demonstration bancale :
coutume du tere contemporaine)
perversite des mots
{‘are vana’a hypothetiques +
documents ecrits
disparition pratique du contenu de la tradition orale. C’est ce qu’on appelle encore une
fois deduire une affirmation gratuite d’une serie d’hypotheses inverifiables
-
=
ou de presupposes incertains.
Demiere remarque a cette partie :
A. Babadzan ne connait ni les faqons dont etaient transmis les traditions et les savoirs, ni leur contenu. II elabore done son savoir
A. Babadzan
pas ou de ce
-
sur ses propres
-
le savoir
ignorances. II parle de ce qu’il ne connait
qu’il croit connaitre au travers du contenu des puta tupuna
qu’il a eus a sa disposition. Le probleme pour nous n’est pas de savoir en
premier si la connaissance traditionnelle a disparu ou non. Mais de savoir
quelle est cette connaissance traditionnelle ? Ne disparait que ce que Ton
connait, sinon cela n’a jamais existe. A. Babadzan fait, en definitive, des
acrobaties dans les branches de l’histoire, il a oublie que celle-ci a aussi
des racines sans lesquelles elle n’existe pas.
A. Babadzan nous parle sans cesse du savoir traditionnel. Comme si
le savoir etait homogene et uniforme a toute une communaute. Comme s’il
existait un savoir normalise et normatif. Cette tendance a I’homogeneisation des savoirs conduit a introduire dans l’esprit du lecteur le savoir avec
grand S : Le savoir consacre. A moins d’admettre d’avoir ete dans le
meilleur des mondes, la ou regne une dictature unilateral du savoir
mais ce n’est plus de la dictature puisqu’il est unique les societes developpent des savoirs differents, articules autour d’un ou de plusieurs savoirs
un
-
-
dominants. Cette nuance est importante, car elle restreint d’autant les
generalisations abusives. La reconnaissance des savoirs differentiels, propres dans leur symbolisme et leur ideologic a un groupe social, a un
lignage ou a une caste, offre des perspectives plus riches au plan de la
recherche comme au plan de la conceptualisation.
79
(Hu/fetin de fa Jodele des Slades Qccanicjmex
Dans la deuxieme partie de son article, A. Babadzan sort enfin des
generalites et nous parle d’une matiere plus concrete: les puta tupuna. II
nous donne d’abord une definition de ceux-ci:
«Les «Puta tupuna» peuvent etre definis comme des registres ances-
traux, transmis de generation en generation au sein d’une meme
famille, ou plutot d’une meme unite parentale pertinente, dans la plu-
part des cas du pere a son fils aine.» (id.).
La definition est acceptable a priori si Ton fait abstraction des donnees
de l’enquete qui a ete menee sur ce point... et dont on ne dispose pas. Mais
cette absence si
un
particuliere est generate a nombres d’etlmologues qui font
principe sacro-saint de vouloir proteger, intentionnellement ou non,
leurs documents et leurs sources. Dans le cas de A. Babadzan, cette retention des sources va extremement loin puisqu’il ne nous precise a aucun
moment dans quelles conditions, comment et ou il a pu se procurer ou
seulement consulter les puta tupuna qui constituent la matiere premiere
de son article. Ce manque extraordinaire trouve paradoxalement un plein
instructif puisqu’il donne des indications precises sur la forme et le contenu
de ces registres. Dans ces conditions, les explications donnees par l’auteur
sont inattaquables ou tout au moins difficiles a apprecier.
Il faut relever neanmoins quelques uns des themes abordes dans cette
partie, soit pour leur valeur heuristique, soit pour l’enjeu qu’ils representent. La relation copiste-langue utilisee pour transcrire les elements traditionnels a ete largement evacuee par Babadzan. Non pas qu’il n’en ait pas
parlee, mais il a apporte des reponses a des questions qu’il n’a pas posees.
Il associe dans leur version originale le puta tupuna a son copiste et a la
famille de ce dernier. Plusieurs remarques s’imposent: les premiers puta
tupuna ont ete rediges a la fin du siecle dernier, soit! La question fondamentale qui vient a 1 ’esprit est la suivante : Combien parmi ceux qui ont
«inaugure» ces registres les ont ecrit eux-memes ? Savaient-ils tous ecrire?
Les ont-ils dictes a quelqu’un d’autre ? A qui ? D’autant que le premier syllabaire en langue tahitienne ne datait que de 1818 et avait ete edite par
des missionnaires anglais de la London Missionary Society. D’autant aussi
80
N°321 Janvier /Avril 2011
-
que la premiere Ecole normale, pourvoyeuse de maitres des ecoles
publiques des districts et des lies, remonte pour sa creation a 1873. Dans
ces conditions,
y a-t-il eu un mouvement general de transcription ecrite
des connaissances ou le phenomene fut-il limite dans le
et dans l’es-
temps
pace ? Entre ces deux frontieres, il y a place pour d’autres hypotheses sur
lesqueOes je ne m’attarderai pas ici. Le probleme pose vaut neanmoins
qu’on s’y arrete eu egard a l’enjeu que represente la correspondance synchronique et diachronique de l’ecrit et de l’oral; a l’historicite et aux
causes reelles de
l’emploi de l’ecriture par certains; au degre de correlation entre ces deux formes d’expression du point de vue de la necessite
objective de transmettre les connaissances de generation a generation.
L’appreciation par l’auteur de tout un pan du savoir oral, comme
relevant du mythe, confere a celui-la un enjeu qui, pour moi, est strategique. Nous savons que la dimension mythique du savoir oral est l’un des
grands themes de predilection de A. Babadzan 3 Dans le present article,
.
celui-ci presente neanmoins les bases de sa reflexion ulterieure. C’est en
cela qu’il devient interessant. Le savoir oral n’est pas fait que de recits
mythiques, mais a lire A. Babadzan, ils en composent une grande partie.
Question simple et logique : les mythes, sont-ils tous reellement des
mythes ? A cela j’ajouterai une remarque : soit il y en a trop, soit il y en a
qui n’en sont pas. Mais tentons pour le moment de recomposer le discours cache qui sous-tend ses assertions.
Dans un premier temps, A. Babadzan distingue la part du savoir
mythique traditionnel des legendes anciennes:
Certes, il subsiste encore dans 1’ile bon nombre de vieillards encore
capables de transmettre, en tout ou partie, certaines des legendes
anciennes parmi les plus populaires. Plusieurs d’entre eux
d’une dizaine
-
-
moins
sont encore depositaries a l’heure actuelle de ce que
l’on peut appeler le savoir mythique traditionnel, ainsi que des puta
tupuna les plus riches (registre ancestraux ecrits, dont la plupart
remontent a la fin du siecle dernier), (p. 223).
3
BABADZAN, Alain.«Inventer des mythes, fabriquer des rites», Arch, europ. sociol., XXV, pp.309-318,1984.
81
bulletin d& la Society de& Slades' Ocean
Les mythes a cote de la «rhetorique» (p. 224) et des genealogies
constituent une part des connaissances traditionnelles. Sans pour autant
donner une definition claire du savoir mythique, l’auteur nous en revele
quelques uns des caracteres, mais de fagon assez tortueuse. Dans une note
de bas de page, il donne l’equivalent en langue tahitienne de mythes:
«C’est ainsi qu’un informateur, a qui je demandais quelle etait la nature
d’un des manuscrits anciens en sa possession, et si celui-ci contenait
des recits mythiques, repondait: «‘e ‘ere i teputa tupuna,putaparau
pa’ari, eputa ‘enm noa» ce n’est pas un puta tupuna «un livre de
mythes», c’est settlement un «livre de terres» (...)»• (p. 225).
,
,
Pour A. Babadzan done , parau pa’ari signifie «mythes». Il precise par
que «les paroles» contenues dans le puta
tupurn sont «desparoles dures» ou «paroles dressees» (p. 224). Pour le
ailleurs
-
et par anticipation
-
profane en langue tahitienne, je precise que la traduction premiere de parau
pa’ari est «parole dure». Il faut deviner a ce moment la que A. Babadzan
parlait des parau pa’ari. Le caractere principal qu’il donne de celles-ci est
que leur «origitie n’est pas de ce temps, ni presque pas de ce monde».
Ainsi done pour A. Babadzan, le savoir mythique est traduit par les «paroles
dures» qui ne sont pas de ce temps ni peut-etre de ce monde. L’equation
terminologie et logique proposee par l’auteur est la suivante : parau pa ’ari
mythes savoir mythique. Et ce n’est que deux pages plus loin que Ton
=
=
trouve la traduction juxtaposee de cette equation tiree par les cheveux:
«(...), le puta tupuna rassemble generalement un certain nombre de
(...)». (p. 226 ).
recits mythiques {paraupa’ari)
Il donne ensuite la nomenclature de ce qu’il nomme recits mythiques:
«1) Mythes d’origine : mythes d’origine de lUe, mythes d’origine du peuplement de llle, en ses vagues successives; dans un puta, un texte en
langue archai'que se rapporte a la creation du monde, sans mention de
la creation de llle; c’est le seul texte de ce genre dont j’ai pu disposer.
2) Mythes relatils aux heros civilisateurs : souvent confondus avec
la premiere de ces categories, ces mythes se rapportent aux voyages
de Hiro (la tradition rurutu denombre sept Hiro) et de Amaiterai.
82
N°321 Janvier / Avril 2011
-
3) Mythes concernant les heros guerriers {aito) : les exploits
guerriers des multiples aito de Rurutu font l’objet de nombreux
recits au theme structural identique.
4) Mythes relatifs aux sites et aux toponymes de Pile : souvent
en rapport avec (2) et (3). Certains de ces
mythes sont recites publiquement lors du tour de l’ile mentionne plus haut.
5) Mythe de (H)ina : Hina, celebre figure des mythologies polynesiennes, est ici representee comme femme cannibale, mangeuse
d’enfants. Ce recit, connu de tous, est tres populaire.
6) Chronique des guerres de Rurutu : a cote de ces cinq categoties proprement mythiques, les puta consacrent toujours une large
place a une autre espece de recits, difficile a definir, et qui releve
pour une part du mythe, pour une part de la chronique : l’histoire
des nombreuses guerres entre unites politiques rivales aux temps
pai'ens.» (id.).
Comme je Pai suggere plus haut, il faudrait reserver a cette notion du
mythe un traitement particulier. Je conclurai simplement de fagon transitoire, pour le moment, en disant qu’au mythe s’oppose forcement Phistoire concrete des hommes. Le probleme auquel nous confronte A.
Babadzan est celui-ci: le passe polynesien serait domine par Punivers
mythique, un univers si omnipresent qu’il finit par evacuer a ce passe toute
dimension historique vraie. Les trois donnees qui resteraient seules traversees par Phistoire, pour A. Babadzan, sont les «chroniques». Les guerriers, les informations ethnographiques portant sur la societe ancienne et
le passage du paganisme au religieux, avec pour theme central, le
deuxieme objet de predilection de l’auteur: le syncretisme. Cet enonce en
qui ne couvre pas, bien entendu, le contenu reel des puta tupuna
signale par A. Babadzan est certainement exagere. Je veux simplement
exprimer le paradoxe de P etude d’un tel objet: s’il permet apparemment
de donner la vision qu’avaient les Polynesiens de la societe ancienne, il ne
dit rien sur cette societe et encore morns sur son histoire. Il s’agit la, pour
vrac
83
bulletin/ d& la Society de& &tude& &ceanL
le moment, d’un interet intellectuel assez speculatif qui apporte beaucoup
plus a son auteur qu’au peuple polynesien.
Revenons, pour le moment, sur les problemes souleves par l’auteur,
relatifs a la forme ecrite des puta tupum de Rurutu.
En premier lieu, que n’insiste-t-il pas sur le declin de la tradition
orale qui accompagna la redaction des puta tupum ! Sauf que pour cette
enieme edition, il y introduit un rapport dialectique. Subtile nuance qui ne
grand-chose, des lors que sa demonstration reste limiQuelques lignes plus
loin, il continue a s’enteter dans sa volonte de reduire le probleme du
maintien de la tradition orale a quelques cas particuliers: l’existence des
puta tupum «rendait de moins en moins indispensable le recours a des
garants specialises (orateurs, etc...) de ce savoir traditionnel». (p. 227).
A. Babadzan persiste et signe :
Cela dit, en raison de leur focalisation sur un groupe parental donne,
nous avance pas a
tee aux quelques puta tupum dont il a pu disposer.
«
les puta ne peuvent plus, a l’heure actuelle se substituer a un savoir
global sur la communaute, maintenant disparu». (id.).
Quelques lignes plus loin encore, il revient soudain sur sa deposition
en
rajoutant que:
«(...) c’est grace a ces documents que pourra malgre tout etre preserve
ce savoir, lorsque la voix de ses demiers depositaries ne pourra plus se
faire entendre.» (ibid.) (souligne par moi).
Il faudrait savoir! Ce savoir a disparu ou non ?
A. Babadzan confirme done de nouveau que le passage a l’ecrit a fixe
la tradition orale mais dans une forme etrangere a sa nature :
«Les versions orales de ces recits mythiques sont maintenant perdues,
dans ce qui devrait etre leur chaleur, leur style, leur rhetorique origi-
nelle». (ibid.).
Cette conclusion est plutot contestable: Toutes les versions orales des
parau pa’ari n’ont pas pour autant ete transcrites. Peu s’en faut. Ensuite,
84
N°321 Janvier/Avril 2011
-
le passage a l’ecrit d’un recit oral ne signifie pas non
plus, dans tous les
cas, la perte ou l’obliteration de celui-ci. Enfin, ne nous leurrons pas, les
consequences sur le style et la rhetorique peuvent, dans certains cas, etre
si evidentes qu’il serait naif d’en etre desenchante. II serait meme encore
plus naif d’esperer que d’aucuns voudraient se contenter d’anonner les
textes ecrits.
Pourtant, le reproche le plus pertinent a faire a A. Babadzan est celuici: toute sa demonstration repose sur 1’idee qu’il
disposerait d’un refe-
rent indiscutable en matiere de recit oral qui serait dote de tous les
attributs qu’il lui reconnait pour affirmer son caractere indiscutablement...
oral et traditionnel («chaleur, style, rhetorique originelle, formule esote-
riques, incantations finales repetees trois fois»). Pourquoi ne pouvonsnous pas disposer «par ecrit» d’un tel recit ? II est a
remarquer aussi que
les caracteres qu’il donne a propos de ce qu’etait ou de ce qui etait sup-
pose etre un recit mythique proviennent de ce qu’il a lu dans un puta
tupuna...
Mais le paradoxe qu’entretient A. Babadzan, et qu’il semble cultiver
a la
perfection, ne s’arrete pas la. II s’epanouit de nouveau lorsqu’il
evoque les alterations liees a l’ecriture et qui sont dues au fait que les
auteurs des registres ont eu recours a la langue tahitienne. II constate ainsi
-
avec raison
-
que l’emploi du tahitien par les gens de Rurutu a certai-
nement entraine la perte du sens originel des recits. Mais il se plaint tout
autant de l’impossibilite pour les detenteurs de puta tupuna de faire des
traductions en tahitien des ecrits d’origine archai'que ou tout simplement
rurutu. Decidement A. Babadzan ne sait pas ce qu’il veut: D’abord il nous
fait croire que toute authenticite a disparu des recits de Rurutu du fait de
l’irruption de la langue tahitienne ; ensuite il nous revele que des textes
plus anciens et plus specifiques existent, tout en deplorant qu’il n’y ait personne pour les traduire en langue tahitienne. En fait A. Babadzan se trouve
simplement noye par ses propres faiblesses: D’un cote il pretendrait faire
le proces de l’annexionnisme pratique par la grande lie; de l’autre il se
maudit de ne rien comprendre a la langue rurutu...
85
bulletin de la Society des Slades- Qceaniennes
Enfin, pour A. Babadzan, c’est non seulement pour des raisons qui
tiennent a la forme ecrite que les textes mythiques des puta tupuna restent alteres par rapport a leur version originale, mais c’est aussi a cause
du syncretisme.
Le syncretisme, ce second leitmotiv apres le mythe, est une notion qui
stimule a coup sur la curiosite theorique et methodologique de A. Babad-
puta tupuna sont essentiellement des
documents determines par le travail realise par un syncretisme. Syncrezan. Pour celui-ci les textes des
tisme lui-meme determine par la contradiction entre la pensee polynesienne traditionnelle et rirruption dans celle-ci de la pensee occidentale.
Loin de contester cette analyse qui reste certainement la meilleure contri-
bution de l’auteur a 1’etude de 1’acculturation, il faudrait neanmoins nuancer la realite de ce
concept. Ce qui est genant en effet dans une utilisation
trop abusive du terme de syncretisme, c’est de faire croire que les Polynesiens ont toujours fondu les differentes conceptions culturelles et ideo-
logiques en presence sans y operer de choix particuliers. Il faudra revenir
dans le cadre d’une autre contribution sur cette nuance de taille. Au syncretisme il faut parfois opposer son contraire, sinon son alternative pos-
sible: l’eclectisme.
Rien ne nous permet de croire que la tradition a disparu. Le passage
de l’oral a l’ecrit n’a certainement pas, dans tous les cas, denature les
textes d’origine, il aurait plutot enrichi sinon donne a la pensee polyne-
expression plus ancree dans l’histoire presente. La pensee ne
peut qu’evoluer avec l’histoire concrete des hommes qui l’incarnent. La
sienne
une
sauvegarde et le maintien du savoir des anciens, ou tout au moins d’une
conception specifique de la realite, est a ce prix.
Rien ne nous autorise non plus a etre desenchante de l’abandon par
la majorite des Polynesiens de l’oralite en tant que seul mode d’expression de la pensee et de la transmission des connaissances traditionnelles.
Le desenchantement n’appartient qu’aux seuls theoriciens des peuples
egares qui ont oublie de penser au present. Ce desenchantement est aussi,
86
N°321
-
Janvier /Avril 2011
d’une certaine maniere, anachronique. En effet, pour des raisons obscures les
anthropologues etrangers se sont surtout attardes sur la
construction d’objets anthropologiques, plutot que sur la prise en compte
des hommes en tant que sujets de l’histoire. Le probleme le plus urgent
auquel est confronts le peuple polynesien est de continuer a revivifler sa
propre culture en exploitant au mieux les ressources que lui offrent sa
propre histoire et l’histoire occidentale. S’attarder a en analyser les
tenants, les aboutissants et les mecanismes est un luxe qu’il s’offrira en
son temps, et qui pour le moment, encore une fois,
appartient aux seuls
scientifiques etrangers.
❖ * *
En conclusion de cette critique du passage «de l’oral a l’ecrit» vu par
A. Babadzan, nous proposons d’etablir quelques principes methodolo-
giques de base quant a l’etude de l’histoire polynesienne:
1) Les textes ecrits doivent etre confrontes aux textes oraux;
2) Chaque texte, chaque recit oral forme en soi une unite individualisee et personnalisee par son auteur, et n’a de sens et de
valeur que pour elle-meme et pour ce que son contenu represente aux yeux des individus concemes;
3) La comparaison des differents textes ecrits, tels que les puta
tupuna, doit offrir deux perspectives: L’une est differentielle
(telle qu’indiquee precedemment) ; l’autre est globale (elle
vise a recouper l’histoire des Polynesiens entre eux).
Neanmoins, la mise oeuvre de ces trois principes supposent obligatoirement que: La tradition orale est bien vivante
-
et elle est vivante! -; la
portee de l’analyse d’un seul texte ou de seulement quelques textes ecrits
ne
peut etre generalisable, dans un premier temps tout au moins. Cette
demiere precaution est, bien sur, aussi valable pour nous. Le lecteur voudra bien, a son tour, en apprecier les Umites, mais aussi la portee.
Jean-Marc Pambrun
87
Jean-Marc Pambrun,
«l’ecriturieri »
«
Ecriturien », c’est le joli mot qu’avait choisi Jean-Marc Pambrun
pour son blog. Pour essayer de capturer, peut-etre, une identite multiple :
poete, dramaturge, romancier, anthropologue, satiriste...
Ecrire, ecrire, ecrire... toujours pour temoigner, pour construire,
pour reflechir, pour reagir mais aussi faire rever!
Jean-Marc Pambrun nous laisse une oeuvre polymorphe done tres
riche qui poura faire l’objet d’etudes litteraires, sociologiques, ethnogra-
phiques... et geographiques.
Jean Guiart cite cet incident qui depeint bien le caractere de JeanMarc Pambrun, homme calme mais qui a toujours su se revolter devant
le mensonge, l’injustice et l’incurie.
«
Une fin d’apres-midi aux reunions de la Societe des Oceanistes, ou je
presidais la seance dediee a un expose d’un geographe de l’ORSTOM
sur des dossiers tahitiens, j’ai eu la surprise, a la fin de l’expose, de voir
arriver Jean-Marc Pambrun : il est monte sur l’estrade et a donne une
paire de gifles au geographe, lui reprochant d’avoir publie sous sa
signature des resultats de son travail a lui. [...]» Jean Guiart dans le
Tahiti Pacifique n°240 avril 2011, p ?.
Puissent ceux qui reconnaitront les ecrits voles de notre anthro-
plogue, copier-coller sa reaction, sous forme de claques virtuelles bien
sur. Il y a des mots efficaces quand on les publie merci au J’accuse de Zola
par exemple.
Jean-Marc Pambrun ecrit d’ailleurs:
N°321 Janvier / Avril 2011
-
«
Corabien de fois a-t-on vu des anthropologues faire reference dans
leurs articles a des manuscrits, des genealogies ou des recits legendaires qui leur ont ete confies par des Mao’hi, mais ne jamais les
publier ? La confiscation du savoir ma’ohi est une specialite de l’anthropologue occidental. II se remplit du savoir du Ma’ohi et, lorsque la
source de ce dernier s’est tarie et l’a rendu
muet, il prend la parole a
sa place, mais en ne restituant ses
propos que goutte a goutte.» p.100
L’ile aux anthropologues, 2010
Ecrivain authentique, homme revolte, il fait reagir quand il agit,
quand il s’agite.
Agitateur d’idees, il defendra bee et ongles dans ses fables sa culture
sachant filer, tresser la metaphore comme dans L’Allegorie de la natte ou
Les parfums du silence ou dans sa piece en octosyllabes La nuit des
bouches bleues ou il exprime sa double culture donnant tour a tour la
parole a une fee de la foret bretonne de Broceliande et a des guerriers de
Raiatea pour permettre a une femme d’aujourd’hui d’aller au bout de ses
reves.
L’ecriturien dessine et reve un monde ou la legende se mele au quotidien. Sa rencontre avec Francis Cowan devait avoir lieu et il a su mar-
quer les paroles et les actes de ce formidable reveur d’actions qu’etait le
navigateur
La force tranquille de Francis Cowan, gentleman navigateur, s’oppose
a la revolte de Henri
Hiro, cet ami dont Jean-Marc raconte avec ferveur la
vie bouillonnante. Il a defile pieds nus en pareo sur le front de mer avec
lui, ses etudes en France Font rendu contestant et il pose les premieres
pierres d’une societe polynesienne nouvelle a la fin des annees soixante dix.
Dans son auto fiction impressioniste Le Bambou noir construite
comme et avec un tableau insiste sur le choc des cultures
profondement
comme... un coup de
bambou,
qu’il ressent
avec une amertume nee de
sa disillusion. Il a choisi d’ecrire au passe compose, un passe avec
lequel
il refuse de composer:
Le froissement de la guirlande de ‘auti sur l’oreiller l’a tire de ses
reflexions. Il s’est leve, l’a otee de son cou et a cherche un endroit pour
la suspendre. Il a avise sa lampe de bureau qui etait restee allumee. Il y
a accroche le cordon de feuilles et
s’appretait a eteindre la lumiere et
89
x$nifIetJ/i d& Id Society de& &tude& Oceamednea
aller, mais, attire par le dessin sous verre qui decorait toujours
la surface de son bureau, il s’est ravise et s’est assis, habite soudain
a s’en
d’une grande tendresse pour son oeuvre inachevee. Il a ouvert les doigts
de sa main gauche et les a passes sur toute la surface du verre, en le
caressant a peine, juste pour en ressentir les moindres vibrations. Et
puis, il s’est mis a parler a son dessin pour lui faire partager une evidence toute simple: il etait bien le seul a l’avoir accompagne durant ces
dix demieres annees et a avoir progresse. Il a retire le verre et a porte
l’esquisse a ses narines. Elle avait l’odeur un peu piquante du bois
humide. Il a pris un crayon et en a pose la pointe a la base du menton
du tiki, ou plutot de l’idole censee representer Alexandre. Il a trace
deux lignes tremblotantes, verticales, parallels et espacees de quelques
millimetres pour figurer l’ecorce d’une tige de ‘auti. Il les a reliees
l’une a l’autre par une serie de caracteres helicoi'daux destines a donner
1’iUusion d’une torsade. Enfin, il a esquisse au sommet de la tige un
bouquet de plusieurs feuilles altemes. L’ouvrage termine donnait l’impression que le tiki, incruste dans le feuillage, etait devenu 1’esprit de
la plante. Le Tahitien a eteint la lumiere, s’est accoude pour prendre son
front entre ses mains et a ferme les yeux. Il n’avait plus envie de penser.
pp. 160-161
Jean-Marc Pambrun se donne pour mission de transmettre et il y
reussit formidablement dans La naissance deHava’i ou, marcheur de la
nuit, il retrouve le rythme et le souffle des mythes fondateurs. Ce n’est pas
un hasard s’il confie a Jean-Luc Bousquet les illustrations de son livre car
il sait que le peintre saura donner des couleurs et des formes a la genese
polynesienne.
L’ecriturien sait que la forme est primordiale et en alexandrins avec
un art acheve il reflechit sur La lecture
qu’il a defendue en participant acti-
vement a tous les salons du livre d’ici et d’ailleurs. Il a su occuper les lieux
parole s’echangent. En mettant en scenes sa reflexion sur
les relations a entretenir avec la litterature il dialogue avec nous et continuera a dialoguer avec chacun d’entre nous.
ou les livres et la
90
N°321 Janvier/Avril 2011
-
Ton corps est une scene ouverte sur le monde,
Visible ou invisible, admirable ou immonde.
Quand tu lis une histoire, en morns de dix secondes,
Ta parole est captee a des lieux a la ronde.
Les auteurs disparus jaillissent de leurs tombes,
Le peuple des sans voix surgit des catacombes
Pour entendre les mots que de dire il t’incombe,
Avant que dans l’oubli, a nouveau, ils retombent.
Regarde devant toi, tu vois les spectateurs?
Oublies-les un instant, transporte-toi ailleurs
Ferme les yeux. Tu verras mieux. Ouvre ton cceur.
Les vois-tu les heros decrits par tes auteurs ?
(p. 11)
Fermons les yeux, regardons bien avec le cceur de ce « sale petit
prince
qui ne nous quittera pas.
Disponible, modeste, cultive, dynamique, authentique... les mots ne
»
manquent pas pour rendre hommage a celui que chacun peut et doit rencontrer.
Eliane Hallais Noble-Demay
*
Jacques Le Roux se dit d’ailleurs« ecriturien », un mot de son inven-
tion traduisant mieux que « calligraphe »la part de liberte verbale du poete
et la maitrise du peintre qui execute, comme les calligraphes chinois, des
motifs a l’encre. Alors que cette pratique est delaissee depuis plus d’un siecle au profit d’autres moyens plus modemes de transcription, le cinema a
retrouve la magie poetique de ce verbe incame. « Pour
adapter le roman
6
epistolaire du XVIII™ siecle Les Liaisons dangereuses, le cineaste Milos
Forman cherchait« quelqu’un qui sache tailler une plume d’oie et ecrire
avec », raconte-t-il pour
expliquer sa brusque aventure cinematographique.
Ce fut le premier film, sur un palmares de 10, ou il intervint en specialiste
de la composition calligraphique. Sur les plateaux de toumage, son role
n’est surtout pas celui d’une vedette, encore moins celui d’un figurant. Il
est l’accessoiriste tres particulier charge de composer de belles pages
manuscrites et de foumir aussi aux comediens les precieuses plumes d’oie,
91
m y&uflelin de fa Societe, dex &Uide& Oceaniernie*
finement taillees par ses soins. Dans le Colonel Chabert, d’Yves Angelo,
d’apres le roman de Balzac, il quitta meme les coulisses pour jouer quasiment son propre role devant les cameras. « J’ai ete transporte dans la situa-
tion d’un clerc de notaire, en train precisement d’ecrire cette ecriture que
j’admire tant. Pour moi, la realite a depasse la fiction.
»
Phrases dites, phrases ecrites. Ils ont dit de lui:
A chaque minute de mon existence, le monde de mes ancetres
monde
-
notre
me perce le cceur, fouille mes entrailles et trouble mes pen-
-
pourrais-je cesser de penser a eux et de renoncer a dire
ou ecrire ce que je vois, ce que j’entends, ce que je sens, ce que je
reve? s’exclamait Jean-Marc Pambrun
sees. Comment
Comment etait-il ?
Voici ce que le journal Les Nouvelles du 14 fevrier 2011 recueille
comme
«
temoignages:
C’est quelqu’un qui travaillait beaucoup, beaucoup, beaucoup dans
la culture, dans ce qu’elle pouvait apporter a la construction de ce pays.
Il etait convaincu que rien ne pouvait se faire sans la culture. £a a ete
aussi le principal artisan et monteur du programme de sauvetage du
patrimoine ethnographique au sein du Centre polynesien des sciences
humaines. Au-dela d’etre un scientifique, c’est aussi quelqu’un qui avait
un cote artiste. C’etait un excellent guitariste. Il a ecrit et compose des
chansons et il a d’ailleurs fait un concert au petit theatre. » (Heremoana
«
Maamaatuaiahutapu, directeur de la Maison de la culture.)
Jean Marc se vengera avec joyeusete et le talent du pasticheur cruel
dans les chroniques du Sale petit prince de « l’Echo de Tahiti Nui »,
un hebdomadaire delure et parfois delirant. Ses piques ne furent pas
reservees
qu’a sa petite seigneurie des autonomistes, tous y passerent
jusqu’au leader independantiste, Oscar Temaru. C’est la loi du genre.
Jean Marc y decouvrira la part essentielle de Part dans l’ecriture, ses
formes romancees ou theatrales qui lui permettra comme a tout artiste
(Aimeho Chade s’extraire des orthodoxies, toujours etouffantes.
»
rousset)
92
N°321 Janvier/Avril 2011
-
d’une sensibilite extraordinaire, maitre d’une
poesie veritable, doux et revolte a la fois, ecrivain, editeur[...] "battant de la culture,
«
Homme
il etait egalement ami, contestataire, hors normes. Toute la
grande
famille du conservatoire lui dedie ce concert de la Saint-Valentin. »
(Conservatoire artistique)
«
C’etait un mec qui osait secouer le cocotier,
cocos sur la
gueule.
»
quitte a se prendre des
(P’tit Louis)
A-t-il change des choses ? A-t-il reussi a reveiller les consciences ?
demandait le journal a Simone Grand
«
De toute maniere, c’est une voix qui s’est elevee et
Toute personne qui s’exprime permet a d’autres,
qui a ete entendue.
qui jusqu’a present se
taisaient, de parler a leur tour. A ce moment-la, son role est essentiel.»
A-t-elle repondu.
Interieur-nuit, clair-obscur, Jean Marc Pambrun est un personnage
indefinissable, enferme dans un jeu de contraires. Directeur du Fare
Tauhiti Nui depuis le 14 janvier 1998, Jean Marc Pambrun, virtuose des
«
mots, fait l’inventaire de ses tortures. » Claude Ruben en introduction de Zig Zag, emission de television de 1998 consacree a JM
Pambrun
«Personnalite derangeante autant par ses actes que par ses ecrits, parallelement ou alternativement a ses fonctions publiques, il a
la
porte
contestation dans de nombreux domaines de l’activite polynesienne :
culture, recherche, enseignement, environnement, syndicalisme, journalisme... Autant de facettes qui font de cet humaniste et inteUectuel
engage, un auteur a part et creatif qui ecrit dans les genres les plus
divers: pamphletaire, conteur, poete, essayiste, dramaturge, auteur de
nouvelles. Par son eclectisme deroutant, il reste pour le moment un
auteur inclassable.» Vaite Pambrun-Urarii
93
BIBLIOGRAPHIE
Tahiti: un mythe qui dure
—
Phases du neocolonialisms et du capitalisme en Polynesie francaise, 1978, Paris,
editions Caribeennes, 21 p.
L'Allegorie de la natte, ou Le Tahu'a-parau-tumu-fenua dans son temps, 1993 [bilingue Tahitien et Francois],
Papeete: ed. par I'auteur, 2x34p.
Le Sale Petit Prince: Pamphlets blancs, 1995, ed. par I'auteur, Papeete 170 p.
La fondation du marae: La legende du scolopendre de la mersacree, 1998, ed. par I'auteur, Papeete, 38p.
Les parfums du silence, 2003, piece en trois actes et un epilogue, ecrite sous le nom d'Etienne Ahuroa, Papeete,
Ed le Motu; 2009, nouv. ed. sous le nom de Jean-Marc Pambrun, Papeete ed. Le Motu. 95 p. Prix Fiction 2004
du Livre Insulaire.
La nuit des bouches bleues, 2002, piece en vers octosyllabiques d'un acte, Papeete, Ed. de Tahiti, 60 p. Creee
en 2002.
Huna, secrets de famille, 2004, nouvelles, Matoury (Guyane) ed. Ibis rouge, 120p.
Triste sauvage, in Riccardo Pineri (dir.), Paul Gauguin, heritage et confrontations, Actes du colloque internatio-
nal organise les 6 7 et 8 mars 2003 par I'Universite de la Polynesie francaise, Papeete: Ed. Le Motu, 2003
Le bambou noir, 2005, Papeete: Ed. Le Motu, 21 Op.
La naissance de Havai'i/Te ti-pu-ra'a 'o Havai'i, 2006, poeme, Papeete, ed. Le Motu, 70p.
Francis Puara Cowan, le maitre de la pirogue polynesienne
—
Tahua va'a, 2007 Papeete: ed. Le Motu, 140p.
Me aux anthropologues, Petit traite d'anthropologie satirique, 2010, essai, ed. Manuscrit 134 p.
Les voies de la tradition, 2008, Paris: Le Manuscrit, 214p.
La lecture, 2009, Papeete: Le Motu, 96 p.
Henri Hiro Heros polynesien, Biographie, 2010, Ed. Puna Honu, 504 p.
-
SIT0GRAPHIE
http://blog.lecriturien.org/
www.ariirau.com
www.hiroashop.com
pambruntupunaatea.e-monsite.com/contact.html
lemotu-edition.com
94
Le <^ a [e
Petit Prince
Espace Debat
A Propos du...
Rapport de la commission
des cultures en 1865
Paru dans le n° 320 ce rapport temoigne de l’activite agricole a Tahiti
et d’un discours participant a la fabrication de l’identite d’une population
par les tenants du pouvoir d’alors.
Decor demographique politique et economique a Tahiti
sous
protectorat depuis 1842
Estimee a 204 000 habitants par Cook en 1774, la population aurait
ete comprise entre 55 000 et 67 000 (Valenziani 1987) ou proche de
45 000 (Oliver). En 1797, Wilson commandant du Duff, Devalue a
16 050. En 1857, Cuzent en recense 6100. Pour Vigneron (1999), 7642
Tahitiens auraient survecu en I860. En 1863, (Tahiti et Moorea) « ils
auraient ete 8884. » (Panoff 1989)
La balle anglaise tuant Opuhara a Fei pi en 1815 met fin au systeme
pohtico religieux des arii et marae sacralisant la terre inalienable et marqueur identitaire. Dans le systeme ou Pomare est devenu King; la terre
devenue venale permet aux missions et colons d’etre proprietaires.
Les Chinois etaient 1016 en 1867 (Teissier, 1951). En 1865, lapopu-
lation « blanche » des lies du Vent etait de 660 (Toulellan 1982).
bulletin de la Joc/ele des Stades Ocean
Etaient cultives: taro, bananes, arbres fruitiers, canne a sucre, coco-
tier ; tabac, gingembre, curcuma, indigo, mai's, plantes potageres, cafe,
cacao, et... coton ; en meme temps qu’etaient eleves cochons, poulets,
chevaux, ovins et bovins.
Evenements marquants
La guerre de Secession (1861-1865) fait monter les cours du coton et
incite a le cultiver meme a Tahiti. La guerre fLnie, les cours chutent.
Le raz-de-maree du 3 fevrier 1865 a touche la cote ouest, surtout
Punaauia et Paea, emportant des batiments, aneantissant des plantations
dont certaines ont disparu sous le gravier, ravageant des cultures, assechant des cours d’eau,
«
en
Tespace d’une nuit.
»
Appellations et formulations, signature d’une epoque :
naturels designent les
Indigenes », Indiens », Tahitiens
«
«
«
»
»
«
insulaires de Tahiti, Sandwich, Cook, Mangaia, Iles-Sous-le-Vent, lliamotu,
Gambier, etc. generalement employes, joumahers ou fermiers. Meme s’ils
sont « colons » car venus d’ailleurs, achetant une terre et 1’exploitant
comme les
Blancs, ils ne sont jamais designes tels.
Aucun indigene quel que soit son rang, ne se voit gratifie de « mon-
sieur » ou « M. » et aucune femme n’est« madame ».
Les Blancs sont « Etrangers » ou « Europeens » precises Frangais,
Espagnols, Anglais,... Ils sont tous des messieurs (MM.) qu’ils soient
exploitants colons ou simples ouvriers.
S’exprime cependant le meme respect du travail bien fait quelle que
soit l’origine du planteur. Mais l’observation de qualites indigenes est souvent enoncee comme une etonnante anomahe ou corrigee par le rappel
de verites» desobligeantes parfois nuancees.
«
»
«
.dans un pays ou Tindolence et le statu quo etaient, au moins chez
les indigenes, a l’ordre du jour de temps immemorial»
«
..
developpe chez eux (les Indiens), des instincts, des aptitudes que l’on est etonne, a bon droit, d’y rencontrer
...inferiorite (indigene)
«... cette race d’lndiens (Cook), les seuls que Ton ait pu employer
«
..
.a meme
»
«
96
»
N°321 Janvier/Avril 2011
-
d’une fagon reguliere, suivie, sur les plantations,...
auquel repugnent les
Tahitiens lorsqu’ils n’y sont pas interesses directement a titre de
pro-
prietaires.»
il (Huria un Tahitien) travaille avec
«
courage et desirerait s’agrandir,
jours de corvee pour les tra-
mais il est seul, et doit, par semaine, deux
vaux communaux de son district. »
«
M. Labbe est membre de la Commission,... forte volonte d’arriver a
un resultat
serieux, l’opiniatrete necessaire... profondes connaissances
pratiques... travail sans relache. M. Labbe achete pour cultiver...
Les indigenes de Mangia sont rares et coutent cher, les Tahitiens
»
«
paresseuxetirreguliers,...»
Tindigene Riro (de Raiatea)... fermier... Cet homme parait travailleur et intelligent.»
«
(Tihaniu) appartient a la categorie peu nombreuse des Tahitiens travailleurs,»
.naturels des lies Sandwich, un Chinois, un negre, etc., etc. Ces
«
«
..
trois nationality sont de beaucoup ce qu’il y a de meilleur comme tra-
vail et activite.»
Cet homme (Puru, un Tahitien) parait intelligent et laborieux, et nous
«
pensons qu’il serait bon d’encourager chez les indigenes cette tendance
que manifestent quelques-uns a perfectionner leurs cultures dans le
sens europeen.»
.plus de quatre-vingts proprietaries ou fermiers (tahitiens), qui,
selon 1’epoque a laquelle ils ont commence, ont tous defriche, plante
«
..
ou recolte du coton d’excellente
qualite,... energie inattendue de leurs
efforts chez des gens de leur race »
.Tincurable versatilite de cette race, et du peu de fonds qu’il faut
faire sur son emploi dans un travail de longue haleine. »
«
..
«
Il (Mati, indigene des des Sandwich) parait etre un travailleur intel-
hgent et energique, mettant dans son exploitation une suite et une regularite rares chez les Tahitiens. »
«
Cette apphcation de l’instinct d’association, que possedent les Indiens,
a la
«
grande culmre industrielle, est remarquable.
»
Une pareille transition, le passage du sommeil a l’activite, d’une insou-
dance seculaire a l’exploitation raisonnee de richesses negligees, ne
peut se faire en un jour.
»
97
j ffludleiin
d& la/ tfaciele de& &tifde& Oceanien/ie&
La relation a la terre devenue venale
Hamel (n°l) colon, proprietaire de 5ha.
Huria, (n°2) Tahitien proprietaire a defriche seul 38 ares... apres ses
corvees communales.
Bonnet (n°3) colon, propriete achetee en 1861, employant deuxindi-
genes des Cook,
Renvoye (n°4) colon proprietaire emploie 4 joumaliers, (1 Tahitien et
3 indigenes de Mangia)
Wennelstein (N°5) colon travaillant seul sur la terre de sa femme, souhaite s’agrandir sur la terre voisine appartenant a la reine qui en exige
1000 francs d’achat ou 200 francs de loyer.
Tamarii (n°6) Tahitienne, proprietaire
Foster et Adams (n°7) colons proprietaries de 8ha, emploient en
Cook que dirimoyenne dix indigenes, tous originaires de Tarchipel de
geait Tumu de Mangia, + deux Europeens
Laharrague (n°8) colon. Propriete achetee en parde a Tadministration,
partie a la reine.
Kean (n°9) colon, proprietaire, souhaite s’agrandir avec Taide de la
en
Caisse agricole
Robin (n° 10) colon, proprietaire de 25 hectares a Taunoa emploie trois
Indiens des Cook.
Paofai, (n°l 1) Tahitien siegeant a la Cour des Toohitu,... cette propriete, jadis inutile, quatre Indiens, payes a la tache... moins que la
moyenne des prix generalement trouves...
Taimai n°12, Tahitien. Proprietaire de 10,188 metres carres. Travaille
avec son
gendre.
Brander (n°13) colon proprietaire, vaste plantation dirigee par un Cap
verdien employant 6 hommes de Mangaia et des joumaliers payes au
poids de coton foumi.
Gooding (n°l4) colon proprietaire.
Cushing (n°15) colon proprietaire
Mairahi (n°l6) de Pitcairn, proprietaire de 4ha, aide de sa mere, entrave
par les corvees communales dont il n’a pas
les moyens de s’exonerer.
Faraipani (n°17) Tahitien proprietaire
Holthusen (n°18) colon locataire de 6ha; souhaite acquerir les terres
voisines.
98
N°321 Janvier / Avril 2011
-
Labbe (n°21) colon proprietaire de 65 hectares; abeilles introduites...
fevrier 1863... .employant un travailleur frangais et dix engages a l’annee; souhaite « acheter les parcelles de terre delaissees qui complete-
raient sa propriete et qu’il rendrait a ragriculture. »
N°55,
«
S. M. Pomare IV, d’assez vastes terrains,... entre les mains de
M. Salmon et Maheanu »
Pohue et Aifenua (n°72) cheffesse de Punaauia, etablie sur d’excellents
terrains de chefferie, comme Paave (n°73) et n°97: « Le terrain est une
propriete nationale tahitienne.»
Tanetua n°78 : les hui-raatira ont demande l’autorisation d’aller tra-
vailler leurs terres.
II semble qu’en passant de : « j’appartiens a cette terre
»
a « cette
terre m’appartient» ; Ton a toujours besoin d’encore plus de terre.
Les obstacles au developpement de Pexploitation agricole
Le principal obstacle est la « rarete des bras » suivi par le goyavier,
peste vegetale introduite favorisant la proliferation des rats; Terrance des
bestiaux et des problemes de voisinage. A ces difficultes concemant tous
les agriculteurs, se rajoutent pour les « Indiens » sans distinction d’ori-
gine, les corvees communales.
Conclusion :
II est etonnant et revelateur que ce rapport occulte les causes de la
«
rarete des bras ». Pas un moment ne sont evoquees les maladies intro-
duites responsables de la dramatique chute demographique et des consequences sur les survivants qui semblent posseder de reelles capacites a
rebondir dans Tepreuve. Cette omission du desastre sanitaire associee a
la distillation des termes« paresseux »,«indolence », « versatility »laisse
supposer que settle la paresse expliquerait la rarete de Tahitiens aux
champs. Ce discours largement partage par les generations actuelles de
toutes origines, viendrait moraliser le passage des terres en d’autres mains
plus meritantes... comme pour corriger une injustice du sort. D’autant
qu’ils sont si insouciants... M. Labbe par exemple, n’exploite pas egoi'stement, mais pour... TAgriculture.
99
m Qdu/Zetin da /a Societa da& &tuda& Otaanienna,s
Le commissaire imperial, son equipe et la Caisse agricole, ont done
facilite la cession de terres aux colons, sans garantir l’usage agricole ni
empecher la speculation fonciere.
Pomare IV vendait et louait des terres aux colons, Paofai sous-
payait ses employes et la Mission catholique pratiquait les meilleures
retributions.
Notons que des terres d’apanage ou de chefferie furent alienees a ce
moment-la.
Reste l’enigme du choix du coton qui ailleurs fit prosperer les pro-
prietaires d’esclaves!... Que dire de l’encouragement a poursuivre a la fin
de la guerre de Secession ?
L’agriculture cree un lien Homme/ Terre particulier. C’est un champ
a prospecter tant il fut riche en bevues d’« inspires» refigieux ou laics qui,
utiles certes,
pour garder leur position dominante, introduisirent plantes
les
mais aussi tant de pestes vegetales et/ou animales, modifiant
paysages,
insulaires
de
des
soi
l’estime
aussi
C’est
des
eliminant
especes indigenes.
qui est mise a mal comme ce precieux rapport en temoigne tant il fourmille de prejuges importes qui sevissent encore.
Simone Grand
BIBLIOGRAPHIE
CUZENT Gilbert, 1983. Archipel de Tahiti, Recherches sur les principals productions vegetales, Ed. revue et
Florence, Michel Guerin, Francine et Daniel Margueron, Denise et Robert Koenig lllustree
corrigee pur Jacques
par Guy Wallart Editions Haere Po no Tahiti 208 p.
PANOFF Michel, 1987. Tahiti Metisse- L'aventure coloniale de Denoel, 292 p.
VALENZIANIC, 1987. Reflexions sur l‘estimation de la population tahitienne par le capitaine Cook, (pp 1318). B. S. E. 0. N° 241, Tahiti.
VIGNERON Emmanuel, 1999. Le territoire et la sante
-
La transition sanilaire en Polynesia francaise. CNRS
Ed., Espaces et milieux, 281 p.
WILSON James, 1997. 1797 Un voyage missionnaire dans I'ocean du Pacifique Sud a bord du Duff& chroniques tahitiennes, Journal de mer, journaux de terre, SEO, Haere Po no Tahiti, 282 p.
100
Espace Debat
A Propos d'un...
silence qui rend sourd...
(Et il n’y a pas de pire sourd
que celui qui ne veut pas entendre
-
Proverbe)
Selon M. Robert Koenig (BSEO n°320, pp. 137-139), l’arrete
n°1331/CM du 4 aout 2010 serait entoure d’un silence assourdissant!
De quoi s’agit-il exactement ?
Cet arrete prevoit a son article l er
,
l’abrogation de l’arrete du 31
decembre 1921 qui avait confie a la Societe des Etudes Oceaniennes
(SEO) radministration de la bibliotheque et du musee de Papeete.
Juridiquement, une abrogation c’est l’abolition, pour l’avenir, d’une
regie generate (par exemple une loi) ou d’une mesure individuelle. Toute
autre definition, etymologique par exemple, ne fera que troubler le lecteur ce qui, au passage, est peut-etre, le but recherche...
N’ayant de consequences que pour l’avenir, une abrogation ne peut
avoir aucun effet retroactif. Comment pourrait-elle alors« gommer 90 ans
d’bistoire »?
Quant aux raisons d’une telle decision, meme si M. Koenig feint de
les ignorer, elles sont connues de tous les administrateurs de la SEO :
Le 5 mai 2009, le chef du service des archives transmettait a la pre-
sidente de la SEO une note juridique sur la situation des collections du
«
Musee de Papeete » concluant a la domanialite de ces collections;
d&u/letui da la tSocieta das. Slades Qcaaniennas
-
Le 28 mai 2009, la presidente informait les membres de la SEO
reunis en assemblee generate de l’existence et du contenu de cette note
juridique qu’elle tenait a leur disposition (Cf. PV du 28 mai 2009) Aucun
•
commentaire ne fut releve ;
-
Le 30 juillet 2009, le ministre de la culture confirmait a la presi-
dente de la SEO, le souhait du Pays de voir regulariser la situation juri-
dique des collections du Musee de Papeete et rinformait des procedures
qu’il allait mettre en oeuvre (Bulletin n°317 octobre/decembre 2009).
Toujours aucun commentaire;
-
-
Dans le bilan moral 2009, approuve par l’A.G. du 17 juin 2010,
publie au bulletin 319 mai-aout 2010, la presidente ecrivait:
pour 1’administration, la SEO avait recu une mission de service
public... cette mission a disparu lors de la creation du MTI en 1973... ».
«...
Aucune reaction;
-
Dans le meme bulletin est publie l’arrete 1931/CM du 04 aout 2010
ainsi que la lettre 6011/PR du 23 aout 2010 du president de la Polynesie
francaise qui remerciait la SEO pour l’oeuvre accomplie et lui reconnaissait
explicitement le droit d’usage des collections du musee de Papeete et le
droit a l’image sur ces collections.
M. Koenig a-t-il seulement pris la peine de prendre connaissance de
cette derniere lettre avant de se demander a l’infini si la SEO avait bien
rempli sa mission ou si elle avait failli ? Non, M. Koenig, cet arrete ne
gomme pas 90 ans d’histoire dans cepays pas plus qu’il n’a passe sous
silence le role primordial joue par la SEO pour la sauvegarde du patrimoine culturel polynesien.
Quant a la tablette de Pile de Paques (Rongo Rongo), si elle n’a pas
voulu revenir a Punaauia, ce n’est pas pour une question de confiance.
Le 7 fevrier 1977, la Congregation des Sacres-Coeurs de Jesus et Marie,
dite de Picpus, prete a l’association Tenete, qui realise la salle 4 du Musee
de Tahiti et des lies, le Rongo Rongo et la chaine de cheveux associee.
En juillet 2008, Catherine Orliac, commissaire de l’exposition sur llle
de Paques flnancee par le groupe Electra, sollicite le MTI pour qu’il lui
102
N°321 Janvier/Avril 2011
-
expedie la tablette a Paris. Le pere Jean-Louis Schuester, archiviste general
de la Congregation de Picpus et Sylvia Richaud,
pour 1’assodation Tenete,
autorisent expressement ce pret.
En octobre 2008, Veronique
Mu-Liepmann convoie la tablette en
Metropole.
Le 14 fevrier 2009, en reponse a un courrier de
Jean-Marc Pambrun,
le pere Schuester informe ce dernier:
de la creation, au sein de la Congregation, d’une commission chard’assister
l’Archiviste general dans la gestion de son patrimoine;
gee
-
-
«
que si cette commission
n’a pas donne une suite favorable a votre demande (de don manuel
de la tablette),... a cependant considere qu’il serait possible a 1’avenir,
de mettre en place le pret ou le depot d’oeuvres nous appartenant
une
periode qui serait a definir precisement.
pour
»
N’est-ce pas la une marque evidente de confiance?
C’est au cours de cette annee 2009 que, sur reclamation du service
des douanes, le MTI decouvre que la tablette avait quitte, non pas tempo-
rairement, mais definitivement le territoire ce qui fait dire a Jean-Marc
Pambrun dans le n° 25 de Hiro’a:
Quelle ne fut pas ma surprise quand la Congregation m’envoya au
debut du mois d’aout 2009 une copie de l’autorisation de pret qu’elle
«
avait consenti aux organisateurs de l’exposition sur 1’ile de Paques a
Paris; elle avait ete etablie en mai 2008 et precisait que les oeuvres
devaient etre expedites a Rome. Personne ne m’en avait jamais informe
jusqu’ici. Aussi, j’estime avoir ete dupe, a tout le moins mis devant le
fait accompli.»
Malgre cela, Jean-Marc Pambrun entreprend les demarches administratives aupres des douanes pour que soit prise en compte l’exportation definitive de ces objets (tablette + chame de cheveux) et leur retour
au sein de la Congregation a laquelle ils appartiennent.
L’article de Jean-Marc Pambrun paru dans Hiro’a provoque une
demande de droit de reponse de la Congregation. En l’acceptant, les
103
(ftuffelin de fa Society des Otudes Oceanieanes
des
partenaires de Hiro’a repondent qu’ils se reservent le droit d’y ajouter
commentaires. La congregation ne donne pas suite.
II n’y a done eu aucun refns, id, depublier la reponse de la-bas.
En resume, e’est a la demande de son proprietaire (Congregation de
la
Picpus) et avec l’accord de son depositaire (Association Tenete) que
tablette a ete pretee a 1’exposition financee par Electra a Paris. Le MTI n’a
ete qu’un executant oblige qui s’est conforme strictement aux instructions
de la Congregation. Pendant plus de 30 ans, le Musee a assure la gestion,
l’entretien et la conservation de cette tablette et la confiance de la Congre-
gation envers le MTI n’a jamais ete alteree en quoi que
ce soit.
En conclusion, M. Koenig souhaite que l’arrete du 4 aout 2010 soit
lui-meme abroge. En raison des regies d’inalienabilite et d’imprescriptibilite auxquelles sont soumises les collections museographiques,
comme l’a
Jean-Marc Pambrun dans son article, il est juridique-
rappele
ment impossible au Pays de se defaire de ses collections (et done d’abro-
ger ce texte) et ce, quels que soient
ou par les autres.
les desideratas formules par les uns
Mais il est vrai, qu’il n’y a pas de pire sourd que celui qui ne veut pas
entendre...
La directrice par interim du Musee de Tahiti- Te Fare Manaha
Veronique Mu-Liepmann
Le Chef du Service des Archives de la Polynesie franqaise
Pierre Morillon
104
Espace Debat
A Propos de... La descendance d'Edouard Ahnne
Docteur Lolita SCHUTZ
-
AHNNE
36 A Route de Bale
68000 COLMAR
Droit de reponse
Mise au point concemant les descendants d’Edouard AHNNE (1867
-
1945)
Les seuls petits-enfants actuellement en vie (reference Etat-civil) d’Edouard Frederic
Theophile AHNNE sont:
-
moi-meme, Lolita Marie Ariiorai Moeata AHNNE, epouse SCHUTZ, fille de
William AHNNE (mes deux freres Henry et William etant decedes)
-
Yolande Mireille Aimatarii Titaua AHNNE, epouse JOQUEL
et Evelyne Tiare Nui AHNNE,
filles de Frederic AHNNE
-
Pierre Edouard AHNNE, fils de Paul AHNNE
■)
105
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Dictionnaire de la langue tahitienne
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Mise en page: Backstage
Decouvrons le regard de Vaki Gleizal sur la botaiiique, la photogra-
phie et la colonisation a partir de la mission d’Edouard Raoul en 1887.
Introduits par Constant Guehennec, interessons-nous aux ecrits
missionnaires impregnes de la superiorite de leur pensee sur celle des
insulaires. Transforme par le prisme de leur regard singulier, ils nous
offrent un fascinant discours sur une realite humaine autre, revelant ainsi
l’Angleterre du XVIIIe siecle avec ses obsessions. L’orthographe de
l’epoque a ete respectee.
Rencontrons Jean-Louis Candelot aux Marquises et accompagnons-le
dans 1’analyse d’objets lithiques en forme de tortue.
Saluons Jean-Marc Pambrun et son analyse critique d’un discours
ethnologique autorise et accueillons l’hommage que lui rend Eliane Hallais
Noble-Demay.
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 321