B987352101_PFP1_2016_023.pdf
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A
iitten
RüÛT 2016
Te hotu lïla'ohi
f
Ramées de littérature
polynésienne
«Si tu étais venu
chez moi... »
•
■
.
-
•
'
Littérama’ohi
Publication d’un groupe d’écrivains autochtones de la Polynésie française
Directrice de la publication :
Chantal T. Spitz
Motu Ara’ara
Huahine
E-mail : vahinetumu(2)maiLpf
Numéro 23 / Juillet 2016
Tirage : 600 exemplaires - Imprimerie : STP Multipress
Mise en page : Backstage
Couverture :
N° Tahiti Iti
an’so Le Boulc’h
:
75S900.001
Revue
Littéramaohi
Ramées
de Littérature
Polynésienne
-
Te Hotu Ma ohi -
Liste des auteurs de Littérama’ohi n°23
Steeve Reea
Simone Grand
Hong-My Phong
Leila Ercoli
Jimmy M. Ly
Moana Taofifenua
Titaua Peu
Keny Simutoga
Goenda a Turiano - Reea
Noella Poemate
Odile Purue
Catherine C. Laurent
Chantal T. Spitz
Imasango
Théodore Tainoa
Nicolas Kurtovitch
Julien Titae
Jean-Noël Chrisment
Jean-Marc Tseng
SOMMAIRE
Littéramaohi N°23
Juillet 2016
Liste des auteurs
Sommaire
La revue Littéramaohi
Editorial
!
-
Les membres fondateurs
!
:
p.
p.
p.
p.
4
5
8
10
p.
13
,p.
18
p.
22
p.
25
p.
29
Dossier “ Si tu étais venu chez moi ”
Steeve Reea
Hô e â iô de
I
Simone Grand
Que peut donc signifier cette manie de certains
d’absolument vouloir Parler à notre place ?
Si encore les gens venus d’ailleurs étaient les seuls à le faire !
Jimmy M. Ly
Le jour où Ah Fong était venu chez toi !
Titaua Peu
Je nai plus de complexe
Goenda a Turiano Reea
-
Manu
Odile Purue
Réflexions inspirées du discours d’Henri Hiro : Rassemblement pour
p.
31
p.
35
p.
43
p.
50
p.
64
p.
68
Poème d’un soir
p.
Tuihana
p.
70
71
Je suis la nuit
p.
72
Amour de ma vie
p.
73
.p.
p.
74
75
p.
77
.p.
79
l’indépendance Hau Ma’ohi le 23 mai 1982
:
Chantal T. Spitz
cannibalisme identitaire
Créations autochtones
Théodore Tainoa
Julien Titae • Jean-Marc Tseng
Tupuna, le voyageur
Hong-My Phong
Et si... ?
Simone Grand
La Naissance de Mâui
Goenda a Turiano - Reea
Téha’utinoaraâtetamari’iiniaitetumupürau
Leila Ercoli
Moana Taofifenua • Keny Simutoga
Odile Purue
Déposition
Tukuraga takao aka’opega
Steeve Reea
A pâ i tô reo (Poro’ira a)
Simone Grand
MaitePômairateAo....
Auteurs invités
Noella Poemate
Je suis un enfant de la rivière
p.
84
p.
90
Ecrire et vivre sont j umeaux
p.
Les mers et océans se rejoignent où la terre nous unit
p.
94
97
Catherine C. Laurent
Le pays de ladi poétique
Imasango
Nicolas Kurtovitch
Et si par un matin pluvieux
p. 101
La vie en ce monde
p. 106
Où irons-nous
p. 108
Jean-Noël Chrisment
La part mince des choses
p. 109
Catherine C. Laurent
La Dernière histoire du Vieux
.p. 111
L'artiste
Teava Magiary.
p. 128
Littéramaohi
Ramées de Littérature Polynésienne
-
Te Hotu Ma’ohi -
La revue Littéramaohi a été fondée par un groupe
tones de la
d’écrivains autoch-
polynésie française associés librement :
Patrick Amaru, Michou Chaze, Flora Devatine,
Danièle-Tao’ahere Helme, Marie-Claude Teissier-Landgraf, Jimmy M. Ly,
Chantal T. Spitz.
Le titre et les sous-titres de la revue traduisent la société polynésienne d’au-
jourd’hui :
“Littéramaohi” pour l’entrée dans le monde littéraire et pour l’affirmation
-
de son identité,
-
“Ramées de Littérature Polynésienne”, par référence à la rame
à celle de la pirogue, à sa
-
-
de papier,
culture francophone,
“Te Hotu Ma’ohi”, signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères chinois intercalés
entre le titre en
français et celui en tahitien.
La revue a pour objectifs :
-
-
de tisser des liens entre les écrivains originaires de la Polynésie française,
de faire connaître la variété, la richesse et la spécificité des auteurs originaires de la
-
Polynésie française dans leur diversité contemporaine,
de donner à chaque auteur un espace de publication.
Par ailleurs, c’est aussi de faire connaître les différentes facettes de la culture
polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et modernes que
sont la peinture, la sculpture, la gravure, la photographie, le tatouage, la musique,
le chant, la danse... les travaux de chercheurs, des enseignants...
objectifs, c est avant tout de créer un moupolynésiens.
Les textes peuvent être écrits en français, en tahitien, ou dans n’importe
quelle autre langue occidentale (anglais, espagnol,... ) ou polynésienne (mangarévien, marquisien, pa’umotu, rapa, rurutu... ), et en chinois.
Toutefois, en ce qui concerne les textes en langues étrangères comme pour
ceux en reo maohi, il est recommandé de les présenter dans la mesure du possible avec une traduction, ou une version de compréhension, ou un extrait en
Et pour en revenir aux premiers
vement entre écrivains
langue française.
Les auteurs sont seuls responsables de leurs écrits et des opinions émises.
En général tous les textes seront
admis sous réserve qu’ils respectent la
dignité de la personne humaine.
Invitation au prochain numéro :
Ecrivains et artistes polynésiens,
cette revue est la vôtre : tout article bio et
biblio-graphique vous concernant,
de réflexion sur la littérature, sur l’écriture, sur la langue d’écriture, sur des
auteurs, sur l’édition, sur la traduction, sur l’art, la danse,... ou sur tout autre
sujet concernant la société, la culture, est attendu.
Les membres fondateurs
Editorial
De l’ambiguïté des sentiments
dans la relation accueillant / accueilli.
Accueillir quelqu’un dans son monde, son intimité est un acte de confiance.
Confiance en la personne à qui l’on ouvre le lieu choisi parmi tous les autres
pour se mettre à l’abri des dangers du monde. Mais aussi, confiance en soi et en
la solidité de ce qui a été bâti et dévoile un peu de soi à autrui.
Accepter l’hospitalité offerte est un acte de confiance en qui invite à partager
son
toit, mais c’est aussi accepter d’être débiteur, en dette, donc en état momen-
tané ou durable d’infériorité.
En 1767, les Tahitiens furent contraints et forcés par les canonnades
anglaises d’accueillir leurs assaillants malades, affamés et assoiffés qu’ils auraient
mille fois préféré voir aller se faire pendre ailleurs. Traumatisés par ces engins
de mort à distance, les Tahitiens acceptèrent le troc avec Wallis et les bateaux
ultérieurs (français, anglais, espagnols,... ) se présentant à une passe. Le prix en
vies humaines et en destruction des vitales pirogues
lors du refus initial fut jugé
exorbitant. Ils ignoraient les encore plus redoutables armes biologiques involontairement introduites par leurs visiteurs.
La première tentative de
colonisation fut catholique et espagnole en 1772.
Elle échoua. En 1797 le Dw/f débarqua des Blancs déterminés à conquérir file.
Ils végétèrent durant 20 ans dépendant des caprices du fin stratège Pômare IL A
1817, John Orsmond désespéra de ne pouvoir jouer son rôle
secourable. La détresse humaine était insuffisante. Alors il se mit à couper les
son arrivée en
arbres fruitiers. (T. Henry p. 12)
Quand on aime (les miséreux), on ne compte pas et les fabrique. Ainsi s’organisa
la conversion autour d’un système de charité protestante et le développement
du commerce avec nourriture importée et une économie de modèle européen.
A partir de là s’élaborèrent multiples récits sur la générosité non plus des
accueillants mais des accueillis ayant inversé les rôles d’endettés en créditeurs.
nourriciers cocotiers, les pieds de uru et autres
régulièrement occultée y
compris à l’affichée laïque université de Polynésie française.
La colonisation française prit le relais de l’anglaise
Il
est sans
doute possible que cette
ambigüité de la relation
accueillant/accueilli et le refus d’accueillis d’être débiteurs explique l’angoisse
exprimée par certains lorsque les autochtones métis ou pas s’expriment, interrogent et se racontent. Des générations d’Européens mais aussi d’insulaires
furent bercées par les récits extraordinaires des conquérants des âmes et de ter-
identité s’est construite sur ces mythes pris pour vériébranler, révélant les masques fissurés
d’une multitude de faux-selfs apeurés inévitablement agressifs.
ritoires sauvages... Leur
tés vraies et que notre impertinence vient
Célébrons la palpitation de la vie.
Simone Grand
“Black out" à Pyongyang, Corée du nord, décembre 201S
Orphelinat de Nampo, Corée du nord, janvier 2016
Teava Magiary
13
Steeve Reea
Dossier
Maohi tei here i te reo tumu o tônaferma. Ta'ata hîmene e ta'atapâpa’i
nâ roto i teie reo iti arohahia,
’iafa'aohipa-noa-hia â, 'ia tai’o-noa-hia â,
'iafaaro'o-noa-hia à, 'iaparau-noa-hia à oia.
Hô’ê â iô be
te porômu
hôe à iô be
porômu arata’i
faaorihaere
porômu tâhia
tore uo’uo
manino
ere’ere
apobpo’o
tâviriviri
nâ nia
nâ raro
fa’aohiera’a
te paraura a ïa
e
’ia hape
tere ohie roa
i te fare mai
e
penei ae
i te mënema
mcvehneouzi
étais
tu
LittéRama'OHi « 23
Steewe Reea
te
pere’o’o
hôe à iô be
pere’ob huira
epiti
e
e
maha
hau atu
tere vitiviti
vitiviti roa
ua
rahi roa
haruru
bro’oro
ahoahoa
mau
bre
hâua
ta’aniniraa upoo
auauahi
tùpohe aho
te fare
hôe â iô be
ho’ohia
târahuhia
paha
fare tîmâ
tâfare auri
ai
fare auri
bia ato’a
aua tîmâ
aua raau
-
auaihoarà
fare tàpapa ra’i
fa’autara’a nüna’a
15
Dossier
faataaeraa
te ta’ata
i te repo
fenua
teora
te maâ
hôe â iô be
nà te fare toa mai
nô te fenua roa
’aufauraa
punu
pü’ohu
afata
te vaira a ïa
te tâpati
auaa ae
ha’amana’ohia ai
te maa
o te
fenua
ai
hôe noa ïa
taime
i te
hepetoma
te tau
hôe â iô be
a mahana
a
hepetoma
a ava e
a
matahiti
tai’ora’a
fa’aea bre
horohororaa
moi
vcehneuz
étais
tu
LittéRama'OHi » 23
Steeve Reea
fa’a’aoaora’a
rohirohira’a
’a ha’amata
a
hope
a
aiü
a taure are a
a ru au
tai’ora’a
pau bre
ahoahora’a
faahuehue
oraraa
te ta ata
hôe â iô be
te mea fàna’o
te mea ere
te mea haavï
te mea opéré
te mea faatura
te mea faatura bre
të faatere nei
të faaterehia ra
te mea maita’i
te mea ’ino
tàua bre
i te ta’ata
tu ino nâtura
tâu’a bre
iâna noa iho
rima mâhora
taparahi ato’a
taparahi ta’ata
17
Dossier
tereo
hôe à iô be
reo
farâni
reo
tipee
reo
manahope
reo
fa’atere
reo
ha’avâ
ha’api’i
ha’api’ihia
reo
ha amo era’a hiro’a
mono
itou
ha’afaufa’a ore
item
fa’a’ui’ui
itô’u
fa’ahamiri
itô’u
'Ë pa’i,
fenua mai iô be ra te huru;
aha ïa tau e ia’a’ite atu iâ be ?
mai te peu ’ua riro tô’u
e
mcvheeonzui
étais
tu
LittéRama'OHi s 23
Simone Grand
Née à Tahiti de parents métissés nés à Tahiti, elle est deformation scien-
tifique. Etudiant les soins traditionnels et la maladie à Tahiti, elle réalise
une thèse
d’anthropologie médicale. La maladiefait tomber les masques
et permet d’interroger les préjugés émis sur les Polynésiens.
Que peut donc signifier cette manie de certains
d absolument vouloir
Parler à notre place ?
Si encore les gens venus d’ailleurs étaient
les seuls à le faire !
C’est là que l’on apprécie la démocratie où des opinions différentes peuvent
principe s’exprimer sans que l’on encoure des risques pour sa liberté et celles
de ses proches. Encore que ! Les supports de diffusion d’opinions différentes
en
sont si rares et d’une portée si restreinte
que parfois l’on doute avec raison de
l’inégalité de traitement entre la parole des uns et celle des autres. Comme ail-
leurs, c’est pire, apprécions.
Le sujet de réflexion de ce Littérama’ohi fut inspiré par les vives réactions
dont certaines d’une rare violence déclenchées par un propos de Chantal
Spitz se résumant à : « Marre d’entendre et lire des gens parler et écrire à notre
place, s’exprimer en tant que Polynésiens alors qu’ils ne le sont pas. »
Durant la même période, je lus invitée chez une amie qui avait convié une
jeune femme arrivée à Tahiti depuis à peine quelques mois. Vive, charmante et
prolixe, dès quelle sort de sa voiture, elle se présente par son prénom (disons)
Germaine pour de suite ajouter : « Appelez-moi Mareva, je suis Polynésienne
maintenant.
Comme je la félicitais pour sa jolie robe en patchwork, elle précisa :
C’est du tifaifai... » et nous gratifia d’un long laïus sur ce type d’ouvrage
»
!
«
.
I
;
19
Dossier
introduit par les femmes de missionnaires, etc. Je la regardai et lecoutai éberluée
s’adresser à mon amie qui avait quelques kilomètres de tifaifai à son actif
comme si
elle en ignorait tout. Ainsi se déroula le déjeuner où en toute incons-
cience de sa voix enjouée,
sa
elle nous expliqua ce qu’est la culture polynésienne,
spiritualité en nous offrant à la fin, quelques gestes de danse en démonstra-
tion de sa nouvelle identité.
Quelques années plus tôt, une relation avait écrit sur la maison tahitienne
développant tous les critères des maisons du Midi de la France où, en été,
les volets sont mi-clos pour empêcher la chaleur de pénétrer et la fraîcheur de
sortir, etc. Elle prit très mal mes remarques quand je lui signalai quid dans les
maisons bien conçues, l’objectif est de faire circuler l’air. C’est comme si
je lui
rappelai quelle n’était pas d’ici. Et alors ? Bien sûr quelle n’est pas d’ici. Quel mal
y-a-f il à cela ?
Des professeurs d’université, surtout spécialistes « es nous » ne sont pas
en
indemnes de bizarreries. Ainsi l’un d’eux, lors d’une émission télé sur l’identité
polynésienne asséna : « On est reconnu ma'ohi quand on connaît les noms de
poissons. » (Sic) Le même, quelques années plus tard traduisit certaines
expressions tahitiennes dans un ouvrage de grande qualité. Qualité quelque
peu gâchée par des inepties de ce spécialiste en qui l’auteure plaça sa confiance.
Jugez-en. Tumu-nui ou « Grande origine », première déité appelée à l’existence
par Ta’aroa fut traduit : « Grand Phallus » !... Révélant par là non pas une facette
de la culture polynésienne dont il est officiellement expert mais ses obsessions
personnelles. De même, l’affrontement taora ofa'i devint par lui : « pluie de
pierres » au lieu de « lancer de pierres ». Ignorance ? Désinvolture ? Ces idioties sont écrites, publiées, diffusées dans un livre qui par ailleurs fait autorité.
Alors que je présidais la Société des Etudes Océaniennes, je me retrouvai
par hasard au bureau d’accueil juste au moment de la visite d’un expert de Pierre
Loti qui tournait un reportage sur ce romancier. Un
membrepopaa du conseil
d’administration fit tout pour m’écarter du tournage. Je l’entendis expliquer le
plus doctement du monde au visiteur que rôti désigne en tahitien, la couleur
rose et la fleur du même nom.
Ça donne une idée de la qualité de l’enseignement
qu’il a pu dispenser dans sa discipline lorsqu’il y sévit de trop longues
années. A la retraite, il s’active à diffuser « son » savoir qu’il confond avec « le »
savoir. S’il avait pris la peine de vérifier dans le dictionnaire de
Tepano Jaussen,
il aurait lu que la couleur rose est târona1, comme le laurier-rose. Qu’en outre,
mcvehneouzi
étais
tu
i
Je me demande d'ailleurs si târona n'est pas dérivé de la biblique « rose de Saron »
LittéRama'oHi » 23
Simone Grand
pour les Tahitiens n’ayant jamais appris d’autre langue que la leur, celle-ci avait
si bien modifié leur appareil de phonation qu’ils ne pouvaient entendre ni prononcer la lettre « 1 » autrement
que « r ». Ainsi Loti devint inévitablement
Rôti. Quant à la rose, plante introduite, prononcée à l’anglaise, elle était enten-
due rôti et restituée telle.
Mais qu’ont-ils donc ces gens-là à éprouver un besoin si impérieux de pontifier sur nous ? Et il faut voir l’air ulcéré suivi d’agressivité d’intensité variable
chaque fois que j’ai souligné la nature de bourde de ce qu’ils ou elles pensaient
être une pensée sinon géniale, au moins pertinente sur « le » Polynésien. A
croire que leur identité profonde consiste à pérorer sur l’identité du Polynésien.
Exception faite sans doute d’une auteure d’une reprise à sa manière des
mythes polynésiens contenus dans Tahiti aux temps anciens de Teuira Henry.
Quand je lui signalai la traduction erronée depufenua par « motte de terre »
au lieu de
placenta », elle me répondit : - « ça ne fait rien, je préfère motte de
terre’, je trouve que c’est plus joli. » (Sic)
Par contre, ce fut particulièrement violent dans une société savante où l’un
«
des membres dénichait avec bonheur des écrits intéressants de missionnaires
et fonctionnaires coloniaux des XVIIIe et XIXe siècles.
Je fus semble-t-il la seule
à y avoir détecté le caractère profondément raciste et méprisant de leurs écrits
sur
les Tahitiens. Je fus semble-t-il la seule à avoir identifié une indigence mani-
feste de pensée. La rubrique « Débats » alors ouverte m’avait permis de souligner les incohérences de ces gens-là si imbus deux-mêmes et si médiocres. Que
n’avais-je fait ! J’avais commis là un crime de lèse-majestés contre ce que je
croyais être des collègues inscrits dans une démarche de recherche. Ils s’avérèrent n’être là, qu’en émetteurs de sentences
glorifiant colons et missionnaires
dont ils se voyaient dignes descendants. Ils me firent bien vite comprendre que
seuls peuvent être étudiés les Tahitiens et à la limite les Chinois, mais surtout
pas les Popa'a. Détenteurs de vérités évangéliques et autres, ils ne peuvent être
objets » d’étude. Ils ne peuvent être que « sujets » connaisseurs. Je me rappelai alors une étude sur les fonctionnaires d’Etat pourtant fort pertinente,
transformée en une étude sur les mariages franco-tahitiens... par son directeur
de thèse apeuré sans doute à l’idée d’être démasqué.
Qu’il est douloureux d’entendre et lire les pseudo-spécialistes « es nous »
souvent d’ailleurs mais aussi d’ici, en poste et en fonction de détenteurs officiels
«
du savoir sur nos ancêtres et donc sur nous.
A une demande réitérée de participer à un débat télévisé sur une période
de notre histoire, je finis par céder devant l’insistance de qui je croyais être un
21
Dossier
ami. Mal m’en prit. Je ne sais
quelle pudeur ou sidération me retint sur mon
siège qu’une totale goujaterie associée à une manifeste incompétence journalistique me poussait à quitter en pleine émission. Je restai jusqu’au bout espérant
arriver à y glisser quelque mot restituant l’humanité des Polynésiens d’hier.
Peine perdue, je fus sans cesse interrompue avec brutalité quand je tentai de
préciser que les Tahitiens n’étaient pas les imbéciles décrits par certains. Qu’ils
n’étaient nullement idolâtres car pas assez idiots pour adorer un morceau de
bois ou de caillou grossièrement taillé par eux-mêmes. Les tii étaient des sym-
boles d’un ancêtre vénéré divinisé dans un système de pensée où la notion de
divinité différait de celle du monothéisme moyen-oriental devenu occidental.
En vain. L’animateur souriait d’aise en entendant énoncer tour à tour par des
sommités religieuses et universitaire : « Les Tahitiens étaient idolâtres, voleurs,
menteurs, pratiquaient l’infanticide et le sacrifice humain. Grâce aux mission-
naires, tout cela prit lin. »
Quand je tentai de nuancer ces affirmations trop lapidaires pour être justes,
le quatrième larron intervint : « Oui ils étaient idolâtres et moi je reprends leur
culte. Je suis idolâtre. »
Pauvres ancêtres ! Leurs descendants n’ont plus besoin d’étrangers pour les
insulter, ils se suffisent à eux-mêmes. Pourtant le mot itolo n’est en rien tahitien.
Le mot « Idole » même mal prononcé avec l’accent tahitien, est issu du latin
ecclésiastique et du grec. Si le mot n’existe pas en tahitien, c’est que son concept
n’y existe pas. Et donc l’idolâtrie non plus.
Etrange comme leur réaction ressemblait à celle du ou de la Popaa à qui l’on
rappelle qu’il ou elle parle de ce qu’il ou elle ne connaît pas.
Ces deux groupes en apparence opposés, m’apparaissent comme les deux
laces d’une même médaille forgée par une Histoire où ils se sont construit une
identité sur des discours non questionnés, non vérifiés. Sur des impressions et
des formulations non mises à l’épreuve de la méthode. Quelque part, ils savent
qu’ils débitent des âneries. Mais ils veulent convaincre d’autres, le plus grand
nombre possible d’autres que leurs âneries sont des vérités voire « La Vérité
vraie si je mens je vais en enfer ». Ainsi ils pourront continuer à vivre tant bien
que mal avec cette identité factice qui leur évite de plonger au plus profond
deux-mêmes pour ramener à la lumière le trésor de leur être vrai.
Dommage.
,
mcvheeonzui
étais
tu
i
LittéRama'OHi « 23
Jimmy (Tl. Ly
Le jour où Ah Fong était venu chez toi !
En descendant du schooner venant d'Australie
qui l’avait amené à Tahiti,
Ah Fong se demandait dans quelle île, dans quel port il était arrivé et surtout
ce
qui l’attendait à destination surtout après ce long et douloureux périple
autour des mers du
Pacifique Sud.
Avec d’autres pauvres hères de son espèce
logés à fond de cale, il se dépêcha
de descendre l’échelle de coupée brinquebalante. Enfin sur la terre ferme.
De prime abord la ville comme le
port avaient un aspect relativement accueil-
lant et verdoyant. Les gens d’ici arboraient un air souriant. Sa famille et ses amis
là bas ne lui avaient pas menti. C’est peut-être ici que se trouve la terre promise.
Sur le quai il avait gardé cet air fatigué de coolie mais étonnamment serein
depuis qu’il avait quitté le port de Hong Kong. Même si le douanier de service
lui avait aboyé dessus. Mais c’était son rôle, et cela ne le troubla pas plus que cela.
L’essentiel est qu’il était arrivé à bon port.
Tout allait donc pouvoir commencer, surtout ses rêves de réussite
pour lesquels il avait quitté le village aux maisons rondes du Fukien. Il se faisait tard et le
soleil allait se coucher derrière la silhouette d’une île située de l’autre côté du récif
Il se mêla à la foule des passagers et se glissa dans la file des arrivants
attendaient devant les bureaux d’accueil où étaient assis des
Un peu désorienté et intimidé il se tourna alors vers un
ment faisait office
qui
gens en uniforme.
compatriote qui apparem-
d’interprète auprès des douaniers et des officiers d’immigration.
Avec des yeux interrogateurs, celui-ci lui demanda le nom de la ville d’où il
venait,
23
Dossier
«
QUINTU, QUINTU, de la capitale, de la capitale.» qu’il réussit à lui bara-
gouiner comme réponse.
Qu’est-ce qu’il dit ? Qu’est-ce qu’il dit ? dit le fonctionnaire. « C’est encore
du chinois je parie. ».
Se grattant la tête avec un air excédé et ennuyé, le douanier
pourtant bien
habitué à ces arrivées dit à l’interprète de service,
Qu’est-ce que je vais bien pouvoir mettre sur la fiche d’arrivée ? Au diable
leur accent ! Il a dit QUINTU. On mettra Tinito sur sa fiche à côté de son
numéro. Celui-là ne fera qu’un de
plus à ajouter à la suite des autres sur le registre.
Les formalités accomplies, Ah
Fong se mit à déambuler sur le quai. Il rencontra un autre
congénère qui lui adressa la parole dans le dialecte Hakka. Il lui
«
«
demanda s’il connaissait quelqu’un dans le pays.
Non, répondit Ah Fong
Mais il lui tendit un parchemin écrit avec des caractères chinois.
L’autre défroissa la lettre et lui dit, «Je ne sais pas lire tout ce qu’il y a d’écrit
la dessus mais si tu suis la rue bordée d’acacias, tu trouveras au bout la maison
de l’association philanthropique chinoise. Là tu trouveras des
assez savants
compatriotes
pour te lire la lettre. »
Après moult remerciements et avec son petit baluchon qui contenait tous
maigres effets, Ah Fong s’engagea dans la rue qui menait vers l’intérieur de
la ville tout en regardant à droite à gauche pour voir s’il n’y aurait
pas un véhicule qui pourrait éventuellement le renverser. Mais la rue était très calme et
ses
apparemment sans danger.
Il se dirigea d’un pas alerte vers un bâtiment qui avait un semblant d’architecture chinoise. Montant les marches de l’escalier il se retrouva devant une
espèce de véranda où se trouvait assis un homme au visage chaussé d’épaisses
lunettes noires.
Ah Fong se dit que c’est sûrement le directeur de l’association. Avec réserve il
se
présenta. « Tsao Sing, bonjour, je m’appelle Ah Fong je viens d’arriver par le
bateau, je viens de la part de mon oncle resté en Chine mais il m’a écrit une lettre. »
Le directeur prit la lettre pour la lire et son
visage s’éclaira d’un large sourire.
Ali oui ! Je connais ton oncle qui est déjà venu ici il y a
quelque temps,
mais il est reparti car il est tombé
gravement malade. C’était un homme travailleur sérieux et bon. Comme ses problèmes de santé étaient sérieux et le tracassaient beaucoup, il souhaitait retourner au
pays pour revoir sa famille et ses
enfants. Ainsi il pourra y mourir et être enterré dans sa terre natale comme le
«
veut la tradition. »
cvmehneouzi
étais
tu
i
LittéRama'OHi « 23
Jimmy fTl. Ly
«
Assieds-toi, assieds toi. Dans cette lettre, il ta recommandé auprès des
patrons du magasin Sin Chong et tu pourras aller les voir dès demain matin.
Tu verras s’ils vont pouvoir te trouver un travail.
J’espère que tu vas aimer ce
qu’on va te donner. »
«
tu
La nuit est tombée, il fait noir » lui dit le professeur, « En attendant demain
pourras te reposer et dormir dans le cagibi de derrière où il y a un lit. Atten-
tion ! Ici tout le monde se lève très tôt. Ne sois
pas en retard à ton rendez-vous.»
Ah Fong se rendit dans la chambre. Il rangea sommairement ses affaires et se
mit à faire des projets pour
le lendemain et pourquoi pas le futur. Allongé sur son
lit de fortune Ah Fong réfléchit jusque tard dans la nuit. Il est arrivé sans encombre. « Je devrai rendre grâce à Kanti notre dieu protecteur des voyageurs. »
Avant de fermer les yeux, il eut une pensée pour sa femme et son fils restés
au
village. Il faudra qu’il travaille très dur pour leur envoyer de quoi survivre et
subsister pendant son absence.
Je dois réussir coûte que coûte pour éventuellement les faire venir dans
pays où apparemment il n’y a pas d’hiver. »
«
ce
Comme il travaillait comme maraîcher dans les champs du
village, il se
disait que dans cette île il y aurait bien un moyen de louer un terrain avec les
autochtones pour cultiver les légumes et les vendre au bord de la route ou au
marché de la ville qu’il avait entr’aperçu en venant.
Bien sûr il ne le ferait qu’au cas où le travail proposé au
magasin ne lui plairait
pas ou ne lui conviendrait pas. On ne sait jamais. Mais avait-il vraiment le choix ?
Il s’endormit enfin avec la tête pleine d’étoiles car demain il savait que ce sera,
«
Au travail ! »
N.B. - Je suis venu chez toi !
C'est ainsi que moi Ah Fong, Numéro XXXX,je suis venu chez toi pour changer de
vie et faire des projets d'avenir. Je sais que çà va être très difficile voire impossible de
rester très longtemps dans ce pays. Ici je n'ai que mon courage à deux mains et c'est
tout ce que j'ai.
Je me suis alors demandé combien faudra-t-il de privations d'efforts et d'années
de travail pour que je puisse sentir ton chez toi comme mon chez moi. Comment
pourrais-je rêver et penser qu'un jour de ton chez toi je pourrai en faire un mon chez
moi ? Je ne saurais te le dire.
Aussi je n'y pense pas trop à ces problèmes car le travail passe avant tout. A moins
que l'appel du pays natal, de mon épouse et de mon fils restés là bas dans mon chez
moi en Chine ne soit encore plus impérieux, plus viscéral, pour me faire rentrer dans
mon chez moi de manière
irrépressible.
Dossier
Titaua Pau
Auteur de "Mutismes'; 2003
et de “Pina” à paraître.
Je n ai plus de complexe
Face à leurs maladresses, quand tout va bien
A la violence inscrite dans le marbre de leur constitution, quand tout va mal
Et face à leurs éternels atermoiements sur un passé glorifié à coup
de documen-
taires colorisés
Je foule, volontiers, leur étendard et leur mission civilisatrice-policée. Je n’ai plus
de complexe.
Et je ne ferai plus comme certains. Penser, argumenter,
déduire, prouver,
conclure
L’un ou l’autre, ou tout à la fois...
Que m’importe, aujourd’hui, qu’ils me comprennent ?
Que m’importe de faire montre de bonne volonté ?
Que m’importe l’alambic d’explications fourre-tout ?
Qu’ai-je à faire des myriades de systèmes, de recettes économiques miracles qui
offrent, en apparence, la liberté ?
Qui n’ont d’existence que dans les cerveaux déjà bien rognés de penseurs
vous
«
autochtones », blanchis à la chaux ?
Je n’ai plus de complexe
Et je ne ferai pas comme les autres
A sourire,
A répéter comme un mantra « Au
fond nous sommes frères et sœurs »
LittéRama'OHi 8 23
Titaua Peu
Un frère ne viole pas sa sœur. Une sœur ne se laisse
pas piétiner par son frère.
Liens incestueux, liens malsains et perfides. Pour remplacer la réalité : celle de
l’esclave enchainé au maitre
J’entends vos soupirs... et l’amour ?... L’amour plus fort que tout ?
Apparemment, l’amour
N’est jamais allé plus loin qu’une scène de Heiva, une estrade pour miss parfaite
pas-trop- blanche, surtout pas-trop-noire ...
LAmour « altérité ». Si seulement vous en aviez fait un modèle-fierté d’un pays
qui se construit,
Vitrine d’un destin réellement commun
Non ! l’amour altérité s’est paré, une fois de plus, des atours violents de l’exclusion
Demi, c’est beau, sain, riche.
Kaina », c’est moche, gros et pauvre.
«
Je n’ai plus de complexe. Et j’abhorre vos fausses vérités aux éclats pourris :
au fond, nous sommes tous
citoyens du monde »
Foutez la paix au monde, il souffre assez comme ça
Je n’ai plus de complexe et je refuse la facilité
Celle qui veut que nous convoquions, tous les 31 du mois, la mémoire « officielle » à coup de partages sur réseau social
«
«
Si tu étais venu chez moi »...
Oui mais voilà, 30 ans plus tard la chape de plomb m’arrange
Je ne tiens pas à les rendre plus « éclairés »...
et je hurle de rire,
je pleure... Sur les ombres mortes de ceux qui avaient la
...
bonne place, le bon rang ...
Ceux qui avaient la permission de dire. Réminiscences d’un monde
que je n’au-
rais sûrement pas aimé non plus
«
Brillants orateurs », si absents maintenant. « Si tu étais venu chez moi »
...
Non de grâce !
Flash back sur un moment d’anthologie
Inséré dans une de ces réunions de petits-doigts en l’air, en tenue petit-blanc,
C’était un de ces attroupements « d’artistes »-penseurs-malheureux censés
façonner la paix, invités en haut lieux, et à qui le politique avait demandé ce que
«
Polynésien voulait dire »...
Parce que les vérités font mal, parce que
est injure et
insulte
parler de fondations, de fondements,
27
Dossier
Parce que les « ayatollahs de la langue ma’ohi » présents avaient préféré pren-
dre fait et cause pour les « citoyens du monde »,
Chrétiens affirmés qui réservent leur amour à lÂutre et détruisent, peu à peu,
la folle étincelle dans l’œil de l’enfant issu de leur propre « nati »...
Par auto-ségrégation, ce jour là, la crème de la crème
décréta qu’être « polynésien » c’était avoir les « mêmes valeurs ».
Valeurs... Actuelles ? Economiques ? Morales ?
Exit les malaises qui minent nos quartiers, ville, écoles, ruelles
Motus sur la mémoire qui remonte, malgré nous, à la surface d’un corps maté...
Motus sur ses troubles qui ont réussi, malgré tout, à franchir la docile raison
d’un monde civilisé
Tous unis dans un élan de solidarité gestuelle, gracile, majestueuse
Un peuple qui danse est forcément heureux
La montagne accoucha ce jour là d’une réclame capillaire et au fond paresseu-
lapidaire :... Parce que nous le valons bien !
Ce jour là, l’assemblée auto-satisfaite venait d’écraser à jamais les dernières
sement
convulsions d’un corps social qui a eu peur, s’est battu et qui s’est soumis...
En fait, c’est simple : Je n’ai plus de complexe...
comment
pourrait-on en avoir, encore ?
Face à une puissance sur le déclin
Pitoyable pays au président hué, moqué de toutes parts pour le Vaudeville
qu’est sa vie
Qui laisse des « migrants » d’anciennes colonies, crever en plein océan
Qui balance les survivants à ses voisins, comme on balance une patate chaude
Migrants » noirs, pauvres, lie de la société
«
Qu’on offre en sacrifice sur l’autel de la « concorde » nationale...
oubliant les promesses de la grande Europe
Plus que jamais, je n’ai plus de complexe
Face à un pays qui a fait d’un parti d’extrême droite... un parti « républicain ».
Qui offre aux discours racistes, islamophobes des prime-time insensés
Et qui plie sous ses hoquets tantôt hilares, tantôt scandalisés, face à l’élection
possible d’un président américain raciste
Qui éructe ses bons sentiments oubliant que Marine n’est rien d’autre qu’une
Trump... en jupe...
'
mcvehneouzi
étais
tu
i
LittéRama'oHi # 23
Titaua Peu
Qui distille en chacun de ses citoyens le poison de la haine « raisonnable »,
rationnelle, institutionnelle, « mal banalisé » qui donna naissance aux camps
de la mort...
Non, plus aucun complexe
Face à cette puissance colonisatrice, éminemment violente et qui, si benoite-
ment, interdit aux peuples autochtones de « son » territoire toute velléité d’in-
dépendance et de liberté
...
Je suis en paix avec moi-même. Etonnamment
Alors non... je n’ai plus de complexe.
29
Goenda a Turiano - Reea
Dossier
Epa'i ! Tek noa à b Paraita mâ e ’imi nei i te ràve’a Unaha, e mea here
i tepâpa’i, e mea au i te tai’o, e mea ana'anatae ato’a i te hïro’a tumu o te
ferma. ’Atae ho’i ! 'la eaea noa te tab, ’ia oraora noa te tai’o, 'ia maumau
ri'i noa a’e i roto i te a'au !Enâ outou !
Manu
Tei te mau fenua ato a b manu tirotiro ma
Mea tâponi ’ia haere ana’e mai
Taponi i te mau manu ai moa
Iô râtou i tô râtou na ofa’ara’a
E ’ia tae mai ’o manu tirotiro ma
I te ofaaraa a manu ai’a mâ
’Oru’oru-roa-hia iho nei
Mai te manu ’ai moa ra
Iô râtou i tô râtou na ofa’ara’a
Rohirohi mà...
A tau têtoni noa ïa i te taura’a mai
la faaro’o-ana’e-hia atu terà maniamania manumanu
la au iho â ïa ë, tô mua atu te ite
I te mea maita’i a’e nô manu ai’a mâ
E aha ho’i e bre ai ?
Të ti’aturi noa ra à b Paraita mà râtou o Tihoni mâ
I terâ parau tà manu tirotiro i të nâ-o-raa ë :
Poiri, poiri mà !
mcvheeonzui
étais
tu
i
LittéRama'oHi « 23
Goenda a Turiano - Reea
Àhani i lii’o ri’i noa mai iâ manu ai’a mâ
E ’ite ïa i te ’ï tupuna nô teie nei ofaaraa
Auë ! Aua’e ato’a ihoâ !
E’ita e nehenehe e ti’aturi
E tae pa’i i te parau é :
Nâ manu tirotiro mâ iho â teie rama tupuna !
’Ua tupu aë na, ’ua riro atu, ’ua riro roa !
Mai ta Angelo i hïmene iho
E au iho â i te utu papa
’la tâpi’i anae, e’ita e faaru’e fa’ahou
’Otebte noa atu ai i te maita’i a vetahi
Haapa’o pau, ’ia pau maita’i, ’ia pau roa
E pa’i !
Té vaiiho noa ra â o Paraita ràtou b Tihoni mâ
’la ere iho i te ’ï tupuna !
A tàmau noa be e manu tirotiro
la riro mai be ei manu ’ai moa
E’ita be e ha’afifihia i te ofa’ara’a a manu ai’a mâ
Fa’aitoito i te fa’a’ï i te pütê e te hanahana
’Ü’uru roa o manu ai’a mâ
I te rave nà be e manu ai moa é...
31
Odile Purue
Dossier
Auteure d'écrits mangaréviensfrançais, clic est née à Rikitea,
Gambier. « J'écris pour laisser des traces, pour
archipel des
témoigner, pour éclai-
rer,... Une vision de mon passé
fait renaître des souvenirs qui ne se décolorent, ni ne s'effacent jamais. C'est une mémoire de mon enfance
demeurée dans le temps. »
Réflexions inspirées du discours d’Henri Hiro :
Rassemblement pour l’indépendance Hau Ma’ohi
le 23 mai 1982
«
Si tu étais venu chez moi, je t’aurais accueilli à bras ouverts et j’aurais
tout partagé avec toi. Mais tu es venu
chez toi et je ne sais comment t ac-
cueillir chez toi ».
Henri Hiro se tournant vers l’homme venu d’ailleurs, vers
l’étranger, adressa
parole dans sa déclamation au Peuple Ma’ohi lors d’élections à lÂssemblée
Territoriale de la Polynésie Française du 23 mai 1982.
Ce message est un appel à une prise de conscience du devenir du peuple
ma’ohi par rapport à son vécu d’hier.
cette
Etranger ! - Si tu étais venu chez moi, avec un cœur humble et sincère,
dépourvu de suffisance et d’orgueil.
Si tu t’intégrais et devenais comme moi et non devenais « moi », se
croyant au-dessus de tout, meilleur que les autres.
Si tu m’écoutais et raisonnais mes paroles avec clairvoyance,
t’épargnant
ainsi de mots de
façade » vides et incohérents.
Si tu acceptais et respectais ma façon de vivre sans regarder les conditions
«
-
-
«
-
sociales, matérielles et sans te soucier des conventions extérieures
-
Si tu avais écouté et honoré ma langue maternelle, symbole de mon
appartenance à mon pays sans chercher à interdire sa pratique.
moi
vcehneuz
étais
tu
i
LittéRama'OHi # 23
□ dile Purue
«
-
-
Je t’aurais accueilli à bras ouverts et j aurais tout partagé avec toi » :
T’asseoir à côté de moi et partager mon repas, ma maison.
Suivre mon art de vivre, montrer où et comment pêcher tel poisson dans
tel lieu.
Planter un arbre en connaissance du cycle lunaire, en rivant son regard
-
vers
le ciel.
Se rapprocher et apprendre à apprivoiser la nature, écouter
-
les bruits de
la mer.
Maîtriser les noms des vents, leur direction, apprendre à apprécier leur
-
force.
-
son
-
polynésienne, de la famille élargie,
originalitéqui protège de l’individualisme et favorise la solidarité.
Parler de ma culture, de ma langue, des légendes, des histoires, vivre mes
Rencontrer et parler de la généalogie
danses.
Apprendre comment parler, savoir employer le bon mot pour apaiser les
exemple : «’Oia ho’i », « Eh ben oui » en français. Ces petits
mots qui veulent simplement dire : « Je veux m’asseoir à côté de toi » apaisent
-
tensions sociales :
la colère, la violence et ramènent le calme.
«
-
Mais tu es venu chez toi et je ne sais comment
Ta venue chez toi, légitimant l’occupation
t’accueillir chez toi. »
de ma terre et imposant ta
domination a suscité en moi un sentiment de résignation et d’apathie qui a
engendré un complexe d’infériorité. Ce complexe s’est traduit par le mutisme
et le désarroi tant le mode de vie se trouve bouleversé.
-
De plus l’attrait de l’argent
déversé à l’excès a facilité le départ et l’abandon
de la terre, de la maison, des parents, des traditions pour une vie aux milles
éclats. Ils (le peuple) ont délaissé leur richesse patrimoniale transmise de géné-
qu’ils croyaient meilleure.
d’autrefois, animée de désintérêt, de joie de
vivre s’avère aujourd’hui empoisonnée par l’ambition et le pouvoir, primant
alors l’égoïsme et l’individualisme.
Déracinés et ayant perdus toute dignité, fatalement la haine, l’exclusion
ration en génération pour une vie
-
Lame guerrière et détachée
-
sociale et la convoitise s’installent. Des valeurs essentielles d’une vie simple,
tournées vers la nature et les traditions qui s’enfuient. Des
valeurs axées sur
l’amour inconditionnel du partage et de la simplicité.
-
L’accueil et l’hospitalité « Haere mai ra, haere mai tama’a » ne résonnent
plus et se sont Enfuis dans l’indifférence.
Dossier
Cette parole prononcée par Henri Hiro est un message d’union et de récon-
ciliation du peuple ma’ohi. Il l’appelle à chérir sa terre, à préserver son histoire
l’héritage des ancêtres ma’ohi. Il l’invite à prendre son destin en main. La voix
de sagesse d’Henri Hiro traduisait déjà sa clairvoyance.
et
Le chemin d’amour et d’affection qui conduit à endosser, à assumer les res-
ponsabilités dans l’indépendance du peuple ma’ohi dans la paix et pour la paix.
Seulement, il faut tant d’années, tant de saisons pour s’en rendre compte,
s’accepter soi-même, se pardonner tout autant que rendre compte, accepter l’autre et lui pardonner (Tahiti Pacifique hebdo, bulletin P.K.O).
mcvheenozui
étais
tu
i
LittéRama'oHi # 23
Chantal T. Spitz
Auteur de l'île des rêves écrasés, Hombo transcription d'une
biographie,
pensées insolentes et inutiles, Elles, Terre d’Enfance roman à deux
encres, cartes
postales création littéraire autochtone.
cannibalisme identitaire
l’autre parti de son Europe natale à la recherche d’une route alternative
Indes à la poursuite du continent austral à la découverte du bon
pour les
sauvage s’est
dès l’aube de ses voyages accaparé la parole sur les peuples des contrées lointaines et inconnues immédiatement
rebaptisées de noms humains civilisés
parole écrite inscrite gravée partagée lue commentée légitimée étudiée
imprimée a servi de socle prétexte alibi excuse justification à tous les aventuriers
cette
baleiniers trafiquants évangélisateurs colonisateurs administrateurs
neurs
mettre tous les
nous
gouver-
qui ont sévi sur toutes les mers et tous les océans du globe afin de sousauvages et éventuellement les humaniser
n’avons pas fait exception et la parole assourdissante de l’autre de tous les
autres a fondé notre identité nous
reléguant dans le silence des sans-parole
sans-pensée sans-raison
histoire ancienne histoire d’un autre temps du temps colonial nucléaire à
jamais
révolu dira-t-on
nous vivons
nous
désormais dans le temps de la démocratie et de la liberté d’expression
évoluons dans le temps des échanges internationaux et des réseaux sociaux
nous sommes
désormais dans le temps postcolonial
temps serein de la réconciliation avec nous-mêmes de la reconquête de notre
culture de l’appropriation de la parole notre parole
temps béni des harmonies sociales des métissages identitaires des intégrations
culturelles
35
Dossier
c’est ainsi que nous nous trouvons confrontés depuis quelques années à des
prétentions asphyxiantes de plus en plus nombreuses d’expatriés français s’au-
toproclamant Polynésiens
prompts à s’arroger quelques marqueurs identitaires dont ils imaginent que
leur seule exhibition vaut accréditation immédiate intégration instantanée dans
le pays où ils choisissent de s’installer
pourrait penser que ce désir d’intégration s’origine dans l’assimilation forcée
des étrangers qui choisissent la France comme terre d’asile de refuge d’avenir
on
immigrants sommés d’abandonner leur langue leur culture leurs croyances
pour se muer en citoyen de la république tricolore égalitaire
que ces expatriés mués en Polynésiens-issus-de-l’immigration n’auraient de
cesse
d’exiger d’eux-mêmes ce qu’ils exigent des autres
ces
là-bas chez eux
l’apprentissage et la maîtrise de la langue l’adoption de la culture le respect des
modes de vie et de pensée des gens du pays qui les accueillent
rares ceux
qui parlent la langue de ce pays-hâvre
même après quelques décennies d’omniprésence
en
réalité ce pays où ils s’implantent pour un court temps un long temps une
vie n’est pas
le nôtre
il est le leur par le miracle la continuité territoriale du sol républicain français
indivisible
ils rejoignent leur chez-eux entre-soi
légitime colonie pacifique qui s’est donnée de tout son corps consentant et n’a
de cesse depuis de rendre grâces à sa mère patrie pour ses dispendieuses générosités
dont les habitants
pensent-ils dans leur insondable illusion-évasion leur insolente naïveté-vanité
sont heureux flattés voire reconnaissants de leur occupation leur omniprésence
leur omniscience
ainsi donc s’installent-ils chez eux entre-soi
pleins de leur envahissant paternalisme exhibé comme un étendard liberté-égalité-fraternitaire qu’ils pavanent comme autorité immuable inébranlable impérissable
pétris de leur impérieuse suffisance brandie comme le linceul bleu-blanc-rouge
dont ils espèrent nous garrotter la pensée la parole l’opinion publiques populaires
mcvheeonzui
étais
tu
i
LittéRama'OHi # 23
Chantal T. Spitz
gorgés de romans d’articles de documentaires de photographies de films de
récits de vie de Popa’a en Polynésie comme une parole
d’évangile qui n’en finit
pas de nous sceller dans une carte postale mythique
que n’avons-nous pas entendu que ne continuons-nous pas d’entendre dans
notre pays
chez-eux entre-soi
lors d’un salon du livre il y a quelques années je présentais en duo avec Annie
Coeroli-Green un texte sur « le mariage de Loti » dans lequel je disais tout le
bien qu’il m’inspirait
que n’avais-je osé
professeur d’histoire expatrié me lançait furieux « dans les mines du nord
de la France les patrons couchaient avec les fillettes d’ouvriers de
un
douze ans ! il faut remettre le roman dans son contexte historique ! »
ah le contexte historique-alibi expiatoire
le même qu’un professeur émérite d’une université française m’opposa lors du
colloque commémorant le centenaire de la mort de Paul Gauguin à l’université
du pacifique où j’avais osé mal parler du grand homme
et toutes les interdictions formelles
vous n’avez
pas le droit de penser ça
vous n’avez
pas le droit de dire ça » éructées avec haine doigt pointé comme
«
une menace
et la lettre d’insultes et
attaques personnelles dont se fendit l’organisateur du
colloque comme pour me << rendre la pareille »
professeur d’université qui publiait dans feu le quotidien les nouvelles
de Tahiti une diatribe où se mêlaient le talibanisme tropical des intellectuels
indigènes (...) fauteurs des pires désordres qui commencent toujours par
la confusion des esprits » « des représentants de la nouvelle barbarie (...),
exemples du demi-savoir, du savoir à moitié qui utilise des formules
creuses, intègres et intégristes, des mots d’ordre incantatoires (colonialiste,
impérialiste » « ceux qui ont reçu quelques rudiments (de l’histoire, de la
littérature, de la philosophie), le « talibanisme tropical, forme de l’idéologie
dominante des îles, mélange d’importation proprement ahurissant de lepénisme et de surenchère de bonne conscience, de nationalisme étriqué et de
rejet de l’autre », « les nouveaux historiens, gavés par l’esprit du ressentiment », « le roman francophone, qui pourrait s’entendre avec un sourire
légèrement oximorique », « la réalité de l’ouverture que la barbarie des
ce même
«
37
Dossier
demi-doctes et l’ignorance fautive veulent tout le temps refermer ».
parce que j’avais commis l’impardonnable faute d’avoir répondu à un article
qu’il avait signé
la liste est longue de ces professeurs et... logues de tous poils qui ont bâti leur
carrière sur les autochtones du pays qui les accueille et ne souffrent
ceux-ci aient une pensée autre que
la leur
à moins que la seule idée que les autochtones de ce pays pensent et
nement
pas que
pensent sai-
intelligemment librement ne leur soit intolérable
ils ne sont pas les seuls loin s’en faut
il y a quelques mois une dame bien-sous-tous-rapports m’agressait au marché
Mapuru a Paraita de Papeete pendant la lecture publique donnée par littérama’ohi
vomissant sa haine ses
aigreurs sa rage « qui vous a donné l’autorisation de
dire ces mensonges en public ! donnez-moi le micro que je dise à tous ces
gens de ne pas écouter vos conneries ! »
et s’ensuivit un discours d’un racisme
primaire basique se terminant par « tu
es
bien contente de toucher les allocations familiales »
la palme des discours racistes primaires basiques décomplexés revient sans
contexte à l’éditorialiste de Tahiti
Today qui publiait sur son site le samedi 15
décembre 2012 :
«
Toujours aussi révoltant....
Il n’y a rien, rien à faire ! Tout comme les Papous en Nouvelle Guinée qui
déguste avec gourmandise la chair humaine dont ils disent qu elle a un goût
exceptionnel, les Polynésiens continuent à tuer d’une manière révoltante
le meilleur compagnon de l’homme, batard ou de race, pour le manger.
Idem pour la chair de la tortue espèce protégée.
Les barbares restent des barbares et la une de la Dépêche de ce jour fera
encore une
fois encore frémir et révolter Américains et Européens. On
constate là que
les Polynésiens, pas tous heureusement, les plus basiques
espérons le, et c’est encore trop, sont réfractaires à l’évolution. Celle qui
transforme les hommes et les bêtes au cours des siècles. La cruauté est tou-
jours présente, enfouie mais bien là et ce qui provoque l’horreur chez tous
les peuples civilisés, ne génère qu’un ricanement d’incompréhension chez
les amateurs de viande de chien. »
mcvehneouzi
étais
tu
i
LittéRama'oHi «23
Chantal T. Spitz
et un lecteur
«
anonyme de renchérir
Bravo pour vos confidences a à propos des chiens... Vous
et c’est le Moyen
grattez un peu
Âge qui remonte à la surface. La sauvagerie la plus primi-
tive.
Regardez comment ils traitent leurs femmes, leurs filles à coups de
barre à mine, ils les trament par terre par les cheveux, ils les violent, les
ffap-
pent, les cognent et parfois les tuent... C’est la majorité de la population
incarcérée.
Il est interdit de manger de la tortue, de donner à
continue de plus belle dans les atolls. C’est à
manger aux requins., ça
désespérer. De toute manière,
il y en aura toujours pour vous expliquer que c’est culturel... c’est Maohi...
donc on ne peut pas comprendre ! !
racisme
basique primaire décomplexé que le procureur de la république n’a pas
jugé bon de poursuivre
l’an dernier un face-à-face télévisé était organisé par polynésie 10 entre un représentant des consommateurs de viande de chien et la
association de protection des animaux pendant
présidente expatriée d’une
lequel cette dernière assenait
dans le mutisme le plus total du modérateur
“Dans ce cas-là
vous voudriez revenir et
récupérer toutes vos traditions (...)
Dans ce cas-là si je vous suis, on remet à jour le cannibalisme. Ça fait
partie
des cultures polynésiennes oui’’ et “Je pense qu’on ne peut
se
pas décemment
réfugier derrière ça (l’argument culturel) sinon je vous dis dans ce cas-là
que le cannibalisme est à nouveau autorisé”
on dit
il y a quelques années au collège de Fa’a’a un incident a fait l’objet d un
reportage
télévisé qui a mis en émoi les téléspectateurs comme la communauté scolaire.
Mon dernier fils y était élève et un soir il me demandait « maman c’est
quoi
être raciste ? je crois que mon profde français est raciste »
et de me
rapporter les paroles de cette professeure de français
terribles pour des adolescents dont elle avait la charge et qui se retrouvaient
soudain prisonniers de ses laideurs vomies dans un discours d’une insoutenable violence
vous devriez vous estimer heureux
que grâce à la France vous avez à manger une fois par jour à la cantine mais maintenant que les essais nucléaires
«
sont terminés la France va vous
larguer et vous vous retrouverez dans la
misère et vous porterez un étui pénien comme au Vanuatu »
39
Dossier
alors bien sûr on nous dira qu’il s’agit de quelques cas extrêmes isolés
peut-être même qu’on essaiera de nous persuader qu’il s’agit de maladresse
voire
d’incompréhension
d’adaptation difficile de choc culturel de différence de modes de vivre et de
penser
que leurs mots ont dépassé de loin leur pensée
tous les
poncifs éculés qui tentent d’excuser l’inexcusable dans une profonde
volonté dautoabsolution
parce qu’on sait bien que ces Polynésiens-issus-de-l’immigration ont quitté leur
sol natal et volé la moitié du monde confinés dans un oiseau métallique dans
un immense
élan d’humanité
qu’ils viennent du pays des lumières des droits de l’homme
d’une terre d’asile à la tradition multiséculaire d’accueil de la misère humaine
d’intégration réussie d’école républicaine-ascenseur social
qu’ils sont dépositaires d’une glorieuse histoire de christianisation d’humanisation d’administration
puis il y a ceux qui s’affublent d’une polynésianité usurpée à force de signes
extérieurs-marqueurs indélébiles
de discours truffés de quelques mots-mantra tahitiens intégrateurs
et
de tutoiements souvent de mauvais aloi-couleur locale
unis dans une
se
symphonie je-suis-polynésien-touche-pas-à-mon-amour-du-fenua
réclamant d’une légitimité qu’eux seuls réclament comme une auto-justifi-
cation de leur droit à
s’approprier une culture une identité dans une joyeuse
insouciance
inconscients qu’en voulant être autre ils se renient
qu’en se reniant ils se transforment en cannibales culturels identitaires
qu’en cannibalisant notre culture notre identité ils se privent de partager avec
nous ce
qu’ils sont
ils s’empêchent de nous voir nous entendre nous connaître
et se contentent de
reprendre à leur compte quelques théories qui ont fait leur
preuve passées au feu des études universitaires scientifiques
de nous les assener encore et encore pour s autopersuader qu’ils nous connaissent mieux
que nous-mêmes
qui à la moindre critique autochtone donnent libre cours à leurs puanteurs
leurs laideurs leurs aigreurs
mcvehneouzi
étais
tu
i
LittéRama'OHi # 23
Chantal T. Spitz
éructant insultes xénophobes invectives racistes attaques personnelles
vindictes sordides piloris nauséabonds
qui sur les réseaux sociaux dans des diatribes venimeuses
qui sur les antennes de la radio d’Etat dans une chronique matinale
pour tenter d’oublier leurs plaies intérieures purulentes ou mal cicatrisées
celles sur lesquelles sont rabougris les corps et les esprits
de crainte quelles ne suintent toutes leurs misères
celles dans lesquelles macèrent tous les complexes et fermentent toutes les insi-
gnifiances
celles qu’on recouvre d’escroquerie intellectuelle et d’hypocrisie sociale
car
il faut beaucoup se mal-aimer pour cannibaliser l’autre l’ingurgiter l’engloutir
là encore on essaiera de nous expliquer parce qu’il faut qu’on nous explique
les indigènes-autochtones étant comme les femmes
dépourvus de conscience de raison d’esprit
qu’ils sont si passionnés par notre culture qu’ils ne mesurent pas leur engouement dans leur incommensurable désir de lui rendre
hommage
la réalité est d’une affligeante indigence d’une violente indécence
rien n’a
«
changé depuis la visite de la Boudeuse
Celui qui voyage sans rencontrer l’autre ne voyage pas, il se déplace » écrivait
Alexandra David-Neel
et au milieu de tous ceux-là
quelques-uns
forts de leur identité
venus
avec
chez nous dans notre pays
qui nous pouvons partager
que nous savons accueillir chez nous
Village historique de Shimkawa-gô, Japon, janvier 201S
Exposition “I Have no Ennemies” Oslo, Norvège, décembre 2010
Teava Magiary
LittéRama'oHi tt 23
Théodore Tainoa • Julien Titae • Jean-lTlarc Tseng
Cette écriture collective a été réalisée au centre de
détention d'Uturoa dans le cadre d'un
concours
d'écriture organisé par l'association "Lire sous le Vent". Il
s'agissait d'écrire une ou des nouvelles sur le thème "contes
et légendes d'aujourd'hui". Ce travail d'écriture s'est inscrit dans la continuité des
actions menées en direction des personnes détenues en partenariat avec l'association
"Lire sous le vent".
En amont, nous avions mis en place un prêt de livre en partenariat avec la bibliothèque gérée par cette association, puis nous avons lu et étudié des légendes poly-
nésiennes pour préparer cette production.
Enfin, les détenus se sont investis dans ce projet de production d'une nouvelle
dans le cadre des enseignements dispensés au centre pénitentiaire.
ture collective. L'expérience s'est révélée très
Il s'agit d'une écri-
positive. Elle a permis à chacun de s'ex-
primer, d'apporter sa touche personnelle à l'écriture. Le travail de groupe a permis de
mutualiser les compétences et de produire une nouvelle reflétant un consensus tout
en
respectant les idées de chacun. Cela a nécessité un travail de relecture et de réécri-
ture très enrichissant pour les auteurs.
Consécration : La nouvelle a reçu le prix de la catégorie adulte des productions collectives.
Tu puna, le voyageur
Tupuna prépara son Va’a Taie et appareilla. Il avait prévu assez d’eau et de
long périple. Les conditions étaient enfin favorables pour
nourriture pour son
départ : beau temps et vent d’ouest idéal. Il s’éloigna de son île des Samoa
Pour la première fois, il quittait son pays. Il savait qu’il ne le reverrait sans doute jamais... Toutefois son goût de l’aventure atténuait son malêtre. L’espoir lui donnait du courage. Son objectif était d’atteindre Tahiti. Il avait
préparé son voyage pendant des mois.
Sa décision de partir, on la devait à une déception amoureuse dont il avait
son
avec tristesse.
eu
du mal à se remettre. Tahiti l’attirait, il en rêvait...
Après un voyage plus long que prévu, il aperçut enfin le mont Orohena,
signe d’une arrivée imminente. Il arriva dans la passe de To’ata et se dirigea vers
la plage de Pa’ofai.
Des pêcheurs qui l’avaient aperçu lui proposèrent de l’héberger.
Il leur narra son odyssée, et gagna leur admiration et leur confiance.
Quelques semaines après, le nom de Pômare, c’est ainsi qu’on le nommait
à Tahiti, était déjà célèbre.
Au bout de quelques mois, il rencontra une
vahiné et tomba sous son
charme.
Tiare était d’une beauté époustouflante, elle était originaire de Tipae Ru’i.
Elle était issue d’une famille nombreuse très accueillante. Pômare, redécouvrait
le bonheur. Il en avait perdu le goût. Il appréciait la chaleur des Polynésiens et
son
couple vivait heureux.
Un beau jour du mois de juin, Pômare et Tiare revêtirent leurs habits de
mariage: pour lui, un costume en tapa; pour elle, un magnifique pareo. Sa chevelure était couronnée de fleurs multicolores: tiare tahiti, tipanie... Un ma’a
tahiti fut servi aux nombreux invités.
offrit une grande parcelle de terre dans la vallée de
Tipaerui. Ils s’y installèrent et purent vivre unis. Leur projet d’élevage de
cochons put démarrer dès les premiers mois...
La famille s’agrandit au fil des ans et bientôt une fratrie de cinq joyeux bambins anima la vallée. Les trois garçons, plus âgés, se nommaient : Tau, Manu et
Le père de Tiare leur
Tuatini.
LittéRama'oHi s 23
Théodore Tainoa
*
Julien Titae • Jean-maro Tseng
Les filles répondaient au nom de : Rava et Poerani.
Tau avait à peine 17 ans lorsque la terrible nouvelle fut annoncée dans la
famille : Tiare était atteinte d’une maladie incurable. Les médecins avaient diag-
nostiqué un cancer du sein à un stade avancé. Des métastases étaient visibles
dans le cerveau et sur le foie. A partir de ce moment, Tiare consacra la plupart
de son temps à sa thérapie. Pourtant, elle voulait préparer sa famille à sa disparition. Elle fit en sorte que
les garçons comme les filles sachent laver leur linge,
cuisiner, entretenir la maison. Elle leur apprit à s’entraider, à se soutenir, à s’aimer
entre eux.
Pendant deux longues années, elle lutta contre la maladie. Epuisée, elle rendit 1’âme un soir d’été. Tous ses enfants étaient rassemblés pour lui rendre un
dernier hommage. Pômare lui tenait la main, essayait de la soulager. Jusqu’à
son
dernier souffle, il la soutint et fut présent à ses côtés. Elle put partir l’esprit
tranquille.
Deux jours avant, les parents avaient discuté pour parler du testament fami-
liai. Qu’allaient-ils léguer à leurs entants ? Tiare avait insisté pour que les filles ne
lésées. Pômare avait décidé que le partage ne se ferait que le jour où il
plus faible. Tant qu’il pourrait remplir ses devoirs de père, il le ferait.
Cinq années passèrent. Pômare, vieux et affaibli, sentit que l’heure du partage était venue.Il organisa un repas de famille pour l’annoncer à ses enfants. Le
partage allait être houleux et, pour des raisons stupides, les liens allaient être
soient pas
se sentirait
coupés.
Rava et Poerani voulaient créer une pension pour recevoir des touristes.
Rava s’occuperaient des repas, Poerani organiseraient des randonnées guidées
dans la montagne.
Les trois frères voulaient s’associer pour un projet complètement différent :
Tau reprendrait l’élevage de cochons familial, Manu s’occuperait du Faapu, Tuatini ouvrirait une charcuterie. Mais les sœurs n’étaient pas
d’accord : elles
disaient que les touristes n’apprécieraient pas l’odeur des porcs ! Les frères leur
répondaient quelles n’avaient qu’ à aller installer leur pension ailleurs.
Malgré les protestations des filles et des garçons, Pômare respecta la volonté
de Tiare les terres furent partagées à parts égales entre les frères et les soeurs.
:
Pômare sentait bien que depuis sa décision concernant le partage, l’atmo-
sphère s’était faite pesante. Autour de lui régnait une ambiance malsaine, mais
il n’avait pas le choix. Son corps devenu vieux, il savait que, en quelque sorte,
ses
jours étaient comptés.
Malgré que le partage fut équitable, les conflits naissaient entre les frères et
les sœurs. Celles-ci se sentaient minoritaires de par leur nombre mais s’estibeaucoup plus valeureuses et entreprenantes que les garçons. Ceux-ci,
plus âgés, mettaient en avant leur masculinité. Ils pensaient que « les hommes
maient
étaient, dans tous les domaines, au dessus des femmes ».
Quelques mois passèrent. Cette fin d’après midi là, comme la précédente
d’ailleurs, les filles s’en étaient allées chez une de leurs amies pour lui demander
conseil et plus encore, quelque chose à grignoter. Elles supportaient de moins
en moins l’ambiance tendue des soirées
passées à la maison. Le soir, après avoir
dîné en compagnie des garçons, et ayant remarqué l’absence de ses filles, leur
père demanda au plus grand :
Où sont tes sœurs ? Depuis deux jours, elles ne partagent plus notre table.
Comment pourrais-je savoir ? Tu les connais mieux que nous, rétorqua
l’aîné, tu leur as aussi légué ton caractère de cochon !
Et de battant ! Cria Pomaré instantanément. Va les chercher, et surtout,
«
-
-
-
pas sans elles ! »
Le grand frère, agacé, se contenta
ne reviens
d’abord de crier leurs noms devant les
yeux de son père devenu furieux.
N’obtenant aucune réponse, il se rendit donc devant la porte de l’une et cria
aussi fort qu’il le pût son patronyme. En vain. Il se rendit donc à la chambre de
la seconde, cria, et n’obtint pas de meilleur résultat.
Il accourut vers son père pour lui faire part de la situation. Selon lui, les filles
avaient soit
ne
fugué, scénario le plus plausible, soit décidé de sortir de nuit, ce qui
faisait pas partie de leurs habitudes. A peine avait-il fini de parler, la crainte
le gagna subitement : il savait que le vieux chérissait ses filles par-dessus tout.
Celui-ci, furieux, se leva et déclara à ses trois fils :
Aussi vrai que je m’appelle Pômare, je vous le dis : vous partirez tous les
trois à la recherche de vos sœurs ! Vous devrez les retrouver avant l’aube, sinon
«
-
je vous déshériterai !
Les trois frères sortirent immédiatement dans la rue pour échafauder un
plan qui allait avoir de lourdes conséquences.
Je partirai de ce côté là, affirma le cadet
Et moi de ce côté-ci, proposa le dernier
«
-
-
-Attendez ! Attendez ! Personne n’ira nulle part, nous les attendrons tous
les trois ici ! rétorqua l’aîné. »
autochnes
réations
LittéRama'oHi » 23
Théodore Tainoa * Julien Titae • Jean-lTIarc Tseng
Ils patientèrent jusqu’au moment où le plus grand eut une idée sournoise.
Dans deux heures, le soleil allait se lever. L’aîné, qui avait pensé à tout, leur
expli-
qua ce qu’il avait manigancé, avant de finir par :
«
-
Ne vous inquiétez donc pas, vous n’aurez rien à dire,
je me charge de
tout. »
Ils rentrèrent chez eux et trouvèrent leur père, impassible, assis dans son fauteuil.
«
-
Où sont-elles ? Demanda-t-il.
Père, répondit le plus âgé, ce que je vais te dire ne va pas te plaire. Je les ai
cherchées à l’endroit où vivent les gens riches, tu sais, ceux qui aiment faire le
-
fa’oru.
Et tu les as ramenées ? Questionna-t-il aussitôt.
-
Sous les yeux ébahis des deux autres, il répondit :
Non père, mais ce que j’ai vu ne va pas te plaire : la première était dans le
lit d’un homme, et la deuxième dans les bras d’un autre.
-
Le père, de plus en plus impatient et nerveux, insista:
Mais où sont-elles, maintenant ?
-
-Je les ai suppliées de me suivre mais elles rien ont fait qu’a leur tête. Elles
m’ont même chargé de te dire quelles ne reviendraient pas de sitôt.
Le père, déçu et très chagriné, se retira. Silencieusement, il
prépara un petit
y déposa quelques affaires.
Mais où vas-tu, père ? Demandèrent ses fils.
sac et
Puisque je ne peux compter sur personne, j’irai les chercher moi-même.
Déclara t-il. »
Il s’apprêtait à franchir la porte en titubant lorsqu’il reconnut la voix de ses
filles. Après un moment de surprise et de soulagement, Pômare se redressa et
les dévisagea.
S’en suivit une colère inouïe du père envers ses filles qui ne comprenaient
pas ce à quoi il faisait allusion.
Lorsqu’elles croisèrent le regard du plus grand de leurs frères, elles compriqu’il avait tout inventé.
A partir d’aujourd’hui, vous riêtes plus mes enfants. Je vous renierai
pour
le reste du temps qu’il me reste à vivre, conclut Pômare.
Mais père, nous n’avons rien fait de tout ça ! Tentèrent-elles en vain. Nous
avons
mangé chez une amie hier soir. Mais lorsque nous nous sommes décidées à rentrer, il était déjà très tard. Alors nous avons décidé de dormir chez elle
rent immédiatement
«
-
et de rentrer dès le lever du
jour.
47
Je suis vieux et veuf, mais pas complètement idiot ! Moi qui vous faisais
confiance...
Malgré les protestations de Rava et de Poerani, rien ne put convaincre
Pômare.
Celui-ci ne voulut rien savoir, se réfugia dans son intimité avant de rajouter :
plus jamais. »
allèrent dans leur chambre, chargèrent
un
petit baluchon de linge, de photos et de quelques souvenirs quelles gardeVous partirez dès aujourd’hui et nous ne nous reverrons
Les larmes aux yeux, les deux sœurs
raient de ce lieu qui
les avait vu grandir et s’épanouir.
Elles avaient décidé de résider chez une de leur tante, du côté maternel. Du
moins, pour quelques temps. Cela dura près de six ans... Elles réussirent malgré
tout à décrocher leurs diplômes, sésame pour une nouvelle vie. Les questions
de métiers, de projets, de construction de famille allaient enfin s’offrir à elles.
Rava décida de partir pour les îles Samoa, en quête d’une ascendance paternelle inconnue jusqu’alors. Poerani s’expatria vers les îles Fidji, à la découverte
d’une culture tribale ancestrale. Lorsque l’une épousa un samoan digne de son
père, fort, travailleur et surtout très doux ; l’autre s’unit à un fidjien de renommée, qui sut lui offrir tout ce dont une femme pouvait rêver, tout ce quelle pouvait désirer.
Les sœurs n’enfantèrent que des garçons, signe de distinction pour une
femme dans ces îles. L’aînée des deux en mit trois au monde, tandis que la
cadette en fit naître quatre.
Depuis quelles avaient quitté le cocon familial de la vallée de Tipaerui, de
force certes, les contacts avec leurs frères et leur père avaient complètement disparu. Chacune, de son côté, avait retrouvé une identité propre. Mais elles
savaient très bien qu’un vide énorme s’était installé au plus profond d’ellesmêmes.
tarda
pas à faire des recherches généalogiques et découvrit que ses grands-parents
paternels étaient encore en vie. Elle s’empressa de rechercher une adresse, une
photo, s’exposant à la confusion de ses sentiments à la moindre découverte. C’est
ainsi quelle rencontra les parents de son père, les frères et sœurs de ceux-ci et
toute la famille. Elle en garda un souvenir fort et se promit de leur rendre visite
chaque fois quelle le pourrait. En grandissant, les enfants des deux sœurs
posaient de plus en plus de questions à propos de leur grand-père et remarquaient la gêne sur le visage de leur mère à chaque fois qu’ils évoquaient le sujet.
Dès son arrivée sur file qui avait vu naître son père, l’aînée des sœurs ne
autochnes
Hréations
LittéRama'oHi » 23
Théodore Tainoa • Julien Titae * Jean-fTlarc Tseng
Ils décidèrent à leur tour de faire des recherches. Ils comprirent que pour
tout savoir, il leur faudrait
partir pour Tahiti... Us s’y rendirent dès leur majorité.
A leur arrivée au fenua, ils apprirent
que le vieux était mort depuis plusieurs
années. La nouvelle les attrista profondément. Déçus mais
pas abattus, ils déci-
dèrent de poursuivre leurs recherches.
Après plusieurs jours de démarches parfois très compliquées, ils prirent
contact avec leur cousins,
les enfants des frères de leurs mères. Ces personnes
dont, quelques jours auparavant, ils ne soupçonnaient même pas l’existence,
répondirent à leur appel.
Pour faire connaissance, ils organisèrent une
bringue nocturne sur une plage.
A leur grand étonnement tout le monde était
présent. Les cousins, mais aussi
les oncles, ceux qui avaient contribué au départ subit de leurs mères quelques
années auparavant. Près d’un grand feu qu’ils avaient allumé, ils se mirent à
jouer
du Yukulélé, à entonner des chants traditionnels en mémoire de leur aïeul, le
vieux Pômare. Ces chants et ces musiques étaient si puissants
que de nombreuses personnes étrangères à la famille, qui se promenaient sur le front de mer,
s’approchèrent et écoutèrent, admiratifs. L’émotion gagnait tous les curieux. Ils
étaient émus de voir tous les cousins chanter
pour leur grand-père.
Soudain, par dessus les chants, une voix profonde et émouvante se fit
entendre :
«Je suis Pômare, votre grand-père. Je suis fier de vous et très heureux de
réunis, après ces longues années de séparation. Vos parents, mes
propres enfants, n’ont pas su écouter leur cœur et ont laissé la jalousie et la rancoeur les diviser. Ce sont de
pauvres et faibles humains, rongés par le remords.
vous voir tous
Ils ont préféré s’ignorer, se réfugier dans l’oubli plutôt que de se
parler, se par-
donner. Retenez ce message : Quoiqu’il arrive, pardonnez-vous et respectezvous
les uns les autres, c’est le plus important.»
Toutes les personnes présentes écoutaient ces
paroles émouvantes et s’en
imprégnaient. Alors la lumière commença à s’élever lentement au-dessus du
feu. Seules quelques flammèches l’atteignaient encore, la faisant apparaître un
peu plus surnaturelle. Les paroles de Pômare résonnaient dans la nuit et illuminaient les pensées de l’assistance.
Au-dessus du feu une intense lumière blanche apparut et remplit le ciel au
dessus de la plage. Au milieu, bien visible par toute l’assistance, la forme
immense d’un homme se tenant les bras ouverts/accueillant, tel un varua ora
gigantesque.
Un message merveilleux de fraternité illumina les cœurs. Cet «esprit» leur
leur avenir pourrait bien être un désastre dans tous les domaines.
Seule leur croyance en la fraternité pourra les sauver et leur permettre de vivre
annonça que
ensemble, affirma-t-il. Seule l’entraide et le partage leur permettra de lutter
contre les
dangers qui menacent l’avenir: les trafics de tous genres, la pollution,
l’injustice.
L’esprit leur recommanda de respecter la Nature, de prendre soin de leur
environnement ainsi que de la culture polynésienne.
Ses dernières paroles résonnèrent longtemps dans la tête des personnes présentes: «Permettez à vos enfants de vivre sur un fenua aussi beau que celui
que
vos
parents vous ont légué. »
Depuis ce jour, ce lieu est vénéré sur File de Tahiti. Tous les descendants de
Pômare sont unis à jamais, rien ni personne ne les séparera plus jamais.
LittéRama'OHi s 23
Hong-lTly Phong
Née à Papeete, d'origine chinoise, HongMy aime la lecture et l'écri-
depuis l'enfance. Membre de l'association "Haire des Mots", elle s'essaie
de ses poèmes (Où et comment vivre, Eruption) ou texte (Solidarité) ont été publiés dans la revue "Les Pages récréature
à l'écriture poétique : certains
tives des Atelier d'Ecriture".
Et si... ?
Monsieur, est-ce que vous allez bien ?
Ce crétin pensait vraiment qu’il était possible d’aller bien dans un moment
-
pareil ?
-
-
-
-
Qu’est-ce que vous me voulez à la fin ?
Vous préférez peut-être qu’on aille au poste discuter ?
Ici ou ailleurs, quelle différence cela fait ?
Vous êtes donc prêt à répondre à quelques questions ?
-J’ai le choix peut-être ?
Quand lavez-vous vu la dernière fois ? De quoi parliez-vous ?
Et si je lui donnais un coup de poing, à ce flic indiscret et soupçonneux,
comment
réagirait-il ? Et si je devenais tout à coup muet, incapable à répondre
à ses questions ? Pourquoi chaque mot prononcé m’écorche la langue, suis-je
compréhensible ?
Etait-elle déprimée ces derniers temps ?
Déprimée ? A-t-elle jamais été heureuse ? Pourquoi ne puis-je pas me souvenir de la dernière fois où elle a ri mais seulement des fois où elle a pleuré ?
Me rappellerai-je uniquement de ses accès de rage et de crise de violence ?
Etait-ce la même personne que j’avais rencontrée il y a une éternité ? Que lui
avais-je dit au début de notre rencontre ?
Etait-il normal de ne supporter personne à part toi ? Etait-il possible d’être
amoureux
pour la première fois à 40 ans ? Pourquoi ne m’appelais-tu jamais en
premier ? Tu m’avais demandé : pouvait-on refaire sa vie après la perte d’un enfant ?
Après un divorce ? N’avais-je pas répondu que tu méritais d’être heureuse ?
-
-
Ne t avais-je pas promis que je ne te laisserai jamais tomber ? Ce serait bien de
vivre ensemble, non ? N avons-nous pas vécu
ensemble ? Réalises-tu que nous vivons
chacun de notre côté ? C’était quoi la vie de couple exactement ? Pourquoi avaistu acheté un paquet
de cigarettes ? Puis encore un autre ? Combien de temps nous
jaudrait-il pour construire notre maison ? Tu croyais que c’était si facile ? Tu ne
pouvais pas arrêter ces crises de gamine ? Pourrais-tu de temps en temps faire la
cuisine, le ménage ou le jardin ? Pourquoi fallait-il toujours que tu fusses tellement
en colère
lorsque je faisais ce qui me plaisait ? Et si on allait au restaurant ? C’est
bon, hein ? Ne trouvais-tu pas qu’on s’entendait bien malgré nos différents ? Tu
pourrais me témoigner plus de tendresse, s'il te plaît ? Pourquoi voulais-tu me changer ? Penses-tu que cela m’aiderait de suivre une thérapie ? Pourquoi ce médecin te
prescrivait-il autant de médicaments ? Et si on partait en vacances ? Pourquoi pas
une croisière ?
Pourquoi n’étions-nous jamais partis en vacances ? Pourquoi pieurais-tu ? Et si je te disais tout de mes rêves et mes désirs, serais-je exaucée pour autant ?
Etait-il raisonnable de te donner tout ce que tu voulais ? Aimer n’est-il pas répondre aux besoins de l'autre ? Parce que tu trouvais que dire et faire ce que l’autre
attendait c’est le bonheur ? Ne comprenais-tu pas que ce n’était qu’une illusion
du bonheur ? Ce serait bien un enfant à nous deux, non ? Ne trouvais-tu pas qu’un
bébé à notre âge, ne nous permettrait pas de profiter de la vie ? Est-ce cela ma
vie ? Pourquoi ai-je l’impression que je doive renoncer à tout ce qui me tient à cœur ?
Tu t’imaginais peut-être que tu étais la seule de nous deux à être déçu, frustré ?
Monsieur, est-ce que vous m’écoutez ?
Pourquoi ces bribes de conversations me reviennent-elles en boucle ? Pourquoi n’ai-je pas eu une prémonition ? Est-ce la réalité ? Est-ce que je deviens
fou ? C’est un cauchemar, non ? Ne dois-je pas retourner dans la chambre pour
m’en assurer ? Que dois-je faire ? Quand est-ce que tous ces policiers quitteront
la maison ? Que cherchent-ils ? Une lettre d’adieu ? Ne peuvent-ils pas comprendre que j’ai besoin d’être seul ? Qu’est-ce qu’ils croient, que cela me plaisait
de te voir broyer du noir chaque jour ? N’ai-je pas tout fait, vraiment tout tenté
pour te rendre heureuse ?
Et si on s’était mariés et eu l’enfant que tu avais tant désiré ? Aurais-tu été
heureuse ? Comblée ? Apaisée, enfin ? Vais-je regretter jusqu'à mon dernier
souffle d’avoir été dur et intransigeant avec toi ? Que s’est-il passé ce matin ?
Pourquoi m’as-tu demandé, est-ce que tu m’aimes ? Ne sentais-tu pas que je
t’aime ? Que tu es la seule femme que j’ai jamais aimée ? Pourquoi n’ai-je pas
répondu à ta question ? Est-ce qu’il ne faudrait pas que je prévienne ta
famille ? Ton père ne va-t-il pas me rappeler que j’avais dit que je prendrais soin
-
LittéRama'oHi it 23
Hong-ITly Phong
de toi ? Comment vais-je leur dire ? N’y avait-il pas un mot pour qualifier une
telle situation ? Horrible ? Absurde ? Surréaliste ? Pourquoi ai-je la gorge serrée
et le crâne serré dans un étau ?
-
Monsieur, ça va ?
Il est vraiment trop con ce flic ou quoi ?
-
Vous ne pouvez pas me foutre la paix, non ? Je viens de perdre la femme
que j’aime et vous êtes là, à me faire chier avec vos questions, vous ne compre-
pas que je suis sous le choc ?
Pourquoi les larmes ne coulent-elles pas ? Et si demain, je me réveillais et
découvrais que tout cela n’était qu’un rêve ? Me demanderas-tu « Est-ce que tu
m’aimes »? Et si je te réponds « Oui, je t’aime » et te prends dans mes bras ? Estce
que cela suffirait pour ne pas te trouver pendue au plafond de notre chambre ?
nez
Le Rétro
Cela faisait un an maintenant que j’hésitais depuis la mort de Claire, ma
femme, et puis soudain, un matin, j’étais prêt à revoir Luc, à lui parler.
Il y avait toujours des clients au Rétro. Situé en plein cœur de Papeete sur
le boulevard Pômare du nom d’une lignée royale tahitienne, il faisait face à la
les yachts de luxe accostaient. Il faisait partie du bloc Vaima, un centre
commercial qui abritait le seul escalier roulant mécanique de toute la ville et
mer où
même de toute file. Cet escalator menait à l’étage supérieur vers les boutiques
branchées et modernes. Comme sa terrasse était couverte, il devenait l’endroit
idéal pour se mettre à l’ombre tout en dégustant une pêche melba, ou pour
boire une pression, déguster un croque-monsieur à toute heure. Le soir, on
pouvait y dîner en écoutant un orchestre local ou même du rock selon la tendance le soir dans une ville qui offrait au fond bien peu de distractions à la nuit
tombée. Ainsi, le jour, ce lieu appartenait aux touristes ou à des vacanciers
métropolitains : une clientèle plutôt calme et de passage mais la nuit, les locaux
prenaient possession des lieux. Des bourgeois dont les portraits se retrouvaient
dans les pages VIP d’un quelconque magazine, des Tahitiens noceurs et friands
des happy hours» qui leur permettaient d’avoir des cocktails alcoolisés à moitié prix. Et jusque tard dans la nuit, il y avait toujours eu des filles pas comme
les autres, comme Claire.
C’était ici que je l’avais rencontrée. Avant notre mariage à l’Eglise, peu après
avoir découvert qu’un cancer rarissime et mortel la ravageait de l’intérieur,
Claire avait confessé ses péchés, tous ses péchés. Elle voulait que je lui pardonne
de m’avoir forcé à renoncer à l’amitié de Luc. Pourtant, je n’avais rien à pardonner.
«
53
Je crois quelle n’a jamais su à quel point je l’aimais et combien j’avais besoin
d’elle. J’ai bravé ma famille qui l’avait accueillie froidement, avec mépris et horreur. Elle
manquait de savoir-vivre, lumait trop, buvait uniquement du CocaCola, se droguait sûrement, et n’aimait pas la nourriture si bien quelle était
décharnée à faire peur. Ma famille n’a jamais su ce que faisait Claire lorsque je
l’avais rencontrée au Rétro et je ne leur dirai jamais.
J’avais pris ma décision et mes pas me menaient au Rétro comme s’ils
avaient une mémoire. Max, le gérant, m’avait tout de suite reconnu. Nous avons
évoqué sa famille, mon métier de vigile, critiqué nos hommes politiques sans
parler du passé, et surtout sans parler de Claire qu’il connaissait depuis bien
plus longtemps que moi. Il se rappelait forcément d’elle, fille de moins de 45
kg, petite, menue, fumant le Bison, ce tabac à rouler pour pauvres, ne commandant que du Coca. Je savais quelle s’était beaucoup confiée à lui avant de me
connaître, exactement depuis le jour où ce dernier lui avait demandé pourquoi
elle s’était tailladée les veines. Une discussion avec Max me revient en mémoire.
Hey, Jacky, tu sais, Claire... elle t’a raconté un peu ce qui lui est arrivée
paternel quand elle était gosse?
Il disait cela à voix basse tout en surveillant du coin de l’oeil la porte des toi-
-
avec son
lettes où venait de disparaître Claire.
-
Oui, répondis-je, étonné que Claire ait pu avouer à Max que son père
avait abusé d’elle.
C’est pour ça qu’elle a des problèmes et quelle réagit bizarrement... mais
elle est gentille.
-
-
C’est vrai.
Tu sais, elle n’a jamais eu de chance dans sa vie, d’abord le père, puis son
frère. Ensuite, enfin, tu sais... la mère qui ne la croit pas, et ne l’a pas protégée,
-
pire, qui la chasse de la maison. Elle a vécu dans la rue... Ensuite, ce sont ses
cousines qui ont cherché à profiter d’elle. Y a de quoi devenir cinglée.
Tout va aller bien pour elle maintenant.
Ah ouais, t’es sérieux ?
Il m’avait scruté bizarrement et j’avais eu l’impression qu’il cherchait à deviner mes
pensées. Peut-être qu’il avait vu que j’étais sincère par ce qu’il a continué de parler tout en rinçant ses verres.
J’suis content pour elle alors parce qu’elle a souvent eu affaire à des mecs
plus que louches et se faisait avoir bien des fois. T’es sa bouée de sauvetage, tu
le sais hein ? J’sais pas comment elle va réagir si tu lui faisais un sale coup. C’est
pas ton intention, par hasard ?
-
-
-
autochnes
réations
LittéRama'oHi « 23
Hong-fTly Phong
Il s’était arrêté d’astiquer ses verres derrière le comptoir comme pour être
sûr de bien entendre ma réponse.
Elle est aussi ma bouée de sauvetage.
-
C’était vrai. Je me sentais homme, utile, chevalier, serviable, heureux en sa pré-
J’avais envie de la protéger, lui offrir une vie meilleure. Ma propre vie
confortable, mon enfance heureuse et protégée m’avait semblé intolérable. Je pousence.
vais affirmer avoir réussi à lui offrir la sécurité jusqu’à ce que la maladie
-
...
se
l’emporte.
plaignent tout le temps que c’est cher, qu’ils rentrent donc dans leurs
pays !
Qui ? Demandais-je en revenant au présent.
-Je dis que ces touristes sont vraiment radins, ne laissent même plus de
pourboires !
Que veux-tu, c’est dur pour tout le monde. Dis, Luc... il arrive toujours
-
-
à la même heure ?
-
Ouais, il va pas tarder.
Luc faisait partie d’une brigade spéciale, la première équipe, qui dépend
directement du commissaire pour nettoyer la ville. Ces agents avaient eu le pri-
vilège de suivre une formation en arts martiaux. C’était à cette occasion que
j’avais fait sa connaissance. Nous avions tout de suite sympathisés. Nous nous
entraînions souvent ensemble et avions découvert stupéfaits que nous
fréquentions le même bistro le Rétro. Il venait pour décompresser certains matins de
garde, après ses rondes de quartier ; et moi le soir après mon service au parking.
Je prenais la rue Edouard Anne, la descendais jusqu’à la RueJeanne dArc pour
:
arriver sur le boulevard Pômare où se situait le Rétro. Luc faisait le même
trajet
de l’autre côté de la ville, en prenant l’avenue Pouvanaa O’opa où se situait la
DSP, il tournait à droite au niveau la rue du Petit-Thouars. A l’angle du boulevard Pômare, se trouvait un tabac-presse où il s’arrêtait pour acheter un paquet
de cigarettes. Si bien que nous n’aurions pu nous connaître si nous n’avions pas
fait connaissance lors de ce séminaire d’arts martiaux.
Etrange comme dans une
île on peut aussi bien tomber sur les mêmes personnes souvent ou bien alors,
jamais les recroiser.
Je ne savais pas qu’en tombant amoureux de Claire, je perdais un ami. Il y
avait des coïncidences inouïes mais peut-on parler de coïncidences
quand on
vit dans une petite ville comme
Papeete ? Je revois encore ce moment où j’ai
présenté Claire à Luc et au regard bizarre qu’il m’avait lancé. Je me rappelle le
malaise de Claire pendant le repas. Luc avait fini par crever l’abcès un soir. Je le
revois encore adossé sur ma terrasse, en train d’allumer une Marlboro me dire
ne
55
d’une voix neutre :
-
-
-
-
-
va
Jacky, tu ne dois pas rester avec cette fille.
Pourquoi ?
Fais-moi confiance. Tu peux trouver mieux !
Qu est-ce que tu racontes ?
Ecoute, tes mon pote, je dis ça pour ton bien. Largue cette nana, elle ne
t’attirer que des ennuis !
-
Est-ce qu’il y a quelque chose que tu veux me dire, Luc ?
Il avait écrasé son mégot dans le cendrier à moitié plein de Claire qui raffolait du tabac à rouler.
-
Ouais, puisqu’il faut te mettre les points sur les i ! Cette nana, je l’ai vue
dans un bordel avec un client. Tu comprends ?! Tu n’me crois pas ? C’est la
vérité. Un soir, on a fait une descente et arrêté une
maquerelle qui faisait bosser
des filles à son domicile. J’ai vu ta nana sortir d’une chambre avec un vieux plein
aux as.
C’est une pute !
Claire avait tout entendu. Elle s’était précipité sur Luc en hurlant, l’avait
griffé, et tapé avec ses petits poings ridicules. Elle ne lui avait jamais pardonné
de m’avoir conseillé de la quitter.
Non Jacky, c’est pas une façon de faire ! Il n’avait
pas à dire ça. Comme si
je ne t’avais pas tout raconté !
Il cherchait juste à me protéger...
De qui ? De moi ? Il me prend pour qui ? Oui, j’suis une pute, et alors ?
Arrête de parler comme ça, Claire, tu sais
que je n’aime pas quand tu
-
-
-
-
t’énerves.
-
Nan, tu m’écoutes ! Je n’veux plus le voir, ok ? Il aurait du venir discuter
avec moi avant !
Elle avait commencé à hausser le ton et sa colère était si palpable que je pouvais sentir des vibrations dans l’air. Je savais alors qu’il était inutile de la calmer
car
cela ne ferait qu’attiser sa colère. Mais quand elle était lancée, personne ne
pouvait l’arrêter.
Attends-là, c’est quoi son problème ? Ca le dérange que je sois une pute ?
Je n’ai rien demandé, moi ? Il croit que j’essaie de profiter de toi, c’est ça ? J’suis
pas comme ça ! Il ne me connaît même pas et il me juge ?!
Claire voulait que Luc sorte de notre vie. D’abord, je ne pouvais plus inviter
Luc à la maison, puis elle faisait des scènes à
chaque fois que je le voyais si bien
que j ’avais fini par capituler. Ce jour-là, lorsque j’avais tenté d’expliquer mes propres raisons à Luc, je n’ai pas pu.
-
autochnes
Hréations
LittéRama'OHi tt 23
Hong-rTly Phong
-
Tu t’fous de moi ? Tu t’Ia tapes depuis six mois et
elle est plus importante
que ton pote ?
Elle m’avait déjà tout dit. Je ne la laisserai pas tomber. Si vous ne pouvez
-
pas vous entendre... j’ai fait mon choix.
Punaise, tés bien mordu, hein ? Bon, écoute. C’est ta vie, je voulais que tu
saches la vérité. Ce ne sont plus mes oignons ! Si c’est ce que tu veux,... fran-
chement, tu déconnes ! Enfin, tu sais où me trouver !
Je savais où le trouver. Mes mains moites serraient ma tasse de café lorsque
je reconnus sa grande silhouette nerveuse de loin. Nous avons échangé un
regard. Il s’est assis à côté de moi puis, comme si cela ne faisait pas cinq ans la
dernière fois que j’avais posé mes fesses sur ce tabouret, il dit :
On dirait que t’as pris du bide !
Et toi, tu commences à être chauve.
Max lui servait son café, son croissant et ses œufs brouillés. Je me sentais
heureux. A cet instant précis, je réalisais à quel point Luc m’avait manqué. J’oubliais presque ce qui m’avait poussé à le retrouver. Je lui racontais que Claire et
moi nous étions mariés juste avant son décès. Morte d’un cancer l’an dernier.
Il le savait car il avait lu l’avis de décès sans oser se manifester. Je lui annonçais
que j’étais papa d’un petit garçon de 4 ans. Il m’avait félicité. Je respirais un bon
coup pour lui dire toute la vérité.
Ce n’est pas vraiment pour te parler de ça que je suis là. Il y a quelque
chose que je veux que tu saches. J’ai regretté de te l’avoir caché à l’époque. J’avais
peur peut-être de ce que tu pouvais penser. Je veux dire... des fois, tu te cornportais vraiment comme un idiot...
-
-
-
-
Bon, vas-y, crache le morceau !
-J’étais un client régulier de Claire... donc, tu ne m’avais rien révélé ce
fameux soir. Je parie que tu ne savais même pas quelle racolait au Rétro. Oui,
elle venait ici et c’est comme ça que je l’ai remarquée après mon service. Je ne
t’avais rien dit parce que j’avais honte. Je n’étais qu’un pauvre puceau, trop timide
pour aborder les filles intelligentes et pleines d’esprit, qui franchement, me fai-
Claire était ma première femme et malgré ses problèmes relationnels avec ses parents, son frère, ses cousines, sans compter ses rapports bizarres
saient peur.
avec la nourriture et ses crises d’automutilation, elle avait été bonne et compréhensive envers moi. La première fois, elle ne s’est pas moquée de ma maladresse
et de mon manque
d’expérience en matière de sexe. Elle avait fait de moi un
homme, un mari et un père.
Luc avait allumé sa cigarette d’une main tremblante. Il semblait absorbé par
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les volutes de fumée. Puis, après une minute interminable, il avait simplement
répondu :
-
Ok, Je comprends.
J’ai su alors que j’avais retrouvé mon ami et que bientôt, nous nous entrainerions de nouveau ensemble et que
car
probablement, il me battrait au combat
il avait toujours été plus rapide que moi au corps à corps.
Le père absent
Les larmes m’empêchent de voir la route et je m’empresse de m’essuyer
les
yeux et les joues, tandis que l’autre main tient fermement le volant. Je maudis
Cari de toutes les fibres de mon corps de m’avoir abandonnée. Comme à
chaque fois qu’il surgit inopinément dans mes pensées.
Dans la voiture, que Cari avait choisie en Jonction de la hauteur de la toiture,
la chanson me crève le cœur et fait monter les larmes en même temps que les
souvenirs. Comment une stupide chanson populaire de country peut me mettre dans un état pareil ? Me propulser dans le passé ; précisément au moment
où sa main me caressait ma cuisse tandis que je m’accrochais à sa taille sur sa
cylindrée.
Mon corps se souvient comment la moto se penchait dangereusement
dans les virages, de mon cœur qui battait d’excitation et de peur, de la sensation
nette de ne faire qu’un avec Cari et la machine rugissante. Je croyais que c’était
pour me rassurer. En fait, je pense que ce geste signifiait « je t’aime » car même
en voiture, il avait ce
geste tendre et spontané de poser sa main large et chaude
sur moi
pendant que je conduisais.
Que fait-il ? Où est-t-il ? Peut-on vraiment disparaître comme cela et ne donner aucun
signe de vie ? Quand on me demande depuis notre divorce, « Tu as
refait ta vie ? », je réponds inlassablement « Non, je n’ai pas refait ma vie, je l’ai
continuée
Comme si la vie était une bande vidéo dont je voudrais effacer le
passé en enregistrant par-dessus d’autres souvenirs. En réalité, je ne veux pas
m’avouer toute la laideur de notre vie commune pour ne retenir que les bons
moments. A force de les ressasser, cela finit par devenir la seule vérité et la seule
réalité. Comment peut-on s’aveugler à ce point ? Car je lui en veux. J’ai honte de
son attitude
irresponsable. Ce n’est qu’un sale égoïste ! Comme s’il était obligé
de partir si loin et sans donner de nouvelles ! Pense-t-il aux enfants ?
Je freine devant la fille de voiture. Je suis devant l'épicerie, et il y a foule. Evidemment qu’il y a foule, on est dimanche matin et c’est l’heure d’aller chercher
son
petit déjeuner. Ce qui me fait penser à Cari et à son porridge infâme qu’il PB
».
aréutaocthionness
LittéRama'oHi # 23
Hong-lTly Phong
voulait forcer nos enfants à avaler chaque matin. Jamais, il n'acceptait que les
enfants eussent deux desserts. Cruel et rigide, bon débarras.
J’accélère pour dépasser une voiture, dont les boums boums résonnent
jusque dans ma voiture. Quelle détestable habitude de mettre les basses à fond
et de rouler à cinquante à l’heure ! C’est ridicule cet engouement pour « le
tuning » dont les ados se ruinent afin d’équiper leurs voitures qui deviennent
par conséquent des boîtes de nuit ambulantes, vomissant leur musique infecte
à des kilomètres à la ronde. A se demander s’il est possible d’élever ses enfants
dans un monde meilleur quand je constate le manque de civisme.
Encore un autre connard qui se gare n’importe où, n’importe comment,
moitié chaussée-moitié trottoir et qui
m’oblige à me déporter sur la voie oppo-
sée. Et tout ça pour quoi ? Pour éviter de marcher un peu pour atteindre le
magasin, acheter un petit déjeuner qui je le sais, sera pantagruélique? Les serbouger plus, manger moins mais la menace d’obé-
vices de santé conseillent de
sité et de diabète n’a aucun effet sur la nature bon vivant du Tahitien. Toute la
jeunesse tahitienne tombe dans la consommation excessive car des marchands
ambulants leur vendent du Coca et des sandwichs hachis-frites sauce roquefort
dès 7h du matin. J’essaie tant bien que mal d’en préserver mes enfants.
Je renifle bruyamment car je n’ai pas de mouchoir à portée de main. Et si
enfants finissaient par avoir ces mauvaises habitudes ? Je sens, tout en gardant les yeux sur la route, une crainte insidieuse m’envahir. Et si Cari n’était pas
content de leur éducation, de leurs manières ? De nouveau, un ressentiment
mes
féroce me saisit. Ce n’est pas facile d’élever seule deux enfants. Il n’avait qu’à
être là !
Toute une génération de gosses pourris gâtés qui ne respectent pas leurs
parents, encore moins leurs aînés, leurs professeurs, l’autorité, la loi. Des gosses
qui deviennent des mauvais citoyens qui se garent n’importe où, comme ça les
gens ne pourront plus marcher ailleurs que sur la chaussée, quitte à se faire tuer
par les automobilistes ; ou alors, des gens qui mettent leur musique à fond dans
leur voiture et sûrement aussi à la maison pour que tout le quartier en profite.
Boum boum de 14h à 4h du matin, et le lendemain jusqu’au soir pendant trois
jours de suite si bien qu’on n’a pas d’autre choix que d’appeler les gendarmes
afin qu’ils acceptent de baisser le volume. Parce que si vous y allez en personne,
d’abord, vous criez pour qu’ils vous entendent et viennent vous parler à travers
leur portail. Ensuite, ils sont tellement imbibés d’alcool que vous risquez de
faire taper dessus parce que vous les empêchez de s’amuser.
Bordel de merde, dans quel monde vit-on ? Un monde où Cari n’existera
vous
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plus. C’est fini, je le raye de ma vie. Basta ! Il ne mérite pas ses enfants, et ne
mérite pas qu’on pense à lui. Qu’il aille au diable et rôtisse en enfer !
Blessure secrète
C’est l’anniversaire de Manea qui fête ses deux ans. Ellen tend la main pour
le caresser alors que le petit garçon est dans les bras de son oncle Adrian. Mais
dernier timide, l’évite et se plaque davantage contre son oncle en l’enlaçant
de ses deux petits bras. C’est une réaction bien normale, banale même et inno-
ce
cente de la part
de Manea. Mais Ellen est restée figée, la main toujours tendue
l’air, puis elle quitte la pièce précipitamment.
Philippe, le mari d’Ellen a remarqué le regard échangé entre Adrian et sa
femme. Est-ce que Adrian est au courant pour Ellen ? N’y tenant plus, évitant
en
de croiser le regard dAdrian, il quitte lui aussi la pièce pour rejoindre sa femme.
Quant à Adrian, il a posé l’enfant à terre qui part se réfugier dans les bras de
Mélinda. Il jette un regard vers sa sœur Mélinda, puis vers la direction
que vient de prendre Philippe, et meurt d’envie de disparaître lui aussi.
sa mère
Ellen est simplement là, immobile assise sur la terrasse, fixant l’horizon. Le
soleil disparaît lentement. On entend le grondement sourd des vagues contre
le récif au loin et plus proche, le clapotis de l’eau sur la plage. La maison bord
de mer est agréable malgré les embruns qui oxydent tout. Ellen s’est mise face
flamboyant dans la lumière du couchant si bien que de la fenêtre
de la cuisine, je distingue à peine son visage. Mais je vois ses mains distincteà ce paysage
doigts jouer avec son alliance. Elle penche un peu la tête pour regarder ses mains, ce faisant, ses cheveux courts masquent ses joues mais révèlent
ment et ses
alors son long cou gracieux. Parfois, elle relève la tête, met ses cheveux derrière
son
oreille. Elle ne ma donc pas entendu arriver. Elle semble maintenant fixer
point immobile dans l’espace pendant ce qui m’a semblé un temps indéfini.
Une curiosité presque indécente s’empare de moi à l’observer à son insu. A
quand remonte la dernière fois que j’ai vu Ellen perdue dans ses pensées ? Elle
continue de faire tourner la bague et je me demande si elle pense à l’échec de
notre
mariage. Ses mains s’arrêtent brusquement, ses épaules s’affaissent et je
devine quelle vient de lâcher un soupir. De regret peut-être ou de tristesse. J’oublie presque que je ne l’aime plus et veut la réconforter alors que cela fait des
mois que nous ne dormons plus ensemble, que nous parlons à peine. Mais je
me retiens. Je reste moi-même aussi immobile
quelle craignant que le moindre
mouvement ne trahisse ma présence.
un
autochnes
CBréations
LittéRama'OHi #23
Hong-ITly Phong
Une bretelle de sa robe glisse sur son épaule. Cela me rappelle le soir de notre
première rencontre lorsqu’elle avait enlevé son gilet aux manches longues et que
j’avais découvert ses épaules nues et lisses, ses bras fins aux poignets graciles.
Je l’observe qui cache son visage entre ses mains et se met à se frotter ses yeux.
C’est alors quelle tourne la tête et me voit. Ses yeux sont légèrement rouges et
humides, je comprends quelle vient de pleurer. Elle me fixe douloureusement,
la bouche entrouverte comme si une plainte refusait de franchir ses lèvres. Je la
regarde intensément puis demande, refusant de me laisser attendrir :
Que se passe-t-il ? Pourquoi tu es partie comme ça ?
-
-
Rien. Je me sens fatiguée...
Ellen s’est levée lentement et je devine quelle veut s’éloigner de moi comme
si être dans la même pièce que moi lui est insupportable. Je
la retiens à son bras.
Elle a une attitude de bête acculée.
Je réalise que ma voix est basse et pleine d’une colère retenue. Je la déteste
à ce moment d’avoir le pouvoir de me faire réagir de la sorte. J’étais résolu à lui
arracher la vérité.
-J’ai bien vu ton attitude tout à l’heure lorsque Manea... c’est plutôt bizarre
pour quelqu’un qui ne veut pas d’enfant. J’ai respecté ma promesse de ne jamais
t’en demander un mais j’ignorais la vérité. J’aurais tellement préféré l’apprendre
de toi.
Apprendre quoi ?
-J’ai cru que tu n’en voulais pas, c’était ton choix. Comment peux-tu me
cacher une chose aussi importante, Ellen ? Tu m’as caché le fait que tu es... tu
-
es
stérile ?!
J’étais persuadé qu’EEen avait une liaison alors j’ai engagé un détective privé.
J’ai alors découvert quelle se rend régulièrement dans une clinique spécialisée
dans la procréation médicalement assistée.
Une larme coule le long de la joue d’Ellen. Elle ne fait rien pour l’essuyer.
-Je voulais tout te dire, je le jure ! Mais à chaque fois, je n’y arrivais pas.
Dis-le maintenant, je veux l’entendre de ta bouche.
Ses yeux sont de nouveau humides et ma voix s’adoucit un peu.
Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?
-J’avais honte de ce que j’avais fait.
-
-
-Fait?...
Ellen me lance un regard éperdu.
-
Tu ne sais pas tout, n’est-ce pas ?
-Je sais que tu es stérile, que tu ne peux pas avoir d’enfant...
61
-
-
■
Ce nest pas dû à une cause biologique.
Alors, parle Ellen, qu’as-tu ?
Elle s’est affaissée à nouveau sur sa chaise et je remarque quelle tremble un
peu mais au lieu de triturer l’alliance, elle me prend la main et la serre comme
pour se donner du courage. Il me vient soudain à l’esprit que la seule chose que
je sais n’était peut-être que la partie émergée de l’iceberg. Je m’assieds également
à son côté. A cet instant, je me sens plus proche d’elle que nous ne l’avons été
depuis plusieurs mois.
Adrian donnerait n’importe quoi pour remonter le temps et changer le
cours
de l’histoire. Il voudrait disparaître à l’instant et ne plus penser à ce qui se
passe à quelques mètres de lui, entre Ellen et son mari. Il n’a guère le temps d’y
penser car Mélinda, sa sœur s’approche de lui. C’est la seule personne au
monde qui sait, à part Ellen et lui.
-
-
Cava ?
Ouais.
On dirait pas.
L’air inquiet, elle désigne du menton le couple qui vient de disparaître sur
-
la terrasse.
-
Et eux non plus, on dirait pas que ça va. Tu crois que cela à avoir avec ce
qui s’est passé ?
Merde, Mel ! Tu connais Ellen autant que moi. Est-ce qu’il y a une chose
quelle fait depuis ça qui n’a pas un rapport avec ce qui s’est passé ?
-
Mel baisse la tête et a un sourire triste. Elle sait aussi que pour Adrian, il n’a
jamais plus été le même depuis son retour de Chicago.
-
-
-
-
-
-
C’est triste.
Ouais.
On dirait que cela la ronge.
Normal.
Tu ne trouves pas que Philippe est un peu bizarre avec toi ?
Pas qu’un peu.
Pourquoi il est comme ça ? Qu’est-ce tas fait ? Tu crois qu’il sait ?
Bordel, pourquoi tu crois que j’ai fait quelque chose ? Et puis, non, je crois
quelle ne lui a toujours rien dit. Et là maintenant, je regrette de t’en avoir
parlé alors quelle m’a fait jurer de ne rien dire à personne !
Hé, c’est pas pareil ! Tu sais quelle est contente que je sois au courant.
Mais Philippe... J sais pas, on dirait qu’il t’en veut, comme s’il savait non ?
-
-
-
autochnes
iSréations
LittéRama'oHi # 23
Hong-fTly Phong
Il n’peut pas me blairer parce que j'ai connu sa femme avant lui, c’est tout.
Et comme ils ont des problèmes, il ramène tout sur moi.
-
-
Quels problèmes ?
Adrian se tait. Mélinda attend. Finalement, il lance :
-
Elle croit qu’il existe une solution. Elle y croyait dur comme fer.
Il chasse l’image d’Ellen dans ses draps imbibées de sang, son visage d’une
pâleur mortelle. Il se rappelle surtout de l’odeur environnante de la clinique qu’il
associera toujours à ça. Mélinda comprend tout de suite à quoi Adrian fait allusion.
Elle a toujours tellement désiré un enfant, fonder une famille. C’était notre
rêve à toutes les deux... tu te rappelles ?
Bien sûr qu’il se rappelle. Ils avaient tous passé un été merveilleux. L’adoles-
cence, la découverte du sexe, être accro l’un de l’autre. Il est tombé fou amoureux
d’Ellen mais d’un commun accord avait décidé de rompre pour se
consacrer aux
études. Ils avaient des projets, un avenir. Ellen était partie à Bos-
ton, lui à Chicago.
Mel le ramène au présent.
-
Et c’est vrai ? C’est possible ?
-Non.
La pauvre ! Heureusement quelle peut se confier à toi.
Oui, il sera toujours présent pour elle comme cette fois-là où elle l’a appelée
-
à Chicago. Sa voix était faible au téléphone, ténue et ses
paroles incohérentes.
Paniqué, il a sauté dans le premier avion, le premier taxi. Il y avait du sang partout et il n’avait
pas imaginé qu’un être humain pouvait en avoir autant. Ellen
mourait. Ce n’est que plus tard
qu’il avait compris. Le médecin lui a expliqué la
tentative d’IVG et surtout la
conséquence désastreuse.
Dès qu’il est entré dans la chambre aseptisée. Leurs regards se sont croisés,
et elle s’est mise à
sangloter. Il n’a rien dit ne sachant quoi dire, ou que faire d’autre. Ils n’avaient
que 19 ans tous les deux ! Merde, qu’auraient-ils dû faire ?
Punaise, il a été un vrai con, ils n’auraient pas du... Merde ! Elle a continué de
pleurer les jours suivant. Il est resté pendant toute sa convalescence, n’ayant plus
du tout la motivation pour retourner au campus. Un matin, elle s’est arrêtée de
pleurer et lui a simplement demandé de partir, qu’il ne devait en parler à personne, à personne elle a répété, de ça. La vie a continué tout simplement.
Elle devrait se confier à son mari, à force de ne parler qu’à moi, il devient
méfiant. J’suis mal à l’aise là !
-Je sais que tu préfères les évier. Merci quand même d’être venu, tu sais que
ton neveu t’adore ! Il aurait été déçu
que tu ne viennes pas.
-
63
Cela lui aurait aussi brisé le cœur de ne pas voir son neveu. Parfois, Adrian
imagine son enfant, leur enfant, quelquefois fille, quelquefois garçon et il ressent
aussi une tristesse infinie. Il se demande si sa peur
de l’engagement n’a pas pour
origine ce passé.
Je remarque à peine qu’il fait sombre. Je l’écoute et j’ai peur des mots. Ils sorprécipitamment de sa bouche comme à chaque fois qu elle pense plus vite
quelle ne parle ou quand elle est énervée. Je caresse machinalement sa main
tent
pendant tout ce temps.
-J’étais jeune, stupide, seule surtout. Si tu savais comme je regrette d’avoir
fait ça. Tu sais, c’était l’époque où un médecin s’était fait tirer dessus parce qu’il
travaillait dans un centre qui permettait aux jeunes femmes d’avorter. On traitait
les femmes qui voulaient avorter de tueuses, d’assassins aussi. Il y avait des manifestants devant ces cliniques. Je ne pouvais pas aller là. J’étais morte de peur. Je
ne
pouvais pas le garder, c’était impossible. Mes parents auraient été fous et puis,
comment
aurais-je pu l’élever ? J’ai entendu qu’on pouvait... Enfin, j’ai essayé
et j’ai fait une
hémorragie à cause d’une perforation de l’utérus. J’ai appelé
Adrian parce que c’était lui le père, tu comprends ? Il ma sauvée la vie. Je me
sentais si coupable. C’était il y a si longtemps... et puis je me suis dit que peutêtre, avec la technologie, les progrès en médecine, il y aurait un moyen... Je ne
veux
pas te perdre !
C’est comme un voile qui se déchire et je comprends tout à coup leur cornpli cité, leur silence. Là où je croyais voir une liaison amoureuse, ce n’était en fait
qu’un deuil partagé, une expérience horrible, un sentiment de culpabilité. Je
comprends que je ne veux pas la perdre non plus.
Ils ont à peine le temps d’essuyer leurs larmes avant que les autres invités
n’arrivent en chahutant sur la terrasse. Les uns portant les paquets cadeaux, les
autres des
gâteaux et les assiettes. Les lampes solaires éclairent le jardin et les
tortillons chassent les moustiques. Les bougies illuminent le visage souriant de
Manea. Les adultes chantent «Joyeux anniversaire ». C’est une bien belle fête.
autochnes
fBréations
LittéRama'oHi m 23
Simone Grand
Née à Tahiti de parents métissés nés à Tahiti, elle est deformation scien-
tifique. Etudiant les soins traditionnels et la maladie à Tahiti aboutit elle
réalise une thèse d'anthropologie médicale. La maladiefait tomber les
masques etpermet d'interroger les préjugés émis sur les Polynésiens.
La Naissance de Màui1
T. Henry
(pp. 420-423)
(Après avoir corrigé le texte tahitien j’en propose une traduction différente de celle de B. Jaunez.)
C£ Mai te Po maira teAo, pp. 114-119 et notes 179-180)
Fanau maira ta Ta’aroa ’e ta Papa-raharaha ’o Moe-hau-i-te-ra’i, ’e tino vahiné,
’epoti'i herehere na te metua.2 A hee te tua, ’e maeha’a, ’o Rô-’ura-ro’o-iti ’e ’o Rô-feroro’o ’ata. ’O Huri te vahiné na Rô-’ura, ’e ’o Pô’i-ë te vahiné na Rô-fero. Tei raro roa ’i
te papa ’o te moana to ratou utuafare, tei te PôJe mata ’oÂtea ’a taupe ’i raro ’i te
mata ’a te vahiné ra ’o Hotu. Fanau maira ta raua ’o Rü-te-to’o-ra’i, ’o Rü-afai-ra’i, ’o
Rü-i-totoo-i-te-ra’i ’o Rü-i-ta’ai-i-tefenua. ’E i’oa ana’e teie na te ta'ata ho’e: ’o Rü ’i
tuha’a ’i tefenua ’i raro a’e ’i na ’ôti’afenua, te Hitia’a-o-te-râ, te To’o’a-o-te-râ, te
Apato’a ’e te Apa-to’erau ’e te Hiti-to’a ’e te Hiti-to’erau, te To'o'a-i-to'a ’e te To’o’a-’iTo'erau.’A hee te tua, ’o Hinafa’a-uru-va'a, ’o Hina-ta’ai-fenua ia Rü, ’o Hina-i-’â'ai’i-te-marama ’o Hina-nui-te-ârara, Hina-tutu-ha’a, ta’ata ho’e. Tfa'aea ’oia ’i te
marama ’e ara ’i
tepô ’i tefeia ratere ’e te tutu ha'a na te atua. ’E tutu ha’a tâna heiva
’i te ava’e.A noho Rü i te vahiné ia Rua-papa. Fanau maira ta raua ’o ‘Uahea ’o te
Fare-ânapoiri ta'ota’o. ’1 roto ’i tauafa’aeara’apoiri ra teputa ra’a ’o tôna avae ’i te
hata to’a.’O ’Uahea te vahiné ’o Hihi-Râ te tâne,fanau maira ta raua ’o Màui-mua,
’oia te Màui nui tahu'apure matamua roa ’o te ao nei.3 Hee te tua Mâui-muri, Mâuiroto, Mâui-taha, Mâui-poti’i ’oia ’o Hina-hina-tô-tô-’io ;4 e i mûri roa maira ’o Mâuiupo’o varu, ’oia ’o Mâui-pü-fenua to’o ono ia Mâ-ü-i. ’E tamarii ma’iripü-fenua ’o
Mâui hope’a. Mai tepa’ipa’i ra te vehi ’o taua Mâui hope’a nei, ’aore te metua ’i ’ite te
huru ta’ata ’i rotof-’Ua mate te tama nei!-’Ua mate? -’Ua mate roa! -'A ’ôta’a ’i te
pu'upu'u, ’a ta’ai ’i te ti'iti'i rouru ’e ia hope ra te tui hana ’a taora atu ’i te tai!”
Hope atura te ota’a ’e te ta’ai, tuia hana aéra, tei te tai atura! Te mafatu ra ’o Mâui,
maro
65
teoraora noa ra6 iroto i tôna ’ouma
’apainurâ’Apainu noa i te aremitie. ’A ’ite mai
tupuna i te tai ’o Rô'ura ma Rôfero i te 'ôta a painu, haru ihora, rave atura i te tama
iti mai roto mai i te vehi, ’ite atura e ’e ta’ata ora ’e ta’ata upo’o varu. ’E tahi upo’o nui
i tü i nia, e hitu7 upo'o ri’ifaaati na te rei.’A hi’i ’i te tama ’i roto 'i te anafeo ’i raro a’e
’i temoana, tupu atura ’epa’ariatura’Ua nao atura taua na tupuna ra: "”Ua ’iteaéra
’oia ’e nofea mai oia? ” “’Aore e mea ’e toe i tera hum ta’ata upo’o varu! ’A hi’o a’ena ’i
tera ra humfaaturuma." 'Aria ni de, ho’i atura Mâui i te ana ’o te metua vahiné ra;
teireira ’o ’Uahea ’e tamari’i’epae’Apatôtô atu ai teieMâui te ’uputa, ’e inaha te ti'a
noa ra ia tdata
upo’o varu! ’Ua ui atura te metua vahiné: "’O vai ho’i ’oe ? " ’Ua ta’o
atura te tamaiti : ’O Mâui ho’i au. » Nao atura ’o ’Uahea : “ ’O Mâui-mua te’ie, ’o
Mâui-muri, ’o Mâui-roto, ’o Màui-taha ’e ’o Mâuipoti’i ; te’ie ana’e ia pue Mâui ’e
pae, tei teFare-ana nei, ’enofea atu iaMâuihou? "’Ua ta’o atura teieMâui :"’0 vau
te'ie,Mâui-pü-fenua, ’oMâui-ti’iti’is ’o te râ, ’e ’Uahea ! Te tui hana ’i roto ’iFare-anapoiri ’ûe!9 To maropu’upu’u iputi'i hia te rouru ti'iti’i ra e ’Uahea e ! Are, ’are ra vau
i te tua iHavai’i e !Mai roto mai au i te ana ’o te moana, ’e ’Uahea, io Rô ’ura ma Rô
na
fero ra. T tui anoa na to’u pue upo’o varu ’i nia ’i tefeo ’o te ana i raro i te moana ’e
’Uahea e !’’ Putapu roa atura te manava ’o ’Uahea ’e na tamari’i ’i te Fare-ana poiri
ra! ’Ua ’ite ana’e atura ia ’e o tetahi mau ’o Mâui teie, ’ua ora mai te moana mai.
Fa’aea roa atura ’o Mâui-upo’o-varu ’i te Fare-ana i te metua vahiné ra ’e te tahi pae
tamari’i. ’O te Mâui te’ie i toto’o te rai ’e ’i ta’ai tefenua; ’o te Mâui te’ie ’i here ’i te râ
’e rave rahi atu tâna hacuArea ’o Màui-nui tahu’a nei, ’i vare’a noa ia ’i te ru’uru'a ma
te ea'ea i te apiapi
’o tepô ra. ’Aore ’i tere maita’i te pure ’i tereira tau, ’aore ’e marne i
oti no te pure.
Naquit de Ta’aroa et Roche lamellée : Sommeil-céleste-paisible, une tille,
enfant chérie des parents.Vinrent des jumeaux Fourmi-rouge-petit-renom et
Fourmi-liée-renom-risible. Renverse était femme de Fourmi-rouge et Nuitailleurs celle de Fourmi-liée. Tout en bas du plancher océanique était leur rési-
dence, dans la Nuit. Le regard dÂtea s’inclina sur le regard de dame Fertilise.
Leur naquirent : Rü-tuteur-céleste, Rü-apporte-ciel, Rü-tuteurant-le-ciel, Rü-
lotissant la terre. Tous ces noms désignent un seul homme : Rü, qui morcela
la terre d’en dessous jusqu’en ses confins, l’est, l’ouest, le nord, le sud ; le sudest, le nord-est, le sud-ouest et le nord-ouest.Puis, Hina-possède-pirogue,
Hina-explorant la terre avec Rü, Fhna-conteuse-de-lune, grande-Hina-éveillée,
Hina-batteuse d’écorce, la même et unique personne. Elle demeura dans la
lune veillant la nuit sur les voyageurs et battant tapa pour les dieux. Battre tapa
autochnes
réations
LittéRama'oHi n 23
Simone Grand
est sa distraction dans la lune.Rû demeura avec dame
Double-roche. Leur
naquit ’Uahea de la maison caverne si sombre. Dans cette résidence obscure,
elle se blessa le pied sur une roche pointue. Dame ’Uahea et sire Rayon-dardant, mirent au monde leur Mâui aîné, c’est-à-dire le grand Mâui tout premier
expert prieur de ce monde. Vinrent Mâui-second, Mâui-cadet, Màui-de-côté,
demoiselle Mâui ou Hina-aux-cheveux-s etirant-s’étirant et enfin, Mâui-huittêtes ou Mâui placenta, le sixième des Mâui. Enfant prématuré fat le dernier né
des Mâui. Telle une méduse était l’enveloppe de ce petit dernier, les parents
ignorant le genre d’être humain à l’intérieur. - « L’enfant est mort !» - « Est-il
mort ?»
«
Complètement mort ! » - « Faites en un paquet de ceinture grossière, attachez avec un pique-cheveux et après la prière, jetez le tout à la mer. »
Une fois le paquet fait et attaché et la prière faite, il fut jeté à la mer ! Mais le
cœur de Mâui continuait à battre en son sein tout en dérivant. Dérivant au gré
des flots.Les grands-parents Fourmi-rouge et Fourmi-liée virent le paquet dérivant, l’attrapèrent, prirent le petit-garçon enveloppé, virent que c’était un être
vivant, un homme à huit têtes. Une grosse tête bien dressée et sept petites
entourant l’occiput. Nourri fut l’enfant dans la grotte de corail au fond de
l’océan, il se développa, grandit. Les grands-parents dirent alors : « Sait-il d’où
il vient ? » « Rien n’échappe à ce genre d’homme à huit têtes ! Regarde sa façon
d’être silencieux ! » Peu après, Mâui rentra à la caverne maternelle où ’Uahea
et les cinq enfants vivaient. Mâui frappa à la porte où se tint l’homme aux huit
têtes ! La mère interrogea : Qui es-tu donc ? Le fils répondit : Mais je suis
Mâui. » Uahea dit alors : « Voici Mâui lainé, Mâui qui suit, Mâui du milieu,
Màui-latéral et demoiselle Mâui ; voici le groupe des cinq Mâui de cette
caverne, d’où viendrait ce Mâui de plus ? » Ce Mâui répondit alors : « Je suis
-
Mâui-placenta, Màui-cherche-soleil chère ’Uahea ! Prière dans la caverne maison sombre ! Ta
grossière ceinture épinglée par un pique-cheveux de ’Uahea !
Vague j’étais devenu au large de Havai’i ! Je viens de la grotte océane ’Uahea, de
chez Fourmi-rouge et Fourmi-liée. J’ai cogné mes huit têtes au corail de la grotte
océane chère ’Uahea. La compassion envahit 1 ame de ’Uahea et des enfants
de la caverne maison sombre. Ils virent qu’il s’agissait bien d’un Mâui, rescapé
de l’océan. Alors Mâui huit-têtes demeura à la Caverne- maison près de sa mère
et des cinq autres enfants. C’est le Mâui qui tuteura le ciel et le sépara de la terre ;
c’est le Mâui qui captura le soleil dans son filet et réalisa bien d’autres travaux.
Par contre, Mâui-le-grand-prêtre ne faisait que dormir entortillé, haletant dans
la nuit confinée. Les prières furent mal menées en ce temps-là, aucun marne
»
n’était terminé pour y prier.
67
Notes
1
-
^
-
3
-
Le titre TH est : « Naissance de demi-dieux ». J'opte pour « Naissance de Mâui »
Ce morceau de phrase n'avait pas été traduit ; il l'est désormais.
Mâ-û-i, ainsi l'écrit T.H. Acad écrit Mâui. Tentons Mâ-ü-i. Ainsi décomposé, il signifierait :
1. Ma = propre, pur, clair, exempt de souillure ; marque le pluriel des noms propres ;
marque sur une cible, « repaire » (Acad.) (plutôt « repère ») Ma signifie aussi
«
avec ».
2.0= prévaloir, conquérir ou mouillé.
3. Je n'ai pas trouvé d'usage situant « i » à la fin d'une locution. J'opte pour ui =
question.
4. Mâui pourrait donc être traduit par « Questions ». Dans les mythes, il est celui qui
4
-
interroge la réalité et cherche des solutions à ce qui apparaît une fatalité. Il est
souvent qualifié de ti'iti'i. Or, ti'i, signifie aussi « quérir ». Cf. (8)
Hina-hina-tô-tô-'io; a été traduit: Claire Hina dont chaque cheveu tirait. Si Hina est
dit « Gris » ailleurs, je ne comprends pas pourquoi ici il signifie « Clair » ni pourquoi
chaque cheveu «tirait, tirait». Par contre que le cheveu soit étirable, je le veux bien.
D'autant que c'est grâce à ses cheveux que Mâui a pu ralentir la course folle du
soleil.
^
-
Au lieu ta'ata te rote qui ne signifie rien, je propose : ta'ata i roto. = personne à l'in-
térieur.
°
-
7
-
8
Au lieu de moa, écrire noa.
Le texte dit ono= six ; Or, pour faire huit ce ne peut être que hitu= 7.
Ti'iti'i est traduit : « qui s'étend au loin » !
TJ, Ti'i (tiki, ie sculpté), « nom du 1er homme..., sculpture, idole, - apporter,
guérir » (sans doute quérir), aller chercher ».
a. Dans
«
b. Dans Acad : Ti'i
i. ne (Pa'umotu : tiki) « 1°. Image d'un Dieu, statue (moderne) » suivent deux
exemples dont le 2ème est l'injonction à briser les statues (Deut. 7/5) « 2°. Mauvais esprit utilisé par le tahu'a nànati pour exécuter des maléfices... esprits...
représentés par des statues de pierre.
susceptibles de se déplacer tant
qu'elles étaient'vivantes','c'est-à-dire habitées par un esprit maléfique'». Etonnant comme l'Académie tahitienne souligne régulièrement le rôle uniquement
maléfique de la spiritualité ancestrale...
ii. np. le 1er homme selon la tradition tahitienne...
iii. v.t. 1. Quérir aller chercher 2. Faire venir quelqu'un, 3. venir, approcher (désuet)
...
c. FS : Tiki
i. To be frustrated, disappointed, in something,... a season of scarcity...
ii. To eat until the belly is distended...- tikitiki = paunchy, protuberant, round, swol-
len, pendulous, distended; as the belly. Tumid, of the phallus, virile,...
iii. A stone, wood, statue, image,... the personified phallus... the name of the
first man,...
autochnes
réations
LittéRama'oHi tt 23
Goenda a Turiano - Reea
Epa'i ! Teie noa â '0 Paraita ma e 'imi nei i te râve’a Unaha, e mea here
i tepâpa'i, e mea au i te tai'o, e mea ana'anatae ato’a i te hïroa tumu 0 te
fenua. 'Atae ho’i ! 'la eaea noa te ta’o, ia oraora noa te tai’o, ’ia maumau
ri’i noa a'e i roto i te aau !Enà 'outou !
Të ha uti noa ra â te tamari’i i nia i te tumupürau
E hoa pàpü teie nâ te tama
Tito hânoa tôna mau ama’a
Tafifi ho’i mai te puhi ra te huru
Ferohia e te here, te here aru, te here metua
Te here nô mua, nô mua roa mai i te tupuna ra
E ma’i-pe’e-hia ihoâ ’ia tàpirihia atu
Terâ mai ha’uti a te tama
Ta’i’uma iho na
E ari’i-roa-hia i nia, i nia roa
I te tumu pürau
E pa’i,
Të ha’uti noa ra â te tama i nia i te tumu pürau
Haumi, hau’a hâumi te pa’a pürau,
Remu matie terâ e fa’atoro ra nà nia iâna
Àfàfà haere tôna pa’a
Pa’a tàpe’ape’a avae
’la pàhe’ehe’e iho te tama
Pa’a tâpi’ipi’i avae
la hôhoro tupa ana’e
69
Hâma’ama’a mob te manimani avae
Horohoro ti’ati’a noa
Roaa te tauaro, paho iho nei te ata tama
’Ua roaa te ha’uti pere fè a te tama
Nô mua, nô mua roa mai
I te tupuna ra
E ho’i,
Të ha’uti noa ra â te tama i nia i te tumu pürau
Terâ ha’uti perë
«
Kama Sulo ! »
«
Titiolo ! »
He’euri te püpâ raurau pürau i nia
Vàhi tàponira’a nâ te tama màramarama
Tia’i noa atu ai i te enemi e tâna püpuhi raau
«
E Tihoni ! »
’Ua pohe ïa tama
E iho â,
Të ha’uti noa ra à te tama i nia i te tumu pürau
 tahi, a piti, ’a toru,
Tapô ?
Aita !
Maha, pae, ono, hitu,
Tapô ?
Aita à !
Va’u, iva,’ahuru...
Tapô ?...
Tapô...
 ’imi i te tama ha’uti
E pere tâpô terà, e’ita e ’ite hânoahia
E ’ohipa tamari’i ho’i tôna parau
Emau,
Të ha’uti noa ra â te tamari’i i nia i te tumu pürau...
autochnes
réations
LittéRama'oHi » 23
Leila Ercoli
Après avoir obtenu sa licence de Lettres à l'UFP, elle continue sa maîtrise
et son DEA de Littérature Française à Montpellier. De retour au Fenua,
elle enseigne lefrançais au lycée Samuel Raapoto àArue. Leila a les yeux
toujours plongés dans un livre, une plume constamment à la main et des
nouvelles plein la tête.
Poème d’un soir
Dans mes souvenirs et méditations infinis
J’entrevois des fourmillements et des aveuglements,
Toutes ces petites choses pourries de corruption et de mensonges.
Une pensée unique martèle sans cesse ma réflexion...
Je marche à l’infini vers des mondes inventés.
Des soleils de platine ont irradié de leur flamme
Des peuplades dites muettes et dégénérées.
Les sourires des uns et les sortilèges des autres
Condamnent et poignardent. Vident et musèlent.
Et nous mourrons à petit feu de notre passé soumis.
Mes paysages sont truqués et pleins d’espoirs ambitieux,
Ce sont des planètes d’or de rêves de jeunes filles innocentes
J’érige un monument à ma gloire et j’achète des pans entiers de vertu
Mais mes mains sont flétries par les brûlures et mes yeux sont voilés :
Eclair de lune sur monde assombri par le trop plein de lumière
De ce soleil factice où l’on a jeté en pâture quelques îles perdues.
J’ai vendu mon honneur au plus offrant.
L’argent est mon maître, je suis un roi indétrônable
J’ai trahi les miens et mon âme s’est brûlée il y a quelques années dans les
volutes argentées
Je suis puissant, je règne sur les confins de la Polynésie, mais au dedans, je suis
mort, irradié.
'
71
Dossier
Tuihana
TUIHANA vient du nord-est,
Il dévale emportant tout avec lui.
C’est un vent rieur qui se moque de tout.
Le monde lui appartient, les hommes sont ses vassaux
Et il trône sur les hauts de Mahina.
Du fond des sources glacées, il jaillit, taquin et agile.
Il file entre mes veines, et il atterrit sans gêne
Dans le creux de nos ventres énamourés.
Je laisse ma chevelure s’entortiller dans la quête d’un baiser
Mais Tuihana n’est pas un docile souffle.
Il caresse les sens, exacerbe les colères
Contient les mots glacés, mais jamais ne reste.
Les amarres sont éparpillées autour du grand flamboyant
Ce soir il fera nuit étoilée sur l’est
Et Tuihana se glissera mutin et lutin
Pour nous rappeler qu’il est le prince des éoles.
autochnes
réations
LittéRama'oHi » 23
fTloana Taofifenua ^Meny Simutoga
Je suis la nuit
Je suis la nuit
J’appartiens au cosmos :
De poussières d’étoiles en pléiades, voici ma maison,
Et mon toit, la voûte céleste qui continue de guider
Les navigateurs du plus grand peuple de l’océan.
Déclinant sa palette de visages d’or éclatant,
Hina, ma déesse tout auréolée de lune,
Récolte les semences d’espoirs des hommes qui,
Baignés de particules de lumière,
Voient leurs rêves les plus sincères se matérialiser
Dans un magnifique écrin d’étoffe de tapa ;
Alors de retour des confins de l’univers,
Sous l’impulsion libératrice du véritable amour.
Je suis la sublime nuit,
Ton autre équilibre originel du monde, promise à l’union :
La femme dans toute sa splendeur fertile et féconde,
Comblée de grâce, proche de ton cœur
Et qui contient en son sein généreux
La naissance du jour merveilleux.
Mère et créatrice du cycle éternel de la vie,
Je suis la nuit...
73
Poème à deux pour nefaire plus qu'un
Amour de ma vie
Je t’envoie une pirogue de pensées tendres bercées par les flots de notre
amour.
Que ce va’a navigant sur l’océan nourricier accoste sur les rivages de ton cœur,
Pour te serrer spirituellement contre moi et que ce moment dure une Eternité.
Que les anges te chuchotent délicatement à l’oreille comme je t’aime.
Et enfin... être à tes côtés, ne penser qu’à nous deux.
Que le papillon vienne t’effleurer la peau de mes baisers fleuris aux parfums
délicats,
Sentir la douceur de tes lèvres épousant ma bouche et la chaleur de ton âme
fusionnant avec la mienne.
Que la douce brise du soir nous enveloppe de son manteau de paix pour ne
faire plus qu’un.
Que notre histoire, rivière d’étoiles, puisse être bénie et que le Seigneur nous
garde.
Merci pour cette Grâce que nous avons
de nous connaître.
Merci au Très Haut dans les deux pour notre amour.
Qu’Il soit toujours le centre de notre vie
Car il n’y a pas de plus grand mot que : AMOUR ! ! !
Je t’aime amour de ma vie...
autochnes
réations
m
LittéRama'OHi # 23
Odile Purue
Auteure d’écrits mangaréviensfrançais, elle est née à Rikitea, archipel des
Gamhier. « J'écris pour laisser des traces, pour témoigner, pour éclairer.
Une vision de mon passéfait renaître des souvenirs qui ne se décolorent,
ni ne
s’effacentjamais. C'est une mémoire demon enfance demeurée dans
le temps. »
Déposition
«
Aiu ! To’u fenua no oe ! O oe tau tamari’i, Tei a oe te mana no te
fa’aoti ! ».
Cette déposition dite tant de fois puis reprise à la fin de sa vie est celle d’un
père à son enfant.
Mon enfant, ma terre est à toi ! Tu es mon enfant, le pouvoir de déci«
sion est entre tes mains ! ».
Une déclaration de ses dernières volontés sur ses biens lointains tenus de
ses
aïeuls.
Ce père a tout abandonné derrière lui et s’est exilé pour une nouvelle terre
par amour.
La naissance d’un bébé, de père inconnu dans ses bras, le retiendra toute
sa vie
loin de sa famille,
loin de son île natale.
Auprès de sa compagne (grand-mère), il le prend pour son enfant et lui
donne la chaleur du logis,
Le refuge de la tendresse et de l’écoute.
Il veille et lui prodigue les soins nécessaires pour sa bonne croissance.
Il le protège de tout ce qui peut nuire à son épanouissement.
Il le nourrit de paroles, de légendes en soirée, dans la clarté de la lampe à
pétrole.
Cet enfant élevé et choyé à la « ma’ohi », grandit et transpire de bien-être.
Point besoin de mots ni de phrases pour exprimer les sentiments.
75
Tout se reflète dans la transparence du regard.
Tout se comprend dans le ton de la voix
Tout se manifeste dans la douceur des gestes.
Tout se dévoile dans la délicatesse des attentions.
Sa fierté est de le prendre par la main pour guider ses pas vers le chemin
de l’indépendance.
A cet enfant de père inconnu, il lui donne par-dessus-tout, son nom, sa
nature
polynésienne.
Une identité complète pour la dignité et le respect de cet
enfant devenu
le sien.
Papa ! Tant de temps tu es parti ! Aujourd’hui avec Reconnaissance, je te
dis encore et toujours : Merci pour ton Amour ! Dépositaire de ton testament,
le combat pour la souveraineté de ce legs chemine enfin vers une issue de
bonne conclusion.
Tukuraga takao akaopega
«
Aiu ! To u fenua no oe ! O’oe ta u tamarii, Tei a be te mana no te
fa’aoti ! ».
E tukuraga takao akaopega ta’ana amenei, taeroa
ki tona râ matega na té ta’i
motua ki tana teiti.
«
anake taku teiti, ia koe te tikaga no
akaotiraga ! ».
E tukuraga takao akaopega no tona utu kaiga atea mei tona mau motua
E riga ! Toku kaiga no koe ! Ko koe
te
tupuna.
Titiri a vare roa a motua nei ki tona kaiga tumu mo te ta’i
kaiga ’ou na te
tagitagi matetu.
Ka no’o tumu roa tenei ma te akamo’uri roa tona ’aka’iriga motua, tona
i te pàraga
motua anau.
Ici te ao o te ta’i nikuniku’ou ki roto i ana, kakore tona
autochnes
réations
LittéRama'oHi » 23
Odile Purue
I te ta’a o tana ipo
(toku kui tupuna), agai koia ki an a, batu te oraraga
maana’ana mo a teiti nei, koia te ana no te akaroa.
Vavao koia tana me te ’akatia te apoaporaga no tona oranoa porotu.
Maruaveave koia tana ki te utu tiaga takere ki tona puapuaraga.
I te ’igaraga rà, i to te ma’inatea o te turaga,
pakepake koia ki ana te utu
takao me te utu atoga.
Kaka’u ake me te mavava porotu a teiti ’akaereere me te agai ma’oi ia nei.
’Inau te takaoga, ’inau te io takao me b’ora atu te makararaga manava.
Koia e ata taaga mai ana mei roto i te ko'ata mata.
Koia e rogo taaga mai ana mei roto i te togiraga reo.
Koia e raaraa taaga mai ana mei roto i te rima magarogaro.
Koia e akakite taaga mai ana mei roto i te mau vavao puareaunoa.
Tana akateate araga, te akatari rima roa ki ana na te aranui
tikaga tumu.
E ekekura tana i ’ikoura mo a teiti motua moru nei, koia tona igoa, tona
natura maoi.
E ta’i a turaga tagata arake ururoa me te mamana mo a teiti nei,
koia tana
teiti.
E toku motua e ! Moeroa koe noia ano ! A rà nei e purega nui ana au Ida koe
ma te
no ta
otiga kore. Maro’i mo to koe Akaro’araga mai ki aku. Ko au te matakite
koe takao aka’opega, e akatae ana au te aretoa, mo te ’akatumuraga no a
apaga nei, na te aranui no te takao aka’opuaraga porotu.
77
Steeve Reea
Maohi tei here i te reo tumu o tônaferma. Ta’ata himene 'e ta'atapâpa'i
nâ roto i teie reo iti arohahia,
'iafaaohipa-noa-hia à, ’ia tai’o-noa-hia à,
'iafa'aro'o-noa-hia â, ’iaparau-noa-hia à oia.
Apaitoreo
(Poro’iraa)
E pà nô muta’a iho ra i tebteohia na e te nüna’a, ti’ara’a nâ te
meho upo’o ’ura
te manu tâmoemoe, ’ia vai te hau i tô’u ai’a.
I teie nei rà, tê püehu haere ra ! ’Ua apo’opo’o roa ! ’Ua tüpitahia !
 tae ho’i ë ! Nâ vai râ i tüpita ? I tuo ai te tama i teie mahana ë: « 'Ë pa’i !
Fa’aea-noa-ia ma te aueue bre ! »
I poihere na to mau tupuna i to reo, i
i teie nei mahana.. .Terà mai te apà o te
nehenehe ai au i te parau atu iâ outou
here !
E pà i patuhia e te ofa i tihi mau, i parauhia ai be ë, b
PÂ’ÔFA’I !
Paôfa’i tô’u ai’a i pâruruhia na e tô’u hui tupuna, tei piri maa i tô reo, faura’o
nô tô’u iho !
Teie pà i fa’ati’ahia e ra a’e nei tau, ’ua ’atu’atuhia, ’ua
’aupuruhia, ’ua herehia !
I haere na màua tô’u pâpâ i te mâtete ’ïnanahi ra. ’Ua ani oia i te tahi mâmâ
ho’o ahu, e hia nei moni tàna ’ahu ta’oto. Pàhono mai nei terà mâmâ e: « Euh...
je suis allée à l’école, tu peux me parler en français, je sais parler le français ! »
’Ë pa’i ! Nâ te ha’amà i tura’i iâ tâtou e fa’a’ui’ui i tô tâtou iho reo. I riro ato’a
be e ta’ata raverave !
autochnes
réations
LittéRama'oHi 8 23
Steeue Reea
Raverave i te mau ofa’i pâ apï. Âno’ino’i haere hâ noa atura i tâ tatou. Tamata
noa atura i te
nei te
fa’ati’a i te tahi pâ apï. Tei te afara’a noa râ o te paturaa, ofera iho
apa’apa i raro.
Té nà o ra pa’i teie mau apaapa ri’i :
«
-
Hey Man ! Mai on va nous deux ha’ariro ?
Non paha ia ! Je vais pau paha ia avec toi ! Püai roa toi Man ! »
E hômà, tei hea tatou i te paturaa i teie mahana ? !
’Ua tano roa te reo o te tama i tê nâ’ô ra’a: « ’Ua apobpo’o roa tâ tàtou pâ !
Nà vai râ i tûpita ? ! »
’Eiaha na e neva ! ’Eiaha e ’imi !
Nô reira, a pâ i tô reo ! Â apâ i tô reo ! Â fa’atoro nâ nia i te fenua ia tomo e
’ia ho’i fa’ahou i roto i te mau ’utuafare ! Â ha’api’i atu i te mau tamari’i ’ia nehe-
nehe ato’a ràtou e ha’api’i atu i tâ râtou iho tamari’i ’ia bre te reo ia mate !
 apâ i tô reo ! ’la ho’i mai te here.  pâ i tô reo ! ’la ho’i mai te hau.
Fa’aitoito e mâuruuru.
79
I Simone Grand
Née à Tahiti de parents métissés nés à Tahiti, elle est deformation scien-
tifique. Etudiant les soins traditionnels et la maladie à Tahiti, elle réalise
thèse d'anthropologie médicale. La maladiefait tomber les masques
et permet d'interroger les préjugés émis sur les Polynésiens.
une
Mai te Pô maira te Ao
Pourquoi avoir écrit et édité Mai te Pô maira teAo = LeJour vient de la Nuit ?
Dans Tahiti aux temps anciens, l’éditeur premier, signalait à Honolulu en avril
1928, p. 14:
Le texte tahitien recopié par une personne ignorant la langue contient
évidemment des erreurs, n’ayant pas été relus par lAuteur. Beaucoup
d’inexactitudes apparaissent. »
Aussi, me suis-je mis à corriger et traduire 22 textes qui me paraissent
constituer comme une saga de divinités polynésiennes. J’y ai découvert une
pensée d’une grande richesse ayant développé une conception de soi au
monde rejoignant celle de hautes civilisations asiatiques. Où existerait une
«
seule et même vibration se concrétisant sous les formes les plus diverses de la
réalité tangible et invisible.
Ci-après, voici quelques notes expliquant mes choix de correction du tahitien et de traduction en français.
«
Te Pô est traduit « Ténèbres » par B. Jaunez/T. Henry. Or selon le Larousse,
Ténèbres = obscurité sinistre qui peut provoquer la peur, l’angoisse ; ou
l’enfer habité par le démon ». Et, selon Wikipedia, « Les ténèbres sont
d’abord un concept ou une croyance religieuse qui désigne le néant, la mort,
encore
l’état de lame privée de Dieu, de la grâce. ». Ces concepts chrétiens n’ont rien
à voir avec Te Pô, la Nuit primordiale, monde des dieux et
mence et
des défunts où cornfinit la vie. Te Poe st un lieu-temps, une matrice spatio-temporelle
contenant tous les
aréutaocthionness
possibles et le mana nécessaire à TeAo, le monde du Jour. Bl
LittéRama'oHi « 23
Simone Grand
En d'autres termes, l’on pourrait dire que le divin précède la divinité et tout le
reste. Dans TeAo, monde des vivants, certains humains, en
particulier les ari’i
peuvent être des formes temporaires revêtues par des divinités dont ils sont les
consanguins, parents, car issus d’un même couple divin primordial. D’autres
fois, c’est sous forme animale que des divinités, s’incarnent pour être ce que
d’aucuns nomment tia'i, gardiens, et d’autres, tâura, totems ou ata.
Ici Te Pô sera traduit « La Nuit », différente de tepô, la nuit quotidienne.
Pour Martha Warren Beckwith : « The Po is a spirit world, the Ao a world of
livingmen.» (The Kumulipo, 1981:48). Cependant, dans la pensée tahitienne,
il semble qu’entre le monde dit « spirituel » (concept occidental) auquel nous
préférons « l’invisible » et celui « des humains vivants » ou « le visible », il y
ait un continuum.
La « création ». Les verbes tahitiens utilisés pour dire l’activité créatrice de
Ta’aroa qui fait apparaître le monde sont hàmani et rahu.
Nana te mau mea ato'a i hàmani. Taaora fabriqua toutes choses. Hàmani
signifie « faire, construire, fabriquer » comme on fabrique un gâteau, une maison, une robe, un objet ou une histoire.
Pour T. Jaussen et Académie tahitienne, rahu = sortilège, enchantement.
Pour Larousse, « sortilège » = « maléfice de sorcier. »
Comme il n’est pas concevable que Dieu soit sorcier, les traducteurs de la
Bible ont pris le mot grec : poiesis pour le tahitianiser enpoiete = créer = faire à
partir de rien.
Pour F Stimson, rahu = To bringforth, conjure up, bring into being=produire,
mettre au monde, mettre bas, faire
apparaître, amener à l’existence (R&C).
Donc Ta’aroa, divinité suprême du panthéon tahitien, appelait à l’existence
quelque chose qui préexistait (comme l’arbre est tout entier contenu dans sa
graine). Le divin tahitien et le divin judéo-chrétien sont deux conceptions du
monde et de l’être au monde différentes.
Aussi, au Ueu de La création du monde, les textes deviennent Les origines ou
mythesfondateurs, d’autant que lors de la « création de l’homme » que nous nommerons
l’homme est appelé au monde », se dessine la hiérarchie de la société.
Rahu sera traduit par : « appeler à l’existence », « appelé au monde » voire
faire des incantations », « incanter » même si le verbe n’existe pas et hàmani
par : « faire, fabriquer ».
Dans le mythe « Extension du ciel de Rumia » voyons les notes n°4 et 8 fera
ihora te mata est traduit
ses
paupières se retournèrent »; ce que l’Acad
: «
«
: «
81
reprend au niveau déféra, sous la forme : « ses yeux ne furent plus recouverts
par les paupières... T. H. BJ p. 423. » Ayant toujours entendu matafem pour dire
le strabisme, je consulte FS pour qui « FERA = to be affected par divergentstrabis-
J’opte donc pour strabisme. Enfants nous avions le mot prononcé
fiao » pour dire le strabisme, mais je ne le retrouve dans aucun dictionnaire.
mus...»
«
Varu est « huit » et c’est pourtant traduit « neuf » qui est iva ! Tini = nom-
breux voire 20 000 (FS) ou milliers (Acad et TJ). Tuatini est traduit « dix » par
HT et Acad où tuatini n’apparaît qu’à la rubrique tini où il est proposé signifier
«
dix »... qui se dit aussi 'ahum.
Rerera’a Varua
*
Envol des âmes
'E a’amu teie ’a Mauatua
Voici l’histoire de Mauatua
Tamahine ari’i no Matavai
Fille de ari’i de Matavai
Tei ora i roto i tefaatura tupuna
Elevée dans le respect des ancêtres
Tei ora te mau tere matamua 'a tapena Tute
Elle vécut les arrivées de capitaine Cook
'IMatavai i reira morohi ai tâna ti’ara’a ari’i
A Matavai son fief où pâlit sa lignée
Tapairu atura ’a Itia vahiné ’a Tü Pômare
Elle devint suivante de Itia ’a Tü Pômare
’Ua taora hia tepito b Mauataua ’i tua
Mauatua au cordon ombilical jeté à l’océan
Taui hia te i’oa o Mauataua ei Maimiti
Elle fut ensuite appelée Ma’imiti
No tôna mihi noa ra'a ia tere ’i tua
Tant elle languit de naviguer sur l’océan
la tere ’i te mau motu atea
De voyager vers les îles lointaines
Taeroa atu ’i tefenuapopa'a
Jusqu’au pays des Blancs
I tefenuafanau a Tute
Au pays de naissance de Cook
aruétoacthionness
fil
LittéRama'oHi « 23
Simone Grand
'Ua pure. '0 Mauatua ia tupu tôna moemoea
Mauatua pria pour que se réalise son rêve
’Ua parauparau raua 0 Teraura
Elle en parlait à Teraura
Tâna hoa vahiné iti
Sa tendre amie
'I te matahiti 1788, ’i atopa, 'ua ho’i mai
En 1788, en octobre, revint
'O Parai. Tamaiti anei a Tute ?
Bligh. Serait-il fils de Cook ?
Ra’atira 0 Parai i tepahi Bounty
Bligh est capitaine de la Bounty
’Auhune te aura’a 0 Bounty
Bounty signifie Abondance
Te tumu '0 tâna tere : tetahi mau tumu ’uru
Sa mission : des plants d’arbre à pain
No tetahi '0 to ratou ja’a’apu ’i atea
Pour certaines de leurs plantations au loin
'I rairafaahepo ta’iri taura ta’a’e hia
Où sous les coups de fouet
Ta ratou mau tïtï tei opua efaaamu
Peinent des esclaves à nourrir
’I teho'e ma’a tupu ha noa.
D’une nourriture poussant facilement.
’Auë teie mau Popa’a te huru’e e
Etranges personnages ces Popa’a d’alors
Matapô i nia ’i to ratou iho taehaera’a
Aveugles sur leur propre férocité
Ta to ratoufaaro’o ’i ha’amaita’i
Chrétiennement bénie
Hi'opo’a tutonu ai ’i te taehaeraa ’a vetahi
Observateurs méticuleux de la violence autre
Teiparifa’a hape hia : ’etene.
Condamnée païenne.
Powell's City ofBooks", Portland, USA, avril 2014
Cité Interdite. Beijing, Chine, décembre 2015
Teava Magiary
LittéRama'oHi s 23
floella Poemate
Auteure de nouvelles, elle aborde dans ses textes des sujets d'actualité tels
que le suicide, la violence... Elle parle aussi beaucoup de sa tribu (elle a
grandi à Baco, Koohnê, Kanaky Nouvelle-Calédonie) et elle se sert de ses
souvenirs pour planter dans ses textes, un décor réaliste où évoluent des
personnages sortis pour la plupart, de son imagination.
Je suis un enfant de la rivière
Le jour où j’ai décidé de mourir, c’était au mois de novembre. Il faisait chaud.
Les enfants étaient heureux, ils seraient bientôt en vacances. Partout, les flam-
boyants laissaient pendre leurs grappes rouges et étincelantes.
Le jour où j’ai décidé de mourir, c’était au mois de novembre. Il faisait nuit.
Dans mon quartier tout était calme. Les étoiles me paraissaient si éloignées et
si proches à la fois. Mes voisins dormaient paisiblement, ne se doutant pas de
l’état de désespoir dans lequel j’étais plongé. Le ciel était magnifique, il s’étirait
à l’infini me montrant toute la splendeur du monde et la noirceur de ma vie.
Le jour où j’ai décidé de mourir, je ne me souvenais pas de ce qui s’était
passé la veille ou les jours d’avant. En une soirée, j’avais perdu le cours de mon
existence dans un dédale de problèmes, de conflits, de colère et d’amertume.
Le jour où j’ai décidé de mourir, j’ai embrassé la Solitude sur les deux joues
et je me suis
laissé bercer par elle comme un enfant qu’on réconforte lorsqu’il
trop pleuré. Elle se tenait à mes côtés depuis si longtemps, que j’en étais arrivé
à lui parler et à lui confier tous mes secrets.
Peu à peu, j’ai perdu le cours de ma Vie. Je ne sais pas comment c’est arrivé.
a
Je ne sais pas à quel moment, Elle nous échappe. A quel moment, on perd
pied et on se noie dans la crasse qu’Elle génère. Parce qu’Elle est comme ça la
Vie, un jour ça va et puis le lendemain, c’est la chute. Je pense que cela vous est
déjà arrivé... Mais si, de rire... Rire... Rire à en perdre haleine, à en pleurer
de joie. De vous sentir au paroxysme du bonheur. Et puis le jour d’après, c’est le
vide. La dégringolade. Les larmes qui ne cessent d’appauvrir votre corps de
toute la substance vitale qui fait que vous êtes un tout. Un être à part entière qui
tente de survivre dans un monde qui ne lui convient pas.
marché longtemps sans trop savoir où
pas me conduiraient. Je n’étais plus maître de mon corps, mes pieds me
portaient et me guidaient et moi je les suivais.
Le jour où j’ai décidé de mourir, j’ai
mes
Je suis sorti de mon studio, un peu comme un automate, j’ai essayé de ne
pas faire de bruit en descendant les marches métalliques de l’escalier qui desservait les autres appartements de mon immeuble, je n’ai même pas allumé la
lumière, le chemin je le connaissais par cœur.
J’ai traversé le parking, tout était calme. Il était déjà tard, seules les voix des
postes de télé encore allumés laissaient échapper des fenêtres ouvertes, des
bribes de sons à peine perceptibles. Je suis sorti par une petite porte dérobée,
qui a claqué derrière moi.
J’ai regardé un peu partout, il n’y avait pas âme qui vive. Quelques voitures
étaient garées de chaque côté de cette longue route de bitume déformée que
j’avais arpenté maintes et maintes fois, à droite elle allait se perdre dans un halo
de lumière, à gauche elle s’enfonçait dans le noir.
Je suis parti à gauche.
J’ai marché les yeux fixés sur ce noir qui m’attirait, m’avalait petit à petit, me
gobait et me broyait. Les phares d’une voiture percèrent les ténèbres et me
dépassèrent. Je n’étais même pas triste. Même pas déçu. Je me sentais juste vide.
Sur le trottoir, j’ai vu une pièce de vingt francs. Je Fai ramassée machinalement.
Je m’étais toujours dit qu’un jour, je serais riche à force de trouver des pièces par
terre. Le
jour où je ne souffrirais plus de problèmes pécuniaires n’était pas
encore arrivé. Je souris
malgré tout. Ou bien était-ce juste une grimace qui
déformait un peu mon visage ?
me
J’ai serré cette pièce dans la paume de ma main, car pour l’instant elle seule
rattachait encore à ce monde, qui m’avait exclu.
LittéRama'oHi « 23
floella Poemate
J’ai marché un moment. Malgré la nuit, la chaussée déformée, les nids-depoule naissant sur la route, je n’ai pas ralenti ma cadence. J’ai même cru un instant que je courrais, que
je m’envolais dans les airs, avais-je déjà quitté le monde
des vivants ?
Non...
Je suis arrivé sur ce pont.
A la surface, flottaient encore les bois morts que le courant avait charriés
durant les dernières pluies et sur la berge, l’herbe haute se jetait à l’eau et allait
rejoindre les algues et les nénuphars pour un étrange ballet. Quelques cigales
chantaient dans les mimosas et les poules d’eau leur répondaient gaiement. Les
animaux communiquaient entre eux, même leur silence avait une
signification
particulière.
Pourquoi dans ma vie, est-il devenu une arme de destruction ?
Pourquoi l’avais-je invité à ma table, lui l’étranger si indésirable parfois ?
Comme un idiot, je lui ai offert un couvert et un mets de choix et comme un
bon invité, il n’avait pas décliné mon offre.
On s’était regardé tous les soirs. Lui hautain et droit, moi affalé devant mon
assiette froide. Je dépérissais à vue d’œil et lui se goinfrait de ma solitude, gobait
mes
espoirs et suçait jusqu’à la moelle le peu d’amour-propre qu’il me restait
sur
les os.
Une voiture a traversé le pont à vive allure, le conducteur ne m’avait certai-
nement même pas
remarqué, car ses feux m’éblouirent l’espace d’un instant.
Une deuxième suivit et fit de même...
J’ai mis un pied sur la balustrade et dans ma main, j’ai senti la pièce que j’avais
ramassée. Je l’avais serrée si fort, qu’elle avait fait une trace dans ma paume blanchâtre.
J’ai pleuré.
Les larmes ont déchiré mon visage, elles sortaient de moi comme un bar-
rage qui avait cédé. J’avais envie de crier, de m’arracher la peau, de vomir mes
entrailles. J’avais envie de me foutre en l’air !
J’ai jeté la pièce loin devant moi, elle a décrit une courbe parfaite avant de
s’enfoncer avec un « plouf» étouffé dans le lit de la rivière.
87
Et j’ai émis une ultime prière... J’avais demandé de l’aide au début de ma
souffrance. Et tout au long de ma descente aux enfers, je l’ai attendue. Mais Lui
là-haut, semblait m’avoir abandonné. Je me disais alors que même Lui s’était
rangé du côté de Silence.
J’ai imploré le Ciel et ceux que je ne pouvais plus voir, de me faire un signe.
Un ultime salut pour me prouver que je n’étais pas seul.
Si Vous êtes là et que Vous pouvez sonder le fond de mon cœur, si vous
êtes là et que Vous voyez les brûlures de mes larmes, Si Vous êtes là, ne me
laissez pas... Montrez-moi que j’existe pour quelqu’un, quelque part...
Un vent frais a balayé mon visage, a caressé mes cheveux et est parti se perdre dans les branches des bois noirs. Je voulais sauter. En finir avec cette vie de
-
malheur.
Un moteur a rugi au loin et les phares de la voiture qui allait traverser le pont
comme toutes
les autres avant elles, projetèrent des filets de lumière obliques.
Elle me dépassa. J’ai baissé la tête. Je n’avais plus rien à faire ici-bas.
Soudain, la voiture ralentit puis stoppa net son élan. Les feux arrière s allunièrent. Elle reculait.
Eh fils ! ça va ? Tu vas pas faire une connerie là ?
Le chauffeur, un vieux kanak dégarni me regardait dépité. Devant mon
-
mutisme, il répéta :
Fils ? ça va ? Tu fais quoi là à cette heure-ci ? Fais pas de bêtises, hein ?
-
Derrière mes larmes, je lui ai souri. J’ai senti au plus profond de moi cette
chaleur étrange, ce petit sentiment de bien-être. C’était tellement peu et si grand
à la fois. Je lui ai répondu que ça allait. J’avais juste envie de prendre l’air.
-
Oui mais regarde, il est tard, t’as un pied sur la balustrade...
Le vieux était inquiet. Décontenancé. Je l’ai rassuré. Je lui ai juste dit merci.
Je n’étais pas seul.
Moi...
*
\
J’étais un enfant de la rivière. Comment avais-je pu oublier ça ?
La source de cette rivière était nichée là-haut dans les montagnes qui entouraient ma tribu,
lorsque j’étais enfant, alors que les cousins et les cousines pasla saison chaude, je n’avais pas le droit de
les accompagner. Ma grand-mère me l’interdisait. Je pleurais tout seul alors
saient leur temps à se baigner durant
(/>
C5
LittéRama'oHi # 23
rioella Poemate
dans mon coin, ne comprenant pas pourquoi je n’avais pas le droit de profiter
des jeux d'eau comme les autres.
Un après-midi, où il faisait plus chaud qu’à l’accoutumée et alors que ma
mémé dormait
profondément, assommée par la chaleur harassante, je pris la
poudre d’escampette.
Je me tirai en douce, j’essayais de voler par-dessus les gravillons, d’avoir le
pas léger pour ne pas attirer l’attention, quand je fus hors de portée de « danger »,
je dévalai la pente qui allait de la maison à la rivière.
Je filais à toute à l’allure près des haies d’hibiscus, quelques fleurs fanées,
mais encore accrochées à leur tige tombèrent sur mon
passage. J’étais heureux !
Je longeai en silence les maisons endormies qui me séparaient de la rivière,
descendis les marches en terre que les autres avaient fait dans le talus, sautai un
petit trou d’eau et j’arrivai enfin.
Les autres jouaient déjà au loup. Je les voyais sauter dans l’eau, nager, pionger. Ils s’amusaient bien et si cela avait toujours été comme ça, pourquoi je
n’avais pas le droit moi aussi à cette part de bonheur.
Tout content, je sautai dans l’eau et me joignis au groupe. On jouait depuis
quelques minutes déjà lorsque je devins le loup.
Un de mes cousins était remonté à terre, je décidais de le suivre pour le
cuire, il courut de la berge et sauta la tête la première en rigolant de joie. Je fis
de même, persuadé que je pourrais le toucher si je sautais plus loin que lui
dans l’eau.
Je plongeai sans crainte.
Je ressortis de l’eau, un peu étourdi.
Les cousins me regardèrent et se mirent à me crier dessus.
.Dans mon plongeon, j’étais allé heurter une des énormes pierres qui se trouvaient là.
Mon front se parait d’une plaie béante où le sang se mêlait à l’eau et dégoulinait le long de mes joues. Je sortis de la rivière en pleurant, ramassai mes
affaires et pris le chemin de la maison.
Une de mes cousines décida de m’accompagner, elle tenta tant bien que
mal de me réconforter tout au long du chemin, mais rien n’y fit. Je pleurais
davantage.
Je ne savais pas si c’était la plaie qui me faisait souffrir ou si c’était la peur d’affronter ma grand-mère. Je redoutais le face à face.
J’eus raison d’avoir peur.
Mémé m’attendait de pied ferme et la trique
quelle tenait dans la main ne
laissait prévoir aucune clémence à mon égard.
Ah mais voilà toi ! J’ai déjà dit quoi !
-
Elle prononça ces mots d’un ton ferme, avant d’abattre sur mes jambes mai-
grelettes la branche fine mais solide quelle tenait de la main droite. Je pleurais
de plus belle. Elle n’avait aucune pitié pour moi.
Quand elle eut fini, elle daigna enfin regarder ma tête.
Je reniflais et retenais mes larmes, lorsqu’elle commença à me soigner. Elle
me
dit alors :
-
A la rivière, y a le Gardien. Toi tu ne peux pas aller te baigner comme ça,
parce que sinon il risque de t’arriver malheur.
-
-
Mais pourquoi ? J’ai fait quoi, moi ? lui demandais-je.
Tu n’as rien fait, juste que le Gardien c’est ton Marna. Un jour, alors qu’il
il a disparu. On sait pas s’il s’est noyé parce
qu’on a jamais retrouvé son corps. Les vieux, ils disent qu’il est resté coincé
sous les cailloux et à
chaque fois, qu’on a essayé d’aller voir, on avait l’impression que les cailloux changeaient de place sous l’eau.
Toi, tu es son arrière petit-fils, il va t’arriver malheur, parce que quand tu
vas te
baigner, sans lui dire que c’est toi en jetant dans l’eau un p’tit caillou
blanc, il va croire que tu viens l’embêter et que tu ne respectes pas sa maison. C’est comme si tu allais
jouer sur sa tombe.
Mais par contre, il faut pas que tu oublies, qu’il te protégera toujours.
était parti à la rivière au pont,
J’ai touché la cicatrice sur mon front.
ce
J’étais un enfant de la rivière et si mes pas m’avaient conduit jusqu’à ce pont
soir, ce n’était pas hasard. Ils m’avaient appelé. Lui. Dieu. Les invisibles.
Je n’étais pas seul dans cette bataille.
Il s’agissait pour moi maintenant de choisir.
UttéRama'OHi » 23
Catherine C. Laurent
Elle arrive en Nouvelle-Calédonie en 1993, poussée par l'appel du Pa-
cifique. Après des études de littérature à Aix-en-Provence, elle s'installe
St-Pierre-et-Miquelon où elle a travaillé à la Radio. Actuellement enseignante à Bourail, elle a longtemps travaillé à l’île des Pins et à Nouméa. Elle alterne littérature jeunesse, théâtre, roman et
poésie.
à
Le pays de ladi poétique
Nuits sans sommeil loin du pays des âdi poétiques. Ce que
l’échange
apporte aux lieux. Tressage de sens multiples narrateurs de liens si pleins de
valeurs qu’ils en deviennent âdi. Je sais. Cela ne me regarde pas ; on me la déjà
dit. Je ne suis pas du Pays. Je ne fais partie d’aucun clan si ce n’est du mauvais.
Le clan qui a contribué à diluer les clans, à perturber les
généalogies des tribus,
qui a inventé d’autres chefs. Mais je ne peux ignorer que là-bas, des femmes par
le fil et les os de roussettes, par le poil, le cheveu et le coquillage nomment
mieux que ne nomment les mots, le silence des liens qui rendent indissociables
les vies. Tout vient de la liane qui s’enroule et He les poteaux de la case, courant
jusqu’au sommet pour atteindre l’énergie sacrée. Là-haut, la flèche faitière.
Les objets de la vie racontent, au passé, au présent et au futur ce
qui jamais
n’a existé de l’autre côté du monde. Nous avons tout raconté par le verbe écrit,
le croyant plus fort, plus indélébile, plus immuable et nous avons si souvent
menti et trahi. Là-bas, dans le
pays des vallées profondes et des rivières qui
mènent à l’embouchure, on s’identifie à cette place qui est sienne et qui fonde
l’existence, la fonction de chacun, homme, femme. Chacun est la plante qui le
représente qui lui donne force et importance, homme-femme-nature-cocotierigname-taro-cordyline... .tant de places nourricières au sein du clan.
Je ne suis de rien, de nulle part, d’aucun clan et je prends la parole. J’écris. Le
texte poétique est mon âdi
d’échange car elle est mon seul lien symbolique au
Pays qui m’a donné vingt années de douceur et qui a nourri mon fils, faisant
croître en lui ce qu’il a de plus noble et de plus humain. La poésie raconte ce
que j’ai entendu et ce qui a irrigué mon être déraciné tant d’années de ma vie.
91
Des trottoirs de Paris où, telle une cheminante, en silence, je n’entends aucun
bruit de la ville, le souffle des vallées me parle et si ce n’est plus fort, encore. Loin
des préoccupations modernes et mutantes du pays qui m’en ont éloignée, je
n’entends plus que son ancienne musique. Etrange concert en moi.
Ce pays me réveille la nuit et me parle de mission à accomplir. Il me dit que
si certains m’ont demandé de me taire car l’autorisation n’avait pas été
demandée,
j’ai décidé qu’ils ne savaient rien en fait car seul le souffle poétique qui transite
par mes cheveux, antennes du monde et de moi, m’autorise à parler.
Là-bas, j’avais mission d’éducation et j’essayais d’y mettre autre chose, du
plus humain, du moins blanc, du moins postcolonial. J’avais mission d’amener
les jeunes vers un demain dans un pays bouleversé. J’essayais d’être le lien entre
eux et cette culture
importée qui avait si peu de sens. Cette culture porteuse de
violence en eux. Car ils avaient du mal désormais à entendre les voix des Vieux
dans leur tête.
Peut-être que finalement, tous ces jeunes traînant en bandes et buvant sur
les trottoirs ne sont-ils que l’âme des anciens guerriers des temps d’avant qui se
faisaient la guerre de tribu en tribu ? Etant donné que chacun n’est que l’âme d’un
il porte en lui les temps anciens et ses histoires. Celui qui jadis
combattait, guerrier, et tuait ses frères des autres vallées, mangeant la chair de ses
ennemis pour absorber sa force et son pouvoir. Cela avant de se faire la paix par
l’âdi, la parole du lien et le pacte de la vie pour reconstruire la société et rebâtir le
Pays. Peut-être est-ce ce garçon qui rôde la nuit entre alcool et cannabis, ne
sachant plus que faire du guerrier en lui. Peut-être. Qui suis-je pour savoir ?
Le temps tourne en rond dans ce pays alors que les Blancs le veulent rectiligne. On avance et il n’y a que demain qui compte : ce Pays de Demain. Ce destin commun. Ce beau projet.
Mais pour arranger qui ce destin ? Pour ahmenter le marché de la mondialisation et écouler en paix le nickel vers Chine et Corée ? Pour piller en paix le
lagon, exploiter les terres et engloutir les enfants dans la profondeur abyssale
des tablettes numériques....
Les petits ont perdu les histoires des soirs de la case. Quand brûlait le feu
au centre et
répandait la fumée porteuse de songes. Les Vieux n’ont plus donné
la parole. Ils sont restés sans voix et les enfants sans mots.
La parole tente de renaître et je suis bien la dernière autorisée à le dire. Le
pays attend que nous partions, qu’au moins nous nous effacions, que le calme
se fasse au cœur du wifi
pour réentendre la parole, la voix des vieux qui murancien qui revient,
mure
dans les cases vides.
invutetérss
LittéRama'oHi # 23
Catherine C. Laurent
De loin, j’entends le pays comme il y a si longtemps, au bord de la rivière.
De là j’entendais le monde et ma poésie d’alors le disait. Là, maintenant, je poursuis ma mission. Là-bas pas
de place véritable, ici non plus. On ne comprend
pas une si longue absence et le pourquoi finalement d’un retour... c’est ignorer
que je ne suis pas rentrée, je marche sur les trottoirs de la ville et je ne dors pas
la nuit car je suis encore et toujours là-bas. C’est le sort des poètes d’habiter les
vents.
Alors je m’installe dans ma maison intérieure et j’écoute.
Ces voix qui cheminaient le long des vallées et qui me parvenaient. Je ne
dors pas la nuit et je les entends. Ces voix qui ne sont pas celles de ma culture.
Mais tant d’années d’amour et de vie fondent une place, cependant. Dans une
culture.
J’écris donc le pays.
Les vallées me manquent, les rivières, les grands arbres. Mon âdi nouée de
laine très personnelle raconte mon lien au pays, mon histoire tressée de poésie
et d’écoute. Il y a un
temps pour chaque chose, j’écris de loin comme Mariotti
le faisait. Je pense à lui au petit matin. Souvent. Le fil de ma pensée poétique est
le fil de mon âdi que j’offre aux enfants, je raconte leur histoire, ce qu’il m’est
permis de savoir.
Et me vient cette évidence qui semble ne pas avoir de fondement mais qui
a
du sens : donner à savoir aux Blancs qui veulent comprendre, pourrait être le
ferment du Pays de Demain. Les nourrir eux aussi de paroles retrouvées. Sortir
la Coutume du secret car ce XXI siècle est un temps de partage des secrets un
peu partout sur la terre. Ce sont les secrets qui ont induit la méconnaissance et
l’ignorance, les faux-semblants et les clichés. Délivrer la parole à tous aurait du
sens. On
parle de Destin Commun et on ne lui imagine qu’un sens politique.
Pourrions-nous sortir du politique sachant que jamais ça n’a ouvert les bons
chemins. Entrer dans le poétique. Un poétique collectif. Car la parole des
anciens Kanak est éminemment poétique.
Le souffle des vents me dit que le seul partage possible sera le partage culturel. Que les chemins s’inversent et que le monde kanak ouvre sa culture et
ses secrets aux autres ! Le
temps n’est plus à la peur des temps de la colonisation
où il fallait se taire et se préserver pour survivre. Le temps où tous et chacun
avaient cru en mourir. Les
popwaalé devraient peut-être enseigner leur culture
lycées aux Vieux. Qu’ils viennent parler
le temps qu’il en est encore temps avant de partir rejoindre le sommet des
grands arbres.
autrement. Il faudrait ouvrir l’école, les
93
S’il est un Destin Commun il n’est pas politique, il est culturel. Mais les
Kanak sont-ils prêts à offrir aux autres leur profonde culture en dehors des
musées ? Cela ferait du bien à tous. Cela nourrirait leur âme. Et cela ferait taire
qui ne veulent encore rien entendre.
Ce qui a fondé mon attachement à ce pays et qui m’a donné à considérer
ceux
autrement mes élèves et
l’enseignement, c’est l’enseignement que j’ai reçu très
tôt d’un vieux monsieur extraordinaire. J’ai eu le bonheur de bénéficier de ce
qu’on appelait alors une formation à l’enseignement interculturel. Mais n’enseigne-t-on pas justement pour apprendre soi-même ?
Et n’écrit-on pas aussi justement pour mieux lire ce que nous souffle le
monde ?
âdi : fil en sparterie fine, symbole de la personne, de la femme et de
l'alliance entre les clans, traduit habituellement par « monnaie kanak ».
Prénom de femme en langue et pays cî ou paicî.
popwaalé : ceux qui ne savent que dire « allez ! allez ! » en langue çî,
désigne les Français et, par extension, les Européens.
Texte relu avec bienveillance par Déwé Gorodé.
invtés
Bute rs
LittéRama'OHi #23
Imasango
Née à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. Poétesse humaniste, agrégée despagnol, son œuvre et son enseignement, concilient les chemins quelle
emprunte : fraternité, pacifisme, partage des cultures, tressage des arts.
Elle considère que le poète est un marcheur, passeur de mots, passeur de
vie: passerelle éthique.
Écrire et vivre sont jumeaux
Mes origines demeurent
tronc et silence enlacés à l’aube
robe d’enfant entièrement mouillée
dans la rivière où l’on se baigne
toute habillée
pour le plaisir de ressentir
le ciel et son baiser
phare que l’on partage
entre âmes réunies sur le chemin
où la vie nous vieillit peu à peu
avec
la sagesse des arbres qui poussent
Mon écriture est souffle racine
cœur et
en
pieds trouvant leur place
la lueur qui les traverse
regards sortis des profondeurs
mains fertiles de coraux-fibres
lampes océanes dans ma tête
réalité des jours que l’on observe
Je n’attends rien de la poésie
rien de
plus que ce qu’elle donne
à ma bouche offrant épaule
95
aux instants où
je vis
où je lis où je suis
avec vous
et
que palpite la même présence
que celle de la première tasse
du premier thé
bu à gorgées lentes
le matin
Dans ce lieu que traversent les passants
les voyageurs les frères les étrangers
les diseurs et toutes mains tendues
délaissant murs et frontières
je me tiens debout avec pudeur
telle est ma face
dévoilant l’essence des choses tues
tissant ma chevelure au temps et à l’écume
reconduits à nos yeux ancrés dans le réel
Ma bouche de femme en marche
murmure
quelques mots
à l’oreille des sans-chemins
recueillis
avec
la soie des évidences
de silences habités
pierres décousues au centre
pour la naissance de rhizomes
de nos bras à nos ventres
embrassant
la vérité d’un visage qui pleure
Je suis cet autre qui te ressemble
j’ensemence les aveux que l’on partage
nous sommes
où trouver un
l’appel de file
refuge
et boire le feu des destinées
pour le respect des voix que l’on entend enfin
invtés
Klute rs
LittéRama'oHi » 23
Imasango
L’humilité tresse les mémoires
aux actes
que l’on berce
ici
lieu-temps-instant-demeure
parmi les livres et les gestes
chuchotent les veines des totems
présences que l’on n’oublie jamais
pierres sacrées pierres statuettes
pierres tubercules pierres blanches
sur
la terre ouverte
où éclosent des jours
vivre
en écrivant
écrire en vivant
la verticalité
Tombe la pluie... et nous marchons
peaux passerelles pierres d’espérance
nous donnons le
pain des horizons
jusqu’aux détours déposant pauses
changeant les rives des habitudes
en un
voyage sans tabou
où paroles et fièvres éclaboussées
nous
redressent
J’ai 24 heures pour aimer
chaque jour
comment
pourrais-je m’en priver
je dis
je fais
j’écris
la peau des océans
et le pays
bancal
pour que surgisse l’avenir
en un
duvet
enraciné
Les mers et océans se rejoignent où la terre nous unit
Comment dire l’union d’un océan à l’autre, d’une mer à l’autre, d’une terre à l’autre :
amour
avide du bleu des horizons à conquérir et partager.
Mon île est en trompe-l’œil une aiguille,
flottant sur l’Océan Pacifique.
En s’approchant, on y découvre une terre tubercule,
chair aigre-douce en clair-obscur,
paysage où accoster l’espace émotionnel d’un cheminement.
Voyage au-delà des mers, au-delà du temps, au-delà de soi,
pour tout natifchoisissant l’ouverture.
Terre de mon premier cri au monde,
cri de lumière à avaler par
une
les yeux, les pores, la bouche,
façon d’être aux paysages et aux visages rencontrés ou ratés sur les chemins.
L’insularité m’a enfermée et m’a propulsée vers Tailleurs avec la même force,
la même passion, la même soif.
L’implication corps et âme, du sens et des silences fut mes semelles pour toucher la terre, rejoindre son souffle, l’unir au mien, marcher pieds nus.
Avancer vers moi-même en accordant mes pas aux pulsations de la sève minérale
et aux hoquets de l’Histoire.
La vie était partout, et la terre son berceau.
Être née ici impliqua de partir pour découvrir ce qui ailleurs, existait.
Être née ici impliqua distances et décalages horaires, eau coulant à l’envers par
le siphon de la baignoire.
Être née ici impliqua d’utiliser l’esprit pour voyager durant l’enfance, avec les
livres ou la force de l’imaginaire.
Être née ici impliqua l’indispensable connectivité pour comprendre, et en finir
avec
l’étroitesse de l’espace et des états d’esprit.
Être née ici impliqua de découvrir la douleur de l’histoire coloniale,
et de
revendiquer la liberté,
pour tous,
invtés
îSute rs
LittéRama'oHi «23
Imasango
insulaires au départ, puis frères au-delà des mers.
Être née ici impliqua, à l’heure où l’on ne se tait pas,
d’ouvrir les yeux, et de tendre la paix au jour pointant à l’aube,
pour les frontières s’effaçant peu à peu.
Je ne viens pas d’une lignée de colons propriétaires terriens, travaillant leur terre
avec sur
la langue la saveur de la sueur de leur front, une saveur les rendant
amoureux
en
de ces sols qu’ils amendent, comme on pénètre une femme,
espérant la rendre fertile.
Ainsi, mon lien à cette terre est ombilical,
un
mélange de racines, de feu, de soie, de sang,
de boutures affectives.
Sa sève coule dans mes veines et dans ma façon de marcher,
de vivre le temps plus lentement,
de chercher les espaces solitaires ou grandir avec réserve.
Mon lien à cette terre est un chant d’oiseau, un
galet complice, un plongeon du
plus haut rocher de la rivière, une branche d’arbre où je venais m’asseoir pour
regarder, les autres,
vivre en bas, et
s’agiter comme des fourmis.
Mon lien à cette terre est un silence immense, face à un
paysage où être seule,
pour entendre le vent et le bruit de ma respiration profonde.
Mon lien à cette terre est une odeur d’écume sur l’horizon,
l’iode venue à ma bouche dès la plus tendre enfance,
salant chaque bouchée et l’encre des mots sur la page.
Mon lien à cette terre est un coquillage posé sur l’oreille,
quand je suis impuissante face à la barbarie du monde qui pousse ses cris,
et hurle plus fort
qu’une femme accouchant dans la douleur.
Les femmes enfantent sans tapage inutile, le cœur plein.
Mon lien à cette terre est une histoire d’amour avec l’espace et son souffle
autochtone.
Un va-et-vient de ses violences et paradoxes coloniaux, à la douceur de vivre,
de sa chevelure indomptée, à la sagesse des silences nourrissant
un va-et-vient
le fond des mers et les âmes pures,
de la lumière aiguisée des matins, aux cieux couverts de boue
un va-et-vient
sous
les tropiques égocentrés,
un va-et-vient
de la banalité, à la profondeur des mystères des esprits ancestraux,
des rires de femmes à l’œuvre, à ceux des enfants s’aspergeant
dans une flaque d’eau,
un va-et-vient
un va-et-vient
de la grâce libre, à la lourdeur de l’étouffement,
un va-et-vient
de ma bouche, à mes mains, quand je la regarde chanter au soleil
sous
les cascades qui m’offrent leur source.
Mon lien à cette terre est un sevrage qui n’a pas lieu d’être.
Mon lien à Elle, me fit don du langage :
Je viens à la Terre
comme aux
mamelles tendres
confiante des lendemains
même chargés de cyclones
En marche je m’en vais
vers
les monts
qui ne dorment plus
Je chemine avec les mains
je m’engage
tressant les liens
pour comprendre et agir
Tandis que le banian
allaité aux entrailles du monde
devient passeur de vie
la poésie dit l’âge d’homme
Suivant leurs pas
je découvre en chemin
le souffle aux yeux ouverts
tissé de ma parole donnée
invtés
EJute rs
Littéaama'oHi #23
Imasango
Mon lien à cette Terre est une histoire de don.
Je lui donne ma voix en lui rendant mes souvenirs vécus,
de branches en branches,
de balades en balades,
de nattes en nattes,
de silences en silences,
de nages en nages :
un microcosme
éclaboussé aux quatre vents des joies d’enfance.
Mon lien à cette terre est juste une évidence.
C’est face aux montagnes que la mer me parle,
c’est en marchant que je sens le ciel et les marées montantes,
c’est en plein cœur d’une Place grouillant de monde, ailleurs sur terre,
que me revient le plaisir du goût des mangues sur la langue,
et celui des nattes accueillant ma solitude.
Mon lien à cette Terre, est celui d’un espace : intérieur.
Comme un oiseau qui s’envole puis revient se poser,
arbres et par la peau des feuilles,
ben à cette Terre est un souffle vital,
attiré par le silence des
mon
où océans et terres se rejoignent,
pour une pause, un chemin, une union, une partition,
une histoire d’éclosion
qui n’en finit jamais de prendre corps et âme,
de vous à moi.
flicolas Hurtovitch
Et si par un matin pluvieux
AJulia
jusqu’aux collines s’allonge l’allée
bordée de lumière des deux côtés
branches feuilles et passants se mêlent indissociables
ton
visage s’éloigne ce matin au-dessus de l’océan
I
Et si par un matin pluvieux
sortant de sa maison à
petits pas
il se disait qu’il était enfin temps
de reprendre stylo ou crayon de papier
et écrire écrire
poèmes ou histoires
qui diraient de son cœur le désarroi
la joie d’être sous la pluie transforme ses larmes
en sourire
heureux à la rencontre d’un autre sourire
LittéRama'oHi tt 23
flicolas Hurtouitch
II
Deux par deux et sans efforts les marches de bois
ainsi d’un coup
en
il efface l’escalier et plusieurs étages
lui raisonnent encore ces voix pleines
de certitudes elles expriment l’arrogance
de certains hommes par trop persuadés
de leur pouvoir ainsi autoritaires ils assènent
quatre à quatre ordres et vérités surannées
enfin parvenu à destination il a fermé sa porte
III
Quand depuis la rue ce soir-là celui-là
rapporte du dehors sur ses épaules rougies
le sac rempli de terre et de minuscules graviers
il se dit qu’étendre cette terre, là, demain
il vaudra mieux le faire car ce soir
il fait déjà trop sombre et peut-être
les amis auront-ils l’idée de venir à lui
alors cette présence sera plus urgente à étreindre.
IV
Ce même jour celui de son absence lorsque la pluie
annoncée intermittente mais qui fut orage
cette eau en quelques heures le noya presque
il se demande si tout cela avait un sens
paroles revanchardes cette évocation
répétée à en devenir sourd des méfaits
d’avant mais qu’aucun d’entre eux n’a subi
comment se disait-il passer outre et garder l’estime
ces
V
Je suis allé pour quelques pas entre arbres et bosquets
à la rencontre de l’ombre des amis abandonnés il y a si longtemps
j’ai croisé et leurs ombres et leurs présences véritables
d’autres lieux en ce parc mêlent le présent au souvenir du passé
depuis ces lieux, assis j’ai regardé le monde des jours communs
des pas dans le jardin avaient marqué l’herbe et les graviers
103
et là parce
qu’un triste et sombre rideau fut enfin ôté d’une fenêtre
des mots et des phrases se sont échappés de la montagne et de la rue
VI
Il est temps de sortir au soleil se dit-il
ce matin en
entendant les amis regroupés
frapper à sa porte et lancer son nom en plein vent
dehors il abandonnerait tout de ce qu’il espérait
il oublierait tout, des visages et des souvenirs
voilà se dit-il la bonne raison de sortir
il y a du vent il y a du mouvement imprévisible
des gens vont et viennent et ces gens s’interpellent
ainsi se dit-il après être mort, je revivrai
VII
C’est une matinée l’impression que les habitants
de la ville, ont tous ensemble bravé le froid
pour se précipiter dehors et déambuler
il pense que malgré les manteaux et la distance
la serrer contre son corps, là, en pleine rue
suffirait pour sentir et entendre son cœur battre
enfin près du sien même par ce temps glacial
comprendre qu’il existe par-dessus tout un ciel généreux
VIII
Combien de pas de là à là se demande-t-il
portant son regard de ses pieds jusqu’au pont
jeté par-dessus l’océan engagé entre les terres
combien aussi de pas et s’y rendre
mais ensuite y demeurer peut-être entendre
d’autres voix que ces lamentations orgueilleuses
et substituer aux affirmations
péremptoires
le franc langage des vagues à l’assaut des rochers
IX
C’est une nouvelle nuit il se dit qu’un chaos
nouveau,
inimaginable viendra le surprendre
invutetérss
LittéRama'oHi » 23
nicolas Hurtouitch
l’absence l’oubli l’inattention le vide complet
aucune
famée ne s’envolera des toits de paille
qu’il lui soit donné de discerner se dit-il alors
au-travers du vert de ces feuilles ou du blanc de fleurs inconnues
un
ou
peu d’un rayon de lumière
bien la subtile présence de lame remplacera ce chaos
X
Lorsque la longue nuit se sera écoulée
il sortira de la torpeur d’une insomnie
par la fenêtre restée ouverte le vent d’ouest
fouettera son visage et tout sourire
il comprendra que la saison des pluies
n’est pas encore tout à fait terminée
la rue qui mène à la baie sauvage, toute proche
le voit alors au matin, marcher à grands pas
XI
Combien lui manque en cet instant
la pluie sur de larges feuilles de bananier
alors qu’enfermé il écoute de vaines paroles
il irait en se précipitant y noyer ses cheveux
y contempler au murmure de la musique du cœur
la danse improbable des feuilles sans nervures
haut dans le ciel elles ont d’un coup projeté
un
corps fatigué de tant porter son âme
XII
Les oiseaux par centaines il les voit
s’envoler depuis les branches invisibles
où donc se dirigent les nuages
les oiseaux l’abandonnent pour les suivre
un court sentier
de pierres noires posées au sol
le suivre ce sentier est un périple sans fin
jusqu’à la passerelle où s’installer et
contempler au loin d’autres présences
105
XIII
Du plancher de la terrasse assis à même
le sol
il embrasse d’un seul regard
les sommets couverts d’arbres et de lianes
vers où
au
s’élancent amis et inconnus en une foule mêlés
bout de son allée le portail reste ouvert
pour l’atteindre il faut passer près des fougères
alors il se tient debout et les voit s’éloigner
comment les accompagner sinon en
préservant leur dernier sourire
XIV
Entre arbres et rochers lointains une fumée subtile passe le portail
brume et humidité s’entendent à porter l’ombre de la pluie
donnent du cœur une barque blanche et bleue
glisse de rochers en étendues de sable jusqu’aux fenêtres du ciel
ici les vagues
ces
lumières encore éclairent ma nuit
bien que j’aille de-ci de-là sans savoir
certain qu’un soir ou une nuit
un
écho oui un écho, à la porte caressée
LittéRama'oHi n 23
flicolas Hurtouitch
La vie en ce monde
La vie en ce monde n est pas si importante
n’y trouve pas autant de valeur qu’espéré
montagnes et rivières sont bien présentes
mais elles demeurent trop souvent silencieuses
on scrute le lointain où
auparavant tant de sentiers
croisaient le regard proposaient tant d’échappées
là en mêmes lieux par ces temps-ci l’agitation est extrême
mais rien ou si peu parle à notre cœur
on
Les arbres sont si grands la porte franchie
les oiseaux habitent les arbres aujourd’hui
des pas rapides révèlent un cœur vide
ces oiseaux
par bonheur peuplent ma vie
la buée sur les vitres si je l’efface où seras-tu
maintenant dans la ville les bruits familiers sont là
le souvenir des cascades et de l’eau
mes
pieds comme mes yeux se mouillent
Que faire des feuilles jaunes et froissées
posées bien à plat sur une eau au repos
le vent les a abandonnées je vais me baisser
tacher de les récupérer sans trop me mouiller
l’étage surmonte l’auberge de montagne
lampes s’y éteignent peu à peu
je suis malgré le silence encore éveillé par la fenêtre
contempler cette nouvelle nuit m’enchante
toutes les
Me voici en montagne une fois encore
quelques canards pataugent entre les joncs
de ce lac proviennent les pluies
la nuit va venir j’irai à la véranda
fumées et éclats de voix
s’échappent de l’auberge en contrebas
à quelques pas des sommets demeurent des traces de neige
plus tard je sais que la pluie sur le toit me réveillera
107
Etre en montagne est
difficile les versants sont vides
nul chemin ne m’inspire à la terrasse aucun ami
les coupes sont vides les sommets sont invisibles
par-delà cette désolation quelques nuages sont là
corps si rabougri un visage pris par le miroir m’entraîne
l’eau les murs les collines un sourire surgi de ma mémoire
bientôt une pluie nouvelle mouillera les sentiers
mais
mon
et mon ami surgira en
souriant
Tant de journées sont maintenant passées
je ne garde uniquement en mémoire, malgré moi,
celles qui m’ont donné tant de joie et tant de paix
quelles m’ont semblé durer bien après le dernier baiser
sous les
grand arbres aux multiples racines
aux
feuillages si beaux si verts et si touffus
par centaines des branches se proposaient disponibles
on
y accrochait des lampes de papier multicolore
Et là alors que la nuit
doucement s’annonce
j’aimerais m’installer sur une natte de roseaux
ne rien
faire sinon écouter les amis musiciens
exprimer l’amour et l’amitié que la vie refuse
les fleurs, des roses s’épanouissent dans l’allée
elles dureront quelques courtes journées
illuminant par-delà l’allée toute la maison
vivre près
d’elles donne parfois espoir et confiance
Le froid de ce matin je l’ai souvent ressenti
il vient des espaces lointains par ces petits interstices
glisse au sol se redresse là, juste devant moi
il recouvre mon visage, retourne aux montagnes ou à l’océan.
les jours puis les moments tristes comme graviers
se
succèdent sans qu’il soit possible d’agir
la vive lumière éveille le corps et lame
au matin
ce
que nous ferons de notre énergie l avons-nous décidé vraiment
'0»
LittéRama'oHi # 23
flicolas Hurtouitch
Où irons-nous
Où irons-nous ces jours prochains / alors que le ciel contient lecho sombre
d’actes de barbarie / dans le ciel splendide dit-on / le monde est beau et sou-
généreux / dans le ciel splendide / ainsi le monde demeurera / si nous
gardons attentifs nos sens et notre esprit / si de là où chacun se tient chacun
vent
tient en toute occasion / le
regard élevé.
Où irais-je ces jours prochains / dans le ciel splendide / là où se dessine ton
visage / dans le ciel splendide sur lequel mes doigts se posent / dessine mes
lèvres jusqu’à dire mon amour / dans le ciel splendide.
Où irons-nous ces jours prochains / quelque part loin de tout où rien ne
nous connaît
/ sinon le silence en nos cœurs / où irons-nous ces jours étranges /
posé dans l’air / longues nuits et jours à vivre / au milieu du monde
plus le même espoir / l’océan, de la terrasse sous l’orage /
passe très loin sans un souffle / sur ma peau restent tes yeux et ta voix / quelle
image d’amour est encore là / avec l’immense silence des montagnes / qui
envahit l’âme et le cœur / de ceux qui restent sans abri / laissons le rêve et le
temps ensemble / s’étendre sur l’horizon des prochaines joies / quand il y aura
cette rencontre au matin / ta présence à peine
posée sur l’air
ton visage
incertain / la ville n’a
Où irons-nous ces jours prochains / entendre tristesses et lamentations /
dans le ciel splendide dit-on / là où séjournent joie et espérance / dans le ciel
splendide / abandonnées / couvert aujourd’hui de suie et de sang / où irons/ en nos cœurs tremblants incertains d’êtres au monde / nos pas
dans le ciel chancelant / dans le ciel sombre et lent / nos doigts sur cordes bri-
nous sinon
sées / nos mains sur peaux
distendues / nos voix sans voix / et nos pas comme
danseuse en déséquilibre / où irons-nous où irons-nous / et avec quelle foi y
demeurer / sinon au cœur du désir.
109
Jean-floël Chrisment
Chirurgien à l'hôpital des îles-Sous-Le-Vent, il a publié Extrémités et
Pollen aux éditions Gallimard.
La part mince des choses
C’est à l’écho des chants
Mais sur leur grande face
brisés qu’ils appartiennent,
lisse que les paupières
les bateaux vont et viennent,
soulèvent, la lumière
c’est aux replis du sang.
n’est qu’une ombre qui passe.
Les femmes qu’on délaisse,
Et même le vent frais
et dont s’embuent les yeux,
confine à l’amertume
soignent de grands cheveux
tant ce
leur tombant sur les fesses.
appartient au passé.
quelles y hument
Elles-mêmes ne sont
Si loin, dans la sueur
pas ce qui leur advient,
virile de l’orgueil,
dépit, sur leurs seins
empaumés de frissons.
les hommes font le deuil
de ces frêles odeurs.
Le vent vérifie qu elles
Et tandis que l’amour
ce
ne
tombe dans le saccage,
coïncident pas
avec
leur désarroi.
■
Qu elles y sont rebelles.
ils réapprennent l’âge
exact de leurs contours.
invtés
Buteurs
LittéRama'oHi # 23
Jean-floël Chrisment
Ils semblent au delà
Vos nuques formidables
de leur propre fatigue.
tiendront sous le chagrin.
Toucher, sentir, n’irrigue
Laissez vos corps distincts
plus le bout de leurs doigts.
du poids qui vous accable.
Quittant l’ombre, les palmes,
La minceur de la peau,
ils vont et viennent sur
qui la rend si profonde,
l’océan, et l’air pur
les absorbe, les calme.
sur
Ce dont ils ont souffert,
Vous n’êtes pas le rêche
ils l’envoient par le fond,
le jettent dans Faction
Ni ces phrases qu’à dire
sur
l’épaisseur du monde,
le chagrin, prévaut.
dépit qui vous déchire.
râpeuse de la mer.
on
La nuit, lorsque leurs yeux
Et par les déchirures,
d’avoir veillé s’embuent,
de plus libres parfums,
lorsqu’à peine leur vue
des sternes, des fous bruns,
traverse leurs cheveux
allègent votre allure.
jusqu’au flou d’une forme
Restez nets, bien à part
et l’envers d’une
de ce qui vous affecte.
idée,
c’est le menton calé
sur
le torse qu’ils dorment,
la nuque offerte au vent.
élargit la brèche.
Cela glisse, n’humecte
que la joue, le regard.
Vos pommettes parfois
Et le vent, le sel, l’iode
semblent d’autres genoux,
à leur insu érodent
mais vous restez debout
leur nez par en dedans.
dans vos visages droits.
Hommes, femmes, vous n’êtes
pas ce qui vous arrive,
pas le chagrin que rive
l’existence à vos têtes.
Ill
Catherine C. Laurent
Elle arrive en Nouvelle-Calédonie en 1993, poussée par l'appel du Pa-
cifique. Après des études de littérature à Aix-en-Provence, elle s'installe
à St-Pierre-et-Miquelon où elle a travaillé à la Radio. Actuellement enseignante à Bourail, elle a longtemps travaillé à l’île des Pins et à Nouméa. Elle alterne littérature jeunesse, théâtre, roman et poésie.
La Dernière histoire du Vieux
Prologue
Il existe, très loin dans le Pacifique, entre Australie, Nouvelle-Zélande, Vanuatu et
Fidji, un petit paysfrancophone au passé compliqué où ilfait encore bon vivre. Une
partie de la population réside dans la capitale, Nouméa, une ville industrieuse où règne
l’argent et la vie à l’européenne. Lautre partie de la population vit en « brousse », c’està-dire partout ailleurs, dans la campagne, dans les îles, en tribu. C’est le monde kanak,
emprunt de traditions et de Coutume. La nature y est omniprésente. Notre Vieux vit
là, dans la paix d’un monde déplus en plus envahi par la modernité. Malgré toutes les
pressions actuelles, la culture kanak est bien vivante car enracinée dans un mode de vie
millénaire. Cependant, en ville, la jeunesse est en souffrance, tiraillée entre tout ce qu’offrent l’Occident et ce qui est propre à la culture kanak : un besoin fondamental d’appartenir à un clan, à un peuple et à la Coutume. Les enfants de notre histoire sont des
enfants du 21° siècle. Comme partout ailleurs, l’enfant est un individu qui exprime son
histoire et sa propre vie. Il y a autant d’histoires en Nouvelle-Calédonie que d’enfants.
Il y a autant d’histoires que d’ethnies. Le Vieux de l’histoire (en Calédonie on appelle
un vieil homme, un
grand-père, un « Vieux », et c’est une marque de respect) est par
contre un
archétype de l’ancêtre.
Le temps est venu de quitter la vallée
Un beau matin, juste après le réveil du premier oiseau de Calédonie, celui
qui faisait chanter l’aube chaque jour, le Vieux prit son sac et le mit sur son dos.
Il prit aussi son bâton et la direction de la ville, la grande ville, là-bas dans le sud,
Nouméa.
LittéRama'oHi « 23
Catherine C. Laurent
Il avait décidé qu’il était temps pour lui de descendre vers la ville des Blancs,
de récupérer un peu de lame de ses petits-enfants, et de leur enseigner encore
quelque chose avant de partir. Il lui faudrait bientôt, il le sentait, s’envoler vers le
grands arbres et laisser ainsi son âme rejoindre le pays des ancêtres
à l’embouchure de la rivière. Il sentait
qu’il avait des choses à raconter à ces petits.
Le pays avec changé, il était temps d’oublier ce qu’il voyait autour de lui et
qui ne
correspondait plus à grand-chose par rapport au temps d’avant. Dans son cœur
dormait le désir de revoir ses petits-enfants qui auraient dû grandir autour de lui.
Ces petits à qui il aurait dû apprendre chaque jour à nommer les arbres, les
tubercules, et à qui il aurait dû pouvoir transmettre, si le temps avait encore été
à la transmission, toutes ces connaissances
indispensables à un bel avenir.
Souvent, il se demandait si tout ce temps consacré aux leçons des Blancs
dans les écoles, dans les collèges, dans les lycées était ce dont avaient besoin les
enfants du Pays. On les formait pour quel avenir ? Dans quel monde allaientils vivre ? S’ils perdaient tout ce qu’avaient su les Anciens, la sagesse du pays des
rivières et des vallées profondes, s’ils ne savaient pas d’où ils venaient, comment
sauraient-ils où aller dans leur vie d’adultes ? Des citoyens à cheval sur deux
mondes alors que lui faisait juste partie de l’ancien, celui de la vie des tribus, loin
dans le Nord, là où l’on prenait encore le temps de marcher, de parcourir la
forêt, là où la pêche et la chasse tenaient lieu de supermarché...
sommet des
Alors, au moment de l’endormissement, la veille, il avait entendu une voix
lui dire ce qu’il avait à faire pour avoir moins de regrets et moins se tourmenter :
il devait partir. Il était déjà allé, il y avait très longtemps, dans cette ville. Il n’avait
pas aimé ce qu’il y avait trouvé. Il n’avait pas aimé la poussière sur les trottoirs
de la Vallée-du-Tir, il n’avait pas aimé ces hommes fatigués assis par terre buvant
de la bière devant les magasins. Ni ces enfants loin des forêts, vivant dans ces
vilaines maisons en béton. Il pensait à tout ce temps perdu... Ne sauraient-ils
donc jamais faire pousser les plantes dans les sous-bois ? C’est pourquoi il avait
décidé d’affronter ce monde qui lui semblait hostile, hostile à sa propre culture,
pour faire son travail de grand-père, de Vieux.
Il ignorait si son cœur était assez fort pour un si long voyage, mais il faisait
confiance à ses jambes. Et son bâton de bambou gravé lui serait bien utile ! Les
grosses voitures, ce n’était pas pour lui. Les Vieux marchaient encore à travers
le Pays, mais de moins en moins. Il y avait aussi encore des femmes cheminant
sur
les routes secrètes dans le pays intérieur, suivant les vents.
Il allait quitter sa vallée magique dAmoa.il imaginait qu’il n’arriverait certai-
nement pas
à remonter... en tout cas pas sur ses jambes !
113
Des petits-enfants si lointains
Il voyait de plus en plus rarement ses petits-enfants : aux grandes occasions,
les deuils, les mariages, quelques cérémonies coutumières qui faisaient remonter
dans le Nord, dans les tribus, toutes ces familles parties travailler et vivre dans
les lumières de la ville. Ils montaient dans leurs pick-up, y mettaient tous leurs
enfants et à vive allure, trop vive allure, venaient vers les terres de leurs ancêtres
pour quelques jours. Parfois, pour tout un mois de vacances, selon les familles,
plus fort des chaleurs de l’été austral. Alors là oui, ils se retrouvaient tous,
générations confondues. Alors là, il était pleinement le Vieux, et sa joie
était intense. Il reprenait sa place et son statut. Car, à quoi sert un Vieux, si ce n’est
au
toutes
à raconter, le soir, dans la case, autour du feu, les histoires des Anciens ? Transmettre ainsi les voix du
Pays à ces enfants déracinés sur leur propre terre ?
Oui, il connaissait les raisons de leur absence : le travail, l’argent, les études,
l’avenir des petits. Mais qu’était cet avenir s’ils perdaient les histoires ? Si mourait
la mémoire ? Et un avenir sans mémoire était inenvisageable pour lui. De tout
temps, les Anciens avaient transmis aux enfants et les enfants grandissaient nourris de ces histoires. C’était pour ça que
la Coutume demeurait le pilier de la vie
qui habitait l’esprit
de ses petits ne serait pas assez forte face à ce qui attendait le pays, cette grande
ouverture au monde, ce que parfois il entendait appeler dans son poste de radio :
la mondialisation ! Lui, il avait toujours eu le monde en lui, son cœur était
comme une
grande case accueillante où chacun pouvait venir s’asseoir. C’était
cela pour lui la mondialisation : être ouvert à tout et à tous mais demeurer au
centre de son être. C’était possible car sa vie était calme et régulière et qu’il ne
subissait nul stress. C’était aussi possible car il avait été nourri par les histones des
Vieux quand il était petit. Même si la situation avait été bien plus dure, la colonisation ayant rongé de toutes parts sa culture et les terres, tous se parlaient encore
à l’abri des regards. Le soir restait le soir et la télévision n’avait pas capturé les
esprits. Les femmes ne passaient pas leur temps devant les stupides séries télévisées et jouaient moins au bingo. Les petits étaient accompagnés comme il se
devait et ils poussaient comme pousse l’igname, avec savoir et sagesse.
C’est pourquoi, après avoir longtemps réfléchi, sentant sa fin approcher, ne
voulant pas attendre plus longtemps une hypothétique visite des enfants dans
la case, il avait pris la résolution d’aller vers eux pour leur raconter une dernière,
une ultime histoire. Il savait bien
qu’il ne pourrait pas les réunir dans une grande
case, que ce serait certainement sur un bout de pelouse sèche ou dans un
appartement sans chaleur et sans esprit. Et pour y aller, il ne voulait ni voiture,
et de l’identité. Mais cette version édulcorée de la Coutume
invutteérss
LittéRama'oHi m 23
Catherine C. Laurent
ni bus. Il lui aurait suffi de
profiter de la descente d’un cousin, d’un neveu pour
aller plus vite. Mais il désirait aller vers eux à pieds, comme toujours les Kanak
avaient cheminé sur les sentiers de l’île au fil des siècles. Il savait que son cœur
s’emplirait de force en imprégnant ses yeux du spectacle de son pays magnifique, que longer océan et rivières lui apporterait la force de pénétrer la ville
grossière pleine de fumées d’usine et de bruits de voitures.
Une mission comme une liane
Il ignorait encore quelle histoire il allait conter à ses petits. Il allait confier
aux
arbres et aux fougères arborescentes, aux fleurs et aux papillons le soin de
nourrir son inspiration.
Il s’en remettait totalement aux éléments pour trouver l’histoire la plus juste
qui toucherait l’esprit de ces petits de la ville, afin qu’ils n’oublient jamais leurs
habiter la tribu et raconter dans la
grande case, à nouveau cette histoire à leurs propres petits-enfants.
Cependant ce n’était pas facile. Les temps avaient changé. Les jeunes étaient
désormais occupés à regarder la télévision et toutes ces séries modernes étrangères, brésiliennes ou autres... ils jouaient à des jeux vidéos brutaux et sans
poésie. Il ignorait comment il allait faire, une fois là-bas, pour les convaincre de
s’asseoir autour de lui et ne plus faire toutes ces bêtises qu’il lisait dans les Nouvelles chaque matin. Ils finissaient tous à « file de l’oubli ».Et même si cette prison était
joliment posée en bord d’océan, c’était une prison sale et surpeuplée
et sa culture ne méritait pas d’y perdre ceux qui auraient été utiles à ce Pays de
racines et reviennent un jour, après sa mort,
Demain.
Le Vieux ne pouvait se résoudre à croire que le cœur de ces enfants se soit
vidé à jamais de beauté, d’amour et de tendresse. Il ne pouvait mourir sans avoir
tenté de faire quelque chose même si l’espoir était mince...
Il prit la route et écouta monter en lui l’inspiration. Il écouta le chant de tous
les Anciens qui l’accompagnaient sur son chemin. Dans le murmure du vent il
entendit leurs chuchotements, les cris des oiseaux le ramenant de temps en
temps aux jours de son enfance où lui-même écoutait les histoires des Vieux
autour du feu dans la
grande case.
Il voyait sa mission comme une liane, celle qui unit tous les bois de la grande
case, celle
qui donne du sens à l’histoire des clans et qui parle du fait que l’on
Kanak est un
être qui a une mission dans la communauté, il sait ce qu’il a à faire pour les
autres. Et lui, si seul là-haut, avait perdu le fil de cette mission. Il se devait de
existe uniquement par rapport à ce qui nous unit aux autres. Un
115
elle, relier les choses entre elles, retisser le lien avec ses petits perdus entre hier et demain dans un aujourd’hui étrange et contradictoire.
renouer avec
Le vrombissement et la vitesse ahurissante des énormes voitures qui le frô-
laient sur la route bitumée le ramenaient de temps en temps à l’évidente modernité de cette mission. Il essayait de ne pas trop se sentir perturbé par tout cela.
Sur la route, le Vieux s’arrête dans les tribus du bord de mer. La route est
longue. Les femmes lui offrent l’hospitalité, un café, une brioche. Alors il s’assied,
il raconte le pourquoi du voyage, elles hochent la tête et s’inclinent devant son
projet. Elles émettent un son long qui vient de leur gorge mais aussi du fond de
leur ventre. Elles savent de quoi il parle. Elles en ont bien des soucis aussi avec
leur famille ! C’est devenu si difficile de garder les enfants à la tribu, de leur assurer un avenir. Ils
partent à Nouméa et quand ils reviennent, ils ne sont plus tout
à fait les mêmes... certains sont même très abîmés dans leur être. Seuls, ceux ou
celles qui arrivent à avoir un diplôme qui corresponde aux besoins locaux, se
sentent bien et utiles. Les autres
pensent avoir perdu leur temps et leur culture
pour rien. Et il y a tous ceux qui échouent et qui tournent mal...
Aux heures chaudes, il s’allonge à l’ombre des arbres. Elles lui prêtent une
natte et, apaisé par leur soutien, il somnole en se demandant
quelle histoire sortie de quelle mémoire il va pouvoir raconter à ses petits pour être entendu. Une
histoire qui parle de passé et d’avenir. Une histoire épique pour marquer leur
esprit. Bien sûr, s’il reste assez longtemps auprès d’eux, il en racontera plein d’autrès ! Il parlera de la mémoire des clans, de l’histoire du
peuple, il parlera un peu
de lui, de sa vie qui a été riche et qui s’en va... il sait bien que son esprit reviendra se loger dans le corps d’un autre enfant, plus tard, mais c’est ce sentiment
d’urgence qui l’assaille : donner les mots essentiels, ceux qui n’ont pas été assez
prononcés, les offrir comme bouclier contre ce qui vient et comme structure
pour tous les discours à venir.
Il essaiera de leur donner toute son attention et son affection. Il tentera de
comprendre pourquoi ce jeune garçon, son petit-fils, va si mal et ce qu’il est
possible de faire pour lui. Bref il ne sait pas du tout comment cela va se passer !
Il n’a prévenu personne de son arrivée car il ne sait combien de temps il va mettre pour descendre. Et
puis, il ne veut inquiéter personne, il ne veut pas déranger
surtout : ils ont des horaires de travail, d’école.
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Une sieste à l’ombre du cocotier
Il a défait son turban, posé son bambou, il s’est endormi sur le côté. L’alizé
souffle gentiment, il fait bon. Les palmes des cocotiers s’agitent avec mollesse.
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LittéRama'oHi » 23
Catherine C. Laurent
De là où il est, ainsi allongé sur le côté gauche, il voit enfin l’océan, avant de sombrer dans le sommeil : ces bleus différents plus le récif approche et encore dif-
férents après le récif II se revoit enfant sur la pirogue de son oncle. C’est une
image qui s’impose à son esprit de plus en plus souvent : ce temps passé avec
cet oncle maternel. C’est si vieux et
cependant, plus il devient vieux, plus cette
image est fraîche ! Il ne possède pas de photos de ce temps d’avant. Il n’en a pas
besoin. Tout est en lui très vivant et même avec une netteté qui lui fait parfois
croire que cet espace-temps n’est pas là où on le croit, loin en arrière. Non, ces
souvenirs brillent en lui comme brillent les étoiles dans le ciel. On les dit mortes
depuis longtemps et cependant elles sont présentes et scintillent avec force.
Elles ont même aidé les grands navigateurs à trouver leur chemin bien avant
toutes les
technologies modernes. Il faudra qu’il pense à dire cela aussi aux
petits ! Les anciens Polynésiens pratiquaient la navigation aux étoiles et jamais
ils ne se perdaient. Ils arrivaient à aller très loin et à rallier Raiatea, le cœur de
leur mana, malgré vents et tempêtes. Les étoiles comme guides. Donc vivantes
et brillantes dans le
présent et apportant leur somme d’indications et de
connaissances. C’était comme ses souvenirs, ces
images qui brillaient de plus
en
plus nettement en lui. Il comprenait bien qu elles étaient porteuses aussi de
connaissances et que c’était cela qu’il se devait de transmettre.
Il n’avait donc pas cessé d’être ce petit garçon émerveillé par les enseignements de son oncle !
Malgré les charges coutumières, l’âge et les épreuves, non,
long
il sait qu’il est demeuré le petit Kanak avide d’aventures sur le lagon et le
des rivières. Avide d’histoires le soir dans la case autour du feu central, dans
l’odeur si particulière de ce lieu végétal, circulaire comme la parole, plein
comme le monde, au toit élevé comme la
pensée de son peuple. Même si le
choc des cultures a entamé cette élévation et même si de nombreuses choses
se sont
sence
disloquées, la profonde tradition demeure dans son cœur et dans l’es-
du pays. Il le sait. Il le sent. C’est ce qui est contenu dans la terre qui
compte, dans les racines. C’est ce qui court dans la forêt et dans les montagnes.
Ce n’est pas ce qui pousse dans la ville vers laquelle il dirige ses pas.
Plus il vieillit, plus la légèreté de l’enfance remonte en lui, de la plante de ses
pieds en passant par le cœur. Sa tête a maintenant un objectiflimpide et il
compte bien sur ses jambes pour parvenir à ce but.
Il dort donc sous ce cocotier qui l’abrite des ardeurs du soleil. Il a
cependant
passé un bras sur son visage. Il rêve. Il voit le visage de ce garçon qu’il va rencontrer dans son
quartier poussiéreux. Il ne la pas vu depuis plusieurs étés. On
lui a parlé de lui cependant. C’est celui qui va mal, celui qui rejette le monde des
117
Blancs, celui qui a de la haine en lui et qui prend prétexte de son histoire pour
tout contester. Il a déjà été arrêté par la police. Il fait partie d’une bande qui s’intraduit la nuit dans les maisons, vole les clefs des voitures à la barbe des gens
endormis et, pieds nus comme en brousse, se sauve par les fenêtres entrouvertes ! Un artiste de la fauche. Et comme il est trop jeune pour aller en prison,
il est relâché avec tous ses copains ! Une vraie désolation. Il s’appelle Heaume,
un nom
plein de sens et qui aurait dû être porteur de promesses. « Guerrier
vainqueur », voilà le sens de son nom. Mais le sait-il vraiment ? Comment vat-il réussir à lui parler ? Tout n’est peut-être pas perdu ? Il l’imagine plein de rancœur, de colère et déjà bien abîmé par le cannabis et autres chemins de
l’oubli... Ils vont donc mal ces enfants, nos enfants, de plus en plus mal malgré
tout ce qui semble fait pour eux dans la ville, l’éducation et le reste... de l’illusion, leur être est malade...
Mais lui, dans son corps de vieillard au cœur encore si jeune, il est soudain
plein d’espoir en se réveillant de sa sieste. Il a rêvé de Hnaumo, c’est donc qu’il
peut entrer en contact avec lui ! Ce garçon est le garçon qu’il a été et il n’y a
aucune raison
pour qu’il ne puisse toucher son cœur et le ramener à une vie
plus normale.
Sur la route
Une vieille femme est assise non loin de lui alors qu’il ouvre les yeux. Elle rit
et lui demande si son sommeil a été
tranquille. Elle a apporté une papaye coupée
papaye rose citronnée délicieuse. C’est un réel bonheur de
partager ainsi ce fruit avant de reprendre la marche. Il est reposé, le sucre a irrigué
en morceaux, une
ses veines et
il est heureux de son rêve. La dame lui a préparé un sac avec un peu
de nourriture, il est beaucoup plus âgée quelle, c’est son rôle de le nourrir après
lui avoir offert l’hospitalité de son jardin. Il est comme un oncle. Elle le regarde
partir et lui souhaite une bonne route et de belles retrouvailles à Nouméa.
De tout petits enfants rieurs le saluent à la sortie de la tribu, ils courent
autour de lui avec joie pendant quelques mètres. Tout cela le rempli de bienêtre et le réconforte dans sa démarche. Il a bien fait de partir.
L’océan à sa gauche est son compagnon de route. Après Houaïlou, il lui faut
couper la Grande Terre et prendre le col des Roussettes. Ca monte. Il lui faut
faire plus attention aux voitures qui roulent trop vite et risquent de le renverser.
Quand il le peut, il s’éloigne de la route bitumée. Et les kilomètres effectués avec
régularité lui prouvent qu’il est bien en vie et qu’il peut encore faire beaucoup.
Tout le nourrit et lui donne de la force. Les senteurs, les couleurs, les nuances
inTvutetérss
LittéRama'oHi # 23
Catherine C. Laurent
de verts qui constituent le paysage. Parfois, quelqu’un s’arrête pour lui offrir de
monter. Il dit merci et décline l’offre sachant
que c’est certainement la dernière
fois qu’il fait ce chemin à pieds.
Quelqu’un s’arrête soudain plus longuement, c’est un cousin éloigné, le pays
n’est pas si grand ! Ils boivent ensemble une bière glacée sur le bord de la route.
Celui-ci lui dit que les abords de Nouméa ont beaucoup
années et lui conseille donc de faire du
changé ces dernières
pouce, de monter dans une voiture pour
éviter la Voie rapide. Ainsi il pourrait se faire
déposer dans le quartier où il doit
aller. Le mieux serait même vers Tontoutâ, avant le gros de la circulation. Il va
déjà être assez fatigué. Il écoute le conseil même si c’est lui lAncien. U en tiendra
compte, il promet.
Il reprend la route tranquillement, rêveur et attentif cependant. Plein d’idées
courent dans son
esprit, le passé, et puis, la beauté du chemin qui le tient en
éveil. Enfin, les visages de ses petits et cette envie qui
grandit de plus en plus de
vite les serrer contre lui.
Ce qu’il comprend en chemin, au fil des jours, c’est
assez d’intérêt
qu’il lui faudra éveiller
dans l’esprit métissé de ses petits-enfants pour que non seule-
ment ils l’écoutent, mais surtout
intègrent le dernier conte qui leur serait donné.
U faut que non seulement cette histoire les ramène au passé mais surtout,
quelle
les aide à se propulser vers l’avenir en toute confiance.
Le pays était toujours aussi beau et fait chanter en lui ce
lui porte. Il se sent à chaque pas redevenir le petit
grand amour qu’il
garçon qui partait sur les che-
mins, galopant derrière son grand-père. Ils n’allaient jamais bien loin, c’était
encore ce
temps sombre plein de contraintes, l’époque du Code de l’Indigénat.
On ne pouvait alors changer de secteur sans autorisation, il fallait
passer par
l’administration pour circuler sur sa propre terre. Alors on s’enfonçait dans les
forêts sans faire de bruit, on déjouait la surveillance car les Vieux d’alors, même
s’ils courbaient la tête, ne pouvaient vivre sans cheminer. Et tout en marchant,
son
ne
grand-père parlait du temps d’avant, celui avant la colonisation, même s’il
l’avait pas connu. On en parlait encore et on racontait tous les événements
ayant eu lieu depuis. On tentait de survivre à toutes ces contraintes, à tout cet
irrespect. Il y avait des luttes internes, des clans qui collaboraient, d’autres irréductibles. Son grand-père, lui, se contentait de sa mission de transmission : il
racontait les histoires, les
généalogies, la Coutume. Il avait une mémoire qui
remontait à
l’origine des clans sans avoir jamais lu et en ayant peu fréquenté
l’école. U y avait eu un missionnaire qui avait ouvert une petite école non loin
et ce
qu’il avait appris de lui ne correspondait en rien à ce qu’il aimait dans son
119
cœur
de petit Kanak. Il avait appris les prières, cependant, car ça peut servir les
prières et on peut les traduire en langue et faire correspondre les esprits des cultures entre eux. On peut
jouer avec la foi... il rien avait rien dit à personne car
il fallait se méfier, tout le temps. La colonisation c’était cela aussi, une religion
rigide imposée qui retirait les enfants à leurs parents, les privant de leur éducation, les rendant inaptes et irresponsables. L’internat ce n’était pas pour lui. Son
grand-père avait lutté. Il avait gagné en prétextant auprès du grand Chefla
nécessité de garder auprès de lui le garçon pour lui enseigner les plantes qui soignent. Mais il fallait se faire oublier, alors le Vieux et l'enfant passaient le plus de
temps possible à l’abri du regard de l’administration, de la police et de l’Eglise.
Au fond de la vallée, c’était encore possible.
Tout ce qu’avait appris Le Vieux avait fondé sa place au sein du clan. Il avait
tenté de le faire avec ses enfants mais celui qui savait les choses avait été tué sur
la route dans un brutal accident. L’alcool qui faisait des ravages jouait avec les
vies des enfants du Pays. On aurait dit qu’ils n’avaient pas peur de mourir. Cetait
étrange. Une fatalité endeuillait les familles et la vie continuait.
Mais il avait des petits-enfants et ce qu’il avait entendu dire sur leur vie en bas
dans la grande ville ne lui convenait pas du tout. Il se souvenait de leur dernière
visite à tous les trois. Les deux enfants de sa fille et le
garçon de son fils décédé.
C’était ce dernier qui posait problème : des bribes d’informations lui étaient par-
venues. On
riosait pas trop lui raconter mais ce dernier faisait de plus en plus de
bêtises, de plus en plus graves. Même les tontons n’arrivaient pas à le gérer. Les
oncles utérins étaient ceux qui avaient autorité sur lui. Que faisaient-ils donc ?
Peut-être avaient-ils trop de soucis eux-mêmes avec leurs jeunes ? Avaient-ils le
temps de s’occuper d’eux ? On lui avait raconté qu’il y a des bandes qui traînent
en ville dans les
quartiers riches et qui dévalisent les maisons des Blancs. Ils
entrent en leur absence, cassent, salissent, vident les
frigos et boivent l’alcool des
placards. Ils cassent aussi les vitres des voitures stationnées en ville juste pour le
plaisir de voler une bricole restée dedans, un tee-shirt, un sac trop voyant....
J
A l’orée de la ville
A Tontouta, après le pont qui surplombe la rivière, il a tendu le pouce et une
grosse voiture rouge s’est arrêtée. C’est une petite- nièce au volant ! Décidément,
il a de la chance ! Il se demande même avec malice si elle n’a pas été prévenue de
son
périple et de la possibilité de le trouver, à cette heure-là, au bord de la route,
à cet endroit. Il monte et se trouve finalement content d’être ainsi installé dans
la cabine surélevée, fenêtre ouverte, bras au soleil posé sur le rebord de la vitre.
invutetérss
LittéRama'OHi # 23
Catherine C. Laurent
Sa petite-nièce parle, raconte les dernières nouvelles. C’est alors qu’il en
demande des enfants. Les plus petits vont bien et seront certainement très heureux
de sa venue, mais, concernant Hnaumo, ce n’est pas formidable. Il va à l’école
uniquement quand il le décide, on a beau le punir, rien n’y fait ! Il traîne le soir
dehors tard, on ne sait pas toujours où il dort. Il s’est installé avec une bande dans
un bout de brousse survivant entre les immeubles. Il
réapparaît quand il a faim ou
quand il a des ennuis. Personne n’arrive à lui parler. La chaîne de l’éducation s’est
rompue et il n’y a pas de quoi être optimiste... elle pense qu’avec sa bande, ils vont
faire de plus en plus de bêtises et commettre l’irréparable. Elle ne comprend pas
comment on a
pu en arriver là avec tous ces jeunes qui traînent. Ce n’était pas
quand elle était plus jeune ! On riait, on buvait un peu, on faisait la fête
choses qui ne mènent à rien. Elle papote, elle
papote, elle rigole aussi beaucoup lorsqu’il raconte ses aventures sur la route.
Et puis, alors que le silence s’est installé dans la voiture, sa mission le
reprend, il pense à ce conte qu’il doit raconter... il regarde la grande plaine, c’est
la fin du jour, les couleurs orangées rendent le paysage encore plus somptueux
et émouvant. Il se
perd dans ses pensées. Il y a de plus en plus de voitures, la circulation demande beaucoup d’attention sur ce tronçon. Son cousin a bien fait
comme ça
mais on ne taisait pas toutes ces
de lui dire de monter en voiture !
Lorsqu’ils arrivent à l’orée de la grande ville blanche qui est si sale cependant, quand il aperçoit les fumées de la SLN, quand il en longe les bâtiments
métalliques couleur de terre, son cœur est saisi de chagrin. Il sent les mauvaises
odeurs de l’usine et il sait que ce nickel source de richesse et de prospérité est
aussi source certaine
d’appauvrissement. Dans le nord, la transformation a déjà
commencé. Le monde moderne est passé en Province Nord. Il aimerait bien
voir aussi la
grande usine construite tout en bas dans le Grand Sud. Il paraît que
ça ressemble à une base spatiale, de la science fiction en Océanie !
Alors, soudain, en faisant le tri entre toutes les idées qui lui sont venues en
chemin, en fouillant dans sa mémoire si riche, il sait avec certitude que l’histoire
qu’il racontera à ses petits sera la suivante, celle d’Idara :
Elle est assise sous les cocotiers, Idara la prophétesse.
Autour d'elle sont les jeunesfilles menant la danse du soir.
Devant elle, les jeunes gens jouent, quand elle se tait, de la flûte de roseaux, pour la
laisser se reposer et l’applaudir.
A ses côtés sont les vieillards et les guerriers ; à ses
pieds les enfants et les femmes.
Idara est lafille des tribus, elle a combattu avec les braves contre les hommes pâles.
Idara est la mère des héros ; c’est elle qui panse leurs blessures avec lafeuille mâchée
de la liane cueillie au clair de lune. C'est elle qui leur donne le breuvage réchauffant
du bouis ; c’est elle encore qui les endort avec le chant magique.
Ecoutez, vieillards, Idara va parler !
Elle ouvre sa bouche aux dents tremblantes dont les pointes sont émoussées.
Quand les blancs sont venus dans les grandes pirogues, nous les avons maudits, car
ils nous attaquaient avec lafoudre et nous n'avions que lesflèches, la sagaie et les
haches de pierre.
Ils ont semé leurs grains sur les terres des tribus ; ils ont élevé leurs villages de pierres
dans les vallées, aux endroits que nous choisissions pour les nôtres, près des cours
d’eau et des cocotiers : sous les rochers qui abriteront les pirogues.
Les hommes blancs ont vu les vallées pleines de bananiers et d'ignames, les montagnes couvertes de taros ; ils ont vu tous les tillits des cases et ils ont regardé tout
cela d’un œil de mépris.
Les Blancs se sont promenés le long des grandsfleuves et ils ont pris en pitié nos cultures ! Mais vous avez des instruments pour ouvrir la terre, ô Blancs ! Et nous
n’avons que les bâtons, lefeu et la hache !!
Si vous étiez réduits aux seules ressources de la nature, seriez-vous plus que nous ?
Et quelles que soient vos richesses, vous avez quelque chose à nous envier, puisque
vous venez de l’autre rive du
grand lac vers la terre des tribus.
Nous vous avons combattus et nous vous avons maudits, vous qui venez vous
emparer de notre sol.
Nous vous combattrons et nous vous maudirons encore. Mais qui donc vous mène ?
Et quels souffles ont poussé vos pirogues ?
Faudrait-il qu’un jour les tribus se mêlent de tous les points du monde à travers
toutes les mers ?
Soufflez, ô jeunes gens, dans lesflûtes de roseaux ! Idara a parlé !
Vieillards, à vous de conter, la tribu écoute. **
Un conte ne suffit pas...
Mais comme les temps ont changé et qu’il faut apporter un souffle positif
à l’histoire du Pays, car les enfants ont
besoin d’espoir, en plus de paroles sages,
il sait qu’il leur dira aussi ceci :
«
Les pirogues se sont transformées en avions, de plus en
plus nombreux,
remplis de gens désireux de venir vivre et travailler avec nous. Les maisons de
pierre se sont multipliées, il y en a tellement, et tellement d’écoles pour les
enfants, tellement d’énormes boutiques pleines d’objets inutiles ! Les Vieux
n’ont plus rien à raconter.
LittéRama'oHi # 23
Catherine C. Laurent
La tribu n’écoute plus. Vous non plus, si loin en ville.
C’est pourquoi je suis descendu vers la grande ville, la ville des Blancs, Nouméa. A pieds, comme avant, au temps des Anciens.
Il paraît quelle est aussi devenue noire avec le temps, et que sur les
plages de
la ville, les mamans baignent leurs enfants et que ça ne dérange plus personne.
Les Blancs ont donc aussi changé ? On m’a dit que les
garçons et les filles, dont
les chemins autrefois ne devaient pas trop se croiser, se tiennent maintenant la
main sans
pudeur dans les rues et que sans pudeur non plus, ils boivent l’alcool
les trottoirs de la ville. On m’a dit que les familles mangent dans les fast-foods
et des pizzerias, comme les Blancs, et
que personne n’y trouve rien à redire. Leurs
sur
ancêtres doivent se retourner dans leurs tombes coloniales !
Mais on m’a parlé aussi de ce Centre Culturel posé comme un navire au
bord de la mer, près des mangroves, et dans lequel souffle encore certains jours
la parole du Pays. On m’a dit que le Droit coutumier est respecté même en ville.
Donc, tout n’est pas perdu du sens du Pays. C’est bien. J’espère que nous pourrons
y aller ensemble tous les trois ! J’ai beaucoup de choses à voir et à com!
On m’a dit que dans certains jardins se cuit le bougna. Et aussi que les
femmes sont belles dans leurs robes missions modernes et colorées qu’elles
portent fièrement sur la place des Cocotiers. J’ai hâte d’aller voir tout cela en
compagnie. Maintenant que je suis là avec vous mes petits, je vais aller
m’asseoir sur leurs plages, écouter si, à travers le rugissement de leurs voitures
votre
qui m’ont frôlé sur la route, j’entends encore les souffles venus du passé.
En votre compagnie et
accompagné d’Idara, je vais essayer de deviner, avant
de mourir, si les voix qui résonnent aujourd’hui sont les voix du Pays de
demain. Je vais redécouvrir mon pays avec vous et nous allons passer du bon
temps ensemble ! »
La vraie mission commence pour le Vieux
C’est la voix chantante de sa petite-nièce qui soudain le tire de sa rêverie
éveillée :
—
Allez, hop grand-père, on est arrivé !
Mais à cette arrivée dans le quartier, une mauvaise nouvelle les attend :
Hnaumo est au commissariat. On vient d’apprendre éberlués qu’il était à St
Louis avec les jeunes qui manifestent depuis deux jours ! Comment est-ce pos-
sible, lui si jeune, cagoulé et lançant des pierres sur les gendarmes et les voitures ? C’est difficile à admettre et à
accepter. Il est en garde à vue. Aller au
123
d’en savoir un peu plus. D’en avoir le cœur plus net. Le
clan se sent soudain très fort et solidaire. Il savait bien, lui, qu’il lui fallait descommissariat permettra
cendre en ville, et là, il ne s’agit plus de juste raconter une histoire ! Comment
possible, son propre petit-fils arrêté par la police ? Finie la tranquillité de
la brousse, il lui faut réaliser qu’il est bien dans la réalité du Pays. La même que
est-ce
partout dans le monde : des jeunes désœuvrés qui ne trouvent pas leur place
et dont on a oublié de
s’occuper vraiment. Véritablement. Mais qu’y peut-il ?
Son fils est mort trop tôt et il n’a pas pensé que les conséquences pour ce petit
seraient si lourdes. La présence
du reste de la famille n’a finalement pas fait le
poids. Hnaumo est en perdition !
Tout le monde est d’accord, il va falloir faire quelque chose, prendre des
décisions. Que fait-on avec une plante qui pousse de travers ? On la laisse....
l’attache et on tente de la redresser... .on ne la coupe pas pour autant, on
s’assied à côté d’elle, on la regarde de près, on lui parle, on essaye de tripoter la
ou on
terre dans
laquelle elle pousse et puis, si rien ne marche, on met délicatement
un tuteur
pour redresser la plante, solidifier la tige, qu elle reprenne force et
direction.
Un tuteur ! Voilà ce qu’il faut à Hnaumo. Les oncles maternels ont échoué.
Il reste donc ce vieil homme fraîchement descendu de la vallée des Anciens.
Tous les regards se tournent vers
lui dans l’appartement exigu où tous se sont
rassemblés. L’heure est grave. Lui, il n’était pas au courant pour cette affaire de
St Louis, seul sur la route, respirant l’odeur des alizés, parfois celle du café dans
le col des Roussettes et regardant émerveillé son pays sous toutes les coutures.
Il sait bien qu’il y a des problèmes avec les jeunes et dès qu’il y a des problèmes,
on
les manipule pour qu’ils fassent du bruit et de la casse. C’est de « bonne
guerre » comme on dit. Mais là, son petit-fils a participé et il ne trouve plus cela
«
de bonne guerre » !
Actualités
C’est effrayant. On allume la télévision, c’est justement l’heure des informa-
grands sur le canapé, les plus jeunes sur la
grande natte par terre. Lui, préfère s’installer là, avec les enfants. Les deux plus
petits sont là : Wakana, le garçon et Wenesine, la petite fille. Ils se serrent contre
lui. Il sent la terre et les végétaux, il sent les vacances. Peut-être ont-ils soudain
l’espoir que c’est la fin des ennuis pour leur cousin et frère ? C’est vrai que soudain une douce atmosphère s’est installée dans la pièce et le cœur de chacun
semble apaisé malgré l’heure gravé.
tions. Tout le monde s’assied, les
LittéRama'oHi « 23
Catherine C. Leurent
Un des petits se tourne vers lui et lui demande :
—
Pourquoi font-ils ça ? Pourquoi sont-ils tant en colère ? Ils font peur avec
leurs cagoules et leurs armes !
—
Tu sais, ils doivent avoir une sacrée bonne raison... mais on ne
ainsi agresser des
on va
peut pas
gens sur la route. Ils n’y sont pour rien... et s’il y a des morts,
faire comment ensuite ? Ça va encore plus mal tourner... Un oncle
prend la parole :
—Moi, je les comprends un peu même si je regrette que nos jeunes usent
ainsi de violence. Vous savez les enfants, il
y a quelques semaines a eu lieu un
accident à l’usine du Sud, à Grouine une erreur de
manipulation a fait se déverser 96 000 litres d’acide dans la mer ! Notre beau
lagon ! Plein de poissons
morts et les eaux
polluées pour longtemps, on ne peut pas accepter ça !
Une tantine reprend :
Oui, c’est votre avenir qui est en jeu. Comment ferez-vous pour vous
nourrir si le pays est détruit ? Et
puis les industriels avaient promis qu’il n’y aura
pas d’effets négatifs sur notre lagon. Ils ont menti.
Air oui, je me souviens maintenant ! L’institutrice nous a
expliqué que
l’Unesco a classé notre lagon au patrimoine mondial. Elle a dit : « Nous
possédons une des merveilles du monde !
On va perdre aussi notre classement
—
—
».
si ça continue...
On va perdre notre âme et notre culture si ça continue...
grogne quelqu’un
depuis la cuisine.
Un long silence s’installe face aux
images terribles que chacun regarde à la
télévision avec son cœur blessé. De légers « humm...»
s’échappent à espaces
réguliers des gorges.
—
Sur l’écran, des voitures calcinées, des installations détruites, des
jeunes en
colères visage masqué, des gendarmes, des chars de
police et des riverains désespérés dans leurs voitures immobilisées le long de la route avant et après St
Louis. Et ces mots blessées... coup de feu... »
que personne n’a plus envie
«
d’entendre dans ce pays.
Cette usine et celle du Nord sont les outils nécessaires à une
indépendance
économique. Elles permettent d’avoir une place mondiale dans l’extraction et
le traitement du nickel. Le 21° siècle est bel et bien en marche et il
y a grâce à
ces usines du travail
pour tous. Pour les jeunes aussi. Ceux qui veulent travailler.
Mais peut-on accepter le massacre des ressources naturelles et du
patrimoine
pour autant ? Est-ce véritablement le prix à payer ? Ou bien tout ce gâchis estil le fruit de l’incompétence et de
l’inconséquence de certains ? Tout le monde
125
deux feux : la tradition et le respect de la terre et de la mer et l'envie
de participer à la grande expansion économique ! Préparer l’avenir pour les
est pris entre
enfants du Pays de Demain...
Le Vieux est sombre et triste soudain. Lui qui se faisait une joie de participer
à cette réunion familiale ! Il serre les deux petits plus fort contre lui. Les actualités se terminent. On coupe la télévision. Les femmes préparent le repas. On
va
bientôt manger. Des bières circulent...
Le Vieux soudain parle et on l’écoute :
Demain, j’irai le chercher. Je vais parler à la police. Je ne partirai pas de
là-bas sans avoir conclu un accord. Je vais proposer de prendre le petit avec moi,
—
je vais l’emmener dans le nord, le ramener à la tribu. J’aurais déjà dû le faire. Je
vais promettre de le surveiller et de le faire changer. Il est si jeune, ils ne peuvent
pas le garder ; ils n’en ont pas le droit. Il n’a pas l’âge de faire de la prison...
Retour silencieux à la maison
Le lendemain, c’est très tard qu’ils sortent du commissariat. A côté du Vieux,
Hnaumo la tête basse recouverte de sa capuche, il traîne les claquettes... Il est
tout à la fois triste et content. Triste et honteux de voir toute la famille
qui Fat-
tend sur le trottoir, mais heureux de revoir son grand-père et de savoir qu’il
compte pour lui, qu’il est venu parler pour lui et se porter garant de sa conduite
future. C’est fort pour lui cette confiance soudaine et ce sentiment de ne plus
être seul. Il ne l’était pas pourtant mais il se sentait seul dans son cœur. En fait,
jamais il n’avait accepté la mort de son père. Et il se sentait blessé et incompris.
C’est ce qu’il croyait. Il se rend pourtant compte que tout le mpnde est là pour
lui, que personne ne s’énerve, il y a juste sa mère qui fait une drôle de tête, il faut
comprendre !
Le Vieux, lui, est content mais fatigué. Ca n’a pas été ladle de faire entendre
raison à ce garçon qui, soit refusait de parler et de répondre aux questions, soit
disait des mots grossiers ! Les policiers étaient épuisés aussi et perdaient
patience, ça fait des jours et des jours que la situation est tendue et très violente.
Des jours qu’ils essayent de trouver une solution pacifique à ce mécontentement. Et c’est loin d’être terminé : l’usine est belle et bien là, énorme et réclamant ses ouvriers, et le blocage est total concernant la reprise du travail.
Personne ne sait comment les médiations entre les coutumiers, les jeunes et
les responsables étrangers vont pouvoir aboutir à une solution qui arrange tout
le monde ! Cependant la discussion et le consensus sont les remèdes magiques
de la communication océanienne d’habitude : tant qu’il reste un mécontent,
LittéRama'oHi » 23
Catherine C. Laurent
discute pour trouver une solution. Ca promet donc detre
long et de provoquer de graves conséquences économiques.
Il pense à Idara... il se demande si ce conte est bien de circonstance, si ça
on
pas allumer encore plus la haine et la rébellion ? C’est grave finalement
histoire, ça prête à conséquence... surtout quand on vient de loin pour la
raconter, comme un cadeau, qui maintenant pourrait bien s’avérer empoisonné.
Il est songeur et tout le monde sur le trottoir pense que c’est à cause de ce
garçon terrible. Personne ne sait qu’il est tourmenté par son choix de conte !
C’est donc dans le calme que tout le monde rentre à la maison.
ne va
une
Le temps des retrouvailles et du plaisir
partagé
Le lendemain, chacun est parti au travail. Le Vieux se lève donc dans un
appartement vidé de ses habitants. Reste Hnaumo qui, lui, n’est pas allé à l’école.
Le Vieux prend tranquillement son café quand Hnaumo
apparaît, mi-indiffé-
rent, mi-content de le trouver là dans la cuisine. Il fait déjà chaud. C’est pour-
quoi il demande au garçon :
—
Tu ne voudrais pas m’emmener à la
plage, on étouffe dans cet apparte-
ment ?
Je voudrais bien voir lÂnse Vanta il paraît que ça a beaucoup changé. Et
la baie des Citrons aussi. Tu sais quel bus il faut prendre ?
Oui je sais. Tu veux y aller quand ?
Là, maintenant, bientôt. Dès que tu auras déjeuné et pris ta douche.
—
—
—
D’accord. C’est un bon plan... Humm, humm....
Quand ils sont prêts tous les deux, ils grimpent dans un bus après avoir
attendu en plein soleil à un arrêt sans abri. Le Vieux a bien cherché un arbre...
rien...
quelle désolation... quel manque de respect pour l’être humain, se ditgarçon à de bons sen-
il intérieurement. Mais comme il a résolu de ramener ce
timents, surtout envers la société, il évite de faire ses constations à haute voix !
Ils parlent peu pendant le trajet. Le Vieux est obsédé par sa mission et son
conte...
Idara demande à être entendue... Mais plus il regarde Hnaumo,
moins il est convaincu, et de l’utilité d’un conte, et de la voix
vengeresse d’Idara !
Lui, il l’aime bien pourtant. Mais il sait faire la part des choses. Et les images, il
comprend. Mais pas ce garçon écorché vif II va tout prendre au premier degré.
Ce n’est pas le moment.
Alors, dans les bouchons dus à l’intense circulation de la matinée, au rond
point, il soliloque avec Idara et s’excuse de l’abandonner sur le chemin de la ville.
Il lui dit qu’il la retrouvera là-haut, dans les sentiers. Et que
peut-être, quand le
petit sera calmé et apaisé, il lui fera entendre sa voix.
127
Il va donc falloir trouver autre chose. Inventer un autre discours. S’adapter !
Une vraie gymnastique mais qui vaut le coup ! Il veut vraiment, de tout cœur,
le garçon de ses idées noires et de sa révolte stérile.
Il constate que, finalement, ce n’est pas aux enfants d’aujourd’hui à s’adapter,
sauver
c’est plutôt le contraire qui s’avère nécessaire. Trouver un chemin entre tradition
et modernité. Tout un
programme ! Ça change soudain la nature de sa mission...
Le Vieux a tellement aimé ce qu’il a vu à lAnse Vata, les touristes sur la plage,
les mamies Wallisiennes sur les grandes nattes colorées, faisant la sieste avec les
bébés collés contre elles, toutes ces marmites emplies de bonnes odeurs, les
voiles des kitesurfers faisant des sauts dans le ciel, qu’il a demandé à y retourner
le soir même avec les deux autres petits, Wenesine et Wakana, à leur sortie de
l’école. En fin de journée, la tan tine les y a amenés et c’est là, dans la paix du soir,
au
milieu de tous ces gens différents, qu’il a compris que la seule histoire qu’il
avait à raconter à ses
petits-enfants était la sienne, l’histoire de sa vie, de son
enfance, simplement. Parler. C’était tout ce qu’il fallait faire.
La veille du départ, programmé pour Hnaumo et son grand-père, le Vieux
a demandé à aller visiter le centre
Tjibaou. Il ne pouvait pas remonter dans le
Nord sans rendre hommage à cet endroit-là, qui raconte, lui aussi, une belle et
grande histoire à lui tout seul.
Ils ont fait le tour des grandes cases modernes, regardé tous les objets rituels
exposés, vu les expositions de photos et de tableaux, circulé entre les plantes du
Chemin kanak. Au bord de la mer, en bas, près des mangroves, là où se dressent
les cases des aires coutumières, ils sont entrés dans la leur et au calme, dans la
douce senteur végétale et entre les bois sculptés, le Vieux s’est mis à parler de son
existence, du temps d’avant et de tout ce qui avait changé. Les petits étaient silencieux et impressionnés. La lumière brillait dans leurs yeux. Le Vieux se savait
d’emblée pardonné par Idara, son esprit n’était pas loin, elle veillait à la scène.
Et comme le soir tombait et qu’il fallait rentrer à la maison, il fut convenu
que Wenesine et Wakana viendraient les rejoindre aux prochaines grandes
vacances et
qu’il y aurait d’autres jours comme celui-là, emplis de paroles et de
bonheur.
Tous mes remerciements vont à un autre Hnaumo, qui m'a offert ces trois prénoms de Maré (et non de la vallée d'Amoa), à un
moment où j'étais loin du Pays et où j'avais besoin de nommer ses enfants parleur nom. Hnaumo : guerrier vainqueur, qui aspire
le foie de son adversaire. Wakana : « le bout du bout », le sommet, le pic, celui qui voit tout de là où il est. Wenesine : racine, fondements de la pêche.
**
Idara (bruyère) la prophétesse (Vil) - Louise Michel Aux amis d'Europe - Légendes et chansons de gestes canaques, Nouméa, 1875.
Editions Grain de Sable 1996
invtés
Wute rs
Je suis professeur d’Anglais au lycée polyvalent de Taaone et je
voyage. C’est lors de ma visite de la centrale
nucléaire de Tchernobyl en novembre 2009, que je décide de me
lancer dans la photographie. Je veux revenir avec de meilleures
images de mes périples. Dès mon retour, je dévore tous les ouvrages
que je trouve sur la photographie. J’achète mon premier reflex
numérique aux Etats-unis en décembre 2009. Peu de temps après
mes
premiers clics, je m’associe à mes frères et quelques amis pour
lancer la première revue entièrement consacrée au “Heiva i Tahiti”.
Les photos utilisées pour l’édition de nos
ouvrages sont prises en
équipe et signées “Matareva” (l’oeil qui voyage). Après la sortie de
notre
première édition en novembre 2010, je décide de partir en
suis passionné de
Scandinavie pour photographier les aurores boréales pendant les
vacances
de Noël. C’est à ce moment-là que je comprends qu’une
photographie peut être plus qu’une image de “bonne qualité”. Elle
permet exprimer ma sensibilité, mon point de vue. Je me découvre
ainsi une passion pour
la création.
D'un numéro à l'autre, la revue continue
d'explorer la société
contemporaine de la Polynésie française au travers de thèmes
qui accompagnent les réflexions de ses citoyens. L'association est
particulièrement heureuse d'accueillir dans ce numéro le texte de
trois détenus du centre
pénitentiaire de Ra'iâtea, lauréats d'un
d'écriture. Une place est offerte comme d'habitude aux
auteurs invités qui nous font l'honneur de
partager leurs écrits
concours
d'au-delà de l'océan.
Jean-floël Chrisment - Leila Brcoli - Simone Grand - Léopold
Hnacipan - Imasango Poète - Picolas Hurtovitch - Catherine
Laurent
Jimmy ITT Ly - Titaua Peu - Hong-ITly Phong -
floella Poemate
-
Odile Purue
-
Steeue Reea
-
Chantal T.
Spitz - Théodore Tainoa - iTloana Taofifenua - Julien Titae
Jean-lTlarc Tseng - Goenda Turiano-Reea
-
Fait partie de Litterama'ohi numéro 23