B987352101_PFP1_2016_023.pdf
- Texte
-
A
iitten
RüÛT
2016
Te hotu lïla'ohi
f
Ramées de littérature
polynésienne
«Si tu étais
venu
chez moi...
»
•
■
.
-
•
'
Littérama’ohi
Publication d’un groupe
d’écrivains autochtones de la Polynésie française
Directrice de la publication :
Chantal T. Spitz
Motu Ara’ara
Huahine
E-mail
:
vahinetumu(2)maiLpf
Numéro 23
/ Juillet 2016
Tirage : 600 exemplaires - Imprimerie : STP Multipress
Mise
en
Couverture
page :
:
N° Tahiti Iti
Backstage
an’so Le Boulc’h
:
75S900.001
Revue
Littéramaohi
Ramées
de Littérature
Polynésienne
-
Te Hotu Ma ohi
-
Liste des auteurs de Littérama’ohi n°23
Steeve Reea
Simone Grand
Hong-My Phong
Leila Ercoli
Jimmy M. Ly
Moana Taofifenua
Titaua Peu
Keny Simutoga
Goenda a Turiano - Reea
Noella Poemate
Odile Purue
Catherine C. Laurent
Chantal T.
Spitz
Imasango
Théodore Tainoa
Nicolas Kurtovitch
Julien Titae
Jean-Noël Chrisment
Jean-Marc Tseng
SOMMAIRE
Littéramaohi N°23
Juillet 2016
Liste des auteurs
Sommaire
La
revue
Littéramaohi
Editorial
!
-
Les membres fondateurs
!
:
p.
p.
p.
p.
4
5
8
10
p.
13
,p.
18
p.
22
p.
25
p.
29
Dossier “ Si tu étais venu chez moi ”
Steeve Reea
Hô e â iô de
I
Simone Grand
Que peut donc signifier cette manie de certains
d’absolument vouloir Parler à notre place
Si encore les gens venus
?
d’ailleurs étaient les seuls à le faire !
Jimmy M. Ly
Le jour où Ah Fong était venu chez toi !
Titaua Peu
Je nai plus de complexe
Goenda
a
Manu
Turiano Reea
-
Odile Purue
Réflexions inspirées du discours d’Henri Hiro :
Rassemblement pour
p.
31
p.
35
p.
43
p.
50
p.
64
p.
68
Poème d’un soir
p.
Tuihana
p.
70
71
p.
72
p.
73
.p.
p.
74
75
(Poro’ira a)
p.
77
MaitePômairateAo....
.p.
79
l’indépendance Hau Ma’ohi le 23 mai 1982
Chantal T.
:
Spitz
cannibalisme identitaire
Créations autochtones
Théodore Tainoa
Julien Titae • Jean-Marc Tseng
Tupuna, le voyageur
Hong-My Phong
Et si... ?
Simone Grand
La Naissance de Mâui
Goenda a Turiano - Reea
Téha’utinoaraâtetamari’iiniaitetumupürau
Leila Ercoli
Moana Taofifenua
•
Keny Simutoga
Je suis la nuit
Amour de
ma
vie
Odile Purue
Déposition
Tukuraga takao aka’opega
Steeve Reea
A pâ i tô reo
Simone Grand
Auteurs invités
Noella Poemate
Je suis un enfant de la rivière
p.
84
p.
90
p.
p.
94
97
p.
101
p.
p.
106
108
p.
109
.p.
111
p.
128
Catherine C. Laurent
Le pays
de ladi poétique
Imasango
Ecrire et vivre sont j umeaux
Les mers et océans se rejoignent
où la terre nous unit
Nicolas Kurtovitch
Et si par un matin pluvieux
La vie
en ce
monde
Où irons-nous
Jean-Noël Chrisment
La part mince des choses
Catherine C. Laurent
La Dernière histoire du Vieux
L'artiste
Teava Magiary.
Littéramaohi
Ramées de Littérature Polynésienne
-
La
revue
Te Hotu Ma’ohi
-
Littéramaohi a été fondée par un groupe
d’écrivains autoch-
de la polynésie française associés librement :
Patrick Amaru, Michou Chaze, Flora Devatine,
tones
Danièle-Tao’ahere Helme, Marie-Claude
Chantal T.
Teissier-Landgraf, Jimmy M. Ly,
Spitz.
Le titre et les sous-titres de la revue traduisent la société polynésienne d’au-
jourd’hui :
“Littéramaohi” pour l’entrée dans le monde littéraire et pour l’affirmation
-
de son
-
identité,
“Ramées de Littérature
à celle de la pirogue,
-
-
Polynésienne”, par référence à la rame de papier,
à sa culture francophone,
“Te Hotu Ma’ohi”, signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères chinois intercalés
entre
le titre en français et celui en tahitien.
La revue a pour objectifs :
-
-
de tisser des liens entre les écrivains
naires
-
originaires de la Polynésie française,
spécificité des auteurs origi-
de faire connaître la variété, la richesse et la
de la Polynésie française dans leur diversité
contemporaine,
de donner à chaque auteur un espace de publication.
Par ailleurs,
c’est aussi de faire connaître les différentes facettes de la culture
polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et modernes que
sont la peinture, la sculpture, la gravure, la photographie, le tatouage, la musique,
le chant, la danse... les travaux de chercheurs,
des enseignants...
objectifs, c est avant tout de créer un moupolynésiens.
Les textes peuvent être écrits en français, en tahitien, ou dans n’importe
quelle autre langue occidentale (anglais, espagnol,... ) ou polynésienne (mangarévien, marquisien, pa’umotu, rapa, rurutu... ), et en chinois.
Toutefois, en ce qui concerne les textes en langues étrangères comme pour
ceux en reo maohi, il est recommandé de les présenter dans la mesure du possible avec une traduction, ou une version de compréhension, ou un extrait en
Et pour en revenir aux premiers
vement entre écrivains
langue française.
Les auteurs sont seuls responsables de
leurs écrits et des opinions émises.
général tous les textes seront admis sous réserve qu’ils respectent la
dignité de la personne humaine.
En
Invitation
au
prochain numéro :
Ecrivains et artistes polynésiens,
cette revue est
la vôtre
:
tout
article bio et biblio-graphique vous concernant,
l’écriture, sur la langue d’écriture, sur des
auteurs, sur l’édition, sur la traduction, sur l’art, la danse,... ou sur tout autre
de réflexion
sur
la littérature,
sur
sujet concernant la société, la culture, est attendu.
Les membres fondateurs
Editorial
De l’ambiguïté
des sentiments dans la relation accueillant / accueilli.
Accueillir quelqu’un dans son monde, son intimité est un acte de confiance.
Confiance en la personne à qui l’on ouvre le lieu choisi parmi tous les autres
pour se mettre à l’abri des dangers du monde. Mais aussi, confiance en soi et en
la solidité de ce qui a été bâti et dévoile un peu de soi à autrui.
Accepter l’hospitalité offerte est un acte de confiance en qui invite à partager
toit, mais c’est aussi accepter d’être débiteur, en dette,
ou durable d’infériorité.
son
donc en état momen-
tané
canonnades
anglaises d’accueillir leurs assaillants malades, affamés et assoiffés qu’ils auraient
mille fois préféré voir aller se faire pendre ailleurs. Traumatisés par ces engins
de mort à distance, les Tahitiens acceptèrent le troc avec Wallis et les bateaux
ultérieurs (français, anglais, espagnols,... ) se présentant à une passe. Le prix en
vies humaines et en destruction des vitales pirogues lors du refus initial fut jugé
exorbitant. Ils ignoraient les encore plus redoutables armes biologiques involontairement introduites par leurs visiteurs.
En
La
1767, les Tahitiens furent contraints et forcés par les
première tentative de colonisation fut catholique et espagnole en 1772.
Elle échoua. En 1797 le Dw/f débarqua
des Blancs déterminés à conquérir file.
Ils végétèrent durant 20 ans dépendant des caprices du fin stratège Pômare IL A
1817, John Orsmond désespéra de ne pouvoir jouer son rôle
secourable. La détresse humaine était insuffisante. Alors il se mit à couper les
son
arrivée
en
nourriciers cocotiers,
les pieds de uru et autres arbres fruitiers.
(T. Henry p. 12)
Quand on aime (les miséreux), on ne compte pas et les fabrique. Ainsi s’organisa
la conversion autour d’un système de charité protestante et le développement
du commerce avec nourriture importée et une économie de modèle européen.
A partir
de là s’élaborèrent multiples récits sur la générosité non plus des
rôles d’endettés en créditeurs.
accueillants mais des accueillis ayant inversé les
française prit le relais de l’anglaise régulièrement occultée y
compris à l’affichée laïque université de Polynésie française.
La colonisation
doute
possible que cette ambigüité de la relation
accueillant/accueilli et le refus d’accueillis d’être débiteurs explique l’angoisse
Il
est sans
exprimée par certains lorsque les autochtones métis ou pas s’expriment, inter-
d’Européens mais aussi d’insulaires
des âmes et de territoires sauvages... Leur identité s’est construite sur ces mythes pris pour vérités vraies et que notre impertinence vient ébranler, révélant les masques fissurés
d’une multitude de faux-selfs apeurés inévitablement agressifs.
rogent et se racontent. Des générations
furent bercées par les récits extraordinaires des conquérants
Célébrons la palpitation de la vie.
Simone Grand
“Black out" à Pyongyang,
Corée du nord, décembre 201S
Orphelinat de Nampo, Corée du nord, janvier 2016
Teava
Magiary
13
Steeve Reea
Maohi tei here
i te
reo
tumu
Dossier
o
tônaferma. Ta'ata hîmene e ta'atapâpa’i
arohahia, ’iafa'aohipa-noa-hia â, 'ia tai’o-noa-hia â,
'iafaaro'o-noa-hia à, 'iaparau-noa-hia à oia.
nâ roto i teie
reo
iti
Hô’ê â iô be
te
porômu
hôe à iô be
porômu arata’i
faaorihaere
porômu tâhia
tore
uo’uo
manino
ere’ere
apobpo’o
tâviriviri
nâ nia
nâ
raro
fa’aohiera’a
te
paraura a ïa
e ’ia
hape
tere
i te
e
ohie roa
fare mai
penei ae
i te mënema
mcvehneouzi
étais
tu
LittéRama'OHi
« 23
Steewe Reea
te
pere’o’o
hôe à iô be
pere’ob huira
epiti
e
e
maha
hau atu
tere vitiviti
vitiviti
ua
roa
rahi roa
haruru
bro’oro
ahoahoa
mau
bre
hâua
ta’aniniraa upoo
auauahi
tùpohe aho
te
hôe
fare
â iô
be
ho’ohia
târahuhia
paha
fare tîmâ
tâfare auri
ai
fare auri
bia ato’a
aua
tîmâ
aua raau
-
auaihoarà
fare tàpapa ra’i
fa’autara’a nüna’a
15
Dossier
faataaeraa
ta’ata
te
i te repo
fenua
teora
te maâ
hôe
nà te
â iô
be
fare toa mai
fenua
nô te
roa
’aufauraa
punu
pü’ohu
afata
te vaira a ïa
te
tâpati
auaa ae
ha’amana’ohia ai
te maa
o
te
fenua
ai
hôe noa ïa
taime
i te
hepetoma
te tau
hôe
a
a
â iô
be
mahana
hepetoma
a ava e
a
matahiti
tai’ora’a
fa’aea bre
horohororaa
moi
vcehneuz
étais
tu
LittéRama'OHi
» 23
Steeve Reea
fa’a’aoaora’a
rohirohira’a
’a ha’amata
hope
a
aiü
a
a
taure are a
a ru au
tai’ora’a
pau bre
ahoahora’a
faahuehue
oraraa
te ta ata
hôe
â iô
te
mea ere
te mea
te mea
te mea
te
mea
të
të
be
fàna’o
te mea
haavï
opéré
faatura
faatura bre
faatere nei
faaterehia ra
te mea
maita’i
te mea
tàua
’ino
bre
i te ta’ata
tu ino nâtura
tâu’a bre
iho
iâna
noa
rima
mâhora
taparahi ato’a
taparahi ta’ata
17
Dossier
tereo
hôe à iô be
reo
farâni
reo
tipee
reo
manahope
reo
reo
fa’atere
ha’avâ
ha’api’i
ha’api’ihia
reo
ha amo era’a hiro’a
mono
itou
ha’afaufa’a
ore
item
fa’a’ui’ui
itô’u
fa’ahamiri
itô’u
'Ë pa’i,
mai te peu
e
’ua riro tô’u fenua mai iô be ra te huru;
aha ïa tau e ia’a’ite atu iâ be ?
mcvheeonzui
étais
tu
LittéRama'OHi
s 23
Simone Grand
Née à Tahiti de parents métissés nés à
Tahiti, elle est deformation scientifique. Etudiant les soins traditionnels et la maladie à Tahiti, elle réalise
une thèse
d’anthropologie médicale. La maladiefait tomber les masques
et permet d’interroger les préjugés émis sur les Polynésiens.
Que peut donc signifier cette manie de certains
d absolument vouloir
Parler à notre place
Si
encore
?
les gens venus d’ailleurs
les seuls à le faire !
C’est là que l’on apprécie la démocratie où des opinions
étaient
différentes peuvent
principe s’exprimer sans que l’on encoure des risques pour sa liberté et celles
de ses proches. Encore que ! Les supports de diffusion d’opinions différentes
sont si rares et d’une portée si restreinte
que parfois l’on doute avec raison de
l’inégalité de traitement entre la parole des uns et celle des autres. Comme ailleurs, c’est pire, apprécions.
Le sujet de réflexion de ce Littérama’ohi fut inspiré par les vives réactions
en
dont certaines d’une
violence déclenchées par un propos
de Chantal
Spitz se résumant à : « Marre d’entendre et lire des gens parler et écrire à notre
place, s’exprimer en tant que Polynésiens alors qu’ils ne le sont pas. »
Durant la même période, je lus invitée chez une amie qui avait convié une
jeune femme arrivée à Tahiti depuis à peine quelques mois. Vive, charmante et
prolixe, dès quelle sort de sa voiture, elle se présente par son prénom (disons)
Germaine pour de suite ajouter : « Appelez-moi Mareva, je suis Polynésienne
maintenant.
Comme je la félicitais pour sa jolie robe en patchwork, elle précisa :
rare
»
!
«
C’est du
tifaifai...
»
et nous
.
I
;
gratifia d’un long laïus sur ce type d’ouvrage
19
Dossier
introduit par les femmes de missionnaires, etc. Je la regardai et lecoutai éberluée
s’adresser à mon amie qui avait quelques kilomètres de tifaifai à son actif
comme
cience
sa
si
de
elle
en
ignorait tout. Ainsi se déroula le déjeuner où en toute incons-
elle nous expliqua ce qu’est la culture polynésienne,
spiritualité en nous offrant à la fin, quelques gestes de danse en démonstra-
tion
sa
voix enjouée,
de sa nouvelle identité.
Quelques années plus tôt, une relation avait écrit sur la maison tahitienne
développant tous les critères des maisons du Midi de la France où, en été,
les volets sont mi-clos pour empêcher la chaleur de pénétrer et la fraîcheur de
sortir, etc. Elle prit très mal mes remarques quand je lui signalai quid dans les
maisons bien conçues, l’objectif est de faire circuler l’air. C’est comme si
je lui
rappelai quelle n’était pas d’ici. Et alors ? Bien sûr quelle n’est pas d’ici. Quel mal
y-a-f il à cela ?
Des professeurs d’université, surtout spécialistes « es nous » ne sont pas
en
indemnes de bizarreries. Ainsi l’un d’eux, lors d’une émission télé sur l’identité
polynésienne asséna : « On est reconnu ma'ohi quand on connaît les noms de
poissons. » (Sic) Le même, quelques années plus tard traduisit certaines
expressions tahitiennes dans un ouvrage de grande qualité. Qualité quelque
peu gâchée par des inepties de ce spécialiste en qui l’auteure plaça sa confiance.
Jugez-en. Tumu-nui ou « Grande origine », première déité appelée à l’existence
par Ta’aroa fut traduit : « Grand Phallus » !... Révélant par là non pas une facette
de la culture polynésienne dont il est officiellement expert mais ses obsessions
personnelles. De même, l’affrontement taora ofa'i devint par lui : « pluie de
pierres » au lieu de « lancer de pierres ». Ignorance ? Désinvolture ? Ces idioties sont écrites, publiées, diffusées dans un livre qui par ailleurs fait autorité.
Alors que je présidais la Société des Etudes Océaniennes, je me retrouvai
par hasard au bureau d’accueil juste au moment de la visite d’un expert de Pierre
Loti qui tournait un reportage sur ce romancier. Un
membrepopaa du conseil
d’administration fit tout pour m’écarter du tournage. Je l’entendis expliquer le
plus doctement du monde au visiteur que rôti désigne en tahitien, la couleur
rose et la fleur du même nom.
Ça donne une idée de la qualité de l’enseignement
qu’il a pu dispenser dans sa discipline lorsqu’il y sévit de trop longues
années. A la retraite, il s’active à diffuser « son » savoir qu’il confond avec « le »
savoir. S’il avait pris la peine de vérifier dans le dictionnaire de
Tepano Jaussen,
il aurait lu que la couleur rose est târona1, comme le laurier-rose. Qu’en outre,
mcvehneouzi
étais
tu
i
Je
me
demande d'ailleurs si târona n'est pas
dérivé de la biblique «
rose
de Saron
»
LittéRama'oHi
» 23
Simone Grand
pour les Tahitiens n’ayant jamais appris d’autre langue que la leur, celle-ci avait
si bien modifié leur appareil de phonation qu’ils ne pouvaient entendre ni prononcer
Rôti.
la lettre
«
1
»
autrement
que « r ». Ainsi
Loti devint inévitablement
elle était enten-
Quant à la rose, plante introduite, prononcée à l’anglaise,
due rôti et restituée telle.
Mais qu’ont-ils donc ces gens-là à éprouver un besoin si impérieux de pontifier sur nous ? Et il faut voir l’air ulcéré suivi d’agressivité d’intensité variable
chaque fois que j’ai souligné la nature de bourde de ce qu’ils ou elles pensaient
être une pensée sinon géniale, au moins pertinente sur « le » Polynésien. A
croire que leur identité profonde consiste à pérorer sur l’identité du Polynésien.
Exception faite sans doute d’une auteure d’une reprise à sa manière des
mythes polynésiens contenus dans Tahiti aux temps anciens de Teuira Henry.
Quand je lui signalai la traduction erronée depufenua par « motte de terre »
au lieu de
placenta », elle me répondit : - « ça ne fait rien, je préfère motte de
terre’, je trouve que c’est plus joli. » (Sic)
Par contre, ce fut particulièrement violent dans une société savante où l’un
«
des membres dénichait
et
avec
bonheur des écrits intéressants de missionnaires
fonctionnaires coloniaux des XVIIIe et XIXe siècles. Je fus semble-t-il la seule
à y avoir détecté
sur
le caractère profondément raciste et méprisant de leurs écrits
les Tahitiens. Je fus semble-t-il la seule à avoir identifié une indigence mani-
feste de pensée. La rubrique «
Débats » alors ouverte m’avait permis de soulide ces gens-là si imbus deux-mêmes et si médiocres. Que
n’avais-je fait ! J’avais commis là un crime de lèse-majestés contre ce que je
croyais être des collègues inscrits dans une démarche de recherche. Ils s’avérèrent n’être là, qu’en émetteurs de sentences
glorifiant colons et missionnaires
dont ils se voyaient dignes descendants. Ils me firent bien vite comprendre que
seuls peuvent être étudiés les Tahitiens et à la limite les Chinois, mais surtout
pas les Popa'a. Détenteurs de vérités évangéliques et autres, ils ne peuvent être
objets » d’étude. Ils ne peuvent être que « sujets » connaisseurs. Je me rappelai alors une étude sur les fonctionnaires d’Etat pourtant fort pertinente,
transformée en une étude sur les mariages franco-tahitiens... par son directeur
de thèse apeuré sans doute à l’idée d’être démasqué.
Qu’il est douloureux d’entendre et lire les pseudo-spécialistes « es nous »
souvent d’ailleurs mais aussi d’ici, en poste et en fonction de détenteurs officiels
gner les incohérences
«
du savoir sur nos ancêtres
et
donc sur nous.
A une demande réitérée de
de notre histoire, je
participer à un débat télévisé sur une période
finis par céder devant l’insistance de qui je croyais être un
21
Dossier
Mal m’en prit. Je ne
sais quelle pudeur ou sidération me retint sur mon
siège qu’une totale goujaterie associée à une manifeste incompétence journalistique me poussait à quitter en pleine émission. Je restai jusqu’au bout espérant
arriver à y glisser quelque mot restituant l’humanité des Polynésiens d’hier.
Peine perdue, je fus sans cesse interrompue avec brutalité quand je tentai de
préciser que les Tahitiens n’étaient pas les imbéciles décrits par certains. Qu’ils
ami.
n’étaient nullement idolâtres
bois
ou
car
pas assez idiots pour adorer un morceau de
de caillou grossièrement taillé par eux-mêmes. Les tii étaient des sym-
boles d’un ancêtre vénéré divinisé dans
système de pensée où la notion de
moyen-oriental devenu occidental.
En vain. L’animateur souriait d’aise en entendant énoncer tour à tour par des
sommités religieuses et universitaire : « Les Tahitiens étaient idolâtres, voleurs,
menteurs, pratiquaient l’infanticide et le sacrifice humain. Grâce aux missionnaires, tout cela prit lin. »
Quand je tentai de nuancer ces affirmations trop lapidaires pour être justes,
le quatrième larron intervint : « Oui ils étaient idolâtres et moi je reprends leur
culte. Je suis idolâtre. »
Pauvres ancêtres ! Leurs descendants n’ont plus besoin d’étrangers pour les
un
divinité différait de celle du monothéisme
insulter, ils se suffisent à eux-mêmes. Pourtant le mot itolo n’est en rien tahitien.
Le mot « Idole » même mal prononcé avec l’accent tahitien, est issu du latin
ecclésiastique et du grec. Si le mot n’existe pas en tahitien, c’est que son concept
n’y existe pas. Et donc l’idolâtrie non plus.
Etrange comme leur réaction ressemblait à celle du ou de la Popaa à qui l’on
rappelle qu’il ou elle parle de ce qu’il ou elle ne connaît pas.
Ces deux groupes en apparence opposés, m’apparaissent comme les deux
laces d’une même médaille forgée par une Histoire où ils se sont construit une
identité sur des discours non questionnés, non vérifiés. Sur des impressions et
des formulations non mises à l’épreuve de la méthode. Quelque part, ils savent
qu’ils débitent des âneries. Mais ils veulent convaincre d’autres, le plus grand
nombre possible d’autres que leurs âneries sont des vérités voire « La Vérité
vraie si je mens je vais en enfer ». Ainsi ils pourront continuer à vivre tant bien
que mal avec cette identité factice qui leur évite de plonger au plus profond
deux-mêmes pour ramener à la lumière le trésor de leur être vrai.
Dommage.
,
mcvheeonzui
étais
tu
i
LittéRama'OHi
« 23
Jimmy (Tl. Ly
Le jour où Ah
Fong était venu chez toi !
En descendant du schooner venant d'Australie
qui l’avait amené à Tahiti,
demandait dans quelle île, dans quel port il était arrivé et surtout
ce
qui l’attendait à destination surtout après ce long et douloureux périple
autour des mers du
Pacifique Sud.
Avec d’autres pauvres hères de son espèce
logés à fond de cale, il se dépêcha
de descendre l’échelle de coupée brinquebalante. Enfin sur la terre ferme.
De prime abord la ville comme le
port avaient un aspect relativement accueillant et verdoyant. Les gens d’ici arboraient un air souriant. Sa famille et ses amis
là bas ne lui avaient pas menti. C’est peut-être ici que se trouve la terre promise.
Sur le quai il avait gardé cet air fatigué de coolie mais étonnamment serein
depuis qu’il avait quitté le port de Hong Kong. Même si le douanier de service
lui avait aboyé dessus. Mais c’était son rôle, et cela ne le troubla pas plus que cela.
L’essentiel est qu’il était arrivé à bon port.
Tout allait donc pouvoir commencer, surtout ses rêves de réussite
pour lesquels il avait quitté le village aux maisons rondes du Fukien. Il se faisait tard et le
Ah Fong se
soleil allait se coucher derrière la silhouette d’une île située de l’autre côté du récif
Il
mêla à la foule des passagers et se glissa dans la file des arrivants
qui
attendaient devant les bureaux d’accueil où étaient assis des
gens en uniforme.
se
Un peu désorienté et intimidé il se tourna alors vers un
compatriote qui apparemfaisait office d’interprète auprès des douaniers et des officiers d’immigration.
Avec des yeux interrogateurs, celui-ci lui demanda le nom de la ville d’où il
ment
venait,
23
Dossier
QUINTU, QUINTU, de la capitale, de la capitale.» qu’il réussit à lui bara-
«
gouiner comme réponse.
Qu’est-ce qu’il dit ? Qu’est-ce qu’il dit ? dit le fonctionnaire. « C’est encore
du chinois je parie. ».
Se grattant la tête avec un air excédé et ennuyé, le douanier
pourtant bien
habitué à ces arrivées dit à l’interprète de service,
Qu’est-ce que je vais bien pouvoir mettre sur la fiche d’arrivée ? Au diable
leur accent ! Il a dit QUINTU. On mettra Tinito sur sa fiche à côté de son
numéro. Celui-là ne fera qu’un de
plus à ajouter à la suite des autres sur le registre.
Les formalités accomplies, Ah
Fong se mit à déambuler sur le quai. Il rencontra un autre
congénère qui lui adressa la parole dans le dialecte Hakka. Il lui
«
«
demanda s’il connaissait quelqu’un dans le pays.
Non, répondit Ah Fong
Mais il lui tendit un parchemin
L’autre défroissa la lettre
la dessus mais si tu
de l’association philanthropique
assez
savants
écrit avec des caractères chinois.
lui dit, «Je ne sais pas lire tout ce qu’il y a d’écrit
suis la rue bordée d’acacias, tu trouveras au bout la maison
et
chinoise. Là tu trouveras des compatriotes
pour te lire la lettre. »
Après moult remerciements et avec son petit baluchon qui contenait tous
maigres effets, Ah Fong s’engagea dans la rue qui menait vers l’intérieur de
la ville tout en regardant à droite à gauche pour voir s’il n’y aurait
pas un véhicule qui pourrait éventuellement le renverser. Mais la rue était très calme et
ses
apparemment sans danger.
Il se
tecture
dirigea d’un pas alerte vers un bâtiment qui avait un semblant d’archichinoise. Montant les marches de l’escalier il
se
retrouva
devant une
espèce de véranda où se trouvait assis un homme au visage chaussé d’épaisses
lunettes noires.
Ah Fong se dit que c’est sûrement le directeur de l’association. Avec réserve il
se
présenta. « Tsao Sing, bonjour, je m’appelle Ah Fong je viens d’arriver par le
bateau, je viens de la part de mon oncle resté en Chine mais il m’a écrit une lettre. »
Le directeur prit la lettre pour la lire et son
visage s’éclaira d’un large sourire.
Ali oui ! Je connais ton oncle qui est déjà venu ici il y a
quelque temps,
mais il est reparti car il est tombé
gravement malade. C’était un homme travailleur sérieux et bon. Comme ses problèmes de santé étaient sérieux et le tracassaient beaucoup, il souhaitait retourner au
pays pour revoir sa famille et ses
enfants. Ainsi il pourra y mourir et être enterré dans sa terre natale comme le
«
veut
la tradition.
»
cvmehneouzi
étais
tu
i
LittéRama'OHi
« 23
Jimmy fTl. Ly
Assieds-toi, assieds toi. Dans
lettre, il ta recommandé auprès des
patrons du magasin Sin Chong et tu pourras aller les voir dès demain matin.
Tu verras s’ils vont pouvoir te trouver un travail.
J’espère que tu vas aimer ce
qu’on va te donner. »
La nuit est tombée, il fait noir » lui dit le professeur, « En attendant demain
tu
pourras te reposer et dormir dans le cagibi de derrière où il y a un lit. Attention ! Ici tout le monde se lève très tôt. Ne sois
pas en retard à ton rendez-vous.»
Ah Fong se rendit dans la chambre. Il rangea sommairement ses affaires et se
mit à faire des projets pour le lendemain et
pourquoi pas le futur. Allongé sur son
lit de fortune Ah Fong réfléchit jusque tard dans la nuit. Il est arrivé sans encombre. « Je devrai rendre grâce à Kanti notre dieu protecteur des voyageurs. »
Avant de fermer les yeux, il eut une pensée pour sa femme et son fils restés
au
village. Il faudra qu’il travaille très dur pour leur envoyer de quoi survivre et
«
cette
«
subsister pendant son
absence.
Je dois réussir coûte que coûte pour éventuellement les faire venir dans
ce
pays où apparemment il n’y a pas d’hiver. »
«
Comme il travaillait comme maraîcher dans les champs du
village, il se
disait que dans cette île il y aurait bien un moyen de louer un terrain avec les
autochtones pour cultiver les légumes et les vendre au bord de la route ou au
marché de la ville qu’il avait entr’aperçu en venant.
Bien sûr il ne le ferait qu’au cas
où le travail proposé au magasin ne lui plairait
pas ou ne lui conviendrait pas. On ne sait jamais. Mais avait-il vraiment le choix ?
Il s’endormit enfin avec la tête pleine d’étoiles car demain il savait que ce sera,
«
Au travail !
N.B.
-
Je suis
»
venu
chez toi !
C'est ainsi que moi Ah Fong, Numéro XXXX,je suis venu chez toi pour changer
vie et faire des projets d'avenir. Je sais que çà va être très difficile voire impossible
rester très
ce pays.
Je
suis alors demandé combien faudra-t-il de
longtemps dans
tout ce que j'ai.
Ici je n'ai
que mon courage
de
de
à deux mains et c'est
privations d'efforts et d'années
je puisse sentir ton chez toi comme mon chez moi. Comment
pourrais-je rêver et penser qu'un jour de ton chez toi je pourrai en faire un mon chez
me
de travail pour que
moi ? Je
ne
saurais te le dire.
Aussi
que
moi
mon
je n'y pense pas trop à ces problèmes car le travail passe avant tout. A moins
l'appel du pays natal, de mon épouse et de mon fils restés là bas dans mon chez
en Chine ne soit encore plus impérieux, plus viscéral, pour me faire rentrer dans
chez moi de manière
irrépressible.
Dossier
Titaua Pau
Auteur de
et de
"Mutismes'; 2003
“Pina” à paraître.
Je n ai plus de complexe
Face à leurs
maladresses, quand tout va bien
A la violence inscrite dans le marbre de leur constitution,
Et face à leurs éternels atermoiements
sur un
quand tout va mal
passé glorifié à coup de documen-
taires colorisés
Je foule, volontiers, leur étendard et leur mission civilisatrice-policée. Je n’ai plus
de
complexe.
Et
je ne ferai plus comme certains. Penser, argumenter,
déduire, prouver,
conclure
L’un ou l’autre, ou tout à la fois...
Que m’importe, aujourd’hui, qu’ils me comprennent ?
Que m’importe de faire montre de bonne volonté ?
Que m’importe l’alambic d’explications fourre-tout ?
Qu’ai-je à faire des myriades de systèmes, de recettes économiques miracles qui
offrent, en apparence, la liberté ?
Qui n’ont d’existence que dans les cerveaux déjà bien rognés de penseurs
vous
«
autochtones
»,
blanchis à la chaux ?
Je n’ai plus de complexe
Et je ne ferai pas comme les autres
A sourire,
A répéter comme un mantra « Au
fond nous sommes frères et sœurs »
LittéRama'OHi
8 23
Titaua Peu
Un frère
ne
viole pas sa sœur.
Une sœur ne se laisse pas piétiner par son frère.
liens malsains et perfides. Pour remplacer la réalité : celle de
Liens incestueux,
l’esclave enchainé
au
maitre
J’entends vos soupirs... et l’amour ?... L’amour plus fort que tout ?
Apparemment, l’amour
N’est jamais allé plus loin qu’une scène de Heiva, une estrade pour miss parfaite
pas-trop- blanche, surtout pas-trop-noire
...
LAmour « altérité
aviez fait
».
Si seulement vous
en
un
modèle-fierté d’un pays
qui se construit,
Vitrine d’un destin réellement
commun
Non ! l’amour altérité s’est paré, une fois
de plus, des atours violents de l’exclusion
Demi, c’est beau, sain, riche.
Kaina », c’est moche, gros et pauvre.
«
Je n’ai plus de complexe. Et j’abhorre vos fausses vérités aux éclats pourris :
au fond, nous sommes tous
citoyens du monde »
Foutez la paix au monde, il souffre assez comme ça
Je n’ai plus de complexe et je refuse la facilité
Celle qui veut que nous convoquions, tous les 31 du mois, la mémoire « officielle » à coup de partages sur réseau social
«
«
Si tu étais venu chez moi
Oui mais voilà, 30 ans
»...
plus tard la chape de plomb m’arrange
Je ne tiens pas à les rendre plus « éclairés »...
et je hurle de rire,
je pleure... Sur les ombres mortes de ceux qui avaient la
...
bonne place, le bon rang
...
Ceux qui avaient la permission de dire.
rais sûrement pas
«
Brillants
Réminiscences d’un monde que je n’au-
aimé non plus
si absents maintenant. « Si tu étais venu chez moi »
orateurs »,
Non de grâce
...
!
Flash back sur un moment d’anthologie
Inséré dans
C’était
une
de
de ces réunions de petits-doigts en l’air, en tenue petit-blanc,
attroupements « d’artistes »-penseurs-malheureux censés
façonner la paix, invités en haut lieux, et à qui le politique avait demandé ce que
un
ces
Polynésien voulait dire »...
les vérités font mal, parce que parler de fondations, de fondements,
est injure et insulte
«
Parce que
27
Dossier
Parce que
les « ayatollahs de la langue ma’ohi » présents avaient préféré prenpour les « citoyens du monde »,
Chrétiens affirmés qui réservent leur amour à lÂutre et détruisent, peu à peu,
dre fait et
cause
la folle étincelle dans l’œil de l’enfant issu de leur propre « nati »...
Par auto-ségrégation, ce jour là,
la crème de la crème
décréta qu’être « polynésien » c’était avoir les « mêmes valeurs ».
Valeurs... Actuelles ? Economiques ? Morales ?
Exit les malaises
qui minent nos quartiers, ville, écoles, ruelles
la mémoire qui remonte, malgré nous, à la surface d’un corps maté...
Motus
sur
Motus
sur ses
troubles qui ont réussi,
malgré tout, à franchir la docile raison
d’un monde civilisé
Tous unis dans
élan de solidarité gestuelle,
gracile, majestueuse
qui danse est forcément heureux
La montagne accoucha ce jour là d’une réclame capillaire et au fond paresseusement lapidaire :... Parce
que nous le valons bien !
Ce jour là, l’assemblée auto-satisfaite venait d’écraser à jamais les dernières
convulsions d’un corps social qui a eu peur, s’est battu et qui s’est soumis...
un
Un peuple
fait, c’est simple : Je n’ai plus de complexe...
pourrait-on en avoir, encore ?
Face à une puissance sur le déclin
Pitoyable pays au président hué, moqué de toutes parts pour le Vaudeville
qu’est sa vie
Qui laisse des « migrants » d’anciennes colonies, crever en plein océan
Qui balance les survivants à ses voisins, comme on balance une patate chaude
Migrants » noirs, pauvres, lie de la société
Qu’on offre en sacrifice sur l’autel de la « concorde » nationale...
oubliant les promesses de la grande Europe
En
comment
«
Plus que jamais, je n’ai plus
Face à un pays
de complexe
qui a fait d’un parti d’extrême droite... un parti « républicain ».
Qui offre aux discours racistes, islamophobes des prime-time insensés
Et qui plie sous ses hoquets tantôt hilares, tantôt scandalisés, face à l’élection
possible d’un président américain raciste
Qui éructe ses bons sentiments oubliant que Marine n’est rien d’autre qu’une
Trump... en jupe...
'
mcvehneouzi
étais
tu
i
LittéRama'oHi
# 23
Titaua Peu
Qui distille
chacun de ses citoyens le poison de la haine « raisonnable »,
rationnelle, institutionnelle, « mal banalisé » qui donna naissance aux camps
en
de la mort...
Non, plus aucun complexe
Face à cette
puissance colonisatrice, éminemment violente et qui, si benoiteautochtones de « son » territoire toute velléité d’in-
ment, interdit aux peuples
dépendance et de liberté
...
Je suis en paix avec moi-même. Etonnamment
Alors non... je n’ai plus de complexe.
29
Goenda
a
Turiano
Reea
-
Dossier
Epa'i ! Tek noa à b Paraita mâ e ’imi nei i te ràve’a Unaha, e mea here
i tepâpa’i, e mea au i te tai’o, e mea ana'anatae ato’a i te hïro’a tumu o te
ferma. ’Atae ho’i ! 'la eaea noa te tab, ’ia oraora noa te tai’o, 'ia maumau
ri'i noa a’e i roto i
te
a'au !Enâ
outou !
Manu
Tei te mau fenua ato a b
manu
tirotiro
ma
Mea
tâponi ’ia haere ana’e mai
Taponi i te mau manu ai moa
Iô râtou i tô râtou
E ’ia tae mai ’o
I te ofaaraa
na
manu
a manu
ofa’ara’a
tirotiro
ma
ai’a mâ
’Oru’oru-roa-hia iho nei
Mai te
manu
’ai moa ra
Iô râtou i tô râtou na ofa’ara’a
Rohirohi mà...
A tau têtoni noa ïa i te taura’a mai
la faaro’o-ana’e-hia atu terà maniamania manumanu
la au iho â ïa ë, tô mua atu te ite
I te mea maita’i a’e nô manu ai’a mâ
E aha ho’i
e
Të ti’aturi
noa ra
I terâ parau
bre ai ?
à
b Paraita mà râtou
o
Tihoni mâ
tà manu tirotiro i të nâ-o-raa ë
Poiri, poiri mà !
:
mcvheeonzui
étais
tu
i
LittéRama'oHi
Goenda
a
« 23
Turiano
Reea
-
Àhani i lii’o ri’i noa mai iâ manu ai’a mâ
E ’ite ïa i te ’ï tupuna
nô teie nei ofaaraa
Auë ! Aua’e ato’a ihoâ !
E’ita
nehenehe e ti’aturi
e
E tae pa’i
Nâ
i te parau é
manu
:
tirotiro mâ
’Ua tupu aë na,
iho
â teie
i hïmene iho
iho
papa
au
â i te utu
’la tâpi’i anae,
’Otebte
noa
tupuna !
’ua riro atu, ’ua riro roa !
Mai ta Angelo
E
rama
e’ita e faaru’e fa’ahou
atu ai i te
maita’i
a
vetahi
Haapa’o pau, ’ia pau maita’i, ’ia pau roa
E pa’i
!
Té vaiiho
noa ra
â
o
Paraita ràtou b Tihoni mâ
iho i te ’ï tupuna !
A tàmau noa be e manu tirotiro
’la
ere
la riro mai be ei manu ’ai moa
E’ita be
e
ha’afifihia i te ofa’ara’a a manu ai’a mâ
Fa’aitoito i te fa’a’ï i te pütê e te hanahana
’Ü’uru roa o manu ai’a mâ
I te
rave
nà
be
e manu
ai
moa
é...
31
Odile Purue
Dossier
Auteure d'écrits mangaréviensfrançais,
Gambier.
«
clic est née à Rikitea, archipel des
J'écris pour laisser des traces, pour témoigner, pour éclai-
Une vision de mon passéfait renaître des souvenirs qui ne se décolorent, ni ne s'effacent jamais. C'est une mémoire de mon enfance
rer,...
demeurée dans le temps. »
Réflexions inspirées du discours d’Henri Hiro
:
Rassemblement pour l’indépendance Hau Ma’ohi
le 23 mai 1982
tout
Si tu étais venu chez moi,
je t’aurais accueilli à bras ouverts et j’aurais
partagé avec toi. Mais tu es venu chez toi et je ne sais comment t ac-
«
cueillir chez toi
Henri Hiro
».
se
tournant vers
l’homme venu d’ailleurs, vers l’étranger, adressa
parole dans sa déclamation au Peuple Ma’ohi lors d’élections à lÂssemblée
Territoriale de la Polynésie Française du 23 mai 1982.
cette
Ce message est un appel à une prise
ma’ohi par rapport à son vécu d’hier.
de conscience du devenir du peuple
Etranger ! - Si tu étais venu chez moi, avec un cœur humble et sincère,
dépourvu de suffisance et d’orgueil.
Si tu t’intégrais et devenais comme moi et non devenais « moi », se
croyant au-dessus de tout, meilleur que les autres.
Si tu m’écoutais et raisonnais mes paroles avec clairvoyance,
t’épargnant
ainsi de mots de
façade » vides et incohérents.
Si tu acceptais et respectais ma façon de vivre sans regarder les conditions
«
-
-
«
-
sociales, matérielles et sans te soucier des conventions extérieures
Si tu avais écouté et honoré
langue maternelle, symbole de mon
appartenance à mon pays sans chercher à interdire sa pratique.
-
ma
moi
vcehneuz
étais
tu
i
LittéRama'OHi
# 23
□ dile Purue
«
-
-
Je t’aurais accueilli à bras ouverts et j aurais tout partagé avec toi » :
T’asseoir à côté de moi et partager mon repas, ma maison.
Suivre mon art de vivre, montrer où et comment pêcher tel poisson dans
tel lieu.
Planter un arbre
-
vers
en
connaissance
du
cycle lunaire, en rivant son regard
le ciel.
rapprocher et apprendre à apprivoiser la nature, écouter les bruits de
Se
-
la mer.
Maîtriser les
-
noms
des vents, leur
direction, apprendre à apprécier leur
force.
-
son
-
de la généalogie polynésienne, de la famille élargie,
originalitéqui protège de l’individualisme et favorise la solidarité.
Parler de ma culture, de ma langue, des légendes, des histoires, vivre mes
Rencontrer et parler
danses.
Apprendre comment parler, savoir employer le bon mot pour apaiser les
sociales exemple : «’Oia ho’i », « Eh ben oui » en français. Ces petits
mots qui veulent simplement dire : « Je veux m’asseoir à côté de toi » apaisent
-
tensions
:
la colère, la violence et ramènent le calme.
«
Mais tu
es venu
chez toi et je ne sais comment t’accueillir chez toi. »
Ta venue chez toi,
légitimant l’occupation de ma terre et imposant ta
moi un sentiment de résignation et d’apathie qui a
engendré un complexe d’infériorité. Ce complexe s’est traduit par le mutisme
-
domination a suscité
et
en
le désarroi tant le mode de vie se trouve bouleversé.
-
De plus
l’attrait de l’argent déversé à l’excès a facilité le départ et l’abandon
de la terre, de la maison, des parents, des traditions pour une vie aux milles
éclats. Ils (le peuple) ont délaissé leur richesse patrimoniale transmise de géné-
génération pour une vie qu’ils croyaient meilleure.
guerrière et détachée d’autrefois, animée de désintérêt, de joie de
vivre s’avère aujourd’hui empoisonnée par l’ambition et le pouvoir, primant
ration
-
en
Lame
alors l’égoïsme et l’individualisme.
dignité, fatalement la haine, l’exclusion
simple,
tournées vers la nature et les traditions qui s’enfuient. Des valeurs axées sur
l’amour inconditionnel du partage et de la simplicité.
L’accueil et l’hospitalité « Haere mai ra, haere mai tama’a » ne résonnent
plus et se sont Enfuis dans l’indifférence.
-
Déracinés et
sociale
-
et
ayant perdus toute
la convoitise s’installent. Des valeurs essentielles d’une vie
Dossier
Cette parole prononcée par Henri Hiro est un message
d’union et de réconma’ohi. Il l’appelle à chérir sa terre, à préserver son histoire
et
l’héritage des ancêtres ma’ohi. Il l’invite à prendre son destin en main. La voix
de sagesse d’Henri Hiro traduisait déjà sa clairvoyance.
ciliation du peuple
Le chemin d’amour et d’affection qui
conduit à endosser, à assumer les responsabilités dans l’indépendance du peuple ma’ohi dans la paix et pour la paix.
Seulement, il faut tant d’années, tant de saisons pour s’en rendre compte,
s’accepter soi-même, se pardonner tout autant que rendre compte, accepter l’autre et lui pardonner (Tahiti Pacifique hebdo, bulletin P.K.O).
mcvheenozui
étais
tu
i
LittéRama'oHi
# 23
Chantal T.
Spitz
Auteur de l'île des rêves écrasés, Hombo
transcription d'une biographie,
pensées insolentes et inutiles, Elles, Terre d’Enfance roman à deux
cartes postales création
encres,
littéraire autochtone.
cannibalisme identitaire
l’autre parti de son Europe natale à la recherche
d’une route alternative pour les
du continent austral à la découverte du bon sauvage s’est
dès l’aube de ses voyages accaparé la parole sur les peuples des contrées lointaines et inconnues immédiatement
rebaptisées de noms humains civilisés
Indes à la poursuite
parole écrite inscrite gravée partagée lue commentée légitimée étudiée
imprimée a servi de socle prétexte alibi excuse justification à tous les aventuriers
cette
baleiniers
neurs
trafiquants évangélisateurs colonisateurs administrateurs gouver-
qui ont sévi sur toutes les mers et tous les océans du globe afin de sou-
mettre tous
nous
les sauvages et éventuellement les humaniser
n’avons pas
autres a
fondé
fait exception et la parole assourdissante de l’autre de tous les
identité nous reléguant dans le silence des sans-parole
notre
sans-pensée sans-raison
histoire ancienne histoire d’un autre temps
du temps colonial nucléaire à jamais
révolu dira-t-on
nous
vivons désormais dans le temps
nous
évoluons dans le temps des échanges internationaux et des réseaux sociaux
nous sommes
temps serein
de la démocratie et de la liberté d’expression
désormais dans le temps postcolonial
de la réconciliation avec nous-mêmes de la reconquête de notre
culture de l’appropriation de la parole notre parole
temps béni des harmonies sociales des métissages identitaires des intégrations
culturelles
35
Dossier
c’est ainsi que nous nous trouvons
confrontés depuis quelques années à des
prétentions asphyxiantes de plus en plus nombreuses d’expatriés français s’autoproclamant Polynésiens
prompts à s’arroger quelques marqueurs identitaires dont ils imaginent que
leur seule exhibition vaut accréditation immédiate intégration instantanée dans
le pays où ils choisissent de s’installer
pourrait penser que ce désir d’intégration s’origine dans l’assimilation forcée
étrangers qui choisissent la France comme terre d’asile de refuge d’avenir
ces
immigrants sommés d’abandonner leur langue leur culture leurs croyances
pour se muer en citoyen de la république tricolore égalitaire
que ces expatriés mués en Polynésiens-issus-de-l’immigration n’auraient de
cesse
d’exiger d’eux-mêmes ce qu’ils exigent des autres
on
des
là-bas chez eux
l’apprentissage et la maîtrise de la langue l’adoption de la culture le respect des
modes de vie et de pensée des gens du pays qui les accueillent
rares ceux
qui parlent la langue de ce pays-hâvre
même après quelques décennies d’omniprésence
réalité
pays où ils s’implantent pour un court temps un long temps une
le nôtre
il est le leur par le miracle la continuité territoriale du sol républicain français
en
ce
vie n’est pas
indivisible
ils
rejoignent leur chez-eux entre-soi
légitime colonie pacifique qui s’est donnée de tout son corps consentant et n’a
de cesse depuis de rendre grâces à sa mère patrie pour ses dispendieuses générosités
dont les habitants
pensent-ils dans leur insondable illusion-évasion leur insolente naïveté-vanité
sont heureux flattés voire reconnaissants de leur occupation leur omniprésence
leur omniscience
ainsi
donc s’installent-ils chez eux entre-soi
pleins de leur envahissant paternalisme exhibé comme un étendard liberté-égalité-fraternitaire qu’ils pavanent comme autorité immuable inébranlable impérissable
pétris de leur impérieuse suffisance brandie comme le linceul bleu-blanc-rouge
dont ils espèrent nous garrotter la pensée la parole l’opinion publiques populaires
mcvheeonzui
étais
tu
i
LittéRama'OHi
Chantal T.
# 23
Spitz
gorgés de romans d’articles de documentaires de photographies de films de
récits de vie de Popa’a en Polynésie comme une parole
d’évangile qui n’en finit
pas
de nous sceller dans une carte postale mythique
que
n’avons-nous pas entendu que ne continuons-nous pas d’entendre dans
notre
pays
chez-eux entre-soi
lors d’un salon du livre il y a
Coeroli-Green un
texte sur
quelques années je présentais en duo avec Annie
le mariage de Loti » dans lequel je disais tout le
«
bien qu’il m’inspirait
que n’avais-je
un
osé
professeur d’histoire expatrié me lançait furieux « dans les mines du nord
de la France les patrons couchaient avec les fillettes
douze ans ! il faut remettre le roman dans son contexte
ah le
contexte
d’ouvriers de
historique ! »
historique-alibi expiatoire
le même qu’un professeur émérite d’une université française m’opposa lors
du
colloque commémorant le centenaire de la mort de Paul Gauguin à l’université
du pacifique où j’avais osé mal parler du grand homme
et toutes les interdictions formelles
vous n’avez
pas le droit de penser ça
vous n’avez
pas le droit de dire ça » éructées avec haine doigt pointé comme
«
une menace
et
la lettre d’insultes
et
attaques personnelles
dont se fendit l’organisateur du
colloque comme pour me
C5
LittéRama'oHi
# 23
rioella Poemate
dans
mon coin, ne
comprenant pas pourquoi je
des jeux d'eau comme les autres.
n’avais pas le droit de profiter
Un
après-midi, où il faisait plus chaud qu’à l’accoutumée et alors que ma
profondément, assommée par la chaleur harassante, je pris la
poudre d’escampette.
Je me tirai en douce, j’essayais de voler par-dessus les gravillons, d’avoir le
pas léger pour ne pas attirer l’attention, quand je fus hors de portée de « danger »,
je dévalai la pente qui allait de la maison à la rivière.
Je filais à toute à l’allure près des haies d’hibiscus, quelques fleurs fanées,
mais encore accrochées à leur tige tombèrent sur mon
passage. J’étais heureux !
Je longeai en silence les maisons endormies qui me séparaient de la rivière,
descendis les marches en terre que les autres avaient fait dans le talus, sautai un
petit trou d’eau et j’arrivai enfin.
Les autres jouaient déjà au loup. Je les voyais sauter dans l’eau, nager, pionger. Ils s’amusaient bien et si cela avait toujours été comme ça, pourquoi je
n’avais pas le droit moi aussi à cette part de bonheur.
Tout content, je sautai dans l’eau et me joignis au groupe. On jouait depuis
quelques minutes déjà lorsque je devins le loup.
Un de mes cousins était remonté à terre, je décidais de le suivre pour le
cuire, il courut de la berge et sauta la tête la première en rigolant de joie. Je fis
de même, persuadé que je pourrais le toucher si je sautais plus loin que lui
mémé dormait
dans l’eau.
Je plongeai sans crainte.
Je ressortis de l’eau, un peu étourdi.
Les cousins me regardèrent et se mirent à me crier dessus.
.Dans mon plongeon, j’étais allé heurter une des énormes pierres qui se trouvaient là.
Mon front
parait d’une plaie béante où le sang se mêlait à l’eau et dégoude mes joues. Je sortis de la rivière en pleurant, ramassai mes
affaires et pris le chemin de la maison.
se
linait le long
Une de
mal de
me
mes
cousines décida de
réconforter tout
au
m’accompagner, elle tenta tant bien que
long du chemin, mais rien n’y fit. Je pleurais
davantage.
Je ne savais pas si c’était la plaie qui me faisait souffrir ou si c’était la peur d’affronter ma grand-mère. Je redoutais le face à face.
J’eus raison d’avoir peur.
Mémé m’attendait de
pied ferme et la trique quelle tenait dans la main ne
à mon égard.
laissait prévoir aucune clémence
Ah mais voilà toi ! J’ai déjà dit quoi
-
!
Elle prononça ces mots d’un ton ferme, avant d’abattre sur mes jambes mai-
grelettes la branche fine mais solide quelle tenait de la main droite. Je pleurais
de plus belle. Elle n’avait aucune pitié pour moi.
Quand elle eut fini, elle daigna enfin regarder ma tête.
Je reniflais et retenais mes larmes, lorsqu’elle commença à me soigner. Elle
me
dit alors
-
:
A la rivière, y a
le Gardien. Toi tu ne peux pas aller te baigner comme ça,
de t’arriver malheur.
Mais pourquoi ? J’ai fait quoi, moi ? lui demandais-je.
Tu n’as rien fait, juste que le Gardien c’est ton Marna. Un jour, alors qu’il
était parti à la rivière au pont, il a disparu. On sait pas s’il s’est noyé parce
qu’on a jamais retrouvé son corps. Les vieux, ils disent qu’il est resté coincé
sous les cailloux et à
chaque fois, qu’on a essayé d’aller voir, on avait l’impression que les cailloux changeaient de place sous l’eau.
Toi, tu es son arrière petit-fils, il va t’arriver malheur, parce que quand tu
vas te
baigner, sans lui dire que c’est toi en jetant dans l’eau un p’tit caillou
blanc, il va croire que tu viens l’embêter et que tu ne respectes pas sa maison. C’est comme si tu allais
jouer sur sa tombe.
Mais par contre, il faut pas que tu oublies, qu’il te protégera toujours.
parce que sinon il risque
-
-
J’ai touché la cicatrice sur mon front.
ce
J’étais un enfant de la rivière et si mes pas m’avaient conduit jusqu’à ce pont
soir, ce n’était pas hasard. Ils m’avaient appelé. Lui. Dieu. Les invisibles.
Je n’étais pas seul dans cette bataille.
Il s’agissait pour moi maintenant de choisir.
UttéRama'OHi
» 23
Catherine C. Laurent
Elle
arrive
Nouvelle-Calédonie
1993, poussée par l'appel du Pacifique. Après des études de littérature à Aix-en-Provence, elle s'installe
à St-Pierre-et-Miquelon où elle a travaillé à la Radio. Actuellement enseignante à Bourail, elle a longtemps travaillé à l’île des Pins et à Nouméa. Elle alterne littérature jeunesse, théâtre, roman et
poésie.
en
en
Le pays
Nuits
de ladi poétique
sommeil loin du pays
des âdi poétiques. Ce que l’échange
apporte aux lieux. Tressage de sens multiples narrateurs de liens si pleins de
valeurs qu’ils en deviennent âdi. Je sais. Cela ne me regarde pas ; on me la déjà
dit. Je ne suis pas du Pays. Je ne fais partie d’aucun clan si ce n’est du mauvais.
Le clan qui a contribué à diluer les clans, à perturber les
généalogies des tribus,
qui a inventé d’autres chefs. Mais je ne peux ignorer que là-bas, des femmes par
le fil et les os de roussettes, par le poil, le cheveu et le coquillage nomment
mieux que ne nomment les mots, le silence des liens qui rendent indissociables
les vies. Tout vient de la liane qui s’enroule et He les poteaux de la case, courant
jusqu’au sommet pour atteindre l’énergie sacrée. Là-haut, la flèche faitière.
Les objets de la vie racontent, au passé, au présent et au futur ce
qui jamais
n’a existé de l’autre côté du monde. Nous avons tout raconté par le verbe écrit,
le croyant plus fort, plus indélébile, plus immuable et nous avons si souvent
menti et trahi. Là-bas, dans le
pays des vallées profondes et des rivières qui
mènent à l’embouchure, on s’identifie à cette place qui est sienne et qui fonde
l’existence, la fonction de chacun, homme, femme. Chacun est la plante qui le
représente qui lui donne force et importance, homme-femme-nature-cocotierigname-taro-cordyline... .tant de places nourricières au sein du clan.
Je ne suis de rien, de nulle part, d’aucun clan et je prends la parole. J’écris. Le
texte poétique est mon âdi
d’échange car elle est mon seul lien symbolique au
Pays qui m’a donné vingt années de douceur et qui a nourri mon fils, faisant
croître en lui ce qu’il a de plus noble et de plus humain. La poésie raconte ce
que j’ai entendu et ce qui a irrigué mon être déraciné tant d’années de ma vie.
sans
91
Des trottoirs de Paris où, telle une cheminante, en silence, je n’entends aucun
bruit de la ville, le souffle des vallées me parle et si ce n’est plus fort, encore. Loin
des préoccupations modernes et mutantes du pays qui m’en ont éloignée, je
n’entends plus que son ancienne musique. Etrange concert en moi.
Ce pays me réveille la nuit
si certains m’ont demandé
et me parle de mission à accomplir. Il me dit que
de me taire car l’autorisation n’avait pas été demandée,
j’ai décidé qu’ils ne savaient rien en fait car seul le souffle poétique qui transite
par mes cheveux, antennes du monde et de moi, m’autorise à parler.
Là-bas, j’avais mission d’éducation et j’essayais d’y mettre autre chose, du
plus humain, du moins blanc, du moins postcolonial. J’avais mission d’amener
les jeunes vers un demain dans un pays bouleversé. J’essayais d’être le lien entre
eux et cette culture
importée qui avait si peu de sens. Cette culture porteuse de
violence en eux. Car ils avaient du mal désormais à entendre les voix des Vieux
dans leur tête.
finalement, tous ces jeunes traînant en bandes et buvant sur
des anciens guerriers des temps d’avant qui se
faisaient la guerre de tribu en tribu ? Etant donné que chacun n’est que l’âme d’un
ancien qui revient, il porte en lui les temps anciens et ses histoires. Celui qui jadis
combattait, guerrier, et tuait ses frères des autres vallées, mangeant la chair de ses
ennemis pour absorber sa force et son pouvoir. Cela avant de se faire la paix par
l’âdi, la parole du lien et le pacte de la vie pour reconstruire la société et rebâtir le
Pays. Peut-être est-ce ce garçon qui rôde la nuit entre alcool et cannabis, ne
sachant plus que faire du guerrier en lui. Peut-être. Qui suis-je pour savoir ?
Le temps tourne en rond dans ce pays alors que les Blancs le veulent rectiligne. On avance et il n’y a que demain qui compte : ce Pays de Demain. Ce desPeut-être que
les trottoirs
tin
ne
commun.
sont-ils que l’âme
Ce beau projet.
Mais pour arranger qui ce destin ? Pour ahmenter le marché de la mondialisation et écouler en paix le nickel vers Chine et Corée ? Pour piller en paix le
lagon, exploiter les terres et engloutir les enfants dans la profondeur abyssale
des tablettes numériques....
Les
petits ont perdu les histoires des soirs de la case. Quand brûlait le feu
répandait la fumée porteuse de songes. Les Vieux n’ont plus donné
la parole. Ils sont restés sans voix et les enfants sans mots.
La parole tente de renaître et je suis bien la dernière autorisée à le dire. Le
pays attend que nous partions, qu’au moins nous nous effacions, que le calme
se fasse au cœur du wifi
pour réentendre la parole, la voix des vieux qui murau
centre et
mure
dans les
cases
vides.
invutetérss
LittéRama'oHi
# 23
Catherine C. Laurent
loin, j’entends le pays comme il y a si longtemps, au bord de la rivière.
monde et ma poésie d’alors le disait. Là, maintenant, je poursuis ma mission. Là-bas pas de place véritable, ici non plus. On ne comprend
pas une si longue absence et le pourquoi finalement d’un retour... c’est ignorer
que je ne suis pas rentrée, je marche sur les trottoirs de la ville et je ne dors pas
la nuit car je suis encore et toujours là-bas. C’est le sort des poètes d’habiter les
De
De là j’entendais le
vents.
Alors je m’installe
dans ma maison intérieure et j’écoute.
cheminaient le long des vallées et qui me parvenaient. Je ne
dors pas la nuit et je les entends. Ces voix qui ne sont pas celles de ma culture.
Mais tant d’années d’amour et de vie fondent une place, cependant. Dans une
Ces voix qui
culture.
J’écris donc le pays.
Les vallées
me
manquent, les rivières, les grands arbres. Mon âdi nouée de
laine très personnelle raconte mon lien au pays, mon histoire tressée de poésie
et d’écoute. Il y a un
temps pour chaque chose, j’écris de loin comme Mariotti
le faisait. Je pense à lui au petit matin. Souvent. Le fil de ma pensée poétique est
le fil de
mon
âdi que j’offre aux enfants,
je raconte leur histoire,
ce
qu’il m’est
permis de savoir.
Et me vient cette évidence
qui semble ne pas avoir de fondement mais qui
qui veulent comprendre, pourrait être le
ferment du Pays de Demain. Les nourrir eux aussi de paroles retrouvées. Sortir
la Coutume du secret car ce XXI siècle est un temps de partage des secrets un
peu partout sur la terre. Ce sont les secrets qui ont induit la méconnaissance et
l’ignorance, les faux-semblants et les clichés. Délivrer la parole à tous aurait du
sens. On
parle de Destin Commun et on ne lui imagine qu’un sens politique.
Pourrions-nous sortir du politique sachant que jamais ça n’a ouvert les bons
chemins. Entrer dans le poétique. Un poétique collectif. Car la parole des
anciens Kanak est éminemment poétique.
Le souffle des vents me dit que le seul partage possible sera le partage culturel. Que les chemins s’inversent et que le monde kanak ouvre sa culture et
ses secrets aux autres ! Le
temps n’est plus à la peur des temps de la colonisation
où il fallait se taire et se préserver pour survivre. Le temps où tous et chacun
avaient cru en mourir. Les popwaalé devraient peut-être
enseigner leur culture
autrement. Il faudrait ouvrir l’école, les lycées aux Vieux. Qu’ils viennent
parler
le temps qu’il en est encore temps avant de partir rejoindre le sommet des
a
du sens : donner à savoir aux Blancs
grands arbres.
93
S’il
est
un
Destin Commun il n’est pas
Kanak sont-ils
politique, il est culturel. Mais les
prêts à offrir aux autres leur profonde culture en dehors des
musées ? Cela ferait du bien à tous. Cela nourrirait leur âme. Et cela ferait taire
ceux
qui ne veulent encore rien entendre.
qui a fondé mon attachement à ce pays et qui m’a donné à considérer
Ce
autrement
mes
élèves
et
l’enseignement, c’est l’enseignement que j’ai reçu très
tôt d’un vieux monsieur extraordinaire. J’ai eu
le bonheur de bénéficier de ce
qu’on appelait alors une formation à l’enseignement interculturel. Mais n’enseigne-t-on pas justement pour apprendre soi-même ?
Et n’écrit-on pas aussi justement pour mieux lire ce que nous souffle le
monde ?
âdi : fil
en sparterie fine, symbole de la personne, de la femme et de
l'alliance entre les clans, traduit habituellement par « monnaie kanak ».
Prénom de femme en langue et pays cî ou paicî.
popwaalé : ceux qui ne savent que dire « allez ! allez !
désigne les Français et, par extension, les Européens.
Texte relu
avec
bienveillance par
Déwé Gorodé.
» en
langue çî,
invtés
Bute rs
LittéRama'OHi
#23
Imasango
Née à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. Poétesse humaniste, agrégée despagnol, son œuvre et son enseignement, concilient les chemins quelle
emprunte : fraternité, pacifisme, partage des cultures, tressage des arts.
Elle considère que le poète est un marcheur, passeur de mots, passeur de
vie: passerelle éthique.
Écrire et vivre sont jumeaux
Mes
origines demeurent
silence enlacés à l’aube
tronc et
robe d’enfant entièrement mouillée
dans la rivière où l’on se baigne
habillée
toute
pour le plaisir de ressentir
le ciel et son baiser
phare que l’on partage
entre âmes réunies sur
où la vie
avec
nous
le chemin
vieillit peu
la sagesse
à peu
des arbres qui poussent
Mon écriture est souffle racine
cœur
en
et
pieds trouvant leur place
la lueur qui les traverse
regards sortis des profondeurs
mains fertiles de coraux-fibres
lampes océanes dans ma tête
réalité des jours que l’on observe
Je n’attends rien de la poésie
de plus que ce qu’elle donne
à ma bouche offrant épaule
rien
95
aux
instants où je vis
lis où je suis
où je
avec vous
et
que palpite la même présence
que celle
de la première tasse
du premier thé
bu à gorgées lentes
le matin
Dans
ce
lieu que traversent les passants
les voyageurs
les diseurs
les frères les étrangers
et toutes mains
délaissant murs
et
tendues
frontières
je me tiens debout avec pudeur
telle
est
ma
face
dévoilant l’essence des choses tues
tissant ma chevelure au temps et à l’écume
reconduits à nos yeux ancrés
Ma bouche de femme
murmure
en
dans le réel
marche
quelques mots
à l’oreille des sans-chemins
recueillis
avec
la soie des évidences
de silences habités
pierres décousues au centre
pour la naissance de rhizomes
de
nos
bras à nos ventres
embrassant
la vérité d’un visage qui pleure
Je suis cet autre qui te ressemble
j’ensemence les aveux que l’on partage
nous sommes
où trouver un
et
l’appel de file
refuge
boire le feu des destinées
pour le respect des voix que l’on entend enfin
invtés
Klute rs
LittéRama'oHi
» 23
Imasango
L’humilité tresse les mémoires
aux
actes
que l’on berce
ici
lieu-temps-instant-demeure
parmi les livres et les gestes
chuchotent les veines des totems
présences que l’on n’oublie jamais
pierres sacrées pierres statuettes
pierres tubercules pierres blanches
sur
la terre
ouverte
où éclosent des jours
vivre
en
écrivant
écrire
en
vivant
la verticalité
Tombe la pluie... et nous
marchons
peaux passerelles pierres d’espérance
nous donnons le
pain des horizons
jusqu’aux détours déposant pauses
changeant les rives des habitudes
en un
voyage sans tabou
où paroles et fièvres éclaboussées
nous
redressent
J’ai 24 heures pour aimer
chaque jour
comment
pourrais-je m’en priver
je dis
je fais
j’écris
la peau des
et
océans
le pays bancal
pour que
en un
surgisse l’avenir
duvet
enraciné
Les
mers
et océans
se
rejoignent où la terre nous unit
Comment dire l’union d’un océan à l’autre, d’une mer à l’autre, d’une terre à l’autre
amour
:
avide du bleu des horizons à conquérir et partager.
Mon île est
trompe-l’œil une aiguille,
flottant sur l’Océan Pacifique.
en
En
s’approchant, on y découvre une terre tubercule,
chair aigre-douce en clair-obscur,
paysage où accoster l’espace émotionnel d’un cheminement.
Voyage au-delà des mers, au-delà du temps, au-delà de soi,
pour tout natifchoisissant l’ouverture.
Terre de mon premier cri au
cri
monde,
de lumière à avaler par les yeux, les pores,
une
la bouche,
façon d’être aux paysages et aux visages rencontrés ou ratés sur les chemins.
L’insularité m’a enfermée et m’a propulsée vers Tailleurs avec la même force,
la même passion, la même soif.
L’implication corps et âme, du sens et des silences fut mes semelles pour toucher la terre, rejoindre son souffle, l’unir au mien, marcher pieds nus.
Avancer vers moi-même en accordant mes pas aux pulsations de la sève minérale
et aux hoquets de l’Histoire.
La vie était partout, et la terre son berceau.
Être née ici impliqua de partir pour découvrir ce qui ailleurs, existait.
Être née ici impliqua distances et décalages horaires, eau coulant à l’envers par
le siphon de la baignoire.
Être née ici impliqua
livres
ou
d’utiliser l’esprit pour voyager durant l’enfance, avec les
la force de l’imaginaire.
Être née ici impliqua l’indispensable connectivité pour comprendre, et en finir
avec l’étroitesse de
l’espace et des états d’esprit.
Être née ici impliqua de découvrir la douleur de l’histoire coloniale,
et
de revendiquer la liberté,
pour tous,
invtés
îSute rs
LittéRama'oHi
«23
Imasango
insulaires
au
départ, puis frères au-delà des mers.
Être née ici impliqua, à l’heure où l’on ne se tait pas,
d’ouvrir les yeux, et de tendre la paix au jour pointant à l’aube,
pour les frontières
s’effaçant peu à peu.
Je ne viens pas d’une lignée de colons propriétaires terriens, travaillant leur terre
avec sur
la
amoureux
en
langue la saveur de la sueur de leur front, une saveur les rendant
de ces sols qu’ils amendent, comme on pénètre une femme,
espérant la rendre fertile.
Ainsi, mon lien à cette terre est ombilical,
un
mélange de racines, de feu, de soie, de sang,
de boutures affectives.
Sa sève coule dans
mes
veines et dans
ma
façon de marcher,
de vivre le temps plus lentement,
de chercher les espaces
solitaires ou grandir avec réserve.
Mon lien à cette terre est un chant
d’oiseau, un galet complice, un plongeon du
plus haut rocher de la rivière, une branche d’arbre où je venais m’asseoir pour
regarder, les autres,
vivre en bas, et
s’agiter comme des fourmis.
Mon lien à cette terre est un silence immense,
pour
face à un paysage où être seule,
entendre le vent et le bruit de ma respiration profonde.
Mon lien à cette terre est une odeur d’écume
sur
l’horizon,
l’iode venue à ma bouche dès la plus tendre
enfance,
salant chaque bouchée et l’encre des mots sur la page.
Mon lien à cette terre est un
coquillage posé sur l’oreille,
quand je suis impuissante face à la barbarie du monde qui pousse ses cris,
et hurle plus fort
qu’une femme accouchant dans la douleur.
Les femmes enfantent sans tapage inutile, le cœur plein.
Mon lien à cette terre est
une
histoire d’amour
avec
l’espace et son souffle
autochtone.
Un va-et-vient de
ses
violences
et
paradoxes coloniaux, à la douceur de vivre,
un
va-et-vient de
sa
le fond des mers
chevelure indomptée,
les âmes pures,
un va-et-vient de la lumière
aiguisée
sous
un
les tropiques
va-et-vient de
à la sagesse des silences nourrissant
et
des matins, aux cieux couverts de boue
égocentrés,
la banalité, à la profondeur des mystères des esprits ancestraux,
va-et-vient des rires de femmes à l’œuvre, à
dans une flaque d’eau,
un
un
va-et-vient de la
ceux
des enfants s’aspergeant
grâce libre, à la lourdeur de l’étouffement,
de ma bouche, à mes mains, quand je la regarde chanter au soleil
sous les cascades
qui m’offrent leur source.
un
va-et-vient
Mon lien à cette terre est un sevrage
Mon lien à Elle, me fit don
qui n’a pas lieu d’être.
du langage :
Je viens à la Terre
comme aux
mamelles tendres
confiante des lendemains
même
chargés de cyclones
En marche je
vers
m’en vais
les monts
qui ne dorment plus
Je chemine avec les mains
je m’engage
tressant
les liens
pour comprendre et agir
Tandis que le banian
allaité aux entrailles du monde
devient passeur de vie
la poésie
dit l’âge d’homme
Suivant leurs pas
je découvre en chemin
le souffle aux yeux ouverts
tissé de
ma
parole donnée
invtés
EJute rs
Littéaama'oHi
#23
Imasango
Mon lien à cette Terre est une histoire de don.
Je lui donne ma voix en lui rendant mes souvenirs vécus,
de branches en branches,
de balades en balades,
de nattes
en
de silences
nattes,
en
silences,
de nages en nages :
un microcosme éclaboussé
aux
quatre vents des joies d’enfance.
Mon lien à cette terre est juste une
C’est face
évidence.
montagnes que la mer me parle,
c’est en marchant que je sens le ciel et les marées montantes,
aux
c’est en plein cœur d’une Place grouillant de
monde, ailleurs sur terre,
que me revient le plaisir du goût des mangues sur la langue,
et celui des nattes accueillant ma solitude.
Mon lien à cette Terre, est
Comme
un
oiseau
celui d’un espace : intérieur.
qui s’envole puis revient se poser,
arbres
la
attiré par le silence des
et par peau
mon ben à cette Terre est un souffle vital,
où océans et terres
se
des feuilles,
rejoignent,
pour une pause, un chemin, une union, une partition,
une histoire d’éclosion
qui n’en finit jamais de prendre corps
de vous à moi.
et âme,
flicolas Hurtovitch
Et si par un matin pluvieux
AJulia
jusqu’aux collines s’allonge l’allée
bordée de lumière des deux côtés
branches feuilles
ton
et
passants se mêlent indissociables
visage s’éloigne ce matin au-dessus de l’océan
I
Et si par un
sortant
matin pluvieux
de sa maison à petits pas
il se disait qu’il était enfin temps
de reprendre stylo ou crayon de papier
et écrire écrire
poèmes ou histoires
qui diraient de son cœur le désarroi
la joie d’être sous la pluie transforme ses larmes
en
sourire heureux à la rencontre d’un autre sourire
LittéRama'oHi
tt 23
flicolas Hurtouitch
II
Deux par deux et sans
efforts les marches de bois
d’un coup il efface l’escalier et plusieurs
en lui raisonnent encore ces voix
pleines
ainsi
étages
de certitudes elles expriment l’arrogance
de certains hommes par trop persuadés
de leur pouvoir ainsi
autoritaires ils assènent
quatre à quatre ordres et vérités surannées
enfin parvenu à destination il a fermé sa porte
III
Quand depuis la rue ce soir-là celui-là
rapporte du dehors sur ses épaules rougies
le sac rempli de terre et de minuscules graviers
il se dit qu’étendre cette terre, là, demain
il vaudra mieux le faire car ce soir
il fait déjà trop
sombre et peut-être
les amis auront-ils l’idée de venir à lui
alors
cette
présence sera plus urgente à étreindre.
IV
Ce même jour
celui de son absence lorsque la pluie
qui fut orage
cette eau en quelques heures le noya presque
annoncée intermittente mais
il se demande si tout cela avait un sens
paroles revanchardes cette évocation
répétée à en devenir sourd des méfaits
d’avant mais qu’aucun d’entre eux n’a subi
comment se disait-il passer outre et garder l’estime
ces
V
Je suis allé pour quelques pas entre arbres et bosquets
à la rencontre de l’ombre des amis abandonnés il y a si longtemps
j’ai croisé et leurs ombres et leurs présences véritables
d’autres lieux en ce parc mêlent le présent au souvenir du passé
depuis ces lieux, assis j’ai regardé le monde des jours communs
des pas dans le jardin avaient marqué l’herbe et les graviers
103
là parce
et
des
qu’un triste et sombre rideau fut enfin ôté d’une fenêtre
des phrases se sont échappés de la montagne et de la rue
mots et
VI
Il
est
ce
temps de sortir au soleil se dit-il
matin
en
entendant les amis regroupés
frapper à sa porte et lancer son nom en plein vent
dehors il abandonnerait tout de ce qu’il espérait
il oublierait tout, des visages et des souvenirs
voilà se dit-il la bonne raison de sortir
il y a du vent il y a du mouvement imprévisible
des gens vont et viennent et ces gens s’interpellent
ainsi
se
dit-il après être mort, je revivrai
VII
C’est une matinée
l’impression que les habitants
de la ville, ont tous ensemble bravé le froid
pour se précipiter dehors et déambuler
il pense que malgré les manteaux et la distance
la serrer contre
son
corps, là, en pleine rue
suffirait pour sentir et entendre son cœur battre
enfin près
du sien même par ce temps glacial
comprendre qu’il existe par-dessus tout un ciel généreux
VIII
Combien de pas
de là à là se demande-t-il
portant son regard de ses pieds jusqu’au pont
jeté par-dessus l’océan engagé entre les terres
combien aussi de pas et s’y rendre
mais ensuite y demeurer peut-être
d’autres voix que ces lamentations
et
entendre
orgueilleuses
substituer aux affirmations péremptoires
le franc langage
des vagues à l’assaut des rochers
IX
C’est une nouvelle nuit il se dit qu’un chaos
nouveau,
inimaginable viendra le surprendre
invutetérss
LittéRama'oHi
» 23
nicolas Hurtouitch
l’absence l’oubli l’inattention le vide
aucune
complet
famée ne s’envolera des toits de paille
qu’il lui soit donné de discerner se dit-il alors
au-travers
un
ou
du vert de ces feuilles
ou
du blanc de fleurs inconnues
peu d’un rayon de lumière
bien la subtile présence de lame remplacera ce chaos
X
Lorsque la longue nuit se sera écoulée
il sortira de la torpeur d’une insomnie
par la fenêtre restée ouverte le vent d’ouest
fouettera son visage et tout sourire
il comprendra que la saison des pluies
n’est pas encore tout à fait terminée
la rue qui mène à la baie sauvage, toute proche
le voit alors
au
matin, marcher à grands pas
XI
Combien lui manque en cet instant
la pluie sur de larges feuilles de bananier
alors
qu’enfermé il écoute de vaines paroles
cheveux
y contempler au murmure de la musique du cœur
la danse improbable des feuilles sans nervures
il irait en se précipitant y noyer ses
haut dans le ciel elles
un
corps fatigué
ont
d’un coup projeté
de tant porter son âme
XII
Les oiseaux par centaines
il les voit
s’envoler depuis les branches invisibles
où donc se dirigent les nuages
les oiseaux l’abandonnent pour les suivre
un court sentier de
pierres noires posées au sol
le suivre
ce
sentier est un périple sans
jusqu’à la passerelle où s’installer et
contempler au loin d’autres présences
fin
105
XIII
Du plancher de la terrasse
assis à même le sol
il embrasse d’un seul regard
les sommets couverts d’arbres et de lianes
vers
au
où s’élancent amis et inconnus en une
foule mêlés
bout de son allée le portail reste ouvert
pour l’atteindre il faut passer près des fougères
alors il se tient debout et les voit s’éloigner
comment
les accompagner sinon en préservant leur dernier sourire
XIV
Entre arbres et rochers lointains une fumée subtile passe le portail
brume et humidité s’entendent à porter l’ombre de la pluie
vagues donnent du cœur une barque blanche et bleue
glisse de rochers en étendues de sable jusqu’aux fenêtres du ciel
ici les
ces
lumières
encore
bien que j’aille de-ci
certain
un
éclairent ma nuit
de-là sans savoir
qu’un soir ou une nuit
écho oui un écho, à la porte caressée
LittéRama'oHi
n 23
flicolas Hurtouitch
La vie
La vie
en ce
monde
n est
en ce
monde
pas si importante
n’y trouve pas autant de valeur qu’espéré
montagnes et rivières sont bien présentes
mais elles demeurent trop souvent silencieuses
on scrute le lointain où
auparavant tant de sentiers
croisaient le regard proposaient tant d’échappées
là en mêmes lieux par ces temps-ci l’agitation est extrême
mais rien ou si peu parle à notre cœur
on
Les arbres sont si grands
la porte franchie
aujourd’hui
des pas rapides révèlent un cœur vide
ces oiseaux
par bonheur peuplent ma vie
la buée sur les vitres si je l’efface où seras-tu
les oiseaux habitent les arbres
maintenant
dans la ville les bruits familiers sont là
le souvenir des cascades
mes
et
de l’eau
pieds comme mes yeux se mouillent
Que faire des feuilles jaunes et froissées
posées bien à plat sur une eau au repos
le vent les a abandonnées je vais me baisser
tacher de les récupérer sans trop me mouiller
l’étage surmonte l’auberge de montagne
les lampes s’y éteignent peu à peu
je suis malgré le silence encore éveillé par la fenêtre
contempler cette nouvelle nuit m’enchante
toutes
Me voici
montagne une fois encore
quelques canards pataugent entre les joncs
de ce lac proviennent les pluies
la nuit va venir j’irai à la véranda
fumées
en
et
éclats de voix
s’échappent de l’auberge en contrebas
à quelques pas des sommets demeurent des traces de neige
plus tard je sais que la pluie sur le toit me réveillera
107
montagne est difficile les versants sont vides
ne
m’inspire à la terrasse aucun ami
les coupes sont vides les sommets sont invisibles
mais par-delà cette désolation quelques nuages sont là
Etre
en
nul chemin
si rabougri un visage pris par le miroir m’entraîne
les collines un sourire surgi de ma mémoire
bientôt une pluie nouvelle mouillera les sentiers
et mon ami surgira en souriant
mon
corps
l’eau les
murs
Tant de journées
sont maintenant passées
je ne garde uniquement en mémoire, malgré moi,
celles qui m’ont donné tant de joie et tant de paix
quelles m’ont semblé durer bien après le dernier baiser
sous les
grand arbres aux multiples racines
aux
feuillages si beaux si verts et si touffus
par centaines des branches se proposaient disponibles
on
y accrochait des lampes de papier multicolore
Et là alors que la
nuit doucement s’annonce
j’aimerais m’installer sur une natte de roseaux
ne
rien
faire sinon écouter les amis musiciens
exprimer l’amour et l’amitié que la vie refuse
les fleurs, des roses s’épanouissent dans l’allée
elles dureront quelques courtes journées
illuminant par-delà l’allée toute la maison
vivre
près d’elles donne parfois espoir et confiance
Le froid de
ce
matin je
l’ai souvent ressenti
il vient des espaces lointains par ces petits interstices
glisse au sol se redresse là, juste devant moi
il recouvre mon visage, retourne aux montagnes ou à l’océan.
les jours puis les moments tristes comme graviers
se
au
ce
succèdent sans qu’il soit possible d’agir
matin la vive lumière éveille le corps et lame
que nous ferons
de notre énergie l avons-nous décidé vraiment
'0»
LittéRama'oHi
# 23
flicolas Hurtouitch
Où irons-nous
Où irons-nous
ces
jours prochains / alors que le ciel contient lecho sombre
d’actes de barbarie / dans le ciel
splendide dit-on / le monde est beau et sou-
généreux / dans le ciel splendide / ainsi le monde demeurera / si nous
gardons attentifs nos sens et notre esprit / si de là où chacun se tient chacun
vent
tient
en
Où
toute occasion
/ le regard élevé.
irais-je ces jours prochains / dans le ciel splendide / là où se dessine ton
visage / dans le ciel splendide sur lequel mes doigts se posent / dessine mes
lèvres jusqu’à
dire mon amour / dans le ciel splendide.
Où irons-nous
nous
connaît
ces
jours prochains / quelque part loin de tout où rien ne
/ sinon le silence en nos cœurs / où irons-nous ces jours étranges /
posé dans l’air / longues nuits et jours à vivre / au milieu du monde
/ la ville n’a plus le même espoir / l’océan, de la terrasse sous l’orage /
ton visage
incertain
passe très loin sans un souffle
/ sur ma peau restent tes yeux et ta voix / quelle
image d’amour est encore là / avec l’immense silence des montagnes / qui
envahit l’âme et le cœur / de ceux qui restent sans abri / laissons le rêve et le
temps ensemble / s’étendre sur l’horizon des prochaines joies / quand il y aura
cette rencontre au matin / ta présence à peine
posée sur l’air
Où irons-nous
jours prochains / entendre tristesses et lamentations /
splendide dit-on / là où séjournent joie et espérance / dans le ciel
splendide / abandonnées / couvert aujourd’hui de suie et de sang / où ironsces
dans le ciel
sinon / en nos cœurs tremblants incertains d’êtres au monde / nos pas
dans le ciel chancelant / dans le ciel sombre et lent / nos doigts sur cordes bri-
nous
sées
/ nos mains sur peaux distendues / nos voix sans voix / et nos pas comme
danseuse
en
déséquilibre / où irons-nous où irons-nous / et avec quelle foi y
demeurer / sinon au cœur du désir.
109
Jean-floël Chrisment
Chirurgien à l'hôpital des îles-Sous-Le-Vent, il a publié Extrémités et
Pollen aux éditions Gallimard.
La part mince des choses
leur grande face
C’est à l’écho des chants
Mais
brisés
lisse que les paupières
qu’ils appartiennent,
sur
les bateaux vont et viennent,
soulèvent, la lumière
c’est aux replis
n’est qu’une ombre qui passe.
Les femmes
et
du sang.
qu’on délaisse,
dont s’embuent les yeux,
soignent de grands cheveux
leur tombant
sur
Elles-mêmes
ne
les fesses.
sont
Et même le vent frais
confine à l’amertume
tant
ce
quelles y hument
appartient au passé.
Si
loin, dans la sueur
qui leur advient,
dépit, sur leurs seins
empaumés de frissons.
virile de
Le vent vérifie qu elles
Et tandis que
pas ce
ce
ne
coïncident pas
avec
leur désarroi.
■
Qu elles y sont rebelles.
l’orgueil,
les hommes font le deuil
de
ces
frêles odeurs.
l’amour
tombe dans le saccage,
ils réapprennent l’âge
exact de leurs contours.
invtés
Buteurs
LittéRama'oHi
# 23
Jean-floël Chrisment
Ils semblent
delà
Vos nuques
Toucher, sentir, n’irrigue
plus le bout de leurs doigts.
formidables
le chagrin.
Laissez vos corps distincts
du poids qui vous accable.
Quittant l’ombre, les palmes,
La minceur de la peau,
au
de leur propre fatigue.
ils vont
et viennent sur
tiendront
sous
qui la rend si profonde,
l’océan, et l’air pur
les absorbe, les calme.
sur
Ce dont ils
Vous n’êtes pas
souffert,
sur
l’épaisseur du monde,
le chagrin, prévaut.
râpeuse de la mer.
le rêche
dépit qui vous déchire.
Ni ces phrases qu’à dire
on
élargit la brèche.
La nuit,
Et par les
ont
ils l’envoient par le fond,
le jettent dans
Faction
lorsque leurs yeux
déchirures,
libres parfums,
d’avoir veillé s’embuent,
de plus
lorsqu’à peine leur vue
des sternes, des fous bruns,
traverse
leurs cheveux
allègent votre allure.
jusqu’au flou d’une forme
Restez nets, bien à part
l’envers d’une idée,
c’est le menton calé
sur le torse
qu’ils dorment,
de
et
qui vous affecte.
Cela glisse, n’humecte
ce
que la joue,
le regard.
la nuque offerte au vent.
Et le vent, le sel, l’iode
à leur insu érodent
Vos
leur nez par en
dans vos visages
dedans.
Hommes, femmes, vous n’êtes
pas ce
qui vous arrive,
pas le chagrin que rive
l’existence à vos têtes.
pommettes parfois
semblent d’autres genoux,
mais vous restez debout
droits.
Ill
Catherine C. Laurent
Elle arrive en Nouvelle-Calédonie
en 1993,
poussée par l'appel du Pacifique. Après des études de littérature à Aix-en-Provence, elle s'installe
à St-Pierre-et-Miquelon où elle a travaillé à la Radio. Actuellement enseignante à Bourail, elle a longtemps travaillé à l’île des Pins et à Nouméa. Elle alterne littérature jeunesse, théâtre, roman et poésie.
La Dernière histoire du Vieux
Prologue
Il existe, très loin
dans le Pacifique, entre Australie, Nouvelle-Zélande, Vanuatu et
Fidji, un petit paysfrancophone au passé compliqué où ilfait encore bon vivre. Une
partie de la population réside dans la capitale, Nouméa, une ville industrieuse où règne
l’argent et la vie à l’européenne. Lautre partie de la population vit en « brousse », c’està-dire partout ailleurs, dans la campagne, dans les îles, en tribu. C’est le monde kanak,
emprunt de traditions et de Coutume. La nature y est omniprésente. Notre Vieux vit
là, dans la paix d’un monde déplus en plus envahi par la modernité. Malgré toutes les
pressions actuelles, la culture kanak est bien vivante car enracinée dans un mode de vie
millénaire. Cependant, en ville, la jeunesse est en souffrance, tiraillée entre tout ce qu’offrent l’Occident et ce qui est propre à la culture kanak : un besoin fondamental d’appartenir à un clan, à un peuple et à la Coutume. Les enfants de notre histoire sont des
enfants du 21° siècle. Comme partout ailleurs, l’enfant est un individu qui exprime son
histoire et sa propre vie. Il y a autant d’histoires en Nouvelle-Calédonie que d’enfants.
Il y a autant d’histoires que d’ethnies. Le Vieux de l’histoire (en Calédonie on appelle
un vieil homme, un
grand-père, un « Vieux », et c’est une marque de respect) est par
contre
un
Le
archétype de l’ancêtre.
temps est venu de quitter la vallée
Un beau matin,
juste après le réveil du premier oiseau de Calédonie, celui
qui faisait chanter l’aube chaque jour, le Vieux prit son sac et le mit sur son dos.
Il prit aussi son bâton et la direction de la ville, la grande ville, là-bas dans le sud,
Nouméa.
LittéRama'oHi
« 23
Catherine C. Laurent
Il avait décidé qu’il était temps pour lui de descendre vers la ville des Blancs,
de récupérer un peu de lame de ses petits-enfants, et de leur enseigner encore
quelque chose avant de partir. Il lui faudrait bientôt, il le sentait, s’envoler vers le
des grands arbres et laisser ainsi son âme rejoindre le pays des ancêtres
à l’embouchure de la rivière. Il sentait
qu’il avait des choses à raconter à ces petits.
Le pays avec changé, il était temps d’oublier ce qu’il voyait autour de lui et
qui ne
correspondait plus à grand-chose par rapport au temps d’avant. Dans son cœur
dormait le désir de revoir ses petits-enfants qui auraient dû grandir autour de lui.
Ces petits à qui il aurait dû apprendre chaque jour à nommer les arbres, les
tubercules, et à qui il aurait dû pouvoir transmettre, si le temps avait encore été
à la transmission, toutes ces connaissances
indispensables à un bel avenir.
Souvent, il se demandait si tout ce temps consacré aux leçons des Blancs
dans les écoles, dans les collèges, dans les lycées était ce dont avaient besoin les
enfants du Pays. On les formait pour quel avenir ? Dans quel monde allaientils vivre ? S’ils perdaient tout ce qu’avaient su les Anciens, la sagesse du pays des
rivières et des vallées profondes, s’ils ne savaient pas d’où ils venaient, comment
sauraient-ils où aller dans leur vie d’adultes ? Des citoyens à cheval sur deux
mondes alors que lui faisait juste partie de l’ancien, celui de la vie des tribus, loin
dans le Nord, là où l’on prenait encore le temps de marcher, de parcourir la
forêt, là où la pêche et la chasse tenaient lieu de supermarché...
sommet
Alors, au moment de l’endormissement, la veille, il avait entendu une voix
lui dire ce qu’il avait à faire pour avoir moins de regrets et moins se tourmenter :
il devait partir. Il était déjà allé, il y avait très longtemps, dans cette ville. Il n’avait
pas aimé ce qu’il y avait trouvé. Il n’avait pas aimé la poussière sur les trottoirs
de la Vallée-du-Tir, il n’avait pas aimé ces hommes fatigués assis par terre buvant
de la bière devant les magasins.
Ni ces enfants loin des forêts, vivant dans ces
vilaines maisons en béton. Il pensait à tout ce temps perdu... Ne sauraient-ils
donc jamais faire pousser les plantes dans les sous-bois ? C’est pourquoi il avait
décidé d’affronter ce monde qui lui semblait hostile,
pour faire son travail de grand-père, de Vieux.
Il ignorait si son cœur était assez fort pour un
hostile à sa propre culture,
si long voyage, mais il faisait
de bambou gravé lui serait bien utile ! Les
grosses voitures, ce n’était pas pour lui. Les Vieux marchaient encore à travers
le Pays, mais de moins en moins. Il y avait aussi encore des femmes cheminant
sur les routes secrètes dans le
pays intérieur, suivant les vents.
Il allait quitter sa vallée magique dAmoa.il imaginait qu’il n’arriverait certainement pas à remonter... en tout cas
pas sur ses jambes !
confiance à ses jambes. Et son bâton
113
Des petits-enfants
si lointains
Il voyait de plus en plus rarement ses petits-enfants : aux grandes occasions,
les deuils, les mariages, quelques cérémonies coutumières qui faisaient remonter
dans le Nord, dans les tribus, toutes ces familles parties travailler et vivre dans
les lumières de la ville. Ils montaient dans leurs pick-up, y mettaient tous leurs
enfants
allure, trop vive allure, venaient vers les terres de leurs ancêtres
pour quelques jours. Parfois, pour tout un mois de vacances, selon les familles,
au
plus fort des chaleurs de l’été austral. Alors là oui, ils se retrouvaient tous,
toutes
générations confondues. Alors là, il était pleinement le Vieux, et sa joie
était intense. Il reprenait sa place et son statut. Car, à quoi sert un Vieux, si ce n’est
à raconter, le soir, dans la case, autour du feu, les histoires des Anciens ? Transmettre ainsi les voix du Pays à ces enfants déracinés sur leur propre terre ?
Oui, il connaissait les raisons de leur absence : le travail, l’argent, les études,
l’avenir des petits. Mais qu’était cet avenir s’ils perdaient les histoires ? Si mourait
la mémoire ? Et un avenir sans mémoire était inenvisageable pour lui. De tout
temps, les Anciens avaient transmis aux enfants et les enfants grandissaient nourde
et à vive
histoires. C’était pour ça que la
Coutume demeurait le pilier de la vie
qui habitait l’esprit
de ses petits ne serait pas assez forte face à ce qui attendait le pays, cette grande
ouverture au monde, ce que parfois il entendait appeler dans son poste de radio :
la mondialisation ! Lui, il avait toujours eu le monde en lui, son cœur était
comme une
grande case accueillante où chacun pouvait venir s’asseoir. C’était
cela pour lui la mondialisation : être ouvert à tout et à tous mais demeurer au
centre de son être. C’était possible car sa vie était calme et régulière et qu’il ne
subissait nul stress. C’était aussi possible car il avait été nourri par les histones des
Vieux quand il était petit. Même si la situation avait été bien plus dure, la colonisation ayant rongé de toutes parts sa culture et les terres, tous se parlaient encore
à l’abri des regards. Le soir restait le soir et la télévision n’avait pas capturé les
esprits. Les femmes ne passaient pas leur temps devant les stupides séries télévisées et jouaient moins au bingo. Les petits étaient accompagnés comme il se
devait et ils poussaient comme pousse l’igname, avec savoir et sagesse.
C’est pourquoi, après avoir longtemps réfléchi, sentant sa fin approcher, ne
voulant pas attendre plus longtemps une hypothétique visite des enfants dans
la case, il avait pris la résolution d’aller vers eux pour leur raconter une dernière,
une ultime histoire. Il savait bien
qu’il ne pourrait pas les réunir dans une grande
ris
et
ces
de l’identité. Mais
cette version
édulcorée de la Coutume
serait certainement sur un bout de pelouse sèche ou dans un
appartement sans chaleur et sans esprit. Et pour y aller, il ne voulait ni voiture,
case,
que ce
invutteérss
LittéRama'oHi
m 23
Catherine C. Laurent
ni
bus. Il lui aurait suffi de profiter de la descente
aller plus vite. Mais
avaient cheminé
d’un cousin, d’un neveu pour
il désirait aller vers eux à pieds, comme toujours les Kanak
sur
les sentiers de l’île au fil des siècles. Il savait que son cœur
s’emplirait de force en imprégnant ses yeux du spectacle de son pays magnifique, que longer océan et rivières lui apporterait la force de pénétrer la ville
grossière pleine de fumées d’usine et de bruits de voitures.
Une mission comme
une
liane
Il ignorait encore quelle histoire il allait conter à ses petits. Il allait confier
aux arbres et aux
fougères arborescentes, aux fleurs et aux papillons le soin de
nourrir
son
inspiration.
Il s’en remettait totalement aux éléments pour trouver l’histoire la plus juste
qui toucherait l’esprit de ces petits de la ville, afin qu’ils n’oublient jamais leurs
un
jour, après sa mort, habiter la tribu et raconter dans la
grande case, à nouveau cette histoire à leurs propres petits-enfants.
Cependant ce n’était pas facile. Les temps avaient changé. Les jeunes étaient
désormais occupés à regarder la télévision et toutes ces séries modernes étrangères, brésiliennes ou autres... ils jouaient à des jeux vidéos brutaux et sans
poésie. Il ignorait comment il allait faire, une fois là-bas, pour les convaincre de
s’asseoir autour de lui et ne plus faire toutes ces bêtises qu’il lisait dans les Nouvelles chaque matin. Ils finissaient tous à « file de l’oubli ».Et même si cette prison était
joliment posée en bord d’océan, c’était une prison sale et surpeuplée
et sa culture ne méritait pas d’y perdre ceux qui auraient été utiles à ce Pays de
racines et reviennent
Demain.
pouvait se résoudre à croire que le cœur de ces enfants se soit
de beauté, d’amour et de tendresse. Il ne pouvait mourir sans avoir
tenté de faire quelque chose même si l’espoir était mince...
Il prit la route et écouta monter en lui l’inspiration. Il écouta le chant de tous
les Anciens qui l’accompagnaient sur son chemin. Dans le murmure du vent il
Le Vieux ne
vidé à jamais
entendit leurs chuchotements, les cris des oiseaux le ramenant de temps en
temps aux jours de son
autour
enfance où lui-même écoutait les histoires des Vieux
du feu dans la grande case.
Il voyait sa mission comme une liane,
celle qui unit tous les bois de la grande
du sens à l’histoire des clans et qui parle du fait que l’on
existe uniquement par rapport à ce qui nous unit aux autres. Un Kanak est un
être qui a une mission dans la communauté, il sait ce qu’il a à faire pour les
autres. Et lui, si seul là-haut, avait perdu le fil de cette mission. Il se devait de
case,
celle qui donne
115
elle, relier les choses entre elles, retisser le lien avec ses petits perhier et demain dans un aujourd’hui étrange et contradictoire.
renouer avec
dus
entre
Le vrombissement et la vitesse ahurissante des énormes voitures
qui le frô-
laient sur la route bitumée le ramenaient de temps en temps à l’évidente modernité de cette mission. Il essayait de ne pas trop se sentir perturbé par tout cela.
Sur la route,
le Vieux s’arrête dans les tribus du bord de mer. La route est
longue. Les femmes lui offrent l’hospitalité, un café, une brioche. Alors il s’assied,
il raconte le pourquoi du voyage, elles hochent la tête et s’inclinent devant son
projet. Elles émettent un son long qui vient de leur gorge mais aussi du fond de
leur ventre. Elles savent de quoi il parle. Elles en ont bien des soucis aussi avec
leur famille ! C’est devenu si difficile de garder les enfants à la tribu, de leur assurer un avenir. Ils
partent à Nouméa et quand ils reviennent, ils ne sont plus tout
à fait les mêmes... certains sont même très abîmés dans leur être.
Seuls, ceux ou
celles qui arrivent à avoir un diplôme qui corresponde aux besoins locaux, se
sentent
bien et utiles. Les
autres
pensent avoir perdu leur temps et leur culture
pour rien. Et il y a tous ceux qui échouent et qui tournent mal...
Aux heures chaudes, il s’allonge à l’ombre des arbres. Elles lui
prêtent une
apaisé par leur soutien, il somnole en se demandant quelle histoire sortie de quelle mémoire il va pouvoir raconter à ses petits pour être entendu. Une
histoire qui parle de passé et d’avenir. Une histoire épique pour marquer leur
esprit. Bien sûr, s’il reste assez longtemps auprès d’eux, il en racontera plein d’autrès ! Il parlera de la mémoire des clans, de l’histoire du
peuple, il parlera un peu
de lui, de sa vie qui a été riche et qui s’en va... il sait bien que son esprit reviendra se loger dans le corps d’un autre enfant, plus tard, mais c’est ce sentiment
d’urgence qui l’assaille : donner les mots essentiels, ceux qui n’ont pas été assez
prononcés, les offrir comme bouclier contre ce qui vient et comme structure
pour tous les discours à venir.
natte
et,
Il essaiera de leur donner toute
son
attention et
son
affection. Il tentera de
comprendre pourquoi ce jeune garçon, son petit-fils, va si mal et ce qu’il est
possible de faire pour lui. Bref il ne sait pas du tout comment cela va se passer !
Il n’a prévenu personne de son arrivée car il ne sait combien de temps il va mettre pour descendre. Et
puis, il ne veut inquiéter personne, il ne veut pas déranger
surtout
:
ils
ont
des horaires de travail, d’école.
C0
-a
4->
1
U
Une sieste à l’ombre du cocotier
Il
défait son turban,
posé son bambou, il s’est endormi sur le côté. L’alizé
souffle gentiment, il fait bon. Les palmes des cocotiers s’agitent avec mollesse.
a
3
a>
LittéRama'oHi
» 23
Catherine C. Laurent
De là où il est, ainsi allongé sur le côté gauche, il voit enfin l’océan, avant de sombrer dans le sommeil : ces bleus différents plus le récif approche et encore dif-
férents
après le récif II se revoit enfant sur la pirogue de son oncle. C’est une
image qui s’impose à son esprit de plus en plus souvent : ce temps passé avec
cet oncle maternel. C’est si vieux et
cependant, plus il devient vieux, plus cette
image est fraîche ! Il ne possède pas de photos de ce temps d’avant. Il n’en a pas
besoin. Tout est en lui très vivant et même avec une netteté qui lui fait parfois
croire que cet espace-temps n’est pas là où on le croit, loin en arrière. Non, ces
souvenirs brillent
en
lui comme brillent les étoiles dans le ciel. On les dit mortes
depuis longtemps et cependant elles sont présentes et scintillent avec force.
ont même aidé les
grands navigateurs à trouver leur chemin bien avant
toutes les
technologies modernes. Il faudra qu’il pense à dire cela aussi aux
petits ! Les anciens Polynésiens pratiquaient la navigation aux étoiles et jamais
ils ne se perdaient. Ils arrivaient à aller très loin et à rallier Raiatea, le cœur de
leur mana, malgré vents et tempêtes. Les étoiles comme guides. Donc vivantes
et brillantes dans le
présent et apportant leur somme d’indications et de
connaissances. C’était comme ses souvenirs, ces
images qui brillaient de plus
en
plus nettement en lui. Il comprenait bien qu elles étaient porteuses aussi de
connaissances et que c’était cela qu’il se devait de transmettre.
Il n’avait donc pas cessé d’être ce petit garçon émerveillé par les enseignements de son oncle !
Malgré les charges coutumières, l’âge et les épreuves, non,
il sait qu’il est demeuré le petit Kanak avide d’aventures sur le lagon et le
long
Elles
des rivières. Avide d’histoires le soir dans la case autour du feu central, dans
l’odeur si particulière de ce lieu végétal, circulaire comme la parole, plein
comme le monde, au toit élevé comme la
pensée de son peuple. Même si le
choc des cultures
a
entamé cette élévation et même si de nombreuses choses
disloquées, la profonde tradition demeure dans son cœur et dans l’esIl le sait. Il le sent. C’est ce qui est contenu dans la terre qui
compte, dans les racines. C’est ce qui court dans la forêt et dans les montagnes.
Ce n’est pas ce qui pousse dans la ville vers laquelle il dirige ses pas.
Plus il vieillit, plus la légèreté de l’enfance remonte en lui, de la plante de ses
pieds en passant par le cœur. Sa tête a maintenant un objectiflimpide et il
compte bien sur ses jambes pour parvenir à ce but.
Il dort donc sous ce cocotier qui l’abrite des ardeurs du soleil. Il a
cependant
passé un bras sur son visage. Il rêve. Il voit le visage de ce garçon qu’il va rencontrer dans son
quartier poussiéreux. Il ne la pas vu depuis plusieurs étés. On
lui a parlé de lui cependant. C’est celui qui va mal, celui qui rejette le monde des
se
sont
sence
du pays.
117
Blancs, celui qui a de la haine en lui et qui prend prétexte de son histoire pour
tout contester. Il a déjà été arrêté par la police. Il fait partie d’une bande qui s’intraduit la nuit dans les maisons, vole les clefs des voitures à la barbe des gens
endormis et, pieds nus comme en brousse, se sauve par les fenêtres entrouvertes ! Un artiste de la fauche. Et comme il est trop jeune pour aller en prison,
il est relâché avec tous ses copains ! Une vraie désolation. Il s’appelle Heaume,
un nom
plein de sens et qui aurait dû être porteur de promesses. « Guerrier
vainqueur », voilà le sens de son nom. Mais le sait-il vraiment ? Comment vat-il réussir à lui parler ? Tout n’est peut-être pas perdu ? Il l’imagine plein de rancœur, de colère et déjà bien abîmé par le cannabis et autres chemins de
l’oubli... Ils vont donc mal ces enfants, nos enfants, de plus en plus mal malgré
tout ce qui semble fait pour eux dans la ville, l’éducation et le reste... de l’illusion, leur être est malade...
Mais lui, dans son corps de vieillard au cœur encore si jeune, il est soudain
plein d’espoir en se réveillant de sa sieste. Il a rêvé de Hnaumo, c’est donc qu’il
peut entrer en contact avec lui ! Ce garçon est le garçon qu’il a été et il n’y a
aucune raison
pour qu’il ne puisse toucher son cœur et le ramener à une vie
plus normale.
Sur la route
Une vieille femme est assise non loin de lui alors
et
qu’il ouvre les yeux. Elle rit
lui demande si son sommeil a été tranquille. Elle a apporté une papaye coupée
en
morceaux, une
papaye rose
citronnée délicieuse. C’est un réel bonheur de
partager ainsi ce fruit avant de reprendre la marche. Il est reposé, le sucre a irrigué
ses
veines et il est heureux de
son
rêve. La dame lui a préparé un sac avec un peu
de nourriture, il est beaucoup plus âgée quelle, c’est son rôle de le nourrir après
lui avoir offert l’hospitalité de son jardin. Il est comme un oncle. Elle le regarde
partir et lui souhaite une bonne route et de belles retrouvailles à Nouméa.
De tout petits enfants rieurs le saluent à la sortie de la tribu, ils courent
autour de lui avec joie pendant quelques mètres. Tout cela le rempli de bienêtre et le réconforte dans sa démarche. Il a bien fait de partir.
L’océan à sa gauche est son compagnon de route. Après Houaïlou, il lui faut
couper la Grande Terre et prendre le col des Roussettes. Ca monte. Il lui faut
faire plus attention aux voitures qui roulent trop vite et risquent de le renverser.
Quand il le peut, il s’éloigne de la route bitumée. Et les kilomètres effectués avec
régularité lui prouvent qu’il est bien en vie et qu’il peut encore faire beaucoup.
Tout le nourrit et lui donne de la force. Les senteurs, les couleurs, les nuances
inTvutetérss
LittéRama'oHi
# 23
Catherine C. Laurent
de verts
qui constituent le paysage. Parfois, quelqu’un s’arrête pour lui offrir de
Il dit merci et décline l’offre sachant que c’est certainement la dernière
fois qu’il fait ce chemin à pieds.
Quelqu’un s’arrête soudain plus longuement, c’est un cousin éloigné, le pays
n’est pas si grand ! Ils boivent ensemble une bière glacée sur le bord de la route.
Celui-ci lui dit que les abords de Nouméa ont beaucoup
changé ces dernières
monter.
années et lui conseille donc de
faire du pouce, de monter dans une voiture pour
éviter la Voie rapide. Ainsi il pourrait se faire
déposer dans le quartier où il doit
aller. Le mieux serait même vers Tontoutâ, avant le gros de la circulation. Il va
déjà être assez fatigué. Il écoute le conseil même si c’est lui lAncien. U en tiendra
compte, il promet.
Il reprend la route tranquillement, rêveur et attentif cependant. Plein d’idées
courent dans son
esprit, le passé, et puis, la beauté du chemin qui le tient en
éveil. Enfin, les visages de ses petits et cette envie qui
grandit de plus en plus de
vite
les
serrer
contre
Ce
lui.
qu’il comprend en chemin, au fil des jours, c’est qu’il lui faudra éveiller
l’esprit métissé de ses petits-enfants pour que non seulement ils l’écoutent, mais surtout
intègrent le dernier conte qui leur serait donné.
U faut que non seulement cette histoire les ramène au passé mais surtout,
quelle
les aide à se propulser vers l’avenir en toute confiance.
Le pays était toujours aussi beau et fait chanter en lui ce
grand amour qu’il
lui porte. Il se sent à chaque pas redevenir le petit
garçon qui partait sur les chemins, galopant derrière son grand-père. Ils n’allaient jamais bien loin, c’était
encore ce
temps sombre plein de contraintes, l’époque du Code de l’Indigénat.
On ne pouvait alors changer de secteur sans autorisation, il fallait
passer par
l’administration pour circuler sur sa propre terre. Alors on s’enfonçait dans les
forêts sans faire de bruit, on déjouait la surveillance car les Vieux d’alors, même
s’ils courbaient la tête, ne pouvaient vivre sans cheminer. Et tout en marchant,
son
grand-père parlait du temps d’avant, celui avant la colonisation, même s’il
ne l’avait
pas connu. On en parlait encore et on racontait tous les événements
ayant eu lieu depuis. On tentait de survivre à toutes ces contraintes, à tout cet
irrespect. Il y avait des luttes internes, des clans qui collaboraient, d’autres irréductibles. Son grand-père, lui, se contentait de sa mission de transmission : il
racontait les histoires, les
généalogies, la Coutume. Il avait une mémoire qui
remontait à
l’origine des clans sans avoir jamais lu et en ayant peu fréquenté
l’école. U y avait eu un missionnaire qui avait ouvert une petite école non loin
et ce
qu’il avait appris de lui ne correspondait en rien à ce qu’il aimait dans son
assez
d’intérêt dans
119
de petit Kanak.
Il avait appris les prières, cependant, car ça peut servir les
prières et on peut les traduire en langue et faire correspondre les esprits des cultures entre eux. On peut
jouer avec la foi... il rien avait rien dit à personne car
il fallait se méfier, tout le temps. La colonisation c’était cela aussi, une religion
rigide imposée qui retirait les enfants à leurs parents, les privant de leur éducation, les rendant inaptes et irresponsables. L’internat ce n’était pas pour lui. Son
grand-père avait lutté. Il avait gagné en prétextant auprès du grand Chefla
nécessité de garder auprès de lui le garçon pour lui enseigner les plantes qui soignent. Mais il fallait se faire oublier, alors le Vieux et l'enfant passaient le plus de
temps possible à l’abri du regard de l’administration, de la police et de l’Eglise.
Au fond de la vallée, c’était encore possible.
Tout ce qu’avait appris Le Vieux avait fondé sa place au sein du clan. Il avait
tenté de le faire avec ses enfants mais celui qui savait les choses avait été tué sur
la route dans un brutal accident. L’alcool qui faisait des ravages jouait avec les
vies des enfants du Pays. On aurait dit qu’ils n’avaient pas peur de mourir. Cetait
étrange. Une fatalité endeuillait les familles et la vie continuait.
Mais il avait des petits-enfants et ce qu’il avait entendu dire sur leur vie en bas
dans la grande ville ne lui convenait pas du tout. Il se souvenait de leur dernière
cœur
les trois. Les deux enfants de sa fille et le garçon de son fils décédé.
C’était ce dernier qui posait problème : des bribes d’informations lui étaient parvenues. On riosait
pas trop lui raconter mais ce dernier faisait de plus en plus de
visite à tous
bêtises, de plus en plus graves. Même les tontons n’arrivaient pas à le gérer. Les
oncles utérins étaient ceux qui avaient autorité sur lui. Que faisaient-ils donc ?
Peut-être avaient-ils trop de soucis eux-mêmes avec leurs jeunes ? Avaient-ils le
temps de s’occuper d’eux ? On lui avait raconté qu’il y a des bandes qui traînent
en ville dans les
quartiers riches et qui dévalisent les maisons des Blancs. Ils
entrent en leur absence, cassent, salissent, vident les
frigos et boivent l’alcool des
placards. Ils cassent aussi les vitres des voitures stationnées en ville juste pour le
plaisir de voler une bricole restée dedans, un tee-shirt, un sac trop voyant....
J
A l’orée de la ville
A Tontouta,
après le pont qui surplombe la rivière, il a tendu le pouce et une
grosse voiture rouge s’est arrêtée. C’est une petite- nièce au volant ! Décidément,
il a de la chance ! Il se demande même avec malice si elle n’a pas été prévenue de
son
périple et de la possibilité de le trouver, à cette heure-là, au bord de la route,
à cet endroit. Il monte et
se
trouve
finalement
la cabine surélevée, fenêtre ouverte, bras
au
content
d’être ainsi installé dans
soleil posé sur le rebord de la vitre.
invutetérss
LittéRama'OHi
# 23
Catherine C. Laurent
Sa petite-nièce parle, raconte les dernières nouvelles. C’est alors qu’il en
demande des enfants. Les plus petits vont bien et seront certainement très heureux
de sa venue, mais, concernant Hnaumo, ce n’est pas formidable. Il va à l’école
uniquement quand il le décide, on a beau le punir, rien n’y fait ! Il traîne le soir
dehors tard, on ne sait pas toujours où il dort. Il s’est installé avec une bande dans
un bout de brousse survivant entre les immeubles. Il
réapparaît quand il a faim ou
quand il a des ennuis. Personne n’arrive à lui parler. La chaîne de l’éducation s’est
rompue et il n’y a pas de quoi être optimiste... elle pense qu’avec sa bande, ils vont
faire de plus en plus
de bêtises et commettre l’irréparable. Elle ne comprend pas
qui traînent. Ce n’était pas
comme ça
quand elle était plus jeune ! On riait, on buvait un peu, on faisait la fête
mais on ne taisait pas toutes ces choses
qui ne mènent à rien. Elle papote, elle
papote, elle rigole aussi beaucoup lorsqu’il raconte ses aventures sur la route.
Et puis, alors que le silence s’est installé dans la voiture, sa mission le
reprend, il pense à ce conte qu’il doit raconter... il regarde la grande plaine, c’est
la fin du jour, les couleurs orangées rendent le paysage encore plus somptueux
et émouvant. Il se
perd dans ses pensées. Il y a de plus en plus de voitures, la circulation demande beaucoup d’attention sur ce tronçon. Son cousin a bien fait
comment
on a
pu en arriver là avec tous ces jeunes
de lui dire de monter en voiture !
Lorsqu’ils arrivent à l’orée de la grande ville blanche qui est si sale cependant, quand il aperçoit les fumées de la SLN, quand il en longe les bâtiments
métalliques couleur de terre, son cœur est saisi de chagrin. Il sent les mauvaises
odeurs de l’usine et il sait que ce nickel source de richesse et de prospérité est
aussi
source
certaine
d’appauvrissement. Dans le nord, la transformation a déjà
bien
commencé. Le monde moderne est passé en Province Nord. Il aimerait
voir aussi la
usine construite tout en bas dans le Grand Sud. Il
grande
ça ressemble
à une base spatiale,
paraît que
de la science fiction en Océanie !
Alors, soudain, en faisant le tri entre toutes les idées qui lui sont venues en
chemin, en fouillant dans sa mémoire si riche, il sait avec certitude que l’histoire
qu’il racontera à ses petits sera la suivante, celle d’Idara :
Elle est assise sous les cocotiers, Idara la prophétesse.
Autour d'elle sont les jeunesfilles menant la danse du soir.
Devant elle, les jeunes gens jouent, quand elle se tait, de la flûte de roseaux, pour la
laisser se reposer et l’applaudir.
A ses côtés sont les vieillards et les guerriers ; à ses
pieds les enfants et les femmes.
Idara est lafille des tribus, elle a combattu avec les braves contre les hommes pâles.
Idara est la mère des héros ; c’est elle qui panse leurs blessures avec lafeuille mâchée
de la liane cueillie au clair de lune. C'est elle qui leur donne le breuvage réchauffant
du bouis ; c’est elle encore qui les endort avec le chant magique.
Ecoutez, vieillards, Idara va parler !
Elle ouvre sa bouche aux dents tremblantes dont les pointes sont émoussées.
Quand les blancs sont venus dans les grandes pirogues, nous les avons maudits, car
ils nous attaquaient avec lafoudre et nous n'avions que lesflèches, la sagaie et les
haches de pierre.
Ils ont semé leurs grains sur les terres des tribus ; ils ont élevé leurs villages de pierres
dans les vallées, aux endroits que nous choisissions pour les nôtres, près des cours
d’eau et des cocotiers : sous les rochers qui abriteront les pirogues.
Les hommes blancs ont vu les vallées pleines de bananiers et d'ignames, les montagnes couvertes de taros ; ils ont vu tous les tillits des cases et ils ont regardé tout
cela d’un œil de mépris.
Les Blancs se sont promenés le long des grandsfleuves et ils ont pris en pitié nos cultures ! Mais vous avez des instruments pour ouvrir la terre, ô Blancs ! Et nous
n’avons que les bâtons, lefeu et la hache !!
Si vous étiez réduits aux seules ressources de la nature, seriez-vous plus que nous ?
Et quelles que soient vos richesses, vous avez quelque chose à nous envier, puisque
vous venez de l’autre rive du
grand lac vers la terre des tribus.
Nous vous avons combattus et nous vous avons maudits, vous qui venez vous
emparer de notre sol.
Nous vous combattrons et nous vous maudirons encore. Mais qui donc vous mène ?
Et quels souffles ont poussé vos pirogues ?
Faudrait-il qu’un jour les tribus se mêlent de tous les points du monde à travers
toutes
les mers ?
Soufflez, ô jeunes gens, dans lesflûtes de roseaux ! Idara a parlé !
Vieillards, à vous de conter, la tribu écoute. **
Un conte ne suffit pas...
les temps ont changé et
qu’il faut apporter un souffle positif
Pays, car les enfants ont besoin d’espoir, en plus de paroles sages,
il sait qu’il leur dira aussi ceci :
Les pirogues se sont transformées en avions, de plus en plus nombreux,
remplis de gens désireux de venir vivre et travailler avec nous. Les maisons de
pierre se sont multipliées, il y en a tellement, et tellement d’écoles pour les
enfants, tellement d’énormes boutiques pleines d’objets inutiles ! Les Vieux
n’ont plus rien à raconter.
Mais
comme
à l’histoire du
«
LittéRama'oHi
# 23
Catherine C. Laurent
La tribu n’écoute plus. Vous non plus,
si loin en ville.
C’est pourquoi je suis descendu vers la grande ville, la ville
méa. A pieds, comme
des Blancs, Nou-
avant, au temps des Anciens.
Il paraît quelle est aussi devenue noire avec le temps, et que sur les
plages de
la ville, les mamans baignent leurs enfants et que ça ne dérange plus personne.
Les Blancs ont donc aussi changé ? On m’a dit que les
garçons et les filles, dont
les chemins autrefois
main
sans
ne
devaient pas trop se croiser, se tiennent maintenant la
pudeur dans les rues et que sans pudeur non plus, ils boivent l’alcool
les trottoirs de la ville. On m’a dit que les familles mangent dans les fast-foods
et des pizzerias, comme les Blancs, et
que personne n’y trouve rien à redire. Leurs
sur
ancêtres doivent
Mais
se
retourner
dans leurs tombes coloniales !
m’a parlé
aussi de ce Centre Culturel posé comme un navire au
des mangroves, et dans lequel souffle encore certains jours
la parole du Pays. On m’a dit que le Droit coutumier est respecté même en ville.
Donc, tout n’est pas perdu du sens du Pays. C’est bien. J’espère que nous pourrons
y aller ensemble tous les trois ! J’ai beaucoup de choses à voir et à comon
bord de la mer, près
!
On m’a dit que
dans certains jardins se cuit le bougna. Et aussi que les
et colorées qu’elles
portent fièrement sur la place des Cocotiers. J’ai hâte d’aller voir tout cela en
votre
compagnie. Maintenant que je suis là avec vous mes petits, je vais aller
m’asseoir sur leurs plages, écouter si, à travers le rugissement de leurs voitures
qui m’ont frôlé sur la route, j’entends encore les souffles venus du passé.
En votre compagnie et
accompagné d’Idara, je vais essayer de deviner, avant
de mourir, si les voix qui résonnent aujourd’hui sont les voix du Pays de
demain. Je vais redécouvrir mon pays avec vous et nous allons passer du bon
temps ensemble ! »
femmes
sont
belles dans leurs robes missions modernes
La vraie mission
commence
C’est la voix chantante de
éveillée
sa
pour le Vieux
petite-nièce qui soudain le tire de sa rêverie
:
Allez, hop grand-père, on est arrivé !
quartier, une mauvaise nouvelle les attend :
Hnaumo est au commissariat. On vient d’apprendre éberlués qu’il était à St
Louis avec les jeunes qui manifestent depuis deux jours ! Comment est-ce possible, lui si jeune, cagoulé et lançant des pierres sur les gendarmes et les voitures ? C’est difficile à admettre et à
accepter. Il est en garde à vue. Aller au
—
Mais à cette arrivée dans le
123
d’en savoir un peu plus. D’en avoir le cœur plus net. Le
et solidaire. Il savait bien, lui, qu’il lui fallait descendre en ville, et là, il ne s’agit plus de juste raconter une histoire ! Comment
est-ce possible, son propre petit-fils arrêté par la police ? Finie la tranquillité de
la brousse, il lui faut réaliser qu’il est bien dans la réalité du Pays. La même que
partout dans le monde : des jeunes désœuvrés qui ne trouvent pas leur place
et dont on a oublié de s’occuper vraiment. Véritablement. Mais qu’y peut-il ?
Son fils est mort trop tôt et il n’a pas pensé que les conséquences pour ce petit
seraient si lourdes. La présence du reste de la famille n’a finalement pas fait le
poids. Hnaumo est en perdition !
Tout le monde est d’accord, il va falloir faire quelque chose, prendre des
décisions. Que fait-on avec une plante qui pousse de travers ? On la laisse....
commissariat permettra
clan
se
sent
soudain très fort
l’attache et on tente de la redresser... .on ne la coupe pas pour autant, on
s’assied à côté d’elle, on la regarde de près, on lui parle, on essaye de tripoter la
terre dans
laquelle elle pousse et puis, si rien ne marche, on met délicatement
ou on
un
tuteur
pour redresser
la plante, solidifier la tige, qu elle reprenne force et
direction.
Un tuteur ! Voilà ce qu’il faut à Hnaumo.
Il reste donc
ce
Les oncles maternels ont échoué.
vieil homme fraîchement descendu de la vallée des Anciens.
Tous les
regards se tournent vers lui dans l’appartement exigu où tous se sont
rassemblés. L’heure est grave. Lui, il n’était pas au courant pour cette affaire de
St Louis, seul sur la route,
respirant l’odeur des alizés, parfois celle du café dans
le col des Roussettes et regardant émerveillé son pays sous toutes les coutures.
Il sait bien qu’il y a des problèmes avec les jeunes et dès qu’il y a des problèmes,
les
manipule pour qu’ils fassent du bruit et de la casse. C’est de « bonne
guerre » comme on dit. Mais là, son petit-fils a participé et il ne trouve plus cela
de bonne guerre » !
on
«
Actualités
On allume la télévision, c’est justement l’heure des informagrands sur le canapé, les plus jeunes sur la
grande natte par terre. Lui, préfère s’installer là, avec les enfants. Les deux plus
petits sont là : Wakana, le garçon et Wenesine, la petite fille. Ils se serrent contre
lui. Il sent la terre et les végétaux, il sent les vacances. Peut-être ont-ils soudain
l’espoir que c’est la fin des ennuis pour leur cousin et frère ? C’est vrai que soudain une douce atmosphère s’est installée dans la pièce et le cœur de chacun
semble apaisé malgré l’heure gravé.
C’est effrayant.
tions. Tout
le monde s’assied, les
LittéRama'oHi
« 23
Catherine C. Leurent
Un des petits se
tourne vers lui et lui demande :
Pourquoi font-ils ça ? Pourquoi sont-ils tant en colère ? Ils font peur avec
leurs cagoules et leurs armes !
—
—
Tu sais,
ils doivent avoir une sacrée bonne raison... mais on ne peut pas
ainsi agresser
des gens sur la route. Ils n’y sont pour rien... et s’il y a des morts,
Ça va encore plus mal tourner... Un oncle
prend la parole :
—Moi, je les comprends un peu même si je regrette que nos jeunes usent
ainsi de violence. Vous savez les enfants, il
y a quelques semaines a eu lieu un
accident à l’usine du Sud, à Grouine une erreur de
manipulation a fait se déverser 96 000 litres d’acide dans la mer ! Notre beau
lagon ! Plein de poissons
morts et les eaux
polluées pour longtemps, on ne peut pas accepter ça !
Une tantine reprend :
Oui, c’est votre avenir qui est en jeu. Comment ferez-vous pour vous
nourrir si le pays est détruit ? Et
puis les industriels avaient promis qu’il n’y aura
pas d’effets négatifs sur notre lagon. Ils ont menti.
Air oui, je me souviens maintenant ! L’institutrice nous a
expliqué que
l’Unesco a classé notre lagon au patrimoine mondial. Elle a dit : « Nous
possédons une des merveilles du monde !
On va perdre aussi notre classement
on va
faire
comment ensuite ?
—
—
».
si ça
continue...
On va perdre notre âme et notre culture si ça continue...
grogne quelqu’un
depuis la cuisine.
Un long silence s’installe face aux
images terribles que chacun regarde à la
télévision avec son cœur blessé. De légers « humm...»
s’échappent à espaces
réguliers des gorges.
—
Sur l’écran, des voitures calcinées, des installations détruites, des
jeunes en
colères visage masqué, des gendarmes, des chars de
police et des riverains désespérés dans leurs voitures immobilisées le long de la route avant et après St
Louis. Et ces mots blessées... coup de feu... »
que personne n’a plus envie
«
d’entendre dans ce pays.
Cette usine et celle du Nord sont les outils nécessaires à une
indépendance
économique. Elles permettent d’avoir une place mondiale dans l’extraction et
le traitement du nickel. Le 21° siècle est bel et bien en marche et il
y a grâce à
ces usines du travail
pour tous. Pour les jeunes aussi. Ceux
qui veulent travailler.
Mais peut-on
accepter le massacre des ressources naturelles et du patrimoine
pour autant ? Est-ce véritablement le prix à payer
il le fruit de l’incompétence et de
? Ou bien tout ce gâchis estl’inconséquence de certains ? Tout le monde
125
est pris
entre deux feux : la tradition et le respect de la terre et de la mer et l'envie
de participer
à la grande expansion économique ! Préparer l’avenir pour les
de Demain...
Le Vieux est sombre et triste soudain. Lui qui se faisait une joie de participer
à cette réunion familiale ! Il serre les deux petits plus fort contre lui. Les actualités se terminent. On coupe la télévision. Les femmes préparent le repas. On
va bientôt
manger. Des bières circulent...
enfants du Pays
Le Vieux soudain
parle et on l’écoute :
chercher. Je vais parler à la police. Je ne partirai pas de
là-bas sans avoir conclu un accord. Je vais proposer de prendre le petit avec moi,
je vais l’emmener dans le nord, le ramener à la tribu. J’aurais déjà dû le faire. Je
vais promettre de le surveiller et de le faire changer. Il est si jeune, ils ne peuvent
pas le garder ; ils n’en ont pas le droit. Il n’a pas l’âge de faire de la prison...
—
Demain, j’irai le
Retour silencieux à la maison
Le lendemain,
c’est très tard qu’ils sortent du commissariat. A côté du Vieux,
Hnaumo la tête basse recouverte de
la fois triste
sa
capuche, il traîne les claquettes... Il est
honteux de voir toute la famille qui Fattend sur le trottoir, mais heureux de revoir son grand-père et de savoir qu’il
tout à
et content. Triste et
compte pour lui, qu’il est venu parler pour lui et se porter garant de sa conduite
future. C’est fort pour lui cette confiance soudaine et ce sentiment de ne plus
être seul. Il
l’était pas pourtant mais
il se sentait seul dans son cœur. En fait,
jamais il n’avait accepté la mort de son père. Et il se sentait blessé et incompris.
C’est ce qu’il croyait. Il se rend pourtant compte que tout le mpnde est là pour
lui, que personne ne s’énerve, il y a juste sa mère qui fait une drôle de tête, il faut
comprendre !
Le Vieux, lui, est content mais fatigué. Ca n’a pas été ladle de faire entendre
raison à ce garçon qui, soit refusait de parler et de répondre aux questions, soit
disait des mots grossiers ! Les policiers étaient épuisés aussi et perdaient
patience, ça fait des jours et des jours que la situation est tendue et très violente.
Des jours qu’ils essayent de trouver une solution pacifique à ce mécontentement. Et c’est loin d’être terminé : l’usine est belle et bien là, énorme et réclamant ses ouvriers, et le blocage est total concernant la reprise du travail.
Personne ne sait comment les médiations entre les coutumiers, les jeunes et
les responsables étrangers vont pouvoir aboutir à une solution qui arrange tout
le monde ! Cependant la discussion et le consensus sont les remèdes magiques
de la communication océanienne d’habitude : tant qu’il reste un mécontent,
ne
LittéRama'oHi
» 23
Catherine C. Laurent
on
discute pour trouver une solution.
Ca promet donc detre long et de provo-
quer de graves conséquences économiques.
Il pense à Idara... il se demande si ce conte est
bien de circonstance, si ça
allumer encore plus la haine et la rébellion ? C’est grave finalement
une histoire, ça
prête à conséquence... surtout quand on vient de loin pour la
raconter, comme un cadeau, qui maintenant pourrait bien s’avérer empoisonné.
Il est songeur et tout le monde sur le trottoir pense que c’est à cause de ce
garçon terrible. Personne ne sait qu’il est tourmenté par son choix de conte !
C’est donc dans le calme que tout le monde rentre à la maison.
ne va
pas
Le
temps des retrouvailles et du plaisir partagé
lendemain, chacun est parti au travail. Le Vieux se lève donc dans un
appartement vidé de ses habitants. Reste Hnaumo qui, lui, n’est pas allé à l’école.
Le Vieux prend tranquillement son café quand Hnaumo
apparaît, mi-indifférent, mi-content de le trouver là dans la cuisine. Il fait déjà chaud. C’est pourquoi il demande au garçon :
Tu ne voudrais pas m’emmener à la
plage, on étouffe dans cet appartement ? Je voudrais bien voir lÂnse Vanta il
paraît que ça a beaucoup changé. Et
la baie des Citrons aussi. Tu sais quel bus il faut prendre ?
Oui je sais. Tu veux y aller quand ?
Là, maintenant, bientôt. Dès que tu auras déjeuné et pris ta douche.
D’accord. C’est un bon plan... Humm, humm....
Quand ils sont prêts tous les deux, ils grimpent dans un bus après avoir
attendu en plein soleil à un arrêt sans abri. Le Vieux a bien cherché un arbre...
Le
—
—
—
—
rien...
quelle désolation... quel manque de respect pour l’être humain, se ditcomme il a résolu de ramener ce
garçon à de bons sen-
il intérieurement. Mais
timents, surtout envers la société, il évite de faire ses constations à haute voix !
Ils
parlent peu pendant le trajet. Le Vieux est obsédé par sa mission et son
Idara demande à être entendue... Mais plus il regarde Hnaumo,
moins il est convaincu, et de l’utilité d’un conte, et de la voix
vengeresse d’Idara !
Lui, il l’aime bien pourtant. Mais il sait faire la part des choses. Et les images, il
comprend. Mais pas ce garçon écorché vif II va tout prendre au premier degré.
Ce n’est pas le moment.
conte...
Alors, dans les bouchons dus à l’intense circulation de la matinée, au rond
point, il soliloque avec Idara et s’excuse de l’abandonner sur le chemin de la ville.
Il lui dit qu’il la retrouvera là-haut, dans les sentiers. Et que
peut-être, quand le
petit sera calmé et apaisé, il lui fera entendre sa voix.
127
Il va donc falloir trouver autre chose. Inventer un autre discours. S’adapter
Une vraie
sauver
gymnastique mais qui vaut le coup ! Il veut vraiment,
le garçon de ses idées noires et de sa révolte stérile.
!
de tout cœur,
Il constate que, finalement, ce n’est pas aux enfants d’aujourd’hui à s’adapter,
c’est plutôt le contraire qui s’avère nécessaire. Trouver un chemin entre tradition
et modernité.
Tout un programme
! Ça change soudain la nature de sa mission...
à lAnse Vata, les touristes sur la plage,
les mamies Wallisiennes sur les grandes nattes colorées, faisant la sieste avec les
bébés collés contre elles, toutes ces marmites emplies de bonnes odeurs, les
voiles des kitesurfers faisant des sauts dans le ciel, qu’il a demandé à y retourner
le soir même avec les deux autres petits, Wenesine et Wakana, à leur sortie de
l’école. En fin de journée, la tan tine les y a amenés et c’est là, dans la paix du soir,
au milieu de tous ces
gens différents, qu’il a compris que la seule histoire qu’il
avait à raconter à ses petits-enfants était la sienne, l’histoire de sa vie, de son
enfance, simplement. Parler. C’était tout ce qu’il fallait faire.
La veille du départ, programmé pour Hnaumo et son grand-père, le Vieux
a demandé à aller visiter le centre
Tjibaou. Il ne pouvait pas remonter dans le
Nord sans rendre hommage à cet endroit-là, qui raconte, lui aussi, une belle et
grande histoire à lui tout seul.
Le Vieux a tellement aimé ce qu’il a vu
Ils ont fait le tour des grandes cases modernes, regardé tous les objets rituels
exposés, vu les expositions de photos et de tableaux, circulé entre les plantes du
Chemin kanak. Au bord de la mer, en bas, près des mangroves, là où se dressent
les cases des aires coutumières, ils sont entrés dans la leur et au calme, dans la
douce senteur végétale et entre les bois sculptés, le Vieux s’est mis à parler de son
existence, du temps d’avant et de tout ce qui avait changé. Les petits étaient silencieux et impressionnés. La lumière brillait dans leurs yeux. Le Vieux se savait
d’emblée pardonné par Idara, son esprit n’était pas loin, elle veillait à la scène.
Et comme le soir tombait et qu’il fallait rentrer à la maison, il fut convenu
que Wenesine et Wakana viendraient les rejoindre aux prochaines grandes
vacances et
qu’il y aurait d’autres jours comme celui-là, emplis de paroles et de
bonheur.
Tous
remerciements vont à
un autre Hnaumo, qui m'a offert ces trois prénoms de Maré (et non de la vallée d'Amoa), à un
loin du Pays et où j'avais besoin de nommer ses enfants parleur nom. Hnaumo : guerrier vainqueur, qui aspire
le foie de son adversaire. Wakana : « le bout du bout », le sommet, le pic, celui qui voit tout de là où il est. Wenesine : racine, fondements de la pêche.
mes
moment où j'étais
**
Idara
(bruyère) la prophétesse (Vil) - Louise Michel Aux amis d'Europe - Légendes et chansons de gestes canaques, Nouméa, 1875.
Editions Grain de Sable 1996
invtés
Wute rs
Je suis professeur d’Anglais au lycée polyvalent de Taaone et je
passionné de voyage. C’est lors de ma visite de la centrale
nucléaire de Tchernobyl en novembre 2009, que je décide de me
lancer dans la photographie. Je veux revenir avec de meilleures
images de mes périples. Dès mon retour, je dévore tous les ouvrages
que je trouve sur la photographie. J’achète mon premier reflex
numérique aux Etats-unis en décembre 2009. Peu de temps après
mes
premiers clics, je m’associe à mes frères et quelques amis pour
lancer la première revue entièrement consacrée au “Heiva i Tahiti”.
Les photos utilisées pour l’édition de nos
ouvrages sont prises en
équipe et signées “Matareva” (l’oeil qui voyage). Après la sortie de
notre
première édition en novembre 2010, je décide de partir en
suis
Scandinavie pour photographier les aurores boréales pendant les
de Noël. C’est à ce moment-là que je comprends qu’une
vacances
photographie peut être plus qu’une image de “bonne qualité”. Elle
permet exprimer ma sensibilité, mon point de vue. Je me découvre
ainsi
une
passion pour la création.
D'un numéro à l'autre, la revue continue
d'explorer la société
contemporaine de la Polynésie française au travers de thèmes
qui accompagnent les réflexions de ses citoyens. L'association est
particulièrement heureuse d'accueillir dans ce numéro le texte de
trois détenus du centre
pénitentiaire de Ra'iâtea, lauréats d'un
d'écriture. Une place est offerte comme d'habitude aux
auteurs invités qui nous font l'honneur de
partager leurs écrits
concours
d'au-delà de l'océan.
Jean-floël Chrisment
Hnacipan
Laurent
-
-
Leila Brcoli Simone Grand Léopold
Imasango Poète - Picolas Hurtovitch - Catherine
Jimmy ITT Ly - Titaua Peu - Hong-ITly Phong -
floella Poemate
Spitz
-
-
-
Odile Purue
Théodore Tainoa
Jean-lTlarc
Tseng
-
-
-
-
-
Steeue Reea
iTloana Taofifenua
Goenda Turiano-Reea
-
-
Chantal T.
Julien Titae
-
Fait partie de Litterama'ohi numéro 23