B987352101_PFP1_2015_022.pdf
- extracted text
-
ITIRRS 2015
Te hotu fTla'ohs
Ramées de littérature polynésienne
Les porteurs
de patrimoine
Littéramaohi
Publication d’un groupe d’écrivains autochtones de la Polynésie française
Directrice de la publication :
Chantal T. Spitz
Farepoiri Motu Ara ara
Huahine
E-mail : hombo(S)mail.pf
Numéro 22 / Mars 2015
Tirage : 600 exemplaires - Imprimerie : STP Multipress
Mise en page : Backstage
Couverture : 4': an’so Le Boulc’h
N° Tahiti Iti
:
755900.001
Revue
Littéramaohi
Ramées
de Littérature
Polynésienne
-
Te Hotu Ma ohi -
Liste des auteurs de Littéramaohi n°22
Henrietta Meteiarii Alvès
Araîa Amaru
Teata Binar
Hinano Martinez-Luloque
Hiriata Brotherson
Chantal T. Millaud
Jacky Bryant
Hinanui Mongardé-Foissac
Martin T. Coeroli
Karoly Sandor Pallai
Hinatea Rose Demolliens
Titaua Peu
Flora Devatine
Hong-My Phong
Vaihere Doudoute-Raoulx
Odile Purue-Alfonsi
Maimiti Fanaura
Jonas Daniel Rano
Josyane Tehea a Faucher
Doris Reva
Karine Tehea Frogier-Léocadie
Ariirau Richard-Vivi
Jérôme Gendrot
Régina Suen Ko
Chantal T. Spitz
Heinarii Grand
Moeava Grand
Karine Taea
Simone Grand
Denise T. Tauatiti-Jaulin
Teuira Henry
Moanaura Teheiura
Iva
Joseph Tchong
Ku’ualoha Ho’omanawanui
Taiana Temauri
Raphael Kaikilekofe
Heeata Tepa
Ali Khadaoui
Teuraheimata a Tixier
Navairua Klein
Hitivai Tracqui
Vaimiti Lanteires
Goenda a Turiano-Reea
Mareva Leu
Maurice Vinot
ManiniVoirin
Paul Wamo
SOMMAIRE
Littéramaohi N°22
Mars 2015
Liste des auteurs
p.
Sommaire
p.
La revue Littéramaohi - Les membres fondateurs
p.
Editorial
p-
4
5
10
12
p.
14 '
p.
23
p.
27
Te faufaa o te Parau Paari a te Feia Paari
p.
33
Te pehepehe o te Toa Tarava
p.
Le poème du Toa du Tarava
p.
38
39
Te au Mokopuna • A mes petits-enfants
p.
42
Tuihe • Tresse ta couronne
p.
AoT/îX
/5?
ftt
e^Dossier “ Les porteurs de patrimoine ”
ml
\*
Nÿ.g.y
Simone Grand
Parmi les porteurs de ce patrimoine
immatériel qu’est la mémoire,
choisir ?
souvent rivale de l’Histoire, qui et que
Hinatea Rose Demolliens
Parfum d’Amour du Tahiti d antan
Ariirau Richard-Vivi
Immémoriale Eau Vaima
Karine Tehea Frogier-Léocadie
Henrietta Meteiarii Tereora Alvès
Te Hau i roto i teie ao • La Paix en ce monde
Te rôti tei poe poe hia • La rose à l'oreille
p.
;
p.
Teraitua • Teraitua
-p-
Himene au no be • Je te chante à mi-voix
p.
É
£
Ê
46
46
Hong-My Phong
La rage de vivre
.p.
48
50
p.
52
p.
75
p.
76
p.
77
p.
78
p.
80
.p.
.p.
81
83
p.
85
p.
87
p.
89
.p.
92
p.
94
.p.
95
.p.
Le dragon
:
Flora Devatine
...
Je dis Merci à mes Ancêtres
.'.
,
Créations autochtones
Karine Tehea Frogier-Léocadie
TeMoemoeâ a te mau Piahi
Navairua Klein
Moemoeâ
:
Josyane Tehea a Faucher
Tau moemoeâ
Manini Voirin
‘Ena ho‘i be, ‘Ena atu be
Doris Reva
E Eliro nui e !
Maimiti Alan-Eugénie Fanaura
Parahianae
Comme pour me dire “ au revoir ”
:
Vaimiti Lanteires
Te mau ruriapô b tei bre e moe
Hinano Martinez-Luloque
Te moemoeâ a te tama
Heeata Tepa
Te tahi tuhaa o tô‘u Ora
;
Denise Tetua'ura Tauatiti-Jaulin
Etao a rahi
Taiana Temauri
Te hura o tau moemoeâ
Fliriata Brotherson
‘Aahiata
-
Scènes de vie
Vaihere Doudoute-Raoulx
A fano anae ra
-
Naviguons
p.
Hurihuri
.p.
100
101
Chantal Teraimateata Millaud
L’eau du caillou
102
103
.p. 104
p.
Ta main conduit nos semelles
p.
Au voyageur
La nuit jouait avec son archer d’amour
p.
106
Rêve d’un possible voyage
.p.
107
Danse pour la lune
p.
Sortilège d’une couronne de fête
p.
108
109
p.
111
p.
113
p.
115
Odie Pürue-Alfonsi
Teraipoia Karine Taea
Home, sweet home
:
Teuraheimata a Tixier
Manaonao
Goenda a Turiano-Reea
Te here te tumu !
Auteurs invités
Kuualoha Hoomanawanui
Matavai wedding
.p.
Punaauia
.p.
118
119
p. 121
.p. 122
Na Pua Purau o Vaima
Toa
Paul Wamo
J’aimerais prendre l’air
p.
123
Raphaël Kaikilekofe
L’enfant de la mer
p.
Silence dans la cité • Les murs du Pacifique
Rencontre ■ En d’autres temps • L’autre pays
Navigateurs • Le Penseur
O cœur de Paris
124
125
p. 126.
p. 127
p. 128
p. 129
p.
Fils des îles • Ta demeure
;
Kâroly Sândor Pallai
Discontinu et fragmentaire dans lecriture contemporaine
de la Polynésie française
Utazo Tau tuhaa (de Henri Hiro ; traduit en hongrois)
:
.p. 130
.p. 139
Jonas Daniel Rano
Aimé Césaire : la fulgurance d’une
p. 140
parole
Maurice Vinot
Récit de vies
.p.
164
Jérôme Gendrot
Le département
d’études françaises s’offre un voyage à Tahiti
p. 173
Ali Khadaoui
.p. 177
Sur les chemins du retour
Pina'inai
Chantal Spitz
Poro’i
p.
181
Moana'ura Teheiura
.p. 183
Saynète d’ouverture
Hitivai Tracqui
“
......p. 185
Je t’aime papa ”
Iva
.p. 186
Les poètes sont parmi nous
Régina Suen Ko
p.
187
.p.
188
Auorotini, la sacrée.
.p.
190
Auorotini, Maga eva
p. 191
Tereo
Jacky Bryant
E mâa te reo
Odile Purue-Alfonsi
Teuira Henry
.p. 192
La prophétie de Vaita
Moeava Grand
Peuple, réveille-toi
,
.p. 194
Araia Amaru
Moerurua • Cauchemar
r
p.
195
P-
197
p.
199
■
Mareva Leu
Odieuse autochtonie......
Heinarii Grand
L’insuffisance insulaire
Goenda a Turiano-Reea
P- 201
Te tia'iriraatino
Hinanui Mongardé-Foissac
P- 203
J ai mal à ma danse
Titaua Peu
Toute ressemblance (...) serait fortuite
p. 204
Martin Coeroli - Joseph Tchong
Le chant de Rupe
•
TepeheaRupe
P- 206
P- 207
Teata Binar
Cartes sur table
P- 208
L’impossible retour
P- 209
P- 210
Temautupuna
Chantal T. Spitz
.p. 213
te tau ‘araara
L’artiste
Tahe
p. 216
Littéramaohi
Ramées de Littérature Polynésienne
-
TeHotuMaohi -
La revue Littéramaohi a été fondée par un groupe
tones de la
d’écrivains autoch-
polynésie française associés librement :
Patrick Amaru, Michou Chaze, Flora Devatine,
Danièle-Tao’ahere Flelme, Marie-Claude Teissier-Landgraf, Jimmy M. Ly,
Chantal T. Spitz.
Le titre et les sous-titres de la revue traduisent la société polynésienne d’au-
jourd’hui :
-
“Littéramaohi” pour l’entrée dans le monde littéraire et pour l’affirmation
de son identité,
-
"Ramées de Littérature Polynésienne”, par référence à la rame de papier,
à celle de la pirogue, à sa
-
-
culture francophone,
“Te Hotu Ma’ohi”, signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères chinois intercalés
entre le titre en
français et celui en tahitien.
La revue a pour objectifs :
-
-
de tisser des liens entre les écrivains originaires de la Polynésie française,
de faire connaître la variété, la richesse et la spécificité des auteurs originaires de la
-
Polynésie française dans leur diversité contemporaine,
de donner à chaque auteur un espace de publication.
Par ailleurs, c’est aussi de faire connaître les différentes facettes de la culture
polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et modernes que
sont la peinture, la sculpture, la gravure, la photographie, le tatouage, la musique,
le chant, la danse... les travaux de chercheurs, des enseignants...
Et pour en revenir aux premiers objectifs, c’est avant tout de créer un mouvement entre écrivains
polynésiens.
Les textes peuvent être écrits en français, en tahitien, ou dans
n’importe
quelle autre langue occidentale (anglais, espagnol,... ) ou polynésienne (mangarévien, marquisien, pa’umotu, rapa, rurutu... ), et en chinois.
Toutefois, en ce qui concerne les textes en langues étrangères comme pour
ceux en reo ma’ohi, il est recommandé de les
présenter dans la mesure du possible avec une traduction, ou une version de compréhension, ou un extrait en
langue française.
Les auteurs sont seuls responsables de leurs écrits et des
opinions émises.
En général tous les textes seront admis sous réserve
qu’ils respectent la
dignité de la personne humaine.
Invitation au prochain numéro :
Ecrivains et artistes polynésiens,
cette revue est la vôtre : tout article bio et
biblio-graphique vous concernant,
de réflexion sur la littérature, sur l’écriture, sur la langue d’écriture, sur des
auteurs, sur l’édition, sur la traduction, sur l’art, la danse,... ou sur tout autre
sujet concernant la société, la culture, est attendu.
Les membres fondateurs
Editorial
On dit que les temps changent. Qu'hier les choses étaient
différentes, plus
difficiles. Ou plus faciles, dépend qui parle. On dit qu'aujourd'hui nous avons
de la chance. Ou qu'aujourd'hui nous sommes perdus.
Et que demain, tout est
possible.
Oui, on dit que le temps passe.
Les auteurs de Littéramaohi s'interrogent, racontent cette question ainsi
que les ambiguïtés qu'elle recouvre. “Porteurs de patrimoine”... et jamais des
mots n'ont dû rassembler autant de contraires : la banalité, celle qui noie l'im-
portance des choses dans le torrent des autres. Et l'exception, dramatique, fra-
gile. Ce nombre dérisoire. Cette bienveillance si profonde. Et l'indifférence
suffocante. Cette gratitude incommensurable qui commande le respect dans
l'âme. Et l'arrogance de ne s'y plier qu'une fois l'an. Ou deux. Qu'importe. Et
d'oublier ensuite.
“Porteurs” comme “porteurs de pierres”, denses, lourdes, primordiales, éter-
nelles. “Porteurs” comme “porteurs de vent”. Insaisissable et volatile.
l'avenir et qui serre
quand on pense au passé. Même dans la mémoire absente. Oui, même dans
Et “patrimoine” ce terme qui palpite quand on regarde
l'amnésie.
“Porteurs de patrimoine” trop souvent inconnus - que nous devrions tous être
-
racontés avec une nostalgie qui peut être, un jour,
Entre temps, l'autochtonie se clame en
deviendra un luxe. Qui sait ?
échos et en rythme à défaut de se
résoudre tout à fait elle même. Le temps d'un Pinamûi, qui cette année encore,
a uni
dans le sable la sagesse et l'avenir de notre peuple.
Et cette revue existe.
Heinarii Grand
Evil Cone
Take
LittéRama'OHi #22
Simone Grand
Simone, Mathilda Taema Grand, née à Tahiti de parents métissés nés
à Tahiti est
deformation scientifique. Etudiant les soins traditionnels et
la maladie à Tahiti aboutit elle réalise une thèse d'anthropologie médicale. La maladie fait tomber les masques et permet d'interroger les
préjugés émis sur les Polynésiens.
Parmi les porteurs de ce patrimoine immatériel
qu’est la mémoire,
souvent rivale de l’Histoire
qui et que choisir ?
Pour peu que l’on soit attentif à l’actualité qui
demain sera mémoire et/ou
Histoire, il y a matière à réflexion. Surtout dans nos îles où tant de grossiers personnages confabulent doctement sur nous et nos ancêtres insulaires, européens
et autres. Si je les traite de grossiers, c’est qu’ils et elles ne se sont jamais présen-
Ils et elles n’ont jamais pris la
peine de nous dire qui ils sont, d’où ils viennent, et pourquoi ils ont quitté ce
fabuleux lieu de leurs origines qui leur confère ce droit exorbitant de nous
observer comme d’étranges objets pour ensuite, discourir à loisir sur nous et à
notre place.
Il m’arrive de penser que certain(e)s se prennent pour les circumnavigateurs
du XVIIIè siècle rédigeant : rapports à l’intention de leurs financiers et corntés comme l’exige la plus élémentaire courtoisie.
manditaires, lettres à leurs familles et amis, observations de terrain aux savants
sédentaires de leur temps, etc. Mais une différence phénoménale les distingue
des illustres devanciers dont ils se réclament en filiation ; ceux d’aujourd’hui
n’ont très souvent aucune audience en leurs pays d’origine. Ils y sont d’illustres
inconnus. Ils ne peuvent prospérer quid, grâce à notre
beaucoup pourraient en être des traces vestigiales.
histoire coloniale dont
15
Dossier
telle impor"Je n’ai pas de réponse satisfaisante à apporter à cette troublante question. Car quelque part nous participons volontairement à consolider ces rôles
usurpés et ces discours qui nous ravalent au rang d’objet. Ainsi, il m’a fallu me
faire violence lors d’un café-philo organisé par mon amie Lenora Bennett au
parc Albert il y a quelques années. Un professeur de philosophie qui se croyait
philosophe disserta sur les anciens polynésiens forcément “ primitifs ”.J’ai fini
par me lever et lui dire : “Je n’insulte pas tes ancêtres, pourquoi insultes-tu les
miens ? ” Il s’est tu et étrangement, il n’a plus eu grand-chose à dire sur quelque
sujet que ce soit.
Pour avoir étudié des éléments fondamentaux de toute société, à savoir : la
maladie et les soins en Polynésie, je me retrouve inévitablement aussi du côté
de ce que j’appelle : les experts es nous. Pour m’en distinguer, je vais me présenter brièvement. Je suis née en 1943 à Tahiti dans les Etablissements français de
l’Océanie de parents réunissant en leurs personnes, de complexes histoires
La question à se poser est : “ Pourquoi leur accordons-nous une
tance ?
humaines. Ma mère est née à Faaa dans le fieffamilial de sa lignée paternelle,
deux mois avant le bombardement de Papeete par les Allemands ripostant au
coup de canon ordonné par le commandant Destremau. Son père était fils d’un
officier de l’armée impériale napoléonienne battue à Sedan devenu notaire et,
d’une jeune femme de la noblesse tahitienne. Il mourra de la grippe espagnole
en 1918, laissant ma
grand-mère née à Tubua’i et ne parlant pas français, dans
le dénuement. Elle fit des ménages et fut lavandière dans les rivières alors lim-
pides de Papeete. Mon père né à Fautau’a d’une Mexicaine et d’un Bordelais,
avait 7 ans lors du bombardement de la ville. Il en fut terrorisé.
Le premier enfant de mes parents fut un garçon adulé jusqu’à ses cinq ans,
l’année de ma naissance, triste pour lui. Sa petite sœur d’une extrême fragilité,
subclaquante à la moindre maladie infantile, au moindre
plus petit carré de chocolat, au plus petit courant d’air,
qu’il fut non seulement délaissé mais souvent rabroué, puni voire fouetté à
l’aide de badines de folies-jeunes-filles, Rhodiola rosea. Cruel et incompréhensible renversement de situation pour le robuste et turbulent garçon qui,
jusque-là régnait sans partage. Puis notre fratrie s’agrandit d’une fille et plus
était si régulièrement
écart de nourriture, au
tard, d’un garçon.
Je fus une agaçante enfant questionneuse à la maison comme à l’école, irritant les adultes sauf mon père qui me répondait imperturbable : “ Cherche ! ”
Il mourut à 47 ans d’une angine de poitrine, nous laissant estourbis de chagrin.
J’avais 11 ans. Grand-mère Marae s’exclamenta : “ Faahou a ! Vahiné 'ivi e maha
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'OHi #22
Simone Grand
tamari'i. ” “ Encore ! Veuve avec 4 enfants ! Auê ! ” Pour sa fille, elle aussi rejetée
par sa belle-famille bien que mariée alors que Marae et Tuari’i ne l’étaient pas, se
répétait le drame de sa propre vie. A même pas 12 ans, je fus virée de l’école des
soeurs et de la famille
paternelle. Je rejoignis le collège Paul Gauguin et devins
adventiste. Les porteurs de certitudes et de vérités ne supportent pas les questions. Tant que vécut mon père, je fus brillante à l’école. Après son décès, je fis
plus souvent qu’auparavant, exprès de faire faux des devoirs et compositions.
Si souvent, qu’il m’arriva d’avoir faux sans le vouloir.
Titulaire du BEPC à 14 ans, j’obtins une bourse et partis par le cargo mixte
Collonges-sous-Salève au lycée adventiste. J’y décrochais le 1er
bac et revins à Tahiti préparer le 2eme (mathématiques élémentaires). En l’absence de
profde math et de physique, je m’y pris à deux fois avant de rejoindre
Le Tahitien, à
Montpellier par avion, y poursuivre de passionnantes études de sciences biologiques. J’avais écarté les études littéraires par crainte de me perdre dans un
monde mouvant et incertain. Je craignais de perdre pied dans ma tête. M’estimant insuffisamment matheuse, je m’orientai vers les plus rassurantes sciences
de la vie. Quel ne fat mon étonnement d’y découvrir l’emploi quasi permanent
du conditionnel. Les sciences n’offrent ni certitudes ni vérité, mais des résultats
obtenus à partir de matériel décrit, dans des conditions données et en suivant
une
méthode clairement identifiée. J’en fus à la fois ébranlée et excitée. La
l’université, je l’imaginais
de personnes unanimement respectées dispensant un enseignement indiscuté et indiscutable. Elle
se révéla un lieu de conflit de
pouvoirs où la connaissance la plus affûtée peut
être mise à mal par des jeux politiciens. En 2eme année de faculté, un professeur
de biologie, doyen de la Fac et adjoint au maire de la ville, nous délivrait un
enseignement plutôt terne. Curieuse, je complétai son cours par l’étude d’ouvrages traitant des découvertes sur 1ADN des professeurs Monod, Wolf et
Jacob, les nobélisés de l’année. A l’oral de l’examen, dans son bureau à girafe et
animaux empaillés de la garrigue, je débitai par cœur son cours et, toute fière,
le parachevai par mes lectures sur l’actualité scientifique. Il m’interrompit : “ Tutt
tutt mon petit. Les seules choses de sûres sont : le noyau, le nucléole, le cytoplasme et leurs membranes. Le reste n’est qu’artéfacts de préparation. Ne vous
encombrez pas la cervelle avec ce que racontent ces jeunes gens...” Deux
années plus tard, de jeunes enseignants réussirent à le déboulonner, à déménager des vieux locaux poussiéreux de la rue de l’Université emplis d’outillages
obsolètes, pour des bâtiments tout neufs aux lisières de la ville : clairs, aérés et
science est un questionnement permanent. Quant à
être un lieu aux références éprouvées et partagées, animé
17
Dossier
dotés d’outils les plus récents. Pour les titulaires du diplôme de l’enseignement
du professeur qui, en trente ans n’avait pas changé une ligne de son cours
comme en
faisaient foi les documents jaunis d’ex étudiants pères
d’étu-
diants du moment, ils mirent en place une unité d’enseignement de rattrapage
et de mise à niveau : un vrai bonheur.
Ainsi, des inepties peuvent être enseignées même à l’université ! Il est donc
indispensable de se débarrasser de tout suivisme pour mobiliser en permanence un
esprit critique vigilant.
C’est ce que pour ma part, j’ai tenté de transmettre à mes étudiants quel que
soit le sujet qu’il m’a été demandé de traiter. A mes étudiants, je présente les
matériels objets de notre rencontre, leur propose des définitions, leur déroule
la méthode permettant d’obtenir des résultats autour desquels une discussion
s’instaure amenant à des conclusions provisoires. C’est simple, humble et exigéant. Et ça permet de s’affranchir de maîtres à penser trop souvent maîtres à
délirer à plusieurs. D’autant que le délire à plusieurs me semble un peu trop se
répéter dans nos chères îles. Les exemples d’affirmations tendancieuses, totalement erronées, répétées comme des mantras et assénées en vérité vraie sont
malheureusement trop fréquents. Aussi, à la question récurrente : “ Madame,
comment contrecarrer
pifao, moki, sortilèges ? ” Ma recette est : “ Ne laissez à
personne le soin de penser à votre place. ”
Je n’aborderai pas ici notre vie politique ou religieuse, mais la culturelle et
sociale.
Il me semble qu’au Heiva, l’on assiste trop souvent à des spectacles où des
thèmes étrangers à la culture polynésienne ou la dénigrant grave sont présentés
avec une
sont
revendication à la ma'ohitude d’autant plus forte que les références
bibliques et donc importées. Or, la célébration de la Bible a tant d’autres
lieux pour s’exprimer ici et ailleurs. Alors que celle de l’Histoire et de la culture
polynésiennes ont si peu d’autres opportunités et si peu de porteurs possibles.
Ainsi, une année, l’on vit primer le mythe dAdam et Eve occultant totalement
celui de Hina-te-‘u’utu-maha-‘i-tuamea et de Ti’i, où pourtant réside une des
clefs de l’organisation sociale ancienne. Une autre année, ce fut le tour des premiers versets d’Ecclésiaste
chapitre 3 d’être primés. Une autre, l’on assista à un
sacré chop-suey de références où une ‘orovaru captive s’échappa pour rejoindre
Hadès dieu des enfers grecs au lieu de Ta’aroa dieu du Pô bien de chez nous.
Cette année 2014, les Mamaia furent présentés comme s’étant adonnés à des
sacrifices humains ! N’importe quoi ! Mais des matahiapo l’ayant affirmé, c’était
forcément juste. Je fus prise à partie par plus d’un, toute matahiapo que je sois
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'OHi # 22
Simone Grand
moi aussi avec mes 71 ans bien sonnés. Mais de naissance et de formation,
je
puis m’empêcher d’encore et toujours poser des questions. Surtout face à
des affirmations péremptoires, je vérifie, prête à reconnaître mes
propres
erreurs.
Historiquement, les Mamaia, furent appelés tels en sobriquet moqueur
par les missionnaires fâchés de voir leurs premiers convertis les abandonner.
Cela se produisit après la destruction des marne.. A un moment où le culte
huiari'i marae avait disparu. De toute évidence, si les sacrifices humains ont
existé, ce ne pouvait pas être au temps des Mamaia. Par ailleurs, l’existence de
sacrifices humains est contestée par le professeur Jean Guiart. Il sait de quel
monde imparfait il vient. Il connaît les obsessions habitant les cerveaux d’Européens et le conditionnement opéré sur les esprits qui virent ce que leurs
enseignants eux-mêmes conditionnés, leur avaient dit qu’ils allaient voir chez
ne
nous.
Alors à quels porteurs de patrimoine se fier ? Les matahiapo consultés
par
la rédactrice du thème sur les Mamaia en 2014 ? La
matahiapo que je suis pra-
tiquant le doute scientifique ? De toute évidence, les thèmes des spectacles du
Heiva méritent être vérifiés et être
l’objet de négociations entre les différents
intervenants. Quitte à porter un patrimoine, autant
qu’il soit juste et cohérent.
Et s’il est métissé, que ce soit en toute connaissance de cause.
Mais il n’y a pas que nos matahiapo
d’origine locale à se revendiquer porteurs de patrimoine. J’en ai connu
depopa’a, dans une société savante où en fin
de bulletin j’avais, avec l’accord de tous, ouvert une rubrique “ Débat ”. L’un des
membres savait trouver des rapports et lettres fort intéressants de fonctionnaires et missionnaires sur les
Polynésiens et les premiers colons. Il les présenparoles pertinentes et des démarches respectables. Pour ma
part, je trouvais ces mêmes paroles plutôt racistes et certaines démarches
encensées comme relevant de la stupidité. Ces
points de vue différents avaient
trouvé leur place en fin du numéro suivant. Cela me semblait relever non seulement d’une démarche scientifique normale mais d’une indispensable
hygiène
mentale auprès des lecteurs. Sous des prétextes fallacieux dérisoires, au bout de
quelques numéros je fus l’objet d’une violente attaque groupée. N’appréciant
ni la goujaterie ni la maltraitance,
je démissionnai. La rubrique Débat fut supprimée. Ce fut comme si, en dénonçant la mauvaise foi, le racisme et l’imbécillité d’“ experts es polynésianité ” ou “ experts es nous ” d’hier,
j’avais commis un
sacrilège.
Mais si ces personnes avaient décliné leur identité vraie et
présenté les
motivations les conduisant à parler de nous directement ou
par le truchement
tait comme des
19
Dossier
de pseudo-experts du
passé, la collaboration aurait certainement continué. En
estudiantine, orateurs
et intervenants étaient
interpellés par le public : “ D’abord, dis-nous qui tu es.
Dis-nous d’où tu parles. Sinon tais-toi. ” Dire
qui l’on est et sa motivation à par1er est un gage de confiance. Toute personne qui s’en exonère ne
peut être que
mai 1968 lors des bouillonnants débats de la révolution
suspecte.
Les groupes de danses entrant sur scène à To’ata
aujourd’hui ne se présentent-ils pas ? Surtout ceux des communes rurales et des îles
qui nous déroulent
qui les a fait être ce qu’ils sont. Ils disent la montagne haute, mou'a teitei, le lieu
promontoire, te otu’e et le marne qui sacralise l’ensemble. Après avoir dit et décrit l’espace, vient le
temps du récit où des héros
ce
de réunion, tahua tei raw, le
relèvent les défis lancés à la vie et à la mort.
L’ennui, c’est que peu d’entre nous osent exiger des autres ce qu’exigeait la
révolution estudiantine. A force, en n’exigeant pas cette élémentaire
marque de
respect, on accepte l’irrespect, une situation d’infériorité et de soumission où
le cerveau fonctionne moins bien.
C’est ainsi, que sont reprises pour argent
comptant des paroles de mission-
naires essayant de se faire mousser
auprès de leurs commanditaires lointains,
de leurs sociétés où ils n’étaient pas
grand-chose en forçant ou inventant des
traits repoussants à ceux qui leur avaient
pourtant offert l’hospitalité. Et sans
qui, ils n’auraient pas survécu. Etrange reconnaissance du ventre. Mais ils
n’avaient pas écrit pour les descendants de leurs hôtes bienveillants. S’ils n’ont
pas trop forcé sur le cannibalisme, par contre sur l’idolâtrie ils y sont allés allégrement. Comme si des gens qui avaient fondé des sociétés somme toute harmonieuses où l’on savait
manger à sa faim, s’habiller convenablement, rire et
s’épanouir, étaient assez stupides pour adorer des morceaux de caillou ou de
bois qu’ils avaient taillé eux-mêmes. Le
pire est que cette ânerie est reprise par
des descendants des aimables accueillants qui, à leur tour, insultent leurs
propres ancêtres. Chacun a pu l’entendre, énoncé du haut du siège de président de
lAssemblée. Et même des lettrés, exercés à la controverse, croient ces balivernes
et les transmettent...
religieusement à l’université ou ailleurs.
Quel patrimoine portons-nous ? Quel patrimoine transmettons-nous ?
Ayant eu à travailler sur le roman de Rowan Metcalfe : Le passage de Vénus,
racontant l’après mutinerie de la
Bounty et la vie à Pitcairn, je fus gênée par l’emploi
récurrent du mot ma’ohi. Gênée car, ce n’est
que depuis les années 1970 que ce
terme est utilisé
pour désigner en plus d’“ ordinaire, indigène ”, “ l’habitant de la
Polynésie française ” (Académie tahitienne). La Polynésie française n’existant pas
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi #22
Simone Grand
1789, ma’ohi, ne pouvait avoir le sens donné par l’auteur. En outre, maôhi
signifie “ attouchement ” en marquisien (dictionnaire Dordillon) et n’existe pas
en
paumotu (dictionnaire Stimson). En 1790, aucune des personnes débarquant
sur File de Pitcairn ou Elitiarevareva ne pouvait se prévaloir d’en être originaire.
Ils étaient tous des étrangers. Aucun n’en était Ma’ohi. L’opposition habituellement décrite entre Ma’ohi / Popa'a - Blanc ne tient plus. Pourtant il y eut affrontements meurtriers entre deux groupes distincts de personnes qu’à première vue
l’on pourrait classer selon des critères raciaux racistes de couleur de peau. Or,
Rowan décrit parmi les mutins en la personne d’Eti Young, un métis antillais à
la peau foncée et aux cheveux crépus “ comme ceux des Paumotu ” (quelle semble distinguer des Ma’ohi) considéré par les Blancs comme leur égal. La discrien
mination selon la couleur de peau ne tient vraiment pas.
L’incendie du navire par le mutin Matiu Quintal pourrait éclairer cette réalité conflictuelle masculine pour peu que nous adoptions une autre grille de
lecture.
D’un côté il y a les 9 mutins pourchassés par la marine anglaise pour les pen-
dre haut et court. De l’autre il y a les 6 passagers océaniens embarqués pour
voyager et découvrir le monde.
Les mutins étaient enchaînés les uns aux autres par leur acte de mutinerie
plus sûrement que par de lourdes chaînes cadenassées. Les Océaniens embarqués sur la Bounty l’ignoraient. Ils venaient d’îles différentes (Tahiti, Ra’iatea,
Tubua’i). Ils auraient pu être Blancs, Noirs ou Jaunes sans que cela n’influe sur
la suite de l’histoire. Avant d’arriver à Pitcairn, ils auraient pu partir librement.
Une fois sur cette île de la dernière chance pour les mutins, ils sont des
condamnés à mort en sursis par des condamnés à mort traqués.
Les mutins s’organisent en survie en s’appropriant les femmes pour tenter
de vivre à peu près normalement entre eux et tant pis pour les six autres qui
doivent se partager trois femmes. Cette appropriation discriminante des
femmes est une mise à mort symbolique des non mutins qui, au départ,
n’avaient entre eux pour lien que celui de compagnons de voyage. Ils n’arriveront pas à se créer de lien aussi fort que celui des mutins entre eux qui exigent
deux autres femmes car deux des leurs sont mortes. Deux non mutins se révol-
les quatre qui ne peuvent ni fuir ni
espérer vivre normalement. Au bout de deux ans, ils tuent cinq mutins et sont
poursuivis et tués par les quatre survivants qui, sous l’emprise de l’alcool, finissent par s’entretuer ne laissant que deux qui mourront de mort naturelle à une
tent et sont tués. Il reste une femme pour
dizaine d’années d’intervalle.
21
Dossier
Telle peut être la lecture possible de ces drames sanglants nés de trajectoires
tragiques, de situations extrêmes dans des conditions obsidionales (situations
d’assiégés).
Je poursuivrai ma réflexion sur les porteurs de patrimoine mémoriel en évoquant les commémorations du centenaire du bombardement de Papeete où
l’on célébra les faits d’armes de Maxime Destremau, précédé d’un documen-
charge contre le gouverneur et les commerçants de Papeete, eussent-ils
répondu “ présent ” à l’appel du commandant. La présentation des personnages
ne
peut se prévaloir de démarche d’historien tant elle fut caricaturale : d’un côté
les pourris de commerçants et de gouverneur et de l’autre le blanc chevalier.
Destremau malgré sa bravoure, avait un peu perdu la tête en respirant la poudre...1 ” écrit sans rancune mon grand-père qu’il faillit passer par les armes avec
d’autres Français accusés par lui d’être des espions. Heureusement que l’évêque
réussit à calmer le militaire nostalgique de fusillades, prêt à se défouler sur de
paisibles commerçant, avocat et employé, eussent-ils répondu à l’appel de
taire à
“
défense de file.
C’est mémoire contre mémoire. La vérité historique est sans doute entre les
deux.
Je terminerai cette réflexion sur les “ Porteurs de patrimoine ”, avec Mâui, ce
fabuleux héros présenté par certains “ experts es nous ” de : trickster. Selon Wiki-
pedia, “ trickster = fripon, farceur ou (selon la terminologie anglophone, personnage mythique présent dans toutes les cultures) ” Le T. Jaussen donne pour
farceur ta ata ho'ata, ta'ata arearea. Et pour fripon = ha avare, eia. J’ignore si vous
reconnaissez notre légendaire Mâui dans ces définitions-là... Aussi, je vous
propose de m’accompagner dans la recherche du sens du mot “ Maui ” comme
je l’ai fait en page 178 de : Mai te Pô maira teAo (Ed. To’imata) où sont repris
des mythes des origines restitués dans Tahiti aux temps anciens de Teuira Henry
(TH).
=
Mâ-û-i. Ainsi écrit TH. LAcadémie tahitienne (Acad) écrit Mâui. Le tarava
n’existant pas au temps de TH, je suppose quelle écrirait aujourd’hui Mà-ü-i.
Ainsi décomposé, ce nom
signifierait :
1. Ma = propre, pur, clair, exempt
de souillure ; marque le pluriel des noms
cible, repaire (sans doute repère) (Acad.) Dans
propres ; marque sur une
TH, mà signifie aussi “ avec ”,
patrimone
Ifëdspioteurs
LittéRama'oHi #22
Simone Grand
2. Ü= prévaloir,
conquérir ou mouillé.
3 .Je n’ai pas trouvé d’usage situant I à la fin d’une locution.
4. Aussi, au lieu ü-i, j’opte pour ut =
question.
5 .Ainsi, Màui pourrait être traduit par “ Questions ”, “ Questionneur ”,
“
Questionnement ”. Dans les mythes et légendes, il est celui qui interroge
la réalité et cherche des solutions à ce
il est souvent qualifié de ti'iti’i. Or, tu,
ment Màui ti’iti’i
qui apparaît une fatalité. En outre,
signifiant aussi “ quérir ”, littérale-
pourrait être : “ Questions recherchées ”.
Après avoir compris cela, je me demande si le patrimoine le plus essentiel
justement pas celui
porté par Màui le questionneur.
à partager entre nous et à transmettre absolument n’est
1
Henri Vital Grand (2014) : Tribulations à Tahiti et en Amériques, Ed.To'imata,
136p.
23
Hinatea Rose Demolliens
Parfum d’Amour du Tahiti d antan
En escale dans la rade de Papeete, le
jeune marin arpente nerveux la façade en
bois de l’établissement des Messageries Maritimes.
Il attend “sa copine” du bout du monde.
Il est amoureux et elle aussi.
Ils sont j eunes et beaux, chacun arbore ce sourire éclatant et des yeux lumineux
qu’ils garderont toute leur vie l’un pour l’autre.
Ils vont faire la fête, ils vont s’aimer dans l’ambiance chaleureuse et bon enfant
du Tahiti d’antan.
Le quai de la rade de Papeete sent bon le tiare Tahiti et le
tipanier. Les Messageries Maritimes font face à la rade et la vahiné est toujours la première informée de l’heure d’arrivée exacte des bateaux et de leurs retards aussi.
Un jour pourtant, il faut se quitter sur ce quai.
Il faut se dire adieu avec l’espoir d’un retour prochain.
Alors, le marin jette à la mer la couronne que la vahiné a pris soin de mêler aux
couronnes de
coquillages traditionnellement offertes à ceux qui partent loin.
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi #22
Hinatea Rose Demolüens
Tous deux scrutent les courants.
Le sillage du bateau fait tanguer leur couronne.
Si cette offrande aux dieux et déesses de la mer reste dans la rade, pour sûr qu'il
va revenir
pour elle.
Les deux amoureux vont s’écrire pendant cinq longues années avant d’être à
nouveau réunis
dans les bras l’un de l’autre.
Il faut attendre le prochain bateau pour recevoir du courrier, en moyenne une
lettre tous les 6 mois.
Des photos sont échangées. Le temps passe.
5 ans à s’écrire, ce sont de très longs jours pour cette vahiné devenue mère céli-
bataire et ce marin piqué au tiare Tahiti tenu loin des eaux chaudes du Pacifique.
Un jour, à nouveau la rade de Papeete est colorée des couronnes de fleurs qui
chantent le grand retour du tane popa’a et l’enfant en bas âge sera très fâché de
céder sa place et de devoir habiter seul une autre chambre du fare.
La vahiné est toute à son tane, elle délaisse l’enfant et son ouvrage de broderie
pour vivre l’Amour, telle une Pénélope retrouvant son Ulysse.
Sans argent, aux premiers jours de leur vie commune, ils vont longtemps se
contenter du café
pain beurre, du fromage en boîte et du punu pua’atoro avec
du riz.
Elle ne sait pas encore cuisiner, il va lui apprendre.
La vie suit son cours et nos tourtereaux toujours très amoureux ne se quittent pas.
Ils sont comme les doigts de la main, toujours ensemble.
L’un ne va pas sans l’autre.
Les fêtes de tout Tahiti se succèdent, ils boivent, fument et font bombance de
tout, ils s’aiment, la vie semble facile.
Il y a peu et tout est partagé.
Il la suit partout, ils sont des éternels amoureux.
Les enfants nés de leurs étreintes sont pris en charge la nuit comme le jour par
les taties et les grand-mères. “Que du bonheur !” dit-on aujourd’hui.
25
Dossier
Toujours à bouger, ils vont être appelés “les pigeons voyageurs”.
Ce sont des hôtes remarquables, des compagnons de fêtes de bonne compa-
gnie, la casserole sur la tête en guise de chapeau, la meilleure bouteille à offrir
dans la main, ils ont ri, beaucoup ri.
Il s’amuse toujours avec elle.
Bel homme. Il n’est pas question de faire le joli cœur auprès des autres vahinés.
Il ne semble même pas pouvoir l’imaginer tant est qu’il ne voit quelle.
La vahiné n’est pas volage, elle a un charme fou et une grande générosité de
coeur.
Tout le monde l’aime.
Elle ne perd jamais de vue son tane, elle veille toujours à ce que la flamme de
leur amour soit protégée. Elle n’est pas prêteuse.
Avec la maturité elle se met à aimer le calme et les verts de Polynésie.
Il va passer des heures à tondre le gazon pour son plaisir.
Elle lui mitonne des petits plats très chauds juste comme il aime.
Il déguste et commente toujours pour elle, la cuisson, le goût, le prochain repas
à réaliser.
Un mo’otua, le mara’amu, les pluies régulières, les fidèles compagnons chiens, les
goyaviers envahisseurs et les poissons du lagon vont animer leurs journées dans
ce
petit bout de paradis au bord de la mer, dernière étape que leur amour s’offre.
Ils vont comptabiliser près de 60 ans de vie commune.
A 82 ans, elle s’inquiète encore pour lui, consciente que son état de santé à elle
se
détériore considérablement, elle dit souhaiter qu’il décède avant elle car “il
va être
perdu sans moi”.
Encore une preuve d’un grand et bel amour.
Elle est morte avant lui et très vite il est tombé malade.
Il lui a survécu 3 ans et a continué à parler d’elle au détour d’une émission culinaire, d’une carte de voyage retrouvée retraçant leurs parcours de leurs Tours
de France.
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi #22
Hinatea Rose Demolliens
Il a été ému et content de se rendre
compte, qua son insu, elle a toujours gardé
précieusement rangé dans des boites en fer leurs souvenirs.
Les cartes postales de
régions visitées ensemble et toutes les longues lettres
d’amour classées soigneusement année par année.
Même aux jours les plus sombres de la
dégénérescence liée au vieillissement
cellulaire, l’amour a toujours été présent.
Il a pris soin d’elle, il lui a servi ses 3
repas et il a veillé à ne pas l’énerver car cela
n’est pas bon pour elle.
A 86 ans, il a fermé les
yeux avec gratitude.
Aujourd’hui dans le ciel, il y a deux étoiles de plus qui scintillent et veillent à
rappeler à leurs enfants qu’ils se sont aimés tellement fort.
27
I Rriirau Richard-Chui
Polynésienne, auteure de "Je reviendrai à Tahiti11 et de "Mata mimi’’.
Immémoriale Eau Vaima
“
Il nefaut pas vendre nos terres ”
répondu mamie Léone Tetuamanuhiri, tupuna, frêle et fatiguée par la maladie, lorsque je lui ai demandé si elle n’avait pas des informations
Voici ce que ma
sur
la rivière Vaima.
Pourquoi Vaima
C’est au détour d’un chagrin, un jour de pluie, que j’ai aimé l’eau pure, dite
“
Vaima
Déjà, cet endroit m’appelait, j’y avais rencontré un vieil homme qui nourfois que je les ai vues, effrayée, je me suis réfugiée sur un rocher. Et puis, l’anguille aux yeux bleus est venue me voir en rêve,
en
serpentant dans le noir, elle fonçait sur moi, magnifique. Depuis, j’ai appris
à vaincre ma peur des anguilles, j’apprécie leur contact, elles viennent à moi,
elles ont un odorat très développé et me reconnaissent lorsque j’entre dans
l’eau. J’y suis très attachée et je constate avec tristesse leur disparition progrèssive, les gens font un peu tout et n’importe quoi à Vaima.
rissait les anguilles. La première
ils jettent des plastiques, parfois font leurs besoins dans les coins feuillus non loin du rejet de la
Dans cette eau pure et propre, ils se shampooinent,
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi #22
Rrirau Richard-'Jiui
même, certains ont emmené des poissons rouges “ pour colorer l’eau
claire ”, sans penser qu’ils mangeaient tout ce dont les nato et les anguilles se
source
nourrissaient ; si vous cherchez bien, vous y trouverez même une petite tortue
d’eau douce. A côté de cette pollution matérielle, il y a aussi la pollution sonore.
Par exemple, le 9 août 2014, des malveillants ont ôté une des barrières installées
par l’ancienne mairesse pour empêcher les boum boum et comportements de
débauches... un jour semblable aux autres. J’ai nettoyé leurs détritus : des
plastique, des couverts, des ballons, des savates, des papiers de friandises, une corde blanche, des cannettes de bière et de soda. Un autre jour, une
assiettes en
bouteille de whiskey vide, une barquette vide de ma’a, une couche souillée. Si
y allez vers 7h30, vous rencontrerez Roberta, qui travaille pour l’associaVaipahi, elle nettoie quotidiennement le lieu, elle défriche, taille, coupe
parfois des Opuhi pour orner l’arbre mythique qui surplombe le bassin de
vous
tion
Vaima.
A chaque aube, je retrouvais Vaima, “ Eau pure ”, toujours si belle, si claire,
jamais connaître son histoire, son passé. J’aime cette rivière et jamais je ne
pensais un jour aimer une rivière. Il y a un rocher sur lequel je m’assieds à fintérieur même du bassin : Une autre femme a du s’y asseoir dans les temps
anciens, elle s’y est assise au cours des siècle, morte et née à nouveau, car le
rocher porte la marque du postérieur ; il est très confortable, le rocher se moule
à mon corps lorsque je m’y assoies et que j’écoute Vaima me parler bruyamment, pleine de vie. Je l’écoute sans la comprendre, comme je le fais avec ma
sans
langue natale : Je me laisse bercer par les sons.
Depuis novembre 2013, j’y suis allée presque tous les jours me baigner, à
l’aube, un besoin vital de retrouver l’anguille; je remarque tous les changements,
je vois lorsqu’on déplace une pierre ; je connais les trois habitacles du crabe de
rivière, à quelle saison il apparaît et disparaît ; j’ai tellement observé l’arbre suspendu au dessus de son eau, que je sais à quel endroit son tronc est recouvert
de champignons et la façon dont ses racines enlacent les rochers qui lui servent
de socle. Je sais que dans le petit bassin adjacent à Vaima, dénommé Vaituana,
vit et
grandit lentement une petite anguille que j’ai appelée “ bouche tordue ”,
que j’ai vu la première fois alors quelle faisait environ 25 cm, elle doit faire à peu
près 50 cm aujourd’hui. Il y a dans ce bassin tapissé de pierres multicolores, une
pierre étrangement marquée d’un trou, comme je n’en ai jamais vue avant, je
l’ai laissée à sa place, elle appartient à cet endroit.
29
Dossier
À la recherche du passé de Vaima
Celui qui refuse de transmettre, refuse d’éduquer. Le patrimoine s’égrène en
lanternes qui éclairent nos routes quand le soleil n’est plus là : S’il disparaît, nous
errons sur
d’autres chemins qui ne nous appartiennent pas, nous devenons des
étrangers. Je ne fais pas partie de cette génération qui veut tout s’approprier sans
citer les sources, sans partager, sans
échanger. Le plus grand handicap qui me
pèse est la langue, c’est la lanterne manquante sur cette route mal éclairée, qui
m’oblige à tant de détours, à frapper à des portes qu’on refuse de m’ouvrir.
Pour qu’il y ait transmission, il faut qu’il y ait un transmetteur et un récep-
Aujourd’hui dans une culture de moins en moins palpable, les transmetils risquent de noyer la descendance
dans l’oubli, avec cette obligation de tout reconstruire à partir des autres, à partir
de ce qui ne lui appartient pas.
teur.
teurs doivent refuser le sectarisme, car
Il m’a pris l’envie de connaître tout de cette rivière, de ce patrimoine ; j’ai
donc lu et trouvé si peu, car la véritable mémoire de Vaima date d’avant les
livres ; Teuira Henry la survole à peine. Un jour je croise une femme qui net-
toyait les pehu à Vaima, un peu méfiante parce que je suis blanche, elle m’a
donné du bout des lèvres quelques indications puis m’a emmenée à Poema, de
l’association Vaipahi. Je parle avec Poema, lui pose des questions sur Vaima.
“
Qui es-tu vraiment ? "me demande-t-elle, comme si Vaima était un secret
d’Etat.
“
Je suis Ariirau Richard, nom de jeunefille, Vivi, nom d'épouse; maman Tahitienne, papa Français, je suis la petitefille de Léa Poroi, de Tipaerui. ”
“Alors dans ce cas, ilfaut que tu ailles demander à quelqu'un de ta famille, c’est
mieux, on ne transmetpas les histoires comme ça ; va voir Ella Poroi, sinon essaie aussi
papa Amaru qui est aveugle ou mamie Leone. Tu vas au magasin chinois, Ella n’a pas
de téléphone mais on te dira où elle vit "
Je suis allée au magasin chinois, j’ai demandé où papa Amaru vivait, où Ella
vivait, on m’a gentiment montré leurs maisons : je me suis dit à ce moment que
les portes s’ouvraient.
Je suis arrivée chez papa Amaru, je me suis présentée, il m’a dit de m’asseoir et
bien qu’étant aveugle, il ma fixé de ses yeux blancs en souriant. Et puis il m’a dit :
patrimone
dpoertus
f les
LittéRama'oHi .# 22
flrirau Richard-Uiui
“
Je ne suis ici que depuis 5 7 ans, c'est peu. Je suis sans grandes connaissances ; va
depuis toujours, et puis c'est quelqu’un de ta famille ; sinon
reviens me voir et je verrai sije suis disposé à te parler. "
voir Ella Poroi, elle est là
faisant
qu’ils ont dit oui. Respectueuse de son mutisme, j’ai encore espoir d’obtenir des informations sur Vaima avec mamie Ella Poroi qui vit deux servitudes
plus loin.
Nos anciens ont cette particularité de savoir nous dire non en nous
croire
Une vieille femme de 92 ans, toute menue, les cheveux courts et gris, mac-
cueille, souriante ; dans son salon je reconnais une photo de mon aïeul Alfred
Poroi, de sa première épouse, je descends du 2emc lit, de sa deuxième épouse,
Orimai Teioatuatehoahoarai Henry. Je me présente.
Ella commence à me parler de la généalogie, puis elle s’adresse à moi en
m’appelant “ poupée ”, parce que, en effet, j’ai exactement la même tête d’une
femme sur une photo en noir et blanc, une inconnue pour moi, Poroi, qu’on
appelait “ poupée ”...
—
—
—
—
—
Mamie Ella, que connais-tu de Vaima ?
Pas grand chose ! Il y avait Tavararo chez les Poroi, tu sais que c’est lui qui a
dilapidé lafortune des Poroi ? Il a tout vendu aux Juventin, autrefois, nous
avions tout Tipaerui, et même plus, il a tout vendu !
Mamie, je voudrais écrire un livre sur Vaima et on m’a envoyée à toi.
De quelle branche descends-tu ?
De Taravaro en fait. Il est du deuxième lit. ...Te rappelles tu d’histoires de
Vaima ?
—Ah !... Sais-tu que tout le lac Vaihiria et ce qui l’entourait appartenaient à
Alfred Poroi et qu’il n’a jamais rienfait pour garder cette terre ? ”
Et puis Ella ma parlé de sa vie à Mataiea, avec son père, et puis ensuite son
époux, et elle m’a parlé du Tahua dont elle a oublié le nom, qui faisait des choses
diaboliques ” car il invoquait les esprits en tahitiens mais disait guérir au nom
du Seigneur, et puis elle m’a dit d’autres choses, elle m’a dit quelle a vu, de ses
yeux vu, des personnes diminuées physiquement se traîner jusqu’au bassin
Vaima et ressortir guéries, un peu comme un puzzle auquel il manquerait une
bonne dizaine de pièces. Puis elle conclut par :
“
31
Dossier
—
Vas voir les gens quifont les chants au Tiurai, eux ils connaissent des choses
sur Vaima
’’
Désappointée mais enrichie par ce contact avec une Tu puna, j'ai poursuivi
le soir même sur TNTVj John Mairai racontait en tahitien exactement ce que mamie Ella m’avait confiée.
Je n’avais donc appris aucun secret de
ma route ;
l’eau immémoriale.
Le geste symbolique
Je décide d’aller à la mairie de Mataiea. Là on me parle d’une légende qui
avait été chantée à un Heiva, liant le lac Vaihiria à Vaima, car c’est de là
que vient
la source. Je repense à ce que m’a dit mamie Ella, comme si elle avait voulu me
glisser un indice : “ Sais-tu que tout le lac Vaihiria et ce qui l’entourait appartenaient
qu’il n'a jamais rienfait pour garder cette terre ? "
à Alfred Poroi et
De la mairie, on me
dirige vers un certain Tati qui habite à Papeari sans plus
de détail ni nom de famille, ou d aller voir mamie Léone
qui elle, connaît sûreje vais donc voir Léone Tetuamanuhiri, mais elle dormait.
On me dit : “Je t’appellerai ce soir et je te dirai si elle est
disposée à te voir ”
ment des choses ;
Et de Léone j e n’ai rien
ne
appris, sur Vaima, du moins, rien que tout le monde
sache déjà : “Je ne sais pas grand chose ”
Et voici que mamie Léone me
parle de sa mauvaise expérience avec un
homme qui lui a bâclé son travail et qui cherchait à tout prix la reconnaissance.
J’ai eu beau lui dire que ce que je voulais, c’était juste écrire sur cette rivière qui
m’appelle, pour transmettre, en citant toutes mes sources, mais Léone ne se
dévoile pas ; elle me fait comprendre que je dois être patiente et
prouver que
je mérite de connaître la mémoire de l’eau Vaima, mais elle ne sait pas combien
je suis liée à cette rivière, que j’y vais plus que souvent, quelle est ma source de
paix ; elle me donne un vieux manuel de tahitien pour que j ’apprenne à parler
ma
langue. Geste symbolique : Reviens me voir quand tu parleras tahitien.
Certes bredouille et ignorante, j’admets
que j’aime Vaima toujours autant,
de la même façon que j’aime ses anguilles : en sachant
quelle couve des mystères que même mes ancêtres ne devaient
pas connaître et c’est son droit, d’être
mystérieuse.
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi #22
flrirau Richard-'Jiui
Il faut accepter qu’on ne peut pas tout savoir, il faut accepter d’être déshérité
de sa culture : une sorte de punition, peut-être, mais aller à l’encontre du désir
des autres, je pense ici aux porteurs de savoir, c’est aussi leur manquer de res-
pect ; j’ai le choix : Soit je creuse la terre, partout, n’importe où, pour en déterrer
les os du passé, et renaître avec lui, soit je laisse les os reposer en paix,
quelque
part. Dans un cas où l’autre, nul n’est responsable de mon ignorance. La persévérance, l’espoir et l’acceptation font aussi partie de ces lanternes qui éclairent
le chemin des enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Marine Tehea Frogier-Léocadie
Te faufa a o te Parau Pa ari a te Feia Pa'ari
“
E meafaufaa i te
parau i to ‘oe iho reo, na mua roa.
A here i to oe iho reo mai ia ‘oe iho. Eiaha
efiu i te parau i to oe reo.
A here i to oe reo, a here i to ‘oe reo, ‘a here i to ‘oe reo... ”
Teie te mau ‘irava hopea roa tau i faaroo, mai roto mai i te aau hôhônu o te
tahiMetuavahinepaari, ‘ua hau te 95 matahiti, no Raromatai i Tahaa, hou oia
a
faaru e mai ai i teie ao, piti mahana i mûri iho i to maua farereiraa. Auê te
pe ape a e te horuhoru te ‘aau i te faarooraa i teie parau bto, no te mea ‘ua faaauhia ia e e farerei faahou mâua, e aita ho‘i te reira i ti a hia :
Ei Hau i roto ia be e Màmà Tara iti !
‘Oia mau, no te faahôhônu atu à te faufaa o te
parau no te Reo e te Hiroa
tumu mâbhi, ‘ua
bpua vau, i te avae tiunu 2014 ra, e tere farerei e e uiui i te mau
manab hôhônu o te tahi mau taata
paari, mai te matahiti 75 e haere atu ai, i
Tahiti nei, i Raiàtea e i Tahaa. ‘Ua rau te mau manab nehenehe i vauvauhia
mai,
i horoahia mai, mai te tahi ô ra te huru, mai te tahi Aho Ora ra te huru. ‘Ua
maramarama maitai te mau tatararaa
hôhônu a tera e tera Metua Paari.
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi #22
Marine Tehea Frogier - Léocadie
Maheatua a Tetahio-Tefaaora, pi'ihia b Màmà Tara, fanauhia i te 24 no novema
1918 i Taha'a, o tei faaru e mai i te 27 no tiunu 2014 i ‘Iripau, Tahaa.
Tevahineviviura a Te ri 1 te to o fa-Mo h i, haaipoipohia ia Man ara ni, pi'ihia ‘0
Màmà Raipuni, fanauhia i te 13 no ‘eperera 1919 i Vaiaau-Tumaraa i Raiatea.
Tetuahunaiteuraheimata a Teiitae, haaipoipohia ia Opuhi, pi'ihia ‘o Màmâ
Tetua, fanauhia i te 14no eperera 1931 i Havino-Tahaa.
Amélia, Tetua a Tetuanui, haaipoipohia ia Paia, fanauhia i te 19 no mati 1937 i
Ruutia (Tiva)-Tahaa.
Henrietta, Meteiarii a Tereora, haaipoipohia ia Alves, fanauhia i te 25 no atete
1942 i Penrhyn, i te pae Rarotoa mâ.
Te vahi e mâuruuru roa atu ai tôu aau, to ràtou ia mata ataata, te reo marü e
te
pâpü maitai i te parau tahiti. Aita te mau tab e ano‘ino‘i, noa atu tei roto te tahi
pae i te ati mai, e mea nahonaho maitai i roto i te feruriraa no te mea e feruriraa
maohi pàpü o tei ora hia mai e râtou ia au i te oraraa maohi a te mau Tupuna : te
tahuraa i te auahi, te rapaauraa mai na roto i te ravea o te raau tahiti, te faaineineraa i te
ahimaa no te tahi oro a, te huru o te mau tautai i te tairoto e i te taitua,
te faufaa o te raraa, te
faaineineraa i te tifaifai, te puturaa i te mono‘i tiare tahiti,
‘ipo, te poe, te faraoa haari e te vai atu ra. Hau atu à i te faahiahia,
ua
operehia teie mau maitai i roto i te huaai na roto i te reo tahiti, e na roto i te
faaohiparaa i te tai taae e te navenave o te reo no Raiàtea e no Tahaa.
Ua faahiahia e ua fanao te tahi pae o te mau tamarfi, area te tahi
pae, ‘aita à
ia i apo i te faufaa taae e vai ra i roto i te mau
Matahiapo.
E i teie tau ‘api, tau o te oraraa bhie, te vai nei teie manaonabraa rahi : na vai
atu ra e
püpü i teie mau ô i roto i te u‘i-api o te Fenua nei ? Te moe marü noa ra
te mau taata
paari, e te faaru e mai nei te rahiraa o râtou, ma te taitai atoa atu i
te tunuraa i te
teie mau ô hanahana, teie mau Parau Paari, teie mau aai o to râtou iho ai a.
No reira, ‘ua tae i te taime, ia faaitoito te ui-api i te
tapiri atu i to ràtou iho
mau Metua Paari no te
aniani, no te uiui, no te feruri e o râtou, no te paepae
atoa i teie mau Metua i nia, noa atu te
paruparu o te mau mero, te haapahi i te
tahi mau taime, noa atu te ‘iri karukaru, noa atu te taere o te parauraa.
Te parau ra o Mama Tara, teie Màmà iti no Tahaa :
“
‘Aiü c, eiaha efiu i te parau i to be reo, ‘a here i to 'oe reo ! ”
35
Dossier
I taua taime ra, piri atu ra tô na nâ mata i te rohirohi e te vare'a tabto. Area
b vau nei, ‘ua araara maita'iia tô‘unâ mata, ‘ua toro nâ taria i teie ‘iravahôhônu
tei faaara e tei tamahanahana i tô‘u iho taata tumu.
Na te Parau Paari i roto i te Taata Paari e ‘iriti i te
‘uputa o te Paari
uputa o to tàtou Parau, bia ho‘i te
uputa o te Ora, te Hau e te Paari. ‘Ua matara teie uputa i mua i tb'u aro,,‘auae
maoti te maita'i o teie mau Taata Paari tei faariro roa ia‘u ei Tamari'i atoa na
Maoti atoa teie tab Here, ua matara te
ràtou.
Mauruuru rahi tô‘u ia butou tei faari'i hanahana ia‘u, tei tatara i te
uputa o
to butou ‘a‘au, ia mahorahora te Parau Paari.
No butou teie parau tau e pàpai nei, i teie mahana. la roa noa atu à to butou
pue mahana i te ao nei e ‘a tamau à i te bpere maite i te Here o to tâtou Parau i
roto i te
ui-api.
E teie Màmâ iti no Tahaa, mauruuru no teie ‘irava
poto roa ta be i faaoti e
püpü mai i roto ia‘u. Te faari'i atu nei au i teie Alio hopea to be, tei haahiroa ia‘u
i te faufaa rahi o to taua Parau. Aita faahou be i te ao nei, na to be rà Mana taae
e aratai iau i nia i te e‘a o te Parau Paari.
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi #22
Harine Tehea Frogier - Léocadie
Pehepehe haamanaoraa ia Tepa Daniel
Te Toa Tarava
Mai te mau piahi LLCER-LP2, ‘ua pâpa'i atoa mai au i te tahi pehepehe iti
ei haamanaoraa ia Pàpà Tepa Daniel tei faariro i tau momoeâ ei ohipa tei tupu,
bia ho‘i, te faautaraa i te hiroa mâohi i nia i te hô e tiaraa faufaa roa.
‘Ua pàpa'ihia teie pehepehe i te 26 no ‘atopa 2013, ei haamanaoraa ia Pâpà
Tepa Daniel. ‘Ua fanauhia bia i te 25 no ‘atopa 1946, e ‘ua faaru e mai i teie ao i
te 26 no ‘atopa 2013. E ‘ua ‘iriti paripari hia teie pehepehe ia au i te faanahoraa
i mûri nei ‘ia nehenehe ia himene tarava hia.
No te mea, nâ teie metua i tauturu rahi ia‘u i roto i tô‘u oraraa ‘orometua
ha'api'i Reo tahiti, i te pae o te hiroa e no te himene tarava tahiti ihoâ râ. ‘Ua
haere tino roa mai i mua i te mau piahi no te Tuarua, no te Tuatoru, no te ha'api'i
i te mau tai e i te mau auri, a te mau tamahine e a te mau tamaroa. ‘Ua faaite
mai i te mau tumu parau o ta na i
a
faâohipa, i te mau ‘irava himene o ta na i pàpai,
tu‘u atu ai i te ta‘i navenave o te tarava tahiti.
I te mau matahiti i ma'iri, e mea pinepine ta na pupu himene nô Papara, o
i te tatauraa himene
here e te maita'i o teie Metua tàne e moehia
ia màtou, te ‘opü feti i. I roto i tô na oraraa fa'arob porotetani i Papara e tô na
mau tere himene, na tô na iho hoa
haaipoipo, Frogier-Tepa Gloria, i ‘apee noa
ta na i aratai na, i te ‘amu i te rë matamua, i te Heiva, i roto
tarava tahiti ihoâ râ. E'ita te marü, te
e i tauturu
rahi ia na.
37
Dossier
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'OHi #22
Marine Tehea Progier - Léocadie
Te pehepehe o te Toa Tarava
I
Pinainai te reo o te Metua Tepa ra,
I nia i tà na mau tama e
Reo iti haiha i i te pi'iraa mai
Mai te puhihau o te mata‘i e
I te pae uputa o tou manava
Uiui haere te manao e
II
E te mau tamarn Papara nui e
Te toro atu nei te tari a e
Te Tarava tahiti, tau i faaroo
Tei hea mau atu ra taua e
‘Oia te aha o te u‘i-hou e
A mau maite i te reira e
Te Tarava tahiti, te aho ora
O te hiroa maohi e
III
Ua tarava i te mau tupuna ra e
Ua tarava i te aito, ua tarava i te ari‘i
Ua tarava i te puna, ua tarava i te moua
Ua tarava i te mau peho ra
Ua tarava i te rai, ua tarava i te tai
Ua tarava i tô na nunaa e
Ua tarava i te meharo, ua tarava i te tau
Ua tarava i te Taere maohi
IV
la mahuta noa mai Papara nui e
Papara a Oro hua re‘a
E te u‘i hou e, ia tai navenave
Te oto paripari i te fenua e
la tau ‘auhune i te Aroha o te fenua
I te Aroha o te rai teitei e
ILa
Il“
39
Dossier
Le poème du Toa du Tarava
voix de l’ancêtre
Tapa, s’adressant à ses enfants, a résonné.
C’était une petite voix légère comme le souffle du vent, et elle hélait.
A l’entrée de mes entrailles, des
pensées s’étaient interrogées.
Oh, Enfants du grand Papara,
Je tends l’oreille vers vous :
-
Où en sommes-nous avec le chant Tarava
que j’ai entendu ?
Il est l’attache qui marque et relie les
jeunes générations !
Maintenez bien cela !
Le Tarava tahiti est le
III
souffle de vie de l'âme maohi ! ”
“ Nous avons chanté en Tarava nos ancêtres, nos héros, nos
ari'i,
-
Nos sources, nos
montagnes, nos vallées,
peuple, la mémoire, le temps...
Les deux et la mer, notre
Nous avons chanté en Tarava la Culture maohi ! ’’
TV
“
Que le grand Papara de Oro hua red rebondisse !
Oh, vous les jeunes, que votre chant Tarava résonne agréablement
-
Tels les chants d'éloge de lamentation de la terre !
Afin que vous prospériez dans l'Amour de votre Terre
Et de l’Amour du Ciel très haut. ”
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi # 22
Marine Tehea Frogier - Léocadie
V
Ua hi‘a te toa i Tiamao e
Matari‘i-Nia e
A faari'i mai i te toa Tarava
I teie pou rahi mau a e
A moe te Metua i faaturahia
A tarava iroto iteHaue
A tau, a hiti, a hiti noa atu
‘Ei hau i to te ao maohi
VI
Teie te poro‘i e te uï-api e
Tei nia i to iho te parau ra e
Tô na iho hiroa, te hiroa tumu
Tô na iho reo, tâ na mau peu
Te tuaaai e te moemoeà
Tei roto ia be te uputa
E faufaa tumu rahi mau à
A faahotu maite té na e
VII
Ua tarava i te mau tupuna ra e
Ua tarava i te aito, ua tarava i te ari'i
Ua tarava i te puna, ua tarava i te mou a
Ua tarava i te mau peho ra
Ua tarava i te ra‘i, ua tarava i te tai
Ua tarava i tô na nunaa e
Ua tarava i te meharo, ua tarava i te tau
Ua tarava i te Taere maohi
VLe
VI"
Ml
Dossier
Toa de Ti'amao est à terre,
Oh, Matarïi-Ni'a, accueillez le Toa du Tarava,
Accueillez ce grandpilier !
Et toi l’ancêtre respecté, étends-toi dans la paix jusqu’à lafin des temps.
VI“
Et que la paix règne dans le monde maohi ! ”
Voici mon message à toi, oh, Jeunesse,
Il porte sur ce que tu es,
-
Sur son être, sa conscience, sa culture,
Sur sa langue, sur les traditions,
Sur les récits et sur les rêves !
Leur porte d’entrée se trouve en toi,
Faites doncfructifiez tout cela ! ”
-
Chantons en Tarava nos ancêtres, nos héros, nos ari'i,
Nos sources, nos montagnes, nos vallées,
Les deux et la mer, notre peuple, la mémoire, le temps,...
Chantons en Tarava la Culture maohi ! "
Karine Tehea Frogier-Léocadie
patrimone
dpoertus
es
13
LittéRama'oHi #22
Henrietta fTleteiarii Tereora flluès
"De Penrhyn à Tahiti. Ma vie ” ou la biographie d’Henrietta
Meteiarii Tereora - Alvès, auteur d’une centaine de chansons, née à Pen-
rhyn aux îles Cook, où elle a passé son enfance. A Tahiti, dès son adolescence, elle parvient en dehors de tout enseignement à se construire
elle-même grâce à son intelligence, son habileté manuelle et son courage.
Maurice Vinot, vieil ami de Meteiarii.
Te au Mokopuna
Àkamaitaki au
I to te rangi
Te so hanga mai na mokopuna nei e
Rekareka no toku pukuhatu e hahe
Mareka no te varua ra e
Mareka no te varua ra e
Tereora o te mokopuna mua e
Verani o te rua o te moko e
‘O Reva b Reva siringa kotou
No toku pukuhatu e hahe
Mareka no te varua e
Mareka no te varua ra e.
Siki epa siki i te pô
Siki epa i te kasa
Uapasakamai
Ua noho tu mai
Soro atu kia na
Soro atu kia aku
Aka patipati mai ia maua e he
Takuate na mokopuna nei e
Takuate, Takuate, Takuate na mokopuna nei.
M3
Dossier
I
A mes petits-enfants
Je remercie le Ciel,
Oh, oui ! Je remercie le Ciel
D'avoir comblé mon cœur,
D’avoir apaisé mon âme,
De m'avoir donné des petits-enfants.
Tereora, Verani, Chair de ma chair,
Vous êtes en moi, au plus profond de mes entrailles,
Au plus profond de mon cœur,
Vous êtes au plus secret de mon âme,
Vous êtes ma Vie; vous êtes mon être.
Tereora, Verani et Rave
Reva IReva !
Quelles merveilles !
Le soir, bercer un enfant dans ses bras
Le bercer à l’aube
Le voir s’asseoir et rire de son exploit
Le voir courir de toutes ses petites jambes
Jouer avec lui
Le voir se précipiter vers vous et se moquer de vous
Pure joie ’.Merveilleux bonheur !
Pure joie ’.Merveilleux bonheur !
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'OHi #22
Henrietta fDeteiarii Tereora Rlues
Tui hei
Tera mai te tiare
Tera mai te maire
Tera mai te hei Tahiti.
A tui ana ra
I te hei ‘unauna
Ei faanoano a
I to tâua tino
Atuitui ana ra
I te hei upoo
Ei haapeuraa
Na u i teie pô !
Te Hau i roto i teie ao
E fenua, e ao marama
E taata, e ohipa, e natura,
Ta te Manahope i poiete
E Here e Aroha e te Hau.
la vai, ia vai, ia vai,
la vai te Hau
I roto i teie nei ao
lavai, ia vai, ia vai,
la vai te Hau,
No be e e nôu.
Te rôti tei poe poe hia
E mauriuri
Faaapiapi i tô u mau manao
I te mau taime ri‘i atoa
Faaapiapi i tô‘u nei mau manao e
I mua mai i tô u taupee fare
I mua mai i tô u taupee fare
I te mau taime maniania bre e
Ho‘i atu ra vau
E ha amanab e
Te rôti tei poe poe hia e
Dossier
Tresse ta couronne
Voici le tiare
Voici la fougère
Voici lesfleurs de ta couronne
La belle couronne de Tahiti
Pour parfumer nos deux corps
Tresse-la vite
Tresse-la vite, la belle couronne de Tahiti
Pourfaire la belle ce soir !
La Paix en ce monde
La Terre, l’univers, la lumière,
L’homme et toutes choses de la nature,
Que le Très-Haut a créées
Ne sont qu’Amour, Bonté et Paix !
La Paix ! La Paix ! La Paix !
Que la Paix demeure en toi, en moi, En nous !
La rose à l’oreille
Toujours la voix du grillon,
Messagère de l’au-delà,
Brouille et suspend mes pensées
Quand je suis sur la véranda
La véranda de ma maison.
Et dans le silence qu’elle m'impose,
Dans le silence du passé retrouvé
Je me remémore
La rose qui joyeusement, se porte à l’oreille.
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'OHi # zz
Henrietta fTleteiarii Tereora Hlues
Teraitua
Te Tama here hia
Ta tô na metua vahiné i tô mai
I te ao nei
Mai te poro'i atoa mai
A rave ia na
A aupuru ia na
A a‘o atu i te parau
No tô na oraraa amuri atu
I te ao nei
Teraitua, Raitua.
Himene au no oe
E Maria te ari'i vahiné
No te here rahi ia mâtou
No reira ho‘i au e himene ai
Te metua vahiné no Ietu
Te metua vahiné no te Hau
E Maria, e Maria,
Te paretenia noa ra e
Te metua vahiné haamaita'i hia
Apure no mâtou !
Dossier
Teraitua
Enfant chéri,
Né d'une mère adorable,
Au ciel emporté,
Tu es mon fils !
Et, comme je le lui ai promis,
De tout mon cœur,
Je veillerai sur toi
Je t’armerai pour ta vie ici-bas
Pour demain et pour toujours
Jeferai de toi un homme !
Teraitua, Raitua.
Je te chante à mi-voix
Je te chante à mi-voix
Marie, Mère de Jésus
J’en appelle à ton immense Amour
Ô Reine de la réconciliation
Marie ! Marie
Ô Vierge sainte : Ô mère sacrée !
Ô Mère bénie,
Prie pour nous !
LittéRama'oHi #22
Hong-lDy Phong
Née à Papeete, d'origine chinoise, HongMy aime la lecture etl'écri-
depuis l'enfance. Membre de l'association "Paire des Mots”, elle s'essaie
de ses poèmes (Où et comment vivre, Eruption) ou texte (Solidarité) ont été publiés dans la revue "Les Pages récréaturc
à l'écriture poétique : certains
fives des Atelier d'Ecriture".
La rage de vivre
Vietnam 1953. Un jeune homme
d’origine vietnamienne, Guan Bao, vient
d’apposer sa signature. Ne sachant pas écrire son nom, il fait une croix. Le voilà
engagé dans l’armée indochinoise plus précisément dans La milice. S’ensuivent
de longs mois à encaisser sans broncher les remarques racistes, les corvées
humiliantes comme simple soldat tout en apprenant la langue française.
Il expérimente la bassesse de l’être humain, et la laideur de la
guerre. Les
combats reprennent de plus belle à la frontière. Le général leur dit : “ Vous êtes
entrés dans la Légion pour mourir, alors je vous envoie là où on meurt ! ”. Guan
Bao est affecté en Cochinchine mais il n’en meurt pas. Les privations l’endur-
cissent, le musclent, le rendent plus fort, plus endurant qu’aucun autre soldat.
Un an après, son courage lui vaut la médaille Coloniale.
Algérie 1956. Le commando d’Extrême-Orient dont fait partie Guan Bao
Alger. Suivant les ordres, il commet des choses atroces au nom de
l’armée, pour la gloire de la France. Bizerte 1961. En tant que parachutiste,
Guan Bao fait partie de la deuxième vague qui doit décoller de Blida en
Algérie.
Sa vie et la vie de ses hommes dépendent des chefs d’Etat Habib
Bourguiba et
Charles de Gaulle. Finalement, Bizerte est récupérée mais à quel
prix ! Guan
Bao, maintenant caporal, a perdu des hommes, des amis. Il comprend alors que
le sang sèche vite et qu’il y aura toujours des batailles à livrer pour le compte
d’hommes capricieux se prenant pour des héros. Il est décoré plusieurs fois
pour son agressivité et sa combativité face à l’ennemi.
est muté à
49
Dossier
H
Las de l’armée, Guan Bao décide de vivre à Tahiti. En travaillant dans les
champs, il acquiert le métier d’agriculteur et veut travailler pour lui-même. Pour
faire, il doit trouver un terrain.
Voilà, c’est ici, dit l’agent immobilier.
Guan Bao jette un regard autour de lui. Ils sont arrivés à un endroit vaseux,
marécageux où poussent en pagaille des arbres, des arbustes, des hautes herbes.
ce
-
Il ne dit rien et l’autre enchaîne :
-
Le terrain commence à partir de là, et ça va jusqu’au bout... là-bas, dit
l’homme d’un geste vague de la main.
L’agent immobilier ne veut pas marcher dans la boue et se frayer un cheil suit Guan Bao, qui veut voir les limites du terrain. Guan Bao lève la tête. Il remarque la forme du terrain, son orientation
selon les points cardinaux, voit les montagnes et tout cela lui plaît. Son instinct
sûr lui a permis d’éviter le danger ou de rester en vie pendant les guerres. Il
min dans la végétation, mais
achète le terrain.
Chaque jour, à la sueur de son front, à la force du poignet, il fera de cette ■
inhospitalière une propriété immense dotée d’un champ exploitable et
prospère. Quand son héritier vient au monde, il est comblé de bonheur : un
garçon pour perpétuer son nom. A ses enfants, il ne raconte pas pourquoi il a
deux doigts amputés à sa main gauche, ni ne dévoile l’origine de ses cicatrices
laissées par des balles qui lui ont perforé le corps en de multiples endroits. Il
avait et a toujours la rage de vivre.
terre
patrimone
dpoertus
es
H
LittéRama'OHi #22
JHong-my Phong
Le dragon
Ma mère excellait dans l’art de rester discrète, de rester calme et sereine en
toute circonstance.
Ce jour là, nous avions des amis à la maison et nous étions
dans le jardin
lorsque nous entendîmes un hurlement : “ Au secours, elle veut m’assassiner !
Mes amis, mon frère, ma sœur et moi, nous nous sommes dirigés vers l’endroit
d’où émanaient les cris. Nous vîmes une femme, échevelée sautillant d’un caniveau à un autre dans le champ de mon père, en lançant des regards apeurés pardessus son épaule. L’autre femme c’était ma mère la poursuivant hardiment en
la menaçant d’un coupe-coupe et hurlant aussi à son tour : “ je n’hésiterais pas
à m’en servir ! ”
Mon petit frère riait à côté de moi, et je
lui donnais un coup de coude dans
les côtes pour le faire taire. A vrai dire, nous n’avions jamais vu notre mère cou-
quand elle essayait de nous donner une fessée. En général, elle nous
menaçait de représailles encore plus terribles si nous tentions de fuir les coups.
C’était une femme de parole. Si nous évitions ses coups, elle nous frappait en
conséquence. Pour nous rappeler à l’ordre, elle nous pinçait dans les parties
charnues, nous tirait les oreilles lorsque nous n’écoutions pas, pire, nous cinglait
avec un balai “ niau ” (balai local fait de tiges de palmier) lorsque nous désobéisrir à part
sions. Mes jambes en gardaient encore des traces : des éraflures sanguinolentes.
Plus tard, elle m’avait apporté une pommade pour me soigner en me disant : je
t’avais prévenue. C’était sa façon de s’excuser.
ser un
Quel genre de dégât pouvait eau-
coupe-coupe, me demandais-je quand même assez inquiète ?
Pour l’heure, elle courait en évitant du mieux quelle pouvait les légumes
soigneusement plantés par mon père. Heureusement pour la malheureuse, ma
mère n’était pas douée pour la course et elle arriva à rester assez loin du coupecoupe. Les adultes aussi observaient la scène ne sachant que faire, que dire, visiblement gênés de découvrir cet aspect de la personnalité de ma mère : une furie
en colère, le
visage rouge, les yeux exorbités, postillonnant des menaces. C’était
un état
que mon frère et moi connaissions bien et que nous assimilions à un
dragon (c’est son signe astrologique chinois) crachant le feu et soufflant un air
brûlant par ses narines.
Dossier
Peut-être se rendit-elle compte du spectacle inconvenant de sa conduite, à
moins quelle eût
peur d’atterrir dans un caniveau et de se retrouver couverte
de boue, ma mère renonça à la poursuivre
davantage, elle retrouva son calme
et revint vers la maison.
Bien entendu, mes amis durent quitter la maison en
catastrophe. Il n’était
pas convenable de rester dans la maison où les invités risquaient de se faire tran-
cher la gorge même si l’invitée en question était la maîtresse de l’hôte.
Après cette scène, je ne revis plus jamais mes amis. Quant à ma mère, je suppose quelle gagnât le respect de tous. En tout cas, mon père savait à quoi s’en
tenir dorénavant. Avait-il
pensé, comme moi, que ma mère aurait pu s’en prendre à lui plutôt qu’à l’autre ?
LittéRama'OHi #22
Flora Rurima Deuatine
Auteure de poèmes traditionnels en tahitien, de poèmes libres enfrançais,
et de nombreux articles dans de
multiples domaines touchant divers as-
pects de la société, de la culture, de la littérature, de la poésie tahitiennes.
...
Je dis Merci à mes Ancêtres
Et ce faisant, je fais référence au Temps,
En me plaçant à leur suite, dans leur lignée et
dans toutes les lignées ! Et avec
tous les morts vivant en nous,
Car de nos Ancêtres, il nous en souvenait !
Des Ancêtres envers lesquels nous avons un devoir moral, familial, social,
culturel, tout comme par rapport à la société d’aujourd’hui de laquelle nous faisons
partie,
Une société que les Ancêtres avaient commencé à bâtir, il y a longtemps,
bien longtemps avant nous, pour nous,
A laquelle ils avaient donné l’esprit, donné la couleur, le sens, le parfum des
choses, et pour laquelle ils avaient mis en place des rites,
Pour que nous d’aujourd’hui nous fassions le reste, que nous suivions, continuions le mouvement, que nous
rer
évoluions ou changions de direction, sans alté-
le message d’origine,
En nous laissant la liberté sans pour autant perdre le sens,
D’où la dédicace qui suit, à leur intention !
Aussi, nous donnons-nous ici “te maorora’a”, la “longueur de temps et des-
pace” nécessaire pour dévoiler un texte daté,
Chantant et pleurant tout à la fois les Ancêtres, et en faisant le deuil
De tous ceux qui nous ont précédés, indépendamment des actions qu’ils
ont pu accomplir de leur vivant,
53
Dossier
Ce sont eux qui nous portent et nous supportent
psychiquement, énergétiquement, mentalement, collectivement, spirituellement,
Et qui continuent de nous porter !
Quel qu’aient pu être nos relations avec eux dans notre éducation, dans nos
croyances, dans nos représentations, dans nos récits,
Il y a envers eux un devoir de mémoire à leur rendre de la communauté
d’aujourd’hui,
Et ce devoir est aussi un liant à affermir, d’appartenance,
pour le maintien
de la cohésion sociale de l’ensemble.
Je dis Merci à mes Ancêtres !
En premier lieu, à mon Père,
Qui disait avoir “plein d’idées en tête”, et pouvoir sentir, tout percevoir, sans
toujours exprimer ce qu’il voit, pense, ressent,
Sans pouvoir formuler ce qu’il récuse ou souhaitait que cela fût entendu,
Et qui donc souffrait de sa difficulté à dire, ce qui devenait une difficulté
d’être, d’exister, et qui, souvent, s’effondrait, sur son ignorance, ou à cause de Fincompréhension, et peut - être du manque d’amour qu’il avait pu éprouver, et
qu’il vivait profondément,
En des empreintes que révélaient des larmes aux racines immémoriales !
Je dis Merci à mes Ancêtres !
Merci,
Pour ce qu’ils étaient,
Pour ce qu’ils firent !
Pour les valeurs morales si peu reconnues dont ils avaient fait preuve vis à
vis des nouveaux arrivants,
Que ceux-ci aient été des missionnaires, des navigateurs, des explorateurs,
de simples voyageurs, ou de grands scientifiques,
Marins, aventuriers, pirates, brigands, bagnards, colons, conscrits, militaires,
volontaires,
démobilisés, chercheurs d’aventure, de trésors, de paradis perdus
Pour l’accueil qu’ils leur avaient réservé,
Pour leur curiosité, l’ouverture d’esprit à leur endroit,
Pour leur patience, leur compréhension,
Pour leur simplicité, leur tolérance,
patrimone
dpoertus
es
H
LittéRama'OHi #22
Flora Rurima Deuatine
Pour leur bonté, leur générosité sans
pareille,
Pour leur intelligence, leur perspicacité, la finesse de jugement,
Pour leur vision d’avenir, leur sagesse,
Pour'les sentiments humains manifestés !
Je dis Merci à mes Ancêtres !
Merci à mes Ancêtres,
Pour les valeurs morales inhérentes à l’être humain, jusque-là réputées chrétiennes et exclusivement imputées à
l’Occident,
Lesquelles valeurs humaines ne furent jamais perçues, encore moins reconnues comme étant
également et fondamentalement des vôtres, en tant
qu’liommes formant peuple, vivant en société structurée,
Car sauvages vous avez été apostrophés,
Sauvages vous deviez apparaître au monde,
Et sauvages vous fûtes jugés, vous êtes restés et resterez aux yeux du monde,
et pour des siècles après vous,
Jusqu’à vos descendants,
Et pour le reste des temps, en tant que société humaine, à travers votre descendance!
Et nous en sommes à peine au second de tous ces siècles de jugements !
Alors, si nous ne parlons pas, si nous ne levons pas le voile de l’assujettissemental, moral, religieux, psychologique, intellectuel, culturel,
Si nous ne dénonçons pas ce qui, à un moment de votre histoire, comme à
un moment en nos mémoires, fut énoncé contre vous, contre votre
dignité
d’homme,
Par voie de conséquence, contre votre descendance,
Contre nous donc, aujourd’hui,
Cela se perpétuera pendant des temps,
Perdurera sur d’autres siècles,
Des siècles plus Nombreux, plus longs, et de plus en plus lourds !
Ce qui est indigne, inacceptable pour l’esprit,
Insupportable comme souffrance pour la pensée, les corps, les coeurs,
ment
Pour l’homme !
Aussi est-ce à nous, aujourd’hui, pendant ce temps bienvenu du Jubilé où
les tabous religieux sur les discours et sur les différentes formes d’expression
Dossier
ont été, si l’on
peut dire, levés,
Non plus tahu’ament,
Mais évangéliquement,
Et orometuament,
Quand bien même ce ne serait que de manière provisoire, et on ne sait pour
combien de temps !
Aussi est-ce à nous de parler, de
rieures des entrailles, et de notre
témoigner de nos vies, de nos pensées inté-
temps,
De dire notre sentiment, à défaut de
regard avisé,
Exprimant notre perception, nos réflexions, à défaut d’érudition,
Sur ce que nous avons
engrangé de ce qui a été écrit, pensé, imaginé, lancé,
dit de vous,
De vous, mes Ancêtres,
Au sens de
grands-parents, arrière-grands-parents, arrière-arrière-grands-
parents, sans remonter plus loin,
Plus haut, selon la vision moderne, plus bas, selon celle, traditionnelle,
La vôtre donc d’hier, comme la nôtre
d’aujourd’hui, pour un temps encore !
Vous, mes Ancêtres,
Qui êtes en définitive, dans le cours du temps, très proches de nous,
Et à qui nous sommes, nous
d’aujourd’hui, reliés directement, en droite
ligne,
Par nos fibres
génétiques, généalogiques, affectives, sentimentales,
ligneuses,
Par nos mémoires distraites, nos façons de
Vous mes ancêtres, les “otahitiens”,
penser, d’être, de faire !
indigènes, indiens, canaques,
Polynésiens, aujourd’hui !
Aussi, ô mes Ancêtres,
Nous incombe-t-il le devoir filial, d’héritier du “faufa’a
De réhabiliter votre mémoire de créature humaine,
tupuna”,
divine,
Et votre dignité !
Nous l’avons entendu exprimé à
plusieurs reprises en public :
C’est aux descendants, et en mémoire des Ancêtres,
de demander réparation pour la mémoire
que revient le devoir
méjugée, discréditée des Ancêtres,
l’homme,
Car cette mémoire spirituelle, intellectuelle, morale, sociale, de
LittéRama'OHi # 22
Flora fiurima Deuatine
de la famille, du peuple, des dieux,
Est passée en héritage à la descendance !
Je dis Merci à mes Ancêtres !
Vous qui n’êtes pas bien loin de nous, dans l’espace d’aujourd’hui,
Nous dont l’histoire remonte rapidement l’étendue du temps jusqu’à vous,
Pensez donc ! Depuis si peu de générations !
C’était hier ou ce matin !
Vous qui êtes encore bien attachés à nous,
Et Nous à vous,
Les uns et les autres liés par les brins de tresse
des généalogies des origines
des dieux,
Que, pour nous, vous êtes !
D’une manière présente, bien vivante dans notre corps, dans notre esprit,
dans nos croyances, et dans nos façons propres
De nous adresser à vous, de vous habiller avant de vous ensevelir, de vous
pleurer, de vous veiller, dé vous parler, de vous chanter et de prier pour vous !
De vous appeler, de vous déranger dans votre sommeil, de solliciter votre
secours, de vous croire en vie, en conversation,
Comme en charge de tous les descendants, depuis ceux passés dans votre
monde !
Vous qui nous avez laissés des terres dont beaucoup
Sont encore à vos Noms,
Et dans le même état, depuis votre départ de notre
monde !
Lesquelles terres que nous appelons “fenua tupuna”, “terre des ancêtres”,
n’ont jamais été, à ce jour, pour beaucoup,
Exigées, occupées, ni divisées entre tous vos descendants !
Comme si elles vous étaient toujours destinées,
Comme si vous alliez bientôt y réapparaître, y revenir,
Comme si vous ne les aviez jamais quittées,
Comme si elles n’attendent que votre retour !
Comme si nous n’en sommes que les gardiens, et à ce titre, de mauvais
gardiens,
il faut le dire !
Comme si aucun de nous en particulier, n’y a droit, ni des droits !
Dossier
Ce qui se passe, avec les terres dans l’indivision !
Autre sac de noeuds, de filets, de cheveux,
Ou grouillements de “ati‘i”, de “ari”, de “ireire”,
Autre fait attestant, si besoin est, de votre actuelle et
grande proximité par
rapport
à nous !
Vous qui continuez à veiller sur nous, à nous nourrir mentalement, soda-
lement,
spirituellement, par les héros, les '“aito”, les “taura”, nos gardiens,
Desquels nous nous enorgueillissons, et dont nous sommes intimement,
viscéralement, heureux et fiers de citer en privé ou en public, les Noms,
Des Noms dont nous nous parons, nous nous en honorant dans nos discours festifs,
publics, officiels, familiaux, et de plus en plus, dans ceux religieux
de chrétiens !
Vous citant par touches subtiles, passant sur vous, tout en vous saluant, vous
sollicitant, faisant appel à vous,
Et que nous honorons régulièrement en famille, et aussi
religieusement
dans le “ahu” de nos cimetières, sur le “marae” de vos tombes, sur le “paepae” de
nos
bribes de mémoire, sur le “tahua” de nos chants et de nos danses,
Priant pour vous, et catholiquement, et nous adressant à vous, et vous
pieu-
rant, vous
suppliant, tout en vous fleurissant, vous souriant, et vous faisant parler !
A vous, mes Ancêtres,
Je dis Merci,
Pour ce que vous êtes,
Pour ce que vous avez été,
Pour ce que vous serez,
Et pour ce que vous avez fait,
En accueillant comme il se doit les Missionnaires,
Et à travers eux, l’Evangile,
Et avec l’Evangile, le christianisme !
A vous, je dis Merci !
Je vous dis Merci,
D’avoir choisi le changement pour nous,
LittéRama'oHi #22
Flora flurima Deuatine
D’avoir prévu et eu comme projet, le progrès,
L’évolution, pour nous !
Vous avez fait preuve d’une grande sagesse, que ceux-là même qui se
croyaient les
uniques porteurs, détenteurs de sagesse, de savoirs, n’ont su percevoir,
encore moins
pu apprécier
La profondeur, et la simplicité dans l’expression de cette sagesse,
Peut-être, à cause de cela même !
Et nous, à leur suite, par facilité et vanité,
Par paresse, caprice, suffisance et mauvaise foi,
Par orgueil et ignorance, et rejet de nous-mêmes,
C’est à dire, de vous !
Par manque de personnalité, d’identité, de dignité !
Nous étant glissés dans leurs costumes et dans le moule de leur façon de
penser, de voir,
de sentir, d’être,
Ayant cru qu’il suffisait de changer de vêtement, de “ta-piri”, de troquer
“taumi”,
cache-sexe, ‘maro, tihere”,
Contre, “piritoti, piritohe, piripou”, jupe, culotte, veste et pantalon,
De poser des “piri”, des énigmes,
Pour changer l’intérieur de nous, tous nos comportements et notre men-
talité !
Oublieux des paroles des Anciens, certaines, empruntées sans doute à la
Bible :
“E taporo ra e taporo ihoa ia” !
A vous, je dis Merci,
Pour ce que vous avez fait et pour ce que vous nous avez laissée !
Et je dis Merci à tous mes Ancêtres personnels !
Car tout ce que j’ai, et ce que je suis aujourd’hui,
C’est de vous que je suis faite, c’est de vous que j’ai reçu !
Je suis le produit, le résultat, la conséquence,
Le fruit de vos décisions d’il y a deux siècles pour moi,
Je suis faite de fibres, de sentiments, demotions qui furent les vôtres, hier,
59
Dossier
Rien de vous ne s’est effacé en moi,
Mais tout est en attente
demerger à nouveau !
Je réagis à la vie, aux soucis, aux problèmes de la vie, aux gens, aux problêmes qu’ils me posent par leurs idées, leurs comportements, leurs réactions,
J’ai beau m’en détourner, oublier, effacer, m’en éloigner,
Je réagis, comme vous !
Parce que je suis comme vous, issue de vous,
Je suis comme vous comme vous êtes un peu en moi !
Merci mes Ancêtres,
Pour ce que je suis, aujourd’hui !
Car, c’est bien grâce à vous,
Que je suis ce que je suis !
Ô mes Ancêtres,
C’est bien en ayant hérité de vous, sang, gênes, corps et esprit,
Traits physiques et moraux, de caractère et
d’intelligence,
En plus de la terre, “vauvau”, “taahiraVavae”, “nohoraa”,
“tanuraa”
puhaparaa”,
“oriraa”, “pureraa”, “ha‘api‘iraa”, “faateniraa”, “paripariraa”, parauparauraa”,
“tama'iraa”, “taotora'a hopea”,
En plus des chants, des gestes, des récits, et de la
langue !
Tout cela qui fait que je suis aujourd’hui cette enfant du
pays qui parle et qui
écrit de vous,
de nous, de moi, et de tous les autres,
Ouvrant enfin cette longue route, entreprenant ce
menses
parcours à travers d’im-
forêts
de non-dits, de choses supportées en silence et dans la blessure,
En batailles presque rangées menées contre les autres, contre vous, contre
nous,
Et contre moi, au dedans de moi, et peut-être,
depuis vous !
Des batailles de plus en plus lourdes, qui n’apportent rien, ne
n’arrangent rien,
Mais compliquent tout, faussent tout, tuent tout,
La famille, la société, et nous-mêmes !
changent rien,
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi #22
Flora flurima Deuatine
Et c’est peut-être seulement maintenant, et à partir
d’aujourd’hui, que je
peux, que nous pouvons,
Nous, Polynésiens d’aujourd’hui, devenir véritablement chrétiens !
Après avoir parlé pour déposer, ou tout en déposant ce que nous avons au
de nos entrailles et de nos réflexions, de nos pensées, de notre “roro”,
Toutes ces choses que nous avons retenues à l’intérieur de nous, dans nos
entrailles, pour souffrir avec,
Et dans nos têtes, pour raisonner et tirer des idées de “taho’o”, de vengeance,
Et en souffrir plus violemment !
cœur
Et c’est peut-être seulement
aujourd’hui, et à partir de maintenant que nous
nous sentons
Libres et en état, avec des dispositions d’esprit, mentales, intellectuelles et
spirituelles,
Plus conscientes et plus spacieuses pour devenir chrétiens !
Des chrétiens au sens plus approfondi, plus vrai du terme,
C’est à dire, aux sens de vos valeurs,
Ô mes Ancêtres !
D’accueil, de bonté, de générosité, de patience, de tolérance, d’intelligence,
Non seulement de cœur, mais aussi d’esprit !
Cela même qui ne vous était pas reconnu, qui vous avait été refusé,
Et vous est toujours refusé au travers de vos
descendants !
Tout cela donc que nous ressentions au fond de nous,
Que nous portions emmuré dans nos âmes, dans nos esprits,
Et qui nous empêchaient et nous empêchent encore, d’accéder à notre
profondeur,
C’est à dire à votre sagesse !
Des valeurs que vous nous aviez transmises par les pores de notre peau, par
les cellules de nos cerveaux,
Par les filaments de nos prunelles, par le “uira”
de votre “mana”, de votre
pouvoir !
Toutes ces bonnes choses que vous nous aviez laissées en héritage,
En même temps que la terre, la langue, les chants, et tous
les textes scandés
anciens, qui disaient la musique et l’espérance de vos coeurs, la symphonie, la
sérénité de votre âme !
Tout cela qui nous remplit aujourd’hui de fierté, d’orgueil, d’estime, et
Dossier
d’humilité
Devant tant de simplicité, de profondeur !
Nous allions perdre définitivement tout cela !
Et voilà qu’à l’occasion du Bicentenaire de l’arrivée de
l’Evangile, et par les
tenants des
églises, nous accédons à une représentation
De ce que vous étiez, et avez fait,
Et donc, un peu ce que nous sommes
aujourd’hui,
Un peu, et si peu forcément, avec les années,
Avec le temps où tout s’use même sans
usage !
Et donc, notre devoir est de
garder, de prendre en compte,
De cultiver et de transmettre aux générations à venir,
Comme “ aveia ”, comme règles de vie,
lignes de conduite,
Pour vivre et survivre en ce monde !
Et de ce point de vue, c’est donc justice que ce Bicentenaire soit célébré
par
des façons de faire anciennes d’avant l’arrivée, ou comme au temps de l’arrivée
de l’Evangile,
Parce que c’est en votre honneur, en fait,
C’est un honneur à vous rendre, et qui vous est rendu,
Au moment du reflux du flux !
Merci mes Ancêtres !
Bien entendu, tout cela est un bilan de ce que nous sommes
aujourd’hui,
Et nous venons tout juste de nous reconnaître à travers vous, et en vous
reconnaissant, et surtout en vous acceptant enfin, totalement, comme vous êtes,
Avec tous les aspects qui furent décrits comme vôtres,
négatifs, cela s’en-
tend !
Car, jusqu a présent, nous avions été branchés avant tout sur ceux-là !
Au travers des regards, des perceptions d’autrui, des transmissions des
ceptions,
Et Dieu seul sait combien nous en avions honte, tellement honte !
‘Aue, touha'amae !”
Une grande honte !
“E haama iti rahi !”
per-
LittéRama'oHi #22
Flora Rurima Deuatine
Un sentiment qui nous a été inculqué, ou qui fut renforcé par nos nouvelles
croyances, la nouvelle religion :
Ainsi :
“Haama !”
'Au nettoyage ! Au bain ! A la purification !”
“Haama bre !”
“Ça reste définitivement sale !”
Après quoi, nous n’osions plus nous montrer,
Nous n’osions plus nous affirmer,
Honteux que nous étions devenus de tout ce que l’on disait de nos Ancêtres,
de nos parents, sans parler de nos proches, de nos voisins,
De nous donc, en fait, aujourd’hui,
De nous, les descendants directs et très proches de vous, mes Ancêtres !
Et nous héritâmes de vous,
De tout ce que vous étiez et n’étiez pas !
Et de ce que l’on disait que vous étiez,
Sans en être, et que nous serions, nous, devenus, peut-être, effectivement,
Avec le changement et le métissage mal intégré, mal assimilé, mal vécu, mal
approché, mal ressenti, mal fait !
De votre sauvagerie, de votre barbarie, de votre primitivité, de votre “poiri
taotao” !
Jusque-là, nous nous culpabilisions et n’osions rien dire,
Pensant, croyant que ce devait être ainsi et que ce devait bien être cela,
Que vous étiez bien comme l’on disait de vous que vous deviez être,
Et que nous serions, ou deviendrions forcément, à notre tour !
Aussi, n’est-ce que justice que ce soient vous que l’on a glorifiés à travers les
chants et les danses des fêtes de ce Jubilé,
Et qu’il y ait eu un moment du Souvenir consacré à vous,
A vous, en premier lieu !
Et bien entendu, et seulement après,
Aux premiers pasteurs, évangélisateurs, missionnaires français, anglais !
Mais surtout, et en premier lieu,
Dossier
Avous !
A vous les Ancêtres qui ont laissé,
Terre, langue, culture, ... et religion chrétienne !
Celle-ci, amenée de l’extérieur, n’aurait jamais pu prendre racine si vous, les
Ancêtres, vous l’aviez refusée !
Et c’est peut-être cet événement-là,
Cet événement culturellement, socialement, moralement, et
religieuse-
ment, fondamentalement, radicalement,
“Papa-tea-ment” et “papa-uri-ment” fort,
Cet instant de confession publique,
De mea culpa des représentants du Christianisme offrant le sacrifice
Pour les Missionnaires, comme au Nom des Missionnaires !
Desquels l’on a accepté, et dont on perpétue, l’œuvre !
Cet instant de reconnaissance des bouleversements que cela a amené dans
la société !
Qui a échappé à beaucoup d’entre nous !
Et qui donc est passé de façon “mohimohi”, comme en douce, à la sauvette,
sans
prise de conscience !
A notre conscience, à notre
vigilance, à notre lumière intérieure !
Pour ressentir et comprendre la portée des mots,
De ces mots prononcés, imprimés, chantés, dits, priés,
suppliés !
Pour nous apercevoir du “pua a tapena”,
Sacrifice expiatoire offert sur la grande place du Stade,
Devant toute la population polynésienne réunie pour la Commémoration !
Jusqu’à celles résidant en leurs demeures dans toutes les îles de la Polynésie,
Celles qui auraient écouté, suivi, vu, qui, à la radio, qui, à la télé,
Ce qui avait été dit et confessé publiquement, et prié !
Sacrifice offert pour reconnaître les erreurs du passé !
Sacrifice offert pour nous débloquer émotionnellement, spirituellement !
Sacrifice offert pour être reconnu par l’Autre !
Sacrifice offert pour se reconnaître !
Et pour nous permettre d’aller enfin vers la connaissance et
nous-mêmes,
l’acceptation de
LittéRama‘OHi #22
Flora Rurima Deuatine
Et donc vers celle de ce Dieu d’amour
que les missionnaires, d’il y a deux
siècles, avaient amené !
Merci, oh mes Ancêtres,
De ce que je suis
aujourd’hui,
Comme je suis, avec ma façon de voir, de ressentir, de
comme
penser, de m’exprimer
de me taire,
Et même si cela n’est pas toujours aussi
simple, que cela est parfois difficile,
pesant, douloureux !
Et même si cela fait très “kaina” !
Et même si cela ne fait
Et même si c’est un
pas toujours très “polynésien”, très “tahitien” !
peu gênant, gênant pour moi d’être comme je suis, ce
que je suis, aujourd’hui !
Merci, oh mes Ancêtres,
Du sang qui coule en moi,
lequel me donne l’énergie pour mener ma
barque,
Et la faire avancer,
pagayant à partir de celle du mata’eina’a, de la société, et
du mieux que je peux,
“la tapae i te vahi tipaera'a mau, tipaeraa maita'i”,
Afin d’accoster à des
rivages plus prometteurs d’espérance !
Merci,
De ce sang qui me donne le
courage, la force, le mana, de tenir la mer,
Et la pirogue, de la maintenir hors de l’eau !
Merci,
De ce sang qui me transmet, avec ses
par là,
Les valeurs fondamentales, pour
d’être encore Nommé homme !
gênes, à supposer que cela passe aussi
que l’homme sur cette terre soit digne
Des valeurs de courage, d’honnêteté, d’amour, de
paix, de compréhension
peuples, entre les hommes,
Quelque soient nos différences d’opinion, de pensée, de nature, nos confes-
entre les
sions,
“Ces choses que nous ne comprenons pas encore,
Et pour lesquelles il nous faudrait encore
1”
beaucoup de temps pour com-
Dossier
Merci mes Ancêtres polynésiens,
Parce que vous êtes les
monial
plus importants dans mon héritage culturel, patri-
Comme dans mon hérédité génétique !
Merci également à tous mes autres Ancêtres non
polynésiens,
Qui furent un peu moins oubliés,
Etant plus souvent et
plus facilement reconnus, mis en avant, vantés, racontés,
enorgueillissait socialement et publiquement !
Nous sommes aussi de vous, et nous avons tiré, en
partie, notre sève de
Et dont on sen
vous,
Nous nous sommes nourris à la sève coulant en vous à
nous
partir de ce que
imaginions que vous étiez !
Merci à vous !
Et nous voilà, nous de maintenant, devant les vrais
notre temps
problèmes ou défis de
!
Des problèmes fondamentaux de
gestion, de résolution des problèmes !
A nous de nous retrousser les manches,
Et de prouver la valeur, la
qualité de ce sang polynésien qui coule en nous !
Merci,
Pour l’Evangile amenée par les missionnaires, et
que vous avez acceptée
pour vous,
Surtout pour vos enfants, votre descendance,
C’est à dire pour nous, aujourd’hui !
Elle
devient aussi aujourd’hui, pour nous, notre
“ha’apura’a”,
Notre unique espace et temps de rencontre, de rassemblement,
De ressourcement !
Nous allons nous fonder, nous structurer en elle,
Non pas en termes de religiosité,
Mais de valeurs fondatrices de société humaine
plus juste dans ses juge-
ments !
En termes donc de valeurs civilisatrices, au sens
Et non pas au sens déviationniste, exclusif
Au sens large, en fait, humain, chrétien,
“Evangile”, “Bonne Nouvelle” !
propre du terme,
séparatiste, étroit,
évangélique du terme,
LittéRama'oHi #zz
Flora Rurima Devatine
C’est la bonne nouvelle de cette nouvelle orientation, de ce changement,
Et c’est notre challenge d’aujourd’hui !
Merci,
A tous mes Ancêtres !
Je peux maintenant dire, parlant comme ma mo’otua matahiapo :
“J’ai grandi !”
“Je suis grande maintenant !”
Et ajouter :
“Je peux,
aussi,
enfin,
maintenant,
me
détacher de mes Ancêtres !”
Si je le veux,
Si je le souhaite,
Si je n’en ai plus besoin,
Si je veux les rendre à eux-mêmes,
Si je veux me donner vie à moi-même !
Et maintenant, je me détache de mes Ancêtres,
Je m’en éloigne,
Car maintenant, je peux m’en éloigner, prendre de la distance par rapport à
mes
Ancêtres !
Et je prends de la distance par rapport à eux !
Je peux enfin, être pleinement !
Je suis,
enfin,
aujourd’hui,
moi,
néo-polynésienne !”
Dossier
A moins que ce ne soient mes Ancêtres
Et me lâchent dans la Vie, et dans mon
Dans mon espace reconnu, retrouvé,
qui se détachent de moi,
temps d’aujourd’hui,
réintégré,
Un espace qui est à vivre profondément de l’intérieur !
Afin que je vive ma vie, de mon temps, sans retenue, à mon
temps,
Me sentant plus apte, plus mûre,
Me faisant confiance pour
diriger mon va'a broe !
C’est comme s’ils m’avaient accompagnée autant et aussi loin
qu’ils avaient
pu le faire !
Car il n’y a pas si longtemps, ils étaient encore de ce monde !
Ils régnaient, vivaient, guerroyaient, se battaient, s’entretuaient,
festoyaient,
ritualisaient, cannibalisaient, pagayaient, dansaient, plantaient, chantaient,
pêchaient, priaient, transgressaient, se tatouaient, tabouaient,
Et j’en passe!
Ils étaient invoqués pour nous protéger,
Nous étions confiés à leur
garde !
“'Eiaha butou t haaptapta
E rat to butou Papa ru au i mua mai,
Na Papa ru'au butou e tiai !”
A lui, à eux, comme à tous ceux dont les tombes
jouxtaient la maison !
Tombes placées en bonne place,
Comme ornement, comme une fierté, comme un dernier honneur
qu’ils
faisaient, nous transmettaient, comme un hommage permanent qu’on
leur rendait,
Afin que leur présence, leur mémoire, une fois venu le
temps de l’oubli,
soient plus facilement rappelées, ravivées dans les mémoires !
nous
Et la Nouvelle Polynésie est là,
Et nous sommes à Forée de la Nouvelle
Polynésie !
Je me sens seule, perdue dans ma granditude !
Comme la pirogue qui, s’étant éloignée de la côte, se retrouve en
plein
océan, esseulée, isolée, un peu perdue,
Dans l’immensité et l’infini des espaces marins et célestes !
LittéRama'oHi #22
Flora Rurima Deuatine
Mais je dois vivre ma vie,
Je dois vivre dans ma vie,
Avec ma vie, me prendre en charge et ramer, ramer, avancer, coûte que
coûte, et me conduire !
Je doisfaaitoito toute seule,
Je dois m’accrocher à ce auquel je suis accrochée,
Je dois m’accrocher à moi-même,
Je dois travailler, travailler, à n’en plus pouvoir !
Eha'a
E rohi
E rohirohi noa atu !
Je dois repartir de mon côté,
Suivre mon avei'a,
Dans ma direction, dans mon sens, dans mes sens !
Je dois trouver dans ma direction le sens de ma vie !
Je dois partir à la recherche du ura à ajouter à la ceinture royale de l’enfant
roi comme au cordon de vie laissé par les Ancêtres !
Je dois donner du ‘ura à ma vie comme du ura à mon maro !
Je dois trouver et rapporter du sens à mettre au maro ura de ma ceinture
cheffale laissée en héritage par mes Ancêtres !
Lequel maro, pour l’instant, il faut bien en convenir, est aussi maro, desséché,
que le ni’au maro des auhopu auihia !
Je dois de mon éclairage de mori ti'aïri, éclairer à mon niveau,
M’éclairer moi-même, éclaircir, m’éclaircir, me sortir de la confusion !
Et chacun de le faire à son niveau !
Un grand anau !
Une grande lamentation,
Que celle des entrailles longtemps nouées, tordues, recroquevillées sur
elles-mêmes !
Ua otaro noa
Ua taviriviri roa
Euafaaohunoa
Ua taninito
E ua taanini noa
'Aon e haapa'oraafaahou !
Dossier
Il faudrait, pour dénouer, délier avant le
retressage des brins pliés, desséchés,
cassés, tout emmêlés,
Un grand ta ira a populaire !
Un o to ha a,
Un otoaia to huahua,to riri,
topapa !
Un anau, unfangu, un ruu, un tirau, un heva du tonnerre !
Un Mou'ati'aoro !
Permettant enfin à chacun,
De laisser libre cours à ce
qui tourbillonne dans ses méandres,
De se lamenter, si bon lui semble, sur lui-même, sur les siens, sur sa terre,
sur ses
ancêtres,
S’y reliant après des temps d’occultation, de refoulement, de déni, d’absence,
imposés dans les esprits !
E mea atea, e mea maoro, fera haere ma,
Atahi ra afaura, a hitijaahou mai ai !
E mea roa tera moe raa e,
Atahi ra a iho, a ho'ijaahou mai ai !
Ea
hiofaahou hia atu ai !
Aue,
Aue ho'i e !
Aue ra ia tatou e !
Voilà que je me lamente !
Je me lamente à petits bruits, à petits sanglots, de la lamentation
tée à l’ancienne,
ensanglan-
Des femmes, des mères et des filles retrouvant leurs frères, leurs
pères reve-
'
nus d’une
•
longue absence, de leurs longs voyages !
Je me lamente,
Et en même temps, je me demande
Ce qui flotte dans l’air que je ne perçois pas,
Ce qui provoque ces larmes, et tout ce
poids que dans mon corps, dans ma
tête et dans mon âme, je porte !
Ce que cela augure de ce que je ne vois pas !
LittéRama'OHi # 22
Flora flurima Deuatine
Qu’est-ce donc cela ?
Depuis quand est-il là ?
Que fait-il là ?
Comment est-il là ?
Comment l’ai-je installé là ?
Comment cela a t-il pu échapper à ma vue, à mon contrôle, depuis mon
poste de garde ?
Comment cela a t-il pu tenir pendant tout ce temps vécu, sans
jamais être
remarqué ?
Faisait-il aussi partie de mon héritage ?
Et depuis quand traîné-je cet
héritage moral, psychique, psychologique,
culturel, spirituel ?
Jusqu’à qui, jusqu’à quand, remonte cet héritage ?
Combien de temps le trainerai-je encore ?
Que de lézardes, de brisures soudain dans la sérénité baroque de mes apparences !
Une souffrance est bien là,
Que je nie,
Que je refuse,
Que je ne veux pas voir !
Car il n’est beau, ni bon, ni bien pour personne, de
regarder la souffrance en
soi, en face !
Cependant, elle est bien là, tapie, prête à s’exprimer, lourde, gênante, agaçante, dévalorisante,
Déshumanisante, anti civilisatrice, anti chrétienne !
Aussi, faut-il reconnaître les Anciens qui ont accueilli les missionnaires
Egalement, dans ce qu’ils ont donné !
Car ils ont donné, tant et plus,
Ils n’ont pas été reconnus !
En rien !
Après quoi, il sera aussi temps de prendre de la distance avec les Ancêtres,
Pour que la nouvelle société puisse se mettre en place !
Un gage de réussite dans l’harmonie pour une société et son futur :
Panser les fêlures !
71
Dossier
Fêlures entre les îles,
Fêlures entre les groupes d’îles,
Fêlures dans les esprits !
Pourquoi ne peut-il y avoir de pardon public ?
Car j’ai mal à mes Ancêtres !
J ai mal aux croyances de mes Ancêtres !
J’ai mal à la conduite, aux comportements de mes Ancêtres,
Tels que décrits dans la littérature tant des
navigateurs que des mission-
naires !
Il faudrait une grande lamentation du
peuple pour leurs Ancêtres disparus,
respectés,
Eux, dont on a laissé salir la mémoire, laisser dire des jugements souvent
gratuits,
Tels des faibles, des lâches, des traîtres,
Pour des aito, aivanaa,
qu’ils étaient !
Il faudrait un grand pardon des
Polynésiens d’aujourd’hui par rapport à
leurs propres Ancêtres !
Egalement, un grand pardon des Autres par rapport à ce qu’ont fait leurs
Ancêtres,
Ou homologues de leurs Ancêtres !
non
Un grand pardon,
Une réconciliation
publique !
Comme il faudrait un grand ta ira a national des
Pour pleurer leurs Ancêtres
gens du pays !
Pour pleurer leurs morts
Pour pleurer sur eux-mêmes,
Pour pleurerleur
propre mort !
Il faudrait un grand cortège de deuil avec des deuilleurs en habit de deuil !
Pour pleurer le présent
Pour pleurer le passé
Pour pleurer l’oubli
Pour pleurer la perte
Pour pleurer la mémoire
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi #22
Flora Rurima Deuatine
Pour pleurer les pleurs
Pour pleurer les pleureuses
Pour pleurer les ari'i
Pour pleurer les tahu a
Pour pleurer les aito
Pour pleurer les sages
Pour pleurer les orateurs
Pour pleurer les intercesseurs
Pour pleurer les généalogistes
Pour pleurer les chants
Pour pleurer les poèmes
Pour pleurer les discours
Les danses, la patience, l’accueil, les sourires,... des Anciens,
Pour pleurer la vie et les gens d’antan,
Les rites, les mythes, et les fêtes d’antan,
Les jeux et les chants d’antan !
Et les guerres d’antan !...
Qui me font peur à l’instant où je les évoque !
Comme j’ai eu peur en évoquant les tahua en sorcellerie d’antan !
Qui toujours ont fait partie de mes peurs d’enfant,
Ce dont j’avais le plus peur quand j’imaginais le passé !
Il me ïmtfaa'oto, faire résonner, pleurer, otootù, tout cela,
Pour les connaître, les reconnaître, et
pour les lâcher, les laisser partir !
Eux, mes Ancêtres, qui continuent de faire partie de ma vie,
De mon monde, faisant partie de mes
origines, de mon hérédité, de ma
mémoire,
De ma vie au quotidien, de ma vie
présente !
Eux, mes Ancêtres, que je transmets à mes enfants, à mes petits- enfants, à
toute ma descendance,
Mais que je voudrais transmettre
nettoyés, grattés, épurés de leurs chairs
!
Je dis Merci à mes Ancêtres, à tous mes Ancêtres
Et je salue ceux des autres !
73
Dossier
Et je dis Merci à tous mes Taura chrétiens,
Comme je dis Merci à tous mes
Tupuna scientifiques,
Des esprits éclairés, ventres de lumière,
Pour lesquels j’ai un profond respect !
Des Tupuna que je transmets également à mes enfants, à mes
petits-enfants,
à toute ma descendance,
Jusqu’à la dixième,
Que dis-je ? Jusqu’à la millième génération !
Comme idéal de vie, d’ouverture,
d’esprit, de connaissance, de culture, d’humanité, d’honneur, de dignité !
Extrait de "Je dis Merci à mes Ancêtres ", un texte fondateur écrit le 05 mars
1997, après la cérémonie officielle d'ouverture des festivités (suivies à la
radio) du Jubilé du Bicentenaire de l'arrivée de l'Evangile à Tahiti, sur le
Stade Pater.
Ce texte revu en 1998, fut, en partie, inséré en janvier 2001 dans "La Traversée des Noms polynésiens ", le mémoire de DEA, UPF, Punaauia, 2001 (au
Chapitre V : Je dis Merci à mes Ancêtres, de la Sixième partie : La prise en
compte par ie mythe des difficultés de la non-nomination.)
Un extrait fut lu, la première fois, le 24 mars 2001, à Paris, à la Maison de la
Poésie, au Théâtre Molière, lors de la Soirée consacrée à ia poésie polyné-
sienne, la première organisée en France dans le cadre de l'Année européenne des langues,
Et la seconde fois, le 11 décembre 2002, à Papeete, à la Maison de la Culture de Tahiti (Te Fare Tauhiti Nui), lors de la Première Soirée de Lecture de
Littérature polynésienne, organisée par l'association Groupe Littérama'ohi.
Flora Aurima-Devatine, auteur bilingue d'écrits du quotidien.
patrimone
dpoertus
es
H
Take
75
I Marine Tehea Progier - Léocadie
Nâ te tumuparau 'o teMoemoeâ i arata’i i te maupïahi, nô tefare
ha’api'iraa tuatoru, pïahipiti 'o te matahiti 'o te ama'a Reo Maohi,
ha’api'ira’a pi’ihia LLCER-LP (Licence Langues, Littératures et Civilisations Etrangères Régionales, spécialité Langues Polynésiennes), ‘i nia
‘i tepâpaira’a ‘i tâ râtou pehepehe.
Te Moemoeâ a te mau Piahi
‘Ua pàpa’i teie mau pïahi i tâ ràtou iho moemoeâ b tei haamâmâ i tô ràtou
ferurira’a, b tei tâmarü i tô ràtou manava, b tei tàmarü ato’a i tô ràtou màuiui.
Parau mau, e hi’opo’ara’a teie tàpura bhipa i roto i te
haapi’ira’a PSP (Poésie et
Stylistique Polynésiennes), i fa’ahepo ai au ia râtou e pâpa’i. ‘Ua tàpe’a-noa-hia mai
râ te tahi mau
pehepehe, e te fâ rahi roa a’e, te fa’aarara’a i roto ia ràtou te hia’ai e
pàpa’i i tô râtou iho parau, tà ràtou iho moemoeâ nà roto i te reo tahiti. Maoti
teie ràve’a, té pàpa’i nei à te tahi
pae o râtou, i te pehe, i te pehepehe, te utê, te
tàrava, te fa’ati’ara’a parau hôhônu a te mau Metua Pa’ari, te fa’ati’ara’a a’amu rau.
Hau atu à i te maita’i, ‘ua ‘imi te tahi pae e
pëni roa i te hôho’a ia au i te
mana’o e vai ra ‘i roto i tà râtou moemoeâ. Nô te tahi pïahi, ua tu’u roa atu i te
hôe ta’i hïmene i nia i tà na pehepehe ei ha’amana’ora’a i tà na moemoeâ, b tà
na i
huri roa atu nà roto i te reo faràni.
autochnes
Blréations
LittéRama'oHi #22
flauairua Hlein
'Ahum ma iva matahiti tô'u. Te noho nei au i Mataiea. Tei roto vau i te
amaa Reo
maohi, te matahiti piti, i tefare haapi'iraa tuatoru no Pu-
naauia. Teie ia
tepehepehe otau ipàpa'i i nia i te tumuparau '0 te
"Moemoeâ". lnaha, tefaatae atu nei au i te tàpao Aroha ia outou, e 'a
moemoeà anae tatou...
Moemoea
Marü mai te tirita
E faatupu oia i te baba
‘Uo uo mai te hiona,
Auë te nehenehe mau â !
E fâ mai oia
I tô be tabtoraa ra
Noa atu ra
‘Ua araara tô mata,
‘Erâ mai oia.
‘E parauhia iho à
Tei roto be i te mau ata.
I te mau taime atoa,
Tê ora nei oia
Nà roto i te paraparauraa
Âtô tama,
‘E ia riro ei ohipa mau,
Hope ia te au !
‘E faatia be ia na
‘E au é, e faufaa tô na.
Ahiri ê, ‘oia mau
‘O moemoeâ tô na ioa.
77
Josiane Tehea a Faucher
Ahum mâ iva matahiti tô'u, uafanauhia vau i Papeete i te iva nô tetepa
i te matahiti hôe tauatini e iva hânere e iva ahum mâ maha. Te noho
nei au i Papara e tôu nau metua o José a
Faucher e o Martine a Bellais
tae noa atu i tô'u tuant e tô'u teina.
Tâu moemoeâ
‘E hômà,
Teie au të moemoeâ nei
Nô te aha ra ? I te hea ra bhipa ?
Nô te mea paha e, te ora nei ta u vârua
‘E nô reira paha,
‘E nô reira ihoâ.
A tà amu faahou na i tô pàreu
la ora tô parau,
I roto i tau moemoeâ,
A ‘ahu i te fa'atura
Te pina'ina'i ra tôu a'au
A tautai i te maa maita'i
Te hina'aro ra oia
Âpôfa'i i te nehenehe,
la pua te here e te maita'i
la mahuta tô'u mau manao,
'E e au ra e, te pàtôtô noa na tô'u toto
I roto i tô be orara'a.
I te uputa b tô'u mâfatu
la matara ta u parau !
‘E te Maohi ê,
‘E ere ato'a ânei tà be moemoeâ ?
‘E matara ihoâ, nà o ae ra te reo
b tau moemoeâ :
A ‘imi i te maita'i
 bre te tama'i
Eiaha e topa faahou
I roto ‘i te aehuehu e te ‘iriâ,
A fa'aro'o râ i te reo b te nàtura
Te pi i noa na ia be :
 ha'a na, ia ti'a teie moemoeâ !
autochnes
Wréations
LittéRama'oHi #22
fTlanini Uoirin
Etudiante en deuxième année de Licence, LLCER-LP (Langues, Littératures et Civilisations
Etrangères Régionales, spécialité Langues Polynésiennes) à l'Université de la Polynésie Française. Je suis de retour sur les
bancs de l'école pour réaliser un rêve, celui d’être institutrice ou professeur
de Reo maohi, afin que perdure notre langue et notre culture.
Ena ho‘i be, ena atu be
Parau ‘oaba
‘Oaba iti rahi ho‘i
‘Ua ô mai be
Enâ ho‘i be
Enâ atu be
Âuê teie baba é
‘Ua tauma faahou à
‘Oaba iti rahi ho‘i
Enâ ho‘i be
Enâ atu be
Âué te oto ê
‘Oto màhanahana bre
Nô te aha ?
Màuiui mau ho‘i teie
Nô te aha ?
Nô te aha ho‘i ?
‘Ua tai, ‘ua mihi, 'ua oto
‘Oto i te mau oto rahi mau à
Nô te aha ho‘i ?
‘O vai tei haapao mai ?
Âore re‘a taata
79
Aore e hoa, 'aore e 'utuâfare, aore e fcti'i
‘O be anae
‘O be anae ‘e tô feruriraa
‘O be anae e tô moemoeâ
Moemoeà i te taime e fârerei ai tâua
Moemoeâ iti rahi teie
Tê horuhoru nei te aau
Té tàfifi ra te feruriraa
Të tâhitohito ato a ho‘i
Nô te aha ?
Nô te aha ho‘i ?
Enà ho‘i be
Enâ atu be
Teatea, nehenehe, purapura
Auë ra te bto i te ‘iteraa atu
Âuë te au e
‘Ua ‘ite au
‘Ua tâpea vau
‘Ua ta‘i au
‘Uahevavau
‘Ua auë au
‘Ua màuiui au
Nô te aha ?
Nô te aha ho‘i ?
Enà ho‘i be
Enà atu be
E nehenehe ânei e taui
Aita
Terâ ra, tei tô màfatu nei be
Tei tô a“au tô be vairaa
Tei tô mànava tô be tiaraa
Tei tô moemoeà tô be hôhoa
Enà ho‘i be
Enà atu be.
LittéRama'OHi #22
Doris Reva
culture, amoureuse de son île Tqha’a, de ses origines et
Polynésie d'Autrejois. Ecrire pour confier le mal d’être
loin de son île, pour revendiquer la place de la culture et le savoir-faire
polynésien au quotidien et dans la société. Ecrire pour ne pas perdre son
identité polynésienne et pour se remémorer la Polynésie ancestrale.
Passionnée par sa
à la recherche de la
E Hiro nui ë !
E Hiro ë !
Atoriri maiteua
‘O ‘Uporu nui tô fenua
Hanahanahia ia
I tô iho fàraa mai
I roto i te ao Maohi
Fenua b tô u hui tupuna ra
Rahuhia e Taaroa Atua
I te ‘anotau mai â
‘0 te rahuraa ao.
E Hiro ë !
Tïa noa ra be
‘Ite atu ra vau ia be
I mua noa mai
Te roroa roa mai ia Mou a roa
I te mou'a moa ra
‘Ite atu ra vau i to hôho a mata
‘O Temehani
Te hibhio mâere noa na Mahaea
‘Ite atu ra vau i to Tri ‘uraura
Teie au te Tama
Tapab no tô be püai
I tô ai a ra
‘E tô iho mana
E manabnab noa nei ia be
I pi'ill ua noa na be ia u
Aho‘i mai !
E Hiro ê !
‘Ua fàhia mai be
Mai te hôe manu mana
E Hiro ë !
E rererere noa ai nà te ara
‘O Faaaha tô fa‘a
E tàmoemoe i tô huaai
Faa iti ruperupe mai te roa a‘e
Tei taaminomino noa
‘O Tevainui te vai
Tei ihuihu noa hia
Vai i reira be e fâhia ai
Haruru mai te pâtiri
Nô reira,
Anapa mai te uira
Te pi‘i hua noa ra be ia‘u
Farara mai te matai
Aho'imai !
81
I maimiti Hhn-Eugénie Fanaura
Comme toute polynésienne passionnée, Maimiti se cherche encore à travers
plusieurs domaines tels que la culture, le dessin, la musique, le chant,
le théâtre et l'écriture...
Parahi anae
Te fano nei teie nâ te taitua,
Tei tahatai tô‘u tino
Pârahi anae
E hanoraa teie i te rai ra,
‘O vau anae iho atu ra
Pârahi anae
Te h e e nei teie umoa i nia i te are
‘O vau anae iho i te pae tahatai
Pârahi anae
‘E ‘i terâ atu pae,
‘O be ia,
‘E tô mata ataata
Tei ‘ï i te roimata
Pârahi anae
E aha ho'i teie e arepurepu nei tôu aau ?
Tei hea atu ra teie reo iti nô te tâmarü ia na ?
E aha ho‘i teie e mani'i nei i to u na mata ?
Tei hea atu ra teie turu nô te pàfai ia na ?
autochnes
réations
LittéRama'OHi #22
maimiti Rhn-Eugénie Panaura
I na hoi be,
E na ho‘i be,
E fàrerei faahou ânei tâua ?
Moemoeâ iti e, moemoeà iti e,
A faahau na i tô‘u a au
Moemoeâ iti e, moemoeâ iti e,
I vai nâ ho‘i be nôu,
Të vai nei be nôu,
E vai à be nôu.
Ta be hororaa, ia bre e mau.
A vëhi ia ‘u, a vëhi ia u,
la mata vau i tô‘u mau tupuna !
A haaputapü i tôu ‘a au,
la bre ràtou ia aramôina hia !
la vai be, ia vai be,
E ia mau ràtou i te hôhonuraa b tôu aau.
Moemoeâ iti e, moemoeà iti e
I vai nâ be nôu,
Te vai nei be nô u,
Evaiâoe nôu.
Elaere mai, haere mai iau nei,
Ua ‘iho‘i tôu aau i te ora
Haere mai, haere mai i roto i tôu mau taotoraa
la riro teie taa e raa ei fârereiraa
Pârahi anae...
83
Comme pour me dire “ au revoir
Un bateau sen allant vers le large
Me laissant seule sur le rivage
Comme pour me dire “ au revoir
Un oiseau s’élevant dans le ciel,
Sûr de son envol,
Me laissant seule sur la terre
Comme pour me dire “ au revoir
Une fleur se laissant porter par les vagues,
Me laissant seule sur le sable
Comme pour me dire “ au revoir
Et de l’autre côté de la rive,
Toi,
Riant aux éclats et
Me regardant les larmes aux yeux
Comme pour me dire “ au revoir
Quel est donc ce sentiment qui enrage mon cœur ?
Où est donc passé cette voix qui savait si bien
L’apaiser ?
Quel est donc cette chose qui coule le long de mon visage ?
Où est donc passé cette épaule qui savait si bien
La cueillir ?
Je t’ai vu,
Je te vois,
Mais te verrai-je encore ?
Rêve,
Apaise mon âme
Rêve,
autochnes
PTréations
LittéRama'oHi #22
(Tlaimiti flhn-Eugénie Fanaura
Tu es mon passé, mon présent et mon futur
Ne cesse donc pas ta course contre le temps.
Continue de m’envahir,
Que je puisse entrevoir mes ancêtres
Continue de m’émouvoir,
Que je puisse encore me souvenir d’eux
Continue d’exister,
Que leur mémoire s’ancre en moi et jusque dans mon âme
Rêve,
Tu es mon passé
Tu es mon présent
Tu es mon futur
Puisses-tu toujours m’inviter,
Car je me sens vivre !
Puisses-tu toujours me hanter,
Pour que ces “ adieux ” ne restent que des “ au revoir
85
j Vaimiti Lanteires
Te mau ruriapo b tei bre e moe
A tae hoi ë ! be tau moemoeà
E aha tà be e tapuni ra ?
E aha ta be e hinaaro ra e faaite mai ?
E mea ‘ino ia moemoeâ i te hôe baba ?
E aha ho‘i te aura'a b teie mau Ruriapo ?
‘O vaite tiaepahono mai ?
‘Ooe anei tau moemoeà ?
Te taupupu noa ra tô‘u feruriraa
No tau mau Ruriapo
I nia anei i te Ora, te hère e te pohe
A tae hoi ë ! be tau moemoeà o te pohe
Te faariaria nei au i teie moemoeà
Aita vau i ‘ite i te taime e faarue mai ai i teie ao
Tera rà,e tia iau e fàari'i i te pohe
Hôe amaa teie moemoeà o tôu iho tupu
Te turu mai ra teie moemoeâ iau
A here te that a, te ora noa ra
A vai iho te baba e te here, i rotopü
I teie mau taata e ati noa nei iau
E hia ia ora no te taa maitai te mau huru o te oraraa
A tae ho‘i ë !‘oe e te moemoeà o te ora.
E moemoeâ hàviti roa teie,
autochnes
iWréations
LittéRama'OHi #22
Vaimiti Lanteires
No te manaonab, tôumàmàhere.
‘O be tei tanau mai ia‘u;
Tei horoa mai i tobe Here rahi
‘O be tei haapi'i mai iau na roto i te iaatura e te marü.
Te ‘ite nei au i teie m ah an a,
E vahiné nehenehe au mai ia oe,e tôu mâmâ here
E'ita vau e nehenehe e bre i te here ia be
la mauiui anae vau, boe atoa ia,
‘O be e tôu mâmâ here.
A tatarahapa mai iau, 110 te mau hora o tau i rave
No te mea obe noa,tô‘u mâmâ, e aita atu
Ta be mau haapi'iraa, e tape a noa vau
Mai te hôe tao'a rahi i roto i te aau
A tae ho‘i ë ! be tau moemoeà o te here,
E moemoeà baba roa be
E faahaamanao mai ra bia, ia be tau i here
‘O be tau i here i te mau mahana atoa
E taata be no te huhuna bre i te parau
Te vahi ia b tàu e fa'ahiahia nei,
No tôuparuparu, ua ‘imi be i te ravea no tàua,
la bre vau ia topa i roto i te ‘ino
‘O be tei parau mai iau, te parau o te baba,
‘O ta tàua e ora nei i te mau taime atoa
No te haapuai to tàua Here,
Eiaha tâua e tiaturi ia tàua iho
la tuea rà to tàua manab no tô tàua oraraa
A aro i te fifi,
Eiaha e huri tua noa i te fifi
Aita ho‘i e oti a o to tâua here
A tae ho‘ië !‘oe tau moemoeà
Aore tau e ravea no te tohu te tau a mûri.
87
I Hinano iTlartinez - Luloque
Après avoirfaitplusieurs séjours dans les îles, elle décide d'étudier la
langue de ses ancêtres polynésiens. Malgré quelques difficultés, et sous l’impulsion de madame Léocadie K., enseignante de “ Poésie et Stylistique
polynésiennes " elle écrit une poésie en tahitien et en éprouve beaucoup de
joie et defierté.
Te moemoea a te Tama
Té hio nei au ia be
Tê ma'ue ra ‘i roto i te moemoeà nïnamu
Nâ nia i te ânuanua, mai te manu vata, te rere nei be
E pühi hau te matai, e màhorahora te
pererau,
E tavevo te ti amàraa
Tê ani nei be
E màmé Ë, e aha tei nia roa ?
Të hio nei au ia be
Te pâhee ra be i roto i te moemoeà teatea
I roto i te ‘ihinatai mai te i a teretere
E ‘au maital be e tae noa atu i te moana hàuriuri
Te ani nei be
E mâmâ ê, e aha tei raro roa ?
Të hio nei au ia be
Të reva rai te moemoeà ura'ura
Tapao ieie e te manamana atoa
Te paari ra be,
Te riro nei ei taure are a hâviti
Te ani nei be
E màmà ë, e aha tei mûri roa ?
autochnes
réations
LittéRama'OHi #22
Hinano iTlartinez - Luloque
E ta u tamaiti ê !
la taha te mahana, ia türama te maruapô
la matara te uputa b te moemoeâ
 fa ahanahana i te e a
Mai te manu iti e, a maurere i te rai âtea
Mai te i‘a oriori e, ‘a he‘e i roto i te hôhônuraa
Mai te taurearea e, ‘a ahi ura i tô be moemoeâ
la tahu te auahi b te Ora, ia tauahi i te màtaa
E ta u tamaiti ë,
 rere, ‘a ‘au, a haere
Te ti‘a mai ra te tau b te pô
‘Oia mau, ia tae i te hô e anotau
E tâpae be i te hui tàrava.
89
:
Heeata Tepa
Ia ora na ! Tei roto vau i te amaa Reo maohi, matahiti piti, i tefare
haapi'ira'a tuatoru nô Pôrïnetiafarâni. Uapàpai au i teiepehepehe
nô tejadite i tô'u heu i tô'upàpâ u.
‘Aitafaahou oia ipiha'i iho iau,
tei roto roa rà i te hôhônura'a b tô'u a'au !
Te tahi tuhaa o tô u Ora
“
Pâpà u ! Pàpâ u é !
Tei hea roa be ? ”
Âore ho‘i e ta ata i'râpaeau atu i te fare
Âore ho‘i e taata i roto i te fare
Âoreho‘iitôupae atau
Âoreho'iitôupae aui
E aha ra ho‘i te pôiri i teie vàhi !
“
Tei hea roa be ? ”
‘Imi haere noa ra vau ia be
Tupu atu ra te oto i roto i tôu màfatu
“
‘Ua faarue anei be ia u ? ”
Tahe noa ai tô'u roimata i nia i te repo
‘O vau anae i taua vàhi ra
Të türama nei te avae i te ao taata
Tê ‘ai nei te ano i tô'u nei vaerua
Nà te rumaruma b te pô e tâmarü nei iau
Inaha, mutu atu ra te pôiri e te tahi maroao
Faaroo atu ra vau i teie reo
Te reo b tau i ‘imi noa na
Tô be reo !
“
Tô'u here iti ë, haere mai iau ra ”
autochnes
réations
IM
LittéRama'oHi #22
Heeata Tepa
‘Ite atu ra vau ia be
Të haere mai ra be ia‘u nei ma te reo hïmene
‘O tôuiamahana oroafanauraa
“
E aha ta be e hiaai nei ? ”
‘Euhe atu ra vau mâ te mâmü
‘Ua ho‘ i mai te mâramarama
Te reira atoa tôu mau feti'i i te aua-hâatiraa mai iau
Tô‘u mâmà i te pae atau
Tôu pâpâ i te pae aui
Parare atu ra te matâa i roto iau ra
Auë ho‘i ê te baba !
‘Oriori ae ra te taatoa
Të pàrahi noa ra vau i nia i tô turi avae
Rave iho ra be i tôu upoo mâ te parau ë :
“
A tâpiri i tô be nâ mata
Teie tôu mahana hôpea i
rotopü ia outou
Tei piha‘i iho noa vau ia be e tae atu i te
hôpea ! ”
Tavevovevo iho ra tô be reo
Hitimahuta atu ra vau i tôu araraa mai
Aitafaahou ho‘i be, ua moe !
E moemoeâ noa ho‘i teie
O tei ho‘i tàmau noa mai i te mau pô atoa,
Mai te mahana i faarue ai be ia‘u.
Vai iho otare noa mai be iau i roto i teie ao
Aita tô u e pou faahou
Aita atoa tô u e aratai faahou
Ahuru tetoni noa b tau e ani noa
Ahuru tetoni noa i roto i tô rima
E tïtauraa rahi ànei teie ?
Nô te aha be i reva bioi ai ?
Nô te aha be i faarue mai ai iau ?
Aita tô be here iau i navâi nô të fâaea mai ?
Ua rave ànei au i te tahi bhipa ‘ino i nâ reira ai be ?
91
Âore e pâhonoraa !
Te mihi noa nei au ia be !
Te tahe nei tô‘u vaimata mai te hô e anàvai ra te huru
Faaroo atu ra vau i te tahi reo iti
“
Tô‘u hinaaro rahi, ia pârahi noa mai tô‘u pâpà u
I pihaiiho iau ! ”
O ta u ia euhe i terà ra pô
Te pô i faarue ai be ia mâtou
Teie ato'a pô i ere ai au i te tahi tuhaa o tô u nei ora !
autochnes
Hréations
LittéRama'oHi #22
Denise Tetua'ura Tauatiti -Jaulin
Taufâ : la noaa mai teieparau tuite, të opua nei au e haa nô te
'ohipa a te Ture, mai te tahi auvaha reo tahiti ànei e aore ra reofarâni.
Te hinaaro ato'a nei au e ti'a nô te aupuru i tô tatou reo tahiti : ia vai
noa tô tatou
Reo, eiaha ia môrohi !
E tao a rahi
E taoa rahi,
E aupuru ânei au ia na ?
E haapao maita'i ânei au ia na ?
E faaea noa vau mà te anaanatae bre ?
E haapae ànei au i tau taoa rahi ?
‘Oia ho‘i,
E hape rahi terâ,
Teie taoa rahi,
E faufaa mau tô na,
‘Oia ho‘i,
E taoa rahi,
Nô te tàvini i tô‘u nunaa,
Te nunaa màohi,
Te nunaa maohi i herehia e au,
Taoa fâito bre
Taoa nô te ao maohi,
Taoa ‘oia, tô nunaa ho‘i te fatu,
Taoa, te tahe noa nei i roto i tô toto,
Teie taoa rahi, nô o roa mai i te rai teitei,
93
 bhipa,
‘A ara,
 ti a i nia,
Teie taoa rahi,
Ta tatou ia taoa rahi,
Teie taoa rahi,
E ere nâ vera mâ,
 ‘ohipa,
A ara,
A ti ai ni a,
la vai noa teie taoa rahi
E taoa rahi nô te nunaa màohi,
Taoa rahi,
E;
(
Taoa rahi,
I pihai iho i tô aau
Mai te hôe tamari'i i herehia e au,
‘Oia ho‘i,
Teie taoa,
Eiaha roa atu ia ‘aramôina ia na,
Teie taoa,
Eiaha roa atu b ia ia môrohi,
Tau ia MOEMOEÀRAHI,
‘Oia ho‘i,
Teie taoa rahi,
Tô tatou ia REO,
Te Reo Maohi i herehia e au,
Mai te tau e te tau,
E ‘a mûri noa atu.
ISfréâtïoisauchne
LittéRama'OHi #22
Taiana Temauri
"... maman d’un enfant de 3 ans, Kekoahaunui, qui signifie Guerrier de
la paix, j'ai écrit ce poème pour l'Amour que je ressens pour la culture
polynésienne et tout spécialement pour la danse tahitienne. "
Tehura otàumoemoea
Mai te hihi o te rà be
I te fâraa mai ia‘u nei
Tô ahu more i tô tino iti
E au i te ahi ura
Tei faahei taoto ia‘u nei
Pahe e au noa tô tino, e ua vairipo
Nâ nia i te are o te matai
Âuê ho‘i i te faahiahia ë
‘O be ânei tei roto i tau moemoeâ
E ‘Urataetae iti ë, e aore ia, b vau ânei ?
‘Ua pînaina‘i mai tô reo iti navenave
E pehepehe i te nu‘u atua e te u rau o te aru
Ua mai mai te noanoa b te pua
Tei faahei i tô tino nehenehe
Tau mai ra i nia ia u, ia hau tôu mânava
la haruru te pahu, ia ta i te tô'ere
Faateniteni i tôu ai a
Taupe noa mai te mau fetia b te rai
Mai te pua rama ra i tau moe hau
Faahanahana i te purotu nô te hura
la oto mai tô reo iti
E reo iti faaho'i mânava
E reo faaora vârua
la apa mai be
E au te rai mai te pua rama ra.
95
j Hiriata Brotherson
Elle a grandi entre trois ties : Tahiti Nui, Huahine et Manhattan. Profondement insulaire, elle a pour seule limite l'horizon et n'hésite pas à
quitter sonfenua pour poursuivre des études de droit international, à
Genève, capitale diplomatique européenne. C'est dans la contemplation
qu'elle puise son inspiration et son indignation.
Âahiata
-
Scènes de vie
4h | Hiti maira te mahana, hiti atoa mai te manao
Mon esprit somnolent se promène encore entre rêves et réalité.
Je repense au festin d’hier soir.
Nous étions six autour du paru pêché par papou dans les eaux de Rai âtea,
préparé par mes soins avec du rea tahiti, du taro et du mitihue.
Palpitations.
L’orage grondait et nous demeurions silencieux, nous savions que la nuit allait
être paisible.
Enfin.
Nous nous réjouissions tous de ce repos mérité au rythme des averses et du
tonnerre.
Sauflui.
La pluie signifie que le chantier aura du retard.
Lovée dans mes draps,
bercée par le cours d’eau déferlant le long de la maison,
résultat de cette nuit pluvieuse,
gage de fertilité pour nos terres,
je me réveille.
Ces nuits du mois de juin sont douces.
Douces comme le grain de sa peau que je frôle.
autochnes
Hréations
LittéRama'oHi #22
Hiriata Brothersan
Douces comme le hupe qui m’effleure,
et me renvoie à mon
sempiternel tïfa’ifa’i défraîchi et oh combien choyé.
Celui-ci est rose et jaune.
Cela fait vingt et un ans que je l’ai.
Il arbore de belles fleurs de pua odorantes dans leur robe céleste.
Un autre motif s’est rajouté au fil du
temps, quelques trous et déchirures d’usure
qui lui donnent son charme que je semble être seule à apprécier encore.
Tïfaifai, double héritage d’un passé colonial britannique et d’une matahiapo
disparue, mon arrière-grand-mère,
celle qui m’a fa’amu,
Te rai pô'ia
Dans les deux,
Te rai pô'ia devient peu à
peu, Te rai ma te ata.
Le ciel ombragé se découvre et les
coqs chantent le ciel sans nuages.
Nuageux, mes yeux le sont encore.
Mon nez toutefois n’a pas attendu
pour emprunter la route du mono’i dont il s’est enduit.
Chaque soir pour apaiser ses muscles sollicités et son esprit,
il procède à ce rituel, répété et imité depuis des
temps immémoriaux.
Mes capacités olfactives se délectent de ce
parfum auquel s’est mêlé sueur et
l’homme dans toute son essence.
Effervescence des sens.
C’est comme ça que je le préfère.
C’est ainsi que j’aime que commencent mes journées.
5h I Here fâito ‘ore
À cette heure, je ne vois que les reflets de sa peau luisante et satinée
mains s’empressent de parcourir
velours se repose encore.
langoureusement. Le guerrier à la peau de
Je m’émerveille chaque jour un peu plus.
Aussi doux que brut.
Comme les hommes d’une époque
I terâ ra tau.
que mes
que je n’ai pas connue.
97
Nourri par leurs récoltes,
rattaché par son püfenua à sa terre,
les muscles pétris au mono’i,
la peau caramélisée au soleil, ‘
élevé par la communauté de son village et de son
Comme les hommes d’une époque
église protestante ma’ohi,
que je n’ai pas connue.
Sa langue est chantante,
Elle chante la beauté de Ranihavaiki.
Son cœur est pur,
Aussi pur que la poudre de santal
endémique tout juste râpée.
Son âme est sincère,
D’une sincérité qui n’existe plus.
Ses yeux rient l’allégresse,
L’allégresse des oiseaux de Nui papa rahi.
Son sourire appelle à l’insouciance,
L’insouciance des ruisseaux des fa’apu.
Ses sourcils froncés à la méfiance,
Méfiance à l’égard de tout ce qui pourrait
compromettre l’avenir des siens.
Ses cieux sont ouverts,
De son amour mon être entier est recouvert.
Peu de mots. Juste des regards, dans
lesquels je me noie.
Nul besoin de paroles pour rassembler deux êtres et deux âmes
dans son entièreté a conspiré à unir.
que l’univers
Je suis tombée dans les filets de ce pécheur.
Mais comme les tàea percés à la tête,
Je ne me débats pas et me laisse écailler, attendrir, bouillir puis dévorer sans
modération
Par cet homme de la terre, de la mer et du ciel ouvert.
Te aru, te tai e te ra’i vavae.
Fait d’amour.
Dieu de l’amour.
Mon amour.
autochnes
réations
LittéRama'OHi #22
Hiriata Brotherson
6h I Haere mai café
Pour elle, un café corsé et griffé d’une célèbre marque suisse au marketing américain.
Capsules d’espresso pseudo-luxueuses,
concentrant le nectar des habitudes snobinardes du maohi imitateur d’un autre,
qu’il ne peut en vérité, pas vraiment se payer.
Souvenirs d’un niveau de vie élevé autrefois atteint en compagnie de cet
homme,
ce roi
de la paix,
foncièrement et matériellement riche,
qui intellectuellement et socialement parlant ne la satisferait jamais.
Une question de fierté.
Tebteoraa,
Imbuvable pour lui.
Pour lui, de l’eau édulcorée d’une demi cuillère de café soluble instantané bon
marché.
Aux Australes, où la plante pousse pourtant facilement,
les tuha’a pae n’y ont pas échappé.
Par souhait d’économiser le contenu de la boîte,
car
les familles sont nombreuses,
le réapprovisionnement peu fréquent
et
l’argent rare,
le café “ léger ” est la norme.
Une question de rationalité.
‘Eiaha e faamàua,
Imbuvable pour elle.
Pour moi, un bol de lait semi-écrémé et du milo.
Une absence totale de café de mon organisme car cela m’a été interdit.
De plus les bisous de maman dans mon enfance empestaient cette odeur qui
me
répugnait et que j’associais à de l’affection forcée, puante, manquant de
conviction.
Aujourd’hui, ils me manquent.
Le chocolat en lieu en place du café excitant est une des rares choses que j’ai
voulu retenir des préceptes de mon éducation religieuse adventiste.
99
Une question de santé.
Peu petania.
Tolérable pour eux, protestants.
Nous nous rejoignons cependant tous autour d’un élément fédérateur liant
toute
quelconque surface farineuse au plaisir.
Il s’agit de la confiture de goyave à la vanille faite maison par Veronica.
Dans un élan de bonté, elle nous a offert une touque dice cream Tip Top bleue
remplie à rabord de ce délice à diabète à se damner.
‘Ua hope te au.
Selon les jours et surtout selon l’humeur du chefde famille, elle,
nous avons du
pain de mie, une baguette ou des Sao.
Chacun trempe et déguste comme un bienheureux.
De ce peu, qui paraîtrait un trop pour d’autres,
nous
puisons notre force pour tenir toute la matinée.
Parfois elle prend la peine d’observer la vue imprenable quelle possède sur le
Taharaa.
Lui souvent.
Moi toujours.
Je me perds dans les nuances de couleurs qui varient chaque jour,
sans me
lasser.
Tantôt bleutés, tantôt orangeâtres, tantôt sanguines ou encore d’or terni,
les reflets qu’offre l’aube sur les montagnes verdoyantes dÂrue me fascinent.
Â’ahiata teie taime.
Elle se prépare un dernier espresso à emporter et boire tandis quelle conduit
son SUV
familial.
Il est déjà prêt.
Je cours dans tous les sens car mes affaires sont éparpillées de part et d’autre.
On n’a cessé de me dire que j’étais en retard à la maison mais un peu en avance
dans le reste.
Je n’ai pas su comment le prendre. L’ennui par contre m’a envahi.
L’heure court mais ce que je veux c’est le temps.
Ainsi fonctionnaire d’Etat, patenté indépendant, technicien surexploité, collé-
gien passif lycéenne surdouée, étudiante aguicheuse et stagiaire de ce pays se
dirigent vers Papeete au lever du jour.
autochnes
réations
LittéRama'oHi #22
Uaihere Doudoute-Raoul»
Passionnée par sa culture et tous les arts qui la composent, Vaihere est
auteure, chorégraphe, danseuse et oratrice.
Afano anae ra
Naviguons !
Eie be e Faafaite
Te voici Faafaite !
‘Oe tei moe hia na
Rêvée,
Désirée,
'Oe tei hiaai hia na
piri te mau aau
Les cœurs se sont épris,
farerei te mau vaerua
Les esprits se sont rencontrés,
E fano... A fano anae ra
Ilfaut naviguer... Naviguons !
E‘ie be e Faafaite
Te voici Faafaite !
Horuhoru te aau
Nos coeurs ont été troublés,
Horiri tou tino
J’aifrissonné,
Âue tau maimoa
Mon cadeau !
Âue tau temeio
Mon miracle !
E fano..., Afano anae ra
Ilfaut naviguer... Naviguons !
Eie be e Faafaite
Te voici Faafaite !
O ‘Oe e Tane
Toi Tane,
O ‘Oe e Paparaharaha
Toi Paparaharaha,
E fano... Afano anae ra
Ilfaut naviguer... Naviguons !
Fano e fetui i te mau motu
Naviguons lier les îles,
Naviguons engrener les terres,
Fano e faahei i te mau fenua
Fano e faahere i te mau taeaè
Fano e Faafaite i te ao Mabhi.
Naviguons rencontrer nos semblables,
Afin de réconcilier le monde Ma'ohi.
101
Hurihuri
Ta'anini te upo'o..., mauiui te rae,
TAOTO... E ti a no te ‘amuamu, ho‘i i ni a i te ro‘i
TAOTO
...
Ahuru ma piti i te po taparuru te mau papa i.
MARUA ihora i ni a i te tofa.
TA'OTO. E vahiné tupohe auahi tei roto i te piha paapa'i raa
Tei nia vau i te ro‘i mai ‘ati
TA'OTO. E ta'ata tupohe auahi tei roto i te pereo'o mai
Hiti te mana'o e ua ro'o hia vau i te mai AVC
TA'OTO. Nau ta'ata ‘ahu ‘uo'uo e ha'ati nei i ia'u.
Tei te piha fa'ari‘ira'a no te fare mai
TA'OTO. Tei roto vau i te piha. Te parauparau nei, ‘aore ra e aura'a. Aore ta'ata
e
ta'a mai
TA'OTO. E vahiné tei piha'iiho i ia'u, Te huti nei te vahineutuutu i te paruru ia
oreVAUEHI'O HIA
Paitu to'u nei hoa to piha'iiho i ia'u,
Te ani nei te vahiné utuutuma'i ia na “ a ho'i, e pi'i ihoa matou i ia be”.
Aita ra o Paitu i ho'i,
Apa atu vau i ta'u mau parau : “ a haere ra, e taoto vau, ua ‘afaro te mau mea
ato'a ”
Ho'i atura oia, ma te tamau i te opani o te piha,
I reira to'u TA'OTORAA, TAOTO, ‘OTO, ‘OTO...
autochnes
réations
LittéRama'OHi #22
Chantal Teraimateata millaud
L’eau du caillou
L’enfance courait à pas légers
par les sentiers de terre rouge
le soleil cuisait nos souffles
nous
emportions des poches
de hasard fil de pêche fil de fer
allumettes mains ouvertes sur
les rêves de nos attentes
Têtes brûlantes visages levés
vers
les crêtes lointaines Pamataï*
âme emportée bonheur ensuite
de la descente cascade
rivière vallée Tipaerui*
de la chasse aux anguilles
Promesse des jambes
parcourant les heures de poussière
où les bouches perdaient leur salive
au
bord des chemins les petits cailloux
semés pour la soif se cueillaient
comme des baies dans
chaque joue
l’eau du caillou donnait
des ailes à nos pieds de terre
103
Ta main conduit nos semelles
Mon fidèle,
je suis venue avec mon cœur d’eau
comme est
d’eau le cœur de mon île.
Tu m’as dit :
“
Pauvre suis sans rien à t’offrir :
quelques cailloux de la garrigue
Cazevieille !
Qu’avions-nous besoin de fortune ?
J’y entrai comme en un palais.
Pic Saint Loup :
les fougères de ma montagne Aorai
s’ajustèrent à son dos de bête.
Tous les noms
m’apprenais : cades, micocouliers,
girolles, baies à prendre aux épines...
tu
Tahiti
se cueillait aux fruits de
l’arbousier,
frémissait dans l’herbe blonde du vent.
Tamouré
pour les grappes à mordre entre les ceps tordus.
À mon oreille fleur de garrigue vaut-elle un tiaré ?
Vers tes ciels,
mon
visage mouillé dorages blancs,
ta main conduit nos semelles aux
glaises
de mon île.
À présent,
la chambre sent la pluie d’un même chemin.
Nous étreint le vin de force au
de la vigne.
goût de pierre
autochnes
Blréations
LittéRama'OHi #22
I ChantaLTeraimateata ITlillaud
Au voyageur
Dans les îles de Polynésie,
Le voyageur : à embrasser,
à choyer, à célébrer,
à chanter, à pleurer...
POUR SON DÉPART
Vers la case de l’artisanat,
vers
l’espace des belles dames
cheveux de lionnes brunes,
sourires de sérénité :
Ici sont les fleurs, les coquillages,
tiarés à emporter pour parfumer
les bagages ;
pour offrir, de l’autre côté de l’océan,
des bouffées odorantes.
Nous avons surfé pour joindre
les amis, la famille.
Cependant l’odeur de la fleur
franchit pas les ordinateurs.
ne
Dans la case de l’artisanat,
dans l’espace des belles dames
cheveux de lionnes brunes,
sourires de sérénité :
Colliers de coquillages fins ou gravés
à passer au cou du voyageur
à embrasser, à choyer, à célébrer,
à chanter, à pleurer...
Pour le voyageur les cordes des guitares
premières notes du début d’un chagrin,
les chants pour dire l’amour, l’amitié.
Au Voyageur ! Buvons !
105
Dans la salle d’embarquement :
les parfums, les couleurs ;
puis, disparition du voyageur,
dans les regrets et les larmes.
Au voyageur!
Dans les îles de Polynésie,
Le voyageur : à embrasser,
à choyer, à célébrer,
à chanter, à pleurer...
POUR SON RETOUR
L’on rembobine le fil du départ,
et comme on mouline le fil de
nylon
quand on ramène le poisson,
s’en revient le voyageur.
Dans le bonheur et les larmes :
la fleur de tiaré, princesse de l’offrande,
embaume l’aéroport
des départs et des arrivées.
Venus de la case de l’artisanat,
Venus de l’espace des belles dames
cheveux de lionnes brunes,
sourires de sérénité :
Colliers de fleurs de frangipanier
à l’odeur entêtante on s’enivre.
Les bras bercent le corps du voyageur ;
les chants bercent son âme.
Chant d’accueil guilleret
cordes des ukulélés, allégresse du nylon.
La tiédeur de file, lourde tendresse,
enveloppe le retour du voyageur.
autochnes
réations
LittéRama'OHi #22
Chantal Teraimateata fTlillaud
La nuit jouait avec son archer d’amour
(Courir au bout du silence du wharf)
Hautbois et petits pieds nus menus
sur les lames de bois noir.
Quelques rondes ralentissaient la mer :
quoiqu’elle chantât, quoiqu’elle clamât
au
bout du silence du wharf
Suivre et rejoindre le kimono de soie
aux
rythmes du vent assoupli de la nuit.
(Sur la corde tzigane d’un secret)
Jazz d’octaves, bruissantes odeurs mauves
de la mer et sa gamme et son
gong ;
et le
gong du cœur qui cognait vers
le bout du silence du wharfj vers
les blanches ailes harpe du secret.
Douche fraîche de l’espace,
douche chaude de la pluie.
(Au-dessus de l'organe de la mer)
Quatre mains immobiles tout au bout
de l’infini d’une pause.
Autour, la mer : son quintet, ses tambours.
Cœur d’ivoire de l’aigu au
grave,
petites notes de swing
au sein
de l’unisson des baisers,
au sein
des bras de soie kimono.
(Eau salée mêlée tombée sur les lames)
Course à l’envers de l’adieu :
les baisers séparés, le violon déchiré.
Quelques lames claquaient au cœur.
La nuit jouait avec son archet d’amour ;
nuit odorante de jazz mauve.
“
No no no ! No no no! ”
Cognait le blues contre nos maux.
107
Rêve d’un possible voyage
Songe mon vieil amour à nos joies poivre et sel
long vol blanc d’un coup de fantaisie
nous allions
contempler l’autre voûte du ciel
si par le
Imagine la tiédeur
des lagons
Embaumeraient mille fleurs
de tiarés
Partons repeindre en couleur
nos deux cœurs
Lieu de nos désirs
jeunesse
renaisse
à loisir
Voilà qu’à l’unisson nos lèvres s’extasient
Voilà que sur la mer une île au loin ruisselle
Voilà d’émoi nos chairs pareillement saisies
Se dessine la fraîcheur
des cascades
Cadence au sein du bonheur
des musiques
Que notre rêve demeure
mon aimé
Lieu de nos désirs
jeunesse
renaisse
à loisir
autochnes
réations
LittéRama'OHi #22
Odile Purue-RIfonsi
Hauteur, évoque au travers de ses écrits mangaréviensfrançais les souvenirs de son
enfance précaire et insouciante afin que, de son pays natal, "
Langue ne disparaissentjamais
son Histoire et sa
Danse pour la lune
Fermant le grand portail de la maisonnée
Je traverse vaillamment l’avenue privée
Pour aborder un chemin chaussé de bitume
De Pamatai, paysage populeux de Faaa.
Tout parait clair, distinct, il fait jour la nuit.
Dans l’étoffe clair-obscur filtrée de lueurs
S’échappent des abords du parcours les pleurs
Des grillons importunés par la clarté de la lune.
Dévalant la colline au pas de course,
Je suis saisie d’émerveillement par la vision
D’une boule lumineuse en suspension
Au-dessus de l’aquarium de “ Vaitupa ”.
C’est la lune qui en achevant son parcours
Répand sa lumière pailletée d’or et d’argent
Illustrant ainsi de ses reflets étincelants
Le décor mouvant de la surface de l’eau.
103
Cette aubaine irréelle et visible à l’aurore
Me plonge dans une contemplation grisante
Envahissant mon être de pensées amusantes
Pour une farandole vive des résidents du lieu.
J’imagine une évolution éclaboussée dans les vagues
Des danseurs en écailles qui serpentent en parade
Parmi les sillons entrelacés de cordons d’algues
Rendant ainsi hommage à la lune, l’invitée haute.
J’imagine une troupe à tentacules fleurie d’écumes
Des pieuvres, des méduses qui encensent la lune
Oscillant et enserrant avec une grâce ingénieuse
Les écrevisses et les insectes de mer en délire.
J’imagine...
J’imagine...
Sortilège d’une couronne de fête
Elle est odorante ma couronne de fête
Elle se distincte d’une fantaisie libre
Des fleurs favorites de ma cueillette.
Elle est magnifique ma couronne de fête
Elle ensorcelle les noceurs joyeux
D’une délicate passion de jeunesse.
Elle est troublante ma couronne de fête
Elle ravive les liens frivoles
D’un flirt à l’effluve vert.
Elle est sensuelle ma couronne de tête
Elle tourmente les idylles naissantes
D’un intense émoi d’une amourette.
autochnes
TSrdations
LittéRama'oHi #22
Odile Purue-Alfonsi
Elle est fluctuante ma couronne de fête
Elle transporte les cœurs passionnés
Dans un délire vibrant de fièvre.
Elle est belle ma couronne de fête
Elle harmonise les nuances flamboyantes
Dans l’éclat enchanteur de la lumière.
Elle est illusion ma couronne de fête
Elle libère les tentations fuyantes
De l’alliance colorée de chimères
C’est ma couronne,
Elle s épanouit de couleur
Elle resplendit de fraîcheur
Elle illumine de bonheur
Elle ensorcelle le rêveur !
Ill
Passionnée de lettres, ïauteure dévore les livres depuis sa tendre enfance,
ce
qui la mènera a de premières études de droit à Bordeaux. L'amour
la ramènera vers nos rivages, où elle dépose sesfilles, et opte pour l'ensei-
gnement quelle juge être la plus noble des missions. Teraipoia voyage
par la lecture et s'évade par l'écriture.
Home, sweet home
Dans ma maison, il n’y a pas de rideau pour voiler les non-dits. Les immarcescibles rayons du soleil envahissent ma chambre tels des tourbillons jaunes
au-dessus des étoiles.
Dans ma maison, il n’y a pas de vol, ni de grivèlerie. C’est un chaume qui
sent le fournil et le pain
chaud. Les placards rustiques sont pleins à craquer. Le
frigidaire vrombit imitant les réacteurs d’une débroussailleuse. Levier est suspendu, ô combien de temps encore, grâce à la gentillesse de trois plaques d’aggloméré au dernier stade de déliquescence. Le compostier exhale depuis hier
soir l’odeur pestilentielle d’égout ranci. Les vitres sales bruissent un feulement
de guillotine.
Dans ma maison, les habitants ont le droit de lire, de paresser, de grandir,
de se nourrir.
Les jeunes filles en fleurs exhibent leur chair blanche de haut en bas, se
pavanant devant le magique miroir de la jeunesse. Les mâles ne sont pas en
reste, huilant pectoraux et abdos avant de se lancer dans des compétitions de
kettelbelt. On se repaît de brun chez moi et on se parfume de grand ah insolent
garance. On s’ébroue dans les matelas et on se bourre jusqu’à la gueule.
Dans ma maison, l’eau a du mal à s’écouler dans les tuyaux de la salle de bain.
Parfois elle s’enfuit par un trou béant sans rien pour la canaliser. Autour de ma
réâtîonsauche
ri
LittéRama'om #22
Marine Tea
maison, l’eau est libre au point de menacer l’intégrité de ses fondations. Ma
maison serait-elle un
remugle, bateau ivre perchée sur sa montagne de Noé ?
Dans ma maison, il y a mille couleurs que je défoule avec mes rouleaux.
Certaines m’égayent, d’autres me rendent morose. C’est une bauge propre,
moribond au milieu de l’odeur de la belle agonie. Parfois, elle est pure
gemme.
Elle se pare alors de mordorures baroques, de senteurs lavande et papaye, d’un
glacis de lumière chatoyante.
Dans ma maison, il y a des coups de tonnerre, des chansons et du silence.
Dans ma maison, il y a des enfants qui reviennent parce quelles ont besoin
de repartir mieux, plus loin, plus haut. On essaie de grandir, on doit chercher
le bonheur. C’est plus facile à vivre. Il y a beaucoup de livres dans ma biblio-
thèque parce qu’on écrit. Or je n’ai toujours pas trouvé quelle sorte d’arbre est
le bonheur. Qu’importe, mes livres en pagaille sont ma vie par procuration, des
amis éternels taiseux, rudes et odorants de cette odeur de
citron et de gâteau
parchemin, de thé
de mon enfance.
Dans ma maison, il y a des meubles et des cahiers et des livres que m’ont
transmis des absents.
Dans ma maison, la chambre de mon fils est une étuve aux
déjections de
cancrelats où l’urine rancie s’embouteille près des miasmes de morve. Sa fenêtre
est semi-ouverte. Il monte de la
poussière saturée de tabac infect et de sueur
âcre. On y étouffe du fait de la pulvérulence du
passage de l’air
Dans ma maison, les bananes turgescentes causent dans le umete de
plas-
tique avec un pamplemousse vieillard sur une paillasse fadasse qui manque de
s’effondrer.
Le lit végétal alentour est une forêt amazonienne sur
pente. On fait ce qu’on
peut pour enrésiner involontairement un terrain vierge. Les arbres sont des
majestés quasi-carolingiennes.
Dans ma maison, le temps invite à la rêverie. C’est la course ailleurs.
113
Teuraheimata a Tinier
Manaônaô
I teie mahana e mea tïtauhia e mata vave ia itehia te mau faaapiapiraa e tâfifi
nei i te feruriraa o te taata. la ère hoi ôe ia mata oioi i te... e itehia ai teie para e
vare nei i te mata
!
E ôre ihoa ia e itehia te matararaa o te mâôhi.
Parau mau i teie mahana, ua fétu te reira e te reira,
I te haaraa ia au i tàna huru hiôraa, te mea noa iho te reira e matara ai, ia ôre
te reo ia morohi.
I teie nei ra hoi, mai te peu e nâ te aro iri noa i te rapaau ! Nàhea ia te mai e
àuhia ai ?
Te vai ra te heiva, te vai ra te reira e te reira mau raveraa,
Te pâpai ia pà, te âparauraa ia â te parau, te tuatâpaparaa ia itehia o aro, te
feruriraa nô te ruri ia parau,
Te mau râveà ia ! Te farara nei... te mau pou i paè na i te ùtuâfare ! O ôe
ihoa ôe.
Te vai ra te mono mai, parau mau tei ôre â i pàutuutu roa !
Aroharoha aè, ia tià mai nô te mono... fati, i paruparu ia au ihoa i tà te hôê
tino e maraa i te amo...
Mâtau roa te taata tumu (nô râtou pai te parau, o râtou ihoa ia te parauhia,
nô râtou hoi te parau,
eiaha ia i te tahi) i te ûtàtâ noa, ma te ôre e feruri hôhonu,
i ta te tavaimanino, ta te hooâià, ta te pôiri ! Te ê
te mea e matara ai ôna i râpae
noa raa nô te
faahua taata tumu noa raa iâna !
réationsuche
tw
LittéRama'oHi #22
Teuraheimata a Tinier
Ua parauhia pai e nunaa faarii te màôhi ! Ê pai. Faarii noa ia e â i tôna
Faaea na i te faahua, i te taôtoraa i nià i teie turuà o te manaô
pohe.
paruparu e
vareà taôto.
Faaea i te hôroà vare noa e te tàparu i te Atua e tauturu mai ! Ê ! ôia mau...
nà na i te hôroàraa mai i te
priai, te manaô tae... ia ôe te taata tumu. Ua hôroà
mai i te fenua, i te mau moihaa atoà, àita e mea toe... Ta ôe ra e hinaaro ra, o te
haere roa raa mai ia ôna e tùturi e rave i te rnàa e pâtia i roto i tô ôe vaha... A ara
i te horomii puupuu noa i tei faufaa ôre e te ruai mai i tô ôe iho reo, i ôe ai ôe.
Ua riro ôe i teie mahana ei hôhoà noa, ei ata... E aore râ ! ! !
Aita ôe i mauruuru ? E aha ia ! E aha hoi nàù !
Eere ànei nô te mea te ite ra ôe, o tatou, o vau iho... e, te âmaa ta ôe i mâiti
i te haru mai, ua rairai roa ia e àita e maè i te faatamâa i te tumu ?
Atire ra i te haapahi ! Ua topa ôe, a tià ! Ahani hoi e, o ôe anaè tei
pêpê ! !
Ua topa ôe, o mea, o vau, o tatou, o matou, o ràtou... àita roa i faaroohia te
ùuru noa atu te taû te àti i nià ia tua, ia aro, ia tarià, ia mata, ia pito... ia tumu.
Farara aè nei i te toi ôpahi !
No te mea ra e, ua î te âàu i te tiàturi ! Ua î te âàu i te ôto ! Ua î te âau i te
mânaônaô ! Ua î i te âau tae mâ te rima ahu i te veà a hiva. Ua vai tonu noa te
mata i nià i te fâ, ua fâ mai te ahu màhanahana, ua miro, ua àti, ua fara, ua tumu
ràau, ua roâ... Te tiàturiraa... àuri fefe ôre... püai taaê e heipuni màrei ia tàihitumu. Àuri i
tüpaihia i roto i te auahi tahe no Kilauea ! Ua hôhia mai maoti te
toto e faatoromaamaa ra i te uaua o tô ôe, ôe te màôhi !
Oe te màôhi ! Faaea i te haamaau faahou ia ôe ! Oe i tiàfera noa e pari ra nà
te ôfï ! Hà hé !
Te ite ra e àita e tano, nahea ! E tàtara i tei tàhanahia i te parau ? E hia maororaa ?
Mai te peu e ôre e maraa ia ôe, a faaàtea atu ! Eaha hoi ia ? ôe te àiha i
tàùeuehia e te miti, te maraamu
! Faufaa ôre ! E ! o ôe terà faufaa ôre, vâvaô !
...
Apiapi ! A ôua atu i raro i te vaa ! E hinaarohia te àito i tiàturi, i here, i fera i tôna
taura pito ma te here i nià i tôna
pü ! Tôna fenua ! Metua...
No reira, hôê noa uiraa ! Fliaai ra i te ora ?
Iaorana Màôhi !
-
Goenda a Turiano-Reea
Professeure de reo tahiti, Goenda obtient le prix du meilleur auteur du
Heiva i Tahiti 2012 au sein de la troupe de danse Hei Tahiti.
Elle rejoint activement l'association Littérama'ohi et signe des textes
personnels qui mettent en évidence une écriture affirmée et singulière.
Te here te tumu !
‘O vai ïa nünaa e faauiui i te ta i navenave o tôna iho reo ?
Tô be ànei ?
‘O vai ïa nünaa e harabo i te oto o te mau auri nehenehe o tâna iho mau
hïmene ?
Tô be ànei ?
‘O vai ïa nünaa e taaore ra i te ieie o te tau o tâna iho mau pehe ?
Tô be ànei ?
Âuê ïa nünaa veve mai te peu tape a noa mai i terâ mà te faarue atu i terà !
‘la mau mai iâ be i te mau aveave atoa o tô be hïroa, e papa anae ho‘i te reira
nô tô be iho tumu !
Mai tà Turo i poro'i mai : te HERE anae tè taamu iâ be i tô be reo, i tà be peu !
E here haamoe hïroa ânei, ‘ia ‘ite tô mata i te nu‘u tïpae a te vahiné bri !
E here haamoe hïroa ànei, ‘ia nànà tô mata i te bri opü a te tàne bri !
E here haamoe hïroa ànei, ‘ia apo mai tô taria i te hïtoto a te rohipehe !
E here tàmaumau ànei, ‘ia faaroo tô taria i te târava a te pupu hïmene !
E here tàmaumau ânei, ‘ia tara tô taria i te faatara a te orero !
E hi‘i, e aupuru, e ‘atuatu, e ràpaau i te mau mahana atoa, ‘ia bre te here ‘ia
mutu !
LittéRama'OHi #22
Goenda a Turiano-Reea
A heiva i tô be parau !
A heiva i tô be iho mà te màramarama maitai i ta be iho, inaha, tenâ aa e
haatumu ra iâ be i nia i teie fenua, tenâ aa e nounouhia ra e te feiâ nô te fenua
roa, e taoa hôroa noa hia mai te reira e tô be mau tupuna,
Nâ be te faatupu, nà be te faaamaa, nà be te faahotu ‘ia api o Toatâ, la toro
Papeete, ‘ia tomo atu nâ roto i te mau ‘utuafare, la 1 te aau i te tàrava,
paô a, te hivinau, te aparima, la pü
taria hia te paea, tetàriaria, te tiare tàporo,.te takoto !
nà roto
te ru au, te utê, la baba te vàrua i te otea, te
‘Oia mau e te ul apï ë :
E hotu be nô teie fenua
Te ti aturiraa ià be, aita ïa e faaauraa !
Manava te mau ti a pupu bri
Manava te mau ti a pupu hïmene
Manava te mau aito heiva i nia i teie tahua nô Toatà nei
E Tahiti Nui mâre'are a tô‘u fenua iti ê,
Nui te baba i te faarilraa ià be i teie arul !
Nui te aroha mai roto atu i te tômite Heiva 2014 !
I farerei ai i teie nei oroa
Te here îa te tumu, te here ïa te tumu
Màuruuru e la heiva te heiva !
LittéRama'oHi #22
Mu'ualoha Ho'omanamanui
Matavai wedding
A midnight wedding
on Matavai
bay
young love, celebration
under a young moon
the night of Hua in the month ofWelehu
life blossoms, time turns
The sound of toere drums on fire
light up the sky
magnificent flashes ofreds, greens, and golds
boom boom boom
the cannon resounds
‘0 kü b kà
the waves crash in unison
Matari‘i twinkles above
Its heavenly eye peers down to taata cousins
the young couple
their families and friends
Matavai bay united in celebration
boom boom boom
the cannon sounds
b kü b kà
spouting fire
like to ere drums of the gods
119
Punaauia
We float and dream
over
white coral sands
and the bubbling fresh water springs
ofPunaauia
three Hawaiian girls
pareu-wrapped
in rainbow hues
tendrils of long fe e fingers
floating crowns surround our heads
ehu-colored limu laze
in
liquid lagoon luxury
across
the channel
beyond the reef
Mo'orea wears a golden crown
the setting sun
spikes through spires
of ancient lava peaks
‘O Kahikikü, b Kahikimoe
E moe ana màkou
We float and dream
above coraled hands
small fish dart through
pahua shells scattered
small crabs scatter
is this real or are we
dreaming?
Wakeas infinite lavender sky shimmers
ka lewa nu‘u, ka lewa lani
reflecting radiant moana nui
as stars
punctuate the heavens
with soft and distant light
ka lani kuaka'a, ka lani kuakini
nuvrïtsésl
ute
IS
LittéRama'oHi #22
Hu'ualoha Ho'omanaïuanui
la Hôkükauopae appears,
nâ hoe waa rise, sail across te pô i
ka lani
Maiakü, Nâkao
steadfast over Tahiti
ka Hôkühookelewaa will always guide us home
We are embraced by the sea
buoyed by the sky
memories of ancestors o tëia fenua nei
we are
the va a of ancestral memories
carried forward i ka pô, i te va
i ke kai la iàkea
o Punaauia
121
Nâ Pua Purau o Vaima
Nâ pua purau o Vaimâ
The hau blossoms ofVaimâ
lanaau i ka 'ili wai
float serenely on the water
kou mau alo lahilahi
your delicate faces
ipolïahu 'iaikalâê
caressed by the sun
Me he mea lâ ka wanaao
You are like the sunrise
nâ wüiho'oluu o ke ânuenue
the colors of the rainbow
kou lihilihi lâlahi e môhala é
your delicate pedals unfurled
e
e
apo i ke kukuna a ka la
to embrace the rays
ofthe sun
Ua kaapuni 'ia ka moku
We toured around the island
'0 Tahiti nui, o Tahiti iti
big Tahiti, little Tahiti
revived by the bubbling spring
welcomed by your cool, refreshing waters
E hô'ola i kapôhâhâ waipuna
Kou puna wai olu
makamaka
Mamake mâkou e nanea a lea
kahi tnanawale'a e launapü nô
We desired to relax awhile
at this
e
mâlana i ka wai hülalilali
e kowali
pôniu i ka ‘ili wai
delightful place of hospitality
buoyed by the sparkling water
twirling with delight across its surface
E hâliali'a mau ana
You will always be fondly remembered
nâpua purau o Vaimâ
e
huipü nâ hoa mamaka e nanea
oh hau blossoms ofVaimâ
i ka lailua o ka ‘auinalâ
friendly companions gathered together
in the tranquility ofthe day
Puana 'ia i ku'u mele
Thus ends my song
no
kahi aina aloha küpuna i
for a beloved ancestral place where
nâpua purau o Vaimâ
the hau blossoms ofVaimâ
lanaau i ka 'ili wai
float serenely on the water
e
invutteérss
LittéRama'OHi #22
Hu'ualoha Ho'omanaïuanui
Toa
You stand alone in line behind me
Tahiti Nui Air flight 8 to Paris
Tall, lanky, a milo-toned sapling
Stretching up to the sun
But just a boy, still
Shell lei heaped upon your strong shoulders
A small token ofaffection
From family and friends left behind
Your family behind the ropes, teary eyed
But you stand tall, resolute
You casually pretend to ignore them
But every time your brother calls your name, e Toa
You turn, listen intently to what he says
Nod your head at the flow of Tahitian words
Spilling forth from his lips
You could be my son
Young, strong, taking flight into the world
I imagine for a moment you are off to college
You will make your family proud
But then your brother calls your name once more
E Toa, and again you turn, smiling
And when he makes a motion with his hands, a gun
Tahitian words shooting from his lips
You nod and laugh
But I know
And another Oceanic son goes forth
To defend the colonizer, the occupier, the oppressor
While our own homelands remain imprisoned
Our languages, our cultures, our bodies broken
E Toa, I pray to the ancestors for your safe return
123
j Paul LUamo
J aimerais prendre lair
J’aimerais prendre l’air
Le prochain vol pour autre chose
Tenter l’exil puis le retour
Muer ma peau d’Outre mer
Mais je reste/je stagne
Au-dessus des nids de poules et de perruches
Le sable accroché aux semelles 1
Moi l’ilien de la zone Pacifique
Et des lunes lampadaires
J’aimerais prendre la mer
La prochaine vague pour changer
Mais mon nom n’est pas sur la liste
Et les places sont beaucoup trop chères
Alors je reste/je stagne
invtés
bute rs
;
LittéRama'oHi #22
Raphael Maikilekofe
Artiste peintre du Pacifique et d'Océanie.
Lenfant de la mer
On dit qu’il habite près des étoiles de mer,
Sous un vieux rocher dans une petite grotte de corail,
Il se nourrit d’algues et de fougères des montagnes.
On le voit souvent sur “ la côte blanche ” quand il fait beau.
Il ramasse coquillages et noix de coco pour ses amis du grand large.
C’est une vielle baleine qui le ramène dans ses hauts-fonds
Non loin du “ Phare ” et de la “ Grande Epave du Sud ”
Disent les pêcheurs du bout de file.
Parfois on le voit s’amuser sur le récif avec de grands oiseaux de mer,
Ensemble, ils pêchent des crustacés pour “ Nola ”
La danseuse espagnole des “ Chesterfields ”.
En été, il se balade du côté de “ Saint-Vincent ”,
Une horde de dauphins sauvages l’accompagne et le protège
Des loups de mers et des “ grands blancs ”.
Le reste de sa vie est un mystère à ce petit prince des mers
Dit-on fils d’Ulysse et d’une sirène de nos régions,
Bonne fée des enfants et des marins solitaires...
de corail
Fils des îles
Fils des îles, quand tu voyages,
Sur un fil, sur un nuage,
Que le vent des tempêtes ne t’emporte pas,
Et dans le cœur de tes promesses, ne t’arrête pas,
Au ciel des mers qui tournent autour
de toi.
Petit voyageur, enfant d’hier,
Sur ton dos, le signe de notre terre,
Que le temps qui s’arrête ne t’emmène pas,
Et dans le cœur de tes richesses, ne t’empêche pas,
Au loin les océans nous parlent encore
de toi.
Fils du vent, dis-moi où vas-tu ?
Au sable blanc, dis-moi que fais-tu ?
Que le vent des tempêtes ne t’emporte pas,
Et dans les yeux de tes promesses, ne t’arrête pas,
Au ciel des terres qui troublent tes
Aux vents des océans, tu
regards.
contemples la terre,
Tu pleures encore une autre vie...
Et dans l’ivresse, né du voyage, tu t’en vas sur la mer,
Fils des îles,
O quand tu voyages...
Ta demeure
Pour toutes les guerres que tu as menées et ton amour pour
De toutes les paix que tu as signées, se
la sagesse,
lève le jour sur tes promesses.
Nulle part ailleurs tu ne seras, que la trace de tes pas dans les coeurs,
Nulle part ailleurs tu ne vivras que dans cette case, cette demeure.
Implantées là près de la mer, toutes ces idées de liberté,
Signe d’un peuple de la terre, qu’on lui demande charité.
Parole d’humaniste légendaire, carrefours métis tourné aux vents,
Esprit illustre bordé de vert, vers le soleil de mille nations.
Fenêtre ouverte à l’Occident, en pèlerinage du bout du Monde,
Parfum qui descend d’une mer d’Orient, vient s’y échouer quelques secondes.
Noble guerrier du temps dAtaï, Ami si ta route est finie,
A tes amours, à tes batailles, ton oeuvre est là presqu’infinie !
In Anthologie
parlementaire de poésies, Printemps des poètes, Paris
LittéRama'oHi # 22
Raphael Haikilekofe
Silence dans la cité
Dans cet ancien temple de nos parcours, le pas pressé, les valises à la main,
Marins et capitaines au long cours ont pris le large pour l’aventure,
A 33 000 pieds et des lumières, vers des
cathédrales de feu et de verre,
Sous le pas de nos souliers cirés, de l’autre côté vers le “DOME”.
Il ne reste que le vide et l’immensité dans ce calme révolu,.
Que l’ombre fugace de souvenirs indicibles parfois égarée en plein coeur du
Monde,
Marche mon pas tranquille vers l’avant inconnu, pour celui qui entend souffler
son coeur.
Comme le nomade est au voyage ce que le pèlerin fait de son chemin de croix,
Pour pérenniser son passé : Ailleurs devient ici ce quaujourd’hui est pour
demain :
L’inoubliable,
J’entends les anges autour de moi...
Il flâne dans la Cité comme un silence absolu : un doux vent d’éternité.
ADIEU BELLE CITE!
Les murs du Pacifique
De véritables murs d’eau
S’effondraient comme la foudre
Devant moi.
En feuilles de verre
Surgissant de l’Océan
En lames de fer.
Chahutent, percutent,
Et frappent la rive innocente
Ne sachant quoi faire.
Rencontre
A l’heure où l’Océanie vient frapper aux portes de l’occident,
Pirogues armées vers le ciel si les vents ont tourné,
les cités englouties de la Rome Antique,
En un geste ou un mot sur
Là où l’homme vaillant vient planter sur l’envers du
Monde,
En un signe et une seule parole : HUMANITE...
Pierre de sagesse portée par les hommes de la mer à dos de pirogue,
Alliance universelle de ce Monde qui n’est qu’un village dans l’Histoire.
127
En d autres temps
De l’autre côté du Monde, sur des mers lointaines,
En d’autres temps,
Bien avant COOK, Magellan ou WALLIS,
Ils sont partis chercher la lune à bras le corps.
Silence en pleine mer...
Que le doux bruit des pagaies,
Balayant le soir et ses eaux cuivrées vers l’infini,
Dans l’allégresse, l’incertitude.
Mais peur, ivresse sont aussi du voyage,
En ce grand calme vers l’inconnu,'
Comme si leurs vies venaient de rompre avec la terre-mère qui les a enfantées.
Destin froissé, rêve brisé...
Allant ainsi vers l’horizon et vers l’ailleurs...
Explorateurs des premiers temps,
Comme des enfants bénis sur les bateaux,
Visages brunis et fatigués, d’eau, de sel et de lumière.
Quand le vent souffle de l’au-delà et même la nuit, un enfant pleure, un oiseau
passe... Il faut faire face aux voiles battues par les flots,
Recousues de mains ridées par tant d’efforts,
Silence en pleine mer....
Lautre pays
Voici l’image qui me reste
de ce pays, de tout ce monde qui n’était qu’un village,
civilisation qui va autrement qu’on ne
Dans les ruelles, l’empreinte d’une autre
puisse l’imaginer.
A lest du vieux continent vers le Indes, loin de tout comme jadis
Du temps des épices et du Nouveau
sur un
Monde, Jaune orangé du soleil se levant
empire,
13000 îles et des cités aux mille temples, des milliers de gens vivant sur des
joncs,
Des capitales de commerce sur des sites
engloutis et des rizières qui s’étalent
jusqu’à la mer
Des villes jaunes de cendres incinérées,
des peuples vivant jour et nuit pour
survivre,
Et des touristes fortunés de voyages sur la baie de “ Halong ” ou sur un temple
dAngkor
CZ)
LittéRama'oHi #Z2
Raphael Haikilehofe
Voilà l’image que je garde de ce pays, de ces édifices d’or et de
pierre dans ces
jardins d’Eden,
Sous un ciel géant, cette muraille en monument, toute la jungle de l’autre
dans une autre vie.
Navigateurs
■
Quand la nuit tombe de sommeil, vont des “surfers à l’horizon”
Après le coucher du soleil, branchés sur l’autre dimension.
Quelle est cette vague qui les empare jusqu’à une heure après minuit ?
Quel est ce souffle qui démarre à un moment tard de la vie ?
Curieux syndrome de l’an deux mille, “ cyber-vent ” dans un café,
Virus d’un modem en péril, dans un silence de liberté.
Sur des couleurs en arc-en-ciel, c’est un vrai paradis statique,
Et des photos artificielles, plus aucune bande magnétique.
En trois D dansent des figures, en parallèles ou en paraboles,
Passent des gens à vive allure pour scanner la terre qui décolle.
Le courant passe sur clavier, allant sur des pas de géants,
Fini le temps des vieux cahiers, voguent les forts vents du néant.
Ils vont, ils viennent sur les plages, tracent des virtuelles en perspectives,
Pour faire des arrêts sur image et revenir jusqu’à la rive.
Gagnant sur toute l’électronique et les programmes interdits,
En pilotage automatique, l’envoi d’un “ e.mail ” à Paris.
Navigateurs en solitaire vont sur des pistes inconnues,
Prennent des vagues éphémères pour se retrouver dans les rues.
Sur internet des internautes qui se baladent sur écran,
En jeux d’enfants qui les dénotent, au
large du “ web ” obstinément...
Le Penseur
Il était là...
Assis comme chaque soir.
Contemplant en la mer l’image des étoiles,
Ecoutant le vent comme un lointain écho.
II restait là...
Comme devant un feu,
Le regard toujours trop loin dans la pénombre du soir,
Et la tête toujours ailleurs.
Il demeurait là...
pays
129
Sans un geste ni un bruit,
Que le souffle de son cœur, seul signe de son existence,
Que le silence des mots en homme de pensée.
Solitaire dans la quiétude nocturne
Mais sage comme attendant la mort,
En libre penseur insulaire.
Le temps d’une vie
presqu’éphémère avant l’oubli,
L’espace d’une mort pour renaître de ses cendres.
Ivre et tranquille dans sa quête de l’absolu.
Il vivait là...
Sans regrets ni remords au
regard des autres,
Comme l’homme d’un autre temps ou d’une autre civilisation.
Il était là...
Comme d’habitude,
Même s’il n’est plus, il restera, assis là comme
chaque soir.
O cœur de Paris
Ecoute
O tendre coeur de Paris,
pour qui sait être ton ami,
cité-muse pour peintres et poètes,
ville d’amour et de liberté
Paris tour illuminée,
Doux corps brûlants sur
Paris-plage en plein été
battus par les flots tu ne sombres point !...
vêtue de givre, d’or et de lumière en plein hiver
Mystérieuse, fascinante et bien aimée
Plein coeur de Paris
parée de dômes argentés
Ecoute,
ces mots
passants et rêveurs invétérés
Berceau d’accueil, d’humanité
viens sur la vague ! suis moi en
voyage...
O mon doux coeur de Paris !
voir les oiseaux bleus d’Océanie...
LittéRama'OHi #22
Haroly Sandor Pallai
Chercheur doctorant à l’Université de Budapest - ELTE. Il consacre ses
recherches aux littératures contemporaines de la Caraïbe, de l'océan
Indien et du Pacifique. Ilpublie régulièrement des articles théoriques dans
des revues spécialisées en Europe et en Amérique du Nord. Il est également
lefondateur et l’éditeur en chefde la revue électronique Vents Alizés.
dans lecriture
contemporaine de la Polynésie française
Discontinu et fragmentaire
L’univers pambrunien
Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun est l’un des auteurs les plus considérables
de la littérature polynésienne contemporaine qui s’est engagé dans la
revivifi-
l’héritage culturel de la Polynésie française1. Son
d’articles, de pièces de théâtre, d’essais, d’interventions
écrites et orales, de nouvelles et de poèmes est la manifestation d’une hétérogénéité complexe, d’une géographie fractale2. Le dépassement des barrières
génériques s’avère encrichissante, d’une force transgressive renouvelante : du
point de vue psychodynamique, les écrits pambruniens prennent leur forme
définitive d’expression dans des cadres particuliers et témoignent ainsi d’une
flexibilité, d’un degré élevé de liberté intrinsèque en formant un micro-univers
qui s auto-organise et se complexifie.
Le “ schéma émerge d’un dialogue dynamique ”3 entre tendances psyhiques, mentales et contraintes situationnelles, contentuelles. Au fond des
textes se trouvent les enjeux identitaires, le passé conscient et non conscient
des souvenirs personnels et collectifs qui négocient “ l’espace social, les intercation et revalorisation de
œuvre, qui se compose
1
Tepari'i, Hiti, " Culture : A Product of Colonialism in French Polynesia ", Busch, Werner vom et al. (éds.), New Politics
in the South Pacific, Suva, University of the South Pacific, 1994, p. 55-62. (ici p. 62.)
1
Dauphiné, André, Géographie fractale, Paris, Lavoisier, 2011, p. 19-20., 57-60., 155-157.
3
Stern, Daniel N., Le moment présent en psychothérapie, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 239.
131
actions interpersonnelles et le champ intersubjectif”4, aussi bien que l’univers
intraindividuel de la subjectivité. La pluralité et la diversité qui caractérisent
l’œuvre pambrunien relève d’une inhomogénéité, d’une irrégularité et d’une
variance de
style et d’échelle en synergie, qui s’inscrivent dans une tentative
de saisir et d’analyser les singularités de l’identité polynésienne. La transcendance des formes d’expression artistiques définies, pré-établies, closes est assu-
rée par le prisme de différenciation qui dessine les contours d’une
interprétation du monde propre à l’auteur, d’une cartographie herméneutique
pambrunienne où tout se téléscope à travers le filtre de l’histoire et des savoirs
traditionnels polynésiens.
La mosaïque créative multigenre de Pambrun, le kaléidoscope formel et
la stratification thématique sont des composantes essentielles de lepiphanie
des perceptions philosophiques de l’auteur, de la manifestation de sa prise de
position contre toute forme de totalitarisme et concentration monolithique5.
Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun superpose les éléments du passé remémoré
et du
présent existentiel collectifs qui entrent en dialogue dans une “ présentation
multitemporelle ”6, dans un schéma ouvert, dans un entre-deux déhégé-
monisé. La déclinaison co-posée, séquentielle de fragments textuels7 crée un
terrain conceptuel, une
topographie décentralisés où l’autorité du créateur, de
l’énonciateur est destituée par des transpositions perpétuelles entre les limites
génériques.
Synthèses d’une réalité éclatée
Indépendantiste convaincu, de fortes convictions, refùsant toute compromission, Pambrun a donné naissance à des “ réflexions autotéliques ”8 dans ses
textes. Le caractère
fragmentaire permet de faire des réajustements directionnels, de développer progressivement un thème. La narration permet la compréhension de soi-même, la constitution de l’identité individuelle, de la
4
Ibid., p. 236.
s
Moret, Philippe, Tradition et modernité de l'aphorisme, Genève, Droz, 1997, p. 191-207. (ici p. 204.) et Blanchot, Maurice, L’entretien infini, Paris, Gallimard, 1971, p. 229.
6
Stern, Daniel N., op. cit., p. 241.
7
Cette tendance est saisissable surtout dans Huna : Secrets de famille, Matoury, Ibis Rouge, 2004. (désormais HSF) et
Les voies de la tradition, Paris, Le Manuscrit, 2008. (désormais VI)
8
Mathieu, Paul, " James Joyce. Vers le fracas des fractales ", Fels, Laurent (dir.), Regards sur la poésie du XXe siècle,
Namur, Namuroises, 2009, p. 349-372. (ici p. 357.)
"Bütëursïnvîé
LittéRama'oHi #22
Héroly Séndor Pallai
subjectivité à partir du pluriel, collectif Les fragments ne se caractérisent pas par
l'inachèvement et l’inaccomplissement9 mais se combinent en tant
que nœuds
d’une matrice complémentaire, en formant une complétude diversifiée
qui est
l’empreinte d’un “ infléchissement identitaire ”10 constant. Le fragmentaire n’est
pas uniquement l’expression d’une crise du sujet (collectif) ; l’œuvre en éclats
reflète les palpitations des efforts de l’affirmation identitaire : les oppositions
apparentes et latentes entier non-entier, tout non-tout, divisé indivisé se dissolvent dans
la “ totalité omnicompréhensive ”n de l’œuvre et de la
quête pambruniens.
Les bribes et les morceaux12 méthodiquement rassemblés, reconstitués
en un
et
ensemble structuré dessinent l’image d’une synthèse de la réalité éclatée
esquissent une articulation graduelle des sujets centraux, en renouvelant
incessamment l’expérience de la réception13. Il
s’agit d’une traduction textuelle,
par les problêmes psychologiques15, philosophiques, identitaires du
post-colonial. L’organisation discursive des œuvres pambruniennes sert d’arrière-plan unificateur
au sens distendu
par l’espacement du texte ; la redécouverte des richesses historiques, traditionnelles est juxtaposée à la mise en relief des “ difficultés du
sujet à se définir ”16, des enjeux polynésiens culturels, politiques.
Les mosaïques du savoir traditionnel, de l’histoire
polynésienne, des institutions culturelles, des tendances politiques, des modèles
touristiques, de
l’autochtonie et de la médecine traditionnelle se complètent pour
récomposer
lexicale d’un réel désarticulé14 par les violences de la colonisation,
la réalité abîmée et servent la volonté de conscientisation et de
réappropriaintrinsèque de l’écriture. Il s’agit
d’une dynamique de construction panoramique qui cherche à réhabiliter les
points de repère traditionnels, à concilier ipséité et mêmeté17 et dont l’objectif
tion identitaires prenant forme dans l’étude
9
Maâr, Judit, Mallarmé. De l'œuvre parfaite au fragment, Budapest, Eôtvôs Kiadô, 2008, p. 60-62., 250-260., 305-311.
Humbert, Fabrice, " Identité et fragment chez Lous Calaferte ", Chol, Isabelle (dir.), Poétiques de la discontinuité, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Biaise Pascal, 2004, p. 165-172. (ici p. 166.)
11
Godin, Christian, La totalité, Seyssel, Champ Vallon, 2000, p. 541-553. (ici p. 543.)
19
Des articles, poèmes, essais pour Les voies de la tradition (33 morceaux) et des nouvelles pour Huna : Secrets de
famille (7 morceaux).
13
Michel, Geneviève, Paul Nougé : La poésie au cœur de la révolution, Bruxelles, Peter Lang, 2011, p. 91 -97., 128-135.
10
(p. 133-134. pour la citation).
Edumbe, Émilienne Akonga, De la déchirure à la réhabilitation : L'itinéraire d'Henry Bauchau, Bruxelles, Peter Lang,
2012, p. 21-38. (ici p. 28.)
15
Le Run, Jean-Louis, " L'intime et l'étranger : paradoxes de l'identité ", Benchemsi, Zhor et al. (dir.), La
figure de l'autre,
étranger en psychopathologie clinique, Paris, L'Harmattan, 1999, p. 61-70.
18
Lolo, Berthe, Mon Afrique : Regards anthropopsychanalytiques, Paris, L'Harmattan, 2010, p. 266-276. (ici p. 267.)
14
133
est
l’analyse anthropopsychologique du sujet polynésien, l'assistance à la matusubjective.
ration
Huna18
Dans Huna : Secrets defamille, nous sommes témoins de la
réappropriation
des formes symboliques du savoir traditionnel (oralité, lieux de culte,
mythes
légendes) peintes dans le cadre d’une multiplicité hétérogène et métissée,
mais malgré le caractère flexible et décentralisé, l’auteur arrive à éviter l’indéteret
mination et lequivocité
qui aboutiraient à une “ crypto-normativité du social
fragmentation et la pulvérisation culturelles sont contrebalancées par la valorisation des “ ancestralités multiples ”20 qui sont présentées
dans les textes par une ouverture, fluidité, hybridité fluctuantes tout en
respectant l’authenticité de
l’héritage, des cultes et des coutumes.
La stratégie architecturale de l’auteur
implique la rénovation, la remise au
centre, le réapprentissage individuel et collectif des valeurs culturelles traditionnefles, la mobilisation affective en reliant le champ du savoir historique, spirituel,
mythico-légendaire au champ de la pratique vécue du contemporain, de l’écriture. L’approche
fragmentaire-recomposée, la transgression des genres et styles
et du culturel ”19. La
conventionnels servent “ le but de découvrir des formes mieux appropriées à
l’expression d’une expérience excentrique ”21 contestataire et réhabilitatrice. La
pratique médiatrice de l’écriture pambrunienne (passé-présent, particulier-universel, subjectivité - identité collective) permet la formation d’un cheminement
global, l’affirmation de valeurs transhistoriques, transculturelles22. Les nouvelles
de Huna sont des outils d’initiation mémorielle où les lieux forment un réseau
géographique et mental, les espaces sont revêtus d’une fabrique mnésique.
17
L'ipséité est " liée à l'ontologie de l'être comme acte-puissance ", la mêmeté est" liée à une ontologie de l'être
Bongiovanni, Secondo, Identité et donation : L'événement du "je ", Paris, L'Harmattan, 1999, p.
comme substance ".
152.
18
Huna : adj. secret, caché ; cacher, enfouir, enterrer. Source : Dictionnaire de l'Académie Tahitienne (FareVâna'a), désormais DictFV, [En ligne], www.farevaana.pf/dictionnaire.php
”
Mbele, Charles Romain, " L'identité métisse dans le postcolonialisme : critique et prospective ", Mondoué, Roger et
FEZE, Yves-Abel Nganguem (éds.), Identités nationales, postcoloniales ou contemporaines en Afrique, Paris, L'Harmattan, 2013, p. 19-30. (ici p. 29.)
20
Ibid., p. 24. L'auteur souligne la pluralité linguistique, historico-culturelle, traditionnelle des différentes îles et archi-
pels de la Polynésie française, de l'Océanie.
Ryan-Fazilleau, Sue, Peter Carey et la quête postcoloniale d'une identité australienne, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 720. (ici p. 9.)
22
Le Dorze, Albert, De l'héritage psychique, Paris, L'Harmattan, 2011, p. 71-87. (ici p. 76.)
21
invutetérss
LittéRama'oHi #22
Héroly Séndor Pallai
Le fragmentaire dans lecriture de Flora Devatine
Flora Devatine23 écrit également sur la mémoire spatialisée, sur les com-
posantes géo-identitaires, sur les objectivations, les points d’ancrage qui relèvent
à la fois du matériel et du symbolique :
“
Et j’ai écrit, à partir de moi, comme je suis, tout en m’en cachant,
J’ai écrit à partir de là où j’étais, et où je suis encore [... ]
J’ai écrit sur les paysages, sur les pentes, les falaises, les rochers des montagnes, sur les feuilles des arbres, sur les ailes des oiseaux, sur le dôme du ciel,
sous
les nuages.
J’ai écrit sur les vagues, sur la mousse des vagues, dans les sillages des
pirogues, sous la pluie, au soleil brûlant, dans le vent, sur le dos des dauphins.
Je me suis laissée porter par le vent, par la pluie, par la mer, par la terre, par
le soleil. ”24
Ces marqueurs territoriaux, tangibles se complètent par la volonté d’une
recherche et d’une conscientisation qui permettent non seulement une réap-
propriation de l’espace, mais une analyse et un déploiement de soi aussi.
Ainsi, ici en Polynésie française, si l’on est autochtone parce que l’on est
“
ici, d’ici,
On est aussi métis parce que l’on a été éduqué d’une façon autre, à la fran-
çaise, à l’anglaise, à la chinoise, à l’américaine, à l’océanienne, et/ou à la
ma’ohi.
En tant que “ métis à la jonction de deux branches d’origine différente ”, il y a
à reconnaître et à connaître chaque branche, à se poser
des questions, à chercher à comprendre de tout côté [... ] ”2S
L’autochtonie est issue du “ métissage des ethnies, des cultures et des reli-
gions ”26, il s’agit d’une mosaïque d’éléments recomposés et cette pluralité de
diverses constellations mentales, identitaires concerne la perception spatiale
23
Cf. Pérez, Christine, " Parole/Écriture, Oraliture/Littérature dans le monde polynésien d'avant et d'après la colonisation ", Jouve, Dominique (éd.), Écrire à la croisée des iles, des langues, Paris, L'Harmattan, 1998, p. 40-56. Voir éga-
lement Bachimon, Philippe, " La "cosmo-géographie" ma'ohi des lles-de-ia-Société. De l'oral à l'écrit ", Angleviel,
Frédéric (dir.), Parole, communication et symbole en Océanie, Paris, L'Harmattan, 1995, p. 321-334.
24
Devatine, Flora," Écrits et dits autochtones ", Littérama'ohi, n° 19, septembre 2011, p. 66-85. (ici p. 68.)
Ibid., p. 70-71.
16
Ibid., p. 73.
15
135
aussi2 La création textuelle éclatée, éparpillée relève du paradigme insulaire
.
de la cosmo-géographie polynésienne : “ La conception ma’ohi de territorialité
situe la terre
émergée dans un processus d’expansion par la multiplication de
l’insularité et la prolifération à l’infini du nombre d’îles ”28.
L’altérité culturelle29 peut être appréhendée dans le domaine de la
recherche interculturelle qui, dans le cas de Pambrun, s’articule à travers la
recomposition et le redéploiement du soi psycho-culturel : les éléments de l’héritage polynésien sont des instances transpersonnelles30 dont la présence tait
partie d’un processus d’harmonisation, d’une psychonsynthèse31 de l’intrapsy-
chique, des valeurs individuelles et de l’extrapersonnel32, des valeurs collectives.
Les intéroceptions et extéroceptions se combinent pour implanter organiquement le culturel et le cultuel33 dans la
sphère du quotidien personnel, du corporel. “ L’espace égocentré ”34 est jouxtée par “ l’espace allecentré ”35 : la
localisation spatiale, le décodage des référentiels spatio-culturels se fait grâce
aux
repères de la cartographie plurielle, partagée des lieux sacrés, des croyances,
des éléments historiques, ethno-culturels (autochtonie36, allogénéité37). Les
trajectoires personnelles et collectives sont exprimées par des énumérations,
des constellations toponymiques, par des lieux de mémoire38. Ces vecteurs géoidentitaires relient les districts tahitiens, les îles et archipels polynésiens, les lieux
cérémoniels, mystiques, sacrés, les régions océaniennes et mobilisent à la fois
27
Bachimon, Philippe, op. cil, p. 324.
Ibid., p. 329.
29
Krewer, Bernd, " La construction de l'autre culturel du point de vue de la psychologie ", Lefebvre, Marie-Louise et
28
30
Hily, Marie-Antoinette (dir.), Identité collective et altérité, Paris, L'Harmattan, 1999, p. 93-112.
Guilhot, Jean, Psychothérapie, sociothérapie et développement humain, Paris, L'Harmattan, 1998, p. 138-161. (ici p.
142.)
31
Courant thérapeutique, pédagogique, culturel associé au nom du psychiatre italien Roberto Assagioli.
32
Viader, Fausto et al., Espace, geste, action, Bruxelles, De Boeck Université, 2000, p. 61-73. (ici p. 65.)
Desurvire, Daniel, Le chaos cultuel des civilisations, Paris, L'Harmattan, 2006, p. 13-26.
34
Viader, Fausto et al., op. cit., p. 63.
33
35
Idem.
36
Hiro, Isidore, " Autochtone ", Littérama'ohi, n° 19, septembre 2011, p. 37-39. Voir aussi Osmond, Meredith et al.,
"The landscape ", Osmond, Meredith et al. (éds.), The Lexicon of Proto Oceanic, Canberra, Australia National University
37
38
Press, 2007, p. 35-56. (ici p.40-41.)
Beaumatin, Eric, " Langue de soi et phonèmes de l'autre ", Redondo, Augustin (dir.), Les représentations de l'Autre
dans l'espace ibérique et ibéro-américain, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 1993, p. 235-248.
Tabois, Stéphanie," Lieux de mémoire et territoires d'appartenance d'une population déracinée ", Boudreault, PierreWilfrid (dir.), Génies des lieux : Enchevêtrement culturel, clivages et ré-inventions du sujet collectif, Québec, Presses de
l'Université du Québec, 2006, p. 149-160.
invtés
Bute rs
LittéRama'oHi #22
Héroly Séndor Pallai
les fonctions émotionelles, affectives, cognitives, imaginaires39, projections et
introjections. C’est une littérature “ basée sur les récits anciens que l’on reprend,
que l’on recrée, que l’on imagine, / Que l’on invente pour remplir les trous, ou
par esprit créatif poétique, littéraire, artistique, théâtral ”40.
Au lieu d’une prolixité textuelle, l’écriture pambrunienne et devatinienne
concentrent sur des tesselles41 qui se
combinent et se juxtaposent pour souli-
gner l’importance d’une vue panoramique sur l’histoire et la culture polynésiennes, indispensable pour l’approfondissement d’une réflexion identitaire,
pour la revalorisation des connaissances ancestrales, du patrimoine immatériel
et matériel42.
L’un des objectifs principaux de l’effacement des champs génériques, de
l’élaboration d’une poétique d’une oralité plurilingue (tahitien-français) dans
l’œuvre de Flora Devatine est de faire éclater les frontières conceptuelle de la
poésie occidentale, de la plier, l’habiter, la transposer dans le paysage linguistique, dans l’imaginaire tahitiens, de métamorphoser les contraintes restrictives
et réductrices en ouverture et flexibilité pour conserver
la fluidité et la liberté
créative, la pluralité.
“
Aussi devons-nous veiller à ne pas à notre tour imposer une façon
de penser, de dire, d’écrire, selon des normes strictes, rigides, voire
sectaires d’arasement
anti-créatif ”43
“
Ce sont des écrits divers, des écrits multiples, des écrits infinis, illi-
mités, à partir de chacun, d’un point de vue de chacun,
[... ] nous pensons dans l’oralité, écrivant et disant les choses indéfiniment et différemment, à partir de là où nous sommes, avec notre
âme, notre langue ”H
39
40
Guilhot, Jean, op. cit., p. 148.
Devatine, Flora, op cit., p. 73.
41
Guichardet, Jeannine, Balzac-Mosaïque, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Biaise Pascal, 2007, p. 5-8., 81-93.
42Tetahiotupa, Edgar," Patrimoine ? Vous avez dit patrimoine ! Quel patrimoine ?! ", Littérama'ohi, n° 14, décembre
43
44
2007, p. 12-21.
Ibid., p. 74.
Idem.
137
L’expression langagière de l’appartenance, de la quête identitaire est traduite en parole opérante45 qui reflète la fluidité, la multiplicité, les incertitudes
de la réinvention de soi, la conflictualité de la postulation d’une univocité
constante et immobile. Les
fragments de l’écriture devatinienne cherchent à
question toute institution symbolique ”46 par des innovations
linguistiques, par des usages subversifs qui visent “ l’explosion de l’identité
“
mettre en
narrative ”47.
“Je dois fa’aitoito toute seule [... ]
Eha’a
E rohi
E rohirohi noa atu !
Je dois repartir de mon côté,
Suivre mon avei’a [... ]
.
Je dois repartir à la recherche du ura à ajouter
A la ceinture royale de l’enfant roi et au cordon de vie laissé
par les ancêtres. [... ]
Je dois trouver et rapporter du sens à mettre au maro ura de
ma ceinture cheffale laissée en
héritage par mes ancêtres, [... ]
Je dois, de mon éclairage de mori ti’a’iri, éclairer à mon niveau,
M’éclairer moi-même, m’éclaircir l’esprit, pour me sortir de la
confusion,
Et chacun de le faire au sien
...
”48
La modalité rhétorique privilégiée par Flora Devatine repose sur
l’enga-
gement personnel, véhicule l’image d’une transition (tradition, ancêtres, héritage - modernité, racines réembrassées), d’une mobilisation constante de
l’imaginaire soulignant que la formation de l’identité personnelle - qui se ressource dans le
pluriel et le collectif de l’histoire - n’est achevée que dans un
processus de réalisation constitutive49 (représentation de soi dans une quête
45
Tengelyi, Laszlo," La formation de sens comme événement " Eikasia, n°34, septembre 2010, p. 149-172. (ici p. 152.)
46
Idem.
47
Moudileno, Lydie, Parades postcoloniales : La fabrication des identités dans le roman congolais, Paris, Karthala, 2006,
p. 5-13.
48
49
Devatine, Flora, " Te reo o te metua 'oia mau a ", Littérama'ohi, n°13, avril 2007, p. 106-112. (ici p. 106Chabanne, Jean-Luc, " Dynamiques identitaires ", Latchoumanin, Michel (dir.), Formation permanente et constructions
identitaires dans les îles de l'océan indien, Paris, Karthala, 2010, p. 35-44.
LittéRama'oHi #zz
Héroly Sandor Pal lai
ontogénétique, historique qui prend en compte l’actualisation adaptative aux
réalités psycho-culturelles contemporaines). L’activité du
sujet en construetion/reconstitution est inéluctable pour le “ réaménagement de l’espace mental ”so, pour apporter des réponses aux
enjeux identitaires, à la recherche qui se
manifeste parmi les objectifs narratifs51.
Par “ cordon de vie laissée / par les ancêtres ”, l’auteure fait référence au
rituel placentaire polynésien d’enterrement qui symbolise le lien renoué avec
la nature, la liaison de l’âme à la terre des ancêtres qui est une source de vie
mordiale52. Dans la société tongienne, cette unité de la terre, de
pri-
l’espace et de
l’être humain est exprimée par la notion
fonua qui désigne un enchevêtrement
organique des composantes psycho-philosophiques, culturelles, historiques et
des composantes territoriales, liées à la dimension
géographique53.
50
De Decker, Paul et Kuniz, Laurence, La bataille de la coutume et ses enjeux pour le Pacifique Sud, Paris, L'Harmattan,
1998, p. 23.
51
Vigier, Stéphanie, " Personnage et construction du genre dans les récits de fiction océaniens contemporains ", Chatti,
Mounira (dir.), Sexe, genre, identité, Paris, L'Harmattan, 2013, p. 53-64.
52
TcherkézofF, Serge, Faa-Samoa. Une identité polynésienne, Paris, L'Harmattan, 2003, p. 100-103. (p. 100. pour la
53
citation).
Francis, Steve, " People and Place in Tonga : The Social Construction of Fonua in Oceania ", Reuter, Thomas, Sharing
the Earth, Dividing the Land: Land and Territory in the Austronesian World, Canberra, Australia National
University
Press, 2006, p. 345-364. (p. 345. et p. 356. pour les citations)
139
Henri Hiro
Traduit en hongrois par Kâroly Sândor Pallai
Taù tühaa
Utazô
E Tahiti-Nui, êie au.
Ôh Tahiti, itt vagyok.
Eie au e Tahiti-Nui màreàreà.
Iti vagyok hât, aranyfényben tündôklô
Ua pïnainai to roo,
Tahiti.
ua vevovevo i te
ua
faatïaniani
pii hua i te faataratara.
Eie au e faahinaaro atu nei
Messzi tâvolhan zengett lumeved
s
ezek a visszhangoksôvârgâstszülnek,
nyomukhan gôgszületik.
i to ùtuâfare.
Te tâpapa atu nei i te ora
S énfutok az élet utân,
i faateniteni-noa-hia na,
mitannyian dicsérnek,
hât utam célja.
te tumu o teie tere.
ez
E parau fafau tei ia ôe na,
Az tgéret, hogy te vagyjôvôm
te parau no te ora
letéteményese.
Szemeimben tyûkanyôkéntjelentél meg,
ki szârnya alâ terelve ôvja kicsinyeit.
âpî.
Mai te maiaa moa
e
haaputuputu i to na mau fanauà
.
i raro aè i te tàmaru o to na pererau
to ôe ra hiroà
i te tüororaa mai ia ù nei.
No ta ù tühaa teie tere.
No to ü maitai teie taa-ê-raa.
Ua nïnàhia ôe e te hinuhinu.
Maa tôpata iti aè à,
maa
ôhipa iti aè à,
maa tôroà iti aè
maa ora iti aè à.
à,
Utazok, hiânyzô felemet keresve.
Javamra szolgâl az elszakadâs.
Dicsfényben ûszol.
S en csupân néhâny morzsâtkérek
boldogsâgodbôl,
vagy legalâbb
valamilyen hivatâst,
némi munkât,
s
életet.
invtés
"Bute rs
LittéRama'oHi #22
Jonas Daniel Rano
Chercheur correspondant au CREM (Université de Metz),
chercheur associé à l’ITEM/AUF/CNRS
et membre de
l'Équipefrancophone de l’ITEM/CNRS.
Aimé Césaire : lafulgurance d’une
parole
ajouté d’un entretien exclusifet inédit d’Aimé Césaire
“
Être homme, croire en l’homme, promouvoir l’homme,
se retrouver
dans toutes les cultures en prenant le vrai départ :
la mémoire, l’enfoui, l’enseveli, tout cela exhumé, remis au
monde par la parole salvatrice ” (Aimé Césaire).
Césaire, un grand homme dont on manifeste le centième anniversaire de la
naissance. Je voudrais insister
cependant sur les points suivants, ne me considérant pas comme un spécialiste de l’œuvre dAimé Césaire : Qu’est-ce
qu’un
grand homme ? Le portrait qu’on a construit de lui au long de sa vie, correspond-il à l’image que l’on se fait d’un grand homme historique ? Comment la
libération de l’homme Afro-créole, comme celle de l’homme Noir, se sont
confondues avec le destin d’un homme, de cet homme ? Comment finalement
le destin singulier de ce Martiniquais, son destin à lui, s’est confondu avec l’idée
de la libération de l’homme Noir en général ?
Césaire
parti, hélas, pour un long voyage auprès de son créateur -, n’étant
plus physiquement, l’homme Afro-créole comme l’homme Noir assumant
aujourd’hui son legs, son héritage, quelles sont les conséquences qui en
-
découlent ?
Dans l’histoire des peuples, de tous les peuples, de tous les continents, de
toutes les races, et sous tous les climats
apparaissent toujours d’âge en âge, de
génération en génération, de siècle en siècle, de grandes figures emblématiques.
Toujours. Il ne peut être exclu que dans telle nation, telle tribu, tel groupe
humain, ailleurs en Europe ou ici, sous les Tropiques, la Martinique précisément, est venu au monde un grand homme dont la vie et l’œuvre ont influencé
l’humanité, et a incarné par une heureuse coïncidence de plusieurs facteurs, les
luttes, les espoirs, les inspirations de son temps.
Attentif à notre temps, c’est cette différence qui nous pousse à tenir
compte
de notre sensibilité du temps, et qui fait qu’un homme comme vous et moi un homme ordinaire
incarne les aspirations et les espoirs de son
époque. De
tels personnages sont toujours des précurseurs, c’est-à-dire des gens que l’on ne
comprend pas toujours de leur vivant. Ils ne sont pas compris, ou peu compris
ou
pas du tout compris de leur vivant, à l’image dAimé Césaire, mais également
de Léon-Gontran Damas. Alors, ils sont marginalisés (Césaire l’a été par nombre de politiciens français), méprisés (Damas l’a été presque toute sa vie). On
les combat, les dédaigne, les torture, les emprisonne de manière arbitraire
(Mandela en est un bel exemple, mais plus près de nous, Sony Rupaire, André
Alilcer, et tant d’autres).
Ces hommes découvrent alors leur passion, voient ce que les autres n’ont
pas vu, ne voient pas : ils précèdent l’histoire, ils sont en avant. Et malgré le peu
de considération qu’ils obtiennent de leur vivant, le peu d’écoute, ces person-
nages historiques portent un message invincible et d’une envergure universelle :
ce sont des
messagers qui voient la lumière alors que le plus grand nombre sactive dans les ténèbres. Ce sont des visionnaires. Ils
enseignent, ils prophétisent,
ils parlent, ils guident. Et ce n’est que bien plus tard que tant de monde admire
leur transcendance, reconnaît leur force, leur vie d’excellence et de perfection,
leur caractère exceptionnel, leur vision des choses, leur hauteur de vue, leur
intelligence hors du commun. Car ils incarnent de façon fondamentale le don
d’esprit, le don de voyance, soit cette sublime capacité de connaître et de proclamer la vérité.
Un grand homme est ainsi un homme engagé dans l’immédiat et de Finimédiat, c’est-à-dire qu’il est engagé dans son temps mais qu’il transcende son
temps, il le dépasse, mais tout cela dans un contexte historique approprié pour
que cet homme historique se manifeste. À mon humble sens voilà ce que fut
et que fit le
grand homme Aimé Césaire. Dans une expression que je souhaite
pertinente, je vais tenter de résumer ma vision des choses.
invutetérss
LittéRama'oHi # 22
Jonas Daniel Rano
Césaire, nègre fondamental à cheval sur le nouveau millénium
“
Écrire aujourd’hui sur Aimé Césaire ne tient-il pas de la gageure ? ”, nous
interpelle Georges Ngal dans Aimé Césaire, un homme à la recherche dunepatrie'.
Certes, dans toute connaissance et même dans la connaissance “ réputée la plus
certaine ” c’est-à-dire la connaissance scientifique, l’ignorance reste tapie,
enfouie, quasi nucléaire et, de la sorte, particulièrement déstabilisante. C’est
donc le rôle de l’esprit critique de la débusquer. Pour cela, il faut que l’incertitude devienne “ viatique ” car seul “ le doute sur le doute ” permet
au
sujet de “ s’interroger sur les conditions d’émergence et d’existence de sa propre pensée ”, lui donnant la chance de devenir “ une pensée potentiellement
”.
auto-cnise2
relativiste, relationniste et
Je sous-entends que les critiques qui font du Cahier d’un retour au pays nata?
le poème de la négritude n’ont de ce dernier qu’une vue partielle et partiale.
Néanmoins, c’est poser le constat suivant : le Cahier apparaît plutôt, peut-on
exprimer, dans son ensemble, comme une révolution, c’est-à-dire l’itinéraire
d’une libération politique et culturelle du Nègre, itinéraire intellectuel, puisque
cette révolution se déroule presque
entièrement (à l’exception du passage relatif
à Toussaint Louverture qui est le récit
d’un soulèvement historique, réel... )
dans l’imaginaire structuré de son auteur.
Notons que Césaire, contrairement à Léon-Gontran Damas, a peu écrit en
Cahier où le mot
négritude ” apparaît non seulement pour la première fois mais aussi de la
façon la plus insistante, les définitions auxquelles se réfèrent d’ordinaire les critiques n’occupent que six pages sur soixante-cinq4. Georges Ngal ne mentionne
qu’un seul article sur le Cahier, tandis que Lilyan Kesteloot ne propose que
prose à l’exception du concept de la négritude. Et dans le
“
deux mémoires inédits5. Étant donné que nous sommes dans le registre d’une
écriture spécifique qui,
selon Roland Barthe “ est le langage littéraire transformé
par sa destination sociale6 ”, ceci fait du Cahier comme de Pigments7 les
fonda-
Georges Hqa\, Aimé Césaire, un homme à la recherche d'une patrie, Nouvelles Éditions Africaines, Dakar, 1975, p. 285.
Nora-Alexandra Kazi-Tani, Pour une lecture critique de l'Errance de Georges Ngal, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 53.
3
II est question de " Présence du Cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire dans la littérature de la négritude ", écrit
par Boucquey E. dans les Cahiers d'études africaines, Zaïre, vol. XV, 1962.
4
Le mot était apparu bien avant dans un article de Césaire, publié dans la terne L'Étudiant noir, le 1er septembre 1934,
mais il est communément admis que le Cahier consacre la naissance du néologisme. Voir Lilyan Kesteloot, Aimé
Césaire, l'Homme et l'Œuvre, op.cit, p. 248.
5
Cf. L. Kesteloot et B. Kotchy, Aimé Césaire, l'Homme et l'Œuvre, Paris, Présence Africaine, 1973, p. 256.
6
Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture, Paris, Gonthier, 1965, p. 17.
1
2
tions d’“ une révolution littéraire ” : en cela, la démarche de Césaire
plastifie ce
qu’a pu être celle de Damas dans Pigments.
Concernant l’œuvre césairienne, parmi les nombreux ouvrages qui sont
parus à ce jour, on compte peu cependant, à notre connaissance, qui ait eu pour
africne1
objet, l’étude exclusive du Cahier. Néanmoins, ce premier poème le plus long
de l’œuvre de Césaire8 qui devait apparaître à André Breton comme “ le plus
grand monument lyrique de ce temps9 ” et suscité l’admiration de Jean-Paul Sartre10, fut un événement à son époque, et demeure aujourd’hui encore, selon le
mot de Kesteloot, “ un des plus indiscutables classiques de la littérature
C’est pourquoi il est pratiquement impossible de rendre hommage au poète
Césaire “ sans parler d’abord de négritude12
Aimé Césaire : un grand homme !
En me demandant durant l’été 2002 de le représenter - ayant été invité en
Égypte (Colloque du CIEF) - “ d'aider la Martinique et son peuple à retrouver le
chemin de la fraternité qui est aussi celui de ïidentitén... ”, le maître Aimé Césaire
me
confiait une mission. Nous étions proches et désintéressés (tous les Marti-
niquais le savent) depuis mon plus jeune âge. Ce fut donc un privilège, un
immense privilège qu’il me fit ainsi, de le côtoyer, durant toutes ces années. Je
suis affecté encore par sa disparition (Six années déjà), pourtant j’y étais préparé
depuis le décès de mon ami René Ménil - créateur de Légitime Défense en 1932 -,
l’année d’avant.
L’homme Aimé Césaire a profondément modelé ma jeunesse, à Saint-
survenu
Esprit d’abord, à Fort-de-France ensuite où j’ai eu le bonheur de le côtoyer si
7
Léon-Gontran Damas, Pigments, Paris, éditions Guy-Lévi Mano, 1937, p. 53.
Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, Paris, Hatier, collection " Profil d'une œuvre ", 1978 ; Lilyan Kesteloot,
_
8
Cahier d'un retour au pays natal, d'Aimé Césaire, collection" Comprendre ", Paris, Édi. Saint-Paul, Issy-les-Moulineaux,
septembre 1982.
9
Cf André Breton, " Un grand poète noir ", revue Fontaine, n° 35,1944 ; Préface au Cahier d'un retour au pays natal,
10
Paris, Présence Africaine, Paris, 1971.
Cf. Jean-Paul Sartre, " Orphée noir ", Préface à l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française,
de L.S. Senghor, PUF, Paris, 1948.
11
Cf. Lilyan Kesteloot, Les écrivains noirs de langue française, Institut de Sociologie de l'Université Libre de Bruxelles,
1965, p. 148-174.
17
Hormis L. Kesteloot qui, dans ses analyses du Cahier d'un retour au pays natal, s'est efforcée de demeurer au plus
près du texte césairien, la plupart des commentateurs ne veulent voir d'abord, dans l'auteur du Cahier, que le poète
de la négritude. Par exemple, M. et S. Battestini, Cf. Aimé Césaire, Fernand Nathan, 1967, p. 10;
13
Jonas Rano, Semences de vie. Wakaru, op. cit, p. 53.
invtés
Mfute rs
LittéRama'oHi # 22
Jonas Daniel Rano
souvent, d’apprécier l’homme autant que le grand poète que j’admirais. C’est
lui qui m’a donné le goût de la poésie, ne cessait de
prodiguer des encouragecanaliser mes idées en matière d’écriture. Dans son ombre, j’ai
appris que la modestie était le privilège des grands hommes, m’éveillant à la
conscience politique de notre
peuple exploité et méprisé. À travers lui j’ai su
que la vraie conscience politique était une démarche culturelle, et que le vrai
combat politique était tout autant un acte de culture.
Il est vain d’insister sur l’engagement de Césaire dans
l’émancipation politique et culturelle, tant de lÀfrique que des Antilles françaises ; sur ce versant,
la différence entre Senghor et Césaire n’est pas moindre. N’oublions
pas que la
jeunesse étudiante africaine, d’après guerre, était majoritairement tournée vers
ce dernier,
plutôt critique, voire très critique envers le premier.
Mon ami martiniquais, Martiniquais comme moi, lui se disait Africain ; il
le croyait profondément. En témoigne l’interview inédite
qu’il a bien voulu
m’accorder durant l’été 2002, et durant laquelle j’ai appris à mes dépens
lorsqu’il
me
reprit gentiment après m’avoir entendu dire qu’il était Antillais. Pour lui,
lAfrique était davantage une expression géographique : une culture. Comme
l’écrit si bien Mathieu Mounikou, “ non pas une culturefolklorique, non pas la culture passéiste des
ethnologuesférus d'exotisme, plutôt une culture de combat pour sortir
de la marginalisation et de la chosification où le colonialisme et le racisme avaient
enfermé l'homme africain14 ”, et l’Afro-créole singulièrement : car dans l’esprit du
poète, le Nègre était d’abord la victime par excellence, le souffre-douleur, le spolié et l'humilié de la culture occidentale dominante,
expression du capitalisme
impérialiste. Son combat était, avant tout, le combat des exploités, des marginalisés et des exclus, pour sortir de la négation impérialiste ; un combat pour
une vraie culture de l’universel où
chaque groupe humain apporterait sa pierre
originale à l’édifice commun de l’humanité. Rares sont ceux de nos intellectuels
qui se posent la question aujourd’hui : Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Que puis-je ajouter de plus, sinon que j’aime à jamais l’homme Césaire qui, loin des hommes politiques hypocrites et récupérateurs, les intellectuels
martiniquais qui ont cherché à le tonsurer -, voyageant désormais aux angles
de la Lumière céleste où veillent les ancêtres
gardiens de la connaissance, nous
regarde et nous juge fraternellement dans notre engagement humaniste face à
l’héritage Négritude qu’il nous a laissé. En mon cœur, Aimé Césaire a tissé ses
ments pour
14
J'ai eu le privilège de le présenter à Césaire qui lui a accordé une préface pour  l'ombre du Talipot, Paris, Éditions
Racines, 2002.
1M5
mots-liens pour toujours. Le poète a écrit “ Une saison au Congo ”, mais n’y est
jamais allé, et voici que j’y ai été invité pour lui rendre hommage (Créolitude en
terres-source, 2008). Plus que lAfrique, c’est l’humanité qui a perdu un de ses fils
parmi les plus brillants, un fils qui a beaucoup aimé le “ pays des ancêtres ”
auquel il a tant donné.
Permettez que j’emprunte au poète regretté ce qu’il disait de Damas, son
ami et frère d’armes, le geste
se rassure :
d’un ultime salut : que Césaire “ par-delà la tombe
lui aussi, il a le droit de survivre à la mort, et il lui survivra comme lui sur-
vivent toujours ceux qui ont
beaucoup aimé, beaucoup souffert, beaucoup lutté et, plus
sûrement encore ceux dont les souffrances les luttes et l'espérance rejoignent les souf-
frames, les luttes et l’espérance de leursfrères, de leurpeuple De profundis.
De la sorte, si on mélange imagination vive, logique et politique, on obtient
un savant
paradoxe. Césaire plus qu’un grand poète, un des plus grands écrivains du siècle dernier, dieu nègre à cheval sur le nouveau millénium, poète
moderne encore peu égalé, nous a montrés cette voie, l’optimisme de cette
voie c’est une voix d’homme, de la purification intérieure, de la force source
:
de vie.
L’avenir de l’identité est dans l’identité de l’avenir,
il n’est pas dans la répétition historique
(Un homme à la recherche d’une
patrie) que toute information remontée de l’œuvre du poète martiniquais, Aimé
Peut-on donc dire à la suite de Georges Ngal
Césaire, caractérise la concrétisation d’une forme de créolisation15, elle-même
définissant la “ Créolitude ” dans l’écriture césairienne qui n’a pas été passée
totalement en revue. Par exemple, pour James Clifford l’histoire des Caraïbes
d’où Aimé Césaire tire sa “ négritude ” inventive et tactique, c’est celle de la
dégradation, de l’imitation, de la violence et de possibilités bloquées16.
On le comprend ici, “ Il n’y a pas de récitfondateur pour réconcilier les intrigues
tragiques et comiques d’une histoire culturelle globale ” (ibid.). Ainsi, vu à travers l’œuvre
poétique de Césaire, le Sujet du départ, c’est-à-dire cette créolitude portée
par Damas bien avant le temps négritude était “ un moyen de réhabiliter l’homme
15
Selon Glissant, " La pratique de créolisation était bien un sursaut" culturel ", une pulsion qui ne s'est pas" prolongée "
en conscience collective : une mise en scène du manque
". La langue est un outil de création. Le Discours antillais,
(1997), Paris, Gallimard - Folio-essais, 1981), p. 785.
16
James Clifford, Malaise dans la culture. L'ethnographie. La littérature et l'art au Xfî siècle, 1988, Paris, Ensb-A., p. 23.
invutetérss
LittéRama'oHi #22
Jonas Daniel Rano
noir17 ”, car elle était aussi rebelle, syncrétique et créative. En conséquence,
Damas et Césaire furent bien à l’origine du discours de la Négritude ; et ils
furent “ Sujet du discours originel de la Créolitude
Pour exemple, selon
Damas lui-même :
Je me rappellerai toujours ce matin où Césaire est venu me réveiller pour
me lire son Cahier d’un retour au
pays natal qu’il m’a avoué avoir écrit sous
l’influence de Pigment (l’Homme et l'Œuvre : 195). [... ] J’ai la conviction
que mon travail constitue un message important, et Pigments fut aussi le
manifeste du mouvement de la négritude [... ] Tous les poètes qui vinrent
après Pigments furent obligés d’employer le matériau contenu dans ses
poèmes.18
Pourtant, en dépit de ce point de vue damassien, on s’accorde pour dire que
Césaire est le père de la Négritude, et l’on peut s’attarder sur les travaux de James
Clifford qui combattant l’idéologie de la pureté sur un point essentiel, célèbre
“
la poétique culturelle impure de Césaire ", quand les instigateurs de la créolité consi-
dèrent que Césaire a manifesté " un rejet de l’impur et du mélangé ” (La créolisation :
portée et limite d’un concept : 66). Sur ce sujet encore, Damas écarte toute polémique:
Mis à pied d’œuvre pour expliquer cette affaire, j’ai dû répondre que dans
cette trinité [triumvirat : Césaire,
Senghor et Damas], il y avait le rôle du
Père, celui du Fils, et le mien avait été celui du Saint-Esprit ” (l'Homme et
l’Œuvre 193). Je n’ai été, à vrai dire, ni le théoricien, ni le métaphysicien
[...]. Je me suis contenté de marquer cette génération de mon œuvre initiale et ceux qui partageaient les mêmes idées. [... ] Je dois admettre en
effet que ce recueil [Pigments] a été le premier du genre à être publié par
notre
génération. On a même voulu y voir un manifeste du mouvement
de la Négritude19.
:
17
Lors de cette interview,"[...] il [Damas] semblait s'inquiéter de l'avenir du mouvement qu'il a contribué à fonder,
la Négritude. Ce mouvement a évolué, ce qui explique le malaise contemporain de la négritude. Après avoir aidé
l'homme noir à se connaître, à être lui-même et à se guérir de son complexe d'infériorité, après l'avoir aidé à conquérir son indépendance, la négritude est devenue moins mordante et se trouve figée dans son rôle uniquement cul-
turel ". Emilie Edith Sukho (entretien) Washington D.C., 27 avril 1972.
18
Léon-G. Damas, " Entretien... ", l'Homme et l'Œuvre, op.cit., p. 194-195.
19"
Entretien avec Léon-Gontran Damas ", Daniel Racine, Washington, mai 1977, l'Homme et l'Œuvre, op.cit.,
p. 193-194.
L’écriture poétique de Damas comme celle de Césaire, expose l’état poli-
tique du Sujet dans une société donnée : “ Dans le discours, le sujet du discours
est historique, socialement et individuellement ”, montre et fait du sujet de son
écriture un transsujet. Mais il n’y a de sujet de l’écriture que quand il y a transformation du sujet de l'écriture en sujet de ré-énonciation (Meschonnic, Critique du rythme : 73).
Ce qui est certain, nous dit Damas, en tout cas, c’est que ceux qui, comme
Césaire et Senghor, avaient déjà écrit des poèmes traditionnels inspirés de
Baudelaire ou de Mallarmé y ont renoncé. Ils les ont détruits20 parce qu’ils
se sont rendu
compte que cela ne correspondait pas à quelque chose d’authentique chez Eux. [... ] Qu’ils s'en soient inspirés ou non, peu importe.
Ils ont utilisé en tout cas le même thème, le même esprit, le même
rythme.21
Damas en ouvrant la voie en proposant une nouvelle poésie qui correspondait à lame nègre de fait à la “ créolitude d’avant la négritude ” - et c’est là une
forme pertinente de créolisation22 -, on comprend que cette poésie fut ce
moyen de réhabilitation de l’image de l’homme Afro-créole au sens large23. Et
c’est dans l’ordre réel des choses, puisque le vécu quotidien du monde noir
comme
celui du monde blanc s’enracinent dans les réactions imaginaires de
leur adaptation immédiate du monde matériel et à la société des hommes.
Dès lors, à la libération de l’homme noir par l’homme Afro-créole, initiation
engagée par Damas avec Pigments, puis embrayée par Aimé Césaire, s’opposait
développement des mentalités de certains Afro-créoles enrégimentés par
un
20
On sait aujourd'hui que Senghor a menti, ayant fait éditer ces poèmes, en 1964 au Seuil (réédité depuis en 1964,
1973,1984 et 1990).
21
Daniel Racine, " Entretien avecLéon-Gontran Damas ", op.cit., p.194.
22
Pour bien appréhender ce phénomène, il nous a paru utile de nous attarder sur “World in créolization " dans Africa
( 1987) et dans lequel Hannerz Ulf reprend l'idée centrale développée dans cet article dans son livre Cultural Cornplexity (Studies in the Social Organisation of Meaning, New. York, Columbia University Press, 1992). Hannerz place
la question à un niveau bien circonscrit : celui des relations centre-périphérie. Il suggère que l'étude des transformations culturelles du Tiers-Monde dans un contexte global bénéficierait d'une perspective de créolisation qui permettrait de reconnaître de façon adéquate les réactions culturelles créatives des sociétés du Tiers-Monde aux
influences métropolitaines. C. A. Cèiius, op.cit., p. 65-66.
23
Jonas Rano, Créolitude : prolégomènes à l'intégration socioculturelle et littéraire afro-créole, le cas de Léon Gontran
Damas, thèse de doctorat, Université de Lille lll/ANRT, 2006.
LittéRama'OHi #22
Jonas Daniel Rano
le colonisateur24. L’“ image ” politique du Noir, comme celle du Nègre, et
notamment celle de lAfro-créole a été peu
abordée par les historiens, aussi bien
les africanistes comme les caribianistes, qui le plus souvent se sont contentés
d’y faire allusion sans trop s’y étendre (Semences de vie : 247-262).
Concernant cette créolisation initiée par Damas dans Pigments et Césaire
dans Le Cahier, James Clifford aborde “ plusieurs formes de représentations
culturelles, hybrides et subversives, prémonitoires d’un avenir inventif”
(.Malaise dans la culture : 23). Pour Carlo Avierl Cèlius, l’écriture césairienne lui
fournit l’un de ses meilleurs exemples : à son sens, la figure emblématique de
cette
expérience, celui qui l’exprime le mieux, à ses yeux, est le poète martiniquais Aimé Césaire. Lequel a ouvert une voie, celle “ d’une culture organique
repensée comme processus inventif ou comme interculture créolisée25 ”.
Dans cet esprit, les racines culturelles sont coupées puis renouées, les symboles collectifs empruntés à des influences extérieures. Pour Césaire, la culture et
l’identité sont inventives et mobiles, elles vivent par pollinisation, par transplantation historique (La créolisation, portée et limites d’un concept : 66). Ceci montre
combien il est encore difficile de traiter certains aspects de l’histoire de l’homme
Afro-créole singulièrement, que nous pouvons qualifier de “ sensibles ”, tout particulièrement certains de ceux qui touchent au bestiaire26 selon lequel on a
dépeint le nègre dans l’unique souci de justifier son exploitation servile27.
Avec des hommes comme Césaire et Damas, nous sommes au cœur même
du problème qui nous occupe, celui du monde en devenir, et avec lui, celui des
Afro-créoles comme prenant partie de ce devenir. On peut, nous dit René
Depestre, dans Bonjour et adieu à la négritude, toutefois être certain d’une chose :
Ce n’est pas le mythe odieusement homicide de la “ race ” mais la force et
la beauté d’une solidarité tous azimuts qui ont des chances de souder les
peuples de la planète à l’odeur de marée d’un nouvel ordre rédempteur de
l’économie, de la communication et de la culture28.
24
Le combat mythologique de la négritude et les littératures conceptuelles de sa logique [par exemple, Pigments de
la créolitude damassienne, Âme noire de W.E. Dubois, Ainsi parla l'oncle de Jean-Price-Mars, Batouala de René Maran]
n'ont pas été sans effet comme facteurs de rassemblement de la diaspora noire et comme base de résistance à l'op-
pression coloniale à un niveau acceptable. René Ménil," Tracées ", op.cit., p. 58.
Carlo Avierl Cèlius, " Universalisation et différenciation des modèles culturels ", Beyrouth, Éd. Agence universitaire de
la Francophonie, Université Saint-Joseph, 1999, p. 49-95.
26
Ida Martinkus-Zemp, Le Blanc et le Noir. Essai de description de la vision du noir par le blanc dans la littérature française
de l'entre-deux-guerres, Paris, A.G. Nizet, 1975.
27
Louis Sala-Molins, Le code noir ou le calvaire de Canaan, Paris, P.U.F., 1987.
25
28
René Depestre, " Quand Caliban se réveille ", in Bonjour et adieu à la négritude, Paris, Robert Laffont (Chemins d'identité), p. 159-160.
mg
Dans une société “ bloquée, délirante et malade ”, jetée cul par-dessus tête,
enfoncée dans des impasses sociales et politiques, dirait Damas ou Vincent Pla-
coly, la tentation est grande partout pour une intelligentsia radicale, qui vient à
désespérer du combat politique, de déplacer les contradictions dans l’imaginaire, de succomber à l’illusion que tout se joue désormais dans la “ superstructures ”, que l’essentiel est de redonner cours aux idées-forces, et que rien - ou
si peu - est à attendre de la “ critique pratique ” des masses, de leur activité
sociale et politique : Comme si, dans ce blocage historique de la société, s’évaporaient les contradictions sociales et politiques. Comme si, pour toujours, les
masses étaient vouées à l’inertie du champ de la lutte concrète des classes29.
Fondations d’un intellectuel attaché à son identité multiculturelle
Chez Césaire comme pour Damas l’écriture se fait, elle-même, signe et sym-
bole, univers de correspondances : la connaissance profonde de lÂfrique et de
l’homme africain passe par l’interprétation des signes et des symboles. C’est “ à
la simple surface des choses qu'on nage si, écrivain afro-créole, on se contente de célébrer
le continent dans ses angoisses, ses peines, ses ressentiments, sesfrustrations, ses refoule-
ments, ses désirs profonds et ardents, ses joies30
du Zaïre (ibid.), un
de la pensée critique a engendré nombre de discours intellectuels
considérant l’écrivain comme une personne qui compose seulement des
ouvrages littéraires, écrits ou parlés. Césaire nous démontre qu’il n’en est rien !
Dès lors que ces discours multiples tendent avec plus ou moins de bonheur à
circonscrire le fondement des relations qui existent entre l’écrivain et son environnement. La conscience de notre propre identité est une donnée première
de notre rapport à l’existence et au monde : dans le Cahier, on découvre un
exemple frappant de la manière dont Césaire “ relit ” et s’approprie les concepts
les plus marquants de son époque en s’inspirant à la fois de la philosophie, de
la littérature, de la psychanalyse et du vécu africain présent. La conscience de
notre propre identité résulte d’un processus complexe qui lie étroitement la
relation à soi et la relation à autrui, l’individuel et le social. Par exemple, quand
dans Les Contemplations, Victor Hugo, auteur de BurgJargal, s’exclame :
Pour J. Tshisungu wa Tshisungu dans Visages et racines
certain usage
Hélas ! Quand je vous parle de moi,
29
V. Placoly, " Fondations de l'intelligence antillaise ", in Caré/L'Antillectuel, Paris,
Éd. Caribéennes, mai 1984, p. 74-86.
“Georges Ngal, Extrait de Giambatista..., Cf. Sura Dji, in Visages et racines du Zaïre, Musées des Arts Décoratifs, Paris ;
7 mai-30 août 1982.
invtés
Ëuteurs
LittéRama'OHi #22
Jonas Daniel Rano
je vous parle de vous... Ah ! Insensé,
qui crois que je ne suis pas toi ! (Cf. Semences de vie : X/721 )
Quand Césaire s’écrie dans le Cahier d’un retour au pays natal ( 1971) "Au
bout du petit matin... ” :
Accommodez-vous de moi. Je ne m’accommode pas de vous [... ]
Je force la membrane vitelline qui me sépare de moi-même (87).
Je force les grandes eaux qui me ceinturent de sang (89).
C’est-à-dire dès le début du poème, ou encore : “ Va-t’en, lui disais-je, gueule
deflic, gueule de vache, va-t’en je déteste les larbins de l’ordre et les hannetons de l’espérance
” (29), l’auteur (émetteur) et le lecteur (récepteur) se confondent dans ce
“Je ” ambigu, lequel “Je ” se rapporte aussi bien à l’auteur qu’à son peuple, à sa
plus loin à l’humanité, même si l’expression significative essentielle de
ce
“Je ” est d’abord patriotique et surtout raciale.
C’est ainsi un phénomène dynamique qui évolue tout au long de l’existence
du poème. Soit au long de l’existence même du poète. A sa manière, l’écriture
césairienne, bondissante, porte un coup “ contre les prétentions à ériger en
expressions culturelles universelles, celles d’une société donnée ”. Est-il question
ici de 1’“ éveil de l’homme Césaire ”, il est indéniable dans son
projet tout au
moins, que le Cahier d'un retour au pays natal est un poème de l’homme pour
l’homme, qu’il soit avant tout l’itinéraire d’une libération, d’une libération du
Nègre à l’intérieur du cœur et de la raison même de son auteur, d’une libération
qui trouve sa source dans la genèse même du poème :
“J’habitais à la Cité universitaire, boulevardJourdan, à Paris. C’était l’été. Et l’été
est dur à Paris. Quand on voit fondre
l’asphalte sur le boulevard, on regrette la
Martinique. Il faisait horriblement chaud et nous étions seuls. Il n’y avait plus
de Français. Il y avait beaucoup d’étrangers. Il y en a un qui est venu vers moi
avec
qui j’ai très vite sympathisé. C’était Petar Guberina, un Croate. Il était venu
à Paris passer sa thèse. On a lu ensemble, on a parlé ensemble. Je lui
parlais de
la Martinique. Il m’a parlé de la Yougoslavie. Il m’a parlé de la Croatie. On n’était
pas très riches et on se dépouillait pour acheter des livres, chez Gibert en particulier. Et puis un beau jour, il dit : “Je vais rentrer chez moi. Tu es seul à Paris.
Viens me voir. Ma mère possède une ferme en Dalmatie, à Sibenik ”. Il a tellement insisté que
j’ai fini par dire oui. J’ai passé deux bons mois en plein cœur
de la Dalmatie. C’était un pays magnifique. Sous certains aspects il me rappelait la Martinique. En moins verdoyant. Et, chose très curieuse, j’ai eu un choc.
race, et
151
Le matin, en me réveillant, je
une
île.
-
regarde le paysage et je vois juste en face de moi,
Comment s’appelle cette île ? - Martinska. - Si on traduit en français,
signifie Martinique ! C’est File de Saint-Martin ! Et c’est ainsi que j’ai écrit,
Yougoslavie, avec Martinska dans ma perspective, plusieurs pages du Cahier
d’un retour aupays natal31
ça
en
En effet, là est dite l’immense joie qui s’empare dÂimé Césaire lorsqu’un
miracle (Cette Martinska), à distance de mirage et de souvenir (sa Martinique),
dicte sa loi : le Cahier d'un retour au pays natal, poème de l’exil, s’il en est, l’est
donc sous ces aspects multidimensionnels, son moi culturel, psychologique et
racial, son “ pays natal ”, la solidarité avec “ son ” humanité noire, la fraternité,
sont autant de paradis perdus vers la reconquête desquels tendent tous les
efforts du poète ; Aimé Césaire le réalise alors, étape essentielle de sa prise de
conscience, sa vocation : il va “ partir ” (57-61 ), retourner dans son pays natal,
il va se mettre au service de son peuple.
Or, justement, le peuple antillais
inculqué savamment la peur, le complexe
d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement,
à qui on a
le désespoir, le larbinisme32
31
Jusqu'à présent, la version la plus ancienne de ce poème restait celle de la revue Volontés, en 1939. Tout le monde
pensait que les manuscrits ou les tapuscrits du Cahier avaient disparu dans les bouleversements du deuxième conflit
mondial. Or, en juin 1992, la bibliothèque de l'Assemblée nationale retrouve le tapuscrit chez un libraire. Aimé Césaire
a toujours été un homme de paradoxes. Tandis que son œuvre est étudiée de par le monde, le secret de son poème
majeur réside au cœur de l'Assemblée nationale, cette institution où il siégea sans discontinuer de 1945 à 1993 Ce tapuscrit du Cahier d'un retour au pays natal est riche d'enseignements. On peut y découvrir des passages retranchés et inédits.
On peut y lire des ajouts manuscrits et étudier les variantes. En comparant avec les éditions postérieures, on peut aussi
découvrir la genèse de certains extraits célèbres du Cahier. Ainsi ce passage du tapuscrit : Et je lui dirais encore : " Ma
bouche sera la bouche des misères qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui pourrissent [sic] au cachot
du désespoir, "deviendra dans l'édition imprimée : Et je lui dirais encore Ma bouche sera la bouche des malheurs qui
n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir ". Enfin, les pages 41 à 43 du
tapuscrit sont entièrement manuscrites, ce qui laisse penser qu'il s'agit de la conclusion réécrite par Aimé Césaire sur
les conseils de Georges Pellorson. Les dernières pages du Cahier seront également remaniées dans l'édition Bordas de
1947. Grâce au tapuscrit, on peut suivre le fil de la pensée créatrice d'Aimé Césaire. On touche au mystère de la poésie.
On le voit hésiter, raturer, rajouter, modifier son texte. Le lecteur peut vivre la genèse d'une œuvre. C'est un plaisir assez
rare. David Alliot, Le tapuscrit du Cahierd'un retour au pays natal, Parmi ses nombreuses richesses, l'Assemblée nationale
possède aussi le manuscrit autographe de la préface d'Aimé Césaire à l'anthologie de textes de Victor Schœlcher, Esclavage et colonisation, publiée en janvier 1948 parles Presses universitaires de France (cote Ms 1825).
32
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955, p. 20.
invtés
Buteurs
LittéRama'oHi #22
Jonas Daniel Rano
“
Il va se faire son porte-parole (“ Et voicije suis venu ! ” : 63), il veut se faire son
délégué ” (“ Embrassez-moi sans crainte... Et sije ne sais que parler, c’est pour vous
que je parlerai. ” : 61 ), afin d’arracher au colonisateur blanc le droit à la vie de ce
peuple sien (“ Et elle est debout la négraille ” : 147), ou :
Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait pas davantage le rugissement du
tigre (59).
C’est alors que Césaire effectue ce que nous avons appelé une fuite en avant,
dans une humanité nègre d’autant plus confortable quelle est plus abstraite, plus
lointaine, plus vaste, plus multiforme aussi. Cette fuite avant tout une démission :
seulement, elle est en même temps une victoire, et une victoire des plus spectaculaires, car pour la première fois depuis le début va intervenir dans le poème la
conscience raciale de Césaire, dans laquelle tous les Nègres se reconnaîtront sur
toute la surface de la terre, et qui fera du Cahier d'un retour au
pays natal, selon l’esprit
de Lilyan Kesteloot, “ L’hymne national des Noirs du jnonde entier33 ” ! C’est la
même dialectique qui a poussé lÀrabe à assumer sa “ bicoterie ” le Cubain son
mambisme ”. Et c’est une manière de porter le scandale dans la sémantique même
de Prospéra ( Caliban parle"4) : c’est se servir de sa sémiologie coloniale comme
d’une “ dynamite ” qui fait sauter du dedans ses signaux empoisonnés !
Le langage du dominateur écorche soudain les lèvres. Retrouver soir peupie, c’est quelquefois, dans cette période, celle de la libération nationale,
vouloir être nègre, non un nègre pas comme les autres, mais un vrai nègre,
un chien de
nègre, tel que le veut le Blanc. Retrouver son peuple, c’est se
faire bicot, se faire le plus indigène possible, le plus méconnaissable, c’est
se
couper les ailes qu’on avait laissé pousser35.
“
De la sorte, quand on ne comprend pas cette dialectique de transition dans
le processus de la prise de conscience, à une étape de la crise d’identité, on se
laisse croire que le colonisé veut se donner un bain de “ primitivisme ” par un
retour à la forêt natale. On
parle alors de refus global des “ valeurs de la civilisala raison ” au
nom d’on ne sait
quelle “ cosmovision exclusivement nègre36 ”.
tion occidentale ”, et on vous accuse de condamner “ la logique et
33
34
35
Lilyan Kesteloot, Anthologie négro-africaine, op.cit., p. 32.
Jean Guéhenno, Caliban parle, Paris, Grasset, 1945, p. 16.
Frantz Fanon, Les damnés de la terre," Préface "de Sartre, Paris, Maspero, 1961. Il faut comprendre ce texte dans le
contexte souligné par Depestre dans Bonjour et adieu à la négritude (op.cit., p. 138-149).
36
René Depestre, Bonjour et adieu à la négritude, op.cit., p. 143.
Influence du Pigments damassien
sur
le Cahier d’un retour au pays natal césairien
Décemment, on ne peut opérer la lecture de l’œuvre de Césaire et celle de
Damas sans souligner leurs fondations communes : l’idéologie d’identification
que fut la négritude - l’invention des échelles de valeurs qui, sans rien renier
du passé, alimentait Bien les nouveaux fondements historiques d’une identité37
pouvait à elle seule servir de commun dénominateur à des efforts qui
aspiraient à rénover les concepts de liberté, de nation, d’individu, de révolution,
de droits de l’homme, d’égalité et de fraternité, dans le processus global de la
décolonisation. Ainsi, comme Césaire Damas a su se montrer l’homme d’une
grande conscience du devenir des siens, mais aussi l’homme d’une grande
colère dans Pigments, avec “ Et extern ” (77) ou encore :.
mais quelle bonne dynamite
-, ne
fera sauter la nuit
les monuments comme champignons
qui poussent aussi
chez moi (“Blanchi” : 57)
Dans ce poème, le discours de Damas engage à l’analyse qui permet de faire
le lien entre l’individu, sa parole singulière, et l’ensemble des représentations
partagées - ou du moins connues - qu’il convoque dans l’adhésion ou la
contradiction. L’écriture damassienne est ainsi reconnue dans sa priorité par
rapport à la conscience, et sa prévalence sur la structure scripturale comme
mode non seulement linguistique mais aussi extralinguistique.
À partir d’un tel travail d’écriture, les enjeux qui en découlent intéressent à la
fois la théorie des genres, éclairée notamment par les apports de la pragmatique
et l’histoire littéraire qui, soucieuse de périodisation esthétique, se voit dès lors
enrichie d’une indispensable perspective sociolittéraire. Porté par un même
engagement que Damas, Césaire ne manquera pas d’utiliser cette même
“
dynamite38 ”.
Les balles dans la bouche salive épaisse
notre cœur de
et ce
37
38
quotidienne bassesse éclate...
peuple vaillance rebondissante... ( 107)
Frantz Fanon, " Grandeur et faiblesse de la spontanéité ", in Les damnés de la terre, op.cit., p. 79-105.
Aimé Césaire, " Un Orphée des Caraïbes ", cf. Jean-Claude Michel, Les écrivains noirs et le surréalisme, Québec, Liberté,
1982, p. 69.
LittéRama'oHi #22
Jonas Daniel Rano
ma
négritude n’est ni une tour ni une cathédrale
elle plonge dans la chair rouge du sol
elle plonge dans la chair ardente du ciel
elle troue l’accablement opaque de sa droite
patience, (l 17)
Pour trouver “ leur
langage propre aux Afro-créoles ”, Césaire comme
Damas étaient conscients qu’il fallait que leur créolitude ait une force de vrais
sentiments de colère, partant, à se mouler dans leur cadre de
pensée : (quelle
bonne dynamite fera sauter/ les monuments), et même de haine (Ma haine
grossit la nuit), et ce perpétuel ressentiment d’avoir à se servir de la langue du
colonisateur (“ Vous ai-je ou non dit qu’il vous fallait parler français ”)39.
En ayant écrit dès 1934 des articles dans différentes revues et
journaux de
France (l'Homme et l'Œuvre : 29), Damas lançait la
négritude avec “ Solde ” (Pigments : 39), mais
également avec “ Blanchi ” (op.cit. : 57), en appliquant carrément à sa
propre personne le fardeau du nègre :
Les jours inexorablement
tristes
jamais n’ont cessé d’être
à la mémoire
de ce que fut
ma vie
tronquée
Va encore
mon
hébétude
du temps jadis
de coups de corde noueux40
C’est de la sorte, l’acquisition d’une identité culturelle - celle aussi de sa race -,
par un renversement du langage du maître (“ Damas est nègre et tient à sa qualité
et à son état de
nègre41 ”) ; ce n’était pas la première fois
qu’un mot (nègre) péjol’opprimé son acception injurieuse, pour, comme un boomerang, revenir à la tête de l’oppresseur,
ratif et offensant à son origine perdait aux yeux de
39
Léon-G. Damas," Hoquet", Pigments (1972), Paris, Présence Africaine, 1937, p. 33.
40
Léon-G. Damas, " La complainte du nègre ", Pigments, op.cit., p 45.
41
Robert Desnos," Préface "à Pigments, op.cit., 1937.
remplissant soudain une fonction de réparation et de justice42. Césaire développe le processus essentiel et universel de cette “ réappropriation d’identité43 ” :
en effet, si Damas
parle, par exemple, de trois périodes de l’évolution de la
conscience afro-créole, René Depestre parle, bien après lui, de “ trois directions ” en termes d’“ étapes idéologiques44 ”, et Senghor, quant à lui, parle de
trois vertus majeures ” de l’écrivain, et souligne le fait que :
[... ] parmi la poignée d’étudiants qui lança le mouvement de la négritude,
Damas fut le plus engagé45.
“
reprend la notion de “ trinité ”
évoquée par Damas (l'Homme et l'Œuvre : 193), puis celle des “ trois fleuves ”
(Black-Label : 9) qu’il associe aux trois “ gouttes de sang ” d’Elie Faure, pour dire
Le poète Césaire n’est pas en reste, quand il
en
définitive :
[... ] qu’il [Damas] n’a pas théorisé, qu’il n’a pas écrit de manifeste ; mais
négritude est déjà dans son œuvre le sens tragique de l’Histoire, la
mémoire et le destin, la fidélité ancestrale et l’espoir quasi millénariste
d’une libération45. Notre lutte [dit Césaire], était la lutte contre l’aliénation,
c’est ainsi qu’est née la Négritude. [... ] Il y avait en nous une volonté de
défi, une affirmation violente dans le mot nègre et dans le mot négritude47.
toute la
Voilà qui a le mérite d’être dit. Césaire est un grand homme qui “ rend ainsi
à César ce qui
lui appartient ”. Et c’est une façon d’avouer “ l’ascendance duplus nègre
des poètes nègresfrancophones411
42
Le mot" gaucho "dans l'Amérique de La Plata avait connu un sort pareil. Également le mot" mambi ", avant" d'être
l'essentiel dans l'histoire et la sensibilité cubaines ", signifiait " mauvais, méchant ". Selon José Luciano Franco "
mambi " est un mot d'origine Congo qui signifie idole ou fétiche. On l'appliquait à Saint-Domingue aux nègres marrons ou qui fuyaient la cruauté de l'esclavage, et à Cuba, durant les guerres d'indépendance, les militaires espagnols
qualifiaient de ce nom les Cubains rebelles qui luttaient pour la libération nationale.
43
Op.cit., p. 143.
44
René Depestre, Bonjour et adieu à la négritude, op.cit, p. 184.
45
Léopold-S. Senghor de l'Académie française, " Préface "à l'Homme et l'œuvre, op.cit., p. 9.
46
Aimé Césaire, allocution d'hommage prononcée à l'Hôtel de ville de Fort-de-France, Martinique, le 31 août 1978.
47
Aimé Césaire, " Un Orphée des Caraïbes ", op.cit., p. 160.
48Op.cit., p. 13.
invtés
Bute rs
LittéRama'OHi # 22
Jonas Daniel Rano
Aimé Césaire et la Créolitude
Dans un entretien qu’il nous a accordé en mai 2002,
répondant aux critiques - on a beaucoup reproché Aimé Césaire le fait qu’il n’ait pas écrit en
créole (Racines et Couleurs n° 18 : 20.) -, ce grand homme n’éprouvait pas le
besoin de ressasser : “ Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs / ” ( 121). L’illustre martiniquais introduisait une limite aux confins de la “ haine
pour
,'1'J homme de haine ”, inlassablement (Semences de vie : 269-292), désignant
ainsi le modèle rejeté de Y“ homme de haine ”,
lequel “ homme de haine ”, pour
lui, est le blanc. Et ce qui justifiait l’assertion de Sartre : “ ce racisme antiraciste ”,
occasionné, non par la haine des autres races, mais par un amour tyrannique
pour la race métissée [afro-créole] seule témoin de l’injure cosmique et qui “ est
le seul chemin qui puisse mener à l’abolition des différences de race ”, dans une
ère de civilisation où chaque race apportera le fruit
quelle aura produit, sym-
bole de l’originalité culturelle49, tout ce qui est naturel, pour la race universelle,
pour la faim universelle.
Quand Aimé Césaire me confia': “Je dis bien universelle, ce n'est pas le combat
d'un petit groupe contre un petit groupe ”, puisqu’il s’agissait d’une “ prière ”, nous
comprenons que les requêtes à son cœur présentées s’accompagnent d’une
humilité dans lame du poète, qui se traduit par l’acceptation des travers de notre
peuple. Car il est chez Césaire un paradoxe semblable à celui de Nietzsche qui
voulait qu’entre un donateur et un receveur, le donateur ait à remercier le receveur “
d’avoir consenti à prendre50 ” : Les Nègres, disait Césaire, qui ne sont
aucunement inférieurs aux Blancs
peuvent également contribuer au développement de la science et du savoir humains :
aucune race ne
possède le monopole
de la beauté, de l’intelligence, de la force51
Et il est place pour tous au
rendez-vous de la conquête52
49
Nation martiniquaise, depuis le Congrès dit" voie d'une évolution statutaire transparente et démocratique " et qui
s'est tenu en février 2002, sur proposition de C. Lise et M. Tamaya. Le Naifn° 104, avril-mai 2002, p. 20-24.
50
i
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlaitZarathoustra, Paris, Gallimard, 1947, p. 15,257. Racines et couleurs, op.cit., p. 9-12.
51 Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, op.cit., p. 139.
\ 52 Op.cit., ç. 141.
157
À y regarder de près, plusieurs des différentes théories communément
reprochées à Senghor trouvent leur fondement dans certaines affirmations du
Cahier d'un retour au pays natal où Aimé Césaire donne une définition de sa
négritude53 : en effet, depuis la naissance de la négritude, Senghor s’est entêté,
comme l’a
justement remarqué Stanislas Adotevi, “ à tenir aux nègres un langage qui n’est pas le leur54 ”, alors quAimé Césaire, par contre, a proclamé tout
haut, son “ refus absolu d’une espèce de pannégrisme idyllique à force de
confusionnisme^5 ” ainsi que toute idéologie justificatrice.
Si aujourd’hui la question de la négritude est dépassée - avec la mort de
Césaire la question qui se pose est le dépassement de la Négritude dans l’espace
des cultures croisées, et la possibilité de saisir les enjeux d’une création nouvelle56 on peut dire en termes plus clairs que certains aspects de la négritude
césairienne dans le Cahier, dans bien des aspects, sont un frein au développement et au
progrès des peuples noirs et créoles. En cela, les travaux de René
Ménil, notamment Antilles déjà Jadis, précédé de Tracées sous-tendent cette limite
-,
de la pensée césairienne :
“
Césaire a pensé, m’a confié René Ménil, que critiquant la négritude, j’étais
contre un mouvement de libération
nègre qu’il désigne par le terme négritude.
En réalité, je n’ai tenté que de marquer les limites de la doctrine, d’y déceler la
confusion qui pouvait s’en suivre et les erreurs que cela provoquait que d’ac-
cepter comme disait Senghor : “ Les nègres n’ont pas la mentalité logique. Ils
sont mal à l’aise. Ils sont incapables de raisonner logiquement, mais ils sont
doués demotion, et c’est par l’émotivité qu’on peut les définir ". Il a oublié qu’il
était, lui-même, un Noir : c’est une erreur, une aliénation, une insuffisance nettement criante de définir les
nègres de cette façon [...]. Ce qui, chez Césaire,
embarrasse la critique, c’est qu’il y a confusion à un certain niveau. D’autres font
cette erreur aussi. C’est-à-dire ce
mélange que l’on peut considérer comme
essentiellement culturel et la politique. On est en droit de se demander si les
limites de la pensée césairienne ne viennent pas de cette confusion : Césaire
parlant du Nègre dans le Cahier d’un retour au pays natal et dans d’autres textes,
emploie des expressions qu’il faut prendre absolument sur le plan littéraire
53
Cf. Marcier Towa, Léopold-Sédar Senghor: négritude et servitude ?, op.cit., p. 11.
54
Stanislas Adotevi, " Never grew up ", in Négritude etNégrologues, Paris, Unions Générales d'éditions, 1972, p. 118.
55
Entretien avec Lilyan Kesteloot, le 8 décembre 1971. Aimé Césaire, l'homme et l'œuvre, op.cit., p. 235-239.
56
Voir à ce sujet la préface du Pr Huit Mulongo Kalonda-Ba-Mpeta : " Cahier d'un retour en terre-source "in Créolitude
en terres-source,
Paris, Éditions Scientifiques contemporaines, 2008, p. 3-4.
invutteérss
LittéRama'oHi # 22
Jonas Daniel Rano
poétique, et pas comme de l’argent comptant sur le plan philosophique ; par
exemple : “ Les nègres sont ouverts à tout Et, dit-il, transporté dans cette affirmation “ Ils n’ont
jamais inventé la poudre... ”. Vous y voyez une amplification
lyrique, poétique et non pas une affirmation sérieuse quant aux caractéristiques
évidentes du nègre. C’est à partir de ces paroles-là
que Senghor a conclu que
les Nègres ne sont pas capables de logique ; c’est une forme de confusion. ”
(Créolitude : 187-200).
C’est dans cet esprit que j’ai eu le
privilège de demander au poète et homme
politique, Aimé Césaire :
Après tous les sacrifices qui ont été les vôtres, quel regard porteriez-vous
sur la littérature afro-créole
d’aujourd’hui?
—Je n’ai pas beaucoup suivi..., parce que j’étais terriblement occupé par
mon travail
politique, ce que j’ai essayé de faire pour le peuple martiniquais,
pour la ville de Fort-de-France, mon pays, m’a beaucoup absorbé. Je n’ai donc
pas suivi les débats littéraires, les conflits, les querelles littéraires. Non, je n’ai pas
voulu y prendre part, mais tout cela ne m’effraye
pas beaucoup. Et, je vois cela
presque, si vous le voulez, comme une chose naturelle de nouvelles générations. Je ne me sens
pas engagé dans un combat particulier. Pour moi, ce que
j’ai lu de cette nouvelle littérature ne me surprend pas, ni ne me choque.
On parle de la créolité. Quel
rapport ? Quelle difficulté pour moi qu’il y a à ladmettre ? Je disais, un
jour, à Bernabé (Jean) qui m’interrogeait : “ La créolité
n’est qu’un département de la négritude. En quoi cela me
choque ?
Senghor disait déjà : “Je demande auxjeunes d’avoir présent dans l’esprit
ceci c’est que ces
jeunes-là, qui se font en substance aujourd’hui de belles dents
sur la
négritude, sont bel et bien nés eux-mêmes dans la négritude ”.
Mais oui... Cela ne me gêne pas du tout. Pour ce
qui est de la “ créolitude ”, un domaine qui m’intéresse..., c’est
l’enseignement du créole, simplement. Je dis : attention ! Il faut
y entrer, mais il faut savoir en sortir. Parce qu’il
ne faut
pas s’enfermer. C’est tout à fait naturel, nous sommes un peuple, il y a
une
langue, il faut la comprendre. Il faut la reconnaître. Il faut savoir l’expliquer.
Mais, il faut savoir aussi la remettre à l’échelle du monde, ne pas s’enfermer dans
et
:
•
•
:
—
le créole.
•
La langue créole, c’est aussi le fait de ceux
qui la portent, ceux qui la tradui-
sent, ceux qui la maîtrisent...S7
57
Nous concevons que Césaire ait pu dire dans les années quarante qu'il ne maîtrisait pas le créole, mais
qu'il laissait
le soin à ceux qui le maîtrisent de l'illustrer. (Racines et Couleurs, n°18:20)
159
—
En tout cas, j’aurais à enseigner le créole, je me serais d’abord posé une
question essentielle : pourquoi le créole ? Pourquoi est-il apparu ? Et comment
est-il apparu ? Et vous êtes amené à ce moment-là à faire une histoire du créole,
et une
sociologie du créole. Leur apprendre l’histoire des races dans la colonisation, de la société coloniale. Comment il est né. Et pourquoi il est né. Ce n’est
pas évident qu’il naisse. C’est parce qu’il y a eu la colonisation, il y a eu l’oppres-
sion, il y a eu l’aliénation. Et c’est pour cela qu’on est créole. Et ensuite, qu’est-ce
que c’est que le créole ? Comment est-il composé ? On s’aperçoit alors qu’on
étudie tous les éléments qui constituent le créole. La généalogie du créole : il y
a du [des] français
[parlés], il y a de l’anglais. Mais oui, n’oublions pas aussi qu’il
y a de l’africain, c’est énorme ! (Le créole est un précipité, dès lors que son
lexique est occidental et sa syntaxe africaine.) L’africain, il a l’esprit : les mots
peuvent être français ou anglais, mais l’esprit est toujours africain. Il est toujours
africain, et c’est ce qui est important. Quand vous dites : Je vais : Mwen ka vini.
Ce n’est pas de l’africain, ça ! ? ; le futur : Mwen ké vini ; l’imparfait : Mwen té ka
vini ; le conditionnel : Mwen té ké vini. Toutes ces particules, qu’est-ce que c’est ?
C’est de l’africain bel et bien58. Et c’est ce qui me paraît très intéressant à retrou-
Donc, la peau peut être plus ou moins blanche, mais le cœur et l’esprit, c’est
toujours noir. Et puis alors, il faut voir, le créole, qu’est-ce qu’il est mais aussi quel
est son avenir59 ? Tout cela est à voir. Mais ce sont des choses qu’il faut voir, mon
ami, avec un esprit très ouvert.
Aujourd’hui, lorsque vous vous projetez au-delà de la Martinique, vous
regardez le monde. Le monde est parsemé de Créoles. Alors, quel message
ver.
•
adresseriez-vous à tous ces gens ? À ces hommes en quête d’identité.
Je pense au monde, à notre monde, je pense aux Antilles, je pense à
lAfrique. Et il y a de quoi être désorienté. C’est effroyable ! Nous avions espéré
que, avec la décolonisation, nous touchions au but, mais nous nous apercevons
que ça n’a pas tout résolu. Il y a d’autres problèmes. Et ils sont là, parfois, aussi
durs, aussi cruels, comme la guerre civile en Afrique, les oppositions, les fractionnements. C’est vraiment très douloureux. Mais tout ce que je peux dire simplement, si on me demandait ce qu’il faut faire... Je dirais de ne pas céder au
pessimisme, en particulier ne pas céder à l’afro-pessimisme. L’expérience est
—
58
U
Voir la démonstration de Makuzayi Massaki, (Tabou) in Racines et Couleurs, n° 128,2002 ; et également Camille
Blanchet, " Sur les traces de la langue mère " (Tabou) in Racines et couleurs n° 128,2002 ; Voir aussi Joseph Zobel dans
une interview accordée à Adam Kwaeth, Martinique, France Antilles du 07-13 mai 1994.
59
Voir Jonas Rano, Créolitude, op.cit, p. 201-204.
s
a»
LittéRama'oHi #22
Jonas Daniel Rano
dure, elle est pénible, il faut vouloir la supporter, il faut vouloir tenir, et je suis
persuadé que nous vaincrons !
Quelles seraient les directions dans lesquelles vous souhaiteriez que nous
prenions ?
Je considère que notre combat, essentiel, n’a pas été mal guidé. Et Senghor la dit, nous avons toujours pensé cela... : nous sommes, nous, des partisans résolus. Nous voulons
apporter notre contribution à une chose qui me
paraît essentielle : c’est l'avènement à la civilisation universelle. Je dis bien universelle. Ce n’est pas le combat d’un petit groupe contre un
petit groupe. Nous
pensons qu’il faut prendre les choses dans leur sens, le plus large, c’est l’avène•
—
ment d’une humanité nouvelle. La civilisation est à un
tournant, et nous devons
quoi c’est le néant, c’est la destruction, c’est la disparition, c’est la démolition. Mais non, nous, nous sommes des
humanistes et nous saurons participer à la fondation de cette filiation nouvelle.
aider le monde à prendre ce tournant, sans
Au regard de l’actualité
politique et économique de notre Pays d’aujourd’hui, pensez-vous avoir été un visionnaire ?
Je dis ce que je ressens, ce que je sens ! Moi, quand j’ai commencé à
écrire, j’étais un jeune homme. Sur les bancs du lycée déjà je me posais des problêmes. Et je me suis demandé, moi, un petit
nègre de dix-huit ans, dans un
lycée parisien, dans une grande ville de l’Europe, sachant le créole, parlant le
français : quel est le problème fondamental ? Senghor et moi quand on s’est
rencontrés, qu’est-ce qu’on cherchait ? D’abord, je me suis demandé, finalement
qui suis-je60 ?
•
—
:
Question essentielle.
Eh oui, qui suis-je ? Ensuite, que
dois-je faire ? Kant disait : “ Que m’estil permis d’espérer ? ”. Ces trois questions-là
qui l’ont hanté et pour lesquelles
nous nous battons.
Je crois que la tâche n’est jamais terminée. On peut nuancer
les réponses comme on veut mais on n’y
échappe pas. Et ça reste valable.
•
—
Il est donc impératif selon Aimé Césaire,
tar de toutes les
60
d’enseigner la langue créole à Finslangues, son espace sociohistorique et culturelle. “Apprendre/
Erik H. Erikson (1902-1994), l'étude de l'identité devient aussi centrale à notre
époque que celle de la sexualité à
l'époque de Freud. En fait, tous les théoriciens de I'" identité " soulignent l'importance d'autrui dans la construction
de l'identité, que ce soit pour différencier ou se conformer, pour se
présenter aux autres ou s'en protéger. Voir
Anthony G. Greenwald, " L'ego totalitaire, ou comment chacun fabrique et révise sa propre histoire ", dans l'ouvrage
collectif, Le Soi, recherches dans le champ de la cognition sociale, Washington, Delachaux et Nestlé, 1992.
161
enseigner une langue, pour c’est apprendre à grandir (essentiellement Fenseigné) dans la culture quelle fait circuler, dans les paysages quelle nomme. C’est
travailler de la sorte au développement de la
langue elle-même (l’enseigné et
l’enseignant) et plus loin, au développement socio-économique des pays quelle
habite61 Le but de cet enseignement est d’encourager un sens fort de l’articulation, langue écrite/langue parlée. C’est en effet l’idée retenue au dernier colloque de lÂcadémie des langues kanak (Nouméa, Centre Djibaou, 9 au 19
septembre 2008) : cette dichotomie, qui peut permettre un mouvement de la
langue sur elle-même, la faire vivante. C’est cette dichotomie qui peut changer
l’écologie de la langue ; faire en sorte que Ti-Aton moun Lans-Spoutoun parle et
écrit la même langue que Djanbann moun An-Chètin (GEREC-F\ une
yole van
douvan, ibid.).
En définitive, nous ne pouvions
pas rendre témoignage de la “ parole césairienne ” sans nous intéresser aux survivances lexicales de certaines
langues afri-
caines du créole. D’une manière inédite ; la conscience seule confirme sans
tam-tam : on l’a vue avec Césaire,
participant du langage créole et ferment de
laboratoire, la langue créole, comme somme d’expériences, dit toujours
quelque chose de plus que son inaccessible sens littéral.
Au regard de cette pensée, on s’en convainc, Aimé Césaire a donc bien circonscrit le problème de la langue créole, en
dépit du fait qu’il ait choisi de s’exprimer en français. En effet, dans “ Mwen ka vini ” (Je vais) comme on dit
Man kafè ” (je fais), si la particule “ Ka ” s’utilise dans les îles
francophones ou
ex-francophones, comme en Sainte-Lucie ou Dominique - en revanche,
elle ne s’utilise en Haïti que dans certaines régions. Si en
Martinique comme
en
Guadeloupe la particule “ ka ” appelle le présent, en Haïti, par contre, elle
indique le futur. Ainsi, l’Haïtien dit : “ Man kafrapé ou ”, ce qui signifie : “Je vais
te
frapper ”, alors que pour le Martiniquais ou le Guadeloupéen, c’est : “Je te
frappe ”.
Certes, nous adhérons à la thèse de Max-Auguste Dufrénot, selon laquelle,
on
pourrait tendre vers l’hypothèse suivante : le “ ka ” créole viendrait de “ y’a
qu’a ! ” : un ordre donné par le maître à son esclave. Or en Kabyè (Nord-Togo),
la particule “ ka ” prend le sens d’un futur immédiat. Par
exemple, “ Man ka
labo ”, signifie : “Je vais faire ”. Naturellement, le “ ka ” créole est, tout
simplement, un héritage de la langue parlée par l’esclave kabyè ; cette particule a
“
61
Henri S'MawTaillefon/'ffiM'-/; une yole von douvan ", (www.gwadaoka.org/yole-vandouvan, html.), 11/2003. p.
14.
iinutveutérss
LittéRama'oHi #zz
Jonas Daniel Rano
conservé son sens en Haïti : l’esclave kabyè ayant un certain nombre de tâches
à effectuer ne devait pas rester inactif II avait toujours quelque chose à faire, et
même
lorsqu’il ne faisait rien, il devait toujours être occupé à une tâche. C’està-dire : “ Y (il) ka coupé ” bannan-la (il coupe la canne) ; “ Y ka chagé cabouwètla ” (il remplit la brouette). Aucune action ne va sans cette particule “ ka ”. Le
verbe créole est toujours précédé de “ ka ”. De la sorte, c’est :“Yka mangé ” (il
mange), “ Y ka bwè ” (il boit), “ Y ka couwi ” (il courre), “ Y ka woué ” (il voit), “ Y
ka twavail ” (il travaille), etc. Remarquons, en Martinique, quand on dit : “ Man
kaïfè ” (je ferai), on ajoute un “ ï ” à la particule “ ka ” ; Ce qui donne “ kaï ” pour
indiquer le futur : “ Man kaïfrapé ou ”, se dit bien “Je vais te frapper ”. Ou
encore “ Man kai woué ”
(je verrai = Je vais voir) ; “ Man kaifè ” (Je vais faire).
Cependant, cette formulation “ kai ” trouve sa souche cette fois dans la langue
mina “ ka-i ”, “ i ”
signifiant bien “ aller ” en mina.
De même est-il intéressant à noter62 que la particule “ ni ”, dans “ Man ni ”
(J’ai), trouve sa souche dans le Yoruba dont l’influence est certaine également
dans les îles hispanophones et anglophones. Ici, la particule “ ni ” prend le rôle
d’un auxiliaire. Le Yoruba dit en effet “ Mou ni ” (j’ai). Le Martiniquais," Man
ni ” (J ai), et comme le Yoruba dit : “ Mou té ni ” (J’avais), le Martiniquais dit :
| “ Man té ni ” (J’avais).
Presque toutes les études réalisées jusqu’à ce jour sur la langue créole reconnaissent quelle n’a pu se former en tant que système linguistique cohérent et
organisé, qu’à partir du moment où les esclaves africains sont entrés dans le processus. Nul besoin d’ailleurs d’être un
linguiste pour reconnaître dans les divers
parlés créoles de la Caraïbe le calque des langues africaines, malgré le lait que
soixante-dix pour cent du vocabulaire créole proviennent du français ; d’où
l’obscurantisme de certains linguistes créoles, ignorant les langues africaines et
inlassablement tournés vers les langues d’oc ou d’oïl. Ensuite, la plupart des
contes et mythes connus dans l’espace caraïbe ont
pour origine lAfrique
(Damas, Veillées noires, 1943). Toutefois, s’il n’est pas moins important d’en
connaître les origines, il est nécessaire de prendre conscience des valeurs qu’il
véhicule. C’est-à-dire connaître les survivances lexicales des langues des peuples
opprimés à l’origine, ensuite connaître les survivances folkloriques de ces populations, pour identifier avec certitude les restes de cultures traditionnelles africaines63. Ainsi, des survivances lexicales de certaines langues africaines du
:
:
:
62
63
Max-Auguste Dufrénot, Des Antilles à l'Afrique, Dakar, NEA, 1981.
Max Dufrénot en donne un bel échantillon dans Des Antilles à l'Afrique, op.cit., p. 92-116
163
créole, le dialogue horizontal entre esclaves annonce le parler créole. La
politique et culturelle afro-créole est le fondement
connaissance claire de l’unité
de la grandeur de notre nation64.
L’histoire de la colonisation comme celle de
traite sont un tabou français
a
l’esclavage et son corollaire la
que certains auteurs (naïfs) croient que la France
enfin levé (Historia thématique n°80, novembre-décembre 2002). Le
temps
n’est pas encore venu où le Nègre sera reconnu comme
l’égal du Blanc..." Si
les nègres n'étaient pas un peuple, disons de vaincus,
enfin un peuple malheureux, un
peuple humilié, etc., renversez l’histoire, faites d'eux un peuple de vainqueurs, je crois,
quant à moi, qu’il n’y aurait pas de négritude ”, disait le grand homme dans Moi,
Laminaire.
Pour ma part, en guise de chute Mesdames et Messieurs,
je crois que la
tâche n’est jamais terminée. Cela reste valable, la lutte continue65 ! À ce
constat salvateur on
peut nuancer les réponses comme on veut mais on n’y
échappe pas.
Glwar, lonné é respé pouw Aimé Césaire.
64
Ama Mazama, Une lecture afrocentrique critique de liÉloge de la Créolité, Penser la Créolité, Maryse Condé & Madeleine
Cottenet-Hage, Paris, Karthala, 1994.
65
Préface du Pr Huit Mulongo Kalonda-Ba-Mpeta, " Cahier d'un retour en terre-source ", op.cit., p. 3.
invutetérss
LittéRama'oHi #zz
fTlaurice Vinot
Professeur de lettres modernes puis attaché de Préfecture.
U a exercé en France, à la Réunion, à Mayotte, en Australie, à Tahiti.
Il est l'auteur de plusieurs romans, d’albums pour enfants illustrés par
lui-même, d'un essai philosophique, son testament spirituel.
Récit de vies
De ma vie
Devenir romancier est aisé. Il suffit d’un peu de plume, de quelques joies,
de quelques détresses et d’un brin de suffisance. Trouver un éditeur c’est
autre
chose. L’entreprise exige une foi à culbuter les montagnes.
Je n’ai jamais conté publiquement mes déboires d’auteur. Si, aujourd’hui, je
les confie à une revue littéraire aussi sérieuse que Littéramàohi c’est dans l’espoir
d’être utile aux Polynésiens, jeunes et moins jeunes, qui rêvent de se faire
publier.
Voici donc mon parcours.
En 1971, j’ai derrière moi vingt-quatre ans d’enseignement littéraire et
j’exerce depuis quelques années les fonctions dÂttaché de Préfecture sous
l’égide de L’Education Nationale, mon administration d’origine.
Pour me distraire d’une vie conjugale qui tournait à l’aigre, j’ai commencé
un roman. La visite d’une
collègue martiniquaise dépressive m’en avait inspiré
le sujet. Après des échanges épistolaires que j’imaginais tendres elle avait traversé lAtlantique pour épouser son correspondant métropolitain. La rencontre
avait été un fiasco et la vieille fillette s’apprêtait à rentrer chez elle, humiliée.
Parce que mon moral n’était guère au-dessus du sien je décidai de traiter ses
aventures en bouffonneries. Me moquer d’elle c’était me moquer de moi. Cette
sorte de catharsis m’inspira quarante
pages d’un seul jet. Et puis le désenchantement revint et j’abandonnai mon manuscrit au fond d’un tiroir.
165
En 1978, seul dans mon bureau de la sous-préfecture de
Montargis dont
jetais le secrétaire en chefje signais des passeports. Besogne assez divertissante :
coup dbeil à la photo du demandeur, vérification de l’identité, de l’adresse et
de la profession (connaître mes administrés était une de mes ambitions),
signature enfin.
Ce soir-là, je ne l’oublierai jamais ! Ce visage aux traits rudes surmonté d’une
coiffure taillée au bol, en rond autour du crâne, je le reconnus sur-le-champ :
Jean Hervé dit Hervé Bazin ! Je fis savoir au personnel que je remettrais moimême le document au Président de l'Académie Concourt.
L’entrevue eut lieu dès le lendemain. Hervé Bazin fut très aimable. J’osai lui
parler de mon manuscrit, fl m’encouragea à le terminer et à le lui envoyer à
Douchy où il résidait. J’écrivis deux cents pages supplémentaires, bien trop vite,
dans une hâte fiévreuse qui ne pouvait que me nuire. Je le savais! Mais j’avais
tellement peur que le Grand homme m’oubliât! L’ouvrage ainsi bâclé je le lui
expédiai. Une semaine plus tard environ, il m’invita au Grand Cormoiseau,
domaine qu’il vendit plus tard à Mouloudji. Il me présenta à son épouse. Deux
de ses enfants prenaient une leçon de russe dans une pièce adjacente. Il nous
enferma dans son modeste cabinet de travail. Et nous parlâmes. De mon
manuscrit il loua chaudement les
quarante premières pages. Il les avait fait lire
à un membre de sa famille, un homme de couleur
lequel avait d’abord cru que
j’étais moi-même antillais ! Ce n’était pas un mince compliment ! Hélas les pages
suivantes juraient avec ce début. Je crois aujourd’hui
qu’il avait renoncé à les lire
jusqu’à la dernière. Se déchargea-t-il de ce soin sur Serge Montigny, son agent
littéraire ? Ce n’est pas impossible car, un assez long temps après, les Editions
du Seuil m’ont renvoyé mon chef-d’œuvre manqué, marqué de la
griffe d’Hervé
Bazin et accompagné de critiques constructives
qui auraient dû m’inciter à parfaire mon ouvrage.
Je n’en fis rien ! J’étais trop amoureux de la vie ! J’avais commencé mon
des temps moroses ; des temps plus riches en joie et en plaisirs m’empêchèrent de le poursuivre.
Survint Mab, ma présente femme ! Pour elle, je repris la plume. Durant
toute une année, en Ecosse,
je servis de nègre à un ami sous-préfet qui avait des
prétentions littéraires. Je ne lui fus finalement d’aucun secours.
roman en
Vint la retraite. Nous décidâmes, Mab et moi, d’aller vivre en Australie. Nous
avons
cune
habité Rockhampton, Brisbane, Melbourne, Perth et Cairns. Dans cha-
de ces villes Mab a travaillé comme infirmière. La solitude intermittente
invutetérss
LittéRama'oHi #22
rïlaurice Dinot
qui fut alors la mienne ressuscita Noéllise l’héroïne malheureuse de mon preunique) roman. Je m’attelai à le rebâtir en bon artisan. La
tâche me prit beaucoup de temps et de moi-même. Je l’achevai et la peaufinai.
De guerre las, je finis par prendre le chemin d’un bureau de poste avec mon prédeux petit paquet sous le bras. L’employée qui l’enregistra me conseilla de l’expédier en recommandé. Ainsi, disait-elle, s’il est perdu vous percevrez les trente
dollars australiens correspondants à sa valeur déclarée.
Le colis ne se perdit pas. Il me fut remis deux mois plus tard par le facteur
de notre quartier, un gai luron, qui me tendit d’abord un document en français
qu’il ne savait pas traduire et dont, par conséquent, il ne savait que faire. C’était
une facture des douanes
d’Orly qui me réclamaient des frais de garde attendu
que les Editions Robert Laffont ne s’étaient pas souciées de récupérer mon
manuscrit en dépit de plusieurs avertissements. L’aimable facteur éclata de rire
autant de ma mine ahurie que des errements de l’administration française. En
bon philosophe il se saisit de la facture et la déchira en morceaux.
J’étais plus sérieux. J ai réfléchi que nos douaniers ne pouvaient détruire un
mier (et jusqu’alors
objet d’une valeur de trente dollars australiens et qu’il n’entrait pas dans leurs
attributions de porter eux-mêmes cet objet à domicile.
Je changeai mon manuscrit d’emballage et le réexpédiai en recommandé
avec
la mention manuscrit sans valeur commerciale.
Deux mois s’écoulèrent encore. Le même facteur hilare me le rapporta et
me
tendit une même facture des mêmes douanes. Le destinataire (Les Editions
du Seuil cette fois) n’avait pas été tenté par mes élucubrations, donc... cette
seconde facture connut le même triste sort que la première.
Je suis vraiment très sérieux. Je réfléchis plus profondément. Mettons-nous
à la place du gabelou qui réceptionne un manuscrit. Peut-être a-t-il entendu
parler des manuscrits de la Mer Morte dont la valeur est incomparable ? Celuici est déclaré sans valeur commerciale mais est-ce vrai ? Les fraudeurs pullulent.
S’il n’y avait pas de fraudeurs les douaniers n’existeraient pas. Ce raisonnement
me
convainquit de l’honnêteté de la douane française. Des braves gens qui ont
conscience de la gravité de leurs devoirs et qui s’en acquittent de façon irréprochable.
Pour la troisième fois j’envoyai mon roman à un troisième éditeur. Il me
revint dans les mêmes délais et circonstances que
les précédents. Le facteur
devint un bon copain. Je n’eus pas honte de priver les douanes d’Orly d’une partie de leurs revenus. La leçon avait été sévère, je ne
courriers. Je n’ai pas
leur ai plus adressé d’autres
cherché un correspondant en France qui m’eût servi
167
d’agent littéraire. Nous avons vécu neuf ans en Australie. Nous avons remorqué
notre caravane-tous-terrains du sud au nord et de
long en large de File continent.
Cependant j’écrivis deux autres romans et diverses choses. Que la vie était
belle !
Le 12 octobre 1997 nous avons quitté lÂustralie
pour la Polynésie française.
J’y ai appris l’art d’être grand-père, occupation très prenante. Nous avons visité
les Iles sous le vent et quelques Tuamotu. Le temps passait très vite. En 1999
je sortis de sa housse ma machine à écrire et composai un essai, Vivre. Mourir.
Sourire.
A un vieil ami blésois que mes activités littéraires intéressaient
j’expédiai
dans une même enveloppe le manuscrit de Noëllise et celui de mon essai Par
l’intermédiaire de la Gendarmerie de Roissy il ne reçut que l’enveloppe vide.
Des explications me furent adressées personnellement. Les voici :
Le 28 août 1999, les services de Gendarmerie de la
Gonesse (95) découvrent, abandonnés sur la voie
Brigade territoriale de
publique, cinq sacs postaux
éventrés et pillés d’une partie de leur contenu.
Une plainte est déposée par la Poste auprès de nos services
“Brigade de
recherches de la gendarmerie des transports aeriens", le deux septembre 1999.
Le 13 septembre 1999 une Information est ouverte
en reunion et
tion auprès
pour les chefs de “vol
recels” au cabinet d’instruction de M. Thouvenot
Juge d’Instruc-
du T.G.I. de Bobigny. Références....
Votre nom et vos coordonnées ont été relevés sur une
enveloppe vidée de
son contenu. Pour
permettre aux enquêteurs de confondre d’éventuels auteurs,
nous vous demandons de bien vouloir
par retour du courrier nous indiquer ce
quelle contenait. Soyez très précis
...
Nous vous remercions de votre coopération et vous informons
qu’en cas
indique-
de découverte d’un objet ou d’une valeur vous appartenant nous vous
rons comment
récupérer votre envoi.
La signature est celle d’un Maréchal des
Logis chef
J’ai longtemps espéré recevoir un mot de l’un au moins des malfrats responsables de ce vol m’assurant que la lecture de mon essai lui avait fait verser un flot
de larmes et l’avait amené à repentance. Peut-être s’était-il retiré dans un monastère coupé du monde ?
Dommage ! Sa confession m’aurait certainement valu
la considération de plusieurs maisons d’édition !
Cette
car
année 1999 menaçait de s’achever au
grand dam de mes ambitions
les amours malheureuses de ma Noëllise n’avaient séduit aucun des trois ou
inuvtetérss
LittéRama'oHi #zz
(Tlaurice Vinot
quatre éditeurs auxquels je les avais présentées. C’était sans compter sur la Providence ! La veille de Noël, je lus en famille la lettre dont rêve tout écrivain,
jeune ou vieux:
Cher Auteur, Nous avons le plaisir de vous informer que le manuscrit
que vous nous avez envoyé a été retenu pour la publication....
Elle émanait de L’Harmattan
Le contrat qui m’était proposé ne m’offrait pas un pont d’or. Je l’acceptais
sans
fausse honte. Avec un reste d’incrédulité j’attendis qu’il men revienne un
exemplaire dûment signé par l’autorité compétente de la maison.
La parution avait été fixée à trois mois, c’est-à-dire au printemps de l’an
2000. En juin elle n’avait pas eu lieu. Un mien cousin voulut bien aller s’inlormer en
personne des raisons de ce retard. Il apprit et m’apprit que l’éditeur
attendait le prêt à dicker que je m’étais engagé à lui fournir par contrat. Je relus
mon contrat
qui m’avait été annoncé comme un contrat-type et je vis au bas de
la dernière page, rajoutée à la plume, la mention “ Prêt à clicher à remettre ”.
Comment avais-je pu ne pas la relever ? Un prêt à clicher ? Je ne savais pas de
quoi il s’agissait. Lorsque la maison fournit à mon cousin toutes les précisions
nécessaires je compris qu’il me fallait fabriquer un prototype exact du livre à
imprimer. Je répondis gentiment que je m’étais assigné la tâche d’écrire - cette
tâche uniquement - et que la tâche d’un éditeur me semblait être celle d’éditer.
Notre contrat fut rompu à l’amiable.
A Noël de l’année 2000 nous mangeons à la table de l’un des frères de Mab.
On
avec
m’interroge sur mes manuscrits. Je raconte mes contacts
l'Harmattan. Une de nos nièces se propose spontanément de me taper un
prêt à clicher. Nous prenons rendez-vous. Je lui exphque ce qu’attend l’éditeur.
Elle n’est pas sotte. Je rentre optimiste en Polynésie. Elle est mariée; a deux
jeunes enfants, un mari et travaille comme caissière dans un grand magasin.
Elle m’a demandé d’être patient. J’attends un an et le prêt à clicher m'arrive.
Déception. Il présente de nombreuses lacunes, des erreurs de lecture et
quelques fautes de frappe. A première vue cela ne paraît pas grave mais quand
on se met en devoir de
corriger le texte on s’aperçoit que les corrections le disloquent et le bousculent à tel point que pour respecter les exigences de L'Harmattan il serait plus simple de le retaper entièrement. Merci! Je n’avais pas le
matériel requis. J’y ai renoncé.
169
Nous passons l’année 2001 à découvrir les Marquises. En février 2002
nous sommes à
Nuku Hi va, où s’installe un centre cybernétique. Mab s’em-
balle pour la chose, s’initie, me déniche sur INTERNET le site d’un agent littéraire.
Quelqu’un, enfin, qui va me faire bénéficier de son expérience du monde
très particulier de l’édition ! Je songe à Serge Montigny, mort depuis long-
temps ; j’ai confiance ! J’entrevois la fin de mes tribulations littéraires !
Mon agent littéraire est une jeune personne prénommée Bernadette à
qui Noëllise plaît beaucoup. J en suis ravi. Nous signons un contrat qui nous lie
pour trois ans à partir du 8 juin 2002, moi m’engageant à lui fournir toute ma
production romanesque ; elle s’engageant à lui trouver des éditeurs. Au 8 juin
2004 j’avais fourni à ladite Bernadette deux autres romans et deux contes pour
enfants. Ses recherches n’ayant pas abouti à cette date, elle me demanda de résilier notre contrat. Je soupçonnais quelle avait peu d’expérience ; j’y consentis.
Elle se maria et renonça à la profession d’agent littéraire qui ne lui avait pas rap-
porté une seule roupie. Je lui souhaitai sincèrement beaucoup de bonheur !
Gémir n'est pas de mise aux Marquises, ni en Polynésie d’une façon générale.
Le temps a continué à couler, agréablement.
En 2006, je découvre par hasard sur le net la publicité de Lulu. J’imprime
enfin mes ouvrages. J’espère naïvement que Lulu les diffusera dans nos librairies. On me recommande de pratiquer le
dépôt-vente ! Je suis octogénaire et je
mille kilomètres de la Métropole. C’est une gageure ! Mais j’ai le plaisir d’offrir gratuitement un exemplaire de chacun de mes
ouvrages à mes
proches. Et, miracle, j’ai une fidèle lectrice qui achète mes chefs-d’œuvre dès
vis à vingt
leur sortie.
En 2008, je découvre Puhlibook, par hasard encore. Publibook édite les
amours
de ma Noëllise sous le titre Aimer en doulce France puis entame l’impres-
sion de mon second roman Naître à cinquante ans. Ce
chéri.
dernier est mon enfant
J’y ai mis beaucoup de moi. J’aimerais l’illustrer moi-
même. Publibook renâcle à me donner cette satisfaction. Commencent des
échanges postaux qui me lassent ; j’y mets fin par un silence total. Je ne suis pas
homme d’affaires. On me le reproche. Je le reconnais volontiers. Je suis
bouddhiste de tempérament, de cœur et d’esprit.
L’échec de cette dernière tentative de publication n’affecte en rien ma sérénité. Je continue à écrire parce que peindre et écrire me sont deux sources de
plaisir. Jouir de la merveilleuse illusion qu’est la Vie me consolerait de tout si
j’avais besoin de consolation.
un
LittéRama'oHi #22
fTlaurice Uinot
En 2014, Publibook retrouve mon manuscrit dans ses archives, me recontacte ; nous entamons des relations moins formalistes.
Hourra ! Naître à cinquante ans est publié et fait l’objet d’une
Hip ! Hip !
large diffusion.
Mieux encore Publibook, revenant sur un refus antérieur, se propose
d’éditer Mon île. Ma prison, une autre de mes fictions. Je n’ai aucune raison de
faire la fine bouche. Contrat signé !
Si je tiens encore debout sur mes jambes je présenterai ces trois
ouvrages au
Salon du livre qui se tiendra à Papeete en 2015.
J’en présenterai un quatrième dont je ne suis pas Fauteur mais à la diffusion duquel je m’attacherai jusqu’à mon dernier souffle.
De la vie de Metei
Nos trois premières années en Polynésie Mab et moi les avons vécues à
Paea. Nos voisins immédiats étaient Monsieur et Madame Alvès ; la maison
que nous louions appartenait à leur fille Rita. Conditions favorables à des
échanges sympathiques, à une sympathie tout court, puis à une amitié. Au
retour d’une
escapade de seize mois aux Marquises cette amitié devint du
béton. Aujourd’hui comme hier rien ne la briserait !
On ne vouvoie pas de tels amis ; je ne parlerai plus ici que de Joaquim et
de Metei.
Ce que j’avais découvert de la personnalité et du passé de cette
dernière réveilla en moi une indignation qui m’est coutumière : Il est inadmis-
sible qu’après la mort toutes destinées sombrent dans l’oubli des siècles comme
celles de mes arrière-grands-parents, de mes grands-parents et, déjà, j’ai honte
de le dire, de mes parents.
Les richesses de Metei devaient être pérennisées au profit non seulement
de ses descendants mais de tous ceux que ses qualités exceptionnelles étaient
susceptibles de secourir.
Metei ne maîtrisant pas le français, sa langue natale étant le tongarévien, je
fis pression sur Rita pour quelle rédige une.biographie de sa mère.
Rita, accaparée par son métier, son mari et ses enfants fut assez généreuse
pour ne pas m’expédier au diable planter mes choux. Je la remercie de sa
patience, ce en quoi elle a prouvé quelle est la digne fille de Metei. Six années
durant je l’ai harcelée aussi souvent que j’en ai eu l’occasion. Finalement elle s’est
laissé persuader. Il fut convenu quelle achèterait un magnétophone, qu’elle
enregistrerait les souvenirs de sa mère et quelle me laisserait le soin de les coucher noir sur blanc, elle-même étant trop accaparée pour le faire.
171
Au cours des deux années suivantes je reçus 55 enregistrements ! Les premiers sont un peu
embarrassés, les suivants sont devenus de libres bavardages,
des confidences, des discussions.
Assez souvent on m’oublie ; dans le vif d’une discussion on recourt au
maohi que je ne parle pas et j’entends dire " Maurice comprendra ! Ainsi des
heures durant mère et fille ont ri et pleuré ensemble. Leur confiance m’a souvent bouleversé...
Lorsque, secrétaire bénévole, j’eus remis en ordre ces conversations, nous
prêt à l’impression. La famille entra
avons tenu entre nos mains un manuscrit
en ébullition. Metei sortit d’anciennes
photographies de leurs albums pour Fillustrer ; ses petits-enfants délibérèrent d’un titre à lui donner, optèrent pour De
Pemhyn à Tahiti. Ma vie ; l’un d’entre eux, la cadette, Reva réussit un portrait
photographique qui fut retenu comme première de couverture. Et le livre fut
édité localement et dûment enregistré à la Bibliothèque Nationale de France.
Ses trois cents exemplaires se vendirent si vite que beaucoup de lecteurs
potentiels en ignorent l’existence encore aujourd’hui.
Ce fut une opération financière profitable mais Metei s’estimant largement
payée par les nombreuses félicitations quelle reçut de tous horizons ne garda
pas un centime de ses droits d’auteur. Elle les distribua selon son cœur ; j’en
reçus une large quote-part malgré mes plus vives protestations. A son exemple
et avec sa permission je
l’emploierai jusqu’au dernier carat à diffuser sa biographie dans la francophonie, et, si le rêve est réalisable, en Nouvelle-Zélande, sa
patrie de naissance, en Australie, dans le monde anglophone du Pacifique...
Au nom de ce programme un appel a été lancé aux associations polynésiennes de Métropole (Elles sont plus d’une centaine). En voici un extrait :
Henrietta (Plusfamilièrement " Metei ”) qui n’a pas gardé un centime de ses
...
droits d'auteur ne souhaitait pas lancer une deuxième édition en France. Elle
éprouvait une sorte de gêne à vendre ses souvenirs personnels. Elle a finalement
cédé à la pression de safille et de ses amis après s’être engagée à reverser l’intégralité
de ses droits d'auteur à l’association “A tauturu ia'na Paris " que vous connaissez
à coup sûr car elle accueille et aide
chaque année, des centaines de Polynésiens évamétropole pour raisons de santé, les soins qui leurs sont indispensables
ne
pouvant être effectués à Tahiti.
Vous rêvez de Tahiti. Vous n'y êtes jamais allés ? Metei vous introduira mieux que
n’importe quelguide dans le passé et le quotidien de la vie polynésienne.
Vous êtes Tahitien d’origine ou vous avez vécu à Tahiti ? Vous connaissez Metei ?
Sa biographie vous parlera au cœur !
cués vers la
3
LittéRama'oHi #22
rïlaurice Vinot
Oui la biographie de Meteiarii est un guide ! Un guide de vie. Il enseigne
aux
enfants à connaître plus intimement les luttes de leurs parents, à les chérir
davantage, à les imiter dans les jours fastes comme ans les jours mauvais. Il
prône que la probité et l’aspiration à un amour désintéressé sont les seuls
moyens de résister aux turbulences de l’existence. Si cette leçon était assimilée
et mise en pratique par le plus
grand nombre une multitude de prétendus problêmes sociaux serait ipso facto résolus.
Un dernier mot, la richesse de nos îles n’est pas seulement dans la perle, le
coprah ou le nono. Le patrimoine de la Polynésie, compte d’autres “ Metei ”. Il
faut les découvrir et les faire parler.
173
Jérôme Gendrot
Etudiant de littératurefrançaise en Master recherche. Après sept ans passés dans le bâtiment et la
un
plomberie, il décidé de se réorienter. Il obtient
licence d'histoire à l'Université d'Angers, dans l'idée de poursuivre en
école de journalisme, mais ça ne s'est pas fait. Il décidé de poursuivre en
littérature à Budapest car il j'aime les voyages, les rencontres et les textes.
le Département d’études françaises
s’offre un voyage à Tahiti
Presqu'île de Tautira au Sud-est de Tahiti, le 16 octobre 1942, une poétesse
yeux sur le monde. Bref retour sur un long parcours professionnel :
professeure d'espagnol et de tahitien au Lycée-Collège Pômare IV de Papeete
entre 1968 et 1997, membre de 1Académie Tahitienne “Te Fare Vana'a” depuis
sa création en 1972,
déléguée d’Etat à la condition féminine de 1979 à 1984.
Militante et érudite, Flora Devatine est encore aujourd’hui l’une des figures
fortes de la " Conscience polynésienne ” et la plus fervente gardienne de sa
ouvre ses
reconnaissance.
Assistée de Kâroly Pallai, doctorant spécialisé dans les littératures et les cul-
modestie que Flora Devatine a
présenté la singularité de la culture polynésienne. D entrée de jeu, un petit topo
géographique et historique débouche sur une phrase lourde de sens qui vint
tures océaniennes, entre autres ; c’est en toute
tendre la toile de fond des tensions franco-polynésiennes :
“
Le protectorat ne s’est pas fait dans la paix ”.
[NDLR]
En effet, forcés d’accepter le protectorat de la France en 1843, Pômare IV
peuple voient s’installer une législation coloniale déstabilisante. Trentesept ans plus tard, sous Pômare Y, Tahiti devient française. De nos jours, plus
et son
de 70% des terres sont dans l’indivision et toutes les îles n’ont pas encore été
cadastrées. Depuis la mise en place de l’état civil lors du protectorat de la France,
les gens ont perdu leur nom et il devient de plus en plus difficile de tracer la
généalogie.
invutetérss
LittéRama'OHi #22
Jérôme Gendrot
Pas indépendantiste pour autant, Flora Devatine veut croire au pouvoir des
quelle choisit avec prudence. Pour elle, la voie de la réconciliation d’un
peuple avec sa culture doit passer par la reconquête identitaire et en réécrivant
sa
propre histoire.
mots
“
Le polynésien a complètement oublié qui il est, s’il sait ce qu’il est, il en
piètre idée. Lorsqu’on lit les écrits de ceux qui sont passés en Polynésie, on a l’image de sauvages, poltrons, femmes faciles...” [NDLR]
a une
Le dernier adjectif en particulier laissa un goût amer et jamais adouci dans
la parole de la poétesse qui se souvient d’une de ces lectures fantasmées ayant
reçu bonne presse en France :
“
Te vahiné, la femme, y était décrite, légère, aucune femme n’aimerait être
décrite ainsi, j’ai eu tellement honte de ce livre que je l’ai caché. Cependant,
un
livre, c’est sacré, alors, finalement, je le mettais dans ma bibliothèque
mais derrière les autres livres ”. [NDLR]
Suite à quoi elle dressera une longue liste d’écrivains et intellectuels polynésiens dont la majorité sera des femmes. Point de féminisme exacerbé mais
simple restitution de l’intégrité des femmes en général et de la Tahitienne
particulier. Pour l’écrivaine, l’espoir réside dans la parole et la transmission,
raison pour laquelle elle insistera sur l’intérêt du texte dans la connaissance du
moi intérieur et de son incidence sur le
rapport aux autres. Pendant plus de
quarante ans, Flora Devatine s’est dévouée à ses racines et au renouveau culturel ma'ohi, un combat quelle entend mener jusqu’au bout.
une
en
“
Au cours de mes études, j’ai très vite compris que les Français ne nous
connaissaient pas. C’est en 68, à mon retour en
Polynésie que j’ai appris la
profondeur de la pensée philosophique auprès des anciens”. [NDLR]
La confusion entre “ Tahiti ” et “ Haïti ”, Flora Devatine ne la veut
que sur le
crédo du dernier : “ l’union fait la force ”. Persuadée et optimiste, elle est présente à lÂcadémie Tahitienne
depuis sa création en 1972 et persiste, avec le
groupe Littéramaohi, à tendre la main à tous ceux qui s’intéressent aux trésors
culturels de la Polynésie.
Travaillant véritablement en cohésion, les équipes en place créent des ponts
intergénérationnels pour que jeunes et moins jeunes aient l’occasion de s’exprimer en français, tahitien, marquisien... dans une revue qui leur est dédiée.
Comptant déjà vingt et un numéros, à raison de deux numéros pas an, le
pari lancé sur l’écriture d’une littérature de tradition orale est d’ores et déjà en
bonne voie.
L’association Littéramaohi a également pu compter sur des dons précieux
comme
le manuscrit du recueil de poèmes intitulé L’île parfumée d’Ernest Sal-
mon, considéré
aujourd’hui comme le fondateur de la littérature polynésienne.
Mais ne vous y méprenez pas car si la démarche du groupe est avant tout
d’éclairer le monde sur l’authenticité de la culture polynésienne, l’action continue
de se projeter dans l’avenir dans des valeurs qui lui sont chères.
“
Dans un sens, il n’y a pas d’écriture orale, il n’y a que des mots. Mêmes
par rapport au récit ancien, là où il y des blancs, on laisse la créativité de
chacun s’exprimer. Depuis que l’homme a commencé à parler, il se transmet des mots. A
présent, à l’académie, nous créons des mots qui sont récupérés par les gens qui pensent parfois que ces mots sont anciens mais ce
n’est pas le cas, ces mots n’ont parfois que 20 ou 30 ans... ” [NDLR]
Flora Devatine qui a consacré sa vie à l’éducation ne se lasse pas de sa mission et conserve son esprit critique quant aux
méthodes pédagogiques que
l’Etat voudrait “ universelles ”. L’école quelle décrit comme un lieu d’échec à
cause
de la barrière de la langue, devrait avant tout :
“
concilier l’esprit avec le corps et donc faire mouvoir l’écrit, car l’écrit est
quelque chose de statique, contrairement à la danse qui permet de faire
bouger et danser ce qui s’inscrit sur des feuilles ”. [NDLR]
Pas de doute pour Flora Devatine, la danse s’établit aussi à partir des mots
et cette
conception est nécessaire pour que les enfants soient en accord avec
leur corps, leur voix et leur esprit.
Reconnaissante, elle avouera devoir beaucoup de ce quelle est devenue à
ses
maîtres, sa famille, aux orateurs, aux compositeurs de texte, à ces hommes
et ces femmes
qui font chanter les mots. A mi-chemin entre oralité et écriture,
elle évoquera la mémoire ancestrale en soulignant que dans les familles, un seul
suffisait pour se souvenir de la généalogie de la famille, les chefs ne parlaient
pas, c’est l’orateur qui avait la parole.
Elle-même, issue d’une lignée d’orateurs et de compositeurs de textes, elle
genres poétiques et les genres de
la parole en prenant la suite de son oncle et son grand-oncle dans les années
racontera comment elle entrera dans tous les
soixante-dix.
LittéRama'oHi #22
Jérôme Gendrot
Toutefois, la poétesse se veut rassurante en toutes circonstances en rappelant à tous ceux qui se heurtent au mur de l’écriture que le tâtonnement ne s’arrête jamais.
“
On se bat contre des mots devant lesquels on résiste et qui ne sont pas
toujours dociles. On ne maîtrise jamais complètement les mots. Et puis il
y en a d’autres qui vous échappent et vont construire leur propre histoire
indépendamment ” [NDLR]
Tout l’optimisme de Flora Devatine s’inscrit dans la patience, pour elle
l’écriture est une question d’apprivoisement réciproque et d’harmonie intérieure. Suivant son raisonnement, deux entités demeurent d’ailleurs primor-
diales : les signes et le rythme.
“
Parfois même en tahitien, les mots ne défilent plus aussi aisément, ni aussi
clairement. Il y a donc l’importance des signes, comme les anciens lisaient
la nature car tout signifiait quelque chose”. [NDLR]
“
Marquer le rythme et se baser sur son rythme intérieur pour écrire
le tambour à la fonction de donner ce rythme à la musique.
Pour moi, la transmission du message se fait par la résonnance.
Le tambour et l’écriture ont ce point commun d’être des instruments de
résonnance ”. [NDLR]
comme
Après avoir lu quelques passages de son ouvrage Tergiversations et Rêveries
de l'Ecriture Orale, elle reconnaîtra associer le rythme de la voix à une sonorité
musicale qui peut varier selon l’individu mais quelle associe pour elle-même
l’instant à une rythmique polynésienne.
Evoquer le rythme avec Flora Devatine, c’est entrer dans une certaine mystique que l’auteure apprécie de partager avec ses lecteurs mais surtout avec son
auditoire. Ses dernières déclarations prendront, à ce propos, une dimension à
la fois poétique et spirituelle, comme une invitation à la découverte d’une sensibilité créatrice présente en chacun.
L’art oral, déclamatoire, l’écriture orale, c’est suggérer l’invisible présence
et pour
“
qui est en nous.
Ecrire ce que l’on dit révèle de la transcription. L’écriture
se
pose, prend son envol et se re-pose ” [NDLR]
de la parole qui
177
Hli Mhadaoui
Poète, peintre, chercheur et militant amazigh.
Sur les chemins du retour
Sur les chemins du retour
quelque part dans la nuit des temps
dits “ modernes ”
àWendake...
Une pirogue
venue
de Tahiti
pleine de fleurs
et lourde de siècles...
Elle avait le regard de Pari
pointé sur l'infini
des recommencements
dans leur musique première...
Sur les dunes de Merzouga
en
écho au grand Marae
les vagues se racontent l’épopée
dans le chant de Flora...
Ici
unjour
la mer passait aussi
par là...
SPECTACLE INÉDIT DE TEXTES DANSES ET MUSIQUE
1 8H PAEPAE A HIRO
MAISON DE LA CULTURE
3 ENTRÉE LIBRE
179
Pina‘ina%
écho de l’esprit et des corps
Ce concept proposé annuellement par Littéramaohi depuis 2011 a pour
objectif de promouvoir la littérature autochtone dans le cadre des lectures
publiques proposées par l’association.
“
Il faut libérer le mot du livre pour le faire vibrer à l’oreille du spectateur.
Dans
Pinainai, le mot devient la
source
de la création -musicale,
chorégraphique, scénique. ”
Moana’ura Tehei’ura
chorégraphe et metteur en scène, concepteur de Pina’ina’i
Cette création inédite provoque la rencontre entre auteurs, lecteurs,
danseurs, chorégraphes et musiciens.
Danse des mots et poésie du mouvement se mêlent alors sur le paepae a
Hiro et donnent vie à l’écho de notre littérature autochtone.
“
Parmi les auteurs et les lecteurs, participent des grands noms de la littérature
de notre pays ainsi que de jeunes auteurs prometteurs. Par ailleurs, nous avons
la chance d’avoir chaque année les plus grandes pointures du ori tahiti issus de
différents groupes de danse de Tahiti, des musiciens d’un talent incontestable et
reconnu dans notre
pays pour soutenir ce fabuleux projet artistique...”
Pour qu’un très grand nombre de spectateurs puisse avoir accès à cette
création, l’association Littéramaohi met
gratuitement ce spectacle.
un
point d’honneur à offrir
J
■
îma
ma
LittéRama'OHi #22
Pinainai 4.14
Selon le principe de Pinainai, aucun thème n’est imposé à l’avance. Les
auteurs conservent leur propre
sens
liberté de présenter le texte de leur choix. Le
des mots fait naître une vibration commune et communautaire à travers
laquelle se dégage une thématique générale.
Pour cette 4e édition, les questions de l’identité et de l’autochtonie se sont
clairement dessinées sur le paepae a Hiro, lieu hautement symbolique.
Participants
Auteurs, lecteurs
Teuira Henry, Yva, Teata Binar, Chantal Spitz, Jacky Bryant, Hinanui
Mongarde-Foissac, Nailea Foissac, Hitivai Tracqui, Steeve et Goenda Reea,
Clothilde Moeava et Heinarii Grand, Mareva Leu, Jaika Minel, Odile
Purue, Viri Taimana, Titaua Peu, Martin Coeroli, Moana’ura Teheiura,
Makau Foster, Teiva Manoi (Minos), Yvenka Klima, Flora Devatine.
Chorégraphie, mise en scène, scénographie
Moanaura Teheiura
Musique
Jeff Tanerii avec la collaboration deJohn Cadousteau, Libor Prokop, Mauri
Tetua, Tony Apa, Olivier Randrianasolo, Simon Pillard.
Danseurs, danseuses
Mata Ahumata, Tehei Ariitai, Urarii Berselli, Makau Foster, Patoarii
Garrigues, Hitihiti Hiro-Teheiura, Taéro Jamet, Jordan Jurczak, Mateata
Le Gayic, Toanui Mahinui, Mauiti Miagoux, Hinanui Mongarde-Foissac,
Heifara Morienne, Ahuura Pômare, Hinatea Ristorcelli, Reiarii Rochette,
Poerava Taea, Teruria Taimana, Heinere Terorotua, Kelly Terorotua,
Tommy Tihoni.
Crédits photos : Matareva
I Chantal T. Spitz
Poro'i
juste vous dire combien je me sens
privilégiée et honorée detre part du groupe d’exception
qui donne vie chaque année à pina‘ina i
vous êtes
là
parce que pas le choix
une
évidence impossible à taire
celle qui pousse à se tenir debout sur le paepae
avec Hiro avec tous
les autres
celle qui impose de faire acte
acte de mémoire
acte de résistance
acte d’existence
souffle du hurifenua
qui renverse la réflexion des humains
LittéRama'oHi #22
Chantal T. Spitz
pinainai
écho des mémoires de nos ancêtres
qui ont navigué d’une mémoire à l’autre
sans
bruit
sans
prétention
presque à notre mémoire défendante
qui continue son voyage
de Flora à Nailea
et comble ce soir
peu du vide de nos entrailles
un
pinainai
écho des lumières et des ombres
qui nous traversent
que nous traversons
en
donnant sens aux mots
pour que demain
continuent de se tenir debout
sur
le paepae a Hiro
nos
descendances autochtones
tamari'i tumu no te fenua
i mua tàua
183
lïloana'ura Teheiura
Saynète d’ouverture Pina ina i
Hitivai et Nailea
Hitivai
Aujourd’hui à l’école, on a appris que Christophe Colomb n’était pas le premier
navigateur à avoir découvert lAmérique en 1492. En fait, certains disent même
que ce serait nos ancêtres les Polynésiens qui seraient les premiers à être arrivés
sur le continent américain. C’est
quand même drôle, non ?
Nailea
Wow ! Mon papounet avait raison ! ! ! ! Il a toujours dit que les Polynésiens
étaient les plus
grands navigateurs du monde entier.
Hitivai
Tu veux dire plus grand que Christophe Colomb ?
(rires) C’est IM-PO-SST
BLE!
Nailea
Eh ben mon grand-père dit que OUI ! D’ailleurs, nos ancêtres ont parcouru le
Grand Océan car ils savaient lire dans les étoiles pour diriger leurs grandes
d
pirogues doubles alors que TON Christophe Colomb LUI utilisait des instruments de navigation pour se déplacer. En quelques sortes, il était analphabète
puisqu’il ne savait même pas lire dans les étoiles.
ed
d
LittéRama'oHi #22
iTlaana'ura Teheiura
Hitivai
Mais N’IM-POR-TE-QUOI ! ! ! Si les Polynésiens avaient inventé un alphabet
des étoiles, ce serait écrit dans les livres. Je dis ça
Je ne dis rien.
Nailea
Ben non, parce que les Polynésiens ne savaient pas écrire et donc ils n’avaient
pas de livres. Mon Grand-père dit que nous sommes de tradition orale et que
toutes nos transmissions se faisaient par la parole.... De bouche à oreille quoi !
Nailea
C’est quand même bizarre, car ton Grand-Père dit que les Polynésiens savaient
lire
mais ils ne savaient pas écrire ! Je
dis ça .Je ne dis rien. Un jour, j’aimeGrand-Père parce qu’il doit être vachement
diplômé pour dire des choses pareilles.Je dis ça .Je ne dis rien.
...
...
rais bien que tu me présentes ton
...
Nailea
Lève la tête... Regarde !
il est là... C’est cette petite étoile rouge qui brille tous
les soirs.
Hitivai
Tu veux dire que ton Grand-Père a rejoint le petit Jésus au Paradis ?
Nailea
Je dirai plutôt qu’il a rejoint Ta’aroa, Dieu de l’Univers ! ! ! ! ! ! ! Et que maintenant
il est devenu une nouvelle lettre dans l’alphabet des étoiles afin que nous, les
Polynésiens, trouvons à chaque fois notre chemin.
Nailea
Ta’aroa ? Ah Oui ! ! ! ! Je me souviens qu’un jour j’ai entendu ma voisine dire que
Ta’aroa était une femme. En même temps, ma voisine était une femme pleine
de tatouages partout... sur les bras, sous les bras, sur le visage autour de la
bouche, avec de longs cheveux gris... Elle faisait vraiment peur... Elle se prenait peut-être pour Ta’aroa en fin de compte ! Je dis ça.... J’en sais rien.
Nailea
Eh bien, moi plus tard je me ferai un tatouage comme mon Grand-Père...
185
H HitivaÇLaetitia Halehinau Tracqui
Je t’aime papa
Papa, même si je n’ai passé que 4 ans à tes côtés, crois moi, c’étaient les plus
belles années de ma vie. Tu m’as appris à nager, tu m’as bercée, je t’aime et je t’ai-
m’avais promis que tu allais rester mais tu ne
allais rester. Les médecins ont essayé de te sauver, ils n’ont pas
réussi. Aujourd’hui j’ai 11 ans, j’ai grandi. Tu serais très fier de toute la famille,
de toutes les choses que la famille a accomplies et tu serais peut-être fier de moi.
J’aimerais que tu reviennes, j’aurais voulu que tu ne sois jamais parti. Je t’aime
de tout mon cœur. Le 14 juin quand tu es parti, j’étais désespérée.
merai toujours. Tu es parti, tu
savais pas si tu
Parfois, je me sens seule, nulle, mal aimée, bonne à rien, incapable, dans ces
moments, j’aimerais que tu sois là alors je pense à toi et j’ai envie de pleurer. Ça
me fait du bien de t’écrire, c’est comme si tu étais là et que je te parlais. Je t’aime
et toi, est-ce que tu m’aimes ? Moi je crois que oui. Tu sais, ça fait 7 ans que tu
es
parti et moi, le soir, je regarde les étoiles et j’imagine que la plus grosse et la
plus brillante, c’est la tienne, c’est toi.
Hier soir j’ai pleuré, tu me manquais, je pensais à toi.
Toi, qui m’écoutes tou-
jours et qui me comprends, je t’aime. Tu me manques, quand je t’écris, j’aime
rester seule avec toi car tu es là et que je t’aime. Je sais que tu ne voulais pas partir, que tu ne voulais pas nous perdre et tu ne nous as pas perdus.
Ton nom et ton prénom resteront toujours gravés
dans mon cœur.
Gros bisous de la part de Hitivai qui t’aime et ne veut pas te quitter.
îma
ma
LittéRama'oHi #21
lua
“Née dans les années 1960, lva est très attachée à ses racines
polynés'échappeparfois du ronronnement prévisible de sa chambre
administrative par la fenêtre de son esprit inspiré. Elle ne se sent
jamais
aussi libre que lorsqu'elle couche
par écrit ses pensées et ses émotions."
siennes. Elle
Editions Jets d'encre
Les poètes sont parmi nous
Texte lu par Clothilde Grand, Steeve Reea
in Poésies temporis, Au fil des mots... mars 2014, Ed. Jets d’encre
Les poètes ont débarqué,
Les poètes déverrouillent
Ils ont envahi la toile.
Ce que le monde met sous clef
Ils se mêlent des idées
Parc que le monde meurt de trouille
De ce monde et se dévoilent.
Et qu’il oublie de rêver.
Les poètes sont parmi nous,
Les poètes au grand cœur
Ils n’écument plus les livres.
Redressent les ailes d’or
Ils sont sortis de leurs trous,
De ceux qui rient et qui pleurent,
Ils ont décidé de vivre,
De ceux qui y croient très fort.
Les poètes aux grands airs
Ne soyez pas étonnés
Sont toujours déraisonnables.
Si à l’encre des poètes,
Sous leur regard tendre et clair,
Sous leur trulfe effrontée,
Nous nous sentons moins coupables.
On découvre d’autres planètes.
187
j Régma Suen Mo
Tereo
Texte
luparNailea Foissac
I te tâtaiao, ia hiti te màramarama, të ti ahou noa ra te reo...
I te po'ipo'i, ia ti a te
mâhana, të ti a'iahia ra te reo...
I te avatea, ia ahu te mau mea ato a, e pâpü mai ia te reo...
I te taperaa mâhana, ia
hope tôna hororaa, e ti amâ te reo...
I te ahiahi, ia haumarü te ferma, e tebteo te reo...
I te ‘ariii, ia pôuri te ao, e tiairoa te reo...
E reo e, a hiti, a ti a, a ahu, a hope, a pôuri...
ëiaha ra e môrohi !
E haapii vau i tô u reo, e parau vau i tô u reo... e
faatibraa teie nô ‘u
A faateniteni i tô tatou reo, a amui i tô tatou reo ia ora ‘oia !
maima
LittéRama'OHi #22
Jacky Bryant
E maa te reo...
i te reo o Tïhoni-tàviri-te-uaua
Texte lu par Steeve Reea
“E maa te reo” i te reo o Tihoni-tàviri-te-uaua. A tae hot ia parau âpi !
la îàva te ôuma, ua faaruè roa ia i te poia. E tâviriviri te hôpeà ôuma i te
ôromai ôre, e haaparuparu vareà taôto roa. I te àniania o te upoo e ürooro faahiti
mauè roa mai te ôpü ! Te tuô mai ra i te tarià. Püàreàre ôpü... püàreàre tarià !
Mea huru haamâ atoà te maniania ! E ài apuapu te na mua mai : hôhoni
ôràrahi, àuàu, te marü e te marû ôre, hiohio te haamiti haapuupuu, ôrooro te
inu ia momi... te faatomo nei te hâti. Faatomo ia mâha, faatomo, faatomo,
faatomo... hàhà noa atu ai ! To tatou huru terâ, ia tae i tôna taime ! E ère ra hoi
te reira i te
parau âpï roa ! E ère ânei !
E aha pai ia ta Tihoni-tàviri-te-uaua i roto i te ôhipa nei e tâna “e màa te reo ?”
Ahiri i nià i tâna, e tere ia e hàmama te vaha i tatahi, i te vàhi püvaivai, faaîî noa
ai, momimomi noa ai ! Maraamu te matai, maoaè târava noa atu... eita, eita e
paia ! E reo faaàtaàta paha teie na Tihoni-tàviri-te-uaua.
E aore ra, e reo faaoôo, ia tià te parau ë “àmuàmu noa mai Paraita mà, hiôhiô
Tihoni mà”. Mai te mea pai ë, terà màa ta Tihoni mâ, terà atoà ia màa
Tihoni-tàviri-te-uaua, no reira noa iho à ia o Paraita i hiôhiô noa ai ! Hôê à
poheraa poia !
noa mai
ta
189
E aha atoà pat e ore ai e haavahavaha ? I nià noa ra i te ioà, Tihoni-tàviri-teuaua, e huri taère iho â te manaô ! A tïa
pai ia... Mai te mea e taata faatià parau o
Tihoni-tâviri-te-uaua, e taata faatià ààmu ia, e àai teie e haamata ra, faaoraorahia
e te
huru faatiàraa.
Faaoraora i te aha ? E à no te faahepo, i na ô ê : a àmu, a ài. E à atoà ra no
Hitià, no Faaà. Teie à, teie tôna pehepehe "E à i te ài, ia à te ài, a ài ra !” A èu i te
mâa, ia àma te màa, a àmu ra.
Faaoraora i te aha ? Faaoraora i toù manava, faatupu ruperupe i toù iho,
natinati i toù aau i toù fenua.
Aué ia fauraô faahiahia i te pôroiraa é, e ora vau i toù reo.
E àmu iho nei i te rê ! Mea ê â ia àamu !
ima
ma
LittéRama'OHi #22
Odile Purue-RIfonsi
Elle Evoque au travers de ses écrits mangaréviens-français les souvenirs
de son enfance précaire et insouciante afin que, de son pays natal, “ son
Histoire et sa Langue ne disparaissent jamais
Auorotini, la sacrée
Montagne sacrée et régnante des temps anciens,
Tu triomphes sur le lagon nacré de Mangareva.
Surgie des profondeurs, tu arbores fièrement
Ton diadème fluctuant aux effluves de reva.
Ta haute stature requiert ta domination sur tes îles
Qui t’entourent en reconnaissance de ta royauté.
Silhouette altière qui enfouit dans ses entrailles
Les traditions et les rites ancestraux du pays.
Citadelle foisonnante de légendes diverses,
Tu as abrité sur “ Tara ètukura ”, ton versant
escarpé,
Les nurseries opulentes et taboues des enfants royaux
Les assignant ainsi à la retraite jusqu’à leur adolescence
En regard de la loi implacable des montagnes sacrées.
Devant la souffrance de ton peuple, ton âme s’attendrit
Motivant alors ton ralliement à sa requête pieuse.
Ta conversion soumise dans la foi chrétienne a
piétiné
Ton pouvoir puissant et tes croyances païennes.
A présent, tes sites historiques et chrétiens se dévoilent
Courtisant les randonneurs à l’assaut de ton diadème.
Panorama de lumière et de couleur originelle
Tu enlaces de vision le
paysage du ciel et de la mer
Encensant de bonheur les cœurs en randonnée.
Oh Auorotini ! Montagne flottante du Armament !
Les traces de tes mémoires résonneront en écho
Enflammant dans la lucidité les cœurs vaillants.
191
Auorotini, Maga eva
Maga eva me te akaoga kë no matini atu,
Râ mai koe ki ruga i te tairoto ' i'o'i o no
Magareva.
Puna mai mei ‘avaiki, i'a mai koe ma tepuapo
To koe aupukoto evaeva i te kakara o te reva.
Roroko to koe tuave ki to koe tikaga ki ruga i ta koe mau nuku
I takai kia koe i to te au no to koe ao akariki.
Ataparurui ipoko kiroto tonapâpâpo'atu
Te utu takao akataito me te utu takaramea teitoteito o te
kaiga.
Pakai'u ganagana no te rau o te utu atogagara
Kua akarire koe ki ruga ia “ Taraetukura "koia to koe
tapau
Te maraga 'iki'iki pakaora me te a no te utu nikuniku akariki
Ma te tao'i koia ana kia ratou ki
tepopupuni taeroa ki te teitama
I to te opoga o te turega mauriria no te utu
maga eva.
Imua i teaupairaga o ta koe ‘anauga, totogo koia to
'oupo
kopitiraga ki ta ratou akavekeraga kereto.
To koe tauriraga matiotiki to te
keretoraga kiritiano kua takatakai
To koe aotikaga manamana me ta koe utu takaramea eteni.
A konoga nei, e akakite mai ana to koe ataaria
akatugakore kiritiano
I 'akaoti ai to koe
Ma te 'akaerire teü ereakura ki te 'akatau to koe au akariki.
Tumuragi no te ma'inatea, no te ‘ïoïo matakai
Iri koe na te marna te navanava no te
ragi me no te tai
Ma tepoikoiki te utu manava na te ereerenoa.
Auorotini e ! Maga evaeva no te avaragi !
Ka torena ai na te maoaoa te utu kari no to koe takao
Ma te akarekireki ki to te koutuuga te utu 'oupo aretoa.
ima
ma
LittéRama'oHi #22
Teuira Henry
»
i
ft
1
1
/
-
%*
^
1
fy
•
Prophétie de Vaita
Texte luparNaileaFoissacetTeivaManoi ditMinos
(Nailea essaie de rattraper les Arere tane).
“
Attendez ! ! ! ”
Vaita
Te ‘ite nei au, tei mua iau nei (x2)
te auraa o teie nei
peu maere rahi !
Tena mai te fanaua unauna na te Tumu,
e
haere mai e hi b i teie uru raau i Taputapuatea nei.
E tino e to ratou, e tino e to tatou ho e anae ra huru no te tumu mai e e riro teie
nei fenua ia ratou.
E mou teie haapaoraa tahito nei, e e tae mai ho‘i te manu moa o te moana, e te
fenua nei.
E haere mai e taihaa i ta teie raau i motu e haapi'i nei.
193
Nailea
Les glorieux enfants du Tronc vont arriver et verront ces arbres ici à
Taputa-
puatea.
Ils seront d aspect différent de nous et pourtant ce sont nos semblables, issus
du Tronc et ils prendront nos terres.
Ce sera la fin de nos coutumes actuelles et les oiseaux sacrés de la mer et de la
terre viendront se lamenter sur ce
que cet arbre décapité nous enseigne.
Vaita
“
Te haere mai nei na nia i te ho‘e pahi ama bre ”.
Nailea
“
Une embarcation sans balancier ? ”
Vaita
Eeee.... Te haere mai nei na nia i te ho'e pahi ama bre ”.
Nailea
“
Nous avons vu les embarcations que les hommes ont appris à construire
grâce à Hiro, mais elles ont toujours eu des balanciers sans lesquels elles chavidites est possible ? ”
reraient ; et comment ce que vous
Vaita
“
Te haere mai nei na nia i te hoe pahi ama bre ”.x2
ima
ma
LittéRama'oHi #22
(Tloeava Grand
Professeur d'Anglais, elle partage des textes inspirés de simples pensées,
de rencontres ou de l’actualité sociale et politique dufenua.
"Peuple, réveille-toi!" est un appel à la réflexion, à la mobilisation et à
l’émancipation.
Peuple réveille-toi
Texte lu parMoeava Grand, Mareva LeuJaikaMinel
Bruits de couloir
Luttes de pouvoir
Paroles mesquines
Le tonnerre gronde
Phrases assassines
Au-dessus du Palais
La colère monte,
Silences et dénis
Du fond des vallées
Jalousies malsaines
Injures et mépris
Pouvoir et argent rois
Déferlements de haine
Peuple aux abois
Enfants affamés
Justice malmenée
Familles endeuillées
Perte de dignité
Hautes trahisons
Peuple, réveille-toi
Perte de raison
Et bats-toi pour ta fierté !
Il n’y a qu’une Loi
Mensonges par omission
Etat mythomane
Celle de la Vérité
Délits par tentation
Tu es beau, grand et fort
Pays mégalomane
Ta terre est ton trésor
Crois en ton destin
Des Bras de velours
Et lève-toi pour demain
Aux griffes de vautour
Des cris de guerre
Peuple, réveille-toi
Aux bras defer
Et avance avec Fierté !
195
I Hraîa Rmaru
Texte luparNailea Foissac,
TeivaManoi dit Minos
Moerurua
Cauchemar
Moerurua hia vau
J’aifait un cauchemar
I na pô ra,
Hier au soir
To ù tino i tua
Jetais au large
I te ava,
Devant une passe
E motu teie e tü nei
Une île était là
I te ata pô.
Dans l’obscurité
Haruru atu ra te rai
Le ciel gronda
Mai a tini patiri,
Comme de milliers de tonnerres
Mauu atu ra te fenua
La terre grinça
Mai te iri ia pahaêhia
Comme une peau déchirée
Te miti i te ârepurepuraa,
La mer s’agita
Te àre i te poopooraa
Les vagues se creusèrent
I te ava Toâta,
Dans lapasse de Toata
Le balancier se brisa
Te ama i te fatiraa,
Te vaa mataeinaa i te rararaa...
La pirogue société dérapa...
Mau papu atu ra ia ù
Je me saisis alors
Te hoe aratai,
Du gouvernail
Te Reo Metua Vahine
Lorsqu'une voix maternelle
I te mahutaraa e :
S’éleva :
"Auê te aroha
I te tama”
“
Pitié
Pour les enfants ”
•9 I
Iri atu ra to ù tino
I tahatai,
Je me retrouvai
Sur le rivage
Te fenua i te tauuraa,
Lorsque le sol trembla
Te mouà i te horo raa,
Les montagnes s’éboulèrent
TOI
•
\
BUT!
LittéRama'oHi #22
Rraîa flmaru
Te papa o te motu i te àfafaraa.
Lorsque la roche mère de l’île craquela
Tôriirii atu ra te roimata,
Des larmes en fines gouttelettes torn bèrent
Ei roimata ùra.
Des larmes de sang
Mareva atu ra to ù tino
Mon corps alors s’envola
I te Pito o Tahiti Nui.
Au Nombril de Tahiti Nui
Paaina atu ra te Ofai Tihi,
Les Pierres Angulaires explosèrent
Te aho i te màpuhi raa
Lorsqu’un souffle s’échappa
Des profondeurs de la Terre
Mai raro roa mai i te Fenua
Mai roto roa mai i te Püfenua :
De l’intérieur du Placenta :
“A ara, a ara
“
Prends garde, prends garde
Eiaha te Mono ia mutu..."
Que le Lien ne se rompt point...”
Mâiri atu ra Rima Fétu.
Hape atu ra to ù mata
Cinq étoiles périrent
Lorsque mes yeux aperçurent
I te ite raa atu
Une croix
Te hoê tatauro ànaana
Une croix aveuglante
O teie e tara nei
Qui s’élevait
I nia aè ia Orohena,
Au-dessus de Orohena
O teie e vâvahi nei
Qiii brisait
IteniuoteAià...
Lesfondements du Pays...
Aore parau ia ù vaha
Je n’avais plus de mots
Ua haru hia te parau...
La parole confisquée...
Teie â reo i te anauraa e :
Et toujours cette lamentation :
“
A ara, a ara
“
Prends garde, prends garde
I nià i teie tatauro
Sur cette croix
Epatiti hia àe
Tu seras cloué
I nià i teie tatauro
Sur cette croix
E tapuhiaàe...
Tu seras sacrifié...”
Mure marü noa atu ra te motu nei
L’île, lentement s'enfonça
I te teimaha o teie tatauro
Sous le poids de cette croix
I te Moana Uri Pô
Dans l'Océan Ténébreux
I aaoa ai te Moa no Maroto.
Lorsque le Coq de Maroto chanta
Hiti atu ra te Râ
Râ se leva
Ara atu ra vau
Je me réveillai
197
fTlareva Leu
Odieuse autochtonie
Texte lu par Viri Taimana
On vient au monde sur une terre. Lié à cette terre. On y vient aussi avec un
héritage. Transmis par une pensée. On y fait des expériences qui façonnent une
pensée. Quand ces expériences sont doutées par le décor pausé sur sa terre en
héritage, la pensée façonnée est flouée. Et lame a mal.
Alors on dit. On médit, on maudit. On se contredit dans notre propre parodie. On se méprend, on méprise. On se méprise. Tout devient tribune à mépris
et tous les
prétextes sont bons à prendre. Internet devient dégueuloir à indignes
indignations. Les ondes exsudent de vomissures salissures moisissures. Le PQ_
hurle la voix des révoltés de la terre.
Éventuellement, on s’exporte pour aller voir comment c’est là-bas. On s’exporte pour voir d’autres terres. Dépourvu du biais du décor mais amusé, abusé,
désabusé par le décor que l’on pause soi-même sur cette nouvelle terre. Héritier
de l’héritage volé envolé. Un décor que l’on pause qui formate un prisme
déformé-déformant, celui de l’exogène que l’on est devenu. Mais on reste
autochtone de sa terre.
Et puis on se réimporte pour aller apprendre à sa terre. Celle que l’on ignore
parce que l’on a juste oublié d’en apprendre les bases. Oublié d’apprendre et de
comprendre ses fondements à elle et non ceux pourvus par un inépuisable
;
“
ma1
ma
LittéRama'oHi #22
rïlareua Leu
décor, grandiose mais claudiquant. Apprendre à celle que Ion découvre, mais
que l’on ignore. Que l’on manipule sciemment. Que l’on dénature scrupuleusement. Lui apprendre à faire, à dire, à penser. Pour l’océaniser de concepts, au
mieux, continentaux, à défaut de la décoloniser. Plutôt que la connaître. On
exècre ses excroissances. On les voile à défaut de les raboter. Plutôt que de les
apprendre et les apprivoiser. Et on se revendique autochtone. Plein de son exogénité, parasite fatuité.
Apprendre, c’est pas facile. Surtout quand on a les neurones atomisés par.
héritage souillé, servi à la sauce gauloise et son gratin de/et au lait de coco
périmé fermenté irradié.
un
Comprendre, c’est pas facile. Surtout si on a le spectacle-paradis-sur-terre
yeux ébahis, offert à nos mains avides et nos cœurs arrogants. Si de
surcroît cette comédie devient référence et que la fiction-malédiction devient
sous nos
réalité éprouvée, approuvée, partagée, encensée.
Les sages avaient averti dans le temps : être autochtone, c’est pas facile.
Et pourtant...
199
Heinarii Grand
L’insuffisance insulaire
C’est étrange toute cette eau. Cette eau à perte de vue, immense, que
l’Homme a pu jadis regarder sans avoir peur. Minuscule on pourrait croire,
confiant il a dû l’être, à bord de ces embarcations de bois rapiécé, aux périls des
marées infinies. D’une voile prise au vent, tirer l’espérance. De
tracer un sillon sûr. D’une ramée aux bras de
la lecture du ciel,
fer, garder la certitude... Et du cou-
rage dans les veines. Dans les yeux. Dans le corps, ancré
dans l’âme.
Et finalement, trouver.
Marcher ensuite sur le sable, épuisé, puis sur la terre.
Insularité-exploit. Insularité-conquête. Insularité-prodige.
Quand exactement après ça est-elle apparue ?
La peur.
Et quand est-il apparu ?
Le doute.
Quand exactement le peuple qui avait conquis l’eau s’est-il tourné vers elle
quelle serait une limite ? Plutôt qu’une chance.
Oui il est étrange cet Océan, bleu sur les photos, aux reflets d’or quand le
et a-t-il décidé
soleil se couche. Accueillant sur ces plages où s’écrivent les enfances. Addictif
pour ceux qui glissent sur son tumulte. En fond des sourires, des exploits, des
affiches. Ceinture aigue-marine dont on se pâme convaincu pourtant quelle
rend inapte.
LittéRama'oHi # 22
Heinarii Grand
Combien de lèvres racontent des terres enfantées par les vagues ? Combien
d’esprits pourtant pensent ces terres en réalité orphelines ?
Combien de doigts sur des mappemondes, ont cherché la Polynésie en
considérant secrètement tout ce bleu comme un gouffre ?
Ceinture aigue-marine dont on se pâme, pensant tout bas quelle est une
sangle. Empêchant les esprits. Cinglant les intelligences.
Océan vide qui ne soutient pas ses terres, qui ne soutient pas son peuple.
Qui lui doit construire des ponts pour ne pas sombrer.
Insularité insuffisante.
Aujourd’hui ? Mais finalement déjà hier. Et puis surtout demain encore.
Dis-le à haute voix, doucement en articulant bien :
In-dé-pen-dan-ce.
Regarde comme les esprits tremblent.
Indépendance aujourd’hui ? Non. Mais non encore demain. Et dans 50 ans,
ce sera
pareil.
Terres rares, ressources géothermiques, halieutiques, écologiques, touristiques fantasmées par la planète entière. Et humaines. Humaines...
Et l’or entre nos mains transformé en vide. Et l’avenir funambule, chancelant
pour l’éternité sur le fil de nos QI défaillants.
Insuffisance insulaire, que les diplômes ne peuvent pas amender. Travestie
dans des bureaux, anoblie de titres et de privilèges.
Marquée pourtant sous toutes les couches.
Sous l’arrogance. Sous les grands airs. Tatouée dans cette partie qui vibre
quand chacun dit : “ je suis ”,
je suis incapable ”.
Conjugué à l’échelle d’un peuple.
“
Foutaise traumatique.
Les QI ne sont pas plus élevés ailleurs. Et ces complexes auront notre peau.
Parce que le mur n’est pas d’être
indépendant. Le mur ? C’est ce monde qui
flanche, et nous qui restons incapables de nous nourrir.
Insuffisance insulaire.
Foutaise traumatique.
Tu transformes l’évidence en phobie.
201
Goënda a Turiano - Reea
Tianiraa tino...
E taata terà e poro ra
E hioraa mâ e te tura
Perëue ereere, ahu uo uo
E hioraa mâmoe,
E ruto râ...
“
‘Eiaha e tâtau iâ be e tôu taeae
Peu etene te reira ! ”
E peu etene te peu tupuna ?
E peu hàm'iri te tâtau ‘iri ?
“
‘E. E faarue i terâ mau peu ! ”
‘Ua puta roa i roto i te tari a metua
Eita e moë faahou,
Eita e aramôina faahou
E haapëpëraa u‘i hou
Faahaparaa, faahaparaa...
He'e te tau, he e te tua
E hïaai teie
E hotu ‘a au mai
E hotu mai ihoâ
E'ita e mau...
E‘ita e mau...
ima
Tab to mahabre
ma
E pô feruriraa
‘Ohuohu noa te manao
1
LittéRama'oHi # 22
Goënda a Turiano - Reea
E tâtau ânei ? E tâtau ànei ?
E mutu te aa metua !
E riri, e rara, e rürü !
Puarearete opü
E tô mai te tô fànau
Mâuiui Titi hope
Mamae, mamae...
Haapurepureraa ‘iri
Pôtaataaraa 'iri
Toretorera'a ‘iri
‘Ua tupu, ua tâtau
Te rima a Tohu atua
‘Ua tomo
‘Ua tomo ‘iri
‘Ua ti a
‘Ua ti'airi
‘Ua a‘a-tupuna-hia
E mâuiui baba hope
E mamae arearea nui
‘Ua oti, ‘ua upootia
I ni a i te faahaparaa, faahaparaa !
“
“
“
“
“
Nô te aha be i tâtau ai iâ be ? ”
E'ere i te mea nehenehe ! ”
Eere nô te vahiné ! ”
E‘ita e mâ faahou ! ”
‘Ua reporepo roa be ! ”
Âuê !
Aita i oti !
‘Ua ‘aro mai
Të ‘aro noa ra à
E ‘aroraa hope ore
Te tia'iriraa tino
Te tia'iriraa tino...
203
i
Hinanui ITlongarde-Foissac
J’ai mal à ma danse
J’ai mal à ma danse quand tapage est ma musique, quand de cadences en décadence, d’accords en désaccords, de cordes en discordes, mes notes dénotent.
J’ai mal à ma danse quand le langage de mes légendes devient un pot-pourri
qui mélange allègrement les genres.
J’ai mal à ma danse quand des hymnes qu’on me chante, on ne retient que
des passages, quand seuls mes rivages dorés adulés, clichés adorés acidulés,
enchantent ma mémoire.
J’ai mal à ma danse quand mon âme à la dérive s’écaille, s’effeuille, à coup de
d’écumes, à coup de vent d’épines.
J’ai mal à ma danse quand mon inspiration ne nait pas de mes entrailles
vent
mais des entailles qu’on
m’inflige, dont on m’afflige.
J’ai mal à ma danse quand on déshabille mon authenticité pour habiller
mon intensité.
J’ai mal à ma danse quand ma culture dépouillée de son essence se couvre
de fiction, quand on colporte ce qu’on importe et qu’on exporte ce qu’on avorte.
J’ai mal à danse quand mes pas vantés, inventés, éprouvés approuvés deviennent mes références.
J’ai mal à ma danse quand en dépit des évidences on préfère l’errance à la
cohérence, quand mes gestes avides de tout sont vides de sens.
J’ai mal à ma danse quand de textes en prétextes, mes convictions riment
^
avec sanctions et évictions.
J’ai mal à ma danse quand la plainte de ma conscience furieuse trouve écho
dans les prétoires d’êtres ignorants et bornés pourtant intelligents et libres !
J’ai mal à ma danse !
"
ima
ma
LittéRama'OHi #22
Titaua Peu
Auteur de “Mutismes” 2003
et de "Pina” à
paraître.
Toute ressemblance (...) serait fortuite
Extrait de Pina, roman
Soudain, dans la tête dAuguste le père,
des ombres de jeunes filles... Qui
tournoyaient. Et alors les invités pouvaient
pour accéder à l’étage et au champagne à
volonté, ne portaient rien sous la micro jupe.
admirer Fentrejambes de celles qui,
On dira plus tard que “ monter ” à
à
l’étage était un privilège, car il fallait convenir
l’exigeant “ coup d’œil ” de mademoiselle S. rabatteuse professionnelle, incon-
toumable papesse des nuits chaudes de
Papeete...
Sur fond d’électro importé d’Ibiza, à travers des
spots blancs et acérés,
Auguste redoutait le moment où l’on montait les fraises Tagada.
Au milieu de la folie et des
plaisirs,
des vapeurs d’alcool et de désirs, il reconnaissait l’odeur.
Acidulée, chimique, aigre-douce, écœurante
Les fausses fraises tagada renfermaient la
riches.
drogue, le calmant, le sésame des ultra
Finies les traditionnelles tournantes et
car
et
partouzes
il y avait là des consentements ennuyeux
parce qu’il fallait étaler des billets, beaucoup...
Tandis que là à l’étage les notables plongeaient enfin dans la domination la plus
pure,
la plus accomplie, bestiale. Gratuite. Impunie
C’est là que tout dérapait.
Là que la mort infiltraient les âmes de ces enfants.
La poudre allait, comme dans une clepsydre, distiller le
long poison de la
culpabilité,
de la honte.
La drogue effacerait la mémoire
Jamais les déchirures de leur jeune corps.
Les Tagada : réminiscences des galons de mauvais vin
qu’on échangeait contre la terre.
Les descendants des conquérants sont devenus les rois d’une ville
bling-bling.
Ils paradaient chez le haut-commissaire,
donnaient des interviews,
Ils étaient les forces vives du pays
tandis que les jeunes filles ne seraient bientôt plus que les “ ombres” de nos
propres lâchetés.
Ainsi allait notre monde... qui s’indignait sans
jamais accuser
...
Les jeunes filles n’entreraient jamais dans le cercle restreint des “ bombass ” aux
vieux amants multi millionnaires.
Sans le savoir, elles nous renvoyaient en
pleine face la quintessence d’une
société, la nôtre, violente, inégalitaire, exclusive, élitiste
Alors nous avons fermé les yeux. Définitivement.
LittéRama'oHi #22
martin Temehameharii Coeroli
Auteur : du livre “Ora- Voyage à Tahiti et ses îles” ; des
spectacles
“Turama te Hetu a Ka-Hei Tahiti’’, et “Te Huritau - Tamariki Poerani".
Le chant de Rupe
L’aube ouvre les portes de l’ombre et de la lumière,
La perle ombrée cache la luminosité,
Les généraux de Rupe sont en marche,
Le venin du scolopendre ne fait
que renforcer
Le pouvoir de l’armée des ombres,
Qu’il attaque sans cesse.
Rampant à même le sol
Tu ne vois pas le soleil qui t’écrases,
A l’ombre, tu penses être à l’abri,
Prends gardes,
Tu nés que nourriture pour
Rupe,
Je porte mes blessures comme trophées,
Je t’épargne la vie,
L’éventration n’aura pas lieu,
Prends garde à l’ombre qui plane sur toi,
Tu m’as mené aux portes du Po,
L’aube assoit mon pouvoir sur les deux mondes,
Tu n’as plus aucun
refuge,
Prends garde à Rupe.
Tu ne m’as pas écouté,
L’éventration aura lieu,
Libérant les enfants sacrifiés,
Nourriture de Rupe,
A l’aube, tu nés plus
Que déchet de mes entrailles
Et pourriture sur terre.
207
Joseph Tchong
Archéologue-Ethnolinguiste, membrefondateur de l'association culturelle
“Tereo o te Tuamotu" et de l’association “TePukaMaruia".
TepeheaRupe
Texte lu parMakau Foster
Kua va te ara
Ko toku mamae
Ka hitika tepo
Ko taku ia tutia
Ka hitika te ao
Kura ora
Ka ru te nuku a rupe
E kore au e tipoka kia ü
Ka ara ra
E tumatuma te takeo veri
Kiapoki koe
Ka te nukupo
Ki te ruma mate
Ka neke â ki te papa henua
Arahi tika koe kia ku
ma te
taumiumihia e te vera hana
Ki tearapo
E ora anei koe ki te maru va
Ka hitika tera tokumana
Ka ara
Ki na va e rua
Ekatigaarupe
Kaore e tauhaga
Ka ara e rupe
Kuapiri to tariga
E
tutetipokahaga
Kia ora te uki mokopuna
E katiga a rupe
Kia tikana te ra
E tutae ia koe
Epera ki te henua
1ma
ma
LittéRama'oHi #22
Teata Binar
De père tchèque et de mère tahitienne et
tchèque avec ancêtres espagnols.
navigue et dérive entre ses différentes origines et exprime sa quête intérieure de racines.
Dans l'océan de la poésie, elle
Textes lus par Yvenlca Klima,
Nailea Foissac,
et Flora Devatine
Cartes sur table
Étranger dans ton pays natal,
quoique tu le veuilles, ces visages ne sont pas familiers.
Tu restes à lecart, et pourtant
tu souhaites tant
t’apparenter.
A faatupu i te anuanua
Tu es un foetus dont le cordon ombilical, semence stérile,
est enraciné dans une terre lointaine.
Et les distances du
ne te
A
globe circulaire
permettent pas de revenir à la source.
faatupu i te anuanua
En toi se confondent les points cardinaux de la
planète,
les courants contraires de ton sang font
palpiter ton coeur
déchiré, jamais complet.
Et il n’y a pas de direction à
A
faatupu i te anuanua
En exil, jusqu’à ce
ces
en
prendre pour trouver lame soeur.
que tu réunisses
deux mondes qui habitent en toi,
régénérant les liens perdus,
en renouant
le cordon rompu.
A faatupu i te anuanua
L’impossible retour
Naître “ entre-deux ”
pays, langues et cultures,
vivre aux frontières de
entre l’union et la
l’appartenance
rupture
douloureuses et incessantes.
Être et ne pas être,
enraciné et déraciné.
S’identifier,
alors que la différence,
insoupçonnée, immédiatement trahit
la double allégeance
et le
regard de lÂutre
prive de l’autochtonie,
et condamne à ne
jamais être admis.
Pourtant, l’espérance que là-bas,
de l’autre côté, gît la fraternité
tant nécessitée,
alimente la nostalgie
et la vision du retour.
Cependant, souhaiter se rattacher à sa terre,
après l’avoir quittée,
c’est vouloir revenir en arrière,
dans les entrailles de sa mère.
D’ici, de là et de nulle part,
entre l’exil et l’affiliation,
entre la
rupture et l’union,
voilà la condition de l’être.
Qu’est-ce qui fait moins mal ?
vivre l’exil dans le
pays natal
demeurer un immigré
dans un pays étranger ?
ou
1ma
ma
O
LittéRama'oHi #22
Teata Binar
Alors, accepter et parfaire
l’identité intermédiaire.
A la marge, créer des liens,
déployer la double nature
au-delà des pays, langues et cultures,
à travers les différences, les ressemblances,
et le
temps...
Ulysse, es-tu vraiment rentré à Ithaque ?
Te mau tupuna
A faari i mai i to matou aroha,
Je vous salue, ancêtres !
Te mau tupuna,
vivants en moi,
votre Mana
coule dans mes veines.
Votre sang,
jaillissant
de sources lointaines
se
mélange
se
perpétue
à travers les mers,
les terres
et les siècles.
Nous sommes le passé et vous êtes le présent.
Ancêtres pèlerins,
les forces de la nature
se sont unies
aux
dieux polynésiens,
celtes, slaves,
et au dieu d’Abraham
211
pour assouvir
votre désir
de rencontrer lame soeur.
Nous sommes le passé et vous êtes le présent.
Ancêtres polynésiens,
descendants du grand Ta’aroa
qui, de sa puissance féconde,
a créé
les îles
et l’immense océan
oü vous habitez,
votre
appel incessant
résonne et vibre
dans chaque fibre
de mon corps
malgré les distances.
Nous sommes le passé et vous êtes le présent.
Ancêtre espagnol,
courageux Manuel Pérez,
Tahitien de coeur,
tu as
quitté ta terre natale,
la Galice,
sans
supplice,
tu n’as laissé aucune trace,
car tu as trouvé ta
place
lors de ton voyagé
sans retour.
Pourtant, ta langue et ta culture mère
sont pour
moi nourricières.
Rosa Pérez,
ton noble
lignage de Tubuai
marié à la bonté
des héritiers
de Saint Jacques
de Compostelle
ina i
LittéRama'oHi #22
Teata Binar
'
décèle
la beauté
de ton âme.
Nous sommes le passé et vous êtes le présent.
Avais-tu pensé, Praotec Cech,
du haut de la montagne Rip
qu’un de tes fils
enracinerait une brindille
de ton ethnie
en
Polynésie ?
Et qu’un arc-en-ciel,
réunissant des familles,
se
dresserait entre ces deux pays ?
Rudolf Klima, tu scelles
l’alliance
de lignées
tant
éloignées,
tu
enseignes
la tolérance,
et le respect,
tu nous montres
qu’on est chez-soi
là où on aime
et on est aimé.
Nous sommes le passé et vous êtes le présent.
Te mau tupuna, vous êtes tatoués
dans ma peau,
motifs polynésiens,
espagnols et slaves,
votre existence
est mon essence.
Nous sommes le passé et, ensemble, nous sommes le futur.
Te aroha ia rahi !
213
Chantal T. Spitz
Te tau araara
Texte lu par Teiva Manoi dit Minos,
Nailea Foissac et Flora Devatine
Tahitinui mare area
Tahitinui mâre'are'a
fenua haamaitaihia e te mau atua
terre bénie des dieux
fenua püautau e fenua matai ona
terre ceinte de violents courants terre
aux
brises légères
fûmes origine
i tumu na tâua
nous
i nia i te tua o tô tâua fenua
sur
i ati ai te ao i tô rob
quand sa renommée s'est propagée
le sol de notre terre
e
rob titari tiarepu vârua
dans le monde
renommée séduisante qui trouble lame
e
rob tîani huritumu
renommée captivante qui
bouleverse
l'intimité
tütaperepere atura te manao
ua
huritumu tâua
i te orama a ara
i tô verà manao
tïtau atura tâua i te peu apr
peu màere rahi
‘ia tü tô tâua peu i tô tâua rob faahema
e
alors nous avons hésité
notre souche a été renversée
jusqu'à sa
fondation
par la vision de l'étranger
dans la conception de l'autre
alors nous avons cherché des choses
nouvelles
des coutumes étranges
afin que nos coutumes correspondent à
notre renommée trompeuse
1ma
ma
LittéRama'oHi #22
Chantal T. Spitz
vavâ ihora te vevo tupuna
l'écho des ancêtres résonna alors
tô atura te fenua
la terre conçut
fanau mai nei
enfanta
te ohi
les rejets des racines restées sous terre
api no te a‘a i motu na
te tumu ora no te tumu i mo'e na
la souche nouvelle de l'origine oubliée
te u‘i ara no te nünaa tumu
la génération vigilante du peuple
originel
te tü nei tâua i te hiti a o te mâramarama
nous nous
dressons aujourd'hui au
lever de la compréhension
ma te manava
fafati bre
sans amertume
la conscience claire
ma te manava màrama
avec
‘ua ma te vare vârua
l'âme est lavée de sa chassie
ua mà te vari aau
les entrailles sont lavées de leur boue
te àraa marü nei
nous nous
rétablissons lentement
yeux se sont ouverts
ua araara te mata
nos
te mata nei te tau araara
commence
te tau o te u‘i ara no te nünaa tumu
le temps de la génération vigilante du
le temps de l'éveil
peuple originel
I
BUT
BUI
Pimp my weapon
Tahe
artise
Tahe est un jeune artiste basé à Tahiti, ses créations
évoquent l'engloutissement de la culture des îles du Pacifique
par le monde moderne. Il reprend les symboles existants de
cette culture îlienne et
y mêle, par l’utilisation de différents
médias, société de consommation, guerres, religions... punk
underground ... créant ainsi son propre monde imaginaire.
Après deux années en école d’art, il travaille alors avec un
shaper de planche de surf et réalise que la résine est l’outil
parfait pour libérer les idées qu’il a en tête.
Pour plus d’infos : http://tahe-at-work.com/
Publiée par le Groupe Littérama'ohi, association d’auteurs a
ia Polynésie française, la revue Littérama’ohi est un espace a
auteurs autochtones afin de
Elle est a’ussi
un
promouvoir la littérature sous
lien entre les auteifrs du monde désire
l’aventure, d'une revue dynamique et originale. Le titre et les
la revue traduisent la société polynésienne'contemporaine dans
Henrietta (Tletèiani Rluès, Rrata Rmaru, T eata Binar, Hiriatè
Brpth,e(i|on,
Jachy Bryant, ITIartin T. Coeroli, Hinatea Rose Démolliens,: Flora
Deuatine, Vaihere Doudoute-Raouln, fDaimiti Panaura, Jùsyanp T.ehea
a Faucher, Marine
Tehea.progier-Léocadie, Jérôme Gendrot, Heinarii
Grand., fTloeaua Grand, Simone Grand, Teuira Henry, I va, Hu'ugjtfha
Ho’omariaaianui, Raphael Haifiilekofe, Rli Mhadaoui, riavairua Hleiii,
Vaimiti Lanteires, iïlareua Leiu, Hinano
ITlartinez-Lulogue, Ghantal
Hinanyi fTlongardérFoissac, Haroly Sandor Pallai, Titaua
Peu, Hong-fDy Phong, Odile Purue-Rlfonsi, Jonas Daniel Rang, Dpri'p/
T. ITlillaud,
Reua, Rriiraù Richard-LJivi, Régine Suen Ho, Chantal,T. Spitz, JNaÿine
Taea, Denise T. Tauatiti-Jaulin, fTloana'ura Tehei'ura, Joseph Tchong,
Taiana Temauri, Heeata Tepa, Teurahëimata a Tinier, Hitiv’ai Tracqbi,
Goenda
a Turiano-Reea, ITlaurice Uinot, Hlanini Voirin, Paul UJarno
^
,
■
‘
'
f
/
'J
Jiff*
Fait partie de Litterama'ohi numéro 22