B987352101_PFP1_2015_022.pdf
- Texte
-
ITIRRS 2015
Te hotu fTla'ohs
Ramées de littérature
polynésienne
Les porteurs
de patrimoine
Littéramaohi
Publication d’un groupe d’écrivains autochtones de la Polynésie française
Directrice de la publication :
Chantal T.
Spitz
Farepoiri Motu Ara ara
Huahine
E-mail
:
hombo(S)mail.pf
Numéro 22
/ Mars 2015
Tirage : 600 exemplaires - Imprimerie : STP Multipress
Mise en page :
Backstage
Couverture : 4': an’so Le
N° Tahiti Iti
:
Boulc’h
755900.001
Revue
Littéramaohi
Ramées
de Littérature
Polynésienne
-
Te Hotu Ma ohi
-
Liste des auteurs de Littéramaohi n°22
Henrietta Meteiarii Alvès
Araîa Amaru
Teata Binar
Hinano
Hiriata Brotherson
Chantal T. Millaud
Jacky Bryant
Hinanui Mongardé-Foissac
Martinez-Luloque
Martin T. Coeroli
Karoly Sandor Pallai
Hinatea Rose Demolliens
Titaua Peu
Flora Devatine
Hong-My Phong
Vaihere Doudoute-Raoulx
Odile Purue-Alfonsi
Maimiti Fanaura
Jonas Daniel Rano
Josyane Tehea a Faucher
Doris Reva
Karine Tehea Frogier-Léocadie
Ariirau Richard-Vivi
Jérôme Gendrot
Régina Suen Ko
Chantal T. Spitz
Heinarii Grand
Moeava Grand
Karine Taea
Simone Grand
Denise T. Tauatiti-Jaulin
Teuira Henry
Moanaura Teheiura
Iva
Joseph Tchong
Ku’ualoha Ho’omanawanui
Taiana Temauri
Raphael Kaikilekofe
Heeata Tepa
Ali Khadaoui
Teuraheimata a Tixier
Navairua Klein
Hitivai
Vaimiti Lanteires
Goenda a Turiano-Reea
Mareva Leu
Tracqui
Maurice Vinot
ManiniVoirin
Paul Wamo
SOMMAIRE
Littéramaohi N°22
Mars 2015
Liste des auteurs
p.
Sommaire
p.
La
revue
Littéramaohi
-
Les membres fondateurs
p-
4
5
10
12
p.
14 '
p.
23
p.
27
p.
33
p.
p.
38
39
p.
42
p.
Editorial
AoT/îX
e^Dossier “ Les porteurs de patrimoine ”
/5?
ftt
ml
\*
Nÿ.g.y
Simone Grand
Parmi les
souvent
porteurs de ce patrimoine immatériel qu’est la mémoire,
rivale de l’Histoire, qui et que choisir
?
Hinatea Rose Demolliens
Parfum d’Amour du Tahiti d antan
Ariirau Richard-Vivi
Immémoriale Eau Vaima
Karine Tehea
Te faufaa
Frogier-Léocadie
o
te
Parau Paari
a
te
Feia Paari
Te pehepehe o te Toa Tarava
Le poème du Toa du Tarava
Henrietta Meteiarii Tereora Alvès
Te
au
Mokopuna • A mes petits-enfants
Tuihe
•
Tresse ta
p.
couronne
La Paix en
monde
Te Hau i roto i teie
ao
Te rôti tei poe poe
hia • La rose à l'oreille
Teraitua
•
•
ce
Teraitua
Himene au no be
•
p.
;
p.
-p-
Je te chante à mi-voix
p.
É
£
Ê
46
46
Hong-My Phong
La rage de vivre
.p.
48
50
p.
52
p.
75
p.
76
p.
77
p.
78
p.
80
.p.
.p.
81
83
p.
85
p.
87
p.
89
.p.
92
p.
94
.p.
95
.p.
Le dragon
:
Flora Devatine
...
Je dis Merci à mes Ancêtres
.'.
,
Créations autochtones
Karine Tehea
Frogier-Léocadie
TeMoemoeâ a te mau Piahi
Navairua Klein
Moemoeâ
:
Josyane Tehea a Faucher
Tau moemoeâ
Manini Voirin
‘Ena ho‘i
be, ‘Ena atu be
Doris Reva
E Eliro nui
e
!
Maimiti Alan-Eugénie
Fanaura
Parahianae
Comme pour me
dire “ au revoir ”
:
Vaimiti Lanteires
Te
mau
ruriapô b tei bre e moe
Hinano Martinez-Luloque
Te moemoeâ a te tama
Heeata Tepa
Te tahi tuhaa
o
tô‘u Ora
;
Denise Tetua'ura Tauatiti-Jaulin
Etao a rahi
Taiana Temauri
Te hura
o
tau moemoeâ
Fliriata Brotherson
‘Aahiata
-
Scènes de vie
Vaihere Doudoute-Raoulx
A fano
anae ra
-
Naviguons
p.
Hurihuri
.p.
100
101
Chantal Teraimateata Millaud
L’eau du caillou
.p.
102
103
104
p.
Ta main conduit
nos
semelles
p.
Au voyageur
La nuit jouait avec son archer
Rêve d’un possible voyage
d’amour
p.
106
.p.
107
Danse pour la lune
p.
Sortilège d’une couronne de fête
p.
108
109
p.
111
p.
113
p.
115
Matavai wedding
.p.
Punaauia
.p.
.p.
118
119
121
122
p.
123
L’enfant de la mer
p.
Fils des îles
p.
124
125
126.
127
128
129
Odie Pürue-Alfonsi
Teraipoia Karine Taea
Home, sweet home
:
Teuraheimata a Tixier
Manaonao
Goenda a Turiano-Reea
Te here te tumu !
Auteurs invités
Kuualoha Hoomanawanui
Na Pua Purau
o
Vaima
p.
Toa
Paul Wamo
J’aimerais prendre l’air
Raphaël Kaikilekofe
Ta demeure
•
Silence dans la cité
Rencontre
■
Navigateurs
O
cœur
•
Les murs du Pacifique
En d’autres temps •
•
Le Penseur
de Paris
;
L’autre pays
p.
p.
p.
p.
Kâroly Sândor Pallai
Discontinu et fragmentaire dans lecriture contemporaine
de la Polynésie française
Utazo Tau tuhaa (de Henri Hiro ; traduit en hongrois)
.p.
130
.p.
139
p.
140
.p.
164
p.
173
.p.
177
p.
181
.p.
183
......p.
185
.p.
186
p.
187
.p.
188
Auorotini, la sacrée.
.p.
190
Auorotini, Maga eva
p.
191
.p.
192
.p.
194
:
Jonas Daniel Rano
Aimé Césaire : la fulgurance
d’une parole
Maurice Vinot
Récit de vies
Jérôme Gendrot
Le
département d’études françaises s’offre un voyage à Tahiti
Ali Khadaoui
Sur les chemins du retour
Pina'inai
Chantal Spitz
Poro’i
Moana'ura Teheiura
Saynète d’ouverture
Hitivai
“
Tracqui
Je t’aime papa ”
Iva
Les poètes
sont parmi nous
Régina Suen Ko
Tereo
Jacky Bryant
E mâa te reo
Odile Purue-Alfonsi
Teuira Henry
La prophétie
de Vaita
Moeava Grand
Peuple, réveille-toi
,
Araia Amaru
p.
195
P-
197
p.
199
P-
201
P-
203
p.
204
PP-
206
207
Cartes sur table
P-
208
L’impossible retour
PP-
209
210
.p.
213
p.
216
Moerurua
r
Cauchemar
•
■
Mareva Leu
Odieuse autochtonie......
Heinarii Grand
L’insuffisance insulaire
Goenda a Turiano-Reea
Te tia'iriraatino
Hinanui Mongardé-Foissac
J ai mal à ma danse
Titaua Peu
Toute ressemblance
Martin Coeroli
Le chant de
(...) serait fortuite
Joseph Tchong
-
Rupe
•
TepeheaRupe
Teata Binar
Temautupuna
Chantal T. Spitz
te tau
‘araara
L’artiste
Tahe
Littéramaohi
Ramées de Littérature
-
La
revue
Polynésienne
TeHotuMaohi -
Littéramaohi a été fondée par un groupe
d’écrivains autoch-
de la polynésie française associés librement :
Patrick Amaru, Michou Chaze, Flora Devatine,
tones
Danièle-Tao’ahere Flelme, Marie-Claude
Chantal T.
Teissier-Landgraf, Jimmy M. Ly,
Spitz.
Le titre et les sous-titres de la revue traduisent la société polynésienne
d’au-
jourd’hui :
-
-
“Littéramaohi” pour l’entrée dans le monde littéraire et pour l’affirmation
de son identité,
Polynésienne”, par référence à la rame de papier,
à sa culture francophone,
“Te Hotu Ma’ohi”, signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères chinois intercalés
entre le titre en français et celui en tahitien.
"Ramées de Littérature
à celle de la pirogue,
-
-
La revue a pour objectifs :
-
-
de tisser des liens entre les écrivains
naires
-
originaires de la Polynésie française,
des auteurs origi-
de faire connaître la variété, la richesse et la spécificité
de la Polynésie française dans leur diversité contemporaine,
de donner à chaque auteur un espace
Par ailleurs,
de publication.
c’est aussi de faire connaître les différentes facettes de la culture
polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et modernes que
sont la peinture, la sculpture, la gravure, la photographie, le tatouage, la musique,
le chant,
la danse... les travaux de chercheurs, des enseignants...
Et pour en revenir aux premiers
objectifs, c’est avant tout de créer un moupolynésiens.
Les textes peuvent être écrits en français, en tahitien, ou dans
n’importe
quelle autre langue occidentale (anglais, espagnol,... ) ou polynésienne (mangarévien, marquisien, pa’umotu, rapa, rurutu... ), et en chinois.
Toutefois, en ce qui concerne les textes en langues étrangères comme pour
ceux en reo ma’ohi, il est recommandé de les
présenter dans la mesure du possible avec une traduction, ou une version de compréhension, ou un extrait en
langue française.
vement entre écrivains
Les auteurs sont seuls
responsables de leurs écrits et des opinions émises.
général tous les textes seront admis sous réserve qu’ils respectent la
dignité de la personne humaine.
En
Invitation
au
prochain numéro :
Ecrivains et artistes polynésiens,
cette revue est
de réflexion
la vôtre
:
tout
article bio
et
biblio-graphique vous concernant,
la
littérature, sur l’écriture, sur la langue d’écriture, sur des
auteurs, sur l’édition, sur la traduction, sur l’art, la danse,... ou sur tout autre
sur
sujet concernant la société, la culture, est attendu.
Les membres fondateurs
Editorial
temps changent. Qu'hier les choses étaient différentes, plus
faciles, dépend qui parle. On dit qu'aujourd'hui nous avons
de la chance. Ou qu'aujourd'hui nous sommes perdus.
On dit que les
difficiles. Ou plus
Et que
demain, tout est possible.
Oui, on dit que le temps passe.
Les auteurs de Littéramaohi s'interrogent,
racontent cette question ainsi
que les ambiguïtés qu'elle recouvre. “Porteurs de patrimoine”... et jamais des
mots n'ont dû rassembler autant de contraires : la banalité, celle qui noie l'im-
choses dans le torrent des autres. Et l'exception, dramatique, fragile. Ce nombre dérisoire. Cette bienveillance si profonde. Et l'indifférence
suffocante. Cette gratitude incommensurable qui commande le respect dans
l'âme. Et l'arrogance de ne s'y plier qu'une fois l'an. Ou deux. Qu'importe. Et
portance des
d'oublier ensuite.
“porteurs de pierres”, denses, lourdes, primordiales, éter“porteurs de vent”. Insaisissable et volatile.
Et “patrimoine” ce terme qui palpite quand on regarde l'avenir et qui serre
quand on pense au passé. Même dans la mémoire absente. Oui, même dans
“Porteurs”
comme
nelles. “Porteurs”
comme
l'amnésie.
“Porteurs de patrimoine” trop souvent inconnus - que nous devrions tous être
-
racontés
avec une
nostalgie qui peut être, un jour, deviendra un luxe. Qui sait ?
temps, l'autochtonie se clame en échos et en rythme à défaut de se
résoudre tout à fait elle même. Le temps d'un Pinamûi, qui cette année encore,
Entre
a
uni
dans le sable la sagesse et l'avenir de notre peuple.
Et cette
revue
existe.
Heinarii Grand
Evil Cone
Take
LittéRama'OHi
#22
Simone Grand
Simone, Mathilda Taema Grand, née à Tahiti de parents métissés nés
à Tahiti est
deformation scientifique. Etudiant les soins traditionnels et
une thèse d'anthropologie médicale. La maladie fait tomber les masques et permet d'interroger les
préjugés émis sur les Polynésiens.
la maladie à Tahiti aboutit elle réalise
Parmi les porteurs
de ce patrimoine immatériel
qu’est la mémoire,
souvent rivale
de l’Histoire
qui et que choisir ?
Pour peu que
l’on soit attentif à l’actualité qui demain sera mémoire et/ou
Histoire, il y a matière à réflexion. Surtout dans nos îles où tant de grossiers per-
confabulent doctement sur nous et nos ancêtres insulaires, européens
traite de grossiers, c’est qu’ils et elles ne se sont jamais présentés comme l’exige la plus élémentaire courtoisie. Ils et elles n’ont jamais pris la
peine de nous dire qui ils sont, d’où ils viennent, et pourquoi ils ont quitté ce
fabuleux lieu de leurs origines qui leur confère ce droit exorbitant de nous
observer comme d’étranges objets pour ensuite, discourir à loisir sur nous et à
notre place.
Il m’arrive de penser que certain(e)s se prennent pour les circumnavigateurs
du XVIIIè siècle rédigeant : rapports à l’intention de leurs financiers et cornsonnages
et autres.
Si je les
manditaires, lettres à leurs familles et amis, observations de terrain aux savants
sédentaires de leur temps, etc. Mais une différence phénoménale les distingue
des illustres devanciers dont ils se réclament en filiation ; ceux d’aujourd’hui
n’ont très souvent aucune audience en leurs pays d’origine. Ils y sont d’illustres
Ils ne peuvent prospérer quid,
grâce à notre histoire coloniale dont
beaucoup pourraient en être des traces vestigiales.
inconnus.
15
Dossier
question à se poser est : “ Pourquoi leur accordons-nous une telle impor"Je n’ai pas de réponse satisfaisante à apporter à cette troublante question. Car quelque part nous participons volontairement à consolider ces rôles
usurpés et ces discours qui nous ravalent au rang d’objet. Ainsi, il m’a fallu me
faire violence lors d’un café-philo organisé par mon amie Lenora Bennett au
La
tance ?
parc Albert il y a quelques années. Un professeur de philosophie
qui se croyait
philosophe disserta sur les anciens polynésiens forcément “ primitifs ”.J’ai fini
par me lever et lui dire : “Je n’insulte pas tes ancêtres, pourquoi insultes-tu les
miens ? ” Il s’est tu et étrangement, il n’a plus eu grand-chose à dire sur quelque
sujet que ce soit.
Pour avoir étudié des éléments fondamentaux de toute société, à savoir
maladie
les soins
:
la
Polynésie, je me retrouve inévitablement aussi du côté
de ce que j’appelle : les experts es nous. Pour m’en distinguer, je vais me présenter brièvement. Je suis née en 1943 à Tahiti dans les Etablissements français de
et
en
l’Océanie de parents
deux mois
avant
réunissant en leurs personnes, de complexes histoires
Faaa dans le fieffamilial de sa lignée paternelle,
le bombardement de Papeete par les Allemands ripostant au
humaines. Ma mère
est née à
coup de canon ordonné par le commandant Destremau. Son père était fils d’un
officier de l’armée impériale napoléonienne battue à Sedan devenu notaire et,
d’une jeune femme de la noblesse tahitienne. Il mourra de la grippe espagnole
dans
ménages et fut lavandière dans les rivières alors limpides de Papeete. Mon père né à Fautau’a d’une Mexicaine et d’un Bordelais,
en
1918, laissant ma grand-mère née à Tubua’i et ne parlant pas français,
le dénuement. Elle fit des
avait 7
ans
lors du bombardement de la ville. Il en fut terrorisé.
Le premier enfant de mes parents fut un garçon adulé jusqu’à ses cinq ans,
l’année de ma naissance, triste pour lui. Sa petite sœur d’une extrême fragilité,
subclaquante à la moindre maladie infantile, au moindre
plus petit carré de chocolat, au plus petit courant d’air,
qu’il fut non seulement délaissé mais souvent rabroué, puni voire fouetté à
l’aide de badines de folies-jeunes-filles, Rhodiola rosea. Cruel et incompréhensible renversement de situation pour le robuste et turbulent garçon qui,
jusque-là régnait sans partage. Puis notre fratrie s’agrandit d’une fille et plus
était si régulièrement
écart de nourriture, au
tard, d’un garçon.
Je fus une agaçante enfant questionneuse à la maison comme à l’école, irritant les adultes sauf mon père qui me répondait imperturbable : “ Cherche ! ”
Il mourut à 47 ans d’une angine de poitrine, nous laissant estourbis de chagrin.
J’avais 11 ans. Grand-mère Marae s’exclamenta : “ Faahou a ! Vahiné 'ivi e maha
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'OHi
#22
Simone Grand
tamari'i. ” “ Encore ! Veuve avec 4 enfants ! Auê ! ” Pour sa fille, elle aussi rejetée
par sa belle-famille bien que mariée alors que Marae et Tuari’i ne l’étaient pas, se
répétait le drame de sa propre vie. A même pas 12 ans, je fus virée de l’école des
soeurs et de la famille
paternelle. Je rejoignis le collège Paul Gauguin et devins
adventiste. Les porteurs de certitudes et de vérités ne supportent pas les questions. Tant que vécut mon père, je fus brillante à l’école. Après son décès, je fis
plus souvent qu’auparavant, exprès de faire faux des devoirs et compositions.
qu’il m’arriva d’avoir faux sans le vouloir.
Titulaire du BEPC à 14 ans, j’obtins une bourse et partis par le cargo mixte
Si souvent,
Le
Tahitien, à Collonges-sous-Salève au lycée adventiste. J’y décrochais le 1er
bac
et revins à
sence
Tahiti préparer le 2eme
(mathématiques élémentaires). En l’ab-
de profde math et de physique, je m’y pris à deux fois avant de rejoindre
Montpellier par avion, y poursuivre de passionnantes études de sciences biologiques. J’avais écarté les études littéraires par crainte de me perdre dans un
monde mouvant et incertain. Je craignais de perdre pied dans ma tête. M’estimant insuffisamment matheuse, je m’orientai vers les plus rassurantes sciences
de la vie. Quel ne fat mon étonnement d’y découvrir l’emploi quasi permanent
du conditionnel. Les sciences n’offrent ni certitudes ni vérité, mais des résultats
obtenus à partir de matériel décrit, dans des conditions données et en suivant
méthode clairement identifiée. J’en fus à la fois ébranlée et excitée. La
une
questionnement permanent. Quant à l’université, je l’imaginais
éprouvées et partagées, animé de personnes unanimement respectées dispensant un enseignement indiscuté et indiscutable. Elle
se révéla un lieu de conflit de
pouvoirs où la connaissance la plus affûtée peut
être mise à mal par des jeux politiciens. En 2eme année de faculté, un professeur
de biologie, doyen de la Fac et adjoint au maire de la ville, nous délivrait un
enseignement plutôt terne. Curieuse, je complétai son cours par l’étude d’ouvrages traitant des découvertes sur 1ADN des professeurs Monod, Wolf et
Jacob, les nobélisés de l’année. A l’oral de l’examen, dans son bureau à girafe et
animaux empaillés de la garrigue, je débitai par cœur son cours et, toute fière,
science est
être
un
un
lieu aux références
le parachevai par mes lectures sur l’actualité scientifique. Il m’interrompit :
“ Tutt
petit. Les seules choses de sûres sont : le noyau, le nucléole, le cytoplasme et leurs membranes. Le reste n’est qu’artéfacts de préparation. Ne vous
encombrez pas la cervelle avec ce que racontent ces jeunes gens...” Deux
années plus tard, de jeunes enseignants réussirent à le déboulonner, à déménager des vieux locaux poussiéreux de la rue de l’Université emplis d’outillages
obsolètes, pour des bâtiments tout neufs aux lisières de la ville : clairs, aérés et
tutt
mon
17
Dossier
dotés d’outils les plus récents. Pour les titulaires du
diplôme de l’enseignement
professeur qui, en trente ans n’avait pas changé une ligne de son cours
comme en faisaient foi les documents
jaunis d’ex étudiants pères
d’étudiants du moment, ils mirent en place une unité d’enseignement de rattrapage
du
et
de mise à niveau
: un
vrai
bonheur.
Ainsi, des inepties peuvent être enseignées même à l’université ! Il est donc
indispensable de se débarrasser de tout suivisme pour mobiliser en permanence un
esprit critique vigilant.
C’est ce que pour ma part, j’ai tenté de transmettre à mes étudiants quel que
soit le sujet qu’il m’a été demandé de traiter. A mes étudiants, je présente les
matériels objets de notre rencontre, leur propose des définitions, leur déroule
la méthode permettant d’obtenir des résultats autour desquels une discussion
s’instaure amenant à des conclusions provisoires. C’est simple, humble et exigéant. Et ça permet de s’affranchir de maîtres à penser trop souvent maîtres à
délirer à plusieurs. D’autant que le délire à plusieurs me semble un peu trop se
répéter dans nos chères îles. Les exemples d’affirmations tendancieuses, totalement erronées, répétées comme des mantras et assénées en vérité vraie sont
malheureusement trop fréquents. Aussi, à la question récurrente : “ Madame,
comment contrecarrer
pifao, moki, sortilèges ? ” Ma recette est : “ Ne laissez à
personne le soin de penser à votre place. ”
Je n’aborderai pas ici notre vie politique ou religieuse, mais la culturelle et
sociale.
Il me semble
qu’au Heiva, l’on assiste trop souvent à des spectacles où des
étrangers à la culture polynésienne ou la dénigrant grave sont présentés
avec une revendication à la ma'ohitude d’autant
plus forte que les références
sont bibliques et donc importées. Or, la célébration de la Bible a tant d’autres
lieux pour s’exprimer ici et ailleurs. Alors que celle de l’Histoire et de la culture
polynésiennes ont si peu d’autres opportunités et si peu de porteurs possibles.
Ainsi, une année, l’on vit primer le mythe dAdam et Eve occultant totalement
celui de Hina-te-‘u’utu-maha-‘i-tuamea et de Ti’i, où pourtant réside une des
clefs de l’organisation sociale ancienne. Une autre année, ce fut le tour des premiers versets d’Ecclésiaste chapitre 3 d’être primés. Une autre, l’on assista à un
sacré chop-suey de références où une ‘orovaru captive s’échappa pour rejoindre
Hadès dieu des enfers grecs au lieu de Ta’aroa dieu du Pô bien de chez nous.
Cette année 2014, les Mamaia furent présentés comme s’étant adonnés à des
sacrifices humains ! N’importe quoi ! Mais des matahiapo l’ayant affirmé, c’était
forcément juste. Je fus prise à partie par plus d’un, toute matahiapo que je sois
thèmes
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'OHi
# 22
Simone Grand
71 ans bien sonnés. Mais de naissance et de formation,
je
puis m’empêcher d’encore et toujours poser des questions. Surtout face à
des affirmations péremptoires, je vérifie, prête à reconnaître mes
propres
erreurs.
Historiquement, les Mamaia, furent appelés tels en sobriquet moqueur
par les missionnaires fâchés de voir leurs premiers convertis les abandonner.
Cela se produisit après la destruction des marne.. A un moment où le culte
huiari'i marae avait disparu. De toute évidence, si les sacrifices humains ont
existé, ce ne pouvait pas être au temps des Mamaia. Par ailleurs, l’existence de
sacrifices humains est contestée par le professeur Jean Guiart. Il sait de quel
monde imparfait il vient. Il connaît les obsessions habitant les cerveaux d’Européens et le conditionnement opéré sur les esprits qui virent ce que leurs
enseignants eux-mêmes conditionnés, leur avaient dit qu’ils allaient voir chez
moi aussi
avec mes
ne
nous.
Alors à
quels porteurs de patrimoine se fier ? Les matahiapo consultés par
en 2014 ? La
matahiapo que je suis pratiquant le doute scientifique ? De toute évidence, les thèmes des spectacles du
Heiva méritent être vérifiés et être
l’objet de négociations entre les différents
intervenants. Quitte à porter un patrimoine, autant
qu’il soit juste et cohérent.
Et s’il est métissé, que ce soit en toute connaissance de cause.
Mais il n’y a pas que nos matahiapo
d’origine locale à se revendiquer porteurs de patrimoine. J’en ai connu
depopa’a, dans une société savante où en fin
de bulletin j’avais, avec l’accord de tous, ouvert une rubrique “ Débat ”. L’un des
membres savait trouver des rapports et lettres fort intéressants de fonctionnaires et missionnaires sur les
Polynésiens et les premiers colons. Il les présentait comme des
paroles pertinentes et des démarches respectables. Pour ma
part, je trouvais ces mêmes paroles plutôt racistes et certaines démarches
encensées comme relevant de la stupidité. Ces
points de vue différents avaient
trouvé leur place en fin du numéro suivant. Cela me semblait relever non seulement d’une démarche scientifique normale mais d’une indispensable
hygiène
mentale auprès des lecteurs. Sous des prétextes fallacieux dérisoires, au bout de
quelques numéros je fus l’objet d’une violente attaque groupée. N’appréciant
ni la goujaterie ni la maltraitance,
je démissionnai. La rubrique Débat fut supprimée. Ce fut comme si, en dénonçant la mauvaise foi, le racisme et l’imbécillité d’“ experts es polynésianité ” ou “ experts es nous ” d’hier,
j’avais commis un
sacrilège.
Mais si ces personnes avaient décliné leur identité vraie et
présenté les
motivations les conduisant à parler de nous directement ou
par le truchement
la rédactrice du thème sur les Mamaia
19
Dossier
de pseudo-experts
mai
du passé, la collaboration aurait certainement continué. En
1968 lors des bouillonnants débats de la révolution estudiantine, orateurs
et intervenants étaient
interpellés par le public : “ D’abord, dis-nous qui tu es.
Sinon tais-toi. ” Dire qui l’on est et sa motivation à par1er est un gage de confiance. Toute personne qui s’en exonère ne
peut être que
Dis-nous d’où tu parles.
suspecte.
Les groupes de danses entrant sur scène à To’ata
aujourd’hui ne se présentent-ils pas ? Surtout ceux des communes rurales et des îles
qui nous déroulent
qui les a fait être ce qu’ils sont. Ils disent la montagne haute, mou'a teitei, le lieu
tahua tei raw, le promontoire, te otu’e et le marne qui sacralise l’ensemble. Après avoir dit et décrit l’espace, vient le
temps du récit où des héros
ce
de réunion,
relèvent les défis lancés à la vie et à la mort.
L’ennui, c’est que peu d’entre nous osent exiger des autres ce qu’exigeait la
révolution estudiantine. A force, en n’exigeant pas cette élémentaire
marque de
respect, on accepte l’irrespect, une situation d’infériorité et de soumission où
le cerveau fonctionne moins bien.
C’est ainsi, que sont reprises pour argent
comptant des paroles de missionnaires
essayant de se faire mousser auprès
de leurs commanditaires lointains,
grand-chose en forçant ou inventant des
traits repoussants à ceux qui leur avaient
pourtant offert l’hospitalité. Et sans
qui, ils n’auraient pas survécu. Etrange reconnaissance du ventre. Mais ils
n’avaient pas écrit pour les descendants de leurs hôtes bienveillants. S’ils n’ont
pas trop forcé sur le cannibalisme, par contre sur l’idolâtrie ils y sont allés allégrement. Comme si des gens qui avaient fondé des sociétés somme toute harmonieuses où l’on savait
manger à sa faim, s’habiller convenablement, rire et
s’épanouir, étaient assez stupides pour adorer des morceaux de caillou ou de
bois qu’ils avaient taillé eux-mêmes. Le
pire est que cette ânerie est reprise par
des descendants des aimables accueillants qui, à leur tour, insultent leurs
propres ancêtres. Chacun a pu l’entendre, énoncé du haut du siège de président de
de leurs sociétés où ils n’étaient pas
lAssemblée. Et même des lettrés, exercés à la controverse, croient ces balivernes
et les transmettent...
religieusement à l’université ou ailleurs.
Quel patrimoine portons-nous ? Quel patrimoine transmettons-nous ?
Ayant eu à travailler sur le roman de Rowan Metcalfe : Le passage de Vénus,
racontant l’après mutinerie de la
Bounty et la vie à Pitcairn, je fus gênée par l’emploi
récurrent du mot ma’ohi. Gênée car, ce n’est
que depuis les années 1970 que ce
terme est utilisé
pour désigner en plus d’“ ordinaire, indigène ”, “ l’habitant de la
Polynésie française ” (Académie tahitienne). La Polynésie française n’existant pas
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi
#22
Simone Grand
1789, ma’ohi, ne pouvait avoir le sens donné par l’auteur. En outre, maôhi
signifie “ attouchement ” en marquisien (dictionnaire Dordillon) et n’existe pas
en
paumotu (dictionnaire Stimson). En 1790, aucune des personnes débarquant
sur File de Pitcairn ou Elitiarevareva ne pouvait se prévaloir d’en être originaire.
Ils étaient tous des étrangers. Aucun n’en était Ma’ohi. L’opposition habituellement décrite entre Ma’ohi / Popa'a - Blanc ne tient plus. Pourtant il y eut affrontements meurtriers entre deux groupes distincts de personnes qu’à première vue
l’on pourrait classer selon des critères raciaux racistes de couleur de peau. Or,
Rowan décrit parmi les mutins en la personne d’Eti Young, un métis antillais à
la peau foncée et aux cheveux crépus “ comme ceux des Paumotu ” (quelle semble distinguer des Ma’ohi) considéré par les Blancs comme leur égal. La discrien
selon la couleur de peau ne tient vraiment pas.
L’incendie du navire par le mutin Matiu Quintal pourrait éclairer cette réalité conflictuelle masculine pour peu que nous adoptions une autre grille de
mination
lecture.
D’un côté il y a les 9 mutins pourchassés par la marine anglaise pour les pen-
dre haut
et court. De
l’autre il y a les
6 passagers océaniens embarqués pour
voyager et découvrir le monde.
Les mutins étaient enchaînés
les uns aux autres par leur acte de mutinerie
plus sûrement que par de lourdes chaînes cadenassées. Les Océaniens embarqués sur la Bounty l’ignoraient. Ils venaient d’îles différentes (Tahiti, Ra’iatea,
Tubua’i). Ils auraient pu être Blancs, Noirs ou Jaunes sans que cela n’influe sur
la suite de l’histoire. Avant d’arriver à Pitcairn, ils auraient pu partir librement.
Une fois sur cette île de la dernière chance pour les mutins, ils sont des
condamnés à mort en sursis par des condamnés à mort traqués.
Les mutins s’organisent en survie en s’appropriant les femmes pour tenter
de vivre à peu près normalement entre eux et tant pis pour les six autres qui
doivent se partager trois femmes. Cette appropriation discriminante des
femmes est une mise à mort symbolique des non mutins qui, au départ,
n’avaient entre eux pour lien que celui de compagnons de voyage. Ils n’arriveront pas à se créer de lien aussi fort que celui des mutins entre eux qui exigent
deux autres femmes car deux des leurs sont mortes. Deux non mutins se révolIl reste une femme pour les quatre qui ne peuvent ni fuir ni
tent et sont tués.
espérer vivre normalement. Au bout de deux ans, ils tuent cinq mutins et sont
poursuivis et tués par les quatre survivants qui, sous l’emprise de l’alcool, finissent par s’entretuer ne laissant que deux qui mourront de mort naturelle à une
dizaine d’années d’intervalle.
21
Dossier
Telle peut être la lecture possible de ces drames sanglants nés de trajectoires
tragiques, de situations extrêmes dans des conditions obsidionales
(situations
d’assiégés).
Je poursuivrai ma réflexion sur les porteurs de patrimoine mémoriel en évodu centenaire du bombardement de Papeete où
quant les commémorations
l’on célébra les faits d’armes de Maxime Destremau,
précédé d’un documencharge contre le gouverneur et les commerçants de Papeete, eussent-ils
répondu “ présent ” à l’appel du commandant. La présentation des personnages
ne
peut se prévaloir de démarche d’historien tant elle fut caricaturale : d’un côté
les pourris de commerçants et de gouverneur et de l’autre le blanc chevalier.
Destremau malgré sa bravoure, avait un peu perdu la tête en respirant la poudre...1 ” écrit sans rancune mon grand-père qu’il faillit passer par les armes avec
d’autres Français accusés par lui d’être des espions. Heureusement que l’évêque
réussit à calmer le militaire nostalgique de fusillades, prêt à se défouler sur de
paisibles commerçant, avocat et employé, eussent-ils répondu à l’appel de
taire à
“
défense de file.
C’est mémoire contre mémoire. La vérité historique est sans
doute entre les
deux.
Je terminerai cette réflexion sur les “ Porteurs de patrimoine ”, avec Mâui, ce
fabuleux héros présenté par certains “ experts es nous
” de : trickster. Selon Wikipedia, “ trickster = fripon, farceur ou (selon la terminologie anglophone, personnage mythique présent dans toutes les cultures) ” Le T. Jaussen donne pour
farceur ta ata ho'ata, ta'ata arearea. Et pour fripon = ha avare, eia. J’ignore si vous
reconnaissez notre légendaire Mâui dans ces définitions-là... Aussi, je vous
propose de m’accompagner dans la recherche du sens du mot “ Maui ” comme
je l’ai fait en page 178 de : Mai te Pô maira teAo (Ed. To’imata) où sont repris
des mythes des origines restitués dans Tahiti aux temps anciens de Teuira Henry
(TH).
=
(Acad) écrit Mâui. Le tarava
temps de TH, je suppose quelle écrirait aujourd’hui Mà-ü-i.
Ainsi décomposé, ce nom signifierait :
Mâ-û-i. Ainsi écrit TH. LAcadémie tahitienne
n’existant pas au
1. Ma
=
propre, pur,
clair, exempt de souillure ; marque le pluriel des noms
cible, repaire (sans doute repère) (Acad.) Dans
propres ; marque sur une
TH, mà signifie aussi “ avec ”,
patrimone
Ifëdspioteurs
LittéRama'oHi
#22
Simone Grand
2. Ü= prévaloir,
conquérir ou mouillé.
.Je n’ai pas trouvé d’usage situant I à la fin d’une locution.
4. Aussi, au lieu ü-i, j’opte pour ut =
question.
5 .Ainsi, Màui pourrait être traduit par “ Questions ”, “ Questionneur ”,
Questionnement ”. Dans les mythes et légendes, il est celui qui interroge
la réalité et cherche des solutions à ce
qui apparaît une fatalité. En outre,
il est souvent qualifié de ti'iti’i. Or, tu,
signifiant aussi “ quérir ”, littéralement Màui ti’iti’i
pourrait être : “ Questions recherchées ”.
3
“
Après avoir compris cela, je me demande si le patrimoine le plus essentiel
entre nous et à transmettre absolument n’est justement pas celui
porté par Màui le questionneur.
à partager
1
Henri Vital Grand (2014) : Tribulations à Tahiti et en Amériques,
Ed.To'imata, 136p.
23
Hinatea Rose Demolliens
Parfum d’Amour du Tahiti d antan
En escale dans la rade de
Papeete, le jeune marin arpente nerveux la façade en
bois de l’établissement des Messageries Maritimes.
Il attend “sa copine”
Il
est amoureux et
du bout du monde.
elle aussi.
Ils sont j eunes et beaux,
chacun arbore ce sourire éclatant et des yeux lumineux
qu’ils garderont toute leur vie l’un pour l’autre.
Ils vont faire la fête, ils vont s’aimer dans l’ambiance chaleureuse et bon enfant
du Tahiti d’antan.
Le
quai de la rade de Papeete sent bon le tiare Tahiti et le tipanier. Les Messageries Maritimes font face à la rade et la vahiné est toujours la première informée de
l’heure d’arrivée exacte des bateaux et de leurs retards aussi.
Un jour pourtant,
il faut se quitter sur ce quai.
Il faut se dire adieu avec l’espoir d’un retour prochain.
Alors, le marin jette à la mer la couronne que la vahiné a pris soin de mêler aux
couronnes de
coquillages traditionnellement offertes à ceux qui partent loin.
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi
#22
Hinatea Rose Demolüens
Tous deux scrutent les courants.
Le
sillage du bateau fait tanguer leur couronne.
Si cette offrande
va
revenir pour
aux
dieux et déesses de la mer reste dans la rade, pour sûr qu'il
elle.
Les deux amoureux vont s’écrire
nouveau
pendant cinq longues années avant d’être à
réunis dans les bras l’un de l’autre.
Il faut attendre le prochain bateau pour recevoir du
courrier, en moyenne une
lettre tous les 6 mois.
Des
5
photos sont échangées. Le temps passe.
ans
à s’écrire, ce sont de très longs jours pour cette vahiné
devenue mère célidu Pacifique.
bataire et ce marin piqué au tiare Tahiti tenu loin des eaux chaudes
Un jour,
à nouveau la rade de Papeete est colorée des couronnes de fleurs qui
chantent le grand retour du tane popa’a et l’enfant en bas âge sera très fâché de
céder sa place et de devoir habiter seul une autre chambre du fare.
La vahiné est toute à son tane,
elle délaisse l’enfant et son ouvrage de broderie
pour vivre l’Amour, telle une Pénélope retrouvant son Ulysse.
Sans
de leur vie commune, ils vont longtemps se
du fromage en boîte et du punu pua’atoro avec
argent, aux premiers jours
contenter
du café pain beurre,
du riz.
Elle ne sait pas encore cuisiner, il va lui apprendre.
La vie suit son cours et nos tourtereaux toujours très amoureux ne se quittent pas.
Ils sont comme les
doigts de la main, toujours ensemble.
L’un ne va pas sans l’autre.
Les fêtes de tout Tahiti
se succèdent, ils boivent, fument et font bombance de
ils s’aiment, la vie semble facile.
Il y a peu et tout est partagé.
tout,
Il la suit partout, ils sont des éternels amoureux.
Les enfants nés de leurs étreintes sont pris en charge la nuit comme le jour par
les taties
et
les grand-mères.
“Que du bonheur !” dit-on aujourd’hui.
25
Dossier
Toujours à bouger, ils vont être appelés “les pigeons voyageurs”.
Ce sont des hôtes
remarquables, des compagnons de fêtes de bonne compagnie, la casserole sur la tête en guise de chapeau, la meilleure bouteille à offrir
dans la main, ils ont ri, beaucoup ri.
Il s’amuse toujours avec elle.
Bel homme. Il n’est pas question
de faire le joli cœur auprès des autres vahinés.
Il ne semble même pas pouvoir l’imaginer tant est qu’il ne voit quelle.
La vahiné n’est pas
volage, elle a un charme fou et une grande générosité de
coeur.
Tout le monde l’aime.
Elle
ne
perd jamais de vue son tane, elle veille toujours à ce que la flamme de
leur amour soit protégée. Elle n’est pas prêteuse.
Avec la maturité elle
se
met à aimer
le calme et les verts de Polynésie.
Il va passer des heures
à tondre le gazon pour son plaisir.
Elle lui mitonne des petits plats très chauds juste comme il aime.
Il déguste et commente toujours pour elle, la cuisson, le goût, le prochain repas
à réaliser.
Un mo’otua, le mara’amu, les pluies régulières, les fidèles compagnons
chiens, les
goyaviers envahisseurs et les poissons du lagon vont animer leurs journées dans
ce
petit bout de paradis au bord de la mer, dernière étape que leur amour s’offre.
Ils vont comptabiliser près
de 60 ans de vie commune.
elle s’inquiète encore pour lui, consciente que son état de santé à elle
détériore considérablement, elle dit souhaiter qu’il décède avant elle car “il
A 82 ans,
se
va
être perdu sans
moi”.
Encore une preuve d’un grand
Elle
est morte avant
Il lui a survécu 3
ans
et bel amour.
lui et très vite il est tombé malade.
et
a
continué à parler d’elle au détour d’une
naire, d’une carte de voyage retrouvée retraçant leurs parcours
de France.
émission culide leurs Tours
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi
#22
Hinatea Rose Demolliens
Il a été ému
et content
de se rendre compte, qua son insu,
elle a toujours gardé
précieusement rangé dans des boites en fer leurs souvenirs.
Les cartes postales de
régions visitées ensemble et toutes les longues lettres
d’amour classées soigneusement année par année.
Même
aux
jours les plus sombres de la dégénérescence liée au vieillissement
cellulaire, l’amour a toujours été présent.
Il a pris soin d’elle, il lui a servi ses 3
repas et il a veillé à ne pas l’énerver car cela
n’est pas bon pour elle.
A 86 ans,
il a fermé les yeux avec gratitude.
Aujourd’hui dans le ciel, il y a deux étoiles de plus qui scintillent et veillent à
rappeler à leurs enfants qu’ils se sont aimés tellement fort.
27
I Rriirau Richard-Chui
Polynésienne, auteure de "Je reviendrai à Tahiti11 et de "Mata mimi’’.
Immémoriale Eau Vaima
“
Il nefaut pas vendre nos terres
Voici
ce
”
que ma répondu mamie Léone Tetuamanuhiri, tupuna, frêle et fati-
guée par la maladie, lorsque je lui ai demandé si elle n’avait pas des informations
sur
la rivière Vaima.
Pourquoi Vaima
C’est
“
au
détour d’un
chagrin, un jour de pluie, que j’ai aimé l’eau pure, dite
Vaima
Déjà, cet endroit m’appelait, j’y avais rencontré un vieil homme qui nouranguilles. La première fois que je les ai vues, effrayée, je me suis réfugiée sur un rocher. Et puis, l’anguille aux yeux bleus est venue me voir en rêve,
en
serpentant dans le noir, elle fonçait sur moi, magnifique. Depuis, j’ai appris
à vaincre ma peur des anguilles, j’apprécie leur contact, elles viennent à moi,
elles ont un odorat très développé et me reconnaissent lorsque j’entre dans
l’eau. J’y suis très attachée et je constate avec tristesse leur disparition progrèssive, les gens font un peu tout et n’importe quoi à Vaima.
rissait les
ils se shampooinent, ils jettent des plastiques, parfois font leurs besoins dans les coins feuillus non loin du rejet de la
Dans cette
eau
pure et propre,
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi
#22
Rrirau Richard-'Jiui
source
même, certains ont emmené des poissons rouges “ pour colorer l’eau
claire ”,
sans
penser
qu’ils mangeaient tout ce dont les nato et les anguilles se
si vous cherchez bien, vous y trouverez même une petite tortue
d’eau douce. A côté de cette pollution matérielle, il y a aussi la pollution sonore.
nourrissaient ;
Par exemple, le
9 août 2014, des malveillants ont ôté une des barrières installées
par l’ancienne mairesse pour empêcher les boum boum et comportements de
débauches... un jour semblable aux autres. J’ai nettoyé leurs détritus : des
en
plastique, des couverts, des ballons, des savates, des papiers de friandises, une corde blanche, des cannettes de bière et de soda. Un autre jour, une
assiettes
bouteille de whiskey vide, une
barquette vide de ma’a, une couche souillée. Si
7h30, vous rencontrerez Roberta, qui travaille pour l’association Vaipahi, elle nettoie quotidiennement le lieu, elle défriche, taille, coupe
parfois des Opuhi pour orner l’arbre mythique qui surplombe le bassin de
vous
y allez vers
Vaima.
A chaque
aube, je retrouvais Vaima, “ Eau pure ”, toujours si belle, si claire,
jamais connaître son histoire, son passé. J’aime cette rivière et jamais je ne
pensais un jour aimer une rivière. Il y a un rocher sur lequel je m’assieds à fintérieur même du bassin Une autre femme a du s’y asseoir dans les temps
anciens, elle s’y est assise au cours des siècle, morte et née à nouveau, car le
rocher porte la marque du postérieur ; il est très confortable, le rocher se moule
à mon corps lorsque je m’y assoies et que j’écoute Vaima me parler bruyamment, pleine de vie. Je l’écoute sans la comprendre, comme je le fais avec ma
langue natale : Je me laisse bercer par les sons.
sans
:
Depuis novembre 2013, j’y suis allée presque tous les jours me baigner, à
l’aube, un besoin vital de retrouver l’anguille; je remarque tous les changements,
je vois lorsqu’on déplace une pierre ; je connais les trois habitacles du crabe de
rivière, à quelle saison il apparaît et disparaît ; j’ai tellement observé l’arbre suspendu au dessus de son eau, que je sais à quel endroit son tronc est recouvert
de champignons et la façon dont ses racines enlacent les rochers qui lui servent
de socle. Je sais que dans le petit bassin adjacent à Vaima, dénommé Vaituana,
vit et
grandit lentement une petite anguille que j’ai appelée “ bouche tordue ”,
que j’ai vu la première fois alors quelle faisait environ 25 cm, elle doit faire à peu
près 50 cm aujourd’hui. Il y a dans ce bassin tapissé de pierres multicolores, une
pierre étrangement marquée d’un trou, comme je n’en ai jamais vue avant, je
l’ai laissée à sa place, elle appartient à cet endroit.
29
Dossier
À la recherche du passé de Vaima
Celui qui refuse de transmettre, refuse d’éduquer. Le patrimoine s’égrène en
lanternes qui
éclairent nos routes quand le soleil n’est plus là : S’il disparaît, nous
d’autres chemins qui ne nous
appartiennent pas, nous devenons des
étrangers. Je ne fais pas partie de cette génération qui veut tout s’approprier sans
errons sur
citer les sources, sans
partager, sans échanger. Le plus grand handicap qui me
pèse est la langue, c’est la lanterne manquante sur cette route mal éclairée, qui
m’oblige à tant de détours, à frapper à des portes qu’on refuse de m’ouvrir.
qu’il y ait transmission, il faut qu’il y ait un transmetteur et un récepAujourd’hui dans une culture de moins en moins palpable, les transmetteurs doivent refuser le sectarisme, car ils risquent de noyer la descendance
dans l’oubli, avec cette obligation de tout reconstruire à partir des autres, à partir
de ce qui ne lui appartient pas.
Pour
teur.
Il m’a pris l’envie de connaître tout de cette rivière, de ce patrimoine ;
donc lu et trouvé si peu, car la véritable mémoire de Vaima date d’avant
j’ai
les
à peine. Un jour je croise une femme qui nettoyait les pehu à Vaima, un peu méfiante parce que je suis blanche, elle m’a
donné du bout des lèvres quelques indications puis m’a emmenée à Poema, de
livres ; Teuira Henry la survole
l’association Vaipahi. Je parle avec Poema, lui pose
“
des questions sur Vaima.
Qui es-tu vraiment ? "me demande-t-elle, comme si Vaima était un secret
d’Etat.
“
Je suis Ariirau Richard, nom de jeunefille, Vivi, nom d'épouse; maman Tahitienne, papa Français, je suis la petitefille de Léa Poroi, de Tipaerui. ”
“Alors dans ce cas, ilfaut que tu ailles demander à quelqu'un de ta famille, c’est
mieux,
on ne
transmetpas les histoires comme ça ; va voir Ella Poroi, sinon essaie aussi
papa Amaru qui est aveugle ou mamie Leone.
de téléphone mais on te dira où elle vit "
Tu vas au magasin chinois, Ella n’a pas
Je suis allée au magasin chinois, j’ai demandé où papa Amaru vivait, où Ella
vivait, on m’a gentiment montré leurs maisons : je me suis dit à ce moment que
les portes
s’ouvraient.
Je suis arrivée chez papa Amaru, je me suis présentée, il m’a dit de m’asseoir et
bien qu’étant aveugle, il ma fixé de ses yeux blancs en souriant. Et puis il m’a dit :
patrimone
dpoertus
f les
LittéRama'oHi .#
22
flrirau Richard-Uiui
“
Je ne suis ici que depuis 5 7 ans, c'est peu. Je suis sans grandes connaissances ; va
Poroi, elle est là depuis toujours, et puis c'est quelqu’un de ta famille ; sinon
reviens me voir et je verrai sije suis disposé à te parler. "
voir Ella
de savoir nous dire non en nous faisant
qu’ils ont dit oui. Respectueuse de son mutisme, j’ai encore espoir d’obtenir des informations sur Vaima avec mamie Ella Poroi qui vit deux servitudes
plus loin.
Nos anciens ont cette particularité
croire
Une vieille femme de 92 ans, toute menue,
les cheveux courts et gris, maccueille, souriante ; dans son salon je reconnais une photo de mon aïeul Alfred
Poroi, de sa première épouse, je descends du 2emc lit, de sa deuxième épouse,
Orimai Teioatuatehoahoarai Henry. Je me présente.
Ella
parler de la généalogie, puis elle s’adresse à moi en
m’appelant “ poupée ”, parce que, en effet, j’ai exactement la même tête d’une
femme sur une photo en noir et blanc, une inconnue pour moi, Poroi, qu’on
appelait “ poupée ”...
—
—
—
—
—
commence
à
me
Mamie Ella, que connais-tu de Vaima ?
Pas grand chose ! Il y avait Tavararo chez les Poroi,
tu sais que c’est lui qui a
dilapidé lafortune des Poroi ? Il a tout vendu aux Juventin, autrefois, nous
avions tout Tipaerui, et même plus, il a tout vendu !
Mamie, je voudrais écrire un livre sur Vaima et on m’a envoyée à toi.
De quelle branche descends-tu ?
De Taravaro en fait. Il est du deuxième lit. ...Te rappelles tu d’histoires de
Vaima ?
—Ah !... Sais-tu que tout le
lac Vaihiria et ce qui l’entourait appartenaient à
Alfred Poroi et qu’il n’a jamais rienfait pour garder cette terre ? ”
Et puis Ella ma parlé
de sa vie à Mataiea, avec son père, et puis ensuite son
époux, et elle m’a parlé du Tahua dont elle a oublié le nom, qui faisait des choses
diaboliques ” car il invoquait les esprits en tahitiens mais disait guérir au nom
du Seigneur, et puis elle m’a dit d’autres choses, elle m’a dit quelle a vu, de ses
yeux vu, des personnes diminuées physiquement se traîner jusqu’au bassin
Vaima et ressortir guéries, un peu comme un puzzle auquel il manquerait une
bonne dizaine de pièces. Puis elle conclut par :
“
31
Dossier
—
Vas voir les gens
sur Vaima ’’
quifont les chants au Tiurai, eux ils connaissent des choses
Désappointée mais enrichie par ce contact avec une Tu puna, j'ai poursuivi
route ; le soir même sur TNTVj
John Mairai racontait en tahitien exactement ce que mamie Ella m’avait confiée.
Je n’avais donc appris aucun secret de
ma
l’eau immémoriale.
Le geste
symbolique
Je décide d’aller à la mairie de Mataiea. Là on me parle d’une légende qui
avait été chantée à un Heiva, liant le lac Vaihiria à Vaima, car c’est de là
que vient
la source. Je repense à ce que m’a dit mamie Ella, comme si elle avait voulu me
glisser un indice : “ Sais-tu que tout le lac Vaihiria et ce qui l’entourait appartenaient
à Alfred Poroi et qu’il n'a
jamais rienfait pour garder cette terre ? "
De la mairie, on me
dirige vers un certain Tati qui habite à Papeari sans plus
de détail ni nom de famille, ou d aller voir mamie Léone
qui elle, connaît sûre-
des choses ; je vais donc voir Léone Tetuamanuhiri, mais elle dormait.
On me dit : “Je t’appellerai ce soir et je te dirai si elle est
disposée à te voir ”
ment
Et de Léone j e
ne
sache déjà :
n’ai rien appris, sur Vaima, du moins, rien que tout le monde
“Je ne sais pas grand chose ”
Et voici que
mamie Léone me parle de sa mauvaise expérience avec un
homme qui lui a bâclé son travail et qui cherchait à tout prix la reconnaissance.
J’ai eu beau lui dire que ce que je voulais, c’était juste écrire sur cette rivière qui
m’appelle, pour transmettre, en citant toutes mes sources, mais Léone ne se
dévoile pas ; elle me fait comprendre que je dois être patiente et
prouver que
je mérite de connaître la mémoire de l’eau Vaima, mais elle ne sait pas combien
je suis liée à cette rivière, que j’y vais plus que souvent, quelle est ma source de
paix ; elle me donne un vieux manuel de tahitien pour que j ’apprenne à parler
ma
langue. Geste symbolique : Reviens me voir quand tu parleras tahitien.
Certes bredouille et
ignorante, j’admets que j’aime Vaima toujours autant,
façon que j’aime ses anguilles : en sachant quelle couve des mystères que même mes ancêtres ne devaient
pas connaître et c’est son droit, d’être
mystérieuse.
de la même
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi
#22
flrirau Richard-'Jiui
Il faut accepter qu’on ne peut pas tout savoir, il faut accepter d’être déshérité
de sa culture
: une sorte de
punition, peut-être, mais aller à l’encontre du désir
des autres, je pense ici aux porteurs de savoir, c’est aussi leur manquer de res-
pect ; j’ai le choix : Soit je creuse la terre, partout, n’importe où, pour en déterrer
les os du passé, et renaître avec lui, soit je laisse les os reposer en paix,
quelque
part. Dans un cas où l’autre, nul n’est responsable de mon ignorance. La persévérance, l’espoir et l’acceptation font aussi partie de ces lanternes qui éclairent
le chemin des enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Marine Tehea
Frogier-Léocadie
Te faufa a
o
te Parau Pa ari
a
te Feia Pa'ari
“
E
A here i to
meafaufaa i te parau i to ‘oe iho reo, na mua roa.
oe iho reo mai ia ‘oe iho. Eiaha
efiu i te parau i to
A here i to
Teie te
mau
oe
reo, a
oe reo.
here i to ‘oe reo, ‘a here i to ‘oe reo... ”
‘irava hopea roa tau i faaroo, mai roto mai i te
aau
hôhônu o te
tahiMetuavahinepaari, ‘ua hau te 95 matahiti, no Raromatai i Tahaa, hou oia
faaru e mai ai i teie
ao, piti mahana i mûri iho i to maua farereiraa. Auê te
pe ape a e te horuhoru te ‘aau i te faarooraa i teie parau bto, no te mea ‘ua faaauhia ia e e farerei faahou mâua, e aita ho‘i te reira i ti a hia :
a
Ei Hau i roto ia be
‘Oia
e
Màmà Tara iti !
faahôhônu atu à te faufaa o te parau no te Reo e te Hiroa
mâbhi, ‘ua bpua vau, i te avae tiunu 2014 ra, e tere farerei e e uiui i te mau
manab hôhônu o te tahi mau taata
paari, mai te matahiti 75 e haere atu ai, i
Tahiti nei, i Raiàtea e i Tahaa. ‘Ua rau te mau manab nehenehe i vauvauhia
mai,
i horoahia mai, mai te tahi ô ra te huru, mai te tahi Aho Ora ra te huru. ‘Ua
mau, no te
tumu
maramarama
maitai te
mau
tatararaa
hôhônu
a
tera
e
tera Metua Paari.
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi
Marine Tehea
#22
Frogier
-
Léocadie
Maheatua a Tetahio-Tefaaora, pi'ihia b Màmà Tara, fanauhia i te 24 no novema
1918 i Taha'a, o tei
Tevahineviviura
a
faaru e mai i te 27 no tiunu 2014 i ‘Iripau, Tahaa.
Te ri 1 te to o fa-Mo h i,
Màmà Raipuni, fanauhia i te
Tetuahunaiteuraheimata
a
haaipoipohia ia Man ara ni, pi'ihia ‘0
13 no ‘eperera 1919 i Vaiaau-Tumaraa i Raiatea.
Teiitae,
haaipoipohia ia Opuhi, pi'ihia ‘o Màmâ
Tetua, fanauhia i te 14no eperera 1931 i Havino-Tahaa.
Amélia, Tetua a Tetuanui, haaipoipohia ia Paia, fanauhia i te 19 no mati 1937 i
(Tiva)-Tahaa.
Ruutia
Henrietta, Meteiarii a Tereora, haaipoipohia ia Alves, fanauhia i te 25 no atete
1942 i Penrhyn, i te pae Rarotoa mâ.
Te vahi
te
e
mâuruuru
roa
atu ai tôu aau,
to ràtou ia mata ataata, te reo marü e
pâpü maitai i te parau tahiti. Aita te mau tab e ano‘ino‘i, noa atu tei roto te tahi
pae i te ati mai, e mea nahonaho maitai i roto i te feruriraa no te mea e feruriraa
maohi pàpü o tei ora hia mai e râtou ia au i te oraraa maohi a te mau Tupuna : te
tahuraa i te auahi, te rapaauraa mai na roto i te ravea o te raau tahiti, te faaineineraa i te ahimaa no te tahi oro a, te huru o te mau tautai i te tairoto e i te
taitua,
te
faufaa o te raraa, te faaineineraa i te tifaifai, te puturaa i te
mono‘i tiare tahiti,
‘ipo, te poe, te faraoa haari e te vai atu ra. Hau atu à i te faahiahia,
ua
operehia teie mau maitai i roto i te huaai na roto i te reo tahiti, e na roto i te
faaohiparaa i te tai taae e te navenave o te reo no Raiàtea e no Tahaa.
Ua faahiahia e ua fanao te tahi pae o te mau tamarfi, area te tahi
pae, ‘aita à
ia i apo i te faufaa taae e vai ra i roto i te mau
Matahiapo.
E i teie tau ‘api, tau o te oraraa bhie, te vai nei teie manaonabraa rahi : na vai
atu ra e
püpü i teie mau ô i roto i te u‘i-api o te Fenua nei ? Te moe marü noa ra
te mau taata
paari, e te faaru e mai nei te rahiraa o râtou, ma te taitai atoa atu i
te tunuraa i te
hanahana, teie mau Parau Paari, teie mau aai o to râtou iho ai a.
No reira, ‘ua tae i te taime, ia faaitoito te ui-api i te
tapiri atu i to ràtou iho
mau Metua Paari no te aniani, no te uiui, no te feruri e o râtou, no te
teie
mau
ô
paepae
Metua i nia, noa atu te paruparu o te mau mero, te
haapahi
tahi mau taime, noa atu te ‘iri karukaru, noa atu te taere o te parauraa.
atoa i teie
mau
Te parau ra o
“
Mama Tara, teie Màmà iti no Tahaa :
be reo, ‘a here i to 'oe reo ! ”
‘Aiü c, eiaha efiu i te parau i to
i te
35
Dossier
I taua taime ra,
b vau nei,
tei faaara
‘ua
e
piri atu ra tô na nâ mata i te rohirohi e te vare'a tabto. Area
maita'iia tô‘unâ mata, ‘ua toro nâ taria i teie ‘iravahôhônu
araara
tei tamahanahana i tô‘u iho taata tumu.
Na te Parau Paari i roto i te Taata Paari
e
‘iriti i te
‘uputa o te Paari
Maoti atoa teie tab
Here, ua matara te uputa o to tàtou Parau, bia ho‘i te
uputa o te Ora, te Hau e te Paari. ‘Ua matara teie uputa i mua i tb'u aro,,‘auae
maoti te maita'i
o
teie
mau
Taata Paari tei faariro
roa
ia‘u ei Tamari'i
atoa
na
ràtou.
to
Mauruuru rahi tô‘u ia butou tei faari'i hanahana
butou ‘a‘au, ia mahorahora te Parau Paari.
ia‘u, tei tatara i te uputa o
No butou teie parau tau e pàpai nei, i teie mahana.
pue mahana i te ao nei e ‘a tamau à i te
roto i te
la roa noa atu à to butou
bpere maite i te Here o to tâtou Parau i
ui-api.
E teie Màmâ iti
Tahaa, mauruuru no teie ‘irava poto roa ta be i faaoti e
püpü mai i roto ia‘u. Te faari'i atu nei au i teie Alio hopea to be, tei haahiroa ia‘u
i te faufaa rahi o to taua Parau. Aita faahou be i te ao nei, na to be rà Mana taae
e
no
aratai iau i nia i te e‘a
o te
Parau Paari.
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi
Harine Tehea
#22
Frogier
-
Léocadie
Pehepehe haamanaoraa ia Tepa Daniel
Te Toa Tarava
Mai te
mau
piahi LLCER-LP2, ‘ua pâpa'i atoa mai au i te tahi pehepehe iti
ei ohipa tei tupu,
ei haamanaoraa ia Pàpà Tepa Daniel tei faariro i tau momoeâ
bia ho‘i, te faautaraa i te hiroa mâohi i nia i te hô e tiaraa faufaa roa.
‘Ua pàpa'ihia teie pehepehe i te 26 no ‘atopa 2013, ei haamanaoraa ia Pâpà
Tepa Daniel. ‘Ua fanauhia bia i te 25 no ‘atopa 1946, e ‘ua faaru e mai i teie ao i
te 26 no ‘atopa 2013. E ‘ua ‘iriti paripari hia teie pehepehe ia au i te faanahoraa
i mûri nei
‘ia nehenehe ia himene
tarava hia.
rahi ia‘u i roto i tô‘u oraraa ‘orometua
ha'api'i Reo tahiti, i te pae o te hiroa e no te himene tarava tahiti ihoâ râ. ‘Ua
haere tino roa mai i mua i te mau piahi no te Tuarua, no te Tuatoru, no te ha'api'i
i te mau tai e i te mau auri, a te mau tamahine e a te mau tamaroa. ‘Ua faaite
mai i te mau tumu parau o ta na i faâohipa, i te mau ‘irava himene o ta na i pàpai,
No te mea, nâ teie metua i tauturu
a
tu‘u atu ai i te ta‘i navenave o
I te
matahiti i ma'iri,
te tarava
tahiti.
pinepine ta na pupu himene nô Papara, o
‘amu i te rë matamua, i te Heiva, i roto i te tatauraa himene
tarava tahiti ihoâ râ. E'ita te marü, te here e te maita'i o teie Metua tàne e moehia
ta
na
mau
i aratai na, i te
‘opü feti i. I roto i tô na oraraa fa'arob porotetani i Papara e tô na
himene, na tô na iho hoa haaipoipo, Frogier-Tepa Gloria, i ‘apee noa
ia màtou, te
mau
e
e mea
tere
i tauturu
rahi ia na.
37
Dossier
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'OHi
#22
Marine Tehea
Progier
-
Léocadie
Te pehepehe o
I
Pinainai te reo
o
te Metua
te Toa Tarava
Tepa ra,
I nia i tà na mau tama e
Reo iti haiha i i te pi'iraa mai
Mai te puhihau o
te mata‘i e
I te pae uputa o tou manava
Uiui haere te manao e
II
E te
mau
tamarn
Papara nui e
Te toro atu nei te tari a e
Te Tarava
tahiti, tau i faaroo
Tei hea mau atu ra taua
e
‘Oia te aha o te u‘i-hou
e
A mau maite i te reira
e
tahiti, te aho ora
O te hiroa maohi e
Te Tarava
III
Ua tarava i te mau tupuna ra e
Ua tarava i te aito, ua tarava i te
ari‘i
Ua tarava i te puna, ua tarava i te moua
Ua tarava i te mau peho ra
Ua tarava i te rai, ua tarava i te tai
Ua tarava i tô
na nunaa e
Ua tarava i te meharo, ua tarava i te tau
Ua tarava i te Taere maohi
IV
la mahuta noa mai
Papara nui e
Papara a Oro hua re‘a
E te u‘i hou e, ia tai navenave
Te oto
paripari i te fenua e
la tau ‘auhune i te Aroha
I te Aroha
o
te rai teitei e
o
te
fenua
39
ILa
Il“
Dossier
Le poème
du Toa du Tarava
voix de l’ancêtre
Tapa, s’adressant à ses enfants, a résonné.
C’était une petite voix légère comme le souffle du vent, et elle hélait.
A l’entrée de
mes
entrailles, des pensées s’étaient interrogées.
Oh, Enfants du grand Papara,
Je tends l’oreille vers vous :
-
Où en sommes-nous avec le chant Tarava
que j’ai entendu
Il est l’attache qui marque et relie les
?
jeunes générations !
Maintenez bien cela !
Le Tarava tahiti est le
souffle
III
de vie de l'âme maohi ! ”
“ Nous avons chanté en Tarava
-
nos
ancêtres,
nos
héros, nos ari'i,
Nos sources, nos
montagnes, nos vallées,
Les deux et la mer, notre
peuple, la mémoire, le temps...
Nous avons chanté en Tarava la Culture maohi ! ’’
TV
“
Que le grand Papara de Oro hua red rebondisse !
Oh, vous les jeunes, que votre chant Tarava résonne agréablement
-
Tels les chants
d'éloge de lamentation de la terre !
Afin que vous prospériez dans l'Amour de votre Terre
Et de l’Amour du Ciel très haut. ”
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi
Marine Tehea
V
# 22
Frogier
-
Léocadie
Ua hi‘a te toa i Tiamao e
Matari‘i-Nia e
A faari'i mai i te toa Tarava
I teie pou rahi mau a
A moe te Metua i
e
faaturahia
A tarava iroto iteHaue
A tau, a hiti, a hiti noa atu
‘Ei hau i to te ao maohi
VI
Teie te poro‘i e te uï-api e
Tei nia i to iho te parau ra e
Tô
na
iho hiroa, te hiroa tumu
Tô
na
iho reo, tâ na mau peu
Te tuaaai
e
te moemoeà
Tei roto ia be te
E faufaa tumu
uputa
rahi mau à
A faahotu maite té na
VII
Ua tarava i te
mau
e
tupuna ra e
Ua tarava i te aito, ua tarava i te
ari'i
Ua tarava i te puna, ua tarava i te mou a
Ua tarava i te mau peho ra
Ua tarava i te ra‘i, ua tarava i te tai
Ua tarava i tô
na nunaa e
Ua tarava i te meharo, ua tarava i te tau
Ua tarava i te Taere
maohi
VLe
VI"
Ml
Dossier
Toa de Ti'amao est à terre,
Oh, Matarïi-Ni'a, accueillez le Toa du Tarava,
Accueillez ce grandpilier !
Et toi l’ancêtre respecté, étends-toi dans
VI“
Et que
la paix jusqu’à lafin des temps.
la paix règne dans le monde maohi ! ”
Voici mon message à toi, oh, Jeunesse,
Il porte sur ce que tu es,
Sur son être, sa conscience, sa culture,
-
Sur sa
langue, sur les traditions,
Sur les récits et sur les rêves !
Leur porte
d’entrée se trouve en toi,
!”
Faites doncfructifiez tout cela
-
Chantons en Tarava nos ancêtres,
nos
héros, nos ari'i,
Nos sources, nos montagnes, nos vallées,
Les deux et la mer, notre peuple, la mémoire,
le temps,...
Chantons en Tarava la Culture maohi ! "
Karine Tehea Frogier-Léocadie
patrimone
dpoertus
es
13
LittéRama'oHi
#22
Henrietta fTleteiarii Tereora flluès
"De
Penrhyn à Tahiti. Ma vie ” ou la biographie d’Henrietta
Meteiarii Tereora
-
Alvès, auteur d’une centaine de chansons, née à Pen-
rhyn aux îles Cook, où elle a passé son enfance. A Tahiti, dès son adolescence, elle parvient en dehors de tout enseignement à se construire
elle-même grâce à son intelligence, son habileté manuelle et son courage.
Maurice
Vinot, vieil ami de Meteiarii.
Te au Mokopuna
Àkamaitaki au
I to te
rangi
Te so hanga mai na mokopuna nei e
Rekareka
no
toku pukuhatu e hahe
Mareka no te varua ra e
Mareka no te varua ra e
Tereora
Verani
o
o
te
te
mokopuna mua e
rua o
te
moko e
‘O Reva b Reva siringa kotou
No toku pukuhatu e
Mareka no
hahe
te varua e
Mareka no te varua ra e.
Siki epa siki i te pô
Siki epa i te kasa
Uapasakamai
Ua noho tu mai
Soro atu kia na
Soro atu kia aku
Aka patipati mai ia maua e he
Takuate na mokopuna nei e
Takuate, Takuate, Takuate na mokopuna nei.
M3
Dossier
A
mes
I
petits-enfants
Je remercie le Ciel,
Oh, oui ! Je remercie le Ciel
D'avoir comblé mon cœur,
D’avoir apaisé mon âme,
De m'avoir donné des petits-enfants.
Tereora, Verani, Chair de ma chair,
Vous êtes
en
moi,
au
plus profond de mes entrailles,
Au plus profond de mon cœur,
Vous êtes au plus secret de mon
Vous êtes
âme,
Vie; vous êtes mon être.
Tereora, Verani et Rave
ma
Reva IReva !
Quelles merveilles !
bercer un enfant dans ses bras
Le soir,
Le bercer à l’aube
Le voir s’asseoir et rire de son
exploit
Le voir courir de toutes ses petites jambes
Jouer avec lui
Le voir se précipiter vers vous et se moquer de vous
Pure joie ’.Merveilleux bonheur !
Pure joie ’.Merveilleux bonheur !
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'OHi
#22
Henrietta fDeteiarii Tereora Rlues
Tui hei
Tera mai te tiare
Tera mai te maire
Tera mai te hei Tahiti.
A tui
ana ra
I te hei ‘unauna
Ei faanoano a
I to tâua tino
Atuitui ana
ra
I te hei upoo
Ei haapeuraa
Na u i teie pô
!
Te Hau i roto i teie
ao
E fenua, e ao marama
E taata, e
Ta te
ohipa, e natura,
Manahope i poiete
E Here
e
Aroha e te Hau.
la vai, ia vai, ia vai,
la vai te Hau
I roto i teie nei
ao
lavai, ia vai, ia vai,
la vai te Hau,
No be
e e
nôu.
Te rôti tei poe poe hia
E mauriuri
Faaapiapi i tô u mau manao
I te
mau
taime ri‘i atoa
Faaapiapi i tô‘u nei mau manao e
I
mua
mai i tô u
I
mua
mai i tô u taupee
I te
mau
Ho‘i
atu
taupee fare
fare
taime maniania bre
ra vau
E ha amanab
e
Te rôti tei poe poe hia e
e
Dossier
Tresse ta
couronne
Voici le tiare
Voici la fougère
Voici lesfleurs
de ta couronne
La belle couronne de Tahiti
Pour parfumer nos
deux corps
Tresse-la vite
Tresse-la vite, la belle couronne de Tahiti
Pourfaire
la belle ce soir !
La Paix en
La
ce
monde
Terre, l’univers, la lumière,
L’homme et toutes choses de la nature,
Que le Très-Haut a créées
Ne sont qu’Amour,
Bonté et Paix !
La Paix ! La Paix ! La Paix !
Que la Paix demeure en toi, en moi, En nous !
La
rose
à l’oreille
Toujours la voix du grillon,
Messagère de l’au-delà,
Brouille et suspend mes pensées
Quand je suis sur la véranda
La véranda de ma maison.
Et dans le silence qu’elle
m'impose,
Dans le silence du passé retrouvé
Je me remémore
La rose qui joyeusement, se porte à l’oreille.
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'OHi
# zz
Henrietta fTleteiarii Tereora Hlues
Teraitua
Te Tama here hia
Ta tô
I te
na
ao
metua vahiné i tô mai
nei
Mai te poro'i
atoa mai
A rave ia na
A aupuru ia na
A a‘o atu i te parau
No tô na oraraa amuri
I te
ao
atu
nei
Teraitua, Raitua.
Himene
au no oe
E Maria te ari'i vahiné
No te here rahi ia mâtou
No reira ho‘i
au e
himene ai
Te metua vahiné
no
Ietu
Te metua vahiné
no
te Hau
E Maria, e Maria,
Te paretenia noa ra e
Te metua vahiné haamaita'i hia
Apure no mâtou !
Dossier
Teraitua
Enfant chéri,
Né d'une mère adorable,
Au ciel emporté,
Tu
es mon
Et,
comme je
fils !
le lui ai promis,
De tout mon cœur,
Je veillerai sur toi
Je t’armerai pour ta vie ici-bas
Pour demain et pour toujours
Jeferai de toi un homme !
Teraitua, Raitua.
Je te chante à mi-voix
Je te chante à mi-voix
Marie, Mère de Jésus
J’en appelle à ton immense Amour
Ô Reine de la réconciliation
Marie ! Marie
Ô Vierge sainte :
Ô Mère bénie,
Prie pour nous
!
Ô mère sacrée !
LittéRama'oHi
#22
Hong-lDy Phong
Née à Papeete,
d'origine chinoise, HongMy aime la lecture etl'écridepuis l'enfance. Membre de l'association "Paire des Mots”, elle s'essaie
à l'écriture poétique : certains de ses
poèmes (Où et comment vivre, Eruption) ou texte (Solidarité) ont été publiés dans la revue "Les Pages récréaturc
fives
des Atelier d'Ecriture".
La rage
de vivre
Vietnam 1953. Un jeune
homme d’origine vietnamienne, Guan Bao, vient
d’apposer sa signature. Ne sachant pas écrire son nom, il fait une croix. Le voilà
engagé dans l’armée indochinoise plus précisément dans La milice. S’ensuivent
de longs mois à encaisser sans broncher les remarques racistes, les corvées
humiliantes comme simple soldat tout en apprenant la langue française.
Il expérimente la bassesse de l’être humain, et la laideur de la
guerre. Les
combats reprennent de plus belle à la frontière. Le général leur dit : “ Vous êtes
entrés dans la Légion pour mourir, alors je vous envoie là où on meurt ! ”. Guan
Bao est affecté
Cochinchine mais il n’en meurt pas.
Les privations l’endurendurant qu’aucun autre soldat.
Un an après, son courage lui vaut la médaille Coloniale.
en
cissent, le musclent, le rendent plus fort, plus
Algérie 1956. Le commando d’Extrême-Orient dont fait partie Guan Bao
Alger. Suivant les ordres, il commet des choses atroces au nom de
l’armée, pour la gloire de la France. Bizerte 1961. En tant que parachutiste,
Guan Bao fait partie de la deuxième vague qui doit décoller de Blida en
Algérie.
Sa vie et la vie de ses hommes dépendent des chefs d’Etat Habib
Bourguiba et
Charles de Gaulle. Finalement, Bizerte est récupérée mais à quel
prix ! Guan
Bao, maintenant caporal, a perdu des hommes, des amis. Il comprend alors que
le sang sèche vite et qu’il y aura toujours des batailles à livrer pour le compte
d’hommes capricieux se prenant pour des héros. Il est décoré plusieurs fois
pour son agressivité et sa combativité face à l’ennemi.
est muté à
49
H
Dossier
Las de
l’armée, Guan Bao décide de vivre à Tahiti. En travaillant dans les
champs, il acquiert le métier d’agriculteur et veut travailler pour lui-même. Pour
ce faire, il doit trouver un terrain.
Voilà, c’est ici, dit l’agent immobilier.
Guan Bao jette un regard autour de lui. Ils sont arrivés à un endroit vaseux,
marécageux où poussent en pagaille des arbres, des arbustes, des hautes herbes.
-
Il ne dit rien et l’autre enchaîne
-
Le terrain
commence
l’homme d’un geste vague
:
à partir
de là, et ça va jusqu’au bout... là-bas, dit
de la main.
L’agent immobilier ne veut pas marcher dans la boue et se frayer un chedans la végétation, mais il suit Guan Bao, qui veut voir les limites du terrain. Guan Bao lève la tête. Il remarque la forme du terrain, son orientation
selon les points cardinaux, voit les montagnes et tout cela lui plaît. Son instinct
sûr lui a permis d’éviter le danger ou de rester en vie pendant les guerres. Il
min
achète le terrain.
Chaque jour, à la sueur de son front, à la force du poignet, il fera de cette
inhospitalière une propriété immense dotée d’un champ exploitable et
prospère. Quand son héritier vient au monde, il est comblé de bonheur : un
garçon pour perpétuer son nom. A ses enfants, il ne raconte pas pourquoi il a
deux doigts amputés à sa main gauche, ni ne dévoile l’origine de ses cicatrices
laissées par des balles qui lui ont perforé le corps en de multiples endroits. Il
avait et a toujours la rage de vivre.
■
terre
patrimone
dpoertus
es
H
LittéRama'OHi
#22
JHong-my Phong
Le
Ma mère excellait dans l’art
dragon
de rester discrète, de rester calme et sereine en
toute circonstance.
avions des amis à la maison et nous étions dans le jardin
lorsque nous entendîmes un hurlement : “ Au secours, elle veut m’assassiner !
Mes amis, mon frère, ma sœur et moi, nous nous sommes dirigés vers l’endroit
d’où émanaient les cris. Nous vîmes une femme, échevelée sautillant d’un caniveau à un autre dans le champ de mon père, en lançant des regards apeurés pardessus son épaule. L’autre femme c’était ma mère la poursuivant hardiment en
la menaçant d’un coupe-coupe et hurlant aussi à son tour : “ je n’hésiterais pas
Ce jour là, nous
à m’en servir ! ”
côté de moi, et je lui donnais un coup de coude dans
A vrai dire, nous n’avions jamais vu notre mère courir à part quand elle essayait de nous donner une fessée. En général, elle nous
menaçait de représailles encore plus terribles si nous tentions de fuir les coups.
C’était une femme de parole. Si nous évitions ses coups, elle nous frappait en
conséquence. Pour nous rappeler à l’ordre, elle nous pinçait dans les parties
charnues, nous tirait les oreilles lorsque nous n’écoutions pas, pire, nous cinglait
avec un balai “ niau ” (balai local fait de tiges de palmier) lorsque nous désobéisMon petit frère riait à
les côtes pour le faire taire.
sions. Mes jambes en gardaient encore des traces : des éraflures sanguinolentes.
Plus tard, elle m’avait apporté une pommade pour me soigner en me disant : je
t’avais prévenue.
ser un
C’était sa façon de s’excuser. Quel genre de dégât pouvait eaudemandais-je quand même assez inquiète ?
coupe-coupe, me
elle courait en évitant du mieux quelle pouvait les légumes
soigneusement plantés par mon père. Heureusement pour la malheureuse, ma
mère n’était pas douée pour la course et elle arriva à rester assez loin du coupecoupe. Les adultes aussi observaient la scène ne sachant que faire, que dire, visiblement gênés de découvrir cet aspect de la personnalité de ma mère : une furie
en colère, le
visage rouge, les yeux exorbités, postillonnant des menaces. C’était
un état
que mon frère et moi connaissions bien et que nous assimilions à un
dragon (c’est son signe astrologique chinois) crachant le feu et soufflant un air
brûlant par ses narines.
Pour l’heure,
Dossier
rendit-elle compte du spectacle inconvenant de sa conduite, à
quelle eût peur d’atterrir dans un caniveau et de se retrouver couverte
de boue, ma mère renonça à la poursuivre
davantage, elle retrouva son calme
Peut-être
se
moins
et revint vers
la maison.
Bien
entendu, mes amis durent quitter la maison en catastrophe. Il n’était
pas convenable de rester dans la maison où les invités risquaient de se faire trancher la gorge même si l’invitée en question était la maîtresse de l’hôte.
Après cette scène, je ne revis plus jamais mes amis. Quant à ma mère, je suppose quelle gagnât le respect de tous. En tout cas, mon père savait à quoi s’en
tenir dorénavant. Avait-il
pensé, comme moi, que ma mère aurait pu s’en prendre à lui plutôt qu’à l’autre ?
LittéRama'OHi
#22
Flora Rurima Deuatine
Auteure de poèmes traditionnels en
et de
tahitien, de poèmes libres enfrançais,
nombreux articles dans de multiples domaines touchant divers as-
pects de la société, de la culture, de la littérature, de la poésie tahitiennes.
...
Et
ce
Je dis Merci à mes Ancêtres
faisant, je fais référence au Temps,
En me plaçant à leur suite,
tous
dans leur lignée et dans toutes les lignées ! Et avec
les morts vivant en nous,
Car de
nos
Ancêtres, il nous en souvenait !
Des Ancêtres
envers
lesquels nous avons un devoir moral, familial, social,
culturel, tout comme par rapport à la société d’aujourd’hui de laquelle nous faisons
partie,
Une société que les Ancêtres avaient commencé à bâtir, il y a longtemps,
bien longtemps avant nous, pour nous,
A laquelle ils avaient donné l’esprit, donné la couleur, le sens, le parfum des
choses, et pour laquelle ils avaient mis en place des rites,
Pour que nous d’aujourd’hui nous fassions le reste, que nous suivions, continuions le mouvement, que nous
rer
le message
évoluions ou changions de direction, sans alté-
d’origine,
En nous laissant la liberté
D’où la dédicace qui suit,
sans
pour autant perdre le sens,
à leur intention !
Aussi, nous donnons-nous ici “te maorora’a”, la “longueur de temps et des-
pace” nécessaire pour dévoiler un texte daté,
Chantant et pleurant tout à la fois les Ancêtres, et en faisant le deuil
De tous ceux qui nous ont précédés, indépendamment des actions qu’ils
ont pu accomplir de leur vivant,
53
Dossier
Ce sont
qui nous portent et nous supportent psychiquement, énergétiquement, mentalement, collectivement, spirituellement,
Et qui continuent de nous porter !
Quel qu’aient pu être nos relations avec eux dans notre éducation, dans nos
croyances, dans nos représentations, dans nos récits,
Il y a envers eux un devoir de mémoire à leur rendre de la communauté
eux
d’aujourd’hui,
Et
ce
devoir est aussi
un
liant à affermir,
d’appartenance, pour le maintien
de la cohésion sociale de l’ensemble.
Je dis Merci à mes Ancêtres !
En premier lieu, à mon Père,
Qui disait avoir “plein d’idées en tête”, et pouvoir sentir, tout percevoir, sans
toujours exprimer ce qu’il voit, pense, ressent,
Sans pouvoir formuler ce qu’il récuse ou souhaitait que cela fût entendu,
Et qui donc souffrait de sa difficulté à dire, ce qui devenait une difficulté
d’être, d’exister, et qui, souvent, s’effondrait, sur son ignorance, ou à cause de Fincompréhension, et peut - être du manque d’amour qu’il avait pu éprouver, et
qu’il vivait profondément,
En des empreintes que révélaient des larmes aux racines immémoriales !
Je dis Merci à mes Ancêtres !
Merci,
Pour ce qu’ils étaient,
Pour ce qu’ils firent !
Pour les valeurs morales si peu reconnues
vis des
nouveaux
dont ils avaient fait preuve vis à
arrivants,
Que ceux-ci aient été des missionnaires, des navigateurs, des explorateurs,
de simples voyageurs, ou de grands scientifiques,
Marins, aventuriers, pirates, brigands, bagnards, colons, conscrits, militaires,
volontaires,
démobilisés, chercheurs d’aventure, de trésors, de paradis perdus
Pour l’accueil
qu’ils leur avaient réservé,
Pour leur curiosité, l’ouverture d’esprit à leur endroit,
Pour leur patience, leur compréhension,
Pour leur simplicité,
leur tolérance,
patrimone
dpoertus
es
H
LittéRama'OHi
#22
Flora Rurima Deuatine
Pour leur bonté,
leur générosité sans pareille,
leur perspicacité, la finesse de jugement,
Pour leur vision d’avenir, leur sagesse,
Pour leur intelligence,
Pour'les sentiments humains manifestés !
Je dis Merci à mes Ancêtres !
Merci à mes Ancêtres,
Pour les valeurs morales inhérentes à l’être humain, jusque-là réputées
chré-
exclusivement imputées
à l’Occident,
Lesquelles valeurs humaines ne furent jamais perçues, encore moins reconnues comme étant
également et fondamentalement des vôtres, en tant
qu’liommes formant peuple, vivant en société structurée,
Car sauvages vous avez été apostrophés,
Sauvages vous deviez apparaître au monde,
Et sauvages vous fûtes jugés, vous êtes restés et resterez aux yeux du monde,
et pour des siècles après vous,
tiennes et
Jusqu’à vos descendants,
Et pour le reste des temps, en tant que société humaine, à travers votre descendance!
Et nous
en sommes
à peine au second
de tous ces siècles de jugements !
Alors, si nous ne parlons pas, si nous ne levons pas le voile de l’assujettissemental, moral, religieux, psychologique, intellectuel, culturel,
Si nous ne dénonçons pas ce qui, à un moment de votre histoire, comme à
un moment en nos mémoires, fut énoncé contre vous, contre votre
dignité
d’homme,
Par voie de conséquence, contre votre descendance,
Contre nous donc, aujourd’hui,
Cela se perpétuera pendant des temps,
Perdurera sur d’autres siècles,
Des siècles plus Nombreux, plus longs, et de plus en plus lourds !
Ce qui est indigne, inacceptable pour l’esprit,
Insupportable comme souffrance pour la pensée, les corps, les coeurs,
ment
Pour l’homme !
Aussi est-ce à nous,
aujourd’hui, pendant ce temps bienvenu du Jubilé où
discours et sur les différentes formes d’expression
les tabous religieux sur les
Dossier
ont
été, si l’on peut dire, levés,
Non plus
Mais
tahu’ament,
évangéliquement,
Et orometuament,
Quand bien même
combien de temps !
ce ne
serait que
de manière provisoire, et on ne sait pour
Aussi est-ce à nous de parler,
de témoigner de nos vies, de nos pensées intéentrailles, et de notre temps,
De dire notre sentiment, à défaut de
regard avisé,
Exprimant notre perception, nos réflexions, à défaut d’érudition,
Sur ce que nous avons
engrangé de ce qui a été écrit, pensé, imaginé, lancé,
rieures des
dit de vous,
De vous, mes Ancêtres,
Au
sens
de grands-parents,
arrière-grands-parents, arrière-arrière-grands-
parents, sans remonter plus loin,
Plus haut, selon la vision moderne, plus bas, selon celle, traditionnelle,
La vôtre donc d’hier, comme la nôtre
d’aujourd’hui, pour un temps encore !
Vous, mes Ancêtres,
Qui êtes en définitive, dans le cours du temps, très proches
Et à
de nous,
qui nous sommes, nous d’aujourd’hui, reliés directement,
en
droite
ligne,
Par
nos
fibres génétiques,
généalogiques, affectives, sentimentales,
ligneuses,
Par nos mémoires
distraites, nos façons de penser, d’être, de faire !
ancêtres, les “otahitiens”, indigènes, indiens, canaques,
Polynésiens, aujourd’hui !
Vous
mes
Aussi, ô mes Ancêtres,
Nous incombe-t-il le devoir filial,
d’héritier du “faufa’a tupuna”,
divine,
De réhabiliter votre mémoire de créature humaine,
Et votre dignité !
Nous l’avons entendu
exprimé à plusieurs reprises en public :
descendants, et en mémoire des Ancêtres, que revient le devoir
de demander réparation pour la mémoire
méjugée, discréditée des Ancêtres,
Car cette mémoire spirituelle, intellectuelle, morale, sociale, de
l’homme,
C’est
aux
LittéRama'OHi
# 22
Flora fiurima Deuatine
de la famille, du peuple,
des dieux,
à la descendance !
Est passée en héritage
Je dis Merci à mes Ancêtres !
Vous qui n’êtes pas bien loin de nous, dans l’espace d’aujourd’hui,
Nous dont l’histoire remonte rapidement l’étendue du temps jusqu’à vous,
Pensez donc ! Depuis si peu de générations !
C’était hier ou
Vous
ce
matin !
qui êtes encore bien attachés à nous,
Et Nous à vous,
Les
uns
et
les
autres
liés par les brins
de tresse des généalogies des origines
des dieux,
Que, pour nous, vous êtes !
D’une manière présente, bien vivante
dans notre corps, dans notre esprit,
dans nos croyances, et dans nos façons propres
De nous adresser à vous, de vous habiller avant
de vous ensevelir, de vous
pleurer, de vous veiller, dé vous parler, de vous chanter et de prier pour vous !
De vous appeler, de vous déranger dans votre sommeil, de solliciter votre
secours, de vous croire en vie, en conversation,
Comme en charge de tous les descendants, depuis ceux passés dans votre
monde !
Vous
qui nous avez laissés des terres dont beaucoup
Sont
encore
à vos
Noms,
Et dans le même état,
depuis votre départ de notre monde !
Lesquelles terres que nous appelons “fenua tupuna”, “terre des ancêtres”,
n’ont jamais été, à ce jour, pour beaucoup,
Exigées, occupées, ni divisées entre tous vos descendants !
Comme si elles vous étaient toujours destinées,
Comme si vous alliez bientôt y réapparaître, y revenir,
Comme si vous
ne
les aviez jamais quittées,
Comme si elles n’attendent que votre retour !
Comme si nous n’en sommes que les gardiens,
et à ce titre, de mauvais
gardiens,
il faut le dire !
Comme si
aucun
de nous
en
particulier, n’y a droit, ni des droits !
Dossier
Ce
qui se passe, avec les terres dans l’indivision !
sac de noeuds, de filets, de cheveux,
Autre
Ou grouillements
de “ati‘i”, de “ari”, de “ireire”,
Autre fait attestant, si besoin est,
de votre actuelle et grande proximité par
rapport
à nous !
Vous qui continuez à veiller sur nous, à nous nourrir mentalement, soda-
lement,
spirituellement, par les héros, les '“aito”, les “taura”, nos gardiens,
Desquels nous nous enorgueillissons, et dont nous sommes intimement,
viscéralement, heureux et fiers de citer en privé ou en public, les Noms,
Des Noms dont nous nous parons, nous nous en honorant dans nos discours festifs,
publics, officiels, familiaux, et de plus en plus, dans ceux religieux
de chrétiens !
Vous citant par touches
subtiles, passant sur vous, tout en vous saluant, vous
sollicitant, faisant appel à vous,
Et que nous honorons régulièrement en famille, et aussi
religieusement
dans le “ahu” de nos cimetières, sur le “marae” de vos tombes, sur le “paepae” de
nos
bribes de mémoire, sur le “tahua” de nos chants et de nos danses,
Priant pour vous,
et catholiquement, et nous adressant à vous, et vous pieu-
rant, vous
suppliant, tout en vous fleurissant, vous souriant, et vous faisant parler !
A vous, mes Ancêtres,
Je dis Merci,
Pour ce que vous êtes,
Pour ce que vous avez été,
Pour ce que vous serez,
Et pour ce que vous avez fait,
En accueillant comme il se doit les
Et à travers eux, l’Evangile,
Et avec l’Evangile, le christianisme
A vous, je
Missionnaires,
!
dis Merci !
Je vous dis Merci,
D’avoir choisi le
changement pour nous,
LittéRama'oHi
#22
Flora flurima Deuatine
D’avoir prévu et eu comme projet, le progrès,
L’évolution, pour nous !
Vous
avez
fait preuve
d’une grande sagesse, que ceux-là même qui se
croyaient les
uniques porteurs, détenteurs de sagesse, de savoirs, n’ont su percevoir,
encore moins
pu apprécier
La profondeur,
et la simplicité dans l’expression de cette sagesse,
Peut-être, à cause de cela même !
Et nous, à leur suite, par facilité
et vanité,
caprice, suffisance et mauvaise foi,
Par orgueil et ignorance, et rejet de nous-mêmes,
C’est à dire, de vous !
Par paresse,
Par manque
Nous étant
penser,
de personnalité, d’identité, de dignité !
glissés dans leurs costumes et dans le moule de leur façon de
de voir,
de sentir, d’être,
Ayant cru qu’il suffisait de changer de vêtement, de “ta-piri”, de troquer
“taumi”,
cache-sexe, ‘maro, tihere”,
Contre, “piritoti, piritohe, piripou”, jupe, culotte, veste et pantalon,
De poser des
Pour
“piri”, des énigmes,
changer l’intérieur de nous, tous nos comportements et notre men-
talité !
Oublieux des paroles
Bible
des Anciens, certaines, empruntées sans doute à la
:
“E taporo ra e taporo
A vous,
ihoa ia” !
je dis Merci,
Pour ce que vous avez fait
Et je
et pour ce que vous nous avez laissée !
dis Merci à tous mes Ancêtres personnels !
ce
que j’ai, et ce que je suis aujourd’hui,
C’est de vous que je suis faite, c’est de vous que j’ai reçu !
Je suis le produit, le résultat, la conséquence,
Le fruit de vos décisions d’il y a deux siècles pour moi,
Je suis faite de fibres, de sentiments, demotions qui furent les vôtres, hier,
Car tout
59
Dossier
Rien de vous
Mais
ne
s’est effacé en moi,
tout est en attente
demerger à nouveau !
Je réagis à la vie,
aux soucis, aux problèmes de la vie, aux gens, aux proqu’ils me posent par leurs idées, leurs comportements, leurs réactions,
J’ai beau m’en détourner, oublier, effacer, m’en éloigner,
blêmes
Je réagis, comme vous !
Parce que je suis comme vous, issue de vous,
Je suis comme vous comme vous êtes un peu en moi !
Merci mes Ancêtres,
Pour ce que je
suis, aujourd’hui !
Car, c’est bien grâce à vous,
Que je suis ce que je suis !
Ô mes Ancêtres,
C’est bien en ayant hérité de vous, sang, gênes, corps et esprit,
Traits physiques et moraux, de caractère et
d’intelligence,
En plus de la terre, “vauvau”, “taahiraVavae”, “nohoraa”,
puhaparaa”,
“tanuraa”
“oriraa”, “pureraa”, “ha‘api‘iraa”, “faateniraa”, “paripariraa”, parauparauraa”,
“tama'iraa”, “taotora'a hopea”,
En plus des chants, des gestes, des récits, et de la
langue !
Tout cela qui fait que je suis aujourd’hui cette enfant du
pays qui parle et qui
écrit de vous,
de nous, de moi, et de tous les autres,
Ouvrant enfin cette longue route, entreprenant ce
parcours à travers
menses
d’im-
forêts
de non-dits, de choses supportées en silence et dans la blessure,
En batailles presque
rangées menées contre les autres, contre vous, contre
nous,
Et contre moi, au dedans de moi, et peut-être,
depuis vous !
Des batailles de plus en plus lourdes, qui n’apportent rien, ne
n’arrangent rien,
Mais compliquent tout, faussent tout, tuent tout,
La famille,
la société, et nous-mêmes !
changent rien,
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi
#22
Flora flurima Deuatine
Et c’est
peut-être seulement maintenant, et à partir d’aujourd’hui, que je
peux, que nous pouvons,
Nous, Polynésiens d’aujourd’hui, devenir véritablement chrétiens
!
Après avoir parlé pour déposer, ou tout en déposant ce que nous avons au
cœur de nos entrailles et de nos réflexions, de nos
pensées, de notre “roro”,
Toutes ces choses que nous avons retenues à l’intérieur de nous, dans nos
entrailles, pour souffrir avec,
Et dans nos têtes, pour raisonner et tirer des idées de “taho’o”, de vengeance,
Et en souffrir plus violemment !
Et c’est peut-être seulement
nous
aujourd’hui, et à partir de maintenant que nous
sentons
Libres
et en
état,
avec
des dispositions d’esprit, mentales, intellectuelles et
spirituelles,
Plus conscientes
Des chrétiens
C’est à dire,
et
plus spacieuses pour devenir chrétiens !
plus approfondi, plus vrai du terme,
au sens
aux sens
Ô mes Ancêtres
de vos valeurs,
!
D’accueil, de bonté, de générosité, de patience, de tolérance, d’intelligence,
Non seulement de cœur, mais aussi
Cela même qui ne vous
d’esprit !
était pas reconnu, qui vous avait été refusé,
refusé au travers de vos descendants !
ressentions au fond de nous,
Que nous portions emmuré dans nos âmes, dans nos esprits,
Et qui nous empêchaient et nous empêchent encore, d’accéder à notre
profondeur,
Et vous est toujours
Tout cela donc que nous
C’est à dire à votre sagesse
Des valeurs que vous nous
les cellules de nos
!
aviez transmises par les pores de notre peau, par
cerveaux,
Par les filaments de nos prunelles, par le
“uira” de votre “mana”, de votre
pouvoir !
bonnes choses que vous nous
aviez laissées en héritage,
temps que la terre, la langue, les chants, et tous les textes scandés
anciens, qui disaient la musique et l’espérance de vos coeurs, la symphonie, la
Toutes
ces
En même
sérénité de votre âme !
Tout cela
qui nous remplit aujourd’hui de fierté,
d’orgueil, d’estime, et
Dossier
d’humilité
Devant tant de
simplicité, de profondeur !
définitivement tout cela !
Nous allions perdre
Et voilà
qu’à l’occasion du Bicentenaire de l’arrivée de l’Evangile, et par les
églises, nous accédons à une représentation
De ce que vous étiez, et avez fait,
Et donc, un peu ce que nous sommes
aujourd’hui,
Un peu, et si peu forcément, avec les années,
Avec le temps où tout s’use même sans
usage !
Et donc, notre devoir est de
garder, de prendre en compte,
tenants
des
De cultiver et de transmettre
aux
générations à venir,
Comme “ aveia ”, comme règles de vie,
Pour vivre et survivre en ce monde !
Et de
lignes de conduite,
point de vue, c’est donc justice que ce Bicentenaire soit célébré par
de faire anciennes d’avant l’arrivée, ou comme au temps de l’arrivée
ce
des façons
de l’Evangile,
Parce que
c’est en votre honneur, en fait,
C’est un honneur à vous rendre, et qui vous est rendu,
Au moment du reflux du flux !
Merci
mes
Ancêtres !
entendu, tout cela est un bilan de ce que nous sommes aujourd’hui,
Et nous venons tout juste de nous reconnaître à travers vous, et en vous
reconnaissant, et surtout en vous acceptant enfin, totalement, comme vous êtes,
Bien
Avec tous les
aspects qui furent décrits comme vôtres,
négatifs, cela s’en-
tend !
Car, jusqu a présent, nous avions été branchés avant tout sur ceux-là !
regards, des perceptions d’autrui, des transmissions des per-
Au travers des
ceptions,
Et Dieu seul sait combien
‘Aue, touha'amae !”
Une
grande honte !
“E haama iti rahi !”
nous en
avions
honte, tellement honte !
LittéRama'oHi
#22
Flora Rurima Deuatine
Un sentiment
croyances,
Ainsi
qui nous a été inculqué, ou qui fut renforcé par nos nouvelles
la nouvelle religion :
:
“Haama !”
'Au nettoyage
! Au bain ! A la purification !”
“Haama bre !”
“Ça reste définitivement sale !”
Après quoi, nous n’osions plus nous montrer,
Nous n’osions
plus nous affirmer,
étions devenus de tout ce que l’on disait de nos Ancêtres,
de nos parents, sans parler de nos proches, de nos voisins,
De nous donc, en fait, aujourd’hui,
De nous, les descendants directs et très proches de vous, mes Ancêtres !
Honteux que nous
Et nous héritâmes de vous,
De tout
ce
Et de
que l’on disait que vous étiez,
être, et que nous serions, nous,
Sans
ce
que vous
étiez et n’étiez pas !
devenus, peut-être, effectivement,
changement et le métissage mal intégré, mal assimilé, mal vécu, mal
approché, mal ressenti, mal fait !
De votre sauvagerie, de votre barbarie, de votre primitivité, de votre “poiri
en
Avec le
taotao” !
Jusque-là, nous nous culpabilisions et n’osions rien dire,
Pensant, croyant que ce devait être ainsi et que ce devait bien être cela,
Que vous étiez bien comme l’on disait de vous que vous deviez être,
Et que nous serions, ou deviendrions forcément, à notre tour !
Aussi, n’est-ce que justice que ce soient vous que l’on a glorifiés à travers les
chants et les danses des fêtes de ce Jubilé,
Et qu’il y ait eu un moment du Souvenir consacré à vous,
A vous, en premier lieu
!
entendu, et seulement après,
Aux premiers pasteurs, évangélisateurs, missionnaires français, anglais !
Mais surtout, et en premier lieu,
Et bien
Dossier
Avous !
A vous les Ancêtres
Terre, langue,
qui ont laissé,
culture,
... et religion chrétienne !
Celle-ci, amenée de l’extérieur, n’aurait jamais pu prendre racine si vous, les
Ancêtres, vous l’aviez refusée !
Et c’est peut-être cet événement-là,
Cet événement
ment,
culturellement, socialement, moralement, et religieusefondamentalement, radicalement,
“Papa-tea-ment” et “papa-uri-ment” fort,
Cet instant de confession publique,
De mea culpa des représentants du Christianisme offrant le sacrifice
Pour les Missionnaires, comme au Nom
des Missionnaires !
Desquels l’on a accepté, et dont on perpétue, l’œuvre !
Cet instant de reconnaissance des bouleversements que cela a amené dans
la société !
Qui a échappé à beaucoup d’entre nous !
qui donc est passé de façon “mohimohi”, comme en douce, à la sauvette,
sans
prise de conscience !
Et
A notre conscience, à notre
vigilance, à notre lumière
Pour ressentir et comprendre la portée des mots,
De
intérieure !
prononcés, imprimés, chantés, dits, priés, suppliés !
apercevoir du “pua a tapena”,
Sacrifice expiatoire offert sur la grande place du Stade,
Devant toute la population polynésienne réunie pour la Commémoration !
ces
mots
Pour nous
Jusqu’à celles résidant en leurs demeures dans toutes les îles de la Polynésie,
Celles qui auraient écouté, suivi, vu, qui, à la radio, qui, à la télé,
Ce qui avait été dit et confessé publiquement, et prié !
Sacrifice offert pour reconnaître les erreurs du passé !
Sacrifice offert pour nous débloquer émotionnellement, spirituellement !
Sacrifice offert pour être reconnu par l’Autre
Sacrifice offert pour se reconnaître !
Et pour nous permettre
nous-mêmes,
!
d’aller enfin vers la connaissance et l’acceptation de
LittéRama‘OHi
#22
Flora Rurima Deuatine
Et donc vers celle de
ce
Dieu d’amour que
les missionnaires, d’il y a deux
siècles, avaient amené !
Merci, oh mes Ancêtres,
De
ce
que je suis aujourd’hui,
Comme je suis, avec ma façon de voir,
comme
Et même si cela n’est pas
pesant,
de ressentir, de penser, de m’exprimer
de me taire,
toujours aussi simple, que cela est parfois difficile,
douloureux !
Et même si cela fait très “kaina” !
Et même si cela ne fait
pas
Et même si c’est
que je suis,
un
peu
toujours très “polynésien”, très “tahitien” !
gênant, gênant pour moi d’être comme je suis, ce
aujourd’hui !
Merci, oh mes Ancêtres,
Du sang
qui coule
en
moi, lequel me donne l’énergie pour mener ma
barque,
Et la faire avancer,
pagayant à partir de celle du mata’eina’a, de la société, et
du mieux que je peux,
“la
tapae i te vahi tipaera'a mau, tipaeraa maita'i”,
rivages plus prometteurs d’espérance !
Afin d’accoster à des
Merci,
De
ce
donne le courage, la force, le mana, de tenir la mer,
de la maintenir hors de l’eau !
sang qui me
Et la pirogue,
Merci,
De
ce
sang qui me transmet, avec ses gênes, à supposer que cela passe aussi
par là,
Les valeurs
fondamentales, pour que l’homme sur cette terre soit digne
d’être encore Nommé homme !
Des valeurs de courage,
entre
d’honnêteté, d’amour, de paix, de compréhension
les peuples, entre les hommes,
Quelque soient nos différences d’opinion, de pensée, de nature, nos confessions,
“Ces choses que nous ne comprenons pas encore,
Et pour lesquelles
1”
il nous faudrait encore beaucoup de temps pour com-
Dossier
Merci mes Ancêtres polynésiens,
Parce que vous
monial
Comme dans
êtes les plus importants dans mon héritage culturel, patri-
mon
hérédité génétique
!
Merci également
à tous mes autres Ancêtres non polynésiens,
Qui furent un peu moins oubliés,
Etant plus souvent et
plus facilement reconnus, mis en avant, vantés, racontés,
enorgueillissait socialement et publiquement !
Nous sommes aussi de vous, et nous avons tiré, en
partie, notre sève de
Et dont on sen
vous,
Nous
nous
nous sommes
nourris à la sève coulant
en vous
à
partir de
ce que
imaginions que vous étiez !
Merci à vous !
Et
voilà, nous de maintenant, devant les vrais problèmes ou défis de
temps !
Des problèmes fondamentaux de
gestion, de résolution des problèmes !
A nous de nous retrousser les manches,
Et de prouver la valeur, la
qualité de ce sang polynésien qui coule en nous !
nous
notre
Merci,
Pour
l’Evangile amenée par les missionnaires, et que vous avez acceptée
pour vous,
Surtout pour vos
enfants, votre descendance,
aujourd’hui !
Elle devient aussi aujourd’hui, pour nous, notre
“ha’apura’a”,
Notre unique espace et temps de rencontre, de rassemblement,
C’est à dire pour nous,
De ressourcement !
Nous allons nous fonder, nous structurer en elle,
Non pas en termes de religiosité,
Mais de valeurs fondatrices de société humaine
plus juste dans ses juge-
ments !
En termes donc de valeurs
civilisatrices, au sens propre du terme,
séparatiste, étroit,
Et non pas au sens déviationniste, exclusif
Au sens
en fait, humain, chrétien,
large,
“Evangile”, “Bonne Nouvelle” !
évangélique du terme,
LittéRama'oHi
#zz
Flora Rurima Devatine
C’est la bonne nouvelle de cette nouvelle orientation,
Et c’est notre
de ce changement,
challenge d’aujourd’hui !
Merci,
A tous
mes
Ancêtres !
Je peux maintenant dire, parlant comme ma mo’otua matahiapo :
“J’ai grandi !”
“Je suis grande maintenant !”
Et ajouter :
“Je peux,
aussi,
enfin,
maintenant,
me
détacher de
mes
Ancêtres !”
Si je
le veux,
le souhaite,
Si je n’en ai plus besoin,
Si je veux les rendre à eux-mêmes,
Si je veux me donner vie à moi-même !
Si je
Et maintenant, je me
détache de mes Ancêtres,
Je m’en éloigne,
Car maintenant, je peux m’en éloigner, prendre
mes
de la distance par rapport à
Ancêtres !
Et je prends
de la distance par rapport à eux !
Je peux enfin, être pleinement !
Je suis,
enfin,
aujourd’hui,
moi,
néo-polynésienne !”
Dossier
A moins que ce ne soient mes Ancêtres
Et me lâchent dans la Vie, et dans mon
qui se détachent de moi,
temps d’aujourd’hui,
Dans
mon
Un espace
espace reconnu, retrouvé,
réintégré,
qui est à vivre profondément de l’intérieur !
Afin que je vive ma vie,
Me sentant plus
de mon temps, sans retenue, à mon temps,
apte, plus mûre,
Me faisant confiance pour
diriger mon va'a broe !
C’est comme s’ils m’avaient accompagnée autant et aussi loin
qu’ils
pu le faire !
Car il n’y a pas
avaient
si longtemps, ils étaient encore de ce monde !
Ils régnaient, vivaient, guerroyaient, se battaient,
s’entretuaient, festoyaient,
ritualisaient, cannibalisaient, pagayaient, dansaient, plantaient, chantaient,
pêchaient, priaient, transgressaient, se tatouaient, tabouaient,
Et j’en passe!
Ils étaient invoqués pour nous protéger,
Nous étions confiés à leur
garde
!
“'Eiaha butou t haaptapta
E rat to butou Papa ru au i mua
Na Papa
mai,
ru'au butou e tiai !”
A lui, à eux, comme à tous ceux dont
les tombes jouxtaient la maison !
Tombes placées en bonne place,
Comme ornement, comme
une fierté, comme un dernier honneur qu’ils
faisaient, nous transmettaient, comme un hommage permanent qu’on
leur rendait,
Afin que leur présence, leur mémoire, une fois venu le
temps de l’oubli,
soient plus facilement rappelées, ravivées dans les mémoires !
nous
Et la Nouvelle
Et
Polynésie est là,
nous sommes
à Forée de la Nouvelle
Polynésie !
Je me sens seule, perdue dans ma granditude !
Comme la pirogue qui, s’étant éloignée de la côte, se retrouve
océan, esseulée, isolée, un peu perdue,
Dans l’immensité et l’infini des espaces marins et célestes !
en
plein
LittéRama'oHi
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Flora Rurima Deuatine
Mais je
dois vivre ma vie,
Je dois vivre dans ma vie,
Avec ma vie, me prendre en
charge et ramer, ramer, avancer, coûte que
coûte, et me conduire !
Je doisfaaitoito toute seule,
Je dois m’accrocher à ce auquel je suis accrochée,
Je dois m’accrocher à moi-même,
Je dois travailler, travailler, à n’en plus pouvoir !
Eha'a
E rohi
E rohirohi
noa
atu !
Je dois repartir de mon côté,
Suivre mon avei'a,
Dans ma direction, dans mon sens, dans mes sens !
Je dois trouver dans ma direction le sens de ma vie !
Je dois partir à la recherche du ura à ajouter à la ceinture royale de l’enfant
roi comme au cordon de vie laissé par les Ancêtres !
Je dois donner du ‘ura à ma vie comme du ura à mon maro !
Je dois trouver et rapporter du sens à mettre au maro ura de ma ceinture
cheffale laissée en héritage par mes Ancêtres !
Lequel maro, pour l’instant, il faut bien en convenir, est aussi maro, desséché,
que le
ni’au maro des auhopu auihia !
Je dois de mon éclairage de mori ti'aïri, éclairer à mon niveau,
M’éclairer moi-même, éclaircir, m’éclaircir, me sortir de la confusion !
Et chacun de le faire à son niveau !
Un grand anau !
Une grande lamentation,
Que celle des entrailles longtemps nouées, tordues, recroquevillées sur
elles-mêmes !
Ua otaro
noa
Ua taviriviri
roa
Euafaaohunoa
Ua taninito
E ua taanini noa
'Aon e haapa'oraafaahou
!
Dossier
Il faudrait, pour dénouer,
délier avant le retressage des brins pliés, desséchés,
cassés, tout emmêlés,
Un grand
Un
o to
ta ira a populaire !
ha a,
Un otoaia to
huahua,to riri, topapa !
Un anau, unfangu, un ruu, un tirau, un
Un Mou'ati'aoro !
heva du tonnerre !
Permettant enfin à
chacun,
à ce qui tourbillonne dans ses méandres,
De se lamenter, si bon lui semble, sur lui-même, sur les siens, sur sa terre,
De laisser libre
sur ses
cours
ancêtres,
S’y reliant après des temps d’occultation, de refoulement, de déni, d’absence,
imposés dans les esprits !
E mea atea, e mea maoro, fera haere ma,
Atahi ra afaura, a hitijaahou mai ai !
E mea
roa
tera
Atahi ra a iho,
Ea
moe raa
a
e,
ho'ijaahou mai ai !
hiofaahou hia atu ai !
Aue,
Aue ho'i
Aue
e
!
ia tatou
ra
e
!
Voilà que je me
lamente !
Je me lamente à petits bruits, à petits sanglots, de la lamentation ensanglantée à l’ancienne,
Des femmes, des mères et des filles retrouvant leurs frères, leurs
pères reve'
nus
d’une longue
•
absence, de leurs longs voyages !
Je me lamente,
Et en même temps, je me demande
Ce qui flotte dans l’air que je ne perçois pas,
Ce qui provoque ces larmes, et tout ce
poids que dans mon corps, dans ma
tête et dans mon âme, je porte !
Ce que cela augure de ce que je ne vois pas !
LittéRama'OHi
# 22
Flora flurima Deuatine
Qu’est-ce donc cela ?
Depuis quand est-il là ?
Que fait-il là ?
Comment est-il là ?
Comment l’ai-je
installé là ?
échapper à ma vue, à mon contrôle, depuis mon
Comment cela a t-il pu
poste de garde ?
Comment cela
a
t-il pu tenir pendant tout ce temps vécu, sans jamais
être
remarqué ?
Faisait-il aussi partie
de mon héritage ?
depuis quand traîné-je cet héritage moral, psychique, psychologique,
culturel, spirituel ?
Jusqu’à qui, jusqu’à quand, remonte cet héritage ?
Combien de temps le trainerai-je encore ?
Et
Que de lézardes, de brisures soudain dans la sérénité baroque de mes apparences
!
Une souffrance est bien là,
Que je nie,
Que je refuse,
Que je ne veux pas voir !
Car il n’est beau, ni bon, ni bien pour personne,
soi,
en
de regarder la souffrance en
face !
Cependant, elle est bien là, tapie, prête à s’exprimer, lourde, gênante, agadévalorisante,
Déshumanisante, anti civilisatrice, anti chrétienne !
çante,
Aussi, faut-il reconnaître les Anciens qui ont accueilli les missionnaires
Egalement, dans ce qu’ils ont donné !
Car ils ont donné, tant et plus,
Ils n’ont pas
été reconnus !
En rien !
Après quoi, il sera aussi temps de prendre de la distance avec les Ancêtres,
Pour que la nouvelle société puisse se mettre en place !
Un gage de réussite dans l’harmonie pour une société et son futur :
Panser les fêlures !
71
Dossier
Fêlures
Fêlures
entre
les
entre
les groupes
îles,
d’îles,
Fêlures dans les esprits !
Pourquoi ne peut-il y avoir de pardon public ?
Car j’ai mal à mes Ancêtres !
J ai mal aux croyances de mes Ancêtres !
J’ai mal à la conduite, aux comportements de mes Ancêtres,
Tels que décrits dans la littérature tant des
navigateurs que des mission-
naires !
Il faudrait une grande lamentation du
peuple pour leurs Ancêtres disparus,
respectés,
Eux, dont on a laissé salir la mémoire, laisser dire des jugements souvent
gratuits,
Tels des faibles, des lâches, des traîtres,
Pour des aito, aivanaa,
qu’ils étaient !
Il faudrait un grand pardon des
Polynésiens d’aujourd’hui par rapport à
leurs propres Ancêtres !
Egalement, un grand pardon des Autres par rapport à ce qu’ont fait leurs
Ancêtres,
Ou homologues de leurs Ancêtres !
non
Un grand pardon,
Une réconciliation
publique !
Comme il faudrait un grand ta ira a national
Pour pleurer leurs Ancêtres
des gens du pays !
Pour pleurer leurs morts
Pour pleurer sur eux-mêmes,
Pour pleurerleur
Il faudrait un grand
propre mort
cortège de deuil avec des deuilleurs en habit de deuil !
Pour pleurer le présent
Pour pleurer le passé
Pour pleurer l’oubli
Pour pleurer la perte
Pour pleurer la
!
mémoire
patrimone
dpoertus
es
LittéRama'oHi
#22
Flora Rurima Deuatine
Pour pleurer les pleurs
Pour pleurer les
pleureuses
ari'i
Pour pleurer les tahu a
Pour pleurer les aito
Pour pleurer les sages
Pour pleurer les orateurs
Pour pleurer les intercesseurs
Pour pleurer les généalogistes
Pour pleurer les chants
Pour pleurer les poèmes
Pour pleurer les discours
Les danses, la patience, l’accueil, les sourires,... des Anciens,
Pour pleurer la vie et les gens d’antan,
Les rites, les mythes, et les fêtes d’antan,
Les jeux et les chants d’antan !
Et les guerres d’antan !...
Qui me font peur à l’instant où je les évoque !
Comme j’ai eu peur en évoquant les tahua en sorcellerie d’antan !
Qui toujours ont fait partie de mes peurs d’enfant,
Ce dont j’avais le plus peur quand j’imaginais le passé !
Pour pleurer les
Il me ïmtfaa'oto,
faire résonner, pleurer, otootù, tout cela,
connaître, les reconnaître, et pour les lâcher, les laisser partir !
Eux, mes Ancêtres, qui continuent de faire partie de ma vie,
Pour les
De
mon
monde, faisant partie de mes origines, de mon hérédité, de ma
mémoire,
De
vie au quotidien, de ma vie
présente !
Eux, mes Ancêtres, que je transmets à mes enfants, à mes petits- enfants, à
toute
ma
descendance,
ma
Mais que je
voudrais transmettre nettoyés, grattés, épurés de leurs chairs
!
Je dis Merci à mes Ancêtres, à tous mes Ancêtres
Et je salue ceux des autres !
73
Dossier
Et je
dis Merci à tous mes Taura chrétiens,
dis Merci à tous mes Tupuna scientifiques,
Des esprits éclairés, ventres de lumière,
Pour lesquels j’ai un profond respect !
Des Tupuna que je transmets également à mes enfants, à mes
petits-enfants,
Comme je
à toute ma descendance,
Jusqu’à la dixième,
Que dis-je ? Jusqu’à la millième génération !
Comme idéal de vie, d’ouverture,
d’esprit, de connaissance, de culture, d’humanité, d’honneur, de dignité !
Extrait de "Je dis Merci à
mes Ancêtres ", un texte fondateur écrit le 05 mars
1997, après la cérémonie officielle d'ouverture des festivités (suivies à la
radio) du Jubilé du Bicentenaire de l'arrivée de l'Evangile à Tahiti, sur le
Stade Pater.
Ce texte
1998, fut,
partie, inséré en janvier 2001 dans "La Tra", le mémoire de DEA, UPF, Punaauia, 2001 (au
Chapitre V : Je dis Merci à mes Ancêtres, de la Sixième partie : La prise en
compte par ie mythe des difficultés de la non-nomination.)
Un extrait fut lu, la première fois, le 24 mars 2001, à Paris, à la Maison de la
Poésie, au Théâtre Molière, lors de la Soirée consacrée à ia poésie polynésienne, la première organisée en France dans le cadre de l'Année européenne des langues,
Et la seconde fois, le 11 décembre 2002, à Papeete, à la Maison de la Culture de Tahiti (Te Fare Tauhiti Nui), lors de la Première Soirée de Lecture de
Littérature polynésienne, organisée par l'association Groupe Littérama'ohi.
revu en
en
versée des Noms polynésiens
Flora Aurima-Devatine, auteur bilingue d'écrits
du quotidien.
patrimone
dpoertus
es
H
Take
75
I Marine Tehea Progier
-
Léocadie
Nâ te tumuparau
'o teMoemoeâ i arata’i i te maupïahi, nô tefare
ha’api'iraa tuatoru, pïahipiti 'o te matahiti 'o te ama'a Reo Maohi,
ha’api'ira’a pi’ihia LLCER-LP (Licence Langues, Littératures et Civilisations Etrangères Régionales, spécialité Langues Polynésiennes), ‘i nia
‘i tepâpaira’a ‘i tâ râtou pehepehe.
Te Moemoeâ a te
mau
Piahi
‘Ua pàpa’i teie mau pïahi i tâ ràtou iho moemoeâ b tei haamâmâ i tô ràtou
ferurira’a, b tei tâmarü i tô ràtou manava, b tei tàmarü ato’a i tô ràtou màuiui.
Parau mau, e hi’opo’ara’a teie tàpura bhipa i roto i te
haapi’ira’a PSP (Poésie et
Stylistique Polynésiennes), i fa’ahepo ai au ia râtou e pâpa’i. ‘Ua tàpe’a-noa-hia mai
râ te tahi mau
pehepehe, e te fâ rahi roa a’e, te fa’aarara’a i roto ia ràtou te hia’ai e
pàpa’i i tô râtou iho parau, tà ràtou iho moemoeâ nà roto i te reo tahiti. Maoti
teie ràve’a, té pàpa’i nei à te tahi
pae o râtou, i te pehe, i te pehepehe, te utê, te
tàrava, te fa’ati’ara’a parau hôhônu a te mau Metua Pa’ari, te fa’ati’ara’a a’amu rau.
Hau atu à i te
maita’i, ‘ua ‘imi te tahi pae e pëni roa i te hôho’a ia au i te
Nô te tahi pïahi, ua tu’u roa atu i te
hôe ta’i hïmene i nia i tà na pehepehe ei ha’amana’ora’a i tà na moemoeâ, b tà
mana’o
na
e
i huri
vai
roa
ra
‘i
roto i tà râtou moemoeâ.
atu nà roto i te
reo
faràni.
autochnes
Blréations
LittéRama'oHi
#22
flauairua Hlein
'Ahum
ma
iva
matahiti tô'u. Te noho nei au i Mataiea. Tei roto
vau
i te
maohi, te matahiti piti, i tefare haapi'iraa tuatoru no Punaauia. Teie ia tepehepehe otau ipàpa'i i nia i te tumuparau '0 te
"Moemoeâ". lnaha, tefaatae atu nei au i te tàpao Aroha ia outou, e 'a
amaa
Reo
moemoeà
anae
tatou...
Moemoea
Marü mai te tirita
E faatupu
oia i te baba
‘Uo uo mai te hiona,
Auë te nehenehe
mau
â !
E fâ mai oia
I tô be tabtoraa ra
Noa atu
‘Ua
ra
araara
tô mata,
‘Erâ mai oia.
‘E
parauhia iho à
Tei roto be i te
mau
ata.
I te mau taime atoa,
Tê
ora
nei oia
Nà roto i te paraparauraa
Âtô tama,
‘E ia riro ei
ohipa mau,
Hope ia te au !
‘E faatia be ia
na
‘E au é, e faufaa tô
Ahiri ê, ‘oia mau
‘O moemoeâ tô
na.
na
ioa.
77
Josiane Tehea
Ahum mâ iva matahiti tô'u,
i te
matahiti hôe tauatini
nei
au
tae
noa
i Papara e
atu i
Faucher
a
e
uafanauhia vau i Papeete i te iva nô tetepa
iva
hânere
e
iva
ahum
mâ
maha. Te noho
tôu nau metua o José a Faucher e o Martine a Bellais
tô'u tuant e tô'u teina.
Tâu moemoeâ
‘E hômà,
Teie
au
të moemoeâ nei
Nô te aha ra ? I te hea ra
Nô te mea paha e,
bhipa ?
te ora nei ta u vârua
‘E nô reira paha,
A tà amu faahou
‘E nô reira ihoâ.
la
Te hina'aro
ra
'E
e au ra
I te
e, te
mau
i tô
pàreu
A tautai i te maa maita'i
a'au
oia
la mahuta tô'u
na
tô
parau,
A ‘ahu i te fa'atura
I roto i tau moemoeâ,
Te pina'ina'i ra tôu
ora
manao,
pàtôtô noa na tô'u toto
Âpôfa'i i te nehenehe,
la pua te here e te maita'i
I roto i tô be orara'a.
uputa b tô'u mâfatu
‘E te Maohi ê,
‘E ere ato'a ânei tà be moemoeâ ?
la matara ta u parau
!
‘E matara ihoâ, nà o
b tau moemoeâ :
ae ra
te reo
A ‘imi i te maita'i
 bre te tama'i
Eiaha
e
topa faahou
I roto ‘i te aehuehu
A fa'aro'o râ i te
reo
Te pi i noa na ia
e
te
‘iriâ,
b te nàtura
be :
 ha'a na, ia ti'a teie moemoeâ !
autochnes
Wréations
LittéRama'oHi
#22
fTlanini Uoirin
Etudiante en deuxième année de Licence, LLCER-LP
ratures et
(Langues, Litté-
Civilisations Etrangères Régionales, spécialité Langues Polyné-
siennes) à l'Université de la Polynésie Française. Je suis de retour sur les
bancs de l'école pour réaliser un rêve, celui d’être institutrice ou professeur
de Reo maohi, afin que perdure notre langue et notre culture.
Ena ho‘i be, ena atu
Parau ‘oaba
‘Oaba iti rahi ho‘i
‘Ua ô mai be
Enâ ho‘i be
Enâ atu be
Âuê teie baba é
‘Ua tauma faahou à
‘Oaba iti rahi ho‘i
Enâ ho‘i be
Enâ atu be
Âué
te oto ê
‘Oto màhanahana bre
Nô te aha ?
Màuiui mau ho‘i teie
Nô te aha ?
Nô te aha ho‘i ?
‘Ua tai, ‘ua mihi, 'ua oto
‘Oto i te mau oto rahi mau à
Nô te aha ho‘i ?
‘O vai tei haapao
Âore re‘a taata
mai ?
be
79
Aore
e
hoa, 'aore e 'utuâfare,
‘O be
anae
‘O be
anae
‘O be
anae e
aore e
‘e tô feruriraa
tô moemoeâ
Moemoeà i te taime
e
fârerei ai tâua
Moemoeâ iti rahi teie
Tê horuhoru nei te
Té tàfifi
ra
te
aau
feruriraa
Të tâhitohito ato a ho‘i
Nô te aha ?
Nô te aha ho‘i ?
Enà ho‘i be
Enâ atu be
Teatea, nehenehe, purapura
Auë
ra
te
bto i te ‘iteraa atu
Âuë te
au e
‘Ua ‘ite
au
‘Ua tâpea vau
‘Ua ta‘i
au
‘Uahevavau
‘Ua auë
au
‘Ua màuiui
au
Nô te aha ?
Nô te aha ho‘i ?
Enà ho‘i be
Enà atu be
E nehenehe ânei
e
taui
Aita
Terâ ra, tei tô màfatu nei
Tei tô a“au tô be vairaa
be
Tei tô mànava tô be tiaraa
Tei tô moemoeà tô be hôhoa
Enà ho‘i be
Enà atu be.
fcti'i
LittéRama'OHi
#22
Doris Reva
culture, amoureuse de son île Tqha’a, de ses origines et
recherche de la Polynésie d'Autrejois. Ecrire pour confier le mal d’être
Passionnée par sa
à la
loin de son
île, pour revendiquer la place de la culture et le savoir-faire
polynésien au quotidien et dans la société. Ecrire pour ne pas perdre son
identité polynésienne et pour se remémorer la Polynésie ancestrale.
E Hiro nui ë !
E Hiro ë !
Atoriri maiteua
‘O
Hanahanahia ia
I tô iho fàraa mai
I roto i te ao Maohi
‘Uporu nui tô fenua
Fenua b tô u hui tupuna ra
Rahuhia e Taaroa Atua
I te ‘anotau mai â
‘0
te
rahuraa ao.
E Hiro ë !
Tïa noa ra be
‘Ite atu
I
Te
mua noa
mai
ra vau
roroa roa
ia be
mai ia Mou a roa
hôho a mata
I te mou'a moa ra
‘Ite
‘O Temehani
Te hibhio mâere
noa na
‘Ite
Tri ‘uraura
Teie
au
te Tama
atu ra vau i to
‘E tô iho mana
noa
nei ia be
I pi'ill ua noa na be ia u
Aho‘i mai !
E Hiro ê !
‘Ua fàhia mai be
Mai te hôe
manu mana
E Hiro ë !
E
‘O Faaaha tô fa‘a
E tàmoemoe i tô huaai
Faa iti ruperupe mai te roa
‘O Tevainui te vai
Vai i reira be
Mahaea
Tapab no tô be püai
I tô ai a ra
E manabnab
atu ra vau i to
e
a‘e
rererere noa
ai nà te
Tei taaminomino
Tei ihuihu
noa
ara
noa
hia
fâhia ai
Haruru mai te
pâtiri
Anapa mai te uira
Farara mai te matai
Nô reira,
Te pi‘i
hua noa ra be ia‘u
Aho'imai !
81
I maimiti Hhn-Eugénie Fanaura
Comme toute polynésienne passionnée, Maimiti se cherche encore à
vers
tra-
plusieurs domaines tels que la culture, le dessin, la musique, le chant,
le théâtre et l'écriture...
Parahi anae
Te fano nei teie nâ te taitua,
Tei tahatai tô‘u tino
Pârahi anae
E hanoraa teie i te rai ra,
‘O vau anae iho
atu
ra
Pârahi anae
Te h e e nei teie
‘O
vau anae
umoa
i nia i te
are
iho i te pae tahatai
Pârahi anae
‘E ‘i terâ atu pae,
‘O be ia,
‘E tô mata ataata
Tei ‘ï i te roimata
Pârahi anae
E aha ho'i teie
e
arepurepu nei tôu aau
Tei hea atu ra teie
E aha ho‘i teie
e
reo
?
iti nô te tâmarü ia na ?
mani'i nei i to u na mata ?
Tei hea atu ra teie turu nô te pàfai ia na
?
autochnes
réations
LittéRama'OHi
#22
maimiti Rhn-Eugénie
I
na
Panaura
hoi be,
E na ho‘i be,
E fàrerei faahou ânei tâua ?
Moemoeâ iti e, moemoeà iti e,
A faahau na i tô‘u a au
Moemoeâ iti e, moemoeâ iti e,
I vai nâ ho‘i be nôu,
Të vai nei be nôu,
E vai à be nôu.
Ta be
hororaa, ia bre
e mau.
A vëhi ia ‘u, a vëhi ia u,
la mata vau i tô‘u mau tupuna
!
A haaputapü i tôu ‘a au,
la bre ràtou ia aramôina hia !
la vai
be, ia vai be,
E ia mau ràtou i te hôhonuraa b tôu
aau.
Moemoeâ iti e, moemoeà iti e
I vai nâ be nôu,
Te vai nei be nô u,
Evaiâoe nôu.
Elaere mai,
haere mai iau nei,
Ua ‘iho‘i tôu
Haere mai,
aau
i te
ora
haere mai i roto i tôu mau taotoraa
la riro teie taa
Pârahi anae...
e raa
ei
fârereiraa
83
Comme pour me
Un bateau
sen
allant vers le large
Me laissant seule
sur
Comme pour me
le rivage
dire “ au revoir
Un oiseau s’élevant dans le
Sûr de
son
ciel,
envol,
Me laissant seule
sur
la terre
Comme pour me dire
Une fleur
dire “ au revoir
se
“ au revoir
laissant porter par les vagues,
Me laissant seule
sur
Comme pour me
le sable
dire “ au revoir
Et de l’autre côté de la rive,
Toi,
Riant
aux
éclats
et
Me regardant les
larmes aux yeux
dire “ au revoir
Comme pour me
Quel est donc ce sentiment qui enrage mon cœur ?
Où est donc passé cette voix qui savait si bien
L’apaiser ?
Quel est donc cette chose qui coule le long de mon visage ?
cette épaule qui savait si bien
Où est donc passé
La cueillir ?
Je t’ai vu,
Je te vois,
Mais te verrai-je encore ?
Rêve,
Apaise mon âme
Rêve,
autochnes
PTréations
LittéRama'oHi
#22
(Tlaimiti
flhn-Eugénie Fanaura
Tu
es mon
Ne
cesse
passé, mon présent et mon futur
donc pas ta course contre le temps.
Continue de
m’envahir,
Que je puisse entrevoir mes ancêtres
Continue de m’émouvoir,
Que je puisse encore me souvenir d’eux
Continue d’exister,
Que leur mémoire s’ancre en moi et jusque dans mon âme
Rêve,
Tu
es mon
Tu
es mon
Tu
es mon
Puisses-tu
passé
présent
futur
toujours m’inviter,
!
Car je me sens vivre
Puisses-tu toujours me hanter,
Pour que ces “ adieux ” ne restent que
des “ au revoir
85
j Vaimiti Lanteires
Te mau ruriapo
b tei bre e moe
A tae hoi ë ! be tau moemoeà
E aha tà be
e
tapuni ra ?
hinaaro ra e faaite mai ?
E mea ‘ino ia moemoeâ i te hôe baba ?
E aha ta be
e
E aha ho‘i te aura'a b teie
‘O vaite
mau
Ruriapo ?
tiaepahono mai ?
‘Ooe anei tau moemoeà ?
Te taupupu noa ra tô‘u
No tau mau Ruriapo
feruriraa
I nia anei i te Ora, te hère e te pohe
A tae hoi ë ! be tau moemoeà o te pohe
Te faariaria nei
au
i teie moemoeà
Aita vau i ‘ite i te taime
Tera rà,e tia iau e
Hôe
amaa
e
faarue mai ai i teie
fàari'i i te pohe
teie moemoeà
Te turu mai
ra
o
ora noa ra
A vai iho te baba
e
mau
E hia ia
tôu
iho tupu
teie moemoeâ iau
A here te that a, te
I teie
ao
te
here, i rotopü
taata e ati noa nei iau
ora no
te taa maitai te mau
A tae ho‘i ë !‘oe
e
huru o te oraraa
te moemoeà o te ora.
E moemoeâ hàviti
roa
teie,
autochnes
iWréations
LittéRama'OHi
#22
Vaimiti Lanteires
No te
manaonab, tôumàmàhere.
‘O be tei tanau mai ia‘u;
Tei horoa mai i tobe Here rahi
‘O be tei haapi'i mai iau na roto i te
Te ‘ite nei
au
i teie
E vahiné nehenehe
E'ita vau
la mauiui
‘O be
e
anae
A tatarahapa
No te
Ta be
vau,
tôu mâmâ
mea
tôu mâmâ here
here ia be
mai ia oe,e
au
nehenehe
e
iaatura e te marü.
ah an a,
m
bre i
e
te
boe atoa ia,
here.
mai iau, 110 te mau hora o tau i rave
noa,tô‘u mâmâ, e aita atu
obe
haapi'iraa, e tape a noa vau
Mai te hôe tao'a rahi i roto i te aau
mau
A tae ho‘i ë ! be tau moemoeà
o
te
here,
E moemoeà baba roa be
E faahaamanao mai
bia, ia be tau i here
‘O be tau i here i te mau mahana atoa
E taata be
no
huhuna bre i te parau
te
Te vahi ia b tàu
ra
e
fa'ahiahia nei,
No
tôuparuparu, ua ‘imi be i te ravea no tàua,
roto i te ‘ino
‘O be tei parau mai iau, te parau o te baba,
la bre vau ia topa i
‘O
ta tàua
No te
e ora
nei i te
mau
taime atoa
haapuai to tàua Here,
Eiaha tâua e tiaturi ia tàua iho
la tuea rà to tàua manab
A
aro
i te
no
tô tàua
oraraa
fifi,
Eiaha e huri tua noa i te fifi
Aita ho‘i
e
oti a
A tae ho‘ië !‘oe
Aore tau
o
to tâua
here
tau moemoeà
e ravea no
te
tohu te
tau
a
mûri.
87
I Hinano iTlartinez - Luloque
Après avoirfaitplusieurs séjours dans les îles, elle décide d'étudier la
langue de ses ancêtres polynésiens. Malgré quelques difficultés, et sous l’impulsion de madame Léocadie K., enseignante de “ Poésie et Stylistique
polynésiennes " elle écrit une poésie en tahitien et en éprouve beaucoup de
joie et defierté.
Te
Té hio nei
Tê ma'ue
au
ra
moemoea a
te Tama
ia be
‘i roto i te moemoeà nïnamu
Nâ nia i te ânuanua, mai te manu vata, te rere nei
E pühi hau te matai, e màhorahora te
be
pererau,
E tavevo te ti amàraa
Tê ani nei be
E màmé Ë, e
Të hio nei
aha tei nia roa ?
au
Te pâhee ra
ia be
be i roto i te moemoeà teatea
I roto i te ‘ihinatai mai te i a teretere
E ‘au maital be
e
tae
noa
atu i te
moana
hàuriuri
Te ani nei be
E mâmâ ê, e
aha tei raro roa ?
Të hio nei au ia be
Të
reva
rai te moemoeà
ura'ura
Tapao ieie e te manamana atoa
Te paari ra be,
Te riro nei ei taure are a hâviti
Te ani nei be
E màmà ë, e
aha tei mûri roa ?
autochnes
réations
LittéRama'OHi
#22
Hinano iTlartinez
-
Luloque
E ta u tamaiti ê !
la taha te
mahana, ia türama te maruapô
la matara te
uputa b te moemoeâ
 fa ahanahana i te
Mai te
manu
ea
iti e, a maurere i te
rai âtea
‘a he‘e i roto i te hôhônuraa
Mai te taurearea e, ‘a ahi ura i tô be moemoeâ
la tahu te auahi b te Ora, ia tauahi i te màtaa
Mai te i‘a oriori e,
E ta u tamaiti ë,
 rere, ‘a ‘au, a haere
Te ti‘a mai ra te tau b te pô
hô e anotau
tâpae be i te hui tàrava.
‘Oia mau, ia tae i te
E
89
:
Heeata
Tepa
! Tei roto
maohi, matahiti piti, i tefare
haapi'ira'a tuatoru nô Pôrïnetiafarâni. Uapàpai au i teiepehepehe
nô tejadite i tô'u heu i tô'upàpâ u.
‘Aitafaahou oia ipiha'i iho iau,
Ia
ora na
tei roto
roa
rà i te
i te
vau
amaa
Reo
hôhônura'a b tô'u a'au !
Te tahi tuhaa o tô u Ora
“
Pâpà
Tei hea
u
! Pàpâ
roa
ué
be ? ”
!
Âore ho‘i e ta ata i'râpaeau atu i te fare
Âore ho‘i e taata i roto i te fare
Âoreho‘iitôupae atau
Âoreho'iitôupae aui
E aha ra ho‘i te pôiri i teie vàhi
“
!
Tei hea roa be ? ”
‘Imi haere noa ra vau ia be
Tupu atu ra te oto i roto i tôu màfatu
“
‘Ua faarue anei be ia u ? ”
Tahe noa ai tô'u roimata i nia i te repo
‘O vau anae i taua vàhi ra
Të türama nei te
Tê ‘ai nei te
Nà te
ano
avae
i te
ao
taata
i tô'u nei vaerua
rumaruma
b
te
pô e tâmarü nei iau
Inaha, mutu atu ra te pôiri e te tahi maroao
Faaroo atu
ra vau
Te reo b tau i ‘imi
i teie
reo
noa na
Tô be reo !
“
Tô'u here iti ë, haere mai iau ra ”
autochnes
réations
IM
LittéRama'oHi
Heeata
‘Ite
#22
Tepa
atu ra vau ia
Të haere mai
ra
be
be ia‘u nei
ma
te
reo
hïmene
‘O tôuiamahana oroafanauraa
“
E aha ta be e hiaai nei ? ”
‘Euhe atu ra vau mâ te mâmü
‘Ua ho‘ i mai te mâramarama
Te reira atoa tôu mau feti'i i te aua-hâatiraa mai iau
Tô‘u mâmà i
te
pae atau
Tôu pâpâ i te pae aui
Parare atu ra te matâa i roto iau
ra
Auë ho‘i ê te baba !
‘Oriori
Të
ae ra
te taatoa
pàrahi noa ra vau i nia i tô turi
avae
Rave iho
ra be i tôu
upoo mâ te parau ë :
A tâpiri i tô be nâ mata
Teie tôu mahana hôpea i
rotopü ia outou
“
Tei piha‘i iho noa vau ia
Tavevovevo iho
ra
tô
be
be e tae atu i te hôpea ! ”
reo
Hitimahuta atu ra vau i tôu araraa mai
Aitafaahou ho‘i be,
E moemoeâ
noa
!
ua moe
ho‘i teie
O tei ho‘i tàmau noa mai i te
mau
pô atoa,
Mai te mahana i faarue ai be ia‘u.
Vai iho otare
noa
mai be iau i roto i teie
ao
Aita tô u e pou faahou
Aita atoa tô u e aratai faahou
Ahuru tetoni noa b tau e ani noa
Ahuru tetoni noa i roto i tô rima
E tïtauraa rahi ànei teie ?
Nô te aha be i reva bioi ai ?
Nô te aha be i faarue mai ai iau ?
Aita tô be here iau i navâi nô të fâaea mai ?
Ua rave ànei
au
i te tahi
bhipa ‘ino i nâ reira ai be ?
91
Âore
e
pâhonoraa !
Te mihi
noa
nei
au
ia be !
Te tahe nei tô‘u vaimata mai te hô e anàvai ra te huru
Faaroo atu
“
I
ra vau
Tô‘u hinaaro
i te
tahi reo iti
rahi, ia pârahi noa mai tô‘u pâpà
u
pihaiiho iau ! ”
O ta u ia euhe i terà ra pô
Te pô
i faarue ai be ia mâtou
i ere ai au i te tahi tuhaa o tô u nei ora !
Teie ato'a pô
autochnes
Hréations
LittéRama'oHi
#22
Denise Tetua'ura Tauatiti -Jaulin
Taufâ : la noaa mai teieparau tuite, të opua nei au e haa nô te
'ohipa a te Ture, mai te tahi auvaha reo tahiti ànei e aore ra reofarâni.
Te hinaaro ato'a nei au e ti'a nô te aupuru i tô tatou reo tahiti : ia vai
noa
tô tatou Reo,
eiaha ia môrohi !
E tao a rahi
E taoa rahi,
E aupuru
E
ânei au ia na ?
haapao maita'i ânei au ia na ?
E faaea
E
noa vau
mà te anaanatae
bre ?
haapae ànei au i tau taoa rahi ?
‘Oia ho‘i,
E hape
rahi terâ,
Teie taoa rahi,
E faufaa mau tô na,
‘Oia ho‘i,
E taoa
rahi,
Nô te tàvini i tô‘u nunaa,
Te
nunaa
màohi,
Te
nunaa
maohi i herehia e
au,
Taoa fâito bre
maohi,
‘oia, tô nunaa ho‘i te fatu,
Taoa, te tahe noa nei i roto i tô toto,
Teie taoa rahi, nô o roa mai i te rai teitei,
Taoa nô te
Taoa
ao
93
 bhipa,
‘A
ara,
 ti a i nia,
rahi,
Teie taoa
Ta tatou ia taoa
rahi,
Teie taoa rahi,
E
ere
nâ vera
mâ,
 ‘ohipa,
A ara,
A ti ai ni a,
la vai
teie taoa rahi
noa
E taoa rahi nô te
nunaa
màohi,
Taoa rahi,
E;
(
Taoa
I
rahi,
pihai iho i tô
aau
Mai te hôe tamari'i i herehia e au,
‘Oia ho‘i,
Teie taoa,
Eiaha roa atu ia ‘aramôina ia na,
Teie taoa,
Eiaha roa atu b ia ia môrohi,
Tau ia MOEMOEÀRAHI,
‘Oia ho‘i,
Teie taoa rahi,
Tô tatou ia REO,
Te Reo Maohi i herehia
Mai te tau
E ‘a mûri
e
te
noa
tau,
atu.
e
au,
ISfréâtïoisauchne
LittéRama'OHi
#22
Taiana Temauri
"...
d’un
enfant de 3 ans, Kekoahaunui, qui signifie Guerrier de
culture
polynésienne et tout spécialement pour la danse tahitienne. "
maman
la paix, j'ai écrit ce poème pour l'Amour que je ressens pour la
Tehura otàumoemoea
Mai te hihi
te rà
o
be
I te fâraa mai ia‘u nei
Tô ahu
E
more
i te ahi
au
i tô tino iti
ura
Tei faahei taoto ia‘u nei
Pahe e au noa tô tino,
Nâ nia i te
are o
e ua
vairipo
te matai
Âuê ho‘i i te faahiahia ë
‘O be ânei tei roto i tau moemoeâ
E ‘Urataetae iti ë, e aore ia,
b vau ânei ?
‘Ua pînaina‘i mai tô reo iti navenave
E pehepehe
i te nu‘u atua e te
Ua mai mai te
noanoa
u rau o te aru
b te pua
Tei faahei i tô tino nehenehe
Tau mai
ra
i nia ia u,
la haruru te pahu,
ia hau tôu mânava
ia ta i te tô'ere
Faateniteni i tôu ai a
Taupe noa mai te mau fetia b te rai
Mai te pua rama ra i tau moe hau
Faahanahana i te purotu nô te hura
la oto mai tô
reo
iti
E
reo
iti faaho'i mânava
E
reo
faaora vârua
la apa mai
E
au
be
te rai mai te
pua rama ra.
95
j Hiriata Brotherson
Elle a grandi entre trois ties : Tahiti Nui, Huahine et Manhattan. Profondement insulaire, elle a pour seule limite l'horizon et n'hésite pas à
quitter sonfenua pour poursuivre des études de droit international, à
Genève, capitale diplomatique européenne. C'est dans la contemplation
qu'elle puise son inspiration et son indignation.
Âahiata
4h
-
Scènes de vie
| Hiti maira te mahana, hiti atoa mai te manao
Mon
esprit somnolent se promène encore entre rêves et réalité.
Je repense au festin d’hier soir.
Nous étions six autour du paru pêché par papou
dans les eaux de Rai âtea,
préparé par mes soins avec du rea tahiti, du taro et du mitihue.
Palpitations.
L’orage grondait et nous demeurions silencieux, nous savions que la nuit allait
être paisible.
Enfin.
Nous
nous
réjouissions tous de ce repos mérité au rythme des averses et du
tonnerre.
Sauflui.
La pluie
signifie que le chantier aura du retard.
Lovée dans
draps,
d’eau déferlant le long de la maison,
résultat de cette nuit pluvieuse,
gage de fertilité pour nos terres,
je me réveille.
mes
bercée par le cours
Ces nuits du mois de juin sont
Douces
comme
douces.
le grain de sa peau que je frôle.
autochnes
Hréations
LittéRama'oHi
#22
Hiriata Brothersan
Douces
et
me
comme
le hupe qui m’effleure,
renvoie à mon
Celui-ci est rose
et
sempiternel tïfa’ifa’i défraîchi et oh combien choyé.
jaune.
Cela fait vingt et un ans que je l’ai.
Il arbore de belles fleurs de pua odorantes
dans leur robe céleste.
Un autre motif s’est rajouté au fil du
temps, quelques trous et déchirures d’usure
qui lui donnent son charme que je semble être seule à apprécier encore.
Tïfaifai, double héritage d’un passé colonial britannique et d’une matahiapo
disparue, mon arrière-grand-mère,
celle qui m’a fa’amu,
Te rai pô'ia
Dans les deux,
Te rai pô'ia devient peu
à peu, Te rai ma te ata.
Le ciel
ombragé se découvre et les coqs chantent le ciel sans nuages.
Nuageux, mes yeux le sont encore.
Mon nez toutefois n’a pas attendu
pour emprunter la route du mono’i dont il s’est enduit.
Chaque soir pour apaiser ses muscles sollicités et son
il procède à ce rituel, répété et imité depuis des
esprit,
temps immémoriaux.
Mes
capacités olfactives se délectent de ce parfum auquel s’est mêlé sueur et
l’homme dans
toute son essence.
Effervescence des
C’est
sens.
ça que je le préfère.
C’est ainsi que j’aime que commencent mes journées.
5h
comme
I Here fâito ‘ore
À cette heure, je ne vois que les reflets
mains
de sa peau luisante et satinée que mes
s’empressent de parcourir langoureusement. Le guerrier à la peau de
velours
se
repose encore.
Je m’émerveille chaque jour un peu plus.
Aussi doux que brut.
Comme les hommes d’une
I terâ
ra
tau.
époque que je n’ai pas connue.
97
Nourri par leurs
récoltes,
rattaché par son püfenua à sa terre,
les muscles pétris au mono’i,
la peau caramélisée au soleil, ‘
élevé par la communauté de son village et de son
église protestante
Comme les hommes d’une époque
que je n’ai pas connue.
Sa langue
ma’ohi,
est chantante,
Elle chante la beauté de Ranihavaiki.
Son
cœur
est pur,
Aussi pur que
la poudre de santal endémique tout juste râpée.
Son âme est sincère,
D’une sincérité qui n’existe plus.
Ses yeux rient l’allégresse,
L’allégresse des oiseaux de Nui papa rahi.
Son sourire appelle à l’insouciance,
L’insouciance des ruisseaux des fa’apu.
Ses sourcils froncés à la méfiance,
Méfiance à l’égard
de tout ce qui pourrait compromettre
Ses cieux sont ouverts,
De son amour mon être entier est recouvert.
l’avenir des siens.
Peu de mots. Juste
des regards, dans lesquels je me noie.
rassembler deux êtres et deux âmes que l’univers
dans son entièreté a conspiré à unir.
Nul besoin de paroles pour
Je suis tombée dans les filets de ce pécheur.
Mais comme les tàea percés à la tête,
Je ne me débats pas et me laisse écailler, attendrir, bouillir puis dévorer sans
modération
Par cet homme de la terre,
Te aru, te tai e te
Fait d’amour.
Dieu de l’amour.
Mon
amour.
ra’i vavae.
de la mer et du ciel ouvert.
autochnes
réations
LittéRama'OHi
#22
Hiriata Brotherson
6h
I Haere mai café
Pour elle, un café
corsé et griffé d’une célèbre marque suisse au marketing amé-
ricain.
Capsules d’espresso pseudo-luxueuses,
concentrant le nectar des
habitudes snobinardes du maohi imitateur d’un autre,
qu’il ne peut en vérité, pas vraiment se payer.
Souvenirs d’un niveau de vie élevé autrefois atteint
en
compagnie de cet
homme,
ce
roi de la paix,
foncièrement et matériellement
riche,
qui intellectuellement et socialement parlant ne la satisferait jamais.
question de fierté.
Tebteoraa,
Une
Imbuvable pour lui.
Pour lui,
de l’eau édulcorée d’une demi cuillère de café soluble instantané bon
marché.
Aux Australes,
où la plante pousse pourtant facilement,
les tuha’a pae n’y ont pas
échappé.
Par souhait d’économiser le contenu de la boîte,
car
les familles
sont
nombreuses,
le réapprovisionnement peu fréquent
et
l’argent rare,
le café “ léger ” est la norme.
Une
question de rationalité.
‘Eiaha e faamàua,
Imbuvable pour elle.
de lait semi-écrémé et du milo.
mon
organisme car cela m’a été interdit.
De plus les bisous de maman dans mon enfance empestaient cette odeur qui
me
répugnait et que j’associais à de l’affection forcée, puante, manquant de
Pour moi, un bol
Une absence totale de café de
conviction.
Aujourd’hui, ils me manquent.
Le chocolat en lieu en place du café excitant est une des rares choses que j’ai
voulu retenir des préceptes de mon éducation religieuse adventiste.
99
Une
question de santé.
Peu petania.
Tolérable pour eux, protestants.
Nous
rejoignons cependant tous autour d’un élément fédérateur liant
quelconque surface farineuse au plaisir.
Il s’agit de la confiture de goyave à la vanille faite maison par Veronica.
Dans un élan de bonté, elle nous a offert une touque dice cream Tip Top bleue
remplie à rabord de ce délice à diabète à se damner.
‘Ua hope te au.
Selon les jours et surtout selon l’humeur du chefde famille, elle,
nous avons du
pain de mie, une baguette ou des Sao.
Chacun trempe et déguste comme un bienheureux.
De ce peu, qui paraîtrait un trop pour d’autres,
nous
puisons notre force pour tenir toute la matinée.
Parfois elle prend la peine d’observer la vue imprenable quelle possède sur le
nous
toute
Taharaa.
Lui souvent.
Moi
toujours.
Je me perds dans les nuances de couleurs qui varient chaque jour,
sans me
lasser.
Tantôt bleutés, tantôt
les reflets
orangeâtres, tantôt sanguines ou encore d’or terni,
qu’offre l’aube sur les montagnes verdoyantes dÂrue me fascinent.
Â’ahiata teie taime.
Elle
son
se
prépare un
SUV familial.
dernier espresso à emporter et boire tandis quelle conduit
Il est
déjà prêt.
Je cours dans tous les sens car mes affaires sont éparpillées de part et d’autre.
On n’a cessé de me dire que j’étais en retard à la maison mais un peu en avance
dans le reste.
Je n’ai pas su comment le prendre. L’ennui par contre m’a envahi.
L’heure court mais ce que je veux c’est le temps.
Ainsi fonctionnaire
d’Etat, patenté indépendant, technicien surexploité, collégien passif lycéenne surdouée, étudiante aguicheuse et stagiaire de ce pays se
dirigent vers Papeete au lever du jour.
autochnes
réations
LittéRama'oHi
#22
Uaihere Doudoute-Raoul»
Passionnée par sa
auteure,
culture et tous les arts qui la composent, Vaihere est
chorégraphe, danseuse et oratrice.
Afano
Eie be
e
Naviguons !
anae ra
Faafaite
Te voici Faafaite
hia na
'Oe tei hiaai hia na
‘Oe tei
piri te mau
farerei
te
Les
aau
cœurs se
sont épris,
Les
mau vaerua
E fano... A fano
anae ra
esprits se sont rencontrés,
Ilfaut naviguer... Naviguons !
E‘ie be e Faafaite
Te voici Faafaite
Horuhoru te
Nos
aau
Horiri tou tino
Âue
!
Rêvée,
Désirée,
moe
coeurs
!
ont été troublés,
J’aifrissonné,
Mon cadeau !
tau maimoa
Âue tau temeio
Mon miracle !
E fano..., Afano anae ra
Ilfaut naviguer... Naviguons
Eie be
e
Faafaite
Te voici Faafaite
!
O ‘Oe
e
Tane
Toi
O ‘Oe
e
Paparaharaha
Toi Paparaharaha,
E fano... Afano
anae ra
Fano
e
fetui i te mau motu
Fano
e
faahei i te mau fenua
Fano
e
faahere i te mau taeaè
Fano
e
Faafaite i te
ao
Mabhi.
!
Tane,
Ilfaut naviguer... Naviguons
!
Naviguons lier les îles,
Naviguons engrener les terres,
Naviguons rencontrer nos semblables,
Afin de réconcilier le monde Ma'ohi.
101
Hurihuri
Ta'anini
te
upo'o..., mauiui te rae,
TAOTO... E ti a no
TAOTO
...
te
‘amuamu, ho‘i i ni a i te ro‘i
Ahuru ma piti i te po taparuru te mau papa i.
MARUA ihora i ni a i te tofa.
TA'OTO. E vahiné tupohe auahi tei roto i te piha paapa'i raa
Tei nia vau i te ro‘i mai ‘ati
TA'OTO. E ta'ata tupohe
Hiti te mana'o
e ua
auahi tei roto i te pereo'o mai
ro'o hia vau i te mai AVC
TA'OTO. Nau ta'ata ‘ahu ‘uo'uo
Tei te piha fa'ari‘ira'a no te fare
TA'OTO. Tei roto vau i te
e
e
ha'ati nei i ia'u.
mai
piha. Te parauparau nei, ‘aore ra e aura'a. Aore ta'ata
ta'a mai
TA'OTO. E vahiné tei piha'iiho
i ia'u, Te huti nei te vahineutuutu i te paruru ia
oreVAUEHI'O HIA
Paitu to'u nei hoa to
piha'iiho i ia'u,
Te ani nei te vahiné utuutuma'i ia na “
a
ho'i, e pi'i ihoa matou i ia be”.
Aita ra o Paitu i ho'i,
Apa atu vau i ta'u mau parau : “ a haere ra, e taoto vau, ua ‘afaro te mau mea
ato'a ”
Ho'i
atura
I reira to'u
oia, ma te tamau i te opani o te piha,
TA'OTORAA, TAOTO, ‘OTO, ‘OTO...
autochnes
réations
LittéRama'OHi
#22
Chantal Teraimateata millaud
L’eau du caillou
L’enfance courait à pas légers
par les sentiers de terre rouge
le soleil cuisait nos souffles
nous
emportions des poches
de hasard fil de pêche fil de
allumettes mains ouvertes
les rêves de nos
fer
sur
attentes
Têtes brûlantes visages
levés
vers
les crêtes lointaines Pamataï*
âme
emportée bonheur ensuite
de la descente cascade
rivière vallée Tipaerui*
de la chasse aux anguilles
Promesse des jambes
parcourant les heures de poussière
où les bouches
perdaient leur salive
cailloux
semés pour la soif se cueillaient
comme des baies dans
chaque joue
au
bord des chemins les petits
l’eau du caillou donnait
des ailes à nos pieds de terre
103
Ta main conduit nos semelles
Mon fidèle,
je suis venue avec mon cœur d’eau
comme
est
Tu m’as dit
“
d’eau le cœur de mon île.
:
Pauvre suis
sans
rien à t’offrir
:
quelques cailloux de la garrigue
Cazevieille !
Qu’avions-nous besoin de fortune ?
J’y entrai comme en un palais.
Pic Saint Loup :
les fougères
de ma montagne Aorai
s’ajustèrent à son dos de bête.
Tous les
noms
m’apprenais : cades, micocouliers,
girolles, baies à prendre aux épines...
tu
Tahiti
se cueillait aux fruits de
l’arbousier,
frémissait dans l’herbe blonde du vent.
Tamouré
pour les grappes à mordre entre les ceps tordus.
À mon oreille fleur de garrigue vaut-elle un tiaré ?
Vers tes
mon
ciels,
visage mouillé dorages blancs,
ta main
conduit nos semelles aux glaises
de mon île.
À présent,
la chambre
sent
la pluie
d’un même chemin.
au
goût de pierre
Nous étreint le vin de force
de la vigne.
autochnes
Blréations
LittéRama'OHi
#22
I ChantaLTeraimateata ITlillaud
Au voyageur
Dans les îles de
Polynésie,
Le voyageur : à embrasser,
à choyer, à célébrer,
à
chanter, à pleurer...
POUR SON
Vers la
vers
case
DÉPART
de l’artisanat,
l’espace des belles dames
cheveux de lionnes brunes,
sourires de sérénité
Ici sont les
tiarés à
:
fleurs, les coquillages,
emporter pour parfumer les bagages ;
pour offrir, de l’autre côté de l’océan,
des bouffées odorantes.
avons surfé
pour joindre
les amis, la famille.
Nous
Cependant l’odeur de la fleur
franchit pas les ordinateurs.
ne
Dans la
case
de l’artisanat,
dans l’espace
des belles dames
cheveux de lionnes brunes,
sourires
de sérénité
:
Colliers de coquillages fins ou gravés
à passer au cou du voyageur
à embrasser, à choyer, à célébrer,
à chanter, à pleurer...
Pour le voyageur les
cordes des guitares
premières notes du début d’un chagrin,
les chants pour dire l’amour,
Au Voyageur
! Buvons !
l’amitié.
105
Dans la salle
d’embarquement :
couleurs ;
puis, disparition du voyageur,
dans les regrets et les larmes.
les parfums, les
Au voyageur!
Dans les îles de
Polynésie,
Le voyageur : à embrasser,
à choyer, à célébrer,
à
chanter, à pleurer...
POUR SON RETOUR
L’on rembobine le fil du départ,
et
comme on
mouline le fil de nylon
quand on ramène le poisson,
s’en revient le voyageur.
Dans le bonheur et les larmes
la fleur de tiaré, princesse
:
de l’offrande,
embaume l’aéroport
des
départs et des arrivées.
Venus de la case de
Venus de
l’artisanat,
l’espace des belles dames
cheveux de lionnes brunes,
sourires
de sérénité
:
Colliers de fleurs de frangipanier
à l’odeur entêtante
on
s’enivre.
Les bras bercent le corps
du voyageur ;
les chants bercent son âme.
Chant d’accueil guilleret
cordes des ukulélés, allégresse du nylon.
La tiédeur de file, lourde tendresse,
enveloppe le retour du voyageur.
autochnes
réations
LittéRama'OHi
#22
Chantal Teraimateata fTlillaud
La nuit jouait avec son archer
(Courir au bout du silence du wharf)
Hautbois et petits pieds nus menus
sur les lames de bois noir.
Quelques rondes ralentissaient la mer :
quoiqu’elle chantât, quoiqu’elle clamât
au
bout du silence du wharf
Suivre et rejoindre
aux
le kimono de soie
rythmes du vent assoupli de la nuit.
(Sur la corde tzigane d’un secret)
Jazz d’octaves, bruissantes odeurs mauves
de la mer et sa gamme et son
gong ;
et le
gong du cœur qui cognait vers
le bout du silence du wharfj vers
les blanches ailes
harpe du secret.
Douche fraîche de l’espace,
douche chaude de la pluie.
(Au-dessus de l'organe de la mer)
Quatre mains immobiles tout au bout
de l’infini d’une pause.
Autour, la mer :
son quintet, ses tambours.
Cœur d’ivoire de l’aigu au
grave,
petites notes de swing
au
sein de l’unisson
au
sein des
des baisers,
bras de soie kimono.
(Eau salée mêlée tombée sur les lames)
Course à l’envers de l’adieu
les baisers
:
séparés, le violon déchiré.
Quelques lames claquaient au cœur.
La nuit jouait avec son archet d’amour ;
nuit odorante de jazz mauve.
“
No
no no
! No
no
no! ”
Cognait le blues contre nos maux.
d’amour
107
Rêve d’un possible voyage
Songe mon vieil amour à nos joies poivre et sel
long vol blanc d’un coup de fantaisie
nous allions
contempler l’autre voûte du ciel
si par le
Imagine la tiédeur
des lagons
Embaumeraient mille fleurs
de tiarés
Partons
nos
repeindre en couleur
deux cœurs
Lieu de
nos
désirs
jeunesse
renaisse
à loisir
Voilà qu’à l’unisson nos lèvres s’extasient
Voilà que sur la mer une île au loin ruisselle
Voilà d’émoi nos chairs pareillement saisies
Se dessine la fraîcheur
des cascades
Cadence
au
sein du bonheur
des musiques
Que notre rêve demeure
mon
aimé
Lieu de
nos
jeunesse
renaisse
à loisir
désirs
autochnes
réations
LittéRama'OHi
#22
Odile Purue-RIfonsi
Hauteur, évoque au travers de ses écrits mangaréviensfrançais les souvenirs
de son
son
Histoire et sa Langue ne disparaissent jamais
enfance précaire et insouciante afin que, de son pays natal, "
Danse pour la lune
Fermant le
grand portail de la maisonnée
Je traverse vaillamment l’avenue privée
Pour aborder
un
chemin chaussé de bitume
De Pamatai, paysage populeux de
Tout parait
Faaa.
clair, distinct, il fait jour la nuit.
Dans l’étoffe clair-obscur filtrée de lueurs
S’échappent des abords du parcours les pleurs
Des grillons importunés par la clarté de la lune.
Dévalant la colline
au
pas
de course,
Je suis saisie d’émerveillement par la vision
D’une boule lumineuse en suspension
Au-dessus de l’aquarium de “ Vaitupa ”.
C’est la lune
qui en achevant son parcours
Répand sa lumière pailletée d’or et d’argent
Illustrant ainsi de
ses
reflets étincelants
Le décor mouvant de la surface de l’eau.
103
Cette aubaine irréelle et visible à l’aurore
Me plonge
dans une contemplation grisante
Envahissant mon être de pensées amusantes
Pour une farandole vive des résidents du lieu.
J’imagine une évolution éclaboussée dans les vagues
en écailles
qui serpentent en parade
Parmi les sillons entrelacés de cordons d’algues
Rendant ainsi hommage à la lune, l’invitée haute.
Des danseurs
J’imagine une troupe à tentacules fleurie d’écumes
Des pieuvres, des méduses qui encensent la lune
Oscillant et enserrant avec une grâce ingénieuse
Les écrevisses et les insectes de mer en délire.
J’imagine...
J’imagine...
Sortilège d’une couronne de fête
Elle
est
odorante ma couronne de fête
Elle se distincte d’une fantaisie libre
Des fleurs favorites de
ma
cueillette.
Elle est magnifique ma couronne
Elle ensorcelle les
de fête
joyeux
D’une délicate passion de jeunesse.
Elle
est
noceurs
troublante ma couronne de fête
Elle ravive les liens frivoles
D’un flirt à l’effluve vert.
Elle est sensuelle
ma couronne
Elle tourmente les
de tête
idylles naissantes
D’un intense émoi d’une
amourette.
autochnes
TSrdations
LittéRama'oHi
#22
Odile Purue-Alfonsi
Elle
fluctuante ma couronne de fête
Elle transporte les cœurs passionnés
est
Dans
un
délire vibrant de fièvre.
Elle est belle ma couronne de fête
Elle harmonise les nuances flamboyantes
Dans l’éclat enchanteur de la lumière.
Elle
est
illusion ma couronne de fête
Elle libère les tentations fuyantes
De l’alliance colorée de chimères
C’est ma couronne,
Elle
s
épanouit de couleur
Elle resplendit de fraîcheur
Elle illumine de bonheur
Elle ensorcelle le rêveur !
Ill
Passionnée de lettres,
ïauteure dévore les livres depuis sa tendre enfance,
de premières études de droit à Bordeaux. L'amour
la ramènera vers nos rivages, où elle dépose sesfilles, et opte pour l'enseignement quelle juge être la plus noble des missions. Teraipoia voyage
par la lecture et s'évade par l'écriture.
ce
qui la mènera
a
Home, sweet home
Dans ma maison, il n’y a pas de rideau pour voiler les non-dits. Les immarcescibles rayons du soleil envahissent ma chambre tels des tourbillons jaunes
au-dessus des étoiles.
ma maison, il
n’y a pas de vol, ni de grivèlerie. C’est un chaume qui
le fournil et le pain chaud. Les placards rustiques sont pleins à craquer. Le
Dans
sent
frigidaire vrombit imitant les réacteurs d’une débroussailleuse. Levier est suspendu, ô combien de temps encore, grâce à la gentillesse de trois plaques d’aggloméré au dernier stade de déliquescence. Le compostier exhale depuis hier
soir l’odeur pestilentielle d’égout ranci. Les vitres sales bruissent un feulement
de guillotine.
Dans
ma
maison, les habitants ont le droit de lire, de paresser,
de grandir,
de se nourrir.
Les
jeunes filles en fleurs exhibent leur chair blanche de haut en bas, se
pavanant devant le magique miroir de la jeunesse. Les mâles ne sont pas en
reste, huilant pectoraux et abdos avant de se lancer dans des compétitions de
kettelbelt. On se repaît de brun chez moi et on se parfume de grand ah insolent
garance.
On s’ébroue dans les matelas et on se bourre jusqu’à la gueule.
Dans ma maison, l’eau a du mal à s’écouler dans les tuyaux de la salle de bain.
Parfois elle s’enfuit par un trou béant sans rien pour la canaliser. Autour de ma
réâtîonsauche
ri
LittéRama'om
#22
Marine Tea
maison, l’eau est libre au point de menacer l’intégrité de ses fondations. Ma
serait-elle un remugle, bateau ivre perchée sur sa montagne de Noé ?
maison
Dans
maison, il y a
mille couleurs que je défoule avec mes rouleaux.
m’égayent, d’autres me rendent morose. C’est une bauge propre,
moribond au milieu de l’odeur de la belle agonie. Parfois, elle est pure
gemme.
Elle se pare alors de mordorures baroques, de senteurs lavande et papaye, d’un
glacis de lumière chatoyante.
ma
Certaines
Dans
ma
maison, il y a des coups
de tonnerre, des chansons et du silence.
Dans ma maison, il y a des enfants qui reviennent parce quelles ont besoin
de repartir mieux, plus loin, plus haut. On essaie de grandir, on doit chercher
le bonheur. C’est plus facile à vivre. Il y a beaucoup de livres dans ma biblio-
thèque parce qu’on écrit. Or je n’ai toujours pas trouvé quelle sorte d’arbre est
Qu’importe, mes livres en pagaille sont ma vie par procuration, des
amis éternels taiseux, rudes et odorants de cette odeur de
parchemin, de thé
citron et de gâteau de mon enfance.
le bonheur.
Dans
ma
maison, il y a
des meubles et des cahiers et des livres que m’ont
transmis des absents.
Dans
maison, la chambre de mon fils est une étuve aux déjections de
cancrelats où l’urine rancie s’embouteille près des miasmes de morve. Sa fenêtre
ma
est semi-ouverte.
âcre. On y étouffe
Dans
ma
Il
de la poussière
saturée de tabac infect et de sueur
du fait de la pulvérulence du passage de l’air
monte
maison, les bananes turgescentes causent
dans le umete de plas-
tique avec un pamplemousse vieillard sur une paillasse fadasse qui manque de
s’effondrer.
Le lit végétal alentour est une forêt amazonienne sur
pente. On fait ce qu’on
arbres sont des
peut pour enrésiner involontairement un terrain vierge. Les
majestés quasi-carolingiennes.
Dans ma maison,
le temps invite à la rêverie. C’est la course ailleurs.
113
Teuraheimata
a
Tinier
Manaônaô
I teie mahana
nei i te
vare
e mea
tïtauhia e mata vave ia itehia te mau faaapiapiraa e tâfifi
feruriraa o te taata. la ère hoi ôe ia mata oioi i te...
e
itehia ai teie para e
nei i te mata !
E ôre ihoa ia
e
itehia te matararaa o te mâôhi.
Parau mau i teie
mahana, ua fétu te reira e te reira,
I te haaraa ia au i tàna huru hiôraa, te mea noa iho te reira e matara ai, ia ôre
te
reo
ia
morohi.
I teie nei
ra
hoi, mai te peu e nâ te aro iri noa i te rapaau ! Nàhea ia te mai e
àuhia ai ?
heiva, te vai ra te reira e te reira mau raveraa,
pâpai ia pà, te âparauraa ia â te parau, te tuatâpaparaa ia itehia o aro, te
Te vai
Te
te
ra
feruriraa nô te ruri ia parau,
Te
mau
râveà ia ! Te farara nei... te
mau
pou
i paè na i te ùtuâfare ! O ôe
ihoa ôe.
Te vai ra te mono mai, parau mau tei ôre â i pàutuutu roa !
Aroharoha aè, ia tià mai nô te mono... fati, i paruparu ia au ihoa i tà te hôê
tino
e maraa
i te
amo...
(nô râtou pai te parau, o râtou ihoa ia te parauhia,
eiaha ia i te tahi) i te ûtàtâ noa, ma te ôre e feruri hôhonu,
te mea e matara ai ôna i râpae i ta te tavaimanino, ta te hooâià, ta te pôiri ! Te ê
Mâtau
roa
te taata tumu
nô râtou hoi te parau,
noa raa
nô te
faahua taata tumu noa raa iâna !
réationsuche
tw
LittéRama'oHi
Teuraheimata
#22
Tinier
a
Ua parauhia pai e nunaa faarii te màôhi ! Ê pai. Faarii noa ia e â i tôna
pohe.
Faaea na i te faahua, i te taôtoraa i nià i teie turuà o te manaô
paruparu e
vareà taôto.
Faaea i te hôroà vare
tàparu i te Atua e tauturu mai ! Ê ! ôia mau...
priai, te manaô tae... ia ôe te taata tumu. Ua hôroà
mai i te fenua, i te mau moihaa atoà, àita e mea toe... Ta ôe ra e hinaaro ra, o te
haere roa raa mai ia ôna e tùturi e rave i te rnàa e pâtia i roto i tô ôe vaha... A ara
i te horomii puupuu noa i tei faufaa ôre e te ruai mai i tô ôe iho reo, i ôe ai ôe.
nà
noa e
te
i te hôroàraa mai i te
na
Ua riro ôe i teie mahana ei hôhoà noa, ei ata... E aore râ ! ! !
Aita ôe i mauruuru ? E aha ia ! E aha hoi nàù !
Eere ànei nô te
i te
mea
te ite
ra
ôe, o tatou, o vau iho... e, te âmaa ta ôe i mâiti
e maè i te faatamâa i te tumu ?
haru mai, ua rairai roa ia e àita
Atire ra i te haapahi
! Ua topa ôe, a tià ! Ahani hoi e, o ôe anaè tei pêpê ! !
ôe, o mea, o vau, o tatou, o matou, o ràtou... àita roa i faaroohia te
ùuru noa atu te taû te àti i nià ia tua, ia aro, ia tarià, ia mata, ia pito... ia tumu.
Farara aè nei i te toi ôpahi !
Ua topa
No te
mea ra
e, ua
î te âàu i te tiàturi ! Ua î te âàu i te ôto ! Ua î te âau i te
mânaônaô ! Ua î i te âau tae mâ te rima ahu i te veà
mata i nià i te
a
hiva. Ua vai
tonu
noa
te
fâ, ua fâ mai te ahu màhanahana, ua miro, ua àti, ua fara, ua tumu
ràau, ua roâ... Te tiàturiraa... àuri fefe ôre... püai taaê e heipuni màrei ia tàihitumu.
toto
te
e
Àuri i tüpaihia i roto i te auahi tahe no Kilauea ! Ua hôhia mai maoti te
tô ôe, ôe te màôhi !
faatoromaamaa ra i te uaua o
Oe te màôhi ! Faaea i te haamaau faahou ia ôe ! Oe i tiàfera noa e pari ra nà
ôfï ! Hà hé !
Te ite
roraa
ra e
àita
e
tano,
nahea ! E tàtara i tei tàhanahia i te parau ? E hia mao-
?
Mai te peu e ôre e maraa ia ôe, a faaàtea atu ! Eaha hoi ia ? ôe te àiha i
tàùeuehia e te miti, te maraamu
! Faufaa ôre ! E ! o ôe terà faufaa ôre, vâvaô !
...
Apiapi ! A ôua atu i raro i te vaa ! E hinaarohia te àito i tiàturi, i here, i fera i tôna
taura pito ma te here i nià i tôna
pü ! Tôna fenua ! Metua...
No reira, hôê noa uiraa ! Fliaai ra i te ora ?
Iaorana Màôhi !
-
Goenda
a
Turiano-Reea
Professeure de reo tahiti, Goenda obtient le prix du meilleur auteur du
Heiva i Tahiti 2012 au sein de la troupe de danse Hei Tahiti.
Elle rejoint activement l'association Littérama'ohi et signe des textes
personnels qui mettent en évidence une écriture affirmée et singulière.
Te here te tumu !
‘O vai ïa nünaa
e
faauiui i te ta i navenave
o
e
harabo i te
auri
e
taaore
tôna
iho reo ?
Tô be ànei ?
‘O vai ïa nünaa
oto
o
nehenehe o tâna iho
te
mau
o
te tau o tâna
mau
hïmene ?
Tô be ànei ?
‘O vai ïa nünaa
ra
i te ieie
iho
mau
pehe ?
Tô be ànei ?
Âuê ïa nünaa veve mai te peu tape a noa mai i terâ
‘la mau mai iâ be i te
nô tô be
mau aveave
atoa o tô
mà te faarue atu i terà !
be hïroa, e papa anae ho‘i te reira
iho tumu !
Mai tà Turo i poro'i mai : te HERE anae tè taamu iâ be i tô be reo, i tà be peu
E here haamoe hïroa ânei, ‘ia ‘ite tô mata i te nu‘u tïpae a te vahiné bri !
E here haamoe hïroa ànei, ‘ia nànà tô mata i te bri opü a te tàne bri !
E here haamoe hïroa ànei,
‘ia apo mai tô taria i te hïtoto a te rohipehe !
‘ia faaroo tô taria i te târava a te pupu hïmene !
E here tàmaumau ânei, ‘ia tara tô taria i te faatara a te orero !
E hi‘i, e aupuru, e ‘atuatu, e ràpaau i te mau mahana atoa, ‘ia bre te here ‘ia
E here tàmaumau ànei,
mutu !
!
LittéRama'OHi
Goenda
a
#22
Turiano-Reea
A heiva i tô be parau !
A heiva i tô be iho mà te màramarama maitai i
ta
be iho,
inaha, tenâ aa e
haatumu ra iâ be i nia i teie fenua, tenâ aa e nounouhia ra e te feiâ nô te fenua
roa, e
taoa hôroa noa hia mai te reira e tô be mau tupuna,
Nâ be te
faatupu, nà be te faaamaa, nà be te faahotu ‘ia api o Toatâ, la toro
Papeete, ‘ia tomo atu nâ roto i te mau ‘utuafare, la 1 te aau i te tàrava,
te ru au, te utê, la baba te vàrua i te otea, te
paô a, te hivinau, te aparima, la pü
taria hia te paea, tetàriaria, te tiare tàporo,.te takoto !
nà roto
‘Oia mau e te ul apï ë :
E hotu be nô teie fenua
Te ti aturiraa ià be, aita ïa e faaauraa !
Manava te
mau
ti a pupu
bri
Manava te mau ti a pupu hïmene
Manava te mau aito heiva i nia i teie tahua nô Toatà nei
E Tahiti Nui mâre'are a tô‘u fenua iti ê,
Nui te baba i te faarilraa ià be i teie arul !
Nui te aroha mai roto atu i te tômite Heiva 2014 !
I farerei ai i teie nei
oroa
Te here îa te tumu, te
Màuruuru
e
here ïa te tumu
la heiva te heiva !
LittéRama'oHi
#22
Mu'ualoha Ho'omanamanui
Matavai wedding
A midnight wedding
on
Matavai bay
young love, celebration
under a young moon
the night
of Hua in the month ofWelehu
life blossoms, time turns
The sound of toere drums
on
fire
light up the sky
magnificent flashes ofreds, greens, and golds
boom boom boom
the cannon resounds
‘0 kü b kà
the waves crash in unison
Matari‘i twinkles above
Its heavenly eye peers
down to taata cousins
the young couple
their families and friends
Matavai bay united
in celebration
boom boom boom
the cannon sounds
b kü b kà
spouting fire
like to ere drums of the gods
119
Punaauia
We float and dream
over
white coral sands
and the bubbling fresh water springs
ofPunaauia
three Hawaiian girls
pareu-wrapped
in
rainbow hues
tendrils of long fe e fingers
floating crowns surround our heads
ehu-colored limu laze
in
liquid lagoon luxury
across
the channel
beyond the reef
Mo'orea wears
a
golden crown
the setting sun
spikes through spires
of ancient lava peaks
‘O
Kahikikü, b Kahikimoe
E moe
ana
màkou
We float and dream
above coraled hands
small fish dart through
pahua shells scattered
small crabs scatter
is this real
or are we
dreaming?
Wakeas infinite lavender sky shimmers
ka lewa nu‘u, ka lewa lani
reflecting radiant moana nui
as stars
punctuate the heavens
with soft and distant light
ka lani kuaka'a, ka lani kuakini
nuvrïtsésl
ute
IS
LittéRama'oHi
#22
Hu'ualoha Ho'omanaïuanui
la Hôkükauopae appears,
nâ hoe waa
rise, sail across te pô i ka lani
Maiakü, Nâkao
steadfast
over
Tahiti
ka Hôkühookelewaa will always guide us home
We
are
embraced by the sea
buoyed by the sky
memories
we are
of ancestors
o
tëia fenua nei
the va a of ancestral memories
carried forward i ka pô, i te va
i ke kai la iàkea
o
Punaauia
121
Nâ Pua Purau
Nâ pua purau o
e
Vaimâ
mau
Vaima
The hau blossoms ofVaimâ
float serenely on the water
lanaau i ka 'ili wai
kou
o
alo lahilahi
your delicate faces
ipolïahu 'iaikalâê
caressed by the sun
Me he
You
nâ
the colors of the rainbow
mea lâ ka wanaao
wüiho'oluu o ke ânuenue
kou lihilihi lâlahi e môhala é
e
apo i ke kukuna a
Ua
ka la
kaapuni 'ia ka moku
'0 Tahiti nui,
o
Tahiti iti
E hô'ola i
kapôhâhâ waipuna
Kou puna wai olu makamaka
Mamake mâkou e nanea a lea
kahi tnanawale'a e launapü nô
are
like the sunrise
your delicate pedals unfurled
to
embrace the rays
ofthe sun
We toured around the island
big Tahiti, little Tahiti
revived by the bubbling spring
welcomed by your cool, refreshing waters
We desired to relax awhile
this
mâlana i ka wai hülalilali
e kowali
pôniu i ka ‘ili wai
delightful place of hospitality
buoyed by the sparkling water
twirling with delight across its surface
E hâliali'a
You will
e
mau ana
nâpua purau o Vaimâ
e
huipü nâ hoa mamaka e nanea
i
ka lailua o ka ‘auinalâ
Puana 'ia i ku'u mele
no
kahi aina aloha
küpuna i
at
always be fondly remembered
oh hau blossoms ofVaimâ
friendly companions gathered together
in the tranquility ofthe day
Thus ends my song
for a beloved ancestral place where
nâpua purau o Vaimâ
the hau blossoms ofVaimâ
lanaau i ka 'ili wai
float serenely on the water
e
invutteérss
LittéRama'OHi
#22
Hu'ualoha Ho'omanaïuanui
Toa
You stand alone in line behind me
Tahiti Nui Air flight
8 to Paris
Tall, lanky, a milo-toned sapling
Stretching up to the sun
But just a boy, still
Shell lei heaped upon your strong shoulders
A small token ofaffection
From
family and friends left behind
the ropes, teary eyed
But you stand tall, resolute
Your family behind
You
casually pretend to ignore them
But every time your brother calls your name, e
You turn, listen intently to what he says
Toa
Nod your head at the flow of Tahitian words
Spilling forth from his lips
You could be my son
Young, strong, taking flight into the world
I imagine for a moment you are off to college
You will make your family proud
But then your brother calls your name once more
E Toa, and again you turn, smiling
And when he makes a motion with his hands,
a
gun
Tahitian words
shooting from his lips
You nod and laugh
But I know
And another Oceanic son goes forth
To defend the colonizer, the occupier, the oppressor
While our own homelands remain imprisoned
Our languages, our cultures, our bodies
E Toa,
broken
I pray to the ancestors for your safe return
123
j Paul LUamo
J aimerais prendre lair
J’aimerais prendre l’air
Le prochain vol pour autre chose
Tenter l’exil puis
Muer ma peau
Mais je
le retour
d’Outre mer
reste/je stagne
Au-dessus des nids de poules et de perruches
Le sable accroché aux semelles 1
Moi l’ilien de la zone
Et des lunes
Pacifique
lampadaires
J’aimerais prendre la mer
La prochaine vague pour
changer
n’est pas sur la liste
Mais
mon nom
Et les
places sont beaucoup trop chères
Alors je reste/je stagne
invtés
bute rs
;
LittéRama'oHi
#22
Raphael Maikilekofe
Artiste peintre
du Pacifique et d'Océanie.
Lenfant de la mer
On dit
Sous
qu’il habite près des étoiles de mer,
un
vieux rocher
dans une petite grotte de corail,
Il se nourrit d’algues et de fougères des montagnes.
On le voit souvent sur “ la côte blanche ” quand il fait beau.
Il ramasse
coquillages et noix de coco pour ses amis du grand large.
C’est une vielle baleine qui le ramène dans ses hauts-fonds
Non loin du “ Phare ” et de la “ Grande Epave du Sud ”
Disent les pêcheurs
Parfois
on
du bout de file.
le voit s’amuser
sur
le récif avec de grands
oiseaux de mer,
Ensemble, ils pêchent des crustacés pour “ Nola ”
La danseuse
En été,
espagnole des “ Chesterfields ”.
il se balade du côté de “ Saint-Vincent ”,
Une horde de
dauphins sauvages l’accompagne et le protège
loups de mers et des “ grands blancs ”.
Le reste de sa vie est un mystère à ce petit prince des mers de corail
Dit-on fils d’Ulysse et d’une sirène de nos régions,
Des
Bonne fée des enfants et des marins solitaires...
Fils des îles
Fils des îles,
quand tu voyages,
fil, sur un nuage,
Que le vent des tempêtes ne t’emporte pas,
Sur un
Et dans le
cœur
Au ciel des
de tes promesses, ne t’arrête pas,
qui tournent autour de toi.
enfant d’hier,
Sur ton dos, le signe de notre terre,
Que le temps qui s’arrête ne t’emmène pas,
Et dans le cœur de tes richesses, ne t’empêche pas,
Au loin les océans nous parlent encore de toi.
mers
Petit voyageur,
Fils du vent, dis-moi où vas-tu ?
Au sable blanc,
dis-moi que fais-tu ?
Que le vent des tempêtes ne t’emporte pas,
Et dans les yeux de tes promesses, ne
t’arrête pas,
Au ciel des terres
qui troublent tes regards.
Aux vents des océans, tu contemples la terre,
Tu pleures encore une autre vie...
Et dans l’ivresse, né du voyage, tu t’en vas sur la mer,
Fils des îles,
O
quand tu voyages...
Ta demeure
et ton amour pour la sagesse,
lève le jour sur tes promesses.
Nulle part ailleurs tu ne seras, que la trace de tes pas dans les coeurs,
Nulle part ailleurs tu ne vivras que dans cette case, cette demeure.
Implantées là près de la mer, toutes ces idées de liberté,
Signe d’un peuple de la terre, qu’on lui demande charité.
Parole d’humaniste légendaire, carrefours métis tourné aux vents,
Esprit illustre bordé de vert, vers le soleil de mille nations.
Fenêtre ouverte à l’Occident, en pèlerinage du bout du Monde,
Parfum qui descend d’une mer d’Orient, vient s’y échouer quelques secondes.
Noble guerrier du temps dAtaï, Ami si ta route est finie,
A tes amours, à tes batailles, ton oeuvre est là presqu’infinie !
Pour toutes les guerres que tu as menées
De toutes les paix que tu as signées, se
In Anthologie
parlementaire de poésies, Printemps des poètes, Paris
LittéRama'oHi
# 22
Raphael Haikilekofe
Silence dans la cité
de nos parcours, le pas pressé, les valises à la main,
capitaines au long cours ont pris le large pour l’aventure,
A 33 000 pieds et des lumières, vers des cathédrales de feu et de verre,
Dans cet ancien temple
Marins et
Sous le pas de nos souliers cirés, de l’autre côté vers le “DOME”.
Il ne reste que le vide et l’immensité dans ce calme révolu,.
Que l’ombre fugace de souvenirs indicibles parfois égarée en plein coeur du
Monde,
Marche mon pas tranquille vers l’avant inconnu, pour celui qui entend souffler
son coeur.
Comme le nomade est
au
voyage ce que le pèlerin fait de son chemin
Pour pérenniser son passé :
demain
de croix,
Ailleurs devient ici ce quaujourd’hui est pour
:
L’inoubliable,
J’entends les anges autour de moi...
Il flâne dans la Cité
comme un
silence absolu
: un
doux vent d’éternité.
ADIEU BELLE CITE!
Les murs du Pacifique
De véritables murs d’eau
S’effondraient
comme
la foudre
Devant moi.
En feuilles de verre
Surgissant de l’Océan
En lames de fer.
Chahutent, percutent,
innocente
Ne sachant quoi faire.
Et frappent la rive
Rencontre
A l’heure où l’Océanie vient frapper aux portes
de l’occident,
Pirogues armées vers le ciel si les vents ont tourné,
En un geste ou un mot sur les cités englouties de la Rome Antique,
Là où l’homme vaillant vient planter sur l’envers
du Monde,
signe et une seule parole : HUMANITE...
Pierre de sagesse portée par les hommes de la mer à dos de pirogue,
Alliance universelle de ce Monde qui n’est qu’un village dans l’Histoire.
En un
127
En d autres
temps
De l’autre côté du Monde, sur des mers
lointaines,
En d’autres temps,
Bien avant COOK, Magellan ou WALLIS,
Ils
sont
partis chercher la lune à bras le corps.
Silence en pleine mer...
Que le doux bruit des pagaies,
Balayant le soir et ses eaux cuivrées vers l’infini,
l’incertitude.
sont aussi du voyage,
En ce grand calme vers l’inconnu,'
Dans l’allégresse,
Mais peur, ivresse
Comme si leurs vies venaient de rompre avec la terre-mère
qui les a enfantées.
Destin froissé, rêve brisé...
Allant ainsi vers l’horizon et vers l’ailleurs...
Explorateurs des premiers temps,
Comme des enfants bénis
sur
les bateaux,
Visages brunis et fatigués, d’eau, de sel et de lumière.
Quand le vent souffle de l’au-delà et même la nuit, un enfant pleure, un oiseau
Il faut faire face aux voiles battues par les flots,
d’efforts,
Silence en pleine mer....
passe...
Recousues de mains ridées par tant
Lautre pays
qui me reste de ce pays, de tout ce monde qui n’était qu’un village,
ruelles, l’empreinte d’une autre civilisation qui va autrement qu’on ne
Voici l’image
Dans les
puisse l’imaginer.
A lest du vieux continent vers
Du temps
sur un
le Indes, loin de tout comme jadis
des épices et du Nouveau Monde, Jaune orangé du soleil se levant
empire,
13000 îles et des cités
aux
mille temples,
des milliers de gens vivant sur des
joncs,
capitales de commerce sur des sites engloutis et des rizières qui s’étalent
jusqu’à la mer
Des villes jaunes de cendres incinérées, des peuples vivant jour et nuit pour
Des
survivre,
Et des touristes fortunés de voyages sur la baie
dAngkor
de “ Halong ” ou sur un temple
CZ)
LittéRama'oHi
#Z2
Raphael Haikilehofe
Voilà l’image que je garde de ce pays,
de ces édifices d’or et de pierre dans ces
jardins d’Eden,
Sous
un
ciel
dans une
géant, cette muraille en monument, toute la jungle de l’autre pays
autre vie.
Navigateurs
■
Quand la nuit tombe de sommeil, vont des “surfers à l’horizon”
Après le coucher du soleil, branchés sur l’autre dimension.
Quelle est cette vague qui les empare jusqu’à une heure après minuit ?
Quel est ce souffle qui démarre à un moment tard de la vie ?
Curieux syndrome de l’an deux mille, “ cyber-vent ” dans un café,
Virus d’un modem en péril, dans un silence de liberté.
Sur des couleurs en arc-en-ciel, c’est un vrai paradis statique,
Et des photos artificielles, plus aucune bande magnétique.
En trois D dansent des figures, en parallèles ou en paraboles,
Passent des gens à vive allure pour scanner la terre qui décolle.
Le courant passe sur clavier, allant sur des pas de géants,
Fini le temps des vieux cahiers, voguent les forts vents du néant.
Ils vont, ils viennent sur les plages, tracent des virtuelles en perspectives,
Pour faire des arrêts sur image et revenir jusqu’à la rive.
Gagnant sur toute l’électronique et les programmes interdits,
En pilotage automatique, l’envoi d’un “ e.mail ” à Paris.
Navigateurs en solitaire vont sur des pistes inconnues,
Prennent des vagues éphémères pour se retrouver dans les rues.
Sur internet des internautes qui se baladent sur écran,
En jeux d’enfants qui les dénotent, au
large du “ web ” obstinément...
Le Penseur
Il était là...
Assis
chaque soir.
Contemplant en la mer l’image des étoiles,
comme
Ecoutant le vent
comme un
lointain écho.
II restait là...
Comme devant un
Le
feu,
regard toujours trop loin dans la pénombre du soir,
ailleurs.
Et la tête toujours
Il demeurait là...
129
Sans un geste
ni un bruit,
Que le souffle de son cœur, seul signe de son existence,
Que le silence des mots en homme de pensée.
Solitaire dans la quiétude nocturne
Mais sage comme
attendant la mort,
En libre penseur insulaire.
Le
temps d’une vie presqu’éphémère avant l’oubli,
L’espace d’une mort pour renaître de ses cendres.
Ivre et tranquille dans sa quête de l’absolu.
Il vivait là...
Sans
regrets ni remords au regard des autres,
Comme l’homme d’un autre temps ou d’une autre
civilisation.
Il était là...
Comme
d’habitude,
Même s’il n’est plus,
O
cœur
il restera, assis là comme chaque soir.
de Paris
Ecoute
O tendre
coeur
pour qui sait
de Paris,
être ton ami,
cité-muse pour peintres
et poètes,
ville d’amour et de liberté
Paris tour
illuminée,
Doux corps
brûlants sur Paris-plage en plein été
battus par les flots tu ne sombres point !...
vêtue de givre, d’or et de lumière en plein hiver
Mystérieuse, fascinante et bien aimée
Plein coeur de Paris
parée de dômes argentés
Ecoute,
mots
passants et rêveurs invétérés
d’accueil, d’humanité
viens sur la vague ! suis moi en
voyage...
ces
Berceau
O
mon
doux coeur de Paris !
voir les oiseaux bleus d’Océanie...
LittéRama'OHi
#22
Haroly Sandor Pallai
Chercheur doctorant à l’Université de Budapest - ELTE.
Il consacre ses
de la Caraïbe, de l'océan
Indien et du Pacifique. Ilpublie régulièrement des articles théoriques dans
des revues spécialisées en Europe et en Amérique du Nord. Il est également
lefondateur et l’éditeur en chefde la revue électronique Vents Alizés.
recherches
aux
littératures contemporaines
dans lecriture
contemporaine de la Polynésie française
Discontinu et fragmentaire
L’univers pambrunien
Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun est l’un des auteurs les plus considérables
contemporaine qui s’est engagé dans la revivifil’héritage culturel de la Polynésie française1. Son
de la littérature polynésienne
cation et
œuvre,
revalorisation de
qui se compose d’articles, de pièces de théâtre, d’essais, d’interventions
orales, de nouvelles et de poèmes est la manifestation d’une hétéro-
écrites et
généité complexe, d’une géographie fractale2. Le dépassement des barrières
génériques s’avère encrichissante, d’une force transgressive renouvelante : du
point de vue psychodynamique, les écrits pambruniens prennent leur forme
définitive d’expression dans des cadres particuliers et témoignent ainsi d’une
flexibilité, d’un degré élevé de liberté intrinsèque en formant un micro-univers
qui s auto-organise et se complexifie.
Le “ schéma émerge d’un dialogue dynamique ”3 entre tendances psyhiques, mentales et contraintes situationnelles, contentuelles. Au fond des
textes se trouvent les enjeux identitaires, le passé conscient et non conscient
des souvenirs personnels et collectifs qui négocient “ l’espace social, les inter1
Tepari'i, Hiti, " Culture : A Product of Colonialism in French Polynesia ", Busch, Werner vom et al. (éds.), New Politics
in the South Pacific, Suva, University of the South Pacific, 1994, p. 55-62. (ici p. 62.)
1
Dauphiné, André, Géographie fractale, Paris, Lavoisier, 2011, p. 19-20., 57-60., 155-157.
3
Stern, Daniel N., Le moment présent en psychothérapie, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 239.
131
interpersonnelles et le champ intersubjectif”4, aussi bien que l’univers
subjectivité. La pluralité et la diversité qui caractérisent
l’œuvre pambrunien relève d’une inhomogénéité, d’une irrégularité et d’une
variance de style et d’échelle en synergie, qui s’inscrivent dans une tentative
de saisir et d’analyser les singularités de l’identité polynésienne. La transcendance des formes d’expression artistiques définies, pré-établies, closes est assurée par le prisme de différenciation qui dessine les contours d’une
interprétation du monde propre à l’auteur, d’une cartographie herméneutique
pambrunienne où tout se téléscope à travers le filtre de l’histoire et des savoirs
traditionnels polynésiens.
La mosaïque créative multigenre de Pambrun, le kaléidoscope formel et
la stratification thématique sont des composantes essentielles de lepiphanie
des perceptions philosophiques de l’auteur, de la manifestation de sa prise de
position contre toute forme de totalitarisme et concentration monolithique5.
Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun superpose les éléments du passé remémoré
et du
présent existentiel collectifs qui entrent en dialogue dans une “ présentation multitemporelle ”6, dans un schéma ouvert, dans un entre-deux déhégémonisé. La déclinaison co-posée, séquentielle de fragments textuels7 crée un
terrain conceptuel, une topographie décentralisés où l’autorité du créateur, de
l’énonciateur est destituée par des transpositions perpétuelles entre les limites
actions
intraindividuel de la
génériques.
Synthèses d’une réalité éclatée
Indépendantiste convaincu, de fortes convictions, refùsant toute compromission, Pambrun a donné naissance à des “ réflexions autotéliques ”8 dans ses
textes. Le caractère
fragmentaire permet de faire des réajustements directionnels, de développer progressivement un thème. La narration permet la compréhension de soi-même, la constitution de l’identité individuelle, de la
4
Ibid., p. 236.
s
Moret, Philippe, Tradition et modernité de l'aphorisme, Genève, Droz, 1997, p. 191-207. (ici p. 204.) et Blanchot, Maurice, L’entretien infini, Paris, Gallimard, 1971, p. 229.
6
Stern, Daniel N., op. cit., p. 241.
7
Cette tendance est saisissable surtout dans Huna : Secrets de famille,
Matoury, Ibis Rouge, 2004. (désormais HSF) et
Les voies de la tradition, Paris, Le Manuscrit, 2008. (désormais VI)
8
Mathieu, Paul, " James Joyce. Vers le fracas des fractales ", Fels, Laurent (dir.), Regards sur la poésie du XXe siècle,
Namur, Namuroises, 2009, p. 349-372. (ici p. 357.)
"Bütëursïnvîé
LittéRama'oHi
#22
Héroly Séndor Pallai
subjectivité à partir du pluriel, collectif Les fragments ne se caractérisent pas par
l'inachèvement et l’inaccomplissement9 mais se combinent en tant
que nœuds
d’une matrice complémentaire, en formant une complétude diversifiée
qui est
l’empreinte d’un “ infléchissement identitaire ”10 constant. Le fragmentaire n’est
pas uniquement l’expression d’une crise du sujet (collectif) ; l’œuvre en éclats
reflète les palpitations des efforts de l’affirmation identitaire : les oppositions
apparentes et latentes entier
non-entier, tout non-tout, divisé indivisé se dissolvent dans
la “ totalité omnicompréhensive ”n
de l’œuvre et de la quête pambruniens.
méthodiquement rassemblés, reconstitués
en un ensemble structuré dessinent
l’image d’une synthèse de la réalité éclatée
et
esquissent une articulation graduelle des sujets centraux, en renouvelant
incessamment l’expérience de la réception13. Il
s’agit d’une traduction textuelle,
lexicale d’un réel désarticulé14 par les violences de la colonisation,
par les problêmes psychologiques15, philosophiques, identitaires du
post-colonial. L’organisation discursive des œuvres pambruniennes sert d’arrière-plan unificateur
au sens distendu
par l’espacement du texte ; la redécouverte des richesses historiques, traditionnelles est juxtaposée à la mise en relief des “ difficultés du
sujet à se définir ”16, des enjeux polynésiens culturels, politiques.
Les mosaïques du savoir traditionnel, de l’histoire
polynésienne, des institutions culturelles, des tendances politiques, des modèles
touristiques, de
l’autochtonie et de la médecine traditionnelle se complètent pour
récomposer
Les bribes et les morceaux12
la réalité abîmée
et servent
la volonté de conscientisation
et
de
réappropria-
tion identitaires
prenant forme dans l’étude intrinsèque de l’écriture. Il s’agit
d’une dynamique de construction panoramique qui cherche à réhabiliter les
points de repère traditionnels, à concilier ipséité et mêmeté17 et dont l’objectif
9
Maâr, Judit, Mallarmé. De l'œuvre parfaite au fragment, Budapest, Eôtvôs Kiadô, 2008, p. 60-62., 250-260., 305-311.
Humbert, Fabrice, " Identité et fragment chez Lous Calaferte ", Chol, Isabelle (dir.), Poétiques de la discontinuité, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Biaise Pascal, 2004, p. 165-172. (ici p. 166.)
11
Godin, Christian, La totalité, Seyssel, Champ Vallon, 2000, p. 541-553. (ici p. 543.)
19
Des articles, poèmes, essais pour Les voies de la tradition (33 morceaux) et des nouvelles pour Huna : Secrets de
famille (7 morceaux).
13
Michel, Geneviève, Paul Nougé : La poésie au cœur de la révolution, Bruxelles, Peter Lang, 2011, p. 91 -97., 128-135.
10
(p. 133-134. pour la citation).
Edumbe, Émilienne Akonga, De la déchirure à la réhabilitation : L'itinéraire d'Henry Bauchau, Bruxelles, Peter Lang,
2012, p. 21-38. (ici p. 28.)
15
Le Run, Jean-Louis, " L'intime et l'étranger : paradoxes de l'identité ", Benchemsi, Zhor et al. (dir.), La
figure de l'autre,
étranger en psychopathologie clinique, Paris, L'Harmattan, 1999, p. 61-70.
18
Lolo, Berthe, Mon Afrique : Regards anthropopsychanalytiques, Paris, L'Harmattan, 2010, p. 266-276. (ici p. 267.)
14
133
est
l’analyse anthropopsychologique du sujet polynésien, l'assistance à la matusubjective.
ration
Huna18
Dans Huna : Secrets defamille, nous sommes
des formes
témoins de la réappropriation
symboliques du savoir traditionnel (oralité, lieux de culte, mythes
et
légendes) peintes dans le cadre d’une multiplicité hétérogène et métissée,
mais malgré le caractère flexible et décentralisé, l’auteur arrive à éviter l’indétermination et lequivocité
qui aboutiraient à une “ crypto-normativité du social
et du culturel ”19. La
fragmentation et la pulvérisation culturelles sont contrebalancées par la valorisation des “ ancestralités multiples ”20 qui sont présentées
dans les textes par une ouverture, fluidité, hybridité fluctuantes tout en
respectant l’authenticité de
l’héritage, des cultes et des coutumes.
La stratégie architecturale de l’auteur
implique la rénovation, la remise au
centre, le réapprentissage individuel et collectif des valeurs culturelles traditionnefles, la mobilisation affective en reliant le champ du savoir historique, spirituel,
mythico-légendaire au champ de la pratique vécue du contemporain, de l’écriture. L’approche
fragmentaire-recomposée, la transgression des genres et styles
conventionnels
servent
“ le but de découvrir des formes mieux appropriées
à
l’expression d’une expérience excentrique ”21 contestataire et réhabilitatrice. La
pratique médiatrice de l’écriture pambrunienne (passé-présent, particulier-universel, subjectivité - identité collective) permet la formation d’un cheminement
global, l’affirmation de valeurs transhistoriques, transculturelles22. Les nouvelles
de Huna
sont
des outils d’initiation mémorielle où les lieux forment un réseau
géographique et mental, les espaces sont revêtus d’une fabrique mnésique.
17
L'ipséité est " liée à l'ontologie de l'être comme acte-puissance ", la mêmeté est" liée à une ontologie de l'être
substance ". Bongiovanni, Secondo, Identité et donation : L'événement du "je ", Paris, L'Harmattan, 1999, p.
comme
152.
18
Huna
adj. secret, caché ; cacher, enfouir, enterrer. Source : Dictionnaire de l'Académie Tahitienne (FareVâna'a), désDictFV, [En ligne], www.farevaana.pf/dictionnaire.php
”
Mbele, Charles Romain, " L'identité métisse dans le postcolonialisme : critique et prospective ", Mondoué, Roger et
FEZE, Yves-Abel Nganguem (éds.), Identités nationales, postcoloniales ou contemporaines en Afrique, Paris, L'Harmattan, 2013, p. 19-30. (ici p. 29.)
20
Ibid., p. 24. L'auteur souligne la pluralité linguistique, historico-culturelle, traditionnelle des différentes îles et archipels de la Polynésie française, de l'Océanie.
21
Ryan-Fazilleau, Sue, Peter Carey et la quête postcoloniale d'une identité australienne, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 720. (ici p. 9.)
22
Le Dorze, Albert, De l'héritage psychique, Paris, L'Harmattan, 2011, p. 71-87. (ici p. 76.)
:
ormais
invutetérss
LittéRama'oHi
#22
Héroly Séndor Pallai
Le
fragmentaire dans lecriture de Flora Devatine
également sur la mémoire spatialisée, sur les composantes géo-identitaires, sur les objectivations, les points d’ancrage qui relèvent
à la fois du matériel et du symbolique :
Et j’ai écrit, à partir de moi, comme je suis, tout en m’en cachant,
J’ai écrit à partir de là où j’étais, et où je suis encore [... ]
J’ai écrit sur les paysages, sur les pentes, les falaises, les rochers des montagnes, sur les feuilles des arbres, sur les ailes des oiseaux, sur le dôme du ciel,
Flora Devatine23 écrit
“
sous
les nuages.
J’ai écrit sur les vagues, sur la mousse des vagues, dans les sillages des
pirogues, sous la pluie, au soleil brûlant, dans le vent, sur le dos des dauphins.
Je me suis laissée porter par le vent, par la pluie, par la mer, par la terre, par
le soleil. ”24
Ces marqueurs territoriaux, tangibles se complètent par la volonté d’une
recherche et d’une conscientisation qui permettent non seulement une réap-
propriation de l’espace, mais une analyse et un déploiement de soi aussi.
Ainsi, ici en Polynésie française, si l’on est autochtone parce que l’on est
“
ici, d’ici,
On
est aussi métis
parce que l’on a
çaise, à l’anglaise, à la
été éduqué d’une façon autre, à la franchinoise, à l’américaine, à l’océanienne, et/ou à la
ma’ohi.
En tant que
rente
“ métis à la jonction de deux branches d’origine diffé”, il y a à reconnaître et à connaître chaque branche, à se poser
des questions,
à chercher à comprendre de tout côté [... ] ”2S
L’autochtonie est issue du “ métissage des
ethnies, des cultures et des reli-
gions ”26, il s’agit d’une mosaïque d’éléments recomposés et cette pluralité de
diverses constellations mentales, identitaires concerne la perception spatiale
23
Parole/Écriture, Oraliture/Littérature dans le monde polynésien d'avant et d'après la coloni", Jouve, Dominique (éd.), Écrire à la croisée des iles, des langues, Paris, L'Harmattan, 1998, p. 40-56. Voir également Bachimon, Philippe, " La "cosmo-géographie" ma'ohi des lles-de-ia-Société. De l'oral à l'écrit ", Angleviel,
Cf. Pérez, Christine, "
sation
Frédéric (dir.), Parole, communication et symbole en
24
Océanie, Paris, L'Harmattan, 1995, p. 321-334.
Devatine, Flora," Écrits et dits autochtones ", Littérama'ohi, n° 19, septembre 2011, p. 66-85. (ici p. 68.)
15
Ibid., p. 70-71.
16
Ibid., p. 73.
135
aussi2 La création textuelle éclatée, éparpillée relève du paradigme insulaire
de la cosmo-géographie polynésienne : “ La conception ma’ohi de territorialité
.
situe la terre
émergée dans un processus d’expansion par la multiplication
l’insularité et la prolifération à l’infini du nombre d’îles ”28.
de
L’altérité culturelle29 peut
être appréhendée dans le domaine de la
dans le cas de Pambrun, s’articule à travers la
recomposition et le redéploiement du soi psycho-culturel : les éléments de l’héritage polynésien sont des instances transpersonnelles30 dont la présence tait
partie d’un processus d’harmonisation, d’une psychonsynthèse31 de l’intrapsychique, des valeurs individuelles et de l’extrapersonnel32, des valeurs collectives.
Les intéroceptions et extéroceptions se combinent pour implanter organiquement le culturel et le cultuel33 dans la
sphère du quotidien personnel, du corporel. “ L’espace égocentré ”34 est jouxtée par “ l’espace allecentré ”35 : la
localisation spatiale, le décodage des référentiels spatio-culturels se fait grâce
aux
repères de la cartographie plurielle, partagée des lieux sacrés, des croyances,
des éléments historiques, ethno-culturels (autochtonie36, allogénéité37). Les
trajectoires personnelles et collectives sont exprimées par des énumérations,
des constellations toponymiques, par des lieux de mémoire38. Ces vecteurs géoidentitaires relient les districts tahitiens, les îles et archipels polynésiens, les lieux
cérémoniels, mystiques, sacrés, les régions océaniennes et mobilisent à la fois
recherche interculturelle qui,
27
Bachimon, Philippe, op. cil, p. 324.
Ibid., p. 329.
29
Krewer, Bernd, " La construction de l'autre culturel du point de vue de la psychologie ", Lefebvre, Marie-Louise et
Hily, Marie-Antoinette (dir.), Identité collective et altérité, Paris, L'Harmattan, 1999, p. 93-112.
30
Guilhot, Jean, Psychothérapie, sociothérapie et développement humain, Paris, L'Harmattan, 1998, p. 138-161. (ici p.
142.)
28
31
Courant thérapeutique,
pédagogique, culturel associé au nom du psychiatre italien Roberto Assagioli.
32
Viader, Fausto et al., Espace, geste, action, Bruxelles, De Boeck Université, 2000, p. 61-73. (ici p. 65.)
33
Desurvire, Daniel, Le chaos cultuel des civilisations, Paris, L'Harmattan, 2006, p. 13-26.
34
Viader, Fausto et al., op. cit., p. 63.
35
36
Idem.
Hiro, Isidore, " Autochtone ", Littérama'ohi, n° 19, septembre 2011, p. 37-39. Voir aussi Osmond, Meredith et al.,
landscape ", Osmond, Meredith et al. (éds.), The Lexicon ofProto Oceanic, Canberra, Australia National University
Press, 2007, p. 35-56. (ici p.40-41.)
Beaumatin, Eric, " Langue de soi et phonèmes de l'autre ", Redondo, Augustin (dir.), Les représentations de l'Autre
"The
37
38
dans l'espace ibérique et ibéro-américain, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 1993, p. 235-248.
Tabois, Stéphanie," Lieux de mémoire et territoires d'appartenance d'une population déracinée ", Boudreault, PierreWilfrid (dir.), Génies des lieux : Enchevêtrement culturel, clivages et ré-inventions du sujet collectif, Québec, Presses de
l'Université du Québec, 2006, p. 149-160.
invtés
Bute rs
LittéRama'oHi
#22
Héroly Séndor Pallai
les fonctions émotionelles,
affectives, cognitives, imaginaires39, projections et
introjections. C’est une littérature “ basée sur les récits anciens que l’on reprend,
que l’on recrée, que l’on imagine, / Que l’on invente pour remplir les trous, ou
par esprit créatif poétique, littéraire, artistique, théâtral ”40.
Au lieu d’une prolixité
textuelle, l’écriture pambrunienne et devatinienne
combinent et se juxtaposent pour souligner l’importance d’une vue panoramique sur l’histoire et la culture polynésiennes, indispensable pour l’approfondissement d’une réflexion identitaire,
pour la revalorisation des connaissances ancestrales, du patrimoine immatériel
concentrent
et
sur
des tesselles41 qui se
matériel42.
L’un des
objectifs principaux de l’effacement des champs génériques, de
d’une oralité plurilingue (tahitien-français) dans
l’œuvre de Flora Devatine est de faire éclater les frontières conceptuelle de la
poésie occidentale, de la plier, l’habiter, la transposer dans le paysage linguistique, dans l’imaginaire tahitiens, de métamorphoser les contraintes restrictives
et réductrices en ouverture et flexibilité pour conserver la fluidité et la liberté
créative, la pluralité.
l’élaboration d’une poétique
“
Aussi devons-nous veiller à ne pas
de penser,
à notre tour imposer une façon
de dire, d’écrire, selon des normes strictes, rigides, voire
sectaires d’arasement
anti-créatif ”43
“
Ce sont des écrits
divers, des écrits multiples, des écrits infinis, illid’un point de vue de chacun,
[... ] nous pensons dans l’oralité, écrivant et disant les choses indéfiniment et différemment, à partir de là où nous sommes, avec notre
mités, à partir de chacun,
âme, notre langue ”H
39
40
Guilhot, Jean, op. cit., p. 148.
Devatine, Flora, op cit., p. 73.
41
Guichardet, Jeannine, Balzac-Mosaïque, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Biaise Pascal, 2007, p. 5-8., 81-93.
42Tetahiotupa, Edgar," Patrimoine ? Vous avez dit patrimoine ! Quel patrimoine ?! ", Littérama'ohi, n° 14, décembre
43
44
2007, p. 12-21.
Ibid., p. 74.
Idem.
137
L’expression langagière de l’appartenance, de la quête identitaire est traen
parole opérante45 qui reflète la fluidité, la multiplicité, les incertitudes
de la réinvention de soi, la conflictualité de la postulation d’une univocité
constante et immobile. Les
fragments de l’écriture devatinienne cherchent à
mettre en
question toute institution symbolique ”46 par des innovations
linguistiques, par des usages subversifs qui visent “ l’explosion de l’identité
duite
“
narrative ”47.
“Je dois fa’aitoito toute seule [... ]
Eha’a
E rohi
E rohirohi
noa
atu !
Je dois repartir de mon côté,
Suivre
.
mon
avei’a
[... ]
Je dois repartir à la recherche du ura à ajouter
A la ceinture royale de l’enfant roi et au cordon de vie laissé
par les ancêtres. [... ]
Je dois trouver et rapporter du sens à mettre au maro ura de
ma ceinture cheffale laissée en
héritage par mes ancêtres, [... ]
Je dois, de mon éclairage de mori ti’a’iri, éclairer à mon niveau,
M’éclairer moi-même, m’éclaircir l’esprit, pour me sortir de la
confusion,
Et chacun de le faire
La modalité
au
sien
...
”48
rhétorique privilégiée par Flora Devatine repose sur l’enga-
gement personnel, véhicule l’image d’une transition (tradition, ancêtres, héritage - modernité, racines réembrassées), d’une mobilisation constante de
l’imaginaire soulignant que la formation de l’identité personnelle - qui se ressource dans le
pluriel et le collectif de l’histoire - n’est achevée que dans un
processus de réalisation constitutive49 (représentation de soi dans une quête
45
Tengelyi, Laszlo," La formation de sens comme événement " Eikasia, n°34, septembre 2010, p. 149-172. (ici p. 152.)
46
Idem.
47
Moudileno, Lydie, Parades postcoloniales : La fabrication des identités dans le roman congolais, Paris, Karthala, 2006,
p.
5-13.
48
Devatine, Flora, " Te reo o te metua 'oia mau a ", Littérama'ohi, n°13, avril 2007, p. 106-112. (ici p. 10649
Chabanne, Jean-Luc, " Dynamiques identitaires ", Latchoumanin, Michel (dir.), Formation permanente et constructions
identitaires dans les îles de l'océan indien, Paris, Karthala, 2010, p. 35-44.
LittéRama'oHi
#zz
Héroly Sandor Pal lai
ontogénétique, historique qui prend en compte l’actualisation adaptative aux
réalités psycho-culturelles contemporaines). L’activité du
sujet en construetion/reconstitution est inéluctable pour le “ réaménagement de l’espace mental ”so, pour apporter des réponses aux
enjeux identitaires, à la recherche qui se
manifeste parmi les
objectifs narratifs51.
/ par les ancêtres ”, l’auteure fait référence au
rituel placentaire polynésien d’enterrement qui symbolise le lien renoué avec
la nature, la liaison de l’âme à la terre des ancêtres qui est une source de vie
primordiale52. Dans la société tongienne, cette unité de la terre, de
l’espace et de
l’être humain est exprimée par la notion
fonua qui désigne un enchevêtrement
organique des composantes psycho-philosophiques, culturelles, historiques et
des composantes territoriales, liées à la dimension
géographique53.
Par “ cordon de vie laissée
50
De Decker, Paul et Kuniz, Laurence, La bataille de la coutume et ses enjeux pour le Pacifique Sud,
Paris, L'Harmattan,
1998, p. 23.
51
Vigier, Stéphanie, " Personnage et construction du genre dans les récits de fiction océaniens contemporains ", Chatti,
Mounira (dir.), Sexe, genre, identité, Paris, L'Harmattan, 2013, p. 53-64.
52
TcherkézofF, Serge, Faa-Samoa. Une identité polynésienne, Paris, L'Harmattan, 2003, p. 100-103. (p. 100. pour la
53
citation).
Francis, Steve, " People and Place in Tonga : The Social Construction of Fonua in Oceania ", Reuter, Thomas, Sharing
the Earth, Dividing the Land: Land and Territory in the Austronesian World, Canberra, Australia National
University
Press, 2006, p. 345-364. (p. 345. et p. 356. pour les citations)
139
Henri Hiro
Traduit en hongrois par Kâroly Sândor Pallai
Taù tühaa
Utazô
E Tahiti-Nui, êie au.
Eie au e Tahiti-Nui màreàreà.
Ua pïnainai
ua
i te
Messzi tâvolhan zengett lumeved
faatïaniani
faahinaaro
au e
i to
ùtuâfare.
s
atu nei
S
Te tâpapa
i
atu nei i te ora
faateniteni-noa-hia na,
te tumu o teie tere.
E parau
te
fafau tei ia ôe na,
parau no te ora
Mai te maiaa
e
i
moa
to ôe
aè i te tàmaru
ra
o
to
na
pererau
hiroà
i te tüororaa mai ia ù nei.
No ta ù tühaa teie tere.
No to ü maitai teie taa-ê-raa.
hinuhinu.
Ua nïnàhia ôe
e
Maa tôpata iti
aè à,
te
maa
ôhipa iti aè à,
maa
tôroà iti aè à,
maa ora
iti aè à.
énfutok az élet utân,
mitannyian dicsérnek,
ez hât utam
célja.
Az tgéret, hogy te vagyjôvôm
letéteményese.
Szemeimben tyûkanyôkéntjelentél meg,
ki szârnya alâ terelve ôvja kicsinyeit.
.
âpî.
haaputuputu i to na mau fanauà
raro
ezek a
visszhangoksôvârgâstszülnek,
nyomukhan gôgszületik.
pii hua i te faataratara.
Eie
aranyfényben tündôklô
Tahiti.
to roo,
ua vevovevo
Ôh Tahiti, itt vagyok.
Iti vagyok hât,
Utazok, hiânyzô felemet keresve.
Javamra szolgâl az elszakadâs.
Dicsfényben ûszol.
S en csupân néhâny morzsâtkérek
boldogsâgodbôl,
vagy legalâbb
valamilyen hivatâst,
némi munkât,
s
életet.
invtés
"Bute rs
LittéRama'oHi
#22
Jonas Daniel Rano
Chercheur correspondant au CREM (Université de Metz),
chercheur associé à l’ITEM/AUF/CNRS
et membre
de l'Équipefrancophone de l’ITEM/CNRS.
Aimé Césaire : lafulgurance d’une
parole
ajouté d’un entretien exclusifet inédit d’Aimé Césaire
“
Être homme, croire en l’homme, promouvoir l’homme,
retrouver dans toutes les cultures en
prenant le vrai départ :
se
la mémoire, l’enfoui, l’enseveli, tout cela exhumé, remis au
monde par la parole salvatrice ” (Aimé Césaire).
Césaire, un grand homme dont on manifeste le centième anniversaire de la
voudrais insister cependant sur les points suivants, ne me consi-
naissance. Je
dérant pas comme un
spécialiste de l’œuvre dAimé Césaire : Qu’est-ce qu’un
grand homme ? Le portrait qu’on a construit de lui au long de sa vie, correspond-il à l’image que l’on se fait d’un grand homme historique ? Comment la
libération de l’homme Afro-créole,
comme
celle de l’homme Noir,
se sont
confondues avec le destin d’un homme, de cet homme ? Comment finalement
le destin singulier de ce Martiniquais, son destin à lui,
de la libération de l’homme Noir en général ?
Césaire
s’est confondu avec l’idée
parti, hélas, pour un long voyage auprès de son créateur -, n’étant
plus physiquement, l’homme Afro-créole comme l’homme Noir assumant
aujourd’hui son legs, son héritage, quelles sont les conséquences qui en
-
découlent ?
Dans l’histoire des
peuples, de tous les peuples, de tous les continents, de
les climats apparaissent toujours d’âge en âge, de
génération en génération, de siècle en siècle, de grandes figures emblématiques.
Toujours. Il ne peut être exclu que dans telle nation, telle tribu, tel groupe
humain, ailleurs en Europe ou ici, sous les Tropiques, la Martinique précisément, est venu au monde un grand homme dont la vie et l’œuvre ont influencé
l’humanité, et a incarné par une heureuse coïncidence de plusieurs facteurs, les
luttes, les espoirs, les inspirations de son temps.
Attentif à notre temps, c’est cette différence qui nous pousse à tenir
compte
de notre sensibilité du temps, et qui fait qu’un homme comme vous et moi un homme ordinaire
incarne les aspirations et les espoirs de son
époque. De
tels personnages sont toujours des précurseurs, c’est-à-dire des gens que l’on ne
comprend pas toujours de leur vivant. Ils ne sont pas compris, ou peu compris
ou
pas du tout compris de leur vivant, à l’image dAimé Césaire, mais également
de Léon-Gontran Damas. Alors, ils sont marginalisés (Césaire l’a été par nombre de politiciens français), méprisés (Damas l’a été presque toute sa vie). On
les combat, les dédaigne, les torture, les emprisonne de manière arbitraire
(Mandela en est un bel exemple, mais plus près de nous, Sony Rupaire, André
Alilcer, et tant d’autres).
Ces hommes découvrent alors leur passion, voient ce que les autres n’ont
pas vu, ne voient pas : ils précèdent l’histoire, ils sont en avant. Et malgré le peu
de considération qu’ils obtiennent de leur vivant, le peu d’écoute, ces personnages historiques portent un message invincible et d’une envergure universelle :
ce sont des
messagers qui voient la lumière alors que le plus grand nombre sactive dans les ténèbres. Ce sont des visionnaires. Ils
enseignent, ils prophétisent,
ils parlent, ils guident. Et ce n’est que bien plus tard que tant de monde admire
leur transcendance, reconnaît leur force, leur vie d’excellence et de perfection,
leur caractère exceptionnel, leur vision des choses, leur hauteur de vue, leur
intelligence hors du commun. Car ils incarnent de façon fondamentale le don
d’esprit, le don de voyance, soit cette sublime capacité de connaître et de protoutes
les
races, et sous tous
-
clamer la vérité.
Un grand homme est ainsi un homme engagé dans l’immédiat et de Finimédiat, c’est-à-dire qu’il est engagé dans son temps mais qu’il transcende son
temps, il le dépasse, mais tout cela dans un contexte historique approprié pour
que cet homme historique se manifeste. À mon humble sens voilà ce que fut
et que fit le
grand homme Aimé Césaire. Dans une expression que je souhaite
pertinente, je vais tenter de résumer ma vision des choses.
invutetérss
LittéRama'oHi
# 22
Jonas Daniel Rano
Césaire, nègre fondamental à cheval sur le nouveau millénium
“
Écrire aujourd’hui sur Aimé Césaire ne tient-il pas de la gageure
? ”, nous
interpelle Georges Ngal dans Aimé Césaire, un homme à la recherche dunepatrie'.
Certes, dans toute connaissance et même dans la connaissance “ réputée la plus
certaine ” c’est-à-dire la connaissance scientifique, l’ignorance reste tapie,
enfouie, quasi nucléaire et, de la sorte, particulièrement déstabilisante. C’est
donc le rôle de l’esprit critique de la débusquer. Pour cela, il faut que l’incertitude devienne “ viatique ” car seul “ le doute sur le doute ” permet
au
sujet de “ s’interroger sur les conditions d’émergence et d’existence de sa propre pensée ”, lui donnant la chance de devenir “ une pensée potentiellement
auto-cnise2
relativiste, relationniste et
”.
Je sous-entends que les critiques qui font du Cahier d’un retour au pays nata?
le poème de la négritude n’ont de ce dernier qu’une vue partielle et partiale.
Néanmoins, c’est poser le constat suivant : le Cahier apparaît plutôt, peut-on
exprimer, dans son ensemble, comme une révolution, c’est-à-dire l’itinéraire
d’une libération politique et culturelle du Nègre, itinéraire intellectuel, puisque
cette
révolution se déroule presque entièrement (à l’exception du passage relatif
à Toussaint Louverture
qui est le récit d’un soulèvement historique, réel...
)
dans l’imaginaire structuré de son auteur.
Césaire, contrairement à Léon-Gontran Damas, a peu écrit en
à l’exception du concept de la négritude. Et dans le Cahier où le mot
négritude ” apparaît non seulement pour la première fois mais aussi de la
façon la plus insistante, les définitions auxquelles se réfèrent d’ordinaire les critiques n’occupent que six pages sur soixante-cinq4. Georges Ngal ne mentionne
qu’un seul article sur le Cahier, tandis que Lilyan Kesteloot ne propose que
deux mémoires inédits5. Étant donné que nous sommes dans le registre d’une
écriture spécifique qui, selon Roland Barthe “ est le langage littéraire transformé
par sa destination sociale6 ”, ceci fait du Cahier comme de Pigments7 les fondaNotons que
prose
“
Georges Hqa\, Aimé Césaire, un homme à la recherche d'une patrie, Nouvelles Éditions Africaines, Dakar, 1975, p. 285.
Nora-Alexandra Kazi-Tani, Pour une lecture critique de l'Errance de Georges Ngal, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 53.
3
II est question de " Présence du Cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire dans la littérature de la négritude ", écrit
par Boucquey E. dans les Cahiers d'études africaines, Zaïre, vol. XV, 1962.
4
Le mot était apparu bien avant dans un article de Césaire, publié dans la terne L'Étudiant noir, le 1er septembre 1934,
mais il est communément admis que le Cahier consacre la naissance du néologisme. Voir Lilyan Kesteloot, Aimé
Césaire, l'Homme et l'Œuvre, op.cit, p. 248.
5
Cf. L. Kesteloot et B. Kotchy, Aimé Césaire, l'Homme et l'Œuvre, Paris, Présence Africaine, 1973, p. 256.
6
Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture, Paris, Gonthier, 1965, p. 17.
1
2
tions
d’“ une révolution littéraire ”
:
en
cela, la démarche de Césaire plastifie ce
qu’a pu être celle de Damas dans Pigments.
Concernant l’œuvre césairienne,
parmi les nombreux ouvrages qui sont
à notre connaissance, qui ait eu pour
objet, l’étude exclusive du Cahier. Néanmoins, ce premier poème le plus long
de l’œuvre de Césaire8 qui devait apparaître à André Breton comme “ le plus
grand monument lyrique de ce temps9 ” et suscité l’admiration de Jean-Paul Sartre10, fut un événement à son époque, et demeure aujourd’hui encore, selon le
mot de Kesteloot, “ un des plus indiscutables classiques de la littérature
C’est pourquoi il est pratiquement impossible de rendre hommage au poète
africne1
parus à ce jour, on compte peu cependant,
Césaire “
sans
parler d’abord de négritude12
Aimé Césaire
En
me
: un
grand homme !
demandant durant l’été 2002 de le
représenter - ayant été invité en
Égypte (Colloque du CIEF) - “ d'aider la Martinique et son peuple à retrouver le
chemin de la fraternité qui est aussi celui de ïidentitén... ”, le maître Aimé Césaire
me confiait une mission. Nous étions
proches et désintéressés (tous les Marti-
niquais le savent) depuis mon plus jeune âge. Ce fut donc un privilège, un
immense privilège qu’il me fit ainsi, de le côtoyer, durant toutes ces années. Je
suis affecté encore par sa disparition (Six années déjà), pourtant j’y étais préparé
depuis le décès de mon ami René Ménil - créateur de Légitime Défense en 1932 -,
l’année d’avant.
L’homme Aimé Césaire
survenu
profondément modelé ma jeunesse, à SaintEsprit d’abord, à Fort-de-France ensuite où j’ai eu le bonheur de le côtoyer si
a
7
Léon-Gontran Damas,
8
Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal,
Pigments, Paris, éditions Guy-Lévi Mano, 1937, p. 53.
Paris, Hatier, collection " Profil d'une œuvre ", 1978 ; Lilyan Kesteloot,
Cahier d'un retour au pays natal, d'Aimé Césaire, collection" Comprendre ", Paris, Édi. Saint-Paul, Issy-les-Moulineaux,
septembre 1982.
9
Cf André Breton, " Un grand poète noir ", revue Fontaine, n° 35,1944 ; Préface au Cahier d'un retour au pays natal,
10
_
Paris, Présence Africaine, Paris, 1971.
Cf. Jean-Paul Sartre, " Orphée noir ", Préface à l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française,
de L.S. Senghor,
11
Cf.
PUF, Paris, 1948.
Lilyan Kesteloot, Les écrivains noirs de langue française, Institut de Sociologie de l'Université Libre de Bruxelles,
1965, p. 148-174.
17
Hormis L. Kesteloot qui, dans ses analyses du Cahier d'un retour au pays natal, s'est efforcée de demeurer au plus
près du texte césairien, la plupart des commentateurs ne veulent voir d'abord, dans l'auteur du Cahier, que le poète
de la négritude. Par exemple, M. et S. Battestini, Cf. Aimé Césaire, Fernand Nathan, 1967, p. 10;
13
Jonas Rano, Semences de vie. Wakaru, op. cit, p. 53.
invtés
Mfute rs
LittéRama'oHi
# 22
Jonas Daniel Rano
souvent, d’apprécier l’homme autant que le grand poète que j’admirais.
lui qui m’a donné le goût de la poésie, ne cessait de
C’est
prodiguer des encourage-
pour canaliser mes idées en matière d’écriture. Dans son ombre, j’ai
appris que la modestie était le privilège des grands hommes, m’éveillant à la
conscience politique de notre
peuple exploité et méprisé. À travers lui j’ai su
que la vraie conscience politique était une démarche culturelle, et que le vrai
combat politique était tout autant un acte de culture.
ments
Il
d’insister sur l’engagement de Césaire dans l’émancipation politique et culturelle, tant de lÀfrique que des Antilles françaises ; sur ce versant,
est vain
la différence entre Senghor et Césaire n’est pas moindre. N’oublions
pas que la
jeunesse étudiante africaine, d’après guerre, était majoritairement tournée vers
ce dernier,
plutôt critique, voire très critique envers le premier.
Mon ami martiniquais, Martiniquais comme moi, lui se disait Africain ; il
le croyait profondément. En témoigne l’interview inédite
qu’il a bien voulu
m’accorder durant l’été 2002, et durant laquelle j’ai appris à mes dépens
lorsqu’il
me
reprit gentiment après m’avoir entendu dire qu’il était Antillais. Pour lui,
lAfrique était davantage une expression géographique : une culture. Comme
l’écrit si bien Mathieu Mounikou, “ non pas une culturefolklorique, non pas la culture passéiste des
ethnologuesférus d'exotisme, plutôt une culture de combat pour sortir
de la marginalisation et de la chosification où le colonialisme et le racisme avaient
enfermé l'homme africain14 ”, et l’Afro-créole singulièrement : car dans l’esprit du
poète, le Nègre était d’abord la victime par excellence, le souffre-douleur, le spolié et l'humilié de la culture occidentale dominante,
expression du capitalisme
impérialiste. Son combat était, avant tout, le combat des exploités, des marginalisés et des exclus, pour sortir de la négation impérialiste ; un combat pour
une vraie culture de l’universel où
chaque groupe humain apporterait sa pierre
originale à l’édifice commun de l’humanité. Rares sont ceux de nos intellectuels
qui se posent la question aujourd’hui : Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Que puis-je ajouter de plus, sinon que j’aime à jamais l’homme Césaire qui, loin des hommes politiques hypocrites et récupérateurs, les intellectuels
martiniquais qui ont cherché à le tonsurer -, voyageant désormais aux angles
de la Lumière céleste où veillent les ancêtres
gardiens de la connaissance, nous
regarde et nous juge fraternellement dans notre engagement humaniste face à
l’héritage Négritude qu’il nous a laissé. En mon cœur, Aimé Césaire a tissé ses
14
J'ai
eu
le
privilège de le présenter à Césaire qui lui a accordé une préface pour  l'ombre du Talipot, Paris, Éditions
Racines, 2002.
1M5
mots-liens pour toujours.
Le poète a écrit “ Une saison au Congo ”, mais n’y est
jamais allé, et voici que j’y ai été invité pour lui rendre hommage (Créolitude en
terres-source, 2008). Plus que lAfrique, c’est l’humanité qui a perdu un de ses fils
parmi les plus brillants, un fils qui a beaucoup aimé le “ pays des ancêtres ”
auquel il a tant donné.
j’emprunte au poète regretté ce qu’il disait de Damas, son
frère d’armes, le geste d’un ultime salut : que Césaire “ par-delà la tombe
se rassure : lui aussi, il a le droit de survivre à la mort, et il lui survivra comme lui surPermettez que
ami et
vivent toujours ceux
sûrement encore
qui ont beaucoup aimé, beaucoup souffert, beaucoup lutté et, plus
dont les souffrances les luttes et l'espérance rejoignent les souf-
ceux
frames, les luttes et l’espérance de leursfrères, de leurpeuple De profundis.
De la sorte, si on mélange imagination vive, logique et politique, on obtient
un savant
paradoxe. Césaire plus qu’un grand poète, un des plus grands écrivains du siècle dernier, dieu nègre à cheval sur le nouveau millénium, poète
moderne encore peu égalé, nous a montrés cette voie, l’optimisme de cette
voie c’est une voix d’homme, de la purification intérieure, de la force source
:
de vie.
L’avenir de l’identité
est
dans l’identité de l’avenir,
il n’est pas dans la répétition historique
Georges Ngal (Un homme à la recherche d’une
patrie) que toute information remontée de l’œuvre du poète martiniquais, Aimé
Peut-on donc dire à la suite de
Césaire, caractérise la concrétisation d’une forme de créolisation15, elle-même
définissant la “ Créolitude ” dans l’écriture césairienne qui n’a pas été passée
totalement en revue. Par exemple, pour James Clifford l’histoire des Caraïbes
d’où Aimé Césaire tire
“
négritude ” inventive et tactique, c’est celle de la
dégradation, de l’imitation, de la violence et de possibilités bloquées16.
On le comprend ici, “ Il n’y a pas de récitfondateur pour réconcilier les intrigues
tragiques et comiques d’une histoire culturelle globale ” (ibid.). Ainsi, vu à travers l’œuvre
poétique de Césaire, le Sujet du départ, c’est-à-dire cette créolitude portée
par Damas bien avant le temps négritude était “ un moyen de réhabiliter l’homme
15
Selon Glissant, " La
sa
pratique de créolisation était bien un sursaut" culturel ", une pulsion qui ne s'est pas" prolongée "
: une mise en scène du manque ". La langue est un outil de création. Le Discours antillais,
(1997), Paris, Gallimard - Folio-essais, 1981), p. 785.
16
James Clifford, Malaise dans la culture. L'ethnographie. La littérature et l'art au Xfî siècle, 1988, Paris, Ensb-A., p. 23.
en
conscience collective
invutetérss
LittéRama'oHi
#22
Jonas Daniel Rano
noir17 ”,
car
elle était aussi rebelle, syncrétique et créative. En conséquence,
l’origine du discours de la Négritude ; et ils
Damas et Césaire furent bien à
furent “
Sujet du discours originel de la Créolitude Pour exemple, selon
Damas lui-même
:
Je me rappellerai toujours ce matin où Césaire est venu me réveiller pour
me lire son Cahier d’un retour au
pays natal qu’il m’a avoué avoir écrit sous
l’influence de Pigment (l’Homme et l'Œuvre : 195). [... ] J’ai la conviction
que mon travail constitue un message important, et Pigments fut aussi le
manifeste du mouvement de la négritude [... ] Tous les poètes qui vinrent
après Pigments furent obligés d’employer le matériau contenu dans ses
poèmes.18
Pourtant, en dépit de ce point de vue damassien, on s’accorde pour dire que
Césaire est le père
de la Négritude, et l’on peut s’attarder sur les travaux de James
Clifford qui combattant l’idéologie de la pureté sur un point essentiel, célèbre
la poétique culturelle impure de Césaire ", quand les instigateurs de la créolité consi-
“
dèrent que
Césaire a manifesté " un rejet de l’impur et du mélangé ” (La créolisation :
portée et limite d’un concept : 66). Sur ce sujet encore, Damas écarte toute polémique:
Mis à pied d’œuvre pour expliquer cette affaire, j’ai dû répondre que dans
cette trinité [triumvirat : Césaire,
Senghor et Damas], il y avait le rôle du
Père, celui du Fils, et le mien avait été celui du Saint-Esprit ” (l'Homme et
l’Œuvre 193). Je n’ai été, à vrai dire, ni le théoricien, ni le métaphysicien
[...]. Je me suis contenté de marquer cette génération de mon œuvre initiale et ceux qui partageaient les mêmes idées. [... ] Je dois admettre en
effet que ce recueil [Pigments] a été le premier du genre à être publié par
notre
génération. On a même voulu y voir un manifeste du mouvement
de la Négritude19.
:
17
Lors de cette interview,"[...] il [Damas] semblait s'inquiéter de
l'avenir du mouvement qu'il a contribué à fonder,
Négritude. Ce mouvement a évolué, ce qui explique le malaise contemporain de la négritude. Après avoir aidé
l'homme noir à se connaître, à être lui-même et à se guérir de son complexe d'infériorité, après l'avoir aidé à conquérir son indépendance, la négritude est devenue moins mordante et se trouve figée dans son rôle uniquement culturel ". Emilie Edith Sukho (entretien) Washington D.C., 27 avril 1972.
18
Léon-G. Damas, " Entretien... ", l'Homme et l'Œuvre, op.cit., p. 194-195.
19"
Entretien avec Léon-Gontran Damas ", Daniel Racine, Washington, mai 1977, l'Homme et l'Œuvre, op.cit.,
p. 193-194.
la
L’écriture poétique
de Damas comme celle de Césaire, expose l’état poli-
tique du Sujet dans une société donnée : “ Dans le discours, le sujet du discours
est historique, socialement et individuellement ”, montre et fait du sujet de son
écriture un transsujet. Mais il n’y a de sujet de l’écriture que quand il y a transformation du sujet de l'écriture en sujet de ré-énonciation (Meschonnic, Critique du rythme : 73).
Ce qui est certain, nous dit Damas, en tout cas, c’est que ceux qui, comme
Césaire et Senghor, avaient déjà écrit des poèmes traditionnels inspirés de
Baudelaire ou de Mallarmé y ont renoncé. Ils les ont détruits20 parce qu’ils
se sont rendu
compte que cela ne correspondait pas à quelque chose d’authentique chez Eux. [... ] Qu’ils s'en soient inspirés ou non, peu importe.
Ils ont utilisé en tout cas le même thème, le même esprit, le même
rythme.21
Damas
dait à lame
en
ouvrant
la voie en proposant une nouvelle poésie qui correspon-
nègre de fait à la “ créolitude d’avant la négritude ” - et c’est là une
de créolisation22 -, on comprend que cette poésie fut ce
forme pertinente
moyen de réhabilitation de l’image de l’homme Afro-créole au sens large23. Et
c’est dans l’ordre réel des choses, puisque le vécu quotidien du monde noir
comme
celui du monde blanc s’enracinent dans les réactions
leur adaptation immédiate
imaginaires de
du monde matériel et à la société des hommes.
Dès lors, à la libération de l’homme noir par l’homme Afro-créole,
initiation
engagée par Damas avec Pigments, puis embrayée par Aimé Césaire, s’opposait
développement des mentalités de certains Afro-créoles enrégimentés par
un
20
On sait
aujourd'hui que Senghor a menti, ayant fait éditer ces poèmes, en 1964 au Seuil (réédité depuis en 1964,
1973,1984 et 1990).
21
Daniel Racine, " Entretien avecLéon-Gontran Damas ", op.cit., p.194.
22
Pour bien
appréhender ce phénomène, il nous a paru utile de nous attarder sur “World in créolization " dans Africa
( 1987) et dans lequel Hannerz Ulf reprend l'idée centrale développée dans cet article dans son livre Cultural Corn-
plexity (Studies in the Social Organisation of Meaning, New. York, Columbia University Press, 1992). Hannerz place
la question à un niveau bien circonscrit : celui des relations centre-périphérie. Il suggère que l'étude des transformations culturelles du Tiers-Monde dans un contexte global bénéficierait d'une perspective de créolisation qui permettrait de reconnaître de façon adéquate les réactions culturelles créatives des sociétés du Tiers-Monde aux
influences métropolitaines. C. A. Cèiius, op.cit., p. 65-66.
23
Jonas Rano, Créolitude : prolégomènes à l'intégration socioculturelle et littéraire afro-créole, le cas de Léon Gontran
Damas, thèse de doctorat, Université de Lille lll/ANRT, 2006.
LittéRama'OHi
#22
Jonas Daniel Rano
le colonisateur24. L’“
notamment
image ” politique du Noir, comme celle du Nègre, et
celle de lAfro-créole a été peu abordée par les historiens, aussi bien
les africanistes
les caribianistes, qui
le plus souvent se sont contentés
d’y faire allusion sans trop s’y étendre (Semences de vie : 247-262).
Concernant cette créolisation initiée par Damas dans Pigments et Césaire
dans Le Cahier, James Clifford aborde “ plusieurs formes de représentations
culturelles, hybrides et subversives, prémonitoires d’un avenir inventif”
(.Malaise dans la culture : 23). Pour Carlo Avierl Cèlius, l’écriture césairienne lui
fournit l’un de ses meilleurs exemples : à son sens, la figure emblématique de
cette
expérience, celui qui l’exprime le mieux, à ses yeux, est le poète martiniquais Aimé Césaire. Lequel a ouvert une voie, celle “ d’une culture organique
repensée comme processus inventif ou comme interculture créolisée25 ”.
Dans cet esprit, les racines culturelles sont coupées puis renouées, les symboles collectifs empruntés à des influences extérieures. Pour Césaire, la culture et
l’identité sont inventives et mobiles, elles vivent par pollinisation, par transplantation historique (La créolisation, portée et limites d’un concept : 66). Ceci montre
combien il est encore difficile de traiter certains aspects de l’histoire de l’homme
Afro-créole singulièrement, que nous pouvons qualifier de “ sensibles ”, tout particulièrement certains de ceux qui touchent au bestiaire26 selon lequel on a
dépeint le nègre dans l’unique souci de justifier son exploitation servile27.
comme
Avec des hommes
comme
Césaire et Damas, nous sommes au cœur même
du problème qui nous occupe,
celui du monde en devenir, et avec lui, celui des
de ce devenir. On peut, nous dit René
Depestre, dans Bonjour et adieu à la négritude, toutefois être certain d’une chose :
Afro-créoles
comme
prenant partie
Ce n’est pas le mythe odieusement homicide de la “ race ” mais la force et
la beauté d’une solidarité tous azimuts qui ont des chances de souder les
peuples de la planète à l’odeur de marée d’un nouvel ordre rédempteur de
l’économie, de la communication et de la culture28.
24
Le combat mythologique de la négritude et les littératures conceptuelles de sa logique [par exemple, Pigments de
la créolitude damassienne, Âme noire de W.E. Dubois, Ainsi parla l'oncle de Jean-Price-Mars, Batouala de René Maran]
n'ont pas
été sans effet comme facteurs de rassemblement de la diaspora noire et comme base de résistance à l'oppression coloniale à un niveau acceptable. René Ménil," Tracées ", op.cit., p. 58.
25
Carlo Avierl Cèlius, " Universalisation et différenciation des modèles culturels ", Beyrouth, Éd. Agence universitaire de
la Francophonie, Université Saint-Joseph, 1999, p. 49-95.
26
Ida Martinkus-Zemp, Le Blanc et le Noir. Essai de description de la vision du noir par le blanc dans la littérature française
de l'entre-deux-guerres, Paris, A.G. Nizet, 1975.
27
Louis Sala-Molins, Le code noir ou le calvaire de Canaan, Paris, P.U.F., 1987.
28
René Depestre, " Quand Caliban se réveille ", in Bonjour et adieu à la négritude,
Paris, Robert Laffont (Chemins d'identité), p. 159-160.
mg
Dans
une
société “
bloquée, délirante et malade ”, jetée cul par-dessus tête,
enfoncée dans des impasses sociales et politiques, dirait Damas ou Vincent Pla-
coly, la tentation est grande partout pour une intelligentsia radicale, qui vient à
désespérer du combat politique, de déplacer les contradictions dans l’imaginaire, de succomber à l’illusion que tout se joue désormais dans la “ superstructures ”, que l’essentiel est de redonner cours aux idées-forces, et que rien - ou
si peu - est à attendre de la “ critique pratique ” des masses, de leur activité
sociale et politique : Comme si, dans ce blocage historique de la société, s’évaporaient les contradictions sociales et politiques. Comme si, pour toujours, les
masses étaient vouées à l’inertie du champ de la lutte concrète des classes29.
Fondations d’un intellectuel attaché à son identité multiculturelle
Chez Césaire comme pour Damas l’écriture se fait, elle-même,
signe et symbole, univers de correspondances : la connaissance profonde de lÂfrique et de
l’homme africain passe par l’interprétation des signes et des symboles. C’est “ à
la simple surface des choses qu'on nage si, écrivain afro-créole, on se contente de célébrer
le continent dans ses angoisses, ses peines, ses ressentiments, sesfrustrations, ses refoule-
ments, ses désirs profonds et ardents, ses joies30
Tshisungu wa Tshisungu dans Visages et racines du Zaïre (ibid.), un
de la pensée critique a engendré nombre de discours intellectuels
considérant l’écrivain comme une personne qui compose seulement des
ouvrages littéraires, écrits ou parlés. Césaire nous démontre qu’il n’en est rien !
Dès lors que ces discours multiples tendent avec plus ou moins de bonheur à
circonscrire le fondement des relations qui existent entre l’écrivain et son environnement. La conscience de notre propre identité est une donnée première
de notre rapport à l’existence et au monde : dans le Cahier, on découvre un
exemple frappant de la manière dont Césaire “ relit ” et s’approprie les concepts
les plus marquants de son époque en s’inspirant à la fois de la philosophie, de
la littérature, de la psychanalyse et du vécu africain présent. La conscience de
notre propre identité résulte d’un processus complexe qui lie étroitement la
relation à soi et la relation à autrui, l’individuel et le social. Par exemple, quand
dans Les Contemplations, Victor Hugo, auteur de BurgJargal, s’exclame :
Pour J.
certain usage
Hélas !
Quand je vous parle de moi,
Placoly, " Fondations de l'intelligence antillaise ", in Caré/L'Antillectuel, Paris, Éd. Caribéennes, mai 1984, p. 74-86.
“Georges Ngal, Extrait de Giambatista..., Cf. Sura Dji, in Visages et racines du Zaïre, Musées des Arts Décoratifs, Paris ;
29
V.
7 mai-30 août 1982.
invtés
Ëuteurs
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Jonas Daniel Rano
je vous parle de vous... Ah ! Insensé,
qui crois que je ne suis pas toi ! (Cf. Semences de vie : X/721 )
Quand Césaire s’écrie dans le Cahier d’un retour au pays natal ( 1971) "Au
bout du petit matin...
”:
Accommodez-vous de moi. Je ne m’accommode pas
de vous [... ]
Je force la membrane vitelline qui me sépare de moi-même (87).
Je force les grandes eaux qui me ceinturent de sang (89).
C’est-à-dire dès le début du poème, ou encore : “ Va-t’en, lui disais-je, gueule
deflic, gueule de vache, va-t’en je déteste les larbins de l’ordre et les hannetons de l’espé-
(29), l’auteur (émetteur) et le lecteur (récepteur) se confondent dans ce
“Je ” ambigu, lequel “Je ” se rapporte aussi bien à l’auteur qu’à son peuple, à sa
race, et plus loin à l’humanité, même si l’expression significative essentielle de
ce
“Je ” est d’abord patriotique et surtout raciale.
C’est ainsi un phénomène dynamique qui évolue tout au long de l’existence
du poème. Soit au long de l’existence même du poète. A sa manière, l’écriture
césairienne, bondissante, porte un coup “ contre les prétentions à ériger en
expressions culturelles universelles, celles d’une société donnée ”. Est-il question
ici de 1’“ éveil de l’homme Césaire ”, il est indéniable dans son
projet tout au
moins, que le Cahier d'un retour au pays natal est un poème de l’homme pour
l’homme, qu’il soit avant tout l’itinéraire d’une libération, d’une libération du
Nègre à l’intérieur du cœur et de la raison même de son auteur, d’une libération
qui trouve sa source dans la genèse même du poème :
“J’habitais à la Cité universitaire, boulevardJourdan, à Paris. C’était l’été. Et l’été
est dur à Paris. Quand on voit fondre
l’asphalte sur le boulevard, on regrette la
Martinique. Il faisait horriblement chaud et nous étions seuls. Il n’y avait plus
de Français. Il y avait beaucoup d’étrangers. Il y en a un qui est venu vers moi
avec
qui j’ai très vite sympathisé. C’était Petar Guberina, un Croate. Il était venu
à Paris passer sa thèse. On a lu ensemble, on a parlé ensemble. Je lui
parlais de
la Martinique. Il m’a parlé de la Yougoslavie. Il m’a parlé de la Croatie. On n’était
pas très riches et on se dépouillait pour acheter des livres, chez Gibert en particulier. Et puis un beau jour, il dit : “Je vais rentrer chez moi. Tu es seul à Paris.
Viens me voir. Ma mère possède une ferme en Dalmatie, à Sibenik ”. Il a tellement insisté que
j’ai fini par dire oui. J’ai passé deux bons mois en plein cœur
de la Dalmatie. C’était un pays magnifique. Sous certains aspects il me rappelait la Martinique. En moins verdoyant. Et, chose très curieuse, j’ai eu un choc.
rance
”
151
regarde le paysage et je vois juste en face de moi,
? - Martinska. - Si on traduit en français,
ça signifie Martinique ! C’est File de Saint-Martin ! Et c’est ainsi que j’ai écrit,
Yougoslavie, avec Martinska dans ma perspective, plusieurs pages du Cahier
d’un retour aupays natal31
Le matin, en me réveillant, je
une
île.
-
Comment s’appelle cette île
en
effet, là est dite l’immense joie qui s’empare dÂimé Césaire lorsqu’un
(Cette Martinska), à distance de mirage et de souvenir (sa Martinique),
dicte sa loi : le Cahier d'un retour au pays natal, poème de l’exil, s’il en est, l’est
donc sous ces aspects multidimensionnels, son moi culturel, psychologique et
racial, son “ pays natal ”, la solidarité avec “ son ” humanité noire, la fraternité,
sont autant de paradis perdus vers la reconquête desquels tendent tous les
efforts du poète ; Aimé Césaire le réalise alors, étape essentielle de sa prise de
conscience, sa vocation : il va “ partir ” (57-61 ), retourner dans son pays natal,
En
miracle
il va se mettre
au
service de
son
peuple.
Or, justement, le peuple antillais
qui on a inculqué savamment la peur, le complexe
d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement,
à
le
désespoir, le larbinisme32
31
Jusqu'à présent, la version la plus ancienne de ce poème restait celle de la revue Volontés, en 1939. Tout le monde
pensait que les manuscrits ou les tapuscrits du Cahier avaient disparu dans les bouleversements du deuxième conflit
mondial. Or, en juin 1992, la bibliothèque de l'Assemblée nationale retrouve le tapuscrit chez un libraire. Aimé Césaire
a toujours été un homme de paradoxes. Tandis que son œuvre est étudiée de par le monde, le secret de son poème
majeur réside au cœur de l'Assemblée nationale, cette institution où il siégea sans discontinuer de 1945 à 1993 Ce tapuscrit du Cahier d'un retour au pays natal est riche d'enseignements. On peut y découvrir des passages retranchés et inédits.
On peut y lire des ajouts manuscrits et étudier les variantes. En comparant avec les éditions postérieures, on peut aussi
découvrir la genèse de certains extraits célèbres du Cahier. Ainsi ce passage du tapuscrit : Et je lui dirais encore : " Ma
bouche sera la bouche des misères qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui pourrissent [sic] au cachot
du désespoir, "deviendra dans l'édition imprimée : Et je lui dirais encore Ma bouche sera la bouche des malheurs qui
n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir ". Enfin, les pages 41 à 43 du
tapuscrit sont entièrement manuscrites, ce qui laisse penser qu'il s'agit de la conclusion réécrite par Aimé Césaire sur
les conseils de Georges Pellorson. Les dernières pages du Cahier seront également remaniées dans l'édition Bordas de
1947. Grâce au tapuscrit, on peut suivre le fil de la pensée créatrice d'Aimé Césaire. On touche au mystère de la poésie.
On le voit hésiter, raturer, rajouter, modifier son texte. Le lecteur peut vivre la genèse d'une œuvre. C'est un plaisir assez
rare. David Alliot, Le tapuscrit du Cahierd'un retour au pays natal, Parmi ses nombreuses richesses, l'Assemblée nationale
possède aussi le manuscrit autographe de la préface d'Aimé Césaire à l'anthologie de textes de Victor Schœlcher, Esclavage et colonisation, publiée en janvier 1948 parles Presses universitaires de France (cote Ms 1825).
32
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955, p. 20.
invtés
Buteurs
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Jonas Daniel Rano
Il va se faire son porte-parole
(“ Et voicije suis venu ! ” : 63), il veut se faire son
délégué ” (“ Embrassez-moi sans crainte... Et sije ne sais que parler, c’est pour vous
que je parlerai. ” : 61 ), afin d’arracher au colonisateur blanc le droit à la vie de ce
peuple sien (“ Et elle est debout la négraille ” : 147), ou :
“
Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait pas davantage le rugissement
du tigre
(59).
C’est alors que Césaire effectue ce que nous avons appelé une fuite en avant,
dans une humanité nègre d’autant plus confortable quelle est plus abstraite, plus
lointaine, plus vaste, plus multiforme aussi. Cette fuite avant tout une démission :
seulement, elle est en même temps une victoire, et une victoire des plus spectaculaires, car pour la première fois depuis le début va intervenir dans le poème la
conscience raciale de Césaire, dans laquelle tous les Nègres se reconnaîtront sur
toute la surface de la terre, et qui fera du Cahier d'un retour au
pays natal, selon l’esprit
de Lilyan Kesteloot, “ L’hymne national des Noirs du jnonde entier33 ” ! C’est la
même dialectique qui a poussé lÀrabe à assumer sa “ bicoterie ” le Cubain son
mambisme ”. Et c’est une manière de porter le scandale dans la sémantique même
de Prospéra ( Caliban parle"4) : c’est se servir de sa sémiologie coloniale comme
d’une “ dynamite ” qui fait sauter du dedans ses signaux empoisonnés !
Le langage du dominateur écorche soudain les lèvres. Retrouver soir peupie, c’est quelquefois, dans cette période, celle de la libération nationale,
vouloir être nègre, non un nègre pas comme les autres, mais un vrai nègre,
un chien de
nègre, tel que le veut le Blanc. Retrouver son peuple, c’est se
faire bicot, se faire le plus indigène possible, le plus méconnaissable, c’est
se
couper les ailes qu’on avait laissé pousser35.
“
De la sorte,
quand on ne comprend pas cette dialectique de transition dans
de la prise de conscience, à une étape de la crise d’identité, on se
laisse croire que le colonisé veut se donner un bain de “ primitivisme ” par un
retour à la forêt natale. On parle alors de refus
global des “ valeurs de la civilisation occidentale ”, et on vous accuse de condamner “ la logique et la raison ” au
nom d’on ne sait
quelle “ cosmovision exclusivement nègre36 ”.
le processus
33
Lilyan Kesteloot, Anthologie négro-africaine, op.cit., p. 32.
34
Jean Guéhenno, Caliban parle,
35
Paris, Grasset, 1945, p. 16.
Frantz Fanon, Les damnés de la terre," Préface "de Sartre, Paris,
Maspero, 1961. Il faut comprendre ce texte dans le
souligné par Depestre dans Bonjour et adieu à la négritude (op.cit., p. 138-149).
36
René Depestre, Bonjour et adieu à la négritude, op.cit., p. 143.
contexte
Influence du Pigments damassien
sur
le Cahier d’un retour au pays
natal césairien
de Césaire et celle de
souligner leurs fondations communes : l’idéologie d’identification
que fut la négritude - l’invention des échelles de valeurs qui, sans rien renier
du passé, alimentait Bien les nouveaux fondements historiques d’une identité37
ne pouvait à elle seule servir de commun dénominateur à des efforts qui
aspiraient à rénover les concepts de liberté, de nation, d’individu, de révolution,
de droits de l’homme, d’égalité et de fraternité, dans le processus global de la
Décemment,
Damas
on ne
peut opérer la lecture de l’œuvre
sans
-,
décolonisation. Ainsi,
comme
Césaire Damas a su se montrer l’homme d’une
grande conscience du devenir des siens, mais aussi l’homme d’une grande
colère dans Pigments, avec “ Et extern ” (77) ou encore :.
mais
quelle bonne dynamite
fera sauter la nuit
les monuments
comme
champignons
qui poussent aussi
chez moi
(“Blanchi” : 57)
poème, le discours de Damas engage à l’analyse qui permet de faire
l’individu, sa parole singulière, et l’ensemble des représentations
partagées - ou du moins connues - qu’il convoque dans l’adhésion ou la
contradiction. L’écriture damassienne est ainsi reconnue dans sa priorité par
rapport à la conscience, et sa prévalence sur la structure scripturale comme
mode non seulement linguistique mais aussi extralinguistique.
À partir d’un tel travail d’écriture, les enjeux qui en découlent intéressent à la
fois la théorie des genres, éclairée notamment par les apports de la pragmatique
et l’histoire littéraire qui, soucieuse de périodisation esthétique, se voit dès lors
enrichie d’une indispensable perspective sociolittéraire. Porté par un même
engagement que Damas, Césaire ne manquera pas d’utiliser cette même
Dans
le lien
“
ce
entre
dynamite38 ”.
Les balles dans la bouche salive
épaisse
de
quotidienne bassesse éclate...
et ce peuple vaillance rebondissante... ( 107)
notre cœur
37
Frantz Fanon, "
38
Aimé Césaire, " Un
1982, p. 69.
Grandeur et faiblesse de la spontanéité ", in Les damnés de la terre, op.cit., p. 79-105.
Orphée des Caraïbes ", cf. Jean-Claude Michel, Les écrivains noirs et le surréalisme, Québec, Liberté,
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ma
négritude n’est ni une tour ni une cathédrale
elle plonge
dans la chair rouge du sol
dans la chair ardente du ciel
elle troue l’accablement opaque de sa droite
patience, (l 17)
elle plonge
Pour trouver “ leur
langage propre aux Afro-créoles ”, Césaire comme
qu’il fallait que leur créolitude ait une force de vrais
sentiments de colère, partant, à se mouler dans leur cadre de
pensée : (quelle
bonne dynamite fera sauter/ les monuments), et même de haine (Ma haine
grossit la nuit), et ce perpétuel ressentiment d’avoir à se servir de la langue du
colonisateur (“ Vous ai-je ou non dit qu’il vous fallait parler français ”)39.
Damas étaient conscients
En
dès 1934 des articles dans différentes revues et journaux de
(l'Homme et l'Œuvre : 29), Damas lançait la négritude avec “ Solde ” (Pigments 39), mais
également avec “ Blanchi ” (op.cit. : 57), en appliquant carrément à sa
propre personne le fardeau du nègre :
ayant écrit
France
:
Les jours
inexorablement
tristes
jamais n’ont cessé d’être
à la mémoire
de ce que fut
ma
vie
tronquée
Va encore
mon
hébétude
du temps jadis
de coups de corde noueux40
C’est de la sorte,
l’acquisition d’une identité culturelle - celle aussi de sa race
qualité
qu’un mot (nègre) péjoratif et offensant à son origine perdait aux yeux de
l’opprimé son acception injurieuse, pour, comme un boomerang, revenir à la tête de l’oppresseur,
par un renversement du langage du maître (“ Damas est nègre et tient à sa
et à son état de
nègre41 ”) ; ce n’était pas la première fois
39
40
41
Léon-G. Damas," Hoquet", Pigments (1972), Paris, Présence Africaine, 1937, p. 33.
Léon-G. Damas, " La complainte du nègre ", Pigments, op.cit., p 45.
Robert Desnos," Préface "à Pigments, op.cit., 1937.
-,
remplissant soudain une fonction de réparation et de justice42. Césaire développe le processus essentiel et universel de cette “ réappropriation d’identité43 ” :
en effet, si Damas
parle, par exemple, de trois périodes de l’évolution de la
conscience afro-créole, René Depestre parle, bien après lui, de “ trois directions ” en termes d’“ étapes idéologiques44 ”, et Senghor, quant à lui, parle de
trois vertus majeures ” de l’écrivain, et souligne le fait que :
[... ] parmi la poignée d’étudiants qui lança le mouvement de la négritude,
Damas fut le plus engagé45.
“
poète Césaire n’est pas en reste, quand il reprend la notion de “ trinité ”
évoquée par Damas (l'Homme et l'Œuvre : 193), puis celle des “ trois fleuves ”
(Black-Label : 9) qu’il associe aux trois “ gouttes de sang ” d’Elie Faure, pour dire
Le
en
définitive
:
[... ] qu’il [Damas] n’a pas théorisé, qu’il n’a pas écrit de manifeste ; mais
toute la négritude est déjà dans son œuvre le sens tragique de l’Histoire, la
mémoire et le destin, la fidélité ancestrale et l’espoir quasi millénariste
d’une libération45. Notre lutte [dit Césaire], était la lutte contre l’aliénation,
c’est ainsi qu’est née la Négritude. [... ] Il y avait en nous une volonté de
défi, une affirmation violente dans le mot nègre et dans le mot négritude47.
Voilà qui a le
mérite d’être dit. Césaire est un grand homme qui “ rend ainsi
lui appartient ”. Et c’est une façon d’avouer “ l’ascendance duplus nègre
des poètes nègresfrancophones411
à César ce qui
42
Le mot" gaucho "dans l'Amérique de La Plata avait connu un sort pareil. Également le mot" mambi ", avant" d'être
l'essentiel dans l'histoire et la sensibilité cubaines ", signifiait " mauvais, méchant ". Selon José Luciano Franco "
mambi " est un mot d'origine Congo qui
signifie idole ou fétiche. On l'appliquait à Saint-Domingue aux nègres mar-
qui fuyaient la cruauté de l'esclavage, et à Cuba, durant les guerres d'indépendance, les militaires espagnols
qualifiaient de ce nom les Cubains rebelles qui luttaient pour la libération nationale.
43
Op.cit., p. 143.
44
René Depestre, Bonjour et adieu à la négritude, op.cit, p. 184.
45
Léopold-S. Senghor de l'Académie française, " Préface "à l'Homme et l'œuvre, op.cit., p. 9.
46
Aimé Césaire, allocution d'hommage prononcée à l'Hôtel de ville de Fort-de-France, Martinique, le 31 août 1978.
47
Aimé Césaire, " Un Orphée des Caraïbes ", op.cit., p. 160.
48Op.cit., p. 13.
rons ou
invtés
Bute rs
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Aimé Césaire et la Créolitude
Dans
qu’il nous a accordé en mai 2002, répondant aux critiques - on a beaucoup reproché Aimé Césaire le fait qu’il n’ait pas écrit en
créole (Racines et Couleurs n° 18 : 20.) -, ce grand homme n’éprouvait pas le
besoin de ressasser “ Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs / ” ( 121). L’illustre martiniquais introduisait une limite aux confins de la “ haine
pour
,'1'J homme de haine ”, inlassablement (Semences de vie : 269-292), désignant
ainsi le modèle rejeté de Y“ homme de haine ”,
lequel “ homme de haine ”, pour
lui, est le blanc. Et ce qui justifiait l’assertion de Sartre : “ ce racisme antiraciste ”,
occasionné, non par la haine des autres races, mais par un amour tyrannique
pour la race métissée [afro-créole] seule témoin de l’injure cosmique et qui “ est
le seul chemin qui puisse mener à l’abolition des différences de race ”, dans une
ère de civilisation où chaque race apportera le fruit
quelle aura produit, symbole de l’originalité culturelle49, tout ce qui est naturel, pour la race universelle,
pour la faim universelle.
Quand Aimé Césaire me confia': “Je dis bien universelle, ce n'est pas le combat
d'un petit groupe contre un petit groupe ”, puisqu’il s’agissait d’une “ prière ”, nous
comprenons que les requêtes à son cœur présentées s’accompagnent d’une
humilité dans lame du poète, qui se traduit par l’acceptation des travers de notre
peuple. Car il est chez Césaire un paradoxe semblable à celui de Nietzsche qui
voulait qu’entre un donateur et un receveur, le donateur ait à remercier le receveur “ d’avoir consenti à
prendre50 ” : Les Nègres, disait Césaire, qui ne sont
aucunement inférieurs aux Blancs
peuvent également contribuer au développement de la science et du savoir humains :
un
entretien
:
aucune race ne
possède le monopole
de la force51
de la beauté, de l’intelligence,
Et il est place pour tous au
rendez-vous de la conquête52
49
Nation
martiniquaise, depuis le Congrès dit" voie d'une évolution statutaire transparente et démocratique " et qui
en février 2002, sur proposition de C. Lise et M.
Tamaya. Le Naifn° 104, avril-mai 2002, p. 20-24.
50
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlaitZarathoustra, Paris, Gallimard, 1947, p. 15,257. Racines et couleurs, op.cit., p. 9-12.
51 Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, op.cit., p. 139.
52 Op.cit., ç. 141.
s'est tenu
i
\
157
À y regarder
de près, plusieurs des différentes théories communément
reprochées à Senghor trouvent leur fondement dans certaines affirmations du
Cahier d'un retour au pays natal où Aimé Césaire donne une définition de sa
négritude53 : en effet, depuis la naissance de la négritude, Senghor s’est entêté,
comme l’a
justement remarqué Stanislas Adotevi, “ à tenir aux nègres un langage qui n’est pas le leur54 ”, alors quAimé Césaire, par contre, a proclamé tout
haut, son “ refus absolu d’une espèce de pannégrisme idyllique à force de
confusionnisme^5 ” ainsi que toute idéologie justificatrice.
Si aujourd’hui la question de la négritude est dépassée - avec la mort de
Césaire la question qui se pose est le dépassement de la Négritude dans l’espace
des cultures croisées, et la possibilité de saisir les enjeux d’une création nouvelle56 on peut dire en termes plus clairs que certains aspects de la négritude
césairienne dans le Cahier, dans bien des aspects, sont un frein au développement et au
progrès des peuples noirs et créoles. En cela, les travaux de René
Ménil, notamment Antilles déjà Jadis, précédé de Tracées sous-tendent cette limite
-,
de la pensée césairienne :
“
Césaire
pensé, m’a confié René Ménil, que critiquant la négritude, j’étais
de libération nègre qu’il désigne par le terme négritude.
En réalité, je n’ai tenté que de marquer les limites de la doctrine, d’y déceler la
confusion qui pouvait s’en suivre et les erreurs que cela provoquait que d’accepter comme disait Senghor : “ Les nègres n’ont pas la mentalité logique. Ils
sont mal à l’aise. Ils sont incapables de raisonner logiquement, mais ils sont
doués demotion, et c’est par l’émotivité qu’on peut les définir ". Il a oublié qu’il
était, lui-même, un Noir : c’est une erreur, une aliénation, une insuffisance nettement criante de définir les
nègres de cette façon [...]. Ce qui, chez Césaire,
embarrasse la critique, c’est qu’il y a confusion à un certain niveau. D’autres font
a
contre un mouvement
C’est-à-dire
mélange que l’on peut considérer comme
On est en droit de se demander si les
limites de la pensée césairienne ne viennent pas de cette confusion : Césaire
parlant du Nègre dans le Cahier d’un retour au pays natal et dans d’autres textes,
emploie des expressions qu’il faut prendre absolument sur le plan littéraire
cette erreur aussi.
essentiellement culturel
53
54
et
ce
la politique.
Cf. Marcier Towa, Léopold-Sédar Senghor: négritude et servitude ?, op.cit., p. 11.
Stanislas Adotevi, " Never grew up ", in Négritude etNégrologues, Paris, Unions Générales d'éditions,
1972, p. 118.
Lilyan Kesteloot, le 8 décembre 1971. Aimé Césaire, l'homme et l'œuvre, op.cit., p. 235-239.
56
Voir à ce sujet la préface du Pr Huit Mulongo Kalonda-Ba-Mpeta : " Cahier d'un retour en terre-source "in Créolitude
en terres-source, Paris, Éditions Scientifiques contemporaines, 2008, p. 3-4.
55
Entretien
avec
invutteérss
LittéRama'oHi
# 22
Jonas Daniel Rano
poétique, et pas comme de l’argent comptant sur le plan philosophique ; par
exemple : “ Les nègres sont ouverts à tout Et, dit-il, transporté dans cette affirmation “ Ils n’ont
jamais inventé la poudre... ”. Vous y voyez une amplification
lyrique, poétique et non pas une affirmation sérieuse quant aux caractéristiques
évidentes du nègre. C’est à partir de ces paroles-là
que Senghor a conclu que
les Nègres ne sont pas capables de logique ; c’est une forme de confusion. ”
(Créolitude : 187-200).
C’est dans cet esprit que j’ai eu le
privilège de demander au poète et homme
politique, Aimé Césaire :
Après tous les sacrifices qui ont été les vôtres, quel regard porteriez-vous
sur la littérature afro-créole
d’aujourd’hui?
—Je n’ai pas beaucoup suivi..., parce que j’étais terriblement occupé par
mon travail
politique, ce que j’ai essayé de faire pour le peuple martiniquais,
pour la ville de Fort-de-France, mon pays, m’a beaucoup absorbé. Je n’ai donc
pas suivi les débats littéraires, les conflits, les querelles littéraires. Non, je n’ai pas
voulu y prendre part, mais tout cela ne m’effraye
pas beaucoup. Et, je vois cela
presque, si vous le voulez, comme une chose naturelle de nouvelles générations. Je ne me sens
pas engagé dans un combat particulier. Pour moi, ce que
j’ai lu de cette nouvelle littérature ne me surprend pas, ni ne me choque.
On parle de la créolité. Quel
rapport ? Quelle difficulté pour moi qu’il y a à ladmettre ? Je disais, un
jour, à Bernabé (Jean) qui m’interrogeait : “ La créolité
n’est qu’un département de la négritude. En quoi cela me
choque ?
Senghor disait déjà : “Je demande auxjeunes d’avoir présent dans l’esprit
ceci c’est que ces
jeunes-là, qui se font en substance aujourd’hui de belles dents
sur la
négritude, sont bel et bien nés eux-mêmes dans la négritude ”.
Mais oui... Cela ne me gêne pas du tout. Pour ce
qui est de la “ créolitude ”, un domaine qui m’intéresse..., c’est
l’enseignement du créole, simplement. Je dis : attention ! Il faut
y entrer, mais il faut savoir en sortir. Parce qu’il
ne faut
pas s’enfermer. C’est tout à fait naturel, nous sommes un peuple, il y a
une
langue, il faut la comprendre. Il faut la reconnaître. Il faut savoir l’expliquer.
Mais, il faut savoir aussi la remettre à l’échelle du monde, ne pas s’enfermer dans
et
:
•
•
:
—
le créole.
•
La langue
créole, c’est aussi le fait de ceux qui la portent, ceux qui la tradui-
sent, ceux qui la maîtrisent...S7
57
Nous
que Césaire ait pu dire dans les années quarante qu'il ne maîtrisait pas le créole, mais qu'il laissait
qui le maîtrisent de l'illustrer. (Racines et Couleurs, n°18:20)
concevons
le soin à
ceux
159
En tout cas,
j’aurais à enseigner le créole, je me serais d’abord posé une
question essentielle : pourquoi le créole ? Pourquoi est-il apparu ? Et comment
est-il apparu ? Et vous êtes amené à ce moment-là à faire une histoire du créole,
—
et une
sociologie du créole. Leur apprendre l’histoire des races dans la colonisation, de la société coloniale. Comment il est né. Et pourquoi il est né. Ce n’est
C’est parce qu’il y a eu la colonisation, il y a eu l’oppression, il y a eu l’aliénation. Et c’est pour cela qu’on est créole. Et ensuite, qu’est-ce
pas évident qu’il naisse.
c’est que le créole ? Comment est-il composé ? On s’aperçoit alors qu’on
que
étudie tous les éléments qui constituent le créole. La généalogie du créole : il y
a du [des] français
[parlés], il y a de l’anglais. Mais oui, n’oublions pas aussi qu’il
de l’africain, c’est énorme ! (Le créole est un précipité, dès lors que son
lexique est occidental et sa syntaxe africaine.) L’africain, il a l’esprit : les mots
peuvent être français ou anglais, mais l’esprit est toujours africain. Il est toujours
africain, et c’est ce qui est important. Quand vous dites : Je vais : Mwen ka vini.
Ce n’est pas de l’africain, ça ! ? ; le futur : Mwen ké vini ; l’imparfait : Mwen té ka
vini ; le conditionnel : Mwen té ké vini. Toutes ces particules, qu’est-ce que c’est ?
ya
C’est de l’africain bel et bien58. Et c’est ce
ver.
qui me paraît très intéressant à retrouDonc, la peau peut être plus ou moins blanche, mais le cœur et l’esprit, c’est
toujours noir. Et puis alors, il faut voir, le créole, qu’est-ce qu’il est mais aussi quel
est son avenir59 ? Tout cela est à voir. Mais ce sont des choses qu’il faut voir, mon
ami, avec un esprit très ouvert.
Aujourd’hui, lorsque vous vous projetez au-delà de la Martinique, vous
regardez le monde. Le monde est parsemé de Créoles. Alors, quel message
•
adresseriez-vous à tous
? À ces hommes en quête d’identité.
Je pense au monde, à notre monde, je pense aux Antilles, je pense à
lAfrique. Et il y a de quoi être désorienté. C’est effroyable ! Nous avions espéré
que, avec la décolonisation, nous touchions au but, mais nous nous apercevons
que ça n’a pas tout résolu. Il y a d’autres problèmes. Et ils sont là, parfois, aussi
durs, aussi cruels, comme la guerre civile en Afrique, les oppositions, les fractionnements. C’est vraiment très douloureux. Mais tout ce que je peux dire simplement, si on me demandait ce qu’il faut faire... Je dirais de ne pas céder au
pessimisme, en particulier ne pas céder à l’afro-pessimisme. L’expérience est
ces
gens
—
58
59
U
Voir la démonstration de
Makuzayi Massaki, (Tabou) in Racines et Couleurs, n° 128,2002 ; et également Camille
Blanchet, " Sur les traces de la langue mère " (Tabou) in Racines et couleurs n° 128,2002 ; Voir aussi Joseph Zobel dans
une interview accordée à Adam Kwaeth, Martinique, France Antilles du 07-13 mai 1994.
Voir Jonas Rano, Créolitude,
op.cit, p. 201-204.
s
a»
LittéRama'oHi
#22
Jonas Daniel Rano
dure, elle est pénible, il faut vouloir la supporter, il faut vouloir tenir, et je suis
persuadé que nous vaincrons !
Quelles seraient les directions dans lesquelles vous souhaiteriez que nous
prenions ?
Je considère que notre combat, essentiel, n’a pas été mal guidé. Et Senghor la dit, nous avons toujours pensé cela... : nous sommes, nous, des partisans résolus. Nous voulons
apporter notre contribution à une chose qui me
paraît essentielle : c’est l'avènement à la civilisation universelle. Je dis bien universelle. Ce n’est pas le combat d’un petit groupe contre un
petit groupe. Nous
pensons qu’il faut prendre les choses dans leur sens, le plus large, c’est l’avènement d’une humanité nouvelle. La civilisation est à un
tournant, et nous devons
aider le monde à prendre ce tournant, sans
quoi c’est le néant, c’est la destruction, c’est la disparition, c’est la démolition. Mais non, nous, nous sommes des
humanistes et nous saurons participer à la fondation de cette filiation nouvelle.
Au regard de l’actualité
politique et économique de notre Pays d’aujourd’hui, pensez-vous avoir été un visionnaire ?
Je dis ce que je ressens, ce que je sens ! Moi, quand j’ai commencé à
écrire, j’étais un jeune homme. Sur les bancs du lycée déjà je me posais des problêmes. Et je me suis demandé, moi, un petit
nègre de dix-huit ans, dans un
lycée parisien, dans une grande ville de l’Europe, sachant le créole, parlant le
français : quel est le problème fondamental ? Senghor et moi quand on s’est
rencontrés, qu’est-ce qu’on cherchait ? D’abord, je me suis demandé, finalement :
qui suis-je60 ?
Question essentielle.
Eh oui, qui suis-je ? Ensuite, que
dois-je faire ? Kant disait : “ Que m’estil permis d’espérer ? ”. Ces trois questions-là
qui l’ont hanté et pour lesquelles
nous nous battons.
Je crois que la tâche n’est jamais terminée. On peut nuancer
les réponses comme on veut mais on n’y
échappe pas. Et ça reste valable.
•
—
•
—
•
—
Il est donc impératif selon Aimé
tar
60
Césaire, d’enseigner la langue créole à Fins-
de toutes les langues, son espace
sociohistorique et culturelle. “Apprendre/
Erik H. Erikson (1902-1994), l'étude de l'identité devient aussi centrale à notre
époque que celle de la sexualité à
l'époque de Freud. En fait, tous les théoriciens de I'" identité " soulignent l'importance d'autrui dans la construction
de l'identité, que ce soit pour différencier ou se conformer, pour se
présenter aux autres ou s'en protéger. Voir
Anthony G. Greenwald, " L'ego totalitaire, ou comment chacun fabrique et révise sa propre histoire ", dans l'ouvrage
collectif, Le Soi, recherches dans le champ de la cognition sociale, Washington, Delachaux et Nestlé, 1992.
161
enseigner une langue, pour c’est apprendre à grandir (essentiellement Fenseigné) dans la culture quelle fait circuler, dans les paysages quelle nomme. C’est
travailler de la sorte au développement de la
langue elle-même (l’enseigné et
l’enseignant) et plus loin, au développement socio-économique des pays quelle
habite61 Le but de cet enseignement est d’encourager un sens fort de l’articulation, langue écrite/langue parlée. C’est en effet l’idée retenue au dernier colloque de lÂcadémie des langues kanak (Nouméa, Centre Djibaou, 9 au 19
septembre 2008) : cette dichotomie, qui peut permettre un mouvement de la
langue sur elle-même, la faire vivante. C’est cette dichotomie qui peut changer
l’écologie de la langue ; faire en sorte que Ti-Aton moun Lans-Spoutoun parle et
écrit la même langue que Djanbann moun An-Chètin (GEREC-F\ une
yole van
douvan, ibid.).
En définitive, nous ne pouvions
pas rendre témoignage de la “ parole césairienne ” sans
nous
intéresser
aux
survivances
caines du créole. D’une manière inédite
lexicales de certaines langues afri-
la conscience seule confirme sans
tam-tam : on l’a vue avec Césaire,
participant du langage créole et ferment de
laboratoire, la langue créole, comme somme d’expériences, dit toujours
;
quelque chose de plus que son inaccessible sens littéral.
Au regard de cette pensée, on s’en convainc, Aimé Césaire a donc bien circonscrit le problème de la langue créole, en
dépit du fait qu’il ait choisi de s’exprimer en français. En effet, dans “ Mwen ka vini ” (Je vais) comme on dit
Man kafè ” (je fais), si la particule “ Ka ” s’utilise dans les îles
francophones ou
ex-francophones, comme en Sainte-Lucie ou Dominique - en revanche,
elle ne s’utilise en Haïti que dans certaines régions. Si en
Martinique comme
en
Guadeloupe la particule “ ka ” appelle le présent, en Haïti, par contre, elle
indique le futur. Ainsi, l’Haïtien dit : “ Man kafrapé ou ”, ce qui signifie : “Je vais
te
frapper ”, alors que pour le Martiniquais ou le Guadeloupéen, c’est : “Je te
frappe ”.
Certes, nous adhérons à la thèse de Max-Auguste Dufrénot, selon laquelle,
on
pourrait tendre vers l’hypothèse suivante : le “ ka ” créole viendrait de “ y’a
qu’a ! ” : un ordre donné par le maître à son esclave. Or en Kabyè (Nord-Togo),
la particule “ ka ” prend le sens d’un futur immédiat. Par
exemple, “ Man ka
labo ”, signifie : “Je vais faire ”. Naturellement, le “ ka ” créole est, tout
simplement, un héritage de la langue parlée par l’esclave kabyè ; cette particule a
“
61
Henri S'MawTaillefon/'ffiM'-/; une yole von douvan ", (www.gwadaoka.org/yole-vandouvan,
14.
html.), 11/2003. p.
iinutveutérss
LittéRama'oHi
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Jonas Daniel Rano
conservé
Haïti : l’esclave
kabyè ayant un certain nombre de tâches
II avait toujours quelque chose à faire, et
même lorsqu’il ne faisait rien, il devait toujours être occupé à une tâche. C’està-dire “ Y (il) ka coupé ” bannan-la (il coupe la canne) ; “ Y ka chagé cabouwètla ” (il remplit la brouette). Aucune action ne va sans cette particule “ ka ”. Le
verbe créole est toujours précédé de “ ka ”. De la sorte, c’est :“Yka mangé ” (il
mange), “ Y ka bwè ” (il boit), “ Y ka couwi ” (il courre), “ Y ka woué ” (il voit), “ Y
ka twavail ” (il travaille), etc. Remarquons, en Martinique, quand on dit : “ Man
kaïfè ” (je ferai), on ajoute un “ ï ” à la particule “ ka ” ; Ce qui donne “ kaï ” pour
indiquer le futur : “ Man kaïfrapé ou ”, se dit bien “Je vais te frapper ”. Ou
encore “ Man kai woué ”
(je verrai = Je vais voir) ; “ Man kaifè ” (Je vais faire).
Cependant, cette formulation “ kai ” trouve sa souche cette fois dans la langue
mina “ ka-i ”, “ i ”
signifiant bien “ aller ” en mina.
De même est-il intéressant à noter62 que la particule “ ni ”, dans “ Man ni ”
(J’ai), trouve sa souche dans le Yoruba dont l’influence est certaine également
dans les îles hispanophones et anglophones. Ici, la particule “ ni ” prend le rôle
d’un auxiliaire. Le Yoruba dit en effet “ Mou ni ” (j’ai). Le Martiniquais," Man
ni ” (J ai), et comme le Yoruba dit : “ Mou té ni ” (J’avais), le Martiniquais dit :
“ Man té ni ” (J’avais).
Presque toutes les études réalisées jusqu’à ce jour sur la langue créole reconnaissent quelle n’a pu se former en tant que système linguistique cohérent et
organisé, qu’à partir du moment où les esclaves africains sont entrés dans le processus. Nul besoin d’ailleurs d’être un
linguiste pour reconnaître dans les divers
parlés créoles de la Caraïbe le calque des langues africaines, malgré le lait que
soixante-dix pour cent du vocabulaire créole proviennent du français ; d’où
l’obscurantisme de certains linguistes créoles, ignorant les langues africaines et
inlassablement tournés vers les langues d’oc ou d’oïl. Ensuite, la plupart des
contes et mythes connus dans l’espace caraïbe ont
pour origine lAfrique
(Damas, Veillées noires, 1943). Toutefois, s’il n’est pas moins important d’en
connaître les origines, il est nécessaire de prendre conscience des valeurs qu’il
véhicule. C’est-à-dire connaître les survivances lexicales des langues des peuples
opprimés à l’origine, ensuite connaître les survivances folkloriques de ces populations, pour identifier avec certitude les restes de cultures traditionnelles africaines63. Ainsi, des survivances lexicales de certaines langues africaines du
son sens en
à effectuer
ne
devait pas rester inactif
:
:
:
:
|
62
63
Max-Auguste Dufrénot, Des Antilles à l'Afrique, Dakar, NEA, 1981.
Max Dufrénot en donne un bel échantillon dans Des Antilles à l'Afrique, op.cit., p. 92-116
163
créole, le dialogue horizontal entre esclaves
annonce le parler créole. La
politique et culturelle afro-créole est le fondement
de la grandeur de notre nation64.
connaissance claire de l’unité
L’histoire de la colonisation
comme
celle de
traite sont un tabou
l’esclavage et son corollaire la
français que certains auteurs (naïfs) croient que la France
a enfin levé
(Historia thématique n°80, novembre-décembre 2002). Le temps
n’est pas encore venu où le Nègre sera reconnu comme
l’égal du Blanc..." Si
les nègres n'étaient pas un peuple, disons de vaincus,
enfin un peuple malheureux, un
peuple humilié, etc., renversez l’histoire, faites d'eux un peuple de vainqueurs, je crois,
quant à moi, qu’il n’y aurait pas de négritude ”, disait le grand homme dans Moi,
Laminaire.
Pour ma part, en guise de chute Mesdames et Messieurs,
je crois que la
tâche n’est jamais terminée. Cela reste valable, la lutte continue65 ! À ce
constat salvateur on
peut nuancer les réponses comme on veut mais on
n’y
échappe pas.
Glwar, lonné é respé pouw Aimé Césaire.
64
Ama Mazama, Une lecture afrocentrique critique de liÉloge de la Créolité, Penser la Créolité, Maryse Condé & Madeleine
Cottenet-Hage, Paris, Karthala, 1994.
65
Préface du Pr Huit Mulongo Kalonda-Ba-Mpeta, " Cahier d'un retour en terre-source ", op.cit., p. 3.
invutetérss
LittéRama'oHi
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fTlaurice Vinot
Professeur de lettres modernes puis attaché de Préfecture.
U a exercé en France, à la Réunion, à Mayotte, en Australie, à Tahiti.
Il est l'auteur de plusieurs romans, d’albums pour enfants illustrés par
lui-même, d'un essai philosophique, son testament spirituel.
Récit de vies
De ma vie
Devenir romancier est aisé. Il suffit d’un peu
de plume, de quelques joies,
quelques détresses et d’un brin de suffisance. Trouver un éditeur c’est
autre chose.
L’entreprise exige une foi à culbuter les montagnes.
Je n’ai jamais conté publiquement mes déboires d’auteur. Si, aujourd’hui, je
les confie à une revue littéraire aussi sérieuse que Littéramàohi c’est dans l’espoir
d’être utile aux Polynésiens, jeunes et moins jeunes, qui rêvent de se faire
publier.
de
Voici donc mon parcours.
En 1971,
j’ai derrière moi vingt-quatre ans d’enseignement littéraire et
j’exerce depuis quelques années les fonctions dÂttaché de Préfecture sous
l’égide de L’Education Nationale, mon administration d’origine.
Pour me distraire d’une vie conjugale qui tournait à l’aigre, j’ai commencé
un roman. La visite d’une
collègue martiniquaise dépressive m’en avait inspiré
le sujet. Après des échanges épistolaires que j’imaginais tendres elle avait traversé lAtlantique pour épouser son correspondant métropolitain. La rencontre
avait été un fiasco et la vieille fillette s’apprêtait à rentrer chez elle, humiliée.
Parce que mon moral n’était guère au-dessus du sien je décidai de traiter ses
aventures en bouffonneries. Me moquer d’elle c’était me moquer de moi. Cette
sorte de catharsis m’inspira quarante
pages d’un seul jet. Et puis le désenchantement revint et j’abandonnai mon manuscrit au fond d’un tiroir.
165
En 1978,
seul dans mon bureau de la sous-préfecture de Montargis dont
jetais le secrétaire en chefje signais des passeports. Besogne assez divertissante :
coup dbeil à la photo du demandeur, vérification de l’identité, de l’adresse et
de la profession (connaître mes administrés était une de mes ambitions),
signature
enfin.
soir-là, je ne l’oublierai jamais ! Ce visage aux traits rudes surmonté d’une
au bol, en rond autour du crâne,
je le reconnus sur-le-champ :
Jean Hervé dit Hervé Bazin ! Je fis savoir au personnel que je remettrais moiCe
coiffure taillée
même le document
au
Président de l'Académie Concourt.
L’entrevue eut lieu dès le lendemain. Hervé Bazin fut très aimable. J’osai lui
parler de mon manuscrit, fl m’encouragea à le terminer et à le lui envoyer à
Douchy où il résidait. J’écrivis deux cents pages supplémentaires, bien trop vite,
dans une hâte fiévreuse qui ne pouvait que me nuire. Je le savais! Mais j’avais
tellement peur que le Grand homme m’oubliât! L’ouvrage ainsi bâclé je le lui
expédiai. Une semaine plus tard environ, il m’invita au Grand Cormoiseau,
domaine qu’il vendit plus tard à Mouloudji. Il me présenta à son épouse. Deux
de ses enfants prenaient une leçon de russe dans une pièce adjacente. Il nous
enferma dans son modeste cabinet de travail. Et nous parlâmes. De mon
manuscrit il loua chaudement les
quarante premières pages. Il les avait fait lire
à un membre de sa famille, un homme de couleur
lequel avait d’abord cru que
j’étais moi-même antillais ! Ce n’était pas un mince compliment ! Hélas les pages
suivantes juraient avec ce début. Je crois aujourd’hui
qu’il avait renoncé à les lire
jusqu’à la dernière. Se déchargea-t-il de ce soin sur Serge Montigny, son agent
littéraire ? Ce n’est pas impossible car, un assez long temps après, les Editions
du Seuil m’ont renvoyé mon chef-d’œuvre manqué, marqué de la
griffe d’Hervé
Bazin et accompagné de critiques constructives
qui auraient dû m’inciter à parfaire mon ouvrage.
Je n’en fis rien ! J’étais trop amoureux de la vie ! J’avais commencé mon
des temps moroses ; des temps plus riches en joie et en plaisirs m’empêchèrent de le poursuivre.
Survint Mab, ma présente femme ! Pour elle, je repris la plume. Durant
toute une année, en Ecosse,
je servis de nègre à un ami sous-préfet qui avait des
prétentions littéraires. Je ne lui fus finalement d’aucun secours.
roman en
Vint la retraite. Nous
avons
cune
habité
de
ces
décidâmes, Mab et moi, d’aller vivre en Australie. Nous
Rockhampton, Brisbane, Melbourne, Perth et Cairns. Dans cha-
villes Mab
a
travaillé comme infirmière. La solitude intermittente
invutetérss
LittéRama'oHi
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rïlaurice Dinot
qui fut alors la mienne ressuscita Noéllise l’héroïne malheureuse de mon pre(et jusqu’alors unique) roman. Je m’attelai à le rebâtir en bon artisan. La
tâche me prit beaucoup de temps et de moi-même. Je l’achevai et la peaufinai.
De guerre las, je finis par prendre le chemin d’un bureau de poste avec mon prédeux petit paquet sous le bras. L’employée qui l’enregistra me conseilla de l’expédier en recommandé. Ainsi, disait-elle, s’il est perdu vous percevrez les trente
dollars australiens correspondants à sa valeur déclarée.
Le colis ne se perdit pas. Il me fut remis deux mois plus tard par le facteur
de notre quartier, un gai luron, qui me tendit d’abord un document en français
qu’il ne savait pas traduire et dont, par conséquent, il ne savait que faire. C’était
une facture des douanes
d’Orly qui me réclamaient des frais de garde attendu
que les Editions Robert Laffont ne s’étaient pas souciées de récupérer mon
manuscrit en dépit de plusieurs avertissements. L’aimable facteur éclata de rire
autant de ma mine ahurie que des errements de l’administration française. En
bon philosophe il se saisit de la facture et la déchira en morceaux.
J’étais plus sérieux. J ai réfléchi que nos douaniers ne pouvaient détruire un
mier
objet d’une valeur de trente dollars australiens et qu’il n’entrait pas dans leurs
attributions de porter eux-mêmes cet objet à domicile.
Je changeai mon manuscrit d’emballage et le réexpédiai en recommandé
avec
la mention manuscrit sans valeur commerciale.
Deux mois s’écoulèrent
encore.
Le même
facteur hilare me le rapporta et
tendit une même facture des mêmes douanes. Le destinataire
(Les Editions
fois) n’avait pas été tenté par mes élucubrations, donc... cette
seconde facture connut le même triste sort que la première.
Je suis vraiment très sérieux. Je réfléchis plus profondément. Mettons-nous
à la place du gabelou qui réceptionne un manuscrit. Peut-être a-t-il entendu
parler des manuscrits de la Mer Morte dont la valeur est incomparable ? Celuici est déclaré sans valeur commerciale mais est-ce vrai ? Les fraudeurs pullulent.
S’il n’y avait pas de fraudeurs les douaniers n’existeraient pas. Ce raisonnement
me
convainquit de l’honnêteté de la douane française. Des braves gens qui ont
conscience de la gravité de leurs devoirs et qui s’en acquittent de façon irréprome
du Seuil
cette
chable.
Pour la troisième fois
j’envoyai mon roman à un troisième éditeur. Il me
et circonstances que les précédents. Le facteur
devint un bon copain. Je n’eus pas honte de priver les douanes d’Orly d’une partie de leurs revenus. La leçon avait été sévère, je ne leur ai plus adressé d’autres
courriers. Je n’ai pas cherché un correspondant en France qui m’eût servi
revint
dans les mêmes délais
167
d’agent littéraire. Nous avons vécu neuf ans en Australie. Nous avons remorqué
notre caravane-tous-terrains du sud au nord et de
long en large de File continent.
Cependant j’écrivis deux autres romans et diverses choses. Que la vie était
belle !
Le 12 octobre 1997
quitté lÂustralie pour la Polynésie française.
J’y ai appris l’art d’être grand-père, occupation très prenante. Nous avons visité
les Iles sous le vent et quelques Tuamotu. Le temps passait très vite. En 1999
je sortis de sa housse ma machine à écrire et composai un essai, Vivre. Mourir.
nous avons
Sourire.
A un vieil ami blésois que mes activités littéraires intéressaient
j’expédiai
une même
enveloppe le manuscrit de Noëllise et celui de mon essai Par
dans
l’intermédiaire de la Gendarmerie de
Roissy il ne reçut que l’enveloppe vide.
explications me furent adressées personnellement. Les voici :
Le 28 août 1999, les services de Gendarmerie de la
Brigade territoriale de
Gonesse (95) découvrent, abandonnés sur la voie
publique, cinq sacs postaux
éventrés et pillés d’une partie de leur contenu.
Une plainte est déposée par la Poste auprès de nos services
“Brigade de
recherches de la gendarmerie des transports aeriens", le deux septembre 1999.
Le 13 septembre 1999 une Information est ouverte
pour les chefs de “vol
en reunion et recels” au cabinet d’instruction de M. Thouvenot
Juge d’Instruction auprès du T.G.I. de
Bobigny. Références....
Votre nom et vos coordonnées ont été relevés sur une
enveloppe vidée de
son contenu. Pour
permettre aux enquêteurs de confondre d’éventuels auteurs,
nous vous demandons de bien vouloir
par retour du courrier nous indiquer ce
quelle contenait. Soyez très précis
Nous vous remercions de votre coopération et vous informons
qu’en cas
de découverte d’un objet ou d’une valeur vous appartenant nous vous
indiqueDes
...
rons
comment
récupérer votre envoi.
La signature
est celle d’un Maréchal des Logis chef
J’ai longtemps espéré recevoir un mot de l’un au moins des malfrats responsables de ce vol m’assurant que la lecture de mon essai lui avait fait verser un flot
de larmes et l’avait amené à repentance. Peut-être s’était-il retiré dans un monastère
coupé du monde ? Dommage ! Sa confession m’aurait certainement valu
d’édition !
Cette année 1999 menaçait de s’achever au
grand dam de mes ambitions
la considération de plusieurs maisons
car
les
amours
malheureuses de ma Noëllise n’avaient séduit aucun des trois
ou
inuvtetérss
LittéRama'oHi
#zz
(Tlaurice Vinot
quatre éditeurs auxquels je les avais présentées. C’était sans compter sur la Proje lus en famille la lettre dont rêve tout écrivain,
vidence ! La veille de Noël,
jeune ou vieux:
Cher Auteur, Nous
avons
que vous nous avez envoyé a été
le plaisir de vous
informer que le manuscrit
retenu pour la publication....
Elle émanait de L’Harmattan
Le contrat
qui m’était proposé ne m’offrait pas un pont d’or. Je l’acceptais
reste d’incrédulité j’attendis qu’il men revienne un
exemplaire dûment signé par l’autorité compétente de la maison.
La parution avait été fixée à trois mois, c’est-à-dire au printemps de l’an
2000. En juin elle n’avait pas eu lieu. Un mien cousin voulut bien aller s’inlormer en
personne des raisons de ce retard. Il apprit et m’apprit que l’éditeur
attendait le prêt à dicker que je m’étais engagé à lui fournir par contrat. Je relus
mon contrat
qui m’avait été annoncé comme un contrat-type et je vis au bas de
la dernière page, rajoutée à la plume, la mention “ Prêt à clicher à remettre ”.
Comment avais-je pu ne pas la relever ? Un prêt à clicher ? Je ne savais pas de
quoi il s’agissait. Lorsque la maison fournit à mon cousin toutes les précisions
nécessaires je compris qu’il me fallait fabriquer un prototype exact du livre à
imprimer. Je répondis gentiment que je m’étais assigné la tâche d’écrire - cette
tâche uniquement - et que la tâche d’un éditeur me semblait être celle d’éditer.
sans
fausse honte. Avec un
Notre contrat fut rompu
A Noël de l’année 2000
à l’amiable.
à la table de l’un des frères de Mab.
m’interroge sur mes manuscrits. Je raconte mes contacts
avec l'Harmattan. Une de nos nièces se
propose spontanément de me taper un
prêt à clicher. Nous prenons rendez-vous. Je lui exphque ce qu’attend l’éditeur.
Elle n’est pas sotte. Je rentre optimiste en Polynésie. Elle est mariée; a deux
jeunes enfants, un mari et travaille comme caissière dans un grand magasin.
Elle m’a demandé d’être patient. J’attends un an et le prêt à clicher m'arrive.
Déception. Il présente de nombreuses lacunes, des erreurs de lecture et
quelques fautes de frappe. A première vue cela ne paraît pas grave mais quand
on se met en devoir de
corriger le texte on s’aperçoit que les corrections le disloquent et le bousculent à tel point que pour respecter les exigences de L'Harmattan il serait plus simple de le retaper entièrement. Merci! Je n’avais pas le
matériel requis. J’y ai renoncé.
On
nous
mangeons
169
Nous passons l’année 2001 à découvrir les Marquises. En février
à Nuku Hi va, où s’installe un centre cybernétique. Mab
nous sommes
2002
s’em-
balle pour la chose,
s’initie, me déniche sur INTERNET le site d’un agent littéQuelqu’un, enfin, qui va me faire bénéficier de son expérience du monde
très particulier de l’édition ! Je songe à Serge Montigny, mort depuis longtemps ; j’ai confiance ! J’entrevois la fin de mes tribulations littéraires !
Mon agent littéraire est une jeune personne prénommée Bernadette à
qui Noëllise plaît beaucoup. J en suis ravi. Nous signons un contrat qui nous lie
pour trois ans à partir du 8 juin 2002, moi m’engageant à lui fournir toute ma
production romanesque ; elle s’engageant à lui trouver des éditeurs. Au 8 juin
2004 j’avais fourni à ladite Bernadette deux autres romans et deux contes pour
enfants. Ses recherches n’ayant pas abouti à cette date, elle me demanda de résilier notre contrat. Je soupçonnais quelle avait peu d’expérience ; j’y consentis.
Elle se maria et renonça à la profession d’agent littéraire qui ne lui avait pas rapporté une seule roupie. Je lui souhaitai sincèrement beaucoup de bonheur !
raire.
Gémir n'est pas
Le
de mise aux Marquises, ni en Polynésie d’une façon générale.
temps a continué à couler, agréablement.
En 2006, je découvre par hasard sur le net la publicité
enfin
de Lulu. J’imprime
ouvrages. J’espère naïvement que Lulu les diffusera dans nos librairies. On me recommande de pratiquer le dépôt-vente ! Je suis octogénaire et je
mes
vis à vingt
mille kilomètres de la Métropole. C’est une gageure ! Mais j’ai le plaigratuitement un exemplaire de chacun de mes ouvrages à mes
proches. Et, miracle, j’ai une fidèle lectrice qui achète mes chefs-d’œuvre dès
sir
d’offrir
leur sortie.
En 2008,
amours
sion de
chéri.
je découvre Puhlibook, par hasard encore. Publibook édite les
de ma Noëllise sous le titre Aimer en doulce France puis entame l’impressecond roman Naître à cinquante ans.
Ce dernier est mon enfant
J’y ai mis beaucoup de moi. J’aimerais l’illustrer moi-
mon
même. Publibook renâcle à
me
donner
cette
satisfaction. Commencent des
échanges postaux qui me lassent ; j’y mets fin par un silence total. Je ne suis pas
homme d’affaires. On me le reproche. Je le reconnais volontiers. Je suis
bouddhiste de tempérament, de cœur et d’esprit.
L’échec de cette dernière tentative de publication n’affecte en rien ma sérénité. Je continue à écrire parce que peindre et écrire me sont deux sources de
plaisir. Jouir de la merveilleuse illusion qu’est la Vie me consolerait de tout si
j’avais besoin de consolation.
un
LittéRama'oHi
#22
fTlaurice Uinot
Publibook retrouve mon manuscrit dans ses archives, me reconentamons des relations moins formalistes. Hip ! Hip !
Hourra ! Naître à cinquante ans est publié et fait l’objet d’une
large diffusion.
Mieux encore Publibook, revenant sur un refus antérieur, se propose
d’éditer Mon île. Ma prison, une autre de mes fictions. Je n’ai aucune raison de
En 2014,
tacte ; nous
faire la fine bouche. Contrat signé
Si je
!
tiens encore debout sur mes jambes je présenterai ces trois ouvrages au
Salon du livre qui se tiendra à Papeete en
2015.
J’en présenterai un quatrième dont je ne suis pas Fauteur mais à la diffusion duquel je m’attacherai jusqu’à mon dernier souffle.
De la vie de Metei
Nos trois premières années en Polynésie Mab et moi les avons vécues à
Paea. Nos voisins immédiats étaient Monsieur et Madame Alvès ; la maison
que nous louions appartenait à leur fille Rita. Conditions favorables à des
échanges sympathiques, à une sympathie tout court, puis à une amitié. Au
retour d’une
escapade de seize mois aux Marquises cette amitié devint du
béton. Aujourd’hui comme hier rien ne la briserait !
On ne vouvoie pas de tels amis ; je ne parlerai plus ici que de Joaquim et
de Metei.
Ce que j’avais découvert de la personnalité et du passé de cette
dernière réveilla en moi une indignation qui m’est coutumière : Il est inadmis-
sible qu’après la mort toutes
celles de mes
destinées sombrent dans l’oubli des siècles comme
arrière-grands-parents, de mes grands-parents et, déjà, j’ai honte
de le dire, de mes parents.
Les richesses de Metei devaient être pérennisées au profit non seulement
de ses descendants mais de tous ceux que ses qualités exceptionnelles étaient
susceptibles de secourir.
Metei ne maîtrisant pas le français, sa langue natale étant le tongarévien, je
fis pression sur Rita pour quelle rédige une.biographie de sa mère.
Rita, accaparée par son métier, son mari et ses enfants fut assez généreuse
m’expédier au diable planter mes choux. Je la remercie de sa
patience, ce en quoi elle a prouvé quelle est la digne fille de Metei. Six années
durant je l’ai harcelée aussi souvent que j’en ai eu l’occasion. Finalement elle s’est
pour ne pas
laissé persuader.
Il fut convenu quelle achèterait un magnétophone, qu’elle
enregistrerait les souvenirs de sa mère et quelle me laisserait le soin de les coucher noir sur blanc, elle-même étant trop accaparée pour le faire.
171
Au
cours
miers sont
un
des deux années suivantes je reçus
peu
55 enregistrements ! Les pre-
embarrassés, les suivants sont devenus de libres bavardages,
des confidences, des discussions.
Assez souvent on m’oublie ; dans le vif d’une discussion on recourt au
maohi que je ne parle pas et j’entends dire " Maurice comprendra ! Ainsi des
heures durant mère et fille ont ri et pleuré ensemble. Leur confiance m’a souvent
bouleversé...
Lorsque, secrétaire bénévole, j’eus remis en ordre ces conversations, nous
tenu entre nos mains un manuscrit
prêt à l’impression. La famille entra
avons
ébullition. Metei sortit d’anciennes photographies
de leurs albums pour Filpetits-enfants délibérèrent d’un titre à lui donner, optèrent pour De
Pemhyn à Tahiti. Ma vie ; l’un d’entre eux, la cadette, Reva réussit un portrait
photographique qui fut retenu comme première de couverture. Et le livre fut
édité localement et dûment enregistré à la Bibliothèque Nationale de France.
Ses trois cents exemplaires se vendirent si vite que beaucoup de lecteurs
potentiels en ignorent l’existence encore aujourd’hui.
Ce fut une opération financière profitable mais Metei s’estimant largement
payée par les nombreuses félicitations quelle reçut de tous horizons ne garda
pas un centime de ses droits d’auteur. Elle les distribua selon son cœur ; j’en
reçus une large quote-part malgré mes plus vives protestations. A son exemple
et avec sa permission je
l’emploierai jusqu’au dernier carat à diffuser sa biographie dans la francophonie, et, si le rêve est réalisable, en Nouvelle-Zélande, sa
patrie de naissance, en Australie, dans le monde anglophone du Pacifique...
Au nom de ce programme un appel a été lancé aux associations polynésiennes de Métropole (Elles sont plus d’une centaine). En voici un extrait :
Henrietta (Plusfamilièrement " Metei ”) qui n’a pas gardé un centime de ses
en
lustrer ;
ses
...
droits d'auteur ne souhaitait pas
lancer une deuxième édition en France. Elle
éprouvait une sorte de gêne à vendre ses souvenirs personnels. Elle a finalement
cédé à la pression de safille et de ses amis après s’être engagée à reverser l’intégralité
de ses droits d'auteur à l’association “A tauturu ia'na Paris " que vous connaissez
à coup sûr car elle accueille et aide
cués vers la métropole pour raisons
chaque année, des centaines de Polynésiens évade santé, les soins qui leurs sont indispensables
ne
pouvant être effectués à Tahiti.
Vous rêvez de Tahiti. Vous
n'y êtes jamais allés ? Metei vous introduira mieux que
n’importe quelguide dans le passé et le quotidien de la vie polynésienne.
Vous êtes Tahitien d’origine ou vous avez vécu à Tahiti ? Vous connaissez Metei ?
Sa biographie vous parlera au cœur !
3
LittéRama'oHi
#22
rïlaurice Vinot
Oui la biographie
aux
de Meteiarii est un guide ! Un guide de vie. Il enseigne
enfants à connaître plus intimement les luttes de leurs parents, à les chérir
davantage, à les imiter dans les jours fastes comme ans les jours mauvais. Il
prône que la probité et l’aspiration à un amour désintéressé sont les seuls
moyens de résister aux turbulences de l’existence. Si cette leçon était assimilée
et mise en pratique par le plus
grand nombre une multitude de prétendus problêmes sociaux serait ipso facto résolus.
Un dernier mot,
la richesse de nos îles n’est pas seulement dans la perle, le
coprah ou le nono. Le patrimoine de la Polynésie, compte d’autres “ Metei ”. Il
faut les découvrir et les faire parler.
173
Jérôme Gendrot
Etudiant de littératurefrançaise en Master recherche. Après sept ans passés
dans le bâtiment et la plomberie,
un
licence d'histoire à l'Université d'Angers,
il décidé de se réorienter. Il obtient
dans l'idée de poursuivre en
école de journalisme, mais ça ne s'est pas fait. Il décidé de poursuivre en
littérature à Budapest car il j'aime les voyages, les rencontres et les textes.
le Département d’études françaises
s’offre un voyage à Tahiti
Presqu'île de Tautira au Sud-est de Tahiti, le 16 octobre 1942, une poétesse
yeux sur le monde. Bref retour sur un long parcours professionnel :
professeure d'espagnol et de tahitien au Lycée-Collège Pômare IV de Papeete
entre 1968 et 1997, membre de 1Académie Tahitienne “Te Fare Vana'a” depuis
sa création en 1972,
déléguée d’Etat à la condition féminine de 1979 à 1984.
Militante et érudite, Flora Devatine est encore aujourd’hui l’une des figures
fortes de la " Conscience polynésienne ” et la plus fervente gardienne de sa
ouvre ses
reconnaissance.
Assistée de Kâroly Pallai,
tures
doctorant spécialisé dans les littératures et les cul-
océaniennes, entre autres ; c’est en toute modestie que Flora Devatine a
présenté la singularité de la culture polynésienne. D entrée de jeu, un petit topo
géographique et historique débouche sur une phrase lourde de sens qui vint
tendre la toile de fond des tensions franco-polynésiennes :
“
Le protectorat ne
s’est pas fait dans la paix ”. [NDLR]
effet, forcés d’accepter le protectorat de la France en 1843, Pômare IV
peuple voient s’installer une législation coloniale déstabilisante. Trentesept ans plus tard, sous Pômare Y, Tahiti devient française. De nos jours, plus
En
et son
de 70% des
terres sont dans l’indivision et toutes les îles n’ont pas encore été
cadastrées. Depuis la mise en place de l’état civil lors du protectorat de la France,
les gens ont perdu leur nom et
généalogie.
il devient de plus en plus difficile de tracer la
invutetérss
LittéRama'OHi
#22
Jérôme Gendrot
Pas
indépendantiste pour autant, Flora Devatine veut croire au pouvoir des
quelle choisit avec prudence. Pour elle, la voie de la réconciliation d’un
peuple avec sa culture doit passer par la reconquête identitaire et en réécrivant
sa
propre histoire.
mots
“
Le
polynésien a complètement oublié qui il est, s’il sait ce qu’il est, il en
piètre idée. Lorsqu’on lit les écrits de ceux qui sont passés en Polynésie, on a l’image de sauvages, poltrons, femmes faciles...” [NDLR]
a une
Le dernier
la parole
reçu
adjectif en particulier laissa un goût amer et jamais adouci dans
de la poétesse qui se souvient d’une de ces lectures fantasmées ayant
bonne presse en France :
“
Te vahiné, la femme, y était décrite, légère, aucune femme n’aimerait être
décrite ainsi, j’ai eu tellement honte de ce livre que je l’ai caché. Cependant,
un
livre, c’est sacré, alors, finalement, je le mettais dans ma bibliothèque
mais derrière les autres livres ”.
[NDLR]
Suite à
quoi elle dressera une longue liste d’écrivains et intellectuels polymajorité sera des femmes. Point de féminisme exacerbé mais
une
simple restitution de l’intégrité des femmes en général et de la Tahitienne
en
particulier. Pour l’écrivaine, l’espoir réside dans la parole et la transmission,
raison pour laquelle elle insistera sur l’intérêt du texte dans la connaissance du
nésiens dont la
de son incidence sur le rapport aux autres. Pendant plus de
quarante ans, Flora Devatine s’est dévouée à ses racines et au renouveau cultumoi intérieur et
rel ma'ohi,
combat quelle entend mener jusqu’au bout.
de mes études, j’ai très vite compris que les Français ne nous
connaissaient pas. C’est en 68, à mon retour en Polynésie que
j’ai appris la
profondeur de la pensée philosophique auprès des anciens”. [NDLR]
“
un
Au
cours
La confusion entre “ Tahiti ” et “ Haïti
”, Flora Devatine ne la veut que sur le
et optimiste, elle est présente à lÂcadémie Tahitienne
depuis sa création en 1972 et persiste, avec le
groupe Littéramaohi, à tendre la main à tous ceux qui s’intéressent aux trésors
crédo du dernier : “ l’union fait la force ”. Persuadée
culturels de la Polynésie.
Travaillant véritablement
cohésion, les équipes en place créent des ponts
intergénérationnels pour que jeunes et moins jeunes aient l’occasion de s’exprimer en français, tahitien, marquisien... dans une revue qui leur est dédiée.
en
Comptant déjà vingt et un numéros, à raison de deux numéros pas an, le
pari lancé sur l’écriture d’une littérature de tradition orale est d’ores et déjà en
bonne voie.
L’association Littéramaohi
comme
a
également pu compter sur des dons précieux
le manuscrit du recueil de poèmes intitulé L’île parfumée d’Ernest Sal-
considéré aujourd’hui comme le fondateur de la littérature polynésienne.
ne vous
y méprenez pas car si la démarche du groupe est avant tout
d’éclairer le monde sur l’authenticité de la culture polynésienne, l’action continue de se
projeter dans l’avenir dans des valeurs qui lui sont chères.
Dans un sens, il n’y a pas d’écriture orale, il n’y a que des mots. Mêmes
par rapport au récit ancien, là où il y des blancs, on laisse la créativité de
chacun s’exprimer. Depuis que l’homme a commencé à parler, il se transmet des mots. A présent, à l’académie, nous créons des mots
qui sont récupérés par les gens qui pensent parfois que ces mots sont anciens mais ce
n’est pas le cas, ces mots n’ont parfois que 20 ou 30 ans... ” [NDLR]
mon,
Mais
“
Flora Devatine qui a consacré sa vie à l’éducation ne se lasse pas
de sa misesprit critique quant aux méthodes pédagogiques que
l’Etat voudrait “ universelles ”. L’école quelle décrit comme un lieu d’échec à
cause de la barrière de la
langue, devrait avant tout :
concilier l’esprit avec le corps et donc faire mouvoir l’écrit, car l’écrit est
quelque chose de statique, contrairement à la danse qui permet de faire
bouger et danser ce qui s’inscrit sur des feuilles ”. [NDLR]
sion et
conserve son
“
Pas de doute pour
Flora Devatine, la danse s’établit aussi à partir des mots
conception est nécessaire pour que les enfants soient en accord avec
leur corps, leur voix et leur esprit.
Reconnaissante, elle avouera devoir beaucoup de ce quelle est devenue à
ses maîtres, sa famille, aux orateurs, aux
compositeurs de texte, à ces hommes
et ces femmes
qui font chanter les mots. A mi-chemin entre oralité et écriture,
elle évoquera la mémoire ancestrale en soulignant que dans les familles, un seul
suffisait pour se souvenir de la généalogie de la famille, les chefs ne parlaient
pas, c’est l’orateur qui avait la parole.
Elle-même, issue d’une lignée d’orateurs et de compositeurs de textes, elle
racontera comment elle entrera dans tous les
genres poétiques et les genres de
la parole en prenant la suite de son oncle et son grand-oncle dans les années
et cette
soixante-dix.
LittéRama'oHi
#22
Jérôme Gendrot
Toutefois, la poétesse se veut rassurante en toutes circonstances en rappelant à tous
ceux
qui se heurtent au mur de l’écriture que le tâtonnement ne s’ar-
rête jamais.
“
On
bat
des
mots
devant lesquels on
résiste et qui ne sont pas
toujours dociles. On ne maîtrise jamais complètement les mots. Et puis il
y en a d’autres qui vous échappent et vont construire leur propre histoire
se
contre
indépendamment ” [NDLR]
Tout
l’écriture
l’optimisme de Flora Devatine s’inscrit dans la patience, pour elle
est une question d’apprivoisement réciproque et d’harmonie inté-
son raisonnement, deux entités demeurent d’ailleurs
primordiales : les signes et le rythme.
rieure. Suivant
“
Parfois même en tahitien, les mots ne défilent plus aussi aisément, ni aussi
clairement. Il y a donc l’importance des signes, comme les anciens lisaient
la nature car tout signifiait quelque chose”. [NDLR]
“
Marquer le rythme et se baser sur son rythme intérieur pour écrire
le tambour à la fonction de donner ce rythme à la musique.
Pour moi, la transmission du message se fait par la résonnance.
Le tambour et l’écriture ont ce point commun d’être des instruments de
résonnance ”. [NDLR]
comme
Après avoir lu quelques passages de son ouvrage Tergiversations et Rêveries
de l'Ecriture Orale, elle reconnaîtra associer le rythme de la voix à une sonorité
musicale qui peut varier selon l’individu mais quelle associe pour elle-même
et
pour l’instant à une rythmique polynésienne.
Evoquer le rythme avec Flora Devatine, c’est entrer dans une certaine mystique que l’auteure apprécie de partager avec ses lecteurs mais surtout avec son
auditoire. Ses dernières déclarations prendront, à ce propos, une dimension à
la fois poétique et spirituelle, comme une invitation à la découverte d’une sensibilité créatrice présente en chacun.
L’art oral, déclamatoire, l’écriture orale, c’est suggérer l’invisible présence
“
qui est en nous.
Ecrire
se
ce
que l’on
dit révèle de la transcription. L’écriture de la parole qui
envol et se re-pose ” [NDLR]
pose, prend son
177
Hli Mhadaoui
Poète, peintre,
chercheur et militant amazigh.
Sur les chemins du retour
Sur les chemins du retour
quelque part dans la nuit des temps
dits “ modernes ”
àWendake...
Une pirogue
venue
de Tahiti
pleine de fleurs
et
lourde de siècles...
Elle avait le regard de Pari
pointé sur l'infini
des recommencements
dans leur musique première...
Sur les dunes de Merzouga
en
écho
les vagues se racontent
grand Marae
l’épopée
au
dans le chant de Flora...
Ici
unjour
la mer passait aussi
par là...
SPECTACLE INÉDIT DE TEXTES DANSES ET MUSIQUE
1 8H
PAEPAE A HIRO
MAISON DE LA CULTURE
3 ENTRÉE LIBRE
179
Pina‘ina%
écho de l’esprit et des corps
Ce
concept proposé annuellement par Littéramaohi depuis 2011 a pour
objectif de promouvoir la littérature autochtone dans le cadre des lectures
publiques proposées par l’association.
“
Il faut libérer le
Dans
mot
du livre pour le
Pinainai, le mot devient la
faire vibrer à l’oreille du spectateur.
source
de la création -musicale,
chorégraphique, scénique. ”
Moana’ura Tehei’ura
chorégraphe et metteur en scène, concepteur de Pina’ina’i
Cette création inédite provoque
la rencontre entre auteurs, lecteurs,
danseurs, chorégraphes et musiciens.
Danse des mots et poésie du mouvement se mêlent alors sur le paepae a
Hiro et donnent vie à l’écho de notre littérature autochtone.
“
de
Parmi les auteurs et les lecteurs, participent des grands noms de la littérature
pays ainsi que de jeunes auteurs prometteurs. Par ailleurs, nous avons
la chance d’avoir chaque année les plus grandes pointures du ori tahiti issus de
notre
différents groupes de danse de Tahiti, des musiciens d’un talent incontestable et
reconnu dans notre
pays pour soutenir ce fabuleux projet artistique...”
Pour
qu’un très grand nombre de spectateurs puisse avoir accès à cette
création, l’association Littéramaohi met un point d’honneur à offrir
gratuitement ce spectacle.
J
■
îma
ma
LittéRama'OHi
#22
Pinainai 4.14
Selon le principe de Pinainai, aucun
leur propre liberté de
auteurs conservent
sens
thème n’est imposé à l’avance. Les
présenter le texte de leur choix. Le
des mots fait naître une vibration commune
et communautaire à travers
laquelle se dégage une thématique générale.
Pour cette 4e
édition, les questions de l’identité et de l’autochtonie se sont
clairement dessinées sur le paepae a Hiro, lieu hautement
symbolique.
Participants
Auteurs, lecteurs
Teuira
Henry, Yva, Teata Binar, Chantal Spitz, Jacky Bryant, Hinanui
Mongarde-Foissac, Nailea Foissac, Hitivai Tracqui, Steeve et Goenda Reea,
Clothilde Moeava
Grand, Mareva Leu, Jaika Minel, Odile
Purue, Viri Taimana, Titaua Peu, Martin Coeroli, Moana’ura Teheiura,
Makau Foster, Teiva Manoi (Minos), Yvenka Klima, Flora Devatine.
et Heinarii
Chorégraphie, mise en scène, scénographie
Moanaura Teheiura
Musique
Jeff Tanerii avec la collaboration deJohn Cadousteau, Libor Prokop, Mauri
Tetua, Tony Apa, Olivier Randrianasolo, Simon Pillard.
Danseurs, danseuses
Mata Ahumata, Tehei Ariitai, Urarii Berselli, Makau Foster, Patoarii
Garrigues, Hitihiti Hiro-Teheiura, Taéro Jamet, Jordan Jurczak, Mateata
Gayic, Toanui Mahinui, Mauiti Miagoux, Hinanui Mongarde-Foissac,
Le
Heifara Morienne, Ahuura Pômare, Hinatea Ristorcelli, Reiarii Rochette,
Poerava Taea, Teruria Taimana, Heinere
Tommy Tihoni.
Crédits
photos : Matareva
Terorotua,
Kelly Terorotua,
I Chantal T. Spitz
Poro'i
juste vous dire combien je me sens
privilégiée et honorée detre part du groupe d’exception
qui donne vie chaque année à pina‘ina i
vous
êtes là
parce que pas le
une
choix
évidence impossible
à taire
celle
qui pousse à se tenir debout sur le paepae
avec
Hiro
avec
tous
les
autres
celle qui impose de faire acte
acte
de mémoire
acte
de résistance
acte
d’existence
souffle du hurifenua
qui renverse la réflexion des humains
LittéRama'oHi
Chantal T.
#22
Spitz
pinainai
écho des mémoires de nos ancêtres
qui ont navigué d’une mémoire à l’autre
sans
bruit
sans
prétention
presque
à notre mémoire défendante
qui continue son voyage
de Flora à Nailea
et
comble
un
peu
ce
soir
du vide de nos entrailles
pinainai
écho des lumières
et
des ombres
qui nous traversent
que nous traversons
en
donnant sens
pour que
nos
de se tenir debout
le paepae a Hiro
descendances autochtones
tamari'i tumu
i
mots
demain
continuent
sur
aux
mua
tàua
no
te
fenua
183
lïloana'ura Teheiura
Saynète d’ouverture Pina ina i
Hitivai et Nailea
Hitivai
Aujourd’hui à l’école, on a appris que Christophe Colomb n’était pas le premier
navigateur à avoir découvert lAmérique en 1492. En fait, certains disent même
que ce serait nos ancêtres les Polynésiens qui seraient les premiers à être arrivés
sur le continent américain. C’est
quand même drôle, non ?
Nailea
Wow ! Mon
étaient les
papounet avait raison ! ! ! ! Il a toujours dit que les Polynésiens
plus grands navigateurs du monde entier.
Hitivai
Tu veux dire
plus grand que Christophe Colomb ? (rires) C’est IM-PO-SST
BLE!
Nailea
Eh ben mon grand-père dit que
Grand Océan
car
OUI ! D’ailleurs, nos ancêtres ont parcouru le
ils savaient lire dans les étoiles pour diriger leurs grandes
pirogues doubles alors que TON Christophe Colomb LUI utilisait des instruments de navigation pour se déplacer. En quelques sortes, il était analphabète
puisqu’il ne savait même pas lire dans les étoiles.
d
ed
d
LittéRama'oHi
#22
iTlaana'ura Teheiura
Hitivai
Mais
N’IM-POR-TE-QUOI ! ! ! Si les Polynésiens avaient inventé un alphabet
ce serait écrit dans les livres. Je dis ça
Je ne dis rien.
des étoiles,
Nailea
Ben non, parce que
les Polynésiens ne savaient pas écrire et donc ils n’avaient
pas de livres. Mon Grand-père dit que nous sommes de tradition orale et que
toutes nos transmissions se faisaient par la parole.... De bouche à oreille quoi !
Nailea
C’est quand même bizarre, car ton Grand-Père
dit que les Polynésiens savaient
.Je ne dis rien. Un jour, j’aimerais bien que tu me présentes ton Grand-Père parce qu’il doit être vachement
diplômé pour dire des choses pareilles.Je dis ça .Je ne dis rien.
lire
...
mais
ils ne savaient pas
écrire ! Je dis ça
...
...
Nailea
Lève la tête...
Regarde ! il est là... C’est cette petite étoile rouge qui brille tous
les soirs.
Hitivai
Tu veux dire que ton
Grand-Père a rejoint le petit Jésus au Paradis ?
Nailea
Je dirai plutôt qu’il a rejoint Ta’aroa, Dieu de l’Univers ! ! ! ! ! ! ! Et que maintenant
il
devenu une nouvelle lettre dans
l’alphabet des étoiles afin que nous, les
Polynésiens, trouvons à chaque fois notre chemin.
est
Nailea
Ta’aroa ? Ah Oui ! ! ! ! Je me souviens
qu’un jour j’ai entendu ma voisine dire que
était une femme pleine
de tatouages partout... sur les bras, sous les bras, sur le visage autour de la
bouche, avec de longs cheveux gris... Elle faisait vraiment peur... Elle se prenait peut-être pour Ta’aroa en fin de compte ! Je dis ça.... J’en sais rien.
Ta’aroa était
une
femme. En même temps, ma voisine
Nailea
Eh bien, moi plus
tard je me ferai un tatouage comme mon Grand-Père...
185
H HitivaÇLaetitia Halehinau Tracqui
Je t’aime papa
Papa, même si je n’ai passé que 4 ans à tes côtés, crois moi, c’étaient les plus
appris à nager, tu m’as bercée, je t’aime et je t’aimerai toujours. Tu es parti, tu m’avais promis que tu allais rester mais tu ne
savais pas si tu allais rester. Les médecins ont essayé de te sauver, ils n’ont pas
réussi. Aujourd’hui j’ai 11 ans, j’ai grandi. Tu serais très fier de toute la famille,
de toutes les choses que la famille a accomplies et tu serais peut-être fier de moi.
J’aimerais que tu reviennes, j’aurais voulu que tu ne sois jamais parti. Je t’aime
de tout mon cœur. Le 14 juin quand tu es parti, j’étais désespérée.
belles années de ma vie. Tu m’as
Parfois, je me sens seule, nulle, mal aimée, bonne à rien, incapable, dans ces
moments, j’aimerais que tu sois là alors je pense à toi et j’ai envie de pleurer. Ça
me fait du bien de t’écrire, c’est comme si tu étais là et que je te parlais. Je t’aime
et toi, est-ce que tu m’aimes ? Moi je crois que oui. Tu sais, ça fait 7 ans que tu
es
parti et moi, le soir, je regarde les étoiles et j’imagine que la plus grosse et la
plus brillante, c’est la tienne, c’est toi.
tu me manquais, je pensais à toi. Toi, qui m’écoutes toujours et qui me comprends, je t’aime. Tu me manques, quand je t’écris, j’aime
rester seule avec toi car tu es là et que je t’aime. Je sais que tu ne voulais pas partir, que tu ne voulais pas nous perdre et tu ne nous as pas perdus.
Hier soir j’ai pleuré,
Ton
nom
et ton
prénom resteront toujours gravés dans mon cœur.
Gros bisous de la part de Hitivai
qui t’aime et ne veut pas te quitter.
îma
ma
LittéRama'oHi
#21
lua
“Née dans les années 1960, lva est très attachée à ses racines
polynéElle s'échappeparfois du ronronnement prévisible de sa chambre
siennes.
administrative par la fenêtre
aussi
libre que
de son esprit inspiré. Elle ne se sent jamais
lorsqu'elle couche par écrit ses pensées et ses émotions."
Editions Jets d'encre
Les
poètes sont parmi nous
Texte lu par Clothilde
in Poésies
Les poètes
Ils
ont
Ils
se
De
mars
2014, Ed. Jets d’encre
Les poètes
ont débarqué,
envahi la toile.
Ce que
mêlent des idées
ce
Grand, Steeve Reea
temporis, Au fil des mots...
le monde met sous clef
Parc que
monde et se dévoilent.
Et
déverrouillent
le monde meurt de trouille
qu’il oublie de rêver.
Les poètes sont parmi nous,
Les poètes au
Ils n’écument plus les livres.
Redressent les ailes d’or
Ils
sont sortis
De
ceux
qui rient et qui pleurent,
Ils
ont
De
ceux
qui y croient très fort.
de leurs trous,
décidé de vivre,
Les poètes aux grands
Sont toujours
déraisonnables.
Sous leur regard
Nous
nous
Ne soyez pas
airs
tendre et clair,
sentons moins
coupables.
grand cœur
étonnés
Si à l’encre des poètes,
Sous leur trulfe effrontée,
On découvre d’autres planètes.
187
j Régma Suen Mo
Tereo
Texte
luparNailea Foissac
I te tâtaiao, ia hiti te màramarama, të ti ahou noa ra te reo...
I te po'ipo'i,
ia ti a te mâhana, të ti a'iahia ra te reo...
I te avatea, ia ahu te mau mea ato a, e pâpü mai ia te reo...
I te
taperaa mâhana, ia hope tôna hororaa, e ti amâ te reo...
I te
ahiahi, ia haumarü te ferma, e tebteo te reo...
I te
‘ariii, ia pôuri te ao, e tiairoa te reo...
E reo e, a hiti, a ti a, a
ahu, a hope, a pôuri... ëiaha ra e môrohi !
E haapii vau i tô u reo, e parau vau
i tô u reo... e faatibraa teie nô ‘u
A faateniteni i tô tatou reo, a amui i tô tatou reo
ia ora ‘oia !
maima
LittéRama'OHi
#22
Jacky Bryant
E
i te
reo o
maa
te
reo...
Tïhoni-tàviri-te-uaua
Texte lu par Steeve Reea
“E
maa
te
reo” i te reo
o
Tihoni-tàviri-te-uaua. A tae hot ia parau âpi
!
la îàva te ôuma, ua
faaruè roa ia i te poia. E tâviriviri te hôpeà ôuma i te
ôromai ôre, e haaparuparu vareà taôto roa. I te àniania o te upoo e ürooro faahiti
mauè roa mai te ôpü ! Te tuô mai ra i te tarià. Püàreàre ôpü... püàreàre tarià !
Mea huru haamâ atoà te maniania ! E ài apuapu te na mua mai : hôhoni
ôràrahi, àuàu, te marü e te marû ôre, hiohio te haamiti haapuupuu, ôrooro te
inu ia momi... te faatomo nei te hâti. Faatomo ia mâha, faatomo, faatomo,
faatomo... hàhà noa atu ai ! To tatou huru terâ, ia tae i tôna taime ! E ère ra hoi
te reira i te
parau
âpï roa ! E ère ânei !
E aha pai ia ta Tihoni-tàviri-te-uaua i roto i te ôhipa nei e tâna “e màa te reo ?”
Ahiri i nià i tâna, e tere ia e hàmama te vaha i tatahi, i te vàhi püvaivai, faaîî noa
ai, momimomi noa ai ! Maraamu te matai, maoaè târava noa atu... eita, eita
e
paia ! E reo faaàtaàta paha teie na Tihoni-tàviri-te-uaua.
faaoôo, ia tià te parau ë “àmuàmu noa mai Paraita mà, hiôhiô
te mea pai ë, terà màa ta Tihoni mâ, terà atoà ia màa
ta Tihoni-tàviri-te-uaua, no reira noa iho à ia o Paraita i hiôhiô noa ai ! Hôê à
poheraa poia !
E
noa
aore
mai
ra, e reo
Tihoni mà”. Mai
189
E aha atoà pat e ore
ai e haavahavaha ? I nià noa ra i te ioà, Tihoni-tàviri-tehuri taère iho â te manaô ! A tïa pai ia... Mai te mea e taata faatià parau o
Tihoni-tâviri-te-uaua, e taata faatià ààmu ia, e àai teie e haamata ra, faaoraorahia
uaua, e
e
te
huru faatiàraa.
Faaoraora i te aha ? E à
no
te
faahepo, i na ô ê : a àmu, a ài. E à atoà ra no
!” A èu i te
Hitià, no Faaà. Teie à, teie tôna pehepehe "E à i te ài, ia à te ài, a ài ra
mâa, ia àma te màa, a àmu ra.
Faaoraora i te aha ? Faaoraora i toù manava,
natinati i toù aau i toù fenua.
faatupu ruperupe i toù iho,
Aué ia fauraô faahiahia i te pôroiraa é, e ora vau i
E àmu iho nei i te rê ! Mea ê â ia àamu !
toù reo.
ima
ma
LittéRama'OHi
#22
Odile Purue-RIfonsi
Elle Evoque au travers de ses écrits mangaréviens-français les souvenirs
de son enfance précaire et insouciante afin que, de son pays natal, “ son
Histoire et sa Langue ne disparaissent jamais
Auorotini, la sacrée
Montagne sacrée et régnante des temps anciens,
Tu triomphes sur le lagon nacré de Mangareva.
Surgie des profondeurs, tu arbores fièrement
Ton diadème fluctuant
aux
effluves de reva.
Ta haute stature
requiert ta domination sur tes îles
Qui t’entourent en reconnaissance de ta royauté.
Silhouette altière qui enfouit dans ses entrailles
Les traditions et les rites ancestraux du pays.
Citadelle foisonnante de légendes
Tu
as
diverses,
abrité sur “ Tara ètukura ”, ton versant escarpé,
Les nurseries
opulentes et taboues des enfants royaux
Les
assignant ainsi à la retraite jusqu’à leur adolescence
En regard de la loi implacable des montagnes sacrées.
Devant la souffrance de ton peuple, ton âme s’attendrit
Motivant alors ton ralliement à sa requête pieuse.
Ta conversion soumise dans la foi chrétienne a
piétiné
Ton pouvoir puissant et tes croyances païennes.
A présent,
tes sites historiques et chrétiens se dévoilent
Courtisant les randonneurs à l’assaut de ton diadème.
Panorama de lumière et de couleur originelle
Tu enlaces de vision le
paysage
Encensant de bonheur les
Oh Auorotini !
du ciel et de la mer
cœurs en
randonnée.
Montagne flottante du Armament !
Les traces de tes mémoires résonneront
Enflammant dans la lucidité les
cœurs
en
écho
vaillants.
191
Auorotini, Maga eva
Maga eva me te akaoga kë no matini atu,
Râ mai koe ki ruga i te tairoto ' i'o'i o no
Magareva.
Puna mai mei ‘avaiki, i'a mai koe ma tepuapo
To koe aupukoto evaeva i te kakara o te reva.
Roroko to koe tuave ki to koe tikaga ki ruga i ta koe mau nuku
I takai kia koe i to te
au no
to
koe ao akariki.
Ataparurui ipoko kiroto tonapâpâpo'atu
Te utu takao akataito me te utu takaramea teitoteito o te
kaiga.
Pakai'u ganagana no te rau o te utu atogagara
Kua akarire koe ki ruga ia “ Taraetukura "koia to koe
tapau
Te maraga
'iki'iki pakaora me te a no te utu nikuniku akariki
ana kia ratou ki
tepopupuni taeroa ki te teitama
Ma te tao'i koia
I to te opoga o te turega mauriria no
Imua i teaupairaga o ta koe
te utu maga eva.
‘anauga, totogo koia to 'oupo
I 'akaoti ai to koe
kopitiraga ki ta ratou akavekeraga kereto.
To koe tauriraga matiotiki to te
keretoraga kiritiano kua takatakai
To koe aotikaga manamana me ta koe utu takaramea eteni.
A konoga nei, e akakite mai ana to koe ataaria
akatugakore kiritiano
Ma te 'akaerire teü ereakura ki te 'akatau to koe
au
akariki.
Tumuragi no te ma'inatea, no te ‘ïoïo matakai
Iri koe
Ma
na
te
marna
te
navanava no
te
ragi me no te tai
tepoikoiki te utu manava na te ereerenoa.
e !
Maga evaeva no te avaragi !
Auorotini
Ka torena ai na te
maoaoa
Ma te akarekireki ki to te
te utu
kari no to koe takao
koutuuga te utu 'oupo aretoa.
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LittéRama'oHi
Teuira
#22
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Prophétie de Vaita
Texte
luparNaileaFoissacetTeivaManoi ditMinos
(Nailea essaie de rattraper les Arere tane).
“
Attendez ! ! ! ”
Vaita
Te ‘ite nei au, tei mua iau nei
(x2)
peu maere rahi !
Tena mai te fanaua unauna na te Tumu,
te auraa o teie nei
e
haere mai e hi b i teie uru raau i Taputapuatea nei.
E tino
nei
E
e
to
ratou, e tino e to tatou ho e anae ra huru no te tumu mai e
e
riro teie
fenua ia ratou.
mou
teie
haapaoraa tahito nei, e e tae mai ho‘i te manu moa o te moana, e te
fenua nei.
E haere mai e taihaa i ta teie raau i motu e
haapi'i nei.
193
Nailea
Les
glorieux enfants du Tronc vont arriver et verront ces arbres ici à Taputa-
puatea.
Ils
seront d aspect différent de nous et
pourtant ce sont nos
du Tronc et ils prendront nos terres.
Ce
sera
la fin de
terre viendront
nos
se
coutumes
actuelles
et
semblables, issus
les oiseaux sacrés de la mer et de la
lamenter sur ce que cet arbre décapité nous
enseigne.
Vaita
“
Te haere mai nei na nia i te ho‘e pahi ama
bre ”.
Nailea
“
Une embarcation sans balancier ? ”
Vaita
Eeee.... Te haere mai nei
na
nia i te ho'e
pahi ama bre ”.
Nailea
“
Nous
les embarcations que
les hommes ont appris à construire
grâce à Hiro, mais elles ont toujours eu des balanciers sans lesquels elles chavireraient ; et comment ce que vous dites est
possible ? ”
avons vu
Vaita
“
Te haere mai nei
na
nia i te
hoe pahi ama bre
”.x2
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ma
LittéRama'oHi
#22
(Tloeava Grand
Professeur d'Anglais, elle partage des textes inspirés de simples pensées,
de rencontres ou de l’actualité sociale et politique dufenua.
"Peuple, réveille-toi!" est un appel à la réflexion, à la mobilisation et à
l’émancipation.
Peuple réveille-toi
Texte lu parMoeava
Grand, Mareva LeuJaikaMinel
Bruits de couloir
Luttes de pouvoir
Paroles mesquines
Phrases assassines
Au-dessus du Palais
Silences
La colère monte,
Du fond des vallées
et
dénis
Jalousies malsaines
Injures et mépris
Déferlements de haine
Le tonnerre
Pouvoir et
gronde
argent rois
Peuple aux abois
Enfants affamés
Justice malmenée
Perte de
Familles endeuillées
dignité
Hautes trahisons
Peuple, réveille-toi
Perte de raison
Et bats-toi pour ta fierté
Il n’y a qu’une Loi
Mensonges par omission
Etat mythomane
Celle de la Vérité
Délits par tentation
Tu
Pays mégalomane
Ta terre est ton trésor
es
Crois
Des Bras de velours
Aux griffes
beau, grand et fort
en
ton
destin
Et lève-toi pour
demain
de vautour
Des cris de guerre
Aux bras defer
Peuple, réveille-toi
Et
avance avec
Fierté !
!
195
I Hraîa Rmaru
Texte
luparNailea Foissac,
TeivaManoi dit Minos
Moerurua
Cauchemar
Moerurua hia vau
J’aifait un cauchemar
I
Hier au soir
na
pô ra,
To ù tino i tua
Jetais au large
I te ava,
Devant une passe
E motu teie
e
Une île était là
tü nei
Dans l’obscurité
I te ata pô.
Haruru atu
Mai
a
tini
ra
Le ciel gronda
te rai
Comme de milliers de tonnerres
patiri,
Mauu atu ra te fenua
La terre grinça
Mai te iri ia pahaêhia
Comme une peau
Te miti i te
La
ârepurepuraa,
Te àre i te poopooraa
I te ava Toâta,
Te
ama
i te
fatiraa,
Te vaa mataeinaa i te
Mau papu
rararaa...
atu ra ia ù
mer
s’agita
Les vagues se
creusèrent
Dans lapasse de Toata
Le balancier se brisa
La pirogue société dérapa...
Je me saisis alors
Te hoe aratai,
Te Reo Metua Vahine
Du gouvernail
I te mahutaraa
S’éleva
e :
"Auê te aroha
I te tama”
déchirée
Lorsqu'une voix maternelle
“
:
Pitié
Pour les enfants ”
•9 I
Iri atu ra to ù tino
I
tahatai,
TOI
Je me retrouvai
Sur le rivage
Te fenua i te tauuraa,
Lorsque le sol trembla
Te mouà i te horo raa,
Les
montagnes s’éboulèrent
•
\
BUT!
LittéRama'oHi
#22
Rraîa flmaru
Te papa o te motu i te àfafaraa.
Tôriirii atu ra te roimata,
I te Pito
to ù tino
ra
Tahiti Nui.
o
ra
Te aho i te
màpuhi raa
te
Mai raro
roa
mai i te Fenua
Mai roto
roa
mai i te Püfenua
“A ara,
Eiaha
Les Pierres Angulaires
explosèrent
Lorsqu’un souffle s’échappa
Des profondeurs de la Terre
:
De l’intérieur du Placenta
“
a ara
mutu..."
te Mono ia
Mâiri atu
fines gouttelettes torn bèrent
Au Nombril de Tahiti Nui
Ofai Tihi,
Paaina atu
en
Des larmes de sang
Mon corps alors s’envola
Ei roimata ùra.
Mareva atu
Lorsque la roche mère de l’île craquela
Des larmes
Rima Fétu.
Prends
:
garde, prends garde
Que le Lien ne se rompt point...”
Hape atu ra to ù mata
Cinq étoiles périrent
Lorsque mes yeux aperçurent
I te ite
Une croix
ra
atu
raa
Te hoê tatauro ànaana
Une croix aveuglante
O teie
Qui s’élevait
e
tara nei
I nia aè ia
O teie
e
Au-dessus de Orohena
Orohena,
vâvahi nei
Qiii brisait
IteniuoteAià...
Lesfondements
Aore parau ia ù vaha
Ua haru hia te parau...
Teie â
“
reo
i te
anauraa e :
du Pays...
Je n’avais plus de mots
La parole confisquée...
Et toujours cette lamentation :
Prends garde, prends garde
“
A ara, a ara
I nià i teie tatauro
Sur cette croix
Epatiti hia àe
Tu seras cloué
I nià i teie tatauro
Sur cette croix
E
Tu
tapuhiaàe...
Mure marü noa atu
I te teimaha
o
ra
te motu nei
teie tatauro
aaoa
ai te Moa
Hiti atu
Ara atu
ra
te
Râ
ra vau
no
sacrifié...”
L’île, lentement s'enfonça
Sous le poids
de cette croix
Dans l'Océan Ténébreux
I te Moana Uri Pô
I
seras
Maroto.
Lorsque le Coq de Maroto chanta
Râ se leva
Je me réveillai
197
fTlareva Leu
Odieuse autochtonie
Texte lu par Viri
On vient
au
Taimana
monde sur une terre. Lié à cette terre. On y vient aussi avec un
héritage. Transmis par une pensée. On y fait des expériences qui façonnent une
pensée. Quand ces expériences sont doutées par le décor pausé sur sa terre en
héritage, la pensée façonnée est flouée. Et lame a mal.
Alors on dit. On médit, on maudit. On se contredit dans notre propre parodie. On se méprend, on méprise. On se méprise. Tout devient tribune à mépris
et tous les prétextes sont bons à prendre. Internet devient dégueuloir à indignes
indignations. Les ondes exsudent de vomissures salissures moisissures. Le PQ_
hurle la voix des révoltés de la terre.
Éventuellement, on s’exporte pour aller voir comment c’est là-bas. On s’exporte pour voir d’autres terres. Dépourvu du biais du décor mais amusé, abusé,
désabusé par le décor que l’on pause soi-même sur cette nouvelle terre. Héritier
de l’héritage volé envolé. Un décor que l’on pause qui formate un prisme
déformé-déformant, celui de l’exogène que l’on est devenu. Mais on reste
autochtone de sa terre.
réimporte pour aller apprendre à sa terre. Celle que l’on ignore
parce que l’on a juste oublié d’en apprendre les bases. Oublié d’apprendre et de
comprendre ses fondements à elle et non ceux pourvus par un inépuisable
Et puis on se
;
“
ma1
ma
LittéRama'oHi
#22
rïlareua Leu
décor, grandiose mais claudiquant. Apprendre à celle que Ion découvre, mais
que l’on ignore. Que l’on manipule sciemment. Que l’on dénature scrupuleusement. Lui apprendre à faire, à dire, à penser. Pour l’océaniser de concepts, au
mieux, continentaux, à défaut de la décoloniser. Plutôt que la connaître. On
exècre
ses
excroissances. On les voile à défaut de les raboter. Plutôt que
de les
apprendre et les apprivoiser. Et on se revendique autochtone. Plein de son exogénité, parasite fatuité.
Apprendre, c’est pas facile. Surtout quand on a les neurones atomisés par.
héritage souillé, servi à la sauce gauloise et son gratin de/et au lait de coco
périmé fermenté irradié.
un
Comprendre, c’est pas facile. Surtout si on a le spectacle-paradis-sur-terre
yeux ébahis, offert à nos mains avides et nos cœurs arrogants. Si de
surcroît cette comédie devient référence et que la fiction-malédiction devient
sous nos
réalité
éprouvée, approuvée, partagée, encensée.
Les sages
avaient averti dans le temps : être autochtone, c’est pas facile.
Et pourtant...
199
Heinarii Grand
L’insuffisance insulaire
étrange toute cette eau. Cette eau à perte de vue, immense, que
a
pu jadis regarder sans avoir peur. Minuscule on pourrait croire,
confiant il a dû l’être, à bord de ces embarcations de bois rapiécé, aux périls des
marées infinies. D’une voile prise au vent, tirer l’espérance. De la lecture du ciel,
tracer un sillon sûr. D’une ramée aux bras de fer, garder la certitude... Et du couC’est
l’Homme
rage
dans les veines. Dans les yeux. Dans le corps, ancré dans l’âme.
Et finalement, trouver.
Marcher ensuite sur le sable,
épuisé, puis sur la terre.
Insularité-exploit. Insularité-conquête. Insularité-prodige.
Quand exactement après ça est-elle apparue ?
La peur.
Et
quand est-il apparu ?
Le doute.
Quand exactement le peuple qui avait conquis l’eau s’est-il tourné vers elle
a-t-il décidé quelle serait une limite ? Plutôt qu’une chance.
Oui il est étrange cet Océan, bleu sur les photos, aux reflets d’or quand le
soleil se couche. Accueillant sur ces plages où s’écrivent les enfances. Addictif
et
pour ceux qui glissent sur son tumulte. En fond des sourires, des exploits, des
affiches. Ceinture aigue-marine dont on se pâme convaincu pourtant quelle
rend inapte.
LittéRama'oHi
# 22
Heinarii Grand
Combien de lèvres racontent des terres enfantées par les vagues
? Combien
d’esprits pourtant pensent ces terres en réalité orphelines ?
Combien de doigts sur des mappemondes, ont cherché la Polynésie en
considérant secrètement tout ce bleu comme un gouffre ?
Ceinture aigue-marine dont on se pâme, pensant tout bas quelle est une
sangle. Empêchant les esprits. Cinglant les intelligences.
Océan vide
qui ne soutient pas ses terres, qui ne soutient pas son peuple.
Qui lui doit construire des ponts pour ne pas sombrer.
Insularité insuffisante.
Aujourd’hui ? Mais finalement déjà hier. Et puis surtout demain encore.
Dis-le à haute voix, doucement
en
articulant bien :
In-dé-pen-dan-ce.
Regarde comme les esprits tremblent.
Indépendance aujourd’hui ? Non. Mais non encore demain. Et dans 50 ans,
ce sera
pareil.
Terres rares, ressources géothermiques, halieutiques, écologiques, touristiques fantasmées par la planète entière. Et humaines. Humaines...
Et l’or entre nos mains transformé
en
vide. Et l’avenir funambule, chancelant
pour l’éternité sur le fil
de nos QI défaillants.
Insuffisance insulaire, que les diplômes ne peuvent pas
dans des bureaux, anoblie de titres et de privilèges.
amender. Travestie
Marquée pourtant sous toutes les couches.
Sous l’arrogance. Sous les grands airs. Tatouée dans cette partie qui vibre
quand chacun dit : “ je suis ”,
je suis incapable ”.
Conjugué à l’échelle d’un peuple.
“
Foutaise traumatique.
Les
QI ne sont pas plus élevés ailleurs. Et ces complexes auront notre peau.
Parce que le mur n’est pas
d’être indépendant. Le mur ? C’est ce monde qui
flanche, et nous qui restons incapables de nous nourrir.
Insuffisance insulaire.
Foutaise traumatique.
Tu transformes l’évidence
en
phobie.
201
Goënda
Turiano
a
-
Reea
Tianiraa tino...
E taata terà
e
E hioraa mâ
poro ra
e
Perëue ereere,
te tura
ahu
uo uo
E hioraa mâmoe,
E ruto râ...
“
‘Eiaha e tâtau iâ be e tôu taeae
Peu etene te reira ! ”
E peu
etene te peu tupuna ?
E peu hàm'iri te tâtau
“
‘iri ?
‘E. E faarue i terâ mau peu
!”
‘Ua puta roa i roto i te tari a metua
Eita e moë faahou,
Eita e aramôina faahou
E haapëpëraa u‘i hou
Faahaparaa, faahaparaa...
He'e te tau,
he e te tua
E hïaai teie
E hotu ‘a au mai
E hotu mai ihoâ
E'ita
e mau...
E‘ita e mau...
ima
Tab to mahabre
E pô
ma
feruriraa
‘Ohuohu noa te manao
1
LittéRama'oHi
Goënda
# 22
Turiano
a
-
Reea
E tâtau ânei ? E tâtau ànei ?
E mutu te
aa
metua !
E riri, e rara, e rürü
Puarearete
!
opü
E tô mai te tô fànau
Mâuiui Titi hope
Mamae, mamae...
Haapurepureraa ‘iri
Pôtaataaraa 'iri
Toretorera'a ‘iri
‘Ua tupu, ua tâtau
a Tohu atua
Te rima
‘Ua tomo
‘Ua tomo ‘iri
‘Ua ti a
‘Ua ti'airi
‘Ua a‘a-tupuna-hia
E mâuiui baba hope
E
mamae arearea
‘Ua oti,
nui
‘ua upootia
I ni a i te faahaparaa,
“
“
“
“
“
faahaparaa !
Nô te aha be i tâtau ai iâ be ? ”
E'ere i te mea nehenehe ! ”
Eere nô te vahiné ! ”
E‘ita
e
mâ
faahou ! ”
‘Ua reporepo roa be
Âuê !
Aita i oti !
‘Ua ‘aro mai
Të ‘aro
noa ra
à
E ‘aroraa hope ore
Te tia'iriraa tino
Te tia'iriraa tino...
!”
203
i
Hinanui ITlongarde-Foissac
J’ai mal à ma danse
J’ai mal à ma danse quand tapage est ma musique, quand de cadences en décadence, d’accords en désaccords, de cordes en discordes, mes notes dénotent.
J’ai mal à ma danse quand le langage de mes légendes devient un pot-pourri
qui mélange allègrement les genres.
J’ai mal à ma danse quand des hymnes qu’on me chante, on ne retient que
des passages,
quand seuls mes rivages dorés adulés, clichés adorés acidulés,
enchantent ma mémoire.
J’ai mal à ma danse quand mon âme à la dérive s’écaille, s’effeuille, à coup de
d’écumes, à coup de vent d’épines.
J’ai mal à ma danse quand mon inspiration ne nait pas de mes entrailles
vent
mais des entailles
qu’on m’inflige, dont on m’afflige.
J’ai mal à ma danse quand on déshabille mon authenticité pour habiller
mon
intensité.
J’ai mal à ma danse quand ma culture dépouillée de son essence se couvre
quand on colporte ce qu’on importe et qu’on exporte ce qu’on avorte.
de fiction,
J’ai mal à danse quand mes pas vantés, inventés, éprouvés approuvés deviennent mes
références.
J’ai mal à ma danse quand en dépit des évidences on préfère l’errance à la
cohérence, quand mes gestes avides de tout sont vides de sens.
J’ai mal à ma danse quand de textes en prétextes, mes convictions riment
avec
^
sanctions et évictions.
J’ai mal à ma danse quand la plainte de ma conscience furieuse trouve écho
prétoires d’êtres ignorants et bornés pourtant intelligents et libres !
J’ai mal à ma danse !
dans les
"
ima
ma
LittéRama'OHi
#22
Titaua Peu
Auteur de “Mutismes” 2003
et de
"Pina” à paraître.
Toute ressemblance
(...) serait fortuite
Extrait de Pina, roman
Soudain, dans la tête dAuguste le père,
des ombres de jeunes filles... Qui
tournoyaient. Et
admirer Fentrejambes de celles qui,
pour accéder à
volonté, ne portaient rien sous la micro jupe.
alors les invités pouvaient
l’étage et au champagne à
On dira plus
à
tard que “ monter ” à l’étage était un privilège, car il fallait convenir
l’exigeant “ coup d’œil ” de mademoiselle S. rabatteuse professionnelle, incon-
toumable papesse
des nuits chaudes de Papeete...
Sur fond d’électro
importé d’Ibiza, à travers des spots blancs et acérés,
Auguste redoutait le moment où l’on montait les fraises Tagada.
Au milieu de la folie
et des
plaisirs,
des vapeurs d’alcool et de désirs, il reconnaissait l’odeur.
Acidulée, chimique, aigre-douce, écœurante
Les fausses fraises
riches.
tagada renfermaient la drogue, le calmant, le sésame des ultra
Finies les traditionnelles tournantes et
partouzes
car
et
il y avait là des consentements ennuyeux
parce qu’il fallait étaler des billets, beaucoup...
Tandis que là à l’étage
pure,
la plus
les notables plongeaient enfin dans la domination la plus
accomplie, bestiale. Gratuite. Impunie
C’est là que tout dérapait.
Là que la mort infiltraient les âmes de ces enfants.
La poudre allait, comme dans une clepsydre, distiller
le long poison de la
culpabilité,
de la honte.
La
drogue effacerait la mémoire
Jamais les déchirures de leur jeune corps.
Les
Tagada : réminiscences des galons de mauvais vin
qu’on échangeait contre la terre.
Les descendants des conquérants sont devenus les rois d’une ville
bling-bling.
Ils paradaient chez le haut-commissaire,
donnaient des interviews,
Ils étaient les forces vives du pays
tandis que
propres
les jeunes filles ne seraient bientôt plus que les “ ombres” de nos
lâchetés.
Ainsi allait notre monde...
Les jeunes
qui s’indignait sans jamais accuser
filles n’entreraient jamais dans le cercle restreint des “ bombass ” aux
vieux amants
multi millionnaires.
Sans le savoir,
elles nous renvoyaient en pleine face la quintessence d’une
société, la nôtre, violente, inégalitaire, exclusive, élitiste
Alors
...
nous avons
fermé les yeux. Définitivement.
LittéRama'oHi
#22
martin Temehameharii Coeroli
Auteur : du livre “Ora-
Voyage à Tahiti et ses îles” ; des spectacles
“Turama te Hetu a Ka-Hei Tahiti’’, et “Te Huritau - Tamariki Poerani".
Le chant de
L’aube
Rupe
les portes
de l’ombre et de la lumière,
ombrée cache la luminosité,
Les généraux de Rupe sont en marche,
ouvre
La perle
Le venin du
Le pouvoir
scolopendre ne fait que renforcer
de l’armée des ombres,
Qu’il attaque sans cesse.
Rampant à même le sol
ne vois
pas le soleil qui t’écrases,
A l’ombre, tu penses être à l’abri,
Tu
Prends
gardes,
Tu nés que
nourriture pour Rupe,
Je porte mes blessures comme trophées,
Je t’épargne la vie,
L’éventration n’aura pas
lieu,
Prends garde à l’ombre qui plane sur toi,
Tu m’as mené
aux
portes du Po,
L’aube assoit mon pouvoir sur les
Tu n’as plus aucun
refuge,
Prends garde à Rupe.
ne m’as
pas écouté,
L’éventration aura lieu,
Tu
Libérant les enfants sacrifiés,
Nourriture de Rupe,
A l’aube, tu
nés plus
Que déchet de mes entrailles
Et pourriture sur terre.
deux mondes,
207
Joseph Tchong
Archéologue-Ethnolinguiste, membrefondateur de l'association culturelle
“Tereo
o
te
Tuamotu" et de l’association “TePukaMaruia".
TepeheaRupe
Texte lu parMakau Foster
Kua
va
te
Ka hitika
ara
Ko toku
tepo
Ko taku ia tutia
Ka hitika te ao
Ka
ru
te
Kura
nuku a rupe
ora
E kore
Ka
mamae
au e
tipoka kia ü
ara ra
E tumatuma te takeo veri
Kiapoki koe
Ka te nukupo
Ki te ruma mate
Ka neke â ki te papa
ma
te
E ora anei koe ki te
Ka
henua
taumiumihia e te vera hana
ara
Ekatigaarupe
maru va
Arahi tika koe kia ku
Ki
tearapo
Ka hitika tera tokumana
Ki na
Kaore
Ka
va e rua
e
tauhaga
ara e
rupe
Kuapiri to tariga
E
tutetipokahaga
ora te uki
mokopuna
E katiga a rupe
Kia
Kia tikana te ra
E tutae ia koe
Epera ki te henua
1ma
ma
LittéRama'oHi
#22
Teata Binar
De père tchèque et de mère tahitienne et
tchèque avec ancêtres espagnols.
Dans l'océan de la poésie,
elle navigue et dérive entre ses différentes origines et exprime sa quête intérieure de racines.
Textes lus par Yvenlca Klima,
Nailea Foissac,
et Flora Devatine
Cartes
sur
table
Étranger dans ton pays natal,
quoique tu le veuilles, ces visages ne
Tu restes à lecart, et pourtant
sont pas familiers.
souhaites tant t’apparenter.
tu
A faatupu i te anuanua
Tu
es un
foetus dont le cordon
Et les distances du
ne
globe circulaire
te
permettent pas de revenir à la source.
A
faatupu i te anuanua
En toi se confondent les points
les
ombilical, semence stérile,
dans une terre lointaine.
est enraciné
courants contraires
de
ton
cardinaux de la planète,
sang font palpiter ton coeur
déchiré, jamais complet.
Et il n’y a pas
A
de direction à prendre pour trouver lame soeur.
faatupu i te anuanua
exil, jusqu’à ce que tu réunisses
deux mondes qui habitent en toi,
en
régénérant les liens perdus,
En
ces
en
renouant
le cordon rompu.
A faatupu
i te anuanua
L’impossible retour
Naître “ entre-deux ”
langues et cultures,
aux frontières de
l’appartenance
pays,
vivre
l’union et la rupture
douloureuses et incessantes.
Être et ne pas être,
entre
enraciné et déraciné.
S’identifier,
alors que la différence,
insoupçonnée, immédiatement trahit
la double allégeance
et
le regard
et
condamne à ne jamais
de lÂutre
prive de l’autochtonie,
être admis.
Pourtant,
l’espérance que là-bas,
gît la fraternité
tant nécessitée, alimente la
nostalgie
de l’autre côté,
et
la vision du
retour.
Cependant, souhaiter se rattacher à sa terre,
après l’avoir quittée,
c’est vouloir revenir en arrière,
dans les entrailles de
sa
mère.
D’ici, de là et de nulle part,
entre
entre
l’exil et l’affiliation,
la rupture et l’union,
voilà la condition de l’être.
Qu’est-ce qui fait moins mal ?
vivre
ou
l’exil dans le pays natal
demeurer un immigré
dans un pays
étranger ?
1ma
ma
O
LittéRama'oHi
#22
Teata Binar
Alors, accepter et parfaire
l’identité intermédiaire.
A la marge,
créer des liens,
déployer la double nature
au-delà des pays, langues et cultures,
à travers les
différences, les ressemblances,
le temps...
et
Ulysse, es-tu vraiment rentré à Ithaque ?
Te mau tupuna
A faari i mai i
to matou
aroha,
Je vous salue, ancêtres !
Te
mau
vivants
tupuna,
en
moi,
votre Mana
coule dans
mes
veines.
Votre sang,
jaillissant
de
sources
lointaines
se
mélange
se
perpétue
à travers les mers,
les terres
et
les siècles.
Nous
sommes
Ancêtres
le passé et vous
pèlerins,
les forces de la nature
se
sont unies
aux
dieux polynésiens,
celtes, slaves,
et
au
dieu d’Abraham
êtes le présent.
211
pour assouvir
votre désir
de rencontrer lame
Nous
sommes
soeur.
le passé et vous
êtes le présent.
Ancêtres polynésiens,
descendants du grand Ta’aroa
qui, de sa puissance féconde,
a
créé les îles
l’immense océan
et
habitez,
appel incessant
oü vous
votre
résonne et vibre
dans
chaque fibre
de mon corps
malgré les distances.
Nous
sommes
Ancêtre
le passé et vous
êtes le présent.
espagnol,
courageux Manuel Pérez,
Tahitien de coeur,
quitté ta terre natale,
Galice,
tu as
la
sans
tu
supplice,
n’as laissé
car
aucune
tu as trouvé ta
trace,
place
lors de ton voyagé
sans
retour.
Pourtant, ta langue et ta culture mère
sont
pour moi nourricières.
Rosa Pérez,
ton
noble lignage
marié à la bonté
des héritiers
de Saint Jacques
de
Compostelle
de Tubuai
ina i
LittéRama'oHi
#22
Teata Binar
'
décèle
la beauté
de ton âme.
Nous
le passé et vous
sommes
Avais-tu pensé,
êtes le présent.
Praotec Cech,
du haut de la montagne Rip
qu’un de tes fils
enracinerait une
brindille
de ton ethnie
Polynésie ?
qu’un arc-en-ciel,
en
Et
réunissant des
dresserait
se
familles,
entre ces
deux pays
?
Rudolf Klima, tu scelles
l’alliance
de lignées
tant
éloignées,
tu
enseignes
la tolérance,
et
le respect,
tu nous montres
là où
qu’on est chez-soi
aime
on
et on est aimé.
Nous
Te
sommes
mau
dans
le passé et vous
êtes le présent.
tupuna, vous êtes tatoués
ma
peau,
motifs polynésiens,
espagnols et slaves,
votre existence
est mon essence.
Nous
sommes
le passé et,
Te aroha ia rahi !
ensemble, nous sommes le futur.
213
Chantal T. Spitz
Te tau
Texte lu par Teiva Manoi
dit Minos, Nailea Foissac et Flora Devatine
Tahitinui mare area
fenua haamaitaihia
e
araara
te mau atua
fenua püautau e fenua matai ona
Tahitinui mâre'are'a
bénie des dieux
terre
terre ceinte
aux
i tumu
na
o
i ati ai te
i tô rob
ao
de violents courants terre
légères
fûmes origine
tâua
i nia i te tua
brises
nous
tô tâua
fenua
sur
le sol de notre terre
quand sa renommée s'est propagée
e
rob titari tiarepu vârua
dans le monde
renommée séduisante qui trouble lame
e
rob tîani huritumu
renommée
captivante qui bouleverse
l'intimité
tütaperepere atura te manao
ua
i te
notre souche
huritumu tâua
manao
tïtau atura tâua i te
a
été renversée jusqu'à sa
fondation
par la vision de l'étranger
dans la conception de l'autre
orama a ara
i tô verà
alors nous avons hésité
peu apr
peu màere rahi
‘ia tü tô tâua peu i tô
e
tâua rob faahema
nous avons cherché des choses
nouvelles
des coutumes étranges
alors
afin que nos coutumes correspondent à
notre renommée
trompeuse
1ma
ma
LittéRama'oHi
#22
Chantal T. Spitz
vavâ
ihora te vevo tupuna
tô atura te
la terre conçut
fenua
fanau mai nei
te
enfanta
ohi api no te a‘a i motu na
mo'e na
les rejets des racines restées sous
u‘i ara no te nünaa tumu
la génération vigilante du peuple
te tumu ora no te tumu i
te
l'écho des ancêtres résonna alors
terre
la souche nouvelle de l'origine oubliée
originel
te tü nei tâua i te
hiti a o te mâramarama
nous nous
dressons aujourd'hui au
lever de la compréhension
ma
te manava fafati
ma
te manava màrama
bre
mà te vari
nous nous
te mata
nos
te mata nei te tau araara
te tau o te
u‘i
ara no
la conscience claire
les entrailles sont lavées de leur boue
aau
te àraa marü nei
ua araara
amertume
avec
l'âme est lavée de sa chassie
‘ua ma te vare vârua
ua
sans
te nünaa tumu
rétablissons lentement
yeux se sont ouverts
commence
le temps de
peuple originel
I
BUT
BUI
l'éveil
vigilante du
le temps de la génération
Pimp my weapon
Tahe
artise
Tahe
jeune artiste basé à Tahiti, ses créations
évoquent l'engloutissement de la culture des îles du Pacifique
par le monde moderne. Il reprend les symboles existants de
cette culture îlienne et
y mêle, par l’utilisation de différents
médias, société de consommation, guerres, religions... punk
underground ... créant ainsi son propre monde imaginaire.
Après deux années en école d’art, il travaille alors avec un
shaper de planche de surf et réalise que la résine est l’outil
parfait pour libérer les idées qu’il a en tête.
est un
Pour plus
d’infos : http://tahe-at-work.com/
Publiée par le Groupe Littérama'ohi, association d’auteurs a
ia Polynésie française, la revue Littérama’ohi est un espace a
auteurs
autochtones afin de promouvoir
Elle est
a’ussi
un
l’aventure, d'une
la
revue
la littérature
sous
lien entre les auteifrs du monde désire
revue
dynamique et originale. Le titre et les
traduisent la société
polynésienne'contemporaine dans
Henrietta (Tletèiani Rluès, Rrata Rmaru, T eata Binar, Hiriatè
Brpth,e(i|on,
Jachy Bryant, ITIartin T. Coeroli, Hinatea Rose Démolliens,: Flora
Deuatine, Vaihere Doudoute-Raouln, fDaimiti Panaura, Jùsyanp T.ehea
a Faucher, Marine
Tehea.progier-Léocadie, Jérôme Gendrot, Heinarii
Grand., fTloeaua Grand, Simone Grand, Teuira Henry, I va, Hu'ugjtfha
Ho’omariaaianui, Raphael Haifiilekofe, Rli Mhadaoui, riavairua Hleiii,
Vaimiti Lanteires, iïlareua Leiu, Hinano
ITlartinez-Lulogue, Ghantal
Hinanyi fTlongardérFoissac, Haroly Sandor Pallai, Titaua
Peu, Hong-fDy Phong, Odile Purue-Rlfonsi, Jonas Daniel Rang, Dpri'p/
T. ITlillaud,
Reua, Rriiraù Richard-LJivi, Régine Suen Ho, Chantal,T. Spitz, JNaÿine
Taea, Denise T. Tauatiti-Jaulin, fTloana'ura Tehei'ura, Joseph Tchong,
Taiana Temauri, Heeata Tepa, Teurahëimata a Tinier, Hitiv’ai Tracqbi,
Goenda
a Turiano-Reea, ITlaurice Uinot, Hlanini Voirin, Paul UJarno
^
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Fait partie de Litterama'ohi numéro 22