B987352101_PFP1_2010_018.pdf
- Texte
-
Revue
Littérama’ohi
Ramées
de Littérature
Polynésienne
Comité de rédaction
Patrick Amaru
Michou Chaze
Flora Devatine
Danièle-Taoahere Helme
Marie-Claude
Teissier-Landgraf
Jimmy M. Ly
Chantal T. Spitz
-
Te Hotu Ma’ohi
liMV.
|
N ° BIB
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ppn
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COLL.
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GOTE
Type Ex.
ru'
LISTE DES AUTEURS DE LITTER AM A’OHl
A'amu
Jean-Paul Barrai
Hiriata Brotherson
Aimeho Charousset
Rai Chaze
Annie Coeroli-Green
Flora Devatine
Bertrand-François Gérard
Jean-Christophe Irrmann
Robert
Koenig
Nicolas Kurtovitch
Mareva Leu Tinihauarii
Wilfrid Pina'i Lucas
Roxanne
Lievens-Demeyre
Jimmy M. Ly
André Marere
Chantal Millaud
Jean-Marc Tera'ituatini Pambrun
Titaua Porcher
Raureva
Mehiata Riaria
Louise Robert
Marie-France Salmon
Chantal T.
Spitz
Patrick Sultan
Heireva Tavaitai
Sabrina Teuira
TeamioTuarau
Danny Ueva
N°18
SOMMAIRE
LlTTERAMA’OHl N°18
Septembre 2010
Liste des auteurs
Sommaire
La
revue
Editorial
Littérama'ohi
:
-
Les membres fondateurs
Flora Devatine
p.
4
p.
5
p.
7
p.
9
p.
11
p.
12
DOSSIER
«
e
Hiro
e »
A'amu
Aquarelle : Hommage à Henri Hiro
Spitz
Chantal T.
e
Hiro
e
Annie Coeroli-Green
Rap Pour Hiro
p. 17
Jean-Paul Barrai
Hiva
p.
19
p.
22
p.
26
p.
29
p.
34
p.
39
p.
45
p.
53
p.
64
p.
70
Teamio Tuarau
Henri, celui que
Aimeho Charousset
Henri Hiro,
je n'ai jamais
/ Ou, l'empreinte du poète guerrier
Tinihauarii Mareva Leu
Je
me
connu
Wilfrid Pina'i Lucas
-
souviens de Henri Hiro
Jimmy M. Ly
Wen Fa et Henri Hiro
Jean-Christophe Irrmann
-
Robert Koenig
Henri Hiro et des souvenirs de
profs de philo
Jean-Marc T. Pambrun
Le retour
amer
de l'enfant
prodigue
Bertrand-François Gérard
'Arehurehu ti'i dawning
Flora Devatine
Nous
nous sommes
juste croisés
Rai Chaze
L'Après Hiro
Ecritures
:
Récit
-
Conte
Poésie
-
Chantal Millaud
p.
Au-delà du récif
72
Sabrina Teuira
A trois semaines
p. 78
.
Rai Chaze
Tikei
sur
les ailes des vents
.
p.
83
Marie-France Salmon
Poésies de
p. 90
Papara
Danny Ueva
p.
To matou Mama here e
102
Nicolas Kurtovitch
p. 106
Pour Haïti
Flora Devatine
A Haïti
,
p.
107
p.
110
p.
112
p.
113
Critiques et analyses
Louise Robert
*
Mutismes
»
de Titaua Peu
.
Raureva
Les silences, révélés
Mehiata Riaria
«
Matamimi
ou
la vie
nous
attend
»
de Stéphanie Ari'irau
Lievens-Demeyre
Réflexion sur « Pensées insolentes et inutiles
Richard
Roxanne
»
de Chantal T. Spitz
p. 115
Hiriata Brotherson
«
Hombo, transcription d'une
biographie » de Chantal Spitz
!
p. 118
Heireva Tavaitai
«
Le Roi Absent
»
de Moetai Brotherson
;
p. 120
Titaua Porcher
Ecriture et fonction
syncrétique à travers trois regards féminins :
Spitz et Titaua Peu
p. 122
Littérature polynésienne francophone » ?
p. 136
Dewé Gorodé, Chantal
Patrick Sultan
Peut-on
parler de
«
L'artiste
André Marere
Le texte
Le tableau
p. 152
p. 153
Littérama’ohi
Ramées de Littérature
La
revue
Littérama'ohi
a
Chaze, Flora Devatine,
Le titre et les sous-titres de la
-
-
apolitique d'écrivains
:
Danièle-Tao'ahere Helme, Marie-Claude
Chantal T. Spitz.
jourd'hui
-
été fondée par un groupe
polynésiens associés librement
Patrick Amaru, Michou
Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi
-
revue
Teissier-Landgraf, Jimmy M. Ly,
traduisent la société
polynésienne d'au-
:
«Littérama’ohi», pour l'entrée dans le monde littéraire et pour l'affirmation
de son identité,
«Ramées de Littérature
Polynésienne», par référence à la rame de papier, à
pirogue, à sa culture francophone,
«Te Hotu Ma'ohi», signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères chinois intercalés entre le titre en français et celui en tahitien.
celle de la
-
-
La
-
-
revue a pour objectifs :
de tisser des liens entre les écrivains
de
-
originaires de la Polynésie française,
spécificité des auteurs originaires
la Polynésie française dans leur diversité contemporaine,
donner à chaque auteur un espace de publication.
de faire connaître la variété, la richesse et la
de
Par ailleurs, c'est aussi de faire connaître les différentes facettes de la culture
polynésienne à travers les modes d'expression traditionnels et modernes que sont la
peinture, la sculpture, la gravure, la photographie, le tatouage, la musique, le chant,
la danse... les travaux de chercheurs, des enseignants...
Et pour en revenir aux premiers objectifs, c'est avant tout de créer un mouvement entre écrivains polynésiens.
tahitien, ou dans n'importe quelle
) ou polynésienne (mangarévien,
marquisien, pa'umotu, rapa, rurutu...), et en chinois.
Toutefois, en ce qui concerne les textes en langues étrangères comme pour
peuvent être écrits en français, en
langue occidentale (anglais, espagnol,...
Les textes
autre
ceux en reo
avec une
ma'ohi, il est recommandé de les présenter dans
traduction,
ou une
la mesure du possible
version de compréhension, ou un extrait en langue
française.
responsables de leurs écrits et des opinions émises.
général tous les textes seront admis sous réserve qu'ils respectent la dignité
personne humaine.
Les auteurs sont seuls
En
de la
Invitation
au
prochain numéro :
polynésiens,
Ecrivains et artistes
cette revue est la vôtre : tout
article bio et biblio-graphique vous concernant,
la langue d'écriture, sur des auteurs,
sur l'édition, sur la traduction, sur l'art, la danse,... ou sur tout autre sujet concernant la société, la culture, est attendu.
de réflexion
sur
la littérature, sur l'écriture, sur
Les membres fondateurs
Editorial
Dossier
: « e
Hîro
e »
Lors de l'assemblée annuelle de l’Association
Salon Lire
en
Polynésie,
en
Groupe Littérama'ohi, tenue au
novembre 2009 à la Maison de la Culture,Te Fare Tauhiti
Nui, il allait de soi,
Comme un devoir sacré, un devoir de mémoire, incontournable, évident,
Que, pour marquer le vingtième anniversaire de sa mort,
Le N°18 de la
Littérama'ohi, à paraître en 2010, serait consacré
revue
Au
poète, réveilleur de l'identité ma'ohi,
Henri Hiro !
Et les membres de proposer
Métiers d'Art
dans la foulée, que les étudiants du Centre des
(CMA) puissent découvrir, et s'inspirer des poèmes de Henri Hiro, dans
le cadre de leurs travaux, et de leur formation !
Cela, bien qu'ils se soient exprimés déjà, à propos d'Henri, dès le N°1 de la
Littérama'ohi
-
Ramées de Littérature
mai 2002, et par ces
mots
Polynésienne
-
revue
Te Hotu Ma'ohi, publié en
:
...H.Hiro, durant sa trop brève vie, fut le seul, jusqu'à présent, à avoir
pu, avec talent et bonheur, toucher quasiment à toutes les formes
«
d'expression,
Qu'elles soient
poétique, théâtrale, cinématographique, artistique.
Sa formation, sa position et son rôle à la direction de la Maison des
Jeunes, Maison de la Culture, l'avaient amené tout naturellement à
développer
différentes formes d'expression,
même temps, l'opportunité, l'espace et les moyens de
réaliser ses rêves, d'exprimer ses talents d'orateur, de poète, d'acteur,
de cinématographe,
Lui
ces
donnant,
en
Pour l'enrichissement du
«
Phoenix de
ces
bois
»,
patrimoine culturel polynésien.
il s'y était exprimé avec le génie qui lui a été
reconnu...»
Par
ces
indéniable
mots, c'était faire reconnaître, plus largement, le rôle remarquable,
qu'Henri Hiro a joué dans la préservation, la transmission et le dévelop-
pement du patrimoine culturel.
Par ces mots, c'était aussi reconnaître, plus spécifiquement, la position d'ancê-
qu'Henri. Hiro tient dans la filiation, l'imaginaire des passeurs
artistes, auteurs de la littérature polynésienne contemporaine.
tre
de culture, acteurs,
Flora Devatine
(Extrait du N° 1 de Littérama'ohi,
mai 2002 ; extrait de « Notes »,
1998)
Aquarelle de A'Amu
Réalisée
d’après une photographie
Couverture Henri Hiro (Tupuna Productions)
Collection personnelle de l’artiste
A’Amu
Aquarelliste
aamu@mail.pf
LittéRama’OHi
# is
Chantal T.Spitz
e
Hiro
e
Hiro
puissant qui nous a poussé à nous oser Mâ'ohi dans des temps où la bienexigeait de nous notre entière reddition intellectuelle et culturelle à la
patrie source de toutes nos humanités
souffle
pensance
mère
frémissement de notre
essence
ensevelie
sous
deux siècles de dominations reli-
gieuse et politique étrangères
blessures endurées afin que nous
puissions après lui cheminer sans danger dans
l'affirmation de nous-mêmes
que
reste-t-il aujourd'hui de
ce
souffle qui savait si bien nous dire
vingt années après ton départ te voici célébré commémoré pipolisé
nouveau mythe pour une société étrangère à ses ancêtres à ses enfants
agonisant de mal-êtres accumulés
grande bâtisseuse d'auto-mythes pour échapper à sa propre déliquescence
prompte à transformer les honnis d'hier en fiers héros
ainsi rejoins-tu Pouvana'a a 'Ô'opa
dans une nouvelle mémoire enfantée pour alléger l'indécence d'une aristobourgeoisie
qui hier s'ingéniait à vous bannir de l'histoire
comme elle s'évertuait à effacer ce peuple que vous avez tant aimé
en ces temps-là il ne faisait pas bon se revendiquer Mâ'ohi
désormais il fait tendance céiébrer-défendre votre mémoire
Mâ'ohi disais-tu
mâ'ohi disons-nous
mais est-ce
toujours
est-ce
encore
Dossier;
«e
Hiro
e»
le même mot
vingt années ont suffi
vidés de
pour
vider
ce mot
de
son essence comme nous nous sommes
nos sens
ployant un peu plus sous la puissance sous la pesanteur d'une insidieuse reddition
fossoyant le projet originel dans d'adipeuses vanités
répétant à l'envi un mot resté aux lisières de nos intelligences
mot fourre-tout fourre-rien pour des êtres en mal d'identité en mal d'humanité
ainsi avons-nous laissé Mâ'ohi accoucher de toutes les hydres aux multiples têtes
qui l’ont métamorphosé en créatures hybrides sans fondation
en invertébrés auto-nommés polynésien de souche polynésien de cœur polynésien
d'adoption
pour faire croire pour croire qu'il suffit de s'approprier un mot pour s'identifier
pour faire croire pour croire que polynésien se fond dans mâ'ohi
nous
vingt années ont suffi
ver
pour
travestir
une
pensée qui
sans
doute
ne
pouvait trou-
concorde
dans l'état de
profonde confusion émotionnelle aliénation intellectuelle de la
société d'alors
inféodée à
l'évangile colonialiste qui
quand tu le dis
est bien l'indigène de ce pays
au même titre qu'une plante ou un animal
encore
car
nous
prétend
pas tout
à fait humains
Mâ'ohi
celui né de cette terre même bien avant la christianisation
ceux
nés de cette même terre bien avant la domination
Mâ'ohi
Mâ'ohi
égal de l'indigène sous-homme à civiliser
égal du 'etene sauvage même pas bon même
comment dès lors entrer en unisson avec ce mot
pas
chrétien puisque païen
qui signait notre sous-humanité
notre bestialité notre incivilité
ainsi
sommes-nous
mâ'ohi étant
entrés
en
guerres
agréé adulé haï honni
des sens guerres d'essence
nous-mêmes dans diverses adorations dia-
par
bolisations
inconscients que nous
faisions le jeu de la puissance coloniale de la vanité néoco-
loniale
indifférents
aux
fossés creusés dans
une
société raciste
dirigée
geoisie à l'identité indistincte sinon inexistante
occupant tous les espaces laissés en jachère par les maîtres
par une
venus
aristobour-
d'ailleurs
LitteRama’oHi
Chantal T.
» is
Spitz
aristobourgeois désormais parlant au nom de
paternant à leur tour ceux à qui ils confisquent la parole la pensée
vingt années ont suffi pour que l'aristobourgeoisie et ses alliés acquiescent à la
nouvelle bienpensance néocolonisatrice orchestrée par des médias sous contrôle
et des politiques obéissants dont le principal credo est la disqualification des indigènes de ce pays
ainsi a-t-on vu fleurir les nouvelles stigmatisations dites populations défavorisées
difficultés d'intégration échec scolaire promiscuité violences conjugales démission
parentale obésité diabète dont on veut nous faire croire qu'ils sont l'apanage d'une
certaine catégorie de notre société
celle du bas voire du sous-sol
le dire plus clairement des spécificités bien ma'ohi
l'aristobourgeoisie se désolidarise orgueilleusement depuis sa
virginale européanisation
et pour
ceux-là même dont
vingt années ont passé pendant lesquelles nous avons dans une incommensurable
incapacité à traverser notre histoire
personnelle
collective
infecté les
esprits
gangrené la société
de toutes
nos
frilosités sinon
duplicités culturelles
nos
détresses sinon paresses
mal
d'image d'eux-mêmes
intellectuelles
petits frissons rebelles à bas prix que nous voulions révoltes
pas des coups de griffe dans la gélatine sociale d'un pays sous la coupe
de toutes
enflés de
même
d'êtres
en
vivant dans des villas entourées de
des chiens
murs
surveillées par des
gardiens
en
uniforme et
qui aboient
je n'étais ni proche ni amie de Hiro
ses paroles ses actes ses écrits m'ont été guides sur le sentier aride de la recherche
de moi-même
au plus profond de mon intimité
vingt années plus tard il me vient un sens nouveau à ce que j'ai cru comprendre
il me vient un sens à ce sentiment diffus et dérangeant que quelque chose
m'échappe
Dossier:
il
me
vient
un sens
à
ce
mot
qu'il
nous a
imposé
que nous avons
«e
Hiro
e»
goulûment ingéré
intériorisé
Mâ'ohi
Mâ'ohi
identité retrouvée
qui enfin faisait de nous des êtres complets
Mâ'ohi que d'aucuns ont avili exclusif
Mâ'ohi que d'autres ont mutilé polynésien
Mâ'ohi qui toujours ne trouve pas unanimité
décrié insultant par ceux qui ne veulent en qualifier que les plantes ou les animaux
revendiqué identitaire par ceux qui enfin trouvent à se qualifier sans s'identifier
aux indigènes
nouveau
mot pour une
Mâ'ohi
il
en réalité
dire de ce pays en évitant de se dire de ce peuple
mâ'ohi à l'origine indigène devenu polynésien
traduction polie pour une société raciste
traduction civile pour une société malade
malade de son histoire confisquée qu’elle continue de ne pas vouloir traverser
car
s'agit bien de cela
travestir le mot pour se
malade des miasmes mentaux hérités d'ancêtres racistes
malade d'une
venus
d'ailleurs
disqualification fondamentale fondatrice d'ancêtres indigènes
puisque nous avons laissé se perdre le sens originel de Mâ'ohi
il nous appartient désormais de le remplacer pour donner nouveau souffle à cette
revendication essencielle qui continue de ne pas finir
mais par dessus tout
tomber les murs érigés par des idéologies nauséabondes de domination raciale nées
d'une incapacité à penser à entendre à voir l'autre
désormais dressés dans une putréfaction sociale fétide
dans une virulence capitaliste sordide
entre d'indécentes opulences et d'asphyxiantes indigences
mais encore plus
traverser nos histoires
pour que cesse
nous
multiples
l’émiettement de nous-mêmes
LitteRama’OHi u is
Chantal T.
Spitz
complexes
nés de la terre même nés de la même terre’
ta'ata tumu
homme racine homme
origine
ta'ata 'ai'a
homme de la terre homme du lieu
indigènes autochtones
nous
ensemble
peuple de notre
c'est ainsi que se
pays.
définissent les Athéniens dès le 5° siècle avant Jésus-Christ
Rap Pour Hiro
Hiro,
Le 1er tu marchas
contre la bombe
de Moruroa,
peu
de gens avec toi !
Toujours
en pareo,
Tu faisais sourire,
peu te
comprirent !
Que reste-t-il de toi ?
Tes enfants, Do,
Des
œuvres
de choix.
Les titres de tes
Intitulent
poèmes
une asso :
la Ora Te Natura
«
Un
syndicat
»,
:
O Oe To Oe Rima
«
Et le
»
Collège Henri Hiro »
remplace le « collège de Faa'a
«
Aujourd'hui,
Famille, amis,
Et même
La
«
crème
»
Locale
des
people,
hommage,
te rendent
comme
à
un
sage.
LitteRama’oHi
» is
Rnnie Caeroli-Green
Te voilà officialisé
exposé
au
musée,
dans l'histoire,
Dans
nos
mémoires.
Faut-il
t'ériger
mythe !
Pour qui ?
peuple ou l'élite ?
en
Le
Qui
veut
quoi ?
Petit enfant de la bombe,
Puissent tes
paroles d'outre tombe,
peuple à réaliser
rêves dans la paix.
Aider ton
ses
Oia hoi !
Dossier:
Hiva,
L'océan,
La
pirogue mortuaire rendue à l'océan,
guerrier rendue à sa source,
Il y a vingt ans l'image s'estompait
Dans le crépuscule incertain
D'un jour de tristesse.
Il déserta le champ de nos combats,
L'âme du
Nous
laissant, la fraternité brisée,
Epuisés de douleur,
Brusquement désertés par le
Le chant de
Hantait
Le timbre de
Dans
nos
son
sens.
poème
esprits,
encore nos
sa
entrailles
voix résonnait
comme
le
son
encore
lourd du Pahu
A fano, a fano ra !
Va, bon vent ami, bon vent camarade,
Sur le
long chemin sans retour,
pirogue-songe qui t’a porté,
Porté par Hiva, dans son flux originel.
Sur ta
Que le flot de l’oubli
Que la vague
des choses passées
Epargne la grande fresque
A la
gloire du rêve
que nous avons
Toi,
caressé.
«e
Hiro
e»
LitteRama’oHi » ia
Jean-Paul Barrai
Homme debout,
du navire,
vigie,
Homme qui s'interroge,
Homme qui interroge,
Homme qui interpelle,
Homme qui donne chair au verbe
Verbe qui surgit de toute ta vérité,
Homme seul à la proue
Homme
De toute ton identité.
Protestant
Contre le
Le
cours
du destin subi,
pouvoir de l’argent,
La facilité du conformisme
de l'esprit
immémoriaux,
temps à venir.
La paresse
L'oubli des temps
L'insulte
aux
Pehe
pehe
Magicien du verbe,
le chant de la parole,
Sondé nos cœurs, forgé nos armes
Et armé nos esprits,
Par le chant de la parole,
Tu as, par
Tu
Aux
as
redonné la voix aux oubliés,
insignifiants, aux négligés de l'Histoire,
ceux qui s'oubliaient eux-mêmes.
A
Tu leur
as
lancé le défi insensé
réapproprier leur langue,
Leur culture, leur Histoire, leur dignité,
Leur propre destin,
Non dans la fascination du passé
Mais dans son usage éclairé
De
se
Pour construire une autre
humanité.
21
Dossier:
Nous
avons
tous
son
d'une
D'un
Hiro
e»
encore
La mémoire vive d'une mélodie
Du
«e
sans
âge,
guitare-lyre,
poème-miroir,
Sur nous-mêmes
Sur le destin de
Sur la
saveur
Tel
un
Pour
son
subtile de
peuple,
sa langue,
étendard brandi,
conjurer le sort
qui s'annoncent.
Des orages
Ce
poème est rédigé
en
mémoire de notre ami Henri Hiro, homme de culture et d'en-
gagement qui a profondément interrogé ses concitoyens sur ce qu'ils furent, sur ce qu'ils
sont et
sur ce
qu'ils souhaitent devenir.
LittéRama’oHi
» i8
Teamio Tuarsu
Henri,
celui que je
n’ai jamais
connu
Henri, je ne t'ai jamais connu.
Toi l'écrivain, le poète, ie réalisateur, l'acteur, le metteur en scène, le théologien, la voix du protestantisme, le contestataire, le révolutionnaire, l'anarchiste,
l’homme d'état, l'agriculteur, le pêcheur, le chanteur, le poivrot d’une nuit, le cuistôt improvisé, le compagnon de tes épouses fidèles, le père de vos enfants au devenir toujours incertain. L'ami de toute une vie, celui qui partage son dernier souffle.
Toi que
j'ai a maintes reprises croisé au détour d'une rue, au carrefour de mots
petit matin dans les vapeurs embrumées de soirées toujours prolongées
jusqu'au petit jour. De toi, je n'ai appris que par ces voies insondables.
éventés,
au
De ton enfance,
j'en ignore jusqu'au prémisse, comme la mienne que j'entreparfois à l'aide de photos retrouvés ça et là, comme un cadeau que l'on dépose
au pied d'un arbre centenaire, millénaire où l'on se sent bien assis au sein de ses
racines, de ses attaches qui nous lient aux ancêtres.
vois
De
temps où l'insouciance côtoie l'inconscience, je ne peux qu'imaginer ces
pareils aux miens, aux autres, à tous ceux qui l'ont usé, qui en ont abusé
parfois jusqu'à ne jamais plus en sortir par crainte de découvrir un monde aux
règles strictes, aux normes universalisées qui nous imposent des limites assassines,
ou pour le moins oppressantes.
ce
instants
Un jour, tu as décidé d'apprendre à connaître, d'étudier Dieu. Tu as perfectionné
l'art oratoire, le contradictoire, la rhétorique, la dialectique, le palabre à l'occidental. Trois années durant lesquels tu as bu, tu as mangé de cette nourriture de l'es-
prit. Tu en as acquis la théologie de la libération. Tu as tenté d’en faire partager au
plus grand nombre via les ondes normées de l'église protestante, le sponsor, le
tuteur, le mentor, le supporter, le financeur de tes trois années de gloutonnerie
intellectuelle.
23
Dossier:
Incompris, tu
as
été
par
«e
H ira
e»
ton employeur, ton créateur d'une foi qui espérait
secrètement ta rémission, ta soumission à l'ordre établi depuis bientôt deux sièclés. C'était déjà trop tard, tu étais largement repu du fruit défendu. Atteint de ce
cancer dont on ne veut surtout ne
jamais guérir, la liberté de penser, de croire, de
vivre, de sentir, d'être autrement. Ils t'ont viré, jeté, banni, mais jamais, jamais
ignoré.
Dans le tourbillon, tu t'es laissé
emporté, ballotté, secoué pour te raccrocher
filins de tes racines ancestrales, à tes dieux, à tes maîtres à nouer,
à tailler, à sculpter, à cultiver, à scander, à pêcher, à prier, à ta culture incrustée
branches,
aux
aux
dans tes entrailles. Tu
as
appelé
«
oihanu
»...
il t'a répondu
comme
la mère et le père
à leurs enfants.
Naturellement, la maison des jeunes et de la culture t'a accueilli bouillonnant
désir impétueux de partager ta soif, ta faim de liberté d'exprimer ton Peupie. Tu as écrit, mis en scène, interprété, dansé, chanté, filmé, bougé, donné la vie,
perturbé les esprits, pétri les consciences, lacéré l'inconscience, tu étais toi, sans
limites. Juste ce qu'il faut pour ne pas sombrer dans cette folie que l'on aspire infinie mais suffisamment docile. C'était le temps des rencontres, des
échanges, des
confrontations, des communions, des séparations, des retrouvailles, de ces choses
qui font et défont le monde, ton monde.
de
ce
Le temps
de l'activisme, du combat, de la lutte où tu déambules dans les rues
avec tes compagnons d'armes d'amour, un amplificateur de voix dans
ta main droite, une branche de « auti » dans celle de gauche. Tu as crié, tu as feint
d'agresser, tu as imploré, tu as vilipendé, tu as interpellé, tu as hélé, tel un hérétique des temps modernes. Il y quatre, cinq siècles tu aurais eu l'honneur du bûcher,
du gibet, de la potence. Martyr, tu en avais le profil. Tu n'as été que pantin vociférant sur la place publique sans, autorisation si ce n'est celle de tes «
tupuna ».
Attraction du matin, fou d’un roi encore inconnu, « ari'ioi » de l'avenue du général de Gaulle, « mamaia » de l'ère nucléaire, tu es resté toi, fidèle à tes dieux, servide la
capitale
teur à vie de ta culture. Tu avais
déjà compris que c'était notre seule et unique
issue. De tous les combats, ta vie s'est bâtie. Ton corps, tes membres, tes cellules,
tes organes mineurs et majeurs en redemandaient.
Comme beaucoup, tu as cru que la voie politique était incontournable pour
réaliser le dessein de libération de ton peuple. Tu t'es investi, tu as donné ta
confiance à certains. Ton idéalisme n'avait de limites que celles de ton anarchisme,
de ton socialisme libertaire qui prône la liberté de tous dans le respect de celle
des autres. Tu as cru, tu as eu foi en ce système venu d'ailleurs que l'on nomme
LitteRama’oHi » 18
Teamio Tusrau
démocratie. Tu avais presque oublié les préceptes fondateurs du serment de
Tetuna'e ». Tu es resté honnête et fidèle, humble parfois, souvent humilié. La poli-
«
tique s'est heureusement écartée de toi. Tu en as souffert. A l'origine de ce cancer,
cette petite bête qui décide de se réveiller un jour qu'on s'y attend le moins et qui
a emporté ton corps il y a 20 ans ?
après une nuit agitée de tourments. Ce « po » où ce
flot incessant de larmes intérieures qui vient apurer ton âme.
Tu t'es réveillé à l'aube,
fleuve charriant
ce
privilégié qui n'appartient qu'à toi, quand ton corps caresse celui de ta
qui ne te comprend pas, qui se laisse à sentir ton apparente souffrance,
tu prends l'ultime décision de retrouver la vie simple dans ton île « Huahine,
Mata'ire'a ». Loin d'un retour dans le passé, tu réapprends ces gestes ancestraux qui
font la grandeur d'un peuple. Tu débrousses, tu creuses, tu plantes, tu te mets à
l'ombre, tu bois, tu parles, tu écoutes, tu respires, tu es. Tu sais que le mal te ronge,
tu as donné ce que tu devais. Le vieux pêcheur est là près de toi, les cris de tes
enfants et les mélopées de ta compagne au loin, tu es heureux et tu le partageras
jusqu'au dernier soupir. « Eiaha na pei ».
Ce moment
compagne
Que reste-t-il de ton bref passage
?, des poèmes, des chants, des films, des
interviews, des photos, des archives, des souvenirs, des femmes, des amis, des mots,
du sens, de l'espoir. De cette natte de petits riens, que l'on défait, que Ton retresse
On découpe, on recolle, on aménage,
air de Chopin sur « Oihanu », « o oe to
oe rima » sur fond de David Bowie, « Tou fare a » sur le thème de « Tigre et dragon ». Les sons semblent s'entrechoquer en prime abord, il est temps de manger
cette mixture, ce choc d'harmonies. La partouze des sucs culturels est en branle, le
stupre apparent laisse place à la magie du partage dans cette atmosphère
empreinte d’humilité. Le sectarisme ambiant n'a plus sa place. Le monde est monde,
le maohi est caucasien, new yorkais, nigérien, vénézuélien, le temps de cet acte
d'amour où les cultures copulent respectueusement.
sans cesse en
on
confond,
Tu
«
s'ingéniant à en garder le
mélange, on entrelace,
on
es encore
Pei nei
sens.
un
là pour leur dire comme tu avais raison de chanter ta complainte
des accords d'Emma Terangi. Tu cries, tu supplies de ne pas se
ae » sur
laisser bercer par cet enivrant tintement de l’argent qui transmute ta culture en
un feu d'artifices aveuglants, assourdissants et sans fin. Ton discours politique sur
la terre mère, sur la terre patrie, que le Pays s'empresse de brader au plus offrant,
est une réalité
quotidienne. Aujourd'hui on érige des monuments à l'effigie d'arétranger et l'on négocie le « marae taputapuatea » avec l'UNESCO au nom
de la mondialisation des cultures. Cette Terre, notre Terre que l'Etat Français a spoliée pour de multiples bonnes raisons et qui mettent en scène toutes formes
tiste
25
Dossier:
d'opérations de rétrocession
nants. Cette Terre où il
Qu'aurais-tu fait,
nous
avec la collaboration bienveillante
ordonne de les accueillir chez eux.
«e
HIRO
e»
des médias domi-
qu'aurais-tu dit, qu'aurais-tu écrit ? si tu avais vécu
ce que
train de vivre. Ce moment fabuleux, ce passage obligé de l'âge du
tout consommer artificiel à celui de la recherche du bien vivre, du bien être.
nous sommes en
Condamnés,
nous sommes
à chercher et trouver ensemble les fondements d'une
société où l'on
privilégiera le partage à l'égoïsme dominant. L'ère de se laisser bercer par les frêles vibrations de l'amour partagé en lieu et place de ces clinquants
tintements de l'argent. Rêve, utopie, réalité demain peut-être (Pei nei ae) que j'aurais sincèrement partagé avec toi.
Qui es-tu, toi que je n'ai pas connu, pour imprégner mon âme de ce désir d’approcher, d'effleurer les innombrables émanations de ton bref passage sur cette
terre dont je ne cesse chaque jour de me désaltérer à la source de sa substantifique
moelle (hommage à Pierre Dac et Francis Blanche).
Henri, je ne t'ai pas connu. Tu as été comme tous ces hommes qui ont rappelé
autres comme ils pouvaient être bons. Tu as aimé les gens, tu as aimé ta terre,
as aimé ton peuple, tu as aimé tes proches, tu as aimé tes amis et tes ennemis,
as aimé l'amour et tu nous as donné l'espoir en vivant ta culture.
aux
tu
tu
LittéRama’oHi
» 18
Rimeéio Charausset
Henri Hiro,
«
Ou, l’empreinte du poète guerrier »
L'hommage posthume est si souvent convenu qu'il efface des pans entiers d'une
personnalité que l'on veut honorer. Après son départ en 1990 les médias encore
frileux ne lui décernèrent que le titre de « premier poète contemporain ». Vrai tellement vrai mais trop réducteur ! C'était oublier sa conscience et l'engagement qui
fut le sien et la polyvalence de ses talents.
griot n'est pas seulement musicalité...
près du griot africain ou du barde celtique, Henri Hiro n'est en osmose
avec la poésie que quand elle sublime l'être entier appartenant à son monde avant
d'être au monde. Celui d'aujourd'hui, mondialisé mais qui était déjà en germe, en
ce temps pas si lointain de colonialisme nucléaire. Le griot ou le barde ne sont pas
seulement musicalité de la langue mais creuset d'une conscience collective qui
s'offre à la communauté. Ils ne se sentent pas détenteur de l'unicité d'un art mais
représentatif d'une exigence qui ne mesure ni son temps ni l'énergie qu'il faut lui
consacrer. Les obstacles et les sacrifices qu'il faut endurer sont les prémisses d'un
parcours ou d'une destinée. Et lui est le seul à savoir s’il a pu la maîtriser, sa destiUn
Plus
née. Et
jours
ce
nous ses
qu'il
frères
a pu
ou sœurs, nous sommes
donner,
Quand il chantait, il y
comme
les seuls à
mesurer encore
et tou-
héritage à transmettre.
avait du blues dans la voix
modération du reo tahiti dans un monde qui prétenl'émasculation du verbe indigène. Absurde et pourtant que
de batailles menées pour faire reconnaître la beauté insolente des langues polynésiennes. Ramenées à cette époque au titre peu glorieux de langue vernaculaire. Cet
adjectif, cet énoncé est si méprisant y compris dans sa sonorité qu'il en fut un des
plus beaux guerriers, un des hérauts les plus convaincants et persuasifs. Sa langue
avait en son palais des inflexions d’une incroyable fluidité. Mais il savait jouer aussi
de tous les registres. Et il pouvait lui donner de l'épaisseur ou au contraire des
Amoureux transi et
dait à la modernité par
sans
Dossier:
chatoiements d'été indien. Ce n’était pas un
chantait il y avait du blues dans la voix.
Secrets si enfouis de
«e
Hiro
e»
hasard s'il était acteur et quand il
pêcheurs entre soi
Chantre de la langue, il partageait cette connivence le plus profondément
avec Turo Raapoto. Mais il a su être si pédagogue avec les cadres ou acteurs du la
te
à
qui il a transmis cette flamme et le feu qui va avec. Ou au
contraire, lors du tournage du Pasteur et la vanille il partageait plutôt ses confimana
dences
nunaa
les anciens de Huahine. Secrets si enfouis de pêcheurs entre soi, ou
compositions sur les himene tarava. Là, il pouvait goûter au statut d'être
un de leurs pairs tout en étant entièrement de sa génération. Car le
paradoxe
apparent de son œuvre dite poétique c'est qu'elle est relativement maigre. Il serait
donc réductif de s'en tenir aux écrits du poète pour mieux cerner l'auteur. L'œuvre chez des personnes comme Hiro sont autant sinon plus dans les actes
que dans
avec
de vielles
les écrits.
La
parabole du pilier
Et des actes, il en a commis, lui avec les autres. C'était au temps de la MJC, de
la Maison de la culture qui n'était pas encore une institution mais un lieu d'ébullition
permanente. Aucun projet même audacieux pour l'époque n'était tu, enfoui
censuré. Ce fut donc
une période intense de créativité tout azimuts avec son
jamais cuisants. De frustrations mais jamais brûlantes car l'important était l'élan du groupe, le désir d'un nouveau projet. On imagine mal,
aujourd'hui, de proposer du café théâtre sur le thème de « La création du monde
selon Taaroa ». Un film sur les « Immémoriaux » de Victor Segalen, une libre adaptation où l’on voit l'acteur apostropher les touristes à la descente de leur aéronef.
Le festival des himene tarava prit naissance là avant de se délocaliser à Motu
ovini. Bref, des années sans entraves avant le lynchage administratif en 1984. Hiro
était un pilier sans désir de domination car la création artistique en serait morte
ou
lot d'échecs mais
ou
châtiée.
Une
œuvre
polymorphe
L'œuvre, si le mot peut être juste, est avant tout multiple et polymorphe. Ne
parlez
de textes poétiques, sans le cinéma puisqu'il est encore aujourd'hui le
plus prolixe du Pacifique, semble limité. Et pourquoi alors ne pas par1er de théâtre ? Le classique, comme l'adaptation d'une pièce de Ionesco. L’avantgardiste, si cela veut dire quelque chose, avec le café théâtre. Ou l'ancestral, encore
que
réalisateur le
LitteRama’oHi « is
Rimeho Charousset
«Ariipaea vahiné » et ceux qui allaient faire vivre
arioi ». Ou le théâtre métissé avec la danse et le groupe de Coco Hotahota.
Quelque fut l'espace dont il s'est emparé, Henri Hiro vivait l'alchimie de son identité
avec son temps. Il ne pouvait l'imaginer sans le combat qui va de pair. Seuls ceux qui
restent encore peuvent invoquer l’ingratitude de l'histoire pour nous l'avoir enlevé
trop tôt. Mais aurait-il été toujours lui-même dans le monde qui est le nôtre ?
une
le
«
dénomination hasardeuse
pupu
avec
Dossier:
Je
«
par
«e
Hiro
e»
souviens de Henri Hiro »,
me
Pinal
De Henri Hiro, l'on connaît bien son engagement pour
la préservation de la culpolynésienne ou encore pour la transmission des savoirs de nos tupuna. En
pensant à Henri Hiro, on se rappelle aussi son caractère bien trempé, ses idées -dis-
ture
cutables certes, mais
qu'il assumait malgré tout. On fredonne encore une chanson,
Bobby Holcomb en hommage à cet homme parti trop tôt. Ce que
l'on sait moins de Henri Hiro est, peut être, son engagement pour les festivités du
Heiva i Tahiti dans les années 80, aux côtés de nombreux grands autres noms de
la Culture, tel que Wilfrid Lucas dit Pina'i, mon grand-père. Pour rendre mémoire
à son ami Hiro, Pina'i a donc accepté de se prêter au jeu de l’entretien, installé dans
interprétée
sa
par
retraite à Raiatea, l'île de sa bien aimée Juliette. C'est la voix chevrotante mais
avec
les mots justes,
Hiro,
son
les yeux humides mais
complice de toujours.
Question
:
avec
le regard vif qu'il se rappelle Henri
Papy, peux-tu nous raconter un de tes meilleurs souvenirs de Henri
Hiro ?
Réponse : Il n'y
mon
peut pas les dissocier. J'ai tant de souvenirs avec
exceptionnels. Il m'est très difficile de me les rappeler et
Cependant, il me reste surtout cette profonde amitié et cette
en a pas, on ne
ami Hiro, et tous sont
de les comparer.
confiance. Henri Hiro, c'était le cœur. Henri Hiro, c'était le sourire. On s'aimait et
tous les autres membres du
jury du Heiva de l’époque, on se sentait bien.
de son vivant, avant de me connaître. Mon papa,
Teriiteitei, avait pour habitude d'aller pêcher les ature dans le lagon de Punaauia face
à l'embouchure de la Punaruu. Il était un grand pêcheur et revenait parfois avec la
pirogue remplie de poissons. Malgré son âge, il surfait sur les vagues avec sa pirogue,
c'est là qu'un jour Henri Hiro, depuis la plage, a aperçu Teriiteitei. Au retour de Teriiteitei, Hiro l'a aidé à remonter sa pirogue et lui a dit qu’il était dangereux de ramer
seul sur les vagues. Mon papa lui a simplement souri et donné du poisson. Et à chaque
fois qu'ils se croisaient et qu'il le pouvait Teriiteitei donnait du poisson à Henri Hiro.
avec
Henri Hiro avait
connu mon
papa
LitteRama’OHi # 18
Tinihauarii iïlareua Leu
-
LUilfrid Pina'i Lucas
A quelle période as-tu connu Henri Hiro ?
Hiro et moi nous sommes connus à la fin des années 70. J'avais été
sollicité par Francis Sanford pour épauler mon ami Maco Tevane, alors conseiller
du gouvernement à la Culture. Au début des années 80, Hiro a été nommé Président du jury du Heiva. Je faisais déjà partie de ce jury suite au départ de Raymond
Question
Réponse
:
:
Pietri, mais c'est alors que Hiro m'a quasiment
imposé comme Vice-Président du
jury. Et à partir de ce moment, Hiro et moi nous sommes alternés à la présidence
du jury du Heiva. L'un était Président, et l'autre Vice-Président successivement.
Notre amitié est venue naturellement, comme une évidence, se renforçant
d'année
en
année. Nous avions
en commun,
danses, pour ces chants et pour la
Culture
l'amour du Heiva, l'amour pour ces
en
général. C'est ce qui nous faisait
vibrer.
de la même génération que toi, mais vous partagiez quand même certaines valeurs. Et vous avez tous deux œuvré à la transmisQuestion
sion de
ces
:
Henri Hiro n'était pas
valeurs.
Réponse : Ah oui, complètement ! Nous avions tous les deux les mêmes valeurs,
notamment l'importance de la famille et la transmission de la culture ma'ohi. Nous
partagions totalement le même avis, le même idéal. Ce n'est pas étonnant que l'on
se soit si rapidement et si bien entendu. Nous souhaitions les mêmes choses, nous
pensions de la même façon. Et cela, malgré le fait que Hiro soit mon cadet, de plus
de dix années.
à cette entente que j'avais avec Henri Hiro était que je pouavec lui, malgré notre différence d'âge nous nous
comprenions. Je lui parlais avec mes mots, lui me répondait avec les siens et même
si nous n'avions pas le même langage, nous nous comprenions. Et c'est ainsi que
j'ai aussi servi de lien ou de traducteur entre le jury du Heiva et le gouvernement.
J'étais très proche de Maco Tevane et cela nous a beaucoup facilité les choses. Par
exemple, les préparations que nous faisions pour le Heiva se comprenaient dans un
certain cadre de lecture, qui n'était pas forcément le même que celui utilisé au
conseil du gouvernement. Une certaine adaptation était nécessaire mais Henri
HIRO savait très bien s'y prendre. Il comptait sur moi pour défendre nos proposifions avec le même enthousiasme que s'il avait dû le faire lui-même.
Un autre avantage
vais très facilement discuter
Comment se passaient les réunions du jury avec Henri Hiro ?
Ce n'était pas de tout repos, je l'avoue. Le jury se réunissait de très
nombreuses fois avant, pendant et après les festivités. Ces réunions, très nombreuses
Question
Réponse
:
:
31
Dossier:
«e
Hiro
e»
étaient nécessaires. Plus que tout,
Hiro, moi-même et tous les autres membres du
jury voulions que la population venue assister aux soirées du Heiva soit satisfaite.
Nous n'étions pas tous toujours d'accord dans nos discussions, mais nous nous
devions de donner le change. Il ne fallait pas qu'un seul manque, qu'une seule hésitation
ne se
Siéger
fasse sentir.
jury du Heiva n’était pas chose facile, et cela n'est toujours pas le cas.
positions, supporter la critique et tenir compte des avis de
tous. Malgré tout par amour de la Culture, nous le faisions, nous donnions le meilleur de nous même pendant ces festivités. Par amour pour la Culture, nous en arrivions même parfois à oublier nos familles.
Il fallait
au
assumer nos
Question
: De quelle façon, à ton avis, Henri Hiro aura marqué le Heiva i Tahiti
empreinte ?
Réponse : Je ne saurai dire si les membres d'un jury laissent une trace de leur
passage au Heiva. Je pense plutôt que ce sont les groupes eux-mêmes qui marquent les esprits, qui donnent le ton et qui, finalement, font briller la culture
de
son
ma'ohi.
Néanmoins,
qui, à
avis, caractérisait Hiro en tant que membre du jury
particulière qu'il prêtait au ressenti du public venu assister au spectacle. Du soulèvement de foule aux huées en passant par l’endormissement, il était très observateur de la manière dont la population percevait les
spectacles de chants et danses. J'ai parfois l'impression qu'aujourd'hui les spectateurs modèrent leurs réactions. J'ai peut être tort, mais à l'époque, ces réactions
étaient très importantes pour le jury. Que l'on soit ravi ou déçu, il faut l'exprimer.
Certains groupes pouvaient même être soporifiques et le public n'hésitait pas à le
leur faire savoir. Nous en faisions de même dans le jury, grâce, notamment, à la
simplicité et aux paroles sans détour de Hiro.
Il répétait souvent que nous n'avions pas le droit de tromper le peuple. Ce que
nous faisions en tant que jury du Heiva, ne devait être que la vitrine de ce
qui faisait vibrer le public car, pour Hiro, le public était le premier juré. Hiro savait déjà
que c'était le public qui donnait toute sa dimension et sa valeur au Heiva.
ce
mon
du Heiva était l'attention
Question
:
Alors à ton avis, de
quelle manière Henri Hiro a-t-il marqué le jury
du Heiva ?
Réponse : Quand Hiro présidait le jury du Heiva, je n'ai pas vécu un seul Heiva
se sont réellement mal passées. Tout fonctionnait, tout s'emboîtait,
tout marchait avec beaucoup d'aisance. Nous, membres du jury, étions vraiment
où les choses
LitteRama’OHi « is
Tinihauarii iïlareua Leu
-
Wilfrid Pina'i Lucas
solidaires. Il
n'y avait pas de problèmes de personne, ou s'il y en avait, nous les metnous les réglions en aparté. Je le répète, tout était facile entre
nous, nous nous sentions bien. Aujourd'hui, je me suis retiré du jury du Heiva et je
ne sais pas comment les choses se passent à présent, mais c'est le souvenir
que je
garde de Henri Hiro, Président du jury du Heiva.
tions de côté et
Question
Aujourd'hui, certains regrettent les anciens membres du jury du
jusqu'à dire que la valeur que Henri Hiro, toi-même et tous les autres
apportiez à ce jury n'a pas été remplacée depuis. Quel est ton sentiment par rapport à cela ?
Réponse : Je respecte le jury actuel du Heiva i Tahiti. Chacun de ses membres a
toute sa légitimité pour observer, comparer et évaluer les prestations de chaque
groupe. Je sais par expérience que c’est loin d'être facile. Donc je ne peux décemment pas porter un jugement sur leur travail d'autant plus que je ne sais pas précisément comment les choses se déroulent aujourd'hui.
A notre époque, honnêtement, tout me paraissait plus simple pour nous. Les
soirées pouvaient être plus longues, mais nous avions la possibilité et l'appréciable
liberté de reporter les délibérations au lendemain. Nous avions parfois des discussions animées, mais jamais de profonds désaccords. Hiro, c'était le sourire et quand
des membres du jury se disputaient, il finissait par en rire et par nous faire rire. Il
arrivait toujours à apaiser les tensions.
J'ai aussi l'impression que pour la population tout était plus simple. On sentait
que les habitants des districts venaient plus nombreux et plus facilement assister
aux soirées du Heiva. Et comme je l'ai dit plus tôt, Hiro attachait
beaucoup d'importance au public.
:
Heiva et vont
Question
:
Plus
Huahine. Comment
tard, Henri Hiro, devenu très malade, s'est retiré
départ
sur
l'île de
été vécu au sein du jury ?
Réponse : Il a eu raison de se retirer à ce moment. Il était effectivement malade
et fatigué et il valait mieux pour lui qu'il passe les rennes. Personne ne peut lui en
vouloir d'avoir fait ce choix. Il m’a alors passé la présidence du jury du Heiva et
j'avoue que sans lui, les choses ont été plus difficiles. Il apportait tellement de joie
et de légèreté que son départ s'est fait lourdement sentir lors des délibérations.
Nous, Flora Devatine, Iris Teai, Pierre Sham Koua et moi-même, les piliers du jury
de l'époque, nous sommes retrouvés sans notre soleil, sans notre moteur. Nous
avons néanmoins réussi à garder et à perpétuer les valeurs
auxquelles Hiro était
attaché. Nous avons maintenu la cohésion du groupe et l'unité du jury.
son
a
33
Dossier:
Question
qu'il
:
«e
Hiro
e»
A votre avis,
manque un autre
aujourd'hui, que manque-t-il le plus au Heiva ? Est-ce
Henri Hiro dans le jury, dans les auteurs, dans les chefs de
?
Réponse : Aujourd'hui, Henri manque à l'appel, c’est certain. Encore plus
aujourd'hui alors que je me rappelle tous ces souvenirs, mon compagnon de fortune et d’infortune me manque. Tout comme les autres, Flora, Iris, Pierre, Coco...
Et Hiro reste irremplaçable.
Un autre Henri Hiro au Heiva, est-ce réaliste ? Est-ce raisonnable ? Aujourd'hui,
je ne sais pas.
Par contre, je dirai qu’aujourd'hui au Heiva, on ne rit pas assez. On n'entend
plus les rires monter des tribunes. Tout comme les applaudissements ou les huées.
Mais principalement, je trouve que tout est devenu très solennel. Il faut un minigroupe
mum
de sérieux c'est certain, mais le Heiva, c'est avant tout la fête. C'est une corn-
pétition bien sûr, mais c'est l'esprit de la fête, la joie, la célébration de notre culture
ma'ohi. Même dans les spectacles présentés on ne retrouve plus, ou si peu, la jovialité des spectacles d'antan.
Le mot de la fin
:
Avec Henri Hiro, il y a
beaucoup, beaucoup de souvenirs...
grand amour pour son pays. Il a donné le
meilleur de lui-même pour faire revivre les valeurs que les tupuna nous ont enseignées. Ami fidèle à la perfection, c'est pour cela que je l'ai tant estimé et apprécié.
Je n'oublie pas Flora Devatine, Iris Teai, Pierre Sham Koua et tous mes autres
amis, membres du jury du Heiva. Je n'oublie pas non plus Do, la charmante épouse
de Henri Hiro, toujours très accueillante. Il m'est impossible de parler de Henri Hiro
sans avoir une pensée émue pour eux aussi.
Mon ami Henri Hiro, honnête, avec un
LittéRama’oHi
tt 18
Jimmy iïl, Ly
Wen Fa et Henri Hiro
Je n'ai
jamais
Henri Hiro et je ne le connaîtrai jamais. Et pourtant nous
Polynésie pendant la même période, certains diront
funeste, du Tahiti nucléarisé, sans cependant nous côtoyer ni à fortiori nous renavons
connu
vécu ensemble
en
contrer.
Il
peut donc sembler étrange qu'aujourd'hui, je puisse essayer de faire un
parallèle entre le mouvement culturel de Wen Fa et le combat de HIRO. Et pourtant si on y réfléchit bien, on pourrait trouver beaucoup de ressemblances entre
les deux.
A
première vue, il n'y a pas plus dissemblable contestation entre les positions
de Henri Hiro et de Wen Fa. Je m'explique. Ne connaissant ses prises de position
que par
dans
un
ouïe dire, j'avais cette impression que la contestation de Hiro se situait
positionnement de refus du nucléaire plus que dans des forces de propo-
sition et de solutions.
A Wen Fa les
préoccupations étaient moins politiques et plus dirigées vers un
une réacquisition d'une culture chinoise perdue, même
pourrait penser que ces revendications se situeraient sur un plan plus intel-
renouveau
si
on
des traditions et
lectuel.
Aussi je pense qu'il est d'abord nécessaire de restituer la période historique des
protagonistes. Il ne faut pas oublier que les deux mouvements se situaient dans les
années 70 en pleine période contestataire hippie à Paris : ceci pouvant éventuellement expliquer cela.
Personnellement j'ai vécu de loin Mai 68 en Polynésie et à dire vrai je ne cornprenais rien à la révolution qui se passait là bas à Paris. Il faut avouer que les
moyens de communication étaient encore sommaires malgré la présence des trois
quotidiens de la place, de la télévision locale RFO ainsi que de Radio Tahiti.
Cette révolte parisienne me semblait si lointaine et éloignée de nos préoccupations quotidiennes. Même l'épisode de la fuite du général de Gaulle à Baden
Baden n'affectait en rien l’atmosphère si paisible des îles du Pacifique.
De plus, je n'avais jamais vu mes collègues étudiants de Wen Fa à leur retour
de France, laisser pousser leurs cheveux aussi longs que ceux du chanteur Antoine,
Dossier:
«e
Hiro
e»
moins
prôner une libération des mœurs, ni se vanter d'être montés sur les
rue Gay Lussacdans ce Quartier Latin si cher à tous les étudiants
parisiens et polynésiens.
Mais tous ou presque c'est-à-dire ceux qui étaient plus ou moins concernés,
revenaient de France avec la tête farcie de diplômes de l'Education nationale et
quelque part une certaine volonté de vouloir changer sinon le monde, du moins la
communauté chinoise de Polynésie dans laquelle ils avaient vécu leur adolescence
et qu'ils trouvaient aujourd'hui d'un archaïsme et d’un immobilisme désolants.
Il fallait bien prouver à qui de droit et surtout à soi-même que leurs études
avaient servi à quelque chose.
encore
barricades de la
Il est vrai aussi que ce
dans
retour aux sources prôné par Wen Fa devait se faire plus
dans
l’optique d'un enrichissement culturel personnel et communautaire comme
la vision d'un futur apport à une société polynésienne en pleine mutation que
dans
une
nos
révolte contre la société de consommation actuelle.
rêves de
Nous avions aussi
jeunesse.
Mais comment
désir
cet élan
la société
polynésienne d'alors ? A la suite de leurs leaders, Francis Sanford et John Teariki,
celle-ci subissait de plein fouet les changements et les contrecoups de l'arrivée du
C.E.P. Oserais-je dire que cette phrase est répétée comme une litote depuis ces
ce
comme
d'intégration était-il
vu par
années-là ?
propres problèmes de reconstruction que malgré sa
jeunesse EURO cernait à merveille et en avait déjà deviné les funestes conséquences
de l'intrusion nucléaire. Et il était bien évident que durant ces années là, elle n'avait
ni le temps, ni l'inclination de discuter de l'acceptation d'une communauté chinoise, encore moins de son intégration éventuelle et future.
La bombe était à notre porte, porteuse de tant de grands chamboulements
économiques. Et il fallait s'en arranger avec, même si personne ne comprenait, ni
n'avait les moyens d'en prévoir les conséquences futures. Pour les politiques, il y
avait plus urgence à gérer et à comprendre les arcanes du pouvoir.
Face à cette négligence des esprits de l'époque, la révolte de Flenri FIIRO semblerait plus dirigée vers une prise de constience des dangers de ces bouleversement
irréversibles. Intuitivement il pensait que là solution à ce mal insidieux se trouverait
dans un retour et une réappropriation des valeurs traditionnelles mises à mal par
les errements d'une société polynésienne plongée vers la consommation à
Elle avait elle-même
ses
outrance.
Aussi pour
pour
d'autres,
mettre en valeur ce refus anachronique pour les uns et mal avisé
on a
donc
vu
Fliro
se promener en
pleine ville, vêtu d'un simple
LitteRama’oHi
» is
Jimmy (Tl. Ly
paréo, symbolique d'un refus du modernisme apporté avec l'aide du C.E.P.. Lui n'y
voyait qu'un moyen de se défendre contre des forces inéluctables.
Or il était bien évident qu'avec leur conservatisme intellectuel et vestimentaire, les membres d'origine chinoise de Wen Fa revenus à Tahiti n'étaient pas trop
attirés par ce style de contestation dont ils ne comprenaient pas à priori les fondements.
Visuellement d'abord
n'était pas
dans leur style de s'habiller à l'ancienne ni
dans la rue en criant des slogans anti-nucléaires. D'ailleurs, j'en
connaissais très peu qui aimait le style yé yé de Johnny Hallyday et de Sylvie Vartan. Les pantalons patte d'eph, les jeans et autres t shirts comme les cheveux super
longs n'entraient pas dans leur comportement quotidien.
Comme pour beaucoup de nos compatriotes, l'idéologie française de Mai 68
relevait plus du folklore estudiantin que d'une réflexion approfondie sur la société
hexagonale de l'époque. Contrairement aux Etats-Unis où la musique de Bob Dylan
et de Joan Baez entres autres avait servi de support à la lutte des droits civiques
pour les Noirs, mes amis de Wen Fa n'étaient pas revenus avec cette idéologie
contestataire hippie sinon je l'aurais su.
En fait j'avais même l'impression qu'ils considéraient Flenri HIRO comme un
doux rêveur. De plus, mais il n'y avait pas seulement qu'à Wen Fa, beaucoup de
gens locaux ne comprenaient pas très bien le sens de cette contestation qui refusait l'avènement du modernisme et du progrès économique.
Beaucoup y voyaient plutôt comme une chance inouïe et unique de développement du Territoire qu'il fallait saisir avant qu’elle ne disparaisse. Pour beaucoup
de Polynésiens, la manne nucléaire semblait être la chance de leur vie.
de
se
ce
promener
Car
ce
n'était pas
présence atomique,
du tout dans leurs habitudes de Chinois de contester une
source de tant de progrès, d'enrichissement économique et
d'élévation de leur niveau de vie. De fait c'était surtout
sur
le terrain culturel que
les
juvéniles membres de Wen Fa portaient leur attention, tant il est vrai qu'ils n'y
ou si peu à leurs traditions chinoises.
Durant ces années-là d'abandon et de négligence d'avant C.E.P., leur constat
sur l'état culturel de la communauté était assez accablant non
pas tant sur la
connaissaient strictement rien
conservation des coutumes et traditions relativement
encore
vivaces mais surtout
niveau de la conservation de la
langue hakka à laquelle peu de solutions étaient
proposées dans les écoles chinoises existantes. Ils pensaient que si la langue dispa-
au
raissait, c'en était fini de leur identité de Chinois hakka.
Moi-même
avec
qui revenais des Etats-Unis en pleine mode hippie de San Francisco
leur slogan de légende, « Make Love not War », j'avais la
le Flower power et
37
Dossier:
tête farcie
«e
Hiro
e»
les chansons des Beatles
plutôt que de saveurs de won ton et de
musique tahitienne.
Ayant vécu dans le confort lénifiant de la vie américaine, même si saupoudrée
avec des préoccupations un peu contestataires, avec beaucoup de mes camarades
universitaires, je jetais comme beaucoup de monde autour de moi un regard un
peu sceptique sur la démarche de refus d'Henri Hiro.
Pour beaucoup de mes compatriotes, il leur semblait tellement bizarre et
contradictoire pour un esprit éduqué en France tel que Hiro que de refuser l'arnélioration des conditions de vie des Polynésiens et le confort des progrès matériels
qu’amenaient l'ouverture de l'aéroport de Tahiti Faaa, la construction d'un nouveau port, comme l'avènement des nouveaux moyens de communication et des
dim
sum
avec
et encore moins de
médias de la télévision.
tout le monde avait tellement confiance en l'avenir et tout croyait
progrès économique et technologique des années 70 qu'allait amener la manne nucléaire. Les années de prospérité des futures trente glorieuses ne
devaient-elles pas amener le bonheur du confort éternel ? Et à l'époque avionsnous si tort de penser cela et comment nous le reprocher aujourd'hui?
Les préoccupations des Polynésiens pourtant se situaient ailleurs. Le pays bougeait. Il fallait profiter de la situation et urgence il y avait. Les deux communautés
avaient peu de choses à partager ensemble. Même si elles vivaient côte à côte, elles
se connaissaient si peu et n'avaient que peu d'occasions pour faire connaissance.
Pour tout dire elles ne se mélangeaient pas beaucoup. Et leurs ambitions propres
divergeaient en se situant aux antipodes.
Visionnaire avisé, Henri Hiro se doutait bien de l’impact destructeur de l'entrée de la Polynésie dans le inonde moderne occidental aux valeurs si différentes
de la société traditionnelle polynésienne. Même si ses prises de position tenaient
beaucoup plus d'une posture et d'une éthique individuelle, elles reflétaient tout
d'abord une méfiance de voir sa communauté ne pouvoir se défendre efficacement
En
somme
tellement
contre
au
une
évolution inéluctable.
Mais il y
avait déjà en lui cette crainte douloureuse et prémonitoire de cette
qui ferait que plus rien n'allait redevenir comme avant avec comme
conséquence que son pays ne serait plus comme le sien.
J'avais aussi l'impression que tous ces changements présageaient d'un mauvais pressentiment envers le futur et que pour lui, dorénavant l'avenir du peuple
polynésien ne serait plus entre leurs mains.
invasion
A
ce
titre Henri Hiro était
Ne connaissant pas ses
un
vrai et altruiste visionnaire.
écrits, je
me
demandais s'il avait quelque idée d'une
LitteRama’OHi tt is
Jimmy ID. Ly
future
Polynésie après un éventuel arrêt des essais. Car il était impensable qu'il
puisse penser que le destin de son fenua ne resterait confiné qu'à celle d'une terre
d'expérimentation nucléaire pour la France.
Au contraire de
Hiro,
aux
débuts de leurs réflexions les membres de Wen Fa,
pensaient pouvoir utiliser ces transformations pour moderniser et maîtriser leur
sinité plutôt que siniser leur modernité. Il fallait ouvrir les esprits traditionnels de
leur communauté et chercher comment
nant
pouvoir participer à la vie du pays
en ame-
quelque chose de différent.
D'où
un
retour
aux sources
Chinois mais devenir
un
traditionnelles
meilleur Chinois dans
non
une
devenir Chinois pour être
perspective de cohésion et de
pour
partage avec une nouvelle société polynésienne.
Retrouver
sa
culture était donc le point de dénominateur commun
objectifs que le combat
Fliro pour leurs propres communautés divergeaient.
propre
entre Wen Fa et Fliro. Mais c'était dans la finalité de leurs
de Wen Fa et celui de
Sur le poster
relie
en son
était
un
de la Maison de la Culture annonçant une manifestation cultuhonneur, j'ai vu le portrait d'un homme dont on disait surtout qu'il
révolté. En fait j'ai
du mal à trouver une trace de révolte sur ce visage.
j'ai vu le regard saisissant et contradictoire d'un homme apaisé
dont j'ai aimé la franchise, j'ai ressenti la douceur de son sourire accueillant,
annonçant un Flaere Mai Ra qui n'est pas de pacotille. Difficile d'imaginer Fliro avec
une telle sérénité dans une
posture anti nucléaire et pourtant c’était bien le cas.
Comme avec ces musiciens baladins sur le trottoir de la Banque de Polynésie
qui chantent tous les jours des airs de musique tahitienne évoquant le bonheur
perdu d'une île enchanteresse. Ils chantaient avec une telle nostalgie que ç'en était
poignant comme s'ils l'avaient perdue pour toujours.
C'est ainsi que j'ai trouvé le portrait d'un homme à la recherche d’un bonheur
d'autrefois perdu mais qui existerait toujours quelque part dans un océan inconnu,
dont on découvrirait par hasard le secret en vivant autrement la réalité d’aujourd'hui.
Je ne connaissais pas Flenri Fliro mais j'aurais bien aimé le connaître
Au contraire
Dossier:
«e
Hiro
e»
Henri Hiro
et des souvenirs de
profs de philosophie
Interview
RK
:
JCI
:... en
RK
:
JCI
:
Jean
Christophe, tu veux rendre hommage à Henri Hiro, et de manière
plus particulière en rappelant une partie de sa vie, à savoir celle où il était élève
dans l'enseignement protestant. Nous sommes à la fin des années 60. Il y a eu la
première explosion nucléaire à Mururoa en 1966, et toi, tu es arrivé...
septembre 1967.
Et tu étais donc
J'étais
professeur de philosophie
au
collège Pômare.
VAT (Volontaire à l'Aide Technique) et l'Enseignephilo en terminale A. Il se trouve
que dans ma première année d'exercice, j'ai eu comme élève Henri Hiro.
venu en
tant que
ment Protestant m'avait confié entre autres la
RK
rents ;
:...
et Dura
mais
nous
Raapoto, qu'il convient d'associer, même s'ils ont été très difféallons parler d'Henri Hiro, qui a eu un parcours scolaire tout à fait
particulier.
JCI
:
Oui, Henri n'avait
milieu de la Troisième,
en
fait suivi
un cursus
scolaire normal que jusqu'au
après quoi il était parti dans sa famille à Punaauia et Moovie de cultivateur et de pêcheur ; il avait fondé une famille,
dont étaient nés, je crois, deux enfants. Il s'est retrouvé à l'école pastorale d'Hermon du fait d'une vocation pastorale. L'école était dirigée par deux missionnaires,
reconnus pour leur profonde connaissance de la langue tahitienne, les Pasteurs
Adnet et Vernier, qui ont repéré chez ce garçon un potentiel considérable. Ils nous
l'avaient envoyé au Collège Pômare en cours de français et de philosophie, afin
qu'il puisse poursuivre des études de théologie en métropole.
rea, pour
vivre
une
LitteRama’oHi
Jean-
RK
sons
« is
Christophe Irrmann et Robert Hoenig
C'est
:
ce
qui était bien dans l'enseignement protestant,
bien, de donner leur chance à des éléments
au
connaisparticulièrement
que nous
parcours
chaotique...
JCI
de
qui était
quelques semaines !
:
...
ce
On sentait chez
Il avait 23
ans, et
n'était plus jeune que moi que
garçon, d'un côté des lacunes énormes, aux niveaux des
langue française, mais d'autre part une pensée qui cherchait
ce
connaissances et de la
à
son cas.
s'exprimer.
RK
Dans
:
une
classe
au
niveau du bac il y avait donc toute une série d’exer-
cices, de dissertations...
JCI
Oui, il y avait chez moi une dissertation à rendre tous les quinze jours ;
au début, arrivait difficilement à écrire une à deux pages, saturées de
:
Henri,
fautes de toutes sortes, et je
mettais
plus de corrections et remarques
rouge, que lui n'avait mis de texte en noir ou bleu. Ce qui m’a frappé très vite,
c'est qu'il n'a jamais commis une deuxième fois une faute quelconque, d'orthographe, de grammaire ou de syntaxe. Il travaillait manifestement beaucoup et assimilait bien, absorbant les connaissances comme une éponge.
pour ma part
en
RK
:
Qu'en était-il de
JCI
:
C'était
en
fait
un
l'expression orale ?
peu
la même chose. Il avait de grandes difficultés. Je
ne
du reste, qu'en langue tahitienne, son vocabulaire et ses facultés d'expression étaient beaucoup plus riches qu'une honnête moyenne, enrichie toutefois, au niveau de la pensée, de la dialectique propre à la pratique religieuse
protestante, faite de dialogue entre les idées et les expériences de la vie quotidienne. C’est en tous cas ce que je le voyais mettre en oeuvre, au fur et à mesure
de ses progrès rapides en expression française, parlée et écrite ; puis se sont développées ses facultés d'expression abstraite proprement dites.
pense pas,
RK
JCI
temple
Est-ce
:
:
y
avait à l'époque
un
enseignement du tahitien ?
Zéro; ni dans l'enseignement public ni dans le privé. Il n'y avait que le
ou
entendre
qu'il
l'école du dimanche, en plus des traducteurs de la vie publique, pour
langue tahitienne allant au-delà des besoins de la vie familiale.
une
Ml
Dossier:
RK
:
JCI
:
Et comment
Peu
se
«e
Hiro
e»
comportait Henri dans ta classe, Est-ce qu'il participait ?
début, puis de plus en plus, à la mesure de ses progrès dans l'expression. Alors que le niveau des six élèves de la classe était très correct, Henri s’est
au
révélé être le meilleur dès le milieu de l’année scolaire, en tous cas aux niveaux de
la richesse, de la
qualité et de l’originalité de la pensée.
originalité venait en grande partie de sa vie d’adolescent et
de jeune adulte dans la « Polynésie profonde », qui n’a donc pas été pour lui du
temps perdu.
Je crois que cette
RK
:
JCI
:
Henri découvrait la
philosophie, mais toi aussi
en
quelque sorte !
En tous cas,
j’en découvrais l’enseignement !
j’étais plus « calé » en sciences humaines et en logique que dans
d’autres branches comme la métaphysique, par exemple.
D’un autre côté je me suis interrogé sur ce qui était le plus susceptible d'intéresser mes élèves, d’une part, et sur ce qui leur serait le plus utile
pour passer le
bac, mais aussi au-delà, d'autre part. Il m’a semblé que mes goûts personnels
concordaient assez bien avec l’intérêt des élèves, à savoir qu’il était plus important
de leur donner les moyens de comprendre le monde actuel ou de leur donner à
réfléchir sur leur propre identité, que de leur prodiguer une connaissance profonde
de la pensée de Malebranche ou des angoisses de Kierkegaard par exemple.
.
A vrai dire
RK
lait
Donc, dans les dialogues philosophiques que tu menais, est-ce qu’on pardéjà à cette époque de la culture, de la politique, des bouleversements dont
vous
:
étiez les témoins ?
JCI : Pas tellement. En fait on était surtout confronté au problème du bilinguisme, qui était ressenti comme suit : une langue véhiculaire, qui était le français,
porteuse des connaissances et des idées abstraites, et une langue vernaculaire, le
tahitien, exclusivement dédié à la vie familiale et quotidienne, et qui en termes
d'idées et de concepts n’était pas censée véhiculer grand-chose. Ceci créait un problême manifeste chez les élèves.
C’est
pourquoi je m’étais attaché à apprendre, justement auprès des pasteurs
Vernier, des exemples montrant le caractère sophistiqué de particularités
grammaticales du tahitien comme le duel, ou le distinguo entre le « nous » exclusif et le « nous » inclusif, montrant ainsi que chaque langue avait son génie, sa
Adnet et
1
'
LitteRama’oHi
# 18
Jean- Christophe Irrmann et Robert Hoenig
richesse, et
sa structure logique propres. Il s'agissait de montrer qu'il était inepte
parler de langues « primitives » à opposer à des langues élaborées ou « conceptuelles ». Il me paraissait important d'apporter à cet égard les conceptions de Saussure ou Lévy Strauss, appliquées au cas d'espèce.
de
RK
:
JCI
:
Ces
:
Et dans les dissertations,
Comment
réagissaient les élèves
par rapport
à
ces
exemples ?
développements les ont, je crois intéressés, contribué en quelque sorte
décomplexer par rapport à leur propre langue, et à éliminer des blocages. En
fait, ils n'avaient jamais été jusque là amenés à réfléchir à la « façon de fonctionner » de leur langue maternelle, ce qui rendait d'autant plus difficile
l'appropriation des connaissances reçues dans l'autre langue.
Ils étaient donc surpris, et agréablement.
à les
RK
quelles références
ou
exemples présentaient les
élèves, des éléments issus de la mythologie polynésienne, de la bible, de la vie quotidienne ?
JCI
Je n'ai pas
le souvenir d'une seule référence à la mythologie polynésienne
avait surtout des exemples provenant eux-mêmes de
la culture occidentale, ou de la bible, ce que j'interprète soit par une anticipation fausse en l'occurrence de l'attente du professeur, soit précisément par une difficulté à concevoir cette matière enseignée en français autrement que comme un
exercice artificiel sans lien avec sa propre identité. Au fil de l'année scolaire, et tout
particulièrement chez Henri Hiro, je voyais plus souvent des illustrations provenant
de l'expérience personnelle ou d'histoires apprises en dehors de l'école. Je considérais que ces efforts de conceptualisation de la vie pratique et personnelle étaiènt
signe de progrès dans l'assimilation des connaissances et des méthodes de raison:
traditionnelle ! Au début il y
-
nement.
RK
sion,
:
ou
JCI
:
vait être
vre
Cette
fréquentation de
ces cours
de préparation au bac était-elle
sa
déci-
celle de l'église ?
Ne pouvant pas rattraper toutes
question
que
d'obtenir
un
les matières depuis la troisième il ne poucertificat d'équivalence pour pouvoir poursui-
des études. L'initiative venait manifestement des autorités de
Protestante, mais Henri
y
adhérait totalement, poussé
par sa
l'Eglise
vocation et aussi cette
M3
Dossier:
soif de
Hiro
e»
développement personnel. Il a d'ailleurs eu ensuite des résultats brillants
théologie de Montpellier, y compris en grec et en hébreu !
en
«e
faculté de
RK
:
JCI
:
Je
RK
:
Après
Qui suivait
ses
études ? Ses parents
? L'Eglise ?
rappelle pas avoir vu des membres de sa famille. N'oublions pas
qu'il était largement majeur et père de famille ! Par contre nous parlions régulièrement de son évolution avec les autorités de l'Eglise qui, soit dit en passant, le
finançait.
ne me
ces
quelques mois passés ensemble, as-tu
revu
Henri ultérieure-
ment ?
JCI
:
Ayant exercé ensuite
d'autres pays,
je n'ai
revu
conservions de très bons
une
autre profession, d'abord à Tahiti, puis dans
Henri qu'épisodiquement, dans les années 80, et
nous
rapports. Tout en ayant mûri et affirmé de fortes convie-
tions, il gardait cette grande curiosité d'esprit et aussi beaucoup d'humour. C'était
grand plaisir de voir l'évolution de cette personnalité d'exception après avoir
quelque peu à sa formation.
Mais toi, qui m’as succédé au Collège Pômare comme prof de Philo, tu l'as
davantage connu après son retour de faculté. Peux-tu m'en dire quelques mots ?
Ton expérience était-elle dans la continuité de la mienne ?
un
contribué
RK
ment
:
Dans la continuité pour
l’essentiel. Ayant été tous deux dans l'enseigne-
protestant nous savons qu'étant en charge de petites classes nous avions la
possibilité de
nous occuper
de personnalités
au parcours
compliqué, et néanmoins
très intéressantes. D'autre part, étant Alsaciens tous deux, nous avons cette expérience vécue du bilinguisme, qui nous permettait une compréhension et une
approche des problèmes différente de ce qui se passait habituellement ici.
J'ai rencontré Henri Hiro pour la première fois quand il était à la maison de la culture de Pirae, menant déjà des activités fort originales, puis à l’OTAC, où il avait créé
deux ateliers, l'un de théâtre et l'autre de cinéma. Pour celui-ci, il nous envoyait,
munis d’une caméra Beaulieu pour faire des films de six minutes, dans des quartiers
où autrement nous n'aurions jamais mis les pieds, dans certains coins de Taunoa par
exemple ; il nous obligeait ainsi à voir en quelque sorte l'envers du décor de fleurs.
Nous nous voyions ensuite assez souvent dans sa maison de Tipaerui, qui ressemblait à une pirogue dans des veillées très riches et cordiales.
LitteRama’OHi 8 is
Jean-
Christophe Irrmann et Robert Hoenig
Bien
plus tard, quand il s'était établi à Huahine, et était Directeur de la Publi-
cation du Vea Porotetani, nous travaillions de manière très intense et riche
contenu de la
rédaction de cette
au
j'observais alors son grand souci d'équiliqualité des contenus, y compris au niveau des langues utilisées, son
expression de la langue française étant d’ailleurs très belle.
A ce propos, signe d'un retour vers la fin de sa trop courte existence vers la
théologie, il travaillait à une préface en tahitien au nouveau et à l'ancien testarevue ;
bre et de
ment, dont toute trace a malheureusement été détruite dans l'incendie de
son
sa
mai-
de Huahine.
JCI
Ce retour
religieuses est relativement méconnu et fait partie
complexe.
Cette personnalité, j'en suis convaincu, n'aurait pas eu cet épanouissement et
surtout cette créativité si Henri Hiro était resté confiné dans sa langue et sa religion d’origine et n'avait pas fait ces allers et retours dont nous parlons.
Il fallait les outils et les connaissances apportées par une langue comme le
français pour que des esprits brillants comme celui d'Henri puissent refonder une
pensée conceptuelle en tahitien, redéployer une créativité, et in fine diffuser une
culture redynamisée. C'est du reste le cas de la plupart des créateurs de cette génération, et reste encore vrai aujourd'hui si l'on veut éviter que cette culture ne se
referme sur elle-même et ne s'appauvrisse à ..nouveau.
de
ce
:
aux sources
caractère riche et
Dossier:
Le retour
Introduction
amer
de l’enfant
«e
Hiro
e»
prodigue
:
Après deux années d'études passées à l’école pastorale d'Hermon Henri Hiro
son équivalence du baccalauréat à l'Ecole Vienot et part en octobre 1968
à la Faculté de théologie protestante de Montpellier pour approfondir ses connaissances afin de devenir pasteur. Il obtient sa licence de théologie en
juin 1972, puis
se rend à Strasbourg pour suivre une formation en journalisme. Mais en décembre
1972, tourmenté par le doute sur la nature de sa vocation pastorale et le sens à
donner à sa vie, il décide d'abréger son séjour et est rapatrié à Tahiti. Le texte qui
suit narre les péripéties qui ont ponctué son retour, les difficultés à trouver un terrain d'entente avec les autorités de l’Église évangélique et l'état de ses réflexions
décroche
sur
l’évolution de cette dernière.
Sa famille et
proches se souviennent de ce jour mémorable de son arrivée
l'aéroport de Tahiti-Faa'a en cette veille de Noël 1972. Choquante pour les uns,
surprenante pour les autres, l’arrivée d’Henri Hiro n'a pas laissé indifférent. Hiro
Ouwen qui est allé l'accueillir à son arrivée, témoigne :
ses
à
Un dimanche, le pasteur
- c'est toujours Marama - nous annonce son retour.
arrivée, c'est toute la paroisse qui se déplace à l'aéroport pour
l'accueillir. Toute la famille proche est là et on voit débarquer Henri, les cheveux longs et la barbe. C'était un peu la mode hippie qui
commençait. Alors là,
ça a été la déception. Le pasteur a eu juste la décence de lui serrer la main, puis
il s'est éclipsé. Moi aussi cela m'a surpris quand je l'ai vu arriver comme cela ;
cela.m'a choqué.
Le
à
jour de
son
Son arrivée est restée un sujet de plaisanterie, qu'Henri Hiro s'est plu lui-même
évoquer auprès de certains de ses proches. Isidore Hiro raconte :
LitteRama’OHi » ib
Jsan-ITIarc Tera'ituati'ni- Pambrun
Quand il est
revenu
de France, ma mère est allée à son arrivée avec ma sœur,
avait aussi beaucoup de représentants de l'Église évangélique en
habillés, quoi. Ils attendent Henri. Les passagers sortent
les uns après les autres, mais pas d'Henri. Quand il n’y eut plus un seul passager,
ils se sont demandés où Henri était passé. C'est Fa'atauira qui l'a reconnu. Il
était assis dans un coin du hall en train de les regarder. C'est Henri qui raconte
ça en rigolant : « Je suis le premier qui est sorti, mais personne ne m'a reconnu
au passage. Alors je suis venu m'asseoir au comptoir et je les ai regardés en
train de me guetter. Mais personne ne faisait attention à moi. Normal, ils m'attendaient en costume, cravate, bien habillé, comme un pasteur quoi ! » Alors
que quand il est arrivé, il avait les cheveux longs, une longue barbe, des moustaches, sans chaussures. Je ne sais pas comment ils auraient pu le reconnaître.
Et quand ma maman l'a reconnu, elle était choquée, mais elle l'a embrassé. Par
contre, il parait qu'il y avait des pasteurs mécontents qui ne l'ont pas couronné
et qui sont partis.
Fa'atauira. Il y
costume cravate. Bien
Pour Hiro Ouwen, le
Marama à la
premier contact qu’Henri Hiro a eu avec le pasteur
paroisse de Puna'auia a été déterminant pour la suite.
De
prime abord, le sentiment a été négatif. La barbe et les cheveux longs, ça a
qui a fait dire au pasteur : « Je ne t'inviterai jamais ici. » Après ça,
Henri n'a plus jamais mis les pieds dans le temple de Puna'auia. Si le pasteur
l'avait reçu tel quel, quand il est rentré, et si l'Église l'avait mis a un poste où il
pouvait être vu de l'ensemble de la Polynésie, je pense que l'on n'aurait certainement pas connu le Henri Hiro tel qu’il est devenu.
été le déclic
temps-là, l'Église était carrée », rappelle John Doom. Elle n'avait pas du
apprécié de le voir revenir dans cette dégaine, mais elle a accepté de le tolérer provisoirement. Les premiers temps, comme il n’avait pas de maison, John
Doom, en accord avec l'Église, l'a installé dans un presbytère désaffecté, au bout
du 2e étage du Foyer des jeunes filles de Paofai. Il y logea avec sa femme et leurs
deux enfants. Rémunéré 18 500 francs Pacifique par mois par l'Église dès le 1er janvier 1973, Henri est resté-là longtemps sans travailler. Un jour, il a dit à son frère :
«
En
ce
Tu
as vu
tout
Isidore?
Ça fait huit mois que je suis là et je ne travaille pas, mais on
paie. Alors c'est super ! » Alors je lui ai demandé : « Ah bon ! On ne t'a pas
encore donné un travail ? » Et il m'a répondu : « Ben, les autres là, ils ne savent
pas quel travail me donner ! Ils ne savent pas quoi faire de moi ! » Ce n'était
«
me
M7
Dossier:
pas
facile. Il
Samuel
me
racontait
Raapoto) dans
tant les ciseaux
avec
Rase-toi la barbe !
son
«e
Hiro
e»
chaque fois qu'il allait voir Tamuera (le pasteur
bureau, dès qu'il entrait, Tamuera lui disait en imidoigts : « Henri,Tes cheveux ! Coupe tes cheveux !
que
son
les
»
Toujours soucieux de son protégé, John Doom, en accord avec l'Église, tente dès
retour de le « réintégrer » et de le préparer à son ministère, mais sans succès :
Il voulait retrouver les
de
quelque chose, il bouillonnait. Nous avons
élève pasteur et qu'il fasse son stage à la paroisse
de Taunoa. Mais il y a eu un problème... avec ses cheveux longs et sa barbe,
alors ça n'a pas marché avec la paroisse de Taunoa car il était déjà très impliqué
dans les problèmes de la culture mâ'ohi.
proposé qu'il soit pris
sources
comme
J'étais très malheureux, parce
qu'on s'est lié d’amitié et qu'à ce moment-là il y
plus en plus de « clash » avec nos anciens d'ici. J'essayais de leur expliquer que lorsque nous envoyons quelqu'un se former, c'est comme un arbre
que l'on coupe pour faire une pirogue, il faut bien tailler les branches pour lui
permettre d'avancer. Et quand la personne a achevé sa formation, elle ne
revient pas comme avant. C'était le cas avec Henri : quand il est revenu de
France, il était taillé pour la course.
avait de
déjà en rupture avec l'Église, même si John
le lien avec l’Église n'a jamais été rompu ». C'est en tout cas
le pasteur Lucas fera bien des années plus tard :
Cette année-là, Henri Hiro s'inscrit
Doom considère que «
l'analyse
que
En 1973,
Hiro proclame au sein de sa communauté protestante : « Dieu est
n'y a plus de Dieu"1. » Pour lui, si le Dieu de l'Évangile est réellement
vivant, pourquoi permet-il alors aux dirigeants et aux fidèles de l'EEPF d'être
sourds et aveugles face aux essais nucléaires français sur les atolls de Moruroa et de Fangataufa depuis 1966 ? Si ce Dieu existe, pourquoi n'intervientil pas pour libérer le peuple mâàhi soumis au colonialisme français depuis
la moitié du XIXe siècle? Si un tel Dieu est amour, pourquoi abandonne-t-il
les Maàhi dans la “restriction"Érahui) de l'identité culturelle autochtone,
mort. Il
1
Traduction de : Ua pohe te Atua. Aita e atua faahou, texte cité par Joël Here Hôiôre dans
Prophetism in Tahiti, mémoire de bachelor of divinity, Pacific Theological College, Suva,
1980, p. 119.
LitteRama'OHi « is
Jean-dlarc Tera'ituatini Pambrun
impétueusement par les Occidentaux
(rois tahitiens du XVIIIe au XIXe
de la dynastie des Pômare
avec
la complicité
siècle)2?
restriction décrétée
Le
pasteur Joël Hoiore, qui a rapporté cette petite phrase « Dieu est mort » et
longuement commentée dans le passage qu’il a consacré à Henri Hiro dans son
mémoire de fin d’études, est plus circonspect. Sans doute, Henri Hiro a rompu provisoirement ses liens avec l'Église, mais pas avec Dieu :
Henri Hiro revient au fenua convaincu de ce qu'il doit faire pour son Église et
pour son peuple dans l'ensemble de la Polynésie française. Il verra que le meilleur moyen d'y arriver et les meilleurs exemples à suivre étaient Jésus et les
grands prophètes de l'Ancien Testament. Et il dit aimer ainsi leur courage, leur
volonté, leur audace à se battre contre toute autorité et tout pouvoir qu'ils
trouvaient coupables d'injustice... Après tout, c'est ce qu'il fit à son retour. Il
commença à dénoncer en premier lieu le peuple. Allant plus loin, il put même
dénoncer d'une certaine manière "ua pohe te Atua, aita e Atua faahou”, “Dieu
est mort, il n'y a plus de Dieu". S'il en était ainsi pour lui, je présume qu'il voulait certainement dire que l'on ne trouvait plus de place pour Dieu dans une
Église et une société, mais certainement pas qu'il était devenu athée1.
l'a
Des
proches d’Henri Hiro estiment que c’est certainement durant les premiers
son retour que les autorités de l'Église découvrent les positions idéologiques d’Henri Hiro à la lecture de son mémoire sur Le mariage en Polynésie. Elles
reçoivent très mal cette contribution - et on le comprend à présent eu égard à ce
qui précède - pourtant validée par un jury universitaire présidé par son professeur
de morale et de philosophie, Alain Crespy, et confirmé par un diplôme de licence
en théologie. La réaction ne se fait pas attendre : il est convoqué pour s’en expliquer et tombe sur un mur d’incompréhension au cours d’une réunion dont la
teneur des échanges illustre le décalage intellectuel entre l’Église et Henri Hiro.
Othon Printz témoigne :
mois de
J’ai été extrêmement
surpris, en 1973, d’apprendre par un des membres du
’âpo’ora'a fa’atere (comité directeur) qu'Henri avait été reçu par les pasteurs
2
LUCAS, A. Tihiri.
«
La mission du théologien dans le Sud? Quelques perspectives missionces trois dernières décennies », conférence donnée lors de l’Assem6/ée
naires maôhi durant
Générale de l'Association
3
Francophone Œcuménique de Missiologie, 23-24 mai 200,
p.
2.
HOIORE, Joël Here. Prophetism in Tahiti, mémoire de bachelor of divinity, Pacific Theological College, Suva, 1980, p. 119.
H9
Dossier:
«e
Hir'd
b»
qui lui avait demandé : « Alors, résume-nous ce que tu as retenu de ta théologie en Europe. » Et il leur a répliqué par cette formule : « Ce que j'ai retenu,
c'est que Dieu est mort », et il leur a parlé de la théologie de la mort de Dieu.
Mais eux n’ont pas compris et ils lui auraient demandé : « Mais alors, est-ce que
tu crois en Dieu ou non? » Et il leur aurait répondu - ça je me souviens bien
d'après ce que m'a rapporté le pasteur Bricold : « On ne peut pas répondre par
oui ou non, mais que ça demande une certaine recherche. » Sur ce, les gens du
'âpo'ora’a fa'atere auraient dit : « Dans ce cas, il ne peut pas être pasteur. »
les autorités de l'Église, Henri Hiro adopte alors une attiidées, jusqu'à la provocation. Isidore Hiro confirme que
période son frère ne ménageait pas la communauté protestante, en
S'estimant
rejeté
par
tude d'affirmation de
durant cette
ses
particulier les pasteurs
Quand tu allais
au
:
foyer Paofai et
que
tu montais l'escalier pour aller chez lui,
tous les murs étaient recouverts d'affiches sur
lesquelles Henri critiquait la politique, l'Église, pas seulement évangélique, mais les églises et les missionnaires
en général. Une fois, je lui ai rendu visite avec notre père
qui a vu ces affiches.
Lorsqu'il est arrivé à l'appartement et qu'il s'est installé, il a demandé à Henri :
« C'est
quoi tous ces papiers que tu as collés sur les murs? » Henri a rigolé en
disant : « Tarihua tae mai nei i’ônei i roto tau piha, a ! E tarihua tôna » (Le
"couilleux" qui viendra ici dans mon bureau aura vraiment des couilles). Et
quand mon père lui a demandé si un pasteur était déjà venu chez lui, il a
répondu : « Pour le moment ? Non! Personne ! »
C'est
bout de
huit mois,
quand il a coupé (en partie) ses cheveux que
signe de bonne volonté, lui propose enfin, sur les
conseils de John Doom, d'être rédacteur du mensuel protestant Ve'a Porotetani, en
juillet 1973. « C;est Henri qui donnera au Ve'a son format actuel », note John
Doom. Sous le titre « Un nouveau Ve'a », l'équipe de rédaction, où l’on discerne la
patte d'Henri Hiro, présente ce premier numéro d’une nouvelle série qui est publié
au
ces
l'Église, qui n'attendait
en
août 1973
que ce
:
Après plus d'une année de silence, le Ve'a Porotetani reparaît. Nous l'avons
voulu résolument moderne, agréable à lire et à feuilleter, abondamment illustré, mais aussi bien documenté, capable de faire progresser la réflexion de
ceux qui vont s'attacher à le lire. (...) Ce journal est bilingue. Et c'est volontairement que certains articles ne sont rédigés que dans l'une des deux langues
LitteRama’oHi
s is
Jesn-ITIarc Tera'ituatini Pambrun
qu'il utilise, le français et le tahitien. Car le Ve’a Porotetani veut s'adresser à
tous dans la langue qui est la leur. Et point n'est besoin de s'attarder dans un
réflexe paternaliste dépassé à traduire chaque petit passage.
Ce
premier numéro consacré à l'œcuménisme est néanmoins rédigé en tahitien
Hiro, qui en signe l'éditorial, donne le ton de sa parole dont il ne se départira pas à l'égard de l'Église jusqu'à la fin de ses jours. Il dénonce les divisions et
appelle à l'unité de toutes les Églises :
et Henri
2000
ans
de
séparation, 25
ans
de rencontres !
les Églises sont divisées. Va-t-on attendre
les Églises se rassemblent et mettent les choses au net
? Certaines Églises ont répondu « non », parce qu'elles n'aiment pas la division. Il
faut ramener encore l'unité, c'est un grand et lourd projet œcuménique des Églises
aujourd'hui. 25 années ont passé durant lesquelles on a cherché partout à tâtons
pour que le corps de Jésus soit un, c'est de ce tronc principal dont sont sorties
toutes les branches se séparant les unes des autres avec ses croyances et ses
Cela fait presque 2000 ans que
encore
2000
ans
pour que
directions.
L'œcuménisme est
dans
ce
signe qui nous montre qu'il y a un messie qui travaille
monde, malgré le fait qu'il y ait plusieurs langues, plusieurs, peuples, pluun
sieurs façons de vivre, plusieurs croyances, plusieurs gouvernements, plusieurs
gouvernements politiques. C'est aussi là que l'œcuménisme doit intervenir en
disant
à la
séparation entre les hommes-dans le respect des différences
ce que l'œcuménisme est en train
d'approfondir, c'est le sens
même de l'Évangile et la fonction que les chrétiens [‘Êtâretia dans le texte] doivent tenir dans le monde d'aujourd'hui.
« non »
de chacun. Et c'est
Quelle
est la
signification? Devant les difficultés qui persistent, les Chréchercher une solution, à l'intérieur de ce que chaque
Église a élaboré depuis des lustres pour répondre à l'appel de leur Dieu ? On le sait,
c'est le travail d'évangélisation, la diffusion de la Bible... en direction de la jeunesse qui leur a fait réfléchir à l'image de l'Église qu'ils répandent devant les
gens.
tiens
ne
Cette
de notre
en
devraient-ils pas
image est devenue un témoin devant les gens de notre cœur dur mutuel,
orgueil, porteurs du vrai messie, même si nous savons au fond de nous
Dossier:
ce
que nous sommes... et au service de Dieu, et
qu'on
a
Le jugement,
tent
l'on
e»
que
l'amour et la paix
le regard étranger, la jalousie [mata 'e, le fe'i'i dans le texte] exisÉglises. Et de là découle une question : pourquoi est-ce que
dans les
encore
va
Hiro
mis de côté notre identité
profit de l'humilité pour combattre tous les pouvoirs afin
gagnent tous les hommes, l'amour et la paix dans l'unité.
au
«e
soutenir
Églises qui veulent hisser le
drapeau de Jésus, alors qu'il n'y
Seigneur revienne
pour faire la paix ? Et quand II va revenir, quelle sera la réponse ? C'est la femme
que tu m'as donnée comme compagne ou c'est le serpent qui en est la cause ?
Alors qu'ils ont été chassés ensemble du paradis. C'est revenir au problème initial.
Et qu'en est-il aujourd'hui des Églises surtout ? À la réunion des comités de travail
du Conseil évangélique sur l'œcuménisme, qui a eu lieu à Bangkok au mois de
janvier 1973, il y a deux thèmes que le journal Réforme du 24 février 1973 a
publié :
l'importance d'ouvrir les portes de rencontre entre les chrétiens de la Chine et
d'autres pays. Second thème : ce que le conseil voudrait absolument, c'est
que les
a aucune
comités
ces
unité entre elles ? Est-ce que l'on va attendre que le
catholiques participent aussi
aux
comités pour qu'ils puissent travailler
ensemble, même si les catholiques de Rome ne viennent pas en tant que membres fondateurs de l'œcuménisme.
C'est
ouverture, un travail
une
commun et ça a été la décision de ce comité.
lointain, c'est un pays asiatique, la réunion est achevée et
voici sa demande : est-ce que l'on va trouver une place pour eux dans le cœur des
chrétiens de Polynésie ? Et le pasteur Jacques Maury a écrit dans la Réforme du
3 janvier 1973 : « Il est temps de tout renouveler, mais il faut
que chacun de nous
Bangkok est
un pays
sache faire don de soi4
Dans
un
ce
».
même numéro du Ve'a Porotetani, Henri Hiro
développe sa pensée dans
qui lui vaut d’emblée la réprobation de l'autorité de l'Église évan'ore (je ne t'aime pas), dans lequel il part du constat suivant :
autre article
gélique : E au
Haapao
na oe e ta oe,
haapao ia'u
dans notre vie. On l'entend à la
entre les
si
4
on ne
e ta'u. On entend souvent dire cette phrase
maison, entre les enfants, au sein de la famille,
voisins, entre deux personnes, etc. Et même entre mari et femme. Mais
connaît pas
Ve'a Porotetani, n° 1
-
l'origine de cette phrase,
on en a marre parce
Nouvelle Série, août 1973. [Traduit par nous]
qu'on est
en
LitteRama’oHi
# 18
Jean-iïlarc Tera'ituatini Pambrun
train de faire
un mur
de
séparation entre les
gens.
Pourtant les signes
ne man-
quent pas pour que la paix et la joie régnent dans notre vie quotidienne5.
Et pour encourager
cette paix, il rappelle cette maxime de sagesse apprise de
parents et qu'il avait déjà énoncée en 1972 dans sa thèse sur Le mariage : « O te
ta'ata ihoa te maitai a'e, eita te mou'a te hi'o mai i te ta'ata » (Seul l'homme est
ses
meilleur, les montagnes ne regardent pas l'homme). C’est porteur de ce message
de conciliation
qu’il appelle à l’unité des Eglises, car : « L’unité des chrétiens, c’est
» et que sans cette dernière, il suggère à Jésus de rester au ciel :
Il faut abattre les murs de la différence. Il faut casser tout ce qui engendre
l'exclusion et la différence entre telle et telle confession religieuse. Et donc il
faut mettre en place une Église nouvelle, l'Église de toutes les confessions religieuses qu'on aura supprimées, l'Église pour tous sans protestants, sans
catholiques, sans sanitos, sans adventistes, sans témoins de Jéhovah... ou tout
autre chrétien. Les chrétiens n'auront plus de dogme. L'homme sera alors pour
son peuple et pour tous les hommes, un homme de sa terre pour toutes les
terres et un homme de sa langue pour toutes langues. Jésus a dit : « Les
choses ne mènent pas à la division entre les hommes. » Et c'est pour cela que
je dis : plus de catholiques, plus de protestants, plus de témoins de Jéhovah,
plus de confessions religieuses. Et je dis OUI à tous les gens qui veulent une
vie heureuse baséè sur une vie nouvelle : Jésus qui a dit « oui » à l'unité de SON
église. Ce n'est pas une chose facile, c'est un combat. Un combat pour qu'il n'y
ait qu'une école biblique en Polynésie. Un combat pour que toutes les confessions religieuses se réunissent en un seul lieu qui forme un peuple. Un cornbat pour qu'il n'y ait plus LES confessions religieuses, mais UNE Église. Un
combat contre nous-mêmes et contre les autres. Un combat pour que l'on
puisse travailler afin que les hommes de toutes les confessions travaillent
ensemble. (...) Et ainsi on n'ira plus prier le Seigneur Jésus de revenir parce qu'il
sera au milieu de nous. Dans le cas contraire, ô seigneur Jésus, ne reviens pas
car tu n'as pas de maison sur cette terre. Reste dans le ciel6!
l’unité des hommes
Extrait tiré de Henri Him
(Ouvrage
Ve'a Porotetani, n° 1
Ve'a Porotetani, n° 1
en
Biographie
préparation)
53
Dossier:
‘AreVmrehu ti’i
«e
Hiro
e»
dawning
Dawning, l'aube et
crépuscule
dusk, le
les t/7 se sont
non pas
parce que
éveillés à la littérature, 'Arehurehu,
l'ombre et
pas oo, la lumière parce
la. lumière vient de l'ombre, qu'elle
ouvre sur un savoir o'o et qu'elle fait
non
que
lien, tresse, attache 'ao.
Les dieux
plus, Dieu a-t-il usurpé leur place ? Il aurait pu y prétendre
polynésien avait été polythéiste à son arrivée. Mais les Ma'ohi se référaient à une cause première segmentée en une multitude de divinités d'où procédaient les noms dont la dissémination peupla avec eux les terres émergées du
Grand Océan. Au seuil de ce qui sépare et noue le monde des dieux et celui des
hommes, f/7, parfois réifié en une effigie de bois, de pierre ou de corail, faisant
ne
sont
si le monde
socle était alors effervescence et immensité, excroissance il se faisait assise et pro-
fondeur, habitat il
se faisait nourriture et abri. Blanc, gris, rouge ou brun f/7 ne cesde faire lien. La Religion l'appela idole et le détruisit par le feu, la
Civilisation vit en lui une superstition avant de l'incarcérer dans des espaces
muséographiques, puis de l'ériger en emblème ou mémorial culturel. Il déserta les
constructions qui n'étaient plus son lieu pour habiter ce qui est désormais son ter-
sait pas
reau
et sa semence
:
l'art et la littérature.
LitteRama’OHi # 18
Bertrand-François Gérard
Atelier de Damien, Teiohee
[Iles fTlarquises]
Mais ti'i habite encore, sans mot dire, l'abîme marin des passes et l'obscurité
fond des grottes, te po, où il trouva refuge lorsque fut ordonnée sa destruc-
sans
tion. Chacun
souvient
sait
qu'il y a peu de temps encore le contact voloneffigies pouvait provoquer le malheur, un mauvais
vent, une maladie incurable, un accident pouvant être fatal. Figure immémoriale
de la mise en abîme des noms, devenue avec la conversion représentation ou habitaclê du diable, il se surchargea de la perte des noms, de l'expulsion de nombre
d’entre eux de la généalogie et de la parenté pour se faire déchirure et tourmenter
les corps là où désormais les mots manquaient à la langue, là encore où le dit de
la religion, de l'éducation, de la bureaucratie, de la bienséance, s'efforçait d'aseptiser l'intime, d'endiguer le désir, de faire taire le dire. Mais « même le diable - dit-on
a droit à un avocat», Henri Hiro
s'imposa à cette fonction.
taire
se
ou non avec
ou
l'une de
ses
-
Ils ont
perdu et le
nom
et la face
55
Dossier:
Les
«e
Hiro
e»
sont
perdus, ceux des dieux et ceux des hommes exclus de la
dont la dépouille ne fut pas inhumée en terre chrétienne et dont on
découvre parfois les restes au cours de travaux agricoles, de construction ou d'aménagement des fonds de vallée. Les f/7 eux aussi ont perdu leurs noms ; ils étaient
noms se
parenté,
ceux
et demeurent
et
inquiétants èt dangereux
comme autant de réceptacles faisant exsforclos, de leur effacement de la mémoire, de l'invalidation
de l'interdiction des traditions, de la destitution passée de ceux qui en avaient
cription de
ces noms
la
charge, les 'orern, orateurs, poètes et mémorialistes. Ce savoir ancestral la religion et la civilisation ont voulu le réduire à des curiosités ou survivances païennes
ou primitives ('efene) et même à des
superstitions tout en réclamant des insulaires
qu'ils en réinventent, à des fins folkloriques, et les costumes et .la musique et les
chants et les danses pour s'y donner en spectacle.
Mais le
spectacle offert
regard d'un public extérieur convoquait une peren jeu du corps, du regard et de la voix, celle
aussi du temps et de la pulsion s'imposant des rythmes, du mouvement, des sonorités, la poétique de la composition certes bridés par les contraintes des représentâtions et canalisés par un agenda bureaucratique. Mais les corps étaient là
rassemblés par les Fêtes du Juillet ou le passage de quelque personnalité à moins
que ce ne fût pour quelque célébration paroissiale ou familiale.
formance, la mise
en
au
scène, la mise
Ils ont
un
corps
Mais ce corps qui parle, proclame, chante et danse est le même que celui qui
était mis à mal à la suite d'un contact, fut-il involontaire avec un f/7 ou la rencontre fortuite
tupapa'u, une présence sans nom du passé, un mauvaisCorps de joie dans ces fêtes ou cérémonies collectives ouvertes à un large
public ou restreintes à la parentèle et au voisinage, qui peut se faire corps de souffrance dans son intimité subjective et organique.
mort.
avec un
LitteRama’oHi » 18
Bertrand-François Gérard
La
musique, les chants, la danse, les noms, la parentèle, le voisinage, n'ai-je pas
quelque chose ? Si sûrement, on oublie toujours quelques choses. Oui, mais
quelque chose d'important qui les relie, les arrime, en supporte l’injonction et le
tiraillement, ce quelque chose qui en suscite la tension ?
oublié
Donnons ici la parole à ce tahu'a, ce maître des cérémonies sur le marne Arahurahu, autrefois restauré par les militaires sous la direction de la Société des
Études Océaniennes.
Cette restitution fut réalisée afin
d'y présenter, lors des fêtes
spectacle évoquant l’intronisation d'un ari'i, d'un chef de l'ancien
temps. On l'appelait Tutu, c'était un merveilleux acteur qui se confondait - disaiton alors de lui
avec le personnage du Grand-prêtre qu'il incarnait pour la circonstance. Tutu intervint en langue ta h itien ne à l’occasion d'une conférence
commune donnée par Henri et moi, dont le thème était les marae.
du Juillet, un
-
J'étais
archéologue et Henri l'un des animateurs de la Maison des Jeunes et de
Polynésie Française alors encore dirigée par une équipe métropolitaine. Plus que l’animateur, il en était aussi le ti'i, l'agitateur mais encore le lien et
le garant du projet visant à ouvrir la MJ.C. à une population polynésienne qui s'en
tenait alors à distance. Une pièce de Maco Tevane, dite en tahitien, il devint plus
tard la cheville ouvrière du Fare Vana'a, l'Académie de la langue tahitienne, l'en
rapprocha.
la Culture de
Langue tahitienne... dite en tahitien ! » Mais oui, j'avais bien oublié quelque
chose, passé sous silence l'opérateur de cette tension évoquée plus haut, la langue
«
tahitienne. On disait alors te parau
ce
tahiti,
on ne
disait
pas encore
le
reo
ma'ohi en
temps là, mais le reo n’allait pas tarder à se nouer avec cet autre invasif dans
toutes les
langues, identity dont la langue française ne parvint pas à faire autre
qu'identité, la nouant à l'origine, ce que prit en compte le terme ma'ohi,
natif, indigène, né de la terre. Chacun était alors traversé ou hanté par l'exil
contraint de cet homme de la langue (parau) et de la terre (fenua), condamné pour
s'être opposé à la conversion de cette colonie insulaire en une plate-forme logistique, et pour deux atolls, expérimentale, pour l'étude et la mise au point d'armes
nucléaires. On parlait d'une possible amnistie et d'un retour. Cet homme s'appelait
Pouvanaa a Oopa.
chose
Mais donnons donc la
rer sur
cette tension de
parole à Tutu, si vive à mon souvenir, elle va nous éclail'élangue, sur cet élan porté par lalangue, celle qui colle
57
Dossier:
«e
.Hiro
e»
Plate-forme cérémonielle et construction principale
CRrahurahu)
au
corps et que
l'on n'est jamais assuré de porter à la langue,
pétri par
celle de l'indifféde ses orifices, du
temps et du langage confrontée à la différenciation progressive des contacts et des
gestes, de la voix et des sons, des rythmes et de la nourriture, du regard et de la
vue, des mots et du bruissement de l'alangue. ‘Ite ce mot dit que voir c'est déjà
savoir. Le regard et la voix, les soins du maternage tissent dès le plus jeune âge les
contours et l'architecture d'un monde qui, pour sombrer dans l'oubli,
s'impose à
un corps
lalangue
pour emprunter ici ce mot à Lacan. Lalangue elle est
renciation des trois dimensions du corps, des pulsions s'imposant
toute élaboration ultérieure.
s
Non ! Tutu attendra
ce
texte d'Henri
Il est issu de
«
nos
Henri traduira
dit à Henri
: «
n'est pas encore
le moment, son moment. Reprenons ici
publié dans le bulletin de la M.J.C. C'était en février 1974, le n° 2.
ce
conversations dont
se
tissa notre amitié. La direction m'avait dit
:
tahitien votre intervention, voyez la chose ensemble ». Et j'ai
En bon chercheur je donne ma conférence en français mais toi tu ne
en
traduis pas, tu dis en tahitien ce que tu as à dire. » Et Henry m'a dit : « D'accord,
mais je suis censé présenter et traduire ta conférence, si je dis ce que j'ai à dire, ça
retomber
dessus, moi pour ne pas avoir fait mon travail et toi pour avoir
dit à Henri : « Sauf si ce travail apparaît comme un travail cornque la salle est pleine lors de la partie tahitienne et qu'il s'entende que ce que
va nous
laissé faire.
mun,
»
Et j'ai
tu diras est aussi l'écho de cette salle. Assure-toi que
certains interviennent. Tu
scientifique, mais j'y parlerai aussi de la dignité
des ruines, celles des marae, des paepae (plates-formes d'habitation) comme de ce
qui fait inscription spatiale d'une configuration sociale sombrée dans l'oubli. Moi je
serai là quand tu parleras pour dire ce que tu voudras dire. Ce n'est que de ce qui
viendra de la salle qu'il y aura traduction, qu'il s'entende qu'elle ne s'impose que
parce que je ne parle pas tahitien. » Et Henri a ri.
seras
là
quand je parlerai. Ce
sera
LitteRama’oHi
» is
Bertrand-François Gérard
Tamari'i
C’est ainsi que
le bulletin publia l’annonce de cette conférence présentée
par
Henri.
Que
que ceux du passé aient vécu une vie avec des instrusystème d'organisation sociale'différents des nôtres ?
Que nous importe-t-il donc que notre histoire polynésienne soit en passe de devenir une manifestation folklorique juste bonne à satisfaire la curiosité du touriste ?
Et puis, en fait, posons la question autrement, que nous importe-t-il finalement que nous soyons aujourd'hui un peuple sans histoire, c'est-à-dire sans
âme ni personnalité s'adaptant individuellement au goût du jour ?
La vie aujourd'hui est tellement différente avec ses modes de travail, d'informotion et de circulation que le passé ne peut que nous sembler étranger à
tout point de vue...
Les Polynésiens plus que jamais sont engagés de plein pied dans la « civilisation moderne ». Ils s'y trouvent, bon gré mal gré, dans l'obligation de se créer
une identité. Le vague et le flou définissent leur situation actuelle. La fascination se lit encore dans leurs yeux émerveillés par les apports techniques et culturels dont ils n'ont pas suivi l'évolution.
Faire parler les pierres, vestiges de leur âme profonde engluée de nostalgie où
sourd une vague de révolte étouffée, leur serait-il un stimulant approprié qui
leur permettrait de prendre de l'élan vers un avenir où tout peut se jouer pour
ou contre la naissance d'une « culture polynésienne » authentique ?
nous
importe-t-il
ments de travail et
A la suite de
mon
un
intervention, Henri reprit ce thème de l’incertitude identi-
taire et de la nécessité de
préserver et la langue et le lien social qu’elle supportait.
authentique, il fallait s'appuyer sur les anciens pour l'inventer
plus que la retrouver, là fut la trouvaille d’Henri : là où les mots manquent, s'écrier
avec sa voix, son corps ; s'écrier pour écrire. Sans doute l'archéologie pouvait-elle
participer à ce renouveau, déjà en balayant la lecture sulfureuse de l’ancienne
Quand à la culture
59
Dossier:
«e
Hiro
e»
société
polynésienne telle que l'avaient élaborée certains missionnaires, évangélil'empire du diable, qui n'était que celui des sens bordé par des
interdits, mais plus ouvert que la morale victorienne, moins cependant que les tripots et bordels londoniens ou parisiens de l'époque. Mais ce sont les Polynésiens
que les missionnaires voulaient évangéliser.
sateurs fascinés par
Tradition et modernité
C'est à cet appui possible sur l'archéologie que Tutu fit objection et c'est à moi
qu'il s'adressa.
Tu es un Européen qui a fait de notre passé son métier. Tu en vis alors que
nous en mourons car c'est au nom de notre passé que nous avons été
condamnés à devenir chrétiens cessant ainsi d'être nous-mêmes.
De notre
passé
nous ne
te le dirons pas.
plus rien et le peu que nous en savons encore
Tu étudies les pierres, nous sommes, nous, l'âme de
ces pierres. Nous sommes ce que tu ne peux comprendre.
Rechercher ce passé pour qu'un Européen l'apprenne à nos enfants qui ne parlent plus tahitien, nous ne le voulons pas. Je préfère pour eux le mystère des
explications des vieux qui n'existent plus. Ils sauront que les vieux ont su et
garderont en eux la nostalgie de leur être. Si tu leur expliques le passé à ta
façon qui n'est pas la nôtre, ils deviendront des Européens comme ceux des
Hawaii sont devenus des Américains à la peau brune dont les Américains ne
nous ne savons
veulent pas.
Si ce que tu nous as dit est vrai, que tu t'intéresses aux Tahitiens et à leur
passé, si tu veux vraiment protéger ce passé, alors rentre chez toi car, ici, tu
n'es qu'un voleur.
Un voleur de
langue, un voleur de mots, c'est d'une imposture que se fâcha Tutu,
qui consistait à substituer au savoir, fut-il perdu du reo ma'ohi, celui de la
science qui peut s'exprimer en n'importe quelle langue : il ne s'agissait pas là de
celle
LitteRama’OHi # is
Bertrand-François Gérard
transmission. Partir ? C'est
je fis deux ans plus tard moins pour obtempérer à
injonction que pour m'engager plus avant et ailleurs sur la voie du questionnement ouverte par ces hommes. D'une façon très claire, ils m'avaient rendu compte
de divers incidents qui s'étaient produits lors de fouilles archéologiques dont pourtant ils ignoraient tout. J'appris d'eux que l'élaboration du passé résultait du travail
actuel des discours ; en tant que tel, nul ne pouvait prétendre s'en rendre maître ni
à en imposer ce qui en serait le bon usage : les fouilles creusaient une béance et
mettaient au jour une déchirure, ravivaient une plaie plus sûrement qu'elles découvraient des vestiges pris dans la gangue de leur silence d’objet ou de murs.
ce
que
cette
rïlarae
Nous
:
mise
au
jour, restitution
attendions, nous fûmes chaleureusement félicités par bien des
fîmes copieusement engueuler par certains des tenanciers ordonnés de la Culture, pas par tous. Nos conversations se poursuivirent, souvent le soir
sur la plage. Henri semblait parfois déchiré entre son attachement à l'Evangile, il
venait de quitter sa formation pastorale, et la cause militante qui lui tenait à cœur,
celle d'une décolonisation des esprits soutenue par une affirmation des langues
polynésiennes et de l'invention de modalités de vivre inspirées de l'ancien temps,
sans pour autant tout rejeter de la modernité contemporaine ; l’écriture en était
un des apports et une plus grande liberté sexuelle participait de son ouverture. Les
Eglises lui semblaient répressives, convoqué par l'un de ses dirigeants, il accepta la
rupture. Il refusa la proposition d'un de mes amis, Chad Varah, de partir à Fiji pour
y poursuivre des études pastorales dans une université qui passait alors pour le fer
de lance du combat anticolonial dans le Pacifique.
nous
auditeurs et
y
nous
C'est à Tahiti
qu'il demeura rejoignant Jacqui Drollet, Dura Raapoto, Philippe Siu
quelques autres pour fonder le la mana te nunaa, un parti politique d'inspiration
marxiste et écologique. Nos chemins bifurquèrent, il me fallait quitter la Polynésie,
comme archéologue je n'avais plus rien à y faire et ce d'autant plus que la discipline
et
SI
Dossier:
«e
Him
e»
je m'efforçais de fonder sous l'intitulé banal d'ethno-archéologie n'était pas
parmi mes pairs en métropole. J'y soutenais que l'important n’était pas de
restituer aux populations leur passé, tâche impossible car ne relevant que d'un abord
académique des objets-choses du passé, et pas davantage de tenter d'expliquer ce
passé à partir d'un savoir actuel irrémédiablement immergé dans le discours de la
science : le passé s'élabore au présent, telle était la leçon de mon expérience. Alors si
l’archéologie devait comporter une visée sociale qui ne soit ni restitution impossible, ni
impuissance à expliquer le passé, elle pouvait tendre à en trouer le silence. C'est-àdire à faire bord de ce qui ne trouve plus à se dire, tombé ou contraint à l'oubli jusqu'à
l'oubli de l'oubli, par une élaboration littéraire et artistique en assumant que tous les
peuples venant toujours d'ailleurs, il y avait moins à se préoccuper des origines ou de
l'authenticité des cultures contemporaines que de leurs fondements actuels.
que
accueillie
C'est dans cet état
d'esprit que nous nous retrouvâmes un soir pour poursuivre
quasi-rupture avec les Églises Évangéliques de Polynésie le laissait désemparé et pour ma part, je m'envoyais en l'air dans un petit avion rouge
dont le moteur me préoccupait désormais davantage que les migrations polynésiennes ou multipliais les missions aériennes dans l'attente d'une nouvelle affectation que j'espérais en Afrique.
nos
discussions. Sa
taire et ciel
Ce sont deux hommes
profondément atteints qui se rencontrèrent ce soir là. Le
à Terii, le personnage central du roman de
Segalen, Les immémoriaux, un jeune orateur qui donna sa vie dans l'effort vain de
restaurer l'ordre ancien, celui des dieux et des ancêtres. J'étais très étonné qu'Henri
ne connut pas ce livre et lui offrit le lendemain mon exemplaire avec ce commentaire : « Tu marches dans ses traces mais prends soin de toi car il s’est cassé la
gueule. Les dieux sont morts, à ça tu n'y peux rien. » « Et toi -répliqua-t-il- quel
serait ton personnage ? » « Sans doute ce paysan espagnol dont parle Malraux dans
désarroi d'Henri m'amena à le comparer
LitteRama’oHi n 18
Bertrand-François Gérard
L'Espoir. Il s'est fait embarquer comme guide dans un bombardier, mais de là-haut
ne retrouvait pas le chemin qu'à pieds il pouvait suivre les yeux fermés. » « Làhaut c'est comment pour un pilote ? » « Très étrange, tant que tu roules pour
décoller tu te déplaces à grande vitesse et quand tu atterris tu te déplaces encore
mais le plus lentement possible. Et quand tu es là-haut tu éprouves l'impression
qui doit être celle d'un cerf-volant, tu réagis au vent, montes ou descends, mais
c'est la terre qui semble se déplacer sous tes pieds. » « J'aimerais bien prendre de la
hauteur et que la terre tourne, mais dans le bon sens. Pour tourner elle tourne,
mais regarde ce qu'ils ont fait de nous lors du tournage des Révoltés du Bounty,
des Bons Sauvages. » « Alors fais un film à partir des Immémoriaux, ça sera comme
un antidote. » Et nous partîmes à divaguer, sans trop y croire, sur ce projet de film
qui ne se heurtait pour nous qu'à ceci : le financement.
il
L'affaire
par son
fut
en
resta
là, du moins l'ai-je cru. Henri était toujours davantage absorbé
engagement politique et moi par mon prochain départ. Vint le jour où il
temps de se séparer et de lui et des autres, Flora, Siki... d’autres encore sans les-
quels je n'aurais jamais mis le doigt sur cette béance archéologique, cet effondrement d'un monde qui m'habitait aussi avec d'autres noms et sous d'autres cieux.
Peut-être était-ce là ma question posée à Henri, à Flora... « de quelle transmission
te réclames-tu ?» à laquelle ils m'avaient répondu d’un « que sais-tu de nous ? »
La terre
alors
vel
en
beaucoup tourné, du temps est passé près de vingt ans. Je retournai
Polynésie pour m'y trouver confronté et convoqué à la lecture de ce nou-
appel lancé dans le Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes par Flora
: « Tahitiens écrivez ! », j'en fus saisi. J'appris de Flora qu’Henri avait réason film et qu'il n'était plus là...
Devatine
lisé
a
63
Dossier:
Quelque chose là s'est inventé, Littérama'ohi... pas sans qu'il n'y fût
Mais pas non plus sans celles et ceux qui s'y sont attelés.
«e
pour
Hiro
e»
rien.
Awakening of the Ti'i
Va aputa mai ia'u tera parau no te ti'i
Awakening parce que le français n'est pas l'unique langue.
Références
:
Flora Devatine, "Y a-t-il une littérature ma'ohi ?
»,
Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes,
Papeete, n° 271, sept. 1996.
Bertrand-F. Gérard,
«
Souvenirs et trous de mémoire
Henri Hiro, Pehepehe i tau nunaa,
Victor Segalen, Les Immémoriaux,
», 1970-1976, jamais écrits
Message poétique, Papeete (Haere Po) 2004.
Paris (Terre Humaine) ?, (points Seuil), 1985.
une
fois pour toutes.
LittéRama’oHi
# 18
Flora Devatine
Nous
nous sommes
juste croisés
Henri Hiro et moi, nous nous connaissions :
Tahiti n'est pas bien grand, et tout
le monde connaît tout le monde. Sans avoir jamais
travaillé ensemble, sauf dans le
Jury N° 1 des Chants et Danses, pendant les Fêtes du Tiurai, nos chemins
se sont croisés. La première fois, ce fut en 1968 : Henri, bachelier et boursier de
l'Eglise Evangélique de Polynésie française, partait en France, avec Dura Raapoto,
à l'Université de théologie de Montpellier, lorsque, boursière du Conseil Supérieur
cadre du
des
Eglises Tahitiennes (ancienne appellation) et de la Direction de l'Enseignement
Protestant, je rentrais de
Montpellier enseigner
début des bourses d'études offertes
tante
:
Jean-Marius
aux
au
Collège Pômare IV. C'était le
jeunes du Territoire, par l'Eglise Prates-
Raapoto, Lana Fletcher,...L'initiateur en avait été le Pasteur
d'autres, les Pasteurs Henri Vernier, Samuel Raapoto...
Daniel Mauer, soutenu par
De
ce
fait,
du 23 et 24
ma
mars
première rencontre avec Henri date de 1977, plus précisément
1977, lors des deux soirées du Premier Café Cabaret que
Henri
organisées, et placées sous la présidence du Fare Vana'a, l'Académie tahiavec pour pièce maîtresse la représentation de Oihanu qu'il avait écrit, et
qui allait être joué sur la scène du Petit Théâtre, à la Maison des Jeunes Maison de
la Culture (MJMC). Deux soirées où madame Mai-Ari'i Clark-Cadousteau et moiavait
tienne,
même fûmes
désignées
pour y
représenter le Fare Vana'a.
première soirée de ce premier Café Cabaret, le 23 mars
ci-après, a été composé sur le champ, inspiré
par ce que j'en avais ressenti ; un poème en tahitien, pensé "comme une réponse
plausible du dieu de la Culture, de la Connaissance "Ta'ere" aux invocations du
poète Henri Hiro s'adressant à “Oihanu" ; poème que j'ai lu, ainsi que sa traduction
de compréhension, sur la scène du Petit Théâtre, lors de la deuxième soirée, le 24
mars, en fin de représentation de Oihanu, au moment de clore mon intervention
de quelques mots de remerciements, d'encouragement à l'équipe, et d'incitation à
rester à l'écoute de « l'éclosion des mondes », « te patora'a o te mau ao ». Henri,
depuis sa place de spectateur, acquiesçait de la tête, et ému, il eut ces mots qui me
Ce fut
au
retour de la
1977, que le poème libre, présenté
Dossier:
«e
H ira
e»
! », « Cela vous prend
Viens, rejoins-nous ! Rejoins
touchèrent, et qui étaient sa marque : « Hu'ihu'i te manava
tripes !
aux
»
notre groupe
Puis
!»
peu
après,
ce
fut l'invitation
: «
j'avais quitté un groupe d'anciens camarades où je ne trouvais pas vraiment
place. Les préoccupations et les ambitions étaient plutôt d'ordre politique. « La
culture polynésienne n'a pas d'avenir », disait-on, l'intérêt pour la culture polynésienne n'étant pas encore vraiment de mise. Je déclinais l'invitation. Chacun de
nous avait à faire à son bord, et chacun avait son chemin à suivre. J'avais à contiOr
ma
nuer sur mon
chemin de traverse, un chemin de solitude.
Henri et moi, nous nous retrouverons
dans
son
cependant, moins de deux ans plus tard,
bureau à la MJMC, à une réunion à trois avec Mme Noriko Aikawa, en
charge à l'UNESCO de la situation culturelle de la région océanienne du Pacifique,
et devenue par la suite, Chef de la Section du Patrimoine culturel immatériel à
l'UNESCO. Suite à un rapport que je lui avais adressé, sur sa demande en 1977, elle
s'y trouvait en mission, entre autre, pour proposer au directeur de la MJMC, la création d'un département ou centre de recueil des traditions orales, dans lequel
allaient travailler, les années suivantes, Dany Carlson et Heipua Bordes notamment.
Ce Département des Traditions orales fut transféré par la suite à Punaauia à Te
Anavaharau, Musée de Tahiti et des Iles, puis au Service de la Culture et du Patrimoine culturel (SCP).
A cette
époque, je me souviens en avoir voulu à Henri Hiro d'avoir refusé
rapport, alors qu'il était, de par ses compétences et ses fonctions à la
MJMC, le plus apte d'entre nous à le faire. Ce rapport sur la situation de la Culture
en Polynésie française était attendu depuis plusieurs années par l'UNESCO : il
d'écrire
ce
été produit par le délégué d’alors de la Polynésie. Je lui en voulais d'auplus, et à son insu, que le refus d'Henri avait suscité une remarque de la part
d'un chercheur en poste sur le Territoire, et adressée par écrit à Mme Aikawa
n'avait pas
tant
Noriko
écrire
: «
ce
Vous
ne
trouverez personne, aucun
Polynésien
sur
le Territoire,
pour
rapport !»
vif, je m'étais sentie obligée de relever le défi, lorsque, dans l'urgence,
de mieux, il me fut proposé de le faire. Madame Aikawa reçut
le rapport en express en 1977 à Port Moresby en Papouasie-Nouvelle Guinée où elle
se trouvait en Commission régionale sur les problèmes culturels des pays océaniens.
Piquée
au
faute d'auteur, et faute
LitteRama’oHi # 18
Flora Deuatine
Ma troisième rencontre
avec
Henri eut lieu à l'occasion des fêtes du Tiurai où
étions membres du
Jury des Chants et Danses. Henri en assurait la présidence,
Maamaatuaiahutapu. Je me souviens de discussions
assez âpres concernant l'attribution d'un premier prix, mais où il s'était montré
sensible à l'une de mes réflexions : « E pa'i e, e 'ere fa'ahou atura ia te ma'a, te
pa'a ia te hi'ohia, te fa'afaufa'ahia, e te horo'ahia te re ! » « Ainsi donc, ce n'est
plus la chair, mais la peau que l'on va examiner, et à qui on va donner de la valeur,
et que l'on va finalement primer ! » La remarque, finalement, avait aidé à sortir de
l'impasse des discussions.
nous
à la suite de Maco Tevane
La
quatrième et dernière rencontre eut lieu en 1984, à mon retour du Niger,
super marché de la ville. Il avait quitté la direction de la MJMC et me dit
simplement ne pas bien aller. C'était un autre homme, marqué par la maladie qui le
rongeait, mais tout attentif à l'autre. Je me souviens avoir été touchée par le naturel, la chaleur et la spontanéité de son abord.
dans
un
Enfin, voici
du
ce texte
qui
a
été écrit
en mars 1977,
inséré
en
juin 1977 à la fin
rapport pour l'UNESCO, puis publié, sur l'intervention du Professeur et ethno-
logue Henri Lavondès, dans le Numéro 206 ;Tome XVII - n° 7 / Mars 1979, page
« Bulletin de la Société des Études Océaniennes » :
403 du
«
Atae ho'i
e
!
E
reo
iti horuhoru,.
E
reo
iti tahiti'a,
I te ta'u ra'a mai
I te
marae aroaro.
E Mara'ai(1) te mata'i
I vana'ana'a
I te nu'u atua
I te
a
Ta'ere (2)
varovaro anau
0 te tamari'i 'otare.
Ua
heiomi'i,
ua
tu'atu'a ihu
i te
anapoiri.
Te hua'ai matatea,
ua
porori
roa,
Te hua'ai mataru'i
turoaroa
ua
i te
pô tinitini,
ua
turorirori
no
te hia'ai ao.
Atae ho'i
!
e
E tau nu'u, e tau
A 'ai i te
ahoaho.
'ihi, ia 'ana'anaea !
A inu i te vai ma’ohi !
Ei aho
iti, ei aho nui !
A
vavae
i te 'iva nui ia
A
vavae
i te
'iriaputa,
A
vavae
i te
ra e
ora
!
hiti !
Ua tarava te arati'a.
A rohi ! Ua fatata i te taiao.
A rohi ! E
ao
A tae hoi
e
Ua tô i te
anapoiri,
'apopo.
!
e
Manava.
Ua tô te manava,
e
mo'a,
A
'upu ! Eiaha te tuatoto,
ei toa
e
mo'a.
ra.
A ha'amahu i te mamae !
E
mamae ora
ho'i tena,
te mamae hatuatua
i te
manava o
te faiere.
A hi'i maite i te uta'a !
E mo'a te
e
Manava
Ua
Aiu,
e
mo'a,
Ihotupu
pina'i te to'ere i Taputapuatea
Ei tuia ! Ei tuia
0 teie u'i te
e
tu ai !
pua'a tapena,
te pua'a tara'e hara mo'a
e tupu ai te Manava
LitteRama’OHi tt ib
Flora Devatine
ai te
e ora
e
pu
hua'ai,
ai te 'ae'ae.
A hi'i maite i te uta'a !
E mo'a te Aiu, e mo'a !
Traduction de
compréhension
Oh ! C'était
une voix inquiète,
suppliante,
qui invoqua les Dieux
Une voix
Celle
Sur le
marae
déserté.
C'est le vent Mara'ai(1)
Qui
a
apporté à l'armée
Des dieux de Ta'ere (2)
La
rumeur
des lamentations
Des enfants
orphelins.
Ils sont
chefs,
Et
se
sans
sont
Dans la
égarés
grotte obscure.
Les enfants
au
regard clair
Sont affamés,
Les enfants
au
regard de nuit
Dans leur nuit noire
Sont affaiblis par
la faim,
Et chancellent de soif
De lumière.
Oh ! Voici les temps
Les
qui bougent,
temps de détresse.
Nourrissez-vous de sagesse, pour vous
ranimer
indigène !
Que votre souffle soit profond !
Frayez-vous un chemin dans les ténèbres,
Buvez à la
source
Pour vivre !
Frayez-vous
Frayez-vous
un
un
chemin
chemin
vers
vers
la sortie,
le soleil levant !
69
Dossier:
Le chemin est là qui s'allonge.
Courage ! C'est presque l'aurore.
Courage ! Demain il fera jour.
Oh ! La grotte
obscure a fécondé la Conscience.
leur fruit,
Les entrailles portent
Il est sacré.
Priez ! Pour que ce ne
Mais
un cœur
Endurez
vos
soit
pas un
avorton,
vaillant.
douleurs !
Ce sont les douleurs de vie,
Celles
qui enserrent
Les entrailles de l'accouchée.
Portez votre fardeau !
Et prenez-en
soin !
L'enfant est Sacré,
Il est la Conscience
retentit
"to'er(3)
Le
Polynésienne.
Il faut
Cette
un
sur
"Taputapuatea"141
sacrifice ! Il faut
un
sacrifice !
génération-ci sera le cochon sacré,
expiatoire
que s'éveille la Conscience,
La victime
Pour
Que vive l'Enfant
Et que
le but soit atteint.
Portez votre fardeau
Et prenez-en
bien soin !
L'enfant est Sacré !
Il est la Conscience
Polynésienne.
1
Mara'ai
2
Ta'ere
3
To'ere : instrument de musique composé d'un bois
Taputapuatea : "marae"
4
:
:
vent du Sud-est
dieu de la Connaissance
creux
»
«e
Hiro
e»
LittéRama’OHi
» is
Ray Chaze
UAprès Hiro
Aujourd'hui, vingt ans après sa mort, Henri Hiro est confirmé et établi en tant
la plus notable et remarquable de l'Histoire contemporaine
que personnalité
Ma'ohi.
Les
expositions et les rencontres à
au cours
Un
son
sujet
se sont
multipliées et renouvelées
des années.
Collège
a
pris
son nom.
La
plus récente des expositions s’est déroulée en 2010 au Musée de Tahiti et des
nous a permis, grâce aux recherches de Jean-Marc Pambrun,
(Directeur du Musée de Tahiti et des îles) -qui œuvre à la rédaction d'un livre sur
Henri Hiro et a, dans cet objectif, rencontré de nombreuses personnes de son
entourage- de découvrir ou de redécouvrir, l'ample impact de l'action de Henri Hiro
Iles à Punaauia. Elle
dans
son
Pour
immense diversité.
ceux
qui ont
eu
le bonheur et la chance de le connaître, comme l'auteur
qui nous rassemblait, puis nous inspirait à créer,
de cet article, Henri Hiro a été celui
réaliser et
Il
accomplir.
invités
puis emportés avec lui dans une impulsion, un.mouvement
perpétuel et linéaire, réglé sur le temps qui court, qu'il a appelé par son nom :
nous a
Aitau.
Aujourd'hui, vingt
ans
après
sa
mort, une question se pose : que sera l'après
Hiro ?
Le
premier du mot HIRO est : tresser, torsader. Viennent ensuite les sens
qui sont : assembler, unir, entremêler, réaliser, accomplir...
Tout est contenu dans ce mot, devenu malgré les adversités, les diverses
épreuves et humiliations rencontrées, le plus grand des noms de notre Histoire.
sens
secondaires
La tresse Hiro contient la
cosmogonie, le Hiro'a,
ce
qui
a
été et
ce
qui
sera
Dossier:
tressé, Hirohiti, la nouvelle lune, ensemble
Hiro
e»
sur
la ligne d'horizon, la syntaxe, le
Ses synonymes sont Taura, la corde, le lien, la
lignée, mais aussi Aha : la racine.
hirora'a parau ou
L'après Hiro
qui
«e
la symbiose des mots.
ne
peut que se tresser perpétuellement, comme cette cordelette
passé, un présent et un futur. Elle est dans l'air du
histoire : celle de Te Ao Ma'ohi et des Ma'ohi.
a un commencement, un
temps et écrit
une
LittéRama’oHi
tt is
Chantal millsud
Au-delà du récif
Dans le fare
au
sol de béton, seules les
naient leur voix douce. Couché
sur sa
palmes de cocotier tressées du toit don-
natte, l'homme écoutait cette voix, et celle
plus lointaine et plus rythmée du lagon montant et descendant inlassablement la
plage de sable noir.
L'étonnement le
prit de ces voix qu'il avait entendues tout au long de sa vie
auxquelles il n'avait jamais été vraiment attentif. Allongé sur sa natte, depuis
de longs jours, il écoutait dès le matin l'entêtant cri des merles dans le vieux manguier, qui ensuite laissaient la parole aux vinis, les petits oiseaux des aïtos. Enfin,
la gente ailée envolée vers le soleil, commençait la chanson douce des arbres euxmêmes : les chuintements des longues aiguilles du filao, les interminables causeries des palmes des cocotiers, les claquements des branches un peu sèches du
purao. Les pervenches des sables, quant à elles, ne donnaient que le souvenir de
leur présence blanche ou mauve, tandis que les ardents hibiscus lui chuchotaient
mais
de vaines invites.
Pauvre de lui, c'était comme si, à mesure que ses
allaient toutes
vers ces
forces le quittaient, elles s’en
voix, dont il ferait bientôt lui-même partie.
après-midi, quand l’air s'étouffait, seuls le taré et le lagon gardaient
quelque velléité de paroles, interrompues de temps à autre par la chute d'une
mangue, suivie d'une galopade de tupas, les crabes de terre. Il entendait alors le
cliquetis de leur festin et le vieil homme devinait sous le plancher du taré, entre
les pilotis, leurs yeux repus dansant au bout de leurs petits bâtonnets bruns clair.
Les
petits fils envahissaient son territoire de béton aux murs de
chapeauté de palmes, il se sentait plus seul, maigre et brune carrecroquevillée sur sa natte, en marge de leur vie, qu'en compagnie de ces voix
Quand
ses
trois
ronds bambous et
casse
et de
ces
bruits de la nature. Midi et soir, on tentait de le faire manger.
Ecritures
—
«
Grand-Père, c'est bon, le riz.
:
Récit
-
Conte
-
Poésie
»
Le
plus jeune de ses petits enfants introduisait patiemment au fond de sa
petits morceaux de viande, chaque bouchée accompagnée de mangue
«
pour faire glisser ». Mais la mâchoire se fit de plus en plus rigide, et seules
quelques cuillerées d'eau de coco arrivaient encore à passer.
bouche de
Un
après-midi, alors que la chute rude d'un coco l'avait tiré en sursaut d'un
long moment d'inconscience, tandis que la noix roulait encore sur le sol sableux,
le malade
-
«
se
C'est
dit
ce
:
soir.»
Quand les trois frères arrivèrent, vers 18 heures, cachant dans leurs dos, comme
des ailes
d'anges, les traînées roses du ciel, il était assis sur la natte. Aussitôt ils
comprirent et prirent place en tailleur autour de lui silencieusement.
-
«
Mes enfants, il est temps
Les trois jeunes
-
«
hommes
se
Vous voyez, toutes ces
l'espace autour de lui.
de vous confier mon secret.
regardèrent, étonnés.
richesses, dit le vieil homme
à la plaisanterie, mais ils
grand-père n'avait même pas la télé !
«
se
firent
Cette maison traditionnelle, ces belles nattes de
les ukulélés... tout cela, vous le devez à un trésor.
Les yeux
en
désignant de la main
un
clin d'œil discret : le
»
L'instant n'était pas
-
»
des trois frères
se
pandanus tressé, les paréos,
»
mirent à briller de convoitise.
Mais il vous faudra être raisonnables, le faire durer. Toute ma vie j'y ai puisé,
juste mon compte. Suivez mes conseils. »
Le plus âgé lui coupa la parole, oubliant le respect dû à l'ancêtre, de l'or plein
-
«
mais
les yeux.
-
-
«
Et où il est, le trésor,
«
Laissez-moi dire, enfants ; que
Laissez le
grand-père ? »
la parole se développe dans la brise du soir.
morigaz éteint pour mieux entendre. »
Seule la lueur du
lagon tout proche laissait à présent deviner leurs silhouettes
LitteRama’OHi # is
Chantal iïlillaud
entourant le mourant. D'une voix étonnamment
suivit
vigoureuse, le vieil homme
pour-
:
«
La
«
Le
pirogue vous devrez prendre chaque année. La plus grande, la double au
grand balancier. Attention, j'ai dit une seule fois l'an ! »
Il dressa son index long et maigre qui faisait dans l'ombre comme une baguette
partageant en deux parts égales son visage émacié, d'un brun presque noir.
-
-
jour de la troisième lune pleine, vous vous tiendrez prêts. Munissez-vous
d'un filet très
solide, de bâtons et de crochets afin de hisser le trésor.
Le vieil homme
lerée d'eau de
-
A la
«
s'interrompit
pour tousser et
nuit,
vous ramerez
droit
vers
la passe à main droite du faré, tournant le
»
La voix du vieillard faiblissait peu
rapprochaient à
«
-
le plus jeune lui donna une cuil-
coco.
dos à la rivière.
se
»
La nuit
mesure
à peu et les trois
de la tête branlante.
qui suivra celle-ci,
ce sera
grosses
têtes rondes et noires
la nuit de la pleine lune. Vous
aller, alors. Passez le récif. Derrière, à droite
en
pourrez
retrait de la déferlante, c'est là.
»
Les trois frères osaient à
peine respirer, pour mieux entendre les derniers filets
grand-père était toujours assis, cependant, le dos rigide dans
faiblesse, soutenu par ses propres paroles, par ce message qu’il devait
de la voix sifflante. Le
toute cette
absolument transmettre.
-
verez
Comptez à la neuvième
«
le trésor tout
tient là.
au
vague ;
fond. Surtout,
»
Cela ressemblait à
un
conte, à
paroles du vieil homme, qui reprit
-
«
toutes
attendez que se calme la mer, et vous trouplongez pas. Un énorme monstre blanc se
ne
présent. Les jeunes doutèrent
un moment
des
:
Plongez le filet, laissez-le descendre et traîner tout au fond, puis tirez de
forces pour le remonter à l'aide des bâtons et des crochets. Il vous fau-
vos
dra bien être trois.
Les trois frères
»
se
donnèrent la main
en
signe de loyauté. Ils
y
seraient, tous
75
Ecritures: Récit
les trois,
-
Conte
-
Poésie
demain, dans la nuit de la pleine lune. Ils avaient la journée pour tout
préparer.
—
«
sinon,
Et
ce
ne jetez le filet qu'une seule fois, souffla le mourant en un murmure,
serait la fin. Le trésor serait à jamais épuisé. Une dernière chose très
importante : surveillez la lune. Dès
que vous
la
verrez
décliner derrière la
mon-,
tagne, il sera temps de rentrer.»
Il s'effondra
sur
la natte, à bout de forces.
Les trois enfants l'embrassèrent à
tour de rôle sur le front avec
s'envolaient dans
-
«
Dieu
Croyant
vous
que
dernier
un
bénisse...
respect, tandis que les ultimes paroles de l'homme
petit souffle vers les voix chéries de son île :
»
leur grand-père s'était simplement endormi après
son
si long dis-
les trois frères s'installèrent pour la nuit, chacun sur sa natte. Dès que ses
frères furent endormis, l'aîné partit. Sans bruit, sans un regard pour le vieux corps
cours,
décharné. Il
voulait
perdre aucun instant, être le premier sur les lieux. Choisir à
parmi le trésor les plus belles pièces, les objets les plus intéressants. La lune
éclairait déjà bien suffisamment l'océan. Il prit sa pirogue ordinaire et son fil de
pêche, pour ne pas éveiller les soupçons. Il avait coutume parfois de pêcher la nuit,
ne
loisir
ses
deux frères
simulé
au
ne se
douteraient de rien. Il serait de retour
fond de la
pirogue,
sous
au
matin,
son
butin dis-
des chiffons.
Passé le récif, au lieu dit, il compta
la neuvième vague et regarda, au fond de
penchant, faisant fi de toute prudence, il s'accracha légèrement le doigt à son hameçon, et trois gouttes de sang troublèrent en
trois ronds rouges concentriques la surface marine. Il plongea au milieu du troisième cercle, oubliant tous les conseils du vieux. Il lui semblait dans un rayon de
lune avoir vu l'épave, immense et noire sur le fond. Il s'enfonçait et l'épave monl'océan calmé ; il ne vit rien. En se
tait, s'éclaircissant
immense
en
s'élevant à travers les
requin blanc qui avait
eaux
sombres. C'était le monstre
: un
noir au plongeur à cause de la grande profondeur et de la nuit. Attiré par le sang, le monstre montait, gagnait en blancheur,
la bouche déjà grande ouverte sur le corps brun que l'élan propulsa inexorableparu
ment entre les dents tranchantes.
Le deuxième frère
.
partit juste avant que le soleil se lève. Il s'était dit : « pourquoi attendre la nuit prochaine ? De jour, je pourrai mieux apercevoir le trésor. » Il
LitteRama’oHi «
is
Chantal ITIillaud
prit
matériel de pêche et sa pirogue ordinaire, pour ne pas éveiller les soupOn croirait qu'il était allé pêcher comme souvent il le faisait, tôt le matin.
son
çons.
A main droite derrière le récif, il
compta la neuvième vague et jeta son filet. Il
rempli de poissons ; il s'étonna de n'y trouver aucun objet précieux,
mais cette si bonne pêche l'emplit d'orgueil. Il se voyait déjà, à la criée du marché
de Papeete, tous les yeux admiratifs posés sur lui, un si bon pêcheur. Il observa
attentivement le fond de l'océan, si transparent dans le jour naissant. Il ne vit que
du sable. Il explora toute la zone ; pas trace de trésor ! Il se dit : « j'ai été trop
pressé. Rentrons et attendons la pleine lune. Nous verrons bien. »
le remonta
Il
mit à
ardeur
direction de l'île, à ramer, à ramer...
Impossible,
qu'il n'arrivait pas à la franchir. Même avec
l'aide des vagues, inlassablement, le courant le repoussait au-delà du récif. Après
des heures d'efforts, il s'effondra épuisé et sa pirogue se perdit dans l'immensité
de l'Océan Pacifique.
se
ramer avec
en
le courant était si fort dans la passe
Quand le
plus jeune frère s'éveilla, il s'approcha de son grand-père et laissa libre
peine, agenouillé devant le pauvre corps sans vie. Il donna les derniers
soins au vieillard, et chercha ses frères, prévenant au passage dans le district la
famille, les amis. Mais de toute la journée, ses frères restèrent introuvables.
cours
à
sa
Le soir venu, la
pleine lune s'éleva au-dessus du lagon comme une immense
jeune homme la regardait monter tristement ; il était si
abattu par la perte de son grand-père, si décontenancé par la disparition de ses
frères, qu'il restait immobile, devant le faré, sans réaction. Tout à coup, de l'intétorche immaculée. Le
rieur de la maisonnette, un chant s'éleva, si beau, si
amis et de la famille du défunt
épaulé, soutenu
en un
par leurs présences. Il pensa que
homme et le veilleraient la nuit durant en chantant.
Il
décida alors à
poignant, mêlant les voix des
sentit aussitôt
tous étaient autour du vieil
dernier adieu. Le garçon se
préparer selon les dernières volontés de son cher disaller chercher le trésor. Il se munit du filet le plus solide, d'un crochet,
d'un bâton, et essaya de pousser la grande pirogue double sur la plage. La
pirogue était si lourde qu'elle ne bougeait pas d'un pouce. Il se dit : « jusqu'à présent, mon grand-père avait toujours été seul, pour cette mission ; si un vieillard
comme mon grand-père a pu l'an dernier récupérer son butin, j'en serai tout
se
paru, pour
se
77
Ecritures: Récit
-
Conte
-
Poésie
aussi capable. » Il redoubla d'efforts et la grande pirogue glissa lentement
jusqu'au lagon.
Ensuite, il lui fut très aisé d'atteindre la passe. Il suivit scrupuleusement les indications de
son grand-père, passa le récif à main droite et
compta la neuvième
Il lança aussitôt son filet, le laissa descendre et traîner, puis à l'aide du crochet et du bâton en guise de palan, il tira, tira de toutes ses forces, jusqu'à ce que
le filet rempli de son butin retombe au fond de la pirogue. Quelle surprise ! Sous
la lune il vit une multitude de langoustes énormes agiter leurs pinces au fond de
l'embarcation. « Brave grand-père, je comprends ; c'était ça, ton fameux trésor. »
vague.
Il pagaya tout
heureux en direction de la passe, en songeant au prix qu’il allait
pouvoir tirer de cette pêche miraculeuse, le lendemain, au marché de Papeete. Mais
son beau sourire s'évanouit tout à coup
quand il constata qu'il n'arrivait pas à
remonter le courant ! Il avait fait tant d'efforts pour pousser la lourde pirogue, puis
pour hisser le filet surchargé qu'il était épuisé et le courant était si fort ! Qu'allaitil faire ?
Alors,
ce
oreille, dans
fut
un
si le léger vent de la nuit lui soufflait à nouveau à son
chuchotement presque inaudible, les dernières recommandations
du vieil homme
comme
dès que vous verrez
la lune décliner derrière la montagne... » Il
soupir de soulagement : la grande marée allait
inverser le courant et il pourrait regagner la côte sans effort. Il attendit, les yeux
levés vers le ciel, pagayant pour se maintenir face à la passe. Au bout d'un
moment, tout ému, persuadé que c'était l'âme de son grand-père qui s'élevait
: «
comprit aussitôt et
ainsi, il vit
une
poussa un
étoile filante. Comme sortie de la lune, elle traversa le ciel et dis-
parut au-delà du récif, tandis que la lune déclinait derrière la montagne. C'était
le moment de rentrer.
En ramenant
ce
trésor
abuser !
butin
la rive, le
jeune homme loua son grand-père pour
qui le mettait à l'abri du besoin sa vie entière, car il se garderait bien d'en
son
vers
LittéRama’OHi
» is
Sabrina Teuira
A trois semaines
Ce samedi matin, 8 mars 2008,
savoir si
j'allais
ou non
je me suis levée
donner la vie.
Tetiamana, dit Mana et moi
avec une
seule idée
en
tête
:
quitté la maison. Je l'ai déposé chez un ami
de Faa'a, chez qui il devait y avoir
« uru » et le « manguier ». Nous avons pris la
voiture de Mana, un 4x4 comme ceux qu'on voit partout à Tahiti. Je suis allée,
toute seule, au laboratoire de la Clinique de Paofai, situé dans la capitale de l'île.
Je reste, intimement, convaincue qu'il n'y a rien de plus sûr qu'une prise de sang. Il
était 9h30 lorsque mon tour arriva. La prise de sang a été rapide. Cependant, il a
fallut attendre 1 heure au moins pour avoir les résultats. La secrétaire, à l'accueil,
m'informe qu'il faut appeler au standard du labo et demander le biologiste.
L'attente, même pour une heure semblait être un enfer. Il me fallait aller dans
un endroit calme et
pouvoir me retrouver avec moi-même. La Cathédrale de
Papeete. Oui. C'est là que je veux aller. Le stationnement en double file est de mise
aux alentours. A croire, que les fidèles y sont à
longueur de journée. Mais non. A
l'intérieur, seule et assise au premier rang de la deuxième rangée, une mamie. Elle
semble prier pour des êtres chers partis trop tôt certainement. Je m'installe et cornmence à faire mes demandes. Je suis
baptisée protestante mais depuis la mort de
mon grand-père paternel dit «
pépé camion », ma foi s'est tournée vers le catholicisme. Je suis assise à l'avant dernier rang de la première rangée, au milieu. J'aime
cet endroit. Je m'y sens bien comme allégée de tout poids.
A 10h30, j'ai le labo en ligne. Je dois reconnaître que
j'étais angoissée pour pluavons
collègue de travail, Tokai, dans la
un abattage d'arbres anciens tels le
et
commune
sieurs raisons.
Mana et moi venions
d'emménager dans notre nouvelle demeure, dans la corndepuis le 29 décembre dernier.
Des projets, ce n'est pas ce qui me manque. Sur le plan intellectuel, je me suis
fixée l'idée d'obtenir ma licence d'anglais, à l'Université de Polynésie Française, pour
ensuite voguer vers encore de nouveaux horizons. Mon frère Tinihau (que j'aime
énormément) et moi sommes, enfin, depuis plusieurs années, décidés à construire sur
notre propriété de Paea. Un héritage qui nous vient de notre grand-mère
paternelle.
mune
de Punaauia, à Matatia,
Ecritures
:
Récit
-
Conte
-
Poésie
L'angoisse était lourdement et longuement justifiée.
le biologiste allait m'annoncer serait de taille. Depuis quelques jours, je
disais à Mana qu'il y avait quelque chose de bizarre, de différent. Lundi, en début
de semaine, je suis rentrée de l’unif, épuisée, chose inhabituelle. Ensuite, lorsque
que je marche longtemps, j'ai la sensation d'avoir comme des fourmis qui remontent le long de mes jambes comme pour me dire qu'elles sont fatiguées.
C'est la secrétaire du labo qui décroche. Elle me passe le biologiste. Il me dit
qu’il est toujours délicat d'annoncer des résultats par téléphone. Pour plus de prudence, il me demande mon numéro de dossier. Faisant monter mon stress en puis1
sance, je m'empresse de le lui donner. C'est alors qu'il me répond d'une voix
calme : « le test est positif, mademoiselle ». Et là, je me suis mise à penser tout
haut : « non, pas cette année, l'année prochaine, oui, mais pas cette année ». Je
me reprends et exige qu'une contre-analyse soit faite. Le biologiste me dit de
rappeler dans une heure.
Ce que
Je nomme papy et mamie
Notamment pour le parcours
les parents de Mana. Ils ont toute mon admiration.
remarquable en tant qu'homme et femme aussi en
tant que parents et maintenant grands-parents. Mamie est la première personne à
qui Mana a annoncé l'heureux évènement. Elle est en très heureuse. Il faut savoir
qu'ici à Tahiti, les nouvelles aussi bien les mauvaises que les bonnes se diffusent
très vite ; ce phénomène a été appelé « radio cocotier » par la population locale.
Ce dimanche, mamie a respecté la coutume.
Mamie
donne des conseils. Elle
préconise que je m'enduise d'huile d'olive
(il s'agit d'une huile fabriquée localement). S'enduire comme un poulet ou un veau à la broche dans le genre prêt à cuire.
Dans la semaine qui a suivi, Mana et moi avons eu notre première dispute. J'ai
été étonné du calme dont il a fait preuve. Il n'a pas cherché à encourager la dispute. Bien au contraire, comme l'expression le dit « il a pris sur lui ».
Quelque chose a changé chez nous deux. C’est une pluie de bonheur, de motivation, d'espoir, d'ambition, de projet. Oh, je pense que j'aurais dû écrire cette
phrase au pluriel.
ou
bien
me
encore
d'huile de Tamanu
Cette nouvelle
pouvait
ne
notre 1ère année de vie
Lundi, le 10
mars,
pas
tomber mieux puisque le lendemain marqua
commune.
j'ai
eu mes
premiers saignements; j'avoue
que
j'ai angoissé
LitteRama'oHi
s is
Sabrina Teuira
pensant que je faisais peut-être une fausse couche. J'en parle aussitôt à Mana
qui, d'un calme inné, me dit « Zen ».
en
Samedi, tatie Nirvana, qui tient la pharmacie de Paea, me fait la proposition de
suivre
un
Mana
traitement
homéopathique
pour
favoriser le développement de bébé.
partage pas mon envie ; il estime que notre progéniture doit être 100%
Et là, je crois qu'on a soulevé un point important ; comment allions-nous
ne
nature.
gérer
désaccords ? Qui de nous deux allait l'emporter dans les décisions le
qu'on est d'accord sur un point, nous agissons dans l'intérêt de ce petit être. Mais je dois avouer qu'il est difficile d'accepter de se résoudre
surtout quand on est persuadé d'avoir raison. Ce sujet s’est terminé sans que je ne
nos
concernant ? Je pense
commence
le traitement.
La semaine s'écoula
m'étonnent.
Chaque jour
me
heurts. Mana
adopte de nouvelles habitudes qui
valait plus d'attention :
sans
Où es-tu?
As-tu bien
A
déjeuné ?
quelle heure penses-tu être à la maison ?
Bref, toutes
ces
Mercredi, le 19
avec
la
moi
un
soient
attentions dont raffolent les femmes.
mars.
Ce jour a son importance. J'ai mon premier rendez-vous
psychologue du S.P.M, le docteur Herenui. Aller la consulter représente pour
acte d'amour pour la venue de mon bébé. Je veux que toutes les conditions
réunies pour m'épanouir. Tout de même, c’est ma non plutôt notre premier
bébé. C'est
un
évènement.
Première
échographie, bébé a déjà le cœur qui bat ; il se trouve dans une
espèce de coquille ; il mesure 6 mm. C’est extrêmement petit. C’est mon cadeau.
La sage-femme s'appelle Vaea ; c'est la fille d’un cardiologue bien connu et sa
femme est chef du service de Pédiatrie du C.H.T de Mamao. Le seul centre hospitalier du Territoire.
Vendredi, le 21
mars,
c'est l'anniversaire de
mon
père ; tiens, je ne sais même
Teahupoo, nous y passons le
quel âge il a. C'est aussi le jour du départ pour
Pâques. Je suis contente aujourd'hui.
Ma cousine Miomio et son copain que je surnomme Loulou nous accompagnent.
Il y a bien sûr et de toute évidence, les enfants de la sœur de Mana, Ra'i et Anavai.
A l'accueil, nous avons Mamie et son large sourire, manifeste de sa joie de nous
voir tous arriver et remplir la maison de cris et de joie.
pas
week-end de
81
Ecritures: Récit
-
Conte
-
Poésie
D'heureux évènements s'enchaînent. C'est la
surprise. Mana fait preuve d'un
grand intérêt à l'égard de « nous ». Je découvre une facette de sa personnalité que
je ne soupçonnais même pas. Pardon d'avoir douter.
Les
sujets de discussion aussi vont bon train.
se propose d'accélérer les travaux liés à notre installation et de pourvoir
aux besoins les plus urgents avant la date ultime.
On envisage même de vendre ma voiture. Pour plus de sécurité, probablement.
Non je crois après réflexion que c'est surtout psychologique, et que le besoin d'agir
dans l’intérêt de notre enfant est de rigueur.
La fatidique question liée à l'alimentation. Comment éviter un tel sujet
lorsqu'on est conscient du fait de grossir au fil des jours. Mes seins comme mon
entourage a pu le remarquer ont pris un volume qui n'est pas sans déplaire. Mais le
pire est à venir, les kilos stockés dans les hanches et les fesses. Alors pour palier à ce
qui pourrait devenir une réelle source de conflit, Mana surveille mon alimentation.
Il m'arrive souvent de prendre le drive du Macdo. Malheureusement, sur ordre de
Mana, il est interdit. Ça attendra.... Je me nourris quotidiennement de taro, de poisson, de banane. Il a raison. Certes. Même mon péché mignon m'est interdit. Du
Mana
chocolat. J'adore le chocolat.
Autre
point, je tiens et je ne démords pas qu’il porte aussi mon nom et pas que
père car après tout, c'est le fruit de notre amour. N'est-ce pas ? Je me
suis renseignée. Sur le plan juridique, il est juridiquement légale qu'un enfant soit
reconnu par ses deux parents. Chouette ! Ma décision n'a pas fait l'unanimité. Nous
verrons le jour-J.
celui de
son
Nous sommes de nouveau, montés sur Teahupoo pour le long week-end. En
plus, c'était l'occasion de fêter l'anniversaire de Mana en famille.
Les jours
qui suivirent ont été quelque peu difficiles.
m'imaginais finissant son livre de cette façon « Je lui ai donné la vie. Il est
né. ». Cependant, les évènements ont pris une toute autre tournure.
J'ai perdu mon bébé le 2 avril. Déjà, le 31 mars au matin, je ne sentais plus rien
dans mon ventre. La sensation que la vie n'était plus là. J'en ai parlé à Mana dès
mon réveil. Comme à chaque fois, c'est moi qui me fais trop de soucis. Il existe des
situations pour lesquelles les femmes ont toutes ce 6ème sens qui leur permet d’anticiper sur demain.
A notre retour de Teahupoo, deux jours plus tard, je me suis rendue chez la
Je
LitteRama’OHi
# ia
Sabrina Teuira
sage-femme. Et là, ça été le choc. Encore une fois, je ne m'étais pas trompée. Bébé
n'est plus là. La difficulté a trouvé une activité cardiaque n'a fait qu'augmenter
mon stress.
J'étais seule.
Comme c'est
étrange, Mana n'a jamais pu m'accompagner chez la sage-femme
Peut-être était-ce un signe avant-coureur de ce qui allait se produire. Je
ou
la psy.
ne
sais pas.
Comment l’annoncer à Mana ?
Quelles allaient être les
Cela
nous
détruirait-il
conséquences ?
ou
bien
au
contraire ?
Je crois que j'ai eu envie d'écrire cette fabuleuse expérience afin de la partager
d'autres futures mamans. C'était ma première grossesse. Je souhaitais la vivre
mieux et être heureuse avec Mana et notre enfant. Peut-être qu'un jour, il ou
avec
au
elle aurait été curieux
d’apprendre comment il
a
rempli notre vie même
pour
à
peine 1 mois.
ne
Il faut que tu saches que tu as été la plus grande perte pour ton papa
l'avouera jamais. Il n'est pas démonstratif, ni extraverti de nature.
Pour
ma
part, cette courte expérience
davantage. J'ai toujours le texto
tou lé 2
».
rapprochés ton père et moi
m'a écrit le 19 mars « J'vou aime
nous a
que ton papa
mais il
Ecritures : Récit
Tikei
Il était
sur
-
Conte
-
Poésie
les ailes des vents
fois,
un jeune homme qui s'appelait Tikei. Il n'était pas très grand,
agile et plein de forces. Sa peau était très brune et ses cheveux
noirs comme la nuit. Il était toujours habillé d'un beau pareu de tapa fin. Sur la
tête il portait un turban orné de fougères. Il était né dans une île des Tuamotu,
mais il était sans cesse sur les mers. C'était un grand navigateur.
une
mais il était fin,
Il allait d'île
île et traversait de
long en large l'immense océan de Moana Nui.
premiers habitants de la Polynésie, les Ma'ohi, ont toujours été de très habiles
navigateurs et possédaient une parfaite maîtrise de l'océan. Ils le traversaient dans
tous les sens avec leurs pirogues, tandis qu’à la même époque les Européens se
contentaient de longer les côtes des continents.
en
Les
Tikei connaissait mieux que personne
et la
la navigation, la route des étoiles, le sens
signification des courants marins. La seule connaissance qu'il n'avait pas
encore
acquise était celle des vents.
Un
jour, alors qu'il était occupé à réparer sa pirogue, un vent au son étrange se
sur la plage. Tikei s'arrêta de travailler. Il écouta le vent,
essaya de
sentir de quelle direction il venait, et dans quelle direction il allait. Le son étrange
du vent s'amplifia alors très vite, jusqu'à devenir un chant tumultueux. Tikei eut
peur,mais il ne voulait pas que le vent le sache.
mit à souffler
Qui es-tu, ô vent ?
-
Je suis le vent des
-
Que
-
Tikei
-
-
pirogues. Et le chant de la
mer me
remplit:
veux-tu ?
qui voyage le jour avec le soleil levant et qui continue la nuit avec la
qui se lève, tu dois te rendre dans la vallée et construire une nouvelle
pirogue !
Pourquoi ? J'ai déjà une pirogue. Elle vogue très bien et m'a maintes fois
transporté sur les mers de Moana Nui.
Tu vas construire une pirogue qui te fera naviguer sur les ailes des vents.
lune
-
me
LitteRama'oHi
tt 18
Ray Chaze
Émerveillé
hache et, comme le voulait la tradiau petit jour, il la porta à la mer
pour la réveiller. Puis, il se dirigea vers la vallée. En route, il observa les arbres. Plusieurs étaient beaux, mais Tikei savait qu'à l'intérieur de la vallée, le bois des arbres
était plus dur.
Il abattit un grand arbre nommé Tamanu, dépouilla le tronc de ses branches et
de son écorce, et le découpa en planches pour l'avant de sa pirogue. Ensuite, il utilisa les branches pour en faire des balanciers.
tion, il la mit
par cette
en
idée, Tikei prépara
sa
sommeil le soir. Le lendemain,
Il coupa un
autre arbre, le Miro et en fit des planches pour l'arrière de sa
pirogue. Puis, il prit deux arbres à pain, des Tumu Uru très hauts et droits, pour les
planchers du pont. Enfin, il se rendit dans les bois et abattit des Fau bien droits
pour en faire des pagaies, ainsi que trois Hutu pour faire des mâts.
Des artisans
spécialisés dans la construction de pirogues vinrent l'aider. Après
accompli les rites religieux, ils se mirent au travail. Ils avaient apporté leurs
paniers qui contenaient les haches et herminettes de pierre, des vrilles en coquillage et de la corde fine.
avoir
Lorsque la pirogue fut terminée, tous les trous furent calfatés avec de la fibre
coco et de la gomme provenant des arbres à pain sacrés du marae. La
pirogue fut lavée et séchée, puis peinte à l'extérieur avec de l'argile rouge mêlée à
du charbon de bois. On s'aperçut alors que ce n'était plus une pirogue, mais un
véritable pahi !
de noix de
Les hommes
se
tinrent
prêts à le pousser sur les rouleaux. Tikei invoqua le Créala pirogue. Mais il ne reçut aucune réponse.
teur et lui demanda un nom pour
Pour la
baptiser,
fit boire la pirogue. Elle fut plongée dans la mer, de l'avant,
grand vent souffla sur la mer. La pirogue se mit à glisser
les vagues, puis vint doucement se poser sur le lagon de jade.
on
ensuite de l'arrière. Alors, un
très vite et surfa
C'est à
ce
sur
moment là que
s'amplifia jusqu'à devenir
un
mit à tourner autour de Tikei
-
Qui es-tu,
ô vent ?
le vent au son étrange souffla à nouveau. Le son
chant tumultueux qui remplissait le vent. Le vent se
et le jeune homme lui demanda :
85
Ecritures: Récit
-
-
-
Je suis le vent des
Que
me
pirogues. Et le chant de la
mer me
-
Conte
-
Poésie
remplit.
veux-tu ?
Tikei
qui voyage le jour avec le soleil levant et qui continue la nuit avec la
qui se lève, tu dois te rendre tout au fond de la vallée et construire une
pirogue !
Voici ma pirogue ! Je l'ai construite dans la vallée avec les arbres Tamanu,
lune
-
Miro, Fau, Hutu et les Tumu Uru.
-
-
-
-
-
A-t-elle
un nom
Non. Pas
encore
Pourquoi
?
! Le Créateur
ne
m'en
a
t'en a-t-il pas donné un ?
Je ne sais pas !
Parce que ce n'est pas une pirogue. C'est
pas
donné.
ne
voler sur
petite pirogue qui
te ressemble : une pirogue fine, légère et pleine de force. Une pirogue qui
pourra naviguer sur les ailes du vent.
un
pahi. Et il
les ailes du vent. Retourne dans la vallée et construis
ne peut pas
une
Tikei
reprit le chemin de la vallée. Alors qu'il marchait, abattant çà et là des
branchages et des arbustes pour mieux avancer, il remarqua une clairière lumineuse
cachée derrière un bouquet d'arbres. Il s'en approcha. Quelle ne fut sa surprise de
voir, au milieu de la clairière, un arbre de couleur pourpre! Si ce n'était pour sa
couleur particulière, eet arbre était d'aspect plutôt ordinaire et Tikei serait passé
devant lui
Tikei
sans
le remarquer.
l'arbre, mais s'arrêta juste avant de l’atteindre, car il entendit
précis, il vit un vent descendre du ciel et un autre
sortir de la tête de l'arbre pourpre. Puis, les deux vents se rejoignirent comme un
tourbillon sur la mer. Autour de l'arbre apparut alors un océan d'étoiles scintillantes
qui furent absorbées par le tourbillon, montèrent jusqu'au ciel puis redescendirent et
s'enfoncèrent dans le corps de l'arbre. L'arbre pourpre se mit à briller de mille éclats.
un
s'avança
vent souffler.
vers
À
cet instant
Ahinavai la brume vint alors
-
Voici le bois de ta
-
:
pirogue ! L'arbre pourpre est un arbre dont le bois te pernaviguer sur les ailes des vents.
Que dois-je faire, Ahinavai ?
Avant de t'approcher de l'arbre pourpre, tu danseras autour de lui, du soleil
levant au soleil couchant, pendant trois jours.
mettra de
-
envelopper Tikei qui l’entendit lui parler
LitteRama’oHi
» is
Ray Chaze
Quelle danse
-
—
et
Tikei
ne
dois-je faire, Ahinavai ?
qui tourbillonnent dans les deux, sur la terre
océans. Laisse-toi emporter par eux, Tikei. Abandonne-toi aux vents !
Tu danseras la danse des vents
les
sur
s'allongea
sur
le sol, le visage contre la terre, les bras le long du
dit rien. Dans le silence de la clairière, son âme lui chuchota :
danse des vents, la danse infinie de l'univers.
«
corps.
Il
J'entre dans la
»
Debout, Tikei leva les yeux vers le ciel. Il vit les nuages se colorer de pourpre et
tourbillonner dans
l'espace. Il vit aussi apparaître les étoiles de la nuit. Certaines deveplus grandes que la Terre, plus grandes que la lune, plus grandes que le soleil.
cela le remplit de joie. Son âme se mit à danser, puis son esprit, puis son corps.
naient
Tout
Lorsque la nuit arrivait, Tikei arrêtait de danser et s'allongeait sur le sol, le
visage contre la terre. Il s'endormait ainsi dans la clairière au pied de l'arbre pourpre. Et le matin suivant, il se mettait debout, levait les yeux vers le ciel et dansait
au rythme des nuages qui se coloraient de pourpre et tourbillonnaient dans la
danse des vents. Pendant trois jours, Tikei dansa avec les vents et pendant trois
nuits, il dormit au pied de l'arbre pourpre, la face contre la terre.
Au matin de la dernière nuit, Tikei se tint debout devant l'arbre. Mais
lorsqu'il
qu’il était prisonnier dans un filet. C'était un
filet si fin qu'il croyait pouvoir le déchirer d’un mouvement de la main. Mais en
réalité, c'était une immense toile qu'une araignée avait tissée tout autour de lui
pendant la nuit sans qu'il ne s'en aperçoive. Et il ne parvenait pas à se dégager.
voulut lever les bras
vers
le ciel, il vit
A l'orée de la clairière, Tikei vit alors une
araignée géante s'en aller. Elle
se
vers
lui, puis poursuivit sa route en ricanant. Tikei se débattait et donnait
des coups de
Mais dès qu'il
poings pour essayer de faire un trou dans la toile finement tissée.
réussissait à le faire, le trou se refermait et la toile se resserrait.
retourna
Désespéré, il appela l'arbre
pourpre
à l’aide. Celui-ci bougea
sur
lui-même, mais
ne
put rien faire. Il appela les vents, qui soufflèrent en tournant autour de lui, mais
ne
purent pas le délivrer. C’est alors qu'arriva Ahinavai la
fant de rire
-
Pauvre Tikei ! Tu t’es bien fait
Tu
es
brume. Elle dit
en
pouf-
:
bien
rigolo
comme ça.
piéger
par notre
coquine d'araignée. Ha ha ha !
87
Ecritures: Récit
Aide-moi, Ahinavai,
-
au
-
Conte
-
Poésie
lieu de te moquer de moi ! Dépêche-toi ! Je n'en peux
plus.
Ahinavai
se
l'enveloppa de son eau blanche qui, en se collant à la toile dlaraignée,
puis à la liquéfier jusqu'à ce qu'elle disparaisse.
mit à la ramollir,
Je te remercie, Ahinavai,
-
Enfin libre,
dit Tikei, soulagé.
Tikei tourna plusieurs fois autour de l'arbre en courant pour se
le tronc de l'arbre pourpre de ses bras et le serra très fort.
sécher. Puis, il entoura
Maintenant, tu
-
vents. Nous
qu'apparut à nouveau le tourbillon d’étoiles, montant et descendant,
C'est alors
de l'arbre
au
pirogue. Avec toi, je naviguerai sur les ailes des
quitterons plus.
seras ma
ne nous
ciel, et du ciel à l'arbre. L'arbre-pourpre brilla de milles éclats. Tikei vit
vitesse surprenante
des hachettes et des hennicoquillages d'argent, ainsi que de la corde de couleur
pourpre. En quelques instants, l'arbre fut sculpté et transformé en une pirogue fine,
légère et pleine de force. Elle scintillait de mille étoiles incrustées dans la coque et
le mât. Puis, la pirogue s'éleva dans les airs et disparut dans la brume. De l'intérieur
de Ahinavai, elle sculpta elle-même la brume qui devint une grande voile.
des mains invisibles manier à
nettes en or,
des vrilles
Tikei monta à bord de la
s'amplifia jusqu'à devenir
son
se
-
-
-
Je suis le vent des
pirogues. Et le chant de la mer me remplit.
naviguer sur les ailes des vents.
Tikei qui voyage le jour avec le soleil levant et qui continue la nuit avec la lune
qui se lève, nous partons ! Mais tu dois auparavant aller saluer ton peuple et
demander au Créateur un nom pour ta pirogue. Aussi, partons pour ton île.
Partons ! Je
veux
Partons!
prit sur ses ailes la pirogue qui tourna sur elle-même, puis se mit à glisseul un œil exercé à observer le ciel et les vents aurait été capable
distinguer une voile de brume traversant l'espace.
Le vent
de
pirogue. Le vent au son étrange se mit à souffler. Le
un chant tumultueux qui remplissait le vent. Le vent
mit à tourner autour de Tikei.
-
ser
une
en
si vite que
LitteRama’OHi tt is
Ray Chaze
Tikei vit alors
montagne se dresser sur son chemin. Noire et menaçante,
une
gonfla, empêchant Tikei de se porter à droite ou à gauche. Tikei appela les
rendit l'air si léger que la pirogue alla
elle
vents à son secours. Le maraàmu intervint et
plus vite que les vents. D'autres vents, les Pa Faaite et Pa Haapiti, firent bouger la
pirogue dans tous les sens. Le Toerau qui vient du Nord entendit aussi son appel et
arriva avec la pluie. La brume qui l'accompagnait dissimula Ahinavai la voile, et la
montagne ne sut plus de quel côté gonfler. Mais elle ne fut pas la seule à vouloir
empêcher Tikei de passer. Les uns après les autres, des montagnes, des collines, des
rochers, des blocs de glace se dressèrent sur son chemin. Heureusement, les vents
avaient entendu l'appel de Tikei et ils l'aidèrent à naviguer à travers ce labyrinthe
d'obstacles.
pirogues avait devancé la pirogue enchantée dans le monde Paupeuple de l'île de Tikei l'ayant entendu s'était rassemblé sur la plage. Tout
le monde écoutait le chant de la mer qui le remplissait, se demandant quel événement le Vent des pirogues venait annoncer. Dans le ciel lumineux, tous virent apparaître Tikei et sa pirogue pourpre à la voile de brume.
Le Vent des
motu. Le
-
-
Tikei ! Tikei ! s'écrièrent les enfants.
Tikei ! Tikei ! s'écrièrent les
grandes personnesla pirogue se posa sur le lagon.
qui les invita à le rejoindre
Tout le monde vint embrasser et enlacer Tikei,
dans la
-
prière.
Dieu de la création,
je désire
un nom pour ma
pirogue pourpre à la voile de
brume.
-
Elle
s'appellera
«
Les ailes du vent
»,
répondit le Créateur.
alla naviguer sur les
à la voile de brume. Aujourd'hui encore, on
peut le voir dans le ciel Ma'ohi. Oui, c'est vrai ! Levez les yeux vers le ciel ! Si vous
voyez dans le vent qui souffle un nuage de brume traverser le ciel à toute vitesse,
c'est la pirogue de Tikei qui passe. Et si, dans ce nuage, vous distinguez un petit
point brun, presque noir, c'est Tikei qui voyage le jour avec le soleil levant et qui
continue la nuit avec la lune qui se lève. Alors, faites-lui un signe de la main et
Tikei remercia le Créateur, dit au revoir à son île et s'en
ailes du vent
dites-lui
avec sa
« nana »
!
pirogue
pourpre
Ecritures: Récit
-
Conte
-
Poésie
LEXIQUE
Ahinavai
Marae
Ma'ohi
:
brume, bruine
lieu de culte ancien.
:
indigène
:
ou
autochtone originaire de la Polynésie, Polynésien.
Maraàmu, Pa Faaite, Pa Haapiti, Toerau : différents vents qui soufflent dans les îles de Polynésie.
le
Moana Nui
: «
Nana !
revoir !
Pahi
:
: au
grand océan
»,
ancien
nom
de l'océan Pacifique.
bateau
Pirogue
:
longue barque étroite munie d'un balancier.
: noms d'arbres.
Tamanu, Miro, Tumu Uru, Hutu, Fau
Tapa : terme qui désigne les étoffes fabriquées à partir de l'écorce de certaines plantes ou de
certains arbres.
LittéRama’oHi
« is
ITIarie-Prance Salmon
Poésies de
Papara
Na Teva
vaù
e
Teva te ua, Teva te matai, Teva te mamari
Auê b Teva e, te àuhune.
Maraamu Taravao, Maraamu
Auê
o
Teahupoo
Teva e, te haumaru.
Tetunaè te tupuna
Auê
o
i
raro roa
Teva e, te maramarama
Ariioehau Taaroarii Ariitaimai vahiné
Auê
o
Teriirere te arii
Auê
o
o
marere noa e
Teva e, te aravihi e
Tuiterai
Auê
Teva e, te ruperupe.
no
roto ia i te rai
Teva e, te hanahana.
Anotau
api, ànotau riàrià
E Teva e, tei hea atura oe
?
Ua àmahamaha, ua oto te huaai
E Teva e, tei hea te hoêraa ?
A haere mai to Teva
A haere mai te
mau
tamarii
E faaoto anaè i te
mau
E hoê anei to Teva
ma
pû
?
E Teva e, na vai te hoêraa ?
E Teva e, tei hea te aroha
?
E ani hohonu anaè i te Fatu-
Na Teva
e
vaù e, a tia i nià !
Ecritures
Les huit Teva
Teva la
pluie, Teva le vent, Teva l'éclosion
Ô Teva
la moisson.
Alizé de Taravao, Alizé de
Ô
Teahupoo
Teva la ventilée.
Tetunaè l'ancêtre des temps
Ô
lointains
Teva la lumière
Ariioehau Taaroarii Dame Ariitaimai
0 Teva la
prospère.
Tériirere, le prince volant
Ô
Teva la savante
Tuiterai, du royaume céleste
Ô
Teva la
gloire.
Temps moderne, temps incertain
Teva, où es-tu ?
C'est le déchirement, ta descendance
pleure.
Teva, où est l'union ?
Venez
ceux
de Teva
Venez les enfants
Soufflons dans les conques
Ceux de Teva, s'uniront-ils ?
Teva, d'où vient l'union ?
Teva, où est la fraternité ?
Demandons
avec
ferveur
au
Tout-Puissant.
Teva les huit, réveillez-vous !
:
Récit
-
Conte
-
Poésie
LitteRama’oHi » 18
marie-prance Salmon
Tati Nui
Tauraatea i Patea
Aito
no na
Teva
e
vaù
Papara te ruperupe, te Teva Matahiapo
Aorai Nui ia
no
Tati i te
Manea to
oe
roo
hanahana.
tupuna maramarama
Ta Taaroa i maiti
Tei roto ia
Te
Amo, te Arii
To
nià mai.
mana no
o
Papara, te manuia
Purea, Arii vahiné
Tei nià ia
oe
Tahiti, te
no
oaoa
oe
raua moemoea.
Aimata te Arii vahiné
Ta te Hau Farani, I aro noa na
Tati Nui, te
àveià
Ua tupu te
hau i taua ànotau ra.
Tati, te tira Nui
Toohitu
maramarama
Orero faateniteni hia
E Tahiti Nui mareàreà.
Tati, te Metua
Ua faahaehaa
I
mua
oe
i to Nunaa
Ma te haamaitai atu i te Fatu.
93
Ecritures: Récit
Tati !e Grand
Tauraatua i Patea
Héros des huit Teva
Papara la prospère, l'aînée des Teva
Grand Palais de Tati l'illustre.
Manea ton ancêtre brillant
Que Taaroa
C'est
en
Qu’est le
a
choisi
toi
pouvoir d'en haut
Amo, le Roi de Papara la réussite
Purea, la Reine de Tahiti la plénitude
C'est
en
toi
Qu'est leur
espérance.
Aimata la Reine
Que la France avait combattue
Tati le Grand, le
La
gouvernail
paix avait régné en ce temps-là.
Tati, le grand mât,
Juge tahitien brillant
Orateur
Par la
reconnu
resplendissante Tahiti
au corps
jaune.
Tati, le père
Tu t'es abaissé
Devant ton
peuple
En remerciant le Tout-Puissant.
-
Conte
-
Poésie
litteRama’OHi » is
fTlarie-Prance Salmon
One-tere
I nià i te iriatai
Te ànaana
Te
one
noa ra
éreere
O te vai taha
I
raro
One-tere
no
noa
mai
àe i te râ.
Taharuu, te ànavai
Taharuu Nui, te vai ora
Ua ninii mai
oe
I to pape au mau
I roto i te miti i One-tere nei.
One-tere i Taharuu nei
Ua
I te
nuu
one
mai te
mau
éreere
no
Mai roto mai i te
àre-miti
One-tere
moana
I nià i te iriatai.
Manaonao atura vai
la Mouà Tamaiti
Ta te
mau
ata i faarumaruma.
Taharuu Nui, te vai
Ua manii mai
oe
te ora o One-tere.
Puhihau maira te matai
maraamu
Haumaru atura vai
I nià i te
one
éreere
No One-tere nei
I
Papara Nui
a
Oro-hua-reà.
Oaoa rahi toù i teie mahana
Ua
topa mai te hau
Ua tupu
mai te
manao
api
I One-tere nei
Mauruuru ia oé
e
taù Fatu.
95
Ecritures: Récit
Paysage de paix
Sous
un
arbre
branches très étalées
aux
Une
longue table faite de planches
Invite les promeneurs du dimanche
A s'y asseoir nonchalamment
Le regard tourné vers la belle plage
Qui accueille les baigneuses aux seins
Le
lagon
Danse
aux
sous
nus
multiples couleurs
de l'astre solaire.
les rayons
Une dune de sable noir
Se
pliant aux caprices des vagues
patiemment et indubitablement
Vers le rivage parsemé de plantes rampantes.
Avance
Une
petite baie tranquille
vaguelettes tièdes et salées
Où meurent les
Devient le lieu béni des enfants
En
quête de chaleur et de bien-être
coléreuses.
Petit à petit, la paix me gagne.
A l'abri des vagues
Le
long de la plage de sable noir
A l'ombre des
«
burau
»
touffus
Des dormeurs, se laissant bercer
Par le
grondement des lames
prélassent sur des nattes,
Heureux de respirer l'air marin.
Se
Comprenant enfin la sagesse des ancêtres
Qui prenaient le temps de vivre
Je revis avec beaucoup de nostalgie
Les plaisirs simples du temps passé
je contemplai donc ce paysage paisible
Avec mille mercis
au
fond du
cœur.
-
Conte
-
Poésie
LitteRama’OHi » 18
fTlaria-France Salmon
Maire i
Haere atura
Papeiti
vau
I roto i te faa
Papeiti
no
I reira maimi atura
I te maire noànoà
Anaana
vau
o
peho
te
mai te mahana iti
noa
Maramarama
Tomo atura
I
raro
Hio atura taù
te faa
vau
àe i te
Haumaru atura
noa ra
mau
tumu
raau.
vau
na
mata
I te maire raurii
Oaoa atura toù tino taatoa.
Ua
pafaï maira vau
paevai
I te maïre
I nia i te mato rari
Ma te haamaitai atu ia Taaroa
Ua hei atura
vau
i toù hei maïre
Noànoà atura toù tino taatoa
Hiohio maira te
iti
manu
Oaoa rahi to te natura i teie nei taime
Maïre raurii
Maïre
no
paevai
Papeiti
peho
no te
Maïre taratara
no
te pae pape
Ua riro outou ei faaoaoaraa i te mau vahiné.
97
Ecritures: Récit
La cascade
-
travail
au
Jaillissant du rocher
Se
La
au milieu de la végétation
jetant volontairement dans le vide
cascade, la chute d'eau puissante
Semble vouloir déverser
Le
trop-plein d'eau
en
toute hâte
que regorge
la montagne.
A toute allure, bondissant sur la
Elle écorche le
Plongeant
roc
falaise
devenu très lisse.
témérité au pied du vallon,
gronde sourdement
Enfin, elle vit par la volonté de Dame Pluie
avec
La cascade
;
Inlassablement, dégringolant à toute vitesse
Elle
se
donne entièrement à
Les heures
raison d'être.
s'égrènent, les jours passent
jusqu'à son dernier souffle,
de participer au bien-être des Humains.
La cascade s'active
Heureuse
sa
Conte
-
Poésie
LitteRama’oHi # 18
.
marié-France Salmon
Procréer
•
Un enfant ! Quelle
joie !
Union divine ! Quelle
récompense !
Procréer, est-ce banal ?
Que de vies misérables !
Que de vies abandonnées !
Que fait notre créateur ?
Bel enfant tant désiré !
Que
réserves-tu ?
nous
Bonheur éternel
ou
douleur infinie !
Père, Mère,
Qu'attendez-vous de cette
Seul le divin
•
vous
Enfant martyr
Enfance
procréation ?
guidera.
! Quelle désillusion !
inadaptée ! Quelle contradiction !
Où aller, Où se tourner ?
Que faire, que
dire ?
Sommes-nous seuls
Que Dieu
sur
vous
cette-terre ?
entende !
Enfant-Roi ! Existes-tu
Enfant-Avenir ! Est-ce vrai ?
Enfant-Père ! Est-ce
Enfant-Mère ! Est-ce réel ?
Mais où sont les
Union
ou
procréateurs ?
désunion ? Vivons !
possible ?
encore
99
Ecritures: Récit
Belle enfant
Belle enfant
aux
boucles brunes
Aux yeux
rieurs et ravageurs
puissante, si vibrante
cris joyeux envahissent le monde.
Ta voix est si
Que tes
Petite fille deviendra
grande
Ton rire cristallin inondera la maison
Tes cheveux
Le monde
Rêvant
au
Jaillissant
au
vent frissonneront
féérique t'attend.
clair de lune
au
milieu du
jardin
Tu humes les senteurs de la vie
Au fond de ton
cœur
La fine brindille
se
tout
tressaille,
fortifie.
Vivace, éclatant de bonheur
Tu dévores
avec
gourmandise
Les tendres années de l'enfance.
Parfois triste, comme un nuage
Tu chantonnes et tu oublies.
Mon
enfant, tu vivras.
gris,
-
Conte
-
Poésie
LitteRama’oHi # is
ITIane-Prance Salmon
Colère la tourmente
Mots
déplacés, mots véritables flèches, mots qui font mal
Quelle souffrance ! Quelle désolation !
Paroles insidieuses,
paroles sournoises, paroles moqueuses
conséquence ! Mauvaise réaction !
Mauvaise
Actes
incontrôlés, actes violents, actes irréfléchis
Quel drame ! Quelle
panique !
Que faire devant tant de violence !
réagir devant tant de haine !
Colère, pourquoi nous tiens-tu ?
Nature, nature humaine
Comment
Faiblesse
ou
force ?
Colère, la tourmente
Pourquoi existes-tu ?
Après la tempête, le beau temps revient,
Qu'est-tu venir faire
en nous,
Colère la tourmente ?
Pour
vous
réveiller, bien sûr !
Vous rendre sensibles
Vous
Lui
guider vers
qui vous suit
Sans
se
lasser,
aux
réalités de
l'Être Suprême
pas
sans
à
pas
relâche !
Qui es-tu Colère, la tourmente ?
Je suis
un
don du ciel
Un don de notre Père Céleste.
ce
monde,
Ecritures: Récit
Le
cyclone
-
Conte
-
Poésie
effleure
nous
Soufflant, mugissant, le cyclone est là.
Eole, dans toute sa force, passe au-dessus des toits endormis.
Réveillées par
les pétarades des tôles à peine fixées des abris provisoires,
Les humbles demeures subissent les états-d'âme de la nature.
Sifflant, rugissant, le cyclone nous éveille.
La
tempête bat
son
plein, faisant tournoyer les feuilles des arbres
malmenés.
Pénétrant de force par
les moindres interstices, le souffle violent fait
trembler la maison,
Devenue notre seule
protection.
Dehors, la pluie apporte son concours
Tambourinant et
Après
un
crépitant
sur
les baies vitrées et
sur
le gravier environnant.
moment de répit, nous permettant d'apprécier le calme tant désiré,
Un bruit sourd et
grandissant emplit les oreilles de la maisonnée entière.
Tout s'éveille.
A travers les rideaux des fenêtres, des
points lumineux éclairent la nuit
tourmentée.
Les humains
impuissants
les grands arbres du jardin,
Ils espèrent et prient avec ferveur
Attendant avec patience que tout s'achève.
se
sentent
Levant les yeux vers
Mais tel est notre sort
Notre vie
tient
qu’à un fil
inépuisable et formidable
Nous dirige et nous transporte vers des rivages encore inconnus et incertains.
Puis comprenant enfin que seul le sommeil peut nous apporter cette paix si
Car
une
ne
Force
douce,
Les hommes
plient à la volonté de la nature.
s'éteignent
La tourmente seule occupe la scène.
L'aube approche et bientôt tout rentrera dans l'ordre.
Les lumières
se
LittéRama'oHi
« is
Danny Ueva
To matou Mama here e,
Notre mère chérie
Mme Salmon Marie-France dite Tevai, née le 25 Octobre 1953 à
Papara, fille de
Salmon Allain Mai et de Taaviri Vahinetua, s'était mariée avec Mr Ueva Tetufaaona.
Ils ont
de mariage Vairaatoa Tane et Vairaatoa Vahiné, comme le veut
eu 4 enfants : Danny, Raitahi né le 10/03/1973 ; Vavea, May
née le 20/06/1977 ; Teraiefa, Rose, Ueva née le 08/03/1985 ; Vaipeho, Mary née le
15/04/1991.
notre
eu
pour nom
tradition, et ont
Notre mère
vécu la
majeure partie de son enfance dans la magnifique vallée
Papeiti de Papara avec ses parents, ses frères et sœurs, leur oncle Salmon Arthur,
Moroati dit Papa « Nélé », sa femme Marie-Michèle, Uraore, dite Marna « Nélé »,
ainsi que leur tante Salmon Ernestine dite Mama « Kory ».
Elle a commencé à écrire ses mémoires (que je dévore à pleines dents) récupérées dans ses affaires après son décès le 02/11/2007 à Epsom, Nouvelle-Zélande,
lors d'un séjour culturel avec Papa « Apon » de « Flaururu », et Tati Brander Yvette,
mais qu’elle n'a pas eu le temps de finir. Elle raconte la période durant laquelle elle
y a vécu lorsqu'elle avait 4 ou 5 ans, les instants où ses souvenirs lui sont restés
gravés dans son esprit de petite fille. Ils y cultivaient la terre, élevaient des vaches,
cochons, chevaux et vivaient des produits de leur récolte. Elle en parle avec un très
grand bonheur, pour tous ces instants merveilleux, comme elle le cite : « cette
enfant que je suis, insouciante, s'ouvrant à la vie naissante, souriant et s'émerveillant devant tant de beauté, de charme, de délicatesse que Dame Nature a le
pouvoir de nous offrir si simplement, si généreusement, je sens au fond de mon
cœur, dans ma poitrine une intense réaction comme une roue qui tourne et qui
produit de l'énergie. L'air de la montagne, l'herbe verte, la rivière chantonnant, les
arbres magnifiques m'enveloppaient, rentraient dans mes pores et contribuaient à
me transporter dans un monde irréel et pourtant réel sur une petite colline au
fond d'une vallée verdoyante. »
Elle remercie notre Mère, la Terre qui est si généreuse envers tous ses enfants.
Elle se rend compte de cette grande chance qui lui a été donnée, et qu'elle aurait
voulu transmettre ce bonheur à ses quatre enfants, et que cet instant de son
de
a
103
Ecritures; Récit
-
Conte
-
Poésie
enfance
représente pour elle, une bulle, comme Adam et Eve, dans le jardin d'Eden
premier jour de leur séjour sur la Terre. Dans mon cas, j'aurai bien voulu connaître et vivre cette belle époque de notre Maman, enfant.
Durant notre enfance, notre mère s'est occupée de nous avec une très grande
attention, c'est la plus belle et la meilleure des mamans. Elle s'occupait de notre
éducation, familiale, scolaire, spirituelle, culturelle avec le plus grand amour qu'une
mère peut donner.
Notre mère a été institutrice, et a enseigné dans plusieurs écoles dont l'une à
Moorea, avant, pendant, ou après ma conception, puis deux autres écoles, à ma
connaissance : l'Ecole primaire de « Apatea » et celle de « Ti'ama'o », où elle finit sa
carrière, et prit sa retraite après la naissance de Teraiefa. Elle fut mon institutrice en
classe de CM2, et pour ma sœur cadette en CE2. Ce fut une année très « difficile »
pour moi (Hihihihi ! Rire !). A cet instant, son temps pour s'occuper de nous fut
encore plus grand, c'était du 24 h/24 h et 7j/7j. Elle y a mis plus d'amour, plus d'insistance, avec une plus grande attention. L'amour que notre mère nous a donné,
restera gravé au plus profond de mon cœur, et mon devoir est de transmettre le
même amour pour mes enfants.
L'Amicale « Maraamu » créée par des instituteurs, dont ma mère était membre,
organisait des rencontres sportives et des voyages dans nos magnifiques îles, et
nous avons pu visiter Rangiroa, Rurutu, Huahine. Elle s'occupa de nous jusqu'à la
fin de nos scolarités respectives, surtout la mienne et de celle de Vavea. Elle a été
déléguée des parents d'élèves de toutes mes classes, de la 6éme jusqu'à la terminale,
ce que je fais également avec mon fils. Elle a toujours été présente. En 3ème, j'avais
de mauvaises notes au 2ème trimestre, vespa confisquée, et il fallait remonter les
notes pour pouvoir'la récupérer. Et au Lycée Hôtelier, elle était présente aux 9
conseils de classes, ça, c'est l'amour de notre mère.
Avec notre père, elle m'a offert plusieurs voyages en famille, ou tout seul,
séjours linguistiques, de vacances avec des amis, en camps d'ados, en colonies, ce
qui me prouvait encore l'énorme amour de notre mère. Jusqu'au dernier jour de sa
vie, notre mère nous a aimés avec tant d'insistance, d'importance, d'attention. Elle
nous aida dans nos moments difficiles, enfants, et même lorsque nous sommes
devenus parents, ma sœur cadette et moi, elle partagea nos moments de bonheur,
nous conseilla, nous gronda, éleva sa voix, mais toujours pour cette unique raison,
au
son amour
pour nous.
Pendant
retraite, notre mère a fait partie de plusieurs mouvements associatifs, politiques, religieux, et culturels dans les dernières années. Elle était membre
du
sa
parti politique du regretté Mr Boris Léontief, le
«
Fetia Api
»,
elle était membre
LitteRama’oHi » is
Danny Ueua
actif de l'association SOS Vahiné et
en fut aussi la présidente, à cause d'un moment
partie de sa vie de femme, à oublier impérativement, mais ce qui la
rendra encore plus forte afin de nous aimer encore plus fort.
Mais une chose lui tenait à cœur en particulier, sa généalogie et surtout celle
des « Teva e va'u », en tant que descendante de cette grande famille, ce qui impliquait les affaires de terre, leur histoire, ainsi que les rencontres. Depuis tout petit,
j'ai entendu parler des « Teva e va'u », et son père connaissait plusieurs « paripari »,
«
pehepehe », légendes, qui lui ont sûrement été transmis par son père, puisque
tout se transmettait oralement à l'époque.
En 2001, elle fut élue 7ème adjoint au maire de Papara, ce qui ne fut qu'une
continuité dans l'histoire de sa famille paternelle, puisque son père le fut également sous le « Tavana Mitou Lehartel », et que son grand-père fut Tavana, et cela
descendait jusqu'à la 8ème génération en la personne de « Tati Nui, Tauraatua i
Patea ». Elle était chargée de l'état civil, de la culture, et avait proposé plusieurs
projets. Elle s'engagea dans le « Tomite Toohitu » de Papara, fut à l'œuvre pour
l'affiliation avec l'association des chasseurs de Papara, « Papara nui te mata rearea », pour la sauvegarde de la vallée de la « Taharuu », et pour les fédérer à l'association « Haururu » de « Papenoo », à « Fare Hape », où elle vécut les trois
sombre d'une
dernières années de
Puna
o
Teva,
o
Tati
sa
»,
vie. Et ensuite, elle
créa notre association familiale
l'affilia aussi à l’association
«
Haururu
»,
«
Te
et nous apporta
beaucoup dans le domaine culturel. Elle partait en séminaire à « Fare Hape », et
revenait enseigner à ceux qui n'ont pas pu s'y rendre. Elle nous affilia aussi avec
les porteurs d'oranges de « Punaruu ».
Elle organisait pour notre association des séminaires sur « Matarii i nia » et
« Matarii i raro », le déroulement des cérémonies, les « Orero ». A
partir de 2004,
elle prit l'initiative d'organiser les deux Matarii » sur la plage de « Taharuu », au
début sans le « oroa ava », qui a été mis en place par la suite. A partir de cet instant, elle écrivit aussi les « Orero », les « himine tarava », et s'occupait du déroulement de la cérémonie, et cela grâce à ses connaissances acquises auprès de son
père, de différentes personnes, et aux enseignements à « Fare Hape ».
Avec ses affiliations, elle mit en œuvre aussi la remise à jour du sentier des
ancêtres, qui partait de la vallée de « Taharuu », passait par le plateau de « Tiamape », passait près de la montagne de « Mouà Tamaiti » et par la crête pour arriver à « Hapaianoo ». Elle organisa aussi plusieurs traversées avec les différentes
associations, dans les deux sens, et des randonnées à « Tiàmape ».
Toujours avec les même associations, elle organisa avec le « Tomite Toohitu »
de Papara, un voyage vers la Nouvelle-Zélande, en 2002, afin d'y rencontrer nos
105
Ecritures: Récit
cousins
Maori
Elle y rencontra
-
Conte
-
Poésie
la Reine, était assise près de celle-ci pendant la
qui fut très important pour elle et pour nous. Et je crois que le plus
grand chantier de notre mère, après ses enfants, est la recherche généalogique, et
surtout par rapport à « Hoturoa » commandant de la grande pirogue double « Tainui ». Elle partit de Papara et alla peupler la grande « Aotearoa » en ramassant sur
son passage plusieurs personnes, peut-être, sélectionnées à l'avance pour faire ce
grand voyage. Cette année, le « Pupu himene tarava » des « Tamarii Papara » ont
repris un « tarava » de 1959, et l'un des thèmes chantés par nos illustres ancêtres
était la pirogue Tainui.
En 1994, elle choisit comme thème « Eloturoa » pour le Heiva des quartiers de
Papara, et elle écrivit tous les chants (aparima, tarava, tuki) avec l'aide de mon père,
et de sa sœur Vahinetua pour les mélodies, pour le quartier de Teitihaa, la vallée
où la pirogue double fut construite.
Avec tous ses enseignements, elle voulait que l'on puisse se rappeler de notre
identité : qui étions-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Et aussi par ce
rappel de notre passé, elle veut nous montrer le lien entre notre culture et le respect de notre environnement, et à travers « Matarii », le savoir de nos ancêtres, ce
qu'ils nous ont laissé et que nous avons tendance à oublier, et cela sur tous les
points.
Mais, il n'est jamais trop tard.
Voilà en quelques mots, une petite partie de l'histoire de notre Mère.
«
cérémonie,
ce
».
LittéRama’OHi
» is
riicolas Hurtovitch
Pour Haïti
Ce
jour-là la nouvelle traverse l'océan
Sans que
rien n'oppose résistance
L'île amie et si souvent
La terre vivant
Sans que
rien
sa
ne
propre
frappe
en
jour-là la houle
Une forêt de
La mélodie de
Cette même
vos
Vos larmes
À
vos
sa
tremblé
brutalité
ses
enfants
leur île abandonnés du Monde
ses
de l'antarctique
venue
Projetait mille embruns
A
a
saignent ils pleurent ils ont mal
Ils sont
Ce
vie
s'oppose à
Elle s'est ouverte elle
Ils
imaginée souffre
sur mon
visage
sapins dans mon dos mêlait
branches
eau c.e
au
tonnerre de l'océan
même vent bientôt seront
portes amis de Port au Prince pour essuyer
apaiser votre douleur dire la présence prochaine
côtés des hommes et des femmes aimants
Ecritures
A
:
Récit
-
Conte
-
Poésie
Haïti,
«...
On
se
relèvera.
Merci d’être là.
»
J.-C. Icart
Mon Dieu,
Cher Jean-Claude !
Quelle foi
la vie !
en
Quelle force !
Quel courage
Quelle
leçon
!
au
monde !
Le
peuple haïtien
A
humour
son
Sa fluidité
Il s'est
toujours relevé
Des
tempêtes
Des cyclones
Des
typhons
Des ouragans
Combien sont
passés
Passent
Repassent
«
...On
se
relèvera.
»
LitteRama’OHi « is
Flora Deuatine
Mon Dieu,
Cher Jean-Claude !
Autant de morts !
De déchirures !
D'ensevelissements !
Et tant de souffrances !
De malheur !
De misère !
Le
peuple haïtien
C'est du
roc
Du diamant
Et de la chaleur
Du soleil
Au
coeur
Des boules
De feux
Vives
Légères
Joyeuses
Eclatantes
D'énergie
De créativité
D'inventivité
De sérénité
D'optimisme
En dedans
Le
peuple haïtien
Ne manque pas
De
ressource
En lui.
109
Ecritures
:
Les météorites
Les volcans
Les tremblements de terre
Les
raz
de marée
La guerre
La famine
Peuvent bien
S'abattre
Détruire
Anéantir !
Après leur passage
«
...On
se
relèvera.
Merci d'être là.
Récit
-
Conte
-
Poésie
LittéRama’oHi
» 18
Louise Robert
Louise Robert, Raureva, Mehiata Riaria, Roxanne
Lievens-Demeyre, Hiriata
Brotherson, Heireva Tavaitai,
Des élèves de VES, de VL et de Terminale L du
Lycée Samuel Raapoto (LSR)
Littérama'ohi leurs essais de critique littépendant la Semaine de la Francophonie au Lycée Samuel Raapoto
partagent avec les lecteurs de la
raire réalisés
(LSR)
en mars
2009.
Mutismes
«
revue
»
deTitauaPeu
Définition
Refus de
:
MUTISME,
nom
masculin
parler. Synonyme silence.
Mutismes, paru en 2003, est une oeuvre autobiographique de l'écrivain Titaua
Peu. Ce livre d'à peu près 148 pages est un
fondément tahitien. En ce sens, il inspire la
Mutismes est
pro-
livre
qui fait mal parce que Titaua Peu a su trouver les mots
de dire, tout ce qui nous fait mal, alors même, écrit-elle
a jamais appris à le dire, surtout lorsque ça touche le cœur, les senti-
pour
dire,
qu‘«
on
ments...
logue
concentré d'amour inexprimable,
compassion, et suscite le chagrin.
ou
un
ou pour essayer
».
Titaua Peu
nous
fait entrer dans
un
autre
monde,
un
monde où le dia-
la réalité la rattrape.
L’auteur
nous
dévoile véritablement l'envers du décor de Tahiti. Pour
ceux
omnubilés par
des clichés de paradis terrestre, cette histoire ne peut laisser indifcasse le mur du silence pour nous parler de l'incapacité à dire et
la disant, finit par nous dire ce qu'elle n'avait pas appris à dire. Alors les
férent. Titaua Peu
qui, tout
en
non-dits
s’exhument, les silences résonnent, la communication est rétablie, et la
pensée libérée. Alors le mutisme se fait parole, délie
réapprendre à dire la souffrance et la faim.
ses mots et nous
enseigne à
Critiques et analyses
Mutismes
évoque les expériences de cette Polynésienne qui, très jeune, a quitté
Tahiti. Victime dans son enfance de ce qu'elle appelle
la Nouvelle Calédonie pour
«
le mutisme familial
»,
les non-dits de
sa
vie d'enfant, d'adolescente et de femme,
parfois douloureux.
Cependant, l'ouvrage est aussi plein d'espoir et d’amour, entre autres pour sa
mère, aujourd'hui disparue, qu'elle fait revivre dans ce livre. Partagée entre ses obligâtions professionnelles et son amour pour Rori, son amant, toutes les expériences
qu'elle vivra l'endurciront et feront d'elle une femme accomplie.
sont
La dernière page
«
Est-ce toi, mon
du livre laisse place à
Tu
as
poème
:
peuple
Est-ce toi, caché sous ces
Tu t'es
un
cagoules ?
trompé de combat
gâché
tout
Nous t'aimions si fort, pourtant
Reprends tes mots
Reprends ta terre
Sans violence, réapprends à dire
Que tu souffres, que parfois tu as faim
Reprends tes mots
Et là, tu reprendras ta terre.
Ici, l'auteur
ne
»
dit pas reconnaître que son propre peuple, sa patrie, s'est trompé
de combat, mais
qu'il faut avant tout réfléchir à ses actes, dans le respect et
même dans les plus dures conditions de vie, il est possible
Ainsi tu retrouveras ta juste place auprès des tiens. »
l'amour d'autrui ; que
de vaincre.
C'est
se
un
«
message, une sorte
trouveraient
perdues
comme
de conseil délivré à toutes les
le futTitaua Peu.
personnes
qui
un
jour
LittéRama’OHi
« 18
Raureua
Les
silences, révélés
Reprends tes mots, reprend ta terre, sans violences, réapprend à dire que tu
souffres, que parfois tu as faim, reprends tes mots, et là, tu reprendras ta terre ».
«
Mutismes, dire
être capable de le dire, parler sans vraiment trouver les
sans
mots. Ne serait-ee pas
là, la difficulté qu'éprouve chacun d'entre nous, à maîtriser
langage : savoir et pouvoir s'approprier la convention d'une autre culture, d'un peuple extérieur. Titaua Peu a su l'exprimer et
l'éprouver à travers son œuvre, les évènements d'un passé qui paraît lointain, d'un
passé que l'on veut mais que l'on ne peut oublier, d'un passé qui a fait trembler le
cœur et l'âme de ceux qui ont voulu se faire entendre, d'un
passé qui est resté sans
et utiliser au mieux les outils du
discours,
sans mot, sans
rien.
Ce livre retranscrit les silences
qui ont miné l'âme polynésienne, des silences qui
être dits. Bien que guidé par un tempérament et des émotions trop violents.
Ce qui pourtant, susciterait chez le lecteur un vide quant à la rupture de sa lecture.
De plus, les faits historiques concernant les émeutes de 1995, peuvent être l'un des
nombreux exemples sur lequel repose, encore aujourd'hui, des interrogations quant
à la fonction principale d'un gouvernement, d'un Etat, qui est de garantir et de
maintenir la cohésion sociale entre les hommes, de prendre en compte les appels
et les cris de.tout un peuple. Des notions qui tendent peu à peu à être oubliées.
Ainsi Titaua Peu ne fait aucune impasse. Son œuvre nous permet un enrichissement tant intellectuel que culturel, dans la mesure où elle insiste aussi sur le devenir du polynésien, qui tend de plus en plus à perdre ce lien qui le rattachait à sa
terre, à sa culture, à sa langue.
ont pu
Mutismes révèle
une
véritable
Titaua Peu s'est fait connaître.
implication de l'auteur. A travers
ces
non-dits,
Critiques et analyses
Critique de
«
de
lVlatamimi
ou
la vie
nous
attend
»
Stéphanie Ari'irau Richard
Matamimi
la vie
attend, est un roman écrit par Ari'irau. C'est Thisjeune femme de notre temps immortalisée dans l'écriture.
Dans ce roman Ari'irau se confie aux mots, grâce à l'écriture elle a pu redonner vie
à sa fille, Matamimi. Ari'irau souligne dans son récit : « En écrivant, tu peux reconstruire une vie ; tu peux refaire le monde ; tu peux crier la noblesse d'une culture
douce ». Ainsi l'écriture est plus qu'un moyen d'expression, puisqu'ici elle sert à
changer la réalité, Ari'irau rattrape le temps perdu en écrivant la vie imaginaire de
ou
toire de Matamimi
nous
une
Matamimi.
Matamimi
la vie
nous attend est un roman de survie pour Ari'irau dans
Ecrire c'est ma survie, parce que si je n'avais pas fait
renaître ma fille sur du papier, je me serais détruite de l'intérieur ». De plus on
peut observer une progression dans le roman, puisqu'on voit Matamimi grandir.
En débutant la lecture on ne comprend pas vraiment la situation ou encore on
ne comprend pas vraiment l'intention de l'auteur, on
peut presque dire que le
début du roman est ambigu. Au fil de la lecture on peut comprendre grâce aux
sous-titres que Ari'irau laisse libre cours à son imagination. Ce roman est à la fois
un récit imaginaire et notamment un récit
qui perce la réalité, nous pouvons
observer des éléments qui donnent ce sentiment de réalité à savoir le thème de
l'éducation et aussi le langage des personnages typiques polynésiens. Ainsi
Ari'irau a su faire de ce récit imaginaire un récit à effet de réalité. En lisant
Matamimi, on apprend à imaginer Matamimi et surtout on apprend à l'aimer.
Ari'irau s'adresse à nous lecteurs par les divers conseils qu'elle apporte indirecson
récit elle
ou
évoque
tement dans le
roman.
«
LitteRama'oHi
« is
rïlehiata Riaria
Matamimi
dévoilé par
de
nous
ou
la vie
nous
attend
dégage de l’émotion, on ressent la douleur
lorsqu'elle nous conte la vie de Matamimi, c'est comme un remord
la puissance des mots. De toutes les manières ce roman nous permet
interroger sur notre vie et notamment sur nos choix.
de Ari’irau
Critiques et analyses
Réflexion
«
sur
Pensées insolentes et inutiles
de Chantal T.
Je voudrais
»
Spitz
commencer
cette réflexion
insolentes et inutiles, par une
sur
l'œuvre de Chantal T.
brève citation extraite d'un site
sur
Spitz, Pensées
les origines de la
ponctuation.
«
Ah ! La
ponctuation ! Comme cela exaspère ! Ou... au contraire, comme elle
compréhension de ce qui pourrait être illisible et totalement inacla logique humaine et surtout follement essoufflant sans cette petite
sied bien à la
cessible à
virgule...
»
En effet, ce que
l'on remarque de ce livre de prime abord, c'est l'absence quasiqu'est la ponctuation. Dès la toute première
phrase, le lecteur est en droit de s'interroger pendant plusieurs minutes, comme je
l'ai fait moi-même. Car la phrase en question s'étale sur 6 lignes et demie, et ce
sans l'ombre d’une petite virgule. Non seulement il est surpris, mais il aura égaletotale de cette invention fabuleuse
ment des chances de mourir étouffé avant la fin de l’œuvre si cette absence per-
siste. Heureusement, Chantal
intègre des points, seule ponctuation remarquable
totalité de son livre. Les seules virgules, deux points, points d'interrogation ou d'exclamation présents sont dans les extraits ou dans les discours
qu'elle rapporte. Loin de la blâmer pour cela, il est vrai que ce pourrait être intéressant pour tout autre que moi que cette forme d'écriture peu banale, je voudrais
juste faire remarquer la difficulté mais également l'ambiguïté d'une telle utilisation, ou plus correctement de non utilisation, de la ponctuation.
dans la presque
Si Zénodote,
Aristophane de Byzance, et Aristarque, deux siècles avant Jésus
Christ, commençaient déjà à utiliser la ponctuation, c'est sans doute qu'elle devait
servir à
quelque chose, n'est-il pas ? Bien que précaire, elle était tout de même préplus encore quatre siècles après J.-C., dans les écrites latins.
sente, et bien
LitteRama’oHi s is
Lieuens-Demeyre
Rouanne
Je voudrais donc
non
seulement
souligner mon incapacité à comprendre la
également faire remarquer la complexité
décision d'une telle forme d'écriture, mais
compréhension de certaines phrases. Des énonciations sans virgule, des
exclamation, des questions sans interrogation... Ainsi, nous pourrions donner divers sens à la toute première phrase de l'œuvre, rien qu'en ajoutant
plusieurs ponctuations différentes. Voyez :
de
remarques sans
qui s'en réclament pérorent demi par mon
inscription dans une longue mémoire familiale et l'inflexible volonté de mes
parents à blanchir occidentaliser moderniser leur descendance afin pensaient-ils
comme il était de mise alors de lui préparer un destin glorieux conséquence d'un
Je suis issue de
«
parcours
Ce
scolaire
ce
sans
milieu que ceux
faute.»
qui nous donnerait :
qui s'en réclament pérorent demi, par
inscription dans une longue mémoire familiale et l'inflexible volonté de mes
parents à blanchir, occidentaliser, moderniser leur descendance afin, pensaientils comme il était de mise alors, de lui préparer un destin glorieux, conséquence
«
Je suis issue de
ce
milieu que ceux
mon
d'un parcours
scolaire
sans
faute.
»
inscription dans la
qui se réclament demis discourent longuement sur
» et non sur « le milieu »... Ses parents pensaient « comme il était de mise
et donc comme tout le monde, qu'un destin glorieux était la conséquence
Ici, la phrase est claire et simple, l'auteur est demi de par son
mémoire familiale et les gens
«
demi
alors
»,
directe d'un parcours
Mais
«
en
scolaire idéal.
changeant seulement la place de quelques virgules, nous obtiendrons ceci :
qui s'en réclament pérorent, demi (...) »
réclament issus de ce milieu pérorent sur le
Je suis, issue de ce milieu que ceux
Ici, elle est demi, et les gens qui se
milieu.
«
(...)
par mon
volonté de
mes
inscription dans une longue mémoire familiale et l'inflexible
parents à blanchir, occidentaliser, moderniser leur descendance,
afin, pensaient-ils, comme il était de mise alors,
conséquence d'un
parcours
scolaire sans faute.
de lui préparer un destin glorieux,
»
117
Critiques et analyses
Maintenant, il n'est plus de mise de penser qu'un destin glorieux soit la consédirecte d'études brillantes, mais c'est « blanchir, occidentaliser, moderniser
quenee
leur descendance
»
qui était de mise. Et
«
de lui préparer un destin glorieux
devient la continuité des actions des parents par rapport
Voyez donc, la place d'une virgule peut changer le
sens
tout, et par cela, l'image qu'a le lecteur de ce que pense
tion est nécessaire, essentielle, voire vitale, quand il s'agit de
au
être la
cause
»
à leur descendance.
d'une phrase du tout
l'auteur. La ponctualire à l'oral (cela peut
d'essoufflement).
Donc oui, si l'œuvre de Chantal T.
penser est peu commune,
Spitz peut être intéressante, si sa façon de
discutable et que le débat peut être ouvert sur énormé-
ment de
pas
choses, comme la façon dont elle voit la Polynésie (qui selon elle n'existe
réellement), s'il est intéressant de discourir sur son rapport à l'identité, sur son
blâme de la
légende polynésienne de
Rien n'est plus exaspérant lors d'une
papier,
le bon,
la tête à comprendre de trop longues phrases sans queue ni tête.
«
Loti
»...
lecture que de devoir soi-même rajouter des virgules, mentalement ou sur
de réfléchir au sens qu'elle a voulu donner, qui n'est peut-être même pas
et de
se casser
Même les
professeurs de Lettres reprochent souvent à leurs étudiants d'écrire
phrases trop longues qui embrouillent l'esprit de celui qui lit, et pourtant, ces
dits étudiants mettent de la ponctuation dans leurs phrases si longues et exaspérantes ! Ces dits étudiants ont des choses à dire, et bien que longues, leurs
phrases
veulent dire quelque chose, leurs phrases ont des virgules pour respirer et des deux
points pour énoncer.
des
Mais encore, tout cet article est basé
cord, et si l'auteur
a
sur
cela,
ce
manque
de ponctuation, d'ac-
volontairement créé cette absence pour que le lecteur la
parmi d'autres, ou encore, pour le forcer à réfléchir, alors oui, elle pourqui a écrit l'article et qui n'a sans doute rien compris de son intention. Mais si c'est la volonté de l'auteur d'écrire sans ponctuation, non seulement
pour se démarquer mais également pour faire réfléchir, alors je dois dire que tout
cela peut être très ennuyeux pour le lecteur, voire totalement repoussant.
remarque
rait rire de celle
Alors voilà c'est ainsi que
je conclus cet article sans doute bien ennuyeux sans
profondément exaspérant pour celui qui le lira mais le libre-arbitre m'y
autorise parce qu'une critique littéraire reste l'avis personnel d'une seule et unique
personne parmi des milliers et dont l'avis importe sans doute moins que la majorité.
doute
LittéRama’OHi
tt is
Hiriata Brathsrsan
Hombo,
«
transcription d’une biographie
de Chantal T.
Le terme
Etats-Unis
En
«
hombo
Spitz
» nous
qui désignait
Polynésie,
un
»
vient de
un sans
Hombo est
hobo
», une expression des années 1930
domicile fixe errant dans les villes.
un
«
drogué,
un
aux
alcoolique, tatoué, à l'hygiène dou-
teuse, qui la plupart du temps a fait un séjour à la prison de Nu'utania, ou qui y
fera
un
tour très bientôt.
Ici, dans
«
Hombo,
ou
transcription d’une biographie
»,
de Chantal Spitz,
certes, la description correspond irrévocablement à l'idée que l'on s'en fait, mais
connaissons à
présent les raisons. En effet, dans cette œuvre, nous apprearrivent à ce degré de marginalité au sein de leur propre communauté, cela est dû à l'échec du système dans lequel ils vivent. Nous
nous en
nons
que
s'ils
en
recommanderons
livre à tous les élèves des filières SES, car Ehu, notre héros,
ce
représente l'échec de la socialisation à l'état
pur.
C'est l'exemple typique de l’anti-
conformiste, du déviant malgré lui. Il incarne l’échec de l'intégration dans la société
polynésienne moderne conditionnée par les Européens. Il
française, il est au déchirement entre deux cultures.
Ehu et Tane
ne
maîtrise pas la langue
connaissent pas
le code qui leur permettrait de passer de leur
qui existe quelque part si proche cependant si lointain ce
monde qui prend naissance par le pouvoir de ces mots qu'ils essayent vainement
d'aligner. Ces mots géniteurs d'une réalité qui appartient à ceux qui parlent l'autre langue. Aucune traverse ne chemine les deux langues. Aucune intimité ne
convergent les deux mondes. Deux espaces à jamais étrangers l'un à l'autre qu'ils
«
ne
monde à l'autre, celui
ne
savent réconcilier.
«
Hombo,
Te Ite,
publié
ou
en
»
transcription d'une biographie », de Chantal Spitz, de l'Edition
2002, mêle à la fois, faits de société polynésienne, résultant de
Critiques et analyses
notre
Histoire, déviances,
amour,
amitié, peines, douleurs... Cette œuvre peut ouvrir
l'échec d'intégration sociale. Toutefois, tout au long du livre, on s'atd'Ehu ou d'Yves. Après tout, son nom importe peu,
puisqu'on l'appellera « Hombo » et que cela suffira. On le verra comme un innocent
car les premières pages de l'œuvre sont dédiées à son enfance, que nous lecteurs
nos
yeux sur
tachera
aurons
au
suivi
personnage
avec
attention.
C'est à un style d'écriture assez particulier auquel nous avons à faire. Chantal
Sptiz, femme de lettres rebelle à toute forme de conformisme, attire notre attention par ses phrases imponctuées, rythmées telles un Himene Ru'au. Elle a une écriture que l'on jugera assez violente. En s'intéressant davantage à l'auteur, nous
apprenons que
celle-ci
a son cœur
à Huahine, ce qui explique peut-être le choix
spatial, Maeva, Fare. Certains passages du livre pourront d'ailleurs être
appréciés pour leur réalisme et leur représentation si fidèle. Notamment les descriptions faites de la vie des habitants de Huahine, et d'autres scènes nostalgiques
qui aspirent au bonheur, telles que la confection du Ahima'a, des tâches simples et
quotidiennes de ces gens dont la vie en communauté, en famille, domine tout. Ce
qui nous rappelle qu'aujourd'hui nous sommes parfois entre autres des Hutu Painu,
incapables de vivre à l'ancienne, et entièrement dépendants de l'extérieur. Culture
Ma'ohi en perdition.
du cadre
pourrions faire le rapprochement entre Ehu ou
», protagoniste de notre œuvre, et Vaki, héros du roman « Le Roi Absent »
de Moetai Brotherson, autre auteur de Huahine. Ces deux personnages ont en cornmun leur côté d'exclu social, leurs attaches à Huahine, les paysages dignes de Tahiti
Pour terminer, enfin nous
«
Hombo
d'il y a 30 ans et
le départ de l'enfant de file vers la France...
Malgré tout, à la fin de l'œuvre, les interrogations au sujet du personnage principal sont toujours présentes : qui est réellement Hombo ? Quelle est sa place et
quel est son rôle dans la société ?
LittéRama’oHi
tt is
Heireva Tauaitai
«
Le Roi Absent
»
de Moetai Brotherson
Reconnu
chef d'œuvre de la littérature polynésienne, « Le Roi
offert aux lecteurs dans une Polynésie où les disparités sont
encore bien présentes. Ainsi, l'auteur nous fera traverser sa vision de notre pays à
travers le regard innocent et naïf de Vaki, arraché à une vie insouciante. Cet enfant
élu par nos ancêtres mais muet, découvrira tous les vices d'une société à laquelle
il ne peut s'adapter ; s'ensuit alors une quête identitaire pour ce petit d'homme
désigné avant sa naissance comme le « Roi absent, Moanam ».
Absent
»
est
comme un
un
voyage
Poussant le lecteur dans
une
puissante réflexion
environnante, Moetai Brotherson
nous
réalité. Il remet
en cause
et les croyances
ancestrales cherchent
offre ici
certains aspects
un
sur soi-même et sur la société
chef d'œuvre alliant fiction et
d’une société cadrée où les différences
leur place.
encore
Avec talent, cet auteur réussira à créer un sentiment de
pitié chez le lecteur.
ailleurs, se verra entraîné dans une foule d'événements aussi dramatiques les uns que les autres, et qui le pousseront à s'identifier au personnage, à
essayer de le comprendre dans son apprentissage très brutal de la vie, passant par
la mort, le suicide, l'amour et même la prison. Les sentiments de ce petit élu
deviendront ceux du lecteur qui aura ainsi une vision bien différente du monde qui
l'entoure, une sorte de remise en question à laquelle le lecteur aura bien du mal à
faire face, étant habitué à sa propre vision banale de son environnement personnel.
Par plusieurs sous-entendus, il va remettre en question de nombreux aspects de la
société tels que la Justice (dans l’épisode du Mont Marau), faisant de son personnage l'instrument d'un ascenseur émotif intense pour le lecteur qui passe de la plus
pure félicité à l'enfer, et cela en moins de temps qu’il n'en faut pour le dire.
Ce dernier, par
De
de
la
plus, il a réussïavec brio à remettre sur table un débat qui aujourd'hui prend
l'ampleur, autant politiquement qu'individuellement. En effet, nous savons que
Polynésie possède des aspects multiculturalistes, un mélange subtil de cultures
Critiques et analyses
asiatique, européenne et bien sûr tahitienne. D'ailleurs, l'auteur nous conduit sur
la voie d'une remise en question de ce multiculturalisme, en faisant évoluer son
personnage innocent dans un environnement non défini. Il pousse le lecteur,
notamment la jeunesse, à voir et à se questionner intérieurement sur son statut de
Polynésien, sur son appartenance à cette culture qui se meurt jour après jour. Il
pose ainsi son enfant muet dans une série de sociétés qui sont aussi différentes les
unes que les autres. Un voyage à travers une Polynésie française morcelée, séparée
par des différences de langues, de modernité, jusqu'à quitter le cher pays, offrant
ainsi à Vaki cette renaissance culturelle qu'apporte un passage en France : « En
effet, comment renier cette renaissance à laquelle nous étions confrontés ? Sorti
culturellement nu du ventre de ces gros avions, nous portions autour du cou ces
kilos de coquillages, ultime placenta symbolique censé nous protéger et nous
mener
à bon
port
»
(p. 173)
Conclusion finale de
ce
voyage
instructif
par
la mort,
un
thème
que
le lecteur
peut voir comme une libération, un lieu où la différence ne prend aucune imporLà où
plus personne ne parle, plus personne n'est muet, non ? » pour cet
fond, aura gardé toute son innocence. C'est là tout le talent de Moetai Brotherson : malgré tout ce que cet enfant aura traversé, il gardera son essence
de Polynésien et par la même occasion, son âme d'enfant qui, intelligent, avait tout
compris de notre monde, le fonctionnement de toute chose, mais qui cherchait
inlassablement les raisons de ce monde, le comment du pourquoi. Désormais, tous
les lecteurs de ce livre, qui est dans un certain sens philosophique, verront différemment leur vie et leur position dans ce cercle qu'est la Culture Mao'hi.
tance
«
enfant
qui,
au
LittéRama’OHi
# is
Titaus Porcher
r
Ecriture et fonction
à travers trois
syncrétique
regards féminins :
Déwé Gorodé,
Chantal
Spitz,
Titaua Peu
La narratrice de Mutismes écrit
Chez nous, la
:
première chose qu'une femme devait apprendre, après la
une femme forte, digne, c'était celle qui
cuisine, c'était la discrétion. Et
savait commander
De fait, l'un des traits les
en
silence1.
plus caractéristiques de la représentation des femmes
qu’elles apparaissent dans les sociétés traditionnelles du Pacifique, c'est leur
aptitude à garder le silence. Être femme, c'est savoir se taire. Quelle gageure, alors,
quel geste d'audace, pour Chantal Spitz et Titaua Peu, qui écrivent aussi pour
renouer avec l'âme de ce passé immémorial, que celui qui consiste à prendre la
parole et à vouloir la propager. Ce défi méritait qu'on s'y intéresse et les textes pour
lesquels nous avons opté, aussi différents soient-ils, portent tous la trace de cette
audace. Mais surtout, tous posent de façons diverses, parfois brutales, la question
de l'identité par la confrontation à l'autre, à travers des prismes différents selon
que l'on est de Nouvelle-Calédonie ou de Polynésie française, selon qu'il s'agit de
romans à caractère autobiographique ou de poésie. Aussi m'a-t-il semblé pertinent,
dans le cadre d’une réflexion sur l'identité, de me pencher sur deux topiques récurrentes de ces textes de femmes, propres à rendre compte à la fois de leur appartenance culturelle, de leurs revendications socio-politiques en même temps que de
leur questionnement identitaire : tout d'abord la question de la terre d'appartenance, corollaire évident du questionnement sur soi, et, d'autre part, la place des
mots et plus particulièrement de l'écriture.
telles
Critiques et analyses
Mon travail
s'appuiera sur l'étude des symboles liés à la terre et aux mots tels
qu'ils apparaissent dans nos textes et, avec l’appui de l'anthropologie, je tenterai
de montrer que ces symboles sont des voies privilégiées pour rendre compte des
« structures de
l'imaginaire » (Gilbert Durand). De fait, nous constaterons tout
d'abord l'isomorphisme des symboles de la terre et de la mère et montrerons l'enjeu que la terre-mère constitue dans la revendication identitaire. Dans un deuxième
temps, nous montrerons la fonction syncrétique des mots qui constituent à la fois
l'un des relais privilégiés à la question de la terre, un espace de rencontre entre les
héritages du passé et les enjeux du présent en même temps qu'un terrain expérimental apte à rendre compte des questionnements identitaires.
Isomorphisme des symboles de la terre et de la mère
Le
premier point que j'aborderai concerne la question de la terre d'appartela question de l'identité étant consubstantielle à celle de l'espace : on se
définit, en effet, entre autre, par le lieu auquel on appartient. Or, l'une des topiques
récurrentes de la littérature du Pacifique est celle de l'attachement viscéral à la
terre qui y est ressentie pleinement comme le lieu originel, le lieu sacré. Il est par
ailleurs particulièrement saisissant de constater dans nos textes de femmes l’isomorphisme des symboles liés à la terre avec ceux de la mère. La terre y est la Mère
suprême, la matrice universelle à l'origine et à la fin de toute vie. Certes, l'image
de la terre nourricière apparaît comme un topos de la littérature découlant de l'une
des grandes structures de l'imaginaire que l'on retrouve aussi illustrée par les
grands mythes. En effet, comme le souligne Gilbert Durand, la terre est primitivement, comme l'eau, « la primordiale matière du mystère ». Aussi, «cette grande
matérialité enveloppante (...) se voit confirmer comme archétype par la poésie2 ».
« Les eaux seraient les mères du monde, tandis
que la terre serait la mère des
vivants et des hommes 3». Cet archétype est particulièrement prégnant dans les
mythes, la coutume, les rites ancestraux du Pacifique qui révèlent ce que Bruno
Saura nomme l’« attachement métaphysique des Océaniens à la terre4 ».« Attachement irrationnel », « amour irraisonné, irraisonnable», comme l’écrit Chantal Spitz.
nance,
2
Gilbert Durand,
Structures anthropologiques de l'imaginaire, Paris, Dunod, 1992, p. 262-
263.
3
4
Ibid.
Bruno Saura, Entre nature et culture, la mise
Tahiti, Haere Po, 2003, p,10.
en
terre du
placenta
en
Polynésie française,
LitteRama’oHi
s is
Titaua Pnrcher
On trouve ainsi
particulièrement chez les Maohis de Polynésie et les Maoris de
une continuité d'engendrement entre le corps et la terre. Le placenta se dit en tahitien püfenua, soit littéralement « noyau, terre ». Il est dans
l'imaginaire collectif propre à ces régions comme une parcelle de terre au sein du
corps de la femme, dont se nourrirait l'enfant, et qui retourne à la terre après sa
naissance puisqu'il est alors mis en terre. De leur côté, les terres possèdent également un nombril figuré par une montagne, une pierre, un rocher ou encore un
bouquet d'arbres situés au centre de l'île5. On trouve de la même façon dans les
discours coutumiers kanaks l'idée que l'homme, la terre et l'esprit ne font qu'un.
Dans le roman L'île des rêves écrasés, de Chantal Spitz, où les isotopies végéNouvelle-Zélande
taie et fœtale
senti
se
trouvent inextricablement
comme un «
cloisné1
liées, l'attachement à la terre est
immortel enracinement du ventre6
».
res-
L'attachement irrationnel
Tetiare ressent pour sa terre, cet « amour irraisonné, irraisonnable » a été, écrit
l'auteur, inscrit dans son ventre7. Maevarua, le tout jeune père, « ouvre le ventre de
que
la mère nourricière
pour y déposer le placenta de son enfant et y plante un jeune
qui, à son tour, nourrira son fils8. « Union de l'homme à la terre dans
laquelle il plonge ses racines, union de la terre à l'homme qui fait jaillir de son ventre la nourriture de l'homme. Teuira, la mère qui voit partir son fils pour la guerre,
lui glisse dans ses bagages un cylindre de bambou contenant un peu de « terre de
sa Terre » pour « forcer le destin à lui rendre son petit9 ». En effet, le corps des
hommes qui partent est lui même « fait de terre Maohi ».
Dans le roman Mutismes, de Titaua Peu, on pourra noter que l'intériorisation
de l'espace est entière. La narratrice dit : « Mon île est en moi 10».
Chez Déwé Gorodé, enfin, un recensement stylistique tendrait à mettre en
lumière la place largement dominante d'une métaphore, celle du cordon ombilical
qui nous relie au lieu d'origine, la Grande Terre de Kanaké. Cette terre s'apparente
à l'espace fondateur de l’identité culturelle kanake. Dans le poème « Crépuscule
canicule kanaks », la terre devient un « vaste utérus végétal » et sa chaleur intime
s’identifie à celle de « minuscules placentas
». On retrouve alors la
»
tumu Uru
5
Bruno
6
Chantal
Saura, op. c/t, p. 18.
Spitz, L'île des rêves écrasés, Tahiti, Au vent des îles, 1991, p.95.
Ibid., p. 100.
8
Ibid., p.33.
9
Ibid., p.43.
10
Titaua Peu, Mutismes, Tahiti, Haere Pô, 2002, p. 23.
11
Déwé Gorodé, Sous les cendres des conques, Nouméa, Edipop, 1985, p.56.
7
125
Critiques et analyses
matérialité
matrice nourricière » à la « doumoelleuse » qui conjugue les
caractères de la mère primordiale et les contours du corps féminin. Dans le poème
« Attendre »,
qui évoque le temps de la gestation, l'enfant lui-même est décrit selon
une métaphore végétale. Il est un « bourgeon qui éclôt », « la tige qui surgit » et la
«
pousse qui émerge de la terre12».
Dans le poème « Racines », enfin, c'est par un mouvement palingénésique que
les racines de la terre creusent pour rejoindre la matrice. Elles creusent toujours
plus loin, écrit-elle,
ceur
enveloppante et apaisante de cette
de mère de sein de lait
»,
cette
«
noire
«
mousse
pour nouer
le lien
le cordon
ombilical
rendu à
la terre à même
la terre
telle la parure
de
de
chrysalide
cigale
rendue à
la terre
à même
la terre.
à la
mue
ou sur
pour
les racines
naître
au
monde13
L'écriture est ici sensiblement
ment
syntaxique, l'on
mère
ou
ne
tautologique, circulaire, et selon un enchevêtresait plus qui du cordon ou des racines est antérieur, la
la terre.
question soulevée par le lien à la terre se pose donc également comme une
question du rapport au temps. Comme l'écrit Stéphanie Vigier, « irrigué par son
passé, ses racines, l'individu affronte avec une plus grande lucidité et une plus
La
12
13
Ibid., p. 43.
Ibid., p. 15.
Litteaama’oHi
» is
Titaua Porcher
grande sérénité les ruptures imposées
Dans L'île des rêves
par l'histoire et les dilemmes du présent14».
écrasés, à l'instant où il foule le sol, Tematua sent la force de la
terre le
pénétrer par la plante des pieds. Il comprend alors pourquoi la terre étrangère où il est allé se battre lui est toujours restée étrangère : il est resté chaussé
tout le temps, empêchant ainsi la terre de communier avec celui qu'elle porte.
Conserver ce lien viscéral à la terre d'origine, c'est conserver le lien aux ancêtres et
aux temps immémoriaux et donc un mode d'identification
qui dépasse la mémoire.
Dans le même roman, le lien à la terre est le signe ultime de l'identité ma'ohi
lorsque les gestes rituels, les chansons, les espoirs des ancêtres se sont effacés de
la mémoire.
Or, c'est par l'identification de la terre à la mère nourricière que se pose la
question de l'identité politique. Le lien viscéral à la terre a été mis à mal par les
méfaits de la colonisation et les mécanismes destructeurs qui l'accompagnent. La
terre est une mère en deuil, meurtrie par les phénomènes de spoliation foncière en
Nouvelle- Calédonie où les terres vacantes
ou non
cultivées ont été littéralement
annexées par
l'Etat français à partir de 1855, par le départ de ses fils de Polynésie
française ou de Nouvelle-Calédonie pour une guerre lointaine au moment de la
Seconde Guerre Mondiale, ou encore par les essais nucléaires de Moruroa en 1966
puis repris en 1995 et qui font de la Polynésie selon les mots de Chantal Spitz une
terre « défigurée ». Chez Déwé Gorodé, la terre de Kanaky est une mère « endeuillée depuis plus de cent ans », c'est une mère « souffrante » transformée en « igname
rouge sang d'Océanie ». Muselée, elle ne laisse échapper que « les bribes d’une
parole prisonnière » et les « sanglots de (sa) voix atone »15. Elle devient alors la «
mère rebelle du Pacifique16 ». Dans L'île des rêves écrasés, les gros engins préparant la terre à accueillir la base des essais nucléaires la transforment peu à peu en
« une immense
plaie béante17». Dans Mutismes, à l'annonce de la reprise des essais
nucléaires, c'est la terre tout entière qui se met à vibrer, à appeler à l'aide18.
Cette rupture du lien à la terre qui a ébranlé l'ordre passé a fait perdre plus particulièrement à la femme son identité ainsi que sa dignité. C'est particulièrement
vrai pour la femme kanake pour laquelle la modernité selon le modèle occidental
14
Stéphanie Vigier, « Le Chemin du pays, le long chemin de l'héritage
tique, Rimini, Panozzo Editore, 2004, p.66.
15
Déwé Gorodé, op. cit., p.24.
16
Ibid., p.66.
17
Chantal
18
Titaua Peu, op.
Spitz,
cit., p.119.
cit., p.111.
op.
»,
Littératures du Pad-
127
Critiques et analyses
signe le plus souvent la désintégration de la famille et l'aliénation la plus complète.
En témoignent les nombreux poèmes naturalistes tels que « Liberté avortée » ou «
Fille perdue » décrivant l’errance moderne de ces femmes kanakes perdues au
contact de la civilisation blanche': prostitution, alcoolisme, assujettissement au
pouvoir des blancs... En perdant la terre, ces femmes sont devenues des électrons
libres et ont perdu leur identité :
Tu
sors
de
ce
bar
les yeux déchirés devant ton âme en miettes
Tu n'es
plus toi
au
fond de la case19
Se réapproprier sa terre, c'est donc retrouver son identité. Chez Chantal Spitz,
c'est par le contact avec la terre que les êtres accèdent à la connaissance de soi et
la présence de la terre est à elle seule gage de l'identité :
Terre
Pour
On peut
surgie de la magie de l'océan
qu'enfin je me connaisse 20.
alors
se demander quelles sont les voies proposées par nos auteurs
lien à la terre.
En effet, Mutismes signe l'échec de l'action violente. Le roman raconte à travers la voix d'une jeune narratrice polynésienne les émeutes de 1995, Pour tenter
d'empêcher la reprise des essais nucléaires, une partie du peuple se soulève pour
marquer sa réprobation ; puis les manifestations se transforment en violentes
émeutes aboutissant à l'incendie de l'aéroport et au saccage de la ville. Ces inci-
pour retrouver ce
dents ont laissé éclater la violence et la barbarie, la confusion des
esprits et des
noyées dans une
masse indéfinie, confuse, méconnaissable : « il n'y avait
plus de frères, plus d'idées,
plus de verres qu'on partageait ensemble21». L'identité semble doublement perdue
combats. L'identité des individus, leurs idées, leur fraternité sont
et la narratrice laisse alors entendre la voix de l'auteur
Était-ce toi, mon peuple
Était-ce toi, caché sous ces cagoules ?
19
Déwé Gorodé, op.
20
Chantal
21
Titaua Peu, op.
Spitz,
cit., p. 74.
cit., p. 99.
cit., p. 123.
op.
:
LitteRama’oHi » is
Titaus Porcher
Tu t'es
Tu
as
trompé de combat
gâché 22.
tout
La seule voie de salut
apparaît alors à la fin du
roman, sous
la modalité jussive
:
Reprends tes mots
Reprends ta terre
Sans violence, réapprends à dire
Que tu souffres, que parfois tu as faim
Reprends tes mots
reprendras ta terre23.
Et là tu
Les mots et la fonction
syncrétique
appel au peuple à se réapproprier ses mots, seuls
contrepoints possibles à l'action violente. Pour Titaua Peu, le mutisme est l'un des
maux les plus déterminants de la société polynésienne. Il est particulièrement visible chez les plus démunis où il reflète une carence dans la représentation de soi,
une incapacité à saisir sa place dans la société. Sa narratrice écrit :
Mutismes
se
on ne
clôt
parle
sur un
pas
quand on est paumé, on boit on se saoule jusqu'à l'épuigens-là' on a oublié la parole. On ne sait pas dire le
dit d'ailleurs presque rien24... ».
sement... Chez 'ces
malaise. On
L'auteur
les pauvres.
ne
fustige la dynamique sociale qui favorise les plus aisés et marginalise
En restant incompris, le peuple « perd ses mots, forcé d'apprendre ceux
des autres, maladroitement
mode de fonctionnement
».
Mais cette aporie puise aussi ses racines dans un
légué
par
les ancêtres
:
Chez nous, les mots d'amour n'existent pas.
manque, pauvre
héritage légué
par
travailler, enfanter et rien d'autre25
22
Titaua Peu, op.
Ibid.
cit, p.127.
24
Titaua Peu, op.
cit,
25
Ibid., p.60.
23
p.
71.
Pauvre pudeur, pauvre
des ancêtres qui n'avaient fait que
».
129
Critiques et analyses
On
trouve donc pas
chez Titaua Peu d'idéalisation de la société traditionrapport au langage. Le peuple polynésien doit réapprendre à parler, il en va de sa survie. On peut alors se demander : en quelle langue
doit-il réapprendre à parler ? L'auteur ne le dit pas précisément. Pourtant, ellemême, résume son livre Mutismes, écrit en français, comme « une vie et une écriture tahitiennes ». On peut alors supposer que pour l'auteur, l'utilisation de la
langue française est compatible avec l'idée d’une écriture apte à rendre compte
d'une identité propre. L'auteur ne nourrit d'ailleurs aucune culpabilité à l'égard de
l'usage du français. Elle considère au contraire que c'est l'usage et l'apprentissage
de la langue française qui lui ont donné les armes nécessaires à son combat :
ne
nelle notamment dans
son
Je suis
un vrai produit français. J'écris comme toi, peut-être mieux [...]
plume qui saigne et qui « veut saigner » les autres [...] je l'ai découverte chez toi, en France [...] oui, cette plume je me la suis appropriée26
La
Dans L'île des rêves écrasés, les actions
entreprises par les personnages pour
lequel le Général-Président a choisi d'installer sa base
militaire, apparaissent, elles aussi, comme un coup d'épée dans l'eau. Par ailleurs,
le bilan dressé à la fin du roman sur la situation actuelle est sans appel : l'école
fabrique des hommes et des femmes sous-éduqués, l'inconséquence des élus accule
le peuple à la misère et à une violence en puissance, le peuple maohi a perdu ses
repères en même temps que sa dignité.
Il semble alors que les mots constituent, là encore, la seule voie de salut. C'est la
jeune Tetiare, parangon évident de l'auteur, qui s'engage à prendre en charge l'écriture de l'histoire de son pays et de son peuple pour lui rendre sa dignité, sa liberté
et réhabiliter son rêve. C'est par la connaissance de son histoire, que le peuple
pourra retrouver son identité, parson histoire cette fois-ci racontée par lui-même,
avec ses propres mots. C'est son frère, Terii, qui à la fin du roman, l'engage à écrire:
« Il est
temps d'écrire notre histoire vue par nous-mêmes. Lavage de cerveau à l'endroit ». Sans doute peut-on voir dans cette démarche le prolongement de l'initiative lancée par Segaien-lorsqu'il rédigea Les Immémoriaux, lui qui avait pour
volonté de présenter le processus missionnaire vu pour une fois par les autochtones
eux-mêmes à ceci près que l’auteur était lui-même européen et qu'il projetait ses
propres schémas culturels dans la vision qu'il proposait. Surtout, cette démarche
sauver
26
le motu Maeva
Tahiti-
sur
Pacifique, juillet 2003, n°147, p.47.
LitteRama’OHi # xa
Titsua Porcher
et le résultat
qui en découle c'est-à-dire le roman lui-même, dans la mesure où il
principe de rendre compte de l'« autre histoire », celle vécue par les
colonisées, pour faire entendre une autre voix que la voix de l'Histoire,
pose comme
minorités
officielle, identifie
histoire
»,
L'île des
rêves écrasés
comme
l'un des
« romans
de la contre-
tels qu'Andreas Pfersmann les définit :
romans
à caractère
épique, évoquant le destin d'un peuple
ou
d'une
minorité, qui. poursuivent un tel objectif subversif par rapport à une tradition écrite dominante. Ce
destinée d'une
qui le caractérise, c'est
sa
focalisation
sur
la
collectivité, fût-ce à travers le prisme d'un de ses repré-
sentants
emblématiques, sur la destinée d'une collectivité en tant
qu'elle est historiquement déterminée et minorée voire ignorée par le
discours officiel et/ou l'approche historiographique spécialisée27
L'île
des rêves écrasés
appartient bien à la famille des « romans de la contrefaisant des personnages principaux les porte-parole d'un point de vue
dissonant sur le colonialisme, l'évangélisation, les essais nucléaires. L'usage du franhistoire
», en
çais, vécu par l'auteur comme une trahison à son people est ici beaucoup plus problématique, et il faudra l'intervention de la figure tutélaire d"'Henri" (Hiro) pour
qu'elle s'autorise à écrire, en français. Elle lui fait dire :
écris
nous
écris notre
people
écris notre pays
c'est
on
déjà tard
s'en fout de la
langue
tu dois écrire
écris28
Réécrire l'histoire, c’est
dans
27
Mutismes, fait dire à
Andreas Pfersmann,
également la démarche entreprise parTitaua Peu qui,
sa narratrice : « Cela fait quelque temps que j’essaie
Les notes dans le roman de la contre-histoire : Augusto Roa Bastos
in Notes, études sur l'annotation en littérature (dir. Jean-Claude
Claudine Pouloin), Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2008.
«
et Patrick Chamoiseau »,
Arnould et
28
Chantal
Spitz, Pensées insolentes et inutiles,
p. 157.
Critiques et analyses
d'écrire
histoire, la mienne, celle de Rori, celle de
son
de faire entendre le cheminement
explique dans l'épilogue
les violences
qui
a
abouti
aux
mon pays29». Le but étant ici
violences de 1995. L'auteur s'en
:
jamais ponctuelles, elles ne naissent pas au hasard
trop seul. Parce qu’on a oublié de l'écouter, mon peuple a
sont
ne
d’un chemin
frappé trop fort.
L'écriture
s'impose alors
forme du chaos social
ou
comme un
individuel
ou
garant de l'unité. En permettant la mise en
historique, les mots jettent
un
pont entre
les éclatements pour dépasser la contradiction et construire une forme unifiée.
L'identité a donc aussi partie liée avec l'unité. Ainsi Chantal Spitz souligne-t-elle
la fonction unificatrice de l'écriture :
Par l'écriture
j'avais la capacité de bâtir des passerelles entre mes unid'explorer les diverses expressions de nos misères d'assembler les débris épars de nos désastres de reconstruire ce qui avait été
fragmenté et atteindre à la pleine conscience de notre originalité
vers
Les mots
ter ces
«
éclatés
apparaissent donc comme les seuls instruments capables de réhabili» évoqués par le titre du roman de Chantal
Spitz qui scande
rêves écrasés
leitmotiv la réalisation du rêve. Or, ce rêve de bonheur s'entend dans le
comme un
roman comme
c'est-à-dire
la rencontre
sans se
renier et
avec
en
l'autre dans la continuité du rêve des
conservant la mémoire et la
du roman, Terii, faisant allusion à l'échec de
donc à l'échec de
nés, dit-il,
son
relation
amoureuse avec
rêve de fusion, éclaire le titre du roman
l'île des rêves écrasés
sur
sa
ancêtres,
dignité Maohi.
:
«
Nous
À la fin
Laura et
sommes
».
La
dans
celle
phrase résonne comme une sentence sans appel. Pourtant, la jeune Tetiare,
discours au style indirect libre qui confond très clairement sa voix avec
de l'auteur, glose sur le fait d'écrire :
un
L'idée est lancée
Se
dépouiller
qui coule dans
pour se
ses veines, sublime et terrifiante : écrire.
donner à l'autre, paroles du rêve pour faire renaître le
rêve. Nous rendre à nous-mêmes
29
Titaua Peu, op.
30
Chantal
Spitz,
c/'f.,
op.
p.
95.
cit., p.162.
en
retrouvant l'éternité de notre âme30.
LitteRama’oHi
» is
Titsua Porcher
L'écriture est donc
apte non seulement à exaucer l'idéal de rencontre avec l'aul’image du don, mais surtout, elle annule la mort annoncée du rêve et
lui offre une deuxième vie possible. D'ailleurs, Tetiare, qui porte le nom de sa
grand-mère est celle qui surgit « d'hier pour préparer demain ». On notera ici le surinvestissement de la fonction de l'« écrivant » qui guide le peuple et qui est apte à
lui restituer sa mémoire pour construire son avenir. La question de la langue française se pose ici avec plus de souffrance. Elle est pour l'auteur source de « grincements», de « déchirements », de « gémissements ». Pourtant, on notera que c'est en
français que l'auteur exprime cette ambiguïté, que sans doute il s'agit aussi pour
elle de répondre au colonisateur sur un pied d'égalité, et avec un goût perceptible
pour les mots de cette langue.
Pour Déwé Gorodé, la question est sensiblement différente. Ses « vers de femme
kanake » sont des paroles de lutte. À l'opposé de vers de salon, sa poésie signe un
engagement et un appel au combat :
tre à travers
Ce
des mots
poème
Ça n'a rien à voir avec leurs poésies bourgeoises
sont pas
ne
Ce n’est pas un
C'est
une
réalité messieurs-dames
Capitalistes Colonialistes31.
Les mots sont des doublons de
l'engagement, à la fois comme révélateurs de la
puisqu'ils sont là pour « crier la misère (du) peuple ». Il s'agit bien ici
d'une poésie militante au-dessus de laquelle l'auteur place l'action afin, comme
elle l'écrit, de « réinventer la danse magique qui assure la victoire » : on entendra ici
le terme « réinventer » comme une invitation à trouver une voie nouvelle, qui a
sans aucun doute partie liée avec les mots que l'auteur saura trouver. Il s'agit par
les mots de retrouver ce qu'elle nomme « la parole éparpillée » d'un peuple en souffrance. On rappellera qu'il existe 28 langues en Nouvelle-Calédonie et que la
langue française a sans aucun doute l'avantage dejouer le rôle de fédérateur. Par
ailleurs, on notera que chez Déwé Gorodé également, le goût évident pour les mots
de la langue française vient contredire l'idée d'un discours investi d'une seule foncréalité sociale,
tion référentielle.
31
Déwé Gorodé, op.
cit,
p.
36.
133
Critiques et analyses
l'émancipation politique
l'émancipation sociale. Sa poésie est une parole « rafflée aux tabous
ancestraux ». Dans le poème « Je ne saurais jamais », les noms de femmes kanakes
Ses
«
vers
de femme kanake
»
ont deux fonctions :
mais aussi
se
déclinent
sur
le thème de l'enfermement intérieur
Cuuké
bloqué le taquet de l'hermétique
rouillé la serrure de l’impénétrable
perdu le cadenas de l'insondable
a
Pwéwé
Adi
a
:
a
Utê s’est rétractée
au
seuil de l’indicible
Quant à Pwiaa motus et bouche
cousue
Silence de morte32.
stigmatise toute la misère de la condition féminine. Les
poèmes décrivant la misère de la femme, ses douleurs étouffées, indicibles laissent
deviner la volonté de l'auteur de changer certains états de fait liés à la tradition
qui est parfois pour la femme synonyme de claustration et de misère morale. .
Comme nous l'avons souligné en introduction, dans la plupart des récits et
poèmes du Pacifique, le silence fait partie intégrante de l'identité de la femme, telle
qu’elle apparaissait dans la société traditionnelle et celle qui ose s'aventurer à par1er est celle par qui le scandale arrive. Dans Mutismes, la grand-mère exhorte son
fils à faire taire sa femme, l'autorisant même à la tuer s'il le veut, pourvu qu'elle se
taise. Cet interdit, qui a partie liée avec une lourde oppression masculine, accule la
femme à un douloureux enfermement intérieur. Or, non seulement les femmes de
Ce silence de morte
prennent-elles la parole, mais elles s'autorisent une parole lyrique. Dans
enveloppe son fils de ses mots au moment où il part
pour la guerre. Emere, en femme amoureuse, trouve « au fond de ses entrailles »
les paroles qu'elle offre à son amant après lui avoir offert son corps.
Par ailleurs, le mutisme occupe dans les sociétés traditionnelles une fonction
sacrée. Rappelons en français la proximité des mots « mutisme » et « mystère »
puisque le mot grec « mustérion », qui signifie « mystère », « chose secrète», « cérémonie religieuse secrète », vient du verbe « muo » qui veut dire « fermer la bouche
», la première règle de l'initié étant de se porter garant du silence sur les mystères
religieux qui lui ont été révélés par hiérophanie. Or, on retrouve dans nos textes
cette valorisation du silence comme garant d'une communion avec le cosmos
nos
textes
L'île des rêves écrasés, Teuira
32
Déwé Gorodé, op.
cit., p.81.
LitteRama’OHi » 18
Titaua Poroher
héritage du passé. Dans L'île des rêves écrasés, le couple Laura/Terii incarne
opposant une vision mythique et une vision post-moderne du
langage. Pour Terii, se taire, c'est entrer en communion avec l'univers, entrer en
résonance avec la sacralité de ses mystères. La parole a de son côté une fonction
performative puisque c'est elle qui fait naître les réalités. C'est le Verbe tout-puissant des temps immémoriaux où dire, c'est faire exister : « Il ne faut pas dire les
mots pour ne pas faire naître la souffrance33 », explique-t-il à Laura. Pour elle, l’occidentale, la blanche, qui incarne le monde de la rationalité et qui a été bercée aux
concepts de Freud, au contraire, « Il faut nommer la souffrance pour l'exorciser ». Le
mot est pour elle le révélateur d'une réalité cachée.
Nous terminerons en soulignant que la forme écrite, en devenant l'instrument
privilégié de nos trois auteurs, symbolise magnifiquement cette « croisée des identités ». On sait que les cultures polynésiennes et kanakes étaient des cultures orales
et que l'écrit a été l'instrument privilégié des colons. Il apparaît donc comme paradoxal, en tout cas en apparence, que ce soit l'écriture qui ait pour charge de sauver
l'âme de ce passé immémorial, même si, comme le souligne Jean-Luc Picard, l'écriture bénéficie d'un statut équivoque pour les tenants de l'identité maohi puisqu'on
peut l'associer à la fois à la disparition des valeurs polynésiennes et à leur sauvegarde dans la mesure où ce sont les missionnaires qui, en faisant l'école en reo
ma'ohi et en collectant les mythes et les légendes ont sauvé la langue et une partie de la culture ancienne34 ». Or, il apparaît que l'on retrouve dans ces textes un
certain souffle propre à l'oralité des cultures ancestrales : sa tonalité oratoire, son
lyrisme spécifique. Sans doute la poésie est-elle la plus apte à rendre compte de
ces caractéristiques discursives et on ne sera pas surpris de voir Déwé Gorodé choisir cette catégorie générique, mais aussi Titaua Peu et surtout Chantal Spitz qui
laissent apparaître des passages de poésie au cœur de la trame romanesque, donnant naissance à un texte bigarré. Dans L'île des rêves écrasés, la jeune femme qui
s'apprête à écrire ce qui, par un effet de mise en abyme, pourrait être « l'île des
rêves écrasés », a conscience que l'écriture, « peu explorée par les Maohi », est restée « le domaine des étrangers ». Mais elle sait aussi qu'elle est leur seule voie de
salut. Son frère Terii qui en a bien conscience, lui dit :
comme
cette dichotomie
33
Chantal
34
Jean-Luc Picard,# La
Spitz,
op.
c/fc,
p.
157.
parole de la nuit
».
Litterama'ohi n°8, 2005,
p.
38-57.
Critiques et analyses
Le rêve transmis d'oralité
se
meurt faute de mémoire et nous devons lui
l'écriture. D'autres après toi écriront une parcelle du
qui finira par devenir réalité35.
redonner vie par
rêve
apparaît chez nos trois auteurs un questionnement identitaire
partir des questions de culture, d'espace et de temps. Certes, les bilans ne se ressemblent pas : la vision sociale de Titaua Peu, celle, plus romantique de l'île des
rêves écrasés, aussi critiques soient-elles, paraissent moins pessimistes que celle de
Déwé Gorodé. Mais toutes s'accordent à souligner le rôle salutaire des mots dans
la reconstruction identitaire, qu'il s'agisse de parler pour trouver sa place au sein
de la société actuelle, pour dire les souffrances du passé et du présent, pour dire
l'indicible. La « littérature tahitienne » écrite en français de Titaua Peu, la langue
très originale de la poétesse Flora Devatine, qui tente de rendre compte, en français, du souffle épique de l'oralité polynésienne, tout en revendiquant le droit au
«
je » lyrique, les vers élégiaques de Chantal Spitz qui pleurent les « rêves écrasés »
en donnant une place nouvelle à la femme qui écrit, sont autant de signes révélateurs du caractère syncrétique de cette littérature en pleine expansion et témoignent du formidable chantier en formation qu'elle constitue.
En conclusion, il
à
Ouvrages cités
Durand Gilbert, Structures anthropologiques de l'imaginaire. Paris : Dunod, 1992.
Gorodé Déwé Sous les cendres des conques. Nouméa : Edipop, 1985.
Gorodé Déwé et Kurtovitch, Nicolas Dire le vrai. Édition bilingue de 18 poèmes. Nouméa :
Éditions Grain de sable, 1999.
Lalande, A. Vocabulaire technique et critique de la Philosophie. Paris : PUF, 1956.
Peu Titaua Mutismes. Tahiti : Haere Po, 2002.
Picard Jean-Luc, « La parole de la nuit ». Litterama'ohi n°8, 2005, p. 38-57.
Saura Bruno, Entre nature et culture, la mise en terre du placenta en Polynésie française.
Tahiti : Haere Po, 2003.
Spitz Chantal, L'île des rêves écrasés, Tahiti, Au vent des îles, 1991.
Spitz Chantal, « A toi, Autre qui ne nous vois pas. Remontons les filets ». Littérama'ohi n°2,
2002, p. 120-129.
Vigier Stéphanie, « Le Chemin du pays, le long chemin de l'héritage ». Littératures du Padfique, Rimini : Panozzo Editore, 2004.
L'auteur Titaua Porcher : une polynésienne docteur en littérature française du XXème siècle
35
Chantal
Spitz,
op.
cit,
p.
199.
LittéRama’oHi
« is
Patrick Sultan
201,
Peut-on
parler de
«Littérature polynésienne francophone» T
Une
approche savante, rigoureuse et pertinente de ce qu'on doit encore appe1er, par provision, «/a littérature polynésienne francophone» est encore à construire.
Certes, cette littérature existe, c'est un fait indéniable. On pouvait encore écrire,
il y a peu :
«Nous ferons le pari de dire qu'il existe à Tahiti une littérature en français, même si pour certains le fait n'est pas avéré »’. Un tel propos, déjà dépassé en
serait absurde en 2009. À présent en tout cas, aucun doute n'est plus permis.
On n'a plus à parier pour une existence encore incertaine mais juste à la constater. Il reste à recenser, à lire et à étudier un corpus qui comporte ses auteurs (ses
poètes et ses romanciers, ses mémorialistes et ses essayistes), ses éditeurs et sans
doute toujours davantage de lecteurs.
Cette littérature donne lieu à diverses formes de la reconnaissance sociale et
institutionnelle
:
des recensions dans des
revues
littéraires, des salons du Livre, des
textes d'auteurs
polynésiens lus en classe de lycée et proposés aux examens du Brevet des Collèges, voire étudiés à l'Université
Ce sont des formes de consécration
extérieures à la valeur proprement littéraire et souvent limitées à une perspective
locale; néanmoins, ces médiations permettent à une jeune littérature de se
construire et d'entrer progressivement dans le marché mondial des Lettres.
La Polynésie Française possède, depuis 2002, sa revue littéraire. Le biannuel Littérama'ohi3 permet à divers contributeurs natifs de Tahiti et des îles mais aussi du
Pacifique, d'affirmer leur désir partagé de produire, de réfléchir à des questions qui
les rassemblent (ou les séparent). C'est un signe décisif de l'existence de la littérature
en Polynésie car la fondation d'une revue comme
espace d'expression fédérateur
...
1 S. André
Littérature
(http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/pacifique/polynesie_litterature.html)
«
La
polynésienne
en français », est un résumé de son article publié pour la première
fois dans J. Bessière et J.-M. Moura, Littératures postcoloniales et francophonie, (sous la
direction), Champion, Paris, 2001,
ligne en 2002.
2 Flora
pp.
67-82). Il est repris
sur
le site
«
île
en
île
»
et mis en
Devatine, Tergiversations et Rêveries de l'Ecriture Orale: Te Pahu a Flono'ura, Papeete,
L'Ile des rêves écrasés, Papeete, Les Éditions de la plage, 1991.
Au Vent des îles, 1998
137
Critiques et enelyses
»4-
et lien socio-culturel marque
tion des littératures dites
souvent une étape de maturation dans la consolida-
émergentes.
Ainsi, l'existence de cette littérature et
son plein essor sont des faits mais ces
dispensent pas d'en concevoir une vue théorique et d'en délimiter les
contours comme objet de connaissance. Bien au contraire, ils y obligent, sous peine
de méconnaître la spécificité de cette production.
C'est le point sur lequel insiste à juste raison S. André lorsqu'elle souligne la
«nécessité» et l'urgence de mener «des analyses épistémologiques, historiques et
sociologiques
à quoi il ne faudrait sans doute pas omettre d'ajouter également: «littéraires»- qui permettent de clarifier ce qu'on entend par littérature
polynésienne francophone».
Car dans cette dénomination de sens commun, les deux qualificatifs méritent
examen critique et exigent théorisation : déclarer cette littérature « francophone» et
la réputer «polynésienne» supposent que l'on mesure et que l'on éclaircisse la portée
et le sens de ces attributs. C'est le travail d'élucidation que nous essaierons d'esquisser à la lumière des questionnements de la Théorie postcoloniale/Posfco/on/o/ Theory5
Pour ébaucher ces distinctions, majeure est la référence à l'écrivain tahitien C.T.
Spitz : l'œuvre romanesque exigeante qu'elle élabore lentement, le travail original
qu'elle effectue sur la langue et sur les formes, la cohérence de la vision qu'elle
offre en font un artiste de premier plan dans le domaine littéraire. Pourtant, dans
cette étude, ce ne sont pas les fictions de cet auteur que nous interrogerons mais
essentiellement ce qui constitue l'épitexte de cette œuvre (interventions critiques,
prises de position, entretiens, discours prononcés en public, articles de circonstance), notamment dans les numéros thématiques de Littérama'ohi, revue qu'elle
a co-fondée et qu'elle dirige depuis 20076. En effet, loin d'être un prolongement
faits
ne
3 Ramées de Littérature
numéros parus
Polynésienne Te Hotu Ma'ohi. On trouve le sommaire des quatorze
entre 2002 et 2007 sur le site ile en ile http://www.lehman.cuny.edu/ile.
en.ile/litteramaohi/
4
Les enjeux du corpus de la littérature francophone enseigné à l'Université de la PolynéFrançaise à la lumière du TAUI », in D. Deblaine, Y. Abdelkader, D. Chancé, (sous la direction de), Transmission et théories des littératures francophones, Bordeaux, Presses
«
sie
Universitaires de Bordeaux,
5 Pour
Éditions Jasor,
2008.
présentation (en langue française) je renvoie à I' Atelier de théorie littéraire
sur le site fabula : Théorie littéraire postcoloniale Adresse : http://www.fabula.org/atelier.
php?ThéorieJittéraire_postcoloniale.
une
6 Nous y
joint
brève
ajouterons également le texte d'un entretien réalisé
en annexe.
avec
l'auteur,
en mars
2008,
LitteRama’oHi
» is
Patrick Sultan
vraiment externe à l'œuvre,
l'épitexte, dans le cas des écrivains extra-européens qui
langues européennes, joue un rôle constitutif. Leur situation
(géographique, linguistique, politique, culturelle, éditoriale...) les contraint de
manière récurrente à se définir, à donner toujours davantage d'explications pour
rendre lisible ou plus accessible, voire pour justifier, leur projet artistique. Dans la
mesure où celui-ci ne s'inscrit pas dans une tradition, dans une lignée familière ou
supposée bien connue des lecteurs européens, ils sont tenus à une fonction «présentative» ou parfois à jouer le rôle pédagogique ou même médiatique de « représentant » culturel. Or assurément, par la radicalité de son propos, par son
franc-parler corrosif, par son refus de toute compromission, Chantal T. Spitz n'est
pas «représentative» des autres voix qui s'élèvent à Tahiti ou dans les îles voisines.
Mais cette absence de «représentativité » ne doit pas s'entendre comme une limite
ou un défaut ; bien au contraire, se refusant à parler «pour» ou «ou nom» de son
peuple, elle exprime en toute son acuité la singularité polynésienne. Loin d'être
«/so/ée»7, -sinon certes au sens où tout insulaire peut l'être par sa position géographique,- menant une réflexion critique radicale sur tous les sujets essentiels à la
écrivent dans des
construction d'une identité océanienne, elle fait entendre une voix libre et exem-
plaire marquée par un sens aigu de l'indépendance, voire de l'insoumission, par rapport au discours idéologico-politique ambiant.
Tout en se gardant de suivre, de relayer ou d'amplifier le propos des auteurs
étudiés, l'étude savante doit veiller à être une critique d'accompagnement et non
pas une critique de surplomb ; elle doit pouvoir tenir compte du regard que les
écrivains portent sur eux-mêmes, sur la langue dans laquelle s'élabore leur œuvre
et sur l'identité qu'ils revendiquent - et cela surtout lorsqu'il en va d'une littérature récente et qui se cherche.
S. André, dans l'étude déjà citée, reprenant les analyses de M. Benjamino (La
Francophonie Littéraire, L'Harmattan, 1999) distingue deux «grilles de lectures»
pour «rendre compte des littératures francophones»8. Elle désigne la première sous
le titre de «grille postcoloniale», et la seconde, celui de «grille du nationalisme littéraire». Celle-ci anticipe la réalisation à venir d'une nation polynésienne unifiée,
7 Comme
on
le lit
8 S.
la
André,
«
étonnement dans l'étude de S. André, déjà cité, « Les enjeux du corfrancophone enseigné à l'Université de la Polynésie Française à la
avec
pus de la littérature
lumière du TAUI », p.
152.
Les enjeux du corpus de la littérature francophone enseigné à l'Université de
Polynésie Française à la lumière du TAUI
», p.
151.
139
Critiques et analyses
intégrant et subsumant tous les acquis du passé, prenant acte du présent et se
au devenir multi-identitaire. Celle-là revendique avec force une
identité perdue, et, «utilisant des modèles de périodisation»9, repose sur une opposition rigide entre un passé anté-colonial exalté et un présent condamné, sinon
tenant ouverte
vouée à la damnation.
examn1.
Même si le terme désuet de «grille», peu propre à suggérer souplesse et subtilité,
risque de susciter, et d'abord chez les écrivains ainsi circonscrits, le sentiment d'un
emprisonnement dans un réseau trop étroit, il n'invalide pas la démarche classificatoire indispensable à une juste description. Reste à examiner si ces «grilles» facilitent la compréhension et l'interprétation des œuvres venant de Polynésie Française.
Peut-on tout d'abord parler de la littérature polynésienne comme d'une littérature nationale en germe, «comme réalité en construction ou comme horizon
d'attente»x? Ce modèle, S. André prétend qu'il donne une bonne idée des récentes
productions tahitiennes (Titaua Peu, J.-M. Pambrun, S. Ari'irau). Cette «nouvelle
génération d'écrivains» qu'elle associe au Taui appellerait de ses vœux une nation
plurielle, multi-identitaire et se placerait ainsi «dons une nouvelle lecture du temps
historique, placée sous le signe de la continuité, de l'interdépendance, (...) de la
prise en compte du réel, de la relativisation des concepts de résistance à l'oppression coloniale». Ces auteurs ainsi auraient l'audace de reprendre, sans cornplexe, au XIXème siècle européen le concept jugé libérateur de «nation».
Bien qu'il soit hasardeux d'enrôler, dans une projection aléatoire, des écrivains
sous une bannière politique, cette évolution peut s'envisager. La question de savoir
s'il faut prendre le modèle des littératures nationales comme telos pour l'analyse
des littératures du Pacifique reste certes ouverte. Mais elle suppose que le concept
de nationalité (politique) demeure pertinent si on le prend pour cadre (littéraire)
descriptif ; car cette superposition d'une catégorie littéraire sur une catégorie politique, suspecte à bon droit de masquer un coup de force idéologique, est sujette à
caution ou, du moins, impose un sérieux
Surtout, -et l'argument est
André, « Les enjeux du corpus de la littérature francophone enseigné à l'Université de
Polynésie Française à la lumière du TAUI », p. 151.
9 S.
la
André, « Les enjeux du corpus de la littérature francophone enseigné à l'Université de
Polynésie Française à la lumière du TAUI », p. 153.
10 S.
la
sujet de question nationale dans les littératures de pays ex-colonisés, je renvoie à
comparée et théorie postcoloniale : Le cas des écritures postcoloniales :
Pagli d'Ananda Devi, Maps de Nuruddin Farah, le Quatrième siècle d'Edouard Glissant,
Hombo de Chantal T. Spitz, (Doctorat soutenu à Lille 3 en octobre 2008, dirigé par M. le Professeur Jean-Marc Moura), p. 203-242
11 Sur le
P. Sultan, Littérature
LitteRama’OHi # is
Patrick Sultan
dirimant dans le
culturelle,
on
de la
Polynésie-, sauf à forcer abusivement la réalité politicon'a pas affaire à une nation en germe (comme par exemple l'Italie au
cas
XIXème siècle avant le
Risorgimento) mais à un regroupement arbitraire d'îles
éparses dans le Pacifique. La Polynésie est un agrégat, effet non pas d'une volonté
unificatrice interne, d'une communauté ou d'un voisinage mais des aléas des successives et tâtonnantes.visées impériales de l'Europe, le résultat des victoires ou des
échecs d'une conquête coloniale accomplie sans ordre. Dans ce cas, le concept de
nation, foncièrement unifiant, reposant sur une volonté commune de s'inscrire sur
même territoire dans une communauté linguistique et culturelle, est-il bien adapté
à ce qui porte, jusque dans le préfixe grec qui forme son nom, une irréductible pluralité (territoriale, linguistique, culturelle) ?
Dans un article inédit (2000), C.T. Spitz écrivait : «On se dit Polynésien donc
habitant « de la Polynésie, partie de l'Océanie qui est constituée par de très
nombreuses îles (d'où son nom) et qui est située à l'est de la Mélanésie, de la
Micronésie et de l'Australie ». Sont ainsi Polynésiens tous les habitants de toutes
les îles de la vaste Polynésie que nous nommons communément Triangle polynésien. Pourtant nous n'hésitons pas à nous approprier une identité collective
générique pour la transcrire en identité individuelle spécifique. Que la puissance
coloniale française soucieuse de politique correction ait après un rapide toilettage externe transformé l'ancienne colonie des Établissements Français de
l'Océanie en territoire français nouvellement nommé Polynésie française nous
donne-t-il le droit de nous arroger l'identité jusqu'alors indivise ? Si Polynésie
française nous sied nous devrions nous préciser Polynésiens français ou Polynésiens de Polynésie française car en nous spécifiant Polynésiens seul nous
congédions un héritage ethnique culturel langagier millénaire commun au peupie polynésien dans son entier souscrivant ainsi à la vaste supercherie d'un État
colonial nous démarquant du peuple originel en nous marquant français. En
nous affirmant nous-mêmes aujourd'hui haut et fort Polynésiens sous-entendont français nous nous dissocions à notre tour de nos frères en nous associant
à l'antique combat contre la perfide Albion modernisé en lutte pour la francophonie contre l'anglophonie».
Récusant l'uniformisation inévitable du concept national, C.T. Spitz relève les
pièges recelés par le terme de «Polynésie» ; elle note que l’héritage colonial est au
cœur de cette dénomination. «Poly-nésie» vient en
remplacement de celle,
caduque idéologiquement, d'Établissements Français de l'Océanie ; c'est un nom
singulier alors qu'il désigne, en les regroupant, de multiples îles distinctes et parfois
divergentes entre elles. Cette reductio ad unum menace de gommer l'appartenance
mi
Critiques et analyses
multiforme
peuple polynésien disséminé sur le Pacifique bien au-delà de l'aire
française.
Renvoyant dos à dos adversaires de l'indépendance et indépendantistes zélés
et naïfs, C.T.Spitz exhibe alors la contradiction profonde qui existe entre la véritable autonomie (ou indépendance) et le maintien d'un dispositif perpétuant la
structuration et le découpage coloniaux. Dès lors, s'il existe - c'est le credo de C.T.
Spitz- un peuple premier, un peuple originel dont se réclament les Polynésiens de
Polynésie Française comme d'autres Polynésiens d'autres pays, et si l’on peut donner sens à une origine proclamée commune qui fasse lien entre les îles -aussi diversifiées soient-elles, peut-être faudrait-il renoncer à parler comme d’une évidence
de « littérature polynésienne » mais la décliner au pluriel.
au
de domination
L'autre
«grille», selon S. André, qu'il est possible de mobiliser pour étudier les
«polynésienne», la « grille postcoloniale », consisterait à
distinguer, comme on a pu le faire pour les littératures africaines, «un avant et un
après, avec une date inaugurale qui serait celle des indépendances»'2. Or, ce
découpage est à opérer avec précaution et surtout avec une rigueur exempte de
préjugés idéologiques. Ainsi, on ne voit pas où se situeraient «/’après» et « l'avant »
qui permettraient de périodiser les œuvres littéraires d'une Polynésie Française
encore (et peut-être pour longtemps?) au seuil de son indépendance.
Et même s'il a pu arriver, en mai 2004, que le Parti Indépendantiste parvienne à
conquérir la majorité des sièges de l'Assemblée Polynésienne (le Taui), ce bouleversement n'a rien là de comparable avec ce qui a pu se produire, lors de la décolonisation, dans les pays africains libérés du joug colonial. Dès lors, l'analogie avec les
littératures africaines, sur ce point, est trompeuse, injustifiée et ne permet nullement de rendre compte de l'actuelle production littéraire à Tahiti. S'il y a sans doute
eu, à l'initiative de la République Française, de nombreuses dispositions conférant
aux Territoire d'Outre-Mer une assez large autonomie, on ne saurait parler d'indépendance véritable en Polynésie Française. Ainsi, entendre le «postcolonial» dans un
sens étroitement chronologique conduit à méconnaître gravement la diversité et la
singularité des multiples devenirs, propres aux peuples ex-colonisés.
Toutefois, à la condition de ne pas restreindre la préposition «posf» au sens
étroit de la chronologie, il est légitime et fécond de parler de «postcolonial » dans
le cas des littératures du Pacifique. Conformément au sens en vigueur chez les
œuvres
12 S.
la
de la littérature
André, « Les enjeux du corpus de la littérature francophone enseigné à l'Université de
Polynésie Française à la lumière du TAUI », p. 151.
LitteRama’OHi
» is
Patrick Sultan
tenants
anglo-saxons ou américains de la Postcolonial Theory'3, il convient de
prendre cette désignation comme l'indicateur d'une situation coloniale qui perdure
et persévère. La notion de « postcolonialité » repose sur
l'hypothèse que la colonisation n'est pas un facteur qui appartiendrait seulement au passé mais
qu'elle est
au contraire un processus
qui persiste, se poursuit, s'actualise dans le présent et se
donne à lire dans les
littéraires. Un écrivain
C.T.
Spitz peut, non sans
raison, considérer que bien qu'il ait assoupli et aménagé au fil du temps ses formes
institutionnelles, bien qu'il bénéficie du soutien ou, si l'on veut, de la complicité
œuvres
comme
des élites locales
(notamment «dem/es »), le joug colonial ne reste pas moins
inchangé en son principe.
Dès lors, il est bien possible d'affirmer, comme le fait S. André,
que le schéma
postcolonial «permet de rendre compte fidèlement d'une œuvre, celle de Chantal
Spitz». Mais on se méprendrait du tout au tout sur son sens si l’on en déduisait
«qu'elle prône un retour aux sources» et qu'elle «succombe au fantasme du paradis perdu et retrouvé dans Hombo» (sic)14. Or, précisément, prendre en
compte la
dimension postcoloniale de cette œuvre, c'est justement saisir que le chant de la
terre qui s'élève de ce roman15 douloureux n'a rien de passéiste et ne tisse en rien
un banal éloge du
temps passé, une exaltation naïve des temps précoloniaux.
Le propos de C.T. Spitz est aux antipodes de la sublimation aveugle du passé qui
placerait l'avenir du peuple polynésien dans un retour à des temps mythiques. Dans
un discours prononcé le 26
juin 2008 devant l'Assemblée de Polynésie16, elle
dénonce, avec le lyrisme et la fermeté qui caractérise ses prises de parole « le
risque de tourner le mépris de nous-mêmes en conflits fratricides
le risque de succomber à la mythisation des origines la célébration dé racines
imaginaires l'exaltation sectaire de la culture traditionnelle
,
13 Une
abondante, voire pléthorique, discussion sur le sens à donner à la préposition «post»
l'expression «posteoloniale» a occupé un temps, dans les universités anglo-saxonnes,
les partisans ou les adversaires de la Postcolonial Theory. On trouvera un résumé de ces
débats dans P Childs, P. Williams, An Introduction to Post-Colonial
Theory, Harlow, Longdans
.
man,
1997, p. 1-25.
14 S.
André, « Les enjeux du corpus de la littérature francophone enseigné à l'Université de
Polynésie Française à la lumière du TAUI», p. 151. Sans doute au lieu de : «succombe au
fantasme du paradis perdu et retrouvé dans Hombo», doit-on lire : « « succomberait, dans
Hombo, au fantasme du paradis perdu et retrouvé »
la
15 C.T.
Spitz, Hombo : Transcription d'une biographie, Tahiti, Éditions Te Ite, 2002.
16 II s'intitule Des mots pour
gnation
», non
publié.
dire des
maux :
'E tü
e a
tau e a hiti
noa
atu/résistance et rési-
143
Critiques et analyses
risque de substituer à la mythologie forgée par le colonisateur une contremythologie « un mythe positif de [nous]-mêmesu »
nous engageant à notre tour sur le chemin d'une nouvelle désidentification
le
espoir une histoire une mémoire
deux mots
qui posent notre historicité avèrent notre temporalité nous mettent en sonorité
nous sommes
là pour un
nous sommes
là pour
résistance
résignation
ni l'un ni l'autre
et
pourtant l'un et l'autre ».
bien assurément une mélancolie postcoloniale mais cette
Il y a
peut s'interpréter comme une forme de régression ou de
nostalgie ne
passéisme. C'est une ques-
tion de douleur.
En outre,
le regard tourné vers la splendeur du passé n'est pas
toujours
un
regard figé et archaïsant ; il peut être - pour reprendre un propos de C.T. Spitz à
propos des Polynésiens- celui d'un «survivant*'8 qui se retourne vers le lieu (ou le
temps) de son désastre après l'avoir quitté sans espoir d'y revenir jamais. Il y a bien
une «nost-algie», une «souffrance du retour», qui gagne et empoisonne les personnages de Hombo, mais c'est précisément parce que le retour est vécu et senti
comme impossible. La douleur muette qui traverse le personnage d'Ehu et des
jeunes hombos qui l'entourent, résulte d'une souffrance, d'un trauma historique19
dont ils ressentent le choc sans pouvoir le transformer en parole. C'est la dimension qu'une lecture postcoloniale invite à explorer.
Faut-il dès lors parler non pas de « littérature polynésienne » mais plutôt d'une
littérature «autochtone» de Polynésie Française ? ou d'une littérature océanienne
de Polynésie Française ?
Le débat reste bien sûr ouvert et il n'appartient pas aux seules études littéraires
de trancher sur le fond de ces questions. En attendant, le nom du corpus littéraire
17 A.
Memmi, Portait du colonisé, Paris, Gallimard, 1985, p. 153.
questionnaire adressé à C.T. Spitz, joint en annexelittéraire, voir P. Sultan, Littérature comparée et théorie postcoloniale : Le cas des écritures postcoloniales : Pagli d'Ananda Devi, Maps de Nuruddin
Farah, le Quatrième siècle d'Edouard Glissant, Flombo de Chantal T. Spitz, p. 244- 258.
18 Voir
19 Sur la notion de trauma et son usage
LitteRama’oHi
tt is
Patrick Sultan
en cours
de constitution à Tahiti et dans d'autres îles
francophones du Pacifique
suspendu et le titre de «littérature polynésienne» n'être attribuée qu'à
défaut de mieux, et par provision. Seule une réflexion transversale
approfondie,
sollicitant les apports conjugués des sciences humaines et de la
philosophie, serait
en mesure de penser clairement le
concept adéquat qui rende raison de la situation
des Lettres en Polynésie en prenant en considération le
poids de l'héritage colonial,
à moins qu'il ne faille dire plutôt, d'après le
point de vue «autochtone», de la déposdoit être
session coloniale. Les Postcolonial Studies ont
forgé, durant les deux dernières
décennies, de nombreux outils d'analyse que l'étude des littératures francophones,
appartenant à des pays ex-colonisés gagnerait à s'approprier20 et à développer.
Par conséquent, si l'on adopte cette perspective, on est amené à
poursuivre
l'enquête et à s'interroger sur le bien-fondé de l'évidence qui consiste à réputer
cette littérature
«
francophone
».
Là encore, il est nécessaire de
en
fonction de
son
se
mettre à l’écoute des écrivains
qui ont chacun,
itinéraire personnel, de sa formation, de son parcours, un
rap-
port singulier à leur langue d’écriture. Cependant, un fait historique majeur, dépasoptions et les déterminations individuelles, s'impose à tous, oriente et
sant les
conditionne
profondeur leur « site de pensée » : l'assujettissement linguistique
peuples colonisés.
C'est à cet événement qu'il faut mesurer la position des écrivains du
Pacifique.
C. Spitz s'est expliquée avec perspicacité et
profondeur sur cette question. Refuset-elle « le français et la civilisation occidentale »21, comme on
pourrait le croire à
en
des
lecture inattentive? Là encore,
une
l'approche postcoloniale permet d'invalider
un
tel propos sans nuance.
Dans
elle
texte consacré à la
un
pourfend
rence avec
caraïbes
ou
tue, sous
non pas
francophonie (publié dans la revue Littérama'ohi)
la langue française mais l'idéologie francophoniste. En cohé-
le
point de vue qui est le sien et à l'unisson avec bien des écrivains
africains, elle récuse la francophonie dans la mesure où celle-ci perpé-
l'apparence un peu condescendante d'une générosité bienveillante, la
de l'occupation française. Son refus est donc de nature exclusivement
permanence
politique.
20 Ce travail
a déjà commencé à être
entrepris dans l’Université Française. Citons seulement
l'ouvrage fondateur de J.-M. Moura, Théorie postcoloniale et littérature francophone, Paris,
PUF, 1999.
21
«
nésie
Les
enjeux du corpus de la littérature francophone enseigné à l'Université de la PolyFrançaise à la lumière du TAUI », p.151.
1M5
■
Critiques et analyses
adopte l'argumentaire classique de l'anti-francophonisme : prétexte et alibi
colonisé, arrogance et orgueil de la
France, dévalorisation des langues autochtones, hégémonie de l'écriture sur l'oralité, condescendance paternaliste. Elle refuse le lien arbitraire entre les «sujets-supposés-francophones» et au rebours de cette solidarité artificielle, elle revendique
Elle
de la domination, éviction de l'altérité du
un
lien charnel
avec
«tous les sentants
colonisés, tous les sentant meurtris parce
leur histoire est la [sienne] leur déchirure est la [sienne] ». La Francophonie
un affect : la souffrance de la dépossession.
Se définit alors un autre rapport à la francophonie, plus libre, moins contraint,
affranchi de toute croyance en l'illusoire prestige attribué à la langue du colonique
ravive
sateur
«
:
ma
francophonie dans le sens où je parle français ne me rend ni francophile
encore moins fière. elle est une composante de mon essence au
ni redevable
même titre que
sure
toutes les autres qui me font qui je suis, après m'avoir été blésa depuis longtemps perdu tous ses pouvoirs de
m'avoir fait violences elle
déstabilisation de
mon
identité pour n'être qu'une de mes
langues, elle n'est ni
plus ni moins importante que les autres, elle est un outil d'expression de communication dont j'use à mes convenances sans convenances libre du corset grammatical de la camisole syntaxique aux goûts de renfermé aux odeurs de formol,
cette francophonie cramponnée à ses normes du bien écrire du beau parler mutile
l'expression de ceux qu'elle complexe par ses complexités qui finissent par s'en
indignes »22.
L'approche postcoloniale permet une lecture plus fine et plus aiguë du travail
littéraire. Postulant la perduration du colonial longtemps après que, à défaut de
ses pratiques, son concept a été abandonné, elle permet de mieux comprendre le
dépassement, chez les écrivains francophones, de l'alternative entre la haine de la
langue française et la révérence envers ce qu'elle aurait de supérieur. Ni sacralisation, ni refus crispé. Il ne serait donc pas indispensable, dans l'étude savante des
littératures postcoloniales du Pacifique, d'accorder un privilège particulier à la
langue mais d'en tenir compte comme d'un simple fait, une simple virtualité que
la colonisation (française) a réalisée.
penser
22
«
Sur la
120-129.
francophonie
-
À toi qui
ne nous
vois pas», Littérama'ohi, 2 décembre 2002, p.
LitteRama’OHi
# is
Patrick Sultan
En somme,
qui envisage de prendre la littérature polynésienne pour sujet
singulières qui s'y expriment. Mais pour les
interpréter, il sera contraint de prendre toujours en considération la façon dont
elles se situent, avec plus ou moins de conscience historique, dans un processus (la
violence coloniale) dont les effets sont loin d'avoir cessé. Dans ces conditions, la
d'étude doit d'abord 'écouter les voix
démarche proprement
sa
esthétique des
œuvres
ainsi produites apparaîtra dans toute
lumière..
"Première
publication
:
Loxias, Loxias 25, mis
en
ligne le 15 juin 2009, URL:
http://revel.unice.fr/loxias/document. html?id=2909
Critiques et analyses
Questionnaire adressé à Chantal T. Spitz
(Mars 2008)
1/ Vous considérez
vous en
tant qu'écrivain comme un porte-parole du peu-
pie polynésien?
plus pour moi-même que pour les autres. Mon écriture
égoïsme. Par ailleurs, je ne me considère pas comme un écrivain
Absolument pas. J'écris
est un acte de pur
«o
message ».
2/ Vous définiriez
vous comme un
écrivain anti-colonial ? un écrivain
engagé ? un écrivain politique ? un écrivain polynésien ? Quel sens, en tant
qu'écrivain, donnez vous à votre engagement politique ?
J'écris. Cela fait-il de moi un écrivain? Est-ce que j'ai l'épaisseur la densité d'un,
écrivain? Je n'en suis pas sûre et je le dis sans fausse modestie. On me traite souvent d'«écrivain polynésien majeun> ou autres choses de ce genre, mais au fond de
moi, j'ai juste le sentiment que j'écris parce que je ne sais faire autrement.
Admettons que je me définisse ou me considère ainsi. Dans ce cas, je suis juste
écrivain. Tous les autres qualificatifs qu'on veut accoler à cet état (dans le sens où
écrire fait partie de moi au même titre que la couleur de mes cheveux) sont superflus. Je suis anti-coloniale engagée politique tahitienne (pas polynésienne) non pas
parce que je suis écrivain mais parce que je suis Chantal T. Spitz avec mon histoire
particulière. Écrire ne me fait pas tout ça. Je suis tout ça et j'écris.
L'Occident aime traiter les êtres humains comme des parties et non comme un
(emplois du temps scolaires, spécialisations médicales ...), classifier et étique10% de ceci, 20% de cela ... Je suis un tout et ce
tout accomplit différentes choses qui ne peuvent être dissociées.
Je ne suis pas un écrivain polynésien. Je suis tahitienne et j'écris. Je ne peux en
tout
ter les individus. Je ne suis pas
dire
davantage.
Dès lors, la définition du sens de mon engagement en
tant qu'écrivain tombe
dans la.même difficulté.
Je suis
engagée
tout mon être ;
différent à
de
mon
pour
l'indépendance de mon pays ; cet engagement englobe
donne pas plus de sens, ou du moins je ne donne pas un sens
engagement quand j'écris que quand je participe à des marches
je
ne
protestation, quand j'occupe un bâtiment public, quand je vote. Tous ces actes
Ils ont pour but l'accession à l'indépendance.
ont le même sens.
LitteRama’oHi
tt is
Patrick Sultan
2/ Quel
nésienne»?
sens
L'usage de
réalisation de
De
et quels contours donneriez-vous au concept
ce
de « nation polyde nation vous semble-t-il pertinent? et la
paraît-elle désirable? sous la forme d'un État?
ce concept
concept vous
quel type?
Le concept de «nation» est totalement étranger à l'organisation
îles. Le mot même de «nation» n'existe pas en tahitien. C'est un
politique de
concept qui
nous est étranger. À ceci
s'ajoute que nous n'avons aucune expérience de ce que
peut être une nation. Notre pays tel qu'il est (la Polynésie française) est un accident de l'histoire, constitué de cinq archipels indépendants les uns des autres mais
réunis par la force des armes de la colonisation. La récente demande de quelques
élus marquisiens que leur archipel soit détaché de Tahiti et directement rattaché
à l’État français comme département en dit long sur la «non-notion» de nation.
Il est important de rappeler que la Polynésie française n'est qu'un
pur'avatar
de la colonisation française qui a réuni en «Établissements Français de l'Océanie»
des groupes d'îles indépendants les uns des autres. Les Marquises n'ont pas plus
de lien historique avec les Raro Mata'i qu'ils n'auraient chacun avec les Samoa ou
Rapa Nui. Le concept de nation telle qu'elle est comprise en Occident est née avec
une des récentes moutures du statut de la
Polynésie Française, lorsqu'ont été
accordés le drapeau, l'hymne, l'ordre de Tahiti Nui. Pareillement la notion de
«polynésien» est très récente et contrairement aux apparences (le mot est employé
quotidiennement dans tous les espaces), elle ne recouvre rien de bien défini. Ceci
est si vrai que personne n'est Capable de dire avec
précision ce que ce terme
englobe. D'ailleurs la réalité change avec la langue utilisée. En français, on peut
être polynésien de souche, de coeur, d'adoption
En tahitien, on ne peut être
ma'ohi que par naissance, filiation. Aucun étranger, quel qu'il soit, ne sera dit
«mà'oh». Alors, on assiste à des délires identitaires : «polynésien de cœur», «polynésien d'adoption», le pire étant quand même «demi», pour se désolidariser des
indigènes sauvages que furent nos ancêtres et que continuent d'être certains de
nos compatriotes.
nos
...
On
reconnaît d'abord d'une famille, ensuite d'un village (ou d’un quartier),
puis d'une île et -très loin (ceci est récent) - d'un archipel.
Nous nous disons «nuna'a ma'ohi» ce qui veut littéralement dire
«peuple indigène» dans son sens premier «originaire de la terre qui le porte». Cette définition
se
date des années soixante-dix
taire culturelle.
au
moment où
a
commencé la revendication identi-
Auparavant, nous ne nous définissions pas. L'État français et les
étrangers seuls nous définissaient. Aujourd'hui encore, c'est par ce regard que nous
nous
voyons.
...
Critiques et analyses
«Nation» est
n'utilisons jamais même quand nous parlons
français^ Aucun homme politique n'emploie ce mot non plus. Je ne donne donc pas
de contours à un concept qui n'existe pas dans ma tête.
Peut-être que je n'ai pas de réponse à ta question telle qu'elle est formulée. Si
le concept de nation nous est étranger et si « polynésien » ne veut pas dire grand
chose, il est en effet difficile de donner une réponse.
Il n'est donc pas sûr que le concept de nation soit pertinent. Je pencherais plutôt pour une «correction» de l'histoire. Puisque, en effet, la Polynésie Française est
un avatar de la colonisation, que les populations des archipels ne se reconnaissent
pas forcément dans la nouvelle colonisation tahitienne (le seul nom de «Tahiti Nui»
nie toutes les différentes composantes du pays), que certains (notamment les Marquisiens) se sentent plus français que tahitiens (ceci est sans doute dû à la forte présence de l'église catholique française dont la domination continue d'être très forte),
je verrais plus une adhésion volontaire de chaque archipel à une structure qui pourrait se présenter comme une fédération d'États ayant librement choisi de s'associer
pour former un État. Quelque forme politique qu'il nous faut inventer. Je continue
de penser que nous devons nous garder de reproduire servilement ce qui se fait ailleurs. S’en inspirer certainement. Mais cela suppose que nous soyons indépendants...
Une nation suppose la souveraineté (que nous n'avons pas) : un drapeau dans
lequel tous se reconnaissent (ce qui n’est pas le cas de notre drapeau actuel, c'est
pourquoi le Tavini a son propre drapeau dans lequel une partie des populations ne
se reconnaîtra pas s'il vient à être le drapeau «national»), un hymne (qui aujourd'hui
encore laisse une partie des populations indifférente).
Je ne vois pas une nation polynésienne. Je vois un peuple premier. Mon pays
indépendant sera fait d'un peuple premier et de citoyens venus d'au-delà les
océans qui auront décidé d'y vivre.
De quoi sera fait ce pays? Chaque archipel aura à se prononcer. Je ne suis pas
partisan d'obliger les archipels à rester ensemble sous prétexte d'histoire commune
comme l'a dit clairement et furieusement 0. Temaru. Il me semble que chacun doit
choisir librement
un
mot que nous
son
3/ Vous estimez
avenir
vous
son
devenir.
loin de la France ?
Géographiquement, culturellement, historiquement, linguistiquement.
Je n'ai aucun sentiment de partager quoi que ce soit avec la France en tant que
pays-nation. Malgré tout ce qu'on a voulu m'apprendre de force à l'école, je ne me
reconnais pas dans ce pays ni dans son peuple. À aucun moment je ne me suis sentie part de la France. Le fait de parler écrire français ne m'en rapproche pas plus.
Très loin.
LitteRama’OHi tt 18
Patrick Sultan
4/ Quelles sont les filiations littéraires, culturelles, et /ou idéologiques dont
vous
vous
estimez l'héritière ?
Je n'en ai
aucune idée. Bien sûr, j'ai lu beaucoup d'auteurs français au lycée
obligation mais aussi, européens, dans mes premières années adultes. Mais
curieusement, je ne me souviens pas avoir été marquée par un auteur de façon
indélébile. Très vite, je me suis intéressée aux écrivains d'Amérique du Sud, aux
écrivains venus d'ex-colonies (quel qu'ait été le colonisateur), issus de l'esclavage,
par
et bien sûr aux écrivains océaniens. Par
ailleurs, durant
mon
adolescence, à la
suite d'un voyage au
Chili (j'avais 15 ans), j'ai assisté à la campagne présidenlaquelle Allende a accédé au pouvoir. J'ai été, à cette occasion,
marquée par la poésie de Neruda, par toute la chanson engagée chilienne de
l'époque (Quilapayun, Victor Jarra, Violetta Parra, l'indien Atahualpa Yupanqui) ;
je n'oublie les références d'époque : Che Guevara, Marx bien sûr, Rosa Luxembourg, et même Mao Tse Toung et Lénine. Bref tout ce qui peut faire rêver de
changer le monde
J'avais lu aussi après une visite au camp de Dachau (j'avais dix ans), tous les
livres de la bibliothèque de mon père qui traitait de la question juive mais aussi des
tsiganes et des homosexuels dans les camps. Des sujets d'intérêt à rendre n'importe
quelle gamine d'une île paumée un peu plus paumée que son île.
C'est peut-être finalement ces événements ces lectures ces musiques qui ont
ancré en moi l'idée fondamentale qu'aucun peuple ne doit être asservi ; enfin je
ne sais pas vraiment... De toute façon c'était aussi ma culture familiale.
Je n'ai pas l'impression d'être héritière mais plutôt de faire corps avec les peupies qui ont eu qui ont toujours à subir une domination quelconque. Faire corps,
si j'ose dire, avec un corps de douleurs historiques.
tielle
au
terme de
5/ Que
«
devez
-vous »
à l'Europe ?
L'assurance que
le Mal fondamental peut se faire homme.
L'Inquisition la Saint Barthélémy les Croisades la colonisation l'esclavage la
Shoah le communisme dévoyé le mur de Berlin le racisme les droits de l'homme
qui ont ancré au plus profond de moi le sentiment que tous les êtres humains sont
égaux non seulement en droit mais en humanité.
6/ Quelle place donnez-vous, dans votre travail d'écriture, au reo mâ'ohi?
grande place. Je ne me sens pas investie du devoir «divin»
d'écrire en reo ma'ohi. Pour plusieurs raisons. Parce que je ne maîtrise pas assez le
tahitien pour traduire tout ce que je peux en français. Parce que l’exercice me
A dire vrai pas une
151
Critiques et analyses
demanderait toute
existence avant d'arriver
bout d'un texte que
je contiimparfait. Par paresse sans doute.
Je ne revendique pas ce que je ne sais pas même pour être dans la mouvance
ou le culturellement correct. Je parle tahitien parce que j'en ai décidé ainsi, parce
que mes parents me l'ont interdit dans mon enfance. Mes enfants parlent tahitien
parce qu'ils ont grandi dans des petits villages. Je suis capable d'écrire des courts
textes en reo ma'ohi mais pas plus.
nuerais
sans
une
au
doute de trouver
7/ La Polynésie est-elle un pays triste ? en souffrance ? mélancolique ? en
nostalgique d'un mode de vie détruit ?
Tout ça mais bien plus.
Un peuple de survivants. Au sens littéral du terme. Survivants des voyages
océaniques. Survivants de l'évangélisation. Survivants de la colonisation. Survivants
deuil ?
du nucléaire. Survivants de la modernisation.
8/ Vous avez dénoncé avec vigueur la persistance de stéréotypes et clichés
exotiques (dont Loti donne l'exemple le plus fameux) sur la Polynésie ? Quelle
image souhaitez vous lui donner dans vos œuvres ?
Juste l'image de ce qu'elle est. Un pays où les gens ont les mêmes préoccupations que tous les êtres humains qui peuplent la planète les mêmes besoins les
mêmes aspirations. Les conditions de vie la culture les modes d'organisation du
monde sont différents mais l'humanité reste la même. Inchangée. Universelle.
Humaine.
LitteRama’ôHi » is
L'artiste
André Marere
se
passionne
pour
le dessin dès qu'il sait tenir
un crayon.
Artiste
autodidacte, il expérimente de nombreuses techniques depuis une quarantaine
d'années.
Bien que
de style figuratif, on reconnaît au premier regard,
contemporaine et sa palette aux couleurs sourdes.
Il
vagabonde à travers la connaissance de nos îles,
approchés et des moments vécus.
en
son
écriture
quête perpétuelle de
l'âme des êtres
Comme
un
conservateur des
leversements de l'environnement
traditions, il retranscrit dans
ses œuvres
les bou-
naturel, culturel et économique de notre pays.
Littérama’ohi
Publication d'un groupe
d'écrivains de Polynésie française
Directrice de la
publication
Spitz
:
Chantal T.
Tarafarero Motu Maeva
Huahine-
E-mail
:
hombo@mail.pf
Numéro 18
Tirage
:
/ Septembre 2010
- Imprimerie : STP Multipress
page : Backstage
600 exemplaires
Mise
en
Couverture :-# an’so Le Boulc’h
Tableau
:
André Marere
N° Tahiti lti
:
755900.001
'Orero
Tableau de Rndré rïlarere
2009
La
revue
ma'oni a été fondée par un groupe apolitique d'écrivains
polynésiens associés librement. Le titre et les sous-titres de la revue
traduisent la société polynésienne d'aujourd'hui.
de
son
ma’oHi, pour
identité ;
l'entrée dans le monde littéraire et pour l'affirmation
par référence à la rame de papier,
pirogue, à sa culture francophone ;
signe la création féconde en terre polynésienne.
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères chinois intercalés
entre le titre en français et celui en tahitien.
La revue a pour objectifs de tisser des liens entre les écrivains originaires de
la Polynésie française, de faire connaître la variété, la richesse et la spécificité
des auteurs originaires de la Polynésie française dans leur diversité
contemporaine, de donner à chaque auteur un espace de publication.
,
à celle de la
,
R'amu, Jean-Paul Barrai, Hiriata Brotherson, Rimeho Charousset,
Rai Chaze, Rnnie Coeroli-Green, Flora Deuatins, Bertrand-François
Gérard, Jean-Christophe Irrmann, Robert Hoenig, flicolas Kurtouitch,
fTlareua Leu Tinihauarii, LUilfrid Pina'i Lucas, Rouanne Lieuens-Demeyre,
Jimmy IT1. Ly, André iTlarere, Chantal ITIillaud, Jean-lTlarc Tera'ituatini
Pambrun, Titaua Porcher, Raureua, (Tlehiata Riaria, Louise Robert,
iTlarie-France Salmon, Chantal T. Spitz, Patrick Sultan, Heireua Tauaitai,
Sabrina Teuira, Teamio Tuarau, Danny Ueva
Fait partie de Litterama'ohi numéro 18