B987352101_PFP1_2009_017.pdf
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ma’OHi
0584296
22
La poésie
llEHiion complémentaire de l’histoire
Littérama’ohi
Publication d’un groupe d’écrivains de Polynésie française
Directrice de la publication :
Chantal T. SPITZ
Tarafarero Motu Maeva
Huahine
E-mail
:
hombo@mail.pf
Numéro 17 / Juin 2009
Tirage : 600 exemplaires - Imprimerie : STP Multipress
Mise en page : ufoMXSXhbt
Couverture :
an’so Le Boulc’h
Tableau : Hervé Fay
N° TAHITI ITI
:
755900.001
J
LISTE DES AUTEURS DE LITTERAMA’OHI N°17
Joséphine Bacon
Anne Bihan
Luc Camoui
Nadia Chafik
Rai Chaze
Flora Devatine
René-Jean Devatine
Vaihere Doudoute
Fleur Grandadam
Julien Gue et les auteurs interprètes : Mahuta Fuller, Joseph Hikutini,
Joseph Marurai, Teheipuaura Raurea, Emile Taruia, Ramon Tauatiti,
John Teato, Michel Tetauru, Auguste Têtu, Timona Titihauri
Hha Oudadess
Ali Iken
Ali Khadaoui
Heiarii Lehartel
Julian Mahikan
Rita Mestokosho
Chantal Millaud
Laure Morali
Valérie Murat-Salem
Zaïd O u ch n a
Odile Purue-Alfonsi
Sylviane Racine
Christine Sioui Wawanoloath
Farid Mohamed Zalhoud
SOMMAIRE
Juin 2009
Liste des auteurs
p.
Sommaire
p.
Les membres fondateurs de la revue Littérama’ohi
p.
Editorial : Flora Devatine
p.
4
5
7
9
DOSSIER
«
LA POESIE, UNE VISION COMPLEMENTAIRE DE L’HISTOIRE »
Théâtre
Julien Gué et les auteurs interprètes : Mahuta Fuller, Joseph Hikutini, Joseph
Marurai, Teheipuaura Raurea, Emile Taruia, Ramon Tauatiti, JohnTeato, Michel
Tetauru, Auguste Têtu, Timona Titihauri
p. 10
Quand les murs deviennent transparents
Les poètes invités
Flora Devatine
p.
45
p.
56
p.
64
p.
66
p.
71
p.
72
p.
73
p.
75
Du SILO au CILAF et d’un Carrefour à l’autre
•
Les poètes de la Kanaky / Nouvelle Calédonie
Anne Bihan
Tryptique insulaire
LucCamoui
Kabir Kouba, Joyau Immortel
•
Les poètes Amérindiens / du Canada
Christine Sioui Wawanoloath
Le spectacle du Clan des oiseaux
Julian Mahikan
Départure / La traverse
Rita Mestokosho
Le bonheur vu de face
Joséphine Bacon
Tshissinuatshitakana / Bâtons à message
Laure Morali
Ma grand-mère me dit / Azul Tamazgha
5
•Les poètes Amazighs du Maroc
Hha Oudadess
p.
81
p.
84
p.
85
p.
95
p.
98
p.
99
Azagharfar en printemps
Nadia Chafik
A toi amant, de mon sommeil
Ali Khadaoui
Dans la palmeraie paisible et innocente
Ali Iken
Prière
Farid Mohamed Zalhoud
Noël à la Presque-île
Zaid Ouchna
Le mystère des chants Amazighs au féminin
Les poètes du Fenua
René-Jean Devatine
p. 104
Adirondack
Valérie Murat-Salem
p. 108
Te terera’a o te ora
Odile (Otira) Purue-Alfonsi
p. 110
Montagne, Mangareva
Chantal Millaud
p. 116
Nostalgies
Rai Chaze
p. 119
La mer était présente ce jour là
Vaihere Doudoute
p. 126
Ta’u ruahine o Te’ura Vahiné
Heiarii Lehartel
!
Quelqu’un pleure d’une voix de douceur
Sylviane Racine
p. 130
p. 131
Des morceaux d’infini
L’artiste
Hervé Fay
Biographie et tableau
6
p. 138
Littérama’ohi
Ramées de Littérature Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi
La revue Littérama’ohi a été fondée par un groupe apolitique
d’écrivains polynésiens associés librement :
Patrick Amaru, Michou Chaze, Flora Devatine,
Danièle-Tao’ahere Helme, Marie-Claude Teissier-Landgraf,
Jimmy Ly, Chantal T. Spitz.
Le titre et les sous-titres de la revue traduisent la société polynésienne d'aujourd’hui :
-
«Littérama’ohi», pour l’entrée dans le monde littéraire et pour
l’affirmation de son identité,
«Ramées de Littérature Polynésienne», par référence à la rame
de papier, à celle de la pirogue, à sa culture francophone,
-
-
«Te Hotu Ma’ohi», signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères
chinois intercalés entre le titre en français et celui en tahitien.
-
La revue a pour objectifs :
-
de tisser des liens entre les écrivains originaires de la Polynésie
française,
-
de faire connaître la variété, la richesse et la spécificité des au-
teurs originaires de la Polynésie française dans leur diversité contem-
poraine,
-
de donner à chaque auteur un espace de publication.
Par ailleurs, c’est aussi de faire connaître les différentes facettes de
la culture polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et
modernes que sont la peinture, la sculpture, la gravure, la photographie,
le tatouage, la musique, le chant, la danse... les travaux de chercheurs,
des enseignants...
7
un
Et pour en revenir aux premiers objectifs, c’est avant tout de créer
mouvement entre écrivains polynésiens.
Les textes peuvent être écrits en français, en tahitien, ou dans n’im-
porte quelle autre langue occidentale (anglais, espagnol,.. ) ou polyné(mangarévien, marquisien, pa’umotu, rapa, rurutu...), et en
sienne
chinois.
Toutefois, en ce qui concerne les textes en langues étrangères
pour ceux en reo ma’ohi, il est recommandé de les présenter
comme
dans la mesure du possible avec une traduction, ou une version de corn-
préhension, ou un extrait en langue française.
Les auteurs sont seuls responsables de leurs écrits et des opinions
émises.
En général tous les textes seront admis sous réserve qu’ils respectent la dignité de la personne humaine.
Invitation au prochain numéro :
Ecrivains et artistes polynésiens,
cette revue est la vôtre : tout article bio et biblio-graphique vous concer-
nant, de réflexion sur la littérature, sur l’écriture, sur la langue d’écriture,
des auteurs, sur l’édition, sur la traduction, sur l’art, la danse,...
ou sur tout autre sujet concernant la société, la culture, est attendu.
sur
Les membres fondateurs
8
Editorial
«
LA POÉSIE, UNE VISION
COMPLÉMENTAIRE DE L’HISTOIRE » !
Le numéro 16 de la revue Littérama’ohi dont le thème du dossier est
«
L’Histoire, Mémoire de l’Oubli », et qui avait déclenché l’envoi de nom-
breux articles sur l’histoire et de nombreux poèmes, paraît accompagné
du numéro 17 entièrement consacré à « La Poésie, une vision complémentaire de l’Histoire », avec de beaux textes à découvrir dont une pièce
de théâtre écrite et interprétée par des détenus, et des écrits généreux
de poètes kanak, amérindiens, amazighs, polynésiens, français,
Ce qui nous fait dire que c’est par le lien poétique que les contacts
se font et
s’élargissent, comme cela fut le cas avec des auteurs de la région océanienne anglophone et francophone, et avec ceux des Antilles,
de Haïti, de la Réunion, de la Nouvelle Calédonie, du Canada, jusqu’au
Maroc, et en France. C’est un lien qui traverse les frontières et le temps,
et les poètes Amazighs, Amérindiens, Kanak et de la Polynésie, par leurs
échanges et partage au gré de leurs rencontres, nous montrent ce lien
séculaire conservé par la poésie.
Ce qui nous permet d’avancer que la poésie, en littérature, est un genre
majeur, comme c’est le cas en littérature orale. C’est par la poésie que le
noyau culturel se transmet de génération en génération pour arriver jusqu'à
nous. Dans le passé, c’était la raison de la place accordée à la poésie dans
la transmission de la culture, et aujourd’hui dans l’éducation ; une place
que la poésie doit reconquérir, et que chacun doit lui reconnaître. Aussi
nous réjouissons-nous de la place reconnue et donnée actuellement à l’enseignement du « ‘orero » dans les écoles en Polynésie !
Flora Devatine
9
Littérama’ohi N° 17
“
Epitaphe ”
“
EPITAPHE ”
OU
“
QUAND LES MURS DEVIENNENT
TRANSPARENTS ”
Un spectacle écrit et interprété par :
Joseph Hikutini
Makaianui
Mahuta Fuller
Fauta
Michel Tetauru
Chouchou
Joseph Marurai
Teheipuaura Raurea
Josy
Tupa
Emile Taruia
Pona
Ramon Tauatiti
Poiri
John Teato
Patoi
Timona Titihauri
Faito
Auguste Têtu
Tabu
Sous la direction de Julien Gué
AVANT-PROPOS
Pour la très grande majorité d’entre nous, les détenus qui peu-
plent la prison de Nuutania ne sont rien d’autre que des délinquants. Ils
n’existent dans notre esprit que par le délit qu’ils ont commis et par la
peine à laquelle iis ont été condamnés. Pourtant, avant d’être des délinquants que la justice humaine a décidé de punir, ils sont des hommes
comme tous les autres. Ils ont familles, femmes, enfants, métiers, passions, rêves, souvenirs, regrets, remords...
10
Dossier : Théâtre
Durant une année entière, j’ai passé quatre heures par semaine
avec dix d’entre eux avec, pour
seul objectif, de leur faire monter et pré-
senter un spectacle de théâtre. Ce fut chose faite le 21 avril 2009 pour
un
public de détenus et d’une vingtaine de représentants de la société ci-
vile (dont trois journalistes). Une heure après les trois coups, l’émotion
était palpable chez tous les spectateurs, sans exception. Certains d’entre eux furent même émus au point de ne pouvoir retenir leurs larmes.
Mais soyons clairs : il ne s’agissait pas là de larmes de compassion mais
d’une émotion liée à la force du spectacle qui venait d’être interprété par
dix détenus polynésiens.
Si le texte de ce spectacle est aujourd’hui publié dans « Littérama’ohi », c’est qu’il est l’œuvre de ces dix hommes que la société a
jugé utile de punir. Ce sont eux qui ont inventé cette histoire afin de pouvoir y dire ce qui occupe leurs pensées aux cours de ces milliers d’heures
passées entre murs et barreaux. Oui, ce sont ces hommes dont certains
parlent à peine le français qui, à partir de leurs rêves et de leurs improvisations ont raconté cette histoire avant de l’écrire. Ce sont ces hommes
qui, découvrant le poème de François Villon « La ballade des pendus »
décidèrent de l’intégrer à leur spectacle pour en faire le final, texte qu’ils
ont choisi d’interpréter en vieux français.
Cette pièce de théâtre ne restera peut-être pas dans l’histoire
de la littérature comme une œuvre majeure. Cependant, à mon sens,
elle montre deux choses essentielles. La première, c’est que derrières
les lourdes portes de Nuutania se cachent des trésors humains et d’in-
soupçonnés talents. La deuxième, c’est qu’un théâtre spécifiquement
polynésien peut et doit exister. Que cette œuvre soit celle d’une dizaine
de condamnés purgeant de lourdes peines sera, je l’espère, l’étincelle
qui incitera nos écrivains à suivre les traces de Valérie Gobrait.
Je ne puis conclure ces quelques lignes sans adresser mes profonds remerciements à ces dix hommes qui, en un an, ont profondément
changé ma vie et ma façon de considérer le théâtre.
Pour l’heure, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne
lecture.
Julien Gué
11
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Scène I
Tous, sauf Faito.
Une cellule collective dans une prison, quelque part sur la planète.
Les huit détenus sont occupés à des activités quotidiennes diverses et
anodines. L’un d’entre eux, Poiri, semble dormir ou rêver aux étoiles,
deux jouent aux échecs, deux autres aux cartes, l’un est occupé à des
travaux de couture, un autre chantonne tandis que le dernier l’écoute...
Peu à peu, la voix de Poiri se fait un peu plus forte et son chant semble figer tous les autres dans leurs gestes. Une seconde voix le rejoint
et, peu à peu, tous reprennent la chanson en chœur...
Feruri au to taua oraraa
Ta’oe faa’oroma’i ia’u nei
Ti’aturi mai’oe ta’u mau haereraa
Tia’i mai ‘oe ia’u i te mau taime ato’a
Tatarahapa nei au ta’u vahiné
Te mau taime ‘aita vau to piha’i iho ia ‘oe
Eiaha ‘oe e uiui i to ‘oe mana’o
O ‘oe ta’u i here (Maeva)
E tamata vau ’e taui no’oe
Na te tau te reira ’e faa’ite ia ’oe to’u here
Alors qu’ils reprennent le refrain, apparaît un nouveau person-
nage, son paquetage dans les bras.
12
Dossier : Théâtre
Scène II
Tous, plus Faito.
Faito s’immobilise aussitôt après avoir franchi la porte, cherchant visiblement un endroit libre pour pouvoir s’y installer.
Progressivement, le chant cesse et peu à peu tous les regards se
portent sur lui. Faito finit par repérer un endroit qui lui convient, il s’y dirige, pose ses affaires, s’assied et, toujours sans dire un seul mot, fixe
son regard sur on ne sait quoi et ne bouge plus, comme s’il avait
toujours
été là : immobile et silencieux.
Durant toute la scène, les yeux des huit détenus ne l’ont pas quitté
un seul instant.
Une fois qu’il est installé, les autres semblent reprendre
vie, échangent des regards interrogateurs... Peu à peu, les questions
commencent à fuser de partout.
Tous parlent, sauf Makaianui (le chef
de la petite communauté carcérale)...
Josy
:
Tupa
: Tu le connais toi ?
Fauta
C’est qui lui ?
Dis-donc, il n’a pas l’air de se marrer !
Chouchou : Peut-être, mais il est beau garçon...
Tabu
Pona
Patoi
(En se moquant) He,
autre chose, non ?
:
Chouchou, tu peux pas penser à
C’est vrai qu’il a l’air sacrément costaud.
En attendant, c’est pas un mec de plus ici qui va nous
faciliter la vie.
Tabu
Poiri
T’as raison ! Surtout qu’avec lui, tu fais pas le poids !
C’est vrai, Patoi, le jour où quelque chose te fera plaisir,
c’est que le volcan sera réveillé !
Josy
Tupa
En attendant, j’aimerai bien savoir qui il est, moi...
: Tu m’étonnes ! Un beau mec comme ça, forcément ça t’intéresse !
13
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Oui ça m’intéresse, bien sûr ! Surtout que je suis seul de-
Josy
puis... Il y a déjà un bon bout de temps. Vraiment. Tu vois
le genre... Chouchou ?
Chouchou : Quoi ?
Demande-lui, toi.
Josy
Chouchou : Et pourquoi moi ? Il faut toujours qu’on me demande à moi
ce genre
de chose ! Vas-y toi !
On te demande à toi parce que tu sais bien parler aux
Josy
gens...
Tabu
(Toujours en riant) Et pas que leur parler !...
Chouchou : Ne me cherche pas, Tabu, sinon tu vas me trouver !
Fauta
:
Allez Chouchou, ne fais pas de manières. Josy a raison :
de nous tous c’est toi le plus doué pour parler aux gens.
Makaianui :
(impératif) Chouchou, fais ce qu’on te demande.
Chouchou :
(En regardant tous ses compagnons l’un après l’autre) Si
je comprends bien, je n’ai pas le choix... (Et se lève visiblement à contrecœur)
Lentement, et en se recomposant un sourire, Chouchou s’approche de
Faito qui n’a toujours pas bougé un cil. Tous les autres sont dans l’attente
de ce qui va se passer. Ils ont les yeux braqués sur Chouchou et Faito.
Chouchou :
(Se tenant debout près de Faito) Moi c’est Chouchou, et
toi ?... Comment tu t’appelles ?... (Se baisse vers lui, lui
pose la main sur l’épaule) Tu sais, j’ai été condamné pour
viol. J'en ai pris pour quinze ans et il m’en reste neuf à
faire... Et toi, tu es là pour combien de temps ? Tu as fait
quoi pour être ici ?... (Il se relève, se retourne vers les autrès et, s’adressant à eux, mais surtout à Makaianui) Il ne
veut rien dire. J’abandonne moi. Débrouillez-vous !
14
Dossier : Théâtre
Suit un échange de regards et de brèves réflexions visant à en dé-
signer un autre pour tenter de faire parler Faito. Finalement, ils finissent
parse retourner tous vers Tefaaora, dans l’attente d’une décision...
Scène III
Tous.
Makaianui :
(Visiblement mécontent d’être obligé d’intervenir, il se lève
et se dirige vers Faito. Parlant pour lui-même) Vous êtes
vraiment nuis ! Et vous feriez quoi si je n’étais pas là, hein ?
(Debout à côté de Faito, et s’adressant à lui) Hey, man !
Moi c’est Makaianui. Je suis le chef de cette bande de minables. J’ai tué deux mecs qui s’intéressaient un peu trop
à ma femme. Mais c’est vrai que j’avais picolé. En atten-
dant, j’en ai pris pour dix huit ans. J’en ai fait treize. Comme
on va devoir vivre ensemble un moment, c’est mieux
que
tu saches qui on est. Chouchou, il s’est déjà présenté...
Elle, c’est Josy... (Il la montre de la main)...
Josy
:
Bonjour. Je suis ravie de t’accueillir parmi nous. Sur neuf,
il me reste encore deux ans à faire, lis m’on enfermée
parce que j’ai tué mon tane et à moitié seulement sa maîtresse. Tu te rends compte : il me trompait dans ma propre
maison ! Et avec une femme en plus !... Et toi, comment tu
t’appelles ?... (Faito est toujours immobile et silencieux) En
tout cas, si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas à
venir me voir : je suis toujours prête à rendre service... Lui,
c’est Fauta. C’est le mari de Chouchou...
Fauta
:
(A Josy) Garde tes remarques pour toi... (A Faito) Moi c’est
bagarre qui a mal tourné qui m’a amené ici. Un gars du
quartier qui était jaloux et qui a essayé, de me voler mon
stock de paka. Résultat, j’en ai pris pour huit ans, et ça fait
une
15
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
seulement un an et demi que je suis là. Et toi ?... Ce serait
bien que tu nous dises qui tu es... (S’énervant un peu) Eh,
brad, tu pourrais répondre quand on te parle !
Makaianui : Ca suffit Fauta ! Tupa, à toi. Dis-lui qui tu es.
Tupa
OK chef... Hey ! Yo ! Frère ! Moi c’est Tupa. Condamné
pour viol. Ça va faire cinq ans que je suis là, et je sais
même plus si je vais sortir un jour ou pas... (Un silence)...
He, Tabu ! A toi !
Tabu
Tabu, c’est pas mon vrai nom. Mais comme je raconte tout
ce
qu’on veut, sauf la vraie vérité, on m’a appelé comme
ça. J’ai fait toutes les bêtises possible, ou presque. Le seul
truc que j’ai jamais fait, c’est celui qui m’a amené ici ! C’est
mieux d’en rire, non ? Quatorze ans, brad. Et il m’en reste
neuf à tirer... Vas-y Patoi, à toi. Et ne raconte pas de bobard ! (Il termine en riant)
Patoi
(Agressif) Je ne suis pas comme toi moi, je raconte pas
n’importe quoi. (À Faito) Moi je faisais dans le paka. Alors
je suis tombé pour trafic de drogue. Ils m’ont donné cinq
ans, mais il ne me reste que six mois à faire, sans les remises de peine... Si j’en ai... Bienvenue chez nous, man.
Poiri ! Allez, dis-lui un peu pourquoi tu es là toi.
Poiri
Tu veux vraiment savoir ? (pas de réponse de Faito. Il enchaîne en riant) Ils m’ont mis quatre ans parce que j’ai
niqué une poule. Bon, d’accord : je lui avais pas demandé
avis. Mais elles sont toujours d’accord non ? En attendant, je devrais sortir dans un ou deux mois. Et toi, tu
nous dis un peu qui tu es ?
Ho ? Tu sais parler au
moins ? (En retournant s’asseoir) Hey, Pona, Vas-y toi, (En
riant) Peut-être que tu vas arriver à lui sortir trois mots : tu
es si gentil...
son
...
Pona
Taure’are’a, ia orana. Eaha to 'oe huru. O Pona teie. Ta-
parahi ta’ata ta’u ’ohipa i fa’autu’ahia mai ai e 20 matahiti.
Mei’a, ‘aita paha ia ‘oe e tau’a maina. Me hae roa na’u ite
16
Dossier : Théâtre
ta’ata fa’afaufa’a ‘ore mai. Nahea ! Parutu ana’e paha ia ?
Mai, ta’iri ana’e. Haere mai, ‘a ti’a mai i ni’a. (Jeune homme
bonjour. Comment vas-tu ? Je suis Pona. Je suis un tueur
et j’ai été condamné à vingt ans. Banane ! Tu ne fais pas
attention à moi ? Ça m’énerve que l’on me prenne pour de
la merde. Comment ? Tu veux te battre peut-être ? C’est
ça ? Et ben viens ! Allons-y ! Lève-toi !
Tout au long de son discours, Pona s’est approché progressivement
de Faito (qui n’a toujours pas bougé un cil) le provoquant de plus en plus.
Sur ses derniers mots, il reste moins d’un mètre entre eux. Pona est visiblement prêt à la bagarre et Makaianui a tout juste la place de se mettre entre eux pour les séparer...
Makaianui :
(Usant de toute son autorité, et regardant Pona dans les
yeux tout en lui montrant sa place...) Retourne t’asseoir...
Tout de suite !... (L’affrontement silencieux dure un long
moment, on est à deux doigts de l’explosion de violence.
Finalement, Pona cède et retourne à sa place, visiblement
très énervé et pas content d’avoir dû céder à son chef.)
Scène IV
Tous.
Tefaaroa, soulagé, traverse la scène, se retourne et, immobile et silencieux, regarde Faito qui n’a toujours eu aucune réaction. Après un
moment de silence pendant lequel, visiblement, chacun se demande
comment pouvoir faire parier cet étrange personnage, des propositions
de solutions commencent à être faites parles uns et les autres. Pendant
cette scène, ils se lèvent tous et, tout en parlant, ils se rapprochent de
Tefaaroa. Seul Chouchou a repris une activité habituelle : il s’est saisi
d’un balai et nettoie consciencieusement le sol de la cellule.
17
Littérama ’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Au cours de cet échange où les idées les plus loufoques sont
émises.
Makaianui :
(Pensif marchant de long en large) Faut le faire parler...
On peut pas le laisser comme ça...
Fauta
:
Peut-être qu’il est dans son délire ? Peut-être qu’il a trop
fumé de paka ?
Patoi
Ou peut-être qu’il est encore dans son île ? Il a peut-être
pas encore vu qu’il est enfermé ?
Pona
(Toujours agressif) Je vais le faire parler moi, vous allez
voir ! Ça va pas être long !
Tupa
Ouais, t’as raison... On a qu’à lui couper la langue !
Makaianui : He, imbécile ! Si tu lui coupes la langue, comment tu veux
qu’il parle ?
Tabu
Bien vu, chef ! Vaudrait mieux lui faire des chatouilles sous
les pieds !
Poiri
(Moqueur) Josy, t’as qu’à lui faire du charme, ça lui fera
peut-être bouger la langue !
Eclat de rire général
Josy
Oui ! Oui ! Tout de suite ! Ça je peux le faire ! Et je veux pas
que Pona lui fasse du mal. Je connais d’autres moyens de
le faire parler moi !
Pona
Tu parles ! Je vais le tuer, oui ! Ça nous fera de la place !
Je vais le noyer tiens !
Chouchou :: Tu as raison Pona : on a qu’à le jeter dans la rigole, ça va
peut-être le réveiller !
18
Dossier : Théâtre
Scène V
Tous.
Brusquement, Faito prend la parole.
Faito
:
Faito... Je m’appelle Faito...
Tout le monde se fige, un silence total s’installe.
Tupa
:
Poiri
:
(Se dirige lentement vers Faito, s’accroupit à ses côtés, et
très gentiment) Qu’est-ce que tu as dit ?
Faito
:
Je m’appelle Faito. C’est mon nom.
Vous avez entendu ? Il a parlé : J’ai pas rêvé ?
Très lentement et silencieusement, tous les autres se rapprochent
de lui et l’entourent...
Poiri
:
(Lui posant la main sur l’épaule) Bienvenu parmi nous,
Faito.
Makaianui : Content de voir que tu peux parler. Tu verras, les copains
sont tous un peu dingues, mais ils sont plutôt gentils et les
choses se passent bien ici.
Dans un joyeux brouhaha, chacun lui souhaite la bienvenue...
Pona
:
Fleureusement que tu as parlé : j’allais te noyer !
Tabu
:
Et te noyer avec, parce que si tu sais bien ramer, tu sais
pas nager !
Josy
:
Arrête un peu Pona ! Et toi aussi Tabu. Ne l’écoute pas
Faito : il râle tout le temps, mais c’est que du cinéma....
Pona
:
Pffffffffffffff !!!!!!!!!!! Je vais te montrer si c’est du cinéma !
Makaianui : C’est bon comme ça Pona.
19
Littérama ’ohi N° 17
“
Epitaphe ”
Fauta
Faito, dis-nous un peu : d’où tu viens ? Moi, je suis de
Moorea...
Faito
Josy
Je ne sais pas... C’est loin...
Quand même, tu sais comment elle s’appelle ton île, mon
chéri !
Faito
...
Heremoniuiru, c’est ça le nom de mon île.
Chouchou
Et elle est comment ton île ?
Faito
Chez moi, on est protégés de l’océan par le récif. Tout autour de l’île. Il n’y a pas une seule passe pour entrer dans
le lagon. La goélette s’arrête au large et il faut aller jusqu’à
elle en pirogue ou en poti marara pour décharger les mar-
chandises et les passagers. Mais à l’intérieur, côté lagon,
le sable est d’une finesse incroyable : il coule entre les
doigts comme de l’eau.
Fauta
Chez moi, à Moorea, j’habite au fond d’une vallée. Je dois
marcher une heure pour aller à la plage ! Mais tout autour
du fare, il y a des sources et des cascades...
Poiri
Faito, tu habites sur un motu alors ?
Faito
C’est ça, oui.
Tupa
Il n’y a pas de piste pour les avions ? C’est la goélette qui
vous amène les
Faito
provisions ?
Pas d’avion, non. Et la goélette, elle vient que trois ou quatre fois par an. Alors on mange ce que l’on fait pousser et
que l’on peut pêcher. On a plein de poissons, et puis
des langoustes et des pahua... Et puis on fait pousser les
ce
bananes, le coco... Et avec le uru et le manioc, on a tout
qu’il nous faut.
ce
Patoi
Ouais, et ben moi j’habite avec ma mère dans un fare ciment en pleine ville. On n’est pas loin du lagon, mais c’est
impossible d’y aller : c’est tout privé ! Pourtant, on est des
Tuamotu au départ !
20
Dossier : Théâtre
Tabu
:
C’est comme moi. On est Rurutu. Mais depuis que mon
père est venu ici pour travailler, on vit toute la famille dans
un fare en tôle au
Fauta
:
bord de la route. On est treize !
Faito, tu nous as pas dit pourquoi tu es là ?
Makaianui : Fauta, laisse-le s’il ne veut pas parler de ça.
Faito
:
Patoi
:
Non, c’est rien, je peux dire... J’ai tué les trois frères de ma
maman. Ils étaient saouls. Ils sont venus chez moi, ils ont
battu ma maman et ma petite sœur et ils ont brûlé le fare
que j’avais construit pour nous. Maman est dans le coma
et ma petite sœur qui a cinq ans a eu un bras complètement cassé. Ils n’avaient pas le droit de toucher à ma famille. C’est tout. Le résultat, c’est que les juges ont dit que
je sortirai jamais d’ici !
Moi je dois sortir dans six mois. Mais qu’est-ce que je vais
retrouver après cinq ans ? J’ai pas de femme, mon frère et
ma sœur se
sont mariés
maman a un tane que
Fauta
:
depuis que je suis ici et ma
je ne connais même pas !
Moi j’ai une femme et deux enfants. Ils viennent me voir
une fois
par mois. Est-ce qu’ils seront encore là pour moi
dans six ans, quand je sortirai ?
En les écoutant, Faito s’est à nouveau refermé sur lui-même. Les
autres ont l’air embarrassés, c’est à ce moment là que Tupa retourne
vers sa
Tupa
paillasse, récupère un sac et se dirige vers la porte de la cellule.
:
Bon, les gars, faut que j’aille moi, sinon vous aurez pas vos
commandes. Il n’y a rien de plus à demander pour aprèsdemain ? (Plus ou moins clairement, les autres lui répondent que non, ça va comme
ça) OK alors, j’y vais...
(Debout devant la porte, il se met à appeler) Mutoï ! Oh !
Mutoï ! C’est Tupa qui est là !
La porte finit par s’ouvrir, Tupa s’en va, la porte se referme...
21
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Scène VI
Tous, sauf Tupa.
Lorsque la lumière se rallume, chacun est retourné à ses occupation :
l’image est pratiquement la même que celle du début du spectacle, moins
Tupa qui n’est pas là et Faito qui a replongé dans son mutisme initial.
He, Makaianui, il faut faire quelque chose. On ne peut pas
Josy
le laisser comme ça, ça fait pitié.
Fauta
:
Tu as raison : il va réussir à me faire déprimer à force !
Chouchou : Toi, tu penses toujours à toi en premier ! Même si c’est
dans six ans, tu sortiras un jour, toi. Mais pas lui.
Pona
:
Je suis d’accord : si on le laisse faire, il va nous pourrir la
vie. Faut lui expliquer les bonnes manières à ce rigolo.
Comme si il n’y avait que lui qui était enfermé ici... Je vais
lui montrer moi...
Makaianui :
(Sec) Ça suffit Pona, tu nous fatigues. (Presque pour luimême) Il faut trouver quelque chose pour l’aider, sinon, ça
va faire un pendu de plus. (A tous) Est-ce que quelqu’un a
une idée ?...
Scène VII
Tupa revient dans la cellule sur la fin de la phrase de Makaianui. Il
chargés de sacs en plastique pleins de denrées diverses. Il y
en a un par personne, sauf pour Faito et Pona. Dès son entrée, tous se
lèvent pour venir chercher leur paquet, sauf Faito.
a les bras
Tupa
:
Les commandes sont là !... (Il se dirige vers sa place en
écartant les autres et s’assied) Vous savez quoi ?...
Je viens d’apprendre de drôles de trucs à propos de notre
nouveau
22
collègue, Faito...
Dossier : Théâtre
Les autres :
(Tous en même temps) C’est quoi ?... Vas-y, raconte...
Qu’est-ce qu’il y a ?... Allez, dis-nous !... Alors, tu te décides à raconter ?...
Tupa
: On se calme !... D’abord les commandes, après je vous
dis. Ecartez-vous un peu que je puisse respirer, les mecs !
Ils s’éloignent et retournent vers leurs places respectives.
Tupa
Josy (Elle se lève pendant qu’il parle et s’approche de lui
pour récupérer son sac) Ta commande : Delta fromage cigarettes OK, Bison cinq OK. Biscuits OK. Rouge à lèvres...
(Ils éclatent tous de rire et se moquent d’elle)
Josy
Ca va ! C’est même pas vrai d’abord ! (Elle prend son sac
et retourne s’asseoir).
Tupa
Fauta
(Même jeu que Josy) Sao, Bison, savon... OK.
(Fauta retourne s’asseoir avec son sac). Makaianui, à toi.
Alors, gâteaux : deux paquets. Crème dessert, une boite.
Un dentifrice et une brosse à dent. Le reste j’ai pas pris : il
n’y avait pas assez.
Makaianui
Merci Tupa. (Il retourne à sa place. Pour lui-même :)
Déjà
plus de sous ? Ça ne va pas être facile d’aller jusqu’au prochain mandat !
Tupa
Poiri, il y a toutes les affaires de toilette que tu as cornmandées, et les crayons aussi. Par contre, je n’ai pas pu
avoir les cordes neuves pour ton ukulele et les mutoï ont
gardé les partitions pour vérification de la censure.
Poiri
(En se levant pour aller récupérer son sac) C’est pas vrai !
Bientôt ils vont nous censurer les chants de Noël !
Tupa
Chouchou...
Chouchou
Oui?...
Tupa
(En se moquant ouvertement de lui) Pour ta commande
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Littérama ’ohi N° 17
“
Epitaphe ”
spéciale, désolé : il n'y a pas de Bubble. Ils n’ont que le
simple, mais ça ne passe pas. Il faudra que tu fasses une
demande spéciale, mais alors très spéciale à madame la
directrice. Tu devras faire ta commande avec la feuille
bleue et être au cachot... (Eclat de rires général)
Chouchou : Et tu te crois malin ?
Tupa
(Toujours en riant, il lui tend son sac plastique) Tiens, voilà
ta commande.
Chouchou : Merci. (Il retourne s’asseoir en maugréant)
Tupa
Pona
Pour les autres, désolé : il n’y a plus de sous sur votre
compte. Vous devrez attendre votre prochain mandat.
(Très en colère) Tu le fais exprès ou quoi ? C'est toujours
arrive. Si ça continue je vais te faire
bouffer les sacs un par un moi...
sur les mêmes que ça
Makaianui : Pona ne commence pas. C’est pas de sa faute si tu dépenses ton fric n’importe comment... Tupa, c’est quoi ces
drôles de trucs que tu as appris sur Faito ?
Tous s’arrêtent de fouiller dans leurs sacs et de ranger leurs affaires
et se tournent vers Tupa.
Tupa
Voilà. Quand je suis allé récupérer les sacs, j’ai vu le gendarme Heifara...
Fauta
Celui de Moorea ?
Makaianui
Laisse-le parler, Fauta.
Tupa
Oui. Celui-là. Il faisait partie de l’équipe qui était au tribu-
procès. Voilà ce qu’il m’a dit.
Jusqu’au moment où le juge a prononcé la condamnation,
il était normal. Et quand il a entendu la sentence, il a les
yeux qui sont tombés par terre, en bas. Vides. Et depuis,
nal avec Faito pour son
24
Dossier : Théâtre
plus rien, plus un seul mot. Comme si on lui avait coupé la
langue. Ça fait deux semaines !
Poiri
(En riant) On a de la chance alors : on a réussi à lui sortir
trois phrases !
Tabu
Et sans le torturer !
Makaianui
(Très sec) La ferme ! C’est pas drôle. Si on le laisse comme
ça, il va tous nous casser le moral.
Josy
Ça c’est sûr ! Je me souviens, quand j’étais dans l’autre
bâtiment, il y a quatre ans, un jour on nous a mis un gars
qui passait ses journées à pleurer. Même avec les médicaments ! Un mois après, il y a un jeune qui était avec nous
qui s’est pendu avec son drap. Après, on a tous été avec
des cachets pendant des mois...
Patoi
Bon, ça va ! Ne commence pas avec ce genre d’histoires.
Qu’est-ce qui vous arrive aujourd’hui ? C’est pas vrai !
Makaianui
Il nous arrive que Josy a raison : si on le laisse comme ça
sans rien
faire, ça va vite devenir insupportable ici. Et pour
tout le monde.
Pona
Et qu’est-ce que tu veux qu’on fasse, hein ? On va quand
même pas lui chatouiller les pieds pour lui rendre le sourire,
à cet animal !
Chouchou
Le jour où tu vas t’occuper d’autre chose que de ton pito,
Makaianui
Vous voyez : ça commence déjà.
Pona, je crois que le monde va s’écrouler !...
Poiri
Je suis d’accord avec toi, chef, mais qu’est-ce qu’on peut
faire ?
Josy
C’est simple : il faut trouver un truc pour lui redonner le
goût de vivre.
Fauta
Bravo ! Voilà une belle idée. Et tu veux qu’on fasse quoi
pour ça, hein ? Tu veux qu’on lui raconte des histoires
comme à un enfant pour
l’endormir ?
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Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Makaianui : C’est peut-être pas une mauvaise idée, ça. Si on pouvait
trouver un truc qui l’intéresse, ça l’occuperait et il oublierait
un peu ses
idées noires...
Patoi
Moi je sais : il n’y a qu’à le bourrer de paka !
Pona
Décidément, tu connais que ça toi : la fuite et l’évasion !
Tu peux pas regarder les choses en face de temps en
temps, non ?
Poiri
Tais-toi, Pona. Ne parle pas d’évasion ici s’il te plaît.
Pona
(Il se lève, de nouveau très agressif) Qu’est-ce que tu as
toi ? Tu n’es pas content ? Je dis ce que je veux. Tu as
compris ?
Makaianui s’interpose.
Tous
:
(en même temps) Ça suffit Pona !
S’en suit un long silence pendant lequel chacun s’est replongé dans
ses
occupations. Pona et Makaianui se sont rassis. Presque gêné, Chou-
chou reprendia parole...
Chouchou : Tout le monde sait que personne ne s’est jamais évadé
d’ici. Mais lui, (En montrant Faito)
il n’en sait rien...
Josy
: C’est vrai ça... Et lui, tout ce dont il a besoin, c’est de croire
à quelque chose...
Fauta
:
Ouais... Comme par exemple qu’il va s’envoler par la fenêtre et retrouver sa mère et sa sœur...
Pona
Tabu
C'est ça ! Il va se fabriquer des ailes avec sa couverture...
(En riant) Et après, il va voler en faisant des ronds dans
l’air au-dessus de son île où on ne peut pas se poser
Poiri
Des ailes, peut-être pas... Mais une pirogue...
Patoi
Répète un peu ça, Poiri...
26
Dossier : Théâtre
Poiri
Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit encore ?
Patoi
Je ne plaisante pas : répète ce que tu as dit.
Poiri
J’ai dit que lui faire croire qu’il allait sortir d’ici en s’envolant
par le soupirail, c’est débile. Mais en pirogue, peut-être que
ça marcherait...
Pona
(En se moquant des autres) Et tu vas la faire naviguer où
ta pirogue ? Dans un verre d’eau ?
Chouchou : On a toujours la rigole : (tous regardent vers la rigole et la
suivent du regard vers l’endroit où elle sort de la cellule)
après tout, personne ne sait où elle s’en va, cette eau...
Tupa
: Moi je sais.
Tous
(en même temps) Tu sais quoi ?
Makaianui : Tu sais où elle va, cette rigole ?
Tupa
Oui je sais.
Pona
Et ben alors dis-le !
Tous
(en même temps) Ça suffit Pona !
Chouchou : Alors Tupa, qu’est-ce que tu sais sur cette rigole ?
Tupa
: Il y a une rivière qui longe le mur de la prison au Sud. La
rigole se vide dedans. Et trois kilomètres à l’Ouest, la rivière se jette danslelagon...
Fauta
C’est ça, et à qui vous allez faire croire qu’une pirogue
dix mecs dessus va passer dans un trou où même
les rats ont du mal à passer, hein ?
avec
Makaianui : A tous ceux qui ont besoin d’espoir pour tenir le coup.
Fauta, ça ne t’arrive jamais de rêver toi ?
Dans un long silence, ils se regardent tous les uns les autres...
Poiri
:
Après tout, ça nous coûte rien d’essayer, et si ça peut lui redonner un peu le moral, ça nous évitera à tous de déprimer...
27
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Josy
On sait bien qu’on peut pas sortir d’ici. Mais si ça peut l’aider à passer les premiers temps...
Makaianui :
(Il regarde vers Faito qui est toujours prostré dans son coin,
lève, regroupe tous les autres à l’autre bout de la cellule,
et prends la parole posément) Voilà ce qu’on va faire. On
sait tous qu’on ne peut pas s’évader d’ici, mais on va lui
faire croire qu’on prépare une évasion depuis quelques
temps.
se
Fauta
Tu veux lui mentir ! Toi ?
Chouchou : C’est pour la bonne cause, ça va...
Makaianui : Ce qu’il faut, c’est qu’il croit qu’on a décidé ça avant son arrivée. Et il faut aussi qu’il croit qu’on a déjà avancé dans le
projet.
Tupa
Et comment tu veux lui faire avaler ça ?
Makaianui : On va commencer par se distribuer les rôles. Ensuite, on
verra comment lui raconter cette évasion pour
qu’il puisse
y croire.
Pona
E manao e poiri tona no te tiaturi hoe aamu mi teie te huru
(Et tu crois qu’il est assez bête pour croire à une histoire
pareille ?)
Josy
Bête sûrement pas. Mais assez malheureux pour s’accrocher à n’importe quel espoir, c’est bien possible.
Makaianui : Poiri, tu es menuisier, tu es chargé de la construction de la
pirogue. Tupa, tu es le seul à sortir de cette cellule et c’est
toi qui t’occupes de cantiner pour nous, alors tu seras responsable de toutes les fournitures : Poiri te dira ce qu’il a
besoin. Chouchou et Josy, vous vous occuperez de faire
une voile. Pona, Tu as ramé dans un club qui a gagné plein
de courses, je te charge d’apprendre à ramer à tous les
autres. Ceux que je n’ai pas nommés, vous aiderez ceux
qui en auront besoin.
28
Dossier : Théâtre
Chouchou
Et avec quoi tu veux qu’on fabrique une voile ?
Poiri
Et la coque d’une pirogue ?
Tahu
Et des rames ?
Makaianui
Vous avez des cerveaux ? Alors faites-les marcher ! (Il se
lève) Et personne ne dit rien à Faito pour le moment. C’est
compris ?
Tous
Oui chef !
Makaianui retourne à sa place, entraînant Fauta avec lui.
Makaianui : Fauta, viens finir la partie.
Scène VIII
Makaianui et Fauta ont repris leur partie d’échecs, Chouchou et Josy
se sont
rapprochés, Tupa range ses affaires et prépare de quoi écrire,
Pona est assis et regarde les autres d’un air désespéré en se demandant
lequel saura se servir d’une rame, Poiri passe de l’un à l’autre pour se
trouver des aides. Seul Faito n’a pas bougé un cil depuis un long moment : il est de nouveau enfermé dans son silence du début.
Chouchou : Il est gentil Makaianui, avec quoi il veut qu’on fabrique une
voile ?
Josy
Tu as raison, j’arrive même pas à trouver de quoi me faire
une robe alors...
Chouchou : Qu'est-ce qu’il nous faudrait pour y arriver ?
Josy
Ben... Du tissu, beaucoup de tissus. Du fil assez solide
pour le coudre, des aiguilles... et puis il faudra fabriquer
un mât aussi...
29
Littérama ’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Chouchou : Pour le mat, on a qu’à se servir de tous les manches à balais qu’on a. On demandera à Poiri de le faire. Pour le fil et
l’aiguille, Tupa n’a qu’à se débrouiller. Mais pour le tissu, je
ne sais vraiment pas...
Poiri
Eh, les filles, je suppose que vous n’avez jamais travaillé
le bois vous ?
Chouchou : D’abord je ne suis pas une fille. Ensuite non, on n’a jamais
été menuisiers nous deux. Par contre, on a un truc à te
demander...
Poiri
Et quoi alors ? Tu trouves que j’ai pas assez de problèmes
à régler comme ça ? Il faut que je fabrique une pirogue à
dix places sans bois, sans outils et sans ouvriers !
Josy
: Pour le mât, on a pensé aux manches à balais. Tu peux
t’en occuper ?
Poiri
:
C’est pas bête ça. Ok, je vais vous faire ça. Et si vous avez
une
idée pour
le bois de la coque, dites-le moi... (Il
s’éloigne)
Chouchou :
Tupa !... Tu peux venir s’il te plaît ?
Tupa
Voilà ! Voilà ! J’arrive... Qu’est-ce que vous voulez ?
Josy
On a besoin de gros fil ou de ficelle, et aussi d’une grosse
aiguille pour coudre la voile...
Chouchou : Et surtout on a besoin de tissu !
Aiguille et ficelle, je vais vous trouver ça. Mais du tissu, ça
coûte cher ! Et en plus il en faut beaucoup !
Tupa
Pendant ce temps, Tabu s’est rapproché d’eux et les écoute...
Tabu
:
On en a plein...
Chouchou et Josy : On a plein de quoi ?
Tabu
30
:
Ben, du tissu pour les voiles tiens !
Dossier : Théâtre
Chouchou : Ah bon ! Et où ça alors ?
Tabu
Eh ben, tous les sacs
courses !
qui servent à transporter nos
Il n’y a qu’à les attacher ensemble et puis voilà.
Tupa
Alors là, Tabu, c’est une super idée ça !
Tabu
Peut-être, mais je n’ai pas trouvé d’idée pour faire les
rames...
Josy
: Va parler de ça avec Poiri, il aura peut-être une idée...
C’est son métier après tout non ?
Tabu
Ok alors, je vais essayer. ..(H va rejoindre Poiri assis sur le
banc) Hey ! Poiri...
Poiri
Quoi ? Qu’est-ce que tu veux ?
Tabu
Tu sais pas avec quoi je pourrais fabriquer des rames toi ?
Poiri
Et toi, tu sais pas avec quoi je pourrais faire la coque d’une
pirogue pour dix rameurs ? Qui a déjà vu une pirogue pour
dix rameurs ?
Tabu
Et qui a vu une pirogue à voile naviguer sur la rigole d’une
prison ?
Patoi
Et qui a déjà vu quelqu’un s’évader d’ici, hein ?
Pona
Et qui a déjà vu Patoi faire autre chose que râler ? Tu peux
me dire ?
Patoi
Ça suffit Pona !
Pona
Toi ça suffit ! Hey, Poiri...
Poiri
Quoi ?
Pona
Moi je sais.
Poiri
Et tu sais quoi, toi ?
Pona
Moi je sais où il est, le bois de ta pirogue !
Poiri
Ah bon ! Tu as trouvé une forêt inconnue derrière les WC
peut-être ?
31
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Pona
:
Tu es assis dessus, minus !
Poiri
:
(il se lève en colère...) Je suis pas un min... (En même
temps, il regarde le banc et comprend l’idée de Pona)
Bravo Pona. Sur ce coup là, tu m’en bouches un coin !
Scène IX
Makaianui et Fauta ont fini leur partie d’échecs. Makaianui se lève
et, en leur faisant signe de se rapprocher, les rassemble autour de lui à
l’opposé de l’endroit où se trouve Faito. Ce dernier est toujours prostré
dans son coin.
Makaianui : Bien, dites-moi les gars : on en est où ?
Chouchou : Pour la voile, elle sera prête...
Josy
: Grâce à Tabu : c’est lui qui nous a donné la solution...
Makaianui : Poiri, pour la coque ?
Poiri
On a tout le bois qu’il faut. Là c’est Pona qui a trouvé. Le
mât, on va se débrouiller avec les manches à balais...
Makaianui : OK alors. Maintenant, il faut régler le vrai problème...
Tabu
Ouais : il faut faire passer une pirogue à voile avec dix rameurs dans un trou de souris !
Makaianui : Ne dis pas de bêtise Tabu, on sait tous que ce n’est pas
possible. Personne ne s’est jamais évadé d’ici et Ce n’est
pas nous qui allons y arriver. Tout ce qu’on veut, c’est le
faire croire un moment à Faito pour qu’il arrête de déprimer.
Pona
C’est nul ça : tant qu’il ne dit rien, il n’embête personne !
Tous
Ça suffit Pona !
32
Dossier : Théâtre
Fauta
Et comment tu veux lui faire avaler un truc pareil toi, hein ?
Patoi
C’est vrai ça : il n’est pas débile quand même !
Josy
Non, il n’est pas débile. Mais il est comme tout le monde...
Il est comme nous tous : il a besoin de rêver pour vivre.
Moi je sais qu’on ne sortira pas d’ici comme ça, mais ça
me fait du
bien d’y croire. De penser que je peux faire un
truc pour changer ma vie...
Fauta
Peut-être, mais en attendant il va falloir lui faire avaler cette
histoire d’évasion...
Patoi
Et lui donner envie d’y participer ! Et ça, c’est pas gagné...
Makaianui : Il va falloir pourtant...
Tupa
: C’est sûr qu’il va falloir, mais comment ?
Makaianui : C’est simple. On va lui expliquer que notre évasion est
prête, mais qu’on ne peut pas se permettre de laisser
quelqu’un derrière. En plus, lui, c’est un vrai marin et on va
avoir besoin de quelqu’un pour manoeuvrer la voile...
Donc, il faut qu’il vienne avec nous. En même temps, ça lui
rendra l’espoir de revoir sa maman et sa petite sœur...
Tabu
Et tu vas lui annoncer ça comment ? On sait même pas s’il
nous écoute
quand on lui parle !
Makaianui : Poiri, Tu vas aller lui parler toi. Il t’a déjà écouté une fois.
Mais attention, faut qu’il soit persuadé que tout est vrai et
qu’on a besoin de lui, sinon tout va tomber à l’eau...
Poiri
OK alors. Je vais essayer... Mais ça ne va pas être facile...
Makaianui : Bon, on te fait confiance. En attendant, tout le monde au
boulot...
33
Littérama ’ohi N° 17
“
Epitaphe ”
Scène X
Chacun se remet à travailler sur sa part de ia pirogue. Poiri s’at-
taque à la coque...
Poiri
:
Patoi, vient m’aider...
Patoi
:
Bien chef !
Poiri
:
Arrête un peu : c’est pas moi le chef ici !... J’espère qu’il va
m’écouter...
Patoi
:
Pourquoi il ne t’écouterait pas ? Après tout, on a tous vraiment envie de sortir d’ici non ? Et puis, va savoir... (Rêveur) Elle va peut-être passer cette pirogue...
Poiri
:
Parce que tu y crois toi ?
Patoi
:
Je ne sais pas si j’y crois...
Mais j’ai envie d’y croire...
Même si je sais que c’est pas possible...
Poiri
:
Tu sais quoi ?
Patoi
:
Non...
Poiri
:
Tu gardes ça pour toi hein ?
Patoi
:
Bien sûr...
Poiri
:
Et bien... Moi c’est pareil... Je sais que c’est impossible...
Mais depuis qu’on a commencé à délirer avec ça, j’arrête
pas d’y penser... et plus ça va, plus j’ai envie que ce soit
vrai... (Ils continuent à travailler en silence un moment)
Bon, Je vais lui parler... (Il va à côté de Faito et s’agenouille près de lui) ... Faito... Hey, Faito, je peux te par1er ? J’ai un truc important à te dire...
Faito
:
Vas-y, je t’écoute.
Poiri
:
D’abord, il faut que tu me jures que personne, en dehors de
cette cellule, ne saura jamais ce que je vais te dire...
Faito
:
Et à qui tu veux que je parle ?
34
Dossier: Théâtre
Poiri
:
Je sais pas moi : les mutoi, ton avocat, le pasteur...
Faito
:
Je
ne
parle plus à personne... Mais si tu n’as pas
confiance, tu ne dis rien et puis c’est tout.
Poiri
:
Je suis obligé de te dire. Mais il faut que je sois sûr de ton
silence.
Faito
:
Ok alors. Je te le jure sur la tête de ma maman et de ma
petite sœur... Ça va comme ça ?
Poiri
:
Oui. Et puisque tu me parles de ta famille, Tu aimerais les
retrouver ?
Faito
:
(En colère) Ne plaisante pas avec ça !
Poiri
:
Je ne plaisante pas : c’est de ça que je suis venu te
parler...
Faito
:
(En criant) J’ai été condamné à perpétuité ! Je ne sortirai
jamais d’ici ! Et ma mère et ma sœur n’auront jamais assez
d’argent pour venir me voir ici... Alors arrête avec ça !
Pendant que Faito s’énerve, Patoi s’est rapproché d’eux...
Poiri
:
Calme-toi, Faito, et écoute-moi : je suis très sérieux.
Patoi
:
Il a raison, Faito, écoute-le...
Faito
:
Vas-y alors, je t’écoute...
Poiri
:
Voilà... Avant que tu arrives ici, on avait commencé à préparer une évasion...
Faito
:
Je croyais que personne ne s’était jamais sauvé d’ici.
Poiri
:
C’est vrai. Mais on a trouvé la faille...
Faito
:
Je ne te crois pas.
Pendant cet échange, Faito regarde l’eau qui coule dans la rigole
devant lui...
35
Littérama ’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Poiri
:
Tu as tort... Tu la vois cette eau ?
Faito
:
Je ne vois qu’elle depuis que je suis arrivé : c’est la seule
chose qui entre et qui sort d’ici comme elle veut...
Poiri
:
Exact... Et elle sort d’ici sans que personne ne lui dise
rien... Et nous, on va faire pareil...
:
Comment ça vous allez faire pareil ? Tu te fous de moi ou
Patoi
:
Pas du tout. Ecoute-le jusqu’au bout et tu vas comprendre.
Poiri
:
Faito
quoi ?
On est en train de construire une grande pirogue pour nous
tous. Et on va partir avec l’eau de la rigole : elle arrive dans
le lagon à moins de trois kilomètres d’ici...
Faito
:
Vous vous foutez de moi ou quoi là ?
Poiri
:
Certainement pas. Ça fait des mois qu’on se prépare...
Mais on ne peut pas se permettre de laisser quelqu’un derrière nous...
Patoi
:
Et puis, on a besoin de toi.
Faito
:
Comment ça vous avez besoin de moi ?
Patoi
:
Tu es le seul d’entre nous qui sache manier une pirogue à
voile.
Faito
:
Parce qu’elle est à voile, votre pirogue ?
Poiri
:
A voile, et à rames. On a besoin d’aller le plus vite possible.
Un long silence s’installe pendant lequel Faito se laisse aller à
rêver...
Faito
:
Et c’est prévu pour quand, le grand départ ?
Poiri
:
Très bientôt. Dés que la pirogue est finie. Et c’est presque fait.
Nouveau long silence
36
Dossier : Théâtre
Faito
OK. Je marche avec vous. Qu’est-ce que je dois faire ?
Patoi
Génial !
Poiri
Bienvenue à bord, matelot !
Faito
Qu’est-ce que je dois faire ?
Poiri
Pour l’instant, tu vas nous aider à finir la coque
de la
pirogue...
iis se relèvent tous ies trois et se mettent au travail sur la pirogue...
Scène XI
Pendant cette scène, tous travaillent par petits groupes...
Chouchou
Maintenant qu’on l’a sorti du cafard, je me demande où on
va aller avec cette histoire de fous...
Josy
Eh ben... On va rentrer chez nous tiens !
Chouchou
Arrête de dire des bêtises Josy !
Josy
C’est pas des bêtises... Après tout, ça peut marcher non...
Chouchou
Je ne crois pas non...
Mais qu’est-ce que j’ai envie d’y
croire...
Josy
Moi, je crois que quand on veut vraiment quelque chose...
Mais vraiment très fort hein... Eh bien ça devient possi-
ble... Et puis, ça fait tellement du bien d'y croire...
Chouchou
Tu sais Josy, depuis que Makaianui nous a embarqués
dans cette histoire, je me sens mieux... C’est comme si je
respirais plus facilement...
Tupa
Moi c’est pareil... C’est comme si les murs étaient devenus
transparents...
37
Littérama’ohi N°17
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Epitaphe ”
Tabu
:
Pour moi, c'est surtout que maintenant, j’ai quelque chose
à faire... Pas seulement attendre que le temps passe... At-
tendre que les mutoi me disent ce que je dois faire, et à
quelle heure...
Pona
:
Depuis que je suis ici, c’est la première fois que j’ai l’impression de servir à quelque chose... Et, pour une fois,
vous n’êtes pas tout le
temps en train de m’engueuler et de
me faire taire...
Poiri
:
(Moqueur) N’en profite pas trop quand même, man !... (Un
silence...) Vous savez quoi ?... Plus ça va, et plus je me
dis que, après tout, ça pourrait peut-être marcher...
Patoi
:
Et pourquoi ça ne marcherait pas d’abord ?... Moi je suis
sûr que c’est possible... Je veux que ce soit possible... Il
faut que ce soit possible...
Fauta
:
Makaianui, tu sais, ça fait un an et demi que je suis là dedans... Et c’est la première fois que je me sens bien...
C’est comme si quelqu’un avait ouvert une fenêtre quand
il fait trop chaud et qu’on transpire, qu’on arrive plus à bou-
ger tellement il fait chaud...
Makaianui : Je sais, oui. Mais je sais aussi que tout ça n’est qu’un rêve...
Et je ne sais pas si c’est bon pour nous tous de rêver comme
ça... (Le regard dans le vague, il se met à parler pour lui-
même) En même temps, on dit que la foi soulève les montagnes, alors pourquoi pas après tout... Et puis, dans le pire
des cas, on aura au moins réussi à faire quelque chose tous
ensemble. Et ça, on ne pourra jamais nous l’enlever...
(S’adressant de nouveau à Fauta) Tu as raison Fauta : on a
ouvert une fenêtre, et c’est grâce à Faito. Il faut le remercier
pour ça... Et il ne faut pas laisser la fenêtre se refermer : ça
fait tellement du bien de respirer...
Il se lève et fait le tour de tous ses codétenus qui n’ont pas cessé de
travailler à la fabrication de la pirogue...
38
Dossier : Théâtre
Scène XII
Makaianui :
Josy, alors, cette voile ?
Josy
Elle est finie, chef...
Chouchou : Et j’aurai jamais cru qu’elle serait aussi belle !
Makaianui :
Tupa, tu as trouvé tout ce qu’il nous faut ?
Tupa
Sans problème : il ne manque rien.
Makaianui : Poiri, vous en êtes où ?
Poiri
Patoi
:
C’est fini, on est prêt.
On a tout : les rames, le mât, la coque... Il ne reste plus
qu’à la baptiser, et on peut partir...
Makaianui : Parfait. Faito, merci. C’est grâce à toi qu’on a réussi ça. Si
tu n’avais pas été là, on ne serait jamais arrivés à faire un
truc pareil sans se battre entre nous... Merci encore.
Faito
C’est moi qui dois vous dire merci. Vous m’avez sorti du
noir. Vous m’avez redonné l’espoir...
Makaianui : Ok les gars. Maintenant, il ne nous reste que deux choses
à faire : Apprendre à ramer ensemble pour faire avancer
notre pirogue... et partir !... Alors maintenant, à l’entraînement ! Pona, c’est à toi de nous montrer ce que tu sais
faire...
39
Littérama’ohi N° 17
“
Epitaphe ”
Scène XIII
Pona
OK chef ! (Il se dirige vers l’endroit où sont stockés les ba-
lais, les prend tous et revient vers le devant de la scène...)
Chouchou : Parce que c’est une pirogue, ça !
Pona
Oui, c’est une pirogue. Et ça, c’est une rame ! Allez les
gars, chacun la sienne... (Ils défilent tous devant lui pour
récupérer chacun une rame) Maintenant, mettez-vous
dans l’ordre où vous serez quand on partira : Tabu, devant.
Ensuite, Patoi. Fauta, derrière Patoi. Et dans l’ordre : Poiri,
Chouchou, Josy, Tupa, Makaianui, Faito et moi derrière.
Bon, vous avez tous déjà ramé, alors à mon commandement, on y va... Attention.... Ramez ! (Ils se mettent à
n’importe comment) Arrêtez ! Arrêtez ! Vous avez
déjà vu ramer comme ça vous ? C’est n’importe quoi !
ramer
Tous
Et comment on fait alors ? Tu peux nous dire Pona ?
Pona
(il va à l’avant de la pirogue, et en remontant vers l’arrière,
il les désigne l’un après l’autre) Toi, tu rames à gauche, toi
à droite, ‘oe ‘aui, ‘oe ‘aui, ‘oe ‘aui... etc... Tabu...
Tabu
Oui capitaine !
Pona
Tu vas nous donner le rythme. Les autres, vous ramez
je vous ai dit, en suivant le rythme et vous changez
de côté au signal. Ok ?
comme
Tous
À vos ordres capitaine !
Pona
Bon, vous êtes prêts ?
Tous
Oui
Tabu
Ok alors !
40
Dossier : Théâtre
Il commence à donner le rythme, lève sa rame, tous les autres l’imitent... Au début un peu brouillons et hésitants, ils finissent par s’accorder et rament à l’unisson, reprenant peu à peu le rythme vocal donné
par Tabu... C’est Pona qui,
séance d’entraînement.
Pona
lorsqu’il est satisfait, met un terme à la
E te mau hoa ua ineine (C’esf bon les gars, ça va aller
ça...) (Ils sortent de la pirogue les un après les autrès et se congratulent en riant) On a plus qu’à partir maincomme
tenant...
Patoi
Ah non alors ! On va pas partir comme ça !
Tupa
Quoi encore ? On est prêt non ? Alors on y va et c’est tout !
Patoi
Non, il faut la bénir avant de la mettre à l’eau sinon, c’est
sûr, ça va mal se passer...
Tous
C’est vrai Ilia raison ! On peut pas partir comme ça ! Etc...
Patoi
Seulement, qui va la bénir ?
Makaianui
Vas-y Pona, fais-le.
Tous
Ah non alors : Pas lui !
Makaianui
OK, OK... C’est bon... Tabu, fais-le toi.
Tabu
D’accord chef. Je vais le faire. (Il va se mettre à la proue de
la pirogue et invite les autres à le rejoindre autour de l’em-
barcation) Venez tous là alors. (Une fois qu’ils sont tous en
place et que le silence s’est fait, il bénit la pirogue) E te
mau taea’e, a ha’amaita’i ana’e i to tatau va’a i a fano atu
‘oia i te vahi atea roa a’e i ni’a i te 'e'a o te ti’amaraa. (Les
frères, bénissons notre pirogue pour qu’elle puisse voyager
le plus loin possible sur le chemin de la liberté)
Ils restent un moment silencieux dans le recueillement devant la pirogue, puis s’éloignent, chacun vers sa paillasse... Makaianui, lui, est
resté devant la pirogue, comme Faito...
41
Littérama ’ohi N° 17
“
Epitaphe ”
Faito
Chef...
Makaianui
Oui Faito ?
Faito
On va partir quand ?
Makaianui
Maintenant, si tout le monde est d’accord...
Faito
Eh, les gars, si tout le monde est d’accord, on peut aller
maintenant, non ?
Tous
Ben... Euh... Oui... C’est vrai ça...
Qu’est-ce qu’on
attend ?...
Makaianui : Si tous le monde est d’accord, alors on embarque et on va...
Lentement, presque cérémonieusement, ils prennent chacun leur
place à bord de la pirogue, la rame à la main... Lorsqu’ils sont tous installés, Poiri, qui n’a cessé de regarder les autres pour vérifier qu’ils
étaient bien tous prêt, prend la parole en
chuchotant...)
Poiri
:
Vous êtes prêts ? (les autres acquiescent soit en chuchotant aussi, soit d’un simple mouvement de tête) OK alors,
c'est bon Tabu, on peut aller...
Tabu commence par donner le rythme vocal, puis lève sa rame,
imité par tous les autres, et ils commencent à ramer... Peu à
peu, le volume de leurs voix augmente, tout comme le rythme de leurs
coups de
rames s’accélère pour devenir
frénétique... C’est le hurlement d’une sirêne d’alarme qui les stoppe net dans leur effort... Ils restent
figés dans
cette position bien après que la sirène se soit tue. Un son
grave sort de
leurs poitrines, prenant de plus en plus d’ampleur. Dans le même
temps,
lentement, les uns après les autres, ils se lèvent, tête basse, vaincus, et
vont se regrouper en fond de scène. Lorsqu’ils sont tous
ensemble, le
vocal s’amplifie de plus en plus pour s’arrêter brutalement, au moment
où la tête de chacun d’entre eux retombe mollement sur sa
poitrine...
Un long silence, puis la voix de l’un d’entre eux entonne, en
murmurant,
42
Dossier : Théâtre
la mélopée de « La ballade du pendu »...Les uns
après les autres, ils le
rejoignent, faisant monter le volume de la mélopée mais laissant le texte
incompréhensible... Soudain, Chouchou redresse la tête...
Chouchou : Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les cœurs contre nous endurcis
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous Mercie.
Vous nous voyez ci attachés cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie :
Tous
:
Makaianui :
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
(Même jeu que Chouchou)
Si frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoi que fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas le sens rassis ;
Excusez nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie ;
Tous
:
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Tupa
:
(Même jeu que les deux autres)
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis :
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis ;
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
43
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetée d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Tous
:
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maîtrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’avons que faire ni que soudre.
Hommes, ici n’est point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.
A partir de là, la rythmique vocale d’un hakka remplace le vocal pré-
cèdent...
Faito et Poiri : Sous la forme d’un hakka
E te tamaiti huiarii e lesu, tei ia ‘oe ra te mana hope,
Ata’o na ia ‘ore te ‘ino ia mana mai i ni’a ia matou :
I te mea ho’i e rori à ta matou e ‘ohi pa faahou ia na ra,
E te taata e, i ‘o nei ‘aore e parau-ho’ata,
E pure na rà i te fatu e ia tàmà mai i tà màtou mau hara
ato’a.
44
Flora Devatine
DU SILO AU CILAF
ET D’UN CARREFOUR À L’AUTRE
Du premier Salon International du Livre Océanien (SILO) à Poindi-
mié (Kanaky Nouvelle Calédonie, 17-19 octobre 2003) au premier Carrefour International des Littératures Autochtones de la Francophonie
(CILAF) à Wendake (Territoire huron-wendat, Québec-Canada, 9-13 septembre 2008), et à la rencontre amicale et culturelle au Maroc (17-31
2009), un ensemble incluant le Salon du Livre de Papeete (depuis
2002),
A chaque fois, ce furent des moments forts émotionnellement, framars
ternellement, culturellement, entre les auteurs !
Tout comme Poindimié et Papeete en leur temps, Wendake est à
marquer d’une pierre blanche ! Et comme à Poindimié ou à Pape’ete,
cela aboutit à l’accueil et à la publication d’écrits d’auteurs à découvrir,
ici, des poètes « autochtones de la francophonie ».
Les passages de mails qui suivent, extraits de quelques échanges
entre auteurs, témoignent des liens, dont celui poétique, qui se tissent au
fil de ces rencontres, espaces et moments de riches partages et d’ex-
pansion du meilleur en l’homme !
S’éloigne dans l’espace
Le temps des jours heureux
En reste l’empreinte
De quelque chose de grand
De noble, de beau, de bon, de digne
De délicat, d’heureux en nos mémoires.
45
Littérama’ohi N°17
Flora Devatine
à Monsieur Louis-Jacques Dorais, à Maurizio,
«...
Je ne (vous) remercierai jamais assez de m’avoir offert de vivre
Cette très belle et très riche expérience du CILAF ! Un vrai et grand
Carrefour !
Partir de Wendake ne fut pas aisé : nos pensées y restaient accrochées comme raptées captives des Hurons-Wendats !... notre esprit y
rode encore. C’était si bon !
Encore bravo, avec toute ma gratitude. »
à Louis-Karl Sioui
Des mots des plumes
Des bois des rêves
Des frères des soeurs
En partages ouverts
Confiants et fiers
Ensemble heureux
Sur l’Ile huronne
Terre d'accueil
Généreuse dont j’ai
Mémoire en tête
Des visages des sourires
Humanité douceur
De chaleureuse Nature
Entrailles pleines
De Kabir Kouba
Forts retenus
Des émotions d’amour
Lumineuses nourritures
A satiété où j’ai
En abondance bonheur
Et en paix puisé
A Wendake.
46
Dossier : les poètes invités
à Georges Sioui
Les valeurs amérindiennes, huronnes-wendates, de vie, d’être, d’accueil,...
Mises en lumière dans/et par les flots bondissant étincelants à Kabir Kouba,
A Wendake se déversaient sur tous les habitants, dont les hôtes de passage,
Participants du Cilaf, à l’Hôtel-Musée, dans la clairière de nos écrits
Capturés, adoptés, renommés à l’orée du bois de la réserve,
Où nous avons été faits Considérables par des qualités
De tout premier ordre et de toute beauté.
Où nous avons été rendus Conscients à nous-mêmes,
Sources vives, immensément fécondes, fortes, et riches.
Quelle plus belle manière d’honorer la mémoire des ancêtres !
«... Comme ma
mère disait et écrivait, il faut un million d’épines
pour qu’apparaisse sous nos yeux une belle rose, éphémère, mais qui
laisse un souvenir que rien n’effacera. Je remercie notre Créateur et tous
nos ancêtres pour
ma soeur...
notre existence et pour nous avoir fait nous connaître,
et à chacun de trouver son chemin ! » (Georges Sioui : du
Clan de la Tortue.)
«
Écrivons tous et toutes
rêvons tous et toutes
marchons avec l’écriture
sur une route bordée
d’espérance
le nord vous dit Tshima minupuaniek umue pupun »
(Rita Mestokosho :
de Ekuanitshit petit village innu enneigé.)
à Chrisitne Wawanoloath
D’heureux souvenirs
En promenades fleuries
De projets rythmées
47
Littérama’ohi N° 17
Flora Devatine
En couleurs mouvements
De la Nature alentour
Un chant porteur
De la création toujours à l’œuvre.
Revenir au quotidien, à la solitude, après ce voyage en mots
amitié, dans un cadre si merveilleux, n’est pas chose aisée,
certes... Toutefois, je me dis que nous avions arraché ces instants magiques au temps qui s’enfuit et c’est un grand bonheur.
Mon père m’a parfois répété, afin sans doute que j’apprenne à saisir l’instant heureux, que “le bonheur est souvent un bonhomme
qu’on
voit de dos”, mais je crois que cette fois, à l’unisson, avec vous tous et
toutes, organisateurs, auteurs, intervenants académiques..., j’ai incontournabiement su saisir l’instant heureux, et j'ai rencontré le bonheur.
Cette fois, je l’ai vu de face! Un bonhomme merveilleux !...
«
...
et en
C’est vous dire aussi que vous me manquerez sur le chemin de
vie qu’il nous faut à tous et à toutes poursuivre, avec nos rêves les
...
plus
fous, nos pensées les plus sages, et dans lesquelles nous demeurerons
un peu. Puis, rien ne nous empêchera de concrétiser ces rêves de nouveau. Nous avions tous déjà en tête
quelques idées, il nous faut seulement les laisser germer cet hiver, notre
printemps n’en sera que plus
beau ! Alors à nos idées, à nos plumes, pour des rencontres
prochaines pour que de nouveau, ensemble, nous fassions réapparaître le
soleil aux creux des mots ! » (Nadia Chafik de
Rabat)
«
Fille d’Isis,
Fils de Ramsès,
Descendants des Pharaons,
«
est-ce le Hasard ? Le Destin ? Il fallait passer par les Amérindiens pour renouer avec la Terre natale ! Et vous n’imaginez
pas le plaisir que j’ai eu à vous côtoyer durant cette semaine en Terre huronne.
J’avais totalement oublié Jugurtha, appris à l’école primaire et,
grâce
...
à vous, je me replonge dans la riche Histoire de
48
l’Afrique. Je suis toujours
Dossier : les poètes invités
attentif, grâce à Internet, aux nouvelles d’Afrique du Nord. Mais les rapides échanges que nous avons eu sur le sujet ont totalement chamboulé ma vision géostratégique de la zone.
Et je me rends compte de l’énorme malentendu qui a changé le
cours de l’Histoire. Mais, comme les fleuves qui reprennent
toujours leur
lit, je sens que l’Histoire reprendra son cours. À Wendake, j’ai vu quatre
éclaireurs. Ces éclaireurs deviendront avant-garde ...» (R.-J. Devatine)
La suggestion de rencontres, d’échanges poétiques de Maya Cou-
sineau-Mollen adoptée, un premier projet se réalisa en mars 2009 au
Maroc où eurent lieu des retrouvailles entre quelques participants au premier CILAF de Wendake, certains venus de France, d’autres du Canada
et enfin de Polynésie française :
-
à la rencontre des poètes Amazighs, et à la découverte de leur
pays, de leur culture, et l’occasion d’une réunion (à Rabat, le 19 mars
2009) pour décider du lieu du second Carrefour (CILAF),
et d’évènements culturels : une soirée poésie avec Zaïd Ouchna
et Omar Taous à l’Auberge de la Palmeraie, chez Odyle (sic) ; une soirée culturelle près d’Aghbala, (poésie, projection de film ethnologique
sur les rituels et les chants à la tonte des moutons, et de photos
d’art) sur
-
le lieu du futur Centre culturel du Dr Ahmed Oudadess; enfin, un atelier
de poésie improvisé commencé à Merzouga et clos à Laarjat !
«... A
tous, bon voyage à travers le désert pour découvrir le vrai regard du chameau avec le plus expert des guides du sable, notre cher
compagnon de route, Ali Iken. Bien à vous. » (Luc de Kanaky NC, aux
amis de Wendake présents au Maroc)
Dans les dunes de Merzouga, sous la voûte étoilée, « cinq étoiles
au ciel
regardent cinq chameaux couchés dans les dunes ». La pensée
s’en va, s’en vient, à la vitesse lumière, et surfe, surfe sur les vagues de
nos
imaginaires :
Dans le désert des gens
49
Littérama’ohi N°17
Flora Devatine
Mauve comme l'eau de vie
L’étoile d’amour en vœu de dunes
Marche dans le ciel
Rivière à jamais dans le sillage du mythe.
Le charme d’une princesse
Oiseau sur la mer ocre
Vaisseau de larmes et de génie.
Sur le toit au faîte du poème
Des traces de scarabée
Et du hanneton chamelier du takaout
Racontent aux dunes qui tanguent
La mélodie de Sisyphe
Vérité, mon mot,
Tombe, flamme, pierres écrites.
Laure Morali, Ali Iken, Ali Khadaoui, R.-J. Devatine, F. Devatine
( Merzouga, Kenitra, Laarjat : 23, 30, 31 mars 2009)
«
Azul tout le monde, Kwé, Cher(e)s ami(e)s,
...La caravane du Sud a très bien réussi son périple... La flamme
née à Wendake n’est pas prête de s’éteindre : elle ira grandissant pour
éclairer la terre entière avec le 2e et les suivants CILAF, ou autres activités scientifiques, artistiques et littéraires, mais avec certainement beaucoup d’amitié et d’amour. » (Ali Khadaoui)
ce...
Magique est le verbe quand il est prétexte à nos retrouvailles !...
bravant le temps et l’espace pour nous exprimer votre amitié au-delà des
frontières, et nous encourager au coeur même de Tamzgha pour un
CILAF 2.
Votre sens du partage, votre sourire, votre émerveillement devant
les choses simples de la vie ont été un vrai bonheur. Et cette fois encore
50
Dossier : les poètes invités
grâce à vous tous, j’ai de nouveau rencontré le bonheur et je l’ai vu de
face, en votre compagnie !
Tous vos courriers sont touchants, émouvants, et j’y suis très sensible. Merci pour vos attentions, pour toutes vos belles paroles, pour votre
humour auquel Laure a joint une photo insolite mais non moins poétique
(Ali, les yeux dans les yeux avec un “chameau” au doux regard).
...Ce “hasard” qui nous a placé sur le chemin les uns des autres depuis Wendake reste en tous cas l’un des plus beaux parmi ceux que j’ai
connus.
Aux souvenirs que nous nous sommes faits et à ceux que nous al-
Ions encore nous faire.
Au plaisir de nous revoir encore et encore, ici, ou ailleurs... » (Nadia
Chafik)
«
Ma chère Flora,
Jean a annoncé que tu es restée au pays des imazighen.
Je suis donc parti à ta recherche.
Je mettrai le temps qu’il faudra pour te retrouver.
Le temps passé ensemble,
tous, est d’une beauté inédite. Mais
aussi parfois cruel.
Puisses-tu vivre longtemps pour nous consoler par ta sagesse, de
nos fantasmes inassouvis, de nos amours
impossibles, de nos moments
les plus beaux...
Et que tous ces moments soient bénis à jamais... » (Ali Khadaoui)
«
Bonjour Nadia, Ali, Alik et Abdallah,
Pas de changement : nous sommes toujours sous le choc ! De
grands remerciements à vous tous pour ces découvertes exceptionnelles, découvertes géographiques, humaines, culturelles, historiques,
civilisationnelles.
Flora a été rendue en partie : une part d’elle est restée accrochée
dans votre beau pays. Est-ce à Merzouga, à Telouèt ou à Imilchil ? En la
rendant, les autorités ont constaté que : « lorsque la gazelle versa une
larme, tous les oueds du Haut Atlas entrèrent en crue à l’unisson. » Qui
51
Littérama ’ohi N°17
Flora Devatine
nous fera
connaître cette légende ?... J’arrête là mon bavardage : une
nuit automnale tombe tandis que, sur l’Atlas, une journée printanière éclot.
Nos amitiés à vous quatre ainsi qu’aux familles que nous avons
eu la chance de connaître. »
(R-J Devatine)
Mes chers Devatines azul ! comment allez-vous ?...
«
vous me
manquez beaucoup, je suis toujours sur mon petit nuage à savourer Fintensité de lumière et de douceur dont nous étions enveloppés tout le
long de notre agréable périple.
...
«
voilà ! vous embrasse fort ! à très bientôt » (Ali Iken)
Bonjour Ali le Fennec,
Comment vas-tu ? En revoyant de près les photos, nous nous rendons compte à quel point tu nous a promenés, et bien promenés ! C’était
fantastique et tu as été un guide doublé d’un excellent compagnon de
voyage. Encore merci pour tout... » (R-J Devatine)
«
Chère Nadia,
Notre voyage au Maroc, à Rabat, Kénitra, dans le Haut-Atlas,
a
été... une expérience aussi merveilleuse que celle vécue à Wendake.
...
En même temps, autre, différente. Parce que vécue à l’intérieur et de
l’intérieur... De façon plus émotionnelle, sans doute... Poétique, pourrait-on dire aussi ! J’y avais trouvé une chaleur, une culture, une
beauté, une finesse, un art de vivre, une délicatesse, uniques, qui
m’ont séduite.
...
Comment y résister ?
A Nadia Chafik
«
Quand vous viendrez,
Je vous rafraîchirai le palais
De mon breuvage framboise - orange sanguine,
D’accueil, de l’amour délicat - délicieux,
Par sa texture en bouche, et la couleur !
52
Dossier : les poètes invités
Je vous servirai les saveurs généreuses de mon pays,
Des olives rouges, vertes, et roses, des trois récoltes.
J’apprêterai ma nouvelle table noire, carrée,
Que je garnirai des mets les plus précieux :
Tagines, beignets divers, coriandre,
la Chorba !
Je vous régalerai de ma soupe de légumes frais et secs,
Accompagnée d’abricot, de dattes, et autres merveilles.
...
Quand viendra l’heure du coucher,
J’allumerai les trois bougies sur la table,
Dans la chambre d’amis, à la senteur d’ambre
Des pierres, améthyste, roses, mauves, violines,
Agate, saphir, odorantes et tendres, au chevet.
Je vous enchanterai, par et dans vos draps
Et chaudes couvertures, aux couleurs du Sud :
Rose, grenat, bordeaux pour l’un,
Pour l’autre, une harmonie de bleus :
Ciel, océane, turquoise, Touareg, et de Jammelle,...
Je parfumerai vos oreillers d’eau de lavande,
Juste ce qu’il faut, comme pour l’amant. »
Ce fut notre première nuit, des plus délicieuses, des mille et une
nuits grandioses, aux couleurs, saveurs, parfums magiques de l’Orient...
En y repensant, j’ai peine à croire que c’est déjà terminé !
...
Un mer-
veilleux voyage à tout point de vue, humain, sociétal, culturel, historique,
poétique,... Une chaleur humaine, des couleurs, des senteurs, des paysages, des découvertes et des émotions inoubliables ! » (F. Devatine)
«
Chers Amis,
...Le Maroc a été au-delà de nos espérances : une hospitalité
sans
faille, des rencontres extraordinaires et des paysages fabuleux. Il
la deuxième édition du CILAF arrive !
Nous avons été privilégiés de pouvoir approcher une Culture mil-
nous tarde que
lénaire d’aussi près.» (R-J. Devatine)
53
Littérama’ohi N° 17
Flora Devatine
à Ali Iken
Itto dit : Tanmirt !
La Gazelle dit Merci
AAli Fennec le sublime, de lui avoir
Ouvert ses villages, ses montagnes,
Grottes aux trésors, aux savoirs,
Géantes, grandioses, immenses.
La Gazelle n’oublie pas.
La Gazelle se souvient de Ouarzazate
De l’auberge Les Météorites,
De la.Casbah Ayt Benhaddou,
De Telouet au cœur du pays Glaoua,
Des palais des Glaoui dans le Haut Atlas,
De la Chèvre d’Ali sur les sentiers de sa falaise.
La Gazelle adore les montagnes, adore les histoires d’Ali,
Antiques et contemporaines,
Des Grecs, des Amazighs,... Arabes, Romains,
Les adages, les fables, la mythologie,
Atlas, Hercule, le Jardin des Hespérides,
Histoires tristes de batailles héroïques,
Histoires drôles des animaux,
Contes infinis du chacal, de la tortue,
Les leçons de botanique,
De géographie in situ,..
Infatigable le conteur, vaste,
Inépuisable la culture d’Ali le poète,
Ali le philosophe, l’humoriste, le traducteur,
Le linguiste, le penseur, le guide... L’Amazigh !
La Gazelle a escaladé des montagnes
De mémoire, d’histoire, de poésie, de culture.
La Gazelle ne voulait rien manquer
Des paysages intérieurs qui défilaient
Leçons de poésie merveilleuse.
54
Dossier : les poètes invités
La Gazelle fascinée, éblouie, écoutait.
Puis la voix égrenant le long chant
Poème à l’humanité et à la terre se tut
A la descente des sommets
Des montagnes d’où l’on contemplait
Le monde des valeurs universelles
Du puits de savoirs d’Ali,
Et la gazelle qui avait vécu intensément
Ces jours-là, pantoise, en resta,
Le Fennec et le Sloughi aussi !
Devant l’oued soudain en crue.
La gazelle saura attendre le printemps
Prochain pour revenir dans les Atlas. »
«... Je n’ai pas tout conté... ni d’Abdallah arrivé
d’Agadir, seul, 500 km
de voiture, 6 heures d’autoroute ; pour tenir, rien que des fruits : bananes,
fraises ; un aller-retour sur deux jours, pour être de la rencontre !... ni d’Alik
et du somptueux et délicieux déjeuner à Kenitra ! Peu importe l’heure, le ban-
quet attend les convives ! Se souvenir de la règle de politesse à table quand
mange à la marocaine : ne se servir que devant soi, et pas chez le voisin ! Succulente sauce aux olives du poulet au four ! Un couscous royal aux
7 légumes ! Des oranges d’un rare délice ! Pâtisseries fines aux amandes et
autres graines craquantes ! Du thé à la menthe préparé par le maître de thé !
A tous les auteurs rencontrés, du premier Salon International du Livre
Océanien (SILO) à Poindimié (Kanaky Nouvelle Calédonie, 17-19 octobre
2003) au premier Carrefour International des Littératures Autochtones de la
Francophonie (CILAF) à Wendake (Territoire huron-wendat, Québec-Canada, 9-13 septembre 2008), et à la rencontre amicale et culturelle au Maroc
(17-31 mars 2009), un ensemble incluant le Salon du Livre de Papeete (depuis 2002) et tous salons du Livre,
Merci à tous et à toutes d’avoir partagé avec moi votre pays, le meilleur
de votre pays, c’est-à-dire vous les hommes et les femmes de votre pays !
J’ai appris qu’on n’aime un pays que par les hommes et les femmes de ce
pays, que parce que les hommes et les femmes de ce pays nous ont aimés ! »
on
...
55
Littérama’ohi N°17
Anne Bihan
À CHRISTOPHE ROUXEL
À BERNARD-MARIE KOLTÈS
Quai de velours gris
la nuit
des silhouettes somptueuses
marchent
en marge
de la ville vendant
le ciel à qui veut l’offrande
les eaux topaze aux murs de la grotte
embrasent les yeux des victimes
soldant à l'ombre leur chemise
la petite a pleuré pour ne pas dormir
l’autre échafaudé des trocs
de prince africain
des nones crépues vont nues
par les chemins
négociant d'antiques hardes
il suinte des mondes
éblouissants.
Seuls les bourreaux ne vendent rien.
Alcôve sous-marine
douceur bise de béton brut
armé d’amour
dans l’odeur alanguie des eaux pourries
meurtrière aux dessous chics
dentelle grise jarretières aiguilles
ombre détruite.
56
Dossier : Les poètes de Kanaky
Dans le suintement sourd des histoires
accomplies, enfantine la jouissance
enfin permise.
* * *
Frère,
poisson mort
dans l’eau blonde du corps défait,
pierre
ou
port,
sang de velours au lait
retenu
des vives mères,
un
jour,
sur les couteaux.
* * *
Départ
d’entre les murs
les tombes
les meubles
les saisons.
* * *
Décalage
dans le ciel courant l’heure du soleil cherche
à te rattraper
la nuit craque d’impossibles blancheurs
éclairs d’orage
l’avion bat cœur chaud sous l’aile métallique la ville
croît le temps d’en bas nous saisit
57
Littérama’ohi N° 17
Anne Bihan
s’éloigne
nous irons, dit l’enfant,
plus vite que le jour
dans la grande nuit.
* * *
Les derniers feux du rêve
bordent le chemin,
soumise,
une femme s’abandonne
la montagne qui s’éreinte
à sauver ce qui reste
contemple ce chiffonnement,
cette froissure d’eau forte
et le sang crié
tu contemples les tombes
des enfants désertées,
le ciel aboli t’accompagne.
Absent, l’homme te guide,
et c’est la solitude !
* * *
Dossier : Les poètes de Kanaky
La nuit, l’incendie
(extraits)
Soleil kanak
je te regarde
étrangère
interroge tes sentiers
tes cases sans porte
ni fenêtre
souris à tes enfants
lumineux
et désespérés
Pourquoi ?
Nuit australe
native
nuit de Kanaky
j’écoute le son
des canettes
tombées sur les niaoulis
bière de Noël
et les branches trinquent
les femmes craignent la dengue
les enfants cognent
deux jouent aux menottes
sur les rondins
deux astiquent leurs copains
les autres se taisent.
59
Littérama’ohi N°17
Anne Bihan
Je pleure sur les cases
qui ne naîtront plus
la paille est cendre
et le bois rongé
la lune couchée
n’ose plus sa pâleur
la montagne en feu
dit adieu
au dernier bruissement
d’herbe
et d’eau.
* * *
Gousse longue du flamboyant
sexe d'arbre
à foison
tu brûles
tout est cendre ce soir même
l’homme dans sa case
l’enfant
le ciel où la montagne
part en poussière
et l’igname pleure
l’eau rêvée
de l’étrangère.
* * *
60
Dossier : Les poètes de Kanaky
Guetter le sens à la racine
du geste
Le feu s’est tu
tout est opaque
j’en viens à pleurer
sur l’arbre en incendie
et l’herbe affolée
s’offrant à la marche
du vent.
Des souffles dans l’ombre
déclinent les cendres
s’apaisent.
Ils aiment le feu,
nous
parlons de mort
ils parlent sous la case
nous hors du cercle.
L’eau a bu
la terre
tout est opaque
j’entre dans l’ignorance
la trouve douce
à l’écart du ciel
le vide se penche.
61
Littérama’ohi N°17
Anne Bihan
Triptyque insulaire
Terre de feu
sourd
et les bruyères.
Atteindre l’intensité
du vert
derrière le toucher sec
et sous les pépites
nickél itères
reconnaître la question
qui nous habite.
La Chaussée des pauvres
Chaussée n. f. - Long écueil sous-marin.
Vue du large, elle fait obstacle à l’horizon. Haute. Sombre. Tient le
Pacifique en respect. Il s’épuise contre la barrière sur quoi viennent mourir les coques trop hardies. Peu de passes. Survivre est affaire d’initié.
Mais nul besoin ici - nul désir peut-être - d’allumer des feux pour attirer
des proies hypothétiques. Se tenir là suffit. Que Dieu protège ceux qui
par miracle ou par science échappent au désastre. Ils font escale et passent leur route. On s’accommode de tous les autres, échoués sans crier
gare avec des coffres pleins d'inutile à ras bord et le ventre plus grand
que les yeux. Leur embarcation a cessé d’évidence d’être sécure,
brèches colmatées à la va-vite, voiles déchirées, moteur en rade, liens
tout à l’avenant. D’emblée trop lourds en somme pour ignorer, les voyant
tirer leur fardeau, la difficulté que ce sera de reprendre la mer. Et ce n’est
pas les quelques bricoles pillées avec leur accord, au titre du respect dû
62
Dossier : Les poètes de Kanaky
à des hôtes soupçonneux mais courtois, qui les rendront plus légers
quand viendra inévitablement l’heure de choisir entre l’habit du voyageur
et les frusques de l’exilé.
Ce jour-là, tandis que pieds nus l’enfant prend sur le sable la mesure
du monde, à leur tour ils s’adossent à la montagne. Quelque chose en
eux résiste
encore, un fleuve, la Pâques d’un clocher, un coquelicot, le
goût des mûres, le parfum du lilas. Mais elle pèse de toute sa densité,
or, fer, sang, nickel, sang, cobalt, fougère, sang, nickel, sang. Ils apprennent à se tenir là, et qu’il faudra désormais tenter d’habiter les lumières et les ombres d’une île qui n’en finit pas, au gré des flux et d’un
antique vouloir, d’offrir ou dérober à la marche des errants sa chaussée
des pauvres.
Alors doucement leurs épaules se dénouent et, reconnaissants, ils
s’abandonnent.
Cette île
plus que toute autre
et l’étreinte du rêve
des manguiers
dans les narines.
Marcher
plutôt que se perdre
dans l’absence de Soi
et
quand l’océan se fera
visible enfin
prendre le parti
de la pulpe.
63
Littérama’ohi N°17
Luc Camoui
KABIR KOUBA,
JOYAU IMMORTEL
Ô Kabir Kouba,
Chute d’eau limpide
D’une cascade
Aux sources lointaines,
Tu draines avec toi
Mythes, contes, légendes
Et récits d’histoires
D’un Peuple Autochtone
Ecorché de son sang,
Martyr des civilisations
Conquérantes d’antan.
Témoin oculaire
Des bains de sang
Immémoriaux
De tes pairs de la Résistance;
Tu baignes des générations
D’âges en feuilles d’or,
Sans faillir
Ata Grandeur d’Âme.
Cliché incommensurable
Des trésors intarissables,
Des souvenirs mémorables
Au Coeur des Hurons-Wendat;
Tu arroses,
Depuis ton lit serpentaire,
Le Parc de la Falaise
D’écumes boréales,
De fraîcheur immuable,
64
Dossier : Les poètes de Kanaky
D’arôme d’érable insatiable
Traversant la nuit des temps.
Cours d’eau singulière
Au débit incantatoire
De la Réthorique Indienne;
Issu des mouvements de lune,
Confluent aux confins
Des Divinités,
Chantre crépusculaire
Des Origines,
Bouillon viscéral
Des Premières Nations
De culture
Du Pays Wendake;
Tes berçeuses d’allégresse
De jour et de nuit,
Fidèles à ta Cosmogonie,
Voleront à jamais
Des moments magiques
Dans la Mémoire Vivante
Du visiteur avéré d’un instant,
Captivant son coeur avisé
Pour n’être seulement
Que Complice d’un Jour
De ton Eternelle Quiétude.
Ô KABIR KOUBA,
JOYAU IMMORTEL
De l’UNIVERSEL !
«
Autochtones d’ici ou d’Ailleurs,
Partageons Ensemble la Grandeur d’Âme
De nos Territoires Autochtones pour
Préserver notre AUTOCHTONITE »
65
Littérama’ohi N° 17
Christine Sioui Wawanaloath
LE SPECTACLE
DU CLAN DES OISEAUX
Kwé,
Je suis Christine Sioui Wawanoloath. Je suis née ici à Wendake.
Mon père était Huron-Wendat. Mais j’ai passé mon enfance à Odanak,
le village abénaki de ma mère, et les abénakis font partie de la grande
famille des Wabanakis.
Les Wabanakis, le Peuple du soleil levant, était composé de plusieurs groupes :
Les Mahrcans,
Les Massachusets,
Les Malécites,
Les Micmacs,
Les Missiquois,
Les Narragansetts,
Les Norridgewock,
Les Passamaquoddies,
Les Penobscots,
Les Sokokis,
Les Wampanoags,
Les Woronock et les Winooskis, pour ne nommer que quelques
unes
des centaines de peuplades qui occupaient le nord-est de l’Amé-
rique du Nord quand les Européens ont débarqué sur nos rives. Certains
peuples ont disparu ou ont été absorbés par d’autres peuples autochtones qui existent toujours.
Le territoire des Wabanakis inclut la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-
Brunswick, l’Ile du Prince Édouard, le Cap Breton, les états du Maine,
66
Dossier : Les poètes Amérindiens
du New Hampshire, du Vermont, du Massachusetts, du Connecticut et
de Rhodes Island. Et au Québec, la Gaspésie et le sud du Québec dans
la partie sud du St-Laurent jusqu’au lac Champlain.
On estime que les wabanakis habitent ces parties du monde depuis
au
moins 12000 ans.
Les traditions orales recèlent beaucoup d’informations importantes
qui nous éclairent sur le passage du temps, tel que la légende sur le
mammouth. Le mot qui décrivait ce mastodonte antique, qui a vécu en
Amérique du Nord, a été conservé chez les Pénobscots jusqu’à nos
jours. Joseph Nicolar, un aîné de cette nation, décédé en 1894, le nommait ‘Par-sar-do-kep-piart’.
Il décrivait l’animal en ces termes. « Son dos ressemblait à une demilune pourvue d’une très petite tête. Ses oreilles, grosses et minces pendaient de chaque côté. Ses yeux et sa bouche étaient menus, mais sa
lèvre supérieure était si longue qu’elle pouvait atteindre les plus hautes
branches des arbres. De plus, il avait deux longues cornes de chaque côté
de cette interminable truffe. Or cet animal géant a disparu il y a environ
12,000 ans. Mais on a conservé ce souvenir lointain dans une légende.
Quand l’Orchestre symphonique de Québec et l’Arsenal à musique
m’ont demandé d’écrire une histoire sur une rencontre entre le peuple de
cette terre et celle d’au-delà de la mer, j’ai voulu décrire un contact qui
aurait pu avoir lieu entre humains, animaux et personnages légendaires.
Le Clan des oiseaux est un peuple fictif de culture Wabanakise. Ses
membres habitent à l’embouchure d’un grand fleuve. J’ai situé le lieu géo-
graphique en haute Gaspésie, aux alentours du parc national de Forillon.
Les personnages légendaires font tous partie de la tradition mytholo-
gique des Wabanakis. Michabo, une divinité solaire, avait recréé le monde
après le déluge et était considéré comme l’ancêtre des humains. En tant que
héros culturel, il leur a enseigné comment survivre et vivre dans ce monde.
67
Littérama ’ohi N° 17
Christine Sioui Wawanaloath
Michabo est sage et extravagant. Il peut transformer son apparence
à sa guise. On appelle ce genre de héros mythique un « trickster » qu’on
pourrait traduire par «farceur», «fripon divin» ou «filou». Il fait des tours
pendables et se fait aider dans ses entreprises par des forces de la nature telles que le tonnerre, les éclairs et d’autres animaux mythiques aux
grands pouvoirs. Bref, c’est un perturbateur hautement qualifié et un
empêcheur de tourner en rond de la pire espèce.
Le capitaine et les matelots sont également fictifs, mais ils ont été
inspirés par des événements véridiques. Tout le monde sait que Jacques
Cartier avait cru avoir trouvé de l’or et des diamant en voyant scintiller le
cap que l’on appelle aujourd’hui le Cap Diamant. C’est que, croyant avoir
trouvé de l’or et des diamants, il avait rapporter quelques spécimens en
France, mais il s’avéra que ce n’était que de la pyrite de fer et du quartz...
d’où le nom de Cap Diamant en souvenir de cette erreur historique.
Les gens du Clan des oiseaux s’identifient à des volatiles parce
qu’ils ont calqué leur mode de vie sur celui des oiseaux. Ils construisent
leurs habitations en rond, comme des nids, et apprennent dès leur plus
tendre enfance à siffler comme les oiseaux, et cela dans toutes les ex-
pressions aviaires connues sur leur territoire. Ils observent un tabou
sacré, « ne jamais tuer un oiseau », à moins de subir une famine tragique qui les forcerait à devoir se nourrir de la chair d’oiseaux. Mais ces
derniers auraient été dûment sollicités et seraient remerciés par des actions de grâce par respect pour les oiseaux sacrifiés.
L’histoire commence par le songe prophétique d’un jeune homme.
Il rêve qu’il voyage sur un oiseau géant. Cependant, Michabo veut l’avertir que des étrangers arrivent sur la mer et sème le rêve du jeune homme
d’étranges formes pointues qui répugnent au jeune homme. Le matin
suivant, il voit une embarcation à voile se diriger vers la plage.
Les gens du Clan des oiseaux reçoivent les voyageurs qui sont les
bienvenus, nourris et fêtés. Lorsqu’ils repartent, deux jeunes gens leur
68
Dossier : Les poètes Amérindiens
demandent de les emmener. Ils veulent voyager sur le grand bateau pour
voir les merveilles de la nature qui se trouvent au loin.
Cependant, Michabo est inquiet. La venue des étrangers est un
mauvais présage. Il entreprend donc de harceler le capitaine, qu’il sait
malintentionné et cupide. Un jour, les marins voient briller un cap rocheux
et croient qu’il est fait en or. Ils débarquent pour charger le navire de ce
minerai précieux. Mais avant, ils en profitent pour chasser du gibier.
Le capitaine transporte une sorte de long bâton dont les jeunes du
Clan des oiseaux ne connaissent pas l’utilisation. En voulant les im-
pressionner, le capitaine fait feu et tue un oiseau qui passait par là. Les
jeunes gens, terrorisés par le crime atroce, s’enfuient aussitôt. La colère
de Michabo est extrême. Il fait trembler la terre et les marins s’égarent
quelque temps dans la forêt. Les jeunes gens reviennent au village et racontent les événements des derniers jours passés en compagnie des
étrangers.
Les marins, qui ont retrouvé la piste qui mène au fleuve, ont trans-
porté des morceaux de pierre sur le bateau et s’apprêtent au retour dans
leur pays. Michabo, toujours égal à lui-même, provoque une tempête et
se change en monstre nautique pour les effrayer tout à fait. Les marins,
superstitieux, croient que la nature se venge sur eux pour avoir dérobé
les pierres précieuses du cap. Ils les jettent à l’eau. Mais la tempête
continue de faire rage et les accompagnent jusqu’à l’embouchure du
fleuve. Elle s’arrête lorsqu’ils prennent la mer.
Quand les gens du Clan des oiseaux les voient passer, ils se réjouissent de les voir partir. Mais une vieille sage les prévient que ces
étrangers reviendront sûrement et qu'ils devront coexister avec eux. Elle
ajoute cependant que leur clan et leurs descendants continueront toujours à chanter avec les oiseaux.
Bon spectacle !
69
Littérama’ohi N°17
Christine Sioui Wawanaloath
Près de la rivière Kabir Kouba
Pour Luc Camoui
Elle est impétueuse, filant sur un chemin de pierres pour aller plonger,
plus loin, de son tremplin antédiluvien.
Elle a souri à tous les poètes, à tous les peintres et à tous les passionnés.
Les moulins à papier et à scie se sont écroulés.
Elle demeure.
Comment chiffrer ses anniversaires; en milliers, en millions ou en
milliards d’années?
Non, quand on est si vieux, on n’a plus d’âge. On renaît simplement tous
les jours.
70
Departure
Voici que nous nous sommes quittés
Espéré de rêves inoubliés
Que nous sommes devenus
Divin de beauté
Parmi les grands crus
De notre beauté oubliée de grand vu
Avec de grandes écritures
Toujours espéré de gratitude
Pour oublier de quitter ce lieu
Toujours inconnu
La traverse
Ajoutant le fait que la mer me façonne la terre
De façon émergeant d’écriture
Pour façonner l’écriture
Prêt a divaguer
Plus grand qu’un ouragan
Détruisant son passage
Réussir de mer et de terre
Toujours inconnu
Incroyablement courageux
Que je suis devenu
Je suis écrit de vous aveux
Sur notre terre engloutie d’histoire invaincu
Car nous avons convaincu terre et mer
De façon d’exprimer de notre aptitude
De pouvoir contester cette terre
Qui nous appartient
Qui nous appartenait
Nous sommes de nations divins
Toujours inconnu
Littérama’ohi N°17
Rita Mestokoscho
Le bonheur vu de face
Petit soleil
vit un jour en rêve
la face cachée de la lune
Il dit tout bas
qu’elle est belle
la lumière dans tes yeux.
Cette lumière rayonne
dans le désert tel un mirage
Cette même lumière brille
au dessus des
montagnes enneigées.
Quand elle s’illumine en automne
elle accroche tous les coeurs des poètes
des grands coins de terre.
“
Dessous la pluie
je vous écris
un retour à la
vie
bien remplie... “
“L’automne est là
dirait mon père
Soyons heureux
pour ceux qui vont partir. ”
“Accueillons ceux qui arrivent
embrassons ceux que nous aimons
Respectons les autres
Parlons de nous-mêmes. ”
72
séphine Bacon
Poèmes bilingues : innu, français
Nimishat, nutin,
Nimishat, nutin,
Mes sœurs
shatshitauat assinu
caressent une terre
uapitsheushkamiku mak massekushkamiku.
Nimishat, nutin, shatshitauat
anite ka pimikaut shipu,
anite ka pimikaut shakaikan,
minaiku uitamuepan nutauia.
de lichens et de mousses
Ninan apu mitshetiat
Nous sommes rares
les quatre vents
de rivières et de lacs,
là où les épinettes blanches
ont parlé à mon père.
nuenutishinan
nous sommes riches
miam assi
comme la terre,
nipuamunan.
nous rêvons.
Ninitau-mashinaitshen
J’ai su écrire en lisant
uet tshi tshitapataman
le Tshishe-Manitu des missels.
Tshishe Manitu utaiamieu-mashinaikan.
Je n’étais pas esclave,
Nitipenimitishuti eshku eka
Dieu a fait de moi son esclave.
Tshishe-Manitu tipenimit.
J’ai cru, j’ai chanté ses louanges.
Nitapueten état nitaiamieu-nikamututuau.
Indien donc indigne,
Nitinnuti anutshish
je crois en Dieu.
Dieu appartient aux Blancs.
nitapuetuau Tshishe-Manitu.
Kauapishiht nenua
Je suis sédentaire.
Utshishe-manitumuaua.
Apu aiatshian.
73
Littérama’ohi N°17
Joséphine Bacon
Nipaii
Tue-moi
manenitamani nitassi
si je manque de respect à ma terre
Nipaii
manenimakau
Tue-moi
nitaueshishimat
si je manque de respect à mes animaux
Nipaii
Tue-moi
eka tshituiani
si je reste silencieuse
manenimakanitaui
quand on manque de respect
à mon peuple
nitinnimat
Extraits du recueil Bâtons à message,
Tshissinuatshitakana
Mémoire d’encrier, 2009
Poème inédit
J’ai dormi
sans sommeil
veillant ton corps
meurtri par une bataille
absente ton rire
m’a échappé
cette nuit toute blanche
je me trouve devant toi
dans un silence
douloureux
qui te supplie.
74
Amoureuse d’un souffle qui se prolonge d’une rive à l’autre, d’une
langue à l’autre, d’une culture à l’autre, Laure Morali reste suspendue à la
respiration des lieux et aux lèvres des anciens, lorsqu’elles prononcent des
mots presque disparus, dont le souffle nous transporte au cœur des choses
qu’elles nomment. Peut-on passer sa vie à chercher un son qu’on n’a jamais entendu et qui pourtant nous manque ? Seule la poésie lui permet
d’approcher ce son et de combler ce manque. Ses récits et son recueil de
poèmes, La mer à la porte, La route des vents et La terre cet animal (La
Part commune, 2001, 2002 et Mémoire d’encrier, 2003) forment une trilogie d’eau, d’air et de terre, en route vers le feu. Laure Morali vit à Montréal
où elle a dirigé Aimititau ! Parlons-nous ! (Mémoire d’encrier, 2008), un livre
de correspondances entre écrivains Amérindiens et Québécois.
Poèmes
Je porte un lourd fardeau,
et pourtant
c’est un poussin d’or
que je porte sur le dos.
Izli
de fiançailles amazighes
* * *
Ma grand-mère me dit :
«
Tu as gardé la lumière
du regard de mon père
qui faisait boire les étoiles
avec ses frères chaouis
dans la nuit des Aurès
à l’eau de leur voix. »
75
Littérama’ohi N°17
Laure Morali
J’ai été couvée sous les plumes
de grand-mère paon,
loin des fontaines chaudes de Khenshela
et de l’odeur du lait qu’elle barattait
dans la ferme de son père
Lazare, fils de Taous
et d’Anania.
Lazare devait parler le tamazight
comme sa
mère paon.
Le bracelet à têtes de serpent
que m’a offert sa fille
en souvenir de sa terre
enserre
notre mémoire enfouie.
* * *
Je te regarde respirer dans ton sommeil
ta peau forme des vagues
grand-mère paon
la chair a fondu pour laisser passer
la lumière
la douleur a poli
ta main douce
je la tiens
c’est à mon tour
de te faire traverser
76
Dossier : Les poètes Amérindiens
bientôt
d’où tu me verras
ce sera moi
le fantôme, et toi
la femme épanouie dans la roue
de l’univers
Je pense à la mort comme une fleur
sent l’odeur de la terre
se propager
dans ses veines de bois
Le monde est un coquelicot
transparent au soleil
pour lequel son sang bat.
* * *
«
Le sang a son message »
me dit
OmarTaous,
le poète.
À “vous 5"....
en souvenir de
Goulmina et de nos partages...
Nous guérissons dans l’amour des poèmes
autour d’un thé à la menthe à chaude
voix, nous partageons le monde
sous les peaux
des chèvres noires
Les absents nous rejoignent
dans l’alphabet secret
des tapis brodés.
77
Littérama’ohi N°17
Laure Morali
*
Tamazight
Femme terre
au corps
écrit
dont vous savez lire
les plus intimes poèmes
sur la hanche de
Tamazgha
où poussent des fleurs de neige
où filent des sabliers de vent
à travers les métiers à tisser
la laine des moutons.
* * *
Azul
Tamazgha
50 ans ont passé
qui m’ont paru 500
depuis que nos milliers
d’histoires communes
ont été balayées
comme on
balaie les hommes
Tamazgha
Azul
je ne te pleurais pas
je n’avais pas de larmes
je ne te désirais pas
ni même t’espérais
78
Dossier : Les poètes Amérindiens
tu avais tout simplement
été effacée de mon père,
de sa mémoire, de sa langue
et de l’endroit de l’âme
que nourrit la terre.
*
Tamazgha,
dans le sable, cette nuit
j'avance
en
toi, un tambour
à la main
je déterre
le soleil
de notre mémoire
il monte secrètement
derrière les nuages
je le sens
brûler la mort au passage
de mon chant.
Azul
Terre de mes ancêtres,
je te rapporte
le souffle de ta fille
Azul
Soleil des anciens
79
Littérama’ohi N° 17
Laure Morali
que mon grand-père
a
déjà rejoint
Azul mon grand-père
Azul ma grand-mère
Azul Tafuyt
Soleil lève-toi
Azul Tamazhgha
Ma grand-mère sort de ma bouche
Reçois l’âme de ta fille
*
Tanmirt Tamazgha
j’ai retrouvé mon peuple
j’ai retrouvé ma joie
j’ai retrouvé mes larmes
80
Iha Oudadess
Azagharfar en printemps
Longchamp, c’est ici ;
Almou Aghezzaf.
Les cerisiers en fleur ;
Les bourgeons, les feuilles,
Tout en couleur.
A l’horizon, comme écho,
Sur les cimes, de la neige ;
Azur et nuages.
Le regard, en grand, baigné ;
Le vert, tes nuances.
Le soleil sympathique, généreux,
Sème, à tout va, le réveil.
Des oiseaux, des sons doux,
Des insectes,
Tendrement, bercent l’oreille.
Senteurs discrètes et moult
Chatouillent les narines.
La brise légère,
De fraîcheur, fouette le visage.
Je lis et relis,
Je savoure, quelques vers.
René-Jean Devatine,
Ses dunes et ses pierres ;
La terre cet animal,
De Laure Morali.
M’est souvenir, de Rabat,
Littérama’ohi N°17
Hha Oudadess
La pirogue de pierre
De Flora Devatine.
Du lieu-dit de l’Atlas,
Intimes escapades,
Du Brésil à l’Algérie ;
De pays à pays.
Confidences et confidence ;
Le manque sublimé ;
Le message de la vie.
Respire le moment de grâce !
Ecoute le langage de l’univers ;
Ecoute le silence.
La nuit d’Azaghafar
Eté comme automne,
Hiver ou printemps,
Des palabres durant des heures ;
Des lustres de palabres.
D’ici, d’ailleurs,
De nulle part ;
Chacun son histoire,
Sa raison ou son cœur.
L’être du terroir,
L’écrivain, le poète,
Le techno, l’intello ;
Et ça parle et ça vit ;
82
Dossier : Les poètes Amazighs
A bas les frontières.
Pardon, le passager ;
Ton nom, j’ai oublié
Mais pas ton empreinte.
Que de mots,
Que d’idées,
Jetés à l’avenant !
Tels des Tsunamis,
Charrient le cachottier.
Surpris, il se révèle
Aux geintes inconnues.
Le fluide des Abehri,
La
prestance d’Azaykou,
Husa, les Khadaoui,
Tasos le maître Zen ;
Et aussi moult Pathos.
Et...
De la fange à l’éther,
Du ciel au terre-à-terre.
C’est Azagharfar, la nuit.
Le message ?
A qui sait le sentir, le sait.
L’hôte ?
Son accueil ; béat le sourire ;
Le rire de tonnerre.
Pense-il ?
Que sais-je ?
Mais le cœur ouvert,
Aux invites de l’univers.
83
Littérama ’ohi N°17
Nadia Chafik
A toi, amant de mon sommeil...
Oui, je le veux... ! A l’ombre des cèdres, je le veux ! Aux reflets des lacs et
aux éclats de lune.
Mais... sauras-tu abattre les nuages ?
Sauras-tu vaincre les distances pour te joindre aux périples d’une « Petite fille
du soleil » ?
Je te sais fort et téméraire...
Mais sauras-tu lire à la lumière de mes silences, le murmure des rivières,
l’écho des montagnes, le cri du désert et le rire des oasis... ?
Si tu puis tout cela, viens te joindre à moi,
Viens, je guiderai tes pas.
Sur la plaine d’Ytto, je dresserai notre tente de noces et nous y rêverons.
Je te raconterai Carthage, je t’offrirai Constantinople et...
Même Rome s’il le faut !
Je te promets tout cela, et plus encore, si tu sais lire que dans l’ombre de mes
mots, que dans la pâleur de mes yeux et le miel de mes cheveux,
Jamais, tu ne m’enfermeras, entre tes mains, sans risque d’y laisser les couleurs irisées de ma peau.
Mais, dis-moi, au fait, à quelle adresse m’écriras-tu ? car vois-tu,
2915, Edouard Montpetit
M7N 1G5 Montréal (Québec)
Canada
est une adresse erronée depuis des années lumières.
Et, dans ma contrée aux lointains horizons, le courriel est un majestueux dromadaire qui prendra tout le temps de l’univers pour me remettre tes colombes
d’amour.
84
Dans la palmeraie paisible et innocente
Poème I
Le faucon tournoie dans le ciel de Merzouga
au dessous
un sable
rougeâtre
parsemé de personnes venues d’ici et
d’ailleurs
Entre le faucon et le sable
une histoire d’amour née à Wendake
il y a de cela longtemps
très longtemps
Le sable sait que le faucon l’aime
Le faucon sait que le sable ne l’aime pas
Et pourtant il ne cessera jamais de vibrer
Un jour il y eut une telle tempête
que le sable risqua d’être emporté à jamais
Alors pour la première fois
il eut un regard de tendresse pour le faucon
Le rapace tressaillit si fort que la tempête prit peur
Elle s’éloigna si vite que la pluie plaqua au sol
le sable qui
pour la première fois
pleura de ce bonheur pantois
plus beau car plus propre
plus vivant car aimant
encore plus humain qu’animal
encore
encore
encore la preuve
que l'amour est éternel
85
Littérama’ohi N°17
Ali Khadaoui
Poème II
Dans la palmeraie paisible et insouciante
Un mirage s’est posé sur l'eau de la rivière
Et
Sur le sable
par des mains invisibles
se sont écrits
mes rêves...
pour toi
Aujourd’hui
Plus rien
Même la dune sublime a disparu...
L’ange aux cheveux crépis
L’ange qui allait vers le sud...
Ce doux souvenir
au
milieu du tambourin
dans un moulin d’eau
dans la patrie des amazigh
L’ange de l’amour
s'approche de la lune
Il la prend par le bras
lui montre la terre
des poussières de lumière
et une âme à la dérive...
Poème III
Partie embaumer le désert
Une lumière divine
sur un chameau
dans une dune ocre d’avoir trop pleuré
un soir de Mars
86
...
Dossier : Les poètes Amazighs
Elle défie les siècles
pour retrouver l’erreur
quelque part
dans les yeux des inconnus...
Elle hante mes rêves depuis
que je ne sais plus
qui je suis...à Wendake...
Le lendemain
au matin
il n y avait plus de traces
sur le sable...
Mais dans mon cœur
Etaient gravées à jamais
les empruntes odorantes
les mots fétiches
esquissées à Wendake
à Montréal...
Je suis tour à tour
Rita
Joséphine
Rodeney
Flora
Et tous les autres
Comme par magie
sur le sable ocre
d’avoir trop pleuré...
Ton parfum
embaumera le ciel
de Tamazgha
pour l’étémité...
87
Littérama’ohi N°17
Ali Khadaoui
Poème IV
Il est déjà nuit
et mille cierges sont allumés
dans le tambourin
sentant le tara
qui a paralysé mon cœur d’adolescent
prisonnier d’un corps de
vieux...
Est-ce un crime que d’aimer ?
Le chant s’est évaporé
tenue
comme une promesse non
Le chant qui disait :
Amarg amarg a y amarg a y amarg
Ul inw ul inw a y ul inw ak
iraaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaan
Je comprends mieux maintenant
Les fameux vers de Vigny
«
Que me font ces vallons ces coteaux
ces collines
Vains objets dont pour moi le charme
s’est envolé
Un seul être vous manque
Et tout est dépeuplé ».
* * *
88
Dossier : Les poètes Amazighs
Poème V
J’aurais aimé être un mirage
une
une
graine de blé
poésie
qui pousse et meurt
comme les traces sur le sable du désert...
Ce soir de Mars à Marzouga...
Le sable se rappellera
de moi tout tremblant...
* * *
Poème VI
En fait
J’écris pour fuir ou
au moins
explorer
ce mystère que je suis...
Sable,
Rivière désert caravane
Mirage des siècles et des larmes
des enfants
des regards
des horizons,
des troubadours...
Le poème
La lumière
Ce vent
Mémoire des filles
avec l’onde
des nuages
89
Littérama ’ohi N° 17
Ali Khadaoui
Izlan (chants)
Ce parfum
De tiwirga (rêves)
Des izuran (racines)
Asghurd n tiwtmin (youyou des femmes)
en pleine lune
avec des étoiles complices
et des astres silencieux...
L’oralité
Le silence de l’océan
L’irrigation frayeur
La brise cet âge absence
puissance blanche
rituel ivre
angoisse de l’étranger....
Le temps
muet
est mort sur une plage
une libellule invisible sur le roseau
et la voix incolore
comme le ciel la nuit
le ventre de la terre
s’amuse à regarder l’homme
boire à sa coupe
de mouche et de blanc
le hasard n’y est pour rien
il poise juste pour l’éternité
Mieux
la platitude comme être sans projet aucun ?
Terrible
Cela s’adresse plutôt aux femmes qu’aux hommes
Aux femmes que les religions ont broyées
dans le bonheur et l’horreur de l’enfantement...
90
Dossier : Les poètes Amazighs
L’épée de l’homme adulte
La paix du vieillard
Jusqu’à la prochaine guerre...
Et moi je crie :
Laissez les oiseaux chanter !!!
L’homme derrière le masque
Juste avant l’aube
Dépose devant l’autel de l’éternité...
Contre les crimes réunis de l’Occident et de l’Orient...
J’ai des cœurs dans la tête
et des
papillons
dans le cœur
Ainsi parla une jeune fille de 7 ans
Amoureuse d’un garçon de
8 ans !
Le jour s’est levé car c'est le moment
De revoir l’homme dans la maison
Il faut habiter ses mots
Rien ne justifie les conquérants,
Les massacres
L’argent
Le meurtre
L’horreur du vide
91
Littérama ’ohi N°17
Ali Khadaoui
Et l’aurore
Ce sera la renaissance des autochtonies
Un échange d’espoir
Contre le mur
Un heureux destin par la rédemption
Le bonheur
Quoi !
Poème VII
Mais
Ceux qui savent
Savent
que ces larmes se versent
sans ma volonté...
Ceux qui ont expérimenté l’amour
savent
que personne ne peut endurer
l’absence de l’être
aimé
«
Tu m’as dit
Jamais nous ne nous séparerons
Et ma vie a été longue pour voir
Que tu m’as quitté ! »
La solitude
La nostalgie
Les chemins...
92
Dossier : Les poètes Amazighs
En fait
Cette musique terrible
continue
Qui crie
au secours
Qui se lamente
se torture
tel un serpent dont on a coupé la tête
Cette musique
céleste
qui crie
O cœur
O cœur
Tu n’as pas d’âge...
Poème VIII
Sur les dunes ocres d’avoir trop pleuré
mon cœur s'étale
comme les
pétales
des roses autochtones
afin que tes pieds le foulent
et sentent à quel point
il fait froid
sur le sable
la nuit...
93
Littérama’ohi N°17
Ali Khadaoui
Ali Khadaoui est né en 1953 à Ait Qassou près d’Ajdir au Moyen
Atlas. Il a fait ses études primaires dans l’école du village avant de re-
joindre le fameux collège berbère, devenu après l’indépendance du
Maroc, lycée Tarik Ibn Ziad. Après son baccalauréat de lettres modernes
en 1972, et une formation de deux années au Centre pédagogique régional de Meknès, il enseigne le français au collège Sakhr à Azrou, puis
au lycée Mimosa à Kénitra. Après deux années de formation, il occupe
un poste à l’inspection académique à Kénitra de 1987 à 2001, exception
faite d’une année où il est au Bahrein.
Voulant comprendre davantage sa culture amazighe, il s’inscrit à
l’université de Paul Valéry de Montpellier pour préparer un DEA en an-
thropologie qu’il obtient en 1985.
Après le Manifeste amazigh de Mohamed Chafik, publié le 1er mars
2000, et qui résume l’essentiel des doléances amazighes, l’État marocain a décidé de mettre sur pied l’Institut royale de la culture amazighe
(IRCAM), où il a été nommé par deux fois, mais n’y est resté que 3 ans
en signe de protestation contre les multiples barrières dressées par le
gouvernement marocain contre une promotion réelle et concrète de
l’amazighité dans ses différentes expressions. Il a publié :
Taânassart: un rite agropastoral chez les Imazighen du Moyen
-
Atlas, mémoire de D.E.A, 1985.
-Anthologie des Poètes amazighs du Moyen Atlas, 1996.
Étude critique en langue amazighe de la nouvelle, Tasardunt tas-
fazzat d’Ahmed Haddachi, 1998
-
La poésie amazighe et la résistance armée dans les Atlas.
L’histoire de la résistance armée dans les Atlas, racontée par la
poésie, Centre d’études historiques et environnementales, IRCAM, 2004,
-
Rabat.
-
Mémoire et tissage au Moyen Atlas, centre des Études anthro-
pologiques et sociologiques, IRCAM, 2004.
L’art amazigh, 2005.
-
94
Prière
Sombre passé
aux incessants fouets
glaciaux
sur la face d'une mémoire blessée,
en mille vagues à conjuguer
criant leur faim aux impures certitudes -
-
arrête les pas de ta terre,
élus indomptables en ces blancheurs des jours,
là où mes semelles d’argile s’effacent !
Prière, Ô sombre passé,
sur mes fronts
refais encore surface !
Sentence de magot
Griffe habile sur 10h
J’arracherai
Dit-il à la passante
De cette terre qui tourne
Les aiguilles de mon horaire de vos montres débiles
Quand les fours auront des mots
pour relire votre histoire de l’homme
Et quand vos encres ajusteront
Incertaines
irréelles
leur débit au froid d’I hiver
 la lumière du tronc centenaire
Alors je saurai vous dire un soir d’hiver
Si rien n’est fait
Quelle heure est-il
Et vous n’aurez ainsi
Fortuitement
Littérama’ohi N°17
Ali Iken
Au terme de ma parole
Jamais virtuellement besoin de temps
Le long de vos voyages
Mes dons ! Disait un soir le roi
Au palais d’un museau de loup
la clé d’or
messieurs mesdames passe-partout
personne ne peut s’en servir
qu’un clown hagard
bavard
aux bizarres manies
pouvant tel un speed d’acrobate
ne pas toucher de ses pieds
ni de ses mains
le sol,
faire ses galipettes
ses
parodies
à quelques petits mètres du nez de son maître
chantant
valsant d’amour pour son roi
bachi-bouzouk entre ses doigts
de gauche
dans sa main droite
des rires fous et sages
froncer des cils
des sourcils
du cul
ou des
paupières
ça je n’aime pas
sachez-le !
96
Dossier : Les poètes Amazighs
Ni s’habiller d’un pantalon chic aux mille couleurs
ou avoir sur le nez un
bijou piercing
ou une tête d’abricot
présent je le veux toujours en l’air
sans couleurs
figure assassine
le clown
sans odeurs
!
Jamais les pieds sur terre
Y a t-il quelqu’un parmi vous ?
Qu’il avance vers mes dents ; tout le sabre est là !
disait un soir le roi.
« Je suis marocain
amazighophone, enseignant au lycée Sijilmassa à Errachidia, chef-lieu de
la région de Tafilalet... Né un certain 15 novembre de l’année “La vache Noire“ ! d'une famille de pay-
sans, dans la commune de Tidjit, un villagè minier de la
province de Figuig.
J'ai reçu le premier prix Mouloud Mammeri en 1995 avec une mention spéciale décernée par
“la fédération nationale des associations amazighes", à Tizi Ouzou pour le premier roman écrit en
amazigh, “asekkifnyinzadn", “soupe de poils".
« Première
publication en 2004 du Centre des Etudes Artistiques, des Expressions Littéraires et
de la Production Audiovisuelle (CTAELPA) de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), dans la
série « créations », “asekkif n y inzadn“ est un roman (ungal en amazigh) qui a pour toile de fond les
événements historiques de 1973 dont les villages de Khénifra, Goulmima, Rich et Moulay Bouâzza ont
servi de théâtre. Il se présente sous forme d’un journal, celui d’un des trois principaux personnages du
roman, Aqqa. Un lettré qui raconte ses espoirs et ses désillusions, et qui, après l’échec de la rébellion,
se réfugie chez un poète à Boumia avant de quitter le territoire national. Le roman est également une
investigation fructueuse d’une forme d’écriture susceptible de permettre à la langue amazighe de s’inscrire, aux niveaux thématique et formel, dans la modernité., .dans une langue accessible, compréhensible de tous et transcendant les clivages et les variations de la langue amazighe. »
J'ai publié dans plus d'une quinzaine de revues et de journaux marocains et algériens des
poèmes, des contes, des nouvelles, des traductions et des articles journalistiques.
des « poèmes germés au lait lunaire » (6) ; des « graines de haikus cuites au soleil » (7) ; des
traductions de Paul Verlaine, de Victor Hugo, de René Char, de Paul Eluard (« Derniers
poèmes d’amour » sur le site d’Émilie Codaire)
J’étais invité de la radio amazighe à quatre ou cinq reprises pour participer à des émissions
sur la poésie amazighe.
Dans la toile poétique, je suis accroché à francopolis.net, à expression 9, à mondeberbere.com.et
à Terre à ciel »
97
Littérama ’ohi N°17
Farid Mohamed Zalhoud
DReenvéa-Jtina
Ph:oto
Noël à la Presque-île
Frêle embarcation
Je suis le cygne
Et suis le signe
De l’imprécation
Plus jamais la neige n’aura
Cette immaculée aura
Farid Mohamed Zalhoud est un poète (amazigh et français), peintre
et sculpteur, professeur de langue française. Il a obtenu plusieurs prix
littéraires dont le prix Saïd Sifaw (1997) ; le prix du jeune créateur du
Grand prix international Abdelkrim Khattabi (2000), le prix Tamaynut
(2001). Il a composé une trilogie poétique en amazigh intitulée : Imerruyen, takad, ighd (Étincelles, feu, cendres) . Parole de paria est son
premier recueil en français
98
HHSESKSEEM
LE MYSTÈRE DES CHANTS AMAZIGHS
AU FÉMININ
Aujourd’hui à Tadighoust - le moyen Ghriss au sud-est du Maroc cohabitent des femmes de tout âge par assentiment. Les plus antiques
sont celles qui ne sont plus qualifiées d’aller fignoler, accroupies dans
les champs de Sighnis, pour cueillir deux fois par jour avec leurs ser-
pettes la luzerne sustentant le bétail. Elles restent donc à Ighrem (le
bourg) et ne sortent la plupart du temps que sur le seuil des portes. Assises, esseulées sur un vieux coussin à l’ombre ou au soleil ; c’est selon
la saison. Elles frottent, presque par impulsion, leurs pieds enflés, et qui
ont enfilé rarement des babouches dans des occasions de mariages notamment. Bien que souvent presque aveugles et sourdes, et leurs genoux déclinent de fléchir, elles rendent visite des fois à des voisines de
leur âge. Elles se regroupent à quatre ou plus, assises sur des nattes
(Agertil) étendues sur le sol. Une compagnie recherchée et convoitée
car elle leur permet de remonter le temps, le long d'une vie
impitoyable
à Tadighoust dans des Igherman (des bourgs) : à Aourir, à Mou, à Lhart,
ou à Tazgitt. De leur génération de huitantagénaires, il reste plus de
femmes que d’hommes ; alors qu’elles ont beaucoup plus peiné dans
leur existence. Pour elles, les maris, ces compagnons de toujours font
désormais partie intégrante de leur passé éteint. Malgré des remarques
ironiques et à peine voilées des jeunes, elles se rendent de temps à autre
aux cimetières pour des pèlerinages de nostalgies.
Ne connaissant évidement que leur langue Tamazighet, elles s’affirment toujours dans leur identité avec une belle assurance. Elles ne
partagent aucunement les orientations prises par la société actuelle,
elles, qui régnaient dans leurs maisons en matrones. Elles réalisent
maintenant, et pleinement, qu’elles étaient tout simplement le pivot des
activités. Ce sont elles qui travaillaient, d’abord chez leurs parents et ensuite dans leurs foyers, à l’intérieur comme à l’extérieur des maisons.
Elles ont coupé la luzerne matin et soir, récoltaient l’orge, le blé, les
99
Littérama ’ohi N° 17
Zaïd Ouchna
olives, les dattes sous toutes leurs cuissons, les cannes de maïs, les
galles de tamaris (takwut), le travail de pilon (azduz), la meule (azreg),
le transport des fardeaux sur le dos (Azeddam de 30 à 60kg) avec des
cordes qu’elles ont elles-mêmes tressées et qui ne les ont jamais quittées. Elles faisaient le tissage des couvertures (Ahendir) et des burnous
(Azennar, Abizar,). La corvée des eaux, les ménages et les cuisines
étaient leurs besognes exclusives. Elles ont pérennisé les traditions séculaires, elles ont élevé des hommes et des femmes. Elles étaient des
mères nourricières.
Maintenant, ce sont leurs chants qui leur rappellent leurs exploits,
chaque tâche est accompagnée par une cantilène propre à la besogne. Travailler en émettant des suites de sons modulés et assortis de
l’exercice, chez les hommes d’une part et principalement chez les
femmes de l’autre, est une singularité du peuple Amazighe selon mes
connaissances. C’est pourquoi toute cette panoplie de vers, de poèmes,
de sons, d’izli, de tamawayt, et des chants pratiqués comme rites et différents les uns des autres ne peuvent pas être véhiculés par le seul mot
car ici
orphelin français «poésie ». Dans ce genre de cas, une langue ne peut
pas transmettre ce qu’elle n’a pas. Ce serait trop demandé au mot «poésie » de signifier à la fois toutes les spécifiés Amazighs qui n’existent pas
dans la civilisation française comme pour exemple seulement: Izli, Tamawayt, Tagezzumt, Ubuy n Ighef, warru, baybL.etc.
Chaque tâche donc, aussi pénible soit-elle, est accompagnée par un
chant précis et dans un rythme propre. Une pratique qui remonte bien entendu à plusieurs siècles loin dans les profondeurs de la civilisation Ama-
'
zighe et donc africaine. Etant donné sa singularité, quoi de plus normal
que de se demander pourquoi ? La réponse à cette question, dans un tel
contexte ou le manque de l’argumentation palpable est, on n’en peut
plus, avéré ne peut être qu’une aventure. Mais, elle reste tout de même
incontournable si on aspire, réellement, à un quelconque avancement.
C’est en tout cas une version qui est mienne. Pour tenter de comprendre donc le pourquoi de ce mariage entre la mélodie et la besogne, je me
suis penché sur les caractéristiques de ces chants particulièrement
100
Dossier : Les poètes Amazighs
La parole
Les expressions dégagés des chants ne portent généralement pas
sur la tâche exercée directement.
Elles invoquent plutôt une résignation
lointaine ou un épilogue auquel elles se réfèrent. Elles s’appuient sur
l’utilité que pérennise la besogne. Elles s’inspirent également des idées
génitrices de la force intérieure pour faire perdurer l’endurance pendant
l’accomplissement des travaux. Ce qui nous amène donc à croire, certainement, que le but recherché de ces chants est d’apaiser la douleur
due aux tâches pénibles.
Le rythme
Les paroles mentionnées sont chantées dans des airs longs, illumi-
nés et rêveurs. Ils sont accrocheurs par leurs mélodies sacrées et mystifiées pour emmener le chanteur ou
l’auditeur loin de l’espace. En
respectant le rythme pendant l’ouvrage, la concentration se décale momentanément de l’exercice. Ce qui engendre un oubli substantiel de la
peine et de la douleur. C’est donc, à priori, une sorte de presbytère pour
se détacher et négliger les souffrances dues aux travaux dures. En guise
de conclusion, le chant pendant les travaux n’est pas une banalité ni une
coïncidence, mais une théorie pensée et utilisée pour mieux supporter
les peines.
Parmi ces chants nombreux, remarquables et authentiques, j’ai
choisi ici celui qui parle de la monotonie et des regrets pour rendre hommage à ces femmes qui ont toujours tenu compagnie à la souffrance le
long d’une vie. Il parle de leurs déceptions, de leur chagrin, de leur envie
et également du cœur. Ce chant est repris aux durs moments de la solitude et du vide particulièrement pour apaiser la misanthrope.
Je vous en traduis ses premiers vers :
Je vous annonce que je suis couverte par i’ombre des soucis
Seulement, je vais à l’encontre de mes adversaires par honneur
Oh ! Abraham je postule ta rescousse à ma meule
Ma source m’a lâché à la merci des donzelles
101
Littérama ’ohi N°17
Zaïd Ouchna
Je voudrais être le vent de l’ouest et je transhume
D’un pays à l’autre, jusqu’à ce que je trouve mon préféré
Je voudrais être migratrice une baguette à la main
Errante, je voyage jusqu’au beau pays
Ce n’est plus une déchirure, ou même deux, pour être cousues
Avec un fil, moi qui cherche à assembler une foi désagrégée
Je suis perchée entre ciel et terre
Je suis comme une balance je ne touche pas la terre
Si c’était Dieu ou le prophète, j’aurais sa clémence
Le maléfice reviendrait à l’intéressé sous sa tente
Si c’est Dieu qui
fait cela de ma destinée, j’admets,
Si c’est l’humain je le laisse à Dieu !
J’aurais aimé retirer de ses fixations
Mon omoplate pour découvrir ce qu’y est consigné !
Ce « poème », qui n’a pas de titre ou alors je n’ai pas réussi à le dé-
chiqueter, est consigné à Aourir (Sud-est du Maroc) par Marna Hmad
Outouhs le 16/9/1967.
Il lui a été transmis par sa mère Itto Hemmou, connue par ses belles
paroles dans les rites aux féminins.
C’est un chant repris aux moments des peines, dont le rythme est
mystérieux, par la junte féminine exclusivement.
Llah lâadim ar i-gan ighnan amalu
Ghes da ntteddu g mnid n laqwam ur rdigh
A sidna yebrahim i âewni taqerrut
Is i tezrid ayemma g ifassen n taytcin
A wa ayed iga rebbi d ssihl ar itteddu
Ar itsara g tmizar ar tenna ir’ wul
102
Dossier : Les poètes Amazighs
Awa ayd igan Ibuhali ttefen tamâratt
Ar itsara g tmizar ar tenna ir’ wul
Ur idd yan ucerrig ula dd sin ad tegnugh
S yighris a nekk igennun tasa iflin
Llligh ger yigenna d lhafet da ttelligh
Nekkin gigh amm Imizan ur nuwid akal
Mrid rebbi d nnabi is ghifi-yeâfa
lqqim-d lâar i bab-nnes iwt-as aqidun
Mek idd rebbi ayd agh-igan imki i wadu
Numn-is, idd bnadem nudjat i rebbi
Ul-innew ak i bbin igezzarn ak i flint
Tuzzalin, thubbad unna ur k irin
A yasmun-innew mi gigh awnul ad teddud
Allig da ttasigh izem s irbi ur nekkul
Ul-innew, ul-innew wadda t-yuwin
Ad agh-t-id-rarin, mek ugin ismun-agh nâach
A yaâdaw-innew tugey tawla a kwen tagh
Ula yattan, ad tejjujid ighsan i wakal
Allah rebbi a wadda righ mas i tesnuyd lajbal
Ad gnugigh urta righ Imut
lhuz-d umareg tabuqqalet, grin ibawen tighwelalin
Awa dda righ mani tekkid
Llah lâadim mer idd tattsa n igherman
Kkategh nnig Brahim Uâli aqidun
Awa kem i d-iksen ad am-isrey tikwesmin
A taghwrutt-innew, idd is am-yaru imki !
103
Littérama’ohi N° 17
René-Jean Devatine
Fanal
Ils n’étaient pas encore là.
Dressée, attentive, déjà là,
Guidant, évitant le mal
Etait l'Aïeule portant fanal.
Guérissant l’Esprit sombre,
Retardant l’instant fatal,
La Tribu vit dans l’ombre
De l’Aïeule portant fanal.
Construire et s’installer,
Se reconstruire et aller
Se blottir auprès de
L’Aïeule portant fanal.
Rendre hommage à la Tortue
Ça n’est jamais banal
Toujours elle éclairera la Tribu,
L’Aïeule portant fanal.
Clan a longtemps vécu
A tracé son canal
Sous la direction têtue
De l’Aïeule portant fanal.
La clarté partie, le sombre
Des fusils guidés par un fanal
Attendent le jour pour fondre
Sur l’Aïeule au Destin fatal.
Aïeule s’en est allée
Les rangs se sont serrés
Rien n’est jamais parachevé
Il faut donc s’associer.
104
Dossier : Les poètes du Fenua
Jamais de point final
Pour la nouvelle Aïeule
Bien seule,
Portant fanal.
Adirondack
Adirondack, nom étrange
Révélant un ailleurs passé
Contrée de diables ou d’anges
Sous la forêt camouflée.
D’où sortaient ces Indiens
Qui, à mocassins feutrés,
Arpentaient le méridien
Se glissant dans les fourrés ?
Ils chassaient ce qu’il fallait
Prélevant puis remerciaient
La prise offerte, la pâture
Pour faire paix avec Nature.
Adirondack, route tendue
Traçant chemin vers boréal
Joignant l’île de la Tortue
Au Saint-Laurent, fleuve principal.
En septembre, nature sauvage
Peuplée de vie, de ramage
Offre décor de nature domptée
Où chacun peut se promener.
Roule la voiture, serpente la route
Dans l’immensité insondable
Toponymie, histoire sèment le doute
Dans une flore de sapins et d’érables.
105
Littérama’ohi N°17
René-Jean Devatine
Paysage vert sombre d’été finissant
Torrents, chutes bondissantes, fleuves,
Erables explosant en or rougeoyant
Ecureuils affairés se meuvent.
Écrasé par la Nature immense
Le voyageur exalte la Terre
Et le sapin attend, tout en vert
Le tailleur qui livrera l’habit d’hiver
Gorges
Dans le secret des gorges
Dans les fonds d’oasis
Où se tapit l’orge
Le fruitier, la cerise
Le ksar monte la garde
Dans son ombre protectrice
Les compositions du barde
Font oeuvre civilisatrice.
Frapper de taille, d’estoc
Fols ceux qui s’engagent
Ils se heurteront au Roc
Des certitudes des Sages
Derrière la toub séculaire
Dans le Ksar imprenable
Par architecture millénaire
Bat un Cœur indomptable
Caché au plus profond
Sous la modestie des propos
Sous l’accueil bienveillant
Sous la sagesse quotidienne.
106
Dossier : Les poètes du Fenua
Cœur de Roc
Dans l’Atlas bat le cœur amazigh
C’est son refuge, c’est sa force
Inexpugnable territoire
Inexpugnable civilisation
Inexpugnable mémoire
Nul ne parvient à éviction
Nul n’a chassé Berbère
Fortifié dans son aire
Nul n’a noyé les Pères
Fils restés réfractaires
Le Temps n’a pas prise
Il a érigé, creusé
Labeur toujours de mise
Taillé à l’eau d’éternité
Djebel sabré, bousculé
Renversé, accentué.
Berbère têtu, accroché
Au Temps, modeste et vissé
Dans la sagesse du passé
Baignant l’oued des croyances
A l’écart de la banalité
Heureux de toute évidence.
107
Littérama’ohi N°17
Valérie Murat-Selam
Te terera’a o te ora
Ua ha’amata ho’i au
I tô’u orara’a
I roto i tô 'oe na ‘ôpû
A riro mai ai au
Ei tâo’a tahi ora
Mai te hô’ê piha
Mâ’imira’a ‘ihi tâo’a
Ua tupu ‘oia te reira
I te pitira’a noa
O tô’u ‘âva’e
I roto ia ‘oe
I oti ai tô’u mau mero faufa’a
I rotopû mau
E vai ai tô'u mâpê
E mâpê tîti’a toto
E mâpê fa’a’ore ta’ero
E te pape hau
Tô’u fa’anahora’a ivi
I te torura’a ia o te hepetoma
I te tupura’a mai
Ua tupu teie ‘ohipa mâere
I roto i tô ‘oe vaira’a tamari’i
Ma te ‘ore e ‘itehia
E te mata ta’ata nei
Tâua iti ana’e iho
E tô’u mâmâ here
108
Dossier : Les poètes du Fenua
Te taura e torn fenu
Te taura e toru fenu
Te hôho’a
0 te hô’ê ’ôro’a ta’a ‘ê
O te tâne te fenu mâtamua
O te vahiné te fenu piti
O tei firihia i te fenu o ropu
O vai ia teie fenu ?
Te fenu o rôpû o te Atua îa
E hôro’a te tâhô’era’a i te Atua
I te puai i te pae o te orara’a
I na ta’ata fa’aipoipo ‘âpî
No te fa’aruru i te mau fifi
O te mau mahana ato’a
109
Littérama’ohi N°17
Odile (Otira) Purue - Alfonsi
Mangareva
Ile de lumière ballottée au gré des vagues
Tu prends naissance dans le firmament de l’océan profond
Comme l’étoffe humectée de gouttes de pluie
Tu parais dans le souffle du vent du sud-est
Et déjà résonne le son mélodieux de ta langue
De tes légendes et de ta culture
Mangareva : Horizon du ciel et de la mer
Ile de nos ancêtres : Qui es-tu ?
Une montagne de granite au nom fleuri de reva
Une montagne de basalte flottante dans le néant de la nuit
Qui peut nous le dire ! Mais c’est sans importance...
Car le pouvoir divin a établi en ton âme un sentiment de paix
Ile fière et digne, à tes sommets s’élèvent
Manukau et Mokoto
Entourée d’un collier de coraux et de petites îles
Tu nous présentes le berceau de la famille royale
Rikitea ton village
Quand viennent les fines pluies au loin
Tu déclines les marques de la vie sereine
Les sentinelles du passé, gardiens des cols de montagne
Surveillaient les passages de tes sentiers
Ile renommée par ton lagon essaimé de nacres
Ta richesse fut convoitée, offerte dans la paume de la main
Ile de liberté, île de sagesse, île croyante
Tu as choisi de restaurer les œuvres Chrétiennes
Qui sont autant les cicatrices de l’époque d’antan
Mystique, belle par la clarté de la mer
110
Dossier : Les poètes du Fenua
Magareva
E kaiga turama i ’urigaru ’ia
Poike mai koe mei te tumuragi no te moana auriuri
Pe te ka’u ’i ve’ive’i 'ia e te matamataua
Ikei mai koe mei roto i te puagiagi o te maragai
Tekemo ‘akarorogo te tagi vinivini no ta koe reo
No ta koe utu atoga, e no ta koe pouga
Magareva0! Kaiga aroaroragi0! Kaiga tupuna0!
Ko ai koe0?
Maga verota ’i puapua ’ia te igoa o te reva ?
Maga ke’o ’i ’urike’urike ki te ao kore no te po°?
Na vai e takao mai ! E eaga meameanoa
Kua ’akano’o mai te kaoka Etua te airaga merie ki roto ia koe
Kaiga teitei e te ’ururoa, i ta koe mau pukoto e tu ana
Manukau e ko Mokoto
’Auraki mai te akau e ta koe utu nuku kia koe
'Akavaraka mai koe te kona no’oraga o te pu’akariki
Ko Rikitea ta koe punui
’la makavekave mai i te ’ata’ata
E ’akakite ana koe te ga’o no te ao merie
I garoatuara, te utu magaika tiaki ’itiga
E matiro ana te puta no ta koe utu 'atupapa
E kaiga vanaga ia no ta koe moana ’ioro
Koromi ’ia ta koe mamona, 'o atu roa ’ia ki roto i te kapurima
Kaiga kaiata’u - Kaiga koutu’aga - Kaiga kereto
Kua vae koe me mu’ani te ’aga ekeretia
Ko te utu kari no te tau te’ito
Manamana, me’ea nui koe no te ma’inatea o te tai
111
Littérama’ohi N°17
Odile (Otira) Purue - Alfonsi
Et par les couleurs diverses du sable
À ton apparition, tu ébranles et ravis l’étranger
Mangareva, de tous temps, tu es la souveraine de l’archipel des Gambier
Terre de nos ancêtres, notre conscience nous dicte
De ne pas oublier nos origines
Aukena
Hier tu fus Ati Tope
Et tu es Aukena aujourd’hui
Belle petite île immaculée de sable blanc
Tu fus par le passé, le refuge des rois vaincus
Ton rivage émeraude est le miroir
Des palmes de cocotiers et du ciel azur
Aukena posée sur l’eau cristalline
Tu fus et restes toujours une île noble
Car Kena t’a paré de son plumage royal
Au cap, te Ana-O-Tiki, sentinelle aguerrie
Veille et protège les traversées de ton lagon
Horizon proche de Mangareva,
Avec respect tu t’inclines humblement.
112
Dossier : Les poètes du Fenua
E no te purepure ma ’aro’aro o te one
I te kiteraga kia koe, koviuviu ma te rekareka te mata’iva
Magareva, mei te tau e te tau, e aurupe koe no ta koe Motumo’aga
E to matou kaiga tupuna ! e takao mai ana te ’aigamanava
E kore e ’aka’ava ’ia to tatou turaga kaiga tumu.
Aukena
Ko Ati Tope to koe igoa a tau ara
A ra nei ko Aukena koe
Kaiga iti meitetaki e te one kuokuo
No’oraga koe i matini ara no te utu ’akariki kokoia
Te raparapa o ta koe atatai, ko te ’io ia
No te utu kouerei e no te ragi auriuri
Aukena vei’o ’ia koe ki ruga i te tai
Mei te tau, e kaiga turaga togo’iti koe
Kua rakei ’ia koe e Kena ki tana ’urumanu kurakura
I te koutu, te Ana-O-Tiki, matavaikeu tiatiaoko
E ’akapoi e vavao ana te kokouere no ta koe tai roto
Tumuragi koe no Magareva, ma te mamana
Kopati roa koe kia koe ki raro.
113
Littérama’ohi N°17
Odile (Otira) Purue - Alfonsi
Le cocotier
Autrefois appelé niumea
Aujourd’hui tu es cocotier
Arbre longiligne et fier
Tu es l’emblème vertueux de nos croyances
Tu conquiers nos terres
Au gré des vagues déferlantes
Ami de tous les temps
Tu nous abandonnes
Ton corps, tes palmes
Tes fruits et tes racines
De ton sommet, tu interpelles
Le peuple ma’ohi à la reconnaissance
Et au respect de la Terre
Car tu représentes la vie.
Coucher de soleil !
Soleil ! Arrête de parcourir la Terre !
Car tu nous as imposé le respect du temps
Tu as teinté le ciel des couleurs de l’arc-en-ciel
Par tes reflets dans la mer phosphorescente
Un vent léger s’éveille et caresse le sable du rivage.
Tu défies la vague de briser la surface calme de l’eau
Au loin, les oiseaux se dépêchent de regagner leurs abris
Lentement tes rayons tirent leur révérence
Une pléiade apparaît et éclaire l’espace céleste
Tu étends ton étoffe écarlate dans le firmament.
Beau coucher de soleil !
Soir de contemplation ! Soir d’évasion
Comme l'envol de l’oiseau blanc.
114
Dossier : Les poètes du Fenua
Te tumuere’i
I garoatuara, poro ’iana koe e niumea
A ra nei, e tumu ere’i koe
Tumu ururoa e te ’akate’ate’a
Tu keretoraga koe i te tau eteni
No’o mai koe ki to matou kaiga
Na te tai paripari e na te tai vave
E turuturu koe no te tau
Kiriti ’eva mai koe mo matou
Ta koe tumu, ta koe kouere'i
Ta koe aka e ta koe kai
Mei to koe teiteiraga poro mai koe
Te ü ma’oi ia ’akamamaru
E ia ’akamamana te kaiga
No a meara e ’akairoga koe no te ora.
Iga’igaraga o te Ra !
E te Ra ! 'Akaea ana koe te ’akariu ki te kaiga0!
Kua ’akaveke mai koe kia matou te ’au no te tau
Kua ’akaeva koe te ragi i te ata o te anuanua.
Na ta koe utu gaioigo ki roto i te tamanui
Agiagi mai te ikuiku e ko’a atu te one o te atatai
Mata’ua atu koe te peau ia papaki te 'iku goregore o te tai.
I tua, e rereragi ana te manu mo te ’oki ki to ratou ’aka’iriga.
’Ava maneane atu ta koe utu turuturutavake.
’Ano’ano mai te matariki tinitini, turama mai te va’a o te ragi
’Akapuroku mai koe ta koe ’eriki kurakuranui ki ruga i te avaragi
Atakurakura no te a’ia’i !
Ma’i’iko no te rikaraga0! Ma'i’iko no te makaraga0!
Mei te taoro o te kukuororagi
115
Littérama’ohi N°17
Chantal Millaud
Nostalgies
Quand nos nostalgies s’entremêlent
Dans des siroccos d’alizé
Tunis et Papeete s’emmêlent
Dans les peines et les baisers
Les palmiers et les cocotiers
Bercent ensemble nos humeurs
Que s’évadent nos amitiés
Dans les sèves et les saveurs
De nos fruits à chairs affolante
C'est la musquée banane tendre
Ou le hendi à peau piquante
Le quatre épices la coriandre
Ouvrent et ferment nos narines
Les fleurs de lotus ou tiaré
Moi dans mon paréo marine
Toi sous ta jebba chamarrée
Rossignol buibul chaleureux
Chantent stambalis tamourés
La darbouka le to’ere
Rythment nos souvenirs heureux
Mes vagues bleuissent tes dunes
Que le regard de Dieu nous aime
Malgré nos mêmes infortunes
En mal de nos régions lointaines
116
Dossier : Les poètes du Fenua
Pâleur de nos yeux qui se voilent
Et recherchent dans la distance
Les deux perdus de nos étoiles
Dans la même nuit de la France
Pour la même île
Blanche fille de Tahiti
Le regard de la vahiné
Méprise ta peau d’organdi
Et tes maigres cheveux dorés
Tu as pourtant au même fruit
Goûté votre île parfumée
Ecouté le chant des vinis
Aux mêmes branches de tiare
Dans vos corps les chants infinis
De l’océan et du hupe
Ont hanté vos jours et vos nuits
Que vos peaux soient blanche ou foncée
Blanche fille de Tahiti
Brune reine des Alizés
Vos mêmes dents blanches sourient
Egal hommage à l’île aimée
Aux projets de votre pays
Mêlez les mains de l’amitié
Vini : Petit oiseau des îles - Hupe : vent frais descendant de la montagne
117
Littérama ’ohi N°17
Chantal Millaud
Note bio-bibliographique
Née à Papeete TAHITI Polynésie Française en 1950. Effectue sa scolarité au Collège
Anne-Marie Javouhey puis au Lycée Paul Gauguin. Rentre en Métropole pour continuer
des études supérieures. (Lycée Ozenne à Toulouse, Ecole Normale à Valence, faculté
de langues à Grenoble). A présent à la retraite près de Montpellier (France) après une
carrière d’enseignante, écrit des poèmes et des nouvelles, participant également à des
ateliers d’écriture et des rencontres poétiques.
Oeuvres éditées
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Revue Art et poésie 2006 : Soleil couchant et dernier baiser du soir (poèmes)
Revue Le cerf volant 2008 : Iles du soleil couchant
(poème)
Dans Les étangs magiques, Editions Lettres de Sables 2007 : Un étang, un chat (nou-
velle)
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Dans Poésie de la Voile et du Vent, Editions Lettres de Sables 2008 : La dernière voile
et Cadeau de départ (poèmes).
Prix, de concours
1998 : deuxième prix littéraire de Chabrillan, Drôme pour 2000 en fête (poème).
-2005 : Mention d’Honneurde la régien Languedoc-Roussillon-Cévennes, association
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Les mots les couleurs pour Derniers baisers du soir (poème).
2006 : concours organisé par Les mots les couleurs de Saint Hilaire, Aude :
Troisième prix de l’humour pour Plus Haut (poème).
Prix d’excellence pour La vie en rose (poème).
Prix d’honneur pour Le point (nouvelle).
2007 : deuxième prix littéraire de Saillans, Drôme pour Goutte de lune (nouvelle).
Concours organisé par Les mots les couleurs de Saint Hilaire, Aude :
Prix d’excellence pour Pomme étoile (nouvelle).
Mention d’honneur pour Pour vingt sourires d’enfants (poème).
Mention d’honneur pour Dernière ballade sous le saule assis (poème).
2008 : deuxième prix de poésie libre de la ville de Nîmes, Gard, pour absence (poème).
Concours organisé par lettres de Sable de Palavas les Flots, Hérault. Médaille de
bronze pour Cadeau de départ (poème).
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Concours organisé par Les mots les couleurs de Saint Hilaire, Aude : Premier prix de
la nouvelle pour Le gâteau. Deuxième prix région nature pour Nostalgies (poème). Prix
d’excellence pour Non, docteur (poème) ; Mention d’honneur pour Depuis et Toujours
(poème).
118
La mer était présente ce jour là
La mer était présente ce jour là
Dans la chambre des amants
Lorsqu’il est entré
Dans la douleur d’aimer la femme.
Il ferme les yeux et met son corps
Contre le sien
Tout bas il lui dit qu’il s’est mis
A l'aimer
Il ne veut pas que çà s’arrête
Elle ne l’entend pas
Elle entend seulement
Le bruit de la mer dans la chambre
Le soleil est sur le lit
Dessiné par les palmes de cocotier
Le parfum des jasmins
N’est pas encore monté
Il lui chuchote des mots d’amour
Et touche sa peau de soie
Tendre et moite comme le jour
Elle ne peut pas l’entendre
La mer est présente ce jour là
Dans la chambre des amants
Le souvenir de la mer
J’arpentais les rues de Paris
Respirant les siècles
Pantelant son histoire
Considérant l’orée du fleuve
Littérama’ohi N°17
Rai Chaze
Affaiblissement, alanguissement, me gagnaient
Torpeur et atonie me saisirent
Dans mon âme j’ai cherché la mer
Le souvenir de sa rémission
Le velouté de sa brise
L’évasion scentée de sel
J’ai cherché mon île
Le ventre de ma mère
Lutèce s’est assise
Seule dans un coin de Paris
Me suis approchée d’elle
Je l’ai regardée
Dans le creux de sa main
Je me suis assoupie
La danse dans le port
Ils vont vers le port
Il y a des danses ce soir près de la mer
Il est dans l’amour de cette femme
Elle aussi, c’est ce qu’elle se dit
Elle a peur du jour où
Elle ne sera plus dans l’amour
Ils s’arrêtent devant un paquebot
En instance de départ
Puis ils marchent
Le long de la mer
Main dans la main
Ils s’approchent du lieu des danses
Les to’ere* et les pahu* retentissent
Elles sont belles les danseuses
Elle les aime les danseuses du port
120
Dossier : Les poètes du Fenua
Elle imagine qu’il pourrait les désirer
Il regarde les danseuses
Il voudrait être dans la chambre des amants
Ils traverseraient la ville accablée de chaleur
Il n’y a pas de vent
La porter sur le lit
Eteindre la lumière
De loin la musique arriverait
Des chants tahitiens, loin
Puis plus tard le cri du paquebot qui s’en va
Traverserait les rues, les murs,
La porte de la chambre des amants
Et puis ensuite beaucoup plus tard
On entendrait, tout bas, doucement,
Le chant de la femme qui est dans l’amour.
To’ere : instrument de musique - Pahu : tambour
Pluie sur la mer
La chambre des amants
Ils dorment peut-être
On ne sait pas
Dans la nuit noire
Tout à coup
La pluie est arrivée
Comme du fond du temps, l’amant a dit :
‘La saison des pluies a commencé’
Elle s’est réveillée
Et elle a entendu
La pluie courir sur la mer
‘Viens voir la saison des pluies qui commence ‘
121
Littérama’ohi N°17
Rai Chaze
A dit l’amant
'Viens voir comme elle est belle et désirable,
Surtout lorsqu’elle court la nuit sur la mer’
Elle a ouvert les yeux
Elle ne veut rien voir
Elle les referme
‘Non’ elle dit
Elle ne veut rien voir
Il regarde la pluie qui court sur la mer
Et la saison des pluies qui arrive derrière elle
Il est songeur et très seul
Ils sont très seuls
Privés de l’autre
Eloignés
Dehors la pluie arrive
Elle court sur la mer
La pluie
La pluie chaque jour
Pendant toute la saison de Matari’i ‘i ni’a
Et chaque jour j’entre dans la pluie
Mon intimité avec elle est devenue si grande
Que je pourrais être maintenant
Une fleur, un palmier,
Une crevasse dans le trottoir
L’homme de la météo l’a dit :
Nous sommes au cœur
De la dépression, au sein même
De la saison d’abondance
122
Dossier : Les poètes du Fenua
Un temps pour se reposer
Faire des siestes et réfléchir
Tandis que d’autres
Creusent leur désespoir
Mais moi, j’apprends la pluie
Comme une religion
Exigeante et sauvage
Laver mes pieds dans ses eaux intangibles
Incliner la tête
En accepter toute la violence
Entendre son chemin jusqu’à la mer
Aujourd’hui pendant ma marche dans la pluie
La pluie s’est arrêtée un moment de tomber
Comme un soupir
Un gémissement bref
J’ai fait une pause
Regarder les hommes
Creuser des tranchées
Tomber amoureuse de celui
Qui a une barbe
Qui ne relève jamais la tête
Et qui sifflote
La pluie chaque jour
Pendant toute la saison de Matari’i’i ni’a
Et chaque jour j’entre dans la pluie
123
Littérama’ohi N° 17
Rai Chaze
Histoire de mort sur Papeete
Ils sont à la galerie du Musée
L’expo a pour thème la mort
il a l’air d’un artiste
avec sa chemise
trop grande et fripée
Enfilée sur un t-shirt longues manches
Elle, en robe tapa jusqu’aux chevilles
Les manches glissant sur les épaules
Une couronne rouge à son poignet
Et sur ses cheveux
Elle penche la tête sur le côté
Plisse les yeux
Comme pour avoir une perspective différente
De ce tableau si abstrait
De l’artiste qui signe KO
Une oeuvre peinte sur du contre-plaqué
Avec des monstres de la mort
Partout sur la ville de Papeete
On ne fait plus la différence
Entre eux et les humains
Leurs yeux et leur bouche sont trop grands
Elle les regarde,
Elle entend les êtres bleus appeler l’artiste
Et soudain elle a peur
Elle se sent petite, toute petite,
Comme la fois où elle roulait en montagne
En jeep de guerre
Avec son grand-père
Qui conduisait en la portant sur ses épaules
Tandis qu’ils longeaient les précipices
Je veux descendre ! criait-elle.
124
Dossier : Les poètes du Fenua
...si elle glissait de ses épaules
Il ne pourrait pas la rattraper
Elle tomberait tout en bas du précipice.
Mort.
L’artiste a t’il eu peur de ces monstres bleus ?
At’il dessiné sa peur, son cauchemar ?
Les a t’il rencontrés lorsque, les yeux exorbités par la faim,
Il mendiait dans les rues de Papeete
Une misérable petite pièce de cent francs,
Que personne ne lui donnait?
Ou, lorsque désespéré, il peignait sur du carton
Ramassé au fond des poubelles
Juste au-dessous des aliments jetés
Par ceux qui mangent sans faim ?
Furent-ils ceux qui envahissent ces nuits
Où l’on rêve de poisson à la crème
Et de frites
Et comme la petite marchande, on craque
La dernière allumette pour fumer
Son dernier taho*, son dernier joint
Le dernier mégot,
Le dernier rêve
La flamme s’est éteinte, il reste
Les êtres bleus aux bouches
Et aux yeux trop grands
Grimaçant devant sa face
Mort.
Tu as peur de la mort ?
Demande l’artiste à la chemise trop grande
Et fripée.
Non ! répond-elle en faisant un geste dans l’air
De sa main à la couronne rouge
Mais je préfère ne pas être là
Quand elle arrivera.
125
Littérama’ohi N°17
Vaihere Doudoute
Ta’u ruahine o Te’ura vahiné
Teura Vahiné e...
Ta’u purotu, ta’u ruahine...
Purotu o te hura...
To ‘oe unauna, to o’e hanahana
Ta’u ia e haapeu nei
Ahura mai... Aapa mai na
...
Na o’e i faaora te hura
la o’e e ora ai te hura, a tau e ahiti noa tu
Teie te oroà o te hura
Teie ta o’e oro’a, teie ta o’e hiva
Tei haapiri ia matou ia vai
I roto i te here e te aroha
Ta’u hura, o to’u ia hiro’a
Ta ‘oe ia faaoruraa
To’u ia ao
A hura mai, a hipa mai na
Te haro’aro’a nei au i to hà
I roto i te hohonu o to’u tino
E ta’i haapata’u i to’u a’au...
E ta’i haamaineine i to’u pu’e avae...
No o’e i vahiné ai au
No o’e i purotu ai au
Te upa ra vau no te faaite i to te ao
To o’e hinuhinu
126
Dossier : Les poètes du Fenua
Ta’u ruahine o Te’ura vahiné
Ô Teura Vahiné
Ma danseuse, ma déesse
Danseuse du hura
Ta beauté, ta gloire
Sont ma fierté
Danse... danse.
Tü as sauvé la danse
La danse vivra par toi pour l’éternité
Voici la fête de la danse
Voici ta fête, voici ta manifestation
Manifestation qui nous rassemble
Dans l’amour et la compassion
Ma danse est ma culture
C’est ta fierté
C’est mon bonheur
Danse, balance-toi
Je ressens ton souffle
Au plus profond de mon corps
Comme un son qui rythme mes entrailles
Comme un son qui me chatouille les jambes...
Grâce à toi je suis femme
Grâce à toi je suis danseuse
Je danse pour montrer au monde
Ta gloire
127
Littérama ’ohi N° 17
Vaihere Doudoute
Faainoraa
(attentat)
Ua rore hia to’u iho
Ua topa...ua pepe...
Ua topa ra no te ti’a faahauraa e no te haamau papu ia na
Ua horuhoru te ‘a’au...
Eie ‘oe e faa’oru nei i to ‘oe hiro’a, to ‘oe iho
Eie ia to ‘oe hoa e haafaufa’ore nei ia ‘oe iho
Aue ho’i e te aroha e...
Te ora nei au i te ho’e taata ‘e
Mea faufaa anei i te tatara roa ia na ta’u hura
Ahani pai i fariu noa a’e maa taime iti...
Aue to’u hiro’a, to’u iho te horomii nei te hotu painu ia ‘oe
Eie ‘oe e motoro hia nei na te mau ‘a’au ‘ore
Aita ra ‘oe e tuu no te mea e tei ia ‘oe ra te ora
Ua rau te huru o te mau rave’a no te rave’ino ia ‘oe
Ua rau ato’a ra te huru o te mau rave’a no te paruru ia ‘oe.
Eie au ! Eie ta’u hura !
Ua rore hia to’u iho
Ua topa...ua pepe...ua pepe rii...
E ore e mure !
128
Dossier : Les poètes du Fenua
Tei roto to’u ‘aau i te reru,
Te ’oto’oto nei te tino
E aha ho’i teie ?
To’u ’utuafare ua ti’a, o to’u ia mafatu
Ta’u ’ohipa o ta’u e faahiahia nei, o ta’u ia ina'i.
Are’a to’u manava... te mo’e noa nei a.
Te haa nei au i te haa ‘ore
Te haa ’ore nei au i te haa...
■
; r.
Nânâ to’u mata i mua...
O ta’u iho teie e vai nei i mua i to’u aro...
Te hura nei au...
Aue ia to’u ‘aau i te ‘oa’oa
Nânâ to’u mata i mûri
O ta’u iho teie e vai nei i mua i to'u aro...
Te haapii nei au i te tama
O ta’u iho teie e vai nei i mua i to’u aro...
Te aupuru nei au i to ’utuafare
Aore
ra te ‘aau e ‘oa’oa
nei
Te haapii, te aupuru, te mo’e noa nei ra...
Te mo'e nei te hura
Na te hura e haamâhu i to’u varua...
Te hura, hau a’e i te hipahipa raa o te tino
E mauhaa nanati i to’u iho, to’u ‘aau
e te hohonu o te ‘aau a vetahi e
Eere anei i te fa faahiahia ?
Te hiiraa i te ‘aau ?
to’u ia hiro’a tumu, ta’u ia fa...te mo’e noa nei
129
Littérama’ohi N°17
Heirarii Lehartel
Quelqu’un pleure d’une voix de douceur
A l’heure où mon coeur,
Avait envie d’ailleurs,
Quelqu’un pleure,
D’une voix de douceur,
Qui résonne dans mon coeur !
Je te chercherai une fleur,
Pour que tu retrouves tes couleurs,
Qui comblera mon coeur !
Je,chercherai un trèfle à quatre feuilles,
Pour que tu retrouves ton bonheur,
Qui jouira mon coeur !
Je serai ton chanteur,
Le meilleur !
Et je combattrai pour toi,
Car tu es pour moi,
La déesse des îles !
Nous sauterons avec passion sur le lit,
Ton instinct sauvage se fera sentir,
Se montrera à mes yeux !
Je serai alors tout en feu !
Et grâce à notre chaleur,
Tu oublieras ta douleur !
130
Sylviane Racine
Des morceaux d’infini
Des larmes de sang ont dans le crépuscule déchiré
L’azur de ton regard aux reflets de mer.
Toi qui un matin d’hiver
Le cœur glacé comme le givre accroché aux fenêtres
Pantelant de solitude et sûr comme l’acier
Tu dérivais des pentes légères semées de grossiers cailloux...
Bourreau de tes jours et prisonnier de tes nuits.
Le cœur lourd aujourd’hui
Sauras-tu apprivoiser
Tant de morceaux d’infini ?
En lambeaux ta vie
Pourra-t-elle recueillir
Tant d’instants anéantis ?
Par le feu retrouver la force,
Par le sang reconquérir les sens,
Par Tonde pure épouser le jaillissement de l’innocence,
Et,
Au creux d’une chaleur nouvelle
Saisir l’éclosion d’un voyage
Qui désormais repose sur la vague de l’image ?
23 septembre
Poème d’un tableau de Patty Bonnet
131
Littérama’ohi N°17
Sylviane Racine
Quête
Muette clarté suspendue au cœur de l’éphémère
S’élève plus haut que l’inépuisable absence
elle
Vers d’encore obscures étoiles
Dans le calme vide d’une proche révélation
Elle dérive vers un sommeil aux formes qui s’échappent
Lente et longue ascension d’une lumière sur les échelons de la brise nocturne
Elle ignore son chemin
elle
Gravit pourtant seule et légère l’horizon de ses demains
Le voile du rêve
Silencieusement
S’est soulevé
Et le chemin vers des Ciels inhabituels
A tracé le sillon d’une innocence nouvelle
Quête de lumière
Aux reflets de soleil
Regards élevés aux contours d’immobilité
Mais aussi
Un arc de tendresse et de douceur
Et toujours
Un fil qui danse le bonheur
Suspendu sur l’aile d’un invisible ailleurs
Où
Reposera-t-elle un jour
Ses songes délicats
Enfin
Sur quelles paupières endormies
Jouera-t-elle la nuit insensé de ses jours
Toujours désormais éclairés
132
Dossier : Les poètes du Fenua
ELLE
Poursuit son chemin
Surmonte des ravins
Et l’étrange lueur de son vol
Sur les flots noirs d’un ciel sans fond
Revêt l’habit de l’ultime liberté
Tableau de Hervé Fay
133
Littérama’ohi N° 17
Sylviane Racine
Oser
Si l'aube d’une émotion nouvelle
Nimbée de tant d’incroyables frissons
S’élève en moi en toi
Il n’est plus temps sans doute d’échapper à toutes les apparences
réelles d’un rêve autrefois ébauché
Accepter le destin coloré de la force du désir
Libérer les chaînes d’une aurore nouvelle
Rêver l’impossible amour
D’une main qui se pose
D’un geste qui ose
Prendre un corps offert au regard qui se dérobe
Il n’est plus temps sans doute
De nier renier le chant du désir
Celui qui vers l’autre tend la main
Celui qui réclame
Celui qui clame la peine et la joie mêlée
Rêver l’impossible amour
Mais
Te rêver
Te vouloir
Te chérir
Pour enfin t’aimer
Et que notre folie avouée
Dans l’éclair unique d’une mystique extase
Accepte le divin partage
De tous les dieux de l’univers
134
Dossier : Les poètes du Fenua
Si proche...
Tellement éloigné pourtant lorsque tu t’avances vers des rives acérées
Te blesses-tu de trop progresser
Je t’appelle et tes réponses toujours les mêmes
Me renvoient l’écho d’une blessure
Il est pourtant des inspirations qui nourrissent
D’autres aussi qui étouffent
Celles qui disent l’épuisement de l’impossible rencontre
Mais chacun de tes regards est un met qui donne le pain et le vin
Qui rend la soif et la faim
L’envie d’aimer et ne jamais retenir
Une implosion qui se voudrait salvatrice
Quand mes cris déchirent l’air de leur indicible plainte
Et que seul résonne l’écho de ma cruelle solitude
J’insulte le ciel
Et renie la terre de m’avoir fait chair
135
Littérama’ohi N° 17
Sylviane Racine
Une terre à féconder
Je n’avais plus depuis tout ce temps, posé mon regard sur l’infinie
beauté de tes couleurs,
Ni mon esprit ni mon cœur ne portaient plus en eux le souffle chaud
d’une respiration îlienne
Et la terre
Avait cessé de féconder mon âme errante.
Cette Terre, mes yeux ne la voyaient plus
Ma peau ne la sentait plus
Mon cœur ne respirait plus son parfum ambré
Etrangère que j’étais devenue à ses caresses, Insensible à sa dignité
Enfermée à sa force de vie
Je sommeillais
...
Et pourtant en moi se préparait l’aurore nouvelle, le nid de fécondations à venir.
Dès l’instant que ton regard
Sur moi a posé sa brûlure, mana surgissant des entrailles de ton désir,
mon corps
s’est réveillé dans un étrange feu de joies et de larmes mêlées.
Au rythme troublant de l’inspir terrien, irrésistible, indestructible
J’ai retrouvé en moi, par toi,
L’espace ma’ohi trop longtemps étouffé mais toujours là, présent dans
gestation.
sa lente et ancienne
De cette nature, vibrante dans sa splendide féminité à ton corps puissant d’un insolent orgueil d’homme désirant offrir le partage des sens
Nos deux esprits ont partagé la nourriture des dieux
Un soir d’ivresse nue et implorante enveloppant de leurs désirs fous la
rencontre de nos rêves brisés.
136
Dossier : Les poètes du Fenua
Il était une fois, l’Infini céleste
Les heures s’écoulaient ivres d’une étrange fièvre
L’un près de l’autre
Nous nous élevions vers les mêmes hauteurs
Nous hissant vers la même lumière
Obéissant à un singulier attrait
Les yeux clos sur une certitude partagée
Nous étions deux esprits foudroyés
D’une pareille chimère
Deux coeurs jumeaux
Le reflet d’un même rêve
Aspiration vers un Infini céleste
Nous progressions
Entre audace et retenue
Attentifs aux vibrations d’une lumière commune
A l’intérieur
Le regard posé
Toujours sur la caresse du temps qui nous entraînait vers des terres calcinées
Sans doute allions-nous nous brûler
Sans doute allions-nous tout avouer sans doute
Ensemencer la terre promise
D’un indicible espoir
Beau comme une aurore
Pur comme un ciel après l’orage
Tout doucement
Par delà nous-mêmes
Nous échangions des silences uniques tout chargés d’un feu sacré.
137
Littérama ’ohi N° 17
L’artiste
HERVÉ FAY
Après avoir vécu de 3 à 11 ans en Polynésie française, Hervé Fay rentre en
France en 1955. Après l’école des Beaux-Arts de Besançon, il invente, à l’orée
des années 70, une technique de peinture utilisant des cires en expression
polychrome, impulsion génératrice de toutes ses aventures créatrices ultérieures.
Dès lors, on peut voir apparaître dans ses travaux des notions « d’incommensurabiiité des espaces, d’intemporalité, et s’y révéler une quête de l’origine
des formes et de leur dynamique. » En 1982, il revient à Papeete où il est nommé
professeur au Centre des Métiers d’Art. Puis ii se consacre à la mise au point
d’une technique personnelle d’estampage polychrome à partir de fibres végétaies, qui lui permet d’accéder à une pratique évolutive de l’art marquisien.
Aujourd’hui il constitue des assemblages de formes qui pourraient évoquer
des organismes et/ou des « instruments corporels de musique. » Cela pourrait
être aussi des évocations vestimentaires habitées tels, parfois, d’étonnants sca-
phandres. L’interaction de diverses techniques modelage, manipulation de la
lumière, photographie, informatique, art pictural, lui permet de dévier la perception du réel tout en l’accentuant.
Ses travaux, nourris par une fascination pour ia mouvance, l’évolution et le
langage des formes l’ont conduit en des lieux où les perceptions symboliques
s’élargissent et se recouvrent aux lisières du réel ; ià, tout se passe comme si
l’ineffable devenait tangible, l’air de rien. Les oeuvres d’Hervé Fay nous montrent des formes en postures hiératiques évoquant ainsi « des portraits de grands
ancêtres de temps immémoriaux ou de grands descendants ou telles entités
intemporelles. » Dernières expositions :
2007 : exposition collective « Tabu/Tapu » au Musée de Tahiti et des îles.
2008 : exposition collective à « La Na'tionale des Beaux-Arts » au
Carrousel du Louvre, Paris (Prix spécial du jury) ; Exposition collective à la
salle « Art et Liberté » de Charenton. Exposition à « ART EN CAPITAL » au
-
-
Grand Palais.
Aussi une exposition d’oeuvres à la galerie Tornabuoni à Florence Italie.
138
ma’om a été fondée par un groupe apolitique d'écrivains
polynésiens associés librement. Le titre et les sous-titres de la revue
traduisent la société polynésienne d'aujourd'hui.
La revue
ma'OHi, pour l'entrée dans le monde littéraire et pour l'affirmation
de son identité ;
par référence à la rame de papier,
à celle de la pirogue, à sa culture francophone ;
,
signe la création féconde en terre polynésienne.
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères chinois intercalés
,
entre le titre en français et celui en tahitien.
La revue a pour objectifs de tisser des liens entre les écrivains originaires de
la Polynésie française, de faire connaître la variété, la richesse et la spécificité
originaires de la Polynésie française dans leur diversité
contemporaine, de donner à chaque auteur un espace de publication.
des auteurs
Fait partie de Litterama'ohi numéro 17