B987352101_PFP1_2009_017.pdf
- Texte
-
ma’OHi
0584296
22
La
poésie
llEHiion complémentaire de l’histoire
Littérama’ohi
Publication d’un groupe
d’écrivains de Polynésie française
Directrice de la
publication
:
Chantal T. SPITZ
Tarafarero Motu Maeva
Huahine
E-mail
hombo@mail.pf
:
Numéro 17 / Juin 2009
Tirage : 600 exemplaires
Mise
en
-
Imprimerie
an’so Le Boulc’h
:
Tableau
STP Multipress
ufoMXSXhbt
page :
Couverture
:
:
N° TAHITI ITI
Hervé
:
Fay
755900.001
J
LISTE DES AUTEURS DE LITTERAMA’OHI N°17
Joséphine Bacon
Anne Bihan
Luc Camoui
Nadia Chafik
Rai Chaze
Flora Devatine
René-Jean Devatine
Vaihere Doudoute
Fleur Grandadam
Julien Gue et les auteurs
interprètes : Mahuta Fuller, Joseph Hikutini,
Joseph Marurai, Teheipuaura Raurea, Emile Taruia, Ramon Tauatiti,
John Teato, Michel Tetauru, Auguste Têtu, Timona Titihauri
Hha Oudadess
Ali Iken
Ali Khadaoui
Heiarii Lehartel
Julian Mahikan
Rita Mestokosho
Chantal Millaud
Laure Morali
Valérie Murat-Salem
Zaïd O u ch n a
Odile Purue-Alfonsi
Sylviane Racine
Christine Sioui Wawanoloath
Farid Mohamed Zalhoud
SOMMAIRE
Juin 2009
Liste des auteurs
p.
Sommaire
p.
Les membres fondateurs de la
Editorial
:
revue
Littérama’ohi
Flora Devatine
p.
p.
4
5
7
9
DOSSIER
«
LA
POESIE, UNE VISION COMPLEMENTAIRE DE L’HISTOIRE
»
Théâtre
Julien Gué et les auteurs
interprètes : Mahuta Fuller, Joseph Hikutini, Joseph
Marurai, Teheipuaura Raurea, Emile Taruia, Ramon Tauatiti, JohnTeato, Michel
Tetauru, Auguste Têtu, Timona Titihauri
p. 10
Quand les murs deviennent transparents
Les
poètes invités
Flora Devatine
Du SILO
•
Les
au
p.
45
p.
56
p.
64
p.
66
p.
71
p.
72
p.
73
p.
75
CILAF et d’un Carrefour à l’autre
poètes de la Kanaky / Nouvelle Calédonie
Anne Bihan
Tryptique insulaire
LucCamoui
Kabir
•
Les
Kouba, Joyau Immortel
poètes Amérindiens / du Canada
Christine Sioui Wawanoloath
Le
spectacle du Clan des oiseaux
Julian Mahikan
Départure / La traverse
Rita Mestokosho
Le bonheur
vu
de face
Joséphine Bacon
Tshissinuatshitakana / Bâtons à message
Laure Morali
Ma
grand-mère
me
dit / Azul Tamazgha
5
•Les
poètes Amazighs du Maroc
Hha Oudadess
Azagharfar
en
Nadia Chafik
A toi amant, de mon sommeil
Ali Khadaoui
Dans la
p.
81
p.
84
p.
85
p.
95
p.
98
p.
99
p.
104
p.
108
p.
110
p.
116
p.
119
p.
126
p.
130
p.
131
p.
138
printemps
palmeraie paisible et innocente
Ali Iken
Prière
Farid Mohamed Zalhoud
Noël à la
Presque-île
Zaid Ouchna
Le
mystère des chants Amazighs
Les
au
féminin
poètes du Fenua
René-Jean Devatine
Adirondack
Valérie Murat-Salem
Te terera’a
Odile
o
te ora
(Otira) Purue-Alfonsi
Montagne, Mangareva
Chantal Millaud
Nostalgies
Rai Chaze
La
mer
était
présente
ce
jour là
Vaihere Doudoute
Ta’u ruahine
o
Te’ura Vahiné
Heiarii Lehartel
!
Quelqu’un pleure d’une voix de douceur
Sylviane Racine
Des
morceaux
d’infini
L’artiste
Hervé
Fay
Biographie et tableau
6
Littérama’ohi
Ramées de Littérature
Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi
La
revue
Littérama’ohi
été fondée par un groupe
apolitique
polynésiens associés librement :
Patrick Amaru, Michou Chaze, Flora Devatine,
Danièle-Tao’ahere Helme, Marie-Claude Teissier-Landgraf,
Jimmy Ly, Chantal T. Spitz.
a
d’écrivains
Le titre et les sous-titres de la
sienne
d'aujourd’hui
revue
traduisent la société
polyné-
:
«Littérama’ohi», pour l’entrée dans le monde littéraire et pour
son identité,
«Ramées de Littérature Polynésienne», par référence à la rame
de papier, à celle de la pirogue, à sa culture francophone,
«Te Hotu Ma’ohi», signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères
chinois intercalés entre le titre en français et celui en tahitien.
-
l’affirmation de
-
-
-
La
-
pour objectifs :
de tisser des liens entre les écrivains
revue a
originaires de la Polynésie
française,
de faire connaître la variété, la richesse et la
spécificité des auoriginaires de la Polynésie française dans leur diversité contemporaine,
de donner à chaque auteur un espace de publication.
-
teurs
-
Par ailleurs, c’est aussi de faire connaître les différentes facettes de
la culture
polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et
modernes que sont la peinture, la sculpture, la gravure, la photographie,
le tatouage, la musique, le chant, la danse... les travaux de chercheurs,
des
enseignants...
7
un
Et pour en revenir aux premiers objectifs,
mouvement entre écrivains polynésiens.
c’est avant tout de créer
Les textes
peuvent être écrits en français, en tahitien, ou dans n’importe quelle autre langue occidentale (anglais, espagnol,.. ) ou polynésienne (mangarévien, marquisien, pa’umotu, rapa, rurutu...), et en
chinois.
Toutefois,
qui
les textes en langues étrangères
pour ceux en reo ma’ohi, il est recommandé de les présenter
dans la mesure du possible avec une traduction, ou une version de cornpréhension, ou un extrait en langue française.
en ce
concerne
comme
Les auteurs sont seuls
responsables de leurs écrits et des opinions
émises.
En
tent la
général tous les textes seront admis
dignité de la personne humaine.
Invitation
au
sous
réserve qu’ils respec-
prochain numéro :
polynésiens,
Ecrivains et artistes
cette
revue
est la vôtre
nant, de réflexion
sur des auteurs,
ou sur
:
tout article bio et
biblio-graphique
vous concer-
la littérature, sur l’écriture, sur la langue d’écriture,
sur l’édition, sur la traduction, sur l’art, la danse,...
tout autre sujet concernant la société, la culture, est attendu.
sur
Les membres fondateurs
8
Editorial
«
LA
POÉSIE, UNE VISION
COMPLÉMENTAIRE
Le numéro 16 de la
«
revue
»
!
Littérama’ohi dont le thème du dossier est
L’Histoire, Mémoire de l’Oubli
breux articles
DE L’HISTOIRE
»,
et qui avait déclenché l’envoi de nom-
l’histoire et de nombreux
poèmes, paraît accompagné
complémentaire de l’Histoire », avec de beaux textes à découvrir dont une pièce
de théâtre écrite et interprétée par des détenus, et des écrits généreux
de poètes kanak, amérindiens, amazighs, polynésiens, français,
sur
du numéro 17 entièrement consacré à
«
La Poésie, une vision
Ce
qui nous fait dire que c’est par le lien poétique que les contacts
s’élargissent, comme cela fut le cas avec des auteurs de la région océanienne anglophone et francophone, et avec ceux des Antilles,
de Haïti, de la Réunion, de la Nouvelle Calédonie, du Canada, jusqu’au
Maroc, et en France. C’est un lien qui traverse les frontières et le temps,
et les poètes Amazighs, Amérindiens, Kanak et de la Polynésie, par leurs
échanges et partage au gré de leurs rencontres, nous montrent ce lien
séculaire conservé par la poésie.
se
font et
Ce
qui nous permet d’avancer que la poésie, en littérature, est un genre
majeur, comme c’est le cas en littérature orale. C’est par la poésie que le
noyau culturel se transmet de génération en génération pour arriver jusqu'à
nous. Dans le passé, c’était la raison de la place accordée à la poésie dans
la transmission de la culture, et aujourd’hui dans l’éducation ; une place
que la poésie doit reconquérir, et que chacun doit lui reconnaître. Aussi
nous réjouissons-nous de la place reconnue et donnée actuellement à l’enseignement du « ‘orero » dans les écoles en Polynésie !
Flora Devatine
9
Littérama’ohi N° 17
“
Epitaphe ”
“
EPITAPHE ”
OU
“
QUAND LES MURS DEVIENNENT
TRANSPARENTS ”
Un
spectacle écrit et interprété par :
Joseph Hikutini
Mahuta Fuller
Michel Tetauru
Makaianui
Fauta
Chouchou
Joseph Marurai
Teheipuaura Raurea
Josy
Tupa
Emile Taruia
Pona
Ramon Tauatiti
Poiri
John Teato
Patoi
Timona Titihauri
Faito
Auguste Têtu
Tabu
Sous la direction de Julien Gué
AVANT-PROPOS
grande majorité d’entre nous, les détenus qui peuplent la prison de Nuutania ne sont rien d’autre que des délinquants. Ils
n’existent dans notre esprit que par le délit qu’ils ont commis et par la
peine à laquelle iis ont été condamnés. Pourtant, avant d’être des délinquants que la justice humaine a décidé de punir, ils sont des hommes
comme tous les autres. Ils ont familles, femmes, enfants, métiers, passions, rêves, souvenirs, regrets, remords...
Pour la très
10
Dossier
Durant
:
Théâtre
année
entière, j’ai passé quatre heures par semaine
seul objectif, de leur faire monter et présenter un spectacle de théâtre. Ce fut chose faite le 21 avril 2009 pour
un public de détenus et d’une vingtaine de représentants de la société civile (dont trois journalistes). Une heure après les trois coups, l’émotion
était palpable chez tous les spectateurs, sans exception. Certains d’entre eux furent même émus au point de ne pouvoir retenir leurs larmes.
Mais soyons clairs : il ne s’agissait pas là de larmes de compassion mais
d’une émotion liée à la force du spectacle qui venait d’être interprété par
avec
une
dix d’entre
dix détenus
eux
avec, pour
polynésiens.
Si le texte de
spectacle est aujourd’hui publié dans « Littéqu’il est l’œuvre de ces dix hommes que la société a
jugé utile de punir. Ce sont eux qui ont inventé cette histoire afin de pouvoir y dire ce qui occupe leurs pensées aux cours de ces milliers d’heures
passées entre murs et barreaux. Oui, ce sont ces hommes dont certains
parlent à peine le français qui, à partir de leurs rêves et de leurs improce
rama’ohi », c’est
visations ont raconté cette histoire avant de l’écrire. Ce sont
ces
hommes
qui, découvrant le poème de François Villon « La ballade des pendus »
l’intégrer à leur spectacle pour en faire le final, texte qu’ils
ont choisi d’interpréter en vieux français.
Cette pièce de théâtre ne restera peut-être pas dans l’histoire
de la littérature comme une œuvre majeure. Cependant, à mon sens,
elle montre deux choses essentielles. La première, c’est que derrières
les lourdes portes de Nuutania se cachent des trésors humains et d’insoupçonnés talents. La deuxième, c’est qu’un théâtre spécifiquement
polynésien peut et doit exister. Que cette œuvre soit celle d’une dizaine
de condamnés purgeant de lourdes peines sera, je l’espère, l’étincelle
qui incitera nos écrivains à suivre les traces de Valérie Gobrait.
Je ne puis conclure ces quelques lignes sans adresser mes profonds remerciements à ces dix hommes qui, en un an, ont profondément
changé ma vie et ma façon de considérer le théâtre.
Pour l’heure, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne
décidèrent de
lecture.
Julien Gué
11
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Scène I
Tous, sauf Faito.
prison, quelque part sur la planète.
occupés à des activités quotidiennes diverses et
anodines. L’un d’entre eux, Poiri, semble dormir ou rêver aux étoiles,
deux jouent aux échecs, deux autres aux cartes, l’un est occupé à des
travaux de couture, un autre chantonne tandis que le dernier l’écoute...
Peu à peu, la voix de Poiri se fait un peu plus forte et son chant semble figer tous les autres dans leurs gestes. Une seconde voix le rejoint
et, peu à peu, tous reprennent la chanson en chœur...
Une cellule collective dans une
Les huit détenus sont
Feruri
au
to taua
oraraa
Ta’oe faa’oroma’i ia’u nei
Ti’aturi mai’oe ta’u
mau
Tia’i mai ‘oe ia’u i te
haereraa
mau
taime ato’a
Tatarahapa nei au ta’u vahiné
Te
mau
taime ‘aita
Eiaha ‘oe
e
O ‘oe ta’u i here
E tamata
vau
to
piha’i iho ia ‘oe
uiui i to ‘oe mana’o
vau
(Maeva)
’e taui no’oe
Na te tau te reira ’e faa’ite ia ’oe to’u here
qu’ils reprennent le refrain, apparaît un nouveau personson paquetage dans les bras.
Alors
nage,
12
Dossier
:
Théâtre
Scène II
Tous, plus Faito.
Faito s’immobilise aussitôt
après avoir franchi la porte, cherchant vis’y installer.
Progressivement, le chant cesse et peu à peu tous les regards se
portent sur lui. Faito finit par repérer un endroit qui lui convient, il s’y dirige, pose ses affaires, s’assied et, toujours sans dire un seul mot, fixe
son regard sur on ne sait quoi et ne bouge plus, comme s’il avait
toujours
siblement
été là
:
un
endroit libre pour pouvoir
immobile et silencieux.
Durant toute la
scène, les yeux des huit détenus ne l’ont pas quitté
qu’il est installé, les autres semblent reprendre
vie, échangent des regards interrogateurs... Peu à peu, les questions
commencent à fuser de partout. Tous parlent, sauf Makaianui (le chef
de la petite communauté carcérale)...
un
seul instant. Une fois
Josy
:
Tupa
: Tu le connais toi ?
Fauta
Chouchou
Dis-donc, il n’a pas l’air de se marrer !
:
Tabu
Pona
Patoi
C’est qui lui ?
Peut-être, mais il est beau garçon...
(En se moquant) He,
autre chose, non ?
:
C’est vrai
En
qu’il
a
Chouchou, tu
peux pas penser
à
l’air sacrément costaud.
attendant, c’est pas
un mec
de plus ici qui va
nous
faciliter la vie.
Tabu
T’as raison ! Surtout
Poiri
C’est vrai, Patoi, le jour où quelque
c’est que le volcan sera réveillé !
Josy
En
Tupa
qu’avec lui, tu fais
pas
le poids !
chose te fera plaisir,
attendant, j’aimerai bien savoir qui il est, moi...
: Tu m’étonnes ! Un beau
téresse !
mec comme
ça,
forcément
ça
t’in-
13
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Oui ça
m’intéresse, bien sûr ! Surtout que je suis seul depuis... Il y a déjà un bon bout de temps. Vraiment. Tu vois
le genre... Chouchou ?
Josy
Chouchou
:
Demande-lui, toi.
Josy
Chouchou
Quoi ?
:
Et
ce
pourquoi moi ? Il faut toujours qu’on me demande à moi
genre de chose ! Vas-y toi !
On te demande à toi parce que
Josy
tu sais bien parler aux
gens...
Tabu
(Toujours
en
riant) Et
cherche pas,
pas que
leur parler !...
Chouchou
:
Ne
Fauta
:
Allez Chouchou, ne fais pas
de nous tous c’est toi le plus
Makaianui
:
(impératif) Chouchou, fais ce qu’on te demande.
Chouchou
:
(En regardant tous ses compagnons l’un après l’autre) Si
je comprends bien, je n’ai pas le choix... (Et se lève visiblement à contrecœur)
me
Tabu, sinon tu vas me trouver !
de manières. Josy a raison :
doué pour parler aux gens.
recomposant un sourire, Chouchou s’approche de
qui n’a toujours pas bougé un cil. Tous les autres sont dans l’attente
de ce qui va se passer. Ils ont les yeux braqués sur Chouchou et Faito.
Lentement, et en
se
Faito
Chouchou
:
(Se tenant debout près de Faito) Moi c’est Chouchou, et
t’appelles ?... (Se baisse vers lui, lui
pose la main sur l’épaule) Tu sais, j’ai été condamné pour
viol. J'en ai pris pour quinze ans et il m’en reste neuf à
faire... Et toi, tu es là pour combien de temps ? Tu as fait
quoi pour être ici ?... (Il se relève, se retourne vers les autrès et, s’adressant à eux, mais surtout à Makaianui) Il ne
toi ?... Comment tu
veut rien dire. J’abandonne moi. Débrouillez-vous !
14
Dossier
Suit
:
Théâtre
échange de regards et de brèves réflexions visant à en désigner un autre pour tenter de faire parler Faito. Finalement, ils finissent
un
parse retourner tous vers
Tefaaora, dans l’attente d’une décision...
Scène III
Tous.
Makaianui
:
(Visiblement mécontent d’être obligé d’intervenir, il se lève
se dirige vers Faito. Parlant pour lui-même) Vous êtes
vraiment nuis ! Et vous feriez quoi si je n’étais pas là, hein ?
(Debout à côté de Faito, et s’adressant à lui) Hey, man !
et
Moi c’est Makaianui. Je suis le chef de cette bande de minables. J’ai tué deux
qui s’intéressaient un peu trop
j’avais picolé. En attendant, j’en ai pris pour dix huit ans. J’en ai fait treize. Comme
à
ma
on va
mecs
femme. Mais c’est vrai que
devoir vivre ensemble
un
moment, c’est mieux que
tu saches
qui on est. Chouchou, il s’est déjà présenté...
Elle, c’est Josy... (Il la montre de la main)...
Josy
:
Bonjour. Je suis ravie de t’accueillir parmi
il
me
reste encore deux
ans
parce que j’ai tué mon tane
tresse. Tu te rends compte :
nous. Sur neuf,
à faire, lis m’on enfermée
et à moitié seulement
il
sa
maî-
trompait dans ma propre
maison ! Et avec une femme en plus !... Et toi, comment tu
t’appelles ?... (Faito est toujours immobile et silencieux) En
tout cas, si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas à
venir me voir : je suis toujours prête à rendre service... Lui,
me
c’est Fauta. C’est le mari de Chouchou...
Fauta
:
(A Josy) Garde tes remarques pour toi... (A Faito) Moi c’est
bagarre qui a mal tourné qui m’a amené ici. Un gars du
quartier qui était jaloux et qui a essayé, de me voler mon
stock de paka. Résultat, j’en ai pris pour huit ans, et ça fait
une
15
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
seulement
et demi que
je suis là. Et toi ?... Ce serait
tu nous dises qui tu es... (S’énervant un peu) Eh,
brad, tu pourrais répondre quand on te parle !
un an
bien que
Makaianui
Tupa
:
Ca suffit Fauta !
Tupa, à toi. Dis-lui qui tu es.
OK chef...
Hey ! Yo ! Frère ! Moi c’est Tupa. Condamné
pour viol. Ça va faire cinq ans que je suis là, et je sais
même plus si je vais sortir un jour ou pas... (Un silence)...
He, Tabu ! A toi !
Tabu
Tabu, c’est pas mon vrai nom. Mais comme je raconte tout
ce
qu’on veut, sauf la vraie vérité,
on
m’a appelé
comme
ça. J’ai fait toutes les bêtises possible, ou presque. Le seul
truc que j’ai jamais fait, c’est celui qui m’a amené ici ! C’est
mieux d’en rire, non
neuf à tirer... Vas-y
bard !
(Il termine
en
? Quatorze
ans,
Patoi, à toi. Et
riant)
brad. Et il m’en reste
ne
raconte pas de bo-
Patoi
(Agressif) Je ne suis pas comme toi moi, je raconte pas
n’importe quoi. (À Faito) Moi je faisais dans le paka. Alors
je suis tombé pour trafic de drogue. Ils m’ont donné cinq
ans, mais il ne me reste que six mois à faire, sans les remises de peine... Si j’en ai... Bienvenue chez nous, man.
Poiri ! Allez, dis-lui un peu pourquoi tu es là toi.
Poiri
Tu
vraiment savoir ?
(pas de réponse de Faito. Il enriant) Ils m’ont mis quatre ans parce que j’ai
niqué une poule. Bon, d’accord : je lui avais pas demandé
son avis. Mais elles sont toujours d’accord non ? En attendant, je devrais sortir dans un ou deux mois. Et toi, tu
nous dis un peu qui tu es ?
Ho ? Tu sais parler au
moins ? (En retournant s’asseoir) Hey, Pona, Vas-y toi, (En
riant) Peut-être que tu vas arriver à lui sortir trois mots : tu
es si gentil...
veux
chaîne
en
...
Pona
Taure’are’a, ia
orana.
Eaha to 'oe huru. O Pona teie. Ta-
parahi ta’ata ta’u ’ohipa i fa’autu’ahia mai ai e 20 matahiti.
Mei’a, ‘aita paha ia ‘oe e tau’a maina. Me hae roa na’u ite
16
Dossier
:
Théâtre
ta’ata fa’afaufa’a ‘ore mai. Nahea ! Parutu ana’e
paha ia ?
Mai, ta’iri ana’e. Haere mai, ‘a ti’a mai i ni’a. (Jeune homme
bonjour. Comment vas-tu ? Je suis Pona. Je suis un tueur
et j’ai été condamné à vingt ans. Banane ! Tu ne fais pas
attention à moi ?
Ça m’énerve
la merde. Comment ? Tu
ça
l’on me prenne pour de
te battre peut-être ? C’est
que
veux
? Et ben viens ! Allons-y ! Lève-toi !
Tout au
de Faito
long de son discours, Pona s’est approché progressivement
(qui n’a toujours pas bougé un cil) le provoquant de plus en plus.
Sur ses derniers mots, il reste moins d’un mètre entre eux. Pona est visiblement prêt
tre entre
eux
Makaianui
:
à la bagarre et Makaianui a tout juste la place de
les séparer...
se
met-
pour
(Usant de toute
son
autorité, et regardant Pona dans les
yeux tout en lui montrant sa place...) Retourne t’asseoir...
Tout de suite !... (L’affrontement silencieux dure un long
moment,
est à deux doigts de l’explosion de violence.
Finalement, Pona cède et retourne à sa place, visiblement
on
très énervé et pas
content d’avoir dû céder à
son
chef.)
Scène IV
Tous.
Tefaaroa, soulagé, traverse la scène, se retourne et, immobile et silencieux, regarde Faito qui n’a toujours eu aucune réaction. Après un
moment de silence pendant lequel, visiblement, chacun se demande
comment pouvoir faire parier cet étrange personnage, des propositions
de solutions commencent à être faites parles uns et les autres. Pendant
cette scène, ils se lèvent tous et, tout en parlant, ils se rapprochent de
Tefaaroa. Seul Chouchou a repris une activité habituelle : il s’est saisi
d’un balai et nettoie consciencieusement le sol de la cellule.
17
Littérama ’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Au
cours
de cet
échange où les idées les plus loufoques sont
émises.
Makaianui
(Pensif marchant de long en large) Faut le faire parler...
peut pas le laisser comme ça...
:
On
Fauta
:
Ou
Patoi
qu’il est dans son délire ? Peut-être qu’il a trop
paka ?
Peut-être
fumé de
peut-être qu’il est encore dans son île ? Il a peut-être
qu’il est enfermé ?
pas encore vu
(Toujours agressif) Je vais le faire parler moi, vous allez
Ça va pas être long !
Pona
voir !
Ouais, t’as raison... On
Tupa
Makaianui
:
a
qu’à lui
couper
la langue !
He, imbécile ! Si tu lui coupes la langue, comment tu veux
qu’il parle ?
Bien vu, chef !
Tabu
les
Vaudrait mieux lui faire des chatouilles sous
pieds !
(Moqueur) Josy, t’as qu’à lui faire du charme, ça lui fera
peut-être bouger la langue !
Poiri
Eclat de rire
général
Oui ! Oui ! Tout de suite !
Josy
Ça je peux le faire ! Et je veux pas
que Pona lui fasse du mal. Je connais d’autres moyens de
le faire parler moi !
Pona
Tu
parles ! Je vais le tuer, oui ! Ça nous fera de la place !
tiens !
Je vais le noyer
Chouchou
::
Tu
as
raison Pona
: on a
peut-être le réveiller !
18
qu’à le jeter dans la rigole, ça va
Dossier
:
Théâtre
Scène V
Tous.
Brusquement, Faito prend la parole.
Faito
:
Faito... Je
Tout le monde
Tupa
:
Poiri
:
m’appelle Faito...
se
fige,
un
Vous
avez
entendu ? Il
silence total s’installe.
a
parlé : J’ai
pas
rêvé ?
(Se dirige lentement vers Faito, s’accroupit à
gentiment) Qu’est-ce que tu as dit ?
ses
côtés, et
très
Faito
:
Je
m’appelle Faito. C’est
mon nom.
Très lentement et silencieusement, tous les autres
se
rapprochent
de lui et l’entourent...
Poiri
:
(Lui posant la main
sur
l’épaule) Bienvenu parmi
nous,
Faito.
Makaianui
Dans
:
un
Content de voir que tu peux parler. Tu verras, les copains
sont tous un peu dingues, mais ils sont plutôt gentils et les
choses se passent bien ici.
joyeux brouhaha, chacun lui souhaite la bienvenue...
Pona
:
Fleureusement que tu as parlé :
Tabu
:
Et te noyer avec, parce que
pas nager
Josy
:
Arrête
Faito
:
j’allais te
noyer !
si tu sais bien
ramer,
tu sais
!
un peu Pona ! Et toi aussi Tabu. Ne l’écoute pas
il râle tout le temps, mais c’est que du cinéma....
Pona
:
Pffffffffffffff !!!!!!!!!!! Je vais te montrer si c’est du cinéma !
Makaianui
:
C’est bon
comme
ça
Pona.
19
Littérama ’ohi N° 17
“
Epitaphe ”
Fauta
Faito, dis-nous un peu : d’où tu viens ? Moi, je suis de
Moorea...
Faito
Josy
Je
sais pas...
ne
C’est loin...
Quand même, tu sais comment elle s’appelle ton île, mon
chéri !
Faito
Heremoniuiru, c’est ça le nom de mon île.
...
Chouchou
Et elle est comment ton île ?
Faito
Chez moi, on est protégés de l’océan par le récif. Tout autour de l’île. Il n’y a pas une seule passe pour entrer dans
le lagon. La goélette s’arrête au large et il faut aller jusqu’à
pirogue ou en poti marara pour décharger les marchandises et les passagers. Mais à l’intérieur, côté lagon,
le sable est d’une finesse incroyable : il coule entre les
elle
en
doigts comme de l’eau.
Fauta
j’habite au fond d’une vallée. Je dois
aller à la plage ! Mais tout autour
a des sources et des cascades...
Chez moi, à Moorea,
marcher
heure pour
une
du fare, il y
Poiri
Faito, tu habites
Faito
C’est ça,
Tupa
Il
sur un
motu alors ?
oui.
n’y a pas de piste pour les avions ? C’est la goélette qui
amène les provisions ?
vous
Faito
goélette, elle vient que trois ou quaAlors on mange ce que l’on fait pousser et
ce que l’on peut pêcher. On a plein de poissons, et puis
des langoustes et des pahua... Et puis on fait pousser les
bananes, le coco... Et avec le uru et le manioc, on a tout
Pas d’avion, non. Et la
tre fois par an.
ce
Patoi
qu’il
nous
fare cipleine ville. On n’est pas loin du lagon, mais c’est
impossible d’y aller : c’est tout privé ! Pourtant, on est des
Ouais, et ben moi j’habite avec ma mère dans un
ment
en
Tuamotu
20
faut.
au
départ !
Dossier
Tabu
:
C’est
comme
moi. On est Rurutu. Mais
père est venu ici
un
fare
en
:
Théâtre
depuis que mon
dans
pour travailler, on vit toute la famille
tôle au bord de la route. On est treize !
Fauta
:
Faito, tu
Makaianui
:
Fauta, laisse-le s’il
Faito
:
Non, c’est rien, je peux dire... J’ai tué les trois frères de ma
maman. Ils étaient saouls. Ils sont venus chez moi, ils ont
battu ma maman et ma petite sœur et ils ont brûlé le fare
que j’avais construit pour nous. Maman est dans le coma
et ma petite sœur qui a cinq ans a eu un bras complètement cassé. Ils n’avaient pas le droit de toucher à ma famille. C’est tout. Le résultat, c’est que les juges ont dit que
je sortirai jamais d’ici !
Patoi
:
nous as pas
dit pourquoi tu es là ?
ne veut pas
parler de
ça.
Moi
je dois sortir dans six mois. Mais qu’est-ce que je vais
après cinq ans ? J’ai pas de femme, mon frère et
ma sœur se sont mariés depuis que
je suis ici et ma
maman a un tane que je ne connais même pas !
retrouver
Fauta
:
Moi
j’ai
une
femme et deux enfants. Ils viennent me voir
là pour moi
fois par mois. Est-ce qu’ils seront encore
dans six ans, quand je sortirai ?
une
En les
écoutant, Faito s’est à nouveau refermé sur lui-même. Les
embarrassés, c’est à ce moment là que Tupa retourne
vers sa paillasse, récupère un sac et se dirige vers la porte de la cellule.
autres ont l’air
Tupa
:
Bon, les gars, faut que j’aille moi, sinon vous aurez pas vos
commandes. Il n’y a rien de plus à demander pour aprèsdemain ?
(Plus ou moins clairement, les autres lui
dent que non, ça va comme ça) OK alors, j’y
(Debout devant la porte, il se
Tupa qui est là !
réponvais...
met à appeler) Mutoï ! Oh !
Mutoï ! C’est
La
porte finit par s’ouvrir, Tupa s’en
va,
la porte se referme...
21
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Scène VI
Tous, sauf Tupa.
Lorsque la lumière se rallume, chacun est retourné à ses occupation :
l’image est pratiquement la même que celle du début du spectacle, moins
Tupa qui n’est pas là et Faito qui a replongé dans son mutisme initial.
He, Makaianui, il faut faire quelque chose. On ne peut pas
Josy
le laisser
comme
il
fait pitié.
réussir à
faire déprimer
à force !
Fauta
:
Tu
Chouchou
:
Toi, tu penses toujours à toi en premier ! Même si c’est
dans six ans, tu sortiras un jour, toi. Mais pas lui.
Pona
:
as
raison
ça, ça
:
va
me
Je suis d’accord
: si on le laisse faire, il va nous pourrir la
expliquer les bonnes manières à ce rigolo.
il n’y avait que lui qui était enfermé ici... Je vais
vie. Faut lui
Comme si
lui montrer moi...
Makaianui
:
(Sec) Ça suffit Pona, tu nous fatigues. (Presque pour luimême) Il faut trouver quelque chose pour l’aider, sinon, ça
va faire un pendu de plus. (A tous) Est-ce que quelqu’un a
une
idée ?...
Scène VII
Tupa revient dans la cellule sur la fin de la phrase de Makaianui. Il
chargés de sacs en plastique pleins de denrées diverses. Il y
en a un par personne, sauf pour Faito et Pona. Dès son entrée, tous se
lèvent pour venir chercher leur paquet, sauf Faito.
a
les bras
Tupa
:
Les commandes sont là !... (Il se dirige vers sa place en
s’assied) Vous savez quoi ?...
Je viens d’apprendre de drôles de trucs à propos de notre
nouveau collègue, Faito...
écartant les autres et
22
Dossier
Les autres
:
Tupa
: On
se
calme !... D’abord les
un
s’éloignent et retournent
Tupa
Josy
Théâtre
(Tous en même temps) C’est quoi ?... Vas-y, raconte...
Qu’est-ce qu’il y a ?... Allez, dis-nous !... Alors, tu te décides à raconter ?...
dis. Ecartez-vous
Ils
:
commandes, après je vous
peu que je puisse respirer, les mecs !
vers
leurs places respectives.
Josy (Elle se lève pendant qu’il parle et s’approche de lui
pour récupérer son sac) Ta commande : Delta fromage cigarettes OK, Bison cinq OK. Biscuits OK. Rouge à lèvres...
(Ils éclatent tous de rire et se moquent d’elle)
Ca
va
! C’est même pas
et retourne
vrai d’abord ! (Elle prend son sac
s’asseoir).
Fauta
Tupa
(Même jeu que Josy) Sao, Bison, savon... OK.
(Fauta retourne s’asseoir avec son sac). Makaianui, à toi.
Alors, gâteaux : deux paquets. Crème dessert, une boite.
Un dentifrice et une brosse à dent. Le reste j’ai pas pris : il
n’y avait pas assez.
Makaianui
Merci
Tupa. (Il retourne à sa place. Pour lui-même :) Déjà
plus de sous ? Ça ne va pas être facile d’aller jusqu’au prochain mandat !
Tupa
Poiri, il y a toutes les affaires de toilette que tu as cornmandées, et les crayons aussi. Par contre, je n’ai pas pu
avoir les cordes neuves pour ton ukulele et les mutoï ont
gardé les partitions pour vérification de la censure.
Poiri
(En
Tupa
Chouchou...
Chouchou
Oui?...
Tupa
(En
se levant pour aller récupérer son sac) C’est pas
Bientôt ils vont nous censurer les chants de Noël !
se moquant ouvertement de
vrai !
lui) Pour ta commande
23
Littérama ’ohi N° 17
“
Epitaphe ”
spéciale, désolé : il n'y a pas de Bubble. Ils n’ont que le
simple, mais ça ne passe pas. Il faudra que tu fasses une
demande spéciale, mais alors très spéciale à madame la
directrice. Tu devras faire ta commande avec la feuille
bleue et être
Chouchou
:
au
cachot...
(Eclat de rires général)
Et tu te crois malin ?
(Toujours en riant, il lui tend son sac plastique) Tiens, voilà
Tupa
ta commande.
Chouchou
:
(Très
C'est toujours
sur
je vais te faire
en colère) Tu le fais exprès ou quoi ?
les mêmes que ça arrive. Si ça continue
bouffer les sacs un par un moi...
Pona
et
(Il retourne s’asseoir en maugréant)
Pour les autres, désolé : il n’y a plus de sous sur votre
compte. Vous devrez attendre votre prochain mandat.
Tupa
Makaianui
Merci.
:
C’est pas de sa faute si tu dépenses ton fric n’importe comment... Tupa, c’est quoi ces
drôles de trucs que tu as appris sur Faito ?
Pona
ne commence
pas.
Tous s’arrêtent de fouiller dans leurs sacs et de ranger leurs
tournent vers Tupa.
affaires
se
Tupa
Voilà. Quand
je suis allé récupérer les sacs, j’ai vu le gen-
darme Heifara...
Fauta
Celui de Moorea ?
Makaianui
Laisse-le
Tupa
partie de l’équipe qui était au tribuprocès. Voilà ce qu’il m’a dit.
Jusqu’au moment où le juge a prononcé la condamnation,
il était normal. Et quand il a entendu la sentence, il a les
yeux qui sont tombés par terre, en bas. Vides. Et depuis,
Oui. Celui-là. Il faisait
nal
24
parler, Fauta.
avec
Faito pour son
Dossier
plus rien, plus un seul mot. Comme si
langue. Ça fait deux semaines !
Poiri
(En riant) On a de la chance alors
phrases !
:
Théâtre
on
lui avait coupé la
: on a
réussi à lui sortir
trois
Tabu
Makaianui
Et
sans
le torturer !
(Très sec) La ferme ! C’est pas drôle. Si
il va tous nous casser le moral.
on
le laisse
comme
ça,
Josy
Patoi
Ça c’est sûr ! Je
me souviens, quand j’étais dans l’autre
bâtiment, il y a quatre ans, un jour on nous a mis un gars
qui passait ses journées à pleurer. Même avec les médicaments ! Un mois après, il y a un jeune qui était avec nous
qui s’est pendu avec son drap. Après, on a tous été avec
des cachets pendant des mois...
Bon, ça va ! Ne
commence pas avec ce genre
d’histoires.
Qu’est-ce qui vous arrive aujourd’hui ? C’est pas vrai !
Makaianui
arrive que Josy a raison :
sans rien faire, ça va vite devenir
tout le monde.
Pona
Et qu’est-ce que tu veux qu’on fasse, hein ? On va quand
même pas lui chatouiller les pieds pour lui rendre le sourire,
à cet animal !
Chouchou
Le
Makaianui
Vous voyez : ça commence
Poiri
Il
si on le laisse comme ça
insupportable ici. Et pour
nous
jour où tu vas t’occuper d’autre chose que de ton pito,
Pona, je crois que le monde va s’écrouler !...
Je suis d’accord
avec
déjà.
toi, chef, mais qu’est-ce qu’on peut
faire ?
C’est
Josy
simple : il faut trouver
goût de vivre.
Fauta
Bravo ! Voilà
une
un
truc pour lui redonner le
belle idée. Et tu
veux
qu’on fasse quoi
pour ça, hein ? Tu veux qu’on lui raconte des histoires
comme à un enfant pour l’endormir ?
25
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Makaianui
:
C’est
pas une mauvaise idée, ça. Si on pouvait
qui l’intéresse, ça l’occuperait et il oublierait
idées noires...
peut-être
trouver un truc
un
peu ses
Moi
Patoi
je sais : il n’y a qu’à le bourrer de paka !
Décidément, tu connais que ça toi : la fuite et l’évasion !
regarder les choses en face de temps en
temps, non ?
Pona
Tu peux pas
Poiri
Tais-toi, Pona. Ne parle pas d’évasion ici s’il te plaît.
Pona
(Il se lève, de nouveau très
toi ? Tu n’es pas content ?
agressif) Qu’est-ce que tu as
Je dis ce que je veux. Tu as
compris ?
Makaianui
Tous
:
s’interpose.
(en même temps) Ça suffit Pona !
long silence pendant lequel chacun s’est replongé dans
occupations. Pona et Makaianui se sont rassis. Presque gêné, Chouchou reprendia parole...
S’en suit
un
ses
Chouchou
:
s’est jamais évadé
(En montrant Faito) il n’en sait rien...
Tout le monde sait que personne ne
d’ici. Mais lui,
Josy
: C’est vrai ça... Et lui,
à quelque chose...
Fauta
:
Pona
Tabu
tout ce dont il a besoin, c’est de croire
Ouais... Comme par
exemple qu’il va s’envoler par la fe-
nêtre et retrouver
mère et
C'est ça
sa
sa sœur...
! Il va se fabriquer des ailes avec sa couverture...
(En riant) Et après, il va voler en faisant des ronds dans
son île où on ne peut pas se poser
l’air au-dessus de
peut-être pas... Mais une pirogue...
Poiri
Des ailes,
Patoi
Répète un peu ça, Poiri...
26
Dossier
Poiri
Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit encore ?
Patoi
Je
Poiri
J’ai dit que
ne
:
Théâtre
plaisante pas : répète ce que tu as dit.
lui faire croire qu’il allait sortir d’ici en s’envolant
par le soupirail, c’est débile. Mais en pirogue, peut-être que
ça marcherait...
Pona
(En se moquant des autres) Et tu vas la faire naviguer où
pirogue ? Dans un verre d’eau ?
ta
Chouchou
:
On
toujours la rigole : (tous regardent vers la rigole et la
regard vers l’endroit où elle sort de la cellule)
après tout, personne ne sait où elle s’en va, cette eau...
a
suivent du
: Moi
Tupa
Tous
je sais.
(en même temps) Tu sais quoi ?
Makaianui
:
Tu sais où elle va, cette
Tupa
Oui
Pona
Et ben alors dis-le !
Tous
rigole ?
je sais.
(en même temps) Ça suffit Pona !
Chouchou
:
Alors
Tupa
: Il y a une
Tupa, qu’est-ce
que
tu sais sur cette rigole ?
rivière qui longe le mur de la prison au Sud. La
rigole se vide dedans. Et trois kilomètres à l’Ouest, la rivière se jette danslelagon...
Fauta
C’est ça, et à qui vous allez faire croire qu’une pirogue
avec dix mecs dessus va passer dans un trou où même
les rats ont du mal à passer,
Makaianui
:
A tous
ceux
hein ?
qui ont besoin d’espoir
pour
tenir le coup.
Fauta, ça ne t’arrive jamais de rêver toi ?
Dans
Poiri
un
:
long silence, ils
Après tout,
donner
un
se
regardent tous les
uns
les autres...
coûte rien d’essayer, et si ça peut lui rele moral, ça nous évitera à tous de déprimer...
ça nous
peu
27
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
On sait bien
Josy
der à passer
Makaianui
:
qu’on peut pas sortir d’ici. Mais si ça peut l’ailes premiers temps...
(Il regarde vers Faito qui est toujours prostré dans son coin,
lève, regroupe tous les autres à l’autre bout de la cellule,
et prends la parole posément) Voilà ce qu’on va faire. On
sait tous qu’on ne peut pas s’évader d’ici, mais on va lui
faire croire qu’on prépare une évasion depuis quelques
temps.
se
Tu
Fauta
veux
lui mentir ! Toi ?
Chouchou
:
C’est pour
Makaianui
:
Ce
la bonne cause, ça va...
qu’il faut, c’est qu’il croit qu’on a décidé ça avant son arqu’il croit qu’on a déjà avancé dans le
projet.
rivée. Et il faut aussi
Et comment tu
Tupa
Makaianui
:
On
veux
lui faire avaler ça
par se distribuer les rôles.
comment lui raconter cette évasion pour
va commencer
verra
?
y
croire.
E
manao e
Ensuite, on
qu’il puisse
Pona
poiri tona no te tiaturi hoe aamu mi teie te huru
(Et tu crois qu’il est assez bête pour croire à une histoire
pareille ?)
Josy
Bête sûrement pas. Mais assez malheureux pour
cher à n’importe quel espoir, c’est bien possible.
Makaianui
28
:
s’accro-
chargé de la construction de la
pirogue. Tupa, tu es le seul à sortir de cette cellule et c’est
toi qui t’occupes de cantiner pour nous, alors tu seras responsable de toutes les fournitures : Poiri te dira ce qu’il a
besoin. Chouchou et Josy, vous vous occuperez de faire
une voile. Pona, Tu as ramé dans un club qui a gagné plein
de courses, je te charge d’apprendre à ramer à tous les
autres. Ceux que je n’ai pas nommés, vous aiderez ceux
qui en auront besoin.
Poiri, tu
es
menuisier, tu
es
Dossier
Chouchou
Et
Poiri
Et la coque
Tahu
Et des
Makaianui
Vous
avec
quoi tu
qu’on fabrique
une
Théâtre
voile ?
d’une pirogue ?
rames
avez
veux
:
?
des
cerveaux
lève) Et personne
compris ?
ne
? Alors faites-les marcher !
dit rien à Faito
pour
(Il se
le moment. C’est
Oui chef !
Tous
Makaianui retourne à
Makaianui
:
sa
place, entraînant Fauta avec lui.
Fauta, viens finir la partie.
Scène VIII
Makaianui et Fauta ont repris
leur partie d’échecs, Chouchou et Josy
rapprochés, Tupa range ses affaires et prépare de quoi écrire,
Pona est assis et regarde les autres d’un air désespéré en se demandant
lequel saura se servir d’une rame, Poiri passe de l’un à l’autre pour se
trouver des aides. Seul Faito n’a pas bougé un cil depuis un long mose
sont
ment
:
il est de
Chouchou
:
nouveau
Il est
enfermé dans
gentil Makaianui,
son
avec
silence du début.
quoi il veut qu’on fabrique
une
voile ?
Tu
Josy
as
une
Chouchou
Josy
:
raison, j’arrive même pas à trouver de quoi me faire
robe alors...
Qu'est-ce qu’il nous faudrait pour y arriver ?
Ben... Du tissu,
pour le coudre,
un mât aussi...
beaucoup de tissus. Du fil assez solide
des aiguilles... et puis il faudra fabriquer
29
Littérama ’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Chouchou
:
Pour le mat, on a
qu’à se servir de tous les manches à baqu’on a. On demandera à Poiri de le faire. Pour le fil et
l’aiguille, Tupa n’a qu’à se débrouiller. Mais pour le tissu, je
lais
ne
Poiri
sais vraiment pas...
Eh, les filles, je suppose que vous n’avez jamais travaillé
le bois
Chouchou
:
?
vous
D’abord
je ne suis pas une fille. Ensuite non, on n’a jamais
été menuisiers nous deux. Par contre, on a un truc à te
demander...
Poiri
Et
quoi alors ? Tu trouves que j’ai pas assez de problèmes
régler comme ça ? Il faut que je fabrique une pirogue à
dix places sans bois, sans outils et sans ouvriers !
à
Josy
: Pour le mât, on a
t’en occuper ?
Poiri
:
pensé aux manches à balais. Tu peux
C’est pas bête ça. Ok, je
une idée pour le bois
vais vous faire ça. Et si vous avez
de la coque, dites-le moi... (Il
s’éloigne)
Chouchou
:
Tupa !... Tu
peux
venir s’il te plaît ?
Tupa
Voilà ! Voilà ! J’arrive... Qu’est-ce que vous
Josy
On a besoin de gros fil ou de ficelle, et aussi d’une grosse
aiguille pour coudre la voile...
Chouchou
Pendant
:
ce
On
Chouchou et
Tabu
30
on a
besoin de tissu !
Aiguille et ficelle, je vais vous trouver ça. Mais du tissu, ça
coûte cher ! Et en plus il en faut beaucoup !
Tupa
Tabu
Et surtout
:
voulez ?
:
temps, Tabu s’est rapproché d’eux et les écoute...
plein...
Josy : On a plein de quoi ?
en a
Ben, du tissu pour les voiles tiens !
Dossier
Chouchou
Tabu
:
Ah bon ! Et où ça
:
Théâtre
alors ?
Eh ben, tous les sacs
! Il
courses
n’y
qui servent à transporter nos
qu’à les attacher ensemble et puis voilà.
a
Tupa
Alors
Tabu
Peut-être, mais je n’ai pas trouvé d’idée pour faire les
là, Tabu, c’est
une super
idée
ça
!
rames...
Josy
: Va parler de ça avec Poiri, il aura
C’est son métier après tout non ?
Tabu
Ok alors,
Poiri
Quoi ? Qu’est-ce que tu veux ?
Tabu
Tu sais pas avec
Poiri
Et toi, tu sais pas avec
peut-être
une
idée...
je vais essayer. ..(H va rejoindre Poiri assis sur le
banc) Hey ! Poiri...
quoi je pourrais fabriquer des rames toi ?
quoi je pourrais faire la coque d’une
pirogue pour dix rameurs ? Qui a déjà vu une pirogue pour
dix
rameurs
Tabu
Et
Patoi
Et
qui
Pona
Et
qui
qui a vu
prison ?
me
a
?
une
déjà
vu
a déjà vu
dire ?
Patoi
Ça suffit Pona !
Pona
Toi ça
Poiri
Quoi ?
Pona
Moi
Poiri
Et tu sais
Pona
Moi
Poiri
Ah bon ! Tu
pirogue à voile naviguer sur la rigole d’une
quelqu’un s’évader d’ici, hein ?
Patoi faire autre chose que râler ? Tu peux
suffit ! Hey, Poiri...
je sais.
quoi, toi ?
je sais où il est, le bois de ta pirogue !
as
trouvé
une
forêt inconnue derrière les WC
peut-être ?
31
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Pona
:
Tu
Poiri
:
(il se lève en colère...) Je suis pas un min... (En même
temps, il regarde le banc et comprend l’idée de Pona)
Bravo Pona. Sur ce coup là, tu m’en bouches un coin !
es
assis dessus, minus !
Scène IX
Makaianui et Fauta ont fini leur partie
d’échecs. Makaianui
se
lève
leur faisant signe de se rapprocher, les rassemble autour de lui à
l’opposé de l’endroit où se trouve Faito. Ce dernier est toujours prostré
et,
en
dans
son
coin.
Makaianui
:
Bien, dites-moi les gars : on en est où ?
Chouchou
:
Pour la voile, elle sera
Josy
: Grâce à Tabu
Makaianui
:
Poiri
On
:
Tabu
a
tout le bois
on va se
Ouais
:
qui nous
a
donné la solution...
qu’il faut. Là c’est Pona qui
débrouiller
avec
OK alors. Maintenant, il faut
meurs
Makaianui
prête...
c’est lui
Poiri, pour la coque ?
mât,
Makaianui
:
:
a
trouvé. Le
les manches à balais...
régler le vrai problème...
il faut faire passer une pirogue
dans un trou de souris !
à voile
avec
dix
ra-
Ne dis pas
de bêtise Tabu, on sait tous que ce n’est pas
possible. Personne ne s’est jamais évadé d’ici et Ce n’est
pas nous qui allons y arriver. Tout ce qu’on veut, c’est le
faire croire un moment à Faito pour qu’il arrête de déprimer.
Pona
C’est nul ça : tant
Tous
Ça suffit Pona !
32
qu’il
ne
dit rien, il n’embête personne !
Dossier
lui faire avaler
truc
:
Théâtre
pareil toi, hein ?
Fauta
Et comment tu
Patoi
C’est vrai ça :
Josy
Non, il n’est pas débile. Mais il est comme tout le monde...
veux
un
il n’est pas débile quand même !
Il est comme nous tous : il a besoin de rêver pour
vivre.
je sais qu’on ne sortira pas d’ici comme ça, mais ça
d’y croire. De penser que je peux faire un
truc pour changer ma vie...
Moi
me
fait du bien
Peut-être, mais
Fauta
en
attendant il
va
falloir lui faire avaler cette
histoire d’évasion...
Et lui donner envie
Patoi
Il
falloir pourtant...
Makaianui
:
Tupa
: C’est sûr
Makaianui
:
va
:
va
falloir, mais comment ?
simple. On va lui expliquer que notre évasion est
prête, mais qu’on ne peut pas se permettre de laisser
quelqu’un derrière. En plus, lui, c’est un vrai marin et on va
avoir besoin de quelqu’un pour manoeuvrer la voile...
Donc, il faut qu’il vienne avec nous. En même temps, ça lui
rendra l’espoir de revoir sa maman et sa petite sœur...
nous
Makaianui
qu’il
C’est
Et tu
Tabu
d’y participer ! Et ça, c’est pas gagné...
vas
lui
annoncer
écoute
quand
comment ? On sait même pas s’il
lui parle !
ça
on
Poiri, Tu vas aller lui parler toi. Il t’a déjà écouté une fois.
Mais attention, faut qu’il soit persuadé que tout est vrai et
qu’on a besoin de lui, sinon tout va tomber à l’eau...
OK alors. Je vais essayer...
Poiri
Makaianui
:
Mais
ça ne va pas
être facile...
Bon, on te fait confiance. En attendant, tout le monde au
boulot...
33
Littérama ’ohi N° 17
“
Epitaphe ”
Scène X
Chacun
se
remet à travailler
sur sa
part de ia pirogue. Poiri s’at-
taque à la coque...
Poiri
:
Patoi, vient m’aider...
Patoi
:
Bien chef !
Poiri
:
Arrête
Patoi
:
Pourquoi il
un peu :
m’écouter...
c’est pas moi le chef ici !... J’espère qu’il
ne t’écouterait pas ? Après tout, on a tous
ment envie de sortir d’ici non ? Et puis, va savoir...
veur) Elle
va
vrai-
(Rê-
peut-être passer cette pirogue...
Poiri
:
Parce que tu y
Patoi
:
Je
ne
va
crois toi ?
sais pas
Même si
si j’y crois... Mais j’ai envie d’y croire...
je sais que c’est pas possible...
Poiri
:
Tu sais
Patoi
:
Non...
Poiri
:
Tu
Patoi
:
Bien sûr...
Poiri
:
Et bien... Moi c’est
quoi ?
gardes
ça pour
toi hein ?
pareil... Je sais
que
c’est impossible...
Mais depuis qu’on a commencé à délirer avec ça, j’arrête
pas d’y penser... et plus ça va, plus j’ai envie que ce soit
vrai... (Ils continuent à travailler en silence un moment)
Bon, Je vais lui parler... (Il va à côté de Faito et s’ageprès de lui)
Faito... Hey, Faito, je peux te par1er ? J’ai un truc important à te dire...
nouille
...
Faito
:
Vas-y, je t’écoute.
Poiri
:
D’abord, il faut que tu me jures que personne, en dehors de
cette cellule, ne saura jamais ce que je vais te dire...
Faito
:
Et à
34
qui tu
veux que
je parle ?
Dossier: Théâtre
Poiri
:
Je sais pas
Faito
:
Je
moi : les mutoi, ton avocat, le pasteur...
parle plus à personne... Mais si tu n’as pas
ne dis rien et puis c’est tout.
ne
confiance, tu
Poiri
:
Je suis
obligé de te dire. Mais il faut
que
je sois sûr de ton
silence.
Faito
:
Ok alors. Je te le
petite
Poiri
:
sœur...
Oui. Et
Ça
jure sur la tête de ma maman et de ma
?
va comme ça
puisque tu
me
parles de ta famille, Tu aimerais les
retrouver ?
Faito
:
(En colère) Ne plaisante pas avec ça !
Poiri
:
Je
Faito
:
(En criant) J’ai été condamné à perpétuité ! Je ne sortirai
jamais d’ici ! Et ma mère et ma sœur n’auront jamais assez
d’argent pour venir me voir ici... Alors arrête avec ça !
plaisante pas : c’est de ça que je suis venu te
parler...
ne
Pendant que
Faito s’énerve, Patoi s’est rapproché d’eux...
Poiri
:
Calme-toi, Faito, et écoute-moi : je suis très sérieux.
Patoi
:
Il
Faito
:
Vas-y alors, je t’écoute...
Poiri
:
Voilà... Avant que
raison, Faito, écoute-le...
a
parer une
tu arrives ici,
évasion...
Faito
:
Je
Poiri
:
C’est vrai. Mais
Faito
:
Je
on
avait commencé à pré-
croyais que personne ne s’était jamais sauvé d’ici.
ne
Pendant cet
on a
trouvé la faille...
te crois pas.
échange, Faito regarde l’eau qui coule dans la rigole
devant lui...
35
Littérama ’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Poiri
:
Tu
as
tort... Tu la vois cette eau ?
Faito
:
Je
ne
vois
qu’elle depuis que je suis arrivé : c’est la seule
qui entre et qui sort d’ici comme elle veut...
chose
Poiri
:
Exact... Et elle sort d’ici sans que personne ne
rien... Et nous, on va faire pareil...
Faito
:
Comment ça vous
Patoi
:
Pas du tout. Ecoute-le
Poiri
:
lui dise
allez faire pareil ? Tu te fous de moi ou
quoi ?
On est
jusqu’au bout et tu vas comprendre.
train de construire
grande pirogue pour nous
partir avec l’eau de la rigole : elle arrive dans
lagon à moins de trois kilomètres d’ici...
en
une
tous. Et on va
le
foutez de moi
Faito
:
Vous
Poiri
:
Certainement pas. Ça
Mais on ne peut pas se
rière
vous
ou
quoi là ?
fait des mois qu’on se prépare...
permettre de laisser quelqu’un der-
nous...
Patoi
:
Et
Faito
:
Comment ça vous avez
Patoi
:
Tu
puis,
es
on a
besoin de toi.
le seul d’entre
besoin de moi ?
nous
qui sache manier une pirogue à
voile.
Faito
:
Parce
Poiri
:
A voile, et
Un
qu’elle est à voile, votre pirogue ?
à
rames.
On
a
besoin d’aller le plus vite possible.
long silence s’installe pendant lequel Faito se laisse aller à
rêver...
Faito
:
Et c’est
Poiri
:
Très bientôt. Dés que la pirogue est finie.
Nouveau
36
prévu pour quand, le grand départ ?
long silence
Et c’est presque fait.
Dossier
Faito
OK. Je marche
Patoi
Génial !
Poiri
Bienvenue à bord,
Faito
Qu’est-ce que je dois faire
Poiri
Pour
avec vous.
l’instant, tu
Qu’est-ce que je
:
Théâtre
dois faire ?
matelot !
?
vas nous
aider à finir la coque de la
pirogue...
iis
se
relèvent tous ies trois et se mettent au travail sur la
pirogue...
Scène XI
Pendant cette scène, tous
Chouchou
Maintenant
va
aller
travaillent par petits groupes...
qu’on l’a sorti du cafard, je me demande où on
avec
cette histoire de fous...
rentrer chez nous tiens !
Josy
Eh ben... On
Chouchou
Arrête de dire des bêtises
Josy
C’est pas
Chouchou
Je
ne
va
Josy !
des bêtises... Après tout, ça peut marcher non...
crois pas non...
Mais qu’est-ce que j’ai envie d’y
croire...
Josy
Moi, je crois que quand on veut vraiment quelque chose...
devient possipuis, ça fait tellement du bien d'y croire...
Mais vraiment très fort hein... Eh bien ça
ble... Et
Chouchou
Josy, depuis que Makaianui nous a embarqués
je me sens mieux... C’est comme si je
respirais plus facilement...
Tu sais
dans cette histoire,
Tupa
pareil... C’est comme si les murs étaient devenus
transparents...
Moi c’est
37
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
Tabu
:
Pour moi, c'est surtout que maintenant,
à faire... Pas seulement attendre que le
tendre que
les mutoi
quelle heure...
Pona
:
me
disent
ce
j’ai quelque chose
temps passe... Atque je dois faire, et à
Depuis que je suis ici, c’est la première fois que j’ai l’impression de servir à quelque chose... Et, pour une fois,
vous n’êtes pas tout le
temps en train de m’engueuler et de
me
faire taire...
Poiri
:
(Moqueur) N’en profite pas trop quand même, man !... (Un
silence...) Vous savez quoi ?... Plus ça va, et plus je me
dis que, après tout, ça pourrait peut-être marcher...
Patoi
:
Et pourquoi ça ne marcherait pas d’abord ?... Moi je suis
sûr que c’est possible... Je veux que ce soit possible... Il
faut que ce soit possible...
Fauta
:
Makaianui, tu sais, ça fait
un an
et demi que je suis là de-
dans... Et c’est la
première fois que je me sens bien...
quelqu’un avait ouvert une fenêtre quand
il fait trop chaud et qu’on transpire, qu’on arrive plus à bouger tellement il fait chaud...
C’est
Makaianui
:
comme
si
Je sais, oui. Mais je sais aussi que tout ça n’est qu’un rêve...
Et je ne sais pas si c’est bon pour nous tous de rêver comme
(Le regard dans le vague, il se met à parler pour luimême) En même temps, on dit que la foi soulève les montagnes, alors pourquoi pas après tout... Et puis, dans le pire
des cas, on aura au moins réussi à faire quelque chose tous
ensemble. Et ça, on ne pourra jamais nous l’enlever...
(S’adressant de nouveau à Fauta) Tu as raison Fauta : on a
ouvert une fenêtre, et c’est grâce à Faito. Il faut le remercier
pour ça... Et il ne faut pas laisser la fenêtre se refermer : ça
fait tellement du bien de respirer...
ça...
Il
se
lève et fait le tour de tous
travailler à la fabrication de la
38
ses
codétenus
pirogue...
qui n’ont pas cessé de
Dossier
:
Théâtre
Scène XII
Makaianui
:
Josy, alors, cette voile ?
Elle est finie, chef...
Josy
Chouchou
:
Et
Makaianui
:
Tupa, tu
Tupa
j’aurai jamais
as
Sans
problème : il
vous en
:
Poiri,
Poiri
:
C’est fini, on est
On
a
tout
:
:
Makaianui
qu’il
ne manque
nous
faut ?
rien.
prêt.
les rames, le
on
mât, la coque... Il ne reste plus
peut partir...
Parfait. Faito, merci. C’est grâce à toi qu’on a réussi ça. Si
tu n’avais pas été là, on ne serait jamais arrivés à faire un
truc
Faito
ce
êtes où ?
qu’à la baptiser, et
Makaianui
qu’elle serait aussi belle !
trouvé tout
Makaianui
Patoi
cru
pareil
C’est moi
sans se
battre entre
nous...
Merci
qui dois vous dire merci. Vous
noir. Vous m’avez redonné l’espoir...
:
encore.
m’avez sorti du
Ok les gars. Maintenant, il ne nous reste que deux choses
à faire : Apprendre à ramer ensemble pour faire avancer
notre
pirogue... et partir !... Alors maintenant, à l’entraînePona, c’est à toi de nous montrer ce que tu sais
ment !
faire...
39
Littérama’ohi N° 17
“
Epitaphe ”
Scène XIII
Pona
OK chef !
(Il se dirige
vers
l’endroit où sont stockés les ba-
lais, les prend tous et revient vers le devant de la scène...)
Chouchou
Pona
:
Parce que
c’est
Oui, c’est
une
une
pirogue,
ça
!
pirogue. Et ça, c’est une rame ! Allez les
chacun la sienne... (Ils défilent tous devant lui pour
récupérer chacun une rame) Maintenant, mettez-vous
dans l’ordre où vous serez quand on partira : Tabu, devant.
gars,
Ensuite, Patoi. Fauta, derrière Patoi. Et dans l’ordre : Poiri,
Chouchou, Josy, Tupa, Makaianui, Faito et moi derrière.
Bon, vous avez tous déjà ramé, alors à mon commandement, on y va... Attention.... Ramez ! (Ils se mettent à
ramer
déjà
n’importe comment) Arrêtez ! Arrêtez ! Vous avez
? C’est n’importe quoi !
vu ramer comme ça vous
Tous
Et comment
Pona
(il va à l’avant de la pirogue, et en remontant vers l’arrière,
il les désigne l’un après l’autre) Toi, tu rames à gauche, toi
on
fait alors ? Tu peux nous
dire Pona ?
à droite, ‘oe ‘aui, ‘oe ‘aui, ‘oe ‘aui... etc... Tabu...
Tabu
Oui
Pona
Tu
capitaine !
donner le
rythme. Les autres, vous ramez
je vous ai dit, en suivant le rythme et vous changez
côté au signal. Ok ?
vas nous
comme
de
Tous
À
Pona
Bon,
Tous
Oui
Tabu
Ok alors !
40
vos
ordres
vous
capitaine !
êtes prêts ?
Dossier
Il
Théâtre
à donner le rythme, lève sa rame, tous les autres l’imi-
commence
tent... Au début
:
peu brouillons et hésitants, ils finissent par s’accorl’unisson, reprenant peu à peu le rythme vocal donné
par Tabu... C’est Pona qui, lorsqu’il est satisfait, met un terme à la
un
der et rament à
séance d’entraînement.
Pona
E te
hoa
ineine
(C’esf bon les gars, ça va aller
ça...) (Ils sortent de la pirogue les un après les auet se congratulent en riant) On a plus qu’à partir mainmau
ua
comme
très
tenant...
Patoi
Ah
Tupa
Quoi
Patoi
Non, il faut la bénir avant de la mettre à l’eau sinon, c’est
sûr, ça va mal se passer...
Tous
C’est vrai Ilia raison ! On
Patoi
Seulement, qui
non
alors ! On
va
? On est
encore
va
pas
partir comme ça !
prêt
non
? Alors
on y va
et c’est tout !
peut pas partir comme ça ! Etc...
la bénir ?
Makaianui
Vas-y Pona, fais-le.
Tous
Ah
Makaianui
OK, OK... C’est bon... Tabu, fais-le toi.
Tabu
(Il va se mettre à la proue de
pirogue et invite les autres à le rejoindre autour de l’embarcation) Venez tous là alors. (Une fois qu’ils sont tous en
place et que le silence s’est fait, il bénit la pirogue) E te
non
alors
:
Pas lui !
D’accord chef. Je vais le faire.
la
mau
taea’e,
a
ha’amaita’i ana’e i to tatau va’a i
‘oia i te vahi atea
roa
a’e i ni’a i te 'e'a
o
a
fano atu
te ti’amaraa.
(Les
frères, bénissons notre pirogue pour qu’elle puisse voyager
le plus loin possible sur le chemin de la liberté)
Ils restent
un
moment silencieux dans le recueillement devant la
rogue, puis s’éloignent, chacun vers sa
resté devant la pirogue, comme Faito...
pi-
paillasse... Makaianui, lui, est
41
Littérama ’ohi N° 17
“
Epitaphe ”
Faito
Chef...
Makaianui
Oui Faito ?
Faito
On
Makaianui
Maintenant, si tout le monde est d’accord...
Faito
Eh, les gars, si tout le monde est d’accord,
maintenant, non ?
Tous
va
partir quand ?
Ben... Euh... Oui... C’est vrai ça...
on
peut aller
Qu’est-ce qu’on
attend ?...
Makaianui
:
Si tous le monde est
d’accord, alors on embarque et on
va...
Lentement, presque cérémonieusement, ils prennent chacun leur
place à bord de la pirogue, la rame à la main... Lorsqu’ils sont tous installés, Poiri, qui n’a cessé de regarder les autres pour vérifier qu’ils
étaient bien tous prêt, prend la parole en
chuchotant...)
Poiri
:
Vous êtes prêts ?
(les autres acquiescent soit en chuchoaussi, soit d’un simple mouvement de tête) OK alors,
c'est bon Tabu, on peut aller...
tant
Tabu
par donner le rythme vocal, puis lève sa rame,
imité par tous les autres, et ils commencent à ramer... Peu à
peu, le volume de leurs voix augmente, tout comme le rythme de leurs
coups de
rames s’accélère pour devenir
frénétique... C’est le hurlement d’une sirêne d’alarme qui les stoppe net dans leur effort... Ils restent
figés dans
cette
commence
position bien après que la sirène se soit tue. Un son grave sort de
poitrines, prenant de plus en plus d’ampleur. Dans le même temps,
lentement, les uns après les autres, ils se lèvent, tête basse, vaincus, et
vont se regrouper en fond de scène. Lorsqu’ils sont tous
ensemble, le
vocal s’amplifie de plus en plus pour s’arrêter brutalement, au moment
où la tête de chacun d’entre eux retombe mollement sur sa
poitrine...
Un long silence, puis la voix de l’un d’entre eux entonne, en
murmurant,
leurs
42
Dossier
:
Théâtre
la
mélopée de « La ballade du pendu »...Les uns après les autres, ils le
rejoignent, faisant monter le volume de la mélopée mais laissant le texte
incompréhensible... Soudain, Chouchou redresse la tête...
Chouchou
:
Tous
:
Makaianui
:
Frères humains
qui après nous vivez
N’ayez les cœurs contre nous endurcis
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous Mercie.
Vous nous voyez ci attachés cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie :
Mais
priez Dieu que tous
(Même jeu
Si frères
que
veuille absoudre !
nous
Chouchou)
clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoi que fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas le sens rassis
Excusez nous, puisque sommes transis,
vous
;
Envers le fils de la
Vierge Marie,
grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Que
Tous
:
Tupa
:
sa
Nous
sommes
Mais
priez Dieu que tous
morts, âme
ne nous
nous
harie ;
veuille absoudre !
(Même jeu que les deux autres)
pluie nous a débués et lavés,
La
Et le soleil desséchés et noircis
:
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis ;
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
43
Littérama’ohi N°17
“
Epitaphe ”
A
plaisir sans cesser nous charrie,
becquetée d’oiseaux que dés à coudre.
soyez donc de notre confrérie ;
son
Plus
Ne
Tous
:
Mais
priez Dieu que tous nous veuille absoudre
Prince Jésus, qui sur tous a maîtrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’avons que
faire ni
que
!
soudre.
Hommes, ici n’est point de moquerie ;
Mais
A
priez Dieu
que
tous nous veuille absoudre.
partir de là, la rythmique vocale d’un hakka remplace le vocal pré-
cèdent...
Faito et Poiri
:
Sous la forme d’un hakka
E te tamaiti huiarii
Ata’o
I te
ho’i
E te taata
E pure na
ato’a.
44
lesu, tei ia ‘oe
ia ‘ore te ‘ino ia
na
mea
e
mana
rori à ta matou
ra
te
mana
hope,
mai i ni’a ia matou
‘ohi pa
:
faahou ia na ra,
e, i ‘o nei ‘aore e parau-ho’ata,
rà i te fatu e ia tàmà mai i tà màtou mau hara
e
e
Flora Devatine
DU SILO AU CILAF
ET D’UN CARREFOUR
À L’AUTRE
Du
premier Salon International du Livre Océanien (SILO) à Poindi(Kanaky Nouvelle Calédonie, 17-19 octobre 2003) au premier Carrefour International des Littératures Autochtones de la Francophonie
(CILAF) à Wendake (Territoire huron-wendat, Québec-Canada, 9-13 septembre 2008), et à la rencontre amicale et culturelle au Maroc (17-31
mars 2009), un ensemble incluant le Salon du Livre de
Papeete (depuis
2002),
A chaque fois, ce furent des moments forts émotionnellement, framié
ternellement, culturellement, entre les auteurs !
Tout
Poindimié et
Papeete
leur temps, Wendake est à
Pape’ete,
découvrir,
ici, des poètes « autochtones de la francophonie ».
Les passages de mails qui suivent, extraits de quelques échanges
entre auteurs, témoignent des liens, dont celui poétique, qui se tissent au
fil de ces rencontres, espaces et moments de riches partages et d’expansion du meilleur en l’homme !
comme
en
marquer d’une pierre blanche ! Et comme à Poindimié ou à
cela aboutit à l’accueil et à la publication d’écrits d’auteurs à
S’éloigne dans l’espace
Le temps des jours heureux
En reste l’empreinte
De quelque chose de grand
De noble, de beau, de bon, de digne
De délicat, d’heureux en nos mémoires.
45
Littérama’ohi N°17
Flora Devatine
à Monsieur
«...
Je
ne
Louis-Jacques Dorais, à Maurizio,
(vous) remercierai jamais assez de m’avoir offert de vivre
expérience du CILAF ! Un vrai et grand
Cette très belle et très riche
Carrefour !
ne fut pas aisé : nos pensées y restaient accroraptées captives des Hurons-Wendats !... notre esprit y
Partir de Wendake
chées
rode
comme
encore.
C’était si bon !
Encore bravo, avec toute ma
gratitude.
»
à Louis-Karl Sioui
Des mots des
plumes
Des bois des rêves
Des frères des
En
soeurs
partages ouverts
Confiants et fiers
Ensemble heureux
Sur l’Ile huronne
Terre d'accueil
Généreuse dont j’ai
Mémoire
Des
en
tête
visages des sourires
Humanité douceur
De chaleureuse Nature
Entrailles
pleines
De Kabir Kouba
Forts retenus
Des émotions d’amour
Lumineuses nourritures
A satiété où
j’ai
En abondance bonheur
Et
en
paix puisé
A Wendake.
46
Dossier
à
Les valeurs amérindiennes,
:
les
poètes invités
Georges Sioui
huronnes-wendates, de vie, d’être, d’accueil,...
lumière dans/et par les flots bondissant étincelants à Kabir Kouba,
A Wendake se déversaient sur tous les habitants, dont les hôtes de passage,
Mises
en
Participants du Cilaf, à l’Hôtel-Musée, dans la clairière de nos écrits
Capturés, adoptés, renommés à l’orée du bois de la réserve,
Où nous avons été faits Considérables par des qualités
De tout premier ordre et de toute beauté.
Où
nous avons
été rendus Conscients à nous-mêmes,
Sources vives, immensément fécondes,
fortes, et riches.
Quelle plus belle manière d’honorer la mémoire des
«...
Comme
ma
mère disait et écrivait, il
ancêtres !
faut
un
million d’épines
pour qu’apparaisse sous nos yeux une belle rose, éphémère, mais qui
laisse un souvenir que rien n’effacera. Je remercie notre Créateur et tous
nos
ancêtres pour notre
ma soeur...
Clan de la
existence et pour nous avoir fait nous connaître,
» (Georges Sioui : du
et à chacun de trouver son chemin !
Tortue.)
«
Écrivons
tous et toutes
rêvons tous et toutes
marchons
sur une
le nord
avec
l’écriture
route bordée
vous
d’espérance
minupuaniek umue pupun
dit Tshima
»
(Rita Mestokosho :
de Ekuanitshit petit village innu enneigé.)
à Chrisitne Wawanoloath
D’heureux souvenirs
En
De
promenades fleuries
projets rythmées
47
Littérama’ohi N° 17
Flora Devatine
En couleurs mouvements
De la Nature alentour
Un chant
porteur
toujours à l’œuvre.
De la création
Revenir au quotidien, à la solitude, après ce voyage en mots
amitié, dans un cadre si merveilleux, n’est pas chose aisée,
certes... Toutefois, je me dis que nous avions arraché ces instants magiques au temps qui s’enfuit et c’est un grand bonheur.
Mon père m’a parfois répété, afin sans doute que j’apprenne à saisir l’instant heureux, que “le bonheur est souvent un bonhomme
qu’on
voit de dos”, mais je crois que cette fois, à l’unisson, avec vous tous et
toutes, organisateurs, auteurs, intervenants académiques..., j’ai incontournabiement su saisir l’instant heureux, et j'ai rencontré le bonheur.
Cette fois, je l’ai vu de face! Un bonhomme merveilleux !...
«
...
et en
C’est vous dire aussi que vous me manquerez sur le chemin de
qu’il nous faut à tous et à toutes poursuivre, avec nos rêves les plus
fous, nos pensées les plus sages, et dans lesquelles nous demeurerons
un peu. Puis, rien ne nous empêchera de concrétiser ces rêves de nouveau. Nous avions tous déjà en tête
quelques idées, il nous faut seulement les laisser germer cet hiver, notre
printemps n’en sera que plus
beau ! Alors à nos idées, à nos plumes, pour des rencontres
prochaines pour que de nouveau, ensemble, nous fassions réapparaître le
soleil aux creux des mots ! » (Nadia Chafik de
Rabat)
...
vie
«
Fille
d’Isis,
Fils de Ramsès,
Descendants des
Pharaons,
«
est-ce le Hasard ? Le Destin ? Il fallait passer par les Amérindiens pour renouer avec la Terre natale ! Et vous n’imaginez
pas le plaisir que j’ai eu à vous côtoyer durant cette semaine en Terre huronne.
...
J’avais totalement oublié
à vous, je me
48
Jugurtha, appris à l’école primaire et, grâce
replonge dans la riche Histoire de l’Afrique. Je suis toujours
Dossier
:
les
poètes invités
attentif, grâce à Internet, aux nouvelles d’Afrique du Nord. Mais les rapides échanges que nous avons eu sur le sujet ont totalement chamboulé ma vision géostratégique de la zone.
Et je me rends compte de l’énorme malentendu qui a changé le
cours de l’Histoire. Mais, comme les fleuves qui reprennent
toujours leur
lit, je sens que l’Histoire reprendra son cours. À Wendake, j’ai vu quatre
éclaireurs. Ces éclaireurs deviendront avant-garde ...» (R.-J. Devatine)
La
suggestion de rencontres, d’échanges poétiques de Maya Couadoptée, un premier projet se réalisa en mars 2009 au
Maroc où eurent lieu des retrouvailles entre quelques participants au pre-
sineau-Mollen
mier CILAF de Wendake, certains venus de France, d’autres du Canada
et enfin de
Polynésie française :
poètes Amazighs, et à la découverte de leur
pays, de leur culture, et l’occasion d’une réunion (à Rabat, le 19 mars
2009) pour décider du lieu du second Carrefour (CILAF),
et d’évènements culturels : une soirée poésie avec Zaïd Ouchna
et Omar Taous à l’Auberge de la Palmeraie, chez Odyle (sic) ; une soirée culturelle près d’Aghbala, (poésie, projection de film ethnologique
sur les rituels et les chants à la tonte des moutons, et de photos
d’art) sur
le lieu du futur Centre culturel du Dr Ahmed Oudadess; enfin, un atelier
de poésie improvisé commencé à Merzouga et clos à Laarjat !
-
à la rencontre des
-
A
tous, bon voyage à travers le désert pour découvrir le vrai regard du chameau avec le plus expert des guides du sable, notre cher
compagnon de route, Ali Iken. Bien à vous. » (Luc de Kanaky NC, aux
amis de Wendake présents au Maroc)
«...
Dans les dunes de
Merzouga, sous la voûte étoilée, « cinq étoiles
regardent cinq chameaux couchés dans les dunes ». La pensée
s’en va, s’en vient, à la vitesse lumière, et surfe, surfe sur les vagues de
nos imaginaires :
au
ciel
Dans le désert des gens
49
Littérama’ohi N°17
Flora Devatine
Mauve
comme
l'eau de vie
L’étoile d’amour
en vœu
de dunes
Marche dans le ciel
Rivière à jamais
Le charme d’une
Oiseau
sur
la
dans le sillage du mythe.
princesse
mer ocre
Vaisseau de larmes et de
Sur le toit
au
faîte du
génie.
poème
Des traces de scarabée
Et du hanneton chamelier du takaout
Racontent
aux
La mélodie de
dunes qui tanguent
Sisyphe
Vérité, mon mot,
Tombe, flamme, pierres écrites.
Laure
«
Morali, Ali Iken, Ali Khadaoui, R.-J. Devatine, F. Devatine
( Merzouga, Kenitra, Laarjat : 23, 30, 31 mars 2009)
Azul tout le monde, Kwé, Cher(e)s ami(e)s,
caravane du Sud a très bien réussi son
...La
périple... La flamme
née à Wendake n’est pas prête de s’éteindre : elle ira grandissant pour
éclairer la terre entière avec le 2e et les suivants CILAF, ou autres activités
coup
scientifiques, artistiques et littéraires, mais avec certainement beaud’amitié et d’amour. » (Ali Khadaoui)
Magique est le verbe quand il est prétexte à nos retrouvailles !...
temps et l’espace pour nous exprimer votre amitié au-delà des
frontières, et nous encourager au coeur même de Tamzgha pour un
ce...
bravant le
CILAF 2.
Votre
les choses
50
du partage, votre sourire, votre émerveillement devant
simples de la vie ont été un vrai bonheur. Et cette fois encore
sens
Dossier
:
les
poètes invités
grâce à vous tous, j’ai de nouveau rencontré le bonheur et je l’ai vu de
face, en votre compagnie !
Tous vos courriers sont touchants, émouvants, et j’y suis très sensible. Merci pour vos attentions, pour toutes vos belles paroles, pour votre
humour auquel Laure a joint une photo insolite mais non moins poétique
(Ali, les yeux dans les yeux avec un “chameau” au doux regard).
...Ce “hasard” qui nous a placé sur le chemin les uns des autres depuis Wendake reste en tous cas l’un des plus beaux parmi ceux que j’ai
connus.
Aux souvenirs que nous nous sommes
Ions encore nous faire.
Au
faits et à
plaisir de nous revoir encore et encore, ici,
ou
ceux que nous
ailleurs...
»
al-
(Nadia
Chafik)
«
Ma chère Flora,
a annoncé que
Jean
tu es restée au pays des imazighen.
parti à ta recherche.
Je mettrai le temps qu’il faudra pour te retrouver.
Le temps passé ensemble, tous, est d’une beauté inédite. Mais
aussi parfois cruel.
Puisses-tu vivre longtemps pour nous consoler par ta sagesse, de
nos fantasmes inassouvis, de nos amours impossibles, de nos moments
les plus beaux...
Et que tous ces moments soient bénis à jamais... » (Ali Khadaoui)
Je suis donc
Bonjour Nadia, Ali, Alik et Abdallah,
changement : nous sommes toujours sous le choc ! De
grands remerciements à vous tous pour ces découvertes exceptionnelles, découvertes géographiques, humaines, culturelles, historiques,
«
Pas de
civilisationnelles.
Flora
été rendue en
partie : une part d’elle est restée accrochée
Est-ce à Merzouga, à Telouèt ou à Imilchil ? En la
rendant, les autorités ont constaté que : « lorsque la gazelle versa une
larme, tous les oueds du Haut Atlas entrèrent en crue à l’unisson. » Qui
a
dans votre beau pays.
51
Littérama ’ohi N°17
Flora Devatine
fera connaître cette
légende ?... J’arrête là mon bavardage : une
nuit automnale tombe tandis que, sur l’Atlas, une journée printanière éclot.
Nos amitiés à vous quatre ainsi qu’aux familles que nous avons
nous
eu
la chance de connaître.
»
(R-J Devatine)
Mes chers Devatines azul ! comment allez-vous ?...
«
vous me
manquez beaucoup, je suis toujours sur mon petit nuage à savourer Fintensité de lumière et de douceur dont nous étions enveloppés tout le
long de notre agréable périple.
...
voilà !
vous
embrasse fort ! à très bientôt
»
(Ali Iken)
Bonjour Ali le Fennec,
revoyant de près les photos, nous nous rendons compte à quel point tu nous a promenés, et bien promenés ! C’était
fantastique et tu as été un guide doublé d’un excellent compagnon de
voyage. Encore merci pour tout... » (R-J Devatine)
«
Comment vas-tu ? En
Chère Nadia,
Notre voyage au
«
Maroc, à Rabat, Kénitra, dans le Haut-Atlas,
a
expérience aussi merveilleuse que celle vécue à Wendake.
En même temps, autre, différente. Parce que vécue à l’intérieur et de
l’intérieur... De façon plus émotionnelle, sans doute... Poétique, pourrait-on dire aussi ! J’y avais trouvé une chaleur, une culture, une
beauté, une finesse, un art de vivre, une délicatesse, uniques, qui
m’ont séduite.
Comment y résister ?
été...
...
une
...
A Nadia Chafik
«
Quand
Je
vous
De
mon
vous
viendrez,
rafraîchirai le
palais
breuvage framboise
-
orange
sanguine,
D’accueil, de l’amour délicat - délicieux,
Par sa texture en bouche, et la couleur !
52
Dossier
Je
vous
servirai les
Des olives rouges,
saveurs
:
les
poètes invités
généreuses de mon pays,
roses, des trois récoltes.
vertes, et
J’apprêterai ma nouvelle table noire, carrée,
Que je garnirai des mets les plus précieux :
Tagines, beignets divers, coriandre,
la Chorba !
Je vous régalerai de ma soupe de légumes frais et secs,
Accompagnée d’abricot, de dattes, et autres merveilles.
...
Quand viendra l’heure du coucher,
J’allumerai les trois
bougies sur la table,
Dans la chambre d’amis, à la senteur d’ambre
Des pierres, améthyste, roses, mauves, violines,
Agate, saphir, odorantes et tendres,
au
chevet.
Je
vous enchanterai, par et dans vos draps
Et chaudes couvertures, aux couleurs du Sud :
Rose, grenat, bordeaux pour l’un,
Pour l’autre, une harmonie de bleus :
Ciel, océane, turquoise, Touareg, et de Jammelle,...
Je parfumerai vos oreillers d’eau de lavande,
Juste
qu’il faut,
ce
comme pour
l’amant.
»
Ce fut notre
première nuit, des plus délicieuses, des mille et une
grandioses, aux couleurs, saveurs, parfums magiques de l’Orient...
En y repensant, j’ai peine à croire que c’est déjà terminé !
Un merveilleux voyage à tout point de vue, humain, sociétal, culturel, historique,
poétique,... Une chaleur humaine, des couleurs, des senteurs, des paysages, des découvertes et des émotions inoubliables ! » (F. Devatine)
nuits
...
«
sans
nous
Chers Amis,
...Le Maroc
a
été au-delà de
nos
espérances
: une
hospitalité
faille, des rencontres extraordinaires et des paysages fabuleux. Il
tarde que la deuxième édition du CILAF arrive !
Nous avons été privilégiés de pouvoir approcher une Culture mil-
lénaire d’aussi près.»
(R-J. Devatine)
53
Littérama’ohi N° 17
Flora Devatine
à Ali Iken
Itto dit
:
Tanmirt !
La Gazelle dit Merci
AAli Fennec le sublime, de lui avoir
Ouvert
villages, ses montagnes,
trésors, aux savoirs,
Géantes, grandioses, immenses.
Grottes
ses
aux
La Gazelle n’oublie pas.
La Gazelle se souvient de Ouarzazate
l’auberge Les Météorites,
Ayt Benhaddou,
De Telouet au cœur du pays Glaoua,
Des palais des Glaoui dans le Haut Atlas,
De
De la.Casbah
De la Chèvre d’Ali sur les sentiers de sa falaise.
La Gazelle adore les
montagnes, adore les histoires d’Ali,
Antiques et contemporaines,
Des Grecs, des Amazighs,... Arabes, Romains,
Les adages, les fables, la mythologie,
Atlas, Hercule, le Jardin des Hespérides,
Histoires tristes de batailles héroïques,
Histoires drôles des animaux,
Contes infinis du chacal, de la tortue,
Les
leçons de botanique,
géographie in situ,..
Infatigable le conteur, vaste,
Inépuisable la culture d’Ali le poète,
Ali le philosophe, l’humoriste, le traducteur,
Le linguiste, le penseur, le guide... L’Amazigh !
La Gazelle a escaladé des montagnes
De mémoire, d’histoire, de poésie, de culture.
De
La Gazelle ne voulait rien manquer
Des paysages intérieurs qui défilaient
Leçons de poésie merveilleuse.
54
Dossier
:
les
poètes invités
La Gazelle fascinée, éblouie, écoutait.
Puis la voix égrenant le long chant
Poème à l’humanité et à la terre
se
tut
A la descente des sommets
Des
montagnes d’où l’on contemplait
Le monde des valeurs universelles
Du
puits de savoirs d’Ali,
gazelle qui avait vécu intensément
Ces jours-là, pantoise, en resta,
Le Fennec et le Sloughi aussi !
Et la
Devant l’oued soudain
La
gazelle
en crue.
attendre le printemps
revenir dans les Atlas. »
saura
Prochain pour
«... Je n’ai pas tout conté... ni d’Abdallah arrivé
d’Agadir, seul, 500 km
de voiture, 6 heures d’autoroute ; pour tenir, rien que des fruits : bananes,
fraises ; un aller-retour sur deux jours, pour être de la rencontre !... ni d’Alik
et du
somptueux et délicieux déjeuner à Kenitra ! Peu importe l’heure, le banquet attend les convives ! Se souvenir de la règle de politesse à table quand
on mange à la marocaine : ne se servir
que devant soi, et pas chez le voisin ! Succulente sauce aux olives du poulet au four ! Un couscous royal aux
7 légumes ! Des oranges d’un rare délice ! Pâtisseries fines aux amandes et
autres graines craquantes ! Du thé à la menthe préparé par le maître de thé !
A tous les auteurs rencontrés, du premier Salon International du Livre
Océanien (SILO) à Poindimié (Kanaky Nouvelle Calédonie, 17-19 octobre
2003) au premier Carrefour International des Littératures Autochtones de la
Francophonie (CILAF) à Wendake (Territoire huron-wendat, Québec-Canada, 9-13 septembre 2008), et à la rencontre amicale et culturelle au Maroc
(17-31 mars 2009), un ensemble incluant le Salon du Livre de Papeete (depuis 2002) et tous salons du Livre,
Merci à tous et à toutes d’avoir partagé avec moi votre pays, le meilleur
de votre pays, c’est-à-dire vous les hommes et les femmes de votre pays !
J’ai appris qu’on n’aime un pays que par les hommes et les femmes de ce
pays, que parce que les hommes et les femmes de ce pays nous ont aimés ! »
...
55
Littérama’ohi N°17
Anne Bihan
À CHRISTOPHE ROUXEL
À BERNARD-MARIE KOLTÈS
Quai de velours gris
la nuit
des silhouettes
somptueuses
marchent
marge de la ville vendant
le ciel à qui veut l’offrande
en
les eaux topaze aux murs de la grotte
embrasent les yeux des victimes
soldant à l'ombre leur chemise
la
petite a pleuré pour ne pas
l’autre échafaudé des trocs
dormir
de
prince africain
nones crépues vont nues
par les chemins
négociant d'antiques hardes
des
il suinte des mondes
éblouissants.
Seuls les bourreaux
ne
vendent rien.
Alcôve sous-marine
douceur bise de béton brut
armé d’amour
dans l’odeur
meurtrière
dentelle
alanguie des
aux
pourries
grise jarretières aiguilles
ombre détruite.
56
eaux
dessous chics
Dossier
:
Les
poètes de Kanaky
Dans le suintement sourd des histoires
accomplies, enfantine la jouissance
enfin permise.
* * *
Frère,
poisson mort
dans l’eau blonde du corps
défait,
pierre
port,
ou
sang
de velours
au
lait
retenu
des vives
un
mères,
jour,
sur
les couteaux.
* * *
Départ
d’entre les
murs
les tombes
les meubles
les saisons.
* * *
Décalage
dans le ciel courant l’heure du soleil cherche
à te
rattraper
la nuit craque d’impossibles
éclairs d’orage
blancheurs
l’avion bat
l’aile
croît le
cœur
chaud
sous
métallique la ville
temps d’en bas nous saisit
57
Littérama’ohi N° 17
Anne Bihan
s’éloigne
nous
irons, dit l’enfant, plus vite que le jour
dans la
grande nuit.
* * *
Les derniers feux du rêve
bordent le chemin,
soumise,
une
femme s’abandonne
la
montagne qui s’éreinte
qui reste
contemple ce chiffonnement,
à
sauver ce
cette froissure d’eau forte
et le sang
crié
tu
contemples les tombes
désertées,
le ciel aboli t’accompagne.
des enfants
Absent, l’homme te guide,
et c’est la solitude !
* * *
Dossier
La
:
Les
poètes de Kanaky
nuit, l’incendie
(extraits)
Soleil kanak
je te regarde
étrangère
interroge tes sentiers
tes cases sans porte
ni fenêtre
souris à tes enfants
lumineux
et
désespérés
Pourquoi ?
Nuit australe
native
nuit de
Kanaky
j’écoute le son
des canettes
tombées
sur
les niaoulis
bière de Noël
et les branches
trinquent
craignent la dengue
les enfants cognent
deux jouent aux menottes
les femmes
sur
les rondins
deux
astiquent leurs copains
les autres
se
taisent.
59
Littérama’ohi N°17
Anne Bihan
Je
pleure sur les cases
qui ne naîtront plus
la paille est cendre
et le bois rongé
la lune couchée
n’ose
la
plus sa pâleur
montagne en feu
dit adieu
au
dernier bruissement
d’herbe
et d’eau.
* * *
Gousse
sexe
longue du flamboyant
d'arbre
à foison
tu brûles
tout est cendre ce soir même
l’homme dans
sa case
l’enfant
le ciel où la
montagne
part en poussière
et
l’igname pleure
l’eau rêvée
de
l’étrangère.
* * *
60
Dossier
Guetter le
sens
:
Les
poètes de Kanaky
à la racine
du
geste
Le feu s’est tu
tout est opaque
j’en viens à pleurer
sur
l’arbre
en
incendie
et l’herbe affolée
s’offrant à la marche
du vent.
Des souffles dans l’ombre
déclinent les cendres
s’apaisent.
Ils aiment le feu,
parlons de mort
parlent sous la case
nous
ils
nous
L’eau
hors du cercle.
a
bu
la terre
tout est opaque
j’entre dans l’ignorance
la trouve douce
à l’écart du ciel
le vide
se
penche.
61
Littérama’ohi N°17
Anne Bihan
Triptyque insulaire
Terre de feu
sourd
et les
bruyères.
Atteindre l’intensité
du vert
derrière le toucher
et
sous
les
sec
pépites
nickél itères
reconnaître la
qui
La
nous
question
habite.
Chaussée des pauvres
n. f.
Long écueil sous-marin.
Chaussée
-
Vue du
large, elle fait obstacle à l’horizon. Haute. Sombre. Tient le
respect. Il s’épuise contre la barrière sur quoi viennent mourir les coques trop hardies. Peu de passes. Survivre est affaire d’initié.
Mais nul besoin ici nul désir peut-être - d’allumer des feux pour attirer
des proies hypothétiques. Se tenir là suffit. Que Dieu protège ceux qui
par miracle ou par science échappent au désastre. Ils font escale et pasPacifique
en
-
sent leur route. On s’accommode de tous les autres,
échoués
sans
crier
des coffres pleins d'inutile à ras bord et le ventre plus grand
les yeux. Leur embarcation a cessé d’évidence d’être sécure,
gare avec
que
brèches colmatées à la va-vite, voiles déchirées, moteur en rade, liens
tout à l’avenant. D’emblée trop lourds en somme pour ignorer, les voyant
tirer leur fardeau, la difficulté que ce sera
pas
62
de reprendre la mer. Et ce n’est
les quelques bricoles pillées avec leur accord, au titre du respect dû
Dossier
:
Les
poètes de Kanaky
à des hôtes soupçonneux
mais courtois, qui les rendront plus légers
quand viendra inévitablement l’heure de choisir entre l’habit du voyageur
et les frusques de l’exilé.
Ce
jour-là, tandis
que
pieds nus l’enfant prend sur le sable la mesure
du monde,
eux
à leur tour ils s’adossent à la montagne. Quelque chose en
résiste encore, un fleuve, la Pâques d’un clocher, un coquelicot, le
goût des mûres, le parfum du lilas. Mais elle pèse de toute sa densité,
or, fer, sang, nickel, sang, cobalt, fougère, sang, nickel, sang. Ils apprennent à se tenir là, et qu’il faudra désormais tenter d’habiter les lumières et les ombres d’une île qui n’en finit pas, au gré des flux et d’un
antique vouloir, d’offrir ou dérober à la marche des errants sa chaussée
des pauvres.
Alors doucement leurs
épaules
se
dénouent et, reconnaissants, ils
s’abandonnent.
Cette île
plus que toute autre
et l’étreinte du rêve
des
manguiers
dans les narines.
Marcher
plutôt que se perdre
dans l’absence de Soi
et
quand l’océan se fera
visible enfin
prendre le parti
pulpe.
de la
63
Littérama’ohi N°17
Luc Camoui
KABIR
KOUBA,
JOYAU IMMORTEL
Ô Kabir Kouba,
Chute d’eau limpide
D’une cascade
Aux
sources
Tu draines
lointaines,
avec
toi
Mythes, contes, légendes
Et récits d’histoires
D’un
Peuple Autochtone
Ecorché de
son
sang,
Martyr des civilisations
Conquérantes d’antan.
Témoin oculaire
Des bains de sang
Immémoriaux
De tes
pairs de la Résistance;
baignes des générations
D’âges en feuilles d’or,
Tu
Sans faillir
Ata Grandeur
d’Âme.
Cliché incommensurable
Des trésors intarissables,
Des souvenirs mémorables
Au Coeur des
Hurons-Wendat;
Tu arroses,
Depuis ton lit serpentaire,
Le Parc de la Falaise
D’écumes boréales,
De fraîcheur immuable,
64
Dossier
:
Les
poètes de Kanaky
D’arôme d’érable insatiable
Traversant la nuit des
Cours d’eau
temps.
singulière
Au débit incantatoire
De la
Réthorique Indienne;
Issu des mouvements de lune,
Confluent aux confins
Des Divinités,
Chantre crépusculaire
Des
Origines,
Bouillon viscéral
Des Premières Nations
De culture
Du
Pays Wendake;
berçeuses d’allégresse
De jour et de nuit,
Fidèles à ta Cosmogonie,
Voleront à jamais
Des moments magiques
Tes
Dans la Mémoire Vivante
Du visiteur avéré d’un instant,
Captivant
son coeur avisé
Pour n’être seulement
Que Complice d’un Jour
De ton Eternelle Quiétude.
Ô KABIR KOUBA,
JOYAU IMMORTEL
De l’UNIVERSEL !
«
Autochtones d’ici
ou
d’Ailleurs,
Partageons Ensemble la Grandeur d’Âme
De
Territoires Autochtones pour
Préserver notre AUTOCHTONITE »
nos
65
Littérama’ohi N° 17
Christine Sioui Wawanaloath
LE SPECTACLE
DU CLAN DES OISEAUX
Kwé,
Je suis Christine Sioui Wawanoloath. Je suis née ici à Wendake.
Mon
le
père était Huron-Wendat. Mais j’ai passé mon enfance à Odanak,
village abénaki de ma mère, et les abénakis font partie de la grande
famille des Wabanakis.
Les
Wabanakis, le Peuple du soleil levant, était composé de plu-
sieurs groupes :
Les
Mahrcans,
Les Massachusets,
Les Malécites,
Les Micmacs,
Les
Les
Les
Les
Missiquois,
Narragansetts,
Norridgewock,
Passamaquoddies,
Les Penobscots,
Les Sokokis,
Les
Wampanoags,
Les Woronock et les Winooskis, pour ne nommer que
unes des centaines de peuplades qui occupaient le nord-est
quelques
de l’Amérique du Nord quand les Européens ont débarqué sur nos rives. Certains
peuples ont disparu ou ont été absorbés par d’autres peuples autochtones qui existent toujours.
Nouvelle-Écosse, le NouveauÉdouard, le Cap Breton, les états du Maine,
Le territoire des Wabanakis inclut la
Brunswick, l’Ile du Prince
66
Dossier
:
Les
poètes Amérindiens
du New
Hampshire, du Vermont, du Massachusetts, du Connecticut et
au Québec, la Gaspésie et le sud du Québec dans
partie sud du St-Laurent jusqu’au lac Champlain.
de Rhodes Island. Et
la
au
On estime que les
moins 12000 ans.
wabanakis habitent ces parties du monde depuis
Les traditions orales recèlent
beaucoup d’informations importantes
qui
nous éclairent sur le passage du temps, tel que la légende sur le
mammouth. Le mot qui décrivait ce mastodonte antique, qui a vécu en
Amérique du Nord, a été conservé chez les Pénobscots jusqu’à nos
jours. Joseph Nicolar, un aîné de cette nation, décédé en 1894, le nommait ‘Par-sar-do-kep-piart’.
Il décrivait l’animal
en ces
termes.
«
Son dos ressemblait à
une
demi-
lune pourvue d’une très
daient de chaque côté.
petite tête. Ses oreilles, grosses et minces penSes yeux et sa bouche étaient menus, mais sa
lèvre supérieure était si longue qu’elle pouvait atteindre les plus hautes
branches des arbres. De plus, il avait deux longues cornes de chaque côté
de cette interminable truffe. Or cet animal géant a disparu il y a environ
12,000 ans. Mais on a conservé ce souvenir lointain dans une légende.
Quand l’Orchestre symphonique de Québec et l’Arsenal à musique
m’ont demandé d’écrire
une
histoire
sur une
cette terre et celle d’au-delà de la mer, j’ai
aurait pu avoir lieu entre humains, animaux
Le Clan des oiseaux est
rencontre entre le
voulu décrire
un
peuple de
contact qui
et personnages légendaires.
peuple fictif de culture Wabanakise. Ses
grand fleuve. J’ai situé le lieu géographique en haute Gaspésie, aux alentours du parc national de Forillon.
un
membres habitent à l’embouchure d’un
Les personnages
légendaires font tous partie de la tradition mythologique des Wabanakis. Michabo, une divinité solaire, avait recréé le monde
après le déluge et était considéré comme l’ancêtre des humains. En tant que
héros culturel, il leur a enseigné comment survivre et vivre dans ce monde.
67
Littérama ’ohi N° 17
Christine Sioui Wawanaloath
Michabo est sage
et extravagant. Il peut transformer son apparence
guise. On appelle ce genre de héros mythique un « trickster » qu’on
pourrait traduire par «farceur», «fripon divin» ou «filou». Il fait des tours
pendables et se fait aider dans ses entreprises par des forces de la nature telles que le tonnerre, les éclairs et d’autres animaux mythiques aux
grands pouvoirs. Bref, c’est un perturbateur hautement qualifié et un
empêcheur de tourner en rond de la pire espèce.
à
sa
Le
capitaine et les matelots sont également fictifs, mais ils ont été
par des événements véridiques. Tout le monde sait que Jacques
Cartier avait cru avoir trouvé de l’or et des diamant en voyant scintiller le
cap que l’on appelle aujourd’hui le Cap Diamant. C’est que, croyant avoir
trouvé de l’or et des diamants, il avait rapporter quelques spécimens en
France, mais il s’avéra que ce n’était que de la pyrite de fer et du quartz...
d’où le nom de Cap Diamant en souvenir de cette erreur historique.
inspirés
Les gens
du Clan des oiseaux s’identifient à des volatiles parce
qu’ils ont calqué leur mode de vie sur celui des oiseaux. Ils construisent
leurs habitations en rond, comme des nids, et apprennent dès leur plus
tendre enfance à siffler
comme
les oiseaux, et cela dans toutes les ex-
pressions aviaires connues sur leur territoire. Ils observent un tabou
« ne jamais tuer un oiseau », à moins de subir une famine tragique qui les forcerait à devoir se nourrir de la chair d’oiseaux. Mais ces
derniers auraient été dûment sollicités et seraient remerciés par des actions de grâce par respect pour les oiseaux sacrifiés.
sacré,
L’histoire
par le songe prophétique d’un jeune homme.
qu’il voyage sur un oiseau géant. Cependant, Michabo veut l’avertir que des étrangers arrivent sur la mer et sème le rêve du jeune homme
d’étranges formes pointues qui répugnent au jeune homme. Le matin
suivant, il voit une embarcation à voile se diriger vers la plage.
commence
Il rêve
Les gens
du Clan des oiseaux reçoivent les voyageurs qui sont les
bienvenus, nourris et fêtés. Lorsqu’ils repartent, deux jeunes gens leur
68
Dossier
demandent de les
:
Les
poètes Amérindiens
Ils veulent voyager sur le grand
voir les merveilles de la nature qui se trouvent au loin.
emmener.
bateau pour
Cependant, Michabo est inquiet. La venue des étrangers est un
présage. Il entreprend donc de harceler le capitaine, qu’il sait
malintentionné et cupide. Un jour, les marins voient briller un cap rocheux
et croient qu’il est fait en or. Ils débarquent pour charger le navire de ce
minerai précieux. Mais avant, ils en profitent pour chasser du gibier.
mauvais
Le
capitaine transporte
Clan des oiseaux
ne
une sorte de long bâton dont les jeunes du
connaissent pas l’utilisation. En voulant les im-
pressionner, le capitaine fait feu et tue un oiseau qui passait par là. Les
jeunes gens, terrorisés par le crime atroce, s’enfuient aussitôt. La colère
de Michabo est extrême. Il fait trembler la terre et les marins s’égarent
quelque temps dans la forêt. Les jeunes gens reviennent au village et racontent les événements des derniers jours passés en compagnie des
étrangers.
Les marins,
qui ont retrouvé la piste qui mène au fleuve, ont transporté des morceaux de pierre sur le bateau et s’apprêtent au retour dans
leur pays. Michabo, toujours égal à lui-même, provoque une tempête et
se change en monstre nautique pour les effrayer tout à fait. Les marins,
superstitieux, croient que la nature se venge sur eux pour avoir dérobé
les pierres précieuses du cap. Ils les jettent à l’eau. Mais la tempête
continue de faire rage et les accompagnent jusqu’à l’embouchure du
fleuve. Elle s’arrête lorsqu’ils prennent la mer.
Quand les gens du Clan des oiseaux les voient passer, ils se réjouissent de les voir partir. Mais une vieille sage les prévient que ces
étrangers reviendront sûrement et qu'ils devront coexister avec eux. Elle
ajoute cependant que leur clan et leurs descendants continueront toujours à chanter avec les oiseaux.
Bon
spectacle !
69
Littérama’ohi N°17
Christine Sioui Wawanaloath
Près de la rivière Kabir Kouba
Pour Luc Camoui
Elle est
impétueuse, filant
plus loin, de
Elle
a
son
chemin de pierres pour aller plonger,
tremplin antédiluvien.
souri à tous les
Les moulins à
sur un
poètes, à tous les peintres et à tous les passionnés.
papier et à scie
se
sont écroulés.
Elle demeure.
Comment chiffrer
ses
anniversaires;
en
milliers,
en
millions
ou en
milliards d’années?
Non, quand on est si vieux, on n’a plus d’âge. On renaît simplement tous
les
70
jours.
Departure
Voici que nous nous sommes
quittés
Espéré de rêves inoubliés
Que
nous sommes
devenus
Divin de beauté
Parmi les
grands crus
De notre beauté oubliée de
grand
grandes écritures
Toujours espéré de gratitude
Pour oublier de quitter ce lieu
Toujours inconnu
vu
Avec de
La traverse
Ajoutant le fait que la mer me façonne la terre
De façon émergeant d’écriture
Pour façonner l’écriture
Prêt a divaguer
Plus grand qu’un ouragan
Détruisant
Réussir de
son
passage
et de terre
mer
Toujours inconnu
Incroyablement courageux
Que je suis devenu
Je suis écrit de
Sur notre terre
Car
vous aveux
engloutie d’histoire invaincu
nous avons
convaincu terre et
De
mer
façon d’exprimer de notre aptitude
pouvoir contester cette terre
Qui nous appartient
Qui nous appartenait
De
Nous
sommes
de nations divins
Toujours inconnu
Littérama’ohi N°17
Rita Mestokoscho
Le bonheur
de face
vu
Petit soleil
vit
jour en rêve
la face cachée de la lune
un
Il dit tout bas
qu’elle est belle
la lumière dans tes yeux.
Cette lumière rayonne
dans le désert tel un mirage
Cette même lumière brille
au
dessus des montagnes enneigées.
Quand elle s’illumine
elle accroche tous les
des
en
automne
coeurs
des
poètes
grands coins de terre.
“
Dessous la
pluie
je
un
vous écris
retour à la vie
bien
remplie... “
“L’automne est là
dirait mon père
Soyons heureux
pour ceux qui vont partir. ”
“Accueillons
qui arrivent
aimons
Respectons les autres
embrassons
ceux
ceux
que nous
Parlons de nous-mêmes. ”
72
séphine Bacon
Poèmes
bilingues : innu, français
Nimishat, nutin,
Nimishat, nutin,
Mes
shatshitauat assinu
caressent
uapitsheushkamiku mak massekushkamiku.
Nimishat, nutin, shatshitauat
anite ka pimikaut shipu,
anite ka pimikaut shakaikan,
minaiku uitamuepan nutauia.
de lichens et de
Ninan apu mitshetiat
nuenutishinan
Nous
miam assi
comme
nipuamunan.
nous
Ninitau-mashinaitshen
J’ai
uet tshi
le Tshishe-Manitu des missels.
tshitapataman
Tshishe Manitu utaiamieu-mashinaikan.
Nitipenimitishuti eshku eka
tipenimit.
Nitapueten état nitaiamieu-nikamututuau.
les
sœurs
quatre vents
une
terre
mousses
de rivières et de lacs,
là où les épinettes blanches
ont
parlé à
mon
père.
sommes rares
nous sommes
riches
la terre,
rêvons.
su
écrire
en
lisant
Je n’étais pas esclave,
Dieu a fait de moi son esclave.
Tshishe-Manitu
J’ai cru, j’ai chanté ses
Indien donc indigne,
Nitinnuti anutshish
je crois en Dieu.
Dieu appartient aux Blancs.
nitapuetuau Tshishe-Manitu.
Kauapishiht nenua
louanges.
Je suis sédentaire.
Utshishe-manitumuaua.
Apu aiatshian.
73
Littérama’ohi N°17
Joséphine Bacon
Nipaii
Tue-moi
manenitamani nitassi
si
je
manque
de respect à ma terre
Nipaii
manenimakau
Tue-moi
nitaueshishimat
si
Nipaii
je manque
Tue-moi
eka tshituiani
si
de respect à
mes
animaux
je reste silencieuse
quand on manque de respect
à mon peuple
manenimakanitaui
nitinnimat
Extraits du recueil Bâtons à message,
Tshissinuatshitakana
Mémoire
Poème inédit
J’ai dormi
sans
sommeil
veillant ton corps
meurtri par une bataille
absente ton rire
m’a
échappé
cette nuit toute blanche
je
me trouve devant
dans un silence
douloureux
qui te supplie.
74
toi
d’encrier, 2009
Amoureuse d’un souffle
qui se prolonge d’une rive à l’autre, d’une
langue à l’autre, d’une culture à l’autre, Laure Morali reste suspendue à la
respiration des lieux et aux lèvres des anciens, lorsqu’elles prononcent des
mots presque disparus, dont le souffle nous transporte au cœur des choses
qu’elles nomment. Peut-on passer sa vie à chercher un son qu’on n’a jamais entendu et qui pourtant nous manque ? Seule la poésie lui permet
d’approcher ce son et de combler ce manque. Ses récits et son recueil de
poèmes, La mer à la porte, La route des vents et La terre cet animal (La
Part commune, 2001, 2002 et Mémoire d’encrier, 2003) forment une trilogie d’eau, d’air et de terre, en route vers le feu. Laure Morali vit à Montréal
où elle a dirigé Aimititau ! Parlons-nous ! (Mémoire d’encrier, 2008), un livre
de correspondances entre écrivains Amérindiens et Québécois.
Poèmes
Je
porte un lourd fardeau,
pourtant
c’est un poussin d’or
que je porte sur le dos.
et
Izli
de
fiançailles amazighes
* * *
Ma
grand-mère
Tu
me
dit
:
gardé la lumière
regard de mon père
qui faisait boire les étoiles
«
as
du
avec ses
frères chaouis
dans la nuit des Aurès
à l’eau de leur voix.
»
75
Littérama’ohi N°17
Laure Morali
J’ai été couvée
de
sous
les
plumes
grand-mère
paon,
loin des fontaines chaudes de Khenshela
et de l’odeur du lait
dans la ferme de
qu’elle barattait
père
son
Lazare, fils de Taous
et d’Anania.
Lazare devait
comme sa
parler le tamazight
mère paon.
Le bracelet à têtes de
serpent
que m’a offert sa fille
en souvenir de sa terre
enserre
notre mémoire enfouie.
* * *
Je te
regarde respirer dans ton sommeil
forme des vagues
grand-mère paon
ta peau
la chair
a
fondu pour
la lumière
la douleur
a
poli
ta main douce
je la tiens
c’est à
mon
tour
de te faire traverser
76
laisser passer
Dossier
:
Les
poètes Amérindiens
bientôt
d’où tu
ce sera
me verras
moi le
la femme
fantôme, et toi
épanouie dans la roue
de l’univers
Je pense à la mort comme une
sent l’odeur de la terre
se
propager
dans
Le monde est
ses
fleur
veines de bois
coquelicot
transparent au soleil
pour lequel son sang bat.
un
* * *
«
Le sang a son message »
dit OmarTaous,
me
le
poète.
en
Nous
souvenir de Goulmina et de
À
“vous 5"....
nos
partages...
guérissons dans l’amour des poèmes
autour d’un thé à la menthe à chaude
voix,
nous
sous
les peaux
partageons le monde
des chèvres noires
Les absents
rejoignent
l’alphabet secret
des tapis brodés.
nous
dans
77
Littérama’ohi N°17
Laure Morali
*
Tamazight
Femme terre
corps écrit
dont vous savez lire
au
les
plus intimes poèmes
la hanche de Tamazgha
où poussent des fleurs de neige
sur
où filent des sabliers de vent
à travers les métiers à tisser
la laine des moutons.
* * *
Azul
Tamazgha
50
ont
passé
qui m’ont paru 500
depuis que nos milliers
ans
d’histoires
ont été
communes
balayées
comme on
balaie les hommes
Tamazgha
Azul
je ne te pleurais pas
je n’avais pas de larmes
je ne te désirais pas
ni même t’espérais
78
Dossier
:
Les
poètes Amérindiens
tu avais tout
simplement
mon père,
mémoire, de sa langue
été effacée de
de
sa
et de l’endroit de l’âme
que
nourrit la terre.
*
Tamazgha,
dans le sable, cette
nuit
j'avance
en
toi,
un
tambour
à la main
je déterre
le soleil
de notre mémoire
il monte secrètement
derrière les nuages
je le sens
brûler la mort
de
mon
au
passage
chant.
Azul
Terre de
mes
ancêtres,
je te rapporte
le souffle de ta fille
Azul
Soleil des anciens
79
Littérama’ohi N° 17
Laure Morali
grand-père
déjà rejoint
que mon
a
Azul
mon
Azul
ma
Azul
Tafuyt
grand-père
grand-mère
Soleil lève-toi
Azul
Ma
Tamazhgha
grand-mère sort de
ma
Reçois l’âme de ta fille
*
Tanmirt
Tamazgha
j’ai retrouvé
j’ai retrouvé
j’ai retrouvé
80
peuple
joie
mes larmes
mon
ma
bouche
Iha Oudadess
Azagharfar en printemps
Longchamp, c’est ici ;
Aghezzaf.
Almou
Les cerisiers
Les
Tout
A
en
fleur ;
bourgeons, les feuilles,
en
couleur.
l’horizon,
comme
Sur les cimes, de la
écho,
neige ;
Azur et nuages.
Le
regard,
en
grand, baigné ;
Le vert, tes nuances.
Le soleil
sympathique, généreux,
Sème, à tout
va,
le réveil.
Des oiseaux, des sons
doux,
Des insectes,
Tendrement, bercent l’oreille.
Senteurs discrètes et moult
Chatouillent les narines.
La brise
légère,
De fraîcheur,
fouette le visage.
Je lis et relis,
Je savoure,
quelques vers.
René-Jean Devatine,
Ses dunes et
ses
pierres
La terre cet animal,
De Laure Morali.
M’est
souvenir, de Rabat,
;
Littérama’ohi N°17
Hha Oudadess
La
pirogue de pierre
De Flora Devatine.
Du lieu-dit de l’Atlas,
Intimes
escapades,
l’Algérie
pays à pays.
Du Brésil à
De
;
Confidences et confidence ;
Le manque
sublimé ;
de la vie.
Respire le moment de grâce !
Ecoute le langage de l’univers ;
Le message
Ecoute le silence.
La nuit
Eté
comme
Hiver
Des
ou
d’Azaghafar
automne,
printemps,
palabres durant des heures ;
palabres.
Des lustres de
D’ici, d’ailleurs,
De nulle
part ;
Chacun son histoire,
Sa raison
ou son cœur.
L’être du terroir,
L’écrivain, le poète,
Le techno, l’intello ;
Et ça
82
parle et ça vit ;
Dossier
:
Les
poètes Amazighs
A bas les frontières.
Pardon, le passager ;
Ton nom,
Mais pas
j’ai oublié
ton empreinte.
Que de mots,
Que d’idées,
Jetés à l’avenant !
Tels des Tsunamis,
Charrient le cachottier.
Surpris, il se révèle
geintes inconnues.
Le fluide des Abehri,
Aux
La
prestance d’Azaykou,
Husa, les Khadaoui,
Tasos le maître Zen ;
Et aussi moult Pathos.
Et...
De la
fange à l’éther,
Du ciel
au
terre-à-terre.
C’est Azagharfar,
la nuit.
?
A qui sait le sentir, le sait.
Le message
L’hôte ?
Son accueil ; béat le
sourire
;
Le rire de tonnerre.
Pense-il ?
Que sais-je
Mais le
?
cœur
ouvert,
Aux invites de l’univers.
83
Littérama ’ohi N°17
Nadia Chafik
A toi, amant
de
mon
sommeil...
Oui, je le veux... ! A l’ombre des cèdres, je le veux ! Aux reflets des lacs et
aux
éclats de lune.
Mais... sauras-tu abattre les nuages ?
Sauras-tu vaincre les distances pour te joindre aux
du soleil » ?
périples d’une « Petite fille
Je te sais fort et téméraire...
Mais sauras-tu lire à la lumière de
l’écho des montagnes, le
Si tu puis tout cela, viens
mes
silences, le
murmure
des rivières,
cri du désert et le rire des oasis... ?
te joindre à moi,
Viens, je guiderai tes pas.
Sur la
plaine d’Ytto, je dresserai notre tente de noces et nous y rêverons.
Carthage, je t’offrirai Constantinople et...
Je te raconterai
Même Rome s’il le faut !
Je te
promets tout cela, et plus encore, si tu sais lire que dans l’ombre de mes
mots, que dans la pâleur de mes yeux et le miel de mes cheveux,
Jamais, tu ne m’enfermeras, entre tes mains, sans risque d’y laisser les couleurs irisées de
Mais, dis-moi,
ma
au
peau.
fait, à quelle adresse m’écriras-tu ? car vois-tu,
2915, Edouard Montpetit
M7N 1G5 Montréal
(Québec)
Canada
est
une
adresse erronée
lointains horizons, le courriel est un majestueux dro-
Et, dans
ma
madaire
qui prendra tout le temps de l’univers pour me remettre tes colombes
d’amour.
84
contrée
depuis des années lumières.
aux
Dans la
palmeraie paisible et innocente
Poème I
Le faucon tournoie dans le ciel de
au
Merzouga
dessous
sable
rougeâtre
parsemé de personnes venues d’ici et
un
d’ailleurs
Entre le faucon et le sable
une
très
histoire d’amour née à Wendake
il y a
de cela longtemps
longtemps
Le sable sait que le faucon l’aime
Le faucon sait que le sable ne l’aime pas
Et pourtant il ne cessera jamais de vibrer
Un
jour il y eut une telle tempête
que le sable risqua d’être emporté à jamais
Alors pour
la première fois
il eut un regard de tendresse pour le faucon
Le rapace tressaillit si fort que la tempête prit peur
Elle s’éloigna si vite que la pluie plaqua au sol
le sable
qui
la première fois
pleura de ce bonheur pantois
pour
encore
plus beau car plus propre
plus vivant car aimant
plus humain qu’animal
encore
la preuve
encore
encore
que
l'amour est éternel
85
Littérama’ohi N°17
Ali Khadaoui
Poème II
Dans la
palmeraie paisible et insouciante
mirage s’est posé sur l'eau de la rivière
Un
Et
Sur le sable
par
des mains invisibles
se
sont écrits
mes
rêves... pour
toi
Aujourd’hui
Plus rien
Même la dune sublime
a
disparu...
L’ange aux cheveux crépis
L’ange qui allait vers le sud...
Ce doux souvenir
au
milieu du tambourin
dans
un
dans la
moulin d’eau
patrie des amazigh
L’ange de l’amour
Il la
s'approche de la lune
prend par le bras
lui montre la terre
des
poussières de lumière
et
une
âme à la dérive...
Poème III
Partie embaumer le désert
Une lumière divine
sur un
chameau
dans
une
dune
ocre
d’avoir trop pleuré
un
86
soir de Mars
...
Dossier
:
Les
poètes Amazighs
Elle défie les siècles
retrouver l’erreur
quelque part
pour
dans les yeux
Elle hante
mes
rêves
des inconnus...
depuis
que je ne sais plus
qui je suis...à Wendake...
Le lendemain
au
matin
il
n
y
avait plus de traces
sur
Mais dans
Etaient
le sable...
mon cœur
gravées à jamais
les empruntes odorantes
les mots fétiches
esquissées à Wendake
à Montréal...
Je suis tour à tour
Rita
Joséphine
Rodeney
Flora
Et tous les autres
Comme par
magie
sur
le sable
ocre
d’avoir
Ton
trop pleuré...
parfum
embaumera le ciel
de
Tamazgha
pour
l’étémité...
87
Littérama’ohi N°17
Ali Khadaoui
Poème IV
Il est
déjà nuit
cierges sont allumés
et mille
dans le tambourin
sentant le tara
qui
a
paralysé
d’adolescent
prisonnier d’un corps de
mon cœur
vieux...
Est-ce
un
crime que
Le chant s’est
d’aimer ?
évaporé
comme une
Le chant
tenue
promesse non
qui disait :
Amarg amarg a y amarg a y amarg
Ul inw ul inw a y ul inw ak
iraaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaan
Je
comprends mieux maintenant
vers de Vigny
Les fameux
«
Que
ces
me
font
ces
vallons
ces
coteaux
collines
Vains
objets dont pour moi le charme
s’est envolé
Un seul être
* * *
88
vous
manque
Et tout est dépeuplé ».
Dossier
:
Les
poètes Amazighs
Poème V
J’aurais aimé être
mirage
graine de blé
une poésie
qui pousse et meurt
un
une
comme
Ce soir de Mars à
Le sable
se
les traces
sur
le sable du désert...
Marzouga...
rappellera
de moi tout tremblant...
* * *
Poème VI
En fait
J’écris pour
au moins
fuir ou
explorer
ce mystère
que
je suis...
Sable,
Rivière désert
caravane
Mirage des siècles et des larmes
des enfants
des
regards
des horizons,
des troubadours...
Le
poème
La lumière
Ce vent
Mémoire des filles
avec
l’onde
des nuages
89
Littérama ’ohi N° 17
Ali Khadaoui
Izlan
(chants)
parfum
De tiwirga (rêves)
Des izuran (racines)
Asghurd n tiwtmin (youyou des femmes)
en pleine lune
avec des étoiles complices
Ce
et des astres silencieux...
L’oralité
Le silence de l’océan
L’irrigation frayeur
La brise cet âge absence
puissance blanche
rituel ivre
angoisse de l’étranger....
Le
temps
muet
est mort
une
sur une
plage
libellule invisible
sur
le
roseau
et la voix incolore
comme
le ciel la nuit
le ventre de la terre
s’amuse à
regarder l’homme
boire à
sa
coupe
de mouche et de blanc
le hasard
il
n’y est pour rien
poise juste pour l’éternité
Mieux
la
platitude
comme
être sans projet aucun ?
Terrible
Cela s’adresse plutôt aux femmes qu’aux hommes
Aux femmes que les religions ont broyées
dans le bonheur et l’horreur de l’enfantement...
90
Dossier
:
Les
poètes Amazighs
L’épée de l’homme adulte
paix du vieillard
Jusqu’à la prochaine guerre...
La
Et moi
je crie
:
Laissez les oiseaux chanter !!!
L’homme derrière le masque
Juste avant l’aube
Dépose devant l’autel de l’éternité...
Contre les crimes réunis de l’Occident et de l’Orient...
J’ai des
cœurs
dans la tête
et des
papillons
dans le
Ainsi
parla
une
cœur
jeune fille de 7
ans
Amoureuse d’un garçon de
8
Le
jour s’est levé
car
ans
!
c'est le moment
De revoir l’homme dans la maison
Il faut habiter
Rien
Les
ne
ses
mots
justifie les conquérants,
massacres
L’argent
Le meurtre
L’horreur du vide
91
Littérama ’ohi N°17
Ali Khadaoui
Et l’aurore
la renaissance des autochtonies
Ce
sera
Un
échange d’espoir
Contre le mur
Un heureux destin par
la rédemption
Le bonheur
Quoi !
Poème VII
Mais
Ceux
qui savent
Savent
que ces
larmes se versent
sans ma
Ceux
volonté...
qui ont expérimenté l’amour
savent
que personne ne peut endurer
l’absence de l’être
aimé
«
Tu m’as dit
Jamais
Et
ma
nous ne nous
vie
a
été longue pour
Que tu m’as
quitté !
La solitude
La
nostalgie
Les chemins...
92
séparerons
»
voir
Dossier
:
Les poètes
Amazighs
En fait
Cette musique terrible
continue
Qui crie
au secours
Qui
se
se
lamente
torture
tel
un
serpent dont
on a
coupé la tête
Cette musique
céleste
qui crie
O
cœur
O
cœur
Tu n’as pas
d’âge...
Poème VIII
Sur les dunes
ocres
d’avoir trop pleuré
s'étale
mon cœur
comme
les
pétales
des
roses
autochtones
afin que tes
pieds le foulent
et sentent à
quel point
il fait froid
sur
le sable
la nuit...
93
Littérama’ohi N°17
Ali Khadaoui
Ali Khadaoui est né
en
1953 à Ait Qassou près d’Ajdir au Moyen
l’école du village avant de rejoindre le fameux collège berbère, devenu après l’indépendance du
Maroc, lycée Tarik Ibn Ziad. Après son baccalauréat de lettres modernes
en 1972, et une formation de deux années au Centre pédagogique régional de Meknès, il enseigne le français au collège Sakhr à Azrou, puis
au lycée Mimosa à Kénitra. Après deux années de formation, il occupe
un poste à l’inspection académique à Kénitra de 1987 à 2001, exception
Atlas. Il
a
fait
ses
études primaires dans
faite d’une année où il est
au
Bahrein.
comprendre davantage sa culture amazighe, il s’inscrit à
Valéry de Montpellier pour préparer un DEA en anthropologie qu’il obtient en 1985.
Après le Manifeste amazigh de Mohamed Chafik, publié le 1er mars
2000, et qui résume l’essentiel des doléances amazighes, l’État marocain a décidé de mettre sur pied l’Institut royale de la culture amazighe
(IRCAM), où il a été nommé par deux fois, mais n’y est resté que 3 ans
en signe de protestation contre les multiples barrières dressées par le
gouvernement marocain contre une promotion réelle et concrète de
l’amazighité dans ses différentes expressions. Il a publié :
Taânassart: un rite agropastoral chez les Imazighen du Moyen
Atlas, mémoire de D.E.A, 1985.
-Anthologie des Poètes amazighs du Moyen Atlas, 1996.
Étude critique en langue amazighe de la nouvelle, Tasardunt tasVoulant
l’université de Paul
-
-
fazzat d’Ahmed Haddachi, 1998
-
La
poésie amazighe et la résistance armée dans les Atlas.
L’histoire de la résistance armée dans les Atlas, racontée par
la
poésie, Centre d’études historiques et environnementales, IRCAM, 2004,
-
Rabat.
tissage au Moyen Atlas, centre des
pologiques et sociologiques, IRCAM, 2004.
L’art amazigh, 2005.
-
-
94
Mémoire et
Études anthro-
Prière
Sombre
aux
passé
incessants fouets
glaciaux
la face d'une mémoire blessée,
en mille vagues à conjuguer
sur
-
criant leur faim
aux
impures certitudes
-
arrête les pas de ta terre,
élus indomptables en ces
blancheurs des jours,
d’argile s’effacent !
Prière, Ô sombre passé,
là où
mes
sur mes
refais
semelles
fronts
encore
surface !
Sentence de magot
Griffe habile
sur
10h
J’arracherai
Dit-il à la passante
De cette terre qui tourne
Les
aiguilles de
mon
horaire de
vos
montres débiles
Quand les fours auront des mots
pour relire votre histoire de l’homme
Et quand vos encres ajusteront
Incertaines
irréelles
leur débit
au
froid d’I hiver
 la lumière du
tronc centenaire
Alors
je saurai vous
Si rien n’est fait
dire
Quelle heure est-il
Et
vous
n’aurez ainsi
Fortuitement
un
soir d’hiver
Littérama’ohi N°17
Ali Iken
Au terme de ma
parole
Jamais virtuellement besoin de temps
Le
long de vos voyages
Mes dons ! Disait un soir le roi
Au
palais d’un museau de loup
la clé d’or
messieurs mesdames
passe-partout
personne ne peut s’en servir
qu’un clown hagard
bavard
aux
bizarres manies
pouvant tel un speed d’acrobate
ne pas toucher de ses pieds
ni de
ses
mains
le sol,
faire ses
galipettes
parodies
quelques petits mètres du nez de son maître
ses
à
chantant
valsant d’amour pour son
bachi-bouzouk entre
de
ses
gauche
dans
sa
main droite
des rires fous et sages
froncer des cils
des sourcils
du cul
ou
des
paupières
ça je n’aime pas
sachez-le !
96
roi
doigts
Dossier
Ni s’habiller d’un
ou
avoir
ou une
sur
le
Les
poètes Amazighs
pantalon chic aux mille couleurs
bijou piercing
nez un
tête d’abricot
présent je le
sans
:
veux
couleurs
toujours
en
l’air
figure assassine
le clown
sans
odeurs !
Jamais les
Y
a
t-il
Qu’il
disait
pieds sur terre
quelqu’un parmi vous ?
avance vers mes
un
dents ; tout le sabre est là !
soir le roi.
« Je suis marocain
amazighophone, enseignant au lycée Sijilmassa à Errachidia, chef-lieu de
région de Tafilalet... Né un certain 15 novembre de l’année “La vache Noire“ ! d'une famille de paysans, dans la commune de Tidjit, un villagè minier de la province de Figuig.
J'ai reçu le premier prix Mouloud Mammeri en 1995 avec une mention spéciale décernée par
“la fédération nationale des associations amazighes", à Tizi Ouzou pour le premier roman écrit en
amazigh, “asekkifnyinzadn", “soupe de poils".
« Première
publication en 2004 du Centre des Etudes Artistiques, des Expressions Littéraires et
de la Production Audiovisuelle (CTAELPA) de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), dans la
série « créations », “asekkif n y inzadn“ est un roman (ungal en amazigh) qui a pour toile de fond les
événements historiques de 1973 dont les villages de Khénifra, Goulmima, Rich et Moulay Bouâzza ont
servi de théâtre. Il se présente sous forme d’un journal, celui d’un des trois principaux personnages du
roman, Aqqa. Un lettré qui raconte ses espoirs et ses désillusions, et qui, après l’échec de la rébellion,
se réfugie chez un poète à Boumia avant de quitter le territoire national. Le roman est également une
investigation fructueuse d’une forme d’écriture susceptible de permettre à la langue amazighe de s’inscrire, aux niveaux thématique et formel, dans la modernité., .dans une langue accessible, compréhensible de tous et transcendant les clivages et les variations de la langue amazighe. »
J'ai publié dans plus d'une quinzaine de revues et de journaux marocains et algériens des
poèmes, des contes, des nouvelles, des traductions et des articles journalistiques.
des « poèmes germés au lait lunaire » (6) ; des « graines de haikus cuites au soleil » (7) ; des
traductions de Paul Verlaine, de Victor Hugo, de René Char, de Paul Eluard (« Derniers
poèmes d’amour » sur le site d’Émilie Codaire)
J’étais invité de la radio amazighe à quatre ou cinq reprises pour participer à des émissions
sur la poésie amazighe.
Dans la toile poétique, je suis accroché à francopolis.net, à expression 9, à mondeberbere.com.et
la
à Terre à ciel
»
97
Littérama ’ohi N°17
Farid Mohamed Zalhoud
DReenvéa-Jtina
Ph:oto
Noël à la
Presque-île
Frêle embarcation
Je suis le cygne
Et suis le
De
Plus
signe
l’imprécation
jamais la neige n’aura
Cette immaculée
Farid Mohamed Zalhoud est un
aura
poète (amazigh et français), peintre
sculpteur, professeur de langue française. Il a obtenu plusieurs prix
prix Saïd Sifaw (1997) ; le prix du jeune créateur du
Grand prix international Abdelkrim Khattabi (2000), le prix Tamaynut
(2001). Il a composé une trilogie poétique en amazigh intitulée : Imerruyen, takad, ighd (Étincelles, feu, cendres) . Parole de paria est son
premier recueil en français
et
littéraires dont le
98
HHSESKSEEM
LE
MYSTÈRE DES CHANTS AMAZIGHS
AU FÉMININ
Aujourd’hui à Tadighoust
le moyen Ghriss au sud-est du Maroc âge par assentiment. Les plus antiques
sont celles qui ne sont plus qualifiées d’aller fignoler, accroupies dans
les champs de Sighnis, pour cueillir deux fois par jour avec leurs serpettes la luzerne sustentant le bétail. Elles restent donc à Ighrem (le
bourg) et ne sortent la plupart du temps que sur le seuil des portes. As-
cohabitent des femmes de tout
sises, esseulées sur un vieux coussin à l’ombre ou au soleil ; c’est selon
la saison. Elles frottent, presque par impulsion, leurs pieds enflés, et qui
ont enfilé rarement des babouches dans des occasions de mariages notamment. Bien que souvent presque aveugles et sourdes, et leurs genoux déclinent de fléchir, elles rendent visite des fois à des voisines de
leur âge. Elles se regroupent à quatre ou plus, assises sur des nattes
(Agertil) étendues
sur le sol. Une compagnie recherchée et convoitée
permet de remonter le temps, le long d'une vie impitoyable
à Tadighoust dans des Igherman (des bourgs) : à Aourir, à Mou, à Lhart,
ou à Tazgitt. De leur génération de huitantagénaires, il reste plus de
femmes que d’hommes ; alors qu’elles ont beaucoup plus peiné dans
leur existence. Pour elles, les maris, ces compagnons de toujours font
désormais partie intégrante de leur passé éteint. Malgré des remarques
ironiques et à peine voilées des jeunes, elles se rendent de temps à autre
car
elle leur
aux
cimetières pour des pèlerinages de nostalgies.
Ne connaissant évidement que leur langue Tamazighet,
elles s’aftoujours dans leur identité avec une belle assurance. Elles ne
partagent aucunement les orientations prises par la société actuelle,
elles, qui régnaient dans leurs maisons en matrones. Elles réalisent
maintenant, et pleinement, qu’elles étaient tout simplement le pivot des
activités. Ce sont elles qui travaillaient, d’abord chez leurs parents et ensuite dans leurs foyers, à l’intérieur comme à l’extérieur des maisons.
Elles ont coupé la luzerne matin et soir, récoltaient l’orge, le blé, les
firment
99
Littérama ’ohi N° 17
Zaïd Ouchna
olives, les dattes
sous
toutes leurs cuissons, les cannes de maïs, les
galles de tamaris (takwut), le travail de pilon (azduz), la meule (azreg),
le transport des fardeaux sur le dos (Azeddam de 30 à 60kg) avec des
cordes qu’elles ont elles-mêmes tressées et qui ne les ont jamais quittées. Elles faisaient le tissage des couvertures (Ahendir) et des burnous
(Azennar, Abizar,). La corvée des eaux, les ménages et les cuisines
étaient leurs besognes exclusives. Elles ont pérennisé les traditions séculaires, elles ont élevé des hommes et des femmes. Elles étaient des
mères nourricières.
Maintenant,
ce sont leurs chants qui leur rappellent leurs exploits,
chaque tâche est accompagnée par une cantilène propre à la besogne. Travailler en émettant des suites de sons modulés et assortis de
l’exercice, chez les hommes d’une part et principalement chez les
femmes de l’autre, est une singularité du peuple Amazighe selon mes
connaissances. C’est pourquoi toute cette panoplie de vers, de poèmes,
de sons, d’izli, de tamawayt, et des chants pratiqués comme rites et différents les uns des autres ne peuvent pas être véhiculés par le seul mot
orphelin français «poésie ». Dans ce genre de cas, une langue ne peut
pas transmettre ce qu’elle n’a pas. Ce serait trop demandé au mot «poésie » de signifier à la fois toutes les spécifiés Amazighs qui n’existent pas
dans la civilisation française comme pour exemple seulement: Izli, Tamawayt, Tagezzumt, Ubuy n Ighef, warru, baybL.etc.
car
ici
Chaque tâche donc, aussi pénible soit-elle, est accompagnée par un
précis et dans un rythme propre. Une pratique qui remonte bien entendu à plusieurs siècles loin dans les profondeurs de la civilisation Amazighe et donc africaine. Etant donné sa singularité, quoi de plus normal
que de se demander pourquoi ? La réponse à cette question, dans un tel
contexte ou le manque de l’argumentation palpable est, on n’en peut
plus, avéré ne peut être qu’une aventure. Mais, elle reste tout de même
incontournable si on aspire, réellement, à un quelconque avancement.
C’est en tout cas une version qui est mienne. Pour tenter de comprendre donc le pourquoi de ce mariage entre la mélodie et la besogne, je me
suis penché sur les caractéristiques de ces chants particulièrement
chant
'
100
Dossier
:
Les
poètes Amazighs
La
parole
expressions dégagés des chants ne portent généralement pas
sur la tâche exercée directement. Elles invoquent plutôt une résignation
lointaine ou un épilogue auquel elles se réfèrent. Elles s’appuient sur
l’utilité que pérennise la besogne. Elles s’inspirent également des idées
génitrices de la force intérieure pour faire perdurer l’endurance pendant
l’accomplissement des travaux. Ce qui nous amène donc à croire, certainement, que le but recherché de ces chants est d’apaiser la douleur
due aux tâches pénibles.
Les
Le
rythme
paroles mentionnées sont chantées dans des airs longs, illuminés et rêveurs. Ils sont accrocheurs par leurs mélodies sacrées et mystifiées pour emmener le chanteur ou l’auditeur loin de l’espace. En
respectant le rythme pendant l’ouvrage, la concentration se décale momentanément de l’exercice. Ce qui engendre un oubli substantiel de la
peine et de la douleur. C’est donc, à priori, une sorte de presbytère pour
se détacher et négliger les souffrances dues aux travaux dures. En guise
de conclusion, le chant pendant les travaux n’est pas une banalité ni une
coïncidence, mais une théorie pensée et utilisée pour mieux supporter
les peines.
Parmi ces chants nombreux, remarquables et authentiques, j’ai
choisi ici celui qui parle de la monotonie et des regrets pour rendre hommage à ces femmes qui ont toujours tenu compagnie à la souffrance le
long d’une vie. Il parle de leurs déceptions, de leur chagrin, de leur envie
et également du cœur. Ce chant est repris aux durs moments de la solitude et du vide particulièrement pour apaiser la misanthrope.
Je vous en traduis ses premiers vers :
Les
Je
que je suis couverte par i’ombre des soucis
Seulement, je vais à l’encontre de mes adversaires par honneur
vous annonce
Oh ! Abraham je
Ma
source
postule ta
rescousse
à
ma
meule
m’a lâché à la merci des donzelles
101
Littérama ’ohi N°17
Zaïd Ouchna
Je voudrais être le vent de l’ouest et je
transhume
à l’autre, jusqu’à ce que je trouve mon préféré
Je voudrais être migratrice une baguette à la main
Errante, je voyage jusqu’au beau pays
Ce n’est plus une déchirure, ou même deux, pour être cousues
Avec un fil, moi qui cherche à assembler une foi désagrégée
D’un pays
Je suis
Je suis
perchée entre ciel et terre
comme une balance je ne touche pas la terre
Si c’était Dieu
ou
le
prophète, j’aurais sa clémence
Le maléfice reviendrait à l’intéressé
Si c’est Dieu
sous sa
tente
qui fait cela de ma destinée, j’admets,
le laisse à Dieu !
Si c’est l’humain je
J’aurais aimé retirer de
Mon
Ce
ses
fixations
omoplate pour découvrir ce qu’y est consigné !
poème », qui n’a pas de titre ou alors je n’ai pas réussi à le déchiqueter, est consigné à Aourir (Sud-est du Maroc) par Marna Hmad
«
Outouhs le 16/9/1967.
Il lui
été transmis par sa
mère Itto Hemmou, connue par ses belles
paroles dans les rites aux féminins.
C’est un chant repris aux moments des peines, dont le rythme est
mystérieux, par la junte féminine exclusivement.
a
Llah lâadim
i-gan ighnan amalu
Ghes da ntteddu g mnid n laqwam ur rdigh
A sidna yebrahim i âewni taqerrut
Is i tezrid ayemma g ifassen n taytcin
A wa ayed iga rebbi d ssihl ar itteddu
Ar itsara g tmizar ar tenna ir’ wul
102
ar
Dossier
:
Les
poètes Amazighs
Awa
ayd igan Ibuhali ttefen tamâratt
tmizar ar tenna ir’ wul
Ur idd yan ucerrig ula dd sin ad tegnugh
S yighris a nekk igennun tasa iflin
Llligh ger yigenna d lhafet da ttelligh
Nekkin gigh amm Imizan ur nuwid akal
Mrid rebbi d nnabi is ghifi-yeâfa
lqqim-d lâar i bab-nnes iwt-as aqidun
Mek idd rebbi ayd agh-igan imki i wadu
Numn-is, idd bnadem nudjat i rebbi
Ul-innew ak i bbin igezzarn ak i flint
Ar itsara g
Tuzzalin, thubbad
unna ur
k irin
A
yasmun-innew mi gigh awnul ad teddud
Allig da ttasigh izem s irbi ur nekkul
Ul-innew, ul-innew wadda t-yuwin
Ad agh-t-id-rarin, mek ugin ismun-agh nâach
A yaâdaw-innew tugey tawla a kwen tagh
Ula yattan, ad tejjujid ighsan i wakal
Allah rebbi a wadda righ mas i tesnuyd lajbal
Ad gnugigh urta righ Imut
lhuz-d umareg tabuqqalet, grin ibawen tighwelalin
Awa dda righ mani tekkid
Llah lâadim mer idd tattsa n igherman
Kkategh nnig Brahim Uâli aqidun
Awa kem i d-iksen ad am-isrey tikwesmin
A taghwrutt-innew, idd is am-yaru imki !
103
Littérama’ohi N° 17
René-Jean Devatine
Fanal
Ils n’étaient pas encore
là.
Dressée, attentive, déjà là,
Guidant, évitant le mal
Etait l'Aïeule
Guérissant
portant fanal.
l’Esprit sombre,
fatal,
Retardant l’instant
La Tribu vit dans l’ombre
De l’Aïeule
portant fanal.
Construire et s’installer,
Se reconstruire et aller
Se blottir
auprès de
fanal.
L’Aïeule portant
Rendre
hommage à la Tortue
Ça n’est jamais banal
Toujours elle éclairera la Tribu,
L’Aïeule portant fanal.
Clan
a
longtemps vécu
A tracé
son
canal
Sous la direction têtue
De l’Aïeule portant
fanal.
La clarté
partie, le sombre
guidés par un fanal
Attendent le jour pour fondre
Des fusils
Sur l’Aïeule
au
Destin fatal.
Aïeule s’en est allée
Les rangs se sont serrés
Rien n’est jamais parachevé
Il faut donc s’associer.
104
Dossier
Jamais de
:
Les
poètes du Fenua
point final
Pour la nouvelle Aïeule
Bien seule,
Portant fanal.
Adirondack
Adirondack,
Révélant
un
nom
étrange
passé
ou d’anges
ailleurs
Contrée de diables
Sous la forêt camouflée.
D’où sortaient
ces
Indiens
Qui, à mocassins feutrés,
Arpentaient le méridien
Se
glissant dans les fourrés ?
Ils chassaient
qu’il fallait
puis remerciaient
La prise offerte, la pâture
Pour faire paix avec Nature.
ce
Prélevant
Adirondack, route tendue
Au
Traçant chemin vers boréal
Joignant l’île de la Tortue
Saint-Laurent, fleuve principal.
En
septembre, nature sauvage
Peuplée de vie, de ramage
Offre décor de nature domptée
Où chacun peut se promener.
Roule la voiture, serpente la route
Dans l’immensité insondable
Toponymie, histoire sèment le doute
une flore de sapins et d’érables.
Dans
105
Littérama’ohi N°17
René-Jean Devatine
Paysage vert sombre d’été finissant
Torrents, chutes bondissantes, fleuves,
Erables
explosant en or rougeoyant
Ecureuils affairés se meuvent.
Écrasé par la Nature immense
Le voyageur exalte la Terre
Et le sapin attend, tout en vert
Le tailleur qui livrera l’habit d’hiver
Gorges
Dans le secret des gorges
Dans les fonds d’oasis
Où
se
tapit l’orge
Le fruitier, la cerise
Le ksar monte la
garde
protectrice
compositions du barde
Dans
Les
son
Font
ombre
oeuvre
civilisatrice.
Frapper de taille, d’estoc
ceux qui s’engagent
Fols
Ils
se
heurteront
au
Des certitudes des
Roc
Sages
Derrière la toub séculaire
Dans le Ksar
imprenable
Par architecture millénaire
Bat
un
Cœur
Caché
au
indomptable
plus profond
Sous la modestie des propos
Sous l’accueil bienveillant
Sous la sagesse
106
quotidienne.
Dossier
:
Les
poètes du Fenua
Cœur de Roc
Dans l’Atlas bat le
C’est
son
amazigh
refuge, c’est sa force
cœur
Inexpugnable territoire
Inexpugnable civilisation
Inexpugnable mémoire
Nul ne parvient à éviction
Nul n’a chassé Berbère
Fortifié dans
Nul n’a
son
aire
noyé les Pères
Fils restés réfractaires
Le
Temps n’a pas prise
Il a érigé, creusé
Labeur toujours de mise
Taillé à l’eau d’éternité
Djebel sabré, bousculé
Renversé, accentué.
Berbère têtu, accroché
Au
Temps, modeste et vissé
Dans la sagesse du passé
Baignant l’oued des croyances
A l’écart de la banalité
Heureux de toute évidence.
107
Littérama’ohi N°17
Valérie Murat-Selam
Te terera’a
Ua ha’amata ho’i
o
te
au
I tô’u orara’a
I roto i tô 'oe
na
A riro mai ai
au
Ei tâo’a tahi
ora
Mai te hô’ê
piha
‘ôpû
Mâ’imira’a ‘ihi tâo’a
Ua
tupu ‘oia te reira
I te pitira’a noa
O tô’u ‘âva’e
I roto ia ‘oe
I oti ai tô’u
mau mero
faufa’a
I
rotopû mau
E vai ai tô'u mâpê
E
E
E
mâpê tîti’a toto
mâpê fa’a’ore ta’ero
te pape hau
Tô’u fa’anahora’a ivi
I te torura’a ia
o
te
hepetoma
I te
tupura’a mai
Ua
tupu teie ‘ohipa mâere
I roto i tô ‘oe vaira’a tamari’i
Ma te ‘ore
e
‘itehia
E te mata ta’ata nei
Tâua iti ana’e iho
E tô’u mâmâ here
108
ora
Dossier
Te taura
Te taura
e
e
:
Les
poètes du Fenua
torn fenu
toru fenu
Te hôho’a
0 te hô’ê ’ôro’a ta’a ‘ê
O te tâne te fenu mâtamua
O te vahiné te fenu
piti
O tei firihia i te fenu
o
ropu
O vai ia teie fenu ?
Te fenu
rôpû o te Atua îa
E hôro’a te tâhô’era’a i te Atua
I te
I
na
o
puai i te pae o te orara’a
ta’ata fa’aipoipo ‘âpî
No te fa’aruru i te
O te
mau
mau
fifi
mahana ato’a
109
Littérama’ohi N°17
Odile (Otira) Purue
-
Alfonsi
Mangareva
Ile de lumière ballottée
gré des vagues
prends naissance dans le firmament de l’océan profond
Comme l’étoffe humectée de gouttes de pluie
Tu parais dans le souffle du vent du sud-est
Et déjà résonne le son mélodieux de ta langue
De tes légendes et de ta culture
au
Tu
Mangareva : Horizon du ciel et de la mer
Ile de
nos
ancêtres
:
Qui es-tu ?
Une
montagne de granite au nom fleuri de reva
montagne de basalte flottante dans le néant de la nuit
Qui peut nous le dire ! Mais c’est sans importance...
Car le pouvoir divin a établi en ton âme un sentiment de paix
Ile fière et digne, à tes sommets s’élèvent
Une
Manukau et Mokoto
Entourée d’un collier de
et de
petites îles
présentes le berceau de la famille royale
Rikitea ton village
Quand viennent les fines pluies au loin
Tu déclines les marques de la vie sereine
Les sentinelles du passé, gardiens des cols de montagne
Surveillaient les passages de tes sentiers
Ile renommée par ton lagon essaimé de nacres
Ta richesse fut convoitée, offerte dans la paume de la main
Ile de liberté, île de sagesse, île croyante
Tu
nous
Tu
as
coraux
choisi de restaurer les
œuvres
Chrétiennes
Qui sont autant les cicatrices de l’époque d’antan
Mystique, belle par la clarté de la mer
110
Dossier
:
Les
poètes du Fenua
Magareva
E
kaiga turama i ’urigaru ’ia
tumuragi
Poike mai koe mei te
Pe te ka’u ’i ve’ive’i 'ia
e
no
te moana auriuri
te matamataua
Ikei mai koe mei roto i te
puagiagi o te maragai
‘akarorogo te tagi vinivini no ta koe reo
koe utu atoga, e no ta koe pouga
Tekemo
No ta
Magareva0! Kaiga aroaroragi0! Kaiga tupuna0!
Ko ai koe0?
Maga verota ’i puapua ’ia te igoa o te reva ?
Maga ke’o ’i ’urike’urike ki te ao kore no te po°?
Na vai
takao mai ! E eaga meameanoa
Kua ’akano’o mai te kaoka Etua te airaga merie ki roto
e
Kaiga teitei
e te ’ururoa, i ta koe mau
Manukau e ko Mokoto
’Auraki mai te akau
e
ia koe
pukoto e tu ana
ta koe utu nuku kia koe
'Akavaraka mai koe te kona
no’oraga
punui
Ko Rikitea ta koe
o
te pu’akariki
’la makavekave mai i te ’ata’ata
E ’akakite
koe te
ga’o no te ao merie
garoatuara, te utu magaika tiaki ’itiga
E matiro ana te puta no ta koe utu 'atupapa
E kaiga vanaga ia no ta koe moana ’ioro
ana
I
Koromi ’ia ta koe mamona,
Kaiga kaiata’u
Kua
vae
koe
Ko te utu kari
-
me
no
'o atu
roa
’ia ki roto i te kapurima
Kaiga koutu’aga - Kaiga kereto
mu’ani te ’aga ekeretia
te tau te’ito
Manamana, me’ea nui koe
no
te ma’inatea o te tai
111
Littérama’ohi N°17
Odile
(Otira) Purue - Alfonsi
diverses du sable
ébranles et ravis l’étranger
Mangareva, de tous temps, tu es la souveraine de l’archipel des Gambier
Terre de nos ancêtres, notre conscience nous dicte
De ne pas oublier nos origines
Et par les couleurs
À ton apparition, tu
Aukena
Hier tu fus Ati
Tope
aujourd’hui
Aukena
Et tu
es
Belle
petite île immaculée de sable blanc
Tu fus par le passé, le refuge des
Ton rivage émeraude est le miroir
rois vaincus
palmes de cocotiers et du ciel azur
posée sur l’eau cristalline
Tu fus et restes toujours une île noble
Car Kena t’a paré de son plumage royal
Au cap, te Ana-O-Tiki, sentinelle aguerrie
Veille et protège les traversées de ton lagon
Horizon proche de Mangareva,
Avec respect tu t’inclines humblement.
Des
Aukena
112
Dossier
E
:
Les
poètes du Fenua
te purepure ma
’aro’aro o te one
kiteraga kia koe, koviuviu ma te rekareka te mata’iva
Magareva, mei te tau e te tau, e aurupe koe no ta koe Motumo’aga
E to matou kaiga tupuna ! e takao mai ana te ’aigamanava
E kore e ’aka’ava ’ia to tatou turaga kaiga tumu.
no
I te
Aukena
Ko Ati
A
ra
Tope to koe igoa a tau ara
nei ko Aukena koe
Kaiga iti meitetaki e te one kuokuo
No’oraga koe i matini ara no te utu ’akariki kokoia
Te raparapa o ta koe atatai, ko te ’io ia
No te utu kouerei e no te ragi auriuri
Aukena vei’o ’ia koe ki ruga i te tai
Mei te tau, e kaiga turaga togo’iti koe
Kua rakei ’ia koe
e
Kena ki tana ’urumanu kurakura
I te koutu, te Ana-O-Tiki,
E ’akapoi e vavao ana te
matavaikeu tiatiaoko
kokouere no ta koe tai roto
Tumuragi koe no Magareva, ma te mamana
Kopati
roa
koe kia koe ki raro.
113
Littérama’ohi N°17
Odile
(Otira) Purue - Alfonsi
Le cocotier
Autrefois
appelé niumea
Aujourd’hui tu es cocotier
Arbre longiligne et fier
Tu
es
l’emblème vertueux de nos croyances
Tu
conquiers nos terres
gré des vagues déferlantes
Ami de tous les temps
Au
Tu
nous
abandonnes
Ton corps, tes palmes
Tes fruits et tes racines
De ton sommet,
tu interpelles
peuple ma’ohi à la reconnaissance
respect de la Terre
Car tu représentes la vie.
Le
Et
au
Coucher de soleil !
parcourir la Terre !
imposé le respect du temps
Soleil ! Arrête de
Car tu
Tu
as
nous as
teinté le ciel des couleurs de l’arc-en-ciel
Par tes reflets dans la mer
phosphorescente
léger s’éveille et caresse le sable du rivage.
Tu défies la vague de briser la surface calme de l’eau
Au loin, les oiseaux se dépêchent de regagner leurs abris
Lentement tes rayons tirent leur révérence
Une pléiade apparaît et éclaire l’espace céleste
Un vent
Tu étends ton étoffe écarlate dans le firmament.
Beau coucher de soleil !
Soir de
contemplation ! Soir d’évasion
Comme l'envol de l’oiseau blanc.
114
Dossier
:
Les
poètes du Fenua
Te tumuere’i
I
garoatuara, poro ’iana koe e niumea
ra nei, e tumu ere’i koe
A
Tumu
te ’akate’ate’a
ururoa e
Tu
keretoraga koe i te tau eteni
No’o mai koe ki to matou kaiga
Na te tai paripari e na te tai vave
E turuturu koe
no
Kiriti ’eva mai koe
te tau
mo
matou
Ta koe tumu, ta koe kouere'i
Ta koe aka e ta koe kai
Mei to koe teiteiraga poro mai
Te ü ma’oi ia ’akamamaru
koe
E ia ’akamamana te
No
kaiga
’akairoga koe
a meara e
no
te ora.
Iga’igaraga
E te Ra ! 'Akaea
ana
o
koe te ’akariu ki te
Kua ’akaveke mai koe kia matou te ’au
te Ra !
kaiga0!
no
te tau
Kua ’akaeva koe te
ragi i te ata o te anuanua.
gaioigo ki roto i te tamanui
Agiagi mai te ikuiku e ko’a atu te one o te atatai
Mata’ua atu koe te peau ia papaki te 'iku goregore o te tai.
I tua, e rereragi ana te manu mo te ’oki ki to ratou ’aka’iriga.
Na ta koe utu
’Ava
maneane
atu ta koe utu turuturutavake.
’Ano’ano mai te matariki
tinitini, turama mai te va’a
o
te ragi
’Akapuroku mai koe ta koe ’eriki kurakuranui ki ruga i te avaragi
Atakurakura
Ma’i’iko
no
no
te
Mei te taoro
o
te a’ia’i !
rikaraga0! Ma'i’iko
te kukuororagi
no
te makaraga0!
115
Littérama’ohi N°17
Chantal Millaud
Nostalgies
Quand
nostalgies s’entremêlent
nos
Dans des siroccos d’alizé
Tunis et
Dans les
Les
Papeete s’emmêlent
peines et les baisers
palmiers et les cocotiers
Bercent ensemble
Que s’évadent
nos
nos
Dans les sèves et les
De
nos
humeurs
amitiés
saveurs
fruits à chairs affolante
C'est la
musquée banane tendre
piquante
coriandre
Ou le hendi à peau
Le quatre épices la
Ouvrent et ferment
Les fleurs de lotus
Moi dans
Toi
sous
nos
ou
narines
tiaré
paréo marine
jebba chamarrée
mon
ta
Rossignol buibul chaleureux
Chantent stambalis tamourés
La darbouka le to’ere
Rythment
nos
Mes vagues
souvenirs heureux
bleuissent tes dunes
Que le regard de Dieu nous aime
Malgré
nos mêmes infortunes
En mal de nos régions lointaines
116
Dossier
Pâleur de
:
Les
poètes du Fenua
yeux qui se voilent
Et recherchent dans la distance
nos
Les deux
perdus de nos étoiles
Dans la même nuit de la France
Pour la même île
Blanche fille de Tahiti
Le
regard de la vahiné
Méprise ta peau d’organdi
Et tes maigres cheveux dorés
Tu
as
pourtant au même fruit
parfumée
Goûté votre île
Ecouté le chant des vinis
Aux mêmes branches de tiare
Dans
vos corps les chants
De l’océan et du hupe
Ont hanté
Que
vos
vos
infinis
jours et vos nuits
soient blanche ou foncée
peaux
Blanche fille de Tahiti
Brune reine des Alizés
Vos mêmes dents blanches sourient
Egal hommage à l’île aimée
Aux
projets de votre pays
Mêlez les mains de l’amitié
Vini
:
Petit oiseau des îles
-
Hupe : vent frais descendant de la montagne
117
Littérama ’ohi N°17
Chantal Millaud
Note
bio-bibliographique
Née à
Papeete TAHITI Polynésie Française en 1950. Effectue sa scolarité au Collège
Javouhey puis au Lycée Paul Gauguin. Rentre en Métropole pour continuer
des études supérieures. (Lycée Ozenne à Toulouse, Ecole Normale à Valence, faculté
de langues à Grenoble). A présent à la retraite près de Montpellier (France) après une
carrière d’enseignante, écrit des poèmes et des nouvelles, participant également à des
ateliers d’écriture et des rencontres poétiques.
Anne-Marie
Oeuvres éditées
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-
-
Revue Art et poésie
2006 : Soleil couchant et dernier baiser du soir (poèmes)
: Iles du soleil couchant (poème)
Les étangs magiques, Editions Lettres de Sables 2007 : Un étang, un chat (nou-
Revue Le cerf volant 2008
Dans
velle)
-
Dans Poésie de la Voile et du Vent, Editions Lettres de Sables 2008 : La dernière voile
et Cadeau de
Prix,
départ (poèmes).
de concours
1998
:
deuxième
-2005
:
Mention d’Honneurde la
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
prix littéraire de Chabrillan, Drôme pour 2000 en fête (poème).
régien Languedoc-Roussillon-Cévennes, association
Les mots les couleurs pour Derniers baisers du soir (poème).
2006 : concours organisé par Les mots les couleurs de Saint Hilaire, Aude :
Troisième prix de l’humour pour Plus Haut (poème).
Prix d’excellence pour La vie en rose (poème).
Prix d’honneur pour Le point (nouvelle).
2007 : deuxième prix littéraire de Saillans, Drôme pour Goutte de lune (nouvelle).
Concours organisé par Les mots les couleurs de Saint Hilaire, Aude :
Prix d’excellence pour Pomme étoile (nouvelle).
Mention d’honneur pour Pour vingt sourires d’enfants (poème).
Mention d’honneur pour Dernière ballade sous le saule assis (poème).
2008 : deuxième prix de poésie libre de la ville de Nîmes, Gard, pour absence (poème).
Concours organisé par lettres de Sable de Palavas les Flots, Hérault. Médaille de
bronze pour Cadeau de départ (poème).
Concours organisé par Les mots les couleurs de Saint Hilaire, Aude : Premier prix de
la nouvelle pour Le gâteau. Deuxième prix région nature pour Nostalgies (poème). Prix
d’excellence pour Non, docteur (poème) ; Mention d’honneur pour Depuis et Toujours
(poème).
118
La
mer
était
présente
ce
jour là
La
mer était présente ce jour là
Dans la chambre des amants
Lorsqu’il est entré
Dans la douleur d’aimer la femme.
Il ferme les yeux
Contre le sien
et met son corps
Tout bas il lui dit
qu’il s’est mis
A l'aimer
Il
ne
veut pas que
çà s’arrête
l’entend pas
Elle entend seulement
Elle
ne
Le bruit de la
Le soleil est
mer
sur
dans la chambre
le lit
Dessiné par les palmes
Le parfum des jasmins
de cocotier
N’est pas encore monté
Il lui chuchote des mots d’amour
Et touche sa peau de soie
Tendre et moite comme le
Elle
ne
jour
peut pas l’entendre
La
mer est présente ce jour là
Dans la chambre des amants
Le souvenir de la
J’arpentais les rues de Paris
Respirant les siècles
Pantelant
son
histoire
Considérant l’orée du fleuve
mer
Littérama’ohi N°17
Rai Chaze
Affaiblissement, alanguissement, me gagnaient
Torpeur et atonie me saisirent
Dans
mon
âme
Le souvenir de
Le velouté de
j’ai cherché la mer
rémission
sa
brise
sa
L’évasion scentée de sel
J’ai cherché
mon
Le ventre de
ma
île
mère
Lutèce s’est assise
Seule dans
un
coin de Paris
Me suis
Je l’ai
approchée d’elle
regardée
Dans le
Je
me
creux
suis
de
sa
main
assoupie
La danse dans le
Ils vont
vers
le
port
port
Il y a des danses ce soir près de la mer
Il est dans l’amour de cette femme
Elle
aussi, c’est
Elle
a
ce qu’elle se dit
du jour où
Elle ne sera plus dans l’amour
Ils s’arrêtent devant un paquebot
En instance de départ
peur
Puis ils marchent
Le
long de la mer
Main dans la main
Ils
s’approchent du lieu des danses
pahu* retentissent
Les to’ere* et les
Elles sont belles les danseuses
Elle les aime les danseuses du
120
port
Dossier
:
Les
poètes du Fenua
Elle
Il
imagine qu’il pourrait les désirer
regarde les danseuses
Il voudrait être dans la chambre des amants
Ils traverseraient la ville accablée de chaleur
Il
n’y a pas de vent
porter sur le lit
La
Eteindre la lumière
De loin la
musique arriverait
Des chants tahitiens, loin
Puis
plus tard le cri du paquebot qui s’en va
Traverserait les rues, les murs,
La porte de la chambre des amants
Et
puis ensuite beaucoup plus tard
On entendrait, tout bas, doucement,
Le chant de la femme qui est dans l’amour.
To’ere
:
instrument de
musique - Pahu : tambour
Pluie
sur
la
mer
La chambre des amants
Ils dorment
peut-être
sait pas
Dans la nuit noire
On
ne
Tout à coup
La pluie est
arrivée
Comme du fond du
‘La saison des
temps, l’amant a dit :
pluies
a
commencé’
Elle s’est réveillée
Et elle
La
a
entendu
pluie courir sur la mer
‘Viens voir la saison des
pluies qui commence ‘
121
Littérama’ohi N°17
Rai Chaze
A dit l’amant
'Viens voir
Surtout
comme
elle est belle et désirable,
lorsqu’elle court la nuit sur la mer’
ouvert les yeux
Elle ne veut rien voir
Elle
a
Elle les referme
‘Non’ elle dit
Elle
ne
veut rien voir
Il
regarde la pluie qui court sur la mer
Et la saison des pluies qui arrive derrière elle
Il est songeur et très seul
Ils sont très seuls
Privés de l’autre
Eloignés
Dehors la
pluie arrive
Elle court
sur
la
mer
La
La
pluie
pluie chaque jour
Pendant toute la saison de Matari’i ‘i ni’a
Et
chaque jour j’entre dans la pluie
Mon intimité
avec
elle est devenue si
Que je pourrais être maintenant
Une fleur, un
Une
palmier,
crevasse
dans le trottoir
L’homme de la météo l’a dit
Nous
De la
:
sommes au cœur
dépression, au sein même
De la saison d’abondance
122
grande
Dossier
:
Les
poètes du Fenua
Un
temps pour se reposer
Faire des siestes et réfléchir
Tandis que d’autres
Creusent leur désespoir
Mais moi,
j’apprends la pluie
religion
Exigeante et sauvage
Comme
Laver
une
pieds dans ses eaux intangibles
mes
Incliner la tête
En
accepter toute la violence
Entendre
son
chemin
jusqu’à la
mer
Aujourd’hui pendant ma marche dans la pluie
La pluie s’est arrêtée un moment de tomber
Comme un soupir
Un gémissement bref
J’ai fait
une
pause
Regarder les hommes
Creuser des tranchées
Tomber
amoureuse
Qui
a une
Qui
ne
de celui
barbe
relève jamais la
Et
qui sifflote
La
pluie chaque jour
tête
Pendant toute la saison de Matari’i’i ni’a
Et
chaque jour j’entre dans la pluie
123
Littérama’ohi N° 17
Rai Chaze
Histoire de mort
sur
Papeete
Ils sont à la
galerie du Musée
pour thème la mort
L’expo
il
a
l’air d’un artiste
a
chemise
trop grande et fripée
longues manches
Elle, en robe tapa jusqu’aux chevilles
Les manches glissant sur les épaules
Une couronne rouge à son poignet
avec sa
Enfilée
Et
sur un
t-shirt
cheveux
sur ses
Elle
penche la tête sur le côté
Plisse les yeux
Comme pour avoir une perspective
De ce tableau si abstrait
De l’artiste
Une
oeuvre
différente
qui signe KO
peinte sur du contre-plaqué
Avec des monstres de la mort
Partout
On
Entre
eux
la ville de
Papeete
plus la différence
sur
fait
ne
et les humains
Leurs yeux et leur
Elle les regarde,
bouche sont trop grands
Elle entend les êtres bleus
Et soudain elle
Elle
se
sent
a
appeler l’artiste
peur
petite, toute petite,
Comme la fois où elle roulait
montagne
jeep de guerre
Avec son grand-père
Qui conduisait en la portant sur ses épaules
Tandis qu’ils longeaient les précipices
en
En
Je
124
veux
descendre ! criait-elle.
Dossier
:
Les
poètes du Fenua
...si elle
Il
ne
Elle
glissait de ses épaules
pourrait pas la rattraper
tomberait tout en bas du précipice.
Mort.
t’il
eu
At’il dessiné
L’artiste
sa
monstres bleus ?
peur, son cauchemar ?
Les a t’il rencontrés lorsque, les yeux exorbités par la faim,
Il mendiait dans les rues de Papeete
Une misérable petite pièce de cent francs,
Que personne ne lui donnait?
Ou, lorsque désespéré, il peignait sur du carton
Ramassé au fond des poubelles
Juste au-dessous des aliments jetés
Par ceux qui mangent sans faim ?
Furent-ils ceux qui envahissent ces nuits
Où l’on rêve de poisson à la crème
a
peur
de
ces
Et de frites
comme la petite marchande, on craque
La dernière allumette pour fumer
Son dernier taho*, son dernier joint
Et
Le dernier
mégot,
Le dernier rêve
La flamme s’est éteinte, il reste
Les êtres bleus aux bouches
Et
trop grands
Grimaçant devant sa face
aux
yeux
Mort.
Tu
as peur de la mort ?
Demande l’artiste à la chemise trop
Et fripée.
Non !
répond-elle
De
main à la
sa
Mais
en
faisant
couronne
je préfère ne pas
Quand elle arrivera.
un
grande
geste dans l’air
rouge
être là
125
Littérama’ohi N°17
Vaihere Doudoute
Ta’u ruahine
Teura Vahiné
Ta’u
o
Te’ura vahiné
e...
purotu, ta’u ruahine...
Purotu
o
te hura...
To ‘oe unauna, to o’e hanahana
Ta’u ia e haapeu nei
Ahura mai...
Aapa mai
na
...
Na o’e i faaora te hura
la o’e
e ora
Teie te oroà
Teie ta o’e
Tei
ai te
o
hura,
a
tau
e
ahiti
noa
te hura
oro’a, teie ta o’e hiva
haapiri ia matou ia vai
I roto i te here
e
te aroha
Ta’u hura, o to’u ia hiro’a
Ta ‘oe ia faaoruraa
To’u ia
ao
A hura
mai,
a
hipa mai
Te haro’aro’a nei
au
I roto i te hohonu
o
E ta’i
na
i to hà
to’u tino
haapata’u i to’u a’au...
pu’e
E ta’i haamaineine i to’u
No o’e i vahiné ai
No o’e i
au
purotu ai au
te faaite i to te
Te upa ra vau no
To o’e hinuhinu
126
avae...
ao
tu
Dossier
Ta’u ruahine
o
:
Les
poètes du Fenua
Te’ura vahiné
Ô Teura Vahiné
Ma danseuse, ma déesse
Danseuse du hura
Ta beauté, ta gloire
Sont ma fierté
Danse... danse.
Tü
as
sauvé la danse
La danse vivra par
toi pour l’éternité
Voici la fête de la danse
Voici ta
fête, voici ta manifestation
Manifestation
qui nous rassemble
Dans l’amour et la compassion
Ma danse est
ma
culture
C’est ta fierté
C’est
mon
bonheur
Danse, balance-toi
Je
ressens
ton souffle
Au
plus profond de mon corps
un son qui rythme mes entrailles
Comme un son qui me chatouille les jambes...
Comme
Grâce à toi
je suis femme
je suis danseuse
pour montrer au monde
Grâce à toi
Je danse
Ta
gloire
127
Littérama ’ohi N° 17
Vaihere Doudoute
Faainoraa
(attentat)
hia to’u iho
Ua
rore
Ua
topa...ua pepe...
topa ra no te ti’a faahauraa e no te
Ua
haamau papu ia na
Ua horuhoru te ‘a’au...
Eie ‘oe
faa’oru nei i to ‘oe hiro’a, to ‘oe iho
e
Eie ia to ‘oe hoa e haafaufa’ore
Aue ho’i
Te
e
nei
ora
au
i te ho’e taata ‘e
Mea faufaa anei i te tatara roa
Ahani
nei ia ‘oe iho
te aroha e...
ia
na
ta’u hura
pai i fariu noa a’e maa taime iti...
Aue to’u
hiro’a, to’u iho te horomii nei te hotu painu ia
Eie ‘oe
e
motoro hia nei na te mau ‘a’au ‘ore
Aita
‘oe
ra
e
tuu
no
te mea e tei ia ‘oe ra te ora
Ua
rau
te huru o te mau rave’a no te
Ua
rau
ato’a
Eie
au
! Eie ta’u hura !
Ua
rore
ra
te huru
o
rave’ino ia ‘oe
te mau rave’a no te paruru ia ‘oe.
hia to’u iho
Ua topa...ua pepe...ua pepe
E ore e mure !
128
‘oe
rii...
Dossier
:
Les
poètes du Fenua
Tei roto to’u ‘aau i te reru,
Te ’oto’oto nei te tino
E aha ho’i teie ?
To’u ’utuafare
Ta’u
’ohipa
o
ti’a,
ua
ta’u
e
to’u ia mafatu
o
faahiahia nei,
Are’a to’u
manava...
Te haa nei
au
te mo’e
o
noa
ta’u ia ina'i.
nei
a.
i te haa ‘ore
Te haa ’ore nei
au
i te haa...
■
Nânâ to’u mata i
O ta’u iho teie
mua...
i to’u
aro...
i to'u
aro...
haapii nei au i te tama
O ta’u iho teie e vai nei i mua i to’u
aro...
Te hura nei
e
; r.
vai nei i
mua
au...
Aue ia to’u ‘aau i te ‘oa’oa
Nânâ to’u mata i mûri
O ta’u iho teie
e
vai nei i
mua
Te
Te aupuru nei au i to ’utuafare
Aore ra te ‘aau e ‘oa’oa nei
Te
haapii, te aupuru,
Te mo'e nei te hura
Na te hura
e
te mo’e noa nei ra...
haamâhu i to’u
varua...
Te hura, hau a’e i te hipahipa raa o te
E mauhaa nanati i to’u iho, to’u ‘aau
e
te hohonu
o
te ‘aau
a
vetahi
tino
e
Eere anei i te fa faahiahia ?
Te hiiraa i te ‘aau ?
to’u ia hiro’a tumu, ta’u ia
fa...te mo’e
noa
nei
129
Littérama’ohi N°17
Heirarii Lehartel
Quelqu’un pleure d’une voix de douceur
A l’heure où
mon
coeur,
Avait envie d’ailleurs,
Quelqu’un pleure,
D’une voix de douceur,
Qui résonne dans
Je te chercherai
Pour que
mon coeur
une
tu retrouves tes couleurs,
Qui comblera
mon coeur
Je,chercherai
un
Pour que
!
fleur,
!
trèfle à quatre feuilles,
tu retrouves ton bonheur,
Qui jouira mon coeur
!
Je serai ton chanteur,
Le meilleur !
Et
je combattrai pour toi,
es pour moi,
Car tu
La déesse des îles !
Nous sauterons
avec
passion sur le lit,
Ton instinct sauvage se
Se montrera à
mes
Je serai alors tout
Et
fera sentir,
!
yeux
en
feu !
grâce à notre chaleur,
Tu oublieras ta douleur !
130
Sylviane Racine
Des
morceaux
d’infini
Des larmes de sang ont dans le crépuscule
L’azur de ton regard aux reflets de mer.
Toi
Le
qui un matin d’hiver
glacé comme le givre accroché aux fenêtres
cœur
Pantelant de solitude et sûr
Tu dérivais des
Bourreau de tes
Le
déchiré
cœur
l’acier
jours et prisonnier de tes nuits.
lourd
Sauras-tu
Tant de
comme
pentes légères semées de grossiers cailloux...
aujourd’hui
apprivoiser
morceaux
d’infini ?
En lambeaux ta vie
Pourra-t-elle recueillir
Tant d’instants anéantis ?
Par le feu retrouver la force,
Par le sang reconquérir les sens,
Par Tonde pure
épouser le jaillissement de l’innocence,
Et,
Au
creux
d’une chaleur nouvelle
Saisir l’éclosion d’un voyage
Qui désormais repose sur la vague de l’image ?
23
Poème d’un tableau de
septembre
Patty Bonnet
131
Littérama’ohi N°17
Sylviane Racine
Quête
Muette clarté
S’élève
suspendue au cœur de l’éphémère
plus haut que l’inépuisable absence
elle
Vers d’encore obscures étoiles
Dans le calme vide d’une
Elle dérive
vers un
proche révélation
aux formes qui s’échappent
sommeil
Lente et
longue ascension d’une lumière sur les échelons de la brise nocturne
ignore son chemin elle
Gravit pourtant seule et légère l’horizon de ses demains
Elle
Le voile du rêve
Silencieusement
S’est soulevé
Et le chemin
vers
des Ciels inhabituels
A tracé le sillon d’une innocence nouvelle
Quête de lumière
Aux reflets de soleil
Regards élevés
aux
contours d’immobilité
Mais aussi
Un
arc
de tendresse et de douceur
Et
toujours
qui danse le bonheur
Suspendu sur l’aile d’un invisible ailleurs
Un fil
Où
Reposera-t-elle un jour
Enfin
Ses songes délicats
Sur quelles paupières endormies
Jouera-t-elle la nuit insensé de
Toujours désormais éclairés
132
ses
jours
Dossier
:
Les
poètes du Fenua
ELLE
Poursuit
son
chemin
Surmonte des ravins
Et l’étrange lueur de son vol
Sur les flots noirs d’un ciel sans fond
Revêt l’habit de l’ultime liberté
Tableau de Hervé
Fay
133
Littérama’ohi N° 17
Sylviane Racine
Oser
Si l'aube d’une émotion nouvelle
Nimbée de tant
S’élève
en
moi
d’incroyables frissons
en
toi
Il n’est
plus temps sans doute d’échapper
réelles d’un rêve autrefois ébauché
à toutes les apparences
Accepter le destin coloré de la force du désir
Libérer les chaînes d’une
aurore
nouvelle
Rêver
l’impossible amour
qui se pose
D’un geste qui ose
Prendre un corps offert au regard qui
Il n’est plus temps sans doute
D’une main
se
dérobe
De nier renier le chant du désir
Celui
qui vers l’autre tend la main
qui réclame
Celui qui clame la peine et la joie mêlée
Rêver l’impossible amour
Celui
Mais
Te rêver
Te vouloir
Te chérir
Pour enfin t’aimer
Et que notre
Dans l’éclair
folie avouée
unique d’une mystique extase
Accepte le divin partage
De tous les dieux de l’univers
134
Dossier
Si
Tellement
Les
poètes du Fenua
proche...
éloigné pourtant lorsque tu t’avances vers des rives acérées
Te blesses-tu de
Je
:
trop progresser
t’appelle et tes réponses toujours les mêmes
Me renvoient l’écho d’une blessure
Il est
pourtant des inspirations qui nourrissent
qui étouffent
Celles qui disent l’épuisement de l’impossible rencontre
D’autres aussi
Mais chacun de tes
regards est un met qui donne le pain et le vin
Qui rend la soif et la faim
L’envie d’aimer et
Une
jamais retenir
implosion qui se voudrait salvatrice
Quand
mes
ne
cris déchirent l’air de leur indicible plainte
Et que seul résonne
J’insulte le ciel
l’écho de
ma
cruelle solitude
Et renie la terre de m’avoir fait chair
135
Littérama’ohi N° 17
Sylviane Racine
Une terre à féconder
Je n’avais
plus depuis tout ce temps, posé mon regard sur l’infinie
couleurs,
Ni mon esprit ni mon cœur ne portaient plus en eux le souffle chaud
d’une respiration îlienne
beauté de tes
Et la terre
Avait cessé de féconder
mon
Cette Terre, mes yeux ne la
Ma peau ne la sentait plus
Mon
cœur ne
âme errante.
voyaient plus
respirait plus son parfum ambré
Etrangère que j’étais devenue à ses caresses, Insensible à sa
Enfermée à sa force de vie
Je sommeillais
Et
pourtant en
tions à venir.
dignité
...
moi
se
préparait l’aurore nouvelle, le nid de féconda-
Dès l’instant que ton regard
Sur moi a posé sa brûlure, mana
mon
corps
s’est réveillé dans
un
surgissant des entrailles de ton désir,
étrange feu de joies et de larmes mêlées.
Au
rythme troublant de l’inspir terrien, irrésistible, indestructible
en moi, par toi,
L’espace ma’ohi trop longtemps étouffé mais toujours là, présent dans
sa lente et ancienne gestation.
J’ai retrouvé
De cette nature, vibrante dans sa
splendide féminité à ton corps puisorgueil d’homme désirant offrir le partage des sens
Nos deux esprits ont partagé la nourriture des dieux
Un soir d’ivresse nue et implorante enveloppant de leurs désirs fous la
sant d’un insolent
rencontre de
136
nos
rêves brisés.
Dossier
Il était
une
Les
poètes du Fenua
fois, l’Infini céleste
Les heures s’écoulaient ivres d’une
L’un
:
étrange fièvre
près de l’autre
Nous
nous
élevions
Nous hissant
Obéissant à
Les yeux
vers
vers
les mêmes hauteurs
la même lumière
singulier attrait
clos sur une certitude partagée
un
Nous étions deux
D’une
Deux
esprits foudroyés
pareille chimère
coeurs jumeaux
Le reflet d’un même rêve
Aspiration vers un Infini céleste
Nous
progressions
Entre audace et retenue
Attentifs
aux
vibrations d’une lumière commune
A l’intérieur
Le
regard posé
Toujours sur la caresse du temps qui nous entraînait vers des terres calcinées
Sans doute allions-nous nous brûler
Sans doute allions-nous tout avouer sans doute
Ensemencer la terre
D’un indicible
Beau
Pur
promise
espoir
comme une aurore
comme un
ciel après
l’orage
Tout doucement
Par delà nous-mêmes
Nous
échangions des silences uniques tout chargés d’un feu sacré.
137
Littérama ’ohi N° 17
L’artiste
HERVÉ
FAY
Après avoir vécu de 3 à 11 ans en Polynésie française, Hervé Fay rentre en
en 1955. Après l’école des Beaux-Arts de Besançon, il invente, à l’orée
des années 70, une technique de peinture utilisant des cires en expression
polychrome, impulsion génératrice de toutes ses aventures créatrices ultérieures.
France
Dès lors, on peut voir apparaître dans ses travaux des notions « d’incommensurabiiité des espaces, d’intemporalité, et s’y révéler une quête de l’origine
des formes et de leur dynamique. » En 1982, il revient à Papeete où il est nommé
professeur au Centre des Métiers d’Art. Puis ii se consacre à la mise au point
technique personnelle d’estampage polychrome à partir de fibres végétaies, qui lui permet d’accéder à une pratique évolutive de l’art marquisien.
Aujourd’hui il constitue des assemblages de formes qui pourraient évoquer
des organismes et/ou des « instruments corporels de musique. » Cela pourrait
être aussi des évocations vestimentaires habitées tels, parfois, d’étonnants scaphandres. L’interaction de diverses techniques modelage, manipulation de la
lumière, photographie, informatique, art pictural, lui permet de dévier la percepd’une
tion du réel tout
en
l’accentuant.
Ses travaux, nourris par une
fascination pour ia mouvance, l’évolution et le
langage des formes l’ont conduit en des lieux où les perceptions symboliques
s’élargissent et se recouvrent aux lisières du réel ; ià, tout se passe comme si
l’ineffable devenait tangible, l’air de rien. Les oeuvres d’Hervé Fay nous montrent des formes en postures hiératiques évoquant ainsi « des portraits de grands
ancêtres de temps immémoriaux ou de grands descendants ou telles entités
intemporelles. » Dernières expositions :
2007 : exposition collective « Tabu/Tapu » au Musée de Tahiti et des îles.
2008 : exposition collective à « La Na'tionale des Beaux-Arts » au
Carrousel du Louvre, Paris (Prix spécial du jury) ; Exposition collective à la
salle « Art et Liberté » de Charenton. Exposition à « ART EN CAPITAL » au
-
-
Grand Palais.
Aussi
138
une
exposition d’oeuvres à la galerie Tornabuoni à Florence Italie.
revue
ma’om a été fondée par un groupe apolitique d'écrivains
polynésiens associés librement. Le titre et les sous-titres de la revue
traduisent la société polynésienne d'aujourd'hui.
La
de
son
ma'OHi, pour
identité ;
l'entrée dans le monde littéraire et pour l'affirmation
par référence à la rame de papier,
pirogue, à sa culture francophone ;
signe la création féconde en terre polynésienne.
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères chinois intercalés
entre le titre en français et celui en tahitien.
La revue a pour objectifs de tisser des liens entre les écrivains originaires de
la Polynésie française, de faire connaître la variété, la richesse et la spécificité
des auteurs originaires de la Polynésie française dans leur diversité
contemporaine, de donner à chaque auteur un espace de publication.
,
à celle de la
,
Fait partie de Litterama'ohi numéro 17