B987352101_PFP1_2007_014.pdf
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045869
22
3
AVEC LE SOUTIEN DE LA BRASSERIE DE TAHITI
BRASSERIE DE TAHITI
Littérama’ohi
Publication d’un groupe d’écrivains de Polynésie française
Directrice de la publication :
Chantal T. SPITZ
Tarafarero Motu Maeva
Huahine
E-mail
:
hombo@mail.pf
Numéro 14 / Décembre 2007
Tirage : 600 exemplaires - Imprimerie : STP Multipress
Mise en page : ,v>&acLSTA6£
Couverture : 4 an’so Le Boulc’h
Peinture rupestre, grotte de Eiaone, Hiva Oa, Marquises Sud
N° TAHITI ITI
: 755900.001
Revue
Littérama’ohi
Ramées
de Littérature
Polynésienne
Comité de rédaction
Patrick AMARU
Michou CHAZE
Flora DEVATINE
Danièle-Taoahere HELME
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Jimmy M. LY.
Chantal T. SPITZ
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LISTE DES AUTEURS DE LITTERAMA’OHI N°14
Tiare Bonnet
Moetai Brotherson
Annie Reva’e Coeroli-Green
Flora Devatine
Moeata Galenon
Barabara Glowczewski
Jean-Claude Icart
Alexandre Juster
Nicolas Kurtovitch
Tehere Lagarde
Catherine Laurent
Jimmy M. Ly
Djamel Mazouz
Glenda Mou Kui
Valérie Teuiariro Murat
Jean-Marc T. Pambrun
Stéphanie - Ariirau Richard
Bruno Saura
Robert Sullivan
Chantal T. Spitz
MarcTahuaitu
Marie-Claude Teissier-Landgraf
Edgar Tetahiotupa
Vahi S. a Tuheiva-Richaud
Jean Vanmai
Viviane Victor
SOMMAIRE du n°14
Décembre 2007
Liste des auteurs
p.
4
Sommaire
p.
5
Les membres fondateurs de la revue Littérama’ohi
p.
8
Editorial : Flora Devatine
p.
10
p.
12
p.
22
p.
32
p.
50
p.
76
p.
86
p.
102
p.
105
DOSSIER
«
Le patrimoine est-il en danger
? »
Edgar Tetahiotupa
Patrimoine ? Vous avez dit patrimoine
! Quel patrimoine ?!
Vahi S. A Tuheiva-Richaud
O vai te fatu o te faufa’a tupuna tumu i Porinetia farani ?
Bruno Saura
“À qui appartiennent les traditions en Polynésie française ?”
Barbara Glowczewski
Restitution de données anthropologiques en multimédia :
défis pratiques, éthiques et scientifiques
Jean-Marc T. Pambrun
Parce que la terre conserve notre mémoire
Annie Reva’e Coeroli-Green
Protégeons Tata’a etVaima
Moeata Galenon
Préservons la Vaima
Chantal T. Spitz
sommes-nous
prêts à hériter notre patrimoine ?
5
ECRITURES
Stéphanie-Ariirau Richard
Si près de la vague
p. 114
Marie-Claude Teissier-Landgraf
p. 120
A la recherche du pardon
Jean-Claude Icart
p.
134
p.
139
P-
141
Un fragment d’aurore boréale
Moetai Brotherson
La naissance du temps
JeanVanmai
Il était une fois... Les crabes aux pinces d’or
p. 144
Jimmy Ly.
Le voyage vers l’Ouest en son et lumière ou
le SiYeou Ki inondé de l’année du Singe
POESIE
Catherine Laurent
p.
148
p.
152
p.
157
p.
162
Rapa Nui
Robert Sullivan
Varna Tupu
Nicolas Kurtovitch
Une femme si belle
MarcTahuaitu
A tae ho’i e !
6
Tiare Bonnet
p. .166
Hei maohi noTaitaa
Glenda Mou Kui
p.
169
p.
173
p.
177
p.
178
p.
182
p.
184
p.
188
p.
190
A la mesure du temps
Tehere Lagarde
Les lois de la vie
Valérie Teuiariro Murat
Les enfants sont notre demain
Djamel Mazouz
.v...
Dans ma solitude
Viviane Victor
Je suis une âme solitaire
Alexandre Juster.
Te mata huna
L’ARTISTE
Stéphanie-Ariirau Richard
Hinatu
Sabrina Birk Levy.
Hinatu
7
Littérama’ohi
Ramées de Littérature Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi
La revue Littérama’ohi a été fondée par un groupe apolitique
d’écrivains polynésiens associés librement :
Patrick AMARU, Michou CHAZE, Flora DEVATINE,
Danièle-Taoahere HELME, Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF,
Jimmy LY, Chantal T. SPITZ.
Le titre et les sous-titres de la revue traduisent la société polyné-
sienne d’aujourd’hui :
«Littérama’ohi», pour l’entrée dans le
l’affirmation de son identité,
-
monde littéraire et pour
«Ramées de Littérature Polynésienne», par référence à la rame
de papier, à celle de la pirogue, à sa culture francophone,
-
-
«Te Hotu Ma’ohi», signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères
chinois intercalés entre le titre en français et celui en tahitien.
-
La revue a pour objectifs :
-
de tisser des liens entre les écrivains originaires de la Polynésie
française,
-
de faire connaître la
variété, la richesse et la spécificité des
auteurs originaires de la Polynésie française dans leur diversité contem-
poraine,
de donner à chaque auteur un espace de publication.
Par ailleurs, c’est aussi de faire connaître les différentes facettes de
-
la culture polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et
modernes que sont la peinture, la sculpture, la gravure, la photographie,
le tatouage, la musique, le chant, la danse... les travaux de chercheurs,
des enseignants...
Et pour en revenir aux premiers objectifs, c’est avant tout de créer
un
8
mouvement entre écrivains polynésiens.
Les textes peuvent être écrits en français, en tahitien, ou dans n’importe quelle autre langue occidentale (anglais, espagnol,.. ) ou polynésienne (mangarévien, marquisien, pa’umotu, rapa, rurutu...), et en chinois.
Toutefois, en ce qui concerne les textes en langues étrangères
pour ceux en reo ma’ohi, il est recommandé de les présenter
dans la mesure du possible avec une traduction, ou une version de
comme
compréhension, ou un extrait en langue française.
Les auteurs sont seuls responsables de leurs écrits et des opinions
émises.
En général tous les textes seront admis sous réserve qu’ils respectent la dignité de la personne humaine.
Invitation au prochain numéro :
Ecrivains et artistes polynésiens,
cette revue est la vôtre : tout article bio et biblio-graphique vous concer-
nant, de réflexion sur la littérature, sur l’écriture, sur la langue d’écriture,
des auteurs, sur l’édition, sur la traduction, sur l’art, la danse,...
sur
ou sur tout autre
sujet concernant la société, la culture, est attendu.
Les membres fondateurs
Littérama’ohi N°14
Flora Devatine
Editorial
«
pour «
«
A la recherche du pardon »
Un fragment d’aurore boréale »
Le patrimoine est-il en danger
? »
Telle est la question de fond posée qui s’est imposée au n° 14 de
Littérama’ohi. La question suivie d’une autre non moins fondamentale :
sommes-nous prêts à hériter notre patrimoine ? » «
nous vivons
si près de la vague ... » La question qui en comptait, en cachait d’autrès. La question qui, à son tour, pour notre gouverne ... interroge
«
...
...,
révèle
surprend
inquiète
fait le point..., sensibilise
lance
sur des pistes
affirme
préserve
comprend
informe sur la
loi, sur les droits
restitue
La question dont les réponses, aussi,...
taisent.... évitent.... ignorent..., laissent à d’autres
plus tard
ailleurs
le choc
l’indignation
ia révolte
Et donc la question,
restée en suspens, de la prise en compte d’une simple demande de
respect, de considération, de reconnaissance des transmetteurs des
traditions orales polynésiennes, d’hier comme d’aujourd’hui.
...,
...,
...,
...,
....
...,
...,
...,
....
...
...,
...,
...,
...,
....
...
La vie moderne montre que partout l’on s’accapare tout, sans ver-
gogne, jusqu’au toponyme, ici en Polynésie de Hava’e ! Ce qui nous
amène aux récits polynésiens, ou comme on dit communément, aux
légendes. Les légendes polynésiennes sont-elles une propriété publique, une marchandise que l’on peut s'accaparer librement, et publier,
vendre
10
sous son
nom, sans indication de la source ?
La question est grave, parce que pour les Polynésiens, on ne peut
pas vendre les légendes, dont certaines appartiennent à des familles,
et parce qu’en agissant ainsi, le risque est que les conteurs ne racontent plus, que les transmetteurs ne transmettent plus, stoppant ainsi la
transmission déjà difficile, trouée, d’un savoir ancestral. Or la simple
politesse d’indiquer la source, (livres, auteurs, conteurs, conteuses,
informateurs, artistes, créateurs, ou simple particulier) serait un grand
progrès, et effacerait la méfiance, le sentiment d’une dépossession,
d’un vol, et libérerait la parole, les consciences, et faisant avancer la
connaissance... à l’exemple de la « Restitution de données anthropologiques » aux Aborigènes Warlpiri de Lajamanu en Australie, ou du
contrat moral
liant les chercheurs et étudiants de l’Université de
Berkeley à l’association Atiti’a. Une mention
...rien qu’une mention !
...
une simple
Pour « que la terre conserve notre mémoire
...
mention
»
pendant « Le voyage » « en son et lumière »
« vers
l’Ouest
»
!
11
Littérama’ohi N°14
Edgar Teahiotupa
Patrimoine ? Vous avez dit patrimoine
!
Quel patrimoine ?!
entretien avec Edgar Tetahiotupa
Cet entretien a été imaginé, par l’auteur de ces lignes, entre son
double et lui-même.
«
—
Que penses-tu du thème choisi par Littérama’ohi ?
Je pense que c’est un thème intéressant. C’est important que la
population se penche sur son patrimoine et se pose la question du dan?
ger que celui-ci peut subir ou non
—
Alors, est-ce que tu penses que notre patrimoine est en
danger ?
Notre patrimoine n’est pas à l’abri des assauts du monde
moderne. À ta question, je te répondrai par l’affirmative : oui bien sûr,
—
notre patrimoine est en danger ! Il suffit de voir comment certains sites
sont négligés, si ce n’est qu’ils sont tout simplement détruits, pourtant
classés par le territoire. Alors, bien entendu, pour se dédouaner, on évoque ou l’ignorance, ou des malentendus. Le cas le plus flagrant est la
langue qui se caractérise particulièrement à travers une frange de la
population polynésienne, jeune en particulier, qui maîtrise mal, ou ne
connaît pas, sa langue, en plus d’une méconnaissance généralisée de
la culture de ses ancêtres.
—
Alors, que faire ?
Je
pense qu’il faut prendre le taureau par les cornes.
Actuellement, l’expérimentation sur les langues polynésiennes mise en
—
place par le gouvernement Temaru commence à porter ses fruits. Des
enseignants du premier degré ont été formés pour enseigner les langues
12
Dossier
polynésiennes : le tahitien, le marquisien, le paùmotu. Une enquête
sociolinguistique a montré des résultats encourageants au niveau des
élèves, changements positifs aussi bien dans leur comportement, que
dans leur pratique de la langue. Ils sont plus ouverts et n’hésitent pas à
parler en langues polynésiennes : le tahitien, le marquisien ou le paùmotu. Bien évidemment, les résultats ne sont pas uniformes, comme tu
dois t’en douter. Mais la tendance générale est positive. Les parents d’élèves partagent le même sentiment, ils trouvent que
l’expérimentation est
encore timide et qu’il faudrait la généraliser à toutes les classes du
premier degré. Par ailleurs, la télévision scolaire proposée par le gouvernementTemaru a vu son aboutissement au mois d’octobre 2007, par le lancernent des émissions sur les deux chaînes de télévision RFO et TNTV,
qui est une performance1. Ce sont des émissions qui viennent en cornplément des enseignements scolaires du primaire et du secondaire. Ce
projet entre dans le cadre de la lutte contre l’illettrisme. Les émissions
sont en français et en langues polynésiennes : tahitien, paùmotu, marquisien et mangarévien. Elles couvrent les différentes disciplines enseignées, comme la littérature de jeunesse, l’histoire, la géographie, l’art, les
sciences de la vie et de la terre. Et dernièrement, au mois d’octobre, il a
été diffusé sur les ondes de TNTV, un dessin animé en tahitien2. Donc,
c’est réjouissant, il y a des projets qui se mettent en place.
ce
Donc, si je comprends bien, le patrimoine, notamment linguistique, n’est pas en danger ?
Détrompe-toi ! Il y a encore beaucoup à faire. Nous avons déjà
beaucoup perdu. Maintenant, il s’agit de sauver ce qui peut être sauvé ? Je
prends l’exemple des personnes âgées qui détiennent des connaissances
—
—
1 Elle réside dans le fait
que deux télévisions concurrentes diffusent les mêmes émissions
dans la même semaine, à des heures différentes. Elles sont diffusées pendant les heures de
classe et sont exploitables uniquement à ces heures, à la différence de la télévision éducative où les émissions peuvent être regardées à n’importe quel moment de la journée.
2 Dessin animé
produit par une chaîne néo-zélandaise. Le doublage a été effectué par des
Tahitiens de Nouvelle-Zélande.
13
Littérama’ohi N°14
Edgar Teahiotupa
traditionnelles et qui nous quittent, et qui pour une raison ou pour une
autre, n’ont pas pu ou n’ont pas voulu transmettre leur savoir, c’est une
perte immense ! Et cela arrive, malheureusement. Si des cas semblablés se produisent ici à Tahiti et dans les îles proches de Tahiti, où nous
avons
la possibilité de rencontrer facilement les personnes, que dire
alors des îles éloignées, comme les Tuamotu
? Donc de ce point de
vue, notre patrimoine est en danger. De la même manière, une de mes
amies — avec qui je travaille sur un programme de sauvegarde de la
langue marquisiennes — me rapportait une réflexion de quelqu’un qui
lui disait : “Mais tout a été dit sur les Marquises !” On a l’impression
que tout a été consigné3, et qu’il n’y avait plus rien à faire. Pour étayer
mon propos, je vais te citer deux exemples.
Le premier est une effigie des îles Marquises. Trois exemplaires ont
été déposés dans des musées, dont un au musée du quai Branly. On
ignore sa fonction, en tout cas les chercheurs spécialistes des îles
Marquises ignorent sa fonction. Une équipe audiovisuelle de la société
Program 33 était passée aux Marquises pour réaliser un film, sur cet
objet, qui a été diffusée sur Arte. C’est le mystère qui entoure cet objet
qui est la ligne directrice de ce moyen métrage. Une des personnes
interviewées a cité le nom de cet objet, a défini quelques-unes de ses
fonctions. Ce passage n’a pas été retenu dans le film. Certainement fallait-il garder le mystère, puisque plusieurs autres objets — comme un
pendentif maori, une poupée hopi4 — rentraient dans cette problématique et chacun d’entre eux faisait l’objet d’un film. Par la suite, nous
avons pu nous réunir avec une personne qui connaissait bien cet objet
et nous a livré ses secrets.
Le deuxième est un dessin, nommé komoè, en forme de cercles
concentriques, avec au milieu la représentation d’un visage humain.
L’interprétation qui a été faite, dans des ouvrages, du mot komoè, me
semble erronée, car il y a confusion entre moe, dormir, idée qui a été
retenue dans l’interprétation, et moè, qui signifie perdu. Et durant notre
2 Par des écrivains et des chercheurs.
4 Les
14
Hopi font partie du groupe des Indiens pueblos d’Amérique du Nord.
Dossier
séjour aux Marquises, nous avons constitué un réseau d’informateurs.
En présentant le dessin komoè à l’un d’eux — le même que celui
qui
nous a livré le secret du premier
objet —, tout de suite il a réagi en
disant que ce dessin se nomme peteà5 et a donné tous les détails. Au
regard de ce qu'il disait, se dégageait une impression de logique dans
son discours, parce qu’on pouvait le rattacher à d’autres faits culturels.
Donc, tout n’a pas été dit, puisque des personnes détiennent encore
des connaissances inconnues des spécialistes occidentaux de la question. Par ailleurs, ce dessin ressemble fortement au calendrier solaire
aztèque, et cette ressemblance est frappante lorsqu’on compare les
deux personnages centraux. Peteà est la version épurée du calendrier
solaire aztèque.
Mais c’est très intéressant ce que tu dis
! Est-ce à dire que
aztèque ?
Avec toutes les recherches que j’ai menées, j’en arrive à
conclure que nous avons des liens avec l’Amérique, dans le sens
Amérique Pacifique. J’ai conscience que ce que je viens de te dire va à
l’encontre de la recherche actuelle sur les migrations polynésiennes.
Mais qu’est-ce tu veux, ce sont les données qui parlent ! Si l’on prend
le calendrier aztèque et le dessin marquisien, la ressemblance est trappante. Les personnes à qui j’ai soumis ces deux images ont reconnu
une forte ressemblance. Le dessin
marquisien est plus épuré, ce qui
suppose que des traces, des éléments, des détails ont été perdus au fil
du temps. Manifestement, l’objet le plus ancien est le calendrier aztèque. Donc, logiquement, le déplacement s’est fait d’Amérique vers la
Polynésie, l’inverse me semble impensable. La présence, seule, de ce
dessin suffit à prendre en compte la possibilité d’un déplacement d'est
en ouest. Que le dessin peteà puisse être à
l’origine de la représentation du calendrier aztèque est, selon moi, illogique, improbable. J’en
parle dans un numéro spécial Matari’i6.
—
nous avons des liens avec la civilisation
—
5
Peteà signifie au plus profond, au tréfonds.
6
Matari’i (collectif), bulletin de l’association Ciel, n° 18, avril-juin 2007, pp. 18-21.
15
Littérama’ohi N°14
Edgar Teahiotupa
—
Du coup, j’aurais deux questions à te poser. La première
concerne
la migration. Selon toi, des migrations seraient venues
d’est en ouest ; est-ce à dire qu’il n’y a pas eu de migrations
d’ouest en est et qui aient atteint les côtes américaines ? Et la
deuxième concerne l’utilisation par des sociétés privées, télévision ou autres, du dessin que l’on appelle komoè, que tu appelles
peteo ; que penses-tu de cette utilisation ?
—
Concernant la première question, l’histoire raconte que Tupac
Yupanqui, empereur inca, qui avait fait un voyage dans le Pacifique au
xve siècle, s’est d’abord renseigné sur ce qu’il y avait au-delà des mers.
Il a donc demandé à ses soldats de faire venir des marins de tribus voi-
sines, qui étaient sous sa domination. Parmi ces marins, il y avait un
Polynésien. Tupac Yupanqui lui trouvait des traits exotiques et lui
répondit qu’il venait d’un pays par-delà
l’océan parmi des chapelets d’îles. Personnellement, je porte foi à cette
histoire, et pense que des Polynésiens ont pu atteindre la côte américaine. Mais, compte tenu de ce que j’ai dit précédemment, des migrations ont été effectuées à partir du continent américain, car il y a d’autrès éléments qui viennent étayer cette affirmation, comme la linguistique, les légendes, etc.
Concernant la deuxième question, comme tu l’as signalé, j’ai effectivement vu à la télévision ce dessin marquisien, dans une bande
annonce qui faisait office d’interlude, ce n’est d’ailleurs pas le seul dessin que j’ai vu dans cette bande annonce. J’ai revu ce même dessin, utilisé comme logo, en tout cas je l’interprète comme cela, sur la première
demanda d’où il venait. Il lui
de couverture d’un livre7. J’ai alerté Toti8, et ensemble nous sommes
allés voir le ministre de la culture, Tauhiti Nena. Nous lui avons soumis
le problème. Heureusement, Toti, en tant que vice-président du CESC,
a
pu suivre le dossier au sein de ce conseil. Actuellement, ce dossier
7 II
s’agit de La Sagaie d’Henderson, de Ronald Wright, publié chez Actes Sud.
8 De son vrai nom
Georges Teikiehuupoko, il est actuellement directeur de l’Académie marquisienne, président de Motu Haka, et fut vice-président du Conseil économique social et culturel.
16
Dossier
est en discussion en métropole dans une commission nationale. En tout
cas, nous avons voulu alerter les pouvoirs publics.
J’ai eu écho des déconvenues d’un ami qui avait utilisé le mot Havaè,
nom de la passe
de Teahupoo, pour l’imprimer sur des T-shirts destinés à
être commercialisés. Il avait utilisé ce nom, m’a-t-il dit, pour accompagner
un dessin. Un
procès lui a été intenté — puisque ce nom a été déposé à
l’Inpi9, par un Européen — et il a été condamné à verser une somme
conséquente. J’ai trouvé bien évidemment injuste qu’une personne qui
n’avait aucun lien avec la culture polynésienne puisse devenir propriétaire
d’un nom, au détriment de ceux-là mêmes qui peuvent revendiquer ce
lien. C’est surtout cette raison qui m’a poussé à soumettre ce problème à
Toti et à agir. Par ailleurs, et c’est fort heureux, cette action a permis de
relancer le dossier Marquises pour le classement des sites au patrimoine
mondial de l’humanité. En outre,
il est intéressant de noter que cette
dynamique a engendré un autre projet de classement au patrimoine mondial de l’humanité, c’est celui du site de Taputapuatea, à Raiatea.
Maintenant, on en vient à notre préoccupation proprement dite, si
l’on admet que le dessin marquisien est une représentation, dans sa
version épurée, du calendrier aztèque, on peut se demander à qui
appartient ce dessin. Appartient-il aux Marquisiens uniquement, aux
Polynésiens d’une manière générale, ou cette propriété peut-elle être
étendue aux descendants du peuple aztèque, si tant est que cette propriété soit revendiquée ?
Tout à fait, la question a été posée de façon similaire par
Bruno Saura, dans son exposé À qui appartiennent les traditions
—
polynésiennes ?, lors d’une conférence célébrant les vingt ans de
l’Université de Polynésie française.
Effectivement, si je prends l’exemple des noms polynésiens, on
les voit portés par des Occidentaux. Faut-il pour autant les en empêcher,
alors même que des Polynésiens portent des noms occidentaux ? Je
—
9 Institut
national de la propriété intellectuelle.
17
Littérama’ohi N°14
Edgar Teahiotupa
n'ai pas de réponse à la question. Il est vrai que, dans la tradition poly-
nésienne, certains noms appartiennent à des familles, et ne peuvent être
portés qu’avec l’autorisation desdites familles ; mais, de nos jours, certains prénoms sont devenus tellement familiers qu’ils peuvent être portés par n’importe qui. Maiarii Cadousteau, dans son livre, Les prénoms
tahitiens, en donne une liste avec leur explication.
Lorsque tu parlais tout à l’heure de liens avec le continent
américain, il faut donc admettre que nous partageons une culture
commune avec d’autres peuples, en dehors même de la sphère
Polynésie, puisqu’il faudra aller jusqu’en Amérique, c’est ce que
vous soutenez, mais en Asie aussi ?
Effectivement, cela pose la question du patrimoine. C’est tout le
sens de la tenue du Forum international du patrimoine du
Pacifique qui
—
—
s’est déroulé chez nous à la fin du mois d’août de cette année. L’accent
a été mis sur le caractère international du
patrimoine, que ce patrimoine
est propriété de l’humanité. Cela voudrait dire le caractère exclusif de ce
patrimoine et qu’aucun individu ne peut se l’approprier.
Ce qui m’intrigue chez vous, c’est que vous allez faire vos
recherches dans les civilisations amérindiennes, alors que la corn—
munauté scientifique persiste à dire qu’il n’y a pas eu de migrations à
partir du continent américain, en tout cas en ce qui
premiers Polynésiens.
Moi, je ne pose pas la question des premiers Polynésiens. Je dis
simplement que des gens ont quitté le continent américain pour se lancer dans le Pacifique. D’ailleurs Tupac
Yupanqui l’a bien fait, puisqu’il est
allé jusqu’aux Gambier, à l’île de Pâques, puis est rentré chez lui.
Comme la plupart des étudiants, j’ai appris que la migration polynésienne, qui s’est étalé sur une longue période, a débuté dans l’Asie
du Sud-Est. Je l’ai enseigné en IUT, lorsque j’étais étudiant, pour avoir
un peu d’argent. Je l'ai défendu devant certains membres de notre cornmunauté du Pacifique, parce qu’il était impensable à leurs yeux que
leurs ancêtres eussent été des Asiatiques. Comme la plupart des gens,
concerne les
—
18
Dossier
j’avais une conviction inébranlable. Jusqu’au jour où je suis tombé sur
un document disponible au CRDP, évoquant une relation entre les langués polynésiennes et une langue parlée dans les îles du sud du
Japon, le yamato. Cela m’a vivement intéressé, c’était tout nouveau
pour moi, d’autant que j'avais lu un article sur un fonctionnement similaire des cerveaux japonais et polynésien, différent de celui d'un
Occidental, attribuant cela à la particularité des langues japonaises et
polynésiennes10. Et donc, j’avais fait paraître un article, dans ce sens,
dans un mensuel de la place. Cela m’a valu les foudres d’un anthropologue, je te rassure, il n’exerce pas sur le territoire. Les échanges de
courriels n’y ont rien fait. Mais, oh surprise !, j’entends certains linguistes dire qu’il y a un lien entre les langues polynésiennes et le japonais.
Donc les choses évoluent. Cependant, dans aucun ouvrage je n’ai
trouvé, dans la distribution des langues austronésiennes — d’où, selon
les linguistes, viendraient les langues polynésiennes —, l’aire linguistique japonaise et plus précisément l’aire yamato.
Pourquoi est-ce que je persiste à travailler dans ce sens ? Parce
que je trouve de plus en plus d’éléments qui lient la culture polynésienne aux cultures amérindiennes. Pour venir à un cas concret, récem-
ment, il a été édité un album pour les enfants, Voyages au pays des
oiseaux kula1\ Tu me permettras de faire une petite digression, qui, en
fait, n’en est pas vraiment une, puisque la raison même de notre rencontre, c’est la question du patrimoine et de la propriété. Dans cet
Le fonctionnement est identique pour des Occidentaux qui sont dans un environnement
linguistique japonais et inversement pour des Japonais qui sont dans un environnement linguistique européen. Pour conforter cette étude, des expériences, sur la latéralité des hémisphères cérébraux, rapporte que les locuteurs du chinois mandarin utilisent les deux lobes de
leur cerveau pour comprendre leur langue natale, quand les anglophones ne mobilisent que
le lobe gauche. Cela s’explique par le recours à des zones différentes du cerveau pour interprêter les multiples composantes du discours, comme les mots et les intonations. En effet, le
mandarin utilise des niveaux d'intonations différents. Une même syllabe, prononcée sur un
ton précis, renvoie à des sens distincts : “ma” peut ainsi signifier mère, mégère, cheval ou
chanvre (Sciences Humaines n° 144, décembre 2003).
11 Éditions Le
Motu, 2007.
19
Littérama’ohi N°14
Edgar Teahiotupa
album, fort justement, l’auteur du récit, qui est un ami, n’a pas mentionné
sources, c’est d’ailleurs le reproche qui est fait à de nombreux
ses
auteurs. C’est une question de respect. En cela, je me permets de te
citer un exemple de contrat, je crois moral,
entre une association de
Moorea, Atiti’a12 et l’université de Berkeley, pour que chaque chercheur,
qui demande la participation active d’un membre de l’association pour
ses
recherches, fasse don de celles-ci à l’association, mentionne ses
(le nom de son informateur) et laisse 10% de son budget. Cet
argent servira à financer l’édition de documents pédagogiques, avec le
concours du scientifique lui-même pour l’élaboration du contenu. Je
trouve cette idée très intéressante. Beaucoup d’associations culturelles
devraient s’en inspirer. J’ai personnellement assisté à des rencontres
avec des échanges très positifs — entre chercheurs et étudiants, et
sources
—
les membres de l’association Atiti’a.
J’en reviens à l’album, le terme kula qui se trouve dans le titre n’est
pas un terme que l’on trouve aux Marquises, ni en Polynésie française.
Le terme marquisien est kuà, kura en paùmotu, ùra en tahitien. Par ail-
leurs, l’oiseau kuà dont il est question, n’est pas totalement rouge
reproduit dans l’album. L’oiseau prendrait l’apparence du vini
ùra de Rimatara. Les plumes de cet oiseau sopt utilisées pour confectionner une coiffe appelée paèkuà. C’est une coiffe formée de trois bancomme
des horizontales. Une bande de plumes rouges au milieu, bordée de
chaque côté d’une bande de plumes vertes. La disposition des bandes
est analogue à celle d’un oiseau appelé kukul en langue maya, que l’on
trouve en Amérique centrale. Les plumes utilisées pour la confection du
paèkuà proviennent d’un oiseau appelé kuku13. Lorsqu’on fait une cornparaison entre le paèkuà et le kukul, la disposition des plumes vertes et
rouges est identique. Cette disposition, on la retrouve chez le vini ùra de
Rimatara. Par ailleurs, nous avons une proximité linguistique entre kuku
et kukul. Donc, cet oiseau n’est pas entièrement rouge.
12 Atiti’a est le nom du lieu où est
érigé le Centre culturel. Ti’a signifie debout, il est donc fait
allusion ici à une incitation au peuple à se lever et à retrouver sa dignité. Ati, c’est la commu-
nauté, c’est donc la communauté des gens debout, quant à pu, il signifie : centre.
13 Thouarsistre
20
Dossier
Contrairement à ce que l’on entend, le nom kuku ne vient pas du
son émis par
l’oiseau, mais d’une légende. Kukul était le fils d’un grand
chef maya. Il fut tué par son oncle, jaloux de lui. Lorsque les membres
de sa tribu trouvèrent l’endroit où il avait succombé, ils ne virent s’envo1er un oiseau resplendissant. Le rouge qu’il portait sur sa poitrine symbolise le sang qui s’est échappé de la blessure. D’après la légende, cet
oiseau est immortel. Il fut appelé kukul, ce qui signifie : belle plume. J’ai
proposé à l’illustratrice de l’album de prendre le modèle du vi'ni ùra de
Rimatara. Elle en a décidé autrement, ce qui peut se comprendre.
Lorsqu’on prend connaissance de l’histoire, on est tenté de dessiner
des oiseaux entièrement rouges. Les plumes du vini ùra, à l’image de
celles du kuku, étaient utilisées dans la confection des coiffes de chefs
ou de parures pectorales. Cet oiseau a fait l’objet, récemment, d’un programme de réintroduction sur l’île de Atiu, aux îles Cook.
Alors, pourquoi est-ce que je m'obstine à chercher des éléments
culturels sur le continent anéricain ? Parce que là-bas se trouvent des
explications à la culture polynésienne que nous n’avons pas ici. Mais
ces explications, il faut savoir les interpréter. Et les éléments que je
viens de t’exposer ne sont pas les seuls.
Fort de cela, je me dis que je n’ai pas le droit, en tant que
Polynésien, de les garder pour moi. Je me suis donc donné pour mission d’en informer les gens, et avant tout, les Polynésiens eux-mêmes.
Cela étant, chacun disposera des informations comme bon lui semblera. J’ai conscience que cela peut irriter certaines personnes, mais
mon souci c’est d'abord le Polynésien, qu’il soit de la présente génération ou de celles à venir. Quant aux critiques, elles sont secondaires
pour moi. Je ne crois pas trahir les Polynésiens en faisant cela, bien au
contraire. D’ailleurs, je trouve de plus en plus d’échos auprès d’eux...
Alors, pour moi, le patrimoine, c’est aussi ça, la mise au jour de
nouvelles connaissances ; toujours, pour aller vers une meilleure cornpréhension de la culture polynésienne. Et si je te dis que la poupe relevée des pirogues polynésiennes représente la queue relevée du serpent crotale, lorsqu’il est en alerte, tu trouveras certainement que je
délire !...
»
21
Littérama’ohi N°14
Vahi S. A.Tuheiava-Richaud
0 vai te fatu o te faufa’a tupuna
tumu
i Porinetia farani?
Se poser la question de la propriété du patrimoine culturel ancestral du pays soulève en réalité plus d’interrogations que de réponses à
trouver. On peut y voir un vrai débat de société qui traverse toutes les
cultures, en particulier celles des peuples autochtones minoritaires en
quête d’identité et de reconnaissance internationale. La prise de
conscience de la valeur unique de ce patrimoine ne date pas d’aujourd’hui. Elle était déjà là, à l’état latent. Mais face aux menaces endogènes et exogènes qui pèsent sur le patrimoine culturel de la Polynésie,
la voilà qui se réveille dans l’espoir qu’il n’est jamais tard pour agir. Car
peut dire sans exagérer que ce dernier est en danger : celui de l’oubli, de l’ignorance et de l’indifférence, danger de dilution et de banalisation, de détérioration, de destruction et de pillage, de « désacralisation
on
si ce terme a encore du sens. Sans rentrer dans le préventif et le curatif, plusieurs interrogations se posent pêle-mêle : celles de la détention,
de la propriété, de la légitimation d’un droit à la propriété d’une part, et
d’autre part celles de la définition, la description, l’inventaire quantitatif
et qualitatif du patrimoine polynésien en termes de repérage et d’identification, de collecte et de description, de classement et d’évaluation de
»
qui s’apparente à un legs et un bien. Et nous ne parlons pas des
objets anciens (et qu’en est-il des copies et reproductions d'artifacts
anciens ?), des connaissances et savoirs faire matériel et immatériel
traditionnels dont l’exploitation et l’utilisation adaptées à la modernité
ce
servent à des fins lucratives.
Où se situe la limite entre ce qui relève du patrimoine ancestral pur
qui fait partie de l’héritage commun à tous les Polynésiens de souche,
d’où la question que nous posons, et ce qui relève du domaine purement
privé où le travail personnel, l’invention, l’imagination, le sens de l’esthétique, la créativité doivent être valorisés et reconnus à leur juste valeur ?
22
Dossier
Autant de flous et de zones d’ombre à éclairer dont les éléments de
réponse dépassent le simple cadre de notre question première.. Ce qui
est certain, c’est que les ta’ata mâ’ohi qui sont les héritiers directs et
indirects légitimes du patrimoine de ce pays vivent au présent mais
entretiennent un lien fort avec ce qui fait leur identité et leur culture
parce qu’ils les vivent pleinement de l'intérieur.
Notre propos n’est pas d’être exhaustif, mais de tenter de comprendre dans un premier temps le pourquoi de cette question, de définir et
de cerner par la suite de ce qu’on entend par patrimoine culturel ancien
et
en
dernier de lancer
quelques pistes de réflexion de manière à
asseoir la question dans un cadre de préoccupation plus large, à la fois
local et global.
Aita teie huru uira’a i ‘itehia e i fa’aro’ohia a’e nei io tatou nei
i nâ matahiti, e tai’o rahi noa tatou e piti ‘ahuru matahiti i mahemo
a’e nei, ina’a, i teie mahana, te ha’amata nei te t§hi pae o tatou
i te uiui i te reira. ‘E’ere ânei ia e ‘ohipa terâ i vaivai ri’i noa mai
na
aita râ i roa’ahia i te parau mai teie e pâpû roa mai nei, i te
mea
ho’i e parauhia te mea e ho’ona i te parau. E tau iho tô te
mau mea
ato’a. No tatou, ua tae i te taime te mataratara mai ra
te tahi mau fa’anahora’a i ‘itehia te faufa’a e te maita’i i nâ te ara
mai e fa’ahepo nei ia tatou i te hi’o-fa’ahou-ra’a i ta tatou iho io
tatou. E taime tano ia no te tau’aparau e no te feruri !
H.Te tumu o te uiuira’a
Aita e uiuira’a mai te peu aita e mana’ona’ora’a i mûri mai. I
tupu mai ai te mana’o uiui e te pe’ape’a e ‘âpe’e ra i te reira, no
te tahi ia mea e ‘ite-rahi-hia nei i teie manaha, i roto i te peu a te
ta’ata, te haere atu ra i te ‘ü’anara’a. O vai te fatu o te faufa’a
tupuna tumu io tatou nei ? O vai te fatu o te faufa’a tupuna
mâ’ohi, i terâ e terâ vâhi, i terâ e terâ mata’eina’a, i terâ e terâ
fenua? Aita tâtou e parau nei i te faufa’a tupuna no teie nau
23
Littérama’ohi N°14
Vahi S. A. Tuheiva-Richaud
tenetere
hope’a i mahemo a’e nei e mea huru pâpü te fa’ana-
hora’a o tô na parau, mai te pâ o Punaru’u i patuhia i 1846 no te
tama’i i roto pu i te mau nu’u farâni e te mau mâ’ohi,
i te tau o
Bruat.
Te uiui nei râ te mana’o no te faufa’a tupuna tumu o te feiâ
tumu o te fenua nei, no te mea ia tei roto tatou i te hô’ë tau e te
hô’ë fa’aterera’a hau i patuhia i ni’a i te parau o te ture. Nâ te
ture, ua mâtau ‘ë na te ta’ata mâ’ohi i tô na fa’anahora’a (Ture
Pômare, 1819 ; Tura Tamatoa, 1820 ; Ture Teri’itaria 1822 ;
e
te Ture a te Hau Tâmaru,
e te Ture a te Hau Repupirita e rave
...
...
fa’a-aveavera’a), noa atu te ta’a-‘ore, e pa’epa’e i te ta’ata i
roto i te orara’a tlvira e te parau ti’a. Nâ te ture e fa’atiti’aifaro i te
rau
‘ohipa tano ‘ore e te hahi ia tu’uhia atu taua mea ra i mua i te feiâ
ha’apa’o. la ‘ite mai râ tatou, e
‘ohipa te ture i tei tu’uhia i roto i tô na rima e râve’a tâ na no te
pâhono. la ‘ore ana’e, e’ita te ture e ha’uti. Te vai noa ra paha te
tahi mau vâhi, i roto i te parau no te fatura’a i te faufa’a tupuna
mâ’ohi, aita tâ te ture e parau fa’aotira’a pâpü maita’i, no te tahito
o taua mau faufa’a tupuna ra e
parauhia ra, e’ita e tano ia hi’ohia
nâ râtou te reira tuha’a ‘ohipa e
mai te tahi atu mau tao’a no teie nei tau. E uira’a â teie.
Te tahi atu tumu i pe’ape’a ai te ferurira’a, te taura ia e tâ’ai
ra i te ta’ata mâ’ohi e tô na parau e
vai ra i roto i te faufa’a tupuna
tumu. No te mâ’ohi tumu, e turu’i o ia i tô na iho parau i ni’a i te
faufa’a tupuna tumu e fa’a’ite ra i tô na iho e tô na hiro’a tumu no
‘ô roa mai i tô tahito ra. ‘Ei hi’ora’a : aita o na i âtea i te mau tâpa’o
i riro ‘ei te’ote’ora’a nô na, io na iho. Noa atu â ia tei ni’a teie mau
tâpa’o (mai te pin) i te vâhi i fatuhia e te hô’ë ‘ôpü ta’ata, i roto i
te hi’ora’a a te ta’ata no te reira fenua, e tâ’amura’a tô na i taua
mau tâpa’o ra. E’ere taua mau
tâpa’o ra no te hô’ë noa pupu
ta’ata, no te tâ’ato’ara’a ra. E parau ‘ë tô te mau ta’ata fatu fenua
e e parau ‘ë tô te fatura’a i taua mau
tâpa’o ra.
Te vai fa’ahou ra te tahi atu tumu : i teie tau ‘âpî, te tâ-monihia nei te faufa’a tupuna tumu. Ua riro te mau ‘ohipa e ô i roto i
te parau o te faufa’a upuna ‘ei ‘imira’a moni nâ te feiâ o teie tau.
24
Dossier
E’ita te reira e maerehia, inaha, ‘aua’e taua mau faufa’a ra i mauhia mai i ‘ore ai te tahi pae e topa i roto i te orara’a fifi e te ’ere.
Nâ teie uira’a e fa’a’ite mai nei i te vaira’a o te ferurira’a (aore
ra
te
te
muriataura’a
ha’apa’o-‘ore-ra’a !) o ta’ata no teie tau i mua i te parau o
aore ra te ‘ananahira’a o te faufa’a
tupuna
mâ’ohi. E tano ia ui-ato’a-hia : te faufa’a tupuna no tahito roa mai,
te mâ’ohi ana’e të tano i te fatu, aore ra tei roto tô na
parau i te
parau no te mau faufa’a tupuna tumu ato’a o te ao nei. Te aura’a
ra, ia ‘ore te mâ’ohi iho e ha’apa’o fa’ahou i taua faufa’a ra i teie
tau, noa atu te huru o te mau tumu e ha’amaramarama mai ia
tâtou i taua ha’apa’o-‘ore~ra’a ra, e vaiiho noa ânei
i te reira ia
‘ino roa atu, ia papararT roa atu, ia marau roa atu ‘aore e hua’ai
tamari’i no mûri nei e ‘ite fa’ahou i te ‘ohipa i vai-ihohia mai e te
mau
tupuna?
Te ‘itehia nei, nâ roto i te ‘ana’anataera’a o te tahi pae o tâtou
i te tau’ara’a i te faufa’a tupuna tumu, te vaiiho-noa-ra’a te tahi
atu pae o tâtou i taua faufa’a ra ia ‘ore e, peneia’e, ia mou, ‘oia
ho’i, ia ‘ore tô ‘ananahi ia ‘ite i tô na parau.
O vai mâ teie e tau’a nei, e ha’apa’o nei i te parau o te faufa’a
tupuna, aore ra o vai mâ teie e ‘ore nei e ‘atu’atu ? E aha të tano
i te rave ia vai taui-‘ore-noa e ia vai maoro te reira i roto i te tau,
eiaha ia ‘ore e eiaha ia tauihia tô na huru e tô na hoho’a ?
Te ta’a ra ia tâtou ‘e’ere teie uira’a no te « fatura’a i te faufa’a
tupuna tumu » i te mea ‘ôhie e te oti noa ia pâhono e ia feruri, no
te mea e rave rahi mau mana’ona’ora’a e e mau ‘ôpuara’a tô
mûri mai. Tei te huru o te hi’ora’a e te türamara’a i taua tumu
parau nei.
Te vâhi pâpû, ua matara te mau mea ato’a i teie tau, te parau
o
te faufa’a
tupuna ato’a. E’ita e tano fa’ahou e rave i te tahi
fa’aotira’a pâpû mâ te ‘ore e hi’o i te ‘ohipa e tupu mai i mûri a’e
‘ei maita’i no te nuna’a, tô na parau të hi’o nâ mua roa. ‘Aore e
fa’aotira’a pâpû e ravehia e te tahi nüna’a ta’ata ‘aore te ao i ’ite.
Inaha, te vai nei te mau râve’a haru parau, te ‘âfa’i parau e te
ha’apürorora’a hoho’a e fa’a’ohipahia nei i roto i te mau ‘utuafare
25
Littérama’ohi N°14
Vahi S. A. Tuheiva-Richaud
tâta’itahi. E mea ‘ôhie roa ia patapata e ia hapono ‘oi’oi i te tahi
parau i râpae : te mâtini roro uira e te niuniu teie e parauhia nei.
2. Te faufa’a tupuna tumu, e aha ia mea ?
Te tâtara ra te Ture o te faufa’a tupuna a te Hau metua i tô
e, o te « tâ’ato’ara’a ia o te mau maita’i ‘ei
patuhia aore ra ‘ei mau tao’a tô roto, e ô i roto i te
fatura’a a te hau ‘aore ra ‘e’ere nâ te hau, te vai ra te maita’i no
te pae tuatua ‘a’ai, te rahura’a tao’a, te ‘ihi papa, te iho purotu, te
na aura’a ma te parau
mau
fare i
‘aivânâ’a aore ra te ‘ihi ravera’a.»1
I Porinetia nei, tei roto te parau o te mau marae, te mau pâ
‘ôfa’i, te mau hunara’a ma’i, te mau patura’a ‘âua i’a no tô tahito,
te mau piri ‘aore ra tâpa’o ‘ôfa’i tahito ua nana’ohia (mai te mau
ti’i ‘ôfa’i) ‘aore ra aita i nana’ohia (te ‘ôfa’i honu, te ‘ôfa’i nohu, te
te ta’ahira’a ‘àvae o Maui i Tautira
etv.) i te faufa’a tupuna tumu. Nâ reira ato’a ho’i te mau tao’a
râ’au ‘aore ra ‘ôfa’i i fa’a’ohipahia e to tahito no te tere nâ ni’a i te
tai (mai te va’a ‘aore ra ‘apa’apa toetoe’a va’a, te mau hoe e te
mau tata riu ...), no te fa’a’apu (te râ’au ‘ô ‘apo’o no te taro), no
te tâpü e no te tarai i te râ’au ‘aore ra i te ‘ôfa’i (te mau to’i ‘ôfa’i
e rave rau hoho’a), no te pâpâhia i te mâ’a ‘aore ra no te rapa’au
i te ma’i (te ‘umete râ’au ‘aore ra ‘umete ‘ôfa’i, te mau penu), no
te tautai na roto ‘aore ra nâ tua (te mau puna i’a, te mau ‘ôfa’i
taora ‘aore ra tütau, te mau huru matau, te mau nape ...). Nâ
reira ato’a te mau ‘âpo’o tanura’a taro i ‘itehia i te mau fenua tuava’a o Hire, te ôë a Hiro,
...
motu.
1
Hiro'a, septembre 2007, Journal d’informations culturelles n°1, Tahiti : Musée de Tahiti et
des Iles, Service de la Culture et du Patrimoine, Conservatoire artistique de Polynésie fran-
çaise, Heiva Nui, Maison de la Culture - Te Fare Tauhiti Nui, p. 8 « Le Code du Patrimoine
de Métropole définit le patrimoine comme l’ensemble des biens immobiliers ou mobiliers,
relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique,
archéologique, esthétique, scientifique ou technique. »
26
Dossier
o
Ta’a ‘ë atu i te reira, te vai ato’a nei i roto i te faufa’a tupuna
Porinetia farâni, te faufa’a tupuna ‘e’ere no te pae materia noa.
Te vai nei te mau ‘ite, te mau ‘ihiravera’a e te mau ‘aravihira’a no
te rave e tâ’ai nei i te mau Mâ’ohi i te mau tao’a e te mau vâhi e
parau rahi tô râtou i vaiihohia mai e te mau tupuna. Tei roto i teie
tuha’a te parau o te mau hum ‘ite ato’a e fa’a’ohipahia te reo
mâ’ohi e te reo i roto i tô na fa’anahora’a, tô na paraura’a, tô na
ta’ira’a, tô na navenavera’a, tô na fa’atomara’a e ‘itehia i roto i te
parau tumu fenua, te vana’a rahu ao, te ‘a’ai, te ‘a’amu, te papa
tupuna te pehe, te rautî tama’i, te ‘otoha’a, te fa’atara, te anau,
te upu, te pariparifenua, te parapore, te fagu, te pâta’uta’u, te
ru’u etv. E tai’o-ato’a-hia i roto i teie faufa’a tupuna tumu ‘e’ere no
te pae materia te mau peu e te tia’turira’a a tô tahito ; te ‘ite no
te fano nâ ni’a i te moana ma te hi’o i te mau feti’a i te pô, te mau
‘are roroa e te mau ‘are pôpoto, te mau vâve’a, te mau ‘ôpape,
te mata’i, te huru o te mau ata, te mau manu tai, te mau rimu e
te mau râ’au e pâinu haere nâ ni’a i te tai i te ao ; te ‘ite i te hi’o
e te mâ’iti i te mau râ’au tano no te rapa’aura’a ma’i.
No te pae o te mau ‘ihiravera’a e te mau ‘aravihira’a no te
rave, te vai nei ia te ‘ite no te tarai i te va’a (va’a hoe, va’a ‘ie, va’a
tau’ati ...) nâ roto mai i te mau tumu râ’au ua ‘itehia te pa’ari, te
teiaha ‘aore ra te mâmâ hou a tâpühia ai ; te ‘ite i te ‘ohipa tautai
mai te hâmanira’a i te mau ‘üpe’a, te mau matau hï i’a, te mau
nape e te mau ‘apo’o i’a ; te ha’une e te rara’a i te pae’ore ia oti
mai te ‘ie, te taumata, te tâupo’o, te ‘ete, te tâhirihiri, te moe’a
aore ra pë’ue
; te huru tunura’a i te mâ’a i roto i te ahimâ’a, te
umu tT, te fa’aherehere-maoro-ra’a i te ‘uru i roto i te mau
‘âpo’o
mahi, te târa’ira’a mâ’a (te piere, te i’a ...) ; te putura’a i te
mono’i ; te tatau e te taraira’a i te râ’au, te ‘ôfa’i, te ivi e mau huru
‘T no te tai (te ivi i’a, te pârau, te reho, te pôreho ...) ; te nirara’a
‘ahu e te tïfaifai
; te ‘ori, te pehe e te hTmene (târava, rü’au,
‘ütë...) ; te peu fâri’ira’a ta’ata etv...
...
...
Te ta’a ra ia tatou e e tumu iho â ia i uiui ai te mana’o no te
parau o te fatura’a i te faufa’a tupuna tumu a tô tahito.
27
Littérama’ohi N°14
Vahi S. A.Tuheiva-Richaud
3. Te fatura’a ‘aore ra te ti’a’aura’a i te faufa’a tupuna ?
O vai te fatu, o vai te ta’ata, te mau ta’ata ‘aore ra te ‘ôpü
fëti’i, te hô’ë pupu ta’ata e tano e fatu ? E ta’ata ‘aore ra te fenua
nâ roto i te hau fenua të tano e fatu i te i’oa o te tâ’ato’ara’a ? E
ta’ata ‘aore ra e tâ’atira’a të ti’a i te ha’apa’o ia vai maita’i noa te
reira ?
Tei te huru o te faufa’a tupuna e fa’ahitihia ra.
Mai te peu e mau patura’a ‘ôfa’i rarahi mai te marae te huru,
tei te huru tô na vâhi vaira’a. Te mau marae ‘aore ra pâ ‘ôfa’i
tahito e vai nei i ni’a i te mau vâhi teitei e taiâ te ta’ata i te haere
teie e vai noa nei ma te ‘ore i te ha’afifihia e te ha’afaufa’a-ato’ahia. Te ‘itehia nei te tahi mau marae huru rahi e te na’ina’i ’aore
nei, e ta’ahi nei nâ ni’a iho. I te rahira’a o te taime,
tupuhia i te ‘aihere e te tumu râ’au rarahi, nâ te a’a râ’au e te
tahi mau pua’a e haere e ‘etu nâ rotoroto e fa’ahi’a mai i te mau
‘ôfa’i i raro a hu’ahu’a atu ai vëtahi. I te paraura’a a te tahi pae, e
ha’uti noa â te reira marae No te reira mau ‘ohipa, ‘aore ia e
ta’arta e parau nei o vai te fatu. I te taime e ravehia ai te tahi mau
‘ohipa i ni’a iho ‘aore ra nâ piha’i iho e paraparau ai te ta’ata, e
e ta’ata e ha’uti
ua
maniania ai.
Te vai ato’a nei te tahi mau marae, no te ta’a’ëra’a o te
patura’a, te ro’o o te fenua ‘aore ra te mana’o turu a te hau fenua
e te tâvana e te ‘âpo’ora’a ‘oire no taua fenua ra, ua tâta’ihia e ua
rave-nehenehia e te mau ‘aivâna’a ia au i tei tuatâpapahia mai e
râtou. Ua ora ia te reira mau marae, mai ia ‘Arahurahu, Taputapuâtea e te mau marae ari’i i Huahine. Taua mau marae ra teie
e mata’ita’ihia nei e te mau râtere e tae rahi mai nei io tâtou. I
taua mau ‘âua marae ra e fa’atupuhia ai te tahi mau ‘ôro’a
fârereira’a e te ha’utira’a ta’ata ora e fa’aora fa’ahou mai nei i
taua mau tao’a tupuna ra i te manunu ta’oto tei roto râtou i te
vaira’ara’ahia. Noa atu
mata’eina’a
e
ia ‘aita te
rahira’a
o
te mau ta’ata
tau’a fa’ahou nei i taua mau vâhi ra, ‘aua’e te
tupura’a o teie mau ‘ohipa ‘âpï ‘aore i fa’atura i te mau peu i
28
Dossier
mâtauhia i te fa’atupu i ni’a i te marae, mai ta Teuira HENRY e o
William ELLIS
e
tâtara maita’i ra i roto i tâ râua nau
puta2, i
hâro’aro’a ai tô Porinetia e të te ao nei, nâ roto i te mau râtere e
tae mai nei io tatou, i tô râtou parau.
E te mau penu tahito, te mau to’i, te mau matau hT i’a, te mau
‘ôfa’i tautai, te mau ti’i e te mau ‘umete i ‘itehia mai i uta, i raro i
te tai
nâ te ta’ata ânei i pâheru e i ‘ite mai, nâ te pupu ta’ata
ânei i roto i te hô?ë tâ’atira’a i ‘iriti mai i teie mau tao’a e fatu i te
...
reira ? Mai te peu, ‘e’ere, o vai ia të fa’ati’ahia e te ture e fatu e
e mau
i te reira mau tao’a.
I ‘0 nei
0 mai ai te parau o
te mau taiete (puta ‘aore ra
ha’aputu tao’a tahito) e ti’a’au nei i te tahi pae o taua mau tao’a
ra, mai te Fare-ia-manaha i Puna’auia, e te taiete Etudes
Océaniennes te vai nei te pu fa’aterera’a i te Pü-ana-tau-roa i
Tipaeru’i. E nau tare teie e fa’ati’ahia te mau huru ta’ata ato’a e
tomo atu no te tahi ‘ohipa e tâ’ai ra ia na e te mau parau a to
tahito, ia au iho â i te fa’aterera’a a taua nau fare ra. E mea pâpü
te fa’anahora’a o te ‘ohipa e vai ra i roto. E ti’a ia parau e
e
ti’a’aura’a tao’a teie. Te mau huru ta’ata ato’a e tu’u atu i te mau
tao’a tahito i roto të vaiiho ra i taua mau tao’a ra i roto i te rima o
te tahi atu nâ na e ha’apa’o i te ti’a’aura’a, ‘oia ho’i te tâpa’ora’a
e
te ‘atu’atura’a ia vai maoro e ia vai-ino-ore i roto i te roara’a o
te tau. E mau vâhi haumi ‘ore e te âteatea, i fa’ato’eto’ahia ia ‘ore
te tao’a e te mau puta tahito ia ‘ino fa’ahou.
‘E’ere fa’ahou atu ra ia te parau o te fatura’a i te mea rü i ‘0
nei, i te mea ua ‘itehia e ua ora ia teie e vai nei i roto i terâ mau
huru vâhi ra ‘aore ra mau ta’atira’a e ha’apa’o nei i te reira pae
‘ohipa, mai teie e ‘itehia nei i te mau fenua rarahi.
2 Teuira
HENRY, 1962. Tahiti aux temps anciens. Paris : Publications de la Société des
Océanistes.
William ELUS, 1972. A la recherche de la Polynésie d’autrefois. Paris : Publications de la
Société des Océanistes, 2 vol.
29
Littérama’ohi N°14
Vahi S. A. Tuheiva-Richaud
No tupu noa a’e nei te rurura’a a te FIPPAC i te 29-30-31 no
‘atete i ma’iri a’e nei, no te taime matamua roa i te fa’atu-
pura’ahia e te JCI i Porinetia farâni nei. Nâ mua a’e i te reira, ua
fa’aro’ohia te parau no te tu’ura’a i te marae nui no Taputapuatea
i roto i te tâpura i’oa no te faufa’a tupuna o te ao nei i raro a’e i
te mana fa’atere a te
UNESCO, te tahi ‘âma’a ‘ohipa a te ONU
tei roto te mau fenua ato’a nâ roto i tô râtou mau fa’atere poritita.
Nâ reira ato’a te anira’a a tô ‘Enana/’Enata mâ, no tâ râtou mau
faufa’a tupuna. E uiui tatou i te tumu teie mau anira’a e ‘ôpuahia
ai e e matara mai ai, nâ roto mai i te tahi pae o tô tatou mau
ra te faufa’a e ha’afâna’o ra i te
ta’ata. ‘E’ere ànei ia te ‘itehia
nûna’a no Porinetia nâ roto i taua râve’a ra ua ‘itehia te maita’i i
teie atu mau fenua, mai ia Rapanui, ‘Aifiti, etv. Tei hea atu ra ia te
parau o te fatura’a i te faufa’a tupuna tahito e parauhia nei ? Te
‘itehia ra te tahi pâhonora’a i ‘ô nei o tei tano i te huru o te faufa’a
tupuna ua tu’i te ro’o i te ao nei.
E fifi tatou no te pae o te mau tao’a ri’i ‘aore ra faufa’a
parau e mea ‘ôhie ia ta’ita’i e ia rave. ‘Ei hi’ora’a, te parau nei
tatou i te parau o te mau ‘a’ai tumu o te fenua e tu’uhia nei i roto
i te mau puta ‘e’ere te fatu parau i te mâ’ohi. O vai te fatu i taua
mau
‘a’ai
ra
? E tano ânei e ha’afatu
roa
i te mau rohiparau e
fa’ati’a noa nei â i teie mau‘a’ai, i tâmau-‘a’au-hia e râtou no te
mea e mea
nâ reira te mâ’ohi ia tâmau i tô na parau,
nâ roto i
te mau râve’a tâ te ture e horo’a nei ? Te parau o te ‘aito ra o
Hiro, e parau ia no tô Raromata’i tâ’ato’a no te mau tapa’o e vai
nei i ni’a i te fenua e i te tai. E parau ato’a no tô Vaihï. I ‘ü nei
te fifi e ‘itehia ai.
Te ‘ite-ato’a-hia nei te faufa’a tupuna nâ roto i te mau ta’o o
te reo tahiti, te mau i’oa iho â ra e tu’uhia nei i ni’a i te tahi mau
tao’a ho’o e hâmanihia nei i te fenua papa’â mai te mono’i parai,
te mono’i pîpT, te pu’a rouru, te ‘ahu ... e te mau pahï ... Tei hea
te parau o te fatura’a i ‘ô nei ? ‘Aore e parau fa’ati’a i anihia i te
fenua ta’ata no reira mai taua mau i’oa ra. E ti’a noa i te mau
taiete ‘imira’a moni ia
30
pâhono mai ua ‘aufau râtou i te parau
Dossier
mana no te tu’ura’a
i ta râtou tao’a e te i’oa e ‘âpe’e ra i te reira
i te pu a te Hau e amo nei i taua tuha’a ‘ohipa ra.
Tei te huru o te mea e parauhia ra. Te hina’arohia nei te
hô’ë pâhonora’a no te tâ’ato’ara’a o te faufa’a tupuna. Te ‘itehia
ra te fifi :
tahi, no te ha’apâpüra’a nâ mua roa i te tino (e ta’ata, e
pupu ta’ata, e taiete, e tâ’atira’a e pü a te hau ?) e tano e fatu
-
a
,
‘aore ra e ti’a’au.
a rua, te hea huru fatura’a ‘aore ra ti’a’aura’a teie e parauhia nei ?
-
-
a
toru, te hea mea i roto i te faufa’a tupuna teie e tano i
taua parau ra, ia pâpü maita’i.
Te reira tao’a, peneia’e tô na fa’anahora’a, no te ture e arata’i
nei i te reira tuha’a ‘ohipa.
E a pâpü noa atu ai te parau o te fatura’a, nâ hea ia
ha’afaufa’a e ia ti’a’au maita’i ia fâna’o te tâ’ato’ara’a o te nûna’a
e
ia vai noa â ‘ei maita’i no te tâ’ato’ara’a, eiaha noa no te tahi
pae. Mea rahi te ‘ohipa e vai ra i te rave. ‘Oia ia. Nâ roto ra i te
paraparaura’a e te pâpa’ira’a-roa-ra’a e ‘itehia ai te nu’ura’a o te
ferurira’a i mua. E feruri nâ mua e rohi ai, te ha’apâpühia ra ia te
ta’ahira’a ‘âvae.
Te aroha ia rahi, ia ora na.
31
Littérama’ohi N°14
Bruno Saura
À qui appartiennent les traditions
en
Polynésie française ?
Bruno Saura,
Université de la Polynésie Française
La question de la propriété des traditions orales1 en Polynésie fran-
çaise s’inscrit dans un cadre plus large, celui de la propriété.des sites, des
objets, des symboles émanant des cultures des peuples autochtones2.
Elle se pose en raison de la domination passée de ces peuples
dont bien peu ont échappé à la colonisation politique, et dont la vie
continue d’être celle de minorités culturellement dominées. Ceux qui en
sont ou s’en font les porte-parole s’estiment victimes d’une double injustice historique : après avoir nui à leur liberté, à leur survie physique et
à l’intégrité de leurs patrimoines - pillés, détruits, idéologiquement
minorés -, les Occidentaux, ayant redécouvert la valeur de ces patrimoines, les exploiteraient honteusement sous couvert de l’universalité
des formes artistiques et culturelles.
Nous commencerons dans cet exposé par restituer le cadre général dans lequel se situent les problèmes de propriété des savoirs traditionnels, sous l’angle du droit. Puis nous en viendrons à la question de
fond, celle de la propriété des valeurs, dans l’ordre d’une société traditionnelle.
1 Pour une définition et une tentative d’inventaire de ce
qu’est la tradition orale, voir Auffray
(2004).
2 Nous ne souhaitons
pas entrer dans le débat sur la distinction entre les peuples autochtopeuples indigènes. En résumé, certains (voir Collot 2007 :184) estiment nécessaire que les peuples autochtones sont nécessairement minoritaires (numériquement) sur
leur propre territoire, tandis que d’autres (Bellier 2006) n’y voient pas une condition de la définition des peuples autochtones.
nés et les
32
Dossier
I. Revendications et préoccupations juridiques
Il s’agit sur le fond d’un conflit de légitimité, remettant en cause la
conception occidentale de la culture comme d’un trésor dont l’accessibilité à tous doit être encouragée autant que faire se peut. Il y a aussi là
un conflit quant à la nature du droit : l’idée même de l’existence d’un
d’encadrement juridique de la culture, élaboré par des juristes de façon
largement autonome par rapport aux conditions de transmission de
celle-ci, est remise en cause-par ces défenseurs des peuples nonOccidentaux. Pour eux, le droit patrimonial est inséparable du vécu de
la culture : ce sont les conditions de transmission de la culture (avec
ses moments, ses dépositaires...) qui offrent un cadre qui n’a pas à être
inventé mais au mieux transcrit. D’une façon générale, dans les sociétés traditionnelles, les droits culturels sont perçus comme une propriété
collective et inaliénable tandis que le "système juridique occidental, en
matière de droit d’auteur, privilégie l’originalité et la nouveauté par rapport à la fidélité à une tradition donnée, affirme le primat de l’individualisme sur le communautarisme, exige la fixation de l’expression (par
écrit ou autrement) par rapport à sa non-fixation, et, favorisant dans sa
logique économiste la liberté plutôt que l’exclusivité, limite la durée des
droits exclusifs que peut détenir un individu sur sa création originale plutôt que d’en reconnaître l’immémorialité” (Grandreault-DesBiens 2000 :
145-146).
Certains revendiquants sont inscrits dans un dénonciation maximaliste ou "fondamentaliste”, remettant en cause le principe de i’octroi ou
de la reconnaissance technique par les Occidentaux de droits parcellai-
(consentis). Par exemple, certains Aborigènes d’Australie s’estiment
propriétaires "de toutes les espèces naturelles autochtones, kangourous et émeus compris. La compagnie aérienne nationale Qantas
devrait effacer son logo (une silhouette de kangourou) de tous ses
avions. Ce symbole est, à leurs yeux, propriété exclusive des
Aborigènes" (Brown 2006 : 27). La question n’est pas qu’économique
puisque les conséquences dommageables (en anglais "prejudices”)
res
33
Littérama’ohi N°14
Bruno Saura
causés aux peuples autochtones sont à la fois d’ordre aussi moral, her-
méneutique, et représentationnel3.
Moins radicale (et moins idéaliste), l’attitude des militants "réformiste”
parie sur le concours des instances (juridictions et conventions) internationales, pour aménager certains droits. Une déclaration des droits des
peuples autochtones est ainsi été adoptée le 13 septembre 2007 par
l’Assemblée générale de l’ONU, au terme d’une gestation de plus de vingt
ans, et malgré l’opposition des principaux pays coloniaux (Etats-Unis,
Canada, Australie et Nouvelle-Zélande). À l’échelle du Pacifique, le secrétariat général de la Communauté du Pacifique4 vient d’élaborer en 2007
un Cadre juridique régional pour la protection des savoirs traditionnels et
des expressions de la culture. Il pose pour principe la reconnaissance de
la propriété exclusive par les peuples du Pacifique des droits de reproduction, de publication, de représentation, de traduction, d’adaptation de
leurs savoirs traditionnels. Il réglemente aussi la création des œuvres
dérivées, c’est-à-dire des "création(s) ou innovation(s) intellectuelle(s)
fondée(s) sur des savoirs traditionnels ou des expressions de la culture
ou en découlant” (p. 3). Il prévoit des sanctions dans le cas d’atteinte à
ainsi définie : "dans le domaine des savoirs traditionnels ou
la culture, on entend toute acte ou omission qui
entraîne une déformation matérielle, une mutilation ou une transformation
une œuvre,
des expressions de
des savoirs traditionnels ou des expressions de la culture, préjudiciable à
^ Cf. Moser
(1995). Le dommage représentationnel tient au fait qu’une représentation cultu» d’un point de vue ontologique, mais également
authentique, c’est-à-dire faite un membre du groupe représenté. Le délit herméneutique,
quant à lui, serait consommé lorsqu’un non-autochtone prétend interpréter les cultures
autochtones, le postulat étant que la capacité d’interprétation d’une culture est fonction de
l’appartenance à cette culture, et, partant, d’un rapport de proximité, voire d’intimité, avec
l’expérience collective de cette culture. Pour sa part, le délit moral soulève la question de l’intégrité et de la responsabilité de la personne qui fait acte de représentation ou d’interprétation. Cette responsabilité lui impose, par exemple, d’éviter les stéréotypes et les clichés dans
la représentation qu’elle fait d’une culture autre que la sienne” (Moser résumé ici par
Gaudreauit-DesBiens 2000 :137).
relie "doit non seulement être « vraie
4
Projet élaboré conjointement avec le Conseil des Arts du Pacifique, le Secrétariat général
du Forum des îles du Pacifique et le Bureau régional de l’UNESCO pour le Pacifique.
34
Dossier
l’honneur ou à la réputation des propriétaires traditionnels, ou à l’intégrité
desdits savoirs ou expression”. Cette dernière notion (l’atteinte à l’inté-
grité) est extrêmement conservatrice (qu’on le déplore ou non), susceptible de geler tout processus de création par des non-autochtones sur la
base d’éléments d’une culture traditionnelle.
La preuve du rattachement d’un artiste à un groupe autochtone (dont
les critiques pourraient dire qu’il vit aujourd’hui de façon plus ou moins
communautaire et seulement pour partie traditionnelle) est établie sous la
forme d’une certification par une autorité détentrice de la représentativité
du peuple en question. Ce cadre juridique régional préparé en 2007 par
la Communauté du Pacifique pose ainsi l’existence d’une Autorité culturelie chargée de délivrer les autorisations d’utilisation pour un usage non
coutumier des formes d’expression et savoirs coutumiers, servant d’intermédiaire avec les détenteurs de savoirs et droits identifiés à l’intérieur du
groupe. Cette Autorité est désignée par le ministre (vraisemblablement de
la culture) du pays du Pacifique concerné, ce qui laisse entière toute la
question de savoir quelle elle pourrait être en Polynésie française le jour
où il y existera une volonté d’appliquer ce cadre.
Précisément, en Polynésie française, il existe une volonté récurrente de certains acteurs et aujourd’hui des pouvoirs publics, de proté-
ger le patrimoine culturel des habitants d’appropriations, de déforma-
tions, ou de d’exploitations commerciales non contrôlées. Cela passe
par la protection de noms de lieux comme Tahiti, Tahiti Nui ou (dans le
contexte de la culture du surf) Teahupo’o. La représentante indépendan-
tiste Tea Hirshon a ainsi récemment fait breveter comme une marque,
et pour cinq ans, le nom Tahiti nui, afin de lui offrir une protection juridi-
que minimale5. En remontant un peu dans le temps, on se souvient que
le Conseil économique, social et culturel de la Polynésie française avait
voté le 3 novembre 2005 un projet de mise en place d’une politique de
5 Cette
marque a été déposée auprès de l’Institut national de la propriété industrielle le 4 juillet 2007. Voir Les nouvelles de Tahiti 24-09-2007 : 5.
35
Littérama’ohi N°14
Bruno Saura
protection de l’artisanat traditionnel (concurrencé par des contrefaçons
d’Asie) et de lutte contre l’utilisation abusive de motifs tradition-
venues
nels mà’ohi à des fins commerciales. Ce vote était intervenu à la
demande du président de l’Académie tahitienne, MacoTevane, membre
du CESC, notamment en réaction face à la tenue au même moment du
festival international de tatouage Tattoonesia (dans lequel il voyait une
dérive économique)6.
Lors de ce festival, le ministre de la culture, Tauhiti Nena, avait affiché la même préoccupation en annonçant la mise en place prochaine
d’un code protégeant le patrimoine naturel et culturel polynésien. Pour
sa
part, la Ministre de la santé de l’époque s’était attelée à une recon-
naissance des tatoueurs, sous l’angle de l’hygiène, comme des professionnels de professions liées au corps. Elle avait suggéré la mise en
place d’un conseil de tatoueurs chargés de statuer sur des règles en ce
domaine, ce qui pose toujours la question de la représentativité de ces
personnes, et de leur positionnement en tant que gardiens de traditions
dont la transmission, interrompue pendant au moins un siècle, est réapparue très récemment (moins de trente ans) dans ce domaine précis
qu’est le tatouage. La question du droit du tatouage est d’ailleurs particulièrement complexe puisqu’à côté de la protection des motifs traditionnels, se pose celle des droits du tatoueur et du tatoué en tant que
personne, notamment en matière de droit de l’image7.
6 Cf.
Les nouvelles de Tahiti 04-11-2005 : 9. Ce festival est organisé par une société
privée,
Tahiti Event, soutenue par les pouvoirs publics. Il réunit près de soixante tatoueurs
(essen-
tiellement de Polynésie française) et accueille cinq mille visiteurs en quatre jours.
7 La
représentante indépendantiste à l’Assemblée, Sabrina Birk (fille adoptive du peintre
Bobby Holcomb ; elle-même peintre et juriste spécialisée dans la propriété intellectuelle,)
explique que dans le cadre juridique actuelle de la Polynésie française, "le tatouage est une
œuvre complexe à
protéger parce que ce sont deux droits qui vont se chevaucher, celui de
la personne, de i’individu qui reçoit le tatouage, et
également le droit de l’artiste tatoueur qui
exécute une œuvre. Ces droits s’exprimeront iors de la commercialisation de l'œuvre... Si ce
dessin exprime la personnalité de l’artiste, il mérite qu’on lui verse des
royalties, des droits
d’auteur. Pour cela, il ne faut pas que le tatouage soit une copie. Je
pense qu’il faudrait une
signature, une estampille comme pour certains objets réalisés par des artistes”. La dépêche
de Tahiti (06-11-2006 : 24).
36
Dossier
II. Le cas précis de la tradition orale en Polynésie française
La même préoccupation existe-elle dans le domaine de la tradition
orale ? Si tel est incontestablement le cas de la part de ceux qui la
recueillent, il en va autrement de ceux qui l’utilisent pour la vulgariser ou
simplement pour s’en inspirer comme on respire l’air du temps ou du
pays dans lequel on a choisi de vivre.
Parce que Polynésiens ou vivant dans un milieu aux valeurs polynésiennes, ceux qui recueillent la tradition orale sont animés d’une
volonté de la sauvegarder et de la transmettre à destination première
voire exclusive de ce groupe.
Par exemple, lorsqu’en 1978, la cellule des traditions de la MJMC
(Maison des jeunes et de la culture de Tipaeru’i)8, publie un petit
ouvrage intitulé Mahina, relatif aux traditions de ce district de Tahiti, il
est signé collectivement des trois personnes âgées qui ont transmis
leurs traditions (Teura Heimata a Heuvea, Tafa’i Louis Teaotea etTefano
Taiarui), avec mention sur l’ouvrage de l’interdiction expresse de le traduire dans une autre langue. Le problème réside dans le fait que cette
mention n’apparaît qu’en tahitien, ce qui en limite sans doute les effets.
Le programme de collecte de récits de vie en langues vernaculaires, engagé par Jean-Marc Pambrun, alors directeur du département
des traditions orales du Centre Polynésien des Sciences Humaines, au
milieu des années 1980, obéit à une logique encore plus protectrice.
Les conditions d’accès et d'utilisation de ces enregistrements durant
période de soixante ans sont si restrictives qu’ils dorment pour la
plupart silencieusement depuis leur recueil. Si certains peuvent se féliciter qu’ils soient ainsi protégés, ils ne profitent pas (au bon sens du
terme) non plus aux Polynésiens pour lesquels ils ont été récoltés
comme représentatifs - au delà des singularités des parcours de vie une
de savoirs collectifs.
® Cette cellule et au sein de
laquelle œuvre aussi Tiare Bonnet, est dirigée par Hubert
Brémond, la MJMC étant alors dirigée par Henri Hiro.
37
Littérama’ohi N°14
Bruno Saura
Lorsque j’ai entrepris, en 1999, le recueil de traditions orales de
Huahine, j’ai moi-même veillé à entourer la diffusion ultérieure de ces
paroles (qui ont donné lieu à la publication de l’Ouvrage Huahine aux
temps anciens, 2005), de certaines précautions. Conformément à la
volonté de certains interlocuteurs, les traditions recueillies en tahitien
n’ont pas été traduites en français, afin de limiter l’appropriation dont elles
pourraient faire l’objet de la part de gens non originaires de Huahine,
notamment, selon leurs dires, de guides touristiques. J’ai conscience
néanmoins des limites de cette parade. Outre le fait qu’elle ne facilite pas
l’accès à ces savoirs à des gens de Huahine (ou plus ou moins originaires de Huahine) qui ne lisent pas bien la langue de l’île, il est
toujours possible à un guide touristique de Huahine - ou d’ailleurs - de se faire traduire ces paroles. Alors que faire ? Ne rien faire ? Jeter la pierre à ceux
qui contribuent à sauvegarder certains savoirs en voie de déperdition,
parce qu’il existerait des risques de débordement de leur entreprise ?
Avant de tenter de répondre à cette question, je voudrais en terminer
sujet de l’agacement de certains Polynésiens qui voient se multiplier
légendaires de leurs îles dans la bouche et sous la plume
d’Européens qui au mieux les transmettent dans leur langue, de façon
plus ou moins fidèle, voire les déforment volontairement pour créer du
nouveau. Depuis 1986 existe ainsi une collection d’ouvrages pour les
enfants "Les légendes polynésiennes” aux éditions des mers Australes,
comprenant des légendes traditionnelles (par exemple est parue en 2001,
une légende de Hiva Oa La légende de Hai Puka de Patrick Chastel, avec
des illustrations Catherine Chavaillon) ou bien des histoires imaginaires
(Alerte au cyclone Martin de J-Claude Pinto, 2001 également)9.
En 1992, Louise Peltzer déplorait que "Les Occidentaux depuis plus
de deux siècles écrivent sur Tahiti, analysent, commentent, critiquent,
au
les récits
9 L’un des
plus anciens ouvrages de vulgarisation des légendes de la Polynésie française est
celui d’Emy Viale-Dufour (1971) Contes et légendes de Tahiti et des mers du Sud, avec des
illustrations de René Péron, paru chez Fernand Nathan. Bien que ce texte soit d’une facture
très française, et à destination principale du marché du livre français, l’auteur est un Demi.
38
Dossier
s'emparent de nos légendes, s’immiscent dans la cosmogonie sacrée
et transforment nos Dieux en acteurs. J’ai envie de crier pitié, laissez
nos Dieux dormir en paix” (1992 : 37).
Les Polynésiens ne sont cependant pas fermés à la circulation en
langue française (ou une autre européenne) de leurs légendes, pourvu
qu’elles ne soient pas transformées et leur soient aussi destinées dans
leur propre langue. Ainsi, le très puriste poète et théologien Dura
Raapoto, membre de l’Académie tahitienne, participe-t-il à titre principal
à la traduction de l’ouvrage Te tahi tau fapura publié par I’
Église Évangélique de Polynésie française en 1981 (traduction de
fables de Jean de Lafontaine) ; il traduit également en tahitien, en 1992
La légende de Maui sur la base d’un texte anglais d’Edward Dodd
(Américain)10. Il y a là très certainement une réappropriation en langue
tahitienne de cette légende polynésienne, qui explique le recours à un
texte de départ rédigé en anglais.
C’est de ce concept d’appropriation que je voudrais développer, en
posant sur le fond la question de la propriété et des propriétaires des
traditions, dans le contexte de la culture traditionnelle polynésienne
(tahitienne en particulier).
III. Qu’entend-on par "appartenir”
?
Qu’entend-on par appartenir et par "appropriation culturelle”? 11
Le petit Larousse illustré (éd. 2007, p.
suivante
"
100) donne la définition
:
Appartenir : v.t. ind. (latin, pertinere, se rapporter). 1. Être la propriété
10
Enfin, Duro Raapoto traduit en tahitien au cours de l’année 2007 l’ouvrage Si loin du
monde signé de Tavae Raioaoa, rédigé en français par Lionel Duroy. Il s’agit du récit de la
traversée du naufrage involontaire qui survécut en 2002 à cent dix-huit jours de dérive entre
Tahiti et Aitutaki.
11 En termes
juridiques, cette expression générique "appropriation culturelle” désigne l’emprunt non autorisé qu’effectue un membre d’une culture donnée, le plus souvent dominante,
de modes d’expression, de styles littéraires ou visuels, d’une symbolique, d’une thématique
ou d’un savoir-faire quelconque, qui sont généralement associés à une culture autre que la
sienne, le plus souvent dominée” Grandreault-DesBiens (2000 :133).
39
Littérama’ohi N°14
Bruno Saura
de. Ce livre ne lui appartient pas. 2. Se rattacher à ; faire partie, relever
de. Appartenir au corps des fonctionnaires (...)”.
A la lumière de cette définition, il y a lieu de distinguer deux choses :
la question de la propriété des traditions polynésiennes, et celle de leur
rattachement à un ensemble. Le second point ne pose pas de problème :
ces traditions se rattachent à, relèvent de la culture
polynésienne, de la
tradition orale spécifique à ces îles.
En revanche, sur le premier point, qui en est propriétaire ? La tradition orale est une élaboration anonyme et collective qui s’est constituée au fil des siècles. Quand bien même, dans la tradition orale
poly-
nésienne, il arrive qu’on puisse identifier un personnage à l’origine du
nom attribué (par lui, ou en raison de certaines de ses
actions) à une
pierre, une terre, une montagne, il n’en est pas pour autant propriétaire :
ces objets se rattachant à son histoire sont la
propriété des groupements familiaux à qui ils appartenaient avant cette nomination et/ou à
qui ils appartiennent depuis.
Sans auteur identifié, la tradition orale est néanmoins reconnue par
les Polynésiens comme appartenant aux gens originaires des lieux
qu’elle évoque et qui y résident. Ceux-ci sont reconnus comme ta’ata
tumu, enracinés sur place, depuis plusieurs générations (et parfois de
façon plus ou moins indépendante de leur lieu de naissance) et n’ayant
pas fixé leur résidence en d’autres lieux depuis plusieurs générations. Il
en va ici de la tradition orale comme de la terre : elle est la
propriété de
groupes qui exercent sur elle des droits d’usage, lesquels se perdent
précisément par le non-usage, qui signifie un transfert de parenté avec
acquisition de nouveaux droits d’usage au sein du nouveau groupe de
rattachement12.
12
Soit, en termes juridiques, un principe d’endo-aliénation, à l’intérieur d’un cadre plus large :
"À l’extérieur du groupe (exo-aliénation) s’applique le principe d’exo-intransmissibilité : on
peut prêter ou louer la terre à des étrangers au lignage, mais non la céder à titre définitif. À
l’intérieur du groupe (endo-aliénation), la circulation de la terre est à l’inverse
possible”.
Rouland (1990 :26-27).
40
Dossier
En clair, en situation traditionnelle, une personne dont les lointains
ancêtres sont originaires d’un lieu où elle-même n’a jamais vécu, ne peut
utiliser la tradition orale du lieu que pour se faire reconnaître comme desCendant d’un ta’ata tumu (originaire), qui lui aurait éventuellement transmis
certains savoirs. En revanche, il n’est pas question qu’elle se prétende spécialiste de la tradition orale de ce lieu qu’elle n’a jamais habité, ou bien où
elle réside depuis peu. En contexte traditionnel, la tradition orale n’est pas
un
simple savoir verbal sur des lieux. Elle est constitutivement transmission
du savoir relatif à ces lieux en ces lieux. Elle est vécu d’expériences heureuses ou difficiles sur ces lieux, par rapport à ces lieux, à travers des inspirations heureuses, des songes, des désordres, parfois des expériences de
possession qui posent en définitive les questions de savoir qui possède quoi
et qui est possédé par quoi ou par qui. Bien qu’immatérielle, la tradition orale
est faite de chair, de larmes, d’émotions, de douleur, de fierté. Ceux qui la
transmettent ou contribuent à le faire savent les risques potentiels qu’ils
prennent s’ils le font d’une façon formellement incorrecte (quant à son
énoncé), ou à mauvais escient, ou à destination d’une mauvaise personne.
Je ne résiste pas au plaisir de livrer ici une anecdote hautement
significative déjà restituée ailleurs - Saura (2003 : 24-25) - mais sur
laquelle il me plaît de revenir dans le cadre de cet exposé. Un jour de
juin 1997, alors que je sillonnais l’île deTaha’a en quête d’une légende
relative aux enfants jumeaux Ta’ari’i et Hei-‘ura-i-te-ra’i nourris par un
même placenta13, je me suis arrêté chez Paimore Tehuitua, reconnu à
13 Ces enfants sont les descendants de
Tuturi-i-te-hau-tama, qui avait quitté Taha’a pour
s’installer à Ra'aitea, île jumelle de Taha’a, insérée dans le même lagon. Justement, Ta’ari’i
et Hei-ura-i-te-ra'i sont aussi des jumeaux, qui se trouvent partager le même placenta. A leur
naissance, ils sont placés dans une calebasse qui dérive vers leur île d’origine, Taha’a. Là, à
Niua-Poutoru, un couple de vieux pêcheurs les recueille. L’homme tranche leur cordon ombilical avec un bambou et part “planter” (enterrer) leur püfenua dans la montagne. Celui-ci va
donner naissance à une liane énorme, dont la forme allongée rappelle leur cordon ombilicalet qui
produit des graines dites Tataramoa, enfermées deux par deux dans une même
gousse, graines ayant la forme d’un placenta. Ces graines aussi grosses que la moitié de la
paume de la main d’un adulte, servent à décorer les costumes de danse traditionnelle; elles
sont dites par les habitants, endémiques de l’île.
41
Littérama’ohi N°14
Bruno Saura
l’échelle de l’île comme un des meilleurs "gardiens” de la tradition.
Après m’avoir fort aimablement renseigné sur le thème du placenta,
objet premier de ma recherche, il me dit préférer ne pas me livrer luimême la légende des enfants jumeaux, qu’il connaissait pourtant parfaitement. Il me demanda de me rendre au sud de l’île, dans le village
de Poutoru (autrefois Niua) pour entendre ce récit de la bouche d’un
descendant de Tuturi-i-te-Hau-tama et de ses trois frères Ruahe-Hei-
arii, Ruahe-Rarape et Ruahe-Mahuta, qui sont habilités à le transmettre puisque cette légende est celle de leurs ancêtres.
Paimore insista sur le fait que certaines traditions appartiennent en
propre à certaines familles ou groupes sociaux et qu'il existe un risque
à dire la tradition des autres. " A parau i to ‘oe parau, eiaha ‘oe e parau
i to te tahi
parau” : ‘Parle de toi, mais ne raconte pas l’histoire des
autres”, affirme le dicton tahitien. Ainsi m’expliqua-t-il, dans les années
1960, le groupe de danse du village de Vaito’are, voisin de Niua, avait
mis en scène cette légende. Au cours du spectacle, un danseur se
blessa grièvement avec une lance en bambou. Chacun à Taha’a continue d’attribuer cet accident au fait que ce danseur n’appartenait
pas à
la famille des Ruahe et n’était pas originaire de Niua-Poutoru, village
pourtant distant de quelques kilomètres à peine14.
Cette conception extrêmement conservatrice de la transmission de
la tradition,
qui préserve certes des tentatives d’appropriation par
l’Autre, a aussi pour fonction évidente de préserver le statut de ses
détenteurs. Elle n’est donc pas égalitariste, et le fait que la tradition en
question soit dite collective n’empêche pas certaines formes de privilèges et inversement d’exclusion de se maintenir, au sein de la communauté en question.
14 Je
en
42
me
suis néanmoins rendu compte plus tard que cette légende avait déjà été publiée
français par Émile Hiro (1985).
Dossier
IV. L’appropriation est-elle dépossession
?
La conception occidentale de la circulation du savoir est à l’opposé
de celle-ci. Chez les Occidentaux, le savoir appartient potentiellement à
celui qui, par son travail, arrive à y accéder. Aucun thème, aucune lan-
gue, aucun domaine de la connaissance n’est tabou a priori du fait que
l’on serait homme ou femme, jeune ou vieux, et surtout, membre ou non
de la communauté à laquelle se rattache ce savoir. Même en milieu traditionnel
européen, les conteurs brodent, enrichissent un récit initial
qu’il y ait là sacrilège ou déformation indue. D’autres sociétés traditionnelles valorisent ce type de récits comprenant des variations affichées autour d’une trame centrale, offrant toute leur place à l’imagination et au verbe du conteur dont on attend qu’il produise un récit stylisé,
personnalisé. Les sociétés polynésiennes ne me paraissent pas relever
de ce type de culture. Qui plus est, l’effondrement des traditions liée à
la domination occidentale rend encore plus nécessaire à l’esprit des
Polynésiens d’aujourd’hui que leurs traditions soient transmises dans
une forme aussi proche que possible de ce qu’elles étaient autrefois15.
sans
En Occident, la liberté de l’usage des mots va jusqu’à l’emprunt par
les écrivains ou les artistes d’un nom. Lorsqu’un écrivain occidental agit
de même en Polynésie,
s’appropriant un pseudonyme polynésien, le
procédé détonne et agace à nouveau ceux (Polynésiens ou non) qui
connaissent les conditions de l’usage des noms dans l’ordre de cette
culture16. J’ai ainsi surpris un beau jour mon ami Christian Robert,
patron des éditions Au vent des îles, en "démasquant” immédiatement
derrière le pseudonyme Vairaumati no Raiatea, l’auteur du manuscrit du
15 D’où les
grincements de dents des puristes, par exemple lorsqu’en 2002, l’OTAC (maison
de la culture de Tipaerui) fait se produire (à destination des enfants) une conteuse française,
Léonore, qui conte des légendes marquisiennes accompagnée de la saltimbanque Nani qui
effectue des numéros d’équilibrisme et diverses facéties.
16 Sur cette
question du nom et de l’identité des individus à l’intérieur de groupes familiaux
et d'ensembles culturels, je renvoie notamment à l’article de Jean-Marc Pambrun (1996).
43
Littérama’ohi N°14
Bruno Saura
Arioi, posé sur son bureau : "A coup sûr, c’est une femme
popa’a (française) !”. Nul Tahitien qui se respecte n’aurait emprunté un
nom aussi chargé d’histoire et ne l’aurait rattaché maladroitement à l’île
de Raiatea (dans la tradition, Vairaumati réside à Popora - Borabora -,
mais l’auteur du roman vivait, elle, à Raiatea).
roman
Cette
appropriation des thèmes, des personnages, des noms,
recherchée par les uns, entraîne chez les autres le sentiment d’une
dépossession. Ainsi Chantal Spitz s’exprime-t-elle en 2003 au sujet
de l’art et des écrits de Paul Gauguin : "Paul Gauguin. Ce nom
mythique porteur de multiples mythes déclinés, l’Eden cannibale de
Melville, Le mariage de Loti, Les immémoriaux de Ségalen, ces
mythes réducteurs qui, de la Nouvelle Cythère à la Maison du jouir,
nous établissent dans une identité immuable, immobile, nous réduisent au silence, à l’absence, nous laissent sans voix. Peuple insonore
(...). Gauguin n’a eu aucune influence particulière sur notre peuple. Il
n’est qu’une parmi les nombreuses voix occidentales qui nous ont
privés de notre expression (...).
Vingt-cinq ans plus tôt, Dura Raapoto (1978) écrivait déjà au sujet
de la situation tahitienne : "Un peuple tout entier meurt confortablement, sans paroles, parce que d’autres font l’effort de parler pour lui, à
sa place”.
Pourtant, les Occidentaux qui écrivent au sujet de la Polynésie (et
la question dépasse ici largement le sujet de la tradition orale) ne prétendent pas porter la voix des autochtones, ou ne le feignent de le faire
qu’à destination des leurs. Que Paul Gauguin tente de devenir ‘Ôviri,
sauvage, ne signifie pas qu’il se prenait pour un authentique Tahitien ou
Marquisien. À Tahiti comme à Hiva Oa, sa défense des valeurs des
Polynésiens a beau s’inscrire dans le cadre de rivalités coloniales
franco-françaises (entre l’Administration, l’Église catholique et les petits
Blancs libres penseurs), il essayait malgré tout de faire entendre les
intérêts des Marquisiens, et surtout, n’empêchait aucun d’entre eux de
s’exprimer avec ses propres mots.
44
Dossier
Aujourd’hui, qu’un écrivain Guinéen, Chinois ou Brésilien, choisisse d’écrire en langue française, ne produit aucun effet de dépossession chez les premiers héritiers de la langue de Molière. Il y a certes
partage, appropriation, mais sans idée de division d’un trésor qui lèserait ses propriétaires initiaux. Certes, ses aînés attendent de lui qu’il respecte les canons de la langue, mais ils acceptent aussi et attendent
peut-être une certaine dose de subversion qu’il pourrait y introduire,
compte tenu précisément de sa culture d’origine. L’appropriation est
vécue ici comme une contribution bénéfique, additive.
Alors, comment se fait-il que certains défenseurs de la langue, des
savoirs, des traditions des peuples autochtones, se sentent agressés,
dépossédés par les hommages (pas toujours désintéressés, convenons
en) que d’Autres font à leur patrimoine ? N’y a-t-il pas là ingratitude,
protectionnisme abusif et à sens unique ? Après tout, médicaments ou
les biens manufacturés occidentaux ne sont pas réservés à l’usage des
seuls Occidentaux. Aucun Nippon ne proteste quand Virgile Haoa signe
(2003) un album de BD (illustré par Gotz) Dalliance ma’ohi mêlant
Polynésie des temps anciens et combats à la façon des mangas japonais. Quant aux Français qui les connaissent, ils se réjouissent lorsque
Jean-Marc Pambrun ou Chantal Spitz s’approprient "leur” langue en
alexandrins ou des formes plus novatrices. Convient-il de voir dans les
protestations des autochtones défenseurs de leur intégrité culturelle un
caprice de personnes avides de tirer profit de leurs deux cultures, entre
lesquelles elle se placent comme des médiateurs obligés, déniant aux
Autres la capacité de tresser eux-mêmes des liens ?
ces
À la vérité, il y a dans la réaction de défense (et c’en est une) de
militants autre chose que de la prétention ou de l’intérêt. Du point
de vue occidental, le savoir constitue un domaine supérieur vers lequel
chacun peut se hisser, une richesse qui circule en quelque sorte en
dehors des gens, au-dessus des gens. Le fait qu’il soit transmis par le
livre explique pour partie cette perception du savoir que nous qualifierions d’”horizontale” car il circule tel un nuage, n’ayant ni maître ni frontière. À l’inverse, dans les sociétés traditionnelles, le savoir relatif à des
45
Littérama’ohi N°14
Bruno Saura
origines, à des groupes sociaux, est constitutif de ces derniers. Il ne
saurait donc circuler indépendamment d’eux. La perception des traditions y est verticale : ces savoirs sont certes immatériels, c’est-à-dire
en quelque sorte situés au-dessus de la matérialité du groupe (territoire, population), mais ils se trouvent en fait dans la continuité verticale
de ces groupes, dont ils constituent la partie la plus esthétique et spirituelle17. Lorsque ces savoirs ont trait à un fenua, une terre, ils sont la
partie verbale de cette terre, dont l’appropriation est rupture pour ceux
qui continuent à vivre sur cette terre car elle met fin à la verticalité de la
relation entre les hommes et la terre et porte atteinte en ce sens atteinte
à son intégrité, à leur intégrité.
Pour conclure sur une note optimiste, et ne pas couper les ailes
entreprises culturelles de diffusion et de partage d’éléments venus
du passé, rappelons qu’il est néanmoins des audaces salvatrices. Qui
prétendrait que le Bishop Museum d’abord (en 1928), puis la Société
des Océanistes (en 1951 ???) ont eu tort d’éditer l’ouvrage ethnographique et monument de littérature orale Tahiti aux temps anciens? Ceux
qui ont transmis ces paroles au pasteur Orsmond, qui les a transcrites
aux
17 Cette
perception de la tradition comme constitutive des groupes sociaux expliquerait-elle
que certains individus, lorsqu’ils les publient, signent de leur nom personnel des textes de
traditions dont ils ne sont pas exactement les auteurs mais plutôt les dépositaires. Ainsi de
Daniel Terooatea et Pare Walker pour Rurutu, qui tous deux signent de leur nom des textes
issus ou inspirés d’un puta tupuna (cahier de traditions) d’un de leurs ancêtres, sans mentionner ceiui-ci, peut-être parce qu’ils estiment que lui-même n’était qu’un dépositaire parmi
d’autres de traditions qui sont aussi les leurs. Néanmoins, lorsqu'ils déposent le texte d’une
chanson à la SPACEM (équivalent tahitien de la SACEM, société des auteurs compositeurs),
certains chanteurs polynésiens séparent par exemple clairement les chants qu’ils ont corn-
posés au sujet d’une île, des chants anciens de cette île (répertoriés comme "traditionnels”,
auteur). L’appropriation des paroles en tahitien ne concerne d’ailleurs pas que les
Occidentaux, loin s'en faut. L’auteur Valérie Gobrait en a fait l'expérience, dont la pièce de
théâtre en tahitien Te ‘a’ai no Matari’i a fait l’objet d'une publication intégrale, sans son
consentement, à 20 000 exemplaires, dans l’hebdomadaire du gouvernement de la
Polynésie française Te reo Fenua (décembre 2000, pp. 6-16) au prétexte que son rédacteur
en chef, John Mairai, avait envie que le texte soit accessible à tous.
sans
46
Dossier
(et après lui sa petite-fille Teuira Henry, qui a signé l’ouvrage) n’ont pas
donné leur autorisation sous une forme repérable aujourd’hui, mais ils
ont rendu Orsmond à son tour dépositaire de leurs précieuses connais-
mythologiques ou généalogiques. Leurs descendants n’ont pas
été consultés, mais la publication de ce texte a eu un effet majeur en
sances
matière de
prise de conscience par l’ensemble des Tahitiens de la
richesse de leur culture traditionnelle18. Il est vrai que du fait de cette
publication, ces traditions circulent aussi entre des mains qui n’ont
jamais tenu dans leurs paumes la terre tahitienne. Aussi me semble-t-il
que c’est moins le recueil de paroles anciennes, qui devrait être
contrôlé, que les formes dans lesquelles elles sont restituées et les
bénéfices économiques éventuels qu’elles génèrent19.
Mais je me rends compte qu’en matière de propriété des savoirs
traditionnels, pour reprendre les mots de Jean-François GrandreaultDesBiens (2000
:138), "à mesure que fusent les questions, les répon-
ses, elles, semblent fuir”. Je ne prétends donc pas avoir ici répondu à la
très vaste question ”À qui appartiennent les traditions polynésiennes
?”.
18 Plus
modestement, la publication de l'ouvrage La lignée royale des Tamatoa de Ra’iatea
(Saura et al. 2003), construit sur la base d’un manuscrit dont on ignore l’auteur (que nous
avons essayer d’identifier dans notre introduction), a produit dans cette île, aux dires de nombreuses personnes que nous y avons rencontrées depuis, une prise de conscience d’une
identité familiale au contenu jusque là mal défini.
19 Sur ce
point, aucun cahier du patrimoine auquel j’ai participé n’a donné lieu à l'établissement de droits d'auteur à mon bénéfice. La procédure a même été fort longue, dans le cas
de Huahine aux temps anciens, pour en arriver formellement à une cession de droits au profit du Territoire de la Polynésie française, nécessitant un passage en conseil des ministres.
Dans le cas de l'ouvrage La lignée royale..., mention expresse a été faite qu’il existe des
droits réservés, en cas d’identification de l’auteur du manuscrit et d’une démarche de ses
héritiers. Malgré tout, les tirages de ces ouvrages sont si faibles que sans le financement des
pouvoirs publics (ministère de la culture de la Polynésie française), ils n’auraient jamais vu le
jour. Il n’y a pas là une opération commerciale. Nous déplorons l’attitude de bien des personnés qui imaginent que nous gagnons des montagnes d’argent avec ces ouvrages. De leur
côté, ces écrits présentent surtout un intérêt économique en ce qu’elles tentent d’y trouver
des éléments leur permettant d’asseoir des droits sur des terres.
47
Littérama’ohi N°14
Bruno Saura
En la posant publiquement ici, j’ai souhaité que cette interrogation soit
au cœur de la réflexion de ceux
qui valorisent ou diffusent ces savoirs,
à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Université de la Polynésie française
qui fête aujourd’hui ses vingt ans. Je laisse maintenant, comme le veut
la tradition des conférences, la place à vos propres questions.
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49
Littérama’ohi N°14
Barbara Glowczewski
Restitution de données anthropologiques
en
multimédia :
défis pratiques, éthiques et scientifiques
Les
peuples autochtones de divers
pays,
particulièrement en
Australie, remarquent depuis longtemps que les matériaux recueillis
chez eux par les anthropologues et autres spécialistes leur sont très
rarement retournés même lorsque les recherches sont publiées. L’accès
aux informations
enregistrées, descriptions et analyses devrait être un
droit pour les personnes concernées, afin qu’elles puissent maîtriser la
représentation de leur culture et de leur histoire notamment pour l’enseigner à leurs enfants dans le cadre du système scolaire. Les peuples
autochtones ont aussi besoin de connaître les données et études qui se
réfèrent à eux afin d’être préparés aux négociations avec leurs gouvernements de tutelle qui, pour prendre en compte leurs revendications
territoriales et les demandes de compensations pour les tortts commis
par la colonisation, leur demandent de donner des preuves écrites de
leur ancestralité ethnoculturelle. Finalement le contrôle de ces données
ouvre un débat sur le statut des
interprétations scientifiques qui peuvent
être critiquées aujourd'hui par les peuples en question.
Pour tous les autochtones dont la tradition est orale et sans système d’écriture, les archives anthropologiques, missionnaires ou autres
sont devenues une part importante de leur histoire. Mais ces données
peuvent être acceptées comme automatiquement fondées, surtout
lorsqu’un gouvernement utilise des experts qui se réfèrent à des études
passées pour s’opposer aux témoignages oraux des survivants de ces
cultures. Ce conflit d’authenticité est une des raisons pour lesquelles
les peuples autochtones revendiquent le droit de contrôler, se réapproprier la manière dont leurs cultures, leurs sociétés, leurs croyances et
leurs savoirs ont été représentés au cours de décennies de domination
ne
50
Dossier
occidentale. Une partie de ce mouvement de résistance passe par le
processus de rapatriement de la culture matérielle, particulièrement les
objets religieux, les restes humains répartis dans le monde entier, mais
aussi la culture immatérielle, le patrimoine intangible ou propriété intellectuelle, soit leurs récits, chants, langues et autres savoirs enregistrés
dans le passé ou le présent.1
Tous les chercheurs et institutions académiques sous leur compétence devraient prendre des mesures pour offrir aux peuples et commu-
nautés autochtones des inventaires complets de la propriété culturelle,
et une documentation sur le patrimoine des peuples àutochtones, dont
ils peuvent avoir la garde.2
Les chercheurs et les institutions
académiques scientifiques
devraient restituer tous les éléments du patrimoine autochtone aux pro-
priétaires traditionnels sur leur demande, ou obtenir des accords formels avec eux pour un gardiennage, un usage et une interprétation partagés de leur patrimoine.
Ces deux principes s’éclairent d’une nouvelle lumière au regard du
développement actuel des nouvelles technologies de l’information. Cet
article analyse l’exemple du CD-Rom que j’ai produit pour restituer
mon travail aux Warlpiri d’Australie Centrale et qui est distribué par
l’Unesco sous le titre Pistes de Rêves, Dream trackers (Glowczewski
2000).
1 « All researchers and
schorlarly institutions within their competences should take steps to
provide indigenous peoples and communities with comprehensive inventories of the cultural
property, and documentation of indigenous peoples' heritage, which they may have in their
custody
2 « Researchers and
scholarly institutions should return all elements of indigenous peoples'
heritage to the traditional owners upon demand, or obtain formal agreements with the traditional owners for the shared custody, use and interpretation of their heritage. » Guidelines
28 and 29 of the Draft principles and guidelines for the protection of the heritage of indigenous people, revised version 2000, annex to the Seminar organised by the Commission on
Human Rights, United Nations, Geneva, 28 Feb-1 March 2000, Special rapporteur EricaIrene Daes
51
Littérama’ohi N°14
Barbara G lowczewski
Réappropriation de la culture
Anthropologue française, j’ai commencé à travailler avec les
Warlpiri de Lajamanu en 1979. Aujourd’hui, les Warlpiri sont l’un des
groupes les plus importants du désert australien, voisins des Kukatja et
Pintupi situés plus à l’ouest. Leur langue est encore parlée par contraste
avec un grand nombre des 200 langues présentes en Australie avant la
colonisation européenne il y a deux siècles. Comme la plupart des groupes australiens, les Warlpiri ont souffert d’un contact violent, épidémies,
massacres, sédentarisation forcée, travail impayé, et règles de type
apartheid appliquées par divers gouvernants. Toutefois, contrairement
aux groupes qui ont été exterminés ou démantelés par la séparation
des enfants de leurs familles, les Warlpiri ont pu rester entre eux et
maintenir une grande part de leur culture. Après une revendication foncière réussie en 1976, l’ancienne réserve de Lajamanu établie dans les
années 1950 est devenue une communauté gérée par les Aborigènes.
Dans ce contexte, je me suis sentie engagée à ce que les données
que j’avais recueillies auprès des anciens soient restituées à la communauté sous une forme qui puisse être utile aux jeunes générations. De
nombreuses heures d’enregistrement sur cassettes audio ou sur film
offraient la matière première pour un programme multimédia permettant
de lier images, sons et textes à l’intention des gens de Lajamanu. Le but
était non pas de faire une simple banque de données qui juxtaposerait
différents médias, mais de structurer l’information selon une carte cognitive aborigène, afin que les élèves de l’école locale puisse l’utiliser comme partie de leur programme bilingue en warlpiri/anglais. Mon
hypothèse était que si je pouvais transposer la carte cognitive de cette
société, c’est-à-dire la manière dont les gens organisent leur relation à
l’espace et au savoir, cela serait aussi plus facile pour de non
Aborigènes de comprendre la richesse culturelle et spirituelle de ce
savoir autochtone et la complexité de leur société.
En 1995, l’école de Lajamanu avait déjà quelques ordinateurs
Macintosh, et avec le rapide développement des nouvelles technologies
dans le système scolaire australien, il était probable que cette communauté
52
Dossier
isolée3 aurait bientôt l’équipement facilitant la consultation de CD-Roms.
Pour produire un programme multimédia interactif, il fallait que les don-
nées soient organisées autrement que pour un livre ou un film. L’écriture
du scénario devait être non linéaire, avec des modules de textes autonomes, des séquences sonores et des images qui puissent être liés les
hyperliens suivent des règles et des
significations qui respectent les connexions que les Warlpiri établissent
eux-mêmes selon leur propre logique cognitive. Ainsi plusieurs mois
furent passés à répartir les données selon les différents groupes locaux,
qui traditionnellement vivaient de chasse et de cueillette voyageant de
trou d'eau en trou d’eau, suivant des lieux qui étaient sous leur responsabilité spirituelle en tant que gardien kirda (owner, propriétaires).
Aujourd’hui, même si les Warlpiri ont été sédentarisés, ils s’identifient
toujours à ces lieux d’origine, qu’ils célèbrent dans des rituels pendant
lesquels ils dansent, chantent et peignent leurs corps et objets sacrés.
Au milieu des années 1980, ils ont aussi commencé à peindre des
motifs traditionnels qui se réfèrent toujours à des lieux et leurs totems
associés sur toiles pour la vente. C’est un échantillon de telles peintures, classées selon les totems qu’elles représentent et leurs pays respectifs, que j’ai choisi en guise de structure organisatrice de toutes les
données. J'ai travaillé avec une fantastique informatrice warlpiri,
Barbara Gibso'n Nakamarra, gardienne du Rêve Prune (Yawakiyi Plum
Dreaming), fille d’un leader rituel décédé et dépositaire d’un très grand
savoir pour avoir vécu une vie traditionnelle de chasse et cueillette
jusqu’aux années 50. Elle m’a aidée avec les traductions de nombreux
chants et récits que j’avais collectés auprès d’une cinquantaine de
Warlpiri; j’ai vérifié la structure générale de l’information et la manière
dont les éléments signifiants sont liées entre eux. Le projet fut ensuite
présenté à la communauté sous forme d’un album de photos et d’une
cassette audio, tout le matériel sélectionné étant classé en 14 groupes locaux identifiés par les différents noms totémiques des héros
uns aux autres. Je voulais que ces
-
-
^ Pas d’autre
village avant 100kms au nord, Wave Hill, et 300kms vers le sud, Yuendumu
53
Littérama’ohi N°14
Barbara Glowczewski
ancestraux, animaux, plantes et autres qui ont voyagé en marquant de
leur empreinte des lieux particuliers.
De retour à Paris, avec l’assistance du laboratoire d’informatique
appliquée (LIA, IRD), j’ai produit un pilote numérique comprenant toute
la structure et quelques données intégrées, maquette que j’ai montrée
à la communauté sur mon ordinateur portable en juillet 1997. Trois mois
plus tard ayant ajouté des données au programme, j’ai organisé avec
Qantm Indigenet, organisation australienne promouvant alors l’accès
aborigène à Internet et au multimédia, un atelier d’une semaine à
l’école de Lajamanu qui venait juste de recevoir 10 nouveaux
Macintosh avec lecteurs de CD-Roms. L’atelier fut très excitant car les
enfants pouvaient montrer à leurs familles comment naviguer sur l’écran
Yapa » (aborigène en warlpiri) développé
langage html comme un site Internet. Toutes les générations étaient
très enthousiastes de voir et entendre leur proches d’une manière qui
suivait leurs classifications traditionnelles (par clans et itinéraires). Les
anciens étaient particulièrement heureux de la facilité d’accès de l’information pour des enfants ou adultes qui ne peuvent lire et écrire, ainsi
que du fait qu’il y avait trois heures de paroles et de chants en warlpiri
par plus de 50 représentants de la communauté. Cette autonomie et
diversité permises par le support numérique avaient d’autant plus de
pertinence que de nombreux enseignants sont non Aborigènes et
connaissent rarement la langue warlpiri. Il fut convenu que je continue
à développer ce programme de restitution pour l’usage à l’école.
pour vérifier ce programme «
en
Contraintes culturelles
L’atelier multimédia visait aussi à rendre la communauté consciente
des risques impliqués par les nouvelles technologies, tel que le possible transfert sur la toile n’importe où dans le monde d’un programme
développé en html, ou les questions de copyright culturel sur des données traditionnelles collectives tels que les chants, les motifs picturaux
et d’autres savoirs. J’étais prête à reconnaître la propriété intellectuelle
des Warlpiri sur le contenu du CD-Rom, le droit de contrôler le mode
54
Dossier
d’accès à celui-ci, ainsi que le principe de droits d’auteur au cas où le
programme serait distribué en dehors de la communauté. Quelques
membres de la communauté ayant exprimé leur souci à l’égard d’inter-
net, je décidais alors d’arrêter la programmation en html et javascript
(langages du net) et de passer au lingo, language du logiciel macromedia director qui ne permet pas une diffusion directe sur internet. Le pro-
jet devenait plus cher car il nécessitait maintenant un développeur professionnel pour tout reprogrammer. Mais j’étais engagée à continuer et
je finançais personnellement ce changement technique.4
Faire ce CD-Rom impliquait de respecter d’autres contraintes culturelles. Bien que ma première langue est le français, je dus produire le
CD d’abord en warlpiri et anglais pour que les gens impliqués puissent
vérifier le contenu eux-mêmes. Cela incluait non seulement les 51 artistes dont les peintures à l’acrylique sur toile se trouvaient dans le CD,
mais aussi les anciens qui ont un droit religieux et culturel sur les totems
et les lieux auxquels ces peintures se réfèrent, ainsi que sur les chants,
récits et danses reliés à ces motifs. La deuxième contrainte consistait à
ne
sélectionner que les données qui pouvaient être rendues publiques
selon la définition secret versus public des Warlpiri : tous les contenus
devaient être vérifiés par les gardiens appropriés des différentes sections rituelles. Je devais aussi faire attention à ne pas utiliser un langage qui puisse se référer à des aspects secrets. Par exemple l’initiation inclut parmi d’autres rituels, la circoncision, mais comme ce mot ne
doit pas être prononcé en public, il est remplacé dans le CD-Rom par
les expressions en usage chez les Aborigènes du désert : cérémonie,
“business”, passer par la Loi (going through Law) qui transforme les garçons en hommes (man-making), sans donner d’autres détails.
Un autre aspect du savoir secret est que de nombreux éléments liés à la Loi et au savoir des hommes sont secrets et ne peuvent être présentés publiquement. Une partie de la Loi des femmes
est aussi secrète et ne peut être montrée, mais de nombreux rituels
4 Jean-Pierre
Denys, mathématicien, se chargea de la reprogrammation
55
Littérama’ohi N°14
Barbara Glowczewski
féminins - yawulyu - peuvent être montrés, y compris les peintures cor-
porelles et sur certains objets rituels. La complémentarité des genres
est un trait essentiel de la culture des Aborigènes du désert. Comme
l’explique un des films du CD-Rom « Men Law and women Law go
level, both are custodians of the country » (La Loi des hommes, et la
Loi des femmes vont en parallèle, car les deux sont gardiens du pays)5.
Etant femme, j’ai choisi au début de travailler surtout avec des femmes;
et je pus ainsi démontrer que leurs rituels publics sont déterminants et
fondamentaux pour la société, en ce qu’elles prennent soin de la repro-
duction de la terre et de ses esprits éternels. Lorsque les hommes ont
le pilote du CD-Rom, avec sa gamme de peintures publiques masculines et féminines, certains décidèrent d’enregistrer Une version publivu
que de leurs chants pour les ajouter aux chants féminins présents sur
le CD-Rom. Toutes les données furent à nouveau vérifiées, avec l’aide
inestimable d’une enseignante warlpiri, Elisabeth Ross Nungarrayi, qui
aussi contribué avec un nouveau chant pour son Rêve et sa terre,
hérité de son père. Contrairement au montage d’un film, la programma-
a
tion multimédia permet de tels ajouts et modifications qui purent être
montrés au fur et à mesure du long processus de consultation avec la
communauté.
Une contrainte supplémentaire et essentielle fut de respecter le
tabou des morts. Dans la plupart des traditions aborigènes, le nom d’un
défunt ne peut être prononcé - ni celui de toute chose qui s’en rapproche homophoniquement (comme France et Francis) - ceci jusqu’à la fin
du deuil qui peut durer de deux ans à toute une génération. Cette coutume d’évitement s’applique aussi aux autres représentations de la personne décédée - tels que
les vers de chant ou des lieux associés avec
esprit totémique - et a été étendue aux photos et films. A Lajamanu
le CD-Rom ne pouvait être utilisé qu’à condition que les images des
morts puissent être cachées selon le besoin. Ainsi avons-nous développé un outil informatique permettant de cacher à volonté les photos
son
5 Extrait de Miiii
56
Milli, 53' de Wayne Barker, 1993
Dossier
des personnes décédées. Les utilisateurs ont maintenant une option
permettant de cacher les photos par une icône (le drapeau aborigène)
et de les découvrir si nécessaire. L’option des photos cachées peut être
modifiée à tout moment sur l’écran et reste sous cette forme sur le disque dur quand l’ordinateur est éteint puis rallumé.
Un réseau de récits
Le CD-Rom Pistes de Rêves (Dream Trackers) ouvre sur une carte
schématique représentant une sélection de 47 sites warlpiri reliés en
réseau par des lignes et l’explication orale suivante:
“Dans le désert, au cœur de l’Australie, des centaines de pistes
s'entremêlent. Chaque piste a ses histoires qui racontent la formation
du paysage par des Etres animaux, plantes, feu ou pluie. Les
Aborigènes les appellent ancêtres des Rêves, Jukurrpa, les pistes de
leur Loi spirituelle et de leur culture. Pour découvrir ces histoires et leurs
rites choisissez une piste.”
Le mot Jukurrpa6 en haut de l’écran indique par sa couleur rouge
qu’il s’agit d’un hyperlien; lorsque la souris passe dessus (en roll over),
une vignette rouge apparaît avec le texte suivant:
“Rêve en warlpiri. Désigne de manière générique chez les Warlpiri
et les tribus de l’Ouest (Pitjantjatjara, Pintupi, etc.) à la fois les héros
totémiques, leurs itinéraires de voyages, les mythes qui les relatent,
l’espace-temps dans lequel ces actions se sont déroulées et où les
hommes peuvent voyager par le sommeil, ainsi que la part spirituelle
que chacun partage avec un totem qu’il incarne et d’autres qui l’habitent. Voir Dreaming.”
Le mot Dreaming apparaît en gras sur le CD car il est un hyperlien :
en cliquant dessus une nouvelle vignette rouge apparaît avec sa définition. Cet outil, qui est en lien direct avec le glossaire Warlpiri, s’applique à
tous les mots et concepts warlpiri mentionnés sur tout écran du CD-Rom.
6
Jukurrpa en warlpiri est transcrit Tjukurrpa en kukatja et pintupi)
57
Littérama’ohi N°14
Barbara Glowczewski
En passant la souris sur la carte, vous voyez une icône représentant le totem associé avec ses noms en warlpiri et en anglais. Quatorze
totémiques principaux désignant les groupes (sociaux) de
Lajamanu sont listés sur le côté et quand vous passez la souris sur l’un
d’eux, certaines lignes de la carte deviennent rouge montrant les lieux
qui sont reliés par un itinéraire (piste) qui porte ce nom totémique7. Les
noms totémiques principaux se réfèrent aux Etres ancestraux qui sont
conceptualisés comme étant en partie animaux, plantes ou d’autres
éléments comme le feu ou le vent, mais aussi des peuples nommés par
des objets culturels tel bâton à fouir ou pôle. En fait tout ce qui est
nommé dans la nature et la culture a son Jukurrpa ou Dreaming, c’està-dire un principe qui est éternellement présent dans l’espace-temps du
Jukurrpa, la mémoire virtuelle du cosmos et des gens : tous ces principes sont inscrits dans la terre en tant que sites créés ou formés par les
empreintes laissées par les êtres éternels.
Les Warlpiri ont des milliers de toponymes nommant des trous
d’eau, des collines, des rochers, des arbres, des lits de rivière à sec
noms
(creeks) sur un territoire désertique s’étendant sur 600 kms Nord/Sud
et 300 kms Est/Ouest. Je n’ai sélectionné que quelques centaines de
lieux comme exemples de la structure entremêlée de la perception de
l’espace mythique et géographique des Aborigènes du désert. La carte
n’est qu’un graphe, une carte topologique, qui montre les points les uns
en relation aux autres, tels que déduits des récits inclus dans le CDRom. Les gens disent : nous avions besoin de deux “camps” (ngurra =
deux jours) pendant la saison des pluies pour aller de l’endroit A à B au
nord, on s’arrêtait toujours en C en chemin, à l’ouest on pouvait voir la
piste du Rêve Igname et vers l’est la piste d’Opossum, et lorsqu’on (ou
les ancêtres) regardai(en)t en arrière vers le sud à midi, on pouvait voir
le rocher de D. Il peut y avoir des contradictions en croisant tous les
7 Le métro
parisien offrait autrefois des cartes électriques qui indiquaient, lorsqu’on pressait
le bouton du nom de la station où i’on souhaitait se rendre, la destination et les éventuels
points de changements en allumant toutes les stations par lesquels on devait passer
58
Dossier
récits
mythiques et les récits de vie, non seulement parce que la
mémoire change, mais aussi parce que les repères géographiques peuvent bouger : les dunes de sable voyagent avec le vent, les lits de ruis-
sellement changent leur cours selon les inondations, l’eau qui remonte
à la surface peut disparaître quand les sources sont sèches. Nous
avons tendance à penser que l’ordre physique est permanent, mais ma
compréhension de la perception warlpiri de l’espace du désert est qu’il
est toujours en mouvement, en train de respirer diraient-ils, même si les
principes (les forces de la vie virtuelle du Dreaming) restent permanents
dans ce mouvement.
Les pistes entre deux lieux sont aussi infinies, car il y a autant d’itinéraires possibles qu'il y a de manières de voyager,
particulièrement
lorsque vous chassez en pistant un gibier, ou collectez de la nourriture
en suivant les racines d’ignames. La distance métrique n’a pas nécessairement de sens dans le désert car les gens ne mesurent pas en kilomètres mais en temps passé à voyager : s’ils ont besoin, à un moment
donné, de deux campements pour voyager d’un point à un autre, cela
peut changer selon la saison, la taille du groupe, l’âge des enfants, ou
la disponibilité des ressources. Pendant la saison la plus chaude, ils
vont dormir dans la journée. Parfois ils devaient s’enterrer dans le sol,
la tête couverte d’un bouclier ou d’un plat pour ne pas être brûlés, et ils
se dépêchaient la nuit pour couvrir le plus de distance, en particulier
s’ils savaient qu’il n’y avait pas de point d’eau en chemin. Analogie à
cette relativité du temps et de l’espace, une carte publiée une fois dans
un journal français (Libération) montrant une représentation déformée
de l’Europe, illustrant le temps mis pour voyager en transport public: les
régions du sud semblaient un territoire géant (parce qu’elles ont un système de transport très lent et dispersé alors que les distances entre les
capitales principales étaient réduites à la taille d’une banlieue. La perception du désert peut s’étendre (en expansion) ou se contracter de
cette façon également, même aujourd’hui quand on voyage en 4x4 ou
en avion (si pas de route...). En ce sens, la toile de Rêves du désert est
une représentation mentale autochtone de l’espace itinérant des chasseurs cueilleurs qui s’oppose à I’ « espace rayonnant » des cultures
59
Littérama’ohi N°14
Barbara Glowczewski
sédentaires telles que représentées dans la Genèse. Mais contrairement
à la thèse de A. Leroi Gourhan (1964) postulée à propos de I’ « espace
itinérant », la répétition du voyage n’est pas équivalente à une perception statique du temps et de l’action. Dans l’univers cognitif des chasseurs
cueilleurs
aborigènes la nécessité pour l’adaptation est aussi
conceptualisée.
Carte cognitive et droits fonciers
Le graphe des sites et pistes sur le CD-Rom ne prétend pas être
une vraie carte avec des distances
réelles, pas plus que les lignes roudes pistes ne sont de vrais itinéraires, car la plupart des
Aborigènes, afin de protéger leurs sites sacrés, ne veulent pas rendre
publique leur localisation. J’ai respecté ce souci. Les Warlpiri sont environ 4000 aujourd’hui, certains vivant à Lajamanu, d’autres ailleurs, par
exemple à Balgo en Australie Occidentale. Traditionnellement, ils occupaient ce territoire géant en voyageant selon les saisons et les changements climatiques. Ils étaient répartis en groupes fluctuants qui se formaient selon la descendance (filiation), les alliances et des liens rituels
et spirituels spécifiques. Chaque homme et femme partageaient avec
quelques autres le gardiennage rituel non pas de parcelles de terre
mais de segments d’itinéraires incluant la terre annexe aux sites reliés
par ces pistes. On devait se marier dans un groupe d’un itinéraire totémique autre que celui dont on était le gardien. Conséquemment les
groupes familiaux parcouraient tous les ans des centaines de kilomètrès, mais seules certaines parties du territoire qu’ils traversaient et des
lieux qu’ils utilisaient, sources ou autres sites - collines, grottes,
rochers, dépôts de quartz ou d’ocre - étaient considérés comme leur
propriété et sous leur responsabilité rituelle : tels des lieux où des rites
devaient être exécutés pour permettre le maintien de l’espèce ou du
phénomène totémique associés, pour faire tomber le pluie, assurer la
poussée des ignames à chaque saison ou la reproduction des varans
(,goannas). On peut noter qu’un rituel ne pouvait se tenir en la seule présence des gardiens (kirda) du lieu et du Rêve : certains de leurs alliés,
ges
60
Dossier
neveux
et
beaux-frères, devaient être présents pour jouer le rôle de
“manager” (kurdungurlu, “policiers”, “avocat” ou “travailleurs/ouvrier”,
traduisent les Aborigènes du centre australien aujourd’hui).
La carte interactive du CD-Rom est une tentative d’illustrer aussi
simplement que possible la toile complexe de la cartographie cognitive
de la terre et particulièrement le fait que lorsqu’on actualise tous les itinéraires simultanément ils semblent tous s’entrecroiser. Mais les pistes
ne sont pas juste entremêlées en un espace plat, c’est-à-dire la surface de la terre : certaines vont sous terre (pour les espèces qui vivent
dessous, comme les petits marsupiaux, reptiles et racines), d’autres
voyagent dans le ciel (comme les oiseaux et la pluie). Dans cette toile
à 3 dimensions, il y a beaucoup de lieux qui sont communs à plusieurs
pistes, soit à deux ou plusieurs espèces totémiques et à leurs gardiens. Tous les lieux traversés par plusieurs pistes ne sont pas nécessairement détenus par les propriétaires des pistes respectives, mais
souvent les droits sont partagés entre deux groupes ou plus. C’est un
« casse-tête » des revendications foncières des
groupes du désert
australien qui partagent tous cette vision de l’espace et de la terre.
Comment identifier le bon propriétaire selon la juridiction du processus
occidental ? Les Aborigènes savent, quand ils voyagent, que du point
de vue du Kangourou ancestral, c’est le groupe des gardiens du
Kangourou - ses descendants spirituels - qui est le propriétaire du lieu
lié au Dreaming (Rêve) Kangourou en raison d’une action ancestrale
qui s’est déroulée en ce lieu. Mais à quelques mètres de ce site, on
peut trouver des empreintes laissées par les ancêtres Igname et une
source [soak) appartenant aux gardiens des Ignames dont les autres
sites vont dans une autre direction. La transposition visuelle de cette
cartographie cognitive (mind mapping) aborigène en une carte interactive donne à l’utilisateur une expérience immédiate de l’interconnectivité qui procède de la même logique que la Toile Internet. En ce sens
le multimédia semble un outil idéal pour restituer cette carte mentale
autochtone.
En tant qu’anthropologues, nous écrivons des livres avec introduc-
tion, conclusion, et développement linéaire pour déployer différents
61
Littérama’ohi N°14
Barbara Glowczewski
aspects de la société. Mais pour présenter la société autochtone et son
savoir de l’intérieur, parler du groupe Kangourou avant le groupe Pluie
est complètement arbitraire et peut créer la fausse impression d’une
hiérarchie ou d’une causalité entre les éléments présentés. Il faut dire
que les groupes totémiques warlpiri ne s’organisent pas d’une manière
hiérarchique - contrairement à certaines sociétés totémiques en
Afrique. Les gens ne disent pas que les faiseurs de pluie ont plus de
pouvoir politique ou religieux que les gardiens du Rêve Kangourou,
parce que l’eau autant que la viande de kangourou sont nécessaires à
la survie traditionnelle de cette société. Cette interdépendance ontologique n’empêche pas l’émergence de conflits entre les individus ou les
groupes, l’expression de relations de rapports de pouvoir en mots,
actions stratégiques, confrontation physique violente ou sorcellerie,
mais de tels dynamiques sociopolitiques ne seront pas justifiées au
nom d’une précédence ou d’une hiérarchie entre les ancêtres totémiques. Les récits de Rêves décrivent de nombreux conflits et batailles
entre les peuples ancestraux de totem similaire ou différent; souvent ils
sont motivés par le désir et chassent une proie qui peut être consommée. Opposé à ce conflit du désir est l’autonomie de chaque espèce, y
compris du genre : héros mâles et femelles vivent souvent en pairs ou
groupes du même sexe. Cette tension entre autonomie et interdépendance est relayée dans l’ordre social par différentes règles : on devrait
se marier à l’extérieur de son groupe totémique, le gardiennage de la
transmission foncière et totémique tend à être restreint à la loge patrili-
néaire qui partage le même nom totémique,
mais certains lieux sont
partagés entre plusieurs groupes. Si le Rêve Pluie est sous la responsabilité d’un groupe, faire la pluie profite à tous. Similairement les rituels
pour le Rêve Kangourou profitent à tous, non seulement en tant que
source principale de viande, mais encore car cet ancêtre marsupial est
lié à l’initiation qui s’applique à tous les hommes warlpiri (et nombre de
tribus voisines d’ailleurs). Chaque groupe totémique au sein de la
société (tribu) - de même que les hommes et les femmes en tant que
genre opposé - a un rôle complémentaire à jouer qui est sans cesse
renégocié en relation à la terre.
62
Dossier
Une tradition dynamique : le langage des empreintes
“Peindre nourrit le corps et l’esprit” disent les Warlpiri et leurs voisins du désert. Chaque peinture a son nom de Rêve (Jukurrpa), sa piste
d’ancêtres animaux, végétaux ou autres comme le feu et la pluie. Les
signes totémiques tracés sur le corps, les objets sacrés ou le sol, au
cours de rituels, sont aussi peints sur des toile pour être vendues dans
les galeries du monde entier.
Ce commentaire oral en anglais et français - le seul dans ces langués après l’introduction du CD-Rom - accompagne une page de sommaire interactive présentant une mosaïque de 32 peintures avec leurs
noms totémiques et une colonne de 15 signes à droite. Lorsqu’on passe
la souris sur une de ces peintures - réalisées sur toile, corps ou objet
rituel certains signes listés en blanc sur la droite de l’écran deviennent
jaunes : ils sont ceux utilisés dans la peinture sélectionnée. Si on passe
la souris sur l’un des 15 signes, ce sont les titres de certaines peintures
de la mosaïque qui passent du blanc au jaune : ils indiquent les peintures qui contiennent le signe sélectionné. Cette présentation interactive
permet de montrer que les mêmes signes peuvent être utilisés dans des
peintures liées à des totems (Dreamings) différents. En d’autres termes,
à l’instar des autres signes du désert, les signes warlpiri sont polysémiques, et ne peuvent être lus comme des icônes ou des hiéroglyphes à
déchiffrer. En cliquant sur une des vignettes de peinture on accède à
une page/écran qui montre d’autres peintures du même totem et l’on
peut cliquer à nouveau pour voir la peinture en plein écran avec des
explications associées. On peut aussi cliquer pour appeler la fiche sur
l’artiste (qui offre des liens vers ses autres contributions au/occurrences
dans le CD comme artiste ou conteur). Les peintures et leurs signes
spécifiques ont tous leurs significations, mais celles-ci sont contextualisées selon une règle iconique minimale : les signes reflètent les positions dans l’espace des objets et concepts auxquels ils se réfèrent. Un
cercle peut être un lieu ou tout objet qui laisse'une empreinte circulaire
au sol. Une ligne droite (ou légèrement courbée) est une personne
endormie ou un lien (piste) entre deux lieux, une ligne méandreuse
-
63
Littérama’ohi N°14
Barbara Glowczewski
exprime aussi un lien entre deux lieux, dans le cas où le référent totémique suit un chemin sinueux, tel un lit de ruissellement des eaux, des
racines d’igname, ou un feu de brousse. Les demi cercles (forme en U)
sont des gens (ou autres êtres) assis au sol. Un mâle sera identifié
comme tel lorsque les outils placés près de lui sont un bouclier (ovale),
une lance (un trait) et/ou un propulseur, woomera (ovale avec une petite
queue); une femelle sera identifiée par un bâton plus court et un ovale
représentant son plat, coolimon. Une flèche peut se référer à n’importe
quel oiseau, y compris l’émeu qui ne vole pas; la forme en E renvoie à
l’opossum, car telles sont les empreintes que ces animaux laissent au
sol. Certains signes sont combinés entre eux en motifs totémiques
reconnaissables, mais d’autres combinaisons de signes sont communés à plusieurs totems, par exemple deux ou trois cercles reliés par
deux ou trois lignes droites ou méandreuses.
Ainsi par delà le codage minimal du système d’empreintes, aucun
autre déchiffrage des peintures ne peut être fait à moins que le récit ou
le chant associé au sens des signes et leur combinaison en un ou plusieurs totems et/ou lieux soient donnés par le peintre8. Le CD-Rom présente 100 peintures sur toile commentées, et pour chaque Dreaming de
nombreux films et photos de peintures et danses rituelles, des enregistrements oraux d’un ou plusieurs conteurs en warlpiri avec une traduction écrite de son/sa version du mythe. Chaque récit est aussi présenté
au travers d’une sélection de chants féminins ou masculins dont les vers
sont transcrits
(et traduits) : ces songlines sont “cryptées”, étant des
versions condensées du récit (de référence). Certains vers sonnent
comme un seul
mot très long; qui est souvent le prénom de Rêve d’une
personne vivante ou décédée. Les Warlpiri et certains de leurs voisins,
® Il en va de même avec le
langage des signes de mains warlpiri dont les signes (plus de
4000 enregistrés par Kendon) se distinguent non seulement par la forme des doigts mais
aussi par le mouvement : le CD-Rom montre quelques exemples en video de signes du langage des mains notamment désignant tel ou tel totem ou terme de parenté). Les Warlpiri
appellent leurs peintures kuruwarri, un mot synonyme de Jukurrpa, Dreaming et récit; les
signes sont appelés yirdi, empreinte, mot ou vers(et) de chant.
64
Dossier
considèrent que chaque personne incarne l’esprit (kurruwalpa) d’un tel
vers chanté : c’est ce chant
qui donne au bébé le pouvoir d’”articuler” à
la fois la parole et le mouvement.
Il y a de nombreuses façons de raconter une histoire, d’en développer différents angles, interprétations, et associations, selon le style de
chacun mais aussi son expérience. Même de nouveaux épisodes peuvent être ajoutés. Les Warlpiri disent qu’ils peuvent communiquer avec
les ancêtres éternels qui dorment dans les sites sacrés lorsque leurs
esprits voyagent dans leurs propres rêves - particulièrement lorsqu’ils
dorment dans les sites correspondants. Tous les dormeurs d’un même
camp sont souvent sollicités à partager leurs rêves, leur expérience de
proximité nocturne étant considérée comme participant du “ même
rêve”. Lorsque, grâce à l’interprétation d’un rêve est reconnu le fait
qu’un rêveur a voyagé dans l’espace-temps d’un Dreaming précis, la
vision du rêveur peut se matérialiser par à nouveau chant, un motif
(peint) ou une danse. Une telle créativité onirique est perçue comme
une information donnée par la mémoire virtuelle du
Dreaming, même si
cela peut être une réadaptation d’un événement récent qui a impressionné (affected) les vivants. Du point de vue du Dreaming, c’est “actualisé” par Jukurrpa, la matrice virtuelle et ses habitants ancestraux. Le
Dreaming n’est pas un âge d’or ou une répétition éternelle de quelque
chose qui serait sans passé ou histoire. Tout comme l’évaluation de l'espace dans la géographie du désert est relative à la vitesse avec laquelle
vous voyagez, la perception du temps est relative à la manière dont
vous traitez un événement : parfois il est oublié, sa mention est temporairement évitée en raison d’un décès ou d’un conflit, d’autres fois il doit
être remémoré et transformé pour être projeté dans le futur et établi
comme un
exemple.
Tout ce que les gens font peut être confronté à de nouveaux pro-
blêmes
traditionnellement cela aurait pu
être une sécheresse, un
cyclone, une fluctuation démographique, la nécessité de changer les itinéraires saisonniers en raison de la non disponibilité des ressources,
lorsque les gens étaient trop nombreux en un lieu, ou lorsqu’une sècheresse durait plusieurs années. Toutes ces fluctuations devaient être
:
65
Littérama’ohi N°14
Barbara Glowczewski
gérées d’une manière qui puisse être authentifiée par les ancêtres,
c’est-à-dire expliquée dans le système spirituel de la Loi qui alloue des
lieux aux gens mais aussi légitime que les droits d’accès à certains de
ces lieux soient partagés en commun. C’est cette logique ancestrale
qui autorisait le rassemblement temporaire de centaines de personnes
au même endroit, alors que le reste du temps ils voyageaient en de très
petits groupes de familles.
Le fait que cette flexibilité était reconnue comme une partie de la
structuration dynamique des pistes de Dreaming est très important
aujourd’hui lorsque les revendications foncières sont sujettes à des
paiements de revenus fonciers. Peu après que les Warlpiri eurent gagné
une revendication sur une partie de leur territoire traditionnel en 1978,
les compagnies minières furent attirées par l’exploration aurifère, une
activité qui avait été interrompue après la ruée vers l’or du tournant du
XIXe au XXe siècle. Aujourd’hui quelque 12 trusts internationaux ont
des licences d’exploration mais doivent négocier avec les propriétaires
(owners) de Lajamanu et les Aborigènes d’autres communautés, tel
Balgo (qui se trouve dans l’état voisin, en Australie Occidentale), pour
avoir la permission de procéder, une fois établies des listes de “traditional stake-holders” ayant droit à des compensations minières (royalties).
Avant l’arrivée des Européens dans la région, cette zone minière située
dans le Désert Tanami était un site important de rassemblement traditionnel pour différentes cérémonies, mais tous les groupes warlpiri
n’avaient pas une relation de gardiennage spirituel à l’égard de cet
endroit. La sécheresse des années 20 avait en revanche attiré beau-
de Warlpiri vers les mines, ainsi de nombreux membres de la
génération actuelle des “anciens” (elders) sont nés dans cette région et
leurs descendants revendiquent un droit aux compensations. Ces
demandes doivent être négociées avec les gardiens (custodians) originels qui parfois souhaitent l’exclusivité des bénéfices. Toutefois le partage semble être reconnu par la majorité qui s’oppose à l’apparition de
quelques « millionnaires » alors que traditionnellement tous les sites
étaient complémentaires dans un système foncier qui visait à maintenir
un équilibre (balance) entre tous les groupes. Une solution actuelle pour
coup
66
Dossier
essayer de prévenir les inégalités consiste en l’allocation de certaines
compensations à un fond collectif qui bénéficie à toute la communauté.9
Le pouvoir des connexions
De nombreux itinéraires de Rêve ne s’arrêtent pas au site
qu’un
groupe identifie comme la frontière de son segment dans une direction
cardinale donnée. Les gardiens disent souvent que leur segment de
Dreaming est pris en relais par un autre groupe, qui peut être de la
même langue10 Ce terme a été critiqué comme un terme dépréciatif
dans le contexte colonial ou postcolonial. Toutefois on peut réévaluer
son
mer
usage dans la mesure où les gens concernés l’utilisent pour exprila solidarité des liens de leur famille étendue et une
organisation
sociale spécifique liée à l’environnement ou d’une autre. Certains de
ces
itinéraires,
comme
Emeu,
ou
les Deux Hommes/Vent/Lézard
(Watijarra : Glowczewski 2004) sont passés de groupe en groupe sur
des centaines de kilomètres: tous ces groupes ne se rencontraient pas
traditionnellement mais leurs objets rituels (ou d’autres artefacts) pouvaient voyager à travers l’ensemble du continent, par l’échange de
par-
tenaires
(partenariat établi entre homonymes dans le nord ouest de
l’Australie), ou la transmission de rites et de lignes (itinéraires) mythiques. Le résultat est que les mêmes héros de Dreaming continuent
leurs voyages d’un groupe à l’autre : des événements similaires
peuvent
leur arriver en des lieux différents, mais la plupart du temps le récit se
déploie comme un feuilleton. Par exemple, les Deux Hommes sont dits
donner des pratiques chamanistiques et des règles de parenté aux
® Avec les
années les disputes on rendu les négociations d'autant plus difficiles
que les
l’adoption de nouveaux modes de consommation, et
plus récemment la réduction drastique des programmes gouvernementaux ; sur la cornplexité de la question foncière australienne voir Sutton 2003 et le site web www.ausanthrop
de l’ethnologue Laurent Dousset).
besoins financiers
se sont accrus avec
Les Warlpiri reconnaissent tous ceux qui parle warlpiri et ses variantes comme étant de
la même tribu, « tribe ».
67
Littérama’ohi N°14
Barbara Glowczewski
groupes qu’ils rencontrent, mais dans des groupes de langues différentes ils donnent des systèmes différents (8 sections, 4 sections, moitiés
patrilinéaires, matrilinéaires ou générationnelles). La chose importante
est que, même si les héros d’un Dreaming sont dits rester pour toujours
dans les lieux qu’ils ont visités, créés ou marqués de leur empreinte, ils
viennent d’ailleurs et vont ailleurs. Cette absence de limites (unboun-
dedness) est un principe virtuel pour une nouvelle connectivité, qui permet de reformuler dans le langage du Dreaming de nouveaux liens passés par les gens aujourd’hui.
Les hommes et les femmes acquièrent par l'âge des informations
sur la manière de relier (mettre en réseau) le savoir respectif des différents héros de Rêve à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du territoire tribal. C’est l’étendue des alliances et des expériences qui donne une
compréhension plus large de ce réseau de connexions. Le savoir à ce
niveau est plus qu’un simple contenu: il réside dans la capacité de relier
ensemble les bons éléments. Ce processus cognitif n’est pas nécessairement directement enseigné, mais acquis par l’engagement dans de
nombreux rituels et voyages, et déduit ensuite de cette participation
active. En tant qu’anthropologue, il m’a fallu parfois plusieurs années
pour déduire des connexions signifiantes qui m’avaient échappé lors du
recueil des données. Si j’avais seulement enregistré des histoires, j’aurais raté de nombreuses connexions qui émergèrent de la mise en relation avec d’autres données collectées pendant les performances des
rituels, des danses, peintures et chants. Le CD-Rom en ce sens fut non
seulement un medium idéal pour restituer les connexions warlpiri, mais
aussi m’aida à comparer les éléments pour synthétiser le réseau ouvert
en tant que moyen d’exploration virtuelle, par des hyperliens préprogrammés interconnectant textes, images et sons. Par exemple, à chaque fois qu’un conteur mentionne un autre Dreaming dont la piste est
croisée dans le récit, ou un lieu lié à un autre Dreaming, le nom est en
rouge indiquant et permettant par un click un lien vers la page affichant
le récit de cette autre piste.
L’invitation à se promener dans le territoire du Dreaming, en tant
qu’ensemble de récits, peintures, chants et danses, a extrêmement
68
Dossier
réjoui les anciens qui virent là une preuve tangible du feedback de leur
apprentissage relatif à la nature interrelationnelle du Dreaming. Les
anciens et toutes les femmes avec lesquelles j’ai travaillé étaient excités par ce nouveau médium car pour eux aucune menace ne pesait sur
leur savoir encyclopédique ou leur pouvoir dans la société, au contraire,
leur légitimité était affirmée par le fait qu’ils et elles sont nominalement
reconnus en tant que conteurs et peintres. Ils pouvaient voir que seul
l’aspect public et une petite partie de leur savoir étaient utilisés pour
démontrer que les relations associent les gens à des éléments de leur
environnement et à une réalité spirituelle. Confrontés au problème des
enfants qui ne peuvent apprendre suffisamment de connaissances traditionnelles
arts de survie, géographie, plantes médicinales, danses
et chants
car ils passent de nombreux jours à l’école (et souvent les
nuits devant la télé depuis l’arrivée du satellite en 1986), les anciens et
les femmes ont vu le CD-Rom comme un moyen de rapporter certains
-
-
éléments de leur culture à l’école. Et iis étaient aussi fiers de montrer
leur culture de cette façon à l’extérieur.
Une réaction différente provint des hommes de 40 ans (ma géné-
ration, car j’avais 23 ans quand j’ai commencé à travailler à Lajamanu -
1979). Ils demandèrent : pourquoi un étranger qui passe pour la première fois quelques heures sur ce programme, ne connaissant rien de
en
accéderait-il si facilement aux liens entre les choses qui nous
prennent une vie à comprendre ? Bien sûr la « compréhension » dont
ils parlent est différente de l’effet instantané de l’information digitale.
Leur savoir est imprimé dans leur corps et leur esprit au travers d’expériences physiques et métaphysiques qui exigent des performances collectives, le sentiment du terroir, et une partage spirituel. Mais ces hommes, qui ont été impliqués dans des négociations complexes avec les
développeurs et les autorités gouvernementales pendant des années
de dur combat pour l’autodétermination, n’avaient plus la même disponibilité pour passer autant de temps auprès des anciens qu’autrefois,
pour apprendre les savoirs traditionnels dans de longues marches de
chasse, ou au cours d’épreuves cérémonielles. Une résistance similaire
fut observée au début des années 1980, lorsque les Warlpiri et les
nous,
69
Littérama’ohi N°14
Barbara Glowczewski
Pintupi d’une autre communauté, Papunya, qui avaient transposé leurs
motifs totémiques sur des toiles, commencèrent à les exposer et les
vendre de par le monde. Certains hommes de Lajamanu étaient très
inquiets par ce qu’ils perçurent alors comme une “dissémination” des
motifs traditionnels qu’ils partagent avec cette communauté én raison
d’itinéraires de Dreaming communs. Toutefois, ils se mirent à peindre
eux-mêmes sur toile en 1986, après avoir eu des réunions avec les
anciens de Papunya quelques autres communautés au cours desquelles ils décidèrent du contenu qui pouvait ou non être montré et comment
le présenter visuellement. Lajamanu est situé sur les terres traditionnelles du groupe de langue Kurintji, mais la majorité des gens qui y vivent
à présent sont des Warlpiri déportés de terres plus au sud. Peut-être
que leur histoire d’exil est liée à cette position radicale, qui n’est pas
aussi forte dans les autres communautés warlpiri.
Après avoir installé le CD-Rom à l'école de Lajamanu en août
1998, une réunion communautaire polémique conduisit le Conseil à
décider que le programme était très bien pour l’école mais ne devrait
pas être commercialisé au dehors : la culture était trop précieuse
pour devenir une commodité. Un an plus tard, un autre meeting fut
organisé en ma présence par le Conseil qui décida cette fois de distribuer le CD-Rom pour consultation mais seulement dans les
musées et les bibliothèques de recherche, comme celles des
Universités. L’idée était de contextualiser l’expérience de la navigation du CD-Rom par d’autres éléments à étudier - collections d’objets, peintures, livres - d’une manière qui attirerait les gens désireux
d’apprendre et non pas juste de se servir comme dans un supermarché. La confiance dans les institutions qui visent l’éducation du grand
public semble être fondée sur l’espoir de pouvoir recréer de nouvelles conditions pour le partage culturel. C’est dans cet esprit
d’échange que douze hommes de Lajamanu avaient accepté en 1983
de venir à Paris pour danser et faire une gigantesque peinture sur
sable, et que les artistes continuent à voyager dans différentes villes
pour danser et peindre aux inaugurations de leurs expositions dans
les Galeries et Musées.
70
Dossier
Avec le CD-Rom, l’enjeu fut de trouver une solution pour une distribution qui respecte le désir de la communauté et les droits de propriété
culturelle des artistes. En 2000, UNESCO Publishing passa un contrat
avec le centre d’art de
Lajamanu, Warnayaka, afin de co-publier le CD-
Rom en partageant le copyright et les bénéfices par des licences aux
institutions et des commandes individuelles adressées directement à I’
UNESCO. La nouvelle version sortie en anglais et français sous le titre
“
Pistes de Rêves. Art et savoir des Yapa du Désert australien” (Dream
trackers), fut présentée par Jimmy Robertson Jampijinpa, artiste warlpiri, alors manager du centre d’art de Lajamanu, lors d'une conférence
internationale. Interviewé dans le journal de l’UNESCO, “Source” (juin
2001), il remarqua “Ce CD-Rom fait venir chacun à l’esprit’ (This CDRom brings everybody to the mind)11
Accès à la technologie
Une question se pose pour le futur : quels moyens ont les communautés aborigènes pour contrôler la chaîne impliquée dans la transmission du savoir. La technologie multimedia est à promouvoir
à condition
qu’elle ne menace de devenir un moyen de figer une culture qui est par
excellence un processus dynamique, évoluant par ses transformations
sociales, les expériences individuelles et collectives, l’art communautaire et les styles personnels. Les Warlpiri - comme d’autres groupes
autochtones
montrent qu’ils peuvent contrôler cet aspect dynamique
de leur culture même lorsque la transmission traditionnelle n’est plus
restreinte aux anciens modes. La mise par écrit des cultures orales a
déjà questionné la vitalité de l’oralité, mais cela n’a pas empêché quiconque dans le monde de continuer à inventer des histoires ou réinterprêter les anciennes. En ce sens, les livres d’anthropologie ou d’histoires
-
11
Nous avons dédié cette conférence à l’usage des Nouvelles technologies au côté du premier salon réunissant à L’UNESCO à Paris des éditeurs autochtones en mai 2001 : un CD-
Rom que nous avons développé comme un portail (Pourchez & al 2004) met en valeur les
contributions de 60 écrivains autochtones participants, et d’une trentaine d’anthropologues,
conservateurs de musée, cinéastes ou photographes).
71
Littérama’ohi N°14
Barbara Glowczewski
orales ne sont pas des Bibles car le texte écrit n’est pas utilisé comme
le cœur (fondement) des croyances culturelles et
encore
spirituelles : c’est
l’action rituelle et les échanges entre les gens qui dirigent le
contrôle du savoir dans et entre les communautés aborigènes. A ce titre
le pouvoir des anciens ne peut être menacé quand les initiations continuent à être mises en œuvre et les enfants à apprendre de la terre.
Le pouvoir d’interprétation réside dans l’ensemble du système de
croyances qui est entre les mains de ceux qui pratiquent leur culture.
Lorsque l'expérience des anciens ne peut être partagée physiquement,
culturelle est en question. Mais nous
savons que les données enregistrées dans les livres ou d’autres médias
restent toujours ouverts à la réinterprétation et critique à l’avenir.
Historiens, spécialistes de littérature ou d’art l’ont démontré maintes fois.
Il est temps de le reconnaître aussi en anthropologie : les livres d’anthropologie ne devraient pas être pris à la lettre, mais ils comportent tous
quelque information utile sur une société donnée (que ce soit sur celle
qui est observée ou sa relation avec celle de l'observateur...). Avant tout,
différentes interprétations peuvent coexister, juste comme dans toutes
cultures il y a différentes versions selon différents contextes. Avec le multimedia, l’avantage est que vous pouvez entendre des chants et des
récits, voir par des films et des photos des éléments visuels que les gens
la question de la reproduction
eux-mêmes associent à des éléments oraux. Mais
un
même conteur
peut raconter la même histoire de manière différente. Je n’ai pas inclus
dans ce CD-Rom les interprétations anthropologiques que j’ai publiées
ailleurs (Glowczewski 1991, 1996). Il n’y a que quelques textes contextualisant des domaines clés
(art, artefacts, église, terrain, signes de
mains, cure, histoire, chasse, parenté, droits fonciers, Loi, rituels, tabous)
que l’on est libre de consulter comme un complément au corpus central
des témoignages warlpiri. Les données présentées ne sont qu’un échantillon à un moment donné (entre 1979 et 1998) de l’immense patrimoine
culturel des Warlpiri mais celui-ci est structuré comme un réseau ouvert
selon la manière warlpiri de cartographier le savoir.
On m’a souvent demandé pourquoi l’enregistrement devrait-il s’arrêter là ? Ma réponse est que si les Warlpiri souhaitent continuer on
72
Dossier
devrait leur donner les moyens de le faire . La technologie multimedia
exige à ce jour de l’argent et une expertise technique, mais de même
que les Aborigènes en Australie ont adopté l’enregistrement en vidéo
dans les années 1980 et la téléconférence dans les années 1990, ils
commencent maintenant à utiliser les nouvelles technologies, y compris
l'Internet, précisément pour enregistrer leur culture En tant que chercheurs, nous pouvons seulement nous engager à restituer autant que
nous pouvons, mais en respectant des protocoles pour la diffusion. La
.
communauté Maningrida en Terre d’Arnhem, dans le nord de l’Australie,
avait un site web pendant plusieurs années qui montrait des exemples
de chants, de joueurs de didjeridu, et de peintures à vendre et des télé-
phones de communautés aborigènes. Ce site fut si populaire dans le
monde, que la communauté fut submergée de commandes d’achats
d’art mais aussi d’usagers désireux d’en savoir plus sur la culture et
venir les visiter. Le site fut fermé en raison de sa popularité : la communauté ne pouvait répondre à la demande. Depuis il a été entièrement
redessiné d'une manière permettant de respecter l’intimité des groupes
aborigènes concernés.
La priorité des autochtones maintenant est d’utiliser les nouvelles
technologies pour leurs besoins, en tant qu’outil d’enregistrement et de
mise en connexion. Alors que de nombreux musées dans le monde
mettent leurs collections sur le réseau, les Aborigènes disent que l’information qui est liée à leurs objets devraient être contrôlée: ils veulent
décider de ce qui peut être rendu public ou non sur le net. Ils aimeraient
que toute l’information relative à leurs groupes spécifiques soit rendue
disponible sur le net mais seulement à la communauté concernée. En
d’autres termes, s’il y a des objets warlpiri dans X Musées, un procèssus devrait permettre aux Warlpiri, mais aux Warlpiri seulement, d’accéder par le net à l’inventaire de ces objets tels que compilés par chaque
musée.12 Les musées australiens
comme les canadiens
acceptent
-
-
12 Cette idée a conduit au
concept d’un portail aborigène (Gateway), par l'AICN (Australian
Indigenous Cultural Network), avec le projet pilote Ara Irititja du Pitjantjatjara Council (Gulash
2004).
73
Littérama’ohi N°14
Barbara Glowczewski
de travailler dans le cadre de ces nouveaux protocoles qui exigent de
respecter de nouvelles contraintes culturelles : telle que la production
de banques de données qui fonctionnent avec des mots de passe ou
d’autres moments d’accès restreint permettant au bon groupe d’accéder à son information spécifique par le réseau. Le processus qui associe l’enregistrement du patrimoine avec le rapatriement du savoir devrait
être encouragé pour que les objets culturels qui sont répartis (disper-
sés) dans le monde puisent être réunis par l’établissement de tels
musées virtuels au contenu évolutif13
Une version en anglais de cet article est disponible sur le site www.aiatsis.gov.au
le titre « Returning Indigenous knowledge in Central Australia : This CD-ROM
Brings Everybody to the Mind », chapitre X dans le livre électronique The Power of
Knowledge, The Resonance of Tradition, 2005, tiré de la conférence AIATSIS du même
nom qui s’est tenu à Canberra en 2001 ; la version française est à
paraître dans Le transfert des connaissances en questions, Débat scientifique, débat démocratique ;
Coordonné par Philippe Geslin, Christophe Albaladejo, Danièle Magda & Pascal
Salembier)
sous
13 voir à ce
propos les travaux de Jessica de Largy Healy qui suit, le développment des centrès de savoirs et archives numériques communautaires : 2004, ‘The paradox of knowledge
Production at the
Knowledge Cente : A brief History of the Galiwin’ku Indiegnous
Knowledge Centre », communication présentée at la conférence de I’AIATSIS, Canberra)
74
Dossier
Références Bibliographiques
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Glowczewski, B., 1996. Les Rêveurs du désert - Warlpiri d’Australie. Arles, Actes
Sud/Babel (1st pub. 1989, Plon). 388 pp., illus, photos.
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Glowczewski, B., 1999b « Négociations pour la fabrication et la distribution d’un cédérom : 'Yapa - Art rituel du désert central australien’ », Journal des Anthropologues 79,
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Glowczewski, B., 2004, Rêves en colère, Plon Terre Humaine (version Plon Pocket
2006)
Glowczewski, B. 2005, lines and criss-crossings : Hyperlinks in Australian Indigenous
narratives », MIA (Media International Australia) Digital Anthropology n°116 : 24-35
(avec DVD en demo).
Glowczewski, B, et J. De Largy Healy, avec les artistes de Lajamanu et Galiwin’ku,
2005, Pistes de Rêves. Voyage. en terres aborigènes, Paris, Editions Du Chêne.
Gulash, Helena & Brian Arley, 2001, « Indigenous Australian peoples utilising new
technologies to reclaim cultural materials and knowledge », in Pourchez & al, 2004,
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Laughren, M. ed. 1983/1994. Warlpiri dictionary project - Warlpiri dictionary entries,
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Pourchez, L., B. Glowczewski, J. Rotkowski, J. Stanton, & Cultural Policies
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Sutton, P., 2003. Native Title in Australia. An Ethnographic Perspective. Cambridge
UniversityPress.
75
Littérama’ohi N°14
Jean-Marc T. Pambrun
Parce que la terre conserve
notre mémoire...
Une fois n’est pas coutume, je ne chanterai pas nos légendes en
vers, je ne déclinerai pas nos usages et nos coutumes en conte spiri-
tuel et je ne tremperai pas ma plume narrative dans les confluents de
notre histoire. Pourtant j’ai toujours pensé que Littérama’ohi se devait
d’accueillir dans ses cahiers les plus belles feuilles de notre littérature.
Et c’est sans doute pour cette raison que je n’y écris pas souvent. La littérature est faite d’exigences, de celles en tout cas que les écrivains
veulent bien se donner. Et celle que je m’impose à moi-même est particulièrement intransigeante. Mais ceci est une autre histoire et en cet
instant, l’écrivain se voit contraint de céder la place à l’homo poiitikos
qui entretient son engagement, même si au fond c’est l’écoute des
enseignements et des préceptes de la Tradition qui donne une raison
d’être et d’agir à l’un comme à l’autre.
En octobre 1989 - il y a dix-huit ans - j’ai rédigé un mémoire pour
l’obtention du diplôme d’études approfondies en préhistoire, ethnologie
et anthropologie intitulé La natte inachevée, avec ce sous-titre explicite :
Petite histoire du Centre polynésien des sciences humaines1 et de ses
œuvres
culturelles au temps de la sauvegarde du patrimoine culturel
polynésien. Pour mémoire - détail qui a son importance au regard de
l’actualité politique - j’avais envoyé mon travail universitaire à plusieurs
1 Créé
par Maco Tevane en 1981, le Centre polynésien des sciences humaines - Te
Anavaharau - regroupait le Musée de Tahiti et des Iles, le département d’Archéologie et le
département des Traditions. Il sera démantelé par Louise Peltzer en 2000 donnant au Musée
de Tahiti et des Iles
Te Fare Manaha sa pleine autonomie et réduisant les deux autres
départements à des bureaux techniques intégrés aujourd’hui au service de la Culture et du
-
Patrimoine.
76
Dossier
responsables, dont Jacqui Drollet, alors ministre de la santé, de l’environnement et de la recherche scientifique, auprès de qui j’avais travaillé
en tant que conseiller
technique à la recherche avant de m’envoler vers
Paris pour décrocher ce diplôme. Malheureusement, cette biographie
institutionnelle, dont l’intérêt était de proposer en conclusion l'esquisse
d’un véritable programme de sauvegarde du patrimoine, n’a jamais été
exploité par ses différents destinataires.
Mais qu’importe, je ne prétends pas qu’un mémoire universitaire,
même avec mention, puisse remplacer un programme politique et je me
garderai bien de vouloir endosser l’habit moderne du conseiller du
Prince, une posture que le sociologue Pierre Bourdieu avait très justement dénoncée comme participant de ce qu’il appelait les images prophétiques - et donc mystificatrices - de la sociologie, et, en ce qui nous
concerne, de l’anthropologie, considérée à tort aujourd’hui comme la
discipline reine pouvant apporter remède à tous les maux de la société
polynésienne. Il n'empêche, l’Université est censée former une élite
dont il peut être parfois intéressant pour un homme politique éclairé de
consulter les travaux et, pourquoi pas, de s’en inspirer. Mais mettons là
un terme à cette digression inutile, puisqu’on ne saura jamais si nos responsables politiques s'aventurent quelquefois, plus que le commun des
mortels, dans les bibliothèques universitaires.
C'est dire que la problématique du patrimoine était déjà au centre
de mes préoccupations, il y a plus de quinze ans - une préoccupation
majeure que je partageais avec beaucoup d’autres bien entendu - et
même bien avant, puisque que l’analyse que je portais sur la question
renvoyait à une période qui couvrait les années 1974 à 1989. Période
où l’Unesco appelait les nations à préserver leur patrimoine et organisait en 1981
un
colloque à Tahiti sur ce même thème. C’est dire aussi
que cette problématique n’est pas neuve. Et pourtant - et c’est en cela
que le problème qu’elle pose est d’autant plus crucial, pour ne pas dire
effrayant - en trente ans, rien ne semble avoir été fait de décisif puisque, à moins qu’elle ne relève du fantasme ou de la mauvaise foi, la
question demeure, lancinante : Notre patrimoine est-il en danger ?
77
Littérama’ohi N°14
Jean-Marc T. Pambrun
À cette question, je réponds oui sans hésiter, à la condition de préciser que ce qui est en danger ce n’est pas tout notre patrimoine ancestral, mais plutôt ce qu'il en reste, ce qui a survécu à des décennies d’acculturation et d’assimilation religieuse des populations polynésiennes.
Et de ce point de vue, j’affirme aussi que notre patrimoine survivant n’a
jamais été aussi en danger qu’actuellement, malgré une prise de
conscience de plus en plus importante de la population en faveur de sa
sauvegarde, et en dépit de toute l'entreprise de réappropriation dont
font l’objet des pans entiers de notre culture par les associations et les
institutions culturelles depuis plusieurs décennies. Car si les dangers
qui menacent son intégrité ne sont plus de la même nature qu’au XIXe
siècle où il s’agissait de remplacer un système politique et religieux par
une autre, ils sont autrement plus dévastateurs depuis une quarantaine
d’années car ils portent directement atteinte à la terre, à l’homme et à
la langue, et ne cessent d’aller en s’accélérant sous la pression du libéralisme économique et de la mondialisation. Et ces dangers se nomment dans leurs formes les plus concrètes : urbanisation, spéculation
immobilière, infrastructures touristiques, industrialisation, terrassements et remblais, sans parler de tous les cortèges de valeurs et de
modèles occidentaux déculturants. La terre est saignée, démembrée,
défigurée, violée, enfouie sous le béton, et les Polynésiens en portent
les stigmates dans leur mode de vie et leur mode pensée. Je poursuivrai le développement de cette argumentation un peu plus loin. Mais au
préalable, il me semble indispensable de préciser ce que, à mon sens,
la notion de patrimoine peut recouvrir en terre ma’ohi,
Si on s’inspire des travaux de l’Unesco tout en les adaptant à notre
contexte, dans le champ du patrimoine, on distingue le patrimoine matériel en tant qu’ensemble des productions matérielles de l’Homme, — ou
tangible dans le langage anglo-saxon — et le patrimoine immatériel ou
intangible. Pour simplifier, le patrimoine matériel est constitué, d’une part
des biens immobiliers qui, en Polynésie, se résument essentiellement à
des ouvrages religieux en pierre comme les marae, d’autre part des biens
mobiliers constitués d’objets usuels ou rituels, outils et armes. Objets dont
78
Dossier
la plus grande partie a été détruite, brûlée, jetée à la mer ou cachée au
cours des XIXe et
XXe, tandis qu’une infime partie a été emmenée par
les missionnaires et voyageurs européens et se trouve aujourd’hui dans
les musées et chez des collectionneurs privés d’ici ou d’ailleurs.
Mais le patrimoine matériel reste vide de sens et d’histoire sans le
patrimoine immatériel. L’Unesco, dont la réflexion sur la politique de sauvegarde du patrimoine fut gouvernée pendant longtemps par une approche forcément occidentale qui privilégiait plus la matière à l’intangible, la
pierre de granit à la légende, l’écrit à l’oral, s’est rendu compte assez tardivement qu’il fallait aussi se soucier de la préservation du patrimoine
immatériel. En effet, cette notion n’est apparue qu’en 1990 et n’a fait l’objet d’une Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel qu’en 2003. Cette convention a été ratifiée le 20 juin 2007 par plus
de 80 États, dont la France qui l’a approuvée le 10 juillet 2006.
Mais qu’est-ce que le patrimoine immatériel ? Les définitions sont
diverses selon les États et les institutions. Au cours de travaux menés
en 2006 en faveur de l’élaboration d’un code du
patrimoine par les institutions culturelles à l’initiative du ministère de Tauhiti Nena, j’avais fait
les propositions de définitions suivantes qui ont été amendées et vali-
dées par l'ensemble des participants : Est considéré comme patrimoine culturel immatériel polynésien, tout témoignage transmis de
génération en génération et légué sous forme orale, audio-visuelle,
écrite, gestuelle ou par tout autre moyen, en rapport avec les arts, les
sciences et les techniques, les croyances, les coutumes, la vie quotidienne, les événements collectifs des époques ancienne et contemporaine, et dont la valeur nationale (la nôtre) ou universelle est reconnue.
Ce patrimoine immatériel comprend : Les langues et l’art oratoire,
les mythes et les légendes, les chroniques historiques et les épopées,
les généalogies, les chants, les musiques, l’artisanat, les dessins et
modèles, les techniques, les arts visuels, les arts du spectacle et la
littérature, les codes et les rites, les coutumes, les symboles et les
79
Littérama’ohi N°14
Jean-Marc T. Pambrun
dénominations pour les lieux, les communautés et les personnes. Mais
aussi les savoir-faire qui touchent aux domaines suivants dont la liste
n’est pas exhaustive : la danse, la sculpture, la parure et l’ornementa-
tion, le tatouage, la médecine traditionnelle, la pêche et la chasse, l’agriculture et l’horticulture, les jeux et les sports traditionnels, l’architecture,
la navigation, les procédés tinctoriaux, le culinaire... De sorte que font
partie du patrimoine immatériel tous les éléments physiques et matériels qui lui sont associés : les monuments historiques, les sites naturels à caractère historique et légendaire, les objets usuels, artistiques
ou sacrés, les éléments du monde végétal, animal et minéral, c’est-àdire la Nature dans toute sa diversité.
C’est dire qu’en sauvegardant notre patrimoine immatériel - ce qui
en résumé sort de la bouche des hommes,
traduit leurs pensées, illus-
tre leurs savoirs et manifeste leurs savoir-faire - nous ne pouvons pas
nous abstenir de la
nécessité de préserver aussi dans le même temps
le patrimoine physique matériel auquel il est attaché, et dont en vérité il
est à la fois le créateur et le support d’expression. C’est la pensée qui
crée la matière et la parole qui lui donne vie nous enseigne Ta’aroa. Et
c’est pour cette raison qu’il est si important de ne pas couper l’homme
de sa terre, les légendes des lieux où elles s’inscrivent, des édifices spirituels de la parole qui les font vibrer, la parole des hommes qui en sont
les dépositaires. De sorte qu’il paraît évident que notre patrimoine cultu-
rel est à l’image de notre patrimoine naturel, à savoir que l’un et l’autre
-
ou si l’on veut la culture ma’ohi et son environnement
ancestral - qui,
à ce propos, restent inséparables dans mon esprit comme ils devraient
l’être dans toute politique, se pensent de la même manière, même si
leurs caractères sont différents, quoique profondément indissociables.
Car, si on peut s’accorder avec M.J. Herskovits pour dire que « la culture est tout ce qui dans le milieu est dû à l’homme
2
»2, l’environnement
M.J. Herskovits, Les bases de l’anthropologie culturelle, Paris, Payot, 1952. Traduction
française de Man and his works ; Science of Cultural Anthropology, New-York, 1949.
80
Dossier
dans son acceptation foncière et spatiale est la racine fondamentale de
son
inspiration créatrice, en somme son génie.
Du reste, à y regarder de près, la culture et l’environnement se pen-
sent aussi
tous deux en termes de dommages, de pollutions, de
détournements, de pertes, et sont l’objet des mêmes tentatives plus ou
moins ratées ou abouties de sauvegarde, de réhabilitation, de réappropriation. La culture, comme l’environnement procurent ce même sentiment de malaise et de désespérance qui ronge notre cœur et notre
conscience à chaque fois qu’un événement porte atteinte à l’intégrité de
notre patrimoine : du plus anodin en apparence comme l’attribution à
un couple de popa’a d’un nom de
mariage réservé en principe aux descendants des familles polynésiennes dont c’est le patronyme, ou du
plus spectaculaire comme la construction de villas de luxe sur un site
légendaire, comme celui de la pointe Tata’a. Car tout se passe comme
si, malgré tous les efforts fournis par ceux qui s’échinent à préserver le
patrimoine culturel et naturel, celui-ci perdait inexorablement du terrain
devant la montée tout aussi inexorable des eaux usées de la société de
consommation de masse et des déchets de l’urbanisation.
À cette différence néanmoins que si la culture piétine quand le
bitume avance, et peut éventuellement s’emparer de la rue, la nature,
elle, s’asphyxie, s'étiole et recule jusqu’à disparaître. Le risque étant
bien sûr à terme, quoique que déjà bien visible, que la culture soit pri-
vée de ses vraies racines terrestres et foncières, et n’entretienne que
leur souvenir jusqu’à n’être plus qu’un sujet de rhétorique, un gadget
virtuel ou un boîte à idées de spectacles folkloriques. Car, les Ma’ohi
sont inséparables des lieux dont ils sont originaires, des réservoirs de
plus exactement de ces lieux-récipients dans lesquels des
générations ont puisé les noms, autant qu’elles en ont versés et qui
donnent matière à la langue, à la pensée, aux croyances,aux usages,
noms, ou
coutumes, bref à notre civilisation et notre identité. Autant d’aspects de la Connaissance que, par ailleurs, nos ancêtres avaient
réparti en huit grands domaines afin de pouvoir en délivrer tous les
aux
81
Littérama’ohi N°14
Jean-Marc T. Pambrun
enseignements, les ‘upu, et qui pourraient servir un jour de modèle de
classement et de diffusion de notre savoir ancestral.
Des explications qui précèdent découlent donc deux évidences :
d’abord que le patrimoine naturel prend tout son sens grâce au patri-
moine oral et immatériel d’une manière générale. La terre, la mer et la
multitude de noms qu’ils portent ne parlent que si les hommes continuent à les nommer et à raconter leur histoire. Le jour où la terre ne par-
lera plus, notre civilisation sera éteinte. Le jour où la parole n’aura plus
de lieux qui
lui correspondent, notre civilisation sera morte et notre
savoir ne sera plus qu’un enseignement universitaire de plus à mettre
au programme des étudiants en histoire des civilisations anciennes. La
seconde évidence qui découle de la première est que, hélas, le patri-
moine est encore et toujours globalement menacé de dilapidation, dis-
persion, détournement pour les raisons que j’ai indiquées plus haut.
Mais aussi parce que faute de bon sens, de cohérence, de volonté ou
de courage dans la pensée comme dans l’action, les différents responsables qui se sont côtoyés et succédés depuis plus de trente ans dans
les institutions culturelles et politiques de notre pays ne se sont jamais
vraiment attachés
non pas tant à concevoir - mais surtout à légiférer
et mettre en œuvre dans des délais impérieux un véritable plan de protection du patrimoine culturel polynésien efficace et durable.
-
Ce plan de protection du patrimoine, je l’ai développé sur une vingtaine de pages dans le mémoire que j’ai
évoqué plus haut et je l’ai
exposé avec d’autres et à plusieurs reprises. Combien de fois les
acteurs culturels de notre pays ont-ils été sollicités pour faire des pro'positions par les 14 ministres3 de tutelle qui se sont transmis le témoin
^ Maco Tevane
(1977-1982), Jacques Teheiura (1982-1987), Georges Kelly (1987-1991),
(1991), Justin Arapari (1992-1993), Maco Tevane (1994), Patrick Howell
(1994-1995), Michel Buillard (1996), Angélina Bonno (1997-1998), Louise Peltzer (19982004), Jean-Marius Raapoto (2004), Teina Maraeura (2004), Tauhiti Nena (2005-2006),
Natacha Taurua (2007) et Jacqui Drollet (2007).
Pierre Dehors
82
Dossier
de la culture depuis près de trente ans, et combien de rapports ont-ils
été établis sur cette question ? Combien de fois nous a-t-on fait plancher
sur un
projet d’élaboration d’un code du patrimoine polynésien? Lequel,
à chaque fois, pour des raisons inconnues n’a jamais vu le jour. Avec le
temps, je suis pourtant convaincu d’une chose : il n’y a plus lieu de ter-
giverser ; la société civile a produit suffisamment de matière depuis
trente ans, dans tous les domaines du patrimoine matériel et immatériel
pour que le politique n’ait plus qu’à rédiger une loi du Pays qui intègre
les propositions communes qui font l’objet du plus large consensus.
Mais alors, me dira-t-on, si un tel chantier est aussi simple à entre-
prendre, pourquoi n’est-il toujours pas réalisé? Bonne question à
laquelle pourtant les réponses resteront toujours insuffisantes, voire
mauvaises. Tant il est vrai que les hommes politiques n’avouent jamais
les causes de leurs erreurs, ni les limites de leur véritable compétence,
et encore moins les véritables raisons de leur inaction qu’ils maquillent
le plus souvent en gesticulation médiatique extrême. Une chose me
paraît certaine : les limites de l’action d’un ministre de la culture s’arrêtent parfois avec son mandat, mais bien plus souvent là où commencent
les mauvaises actions des autres, parfois même des siennes :
Affairisme, corruption, clientélisme, sauvegarde d’intérêts personnels et
familiaux,.ou même plus simplement développement de mauvaises politiques foncières, d’aménagement et d’équipement, d’urbanisme, de
développement rural, de logement, d’industrialisation, scolaire, famiMale,... en contradiction flagrante avec une politique culturelle soucieuse de préserver les traditions et avant tout les lieux, les lieux de traditions, et leur mémoire.
Car encore une fois, préserver les lieux de traditions c’est aussi
sauvegarder leur mémoire et réhabiliter éventuellement les rituels qui
leur correspondent. Et où trouver cette mémoirè, sinon en répertoriant
de façon systématique l’existant et en poursuivant le recueil de la
parole des hommes qui en sont les porteurs. D’où la nécessité cent
fois répétée, qu’il est toujours aussi urgent, d’une part de lancer des
83
Littérama’ohi N°14
Jean-Marc T. Pambrun
programmes d’inventaire du patrimoine immatériel à caractère oral,
transcrit sous forme écrite, sonore ou filmée et détenu par les institutions et personnes ressources en Polynésie française et dans le
monde ; d’autre part que « le patrimoine polynésien étant principalement issu du savoir oral et donc des hommes qui le véhiculent, la collecte de ce qui est contenu dans la mémoire des Polynésiens doit être
considérée comme étant une tâche prioritaire ». À cette fin, le groupe
de réflexion.sur le patrimoine immatériel, réuni dans le cadre de l’élaboration d’un
plan d’action pour la protection du patrimoine culturel
initié par le ministère de la culture en 2006, avait recommandé de
réactiver le programme de sauvetage du patrimoine ethnographique
auprès des personnes âgées de 65 ans et plus, entrepris sous ma
direction par le département des Traditions en 1986 et 1987 et interrompu en 1988, faute de financements.
comprendra néanmoins, et ce sera ma conclusion, que ces
propositions ne peuvent être mises en oeuvre, d’une part que si les
structures, les moyens humains et financiers qui leur correspondent
existent, d'autre part qu’à la condition qu’une législation en matière de
protection du patrimoine culturel assure à ces organismes de pouvoir
réaliser un travail performant et efficace. Car c’est là que le bât blesse
actuellementles organismes chargés du recueil, de l’étude, de la diffusion, de la mise en valeur et surtout de la protection du patrimoine
matériel et immatériel sont, soit sous équipés, soit en sous effectifs,
mais surtout orphelins d’une réglementation précise et forte en la
matière qui leur permettrait de procéder - en toute indépendance et
en dehors de toute pression politique - au classement des biens culturels matériels et immatériels, d’appliquer les règles de protection, et
surtout de les faire respecter en déférant les contrevenants devant les
On
tribunaux..
Parce que la terre conserve notre mémoire collective, et que sans
l’être humain elle ne peut être restituée, il faut préserver l’une et l’autre
sans réserve aucune.
84
À défaut, sans mémoire humaine, la terre n’a plus
Dossier
d’identité, et sans la terre, les hommes perdront eux aussi à jamais leur
identité. Encore faut-il que le politique s’attelle à concevoir et définir un
projet de société qui tienne compte de cette dialectique, en adoptant le
parti suivant : en Polynésie, il ne peut y avoir de projet de société viable s’il n’est pas fondé sur la culture polynésienne.
85
Littérama’ohi N°14
Annie Reva’e Coeroli-Green
Petite colère
Comment taire
ma
colère
quand je pleure
sans larmes
la douleur
d’une terre ?
Vendus les terres
et les placentas de nos mères
Sur des étagères
les ossements de nos ancêtres
qui fertilisèrent
notre Terre-Mère !
Les musées
les appellent objets
!
Des montagnes blessées
Saignent jusqu’au lagon.
Se croyant supérieur,
l’homme adapte la nature
à son besoin égoïste
et bâtit des murs
pour se protéger
lieu de partager.
au
Temae, lac de lumière,
asphyxié
tu arroses le gazon
de golfeurs
insouciants,
inconscients
du regard impuissant
de ta population.
Vaihiria, lac légendaire,
ton évent est bouché,
sacrifié
à l’électricité
et l’être-baleine-Tahiti
étouffe
et l’être-anguille-Fa’aravaianu
souffre
de rivières désaccordées.
La grotte s’est écroulée.
Tu n’en peux plus d’entendre.
Tu n’en peux plus d’attendre.
Tata’a, lieu d’envol des âmes
Déjà, dans le lagon,
le béton
a coulé
sur le
pied
de Pai le guerrier.
Des immeubles poussent,
les uns empochent,
les autres s’endettent.
Mondialisation,
cimetière de nos valeurs,
tu hypothèques le futur
et tes manipulations
méprisent
la nature.
Protéger,
est notre responsabilité. '
Littérama’ohi N°14
Annie Reva’e Coeroli-Green
Patrimoine
:
Protégeons Tata’a et Vaima
Protégeons Tata’a
L’association « Rohutu Noanoa
«
Tamarii
«
Tehivarereata », «
»
soutenue par les associations
Fanatea »,
« Haururu », « Taaretu », « Tuihana »,
Na Papa E Va’u », « Te Tupuna...Te tura ! »
considère que Tata'a, situé à la jonction des communes de Faaa et de
Punaauia, est un site majeur du patrimoine culturel immatériel du trian-
gle polynésien en tant que « rereraa varua » de l’île de Tahiti qui doit,
à ce titre, bénéficier d’une protection juridique. Une campagne d’information a été lancée ainsi qu’une pétition qui se poursuit sur internet :
www.rohutu.com.
Des avancées importantes ont été réalisées :
1- l’inscription du promontoire de Tata’a (site n°17) sur l’inven-
taire des sites archéologiques, historiques et légendaires de l’inventaire
annexé à l’arrêté n°694/CM du 7 juillet 2006 ;
2- la décision prise à l’unanimité
des membres de la
d’Aménagement du PGA de Faaa réunie le 20
décembre 2006, de préserver le site et de le classer en site protégé,
culturel et historique ;
3- l’avis favorable pour l’inscription de la pointe Tata’a sur la liste
des sites classés pris à l’unanimité des membres de la Commission des
Sites et des Monuments naturels réunis le 4 avril 2007 sous la présidence par Mme le Ministre du Tourisme et de l’Environnement ;
Commission Locale
88
Dossier
4- des discussions avec le Ministère de la Culture. Nous deman-
dons
au
gouvernement de la Polynésie française d’inscrire ce site
incluant les sources de Vai-au et de Vai-rai ainsi que la
sur la
passe de Veo
liste des sites classés au titre de la délibération 151 du Code de
l'Aménagement, afin qu’il bénéficie de la même protection juridique que
les sites culturels classés en 1952.
Lors du Forum International du Patrimoine du Pacifique
(FIPPAC)
organisé au lycée hôtelier d’Outumaoro du 29 au 31 août 2007 sous le
patronage de l’UNESCO, l’association Rohutu Noanoa a fait une présentation « power-point » des rereraa varua dans le
triangle polynésien citant en particulier l’exemple du Reinga Waerua situé au
Cape
Reinga au nord de la Nouvelle Zélande qui fait partie des sites classés
de Nouvelle Zélande et pour lequel il a été entamé le processus de
protection au patrimoine mondial de l’UNESCO par son
inscription, depuis
1993 sur la liste indicative. Ce site reçoit environ 200 000 visiteurs
par
an. Il est l’exemple d’une activité s’inscrivant dans la
logique du développement durable puisqu’il allie protection de la ressource (patrimoine
culturel immatériel maori) et sa mise en valeur raisonnée par un accueil
cadré des visiteurs. Les membres des associations de soutien ont
conclu en chantant avec enthousiasme un émouvant « Tarava Tahiti »
créé pourTata’a par Bruno Léon.
Bruno LEON est né le 2 mai 1959 à Outumaoro - Punaauia. Il est
journaliste à l’information municipale et agent municipal de la commune
de Faa'a à Radio « Te Reo O Tefana » depuis 1988. Il est
chargé de la
page partie légendaire concernant Faa’a du magazine Tefana de la
commune de Faa’a.
Bruno est domicilé à Faa’a-Fanatea PK 6,8 côté mer. Auteur et
parolier des chants « Tarava » et « Himene ruau » des « Tamarii
» puis des « Tamarii Fanatea »
depuis plusieurs années, il est
Rautea
un membre fondateur de cette même association.
sident de l’association « Rohutu Noanoa
Il est également pré-
».
89
Littérama’ohi N°14
Annie Reva’e Coeroli-Green
Himene Tarava no Tata’a
Aue te pape i VAiTUPARERE ra
I nià mau ra i FANATEA ra
E vai toètoè mau à e
Ua hotaratara te manaô e
E Toèrauhii te matai e
E vâhi haruraa varua i te pô
Taraoha ê tu na hoï au e
Paaina te miti (i ) VEO ra e
Te ôtooto ra na MANU-URA ra
Puhihau noa mai te matai e
E au te anau tamarii e
Nâ poro e hâ (o) TEFANA e
No roto roa mai i te taî anoano
Te Hitiaa o te Râ, te Tooà o te Râ
I FANATEA mau ai e
Apatoà e, Apatoèrau e
Tei VAITUPARERE tei VAIRAÎ e
E vai hopuraa (o) no ù e
I nià mau ra i FANATEA ra
Ua nohotara mai te Aroha
E mouà tei nià MAMANU rahi e
E vahi rereraa varua i te pô
Tahua tei raro TIAPIRI e
Haruru te miti (i ) VEO ra e
Outu ra ia OUTU TAIHIA
Paaina noa mai te matai maraamu
Outu mihi hia e au e
Ua reva tei here hia ra e
Na te vini ura no MAMANU
Tei huri te manaô
Afaî te parau âpï e
Taù fenua iti TEFANA e
Te târava ra o MOO-RAHI e
I te toparaa te mahana e
Rohi pehe
Bruno Léon
90
Dossier
Himene Tarava no Tata’a
L’eau de Vaituparere
Sur les hauteurs de Fanatea
Est très froide
L’esprit est interpellé
Et
C’est
je ploie
lieu
un
d’interception des
Sous le souffle du Toèrauhii.
âmes
Les chants des Manu ura
A Veo
Tels des plaintes d’enfants
La brise souffle
Emanent des profondeurs
Des quatre coins de Tefana
Et s’arrêtent à Fanatea
Au Levant, au couchant
Vaitupare et Vairai sont
Au Nord
,
l’Océan gronde,
,
au Sud
Les eaux où je me baigne
Sur les hauteurs de Fanatea
Mamanu est la montagne
La Compassion
Tiàpiri le terrain de réunion
C’est
Outu Taihia(Tata’a) le cap,
vers le Po
Objet de mon chagrin.
La mer gronde à Ve o
Le vini rouge de Mamanu
L’alizé souffle avec force,
Est le messager
Les êtres chers sont partis .
porteur de
un
demeure
lieu d’envol des âmes
nouvelles,
Le doute et l’i nterrogation
La montagne de Moorahi s’étend
envahissent
Au couchant
Les pensées de ma terre chérie,
TEFANA
Rohi pehe
Bruno Léon
91
Littérama’ohi N°14
Annie Reva’e Coeroli-Green
Tata’a, envol des âmes vers le Pô
Selon la conception polynésienne du monde, l’âme, après s’être
séparée de ses enveloppes et coquilles temporelles (tino, vaite, mauri),
effectue un parcours précis à l’intérieur de son mata’einaa, puis se
dirige vers le promontoire de Tata’a ; c’est là qu’elle se recueille, fait le
bilan de son incarnation et comprend ce qu'elle a accompli. Elle se
concentre alors et prend, parmi les différentes voies, celle qui la mènera
à Rohotu, Hawaiki, Te Pô.
Il n’est donc pas étonnant que nos tupuna aient attribué le nom de
Tata’a à ce lieu, taa signifiant d’une part se séparer, se détacher et d’autre part comprendre.
L’atmosphère de calme, de paix, de sérénité qui y a toujours
régné est nécessaire à l’effort intense de concentration de l’âme et
conforme à la fonction de ce lieu et celle-ci doit être préservée.
La
pointe nord-ouest de chacune des îles de Polynésie est
généralement réservée à cet usage. Appelée Ke-Kaa (l’équivalent de
Te-Taa, ou Ta-Taa) sur l’île de Maui (Hawaii), elle est plus souvent nommée Te-Rei-A-Varua, Rere-A-Varua, avec toutes les variantes linguistiques propres à chaque archipel : Renga-Vaerua à Mangaia (Cook
Islands), Reinga-Wairua au Cape North (Nouvelle-Zélande), Leina
Kauhane à Ka’ena (Oahu), Te Rerega (Mangareva) notamment.
Les pointes situées au nord-ouest des îles de la Société sont abrégées aujourd’hui en Terei’a, comme celle de Fitii (Huahine), de Patio
(Tahaa), de Tevaitapu (Bora-Bora), de Taatoi (Maupiti), ou portent un
nom
lié à l’envol des âmes, comme Ti’a Ma’ue sur le motu Tiaraaunu à
Tetiaroa. Toujours respectés par la population locale, tous ces lieux ont,
jusqu’à ce jour, conservé leur état naturel.
L’absence de structures lithiques construites de main d’homme tels
que marae, ou paepae témoignent de la volonté de réserver ce lieu à
l’usage exclusif des âmes en partance. Cette « virginité » affirme
confirme l’extrême sacralité du lieu, un lieu si sacré que l'homme
ou
92
Dossier
n'ose pas y apposer sa trace. En effet, ces lieux ne font pas partie de
Te Ao (le monde matériel, visible) mais de Te Pô (le monde immatériel,
invisible). La colline de Tata’a tout entière doit rester libre de tout édifice
construit de main d’homme.
Qu’en est-il de Pai, qui a laissé la trace de son pied gauche au bas
de la falaise ?. Effectivement, c’est l’exception qui confirme la règle. La
tradition orale nous enseigne qu’au moins deux êtres humains, en l’occurrence
Pai et Tafa’i, ont fait étape à Tata’a. Cependant,
il s'agit là
d’êtres particulièrement évolués, qui, au cours de leur chemin initiatique, font l’expérience d’entrer dans Te Pô, et d’en revenir. De plus, la
trace de pied est située au bas de la falaise, et non au sommet ni sur
les flancs du promontoire, sur une roche continuellement lavée par l’eau
de mer, comme pour s’excuser de cette intrusion.
Selon les enseignements traditionnels, les sources qui jouxtent le
promontoire, c’est-à-dire Punaau côté Punaauia et Vairai côté Faaa,
font partie de ce site sacré ; en effet, dans tous les archipels polyné-
siens, l’âme plonge toujours dans un bain d’eau très froide pour se
«
ressourcer
»
avant de monter sur le promontoire et de quitter Te Ao.
Association Rohutu Noa
30/11/06
Références Bibliographiques
DANIELSSON Bengt : TAHITI, Circle Island Tour Guide, Les Editions du Pacifique,
1987, p152
HENRY Teuira
:
TAHITI aux temps anciens, Société des Océanistes, 1968, notions
d’une vie future p 208 & 209, Tafa’i et Hina p577
LEVERD, André : Croyances relatives aux âmes et à l’autre vie chez les polynésiens,
réédité in BSEO n°248, sept 1989, p 129 à 139
TE ARAPÔ
:
Parau Tumu no TAFA’I, CPSH Te Anavaharau, 1998.
93
Littérama’ohi N°14
Annie Reva’e Coeroli-Green
Tata’a,
vahi rereraa varua i te Pô
la au i te tiàturiraa a te mau maohi, ia unuhi te varua, e rere o ia
mai to na mataèinaa e tae roa atu i te ôtu’e o Tata’a, na nia i te hoê aratià i taôtià-maitai-hia. I reira o ia e fariu ai i te oraraa o ta na i ora mai i
te ao nei, i reira atoà o ia e hiroà ai i te mau haa i ravehia mai e ana ma
te tutonu maite,
hou a rere atu ai i te Rohutu Noànoà i Havaii i Te Po.
Te auraa hohonu ia o Tata’a, tei faarirohia e to tatou mau tupuna
ei vahi no te faataaraa
.
Faataaraa i te mau manao, ia vetea to ààu
Faataaraa o te Vaite i to te ao.
Mai te po a iuiu mai to na vai noa raa
Ei fenua moà parahi - ore - hia e te taata,
Ei mouà faaherehere hia e te nunaa maohi
Ei vahi hau nui no te Tutonuraa rahi o te varua
la au i te mau parau paari a te mau tupuna , ua riro te mau ôtuè e
hiti i te pae Apatoà - Tooà o te Ra o te mau motu tatai tahi o na poro e
toru o te Ao Maohi, ei vahi no te rereraa varua :
-
-
-
-
-
I
Kekaa i Maui(Hawaii), Te rei a varua, Rere a varua,
Renga vaerua i Mangaia,
Te Rerenga wairua i Te Aotearoa,
Leina Kaùhane i Oahu,
Te Rerega i Maareva.
te
mau
motu
raro
matai
ma,
i
Fitii
(Huahine), Patio
(Tahaa),Tevaitapu (BoraBora), Taatoi (Maupiti), ua haapotohia ra ei
TEREI’A.
94
Dossier
I Tetiàroa, o Tiàmaùe ia to na ioa. E mau vahi i faaturahia e te hui-
raatira o te mataèinaa, e, ua vai noa ratou i roto i nanaihere.
I reira, aore e marae i patuhia, aore e paèpaè i faatiàhia, e tapao ia
no te faaherehereraahia i taua mau vahi ra no te faaineineraa o te mau
varua i to ratou fano atea raa.
raa o tera mau vahi,
inaha hoi,
Ua rira hoi te reira ei tapao no te moàeere no te Ao, no te Po ra. la vai noa
te taàtoàraa o Tata’a ei vahi - haùti - ore - hia e te rima taata.
E aha atu ra ia te parau no te tapuaè âvae o Pai i paohia i nià L te
toà i te tumu o te mato ? la au i te mau faatiàraa a to tahito, mai te mea
ra, e piti taata i tere na Tata’a : o Pai, e, o Tafai, na aito tuiroo i tere
atu i roto i te Po
,
e
E 6 atoà mai
,
o tei hoi faahou mai i te Ao nei.
ni puna pape e vai nei, i te hiti o Tata’a
,
oia hoi o
Punaau i Punaauia e o Vairai i Faaa, i roto i teie vahi moà no te mea i
reira te mau varua e naue ai hou a taùma atu ai i nià i te âivi no te faa-
ruè mai i te Ao nei.
Taatiraa Rohutu Noa
30/11/06
95
Littérama’ohi N°14
Annie Reva’e Coeroli-Green
Tata’a,
vahi rereraa varua i te Pô
According to native teachings, the varua or soul, after removing
itself from its earthly shells called tino, vaite, and mauri, travels a long
way before reaching Rohutu, Hawaiki, or Te Pô.
For the inhabitants of the island of Tahiti, this path has some stop-
ping-places in the mataeinaa itself, then the varua goes to Tata’a promontory, situated at the most north-western headland of Tahiti ; there,
the varua meditates over its past incarnation and understands its deeds.
It then concentrates to understand and see, between the various paths,
the most appropriate one to reach its spiritual abode.
It is therefore not surprising that our ancestors had given the name
Tata’a to this holy place, the word taa having two meanings :1- to
separate, to remove itself and 2- to understand.
The atmosphere of quietness, peace and serenity which has
always prevailed there, is necessary for the intense concentration of the
varua and suits the function of the site ; this atmosphere should be preserved.
As André LEVERD points out in his article referenced below, the
north-westernmost headland of each island of
Polynesia is usually
reserved for such a duty. Called Ke-Kaa (the equivalent of Te-Taa or
Ta-Taa) on the island of Maui (Hawaii), it is more often called Te-Rei-aVarua, Rere-a-Varua, with all the linguistic variations particular to each
archipelago : Renga-Vaerua in Mangaia (Cook Islands), ReingaWairua at Cape North (New-Zealand), Leina Ka’uhane at Ka’ena
(O’ahu), Te Rerega (Mangareva) amongst others.
In the Society islands, these north-westernmost points are today
shortened as Terei’a, like for example the one in Fitii (Huahine), in Patio
(Tahaa), in Tevaitapu (Bora-Bora), in Taatoi (Maupiti) or bear a name
related to the embarking of the varua on the journey to Te Pô, like Ti’a
96
Dossier
Ma’ue on Tiaraaunu motu of Tetiaroa atoll. Respected by the local inha-
bitants, all these places have, until to-day, kept their natural state.
The absence of human-built lithic structures such as marae or paepae expresses the will to reserve these places for the exclusive use of
Te Pô-bound varuas. This asserts or confirms the extreme sacredness
of the site, so sacred that man does not dare put his mark. These places do not
actually belong to Te Ao (the visible, material world) but they
belong to Te P5 (the invisible, spiritual world). Tata’a promontory should
therefore remain free of any man-built structure.
What about Pai then, who left his left foot imprint at the base of
Tata’a cliff ? It is indeed the exception that confirms the rule. Oral tradition teaches us that at least two human beings, namely Pai and Tafa’i,
made a stop at Tata’a.
However, these were two particularly evolved beings who, on their
journey to self-initiation, experienced going into and coming back from
Te Pô. Morever, Pai’s footprint is located, not at the top nor on the side
of the hill, but on a beach-rock constantly washed by sea water, as if
excusing itself for the intrusion.
The two watersprings that are next to the hill, namely Puna-au on
Puna-auia side, and Vai-Huna on Faaa side are part of this sacred site.
According to traditional teachings, the varua always dive into a very cold
spring before ascending the promontory and leaping into Te Pô. At
Tata’a, the varua coming from the East coast of Tahiti dive into Vai-rai
spring, whereas those coming from the West coast dive into Puna-au
spring.
These sites are eternally sacred. Recognition and respect of these
sanctuaries help to raise our consciousness and the necessity to reco-
gnize and respect each individual’s inner sanctuary.
Association Rohutu Noànoà
01/12/2006
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Littérama’ohi N°14
Annie Reva’e Coeroli-Green
Protégeons Vaîma
Depuis plusieurs mois, quelques personnes pleines de « aroha »
dont plusieurs grands-mères se sont mobilisées pour rendre à la source
Vaima sa propreté, sa beauté, sa dignité et la notre. L’action a débuté
par un grand nettoyage de la rivière, de ses abords et du bord de mer
(ramassage peu ragoûtant des capsules, bouteilles cassées, plastiques, couches et j’en passe). Quelques cotisations plus tard et avec
l’aide des jeunes, les abords ont été débroussés et un mini pavage
débuté. La' propriétaire
l’herbe
avec
d’une roulotte située à l’entrée a fait tondre
et assainir le caniveau. Un sympathisant a peint un panneau
l’inscription Te Aroha ia Vaima et Vaima qui a été installé au fond.
Une poubelle a été installée et est vidée par des militantes de cette
action qui sont sur les lieus toutes les semaines, nettoyant encore, faisant de
l’information, déposant des fleurs. Ces belles énergies ont
» la mairie qui a mis des poubelles au bord
de mer et qui collabore aux divers projets soutenus par le ministère de
entraîné dans leur « aroha
la culture parmi lesquels le classement et l’aménagement du site. Si
là, respectez ce lieu, baignez-vous mais, même si vous
aviez l’habitude, s’il-vous plaît, n’utilisez ni savon ni shampoing car
vous passez par
en
ils sont très polluants.
98
Dossier
Moi, fille de Mataieaiteririvave
Vaima iti’e,
moi, fille de Mataieaiteririvave,
je vieillis et je vois se liquéfier
le respect et l’amour de la terre
et de l’eau essentielle à la vie,
je vois sacrifier
notre mémoire
à des ambitions dérisoires,
Vaima, larmes
de notre terre-mère
,
Vaima charme
qui guérit
ton eau coule aussi
dans nos veines
Vaima, calme ta peine,
quoi qu’il advienne
nous continuerons à
prendre soin de toi
pour qu’encore une fois
tu chantes la vraie vie
Ecoutez la nature
écoutez vos ancêtres
écoutez vos coeurs
et déplacez ce collège
e te aroha
rahi.
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Littérama’ohi N°14
Annie Reva’e Coeroli-Green
J’ai écrit ce texte en août 2007. Le mot « collège » ne rimait volontairement avec rien car la construction d’un collège en ce lieu pour moi
ne
rimait à rien. Merci donc au Ministre de l’Education Jean-Marius
Raapoto d’avoir arrêté ce projet et merci à Jacky Drollet pour la reprise
du projet d’une réhabilitation globale de toute la zone Teruamoo à la
limite Papeari Mataiea de Teva I Uta, depuis Vaipahu, lieu d’envol des
âmes, Vaipahi, lieu de recueillement, de méditation et de purification
spirituelle jusqu’à la source Vaima, lieu de thérapie et d’offrandes.
Souvenez-vous du chant du district de
Pape’uriri
ou
Vai-uriri
(oiseau “pluvier gris) appelé aujourd’hui : commune de Mataiea (vent
étrange).
Voici le chant de Vai-uriri selon
«
«
Tahiti aux temps anciens » p.89
C’est le
O Vaiuriri nui a tere i aoha
grand Vaiuriri qui bougea
splendeur(1)
Maoha to ma’a
avec
O Mataiea riri vave
Merveilleuse est ta nourriture
Mo’opuna o te ahu parepare
C’est Mataiea au tempérament vif
Tatai a nui a manu
Descendant des murs fortifiés
O Vaiuriri te nia noa ite ai’a.
»
Du rivage à la multitude d’oiseaux
C’est Vaiuriri dans
lequel se trouve
l’héritage.
(1) se rapporte au déplacement de la terre après que la gorge du poisson eut été coupée.
100
Dossier
Traduction du même texte
«
«
Tahiti, la langue et la société »
par Vonnick Bodin
Vai-uriri qui voyage dans la aoha
Ma’oha est ta nourriture
Mataia au tempérament vif,
Descendant de Ahu parepare,
Tatai pour que cela devienne important,
pour que cela devienne multitude.
Vai-uriri se trouve sur l’héritage. »
Visitez le site internet
:
www.vaima.org
101
Littérama’ohi N°14
Moeata Galenon
Préservons la Vaima
Poussé par une nouvelle menace de la préservation de la source
Vaima à Mataiea, cette fois sous la forme d’un projet de construction de
collège, un petit groupe, choqué d'une telle aberration se vit grandir
l’ambition de protéger Vaima.
La grande question du début fut : « comment convaincre les autorités de construire leur collège ailleurs ? » La difficulté de nos jours,
c’est de convaincre les gens que le patrimoine naturel, en l’occurrence,
une source doit impérativement survivre au détriment d’un collège.
Beaucoup auraient tendance à dire : « bientôt, on ne pourra plus rien
construire avec les gens pro-nature comme vous qui veulent à tout prix
protéger toutes les terres de notre pays. Vous trouvez de plus en plus
de vertus à des lieux qu’il ne faut en aucun cas toucher. Il faut bien
qu’on construise quelque part, non ? »
La
résurgence de notre culture, les pactes internationaux tels
l’agenda 21 signé au sommet de Rio en 1992 ou la récente déclaration
des nations unies sur les droits des peuples autochtones réveillent en
nous une notion pas forcément logique dans le sens occidental du
terme mais tellement palpable à l’intérieur de certains d’entre nous,
enfants ma’ohi, que nous nous éloignons de principes « rationnels »
influencés par une notion de développement nuisible à notre planète,
notre bien-être et notre culture.
La préservation du patrimoine naturel ne peut plus être considéré
préservation du patrimoine culturel (matériel et immatériel) dixit
l’agenda 21 (voir chapitre 26). Immatériel bien sûr lorsque l’on parle de
culture ORALE !!!! Que nous apportent les premiers écrits sur le passé
de notre civilisation? Lorsque l’on commence à creuser, à lire et relire
les pages de nos « bibles culturelles », dictionnaires et autres, on imagine cette spiritualité innée du polynésien et l’on ressent alors une sensans la
102
Dossier
sation subtile qui nous parle d'un savoir très grand, maintenant disparu.
On saisit des notions
mythiques, métaphysiques, mystérieuses qui
semblent quelque part détenir des secrets de la connaissance perdue.
Cette connaissance nous parle de quoi, sinon du respect de la relation
de l’homme avec la nature, sinon du respect de la relation de l’homme
vie, de ses rythmes, de ses aspirations, du sacré de la vie et de
la nature, du sacré dans les gestes et les rituels, sinon de la grandeur
avec sa
de la civilisation polynésienne ? Alors pourquoi délaisserons-nous notre
patrimoine immatériel, souffle de vie de notre culture, sens de la vie des
enfants ma’ohi ? Nous sommes sensibles à l’héritage immatériel car
nous savons au fond de nous que le patrimoine immatériel contient un
savoir non explicable qui d’une manière ou d’une autre nous guide et
répare la corde ancestrale déchirée.
Voyez-vous, la préservation de la Vaima est notre humble façon de
revenir à ce grand mystère.
Car revenir aux éléments, à la nature, c’est peut-être aussi un moyen
de renouer avec l’apprentissage subtil de nos ancêtres. Connaître un lieu,
comprendre l’esprit du lieu, apprendre l’utilité de la pharmacopée du lieu,
découvrir les habitudes ancestrales qui y étaient pratiquées. Retrouver la
place de l’homme dans la nature c’est trouver sa place dans ce monde.
Comprendre les propriétés de l’eau. Vaima a été une source guérisseuse,
nombreux sont les témoignages... comprendre la relation d’amour entre
le taata tahiti et l’eau vive, reprendre notre place dans l’ordre des choses,
retrouver nos racines, connaître notre histoire afin de nous sentir mieux
dans notre peau, dans notre vie, dans notre communauté, allier passé,
présent et futur, devenir des polynésiens du XXIème siècle, dont le savoir
nous rendra riches et sages à l’instar du développement durable.
Redevenir des hommes et des femmes hors du commun, embrassant la
mentalité
polynésienne de façon innée. Accomplir des petites tâches,
garder une source propre et permettre à la population d’en jouir
dans une relation harmonieuse avec prise de conscience, n’est-ce pas là
une grande joie, n’est-ce pas là un moyen de se sentir utile et de servir
comme
sa
communauté, de faire avancer le schmilblik ?
103
Littérama’ohi N°14
Moeata Galenon
D’un point de vue plus terre à terre, depuis que nous avons décidé
de nettoyer cet endroit pollué par les baigneurs qui avaient pris pour
habitude de laisser leurs déchets derrière eux, bouteilles de bières et
pahii sales de leurs enfants... il semblerait qu’un nouvelle « catégorie »
de baigneurs viennent faire un tour à Vaima : des grands-parents avec
leurs jeunes mootua. Ils leur parlent de leur enfance dans ces lieux, ils
leur parlent de leur mateinaa, ils leur apprennent à aimer l’eau des rivières. Vaima
rassemble, Vaima guérit, Vaima régénère. Vaima, patrimoine
du grand district des Teva....
Le terrain où avait été prévu le collège pourrait servir de terrain
d’apprentissage pour les élèves des écoles agricoles pour des plantations « bio » de tara, étant donné sa nature boueuse. On pourrait
aussi y développer une pharmacopée, etc, etc....
Un collège ? «
planté » sur une nappe phréatique ? Alors qu’on
peut le mettre sur une autre terre plus appropriée...
L’heure est à la conscientisation.
Une fois par semaine, ceux disponibles vont participer au nettoyage de la Vaima. Vider les poubelles, nettoyer tatahi. Depuis le début
de nos actions Vaima nous a tellement donné. Nous prenons connaissance des légendes, des toponymes, des histoires la reliant à Vaihiria,
nous ramenant encore une fois à
la richesse du savoir ma’ohi.
Quel émerveillement d’être là, après l’effort, le sourire aux lèvres,
pouvoir se rafraîchir à la source, entendre son chant, voir un ‘u’upa ou
un itata’e voler au dessus de nos têtes, profiter de ces moments de
grâce....haaaaaa !!!!! Tahiti i te vai urirau !!!! la pihaa te aroha I!!!
Aroha ia Vaima.
104
hantai T. Spitz
sommes-nous
prêts à hériter notre patrimoine ?
Le patrimoine porte l’idée d’un héritage légué par les générations qui
nous ont
précédés que nous devons transmettre intact aux générations
futures. Il ne s’agit plus ici de propriété personnelle individuelle mais
bien d’un héritage collectif qui nous vient de nos ancêtres. Dans ce cas
précis de nos ancêtres indigènes autochtones des peuples de la
Polynésie française. Que de nombreuses familles du pays portent
simultanément l’héritage d’ancêtres venus d’ailleurs n’empêche nullement d’hériter le patrimoine de femmes et d’hommes de sociétés qui
existaient avant ia conquête et la colonisation.
Il est nécessaire de préciser d’emblée le principe sur lequel se déroule
la réflexion qui tend ce texte
principe anticonstitutionnel lorsque la réflexion se déroule du côté de la
république française une et indivisible
cette république qui dans son impudique désir d’égalisation prétend
appliquer aux peuples indigènes autochtones de la Polynésie française
les régimes de propriété intellectuelle en vigueur en France
sous le douteux prétexte que le préambule de la constitution assure
l’égalité de tous les citoyens devant la loi et ne connaît que le peuple
français composé de tous les citoyens sans distinction d’origine de race
ou de religion
principe fondamental fondateur lorsque la réflexion se déroule du côté
des peuples colonisés. Les textes aussi officiels soient-ils n’ont pu ne
peuvent ne pourront nier notre état de peuples indigènes autochtones
définie comme ci par la Déclaration interaméricaine relative aux droits
des peuples autochtones Les populations indigènes sont celles qui possèdent une continuité historique dans le cadre de sociétés qui existaient
avant la conquête et la colonisation européenne de leurs territoires.
Ainsi cette réflexion se déroule-t-elle sur le principe fondamental fondateur que les peuples de la Polynésie française sont des peuples indigènés autochtones
105
Littérama’ohi N°14
Chantal T. Spitz
pour l’heure part de la république française par conquête et colonisation
mais jamais historiquement géographiquement culturellement peuple
français.
1993 était déclarée année internationale des Nations Unies pour les
peuples autochtones. La même année les neufs tribus de Mataatua
(Aotearoa) convoquaient la première conférence internationale sur les
droits de propriété culturelle et intellectuelle des peuples autochtones à
Whakatane. La déclaration de Mataatua peut être considérée comme le
texte fondateur de la protection des droits des peuples indigènes. De
nombreuses conférences sur ce même thème ont été tenues depuis sur
tous les continents de la planète. Ainsi en 1999 l’UNESCO et la
Communauté du Pacifique organisaient à Nouméa un colloque sur la
protection du savoir traditionnel et des formes d’expression des cultures
autochtones dans les îles du Pacifique dont la Déclaration a été soumise pour approbation à tous les pays et territoires du Pacifique. Ce
texte comprend
la définition du savoir traditionnel et des formes d’expression des cultures autochtones des îles du Pacifique
la position du Pacifique dans le débat international sur la protection des
savoirs traditionnels et des formes d’expression des cultures autochtones
des recommandations relatives à une politique d’harmonisation régionale de la protection des savoirs traditionnels et des formes d’expression des cultures autochtones
des recommandations relatives à la fourniture d’une assistance technique et d’un soutien à un système homogène de protection juridique,
d’identification et de conservation de la culture autochtone et de
contrôle de son exploitation dans les pays et territoires qui sont membres du Conseils des arts du Pacifique
dont le nôtre.
Pour faire suite à cette déclaration une loi type visant à protéger la pro-
priété des savoirs traditionnels et des expressions de la culture des
communautés du Pacifique a été proposée à tous les pays membres du
Conseil des Arts du Pacifique
106
Dossier
dont le nôtre
qui se sont engagés à pendre des mesures concrètes pour son adaptation aux législations particulières et sa mise en application dès que
possible. Curieusement ce texte n’a pas fait l’objet d’un grand intérêt
dans la classe politique
tous gouvernements confondus
ni dans les instances administratives de notre pays. La société civile
malgré une revendication culturelle trentenaire bruyante manque d’organisations structurées de protection des savoirs traditionnels alors
qu’elle est saturée d’associations culturelles de tous genres.
Enfin le 18 mars 2007 entrait en vigueur la Convention sur la protection
et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée en
2005 par l’Unesco. Ce texte est présenté comme un instrument juridique international contraignant. La vocation de la Convention est de renforcer les cinq maillons inséparables de la même chaîne, à savoir la
création, la production, la distribution!diffusion, l’accès et la jouissance
des expressions culturelles véhiculées par les activités, biens et services culturels.
Cette convention entend notamment
réaffirmer le droit souverain des Etats d’élaborer des politiques culturelles
reconnaître la nature spécifique des biens et services culturels en tant
que porteurs d’identité, de valeurs et de sens
renforcer la coopération et la solidarité internationales en vue de favoriser les
expressions culturelles de tous les pays.
Cette convention constitue - après la Convention de 1972 concernant la
protection du patrimoine mondial, culturel et naturel et celle de 2003
pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel - l’un des trois
piliers de la préservation et de la promotion de la diversité créatrice.
Elles renforcent l’idée de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la
diversité culturelle (2001), selon laquelle la diversité culturelle doit être
considérée comme
«
patrimoine commun de l’humanité » et sa
défense comme un impératif éthique inséparable du respect de la
un
«
107
Littérama’ohi N°14
Chantal T. Spitz
dignité de la personne humaine ».
Ces textes choisis parmi une multitude d’autres n’ont trouvé aucun écho
parmi les instances dirigeantes de notre pays plus préoccupées à protéger leurs intérêts particulier qu’à protéger l’héritage commun. Ce
manque d’intérêt et de volonté politiques pour la protection de nos droits
n’est pourtant pas étonnant lorsque l’on fait le bilan de la protection des
sites et monuments historiques et culturels qui continuent au mieux
d’être délaissés abandonnés oubliés
pire d’être détériorés saccagés éradiqués
malgré les réglementations que l’on dit en vigueur.
au
Devant l’inertie officielle des associations s’efforcent dans tout le pays
de protéger des sites matériels menacés par des projets publics ou privés sous couvert de développement
palliant ainsi l’insupportable légèreté politique. Quelques projets d’inscription sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’UNESCO sont
ainsi menés par des associations dans l’espoir que cette inscription
sera gage de protection effective.
Pourquoi un pays qui ne protège pas son patrimoine matériel protègerait-il son patrimoine immatériel ?
Mais parler protection de patrimoine implique de s’engager dans des
domaines qu’en général nous préférons éviter pour cause de corrections diverses. Notamment les notions
d’autodétermination des peuples indigènes autochtones
de reconnaissance que les peuples autochtones du Pacifique constituent des peuples uniques et distincts nonobstant leur statut politique
(Consultation régionale sur les connaissances et les droits de propriété
intellectuelle des peuples autochtones du Pacifique - Suva Fiji 1995)
de rapports économiques entre les grandes puissances industrielles et
les peuples indigènes autochtones. Aussi la remise en question des
régimes de droits de propriété intellectuelle en vigueur qui selon la
déclaration de Mataatua sont le reflet d’une conception et d’une prati-
108
Dossier
que : colonialistes, en ce sens que les instruments des pays développés sont imposés de manière à permettre l’appropriation des ressources et des peuples autochtones ;
racistes, en ce sens qu’ils déprécient et minimisent la valeur de nos systèmes de connaissance ;
usurpatrices, en ce sens qu’il s’agit essentiellement d’une forme de vol.
La déclaration des
peuples autochtones de l’Asie réunis à Sabah -
Malaisie orientale en 1995 relève Le régime des droits de propriété
intellectuelle en vigueur est perçu comme une nouvelle forme de colonisation et une tactique de la part de pays industrialisés du Nord pour
semer la confusion dans
l’esprit des peuples autochtones et les amener
à abandonner la lutte qu’ils mènent en vue de faire reconnaître leurs
droits sur les terres et toutes leurs ressources, aussi bien celles du sol
et de l’air que du sous-sol.
Les peuples autochtones ne retirent aucun avantage du régime de
droits de propriété intellectuelle. Les connaissances et ressources
autochtones s’appauvrissent et sont exploitées par des tiers étran-
gers qui se les approprient,
notamment des sociétés multinationa-
les, des institutions, des chercheurs et des scientifiques qui cherchent à réaliser des profits et à retirer des avantages d’un contrôle
monopolistique.
Mais parler protection de patrimoine dans un pays conquis colonisé
impose de remettre en question des actions des attitudes des façons
érigées en droits. Ainsi la notion de peuple français unique empêche les
peuples indigènes autochtones de la Polynésie française de mettre en
oeuvre les principes énoncés par les cent cinquante représentants des
quatorze pays présents à Whakatane - Aotearoa.
Nous,
Déclarons que les peuples autochtones du monde ont le droit de décider de disposer d’eux-mêmes et que,
dans l’exercice de ce droit, ils
109
Littérama’ohi N°14
Chantal T. Spitz
doivent être reconnus comme tes dépositaires exclusifs de leurs biens
culturels et intellectuels ;
Insistons pour que les premiers bénéficiaires des connaissances
autochtones (...) soient les descendants autochtones directs de ces
connaissances.
Ainsi revendiquer avec la déclaration de Mataatua que nous avons en
tant que
peuples indigènes autochtones de ia Polynésie française le
droit de disposer de [nous-mêmes] et que, dans l’exercice de ce droit,
[nous devons] être reconnus comme les dépositaires exclusifs de [nos]
(...) que les premiers bénéficiaires des
connaissances autochtones (...) soient les descendants directs de ces
connaissances passerait au mieux pour un racisme primitif de mauvais
goût au pire pour une xénophobie primaire de mauvais aloi. C’est pourtant pour ces droits que nous devons lutter ensemble pour éviter de
continuer d’assister impuissants aux pillages répétés de notre patrimoine par des citoyens du peuple de France et des peuples d’Ailleurs.
biens culturels et intellectuels,
C’est ainsi que Tahiti est désormais le nom d’une gamme française de
produits pour le bain. C’est ainsi que nombre de nos légendes sont réinterprétées et éditées sans qu’aucun crédit ne soit porté aux sources
écrites ou orales. C’est ainsi qu’un groupe français vendant entre autres
matériels des centrales nucléaires se nomme ‘Areva. C’est ainsi que le
mono! désormais monoï de Tahiti bénéficie d’une appellation d’origine
contrôlée interdite aux indigènes autochtones qui ne le préparent pas
selon la recette dûment déposée pour l’obtention du brevet d’appellation. Pire. Pendant la semaine du mono! on a vu des marnas montrer et
expliquer leurs recettes traditionnelles pendant que des citoyens français non indigènes autochtons en prenaient consciencieusement
note.C’est ainsi que le salon made in fenua présente des tïfaifai ou
autres articles décorés de motifs traditionnels fabriqués et vendus par
de non indigènes autochtones citoyens français. C’est ainsi que des
marques de surfwear utilisent des motifs traditionnels pour donner dans
la mode ethnique que Teahupo’o et Ta’aroa ornent shorts et tee-shirts.
110
Dossier
C’est ainsi que le dernier jeu de gratte de la française des jeux se
nomme va’a. C’est ainsi que toutes les découvertes de l’institut Malardé
au crédit de la France. Qu’en est-il des recherches du
laboratoire d’agronomie de Papara et des laboratoires de l’université ?
sont portées
C’est ainsi que c’est ainsi que c’est ainsi que. C’est ainsi que les dépositaires exclusifs de ces biens qui devraient en être les premiers bénéficiaires se voient volés avec la complice bénédiction de l’état français.
Mais parler protection de patrimoine dans notre pays impose d’éviter les
regards complaisants jusqu’alors de mise dans l’utilisation touristicocommerciale que nous faisons ou laissons faire de nos biens culturels
et intellectuels. C’est ainsi que notre administration
de compétence du pays
participe de bon coeur au festival tattoonesia pendant lequel nos motifs
traditionnels sont pillés tandis que nous pillons les motifs traditionnels
de nos cousins du Pacifique. C’est ainsi que les flambants pick-up nissan arborent fièrement sur leurs flancs des motifs marquisiens accompagnés de Te Aito devenu un modèle japonais. C'est ainsi qu’aucune
mesure de protection n’est prise pour éviter la contrefaçon de nos tïfaifai en Asie ni en interdire l’importation. C'est ainsi que notre gouvernement accepte de bon coeur qu’usines et fabriques non indigènes
autochtones s’installent et produisent huile de tamanu et dérivés ou jus
de nono et produits dérivés sans en reverser part des bénéfices. C’est
ainsi que c’est ainsi que c’est ainsi que. C’est ainsi que les dépositaires
exclusifs de ces biens qui devraient en être les premiers bénéficiaires
se voient volés avec la complice bénédiction des gouvernements indigènes autochtones de la Polynésie française.
Bien sûr on oppose à ce raisonnement qu’il s’agit de fondamentalisme
de communautarisme voire de xénophobie. Mais c’est toujours l’argu-
mentation avancée pour ne pas entamer un véritable dialogue. On
entend même dire que c’est un repli sur soi voire un refus de partager. Demander la protection d’un patrimoine et le respect de celui-ci
contre toutes les formes de pillage de déformation devient donc par ce
111
Littérama’ohi N°14
Chantal T. Spitz
raisonnement spécieux un acte blâmable et communautariste. Loin de
refuser le partage il s’agit au contraire de poser avec calme les origines
d’un
patrimoine témoin d’un génie créatif unique afin que puisse se
transmettre en toute conscience en toute confiance cet héritage venu
de si loin dans la reconnaissance des dépositaires exclusifs.
Mais parler protection de patrimoine dans une société qui continue de
se voir au travers du
regard de l’Autre impose de poser des questions
mal venues qu’il ne fait pas toujours très bon oser. Avons-nous hérité de
? Désirons-nous en hériter ? En assumons-nous l’héritage ? Désirons-nous le protéger le faire vivre pour le transmettre afin
que nos enfants en héritent à leur tour ?
notre patrimoine
intrinsèquement indissolublement liés. Qui ne connaît son histoire ne peut hériter de son patrimoine.
Patrimoine et histoire sont intimement
Dans un pays où l’amnésie collective est érigée en art subtil de ne pas
vivre avec plénitude son état d’indigène autochtone
nous ne
connaissons de notre histoire d’avant le contact de notre his-
toire d’après le contact que la version écrite de l’encre des vainqueurs
désireux de justifier leurs exactions
nous savons de notre histoire
contemporaine celle réécrite des paroles
des politiques désireux de justifier leurs
üütions.
Dans un pays où l’autopéjoration collective est érigée en forme futile de
vivre avec joyeuseté son état de peuple enfant
nous ne
retenons de nos expressions culturelles que celles autorisées
par les vainqueurs
danses chants
pour nous ancrer dans le mythe philosophique
reprenons de nos expressions culturelles celles utiles à notre
autopromotion
sports traditionnels marche sur le feu
pour nous fonder dans le mythe touristique.
Dans un pays où la déshérance collective est érigée en dogme frigide
nous
112
Dossier
de vivre avec intolérance son état de peuple chrétien
nous ne jurons que par la foi imposée par les armes d’évangélisateurs
frénétiques
guerre civile niée
nous diabolisons la profonde spiritualité de nos ancêtres indigènes
autochtones.
Un patrimoine ne s’hérite qu’en entier. Un patrimoine ne s’hérite que
lorsqu’il est assumé par ses héritiers légitimes. Nous sommes
indigènes autochtones de la Polynésie française
sangs mêlés identité unique
les uniques dépositaires de ce patrimoine
entier. Il nous appartient de l’hériter
entièrement. Il nous appartient de l’assumer de le défendre de le fructifier de le transmettre.
Dans ce drôle de pays où l’on se définit sans porter le nom du pays qui
nous
porte
dans ce drôle de pays où l’on s’origine dans un pays étranger
dans ce drôle de pays où l’on ne parle pas la langue du pays
dans ce drôle de pays où l’on folklorise son peuple
dans ce drôle de pays où l’on exotise sa culture
dans ce drôle de pays
le nôtre
qui n’est même pas un pays
prêts à hériter la profondeur l’étendue l’épaisseur du
patrimoine qui se tient derrière les miroirs dressés par l’Autre
sommes-nous
ou
continuerons-nous
mieux nous perdre
encore
et encore de brandir ces miroirs pour
?
113
Littérama’ohi N°14
Stéphanie Ariirau Richard
Si près de la vague,
Nous vivons si près de la vague, grand frère
Sakré2
à Serge Galenon
E faufa’a ’ore ta ‘oe parau
Tiarei,
Novembre 2006
Qui c’est qui vous a chiés ? Hein
vous a chiés
V
? C’est maman ! C’est moi qui
!...
Cent fois au moins, j’étais si près de la vague. Si près de m’éiancer, si près de me propulser, si près d’aller si loin. Comme les autres, je
suis née ici, j’ai étudié là-bas, je suis morte au creux... au creux de cette
île, entourée de vagues.
va
! Et toi, le taïoro3, bon à rien,
ordinateur ! Tu laves tes slips
toujours devant ton
! C’est la loi ici ! Taïoro !
1 Ta
parole ne sera pas prise en considération, ne sera pas considérée comme un bien,
comme un
patrimoine...
2 sacré
2 Insulte
114
albophobe, xénophobe.
Ecritures
Là en face de cette maison qui pue de sa présence, pleine de moi-
sis, faite avec des planches pourries, qui s’effritent comme du sable
humide, les vagues s’enlisent dans les coraux entassés, dans un poste
de télévision jeté, dans des bouteilles en
plastique. Les vagues sont
passives en face de cette violence, elles sont sourdes aux paroles des
sorcières, elles sont presque plates, elles sont presque soumises. Elles
sont fatiguées, elles viennent de loin, de l’horizon.
Et toi ! À ton âge, sans homme
! Personne voudra jamais de toi !
! il est où maintenant ?
Au Chili ! Si l’autre t’a cassé la gueule à l’assemblée, c’est pour une
histoire de cul ! Bien fait pour ta gueule !
Si t’es dans ia merde, c’est à cause de ton vieux
Cent fois j’étais si près de la vague. J’aurais pu y plonger, dans le
creux de son
roulement, j’aurais pu ouvrir les yeux sans craindre son
sel. J’aurais pu servir mon pays, comme je l'ai rêvé. Mais ia vague a
refusé de m’emporter.
Et vous ià ! Vous allez m’écouter ! Qui c’est qui gouverne
vous a chiés
? Qui
? Qui vous a chiés ! Sakkarré va !
Cent fois j’ai souhaité qu’elle crève par où elle a péché. J’aurais
aimé qu’elle crève du cancer de la langue, de mycoses infectées au
vagin, cent fois j’aurais aimé posséder la parole fatale pour couper le
son, pour couper sa voix, pour qu’elle se taise, pour qu’elle arrête de
boire.
Et la sorcière au corps sec, l’ex miss aux jambes de cures dents,
le string découvrant deux fesses molles et plates, saisit un morceau de
bois qui traîne au sol. La jeune fille courbe le dos et la sorcière frappe,
voir le clou
qui traverse le bois, clou même pas noir presque
rouillé, placé là par la haine, et son cousin, le destin. Et la jeune fille crie
sans
«■
Maman arrête !
»
115
Littérama’ohi N°14
Stéphanie Ariirau Richard
Qui c’est qui t’as chiée ! Qui c’est qui t’as mise au monde
!
Si près de la vague, je l’ai vue se protéger de la main, j’ai senti le
clou l’écorcher. Pénétrer ce bout de chair de ton enfant, qui n’avait pas
ramassé les pehu4, qui préférait écouter le vent. Mais la sorcière n’avait
pas fini de frapper, comme un androïde, elle pliait et relevait le bras.
Nous les corps éponges, on absorbe toute la haine, on ferme notre
gueule, on gonfle de colère et puis la haine nous dévore, et le monde
perd ses couleurs. Et quand on sort de chez nous, il faut faire comme
si tout allait bien, comme si tout était normal, comme si les tupa5 ne
pourrissaient pas sous nos lits, près des tas de linge dans ce fare6 perforé par les mites, perforé par le mythe.
Mon frère, tu vis si près des vagues. Et cet enfer où il n’y a pas de
mains tendues, ni de lianes à attraper, n’a pas d’issue. La famille te fuit
quand tu es seul, le pays me maltraite quand je pars trop longtemps. Et
nous les laissons nous parler comme si nous ne savions rien, comme
si nous avions tout à apprendre. Et pourtant je persiste à écrire et toi,
tu continues à l’aimer. Toute cette violence enkystée, ces mutilations au
coupe-coupe, ce gamin de 14 ans qui frappe sa prof avec les poings,
ces deux filles à peine pubères qui s’étranglent l’une l’autre en fin de
classe, cette femme qui aboie comme un chien, qui montre les crocs et
qui crispe ses mains. Rien ne ressemble à Gauguin.
Et notre sorcière, celle qui vit sous ton toit,
celle qui saisit ses
deux filles à la nuque, pour leur apprendre à nager, elle leur maintient
la tête sous les vagues, jusqu’à ce que leurs bras de gamines tapent,
de l’oxygène pour vivre, jusqu’à ce que des témoins
t’appellent à leurs secours. Et cette femme puamotu7 qui pue l’alcool,
de l’oxygène,
4 Dans ce
cas, feuilles mortes.
5 Crabes
6 Maison
7 Des îles Tuamotu
116
Ecritures
mon
frère, qui rentre la nuit, qui veut poignarder ta fille avec ce cou-
elle court chez les gendarmes, elle
porte plainte et elle revient, elle croise les jambes cure dents et roule
sa cigarette, Bison. Tu as perdu ton sang froid, tu as le cœur gros, tu
penses à tes enfants.
teau de cuisine. Tu la frappes,
Si près de la vague, les enfants du pays sont si près des vagues.
Mais jamais elles ne les emportent loin d’ici. Peuple d’écorchés vifs
massés au monoï à la sortie du ventre de leurs mères. Les imposteurs
sont si près d’eux, qui se font passer pour eux, parlent à leur place, stig-
matisent le mal ailleurs, hexagonal, peuple d’écorchés vifs où chaque
mensonge brûle un peu plus leur vie.
C’est l’explosion d’un peuple ancestral, guerrier, cruel, saisi au car-
refour de cette civilisation qui a voulu le polir avec la pierre ponce, avec
le mythe, avec la culpabilité. Civilisation de la raison qui culbute la civi-
lisation des émotions. De la haine qui bondit, incontrôlable, comme le
chien fou et rancunier, au coin du chemin. Cent cinquante ans plus tard.
Toi et moi, on porte les visages de la civilisation nouvelle et celle
qui nous insulte quotidiennement est une ancêtre. Peut-être que c’est
pour cela que tu n’arrives pas à la haïr, que tu la laisses boire, battre tes
filles, que tu la laisses t’amoindrir.
pieds et poches trouées, je marche près de nos
vagues, mon frère, en espérant qu’un jour l’une d’elle me saisira. Elle
sera immense, elle sera puissante, elle me soulèvera par les pieds.
Ecumeuse et bleu velours, elle rugira sous moi. La vague me propulsera
là où je dois être, elle enroulera autour de mon corps un film humide et
tiède, je me laisserai faire. Je n’attends qu’elle, depuis cent ans déjà. Ce
jour-là arrivera où ma parole sera notre héritage, grand frère.
Savates
aux
Si
près de la vague, les rêves subsistent. Les rêves d’amour
m’empêchent de vivre. Je rêve d’amour et quand j’ouvre les yeux, tout
117
Littérama’ohi N°14
Stéphanie Ariirau Richard
est vide, tout est corail, tout nous écorche, tout me rappelle que nous
sommes
seuls, échoués, sur cette immensité d’eau salée, réserves
lacrymales de notre civilisation pour le jour de paix. Il faudrait tout casser, grand frère. Il faudrait les tuer, pour avoir la paix.
L’alcoolique s’est épuisé le corps et la voix, la maison est silencieuse, tout le monde cloîtré dans son coin, on essaye de faire comme
si on n’existait pas. Je rêve d’une cale sous cet enfer, où l’on pourrait se
réfugier dans les tempêtes. Tempêtes de grains de sable. Paroles de
grains de sable emportés par le vent qui se collent sur le blanc de nos
yeux, qui s’infiltrent dans nos narines.
Comme ça la sorcière ne criera plus, elle ira dans la cuisine. Elle
s’assoira sur une de ces chaises de plastique blanc toute sale. Elle croisera
les jambes, roulera sa cigarette de tabac Bison.
Elle pensera à sa putain d’indépendance, fausse et misérable,
défendue par des imposteurs qui font rêver les écorchés vifs, à cette
liberté qu’elle nous a volée,
femme libre au sang de bière, elle qui
dépend de ton chéquier, de ta voiture, de ton terrain. Elle pensera à son
homme politique. Elle se croira puissante. Elle me toisera de haut, moi
et mes diplômes cartonnés et blanc cassés qui n’ont plus de sens dans
ce pays qu’elle connaît mieux que moi. Qui sont les vrais guerriers,
mon frère ? Ceux qui frappent, ou ceux qui persistent à exister dans
le rejet ? Comme toi, comme moi.
Non loin d’elle, il y a la mer et la rivière. Il y a aussi un pied de Tiare
où l’on retrouve trois bouteilles de vin vides rejetées par l’ivresse pathé-
tique de la femme puamotu qui crie sur nous.
Non mais, hein ? Qui c’est qui vous a chié ? hein ?... c’est moi qui
commande ici, c’est moi qui dis... Plus personne ne l’écoute, sauf peut-
être le diable qui me suit depuis ma seconde naissance. Ici à Tahiti. Ses
insultes résonnent dans le cœur de notre matrone exilée. Demain soir,
118
Ecritures
quand la femme puamotu rentrera de tatahis, qu’elle traversera la route
sans rien dans le ventre que sa bière Hinano et tous les vers mous et
anxieux de son enfance, moi et tes enfants nous ferons semblant de
dormir, pour ne pas qu’elle vienne, pour ne pas qu’elle nous agresse.
Nous la verrons marcher vers la maison, nous nous mettrons sous les
draps humides et troués, toutes les trois et puis nous fermerons les
yeux.
Et au travers des murs en carton, je l’entendrai t’insulter, toi, mon
grand frère. Je l’entendrai te salir. J’absorberai tout pour toi grand frère
et la haine se nourrira des aboiements de la sorcière ancestrale. Ses
échos
s’engouffreront dans notre passé, sous cette dalle cimentée
intacte depuis le feu.
Je penserai à nos moments d’enfances à nous, bercés dans l’ennui et l’éloignement de ce Fenua, bercés dans le respect imposé par
notre matrone tiède et douce,
bercés dans le rêve d’une île qui n’a
jamais existé. Et ton silence sera plus fort que sa voix. Si près de la
vague, grand frère, mes illusions parfois se sont tournées vers toi.
Encore quelques secondes, encore quelques siècles si près de la
vague et ma parole sera, un jour, notre héritage.
® Côté mer
119
Littérama’ohi N°14
Marie-Claude Teissier-Landgraf
À la recherche du pardon
(pour NC)
Terii, assis sur le rebord d’une plateforme herbeuse, attire vers lui
de jute, et extirpe un ananas mûr : le premier de sa première
récolte. Il entaille le fruit en diagonales tout en le faisant rebondir dans
un sac
sa
paume. L’ananas se dégorge d’un jus odorant et sirupeux aussitôt
lapé par le propriétaire qui se délecte tout en admirant son fenua (sa
terre). Temps présent, sans début, sans fin. Dans la vallée qu’il domine
du regard, une plantation de jeunes nonos (noni) s’étale sur plusieurs
hectares. Aux croisements des chemins qui sillonnent le sol en tous
sens, des papayers font rougir leurs fruits sous leurs couronnes de feuilles dentelées. Plus loin, barrant l’horizon, une colline de terre rouge
offre au soleil ses rondeurs rayées de bandes vert bronze alignées au
cordeau. Dans
quelques semaines, elles seront tachetées de jaune
En contemplant ce paysage, il sent son corps s’échapper. Se confondre. Il est chaque carré de
cet espace. Plénitude ou vide total ? Qu’importe. Seule compte l’émotion d’être immensément, divinement en accord avec tout ce qui l’entoure. À l’exception d’une chose, cependant.
Une surface défrichée, nue et plane, jouxte le cours d’eau caché
derrière des bosquets de purau (arbres). À quoi sert-elle ? C’est lui qui
l‘a faite et qui l’a voulue ainsi. Comme ça. Après une nuit agitée...
L’arôme du basilic sauvage et du mélinis surchauffés monte, l’end’or. « La récolte d’ananas sera magnifique ».
cercle en bouffées violentes, accentue son trouble. Des souvenirs sur-
gissent et le font dériver vers un drame qui a chamboulé sa vie et qui
s’était paré des mêmes senteurs. Il y a quarante ans déjà...
Fils unique, il avait dû travailler sur la plantation familiale sitôt après
avoir obtenu son diplôme du Brevet Elémentaire. Mais le garçon voulait
profiter de sa vie insouciante de taure’are’a (jeune homme). Cela
120
Ecritures
échauffait les oreilles de son père, un agriculteur infatigable et un pilier
de
temple. Une fois, ils s’étaient affrontés en plein midi, en pleine
brousse. C’était la saison du mariage de la vanille et Terii avait refusé
d’en assumer l’entière responsabilité ; le travail effectué avec plusieurs
équipes situées dans différents endroits de la vallée était épuisant et
ingrat. Il avait sciemment envenimé la querelle afin d’entendre son père
vociférer :
Haere rapae ! ( Va t’en)
Il n’attendait que ça. Il était monté le soir même sur la goélette en
—
partance vers Tahiti.
Le mécontentement de vagues parents peu désireux de l’héberger
chez eux à Papeete l’avait poussé à travailler sur le site de Moruroa. Fiu
(las) de son île, il s’en,était évadé pour aller vivre sur un îlot ! Il en rit
encore. Cependant le dépaysement avait été garanti. Cela grouillait de
français en uniformes, tantôt vomis, tantôt happés par un ballet incessant d’avions militaires. Le boulot était dur mais la nourriture suffisante.
C’est la paye qui valait le coup ! Il s’était découvert des aptitudes d’éco-
grâce à un copain farani (français) - boursicoteur invétéré qui l’avait initié au calcul des intérêts, ainsi qu’à la manipulation des planome avisé
cements financiers.
—
en a à
Mon pote, le temps, c’est de l’argent ; et ici, après le boulot, on
revendre. Je vais t’apprendre à faire fructifier ton salaire.
Très apprécié de ses supérieurs, Terii avait bénéficié d’une formation professionnelle continue et, avec les années, avait gravi tous les
échelons de promotion auxquels il pouvait prétendre.
Lors de ses congés à Tahiti, il avait rencontré une jeune fille réservée et sérieuse. Pieuse aussi
: le
mariage avait été obligatoire. Il n’avait
pas invité ses parents pour la cérémonie : aucune envie de revoir son
père ; et sa mère ne serait pas venue sans son mari. Alors...Un haussement d’épaules avait réglé la question.
sus
Sa femme possédait un immense terrain sur les hauteurs au-desde la capitale. Celui-ci, viabilisé en lotissement avec des maisons
louées au personnel du CEA (Centre d’Energie Atomique), avait contribué à l’ascension sociale du couple. Leur maison familiale avec piscine
121
Littérama’ohi N°14
Marie-Claude Teissier/Landgraf
et grand jardin permettait de recevoir des amis et d’entretenir des rela-
tions intéressantes. Leurs bringues, réputées et courues par les farani
et les « demi
ses
vogue, faisaient leur l’orgueil. Madame se rendait à
activités religieuses et charitables dans une voiture luxueuse dont
» en
elle changeait tout le temps de modèles. À chaque fois plus volumineux
et plus brillant que le précédent.
Un jour, le père mourut subitement. Terii fut effondré en pensant à
tout ce qu’il aurait aimé lui dire. Sa vieille colère disparut. À sa place sur-
git tout l’amour qu’il ne lui avait jamais donné. Il se sentit coupable et fut
habité de remords incessants qu’il dut apprendre à étouffer car, autour
de lui, le monde continuait à tourner.
Peu de temps après le début de sa retraite, une phrase changea de
nouveau sa vie :
—
Monsieur vous êtes atteint d’un cancer.
Constatant avec son médecin
qu’il n’avait jamais fait de grands
écarts de conduite pour sa santé physique, il fut interloqué de s’entendre dire que parfois un grand amour que l’on a refoulé et même nié
durant toute une vie peut se révéler à la longue très nocif pour le corps
humain. Terii avait caché son désaccord, par politesse. Il n’avait aimé
que sa femme. « Bizarre parfois ces idées de popa’à (hommes blancs).
Où vont-ils les chercher ? »
Il fut soigné en
France. À son retour, des anciens travailleurs de
Moruroa l’approchèrent. Son cancer était dû aux essais nucléaires. Les
militaires avaient menti sur leur innocuité. Il fallait qu’il s’associe et qu’il
manifeste avec eux. Terii leur promit de réfléchir. En fait il avait envie de
savourer
chaque instant, chaque minute, chaque heure, chaque jour qui
lui restait à vivre. Mais son entourage l’en empêchait. Certains le mettaient en garde contre ceci, contre cela, « pour son bien ». D’autres,
avec leurs yeux
remplis de curiosité mélangée à de la peur, vitriolaient
leur question doucereuse : « Alors ça va ? ».
Un dimanche, lors d’un grand tama’ara’a (repas) organisé chez lui,
toute la flopée d’invités l’agaça prodigieusement : il aurait aimé recevoir
des marques
122
d’amitié ou d’intérêt pour lui,
pas pour sa
maladie.
Ecritures
Impatienté, il déposa au milieu de la table le plat rempli de fafaru (poisfermentés) et clama à la ronde :
Voilà ma maladie. Demandez lui comment elle se porte. Et puis
posez-moi toutes les autres questions que vous voulez.
Cela jeta un grand froid. Aux regards que ses enfants lui adressèrent, il sut qu’ils lui garderaient toujours rancune. Une fois les invités
partis, la famille se querella. En un éclair Terii perçut beaucoup de vérités : il avait vécu en parallèle avec sa femme et ses enfants ; ceux-ci
étaient des étrangers, accrocs à l’argent, aux choses matérielles afin de
paraître, d’esbroufer autrui. Qui était-il vraiment ? Qu’une créature mentalement solitaire et physiquement en point d’interrogation. Il refusa de
perdre son temps :
Jusqu’à présent j’ai fait mon possible pour être un bon mari, un
bon père, un bon ami pour vous tous ici. Et bien ce temps-là-là est fini.
Je retourne vivre dans mon île, sur ma terre. Pour y faire quoi ? Inutile
sons
—
—
de me le demander. Ceci est mon histoire.
—
Tu aurais pu m’en parler avant ! s’était insurgée sa femme.
Comment aurait-il, fait ? Il venait à l’instant de se décider. En
aveugle.
Et, tout comme auparavant, il partit par bateau. L’avion aurait brusqué les choses. Son île et lui-même devaient s’apprivoiser avec une
lente douceur : tant d’années les avaient séparés.
Sa première visite fut pour un tumu uru (arbre à pain) qui avait
recouvert son pufenua (placenta) considéré comme étant son jumeau
de gestation et de naissance. Son père l’avait enterré sous cet arbre
afin que ce dernier nourrisse et protège l’enfant. Il avait ainsi perpétué
le rôle nourricier de la terre familiale envers son fils. Terii, en enserrant
le tronc du tumu uru, sentit l'énergie de cet arbre couler dans ses vei; il désira vivre pendant des siècles sur leur bloc de terre et voulut se faire pardonner son abandon. Il se mit avec passion au travail.
nés
Papa U, un ami de son père, lui enseigna l’histoire de ses tupuna
(ancêtres), et celle - cachée aux profanes - des lieux sacrés. Le vieux
lui dit également :
123
Littérama ’ohi N ° 14
Marie-Claude Teissier/Landgraf
C’est par le travail de tes mains que tu obtiendras ce que tu
cherches. Tes mains qui pétriront la terre que tu porteras ensuite à tes
—
narines pour la renifler, pour découvrir ses humeurs et ses vertus. Tes
mains qui découvriront les pierres à enlever, les petites sources souterraines échappées de la rivière, les herbes indicatrices de fertilité. Tes
mains qui obéiront à des ordres qui ne seront pas les tiens.
Terii suivit les conseils, se fit attentif et se laissa imprégner par l’es-
prit de son fenua. Sa vie acquit d’autres dimensions, plus vastes et plus
ne se sentait toujours pas heureux. Pourquoi ? Ce
n’était pas faute d’en chercher la raison. Et cela l’agaçait.
Un jour, alors qu’il inspectait un champs de nonos situé en bordure
de rivière, le soleil sembla briller soudainement plus fort que d’habitude.
Une voix venue de nulle part se mit à susurrer :
Ici, tout sera possible... Si tu répares le terrain.
Que voulait-elle dire ? Avant de s’endormir il la supplia de s’expliquer dans un songe et réitéra sa prière chaque soir jusqu’à ce qu’il soit
subtiles. Mais il
—
enfin exaucé.
Le rêve lui fit vivre la scène d’une partie de pétanque où son père
y jouait. Terii se réveilla avec l’esprit nostalgique et confus, en répétant
«
répare le terrain ». Il décida d’obéir à cet ordre et rasa la plantation
de nonos à cet endroit. Un gros manque à gagner. Sa femme qui l’avait
rejoint - c’était une épouse chrétienne - s’emporta. Elle en avait assez
de ces histoires païennes ! À cause d’elles leur maison n’avait pu être
! Tout ça, parce que d’après
Papa U, cela coupait le passage des esprits des ancêtres qui descendaient de leur montagne pour s’amuser à pêcher des chevrettes dans
la rivière. C’était du n’importe quoi ! Pourquoi son mari obéissait-il à ce
ta’ata etene (sauvage) ? Terii avait bien vu ces tupapa’u (revenants) en
allant pisser la nuit dans le jardin, mais n’avait pas pipé mot : c’était son
monde secret. Pour en revenir à ce fameux terrain qui faisait jaser le voisinage, toujours rien ne se passait. Terii était retourné voir Papa U pour
lui demander conseil. Ce dernier lui avait répondu qu’il ne pouvait pas
l’aider : il s’agissait d’un travail à faire avec sa propre conscience et il fallait être patient. “Patient ? Avec cette maladie ! “
construite à l’endroit qu’elle avait voulu
124
Ecritures
Son ananas est dégusté depuis longtemps. Terii a planté la tête
feuillue en terre. Pour faire continuer la vie, même quand il ne sera plus
là. C’est la première fois qu’il va jusqu’au bout de sa recherche, qu’il
accepte de se souvenir des moindres détails de cette dispute où il
s’était montré particulièrement injuste et odieux. La revivre lui fait très
mal. Il pleure avec ses larmes de taure’are’a et avec celles de
l’orphe-
lin. À gros bouillons. Soudain il comprend que cet amour qui ne s’est
jamais exprimé et qu’il a tenté d’oublier - de détruire même - ne
concernait pas une femme, mais son père. Il hurle dans la nature :
Papa, où que tu sois, entends-moi, écoute-moi. Je te demande
pardon de t’avoir fait souffrir en abandonnant notre fenua (notre terre),
en t’abandonnant aussi. J’étais
jeune. J'avais honte de travailler la terre
vis-à-vis des copains qui me racontaient plein de choses sur leur vie à
Tahiti, qui avaient toujours de l’argent. Et moi, j’entendais toujours les
mêmes histoires et je n’avais que quelques tara
(argent) en poche. Je
voulais découvrir une nouvelle vie et gagner une paye. Tranquille.
Papa,
tu vois, je fais revivre notre fenua qui ne m’a pas gardé rancune. J’ai
reconstruit ton terrain de pétanque. Il n’est et ne sera que pour toi.
Toujours. S’il te plait, fais-moi signe. Un signe de pardon.
Le soir, en se couchant, il se sent semblable à une vieille
serpillière.
Il ne peut dormir. Dehors, le clair de lune l’appelle. Terii se
dirige vers la
rivière puis s’immobilise. Il y a du bruit là-bas. Il
s’accroupit derrière un
arbre. Des hommes surgissent des purau en échangeant des plaisanteries. Ils tiennent dans leurs mains des boules qui étincellent sous le ciel.
Ce sont les copains de jeux de son père. Et lui, où est-il ? Il
l’aperçoit.
S’avance. «Papa, papa» appelle t-il. Mais ce dernier ne lui prête aucune
attention, tout comme ses amis. La partie terminée, tout le monde
repart comme il est arrivé. De retour chez lui Terii s’endort en pleurant.
—
Le lendemain au réveil une voix murmure :
—
Avec l’amour exprimé, tout sera possible.
La lune levée, Terii retourne au terrain. Son père, ses
copains sont
là. Statufiés. À regarder l’intrus qui se dirige vers l’un d’entre eux. Terii
parle haut et fort afin d’effacer en public la peine et l’affront d’antan.
Papa, j’ai été méchant et injuste lorsque je me suis disputé avec
—
125
Littérama’ohi N°14
Marie-Claude Teissier/Landgraf
toi. Puis j’ai été coupable de te renier. En réalité je n’ai jamais cessé de
t’aimer. Je t’aime et je t’aimerai toujours. Pardonne-moi. Je t’en supplie.
Alors le père fait signe de venir, serre son fils contre lui, puis propose dans un sourire :
Tu veux bien faire équipe avec moi ?
—
Et dans la brousse, Papa U qui a assisté à toute la scène, rit de
plaisir.
Le temps du pardon
Terii s’essoufle. Sa transpiration lui brûle les yeux. Encore quelques
marches et, de sa plateforme en terre, il dominera son royaume. À tra-
brouillard, il aperçoit son fare (maison) : un toit fait de feuilles de
cocotiers tressées et d’une cloison de panneaux de bambous ppur le
vers un
protéger des vents dominants. Enfin ! Son lit. En réalité celui de son père
: une antiquité en fer torsadé, surmontée d’une moustiquaire. Il s’affale
dessus en pousssant un grand Han ! Terii sort pèle avec sa machette un
petit ananas mûr qui devance sa première récolte. Après chaque entaille
le fruit rebondit dans la paume, dégorgeant un jus sirupeux aussitôt lapé
par l’homme qui se délecte. «Que c’est bon ici d’avoir soif».
Sa gourmandise le rattache à sa terre fenua* (terre familiale). Le
bonheur pur et intense éprouvé au sein de ses a’au* (entrailles)
confirme cette naissance à l’envers. Ce n’est plus la douleur de l’arrachement à sa mère ni celle de la coupure de son pufenua* (placenta),
mais le sentiment de plénitude accompagnant le retour vers la source
de sa vie, vers le divin. Il est revenu chercher refuge auprès de son
patrimoine ancestral qui n’a pas gardé rancune de sa désertion. Au
contraire. Deux collines rouges offrent au soleil leurs rondeurs hérissées de rangées de feuilles vert bronze alignées au cordeau. «La
récolte d’ananas sera magnifique». Quelle fierté ! Dans la vallée qu’il
126
Ecritures
domine du regard, une plantation de nonos* (noni) s’étale sur plusieurs
hectares. Aux croisements des chemins qui sillonnent le sol en tous
sens, des papayers font rougir leurs fruits sous leurs couronnes de feuil-
les dentelées.
Une surface totalement défrichée et plane, équivalente à celle d’un
terrain de football, jouxte la rivière qui se cache derrière des bosquets
de purau* (arbres). Cette nudité le rend perplexe, à la limite du malaise.
Pourtant c’est lui qui l’a voulue et qui la faite, contrairement à tout bon
sens et
malgré l’incompréhension générale de ses proches. L’arôme du
basilic sauvage et du mélinis surchauffés monte en bouffées violentes,
l’encercle, et accentue
son
trouble. Les mêmes senteurs l’avaient
accompagné sur le chemin du départ. Il y a bien longtemps. Il y a quarante ans déjà...
Sa jeunesse lui faisait dénigrer tout ce qui l’entourait, l’école en particulier. Il l’avait quittée tout de suite après avoir obtenu son diplôme du
Brevet Elémentaire. Pourtant on le disait intelligent. Mais il voulait profiter de sa vie insouciante de taure’are’a* (jeune homme). Cela échauffait
les oreilles de son père, un agriculteur infatigable et un pilier de temple.
Un
jour, ils s'étaient affrontés pour un motif apparemment anodin.
C’était la saison du mariage de la vanille et Terii refusait d’en assumer
l’entière responsabilité ; le travail qui s’accomplissait en plusieurs équipes était épuisant et ingrat. Lejeune homme avait sciemment envenimé
la querelle afin de pouvoir monter sur la première goélette en partance
vers Tahiti.
de
Le mécontentement de vagues parents se sentant obligés
l’héberger à Papeete- l’avait poussé à s’enrôler dans ie premier
groupe de travailleurs en partance pour Moruroa. Fiu* (las) de son île, il
s’en était évadé pour aller vivre sur un îlot ! Il en rit encore.
Cependant le dépaysement avait été garanti. Cela grouillait de français en uniformes, vomis puis happés par un ballet incessant d'avions
militaires. Le travail était dur mais la nourriture suffisante. La paye, sur-
tout, valait le coup ! Il s’était découvert des aptitudes d’économe avisé.
Un copain farani* (français) l’avait initié au calcul des intérêts, puis à la
valeur de certains placements financiers.
127
Littérama’ohi N°14
Marie-Claude Teissier/Landgraf
Mon pote, le temps c’est de l’argent ; et ici, après le boulot, on
—
en a à
revendre. Il faut le faire fructifier. Je vais t’apprendre.
Il se souvient de la fébrilité générale qui précédait les tirs, de son
admiration effarée à la vue de chaque champignon céleste, bien qu’il
était interdit de se retourner pour le regarder. Bah
! On leur avait dit que
toutes les garanties de sécurité avaient été prises. Il faisait confiance.
Très apprécié de ses supérieurs, il avait bénéficié d’une formation professionnelle sur le tas et, avec les années, avait gravi tous les échelons
auxquels il pouvait prétendre.
Lors d’un congé à Tahiti, il avait rencontré une jeune fille réservée et
sérieuse. Pieuse aussi. Le mariage avait été obligatoire. Il n’avait pas
averti ses parents pour la cérémonie : aucune envie de revoir son père ;
et sa mère ne serait pas venue sans son mari. Alors... Un haussement
d’épaules avait réglé la question. Avec sa femme l’ascension sociale
avait vite progressé : beau terrain sur les hauteurs proches de la capitaie et jolie maison avec piscine. La naissance et l’éducation de trois
enfants n’avait pas freiné l’acquisition d’autres terrains, la construction
d’autres maisons aussitôt (bien) louées aux familles employées par le
C.E.P.* Sa femme se rendait à ses activités religieuses et charitables
dans une voiture 4X4 dernier modèle, car elle en changeait tout le
temps. Chaque nouveau véhicule était plus volumineux et plus brillant
que le précédent.
Puis le père mourut subitement. Ce fut l’effondrement pour Terii qui
se mit à penser à tout ce qu’il aurait aimé lui dire ; sa vieille colère disparut comme par magie. A sa place surgit tout l’amour qu’il ne lui avait
jamais donné. Il se sentit coupable et fut habité de remords incessants
qu’il dut apprendre à étouffer car, autour de lui, le monde continuait à
tourner.
Bien plus tard, juste peu de temps après le début de sa retraite, une
phrase changea de nouveau sa vie :
—
Monsieur vous êtes atteint d’un cancer.
Constatant avec son médecin
qu’il n’avait jamais fait de grands
écarts de conduite pour sa santé physique, il fut interloqué de s’entendre
128
Ecritures
dire que parfois un grand amour que l’on a refoulé et même nié durant
toute une vie peut se révéler à la longue très nocif pour le corps humain.
Terii, avait tu son total désaccord, par politesse. Il n’avait aimé que sa
femme. «Bizarre
parfois ces idées de popa’a* (hommes blancs). Où
vont ils les chercher ?»
Il fut soigné en France. A son retour, des anciens travailleurs de
Moruroa
l’approchèrent. Ce qui lui arrivait était la faute des essais
nucléaires. Les militaires avaient menti sur leur innocuité. Il fallait qu’il
s’associe et qu’il manifeste avec eux. Mais Terii se sentait encore très
fatigué et leur promit de réfléchir :
—
Plus tard...
En réalité il avait pris la décision de savourer chaque instant, cha-
que minute , chaque heure, chaque jour qui lui restait à vivre. Mais son
entourage l’en empêchait. Pourtant tout le monde agissait par bonté.
Certains, paniqués par ce mot inavouable, étaient convaincus qu’il ne
guérirait jamais : ils le mettaient en garde contre ceci, contre cela,
«pour son bien». D’autres, avec leur yeux remplis de curiosité mélangée
à de la peur, vitriolaient leur question doucereuse : «Alors ça va ? »
Le malade, habituellement ignoré dans les rues de Papeete, était
abordé par des inconnus : il était devenu le sujet d’actualité des cornmérages locaux.
Un Dimanche, lors d’un grand tama’ara’a* (repas) chez lui, toute la
flopée d’invités l’agaça prodigieusement : il aurait aimé recevoir des
marques d’amitié ou d’intérêt pour lui, pas pour sa maladie. Impatienté,
il déposa au milieu de la table une assiette remplie de fafaru*(poissons
fermentés) et clama à la ronde :
Voilà ma maladie. Demandez lui comment elle se porte. Posez
moi toutes les autres questions que vous voulez.
Cela jeta un grand froid. Plus personne ne lui parla. Pire. Au regard
que son fils lui jeta, il sut que le gamin ne lui pardonnerai jamais ce
mouvement d’humeur. Plus tard, vers la fin du repas, ils se disputèrent
violemment pour une futilité. En un éclair Terii perçut beaucoup de vérités :
sa femme, ses enfants, étaient des étrangers aux modes de vie incompréhensibles ; il possédait beaucoup de choses, mais c’était surtout pour
—
129
Littérama’ohi N°14
Marie-Claude Teissier/Landgraf
esbroufer autrui ; qui était-il vraiment ? Si ce n’est - il le ressentait
cruellement - une créature vulnérable guettée par la lassitude à cornbattre sa maladie. Alors il s'écria
—
un
une deuxième fois
:
J’ai des projets. Jusqu’à présent j’ai fait mon possible pour être
bon mari, un bon père, un bon ami pour vous tous ici. Et bien ce
temps là est fini. Je retourne vivre dans mon île. Pour y faire quoi ?
Inutile de me le demander. Ceci est mon histoire.
—
Tu aurais pu
m’en parler avant ! s’était exclamé sa femme,
vexée.
Comment l’aurait-il fait ? Il venait à l’instant de se décider.
Et tout comme avant, il partit par le premier bateau. Vers son île.
L’avion aurait brusqué les choses. Il savait qu’il lui faudrait du temps et
de la douceur pour qu'ils s’apprivoisent l’un l’autre. Tant d’années les
avaient séparés.
Sa première visite fut pour un tumu uru* (arbre à pain) qui avait
recouvert son pufenua considéré comme étant son jumeau de gestation
et de naissance. Son père l’avait enterré sous cet arbre afin qu’il nour-
risse et protège l’enfant. Il avait ainsi perpétué le rôle nourricier de la
terre familiale envers son fils. Cette tradition, en faisant aussi de l’héri-
tier un bon cultivateur, les avait intimement liés l’un à l’autre. Terii en
enserrant le tronc du tumu uru sentit la force de cet arbre couler dans
ses veines. C’est avec
passion qu’il choya sa terre fenua.
C'était plus facile qu’avant, avec toutes les machines modernes et
argent qui monnayait des travailleurs. En homme avisé, il
planta à grande échelle de l’ananas, du nono et fit revivre les corossols
et les citronniers. Tahiti était friand de tout cela. Il retrouva Papa U*, un
ami de son père qui lui enseigna l’histoire de ses tupuna* (ancêtres) et
les vraies légendes. Terii se laissait imprégner par l’esprit de son coin de
terre et par celui de son île. Sa vie acquit d’autres dimensions, plus vastes et plus subtiles. Mais il ne se sentait pas profondément heureux.
Pourquoi ? Ce n’était pas faute d’en chercher la raison. Et cela l’agaçait.
Un jour, alors qu’il se promenait en plein midi dans son champ de
nonos pour observer la croissance des fruits, il lui sembla que le soleil
avec son
130
Ecritures
brillait soudainement plus fort que d’habitude. Une voix venue de nulle
part se mit à susurrer :
Ici, tout sera possible.
La première fois il crut qu’il avait été victime d’une légère insolation. Cependant il revint le lendemain au même endroit, à la même
heure, comme poussé par une force irrésistible. La voix répéta :
Ici tout sera possible si tu répares le terrain.
Que voulait-elle dire ? Avant de s’endormir il la supplia de s’expliquer dans un songe et réitéra sa prière chaque soir jusqu’à ce qu’il soit
enfin exaucé .Un rêve lui fit revivre la scène de dispute avec son père
qui s’était produite lors d’une partie de pétanque. Il se réveilla en prononçant la phrase «Répare le terrain.». Il prit le parti d’obéir aveuglément à cet ordre. C'est ainsi qu’il rasa la plantation de nonos sur près
—
—
d’un hectare. Un gros manque à gagner. Sa femme qui l’avait rejoint
dans l’île - c’était une épouse de devoir - explosa de colère. Elle en
avait assez de ces histoires de l’époque païenne. Déjà à cause d’elles
sa
maison n’avait pu être placée à l’endroit qu’elle voulait. Soit-disant
que aprèscela coupait le passage des esprits des ancêtres qui descendaient de leur montagne pour s’amuser à pêcher des chevrettes dans
! Terii avait bien vu ces tupapa’u*
(revenants) mais n’avait rien dit : c’était son monde, son jardin secret.
Pour en revenir à ce fameux terrain de pétanque qui faisait jaser tout le
voisinage, rien ne se passait depuis que les travaux étaient terminés.
Découragé, Terii alla demander conseils à Papa U. Ce dernier lui répondit qu’il ne pouvait pas l’aider : il s’agissait d’un travail à faire avec sa
propre conscience. Il fallait être patient. «Patient !...»
la rivière. C’était du n’importe quoi
Son ananas est dégusté depuis longtemps. Terii a planté la tête
feuillue en terre. Pour faire continuer la vie, même quand il ne sera plus
là. C’est la première fois qu’il va jusqu’au bout de sa recherche
,
qu’il
accepte de se souvenir les moindres détails de cette fameuse dispute
où il s’était montré particulièrement injuste et odieux. Jusqu’à présent il
avait refusé de reconnaître cette vérité. Par orgueil. La revivre lui fait très
mal. Il pleure de nouveau avec ses larmes de taure’are’a et avec celles
131
Littérama’ohi N°14
Marie-Claude Teissier/Landgraf
de l’orphelin. Soudain il comprend que cet amour qui ne s’est jamais
exprimé et qu’il a tenté d’oublier - de détruire même - ne concernait
pas une femme, mais son père. Il hurle dans la nature :
Papa, où que tu sois, entends moi, écoute moi. J’ai reconstruit
ton terrain de pétanque ; il n’est que pour toi. Comme avant. Viens jouer
avec tes copains quand tu le voudras.
En se couchant il se sent brisé de fatigue, mais ne peut dormir.
Dehors le clair de lune l’appelle. Terii se dirige vers la rivière puis s’arrête. Il entend du bruit par là-bas et s’accroupit derrière un arbre. Des
joueurs de pétanque surgissent des purau en échangeant des plaisanteries. Quelle n’est pas sa stupéfaction de découvrir que ce sont les
copains de jeux de son père. Et lui, où est-il ? Il l’aperçoit. «Papa,
papa» appelle t-il. Mais ce dernier ne lui prête aucune attention, tout
comme ses amis d’ailleurs. La partie terminée, tout le monde repart
comme il est arrivé. De retour chez lui le sommeil le prend enfin. Au petit
—
,
matin avant le réveil, la même voix lui dit :
Avec le pardon tout sera possible.
Le lendemain soir Terii retourne au même endroit. Ils sont tous là,
—
immobiles et muets, à regarder l’intrus qui s’avance vers l’un d’entre
eux.
Papa, j’ai été méchant et injuste lorsque je me suis disputé avec
toi ici même. Puis j’ai eu tort de te renier toute ma vie. En réalité je n’ai
—
jamais cessé de t’aimer. Je t’aime et je t’aimerai toujours. Pardonne moi.
Je t'en supplie.
Alors le père fait signe de venir, serre son fils contre lui, puis prépose dans un sourire :
Tu veux bien faire équipe avec moi ?
Et dans la brousse, Papa U qui a assisté à toute la scène, rit de
plaisir.
—
132
Ecritures
Glossaire
Ni’au
:
palmes de cocotier
Fenua
:
pays, terre, terre familiale
A’au
:
entrailles, siège des émotions
Pufenua
:
placenta
Nono
:
noni, Morinda citrifolia
Purau
: arbre
Taure’are’a
:
adolescence, jeune homme (fille)
Fiu
:
las, en avoir assez
Farani
:
Français
C.E.P
: Centre
Popa’a
:
étranger de race blanche
Tama’ara’a
:
repas, banquet
Fafaru
:
poisson fermenté dans de l’eau de mer
Tumu uru
: arbre à
pain Artocarpus altilis
Papa U
: surnom
affectueux pour les personnes âgées
Tupuna
:
ancêtres, aïeuls
Tupapa’u
:
revenant, fantôme
Hibiscus tiliaceus
d’Expérimentation du Pacifique
133
Littérama’ohi N°14
Jean-Claude Icart
Un fragment d’aurore boréale
Simeoni n’en croyait pas ses yeux. C’est comme si un fragment
d’aurore boréale ne s’était pas estompé avec l’aube et, se détachant
très nettement sur l’azur du ciel pur d’Iqaluit, dansait devant lui dans le
matin hyperboréen.
Comme à chaque année, il avait fui la ville dès que la température
Iqaluit comptait désormais plus de 7,000
quand le thermomètre dépassait les 6 degrés Celsius, l’atmosphère devenait tout simplement étouffante. Il installait alors sa tente à quelques kilomètres, sur une butte surplombant un ruisseau, afin de profiter de la fraîcheur de la brise marine.
Là, il pouvait jouir pleinement du grand air, des grands espaces,
contempler les vallons de roches brunes où s’accrochent ici et là de
petites touffes de verdure, seule végétation de cette région au dessus
de la ligne des arbres.
avait commencé à grimper.
habitants et dans un tel environnement,
Il aimait observer le va et vient des camions dans la baie.
Durant
l’été, la fonte des glaces permettait l’arrivée de grands cargos char-
gés jusqu’à ras bord car il fallait profiter au maximum de cette fenêtre d’opportunité. Faute de quai, ils jetaient l’ancre en plein dans
la
baie et à marée basse, les camions se rendaient jusqu’aux navires
le déchargement. Ils interrompaient les opérations à marée
les bateaux se retrouvaient en pleine mer, à
quelques centaines de mètres du rivage, avec près de dix mètres
d’eau sous la coque. Et le ballet reprenait avec la prochaine marée
pour
montante et bien vite,
basse.
La baie gelait en hiver mais, à cause du mouvement des marées,
rives n’était pas vraiment plane. Quand on s’en
approchait, on avait une impression de chaos, comme si des vagues
la surface près des
134
Ecritures
avaient gelé et étaient restées figées dans leur mouvement. Plus au
nord, les fjords réservaient une surprise agréable au printemps. À
marée basse, on pouvait creuser une ouverture dans la carapace de
glace et, muni d’une torche et d’un grand sac, descendre sur le fond de
mer
littéralement jonché de coquillages de toutes sortes. C’était alors
le temps de ramasser des moules à loisir et se préparer ainsi les plus
joyeux festins du Grand Nord.
La trajectoire de la tache de couleur l’intriguait. Elle bougeait de
façon imprévisible, suivait un tracé complètement extravagant. On ne
retrouvait pas dans son déplacement la régularité typique de l’ondulation des aurores boréales. C’est comme si, coupé de son ensemble
naturel, le fragment était devenu ivre.
À l’écart de la ville, il y avait une sorte de parc de stationnement
pour les
chiens de traîneau.
Ils restaient là, attachés à un long
câble, car c’eut été trop dangereux de laisser ces animaux quasiment sauvages entrer dans la ville. Quand on leur apportait à manger, un autre ballet commençait. Des corbeaux essayaient de les
distraire juste assez longtemps pour que d’autres puissent leur voler
des morceaux de viande. C’était toujours fascinant d’observer ce jeu
des corbeaux et des chiens et d’apprécier les incroyables ruses de
ces volatiles.
Ces chiens farouches furent depuis des millénaires les meilleurs
amis de l’homme dans ce désert de glace où la moindre erreur peut être
fatale. Véritables « locomotives des neiges », ils permettaient de parcourir en traîneau les grandes étendues blanches de cet enfer à la
beauté infinie, où il fallait recourir à des dizaines de mots pour dire les
multiples couleurs et consistances de la neige. Ils étaient les alliés les
plus sûrs pour déjouer les multiples pièges de l’interminable hiver arctique, ceux à qui il fallait savoir faire confiance pour chasser au clair de
lune ou retrouver son chemin dans les tornades de neige et de cristaux
de glace.
135
Littérama’ohi N°14
Jean-Claude Icart
Ils savaient attendre le chasseur
pendant les longues heures,
ce territoire indomptable. Ils savaient l’aider à repérer les trous creusés par les phoques
pour respirer périodiquement. Que de perles de patience et d’ingéniosité, dans le froid et le vent, pour attraper le phoque dans une mer
recouverte d’une couche de glace épaisse de deux mètres ! Ce
renard de l’océan peut détecter le moindre frémissement à la surface
de la banquise sur laquelle se déplace le chasseur! Quand on en
attrapait un, on savait alors que l’animal avait vraiment décidé de se
donner pour assurer la survie des fils de l’homme. Et il convenait de
tout en le protégeant des divers dangers de
l'en remercier.
Certains pensent à tort qu’il n’y a que les rats et les hommes à pouvoir vivre sous toutes les latitudes à la surface de la planète. Il n’y a pas
de rats (et quasiment pas d’insectes) dans le Grand
nord. Le climat
inhumain est bien trop rude pour eux et ce sont les corbeaux qui assument les tâches qu’ils accomplissent plus au sud et sont mêmes capa-
blés de jouer au chat et à la souris, en inversant les rôles.
Les anciens
pensent que le corbeau, malin, débrouillard et facétieux, est un proche
parent de l’humain, qu’ils ont des formes différentes mais des caractères similaires.
Les anciens pensent aussi que le corbeau fut le premier oiseau à
enseigner aux Inuit le chant et la danse. Son cri devint une base récurrente de leurs chants de gorge et les mouvements majestueux de son
vol, un motif de leurs danses. Les chasseurs interrogent le corbeau pour
savoir trouver l’ours. Du haut des airs où il plane majestueusement, il
balaie la toundra de son regard pénétrant puis penche les ailes dans la
direction où la chasse sera fructueuse.
Les vrais chasseurs savent
alors approcher l’ours d’assez près pour lui lancer le javelot directement
dans la gueule ouverte afin de ne pas abîmer la fourrure.
Simeoni continuait à suivre l’évolution irrégulière et saccadée du
fragment coloré. Parfois, il disparaissait, comme s’il était tombé sur le
136
Ecritures
sol puis repartait de plus belle.
On aurait dit une petite fleur emportée
par le vent, une petite fleur à qui aurait poussé des ailes.
Le court été est la saison de la migration des immenses troupeaux
de caribous. Les chasseurs se déplacent alors vers l’intérieur des terres, guidés par les multiples assemblages de pierres qui parfois rappel-
lent
la forme d’un être humain, les inukshuks, qui balisent la toundra
innombrables beautés. C’est le temps
du bœuf musqué et des
La fin
de l’été est le temps du véritable trésor de l’Arctique, l’omble chevalier
du Grand nord, alors que les poissons anadromes remontent les rivières après avoir passé des semaines à se gaver dans la mer.
aux
oiseaux migrateurs, le temps des baies sauvages et des herbes.
Mais le milieu de l’été est aussi la saison des grandes oies métalliques qui savent elles aussi voler en formation, qui savent elles aussi
profiter de ces espaces démesurés pour voler à ras le sol puis effectuer de superbes acrobaties dans le ciel. Leur ballet est ponctué périodiquement de puissantes détonations quand elles vont bien trop vite,
mais ces déflagrations ne dérangent que les renards, les bœufs musqués, les ours, les chiens de traîneau, les caribous, et les chasseurs.
Elles font désormais partie du paysage au point où les sculpteurs qui
travaillent la pierre à savon les représentent au même titre que les
bœufs musqués, les oies, les ombles, les ours, les corbeaux ou les
phoques.
Les choses avaient véritablement commencé à changer durant la
seconde guerre mondiale. Ce fut d’abord la grande base militaire pour
faciliter le ravitaillement des troupes alliées en Europe, la route aérienne
par le pôle étant bien plus économique. Puis ce fut la construction d’un
réseau de postes d’observation pour surveiller l’adversaire soviétique et
occuper cet immense territoire. Ensuite, ce fut l’installation d’un centre
d’entraînement pour les pilotes du plus bel avion de chasse, le F-18. La
grande piste devint même une option d’atterrissage pour le super planeur capable d’aller dans l’espace et d'y revenir.
137
Littérama’ohi N°14
Jean-Claude Icart
D’autres changements bien plus subtils se faisaient au niveau du
sol, d’abord tranquillement mais le rythme s’était accéléré durant les
dernières années au point où Simeoni sentait parfois qu’il perdait pied.
Bien sûr, bien des nouveautés avaient permis d’améliorer grandement
le quotidien mais il y eut aussi de véritables aberrations, comme les
pensionnats où nombre d’entre eux furent abusés physiquement et culturellement. Puis de nombreux chiens se mirent à mourir mystérieuse-
ment, et la motoneige arriva. Ce fut le coup de foudre.
L’Inuit comprit
parti qu’il pouvait tirer de ces machines, comme
l’Indien des plaines quand il vit pour la première fois le cheval introduit
en Amérique par les Européens.
immédiatement le
Mais, arriva ce qui arriva. L’intense activité aérienne finit par percer
un
immense trou dans la couche atmosphérique au-dessus du Grand
nord et la guerre froide provoqua ainsi le réchauffement de la planète.
La glace de la banquise devenait chaque année plus mince et les ours
plus maigres. Dans certains villages, on avait déjà observé que les pilotis sur lesquels reposent les maisons s’enfonçaient en raison de la fonte
du
pergéiisol. Ce qui était désormais menacé, c’était le soubassement
même de cette culture unique du toit du monde, ce lieu où la lune et les
étoiles sont à portée de la main, ce lieu où parfois le soleil refuse de se
coucher ou de se lever, ce lieu d’où l’on peut véritablement «
ser tout l’univers
embras-
».
Ce n’était bien sûr pas un fragment d’aurore boréale mais c’était du
jamais vu sous ces latitudes. Le vol irrégulier de la fleur ailée annonçait
de terribles bouleversements : Simeoni avait aperçu le premier papillon
à s’aventurer dans l’Arctique !
138
i/loetai Brotherson
La naissance du temps
Là le temps n’existe pas. Maintenant est semblable à Demain, d’ailleurs ces mots là n’existent pas.
Les êtres et les choses,
posés côte à côte ; leurs mouvements
n’engendrant ni d’avant ni d’après.
Droite, gauche, dessus, dessous, devant, derrière
seuls axes
...
dans un monde sans durée.
A vrai dire, si le temps n’existe pas, c’est que personne n’y songe ...
La mort elle même n’est pas l’aboutissement d’une chronologie
mortifère.
Au lieu de cela, il est admis que l’on passe de l’état mobile à celui
d’immobile.
La naissance non plus ne signifie pas le commencement d’une vie.
Au lieu de cela, il est admis que l’on passe de l’intérieur du monde
à l’extérieur.
Un chasseur, assis sur un rocher contemple la baie de Maro’e, sur
le chemin du retour.
Son gibier sur l’épaule il croise une jeune fille qui se baigne dans
une vasque.
Dans l’air le parfum des fleurs de Mape se mélange à l’odeur de la
terre humide.
Dans l’eau la lumière joue une ronde délicate autour de la belle aux
cheveux mouillés.
Sur l’épaule du chasseur, le poids de la bête mesure la force de
l’homme. Il marche.
Son pas agile mais puissant est pareil au martèlement du grand
pahu. Il s’arrête.
139
Littérama’ohi N°14
Moetai Brotherson
Dédaignant l’animal il pose un genou près de la vasque et d’une
main prend de l’eau pour se rafraîchir.
Qui de la fille ou de la vasque l’attire, fragile mais décidée ? Peu
importe. Il entre dans l’eau.
Troublées par l’émoi des corps, ou par la brise, des fleurs de mape
se détachent et blanchissent la surface.
Au dessus, les bras de l’homme enserrent la jeune fille. Les mains
larges fouillent sa chevelure.
Au dessous, telles les lianes de la rivière, deux jambes graciles
étranglent une taille puissante.
Lui, maître de leur danse aérienne, elle, régnant sans partage sous
la surface. L’espace est bien divisé.
Sortant de l’eau la jeune fille s’allonge et le sommeil en provenance
des étoiles se pose sur elle. Elle dort.
Le chasseur ramasse toutes les fleurs alentour et en recouvre la
dormeuse. Il reprend sa route.
Chacun de ses pas semble alourdir son gibier autant que son âme.
Il se retourne.
Près de la vasque, juste un petit tas de fleurs. Elle n’est pas là.
Longue est la marche qui le ramène chez lui. Et cette fois la distance n’y est pour rien.
Humant l’air salé du bord de mer il veut sentir à nouveau la peau,
sucrée et poivrée à la fois.
Massant la paume de sa main II veut retrouver le grain, la texture,
le moelleux.
Et d’un coup une image naît dans son esprit. Fort de l’avoir voulu,
il vient de se souvenir.
Et avec le souvenir, un nouveau repère surgit, s’imposant maintenant à tous.
Au détour d'une vasque, le temps venait de naître.
140
ean Vanmai
Il était une fois...
Les crabes aux pinces d’or
A l’horizon le plus reculé, aux confins les plus lointains de la planète terre, existait une petite île merveilleuse sur laquelle vivaient de
nombreuses colonies de crabes aux pinces multicolores.
Coexistant en très bonne entente et intelligence,
ils se regroupaient par affinité dans des sortes de tribus respectives, le long du bord
de mer au sable fin et chaud.
Il y avait là la tribu des crabes aux Pinces Brunes, celle des crabes
aux Pinces Noires... Il y
avait aussi la tribu des Pinces Blanches et celle
des Pinces d’Or.
Dans cette île bénie par des fées aux Pinces-Magiques, il n’y eu
durant des siècles le moindre problème et la vie y était des plus agréables.
De par son sérieux, sa ténacité
et son courage au travail collectif
pour le bien de sa communauté mais aussi pour celui de l’île toute
entière, la tribu des Crabes aux Pinces d’Or avait même obtenu la
Médaille des Pinces-Cristallines, la plus distinguée des médailles qui
récompensait la collectivité la plus méritante pour sa contribution effil’intérêt général.
Encouragés par une telle reconnaissance unanime, leurs efforts
furent encore plus importants par la suite et ils réussirent même à ériger sous le bon et agréable sable chaud de l’île, un immense château
aux multiples galeries toutes ornées de pierres précieuses de toutes
cace à
beauté et dont les reflets brillaient de mille éclats.
Cette construction monumentale, orgueil de
aux
la tribu des Crabes
Pinces d’Or et réalisée sous la direction bienveillante des Vieux-
Crabes-Sages, surnommés aussi les Crabes-Anciens, devint très vite
objet d’admiration ; puis suscita même bien des envies au sein des
autres populations crustacéennes de l’île.
Mais cette fierté toute naturelle et si bien méritée ne dura hélas
que peu de temps. Car suite à une période de contentement euphorique,
141
Littérama’ohi N°14
Jean Vanmai
survint malheureusement et très
rapidement un commencement de
lutte d’influence suivie de rivalités intestines provoquées par quelques
crabes qui, bien que n’ayant aucun talent reconnu mais très ambitieux
et trop pressés d’accéder au pouvoir suprême, désiraient en même
temps devenir les véritables maîtres du monumental édifice.
Certains jeunes crabes, les Crabes-Mous, encouragés par toute
cette atmosphère délétère et ayant perdu pour leur part toute notion de
prudence et de patience, disaient déjà à qui voulait bien les entendre :
Place aux jeunes !
Alors cette communauté, tant admirée pour sa cohésion et son
exemplarité depuis des lustres sur l’île, fut transformée de ce fait et peu
à peu en un véritable et pitoyable... panier de crabes !
Navrés de voir leur belle réalisation matérielle se métamorphoser
aussi rapidement en objet de convoitise éhonté, les Anciens dirigeants,
les Crabes-Durs, tirèrent la sonnette d’alarme. Mais rien n’y faisait.
Les discussions sans fin, les tensions, les insomnies puis la fatigue
générale finirent par avoir raison de cette population autrefois si sage et
si raisonnable. Puis l’épuisement physique arriva, hélas, bien plus vite
qu’ils ne l’attendaient et... horreur !... toutes les pinces perdirent peu à
peu de leur belle et resplendissante couleur or pour se transformer au
fil du temps en un jaune terne et sale.
Comme par un malin plaisir et pour compliquer encore davantage
cette situation déjà fort délicate, il y avait aussi malheureusement, parmi
les Responsables-Crabes, un Crabe-Contradicteur qui, afin de se distinguer, disait dès lors et à chaque fois tout le contraire de ce que ses
autres collègues proposaient comme solution ou idée nouvelle, qu’elles
soient bonnes ou mauvaises d’ailleurs.
Il y avait aussi un autre Crabe qui s’évertuait à faire tout ce qui lui
était possible pour empêcher toute réalisation et opération d’envergure
concoctées par ses Camarades-Crabes,
ser une
de peur sans doute de favori-
notoriété au demeurant déjà bien établie de quelques Crabes-
Vedettes de cette tribu.
Bref, face à une telle délicate situation apparut au milieu d’une nuit
Noël et le Jour de l'An, un Crabe-Facteur venant du
sans lune entre la
142
Ecritures
Pince-Ciel, là où se sont retirés tous les Pinces-Anges-Crabes. Il était
porteur d’un message :
Si vous souhaitez retrouver un jour prochain tout l’éclat de vos
Pinces d’Or. Des Pinces aussi belles et brillantes que celles dont toutes
les générations passées ont toujours eu et qui le portaient avec tant de
fierté ! Il faudrait que la sagesse et le respect de chacun retrouvent très
vite leurs places dans votre société et que les mauvaises intentions doivent disparaître à jamais de cette terre bénie des Tout-Puissants
—
Crabes-Pinces !
Depuis cette date jusqu’à ce jour, les descendants des crabes aux
Pinces-d’Or se sont efforcés de se raisonner et de faire tout ce qui est
en
leur pouvoir afin d’aplanir les difficultés, gommer les rivalités, redon-
ner une
âme à leur tribu et une motivation saine à leur raison d’être,
dans l’espoir de retrouver dès que possible l’image de société juste et
généreuse qui était la leur.
Car de tout coeur depuis cette date ils aspirent tous à un grand
retour vers l’âge d’or !
Le reverront-ils ? Réussiront-ils ?... En tout cas, nous le leur souhaitons très vivement. Et en ces temps de voeux nous leur disons avec
toute notre sympathie :
—
Bonne chance ! Bonne et Heureuse année nouvelle de paix, de
tolérance et de fraternité !
143
Littérama’ohi N°14
HP J n’Ml JMWiWÊÎê
Le Voyage vers l’Ouest
en son
ou
et lumière
le Si Yeou Ki inondé de l’année du Singe
En cette année du Singe de l’an 1992, suite à la défection de dernière minute d’un professeur de danse taïwanais qui avait pour habitude
de venir enseigner quelques danses folkloriques pour le Jour de l’An
chinois, mon cousin Léon GIAU, président de la commission culturelle
à SI NI TONG, me demanda de monter un spectacle au pied levé.
Très réticent au départ,
je décidai de céder à son insistance et
relever le défi qu’il me lançait. Je lui soumis une adaptation du fameux
conte chinois
SI YEOU Kl
français sous le titre « Le
Voyage vers l’Ouest ». Cette histoire venait à point puisque nous fêtions
l’avènement de l’année du Singe.
Après les repas du soir de mon enfance, mon grand-père me
racontait sur les quais de Papeete les histoires de Soun Hang Tza, personnage mythique dont les aventures fantastiques me fascinaient à tel
point que, lors de mes études à Paris j’avais pu en trouver une rare traduction en français.
La légende du SI YEOU Kl avait raconte le voyage vers les Indes
à la recherche des livres sacrés du Roi Singe, Soun Hang Tza, avec son
maître le moine Tang Tsen et leurs deux compagnons, Tzou Pak Kai, le
cochon, et Sa Tzen l’Esprit des Sables sorti de la rivière.
Leur périple à travers l’Ouest de la Chine est truffé d'aventures
rocambolesques, parfois d’une truculence rabelaisienne, semé d’embûches tendus par de mauvais démons et de malfaisants génies souvent
changés en belles demoiselles.
«
»
connu en
Elles me donnèrent l’occasion d'écrire une suite de tableaux de la
naissance du Singe en passant par ses frasques dans les jardins cèles-
tes, pour finir par sa punition infligée par l’Empereur du Ciel. Celle-ci
144
Ecritures
était d’accompagner et de protéger son maître le moine Tang Tzen et
ses compagnons.
Je n’avais que l’embarras du choix pour me baigner dans le fantastique. Il ne me restait plus qu’à trouver le fil conducteur enchaînant les scènés théâtrales avec les prestations dansées pour en faire une suite qui
tienne la route. Je pensais que l’histoire était si imagée qu’il me suffisait
de puiser dans les différents épisodes pour en faire un spectacle cohérent
et riche en couleurs. C’était cependant plus facile à dire qu’à faire.
Tout en regrettant âprement d’avoir accepté la proposition de mon
cousin, je dus faire appel à toutes mes ressources littéraires, musicales
pour écrire et enregistrer sur cassette, une sorte de livret illustré par des
danses chorégraphiées par Rose, une des rares personnes du Kuo Min
Tang 1, qui avait du répondant culturellement parlant. Je savais pour
avoir travaillé ensemble avec elle, que Rose, par son expérience dans
la danse, était capable d’assurer la partie chorégraphique.
Une fois le livret écrit, tous les différents épisodes furent enregistrès dans un studio prêté aimablement par Radio 1 (Merci Albert et
Sonia Aline). Pressé par le temps, je devais non seulement être le narrateur, mais aussi la voix de tous les (différents) personnages.
La légende comportait des rôles variés dont je me suis régalé à
inventer les différents registres : de la voix de stentor de Bouddha, à
celle espiègle du Singe en passant par la voix pleine de sagesse du
moine, pour finir par celles aigues des jeunes filles gardiennes du verger des pêches immortelles.
D’où des séances de fou rire mémorables à l’intérieur du studio
d’enregistrement. Mais il me fallait tout réécouter et quelquefois réenregistrer, il y allait de ma crédibilité de metteur en scène, et souvent je me
demandais si je n’avais pas eu tort d’écouter les sirènes de mon cousin
Léon. Grâce à l’aide précieuse d’Alban le technicien de radio, je pus
dénicher dans le fond de sa sonothèque pour publicités commerciales
quelques effets spéciaux sonores, aussi spectaculaires que possible.
Ouragan cosmique oblige, pour impressionner le public, il me fallait
absolument des éclats de tonnerre cataclysmiques et des coups de
gongs célestes à faire éclater les tympans. Pour créer ces bruits d’enfer,
145
Littérama’ohi N°14
Jimmy M. Ly
heureusement que Max avec PARE NUI de la Mairie de Papeete me
promit un éclairage flamboyant et une sono digne d’un concert de rock
des Rolling Stones.
Cette année-là,
malgré nos différends associatifs, en très grand
Seigneur, le peintre François Teriitehau m’avait dessiné des décors
fabuleux... sur papier. De mon côté, je mettais à contribution Rose et
Suzanne de l’association Vahiné Polynésia pour l’intendance et la gestion de tous les danseurs et danseuses et surtout de Sylvain qui tenait
le rôle difficile du Singe. Malgré toute ma bonne volonté, il m’était vraiment impossible d’être partout à la fois.
Comme lieu de scène, que ce soit côté cour ou côté jardin, le parvis du temple chinois de Guandi à Mamao était l’endroit idéal pour la
fin du défilé des Lanternes. Les chaises étant déjà installées pour le
Nouvel An, il suffisait d'un décor minimaliste pour se retrouver dans la
Chine ancienne. Avec son architecture chinoise et éminemment exotique, le temple était la scène rêvée pour jouer le SI YEOU Kl sous les
Di. Tout était donc fin prêt pour que ma
pièce fût un chef d’œuvre d’improvisation qui était bien dans mon
yeux bienveillants de Guan
caractère.
Malheureusement pendant que le public arrivait en nombre du
défilé des Lanternes, le spectacle fut retardé par des incidents techniques imprévus, tels que : oublis de costumes d’enfants et surtout promesses de décors qui n’avaient respecté les exigences scéniques.
Par exemple atterrant: Ainsi vit-on des bénévoles monter sur
scène entre deux tableaux installer pendant vingt minutes les décors
adéquats pour le tableau suivant. Pendant ce temps là, alors que le metteur en scène trépignait à cause d’une mauvaise volonté évidente, le
public toutes ethnies confondues, faisant preuve d’une étonnante cornpréhension, resta bizarrement stoïque sans coups de sifflets intempestifs, sans doute désireux de connaître le déroulement de l’histoire.
Hélas l’orage qui couvait depuis l’après midi n’attendit pas la
conclusion de mon histoire. Un coup de vent furieux, la pluie en orage
tropical s’abattit comme avec rage sur les jardins du temple noyant le
spectacle et le public qui s’égailla à qui mieux mieux.
146
Ecritures
Une de ces pluies qui allait durer toute la nuit sans discontinuer. Il
manquait alors trois tableaux avant de conclure. J’étais frustré et désemparé à la fois. Je pensais que je n’aurais plus d’autre occasion pour
présenter la pièce que j’avais eu tant de plaisir à écrire et à monter.
Il n’y avait plus personne à l’intérieur des jardins du temple. A la
console technique, je restais seul avec mon désastre, à contempler
cette pluie qui noyait mes rêves, même si ce fiasco était indépendant
de ma volonté. J’en voulais à tout le monde, au temps, à toutes ces choses que je ne pouvais pas contrôler.
Ce soir-là, je suis souvenu de Woody Allen qui disait adorer le
moment de l’écriture, car c’était le seul moment où il pouvait maîtriser
et contrôler toutes les phases de la création de son œuvre. La réalité de
la mise en scène et de la représentation avec tous les impondérables
qui leur sont inhérents ne pouvaient pas encore s’opposer à celle virtuelle et si omnipotente de son imagination.
En écoutant le chant de la pluie noyant mon chagrin, mon cœur
s'efforçait de coopter avec ma déception qui était immense. C'était ma
première pièce, ma première mise en scène où, à ma façon, je défendais et je transmettais aussi mon patrimoine.
Ce devait être un triomphe, même si je savais que je mettais en
danger. Mais je n’avais pas peur de ce risque là, puisque j’avais tout
prévu. Sauf que je ne pouvais pas prévoir l’impondérable. Ce fut une
belle leçon d’humilité.
me
Epilogue :
Même si je savais que les représentations des spectacles du
Nouvel An chinois étaient uniques (et aussi gratuites, c’était là leur
charme), j’espérais au fond de moi obtenir une nouvelle chance pour
prouver que ma pièce tenait la route. Le Singe et le moine me devaient
une revanche. Je ne savais pas qu’elle se présenterait l’année suivante,
lors de l’année du Coq.
Mais comme dit Rudyard Kipling, « Ceci est une autre histoire ».
A suivre.
147
Littérama’ohi N°14
Catherine Laurent
Rapa Nui
Les soirs du monde
Les soirs du monde
Avec eux je les ai eu
Sous les nuages changeants de l’île
J’ignorais comment ensuite
Les autres soirs de ma vie
Je les vivrais
Si loin de l’île
Et des danses de ceux
Qui m'avaient offert
Le chant de la vie.
La solitude
Jamais aussi loin
Dans la solitude de l’océan
Je n’étais allée
Dans le creux des îles
J’ai dormi
J’ai appris à entendre le vent
Le souffle du temps
La solitude
148
Certains cris d’êtres perdus
Dans les ténèbres
Mais de terre aussi lointaine
Perdue loin du regard des hommes
Veillée par des statues de pierre
Jamais je n’en avais rencontrée.
La caresse de la danse
Ce que les femmes font avec leurs pieds
Dans la danse
Sur le sol
Est une caresse musicale
Un accord donné à la vie
Une libre acceptation
C’est l’existence dans sa vérité
Qu’elles saluent ainsi
Dans ces si petits et si subtils
Pas dansants.
Tapati
Dans le soleil couchant
Hanga Roa danse
Multitude d’enfants
Sans couleur
Où sont les hommes peints
Ceux qui habitaient Orongo
Littérama’ohi N°14
Catherine Laurent
Et les femmes dont la voix hachée
Scandait l’histoire d’Hotu Matua
Tapati chante et danse
Beaucoup de folklore
Seul dans le corps peint
Des hommes jeunes
Vibre encore
Le mana des Moaïs.
Les herbes le long du chemin
C’est à Hanga Roa
Que j'ai retrouvé
Les soirées longues
La lumière tard le soir
Sur les êtres et les lieux
L’impression de posséder les soirées
Comme des vies entières
Et le parfum si doux
Des herbes le long des chemins
Quand les cavaliers mènent leurs femmes
Vers les plaisirs et les danses.
Obsidienne
Nous aurons ramassé
Sur les chemins de l’île perdue
Des petits éclats noirs de pierre taillée
De petits blocs gris de pierre brute
150
Cette matière qui donne à la terre
Sa densité
Son calme
Sa profondeur
L’obsidienne si foncée
Pourtant traversée
De tant de lumière
Reposera dans ma maison
Et le calme régnera
Sur mes nuits désormais
Sans attente.
Aucune trace
Je laverai mon visage
Avant de partir
Qu’il n’y reste aucune trace
De mon attente
De mon plaisir
Mes pieds seront propres
Ni restera ni poussière
Ni fatigue
Tous ces pas que j’ai fait
Vers toi
Vers eux
Qui sont restés vains
Mais qui ont agrandi
L’espace de mon corps
Y déposant
Une lumière intense.
Littérama ’ohi N ° 14
Robert Sullivan
Robert Sullivan is
a
member of the Maori tribes
Nga Puhi of
Northland in New Zealand and Kai Tahu of the South Island. He is also
of Galway Irish descent. He has received several national New Zealand
literary awards and honors for his multi-genre work.
His last three books of poetry, “Star Waka” (1999), “Captain Cook
in the Underworld” (2002), “Voice Carried My Family” (2005), are published by Auckland University Press. His book retelling Maori myths and
legends, “Weaving Earth and Sky” (illustrated by Gavin Bishop) was
published by Random House NZ in 2002.
His next book of poetry, Shout Haa! to the Sky, is forthcoming from
Salt Publishing, Cambridge UK, in 2008.
He is the director of the Creative Writing program in the English
Department at the University of Hawai’i, Manoa.
Robert Sullivan fait partie de la tribu Maori Nga Puhi de /’/7e du
Nord et de la tribu Kai Tahu de l’île du Sud de la Nouvele-Zélande. Il a
également des ascendants Irelandais. Il a reçu plusieurs prix et hon- ■
neurs pour ses œuvres littéraires.
Ses trois derniers recueils de poésie, « Star Waka » (1999),
«
Captain Cook in the Underworld » (2002) « Voice carried my family »
(2005), sont publiés par Auckland University Press. Son livre sur les
mythes et légendes Maori « Weaving Earth and sky » (illustré par Gavin
Bishop) a été publié par Random House NZ en 2002.
Le recueil de poésie « Shout Haa ! to the sky » sera publié chez
Salt Publishing de Cambridge en 2008.
Il est Directeur du programme ‘Creative Writing’ de la Faculté de
Lettres de i’Université de Hawai’i, Manoa.
152
Poésie
Varna tupu
The equivalent Maori phrase to the Tahitian
is wairua tupu, spirit of growth. Beautiful
beautiful Ma'ohi people, tangata whenua.
I see their images in a journal, a photo of Henry Hiro
who calls on the tangata to write! Write in English!
Write in French! Write in Tahitian! Which
reminds me of Ngügi wa Thiong’o’s challenge
to change the world and of Ken Saro-Wiwa’s
Ogoni star dancing in the blackness of heaven
and of Haunani-Kay Trask’s sharkskin rhythms
calling out Pele in her people and Albert Wendt’s
spiraling caul of liquid fire.
We connect ourselves with poems of struggle,
hearts hammering like Martin Espada’s father,
fear embraced and set free by Joy Harjo. I serve
Cervantes. He sat down on his backstep
near 60, one-armed, two whole teeth in his head,
and began to write Don Quixote said W.S.Merwin
as he
began a reading here. Allen Curnow
recited to me “I the poet William Yeats”
and Robert Kroetsch read with the heart
of a young man, while Margaret Atwood’s eras
poems rested their wings with me. Write out the lives,
write them alive, write till the fire strikes,
another fire, a torch, a whakaaraara warning cry
kia hiwa râ! kia hiwa râ! kia hiwa râ ki tïnei tuku!
kia hiwa râ ki tïnâ tuku!1 Watch every terrace
1. Be alert! Be alert! Be alert at this terrace! Be alert at that terrace!
153
Littérama’ohi N°14
Robert Sullivan
of the fortress, there’s an enemy climbing up,
a blaze from heaven, kia hiwa
râ! my friend.
So I light a fire here in this stanza,
my small room with large windows,
carried from the fires on the hills
and the haka fires in the poets
from the processions of mysteries
and lamped freeways, from history sourced
in gin of the Fleet Ditch and Gordon Riots,
and James Cook’s golden narratives
to our own k'rero neherà, our oral
bodies caressed tuku iho tuku iho down
to present hands cupped to mouths
as we
plunge and rise in the ancestor ocean
shield our eyes from the bullet-train rays
of the West and think of our father Maui
who planted himself and his brothers
in the East who caught Tamanui the Sun
after the night at the crater
of the creator our mother the Earth.
Poet Henry Hiro in brotherly spirit I embrace you.
Je t’embrasse. Ka awhi au i a koe e te tuakana.
Moe mai moe mai moe mai râ e te tama manawawera,
te tama ngâkau marie hoki. He waiata aroha,
he mihi miharo nâ te kitenga o ‘ waiata, ‘ whakaaro
painga môngâ tângata moutere. Ka haka!
I turn back to the flame of life. Ka oriori au: tïhei mauri ora!2
2
I embrace you. I hug you older brother. Rest here, sleep here hot-hearted son, son
of
peace. A song of love, an astonished greeting at the sight of your songs, your blessed
thoughts for island peoples. I haka! I turn back to the flame of life. I chant the breath of life!
154
Poésie
Arohanui
Big love, that’s what it means.
Aroha Nunui means huge love.
Aroha Nunui Rawa means very huge love.
Aroha Nunui Rawa Ake means bigger very huge love.
Aroha Nunui Rawa Ake Tonu means bigger enduring very huge love.
Aroha Nunui Rawa Ake Tonu Atu means biggest enduring hugest love,
which are some of the lengths and times of our longing
There’s Too Much Violence
In 2005 there were 48,337 violent offenses recorded
by the NZ police. In 2004 there were 45,229 offenses.
In 2003 there were 45,614. In 2002 there were 44,960.
In 2001 44,024. In 2000 41,573. For the last ten years
on average
about 10,000 cases each year
went unresolved. Each year for the last ten years
there were roughly 3200 sexual crimes,
and a little over half were resolved. In 2003 Maori women
made up 58.9% of the female prisoner population.
Maori men made up 53.9% of the male prisoner
population. Violent crimes are 10% of all crime.
Maori are more likely to be victims
of a violent crime. Maori are between 14-15%
of the whole New Zealand population.
Maori have problems trusting the NZ police.
So in 2005 the police employed 38 Maori liaison officers seven of them
accompanied the 2004 march
to Wellington about the foreshore and seabed
confiscations, which resulted in no arrests!
11.5% of all prisoners belonged to a gang.
More than two-thirds of them belonged to either
155
Littérama’ohi N°14
Robert Sullivan
Mongrel Mob or Black Power. There were
for instance the Skin Heads
and White Power. 62% of sentenced gang members
were imprisoned for violence or sexual violence.
Crime by Maori is an extremely major problem
which shouldn’t be surprising to anyone given the past.
New Zealand is addressing Maori Treaty claims
which will work at a public level, but there are too many crimes
happening right now at the personal level — the extended families
have almost broken down, and been replaced
by nuclear ones cut off from care. Fewer than 20%
of Maori speak Maori. Many Maori children come
from a single-parent family. We’re still struggling,
obviously. I’m sorry if this doesn’t seem poetic.
I’m sorry about all of this. We need more people to really care —
to not dump one another — to look out for the lost brothers and sisters
going off the rails with every resource available
starting with the toughest problem, love.
seven other named gangs,
Notes and Translations
Vârua Tupu is the name of the French-Polynesian special issue of the
American literary journal Mânoa in which the late Henry Hiro’s work,
and other indigenous Ma'ohi writing, can be found.
156
icolas Kurtovitch
A Bernadette Hagen/Kurtovitch
Une femme si belle
Femme si belle
devenue vieille
et malade
ses yeux
levés
elle veut vivre encore
Ses yeux
si grands ouverts
comme s’ils
pouvaient attraper
l’affection
qu’il me reste à lui donner
Lui dire
l’impossibilité d’être
chaque jour au plus près
de son effroi
comment comment
Vivre
ainsi assise
comme fossile
dans la glaise
n’est plus vivre
C’est moi
qui ne puis
157
Littérama’ohi N°14
Nicolas Kurtovitch
assumer sa douleur
elle
qui peut tout encore
Ces yeux
lancer au hasard
n'ont plus la force
d’embrasser
ni d’étreindre
Agrippée au bras du fauteuil
son corps à peine
visible
sous les châles
elle n’a plus rien à espérer
Lui dire son silence
regards oppressants
ses attentes
de moi
demeurent impossible
Elle bave
mangeant
quoi ! l’essuyer
d’un geste simple
en
est naturel
Par l’arthrite
ses
doigts transformés
sont griffes fragiles
158
Littérama ’ohi N ° 14
Nicolas Kurtovitch
tout est insupportable
les rencontres
les impossibles discussions
s’énerver pour un rien
la faiblesse
cette nuit
succède aux autres nuits
et rien
ne vient
pourtant modifier
son sourire
en de rares occasions
parce que le soleil
ou
la présence d’une amie
une visite
espérée
elle est heureuse
je sais
qu’il y eu des jours
difficiles
au cours d’années
presque oubliées
Même
la naissance heureuse
d’une petite fille
ne libère pas
ses
160
jambes
Poésie
Elle demande
exige même
ça me révolte sur le coup
ensuite
c’est si simple de faire
l’argent
toujours
vient perturber
nos brèves relations
d’amour
Tout compter
avant d’acheter
l’humble nécessaire
voilà
du vin pour le cœur
quelle quiétude
lui reste-t-il
le vent
aux arbres de la
plage
lui est interdit
Il y a dehors
les oiseaux
frêles esquisses du vent
un
jour prochain
ils l’emportent
161
Poésie
serrant le vide
de ce qui reste
C’est tout juste si
à travers quelque bruits
elle perçoit
l’eau
tombant en grosses gouttes du toit
Cette voix
de loin par le téléphone
qui n’est déjà plus
la sienne
est incompréhensible
De retour
après une longue absence
je reconnais à peine
ses mains
quand elle m’agrippe le bras
Il y a de la colère
en
moi
la voir ainsi
qui n’est plus elle
est insupportable
Cette colère
trop souvent présente
quand je m’occupe d’elle
n’est pas contre elle
trop d’erreurs ont été commises
159
Littérama’ohi N°14
MarcTahuaitu
A tae ho’i e !
Afa’ihia e te ‘opape,
Vai noa atu ai i ropu i te moana tarere.
Te itoito, te vai hau noa ra o Tava’e
I roto i te pure e te reo ‘arue.
A tia’i noa atu ai i te tahi motu,
Te ‘aro nei o Ra’i’oa’oa Tava’e
Na roto i te puai e te mana’o taupupu.
Te moemoea nei ia vai vaho noa i te pape.
I reira, e fana’o ai i te mau mahana hope’a au noa.
Te mana’ona’o nei ‘oia i tona ‘utuafare.
Te vai ‘otahi nei ra ‘oia e ua ‘i ‘oia i te ‘oto.
“
—
Aue ia’u e !” o te reo ia no na e ’inaha
Te hitima’ue nei e te hitimahuta nei ra ma te ’ite
I te nu’u manu e te one tahatai ihoa ra.
“
—
E hoho’a ha’avare anei teie ?“ o tona ia reo e te mana’o pa’ari.
Aita ho’i tatou i’ite mea nahea e no te aha.
Te fatata atu ra i te pae tahatai.
162
Poésie
Quel courage !
Trahi par le courant marin,
Abandonné en plein océan,
Valeureux, Tava’e reste serein,
Avec des prières et des chants.
Espérant voir un flot,
Ra’o’oa’oa Tava’e se bat
Avec force dans l’embarras,
Il rêve d’être hors de l'eau
Où couler des jours heureux.
A sa famille il pense beaucoup.
Or, il est seul et malheureux.
«
—
A l’aide !
»
crie-t-il et tout à coup
Etonné et surpris, il voit
Tant d’oiseaux et surtout le rivage.
«
—
Mais est-ce un mirage
? » dit-il d’un air sage.
?
On ne sait ni comment ni pourquoi
Il arrive enfin sur la plage.
163
Littérama’ohi N°14
Marc Tahuaitu
0 Tapioi te upo’o o ‘Uturoa e
O ’oe te mou’a teitei
Ta’u e hi’o mata nei.
A fea vau e pa’iuma ai ?
Poupou i teie nei, a haere ai.
I tupu te mana’o rahi
O ta’u i fa’atupu na,
lata’ahi au, mea rohirohi
Te mou’a o to’u mau Tupuna.
E aue to tama no te pa’ari,
Ua au era no te rahi o te ‘oa’oa.
Puva’iva’i ho’i te mata’i no to i’oa,
O te tumu e tape'a ai i te pa’ari.
O vai ia tama tei ‘aro,
Ua ’ata, ua ’oto e ua auta.
To mata e te tama, ua hi’o ‘afaro,
Ua mata’ita’i ia ‘oe e te ta’ata.
Rave rahi to tama i fa’ari’ihia e
‘Oe, noa atu te atea e te fa’a’oroma’i e.
A tapae ho’i na ra i ni’a atu
E ‘i i te ‘oa’oa o to ‘a’au pautuutu.
164
Tapioi, déesse de ‘Uturoa
Tu es la montagne qui domine,
Celle que je contemple,
?
Soit, à présent, je m’engage !
Quand irai-je t’escalader
J’ai pris la décision
Que j’ai longuement réfléchie.
Lorsque je grimpe, la fatigue me gagne
Pour toi, montagne de mes ancêtres.
Les enfants pleurent car c’est prenant
Mais ils pleurent de joie pour toi.
Le vent souffle très fort,
La raison pour laquelle : courage
!
Quel élève ne voudrait pas se mesurer à toi
?
Aussi, il a gagné, il a larmoyé et il a souffert.
Tes yeux, mon enfant, admirent le panorama,
Observent la population.
Nombreux sont les élèves accueillis par toi
Malgré la distance parcourue et l’endurance.
Essayez d’arriver là-haut pour voir
Et votre cœur sera entièrement comblé.
Littérama’ohi N°14
Tiare Bonnet
Hei maohi no Taitaa
Ua miri hoi au
I to hei
I roto i te raù ape’e
No te faahei ia oe
Ua tiai hoi
au
la tape te ra
I mûri mai Taitaa
E hei Maohi noa
E ô hotu noa
Anoi hia te miri noanoa
Te Tiare Maohi, te otime
Te tara tipi te porohiti ura
Te maire vaihi
No te faahei ra’a ia oe
E Tiare Maohi noa
No te faahei ia oe
Ua tia’i hoi au
la tape te ra
I mûri mai Taitaa
166
Poésie
Hono e te mauriuri
E Hono e,
Te ta’i nei te mauriuri
Te imiimi nei au
Tei hea ra ?
Eaha ra hoi teie i te ara
A piti po
Ua faaroo vau te mauriuri
Te uiui nei ra te mana’o
E poroi anei hoi
Hoi teie.
Te mauriuri
Ua tia’i au ia oe
E ua riro te ta’i
O na oe.
Ei mana’ona’o ra’a
O'na’u
167
Littérama’ohi N°14
Tiare Bonnet
Parea ua tui to roo
Parea ua tui to roo
Parea hatuahia ra
I te one uouo.
Parea I Huahine e
Parea i te atea e
Peho ruperupe.
Puhihau te maraamu e
Manii te miti rahi
I nia i te one.
Turia hia ra
E te anuanua e
Tarue te ra’i
Toriri mai te ua
I nia Parea
168
lenda Moui Kui
A la mesure du temps
Je me sens seule lorsque je m’aperçois que je deviens étrangère à
toutes choses, qui me semblaient familières autrefois...
Afin de me rassurer sur ma propre existence, je me plais à croire
que je les connais depuis toujours...
A mesure du temps, ma vie s’épanouit telle une fleur ignorée dans
un
jardin paisible et isolé...
Cette tranquillité naturelle m’inquiète et me déstabilise émotionnel-
lement...
Les termes spécifiques à chaque émotion ne trouvent leur sens et
place dans cette pauvre structure végétale...
Grand », « Joie », « Sourire », « Triste », « Chagrin »...
Bribes de termes qui s’accumulent dans la tige... cherchant la place qui
«
leur est attribuée...
«
Je
Où est-elle, cette place
ne
? »
puis « le » dire... car je n’ai point l’information qu’ils
désirent...
Comment faire pour reconstruire cette structure végétale
?
J’ai le désir profond de rendre flexible cette fleur tel un bambou...
J’adapte donc les termes dans une structure qui sera « évolutive » :
capable de s’adapter à tout...
Dans un jardin tranquille, une fleur ignorée s’est développée et se
distingue des autres plantes qui l’intègrent maintenant à leur cercle
éclectique.
169
Littérama’ohi N°14
Glenda Moui Kui
Mois de juin, mois de pluie...
Mois de juin, mois de pluie...
Tombent en rafale les larmes du ciel
Se lève la cape brumeuse et froide sur une cité à moitié somnolente et à moitié active...
Tombent, tombent, tombent, ces larmes cruelles sur le béton qui se
lézarde pudiquement...
Gris, noir-gris, gris-noir... froide et triste couleur d’une saison qui
s'annonce dans un grésillement doux...
Son de plainte qui s’élève des pics de béton
Mois de juin, mois de pluie...
Quel doux repos pour l’ermite méditant dans les hautes montagnes
voilées...
Loin de tout, proche de tout...
S'arrêtent à l’instant les pleurs du ciel et la consolation intervient...
Chagrin dissipé pour un court instant, mais suffisant pour un soulagement souhaité
Un petit rire moqueur sort irrésistiblement d’un cœur observateur
Quelle surprise et quel amusement !
Un cœur observateur apprécie cette pluie...
La chaleur du thé, dégusté avec plaisir, réchauffe le cœur observa-
teur, qui reçoit les caresses froides de la pluie comme un réconfort...
Bien-être vis-à-vis d’une pluie, qui nettoie avec affection et sans
relâche nos « ordures grossières »...
Le cœur observateur unit ses pleurs aux siennes dans sa tâche
généreuse et noble...
Mois de juin, mois de pluie... que ta saison emplit nos cœurs de
sentiments mitigés.
170
Poésie
Paysage
Calme et douceur d’une caresse végétale...
Feuilles aux mille couleurs éclatant par les rayons dorés... qui res-
pirent joyeusement au souffle d’ailleurs...
Montagnes de béton dressées avec orgueil par les demi-dieux...
seules dans un cercle vert... craignent maintenant de faire partie de
cette structure végétale...
Doute, inquiétude, peur, effroi,... n’ayez craintes, Ô montagnes de béton...
Faites de matières minérales, vous servirez de nourriture à la structure végétale...
Voyez ceci comme un signe de votre utilité en ce monde «
déchaîné
»... comme une
nécessité à votre existence...
Ils vous envient... vous les enviez...
Rires moqueurs
et blessants... sortant du plus profond de vos
âmes...
Une bouffée d’air... une envie de souffler un bon coup avant de
reprendre le fardeau de Sisyphe...
Que d’amusement et de complaisance dans un macrocosme étouffant...
Soudain un vent frais surgit de nulle part... vous enveloppe et vous
ressentez un bien-être libérateur et agréable...
Songe, songe, songe, la petite végétale tapie sous l’ombre de l’arbre millénaire... à tout ce qu’il t’arrive...
Cherche, cherche, cherche, les réponses au plus profond de toi...
réponses aux questions universelles...
Réapprendre les bases de ta destinée... conduite préétablie à
revoir et à repenser...
Ne désespère pas... petite végétale... rien n’est perdu... tout est à
construire et à façonner selon tes désirs...
171
Littérama’ohi N°14
Glenda Moui Kui
Air
C’est une sécurité bien douce et certaine
Cet état apaise des pensées tourmentées
A cet instant apparaît un voile très fin
Pour ne couvrir qu’un chaleureux moment d’été
C’est un vent léger et sourd qui plonge si près
Cette vive sensation parcourt les têtes
A cette heure tout semble si peu d’intérêt
Pour un chant mystérieux qui annonce les fêtes
Aussitôt mot aussitôt son mélodieux
Vogue au loin une voile au ton harmonieux
Berce ici une palme toute brillante
Aussitôt rire aussitôt immense merveille
Se dispersent en gouttelette divers esprits
Part une ire flamme vers une mise en veille
172
shere Lagarde
Poèmes tirés de
«
:
...moment d’une vie.
»
Sentiment à une amie
Rien que pour toi ce poème
Pour ainsi te dire que je t’aime
Pour toi j’ai versé des larmes
Une grande joie dans mon cœur
Préparée pour ton bonheur
Ton rire c’est ma joie
De l’amour je t’envoie
Pour que ton sourire
Ne soit plus qu’un simple souvenir.
Le choix du bon
N’écoute pas ton cœur
C’est bizarre mais il est trompeur
Ecoute la sagesse
Qui te guide sans cesse
Tu dois faire un choix
Est-ce que tu le vois ?
Sagesse ou cœur ?
Lequel fera ton bonheur ?
Un rêve
Si tu as un rêve
Va jusqu’au bout
N’attends pas que le jour se lève
Car de la pensée des gens tu t’en fous
Même si le ciel est orageux
173
Littérama’ohi N°14
Tehere Lagarde
Vas-y poursuis-le
Si tu désires tant ce rêve, sois courageux
Moi je le poursuis car je le veux.
Jamais tu ne dois te décourager
Même si tu ne l’obtiens pas
Ton cœur ne doit pas pleurer
Il doit se dire qu’un jour, il l'obtiendra.
Si tu as un rêve, réalise-le,
Et si tu veux un rêve, cherche-le.
Les lois de la vie
La foi est une loi,
A laquelle, la vie on doit
L'amour est comme la loi
Mais c’est la deuxième loi
Ce sont les deux meilleures raisons de vivre.
Car elles nous permettent de survivre.
D’autres lois de vie, il y a
Mais les plus sages sont là.
Ce sont les racines de toutes les lois,
C’est pour cela qu’on y croit.
L’existence
La vie n’est qu’un champ de bataille
Où tous les cœurs trouvent leurs failles.
La vie pourrait être l’harmonie
Mais celle d’ici est meurtrie
Mais je suis gardée en vie
Car je connais la raison de la vie,
Il n’y a pas que ça,
Il y a aussi ceux après moi.
174
Poésie
My heart
Mon cœur est une ancre
Qui a sombré au fond de l'eau ;
Maintenant ce n’est plus qu’une ombre
Que cherchent les bateaux.
Les coquillages s’accrochent à moi
Ils pensent que ça me réchauffera
Pendant que les dauphins me protègent
Autour de moi les anges siègent.
L’amitié
: une bonne étoile
Personne n’est né sous une bonne étoile
Aucun d’entre nous ne naît avec de la chance
Mais nous sommes soutenus par le lien amical
Qui ne nous lâche pas malgré les distances
La chose la plus fabuleuse est l’amitié
Car elle te secoue durant tes problèmes
Et de toi, ne voudra jamais s’éloigner
Car sans toi, elle se verra obligée d’errer.
«
Ne t’en vas pas »
Ma chère, ne pars pas
Oui, ne nous laisse pas.
Chaque jour on pense à toi
Ne t’inquiète pas, on a la force et la foi
Quand tu seras partie
Pour nous ce sera fini
Que cela arrive dans longtemps
Pour qu’en famille, nous prenions du bon temps
Bats-toi pour tes enfants
Pense à nous en tout temps
175
Littérama’ohi N°14
Tehere Lagarde
L’amour décuple les forces
Pour toi et nous, priesde toutes tes forces
Pense positif à chaque instant
Pour que tes mauvaises pensées soient emportées par le vent.
Dire l’amour pour la paix
Comment dire que l’on aime
Si ce n’est pas par les mots eux-mêmes.
On peut aussi savoir qu’on nous aime
Par les paroles, les actes qu’on sème.
Entre nous, nous cherchons la paix
C’est ce que tous voudraient.
Faisons régner l’harmonie,
Au milieu de tout ce qui se fait, se dit.
Entre les jours, les mois, les années
Il y a des souvenirs, des reflets
Qui nous hantent à jamais,
Oui, à tout jamais.
Le lever du soleil
Seule dans la nuit
Je contemple les étoiles
Pendant que la lune luit
Les peintres poursuivent leurs toiles.
Moi, je suis au bord de l’eau
Et je m’allonge sur les galets les plus beaux
Et puis j’attends que les eaux jaillissent
Que le soleil se lève,
Je veux qu’il m’éblouisse
Après une chanson de la mer assez brève.
T. Lagarde 12 ans, élève de 5° au Collège de Mahina
176
alérie Teuiariro Murat
Nos enfants sont notre demain !
*
Les enfants demandent de l’amour
Personne ne leur en offre
Leur œil se fond en ruisseaux d’eau
Ils crient au secours de la fosse la plus basse
Il nous faut prendre en main les combats de leur âme
Car même les bêtes présentent la mamelle
Ils allaitent leurs petits et les défendent
La femme de mon peuple elle, est devenue cruelle
Comme les autruches dans le désert
Ceux qui sont élevés dans l’écarlate
Ceux qui ont étreint des tas de cendres
Pas de distinction
Tous ont dit
: abusons de nos enfants
!
L’allégresse du cœur a alors cessé.
La danse s’est changée en deuil.
À cause de cela notre cœur est devenu souffrant.
À cause de ces choses nos yeux se sont obscurcis
Et toi mon peuple
Que dis-tu ?
Ta faute est parvenue à son terme...
Lève-toi, dis NON ! Et agis !
Nos enfants c’est notre demain !
177
Littérama’ohi N°14
Djamel Mazouz
Bonjour
Je suis un petit africain qui aime beaucoup écrire la poésie.... Pour ce
pas que je fais vers vous, je voudrais apporter une petite contribution
dans un premier temps... Je vous informe que la langue française est
relayée en seconde position dans mon pays, mais je fais beaucoup d’efforts pour l’écrire avec mon ressenti quotidien. Par la fin je souhaite une
bônne continuation à vous et votre revue que j’aime beaucoup lire.
Souvent dans l’obscur
Quand un vent d’ouest
Murmure
Et me fait tourner la tête
Il y a tempête en moi
Je crois...
Je m’oublie
Dans l’ortie des pluies
Et je te cherche
Comme un fou
Dans un conte de légende
Que j’ai écrit hier pour nous
Quand tu étais de ce monde
Peu a peu mon cœur se serrait
Et je pleurais
Comme un enfant
A qui manque une mère
Oh, nous aurions tant à nous dire
Si tu étais encore là !!!!!!!
178
Poésie
J’ai traversé ta nuit
Sur la pointe de tes mots
Accablé de chaleur
Jusqu’au bord du matin....
Les livres nouveaux nés
Me rejoindront demain
Le blues chuchoté
Navrant et inaudible
Tu me dis d’oublier ?
Le café est bien frais
Je vais me réveiller
Pour toi, le noctambule,
L’aube est ton oreiller
Un gout de violon....
J’ai comme un goût de violon dans la bouche.
L’entendez-vous ?
Il vient de si loin,
Il s’est épuisé à traverser les temps, les orages, les absences, les
déraisons, les
abandons,
Il s’est épuisé à traverser les cassures, les brisures, les déserts, les
solitudes, les
abattements,
Il s’épuise encore à traverser les exaltations, les passions, les espoirs.
Il a tout traversé, et il surnage, et il survit, et il s’essouffle.
L’entendez-vous sous les cendres ?
179
Littérama’ohi N°14
Djamel Mazouz
L’entendez-vous sous les feuilles qui tombent des arbres dans les
aurores
automnales ?
L’entendez-vous sous les mots qui s’échappent encore de moi ?
Dites-moi que vous l’entendez, ce violon.
Dites-le-moi, je vous en prie...
Je ne suis pas une âme calleuse qui cherche l’absolution au fond des
abbayes.
Je suis une âme perdue qui hante et erre, la nuit sous la lune opalescente
Et qui pleure, mais pas encore assez sans doute
Et qui prie, mais pas encore assez je crois...
Je ne suis qu’une âme torturée et vacillante
Dans la tremblance des soirs sans nom
Le poème
Le poème est un chant pur,
Il est dit sans effet et sans effort
Accordé à la voix et au souffle
Il laisse passer
Sans rien exiger.
il est comme une pièce d’or
Que l’on ignorait pouvoir trouver dans une ornière
Il s’adresse au cosmos
Et à chaque fibre d’un autre humain
Un poème ne bavarde pas
Et ne superpose des images
Comme on empile des livres sur une table Le poème est un chant pur,
Il est dit sans effet et sans effort
Accordé à la voix et au souffle
Il laisse passer
Sans rien exiger.
180
Il est comme une pièce d’or
Que l’on ignorait pouvoir trouver dans une ornière
Il s’adresse au cosmos
Et à chaque fibre d’un autre humain
Un poème ne bavarde pas
Et ne superpose des images
Comme on empile des livres sur une table
Le poème est un chant pur,
Le Livre...
Au centre d’une bibliothèque
Dans la lueur d’une chandelle
Un livre palpitait tel un coeur
Les pages tournaient seules
Au fil des heures
Les mots bougeaient
Dans une danse effrénée
S’effaçaient,
Apparaissaient si vite
Que même l’oeil exercé
Ne pouvait les décrypter
Il s’écria,
Qu’est-ce que ceci ?
Qui s’inscrit et disparaît ?
“
Le Livre de Vie” répondit-elle
Il appartient à l’Infini
Il en est l’âme essentielle !
Puis
Elle pointa le bras au ciel
Et il tomba désemparé
Dans le sommeil.
Littérama’ohi N°14
Viviane Victor
Je suis une âme solitaire
Qui passe de branche en branche
Comme une étoile Succombée
D’un amour égorgé de l’épervier
Ensoleillant des rivières
avec les
algues de mes dents
Je suis inachevée des alléluia
Les fourmis caressent mon corps dans ton ombre
Je voudrais ressentir ma poésie
cajolant les blessures douces sur un soleil
Mouvant d’épine de ton âme
Je te cherchai sur les galaxies jaunes
D’un charbon rose comme un collier d'amande
Tes lèvres sont roses comme feu des mers
Chaque aube de nuit je saute dans ta
Lune pour éclairer mes amours
Dans l’obscurité de tes yeux
Mes poils flottent sur des mers
Mes poils dorment sur des mers de papillon
Mes poils caressent les vagues
Un jour je vois mon nombril faire naufrage
sur ton
182
visage d’argent
Poésie
Au jour le jour
je regarde ton ombre
qui me sourit
jusqu’à faire trembler les montagnes
Je t’aime de tous mes rêves
Comme des oiseaux qui arrosent mes joues
Avec tant de grenadilles
Tes yeux touchent mon sang
Je voudrais guérir tes blessures
Avec mes lèvres
Près d’un fleuve immobile
De mes plaies
Je ne veux pas que tu me laisses au fond de ta forêt
Comme des feuilles de chrysanthème
Très mûres sur ma langue
Le vent de ton corps me pousse à t’aimer
Comme un cours d’eau non limité
Sur les canaux de ta poitrine
Quand tu me regardes
Je vois mon ombre qui commence à me
Faire peur
Un requin qui mange
Ma chair sous un soleil coloré de ta tête
Ton cœur n’arrête jamais de cribler sur
Ma peau comme la mer du printemps
Dans tous les sommeils d’hiver
183
Littérama’ohi N°14
Alexandre Juster
Te mata huna
Ua pâfai au i roto i to ôe mata te taô marü. Ua taôto râtou i raro aè
i te ànaana o to ôe here.
I mutaa iho ra, ua fârerei te taô marü ia ù i te pô ; tera râ, ua faaea
âtea ia ù, i te tahi atu ao.
I teie nei, ua pâpai au i taua taô i roto i te hôê puta e te înita nïnamu
e te ùouo. I te
taiôraa, e manao noa vau e, e taui te tau toètoè i te
tau ùaaraa
E taiô vau i te mau taô i te mau mahana atoà. Peneiaè, e here teie.
E nehenehe vau e parau atu ia ôe inoino mai
!
Le regard secret
J’ai cueilli dans ton regard tout plein de mots doux, ils dormaient sous
la splendeur de ton amour.
Ces mots doux me rencontraient autrefois dans ma nuit, mais ils restaient loin de moi, dans l’autre monde. A présent, je les compile dans un
livre, écrits d’une encre bleue et blanche. En les lisant, la saison fraîche
se change en saison d’abondance. Je lis ces mots tous les jours, c’est
peut-être de l’amour. Et il se peut que je te dise : « je t’aime ». Ne
m’en veux pas !
184
Poésie
To ôe rouru
Pôuri e te ereere roa ;
E paheehee ia i nia i te ao ôaôa,
E tâvirviri i te tumu râau,
Hou moè ai i te pô.
Te pô fetiàhia e to ôe mata.
E àrataî to àe rouru pô.
No te reira, e au râtou ia ôe
I te
mea mata-ôre-hia e te tahi atu mau taata.
Ta chevelure obscure et d’un noir profond ;
Qui glisse sur un monde joyeux ;
Qui s’enroule autour arbres,
avant de se perdre dans la nuit.
Cette nuit étoilée par des yeux
qui guident tes cheveux nuités
et aiment voir ainsi chez toi toutes les choses
que les autres ne voient pas.
185
Littérama’ohi N°14
Alexandre Juster
Te tiare
I te pô, hôê anaè tiare teie. E ùaa ite-ôre-noa-hia ; e hinaaro te tiare i te
huna i to na nehenehe. Eita te taata ite mata ia na ; âreà te mau ata, e
ite ia râtou.
I te hôê rui, ua fârerei te hôê ata i te hôê tama.
Mai te matai, ua tomo te mau taô parauhia e te ata i roto i to te tama
moemoeâ. Ua parau te ata e, të vai nei te hôê tiare i te peho, te tiare
nehenehe roa aè i te tahi atu mau tiare.
I te mahana i mûri mai, ua reva te tama i te peho. E mea huru ê te haere
a te tama,
mai te àu a te honu. Ua haamata ô na i te ite i te ùnaùna,
parahia e te ata, a haere noa ai na nià i te êà. E mea rumaruma te rai.
Ua ôto te matai i te rau o te mape. E ôto navenave. Ua ite te tama i te
tiare, i mûri i te râau hotu. Ua au ô na i te ùmoa, ua here ô na i te reira.
Ua riro te tama ei tii no te faaea i pihai iho i ta na tiare
La fleur
Il est une fois, une fleur. Elle fleurit lorsque personne ne la regarde, elle
préfère cacher sa beauté. A la différence des nuages, aucun être
humain ne l’a vu. Quand vint une nuit où un nuage rencontra un enfant.
Comme la bise, les quelques mots dits par le nuage vinrent chatouiller
le rêve de notre enfant. Le nuage lui dit qu’il y avait une fleur au fin fond
de la vallée, la plus belle de toutes.
A son réveil, il partit au fond de la vallée. Sa démarché était étrange, il
semblait, un peu comme les tortues, voler A peine fut-il sur le chemin
qu’il commença à voirie bien joli décor que le nuage lui avait décrit. Le
ciel était fort sombre, et le vent chantait dans les feuilles de mape, un
chant plaisant. Le petit enfant vit la fleur, au pied d’un arbre. Son bouton lui plaisait, il était tombé amoureux de la fleur.
Et l’enfant se transforma en tii pour rester aux côtés de sa fleur.
186
Poésie
Tei nià vau i to ù vaa
Të hoe nei au, tê faaâtea atu nei au ia 6e,
E, mâ te mata i te huà miti,
Të îte nei au ia ôe,
I te tâua tau na te àremiti
la pinainai te pinainai
E to ôe àta.
Të hoe atu â nei au, te pâinu atu nei te mahana i te rai
E mea maitai to tâua oraraa, të peepee ra ia i te marü o te taime
Eiaha râ vau e here faahou ia ôe.
Je rame à bord de ma pirogue,
Et je m’éloigne de toi,
Et, en regardant l’écume
Je t’aperçois encore
Et je vois encore ces moments,
Aux travers des vagues,
Lorsque nos coeurs palpitaient.
Je rame encore
Et le soleil dérive dans le ciel
Notre vie était bonne et glissait en suivant la douceur du temps.
Mais je ne dois plus t’aimer.
187
Littérama’ohi N°14
Stéphanie-Ariirau Richard
(Ce texte a été inspiré par le tableau de Sabrina Birk Levy, reproduit à la fin de la revue.)
Hinatu
Sur la tapisserie ébène,
Ondule une féline caresse,
Qui nargue un troisième œil
Empressé d’éclairer sa maîtresse.
Hinatu tourne le dos à la lune
Visage soleil aveugle esprit somnambule,
Elle sourit. Ses babines sont des lèvres
Dont le baiser vous enfièvre.
Toison caramel sur un teint de miel,
Hinatu, femme chatte me
Conte par son regard
Quelques merveilles.
Légende urbaine polynésienne.
Coup de queue délicat
Pour chasser cet intrus, l’astre
Lunaire. Pourtant fort ému,
D’observer le destin d’un poisson repu
188
Planté dans un lobe oculaire,
Plongé dans le pourpre légendaire :
De l’insondable Hinatu.
Hinatu s’agrippe à la toison du monde,
En cette nuit où le silence gronde.
Uastre lunaire se recouvre
Envoûté par le taciturne
Bandeau de crin mauve et ocre,
Transfusé par la pointe féline d’Hinatu.
Entre la terre, la lune et nous,
Hinatu glisse sur le velours de
Cet espace,
Qui nous condamne pauvres mortels,
Hinatu se révèle aux témoins
Qui verront compléter son destin.
Littérama’ohi N°14
Sabrina Birk Lev
Sarahina
Sarahina se prénomment mes oeuvres, inspirées de l'imaginaire,
de mes patrimoines culturels juif et maohi,... les traits sont
forces de
caractères, et les couleurs la musique de mon âme. Je suis de la tribu
des femmes celles qui donnent naissance, celles qui créent, qui rêvent,
celles qui ont le regard grand ouverts.
Je suis inspirée par cette femme des origines, celle qui expose sa
nudité, sa pureté, mais aussi par celle qui n'est vêtue que de cicatrices,
ces
regards chargés de vie, de souffrances, d'amours, de passions.
Lorsque mon pinceau caresse mes toiles sous le regard des chats
qui ont accompagné ma vie, ce n'est pas pour montrer ce qui est visible, mais pour révéler l'invisible, le désir et les rêves des personnes qui
m'ont inspirée... Je puise mon inspiration dans le regard. Ainsi un
homme deviendra femme, une femme deviendra enfant, un prisonnier
un oiseau...
Dans la bible il est dit que dieu créa l'être humain a son image; ainsi
nous sommes
mes au
des créateurs, et c'est dans la création que nous som-
plus près du divin. L'art soigne le mal être et contribue a l'allé-
gresse...
L'art fut mon berceau, mon miroir, mon reflet. Quand mes mains
étaient vides, avec un pinceau je donnais naissance à la lune, au soleil,
à l'arc en ciel, aux étoiles. Je peuplais ma chambre de nouveaux amis,
pour me tenir compagnie quand j'étais seule la nuit...
Aujord'hui mes créations sont devenues les amies et les gardienqui les accueilent dans leurs maisons...
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La revue LittéRama’oHi a été fondée par un groupe apolitique d'écrivains
polynésiens associés librement. Le titre et les sous-titres de la revue
traduisent la société polynésienne d'aujourd'hui.
LittéRama'om, pour l'entrée dans le monde littéraire et pour l'affirmation
de son identité ;
Ramées de littérature polynésienne, par référence à la rame de papier,
à celle de la pirogue, à sa culture francophone ;
Te
hotu
rrta'ohi,
signe la création féconde
en
terre polynésienne.
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères chinois intercalés
entre le titre en français et celui en tahitien.
La revue a pour objectifs de tisser des liens entre les écrivains originaires de
la Polynésie française, de faire connaître la variété, la richesse et la spécificité
des auteurs
originaires de la Polynésie française dans leur diversité
contemporaine, de donner à chaque auteur un espace de publication.
Ont
collaboré : Tiare Bonnet, (Tloetai Brotherson, Rnnie Reua'e
Coeroli, Flora Deuatine, iTloeata Galenon, Barabara Glouiczeujshi,
Jean-Claude lcart, fllertandre Juster, flicolas Rurtovitch, Tehere
Lagarde, Catherine Laurent, Jimmy 1T1. Ly, Djamel (Dazouz, Glenda
Flou Hui, Valérie Teuiariro (Durât, Jean-iïtarc T. Pambrun, Stéphanie
flriirau Richard, Bruno Saura, Robert Sullivan, Chantal T. Spitz,
(Dare Tahuaitu, (Darie-Claude Teissier-Landgraf, Edgar Tetahiotupa,
Vahi S. a Tuheiva-Richaud, Jean Vanrnai, Viviane Victor
Fait partie de Litterama'ohi numéro 14