B987352101_PFP1_2007_013.pdf
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-
Littérama’ohi
Les reo ma’ohi
mero ::
Ont participé à ce numéro
intérêt, statut, usage,
ce dans la société
contemporaine
Âraîa Amaru
h
^7^
Alexandre Moeava Ata
Jacky Bryant
Sylvie Gouraud
Flora Devatine
Û
Taraua Devatine
Annie Coeroli-Green
Danièle-Taoahere Helme
Nicolas Kurtovitch
Ah
Jimmy M. Ly
Wilfrid Lucas
Louise Peltzer
Stéphanie Ariirau Richard
Poema Rochette
Chantal T.Spitz
TeresiaTeaiwa
Ma’ohi
Marie-Claude Teissier-Landgraf
Edgar Tetahiotupa
Christian Tevitere
Vâhi Sylvia Tuheiava-Richaud
Jacques Vernaudon
Littérama’ohi
Publication d’un groupe d’écrivains de Polynésie française
Directrice de la publication :
Chantal T. SPITZ
Tarafarero Motu Maeva
Huahine
E-mail
:
hombo@mail.pf
Numéro 13 / Avril 2007
Tirage : 600 exemplaires - Imprimerie : STP Multipress
Mise en page : Patricia Sanchez
N° TAHITI ITI
ISBN
:
: 755900.001
1778-9974
Revue
Littérama’ohi
Ramées
de Littérature
Polynésienne
Comité de rédaction
Patrick AMARU
Michou CHAZE
Flora DEVATINE
Danièle-Taoahere HELME
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Jimmy M. LY
Chantal T. SPITZ
-Te Hotu Ma’ohi -
LISTE DES AUTEURS DE LITTERAMA’OHI N°13
Àraîa Amaru
Alexandre Moeava Ata
Jacky Bryant
Sylvie Couraud
Flora Devatine
Taraua Devatine
Annie Coeroli-Green
Danièle-Taoahere Heime
Nicolas Kurtovitch
Jimmy M. Ly
Wilfrid Lucas
Louise Peltzer
Stéphanie Ariirau Richard
Poema Rochette
Chantal T.Spitz
Teresia Teaiwa
Marie-Claude Teissier-Landgraf
Edgar Tetahiotupa
Christian Tevitere
Vâhi Sylvia Tuheiava-Richaud
Jacques Vernaudon
SOMMAIRE du n°13
Avril 2007
Liste des auteurs
p.
4
Sommaire
p.
5
Les membres fondateurs de la revue Littérama’ohi
p.
7
Editorial de Jimmy M. Ly
p.
9
DOSSIER
LES REO MA’OHI : intérêt, statut, usage,
«
place dans la société contemporaine ».
Jacques Vernaudon et les co-signataires ci-dessous
p. 12
Jean-Paul Aita, Tamatoa Bambridge, Simone Grand, Jean Kape, John Mairai, Mirose
Paia, Jean-Marius Raapoto, Bernard Rigo, Georges Teikiehuupoko, Edgard Tetahiotupa,
Béatrice Vernaudon, Jacques Vernaudon, Jean Vernaudon, Dominique Wolton.
Les effets pervers d’une idéologie monolingue en contexte bilingue
p. 16
Jacky Bryant
E
aà faatoro ...E
aà faatôtô
Wilfrid Lucas
p.
17
p.
26
Poésies en Reo Ma’ohi
Louise Peltzer
L’enseignement du tahitien
p. 47
Edgar Tetahiotupa
Entre marquisien et français, quelles relations
?
Flora Devatine
p-
56
L’expérience de l’enseignement du tahitien à l’école maternelle,
primaire, secondaire en Polynésie Française (1976-1983)
Repères historiques
5
Chantal T. Spitz
comme une
p.
67
p.
74
p.
80
p.
83
gêne comme un dédain
Àraîa Amaru
e te mau ‘orometua
ha’api’i no te mau Reo e te Ta’ere Ma’ohi
Tuatapapara’a.Te Reo Ma’ohi
A fea tatou e tifai ai
Poema Rochette
To’u reo, tei hea ‘oe i te vaira’a i teie mahana ?
Christian Tevitere
Te Tau
Vâhi Sylvia Tuheiava-Richaud
p. 86
Te parau o te Reo i Porinetia farâni
UA RAU TE REO ■ ECRITURES DIVERSES
Flora Devatine
p. 106
Te reo o te metua
Taraua Devatine
p. 113
Préface
POESIES ■ NOUVELLES
Annie Coeroli-Green
p. 120
Mythe mité (Poème)
Teresia Teaiwa
p. 122
Eponyme (Poème)
Nicolas Kurtovitch
Bluff (Poème)
6
p.123
p.125
Sylvie Couraud
Atelier (Poème)
P-127
Danièle-Taoahere Helme
Paraparaumu - Kapiti (Nouvelle)
p. 131
Marie-Claude Teissier-Landgraf.
Cyclone Joshua (Nouvelle)
P-144
Tuo te Ama
En Rafflésie sous le vent des contraires (Nouvelle)
ARTICLE
Stéphanie Ariirau Richard
Le corps humain, c’est le corps social
p. 154
INFORMATIONS
p. 160
Concours littéraire / Salons
L’ARTISTE
Mauarii Meuel
«
Hina » Acrylique sur toile
7
Littérama’ohi
Ramées de Littérature Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi
La revue Littérama’ohi a été fondée par un groupe apolitique
d’écrivains polynésiens associés librement :
Patrick AMARU, Michou CHAZE, Flora DEVATINE,
Danièle-Taoahere HELME, Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF,
Jimmy LY, Chantal T. SPITZ.
Le titre et les sous-titres de la revue traduisent la société polynésienne d’aujourd’hui :
«Littérama’ohi», pour l’entrée dans
l’affirmation de son identité,
-
le monde littéraire et pour
«Ramées de Littérature Polynésienne», par référence à la rame
de papier, à celle de la pirogue, à sa culture francophone,
-
-
«Te Hotu Ma’ohi», signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères
chinois intercalés entre le titre en français et celui en tahitien.
-
La revue a pour objectifs :
-
de tisser des liens entre les écrivains originaires de la Polynésie
française,
-
de faire connaître la
variété, la richesse et la spécificité des
auteurs originaires de la Polynésie française dans leur diversité contem-
poraine,
de donner à chaque auteur un espace de publication.
Par ailleurs, c’est aussi de faire connaître les différentes facettes de
-
la culture polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et
modernes que sont la peinture, la sculpture, la gravure, la photographie,
le tatouage, la musique, le chant, la danse... les travaux de chercheurs,
des enseignants...
Et pour en revenir aux premiers objectifs, c’est avant tout de créer
un
8
mouvement entre écrivains polynésiens.
Les textes peuvent être écrits en français, en tahitien, ou dans n’importe quelle autre langue occidentale (anglais, espagnol,.. ) ou polynésienne (mangarévien, marquisien, pa’umotu, rapa, rurutu...), et en chinois.
Toutefois, en ce qui concerne les textes en langues étrangères
comme pour ceux en reo ma’ohi, il est recommandé de les présenter
dans la mesure du possible avec une traduction, ou une version de
compréhension, ou un extrait en langue française.
Les auteurs sont seuls responsables de leurs écrits et des opinions
émises.
En général tous les textes seront admis sous réserve qu’ils respectent la dignité de la personne humaine.
Invitation au prochain numéro :
Ecrivains et artistes polynésiens,
cette revue est la vôtre : tout article bio et biblio-graphique vous concer-
nant, de réflexion sur la littérature, sur l’écriture, sur la langue d’écriture,
sur des auteurs, sur l’édition, sur la traduction, sur l’art, la danse,...
ou sur tout autre
sujet concernant la société, la culture, est attendu.
Les membres fondateurs
9
Littérama’ohi N°13
Jimmy M. Ly
EDITORIAL
MORT ANNONCÉE DU HAKKA
Ce numéro 13 de Littérama’ohi est en fait consacré au reo maohi.
Alors pourquoi disserter sur l’avenir de ma langue Hakka
?
Parce qu’il me semble que les deux langues curieusement parta-
gent la même problématique. Sauf que, contrairement à nous, les
Polynésiens eux-mêmes ont l’air de s’y intéresser plus que les membres de ma communauté, qu’ils ont infiniment plus de moyens financiers
que nous pour assurer sa survie et qu’il y a peut-être plus de volonté et
communautaire et politique pour s’assurer de sa pérennité.
Est-il vrai que la langue hakka se meurt et où le parle-t-on encore?
Bonne question, à laquelle les jeunes Chinois habitant les beaux
quartiers ne sauront pas répondre, car ils fréquentent si peu les endroits
où il a encore cours. Comme le café Wa Hing, certaines écoles chinoises
et surtout les marchés qui sont probablement les endroits où
le
Hakka conserve une certaine résilience et est en fait rentré dans la
Résistance.
Un fin observateur de la communauté chinoise en Polynésie me fait
remarquer que la langue Hakka ainsi que les coutumes afférentes sont
plus vivaces dans les familles qui ne tiennent pas le haut du pavé économique. Modestement, mais à leur manière, et peut-être parce qu’elles n’ont pas autant de raisons de vouloir prouver à tout prix leur intégration, ils restent encore les plus chinois de toute la communauté, gar-
10
dant chez eux le souvenir vivace des traditions qui sont le fondement de
leur identité.
Hakka en Polynésie », je commençais à
prendre conscience de la « local-motionisation » du look et de l’esprit
des jeunes Chinois. Aujourd’hui avec une vitesse effarante, le procèssus d’extinction de la langue est déjà largement entamé. Dans les élections de Miss Dragon, lors de leur présentation individuelle, les pauvres
candidates n’en peuvent plus avec les arcanes de leur langue maternelle. Avec cependant beaucoup de mérite, elles s’exposent aux quolibets moqueurs du public qui, pour la majorité, n’en connaît en réalité
pas beaucoup plus que les Misses.
Il y a dix ans déjà dans «
On me dit que le pin yin ou le mandarin connaît un certain engouement dans les lycées et collèges. Mais c’est se voiler la face car nos
enfants apprennent ce chinois comme une langue étrangère, dont ils
disent pour se consoler que c’est une langue d’ouverture. Mais le Hakka
est la langue qui fait de nous ce que nous sommes, avec cet héritage
unique qui nous est propre et qui nous distingue des autres Chinois de
par le monde. Sans elle, je ne serais qu’un ersatz de Hakka qui ne sait
plus que se lamenter comme les pleureuses traditionnelles,
«
Ma langue se meurt, ma langue est morte. »
Jimmy M. Ly
11
Littérama’ohi N°13
Jacques Vernaudon
Jean-Paul Aita, Tamatoa Bambridge, Simone Grand, Jean Kape, John
Mairai, Mirose Paia, Jean-Marius Raapoto, Bernard Rigo, Georges
Teikiehuupoko, Edgard Tetahiotupa, Béatrice Vernaudon, Jacques
Vernaudon, Jean Vernaudon, Dominique Wolton
PETITION
Les effets pervers d’une idéologie monolingue
en
contexte bilingue
Suite à l’adoption du règlement intérieur de l’Assemblée de la
Polynésie française en mai 2005, le Haut-commissaire, représentant de
l’Etat a fait un recours contre une de ses dispositions, contenue en son
article 15 sur l’organisation des débats
«
et ainsi libellée :
Le président dirige les débats. La parole doit lui être demandée.
En séance plénière, l’orateur s’exprime assis. Son intervention est
faite en langue française ou en langue tahitienne ou dans l’une des
langues polynésiennes. »
Le Conseil d’Etat a fait droit à ce recours le 29 mars 2006. Ce qui revient
à interdire l’usage d’une autre langue que le français pour les débats.
Le Conseil d’Etat justifie sa décision en s’appuyant sur l’article 57 de la
loi
organique du 27 février 2004 qui dispose que le français est la
(seule) langue officielle de la Polynésie française et que son usage s’impose aux personnes morales de droit public.
Cette décision est cohérente avec la Constitution française qui précise,
premier alinéa de son article 2, que « la langue de la République est
le français ». C’est la même raison qui a motivé, en 1999, le rejet de la
au
12
Dossier : les
reo ma’ohi
européenne des langues régionales et minoritaires par le
généralement, cette position s’inspire
d’une idéologie monolingue de l’Etat français, héritée de la Révolution,
qui a longtemps perçu (et qui perçoit parfois encore) la diversité linguistique comme une menace pour l’unité de la République.
Charte
Conseil constitutionnel. Plus
cependant, en 1980, par délibération n°2936 du 28
novembre signée par le vice-président du conseil du gouvernement, F.A
Curieusement
Sanford, et par le Haut-commissaire, P. Cousseran, l’Assemblée territoriale de la Polynésie française instituait le tahitien comme langue officielle du Territoire, conjointement avec le français. Cette disposition ne
sera
pourtant pas reprise dans les statuts postérieurs. Le représentant
de l’Etat de l’époque faisait-il preuve de plus de tolérance et le Conseil
d’Etat de moins de vigilance sur la question linguistique ?
permettraient aujourd’hui que la langue tahitienne soit
langue officielle : que soit modifié l’article 2 de la
Constitution française ou que la Polynésie française accède à l’indépendance et choisisse souverainement sa ou ses langues officielles.
Deux options
reconnue comme
Nous laissons à chacun le soin d’apprécier l’opportunité et la faisabilité
de ces deux options et nous nous contenterons de commenter les effets
malheureux de la récente censure symbolique engagée par le représentant de l’Etat sur la situation linguistique locale. Nous employons le
« symbolique » car il nous paraît évident que ce recours ne
changera rien à la pratique.
terme
Les élus locaux ont toujours employé le tahitien ou d’autres langues
polynésiennes à l’Assemblée. Il est fort peu probable qu’ils s’autocensurent à la suite de la décision du Conseil d’Etat. Contrariés par cette
affaire, nombreux sont d’ailleurs ceux qui, tous bords politiques confondus, ont déjà redoublé d’efforts pour faire davantage entendre les langués polynésiennes en séance. Quelle autorité prendra le risque de
suspendre les débats au motif qu’ils auraient lieu en tahitien ?
13
Littérama’ohi N°13
Jacques Vernaudon
Proche de nous, l'exemple du territoire de Wallis et Futuna, auquel son
statut confère pourtant moins d’autonomie que celui de la Polynésie
française, est révélateur de l’écart entre les principes constitutionnels et
la pratique linguistique des élus ultramarins. Le wallisien, le futunien et
le français sont les langues utilisées dans les débats à l’assemblée
locale, présidée par le préfet. Les conseillers s’y expriment souvent
dans leur langue maternelle puis traduisent eux-mêmes leur intervention en français ou demandent à une tierce personne de s'en charger.
En session plénière, il est fréquent que des conseillers se concertent
entre eux en wallisien ou en futunien sous les yeux du préfet ou du
secrétaire générai, avant d’annoncer leur décision en français. Tant que
cet usage ne figure pas explicitement dans un règlement quelconque,
personne n’y trouve rien à redire.
Déclenchée par la parution du règlement intérieur de l’Assemblée de la
Polynésie française, la très prévisible censure symbolique de l’Etat ne
modifiera pas la pratique linguistique des élus locaux. En revanche, elle
contrevient aux démarches qui visent à établir des rapports harmonieux
entre les langues et à construire des représentations positives sur le
français. La langue française, qui souffre déjà d’une image ambivalente
auprès d’une part importante de Polynésiens, apparaît à nouveau dans
ce contexte comme une langue « obligée ». Aux antipodes de l’Europe,
en plein triangle polynésien, on comprend aisément que cette décision
soit perçue, à tort ou à raison, comme une crispation colonialiste.
Alors qu’il conviendrait que les langues en présence s’inscrivent dans
un
rapport de duo et non de duel, selon l’heureuse formule de Jean
Bernabé, auteur antillais agrégé de lettres classiques et promoteur du
créole, ce type de situations favorise les conflits de langues.
Pour y remédier, restons indifférents aux idéologies monolingues et aux
discours d’exclusion mutuelle et continuons de valoriser le bilinguisme
de la société polynésienne contemporaine et de parler nos langues, les
langues polynésiennes et la langue française, dans toutes les circons-
14
Dossier : les
reo ma’ohi
tances, publiques ou privées. En matière de pratiques linguistiques, et
dans un cadre démocratique, l’usage finit par l’emporter sur les textes
de lois.
Toujours dans cette perspective de double valorisation, nous appelons
de nos vœux la diffusion en continue de France-Inter sur les ondes
locales. Wallis et Futuna ainsi que la Nouvelle-Calédonie disposent d’un
canal de diffusion FM en propre de cette excellente radio, alors que
privés pour une raison qui nous échappe. Loin des
imprécations judiciaires qui ne contribuent jamais à faire aimer une langue, France-Inter donne à entendre une voix de la France riche par la
diversité des opinions qui s’y expriment, par la qualité intellectuelle de
ses animateurs et de ses invités et par l’ouverture au monde dont elle
témoigne.
nous en sommes
A tâmau tatou i te aupuru e i te parau i tô tatou mau reo, i te reo
mààhi e i te reo farâni.
Jean-Paul Aita, géographe de la santé
Tamatoa Bambridge, anthropologue
Simone Grand, anthropologue
Jean Kape, président de l’association Te Reo o te Tuamotu
John Mairai, artiste
Mirose Paia, linguiste
Jean-Marius Raapoto, linguiste
Bernard Rigo, philosophe
Georges Teikiehuupoko, directeur de l’Académie marquisienne
Edgard Tetahiotupa, anthropologue
Béatrice Vernaudon, député de la Polynésie française
Jacques Vernaudon, linguiste
Jean Vernaudon, administrateur de la Socrédo
Dominique Wolton, directeur de recherche au CNRS
15
Littérama’ohi N°13
Jacky Bryant
E
AÀ FAATORO
...
E
AÀ FAATOTO
Mai te tau âuiui mai ra, i ui noa na, e te uiui noa nei â, no hea mai tatou ?
Mai'ri atu ia ui, maïri atu ia uf, eie mai nei â uiraa, o vai hoi tatou ?
E uiraa torotoro, torotoro mai te aà o te tumu râàu ra te huru. E aà torotoro tei râtere i te pô, e aà torotoro tei râtere i te ao, e aà torotoro tei
râtere i te marama nui o te tau.
E aà torotoro tei faatôtô, tôtôraa no toù nei hiroà. E tôtô firihia e te rima
o te tau.
E tau, âfai poroi faatau aroha. E aroha tei vehi i te uï hou i te
uf tüpuna, i nünaa ai tatou.
E aà torotoro tei pâheru i te pori fenua. E pori fenua faaruperupe, e pori
fenua faahaumàrü, e pori fenua faaûaa, e pori fenua faahotu. E aà âfai ora.
E te uf mâôhi ï, e poroi teie na te aà ia ôe: a faifai i te ora o te tumu râàu
ia maha to hiaài i to parau. A faahivahiva ia ôe i tona mau maitaf, ia
âmina to mûri iho, ia tutonu, e ia pee i te paari o te aà.
E paari mau â to te aà i te faaruru i te vero, vero ôfatifati âmaa, vero
ueue mâa, vero
pàhaehae rauère, moremore roa atu ai te tumu.la topa
te hau, e ôteo mai à te mau rauère âpi. E poroi na te aà.
E aà, e aà no te repo, e aà i te vâhi ômoè, paimi i te ora âmiimii. Ua ohi
mai i te mea ml, ia ma te ôhiraa, püpü iho ra ite tumu, te inu e te àmu.
Mâôhi, tera to ôe parau. Terà to ôe mâôhiraa.
Jacky Bryant
( Tumu parau a Ahutoru nui no te Heiva 2004)
16
ilfrid Pinal Lucas
Né le 4 Octobre 1933 à Afaahiti-Taravao, Wilfrid Lucas, dit Pina’i,
est issu d’une famille nombreuse de 16 enfants dont il est le seizième.
Il entame sa scolarité à l’école primaire de Taravao jusqu’à l’âge de
9 ans. Ses parents l’envoient ensuite à l’école des Frères de Ploërmel
à Papeete d’où il sortira avec son BEPC.
Après un passage à Nouméa pour faire sa Seconde, il part pour la
France pour poursuivre ses études en Juillet 1952. Il y fera non seulement des études en Mathématique-Physique-Chimie (MPC) après l’ob-
tention de
baccalauréat
Mathématiques Elémentaires (à
Toulouse) mais il y travaillera en tant que surveillant d’externat tout en
y assurant des cours en 6ème et 5ème (à Marseille) et en même temps,
il s’unira à Juliette Dehors avec laquelle il aura 2 garçons.
Seulement, il fallait penser à rentrer au fenua, ce qui se réalisa en
Juillet 1959. A la rentrée de Septembre de la même année, il occupera
un poste d’enseignant comme professeur de mathématiques en 6ème et
5èmc au Lycée Paul Gauguin.
Là, commencent alors les examens professionnels agrémentés
d’un réel plongeon dans la culture Mâ’ohi : dans le domaine de l’enseignement de la langue, déjà innée chez lui (ses parents ne parlant que
le Reo Mâ’ohi), dans l’écriture Mâ’ohi, dans le Heiva avec ses chants et
danses, Heiva dont il assurera la vice-présidencé du jury avec Henri
Hiro pendant plusieurs années, puis la présidence au départ de ce dernier. Deux filles naîtront aussi pendant ce temps là. Il animera pour le
Lycée Technique du Taaone l’émission interscolaire « Tahi, Rua,
Toru ».ll voguera entre Tahiti et Raiatea (île d’origine de son épouse) en
allant jusqu’à Taravao (son lieu de naissance) pour enseigner et les
Mathématiques et le Reo Mâ’ohi par amour de sa culture et, il terminera
sa carrière le 4 Octobre 1993 en n’enseignant que le Reo Mâ’ohi en 1ère
et en Terminale au Lycée Paul Gauguin.
son
en
Les poèmes qui suivent sont extraits de son
en
“Recueil de Poésies
Reo Mâ’ohi”.
17
Littérama’ohi N°13
Wilfrid Pina’i Lucas
...
« TAHI : TE
HERE MAU...
RUA : TE ‘UNA’UNA 0 TO’U FENUA...
TORU : NO TE AHA TE TUMU VAU E PAPA’I Al
NA ROTO I TO’U IHO REO...
MAHA : TE A’O RAA A TE METUA,
FAA ‘OTO I TE PARAU PAARI I PARAU HIA MAI...
I NI’A I TEIE NA TUMU PARAU E MAHA
VAU I PAPA’I Al
TEIE MAU PEHEPEHE
NO ‘OE,
NO ‘OETE U’I A MURIA'E »
...
TAHI: «TE HERE MAU...»
lATURA’l MAI, ATAUAHI MAI
O vai ia taata i ‘ore a’e nei e haavare
Maoti ana’e ra te tama here
Te tama here a te Atu’a
Tei amo i ta tatou utu’a
Ua horo’a mai te metua
No te amo i ni’a i tona tua
Te hara o to teie nei ao
Ua poiri te fenua e ua ao
Ua ti’a faahou mai
Ua fa mai
18
•
Dossier : les
reo ma’ohi
la ‘ite to te ao nei
Ua ‘ite anei
Tatou te taata h ara
I te faa’ore i te hara
Ma te tâtarahapa
Mai iana i tâmâ i ta tatou hapa
Maoti ana’e te here faito ‘ore o te Atua
E maraa ai i te amo i te utu’a
la tauahi mai
A tauahi mai
la tura’i mai
A tauahi faahou mai
Te mauiui nei to’u tino
No to’u nei ‘ino
I te 'ore raa e tauahi mai
I tei tura’i mai
I roto i te parau mau
E te here mau
Wilfrid, Pina’i Lucas - 21 no Novema matahiti 1999
19
Littérama’ohi N°13
Wilfrid Pina’i Lucas
AHANI î, AHANI
Ahani pai au
I hi’o maita’i i to ‘oe ‘aau
I to’u vai ‘âpiraa
Aita ho’i o to’u feruriraa
i ïte i te hohonu o to ‘oe here
O vau nei o ta ‘oe i poihere
Mai te ‘omuaraa mai
Ua riro ho’i au i ma’i
No to ‘oe oraraa
No to ‘oe feruriraa
Ua ro’o hia vau i te ma’i mafatu
Aroha mai e te Fatu
A horo’a mai â i te tahi puai iti
No te poihere, e aupuru i ta’u here iti
A tâmâ i ta’u mau hapa
la ti’a to’u here i ni’a i te papa
O ta ‘oe parau mo’a
No roto roa mai i to ‘oe mafatu mo’a
E te Atua ï, o ‘oe mau â te tumu
E ti’a mau â ia vai mâmü
To’u mau mana’o ‘ino
la 'ore roa vau e onoono
Aue e ta’u here iti ë
Aue au i te ‘oa’oa ê
‘Inaha, ua taati taua i to taua here
I te puai o to te Atua here
Wilfrid, Pina’i Lucas - 30 no Me matahiti 2000
20
Dossier : les
reo ma’ohi
RUA : «TE ‘UNA’UNA OTO’U FENUA... »
TE MAU PEHO RII
Te ‘una’una o te mau peho rii
No ‘outou ia e te mau tamarii
Ua poiete mai te Atua i te fenua
Mai roto mai i te anuanua
Te nahe o te peho iti ë
No’an’oa ta’a’e to ‘oe ë
Ano’i hia mai te hau’a o te maire
Tahiri te hau’a rii au mai te manu ra e rere ë
Te ‘anavai o te peho iti ë
Haumaru ia o te fenua ë
‘Upa ta’i ‘oto o te peho ë
Faa’oto i tou ‘aau ë
la marehurehu te mau peho rii
E ‘uaa mai te mau tiare rii
No’ano’a ta’a’ë to te mau peho rii
No ‘outou e te mau tamarii
Tei poihere maite i te mau peho rii
Ua poihere maite ato’a ia i te mau tamarii
Wilfrid, Pina’i Lucas - 30 no Tiunu matahiti 2000
21
Littérama’ohi N°13
Wilfrid Pina’i Lucas
AUE TE AROHATO’U FENUA
Poiha nei au i te haari ‘oviri
Haamaha i to'u nei riri
Mauiui to’u ‘aau
Puai te ‘are i ni’a i te aau
Te horuhoru nei te feruriraa
A parari te mau nohoraa
Ua ti’a mai te vero e te mata’i
Tei faahu’ahu’a i te mau maita’i
Te haruru nei te patiri
Ua mo’e roa te fenua i roto i te poiri
Te ‘anapa nei te uira
Tei hahae i te Ra’i Nui ra
Auï te aroha o te mau tamarii
Tei ‘ere i to ratou nohoraa rii
Te ‘oto nei te ‘aau no te mau tamarii
I pohe roa i roto i to ratou mau fare rii
Tei hea te heeuri o to’u fenua
Tei taati hia e te anuanua
Wilfrid, Pina’i Lucas - 5 no Tiurai matahiti 2000
22
Dossier : les
reo ma’ohi
TE ‘UNA’UNA OTE HEIVA
Auê te ‘una’una o te Heiva nui i To’atâ
Ua tae mai ho’i te mau motu na ni’a i te ata
Ua mata’ita’i noa vau i roto i te ‘afata teata
E aha atu pa’i ia te huru ‘ahani i ‘ite mata
Tei ‘onei au i Raiatea nei
Na te ma’i i tape’a ia'u i ‘onei
Àti’â noa atu râ ua mata’ita’i au
E ua ‘oa’oa vau
Haamana’o atura vau i Vai’ete
E toru ‘ahuru matahiti to’u ti’araa i Vai’ete
Auï te ‘una’una o te feia ‘ori
Auï te i’ei’e o ta ratou ‘ori
Auï te nehenehe o te mau pupu himene
.
E navenave ihoa te tari’a i ta ratou mau himene
Mai te mau pupu rii e tae atu i te mau pupu hanahana
Ua ti’a mai ratou no te faahanahana
I to ratou fenua e tana mau peu
O ta ratou ia e haapeu
Ha’iha’i noa’tu â te pupu
E ti'a mai ihoa no te pupu
I te 'una’una o tona ‘ai’a here
E ti’a mau â ia faaherehere
I te Heiva i To’atâ
Ma te tape’a mai i to tatou mau mata ‘ata’ata
Wilfrid, Pina’i Lucas - 4 no Atete matahiti 2000
23
Littérama’ohi N°13
Wilfrid Pina’i Lucas
TORU :« NO TE AHA TE TUMU VAU E PAPA’I Al NA ROTO I TO’U
IHO REO... »
TE REO O TO’U METUA
Ma te faatiatia
I te parau ti’a
E faa’oto à vau
Ma te ‘ore e vavau
I te reo o to’u metua
I ni’a i to’u tua
la ‘ore roa e mohi
Te reo mâ’ohi
Te reo o to’u ‘aru’aruraa
Te reo o to’u ruhiruhiâraa
E reo marü
E reo tâmarü
I te mauiui
O te mau u’i
Mai te manu e tau
A tau e a tau
Te poiha nei
Te u’i i teienei
la tâ’oto’oto
Ma te faaroo i te ta’i ‘oto
O tona reo tumu
Ma te ‘ore roa e màmG
Wilfrid, Pina’i Lucas - 5 no Novema matahiti 2000
24
Dossier : les
reo ma’ohi
MAHA :« TE A’ORAA A TE METUA
FAA ‘OTO I TE PARAU PAARII PARAU HIA MAI... »
TE PARAU PA’ARI
E ‘ere pa’i na te tamarii
E faatere i te metua
‘Aita ‘oe i’ite i te mauiui
O tona mafatu
E ‘ere te metua i te tïpara
E ‘ere i te ‘aihamu
E’ita ‘oia e ha’uti’uti
E vai noa i tona ti’araa
Wilfrid, Pina’i Lucas - Mahana matamua no Titema matahiti 2000
25
Littérama’ohi N°13
Louise Peltzer
LE REO TAHITI
: SON STATUT ET SON
ENSEIGNEMENT EN POLYNESIE FRANÇAISE
Depuis 1982, la langue tahitienne, notre langue maternelle pour la
grande majorité d'entre nous, est enseignée dans toutes les écoles du
Territoire de la Polynésie Française. Pour aboutir à ce résultat, le chemin a été long, parsemé d’obstacles, de résistances et d’incompréhension.Tant d’efforts, un siècle de malentendus, pour admettre la chose la
plus naturelle du monde, et qui apparaît aujourd'hui que cet enseignement est acquis comme une évidence; permettre à un peuple de parler
sa langue et de la transmettre à ses enfants.
La langue dont nous allons décrire l’évolution de son enseignement
est la
langue tahitienne, c’est à dire la langue d’origine des îles de
l’Archipel de la Société. Pour le linguiste, il s’agit d’un idiome particulier
parmi ceux existants sur le Territoire et que l’on désigne sous le nom
générique de Reo Mâ’ohi qui comprend le reo ou parau tahiti (tahitien),
le nu’uhiva et les autres parlers des Marquises, le pa’umotu avec ses
variantes (vahitahi, tapuhoe, maragai...), les langues des Tuha’apae
(Australes), le ma’areva (Gambier) et quelques variantes. Sur le plan
linguistique, le tahitien appartient à la famille polynésienne, sousgroupe de la grande famille des langues austronésiennes, autrefois
appelées malayo-polynésiennes (200 millions de locuteurs) et divisées
en deux grands groupes:
austronésien oriental (ou langues océaniennes), comprenant les
langues de la Polynésie, de la Micronésie et de la Mélanésie, à l’exception des langues d’Australie et de celles de la Nouvelle-Guinée (quelques langues austronésiennes sur les côtes nord-est de la NouvelleGuinée),
austronésien occidental, langues de Formose, des Philippines
Indonésie, Célèbes, Bornéo, Java, Sumatra, Malaisie, de Madagascar,
et des Hauts-plateaux d'Indochine.
-
-
26
Dossier : les
reo ma’ohi
L’aire géographique des langues austronésiennes s’étend, d’Ouest
en
Est, depuis Madagascar jusqu’aux îles du Pacifique en passant par
le Sud-Est Asiatique.
PERIODE PRECOLONIALE ET CHRISTIANISATION
En matière d’enseignement, l’idée, réellement neuve, est assurément la démocratisation de
l’enseignement, c’est à dire des écoles
nombreuses, ouvertes à tous les enfants quelles que soient leurs originés. Cette idée est récente
puisqu’elle ne date que du 19ème siècle, en
qui concerne ses applications pratiques en Occident. Mais la notion
d’école, c’est à dire le lieu de transmission des savoirs remonte à la nuit
des temps, en tout cas, c’est la situation qui existait en Polynésie avant
l’arrivée des Européens. Concernant les écoles, nous rappelle T. Henry
dans « Tahiti aux temps anciens », il y avait des -fare ha’api’ira’a «
maison d’éducateurs ou écoles » pour hommes et femmes, et des -fare
‘aira’a-upu, école réservée aux enfants huiari’i, des familles royales.
Seuls les hommes pouvaient fréquenter ces dernières. Il y avait: -des
‘orometua, « maîtres, éducateurs », appelés au figuré « Ana-vaharau », et -des tahu’a, « spécialistes », réunis en confréries «
autahu’a ». Il y avait des maîtres de rhétorique, des spécialistes du
verbe « vana’a », des généalogistes « firifiri-’aufau », des spécialistes de l’art de la guerre « to’a, rautî » etc. Les enseignés étaient appelés des « pipi, piahi, muhu ». Après avoir acquis les connaissances au
fare ha’api’ira’a, seuls les hommes de famille huiari’i pouvaient entrer
au fare-’aira’a-upu. Dans les fare-’aira’a-upu, les enseignés apprenaient
les généalogies, les invocations et les rites, surtout la nuit, dans les
bois, sur la plage, en même temps qu’ils apprenaient à lire le ciel, les
présages, les signes dans la nature, écouter les cris des animaux, le
ce
vent, l’eau, les arbres.... Ils devaient ensuite subir des examens en passant devant les spécialistes.
27
Littérama’ohi N°13
Louise Peltzer
Les premiers navigateurs, Wallis (1767), Bougainville et Cook ne
bien trop peu de temps à Tahiti pour nous laisser des
témoignages de cet aspect de la société traditionnelle polynésienne. Ils
s’intéressèrent pourtant à la langue, du moins en ce qui concerne
Bougainville et Cook, le premier ramena en France un vocabulaire de
près de 350 mots en comptant le vocabulaire de François Vives, le docteur de l’Etoile, et celui de Louis-Antoine Starot de Saint-Germain de
Loberie, le secrétaire officiel de la Boudeuse. Nous avons ainsi le premier mot écrit et imprimé de la langue tahitienne Apôpô (orthographié
Abobo par Bougainville). Bougainville ramena également, on s’en souvient, un locuteur en la personne d’Ahutoru. Ce qui permit aux savants
linguistes de l’époque d’établir la parenté du tahitien avec le malais. Cook
et son équipe de savants, au cours de ses trois voyages, ramena des
vocabulaires très importants, non seulement de Tahiti mais également
des Marquises, des Tuamotu et de bien d’autres archipels polynésiens.
restèrent que
Vingt ans plus tard, en 1797, les missionnaires de la London
Missionary Society (LMS) se trouveront exactement devant la même difficulté, Nott et surtout Davies, contre l’avis unanime de leurs collègues,
renieront les règles de la phonétique anglaise pour adopter celles en
usage en latin, beaucoup plus simples, puisque le son /i/, par exemple,
n’est plus représenté que par deux lettres. Les petits enfants qui,
aujourd’hui sur les bancs de l’école du Dimanche apprennent à lire et à
écrire en tahitien, ne savent pas combien ils peuvent être reconnaissants à Davies pour sa courageuse décision. Nous passons volontairement sous silence la tentative d’évangélisation des missionnaires catholiques espagnols en 1774 qui ne se préoccupèrent pas de l’enseignement. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne se soient pas intéressés à la langue, bien au contraire, Boenechea ramena un vocabulaire très intéressant et se fit accompagner de quatre Tahitiens qui, au cours de leur
séjour à Lima, ont permis aux savants espagnols de l’époque de se
faire une opinion circonstanciée sur les langues polynésiennes inconnues jusqu’alors. Outre l’aspect religieux qui ne nous concerne pas ici,
ce sont les missionnaires anglais qui défrichèrent le terrain de la langue
28
Dossier : les
reo ma’ohi
et de son enseignement. Ce sont eux qui fixèrent la langue en utilisant
l’alphabet latin, imprimèrent les premiers livres en tahitien et ouvrirent
les premières écoles de type occidental. Si le nom de Nott reste attaché
à la traduction de la Bible en tahitien, dans le domaine de l’enseignement, l’œuvre de John Davies, jeune Gallois de 28 ans, comme traducteur, historien, grammairien et pédagogue, est prépondérante.
Ensemble, dès 1802, ils décidèrent avec l’assentiment de leurs collégués mais non sans réticence, que ce n’était pas aux Tahitiens à
apprendre l’anglais mais aux missionnaires à apprendre le tahitien.
Décision courageuse, ce choix supposait en effet un travail immense de
traduction et de rédaction d’ouvrages religieux et scolaires qu’ils
accomplirent avec persévérance et qui ne fut jamais égalé. Les années
suivantes, les missionnaires firent plusieurs tentatives d’alphabétisation
en anglais et en tahitien qui avaient surtout pour but une vérification
expérimentale de leur méthode et de leurs propres connaissances dans
ce domaine et qui les conduisit à choisir le tahitien comme langue d’enseignement. Le 8 Mars 1805, Jefferson et Davies convoquèrent leurs
collègues à une rencontre pour fixer un alphabet uniforme. L'alphabet
latin fut adopté à l’unanimité et Davies proposa l’utilisation de cinq
voyelles, a, e, i, o, u et huit consonnes f, h, m, n, p, r, t, v, pour la représentation graphique de la langue. Il fixa également les règles de l’orthographe. En 1806, John Davies obtint de ses collègues l’autorisation
d’ouvrir la première école de Tahiti. Les cours avaient lieu le soir les
mardi et jeudi. Davies publie son premier ouvrage scolaire en langue
tahitienne et probablement le premier livre écrit en langue océanienne.
C’est un petit abécédaire, destiné aux enfants pour apprendre à lire et
à écrire, imprimé en 1810 à Londres, en sept cents exemplaires et
connu sous
le titre de Te AEBI
no
Taheiti. En 1813 les missionnaires
ouvrent la première Ecole Biblique.
Le
grand bouleversement culturel se produit en 1815. Le 12
Novembre, a lieu la bataille de Fê’î-pî d’où Pômare sortira vainqueur.
C’est la naissance d’une nouvelle dynastie et le début de la christianisation massive des Tahitiens. A partir de cette date, les changements
seront rapides, des écoles sont ouvertes un peu partout et au fil des
29
Littérama’ohi N°13
Louise Peltzer
années, de nouveaux missionnaires arrivent pour faire face à la
demande enthousiaste des nouveaux convertis.
Le missionnaire
Williams Ellis arrive en 1817 et installe une imprimerie à Afareaitu à
Mo’orea, d’où sortira l’année suivante l’Evangile de Luc en 3.000 exemplaires, le Révérend J.M. Orsmond arrive la même année. On estime
qu’à cette époque, près de six cent cinquante personnes (adultes et
enfants) fréquentent les établissements scolaires. La publication des
ouvrages se succèdent à un rythme soutenu, en moyenne, trois par an,
ouvrages religieux, certes, mais aussi scolaires, entièrement en langue
tahitienne. Ces livres sont principalement édités à Sydney.
En 1824, les missionnaires créent à Mo’orea, dans le district de
Afareaitu, l’Académie des Mers du Sud, une sorte de petit collège avec
enseignement en anglais réservé aux enfants des missionnaires et de
quelques chefs dont le jeune Pômare III. Le Révérend Orsmond est le
premier directeur de cette Académie. Passionné d’ethnologie, surpris
par la richesse de la culture polynésienne et prévoyant sa destruction
prochaine, il recueillit inlassablement auprès des anciens leur savoir
ancestral qu’il consigna en partie dans un manuscrit qu’il remit au
Gouverneur Lavaud pour sa publication mais ce précieux recueil disparut à tout jamais. Un siècle plus tard, sa petite fille, Teuira Henry, réunit
les notes éparses de son grand-père qu’elle publia en anglais en 1928
sous le titre Ancient Tahiti, il faudra attendre 1951, grâce à la Société
des Océanistes, pour obtenir une traduction en français sous le titre,
Tahiti aux Temps Anciens. Orsmond rédigea en langue tahitienne un
livre d’exercices et une méthode d’apprentissage de la langue, ses
recherches lexicologiques seront utilisées par Davies pour son dictionnaire. En 1831, on compte environ trente écoles missionnaires réparties
sur le territoire principalement à Tahiti et aux lles-sous-le-vent, mais
également aux Australes et quelques atolls des Tuamotu comme Anaa.
Une station missionnaire catholique s’installe aux Gambier en
1834, les pères Caret et Laval tentent de s’implanter à Tahiti mais sont
expulsés.
La traduction de la Bible en tahitien (Ancien et Nouveau Testament)
est terminée; Nott part à Londres en 1838 pour assurer le suivi de l’édition
30
Dossier : les
reo ma’ohi
de son œuvre remarquable. La
première édition date de 1838 et un
exemplaire sera remis par Nott à la reine Victoria. Une seconde édition
revue et corrigée sera publiée en 1847 et de nouvelles éditions se succéderont jusqu’à nos jours.
DU PROTECTORAT A LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE
En Mai 1842, la France prend possession des îles Marquises et
Dupetit-Thouars signe le 9 Septembre une convention de Protectorat
(.Hau Tamaru) de Tahiti et de ses dépendances qui sera approuvé par le
pouvoir Royal en mars 1843. Dans les écoles, l’enseignement se poursuit en langue tahitienne. Une loi confirme les pasteurs, à condition
d’être élus par les habitants, dans leurs fonctions d’instituteurs. Les missionnaires Catholiques, indésirables à Tahiti, concentrent leurs efforts
d’évangélisation et d’enseignement aux archipels des Gambier,
Tuamotu et des Marquises. Le Père Caret ouvrira une école en 1834 et
un petit collège à Aukena en 1840. A partir de 1849 les Pères des
Sacrés Coeurs de Picpus ouvriront des écoles dans plusieurs atolls des
Tuamotu où ils exerceront d’ailleurs jusqu’en 1960 et où progressivement ils céderont leur place au fur et à mesure de l’installation des écoles
publiques. L'enseignement est bilingue français/tahitien.
L’Assemblée Législative, réunie en Mai 1845, imposera l’obligation scolaire jusqu’à quatorze ans.
En 1851, Davies publie son dictionnaire bilingue tahitien/anglais
qui, aujourd’hui encore, fait référence et comprend environ 10.000
entrées. Gaussin publie une « Etude sur les Langues Polynésiennes »
en
1853.
Progressivement l’Administration du Protectorat se met en place. Il
faut désormais, huit jours à l’avance, demander une autorisation du
bureau indigène pour se rendre aux Iles sous le Vent.
-
Aux Marquises, Monseigneur Dordillon publie en 1857 une gram-
maire de la langue marquisienne. Une école sera ouverte l’année suivante.
31
Littérama’ohi N°13
Louise Peltzer
-
A Tahiti c’est le début de l’enseignement public en français. Le 7
Novembre 1857, le Gouverneur décide d’interdire l’usage de la langue
tahitienne dans les écoles de Pape’ete, y compris pendant les récréations. Dans les écoles de district (écoles indigènes), l’usage du tahitien
est maintenu. L’enseignement public des filles est confié aux soeurs de
Saint Joseph de Cluny. La même année, s’ouvre à Pape’ete la première
école publique enseignant le français par les «
Dames de Cluny ».Une
première tentative avait eu lieu en 1854 mais s’était soldée par un
échec. Un arrêté, le 30 Août 1860, institue et organise l’instruction primaire obligatoire et gratuite. L’arrêté du 2 Décembre 1860 confie l’enseignement public des garçons aux Frères des Ecoles chrétiennes de
Ploermel. Le 5 Décembre 1860, le frère Ropert ouvre son école publique et gratuite, l’éducation est la même pour les enfants européens et
autochtones. Le Gouverneur Gaultier de la Richerie, supprime les
Ecoles Indigènes de garçons en 1861, les élèves sont conduits à l’école
des Frères.
Monseigneur Tepano Jaussen, évêque de Tahiti, publie une grammaire tahitienne et un dictionnaire tahitien/français qui donneront lieu,
tout comme le dictionnaire de Davies, à de nombreuses rééditions.
En 1862, par l’Ordonnance
du 30 Octobre, l’enseignement du
français est déclaré obligatoire dans les écoles de districts. Cette
même année, le Gouverneur de la Richerie prit l’initiative d’envoyer six
enfants, fils de chefs, poursuivre leurs études secondaires en
Métropole, à Nantes, chez les frères de Ploermel. L’année 1863 voit
l’arrivée à Tahiti de M. Arbousset, premier pasteur protestant français
avec pour projet l’ouverture d’une école, conformément à la demande
de l’Assemblée Législative tahitienne. Une école catholique de filles est
ouverte en 1864 à Nuku-Hiva. Charles Viénot, instituteur, candidat pasteur, arrive à Pape’ete en 1866. Le Gouverneur Charles de la Roncière
inaugure le 17 Septembre 1866 l’école protestante. Charles Viénot
ouvrira successivement
en
1874
une
Ecole Normale et
une
Ecole
d’interprètes. La même année et les années suivantes plusieurs écoles seront ouvertes aux Marquises par les Frères de Ploermel et les
Soeurs de Cluny.
32
Dossier : les
reo ma’ohi
En 1877, l’Administration
Métropolitaine publie un arrêté portant
l’Organisation de l’Enseignement public et de l’Enseignement libre
dans les Etablissements de l’Océanie. Le 29 Juin 1880, après l’abdication de Pômare V, la France annexe Tahiti, Mo’orea et ses dépendances.
Le traité de Jarnac, signé entre la France et l’Angleterre et qui garantissait l’indépendance des lles-sous-le-vent est dénoncé le 15 Mars 1888.
La France procède aussitôt à l’annexion des lles-sous-le-vent qui
conduira à la guerre qui ne prendra officiellement fin qu’en Septembre
1895. Ces îles, en attendant l’octroi de la citoyenneté française qui ne
sera accordée qu’en 1946, seront soumises au régime de l’indigénat. A
partir de l’Annexion, la politique linguistique de l’Administration française conduit à un renforcement de la tentative d’assimilation des populations autochtones afin d’aboutir à des citoyens à part entière.
En Métropole, la laïcisation de l’enseignement est votée le 5
Février 1881. La Loi du 2 Mars 1882 institue l’école obligatoire jusqu’à
14 ans (ce qui était le cas à Tahiti depuis 1860). La séparation de
l’Eglise et de l’Etat est votée en 1905. La politique de laïcisation de l’enseignement qui se développe en Métropole se répercute à Tahiti avec
plus ou moins de rigueur suivant la sensibilité des Gouverneurs en
poste. Venus à Tahiti à la demande du Gouvernement, les Frères et les
Soeurs sont chassés des écoles publiques. Depuis leur création en
1860, les écoles publiques étaient des écoles françaises où le tahitien
était proscrit. A partir de 1905, bien que la loi de 1905 ne soit pas applicable à la Polynésie, on ferme les écoles religieuses à Tahiti, aux
Marquises ainsi qu’aux Gambier, sans se préoccuper de l’existence
d’école laïque permettant d’assurer l’accueil des enfants.
Un nouvel arrêté est publié le 1er Octobre 1914 organisant
l’Instruction Publique dans les colonies. En 1922, le Gouverneur
demande aux missionnaires la réouverture des écoles des Marquises
sur
et des Gambier fermées en 1905. Le décret du 11 Décembre 1932
signé d’Albert. Lebrun, Président de la République, et paru au Journal
Officiel des Etablissements Français d’Océanie le 16 février 1933 sur la
presse assimile les langues locales aux langues étrangères (mêmes
restrictions concernant la presse quotidienne).
33
Littérama’ohi N°13
Louise Peltzer
Art. 2 - La même restriction
(il s’agit de l’introduction dans les
Etablissements de Océanie des journaux et écrits périodiques imprimés
à l’étranger en quelque langue que se soit) pourra être prononcée par
le Gouverneur en conseil privé contre les journaux et écrits périodiques
publiés ou imprimés en France ou dans les Colonies françaises, pays
de protectorat ou territoires sous mandat; lorsque ces écrits périodiques
seront rédigés dans une langue autre que la langue française.
Ce décret qui comprend 16 articles très coercitifs ne sera abrogé
en Polynésie qu’en...1977.
Cette politique de francisation sera renforcée après la seconde
guerre mondiale (procédé du symbole, corvées etc.).
PERIODE CONTEMPORAINE
Nous arrivons ainsi à la
période contemporaine. En 1946, la
citoyenneté française est accordée aux habitants des Iles-sous-le-Vent.
En Métropole, le Parlement vote le 11 Janvier 1951 la Loi n° 51 - 46 dite
Loi Déixonne relative à l’enseignement des langues régionales de
l’hexagone, mais non étendue aux territoires d’outre-mer. Le 26 juillet
1957, les Etablissements de l’Océanie Française deviennent Territoire
de la Polynésie Française. En 1959, la réglementation renforce le décret
de 1932 sur la langue tahitienne considérée comme langue étrangère.
Les articles de presse en tahitien par exemple doivent obligatoirement
avoir leur traduction en français en sept exemplaires et certifiés, ce qui
décourage toute publication en cette langue. Et ceci malgré la loi
Déixonne de 1951 bien que non applicable à cette époque à la
Polynésie. Anticipant néanmoins sur son application prochaine en
Polynésie, des cours de tahitien facultatifs et en dehors des cours normaux, sont organisés dans quelques établissements scolaires (Ecole
Viénot, Lycée Gauguin) et Institutions (Chambre de Commerce...). Le
15 Juin 1970, création du Vice-Rectorat à Tahiti. Dans les écoles, les
sanctions infligées aux enfants parlant le tahitien sont supprimées. Par
34
Dossier : les
reo ma'ohi
délibération, l’Assemblée Territoriale vote le 2 Août 1972 un projet de
création d’une Académie Tahitienne
(Fare Vana’a) composée de 20
membres à vie.
Le 12 Juillet 1977, la Polynésie obtient le Statut d’Autonomie de
Gestion, ce qui permet au Gouvernement du Territoire de créer un certain nombre d’organismes et d’institutions ayant trait à l’enseignement
et à la culture. C’est ainsi que sont créés successivement:
-
-
l’Ecole Normale Mixte de la Polynésie Française,
le Centre
Polynésien de Sciences Humaines (CPSH) Te
Anavaharau,
-
l’Office Territorial d’Actions Culturelles (OTAC) le 23 Septembre
1980 qui se substitue à la Maison des Jeunes et de la Culture (MJC)
créée en 1970,
-
le Centre de la Recherche et de la Documentation Pédagogique
(CTRDP) intégré au Service de l’Education du Territoire,
-
le Centre de Formation et de Recherche
sur
les
Langues et
Civilisations Océaniennes (CFRLCO).
Grâce à la création de ces différents organismes, le Territoire est
désormais bien armé pour répondre aux besoins,
longtemps insatis-
faits, de l’enseignement et du développement culturel.
Sur quelles bases administratives et juridiques l’enseignement de
la langue tahitienne et plus généralement du Reo Mâ’ohi peut-il
aujourd’hui s’appuyer, quels en sont les niveaux et les limites ? Aucun
texte législatif ne définit la politique linguistique du Territoire. Celle-ci
est implicitement, bien que partiellement, contenue dans les arrêtés
officiels publiés dans le Journal Officiel (JOPF) de la Polynésie
Française au fil des années. Il est donc important de les connaître.
Nous nous limiterons au domaine de l’enseignement. L’acte fondateur
est la décision territoriale n°2036 / VP du 28/11/80 signée par F.A.
Sanford (vice-président du conseil du gouvernement) et P. Cousseran
(haut-commissaire), publiée au Journal Officiel n° 20 du 28 Novembre
1980 qui précise :
35
Littérama’ohi N°13
Louise Peltzer
Article 1 - La langue tahitienne est, conjointement avec la langue française,
langue officielle du Territoire de la Polynésie
Française.
Article 2 - Dans les actes juridiques, la langue française fait foi.
Article 3 - La présente décision sera enregistrée, publiée et
communiquée partout où besoin sera...
L’année suivante, par le décret 81.553 du 12 Mai 1981, la Loi
Déixonne est étendue au Territoire. Cette loi autorise désormais le législateur à ouvrir les portes de l’Education Nationale aux langues régiona-
Après délibération de l’Assemblée Territoriale, le Conseil du
publia l’arrêté officialisant l’enseignement du Reo
Mâ’ohi dans l’enseignement le 20 Octobre 1982.
les.
Gouvernement
Article 1
-
Uenseignement du Reo Mâ’ohi, conçu dans sa
richesse et sa diversité linguistiques, sera introduit dans l’en-
seignement préélémentaire et élémentaire de la Polynésie
Française, selon les horaires et les programmes qui seront
définis par arrêté du Conseil du Gouvernement.
On entend par reo mâ’ohi, l’ensemble des langues polynésiennés du Territoire de la Polynésie Française.
Article 2 - Cette introduction obligatoire s’effectuera progressé
vement à dater de l’année scolaire 1982 - 1983, selon la répartition suivante:
-
à l’école maternelle et élémentaire:
Pratique du reo mâ’ohi en situation de communication.
à partir du Cycle moyen:
Initiation à la phonologie de la langue,
Introduction de la tangue écrite.
-
Article 3 - Le Centre Territorial de Recherche et de Documen-
Pédagogiques entreprendra toutes les recherches et
expérimentations nécessaires pour déterminer les objectifs,
tation
36
Dossier : les
reo ma’ohi
fixer les contenus et les programmes établis par l’Académie
Tahitienne. A cet effet, il pourra disposer de la collaboration de
toutes les personnes nécessaires au succès de l’entreprise.
Article 4
-
Les établissements de formation initiale et continue
du Service de l’Education que sont l’Ecole Normale Mixte de
Polynésie Française et le Centre Territorial de Recherche et de
Documentation Pédagogiques, assureront la formation et le
perfectionnement des enseignants.
Dans ce même document, relatif à l'enseignement du Reo Mâ’ohi,
le Gouvernement du Territoire entérine les propositions de l’Académie
Tahitienne en matière d’écriture qui devient ainsi la norme graphique
officielle. En 1983, une épreuve de langue tahitienne est introduite dans
le concours d’entrée de l’Ecole Normale ainsi qu’un programme d’en-
seignement durant les trois années d’études.
Le 6 Septembre 1984, le Statut d’Autonomie de Gestion de 1977
est abrogé et remplacé par un Statut d’Autonomie Interne (loi n°84.820)
accordant une plus large autonomie au Territoire. L’article 90 du Titre
III intitulé « De l’identité culturelle de la Polynésie Française », du nouveau statut précise:
« La
langue tahitienne est une matière enseignée dans le
cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et primaires.
Cet enseignement est organisé comme matière facultative et à
option dans le second degré.
Sur décision de l’Assemblée Territoriale, la langue tahitienne peut être remplacée dans certaines écoles maternelles
et primaires par Tune des autres langues polynésiennes.
Uétude et la pédagogie de la langue et de la culture tahitienne
seront à cet effet enseignées à l’Ecole Normale Mixte de la
Polynésie Française ».
Un centre de formation, annexé à l’Ecole Normale, de professeurs de
l’enseignement général des collèges (PEGC) est créé à la rentrée 1984
37
Littérama’ohi N°13
Louise Peltzer
suivant la Convention Etat / Territoire du 17 Septembre 1984. Aux forma-
tions classiques s’ajoute une formation bivalente Lettres / Tahitien (quatre
postes annuels en moyenne). Ces formations prendront fin en 1994 et
seront relayées par l’Institut de Formation des Maîtres (IUFM) créé en
1992 à l’initiative de l’Etat (décret du 28 Janvier 1991).
Le bulletin officiel
de l’Education Nationale (BOEN) de 1985 définit les objectifs de l’introduction de la langue tahitienne comme matière optionnelle au baccalauréat.
De nombreux candidats de Polynésie choisiront cette épreuve au bacca-
lauréat. La loi 87.556 du 6 juillet 1987 autorise le transfert des compétences de l’Etat vers le territoire, concernant
l’enseignement du second cycle
du second degré, au 1er Janvier 1988. Les modalités de ce transfert donneront lieu à la signature d’une convention Etat-Territoire le 31 Mars 1988.
Un Centre Universitaire est ouvert en 1985, suite à la délibération
de l’Assemblée Territoriale n° 83-167 du 28 Octobre 1983 créant le
Service de la Promotion Universitaire. Ce Centre, outre les enseignements traditionnels, propose la préparation d’un Diplôme Unilingue de
Langues et Civilisation Orientales (DULCO). Cette antenne disparaîtra
progressivement avec la création de l’Université Française du Pacifique
(UFP) le 29 Mai 1987 composée d’un Centre Universitaire en NouvelleCalédonie et d’un Centre Universitaire en Polynésie Française dont l’objectif, à travers les enseignements traditionnels, est le rayonnement de
la langue et de la culture françaises dans le Pacifique. Un DEUG de Reo
Mâ’ohi sera créé au Centre Universitaire de Polynésie Française
(CUPF) en 1990 et en 1993 une LICENCE de Langues et Civilisation
Polynésiennes, puis une MAITRISE en 1998 et un MASTER de
Langues et Civilisation polynésiennes en 2004. Le CAPES de TahitienFrançais sera créé en 1997 et le premier concours aura lieu en 1998 .
En 2004, nouveau Statut pour la Polynésie, avec une plus large
autonomie, inscrit dans la Loi Organique n° 2004-192 du 27 février
2004, le Territoire devient un Pays, et dans l’Article 57, il est stipulé que :
« Le français est la langue officielle de la Polynésie Française... La
langue tahitienne est un élément fondamental de l’identité culturelle :
ciment de cohésion sociale, moyen de communication quotidien, elle
38
Dossier : les
reo ma’ohi
est reconnue et doit être préservée, de même que les autres langues
polynésiennes, aux côtés de la langue de la République, afin de garantir la diversité culturelle qui fait la richesse de la polynésienne....
La langue tahitienne est une matière enseignée dans le cadre de
l’horaire normal des écoles maternelles et primaires, dans les établissements du second degré et dans les établissements de l’enseignement
supérieur.
Sur décision de l’Assemblée de Polynésie Française, la langue
tahitienne peut être remplacée dns certaines écoles ou établissements
par l’une des autres langues polynésiennes.
L’étude et la pédagogie de la langue et de la culture tahitienne sont
enseignées dans les établissements de formation des personnels
enseignants. »
Nous venons, rapidement, de parcourir presque un siècle et demi
d’enseignement en Polynésie Française en focalisant notre intérêt principalement sur l’enseignement des langues vernaculaires du Territoire.
A partir d’un enseignement oral traditionnel, mais réservé à des initiés,
s’est progressivement substitué, à partir du début du 19e siècle, un
enseignement de type occidental pour les besoins de l’évangélisation
par les missionnaires protestants de la LMS, qui s’est poursuivi jusqu’au
milieu du siècle à Tahiti et Mo’orea (Protectorat) et jusqu’au début du
20e siècle pour les Iles sous le Vent (Annexion). Durant cette époque
l’enseignement, quelles que soient les matières s’effectue entièrement
en langue tahitienne, si l’on excepte la tentative d’enseignement en
Anglais qui se termine dès 1806 et qui ne concerne qu’un nombre très
réduit d’enfants et d’adultes et le cas particulier de l’Académie des Mers
du Sud réservée aux enfants des missionnaires et à quelques enfants
de chefs. A leur départ de Tahiti en 1844, les missionnaires laissent un
nombre important de structures éducatives entre les mains des instituteurs locaux qu’ils ont formés et qui enseignent à la presque totalité des
enfants tahitiens ainsi qu’un nombre impressionnant d’ouvrages scolaires en langue tahitienne. La population tahitienne est, à cette époque,
à son plus bas niveau démographique proche de son extinction.
,
39
Littérama’ohi N°13
Louise Peltzer
Avec le Protectorat s’ouvre une époque difficile pour l’enseignement. L’Administration fait appel aux Soeurs de Saint Joseph de Cluny,
puis aux Frères des écoles chrétiennes pour créer les premières écoles
publiques enseignant le français, elles sont d’ailleurs appelées Ecoles
françaises par opposition aux Ecoles indigènes, enfin aux pasteurs protestants français pour compenser ce qui apparaît aux yeux de beaucoup comme une injustice. Ces écoles sont ouvertes à tous sans distinction de religion. Cette libre concurrence, qui aurait pu être profitable
à tous, est malheureusement compromise par l’autoritarisme du
Commissaire impérial de l’époque, Gaultier de la Richerie, créant un climat de suspicion politico-religieux. Quant au tahitien, il disparaît rapidement. Il est d’abord interdit dans les écoles de Pape’ete puis dans celles des districts. Ce qui n’empêche pas l’Administration de publier quelques intéressants lexiques tahitien/français jusqu’en 1888 afin defaciliter l’apprentissage du français. Bien que non applicables aux colonies,
les lois sur l’enseignement laïque, votées en Métropole en 1881 sont
étendues, à l’initiative du Gouverneur, aux Etablissements de l’Océanie.
Les religieux sont chassés des établissements scolaires et les écoles
fermées. Celles-ci seront progressivement réouvertes au fur et à
mesure de l’arrivée des enseignants laïques. Les lois sur la liberté de
l’enseignement permettent, à partir de 1922, l’ouverture de quelques
établissements privés.
L’enseignement des langues locales ne fait plus partie des programmes de l’enseignement public ou privé, et il en sera ainsi jusqu’en
1982. L’école du Dimanche dont les objectifs sont essentiellement reli-
gieux prend progressivement en charge tout ce qui a été évacué par
l’école publique, éducation religieuse, apprentissage de la lecture et de
l’écriture dans la langue maternelle des enfants, morale, culture traditionnelle, développement de la mémoire (récitatifs, concours), pratique
de l’oralité. Ce dernier point est important et prend à contre pied l’enseignement public qui privilégie presque exclusivement l’écrit au détriment
de l’expression orale. L’efficacité de l’école du Dimanche n’est plus à
démontrer, et toutes les religions présentes sur le territoire ont, sous
40
Dossier : les reo ma’ohi
des formes diverses, leur institution d’école parallèle qui concerne de ce
fait la totalité des enfants polynésiens. Ceux-ci sont donc, sur le plan
éducatif, particulièrement privilégiés. A partir de 1960, anticipant sur
une future application de la loi Deixonne sur le Territoire, des cours
facultatifs de tahitien sont organisés dans les écoles, collèges et lycées
que dans certains établissements comme la Chambre
Commerce. L’enseignement du tahitien devient officiel dans tous
ainsi
de
les
établissements publics et privés du Territoire à partir de 1982.
-
-
-
Ecole maternelle: accueil des enfants dans leur langue maternelle,
Ecole primaire: enseignement du tahitien obligatoire,
Ecole secondaire: enseignement du tahitien facultatif.
historique de l’enseignement du tahitien en Polynésie
Française pourrait donc donner lieu à un débat d’idées fort intéressant
mais qui n’entre pas dans le cadre de cet exposé. On peut se demander en effet quelle est la somme des idéologies qui se cristallisent pour
aboutir finalement à vouloir substituer la langue d’un peuple par une
autre, brisant son identité, sa cohésion, l’évolution normale de sa langue et réduisant à néant les acquis d'une culture millénaire. C’est
réduire l’intelligence de l’homme à sa plus simple expression que de
penser que sa capacité mentale le contraint à ne pouvoir s’exprimer que
dans une seule langue. Certes, cette prohibition ne concernait pas la vie
privée des individus, cela va de soit, mais en Polynésie comme ailleurs
le bannissement du reo ma’ohi dans l’administration et surtout à l’école
fut interprété comme la condamnation d’un usage anachronique dont il
fallait se défaire. Largement bilingue voire trilingue, le peuple tahitien a
démontré tout le contraire. Il n’en reste pas moins que les dégâts consécutifs à cette vision réductrice de l'homme, appliquée en Polynésie
depuis plus d’un siècle, sont considérables et, sous certains aspects,
irréversibles. Mais en reconnaissant, avec le français, la langue tahitienne comme langue officielle du Territoire de la Polynésie Française,
partie intégrante de la République, en lui ouvrant les portes de
l’Education Nationale et de l’Université, l’Etat a montré sa volonté de
tourner définitivement cette page de notre histoire.
Ce bref
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Littérama’ohi N°13
Louise Peltzer
En
reconnaissant la
spécificité des peuples d’outre-mer, la
Constitution Française de 1946 a courageusement brisé l’herméticité de
la citoyenneté républicaine. Le peuple polynésien a désormais une existence institutionnelle comme citoyen à part entière mais différent. Si la
Loi Déixonne autorise désormais aux langues et cultures régionales de
Métropole de s’exprimer depuis 1951, elle n’a pas reconnu et ne peut
pas reconnaître pour autant l’existence de citoyens différents. La notion
de peuple breton, corse ou alsacien ne peut avoir d’existence institutionnelle, la Constitution ne le permet pas.
En accordant la citoyenneté française dès 1880 à Tahiti et en 1946
pour les habitants des autres archipels, la République a fait preuve de
générosité, mais au nom de l’égalité républicaine, toute différence se
trouvait ipso facto abolie.
Mais si cette évolution constitutionnelle est bien
connue
des
Polynésiens et pour cause, elle reste ignorée parfois de certaines personnes nommées sur le Territoire
qui découvrent avec stupeur et quand
ils veulent bien s’en donner la peine, qu’il peut exister sur un territoire
français une autre langue officielle que le français. Le traumatisme mental est bien trop important pour que cette situation ne soit pas considérée comme un simple gage de bonne volonté, après tant d’années de
domination culturelle, sans conséquence pratique. Hors du français et
de sa culture, il n’y a rien, toute velléité de promotion des langues et culture locales est considérée comme une attaque perfide et
perçue en termes conflictuels. Il ne faut pas s’attendre à des bouleversements
rapides dans ce domaine, les mentalités étant les plus rétives aux évolutions. C’est à nous, Polynésiens, d’assumer les conséquences de cette
situation, car nous sommes directement concernés et culturellement
mieux armés; nous parlons les deux langues et la tolérance fait
partie
de notre héritage culturel. Nous ne cherchons pas à imposer notre langue et notre culture au reste du monde sous prétexte qu’elle est la plus
belle et la meilleure, d’autant que depuis Voltaire, nous savons
que cet
honneur revient à la langue Huronne. Nos ambitions sont modestes et
se limitent à ce que chaque enfant
polynésien ne devienne pas un
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Dossier : les
reo ma’ohi
étranger sur la terre de ses ancêtres, qu’il assume sa citoyenneté dans
le cadre de la République et qu’il devienne citoyen du monde en maîtrisant d’autres langues internationales. Le bilinguisme voulu par les
populations et officialisé par le Conseil du Gouvernement le 28
Novembre 1980 nous conduit à défendre et à promouvoir avec la même
ferveur les deux langues (en dehors de toute considération idéologique
ou politique), mais il faut aller plus loin et apprendre à nos enfants à respecter et à aimer toutes les langues du monde car le respect de l’autre
commence par le respect de sa langue. Ainsi après avoir retrouvé la
liberté comme citoyen à part entière, à s’engager sur le chemin de
l’égalité non seulement dans les textes de la loi mais dans les faits,
pourrons-nous parler de fraternité, bref des valeurs républicaines.
L’introduction de l’enseignement du Reo Mâ’ohi dans les écoles est certainement une bonne chose, les différents organismes culturels dont
nous avons parlés répondent chacun à des besoins mais avant toute
chose la survie d’une langue dépend essentiellement de la détermination de chacun de ses locuteurs de la préserver, de l’illustrer et de la
transmettre à ses enfants. Sa détermination, le peuple polynésien, nous
l’avons vu, en a fait une brillante démonstration.
La langue est la plus démocratique des institutions, elle appartient
à tous sans appartenir à personne en particulier. Dans ce domaine,
comme dans bien d’autres, personne ne détient seul la vérité qui émane
de l’ensemble des locuteurs. L’usage en est le maître, non le savant. Sa
survie, pourtant, dépend de chacun d’entre nous; réduite à l’individu,
elle disparaît. Nous devons individuellement, quelles que soient nos
prendre conscience de
Les gouvernements qui
se succèdent ont leur responsabilité plus grande encore et plût au ciel
que chacun de nos élus soit, dans ce domaine, en paix avec sa
conscience. Mais ces responsabilités ne se substituent pas à notre responsabilité individuelle qui est de ne pas rompre le lien sacré qui, finalement, nous unit tous, quelle que soient nos divergences du moment,
et de continuer à chanter l’hymne national de notre communauté.
situations ou nos responsabilités du moment,
notre responsabilité personnelle en la matière.
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Littérama’ohi N°13
Louise Peltzer
Certains, peu nombreux, ne parlent plus le reo ma’ohi, ils sont dans la
peine et se sentent exclus. La langue unit, cimente une communauté
mais n’a pas pour vocation d’exclure. Les circonstances familiales ou
sociales décident en la matière. Nous n'avons pas à nous enorgueillir ni
à nous sentir exclus, si nous ne parlons plus la même langue, nous
par-
Ions toujours le même langage, celui de la fraternité.
Nous avons beaucoup parlé de la langue tahitienne, car tel était
l’objet de cet exposé, mais celle-ci n’est qu’une des composantes du
Reo Mâ’ohi, terme générique qui désigne les langues endogènes parlées sur le Territoire. Les textes administratifs précisent le plus souvent
langue tahitienne, quelquefois langues polynésiennes et plus rarement
Reo Mâ’ohi en usage sur le Territoire. Si les Tahitiens ont marqué leur
volonté de continuer à parler leur langue et de l’enseigner dans les
écoles, les Marquisiens, les Pa’umotu etc... ont exactement les mêmes
sentiments vis à vis de
leur
langue. Attitude bien comprise du
Gouvernement du Territoire et des populations et dont la légitimité ne
fait aucun doute pour personne, mais qui complique
singulièrement la
situation, non seulement du point de vue de l’enseignement mais dans
bien d’autres domaines encore, comme les médias. Pourtant il faudra
s’en accommoder. Le tahitien a bien trop souffert de la
glottophagie du
français pour agir de la même façon vis à vis des autres langues locales du Territoire. Si tout le monde est d’accord sur le
plan théorique,
dans la pratique il en va tout autrement, tout tourne autour de la langue tahitienne, et dans les journaux, média, publications diverses,
recherches, enseignement etc. c’est la langue tahitienne dont il s’agit
même si timidement de temps à autre, les termes de langues
polynésiennes ou Reo mâ’ohi figurent dans un texte administratif. Un sentiment de frustration
culturelle, voire d’abandon naît chez nos frères des
Nous devons donc agir à chaque fois que
cela est possible pour que ce sentiment ne soit pas
justifié. L’argument
du nombre de locuteurs ne doit pas en être un. Même s’ils n’étaient
que cent, la légitimité du pa’umotu, par exemple, ne serait pas réduite
pour autant.
autres archipels éloignés.
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Dossier : les
reo ma’ohi
La triste histoire que nous venons de rappeler de l'enseignement de la langue tahitienne, combien plus triste encore aurait été celle
du marquisien, du pa’umotu ou du ma’areva. On n’arrête pas, pendant
plus d’un siècle, la croissance d’une langue sans lui porter un coup,
peut-être, fatal. Nous nous trouvons devant un travail considérable à
accomplir, peut-être se fait-il aujourd’hui dans le désordre, sans une
perception très claire des priorités, avec une certaine injustice sans
doute mais l’important c’est que nous prenions conscience que ce travail doit être fait. N’oublions pas que cette diversité linguistique a pour
origine une structure de langue commune et qu’elle ne diffère que sur
le plan phonologique et parfois lexicologique. Tout travail de recherche
fait sur une langue profite à toutes les autres, mais c’est sur le plan culturel où une plus grande solidarité devrait s’exercer. Actuellement le
système éducatif en place sur le Territoire est de tout premier ordre, certes calqué sur celui de la Métropole mais en tout point comparable en
qualité. C’est un tour de force, si l’on songe à la dispersion du Territoire,
cette performance nous la devons à l’action conjointe de l’Etat, qui, ne
l’oublions pas, prend à sa charge plus de 80% du budget de l’éducation,
et du Territoire. On ne peut quitter ce domaine de l’enseignement sans
une pensée de reconnaissance envers ces hommes et ces femmes,
religieux et civils, Polynésiens et Métropolitains qui, générations après
générations, ont fait preuve d’un dévouement sans faille sur un des problêmes majeurs de toute société.
Louise Peltzer
Pape’ete, mars 2007.
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Documents et Périodiques:
-
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-
Archives territoriales de la Polynésie Française
Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes, Pape’ete
Charte de l’Education
Journal de la Société des Océanistes, Paris
Journal officiel de la République Française
Journal officiel de la Polynésie Française
-Journal du Droit international 1998. L. Ruet « Les fonctions juridiques de la langue »
Revue française de Droit constitutionnel. 1998 N. Rouland « Les politiques juridiques
-
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-
-
-
-
de la France dans le domaine linguistique »
Revue française de Droit constitutionnel. 1997 J.Y. Faberon « La place des langues
polynésiennes dans le nouveau Statut de la Polynésie française ».
Constitution du 4 octobre 1958 (édition août 1995)
Pacte de Progrès
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (Edition du Conseil de
l’Europe 5 novembre 1992)
Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. Strasbourg février
1995 H(95)10
-
46
idgarTetahiotupa
ENTRE MARQUISIEN ET FRANÇAIS,
QUELLES RELATIONS ?1
I. De quelques généralités
Au-delà de l’appartenance de la langue marquisienne à la famille
des
langues polynésiennes, parler de la langue marquisienne, c’est
indirectement parler de rencontres de cultures, de représentations, de
symbolisme au travers de mots, étrangers au départ, mais qui ont su
s’imposer, alors que des mots autochtones ont petit à petit disparu du
vocabulaire usuel. À la manière des migrations humaines, on peut dire
que des mots sont arrivés aux Marquises, y ont fait souche et ont
adopté les manières du pays. Ils ont servi à désigner des objets nouveaux en usage dans la société, des actions, des situations... Ainsi en
est-il des mots empruntés au français : comme hiho pour ciseaux, ihovare, ihorave ou encore soare pour cheval, kato pour gâteau, motara
pour montre, putei pour bouteille. Les prénoms de personnes ne sont
pas en reste, ils peuvent se décliner comme ceci : Fara pour François
ou Françoise, Para pour Pascal ou Pascale, loteve ou plus simplement
Teve pour Joseph, Tamue pour Samuel, Rataro pour Lazare.
Dans cette rencontre des cultures, il arrive que la langue marquisienne produise des termes insolites, par exemple une fenêtre se dit
koraihe, de croisé, à cause des croisillons qui se trouvent aux fenêtres.
L’accent est mis sur l’étrangeté de la chose et non sur l’idée de passage
de la lumière.
1
Cet article
a
été lu à la conférence
organisée, conjointement, par l’American
canadienne de linguistique appli-
Association for Applied Linguistics et l'Association
quée, à Montréal en juin 2006.
47
Littérama’ohi N°13
Edgar Tetahiotupa
Rare est un mot marquisien qui désigne la fête du mois de juillet.
L’origine de cette fête est à rapprocher de la commémoration de la prise
de la Bastille le 14 juillet 1789. En Polynésie française, et notamment à
Tahiti, cette fête peut durer un mois. On y trouve toutes sortes de manifestations, sportives, culturelles... Aux Marquises, elle prend la même
ampleur, à l’échelle toutefois de la grandeur de l’île et du nombre de ses
habitants. La fête de juillet est désignée par “Fête de la République”. Les
Marquisiens n’ont pas trouvé mieux que d’associer l’article “la” et la première syllabe du mot République “Ré” pour faire laré qu’ils prononcent
rare, [I] s’étant naturellement transformé en [r], puisque le son [I] n’existe
pas en marquisien.
Aujourd’hui, un administrateur - qu'il soit du Pays (sous l'autorité du
Président de la Polynésie française) ou de l’État (sous la responsabilité
de la France métropolitaine) - se dit komana, du français commandant.
Son adoption s’explique par le fait que les commandants de la Marine
nationale suppléaient les insuffisances de l’administration française au
19e siècle. Ils avaient la charge d’administrer les îles éloignées de Tahiti.
Matero
qui vient du mot matelot est aussi bien utilisé pour
quelqu’un qui travaille sur un bateau (sens premier) que pour celui qui
travaille sur un truck (équivalent de bus). Il fut un temps où le truck
transportait sur son toit un chargement conséquent, il fallait donc une
personne pour s’occuper de la manutention et des passagers. C’est
sans doute à cause de la similitude des tâches effectuées par le matelot d’un navire que le manutentionnaire fut aussi appelé matero.
Aux Marquises, la religion dominante est le catholicisme, à Tahiti et aux
îles Sous-le-Vent, c’est le protestantisme, et il n’est sans doute pas inutile
de signaler les différences dans la traduction des termes relevant de l'évan-
gile. Noël se dit noere en marquisien et noera en tahitien, évangile se dit
èvanerio en marquisien et èvaneria en tahitien, catholique se dit katoriko en
marquisien et tatorita en tahitien (le son [k], n’existant pas en tahitien).
48
Dossier : les
reo ma’ohi
L’Académie marquisienne, institution créée en l’an 2000, s’est atta-
chée, selon la mission qui lui est assignée, à créer des néologismes.
Aussi a-t-elle traduit radio par
haamevaha èo (litt. diffuser la voix).
Visiblement, elle n’a pas voulu entériner l’expression puho tekao (litt.
boîte qui parle) en usage aux Marquises. Sans doute a-t-elle voulu se
rapprocher de la signification du mot radiodiffusion. L’avenir nous dira si
adopté ou non par la population.
ce terme sera
En revanche, elle a créé un terme qui semble obtenir l’unanimité, il
s’agit de kÿima, voulant dire “signer”, kÿ signifiant incruster, sculpter et ima,
main ; kÿima, veut donc dire laisser une trace indélébile avec la main. Mais
pour signature, elle a préféré rendre ce mot par kÿpatu, pour patu, écrire
ou plus exactement tatouer. Elle n’a donc pas suivi le processus de substantivation qui eut voulu que l’on employât kÿimatina (à la façon dont parlent les Marquisiens du Sud), ou kÿimaia (pour ceux du Nord).
Dans cet ordre d’idée, il n’est pas inintéressant de citer quelques
exemples de termes, déjà en usage et entérinés par l’Académie marquisienne, ou de néologismes créés par cette institution, au travers desquels nous voyons une adaptation pure et simple des termes français à
la manière marquisienne : le kilomètre se dit te kirometa, le gramme, te
karamu, la tonne, te tono, le litre, te rita, la numération, te numeratina.
Mais cette création se fait aussi par l’emploi de termes marquisiens : la
biologie, le vivant se disent ite pohuè (littéralement, savoir vivant), la
géologie, kite papahenua (litt. savoir du socle de la terre), la géographie,
kite henua (litt. savoir de la terre), l’addition, haatutai (litt. mettre ensemble), la soustraction, haaiti (litt. réduire).
Dans cette rencontre des langues, il arrive que l’on utilise un
concept français à travers un terme marquisien. C’est le cas de koutaù
que certaines personnes emploient pour dire merci. Selon certains
anciens, le terme merci n’a jamais existé en marquisien, puisque dans la
relation à l’autre, la confiance est forcément de mise. Prêter, c’est mettre
l’autre en position de subordonné, de redevance. C’est la distribution, le
49
Littérama’ohi N°13
Edgar Tetahiotupa
prêt des biens qui lient les gens entre eux. Ainsi donc la notion véhiculée en français par le terme merci ne trouve pas sa place dans la culture marquisienne puisque les attitudes, les comportements, les codes
de la vie sociale sont édifiés de telle manière que la personne qui dérogérait à la règle s’exclurait elle-même de la société. Cependant nous
avons vu apparaître vers le début des années 1990 le terme koutaù
pour dire merci. Dans son dictionnaire marquisien, René ildefonse
Dordillon définit kou en ces termes : « Plaise à Dieu ! Que n’ai-je !
Que ne puis-je ! Que ne suis-je ! Plût à Dieu que ! » (p. 239). C’est la
même définition que donnent les Marquisiens de Hiva Oa. Kou taù e
koàna t¥tahi pereôo na ù atii aa !aa ! (que ne puis-je avoir une voiture
comme celle-la !), dirait un Marquisien. Selon eux, koutaù ne signifie
nullement merci. Aussi les gens de cette île sont-ils farouchement opposés à ce terme. Cette définition est partie de l’île de Ua Pou et prenait
comme support la définition suivante : kou taù e haahua ia (ta) ôe,
(puissé-je te le rendre [un jour ce que je t’ai emprunté]). Au terme koutaù, les gens de Hiva Oa préfèrent garder l’expression haahua èkaèka
(littéralement, rendre avec plaisir ou avec allégresse) qui a d’abord été
utilisée par les catholiques pour louer le Seigneur. Une personne de
Hiva Oa avait proposé l’expression taka mau. Celle-ci avait cours aux
temps anciens et n’était connue que de rares initiés. Taka signifie ceinturer, attacher ensemble avec un lien, mau exprime l’ancrage, la solidité. E haatihe atu nei au i te taka mau ia tatou paotu (Je vous adresse
(confirme) les liens qui nous unissent tous...) pourrait être la phrase dite
à l’ouverture ou à la fermeture d’un discours. Un autre terme, utilisé surtout par les habitants de Fati Hiva, est vaièi qui signifie généreux.
Concernant le
mélange des langues, il relève surtout, à l’heure
actuelle, d’emprunts de mots français utilisés dans un discours marquisien. En voici quelques exemples :
Compliquer - haahananui
Ne complique pas le travail.
Umoi e haa compliqué / te hana.
50
Dossier : les
reo ma’ohi
Réunion - Putupututina I Tekatekaotina
Nous avons une réunion ce soir.
E réunion ta tatou i tenei ahiahi.
Si - mei te mea I passer chez - haatihe ma io...
Si tu vas à la messe, passe à la maison.
Si e hee ôe i te pure meta, a passé mai ôe ma io te faè.
Faire avancer - haaneke i mua I faire arrière - haaneke i hope
Fais avancer la voiture.
A haa avancer mai ôe i te pereoo i mua.
Fais arrière la voiture.
A haa arrière mai ôe i te pereoo i hope.
Vaisselle - haina no te kaikai
C’est toi qui vas laver la vaisselle.
Na ôe e hooi atu i te vaisselle.
Les personnes interrogées, qui parlent très bien leur langue natale,
disent que c’est par facilité qu'ils utilisent des termes français. Ils préfèrent dire “réunion” que putupututina, “si” que mei te mea, “vaisselle” que
haina no te kaikai, parce que ces mots et expressions sont plus courts
et demandent moins d’effort pour les dire. On remarquera que dans les
phrases D, l’emploi de “avancer” indique déjà une direction, cela n’a pas
empêché le locuteur d’ajouter i mua (devant) ; il en est de même pour
“arrière” avec i hope.
II. L’école, politique linguistique et conséquences
À l’heure actuelle, le mélange des langues marquisienne et française,
non
seulement persiste, mais gagne du terrain, puisque de plus en plus
d’enfants marquisiens parlent de moins en moins le marquisien. Cette
se rencontre surtout dans les grands centres administratifs
situation
51
Littérama’ohi N°13
Edgar Tetahiotupa
comme Atuona sur l'île
de Hiva Oa, Taiohae à Nuku Hiva, Hakahau à
Ua Pou. Cela peut s’expliquer par la présence de plus en
plus nombreuse de gens de l’extérieur, plus particulièrement des Tahitiens et des
métropolitains, venus pour la plupart pour des raisons professionnelles ;
mais aussi par les unions mixtes, l’un des parents ne sachant pas par1er marquisien, alors la communication se fait dans une langue connue
des deux, c’est-à-dire le français. Par ailleurs, les médias, et notamment
la télévision, à travers un programme surtout axé sur la francophonie,
ont accentué cette situation.
Mais ces raisons sont peu de choses face à l’idée, encore tenace,
véhiculée par l'école, du français comme gage de réussite scolaire. Voici
à titre d’illustration le témoignage d’une personne, qui, enfant, passa sa
scolarité aux Marquises. Elle avait peur à l’idée de devoir arracher les
ronces, de recevoir des coups de règle. Elle était continuellement sur le
qui-vive, de peur d’être dénoncée d'avoir parlé le marquisien.
Lorsque nous revenions à la maison, nous avions des coupures
nos doigts étaient bleus. Nous laissions pousser nos ongles
exprès pour que nous n’ayons pas des coups de règle [ !]. En fait, nous
cherchions un moyen pour ne pas avoir trop mal... eh bien, lorsque nous
arrivions chez l’institutrice, elle coupait nos ongles à ras. Alors,
lorsqu’elle tapait, ça faisait des bleus. Elle était sadique, c’est le mot,
parce que une fois que nous avions reçu nos vingt coups sur les doigts,
elle était contente, l’air de dire : “c’est bien fait pour vous”. Alors nous
revenions, en pleurs, à notre place, avec les doigts endoloris. Et pourtant, nous avions un profond désir de discuter en marquisien. Mais à
cause de cela, nous étions obligés de nous cacher, ou bien de le faire
à voix basse. S’il nous arrivait de nous exclamer, nous le faisions en
français. C’est ainsi que nous avions, petit à petit, délaissé ia langue
marquisienne » (E. Tetahiotupa, pp. 209-210).
«
aux mains,
Mais son calvaire ne s’arrêta pas là. «
ment à
52
Moi, ce n’était pas seule-
l’école, c’était aussi à la maison, parce que nous vivions de
Dossier : les
reo ma’ohi
l’agriculture. Alors j’avais déjà mal aux doigts à cause des coups de
règle. À la maison, je ne pouvais pas arracher les mauvaises herbes,
alors mon père me frappait. Il me disait que j’étais une fainéante : “Voilà
c’est bien fait” disait-il. Alors, à cause de cette langue, j’étais frappé
deux fois dans la journée, l’une par l’institutrice, l’autre par notre père.
Alors qu’est-ce que je faisais ? J’enveloppais mes doigts dans du linge.
Ainsi, lorsque j’arrachais les mauvaises herbes dans les champs de
manioc, j’avais moins mal » (ibid., p. 210).
Devant cette situation cornélienne,
marquée par une souffrance
physique et morale, elle a décidé de ne plus parler marquisien. Elle explique ainsi sa décision : « J’ai considéré la langue française comme ma
langue maternelle. Et lorsque mon père s’adressait à moi, je lui répondais en français. Il ne comprenait rien, il me grondait, je ne faisais pas
attention. Je lui ai répondu : “Je ne sais plus comment faire, je vais à
l’école, on me tape parce que je parle marquisien, je reviens à la maison
parce que j’ai les mains enflées, tu dis que je suis une fainéante, tu me
tapes avec un bâton, c’est pour ça, maintenant je ne parlerai plus jamais
marquisien. Tu peux me taper, je continuerai à parler français » (ibid., p.
211). Depuis, elle ne s’est plus arrêtée. Maintenant, elle souffre dit-elle.
Il ne l’a jamais plus grondée, elle n’a plus jamais eu mal aux mains, elle
fit son travail correctement. Ses notes scolaires étaient excellentes. Mais
voilà au catéchisme, il y avait un problème. Elle n’arrivait pas à apprendre par cœur son catéchisme parce que c’était en marquisien. «
Tu vois
le complexe, disait-elle, d’un côté, c’est le français, de l’autre c’est le mar-
quisien. Je ne savais plus où j’étais! Les instituteurs, que nous avions en
temps là, étaient tous des Tahitiens, ils nous battaient sans doute
parce qu’ils ne comprenaient pas le marquisien, ils croyaient que nous
les narguions. Cette idée nous a traversé l’esprit » (ibid., p. 211).
ce
Cette interdiction a déterminé le regard et le comportement que
portaient les adultes sur la réussite scolaire de leur enfant. C’est le cas
d’une jeune femme qui a grandi à Vaitahu. Elle a parlé français chez elle
et non le marquisien. C’est d’ailleurs le reproche qu’elle fait à ses
53
Littérama’ohi N°13
Edgar Tetahiotupa
parents. En réalité, elle parle marquisien, mais pas aussi bien qu’elle le
voudrait. Son marquisien disait-elle, c’était celui des enfants et elle ne
comprenait pas le marquisien des adultes. Ses parents lui ont dit que
c’était pour son bien, pour qu’elle aille loin dans ses études (elle est
maintenant professeur de français). Lorsqu'elle ne comprenait pas certains mots, elle préférait demander à son père de les lui expliquer en
français, parce que lorsque les gens les lui expliquaient en marquisien,
elle ne comprenait pas. Elle regrette beaucoup de ne pas savoir aussi
bien parier le marquisien que les adultes de son âge. Pour ne pas recommencer cette mauvaise expérience, elle a exhorté ses parents à parler
marquisien à leurs petits-enfants ; ce qu’ils ont fait. Ces petits-enfants
s’exprimaient très bien en marquisien, mais au début de leur adolescence, ils ont commencé à mélanger le marquisien et le français. On
peut comprendre leur nouveau comportement par le fait qu’ils ont quitté
leur village pour se rendre dans le collège de l’île d’à côté et qu’ils ont
voulu s’identifier aux jeunes de leur entourage qui parlaient un mélange
de marquisien et de français. Pour en revenir à ce jeune professeur, elle
a passé les premières années du secondaire chez les sœurs, au collège
de Atuona. Au pensionnat, disait-elle : « les élèves n’avaient pas droit à
la télé. Ils apprenaient le français standard, ils ne connaissaient pas l’argot. Par la suite, les élèves ont commencé à entendre l'argot, notamment
avec les jeunes qui sont revenus de Tahiti » (ibid., p. 93).
En guise de conclusion
Cette idée du français comme gage de réussite scolaire est fortement ancrée dans la mémoire des gens, elle a donné au marquisien un
statut de moindre importance. En conséquence, les parents, voulant se
substituer à l’enseignant, s’adressent à leur enfant dans un mauvais
français. Cette langue devient une langue dans laquelle le jeune se
reconnaît et s’identifie. Cependant, signalons qu’en dehors des centres
évoqués plus haut, l’usage de la langue marquisienne est encore de
mise dans certaines vallées des îles Marquises. Si la situation, appelée
54
Dossier : les
communément semi-linguisme - c’est-à-dire, une situation où «
reo ma’ohi
l’indi-
vidu [...] ne connaît, de chacune des deux langues en cause, que les
aspects qui correspondent à ses besoins, selon les circonstances »
(Claude Hagège, p. 262) - tend à se développer, c’est que depuis trente
ans la politique linguistique du territoire de la Polynésie française a été
très timorée ; et lorsque des actions devaient se mettre en place, c’est,
dans la majorité des cas, pour la promotion et l’enseignement du tahitien. Dans ce rapport de dominance, Tahiti, centre administratif, économique et politique de la Polynésie française, applique une politique linguistique coloniale envers les autres entités linguistiques, celle-là
même qu’elle reproche à la langue française.
Depuis 1982, date à laquelle l’enseignement des langues polynésiennes fut officiellement introduit dans le premier degré, aucune avancée réellement
perceptible n’a pu être décelée. Pis, des enfants de
l’école primaire de Hakahau (village principal de l’île de Ua Pou), pour ne
prendre que cet exemple, mélangent le marquisien et le français, alors
que vers le milieu des années quatre-vingts les enfants de cette même
école parlaient un marquisien correct. À l’heure actuelle, le gouvernement de la Polynésie française a mis en place une formation de deux ans
pour des enseignants qui auront la charge d’une part, d’enseigner les
langues polynésiennes dans le premier degré et d’autre part, de former
des enseignants en langues polynésiennes. Cette formation est répartie
entre
partie théorique et une partie pratique. Actuellement, une
enseignante marquisienne bénéficie de cette formation.
une
BIBLIOGRAPHIE
Académie marquisienne, 2006, Lexique français - marquisien (sous presse).
Dordillon R. I., (Mgr), 1931, Grammaire et dictionnaire de la langue des îles Marquises
{marquisien - français), Université de Paris, Institut d’ethnoiogie, Paris.
Hagège Claude, 1996, Uenfant aux deux langues, éd. Odile Jacob.
J Tetahiotupa Edgar, 1999, Bilinguisme et scolarisation en Polynésie française, Thèse
pour obtenir le grade de docteur de l’Université de Paris I.
55
Littérama ’ohi N ° 13
Flora Devatine
L’EXPÉRIENCE DE L’ENSEIGNEMENT DU TAHITIEN
À L’ÉCOLE MATERNELLE, PRIMAIRE,
SECONDAIRE
EN POLYNÉSIE FRANÇAISE (1976-1983)
REPÈRES HISTORIQUES
La
Polynésie Française étant composée de plusieurs archipels,
chacun ayant en son sein un, deux ou plusieurs parlers, il a fallu réfiéchir à la mise en place, non seulement de l’enseignement de la langue
tahitienne, mais aussi à celle des autres langues polynésiennes comme
le marquisien, le pa’umotu, la liste n’étant pas close, car il y a également la langue mangarévienne, le rapa,...et les nombreux dialectes des
Tuamotu.
Repères
2 Août 1972 : Création de l’Institution culturelle « Académie tahi-
-
tienne
» ou «
FareVana’a
».
Juillet 1974 : Installation des membres de l’Académie tahitienne.
-
5 décembre 1974 : Approbation des statuts du «
Fare Vanaa ».
et 29 mai 1975 : Création d’un Groupe d’études chargé d’exami-
-
-
ner
les modalités et les conditions d’introduction de la
langue
tahitienne dans les programmes scolaires.
Le rapport prévoit :
un
-
enseignement progressif de la langue tahitienne entre 4 et 14
ans,
-
-
56
un
un
enseignement à option du tahitien dans les classes secondaires,
enseignement obligatoire à l’Ecole Normale.
Dossier : les
reo ma’ohi
Une Commission pédagogique du Service de l’Education élabore
une
méthode d’enseignement de la langue tahitienne en liaison avec
l'Académie Tahitienne.
L’enseignement du tahitien est surtout pratiqué à titre expérimental.
1976-1977 : 34 classes de CE2 de l’enseignement privé comme
-
de
l’enseignement public xpérimentent une méthode audio-visuelle
mise au point par la Commission pédagogique.
poursuite de cette expérimentation
puis de CM2 afin de fournir un terrain de
recherches au Centre de Recherche et de Documentation Pédagogique
(CRDP).
-
1977-1978 et 1978-1979
:
dans 30 classes de CM1
A l’école maternelle, la pratique de la langue maternelle (tahitien,
marquisien...) est largement répandue : les enfants sont reçus dans leur
langue maternelle.
Il ne s’agit pas d’un enseignement en tahitien mais d’une approche
de la langue tahitienne par le biais d’entretiens, chants, poésies, comp-
tines.
Le CRDP évalue à 30% la proportion de maîtres qui tentent d’ap-
pliquer cette méthode.
Les projets
Au vu des résultats de ces recherches, le CRDP propose un pro-
gramme d’extension de l’enseignement du tahitien comme suit :
-
Année scolairel980-1981
:
poursuite de l’expérimentation pour
mettre au point une méthode d’enseignement du tahitien oral en mater-
nelle et en CE1 et de tahitien écrit en CE2, CM1, CM2 ; formation et
perfectionnement des instituteurs.
-Année scolaire 1981-1982 : généralisation de la méthode du tahitien écrit au CE2 et du tahitien oral à l’école maternelle ; poursuite de
l’expérimentation dans les autres cours.
57
Littérama’ohi N°13
Flora Devatine
Année 1982-1983 : généralisation de l’enseignement du tahitien
-
à l’ensemble de l’école primaire et de l’école maternelle.
5 années d’expérimentation et d’introduction progressive :
en
-
maternelles, cours préparatoire, cours élémentaire Tannée :
enseignement oral,
-
en cours élémentaire
2°année, cours moyen 10 et 2°année : intro-
duction de l’écrit.
Par ailleurs
août 1978
:
Organisation du tout premier Colloque sur les
Langues polynésiennes en Polynésie Française (et en région océanienne) au cours duquel M. Maco Tevane, conseiller de gouvernement,
soutient l’enseignement du tahitien à l’école maternelle et à l’école pri-
:
maire.
-
les
1978 : Lettre circulaire du Chef de service de l’Education à tous
Directeurs et Directrices des écoles
publiques
pour
affecter
3h/semaine à la pratique des langues polynésiennes.
-juillet 1979
28 novembre 1980
-
avec la
: «
la langue tahitienne est conjointement
langue française langue officielle de la Polynésie Française »
Par décret du 12 mai 1981
publié le 16 mai 1981 au JORF, la loi
dite loi Deixonne du 11 janvier 1951 est applicable dans la zone d’influence du tahitien.
12 octobre 1981 : Lettre circulaire du Chef de Service de
l’Education à tous les Directeurs et Directrices du public pour la prati-
que des langues polynésiennes à la maternelle et à l’école élémentaire ; elle fixe :
-
-
-
les finalités à atteindre,
les modalités de leur mise en œuvre progressive,
les horaires à appliquer dans les différentes classes de l’ensei-
gnement primaire.
58
Dossier : les
«
reo ma’ohi
1 °-les finalités :
L’école doit promouvoir une pédagogie interculturelle se fondant
d’abord sur les pratiques et manières d’être, les formes d’expression et
de sensibilité, les activités esthétiques et culturelles.
Une telle démarche conduit à un véritable bilinguisme, objectif à
atteindre.
Revaloriser l’usage par l’enfant de sa langue maternelle : c’est une
exigence et une priorité de notre enseignement.
Il ne s’agit pas de passer d’une extrême à l’autre mais de tenir
compte des réalités linguistiques propres au Territoire : la langue française et les langues polynésiennes doivent pouvoir trouver leur juste
place à l’école :
pour assurer aux enfants la maîtrise d’un outil de communication
de portée internationale,
pour leur permettre de s’exprimer avec aisance et bonheur dans
le cadre des activités'quotidiennes,...
-
-
Le but est clair : mener de front l’usage du français et celui des langués polynésiennes afin d’atteindre un véritable bilinguisme chez les
enfants, support lui-même d’un bi-culturalisme, par l’appropriation harmonieuse de deux faits de civilisation en présence.
2°- les modalités concrètes de mise en oeuvre :
-
assurer
le fonctionnement de la
langue maternelle à l’école
maternelle, dans les classes de CP et CE, le passage à l’écrit et la
réflexion sur la langue n’intervenant qu’à partir du CM1.
3°- Comment ?
à l'oral
:
par la pratique de l’entretien du matin, moment privilégié pour
l’expression spontanée des enfants,
par des moments d’échanges, de conversation ou de débats
entre les enfants à propos de la vie de la classe ou d’un fait d’actualité
ou d’un projet commun,
-
-
59
Littérama’ohi N°13
Flora Devatine
par la liberté accordée aux enfants de parler leur langue maternelle au cours d’activités d’éveil esthétique (chants, arts
-
vaux
-
plastiques, tramanuels) ou scientifiques (petits exposés, interview, enquêtes..)
par l’étude des contes et légendes polynésiennes.
A l’école maternelle,
-
-
-
l’accueil se faisant dans la langue vernaculaire,
la conduite de certains ateliers, dans la même
langue,
des séquences spécialement réservées au fonctionnement du
langage en tahitien (ou en marquisien..)
à l’écrit :
-
étude des aspects morphologiques,
orthographiques, syntaxi-
ques et lexicaux de la langue maternelle, sans négliger les moments de
fonctionnement oral.
En CM : part importante que peuvent
prendre les langues polynésiennes dans la conduite des activités d’éveil :
-
-
les exposés,
les interviews,
les questionnaires d’enquêtes,
-
les comptes rendus (oraux et/ou écrits),
-
l’élaboration de petits documents de synthèse sur le
-
sujet traité.
4°- La règle à observer :
Dans les rapports entre langue maternelle et
langue seconde, bien
développement d’in-
les séparer de façon à éviter autant que possible le
terférence dans le parler des enfants.
-
»
17 mars 1982 : Ouverture des travaux sur les
ques et les relations aux échecs scolaires.
avril 1982 : «Il apparait opportun de
-■
rythmes biologi-
proposer la manière par
laquelle l’ensemble du système éducatif disposera des moyens règlementaires pour assurer :
60
Dossier : les
reo ma’ohi
l’enseignement des langues maternelles du Territoire,
spécifiques définies par le projet s’appliqueront
pareillement aux autres langues maternelles de notre pays. »
-
-
-
les missions
Décision du 30 avril 1982 relative à l’enseignement de la langue
tahitienne et qui stipule que celui-ci sera introduit progressivement dans
les classes des écoles
primaires de Polynésie Française, selon un
calendrier établi comme suit :
«
-
-
-
rentrée 1982 :
pratique de la langue tahitienne orale en section des petits et en
section des moyens de l’école maternelle,
enseignement de ia langue tahitienne orale en section des
grands de l’école maternelle,
enseignement de la langue écrite au cours élémentaire 2° année
de l’école primaire.
rentrée 1983 :
-
enseignement de la langue tahitienne orale au Cours préparatoire,
-
enseignement de la langue écrite au cours moyen 1 °année.
rentrée 1984 :
-
enseignement de la langue tahitienne orale au cours élémentaire
1° année,
-
enseignement de la langue tahitienne écrite au cours moyen
2°année.
Le CTRDP entreprendra toutes les recherches et expérimentations
nécessaires pour
-
-
déterminer les objectifs,
fixer les contenus et les méthodes de cet enseignement qui devra
se conformer à la
grammaire, à l’orthographe et aux règles établies par
l’Académie tahitienne.
61
Littérama’ohi N°13
Flora Devatine
Pour cet effet, il pourra disposer de la collaboration des membres
de l’enseignement public du 1 ° degré, et le cas échéant faire appel à
celle des membres des enseignements privés du 1 °degré et celle de
l’Académie Tahitienne.
Les établissements de formation initiale et continue du Service de
l’Education, que sont l’Ecole normale Mixte de Polynésie Française, le
CTRDP, assureront la formation et le perfectionnement des enseignants
en
langue tahitienne.
Par ailleurs, le CTRDP entreprendra toutes les recherches et expé-
rimentations nécessaires pour déterminer les modalités d’une pratique
en
milieu scolaire des langues
maternelles de Polynésie Française
autres que la langue tahitienne. »
Mais survient
changement des membres du gouvernement
accompagné d’une nouvelle décision en date du 20 octobre 1982,
abrogeant celle du 30 avril 1982, et selon laquelle :
un
l’enseignement du reo maohi conçu dans sa richesse et sa
diversité linguistiques sera introduit dans l’enseignement pré«
élémentaire et élémentaire de Polynésie Française, selon les
horaires et les programmes qui seront définis par arrêté du
Conseil de Gouvernement.
On entend par Reo Maohi l’ensemble des langues polynésiennés du Territoire.
Cette introduction obligatoire s’effectuera progressivement à dater
de l’année scolaire 1982-1983 selon la répartition suivante :
-
à l’école maternelle et élémentaire : pratique du reo maohi oral,
en situation de
-
communication,
à partir du Cycle Moyen : initiation à la phonologie de la langue
et introduction de la langue écrite.
Le CTRD entreprendra toutes les recherches et expérimentations nécessaires pour déterminer les objectifs, fixer les conte-
62
Dossier : les
reo ma’ohi
nus et les méthodes de cet
mer
aux
normes
enseignement qui devra se conforlinguistiques établies par l’Académie
Tahitienne.
A cet effet il pourra disposer de la collaboration et des compé-
tences de toutes les personnes nécessaires au succès de l’en-
treprise.
LEcole Normale Mixte de Polynésie Française et le CTRDP
assureront la formation et le
perfectionnement des ensei-
gnants.»
La prise en compte de l’épreuve de tahitien dans les examens
30 juillet 1980 : Le Directeur de l’Académie tahitienne demande
l’introduction d’une épreuve facultative de tahitien au CEPE, au BEPC
-
et au BAC.
-
octobre 1980
:
Une note fait état de l’introduction d’une épreuve
facultative de tahitien à l’examen du CEPE.
-juin 1981
: Première épreuve orale de tahitien au CEPE
-juin 1981 (également) : Première épreuve orale de tahitien au
BEPC (114 candidats inscrits au Centre d’examen du Collège de Faaa),
-
août 1981 :1 candidat à l’épreuve de rattrapage du BEPC.
-juin 1982 : Epreuve orale de tahitien au BEPC (près de 200 candidats)
Par décret du 12 mai 1981
publié le 16 mai 1981 au JORF, la loi
est applicable dans la zone d’in-
dite loi Deixonne du 11 janvier 1951
fluence du tahitien
-juin 1982 : Première épreuve facultative de tahitien au baccalauréat (95 candidats inscrits dès la 1° année). L’intérêt s’est poursuivi
depuis...
63
Littérama’ohi N°13
Flora Devatine
-juin 1983 : Le tahitien est une épreuve d’examen à l’écrit comme
à l’oral au baccalauréat, selon les sections, ainsi que dans les concours
administratifs pour l’obtention d’un emploi.
Pendant les premières années de la mise en place de l’enseignement du tahitien comme de l’introduction du tahitien dans les examens
écrits et/ou oraux, dans les concours administratifs, l’Académie
Tahitienne en a été le moteur, participant à l’élaboration de documents
pédagogiques, initiant l’installation provisoire d’une antenne de
l’INALCO, le CRFLCO, pour la formation des maîtres, proposant,
agréant les examinateurs ou correcteurs aux différents concours ou
examens scolaires,
ou
En attendant que ces responsabilités soient confiées à un service
à une structure dépendant du Ministère de L’Education.
Que dire de ces premières années d’expérimentations de l’ensei-
gnement du tahitien ?
Entre la définition d’un
projet, la mise en place de celui-ci, et le
moment où le projet, une fois mis en route, atteigne sa vitesse de croi-
sière,
Il y a tout le temps des expérimentations, intéressantes, incontournables certes,
Mais celles-ci peuvent donner l’impression que l’on n’avance pas.
En fait, on avance,
Mais c’est un peu comme dans la construction d’une pirogue pour
un voyage
qui a été programmé,
Depuis l’arbre que l’on abat dans la vallée, le tronc que l’on tire vers
le rivage,
Puis que l’on évide, que l’on taille,
Avec divers outils et différents spécialistes, tous nécessaires,
acquis à la construction.
64
et
Dossier : les
reo ma’ohi
Enfin, une fois la pirogue apprêtée, si elle ne coule pas au moment
de sa mise à l'eau,
C’est-à-dire, si le projet n’est pas « enterré »,
Alors la pirogue peut prendre le large et naviguer vers sa destination.
Et c’est en cours de route, en cours de navigation, que les naviga-
teurs, avec les voyageurs et les rameurs, réajusteront,
Qui la voile, qui le balancier, qui les bois, qui les liens, qui l’écope,
Se disputant parfois sur la route à suivre, ou sur les coups de
rames à donner,
Trop à droite, trop à gauche, pas assez profond,..!
Bref, c’est en ramant qu’on devient rameur, et il faut avoir navigué,
et naviguer pour apprendre,
Pour savoir naviguer :
A hoe hoe
Hoe a hoe
A hoe hoe
Hoe a hoe
Hei hei hei
Les initiatives, les avancées, à tâtons parfois, qui ont eu lieu, ont
toujours attesté
D’un intérêt certain pour l’enseignement des langues polynésiennes,
D’une volonté de recherche de nouvelles voies d’approche,
D’un souci profond de réussir l’entreprise,
Mais elles ont révélé également le manque de techniciens de la
pédagogie.
En Polynésie, la réflexion continue donc.
vers
Par ailleurs, la réflexion et la conscience actuelles s’orienteraient
le remplacement de la dénomination, « enseignement du reo
ma’ohi », - qui elle-même s'était substituée à celle, au début, d’«ense/'-
gnement de la tangue tahitienne » -
65
Littérama’ohi N°13
Flora Devatine
Par celle de «
sienne
enseignement de la langue et de la culture polyné-
».
Ceci, pour exprimer clairement, si besoin est, ce que l’on entend
par « reo ma’ohi »,
A savoir : « l’ensemble des langues polynésiennes du Territoire de
la Polynésie Française»,
En y ajoutant
la dimension culturelle qui est une donnée impor-
tante dans l’approche, la connaissance, la réappropriation de la langue
et du monde dans lequel fonctionne la langue.
En fait, cela correspond, non seulement aux
l’Education et des diplômes recherchés,
exigences de
Mais également à l’attente des jeunes, lycéens ou étudiants,
A savoir : « Connaître la Langue et Mieux Connaître la Culture ».
Flora Devatine
Exposé au Colloque «7e taura firi o te reo ma’ohi »
(4-7 mai 1992) Papeete
66
hantai T. Spitz
comme une
gêne, comme un dédain
il y a comme ça dans notre pays des débats qui s’éternisent dans des
péroraisons inutiles mais combien valorisantes qui s’enlisent dans des
éloquences infertiles mais combien gratifiantes
comme si l’important n’est pas de dégager solution du moins pistes de
réflexion mais d’étaler sa culture du moins ses parlures
il y a comme ça dans notre pays des sujets incontournables sources
inépuisables thèmes inévitables de plateaux télévisés tables rondes
radiodiffusées sondages publiés
comme si l’essentiel n’est pas l’évolution des mentalités du moins des
pensers mais la démonstration de sa pertinence du moins ses intelligences
le reo mâ’ohi est un de ces titres d’émission de publication qui font
recette
égrené de multiples perles
le reo mâ’ohi est-il en danger de disparition
le reo mâ’ohi est-il une langue d’ouverture
le reo mâ’ohi est-il un outil de la modernité
faut-il et comment enseigner le reo mâ’ohi à l’école
qui finissent par ressembler à un collier de vœux pieux en apesanteur
dans l’indifférence quasi générale
plus de vingt ans se sont enfuis avant que les mots ne soient admis
dans les esprits et qu’une définition claire ne soit proposée par nos doctes érudits
67
Littérama’ohi N°13
Chantal T. Spitz
plus de vingt ans pour énoncer une vérité criante de vérité
le reo mâ’ohi n’a pas d’existence quand sorti de son contexte géographique puisqu’il s’agit d’une langue indigène ou plus d’une langue endogène
ainsi le reo mâ’ohi de Tahiti est le reo tahiti le reo mâ’ohi de Rurutu est
le reo rurutu
le terme est donc impropre quand
utilisé au singulier puisque dans
notre pays se parlent plusieurs reo mâ’ohi
qu’à cela ne tienne on continue de le dire unique quand il est pluriel
de débats en conférences de séminaires en colloques l’état le sort le
devenir du
reo
mâ’ohi sont mesurés
pesés étudiés analysés jaugés
théorisés
le sujet m’intéresse fortement et j’essaie d’en suivre au mieux l’actualité
je n’ai jusqu’à lors pu trouver raison de sentir évolution positive des
mentalités sauf à considérer langue de bois discours convenus arguments attendus comme évolution
le tahitien me fascine depuis toujours sans doute par la nostalgie que
l’interdiction de la parler a
inscrite en moi sans doute aussi par la
béance que l’imperfection de mon parler a creusée en moi
aussi le sort qui lui est réservé que nous lui réservons me porte-t-il souci
sinon tristesse peut-être colère
car à y
regarder de plus près il me semble hélas ne pas lui voir ni sort
ni intérêt ni espace
et les discours politiques insanes n’y changeront rien qui incantent l’exi-
geante urgente de l’utiliser de l’enseigner de l’apprendre
l’alibi absolutoire le plus élimé de tous ceux que nous avançons pour
68
Dossier : les
nous
reo ma’ohi
disculper de notre immaitrise du tahitien est bien évidemment l’in-
terdiction de son utilisation aux écoles de la colonie
il est utile de revisiter l’histoire pour ôter toute légitimité à cet argument
trop arrangeant pour être honnête
si dès les premières alliances entre colons étrangers et filles de chefs
le choix des langue et culture occidentales en particulier anglaises a été
immédiat
le tahitien
lui
.
restait obligé partout ailleurs puisque de toute façon seule langue à dis-
position d’autant que les missionnaires anglais avaient réussi la traduction de la bible pour aider à l’évangélisation des indigènes païens
parler tahitien est ainsi resté la norme jusqu’à la colonisation française
et souvent la permanence de son utilisation constituera une forme de
résistance à l’assimilation forcée par l’apprentissage obligatoire généralisé de la langue française
l’usage du tahitien s’est maintenu y compris dans la ville jusqu’à l’implantation du CEP et l’effraction d’une modernité sur laquelle nous nous
sommes jetés goulûment tentant d’éradiquer les signes visibles de
notre indigénat patent
et puisque nous ne pouvions blanchir notre peau il nous appartenait de
jeter aux caniveaux la marque la plus criante la plus sonore la plus
acoustique de notre indigénité
la langue
d’autant qu’avec les militaires arrivaient
les salaires confortables pour un étique bagage scolaire
la possibilité de blanchir sa descendance pour la hausser dans la hiérarchie sociale
la consommation de produits inconnus qui donnent le sentiment d’être
69
Littérama’ohi N°13
Chantal T. Spitz
à la hauteur de l’occident
l’alibi est doublement hypocrite
parce que seule la sphère publique était concernée par l’interdiction du
tahitien et qu’il pouvait continuer d’être parlé à la maison dans la rue
dans les commerces dans les lieux de culte dans les réunions
en un
mot partout
parce que ceux qui ont le plus souffert de l’utilisation obligatoire du frangais dans l’espace public ne sont pas les descendants des premiers
colons mais bien ceux qui n’avaient aucune possibilité de maîtriser une
langue non seulement étrangère mais encore de domination et qui se
sont vus disqualifiés pour cause de parler indigène
si cette interdiction certes brutale et traumatisante avait été la seule raison de
la disparition progressive du tahitien alors sans aucun doute la
même chose serait arrivée aux langues des autres colonies françaises
dont les peuples eux aussi ont eu à souffrir cette exclusion linguistique
or le
problème ne semble pas se poser dans les ex colonies françaises
d’Asie ou d’Afrique
ne reste que
notre propre désintérêt pour notre langue
comme un dédain
comme une
gêne
quand nous avons si bien intériorisé toutes les théories avancées hier
pour nous forcer au français
toutes ces impostures qu’on nous disait que nous disons à notre tour
la réussite sociale passe par la réussite scolaire
seule la langue française donne accès à la réussite scolaire
le tahitien est une langue du passé alors que le français est la langue
70
Dossier : les
reo ma’ohi
de la modernité
et tant d’autres faussetés
et les chantres de la culture de la langue tahitiennes
toujours aux premiers rangs des manifestations folklorico-culturelles
toujours aux premières places des émissions télévisées
toujours paradant pérorant professorant
plaidant pour la sauvegarde de notre si belle langue
afin que dans les familles on en perpétue la survivance
pour la plupart ont délibérément fait le choix de ne pas la transmettre à
leurs filles leurs fils
pour cause de et pour cause de
mais notre désaffection pour notre langue
comme un dédain
comme une
gêne
consommée malgré quelques volontés claires d’encore la parler
n’est qu’une facette d’un mal être plus profond qui anémie nos esprits
cette intériorisation par nous-même de l’infériorité de notre culture de
notre identité de notre langue
ce mimétisme
boulimique de la culture occidentale sinon française qui
naufrage notre équilibre
dans des reniements des renoncements des renversements mortifères
et voilà que bandés d’une ivresse délétère d’occidentalisation de fran-
cisation d’assimilation
nous
désertons cette langue qui nous porte que nous portons depuis
des millénaires
dans des égarements extravagants
71
Littérama’ohi N°13
Chantal T. Spitz
ainsi cette dame au marché de Papeete à qui je demande e fea moni ta
‘oe ‘ahu ta’oto et qui me répond d’un air un peu froissé j’ai été à l’école
je sais parler français
comme si
lui demander le prix de ses couvertures en tahitien lui était
manque de respect offense
ainsi ce parent d’élève qui ne voulait pas que son enfant fasse du tahitien à l’école parce que ce serait le renvoyer dans son pa’i taro et que
l’école c’est fait pour apprendre le français
ainsi mes nombreux compatriotes à qui je m’adresse en tahitien et qui
me
répondent en français
et comme une évidence qui gèle les entrailles
derrière tous nos discours démagogiques quel statut accordons-nous
au tahitien
derrière tous nos verbiages hypocrites quel crédit consentons-nous au
tahitien
car à bien y
regarder
quel espace reste-t-il à cette langue pour s’exprimer s’exposer s’extérioriser
quand les aménagements publics collectifs commerciaux se dépaysagent de plus en plus
quels gestes restent-ils à cette langue pour s’acquiescer s’accorder
s’accommoder
quand les coutumes individuelles familiales sociales s’étrangent de plus
en plus
et l’ultime question
la plus raide
quelle utilité lui trouvons-nous
72
Dossier : les reo ma’ohi
hors occasions festives commémoratives promotionnelles
quels moyens sommes-nous prêts à nous donner à donner à nos
enfants pour la vivance du tahitien
quand nous les envoyons à l’étranger pour des séjours linguistiques
anglais espagnol désormais chinois
quand nous-mêmes folklorisons notre culture comme si elle n’est pas
une culture égale à l’occidentale
quand nous-mêmes dédaignons les nôtres qui parlent tahitien comme
si l’humanité ou l’hominisation s’acquérait avec le français
le tahitien a de moins en moins droit de cité parce que nous en avons
décidé ainsi
parce que nous nous sommes laissé inférioriser par le discours
domi-
nant
comme un dédain
comme une
gêne
pour notre langue
pour nous-mêmes
et tous les mythes toutes les légendes toutes les
fabulations n’y chan-
gérant rien
Paôfai, 2003
Chantal T. Spitz
73
Littérama’ohi N°13
Amaru Araîa
TUATAPAPARAA. TE REO MAÔHI
Uiraa.
E aha te parau o te mau reo mâôhi i Porinetia Farani nei
Tô râtou tiàraa ? Tô râtou mau faaôhiparaa
?
?
T5 râtou mau faufaa i roto i teie puè tau ô ta tatou e ora nei
?
Tiàraa à te reo mâôhi.
I parau noa hia nâ, aita tô te reo mâôhi et faufaa nô te àporaa mai i
te mau ite. Te reo mâôhi, e reo noa teie nô te àvauraa, nô te mihiraa, nô
te tairaa, nô te ôriraa, nô te arearearaa... mai te mea ra e, e reo noa teie
nô te àau, eere râ i te reo nô te roro... mai te mea atoà ra e, e àau tô te
mâôhi, aita râ tô na e upoo i nià i tô na tino, ua tâtara hia tô na upoo.
Te manaô rahi i reira, maoti râ, aita ta te mâôhi e feruriraa, aita ta
te mâôhi e tuatâpaparaa, aita ô ia e feruri atea, eita ô ia e nehenehe e
hiô manaô, nô te mea, e reo faufaa iti ino roa tô na.
Auë te mamae i te âau !
Te ruareo, te faaôhiparaa na reo e piti, te reo mâôhi e te reo
farani.
I tupu mai ai teie faanahoraa, ô te ruareo, ô tei haafaufaa i te reo
mâôhi e te reo farani na roto ia i te haapii âpiti ia râua.
E faanahoraa maitai mau teie, inaha, a ta anoa atu ai te rahi ô te fau-
faa moni i faaôhipahia, te mau rauti, te mau àivanaa i tuatâpapa i teie tumu
parau, ua rau te mau maitai ta te tama e faanaô atu ; te aratai'raa e te faanavai'raa i tô râtou maramaraa anei, te tururaa ia râtou i te parau nô te tua-
tâpaparaa, nô te taiôraa, nô te titauraa i te ite anei e te vai atu ra.
Aore reà taata e patoi i te faufaa ô teie faanahoraa i teienei.
74
Dossier : les
reo ma’ohi
E hou atu, e heheu mai teie faanahoraa i te hôê faufaa o te reo
màohi i haamorohihia, maoti râ, te tuatâpaparaa, te feruriraa i teie mau
mea e taaminomino noa nei i te roro...
Ua maraoraô atoà te mea e, nâ roto i te haapiiraa i teie mau reo,
ua manuia atoà te
piahi i roto i te reo farani e i roto atoà i te numeraraa.
Te auraa, eere faahou ia te reo màohi i te tahi reo pôuri ; e reo
atoà rà nô te tuatâpaparaa, e reo maramarama atoà teie...
Te mau ôtià
Teie râ, ua heheuhia te tahi mau fifi o tei tàôtià nei i teie faanahoraa.
Aore reà metua e parau màohi faahou nei i te fare. (Màtou atoà i
roto i teie ànai). E ua riro te reo farani ei reo metua, e te reo
reo ratere,
màohi, ei
i ôre ai te mau haapiiraa i horoàhia i te mau tamarii i te fare
haapiiraa, i te faaohipahia i te fare. I roto i te manaô o te mau metua, a
tahi, te reo màohi, na te fare haapiiraa e haapaô i te reira ; a piti, aita à
ràtou e tiàturi i te faufaa e noaa mai i teie faanahoraa
mai ia Toma
...
rà tô ràtou huru.
Te i'te atoà hia nei te fifi i te pae o te mau mauhaa
,
àore reà mau-
haa na roto i te reo màôhi...
Ua tupu atoà te manaonaôraa.
? E tià anei ia faamâôhihia te hitimanaô papaa, nô te mean aita teie hitimanaô i roto i ta te
Eaha te mea e tià ia haapiihia i te tama
màohi ?
E rave anei tâtou i te faanahoraa papaa nô te huriraa na roto i te
reo màohi
?
E faaô anei tàtou te tao papaa i roto i te reo màohi, aore rà, e patu
anei tàtou i te taô màohi âpi au i te hitimanaô tâ teie taô papaa e faahiti
nei ia tàtou...
Ua rau uiuiraa e tià ia tâtou tataitahi ia pàhono.
75
Littérama’ohi N°13
Amaru Àraîa
Manaônaôraa.
la imihia te tahi atu mau raveà, te tahi atu mau vahi, te tahi atu mau
taime e faaohipahia ai te mau reo
mâàhi e te mau tamarii, te mau
metua, te huiraatira, i roto anei i te mau pu faafaaèaraa, te mau pü
ohipa ani a te hau fenua...
la haapuài atoàhia te haamaniraa i te mau mauhaa na roto i teie
mau reo, puta anei, hohoà anei...
la tupu te âparauraa, te farereiraa i roto i te mau àivanaa reo, te
mau ôrometua nui, te mau àrometua, te mau pu ohipa e faaàhipa nei i
te reo no te feruri maite i te parau o teie mau reo, te parau o te mau hitimanaô, te parau 5 te mau taô âpi... la hôê te manaô e tià ai !
la tae teie faanahoraa i tô na hopeàraa, maoti râ, tô na faitoraa, i
reira noa, e pâuhia ai te faufaa à teie mau reo.
Nô matou nei râ, no tô matou nei â here i tô matou mau reo, te vai
rii noa ra teie ahi e marama nei i te uriâtaaôre.
Atieê !
Amaru Àrafa e te mau ôrometua haapii i te mau Reo e te Taère Maôhi
Amaru Àrafa et les martres en Langues et Culture Polynésiennes
Pirae 08 03 07
76
4*
Dossier : les
Afea tatou e tïfai al
...
Hei, hei, hêi...
Hei, hei, hêi...
A mau paari i te hoe
Tenez fermement la rame !
!
reo ma’ohi
E faurao te reo nô te ite
La langue est ie véhicule du savoir
E nô te paari à te hôê nûnaa !
Et de la sagesse d’un peuple !
Auê ia parau iti i te nehenehe
E pai
!
Que c’est beau !
E pai
!
!
Te tütonu nei a te mata i te paerai,
Des yeux scrutaient à nouveau l’horizon
Aore râ e rei mua
Mais aucune proue de navire
1 âputa noa ae i te ahitai o te tâiva.
Ne perça les brumes de l’abandon.
Te hoto noa nei â te tau,
Le temps fuit,
E te mataetae nei te ohi tumu
Et l’originaire se décourage
1 te tahatai nô te tiairaa...
Sur ie rivage de l’attente...
Hei, hei, hêi...
Hei, hei, hêi...
E reo pii i te aore reva.
Un appel s’éleva dans le vide céleste.
0 vai te tapena i reira
?
Qui en est le capitaine ?
Tei heate àveià ?
Où est le cap
Aore e pâhonoraa,
Pas de réponse,
Mutu te honotau...
Le lien intemporel est rompu...
Aore e tapena,
Pas de sacrifice,
Tatou te tapena...
Nous sommes les sacrifiés...
Aore e àveià,
Pas de cap,
Te onohi te iriraa...
Le suicide...
?
77
Littérama’ohi N°13
Amaru Àraîa
Horo vanaa atu ra te tiàturiraa
L’espérance alors se précipita intelligemment
I te faanahoraa âpi.
Dans l’ordre nouveau
.
Moèhia atu ra Matarii,
Couper Matarii,
Tâpiri noahia mai Sirius
Mai te tâpiri viivii
Coller Sirius.
Coller comme un pansement souillé
I nià i te puta naonao
Sur piqûre de moustique
I maèro uàna ai te tütuà
Qui fit démanger la petite plaie
I taui ai te iho ô teie vaa
Qui fit travestir cette pirogue
I taaminomino noa ai te ihitai
Et qui fit tournoyer les passagers
I te rere a nevaneva.
Du vol des aliénés.
Hei, hei, hëi...
Hei, hei, hëi...
E reo pii i te aore reva.
Un appel s’éleva dans le vide céleste.
0 vai te tapena i reira
?
Tei hea te àveià ?
Qui en est le capitaine
?
Où est le cap
Mutu te honotau...
?
Pas de réponse,
Le lien intemporel est rompu...
Aore e tapena,
Pas de sacrifice,
Tatou te tapena...
Nous sommes les sacrifiés...
Aore e àveià,
Pas de cap,
Te onohi te iriraa...
Le suicide...
Ahê !
Ahë !
I tifaihia nâ te vaa i tahito ra,
Jadis, les pirogues étaient cousues,
Afea tatou e tifai â i teie vaa,
Quand nous allons nous recoudre cette pirogue,
Aore e pâhonoraa,
78
Dossier : les
reo ma’ohi
Te vaa tauàti à te reo aroha
La pirogue double, cette langue de compassion
I te nape i haapaarihia,
De la cordelette de nape solidifiée,
I haamoàhia i te taimara,
Consacrée dans l’océan,
Afea ?
Quand ?
Hei, hei, hei...
Hei, hei, hêi...
Amaru Àrafa e te mau ôrometua haapii i te mau Reo e te Taère Maôhi
Amaru Àrafa et les martres en Langues et Culture Polynésiennes
Pirae 08 03 07
79
Littérama’ohi N°13
Poema Rochette
TO’U REO, TEI HEA ‘OE I TE VAIRA’A
‘I TEIE MAHANA ?
‘E pina’ina’i teie no tô’u â’au, ‘e inaha te uiui nei te mana’o e, tei hea
‘oe ‘e tô’u reo ;
Reo tahiti anei, reko pa’umotu anei, ‘eo ënana anei, reo tupua’i, reo
ra’ivavae, reo rimatara, reo rapa, reo ma’areva anei.
Te reo ‘o te hô’e faufa’a rahi teie ‘i roto i te totaiete. ‘E reo no te
parau parau atu ‘i te tahi ta’ata ‘ë, ‘e reo mo te fa’ateniteni ‘i te fenua, ‘e
reo no te fa’atara ‘i te tahi vâhi, 'e reo no te parau
‘i to ‘oe mana’o, ‘e reo
pehepehè, ‘e reo no te ‘orero ; ‘e reo no te himene.
‘E reo ato’a ra no te tama’i, ‘e reo ato’a no te fa’ahapa ‘i te tahi mau
‘ohipa hape, ‘e reo ato’a no te aroha ‘i to ta’ata tupu, ‘e reo ato’a no te
ha’api’i ‘i te tahi.
no te
‘E te’ote’o tatou ‘i to tatou reo, ‘e fenua to tatou, ‘e reo to tatou, ‘e
peu tumu ta tatou ‘e himene ai’a ta tatou, aue ho’i te fa’ahiahia e
!
Te nu’u nei te tau, ‘e te horuhoru nei te ‘â’au, oia mau.
Te hi’o nei au ‘i tâ’u nei mau tamari’i, ‘e te uiui nei te mana’o e, ‘ua
vaiho anei au tô’u reo ‘i ta’u nei hua'ai ? Te uiui noa ra â te mana’o ?
‘Ua rave anei au ‘i tâ’u tuha’a no te ha’aparare ‘i tô’u reo, no te
ha’api’i atu ‘i to’u reo, i roto ‘i to’u Otuâfare. ‘Ua ora mau au 'i roto ‘i to’u
reo
mai to’u ihoâ ‘aru’arura’a. ‘Ua fa’aro’o vau ‘i te reo farani ‘e te reo
tahiti, ‘aita to’u tari’a ‘i mauiui a’e.
80
Dossier : les
reo ma’ohi
‘la nana atu to’u mata ‘i te ‘ao’ao, aue, ‘era ‘o ‘aiü ‘e parau farani
mai ra, ‘era te tahi 'e himene mârite mai ra, ‘e ra te tahi atu ‘e tai’o mai
ra tâ na tumu
parau na roto ‘i te reo paniora. ‘Aita ratou ‘e ani mai ‘i te
tauturu.
‘Are’a ra no te rave ‘i ta ratou tuha’a ha’api’ira’a no te reo tahiti, ‘i
reira ratou ‘e fariu mai ai, ‘e ani ai ‘i te tauturu. ‘Aue ho’i te mauiui
!
‘Ua ma’uua roa anei ta tatou mau tamari’i ?
‘Aore ra, ‘aita te reo tahiti ‘e ‘ana’anatae hia ra ‘e ratou
?
Te morohi roa atu ra to’u reo.
‘Erohi â vau no to’u reo, eiaha oia ia topa ‘i roto ‘i te reru. Tera ra,
‘eita ‘e ‘oti ia’u noa, ‘a tauturu mai ia’u :
‘Outou te
mau
metua, ‘outou ‘e te feia mana ‘o te fenua nei,
‘outou ‘e te mau ‘orometua h’api’i, ‘outou 'e te mau tamari’i ‘ tae noa
atu ‘e te mau ta’ata tahi ato’a, ‘a rohi ‘amui ana’e no te fa’aiho fa’ahou
i to tatou reo.
81
Littérama'ohi N°13
Poema Rochette
Teie te tahi pehepehe no te fa’atenitenira’a ‘i to’u reo
‘E reo, ‘e reo tâ’u i fa’aro’o,
‘E reo no te aroha, ‘e reo no te mafatu.
‘E reo, turama to’u avei’a
Turama to’u orara’a, turama to’u mau haerera’a.
Te pi’i mai ra to ‘oe reo
la mahuta mai ‘ite pô.
la mahuta mai ‘i te ao.
Papa'ihia ‘e Rochette Poema vahiné
7 no mâti 2007
82
Christian Tevitere
NAISSANCE D’UN TEXTE
Jeune professeur de technologie, j’ai remarqué que mes élèves d’ori-
gine polynésienne avaient des difficultés dans toutes projections vers
le futur, des difficultés à concevoir, à mettre en place un projet sur
deux semaines.
Cela fait deux mois que je me suis mis à apprendre le reo.
La conception du temps en reo m’a beaucoup intrigué. Je me suis
penché sérieusement sur cette question, avec l’aide d’un académicien.
Dans son analyse, il voyait une relation entre la conception du temps
dans le reo et certains blocages de mes élèves. (Le fait de se projeter dans le futur)
Le texte a pris naissance par la suite.
TE TAU
la ora
la ora na
Te ‘are no te Ora
Te reo o te tau
I hea roa te reo o te tau ?
I hea roa te reo o te tau ?
Na te parau i faanau mai i to tatou reo
Na te reo i faanau i to tatou manao
I roto i to tatou Orara’a.
83
Littérama’ohi N°13
Christian Tevitere
Te reo o te tau,
Te reo o te Ora,
Te ‘are no te tau,
Te ‘are no te Ora,
Te ‘are no te Tau-vai.
I roto i to tatou reo,
Aore tatou e horo atu na mûri i te tau.
Te haere mai nei te ‘are no te tau.
Uatae te tau.
Te faahee nei tatou i te ‘are no te tau
Te faahee nei tatou /'te ‘are no te Ora
Ua fati (haere) mai te ‘are no te tau
Ua pohe atu te ‘are no te tau ?
Nahea ai tatou e nehenehe e horo atu na mûri i te tau ?
Nahea ai tatou e nehenehe e faatupu atu no ananahi ?
Ua nehenehe te reo o te tau.
Ua nehenehe te reo o te Ora.
Ua nehenehe te ‘are no te tau.
Ua nehenehe te ‘are no te Ora.
Na vai i faatupu mai te ‘are no te Ora,
I roto i to tatou Orara’a ?
Na te mata’i
Te mata’i i Ora
Te mata’i no te Ora
Te mata’i i faanau mai ia na tatou inanahi,
I roto i to tatou ohipa i rave ra.
! roto i to tatou ohipa te rave nei,
Te faatupu nei tatou i te mata’i i Ora,
84
Dossier : les
reo ma’ohi
I teie mahana.
I teie mahana te faanau nei tatou no anahinahi.
Era te mata’i i Ora,
Te mata’i no te tau,
Te mata’i no te Ora.
Erat p tatou ‘are no te tau i faatupu iho nei,
Te ‘are no te Ora e haere mai.
‘A faaro'o i te reo o te tau
‘A faaro'o i te ‘are no te Ora
‘A ara atu tatou i te tau
‘A ara atu tatou i te tau no te Ora
‘A ara
‘A Ora
la ora.
Christian Tevitere
Littérama’ohi N°13
Vahi Sylvia Tuheiava-Richaud
TE PARAU 0 TE REO I PORINETIA FARANI
E mea ora te reo. la parau noa te hô’e nüna’a ta’ata i tô na reo, noa
atu te huru o taua reo ra, e vai ora noa te reo. No reira, e ora te reo ia
vai ora noa te mau ta’ata i ‘ite i te fa’a’ohipa i taua reo ra. E rahi roa atu
â te vai-maorora’a o te reo i roto i te he’era’a o te tau mai te peu e’ita te
taura e tâ’amu ra i te feiâ pa’ari, e mau ra i taua reo ra, i te u’i ‘âpï nâ
fa’a’ohipa i taua reo ra ia mou atu teie mau metua. I Porinetia
farani nei, te fa’aro’ohia te parau e : e mou te reo tumu o teie fenua no
na e
te iti o te feiâ ‘âpï i ‘ite i te parau i tô na reo tumu, e ua ‘ite ho'i tatou e
te feiâ ‘âpï te mau ta’ata pa’ari no ‘ara’ua’e iho. E parau fa’ari’ari’a ânei
teie, e parau fa’atupu pe’ape’a noa, aore ra e parau tano iho â? Tei hea
te vaira’a o te reo o te nüna’a mâ’ohi i teie mahana ? E aha te mau
râve’a e ‘itehia nei te ravehia ra ia vai ora noa te reo ?
I mua i taua mau uiuira’a ra e’ita e hope hânoa i te tâtara, e tâmata
vau
i te hohora atu i ta ‘u i mana’o e mea faufa’a no tâtou no teie nei
taime, a fa’ahope ri’i marü noa atu ai i te pâhonora’a i teie mau uiuira’a
i te tahi atu mau taime ‘ê. E fa’aea noa vau i ni’a i nâ tumu parau e piti
ha’apâpüra’a, nâ mua roa, i te i’oa e ma’irihia nei i ni’a i taua reo
nei, hou a fa’ahoro atu ai te mana’o i ni’a i te vaira’a o te reo io tâtou nei,
nei
: te
i teie tau.
1. E Reo tumu tô te nüna’a mâ’ohi
1.1. E reo no roto mai i te fêti’ira’a reo ‘Autoronetia
I te parau no te reo e parauhia nei i Porinetia farâni i teie mahana,
aore e ta’ata e fifi
ia parau e ia fa’aro’o ia parauhia e, e REO TUMU tô
te nüna’a tumu o teie fenua. Teie reo tumu, e parau rahi e e ‘a’amu rahi
tô na. Inaha no roto mai o ia i te mau fëti’i reo ‘Autoronetia (Austron
ésien ) e vai i Taiwan. Nâ Taiwan mai te pürarara’a taua nüna’a ta’ata
86
Dossier : les
reo ma’ohi
ra i
parauhia ‘Autoronetia nâ ni’a i te moana Patitifa no te ‘imi i te ora i
ni’a i te mau fenua tâpiri a parare roa ai nâ te âtea, i te mau motu âtea
(o Porinetia hiti’a o te râ te mau pae fenua âtea roa a’e, noa atu â pa’i
ia ua tere atu te tahi pae o râtou i te pae fenua Marite ‘apato’a, nâ roto
i te fa’a-ô-a’a mai i te 'umara i Porinetia hiti’a o te râ) ua tai’ohia e ua
fâtata i te roara’a e 5000 matahiti taua ‘ohipa ra i te tupura’a e tae mai
ai i teie tau tâ tâtou e ora nei. No roto mai tâtou, e ua pâpü taua parau
i tuatâpapa'nia e i ha’apâpühia e rave mau ‘aivana’a, i taua nüna’a ta’ata
matamua ra, te ‘autoronetia, i noho i ni’a i te motu Taiwan, ia hi’ohia te
terera’a o te mau reo tô roto te reo e parauhia nei i Porinetia nei.
No te maorora’a o te tau e te he’e-âtea-ra’a mai taua mau ta’ata
‘autoronetia ra, ua tupu iho â te tahi mau tauiuira’a rahi no te pae ânei
orara’a va’a mata’eina’a
(te fa’anahora’a o te orara’a o te
tâ’ato’ara’a, te aura’a i rotopü i te tâne e te vahiné, te metua e te tama,
te fëti’i..te ti'aturira’a e te orara’a fa’aro’o (te mau atua e ha’amorihia,
te mau ta’ata e fa’a-au i te ta’ata e te mau atua,...), te mau peu (te mau
fa’atupura’a ‘ôro’a, te ‘ori, te mau fa’ata’i pehe, te pehera’a, te ha’utira’a,
te huru o te ta’ata i mua i te pohe, ...), te hâmanira’a i te ‘ahu no te
‘ahura’a i te tino, te patura’a fare, te tanura’a e te ‘ohitira'a i te mâ’a, te
tunura’a e te mau râve’a no te tunura’a i te mâ’a ( no reira mai te ‘eura’a
mâ’a i roto i te umu e parauhia e ahimâ’a io tâtou - e umu Lapita-, etv.),
te ‘ohipa tautai, e tae atu i te reo metua e tô na fa’a’ohipara’a i roto i te
o
te
orara’a va’a mata’eina’a. No te na’ina’i e te âtea o te rahira’a o te mau
motu e vai ra i roto i nâ poro e toru e tâ’ôti’a nei
ia Porinetia (Vaihï-
Teaotearoa - Rapanui ), ua mau te mau ta’ata i tae roa mai i taua mau
pae fenua nei e ua fa’atano i tô râtou huru i te huru o te fenua i ta’ahimatamua-hia e râtou. Ua ha’amau i te orara’a ‘âpï mâ te fa’a-iho i tâ
râtou i mâtau i te rave i te mau fenua hope’a no reira mai râtou i te
he’era’a mai, a
tâpae mai ai.
87
Littérama’ohi N°13
Vâhi Sylvia Tuheiava-Richaud
Te reo i parauhia e tô râtou mau metua, ‘e’ere ia to na fâito e tô na huru
mai tei ravehia i te fenua metua ra o Taiwan e i te mau fenua i he’ematamua-hia mai e râtou era a’e nei te tau. E tere iho â te reo i tô na
terera’a, ia au i ta te ta'ata fa’aohipara’a i te vâhi tei reira o na. E hia u’i
ta’ata i mo’e e i monohia mai e te mau u’i ‘âpï e a ‘ohu noa ai te tau i
roto i tô na nu’ura’a. E ‘itehia râ te ho’i-pinepine-ra’a e te tupu tâmaura’a
te tahi mau tâuiuira’a i tupu no te pae o te reo, (e mea pâpü te reira ia
au i te
tuâtâpapara’a a te mau ‘ihi reo e ha’apa’o nei i te parau no te tua-
Linguistique historique -) nâ roto i te tâpa’opa’ora’a i te tahi
fa’a’ohipahia i Porinetia farâni i teie tau, e te hi’ora’a i
te mau ta’o te ‘itehia ra te tü’ati’atira’a no te pae o te mau mâta’i e te
mau âreo i vai mai, aore ra aita fa’ahou tô roto. Ei hi’ora’a :
tua reo -
mau ta’o tumu e
PPN
Tahiti
( Protopolynésien )
(Porinetia farâni)
Te mau tauira’a e
‘itehia ra
fa’e
fare
/?/ */r/
fonu
honu
/fM/h/
ika
i’a
/kM/?/
kutu
‘utu
/kHH
mata
mata
0
matua
metua
lal'+l e/
tai
tai
0
tangata
ta’ata
/ngM/?/
tatau
tatau
0
wai
vai
0
Te protopolynésien, i ha’apotohia PPN nâ roto i te hi’ora’a a te mau
‘ihi reo e tuatâpapa nei i te pae o te tuatua o te reo, te pü’oira’a reo
hope’a, no roto mai i te fëti'ira'a reo metua no ‘Autoronetia, i vai mai i
88
Dossier : les
reo ma’ohi
Porinetia a pürara fa’ahou atu ai te mau reo e fa’a’ohipahia nei e te mau
nüna’a ato'a o te mau fenua ato’a e vai nei i roto i te taura fëti’i reo «
porinetia » ua tai’ohia te reo e parauhia nei io tatou nei. i roto i taua
PPN ra, te vai nei e piti ‘âma’a reo : a tahi, te mau reo no te mau fenua
Tonga e o Niue e mea piri râua ; a piti, te ‘âma’a reo i horo’a mai e piti
fa’a-‘âma’ara’a ‘âpï : te mau reo no Hâmoa e nâ râpae atu (Hâmoa,
Tokelau, Tuvalu, Uvea hiti’a o te râ, Futuna hiti’a o te ri, Niuafo’ou,
Pukapuka, Nukuoro, Kapingamarangi, Takuu, Nukumanu, Luangiua,
Sikaiana, Benell, Pileni, Tikopia-Anuta, Emae, Ifira-Mele, Futuna to’o’a
o te râ, Fagauvea) i te hë’ë pae, e i te tahi pae : te mau reo no Porinetia
hiti’a o te râ. I roto i taua pupu reo hope’a roa, te vai nei te Rapanui, ona
ana’e i tô na pae, e te vai nei te toe’a mai te reo no Vaihi, ‘Enàta, Tahiti,
Tuamotu, Ma’areva, Rapa, Penrhyn, Rarotonga, Maori, Moriori (ua mou
roa te reira reo i teie nei, i te moura’a te mau ta’ata hope’a e parau nei
i taua reo ra !). (LYNCH, 1998 : 52)
No reira, ia tuatâpapa-ana’e-hia te tuatua ‘a’ai o te reo o te fenua
nei, e hi’ohia iho â te huru o te mau reo ato’a e ha’apüra’a të râtou i roto
i te PPN, no te tàtara i te huru matamua o te mau ta’o e hi’ohia ra, të
râtou mau aura’a matamua, te huru o te reira mau ta’o matamua i vai
mai i roto i tâ te reo no Porinetia faràni nei i tâpe’a mai, no te pâheru i
te aura’a tâ taua ta’o ra e fa’a’ite ra. Nâ teie hi’ora’a nâ-rotoroto e ta’ahia
ai te mea i taui (e tauira’a rahi ânei), te mea i
‘erehia (no te aha ?) e
te mea i vai mai. Te uira’a e roa’a mai : mea nâ hea taua mau ta’ata ra
i fa’a’ohipa i te PPN i te terera’a mai, i hea i te fa’aeara’a e i te hea vâhi
te mau ta’o i ta’a’-ë ai no te fa’a’ohipa mai i te tahi mau ta’o ‘âpï aore e
tü’atira’a i te PPN ? Nâ te reira e fa’auiui i te huru e te vaira’a o te reo
o taua mau ta’ata ra e
pârahi nei i terâ e terâ vâhi i teie tau. ‘E’ere teie
i te ‘ohipa na’ina’i e te ‘ôhie no te fa’ata’a-maita’i-ra’a. Tei roto noa â i te
pâherura’a no te ‘imi i te tahi mau parau huru pâpü a’e no te ‘a’ai o të
89
Littérama’ohi N°13
Vâhi Sylvia Tuheiava-Richaud
tatou nüna’a e te vâhi no reira mai tô tatou mau tupuna matamua ‘erâ a’e
nei te tau e te tau, i vai noa ai te uira'a e : nô hea mai te mau ta’ata tumu
pârahi nei i Porinetia, e mea nâ hea râtou i te he’era’a mai i ‘5 nei ?
I teie nei ra, nâ hea ia pi’i i taua reo tumu e parauhia nei i Porinetia
farâni, i Tahiti iho â ra, aore ra i Ni’a mata’i e i Raro mata’i ?
e
1.2. E reo tahiti
aore ra e reo mâ’ohi
?
E reo tahiti reo aore ra e mâ’ohi tê tano i te parau
?
1.2.1. Te reo tahiti
Aita te mau ‘aivâna’a i tia’i ia horo’a atu te mau ta’ata tumu o
Porinetia hitia’a o te râ i te i’oa o tô râtou reo no te tu’u i te tahi i’oa i
ni’a iho. Ua fa’arirohia te i’oa o te fenua ei niu topara’a i te i’oa no te
nüna’a ta’ata no
na
taua fenua ra,
i te taera’a mai te mau Papa’â
matamua, mai te ravehia e râtou i te mau fenua ‘âpï ato’a i rae’ahia
e
râtou, i te pâpüra’a mai te mau moiha’a tere pahï âtea. Mai te peu
te fenua o
Tahiti, e mau ta’ata tahiti iho â ia tô ni’a iho. Te reo tahiti,
tâ te mau ta’ata tahiti ia i Tahiti e parau ra e tâ te mau tâpena papa’â
mai
ia
Uariti
(Wallis), Poutaveri (Bougainville), Tute (Cook),
Rodriguez, Bligh, Morrison
i fa’aro’o atu e i tâmata i te tâpa’opa’o
haere. O te reo ato’a ia tâ râtou i fa’aro’o atu te parauhia ra, i tô râtou
tereterera’a atu nâ Huahine e o Ra’iatea mâ i pâpü ai râtou hô’ë â
huru reo të parauhia ra i te reira mau pae fenua i pi’ihia e Tute te mau
Motu Totaiete (Society islands), i tâtuha’ahia ei Ni’a mata’i e ei Raro
...
mata’i.
E mea nâ roto atu i te fenua ra Tahiti i tâpae-matamua-hia e te mau
papa’â i fa’a’ohipahia ai te parau o te reo tahiti, tâ te tahi mau 'aivâna'a
i tere mai nâ mûri iho i te mau ra’atira pahi matamua i ‘apo e i tâpa’o i
roto i tâ râtou mau puta tâ-mahana, i nene’ihia i mûri a’e i tô râtou
90
Dossier : les
reo ma’ohi
ho’ira’a atu i tô râtou mau fenua. E mea nâ reira te ‘atutura'a atu te
parau o te nüna’a e te reo i fa’aro’o-matamua-hia e râtou. l‘ô nei ia te
tuha’a 'ohipa rahi ta te mau mitionare a te London Missionary Society i
rave
mâite, eiaha nâ roto noa i te tâpa’opa’ora’a ta’o, nâ roto râ i te
ha’api’i-roa-ra’a i te parau i te reo, noa atu te fifi i fârereihia e râtou, e te
‘ôpuara’a e fa’a-uri roa i te reira nâ roto i te Pâpa’i i mûri a’e, no te
ha’api’i i te ta’ata i te Parau a te Atua. Taua reo ra i roa’a roa i te Papa’â
i te parau e te pâpa’i e tâ te mau mitionare porotetani a te LMS i ha’api’i
i tô tâtou mau tupuna i te tai’o e te pâpa’i a ‘ite roa ai tô tâtou mau ta’ata
i te tai’o e te pâpa’i, o te reo ia o te mau ta’ata no Tahiti i ‘ite-matamuahia e te papa’â, oia ho’i te reo tahiti.
I taua tau ra, ua
Otaheti, Taiti...
ra’atere
pi’ihia te fenua « Tahiti », o « Otaheite, Otahite,
» ia au i te huru o te ta’ira’a reo o te reo tumu tâ te mau
peretâne aore ra paniora i mâtau i te fa’a’ohipa i tô râtou
fa’aro’ora’a atu i te mau ta’o a tahi ra tari’a ‘e’ë i fa’aro’o atu. Ua ‘ite-roa-
hia te parau e te vaira’a o te reo tahiti i ‘Europa mâ (BUSCHMANN,
1843), hou te ta’ata tumu iho i ‘ôpua ai i te tu’u i te i’oa o tâ na i feruri e
mea tano no tô na iho reo.
1.2.1.1. Te mau tâpura ta’o reo tahiti i ha’aputu-matamua-hia
I te taera’a mai te tapena farâni ra o Poutaveri ( eiaha o Putaveri
mai tei mana’ohia, no te mea nâ te papa’â iho â i pâpa’i i teie i’oa ta'ata
mai teie te huru
!) i Hitia’a no te maorora’a e iva noa mahana i 1768 i
tâpa’o o ia e te tahi atu nau ta’ata, o Vives e o Starot de St-Germain de
Loberie, i te tahi tâpura ta’o matamua 180 ta’o i roto. I taua tere noa ra
â, ua tâpa’o mai o Fesche 184 ta’o i nene’ihia i te matahiti 1977. Teie
ri’i te tahi mau ta’o i piahia mai e te aura’a i tu ‘uhia mai e râtou, nâ roto
i tô râtou reo farâni :
91
Littérama’ohi N°13
Vâhi Sylvia Tuheiava-Richaud
Tâpura 1
Tapura2
Poutaveri
Journal de
(i nene’ihia mai i 1771 )1
Chales-Félix-Pierre Fesche2
[-1
ari, cocos
Tara-tane, femme mariée.
aere, aller
Taporai, battre, maltraiter.
Taoua-mai, médecin.
Taoumi, haussecol pour les cérémonies.
aeremai, revenir
Taoumata, couveture de tête.
aOaO, le cœur
Tata, homme.
aa, tresse de jonc
Tatoue, l'acte de la génération.
Teraea, jaune.
e8are, case
Teouteou, valet, esclave.
eTapOno, épaules
Tero, noir.
eT8a, dos
aererO, la langue
arapOa, gorge ou gosier
e8a, pluye
Tetouare (?), femme barrée.
ENio, les dents
Tiarai, fleurs blanches qu’ils portent aux oreilles
eray, le front
en
guise de pendans.
771/, cheville.
Tinatore, serpent.
Tua, fort, puissant, malfaisant.
Tomaiti, enfant.
Toni, terme d’appel ou cri pour les filles. On y
ajoute Peio allongé, oi Pijo prononcé doucement comme le grand j des Espagnols. Si la fille
se donne un coup sur la partie extérieure du
genou, c’est un refus, mais si elle dit enomoi,
c’est l'expression de son contentement.
Toto, sang.
Touapouou, bossu.
Touaine, frère & sœur, en ajoutant le mot qui
distingue le sexe.
Toubabaou, pleurer
Toumaay, action de faire des armes. C'est avec
un morceau de bois armé de pointes faites
avec des matières plus dures que le bois. Ils le
placent comme nous pour faire des armes.
eMiMi, pisser
eToi, hache et herminette
era, le soleil
eraa8, arbre
eMMaa, fronde
evii, espèce de pomme
eNoua, terre
eTai, la mer
erai, le ciel
Met8a aiNe, mère
MeTua TaNe, père
Moa, poule
Matte, tuer ou mourir
Malama, la lune
8Mi8Mi, la barbe
ob8, le ventre
TeraTaNe, femme marié
TaiO, ami
Ta8ra, la corde
1 LE MÉMORIAL
POLYNÉSIEN, T I, 1978, ‘api 190.
2
TAILLEMITE, Etienne. 1976. Bougainville et ses compagnons autour du monde
1766-1769, Paris, p. 169
92
Dossier : les
reo ma'ohi
E aha e ‘ore ai te papa’â e hape i te pâpa’ira’a i tei ‘ore e mâtauhia
? Tera iho â ia te hoho’a. Noa atu
ra, te rahira’a o taua mau ta’o ra të roa’a i te ‘itehia. Te 'ite ato’a ra tatou
e te vai ra te tahi mau ta’o aita fa’ahou tô roto i te reo e parauhia nei i
teie tau, no te mea te fa’a’ite ra taua mau ta’o i ‘ore e fa’a’ohipa-fa’ahouhia nei i teie tau, i te tahi mau ‘ohipa aore tao’a aore e rave e e hâmanie
râtou i te fa’aro’o e i te paraura’a
fa’ahou-hia nei i teie tau !
Ua roa’a ia Joseph Banks e ia Solander, te tahi nau ‘aivâna’a pere-
tâne i nâ mûri mai ia Tute i roto i tô na tere matamua, i 1769) i te putu
( Banks : 500 ; Solander : 766, ia au i te tuâtapapara’a a Rensch) i roto i ta Banks i pi’i i ta na iho : « Vocabularies of
Taheitean & other South Sea dialects ». Aita te putura’a ta’o a
e rave rahi mau ta’o
Solander i ‘ite-vave-hia. No mûri iho roa mai i ‘itehia mai ai, i te School
of Oriental and African Studies i vai na i roto i te
Fare Ha’api’ira’a
râua i te 'ohipa
putura’a ta’o reo tahiti, a pâpa’i ‘ë atu ai te tahi i tâ na iho. E mea nâ roto
atu râ tâ râua tâpura ta’o reo tahiti i te reo peretâne i te tu’u-ra’a-hia mai,
Tuatoru no Ronetona. Te mea pâpu, ua rave ‘âpipiti
mai teie te huru :3
BANKS Joseph
angry, worridde, irrëa
angry, worridi, irrea
apples, avée
arsehole, e houlhe, a’hulhe
afraid, mattow
above, tei nia
aunt, meduah
aunt, uncle, metua meduah
arm, rema
anchor, e tutao
ancle, momoa
armpit, àà
to awake, hëtërerre, wahaitererre
to awake, he terrere, hetererre he tererre
armpit, a’a
wahaitererre wahaitererre
an arrow,
3
SOLANDER Cari
toah
afraid, mattau
RENSCH, Karl H., 2003. Early Tahitian. Canberra : Archipelago Press, ‘api 22-24, ‘api 74-77.
93
Littérama’ohi N°13
Vâhi Sylvia Tuheiava-Richaud
agréable, noue noOe
arm, rhima, Ihima
a bed or mat to
ankle, momoa momoa
sleep upon, moea
broke, motü
arrow, poa
blood, toto
axe, toe
a woman’s breast, eu
aloft, teinia, ni_a
a bird, mannu
bad, eno ino
apple, avi avi avee
armpit, àà
agreable, nouw’hi ?
breadfruit, ooroo
bird, manu
a bead, poe
to beat, teparahi
tropic bird, with white tail, manu roa
tropic bird with red tail, tavai
bird’s tail, ehope
the beard, taoumi, miaumi
beak of a bird, eutu
the belly, haboo, oboo
buttocks, backside, eeowhe, e towhe, e tohe
blind, matapo
below, tiraro
a bone, aeve
bitch, eu’wha
brother elder, tuanne
ballockks(testes) of animals, ehua ; atïà
brother, younger, tinah
button, poe
to blow, booboowhe
boat, pahi ite
a box,
péha
abow, whanna
a
flags basket, etta ette
to bat, or whip, taparahai, taporahai ; etutu
to bite, a.athe, â.àhu
box, (both small & large), piha
a bitch, aeuwha
blow the nose, patetehui
the breast, ooma
bed, beddings, obs. chiefly a mat, moeia
the backside, tohe. towhe
pillows or what under the hat, eu’lhua
blunt, mannéa
cover lid, titao
the back, tuamo
to burn, to be hot, evero, evera, ehwera
breakers, aaru
to breathe (with difficulty, hard), popo te hao
brains, teroro
to belch, e pi'ha ; ufa
[...]
[■■■]
Ua tae ato’a mai te mau Paniora i Tahiti, i te ‘opuara’a te fa’aro’o
tatorita e ha’amau i te pü tatorita matamua i Tahiti. ‘Aita ra taua ‘ohipa
ra i manuia, no te huru ta’ata o na mitionare e
94
piti i pârahi mai i Tautira.
Dossier : les
I tô te Paniora tere-matamua-ra’a mai i Tautira, ta râtou
reo ma’ohi
i pi’i Isla de
Amat, i 1772, no te roara’a ho’ë ‘âva’e, ua roa’a mai i te ta’ata toro’a ra
Gayangos 114 ta’o. Ua ho’i fa’ahou mai te mau Paniora i 1774, e ua
tâpa’ohia e râtou 1031 ta’o i roto i tei pi’ihia Diccionario ...de las Islas
de Otahetioia ho’i Puta fa’atoro. E mea nâ roto atu i te reo paniora
te ta’o i te pâpa’ira’ahia mai :4
Diccionario 1774
Gayangos1772
el pelo, euro
cheveu
la frente, area
front
el tobillo, momoà
el pie, tapuae
A
agua, evai
cheville
acha, etoi
pied
los dedos del pie, mativo abai
los ojos, mata
la nariz, eya
yeux
orteils
armas de
fuego, epupuji
aparejo de pesca, taura
asi es, na reira
nez
va-t-en
hache
bouche
ancla, tutau
los lavios, eutù
lèvres
amarillo, erearea
los dientes, nijiô
dents
arena blança, eoneteatea
las muelas, età
molaires
arena negra, eoneereere
ancre
anochezer, eagiagi
el pescuezo, eay
ayer, ynanagei
cou
el pecho, eù
sein
épaules
jaune
sable blanc
sable noir
tomber la nuit
amanezer, tatagiyeta lever du jour
langue
la barva, caguas barbe
los orejas, taria oreille
los carrillos, paparia joues
la caveza, eopô tête
los hombros, tapono
armes à feu
attirail de pêche
c’est ainsi
la vocca, e vaja
la lengua, yàrelo
4
eau
andavete, ejare
arrezifes, eau ô etoa
amigo, tayo
récif
ami
azeite de cocos, wmomoy
huile de coco
hier
arboles con que hacen sus mantas, orà
aguacero, eua averse, grain
[...]
TUMAHAI, Liou in BSEO, n° 294, tetepa 2002, ‘api 6-66.
95
Littérama’ohi N°13
Vâhi Sylvia Tuheiava-Richaud
E rave rahi atu mau tâpura ta’o, mau puta fa’atoro, mau papa reo i
oti mai i te ravehia e te mau papa’à mai taua tau mai â
noa atu vau
! Ha’amana’o
i te Aebi matamua ta te mitionare Davies i pâpa’i mai e i
nene’ihia i 1810 i Ronetona.5
No tatou ra i teie mahana, te ‘ite ra tatou e mea faufa’a te reo tahiti
no te ’a'a’ai o te nüna’a e
pârahi nei i ni’a i teie fenua. Ua ha’amata-hia
a’e na tô na parau i te parauhia e i te pâpa’ihia, e’ita te reira e mau
fa’ahou.
1.2.2. No te « ta’ata mâ’ohi
-
»
i « mâ’ohi » ai e i
« reo mâ’ohi »
hia ai
1.2.2.1. Te aura’a
Te
reo
mâ’ohi, o te hô’ë teie mui-ta’o aore ra pupu-ta’o ‘aita i
mâtauhia e te ta’ata i te fa’a’ohipa e no teie roa iho nei i te fa’a’ohi-
para’ahia, i mûri mai i te maura’a mai te pü tâmatamatara’a ‘atomi
(CEP) io tatou. Te aura’a o teie mui ta’o reo mâ’ohi ‘e’ere i te hô’ë
noa reo, mai tei parauhia no te reo tahiti, o te mau reo ato’a ia e parau,
hia nei i Porinetia farâni i teie mahana, i roto i nâ ta’amotu e 5 ato’a ra.
Tei roto te tâ’ato’ara’a o te mau reo ato’a o Porinetia i te parau o te Reo
Mâ’ohi. la haere te ta’ata io te Pa’umotu, e reo mâ’ohi te reo parata,
aore ra
maragai e fa’a’ohipahia ra. Ta’a ‘ë noa atu ai te reo raro mata’i
i te reo rurutu e i te reo ‘enana, e reo mà’ohi ana’e teie mau reo. No
reira, te reo mâ’ohi, o te reo ia o te ta’ata mâ’ohi i roto i tô na raura’a,
mai te reo farâni i riro ‘ei reo no te ta’ata Farâni i roto i tô na raura’a, e
te reo peretâne no te ta’ata Peretâne i roto i tô na raura’a.
5
DAVIES, John, 1810. Te aebi no Taheiti. E te parou mata mua i parou hapi iaitea te perini e te
ridini te parou no Taheiti. London : The Missionary Society.
96
Dossier : les
reo ma’ohi
1.2.2. 2. Te tâfifira’a i te paraura’a « reo mâ’ohi »
a. Te ‘itehia nei te tahi pae o
të tatou mau ta’ata, te feiâ pa’ari iho
â ra, i te ‘orera’a e fâri’i ia parauhia tô tatou reo reo mâ’ohi
I ta râtou
paraura’a, e fa’a’ohipahia te ta’o mà’ohi no te ‘animara mai te pua’a
(pua’a mâ’ohi), te ‘ürî (‘ürimâ’ohi). E au ra pa’i e te ha’a-pua’ahia ra te
reo, te fa’a-'ü/v-hia ra te reo. E fa’ahaere roa pa’i i tena parau i te pae
hope’a roa e ti’a ai, no te mea,‘e ‘ere te mâ’ohi no teie nau ‘animara noa,
.
i roto i ta tatou hi’ora’a. E fa’aohipa-ato’a-hia te ta’o mâ’ohi no te pape
{pape mâ’ohi), no te tiare e te râ’au (tiare mâ’ohi, aute mâ’ohi, ‘opuhi
mâ’ohi, pürau mâ’ohi, vavai mâ’ohi, matie mâ’ohi...), no te mau mâ’a
tupu e te mau mâ’a hotu (‘uru mâ’ohi, ha’ari mâ’ohi, mei’a mâ’ohi, re’a
mâ’ohi...), no te mau peu e te mau 'ohipa e rave-noa-hia e e ‘ite-noahia i ‘5 nei (te peu mâ’ohi, te pia mâ’ohi,...). Te mea e ha’afifi ra i te tahi
pae o te nüna’a, te tu’ura’ahia ia te ta’o mâ’ohi i mua i te ta’o reo e reo
mâ’ohi roa mai ai. Ua tano iho â teie huru ta’ira’a reo, no te mea i te tau
a ora ti’amâ noa ai
te nüna’a i ni’a i të na fenua aore e reo ‘ë i ha’afifi
noa a’e i të na vaira’a e të na
ti’ara’a, aore noa a’e ta’ata e / i mana’o e
ma’iri i te hë’ê i’oa i ni’a i te reo ta na i mâtau noa na i te fa’a’ohipa mai
te tau e te tau. Aita te reo i « ha ‘amâ’ohia
e parau
a’e nei. No te aha pa’i ia
ai reo mâ’ohi ?
la au i ta ‘u i tâpe’a mai, nâ
mua
»
roto i te tai’o-mâite-ra’a i te mau Ture mata-
i nëne’ihia e ha’amana i Tahiti i raro a’e i nâ ari’i Pëmare II e o
Pëmare III i 1819 e i 1824, i Ra’iatea, Taha’a, Popora, Maupiti i raro a’e
ia Tamatoa (1820) e ia Tamatoa râua o Teari’imaevarua (1836),
e i
Huahine-Mai’aoiti i raro a’e ia Teri’itaria(1822,1835), e au ra e’ita te ta’o
ha’apori « mâ’ohi » e fa’a’ohipa-noa-hia o na ana’e iho. Te ‘itehia ra
taua ravera’a ra te fa’ahitira’ahia i roto i TE TURE NO HUAHINE NEI i
faatia faahou hia nei, mai te ture api e raverahi i te Hau O TE ARH RA,
o TERIITARIA
i te matahiti e piti ahuru ma hoe o to tatou mau raa i te
97
Littérama’ohi N°13
Vâhi Sylvia Tuheiava-Richaud
evanelia nei. HUAHINE
Ture XX
,
:
i te nâ ‘ô-ra'a e
Printed at The MISSION PRESS, 1835, i te
:
2,- E vahiné tei taero i te ava ra, e hauti haere adura ia vetahi ê ra, tera
tana utua ei ahu hoe umi, e pae etaeta na te arii, e pae etaeta hoi na
te tavana. Mai teie atoa nei hoi te utua ia taero i te ava maohi ra, e te
mau ava atoa e taero ai te taata ra, eiaha anae
nei ; eiaha te taata
ia e hamanihia i Atiapii
maohi, eiaha atoa hoi te papaa e
hamani, e mea ino ia.
E ta’o ha’apori ia te mâ’ohi e tu’uhia i mua i te ta’o noa «
‘ava,
...
ta’ata,
»
e. Mai te peu
te maniania rate tahi pae no te reo i ha’a-« mâ’ohi
»-
hia, te ‘o’o ato’a ra te tahi pupu ta’ata no te ta’amotu Totaiete, aore i
fa’a’ite i tô râtou i’oa e te tai’o o ta râtou pupu, i mua i te «
fa’a’ohiparahi-noa-ra’a-hia » te « reo mâ’ohi ». I roto i te ve’a La Dépêche de
Tahiti, no te 26 no tïtema 2001, te ani ra râtou ia fa’aho’ihia te reo tahiti,
te reo matamua i fa’aohipahia i Tahiti, i ni’a i tô na pârahira’a mau i fa’a-
apiapihia e te « reo mâ’ohi ». Te turu nei râtou i te reo tahiti i Tahiti no
te mau ta'ata oTahiti e te mau motu tâpiri, mai te ‘eo ‘enana io te ‘Enana
no te
‘enana, e te reo pa’umotu io te Pa’umotu no te pa’umotu, te reo
rapa io te Rapa no te mau Rapa, etv.
Te uira’a
reo mâ’ohi
: e aha te tumu te ta’ata e huru ‘ë ai i mua i te parau o te
? ‘E’ere ânei ia teie ‘ei tâpa’o fa’a’itera’a te ‘ana’anatae ra te
huira’atira i mua i te fa’atanora’a i te parau o to na reo.
I teie nei râ,
eiaha pa’i e fa’aea noa i ni’a i te reira ha’apâpGra’a parau, a rohi ato’a
pa’i ia ia ‘auhune atu â te reo i roto i tô na fa’a’ohipara’a, ia rahi atu â te
feiâ ‘âpï i te parau tano i tô na reo. Aita e faufa’a e tatama’i marô noa no
te i’oa o te reo, mai te peu aore e ‘ananahi fa’ahou tô taua reo ra
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!
Dossier : les
reo ma’ohi
Ei pû’ohura’a i teie uiuira’a, ia mâramarama tatou i tei parauhia nei
e reo
mâ’ohi, oia ho’i, te tâ’ato’ara’a o te mau reo e vai nei i roto i nâ
ta’amotu e pae.
Te reo tahiti, te hô’ê noa ia reo no te Ta’amotu Totaiete, i roto i te
reo mâ’ohi o Porinetia farâni.
1.2.2. 3. Te reo mâ’ohi, e reo no te tâhô’ë ia vai hô’ë te nüna’a
Te ‘ite ra tatou e i te pârahi-maoro-roa-ra’a mai te papa’â, te tinitô
e te tahi mau
i Porinetia nei, e i te taime i fa’atumu roa ai
ta’ata ‘e’ë
râtou i ni’a i te fenua nei ta râtou e / i fa’ariro ei fenua pârahira’a no
râtou ato’a, i ‘oi’oi ai te ta’ata i te fa’a’ohipa i ta râtou mau moiha’a mai
te punu taipu, te tipi, te hâpaina,
i te ‘âpe’e i tâ râtou mau peu, i te
‘o’omo i tô râtou fâito ‘ahu, i te patu i te mau tare mai tô te feiâ ra, i te
fa’a-au e i te ‘amu i tâ râtou mau mâ’a
te nümera e te
...
i te ha’api’i i te parau, te tai’o,
pâpa’i i te reo o verâ mâ. Te ‘itehia nei teie huru
tâuiuira’a i te mau taime ato’a e vai piripiri ai nâ hiro’a e nâ iho tumu e
piti i ni’a i te tino o te hô’ë fenua. A maoro noa atu ai teie orara’a piri-
piri te tahi i piha’i iho i te tahi,
mai rave atu
».
e tupu mai iho â teie mau huru « rave
Nâ reira ato’a te pae o te reo, i ha’amâ’ohi ai tâtou i tâ
verâ mâ mau ta’o aore ra ‘irava, mai ia râtou i ha’apapa’â i tâ tâtou mau
ta’o, mai teie te huru
•
•
:
Kotahemia
(no te reo peretâne : God damn you), Katihopê
(no roto mai i te i’oa ra Cassiopée), Pânipë (no te i’oa peretâne :
Botany Bay) etv.
Tabou (reo farâni) no roto mai i te ta’o tapu tâ te peretâne i tâpa’o
«
»
taboo, taré no te reo tahiti tare, vahiné no te ta’o vahiné etv.
•*«
Vau, aita parau tahiti, mea fifi «note'irava : O vau, e’ita vau e
parau tahiti, e mea fifi.
•
c’est reru pa’i la mer, no te ‘irava farâni «
trouble
la mer est (vraiment)
».
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Littérama’ohi N°13
Vâhi Sylvia Tuheiava-Richaud
I te ha’amaura’ahia te fa’aterera’a hau o te fenua i ni’a i te papa ture
o te
Hau farâni i turorirori roa ai te ferurira’a o te nüna’a tumu o teie
fenua. A he’e noa ai te tau, e a he’e noa ai terâ u’i ta’ata e terâ u’i ta’ata,
te taui ri’i marü noa ra te ta’ata e te huru o tô na orara’a. Nâ reira ato’a
ho'i te aura’a e vai ra i roto ia râtou e tô râtou iho reo tumu, e tô na
fa’a’ohipara’a i taua reo ra. Hau atu i te reira, ‘e’ere fa’ahou te reo tumu
o te fenua ei reo metua no te tâ’ato’ara’a, inaha te ha’apae nei te u’i ‘âpî
i te fa’aohipa i te reo o tô na mau metua no te rave mai i te reo e türa’ihia
nei e e ha’afaufa’ahia nei e te rahira’a. Te fifi râ, ‘aita pa’i te fâito reo
farâni i ha’afâna’ohia io tatou nei, mai tei ‘itehia ra i te fenua Taratoni,
oia ho’i, e mea pâpO a’e te ta’ata ‘ere’ere no Taratoni i te reo farâni ia
tâtou, te mau ta’ata mâ’ohi.
I mua i teie huru tauira’a o te vaira’a o te reo e o te ta’ata nô na
taua reo ra, i mana’o ai e i ‘ôpua ai te tahi mau tamari’i o te fenua nei
i reva atu i râpae i te fenua ‘âi’a no tâ râtou tau ha’api’ira’a tuatoru e
feruri fa’ahou i te parau o tô râtou reo no te ha’apâpü i tô na ti’ara’a
e no
te fa’a-a’ara’a ato’a mai i tôna parau
i te vâhi i reira o ia i te
vaira’a-hia.
I tô râtou ho’ira’a mai nâ te fenua papa’â mai, ua ineine e ua tu te
mana’o e fa’a’ohipa i te ta’o mà’ohi no te reo ‘âi’a o te nüna’a tumu
tâ’ato’a no Porinetia. Ei reo hô’ê e ‘itehia ai te hô’êra’a o te nüna’a o tô
No reira e ti’a ai ia parau e e fa’aineinera’a te
parau no te reo mà’ohi i te manava o te nüna’a i mua i tô na iho parau,
ia ‘ite fa’ahou o ia o vai o na, no hea mai o na e i hea o ia e haere ai.
tâtou mau pae fenua.
‘Aita teie mau tamari’i o te fenua i tâvevo noa ia ‘itehia te parau o
te reo mà’ohi i fa’atupu i te ‘o’o e te ‘ôra’ura’u i roto i te tahi mau ta’ata,
ua ora râtou i tâ râtou e parau ra
mâ’ohi
100
mâ te parau e te te’ote’o i tô râtou reo
Dossier : les
reo ma’ohi
2. Te vaira’a o te reo tahiti
Ua ha’amatahia a’e na teie tumu parau i te ferurihia mai e te tahi
mau ti’a ‘aravihi no te pae o
te reo, te ha’api’ira’a i te reo e te ferurira’a
i taua parau ra i roto i te orara’a va’a mata’eina’a o te fenua nei.
I te matahiti 1996, ua nene’i mai te Ve’a Porotetani a te Etaretia
Evaneria no Porinetia farâni, i te nümera 8 no Atopa i taua matahiti ra,
i te hô’ë ve’a i pa’ehia i ni’a i te upo’o parau ra «
maohi ?
».
i mûri ri’i mai, i
Faut-il défendre le reo
te matahiti i ma’iri a'e nei, o PELTZER
Louise e e TETAHIOTUPA Edgar ta tatou i mâtau, tei tuâtapapa mai,
ni roto i te reo farâni, i te parau
no
« La diversité des langues, une
malédiction divine ? » e no te « Aperçu sur la langue tahitienne d’au-
jourd’hui. »6 ‘E’ere teie tumu parau no teie nei i te tau’ara’ahia. Te vâhi
ra e ti’a ia fa’ananea atu â, teie ia : e aha te ti’ara’a e te fa’aohipara’a o
te reo tahiti i teie nei ?
2.1. Te ti’ara’a
o te reo i roto i te
‘ohipa a te Hau
Repupirita farâni i fa’ahepo, i roto i tô na
mana’ora’a e ha’a’âifâito i te ta’ata farâni i mua i te parau o te reo mâ te
fa’ariro i te hô’ë ana’e iho REO ei reo no te hau repupirita, ia ha’amanaTe reo farâni ta te Hau
hia ‘ei reo no te huira’atira farâni tâ’ato’a, mai terâ ‘ôti’a e tae atu i terâ ‘ôti’a.
Tâtou ato’a iho â ia tô roto, noa atu te Papa Ture ‘âpT e fa’aterehia nei io
tâtou. Terâ te mea i fa’atupu i te mâuiui e te 'ino’ino i roto i te tâ’ato’ara’a o
tô tâtou mau ti’a i te ‘Âpo’ora’a rahi. E au atu ra pa’i e, te tOmâhia ra tô tâtou
parau, tô tâtou tuatua ‘a’ai, e te ‘ananahira’a o tô tâtou reo mâ’ohi.
E
maere.
hape iti rahi iho â te reira, i tâ tâtou hi’ora’a. E’ita râ tâtou e
E ture te arata’i i te Hau, e tâ na mau ‘ôpuara’a, io na e i te mau
6 in
(Coll, auteurs ss la direction de Elise Huffer / Bruno Saura), 2006. Tahiti regards intérieurs.
Fifji : The University of the South Pacific.
101
Littérama’ohi N°13
Vâhi Sylvia Tuheiava-Richaud
fenua 'aihu’arâ’au i raro a’e i tô na mana. Nâ roto i te fa’aturera’a iho â
te reo e mana ai, i te hi’ora’a a te Ture. ‘Aita te reira hi’ora’a io tatou. Ua
fa’aoti-noa-hia mai teie ture i Pari ma te ‘ore e fâfâ aore ra e ani mai i te
mana’o o te mau ti’a poritita nâ râtou taua parau ra e feruri no te orara’a
o te
nüna’a mâ’ohi. E au atu ra ia e aita tô tatou reo i tau’ahia mai e i
fa’arirohia ‘ei reo faufa’a no tô tatou ‘ananahi.
Ua ‘ôpuahia e ua ha’amanahia, të fâri’i-noa-ra’a ta tatou. Teie te
parau a te Ture, e ta te Ture e fa’aoti, e mea fifi ia ho’i fa’ahou mai nâ
ni’a iho no te fa’a’ore
...
E’ita teie tumu parau e vai noa i teie fâito, a
hapehape atu ai au.
A fa’arirohia ai te reo farâni ‘ei reo mana,
e parau mau, ua fâri’i
ato’a mau te Hau Nui ia ha’api’ihia te reo mâ’ohi, te reo tahiti iho â ra,
nâ roto i te horo’ara’a mai i te tahi mau pârahira’a ‘orometua ha’api’i i te
reo tahiti-reo farâni i
roto i te mau fare ha’api’ira’a tuarua. Te rave-noa-
hia nei â teie ‘ohipa tâmatahiti nâ roto i te tata’ura’a CAPES e fa’atoro’a
hô’ë aore ra e piti tino e manuia mai. Ta’a ‘ë atu teie tata’ura’a rave ‘atà,
‘e’ere i te hi’opo’ara’a, ua matara ato’a mai i te matahiti i ma’iri a’e nei,
2006, te tata’ura’a PE (Professeur des Ecoles : ‘orometua ha’api’i tua-
tahi) e reo mà’ohi tô roto i te hâtuara’a matamua (te hi’opo’ara’a pâpa’i)
e te hâtuara’a piti (te hi’opo’ara’a paraparau). E 40 pârahira’a i
fa’ata’ahia mai e ua manuia nâ tamari’i 40. Tei roto teie mau pipi-‘orometua i te matahiti ha’apa’arira’a hou a fa’atôro’a-roa-hia ai. E’ita teie
tata’ura’a PE e ‘ore fa’ahou i te fa’atupuhia. I teie matahiti, e rahi atu â
te tai’o pârahira’a e horo’ahia mai e te Hau, no te mau ha’api’ira’a a te
Hau e te mau ha’api’ira’a ‘e’ere na te Hau.
Aita te reo tahiti e ha’afifihia ra ia hi’ohia teie mau ‘ohipa tâ te Hau
Nui e fa’a’ôhie ra. I te tahi pae, te ha’afaufa’a-‘ore-hia ra te ti’ara’a
mana o te reo mâ’ohi, te reo tahiti iho â, e i te tahi atu pae, te turuhia
ra tô na ti’ara’a nâ roto i te mau tôro’a ‘orometua ha’api’i tâ te Hau e
102
Dossier : les
reo ma’ohi
‘aufau ra i te mau matahiti ato’a. Terâ mau te hoho’a o te ti’ara’a o te
reo i teie mahana. Te reo no te
fa’aturera’a, te reo no te ha’amanara’a,
te reo no te fa’aotira’a ture, te reo no te pâpa’i i te mau ‘irava ture, te
reo no
te fa’aohipara’a
i ta te ture e turu pâpû ra, te reo i te Fare
ha’avâra’a, te reo a te mau ti’a pâruru, te reo i roto i te mau pü ‘ohi-
para’a a te Hau e a te Hau Nui (te ‘ohipa fenua, te âniuniura’a fenua,
ma’i, te Fare turuuta etv. ), te reo mana i te
te Fare utuutura’a
‘Âpo’ora’a ‘oire e i te Fare 'oire, i te ‘Àua muto’i, te reo i te mau tare
moni... te reo o te Flau metua e te reo o te Flau fenua, te reo fârani ia,
aita atu e reo ‘ë. E mea pâpû maita’i te reira fa’anahora’a. Te ta’a ato’a
ra ia tatou e i terâ mau vâhi e rave rahi te nüna’a e fifi ai,
i roto i të na
ti’ara’a ta’ata mana i mua i te aro o te ture, no te ta’a ‘ore i teie e parauhia mai nei e anihia mai nei ia na. No te ta’a ‘ore i teie e parauhia mai
nei, e ti’a i tô tatou mau ta’ata ia ani i te tahi ‘auvaha no te huri i nâ reo
e
piti, tô na e tô te tahi, ia ‘aifâito tô na ti’ara’a mana ta’ata i mua i te
ture e tâvini i te tâ’ato’ara’a, e ia ‘ore o ia ia tâvirihia, i roto i tô na ta’a-
‘ore-ra’a i te parau e te tai’o i te reo mana a te Flau, oia ho’i, te reo
farâni. Te ti’ara’a o te reo tahiti i ‘ô nei, oia ia, te fa’a’ohipara’a i te reo
ta te ta’ata i ‘ite i te parau no tô na pâpü-‘ore i te reo mana, i roto i ta
na mau tauto’ora’a
ia manuia ta na mau 'ohipa i mua i te hi’ora’a a te
ture. A fa’aite pa’i ia te tatou i tô tatou mau fifi ia fa’aro’ohia mai te reira
reo e tô tatou mau
ti'a mâ’iti, a ‘imi atu ai râtou i te râve’a ia matara
taua mau fifi rahi ra e ha’afifi nei i te nüna’a i roto i tô na orara’a i te
mau
mahana ato’a. l‘ô nei te reo e faufa’ahia ai, a feruri atu ai te Flau
fenua i te mau râve’a ia tauturuhia tô tâtou mau ta’ata i roto, ‘ei hi’ora’a,
i tâ râtou mau ‘iritira’a parau mana.
E vâiho tâtou i te ‘arora’a a te poritita (no te mea, e ‘arora’a faufa’a
e te
maita’i teie
!) i roto i te rima o te poritita, no te ti’ara’a ha’afaufa’a
atu â i te parau o te reo tahiti.
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Littérama’ohi N°13
Vâhi Sylvia Tuheiava-Richaud
2.2. Te fa’a’ohipara’a i te reo
I teie nei, eiaha no te mea te reo farâni te reo mana i Porinetia
farâni, e fa’aea te ta’ata i te parau e te fa’a’ohipa i te reo, nâ roto ânei i
te pehe, te hîmene, te ‘âreare’a, te pâta’uta’u... e te pâpa’i, te moiha’a
a te ture.
‘Aita tô tatou mau tupuna i tâpae mai i ni’a i teie mau fenua
na’ina’i ta tatou e pârahi nei no te ha’apohe ia râtou, i mûri a’e i tô râtou
terera’a mai nâ ni’a i tô râtou mau va’a.
E ui na tâtou
: i
te hea vâhi i roto, i tô tâtou orara’a i teie tau, e ‘ite-
hia ai te reo i te vai oraora-noa-ra’a ? I te vâhi tei reira te tahi mau ta’ata
e paraparau
ra, e tau’aparau ra, e ‘aparau ra, e ‘ârearea ra, e hîmene
ra, e fa’ata’i titâ ra, e inu ra, e ‘ori ra, e ‘orero ra, e fa’a’eta’eta ra i te tino,
e
ha’api’i ra i te tamari’i e te mau piahi i roto i te mau tare ha’api’ira’a, e
i te vâhi te vai ra te hô’ë
a’o ra i roto i te tare purera’a, e tuaro’i ra,
...
ta’ata e pâpa’i ra, e feruri ra, e huri ra nâ roto i te reo mâ’ohi, nâ roto i
te reo tahiti.
Nâ teie mau mea e tâpe’a i te reo i roto i tô na parau : ‘ei ta’ata e
piti a’e (te fâito ha’eha’a roa a’e ia) e tupu ai te tau’aparaura’a, ‘ei hau atu â e hotu ai te reo e e ‘itehia te faufa’a o te reo.
ora ai te reo, ‘ei
‘Ei reo no te ha’api’i i te u’i ‘âpï e tô tâtou mau ta’ata i âtea i te
fa’a’ohipa-tâmau-ra’a i tô râtou reo
‘Ei reo no te huri i te reo farâni ‘ei reo tahiti, ‘ei reo no te huri i te reo
tahiti ‘ei reo farâni, reo peretâne, reo paniora etv.
‘Ei reo no te ‘auvaha i te parau e / i ‘ore e ta’ahia mai i te fa’aro’o.
‘Ei ite i te reo no te mâ’imi e te tuatâpapa i te mau parau e ti’a ia
heheuhia nâ roto mai i te
reo
tahito tâ te tahi mau parau pâpa’i
i
ha’aputu-mo’emo’e-hia i terâ e terâ vâhi e e tïa’i-noa-hia ra ia tai’ohia e
ia tâtarahia.
‘Ei ‘ite i te reo no horo’a i tei roa’a mai i roto i te feiâ ‘âpï e ‘ana’anatae i te haru mai i taua ‘ite ra.
104
Dossier : les
reo ma’ohi
‘Ei parau hope’a no teie taime poto noa, e’ita te reo mâ’ohi, te reo
tahiti e mou fa’ahou. Tei roto tatou i te hô’ë tau te ‘itehia ra te reo i te
tâuiui-ri’i-ra’a i roto i tei mâtauhia, oia ia. Teie râ, te reira iho â te huru o te
reo ora e
piri i te nüna’a i roto i te tauira’a o tô na huru orara’a. E’ita te reo
fâri’i mai e e feruri mai e ti’a ai.
o teie fenua e mou. Nâ tatou teie parau e
Vâhi Sylvia Tuheiava-Richaud
TE
MAU
PUTA
I
H E H E U H I A
BUSCHMANN, J.C., 1843. Aperçu de la langue des Iles Marquises et de la langue tahitienne.
: C. G.
Berlin
LGderitz.
DAVIES, John, 1810. Te aebi no taheiti. London
: Townsend, Powell, and Co.
DAVIES, John, 1851. A tahitian and English Dictionary. London : The London Missionary Society's
Press.
HUFFER, Elise & SAURA, Bruno, 2006. Tahiti, regards intérieurs. Fidji : Institute of pacific
Studies, The University of the South Pacific.
LYNCH, John, 1998. Pacific Languages. Hawai’i : University of Hawaii Press.
MAZELLIER, Philippe (coll, dirigée par -), 1978. LE MÉMORIAL POLYNÉSIEN. Tahiti : Hibiscus
Editions, Tome 1.
PELTZER, Louise, 2000. Structure de la langue tahitienne
.
Paris : Peeters press.
RENSCH Karl H., 2003. Early tahitian. Canberra : Archipelago press.
TAILLEMITE, Etienne. 1976. Bougainville et ses compagnons autour du monde 1766-1769.
Paris
:
Imprimeria Nationale, 2 vol.
TUHEIAVA-Richaud, Vâhi Sylvia, 2005. Les premiers codes de lois missionnaires écrites de
Tahiti et des lies
: impact bénéfique ou néfaste ? (Thèse doctorale soutenue à l’Université de la
Polynésie française) (sous pressé).
2001. Codes des lois. Tahiti : Ministère de la Culture et de l’Enseignement Supérieur, Cahiers
du patrimoine.
1999. Essai d’analyse de la Parole, Parau, dans l’univers de l'ile de Maupiti en Polynésie française. Un premier champ de construction ethno-linguistique. Université française du Pacifique
(mémoire de DEA).
TUMAHAI, Liou, 2002. Etat de la langue tahitienne entendue en 1772-74 et retranscrite dans un
système phonétique espagnol, d'après un dictionnaire espagnol recueilli à la fin du XVIIIe siècle,
in BSEO. n° 294, Septembre 2002, pp. 2-72.
•
•
Ve’a Porotetani. n° 8, Octobre 1996 : Faut-il défendre le reo mà'ohi.
105
Littérama’ohi N°13
Flora Devatine
TE REOOTE METUA
‘OIA MAU A
«
-
No te aha ho’i ‘oe i ‘ore i ha’api’i ai i te parau tahiti i te mau
tamari’i »
Comme la pirogue qui, s’étant éloignée de la côte, se retrouve
seule en plein océan dans l’immensité et l’infini des espaces marins et
«
...
célestes,
Je me sens perdue,
Mais je dois vivre ma vie.
Je dois vivre dans ma vie, avec ma vie,
Me prendre en charge et ramer, ramer,
Avancer et me conduire.
Je dois fa’aitoito toute seule,
Je dois m’accrocher à ce à quoi je suis accrochée,
Je dois m’accrocher à moi-même,
Je dois travailler, travailler à n’en plus pouvoir !
E ha’a
E rohi
E rohirohi noa atu !
Je dois repartir de mon côté,
Suivre mon ‘avei’a,
Dans ma direction, dans mon sens, dans mes sens,
Je dois trouver dans ma direction le sens de ma vie.
Je dois repartir à la recherche du ‘ura à ajouter
A la ceinture royale de l’enfant roi et au cordon de vie laissé
par les ancêtres.
106
Ecritures
Je dois donner un sens à ma vie comme du ‘ura à mon maro,
Je dois trouver et rapporter du sens à mettre au maro ‘ura de
ma ceinture cheffale laissée en
héritage par mes ancêtres,
Lequel « maro », pour l’instant, il faut bien en convenir, est
aussi desséché, aussi « maro » que le ni’au maro des ‘auhopu ‘auihia.
Je dois, de mon éclairage de mori ti’a’iri, éclairer à mon niveau,
M’éclairer moi-même, m'éclaircir l’esprit, pour me sortir de la
confusion,
Et chacun de le faire au sien
...
»
‘Oia mau e Marna !
«
-
No te aha ho’i ‘oe i ‘ore i ha’api’i ai i te parau tahiti i te mau tamari’i »
‘0 te reo ia o te tupuna !
«
-
Te aroha nei au i ta’u mau mo’otua i teie mau tau e haere mai nei !
»
‘0 to ‘oe ia reo e Mama iti e !
‘Oia mau e Marna !
Ua topa ato’a vau i teie nei i roto i te mana’ona’o ra’a rahi no teie mau
tau e piri mai nei
Te mea ia i fa’ahiti mahuta mai
Te mea ia i ara ai
E e fa’aitoito no te hua’ai ‘amuri a’e
No ratou teie fenua
‘Inaha
No ‘o nei i te ueuera’a hia
No ‘o nei i te fanaura’a hia
No ‘o nei te pito i te tapura’a hia
107
Littérama’ohi N°13
Flora Devatine
Tei ‘o nei te pito i te tanura’a hia
Tei te fenua nei
Tei te fenua o te mau tupuna
A tarapape noa ai te toto
I tona tarapapera’a
E toto ma’ohi ra
E ma’ohi mau
E ma’ohi tu
E ma’ohi no teie u’i
E ma'ohi no teie tau
E tupuna te tupuna
E tupuna pa’ari
E tupuna vana’a
E tupuna no te ‘ai’a
E tupuna ‘aivana’a
E tupuna 'orero
E tupuna hui tavana
No raro roa mai i te tumu
Na te Tumu
E te Tumu nui e
E ta’ahira’a ‘avae to ratou
E
vauvau to ratou
E fenua to ratou
E marae to ratou
E 'a’ai to ratou
E ‘aito to ratou
E i'oa to ratou
E ‘aufaufeti’i to ratou
E pata’u e paripari
108
Ecritures
E fa’atara e fa’ateni
E reo to ratou
E ‘ere i te ‘aihamu
E ‘ere i te ratere
E ta’ata tupu
E ta'ata ma’ohi
No te papa
No te ro’a
No te puo
No te tumu
Na te Tumu
O te fenua ma’ohi nei
Ua rau, ua tini, ua mano, ua manotini te ma’ohira’a
E ma’ohi mau a te ma’ohira’a !... »
‘Oia mau ! ‘Oia mau a !
«
-
No te aha ho’i ‘oe i ‘ore i ha’api’i ai i te parau tahiti i te mau tamari’i »
‘0 te reo ia o te tupuna !
«
-
Te aroha nei au i ta’u mau mo’otua i teie mau tau e haere mai nei ! »
‘0 to ‘oe ia reo e Marna iti e !
Rata na te mau tamari’i
Lettre à mes enfants
«
...Ô, mes Très Chers Enfants !
E a’u mau tamari’i here e,
A fa’a’ore mai i ta to ‘outou metua vahiné hara ia ’outou na
!
109
Littérama’ohi N°13
Flora Devatine
Je vous demande pardon,
Pardon de vous avoir privés d’une partie importante, riche de
potentialité, de vous,
‘Inaha ua fa’a‘ere au ia ‘outou i te ho’e tuha’a rahi o ta ‘outou iho
faufa’a tupuna, faufa’a ta'ere, faufa’a reo, faufa’a varua,
‘Inaha ‘aita vau i ha’api’i ia ‘outou i te reo tahiti.
Pardon de ne vous avoir pas parlé en tahitien pendant votre
enfance et toutes les années qui suivirent,
Pardon de ne vous avoir pas appris le tahitien,
Pas donné accès à l’univers vaste et profond de mes ancêtres
qui est aussi le vôtre, à celui de mes ancêtres qui sont aussi les vôtres.
Aue te mauiui i te ‘oto o te 'a’au e !
Vau i fa’a’ere ia ‘outou i te pu fenua i te ra’i hamama o to ‘outou mau
tupuna !
Ua hara i mua i te mau atua, ua hara i mua i te mau tupuna
Ua hara i mua i te Atua
Ua hara i mua ia ‘outou pa’ato’a na !
A fa’a’ore mai i ta’u hara rahi ia ‘outou na.
Je vous demande pardon.
Je réalise, un peu tard, que je vous ai privés d’une grande partie de vous, d’un capital, d’un patrimoine important qui est le vôtre,
Ua hape, ua hape roa ihoa,
E e hapa iti rahi mau a na roto i ta’u tapura’a matapo ma te fa’a’ere
ia ‘outou na i ta ‘outou iho !
Je n’ai qu’un souhait,
Que vous le récupériez !
Que vous arriviez à le récupérer par vous-même
110
!
Ecritures
I teie nei ra, te vai ri'i noa ra a taua faufa’a tupuna nei,
Te tia’i noa atura ia ‘outou ia ‘ana’anatae atu, e ia ta’o atu, e ia ‘apo
mai,
‘Oia ho’i, na ‘outou ‘outou iho e fa’aitoito mai teie atu i te ha’api’i i
te reo o to metua vahiné,
E na ‘outou te reira e ha’afaufa’a atu, e fa’aro’o atu, ia ‘atutu te
parau ra e ua faufa’ahia te reo ia ‘outou, e te u’i hou nei.
Je vous aiderai à le récupérer, en me mettant à vous apprendre enfin ma langue qui est aussi la vôtre
!
‘Inaha ei reo e nuna’a ai, e nuna’ahia ai ‘outou !
Plus qu’une prise de conscience,
C’est une grande crise de conscience que je vous exprime ici,
à chacun d’entre vous, mes Chers Enfants !
E a’u mau tamari’i here e !
Il devient important que vous l’entendiez de moi,
la matara te fifi mai roto atu e na roto atu ia ‘u,
Pour en libérer celles et ceux d’entre vous qui se sentent, se
reconnaissent polynésiens, et me reconnaissent en tant que leur mère,
une
polynésienne,
Notamment celles et ceux qui voudraient pouvoir attester de
cette appartenance à la terre, à la culture polynésienne,
De leur part à l’héritage, et de leur identité,
Non seulement par les mouvements de la danse, par la couleur de la peau ou la longueur des cheveux,
Non seulement dans la musique des chants, par l’ukulele ou la
bringue, des fêtes en famille,
Mais également en posséder l’âme, en exprimer,
Par les mots accrochés dans les entrailles de leur mère,
Par les mots dont ils ressentent, ont entendu la présence sans
pouvoir y accéder,
111
Littérama’ohi N°13
Flora Devatine
Par les mots dont ils sentent la force,
imaginent la magie,
subissent la beauté, sans pouvoir s’en délecter, s’en nourrir, en vivre,
l’exercer à leur tour,
Parle monde intérieur, parles sonorités particulières de la voix
de la langue des mots de leur mère.
Te ho’i atu nei au ia 'outou...
Papa’ihia e to ‘outou metua vahiné»
Flora Devatine
raua
Devatine
PREFACE
Je suis monté dans ma pirogue,
J’ai vérifié le balancier,
J’ai examiné ma pirogue,
J’ai pris en main ma rame,
Et je suis parti,
Ma pirogue, en dérive.
-
La pièce de bois reliant le balancier à la pirogue était-elle bien
fixée ?
-
Le fond de ma pirogue était-il stable, en équilibre, par rapport au
balancier ?
Mon espoir, comme ma confiance, c’était bien d’arriver dans un
endroit plus élevé, et meilleur que celui que je quitte,
Mais seul,
Pendant que ma pirogue en dérive avance,
Je ne pouvais grand-chose,
Excepté ramer, seulement ramer,
M’accrochant fermement à ma rame.
Pour comble, il n’y avait que moi,
J’étais seul, seul,
Tout seul,
Toujours seul,
A ramer,
A m'accrocher à ma rame
A ramer,
A tirer,
A tenir,
A essayer d’accélérer.
113
Littérama’ohi N°13
Taraua Devatine
Tout au long de l’année parcourue dans les profondeurs, les hau-
teurs, comme dans la diversité,l’étendue de la traversée à accomplir,
Heureusement, par la grâce d’une petite voix
Qui se fit entendre et que j’entendis qui m’appelait :
«
Le jeune
! » « Tama ! »
Heureusement, car par la grâce de cette voix de Puapua,
Un simple major,
Depuis l’île de Üvea,
Continuellement, sans jamais relâcher,
Le jeune que j’étais put bénéficier
D’un soutien,
Un grand encouragement,
Pour arriver à bon port avec ma pirogue.
Bien appréciables, dans les moments de trouble, d’angoisse,
Quand la mer se creuse,
Quand la pensée chancelle.
Par la pensée, et par les réflexions dont je m’emplissais et qui me
remplissaient les entrailles, y fécondant de nouvelles pensées telles que :
« Voici la corde, le souffle,
Voici le secret,
Voici les savoirs,
Le dernier souffle,
La corde du grand souffle de la persévérance,
Les dernières forces et toute l’énergie, la puissance,
Legs par l’ancien établi au petit homme,
Don et contre don,
Que le souffle soit et que le rejeton soit,
Don et contre don,
A jamais
!»
Le grand héritage, le plus recherché, n’est que :
Le souffle,
114
Ecritures
Longue corde de vie,
A préserver,
A maintenir,
Afin que la pirogue ne dévie pas de sa navigation,
Afin que les cordes ne se détachent pas,
Qu’elles ne se rompent pas.
Il faut tenir, tenir le souffle,
Pour que la corde tienne,
Pour attacher la corde,
Pour la fixer,
Et quand elle est fixée,
Pour l’accrocher de nouveau,
Et l’attacher encore !
Ce fut ce à quoi je m’étais attaché, tirant sur ma rame et sur la
corde, et reprenant mon souffle,
Ce fut ce que j’avais appris, et continué de faire, pour que cela perdurât.
Et voici qu’aujourd’hui,
Le souffle à la longue corde
Se maintient,
Il est maintenu,
Dans toute sa profondeur,
Par toute sa légèreté.
Corde et souffle,
Tout est prêt,
Pour tirer la jeune génération et l’amener à monter sur la pirogue.
Quant à moi, au cours de ma traversée, comme tout du long de
l’année parcourue,
Je me suis retrouvé à être le siège
D’émotions, de sentiments divers,
Désir, colère,
Envie, rupture,
115
Littérama’ohi N°13
Taraua Devatine
Des déchirures,
Les cordes de mes entrailles,
Rompues, brisées,
Touchées, profondément.
De sorte que le jeune, connu, d’il y a deux ans,
N’est plus le petit homme de ce temps-là.
Voici comment,
Voilà pourquoi,
Après ma traversée en pirogue,
Que c’est droit, debout,
Et face à vous, que j’accoste.
Il est vrai
Que quelque chose a bougé, a changé,
Ma situation est claire,
J’ai changé de catégorie,
J’ai mûri,
Une maturité portant l’empreinte des savoirs des anciens.
A présent, c’est à mon tour de veiller, de garder, de demeurer
Dans l’attente et l’espérance de la venue de jeunes de la nouvelle
génération :
Qu’ils s’y attachent, qu’ils fassent leur voyage,
Afin que l’avancée se poursuive,
Par la corde et par le souffle,
Transmis et à transmettre,
Don et contre don,
Par le souffle court et par le souffle long,
Par le souffle profond et sacré
!
Taraua Devatine
Préface à un Mémoire - juin 2006
Traduction F. D.
116
Ecritures
Upo’o parau
Pa’i’uma atura vau i ni’a i ta’u va’a,
Hi’opo’a maite ihora i ta’u ama,
Hi’ohi’o atura vau i ta’u va’a,
Mau mai nei au i ta’u hoe,
Tu’u atura i ta’u va’a ia painu.
-
Ua ha’amau maita’i hia anei te ‘iato?
-
Ua ‘afaro maita’i anei te turu’ira’a o te ta’ere i ni’a i te ama?
Te ti’aturira’a, ia tapae ihoa i te ho’e vahi tiara’a hau atu i te
maita’i
i teie e fa’aru’ehia ra.
A ha’apainu painu noa atu ai ta’u va’a,
‘Aita atu ho’i ta’u, ‘aita atu i reira,
Maori ra te hoe, o te hoe noa,
Te hoe ia mau.
E ’aita atu e ta’ata,
O vau, o vau iho nei,
O vau noa, o vau noa a,
O vau ana’e,
A hoe,
A tamau i te hoe,
A hoe,
A huti,
Atu,
A pine.
I te rqara’a o te matahiti i horohia mai, ma te po’opo’o, te hohonu,
te teitei, te rau e te 'a’ano o te tere i fanohia,
Maoti te reo pina’i ta’u i fa’aro’o i te pi’ira’a mai e:
«
E Tama !»
Maoti teie reo tamau, tu’utu’u’ore, no Puapua,
Mai te fenua Uvea mai,
117
Littérama’ohi N°13
Taraua Devatine
E ma'a tapa’o iti noa ho’i to te ra’atira ra,
Ua fana’o ra te tama nei iana
I te tauturu
E te fa’aitoito
la tapae,
I te mau taime ri’i ahoaho:
la ha’apo’opo’o te miti,
la tutaperepere te mana’o.
Mai teie ra,
Ua ‘o’omo, ma te tito, e ua fa’ahotu i te mana’o e
«Teie te aho,
Teie te tapu,
Teie te ’aepau,
Te mahei rava,
Te taura o te ahoroa,
Te puai hope’a e te puai pa’ato’a,
O te tupuna matuatua i te ta’ata hu’a nei,
Ho atu, ho mai,
la ti’a te aho e te ohi,
Ho atu, ho mai,
A tau e a hiti noa atu. »
No te mea, te faufa’a rahi e hia’ai hia ra,
Maori ra,
Te aho,
Te taura ‘anave,
la mau,
’Eiaha ia patore te tere,
’Eiaha ia matara te taura,
’Eiaha ia mutumutu,
E mau ra i te taura e mau,
la mau,
la mau,
118
Ecritures
A ha’amau ra.
E o ta’u ia i nape mai, a huti mai ai, no te tamau, ia mau.
Inaha, i teie ra,
Te taura ‘anave o te ahoroa,
Ua mau,
I te ha’amaura’a roa,
I te ha’amaura’a poto,
E ua ineine te aho no te huti i te u’i hou i te pa’i’umara’a mai i te
va’a nei.
la’u nei ra, e no’u nei, i te roara’a o te matahiti i horo hia mai, e na
roto i te tere i fanohia mai,
Ua hae,
Ua haehae,
Ua mahaehae,
Ua putapu roa te ’a’au.
Are’a te tama ‘ite maite a, a piti matahiti i teie nei,
Inaha, e ‘ere i te ta’ata hu’a fa’ahou.
No reira,
Ma to’u tere i ta’u va’a,
Te tapae ti’a atu nei au.
Oia ho’i,
Ua huri te ‘api,
Ua taui,
Ua papu te ti’ara’a,
Ua mau mai te pa’ari
E mai teie atu nei, tei roto ia o vau nei i te tia’ira’a i to te u’i hou,
la ta’ai mai,
la mau i te ha’amaura’a roa,
Ho atu ho mai,
I te aho roa e te aho potopoto,
I te aho tapu roa.
119
Littérama’ohi N°13
Annie Coeroli-Green
MYTHE MITE
Le mythe
Est mité
Termité.
Le mythe
Est miné
Terminé.
La femme
Est battue,
Nue,
Tuée,
Violée,
Niée,
Même pas crue.
Sans larmes,
Sans armes,
Je dis,
J’écris,
Je crie,
Des silences.
Son homme
Ivre,
Inculte
sans
livres,
ne cultive
Plus,
ne
pêche
Plus.
Comme
Un bateau,
Sa mémoire
120
Ecritures
En dérive
Loin
de ses aieux,
sourd
à ses dieux,
civilisé,
syphilisé,
alcoolisé,
dévalorisé,
castré
d’avoir été colonisé,
catholisé,
cathodisé,
et si lourd
du mal amour,
Impuissant,
Il regarde
vaguement
Ses enfants
Qui plantent,
Vendent
Et fument
Leur â me
Sans rêves,
Victimes
Jugées,
Abusées,
Condamnées
D’avance
sans une chance.
Liberté,
Egalité
...
Votez !
121
Littérama’ohi N°13
Teresia Teaiwa
L’océan est si vaste
Entre nous
Nous sommes
Frères et s?urs
Des îles du Pacifique
Le Pacifique c’est
la plus grande mer
du monde
Le monde est si vaste
Entre nous
Nous sommes
Etrangers
Dans les îles du Pacifique
Etrangers et familles ?
Familles qui ne se
Comprennent pas les uns, les autres
Autre monde
Autre mer
Une mer de différence
Les îles diverses
Ses gens pauvres
Pauvres dans l’océan vaste
Qu’est-ce que
Nous allons
Faire ?
122
olas Kurtovitch
Bluff S.46°36’54”
E.168°21’26”
4810 Kms du pôle sud
il y a du vent
des herbes qui se replient
des fougères courtes et solides
de l’eau qui coule un peu
des versants
le souvenir
des bateaux qui ont coulé
des marins morts
d’un petit avion qui se crache en
quatre vingt dix huit
mort de cinq personnes
il y a une belle marche
cause la
que je fais aller retour
sans efforts malgré le vent
Il y a l’histoire
belle
des européens des maoris
qui se rencontrent
s’apprécient
sé marient entre eux
et construisent Bluff
là où il y avait «
Motupahue »
qui signifie
île de la «
corn
»
Bluff vient du celte
signifie « high rock »
j’aime cette histoire d’amitié
il y a la le seul chemin
qui pourrait nous associer
123
Littérama’ohi N°13
Nicolas Kurtovitch
kanak européens
en
Nouvelle Calédonie
en
rien d’autre je ne peux croire
l’amitié sans raison
sans cause
sans
prémices
sans condition
Il y a la mer
la mer à l’infini
il faut faire un effort
la prendre dans son cœur
si on veut en sentir la force
la beauté
l’amour en soi
docteur Jekyll
fait oublier monsieur Hide
l’amour d’être là
en vie
sur terre
en
respiration
en
mouvement
en
espérance
Je lis quelques pages de Bashô
l’inimitable
en
route
l’heure peut valoir une année
chaque seconde intensément vécue
chaque mètre férocement avalé
chaque horizon
nouvelle terre.
Bluff 15 janvier 2005
124
Ivie Couraud
Par la porte de l’atelier est le fruit d’une lente et patiente
écriture, au
fil du souvenir, sans autre projet que celui d’évoquer, pour le plaisir, l’artiste François Ravello. Petit à petit l’évocation prend forme et
couleur,
entrelace quelques tableaux du peintre et devient livre.
En voici les premières lignes.
Sylvie Couraud, mars 2007
ATELIER
Tu marches sur un tapis de feuilles.
Tu découvres tes arbres grandis, les ombrages étendus sur les fleurs
fragiles, les fougères assoiffées depuis que tu es parti.
Le soleil joue dans le jardin, tu reconnais les trous de lumière à cette
heure de la matinée. Il ne fait pas encore chaud, tu as pris le premier
avion .Le ciel aussi semblait liquide.
La clé refuse le cadenas rouillé. Tu insistes. Tu donnes un coup d’épaule
dans la porte.
Le bois a travaillé. Tu respires l’odeur humide des palmes de ton toit,
l’odeur humide et poussiéreuse du sol cimenté.
Les auvents ligotés par les lianes peinent à s’entrouvrir. Tu cherches les
perches de bambou qui les maintiennent.
L’alizé traverse l’atelier qui respire avec toi, à pleins poumons, les
embruns d’un océan irradié de lumière. Tu es chez toi enfin.
Et c’est déjà demain. Il fait encore nuit, tu te lèves sans bruit
J’entends tes pas sur les marches, j’entends les craquements du plancher, j’entends tes pieds nus sur le corail répandu .
De nouveau le silence.
Seules les vagues roulent sur le récif.
125
Littérama’ohi N°13
Sylvie Couraud
Tu t’assieds sur le banc de la cuisine, face à la fenêtre, fenêtre face à la
mer dont les
pulsations rythment nos vies ici. Tu bois ton café dans la
lumière rose du jour.
Bruit de mes pas dans l’escalier, craquements du plancher,
pieds nus
corail, je t'aperçois dans l’entrebâillement, penché à la table.
Sur le banc, face à la fenêtre devant la mer, je bois du thé .Je rêve,
j’atsur
tends. Je caresse les chats.
Avec le chat roux, je traverse le jardin et j’entre.
Tu dessines devant le chevalet
.
De retour chez toi, dans la matrice de l’atelier, dans le dessin
que tu
ébauches, dans les couleurs à venir.
Sylvie Couraud
126
niele-Taoahere Helme
NOUVELLE DE PARAPARAUMU - KAPITI
Les regards en disent long,
Les sourires savent dire,
Les expressions silencieuses,
Les rires expriment la joie,
L’intonation musicale,
Notre identité.
Les regards traduisent,
Les sourires accueillent,
Les expressions spécifiques,
Les rires en cadence,
L’intonation mode locale,
Notre fenua.
Les regards scrutent,
Les sourires acquiescent,
Les expressions, les mimiques,
Les rires tantôt moqueurs,
L'intonation chaleureuse,
Notre authenticité.
Good morning,
How are you to day?
Fine, thank you, and you?
All right!
Have a nice day!
You too!
Salutation polie, brève, chacun continue son chemin, la gentillesse
est différente, elle s’adresse de manière neutre pour formuler la poli-
tesse, la courtoisie.
127
Littérama’ohi N°13
Daniele-Tahoahere Helme
Je répète en anglais pour me familiariser avec cette expression dit-
férente qui n’a rien à voir avec le débit chantant de notre intonation.
Le caractère chaleureux,
naturel met des mots anglais sur un
accent tahitien, les interrogations surgissent bien vite pour demander «
Vous venez d’où ?
»
Je viena de Tahiti, chez nous, il n’est pas toujours besoin de parler
pour dire, il suffit de soulever les sourcils pour dire oui, cela nous suffit
pour nous comprendre.
Les silences peuvent être longs pour dire que tout va bien et apprécier les instants qui se vivent.
Les mots s’échangent avec des gestes pour confirmer ce qui se
raconte, ce qui se vit, ce qui se passe. Chacun s’invite dans la conversation d’une manière naturelle, et celui qui le veut poursuit l’épisode qui
devient aussi le sien.
Que dire de cette terre qui vibre si fortement aux sentiments avec
des rythmes mélodieux, langoureux
ajustés la nonchalance des horlo-
ges biologiques des habitants !
Les orateurs délivrent leur verve avec les courbures qui font que les
repérer ceux qui butent sur la
prononciation, dans les bureaux l’information s’affiche «
Ha’amaramaramara’a », entraînement entre les sons détachés et les
liés comme pour l’écriture.
mots simples posent des rallonges pour
Je n’avais pas de répertoire en tahitien chez les grands-parents, j’ai
été initiée lorsque je rendais visite à Tio, le gardien de la propriété de
mon
son
grand-père. Cette terre se situe à Tiarei.
Là, personne ne formulait le langage que nous véhiculions à la mai: le français. J’observais alors les sourires que provoquait mon
ignorance de leur conversation, juste me familiariser, savoir écouter,
rentrer dans ce milieu, copier celui qui comprend pour rester dans leur
mouvement, cela facilitait l’adaptation à un vocable totalement inusité
chez nous avenue Bruat. Les choses émergeaient avec l’échange du
128
Ecritures
cœur, chacun utilisait le gestuel pour compléter les lacunes, les
doigts
pointaient, les têtes disaient oui ou non, le sourire approuvait les progrès. Les rires ou les moqueries, accompagnaient aussi les incompréhensions ou les fausses prononciations qui provoquaient un délire
général. J’avais appris à mes dépens que lorsque l’on prononce sans
tenir compte des liés ou déliés, des mots pouvaient jouer des tours et
être sources de « quiproquos inoubliables ! ».Je me réfugiais alors
dans le giron de Tio Vahiné pour cacher mon embarras, elle me protégeait et riait en passant un geste affectueux dans mes cheveux. Je prolongeais ces instants car ils étaient authentiques. Je me souviens de
ces visages marqués des mêmes sillons laissés dans la terre ; les
années de travail se reconnaissent à l’allure plus courbée avec l’âge, un
tricot de coton enrubanné autour de la tête absorbait cette transpiration
qui perlait pour dire la valeur de l’effort physique. Les reins aussi étaient
ceints pour que la sueur ne devienne pas l’agresseur de la santé, le
fameux « Puta to’e to’e
».
Leur soif de vivre, leur défi, faire germer des nouveaux plants. Les
pousses devenaient le tara qui venait remplir les assiettes, c’était leur
définition de l’abondance. Il n’y avait pas encore la « monétisation » en
dominante. La survie naturelle c’était au jour le jour. Les gros paniers
métalliques des grands jardins commerciaux, n’avaient pas encore fait
leur apparition avec les craintes du manque qui en fait, n’existe que
dans les lopins embellis par des bassines géantes qui absorbent plus
d’eau que les plants produisant le nécessaire, pas le « superflou ». La
quantité a dorénavant pris la place de la qualité. Les gros paniers viennent simplement dire que les jardins sont souvent dégarnis des plants
de base nécessaires à la survie ; un citronnier, un arbre à pain, quelques bananiers, un cocotier.
Les journées passaient et je savais entendre, je ne savais pas dire,
cependant je pouvais enfin reconnaître leur langage, Tio et Vahiné me
parlaient toujours avec le cœur, avec les fleurs, avec la vanille, avec
l’éducation de la terre.
129
Littérama’ohi N°13
Daniele-Tahoahere Helme
J’ai continué avec la langue de l’école, parce que c’était ainsi à
notre époque, j’avais enfoui en moi, ces tonalités qui disent toute notre
histoire, les accents mélodieux revenaient puis se rangeaient dans les
tiroirs inutilisés, se fermant plus que s’ouvrant à leur réalité imminente.
Un jour, tandis que je commençais ma carrière au guichet de la
Poste, c’était encore les communications avec avis d’appel pour les îles
pour que la personne demandée se présente à un bureau dans son
chef-lieu, un papa est venu vers moi, il m’a dit « laorana, maitai ‘oe ‘aiu,
hinaaro vau e taniunui ta’u tamaiti Makemo », j’ai eu un moment d’hésitation, me rappelant probablement encore les moqueries, j’ai fini par
lui répondre « Papa’i to‘oe i’oa, Papa, te i’oa no to‘oe tamaiti », l’authenticité de ce Papa, avait touché les tiroirs inutilisés et j’avais juste
répondu avec le langage du cœur sans me soucier des mots comme
me l’avaient enseigné Tio et Vahiné, je savais le Tahitien dans mon
cœur et il en sera toujours ainsi de ce langage qui contient la signification profonde des prénoms, des sites, du nom des terres...
Les années ont passé, je sais entendre, je sais dire à ma manière
le langage du cœur que m’ont inculqué Tio et Vahiné je ne sais pas si
je dirai grammaticalement un jour, je crois à ma manière de ressentir et
cela me donne mon identité.
Je me souviens des moments importants, et je sais que les vaguelettes de la vie peuvent effacer les souvenirs, écrire c’est préserver les
images qui ont fait partie de toutes les facettes que peuvent contenir
!
notre histoire, n’en privez pas ceux qui viendront après vous
Danièle-Taoahere Helme
130
îrie-Claude Teissier-Landgraf
CYCLONE JOSHUA
Leitangi, tête enfournée dans l’armoire, farfouille dans le noir :’’Où
grand sac ?" Elle a peur. Depuis des heures la mer brutalisée par les bourrasques, explose sa colère tout en griffant et en
labourant le récif de ses lames. “Papa God (Dieu le père), faites que cela
ne soit qu’une dépression. Que nous n’ayons pas à fuirje ne sais où.”
Une voix enfantine perce le grondement des vagues :
Maman, viens voir ! La mer vient de pousser un gros coquillage
dans le jardin.
La jeune femme se rue vers ce qu’elle redoute. L’océan, obèse à
chaque respiration, déroule ses bourrelets sur le tapis de la barrière de
corail. Librement. Dans un ronflement continu. La plage n’offre plus à la
lumière son ventre beige rose, tatoué de ciselures. Sous les morsures
liquides il s’est creusé, la peau grise et granuleuse. Des troncs d’arbres
et de fougères dansent la gigue sur les eaux boueuses du lagon, déracinés par quarante huit heures de pluie drue et continue. Les oiseaux,
plumes ébouriffées, oscillent durant leur repos au sol. Une rafale plus
perverse que les autres les happe, les projette au loin, les précipite,
ailes bloquées, dans le creux des vagues. Disparus ? Noyés ? Où est
parti mon fils ?
Là-bas. Sur la plage. Il joue dans l’embrun des vagues. Petite boule
de cheveux blonds zigzaguant au gré des flux et des reflux. D’autres
têtes enfantines, noires celles là, l’entourent. Elle doit lui tourner le dos
au lieu de courir vers lui. C’est un garçon. S’amusant avec ses copains.
Elle doit boucher au plus vite la dernière ouverture de sa maison avec
une tôle. En la fixant de l’extérieur. Laquelle d’entre elles deux s’envolera la première ? Elle transpire et manque d’air. Une certitude : c’est
un cyclone. Il sera terrible.
Un vieillard qui savait éloigner cette calamité est mort récemment
sans avoir transmis ses secrets ni son pouvoir. Les jeunes du village ne
s’intéressent plus à la coutume mélanésienne, n’y croient même plus,
attirés et contaminés par le monde des étrangers.
se trouve mon
—
131
Littérama’ohi N°13
Marie-Claude Teissier-Landgraf
Elle augmente le son du transistor, se hisse sur une chaise, puis,
clous dans
la bouche,
martèle les bords de la plaque ondulée.
Heureusement que John son copain des soirées kava (breuvage local),
posé parpaings et gros cailloux sur celles du toit. Heureusement que
gamin en jouant hier chez la mistress (la patronne), a récolté des
vieux clous tombés à terre dans l’atelier du masta (le patron) et qu’ensuite il a pris le temps de les redresser. Cette dépendance l’agace. Lui
mord le cœur. Elle voudrait tellement être avec son homme. Celui qui lui
a
son
a donné Joshua. L’autre amour de sa vie.
La tête du marteau sautille à toute vitesse le long du bord extrême
de la tôle.
Dressée sur la pointe de ses pieds nus, si larges qu’en les regardant distraitement on les croirait palmés, Leitangi vacille sur la chaise
qui tressaute dans les rafales. Sa robe mission s’épanouit de tous ses
jupons. Et prend le vent tel un parachute. Ses doigts de pieds frémissent, tressautent, pianotent à la recherche et au maintien de l’équilibre.
Plus qu’un clou. Son bras et son épaule brûlent. Le manche du marteau
a rapetissé. La chaise s’est abaissée. Un tourbillon fait pirouetter un caillou vers le rebord du toit. Au dessus de sa tête.
Bob Marley interrompt son reggae. Une voix crachote :
—
La dépression devenue cyclone se prénomme Joshua. Et visi-
tera l'île. Restez à l’écoute de radio Vanuatu.
La première chose dans un cyclone c’est l’alerte. Un indice frappe
toujours l’attention.
Une vision conforte le signe.
Le garçonnet, assis sur un gros tronc d’arbre alourdi d’eau, fixe son
regard sur une flammèche qui volette vers lui et qui — il le sait d’avance
le hélera : Joshua ! Il adore ces appels publics d’amour maternel.
C’est pour les entendre encore une fois qu’il s’est dissocié de ses
copains de jeux. Comblé de plaisir anticipé, il reprend ses questions.
“Où s’arrête la mer ?” Il croyait qu’elle finissait quand elle léchait le
—
132
Ecritures
? Aujourd’hui, il
bouillons et régurgite des saletés déposées dans le
passé effaçant ainsi toute ligne de démarcation. “La mer est-elle
sable. Ce dernier ne ferait-il pas semblant de la boire
la vomit à gros
méchante ?"
lorsqu’elle se retire vers le large, qu’elle pourrait lui
prendre les pieds, l’entraîner et le bloquer dans un des trous du récif,
attendrir sa peau pour mieux le dévorer, le digérer, puis le rejeter, désarticulé, vert et grotesque, sous le soleil ? C’est ce qui est arrivé - lui at-on dit à une touriste qui a dérangé un diable habitant sous l’eau. Il
dormait alors dans une de ses grandes maisons de corail. Lorsqu’il est
de mauvaise humeur, il joue de mauvais tours aux malchanceux qui
passent au dessus de sa tête. Cela expliquerait pourquoi son père, qui
jouait jours et nuits à cache-cache avec la mer là bas derrière l’horizon,
s’est éclipsé, prisonnier d’un grand rayon vert. Le garçon n’a pas peur
de Satan, ni de la mer, ni de la sienne. Il fait croire à cette dernière le
contraire : cela lui donne plus de liberté. Un jour il retrouvera son papa.
Oh ! Oh! La flammèche s’agrandit, oscille à chaque pas. Il aimerait
Est-il vrai,
-
se cacher. Jouer un bon tour. Une masse sombre se contorsionne sur les
flots glauques. La mer - complice ? - la glisse à ses pieds dans un ressac. Du tissu fleuri
noir et blanc. Une robe. A manches longues. Avec de
la dentelle au cou et aux poignets. L’enfant essore le vêtement et l’étale
sur le tronc d’arbre échoué. Il enfile
quelques racines dans l’intérieur des
manches qui gonflent et prennent vie. Il s’accroupit et attend. Sa mère va
prendre peur à la vue de cet épouvantail. Quelle bonne blague ! Les
rafales de vent lui fouettent plusieurs fois son prénom au visage.
—
Joshua ! Joshua !
Son cœur enfle de joie à la vue de cette femme qui s’épuise à le
chercher, qui hurle son prénom. Il s’impatiente du bonheur à la faire sursauter et rire avec .un subit “Maman !” Il anticipe la sensualité éprouvée
à enfouir sa tête dans les replis de sa robe, de retrouver l’odeur de ses
câlins faite de fumée de bois et de transpiration. Les gronderies pieuvent parfois sur sa tête, mais ils se retrouvent très vite en communion.
Comme lorsqu’elle le portait dans son ventre en chantant, lui a-t-elle
confié un jour.
133
Littérama’ohi N°13
Marie-Claude Teissier-Landgraf
La lumière se faufile à travers la cavalcade des nuages et s’apprête
à rejoindre l’ombre d’une nuit prématurée. Leitangi claudique sur ses
jambes arquées qui peinent à avancer dans le sable ; un corps de naine
disparaissant dans une robe auréolée de rubans bariolés, dénoués,
pivotant, virevoltant en tentatives de fuite.
Elle tourbillonne dans sa bulle d’émotions. Son fils est né par une
nuit de cyclone. Cris et spasmes conjugués d’une mère et d’une île mal-
traitée par le monstre. De l’évènement, il y a dix ans de cela, la femme
gardé la mélancolie de l’inéluctable séparation. Son bébé était si
bien, protégé par des eaux tranquilles crées rien que pour lui.
Présentement, à l’anxiété s’ajoute une prémonition : perdre Joshua. Ce
en a
prénom répété en écho aujourd’hui en de telles circonstances est un
signe. L’angoisse se déploie en elle comme une liane, comprime son
cœur, enserre ses tempes. Quelle malignité le destin leur réserve t-il ?
“Où sont les enfants ? Bientôt le crépuscule basculera vers l’obscurité.”
Elle marche tête baissée, tantôt pour éviter le sable dans les yeux, tantôt pour scruter la mer et la brousse.
Qui vit dans cette pièce d’étoffe, couleur de deuil, qui agite ses bras ?
Elle a la vision d’une personne brune à tête blonde qui se noie, et ne peut
retenir un cri. Le garçon se lève. Elle s’avance. A le toucher. Il rit. Vlan !
Une claque. C’est la première de leurs vies. Il reste pétrifié. Elle pleure.
Dans un cyclone la première chose c’est l’alerte. La deuxième c’est
la lutte liée à l’action.
Rien qu’elle.
Est-ce le vent ou leurs vertiges intérieurs qui les font tanguer sur le
chemin du retour ? Est-ce la brume des vagues ou leurs larmes qui
font ruisseler leurs visages ? Est-ce la colère et le désamour, la honte
et la rancœur qui irradient les nuées d’éclairs ? Est-ce le diable qui sif-
fie à leurs oreilles ? Qui fait glisser à leurs chevilles des troncs de fou-
gères arborescentes tels des crocodiles en maraude ?
Elle prend la main inerte de son fils et le force à marcher plus vite.
Bizarre, il ne regimbe point. Elle oublie cette remarque au spectacle des
134
Ecritures
premières lumières du village. Pourquoi s’agitent-elles et sautillent-elles
ainsi ? La pluie encercle la mère et le fils dans ses trombes d’eau. Les
rend invisibles. Le sable fluide cède sous leurs pieds, aspire leurs pas,
happe leurs mollets. Les plus hauts cocotiers qui ont déjà tant subi de
tempêtes, de guerre lasse se séparent de leurs palmes qui virent une à
une vers l’inconnu. Les voici enfin arrivés.
Les villageois s’affairent telles des fourmis dont on vient de décapiter la cité : le dernier bulletin météo vient d’annoncer des vents futurs à
plus de 300 Km/heure. Le pasteur papillonne parmi les habitants, exige
que chacun prenne le strict nécessaire afin de traverser au mieux et au
plus vite la rivière qui va bientôt sortir de son lit. Que tout le monde
grimpe ensuite sur la colline afin de se réfugier dans la salle de réunion
du temple.
Le temps presse ! Il houspille ses ouailles jusqu’à les insulter
quand ils traînent. De mémoire de chrétiens on ne l’a jamais entendu
ainsi.
—
Tu vas te changer, te couvrir de ce grand plastique, puis m’attendre
dehors dans le garage, ordonne Leitangi à son fils qui s’éclipse aussitôt.
Comment choisir les choses importantes de sa vie en
quelques
minutes ? Ses yeux errent sur les objets, repèrent le gros sac. Béant.
Prêt à l’emploi. Entre deux serviettes de toilette, et deux tricots molle-
tonnés, elle cale une bouteille d'eau, ajoute un paquet de laplap et deux
toulouks
(préparations à base de manioc cuit), un paquet de cabin
bread (biscuits secs) dont l’emballage est trempé. Elle lève les yeux et
maugrée :
—
Il faudra refaire la toiture.
Elle saisit une petite boite à gâteaux. Des pilleurs s’activent tou-
jours en plein cyclone. Ses maigres économies volatilisées ? Elle a vécu
pire. Mais jamais elle ne pourrait se consoler de la disparition des deux
photos témoins du bref bonheur de sa vie : le portrait d’un jeune marin
tahitien et l’image de leur couple avec Joshua bébé, dans les bras de
son père. Elle s’attendrit au souvenir de cet après midi de rêve où un
touriste, sans doute sensible à leur félicité, les avait photographiés. Les
clichés parvenus chez la mistress étaient la preuve “qu’une naine bossue
135
Littérama’ohi N°13
Marie-Claude Teissier-Landgraf
pouvait plaire à un beau mec et faire un très beau fils” rétorquait-elle aux
moqueurs de son village. Mieux, elle avait réussi l’exploit d’avoir fait un
enfant mélanésien aux cheveux blonds comme il en existe parfois. Où
est-il passé ? Personne sous l’appentis dénommé garage.
derrière la porte des toilettes.
Personne
Allez, dépêchez-vous, rudoie le pasteur. C’est maintenant ou
jamais pour arriver de l’autre coté de la berge. Joshua ? Il a déjà été
emmené par d’autres vers l’abri du temple.
Les retardataires la poussent vers les cocoteraies. Au loin la
lumière d’une lampe torche fait des signes précipités. C’est celle d’un
barreur de pirogue qui a aperçu le groupe à la lueur d’un éclair. La
rivière se bouscule à gros bouillons tout en charriant d’énormes troncs
d’arbres. C’est le dernier voyage. Leitangi s’immobilise, apostrophe le
barreur entre deux coups de tonnerre :
Et Joshua ? L’avez-vous transporté ? L’avez-vous vu dans les
autres pirogues ?
Pour toute réponse un homme la soulève comme une plume puis
la coince dans l’embarcation. Un autre lui intime l’ordre, par gestes lumi—
—
neux, de saisir la corde tendue au dessus de l’eau et de faire avancer
l’esquif chahuté de toutes parts.
Go ! (Partons)
Tout n’est que ténèbres. Tout n’est que mouvance. Sensation de
disparaître dans des remous, dans une confusion planétaire. Sueur glacée. Les femmes psalmodient des prières. Un bref éclair photographie
des silhouettes postées en face en sentinelles. Un grand choc. On vient
de cogner l’autre berge. Haute. Trop haute. Sur l’eau, corps yo-yo. Mains
tendues de part et d’autre tentant de s’accrocher à la faveur d’une crête
de vague. Doigts glissants. Grands cris.
Enfin arrivés ! On embrasserait la boue. A genoux. Mais tout n’est
que grincements, fracas et chutes de branches.
—
—
A l’abri. Vite !
Dans la salle comble, éclairée crûment par des néons, les robes
mouillées révèlent ce que les religieux s’ingénient à cacher. On s’en
moque. Survie fait loi. Soudain, l’obscurité. Exclamations. Puis silence et
136
Ecritures
immobilité. Un rai de lumière fouille par saccades une autre pièce, coté
montagne. Un mur en ciment qui s’y accotait s’est fissuré. De l’ocre
liquide cascade sur le groupe électrogène, serpente dans le moteur,
s’étale par terre en circonvolutions, glisse en direction du refuge colléetif. A la lueur des éclairs les hommes munis de leur coupe-coupe ébauchent des rigoles. La végétation submergée par le torrent se tord, se
plie, se noie, s’abandonne, puis fait le lit d’une autre cascade.
Dans un cyclone la première chose c’est l’alerte. La seconde c’est
la lutte. La troisième chose c’est l’attente. Avec sa compagne des mau-
vais jours, la peur.
Leitangi pourchasse ses recherches : où est Joshua ? Elle se faufile dans l’amas des corps agglutinés et scrute les ombres. Ses pas
écrasent parfois les chairs, brisent des objets. “ Sorry, sorry tu mas !”
(Désolée). La salle exhale des odeurs de peur et de fatigue. Soudain
l’hymne national crachote dans l’unique transistor rescapé du chambardement. Les réfugiés se figent. Un journaliste mitraille un communiqué
officiel.
—
Recommandation du service national des désastres : le secré-
taire général demande à tous les catéchistes du pays d’inspirer la popu-
lation afin de prier Dieu pour que le cyclone épargne le pays.
Puis un silence. De l’émotion dans la voix :
—
Nous ne sommes plus en mesure de poursuivre nos émissions.
Le clique du micro coupé raisonne dans toute la pièce. Isolés du
monde qu’ils sont. Pour le pire. Des litanies s’élèvent. Mais les pieuses
pensées désertent la conscience. La prière, indocile, se cabre à l’effort.
L’attente du pire fait dégouliner la peur de partout. A l’extérieur, c’est le
calme et le silence. Personne n’est dupe. L’île est maintenant fichée
dans l’œil du cyclone. Ce cyclope goulu. Ce monstre aux paupières
gonflées d’énergie destructrice qui s’emballe tout autour d’une pupille
noire. Cette pustule céleste dégage une chaleur humide et pesante de
plus en plus insoutenable. On étouffe. Bouche ouverte. Corps ruisselant. Anéanti.
137
Littérama’ohi N°13
Marie-Claude Teissier-Landgraf
Seule Leitangi continue à enjamber les corps, à tâter, à questionner sans relâche :
—
Avez-vous amené Joshua avec vous ? S’amuse t-il à se cacher
ici ? C’est son jeu
favori avec moi. Allez ! Répondez moi.
Au début on a compati, on s’est enquis autour se soi. Maintenant
c’est l’agacement :
—
Stop quiet ! (Reste tranquille).
Quand le vent rugit à nouveau, quand les gens se positionnent en
foetus, tête couverte de linges, mains sur les oreilles, elle s’avoue vaineue.
Et déteste ses frères et ses soeurs en religion. Pourquoi rester au
milieu d’eux ?
La pièce qui servait de cuisine devient son refuge avec son sol tantôt patinoire tantôt ventouse, avec ses murs ruisselants de pluie. Des
gouttes serrées tombent du plafond. S'écrasent dans une bassine. Ploc
! Ploc ! Une grande fenêtre lui offre le spectacle d’une nuit bouleversée
comme elle. Leitangi pleure son geste, maudit cette claque qui a fait fuir
son petit. Elle connaît sa réaction : il est parti narguer la mer ; se mesurer à elle du rivage. Admiratif. Terrorisé. Les garçons aiment la peur.
Cela les excite. Comment la furie liquide a-t-elle réagi ? La maman a
des visions d’apocalypse.
Un homme surgit de l’ombre. C’est un des passeurs de bacs naviguant entre l’île et
l’îlot d’en face. Il impressionne. Sorcier pour les uns, grand sage
pour les autres.
Il avance. La moitié d’une coque de noix de coco dans une main ; un
paquet de poudre de kava dans l’autre. Il s’arrête près de Leitangi. Tend
sa coupe sous les gouttes d’eau. Alors qu’elle se remplit, il monologue.
Les cyclones sont des leçons de vie... où la mort s’invite parfois,
pour briser l’esprit de possession qui nous habite et pour libérer ainsi d’autrès forces créatrices. La vie ne se passe pas comme nous l’imaginons.
Elle prend une route selon une logique qui nous est incompréhensible. Et
nous, avec nos désirs, nous en prenons une autre. D’où nos souffrances.
—
Il se tourne vers elle.
138
Ecritures
—
Vous les mères vous tirez orgueil des miracles que votre ventre
accomplit. Puis vous voulez posséder vos œuvres. Vous faites des projets pour elles ; puis pour leurs descendances. Mais les enfants choisissent le premier et le dernier jour de leur existence terrestre qui leur
appartient. Les femmes ne sont que des passeurs de vie. C’est tout.
Accepte cela. Sa coupe remplie, il y verse de la poudre qu’il délaye avec
un doigt, puis disparaît tel un fantôme.
Quel vieux fou ! Pourquoi me dit-il cela ? Leitangi est furieuse.
S’oblige à espérer, à épier par la fenêtre tout indice éventuel de présence enfantine. A lutter contre sa peur. Des lumières bleues et mauves
lacèrent les ténèbres. Les troncs de cocotiers se prosternent chevelure
à terre, se redressent d’un coup, pirouettent en torsadant leurs palmes.
Une armée de rideaux de pluie se fracasse en rangs serrés et à grands
bruits sur ce qui reste de solide.
Soudain les vitres s’incurvent. Les murs tremblent. La toiture vibre.
Respirer devient difficile. Ah, ce mal d’oreilles ! Serait-ce la fin du monde ?
Des pensées surgissent et se chevauchent : Joshua vit-il aussi tout
cela ? Tout seul. Par ma faute. Est-ce Dieu qui, par le biais de ce
cyclone, par la voix du passeur, m’oblige à me séparer de mon seul bien
terrestre ? Devant mon refus, laisse t-il le diable libre de le détruire, de
me l’enlever ?...
Définitivement ?
Un cri vrille son cerveau :
—
Maman !
Un
vertige la happe. La précipite dans les spirales d’un abîme
s’abîmant dans le centre de la terre. Vers l’enfer. Vers le néant. Sa tête
tourne comme ses jupons. Sa conscience chavire.
Le passeur bondit vers elle. La propulse vers le sol. La couvre de
L’étreint.
Explosions. Hurlements. Mugissements du vent, libre d’arracher
les dernières tôles, de les transformer en tapis volants, de fouailler
l’intérieur du temple, de balancer par dessus la charpente tout ce qui
restait à portée de mains. Dans la salle commune les corps se sont
entremêlés, les plus petits au milieu d’une grande masse sombre, luisanté et gémissante.
son corps.
139
Littérama’ohi N°13
Marie-Claude Teissier-Landgraf
Joshua, la joue en feu, s’était changé, tout en envoyant exprès aux
quatre coins de la chambre ses vêtements trempés et salis. L’envie de
désobéir le démangeait : le souvenir de la claque lui mordait le cœur, lui
qui était venu vers sa mère avec tant d’amour ! Ce soir était l'occasion
de combattre sa peur, d’apprendre à ruser avec la mer. Pour mieux la
dominer plus tard quand il rechercherait son papa disparu. Cet adjectif
trop vague l’obsédait. Les avait-il abandonnés ? Etait-il mort ? Sujet
tabou dans son entourage et même à l’école où l’on apprend toujours
cachent les parents. Dès que j’aurai mes premiers poils au menton, je partirai pour connaître la vérité.
Il avait filé à la dérobée, mains crispées sur son imperméable de
ce que
fortune qui tentait de le décoller de terre. La mer l'appelait dans un rou-
lement sans fin. Le long des récifs une sarabande d’éclairs faisait jaillir des étincelles d’écume dans l’obscurité. Des vagues empanachées
surfaient en tous sens sur la croupe de la mer. Parfois elles se chevau-
chaient, s’enflaient très haut - si haut ! - s’écroulaient en bouillonnements, puis glissaient comme une bière mousseuse jusqu’en haut de
plage. Leur course se poursuivait jusque dans la brousse. Elles
pandanus. Le lendemain ces
endroits regorgeraient de coquillages rares. Une opportunité de gonfler
sa maigre cagnotte auprès des touristes. Beaucoup d’argent à gagner
certes, ...à condition qu’il soit le premier à récolter cette manne.
Pourquoi ne pas tenter de les repérer déjà ? De les mettre dans son
plastique ?
Une saute de vent le bouscula soudain et le plaqua contre un tronc
d’arbre. Toute cette eau déversée d’on ne sait plus quel ciel ! Tous ces
hurlements infinis poussés par une nature martyrisée. Aucune âme à
la ronde. Vite ! Je retourne à ta maison. Sa mère l’attendait certainement, bouillant d’une deuxième colère qu’il saurait pacifier.
Il marcha. Marcha. Aucune lumière devant lui. Je ne comprends
plus rien. Le village devrait être là. Comment se repérer ? La rivière, la
mer, la terre se mélangeaient dans leurs querelles. Au plus fort de sa
confusion, une bourrasque le fit rouler à terre aux côtés d’un bougainvillier qui tournait et tressautait comme une toupie emballée. Il entendit
la
vibrionnaient autour des racines de
140
Ecritures
des tôles qui s’arrachaient des toits en couinant, en se tapant dessus,
en se lamentant,
avant de papillonner. Pfuit ! Le village, enfin !
Des murs encore en place le guidèrent jusque chez lui. Chez lui ? Ce
puzzle fragmenté, éclaté, inondé, noyé, sans début ni fin, à ciel ouvert. Je
vais me cacher dessous, se dit Joshua en apercevant le lit à grands pieds
qui tressautait, coincé dans l’angle rétréci de ce qui avait été une pièce.
Mais ce dernier patina, se coinça contre quelques parpaings, se débattit,
s'enfuit, s’envola. Ce qui restait des murs tremblait, oscillait. Bientôt la
dalle en ciment serait à nu. Alors l’enfant rampa vers les toilettes. Abri
minuscule fait de trois murs en ciment et d’une porte métallique récupérée par l’ami John dans une maison de blancs, abandonnée depuis l'indépendance ; ensemble assurant une intimité assise sur un modèle européen. Une cuvette en faïence. L’orgueil de la maison. Il s’enferma, s’assit
face à la cuve à eau, y posa sa tête. Et se mit à pleurer, yeux clos.
...De l’eau caresse ses pieds. A avoir trop flirté avec la mer, voici
qu’elle le cherche. Qu’elle clapote. Qu’elle tangue. Qu’elle lui apporte du
sable neuf à chaque vague en guise de présent. Elle ne s’arrêtera donc
jamais ? Va-t-elle monter le long des murs ? L’envelopper de caresses
liquides ? Pas question de s’endormir. L’incident de la claque visite son
esprit puis son cœur. Il ne voulait pas faire de peine à sa maman. Juste
s’amuser un peu plus. Lui faire peur avec son épouvantail, il était trop vrai
pour elle. C’est pour cela qu’elle m’a giflé. Elle n’a jamais cessé de m’aimer un instant. Elle m’aime toujours. Elle ne m’a pas abandonné. Que lui
est-il arrivé ? Son cœur s’emplit de compassion pour elle, et de remords.
La peine et la terreur le tiennent éveillé de longues heures. Il sait qu’il est
totalement seul. Abandonné. Le manguier qui ombrait la maison craque
sans fin, puis s’abat dans un grand souffle contre les toilettes.
—
Maman !
Dans
un
cyclone la première chose c’est l’alerte. La seconde la
lutte. La troisième l’attente. La quatrième l’horreur. Avec son compagnon
fidèle. Le silence.
La colère du vent s’est transformée en sautes d’humeur. Une
lueur diffuse blanchit le ciel. Serait-ce celle de l’aurore ? Aucun chant
141
Littérama’ohi N°13
Marie-Claude Teissier-Landgraf
a
d’oiseaux ne l’annonce. Bizarre. Tout autour de Leitangi, des débris de
vitres jonchent le sol. Elle n’a aucune coupure. Aucun souvenir. Etrange.
A ses pieds, une latte. Elle la saisit. La racle par terre en la poussant
devant elle. Et s’avance ainsi jusqu’à l’ouverture béante qui fut la fenêtre. Le paysage, coté montagne, la statufie.
Plus
aucune
feuille
aux
arbres qui se tiennent encore debout.
Sombres héros dépouillés jusqu’à leurs squelettes chancelant dans les
rafales. Certains portent à bout de branches des pans entiers de tôles
soudées à une charpente. D’autres, dans leurs moignons aiguisés par les
brisures du bois, retiennent, fichées, des plaques ondulées qui s’agitent
par intermittence, semblables à des oiseaux englués. Les collines et les
vallons ainsi que le cours de la rivière et la plaine se voient à perte de vue.
Les villages voisins se sont rapprochés tout en perdant leur intimité.
Sur terre tout n’est qu’amoncellements, enchevêtrements, disloca-
tions, retournements, béances. Les cocoteraies sont d’autres champs
de défaites : perspectives au cordeau,
brisées ; désordre des troncs
immobiles gisant au pied de ceux qui se dressent, étêtés, ou qui agonisent palmes pendantes. Il fait grand jour. Aucun feu n’élève sa fumée.
Pas de thé, pas de café ce matin.
Des appels la tirent de sa contemplation. Ce sont les habitants, de
l’autre coté de la rivière, qui modulent et font onduler les cris du langage
coutumier pour se faire entendre de très loin :
—
La mer a envahi le village. Il y a des disparus. Et chez vous ?
Répondez !
Elle panique : Joshua !
Un nouveau message de là-bas :
La rivière a baissé. Vous pouvez la traverser.
Embarquée la première dans la pirogue du retour, Leitangi se souvient durant le trajet du passeur surgi de l’ombre du temple. Se rappelle
ses paroles. Les comprend. Les accepte. Si après cette traversée elle
trouve Joshua indemne, elle rendra son fils dépositaire de sa propre
vie ; elle acceptera la mort de son enfant si, elle, devait lui survivre. Elle
trouvera un bel objet pour faire le cadeau de la vie à son fils. C’est vrai.
Elle n’a fait que lui donner naissance sur terre. Elle ne le possède point.
—
142
Ecritures
Elle pleure. Où les yeux puisent-ils leurs larmes ? Chez une maman, la
réserve est sans fond. Comme la mer. La mer ! Cette ogresse dévoreuse
d’hommes avec sa bouche ouverte à l’horizon. Elle la déteste !
Leitangi sait qu’elle devra désormais composer avec elle.
Arrivée au village.
Effroi, mutisme, devant le spectacle des lignes dispersées uniquement à horizontales et des
masses
écrasées
au
sol. Certains toits
gisent effondrés au pied de leur maison ; d’autres se sont envolés à tout
jamais. Quant à la maison de Leitangi, on devine la dalle sous le sable
si blanc, si neuf, si beau. La jeune femme s’assied et, d’une main,
caresse
machinalement le sol. L’air absent. Comme l’on fait sur une
tombe. De l’autre main, elle a ramené sa serviette de toilette devant sa
bouche pour comprimer le hurlement qui monte de sa poitrine. Ce faisant elle lève les yeux. Les toilettes sont toujours debout, et closes. Elle
bondit. Les témoins diront plus tard qu’elle s’était envolée comme une
poule mue par la panique.
La porte est bloquée de l’intérieur. Il lui semble entendre une respiration. Et si Joshua était dedans ? Blessé ?
Leitangi tambourine doucement :
Joshua. Je ne suis pas fâchée. Je ne me fâcherai plus. Ouvre la
porte. S’il te plaît.
—
Ils ne se quittent pas du regard et se retrouvent ainsi dans le meilleur
d’eux mêmes. Ils se serrent dans les bras l’un de l’autre et chuchotent :
—
Je te laisserai devenir marin, si tel est ton désir. Je te donne ta
vie. Elle t’appartient. Tu la mèneras comme tu voudras. Je t’aime.
—
Maman ! Moi aussi je t’aime. Je t’aimerai toujours. Tu sais, nous
avons tout
—
perdu mais nous sommes des millionnaires en amour.
Un amour qu’aucun autre cyclone, même prénommé Joshua, ne
pourra jamais nous enlever.
Marie-Claude Teissier-Landgraf
Littérama’ohi N°13
Tuo te Ama
EN RAFFLÉSIE SOUS LEVENT
DES CONTRAIRES
On peut bien hésiter à qualifier de glorieuses ces vingt
années qui
s’écoulent de 1887 à 1905 dans l’archipel des îles sous le vent. Soyons
clair: ce que se propose de brosser et déchiffrer si faire se peut cet
essai, ce ne sont pas les comportements des étrangers, Français,
Anglais, colons, marchands asiatiques, Allemands, Danois, Américains
et autres. Le propos est plus modeste, et plus difficile en même temps.
Modeste, car il choisit de cirsconscrire son objet au traitement des cornportements des indigènes, du “grand chef” au manahune en passant
par les grands prêtres, les juges, grands ou non, les chefs.de district,
d’arrondissement, les mutoi, les interprètes et autres “fonctionnaires”.
Difficile, car la documentation est clairsemée, éparse, et les intéressés
ont laissé peu de traces écrites de leurs propres réactions ; difficile
aussi car, de surcroît, la période considérée n’offre pas, de prime abord,
la cohérence, ou des modèles d’institutions établies qui eussent facilité
la détection de repères plausibles, sinon incontestables, applicables
aux cinq îles principales à la fois, (leur survie fut dépendante de Tornnipotence de l’administration française, et de quelques complicités d’intérêts bien compris). Bien entendu, plus qu’un travail d’historien, c’est
une chronique qui est tentée, avec pour moteur l’intime conviction que
l’intelligence des ressorts des indigènes d’alors, se conçoit aussi dans
les circonstances vécues, les changements qui surviennent, les influences subies, les déférences avérées, et leur conjonction à la somme
fuyante des égo.
La période choisie s’impose naturellement : un grand chef reconnu,
affublé du titre de roi, proche de la disgrâce ; un patriote insurgé, rebelle
si l’on veut ; des dieux en concurrence mais affaiblis ; des alliances corn-
plexes et mouvantes ; des formes d’organisation en quête d’assise. En
toile de fond, et tenues pour acquises,les influences aux aguets, ou aux
avant-postes, fermement décidées à soumettre et à posséder.
144
Ecritures
Voici à grands traits
l’évocation d’une fresque captivante, qui fut une
décisive et pénible période de la vie d’un groupe humain sur le point de
basculer de son temps incertain au temps résolu des autres. On attache
sa ceinture. Ce
qui va suivre est un essai partisan et décoiffant.
Dans le rétroviseur de Mahuru
Deux ou trois avisos, quelques goélettes, plusieurs cotres, sillonnent les lagons et les détroits entres les îles. Postes d’observation, dis-
suadeurs sourcilleux depuis
cette année 1847 qui figea Français et
Anglais en chiens de faïence ; missionnaires allant et venant, entre des
points d’ancrage et des geysers d’épouvantes érotico-religieuses ; des
autorités indigènes qui du sommet aux titres factices à l’humble manahune cherchant, en des directions opposées, à tirer parti des nouvelles
donnes annoncées ; une poignée d’apprentis colons anxieux de mettre
sexe et pied en terre ; des porteurs de courriers vers Tahiti et des résidents habiles et réjouis à se priver d’instructions ; des pavillons hissés,
puis amenés, parfois même accidentellement troués ; une économie
“régie” par des articles de code balbutiant des règles impertinentes,
dont un missionnaire anglais, et une dizaine de commerçants tiennent
la main ; une société à peine émergeant de ses carcans de déités, en
proie aux délices de la nouveauté monothéiste psalmodiée et dévoyée;
chants, danses et jeux qui se muent en solfèges et gestuelles encadrés,
se dissolvant un peu plus dans les vapeurs des alcools inédits ; ruées
sexuelles déjouant les prescriptions insensées ; étonnante rapidité
d’abandon des cultes et lieux sacrés, ou vénérés, ou protecteurs, ou
menaçants ; et toujours vivante, mais changeante, l’obsession de la
terre femelle, placée sous la garde illusoire d’utérus enclins à la curiosité. Mahuru était revenu de Maupiti. C’était il y a 30 ans, peut- être plus,
ou moins, quelle importance, car là-bas les parties de pêche collective
où l’on s’affairait en groupes de manuoroo, avaient lieu par intervalles
pas vraiment programmés, hors les périodes annoncées du auhune
quand le poisson est abondant, toujours festives, l’occasion de faire la
fête ensemble, les pieds dans l’eau, de la pointe Tereiavarua vers les
ilôts du récif. On rabattait les poissons dans les feuillages, les capturait,
145
Littérama’ohi N°13
Tuo te Ama
les préparait sommairement. Et sur le sable, entre les apata et les
tohinu, assis parmi les pohue à fleurs mauves ou blanches, on les grillait sur un lit de ooru et de corail. Abreuvés de pia hamani poro tara, ce
fruit macéré et odorant de pandanus des ilôts, ou de liqueur de cocotier
tombé goutte à goutte durant la nuit, ah! qu’elles étaient belles les étoiles de tiare ati sirupeuses tressées en couronnes parsemées de taria
soleil. La
pura phosphorescents, pour les têtes déjà échauffées par le
nuit allait être ainsi encore plus torride. Les mamaia n’auraient plus tard
aucun
mérite à mobiliser les disciples de ces plaisirs.
Mahuru en était revenu et, comme à l’accoutumée, il n’avait pas omis
d’apporter ce qui de toute façon aurait été exigé, une part de cette
pêche, cuite à l’étouffée, que le chef de son district de Tevaitoa n’aurait
pas manqué de réclamer, en même temps qu'une relation circonstanciée des plaisirs associés. Mahuru avait maugréé son impatience
devant ces exigences répétées. Il redoutait que se répétât la razzia dont
sa famille avait été la victime l’année passée : le chef avait résolu de les
punir d’un retard de trois jours dans la livraison des victuailles dues : ce
fut un pillage des tarodières, l’arrachage des ufi, le dépeuplement des
fafa apura, arrachés aux moindres rochers humides, les cocotiers
dépouillés de leurs fruits, les maiore étaient assaillis sans ménagement,
et ne porteraient plus de uru avant trois ans au moins. La famine et la
misère rôdaient au coin des bois. L’assistance du voisinage était mesurée, car les sanctions pouvaient s'abattre sur ces secours : la nuit seule
permettait quelques générosités fugaces et anonymes. Mais c’était
ainsi. C’est pourquoi il était allé soi-même à la pêche des tehu, variété
de mulet dont le chef était si friand, capturé selon la manière en usage
à Maupiti, appâtement avec les viscères jaunes de la moule uu, puis
capture à l’aide du hameçon de nacre jaune dominant rauoro. Un haapee en était plein au retour, le chef serait content, et apaisé. Pour un
temps. Sur sa pirogue gréée d’une voile faite de feuilles tressées de
cocotier tenue par Puute son jeune frère, Mahuru pouvait à loisir saluer
au passage, le long de la côte, ses copains qui glissaient tout nus, pratiquant le vaihee, glisse à laquelle ils s’adonnaient dès que l’occasion
146
Ecritures
s’en présentait, dans la petite passe près de l’ilôt Tiano. Mais il fallait
atteindre Marahi avant la nuit, sous peine de représailles de la part du
redouté, chef qui avait élu résidence dans cette vallée qui précède Vaia
au.
Déposer un poisson dans son paquetage de feuilles de ti sur le
marae, au pied du mape bleu et vert, près de la source, c’était chaque
fois un moment d’émotion, et de silence craintif. Des chevrettes sautillaient ici et là et crépitaient de curiosité. Tiens! la dépouille, ce qu’il en
reste, de Tuhiri, l’oncle maternel décédé il y a un mois, se décompose
peu plus et ses relents lui giflent l’odorat, surtout s’en détourner, les
mauvais esprits sont toujours là, puisque les odeurs de pourriture sont
un
persistantes. Les oraisons funèbres avaient été particulièrement tonitruantes, et les chants ensaglantés, tant la réputation de bravoure, de
débordements sexuels, et de conteur fécond faisait l’admiration, le trèssaillement et général. Un avao aux baies rouges vénéneuses signale
que des archers n’étaient pas loin. Un fortin rudimentaire se dressait sur
le flanc Sud, son altitude était suffisante au guet permanent, panoramique de Punaeroa à Tehurui. Le vieux chef, à l’autorité un peu écornée,
amaigri et pâli, impressionnait encore par sa haute stature, un air
entendu et presque désabusé, comme s’il se résignait aux orages
annoncés. On le savait enclin à frapper de rahui .avec un empressement suspect, des portions de lagon, des vallons entiers, non pas tant
par mesure de protection alternée, que pour accumuler à son profit un
pactole de réserve, des amas d'offrandes, des monnaies d’échange ou
de persuasion. Par ses deux femmes il avait pu étendre ses domaines
vers le Nord et pouvait se flatter que son autorité s’exerçât jusqu’aux
confins du Sud, vers la lagune de Uturoto sur lequel veillait bonne
garde, à cause des chevrettes abondantes, et des anguilles qu’il savourait cuites à l’étouffée, dans leur enveloppe de raufau assemblées en
apiu épais. Mais les rides de l’âge entamaient son prestige tutélaire, ses
femmes l'avaient quitté pour tenter l’aventure à Tefenuaroa dont on vantait l’animation naissante, et les jeux inédits que procuraient les étrangers. Alors il succombait à des phases de spleen incontrôlable, et portait ses pas titubants, seul au fond de la vallée, s’asseyait de longues
heures près de la pierre Teniurouru, dont il suivait les sillons de ses
147
Littérama’ohi N°13
Tuo te Ama
doigts malhabiles, comme s’il voulait en extirper de ce socle de chevelure quelque oracle rassurant. Il lui arrivait de s’allonger près de cet
énorme caillou vénéré entre tous, sur un tas de mousse et de fougères
poisseuses et poivrées, son marotea dérisoire soigneusement disposé
près de lui. Seul en face du temps immobile, ses pensées divaguaient
tranquilles, et lui renvoyaient les images des années enfuies, et quelques prémonitions sur le futur incertain. Mahuru le trouva accablé, près
du fare tutu enfumé, assis sur un ana de vertèbre de baleine, lui qui était
désormais bien incapble de râper un coco. Mais bien vite il retrouva en
même temps que l’appétit, une sorte de ressort qui était enfoui, pas très
profond c’est vrai, car son oeil s’alluma aux récits palpitants et salaces
de son visiteur, on pouvait observer qu’alors il se laissait aller à une
mélancolie dont son grand âge avait à peine ensilé les nuances et les
souvenirs. Le monologue devenait émouvant, Mahuru s’enflammait,
s’apaisait, puis se ranimait quand un détail lui revenait soudain, et le
taupee de bambou tressé résonnait de confidences, de rires et d’interjections. Sans doute songeait-il à ses fougueuses années de jeunesse,
allant au combat contre les gens de X, pour en rapporter les plants de
kava en saison, et en ramener quelques très jeunes filles enlevées près
de la rivière. Il occupait un rang notoire dans la cohorte de arioi, et ne
faisait pas mystère de ses emportements quand venait la période des
transhumances, des sacs, des viols et des danses. Ayant accompli son
devoir, qu’il avait peu à peu débarrassé de la contrainte, Mahuru s’en
revenait jusqu’à X où ses copains l’attendaient avec impatience : la nuit
serait emplie de fusées de rires, d’éclats, de commentaires, et se poursuivrait dans les vallons, en motoro collectifs, nécessaires conclusions
aux inclinations dérivées, et d’où la sodomie n’était pas exclue, toujours
sujet de franche excitation. Demain, ils s'en iraient à Atupii, car un apooraa les attendait là-bas, vers Vaihi, dans l’imposant fare potee du creux
de la baie : il serait question de se mettre en ordre de bataille, car une
menace précise allait s’abattre sur les gens d’Afarerii, d'où étaient venus
leurs ancêtres. Y aller à l’abri de Vaiorea, à l’assaut des collines de
Parurumatai, et par Raupaa dévaler en se dissimulant sous les futaies
de mara ; les gens de Haavai étaient à craindre, pillards renommés, et
148
Ecritures
leurs cousins de Taravari et de Tetaha plus encore. Mais ces dangers
donnaient du relief à leur projet, et échauffaient leurs esprits. Car des
palabres en apooraa se tenaient de plus en plus fréquemment, depuis
que s’étaient tissées des relations matrimoniales entre les dignitaires
des iles sous le vent et quelques autorités émergeantes de Tahiti nui et
de Moorea, soucieuses d’expansion. Des missionnairers présomptueux
s’étaient mis en tête de procéder à une sorte d’unification des terres
dans lesquelles ils avaient semé le grain de leur dieu fraternel, bon et
unique, en postulant une équation inéluctable. Des indigènes convertis,
sinonconvaincus, jouaient, c’est le mot, une partition à la fois efficace
et feutrée, efficace parce que feutrée et enjouée, et Mahuru avait été
parfois tenté de suivre cet exemple : non pas tant pour ce qu’il avait de
singulier encore obscur, que pour l’opportunité offerte de s’en aller
peut-être visiter d’autes contrées, et connaître des façons d’être différentes. Les aventures de ceux qui étaient partis pour Hawai’i et
Rarotonga, d’ailleurs proches parents adoptés, l’avaient fasciné : avec
ses copains du soir, il évoquait ces départs avec envie, malgré l’encombrante obligation de servir ce dieu encore mystérieux. N’importe, le
verbe pouvait offrir, selon une longue pratique, le secours d’une bouée
secourable, il suffisait de s’en approprier les ressources, pour mieux se
libérer de ses impositions. Lui et sa bande n’assisteraient pas aux apooraa en leur assemblée, mais se tiendraient à l’extérieur, sous les reflets
vacillants des rama de folioles de cocotier en torchères, les mori tiairi
n’éclaireraient de leur flamme sereine, que les visages graves ou cornposés des participants chacun assis sur une natte accordée à son rang,
ainsi que le démontreraient les matériaux, peue tressé, paua, aeho, et
tressage rouge et blanc, le plus vénéré. Curieusement, les orero resteraient coi, comme s’ils étaient chargés non plus de transmettre oralement en aller retour les messages, mais simplement d’enregistrer en
silence les palabres, les arguments, les consensus ou les désaccords.
Il filtrait de ces rencontres que le temps des incertitudes allait s’appesantir sur l’île, et s’étendre aux quatre autres, ce que confirmaient les
gens de Avera, venus en reconnaissance et en informateurs, parfois à la
solde de rivaux inconnus, ou de visiteurs déjà aux aguets. Seule Atupii
149
Littérama’ohi N°13
Tuo te Ama
pourrait peut-être conserver plus longtemps son caractère, son dieu
dominant, malgré le culte voué à son puissant rival. Ces grands pahi
d’ailleurs n’étaient pas le moins intriguant. Ces bouches de feu
étaient menaçantes, et leur structure si impérieuse que plus d’un s’était
venus
laissé circonvenir, car le vin était abondamment proposé, l'absinthe si
envoûtante, et la considération affectée mais tentante. Et puis ces
Français, ces Anglais, ces Allemands, ces Danois. Et puis to tatou iho
mau taata, les nôtres, qui se faufilent, s’insinuent, jouent les intermédiaires véreux, prennent pension sur les pahi blancs, s’invitent chez les
Français, font les yeux adoucis par la grâce divine aux Anglais, forniquent avec allemands, danois et autres aventuriers, maraudent à l’entour proposent leurs femmes, leurs filles et leurs garçons à l’envi, si l’on
peut dire, ou à l’encan, sinon à la criée à l’heure marehurehu, quand le
soir va basculer dans la nuit de tous les commerces. Dans leur maison
bâtie sur pilotis, au-dessus d’un rivage un peu vaseux, encombré de
crabes véloces, Mahuru et sa famille coulaient des jours sans réels
écuelis, entre pêche, travaux agricoles, combats de coqs, vaihee et
rapta de jeunes filles au bain, au moyen des ahia qui leur était lancés
de symboliques lassos. Son père Tepiri lui avait enseigné la
sagesse de la distance et de la réflexion. Les clans qui se disputaient
l’autorité, les femmes et donc les terres, il devait s’en méfier au plus
haut degré de suspicion. Et puis ces fugues fréquentes, celles de Turia,
la fille cadette, qui n’en finissait pas de rendre visite à une tante imaginaire à Uturoa, mais Mahuru savait qu’elle s’y adonnait aux nouveaux
plaisirs, ne revenant que son petit panier rempli de ces pièces sonores
qu’on nommait piastres. Et Puute, le plus jeune, à peine 12 ans, qui disparaissait des jours et nuits durant, regagnait la maisonnée ivre, de l’argent roulé dans une pochette de folioles de cocotier, d’où cela provecomme
nait-il ? Mahuru se doutait bien que çà n’était pas le fruit d’un quelconque travail, mais puisqu’il en partageait le résultat, le silence amusé
était de mise, une tape sur l’épaule à la rigueur, taurearea e en signe
Tepiri, avec l’âge, devenait indulgent quoique
malicieux et curieux, il lui arrivait même d’être tendre, ce à quoi chacun
de complicité. D’ailleurs
s’attendait, c’était ainsi quand on vieillit. Il se tenait le plus souvent à
150
Ecritures
l’écart, sur une banquette à l’ombre du grand mape, se servant d’un
éventail pour éloigner les moustiques, les mouches et se donner de l’air
frais. Ses jambes avaient enflé de mariri, vraie plaie dans cette partie de
Raiatea. Quand tombait le jour, il récitait d’une voix sourde des récits de
généalogies en longues chutes tremblottantes que personne ne gravait
plus dans la mémoire. Toute l’attention était projetée sur les nouvelles
incessantes qui parvenaient de plus loin, des rumeurs qui alimentaient
l’étonnement, la curiosité, le désir d’aller voir, a haere anae, ce que d’ailleurs les jeunes gens n’en finissaient pas de mettre à exécution, pour
en revenir les yeux exorbités d’alcool et de stupéfaction, ébaubis et passablement fourbus, quelques rapts ayant en chemin apaisé leur fringale
sexuelle. Son père le pria de repartir pour Maupiti, c’était le temps des
déclinaisons foncières, et des justifications généalogiques. Rien n’était
simple en cette affaire. Et l’on fût contraint de demander l’assistance
d’un arbitre venu de Tahiti, experte en déductions et habile en répartitions. La réputation de mama T. avait franchi les mers, et son autorité
avait aplani bien des ressentiments. Elle commençait par rappeler les
anciennes migrations venues de Rurutu et Raivavae, les hommes qui
avaient pris femme dans l’île, les femmes qui s’accouplèrent aux hommes de Maupiti, les descendances avérées, celles qui étaient probablés, la part consentie aux enfants adfoptés, les droits d’usage croisés
entre les deux îles lointaines et Maupiti, le tout avec une phénoménale
mémoire des noms successifs, des surnoms, des lieux-dits, des limites
des terres, de leur agrégation sous la garde d’un chef ici, de l’aîné là,
de la translation par les femmes ailleurs, jusques et y compris la disposition des maisons et des espaces vivriers contigüs qu’il convenait de
déplacer au besoin. Alors commençait la cérémonie'du umete de pierre
de Maupiti, et des deux penu des lointaines îles, le consensus étant
atteint lorsque les deux penu étaient disposés dans le umete. La rencontre avait duré trois jours et deux nuits. On se sépara mi-rassuré, misoulagé, jusqu'à la prochaine rencontre, dans quelques années. Un
vague pressentiment traversait les esprits : qui sait si tout cela n’allait
pas être disloqué par les nouveaux codes venus de Tahiti ou d’ailleurs.
Déjà quelques individus, et non des moindres dans la hiérarchie
151
Littérama’ohi N°13
Tuo te Ama
sociale, s’interrogeaient gravement, et parfois avec fougue. Ils projetaient une sorte de révolution culturelle dont le postulat serait d’emblée
le rejet des nouvelles procédures. Et cette détermination, on le saurait
bientôt, se propagerait comme un feu de brousse un jour de maraai
persistant. Les moyens nouveaux étaient en effet à l’oeuvre, et Maupiti
l’ignorait. Voici quelques balises, éclairantes et perfides, jalons du chemin tortueux mais déterminé, l’heure sans croix. “Coup de Jarnac et
Palmerston" acte du 19 6 47: “ne jamais prendre possession des dites
îles ou d’une ou plusieurs d’entr'elles, soit absolument, soit à titre de
protectorat ou sous aucune autre forme quelconque”... “The French Gvt
are anxious that this oppoprtunity shall be taken to release them from
an engagement entered into in 1847 to the effect that they would not
assume
the Protectorate of the island of Raiatea, near Tahiti. The des-
irability of acceding to this proposal under certain conditions, has for
several years been admitted by Her Majesty’s gvt... In the autumn 80 it
was
proposed to make this concession against Newfoundland fisheries)
and Lord Granville, in Oct 80 consented “to a provisional French
Protectorate over the island for a strictly limited time”. The agreement for
that purpose was renewed at the end of six months and, since then, has
been renewed every six months up to the present time”...the result (of
the failure of the Newfoundland
convention) upon Raiatea has been
that, contrary to all expectation,the French Protectorate has never been
made definitive.lt does not however appear to HMG desirable or indeed
practicable to remit to an aboriginal Administration an island which has
seven years under French Government.” ...Salisbury to
Egerton Oct 21th 87 “conserver aussi les institutions actuelles qui, peu
à peu, pourront être mieux définies, plus limitées, mais qui ont ceci de
précieux en l’état actuel, de se suffire à elles-mêmes. Il y aura des quesfions de personnes à régler, ce sera assez délicat. Payer aux rois et aux
chefs des pensions promises, mais sur un pied très modeste... Ce qui
a bien opéré c’est la distribution que vous avez faite à nos partisans,
elle a été suivie de celle faite par Mr T. aux plus gros bonnets. Nos amis
ont donc tout au moins en nous une confiance pécuniaire qui les fera
patienter...” correspondance du résident français mars et avril 1889
been for
152
Ecritures
“Patiiti l’a dit lui-même carrément il y a longtemps. Sur nos instances il
s’est placé denos côtés parce qu’il dit que le pavillon doit être celui du
plus fort, et qu’il nous croit les plus forts” “Savez-vous que Tiafariu n’est
plus avec Teraupoo? Il était venu il y a neuf jours à la barrière actuelle
de la ville. Prévenu immédiatement, je suis allé le voir en lui envoyant
des boîtes de conserve : longue conférence, promesses contre promesses, puis sur mes indications tous nos partisans sont allés le voir. Le
lendemain dimanche il veut le prendre de haut avec moi. Je remets à la
place qui convient un tel animal...” “La cheffesse TEURURIA de Tevaitoa
est devenu notre ennemie par le seul fait de la prise de possession du
titre de chefesse à Tevaitoa, il ne peut pas en être autrement, ces gens-
là ne seront “fiu” que lorsqu’il leur tombera quelques obus sur le dos”...
Typologie des ténèbres.
Tuo te Ama
Littérama’ohi N°13
Stéphanie Ariirau Richard
LE CORPS HUMAIN,
C’EST LE CORPS SOCIAL
Ton corps c’est ton pays' est une phrase que l’on retrouve à plusieurs reprises dans Matamimi et dans Je reviendrai à Tahiti2. Elle signi-
fie que l’être n’a d’autre identité que Soi, elle signifie que l’universalisme
est la seule valeur nationale qui vaut la peine d’être combattue. Elle est
à la fois la volonté profonde d’être libre des autres, de n’appartenir à
personne et de délimiter son ‘territoire’ à la seule valeur sûre : celle du
corps. Le corps n’appartient pas ‘au pays’, puisqu’il est un pays à lui
seul. Il s’agit de déconstruire les hyper nationalismes sous-jacents,
identitaires et sectaires qui pourraient finir par scléroser la littérature
post-coloniale insulaire. Mais aussi Ton corps c’est ton pays, ton pays
c’est ton corps c’est une volonté de décomplexer le personnage femme
insulaire, c’est un message de liberté.
«
La découverte du corps se fait par la sexualité, le contact à l’autre.
La sexualité est la façon la plus abrupte de parvenir à une prise de
conscience »3 La découverte de l’amour est une expérience douce et
tendre pour le personnage de Mutismes4, la description de la scène du
cunnilingus est remarquablement pudique : « J'ignorais tout de mon
corps »... « J’ignorais tout de mon sexe et il y est entré le premier avec
une tendresse que je ne pourrais plus oublier. »5 Rien à voir avec le
personnage de Clara dans Je reviendrai à Tahiti, qui revendique le vul1
gaire, une sexualité presque sadienne où le corps de soi est un objet,
une machine à jouir : « Il y a quelques annonces bien cochonnes, ça
distrait (...) Elle se met nue sur son lit. Le vibromasseur est trop bruyant,
1
2
Ariirau, Matamimi. Papeete : Au-vent-des-îles, 2006.
Ariirau, Je reviendrai à Tahiti. Paris
2 Le
4 Titaua
2
Peu, Mutismes. Papeete: Haere Po, 2003
Mutismes, 64.
154
: L’Harmattan, 2005.
Magazine littéraire, septembre 2006.
Article
quand se décideront-iis à en confectionner de silencieux »6 ou encore,
la narratrice n’hésite pas à chavirer dans le burlesque sexuel, pour ridiculiser l’homme, l’émasculer psychologiquement, pour lui montrer que
la jouissance est quelque chose qui se déclenche et que les sentiments
n’y sont pour rien. Elle souhaite renverser ce sentimentalisme qui colle
aux femmes dans une société superficiellement phallocrate. C’est prèsque une
autodestruction où le corps est réduit à un simple objet,
méprisé.
Elle se fait à soi, ce que les hommes lui ont fait7. On se retrouve
quasiment dans le même schéma d'aliénation de soi dénoncé par
Frantz Fanon dans Masques Blancs, Peaux Noires, sauf que dans ce
cas précis, il s’agit du corps-pute et non pas de la couleur de la peau.
Le corps-pute dans Mutismes, lui, n’a pas le droit de jouir parce que la
jouissance est réservé à l’amour : « Si seulement Lola pouvait simu1er... par mensonge. Oui, je désirais qu’elle n’y trouve là, aucune jouissance. »8 Mais le personnage central de Mutismes, comme Clara de Je
reviendrai à Tahiti, n’échappe pas non plus à cette volonté de se désengager de l’amant : « Ecarter les jambes. Je supportais de moins en
moins cette humidité, entre les cuisses. Parfois, je remuais les hanches
pour que ça aille plus vite, et je savais que ces petits râles aidaient Rori
à en finir. Je le trouvais pitoyable (...) j’éprouvais plus de plaisir lorsque
je laissais l'eau (...) m’envahir »9. Le nom même de l’amant ‘Rori’10
désacralise la puissance du Phallus, en incarnant le concombre de mer,
trop mou pour être puissant.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la sexualité dans la fiction
littéraire polynésienne n’est pas récente, en tant que thème : La
® Je reviendrai à
Tahiti, 113.
^ « Elle veut son
plaisir tout de suite (...)
Mais enfin mon vieux, c’est comme ça que tu baises !
(...) Je peux me faire jouir toute seule, je n’ai pas besoin d’un vieux Chinois comme toi ! (...) Il se
retrouve face à elle qui (...) prend son plaisir à deux mains (...) : - Je suis occupée. J’ai besoin de
concentration, laisse-moi tranquille ! ordonne-t-elle »
®
Mutismes, 125
®
Mutismes, 125-126
"*0 un concombre de mer
:
noir, mou, phallique, visqueux.
155
Littérama’ohi N°13
Stéphanie Ariirau Richard
retranscription des légendes de Maui est ponctuée de nombreuses scèérotiques relevant parfois du fantasme du narrateur11. Ce qui a évolué, par contre, c’est la politisation du corps féminin dans Mutismes,
Matamimi, je reviendrai à Tahiti. Un phénomène de féminisation du
corps social dans une narration omnisciente où l’on ne sait pas ce que
pense l’homme, mais on sait tout de la femme, ou presque.
Le corps, c’est le Corpus, l’ossature de notre littérature contemporaine. Autrefois, le corps était le support de l’histoire de l’Homme polynésien, le tatouage ancré dans la peau symbolisait l’entre deux mondes : Ni à l’intérieur du corps, ni à l’extérieur de la peau, le tatouage
était la transcendance de la frontière. Le nouveau corps emprunt d’encres est celui de notre littérature. Le corps articule un
‘langage dans la
littérature12. Dans le cas de Je reviendrai à Tahiti, il s’agit du langage de
l’entre deux mondes, interprété par le thème de l’homosexualité :
« Les homosexuels sont
partout (...) il y a des clubs homos, des cinémas homos, des magazines homos,
plein plein de trucs, juste pour les
homos. Je me demande, si moi-même, je ne suis pas un peu lesbienne
sur les bords, tu sais. Je t’avoue,
je ne sais plus qui je suis. Je passe
plus de temps à regarder les femmes que les hommes. »13 Le personnage hétérosexuel identifie l’homosexualité à un monde de « l’entredeux », bien démarqué et communautaire à New York. Subconsciemment, elle fait l’amalgame entre son manque d’appartenance à quelque
pays que ce soit, l’entre-deux mondes américain dans lequel elle vit, entre
la France et la Polynésie, jusqu’à confondre sa propre identité sexuelle
avec son identité tout court. Lhomosexualité en tant
que communauté est
une ‘découverte’
puisque dans son pays natal l'homosexualité demeure
de l’implicite, de l’intimité. Elle ne se sent même plus désirable au
regard
des hommes : « Il y a des critères, je n’y correspond pas. Je n'aime pas
me maquiller et j’ai horreur des talons et des
jupes »14.
nés
11
12
Teuira Henry, Mythes tahitiens. Paris : Gallimard, 1993
Punday, Daniel ‘Foucault’s Body Tropes’ New Literary History, 2000, 31: 509-528.
12
Je reviendrai à Tahiti, 107-108.
14
Je reviendrai à Tahiti, 108.
156
Article
Le personnage éprouve ce sentiment du corps hors norme : pas la
dans son pays, et toujours pas le critère de
beauté dans celui des autres. Le corps hors-norme dans la littérature
bonne couleur de peau
polynésienne est le corps de la femme. Ce qui touche le plus dans
Mutismes et Je reviendrai à Tahiti, c’est le délaissement du corps «
beau » pour le corps « sensible ». Cette absence du culte de la beauté
du corps féminin dans la littérature insulaire contemporaine et femme,
est le contrecoup de l’overdose du culte Miss, célébré à outrance, véri-
table sport national insulaire. Ce qui prime dans Mutismes, c’est le sensible
: «
Un homme pleurait et je n’avais jamais vu cela... j’observai,
compte, ce corps ferme si mâle et désespérément attirant. Et j’ai eu envie de lui. Peut-être par pitié... J’ai ressenti
sans m’en rendre vraiment
des frissons, une intense chaleur au niveau du sexe. Le besoin angoissant de remplir ce dernier d’une vie et d’un amour qui m’avait manqué,
sans que
je le sache réellement »16
L’homosexualité est également abordée dans la littérature popu-
laire, sous forme de voyeurisme, par exemple, dans L’arbre à Pain :
«
Il y a Lily qui est couchée toute nue sur un tapis et il y a une femme
(toute nue aussi) qui est sur elle et elles se tortillent toutes les deux
dans la position du 69 (...) c’est pas grave Lily doit être fiu de ces hommes
jaloux qui lui font toujours des ennuis »16, mais également sous le
thème de la prostitution.
Si Jean-Marc Teraituatini Pambrun n’a pas abordé l’homosexua-
lité, c'est sans doute parce qu’il n’a pas encore croisé de personnages
homosexuel. Mais le corps, chez l’écrivain homme, a également une
place centrale dans notre littérature : Dans Le Bambou Noir, il s’agit
corps-éponge. Le corps du personnage principal, le Tahitien, est
imbibé des douleurs de son peuple : « Il passait ainsi des heures de
martyre dont son corps n’aurait pourtant jamais porté de quelconque
stigmate »17. Le corps-éponge illustre l’explosion atomique infligée au
du
15
Mutismes, 63.
Célestine Hitiura Vaïté,
17 Jean-Marc Tera’ituatini
Uarbre à pain Papeete : Au vent des îles, 2003 (122-123)
Pambrun, Le Bambou Noir. Papeete : Editions le Motu, 2005 (200)
157
Littérama’ohi N°13
Stéphanie Ariirau Richard
paysage. En effet, le corps du personnage semble se décomposer et se
recomposer sans cesse, formé de particules déchirées et douloureuLe narrateur a-t-il subconsciemment ou volontairement fait du
ses.
corps humain un corps social ? Mais comment est-il possible de ne pas
voir nos essais nucléaires dans le corps douloureux du Tahitien ? « Au
matin, il sentait à nouveau tous ses atomes reconstitués et parfaitement
remis à leur place » (Le Bambou Noir 201), le Tahitien pousse un cri
rauque « pour expulser toutes les particules négatives que ses sombres pensées avait diffusées dans son corps » (SA/207), «Il avait l’im-
pression que son corps était brisé en mille morceaux de désespoir »
(SA/ 228), « il souffrait autant que s’il se dépeçait vivant, pour ensuite
débiter sa chair et se démembrer » (SA/ 248)
Plus loin encore, dans cette analyse du corps chez Jean-Marc
Pambrun, qui transgresse des frontières : le personnage va jusqu’à
féconder l’esquisse, seul et unique élément féminin auquel il restera
fidèle toute sa vie. L’esquisse est ce miroir absent du texte, qui n’en est
pas moins un miroir de son subconscient. En conséquence, lorsque le
Tahitien éjacule sur son esquisse, c’est sur lui-même. Il s’agit là d’onanisme et de narcissisme. L’homosexualité est souvent perçue comme
narcissisme du corps. Mais l’esquisse représente le Soi-femme du
Tahitien. C’est une e//e-aile qui lui permet de s’envoler dans tous les
un
sens du terme
(jouissance physique et psychologique) Enfin graduelleLa
ment le rapprochement entre corps humain et corps social se fait. «
société est obèse
»
Le narrateur du Bambou Noir inverse la tendance,
c’est la société qui se transforme en un ‘corps’ comme un chassé-croisé
de la matière humaine et de la matière sociale. Le Tahitien «
a concédé
qu’il avait l’impression de muter en une nouvelle espèce locale qui tenait
à la fois du travailleur immigré et de l’exilé dans son propre pays. »18 Ce
que le Tahitien ne voit pas, c’est que sa mutation du corps est un miroir
social de son pays natal. Son corps mutilé et humain est celui de la
société qu’il décrit. Le corps du personnage de Mutismes abandonné et
Le Bambou Noir, 265.
158
Article
plein de désirs, ce corps humain est celui de la société qu’elle décrit. Le
corps de Clara dans Je reviendrai à Tahiti, un corps errant, égoïste,
autoritaire, et amputé, est le corps humain, ce corps de la société dans
laquelle elle vit. La société qu’elle décrit. Sans jugements que le sensible. Titaua Peu et Ariirau sont les deux seules écrivains qui abordent le
thème de la masturbation féminine et ce rejet implicite de la force phallique fortement présente dans la violence sociale de leur pays19. Il semblerait qu’un autre mouvement littéraire s’engrange dans le post-colonialisme20 de Devatine et Spitz et qu’il le dépasse. Il n’est pas féministe,
ni uniquement sexuel. Mais il traite du corps comme matière sensible,
complexée, complexe et pensante, au-delà d’une idéologie quelconque,
si ce n’est peut-être, la Dissémi-Nation du corps humain dans le corps
social, forme de corps-éponge qui absorbe le noir et blanc de son environnement social et qui devient un pays en soi. Non pas comme l’entend Homi Bhabha à l’échelle identitaire21, mais comme l’expriment les
métatextes de Jean-Marc Pambrun, Titaua Peu et Ariirau : le corps
humain se fond dans la société et la société se fond en lui, par amour
par souffrance. Le corps humain migre, avec lui migre le pays : tous
leurs corps partent pour la France et reviennent. Que nous rapportentiis de leurs voyages ?
ou
19
Statistiques sur les viols de femmes et femmes battues en Polynésie qui battent les records
métropolitains de loin.
29 Attention le
“post-colonialisme” en littérature n’a rien à voir avec la politique: il s’agit d’un mouvement littéraire qui se définit comme « un espace de négociation », C'est un ‘concept littéraire
dans la mesure où le rapport entre minorité et langage, pouvoir et langue est au cœur de sa généa-
logie’, François Cusset dans French Theory 153-154
21 Homi
Bhabah, Nation and Narration et The Location of Culture New York : Routledge, 1990 et
1994 (p.291 & p. 139 respectivement)
159
Littérama’ohi N°13
Informations
CONCOURS LITTERAIRE
Concours littéraire 2007 de l’Académie tahiiienne - Fare Vana’a, doté de
trois prix, relancé dans le but d’encourager la littérature en reo ma’ohi ;
Date limite de dépôt des manuscrits : le 30 avril 2007
SALONS
•
•
Le 1° Salon du Livre de Uturoa (1-2 décembre 2006), «
Le 27° Salon du Livre de Paris (23 - 27 mars 2007), Porte de Versailles,
sur le thème «
•
Lettres indiennes
»
Le 6° Salon du Livre de Tahiti (26 - 29 avril 2007), To’atâ,
sur le thème «
•
Littérature et jeunesse »
Le 3° Salon International de Littératures Océaniennes (30 octobre - 04
novembre 2007), Hienghène Nouvelle-Calédonie,
sur le thème «
160
Lire sous le vent »
Paroles, Hautes voix »
Meuel Mauarii enseignant en Arts Plastiques au collège
Pômare
IV.
Aime
le
dessin, la peinture, sculpture...
Quelques expositions à la maison de la culture : Te tau
Auhunera’a, Rautahi, A rave ra.
«
Hina » Acrylique sur toile (119 x 196 cm)
Mauarii Meuel, 28 décembre 2003
Fait partie de Litterama'ohi numéro 13