B987352101_PFP1_2006_010.pdf
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-
Littérama’ohi
CB :
Ont participé à ce
2
Diversité
...
Coll : PER..
Cote : P.
Date :
T...1.
...
Raphaël BEDARD
Anatila BREAUD
Heiata CHAZE
Stéphanie COLLEDGE
Annie Revae COEROLI
culturelle
et francophonie
Michèle DE CHAZEAUX
Jennifer D
Marina DEVATINE
Stéphany GROLEAU
Danièle-Taoahere HELME
Scott HOWELL
Dominique IMANO
Mélissa KOKAUAN!
Teiho LEMAIRE
Alexandra LEMMI-ZAOUI
Herehiti MALINOWSKI
Jennifer MALINOWSKI
Marcel MILLAUD
Glenda MOU KUI
Diana NGO
Vanessa P
Lucas
PAEAMARA
Jean-Marc PAMBRUN
Elisabeth POROI
Julien PROULX
Stéphanie-Ariirau RICHARD
Corinne SACHET
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Te hotu Ma’ohi
Célestine HitiuraVAITE
Jessica VANQUIN
Marie-Hélène VILLIERME
Albert WENDT
Numéro 10
Mai 2006
Kaitlyn YATES
Alexandre
Littérama’ohi
Publication d’un groupe d'écrivains de Polynésie française
Directrice de la publication :
Flora Devatine
BP 3813, 98713 Papeete - Tahiti
Fax : (689) 820 680
E-mail : tahitile@mail.pf
Numéro 10 / mai 2006
Tirage : 600 exemplaires - Imprimerie : STP Multipress
Mise en page : Patricia Sanchez
N° TAHITI ITI
ISSN
:
: 755900.001
1778-9974
Revue
Littérama’ohi
Ramées
de Littérature
Polynésienne
Comité de rédaction
Patrick AMARU
Michou CHAZE
Flora DEVATINE
Danièle-Taoahere HELME
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Jimmy M. LY
Chantal T. SPITZ
-Te Hotu
Ma’ohi -
LISTE DES AUTEURS DE LITTERAMA’OHI N°10
Raphaël BEDARD
Anatila BREAUD
Heiata CHAZE
Stéphanie COLLEDGE
Annie Revae COEROLI
Michèle DE CHAZEAUX
Jennifer D
Marina DEVATINE
Stéphany GROLEAU
Danièle-Taoahere HELME
Scott HOWELL
Dominique IMANO
Mélissa KOKAUANI
Teiho LEMAIRE
Alexandra LEMMI-ZAOUI
Herehiti MALINOWSKI
Jennifer MALINOWSKI
Marcel MILLAUD
Glenda MOU KUI
Diana NGO
Vanessa P
Lucas
PAEAMARA
Jean-Marc PAMBRUN
Elisabeth POROI
Julien PROULX
Stéphanie-Ariirau RICHARD
Corinne SACHET
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Célestine Hitiura VAITE
Jessica VANQUIN
Marie-Hélène VILLIERME
Albert WENDT
Kaitlyn YATES
Alexandre
4
SOMMAIRE du n°10
Mai 2006
Liste des auteurs
p.
4
Sommaire...,
p.
5
Les membres fondateurs de la revue Littérama’ohi
p.
Editorial
p.
8
10
p.
11
p.
15
p.
23
p.
29
p.
37
p.
45
p.
52
p.
57
p.
61
p.
66
DOSSIER
: «
Diversité culturelle et francophonie » (2)
ECRITS D’ICI ET D’AILLEURS
Romans - Récits
ECRITURES POLYNESIENNES
Lucas Paeamara (Extrait du roman)
Mangareva, taku akaerere
Anatila Bréaud (Extrait du livre)
Histoires des enfants du Quartier de la Mission
Jean-Marc Pambrun (Extrait du roman)
Le Bambou Noir
Albert Wendt (Extrait du roman)
Letting Go
The Mango’s kiss)
Annie Reva'e Coeroli (Traduction de l’extrait du roman d’Albert Wendt)
Laisser partir
The Mango’s kiss
Marcel Millaud (Extrait du roman)
S’il est un ciel au-dessus de nos ombres
Célestine Hitiura Vaite (Extrait du roman)
Frangipanier : Le verdict de l’aiguille
Marie-Claude Teissier-Landgraf (Extrait du roman)
Atea roa, Voyages inattendus
Stéphanie-Ariirau Richard (Extrait "du roman)
Matamimi
Elisabeth Poroi
Perete’i et Ro iti (adaptation polynésienne de La cigale
et la Fourmi de J. de La Fontaine)
5
Marie-Hélène Villierme (Extrait du livre)
Tangata - Une communauté polynésienne
Michèle De Chazeaux (Extrait de « Chronique à malice
p.
70
P-
72
P-
76
P-
90
p.
91
: p.
97
p.
99
»)
Tangata
Scott Howell (Extrait du Mémoire Le jardin secret de la mort)
J’avais huit ans
JEUNES ECRITURES D’ICI ET D’AILLEURS
Heiata Chaze
Jessica est une perle
Jessica Vanquin
Nous sommes tous coupables, Alliance,... La Guerre
(.Apologues, poèmes)
Marina Devatine
La Vie La Nuit, ...La mer (Poèmes)
ARTICLES
Corinne Sachet
Concours « Vive l’Ecrit »
Herehiti Malinowski, Jennifer Malinowski, Teiho Lemaire
La littérature tahitienne
Entre rupture et continuité de la tradition
p. 103
Danièle-Taoahere Helme
Influences et adaptations
p. 114
Glenda Mou Kui
p. 122
Remerciement
CONCOURS « VIVE L’ECRIT
» (2004-2005)
(CRDP - Ministère de l’Education)
(Les lauréats)
Mélissa Kokauani
Te ha’ameta’u o te fenua ‘enata
p. 126
Alexandra Lemmi-Zaoui
Retour vers l’avenir
6
p. 131
CONCOURS LITTERAIRES (2005)
(Ecole Gabrielle-Roy de Surrey, Colombie britannique - Canada)
(Les lauréats)
Jennifer D ; Julien Prouix ; Alexandre
p. 145
Mon île paradisiaque
Raphaël Bédard ; Vanessa P ; Diana Ngo ; Stéphanie Colledge
Face esthétique
p. 149
La vahiné
p. 150
Danse et musique
p. 151
Poème sur Tahiti
p. 152
Stéphany Groleau ; Dominique Imano ; Kaitlyn Yates
p. 155
Tahiti
SALONS DU LIVRE
•
•
•
Le Saion du livre de l’Outre-mer
(octobre 2005)
SILO (2° Salon International du Livre de Poindimié) (novembre 2005)
p. 159
Premier salon du livre de Surrey
(Vancouver - Colombie britannique, Canada) (nov. 2005)
•
p. 158
p. 161
5° Salon du livre franco colombien : Surrey, Victoria
(Colombie britannique, Canada) (nov.-déc. 2005)
p. 163
Chantal Lefèbvre
Le Moustique pacifique (extrait)
p. 166
Simon Henchiri
Poète d’Algérie (extrait)
"
p. 168
L’Echo de Surrey
(extrait du journal de l’Association francophone de Surrey : déc 2005)
26° Salon du Livre de Paris, Porte de Versailles (mars 2006)
p. 171
L’ARTISTE
Marie-Hélène Viliierme
7
Littérama’ohi
Ramées de Littérature Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi
La revue Littérama’ohi a été fondée par un groupe apolitique
d’écrivains polynésiens associés librement :
Patrick AMARU, Michou CHAZE, Flora DEVATINE,
Danièle-Taoahere HELME, Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF,
Jimmy LY, Chantal T. SPITZ.
Le titre et les sous-titres de la revue traduisent la société polynésienne d’aujourd’hui :
«Littérama’ohi», pour l’entrée dans le monde littéraire et pour
l’affirmation de son identité,
-
-
«Ramées de Littérature Polynésienne», par référence à la rame
de papier, à celle de la pirogue, à sa culture francophone,
-
«Te Hotu Ma’ohi», signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité
originelle renforcée par le ginseng des caractères
chinois intercalés entre le titre en français et celui en tahitien.
-
La revue a pour objectifs :
-
de tisser des liens entre les écrivains originaires de la Polynésie
française,
-
de faire connaître la variété, la richesse et la
spécificité des
auteurs originaires de la Polynésie française dans leur diversité contem-
poraine,
de donner à chaque auteur un espace de publication.
Par ailleurs, c’est aussi de faire connaître les différentes facettes de
-
la culture polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et
modernes que sont la peinture, la sculpture, la gravure, la photographie,
le tatouage, la musique, le chant, la danse... les travaux de chercheurs,
des enseignants...
8
un
Et pour en revenir aux premiers objectifs, c’est avant tout de créer
mouvement entre écrivains polynésiens.
Les textes peuvent être écrits en français, en tahitien, ou dans n’im-
porte quelle autre langue occidentale (anglais, espagnol,.. ) ou polyné(mangarévien, marquisien, pa’umotu, rapa, rurutu...), et en
sienne
chinois.
Toutefois, en ce qui concerne les textes en langues étrangères
pour ceux en reo ma’ohi, il est recommandé de les présenter
dans la mesure du possible avec une traduction, ou une version de
compréhension, ou un extrait en langue française.
comme
Les auteurs sont seuls responsables de leurs écrits et des opinions
émises.
En général tous les textes seront admis sous réserve qu’ils respectent la dignité de la personne humaine.
Invitation au prochain numéro :
Ecrivains et artistes polynésiens,
cette revue est la vôtre : tout article bio et biblio-graphique vous concer-
nant, de réflexion sur la littérature, sur l’écriture, sur la langue d’écriture,
des auteurs, sur l’édition, sur la traduction, sur l’art, la danse,...
ou sur tout autre sujet concernant la société, la culture, est attendu.
sur
Les membres fondateurs
Cher(e) auteur,
Nous vous invitons à faire parvenir vos écrits à l’association Littérama'ohi.
Tous les textes seront publiés.
La revue ne comptant qu’un nombre limité de pages, si un texte est trop long nous nous
réservons le droit de proposer quelques coupures à l'auteur. Le texte modifié ne sera
publié qu’avec son accord.
Les textes retenus seront publiés dans le prochain numéro. Mais si ce numéro est déjà
complet, leur publication sera repoussée au numéro suivant.
1
a
Rédaction
9
Editorial
mots
phrases pensées de tous cieux de tous tons de toutes
teintes montrent à lire le multiple tifaifai d’humanité qui traverse
les auteurs qui continuent la traversée dans ce triple numéro de
littérama’ohi
les textes dépassent « diversité culturelle et francophonie »
thème retenu en écho à celui du salon du livre de Papeete
pour
parler les semblances qui par-delà les dissemblances des
langues tissent les hommes
les auteurs traversent toutes les classifications toutes les réclusions tous les enfermements savants
pour
dire la liberté de
aucune
l'esprit qui ne se corsette d’aucune langue
syntaxe aucune grammaire
littérama’ohi au-delà de toutes les normes donne vaste espace
pour
écrire les originalités qui ne s’originent pas dans la langue-outil
mais dans l’âme-création
Chantal T. Spitz
10
ucas
Paeamara
L’auteur
Lucas Paeamara est né à Mangareva au lieu-dit Kirimiro. Il a fait ses études à Tahiti. Il a commencé
sa carrière dans
l’enseignement.
Élu maire des Gambier en 1977, il établit en priorité l’électricité dans le village de Rikitea.
Élu conseiller territorial en 1986, il est à l’initiative de la mise en place du réseau d'eau potable de
Mangareva.
Il a publié : Mangareva, taku akaerere, 2005, Papeete, p. 5-8, Editions Au vent des îles
EXTRAIT DU ROMAN
«
MANGAREVA, TAKU AKAERERE »
Aujourd’hui, après quelques semaines d’absence, je prends l’avion
pour regagner ma terre natale. Quatre heures à peine séparent désormais Tahiti de Mangareva. Il m’avait fallu près de quatre semaines en
bateau pour rejoindre Tahiti la première fois que j’ai quitté mon île. Gain
de temps, diront certains. J’y vois pour ma part une perte de la réalité
de la distance du voyage. En ce début de troisième millénaire, il est
facile de partir pour un ailleurs, carte Visa en main, de se glisser dans
un avion, de gagner un lieu, aussi éloigné soit-il, et de retrouver à la
descente un de ces mêmes distributeurs d’argent. Votre code ne changéra pas où que puisse se trouver le distributeur.
Les distances sont abolies. Le voyage ne veut plus rien dire. Il n’y
a plus de montagne à escalader, de rivière à traverser, de
paysage à
parcourir. Seul un alignement de sièges ordonnés et étiquetés, et une
sensation de fraîcheur permanente dans le volume pressurisé de
l’avion vous accompagnent désormais, quelle que soit la région que
vous puissiez survoler. Ces déplacements mécanisés ont perdu toute la
magie de ce que pouvait être une distance parcourue à une échelle
humaine, comme s’élancer sur une prairie sur un cheval au galop et
11
Littérama’ohi N°10
Lucas Paeamara
sentir le vent contre soi, gravir une montagne en suivant de petits sentiers sinueux et poussiéreux pour admirer le panorama qui d’en haut se
dévoile, ou encore, prendre un bateau que seule entraînera la force des
vents et des courants. L'avion n’a rien de naturel ni d’humain, et en effet,
il survole toutes ces terres et ces mers qui vous auraient porté pendant
des jours et des jours pour vous mener à bon port. L’avion empêche tout
contact direct avec la nature, avec tout ce qui
pourtant se prolonge
entre le point de départ et celùi de votre destination. Il n'y a pas de défi-
lement d’images qui peuvent vous émouvoir, plus moyen de voir ou de
sentir la véritable métamorphose qui s’opère d’un lieu à un autre, plus
de continuité. Et ce n’est pas ce flou entrevu d’un hublot à dix mille
mètres d’altitude qui me chargera d’émotions aussi fortes que celles
provoquées par l'approche par bateau d’une île qui se dessine au loin
sur la mer, que celle d’une balade sur un petit chemin ombragé d’arbres
qui débouche sur un champ jonché de pamplemousses.
La vie avant était, à mon sens, à cette image, celle d’un grand
voyage à parcourir de sa naissance à sa mort. Un voyage sans facilité
particulière où chacun devait s’efforcer de rester en contact avec ce qui
l’entourait, avec sa culture, ses racines. Lorsque l’on naissait Polynésien
au dix-huitième siècle, sur une île du Pacifique, on ne pouvait imaginer
partir bien loin, parce que les moyens de transport actuels n’existaient
pas, mais aussi, parce que cet ailleurs lointain était trop inconnu pour
qu’on veuille s’y risquer sans but particulier. Combien de générations
alors n'ont jamais quitté leur terre, faute d’imaginer un ailleurs vivable,
ou combien sont parties pour d’autres îles sur des pirogues où seule la
force des hommes, des vents et des courants pouvaient les conduire ?
L’arrivée des Blancs, des Popa’â, a amené la population a penser
autrement. Et ainsi, suivant ce nouveau modèle occidental tout devint
pensable et réalisable, imaginable. Le cours de chaque vie allait
connaître ce que l’on nomme des facilités qui apporteraient le confort à
chaque vie individuelle. Individuelle en effet, parce que le peuple mâ’ohi
n’existe plus au sens de son unité lointaine. Il a muté par sauts succèssifs et rapides, perdant toute continuité dans son évolution, pour se
transformer d’abord en Tahitien, puis en Polynésien français.
12
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
Voilà l’histoire, celle avec un grand «H», qui explique aujourd’hui
dans les livres scolaires comment une population peut devenir autre en
peu de temps. C’est cette histoire qui invite et amène l’individu isolé à
vouloir la vivre, y participer et y être impliqué directement jusqu’à en
devenir un élément de référence, déterminant de celle-ci. Qui ne rêve
d’être cette Histoire, qui n’a pas rêvé un jour que sa propre histoire, sa
propre genèse, ne se confonde avec celle d’un village,
voire celle de l’humanité.
d’un peuple,
Je n’ai jamais rêvé devenir un César, un Napoléon, ni un Gandhi ou
un Abbé Pierre. Je n’ai jamais rêvé être un
empereur, un roi, un chef, un
demi-dieu? Chaque rêve est à l’échelle de l’individu qui le forme. Le
principal n’est-il pas de devenir, d’être quelqu’un pour un autre, un mari
pour sa femme, un père pour ses enfants, un ami pour certains, un
ennemi pour d’autres, un adversaire, un collaborateur ?
Je n’aurais jamais pensé dans mon plus jeune âge qu’un jour on
me prédestinerait à la prêtrise,
que plus tard j’enseignerai à des élèves,
et qu’enfin, je m’engagerai finalement dans la politique, avec cette fer-
particulière que possèdent tous les débutants et les novices : celle
de la justesse et du viu profond et sincère de servir leur peuple et leur
veur
pays, et d’agir au mieux pour y réussir.
Partir de rien, et arriver à quelque chose, telle fut ma quête durant
cette vie. Simple ou normal, diront certains, mais tel fut mon véritable
souhait dans un contexte en continuelle et rapide évolution. La
Polynésie
est passée de l’âge d’enfant à celui d’adulte sans même vivre, sans
grandir, et il fut difficile d’imaginer un avenir sensé en gardant les pieds
sur terre. J’ai cherché à courir contre le
temps, j’ai pensé que mon
peuple avait besoin de rattraper le décalage qui existait, et persiste dans
une certaine mesure, entre lui et cette autre culture
qui nous a pris sous
son aile. Une aile qui se disait
protectrice, qui partagerait avec les bons
sauvages tout ce que ceux-ci devaient apprendre pour pouvoir être des
semblables, des frères. Je ne serai pour ma part jamais à leur image.
Et pourtant, je me suis battu pour apporter à mon peuple ce qu’il
rêvait d’obtenir, écoutant ses envies et répondant à ses attentes, satisfaisant à ses besoins.
13
Littérama ’ohi N ° 10
Lucas Paeamara
Le recul a du bon, il me permet de me positionner à ce jour, de me
révéler cette vie qui fut en fait pleine de paradoxes, pleine à la fois de
poésie enfantine quand je vivais ma condition de jeune, accompagnée
d’idéaux et remplie de tourmentes.
«
Lucas Paeamara
(Extrait de : Mangareva, taku akaerere,
2005, Papeete, p. 5-8, Editions Au vent des îles)
14
Vnatila Bréaud
L’auteur
Anatila est née le 26 octobre 1926 à Papeete. D'origine tahitienne, avec un grand père paternel
suédois et un grand père maternel breton, elle grandit dans le quartier de la Mission entourée de
ses parents, de son frère Milton et de sa sœur Namure, ses aînés.
Après des études à I 'école des Sœurs puis à l’école Centrale, elle devient institutrice à l’âge de
16 ans car pendant la guerre c'était sa seule issue pour continuer des études.
En 1948, elle part en France en bateau. Elle y épouse Jean Bréaud en 1954. De cette union, naî-
tront deux enfants, June et Olivier.
Elle partage alors sa vie entre la France et Tahiti et aide son mari dans ses activités à Tahiti avec
la création de Tahiti Pétroles, de la Banque de Tahiti et la réalisation du Golf d'Atimaono.
En 1975, elle est à l’origine avec plusieurs autres femmes de Tahiti et des îles de l'Association
Tuterai Nui dont la mission principale est d’informer les femmes sur les problèmes d’actualités
quels qu’ils soient et lorsque des choix se présentent à elles, les aider à le faire en connaissance
de cause.
Ces vingt dernières années, Anatila s’est consacrée à la production de perles de Tahiti dans les
Tuamotu à Manihi, Ahe puis Apataki et à sa promotion.
EXTRAIT DU LIVRE
«
HISTOIRES DES ENFANTS
DU QUARTIER DE LA MISSION
»
Une voie bordée de Tamariniers séculaires mène de la cathédrale à
l’archevêché. Elle passe devant l’école des frères de Ploërmel, la maison
de prières et de chants et depuis l’école jusqu’au portail de Monseigneur,
il y a un quartier qui s’appelle «quartier de la mission». Ce quartier se
termine à droite de Monseigneur par le domaine de frère François, qui,
avec Ah You son
vacher, s’occupe de la traite des vaches et de mettre le
litre de lait de chacun dans les casiers attribués aux familles.
Les familles sont constituées par les parents, les enfants dans le
sens de nés des
parents ou adoptés à la façon tahitienne et qui suivent
les règles de la famille quelque soit leur âge.
Des fetii, amis ou bonnes, complètent quelquefois le foyer.
En rentrant de classe, tous les enfants des maisons constituant ce
quartier s’entendent dire «va chercher le lait» ou «va chercher le pain»
car il y a aussi, en face de chez les frères «le magasin chinois».
15
Littérama’ohi N°10
Anatila Bréaud
C’est une maison de bois construite en contre-bas du croisement
de la route de l’évêché et de la rue des remparts. Elle est sur pilotis et
une
large passerelle la relie à la route. Une véranda accueille ceux qui
veulent traîner un peu avant de franchir les portes de l’école. Vient
ensuite la pièce magasin. Elle est délimitée par un comptoir avec vitrine
sur le dessus. Le fond est une cloison
où des étagères sont remplies de
marchandises. De gros sacs sont posés dans un coin, ils
contiennent
graines
les oignons, les pommes de terre, la farine, le sucre, le café en
et autres denrées reçues en vrac.
Le magasin appartient à Ah Kiau et sa famille
: père, mère, frère,
apporté un plus dans le coin :
elle est couturière et fabrique des robes avec les tissus qu’on lui apporte
en suivant les croquis que les filles esquissent ou trouvent dans les journaux de mode qui traînent dans le magasin. La partie couture est en retrait
du comptoir, et ferme l’accès à l’arrière de la boutique où l’on aperçoit les
éléments d’une vie de famille, table, chaises et évier. La cuisine n’est pas
visible mais tout s’y passe pour eux car les jeunes ne sortent pas se mêler
aux évènements de la rue où les enfants s’amusent sans danger.
Dans ce quartier il n’y a que trois ou quatre familles possédant une
voiture. Les maraîchers chinois du fond de la vallée de frère François
vont au marché avec un véhicule appelé «prolonge» qui est une plateforme montée sur roues et tirée par un cheval : le jeu est de s’accrocher
à l’arrière et de se mettre à croupetons au milieu des marchandises. Le
maraîcher s’énerve mais ne peut atteindre les enfants cachés derrière
les paniers. Il fait claquer son fouet au-dessus des têtes: c ‘est le but à
soeurs et aussi sa femme. Cette dernière a
atteindre. Fous rires et tout le monde descend.
Par contre les bicyclettes circulent à toute vitesse chez les jeunes
et avec un manque de sécurité remarquable chez les chinois qui sont
tout à fait instables et inquiets; les enfants leur courent après pour les
déstabiliser encore plus.
Les jeux de la rue sont les billes et une version locale du base-bail
américain, et puis sauter à la corde en individuel mais surtout avec une
longue corde tenue à chaque extrémité par une personne qui, en
cadence avec celle de l’autre extrémité, lui donne le même mouvement
16
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
que celle de la corde à sauter normale. Le jeu consiste à guetter le passage au sol de la corde et se mettre à sauter avec elle comme tout seul,
mais il peut y avoir une dizaine d’enfants sautant ensemble : si on est
fort on peut sortir de la corde sans qu’elle s’arrête. Celui qui l’accroche
prend une des places au bout de la corde.
»
Les enfants de la mission ne se ressemblent pas. Même les frères
et sœurs. Il
n’y a pas de noir, mais entre les familles composées de
mariage entre Tahitiens, Paumotu, Anglais, Français et Suédois, et ceci
depuis les premiers navigateurs, les tons de peau varient du brun foncé
clair. «Comment toi, si brun, tu as une sœur blonde aux yeux
si bleus ?». «Elle est née le jour et moi la nuit» car il y a des
voyageurs
au rose
qui posent des questions, demandent des explications, s’étonnent. Les
enfants constatent et le vivent depuis leur naissance et cela ne les
trouble pas. La venue d’un nouveau-né apporte cette surprise de
plus,
de qui va-t-il tenir ? Ceci est vrai, même dans les îles reculées, car il
y
a toujours des
navigateurs qui, un jour, s’y arrêtent. Les femmes sont ce
qui les attirent et les gens de l’île pensent que c’est un bienfait d’avoir
du sang nouveau. Les voyageurs ne sont pas noirs, ils sont surtout
Anglais, Français, quelques Suédois et tout à fait autrefois, Espagnols.
Les foyers chinois n’auront pas d’enfants variés car les femmes
obéissent à des règles sévères, mais les hommes, eux, prennent une
seconde femme tahitienne dont les enfants sont des mélanges harmonieux. Ce sont des enfants tahitiens.
Aux heures des repas et à l’heure des devoirs, tous rentrent chez
eux. C’est le moment où chacun
reprend son style de vie; l’ambiance de
chaque maison est particulière, c’est-à-dire chacune a sa couleur et sa
culture. D’une maison à l’autre, les dosages entre le degré d’assimilation du monde extérieur s’échelonnent depuis une famille complètement
restée attachée aux façons de son île d’origine, à celle, où le
père
anglais pure race, impose à sa famille un style british que chacun
essaye de respecter en sa présence.
Les maisons du quartier abritant des pères de famille d’ailleurs
vivent leur spécificité aux heures des repas. Le reste du temps, le
17
Littérama’ohi N°10
Anatila Bréaud
mélange est de mise. Les enfants vont librement chez les uns et les
autres. Ils savent quelle attitude prendre pour être à l’unisson des habitudes des maisons visitées. Une ou deux fortes têtes n’y arrivent pas et
sont mal vues des parents.
La vie des enfants est ponctuée d’ordre «va à l’école, va chercher
le lait, va te baigner, fais tes devoirs, va dîner, va te coucher».
A l’école, il faut aussi suivre un ordre établi. Les tables de multiplication sont récitées tous les jours, en choeur, comme des incantations
avec un rythme qui entraîne à poursuivre. Cette mélopée scande,
marque l’heure du calcul et on l’entend de loin. Il faut les savoir, ces
tables, car elles servent aux achats quotidiens.
Il y a d’autres matières comme les récitations, les conjugaisons et
les dates en histoire qu’il faut connaître par cœur car, sur ces sujets, il
n’est pas possible de broder ou d’inventer. Pour le reste, il faut être
attentif et sortir de classe avec l’essentiel déjà su. Bien écouter et corn- prendre au-delà des mots. Ainsi, il est des personnes qui trouvent
bizarre que les enfants apprennent «nos ancêtres les Gaulois étaient
grands, blonds forts et courageux» Les enfants trouvent cela normal,
c’est un geste qui complète la notion de la mère-patrie. Ils sont des
enfants adoptés et cela comporte les ancêtres gaulois qui leur sont donnés sans réserve. Ils font ainsi vraiment partie de la famille. Au-delà, loin
jusqu’au commencement, il y a Adam et Eve.
Il y a les élèves qui préfèrent jouer pendant la classe et apprendre
à la maison. C’est un choix. Tout cela s’inscrit dans un emploi du temps
fréquemment oublié.
Le premier objectif est d’être reçu au certificat d’études local, que
l’on appelle tout simplement le local. Il confère à ceux qui l’obtiennent le
savoir de lire, écrire et compter. Juste ce qu’il faut pour les besoins de
la vie. Les leçons sont martelées et imprimées dans les mémoires. C’est
la clef pour accéder à la classe du certificat d’études métropolitain que
l’on appelle «le métro», qui lui, est indispensable pour entrer dans les
classes qui mènent au brevet élémentaire d’études primaires.
Ici, il n’y a que des études primaires. Ce brevet est un diplôme en
soi qui donne accès à un poste dans l’administration et à la formation
18
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
d’infirmiers ou au C.A P permettant d’être instituteurs titularisés. Les
études primaires se terminent par le Brevet supérieur, mais il n’est pas
préparé ici. Pour les études secondaires, il faut se rendre en France ou
en
Nouvelle-Calédonie.
Sortis de ces directives dont ils comprennent la raison, on ne leur
dit jamais rien d’intéressant. Pour savoir, ils écoutent ce que se racontent les parents et répètent leurs histoires. Ils se font une image de la
vie par les échos des certitudes assénées par les mamans, les bonnes
ou l’école. Il
n’y a pas de nuances, de doute. La route est droite et a des
bornes. Ils ne doivent pas dépasser les bornes. A l’intérieur, liberté corn-
plète, seul impératif si l’on veut vivre en harmonie dans la maison, ne
pas dépasser les bornes.
Les pères sont plus difficiles car certains n’ont pas de bornes.
Leurs limites changent suivant leur humeur. Les enfants guettent les
signes qui indiquent l’état d’esprit du moment. Ils observent et savent
lorsqu’ils doivent se faire tout petits, ou, au contraire, tout demander.
Les enfants ont un code pour tous les parents.
il y a des pauvres et des nantis, une ou deux familles solitaires et
des familles élargies où les fetii du district arrivent inopinément par le
truck, à quatre heures du matin. Ils s’installent, enroulés dans leurs tifaifai sur les sofas des vérandas et c’est la surprise au réveil. Des cris, des
retrouvailles. Les enfants en sont toujours heureux car du truck descendent de bonnes surprises. Les passagers du truck, qui n’ont pas de
famille, s’allongent sur des nattes à l’abri du large trottoir du magasin
Donald. C’est une construction d’un étage et ce dernier protège le trottoir du soleil et de la pluie. Ceux qui s’y abritent ont sous les yeux, de
l’autre côté de la rue, le quai de plaisance où les gens de Papeete se
retrouvent le soir pour pêcher.
Surtout les enfants et les hommes, car les femmes vont de bou-
tiques en boutiques. Ce sont des magasins chinois. Les propriétaires
habitent au-dessus de leur commerce qui reste ouvert jusqu’à l’heure
de dormir. Donald est un magasin néo-zélandais. Sur le même trottoir,
il y a le magasin Société Commerciale qui appartient à des habitants de
19
Littérama’ohi N°10
Anatila Bréaud
Papeete. C’est une construction style western. Et à l’autre bout de la
ville, en face de la montagne de charbon qui, sur les quais, attend les
bateaux pour les ravitailler, il y a la Compagnie Navale, un magasin
dépendant de la Société Ballande, de Nouvelle Calédonie. Ces trois
magasins ferment leurs portes en fin d’après-midi, ainsi que le magasin
Laguesse, situé sur la place de la cathédrale, que les enfants connaissent bien et aiment visiter, car il vend les bicyclettes les plus belles.
Un morceau du quai de chez Donald est attribué aux bonitiers. Ces
bateaux partent à la pêche, le matin, pour toute la journée. Elle peut
être miraculeuse, lorsque les pêcheurs tombent dans un banc, signalé
par les oiseaux. La ligne est jetée et relevée d’un coup de poignet et le
poisson se décroche tout seul. Il est immédiatement nettoyé et suspendu par la queue. Il y a aussi des thons et quelques fois presque rien.
Les habitants de Papeete désireux de poissons se rendent sur les
quais en fin d’après-midi pour assister à l’arrivée des bateaux. Ils achètent du poisson ou les œufs ou la semence. Ces deux derniers produits
très prisés sont souvent donnés aux enfants qui viennent aider au
débarquement de la pêche.
Lorsque la pêche est trop fructueuse, le prix du poisson tombe, et
il n’y a pas assez de preneur sur les quais. Alors les poissons sont
embarqués dans une camionnette qui part faire le tour de tous les quartiers. Le son d’une conque avertit les habitants de son arrivée et que les
prix seront alléchants. Les derniers au bout du parcours les auront peutêtre pour rien. Il n’y a aucun moyen de conserver les poissons, surtout
la bonite qu’il faut consommer tout de suite.
Le quartier de la mission est catholique et tous les soirs, pour le
salut, les enfants suivent les pensionnaires de l’école des frères qui se
rendent, en rangs, à la cathédrale. Je pense que même quelques protestants se joignent à cette marche car c’est une occasion d’être
ensemble et pour les adolescentes de taquiner les garçons qui avancent surveillés par le frère Albéric.
c’est
Il y a à Tahiti dix filles pour un garçon. Tout le monde le dit et
notre certitude. Ce sont les étrangers qui ont fait le calcul peut-être
20
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
simplement avec leurs impressions. Mais aussi, tous les navigateurs
sont des hommes et ils attirent les regards des filles sortant de l’adolescence. Eux ne les voient pas, en tous les cas pas ouvertement. Leur
intérêt se porte sur les femmes. Mais quand même, c’est un cadeau
lorsqu’un navire de guerre mouille à Papeete au quai de la marine,
devant le jardin du Parc Albert.
Les dimanches
Les dimanches, après la messe, les filles font un tour de la ville, par
le front de mer et le passage devant le bateau revêt un attrait particulier. Il arrive que des membres de l’équipage aient le regard attiré par
joueuses, qui s’animent et qu’ils manifestent de l’intérêt par
bonjour, un regard, où, quelques fois, on peut lire de l’appréciation
pour une image qui s’épanouira dans l’avenir. L’adolescente le sent, rougit, les amies rient et la taquinent, et ceci devient une rencontre qui fait
ces rieuses,
un
rêver.
Bien sûr, tout le monde grandit et ces contacts éphémères et lointains
prendront réalité lorsqu’elles seront invitées aux réceptions du
Gouverneur ou du Commandant de la marine. Il n’y aura pas d’invitation
formelle. Celles qui se sentiront prêtes à affronter les plus anciennes,
les femmes d’administrateur ou d’officier se pareront pour ces fêtes et y
arriveront rougissantes, toutes ensemble. Les midships ont ainsi plein
de filles pour rire, danser, plaisanter. Il se créera des amitiés, des pré-
férences, des sentiments naîtront et grandiront vite, jusqu’à envahir les
pensées, le cœur, et le bateau repartira.
Il y a, bien sûr les marins affectés à Tahiti, à la base ou sur les
vedettes. Ils ont le temps d’avoir des habitudes, des amis et ne sont plus
ce cadeau surprise qui touche les filles. Ce qui ne dure pas peut très
vite devenir important et dans l’espace d’un instant qu'il faut saisir, donner des souvenirs qui peuplent les rêveries.
Les garçons, eux, n’ont pas la même vue sur ces passages qui ne
leur apportent rien et bousculent leurs habitudes. Mais en définitive ces
passages apportent un moyen d’évolution pour les filles et les garçons.
Les observateurs étrangers sont tous, dans leurs conclusions, arrivés à
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Littérama ’ohi N°10
Anatila Bréaud
l’idée qu’ici, c'est un matriarcat. Erreur, c’est simplement que les filles
ont développé le sens de la communication avec les codes étrangers et
particulièrement français, alors que les garçons n’ont pour modèle que
celui de leurs familles et de leurs copains. L’agent de liaison entre les
deux mondes sont les femmes, mais à la maison le père est le chef :
chef de famille, chef religieux et chef politique. Les filles cherchent leur
liberté dans les études et sentent que des chemins nouveaux peuvent
leur être ouverts par tous ces voyageurs qui leur apprennent le monde.
En imagination, les évasions vers un quotidien raconté par les visiteurs
deviennent bases de formation et aideraient à s’intégrer si la vie offrait
un voyage.
Les garçons partent lorsqu’ils sont grands, sur un bateau et
quelques fois pour des études. Ils peuvent penser qu’ils le feront. Les
filles savent qu’elles n’auront pas ces possibilités et plongent dans un
monde inventé où elles ont monté des décors pour des lieux qu'elles ne
connaissent pas. Les marins de passage, quelques fois, se marient
avec la fille qu’ils remarquent. Ce peut-être un matelot de pont ou un
officier. Les filles ne font pas la différence, ce qui importe c’est la cornmunion de sentiments et de façon de sentir les choses, la qualité des
regards et l’attrait physique. Lorsqu'elles sont au loin, chacune dans le
milieu qui devient le sien, trouve la recette pour s’intégrer dans ce que
le ciel lui a donné. Un jour, beaucoup plus tard, elles regagnent leur île,
et rentrent comme si elles ne l’avaient jamais quittée.
Anatila Bréaud
(Extrait du livre « Histoires des enfants du Quartier de la Mission »
Papeete- Ile de Tahiti 1936-1944,
Nini Editions, décembre 2005
ojb@mail.pf
22
Jean-Marc T. Pambrun
EXTRAIT DU ROMAN
«
LE BAMBOU NOIR »
Il est parti à Huahine deux jours plus tard. Il avait passé quelques
heures en ville à lécher les vitrines des librairies encombrées de guides
touristiques, d’ouvrages illustrés, de romans populaires, et y avait
trouvé, surpris, La Société contre l’État, de Pierre Clastres, qu’il avait
dévoré aux trois quarts en attendant le départ du Taporo-lll. La goélette
a pris la mer vers 19 heures. Au moment où elle a franchi la passe de
Pape’ete, à hauteur des bouées du chenal, il s’est appuyé au bastingage pour inspirer fortement l’air du large. Et là, sans prévenir, une peur
terrible et irraisonnée l’a saisi à la gorge. Pourtant, il n’était ni inquiet de
retrouver les siens, ni fâché de quitter l’agitation de la capitale et de son
quartier. Qu’est-ce qui pouvait donc lui faire défaut au point d’éprouver
un tel sentiment d’angoisse métaphysique ? En réponse, une avalanche
de souvenirs de son séjour parisien s'est abattue sur tout son être, cornprimant toutes les molécules de sa chair pour en extraire un déluge
d'impressions sensorielles. L’odeur d’oignon des sandwichs grecs et
des cheeseburgers, l’arôme accueillant du café des bars-tabacs bondés, les senteurs parfumées des crêperies, les rassemblements enfumés de la Mutualité, le goût salé de l’été sur les lèvres ou le piquant de
la neige sur la langue, les émanations olfactives inconnues mais tellement familières que laissaient sur leur passage les salopettes, jeans,
chandails ou manteaux portés par les étudiants qu’il avait croisés. Tout
cela se mêlait et arrachait à son corps des douleurs inexprimables. Il
s’est mis à crier de toutes ses forces face à la mer, au risque d’ameuter tout l’équipage. Il a jeté un œil par-dessus son épaule, espérant sincèrement voir émerger du noir une âme sœur compatissante. Mais il ne
distinguait rien des êtres qui s’étaient allongés dans les coursives pour
se préparer à passer la nuit. Il ne percevait rien d’autre que leurs murmures, de petits rires étouffés, des craquements d’allumettes et le rougeoiement des cigarettes. Il n’arrivait pas à faire son deuil de l’heureuse
et solitaire indépendance que lui avait procuré son anonymat parisien.
23
Littérama’ohi N°10
Jean-Marc T. Pambrun
le loisir d’approfondir sa réflexion ni de s’appesantir sur la petite fille
d’Ouessant, tant Herenui le pressait d’une foule de questions sur son
eu
séjour en France.
À la vue de Miri qui les attendait devant la maison de Maggy, une
vigueur nouvelle s’est répandue en lui. Elle venait visiblement de se
réveiller, car elle n’était vêtue que d’un large tee-shirt qui lui tombait jusqu’à mi-cuisse. Il avait d’un seul coup hâte de s’abandonner dans les
effluves étourdissants de sa peau vanillée. Il a sauté de la voiture et a
pris dans ses bras ce corps encore chaud d’un séjour prolongé sous la
couverture. Par pudeur à l’égard des siens et des voisins, alertés de leur
arrivée par le bruit de la voiture, ils se sont embrassés comme des amis
d’enfance, attendant d’assouvir plus tard leur fougue. Maggy a convié
Miri à prendre le petit déjeuner avec eux, mais elle s’est excusée car
ses parents l’attendaient, ajoutant qu’elle reviendrait les voir dans
l’après-midi. Maggy habitait au bout du village une maison traditionnelle
qui s’élevait à la place de la baraque en contre-plaqué et en tôle qu’il
avait connue. Construite sur un pilotis supportant un plancher en
planches de cocotier, la maison était fermée par des cloisons en bambous et recouverte d’un toit en feuilles de cocotier tressées. Toutes les
pièces maîtresses avaient été réalisées en bois d’arbre à pain, d’arbre
de fer et de goyavier. Bien qu’il ait passé une partie de son enfance chez
ses
grands-parents qui vivaient à Mo’orea dans une habitation similaire,
le Tahitien était ébahi. Il contemplait avec des yeux neufs ce qui autre-
fois ne lui aurait paru être qu’un élément parmi d’autres d’un mode de
vie tout à fait ordinaire. En entrant dans la maison sobrement pourvue
de quelques meubles en bois, il a demandé à Maggy d’où lui était venue
cette idée de revenir à cette construction
inspirée de l’architecture
répondu que c’était son fils, Johnny, qui l’avait
construite un an auparavant parce que la précédente menaçait de
s’écrouler. Au départ, elle n’y avait pas été favorable. Elle aurait préféré
une maison en dur, mais il avait réussi à la persuader qu’il fallait revenir
aux sources. À présent, elle reconnaissait qu’elle s’y sentait bien et qu’elle
ne reviendrait pour rien au monde à une maison construite à l’européenne. Adolescents, Johnny et lui aidaient souvent leurs grands-parents
ancienne. Elle lui
26
a
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
n’était donc pas étonné de
l’initiative de son cousin. Alors qu’il examinait dans le moindre détail
aux travaux de réfection de leurs maisons. Il
l’assemblage de la charpente, Herenui l’a informé que Johnny faisait
aussi du cinéma à la maison des jeunes et de la culture de Pape’ete.
Comme pour devancer sa question, Heipuari’i lui a demandé s’il avait
entendu parler de la pièce de théâtre Ari’i Pa’ea vahiné. Il a répondu
qu’il aurait bien voulu la voir, car on lui avait dit que son auteur, Henri
Hiro, avait créé une oeuvre exceptionnelle. Elle a poursuivi en disant
qu’il l’avait portée à l’écran et que Johnny y avait tenu un rôle. Puis
Maggy et Herenui ont commencé à lui raconter les anecdotes que
Johnny leur avait rapportées du tournage. Mais le Tahitien ne les écoutait plus. Henri Hiro, le réalisateur du film, était un des sept fondateurs
du la mana te nuna’a et de l'association antinucléaire de protection de
l’environnement, la ora te natura. Il ne l'avait jamais rencontré, mais le
connaissait de réputation pour le combat qu’il menait en faveur de la
reconnaissance de la culture ma’ohi. La réhabilitation des maisons tra-
ditionnelles tahitiennes, les fare dont il avait fait l’éloge dans un poème
intitulé Moi, ma maison, était d’ailleurs un de ses thèmes de campagne
culturelle. Que Johnny ait certainement rallié sa cause ne le surprenait
pas. Mais ce qui l’intriguait, c’était ce mystérieux concours de circonstances, cette sorte de volonté collective inconsciente, ou simplement
cette puissance invisible, qui semblait semer les mêmes idées parmi les
esprits les plus réceptifs, même séparés par des milliers de kilomètres :
l’attirance quasi émotionnelle pour les demeures traditionnelles qui
s’était révélée à lui pour la première fois à Ouessant s’était produite au
moment même où Henri Hiro, Johnny et d’autres avaient entrepris de
construire leurs premiers fare.
Ébahi par cette image, mais aussi par la justesse de la démarche
de Johnny, il a pris sur-le-champ la décision qui allait bouleverser son
existence : militer en faveur de l’habitat traditionnel polynésien.
Ce jour-là, comme par enchantement, le temps insulaire qui habituellement donne l’illusion de s'étirer à n’en plus finir, s’est accéléré
pour lui. Abandonné à l’obsession de concrétiser son projet, son cerveau travaillait sans répit. À un tel point que, sans s’en rendre compte,
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Littérama’ohi N°10
Jean-Marc T. Pambrun
il avait retrouvé ce détachement qui avait fait sa force au début de ses
études. Il avait repris son carnet de croquis et, tout en arpentant à nouveau avec ses sœurs
les lieux de son adolescence, presque indifférent
gens qu’il croisait sur son passage et à la beauté du paysage, il
s’arrêtait souvent devant une maison, un arbre ou un temple abandonné
aux
pour dessiner ce qu’il lui importait de voir et pour rédiger les commentaires interminables que ses visions lui inspiraient. Il ouvrait son regard
à
une
nouvelle réalité où les choses les
plus simples et les plus
concrètes lui offraient une source inépuisable d’abstractions destinées
à recomposer le savoir traditionnel qu’il souhaitait voir émerger du
chaos dans lequel le mépris colonial l’avait plongé. Cette idée l’enthousiasmait. Il avait enfin la possibilité de donner de la matière brute et bien
palpable à ses lectures. Il pensait qu’il allait pouvoir enfin sortir du
monde exclusif des idées. Et quand, tard dans la journée, il s’est
retrouvé seul avec Miri, blotti contre elle sur la plage de leur enfance, il
s'est senti comblé. Il lui a parlé de sa découverte jusqu’à une heure
avancée de la soirée. Plus tard, son corps rassasié de ses propres
paroles, il s’est enfin laissé aller à s’allonger sous les étoiles, habité du
seul désir d’aimer le corps chaud de cette femme avec qui il avait rêvé
de faire l’amour sur la plage dès qu’ils se retrouveraient. Au moment où
elle a posé ses lèvres sur les siennes, il a entendu le sable craquer sous
leur poids et s’est dit que, même si l’île ne devenait jamais le refuge des
idées les plus belles, elle contiendrait encore pour un moment des
espaces secrets pour que des amoureux puissent s’y fondre dans l’oubli.
Jean-Marc T Pambrun
( Extrait du roman, Le bambou noir, (pp. 94-98),
Papeete, 2005, 216 pages,
Éditions le Motu.)
Lauteur
28
\lbert Wendt
L’auteur
Albert Wendt is a member of the Aiga Sa-Tuaopepe of Lefaga, the Aiga Sa-Patu of Vaiala, the Aiga
Sa-Maualaivao of Malie, and the
Faumuina.
Aiga Sa-Sao of Sapapali’i, Samoa. He holds the AJi’i title
At present he holds the Citizens Chair in the University of Hawaii, Hawaii, and the Chair for New
Zealand and Pacific Literature at the University of Auckland, Aotearoa/New Zealand.
Before that
he was Deputy Vice-Chancellor and Professor of Pacific Literature at the University of the South
Pacific.
He has
published six novels, including SONS FOR THE RETURN HOME, LEAVES OF THE
He has
published three collections of short stories, including THE BEST OF ALBERT WENDT’S SHORT
STORIES. Also four collections of poetry, the latest being THE BOOK OF THE BLACK STAR. He
is recognised internationally as a major figure in the development of the indigenous novel, and
many of his novels are now considered classics of Pacific Literature. Two of them have been made
into full-length feature films.
BANYAN TREE, OLA, and his latest, THE MANGO’S KISS which was published in 2003.
He has edited many influential anthologies of Pacific writing, including NUANUA: Pacific Literature
Since 1980, and WHETU MOANA: An Anthology of Polynesian Poetry.
He is also a playwright, his latest and first fulll-length play, THE SONGMAKER’S CHAIR, was first
produced for the 2003 Auckland Festival, New Zealand, to sell-out houses. The play was published
by HUIA PRESS, New Zealand, in 2004. The play was also staged in Hawaii in March/April 2006.
His work has been translated into many languages including Dutch, French, Russian, Italian,
Spanish, Chinese, German, and Polish. And is taught around the world in many educational institutions, including universities. He has travelled all over the world giving lectures and readings of
his work and the work of other indigenous Pacific writers. He continues to be a major influence in
the development and study and teaching of Pacific literature, internationally.
He has won many literary and art awards, including the Commonwealth Book Prize for the SouthEast Asia and the Pacific Region, the Asia Prize for Culture, and the Senior Artists Prize in New
Zealand.
In 1993 he was awarded an Honorary Doctorate by the University of Bourgoyne, Dijon, France in
recognition of his writing and teaching. In 2005, he awarded an Honorary Doctorate by Victoria
University of Wellington, New Zealand, in recognition of his writing and services to literature. In
2000, the New Zealand Government conferred on him the Companion of the New Zealand Order
of Merit, for his services to literature.
The NEW OCEANIA: ALBERT WENDT, WRITER, a fulllength film documentary about his life and
work, was released in the Auckland Film Festival in 2005 and later in the Hawaii Film Festival. The
film was made by the distinguished New Zealand film director, Shirley Horrocks.
Albert Wendt loves the Pacific and the island nations of the Pacific and all his Aiga, friends and former students in all those countries.
He has three children and, with his partner Reina Whaitiri, has
eight absolutely energetic grandchildren!
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Littérama’ohi N°10
Albert Wendt
EXTRAIT DU ROMAN
«
THE MANGO’S KISS »
LETTING GO
Lalaga feigned a headache so she could stay in the fale and finish
sewing Peieiupu’s dress. Mautu, Naomi and Arona were taking the
classes. She dripped sweat as she worked. In the slow breeze from the
sea she smelled the musky odour of coral. One more seam and the
dress would be finished. She’d already sewn dresses for Lefatu, Ruta,
and Tuifolau’s wife : gifts she was to take next morning on a secret visit
to Fagaloto.
Almost three months had passed since they’d left Peleiupu and
Ruta in Fagaloto. They’d heard no news of them for the first month. But
when she demanded that they go and visit their children, Mautu reminded her that such a move would be interpreted, by Lefatu and his aiga,
as a lack of faith in the way they were caring for Peleiupu. Lalaga struggled for another week, and then demanded that they send someone
else then. She wept when Mautu refused, and accused him of not loving
her children, so Mautu asked some Satoans who were visiting Fagaloto
to ask after the girls, discreetly. After four days they returned and Lalaga
squeezed every drop of information from them : Peleiupu was improving, she was talking again even if it was only to Lefatu, and Ruta was
loved by everyone. Lalaga lived off that news for a month, and then pleaded again that they visit. This time Mautu admitted he missed them too,
but still refused her request. ‘I’ll go on my own I’ Lalaga threatened.
Mautu didn’t try to stop her. She didn’t go.
The atule season started the following week, with large schools of
the fish running along the coast from east to west. Even Mautu joined
the fishing. The large catches were shared among the aiga. Being pastor, with a large household to support, Mautu got the most, so every
week he sent Arona. and Tavita, Barker’s eldest son who now slept at
their home, with atule to Fagaloto, on the tulula. Lalaga survived on the
30
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
they brought back about Peleiupu and Ruta. Aftèr their first visit
stay with their aiga at Fagaloto- ‘No!’ was
Lalaga’s abrupt reply. ‘But why?’ Mautu asked, after Arona had stamped
off: ‘No!’ she whispered, and hurried off to her class.
In October the palolo rose: a harvest so rich they distributed it to
other villages. Lalaga sent Arona, Tavita and their crew to Fagaloto with
baskets of palolo. They didn’t return for two days, and Lalaga got Mautu
to organise another tuluia to go after them.
Arona arrived as the other crew were preparing to leave. In front of
everyone Lalaga berated him: ‘Have you no love for us, eh? For two
days we’ve been worried about vou. We thought you’d drowned!’ Arona
stood, head bowed, in silence. When she stopped he turned abruptly to
leave. ‘Aren’t you going to say anything about your sisters ?’
They’re all right!’ he snapped. He rushed off, with Tavita and his
friends trailing him.
When they were alone Mautu said to her, There was no need for
news
Arona asked if he could
that.’
‘Your sister is even trying to take my son away from me,’ she replied.
He walked awav: ‘She is!’ she called, ‘You just don’t want to see the truth !’
Lalaga turned the handle of the sewing machine. The needle began
jabbing down into the fabric. Tutt-tutt-tutt-tutt. She stopped, held her
breath, looked at the track down to the beach. No one. She turned the
handle. Tutt-tutt-tutt-tutt. A clatter. Of what ? Once again. Of oars ?
Voices. She looked again and was up onto her feet hurrying, repinning
her bun. Towards the beach.
The narrow track was brittle dry under her feet. She glimpsed a
figure approaching through the trees on the bend. A figure running. She
started running too. Around the bend.
Pele ! Pele ! She opened her arms, and into her embrace rushed
her daughter, smelling of fresh oil and the sea and me promise of joy
without end, as she held her. Held her. Pele.
‘Lalaga, I’m well again; Peleiupu said.
‘Good, good’, murmured Lalaga, hiding her tears. Then she saw
Ruta, who was standing a few paces away ‘Come!’ she called. Ruta slid
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Littérama’ohi N°10
Albert Wendt
into her encircling arm and into her side, and she held her too. ‘I’ve got
new dresses for you,
she whispered.
‘Lefatu came with us’, Ruta said. Lalaga stepped: away from her
daughters, wiping
her eyes with the hem of her dress.
When she looked up Lefatu stepped towards her. They hesitated.
One step forward each. Lalaga stopped. Lefatu leaned forward and kissed her on the cheek.
Thank you for Pele,’ Lalaga said. Thank you.’
“God has been kind’, Lefatu said. The mana is His.’ And Lalaga
wanted to believe her.
By then Mautu and most of their aiga and school were around
them. ‘I thought I’d bring them back so I can see your home and enjoy
the comfortable life of a pastor’s family !’ Lefatu said to Mautu, who lau-
ghed softly.
They started moving up the track, Ruta and Peleiupu chatting noisily with their large tribe of friends. Lalaga noticed that Naomi was being
left out, so she moved over and held her arm.
When they were seated in the main tale the matai of Satoa, led by
Sao, arrived to welcome them. Though Satoa’s tulafale never referred
directly to Lefatu, and her tulafale spoke as if they were the leaders of
their party, everyone knew Lefatu was the centre of the Aiga Sa-Tuifolau
and the village of Fagaloto, and respected her more because she was
le tama’ita’i o valoaga., the woman of prophecies, daughter of the
Tuifolau, tauhaaitu of the atua, with a mana and powers they feared and
needed. Throughout the formalities she rolled a cheroot and smoked it,
and tried to appear as if she weren’t the centre of the ceremony. Even
when the ava cup was taken to her, she insisted it be given to Mautu.
That evening Lefatu asked, ‘Who was Barker, who Pele talks a lot
about?’ Mautu told her. During her stay Lalaga, Arona, Naomi and other
Satoans would add their chapters to Barker’s saga. Not that many
Satoans visited. Lalaga attributed it to their fear - and awe - of Lefatu.
Lefatu was up at the first rooster’s call and, gazing out at the eastern mountains, smoked a cheroot. Then as the sun hurdled the range
32
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
she started singing the hymn for their morning lotu. They woke and joined her, but she left the biblical recital and prayer to Mautu. She then
washed and lit the fire and, despite Lalaga’s insistence that she not do
the cooking, did so, helped by the girls.
Later, most mornings, the girls took her through their collection of
books. ‘I’m uneducated, I can’t read or write,’ she confessed as she flicked through the books. But Lagala sensed thattefatu wasn’t ashamed
of it. While they took their classes Lefatu wove sinnet - a man’s occupation - or ironed, or cleaned the tale. After classes Peleiupu, Ruta and
Naomi took her up the river valley. Lalaga thought they were collecting
herbs and medicines, but they usually brought back nothing.
Others days, if the tide was right, she went fishing for sea-slugs,
sea-eggs and loli. Women who went with her told Lalaga she was an
expert fisher and had great knowledge of the sea’s creatures.
Soon after Lefatu arrived, Lalaga had hints, then direct requests,
from Satoans seeking for Lefatu to heal their ailments. She refused to
ask Lefatu who, throughout her stay, did not encourage patients, indu-
ding those from Fagaloto, to come to her.
‘I’m having a really good rest’, she remarked at their morning meal
a week after she came. ‘No
responsibilities, good food, good companions, the comforts of being a pastor’s aster!’ She laughed. ‘And daughters and sons who serve me as if I were a queen. Good to see that Pele
is herself again, but not as talkative as before’. Peleiupu blushed and
wished Lefatu wouldn’t talk about her. ‘And Arona is not as fat as before
I’Arona managed a smile, ‘And Ruta and Naomi don’t squabble as often
as
they used to !’
‘Not my fault!’ Naomi interjected, then clapped her hand over her
mouth.
‘Still as bold as ever, eh !’ Lefatu guffawed. The elders laughed with
her. The women of this aiga were never known for meekness.’ She glanced at Lalaga.
‘That’s true,’ Lalaga said.
‘And we men have had to suffer that,’ Mautu said.
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Littérama’ohi N°10
Albert Wendt
Lalaga. sensed that Lefatu was ready to return to Fagaloto and,
when alone or in bed at night, she wept silently,
dreading what was
going to happen. For two days she managed not to be alone with Lefatu.
Then, after school, while she was resting at her desk, fanning herself
and gazing out at the bay. she heard someone entering and standing
behind her. ‘Sit down here,’ she said, pointing at the chair to her right.
Lefatu slid into the chair, and they watched the sea sparkle, darken,
ripple under the noonday light.
‘Our aiga has always had a taulasea, I am that now, and I’ve tried
to fond a child within our aiga to continue after me Lefatu spoke quietly,
as if to the sea. ‘Within our aiga at Fagaloto there is no one.’ Lalaga
heard the buzzing of a fly; wondered why she was listening to it. ‘You
guessed early why 1 came back with Pele?’ Lagala nodded once. The
fly was gone; the silence ticked like her pulse. ‘Your children are our
most gifted. And Pele most gifted of all.’ Laiaga looked at Lefatu. ‘But I
won’t ask for her. She is destined for other things for our aiga. I mustn’t
alter that.’ Lalaga sighed. ‘I’m asking that Ruta become my child, the heir
to our healing.’ She paused. ‘I’m asking that of you’.
‘It was gracious of you to visit us, to stay,’ Lalaga began, holding her
arms across the desk to control their shaking. To bring our daughters
back to us, with Pele healed. You could’ve kept Ruta, without coming to
ask me. I wouldn’t have been able to object. Thank you for coming and
asking.’ She had to stop. ‘You are our feagaiga and the heart of our aiga.
I can’t deny you anything. That is the way it must be. That doesn’t mean
I don’t feel any pain, even resentment, about the matter. Ruta is my flesh
and blood. I love her deeply.’ She: wiped away her tears. ‘What is to be
her future though ? Even in the healing, the new medicine will take over.’
‘I must not be the last in our aiga,’ Lefatu said. ‘It is not just for the
healing.’
‘What then ?’
‘It is for all of us - our history, tradition, way-of life and ways of
seeing.'
‘And ?’ Lalaga insisted. ‘I want you to admit it to me for the first time.
Even your brother won’t admit it !’
34
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
‘All right’, Lefatu replied, turning to look at her. Her eyes were darkly
clear. ‘And for the Atua, our Atua’.
Lalaga suddenly felt light: for the first time she felt safe in the Aiga
Sa-Tuifolau. Part of it.Valued by it. In letting go of Ruta she was beco-
ming all that was Lefatu, heart of the Aiga Sa-Tuifolau. Besides, after
Lefatu, Ruta, her daughter, was to be the atua’s keeper.
On Saturday afternoon while everyone else was busy preparing the
Sunday umu, Lalaga called her children together.
‘On Monday, Ruta will go with Lefatu when she returns to Fagaloto,’
she told them.
‘What about me? I want to go too,’ Naomi insisted.
Ignoring her, Lalaga said, ‘Ruta is going to stay with Lefatu. She has
no children of her own.’
‘That’s no fair!’ Naomi objected.
‘Don’t talk like that again!’ Arona threatened. Naomi slapped the
mat.
‘Do you want to go?’ Lalaga asked Ruta.
Ruta nodded and said, ‘Lefatu is very kind to me. She needs me,
and I want to learn from her.’
your not going to modern school to learn science,
English, numbers and things like that,’ Lalaga explained.
That doesn’t matter. Pele and Naomi can do that’ Ruta replied.
‘Ruta is fortunate', Peleiupu said. ‘With Lefatu things will last, they'll
be what they ate’. They waited for her to explain. She didn’t.
‘And you’ll be going to Vaiuta to study next year,’ Lalaga revealed to
her. There was no visible reaction from Peleiupu. “Is that all right with
you?’
‘Many years ago you told me I was going,’ Peleiupu replied. ‘So it
‘It’ll
mean
has to be.
‘And me ?’ Naomi asked.
‘You can go to Vaiuta too, year after next.
‘I don’t want to study to be a pastor yet,’ Arona anticipated
her.
When Lalaga looked at him, he lowered his gaze. ‘I’m not ready for the
ministry yet.’
35
Littérama’ohi N°10
Albert Wendt
She had to accept his excuse, though she sensed he didn’t want to
go at all, ever.
‘We’ll wait, then,’ she countered him. She had time to persuade him.
‘Everything is but changes,’ Peleiupu said, more to herself than to
Lalaga thought Puzzles, riddles,
beyond her comprehension. This is probably the last time well be together as we've always been. We are starting to go our own ways.’
‘Dont worry, there’ll be many more meetings like this,’ Lagala declared. ‘We’re aiga, and the love between us is unbreakable:
‘Yes!’ chorused Ruta and Naomi, Arona and Peleiupu glanced at
the others. That was Lefatu talking,
each other.
Lalaga wanted to hold them all in her arms.
Albert Wendt
36
nnie Reva’e Coeroli
Traduction de l’extrait du roman d’Albert Wendt
L’auteur
Albert Wendt est membre du Aiga Sa-Tuaopepe de Lefaga, du Aiga Sa-Patu de Vaiala, du Aiga SaMaualaivao de Malie, et du Aiga Sa-Sao de Sapapali’i, Samoa. Il détient le titre de Ali’i Faumuina.
A présent il détient la chaire de Citoyen de l’Université de Hawaii, et la Chaire de Littérature de
Nouvelle-Zélande et du Pacifique à l’Université d’Auckland, Aotearoa/Nouvelle-Zélande. Avant
cela, il fut Député Vice-Chancelier et professeur de Littérature du Pacifique à l’Université du
Pacifique-Sud.
Il a publié six nouvelles dont SONS FOR THE RETURN HOME, LEAVES OF THE BANYAN TREE,
OLA et la dernière THE MANGO'S KISS qui fut publiée en 2003.
Il a publié trois recueils d’histoires courtes dont THE BEST OF ALBERT WENDT’S SHORT STORIES et aussi quatre recueils
de poésie, le dernier étant THE BOOK OF THE BLACK STAR.
Il est reconnu au niveau international comme un figure majeure dans le développement de la nouvelle indigène. Plusieurs de ses
nouvelles sont maintenant considérées comme des classiques de la littérature du Pacifique. Deux
d’entre elles ont été portées à l’écran.
Il a édité de nombreuses anthologies influentes de l’écriture du Pacifique dont NUANUA: Pacific
Literature Since 1980, et WHETU MOANA: An Anthology of Polynesian Poetry.
Il est également auteur dramatique, son dernier et premier long métrage, THE SONGMAKER’S
CHAIR, fut d’abord produit au festival 2003 d’Auckland en Nouvelle Zélande et fut joué à guichet
fermé. La pièce fut publiée par HUIA PRESS, New Zealand, en 2004.
Elle fut également mis en
scène à Hawaii en Mars-Avril 2006.
Son travail a été traduit dans de nombreuses langues : en hollandais, français, russe, italien, espagnol, chinois, allemand et polonais. Il est enseigné dans de nombreuses institutions d’éducation y
compris des universités de plusieurs pays. Il a voyagé dans le monde entier donnant des conférences et animant des débats sur son oeuvre et sur celles d’autres écrivains indigènes du
Pacifique. Il continue d’exercer une influence majeure dans le développement, l’étude et l’enseignement de la littérature du Pacifique au niveau international.
Il a gagné de nombreux prix d'art et de littérature comme le prix du
Livre du CommonwealthRégion Asie du Sud-Est et Pacifique, le prix d’Asie pour la Culture, et le prix des Artistes Seniors
en
Nouvelle Zélande.
En 1993 il
a
été récompensé par un doctorat d’honneur de l’Université de
Bourgogne, Dijon,
France, en reconnaissance de ses écrits et de ses enseignements. En 2005, il reçut un doctorat
d’honneur de l’université Victoria de Wellington, Nouvelle-Zélande, en reconnaissance de ses
écrits et services à la littérature. En 2000, le gouvernement néo-zélandais lui conféra l’Ordre du
Mérite des Amis de la Nouvelle Zélande, pour ses services à la littérature.
The NEW OCEANIA: ALBERT WENDT, WRITER, un documentaire sur sa vie et son oeuvre fut
projeté lors du Festival du Film 2005 à Auckland et plus tard au Festival du Film d’Hawaii. Le film
la distinguée réalisatrice néo-zélandaise, Shirley Horrocks.
a été fait par
Albert Wendt aime le Pacifique et les nations de ces îles et tous ses Aiga, amis
diants de tous ces pays.
et anciens étuIl a trois enfants et, avec sa partenaire Reina Whaitiri, a huit petits enfants
très énergiques!
37
Littérama’ohi N°10
Annie Reva’e Coeroli
EXTRAIT DU ROMAN
«
«
THE MANGO’S KISS »,
LE BAISER DE LA MANGUE
»
LAISSER PARTIR
Lalaga feignit un mal de tête ainsi elle pouvait rester dans le fale et
finir de coudre la robe de Peleiupu. Mautu, Naomi et Arona étaient en
classe. Elle dégoulinait de sueur en travaillant. Dans la brise lente de la
elle sentait l’odeur musquée du corail. Encore une couture et la
robe serait finie. Elle avait déjà terminé de coudre les robes de Lefatu,
mer
de Ruta et de la femme de Tuifolau
:
cadeaux qu’elle se préparait à
prendre le lendemain matin pour une visite secrète à Fagaloto.
Presque trois mois avaient passé depuis qu’ils avaient quitté
Peleiupu et Ruta à Fagaloto. Ils n'avaient pas eu de leurs nouvelles
durant le premier mois. Mais quand elle demanda qu’ils aillent voir leurs
enfants, Mautu lui rappela que ce déplacement serait interprété par
Lefatu et son aiga, comme un manque de confiance dans leur façon de
s’occuper de Peleiupu. Lalaga patienta encore une semaine puis elle
demanda qu’alors ils envoient quelqu’un d’autre. Elle pleura quand
Mautu refusa et elle l’accusa de ne pas aimer ses enfants, Mautu
demanda alors à des Satoans qui allaient à Fagaloto de prendre des
nouvelles des filles, discrètement. A leur retour, quatre jours plus tard,
Lalaga les pressa de questions pour leur extraire la moindre goutte d’information : Peleiupu progressait, elle parlait de nouveau, même si ce
n’était qu’à Lefatu, et Ruta était aimée de tous. Lalaga vécut de ces nouvelles durant un mois puis elle plaida à nouveau en faveur d’une visite.
Cette fois Mautu admit que les enfants lui manquaient aussi mais refusa
encore sa requête. ‘J’irai toute seule!’ menaça Lalaga. Mautu n’essaya
pas de l’arrêter. Elle ne partit pas.
La saison des atule commença la semaine suivante avec de larges
bancs de poissons courant le long de la côte d’est en ouest. Même
Mautu se joignait à la pêche. Les grosses prises étaient partagées entre
38
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
les personnes du aiga. En tant que pasteur, avec une grande famille à
nourrir, Mautu en avait plus que les autres, ainsi, chaque semaine, il
envoyait Arona et Tavita, le fils aîné de Barker qui maintenant dormait
chez eux, avec des atule à Fagaloto, sur le tulula. Lalaga survécut grâce
aux nouvelles de Peleiupu et Ruta qu’ils rapportaient. Après leur première visite, Arona demanda s’il pouvait rester avec leur aiga à Fagaloto
‘Non!’ fut la réponse abrupte de Lalaga. ‘Mais pourquoi?’ demanda
Mautu, après qu’Arona fut parti en tapant des pieds: ‘Non!’ murmura
t’elle et elle s’enfuit précipitamment vers sa classe.
En octobre ce fut le palolo rose : il y en avait tant qu’ils en ditribuèrent aux autres villages. Lalaga envoya Arona, Tavita et leur équipage à
Fagaloto avec des paniers de palolo. Deux jours plus tard ils n’étaient
toujours pas revenus et Lalaga poussa Mautu à organiser un autre
tulula pour aller les chercher.
Arona arriva alors que l’autre équipage se préparait à partir. Devant
tout le monde Lalaga le réprimanda : ‘N’as-tu aucun amour pour nous,
hein? Pendant deux jours, nous nous sommes inquiétés pour toi. Nous
pensions que tu t’étais noyé!’ Arona se tenait tête baissée, en silence.
Quand elle s’arrêta, il se tourna brusquement pour s’en aller. ‘Ne vas-tu
rien dire au sujet de tes soeurs?’
‘Elles vont bien!’ répondit-il sèchement. Et il partit rapidement avec
Tavita et ses amis dans son sillage.
Quand ils furent seuls Mautu dit à Lalaga : Tu n’avais pas besoin
de faire ça.’
Ta soeur essaye même de m’enlever mon fils,’ répondit-elle. Il
s’éloigna: ‘C’est vrai!’ cria t-elle, ‘Mais tu ne veux pas voir la vérité I’
Lalaga tourna la roue de la machine à coudre. L’aiguille commença
-
à s’enfoncer dans le tissu. Tutt-tutt-tutt-tutt. Elle s’arrêta, retint son
souffle, regarda vers la piste en bas vers la plage. Personne. Elle tourna
la roue. Tutt-tutt-tutt-tutt. Un bruit. De quoi? Encore une fois. Des rames?
Des voix. Elle
regarda encore puis elle bondit, se dépêchant, arrangéant les épingles de son chignon. Direction : la plage.
Le chemin étroit était sec et craquait sous ses pieds. Elle aperçut
une silhouette qui s’approchait à travers les arbres dans le virage. Une
39
Littérama’ohi N°10
Annie Reva’e Coeroli
silhouette
qui courait. Elle commença à courir aussi en arrivant au
virage.
Pele ! Pele ! Elle ouvrit ses bras et, dans son étreinte, bouscula sa
fille qui sentait l’huile fraîche et la mer et la promesse d’une joie infinie,
tandis qu’elle la tenait. La tenait. Pele.
‘Lalaga, je vais bien maintenant’ dit Peleiupu.
‘Bien, bien’, murmura Lalaga, cachant ses larmes. Puis elle vit
Ruta, qui se tenait à quelques pas, ‘Viens!’ appela t-elle. Ruta se glissa
contre elle s’entourant de son bras, elle la tenait à son tour. ‘J’ai de nouvelles robes pour vous’, murmura-t-elle.
‘Lefatu viens avec nous’, dit Ruta. Lalaga s’éloigna de ses filles
essuyant ses yeux avec l’ourlet de sa robe.
Quand elle releva la tête, Lefatu marchait vers elle. Elles hésitèrent.
Un pas chacune, l’une vers l’autre. Lalaga s’arrêta. Lefatu se pencha et
l’embrassa sur la joue.
‘Merci pour Pele,’ dit Lalaga. ‘Merci.’
‘Dieu a été bon', dit Lefatu. ‘C’est grâce à Son mana.’ Et Lalaga voulait la croire.
Puis Mautu et la plupart de leur aiga et de leur école vinrent autour
d’elles. ‘J’ai pensé les ramener et ainsi voir votre maison et apprécier la
vie confortable d’une famille de pasteur !’ dit Lefatu à Mautu qui riait
doucement.
Ils commencèrent à remonter la pente, Ruta et Peleiupu bavardant
bruyamment avec leur grande tribu d’amis. Lalaga nota que Naomi avait
été laissée de côté, aussi elle se fraya un passage et la prit dans ses bras.
Quand ils furent assis dans le fale principal, les matai de Satoa,
menés par Sao, vinrent les accueillir. Bien que le tulafale de Satoa ne
faisait jamais directement référence à Lefatu et que sa tulafale parlait
comme s’ils étaient les leaders du groupe, chacun savait que Lefatu
était le centre du Aiga Sa-Tuifolau et du village de Fagaloto, et la respectait davantage car elle était la tama’ita’i o valoaga, la femme des
prophéties, fille du Tuifolau, tauhaaitu du atua, avec un mana et des
pouvoirs dont ils avaient peur et besoin. Pendant les formalités, elle
roula un cigare et le fuma, elle essayait de faire comme si elle n’était
40
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
pas le centre de la cérémonie. Même quand le bol de ava lui fut pré-
senté, elle insista pour qu’il fut donné à Mautu.
Ce soir là, Lefatu demanda, ‘Qui est Barker dont Pele parle beaucoup?’
Mautu lui dit. Durant son séjour, Lalaga, Arana, Naomi et d’autres Satoans
ajouteraient leurs chapîtres à la saga Barker. Peu de Satoans venaient en
visite. Lalaga attribuait cela à la peur-respect que Lefatu leur inspirait.
Lefatu était debout au premier chant du coq et, regardant dehors
vers les montagnes de l’est, fumait un cigare. Puis, dès que la chaîne
de montagnes laissait apparaître le soleil, elle commençait à chanter
l’hymne à son lotu du matin. Ils se réveillaient et la rejoignaient mais elle
laissait le récit biblique et la prière à Mautu. Puis elle lavait et allumait le
feu et, malgré l’insistance de Lalaga pour qu’elle ne fasse pas la cuisine,
elle la faisait, aidée par les filles.
Plus tard dans la matinée, les filles l’entraînaient vers leur colléetion de livres. ‘Je ne suis pas éduquée, je ne sais ni lire ni écrire,’ confessait-elle en feuilletant les livres. Mais Lalaga sentait que Lefatu n’en
avait pas honte. Pendant qu’elles étaient en cours, Lefatu tressait des
filets
un travail d’homme
ou repassait, ou nettoyait le fale. Après les
classes Peleiupu, Ruta et Naomi l’emmenaient dans la vallée. Lalaga
pensait qu’elles ramassaient des herbes et des plantes médicinales
mais elles ne rapportaient jamais rien.
D’autres jours, si la marée était bonne, elle allait pêcher des
limaces de mer, des œufs de mer et des loli. Les femmes, qui étaient
allées avec elle, ont dit à Lalaga qu’elle était experte en pêche et que
son savoir était grand au sujet des créatures de la mer.
Peu après l’arrivée de Lefatu, Lalaga entendit des allusions puis
des requêtes directes de la part des Satoans qui cherchaient Lefatu
pour soigner leurs ennuis de santé. Elle refusa de faire des demandes
à Lefatu qui, durant son séjour, n’encourageait pas les patients, y cornpris ceux de Fagaloto, à venir la voir.
‘Je me repose vraiment bien’, fit-elle remarquer lors de leur repas
matinal, une semaine après son arrivée. ‘Pas de responsabilités, une
bonne nourriture, de bons amis, le confort de faire partie de l'entourage
du pasteur!’ Elle rit. ‘Et des filles et des fils qui me servent comme si
-
-
41
Littérama’ohi N°10
Annie Reva’e Coeroli
j’étais une reine. C’est bon de voir Pele redevenir elle-même, même si
elle est moins bavarde qu'avant’. Peleiupu rougit, elle aurait souhaité que
Lefatu ne parla pas d’elle. ‘Et Arona n’est pas aussi gros qu’avant!’ Arona
tenta de sourire, ‘Et Ruta et Naomi se chamaillent moins qu’avant !’
‘Ce n’est pas de ma faute!’ lança Naomi, puis elle plaqua sa main
sur sa
bouche.
Toujours aussi téméraire, hein !’ pouffa Lefatu. Les anciens rirent
elle. ‘Les femmes de ce aiga n’ont jamais été connues pour leur
humilité.’ Elle jeta un coup d’oeil à Lalaga.
‘C’est vrai,’ dit Lalaga.
avec
‘Et nous, les hommes, avons eu à en souffrir,’ dit Mautu.
Lalaga sentit que Lefatu était prête à retourner à Fagaloto et, quand elle
était seule ou au lit la nuit, elle pleurait silencieusement, craignant ce qui allait
arriver. Pendant deux jours elle s’efforça de ne pas se trouver seule avec
Lefatu. Puis, après l’école, alors qu’elle se reposait à son bureau s’éventant
en
regardant la baie, elle entendit quelqu’un entrer et venir jusque derrière
elle. ‘Assieds-toi là,’ dit-elle, en montrant la chaise à sa droite.
Lefatu se glissa sur la chaise et elles regardèrent la mer miroiter,
s’assombrir et se rider sous la lumière de midi.
‘Notre aiga a toujours eu une taulasea, j’en suis une aujourd’hui et
j’espérerais trouver une enfant dans notre aiga pour continuer après moi’,
Lefatu parla doucement, comme si elle parlait à la mer. ‘Dans notre aiga
à Fagaloto il n’y a personne.’ Lalaga entendit le bourdonnement d’une
mouche ; se demanda pourquoi elle l’écoutait. Tu te demandais au début
pourquoi je revenais avec Pele?’ Lalaga approuva d’un signe de tête. La
mouche était partie; le silence était en suspens comme son pouls. ‘Parmi
nos enfants, les tiens sont les plus talentueux et Pele est la plus douée de
tous.’ Lalaga regarda Lefatu. ‘Mais je ne vais pas la demander. Elle est
destinée à d’autres choses pour notre aiga’. ‘Je ne dois pas changer ça’
Lalaga soupira. ‘Je demande que Ruta devienne mon enfant, l’héritière de
notre savoir guérir.’ Elle fit une pause. ‘C’est ce que je demande’.
‘C’était bien aimable de venir nous voir et de rester,’ commença
Lalaga, se tenant au bureau pour contrôler les tremblements de ses bras.
42
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
Pour nous ramener nos filles avec Pele guérie, tu aurais pu garder Ruta,
venir me demander mon avis. Je n’aurais pas pu refuser. Merci
d’être venue et d’avoir demandé.’ Elle dut s’arrêter. Tu es notre feagaiga
sans
et le coeur de notre aiga. Je ne peux rien te refuser. C’est ainsi que cela
doit être. Cela ne veut pas dire que je ne ressens aucune douleur ou
aucun
ressentiment à ce sujet. Ruta est ma chair et mon sang. Je l’aime
profondément.’ Elle essuya ses larmes. ‘Quel est son avenir pourtant?
Même en matière de guérison, la nouvelle médecine prendra le dessus.’
‘Je ne dois pas être la dernière de notre aiga,’ dit Lefatu. ‘Ce n’est
pas uniquement pour guérir.’
‘Pour quoi alors?’
‘Pour nous tous notre histoire, notre tradition, notre façon de vivre
et nos façons de voir.’
‘Et ?' insista Lalaga. ‘Je veux que tu l’admettes devant moi pour la
première fois. Même ton frère ne veut pas l’admettre !’
‘D’accord’, répondit Lefatu en se tournant pour la regarder. Ses
yeux étaient mystérieusement clairs. ‘Et pour le Atua, notre Atua’.
Lalaga sentit soudain la lumière : pour la première fois elle se sentait en sécurité dans le Aiga Sa-Tuifolau. Elle en faisait partie, en était
valorisée. En laissant partir Ruta, elle devenait tout ce qu’était Lefatu, le
cœur du Aiga Sa-Tuifolau. En outre, après Lefatu, Ruta, sa fille, deviendrait la gardienne du atua.
Le samedi après-midi alors que les autres étaient occupés à préparer le umu du dimanche, Lalaga appela tous ses enfants.
‘Lundi, Ruta ira avec Lefatu quand elle retournera à Fagaloto,’ leur
-
dit-elle.
‘Et moi? Je veux y aller aussi,’ insista Naomi.
L’ignorant, Lalaga dit, ‘Ruta va rester avec Lefatu. Elle n’a pas d’en-'
fant à elle.’
‘C’est pas juste!’ objecta Naomi.
‘Ne parles plus jamais comme ça!’ menaça Arona. Naomi claqua la natte.
‘Veux-tu partir?’ demanda Lalaga à Ruta.
Ruta fit un signe de tête et dit, ‘Lefatu est très gentille avec moi. Elle
a
besoin de moi et je veux apprendre d’elle.’
43
Littérama’ohi N°10
Annie Reva’e Coeroli
'Cela signifie que tu
n’iras pas à l’école moderne apprendre la
science, l’anglais, les nombres etc, expliqua Lalaga.
‘Ca ne fait rien. Pele et Naomi pourront le faire’ répondit Ruta.
‘Ruta a de la chance’, dit Peleiupu. ‘Avec Lefatu, les choses dure-
ront, elles seront ce qu’elles auront mangé’. Ils attendirent qu’elle
explique. Elle ne le fit pas.
‘Et tu iras étudier à Vaiuta l’an prochain,’ lui révéla Lalaga. Il n’y eut
pas de réaction visible de la part de Peleiupu. “Est-ce-que tu es d’accord?’
‘Il y a des années que tu m’as dit que je partirais,’ répondit Peleiupu.
‘Donc ça doit se faire’.
‘Et moi ?’ demanda Naomi.
Tu pourras aussi aller à Vaiuta, dans deux ans.
‘Je ne veux pas encore faire des études pour être pasteur,’ Arona
la devança. Quand Lalaga le regarda, il baissa les yeux. ‘Je ne suis pas
prêt pour le ministère.’
Elle devait accepter son excuse, bien qu’elle sentait qu’il ne voulait
encore
pas y aller du tout, jamais.
‘Nous attendrons alors,’ riposta t-elle. Elle aurait le temps de le persuader.
Tout n’est que changement,’ dit Peleiupu, plus à elle-même qu’aux
autres. C’était la façon de parler de Lefatu, pensa Lalaga, des mystères,
des énigmes, au-delà de sa compréhension. ‘C’est probablement la der-
nière fois que nous sommes tous ensemble comme nous l’avons tou-
jours été. Nous allons commencer à suivre chacun notre chemin.’
‘Ne vous inquiétez pas, il y aura beaucoup d’autres réunions
comme celle-là,’ déclara Lagala. ‘Nous sommes un aiga et l’amour entre
nous est indestructible :
‘Oui!’ répondirent en choeur Ruta et Naomi, Arona et Peleiupu se
regardèrent.
Lalaga voulaient les tenir dans ses bras.
Albert Wendt
Traduction d’Annie Reva’e Coeroli
44
a arcel Millaud
L’auteur
L’auteur demeure, au sud de Tahiti, sur une pointe où poussent des cocotiers, quelques casuarinas et un flamboyant. Devant, à quatre cents kilomètres, il y les îles Australes, et puis plus rien jusqu’au pôle sud. C'est sur cette pointe qu'il a écrit un roman d’environ trois cents pages, S’il est un
ciel au-dessus de nos ombres, dont voici le début.
I. TRIOMPHE DES FLAMBOYANTS
Or le vent, rayonnant de santé, ébouriffait un archipel pour empoi-
gner l’ouest, au cours d’un autre voyage en plein Pacifique. L’ouest se
dérobait, comme à l’accoutumée, l’océan, à ses trousses, ne happait
que du vent et le vent laissait courir le bruit qu’il est vain de poursuivre
l’horizon.
Messager de l’hiver austral, il soufflait sur la pointe depuis la veille.
A ce rythme, il gagnerait sous peu les îles Cook, les Tonga, avant de
bifurquer peut-être vers la Nouvelle-Zélande.
Quand le vent pèse, insiste, tord la vague rétive, la vaporise, anime
un désert entier, comment ne pas se laisser conduire ?
“Nouvelle chance, nouveau départ”, songeait Fano, depuis la
balustrade de sa véranda. Ce temps lui donnait chaque fois l’envie de
partir, de s’évanouir au hasard des voies du ciel, pendant une foule de
lunaisons. Aujourd’hui, il savait où il irait, bientôt, à bord d’un DC-10 de
tonnerre et d’acier.
qui échappe à un terrible danger, trouve à la vie des
gazouillements de perruche. Qu’un nid de dépressions lâche encore
une volée de pétrels fous furieux des tempêtes, aucune importance. On
survole, floconneux, les plaines ensoleillées d’Orion. Pour Fano
Loncour, un étau se desserrait, une issue s’ébauchait. Il s’émerveillait
de tout cet air en expansion, gonflé de rumeurs, au sortir des basses
L’homme
45
Littérama’ohi N°10
Marcel Millaud
latitudes, et qui n’en finissait pas de charrier un continent de nuages.
Quelle pouvait être la tourmente de son origine ?
Nulle part le vent ne commence. Il étreint le monde, en quête d’un
golfe des météores où s’abolir enfin avec ses vapeurs, ses flux
contraires, l’accablant répertoire de ses visions terrestres. Mais le repos
n’est pas son fort. Mollir est d’un instant. Tomber ici, reprendre là: le vent
s’invente des circuits et jette des esprits sédentaires, siècle après
siècle, sur les pistes de l’aventure.
Comme un doigt immuable, la pointe désignait le récif à la vindicte
du large. Et sur cette pointe d’un hectare, souvent livrée en juin et juillet
à des perturbations, il avait plu au père de Fano, dans un débordement
de tendresse, de planter une vingtaine de casuarinas, appelés d’ordinaire “arbres de fer”, à cause de leur fibre aux veines si compactes
qu’elle ébréche le tranchant de la hache. Sensibles, pourtant, à la douceur, ils portent une sorte de chevelure, et les alizés qui la font ondoyer
y prennent d’inexprimables accents.
En dépit de sa rudesse, Loncour père avait eu, par intermittence,
selon la hausse des cours du coprah, des élans d’artiste.
Vers l’extrémité de la pointe, devant les casuarinas, il avait planté
sept flamboyants. Pourquoi sept et non pas trois, six ou huit, ou trois fois
huit sur six ? Il n’aurait ébauché qu’un haussement d’épaules, en guise
de réponse. Celle-ci ne relevait pas des mathématiques. Sept flamboyants devaient croître au bout de la pointe parce qu’un jour, quand
ils se couvriraient de fleurs, ils seraient beaux à voir, juste là, face à la
mer, tels qu’Henri Loncour, père de Fano, les avait par avance contemplés, ardents et consumants, comme des anges au glaive de feu, dans
le chant des casuarinas. C’était aussi simple que cela.
Les arbres s’étaient développés, gourmands de satisfaire le planteur. De mètre en mètre cube, ils avaient accaparé un air volubile,
l’avaient assagi derrière un feuillage touffu. Dans ces cages de silence,
des sternes, épuisées d’avoir becqueté pendant le jour une eau poissonneuse, avaient pris l’habitude de goûter au repos, les yeux mi-clos
de satiété. Une taille, en hauteur, avait accru la circonférence. Les
racines s’étaient partagé un sol corallien, apparemment improductif, et
46
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
cependant amendé avec une délicatesse de chimiste peseur de substances impalpables, et aussi humecté, aux périodes de sécheresse, à
l’aide d’un tourniquet dont le débit ne dépendait pas des excès ou insuffisances d’un robinet ouvert à la va-vite. Dans le noir, les racines palpaient le terrain, festoyaient d’un goutte à goutte nutritif adapté à leur
métabolisme, agrandissaient leur territoire. Du gazon moussait, en surface. Entourés de la sorte d’une pelouse et de soins paternels, mieux
arrimés que les mâts d’un sept-mâts d’apparat, annonciateurs d’oriflammes et de conflagrations crépusculaires par un soleil topaze, les
flamboyants avaient déployé leur voilure.
Henri Loncour n’avait pas vu fleurir ses arbres. Faute de place
ailleurs, on l’avait enterré dans un cimetière protestant, lui qui ne l’était
point, et à l'emplacement qu’un diacre retraité pensait occuper, lors
d’une retraite définitive prise le plus tard possible, les menus avantages
de ce bas monde ne laissant pas d’avoir du bon.
A peine jetée la dernière pelletée de terre, les flamboyants, transformés en chandeliers funéraires, s’étaient mis à rougeoyer. Le lendemain, la braise devenait brasier. Cet hommage posthume aurait davantage convenu au seigneur des jardins de Babylone qu’à un obscur
squatter de tombe. Pourtant, chaque année, à pareille époque, au jour
anniversaire de l’inhumation d'Henri Loncour, père de Fano, une
débauche de fleurs écarlates ne manquerait pas de célébrer sa
mémoire, trois mois durant. Le feu montait, se boursouflait, une effervescence de corolles en grappes, toutes tremblantes, avivées au
moindre souffle, et la houle embrasée, contenue en arrière par les
casuarinas, gagnait la plage, pour rester en suspens, au bord de
l’éblouissement. Car à gauche, et jusqu’à la presqu’île, le lagon était si
vert que le rouge d’un bout de pointe n’était plus que la faible vibration
d’un lointain cri d’épouvante sur un miroir d’espérance. Puis survenaient
les bourrasques du sud et les flammes s’éteignaient.
Le fils avait recueilli cette oeuvre intense. Un jardin aérien s’appropriait des giclées de ciel, et les contenait dans un berceau de
branches...
Et ce fut le désastre !
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Littérama’ohi N°10
Marcel Millaud
Une moisissure, métastase de rouille aux confins du végétal et du
minéral, s’attaqua aux racines des casuarinas avec une telle virulence
qu’en un semestre, dans le sens de la progression souterraine, ils se
desséchèrent, foudroyés sur place, rongés à la base par la gangrène.
Fano avait assisté, impuissant, à cette abomination. A une époque
où il se remettait de sa blessure, il s’était dit qu’on le prenait encore pour
cible. On cherchait à l’atteindre. La pensée qu’il n’était rien, ou plutôt
qu’il n’était plus rien, l’avait calmé un moment. On ne complote pas
contre rien. A moins de faire du rien quelque chose, ce qui, appréciable
consolation, confortait le rien dans l’idée qu’il n’était pas tout à fait rien
et le ramenait du coup au point de départ : “C’est moi qu’on vise”.
Et la paranoïa recommençait.
Scorpion fumant de rugissante bestialité, le dard recourbé, un bulldozer dévasta la pointe. Ses assauts cataclysmiques eurent raison des
arbres qui s’abattirent dans un fracas d’empire romain sous les béliers
des barbares. Soudain, l’engin s’arrêta. Le conducteur éteignit le
moteur, s’essuya le front du pouce et aboya :
Holà ! C’est quoi ce feu ?
L’embrasement présageait des complications. Raide comme une
allumette du désir d’être craquée, la pointe se chargeait de menace. Le
conducteur n’était pas un froussard. Il avait œuvré en altitude, assis sur
ses cent dix kilos, taillant des pistes à flanc de montagne. S’attaquer aux
escarpements à dos de bulldozer, cela augmentait sa détermination.
Mais ces sept choses incandescentes, là, ne lui disaient rien de bon..
Ce feu du diable, y en avait pas hier. Regardez-moi ça...Prêt à
vous sauter à la figure !
Eh ! chef ! Faut pas s’exciter. Les flamboyants, ça flamboie, rappela un comparse, ami des évidences.
Et ça flamboie sans brûler, précisa un croyant qui, au temple,
avant de s’assoupir, avait entendu le pasteur parler de Moïse et du buis-
-
-
-
son ardent.
-
C’est à cc...cause du vv...vieux Loncour, le pp...père de çui-ci,
bégaya un vague cousin.
Les autres le considérèrent bouche bée. Il expliqua :
48
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
-A l’enterrement du vieux, y zont ff... flambé. Comme ça, paf !
Oh ! pétard ! lâcha inconsidérément un ouvrier, herboriste averti,
-
amateur clandestin de plantes fumigènes.
Sans chaleur et sans fumée, souligna le croyant.
-
Y re...reco...recommencent le mm...même jour,
-
chh...chaque
année, expira le chevrotant cou...cousin.
-
J’me disais aussi qu’y avait une histoire louche, là dessous, gro-
gna le conducteur d’engin. On est sur un cimetière. Le cimetière des
arbres ! Et pour fleurir, ça fleurit, ah ! ça oui !
Il prononça “fleurit”, et voulait dire “explose”. Supernovae en rapide
expansion, les flamboyants rutilaient d’éclats et propageaient leurs
ondes de choc à travers les cerveaux. La pointe était un épieu vénéneux
porté à l’incandescence, à son extrémité, prêt à ravager des escadres
fantomatiques de nuages, au ras du ciel, à les réexpédier en enfer.
L’œil gauche vissé aux flamboyants, le droit à l’enchevêtrement des
casuarinas déracinés, l’homme du bulldozer grommela :
-
Sacrée fournaise... J’abats les derniers arbres. Sont foutus de
s’enflammer à leur tour. Dépêchons d’évacuer le bois et d’enterrer le
reste. Allez ! Tronçonnez ! Toi, le sermonneur, récite une prière, au lieu
de nous abrutir avec tes feux qui brûlent sans brûler. Moi, j’aime pas ce
rouge. Je sais pas à quoi ça ressemble, mais ça y ressemble.
Au festin de casuarinas, les tronçonneuses perdirent plusieurs poi-
gnées de canines. On ne mord des arbres dits de fer, même terrassés,
qu’au péril de son râtelier. Les dégâts occasionnés par un bois rétif, rendaient presque inopérante une denture au carbure de tungstène. Mais
l’acharnement humain, après celui de la moisissure, vint à bout des
géants. Des camions en emportèrent des tronçons. On enterra le reste.
La pointe, devenue chauve, fut soulagée de leur entassement.
Les flamboyants continuèrent d’épancher leurs crépuscules pendant trois mois. Attirés par l’éruption, des volatiles se posaient sur un reliquat de pelouse, s’abîmaient dans la contemplation, ébauchaient, bec
ouvert, un gargouillis d’adoration, avant de nicher, ébaubis, dans les sept
sanctuaires à un pilier, qui brûlaient et ne se consumaient pas. Aux premières tourmentes, écœurés par une religion qui ne leur garantissait
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Littérama’ohi N°10
Marcel Millaud
protection contre les intempéries et ne réchauffait plus l’âme
que d’un feu toussoteux, les fidèles à plumes se dispersèrent en
piaillant. Un résidu de flamme vacilla. Des averses l’éteignirent.
Et ainsi, par un matin tempétueux de juillet, alors que les flamboyants étaient dépouillés de leurs derniers pétales, Fano Loncour, à la
balustrade de la véranda, se disposait à partir.
“Où en serai-je d’ici une semaine ?” se demandait-il.
La réponse lui échappait.
Devant un paysage malmené, évaluant le ratage de sa propre vie,
il soupira. Une même malédiction les enveloppait, la pointe et lui.
Quoique peu enclin à s’apitoyer sur son propre sort, il avait à
diverses reprises effectué ce constat: l’histoire de la pointe, au cours
des trente dernières années, était aussi la sienne. La paix, les saisons
qui reviennent, de rougeoyantes floraisons. Puis un mal se déclare.
Contre la plaie, nul remède. Des arbres que l’amour a plantés périssent.
Il ne reste qu’une pelouse dévastée par les camions et les chenilles
d’un bulldozer, pour le triomphe des flamboyants. Mais quand le vent se
lève, dans le vertige de ses migrations, qui triomphe encore ?
L’opprobre semblait irrévocable.
Fano se massa la joue.
Patience, les choses allaient changer. Sortez la tête du cumulus,
avait-il coutume de dire à ses élèves qui ne voyaient pas d’issue à leurs
efforts, et vous émergez au soleil. Le ciel est clair, passée la cime de
nos orages, ajoutait-il, à l’intention des moins ignares dont certains pensaient, en attendant la sonnerie, que le cumulus, c’était lui.
Près de six heures. Départ pour l’aéroport dans une vingtaine de
minutes. Trente-cinq kilomètres de route, une circulation assez fluide.
Mieux valait partir tôt qu’arriver tard. Ralentissements inopinés, crevaisons et autres contretemps étaient possibles. Fano Loncour se pardonnerait à la rigueur de rater n’importe quel avion. Excepté celui-là.
Surtout pas le vol UT 506. Décollage à neuf heures et demie, ceinture
bouclée, siège redressé, cap au nord.
Et à la grâce de Dieu !
aucune
50
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
II. MISSION À RISQUES
Du tumulte extérieur, la salle de séjour ne conservait qu’une
de coquillage. Les choses étaient en ordre, malgré l’adhésion
rumeur
forcenée des enfants à la cause de l'universelle pagaille. Dans un cadre
ovale, contre la cloison de bambou, l’aïeul Ambroise affectait un détachement que
les bourrasques saisonnières laissaient intact. En son
temps, il avait lui aussi affronté les humeurs d’un vent effeuilleur d’illusions, sinon de flamboyants.
Atea dormait sous une moustiquaire. Dérangé par un baiser, il téta
avec énergie le pouce qu’il tenait, en cas d’urgence, à portée des
lèvres. A quatre ans passés, il conservait cette habitude. Ou cette
consolation ?
“Je t’offrirai ce que tu cherches”, murmura son père.
La succion s’arrêta. Doucement, le pouce glissa hors d’une bouche
entrouverte.
Les deux filles et leur cousine Cécile étaient réveillées.
Déjà
déchaînées comme
punaises au concours des galipettes, elles sautillaient de rire, emmêlant coussins, peluches, draps et couvertures.
-
-
Salut, mes chéries.
Papa !
Tehei tendit des bras graciles, de taille, cependant, à entourer son
père d’un archipel de tendresse. Fano apprécia l’accueil. A défaut d’être
compris, il avait besoin d’être cru, même si les siens constataient anomalies, bizarreries, blancs et lacunes. Avant qu’il ne bascule dans la
zone des turbulences.
Il s’assit où il put.
--
C’est le bazar, chez vous. Le chaos absolu. Vous faites plus de
raffut que le vent et la pluie. Comment vous apprendre la discipline ? A
coups d’oreiller sur la tête. Je commence par qui ?
Marcel Millaud
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Littérama’ohi N°10
Célestine Hitiura Vaite
EXTRAIT DU ROMAN
FRANGIPANIER
LE VERDICT DE L’AIGUILLE
Il y a des femmes qui préfèrent ignorer le sexe de leur bébé jusqu’à
la seconde où la sage-femme crie : «C’est un garçon !» ou «C’est une
fille !» D’autres, comme Materena, veulent savoir dès le début si c’est à
un fils ou
à une fille qu’elles sont en train de faire la causette.
Tenant une aiguille suspendue à un fil à coudre au-dessus de son
nombril, Materena attend le verdict. Au bout d’un moment l’aiguille se
met à bouger. Elle tourne. Dans le sens des aiguilles d’une montre, une
fois - un tout petit cercle, puis un grand cercle, et un plus grand, et un
encore
plus grand. Des larmes ruissellent des yeux de Materena. C’est
une fille
! Materena va avoir une fille à elle ! Quelle émotion! Oh, même
si le bébé était un autre garçon,Materena pleurerait quand même, mais
une fille,hein ?
Une fille à elle, quelle responsabilité !
Materena ne veut pas dire qu’un garçon ce n’est pas une respon-
sabilité. Un enfant, d’un sexe ou de l’autre, c’est toujours une responsabilité. C’est vrai ça : pour Materena, quand on sème, on assume. Du jour
où l’enfant est conçu au jour où il quitte la maison, on est responsable
de son bien-être. En fait, on se sent même responsable jusqu’au jour où
meurt. Et même là, c’est pas garanti que les gosses n’auront plus
besoin de vous et vont enfin vous ficher la paix. Un enfant, c’est un
on
cadeau pour l’éternité.
Materena se caresse amoureusement le ventre, et pense à sa fille.
D’abord elle voit une petite fille avec des nattes qui lui ressemble à elle,
quand elle était petite. Ensuite elle voit une femme solide et sûre d’ellemême avec un diplôme, un bon métier, le permis de conduire, un attaché-case. Une championne des chiffres et des lettres - une institutrice,
une professeuse, une quelqu’un.
52
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
Materena sait bien que les enfants ne réalisent pas toujours les
rêves de leur maman, mais elle est bien décidée à faire de sa fille une
femme qui sait ce qu’elle veut et qui fait ce qu’il faut pour que ça arrive.
Quand on est comme ça, ça veut dire qu’on croit en soi, et pour une
femme il faut bien dire que c’est pas plus mal. Materena décide que sa
fille n’aura jamais à se poser la question : Est-ce que suis capable de ci
ou de ça
? Elle saura très bien qu’elle en est capable, point à la ligne.
Les jours passent et Materena fait la causette à sa fille qui pousse
dans son ventre. Et comment ça va aujourd'hui, ma fille ? Ça va bien ?
Tu es à l’aise ? C’est Mamie qui te parle...
À sa fille qui n’est pas encore née, Materena parle de Tahiti pour lui
donner une idée du pays qui sera bientôt le sien. Cet endroit où le soleil
cogne à midi, où l’air est lourd et immobile avant la pluie. Alors ? Il va
pleuvoir ou pas ? demande Materena à son bébé, et lui décrit l’odeur
sucrée des fleurs quand elles s’ouvrent au petit matin, et l’arôme du
café qui embaume les cuisines, du pain frais qui sort du four à la bou-
langerie d’à côté. Elle lui parle des couleurs vives qui vous sautent aux
yeux partout ; des haies d’hibiscus rouges et orange, des monettes
jaunes - elles font de si jolis jardins, ma toute petite, je suis sûre que tu
vas les aimer !
et les tiare tahiti blancs que les gens portent à l’oreille,
à droite pour : je suis libre, à gauche pour : j’ai déjà un amour à moi.
Elle lui montre les arbres qu’on a plantés le jour où un enfant est
venu au monde, le jour où quelqu'un qu’on aime s’en est allé, pour
qu’on parle encore de ce jour-là dans cent ans. Frangipanier.kava,
màpë, tamarinier, citronnier, oranger, et l’arbre à caramboles et l’arbre
à quenettes, la liste est interminabletant le sol d’ici est fertile. On jette
une graine et ça pousse. Mais l’arbre que Materena préfère, elle l’avoue
à sa fille qui n’est pas encore née, c’est de loin l’arbre à pain, d’abord
parce qu’il est beau avec ses grandes feuilles vertes ; et puis il est costaud, et surtout, c’est un arbre nourricier - quand l’argent commence à
manquer, l’arbre à pain est toujours là.
Notre île est si belle, ma fille, un vrai paradis ! Materena s’emballe
et fait la liste de toutes ces choses que les gens viennent voir ici - les
montagnes, les plages de sable blanc, les rivières, les cascades... Bon,
-
53
Littérama’ohi N°10
Célestine Hitiura Vaite
c’est vrai, reconnaît-elle, je ne suis jamais allée voir tous ces coins-là.
Pourquoi ? Ben, parce que je suis parfaitement heureuse là où je suis.
Et, tout en continuant la visite guidée pour son bébé, Materena voit
son coin à elle avec des yeux neufs : Faa’a Pk 5 - derrière la station
d’essence, pas loin du Chinois, de l’église, du cimetière et de l’aéroport
international. Les fare pinex aux peintures dépareillées, les cloches qui
appellent les fidèles ledimanche matin, le labyrinthe de chemins de
terre étroits qui mènent chez les fëti’i, les tïfaifai décorant les murs, les
couches sur les étendages, et toujours quelqu’un en train de ratisser les
feuilles mortes quelque part.
Les femmes aussi, qui se racontent des histoires au bord de la
route, les enfants pieds nus qui courent après leur coq ou leur cerfvolant, les bébés qui s’endorment accrochés au sein de leur mère, les
hommes en groupe devant le magasin chinois, occupés à compter les
rares voitures qui passent.
C’est notre vie, c’est notre île, dit Materena en se tapotant le ventre
avec tendresse, et elle continue de parler à son bébé. Elle lui parle du
temps qu’il fait, de ce qu’elle a mangé ce matin, elle lui dit qui est son
père, et ce qui s'est passé il y a trois jours, et aussi comment elle l’a rencontré, et lui raconte les deux ans qu’elle a passés sans lui, à l’attendre,
pendant qu’il faisait son service militaire en France, sans jamais recevoir un paquet, même pas une carte postale. Elle parle au bébé de sa
famille
de son frère Tamatoa, de sa grand-mère Loana, de son autre
grand-mère Mcimâ Rôti, et de ses oncles... Et de ses taties... Materena
explique à sa fille qui n’est pas encore née qui sont les membres de sa
famille, un par un, qui est gentil, qui n’est pas gentil, qui est mort.
Pendant la sieste de Bébé Tamatoa, Materena parle encore à sa fille ;
elle parle d’elle-même, maintenant.Alors, pour commencer, elle aime
balayer. Quand elle est fâchée, elle balaye (vite), quand elle est triste, elle
balaye (lentement), quand elle ne sait plus où elle en est, elle balaye (moitié vite et moitié lentement). Mais le résultat est toujours le même : chez elle,
c’est propre par terre et elle est heureuse. Elle est heureuse aussi quand le
garde-manger est plein, quand on lui fait un petit compliment sur sa cuisine ;
un peu d’amour, un peu de respect, un peu de pluiede temps en temps.
-
54
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
Elle est triste quand les gens meurent, et les animaux aussi ;
lorsque quelqu’un qu’elle aime lui crie dessus ; lorsqu’il n’y a presque
plus de sous. Et aussi, elle aime écouter les gens et ça lui est égal de
ratisser les feuilles.
Elle a quitté l’école à quatorze ans et elle a toujours travaillé depuis.
Elle a vendu des cacahuètes et des limonades au stade de foot, lavé
des assiettes ;dans un restaurant, fait des sandwiches dans un snack
c’est là qu’elle a rencontré Pito - et maintenant elle fait des ménages,
-
et en plus elle s’occupe de sa maison.
Ce
qui est sûr, c’est qu’elle n’a pas un cocotier dans la main.
Personne ne peut dire qu’elle est paresseuse. Et elle est très fière d’être
une femme parce que
les femmes sont fortes ; ce sont les créatures les
plus solides de la Création. Et, puisqu’on en parle, les deux femmes que
Materena admire le plus dans la vie sont sa mère et sa marraine
Imelda. Sa cousine préférée est Rita. Sa couleur préférée est le bleu.
Son chanteur préféré est Gabilou. Et autrefois, elle avait un chien.
Materena continue à parler gaiement tout en faisant le biberon de
son fils. Et cinq minutes plus tard, il se réveille.
«Ton frère est réveillé» dit-elle à haute voix en allant le chercher
dans sa chambre. «Oh là là, il est fâché aujourd’hui ! Tu entends ça ?»
Quand Materena ouvre la porte, Tamatoa est assis bien droit et il hurle
comme un
possédé.
«Mais enfin,
chéri !» glousse Materena en se penchant pour
prendre son fils. «Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu as fait un petit cauchemar ?» Elle lui donne un gros baiser sur le haut du crâne pour le conso1er, mais le bébé continue à hurler.
«Qu’est-ce qu’il y a ?» demande Materena en cherchant des
piqûres de moustiques sur les bras de son fils. Elle n’en trouve pas. Elle
soulève son tricot. Pas de piqûres. Elle repose Bébé Tamatoa sur le
matelas et lui enlève sa couche mouillée. «Là ! soupire- t-elle. Ça va
mieux maintenant ?»
Tamatoa continue à hurler.
«Allons, allons, dit Materena. Pas de panique, Mamie a préparé ton
biberon.»
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Littérama’ohi N°10
Célestine Hitiura Vaite
Elle file à la cuisine et prend le biberon de Tamatoa qui était au
chaud dans une casserole sur le gaz. Elle presse trois gouttes de lait
dans la paume de sa main. «Regarde ce que Mamie t’apporte !» dit-elle
d’une voix chantante en brandissant le biberon. Mais au lieu de sourire,
Bébé Tamatoa, pas calmé du tout, se met à hurler encore plus fort.
Quand Materena lui tend le biberon, il le prend et le jette. Quand elle le
ramasse et lui
glisse la tétine dans la bouche, il la recrache.
«Mais qu’est-ce que tu as aujourd’hui ?» Elle commence à se dire
que tous les voisins doivent se demander ce qu’elle est en train de faire
à son bébé pour qu’il hurle comme ça. Alors elle le prend dans ses bras,
lui tapote doucement le derrière. «Gentil bébé» dit-elle, et il enfouit sa
tête dans la poitrine de sa mère et se met à sangloter.
«Mais chéri, chuchote Materena. Ça te ressemble pas de pleurer
comme ça.
Qu’est-ce qu’il y a ?» Le bébé, qui continue à sangloter dou-
cernent, lève alors ses beaux yeux tristes vers sa maman et, brusquement, elle croit qu’elle comprend.
Elle serre son bébé très fort. «Je t’interdis de pleurer pour lui, tu
m’entends ? Je t’interdis. C’est de moi que tu as besoin, c’est tout.» Et
pour la première fois depuis que Pito est parti, Materena éclate en sanglots, sa tête contre l’épaule du bébé, son coeur battant d’un chagrin
profond.
Célestine Hitiura Vaite
(Extrait de FRANGIPANIER, 390 pages, mars 2006,
Editions Au Vent des îles)
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arie-Claude Teissier-Landgraf
EXTRAIT DE
«
ATEA ROA, VOYAGES INATTENDUS »
Libre ! Enfin ! De marcher pieds nus, doigts de pieds bien étalés en
prise directe avec le sol. Libre d’aller et de venir en petite culotte. Dans
une chambre d’hôtel aux volets clos. Plaisir bref.
Sophie frissonne.
Comment peut-il faire si froid à l’intérieur alors que dehors, tout grésille, toutstridule ? Des cigales s’en donnent à coeur joie. Arriverait-elle
à les reconnaître dans le feuillage des arbres ? L’adolescente s'approche de la fenêtre et tourne la poignée ouvragée de la crémone qui
résiste et regimbe en couinant. Le reflet vitré lui renvoie l’image d’un
corps doré, zébré de bandelettes lumineuses. Elle s’immobilise.
Je ressemble à une momie ressuscitée. Dans quel monde ? Elle
sait qu’il possède le pouvoir de la plonger dans le puits sans fond de ses
premières peurs enfantines.
En cette journée de juillet
1955, le paquebot Tahitien a accosté
dans le port de Marseille.
Attifée pour la circonstance, d’une robe en cotonnade paréo, d’un
chapeau en feutre mou, de gants en dentelles, de chaussures à talonnettes, elle avait essuyé les quolibets des passagers habitués à la voir
en
maillot de bain durant tout le mois de la traversée maritime.
C’est la dernière fois que j’obéis à ma mère ! Ses gants d’été, glis-
sés furtivement par-dessus la rambarde de la passerelle, étaient tornbés à l’eau, happés par une flaque d’huile goulue. Son chapeau s’était
transformé en crêpe coincée entre deux piles de dossiers du service
des douanes. Faire ce que l’on veut. Quel bonheur !... Qui avait duré le
temps des formalités de débarquement.
Une foule d'inconnus pressés, prêts à écraser quiconque sur la
route de leur destin, l’avait statufiée sur le pas de la porte des bâtiments
administratifs. L’ondoiement continu des têtes défilant devant elle sans
la regarder l’entraînait à reculons. Vers où ? Sa valise s’était échappée
de ses mains, écrasant son orteil. Tout en le massant, elle avait levé les
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Littérama’ohi N°10
Marie-Claude Teissier-Landgraf
yeux et découvert au-dessus d’une grande porte, des initiales noirâtres
rongées par l’effritement d’un plâtre mural : SORTIE. Ses amis de
voyage avec lesquels elle devait passer sa première nuit à terre avaient
disparu. L’attendaient-ils au-delà ?
Hélas, aucune connaissance en vue.
Des flashes avaient giclé de sa mémoire. Errances à Marseille...
L’après-guerre... Pieds en bouillie à force de trop marcher.
Maman, connais-tu un endroit où nous pourrions nous asseoir ?
Soif et langue émeri ; faim et estomac vrillé dans l’attente de l’embarquement pour Tahiti. Spectacle des terrasses de restaurants.
Regarde maman, les gens mangent de la viande et du pain
blanc ; ils ne finissent pas leur bouteille d’eau. Pourrait-on les prendre ?
Dix ans plus tard, même ambiance d’indifférence, même sentiment
de solitude absolue, même désespérance. Soudain, un hurlement de
—
—
sirène.
Des bombardements ! Elle s’était mise à trembler. Prête à hurler.
Proche de l’hystérie. L’exclamation de ses amis avait chassé la folie :
—
Où étais tu passée ? Pourquoi cet air hagard ? Allez ! Zou ! On
part à l’hôtel !
Dans le taxi s’éloignant du centre-ville, elle s’était attendue après
chaque tournant à voir la mer. Sur son île la route va toujours à sa rencontre. Cet espoir s’était craquelé dans la succession des carrefours et
des alignements d’immeubles. Yeux verts. Yeux rouges. Clignotant dans
des toiles d’araignées métalliques suspendues à une forêt de poteaux
alignés de chaque côté de la route. Que c’était moche !
Mon Dieu, vivement le temps du retour vers son île ! Vers Romuald !
Sa peau chaude au goût de sel lorsqu’il revient de la pêche ; son rire ;
son enlacement amoureux. Alors, pour se consoler de l’adieu à la mer,
elle avait écrit mentalement sa première lettre d’amour. Gare SaintCharles le lendemain. Attente sur le quai dans les odeurs de saleté et
de brûlé. Chuintement grandissant d’un train avec sa tête couronnée de
volutes affolées, s’avançant tout droit sur Sophie. À ce bruit son coeur
danse la sarabande. Un sentiment d’impuissance la paralyse, la rend
muette. La réalité s’efface... Temps de la fuite qui, en ce temps-là,
58
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
s’appelait l’exode... Un employé en uniforme court vers une petite fille,
seule au bord d’un quai, la soustrait au happement d’un monstre métallique puis la hisse là-haut dans la foule des voyageurs chanceux entassés dans les wagons. On la porte de bras en bras au-dessus des têtes
en
braillant :
“Où est la maman ?” Cette dernière, handicapée par sa valise trop
lourde, se débat toujours contre l’hystérie populaire qui l'empêche de
monter. Souvenir obsédant de cette panique, de cet arrachement, dont
la conclusion avait fui pour toujours sa conscience. Cet incident l’avait
fait douter plus tard de la réelle identité de ses parents. En particulier
lorsque sa mère, Amélie, la traitait de “canard de la famille”...
Hé Sophie, ne fais pas cette tête. Ou’as-tu à fouiller sans cesse
dans ton sac ? Cue cherches-tu ? De quoi as-tu peur ? Ton billet est là,
dans la poche extérieure. Tu n’as qu’un changement à Lyon pour ta correspondance vers Lons-le-Saunier. Peu importe de ne pas connaître tes
cousins. C’est un tel bled là-bas ! Eux te repéreront vite fait avec ta robe
à fleurs d’hibiscus. Ha ! Ha! La moquerie sur ses habitudes tahitiennes
lui avait fait mal. En serait-il de même avec toutes les autres ? Jusqu’où,
ici, dépouillerait-on son être pour le normaliser à la civilisation locale ?
Supérieure, cela va de soi. Ne l’avait-on pas expédiée en France dans
ce but ? Un signe d’adieu aux dernières personnes qui connaissent ses
parents. Le froid de la poignée montoire du wagon tranche l’ultime fil la
reliant à Tahiti. La voici confrontée à un nouveau départ vers un autre
ailleurs semblable à un tunnel bouché, où il est vain de crier sa peur, où
il est absurde de pleurer en public. Le soubresaut du wagon en partance la propulse dans le couloir. Les compartiments sont pleins, à l’exception d’un seul, livrant en son milieu un petit espace libre. La valise
fait de la résistance pour sauter dans le filet de rangement. Personne ne
bronche, yeux rivés soit sur les pages d’un journal, soit à la fenêtre. Au
troisième essai le bagage rebondit de guingois sur les autres. Grimace
des voyageurs assis en face.
Tant pis pour eux. En voilà qui n’ont jamais étudié le livre des
bonnes manières. Sophie étouffe dans cette promiscuité humaine faite
d’étrangers figés, absents. À Tahiti, dans les trucks, il y a toujours un
—
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Littérama’ohi N°10
Marie-Claude Teissier-Landgraf
passager qui vous sourit. Gratuitement. Ou par gentillesse. Ou même
pour le plaisir. En vous donnant l’impression qu’il pourrait devenir votre
ami. Les corps dodelinent aux sons rythmés du train en marche. Ta-tata.
Ta-ta-ta.
L’assoupissement gagne les têtes. Seule Sophie ouvre de
grands yeux sur le défilement des paysages. Que de collines, de vallons
et de plaines ! Mais point d’étendues d’eau. Où est la mer ? Ah' ! Pouvoir
la revoir encore une fois. Ta-ta-ta. Pouvoir lui dire adieu comme cela se
fait toujours pour les grands départs. Ta-ta-ta. Ta-tata. La machine lui
répète sans cesse que ses hôtes sont ses prisonniers et qu’elle est programmée pour s’éloigner de la Méditerranée à grande vitesse. Le paysage se brouille, l’Intérieur du compartiment se liquéfie et ondule :
Romuald ! Deux filets d’eau dégoulinent sur les joues de l’adolescente
et serpentent entre ses seins comme faisait la pulpe des doigts de son
amoureux lorsqu’il murmurait, la voix changée : “Hani, Hani na.” Le
voyageur d’en face toussote, dérouté par cette fille qui ferme les yeux
sur ses larmes. Il a horreur du spectacle des femmes qui pleurent.
Autant boire un p’tit coup, avant que son rouge soit trop secoué par le
train. Il soulève le couvercle d’un panier d’osier calé sur ses genoux,
déplie une serviette rouge à carreaux et déballe son repas. Le saucisson rose et distendu éclate sous l’estafilade. Le couteau dessine un bref
signe de croix sur le ventre d’un pain de campagne. Des bouffées
d’odeur aillée accompagnent les “plocs” du bouchon d’un litron d’où
s’échappent une mousse violette.et un relent de vinasse. Impossible
pour Sophie de fantasmer davantage. Son attention se porte sur les
lèvres luisantes qui mastiquent, ingurgitent, tètent, éructent. L’ail
empeste tout le compartiment. Elle se concentre sur le déroulement du
paysage.
Marie-Claude Teissier-Landgraf
(Extrait de ATEA ROA, VOYAGES INATTENDUS,
248 pages, mai 2006,
Editions Au Vent des îles)
60
téphanie-Ariirau Richard
EXTRAIT DU ROMAN
«
MATAMIMI »
MATAMIMI
‘Oui, c’est vrai, Jean Edernalier a dit ‘Si j’écris, c’est tout simplement pour ne pas mourir’. Alors moi, si j’écris aujourd’hui, c’est pour te
voir naître et pour me faire mourir. Car Matamimi, mon amour pour toi
est limpide comme les eaux de nos lagons ; il ne peut pas rester ano-
nyme, puisque c’est le plus beau.
J'ai omis de dire aux hommes que tu étais née, que tu étais libre,
que tu étais belle. Je tiens à rectifier cette erreur.
Écoute bien mon enfant, je n’ai jamais été aussi heureuse qu’aujourd’hui. Car aujourd’hui, tu vois, ma fille, ce manuscrit est passé de
main en main. Il a voyagé partout sur la planète, il a pris le train, il a pris
l’avion, dans une enveloppe, il a même été envoyé via Internet. Et tu
étais à l’intérieur petite intruse, combien t’ont lue, ont lu tes amours et
tes coups de colères, sans vouloir te prendre, refusée à gauche, refusée à droite, Matamimi, ma chérie, tu m’es revenue.
Quelle jolie petite Tahitienne tu fais, quel honneur pour ta mère,
quel sacré bout de nana, qui mène la vie dure aux dragueurs, qui
défend des idéaux, qui aime boire des liqueurs ! Assise juste à côté du
neveu de Rameau... La pantomime, quel bel art.
Tu t’appelles Matamimi1, en souvenir des yeux de chats de ton
arrière grand-mère et des yeux verts de ta grand-mère. Tu es une fille,
je ne l’ai pas choisi. Tu es une fille, je voulais un fils, tous les fœtus sont
femelles à l’origine du développement, c’est pour cela que les hommes
ont des tétons qui ne leur servent à rien...’
61
Littérama’ohi N°10
Stéphanie-Ariirau Richard
Ton pays, te fenua nehenehe
Matamimi, sur ta planète, un amphithéâtre de fougères s’est pro-
pulsé hors de l’océan, un amphithéâtre merveilleux et organique qui,
perfusé par une force inconnue, a décidé de naître de lui-même, loin de
tout, loin des autres ; un amphithéâtre de fougères, dont les fondements sont profondément enfouis dans du sable noir. Te fenua nehenehe, le beau pays.
POUR SATISFAIRE AUX GOÛTS DE TOUS, on a serti la scène de
sable blanc, de sable jaune, de terre sableuse. On y a mis des enfants,
comme toi
Matamimi, libres et courant dans tous les sens, leurs âmes
pieds, leurs âmes aux mains, leurs âmes aux coeurs.
POUR SATISFAIRE AUX GOÛTS DE TOUS, on les a faits de
toutes les couleurs, blonds, bruns, roux, noirs. On les a faits frères et
aux
soeurs.
POUR SATISFAIRE AUX
GOÛTS DE TOUS,
on a
placé des
anciennes au centre de la scène, les Marnas, très coquettes et encore
belles dans leurs robes mumu, ‘robes missionnaires’, rouges, blanches,
jaunes, vertes, bleues. Des anciennes qui tissent habilement les nattes,
les chapeaux, les paniers, un pour moi un pour toi un pour mémé, des
anciennes qui chantent en chœur les himene. Des anciennes les livres
ouverts à la main, qui racontent nos légendes et nous lisent des
poèmes écrits à l’encre invisible, des anciennes qui traduisent pour
nous des textes qui nous sont chers.
POUR SATISFAIRE AUX GOÛTS DE TOUS, on y a déposé des
jeunes femmes, des jeunes mères, des jeunes adolescentes, comme
toi Matamimi, caractérielles, intelligentes, solides, petites, grandes,
fines, plantureuses, au bassin de Vénus, à la démarche souple et dansanté qui sentent bon le mono’i, qui font du karaté ou du tamure, qui se
promènent au marché, des perles noires, jaunes, vertes, roses, aux
oreilles, pêchées par les hommes du fenua nehenehe.
62
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
POUR SATISFAIRE AUX GOÛTS DE TOUS, on a gravé, dans le
décor, nos pêcheurs, qui devancent le soleil et glissent rejoindre les
mahi-mahi, les fruits de l’océan, pour revenir à la fraîche tôt le matin,
quand tes paupières sont mi-ouvertes et que je sens encore ton souffle
chaud de petite fille sur ma gorge. Nos pêcheurs, mains poissonneuses
et tee-shirt en sueur, avec sur le visage un petit sourire de vainqueur.
On y gravé des surfeurs, comme ton amoureux Teva,
qui défient les
fou, sans craindre les branches rugueuses des
coraux, sans craindre les pierres. On y a gravé des hommes politiques,
qui courent à l’assemblée, au gouvernement, pour défendre nos droits
et se faire de l’argent.
vagues comme un
POUR SATISFAIRE AUX GOÛTS DE TOUS, on y a mis un pépé,
assis sur une chaise, sous un chapeau tressé pandanus, une cigarette
roulée au bec, qui surveille les enfants, leur dit d’aller balayer sa cour,
même si ce ne sont pas ses enfants à lui, s’ils sont là ce sont les enfants
de tous.' Le
petit garçon au short à fleurs et au tee-shirt Quicksilver
craint moins l’ancien que son balai ni’au, il va balayer sa cour, sous le
regard de ses amis qui l’observent, en. étouffant leurs rires, menottes
fenua nehenehe, tes frères et soeurs.
sur la bouche. Les enfants du
GOÛTS DE TOUS, on y a installé
quelques journalistes, un semblant controversés, qui en faisant de l’humour, accordent un peu à la vérité, la place où elle doit siéger. La démocratie, la liberté, l’amour, le respect sont dans la Constitution de ton fenua
nehenehe. Il n’y a pas de dictateur dans ton fenua, s’il y en avait un, ‘aïu,
chérie adorée, je m’en chargerais ! Tu peux ouvrirles yeux et t’enivrer de
ce parfum de liberté qui imprègne les insulaires de ton beau pays.
POUR SATISFAIRE AUX
POUR SATISFAIRE AUX GOÛTS DE TOUS, on a suspendu en
toile de fond
une
montagne, mystérieuse et verte, verte, verte, plus
verte que les prunelles de ta mémé. Une toile de fond avec une mon-
tagne sous un ciel bleu, bleu, bleu, plus bleu que le regard de ton pépé,
bleu-ciel, bleu-océan, selon l’humeur.
63
Littérama’ohi N°10
Stéphanie-Ariirau Richard
POUR SATISFAIRE AUXGOÛTS DE TOUS, on a remercié la terre,
lui offrant notre substance la plus chère, les placentas fertiles. On y
planté tous ces arbres, d’espèces aussi variées que les hommes qui
en savourent leurs fruits. On y a
planté le taro, la patate douce, on y a
cultivé la vanille, toutes ces choses qui te donnent la peau douce, les
dents blanches, le bout de la langue sucré.
en
a
POUR SATISFAIRE AUX
GOÛTS DE TOUS, on a gracié nos
morts, en leur accordant la plus jolie vue de leur cimetière, à rendre
jaloux Paul Valery, le cimetière embrassé par le Pacifique, où tes
ancêtres reposent sous des couvertures de sable blanc, bercés par le
sel, les parfums des fleurs, les gouttes timides transportées par la brise.
POUR SATISFAIRE AUX GOÛTS DE TOUS, on y a envoûté tous
ces
artistes, Gotz et Tatu Aïto, Tatu Vahiné, son rêve de Hina, qui m’a
toute retournée, JL Saquet, de l’or, un ruban de parfum qui embaume
la vahiné dénudée, André Marere et son épicerie chinoise, la sortie du
temple de Dubois, Deloffre, Shelsher, Duday. Motoro en noir et blanc, un
peu comme ta mémé dans sa jeunesse. Joannis qui croque les enfants
dans l’eau, toi et Teva, au pied de la cascade. Bousquet et son fantas-
tique sur la pirogue. Devienne, Louis, demi, né en Afrique, peinture de
la déchirure, de l’enlacement, la vahiné prend le tane par le cou, ses
yeux fermés, chevelure cadre de cette œuvre exaltée. Taurua, Pascale
et cette femme peinte, assise, sur un tifaifai, cliché peinture, le
regard
sincère, le silence, Ve’ave'a. Shan Sei Fan, René, l’albatros incarné de
Baudelaire s’est déposé sur ton île, il reste noble, les hommes n’en rient
pas : l’artiste passionné marie ses poèmes à ses dessins, regarde
Matamimi le papillon bercé par la fleur. Juventin, Rui et cet autoportrait
aux modèles.
Bringold, enfants des Tuamotus qui se brossent les dents
rigolant, écume sur le menton, mousse sur la joue, la bouche grande
ouverte, aux pieds d’un escalier.
en
POUR SATISFAIRE AUX GOÛTS DE TOUS, on y a inspiré les
hommes et les femmes de Lettres. Segalen qui voulait nous connaître
64
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
mieux que nous-mêmes. Mais surtout, Spitz, Chantal, et la francophonie bastonnée,
Devatine, Flora, notre jongleuse des mots, danseurs,
poèmes et tresses jusqu’à la racine de ton crâne, Titaua Peu et l'écriture innocente défiée, artiste et militante tant adorée, Célestine Hitiura
Vaïté qui a polynésianisé le discours dialogique de Socrate sur l’Amour :
paraparau ! accents trempés, attache burlesque et la symbolique de
l’arbre à pain ! Pambrun Jean-Marc T., notre dramaturge de la sensualité. Peltzer, Louise, scripteuse scriptrice de mots, reconstructrice de
notre tour de Babel, marionnettiste de notre petite Rui, humour et
pathétique dans le regard de l’enfant. Tessier-Landgraf, Marie-Laure,
Hutu Painu ! la petite enfant à l’âme polynésienne chérie de tous sauf
de sa mère la France, fillette qui frémit aux sons des To’ere et danse
toute fière devant son papa Ma’ohi, reviens donc sur ton île notre petite
adorée ! Ly Jimmy...
Et lis et lis, Matamimi, pour faire honneur à ton pays,
te fenua
nehenehe.
POUR SATISFAIRE AUX GOÛTS DE TOUS, on t’a fait naître là sur
cette île placée au centre de cet organe, qui bat, qui bat, qui bat. Au côté
gauche de ma vie, sous la poitrine qui t’allaite, mon cœur, mon île, où
tu as vu le jour, ton beau pays, te fenua nehenehe, ma fille à moi, ma
fille unique.
Matamimi.
Stéphanie-Ariirau Richard
(Extrait de MATAMIMI, 136 pages, mars 2006,
Editions Au Vent des îles)
^ “Mata”:
yeux
,
“Mimi” : chat; ‘yeux de chats’, yeux verts, yeux bleus.
65
Littérama’ohi N°10
Elisabeth Poroi
Nom marital
POROI
Prénoms
Elisabeth Marguerite
Nom Patronymique
TEMAHAHE
Date de naissance
05 novembre 1953
Lieu
Papeete,Tahiti
Situation familiale
Mariée, 3 enfants, 3 mootua
: Poeiti, Heiae, Mehotea
Juste quelques lignes pour vous dire comment je me retrouve à
écrire ce petit texte de rien du tout, avec mes mots pour partager ce que
je vis avec mes petites mo’otua et surtout avec Poeiti qui a aujourd’hui
6 ans. Nous avons la chance d’avoir à Toanoano, au fenua ‘aihere une
petite habitation de campagne où nos enfants, depuis vingt ans ont
passé des moments extraordinaires.
Notre maison est en pinex avec des tito’o, une mezzanine qui peut
accueillir une dizaine de bambins, un fare pape à l’extérieur avec ‘iri’iri
et un mur végétal composé de ‘aute et ‘auti, un fare iti avec vue sur les
mape et près de la plage un fare ahi ma’a. Des barbelés nous séparent
d’une grande cocoteraie où paissent une vingtaine de boeufs. Il y a
Noiraud et Blanchette, Cacao, Caramel, Chocolat, etc.
Notre terrain s’étend de tahatai et va en s’allongeant vers uta sur
plus d’une centaine de mètres et se prolonge dans la vallée où coule la
Vai Tutaepuaa. Juste derrière la maison, une forêt de grands et majestueux mape
abrite un petit ruisseau où vit une famille de grosses
anguilles dont Puhi, l’amie de Poeiti. Je n’oublie pas le vieux coq
Cocodi, les poules Cocotte, Cocodette, les poussins, Noisette, Cuicui
et tous les autres.
On y vit simplement, du produit de la mer et du fa’a’apu. C’est donc
dans ce havre de paix, proches de la nature, avec le chant des1otatare,
le bruit des vagues, et le souffle grisant du niuhiti que je trouve les mots,
pour raconter à ma manière, des histoires qui font la joie de mes petites
mo’otua.
66
Poeiti est ma petite mo’otua de trois ans. J’ai la chance de vivre
avec elle des
journées passionnantes au fenua ‘aihere, àTeahupoo, loin
des tumultes de la ville et surtout, sans la télévision. Nos soirées à la
lueur du mori gaz sont riches de ces moments inoubliables où les jeux,
les rires
se
mêlent
aux
chants et
aux
histoires de toutes sortes.
J’apprécie ces moments magiques où, dans le noir après avoir récité
notre petite prière du soir, elle se blottit contre moi et me dit de sa petite
voix
:
Mémé, s’il te plaît raconte moi une histoire !
Ayant épuisé la longue liste des classiques comme la chèvre et ses
sept chevreaux, la poule et ses poussins, le Petit Chaperon Rouge et
j’en passe, j'ai commencé par lui en inventer quelques-unes, m’inspirant
entre autres de quelques fables de Monsieur de La Fontaine.
Sa préférée est celle de Perete’i la cigale et Ro iti la fourmi que
j’ai tahitiannisées à ma façon.
—
Voici leur histoire...
Perete’i la cigale vit dans un joli petit fare en bord de mer. Le matin,
après son petit déjeuner, elle cueille les fleurs de son jardin, tresse sa
belle couronne. Puis vêtue de sa robe pareu, couronnée et jolie comme
un coeur, elle prend son ‘ukulele et part en ville, chantant aux passants
qu’elle salue gracieusement, ses chansons et ses ‘ute, distribuant à
tous sa joie de vivre.
Chaque matin, elle reste fidèle à sa tournée, allant de maison en
maison et régalant les auditeurs de ses ‘ute. Il arrive même quelquefois
qu’elle soit invitée à déjeuner dans certains fare où on l'apprécie. Et
lorsque la nuit vient, elle rentre chez elle, épuisée mais heureuse d’avoir
apporté du bonheur à tous.
En face, côté montagne, vit la laborieuse et infatigable fourmi Ro iti.
Tous les jours par tous les temps, vêtue de son vieux pantalon et coiffée de son chapeau ni’au, elle pousse sa brouette et se rend dans son
fa’a’apu où elle bêche, coupe, débrousse, plante et replante du matin
au soir. Et lorsque le jour tombe enfin, elle rentre fourbue, la brouette
67
Littérama’ohi N°10
Elisabeth Poroi
chargée des produits de son jardin, qu’elle range méticuleusement
dans le garde-manger de son fare tutu.
Un jour, un mara’amu puissant et froid s’abat sur l’île et amène
avec lui une telle fraîcheur qu'il n’y a plus personne sur les routes.
Chacun reste chez soi et n’ose mettre le
nez
dehors. Même notre
joyeuse cigale reste cantonnée dans sa maisonnette et surtout cornmence à souffrir de crampes d’estomac ; en fait, elle a très faim. Alors,
elle descend dans sa cuisine, ouvre son frigidaire et constate qu’il n’y a
plus rien à manger : juste des fleurs pour faire sa couronne !
Mon dieu ! Comment faire ?... Et puis, elle se dit :
Mais oui ! Je vais de ce pas chez ma voisine Ro iti. Elle me prétera bien quelques patates et quelques taro que je saurai lui rendre le
temps venu !
—
—
Rassemblant ce qui lui reste de force et de courage elle se dirige à
‘uta, traverse la bananeraie et frappe à la porte de son amie.
La nuit va tomber. Le soleil doucement glisse à l’horizon.
—
Toc IToc IToc...
La fourmi,
rentrée de son fa’a’apu, se repose près de son mori
‘avae. Elle n’aime pas trop être dérangée, encore moins par sa voisine
qui passe son temps sur les routes et ne fait rien de bon de la journée.
—
Toc IToc IToc...
La porte s’ouvre enfin.
—
—
Oui ? Qu’y a t-il
?
Bonsoir ! C’est moi Perete’i. Je suis désolée de te déranger si
tard. Je n’ai plus rien à manger chez moi, et je viens juste t’emprunter
quelques provisions. Je te promets de te les rendre aussitôt que le
temps ira mieux.
Ah oui ! Tu n’as rien à manger ?
Que faisais-tu donc pendant que je m’éreintais dans mes planta—
tions.
Que faisais-tu... ? Hein... ?
68
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
—
Eh bien
routes et
....
du matin au soir, avec mon ‘ukuiele, je partais sur les
je chantais
je chantais !
Ah oui ? Tu chantais. Eh bien ! Maintenant, mets ton more et
vas danser ! Allez ! Ouste ! Dehors ! Non, mais des fois ! Quel culot !
—
Sur ce, elle lui claque la porte au nez. Perete’i recule, trébuche,
casse le talon de sa chaussure et le coeur gros, fond en larmes ; alors
elle s’éloigne en claudiquant
dans la nuit. Elle pleure. Elle est triste,
triste, et elle a tellement faim... Pauvre Perete’i !
...
Ma Poeiti ne dort toujours pas, elle est même si bien éveillée
qu’elle m’arrête et me dit presqu’en pleurant :
—Tu sais Mémé, j’aime pas la frroumi, elle est pas gentille. J’ai pitié
de la cigale
...
Quelques jours plus tard, Poeiti aperçoit une traînée de fourmis
laborieuses se déplaçant à toute allure le long de notre garage. A leur
vue, notre Poeiti
fonce sur la colonne de petites bêtes innocentes, les
piétine rageusement et dit :
—Vous n’êtes pas gentilles, vous n’avez pas donné à manger à ma
copine la cigale !
Mon histoire s’arrête là.
J’ai par la suite essayé de l’arranger avec ma petite fille pour ne
pas qu’elle garde une certaine rancoeur envers Ro iti. Alors, comme il
s’agit ici d’une cigale et d’une fourmi tahitiennes avec chacune un grand
cœur, je les ai réconciliées autour d’un bon maa tahiti, préparé
ensemble avec bonne humeur, arrosé de pape haari mais surtout,
accompagné de chansons, de duos et de ‘ori tamure endiablés...
Ainsi, devenues amies, elles décident de se revoir, de s’entraider, de
s’inviter, et surtout lorsque Perete’i chantera pourquoi pas Ro iti dansera...
Poroi Elisabeth
69
Littérama’ohi N°10
Marie-Hélène Villierme
EXTRAIT DE
TANGATA
Une communauté polynésienne
Dans les îles des Tuamotu et Gambier, sur des espaces de terre
restreints entre ciel et mer, la vie tient à un équilibre précaire. Les attitudes et les poses se perpétuent, mais la gestuelle se transforme au fil
des générations. Qu'est ce qui fait une communauté ? Son histoire collective. Cette histoire appartient à
l’individu et lui-même appartient à
l’histoire de sa communauté.
TANGATA tente de dessiner la trame visible communautaire et les
liens universels qui unissent les êtres. Mémoriser en quelque sorte un
langage corporel, passé et présent, qui serait comme la manifestation
d’une expression symbolique et intemporelle de la communauté, la photographie d’un héritage.
Aux Tuamotu, le temps semble être régi par d’autres lois que celles
imposées par le mode de vie occidental, les corps s’ajustent sur d’autres
rythmes. La peur n’a pas de prise sur les individus, pourtant la communauté entière peut être en proie à des paniques collectives. Des cyclones,
des morts inexpliquées, des coups de folie, des épidémies, qui touchent
la communauté peuvent la faire basculer très vite dans un état d’incertitude et de vulnérabilité. C’est le tribut des petites communautés. Elles gardent en mémoire leurs histoires et leurs blessures; les cicatrices chez les
individus restent quant à elles muettes, elles endurcissent le caractère.
Après deux expéditions tâtonnantes, j’ai compris que si je voulais
voir se manifester la communauté, il me fallait être là à des moments
particuliers de la vie sociale ou religieuse, des moments forts, qui l’activent et la rendent saisissable.
70
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
Les fêtes de Pâques représentent un des moments les plus importants pour la communauté chrétienne catholique, majoritaire dans l’ar-
chipel. Processions, prières ou louanges sont autant d’occasions pour
exprimer sa ferveur et sa joie de vivre. Les hommes et les femmes se
montrent tels qu’ils ont choisi de paraître, rivalisant de coquetterie. La
gestuelle devient communion, la ferveur relie les êtres le temps de la
célébration.
L’enfance... Grandir aux Tuamotu, c’est avant tout jouer dans l’eau,
à toute heure du matin, de l’après-midi. C’est aussi être initié au travail
des adultes, apprendre très tôt à reproduire les gestes des aînés, être
sous la surveillance des grands-parents, se poser tantôt chez une tante,
tantôt chez un cousin... En fait, élargir son terrain de jeu et d’apprentis-
sage au-delà de la cellule familiale minimale et d’une seule autorité, tre
enfant dans ces îles, c’est aussi parfois mûrir très tôt, avoir la responsa-
bilité des plus jeunes, être éveillé aux réalités quotidiennes, porter sur
soi les années que l’on a pas encore.
Marie-Hélène Villierme
TANGATA, une communauté polynésienne,
Livre de photographie, 180 pages, 196 photos noir et blanc,
Editions Le Motu, décembre 2005
71
Littérama’ohi N°10
Michèle De Chazeaux
EXTRAIT DE
«
CHRONIQUE À MALICE »
C’est un bien bel album de photos en noir et blanc, un bien beau
livre dont hier Marie-Hélène Villierme faisait la signature. Tangata offre
un voyage hors du temps dans l’archipel des Tuamotus et aux
Gambiers. Hors du temps parce que les hommes, les femmes de tous
âges, les enfants, les adolescents, tous vivent ià comme on ne vit plus
ici, comme on n’a jamais peut-être vécu sur les îles hautes.
Ce qui frappe, c’est la force du lien qui existe toujours entre la
nature et les hommes. La mer, le lagon invitent nécessairement à la
pêche, à une pêche quotidienne : les femmes lancent la ligne, les
hommes le filet, les enfants cherchent et jouent avec les coquillages. Ici
Auguste assis dans l’eau ouvre les bénitiers, là, c’est un pêcheur qui a
retourné sa pieuvre et le parc à poissons permet au village de choisir
sa
nourriture.
Sur les atolls, le cocotier est roi, dont les noix vont être bien utiles
pour alimenter le feu du four à chaux. Marie-Hélène a eu la chance de
suivre en Juin 2004 à Napuka la construction d’un four à chaux. Le
père Christophe en avait lancé l’idée afin que l’église soit rénovée et
retrouve son matériau d’origine et heureusement Papa Marau, 73 ans,
n’avait pas oublié le secret de sa fabrication. N’avait-il pas au long de sa
vie assisté à la construction de cinq fours communautaires mais la dernière fois, c’était il y a 50 ans
Notre auteur
!
photographe a suivi jour après jour, geste après
geste, ce travail auquel a participé toute la communauté de Napuka et
c’est l’occasion pour elle, pour nous de suivre ces travailleurs en image.
Là, c’est un champ de noix de coco coupées en deux qui seront disposées selon un ordre bien établi, d’abord une couche face ouverte,
précise Marie- Hélène, vers le haut, la suivante face ouverte vers le bas
72
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
et ces premières couches sont si importantes qu’elles portent un nom :
« Te Tai Vahiné »
pour la première, en Paumotu, « TeTagitama », « Te
Tai Tane
» ou «
Te Tagitamatika » pour la seconde.
Marie-Hélène
a su
saisir les instants
matériels, mais aussi, en
artiste et
ethnologue, les attitudes et les regards, la curiosité des
jeunes, la fierté de tous lorsque après 4 jours de travail, le feu brûle les
coraux choisis avec soin. C’est que ce n’est pas une petite affaire que
de renouer avec cette activité aujourd’hui menacée de l’oubli par la
modernité, menacée pas vraiment car Papa Marau a transmis son
savoir à son fils, aux habitants de l’île. Papa Marau, photographié plusieurs fois, a gardé la minceur des gens qui ont vécu sobrement et paisiblement, je l’espère ! Beau visage de cet homme dont le regard à travers les lunettes demeure si présent, si direct, dont les mains ont
conservé l’énergie du travail, la force et l’adresse que celui-ci réclamait
la plupart du temps. Marie-Hélène explique, commente ses photos, et
j’aime ses textes riches et sobres à la fois, toujours respectueux et discrets quand elle parle de ces habitants qui l’ont accueillie et lui ont permis de partager cette vie, inévitablement communautaire. On est trop
peu nombreux pour s’isoler et vivre égoïstement en ermite ! On grandit
ensemble, devant les parents, on travaille ensemble pour survivre, on
se retrouve pour se distraire, échanger des propos quotidiens ; on sait
tout ce qui se passe au jour le jour sur l’atoll, on est toujours sous le
regard d’un autre, des autres ! Cela tisse des liens, entretient des rapports particuliers entre les générations ; les anciens observent et guident d’un simple clin d’œil, d’un imperceptible mouvement de la main,
de la tête, l’enfant qui tâtonne et s’initie maladroitement à extraire la
chair de la noix ou à accrocher le bon appât à la ligne. Vivre ensemble,
c’est aussi vivre au même rythme. Quand c’est le « jour du Seigneur »,
c’est toute l’île qui s’habille, rentre à l’église, chante et prie. Belle occasion pour Marie-Hélène de fixer des visages recueillis, des femmes
assises à l’extérieur, à même le sol, comme inspirées par ces chants qui
s’envolent de l’autel. Perdues dans leurs prières ou dans leurs rêves,
elles ont donné à leurs corps une pose qui les libère de la fatigue de
73
Littérama’ohi N°10
Michel De Chazeaux
l’immobilité et les assure d’un certain confort. Les enfants manifestement
font ce qu’ils peuvent, dans leur toilette du Dimanche pour imposer à leur
visage la piété religieuse qui conviendrait mais la vie est là qui donne
envie de jeter un regard à la copine ou de tourner la tête vers ce bruit de
missel qui tombe ou vers cette voix qui chante si haut, si juste !
Dans cette communauté, petits et grands se mélangent ; les petits
roulent, en équilibre sur les vélos des grands et les grands, bon gré mal gré,
doivent se charger des petits.
Et la vie est là, hors du temps, pour nous qui vivons dans le fracas
des voitures, des engins, nous qui courons sans nous regarder, sans
voir, nous qui ne savons plus partager et travailler ensemble.
Hors du temps. Oui, mais aussi dans son temps ! La perliculture a
nous
changé les habitudes, a lancé de nouvelles activités, d’autres va et
vient, a fait venir des gens d’ailleurs, d’autres îles mais la mer est là qui,
à tous l’immensité de son espace. La population
observe ces nouveaux venus, les accueillent au quotidien, sachant que
généreuse, offre
l’avion désormais, viendra plus souvent, peut-être ; pour eux. Et c’est
bien ! On ne s’habitue pas encore à l’atterrissage de l’ATR, c’est tou-
jours un évènement que les jeunes ne veulent surtout pas manquer !
Emerveillement devant cette technologie volante ou rêve de cette île de
Tahiti que l’on aimerait bien connaître un jour ? Qu’importe à quoi l’on
pense, l’essentiel, c’est d’être là !
Comme il faut être là aussi à l’arrivée de la goélette pour voir ce
qu’elle charge et décharge, qui descend, qui s’en va, pour rencontrer
les marins avec qui échanger les dernières nouvelles, auprès de qui on
apprend qu’il existe une autre façon de vivre.
C’est sur ces images d’activité fébrile sur le quai de Takaroa ou de
Fakarava que Marie-Hélène ferme son ouvrage, un ouvrage où les photos se veulent être le reflet sans nostalgie inutile, d’une humanité à fleur
de sourires, de gestes, de regards, de poses typiquement polynésiennes. Organisées autour de textes que résument de simples verbes,
«
74
Grandir, Concourir, Célébrer, Bâtir, Récolter, Etre et Relier.. », ces
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
images racontent une histoire, une histoire d’hommes, de femmes,
d’enfants, d’adolescents, l’histoire d’une communauté qui a su ou dû
s’accommoder, seule, d’un environnement exigeant et si beau !
Tangata, un ouvrage qui fait autant rêver que réfléchir.
Michèle De Chazeaux
(Extrait de « Chronique à malice »,
Emission radiophonique, 18-12-2005.)
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Littérama’ohi N°10
Scott Howell
L’auteur
Né à Papeete, le 13 janvier 1982, Scott Teupootamatea Howell poursuivra, après avoir passé |e
plus clair de son enfance à Punaauia, des études d’arts plastiques à l’UFR Saint Charles (Paris 1,
Panthéon-Sorbonne).
Extrait de son mémoire de maîtrise intitulé « Le jardin secret de la mort », le récit qui vous est
livré, participe à une volonté, présente dans l’ensemble du traité, de restituer le processus de création qui l’aura déterminé à concevoir un monument funéraire collectif alors que son idée première
était de réaliser son tombeau. Parce qu’elle rend, mieux que nul autre exposé académique, fidèlement compte du chemin de pensée d’un artiste et favorise, ce faisant, la parfaite compréhension
de son œuvre, la valorisation du processus choisie pour ses atouts pédagogiques s’agissant d’un
art qui se veut social, et donc accessible au plus grand nombre, lui permettra par ailleurs de mettre en exergue la part du sentiment et de l’idée dans l’art. Bien que le travail de réflexion qui sous-
tend sa pratique créatrice ait mobilisé l’essentiel de ses efforts, pour s'alimenter dans des connaissances pluridisciplinaires, telles que la pensée philosophique, la psychologie, la sociologie, l’anthropologie, l'esthétique, l’histoire de l’art et, en l'occurrence, celle de l'évolution des attitudes des
hommes devant la mort, Scott fera la part belle au sentiment, dès lors qu’il trouvera dans le jaillissement d’une émotion puisée dans ses souvenirs d’enfance l’élément déclencheur d’un procèssus qui le conduira à imaginer un langage plastique capable de fonctionner à un niveau inconscient. Celui-ci deviendra le support d’une architectonique organique, qui tout en offrant un parcours à la douleur, nous inciterait à explorer les domaines subtils de la vie spirituelle sur la marge
des deux espaces où s’articule la métamorphose en infini de la mortalité pure. Proposer à l’homme
de ce troisième millénaire un lieu de mémoire en accord avec l’esprit de son temps, dans un
espace démocratique et transculturel, qui se veut invitation à un itinéraire individuel et collectif,
dont le terme serait la réalisation de l’humain intégral, telle est l’ambition affichée de cette œuvre,
qui surpasserait dans un excès de signification sa vocation liminaire pour devenir l’activateur et le
lieu d'ancrage des valeurs émergentes porteuses d’avenir, telle la conscience naissante de la
responsabilité de chacun dans l’avenir de l’humanité, cette phénoménale conscience de partager
le même destin, qui remet inévitablement en lumière l’unité du genre humain, l’unité de l’homme
avec le cosmos, comme au demeurant, l’unité de l’individu. Bien qu’a priori anodine une fois sortie
de son contexte, la petite histoire qui nous est narrée en forme d’hommage soutenu à celui qui
inspirera ses réflexions sur la vie et la mort, n’en aura pas moins une influence déterminante sur
la démarche de ce jeune artiste.
<è
76
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
J’AVAIS HUIT ANS...
OU
LE TEMPS DE L’INNOCENCE RAVIE
Je devais avoir huit ans lorsque je fus, pour la toute première fois,
confronté à
ELLE
Flanqué de mon cousin et ami de toujours,
Heiava, nous nous apprêtions, comme à notre habitude, à rendre visite
à notre grand-oncle, Papi Jo...
«
».
Nous vouions une réelle vénération à ce vieillard, dont la présence
chaleureuse et rayonnante d’amour avait fait de notre enfance un véritable enchantement. Habitant la propriété voisine, c’est dans ses bras,
toujours prêts à nous offrir un abri réconfortant, que les garnements
pleins de, malice que nous étions alors, couraient se réfugier pour
échapper au courroux de nos tantes, oncles et parents. Personne ne
s’est jamais avisé de contrer ce patriarche aimé et respecté de tous. J’ai
beau sondé ma mémoire, je ne me rappelle pas l’avoir jamais vu manifester le moindre signe d’impatience à notre égard. En aucune circonstance, cette belle âme solitaire, - hormis un vieil ami, rongé par la
lèpre, en compagnie duquel il aimait fumer un gros cigare, papi Jo recevait fort peu -, ne nous aura laissé le sentiment de l’importuner. Bien
qu’il parlât peu, avec lui, les choses les plus banales étaient magnifiées,
lorsqu’elles ne se paraient pas d’un sens sacré. Comment oublier les
longues heures passées en sa compagnie, à scruter, prostrés dans un
silence quasi-religieux, ses mains expertes, évidant d'un geste assuré
le tronc d’un arbre, qui fera, quelques journées de paisible labeur plus
tard, place à une fière pirogue, notre première pirogue. Et quelle joie
lorsque nous la mîmes à l’eau, armés de nos hameçons, pour pêcher
les poissons du lagon. De la même façon, je le vois encore, venant à
notre rencontre au sortir de l’école, ses quatre teckels collés à ses
basques et, juché sur son épaule gauche, un poussin qu’il avait recueilli
blessé. Celui-ci poursuivra tranquillement sa croissance, sans jamais se
77
Littérama’ohi N°10
Scott Howell
décider, même adulte, à abandonner ce bien singulier perchoir, pour
rejoindre les colonies de volatiles de la même espèce qui migraient de
propriété en propriété. Vu de là haut, la vie de poule paraissait visiblement
présenter peu d’attrait pour notre petite cocotte, comparée à la chaleur
protectrice de l’épaule de son bienfaiteur. Etrange vision que celle de ces
deux êtres qui ne semblaient faire qu’un ! Je me souviens aussi, comme
si c'était hier, de nos expéditions ubuesques dans la cocoteraie, lui au
volant de sa grande jeep américaine, cocotte qui se découvrait une âme
d’épervier dans ces circonstances, agrippée à son épaule, plumes au
vent, et nous, au milieu des chiens, dans la remorque, brandissant gaillardement les sabres qu’il avait façonnés de ses mains habiles vers le
ciel, un « pareo » jeté sur nos épaules en guise de cape. Nous étions les
maîtres de l’univers, commandant le ciel et la terre, les étoiles et la faune
lagunaire, défiant, avec la détermination des justes, d’hypothétiques
ennemis d’oser venir nous affronter, tandis que Papi Jo faisait de longs
moulinets entre les cocotiers... pour faire durer le plaisir. Il semblait, pour
tout dire, vivre hors du temps, épargné par les affres et la décrépitude, qui
constituent parfois le lourd tribut payé à la vieillesse. Seuls sa splendide
chevelure blanche, qui formait un contraste des plus seyant avec sa peau
couleur ébène, et les quelques petits plis qui s'étaient installés au-dessus
de ses genoux, trahissaient son grand âge. Malgré la grande fortune que
lui avait laissée son père, un américain tombé sous le charme envoûtant
de nos îles tropicales, il vécut simplement, au rythme de la nature, mariant la vanille au petit matin et distribuant force graines aux nuées
d’oiseaux qui se rassemblaient sur le toit de notre demeure le soir venu,
avant de chercher refuge, dans un concert de piaillements qui ravissait
nos coeurs, dans le feuillage épais de nos majestueux letchis ; ces même
letchis qui abritaient notre cabane, une cabane tout droit sortie de l’univers fantastique de « Robinson Crusoé », que Papi Jo avait spécialement aménagée à notre intention. Et lorsque l’astre du jour terminait sa
course derrière « Moorea la belle »1, dans un sursaut de couleurs
1 Moorea : île voisine de l’île de
Tahiti, visible depuis la côte ouest de cette dernière.
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Dossier : Diversité culturelle et francophonie
chatoyantes, bientôt absorbées par l’onde crépusculaire, nous restions
assis à ses côtés, sur le rebord de la terrasse, observant les étoiles en
silence, jusqu’à ce que soit donné le signal du dîner... Rien ne semblait
devoir altérer ce bonheur tranquille.
Ce jour là, cependant, tandis que nous approchions de la maison de
Papi Jo, une maison coloniale pleine de charme noyée dans une luxuriance de fleurs, plantes et arbres tropicaux, qui diffusaient généreusement leurs senteurs
exotiques, nous fûmes progressivement envahis
par le sentiment insolite que quelque chose d’inhabituel s’était produit.
D’ordinaire ouverte aux quatre vents, elle était close, les baies vitrées
donnant sur la terrasse fermées et les rideaux tirés. Tout aussi vide était
le hamac suspendu dans un recoin de la terrasse, sur lequel Papy Jo
avait coutume de
nous
attendre après sa sieste avec, sur une table
proche, une carafe de limonade « Singapour », boisson très appréciée
des enfants, et trois verres. Nulle trace de tout cela, pas plus que de
cocotte. Pourtant ses quatre teckels étaient bien là. Papi Jo ne partait
jamais sans eux. Alors que notre vue rendait ces derniers habituellement très fébriles, ils restaient prostrés à terre, singulièrement insensiblés à notre présence. Tout juste s’ils daignèrent nous décocher un
regard en biais, accompagné d’un long soupir. Nous eûmes beau
appeler Papi Jo, jusqu’à en épuiser nos cordes vocales, rien n’y fit.
Tandis que nous nous dirigions, de guerre lasse, vers le bassin à
tortues, avec l’espoir de l’y trouver, sa compagne, qui habitait une maison située à l’extrémité ouest du domaine, alertée
par nos cris, vint à
notre rencontre. « Tamarii »2, nous dit-elle, « il est inutile de crier ainsi ;
Papi Jo est mort. » « Ua ta’oto ? » 3 ânonnions nous désorientés. Il est
vrai que nous ne pouvions réaliser immédiatement toute la portée de
ces deux petits mots, les polynésiens utilisant le même terme
pour
désigner la mort et le sommeil, considérant qu’au cours de celui-ci
l’âme peut quitter temporairement le corps, notamment lors de sa phase
2 Tamarii : mot tahitien
3 Ua ta’oto :
signifiant « les enfants ».
expression signifiant « il dort ».
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Littérama’ohi N°10
Scott Howell
onirique, pour vagabonder de ci de là. Tati Alice entreprit alors de nous expliquer que le temps était venu pour Papi Jo de rejoindre ses « tupuna »4 et
d’entreprendre le long voyage vers le pays des morts. Et d’ajouter
qu’afin que son fils, - qui demeure aux Etats-Unis-, puisse nous rejoindre pour participer aux obsèques, son corps avait été déposé à la
morgue. A l’évocation de ce lieu, qui m’était pourtant inconnu, je sentis
un long frisson pourfendre mon corps. Toute lueur d’espoir s’évanouit
brutalement, laissant prise à une douloureuse confusion. Comment
était-ce possible ? Papi Jo ? Hier encore si vivant ! Ne nous avait-il pas
promis de nous emmener dans la presqu’île.5 Incompréhension et consternation se disputaient la vedette, pour finir par céder la place à un
profond sentiment de révolte. « Ce n’est pas juste ! » hurla Heaiva,
étouffant un sanglot dans la gorge, avant de s’enfuir dans la cocoteraie.
Je lui emboîtai le pas, incapable d’articuler le moindre mot.
Désemparés, nous errâmes pendant de longues heures, traînant désormais sans but, nos misérables carcasses d'un bout à l’autre du
domaine, soulevant çà et là de grandes gerbes de sable en tapant
rageusement le sol, jusqu’à ce que l’épuisement ait raison de nous.
Enfants rois nous fûmes, enfants désenchantés nous étions. Que les
premiers furent éphémères et ô combien douloureux fut l’apprentissage
des seconds.
Le soir venu, nous nous rendîmes à la morgue. Le pasteur nous y
attendait, accompagné d’une chorale. En franchissant le seuil de la
porte, j’aperçus le corps inanimé de Papi Jo, figé dans un costume gris
anthracite, agrémenté d’une cravate noire. Je me surpris à songer que,
de son vivant, personne n'aurait jamais pu le persuader à revêtir un tel
déguisement. L’office se déroula simplement, ponctué de « himene »6
vibrants. Assis à même le sol, au milieu de mes cousins et cousines, je
4
5
Tupuna : terme désignant la lignée des ancêtres.
Papi Jo possédait une maison dans la presqu’île de Tahiti, un endroit encore préservé par la civil-
isation, sans route ni électricité, que nous affectionnions par dessus tout.
6
Himene : chants, cantiques accompagnant les cérémonies traditionnelles.
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*
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
ne le quittai pas un seul instant des
yeux, escomptant un miracle. Nous
avions fait le serment, Heiava et moi-même, de mettre toute notre
énergie dans une prière : « S’il te plait, mon Dieu, rend-nous notre bienaimé Papi Jo. De temps à autre, Heiava lançait un regard furtif dans ma
direction,
s’assurer que je n’avais pas oublié ma
promesse. Je soulevais les sourcils d’un air entendu, pour le rassurer.
Je ne saurais dire combien de fois, je répétai cette supplique en y mettant, avec la force du désespoir, tout mon coeur et toute mon âme. En
vain ! Tandis que je me livrais à une ultime tentative, je sentis la main
de ma mère sur mon épaule. « C’est fini. Nous rentrons ! », me dit-elle,
visiblement très émue. Cette nuit là, je m’endormis, une photo de Papi
comme
pour
Jo collée contre mon coeur.
La journée qui suivit nous parut interminable. Afin d’oublier le chagrin qui nous tourmentait, nous nous mîmes en quête de retrouver
cocotte. Aucun massif, aucune haie, aucun fourré, pas même les
branches des nombreux arbres qui peuplaient nos propriétés, n’échappèrent à notre vigilance. Cocotte demeurait désespérément introuvable.
Nos investigations nous avaient mené jusqu’à la plage, lorsque nous
fûmes interrompus dans nos recherches par Papa Sapue, un vieux
pêcheur qui habitait une modeste cabane près de la pointe connue sous
le nom de « pointe des pêcheurs. « Que faites-vous, les enfants ? »,
lança t-il à notre adresse. « Nous recherchons cocotte ! », lui répondisje. « Venez ! », dit-il simplement, nous invitant d’un geste de la main à
le rejoindre à l’ombre du « tamanu »7 sous lequel il s’était confortablement installé. Il faut savoir que tout le monde se connaissait à cette
époque. Il n’y avait pas encore, en ces temps bénis, de séparation
physique entre les propriétés, la végétation dont la nature avait
généreusement pourvu nos îles, formant un écran suffisant pour
préserver l’intimité de chaque foyer. « Vous savez », nous dit papa Sapue
d’un air énigmatique, « les humains ne sont pas les seuls à posséder
une âme. Les oiseaux, les requins, les cochons, en ont également une.
^Tamanu : arbre poussant le long des plages, dont les noix possèdent des vertus médicinales.
81
Littérama’ohi N°10
Scott Howell
Il arrive même qu’un être humain partage une âme avec un autre être,
voire parfois un objet inanimé. Leur destin est alors intimement lié, et si
l’animal meurt ou si l’objet est abîmé, l’être humain mourra aussi ; et
quelques noix qu’il avait
soigneusement débarrassées de leur enveloppe, papa Sapue ajouta :
« Vous n’avez
pas à vous en faire pour Papi Jo. C’était un homme bon. »
Nous revînmes sur nos pas, à la fois intrigués par les paroles du vieil
homme et réconfortés par la sérénité avec laquelle il envisageait la
mort. Nous allions, pensifs, lorsque je décidai de rompre le silence :
« Crois-tu à cette histoire ? », demandai-je à Heiava. « Non ! », répondit ce dernier, catégorique. « Je n’ai jamais vu quelqu’un partager l’âme
d’un pua’a ‘oviri »,8 ajouta t’il, visiblement très mal à l’aise face à l’évocation de pareille perspective. Fruit d’une double, voire d’une triple culture, j’ai toujours été frappé par l'étonnante aptitude des Polynésiens à
ne vouloir croire, - fussiez-vous en mesure de leur administrer la preuve
contraire -, qu’en ce qu’ils voyaient ; en particulier, lorsque la réalité évoquée leur déplaisait. Bien qu’en l’occurrence il n’existât aucune preuve
matérielle permettant d’accréditer la véracité d’un tel phénomène, pas
plus au demeurant que de l’infirmer, ni je ne rejetai cette théorie, ni je
ne la fis mienne, laissant le champ libre à une éventuelle compréhension future de ce qui m’apparaissait ressortir aux mystères de la vie,
inaccessibles, du moins pour l’heure, à la seule raison. « Copernic, et
dans sa foulée, Galilée, » me disait toujours ma mère « ont été mis à
l’index pour avoir bouleversé la vision que leurs contemporains se faisaient de l’univers. L'histoire de la pensée est pleine de rebondissements. Gardes toujours un esprit ouvert et vigilant.»
inversement.
»
Tout
en
nous
tendant
Kim, le fils de Papi Jo, arriva le lendemain. Les premières lueurs de
l’aube faisaient une apparition timide, balayant le tarmac de cette ineffable luminescence qui précède l’apparition de l’astre du jour, lorsque
son
avion,
un
boeing 747, se posa sur la piste, dans un vacarme
® Pua'a ‘oviri : cochon
82
sauvage.
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
assourdissant. La famille au grand complet l’attendait pour le couron-
»1.
ner.9 Sur le chemin du retour mon père l’entretint des circonstances du
décès de Papi Jo. Il n’y avait pas grand chose à en dire. Il s’est brutalement effondré, alors qu’il contemplait depuis sa terrasse, assis sur un
banc
aux
côtés de Tati Alice, son indissociable volaille frileusement
calfeutrée sur son épaule, et les chiens à ses pieds,
le rideau d’eau
formé par une brutale averse tropicale, annonciatrice de la saison des
pluies. Vraisemblablement en prise à un malaise subit, il n’a jamais
repris conscience. Son décès fut constaté lors de son arrivée à l’hôpital.
Après un petit déjeuner copieux, d’ordinaire réservé aux dimanches,10
débutèrent les travaux préparatifs de l’enterrement. Parents, amis et
alliés, renforcés par la communauté du voisinage étaient venus
apporter leur aide à la maisonnée. Tandis que les femmes vaquaient
dans la maison, les hommes préparaient le « ahima’a
Les
polynésiens révèlent pour le travail en commun des aptitudes qui forcent réellement l’admiration. Les groupes se forment spontanément,
chacun y trouve sa place, intègre son rôle et accomplit sa tâche, dans
un ballet incessant de va et vient, sans qu’aucun d’eux ne gêne le travail des autres et sans le moindre échange verbal, la gestuelle devenant
communication. Tout se passe comme dans une chorégraphie merveilleusement orchestrée. Sans doute faut-il y voir un l’héritage d’un
mode de vie communautaire, qui n’avait pas encore totalement cédé le
pas à l’individualisme forcené des sociétés occidentales. J’étais alors
loin de me douter que je vivais une époque qui voyait s’éteindre les plus
anciens, et avec eux, des pans entiers de l’âme d’un peuple, dont l’identité culturelle.
® Il est
d’usage en Polynésie d'accueillir les visiteurs avec des colliers de fleurs.
^ Les
petits-déjeuners du dimanche s’enrichissent d’une multitude de mets traditionnels.
11 Ahima’a : four
polynésien traditionnel réalisé à même la terre, dans une grande cavité rectangulaire, garnie de roches volcaniques chauffées à blanc et recouvertes d’un tapis végétal sur lequel
sont déposés les mets, avant d’être couverts pour une cuisson à l'étuvée.
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Littérama’ohi N°10
Scott Howell
Les enfants sont, dès leur plus jeune âge, associés aux travaux,
dans une société où l’apprentissage est basé sur l’observation. Comme
tous les autres, je faisais ma part de travail, râpant assis à califourchon
sur un «
‘ana ha’ari »,12 les cocos, dont les « marnas » allaient extraire
le lait pour agrémenter le poissop cru à la tahitienne ainsi que les divers
«
po’e »13 confectionnés à l’occasion des grands banquets. L’attention
que requérait ce travail m’évitait de penser.
Puis vint le moment tant redouté. Après une douche rafraîchissante,
je regagnai la maison de Papi Jo avec mes parents. Le grand salon avait
été débarrassé de ses meubles pour accueillir, comme le veut la tradition, la dépouille du défunt. Une foule nombreuse s’y pressait déjà,
débordant sur la terrasse et le jardin alentour. Après les salutations
d’usage aux convives arrivés en dernier, qui prenaient parfois une intensité oppressante dans les bras vigoureux de quelque matrone mue par
une compassion étouffante, je m’inscris dans la file qui s’était formée
pour saluer une dernière fois Papi Jo. Il est d’usage en Polynésie de
témoigner au mort les signes d’affection qu’on lui prodiguait de son
vivant. On lui parle, on le cajole, on l’embrasse, le tout avec un parfait
naturel. Lorsque je fus suffisamment avancé pour apercevoir la
dépouille de Papi Jo, reposant au milieu d’une débauche de fleurs,
j’avoue avoir été touché par ce rituel bon enfant que je découvrais. Ce
n’est qu’une fois arrivé à sa hauteur que je fus saisi par un haut le coeur.
Son séjour prolongé dans la chambre froide avait eu raison de son teint
qui semblait s’être pénétré des couleurs de son costume. Je ne pouvais
m’empêcher de penser que s’il subsistait quelque chose de Papi Jo, ce
n’était certainement pas dans cette chose appelée « cadavre ». Il aura
fallu toute la force de mon amour pour me résoudre à déposer un
dernier baiser sur son front, avant de rejoindre Tati Alice, qui m'avait
invité du regard à m’asseoir à ses côtés.14 Vêtue d’une robe « marna
^ Ana ha’ari :
siège très bas se terminant par une râpe ronde.
^ 3 Po’e : dessert
14 Le
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polynésien confectionné avec des fruits locaux écrasés et de l’amidon, cuits au four.
langage des yeux est, chez les Polynésiens, une forme de communication couramment usitée.
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
»15 blanche, elle
paraissait terriblement absente, enfermée telle
regard perdu au loin, dans une raideur consubstantielle à l’effroyable indifférence qu’elle paraissait afficher. Troublé, je
songeais alors que cette froide apparence n’était qu’un masque destiné
à dissimuler son désarroi et lui pris la main. Le pasteur, que son apostolat avait sans doute familiarisé avec la mort, professa à grand renfort
de versets bibliques, dans une longue homélie réputée adoucir la souffrance de ses ouailles, la glorieuse destinée promise aux enfants de
Dieu, pour finir par vouer les hérétiques aux flammes de l’enfer, le tout
dans la plus parfaite équanimité. Prenant le relais du prédicateur, la
chorale entonna un puissant « Gloire à toi Seigneur », lorsque mon
regard se posa sur Papi Jo. J’en étais à penser que s’il devait y avoir un
fond de vérité dans ce prêche, je n’avais pas à me soucier de son sort,
quand j’aperçus soudain, à l’extrémité de son oeil droit, se former une
larme, qui s’enfla doucement, avant de s’écouler sur sa joue. J’eus beau
me raisonner en me disant qu’il ne s’agissait là de rien de plus qu’un
effet du dégel de son corps, activé par la température ambiante, je n’en
étais pas moins bouleversé. Je sentais ma gorge se nouer, mais ravalai
aussitôt mes larmes en me souvenant que ma mère m’avait dit que Papi
Jo serait très peiné de me voir pleurer. « Cela, m’avait-elle affirmé, l’empêcherait de faire sa transition dans le monde de l’au-delà auquel il
appartenait désormais. » « Tu vois Papi Jo, je ne pleure pas. Tu peux
aller en paix. Nous veillerons sur Tati Alice et Bobo, Sany, Fripouille et
Toere...et cocotte... quand nous la retrouverons. Si seulement tu pouvais nous dire où elle se trouve. » Ce dialogue intérieur eut sur moi des
vertus inattendues. Je fus gagné par un profond sentiment de soulagement. J’avais renoué le lien avec Papi Jo. C’était comme s’il continuait à
vivre en moi. J’observais à cet instant, non sans une pointe d’amusement, que ma mère, merveilleuse conseillère, avait trempé son mouchoir de ses larmes, « de quoi », dira mon père plus tard « abreuver
toute une caravane de dromadaires assoiffés » Après un ultime adieu
ruau
une statue de marbre, le
.
Robe mama ruau : robe dite « missionnaire » généralement portée par les femmes d’un certain
âge.
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Littérama’ohi N°10
Scott Howell
à Papi Jo, son corps fut mis en bière et porté par les hommes les plus
vigoureux dans le corbillard, tandis que les femmes emportaient les
fleurs. Un cortège s’était formé, accompagnant la lente progression du
char funèbre vers le proche cimetière de la pointe des pêcheurs. Là, le
cercueil fut déposé sur des planches placées sur un trou profond creusé
à même la terre. Après une dernière
prière, les anciens et certains
proches, parmi lesquels mon père, prirent la parole. Il est étonnant de
voir combien les Polynésiens, d’ordinaire peu prolixes, excellent dans
l’art oratoire. Fêt. Nat.,16 qui avait consenti le long trajet depuis la
presqu'île, accompagné de son épouse et de sa nombreuse progéniture, narra sa rencontre avec Papi Jo et toutes les bontés dont il avait
bénéficié de sa part. Ami des bêtes, Papi Jo était autant celui des
hommes, n’hésitant jamais à venir en aide aux plus démunis, donnant
encore et toujours, sans la moindre attente. « Un jour » racontait Fêt.
Nat. « alors qu’une tempête d’une intensité exceptionnelle avait eu raison de ma pauvre maison, me laissant profondément abattu, je vis un
speed boat jeter l’ancre dans le lagon. Je reconnus aussitôt Papi Jo.
S’avançant vers moi, il me remit sans autre formalité la clé de sa maison. Puis, contemplant les ruines de ma demeure, il me demanda tranquillement : « Combien te faut-il pour reconstruire ta maison ? » Après
un instant de réflexion, je lui avançais un chiffre. Sans un mot, Papi Jo
remplit aussitôt un chèque qu'il glissa dans la poche de ma chemise en
me tapotant l’épaule et s’en retourna à son bateau avant que je n’aie eu
le temps de réaliser ce qui m’arrivait. Reprenant mes esprits, je m’écriai :
« Je ne sais
pas quoi te dire ! » « Ne dis rien. » répondit simplement
Papi Jo. Il m’avait donné plus qu’il n’en fallait pour m'offrir une nouvelle
maison. « Achètes des vêtements pour tes enfants.» rétorqua t-il lorsque
j’entrepris de lui restituer le reste.» Les témoignages fusèrent, plus
émouvants les uns que les autres, avant que le cercueil ne soit plongé
Fêt. Nat : l’introduction de l’état civil en Polynésie s’étant, dans un premier temps, accompagnée de la nécessité de choisir un prénom français, le calendrier fournissait un précieux support aux
indigènes, alors peu accoutumés à ces derniers. C’est ainsi que la communauté polynésienne
compte en son sein des individus répondant au charmant prénom de Fêt. Nat., pour ceux nés le
14 juillet.
86
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
dans les profondeurs de la terre, bientôt jonché d’un tapis de « tiare ».
De retour à la maison, après avoir troqué leur costume d’apparat contre
short, les hommes se mirent en charge d’ouvrir le « hima’a », tout en
prenant l’apéritif, dans une ambiance encore marquée par la gravité qui
un
avait prévalu tout au long de cette journée. Les mets furent disposés
dans des plats et déposés sur une longue table recouverte d'une nappe
blanche et de fleurs posées ça et là, pour le plaisir des yeux. Tandis que
les tablées se formaient, les langues commencèrent à se délier. Les
souvenirs heureux firent, l’alcool aidant, place aux histoires drôles. Je
surpris à rire de bon coeur, partageant l’euphorie générale qui avait
progressivement gagné l’ensemble de l’assistance. MêmeTati Alice faillit suffoquer de rire. J’étais loin de m’attendre à un tel dénouement. La
vie semblait reprendre ses droits avec une facilité pour le moins surprenante. Etrange animal que l’humain, me mis-je à penser, tantôt rieur,
tantôt pleureur, si ce n’est les deux à la fois.
me
La nuit était fort avancée lorsque les convives s’en allèrent. Ceux
venus
des districts les plus éloignés furent logés dans les différentes
demeures familiales, qui dans les chambres, qui dans les salons, tant et
si bien que les terrasses elles-mêmes furent transformées en dortoirs ;
qui n’était pas fait pour me déplaire. Prenant place sur un « pe’ue »,17
confortablement pelotonné dans un lit de coussins douillets et hauts en
ce
couleurs, chantant l’amour de nos mamies pour la flore exubérante de
nos îles, je fixais la pénombre qui enveloppait la végétation environnante, regardant les ombres se former et se déformer, sous l’effet d’une
douce brise venue de la vallée, en tendant ma main vers elles comme
pour les agripper. Ainsi m’apparaissait alors la mort, semblable à ce
quelque chose d’insaisissable qui se dérobait sous mes mains,
apparence trompeuse d’une réalité qui m’échappait et dont je tentais
confusément d’ériger les contours. J’étais alors loin de soupçonner la
diversité des morts auxquelles nous confronte l’existence. Celle que fut
la perte d’une partie de la propriété de Papi Jo, abandonnée par Kim à
Pe’ue : natte de feuilles de pandanus.
87
Littérama’ohi N°10
Scott Howell
l’avidité d’un promoteur.
Celle que fut la perte de mes fidèles cornpagnons à quatre pattes. Celle que fut la disparition tragique de certains
de mes camarades.
Comme à mon ordinaire, je passai la journée du lendemain avec
Heiava. Nos jeux nous avaient conduits sous l’arbre où Papi Jo avait
l’habitude de bricoler, un splendide spécimen qui dominait d’une bonne
hauteur les trois niveaux de notre maison, dans un déferlement de
longues grappes jaunes, et que Tati Alice avait baptisé «pluie d’or ».
Subitement le visage de Heiava s’illumina : « Ice cream, les enfants ? »,
dit-il un sourire attendri sur les lèvres. C’est toujours ainsi que Papi Jo
annonçait la fin de ses travaux, cédant à l’appel sacro-saint du rituel du
goûter. Je compris, qu’à l’instar des miennes, toutes ses pensées
étaient tournées vers lui. Tout me rappelait sa présence. Tout juste si je
n’entendais pas le son de sa respiration. Et je dois dire qu’aujourd’hui
encore, je reviens avec un plaisir sans cesse renouvelé sur ces lieux
chargés de son souvenir.
Quelques semaines plus tard, alors que je dormais du sommeil du
juste, celui-ci fut interrompu par un rêve. J’étais assis sur la plage, - à l’endroit même où je me rendais quotidiennement, passant des heuçes délectables à me remémorer les bons moments passés avec Papi Jo,
plongeant, de temps à autre, dans un excès de pudeur, dans les eaux
turquoises du lagon, lorsque l’émotion me faisait monter les larmes aux
yeux -, quand une ombre familière se profila sur la plage. C’était Papi Jo,
venant à ma rencontre et, ô surprise !!! Sur son épaule... Cocotte II!
Rayonnante... Une cocotte littéralement transfigurée, qui m'enveloppait
d’un regard plein de tendresse. « Papi Jo, comme je suis content de te voir.
J’ai eu si peur pour toi en apprenant ta mort. Dis-moi, as-tu souffert ? »,
questionnais-je. « Cesse de te tourmenter », répondit Papi Jo, « Ce n’est
rien. Regardes tes peurs en face et tu les videras de leur substance. »
« Mais comment,
Papi Jo ? », m’inquiétais-je. «Essaie ! », répondit-il simplement. C’était de cette façon que Papi Jo ponctuait invariablement notre apprentissage, qu’il s’agisse de fabriquer une nasse, un cha-
88
Dossier : Diversité culturelle et francophonie
peau pour nous protéger des ardeurs du soleil, un panier pour recueillir les fruits du jardin ou encore un balai « ni’au »,18 en somme toutes
qui font partie de la vie des communautés insulaires. Il cornmençait par sélectionner soigneusement les matériaux présents en
abondance dans la nature, tels les bambous, les feuilles de pandanus,
les palmes de cocotier ou encore la bourre de coco, puis débutait l'ouvrage sous nos yeux attentifs, avant de le placer entre nos mains en disant : « Essaie ! » Je n’aurais jamais connu de réveil aussi doux. Tous
mes tourments s’étaient volatilisés comme par enchantement, faisant
place à une indicible sensation de plénitude. La journée était bien
avancée, lorsque revenant d’une partie de pêche, je m’arrêtai sur la
tombe de Papi Jo. Après lui avoir confié tous les bienfaits que m’avait
procurés sa visite nocturne, j’entrepris de lui narrer avec force détails
mes aventures sous-marines, lorsque je réalisai que la nuit était
tombée. Machinalement, mon regard s’égara dans les profondeurs de
la voûte céleste, m’emmenant dans un voyage au coeur de la voie lactée, vers Andromède, Cassiopée et les nuages de gaz, berceau des
étoiles. « Tu te souviens, Papi Jo ? » Puis, ramassant mon masque et
mon tuba avant de prendre le chemin de la maison, je me retournai une
dernière fois pour ajouter : « Ne t’inquiètes, pas Papi Jo. J’essaierai. »
ces choses
De toutes les empreintes,
Celle de l’éléphant est suprême.
De toutes les contemplations de l’esprit,
Celle de la mort est suprême.
BOUDDHAS, cité par RINPOCHE Sogyal,
Le livre tibétain de la vie et de la mort, éd. de la Table Ronde, Paris, 1993, p.51.
Scott Howell
(Mémoire, Le jardin secret de la mort ,
Première partie : Conjectures autour du jardin secret de la mort)
Ni’au : balai confectionné avec les nervures des feuilles de cocotier.
89
Littérama’ohi N°10
Heiata Chaze
JESSICA EST UNE PERLE
J’ai eu la chance d’être son professeur durant sa première année
de lycée, en seconde, à La Mennais. J’ai, heureusement
pour moi, souvent eu la chance d’avoir des élèves que
j'ai admirés. Pour leur regard
tout d’abord
: de beaux yeux
d’enfants qui pensent et qui sourient. Pour
l’intelligence de leurs comportements ensuite : leur modestie, sans
laquelle tout savoir est vain, et leur capacité à admirer ce qu’ils découvrent au lieu de le rejeter. Je ne collectionne pas les «
perles du bac »,
moisson annuelle des âneries des candidats, mais je garde dans mon
souvenir de « vieux professeur de lettres » des perles... des élèves
qui
ont donné du sens à mon travail, qui ont enchanté
(au sens fort) mes
heures de cours et qui nous permettent, à nous adultes, d’espérer.
Pour toutes les Jessica que nous avons croisé(e)s, pour ces élèves
qui se reconnaîtront peut-être, nous savons, nous autres professeurs,
que nous avons choisi le plus beau métier du monde.
Heiata Chaze
Jessica Vanquin
L’auteur
Pendant la nuit du 15 avril
1989, je suis née. Je me présente : Jessica VANQUIN. Je suis une
lycéenne qui, aidée par mon professeur de français, Mme CHAZE, fut aspirée par l’écriture. Au
départ, la littérature était pour moi un univers très grand, mais guidée, je parvins à trouver mon
chemin. A présent j'aime la littérature, j'aime lire et j'aime écrire.
Etant une personne curieuse et réservée, je suis souvent perdue dans mes pensées et ne fais pas
attention aux choses qui se passent autour de moi. Cela fait sûrement de moi la personne la plus
étourdie que mes amis aient connue. La littérature est un refuge, un espoir dans un monde qui
m'est de plus en plus complexe. J’ai souvent été amenée à lire toutes sortes de livres. Au départ,
je ne lisais que des ouvrages scientifiques, tels les encyclopédies de poche. Puis, la découverte
de Stephen King a orienté mes lectures vers le roman puis vers d’autres genres littéraires. J'aime
les écrits de Maupassant et les poèmes de Baudelaire.
Pourtant, j’ai choisi une section scientifique étant donné que j’ai envie de comprendre le monde qui
m’entoure. La connaissance scientifique s’est peu à peu immiscée. Faut-il conclure.que la littérature a perdu de son importance ? Bien sûr que non. La littérature est le messager et le juge des
savoirs et des actions menées par les hommes. Je continue à lire mais je reste dans les classiques.
Je lis particulièrement Giraudoux en ce moment. Mais l’un de mes plus grands loisirs reste le dessin. J’ai commencé à faire des ébauches de bandes dessinées que j’espère reprendre un jour.
Mes écrits sont de simples mots, jetés, lancés, sortis de mon imagination souvent nocturne : ce
sont des pensées personnelles que je veux partager.
Jessica Vanquin
APOLOGUES
«
NOUS SOMMES TOUS COMPTABLES
»
C’est le matin. Je me lève. Il est temps d’aller au travail. Je prends
mon
petit déjeuner, lentement. Cela n’a pas de goût. C’est trop fade, c’est
trop peu. Je sors, ma maison est en ruine. Le ciel n’a pas changé, lui. Il
est toujours
pareil. Je marche droit devant... Je n’ai pas de voiture.
D’ailleurs, qu’est-ce que c’est ? J’arrive au travail. C’est un terrain de verdure. Là encore, pas de bureau, pas de chaise. Je m'assois, par terre. Je
suis comptable. Je compte, sur mes doigts. Un, deux, trois... six... dix...
Je suis heureux car je porte une vieille chemise. Beaucoup n’ont pas
cette chance. Elle pue,
elle est déchirée et bientôt elle disparaîtra,
91
Littérama’ohi N°10
Jessica Vanquin
comme tout, comme d’habitude. Il commence à faire noir. Quelle heure ?
Je regarde le soleil. Lui, il n’a pas changé. Pourtant, il ne me dit pas
l’heure. Et puis, quelle importance de savoir l’heure ? Quelle importance de savoir l’heure dans ce monde qui a oublié son passé.
Tout a commencé un jour où les élèves, à force de protester, à force
de rejeter l’école, ont eu le droit de ne plus y aller. Au début, ils furent
peu nombreux. Puis les professeurs aussi sont partis, puis ce fut la totalité de l’éducation qui disparut.
Le monde continuait de tourner puisque les machines travaillaient
à notre place. Le temps passait et les machines s’usaient. Et puis...rien,
personne. Il n’y avait plus personne pour réparer les machines. Les
livres, délaissés, avaient été détruits ou réduits en poussière par le
temps. De plus, les quelques livres « rescapés » ne servaient plus à
rien car plus personne ne savait lire.
Depuis cet événement, il s’est passé des siècles et des siècles. Le
monde ne cesse de tourner, s’enfonçant de jour en jour dans l’ignorance, dans l’oubli.
Je rentre. Avant, je dois passer chez un ami, je l’ai oublié, encore
une fois. Je devais lui rendre...
j’ai oublié.
Cela n’a pas d’importance. Ni pour moi, ni pour les autres. Ma vie
n'a pas de futur. Pour moi comme pour les autres. Nous sommes tous
comptables. Tous, nous comptons nos derniers souvenirs tous les jours.
Et chaque jour, leur nombre diminue.
Jessica Vanquin
(15 ans, élève de seconde au lycée La Mennais)
92
Ecritures
L’ALCOOL
La lune est si blanche. Pourtant la nuit est si noire. Je cherche. Je
me
noie dans mes pensées. J’arrive au bout du tunnel. La brume se
lève. Les chiens aboient. Le vent se met à souffler. Pourquoi tout est si
confus ? Je trébuche. J’ai mal. Pourquoi suis-je mal à l’aise
? J’ai sûre-
ment trop bu au bar. Oui, je me souviens. Il y a deux heures. Au bar du
quartier, j'étais à une table. En ce moment, je souffre. En tombant, je me
suis entaillé la main. La douleur est brûlante. Elle me brûle. J’ai chaud.
Au bar aussi, j’avais chaud. J’avais bu au moins un litre de bière. Je ne
tenais plus debout. Pourquoi fallait- il que je boive autant
ver là
? Pour en arri? Je continue à courir, courir encore et encore. Le temps semble
long et pénible. Mon cœur semble battre contre ma peau. Pourquoi fautil que je le tue ? L’alcool a été un démon possédant mon âme, manipulant mes gestes. Mais cela, personne ne le comprend. Oui, je l’assure,
l’alcool s’est emparé de mon corps. Maintenant je cours. J’ai perdu la
seule chose qui importait à ma vie. Je cours dans l’obscurité. Enfin, j’arrive. J’arrive en haut de la Tour Eiffel. L’endroit préféré de mon fils. Adieu,
mes amis. Je ferme mes yeux, je saute. Je vais rejoindre mon fils dans
cette si sombre et si triste obscurité. Oui, je vous l’assure : l’alcool est
un
démon.
Jessica Vanquin
93
Littérama’ohi N°10
Jessica Vanquin
L’AMOUR
Je t’aime. Je ne t’ai vu qu’une seule fois. Cela fut suffisant. Pour que
tu me regardes encore une fois, je suis prête à tout donner. Hélas, mon
corps est appelé ailleurs mais mon âme reste à toi. Je suis engloutie
dans ce gouffre, dans cette grotte sans fin ; je tombe, pas une marche
pour m’accrocher. Je perds l’équilibre comme je perds tout espoir. Dans
ce monde noir
je te quitte et je crois en toi. Je ne peux plus vivre. Peutêtre nous retrouverons-nous après être arrivés au fond de ce gouffre. Je
regarde autour de moi, tout le monde tombe. Leurs cheveux frétillent
dans le vent, leurs bras s’agitent pour s’accrocher à quelque chose, à
n’importe quoi. Je pleure. Pourquoi tomber est-il notre destin ? Je ne
peux pas remonter, je cesse d’espérer. Personne ne peut s’élever
contre le temps qui nous écrase. Voilà maintenant des années et des
années que je tombe. Mon cœur s’est asséché. Il est sec d’amour, et
prêt à absorber la moindre goutte de sentiment qui pourrait par miracle
l’atteindre. Je pense toujours à toi. L’âge m'a tout pris sauf mes sentiments qui sont éternels. Je commence à avoir le vertige. Dans cet
abîme profond qu’est la vie, un rayon de lumière a paru. Tu es enfin là.
Tu me lances une corde. Je ne peux pas monter, je n’ai plus de force.
J’essaye de remonter, tu me tires désespérément. C’est trop lourd, c’est
trop dur. Tu comprends. Je pense que c’est fini. J’arrive vers la fin du
tunnel, bientôt ce sera la fin de mon voyage. A ma grande surprise, tu
descends de ton rocher. Du bord de ton ravin, tranquille, tu descends.
Je veux crier : « Ne viens pas ! Tu es en sécurité là-haut. Non, tu vas
tomber avec moi.» Mais ma gorge est sèche et de l’eau inonde mes
yeux. Après toutes les choses que le temps nous a volé, tu es là. Tu
tombes, tu souffres mais tu es avec moi, pour toujours et peut-être plus.
Je dis dans un murmure : «Tu m’aimais ? » Et tu me répondis dans
ton dernier souffle : « Depuis toujours. Ne le savais-tu pas ? »
Il fait beau, il fait chaud. J’ai envie d’aller à la plage. Ah, prendre une
vague
94
bien fraîche. Sentir de la fraîcheur dans cette atroce chaleur.
Ecritures
Voilà, tu arrives. Allons-y, allons à la plage. Tu me parles. Je me noie
dans tes
paroles. Je plonge dans mes pensées. Je sombre dans le
désespoir et des larmes inondent mes yeux. Tu me quittes. Maintenant,
il faut beau mais j’ai froid.
Jessica Vanquin
ALLIANCE
Un chemin est tout tracé,
Quelques fossés sont rencontrés.
Un jour, les papillons volent,
Une nuit, le vent souffle dans les herbes folles.
Un sourire, des jeunes gens,
Une alliance d’argent.
Des vacances en bord de plage,
Rôdant un poisson nage.
Un jour, les papillons se posent,
Une nuit, le vent souffle dans les roses.
Un geste, des décors,
Une alliance d’or.
Un trou est creusé,
Une troupe noire, un défilé.
Un jour, les papillons tombent,
Une nuit, le vent souffle vers les tombes.
Un adieu, un tiroir,
Une alliance noire.
95
Littérama’ohi N°10
Jessica Vanquin
LA GUERRE EN QUELQUES MOTS
Un homme,
Une femme,
Des roses,
Des proses.
Une voiture,
Un champ,
Des blessures,
Des camps.
Un cri,
Du sang,
On fuit,
On s'rend.
Une arme,
Une larme,
Une salle,
Des dalles.
Jessica Vanquin
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arina Devatine
LA VIE LA NUIT
Quand la vie est une nuit,
Chaque jour est une étoile.
Quand la vie est un lit,
Chaque jour est un drap.
Quand la vie est une chouette,
Chaque jour est une plume.
Quand la vie est un nuage,
Chaque jour est une pluie.
Quand la vie est un spectacle,
Chaque jour est un artiste.
Marina Devatine
97
Littérama’ohi N°10
Marina Devatine
LA MER
Mer, mer, mer
Mer qui se balade,
Tu ne gardes pas les traces
Des gens qui passent.
Mer, mer, mer
Mer qui s’énerve,
Arrête de m’éclabousser,
Tu démolis mes petits jouets
C’est vrai, c’est vrai
C’est vrai qu'on pollue,
Tes océans turquoises
Et tes récifs gris ardoise.
Marina Devatine
GRAIN D’ORGE
Petit grain d’orge, petit grain d’orge,
Fais attention petit grain d’orge,
La poule veut t’observer et te manger
Quand elle sera affamée.
Petit grain d’orge, petit grain d’orge,
Ses petits poussins vont te déguster,
Alors cette nuit tu vas partir très loin et...
Petit grain d’orge tu as fait un rêve.
Marina Devatine
98
orinne Sachet
CONCOURS « VIVE L’ECRIT »
Le concours « Vive l’écrit » a été lancé pendant l'année scolaire
1992/1993. Partant du constat qu’écrire est difficile et que les élèves
sont confrontés à des situations non authentiques en classe, l’équipe du
CTRDP a fait le pari qu’un concours serait beaucoup plus motivant. Le
résultat a été à la hauteur puisque douze oeuvres ont été primées en
juin 2003, dont deux en tahitien et que la participation n’a cessé d’augmenter au fil des ans. Les classes des îles autres que Moorea et Tahiti
ont vu leur nombre croître très significativement à partir de 1999. On ne
peut que féliciter élèves et enseignants ...Car écrire est un art difficile
qui demande une lente et patiente initiation. Tout semble pourtant
simple quand les idées se bousculent dans nos têtes...mais tout se
complique quand il s’agit de les couler dans le moule ô combien résistant du langage écrit. D’un côté une liberté qui semble sans limite, de
l’autre, les contraintes incontournables de la langue. Dur mariage du
fond et de la forme, source de bien des déceptions, voire d’abandon. Or,
l’important est de donner à nos élèves l’envie d’écrire même si leurs
moyens d’expression paraissent, de prime abord, limités. Il faut avant
tout, qu’ils osent s’exprimer. (Serge Maire, éditorial, novembre 1996).
À partir de 1997, les responsables du concours ont choisi de proposer un
thème à la
sagacité des écrivains en herbe. Loin d’être une
contrainte insurmontable ce nouveau fonctionnement a porté ses fruits :
Le thème imposé ne semble avoir en rien endigué les capacités créatrices
de nos élèves, bien au contraire. Loriginalité des textes produits montre à
l’envi que l’imagination, cette “folle du logis", n’est jamais aussi libre que
lorsqu’on veut l’emprisonner. (Serge Maire, éditorial de décembre 1997)
Les élèves ont pu s’exprimer successivement sur La nuit (en1997),
La famille, Notre environnement, Horizon 2000, L’amitié, La paix,
Histoires d’animaux, La magie c’est magique. Le thème du concours
2006 actuellement en cours, est : Et vogue la musique
!
99
Littérama’ohi N°10
Corinne Sachet
Même si certains
sujets ont plus inspiré que d’autres et que le
nombre de lauréats a été fluctuant suivant les années, la qualité littéraire des écrits n’a cessé de s’améliorer, à la grande satisfaction des
membres du jury. Ils ont parfois eu la primeur de la découverte de vraies
potentialités chez certains élèves ; moments d’émotion alors partagés
par une lecture à haute voix. Les écrits de nos élèves... sont également
porteurs de sens et de leçons pour tous les adultes, enseignants et
parents : révélateurs des problèmes de nos sociétés ou du quotidien
des adolescents, ceux-ci s’impliquent dans leur histoire imaginaire ou
vécue, prennent en charge la recherche de solution à leur niveau. De
façon très positive, ils y apportent beaucoup d’espoir pour l’avenir et en
tirent des leçons de vie... et de paix ! (Patrick Demougeot, éditorial,
décembre 2003).
Dès la première année il fut proposé aux élèves de s’exprimer soit
français soit dans l’une des langues polynésiennes en vigueur en
Polynésie française. La participation dans ces langues a toujours été
moindre qu’en français, mais les jurys successifs ont remarqué une très
nette évolution tant quantitative que qualitative des oeuvres au long des
années de participation. Seule l’année 1995 n’a pas eu de lauréat en
langues polynésiennes, alors qu’un à cinq prix étaient attribués les
en
autres années.
Les élèves ont la possibilité de participer au concours,
seuls ou
avec leur classe. Le CTRDP a souhaité valoriser les actions des
ensei-
gnants qui s’efforcent d’amener les élèves sur les chemins de l’écriture.
Ce concours ne leur demande pas de travail supplémentaire mais une
organisation différente pour prendre en compte le thème du concours
dans leurs activités de production d’écrit. Lors du lancement du
concours en octobre de chaque année, le document de présentation
fournit à chacun une bibliographie conséquente sur le thème en cours.
Il s’agit d’encourager les enseignants à lier activités de lecture et d’écriture : Lire pour écrire et écrire pour être iu.
100
Articles
Certains enseignants ont fait part de l’intérêt des élèves pour ces
actions
: Le thème de “La
famille”, ô combien d’actualité a suscité dans
les deux classes où je l’ai travaillé bien des interrogations mais aussi
beaucoup de bonheur : celui d’écrire pour tous jusqu’au bout, une histoire longue. Bonheur aussi de voir deux camarades récompensés...
Nous vous devons ces moments de joie qui portent en eux l’espoir d’un
autre recommencement. (Monique Bachelier, décembre 1998).
Le concours se déroulant dans le cadre scolaire, et pour encourager
d’autres enseignants à lancer leur classe dans l’aventure, il comporte une
dimension d’aide aux enseignants. Ainsi, il est demandé tous les ans aux
responsables des classes dont les œuvres ont été récompensées, d'expliquer leur manière de procéder. Ils livrent donc dans les pages qui suivent les démarches qu’ils ont mises en œuvre pour enseigner à leurs
élèves les rudiments de l’activité rédactionnelle et surtout l’envie d’écrire.
Il ne s’agit pas là de modèles à reproduire, mais de témoignages offerts
en partage
à tous ceux qui s’intéressent à la pédagogie de la production
de textes...(Serge Maire, éditorial, décembre 1997).
Le concours
: outil
d’intégration ? Plusieurs classes d’enfants handicapés ont eu la joie de recevoir un prix. Quelle belle récompense qui
couronne une année d’efforts continuels. Efforts certes, mais
plaisir aussi,
pour un écrit authentique qui sera “donné à lire”, confronté à des lecteurs
extérieurs autres que ceux du monde enseignant. Au regard du plaisir pris
lors de la réalisation de ce travail, il a été décidé de poursuivre ces activé
tés d’écriture pour augmenter le stock d’ouvrages en braille dans la bibliothèque de l’école. (Henriette Kamia du CEDOP, décembre 1998).
Pour que les classes s’approprient un peu plus le concours, une
deuxième action a été lancée
: le concours d’affiche. L’idée est de faire
créer par les élèves, l’affiche sur le thème qui sera à l’honneur de “Vive
l’écrit” l’année suivante. Cela permet à tous de réfléchir plus longuement
aux
divers
aspects du thème retenu. Actuellement se peaufine en
classe la présentation du thème de 2007 : Faîtes sourire la Terre !
101
Littérama’ohi N°10
Corinne Sachet
Depuis l’année 2004, le jury du concours est présidé par un écriinauguré cette nouvelle démarche et Chantal
vain. Patrick Chastel a
a
suivi
:
Ce qui sauvera l’écrit, c’est le rapport mystérieux qui s’insti-
en
2005. Laissons à
autre écrivain le soin de
Kerdilès
conclure
un
tue avec lui, quelque chose d’affectif comme l’anorexie ou la boulimie.
C’est la vie avec son obscurité insondable, et l’évidence que quelqu’un
a tenu la
plume et reste présent entre les lignes... L’écriture conserve le
la télévision a éliminé en dépit de sa photogénie.
sens de la durée que
Daniel Pennac.
Tableau récapitulatif des thèmes et du nombre d’œuvres primées :
Primés
en
français
Primés en langue
polynésienne
1993
10
2
1994
15
1
1995
11
1996
9
1997 - La nuit
10
5
1998 - La famille
7
2
1999 - Notre environnement
4
2
3
2000 - Horizon 2000
6
4
2001 - L’amitié
7
2
2002 - L’art et l’enfant
8
3
2003 - La Paix,
8
3
2004 - Histoires d'animaux,
9
4
2005 - La magie, c’est magique
9
1
2006 - Et vogue la musique
!
2007 - Faites sourire la Terre
Corinne Sachet
(Comité de rédaction de la revue Éducation magazine
de septembre 1997 à juin 2003)
102
Teiho Lemaire
Jennifer Malinowski
Herehiti Malinowski
LA LITTÉRATURE TAHITIENNE
:
ENTRE RUPTURE ET
CONTINUITÉ DE LA TRADITION
Dans le sens commun le mot « littérature
désigne l’ensemble
auxquelles on reconnaît une finalité esthétique.
Pour l’antiquité latine, la littérature n’est que « l’art de tracer des lettres
» alors
que pour le XVIIème siècle, c’est l’ensemble du savoir livresque,
la culture du lettré. Mais le fait est qu’en l’absence d’un système d'écriture, la culture polynésienne s’était enrichie d’une importante « littérature orale » avant l’arrivée des Européens au XVIIIème siècle. Les personnes âgées, les Haere po, ou promeneurs nocturnes en français, et
les prêtres étaient le livre vivant de la culture polynésienne. Cependant
le Reo Ma’ohi, langue de tradition orale, n’a pas échappé au prestige de
l’écrit apporté en Polynésie française par les Occidentaux. Ce paradoxe
nous amène à nous demander si ce changement de média va amener
une dénaturation de la culture tahitienne ou plutôt va mener à une permanence dans le temps de son patrimoine littéraire. En effet, cette rupture avec la tradition orale est-elle un passage obligé vers la continuité
des
œuvres
»
écrites
de la littérature tahitienne ?
1 - Le passage de l’oraliture à la littérature
A - Les principaux acteurs de cette tradition orale
Autrefois, parler de littérature, à Tahiti, paraissait assez paradoxale
car ce terme ne semblait pas
approprié à la tradition orale de l’époque.
En effet, ici, le terme d’« oraliture » apparaît plus adéquat du fait que le
Tahitien connaissait uniquement l’oralité comme moyen d’expression.
103
Littérama’ohi N°10
Lemaire - Malinowski
On entend par le terme d'« oraliture » tout ce qui se transmettait
par la parole et les gestes de façon formelle ou informelle et ce sous de
multiples formes. C’est, d’ailleurs, pour cela que certaines personnes se
sont spécialisées dans cet art de la rhétorique.
Les principaux dépositaires de cette « oraliture » tahitienne étaient
choisis en fonction de leur lignage et étaient les seuls à pouvoir accé-
der à cette pratique. De ce fait, on retrouve parmi eux :
Les prêtres qui étaient chargés principalement de célébrer des
-
cérémonies religieuses sur le marae tels que les baptêmes des enfants
des
arii, personnages appartenant à la royauté ; les sacrifices
humains qui étaient des offrandes aux dieux dont les plus importants
étaient Oro et Ta’aroa ; ainsi que les mariages royaux.
Viennent ensuite les haere po,
qui devaient remplir une tâche
plus précise. Ils avaient pour rôle de retracer les généalogies. Le terme
Haere po se traduit par promeneurs nocturnes. Ils étaient chargés de
mémoriser les généalogies et pour cela ils s’aidaient de faisceaux de
cordelettes dont les brins partaient d’un nouet unique s’écartant en plusieurs longueurs comportant des noeuds réguliers qui représentaient
les générations.
-
Les arioi constituaient un groupe de baladins qui donnaient des
fêtes nocturnes, voire une secte qui avait pour but de véhiculer le culte
-
d’Oro, dieu de la guerre et fils de Ta’aroa créateur du monde ma’ohi.
Pour être arioi il fallait savoir danser, chanter, jouer des pièces de
théâtre, peindre, tatouer et divertir ;... et ne pas avoir d’enfant.
B. Les diverses formes d’expression
Cette tradition orale, qui faisait appel exclusivement à la mémoire,
se transmettait
généralement sous forme de discours : parole, chants
gestes. Chaque acte de parole, chaque mélodie, chaque geste se
caractérisait par un contenu spécifique, un style propre, pour une finalité
ou
104
Articles
définie, et se réalisait en fonction de circonstances particulières. On dis-
tinguait alors différents genres tels que :
Te ‘oœro
•
Le
orero
est un type de discours désignant la récitation de
généalogies ainsi que la transmission aux descendants des noms des
ancêtres, leurs hauts faits, leurs légendes; les incidents particuliers de
leurs vies et parfois aussi l’origine de leurs droits sur leurs possessions.
C’est, en quelque sorte, un testament oral, un livre d’histoire et un
tableau généalogique.
Te pehepehe
•
Le
pehepehe représente tout simplement la poésie et le
chant. Il est souvent utilisé lors des cérémonies religieuses.
A travers le
pehepehe nous pouvons parler de plusieurs
choses, en effet nous sommes libres de faire un pehepehe sur ce que
nous voulons.
Te paripari
•
Le paripari est un des types de discours les plus utilisés dans
la tradition orale polynésienne. Ce genre littéraire consiste à décrire des
lieux ou à relater les prouesses d’un peuple ou d’un district. Paripari
signifie montrer, nommer, accuser.
Le terme paripari est la réduplication du mot pari. Ce type de
discours est surtout présent dans les chants comme les himene
tarava.
•
Te pure
Le pure est une prière qui a pour but de louer les dieux afin
de leur faire une demande.
•
Te ‘a’ai
Le a’ai se traduit par les mots légende ou histoire. L’histoire
se traduit en
langue tahitienne par a’amu. Ce qu’il faut savoir c’est que
105
Littérama’ohi N°10
Lemaire - Malinowski
dans la
langue tahitienne histoire et légende veulent dire la même
chose.
Le a’aise traduit littéralement par « nourris-toi ». La légende
nourrit l’individu de savoirs primordiaux à la construction de son identité
ainsi qu’à son intégration sociale et religieuse.
•
Te papara’a tu puna
Le papara’a tupuna désigne la connaissance de la généalo-
gie, la sienne, celle d’un individu ou d’une autre famille parfois.
C - L’arrivée des Européens et leur système d’écriture
Ainsi, bien que le Reo Ma’ohi soit de tradition orale, par le contexte
historique et socioculturel, on remarque que l’arrivée des Européens et
de leur système d’écriture au XVIIIème siècle a bouleversé la culture
traditionnelle tahitienne et notamment en ce qui concerne l’« oraliture ».
Ce bouleversement résulte surtout de l’impact de
l’impression de la
Bible en tahitien en 1838. De plus, les Européens ont, en quelque sorte,
imposé leur culture, c’est à dire leur système d’écriture et leur langue,
aux Tahitiens en
en
leur interdisant toute démonstration de leur culture et
utilisant l’éducation pour enseigner leurs préceptes. De ce fait, la lit-
térature tahitienne
ne va commencer à s’exprimer
publiquement en
terme de poésie que vers la fin des années 1960 et le début des années
1970. Cependant, la langue tahitienne n’a jamais pu s’élever au
rang
d’idiome d’une très longue tradition écrite et littéraire. De nos jours, les
écrivains sont plus nombreux que les orateurs et cette «oraliture
» qui
constitue le fond littéraire de la culture polynésienne tend à disparaître.
Ainsi, il convient de se demander si la rupture avec la tradition orale est
un passage obligé vers la continuité de notre littérature et ce en
analysant la dualité parole et écriture et en conceptualisant les notions de
rupture et de continuité.
106
Articles
Il - Dualité entre écriture et parole
A - la parole
en
La notion de parole est issue du latin parabola, qui a donné parola
italien et palabra en espagnol, et qui signifie la comparaison, la simi-
litude, la parabole, le proverbe ; plus généralement, l’oralité. D’ailleurs,
dans les sociétés de tradition orale, la parole permettait de rassembler
les populations et de rendre l’enseignement de la culture plus vivant. En
effet, l’oralité était une manière pour ces populations de partager des
émotions et de conter leur histoire. De ce fait, selon l’étymologie, la
parole serait l’essence et la forme première de la littérature. D’ailleurs, la
littérature tahitienne est considérée comme une littérature d’émergence
qu’elle est basée sur des valeurs et des mythes que véhiculait
autrefois l’oralité. Ce qui explique l’emploi du terme d’« oraliture ».
en ce
Cependant, les temps changent, et le monde évolue. En effet, l’arrivée des Occidentaux a provoqué une rupture entre les Tahitiens et certaines de leurs traditions. Les Tahitiens ont assimilé la culture occidentaie à travers, premièrement, l’apprentissage de la langue française et,
deuxièmement, à travers l’intégration du système d’écriture. On peut
penser qu’en s’imprégnant de la culture occidentale la population tahitienne s’apprête à rompre définitivement avec ses traditions.
Mais peut-on réellement parler de rupture ? Il est vrai que la culture tahitienne tend à se fragmenter, pourtant il serait paradoxal d’évoquer la notion de rupture car même si la tradition disparaît peu à peu,
elle constitue l’un des fondements de la société tahitienne. C’est ce que
l’on peut voir à travers la littérature tahitienne qui est basée majoritairement sur les valeurs de I’
« oraliture ». De plus, on constate
que sans
l’écrit certains aspects de la culture tahitienne n’auraient été aujourd’hui
qu’un vague souvenir. Il existe encore, de nos jours, des personnes qui
pratiquent cette tradition orale mais on remarque que contrairement aux
anciens orateurs qui faisaient appel exclusivement à la mémoire, les
orateurs d’aujourd’hui s’appuient sur des notes.
107
Littérama’ohi N°10
Lemaire - Malinowski
B- L’écrit
En comparaison de la langue orale qui est en perpétuelle évolution
la langue écrite apparaît comme figée. L’écrit est parfois même comparé
à une nature morte, il déforme la parole car il est parfois difficile de
mettre par écrit nos paroles. L’écrit est aussi mauvais pour la mémoire.
En effet, alors que les anciens orateurs avaient pour coutume de faire
appel exclusivement à leur mémoire, les orateurs d’aujourd’hui ne font
que réciter des discours qu’ils ont écrit et appris : l’écrit leur est nécessaire. De plus, l’apparition de l’écriture a rendu inutile la mémorisation
de certaines généalogies qui sont maintenant perdues.
Dans l’écrit, l'auteur est absent. En effet, l'écrit ne met pas en place
la relation indispensable à toute communication. Cependant l’écrit a
aussi de multiples avantages tels que son caractère prestigieux et sa
permanence dans le temps, ce qui est rassurant. D’ailleurs, il faut rap-
peler qu’à l’époque de l’écriture manuelle, l’écrit et l’oral n’étaient pas
toujours en opposition et qu’ils se rejoignaient même parfois, comme on
peut le voir, par exemple, dans le dialogue socrato-platonicien. En effet
Platon écrivait sous forme de dialogue, car le dialogue rend vivant une
idée. C’est un discours qui retrouvera sa vitalité et sa vigueur à chaque
fois qu’il sera lu. De plus la contextualisation permet, en quelque sorte,
de faire passer à l’écrit les éléments de message que véhiculent l’intonation, les mimiques, les gestes et la situation d’énonciation.
L’écriture est une manière d’extérioriser sa propre pensée. Elle permet de repérer les zones d’ombres et favorise la communication, sous
forme graphique, d’informations, de sentiments, et d’opinions parfois
difficiles à énoncer et à partager. A l’écrit, la voix du locuteur devient la
voix intérieure du lecteur, le discours s’ordonne et se corrige plus aisément et l’esprit critique du récepteur s’organise. L’écrit donne une
dimension supplémentaire à l’oral.
108
Articles
III - Les notions de rupture et de continuité
La rupture avec la tradition : un passage obligé vers la continuité
de la littérature tahitienne ?
La tradition, du latin traditio, de tradere qui signifie remettre, transmettre, c’est la transmission de doctrines religieuses ou morales, de
coutumes par la parole ou par l’exemple sur une longue suite de géné-
rations. Ainsi, comme nous l’avons dit précédemment,
le Tahitien est
langue de tradition orale, et l’arrivée des Européens et de leur système d’écriture a, en quelque sorte, relégué l’oralité au second plan en
privilégiant, et même en rendant indispensable l’écriture.
Mais cette rupture était-elle nécessaire ? De plus, les notions de
rupture et de continuité sont-elles complètement opposées ? Car bien
que cela paraisse étonnant, ces deux notions sont ici intimement liées.
En effet, il semble paradoxal que la rupture avec la tradition soit à l’origine de l’essor d’un aspect de la culture tahitienne. Mais, la culture, au
même titre que le monde et l’histoire, se construit au fil des générations
et ne cesse jamais d’évoluer.
Ici, il n’est pas vraiment question de rupture, mais plutôt d’adaptation. Il est vrai que parfois nous sommes contraints de laisser derrière
nous divers aspects de nos traditions, comme c’est le cas pour l’«oraliture » tahitienne, il nous faut préserver nos valeurs et notre culture. Ce
n’est pas parce que le monde change que l’on doit oublier qui l’on est.
La continuité de la littérature tahitienne ne peut se faire qu’à travers
l’écriture car seuls « les écrits restent », l'écriture traverse les époques
et les frontières alors que le discours oral reste prisonnier de l’époque
et du lieu où se trouve son locuteur. Ainsi, grâce à l’écrit, il est possible
de faire découvrir la littérature tahitienne à d’autres, populations et surtout d’en garder des traces afin que les prochaines générations de
Polynésiens n’aient pas à effectuer des recherches sur leur propre patrimoine culturel et littéraire. Mais il ne faut pas pour autant rejeter l’«oraliture » qui reste le fond littéraire de la littérature tahitienne. En effet, la
relation de communication qui se met en place lors d’une conversation
une
109
Littérama’ohi N°10
Lemaire - Malinowski
n’est et ne sera jamais du ressort de l’écrit. Enfin, bien que cette tradition orale s’évanouisse peu
à peu on remarque que de nombreuses
représentations culturelles sont organisées chaque année sur le territoire afin de préserver cet aspect de la culture tahitienne.
Conclusion
En conclusion, la rupture avec la tradition orale est inhérente à l’évolution de la société tahitienne et à l’assimilation de la culture occidentale.
C’est, d’ailleurs, l’opinion à laquelle adhère Flora Devatine lorsque nous
lui avons demandé si elle pensait que la rupture avec la tradition est un
passage obligé vers la continuité de la littérature tahitienne. Quelqu’un
d’autre nous a dit également : « Si le Polynésien n'écrit pas il va se
perdre ; il faut écrire ! ». Et, en effet, l'écriture, du fait de son prestige et
de sa permanence dans le temps, apparaît comme le seul moyen de
laisser des traces, de transmettre et de partager notre culture déjà fragmentée. Mais s’agit-il vraiment de choisir définitivement entre l’écriture et
la parole, le tahitien et le français ? Nous pensons que c’est, en fait, un
choix quotidien car il convient, en réalité, de s’adapter au média le plus
expressif et ce en fonction de la situation. Enfin, la rupture ou la dénaturation de certaines traditions est indispensable car une société traditionaliste serait une société où le progrès n’aurait pas lieu d’être. Et lorsque
certaines personnes prônent un retour aux traditions, le font-elles par
nostalgie ou par peur du progrès ?
Teiho Lemaire
Jennifer Malinowski
Herehiti Malinowski
(Elèves de Terminale L du Lycée d’Uturoa)
110
Articles
Retranscription de l’interview
1 - Présentation de Flora Devatine
Née àTautira, elle part, à dix-huit ans, faire des études de langue
espagnole à Montpellier et devient par la suite professeur d’espagnol.
Elle a pu, grâce à la reconnaissance de la langue et de la culture tahitienne, enseigner le tahitien et la poésie tahitienne dans un collège protestant et à l’Université en tant que vacataire. Afin de s’enrichir culturellement elle était allée à la rencontre des anciens orateurs et a complété
sa formation en apprenant les anciens parlers. C’est suite à cela qu’elle
s’est réellement mise à écrire des poèmes en tahitien. Elle est l’un des
fondateurs de Littérama’ohl. revue qui a pour but de faire connaître les
auteurs polynésiens.
2 - Vous avez quitté la Polynésie française afin de poursuivre
vos études en France et vous avez commencé à
écrire, en tahitien,
pour exprimer votre attachement à votre fenua. Depuis, vous écrivez en
français. Pourquoi ce changement de langue dans votre
écriture ?
En effet,
lorsque j’étais en France, j’ai tenu une correspondance
régulière en tahitien avec ma famille notamment avec ma mère, pendant 7 ans. Après mon retour à Tahiti et la fréquentation des orateurs, je
me suis mise à écrire des poèmes de forme traditionnelle. Mes écrits en
tahitien ont été peu publiés, mais il y a un poème en tahitien qui a été
publié dans La Lettre circulaire du Ministère de l’Education sur la charte
de l’éducation en 1989. Il est vrai que l’on connaît davantage ce que j’ai
écrit en français. Quant au changement de langue c’est une question
d’accessibilité à la langue pour les lecteurs. Mes textes en tahitien ne
sont que peu voire pas du tout connus car il n’y a pas beaucoup de lecteurs en tahitien. En effet, les gens qui s’intéressent à mes écrits sont
majoritairement francophones. Cependant, je trouve qu’écrire en tahitien est beaucoup plus intime et profond.
111
Littérama’ohi N°10
Lemaire - Malinowski
3 - Vous dites être attachée à votre culture et à ses traditions,
pourtant, en ayant opté pour l’écrit vous semblez plus vous rapprocher d’une culture occidentale, non ?
En apparence, oui, mais la culture évolue, elle n’est jamais la
même. C’est, d’ailleurs ce qui cause le fossé entre les générations. Au
fil du temps, on constate que beaucoup de choses ont changé, d’autres
se
sont transformées et/ou se sont perdues. Ceux qui cherchent des
informations sur la culture tahitienne se rendent compte qu’il n’y a pas
d’archives exceptées les «
archives vivantes » que sont les anciens
orateurs. C’est pour cette raison que l’écriture devient nécessaire, elle
permet de fixer les choses. De plus, la culture occidentale a contribué à
enrichir la pensée tahitienne, une pensée qui s’est développée par des
références à des textes écrits de la Bible et de
l’ouvrage de Teuira
Henry. Et écrire, c’est laisser aux prochaines générations des éléments
de ce que pense la société polynésienne d’aujourd’hui.
4 - Pensez - vous que la rupture avec cette tradition orale est
un passage
obligé vers la continuité de la littérature tahitienne ?
Oui, mais en même temps, elle n’est qu’apparente. Il est vrai qu’il
impossible de tout retenir, donc le vocabulaire tahitien n’est pas
aussi étendu que celui de la langue française, mais il est dense par sa
polysémie. En effet, dans son oraliture, le peuple tahitien a fait une économie de mots pour un maximum d’idées à émettre. Aujourd’hui, l’écriture permet d’utiliser beaucoup plus de mots qu’à l’oral. On peut
s’étendre, et on confie au papier ce travail de mémorisation qu’étaient
obligés de fournir les anciens orateurs. Le problème est que quand ces
derniers mouraient sans avoir eu le temps de transmettre leurs savoirs,
c’était une partie de notre culture qui disparaissait avec eux. C’est pourquoi la modernité et le progrès doivent être utilisés pour conserver des
aspects de nojre culture. Il ne faut pas abandonner l’oralité, et l’écriture
devient une façon de préserver cette oralité. Et il y a des personnes qui
mettent en parole ce qui est écrit et qui redonnent ainsi vie à des textes ;
est
112
Articles
ainsi à l’énergie et à la vie de celui qui écrit s’ajoutent celles de celui qui
dit. En fait, ce que l’on perd, c’est la mémoire de celui qui dit un texte au
moment où il le dit. Mais de toutes les manières, ces moments sont tou-
jours uniques, car l’orateur ne répète jamais un discours de la même
façon. Ce qu’il faut avant tout préserver, ou retrouver ou créer, ce sont
les mots. Le problème de nos jours, c'est d’avoir les mots, c’est le choix
des mots. Et le rôle de l’écriture est de fixer les mots pour nous aider à
les connaître, à les reconnaître, à les apprendre, à les retenir, à les
choisir, et de les transmettre.
Teiho Lemaire
Jennifer Malinowski
Herehiti Malinowski
(Elèves de Terminale L du Lycée d'Uturoa)
113
Littérama 'ohi N ° 10
Danièle-Taoahere Helme
INFLUENCES ET ADAPTATIONS
LE TEMPS ET L’ARGENT !
Tatouage indélébile...
L’exemple, silencieux, discret,
Laisse ses empreintes profondes.
La transmission pour la survivance des valeurs
Le pêcheur savait pêcher, il puisait la survie de la mer, nous lui
avons retiré son essentiel, son identité, parce que ia transmission a été
reléguée aux grandes surfaces.
L’agriculteur savait bêcher, il produisait le bol alimentaire provenant
de la terre, nous lui avons retiré le mouvement, son lopin de terre, la
transmission a été concédée à la bureaucratie.
La mère de famille savait éduquer, elle prodiguait de l’amour, nous
lui avons a retiré le foyer, la présence a été remplacée par des structures de substitution.
Le père savait assumer ses responsabilités,
il cherchait ses res-
sources, la transmission a été retirée, la femme cherche différemment
sa
juste rémunération.
Le
«
metua
»
savait son
«
fenua », il disait pour le peuple,
sagesse a été mise au rancart pour croire seulement aux
nous avons retiré ia transmission à notre société.
la
diplômes,
Les bouleversements sociaux ont exprimé les étranglements des
différentes couches sociales en difficulté d’adaptation. Ils ont déclenché
des réactions et des interrogations. Les questions se veulent interpellations de la société. Les cancers de la communication ont explosé avec
les évènements pour
seurs
114
libérer la parole, des abcès se résorbent, les penpensent, les écrivains écrivent.
Articles
Le domaine des consommateurs cherche
son
panier provisionnel.
Les produits à la vente dans les grandes surfaces sont achetés dans
des
paniers métalliques avec des revanches compulsives sur le
manque qui n'est pourtant la réalité du moment. L’indice hormonal des
prix qui les accompagnent fait aussi partie d’une question à résoudre.
La consommation a dépassé la normalité pour parvenir à un dérèglement entre le nécessaire et le superflu.
L’argent est devenu la denrée convoitée par la facilité. La facilité a
engendré l’oisiveté. L’oisiveté a engendré la fumée qui permet d’oublier
la réalité. A partir de cette constatation comment comprendre le cri
lancé par la génération montante, comment garder le lien entre les
Anciens et les Jeunes en mal d’adaptation dans la mouvance d’une culture amalgamée et recomposée ? Nous avons glissé inconsciemment
vers la consommation déstabilisant la production des ressources
locales pour favoriser l’importé. Un repère monétaire a été privilégié au
détriment d’un recentrage des valeurs.
Si notre société souffre autant de tags qui crient l’inadaptation, ce
n’est pas seulement l’enseignement qu’il faut remettre en cause, c’est
aussi le temps accordé à l’éducation des enfants expédiés par contin-
gents vers un système qui devrait remplacer les parents « occupés à
plein temps », et « fatigués après les heures», voilà où il faut prendre
le problème pour le résoudre. Un enfant souffrant dans son environnement se déplace souffrant à l’école. Ce n’est pas la constatation de
l’échec qu’il faut aborder, c’est comment reconsidérer le temps et que
faire avec du temps !
Une
poignée émergente refait surface pour confondre la parole,
l’écrit, les arts, exprimant plusieurs facettes de notre patrimoine, la
beauté, le quotidien, les paysages, la crise. Ces traductions orales, littéraires, artistiques révèlent la température ambiante de notre société avec
ses espoirs et ses craintes. Ces émergents relancent l’impulsion et la
pulsation culturelle dans le but de partager à leur manière les origines et
115
Littérama’ohi N°10
Danièle Taoahere Helme
les qualités essentielles de leurs perceptions. Refaire le parcours de la
consommation effrénée
vers l’authentique. Reprendre l’équation de
l’adaptation dans un cycle en mutation, utopie ou possibilité ?
Les mouvements et les décisions cherchent toujours leurs précisions dans tous les domaines. Si l’on parle budget des ménages, les
organismes bancaires affichent la crise de surendettement.
Pour ce qui concerne la valeur on entrevoit l’amorce des changements qui s’opèrent dans le domaine de la culture, l’environnement, la
prévention de la santé, un travail de fourmis pour recomposer le patchwork de notre société. Ce n’est pas seulement l’affaire d'un gouvernement quel qu’il soit, c’est l’affaire de tous. C’est l’avancée de chacun qui
permettra un nouvel ancrage des racines et fera émerger de véritables
réussites. Travailler sur les conséquences c’est un pas qui vient dire
qu’un réajustement est nécessaire. La lenteur des changements vient du
fait que le système aborde la conséquence sans avoir agi directement sur
la cause. La conséquence est toujours liée à une cause. L’aveuglement
général a été de tuer l’authentique pour « le veau d’or » des billets. Le
billet est nécessaire à l’heure actuelle, il ne doit cependant pas être juste
utilisé simplement en pêcheur de billets, mais aussi, en échanges des
services pour dire que c’est le marché du travail des hommes qui active
la circulation monétaire, pas seulement l’appât du gain.
Que transmettre lorsque acheter devient la seule possibilité ?
Pas si loin dans le temps le savoir des Anciens se transmettait, si
certains domaines tels que la danse, la pirogue, le sport ont trouvé leur
prolongement, d’autres aspects ont été oubliés, les recettes, les
veillées, le sens de la famille, les jeux. L’enfant s’initiait à l’école de la vie
les
parents, lien et temps communs nécessaires pour rester
ensemble, se sont distendus. Souvenirs, pas trop lointains, la cueillette
avec
du café avec pour de l’argent de poche, la quantité de seaux rapportée
permettait l’accès au ticket de cinéma. La notion de donner pour rece-
116
Articles
voir était bien respectée,
le temps consacré à l’éducation complétait la
formation scolaire. Les confitures et les gelées feront bientôt partie des
souvenirs ainsi que la joie des tartines préparées avec le savoir de
l’adulte inculquant à l’enfant une partie de lui-même tout en passant le
savoir-faire. La plongée pour déloger des « pahua » du corail, un loisir,
préparer un farci fait maison, un apprentissage. Le loisir rejoint l’apprentissage avec les joies nécessaires pour cimenter les parents et les
enfants, des instants qui restent gravés. Ce n’est pas seulement la
transmission de la langue qui s’est évaporée, ce sont toutes les histoires qui ont donné du sens et fortifié les familles. Apprendre de
l’adulte, rester encore un peu enfant oserons-nous le défi ?
Le temps a été récupéré pour fabriquer de l’oisiveté et aboutir au
«
fiu » total, l’herbe a suivi pour combler illusoirement le manque, l’ab-
sence de
disponibilité des premiers éducateurs, les parents La démission
pour mesure d’« occupés permanents » est la cause des couples prématurés livrés trop tôt au jeu de la vie. Trop de temps pour certains adeptes
devant des écrans inanimés. Pourquoi ne pas reprendre des recettes
simples pour chasser l’oisiveté et la remplacer par des moments simples
et heureux. Cette nouvelle dynamique se propagerait bien entendu,
puisque les choses merveilleuses comme les bonnes nouvelles reviendraient à la page, pourquoi ne pas créer un journal de bonnes nouvelles
après avoir été friands de tous les désastres et violences.
A Noël un pêcheur a vendu ses langoustes pour acheter des produits importés et des jouets à ses enfants, il est tombé dans ce moule,
nous-mêmes, il s’est bien aussi abonné aux grandes surfaces.
transformer sa pêche en un conte de Noël offert à ses
enfants en les initiant ainsi à son travail et sa passion, la transmission
se perd petit à petit à partir de ce
genre d’exemple. Le pêcheur a joué
le jeu de la consommation enseignant ainsi à ses petits une fête de Noël
moderne, il n’est pas le seul, nous aussi nous avons joué l’importé pas
l’authentique. Les lumières sont encore artificielles et les joies peu
durables, les feux d’artifice sont d’ailleurs plus prisés que les lumières
comme
Il n’a pas pu
117
Littérama’ohi N°10
Danièle Taoahere Helme
de la famille et de la culture. La cause de tous les dérèglements c’est
l’attrait venu de l’extérieur au détriment de la créativité, il est plus facile
d’acheter le jouet et la paix pour occuper l’enfant que de l’accompagner
dans ses loisirs. L’enfant utilise ses bêtises comme sonnette d’alarme
dans le seul but d’attirer l’attention du parent trop souvent mécanisé
dans un système. Le temps est devenu «
time is money » (le temps
c’est de l’argent). Et si nous revenions aux instants privilégiés qui dépo-
? Le senbesoin de situer les générations montantes
pour exister à partir d’exemples et non pas à partir des vides affectifs.
sent les empreintes culturelles dans les mémoires d’enfants
timent d'appartenance a
Le point de départ de la drogue est la traduction d’un malaise réfiéchissant de toutes ces fumées
«
anesthésiantes
»
(promesses) qui
font croire que la facilité avait le pouvoir de rendre heureux. La facilité
de salarier l’adolescent pour remplacer le temps est une erreur fonda-
mentale. L’enfant espère l’intensité des moments accordés à ce qu’il vit,
écouter nos enfants, mais en fait nous ne nous entendons
pas parler sans fin au lieu de faire les gestes qu’il faut pour l’apprentissage préservant bien la transmission.
nous croyons
La fumée permet de décoller de la réalité pour créer un éclairage
artificiel, piège des rusés qui utilisent les enfants livrés à eux-mêmes
pour les attirer par les manèges de la vie. Le bleu des billets sait dorénavant rivaliser avec les « blues » de l’identité. Plus on lutte contre
l’herbe, plus elle prend de la valeur et s’achète à un prix élevé, souvent
dans le porte-monnaie de celui qui lutte pour survivre. Beaucoup d’argent s’évapore de la bourse parentale pour se permettre ce que le
parent ne peut plus se permettre. Lutter contre l’herbe, c’est insuffisant,
il faut remettre les données des familles dans une relation assainie.
Certaines paroles sont comme l’herbe car les formulations anar-
chiques sont devenues références, les paroles s’envolent mais les actes
restent. Les actes révèlent les hommes, les bâtisseurs ne font pas tant
de bruitage, ils bâtissent. Les paroliers mettent du temps à accorder
118
Articles
leurs violons, leurs tonalités s’accordent difficilement car les intérêts de
groupes, de partis, prennent vite le dessus sous le couvert de l’intérêt
du peuple. L’herbe n’aura alors plus son endémie lorsque les exemples
viendront remplacer les conseils et les conseilleurs, distributeurs de dis-
simple déclic à
partir d’une pièce de monnaie. Non, un distributeur de paroles n’est pas
forcément abondant en exemples, convaincre n’est pas être.
cours comme les machines à servir une boisson sur un
Les herbes défendues ont proliféré, le rouge des billets tente ses
contrefaçons par des placements rapides et éphémères qui ont pour mission de faire fondre vos avoirs. Combien rêvent d’arriver à « l’EI Dorado »
qui profitent à une personne qui s’intronise un jour Maître de Pyramides. Pourquoi autant de mirages tandis que
avec des facilités comme celles
n’avons pas tant de déserts. Parce que nous créons de nouveaux
nous
déserts, ce sont des lieux où l’on peut produire de l’illusion, un moment
magique à saisir pour presque toucher de la douceur procurée par les
billets que beaucoup ne verront qu'en transit dans leurs portefeuilles à la
fin de chaque mois. C’est le milieu fatigué de compenser celui qui ne
grandit pas qui cherche ses résolutions, travailler oui, passer le cap du difficile oui, être tous solidaires pour avancer, oui, se fragiliser pour celui qui
rend ses solutions difficiles, non, il faut aborder une autre tournure.
Le difficile est à accompagner d’une manière différente. La difficulté est décelée sur le critère de la classe nommée « défavorisée »,
c’est une fausse idée, la souffrance se trouve dans toutes les catégories sociales, les jeunes qui se suicident ne viennent pas d’un seul
milieu. Celui qui reçoit n’a jamais entendu la difficulté de celui qui
donne. Il est juste de rétablir les choses chacun a son difficile, les
manières de les aborder et de les résoudre, sont différentes et c’est là
l'encouragement et le travail de fond qui reste à mettre en place.
Donner a été la solution rapide pour aider les défavorisés, cette étape
a été
nécessaire, elle sera amenée à évoluer en éducation, une démarche
sur un
plus long terme avec plus d’efficacité dans le domaine du social.
119
Littérama’ohi N°10
Danièle Taoahere Helme
Incertitude !
Ils marchent toute la journée, pour
croire à une direction. Ils
achètent du vin. Ils titubent, l’angoisse a repris ses droits. Ils sont désorientés. Brisés, ils ravalent leur
misère et tentent de noyer leurs difficultés. Ils espèrent anesthésier
cette douleur qui révèle une inadaptation.
demandent la pièce pour du pain, ils
Deux corps enlacés
Enchevêtrés, tourmentés,
Cherchent la révolution,
D’un avenir incertain.
L'extase donne un répit,
Se donner pour.oublier,
S’imaginer pour effacer,
S’aimer pour y croire.
Deux corps humides,
S’évadent de leur réalité,
Au feu consommé,
D’un amour déboussolé.
Rassurés pour survivre,
Lorsque le mot réussir,
mouvance inaccessible,
Aimer, feindre et vivre.
Est
Deux corps enlacés,
C’est moins que la dérive,
Subir, prolonger, dévier,
Malheur par douceur.
120
Articles
Endormis pour exister,
L’extase donne un répit,
Deux corps exténués,
Consolés pour survivre.
(24 mai 2004)
Un peuple qui crie la blessure avec toutes les ressources et
les condi-
la vie en Polynésie s’est laissé égarer, il lui
appartient de retrouver sa véritable abondance.
tions climatiques favorables à
Danièle-Taoahere Helme
121
Littérama’ohi N°10
Glenda Mou Kui
REMERCIEMENT
Un coup de téléphone qui réconforte mon cœur
Alors que tout me paraissait fini. Cela m’a suffi pour revivre.
En effet, poussée dans l’objectif d’accomplir un rêve,
Celui de permettre à nos amis, parents, professeurs, élèves, étudiants,
Chercheurs et intéressés, de découvrir avec émerveillement
Notre patrimoine littéraire polynésien riche en toute chose.
Un patrimoine qui s’avère refléter notre condition actuelle.
Une recherche de nous-même. Déterminer avec précision ce que
nous sommes,
Confirmer nos valeurs, nos désirs, nos envies, nos rêves, nos pensées...
J’étais dans une période d’éclosion.
Une vive sensation agréable et passionnée
.
Me poussa à dépasser mes acquis et à approfondir mes connais-
sances.
M’amenant ainsi à lire, à observer, à analyser, à décomposer, à
recomposer et à déduire
Une œuvre qui pour ma
part reflète la vision touchante de son
auteur au sujet de son pays.
Les œuvres peuvent paraître difficiles à la première lecture,
Mais avec de l'effort et en laissant aller nos sentiments,
Nous pouvons accéder aux
«
mémoires
»
de nos aînés et de
leurs successeurs.
Mémoires
qui ne peuvent être laissées au fond d’une bibliothèque poussiéreuse.
«
»
Bien au contraire.
«»
122
Articles
Pour moi, au sens strict du terme Littérature, préservé avec satis-
faction,
Elle se fait l’écho de nombreuses voix désirant éprouver leurs sentiments
Vis-à-vis d’une société étouffante et parfois accablante.
Qui ne serait pas touché de voir son île mourir à petit feu
Dont les cris sont couverts par la montée en puissance
D’une civilisation moderne qui se veut immédiate et rapide
Quelle vélocité ! Même la communication est parasitée
Que pouvons-nous faire
?
!
? Quel moyen nous reste-il encore ?
Pour moi, c’est la Littérature.
Certes, la modernité peut apporter un certain atout bénéfique
A notre civilisation. Mais à quel prix
?
Changement, disparité d’une culture polynésienne d’apparence
Et d’hypocrisie ! Voilà ce qu’il en reste malgré les bonnes volontés.
Mon objectif premier est de montrer à nos amis, parents, professeurs, élèves, étudiants,
Chercheurs et intéressés, ce qu’on peut tirer des œuvres polynésiennes
:
Evidente recherche de soi, et le plus important, sauvegarder un
héritage culturel immuable.
Cet héritage est la danse, le son des instruments locaux,
Et la voix forte et émouvante du 'orero. Tout cet héritage, je le
trouve développer,
Sous une double écriture, poétique et didactique, dans Tergiversations et Rêverie de LEcriture Orale.
Je ne fais pas la publicité de ce livre ici, mais un objet d’étude
Pris pour ma thèse au Master de Littérature et Arts.
Un livre dans lequel on pourrait s’attacher pour développer l’idée
123
Littérama’ohi N°10
Glenda Mou Kui
De créer un nouveau langage, une nouvelle forme d’expression
A la portée de tous.
C’est ambitieux. J’en conviens.
Mais c’est le souci de la plupart des écrivains polynésiens.
Dans chacune de
mes
lectures, un mot m’arrête pour me faire
réfléchir.
Ce mot est «
adaptation ». Pourquoi ? Comment s’adapter ? A
quoi ? Quel intérêt ?
Pour servir un désir vital, celui de la Survie de notre culture polynésienne.
Et Chantal Spitz comme la plupart de ses confères l’ont compris.
S’adapter, c’est peu importe la langue et comment on l’utilise.
Le tout, c’est de maîtriser une au moins pour pouvoir
S'exprimer avec fluidité et exprimer les pensées
Qu’on a face à l’extérieur et à l’intérieur de notre société.
Quand s’exprimer et penser nous conduisent à nous représenter
en nous
( ?)
Une autre perception de notre vie. C’est ce qui me rassure.
Et chacun veut être rassuré afin d’assumer au mieux le rôle
Que la société humaine lui a confié.
Parfois l’oralité trouve toute sa force dans l'écriture.
Car elle peut résonner dans la tête du lecteur, ouvrir son esprit à
son
appel.
C’est pourquoi, la dénomination de «
l’Ecriture Orale » est pour
moi
L’ouverture de cette adaptation.
Le rythme et la résonance du texte au sens poétique appellent en
moi ceci
«
:
Allumer le feu
»
: allumer l’intérêt en
chacun de nous.
Le « Je veux écrire » de Flora Devatine répond à cet appel en elle.
Comme chez tous les autres.
124
Articles
Comment l’illustrent-ils ? Par « l’Ecriture Orale »,
Nouvelle forme officieuse du langage polynésien.
Voilà ce qui est de mon sujet de recherche
Qui est encore en cours de développement...
Merci de votre patience à la lecture de cet article.
Glenda Mou Kui
(Etudiante à l’I.U.F.M. de la Polynésie Française,
en C.A.RE.S. de Lettres Modernes)
(Le 12 novembre 2005, à Pirae :
Un remerciement pour Flora Devatine)
125
Littérama’ohi N°10
Mélissa Kokauani
TE HA’AMETA’U OTE FENUA ‘ENATA
Faire le tour de Tahu ata, son île, est le but que s’ext fixé le jeune Teiki, ori-
ginaire de la vallée de Hanami’ai. Le sorcier du village pourra t-il l’aider?
Mais quel est cet effroyable oiseau de fer qui survole la vallée?
I ômua hoî, e pohuè nei te tau ènata me he mea a àtou i
hani, i ôto te kaavai o Hanamiài i te fenua o Tahuata, E tiaî nei te
tau vehine me te tau toïki, ta àtou tau ahana a koèà to àtou tau
motua. Ua hee hoî àtou i te àvaià e ùa à te nei. Ua tü te ôumati,
ua tani te
vaa
pahu me te pu me te hahi no te apuu. Ua tihe te tau
i ùna o te one, mea mate oko te tai, Ua tuha àtou e îma ià
ma te huaa faè, meitaî ia maakau e fâ ônohuu huaa faè. Aè nui
oko te ià, no èià, ua haatoitoitia te tuhatina.
E îa e tahi mahaî hou o Teiki to ia inoa. Tomua pô, maïmaî hua
mahaî e too e tahi vaa, no te îte e aha te hakatu o te fenua ma
hiva mai o Hanamiài, Mea à aï koàna ia Teiki e fiti ma ùna mai,
no te mea ua koàna to ia motua i te
mateapaô ia ia. Ua popahi
to ia kui peenei à :
"
Tuu mahaî, a fiti ôe a kohi te àuti ma te kaokao o te kaa—
vai i uta ",
Ua fiti Teiki, ua tahu te àu poà mea àma no te fiti àua me to
ia tunane o Tai. Me te koàna ta àua àuti, ua hua i te faè, ua koi
hoî àua, eïa e topa nei te ua. Ua hana te kui o Teiki te àpau, meia
toia maakau e moû te memae o ta ia ahana.
Ua maama te fenua, ua fiti te mataèinaa o Hanamiài e kohi
te puku kai no he tua ivi, oia hoî te taime kanahau.
Aè hoî Teiki e fiti me àtou, ua tamata hakaùa ia te hee no he
one mea
126
pahu te vaa, aè e hee hakaùa. Ua vevaô to ia motua :
Vive l’écrit
—
—
"
Teiki e, a mai ôe! " Ua kiiete hua mahaî nei :
"
Kaôha ôe tuu motua, ua meitaî ôe ?
E ;
—
Ihea tahipito tau ènata
—
?
Ena ua fiti paotu i ùna o te tuaivi no te kohi te tau puku
—
mea kai
;
E aha te piô aî ôe i fiti me àtou ?
—
Ua paôpaô au, maimaî au e hee te tai kaukau ;
E pô, hakaôno mai ôe, e fiti taua i ùna e kohi te puku me
—
—
àtou, aè ôe e hee te tai kaukau, teia e nui aè te memau kai, "
I tenei ua fiti àua. te tihetina, ua kohi mei ia àua. Ua hohonu
te ôumati i ùna o te tuaivi, ua kohi àtou paotu te nui ia o te puku
mea
kai, tuu i ôto te tau kete keànatia me te tau poà, Ua peàu
ti tahi vehine pènei à :
"
Ena hoa, a pei tatou a hua, ua àva tenei, nui oo tenei
—
memau
kai,"
Katahi àtou, ia pao ua
motua. Ua ui atu te kui :
—
"
Tuu ahana e, ua meitaî ôe mei to ôe mate ?
e, no te aha
—
hua io te faè o Teiki o Tai me te
?
aè ôe îte nei ?
—
Oia mea à, ua hui kë au "
—
Meia ua èka àua i ôto ta àua teào, ua naô Teiki mei vavena
I hua ava, ua hua hakaùa Teiki no he one aôè ia e mai-
o àtou,
mai e îte tia ta ia hana, ua hakanà hoî ia ma hope te tua o te tau
ènata vii nei ia ia.
E îa to ia tuaana o Tai e koi nei ma hope o ia, Ua ui ia Teiki :
—
"
Teiki e, pehea ôe e naô ana hakaùa? E tiôhi nei au ia ôe,
mea ke anâtu to ôe hakatu te nei tau â;
—
—
Aôè aè he mea, e aha à ta ôe?
Te mea e kofii to ôe, hakaîte mai, te ia e toko au ia ôe. "
127
Littérama’ohi N°10
Métissa Kokauani
Pahono motupü Teïki, me to ia hee atu e keu me tahipito toiki,
Ua ïmi Tai no te aha ua taui te hakatu o Teiki te nei tau â, e
makau pe hoî to ia. I te ava, ua topa te ôumati, ua hua te tau
ènata paotu io àtou. Putuputu te huaafaè o Teiki no te kaikai, ma
hope mai, ia topa te maôna, ua hiamoe, Ua aa hakaùa Teiki, ua
tu, aè haatuîtuï, tihe i vaho, tiôhi meitaï tomua e aha me te ènata
e hee à ma hope o ia, aè he mea. Hua hakaùa hua mahaï nei no
he one. Ua ïte ia te hakatu o te tai me te metani, aè te mea toitoi
Pao tamata i te pahu te vaa tohe tai, aè
koàna mea tono oo te vaa, e vaa keî. Pahu hakaùa aè e neue,
noa, ua tiaî ia ia moû.
Tihe to ia paôpaô tina, ua huka hoî, tau te hiamoe, hua io te faè,
I tenei â hou, maama nui te fenua, ua kekaa te pua ma te
kaokao faè o Teiki. Ua aa, hooi to ia mata. Ua peàu peenei à to
ia motua: « Teiki, tenei â e hee tatou e kohi te keâ mea haakeî
te tohua faè". I èià, ua hana ta àtou hana. Te koatina, ua èe
hakaùa Teiki no he one, aè hoî ènata i îte.
Ua ôno Teiki titahi memau tuïtuî, îi oko. Ua îmi, tiôhi ma na
kaokao, aè he mea, tiôhi te ata àni; e ta ua îte ia e tahi memau,
ua too te ata o te manu hakatu kë. Ua maakau ia, e manu maîta,
kii feô mehe paapaa, me te memau kapoîpoî i ùna o na pekeheu, veô koa, te paona aè he huu.
Ena hoî e tahi ènata kii maîta i ôto, e ona à, mea oko nui
tenei huîkê, Ua ona hua manu i ôto te kohu te keke tütina ôumati.
hua ava, ua îte te mataèinaa
paotu, ua haametaù,
Haapeipei na haîna toua, me to àtou maakau pè, ena oti te tau
i
ènata kii maîta e tihe mai.
E îa te motua o Teiki, aè haametaù, to ia maakau e hana
tahutahu na te tauà o te kaavai. O Taki to ia inoa, kooua ia, ua
îte ia te pohuè meitaï no te mataèinaa, te ia èhua, te ia èhua. No
128
Vive l’écrit
te haaèkaèka a te kaavai o Hanamiài oia te piô aè te mataèinaa hakaïki me te
haatepeiù.
Mea meitaï oko te pohuètina te tihena o hua teào hou nei, ua
huikë mei te tauà. Ua hee te poï haaàvei me hua ènata o Taki :
—
"
E, ua ôno te teào hou ? "
Pahono atu ia :
"
E, e aha à ? Ua tomo ôtou to he kofii ?
Aôè, e makau matou, e aha aè koàna ia ôe e haamaama ia matou, aè matou i îte e tapaô oti te à no te tauà?
E oti, e îmi au te teào toitoi, te nei a hua io to ôtou tau faè !
Naù e àve atu te teào hou ia koàna mai, moi ôtou haa nui te
teào, a tiaî mai, aè koa."
—
—
—
Ua hana Taki te hana, oia aneiho te ïte, ua kohi te àu, te
hakatu o te tau tumu àkau, Ma hope mai ua tahu te ahi, tunu
hua àu nei, Ua tatau Taki i ôto te kehu ahi, e îa e pohuè nei titahi
ao maama ma hiva mai o te fenua, Tatau hakaùa ia te kehu ahi,
ua hakaîte mai nei e îa te hakatu o te
poï ke, Pehea ôa ia hee io
te à taha, Ua hee hua tauà haaàvei me Teiki, ua îte ia te mea e
hee nei hua mahaî haanana te vaa no te hee taha kë,
Ua hee Taki hakaîte te teào hou i te mataèinaa, me he mea ta
ia i îte, Mei èià, ua pahu te tau ènata te vaa no Teiki me Taki, Ua hee
àua ma he tai, na keke ma ùna mai, Ua îte Teîki te tahi memau huïkê
i ôto te tai, e vii à me he ôto ùa, Ua hoe àua, tihe no he one, Ua îte
te manu maîta, me he mea a àtou i îte no he tohua fenua, aè neue.
Ua too àua titahi touà no te toi te à manu. E na oti a ona ?
I hua ava, tihe mai nei te à ènata kii maîta, aè Taki me Teiki e
vivini ta ia teào. Ua haahee ta àtou teào me te îima, a tahi àtou
a vivini,
Ùa peàu Taki ia Teiki :
E ape nei te nei ènata, e aha aè taua e maîmaî e piki i
ùna o te manu, a taki mai ôe te touà aè tena manu e èe,
129
Littérama’ohi N°10
Mélissa Kokauani
—
—
Oia, mea à haametaù au
;
Moi ôe haametaù, e maîmaî nei au e ïte te nei hana tahu-
tahu hou! Pehea hoî tatou?"
Ua peipei àtou no te hee, ua tani te tuîtuî o te pekeheu, ua
koi e ua ona. Ua haametaù Teiki, ua keha ia i vaho. E ia nei, ua
ïte te fenua i àô, mea kanahau oko. Ua vii anatu àua ma he tai
moana.
Ua tau àtou i àô, haavivini i hua ènata kii maîta, e hua
àua i te kaavai o Hamamiài no te hakaïte te nei hana hou a àua
i ïte, mea oko.
I nei i pao ai te memau a Teiki i ùmihi nei.
Mélissa Kokauani
(Elève de BEPA2 du Lycée agricole d'Opunohu,
Premier Prix, Catégorie: individuellcollège,
Texte publié dans Education Magazine Spécial Vive l'Ecrit N°19, Décembre 2005, p. 51-53,
Revue de l’Education en Polynésie française éditée par le
Centre de Recherche et de Documentation Pédagogique- Ministère de l'Education)
130
lexandra Lemmi-Zaoui
RETOUR VERS L’AVENIR
A tous ceux qui, comme moi,
croient que rien n’est jamais perdu d’avance ...
La pluie frappe à la fenêtre, dehors la tempête fait rage. A chaque
rafale de vent, les feuilles des cocotiers sont balayées dans tous les
sens.
L’eau ruisselle le long des branches des arbres, et les feuilles
mortes tombées à terre tourbillonnent dans l’air.
Au loin, le tonnerre gronde... de temps à autre, un éclair illumine le
ciel. A l’intérieur, tout est sombre, comme c’est étrange, pourtant c’est
le jour ! Le nez collé à la vitre, je contemple la danse de la pluie, et le
ciel joue du tambour... Un spectacle que nous offre « Dame Nature ».
Je
déambule
dans
la
maison
et
l’ennui
pénètre
mon
cœur.
Machinalement, je m’assoie devant la télévision... Justement le journal
international commence...
Le présentateur,
annoncer les
—
«
PPDA a pris la tête de circonstance pour nous
misères et les horreurs de ce monde.
Madame, mademoiselle, monsieur, bonjour... Merci de votre
attention. Voici les titres de l’actualité de ce lundi.
Angoisse en IRAK, l’ultimatum des ravisseurs expire à minuit et
l’on a toujours pas de nouvelles des deux journalistes enlevés. La corn—
munauté lance un appel pour la libération des otages enlevés pour servir de monnaie d’échange. »
En IRAK toujours, l’Amérique est en état de choc après l’annonce
de l’exécution en direct par décapitation d’un Américain.
Autres titres...
« Double attentat suicide en ISRAEL, un bus explose en plein
centre ville. Il contenait de nombreuses personnes partant au travail...
—
Un attentat revendiqué par un groupe de terroristes palestiniens
Emotion en RUSSIE, après la prise d’otages d’une rare sauvagerie de 156 enfants, un commando a donné l’assaut dans un chaos
—
131
Littérama’ohi N°10
Alexandra Lemmi-Zaoui
indescriptible qui s’est achevé dans un bain de sang... Au total, 300
morts et de nombreux blessés. C’est un choc pour toute la Russie, la
bombe a été activée par une femme kamikaze.
—
Direction maintenant... l’ASIE où un terrible raz de marée a
dévasté les côtes indonésiennes et causé des milliers de morts. Les
plongeurs tentent désespérément de les repêcher avant qu’ils ne soient
méconnaissables. Des cadavres d’hommes et d’animaux gisent étendus sur le sol alors que d’autres ont déjà commencé leur décomposition, accentuant ainsi le risque d’épidémie qui menace une population
anéantie. Les autorités tentent d’établir un bilan de la situation mais des
centaines de cadavres demeurent à ce jour non identifiables. » Les
nouvelles' du monde sont déprimantes. Préparations d’embuscades,
attaques à la grenades, guerre, incendie volontaire, pollution, navire pris
en flagrant délit de dégazage dans l’océan, drogue, corruption, sida,
violence à l’école... Des images terribles, des scènes d’hystérie, des
gens qui courent, des visages affolés, qui crient, qui pleurent, du sang
partout...
Tout se mélange dans ma tête et je ne comprends pas. Décidément,
les hommes deviennent fous... Comment trouverais-je ma route dans
ce monde chaotique ? Quel chemin devrais-je suivre... ? Quel avenir
sera le mien...
?
Je préfère retourner dans ma chambre. Justement je dois commencer à écrire mon texte pour
«vive l’écrit», le thème de cette année : «La
magie c’est magique !» Je m’installe confortablement en mâchonnant
mon crayon, et je cherche l’inspiration...
«La magie... la magie ! la magie ? quelle magie ? Mais de quelle
magie veulent-ils que je parle ? De celle qu’on voit tous les jours à la
télévision ? Comment ?... Mais comment vais-je écrire mon texte après
cela ? Et là... je l’avoue je flanche devant cette page blanche. À moins
que... Et si par un coup de baguette magique, nous effacions toute cette
misère ? Par la magie de l’écriture, je vous entraîne dans un monde
merveilleux, ce monde où les gens sont heureux, celui dont seuls les
enfants détiennent la clé. Mais avant de tourner la page et pour que la
magie s’accomplisse, il vous faudra d’abord oublier l’adulte que vous
—
132
Vive l’écrit
êtes pour laisser la place à l’enfant qui sommeille en chacun de vous...
Seuls, ceux qui auront su garder une âme d’enfant pourront pénétrer
dans cet univers où tout redevient possible. Avez-vous déjà oublié cet
enfant insouciant et rieur ? Vos jeux et vos fous rires ? La seule chose
dont je sois sûre, c’est que chaque adulte a d’abord été un enfant.
Les difficultés de la vie ont pu parfois vous le faire oublier, j’espère
que mon histoire vous le rappellera...»
Préparez-vous à vivre une histoire exceptionnelle, une aventure
que vous n’êtes pas prêts d’oublier. Nous allons colorier en rosé et en
bleu les nuages, sécher les gouttes de pluie sur les fleurs, faire briller le
soleil et retrouver le beau temps. Notre imagination fera le reste.
Après tout, dans «imagination» il y a le mot «magie».
Voilà, si vous êtes prêts, je vous ouvre le chemin...
Bienvenue dans un monde imaginaire, un monde sans les horreurs
de la guerre...
Car c’est ici que le rideau va se lever...
La nuit était tombée... et l’orage redoublait de puissance, le
tonnerre grondait et j’étais toujours là, devant ma page blanche.
Je cherchais l’inspiration...
Les éclairs zébraient le ciel dans un vacarme assourdissant
quand soudain, un bruit sourd me fit sursauter. Quelqu’un frappait à
la porte. Trois coups bien distincts venaient de résonner. Je me
levais, et en sortant de ma chambre, je m’aperçus que la lumière du
salon était éteinte. Tout était sombre. À tâtons, je me dirigeais vers
la porte d’entrée. Qui pouvait bien venir ici par un temps pareil ?
J’ouvris la porte et... surprise ! Il n’y a personne ! C’est
étrange... Je m’avançais sous le porche et me penchait des
deux côtés. Tout était noir, Dehors la tempête faisait rage. Rien
que le sifflement du vent qui s’engouffrait par l’ouverture de la
porte. Ça alors ! Je n’avais pourtant pas rêvé. Haussant les
épaules, j’allais faire demi-tour. C’est alors qu’un éclair déchira
le ciel, et le tonnerre ébranla l'air. J’eus un sursaut de peur, et
un étrange sentiment m’envahit.
133
Littérama’ohi N°10
Alexandra Lemmi-Zaoui
Lentement je me retournais, et... tout à coup je fus pétrifiée
d’effroi. Mon cœur se mit à bondir hors de ma poitrine, et mon
sang se glaça. Un frisson me parcourut le dos. Une silhouette
sombre et imposante, enveloppée dans une longue cape se
tenait devant moi. Je fis un pas de recul, tout en écarquillant les
yeux. Une voix grave et inquiétante me dit :
—
Bonsoir, Alexandra !
Tout en bégayant je lançais :
—
Qui... qui êtes-vous, vous connaissez mon nom ? Que
voulez-vous ?
—
—
—
—
—
—
Vraiment, tu ne le sais pas ?
Non, je... je ne vous connais pas.
C’est pourtant toi qui m’as appelé !
Moi ? Mais comment ça ?
Tu cherchais un chemin... je crois, Tas-tu trouvé ?
Un chemin ?... euh... ah oui... je me posais des ques-
tions sur mon avenir, et cela m’inquiétait
—
C’est pour t’aider à répondre à cette question que je suis
là... Depuis le fond des âges et à travers l’espace et la matière,
je suis venu pour toi.
—
Pour moi ?
Oui, sache que tu as devant toi le plus puissant des
magiciens de tous les temps...
Le plus puissant ! wouaouh ! Plus fort que Harry Potier ?
Oui, plus fort, beaucoup plus fort... mon pouvoir est... illi—
—
—
mité.
—
Qu’attends-tu de moi ?»
Je n’arrivais pas à y croire, mais j’étais un peu méfiante...
Je lui lançais :
—
—
Pouvez-vous me montrer un exemple de votre pouvoir ?
Ah je vois, tu ne me crois pas ! Cela arrive souvent...
Bien, alors regarde...
Nous étions toujours dehors...
vers
134
Il leva lentement les bras
le ciel et dit d’une voix puissante :
Vive l’écrit
«Que la tempête s’arrête,
et reparte d’où elle est
venue...»
Brusquement la pluie cessa. Un vent tiède se leva et souffia sur les nuages. Devant mes yeux ébahis, une nuit claire et
étoilée apparut dans le ciel. Un
présage sans doute des élé-
ments étranges et merveilleux qui allaient se dérouler. J’étais
scotchée ! Je restais là, bouche bée, incapable de dire un mot.
Au bout d’un moment, il me dit:
—
Cela répond-il à ta question ?
Oui, maintenant je vous crois.
Puis, je l’invitais à rentrer dans la maison. Tout en parlant,
—
je ne pouvais détacher mon regard de son visage. Il était grand,
avec une silhouette imposante. De longs cheveux gris attachés
en arrière et une douce lumière irradiait de lui. Il y avait dans son
regard quelque chose de limpide qui me subjuguait. Un regard
d’un bleu profond, aussi profond que l’océan. Sa voix était calme
et rassurante.
Nous parlâmes longtemps, très longtemps, jusqu’aux premières lueurs de l’aube des misères de ce monde et je lui fis
part de mes inquiétudes sur mon avenir. J’étais particulièrement
choquée par toutes les images inquiétantes que je voyais à la
télévision. Des images de haine, de guerre, de peur, de faim et
de misère. La violence, l’intolérance, les viols, la pédophilie, la
maladie, lés attentats de New-York, les tours jumelles, le terrorisme... La guerre en Irak, des enfants mutilés, orphelins, le tsunami en Asie, le désespoir... Ils avaient massacré la forêt amazonienne, déversé leurs déchets toxiques dans les rivières, pollué l’air, et détruit la couche d’ozone. Enfin dans ce grand ciel
bleu, il n’y avait pas grand-chose de rosé...
C’est dans ces moments-là que je me rendais compte de la
chance que j’avais de vivre dans un pays libre et en paix et je
me sentais
presque coupable d’être protégée de tout cela.
Franchement, j’aurais bien voulu savoir quelles erreurs nos
parents ou nos grands-parents avaient bien pu commettre pour
135
Littérama’ohi N°10
Alexandra Lemmi-Zaoui
nous offrir un monde comme celui-là. Un monde où le
simple fait
d’être amoureux de quelqu’un représentait un risque mortel. Un
monde sans secret sans surprise et sans rêve. Où étaient donc
les exemples des adultes dont nous avions besoin pour nous
construire ?
Comment avaient-ils fait pour en arriver là ?
Il m’expliqua que de toutes les créatures vivant sur terre, une
seule espèce avait eu
l’audace de vouloir dominer la nature :
l’homme. Et qu’aujourd'hui il en payait le prix. Il me dit que les
hommes n’étaient pas prêts pour la paix au fond de leur cœur,
et qu’ils devaient encore continuer leur lente évolution vers la
sagesse. Mais il me rassura en disant :
Ferme les yeux... Oublie ce que tu vois... Qu’est-ce que
—
tu sens ?
—
Je sens de la colère devant tout ce gâchis, car je ne
comprends pas, mais aussi je ressens de l’espoir pour l’avenir...
je veux vivre autre chose que cette vie... Je veux m’envoler dans
le bleu de l’espace, sentir le vent dans mes cheveux... Admirer
le scintillement des étoiles... et réaliser mes rêves. Je veux y
croire. Après tout, rien n’est jamais perdu d’avance... Et je souhaite que toute cette laideur disparaisse.
—
Pourtant le monde est rempli de magie...De là saison
morte de
l’hiver, renaît le printemps... Les petits deviennent
grands... Les jours succèdent à la nuit. De la petite graine tornbée à terre l’été dernier, a jailli la vie...
À sa place se dresse maintenant un jeune arbuste qui, à son
tour, deviendra grand... Ainsi s’accomplit le miracle de la vie...
Dans le creux de la nuit brille toujours l’étincelle de l’espoir, et on
cherche toujours trop loin ce qui est dans le creux de nos mains...
Mais je comprends ton désarroi et je peux changer tout
cela. Demain sera un autre monde, un jour nouveau... Plein
d’espoir et d’amour... L’avenir n’est pas écrit...
C’est étrange, on vient à peine de se rencontrer et j’ai
l’impression de vous connaître depuis toujours.
—
136
Vive l’écrit
—
Il nous faut retourner dans le temps, pour construire un
nouvel avenir...
—
—
Mais comment allez-vous faire... ?
Un peu de magie pour effacer la folie des hommes....
Ce soir-là je m’apprêtais à vivre l’événement le plus extraordinaire que le monde ait jamais connu. Il leva lentement les
bras vers le ciel et prononça des mots étranges comme une
langue qu’on aurait inventée.
C’était fascinant et en même temps effrayant. Puis sa voix
devint grave et il prononça ces mots.
—
Parla puissance de l’univers... que la course du temps s’ar-
rête... et que tout ce qui a été fait... soit à jamais effacé de la réalité...
Lentement, il baissa les bras et se retourna vers moi. Le
cœur encore battant,
—
je bégayais :
Mais... que s’est-il passé ? Je n’y comprends rien !
Une seconde chance pour supprimer la folie des
hommes... J’ai invoqué l’univers, la puissance des quatre vents
—
et la course sans fin du soleil et des planètes. En faisant cela, j’ai
déclenché une réaction en chaîne qui a effacé tout ce que tu as
connu
depuis le début de ce siècle. Dans quelques heures, le
monde se réveillera et prendra conscience du changement du
rythme de la vie. J’espère que ce bouleversement sera suffisant
pour apporter aux hommes plus de réflexion et de compassion...
En supprimant la souffrance, on effacera peut-être aussi la
haine... Uamour guérit... Et quel que soit l’endroit où nous
vivons, ce message est éternel... Et il se leva une aurore comme
le monde n’en avait jamais vu...
À présent viens avec moi, entrons à l’intérieur... tu vas
comprendre...
—
Il me dit d’allumer la télévision.
Dès les premières images, je sentis que quelque chose
avait changé. Le présentateur PPDA annonça d’une voix haietante et remplie d’émotion :
137
Littérama’ohi N°10
Alexandra Lemmi-Zaoui
Nous interrompons notre programme pour vous rendre
compte d’un événement extraordinaire qui vient tout juste de se
produire...
C’est absolument incroyable ! Les images de nos envoyés
spéciaux nous parviennent du monde entier ! Nos téléscripteurs
—
sont saturés !
Les yeux alors rivés sur mon petit écran, bouche bée, je
pris conscience de l’ampleur des pouvoirs de mon nouvel ami.
Un événement sans précédent dans notre histoire. Nous
recevons des■ images exclusives de la ville de New-York en ce
moment même ! Ce phénomène inexpliqué et l’hystérie qu’il a
provoquée sont incroyables. La population ébahie est encore
sous le choc ! On entend des cris, des gémissements et des
larmes... Le peuple de New-York, les yeux levés vers le ciel
retient son souffle. Certains tombent à genoux, d’autres hurlent
d’émotion, quelques femmes s’évanouissent et la confusion la
plus totale règne !
Mesdames et messieurs, c’est à peine imaginable ! La
foule est en délire ! Personne ne comprend ce qui se passe !...
—
Le nez collé à mon poste de télévision, ma stupéfaction est
telle qu’elle semble être étouffée par les battements de mon
cœur !
Soudain la voix de PPDA devient
agitée et se remplit
d’émotion...
—
LES TOURS JUMELLES SONT DEBOUT !... ELLES
SONT DEBOUT!... C’est absolument ahurissant !...
Tout le monde est en larmes ! Dans la rue, c’est l’efferves! Des milliers de gens sont descendus dans les rues.
Chacun retrouve des proches, disparus dans les attentats. Les
cence
gens tombent dans les bras les uns des autres ! Les rires succèdent aux larmes. C’est vraiment un spectacle hallucinant...
Mais d’autres images toutes aussi fortes nous arrivent également.
138
Vive l’écrit
En Afrique, nous venons d’apprendre que tes tribus
Masaï sont en ébullition devant un spectacle pour le moins ahu—
rissant...
—
—
Comment pourriez-vous décrire ce que vous voyez... ?
Des dizaines de carcasses d’éléphants massacrés pour
leur ivoire, les défenses sauvagement arrachées, le corps meurtri parla cruauté des hommes, viennent de se remettre debout...
Leurs défenses semblent avoir miraculeusement repoussé. La
majestueuse horde s’est mise en route et vient tout juste de disparaître dans la savane...
Mesdames et messieurs, les images que nous recevons
sont trop nombreuses... Nous n’avons pas le temps de les monter... Nos envoyés spéciaux sont débordés... Ils courent partout,
caméra au poing pour tenter de tout filmer.
Mais nous venons de recevoir à l’instant des images
—-
d’IRAK...
Il semble que le vent violent de cette nuit ait repoussé les chars
de guerre jusqu’aux frontières du pays. Pour la première fois depuis
longtemps, la ville est devenue calme... et le son des bombardements a cessé. Plus loin, les hôpitaux de la ville sont pris d’assaut.
Les familles des malades affluent de tous côtés... Les blés-
sés de guerre commencent à sortir de leur chambre. Mais que
se
passe-t-il... ?
Encore titubants, les yeux hagards, ils se mettent à enlever
leurs bandages et pansements les mains tremblantes... C’est
hallucinant... ! il n’y a plus aucune trace de blessure !
uns
Incrédules, les yeux remplis de larmes, ils s’embrassent les
les autres, le corps secoué par les sanglots... Ce sont des
moments intenses et forts en émotion que nous vous faisons
vivre en direct...
Un père de famille vient de sortir de l’hôpital, affolé, tenant
dans ses bras sa fillette de six ans, tuée sous un bombardement
il y a deux jours...
139
Littérama’ohi N°10
Alexandra Lemmi-Zaoui
L’enfant est souriante et semble détendue. La voix saccadée par les sanglots, il bégaye...
—
Elle était dans le jardin en train de faire du vélo, quand
un obus s’est écrasé à côté...
C’est le plus beau jour de ma vie,
je n’arrive pas encore à y croire...
Puis il se retourne vers l’enfant en disant :
Je croyais t’avoir perdu pour toujours. .. Le soleil ne
brillait plus... Mais à présent je le vois le soleil... Il est dans tes
—
yeux.
—
Ici, tout le monde est terriblement ému, les cameramen
sont en larmes...
—
Des images encore inimaginables il y a deux jours...
Au Moyen-Orient, nous venons d’apprendre qu’un cessezle-feu vient d’être décidé par les deux communautés en même
temps. Israéliens et Palestiniens se pressent dans les bras les
uns des autres. Des milliers de gens sont descendus dans les
rues. Les hommes se sont mis à danser, les femmes rient et
pleurent en même temps... C’est absolument incompréhensible,
tout le monde reste sans voix.
Les
dirigeants des deux pays viennent d’annoncer en
direct, la fin de la guerre... effaçant ainsi des années de larmes
de souffrance... et de rancœur. D’autres images incroyables.
En Amazonie, en plein cœur des forêts, les arbres abattus
par centaines se dressent eux aussi vers les deux. Ils ont regagné la place que «Dame Nature» avait choisi pour eux, défiant
ainsi toutes les lois de la physique...
Les gouvernements de tous les pays du monde se sont
réunis d’urgence. À Washington, le Pentagone est en état
d’alerte maximum...Les services de renseignements essaient
actuellement de trouver une explication à ce phénomène...
Et partout dans le monde, des choses incroyables s'étaient
produites. Les fumées des grandes usines avaient elles aussi
réintégrées leurs cheminées nettoyant du même coup l’azur des
deux. Et tous les peuples de la terre tombèrent ensemble à
140
Vive l’écrit
genoux. Les mal-aimés et les oubliés séchèrent leurs pleurs.
Les malheureux oublièrent leurs chagrins... Les abandonnés et
les coeurs brisés se sentirent vainqueurs.
—
Que s’était-il passé ?... Personne ne le sut jamais... Mais
les trompettes
sonnèrent le rappel du bonheur...
Et l’on vit flotter sur tous les toits du monde le drapeau de
l’espoir.
Nous restâmes silencieux
un
long moment... Puis je lus
dans son regard que le moment était venu.
—
Vous allez partir... n’est-ce pas ?
De la tête, il me fit signe que oui.
—
—
Je suis attendu ailleurs...
Vous allez me manquer..., la vie va me sembler fade
désormais... après avoir vu la lumière des étoiles...
Tout en souriant il me dit :
—
Ne t’inquiète pas... je serais toujours là... La lumière...
elle reste avec toi... Maintenant va... et surtout n’oublie pas... Toi,
génération, possédez le pouvoir d’effacer les
passé. Le monde sera... ce que vous en ferez. Soyez
les magiciens du futur... L’avenir est entre vos mains. Une
et ceux de ta
erreurs du
lourde tâche vous attend... Car rien ne dure éternellement, pas
même les étoiles.
Je restais là, bouche bée, les yeux humides, tandis que je
le vis s’éloigner au bout du chemin. Il se retourna une dernière
fois, et leva lentement la main en signe d’adieu... Ma respiration
devint soudain plus rapide et mon cœur se mit à battre plus fort.
Je me mis à courir de toutes mes forces dans sa direction...
—
Attendez !... attendez...
Tout s’est passé si vite, je n’ai même pas eu le temps de
vous
remercier...
—
Merci de m’avoir montré le chemin... Merci de m’avoir fait
comprendre que j’étais maître de mon destin.
Il plongea son doux regard dans le mien...
Souviens-toi de la magie... L’âme agit...
—
141
Littérama’ohi N°10
Alexandra Lemmi-Zaoui
Je n’oublierai pas... c’est promis....
Puis il disparut dans une explosion d’étoiles... Je restais là,
—
seule avec mes pensées, au milieu du jardin, immobile, reconnaissante et émerveillée... Le regard rempli d’étoiles...
Au revoir magicien... haut dans les airs... une enfant te voit.
Confinue ton chemin... notre belle planète bleue a besoin de toi...
—
Mais une voix m’appelait...
—
—
—
Alexandra... Alexandra... Alexandra... !
Oui !... qu’est-ce que c’est ?
Cela fait trois fois que je t’appelle... tu ne m’entendais
donc pas ?
La tête posée sur mon bureau, j’ouvris les yeux.
—
Oh...man, c’est toi ? ...Je viens de faire le plus mer-
veilleux des rêves... Je faisais un voyage dans le temps.
—
Vraiment ? Cela a l’air intéressant, allez viens... c’est
l’heure de passer à table... tu me raconteras ça.
Alors je me lève et je dirige mes pas vers la porte quand
soudain je
stoppe net... Je me retourne et sur mon bureau,
j'aperçois mon cahier ouvert... La page est toujours blanche. Je
souris, car maintenant je n’ai plus aucun doute, maintenant je
me sens légère. Je sais ce que je vais écrire...
Alors avant de sortir, je m’approche du cahier, et sur la première page, j’écris en lettres majuscules :
«RETOUR VERS L’AVENIR»
Cette histoire, je l’ai rêvé...
Cependant je n’ai jamais pu oublier ces deux phrases prononcées un jour à la télévision par un grand homme d’état.
Il existe deux catégories de gens sur terre.
—
se
Il y a ceux qui voient les choses comme elles sont et qui
demandent POURQUOI ?
Et il y a ceux qui regardent les choses comme ils aimeraient qu’elles soient et qui se disent POURQUOI PAS !
—
142
Vive l’écrit
Je n’ai aucune idée de ce que me réserve l’avenir, mais où
que je puisse me trouver, toujours je m’efforcerai
la seconde catégorie
d’appartenir à
Et vous ?...
Alexandra Lemmi-Zaoui
(Elève de 3° du Collège Sacré-Cœur de Taravao,
Premier Prix Catégorie : individuel!collège
Professeur Mme Montfraix
Texte publié dans Education Magazine Spécial Vive l'Ecrit N°19,
Décembre 2005, p 45-50,
Revue de IEducation en Polynésie française éditée par le
Centre de Recherche et de Documentation Pédagogique - Ministère de l'Education)
143
Littérama ’ohi N°10
Concours Littéraires
ECOLE
GABRIELLE-ROY DE SURREY
CONCOURS
LITTÉRAIRES DE SURREY
Différents Concours avaient été
«
d’affiches
une
» sur le thème «
richesse culturelle»
proposés aux étudiants : un,
Le salon du livre francophone 2005 :
(Catégorie 1), et trois autres, littéraires,
Concours d’écriture Jeunesse 2005 », sur le sujet : « Ma conception d’une île paradisiaque » (Catégorie 2, niveau 5° à
8°),
«
Concours d’écriture Relève 2005 », sur « La Polynésie française :
l’Art Outremer », « un aspect de l’Art Polynésien, que ce soit de l’art
«
traditionnel, peinture, sculpture ou littérature » (Catégorie 3, niveau 9°
Concours Tahiti 2005 », sur le thème : « Tahiti : un
archipel, une culture », où « la tradition ou la forme d’expression
à 11°), et un «
culturelle choisie devra refléter l’identité culturelle
(Catégorie 4, niveau 12°)
144
de
Tahiti »,
LES LAURÉATS
2° Catégorie (5°-6°-7°-8°)
PRIX
Mon île paradisiaque
La vie est difficile
Je la supporte avec misère
C’est ça ma réalité
Aucun endroit où me cacher
Pour m’échapper
Un rêve par soirée
Me suffit pour créer un paradis
Ailes abîmées
J'essaie de m’envoler
Vers une île paradisiaque
Où tout n’est qu’un miracle
Je la partage avec le monde que j’admire
Et avec ceux qui la désirent
Je suis entourée de beauté
Je vois la mer azure et le soleil couché
J’écoute le son de la mer
Les vagues qui se frappent contre les rochers
La conversation entre les dauphins
La chute d’eau qui se jette
En milles gouttelettes
Je respire de l’air pur
Un parfum de pêches mûres
Une odeur toute douce et narcotique
Littérama’ohi N°10
Concours Littéraires
Qui fait fondre mon cœur
Une splendide crème glacée
Qui a un goût exquis à chaque bouchée
Deux cerises à la place d’une
C’est presque le matin pour la lune
Une dernière marche sur le sable tout mou
Une dernière remarque sur ce paysage fou
Une dernière odeur de pêches mûres
Une dernière bouchée de cette nourriture
L’île est mon amie
Elle est aussi ma seule amie
Les dauphins sont mes anges gardiens
Ils me protègent du malheur
Tout est merveilleux ici
Je me sens légère
Comme l’air
Je suis heureuse
Comme une jongleuse
Tout est joli ici
Le soleil est parti chez lui
La lune vient garder la nuit
Je ferme mes yeux
J’espère pour le mieux
S’il-te-plaît, je crie
Laisse-moi rester ici !
Ailes abîmées
Je suis transportée
Vers une autre réalité
Terne et entachée.
La vie est difficile
146
Je la supporte avec misère
C’est ça ma réalité
Aucun endroit où me cacher
Pour m’échapper
Un rêve par soirée
Me voilà à nouveau dans mon île rêvée.
■
.)
Jennifer D.
(Elève de 8", Cat. 2)
2° PRIX
Mon île Paradisiaque
Je te donne dix vœux
Dit le génie heureux
Demande tout ce que tu désires
C’est à toi de choisir
Je veux une très grande île
Aussi longue que quatre cents miles
Elle doit être complètement déserte av
Avec une merveilleuse jungle verte
A l’horizon, on aperçoit un volcan
Une montagne russe passe près de son flanc
Au sol, on retrouve un buffet
Plein de délicieux mets
Ton puit de vœux est épuisé
Je dois maintenant te quitter
Et dans un nuage de fumée
Littérama’ohi N°10
Concours Littéraires
Le génie m’a abandonné
Ah ! Je suis au paradis
Mais où sont mes amis ?
J’ai oublié de les inviter
Je n’ai personne avec qui parler
J’ai tout ce que je veux, je suis chanceux
Mais comment puis-je être heureux
Je vais avoir du plaisir pour le reste de l’éternité
Mais personne avec qui le partager
Julien Proulx
(Elève de 8°, Cat. 2)
3° PRIX
L’île Jehana
Sur l’île Jehana, il y a une petite fille qui s’appelle Tana,
Elle contemple le soleil chaud, qu’elle trouve très beau.
Elle adore la bonne odeur, des très belles fleurs.
Elle va à la plage, pour ramasser les coquillages.
Le sable est beau, elle ses pieds dans l’eau.
Elle baigne dans l’eau, qui est très beau.
Elle va à la maison, pour ses propres raisons,
Et elle s’endort, dans la fraîche nuit dehors.
Alexandre
(Elève de 6°, Cat. 2)
148
-
3° Catégorie (9°-10°-11°)
1° PRIX
Une face esthétique
(Elève de 9, Cat. 3°)
149
Littérama’ohi N°10
Concours Littéraires
2° PRIX
La vahinée
Assise près du quai,
Elle se mit à danser,
D’un pied très agile,
Comme une danseuse de ville.
C’est en la regardant,
Qu’on y observe ses mouvements,
Ornée de fleurs odorantes,
Ce qu’elle a l’air vivante
!
C’est au rythme des tambours
Qu’elle devient troubadour.
Elle fait rouler ses hanches,
Et bouger ses doigts d’ange
!
La vahinée a une longue chevelure dorée,
Qui fait des mouvements alternés,
On peut entendre les chœurs,
Ils dansent et chantent dans la clameur.
Elle a des tatouages vraiment grands,
Des motifs très impressionnants,
Il y a aussi ses idoles,
Qui dansent comme des guignols.
Vanessa P.
(Elève de 9°, Cat. 3 )
150
2° PRIX EX/EQUO
Danse et musique
Les merveilleuses danseuses de Tahiti,
Se déhanchent au rythme des tambours,
Elles nous excitent et nous divertissent,
Nous donnant l’envie de danser jour après jour.
Habillées de leurs jupes et de leurs colliers de fleurs,
Elles ondulent frénétiquement leurs bassins.
Cela nous fait tout simplement fondre le cœur,
La façon dont elles nous tiennent la main.
C’est un peuple joyeux et de bonne humeur,
En effet, puisqu’ils aiment chanter tous en chœur..
Ils sont ouverts et tolérants,
Surtout aux étrangers, aux nouveaux venants.
Leurs chants sont bien souvent religieux,
Ils ouvrent leurs bras et lèvent les yeux,
Et prouvent fièrement leur fidélité,
Aux dieux qu’ils ont toujours aimés.
Maintenant je ne peux m’empêcher,
De me lever et de les accompagner,
Dans leur danse sensationnelle,
Qui m’emporte de plus belle.
Je me rappellerai pour toujours,
De cette expérience qui m’a fait tomber en amour,
Avec la plus belle île de la galaxie,
Je veux bien parler de l’île de Tahiti.
Diana Ngo
(Elève de 9°, Cat.3)
151
Littérama’ohi N°10
Concours Littéraires
3° PRIX
Poème sur Tahiti
Sur la petite île au centre du Pacifique,
On se trouve dans le cœur d’une culture si magnifique
Dans une place où le soleil brille continuellement,
Et les vagues qui n’arrêtent pas pour un seul moment
Je peux sentir l’odeur splendide des fleurs exotiques,
Et à la distance, j’entends un son si magnifique,
BOOM BOOM,
Les battements des tambours
BOOM BOOM,
Ils continuent toujours
BOOM BOOM,
Je deviens curieux,
Je veux savoir plus sur eux,
BOOM BOOM,
Je m’avance de nouveau,
BOOM BOOM,
Et Oh...Comme c’est beau !
Tous les gens joyeux qui font la fête,
Avec des couronnes de fleurs placées sur leurs têtes,
Les couleurs vives avec les filles qui dansent autour,
Je me demande si je pourrais le faire un jour,
152
Les tambours s’arrêtent et la chanson est finie,
Tout le monde applaudit et une autre crie youpee
!
Je retourne sur mon chemin qui m’amène à la plage,
Et je regarde devant moi l’horizon qui est si sage,
Je réfléchis sur les événements de l’après-midi,
Et mon temps merveilleux passé à Tahiti.
Stéphanie Colledge
(Elève de 10°, Cat. 3)
CViIlp-rVv*.
153
Littérama’ohi N°10
Concours Littéraires
4° Catégorie (12°)
1° PRIX
Tahiti
L’océan pacifique
Les vagues sous le vent
Que c’est magnifique
Étendue sur le sable
Autour du récif
Entourée de coraux
On entend des cris
Des cris d’oiseaux
Une île volcanique
Entoure de palmiers
Une ville touristique
Un pays ancien
A travers le marché
Arôme de fruits
Temps de déguster
Et vivre la vie
Une langue inconnue
Parlée à travers les villages
Une langue reconnue
La langue française
L’envie de nager
Autour de la côte
Les dauphins
Qui s’amusent, qui sautent
Au bout de la plage
A travers l’azur
Tout est sage
154
Tranquille et immobile
De l’océan pacifique
Un collier en nacre
Un trésor magnifique
Pour quelqu’un d’important
Au coucher du soleil
Temps de dire au revoir
Quelle merveille
Ce pays, Tahiti
Stéphany Groleau
(Elève de 12°, Cat.4)
\
155
Littérama’ohi N°10
Concours Littéraires
2° PRIX
Tahiti
Au sud de l’océan Pacifique, se trouve le paradis,
Sur une île de beauté,
Sur une île de tranquillité,
C'est la beauté magnifique sur l’île de Tahiti.
La plage de sable blanc,
Le soleil chaud et brillant,
On y trouve des palmiers par milliers,
L’eau est fraîche et azurée.
L'ambiance est très relaxante,
Les femmes sont éblouissantes,
La nature indescriptible est incroyable,
A cause de la majesté de sa mer tropicale.
La beauté d'un bijou de nacre ne peut être comparée à cette terre
Toutes les personnes qui s'y trouvent prospèrent,
Nous voudrions y rester toute notre vie,
Car le meilleur endroit au monde, est Tahiti...
Dominique Imano
(Elève de 12°, Cat.4)
156
Tahiti
En fermant les yeux
Je sais que tu peux
Imaginer ta fantaisie
Un endroit de magie
Une île de nacre bleutée
Entourée par un azur brillant
•Symbolisée par le tiaré
Un paradis pour tous les gens
Peinte avec un arc-en-ciel
Une plage avec du sable blanc
La vue est très belle
C’est un paysage touchant
Une boule de feu éclaire
Des vagues ondulent à tes pieds
De l’air frais venant de la mer
Tu ne peux rien nier
Tahiti est une île très belle
Ce n’est pas très grand
Sucrée comme une pomme cannelle
Rythmée avec un chant
Retournant à la réalité
Se rappelant de toutes les beautés
On referme les yeux
La fantaisie est mieux.
Kaitlyn Yates
(Elève de 12°, Cat.4)
157
Littérama’ohi N°10
Salons du livre
12° SALON DU LIVRE DE L’OUTRE-MER À PARIS
SUR LE THÈME
«
JEUX DE MIROIRS
»
Les auteurs auteurs polynésiens présents et dédicaçant leurs plus
récentes
publications : Marie-Hélène Villierme : Tangata (octobre
2005) ; Sylvie Couraud : Dans l’ombre du jour (octobre 2005) ; JeanMarc T. Pambrun : Le Bambou noir (octobre 2005)
Flora Devatine présentait la revue Littérama’ohi n°7 (octobre
2005), les ouvrages des auteurs fondateurs de Littérama’ohi, publiés à
compte d’auteur ou aux Editions Te Ite, et VEnfant des Dunes et Pierres
Ecrites (septembre 2005) de R-J Devatine.
Jean-Marc T Pambrun y participait à un débat.
D’une année sur l’autre, nous avons pu constater une fréquentation
plus grande des étudiants polynésiens au Salon et leur intérêt pour la
production des auteurs de la Polynésie. Quant au lectorat métropolitain,
jusque-là plus familier à la littérature francophone antillaise, timidement
il commence à s’ouvrir à ce qui s’écrit en Polynésie.
158
2° SALON INTERNATIONAL DU LIVRE OCÉANIEN
(SILO) À POINDIMIÉ (NOUVELLE CALÉDONIE)
SUR LE THÈME
«
NATURE ET ENVIRONNEMENT »
Organisé par la Bibliothèque Bernheim pour le compte
du gouvernement de la Nouvelle Calédonie
grand Merci à la Nouvelle Calédonie, à Dewé Gorodé, à
Chrristophe Augias, pour avoir fait de la Polynésie l’invitée d’honneur du SILO, prenant entièrement en charge quatre auteurs
polynésiens : voyage et séjour, et ce pendant deux semaines : MarieClaude Teissier-Landgraf, Chantal T. Spitz, Célestine Hitiura Vaite, Flora
Un
Devatine. Ils ont été
rejoints par Sylvie Couraud, et par l’éditeur
Christian Robert. Tous ont participé à plusieurs débats :
Marie-Claude Teissier-Landgraf : débats sur « la mer » ; sur
écrire sa terre » ; « intervention sur la littérature polynésienne » ;
Chantal T. Spitz : débats sur « écrire sa terre » ; sur « la France dans
«
Pacifique » ; « intervention sur la littérature polynésienne » ;
Célestine Hitiura Vaite : » intervention sur la littérature polynésienne » ;
Flora Devatine : sur « La tradition dans la création » ; sur « l’attachele
ment à la terre
» ; Sylvie Couraud : « intervention sur la littérature
polynésienne », Christian Robert : « intervention sur la littérature
polynésienne ». Une lecture de textes des auteurs polynésiens y a été
donnée par la Compagnie des enfants migrateurs.
Prélude à la Semaine de l’Océanie à la Comédie française en jan-
vier 2006.
Nous nous devons de souligner l’effort énorme consenti par le gou-
vernement, les institutions et les services de la Calédonie en faveur du
maintien des liens historiques et culturels entre nos deux Pays d’Outre-
Mer, en l'occurrence dans le domaine de la littérature.
159
Littérama’ohi N°10
Salons du livre
FONDEE en 1987
Surrey, le 5 décembre, 2005
Flora Devatine
Délégation de Tahiti
Madame Devatine,
Il
me fait plaisir, au nom des membres du conseil d'administration de l'Association
Francophone de Surrey et de tous ses membres, de vous remercier d'être tous venus à
Surrey pour notre premier Salon du Livre le 29 novembre. De plus, je suis contente que
vous et René-Jean
ayez pu vous rendre à Victoria pour les deux jours de leur Salon du
Livre les 2 et 3 décembre.
Les élèves et les adultes ont tous apprécié les présentations que vous et René-Jean avez
faits, ainsi -que les photos et reportage de Marie-Hélène Villierme et les histoires
d'Elizabeth Poroi. Les 12 gagnants des concours sont ravis des prix que vous leur avez
offerts et les adolescents qui ont participé au concours d'écriture sur Tahiti ont
beaucoup appris... ils ont tous le goût de s'y rendre un jour. Je suis convaincue que nos
jeunes apprendront beaucoup sur la Polynésie en lisant tous les beaux livres que vous avez
laissés en don à la bibliothèque de l'Ecole Sabrielle-Roy.
J'espère que votre séjour au Canada enneigé vous a plu et que nous aurons la chance de
vous accueillir parmi nous encore très bientôt.
Bon voyage de retour,
Nora Chelali
Présidente
Association Francophone de Surrey
6887 132 Street, Unit 191, Surrey BC V3W 4L9
Téléphone: 604 597 1590 Télécopieur 604 599 6628
Courriel: afsurTey@telus.net
Cinquième édition
SALON DU LIVRE FRANCO-COLOMBIEN 2005
Invités : Céline Forcier, auteure de l'Ontario français
Flora Devatine, auteure de Tahiti
Artistes de Tahiti.
Les écrivains franco-colombiens.
Exposants : Sophia Books, French Bestsellers,
Québec Loisirs, Belle-île en Livres et artistes.
Le 29 novembre, École Gabrielle-Roy
(Surrey) : 10 h à 20 h
Les 2 et 3 décembre, École Victor-Brodeur (Victoria) : 10 h à 18 h
Association des écrivains
francophones de la C.-B.
Tél. : (250) 595-2209
Nous remercions la contribution du :
<
160
j
Conseil des Arts
Canada Council
BRITISH COLUMBIA
du Canada
for the Arts
ARTS COUNCIL
LE SALON DU LIVRE DE PARIS 2006 :
INVITÉ D’HONNEUR : LA FRANCOPHONIE
Association des éditeurs de Tahiti et des iles
Les éditions Haere Po
Les éditions Le Motu
La Société de Etudes Océaniennes
Les Editions des Mers Australes
Le musée de Tahiti et des iies
Les éditions de Tahiti
Les éditions Au vent des Iles
Littérama’ohi
Les éditeurs et auteurs de Tahiti étaient présents, en force, au 26e
Salon du Livre de Paris, qui s’est tenu du 17 au 22 Mars 2006 porte
de Versailles, Hall 1.
Fruit d’un travail de longue haleine, nous avons réussi le pari (qui va
dans le
sens
de
l’Histoire) de fédérer la Polynésie française et la
Nouvelle-Calédonie sous un pavillon commun : un stand Océanie.
Six jours à la rencontre de tous les acteurs de l'édition, notamment
2000 auteurs et illustrateurs pour de nombreuses séances de dédicaces,
161
Littérama’ohi N°10
Salons du livre
plus de 1200 éditeurs français et étrangers, et tous les livres, de la poésie à la bande dessinée, du polar à l’essai...
La découverte de la littérature étrangère participe à la dimension
internationale du Salon avec plus de 300 éditeurs venus faire découvrir
la littérature de plus de 25 pays.
Le lieu idéal pour présenter la littérature du Pacifique, d’autant que
cette année, la littérature francophone sera l’invitée d’honneur de ce
26e Salon du Livre de Paris. Il s’inscrira dans l’ambitieux Festival des
cultures francophones en France qui se tiendra dans le pays de mars à
octobre. L'intitulé exact est “francofffonies-festival des cultures fran-
cophones en France”. Le 50e anniversaire du premier congrès des
écrivains et artistes noirs réunis en septembre 56 à la Sorbonne par M.
Senghor sera commémoré. La présence francophone au Salon du livre
constitue une nouveauté dans l’organisation puisque c’est un unique
pays (ou région) qui est en principe invité.
Force est de constater qu’aujourd’hui, bien que le secteur de l'édition soit extrêmement dynamique dans nos îles (Polynésie française,
Nouvelle Calédonie), l’existence même d’une littérature spécifique est
inconnue au-delà du Pacifique.
Nous participons tous les ans à ce salon, hébergé par le Ministère
de l’Outre mer, qui, de fait regroupe des imposants confrères ultramarins, comme les Antilles, ou la Réunion. Le passé littéraire de ces départements nous laisse le rôle de parent pauvre.
Nous souhaitons aujourd’hui porter à la connaissance des éditeurs,
des libraires, des bibliothécaires mais aussi des lecteurs métropolitains
la réalité de notre littérature.
Nous invitons tous les polynésiens, calédoniens, océaniens, amis
de la
Polynésie, de la Nouvelle-Calédonie, de l’Océanie, présents à
Paris, à venir sur notre, votre stand, (K 179), du 17 au 22 mars.
Christian Robert,
Président de l’Association des éditeurs de Tahiti et des îles
50 95 95 - 77 01 00
162
SALON DU LIVRE FRANCO-COLOMBIEN 2005
5e édition - Mardi 29 novembre
à l’école Gabrielle-Roy à Surrey : 10 h à 20h
par
L’ASSOCIATION DES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
DE LA COLOMBIE BRITANNIQUE
en
partenariat avec
L’ASSOCIATION FRANCOPHONE DE SURREY
Entrée gratuite
LES ACTIVITÉS
:
Programme entre 10h00 et 15h00:
Au théâtre entre 10h00 et 15h00 (les activités se répètent aux
heures):
Mini concert avec les élèves de musique de l’école
Histoire racontée avec animation par Zaza (Elisabeth Poroi)
•
•
•
notre conteuse tahitienne
•
Projection des photographes tahitiens Marie-Hélène Villierme et
René-Jean Devatine
Au carrefour (continuel):
•
Le pianiste Samuel Sixto
•
Flora Devatine auteure tahitienne
•
French Best Seller
•
Sophia Books
Au Rond-Point et à la bibliothèque (continuel)
•
Les auteurs franco-colombiens: Pernelle Sévy ; Emmanuel Leroy ;
Jean-Claude Boyer ; Jean-Claude Castex ; Josse Schoonheyt ;
Christian Recizac
163
Littérama’ohi N°10
Salons du livre
Au théâtre à 15h30,17h00 et 18h30:
Projection d’un documentaire en avant première sur les costumes
et les fêtes à Tahiti par Marie-Hélène Villierme
AUTRES INFORMATIONS
Nos invitées d’honneur :
•
•
Madame Flora Devatine, auteure de Tahiti
Madame Céline Forcier, auteure des Éditions du Vermillon
d’Ottawa de l’Ontario français.
•
Madame Monique Genuist, auteure de la Colombie-Britannique
Lancement de livres :
•
Un Canard majuscule de Céline Forcier
•
La petite musique de clown de Monique Genuist
•
Bravade, bravoure et bavardage de Jean Lebatty
•
Parole de chat / A car’s Life de Monique Genuist
Invités :
•
Monsieur Jean-Claude Castex, écrivain francophone de la C-B et
membre de l’AFS
•
•
•
•
Monsieur Josse Schoonheyt. écrivain francophone et artiste de
Surrey et membre de l’AFS
Monsieur René-Jean Devatine, photographe tahitien
Madame Marie-Hélène Villierme, photographe tahitienne
Madame Zaza (Elisabeth Poroi), conteuse tahitienne
Les exposants:
•
Librairies: SOPHIA BOOKS de Vancouver, de
BELLE-ÎLE en
LIVRES
•
French Bestseller Distribution Co. (Films français, DVD, Vidéos, et
CD de musique française) de Vancouver
•
164
QUÉBEC LOISIRS
Contribution artistique et culturelles :
•
peintres, sculpteurs, photographes, musiciens classiques)
Remise des prix aux gagnants du Concours d’écriture et d’affiche Jeunesse 2005:
•
le 29 novembre à 16 h.
Information :
•
Association des Écrivains francophones de la Colombie-
Britannique, 1913, rue Neil, Victoria, C.-B. V8R 3C8
Tél : (250) 595-2209 - Télécopie : (250) 595-2249
aefcb@shaw.ca - www.aefcb.ca
•
•
•
•
Rencontre avec des écrivains
Exposition et vente artisanale
Séances de signatures
Prix concours d’écriture jeunesse
165
Littérama’ohi N°10
Chantal Lefèbvre
EXTRAITS DU
«
«
MOUSTIQUE PACIFIQUE »
SALON DU LIVRE FRANCO-COLOMBIEN 2005
Mardi, 29 novembre 2005, à l’École Gabrielle-Roy du Surrey,
(Vancouver) En partenariat avec l'Association des francophones de
Surrey, le Salon du livre franco-colombien 2005 ouvrait ses portes à l’École Gabrielle-Roy. L’Association des francophones du Surrey recevait
Madame Flora Devatine, auteure de Polynésie et Présidente de
l’Association des écrivains de Polynésie ainsi que plusieurs autres délégués de la francophonie dans cette région du Pacifique. Madame
Devatine s’est offerte à récompenser les élèves de l’École GabrielleRoy qui avaient participé à un concours d’écriture sur la Polynésie par
de magnifiques prix. Les élèves ont pu assister, dans le théâtre de
l’école, à la projection d'un remarquable film documentaire sur la
Polynésie. La présence du libraire Marc Fournier de Sophia Books et
celle de Roger Kayat de la Compagnie French Best seller à Vancouver
(films, DVD, CD et vidéos) ont enrichi cette journée de la culture et de
la littérature.
À l’étage, la grande salle de la Bibliothèque de l’École Gabrielle-
Roy, accueillait YAssociation des écrivains francophones de la
Colombie-Britannique et ses auteurs. Plus d’une dizaine de tables sur
lesquelles on pouvait découvrir les oeuvres des écrivains franco-colombiens et les livres des Maisons d’édition canadiennes pour les jeunes,
les adolescents et les adultes. Plusieurs tables étaient réservées aux
écrivains offrant des rencontres et des séances de signatures.
L’auteure invitée, Céline Forcier a rencontré les élèves de 8e année
(Madame Marie-France Auger, auteure d’une récente étude sur les écrifranco-colombiens). Élèves ayant également participé aux
vains
Concours d’écriture et d’affiche Jeunesse 2005. Des « Prix en livres »
ont été distribués aux gagnants par Chantal Lefebvre.... »
166
...Mme Devatine a publié entre autre, un ouvrage de réflexions
poésie et la prose et leurs rapports à l’écriture. Cet ouvrage s’intitule Tergiversations et Rêveries de l’Écriture Orale publié chez l’éditeur
Au vent des îes à Tahiti. Elle dirige également une revue littéraire appelée Littérama’ohi, Ramées de Littérature polynésienne. Le dernier
volume, numéro 7, daté en octobre ne contient pas moins de vingt-cinq
«
sur la
auteurs collaborateurs.... »
«
...Dans le cadre d’échanges culturels internationaux, l’Association
francophone de Surrey a reçu des auteurs francophones de la Polynésie française, dont Madame Flora Devatine de Tahiti, grâce à la collaboration de l’école Gabrielle-Roy de Surrey dans la banlieue Sud de
Vancouver, du Conseil scolaire francophone de la ColombieBritannique et de l’Association francophone de Surrey. Cette association a coordonné les activités et a préparé avec beaucoup d’intérêt cet
événement culturel quia mobilisé la communauté de la ville... »
Chantal Lefèbvre
Extrait de « Le Moustique pacifique »,
{déc. 2005- jam. 2006)
Chantal Lefèbvre
Rédactrice èn chef du «
Moustique pacifique »,
La seule revue littéraire en français en Colombie-Britannique.
Fondatrice et directrice générale de l’Association
des écrivains francophones
de la Colombie-Britannique.
167
Littérama’ohi N°10
Simon Henchiri
EXTRAIT
POÈTE D’ALGÉRIE
ENFANTS DES DUNES ET PIERRES ECRITES
-
Ce recueil est un bouquet de poèmes, de souvenirs et de photographies qui ont défié le temps, un recueil qui évoque le paradis, toujours
présent, jamais perdu quoiqu’en pensent certains lecteurs peu enclins
à la nostalgie et partisans du réalisme et ancrés dans la réalité
politique
et géographique de notre planète. C’est dans l'écriture et dans
l’imaginaire que le poète garde présent et enthousiaste un passé, une
enfance, des souvenirs devenus plus frappants et plus attachants que
la vérité et la réalité historique.
La poésie de René-Jean Devatine chante la beauté du paysage et
les couleurs de la lumière qui l’enveloppe et le réchauffe en terre natale,
parmi les dunes de sable et les oasis du Sahara. Le pays, qui’ est le
sien, celui de sa naissance, est toujours là, présent dans sa mémoire,
enfermé dans ses poèmes et enrichi même, devenu plus beau que le
pays réel, dans son imaginaire et sa sensibilité de poète.
Souvenirs
du pays toujours présents » (23) dira-t-il. Présent
dans une enfance que l’on porte en soi, avec soi. Une enfance qui s’em«
...
bellit au cours des ans alors que le corps vieillit et la réalité
change
fatalement au gré du hasard et de l’histoire souvent imprévisible.
Qu’importe le territoire géographique ?
Qu’importe le changement de régime politique ?
Emporter en son coeur et son âme une enfance qui prolonge le
temps d’une vie et qui peuple l’espace d’un autre coin du monde, sur
une île bercée par les vagues de l’océan comme la dune
enveloppée
dans son sable doré, voilà ce à quoi aspire le poète. Et sa poésie est un
cri de joie, semblable à celui de Biaise Pascal, illuminé par une vision,
168
un flash
cure la
de nature divine. Point de regrets, mais une nostalgie qui pro-
joie aussi dans la poésie de René-Jean Devatine.
Dans Enfant des dunes et... il y a des poèmes qui projettent sur la
page blanche des images inondées de lumière et de couleurs :
«
Mauve de l’Atlas
Or de la dune au levant
Blondeur du sable à midi,
Roux de grès au couchant
Vert tendre de la pousse de blé dans la douce oasis »
« Le feu de
pourpre solaire et de jaune intense
S’est fait pastel après les ultimes étincelles. »
«
Vert pâle, bleu léger ont fait jonction,
Anéanti le jour et se sont inclinés
Devant le bleu profond de la nuit noire » (27)
Le lecteur se souvient de l’évocation des couleurs dans le poème
des voyelles chez Arthur Rimbaud. Il observe une similitude dans l’obsession des couleurs vives qui émergent des dunes et viennent hanter
la mémoire et aveugle la rétine. En voici encore quelques extraits d’un
poème intitulé couleurs du Sud de René-Jean Devatine :
La montagne aux reflets violets
Écrêtée de stries rouges
«
Et mourante d’un sang frais
«
le rose léger, dernier vertige
D’un soleil de braise
Surplombe le mauve de l’Atlas
Un vert timide le lui succède,
Vite converti au turquoise
Et cède bientôt la place au bleu » (49)
169
Littérama’ohi N°10
Simon Henchiri
Ces larges extraits ramènent à la mémoire visuelle du lecteur les
taches de couleurs et les coups de pinceaux des peintres impressionnistes qui fixent, pour l’éternité, sur leurs toiles, le même jeu de lumière
mélange des couleurs de i’arc-en-ciel. En bref, à part
quelques poèmes à saveur autobiographique qui rapportent des souvenirs d’enfance et de famille, tout comme les photographies en noir et
et le même
blanc tirées de l’album maternel, Enfant des Dunes et Pierres Écrites
est bel et bien, un bouquet de poèmes lyriques mais aussi une collée-
tion de tableaux qui célèbrent la lumière et évoquent le temps immortel
de l’enfance, une enfance rendue plus belle et plus heureuses dans
l'âme consciente et nostalgique du poète grâce à la magie des mots et
la puissance d’évocation poétique.
Simon Henchiri
(René-Jean Devatine, Enfant des Dunes et Pierres Écrites,
Feuillets de mémoires, Polynésie française, 2005 ;
Extrait du Moustique pacifique, Le mensuel littéraire franco-colombien.
Février 2006 Volume 9-3° édition
ISSN 1704-970, de la rubrique :
-
Simon Henchiri
Président de l’Association des écrivains francophones de la Colombie-Britannique,
Collaborateur régulier du journal LExpress du Pacifique et du Moustique pacifique,
Critique littéraire : Au fit de mes lectures
Habite à Vancouver,(C.-B.), Canada.
170
...
EXTRAIT DU
«
MOT DE LA PRÉSIDENTE
»
DE L’ASSOCIATION FRANCOPHONE DE SURREY
«
...
eu
Chers membres,
Nous avons eu un mois de novembre assez chargé. Nous avons
de la visite qui nous venait de loin,
Mmes Flora Devatine, Marie-
Hélène Villierme, Elizabeth Poroi et M. René-Jean Devatine, de Tahiti.
Un gros merci particulier, qui sans lui rien n’aurait pu se faire, à Frédéric
Guilbard, et aussi à nos familles qui ont sans hésiter logé nos invités :
Francine Brisson, Florence Étienne, Lily Crist ainsi que son mari, et
Karl Boerner. Ce fut par la même occasion le Salon du livre. C’est un
évènement qui certainement se déroulera l’an prochain, à suivre.
Nora Chelali
Présidente
Un grand Merci à tous, notamment à :
-
-
-
-
Maria-Luisa Romano (aide-enseignante)
Marie-France Auger (enseignante),
organisatrice des concours littéraires sur Tahiti.
Karl, Anne-Marie a généreusement donné,
Suzanne Vaudrin, coordonnatrice.
Association Francophone de Surrey
6887, 132ème rue, bureau 191
Surrey, C-B, V3W 4L9
604-597-1590
604-599-6628
171
TE PATIA FA
Te patia
fa, le lancer de javelot, surtout pratiqué dans les îles
Tuamotu, est d’un point de vue photographique, remarquable pour l’épreuve de dextérité, de précision qu’il représente et par la popularité de
ses concours.
La cible, un coco, est élevée à 9,25 mètres de hauteur sur un mât
placé à une distance de 28 mètres des concurrents.
La fabrication du patia est extrêmement précise. Taillée dans des
essences de bois de Purau (Hibiscus tiliaceus) ou de Kahia (Guettarda
speciosa), reconnues pour leur flexibilité et leur légèreté, la corpulence
du concurrent détermine au final la rigidité idéale de la lance. De même,
selon sa flexibilité, le lancer s’effectue plus en force, ou dans l’élan. Le
style et la technique du lancer deviennent propres à chaque joueur,
mais tous ont l’habitude d’accompagner par la contorsion de leurs corps
et l’intensité de leur regard la trajectoire du javelot dans les airs jusqu’à
la cible.
Rompus aux vents dominants des atolls, les lanceurs de patia fa
apprennent à parfaire leurs gestes impulsant ainsi des jets sinueux,
avec des javelots aussi souples que frêles.
Le contexte des concours offre ainsi à la communauté ses champions. Ils sont l’émanation de leur communauté, et en retour, celle-ci
s’ennoblit de leurs exploits.
Marie-Hélène Villierme
Photo : Marie-Hélène Villierme
ISSN
:
1778-9974
Fait partie de Litterama'ohi numéro 10