B987352101_PFP1_2006_010.pdf
- Texte
-
Littérama’ohi
CB
Ont
2
participé à
:
...
Coll : PER..
Cote : P.
ce Date
:
T...1.
...
Raphaël BEDARD
Anatila BREAUD
Diversité
Heiata CHAZE
Stéphanie COLLEDGE
Annie Revae COEROLI
culturelle
et
francophonie
Michèle DE CHAZEAUX
Jennifer D
Marina DEVATINE
Stéphany GROLEAU
Danièle-Taoahere HELME
Scott HOWELL
Dominique IMANO
Mélissa KOKAUAN!
Teiho LEMAIRE
Alexandra LEMMI-ZAOUI
Herehiti MALINOWSKI
Jennifer MALINOWSKI
Marcel MILLAUD
Glenda MOU KUI
Diana NGO
Vanessa P
Lucas
PAEAMARA
Jean-Marc PAMBRUN
Elisabeth POROI
Julien PROULX
Stéphanie-Ariirau RICHARD
Corinne SACHET
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Te
hotu
Ma’ohi
Célestine HitiuraVAITE
Jessica VANQUIN
Marie-Hélène VILLIERME
Albert WENDT
Numéro 10
Mai 2006
Kaitlyn YATES
Alexandre
Littérama’ohi
d'écrivains de Polynésie française
Publication d’un groupe
Directrice de la
publication
:
Flora Devatine
BP 3813, 98713
Fax
E-mail
:
Papeete - Tahiti
(689) 820 680
: tahitile@mail.pf
Numéro 10 / mai 2006
Tirage
:
600 exemplaires
Mise
en
Imprimerie : STP Multipress
Patricia Sanchez
-
page :
N° TAHITI ITI
ISSN
:
:
755900.001
1778-9974
Revue
Littérama’ohi
Ramées
de Littérature
Polynésienne
Comité de rédaction
Patrick AMARU
Michou CHAZE
Flora DEVATINE
Danièle-Taoahere HELME
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Jimmy M. LY
Chantal T. SPITZ
-Te Hotu
Ma’ohi
-
LISTE DES AUTEURS DE LITTERAMA’OHI N°10
Raphaël BEDARD
Anatila BREAUD
Heiata CHAZE
Stéphanie COLLEDGE
Annie Revae COEROLI
Michèle DE CHAZEAUX
Jennifer D
Marina DEVATINE
Stéphany GROLEAU
Danièle-Taoahere HELME
Scott HOWELL
Dominique IMANO
Mélissa KOKAUANI
Teiho LEMAIRE
Alexandra LEMMI-ZAOUI
Herehiti MALINOWSKI
Jennifer MALINOWSKI
Marcel MILLAUD
Glenda MOU KUI
Diana NGO
Vanessa P
Lucas
PAEAMARA
Jean-Marc PAMBRUN
Elisabeth POROI
Julien PROULX
Stéphanie-Ariirau RICHARD
Corinne SACHET
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Célestine Hitiura VAITE
Jessica VANQUIN
Marie-Hélène VILLIERME
Albert WENDT
Kaitlyn YATES
Alexandre
4
SOMMAIRE du n°10
Mai 2006
Liste des auteurs
p.
4
Sommaire...,
p.
5
Les membres fondateurs de la revue Littérama’ohi
p.
Editorial
p.
8
10
p.
11
p.
15
p.
23
p.
29
p.
37
ciel au-dessus de nos ombres
p.
45
(Extrait du roman)
Le verdict de l’aiguille
p.
52
Teissier-Landgraf (Extrait du roman)
Voyages inattendus
p.
57
p.
61
p.
66
DOSSIER
: «
Diversité culturelle et francophonie » (2)
ECRITS D’ICI ET D’AILLEURS
Romans
-
Récits
ECRITURES POLYNESIENNES
(Extrait du roman)
Mangareva, taku akaerere
Lucas Paeamara
Anatila Bréaud
(Extrait du livre)
Histoires des enfants du Quartier de la Mission
(Extrait du roman)
Jean-Marc Pambrun
Le Bambou Noir
Albert Wendt
(Extrait du roman)
Letting Go
The Mango’s kiss)
Annie Reva'e Coeroli
(Traduction de l’extrait du roman d’Albert Wendt)
Laisser
The
partir
Mango’s kiss
Marcel Millaud
S’il est
un
(Extrait du roman)
Célestine Hitiura Vaite
Frangipanier
Marie-Claude
Atea roa,
:
Stéphanie-Ariirau Richard (Extrait "du roman)
Matamimi
Elisabeth Poroi
Perete’i et Ro iti
(adaptation polynésienne de La cigale
Fontaine)
et la Fourmi de J. de La
5
Marie-Hélène Villierme
Tangata
-
(Extrait du livre)
Une communauté polynésienne
Michèle De Chazeaux
(Extrait de
«
70
P-
72
P-
76
P-
90
p.
91
: p.
97
p.
99
Chronique à malice »)
Tangata
Scott Howell
p.
(Extrait du Mémoire Le jardin secret de la mort)
J’avais huit
ans
JEUNES ECRITURES D’ICI ET D’AILLEURS
Heiata Chaze
Jessica est
Jessica
une
perle
Vanquin
Nous
sommes
tous
coupables, Alliance,... La Guerre
(.Apologues, poèmes)
Marina Devatine
La Vie La Nuit, ...La mer
(Poèmes)
ARTICLES
Corinne Sachet
Concours
«
Vive l’Ecrit
»
Herehiti Malinowski, Jennifer Malinowski, Teiho
Lemaire
La littérature tahitienne
Entre
rupture et continuité de la tradition
p. 103
Danièle-Taoahere Helme
Influences et
adaptations
p. 114
Glenda Mou Kui
Remerciement
p.
CONCOURS
(CRDP
-
122
VIVE L’ECRIT » (2004-2005)
Ministère de l’Education)
«
(Les lauréats)
Mélissa Kokauani
Te ha’ameta’u
o
te fenua ‘enata
p. 126
Alexandra Lemmi-Zaoui
Retour
6
vers
l’avenir
p.
131
CONCOURS LITTERAIRES
(2005)
(Ecole Gabrielle-Roy de Surrey, Colombie britannique
-
Canada)
(Les lauréats)
Jennifer D ; Julien Prouix ;
Mon île paradisiaque
Alexandre
p. 145
Raphaël Bédard ; Vanessa P ; Diana Ngo ; Stéphanie Colledge
Face esthétique
p. 149
La vahiné
p. 150
Danse et
p. 151
Poème
musique
p. 152
sur Tahiti
Stéphany Groleau ; Dominique Imano ; Kaitlyn Yates
p. 155
Tahiti
SALONS DU LIVRE
•
Le Saion du livre de l’Outre-mer
•
SILO
•
Premier salon du livre de
•
(octobre 2005)
(2° Salon International du Livre de Poindimié) (novembre 2005)
p. 158
p. 159
Surrey
(Vancouver - Colombie britannique, Canada) (nov. 2005)
Victoria
(Colombie britannique, Canada) (nov.-déc. 2005)
p. 161
5° Salon du livre franco colombien : Surrey,
p. 163
Chantal Lefèbvre
Le
Moustique pacifique (extrait)
p. 166
Simon Henchiri
Poète
"
d’Algérie (extrait)
p. 168
L’Echo de
Surrey
(extrait du journal de l’Association francophone de Surrey : déc 2005)
26° Salon du Livre de Paris, Porte de Versailles (mars 2006)
p. 171
L’ARTISTE
Marie-Hélène Viliierme
7
Littérama’ohi
Ramées de Littérature
Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi
Littérama’ohi a été fondée par un groupe apolitique
polynésiens associés librement :
Patrick AMARU, Michou CHAZE, Flora DEVATINE,
Danièle-Taoahere HELME, Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF,
Jimmy LY, Chantal T. SPITZ.
La
revue
d’écrivains
Le titre et les sous-titres de la
sienne
d’aujourd’hui
revue
traduisent la société
polyné-
:
«Littérama’ohi», pour l’entrée dans le monde littéraire et pour
son identité,
-
l’affirmation de
«Ramées de Littérature Polynésienne», par référence à la rame
papier, à celle de la pirogue, à sa culture francophone,
«Te Hotu Ma’ohi», signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères
chinois intercalés entre le titre en français et celui en tahitien.
-
de
-
-
La
-
pour objectifs :
de tisser des liens entre les écrivains
revue a
originaires de la Polynésie
française,
-
de faire connaître la variété, la richesse et la
auteurs
spécificité des
originaires de la Polynésie française dans leur diversité contem-
poraine,
de donner à chaque auteur un espace de publication.
Par ailleurs, c’est aussi de faire connaître les différentes facettes de
la culture polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et
-
modernes que
le tatouage, la
des
8
sont la peinture, la sculpture, la gravure, la photographie,
musique, le chant, la danse... les travaux de chercheurs,
enseignants...
un
Et pour en revenir aux premiers objectifs,
mouvement entre écrivains polynésiens.
c’est avant tout de créer
Les textes
peuvent être écrits en français, en tahitien, ou dans n’importe quelle autre langue occidentale (anglais, espagnol,.. ) ou polynésienne (mangarévien, marquisien, pa’umotu, rapa, rurutu...), et en
chinois.
Toutefois,
qui
les textes en langues étrangères
pour ceux en reo ma’ohi, il est recommandé de les présenter
dans la mesure du possible avec une traduction, ou une version de
compréhension, ou un extrait en langue française.
en ce
concerne
comme
Les auteurs sont seuls
responsables de leurs écrits et des opinions
émises.
En
tent la
général tous les textes seront admis
dignité de la personne humaine.
Invitation
au
sous
réserve qu’ils respec-
prochain numéro :
polynésiens,
Ecrivains et artistes
cette
revue
est la vôtre
:
tout article bio et
biblio-graphique
vous concer-
nant, de réflexion sur la littérature, sur l’écriture, sur la langue d’écriture,
sur des auteurs, sur l’édition, sur la traduction, sur l’art, la danse,...
ou sur tout autre sujet concernant la société, la culture, est attendu.
Les membres fondateurs
Cher(e) auteur,
Nous
invitons à faire
parvenir vos écrits à l’association Littérama'ohi.
publiés.
La revue ne comptant qu’un nombre limité de pages, si un texte est trop long nous nous
réservons le droit de proposer quelques coupures à l'auteur. Le texte modifié ne sera
publié qu’avec son accord.
Les textes retenus seront publiés dans le prochain numéro. Mais si ce numéro est déjà
complet, leur publication sera repoussée au numéro suivant.
vous
Tous les textes seront
1
a
Rédaction
9
Editorial
phrases pensées de tous cieux de tous tons de toutes
multiple tifaifai d’humanité qui traverse
auteurs qui continuent la traversée dans ce triple numéro de
mots
teintes montrent à lire le
les
littérama’ohi
les textes
dépassent
thème retenu
en
«
diversité culturelle et francophonie
Papeete
»
écho à celui du salon du livre de
pour
parler les semblances qui par-delà les dissemblances des
langues tissent les hommes
les auteurs traversent toutes les classifications toutes les réclusions tous les enfermements savants
pour
dire la liberté de
aucune
l'esprit qui
ne se
corsette d’aucune langue
syntaxe aucune grammaire
littérama’ohi au-delà de toutes les
pour
écrire les
originalités qui
ne
normes
donne vaste espace
s’originent pas dans la langue-outil
mais dans l’âme-création
Chantal T.
10
Spitz
ucas
Paeamara
L’auteur
Lucas Paeamara est né à Mangareva au lieu-dit Kirimiro. Il a fait ses études à Tahiti. Il a commencé
carrière dans l’enseignement.
sa
Élu maire des Gambier en 1977, il établit en priorité l’électricité dans le village de Rikitea.
Élu conseiller territorial en 1986, il est à l’initiative de la mise en place du réseau d'eau potable de
Mangareva.
Il a publié : Mangareva, taku akaerere, 2005, Papeete, p. 5-8, Editions Au vent des îles
EXTRAIT DU ROMAN
«
MANGAREVA, TAKU AKAERERE
»
Aujourd’hui, après quelques semaines d’absence, je prends l’avion
pour regagner ma terre natale. Quatre heures à peine séparent désormais Tahiti de Mangareva. Il m’avait fallu près de quatre semaines en
bateau pour rejoindre Tahiti la première fois que j’ai quitté mon île. Gain
de temps, diront certains. J’y vois pour ma part une perte de la réalité
de la distance du voyage. En ce début de troisième millénaire, il est
facile de partir pour un ailleurs, carte Visa en main, de se glisser dans
un avion, de gagner un lieu, aussi éloigné soit-il, et de retrouver à la
descente un de ces mêmes distributeurs d’argent. Votre code ne changéra pas où que puisse se trouver le distributeur.
Les distances sont abolies. Le voyage ne veut plus rien dire. Il n’y
a plus de montagne à escalader, de rivière à traverser, de
paysage à
parcourir. Seul un alignement de sièges ordonnés et étiquetés, et une
sensation de fraîcheur permanente dans le volume pressurisé de
l’avion vous accompagnent désormais, quelle que soit la région que
vous puissiez survoler. Ces déplacements mécanisés ont perdu toute la
magie de ce que pouvait être une distance parcourue à une échelle
humaine, comme s’élancer sur une prairie sur un cheval au galop et
11
Littérama’ohi N°10
Lucas Paeamara
gravir une montagne en suivant de petits senpoussiéreux pour admirer le panorama qui d’en haut se
dévoile, ou encore, prendre un bateau que seule entraînera la force des
vents et des courants. L'avion n’a rien de naturel ni d’humain, et en effet,
il survole toutes ces terres et ces mers qui vous auraient porté pendant
des jours et des jours pour vous mener à bon port. L’avion empêche tout
contact direct avec la nature, avec tout ce qui pourtant se prolonge
entre le point de départ et celùi de votre destination. Il n'y a pas de défilement d’images qui peuvent vous émouvoir, plus moyen de voir ou de
sentir la véritable métamorphose qui s’opère d’un lieu à un autre, plus
de continuité. Et ce n’est pas ce flou entrevu d’un hublot à dix mille
mètres d’altitude qui me chargera d’émotions aussi fortes que celles
provoquées par l'approche par bateau d’une île qui se dessine au loin
sur la mer, que celle d’une balade sur un petit chemin ombragé d’arbres
qui débouche sur un champ jonché de pamplemousses.
La vie avant était, à mon sens, à cette image, celle d’un grand
voyage à parcourir de sa naissance à sa mort. Un voyage sans facilité
particulière où chacun devait s’efforcer de rester en contact avec ce qui
l’entourait, avec sa culture, ses racines. Lorsque l’on naissait Polynésien
au dix-huitième siècle, sur une île du Pacifique, on ne pouvait imaginer
partir bien loin, parce que les moyens de transport actuels n’existaient
pas, mais aussi, parce que cet ailleurs lointain était trop inconnu pour
qu’on veuille s’y risquer sans but particulier. Combien de générations
alors n'ont jamais quitté leur terre, faute d’imaginer un ailleurs vivable,
ou combien sont parties pour d’autres îles sur des pirogues où seule la
force des hommes, des vents et des courants pouvaient les conduire ?
L’arrivée des Blancs, des Popa’â, a amené la population a penser
autrement. Et ainsi, suivant ce nouveau modèle occidental tout devint
pensable et réalisable, imaginable. Le cours de chaque vie allait
connaître ce que l’on nomme des facilités qui apporteraient le confort à
chaque vie individuelle. Individuelle en effet, parce que le peuple mâ’ohi
n’existe plus au sens de son unité lointaine. Il a muté par sauts succèssifs et rapides, perdant toute continuité dans son évolution, pour se
transformer d’abord en Tahitien, puis en Polynésien français.
sentir le vent contre soi,
tiers sinueux et
12
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
Voilà l’histoire, celle avec un grand «H»,
qui explique aujourd’hui
population peut devenir autre en
peu de temps. C’est cette histoire qui invite et amène l’individu isolé à
vouloir la vivre, y participer et y être impliqué directement jusqu’à en
devenir un élément de référence, déterminant de celle-ci. Qui ne rêve
d’être cette Histoire, qui n’a pas rêvé un jour que sa propre histoire, sa
propre genèse, ne se confonde avec celle d’un village, d’un peuple,
dans les livres scolaires comment
une
voire celle de l’humanité.
Je n’ai
jamais rêvé devenir un César, un Napoléon, ni un Gandhi ou
jamais rêvé être un empereur, un roi, un chef, un
demi-dieu? Chaque rêve est à l’échelle de l’individu qui le forme. Le
principal n’est-il pas de devenir, d’être quelqu’un pour un autre, un mari
pour sa femme, un père pour ses enfants, un ami pour certains, un
ennemi pour d’autres, un adversaire, un collaborateur ?
Je n’aurais jamais pensé dans mon plus jeune âge qu’un jour on
me prédestinerait à la prêtrise,
que plus tard j’enseignerai à des élèves,
et qu’enfin, je m’engagerai finalement dans la politique, avec cette ferveur particulière que possèdent tous les débutants et les novices : celle
de la justesse et du viu profond et sincère de servir leur peuple et leur
pays, et d’agir au mieux pour y réussir.
Partir de rien, et arriver à quelque chose, telle fut ma quête durant
cette vie. Simple ou normal, diront certains, mais tel fut mon véritable
souhait dans un contexte en continuelle et rapide évolution. La
Polynésie
est passée de l’âge d’enfant à celui d’adulte sans même vivre, sans
grandir, et il fut difficile d’imaginer un avenir sensé en gardant les pieds
sur terre. J’ai cherché à courir contre le
temps, j’ai pensé que mon
peuple avait besoin de rattraper le décalage qui existait, et persiste dans
une certaine mesure, entre lui et cette autre culture
qui nous a pris sous
son aile. Une aile qui se disait
protectrice, qui partagerait avec les bons
sauvages tout ce que ceux-ci devaient apprendre pour pouvoir être des
semblables, des frères. Je ne serai pour ma part jamais à leur image.
Et pourtant, je me suis battu pour apporter à mon peuple ce qu’il
rêvait d’obtenir, écoutant ses envies et répondant à ses attentes, satisun
Abbé Pierre. Je n’ai
faisant à
ses
besoins.
13
Littérama ’ohi N ° 10
Lucas Paeamara
permet de me positionner à ce jour, de me
qui fut en fait pleine de paradoxes, pleine à la fois de
poésie enfantine quand je vivais ma condition de jeune, accompagnée
d’idéaux et remplie de tourmentes.
Le recul
a
du bon, il me
révéler cette vie
«
Lucas Paeamara
(Extrait de
:
Mangareva, taku akaerere,
2005, Papeete, p. 5-8, Editions Au vent
14
des îles)
Vnatila Bréaud
L’auteur
Anatila est née le 26 octobre 1926 à
Papeete. D'origine tahitienne, avec un grand père paternel
grand père maternel breton, elle grandit dans le quartier de la Mission entourée de
ses parents, de son frère Milton et de sa sœur Namure, ses aînés.
Après des études à I 'école des Sœurs puis à l’école Centrale, elle devient institutrice à l’âge de
16 ans car pendant la guerre c'était sa seule issue pour continuer des études.
En 1948, elle part en France en bateau. Elle y épouse Jean Bréaud en 1954. De cette union, naîsuédois et
un
tront deux
enfants, June et Olivier.
partage alors sa vie entre la France et Tahiti et aide son mari dans ses activités à Tahiti avec
la création de Tahiti Pétroles, de la Banque de Tahiti et la réalisation du Golf d'Atimaono.
En 1975, elle est à l’origine avec plusieurs autres femmes de Tahiti et des îles de l'Association
Tuterai Nui dont la mission principale est d’informer les femmes sur les problèmes d’actualités
quels qu’ils soient et lorsque des choix se présentent à elles, les aider à le faire en connaissance
Elle
de
cause.
Ces
vingt dernières années, Anatila s’est consacrée à la production de perles de Tahiti dans les
puis Apataki et à sa promotion.
Tuamotu à Manihi, Ahe
EXTRAIT DU LIVRE
«
HISTOIRES DES ENFANTS
DU QUARTIER DE LA MISSION
»
Une voie bordée de Tamariniers séculaires mène de la cathédrale à
l’archevêché. Elle passe
devant l’école des frères de Ploërmel, la maison
prières et de chants et depuis l’école jusqu’au portail de Monseigneur,
il y a un quartier qui s’appelle «quartier de la mission». Ce quartier se
termine à droite de Monseigneur par le domaine de frère François, qui,
avec Ah You son vacher, s’occupe de la traite des vaches et de mettre le
de
litre de lait de chacun dans les casiers attribués
aux
familles.
Les familles sont constituées par
sens de nés des parents ou adoptés à
les
les parents, les enfants dans le
la façon tahitienne et qui suivent
règles de la famille quelque soit leur âge.
Des fetii, amis ou bonnes, complètent quelquefois le foyer.
En rentrant de classe, tous les enfants des maisons constituant ce
quartier s’entendent dire «va chercher le lait» ou «va chercher le pain»
car il y a aussi, en face de chez les frères «le magasin chinois».
15
Littérama’ohi N°10
Anatila Bréaud
croisement
remparts. Elle est sur pilotis et
une large passerelle la relie à la route. Une véranda accueille ceux qui
veulent traîner un peu avant de franchir les portes de l’école. Vient
ensuite la pièce magasin. Elle est délimitée par un comptoir avec vitrine
sur le dessus. Le fond est une cloison où des étagères sont remplies de
marchandises. De gros sacs sont posés dans un coin, ils contiennent
les oignons, les pommes de terre, la farine, le sucre, le café en graines
C’est
une
maison de bois construite en contre-bas du
de la route de l’évêché et de la rue des
et autres denrées reçues en vrac.
magasin appartient à Ah Kiau et sa famille : père, mère, frère,
dernière a apporté un plus dans le coin :
elle est couturière et fabrique des robes avec les tissus qu’on lui apporte
en suivant les croquis que les filles esquissent ou trouvent dans les journaux de mode qui traînent dans le magasin. La partie couture est en retrait
du comptoir, et ferme l’accès à l’arrière de la boutique où l’on aperçoit les
éléments d’une vie de famille, table, chaises et évier. La cuisine n’est pas
visible mais tout s’y passe pour eux car les jeunes ne sortent pas se mêler
aux évènements de la rue où les enfants s’amusent sans danger.
Dans ce quartier il n’y a que trois ou quatre familles possédant une
voiture. Les maraîchers chinois du fond de la vallée de frère François
vont au marché avec un véhicule appelé «prolonge» qui est une plateforme montée sur roues et tirée par un cheval : le jeu est de s’accrocher
à l’arrière et de se mettre à croupetons au milieu des marchandises. Le
maraîcher s’énerve mais ne peut atteindre les enfants cachés derrière
les paniers. Il fait claquer son fouet au-dessus des têtes: c ‘est le but à
atteindre. Fous rires et tout le monde descend.
Par contre les bicyclettes circulent à toute vitesse chez les jeunes
et avec un manque de sécurité remarquable chez les chinois qui sont
tout à fait instables et inquiets; les enfants leur courent après pour les
déstabiliser encore plus.
Les jeux de la rue sont les billes et une version locale du base-bail
américain, et puis sauter à la corde en individuel mais surtout avec une
longue corde tenue à chaque extrémité par une personne qui, en
cadence avec celle de l’autre extrémité, lui donne le même mouvement
Le
soeurs
16
et aussi sa femme. Cette
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
que celle de la corde à sauter normale. Le jeu consiste à guetter le passage au sol de la corde et se mettre à sauter avec elle comme tout seul,
mais il peut y avoir une dizaine d’enfants sautant ensemble : si on est
fort
on
prend
peut sortir de la corde sans qu’elle s’arrête. Celui qui l’accroche
des places au bout de la corde.
une
»
Les enfants de la mission
ne se ressemblent pas. Même les frères
n’y a pas de noir, mais entre les familles composées de
mariage entre Tahitiens, Paumotu, Anglais, Français et Suédois, et ceci
depuis les premiers navigateurs, les tons de peau varient du brun foncé
et sœurs. Il
au rose
clair. «Comment toi, si brun, tu as une sœur blonde aux yeux
si bleus ?». «Elle est née le
jour et moi la nuit» car il y a des voyageurs
qui posent des questions, demandent des explications, s’étonnent. Les
enfants constatent et le vivent depuis leur naissance et cela ne les
trouble pas. La venue d’un nouveau-né apporte cette surprise de
plus,
de qui va-t-il tenir ? Ceci est vrai, même dans les îles reculées, car il
y
a toujours des
navigateurs qui, un jour, s’y arrêtent. Les femmes sont ce
qui les attirent et les gens de l’île pensent que c’est un bienfait d’avoir
du sang nouveau. Les voyageurs ne sont pas noirs, ils sont surtout
Anglais, Français, quelques Suédois et tout à fait autrefois, Espagnols.
Les foyers chinois n’auront pas d’enfants variés car les femmes
obéissent à des règles sévères, mais les hommes, eux, prennent une
seconde femme tahitienne dont les enfants sont des mélanges harmonieux. Ce sont des enfants tahitiens.
Aux heures des repas et à l’heure des devoirs, tous rentrent chez
eux. C’est le moment où chacun reprend son
style de vie; l’ambiance de
chaque maison est particulière, c’est-à-dire chacune a sa couleur et sa
l’autre, les dosages entre le degré d’assimilation du monde extérieur s’échelonnent depuis une famille complètement
restée attachée aux façons de son île d’origine, à celle, où le
père
anglais pure race, impose à sa famille un style british que chacun
essaye de respecter en sa présence.
Les maisons du quartier abritant des pères de famille d’ailleurs
vivent leur spécificité aux heures des repas. Le reste du temps, le
culture. D’une maison à
17
Littérama’ohi N°10
Anatila Bréaud
mélange est de mise. Les enfants vont librement chez les uns et les
autres. Ils savent quelle attitude prendre pour être à l’unisson des habitudes des maisons visitées. Une ou deux fortes têtes n’y arrivent pas et
sont mal vues des parents.
La vie des enfants est ponctuée d’ordre «va à l’école, va chercher
le lait, va te baigner, fais tes devoirs, va dîner, va te coucher».
A l’école, il faut aussi suivre un ordre établi. Les tables de multiplication sont récitées tous les jours, en choeur, comme des incantations
avec un rythme qui entraîne à poursuivre. Cette mélopée scande,
marque l’heure du calcul et on l’entend de loin. Il faut les savoir, ces
tables, car elles servent aux achats quotidiens.
Il y a d’autres matières comme les récitations, les conjugaisons et
les dates en histoire qu’il faut connaître par cœur car, sur ces sujets, il
n’est pas possible de broder ou d’inventer. Pour le reste, il faut être
attentif et sortir de classe avec l’essentiel déjà su. Bien écouter et corn- prendre au-delà des mots. Ainsi, il est des personnes qui trouvent
bizarre que les enfants apprennent «nos ancêtres les Gaulois étaient
grands, blonds forts et courageux» Les enfants trouvent cela normal,
c’est un geste qui complète la notion de la mère-patrie. Ils sont des
enfants adoptés et cela comporte les ancêtres gaulois qui leur sont donnés sans réserve. Ils font ainsi vraiment partie de la famille. Au-delà, loin
jusqu’au commencement, il y a Adam et Eve.
Il y a les élèves qui préfèrent jouer pendant la classe et apprendre
à la maison. C’est un choix. Tout cela s’inscrit dans un emploi du temps
fréquemment oublié.
Le premier objectif est d’être reçu au certificat d’études local, que
l’on appelle tout simplement le local. Il confère à ceux qui l’obtiennent le
savoir de lire, écrire et compter. Juste ce qu’il faut pour les besoins de
la vie. Les leçons sont martelées et imprimées dans les mémoires. C’est
la clef pour accéder à la classe du certificat d’études métropolitain que
l’on appelle «le métro», qui lui, est indispensable pour entrer dans les
classes qui mènent au brevet élémentaire d’études primaires.
Ici, il n’y a que des études primaires. Ce brevet est un diplôme en
soi qui donne accès à un poste dans l’administration et à la formation
18
Dossier
d’infirmiers
:
Diversité culturelle et
francophonie
C.A P
permettant d’être instituteurs titularisés. Les
primaires se terminent par le Brevet supérieur, mais il n’est pas
préparé ici. Pour les études secondaires, il faut se rendre en France ou
ou au
études
en
Nouvelle-Calédonie.
Sortis de
directives dont ils
comprennent la raison, on ne leur
jamais rien d’intéressant. Pour savoir, ils écoutent ce que se racontent les parents et répètent leurs histoires. Ils se font une image de la
vie par les échos des certitudes assénées par les mamans, les bonnes
ou l’école. Il n’y a pas de nuances, de doute. La route est droite et a des
bornes. Ils ne doivent pas dépasser les bornes. A l’intérieur, liberté cornplète, seul impératif si l’on veut vivre en harmonie dans la maison, ne
pas dépasser les bornes.
Les pères sont plus difficiles car certains n’ont pas de bornes.
Leurs limites changent suivant leur humeur. Les enfants guettent les
signes qui indiquent l’état d’esprit du moment. Ils observent et savent
lorsqu’ils doivent se faire tout petits, ou, au contraire, tout demander.
Les enfants ont un code pour tous les parents.
ces
dit
il y a des pauvres et des nantis, une ou deux familles solitaires
des familles élargies où les fetii du district arrivent inopinément par
et
le
truck, à quatre heures du matin. Ils s’installent, enroulés dans leurs tifaifai sur les sofas des vérandas et c’est la surprise au réveil. Des cris, des
retrouvailles. Les enfants en sont toujours heureux car du truck descendent de bonnes surprises. Les passagers du truck, qui n’ont pas de
famille, s’allongent sur des nattes à l’abri du large trottoir du magasin
Donald. C’est une construction d’un étage et ce dernier protège le trottoir du soleil et de la pluie. Ceux qui s’y abritent ont sous les yeux, de
l’autre côté de la rue, le quai de plaisance où les gens de Papeete se
retrouvent le soir pour pêcher.
Surtout les enfants et les hommes, car les femmes vont de bou-
tiques en boutiques. Ce sont des magasins chinois. Les propriétaires
habitent au-dessus de leur commerce qui reste ouvert jusqu’à l’heure
de dormir. Donald est un magasin néo-zélandais. Sur le même trottoir,
il y a le magasin Société Commerciale qui appartient à des habitants de
19
Littérama’ohi N°10
Anatila Bréaud
Papeete. C’est une construction style western. Et à l’autre bout de la
ville, en face de la montagne de charbon qui, sur les quais, attend les
bateaux pour les ravitailler, il y a la Compagnie Navale, un magasin
dépendant de la Société Ballande, de Nouvelle Calédonie. Ces trois
magasins ferment leurs portes en fin d’après-midi, ainsi que le magasin
Laguesse, situé sur la place de la cathédrale, que les enfants connaissent bien et aiment visiter, car il vend les bicyclettes les plus belles.
Un morceau du quai de chez Donald est attribué aux bonitiers. Ces
bateaux partent à la pêche, le matin, pour toute la journée. Elle peut
être miraculeuse, lorsque les pêcheurs tombent dans un banc, signalé
par les oiseaux. La ligne est jetée et relevée d’un coup de poignet et le
poisson se décroche tout seul. Il est immédiatement nettoyé et suspendu par la queue. Il y a aussi des thons et quelques fois presque rien.
Les habitants de Papeete désireux de poissons se rendent sur les
quais en fin d’après-midi pour assister à l’arrivée des bateaux. Ils achètent du poisson ou les œufs ou la semence. Ces deux derniers produits
très prisés sont souvent donnés aux enfants qui viennent aider au
débarquement de la pêche.
Lorsque la pêche est trop fructueuse, le prix du poisson tombe, et
il n’y a pas assez de preneur sur les quais. Alors les poissons sont
embarqués dans une camionnette qui part faire le tour de tous les quartiers. Le son d’une conque avertit les habitants de son arrivée et que les
prix seront alléchants. Les derniers au bout du parcours les auront peutêtre pour rien. Il n’y a aucun moyen de conserver les poissons, surtout
la bonite qu’il faut consommer tout de suite.
Le quartier de la mission est catholique et tous les soirs, pour le
salut, les enfants suivent les pensionnaires de l’école des frères qui se
rendent, en rangs, à la cathédrale. Je pense que même quelques protestants se joignent à cette marche car c’est une occasion d’être
ensemble et pour les adolescentes de taquiner les garçons qui avancent surveillés par le frère Albéric.
Il y a à Tahiti dix filles pour un garçon. Tout
notre certitude. Ce sont les étrangers qui ont
20
le monde le dit et c’est
fait le calcul peut-être
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
navigateurs
de l’adolescence. Eux ne les voient pas, en tous les cas pas ouvertement. Leur
intérêt se porte sur les femmes. Mais quand même, c’est un cadeau
lorsqu’un navire de guerre mouille à Papeete au quai de la marine,
devant le jardin du Parc Albert.
avec leurs impressions. Mais aussi, tous les
sont des hommes et ils attirent les regards des filles sortant
simplement
Les dimanches
Les dimanches, après la messe, les filles font un tour de la ville, par
mer et le passage devant le bateau revêt un attrait particulier. Il arrive que des membres de l’équipage aient le regard attiré par
le front de
rieuses, joueuses, qui s’animent et qu’ils manifestent de l’intérêt par
bonjour, un regard, où, quelques fois, on peut lire de l’appréciation
pour une image qui s’épanouira dans l’avenir. L’adolescente le sent, rougit, les amies rient et la taquinent, et ceci devient une rencontre qui fait
ces
un
rêver.
grandit et ces contacts éphémères et loinprendront réalité lorsqu’elles seront invitées aux réceptions du
Gouverneur ou du Commandant de la marine. Il n’y aura pas d’invitation
formelle. Celles qui se sentiront prêtes à affronter les plus anciennes,
les femmes d’administrateur ou d’officier se pareront pour ces fêtes et y
arriveront rougissantes, toutes ensemble. Les midships ont ainsi plein
de filles pour rire, danser, plaisanter. Il se créera des amitiés, des préférences, des sentiments naîtront et grandiront vite, jusqu’à envahir les
pensées, le cœur, et le bateau repartira.
Il y a, bien sûr les marins affectés à Tahiti, à la base ou sur les
vedettes. Ils ont le temps d’avoir des habitudes, des amis et ne sont plus
ce cadeau surprise qui touche les filles. Ce qui ne dure pas peut très
vite devenir important et dans l’espace d’un instant qu'il faut saisir, donner des souvenirs qui peuplent les rêveries.
Les garçons, eux, n’ont pas la même vue sur ces passages qui ne
leur apportent rien et bousculent leurs habitudes. Mais en définitive ces
passages apportent un moyen d’évolution pour les filles et les garçons.
Les observateurs étrangers sont tous, dans leurs conclusions, arrivés à
Bien sûr, tout le monde
tains
21
Littérama ’ohi N°10
Anatila Bréaud
qu’ici, c'est un matriarcat. Erreur, c’est simplement que les filles
développé le sens de la communication avec les codes étrangers et
particulièrement français, alors que les garçons n’ont pour modèle que
celui de leurs familles et de leurs copains. L’agent de liaison entre les
deux mondes sont les femmes, mais à la maison le père est le chef :
chef de famille, chef religieux et chef politique. Les filles cherchent leur
liberté dans les études et sentent que des chemins nouveaux peuvent
leur être ouverts par tous ces voyageurs qui leur apprennent le monde.
En imagination, les évasions vers un quotidien raconté par les visiteurs
deviennent bases de formation et aideraient à s’intégrer si la vie offrait
l’idée
ont
un
voyage.
Les garçons
partent lorsqu’ils sont grands, sur un bateau et
quelques fois pour des études. Ils peuvent penser qu’ils le feront. Les
filles savent qu’elles n’auront pas ces possibilités et plongent dans un
monde inventé où elles ont monté des décors pour des lieux qu'elles ne
Les marins de passage, quelques fois, se marient
remarquent. Ce peut-être un matelot de pont ou un
officier. Les filles ne font pas la différence, ce qui importe c’est la cornmunion de sentiments et de façon de sentir les choses, la qualité des
regards et l’attrait physique. Lorsqu'elles sont au loin, chacune dans le
milieu qui devient le sien, trouve la recette pour s’intégrer dans ce que
le ciel lui a donné. Un jour, beaucoup plus tard, elles regagnent leur île,
et rentrent comme si elles ne l’avaient jamais quittée.
connaissent pas.
avec la fille qu’ils
Anatila Bréaud
(Extrait du livre
22
«
Histoires des enfants du Quartier de la Mission »
Papeete- Ile de Tahiti 1936-1944,
Nini Editions, décembre 2005
ojb@mail.pf
Jean-Marc T. Pambrun
EXTRAIT DU ROMAN
«
LE BAMBOU NOIR
»
Il est
parti à Huahine deux jours plus tard. Il avait passé quelques
ville à lécher les vitrines des librairies encombrées de guides
touristiques, d’ouvrages illustrés, de romans populaires, et y avait
trouvé, surpris, La Société contre l’État, de Pierre Clastres, qu’il avait
dévoré aux trois quarts en attendant le départ du Taporo-lll. La goélette
a pris la mer vers 19 heures. Au moment où elle a franchi la passe de
Pape’ete, à hauteur des bouées du chenal, il s’est appuyé au bastingage pour inspirer fortement l’air du large. Et là, sans prévenir, une peur
terrible et irraisonnée l’a saisi à la gorge. Pourtant, il n’était ni inquiet de
retrouver les siens, ni fâché de quitter l’agitation de la capitale et de son
quartier. Qu’est-ce qui pouvait donc lui faire défaut au point d’éprouver
un tel sentiment d’angoisse métaphysique ? En réponse, une avalanche
de souvenirs de son séjour parisien s'est abattue sur tout son être, cornprimant toutes les molécules de sa chair pour en extraire un déluge
d'impressions sensorielles. L’odeur d’oignon des sandwichs grecs et
des cheeseburgers, l’arôme accueillant du café des bars-tabacs bondés, les senteurs parfumées des crêperies, les rassemblements enfumés de la Mutualité, le goût salé de l’été sur les lèvres ou le piquant de
la neige sur la langue, les émanations olfactives inconnues mais tellement familières que laissaient sur leur passage les salopettes, jeans,
chandails ou manteaux portés par les étudiants qu’il avait croisés. Tout
cela se mêlait et arrachait à son corps des douleurs inexprimables. Il
s’est mis à crier de toutes ses forces face à la mer, au risque d’ameuter tout l’équipage. Il a jeté un œil par-dessus son épaule, espérant sincèrement voir émerger du noir une âme sœur compatissante. Mais il ne
distinguait rien des êtres qui s’étaient allongés dans les coursives pour
se préparer à passer la nuit. Il ne percevait rien d’autre que leurs murmures, de petits rires étouffés, des craquements d’allumettes et le rougeoiement des cigarettes. Il n’arrivait pas à faire son deuil de l’heureuse
et solitaire indépendance que lui avait procuré son anonymat parisien.
heures
en
23
Littérama’ohi N°10
Jean-Marc T. Pambrun
eu
le loisir
d’approfondir
sa
réflexion ni de s’appesantir sur la petite fille
questions sur son
d’Ouessant, tant Herenui le pressait d’une foule de
séjour en France.
À la vue de Miri qui les attendait devant la maison de Maggy, une
vigueur nouvelle s’est répandue en lui. Elle venait visiblement de se
réveiller, car elle n’était vêtue que d’un large tee-shirt qui lui tombait jusqu’à mi-cuisse. Il avait d’un seul coup hâte de s’abandonner dans les
effluves étourdissants de sa peau vanillée. Il a sauté de la voiture et a
pris dans ses bras ce corps encore chaud d’un séjour prolongé sous la
couverture. Par pudeur à l’égard des siens et des voisins, alertés de leur
arrivée par le bruit de la voiture, ils se sont embrassés comme des amis
d’enfance, attendant d’assouvir plus tard leur fougue. Maggy a convié
Miri à prendre le petit déjeuner avec eux, mais elle s’est excusée car
ses parents l’attendaient, ajoutant qu’elle reviendrait les voir dans
l’après-midi. Maggy habitait au bout du village une maison traditionnelle
qui s’élevait à la place de la baraque en contre-plaqué et en tôle qu’il
avait connue. Construite sur un pilotis supportant un plancher en
planches de cocotier, la maison était fermée par des cloisons en bambous et recouverte d’un toit
en
feuilles de cocotier tressées. Toutes les
pièces maîtresses avaient été réalisées en bois d’arbre à pain, d’arbre
goyavier. Bien qu’il ait passé une partie de son enfance chez
ses grands-parents qui vivaient à Mo’orea dans une habitation similaire,
le Tahitien était ébahi. Il contemplait avec des yeux neufs ce qui autrefois ne lui aurait paru être qu’un élément parmi d’autres d’un mode de
de fer et de
vie tout à fait ordinaire. En entrant dans la maison sobrement pourvue
quelques meubles en bois, il a demandé à Maggy d’où lui était venue
inspirée de l’architecture
ancienne. Elle lui a répondu que c’était son fils, Johnny, qui l’avait
construite un an auparavant parce que la précédente menaçait de
s’écrouler. Au départ, elle n’y avait pas été favorable. Elle aurait préféré
une maison en dur, mais il avait réussi à la persuader qu’il fallait revenir
aux sources. À présent, elle reconnaissait qu’elle s’y sentait bien et qu’elle
ne reviendrait pour rien au monde à une maison construite à l’européenne. Adolescents, Johnny et lui aidaient souvent leurs grands-parents
de
cette idée de revenir à cette construction
26
Dossier
:
Diversité culturelle et francophonie
travaux de réfection de leurs maisons. Il n’était donc pas
étonné de
qu’il examinait dans le moindre détail
l’assemblage de la charpente, Herenui l’a informé que Johnny faisait
aussi du cinéma à la maison des jeunes et de la culture de Pape’ete.
Comme pour devancer sa question, Heipuari’i lui a demandé s’il avait
entendu parler de la pièce de théâtre Ari’i Pa’ea vahiné. Il a répondu
qu’il aurait bien voulu la voir, car on lui avait dit que son auteur, Henri
Hiro, avait créé une oeuvre exceptionnelle. Elle a poursuivi en disant
qu’il l’avait portée à l’écran et que Johnny y avait tenu un rôle. Puis
Maggy et Herenui ont commencé à lui raconter les anecdotes que
Johnny leur avait rapportées du tournage. Mais le Tahitien ne les écoutait plus. Henri Hiro, le réalisateur du film, était un des sept fondateurs
du la mana te nuna’a et de l'association antinucléaire de protection de
l’environnement, la ora te natura. Il ne l'avait jamais rencontré, mais le
connaissait de réputation pour le combat qu’il menait en faveur de la
aux
l’initiative de
son
cousin. Alors
reconnaissance de la culture ma’ohi. La réhabilitation des maisons tra-
ditionnelles tahitiennes, les fare dont il avait fait l’éloge dans un poème
intitulé Moi, ma maison, était d’ailleurs un de ses thèmes de campagne
culturelle. Que Johnny ait certainement rallié sa cause ne le surprenait
pas. Mais ce qui l’intriguait, c’était ce mystérieux concours de circonstances, cette sorte de volonté collective inconsciente, ou simplement
puissance invisible, qui semblait semer les mêmes idées parmi les
esprits les plus réceptifs, même séparés par des milliers de kilomètres :
l’attirance quasi émotionnelle pour les demeures traditionnelles qui
s’était révélée à lui pour la première fois à Ouessant s’était produite au
moment même où Henri Hiro, Johnny et d’autres avaient entrepris de
construire leurs premiers fare.
Ébahi par cette image, mais aussi par la justesse de la démarche
de Johnny, il a pris sur-le-champ la décision qui allait bouleverser son
existence : militer en faveur de l’habitat traditionnel polynésien.
Ce jour-là, comme par enchantement, le temps insulaire qui habituellement donne l’illusion de s'étirer à n’en plus finir, s’est accéléré
pour lui. Abandonné à l’obsession de concrétiser son projet, son cerveau travaillait sans répit. À un tel point que, sans s’en rendre compte,
cette
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Littérama’ohi N°10
Jean-Marc T. Pambrun
avait fait sa force au début de ses
repris son carnet de croquis et, tout en arpentant à nouveau avec ses sœurs les lieux de son adolescence, presque indifférent
aux gens qu’il croisait sur son passage et à la beauté du paysage, il
s’arrêtait souvent devant une maison, un arbre ou un temple abandonné
pour dessiner ce qu’il lui importait de voir et pour rédiger les commentaires interminables que ses visions lui inspiraient. Il ouvrait son regard
à une nouvelle réalité où les choses les plus simples et les plus
concrètes lui offraient une source inépuisable d’abstractions destinées
à recomposer le savoir traditionnel qu’il souhaitait voir émerger du
chaos dans lequel le mépris colonial l’avait plongé. Cette idée l’enthousiasmait. Il avait enfin la possibilité de donner de la matière brute et bien
palpable à ses lectures. Il pensait qu’il allait pouvoir enfin sortir du
monde exclusif des idées. Et quand, tard dans la journée, il s’est
retrouvé seul avec Miri, blotti contre elle sur la plage de leur enfance, il
s'est senti comblé. Il lui a parlé de sa découverte jusqu’à une heure
avancée de la soirée. Plus tard, son corps rassasié de ses propres
paroles, il s’est enfin laissé aller à s’allonger sous les étoiles, habité du
seul désir d’aimer le corps chaud de cette femme avec qui il avait rêvé
de faire l’amour sur la plage dès qu’ils se retrouveraient. Au moment où
elle a posé ses lèvres sur les siennes, il a entendu le sable craquer sous
leur poids et s’est dit que, même si l’île ne devenait jamais le refuge des
idées les plus belles, elle contiendrait encore pour un moment des
espaces secrets pour que des amoureux puissent s’y fondre dans l’oubli.
il avait retrouvé
ce
détachement qui
études. Il avait
Jean-Marc T Pambrun
( Extrait du roman, Le bambou noir, (pp. 94-98),
Papeete, 2005, 216 pages,
Éditions le Motu.)
Lauteur
28
\lbert Wendt
L’auteur
Albert Wendt is
a
member of the
Aiga Sa-Tuaopepe of Lefaga, the Aiga Sa-Patu of Vaiala, the Aiga
Aiga Sa-Sao of Sapapali’i, Samoa. He holds the AJi’i title
Sa-Maualaivao of Malie, and the
Faumuina.
At
present he holds the Citizens Chair in the University of Hawaii, Hawaii, and the Chair for New
University of Auckland, Aotearoa/New Zealand. Before that
was Deputy Vice-Chancellor and Professor of Pacific Literature at the University of the South
Zealand and Pacific Literature at the
he
Pacific.
He has
published six novels, including SONS FOR THE RETURN HOME, LEAVES OF THE
published in 2003. He has
published three collections of short stories, including THE BEST OF ALBERT WENDT’S SHORT
STORIES. Also four collections of poetry, the latest being THE BOOK OF THE BLACK STAR. He
is recognised internationally as a major figure in the development of the indigenous novel, and
many of his novels are now considered classics of Pacific Literature. Two of them have been made
into full-length feature films.
BANYAN TREE, OLA, and his latest, THE MANGO’S KISS which was
He has edited many influential anthologies of Pacific writing, including NUANUA:
Since 1980, and WHETU MOANA: An Anthology of Polynesian Poetry.
Pacific Literature
He is also
a playwright, his latest and first fulll-length play, THE SONGMAKER’S CHAIR, was first
produced for the 2003 Auckland Festival, New Zealand, to sell-out houses. The play was published
by HUIA PRESS, New Zealand, in 2004. The play was also staged in Hawaii in March/April 2006.
His work has been translated into many languages including Dutch, French, Russian, Italian,
Spanish, Chinese, German, and Polish. And is taught around the world in many educational institutions, including universities. He has travelled all over the world giving lectures and readings of
his work and the work of other indigenous Pacific writers. He continues to be a major influence in
the development and study and teaching of Pacific literature, internationally.
He has
won many literary
East Asia and the Pacific
and art awards, including the Commonwealth Book Prize for the SouthRegion, the Asia Prize for Culture, and the Senior Artists Prize in New
Zealand.
was awarded an Honorary Doctorate by the University of Bourgoyne, Dijon, France in
recognition of his writing and teaching. In 2005, he awarded an Honorary Doctorate by Victoria
University of Wellington, New Zealand, in recognition of his writing and services to literature. In
2000, the New Zealand Government conferred on him the Companion of the New Zealand Order
In 1993 he
of Merit, for his services to literature.
The NEW OCEANIA: ALBERT WENDT, WRITER, a
work,
film
was
was
fulllength film documentary about his life and
released in the Auckland Film Festival in 2005 and later in the Hawaii Film Festival. The
made
by the distinguished New Zealand film director, Shirley Horrocks.
Albert Wendt loves the Pacific and the island nations of the Pacific and all his
mer
students in all those countries. He has three children and, with his
Aiga, friends and forpartner Reina Whaitiri, has
eight absolutely energetic grandchildren!
29
Littérama’ohi N°10
Albert Wendt
EXTRAIT DU ROMAN
«
THE MANGO’S KISS
»
LETTING GO
Lalaga feigned a headache so she could stay in the fale and finish
sewing Peieiupu’s dress. Mautu, Naomi and Arona were taking the
classes. She dripped sweat as she worked. In the slow breeze from the
sea she smelled the musky odour of coral. One more seam and the
dress would be finished. She’d already sewn dresses for Lefatu, Ruta,
and Tuifolau’s wife : gifts she was to take next morning on a secret visit
to Fagaloto.
Almost three months had passed since they’d left Peleiupu and
Ruta in Fagaloto. They’d heard no news of them for the first month. But
when she demanded that they go and visit their children, Mautu reminded her that such a move would be interpreted, by Lefatu and his aiga,
as a lack of faith in the way they were caring for Peleiupu. Lalaga struggled for another week, and then demanded that they send someone
else then. She wept when Mautu refused, and accused him of not loving
her children, so Mautu asked some Satoans who were visiting Fagaloto
to ask after the girls, discreetly. After four days they returned and Lalaga
squeezed every drop of information from them : Peleiupu was improving, she was talking again even if it was only to Lefatu, and Ruta was
loved by everyone. Lalaga lived off that news for a month, and then pleaded again that they visit. This time Mautu admitted he missed them too,
but still refused her request. ‘I’ll go on my own I’ Lalaga threatened.
Mautu didn’t try to stop her. She didn’t go.
The atule season started the following week, with large schools of
the fish running along the coast from east to west. Even Mautu joined
the fishing. The large catches were shared among the aiga. Being pastor, with a large household to support, Mautu got the most, so every
week he sent Arona. and Tavita, Barker’s eldest son who now slept at
their home, with atule to Fagaloto, on the tulula. Lalaga survived on the
30
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
they brought back about Peleiupu and Ruta. Aftèr their first visit
stay with their aiga at Fagaloto- ‘No!’ was
Lalaga’s abrupt reply. ‘But why?’ Mautu asked, after Arona had stamped
off: ‘No!’ she whispered, and hurried off to her class.
In October the palolo rose: a harvest so rich they distributed it to
other villages. Lalaga sent Arona, Tavita and their crew to Fagaloto with
baskets of palolo. They didn’t return for two days, and Lalaga got Mautu
to organise another tuluia to go after them.
Arona arrived as the other crew were preparing to leave. In front of
everyone Lalaga berated him: ‘Have you no love for us, eh? For two
days we’ve been worried about vou. We thought you’d drowned!’ Arona
stood, head bowed, in silence. When she stopped he turned abruptly to
leave. ‘Aren’t you going to say anything about your sisters ?’
They’re all right!’ he snapped. He rushed off, with Tavita and his
friends trailing him.
When they were alone Mautu said to her, There was no need for
news
Arona asked if he could
that.’
‘Your sister is
He walked
awav:
even trying to take my son away from me,’ she replied.
‘She is!’ she called, ‘You just don’t want to see the truth !’
Lalaga turned the handle of the sewing machine. The needle began
jabbing down into the fabric. Tutt-tutt-tutt-tutt. She stopped, held her
breath, looked at the track down to the beach. No one. She turned the
handle. Tutt-tutt-tutt-tutt. A clatter. Of what ? Once again. Of oars ?
Voices. She looked again and was up onto her feet hurrying, repinning
her bun. Towards the beach.
The
track
brittle
dry under her feet. She glimpsed a
figure approaching through the trees on the bend. A figure running. She
started running too. Around the bend.
Pele ! Pele ! She opened her arms, and into her embrace rushed
her daughter, smelling of fresh oil and the sea and me promise of joy
narrow
was
without end, as she held her. Held her. Pele.
‘Lalaga, I’m well again; Peleiupu said.
‘Good, good’, murmured Lalaga, hiding her tears. Then she saw
Ruta, who was standing a few paces away ‘Come!’ she called. Ruta slid
31
Littérama’ohi N°10
Albert Wendt
encircling arm and into her side, and she held her too. ‘I’ve
dresses for you, she whispered.
‘Lefatu came with us’, Ruta said. Lalaga stepped: away from
into her
new
got
her
daughters, wiping
her eyes with the hem of her dress.
When she looked up Lefatu stepped towards her. They hesitated.
One step forward each. Lalaga stopped. Lefatu leaned forward and kissed her
on
the cheek.
Thank you for Pele,’ Lalaga said. Thank you.’
“God has been kind’, Lefatu said. The mana
is His.’ And Lalaga
wanted to believe her.
By then Mautu and most of their aiga and school were around
thought I’d bring them back so I can see your home and enjoy
the comfortable life of a pastor’s family !’ Lefatu said to Mautu, who laughed softly.
They started moving up the track, Ruta and Peleiupu chatting noisily with their large tribe of friends. Lalaga noticed that Naomi was being
left out, so she moved over and held her arm.
When they were seated in the main tale the matai of Satoa, led by
Sao, arrived to welcome them. Though Satoa’s tulafale never referred
directly to Lefatu, and her tulafale spoke as if they were the leaders of
their party, everyone knew Lefatu was the centre of the Aiga Sa-Tuifolau
and the village of Fagaloto, and respected her more because she was
le tama’ita’i o valoaga., the woman of prophecies, daughter of the
Tuifolau, tauhaaitu of the atua, with a mana and powers they feared and
needed. Throughout the formalities she rolled a cheroot and smoked it,
and tried to appear as if she weren’t the centre of the ceremony. Even
when the ava cup was taken to her, she insisted it be given to Mautu.
That evening Lefatu asked, ‘Who was Barker, who Pele talks a lot
about?’ Mautu told her. During her stay Lalaga, Arona, Naomi and other
Satoans would add their chapters to Barker’s saga. Not that many
Satoans visited. Lalaga attributed it to their fear - and awe - of Lefatu.
Lefatu was up at the first rooster’s call and, gazing out at the eastern mountains, smoked a cheroot. Then as the sun hurdled the range
them. ‘I
32
Dossier
she started
:
Diversité culturelle et
francophonie
singing the hymn for their morning lotu. They woke and joi-
ned her, but she left the biblical recital and prayer to Mautu. She then
washed and lit the fire and, despite Lalaga’s insistence that she not do
the
cooking, did
so,
helped by the girls.
Later, most mornings, the girls took her through their collection of
books. ‘I’m uneducated, I can’t read or write,’ she confessed as she flicked through the books. But Lagala sensed thattefatu wasn’t ashamed
of it. While they took their classes Lefatu wove sinnet - a man’s occupation or ironed, or cleaned the tale. After classes Peleiupu, Ruta and
-
Naomi took her up the river valley. Lalaga thought they were collecting
herbs and medicines, but they usually brought back nothing.
Others
days, if the tide was right, she went fishing for sea-slugs,
and loli. Women who went with her told Lalaga she was an
expert fisher and had great knowledge of the sea’s creatures.
Soon after Lefatu arrived, Lalaga had hints, then direct requests,
from Satoans seeking for Lefatu to heal their ailments. She refused to
ask Lefatu who, throughout her stay, did not encourage patients, induding those from Fagaloto, to come to her.
‘I’m having a really good rest’, she remarked at their morning meal
a week after she came. ‘No
responsibilities, good food, good companions, the comforts of being a pastor’s aster!’ She laughed. ‘And daughters and sons who serve me as if I were a queen. Good to see that Pele
is herself again, but not as talkative as before’. Peleiupu blushed and
sea-eggs
wished Lefatu wouldn’t talk about her. ‘And Arona is not as fat as before
I’Arona managed a smile, ‘And Ruta and Naomi don’t squabble as often
as
they used to !’
‘Not my fault!’ Naomi interjected, then clapped her hand
over
her
mouth.
‘Still
her. The
ced at
as
bold
women
as
eh !’ Lefatu guffawed. The elders laughed with
aiga were never known for meekness.’ She glan-
ever,
of this
Lalaga.
‘That’s true,’ Lalaga said.
‘And we men have had to suffer that,’ Mautu said.
33
Littérama’ohi N°10
Albert Wendt
Lalaga. sensed that Lefatu was ready to return to Fagaloto and,
or in bed at night, she wept silently, dreading what was
going to happen. For two days she managed not to be alone with Lefatu.
Then, after school, while she was resting at her desk, fanning herself
and gazing out at the bay. she heard someone entering and standing
behind her. ‘Sit down here,’ she said, pointing at the chair to her right.
Lefatu slid into the chair, and they watched the sea sparkle, darken,
ripple under the noonday light.
‘Our aiga has always had a taulasea, I am that now, and I’ve tried
to fond a child within our aiga to continue after me Lefatu spoke quietly,
as if to the sea. ‘Within our aiga at Fagaloto there is no one.’ Lalaga
heard the buzzing of a fly; wondered why she was listening to it. ‘You
guessed early why 1 came back with Pele?’ Lagala nodded once. The
fly was gone; the silence ticked like her pulse. ‘Your children are our
most gifted. And Pele most gifted of all.’ Laiaga looked at Lefatu. ‘But I
won’t ask for her. She is destined for other things for our aiga. I mustn’t
alter that.’ Lalaga sighed. ‘I’m asking that Ruta become my child, the heir
to our healing.’ She paused. ‘I’m asking that of you’.
‘It was gracious of you to visit us, to stay,’ Lalaga began, holding her
arms across the desk to control their shaking. To bring our daughters
back to us, with Pele healed. You could’ve kept Ruta, without coming to
ask me. I wouldn’t have been able to object. Thank you for coming and
asking.’ She had to stop. ‘You are our feagaiga and the heart of our aiga.
I can’t deny you anything. That is the way it must be. That doesn’t mean
I don’t feel any pain, even resentment, about the matter. Ruta is my flesh
and blood. I love her deeply.’ She: wiped away her tears. ‘What is to be
her future though ? Even in the healing, the new medicine will take over.’
‘I must not be the last in our aiga,’ Lefatu said. ‘It is not just for the
healing.’
when alone
‘What then ?’
‘It is for all of
us
-
our
history, tradition, way-of life and ways of
seeing.'
‘And ?’
Even your
34
Lalaga insisted. ‘I want you to admit it to
brother won’t admit it !’
me
for the first time.
Dossier
‘All
:
Diversité culturelle et francophonie
right’, Lefatu replied, turning to look at her. Her eyes were darkly
clear. ‘And for the Atua, our Atua’.
Lalaga suddenly felt light: for the first time she felt safe in the Aiga
by it. In letting go of Ruta she was becoming all that was Lefatu, heart of the Aiga Sa-Tuifolau. Besides, after
Lefatu, Ruta, her daughter, was to be the atua’s keeper.
On Saturday afternoon while everyone else was busy preparing the
Sunday umu, Lalaga called her children together.
‘On Monday, Ruta will go with Lefatu when she returns to Fagaloto,’
Sa-Tuifolau. Part of it.Valued
she told them.
‘What about me? I want to go
too,’ Naomi insisted.
Ignoring her, Lalaga said, ‘Ruta is going to stay with Lefatu. She has
no
children of her own.’
‘That’s
no
fair!’ Naomi
‘Don’t talk like that
objected.
again!’ Arona threatened. Naomi slapped the
mat.
‘Do you want to go?’ Lalaga asked Ruta.
Ruta nodded and said, ‘Lefatu is very kind
to me. She needs me,
and I want to learn from her.’
your not going to modern school to learn science,
English, numbers and things like that,’ Lalaga explained.
That doesn’t matter. Pele and Naomi can do that’ Ruta replied.
‘Ruta is fortunate', Peleiupu said. ‘With Lefatu things will last, they'll
be what they ate’. They waited for her to explain. She didn’t.
‘And you’ll be going to Vaiuta to study next year,’ Lalaga revealed to
her. There was no visible reaction from Peleiupu. “Is that all right with
you?’
‘Many years ago you told me I was going,’ Peleiupu replied. ‘So it
‘It’ll
mean
has to be.
‘And
me
?’ Naomi asked.
after next.
pastor yet,’ Arona anticipated her.
When Lalaga looked at him, he lowered his gaze. ‘I’m not ready for the
ministry yet.’
‘You
go to Vaiuta too, year
‘I don’t want to study to be a
can
35
Littérama’ohi N°10
Albert Wendt
She had to
go
accept his excuse, though she sensed he didn’t want to
at all, ever.
him. She had time to persuade him.
‘Everything is but changes,’ Peleiupu said, more to herself than to
the others. That was Lefatu talking, Lalaga thought Puzzles, riddles,
beyond her comprehension. This is probably the last time well be together as we've always been. We are starting to go our own ways.’
‘Dont worry, there’ll be many more meetings like this,’ Lagala declared. ‘We’re aiga, and the love between us is unbreakable:
‘Yes!’ chorused Ruta and Naomi, Arona and Peleiupu glanced at
‘We’ll wait, then,’ she countered
each other.
Lalaga wanted to hold them all in her arms.
Albert Wendt
36
nnie Reva’e Coeroli
Traduction de l’extrait du
roman
d’Albert Wendt
L’auteur
Albert Wendt est membre du
Maualaivao de
Aiga Sa-Tuaopepe de Lefaga, du Aiga Sa-Patu de Vaiala, du Aiga SaMalie, et du Aiga Sa-Sao de Sapapali’i, Samoa. Il détient le titre de Ali’i Faumuina.
A
présent il détient la chaire de Citoyen de l’Université de Hawaii, et la Chaire de Littérature de
Pacifique à l’Université d’Auckland, Aotearoa/Nouvelle-Zélande. Avant
cela, il fut Député Vice-Chancelier et professeur de Littérature du Pacifique à l’Université du
Pacifique-Sud.
Nouvelle-Zélande et du
Il
publié six nouvelles dont SONS FOR THE RETURN HOME, LEAVES OF THE BANYAN TREE,
qui fut publiée en 2003. Il a publié trois recueils d’histoires courtes dont THE BEST OF ALBERT WENDT’S SHORT STORIES et aussi quatre recueils
de poésie, le dernier étant THE BOOK OF THE BLACK STAR. Il est reconnu au niveau international comme un figure majeure dans le développement de la nouvelle indigène. Plusieurs de ses
nouvelles sont maintenant considérées comme des classiques de la littérature du Pacifique. Deux
d’entre elles ont été portées à l’écran.
a
OLA et la dernière THE MANGO'S KISS
Il
édité de nombreuses
a
anthologies influentes de l’écriture du Pacifique dont NUANUA: Pacific
Anthology of Polynesian Poetry.
Literature Since 1980, et WHETU MOANA: An
Il est également auteur dramatique, son dernier et premier long métrage, THE SONGMAKER’S
CHAIR, fut d’abord produit au festival 2003 d’Auckland en Nouvelle Zélande et fut joué à guichet
fermé. La
pièce fut publiée
scène à Hawaii
en
par HUIA
Mars-Avril 2006.
PRESS, New Zealand,
en
2004. Elle fut également mis
en
Son travail a été traduit dans de nombreuses langues : en hollandais, français, russe, italien, espagnol, chinois, allemand et polonais. Il est enseigné dans de nombreuses institutions d’éducation y
compris des universités de plusieurs pays. Il a voyagé dans le monde entier donnant des conférences et animant des débats sur son oeuvre et sur celles d’autres écrivains indigènes du
Pacifique. Il continue d’exercer une influence majeure dans le développement, l’étude et l’enseignement de la littérature du Pacifique au niveau international.
Il
a gagné de nombreux prix d'art et de littérature comme le prix du Livre du CommonwealthRégion Asie du Sud-Est et Pacifique, le prix d’Asie pour la Culture, et le prix des Artistes Seniors
en
Nouvelle Zélande.
En 1993 il
été
doctorat d’honneur de l’Université de Bourgogne, Dijon,
ses enseignements. En 2005, il reçut un doctorat
d’honneur de l’université Victoria de Wellington, Nouvelle-Zélande, en reconnaissance de ses
écrits et services à la littérature. En 2000, le gouvernement néo-zélandais lui conféra l’Ordre du
Mérite des Amis de la Nouvelle Zélande, pour ses services à la littérature.
France,
en
a
récompensé
reconnaissance de
par un
ses
écrits et de
The NEW OCEANIA: ALBERT WENDT, WRITER, un documentaire sur sa vie et son oeuvre fut
projeté lors du Festival du Film 2005 à Auckland et plus tard au Festival du Film d’Hawaii. Le film
été fait par la distinguée réalisatrice néo-zélandaise, Shirley Horrocks.
a
Albert Wendt aime le
diants de tous
très
ces
Pacifique et les nations de ces îles et tous ses Aiga, amis et anciens étuIl a trois enfants et, avec sa partenaire Reina Whaitiri, a huit petits enfants
pays.
énergiques!
37
Littérama’ohi N°10
Annie Reva’e Coeroli
EXTRAIT DU ROMAN
«
«
THE MANGO’S KISS »,
LE BAISER DE LA MANGUE
»
LAISSER PARTIR
Lalaga feignit un mal de tête ainsi elle pouvait rester dans le fale et
finir de coudre la robe de Peleiupu. Mautu, Naomi et Arona étaient en
dégoulinait de sueur en travaillant. Dans la brise lente de la
musquée du corail. Encore une couture et la
robe serait finie. Elle avait déjà terminé de coudre les robes de Lefatu,
de Ruta et de la femme de Tuifolau : cadeaux qu’elle se préparait à
prendre le lendemain matin pour une visite secrète à Fagaloto.
Presque trois mois avaient passé depuis qu’ils avaient quitté
Peleiupu et Ruta à Fagaloto. Ils n'avaient pas eu de leurs nouvelles
durant le premier mois. Mais quand elle demanda qu’ils aillent voir leurs
enfants, Mautu lui rappela que ce déplacement serait interprété par
Lefatu et son aiga, comme un manque de confiance dans leur façon de
s’occuper de Peleiupu. Lalaga patienta encore une semaine puis elle
demanda qu’alors ils envoient quelqu’un d’autre. Elle pleura quand
Mautu refusa et elle l’accusa de ne pas aimer ses enfants, Mautu
demanda alors à des Satoans qui allaient à Fagaloto de prendre des
nouvelles des filles, discrètement. A leur retour, quatre jours plus tard,
Lalaga les pressa de questions pour leur extraire la moindre goutte d’information : Peleiupu progressait, elle parlait de nouveau, même si ce
n’était qu’à Lefatu, et Ruta était aimée de tous. Lalaga vécut de ces nouvelles durant un mois puis elle plaida à nouveau en faveur d’une visite.
Cette fois Mautu admit que les enfants lui manquaient aussi mais refusa
encore sa requête. ‘J’irai toute seule!’ menaça Lalaga. Mautu n’essaya
pas de l’arrêter. Elle ne partit pas.
La saison des atule commença la semaine suivante avec de larges
bancs de poissons courant le long de la côte d’est en ouest. Même
Mautu se joignait à la pêche. Les grosses prises étaient partagées entre
classe. Elle
mer
38
elle sentait l’odeur
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
les personnes
du aiga. En tant que pasteur, avec une grande famille à
en avait plus que les autres, ainsi, chaque semaine, il
envoyait Arona et Tavita, le fils aîné de Barker qui maintenant dormait
chez eux, avec des atule à Fagaloto, sur le tulula. Lalaga survécut grâce
aux nouvelles de Peleiupu et Ruta qu’ils rapportaient. Après leur première visite, Arona demanda s’il pouvait rester avec leur aiga à Fagaloto
‘Non!’ fut la réponse abrupte de Lalaga. ‘Mais pourquoi?’ demanda
Mautu, après qu’Arona fut parti en tapant des pieds: ‘Non!’ murmura
t’elle et elle s’enfuit précipitamment vers sa classe.
En octobre ce fut le palolo rose : il y en avait tant qu’ils en ditribuèrent aux autres villages. Lalaga envoya Arona, Tavita et leur équipage à
Fagaloto avec des paniers de palolo. Deux jours plus tard ils n’étaient
toujours pas revenus et Lalaga poussa Mautu à organiser un autre
tulula pour aller les chercher.
Arona arriva alors que l’autre équipage se préparait à partir. Devant
tout le monde Lalaga le réprimanda : ‘N’as-tu aucun amour pour nous,
hein? Pendant deux jours, nous nous sommes inquiétés pour toi. Nous
pensions que tu t’étais noyé!’ Arona se tenait tête baissée, en silence.
Quand elle s’arrêta, il se tourna brusquement pour s’en aller. ‘Ne vas-tu
rien dire au sujet de tes soeurs?’
‘Elles vont bien!’ répondit-il sèchement. Et il partit rapidement avec
Tavita et ses amis dans son sillage.
Quand ils furent seuls Mautu dit à Lalaga : Tu n’avais pas besoin
de faire ça.’
Ta soeur essaye même de m’enlever mon fils,’ répondit-elle. Il
s’éloigna: ‘C’est vrai!’ cria t-elle, ‘Mais tu ne veux pas voir la vérité I’
Lalaga tourna la roue de la machine à coudre. L’aiguille commença
nourrir, Mautu
-
à s’enfoncer dans le tissu. Tutt-tutt-tutt-tutt. Elle s’arrêta, retint son
souffle, regarda vers la piste en bas vers la plage. Personne. Elle tourna
Tutt-tutt-tutt-tutt. Un bruit. De
quoi? Encore une fois. Des rames?
regarda encore puis elle bondit, se dépêchant, arrangéant les épingles de son chignon. Direction : la plage.
Le chemin étroit était sec et craquait sous ses pieds. Elle aperçut
une silhouette qui s’approchait à travers les arbres dans le virage. Une
la
roue.
Des voix. Elle
39
Littérama’ohi N°10
Annie Reva’e Coeroli
silhouette
qui courait. Elle commença à courir aussi en arrivant au
virage.
Pele ! Pele ! Elle ouvrit ses bras et, dans son
étreinte, bouscula sa
qui sentait l’huile fraîche et la mer et la promesse d’une joie infinie,
qu’elle la tenait. La tenait. Pele.
‘Lalaga, je vais bien maintenant’ dit Peleiupu.
‘Bien, bien’, murmura Lalaga, cachant ses larmes. Puis elle vit
Ruta, qui se tenait à quelques pas, ‘Viens!’ appela t-elle. Ruta se glissa
contre elle s’entourant de son bras, elle la tenait à son tour. ‘J’ai de nouvelles robes pour vous’, murmura-t-elle.
‘Lefatu viens avec nous’, dit Ruta. Lalaga s’éloigna de ses filles
essuyant ses yeux avec l’ourlet de sa robe.
Quand elle releva la tête, Lefatu marchait vers elle. Elles hésitèrent.
Un pas chacune, l’une vers l’autre. Lalaga s’arrêta. Lefatu se pencha et
l’embrassa sur la joue.
‘Merci pour Pele,’ dit Lalaga. ‘Merci.’
‘Dieu a été bon', dit Lefatu. ‘C’est grâce à Son mana.’ Et Lalaga vou-
fille
tandis
lait la croire.
plupart de leur aiga et de leur école vinrent autour
pensé les ramener et ainsi voir votre maison et apprécier la
confortable d’une famille de pasteur !’ dit Lefatu à Mautu qui riait
Puis Mautu et la
d’elles. ‘J’ai
vie
doucement.
Ils commencèrent à remonter la pente, Ruta et Peleiupu bavardant
bruyamment avec leur grande tribu d’amis. Lalaga nota que Naomi avait
été laissée de côté, aussi elle se fraya un passage et la prit dans ses bras.
Quand ils furent assis dans le fale principal, les matai de Satoa,
menés par Sao, vinrent les accueillir. Bien que le tulafale de Satoa ne
faisait jamais directement référence à Lefatu et que sa tulafale parlait
comme s’ils étaient les leaders du groupe, chacun savait que Lefatu
était le centre du Aiga Sa-Tuifolau et du village de Fagaloto, et la respectait davantage car elle était la tama’ita’i o valoaga, la femme des
prophéties, fille du Tuifolau, tauhaaitu du atua, avec un mana et des
pouvoirs dont ils avaient peur et besoin. Pendant les formalités, elle
roula un cigare et le fuma, elle essayait de faire comme si elle n’était
40
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
le centre de la cérémonie. Même quand le bol de ava lui fut présenté, elle insista pour qu’il fut donné à Mautu.
Ce soir là, Lefatu demanda, ‘Qui est Barker dont Pele parle beaucoup?’
pas
séjour, Lalaga, Arana, Naomi et d’autres Satoans
ajouteraient leurs chapîtres à la saga Barker. Peu de Satoans venaient en
visite. Lalaga attribuait cela à la peur-respect que Lefatu leur inspirait.
Lefatu était debout au premier chant du coq et, regardant dehors
vers les montagnes de l’est, fumait un cigare. Puis, dès que la chaîne
de montagnes laissait apparaître le soleil, elle commençait à chanter
l’hymne à son lotu du matin. Ils se réveillaient et la rejoignaient mais elle
laissait le récit biblique et la prière à Mautu. Puis elle lavait et allumait le
feu et, malgré l’insistance de Lalaga pour qu’elle ne fasse pas la cuisine,
elle la faisait, aidée par les filles.
Plus tard dans la matinée, les filles l’entraînaient vers leur colléetion de livres. ‘Je ne suis pas éduquée, je ne sais ni lire ni écrire,’ confessait-elle en feuilletant les livres. Mais Lalaga sentait que Lefatu n’en
avait pas honte. Pendant qu’elles étaient en cours, Lefatu tressait des
filets
un travail d’homme
ou repassait, ou nettoyait le fale. Après les
classes Peleiupu, Ruta et Naomi l’emmenaient dans la vallée. Lalaga
pensait qu’elles ramassaient des herbes et des plantes médicinales
mais elles ne rapportaient jamais rien.
D’autres jours, si la marée était bonne, elle allait pêcher des
limaces de mer, des œufs de mer et des loli. Les femmes, qui étaient
allées avec elle, ont dit à Lalaga qu’elle était experte en pêche et que
son savoir était grand au sujet des créatures de la mer.
Peu après l’arrivée de Lefatu, Lalaga entendit des allusions puis
des requêtes directes de la part des Satoans qui cherchaient Lefatu
pour soigner leurs ennuis de santé. Elle refusa de faire des demandes
à Lefatu qui, durant son séjour, n’encourageait pas les patients, y cornpris ceux de Fagaloto, à venir la voir.
‘Je me repose vraiment bien’, fit-elle remarquer lors de leur repas
matinal, une semaine après son arrivée. ‘Pas de responsabilités, une
bonne nourriture, de bons amis, le confort de faire partie de l'entourage
du pasteur!’ Elle rit. ‘Et des filles et des fils qui me servent comme si
Mautu lui dit. Durant
-
son
-
41
Littérama’ohi N°10
Annie Reva’e Coeroli
une reine. C’est bon de voir Pele redevenir elle-même, même si
elle est moins bavarde qu'avant’. Peleiupu rougit, elle aurait souhaité que
j’étais
Lefatu ne parla pas d’elle. ‘Et Arona n’est pas aussi gros qu’avant!’ Arona
tenta de sourire, ‘Et Ruta et Naomi se chamaillent moins qu’avant !’
‘Ce n’est pas
bouche.
de ma faute!’ lança Naomi, puis elle plaqua sa main
sur sa
Toujours aussi téméraire, hein !’ pouffa Lefatu. Les anciens rirent
elle. ‘Les femmes de ce aiga n’ont jamais été connues pour leur
humilité.’ Elle jeta un coup d’oeil à Lalaga.
‘C’est vrai,’ dit Lalaga.
avec
‘Et nous, les hommes, avons eu à en souffrir,’ dit Mautu.
Lalaga sentit que Lefatu était prête à retourner à Fagaloto et, quand elle
ou au lit la nuit, elle pleurait silencieusement, craignant ce qui allait
arriver. Pendant deux jours elle s’efforça de ne pas se trouver seule avec
Lefatu. Puis, après l’école, alors qu’elle se reposait à son bureau s’éventant
en regardant la baie, elle entendit quelqu’un entrer et venir jusque derrière
elle. ‘Assieds-toi là,’ dit-elle, en montrant la chaise à sa droite.
Lefatu se glissa sur la chaise et elles regardèrent la mer miroiter,
était seule
s’assombrir et
se
rider
sous
la lumière de midi.
‘Notre
aiga a toujours eu une taulasea, j’en suis une aujourd’hui et
j’espérerais trouver une enfant dans notre aiga pour continuer après moi’,
Lefatu parla doucement, comme si elle parlait à la mer. ‘Dans notre aiga
à Fagaloto il n’y a personne.’ Lalaga entendit le bourdonnement d’une
mouche ; se demanda pourquoi elle l’écoutait. Tu te demandais au début
pourquoi je revenais avec Pele?’ Lalaga approuva d’un signe de tête. La
mouche était partie; le silence était en suspens comme son pouls. ‘Parmi
nos enfants, les tiens sont les plus talentueux et Pele est la plus douée de
tous.’ Lalaga regarda Lefatu. ‘Mais je ne vais pas la demander. Elle est
destinée à d’autres choses pour notre aiga’. ‘Je ne dois pas changer ça’
Lalaga soupira. ‘Je demande que Ruta devienne mon enfant, l’héritière de
notre savoir guérir.’ Elle fit une pause. ‘C’est ce que je demande’.
‘C’était bien aimable de venir
Lalaga,
42
se
nous
voir et de rester,’ commença
tenant au bureau pour contrôler les tremblements de
ses
bras.
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
Ruta,
Merci
d’être venue et d’avoir demandé.’ Elle dut s’arrêter. Tu es notre feagaiga
et le coeur de notre aiga. Je ne peux rien te refuser. C’est ainsi que cela
doit être. Cela ne veut pas dire que je ne ressens aucune douleur ou
aucun ressentiment à ce sujet. Ruta est ma chair et mon sang. Je l’aime
profondément.’ Elle essuya ses larmes. ‘Quel est son avenir pourtant?
Même en matière de guérison, la nouvelle médecine prendra le dessus.’
‘Je ne dois pas être la dernière de notre aiga,’ dit Lefatu. ‘Ce n’est
pas uniquement pour guérir.’
Pour
nous ramener nos
sans
venir
‘Pour
me
filles
demander
Pele guérie, tu aurais pu garder
avis. Je n’aurais pas pu refuser.
avec
mon
quoi alors?’
tous
notre histoire, notre tradition, notre façon de vivre
façons de voir.’
‘Et ?' insista Lalaga. ‘Je veux que tu l’admettes devant moi pour la
première fois. Même ton frère ne veut pas l’admettre !’
‘D’accord’, répondit Lefatu en se tournant pour la regarder. Ses
yeux étaient mystérieusement clairs. ‘Et pour le Atua, notre Atua’.
Lalaga sentit soudain la lumière : pour la première fois elle se sentait en sécurité dans le Aiga Sa-Tuifolau. Elle en faisait partie, en était
valorisée. En laissant partir Ruta, elle devenait tout ce qu’était Lefatu, le
cœur du Aiga Sa-Tuifolau. En outre, après Lefatu, Ruta, sa fille, deviendrait la gardienne du atua.
Le samedi après-midi alors que les autres étaient occupés à préparer le umu du dimanche, Lalaga appela tous ses enfants.
‘Lundi, Ruta ira avec Lefatu quand elle retournera à Fagaloto,’ leur
‘Pour
et
nous
-
nos
dit-elle.
y aller aussi,’ insista Naomi.
L’ignorant, Lalaga dit, ‘Ruta va rester avec Lefatu. Elle n’a pas d’en-'
‘Et moi? Je
veux
fant à elle.’
‘C’est pas juste!’ objecta Naomi.
‘Ne parles plus jamais comme ça!’ menaça Arona.
Naomi claqua la natte.
partir?’ demanda Lalaga à Ruta.
Ruta fit un signe de tête et dit, ‘Lefatu est très gentille avec moi. Elle
besoin de moi et je veux apprendre d’elle.’
‘Veux-tu
a
43
Littérama’ohi N°10
Annie Reva’e Coeroli
'Cela
signifie
tu n’iras pas à l’école moderne apprendre la
que
science, l’anglais, les nombres etc, expliqua Lalaga.
‘Ca
ne
‘Ruta
a
fait rien. Pele et Naomi
pourront le faire’ répondit Ruta.
Peleiupu. ‘Avec Lefatu, les choses durequ’elles auront mangé’. Ils attendirent qu’elle
de la chance’, dit
ront, elles seront
ce
explique. Elle
ne le fit pas.
‘Et tu iras étudier à Vaiuta l’an
prochain,’ lui révéla Lalaga. Il n’y eut
pas de réaction visible de la part de Peleiupu. “Est-ce-que tu es d’accord?’
‘Il y a des années que tu m’as dit que je partirais,’ répondit Peleiupu.
‘Donc ça doit se faire’.
‘Et moi ?’ demanda Naomi.
Tu pourras aussi aller à
‘Je ne veux pas encore
Vaiuta, dans deux ans.
faire des études pour être pasteur,’ Arona
la devança. Quand Lalaga le regarda, il baissa les yeux. ‘Je ne suis pas
encore prêt pour le ministère.’
Elle devait accepter son excuse, bien qu’elle sentait qu’il ne voulait
pas y aller du tout, jamais.
‘Nous attendrons alors,’ riposta t-elle. Elle aurait le temps de le persuader.
Tout n’est que changement,’ dit Peleiupu, plus à elle-même qu’aux
autres. C’était la façon de parler de Lefatu, pensa Lalaga, des mystères,
des
énigmes, au-delà de sa compréhension. ‘C’est probablement la dernière fois que nous sommes tous ensemble comme nous l’avons tou-
jours été. Nous allons commencer à suivre chacun notre chemin.’
‘Ne vous inquiétez pas, il y aura beaucoup d’autres réunions
comme celle-là,’ déclara Lagala. ‘Nous sommes un aiga et l’amour entre
nous
est indestructible
‘Oui!’
:
répondirent en choeur Ruta et Naomi, Arona et Peleiupu
regardèrent.
Lalaga voulaient les tenir dans ses bras.
se
Albert Wendt
Traduction d’Annie Reva’e Coeroli
44
a arcel
Millaud
L’auteur
de Tahiti, sur une pointe où poussent des cocotiers, quelques casuariflamboyant. Devant, à quatre cents kilomètres, il y les îles Australes, et puis plus rien jusqu’au pôle sud. C'est sur cette pointe qu'il a écrit un roman d’environ trois cents pages, S’il est un
L’auteur demeure, au sud
nas
et
un
ciel au-dessus de
nos
ombres, dont voici le début.
I. TRIOMPHE DES FLAMBOYANTS
rayonnant de santé, ébouriffait un archipel pour empoigner l’ouest, au cours d’un autre voyage en plein Pacifique. L’ouest se
dérobait, comme à l’accoutumée, l’océan, à ses trousses, ne happait
que du vent et le vent laissait courir le bruit qu’il est vain de poursuivre
Or le vent,
l’horizon.
Messager de l’hiver austral, il soufflait sur la pointe depuis la veille.
rythme, il gagnerait sous peu les îles Cook, les Tonga, avant de
bifurquer peut-être vers la Nouvelle-Zélande.
Quand le vent pèse, insiste, tord la vague rétive, la vaporise, anime
un désert entier, comment ne pas se laisser conduire ?
“Nouvelle chance, nouveau départ”, songeait Fano, depuis la
balustrade de sa véranda. Ce temps lui donnait chaque fois l’envie de
partir, de s’évanouir au hasard des voies du ciel, pendant une foule de
lunaisons. Aujourd’hui, il savait où il irait, bientôt, à bord d’un DC-10 de
A
ce
tonnerre et d’acier.
qui échappe à un terrible danger, trouve à la vie des
gazouillements de perruche. Qu’un nid de dépressions lâche encore
une volée de pétrels fous furieux des tempêtes, aucune importance. On
survole, floconneux, les plaines ensoleillées d’Orion. Pour Fano
Loncour, un étau se desserrait, une issue s’ébauchait. Il s’émerveillait
de tout cet air en expansion, gonflé de rumeurs, au sortir des basses
L’homme
45
Littérama’ohi N°10
Marcel Millaud
latitudes, et qui n’en finissait pas de charrier un continent de nuages.
Quelle pouvait être la tourmente de son origine ?
Nulle part le vent ne commence. Il étreint le monde, en
quête d’un
golfe des météores où s’abolir enfin avec ses vapeurs, ses flux
contraires, l’accablant répertoire de ses visions terrestres. Mais le repos
n’est pas son fort. Mollir est d’un instant. Tomber ici, reprendre là: le vent
s’invente des circuits et jette des esprits sédentaires, siècle après
siècle,
sur
les pistes de l’aventure.
Comme
doigt immuable, la pointe désignait le récif à la vindicte
large. Et sur cette pointe d’un hectare, souvent livrée en juin et juillet
à des perturbations, il avait plu au père de Fano, dans un débordement
de tendresse, de planter une vingtaine de casuarinas, appelés d’ordinaire “arbres de fer”, à cause de leur fibre aux veines si compactes
qu’elle ébréche le tranchant de la hache. Sensibles, pourtant, à la douceur, ils portent une sorte de chevelure, et les alizés qui la font ondoyer
y prennent d’inexprimables accents.
En dépit de sa rudesse, Loncour père avait eu, par intermittence,
selon la hausse des cours du coprah, des élans d’artiste.
Vers l’extrémité de la pointe, devant les casuarinas, il avait planté
sept flamboyants. Pourquoi sept et non pas trois, six ou huit, ou trois fois
huit sur six ? Il n’aurait ébauché qu’un haussement d’épaules, en guise
de réponse. Celle-ci ne relevait pas des mathématiques. Sept flamboyants devaient croître au bout de la pointe parce qu’un jour, quand
ils se couvriraient de fleurs, ils seraient beaux à voir, juste là, face à la
mer, tels qu’Henri Loncour, père de Fano, les avait par avance contemplés, ardents et consumants, comme des anges au glaive de feu, dans
le chant des casuarinas. C’était aussi simple que cela.
Les arbres s’étaient développés, gourmands de satisfaire le planteur. De mètre en mètre cube, ils avaient accaparé un air volubile,
l’avaient assagi derrière un feuillage touffu. Dans ces cages de silence,
des sternes, épuisées d’avoir becqueté pendant le jour une eau poissonneuse, avaient pris l’habitude de goûter au repos, les yeux mi-clos
un
du
de satiété. Une taille, en hauteur, avait accru la circonférence. Les
racines s’étaient
46
partagé
un
sol corallien, apparemment improductif, et
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
cependant amendé avec une délicatesse de chimiste peseur de substances impalpables, et aussi humecté, aux périodes de sécheresse, à
l’aide d’un tourniquet dont le débit ne dépendait pas des excès ou insuffisances d’un robinet ouvert à la va-vite. Dans le noir, les racines palpaient le terrain, festoyaient d’un goutte à goutte nutritif adapté à leur
métabolisme, agrandissaient leur territoire. Du gazon moussait, en surface. Entourés de la sorte d’une pelouse et de soins paternels, mieux
arrimés que les mâts d’un sept-mâts d’apparat, annonciateurs d’oriflammes et de conflagrations crépusculaires par un soleil topaze, les
flamboyants avaient déployé leur voilure.
Henri Loncour n’avait pas vu fleurir ses arbres. Faute de place
ailleurs, on l’avait enterré dans un cimetière protestant, lui qui ne l’était
point, et à l'emplacement qu’un diacre retraité pensait occuper, lors
d’une retraite définitive prise le plus tard possible, les menus avantages
de ce bas monde ne laissant pas d’avoir du bon.
A peine jetée la dernière pelletée de terre, les flamboyants, transformés en chandeliers funéraires, s’étaient mis à rougeoyer. Le lendemain, la braise devenait brasier. Cet hommage posthume aurait davantage convenu au seigneur des jardins de Babylone qu’à un obscur
squatter de tombe. Pourtant, chaque année, à pareille époque, au jour
anniversaire de l’inhumation d'Henri Loncour, père de Fano, une
débauche de fleurs écarlates ne manquerait pas de célébrer sa
mémoire, trois mois durant. Le feu montait, se boursouflait, une effervescence de corolles en grappes, toutes tremblantes, avivées au
moindre souffle, et la houle embrasée, contenue en arrière par les
casuarinas, gagnait la plage, pour rester en suspens, au bord de
l’éblouissement. Car à gauche, et jusqu’à la presqu’île, le lagon était si
vert que le rouge d’un bout de pointe n’était plus que la faible vibration
d’un lointain cri d’épouvante sur un miroir d’espérance. Puis survenaient
les bourrasques du sud et les flammes s’éteignaient.
Le fils avait recueilli cette oeuvre intense. Un jardin aérien s’appropriait des giclées de ciel, et les contenait dans un berceau de
branches...
Et
ce
fut le désastre !
47
Littérama’ohi N°10
Marcel Millaud
Une moisissure, métastase de rouille aux confins du végétal et du
minéral, s’attaqua aux racines des casuarinas avec une telle virulence
qu’en un semestre, dans le sens de la progression souterraine, ils se
desséchèrent, foudroyés sur place, rongés à la base par la gangrène.
Fano avait assisté, impuissant, à cette abomination. A une époque
où il se remettait de sa blessure, il s’était dit qu’on le prenait encore pour
pensée qu’il n’était rien, ou plutôt
qu’il n’était plus rien, l’avait calmé un moment. On ne complote pas
contre rien. A moins de faire du rien quelque chose, ce qui, appréciable
consolation, confortait le rien dans l’idée qu’il n’était pas tout à fait rien
et le ramenait du coup au point de départ : “C’est moi qu’on vise”.
Et la paranoïa recommençait.
Scorpion fumant de rugissante bestialité, le dard recourbé, un bulldozer dévasta la pointe. Ses assauts cataclysmiques eurent raison des
arbres qui s’abattirent dans un fracas d’empire romain sous les béliers
des barbares. Soudain, l’engin s’arrêta. Le conducteur éteignit le
moteur, s’essuya le front du pouce et aboya :
Holà ! C’est quoi ce feu ?
L’embrasement présageait des complications. Raide comme une
allumette du désir d’être craquée, la pointe se chargeait de menace. Le
conducteur n’était pas un froussard. Il avait œuvré en altitude, assis sur
ses cent dix kilos, taillant des pistes à flanc de montagne. S’attaquer aux
escarpements à dos de bulldozer, cela augmentait sa détermination.
Mais ces sept choses incandescentes, là, ne lui disaient rien de bon..
Ce feu du diable, y en avait pas hier. Regardez-moi ça...Prêt à
vous sauter à la figure !
Eh ! chef ! Faut pas s’exciter. Les flamboyants, ça flamboie, rappela un comparse, ami des évidences.
Et ça flamboie sans brûler, précisa un croyant qui, au temple,
avant de s’assoupir, avait entendu le pasteur parler de Moïse et du buiscible. On cherchait à l’atteindre. La
-
-
-
-
son
ardent.
-
C’est à
cc...cause
du vv...vieux Loncour, le pp...père de çui-ci,
bégaya
un vague cousin.
Les autres le considérèrent bouche bée. Il
48
expliqua :
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
-A l’enterrement du vieux, y zont ff... flambé. Comme ça, paf !
Oh ! pétard ! lâcha inconsidérément un ouvrier, herboriste averti,
-
amateur clandestin de
plantes fumigènes.
fumée, souligna le croyant.
Y re...reco...recommencent le mm...même jour, chh...chaque
année, expira le chevrotant cou...cousin.
J’me disais aussi qu’y avait une histoire louche, là dessous, grogna le conducteur d’engin. On est sur un cimetière. Le cimetière des
arbres ! Et pour fleurir, ça fleurit, ah ! ça oui !
Il prononça “fleurit”, et voulait dire “explose”. Supernovae en rapide
expansion, les flamboyants rutilaient d’éclats et propageaient leurs
ondes de choc à travers les cerveaux. La pointe était un épieu vénéneux
porté à l’incandescence, à son extrémité, prêt à ravager des escadres
fantomatiques de nuages, au ras du ciel, à les réexpédier en enfer.
L’œil gauche vissé aux flamboyants, le droit à l’enchevêtrement des
casuarinas déracinés, l’homme du bulldozer grommela :
Sans chaleur et
-
sans
-
-
-
Sacrée fournaise... J’abats les derniers arbres. Sont foutus de
s’enflammer à leur tour.
Dépêchons d’évacuer le bois et d’enterrer le
Tronçonnez ! Toi, le sermonneur, récite une prière, au lieu
de nous abrutir avec tes feux qui brûlent sans brûler. Moi, j’aime pas ce
rouge. Je sais pas à quoi ça ressemble, mais ça y ressemble.
Au festin de casuarinas, les tronçonneuses perdirent plusieurs poignées de canines. On ne mord des arbres dits de fer, même terrassés,
qu’au péril de son râtelier. Les dégâts occasionnés par un bois rétif, rendaient presque inopérante une denture au carbure de tungstène. Mais
l’acharnement humain, après celui de la moisissure, vint à bout des
géants. Des camions en emportèrent des tronçons. On enterra le reste.
La pointe, devenue chauve, fut soulagée de leur entassement.
Les flamboyants continuèrent d’épancher leurs crépuscules pendant trois mois. Attirés par l’éruption, des volatiles se posaient sur un reliquat de pelouse, s’abîmaient dans la contemplation, ébauchaient, bec
ouvert, un gargouillis d’adoration, avant de nicher, ébaubis, dans les sept
sanctuaires à un pilier, qui brûlaient et ne se consumaient pas. Aux premières tourmentes, écœurés par une religion qui ne leur garantissait
reste. Allez !
49
Littérama’ohi N°10
Marcel Millaud
protection contre les intempéries et ne réchauffait plus l’âme
que d’un feu toussoteux, les fidèles à plumes se dispersèrent en
piaillant. Un résidu de flamme vacilla. Des averses l’éteignirent.
Et ainsi, par un matin tempétueux de juillet, alors que les flamboyants étaient dépouillés de leurs derniers pétales, Fano Loncour, à la
balustrade de la véranda, se disposait à partir.
“Où en serai-je d’ici une semaine ?” se demandait-il.
La réponse lui échappait.
Devant un paysage malmené, évaluant le ratage de sa propre vie,
il soupira. Une même malédiction les enveloppait, la pointe et lui.
Quoique peu enclin à s’apitoyer sur son propre sort, il avait à
diverses reprises effectué ce constat: l’histoire de la pointe, au cours
des trente dernières années, était aussi la sienne. La paix, les saisons
qui reviennent, de rougeoyantes floraisons. Puis un mal se déclare.
Contre la plaie, nul remède. Des arbres que l’amour a plantés périssent.
Il ne reste qu’une pelouse dévastée par les camions et les chenilles
d’un bulldozer, pour le triomphe des flamboyants. Mais quand le vent se
lève, dans le vertige de ses migrations, qui triomphe encore ?
L’opprobre semblait irrévocable.
Fano se massa la joue.
Patience, les choses allaient changer. Sortez la tête du cumulus,
avait-il coutume de dire à ses élèves qui ne voyaient pas d’issue à leurs
efforts, et vous émergez au soleil. Le ciel est clair, passée la cime de
nos orages, ajoutait-il, à l’intention des moins ignares dont certains pensaient, en attendant la sonnerie, que le cumulus, c’était lui.
Près de six heures. Départ pour l’aéroport dans une vingtaine de
minutes. Trente-cinq kilomètres de route, une circulation assez fluide.
Mieux valait partir tôt qu’arriver tard. Ralentissements inopinés, crevaisons et autres contretemps étaient possibles. Fano Loncour se pardonnerait à la rigueur de rater n’importe quel avion. Excepté celui-là.
Surtout pas le vol UT 506. Décollage à neuf heures et demie, ceinture
bouclée, siège redressé, cap au nord.
Et à la grâce de Dieu !
aucune
50
Dossier
II. MISSION
:
Diversité culturelle et
francophonie
À RISQUES
Du tumulte extérieur, la salle de séjour ne
de coquillage. Les choses étaient en ordre,
conservait qu’une
malgré l’adhésion
forcenée des enfants à la cause de l'universelle pagaille. Dans un cadre
ovale, contre la cloison de bambou, l’aïeul Ambroise affectait un détachement que les bourrasques saisonnières laissaient intact. En son
temps, il avait lui aussi affronté les humeurs d’un vent effeuilleur d’illusions, sinon de flamboyants.
Atea dormait sous une moustiquaire. Dérangé par un baiser, il téta
avec énergie le pouce qu’il tenait, en cas d’urgence, à portée des
lèvres. A quatre ans passés, il conservait cette habitude. Ou cette
rumeur
consolation ?
“Je t’offrirai
ce que tu cherches”, murmura son père.
La succion s’arrêta. Doucement, le pouce glissa hors
d’une bouche
entrouverte.
Les deux filles et leur cousine Cécile étaient réveillées.
déchaînées
Déjà
punaises au concours des galipettes, elles sautillaient de rire, emmêlant coussins, peluches, draps et couvertures.
comme
Salut,
-
mes
chéries.
Papa !
-
Tehei tendit des bras
graciles, de taille, cependant, à entourer son
père d’un archipel de tendresse. Fano apprécia l’accueil. A défaut d’être
compris, il avait besoin d’être cru, même si les siens constataient anomalies, bizarreries, blancs et lacunes. Avant qu’il ne bascule dans la
zone
des turbulences.
Il s’assit où il
--
put.
C’est le bazar, chez vous. Le chaos absolu. Vous faites
plus de
le vent et la pluie. Comment vous apprendre la discipline ? A
d’oreiller sur la tête. Je commence par qui ?
raffut que
coups
Marcel Millaud
51
Littérama’ohi N°10
Célestine Hitiura Vaite
EXTRAIT DU ROMAN
FRANGIPANIER
LE VERDICT DE L’AIGUILLE
Il y a des femmes qui préfèrent ignorer le sexe de leur bébé jusqu’à
la seconde où la sage-femme crie : «C’est un garçon !» ou «C’est une
fille !» D’autres, comme Materena, veulent savoir dès le début si c’est à
fils
à
une
Tenant
une
fille
qu’elles sont en train de faire la causette.
aiguille suspendue à un fil à coudre au-dessus de son
nombril, Materena attend le verdict. Au bout d’un moment l’aiguille se
met à bouger. Elle tourne. Dans le sens des aiguilles d’une montre, une
fois
un tout petit cercle, puis un grand cercle, et un plus grand, et un
encore plus grand. Des larmes ruissellent des yeux de Materena. C’est
un
ou
-
une
fille ! Materena
si le bébé était
une
un
va
avoir
autre
une
fille à elle ! Quelle émotion! Oh, même
garçon,Materena pleurerait quand même, mais
fille,hein ? Une fille à elle, quelle responsabilité !
Materena
veut pas
dire qu’un garçon ce n’est pas une responsabilité. Un enfant, d’un sexe ou de l’autre, c’est toujours une responsabilité. C’est vrai ça : pour Materena, quand on sème, on assume. Du jour
où l’enfant est conçu au jour où il quitte la maison, on est responsable
de
on
ne
bien-être. En fait, on se sent même responsable jusqu’au jour où
meurt. Et même là, c’est pas garanti que les gosses n’auront plus
son
besoin de
vous
et vont enfin
vous
ficher la
paix. Un enfant, c’est
cadeau pour l’éternité.
Materena se caresse amoureusement le ventre, et pense à sa
D’abord elle voit une petite fille avec des nattes qui lui ressemble à
un
fille.
elle,
quand elle était petite. Ensuite elle voit une femme solide et sûre d’ellemême avec un diplôme, un bon métier, le permis de conduire, un attaché-case. Une championne des chiffres et des lettres - une institutrice,
une professeuse, une quelqu’un.
52
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
Materena sait bien que les enfants ne réalisent pas toujours les
rêves de leur maman, mais elle est bien décidée à faire de sa fille une
femme qui sait ce qu’elle veut et qui fait ce qu’il faut pour que ça arrive.
Quand on est comme ça, ça veut dire qu’on croit en soi, et pour une
femme il faut bien dire que c’est pas plus mal. Materena décide que sa
fille n’aura jamais à se poser la question : Est-ce que suis capable de ci
de ça ? Elle saura très bien qu’elle en
Les jours passent et Materena fait la
est capable, point à la ligne.
causette à sa fille qui pousse
dans son ventre. Et comment ça va aujourd'hui, ma fille ? Ça va bien ?
Tu es à l’aise ? C’est Mamie qui te parle...
À sa fille qui n’est pas encore née, Materena parle de Tahiti pour lui
donner une idée du pays qui sera bientôt le sien. Cet endroit où le soleil
cogne à midi, où l’air est lourd et immobile avant la pluie. Alors ? Il va
pleuvoir ou pas ? demande Materena à son bébé, et lui décrit l’odeur
sucrée des fleurs quand elles s’ouvrent au petit matin, et l’arôme du
café qui embaume les cuisines, du pain frais qui sort du four à la boulangerie d’à côté. Elle lui parle des couleurs vives qui vous sautent aux
yeux partout ; des haies d’hibiscus rouges et orange, des monettes
jaunes - elles font de si jolis jardins, ma toute petite, je suis sûre que tu
vas les aimer !
et les tiare tahiti blancs que les gens portent à l’oreille,
à droite pour : je suis libre, à gauche pour : j’ai déjà un amour à moi.
Elle lui montre les arbres qu’on a plantés le jour où un enfant est
venu au monde, le jour où quelqu'un qu’on aime s’en est allé, pour
qu’on parle encore de ce jour-là dans cent ans. Frangipanier.kava,
màpë, tamarinier, citronnier, oranger, et l’arbre à caramboles et l’arbre
à quenettes, la liste est interminabletant le sol d’ici est fertile. On jette
une graine et ça pousse. Mais l’arbre que Materena préfère, elle l’avoue
à sa fille qui n’est pas encore née, c’est de loin l’arbre à pain, d’abord
parce qu’il est beau avec ses grandes feuilles vertes ; et puis il est costaud, et surtout, c’est un arbre nourricier - quand l’argent commence à
manquer, l’arbre à pain est toujours là.
Notre île est si belle, ma fille, un vrai paradis ! Materena s’emballe
et fait la liste de toutes ces choses que les gens viennent voir ici - les
montagnes, les plages de sable blanc, les rivières, les cascades... Bon,
ou
-
53
Littérama’ohi N°10
Célestine Hitiura Vaite
c’est vrai, reconnaît-elle,
ne suis jamais allée voir tous ces coins-là.
je suis parfaitement heureuse là où je suis.
Et, tout en continuant la visite guidée pour son bébé, Materena voit
son coin à elle avec des yeux neufs : Faa’a Pk 5 - derrière la station
d’essence, pas loin du Chinois, de l’église, du cimetière et de l’aéroport
international. Les fare pinex aux peintures dépareillées, les cloches qui
appellent les fidèles ledimanche matin, le labyrinthe de chemins de
terre étroits qui mènent chez les fëti’i, les tïfaifai décorant les murs, les
couches sur les étendages, et toujours quelqu’un en train de ratisser les
feuilles mortes quelque part.
Les femmes aussi, qui se racontent des histoires au bord de la
route, les enfants pieds nus qui courent après leur coq ou leur cerfvolant, les bébés qui s’endorment accrochés au sein de leur mère, les
hommes en groupe devant le magasin chinois, occupés à compter les
rares voitures qui passent.
C’est notre vie, c’est notre île, dit Materena en se tapotant le ventre
avec tendresse, et elle continue de parler à son bébé. Elle lui parle du
temps qu’il fait, de ce qu’elle a mangé ce matin, elle lui dit qui est son
père, et ce qui s'est passé il y a trois jours, et aussi comment elle l’a rencontré, et lui raconte les deux ans qu’elle a passés sans lui, à l’attendre,
pendant qu’il faisait son service militaire en France, sans jamais recevoir un paquet, même pas une carte postale. Elle parle au bébé de sa
famille
de son frère Tamatoa, de sa grand-mère Loana, de son autre
grand-mère Mcimâ Rôti, et de ses oncles... Et de ses taties... Materena
explique à sa fille qui n’est pas encore née qui sont les membres de sa
famille, un par un, qui est gentil, qui n’est pas gentil, qui est mort.
Pendant la sieste de Bébé Tamatoa, Materena parle encore à sa fille ;
elle parle d’elle-même, maintenant.Alors, pour commencer, elle aime
balayer. Quand elle est fâchée, elle balaye (vite), quand elle est triste, elle
balaye (lentement), quand elle ne sait plus où elle en est, elle balaye (moitié vite et moitié lentement). Mais le résultat est toujours le même : chez elle,
c’est propre par terre et elle est heureuse. Elle est heureuse aussi quand le
garde-manger est plein, quand on lui fait un petit compliment sur sa cuisine ;
un peu d’amour, un peu de respect, un peu de pluiede temps en temps.
Pourquoi ? Ben,
-
54
je
parce que
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
Elle est triste quand les gens meurent, et les animaux aussi ;
lorsque quelqu’un qu’elle aime lui crie dessus ; lorsqu’il n’y a presque
plus de sous. Et aussi, elle aime écouter les gens et ça lui est égal de
ratisser les feuilles.
Elle
Elle
a
a quitté l’école à quatorze ans et elle a toujours travaillé depuis.
vendu des cacahuètes et des limonades au stade de foot, lavé
des assiettes ;dans un restaurant, fait des sandwiches dans un snack
c’est là qu’elle a rencontré Pito - et maintenant elle fait des ménages,
-
et
plus elle s’occupe de sa maison.
qui est sûr, c’est qu’elle n’a pas un cocotier dans la main.
Personne ne peut dire qu’elle est paresseuse. Et elle est très fière d’être
une femme parce que les femmes sont fortes ; ce sont les créatures les
plus solides de la Création. Et, puisqu’on en parle, les deux femmes que
Materena admire le plus dans la vie sont sa mère et sa marraine
Imelda. Sa cousine préférée est Rita. Sa couleur préférée est le bleu.
Son chanteur préféré est Gabilou. Et autrefois, elle avait un chien.
Materena continue à parler gaiement tout en faisant le biberon de
son fils. Et cinq minutes plus tard, il se réveille.
en
Ce
«Ton frère est réveillé» dit-elle à haute voix
dans
sa
chambre. «Oh là
Quand Materena
comme un
ouvre
la
en
allant le chercher
là, il est fâché aujourd’hui ! Tu entends ça ?»
porte, Tamatoa est assis bien droit et il hurle
possédé.
«Mais enfin,
chéri !» glousse Materena en se penchant pour
prendre
mar
son fils. «Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu as fait un petit cauche?» Elle lui donne un gros baiser sur le haut du crâne pour le conso-
1er, mais le bébé continue à hurler.
«Qu’est-ce qu’il y a ?» demande Materena en cherchant des
piqûres de moustiques sur les bras de son fils. Elle n’en trouve pas. Elle
soulève son tricot. Pas de piqûres. Elle repose Bébé Tamatoa sur le
matelas et lui enlève sa couche mouillée. «Là ! soupire- t-elle. Ça va
mieux maintenant ?»
Tamatoa continue à hurler.
«Allons, allons, dit Materena. Pas de panique, Mamie a préparé ton
biberon.»
55
Littérama’ohi N°10
Célestine Hitiura Vaite
prend le biberon de Tamatoa qui était au
le gaz. Elle presse trois gouttes de lait
main. «Regarde ce que Mamie t’apporte !» dit-elle
Elle file à la cuisine et
chaud dans
une
casserole
dans la paume de sa
d’une voix chantante
en
sur
brandissant le biberon. Mais
au
lieu de sourire,
Bébé Tamatoa, pas
calmé du tout, se met à hurler encore plus fort.
Quand Materena lui tend le biberon, il le prend et le jette. Quand elle le
et lui
glisse la tétine dans la bouche, il la recrache.
qu’est-ce que tu as aujourd’hui ?» Elle commence à se dire
que tous les voisins doivent se demander ce qu’elle est en train de faire
à son bébé pour qu’il hurle comme ça. Alors elle le prend dans ses bras,
lui tapote doucement le derrière. «Gentil bébé» dit-elle, et il enfouit sa
tête dans la poitrine de sa mère et se met à sangloter.
«Mais chéri, chuchote Materena. Ça te ressemble pas de pleurer
comme ça. Qu’est-ce qu’il y a ?» Le bébé, qui continue à sangloter doucernent, lève alors ses beaux yeux tristes vers sa maman et, brusquement, elle croit qu’elle comprend.
Elle serre son bébé très fort. «Je t’interdis de pleurer pour lui, tu
m’entends ? Je t’interdis. C’est de moi que tu as besoin, c’est tout.» Et
pour la première fois depuis que Pito est parti, Materena éclate en sanglots, sa tête contre l’épaule du bébé, son coeur battant d’un chagrin
profond.
ramasse
«Mais
Célestine Hitiura Vaite
(Extrait de FRANGIPANIER, 390 pages, mars 2006,
Editions Au Vent des îles)
56
arie-Claude Teissier-Landgraf
EXTRAIT DE
«
ATEA
ROA, VOYAGES INATTENDUS
Libre ! Enfin ! De marcher
doigts de pieds bien étalés en
en petite culotte. Dans
une chambre d’hôtel aux volets clos. Plaisir bref.
Sophie frissonne.
Comment peut-il faire si froid à l’intérieur alors que dehors, tout grésille, toutstridule ? Des cigales s’en donnent à coeur joie. Arriverait-elle
à les reconnaître dans le feuillage des arbres ? L’adolescente s'approche de la fenêtre et tourne la poignée ouvragée de la crémone qui
résiste et regimbe en couinant. Le reflet vitré lui renvoie l’image d’un
corps doré, zébré de bandelettes lumineuses. Elle s’immobilise.
Je ressemble à une momie ressuscitée. Dans quel monde ? Elle
sait qu’il possède le pouvoir de la plonger dans le puits sans fond de ses
premières peurs enfantines.
prise directe
avec
pieds
»
nus,
le sol. Libre d’aller et de venir
En cette
journée de juillet 1955, le paquebot Tahitien a accosté
port de Marseille.
Attifée pour la circonstance, d’une robe en cotonnade paréo, d’un
chapeau en feutre mou, de gants en dentelles, de chaussures à talonnettes, elle avait essuyé les quolibets des passagers habitués à la voir
dans le
en
maillot de bain durant tout le mois de la traversée maritime.
C’est la dernière fois que j’obéis à ma mère ! Ses gants
d’été, glis-
sés furtivement par-dessus la rambarde de la passerelle, étaient tornbés à l’eau, happés par une flaque d’huile goulue. Son chapeau s’était
transformé
crêpe coincée entre deux piles de dossiers du service
ce que l’on veut. Quel bonheur !... Qui avait duré le
temps des formalités de débarquement.
Une foule d'inconnus pressés, prêts à écraser quiconque sur la
route de leur destin, l’avait statufiée sur le pas de la porte des bâtiments
en
des douanes. Faire
administratifs. L’ondoiement continu des têtes défilant devant elle sans
la regarder l’entraînait à reculons. Vers où ? Sa valise s’était échappée
de
ses
mains, écrasant
son
orteil. Tout
en
le massant, elle avait levé les
57
Littérama’ohi N°10
Marie-Claude
Teissier-Landgraf
et découvert au-dessus d’une grande porte, des initiales noirâtres
rongées par l’effritement d’un plâtre mural : SORTIE. Ses amis de
voyage avec lesquels elle devait passer sa première nuit à terre avaient
disparu. L’attendaient-ils au-delà ?
Hélas, aucune connaissance en vue.
Des flashes avaient giclé de sa mémoire. Errances à Marseille...
L’après-guerre... Pieds en bouillie à force de trop marcher.
Maman, connais-tu un endroit où nous pourrions nous asseoir ?
Soif et langue émeri ; faim et estomac vrillé dans l’attente de l’embarquement pour Tahiti. Spectacle des terrasses de restaurants.
Regarde maman, les gens mangent de la viande et du pain
blanc ; ils ne finissent pas leur bouteille d’eau. Pourrait-on les prendre ?
Dix ans plus tard, même ambiance d’indifférence, même sentiment
de solitude absolue, même désespérance. Soudain, un hurlement de
yeux
—
—
sirène.
Des bombardements ! Elle s’était mise à trembler.
Prête à hurler.
l’hystérie. L’exclamation de ses amis avait chassé la folie :
passée ? Pourquoi cet air hagard ? Allez ! Zou ! On
part à l’hôtel !
Dans le taxi s’éloignant du centre-ville, elle s’était attendue après
chaque tournant à voir la mer. Sur son île la route va toujours à sa rencontre. Cet espoir s’était craquelé dans la succession des carrefours et
des alignements d’immeubles. Yeux verts. Yeux rouges. Clignotant dans
des toiles d’araignées métalliques suspendues à une forêt de poteaux
alignés de chaque côté de la route. Que c’était moche !
Mon Dieu, vivement le temps du retour vers son île ! Vers Romuald !
Sa peau chaude au goût de sel lorsqu’il revient de la pêche ; son rire ;
son enlacement amoureux. Alors, pour se consoler de l’adieu à la mer,
elle avait écrit mentalement sa première lettre d’amour. Gare SaintCharles le lendemain. Attente sur le quai dans les odeurs de saleté et
de brûlé. Chuintement grandissant d’un train avec sa tête couronnée de
volutes affolées, s’avançant tout droit sur Sophie. À ce bruit son coeur
danse la sarabande. Un sentiment d’impuissance la paralyse, la rend
muette. La réalité s’efface... Temps de la fuite qui, en ce temps-là,
Proche de
—
58
Où étais tu
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
s’appelait l’exode... Un employé en uniforme court vers une petite fille,
seule au bord d’un quai, la soustrait au happement d’un monstre métallique puis la hisse là-haut dans la foule des voyageurs chanceux entassés dans les wagons. On la porte de bras en bras au-dessus des têtes
en
braillant
:
“Où est la
lourde,
se
maman
?” Cette dernière,
handicapée
par sa
valise trop
débat toujours contre l’hystérie populaire qui l'empêche de
monter. Souvenir obsédant de cette
panique, de cet arrachement, dont
la conclusion avait fui pour toujours sa conscience. Cet incident l’avait
fait douter plus tard de la réelle identité de ses parents. En particulier
lorsque sa mère, Amélie, la traitait de “canard de la famille”...
Hé Sophie, ne fais pas cette tête. Ou’as-tu à fouiller sans cesse
dans ton sac ? Cue cherches-tu ? De quoi as-tu peur ? Ton billet est là,
dans la poche extérieure. Tu n’as qu’un changement à Lyon pour ta correspondance vers Lons-le-Saunier. Peu importe de ne pas connaître tes
cousins. C’est un tel bled là-bas ! Eux te repéreront vite fait avec ta robe
à fleurs d’hibiscus. Ha ! Ha! La moquerie sur ses habitudes tahitiennes
lui avait fait mal. En serait-il de même avec toutes les autres ? Jusqu’où,
ici, dépouillerait-on son être pour le normaliser à la civilisation locale ?
Supérieure, cela va de soi. Ne l’avait-on pas expédiée en France dans
ce but ? Un signe d’adieu aux dernières personnes qui connaissent ses
parents. Le froid de la poignée montoire du wagon tranche l’ultime fil la
reliant à Tahiti. La voici confrontée à un nouveau départ vers un autre
ailleurs semblable à un tunnel bouché, où il est vain de crier sa peur, où
il est absurde de pleurer en public. Le soubresaut du wagon en partance la propulse dans le couloir. Les compartiments sont pleins, à l’exception d’un seul, livrant en son milieu un petit espace libre. La valise
fait de la résistance pour sauter dans le filet de rangement. Personne ne
bronche, yeux rivés soit sur les pages d’un journal, soit à la fenêtre. Au
troisième essai le bagage rebondit de guingois sur les autres. Grimace
des voyageurs assis en face.
Tant pis pour eux. En voilà qui n’ont jamais étudié le livre des
bonnes manières. Sophie étouffe dans cette promiscuité humaine faite
d’étrangers figés, absents. À Tahiti, dans les trucks, il y a toujours un
—
59
Littérama’ohi N°10
Marie-Claude
Teissier-Landgraf
sourit. Gratuitement. Ou par gentillesse. Ou même
En vous donnant l’impression qu’il pourrait devenir votre
dodelinent aux sons rythmés du train en marche. Ta-tata.
Ta-ta-ta. L’assoupissement gagne les têtes. Seule Sophie ouvre de
grands yeux sur le défilement des paysages. Que de collines, de vallons
et de plaines ! Mais point d’étendues d’eau. Où est la mer ? Ah' ! Pouvoir
passager
qui
vous
pour le plaisir.
ami. Les corps
la revoir
encore une
fois. Ta-ta-ta. Pouvoir lui dire adieu
comme
cela
se
fait
toujours pour les grands départs. Ta-ta-ta. Ta-tata. La machine lui
répète sans cesse que ses hôtes sont ses prisonniers et qu’elle est programmée pour s’éloigner de la Méditerranée à grande vitesse. Le paysage se brouille, l’Intérieur du compartiment se liquéfie et ondule :
Romuald ! Deux filets d’eau dégoulinent sur les joues de l’adolescente
et serpentent entre ses seins comme faisait la pulpe des doigts de son
amoureux lorsqu’il murmurait, la voix changée : “Hani, Hani na.” Le
voyageur d’en face toussote, dérouté par cette fille qui ferme les yeux
sur ses larmes. Il a horreur du spectacle des femmes qui pleurent.
Autant boire un p’tit coup, avant que son rouge soit trop secoué par le
train. Il soulève le couvercle d’un panier d’osier calé sur ses genoux,
déplie une serviette rouge à carreaux et déballe son repas. Le saucisson rose
et distendu éclate
sous
l’estafilade. Le couteau dessine
un
bref
signe de croix sur le ventre d’un pain de campagne. Des bouffées
d’odeur aillée accompagnent les “plocs” du bouchon d’un litron d’où
s’échappent une mousse violette.et un relent de vinasse. Impossible
pour Sophie de fantasmer davantage. Son attention se porte sur les
lèvres luisantes qui mastiquent, ingurgitent, tètent, éructent. L’ail
empeste tout le compartiment. Elle se concentre sur le déroulement du
paysage.
Marie-Claude
Teissier-Landgraf
(Extrait de ATEA ROA, VOYAGES INATTENDUS,
248 pages, mai 2006,
Editions Au Vent des îles)
60
téphanie-Ariirau Richard
EXTRAIT DU ROMAN
«
MATAMIMI
»
MATAMIMI
‘Oui, c’est vrai, Jean Edernalier
a
dit ‘Si j’écris, c’est tout simple-
ment pour ne pas mourir’. Alors moi, si j’écris aujourd’hui, c’est pour te
voir naître et pour me faire mourir. Car Matamimi, mon amour pour toi
est limpide comme les eaux de nos lagons ; il ne peut pas rester ano-
nyme,
puisque c’est le plus beau.
J'ai omis de dire
que tu
étais
hommes que tu étais née, que tu
belle. Je tiens à rectifier cette erreur.
aux
étais libre,
Écoute bien mon enfant, je n’ai jamais été aussi heureuse qu’aujourd’hui. Car aujourd’hui, tu vois, ma fille, ce manuscrit est passé de
main en main. Il a voyagé partout sur la planète, il a pris le train, il a pris
l’avion, dans une enveloppe, il a même été envoyé via Internet. Et tu
étais à l’intérieur petite intruse, combien t’ont lue, ont lu tes amours et
tes coups de colères, sans vouloir te prendre, refusée à gauche, refusée à droite, Matamimi, ma chérie, tu m’es revenue.
Quelle jolie petite Tahitienne tu fais, quel
honneur pour ta mère,
quel sacré bout de nana, qui mène la vie dure aux dragueurs, qui
défend des idéaux, qui aime boire des liqueurs ! Assise juste à côté du
neveu de Rameau... La pantomime, quel bel art.
Tu
t’appelles Matamimi1, en souvenir des yeux de chats de ton
grand-mère et des yeux verts de ta grand-mère. Tu es une fille,
je ne l’ai pas choisi. Tu es une fille, je voulais un fils, tous les fœtus sont
femelles à l’origine du développement, c’est pour cela que les hommes
ont des tétons qui ne leur servent à rien...’
arrière
61
Littérama’ohi N°10
Stéphanie-Ariirau Richard
Ton pays,
Matamimi,
te fenua nehenehe
sur
ta planète, un amphithéâtre de fougères s’est pro-
pulsé hors de l’océan, un amphithéâtre merveilleux et organique qui,
perfusé par une force inconnue, a décidé de naître de lui-même, loin de
tout, loin des autres ; un amphithéâtre de fougères, dont les fondements sont profondément enfouis dans du sable noir. Te fenua nehenehe, le beau pays.
POUR SATISFAIRE AUX
GOÛTS DE TOUS,
on a
serti la scène de
sable blanc, de sable
comme
jaune, de terre sableuse. On y a mis des enfants,
toi Matamimi, libres et courant dans tous les sens, leurs âmes
pieds, leurs âmes aux mains, leurs âmes aux coeurs.
POUR SATISFAIRE AUX GOÛTS DE TOUS, on les a faits de
toutes les couleurs, blonds, bruns, roux, noirs. On les a faits frères et
aux
soeurs.
GOÛTS DE TOUS, on a placé des
scène, les Marnas, très coquettes et encore
belles dans leurs robes mumu, ‘robes missionnaires’, rouges, blanches,
jaunes, vertes, bleues. Des anciennes qui tissent habilement les nattes,
POUR SATISFAIRE AUX
anciennes
au
centre de la
les
chapeaux, les paniers, un pour moi un pour toi un pour mémé, des
qui chantent en chœur les himene. Des anciennes les livres
ouverts à la main, qui racontent nos légendes et nous lisent des
poèmes écrits à l’encre invisible, des anciennes qui traduisent pour
nous des textes qui nous sont chers.
anciennes
GOÛTS DE TOUS, on y a déposé des
jeunes femmes, des jeunes mères, des jeunes adolescentes, comme
toi Matamimi, caractérielles, intelligentes, solides, petites, grandes,
fines, plantureuses, au bassin de Vénus, à la démarche souple et dansanté qui sentent bon le mono’i, qui font du karaté ou du tamure, qui se
promènent au marché, des perles noires, jaunes, vertes, roses, aux
oreilles, pêchées par les hommes du fenua nehenehe.
POUR SATISFAIRE AUX
62
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
GOÛTS DE TOUS, on a gravé, dans le
décor, nos pêcheurs, qui devancent le soleil et glissent rejoindre les
mahi-mahi, les fruits de l’océan, pour revenir à la fraîche tôt le matin,
quand tes paupières sont mi-ouvertes et que je sens encore ton souffle
chaud de petite fille sur ma gorge. Nos pêcheurs, mains poissonneuses
et tee-shirt en sueur, avec sur le visage un petit sourire de vainqueur.
On y gravé des surfeurs, comme ton amoureux Teva, qui défient les
vagues comme un fou, sans craindre les branches rugueuses des
coraux, sans craindre les pierres. On y a gravé des hommes politiques,
qui courent à l’assemblée, au gouvernement, pour défendre nos droits
et se faire de l’argent.
POUR SATISFAIRE AUX
GOÛTS DE TOUS, on y a mis un pépé,
chaise, sous un chapeau tressé pandanus, une cigarette
roulée au bec, qui surveille les enfants, leur dit d’aller balayer sa cour,
même si ce ne sont pas ses enfants à lui, s’ils sont là ce sont les enfants
de tous.' Le petit garçon au short à fleurs et au tee-shirt Quicksilver
craint moins l’ancien que son balai ni’au, il va balayer sa cour, sous le
regard de ses amis qui l’observent, en. étouffant leurs rires, menottes
sur la bouche. Les enfants du fenua nehenehe, tes frères et soeurs.
POUR SATISFAIRE AUX
assis
sur une
GOÛTS DE TOUS, on y a installé
quelques journalistes, un semblant controversés, qui en faisant de l’humour, accordent un peu à la vérité, la place où elle doit siéger. La démocratie, la liberté, l’amour, le respect sont dans la Constitution de ton fenua
nehenehe. Il n’y a pas de dictateur dans ton fenua, s’il y en avait un, ‘aïu,
chérie adorée, je m’en chargerais ! Tu peux ouvrirles yeux et t’enivrer de
ce parfum de liberté qui imprègne les insulaires de ton beau pays.
POUR SATISFAIRE AUX
GOÛTS DE TOUS, on a suspendu en
montagne, mystérieuse et verte, verte, verte, plus
verte que les prunelles de ta mémé. Une toile de fond avec une montagne sous un ciel bleu, bleu, bleu, plus bleu que le regard de ton pépé,
POUR SATISFAIRE AUX
toile de fond
une
bleu-ciel, bleu-océan, selon l’humeur.
63
Littérama’ohi N°10
Stéphanie-Ariirau Richard
POUR SATISFAIRE
AUXGOÛTS DE TOUS,
on a
remercié la terre,
lui offrant notre substance la
plus chère, les placentas fertiles. On y
a planté tous ces arbres, d’espèces aussi variées
que les hommes qui
en savourent leurs fruits. On y a
planté le taro, la patate douce, on y a
cultivé la vanille, toutes ces choses qui te donnent la peau douce, les
dents blanches, le bout de la langue sucré.
en
POUR SATISFAIRE AUX
morts,
en
GOÛTS DE TOUS,
on a
gracié
nos
leur accordant la plus jolie vue de leur cimetière, à rendre
jaloux Paul Valery, le cimetière embrassé par le Pacifique, où tes
ancêtres reposent sous des couvertures de sable blanc, bercés par le
sel, les parfums des fleurs, les gouttes timides transportées par la brise.
GOÛTS DE TOUS, on y a envoûté tous
artistes, Gotz et Tatu Aïto, Tatu Vahiné, son rêve de Hina, qui m’a
toute retournée, JL Saquet, de l’or, un ruban de parfum qui embaume
la vahiné dénudée, André Marere et son épicerie chinoise, la sortie du
temple de Dubois, Deloffre, Shelsher, Duday. Motoro en noir et blanc, un
peu comme ta mémé dans sa jeunesse. Joannis qui croque les enfants
dans l’eau, toi et Teva, au pied de la cascade. Bousquet et son fantastique sur la pirogue. Devienne, Louis, demi, né en Afrique, peinture de
la déchirure, de l’enlacement, la vahiné prend le tane par le cou, ses
yeux fermés, chevelure cadre de cette œuvre exaltée. Taurua, Pascale
et cette femme peinte, assise, sur un tifaifai, cliché peinture, le
regard
sincère, le silence, Ve’ave'a. Shan Sei Fan, René, l’albatros incarné de
Baudelaire s’est déposé sur ton île, il reste noble, les hommes n’en rient
pas : l’artiste passionné marie ses poèmes à ses dessins, regarde
Matamimi le papillon bercé par la fleur. Juventin, Rui et cet autoportrait
aux modèles. Bringold, enfants des Tuamotus
qui se brossent les dents
en rigolant, écume sur le menton, mousse sur la
joue, la bouche grande
ouverte, aux pieds d’un escalier.
POUR SATISFAIRE AUX
ces
POUR SATISFAIRE AUX GOÛTS DE TOUS, on y a
hommes et les femmes de Lettres.
64
Segalen qui voulait
inspiré les
connaître
nous
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
mieux que nous-mêmes. Mais surtout,
nie bastonnée, Devatine, Flora, notre
Spitz, Chantal, et la francophojongleuse des mots, danseurs,
poèmes et tresses jusqu’à la racine de ton crâne, Titaua Peu et l'écriture innocente défiée, artiste et militante tant adorée, Célestine Hitiura
Vaïté qui a polynésianisé le discours dialogique de Socrate sur l’Amour :
paraparau ! accents trempés, attache burlesque et la symbolique de
l’arbre à pain ! Pambrun Jean-Marc T., notre dramaturge de la sensualité. Peltzer, Louise, scripteuse scriptrice de mots, reconstructrice de
notre tour de Babel, marionnettiste de notre petite Rui, humour et
pathétique dans le regard de l’enfant. Tessier-Landgraf, Marie-Laure,
Hutu Painu ! la petite enfant à l’âme polynésienne chérie de tous sauf
de sa mère la France, fillette qui frémit aux sons des To’ere et danse
toute fière devant son papa Ma’ohi, reviens donc sur ton île notre petite
adorée ! Ly Jimmy...
Et lis et lis, Matamimi, pour
faire honneur à ton pays, te fenua
nehenehe.
POUR SATISFAIRE AUX
GOÛTS
DE TOUS, on t’a fait naître là sur
cette île
placée au centre de cet organe, qui bat, qui bat, qui bat. Au côté
gauche de ma vie, sous la poitrine qui t’allaite, mon cœur, mon île, où
tu as vu le jour, ton beau pays, te fenua nehenehe, ma fille à moi, ma
fille unique.
Matamimi.
Stéphanie-Ariirau Richard
(Extrait de MATAMIMI, 136
pages, mars 2006,
Editions Au Vent des îles)
^ “Mata”:
yeux
,
“Mimi” : chat; ‘yeux de chats’, yeux verts, yeux bleus.
65
Littérama’ohi N°10
Elisabeth Poroi
Nom marital
POROI
Prénoms
Elisabeth
Nom
TEMAHAHE
Patronymique
Marguerite
Date de naissance
05 novembre 1953
Lieu
Papeete,Tahiti
Situation familiale
Mariée, 3 enfants, 3 mootua
:
Poeiti, Heiae, Mehotea
Juste
quelques lignes pour vous dire comment je me retrouve à
petit texte de rien du tout, avec mes mots pour partager ce que
je vis avec mes petites mo’otua et surtout avec Poeiti qui a aujourd’hui
écrire
6
ans.
ce
Nous
avons
la chance d’avoir à Toanoano, au fenua ‘aihere une
petite habitation de campagne où nos enfants, depuis vingt ans ont
passé des moments extraordinaires.
Notre maison est en pinex avec des tito’o, une mezzanine qui peut
accueillir une dizaine de bambins, un fare pape à l’extérieur avec ‘iri’iri
et un mur végétal composé de ‘aute et ‘auti, un fare iti avec vue sur les
mape et près de la plage un fare ahi ma’a. Des barbelés nous séparent
d’une grande cocoteraie où paissent une vingtaine de boeufs. Il y a
Noiraud et Blanchette, Cacao, Caramel, Chocolat, etc.
Notre terrain s’étend de tahatai et
s’allongeant vers uta sur
plus d’une centaine de mètres et se prolonge dans la vallée où coule la
Vai Tutaepuaa. Juste derrière la maison, une forêt de grands et majestueux mape abrite un petit ruisseau où vit une famille de grosses
anguilles dont Puhi, l’amie de Poeiti. Je n’oublie pas le vieux coq
Cocodi, les poules Cocotte, Cocodette, les poussins, Noisette, Cuicui
va en
et tous les autres.
On y vit simplement, du produit de la mer et du fa’a’apu. C’est donc
ce havre de paix, proches de la nature, avec le chant des1otatare,
dans
le bruit des vagues,
pour raconter
mo’otua.
66
à
ma
et le souffle grisant du niuhiti que je trouve les mots,
manière, des histoires qui font la joie de mes petites
Poeiti est
avec
elle des
petite mo’otua de trois ans. J’ai la chance de vivre
journées passionnantes au fenua ‘aihere, àTeahupoo, loin
ma
des tumultes de la ville et surtout, sans la télévision. Nos soirées à la
lueur du mori gaz sont riches de ces moments inoubliables où les jeux,
les rires
se
mêlent
aux
chants et
aux
histoires de toutes sortes.
J’apprécie ces moments magiques où, dans le noir après avoir récité
notre petite prière du soir, elle se blottit contre moi et me dit de sa petite
voix
:
Mémé, s’il te plaît raconte moi une histoire !
Ayant épuisé la longue liste des classiques comme la chèvre et ses
sept chevreaux, la poule et ses poussins, le Petit Chaperon Rouge et
j’en passe, j'ai commencé par lui en inventer quelques-unes, m’inspirant
entre autres de quelques fables de Monsieur de La Fontaine.
Sa préférée est celle de Perete’i la cigale et Ro iti la fourmi que
j’ai tahitiannisées à ma façon.
—
Voici leur histoire...
Perete’i la
cigale vit dans un joli petit fare en bord de mer. Le matin,
petit déjeuner, elle cueille les fleurs de son jardin, tresse sa
belle couronne. Puis vêtue de sa robe pareu, couronnée et jolie comme
un coeur, elle prend son ‘ukulele et part en ville, chantant aux passants
qu’elle salue gracieusement, ses chansons et ses ‘ute, distribuant à
tous sa joie de vivre.
Chaque matin, elle reste fidèle à sa tournée, allant de maison en
maison et régalant les auditeurs de ses ‘ute. Il arrive même quelquefois
qu’elle soit invitée à déjeuner dans certains fare où on l'apprécie. Et
lorsque la nuit vient, elle rentre chez elle, épuisée mais heureuse d’avoir
apporté du bonheur à tous.
En face, côté montagne, vit la laborieuse et infatigable fourmi Ro iti.
Tous les jours par tous les temps, vêtue de son vieux pantalon et coiffée de son chapeau ni’au, elle pousse sa brouette et se rend dans son
fa’a’apu où elle bêche, coupe, débrousse, plante et replante du matin
au soir. Et lorsque le jour tombe enfin, elle rentre fourbue, la brouette
après
son
67
Littérama’ohi N°10
Elisabeth Poroi
chargée des produits de son jardin, qu’elle range méticuleusement
dans le garde-manger de son fare tutu.
un mara’amu puissant et froid s’abat sur l’île et amène
telle fraîcheur qu'il n’y a plus personne sur les routes.
Chacun reste chez soi et n’ose mettre le nez dehors. Même notre
Un
avec
jour,
lui
une
joyeuse cigale reste cantonnée dans sa maisonnette et surtout cornmence à souffrir de crampes d’estomac ; en fait, elle a très faim. Alors,
elle descend dans sa cuisine, ouvre son frigidaire et constate qu’il n’y a
plus rien à manger : juste des fleurs pour faire sa couronne !
Mon dieu ! Comment faire ?... Et puis, elle se dit :
Mais oui ! Je vais de ce pas chez ma voisine Ro iti. Elle me prétera bien quelques patates et quelques taro que je saurai lui rendre le
temps venu !
—
—
Rassemblant
qui lui reste de force et de courage elle se dirige à
‘uta, traverse la bananeraie et frappe à la porte de son amie.
La nuit va tomber. Le soleil doucement glisse à l’horizon.
—
ce
Toc IToc IToc...
La
son fa’a’apu, se repose près de son mori
être dérangée, encore moins par sa voisine
les routes et ne fait rien de bon de la journée.
fourmi, rentrée de
‘avae. Elle n’aime pas trop
qui passe son temps sur
—
Toc IToc IToc...
La
—
porte s’ouvre enfin.
Qu’y a t-il ?
Oui ?
Bonsoir ! C’est moi Perete’i. Je suis désolée de te
déranger si
plus rien à manger chez moi, et je viens juste t’emprunter
quelques provisions. Je te promets de te les rendre aussitôt que le
temps ira mieux.
Ah oui ! Tu n’as rien à manger ?
Que faisais-tu donc pendant que je m’éreintais dans mes planta—
tard. Je n’ai
—
tions.
Que faisais-tu... ? Hein... ?
68
Dossier
—
Eh bien
routes et
....
du matin
je chantais
au
soir,
:
Diversité culturelle et
avec mon
francophonie
‘ukuiele, je partais sur les
je chantais !
Ah oui ? Tu chantais. Eh bien ! Maintenant, mets ton more et
danser ! Allez ! Ouste ! Dehors ! Non, mais des fois ! Quel culot !
—
vas
Sur ce, elle lui claque la porte au nez. Perete’i recule, trébuche,
casse le talon de sa chaussure et le coeur gros, fond en larmes ; alors
elle
s’éloigne
triste, et elle
a
en
claudiquant dans la nuit. Elle pleure. Elle est triste,
tellement faim... Pauvre Perete’i !
Ma Poeiti
dort
toujours pas, elle est même si bien éveillée
qu’elle m’arrête et me dit presqu’en pleurant :
—Tu sais Mémé, j’aime pas la frroumi, elle est pas gentille. J’ai pitié
de la cigale
...
ne
...
Quelques jours plus tard, Poeiti aperçoit une traînée de fourmis
se déplaçant à toute allure le long de notre garage. A leur
vue, notre Poeiti fonce sur la colonne de petites bêtes innocentes, les
piétine rageusement et dit :
—Vous n’êtes pas gentilles, vous n’avez pas donné à manger à ma
copine la cigale !
laborieuses
Mon histoire s’arrête là.
J’ai par
la suite essayé de l’arranger avec ma petite fille pour ne
qu’elle garde une certaine rancoeur envers Ro iti. Alors, comme il
s’agit ici d’une cigale et d’une fourmi tahitiennes avec chacune un grand
cœur, je les ai réconciliées autour d’un bon maa tahiti, préparé
ensemble avec bonne humeur, arrosé de pape haari mais surtout,
accompagné de chansons, de duos et de ‘ori tamure endiablés...
pas
Ainsi, devenues amies, elles décident de se revoir, de s’entraider, de
s’inviter, et surtout lorsque Perete’i chantera pourquoi pas Ro iti dansera...
Poroi Elisabeth
69
Littérama’ohi N°10
Marie-Hélène Villierme
EXTRAIT DE
TANGATA
Une communauté
polynésienne
Dans les îles des Tuamotu et Gambier, sur des espaces de terre
restreints entre ciel et mer, la vie tient à un équilibre précaire. Les attitudes et les poses se perpétuent, mais la gestuelle se transforme au fil
des
générations. Qu'est ce qui fait une communauté ? Son histoire colappartient à l’individu et lui-même appartient à
lective. Cette histoire
l’histoire de
sa
communauté.
TANGATA tente de dessiner la trame visible communautaire et les
liens universels
qui unissent les êtres. Mémoriser en quelque sorte un
langage corporel, passé et présent, qui serait comme la manifestation
d’une expression symbolique et intemporelle de la communauté, la photographie d’un héritage.
Aux Tuamotu, le temps semble être régi par d’autres lois que celles
imposées par le mode de vie occidental, les corps s’ajustent sur d’autres
rythmes. La peur n’a pas de prise sur les individus, pourtant la communauté entière peut être en proie à des paniques collectives. Des cyclones,
des morts inexpliquées, des coups de folie, des épidémies, qui touchent
la communauté peuvent la faire basculer très vite dans un état d’incertitude et de vulnérabilité. C’est le tribut des petites communautés. Elles gardent en mémoire leurs histoires et leurs blessures; les cicatrices chez les
individus restent quant à elles muettes, elles endurcissent le caractère.
Après deux expéditions tâtonnantes, j’ai compris que si je voulais
manifester la communauté, il me fallait être là à des moments
particuliers de la vie sociale ou religieuse, des moments forts, qui l’ac-
voir
se
tivent et la rendent saisissable.
70
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
Pâques représentent un des moments les plus imporla communauté chrétienne catholique, majoritaire dans l’archipel. Processions, prières ou louanges sont autant d’occasions pour
exprimer sa ferveur et sa joie de vivre. Les hommes et les femmes se
montrent tels qu’ils ont choisi de paraître, rivalisant de coquetterie. La
gestuelle devient communion, la ferveur relie les êtres le temps de la
Les fêtes de
tants pour
célébration.
L’enfance... Grandir
aux
Tuamotu, c’est avant tout jouer dans l’eau,
à toute heure du matin, de l’après-midi. C’est aussi être initié au travail
des adultes, apprendre très tôt à reproduire les gestes des aînés, être
grands-parents, se poser tantôt chez une tante,
élargir son terrain de jeu et d’apprentissage au-delà de la cellule familiale minimale et d’une seule autorité, tre
enfant dans ces îles, c’est aussi parfois mûrir très tôt, avoir la responsabilité des plus jeunes, être éveillé aux réalités quotidiennes, porter sur
soi les années que l’on a pas encore.
sous
la surveillance des
tantôt chez
un
cousin... En fait,
Marie-Hélène Villierme
Livre de
TANGATA, une communauté polynésienne,
photographie, 180 pages, 196 photos noir et blanc,
Editions Le Motu, décembre 2005
71
Littérama’ohi N°10
Michèle De Chazeaux
EXTRAIT DE
«
CHRONIQUE À MALICE
»
C’est un bien bel album de photos en noir et blanc, un bien beau
livre dont hier Marie-Hélène Villierme faisait la signature. Tangata offre
un voyage hors du temps dans l’archipel des Tuamotus et aux
Gambiers. Hors du temps parce que les hommes, les femmes de tous
âges, les enfants, les adolescents, tous vivent ià comme on ne vit plus
ici, comme on n’a jamais peut-être vécu sur les îles hautes.
Ce qui frappe, c’est la force du lien qui existe toujours entre la
nature et les hommes. La mer, le lagon invitent nécessairement à la
pêche, à une pêche quotidienne : les femmes lancent la ligne, les
hommes le filet, les enfants cherchent et jouent avec les coquillages. Ici
Auguste assis dans l’eau ouvre les bénitiers, là, c’est un pêcheur qui a
retourné sa pieuvre et le parc à poissons permet au village de choisir
sa
nourriture.
Sur les atolls, le cocotier est roi, dont les noix vont être bien utiles
pour alimenter le feu du four à chaux. Marie-Hélène a eu la chance de
suivre en Juin 2004 à Napuka la construction d’un four à chaux. Le
père Christophe
l’idée afin que l’église soit rénovée et
et heureusement Papa Marau, 73 ans,
n’avait pas oublié le secret de sa fabrication. N’avait-il pas au long de sa
vie assisté à la construction de cinq fours communautaires mais la dernière fois, c’était il y a 50 ans !
retrouve
son
en avait lancé
matériau d’origine
Notre auteur
photographe a suivi jour après jour, geste après
geste, ce travail auquel a participé toute la communauté de Napuka et
c’est l’occasion pour elle, pour nous de suivre ces travailleurs en image.
Là, c’est un champ de noix de coco coupées en deux qui seront disposées selon un ordre bien établi, d’abord une couche face ouverte,
précise Marie- Hélène, vers le haut, la suivante face ouverte vers le bas
72
Dossier
et
ces
«
Te Tai Vahiné
Tai
:
Diversité culturelle et
francophonie
premières couches sont si importantes qu’elles portent un nom :
» pour la première, en Paumotu, « TeTagitama », « Te
Tane » ou « Te Tagitamatika » pour la seconde.
Marie-Hélène
a su
saisir les instants
matériels, mais aussi,
en
artiste et
ethnologue, les attitudes et les regards, la curiosité des
jeunes, la fierté de tous lorsque après 4 jours de travail, le feu brûle les
coraux choisis avec soin. C’est que ce n’est pas une petite affaire que
de renouer avec cette activité aujourd’hui menacée de l’oubli par la
modernité, menacée pas vraiment car Papa Marau a transmis son
savoir à son fils, aux habitants de l’île. Papa Marau, photographié plusieurs fois, a gardé la minceur des gens qui ont vécu sobrement et paisiblement, je l’espère ! Beau visage de cet homme dont le regard à travers les lunettes demeure si présent, si direct, dont les mains ont
conservé l’énergie du travail, la force et l’adresse que celui-ci réclamait
la plupart du temps. Marie-Hélène explique, commente ses photos, et
j’aime ses textes riches et sobres à la fois, toujours respectueux et discrets quand elle parle de ces habitants qui l’ont accueillie et lui ont permis de partager cette vie, inévitablement communautaire. On est trop
peu nombreux pour s’isoler et vivre égoïstement en ermite ! On grandit
ensemble, devant les parents, on travaille ensemble pour survivre, on
se retrouve pour se distraire, échanger des propos quotidiens ; on sait
tout ce qui se passe au jour le jour sur l’atoll, on est toujours sous le
regard d’un autre, des autres ! Cela tisse des liens, entretient des rapports particuliers entre les générations ; les anciens observent et guident d’un simple clin d’œil, d’un imperceptible mouvement de la main,
de la tête, l’enfant qui tâtonne et s’initie maladroitement à extraire la
chair de la noix ou à accrocher le bon appât à la ligne. Vivre ensemble,
c’est aussi vivre au même rythme. Quand c’est le « jour du Seigneur »,
c’est toute l’île qui s’habille, rentre à l’église, chante et prie. Belle occasion pour Marie-Hélène de fixer des visages recueillis, des femmes
assises à l’extérieur, à même le sol, comme inspirées par ces chants qui
s’envolent de l’autel. Perdues dans leurs prières ou dans leurs rêves,
elles ont donné à leurs corps une pose qui les libère de la fatigue de
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Littérama’ohi N°10
Michel De Chazeaux
l’immobilité et les
font
assure
d’un certain confort. Les enfants manifestement
qu’ils peuvent, dans leur toilette du Dimanche pour imposer à leur
visage la piété religieuse qui conviendrait mais la vie est là qui donne
envie de jeter un regard à la copine ou de tourner la tête vers ce bruit de
missel qui tombe ou vers cette voix qui chante si haut, si juste !
Dans cette communauté, petits et grands se mélangent ; les petits
roulent, en équilibre sur les vélos des grands et les grands, bon gré mal gré,
doivent se charger des petits.
ce
Et la vie est là, hors du
temps, pour nous qui vivons dans le fracas
engins, nous qui courons sans nous regarder, sans
nous voir, nous qui ne savons plus partager et travailler ensemble.
Hors du temps. Oui, mais aussi dans son temps ! La perliculture a
changé les habitudes, a lancé de nouvelles activités, d’autres va et
vient, a fait venir des gens d’ailleurs, d’autres îles mais la mer est là qui,
généreuse, offre à tous l’immensité de son espace. La population
observe ces nouveaux venus, les accueillent au quotidien, sachant que
l’avion désormais, viendra plus souvent, peut-être ; pour eux. Et c’est
bien ! On ne s’habitue pas encore à l’atterrissage de l’ATR, c’est toujours un évènement que les jeunes ne veulent surtout pas manquer !
Emerveillement devant cette technologie volante ou rêve de cette île de
Tahiti que l’on aimerait bien connaître un jour ? Qu’importe à quoi l’on
pense, l’essentiel, c’est d’être là !
Comme il faut être là aussi à l’arrivée de la goélette pour voir ce
qu’elle charge et décharge, qui descend, qui s’en va, pour rencontrer
les marins avec qui échanger les dernières nouvelles, auprès de qui on
apprend qu’il existe une autre façon de vivre.
des voitures, des
C’est sur ces images d’activité fébrile sur le quai de Takaroa ou de
Fakarava que Marie-Hélène ferme son ouvrage, un ouvrage où les photos se veulent être le reflet sans nostalgie inutile, d’une humanité à fleur
de sourires, de gestes, de regards, de poses typiquement
siennes. Organisées autour de textes que résument de simples
«
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Grandir, Concourir, Célébrer, Bâtir, Récolter, Etre et Relier..
polynéverbes,
», ces
Dossier
:
Diversité culturelle et
francophonie
images racontent une histoire, une histoire d’hommes, de femmes,
d’enfants, d’adolescents, l’histoire d’une communauté qui a su ou dû
s’accommoder, seule, d’un environnement exigeant et si beau !
Tangata,
un ouvrage
qui fait autant rêver que réfléchir.
Michèle De Chazeaux
(Extrait de « Chronique à malice »,
radiophonique, 18-12-2005.)
Emission
75
Littérama’ohi N°10
Scott Howell
L’auteur
Né à Papeete, le 13 janvier 1982, Scott Teupootamatea Howell poursuivra, après avoir passé |e
plus clair de son enfance à Punaauia, des études d’arts plastiques à l’UFR Saint Charles (Paris 1,
Panthéon-Sorbonne).
Extrait de
son
mémoire de maîtrise intitulé
«
Le
jardin secret de la mort
»,
le récit qui vous est
livré, participe à une volonté, présente dans l’ensemble du traité, de restituer le processus de création qui l’aura déterminé à concevoir un monument funéraire collectif alors que son idée première
était de réaliser
son tombeau. Parce qu’elle rend, mieux que nul autre exposé académique, fidèlecompte du chemin de pensée d’un artiste et favorise, ce faisant, la parfaite compréhension
de son œuvre, la valorisation du processus choisie pour ses atouts pédagogiques s’agissant d’un
art qui se veut social, et donc accessible au plus grand nombre, lui permettra par ailleurs de mettre en exergue la part du sentiment et de l’idée dans l’art. Bien que le travail de réflexion qui soustend sa pratique créatrice ait mobilisé l’essentiel de ses efforts, pour s'alimenter dans des connaissances pluridisciplinaires, telles que la pensée philosophique, la psychologie, la sociologie, l’anthropologie, l'esthétique, l’histoire de l’art et, en l'occurrence, celle de l'évolution des attitudes des
hommes devant la mort, Scott fera la part belle au sentiment, dès lors qu’il trouvera dans le jaillissement d’une émotion puisée dans ses souvenirs d’enfance l’élément déclencheur d’un procèssus qui le conduira à imaginer un langage plastique capable de fonctionner à un niveau inconscient. Celui-ci deviendra le support d’une architectonique organique, qui tout en offrant un parcours à la douleur, nous inciterait à explorer les domaines subtils de la vie spirituelle sur la marge
des deux espaces où s’articule la métamorphose en infini de la mortalité pure. Proposer à l’homme
de ce troisième millénaire un lieu de mémoire en accord avec l’esprit de son temps, dans un
espace démocratique et transculturel, qui se veut invitation à un itinéraire individuel et collectif,
dont le terme serait la réalisation de l’humain intégral, telle est l’ambition affichée de cette œuvre,
qui surpasserait dans un excès de signification sa vocation liminaire pour devenir l’activateur et le
lieu d'ancrage des valeurs émergentes porteuses d’avenir, telle la conscience naissante de la
responsabilité de chacun dans l’avenir de l’humanité, cette phénoménale conscience de partager
le même destin, qui remet inévitablement en lumière l’unité du genre humain, l’unité de l’homme
avec le cosmos, comme au demeurant, l’unité de l’individu. Bien qu’a priori anodine une fois sortie
de son contexte, la petite histoire qui nous est narrée en forme d’hommage soutenu à celui qui
inspirera ses réflexions sur la vie et la mort, n’en aura pas moins une influence déterminante sur
la démarche de ce jeune artiste.
ment
Fait partie de Litterama'ohi numéro 10