B987352101_PFP1_2005_008.pdf
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-
Coll. :
Litterama*
fôméæ-tfe
Cote
're-
Ont participé à ce n
Sur la littérature
polynésienne
Tamatoa BAMBRIDGE
Mauarii BROTHERS
Tutii CHILTON
Reïa CHIN HEN WAI
Annie Reva’e COEROLI
Maeva DAGUERRE
Vaite DEVATINE
Lorenz GONSCHOR
>/-
Danièle-Taoahere HELME
Hinerava HUIOUTU
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Averii
LACHAUX
Jean-Marc Teraituatini PAMBRUN
Jean-Luc PICARD
Violaine PIENS
Mylène RAVEINO
Stéphanie - Ariirau RICHARD
Léon TAEREA
otu Ma’ohi
LoonaTEAUNA
Haamoura TERIIEROOITERAI
Jean VANMAI
Numéro 8
Novembre 2005
Marie-Hélène VILLIERME
.
Littérama’ohi
Publication d’un groupe d’écrivains de Polynésie française
Directrice de la publication :
Flora Devatine
BP 3813, 98713 Papeete - Tahiti
Fax : (689) 820 680
E-mail : tahitile@mail.pf
Numéro 08 / novembre 2005
Tirage : 600 exemplaires - Imprimerie : STP Multipress
Mise en page : Patricia Sanchez
© Editions Te Ite 2005
Oj,SJ'Q.M. '' parût®
ARRIVÉ LF.
'2 4, MAI 2006
tM^tüSHÜ-ML-Nf SOUS Pf
Revue
Littérama’ohi
Ramées
de Littérature
Polynésienne
Comité de rédaction
Patrick AMARU
Michou CHAZE
Flora DEVATINE
Danièle-Taoahere HELME
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Jimmy M. LY
Chantal T. SPITZ
-Te Hotu
Ma’ohi
LISTE DES AUTEURS DE LITTERAMA’OHS N°8
Tamatoa BAMBRIDGE
Mauarii
BROTHERS
Tutii CHILTON
Reïa CHIN HEN WAI
Annie Reva’e COEROLI
Maeva DAGUERRE
Vaite DEVATINE
Lorenz GONSCHOR
Danièle-Taoahere HELME
Hinerava HUIOUTU
Averii
LACHAUX
Jean-Marc Teraituatini PAMBRUN
Jean-Luc PICARD
Violaine PIENS
Mylène RAVEINO
Stéphanie - Ariirau RICHARD
Léon TAEREA
Loona TEAUNA
Haamoura TERIIEROOITERAI
Jean VAN MAI
Marie-Hélène VILLIERME
4
SOMMAIRE du n°8
Novembre 2005
Liste des auteurs
p.
4
Sommaire
p.
5
Les membres fondateurs de la revue Littérama’ohi
p.
7
Editorial
P-
9
Information
P-
10
p.
11
p.
38
p.
58
Mana Vahiné Ma’ohiagainste French Colonialism
p.
66
Résumé du texte de Lorenz Gonshor en français :
Annie Reva’e Coeroli
p.108
DOSSIER
: Sur la littérature polynésienne
Stéphanie-Ariirau Richard
«
La nuit des bouches bleues
» de JMT Pambrun
:
Définition d’une littérature francopolynésienne Mosaïquée
Jean-Luc Picard
La parole de la nuit - Mises en scène de l’oralité
dans deux romans de Chantal Spitz,
écrivaine ma’ohi
Violaine Piens
Le jeu de l’écriture
Etude du poème «
Ti-ti-ri » de F. Devatine
Lorenz Gonschor
Mauarii Brothers, Reïa Chin Hen Wai, Maeva Daguerre,
inerava Huioutu, Aveirii Lachaux, LoonaTeauna,
Haamoura Teriierooiterai (Lycée d’Uturoa)
Pourquoi écrire ? Dans quelle langue écrire ?
p. 112
5
ECRITURES
Tutii Chilton
This land is... ? and others shorts stories
p.122
Jeunes écritures - poésie
Vaite Devatine
Le choix
P-140
DROIT
Jean Vanmai
Les contrats d’édition
P-142
Tamatoa Bambridge
Un droit foncier autochtone en devenir
en
Polynésie française
p. 147
ACTUALITÉ
Jean-Marc Teraituatini Pambrun
Polémique autour de l’aide aux auteurs
p. 177
Marie-Hélène Villierme
Le 9è Festival des Arts du Pacifique
(Koror, 22-31 juillet 2004)
p. 181
L’ARTISTE DU N°8
LéonTaerea présenté par Mylène Raveino
6
p. 184
Littérama’ohi
Ramées de Littérature Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi
La revue Littérama’ohi a été fondée par un groupe apolitique
d’écrivains polynésiens associés librement :
Patrick AMARU, Michou CHAZE, Flora DEVATINE,
Danièle-Taoahere HELME, Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF,
Jimmy LY, Chantal T. SPITZ.
Le titre et les sous-titres de la revue traduisent la société polynésienne d’aujourd’hui :
«Littérama’ohi», pour l’entrée dans le monde littéraire et pour l’affirmation de son identité,
-
«Ramées de Littérature Polynésienne», par référence à la rame
de papier, à celle de la pirogue, à sa culture francophone,
-
-
«Te Hotu Ma’ohi», signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères chinois intercalés entre le titre en français et celui en tahitien.
-
La revue a pour objectifs :
-
de tisser des liens entre les écrivains originaires de la Polynésie
française,
-
de faire connaître la
variété, la richesse et la spécificité des
auteurs originaires de la Polynésie française dans leur diversité contem-
poraine,
de donner à chaque auteur un espace de publication.
Par ailleurs, c’est aussi de faire connaître les différentes facettes de
-
la culture polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et
modernes que sont la peinture, la sculpture, la gravure, la photographie,
le tatouage, la musique, le chant, la danse... les travaux de chercheurs,
des enseignants...
7
un
Et pour en revenir aux premiers objectifs, c’çst avant tout de créer
mouvement entre écrivains polynésiens.
Les textes peuvent être écrits en français, en tahitien, ou dans n’importe quelle autre langue occidentale (anglais, espagnol,.. ) ou polynésienne (mangarévien, marquisien, pa’umotu, rapa, rurutu...), et en chinois.
Toutefois, en ce qui concerne les textes en langues étrangères
comme
dans la
pour ceux en reo ma’ohi, il est recommandé de les présenter
mesure du possible avec une traduction, ou une version de
compréhension, ou un extrait en langue française.
Les auteurs sont seuls responsables de leurs écrits et des opinions
émises.
En général tous les textes seront admis sous réserve qu’ils respectent la dignité de la personne humaine.
Invitation au prochain numéro :
Ecrivains et artistes polynésiens,
cette revue est la vôtre : tout article bio et bibliographique vous concer-
nant, de réflexion sur la littérature, sur l’écriture, sur la langue d’écriture,
des auteurs, sur l’édition, sur la traduction, sur l'art, la danse,...
sur
ou sur tout autre
sujet concernant la société, la culture, est attendu.
Les membres fondateurs
Cher(e) auteur,
Nous vous invitons à faire parvenir vos écrits à l'association Littérama’ohi.
Tous les textes seront publiés.
La revue ne comptant qu’un nombre limité de pages, si un texte est trop long nous nous
réservons le droit de proposer quelques coupures à l’auteur. Le texte modifié ne sera
publié qu’avec son accord.
Les textes retenus seront publiés dans ie prochain numéro. Mais si ce numéro est déjà
complet, leur publication sera repoussée au numéro suivant.
La Rédaction
Editorial
Quelques coups de rames pour glisser de l’oralité à l’écriture.
Escales dans un monde en mouvance avec des expressions spécitiques à notre langage d’hier et celui d’aujourd’hui. Les mots vont et
viennent au gré des mises en scènes (Jean-Luc PICARD) à partir de
deux romans de Chantal SPITZ, écrivaine ma’ohi.
L’oralité saluée et reconnue partage la scène avec « l’écriture » qui
débarque un peu comme une indisciplinée avec toute la rétention d’informations qui se libère de son trop-plein. Explosion nécessaire pour dépasser les oppressions, les contestations, les tergiversations, juste pour justifier ou non l’écrit, ou seulement se permettre de dire et d’écrire.
qui se donne afin que les
empreintes déposées par nos écrivains restent en mémoire pour ceux
qui viendront et revendiqueront à leur tour leur histoire.
Littérama’ohi veut engranger ce
Ensemble avec nos différences, révérences l’oralité, contre-sens à
l’écriture et bon vent à Littérama’ohi !
Danièle-Taoahere Helme
9
Littérama’ohi N°8
INFORMATIONS • PARUTIONS • EVENEMENTS
met
INFORMATION
soutenu à l’Université de Pau et
des
Pays de i’Adour, Faculté des
Lettres et Sciences Humaines, en
octobre 2004, un mémoire sur « En-
quête d’une littérature polynésienne ma’ohi d’expression française,
resserrée
Devatine
jolie promenade sur 180
pages illustrées de 200 photos noir
et blanc et de textes signées par la
Muriel Baurens
a
une
sur
l’œuvre de Flora
photographe.
Jean Marc Pambrun
publie un nouvel ouvrage « Le bambou noir », une quête à-travers le
tracé d'un dessin... nous ne vous en
disons pas plus mais c’est publié par
les Editions Le Motu.
Chantal T. Spitz
».
Mémoire de
sous
la direction du
Professeur Christiane ALBERT
prépare son troisième livre, un recueil
de textes, poèmes et réflexions qui
promettent de sortir des sentiers battus et sous ie titre « Pensées inso-
A PARAITRE
lentes et inutiles
».
A
Marie Hélène Villerme
publie aux éditions Le Motu un beau
livre de photos « Tangata, une
communauté polynésienne ».
Enfin ii se murmure que le prochain
salon du livre pourrait avoir pour thème
où
la bande dessinée. Une occasion de
Au
moment
Littérama’ohi
nous
mettons
sous
presse, nous
n’avons pas vu ce livre mais il pro-
rendre
hommage à un genre littéraire
souvent délaissé.
De l'oralité à l’écriture, le rôle de la mémoire,
l’identité de l'écriture polynésienne
et sa
place dans k inonde contemporain.
Auteur* : fkjra Aurima Devjline (fcuttmna ratrui * :
“De l’oralité à l’écriture, de la mémoire à l’écriture*’
rrrtwda * nota*
r-.rwe • Am.V*nf « <A-.i .'rtvp an aas'-v Vdl.™ IM IU OunUl Sp®. IMlrtc» .VWU.
tcube Priver, MjrieCUude Tc&krlarô^nJ. Dtnittt Twriwvatdnte. Mrdtou Ou».
lànoigïUj(e» d'auteur* pdyné«cn*
Crat par h pirole t/u'on Stère récrit
Lire en fête-2004
et c'ert par
récrit rju’cit Bière h parole.
Rencontre
Samedi 16 octobre à 20H30
Flora Aurima Devatine
te. écrivain, directrice de In revue littéraire polynédenne Ut
Jimmÿ Ly
10
paraître fin
novembre aux éditions Te Ite.
*
Stéphanie-Ariirau Richard
‘A ma grand-mère,
Léa Poroi épouse Teahu,
décédée le 26 Octobre 2000.
To ‘oe Mootua, Ariirau.’
La nuit des bouches bleues
de Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun
En filigrane du discours dialogique,
Définition d’une
littérature francopolynésienne Mosaïquée
‘Le monde est une mosaïque
De tant de cultures uniques,
Un parterre multicolore
De traditions fortes encor...’
Le Chœur.
C’est
en
véritable mosaïste que
Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun a
conçu ‘La nuit des bouches bleues’. La mosaïque est, rappelons-le :
‘Un assemblement fait de petits cubes et de fragments multicolores de
divers matériaux (pierre, marbre, émail...) [cet assemblement] forme un
motif décoratif qui pare le revêtement d'un sol ou d’un mur, plafond, ou
la surface d’un objet. Italien : Mosaïco.
Par analogie ou au figuré, ensemble formé d’éléments nombreux et dis-
parates. Hugo parle de la mosaïque des champs labourés.
Emploi du premier mot à la fin du 15èm“ siècle, par Christophe Colomb.'
(muses), puis confusion des mots ‘musique’/ ‘muse’[...]
humain est ainsi mosaïqué que revenu aux
Andalys, tu regretteras la Corse’ [...]
Est mosaïqué tout ouvrage dont les contours variés...ne prennent leur
forme qu’à la fin de l’ouvrage’1
Grec
: ‘Muscion’
Flaubert
1 Trésor de la
:
'Le
cœur
langue française
11
Littérama’ohi N°8
Stéphanie-Ariirau Richard
La mosaïque relève du principe de ‘la partie pour le tout’ et sousentend une unité dans la multiplicité. C’est cette unité dans la multiplicité
que nous retrouvons dans l’écriture francopolynésienne contemporaine,
concept de francophonie mosaïquée qui sera plus amplement développé, après une étude approfondie de ‘La nuit des Bouches Bleues’.
un
En
effet, il existe une littérature francophone polynésienne, en
réponse à l’article de Mohamed Aït-Aarab2 et que c’est à tort que l’on
doute de son existence, que la valeur d’une oeuvre ne devrait pas être
jugée à sa maison d’édition ou à son nombre de tirages ; qu’il faudrait,
au contraire, se centrer sur le problème de l’appropriation théorique et
dominante des francophonies ‘atlantico-centristes3’ ; des courants théoriques dans lesquels la littérature polynésienne ne peut s’inscrire. Enfin,
avant de dénigrer l’existence d’une littérature, ne serait-il pas plus
approprié, dans un premier temps, de lire et d’analvser les textes individuellement, d’en extraire leur matière esthétique, linguistique, narrative, plutôt que de les ‘survoler’ et de chercher chez un autre peuple francophone un Sartre, un Césaire ou un Kateb Yacine ? Car enfin, à force
de ‘chercher’ la littérature polynésienne, on en oublie sa matière même :
ses textes, leurs complexités narratives, leurs substances.
Le but de cet essai est donc dans une première partie, d’analyser
la pièce de JMT Pambrun, d’interpréter le discours dialogique en filigrane
de la fée de l’eau et de Rua-Tini. Un discours,
qui à l’image de
2
'Vers une littérature tahitienne de langue française? Etude comparée de trois littératures :
Afrique Noire, Maghreb, Tahiti.’ Multiculturalisme et identité en littérature et en art, textes recueillis
par Sylvie Andrée et Jean Bessière.
3 Ce
que j’appelle ‘Mainstream francophony’ : Caraïbes, Antilles, Afrique noire, Maghreb. Car il
faut avouer que de nombreuses francophonies ne se retrouvent pas dans les théories postcolo-
niâtes, et que nombreux sont les francophonistes ‘minoritaires’ qui se dirigent vers le domaine de
la Littérature comparée, plutôt que de se spécialiser en littérature francophone. Ainsi en comparant
Flora Devatine à Assia Djebar, on élève le statut de l’écrivain ilienne à celui de la reconnaissance ;
en
comparant Chantal Spitz à Aimé Césaire, on accorde à l’écrivain polynésienne le caractère
identitaire et sélectif de son bilinguisme. N’est-ce pas là un système de pensée universitaire qui
fausse l’objectivité que l’on devrait avoir par rapport à l’œuvre
12
?
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Balme4,
l’aspect générique de l’œuvre, est multiple. Nous aborderons ce thème de
la mosaïque ancré dans la pièce. Nous inscrirons aussi cette pièce dans
la continuité d’un article de Christopher
afin de démontrer que le
genre théâtral n’est pas uniquement contemporain en Polynésie, mais
qu’il a été reproduit dans sa spécificité, en Grande-Bretagne au dix-huitième siècle: Les questions de l’évolution de la marge en théâtralité
polynésienne, de la sensualité et de la transcendance seront abordées.
Dans une seconde partie, nous verrons les dangers de la théorisation de la francophonie : une théorisation qui prend racine dans ‘Le discours sur le colonialisme’ de Césaire,
‘Masques Blancs, Peau noires’ de
Fanon, entre autres, et dont émerge la question hégélienne de subjectivisme, de race noire versus race blanche, d’esclavagisme, du cornplexe de la dépendance et du complexe d’infériorité, de la douleur coloniale, de la contamination culturelle ; une théorisation de la francophonie qui aspire désormais à l'universalisme (Maryse
Condé) tout en
revendiquant ses identités propres5 mais qui, cependant, continue à
marginaliser les auteurs francophones de Polynésie (entre autres) dans
le monde universitaire de la critique littéraire. Les théories critiques,
qu’elles soient postcoloniales ou néo-universalistes, emmurent une
francophonie dans laquelle de nombreux peuples francophones ne se
retrouvent pas (Canada, Belgique, Océanie, Asie)
Le thème de l’appropriation théorique est bien évidemment délicat ;
toujours est-il qu’il faut désormais cesser de calquer la théorie postcoloniale francophone sur la littérature polynésienne, car elle est
inadaptée. Le jugement de valeur de la littérature franco-polynésienne n’est
4 'Sexual
Spectacles : Theatricality and the Performances of Sex in Early Encounters in the Pacific’
Françoise Lionnet Postcolonial representations: Des identités propres qui excluent les auteurs
francophones des territoires ou communautés d’Outre-mer, mais qui incluent les auteurs des
départements d’Outre-mer. Qu’est-ce qui justifie les choix des auteurs de Lionnet, pourquoi se restreindre au Maghreb et au monde négroafricain pour définir tout un mouvement féminin de la francophonie ?
5
13
Littérama’ohi N°8
Stéphanie-Ariirau Richard
but de cet essai. Au contraire, il s’agit de réinscrire l’écriture
mosaïquée polynésienne dans un courant littéraire qui lui est propre.
Finalement, comparer la littérature de tout un continent à celle d’une
seule île (Tahiti Vs. Maghreb, Afrique noire), me paraît injustifié6.
Tout divise ces francophonies : L’expérience coloniale, la mythologie, la
théorie postcoloniale. Un seul et unique facteur les unit : la langue française, comme expression littéraire métissée à l’extérieur 6e l’Hexagone.
pas le
C’est à partir de ‘La nuit des Bouches bleues’ que nous tenterons
représente le postcolonialisme littéraire pour les
polynésiens, s’il existe, et nous justifierons un
courant commun à la littérature océanienne de cette partie du Pacifique
qui est celui de la littérature mosaïquée : Tant au niveau générique, que
dans le multilinguisme, et l’idéologie.
de définir
ce
que
auteurs francophones
6 M. Aït Aarab
reproduit un système de pensée répandu basé sur un amalgame ennuyeux : La litté-
rature d’Haïti est ‘reconnue’, foisonnante, etc. et on a tendance a établir une symétrie avec la iittérature de
Tahiti, marginalisée et inconnue à certains. La superficie (1), la géographie(2), les caractères cul-
turels (3). Tahiti, au contraire d'Haïti, n’est pas un pays à elle seule (3), mais fait partie de la mosaïque
d'îles et d’atolls de la Polynésie Française. Quatre motifs que souvent les critiques littéraires et univer-
Enfin, une comparaison plus équitable, plus
enrichissante, serait par exemple : la littérature polynésienne (Nouvelle-Calédonie, îles sous le vent,
îles Hawaii, Nouvelle-Zélande) à la littérature négro-africaine. Une comparaison plus logique, à mon
sitaires ne considèrent pas, alors qu’ils sont essentiels.
goût, serait par exemple la littérature de Tahiti à celle de Saint-Pierre et Miquelon ? où à celle de la
Corse ? Mais à tout un continent, et qui plus est, plusieurs pays...
14
Dossier : Sur la littérature polynésienne
‘La nuit des Bouches bleues’ : présentation de la pièce et interprétation du discours dialogique de la fée de l’eau et du guerrier Rua-Tini.
‘Il faut à présent rassembler
Ce qui a été séparé
Et ne plus feindre d’ignorer
Que l’Autre a le droit d’exister’
(1216-1220)
B Caractère générique de ‘La nuit des bouches bleues’
fl Personnages
fl La Mosaïque
L’inadaptation des théories critiques francophones dominantes
‘C’est le prix à payer mon Cœur
Pour sortir les tiens du Malheur.
Tu devras confronter
Ton esprit à l’adversité’
(1161-1164)
■ Les racines de la francophonie : l’expérience postcoloniale non par-
tagée (Césaire, Fanon)
■ La marginalisation des francophonies à l’extérieur du triangle atlan-
ticocentriste (Lionnet)
■ Exemple du mauvais calque : Comparer la francophonie de tout un
Continent à celui d’une seule île, située, qui plus est, à vingt milles
lieues de l’Hexagone
La littérature francopolynésienne à contre-courant.
‘Ce n’est pas la langue en usage
Qui fait toujours un bon ouvrage
C’est la force de son langage
Et la beauté de ses images’
(1448-1452)
15
Littérama’ohi N°8
Stéphanie-Ariirau Richard
■ Interprétation du discours en filigrane : Ces Voix qui m’assiègent
■ Les enfants de Diderot
:
Production littéraire Vs. Marché de la
scène francophone.
■ Unicité dans la Multiplicité : Multilinguisme, esthétisme mosaïqué,
éventail de littératures divergentes. Alex du Prel, Chantal Spitz, Jimmy
Li, Flora Devatine.Je tableau mosaïqué des auteurs de mon pays
‘La nuit des Bouches bleues’
:
présentation de la pièce et interpréta-
tion du discours dialogique de la fée de l’eau et du guerrier Rua-Tini.
■ Caractères génériques de ‘La nuit des bouches bleues’
La multiplicité générique de la pièce intègre plusieurs niveaux et
rend cette oeuvre hybride difficile à classer.
Présentée comme une pièce en un acte, interprétée le 22 juin 2002
à Mooréa en Polynésie française, ‘La nuit des bouches bleues’ est aussi
pièce métaphysique (en référence à Descartes et sa
conception de l’âme et du corps comme deux entités indépendantes l’une
de l’autre)7 un conte versifié, un long poème, un discours dialogique. phiiosophique, qui s’adresse à tous les hommes, donc humaniste8, mais
aussi aux hommes d’un seul peuple, celui de la Polynésie : La fée de
et surtout une
7 II existe une contradiction
religieuse dans cette pièce, qui serait à développer : La condamnation
religions occidentales et orientales fondamentalistes qui se sont ‘exportées’ (1245-1250 :
Cette propension impérieuse/ à l'hégémonie religieuse/ Est un manque de déférence/ à l’égard des
autres croyance’), la description de scènes hérétiques (Bûcher etc.), tout en adhérant au concept
des
de l'éternité de l’âme, concept métaphysique et religieux du 17eme siècle. Deux sujets intrinsèques
à développer seraient ‘le traitement du corps’ dans la pièce, et la religiosité/ concept religieux de
‘La nuit des bouches bleues’
8 Dans les deux sens du
terme, Larousse illustré. 2005 :
‘Position philosophique qui met l'homme et les valeurs humaines au-dessus des autres valeurs'
‘Mouvement intellectuel constitutif de la Renaissance, né en Italie au 146”siècle [,..]qui fut marqué
par le retour aux textes antiques, dont il tira des modèles de vie, d’écriture et de pensée’
16
Dossier : Sur la littérature polynésienne
l’eau et Rua-Tini, en décrivant le fratricide de Romulus, l’inquisition, la
mission civilisatrice des hérétiques religieux, et même aujourd’hui, le
fondamentalisme musulman, réinscrivent le peuple polynésien (incarné
par la jeune femme endormie) et son souci de la perte de mémoire
ancestrale, dans l’Histoire de l’humanité.
En mariant la matière de Bretagne (la Fée de l’eau, Loyat, Camelot,
le druide) à la ‘matière de Polynésie’ (Rua-Tini et son épopée guerrière ;
la pierre vivante qui renferme le Savoir ; l’esprit de la rivière), l’auteur
transcende les frontières géographiques, temporelles et culturelles : Il
tisse une histoire commune à deux peuples, mais fait aussi intervenir les
deux Amériques’, les Indiens natifs de l’Amérique du Nord, les Maoris de
Nouvelle-Zélande, les peuples aborigènes d’Australie, etc.
De la ‘Butte-aux Tombes’ le lieu proche de Paimpont’ (396-397), en
passant par Rome (297) ; d’un lieu sacré (‘Oopa’ 397) à un autre (le ‘palais
du Vatican’ 567), les deux âmes ‘LUI’ et ‘ELLE’ nous transportent géogra-
phiquement dans leur narration et nous font goûter à l'universalisme.9
En alliant le conte fantastique de l’intemporel, aux évènements
douloureux de l’Histoire de l’Humanité, l'auteur fusionne fiction et histoire, dans un espace temps mis à l’épreuve.
Le temps de ‘La nuit des bouches bleues’ est, comme le titre l’in-
dique, le temps d’une nuit, mais aussi celui du rêve qui peut être itératif (thème de la gémellité), éternel (voyage dans l’Antiquité10, en passant
par le dix-huitième11, puis en revenant au vingt-et-unième siècle),
cyclique (thème de la renaissance, réincarnation) ou limité (le rêve
s’achève au moment où le foetus de la jeune dormeuse est pénétré par
l’esprit de Rua-Tini) : D’où la complexité des éléments qui entrent en jeu
(espace/ temps/ matière).
®
‘Opinion qui ne rencontre d’autre autorité que le consentement universel, commun à tous les
hommes’ Larousse illustré. 2005
10
Les mythes de Narcisse et Androgyne réunis : ‘Ils se reflètent l’un dans l’autre/ Chacun est la
partie de l’autre,/ Ils sont les deux parties d’un toutI Et ils ne forment qu’un. C’est fou !' (1455-1460)
11 ‘Lhomme dont
j’ai sauvé l’esprit/ c’était ton prince travesti’ (551 -552)
17
Littérama’ohi N°8
Stéphanie-Ariirau Richard
La narration discursive est interrompue à plusieurs reprises par
■ des invocations à sa terre (49-71), à la fertilité (1313-1336), à l’esprit
de la rivière (1337-1356), à la mère (1401-1420)
■ des chants sur l’absence de spontanéité
(181-186), sur la magie
(416-420), sur la gémellité (656-660), sur l’orgueil du guerrier (10961110), sur la réincarnation et la renaissance de l’esprit de Rua-Tini
(1144-1150)
■ des incantations sur le fleuve rougit par le sang des hommes (257274), sur les pierres jumelles (1265-1272), sur le voyage transcendantal vers une vie nouvelle (1396-1400)
■ des transes sensuelles de Rua-Tini, esprit guerrier qui ne pénètre
que les êtres féminins : sa mère (253-256), les deux jumelles
blondes (441-443), les femmes prostrées (508), la femme et ses
jumeaux (647-656), mais Rua-tini se laisse lui-même transcender par
une ‘voix d’outre-tombe’ (496-497), enfin, il est magnétisé dans le
rêve de ‘notre sœur’ (941-978) rêve-témoignage de ces anciens qui
retournent à la montagne pour mourir et quittent les murs bétonnés
de leur maison de retraite.
■ le Chœur, voix de la demi-mesure
sur l’éternel
sur
? qui s’exprime :
et l’éternité (432-440),
l’écriture (585-600) : ‘Le papier livre l’apparence/ du savoir
mais pas sa substance/ à quoi bon ces choses apprises/ sans le
pouvoir qui les attise ?’
génie du créateur (879-889),
sur le
sur la rancune coloniale de Rua-Tini (1041- 1184) : ‘La grande
famille indigène/ doit surmonter sa peine/ et reporter son atten-
tion/ sur le mouvement des nations’
sur la conscience,
sur
racine de la tolérance (1160-1184)
la Mosaïque (1376-1184)‘Le monde est une mosaïque/
tant de cultures uniques/ Un
fortes encor...’
Enfin sur le rêve (1376-1384)
18
De
parterre multicolore/ De traditions
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Ces nombreuses interventions n’alourdissent en rien la structure dia-
logique de la pièce, car les deux ‘esprits’ s’expriment sur un style léger,
contemporain. ‘La nuit des bouches bleues’ est, par sa forme narrative
rythmique, une mosaïque12 : L’auteur tisse incantations, chants, transes,
invocations, interruptions du chœur sur le discours dialogique de Rua-Tini
et de la fée de l’eau. Le choix même de la pièce de théâtre souligne l’importance de l'oralité, de la rythmique chantante du dialogue :
“Emprisonné par ses pensées/ L’homme des villes a coupé/ Tous ses
liens à la nature/ Et n’entend plus ses tessitures' (1483-1486)
Le mot ‘tessiture’
représente, par sa définition même, la mosaïque
générique et l’oralité rythmique de ‘La nuit des bouches bleues’ :
Tessiture
:
Italien tessitura, tessere : tisser ;
1. Ensemble des registres d’un son qu’une voix ou un instrument de musique peuvent produire sans difficultés.
2. Ensemble de notes qui
reviennent le plus souvent dans un
constituant une sorte de moyenne du registre dans
lequel il est écrit’ (Larousse, 2005)
morceau,
Enfin, en introduisant le concept de ‘tessiture’ à la fin de la pièce,
Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun fait de ‘La nuit des bouches bleues’
une mosaïque orale : Présence d’une unité, d’un tout dans la multiplicité. La multiplicité, ce sont les différents genres oraux mentionnés ci-
dessus qui interrompent le dialogue. L’unité se retrouve dans la versification octosyllabique, qui ne change jamais, et qui par sa constance,
non
seulement donne cette impression de continuité malgré les inter-
ruptions (transes, incantations, etc.), mais contraste harmonieusement
avec celles-ci et les met en
12 Voir la definition de
relief.
‘Mosaïque’ dans l’introduction: Une definition qui introduit le concept de la
musicalité dans l’évolution sémantique du mot.
19
Littérama’ohi N°8
Stéphanie-Ariirau Richard
‘La nuit des bouches bleues’ est comparable au Tifaïfaï polynésien,
équivalent des patchworks d’Amérique du nord : Un assemblage de tismultiples, dont on ne peut admirer la beauté et l’unité qu’en l’observant avec du recul. À la différence des patchworks américains qui sont
symétriques, le tifaïfaï est créé dans le mouvement, la courbe. Le tifaïfaï est l’expression absolue de la mosaïque polynésienne. Il en est de
même pour cette pièce de Jean-Marc Pambrun.
sus
Personnages
mosaïque, les deux entités
humaines, ou plutôt les deux ‘esprits’ de la pièce sont divisés eux aussi
par leurs caractères, leurs opinions, mais se rejoignent dans une
mémoire collective et un passé douloureux.
Comme c’est le contraste qui fait la
figure énigmatique du rire13, incarne l’antéchrist, car à la naissance il ria, de la même
façon que le Christ lui pleura. La fée de l’eau accorde une grande importance à l’humour et se met parfois à taquiner le guerrier Rua-Tini. Elle est
née savante, fut brûlée vive sur un bûcher par des hérétiques qui la prirent
pour une endiablée, et finalement sauvée par un druide. Tout la rattache au
La fée de l’eau est une ‘Merline’
: Merlin, né savant,
personnage mystérieux Merlin : le savoir, l’humour, et son appartenance
fantastique. La joie de vivre de la fée complète la mélancolie du
guerrier Rua-Tini : Ainsi lui conseille t-elle, avant sa renaissance corporelle : Tu auras de quoi t’égayerI Mais tu sais que tout a changé./ Il te faudra
fuir ta raison/ Pour apprécier ces sensations’ (1133-1136)
au monde
Au début de la pièce, le guerrier Rua-Tini se retrouve face à luimême dans une sphère intemporelle. Il cherche les siens (‘aucun des
miens n’est descendu’).
13 Dans le
roman
Il tient un discours anticolonialiste rappelant
de Silence’ (entre autres) roman du Moyen-âge,
Merlin apparaît de façon
impromptue et son fou rire qui demeure inexpliqué, lui vaut d’être emprisonné et torturé. Le rire
appartient à la figure mystique du druide Merlin.
20
Dossier : Sur la littérature polynésienne
inévitablement le ‘discours sur le colonialisme’ de Césaire (‘Hélas ! l’es-
prit occidental/ a ce souci fondamental/ d’opposer les choses entre
elles/ de comparer le sucre au sel’ 889-892). Il commente son expérience
coloniale sur un système de pensée Césairien (effet perverse de la
colonisation qui rend le colon ‘sauvage’, lui fait perdre toute trace d’hu-
manité)14 : Rua-Tini condamne le peuple occidental et sa mission civilisatrice contradictoire, ‘Comment un peuple aussi savant/ put-il être
aussi ignorant/ que depuis le temps qu’il s'enlise/ c’est lui-même qu’il
civilise ?’ Son titre même de ‘guerrier’ marque son caractère : Il représente la défense de son peuple. Rua-Tini est fier de ses origines, ‘il n’a
le temps de rire’, dit-il à la fée. Il est décrit comme un homme
‘orgueilleux’. Enfin, ce qui rend le personnage encore plus humain, c’est
sa sensualité, son désir incontrôlable de
pénétrer les pensées de
femmes, ses transes qui pourraient être le sujet d’un autre développement. Je vois dans Rua-Tini un être donjuanesque, à la fois conquérant,
narcissique et sensuel. Il a, dit-il fièrement, engendré toute une nation.
Ses paroles sont celles de la séduction et de l’amour :
pas
‘Mère, ô ma terre bien aimée,
J’aime tant à te contempler,
Au bord de ton ventre, accroupi,
Je vois renaître ton esprit.
[...]
De tes pensées au goût de miel.
Les Dieux sont là, prêts à glisser
Dans le cœur de l’humanité
Pour reformer son unité
Dans l’amour et l’humilité.' (1401-1412)
Chacun se raconte sa mort
: La
fée, sa douleur sur le bûcher, RuaTini, tué par les canons anglais. C’est la mémoire traumatique qui les
Discours sur le colonialisme
: La colonisation travaille à déciviliser et à abrutir le colonisateur
21
Littérama’ohi N°8
Stéphanie-Ariirau Richard
réunit. Leur rencontre dans le monde ‘du milieu’, une sphère intempo-
relie, une sorte de limbes, est un soulagement pour Rua-Tini qui va pouvoir se refléter dans la fée de l’eau. Rua-Tini se transforme en Narcisse,
est conforté par le miroir de la fée, dans laquelle il se retrouve. Rua-Tini
a des traits de caractères
plus ‘humains’ que la fée (la rancune colonia-
le par exemple). Il introduit des éléments appartenant à la sphère du
monde réel (le fondamentalisme religieux, l’identité nominale Rua-Tini
tandis que la fée de l’eau est ‘fée’, la géographie planétaire, etc.)
Tous deux sont des êtres ‘désoeuvrés’ : Le dialogue a une fonction
informatrice. C’est [Autre qui annonce la descendance. Ils se découvrent à travers l’Autre. Ainsi, Rua-Tini apprend de la fée qu’il est père de
jumeaux : l’un tatoué15, l’autre blanc. La fée découvre qu’elle est grandmère de jumelles : Deux petites blondes nées savantes. La gémellité
doublée crée un effet de Miroirs dans la pièce où les naissances
jumelles renvoient aux deux personnages une descendance similaire.
Effet de miroirs : multiplicité. Gémellité : unicité (jumeaux monozygotes) où les frères ou soeurs évoluent dans une sphère identique, ne
vivent que par l’Autre. Ainsi, même dans la généalogie des personnages, une généalogie entrelacée d’effets de miroirs, on retrouve la
multiplicité dans l’unité. Cette unité est incarnée par le mythe de
l’Androgyne que l’on retrouve dans les dernières paroles de Rua-Tini :
‘Fée de l’eau, je vois mes enfants.
Comme ils sont beaux ! Comme ils sont grands
!
[...]
Ils se reflètent l’un dans l’autre,
Chacun est la partie de l’autre,
Ils sont les deux parties d’un tout
Ils ne forment qu’un
^ Le
! C’est fou !’ (1413-1420)
tatouage, expression absolue de ‘l’entre-deux mondes' ('in-betweeness’) : Le tatouage n’est
ni à l’intérieur, ni à l'extérieur du corps. Il a une position particulière, un statut ethnique (marque de
noblesse ou d'exploits guerriers dans la tradition Maori). Etre né 'tatoué' relève du fantastique
(l’entre-deux mondes) mais aussi de l’ethnicité.
22
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Enfin Rua-Tini et la fée sont des orchestrateurs de rêves qui infiltrent
la matière polynésienne dans la mémoire, les subconscients étrangers. Ce
sont des êtres entre deux mondes ; un Adam et une Eve pris dans un dis-
dialogique sur l’Humanité, qui rétablissent une généalogie occultée.
Ils se retrouvent l’un dans l’autre et réconcilient l’unité d’une Mosaïque.
cours
Peu leur importe que les jumelles soient blondes, que les jumeaux soient
l’un tatoué, l’autre blanc, que la fée vienne de la forêt de Brocéliande et que
Rua-Tini soit guerrier Maohi ; ce qui compte pour ces deux esprits errant
dans l’intemporel, c’est de retrouver l’unicité, la mosaïque.
La Mosaïque
En filigrane du discours dialogique de ces deux personnages, se
dessine une mosaïque propre à l’écriture polynésienne. Le thème de la
mosaïque, nous l’avons vu, intègre plusieurs niveaux dans ‘La nuit des
Bouches bleues’ : générique (structure multiple de la pièce), dialogique
(de multiples thèmes abordés : la religion, la décolonisation, l’amour et
la stérilité, la mythologie grecque etc.), ‘généalogique’ (effets de miroirs
de la gémellité, où l’Autre est inévitablement partie intégrante de soi).
L’œuvre est la ‘partie pour le tout’, son unicité est La Mosaïque,
représentée par le ‘tifaïfaï’, tissage (tessiture) qui requiert de la patience et de la créativité. Enfin, l’auteur de ‘La nuit des bouches bleues’ s’exporte au narrataire étranger, en lui présentant des thèmes qui lui sont
familiers, des thèmes universels dans lesquels il peut se retrouver
(mythologie grecque, discours césairien, Histoire de l’Humanité).
L’auteur touche et émeut le narrataire polynésien qui retrouve son histoire, sa mosaïque culturelle dans les propos de Rua-Tini.
Donc, si 'est littérature toute œuvre qui n’est pas un outil, mais une
fin en so/’16, la pièce de Pambrun est une fin en soi, un tableau mosaïqué
16 Mohamed Ait Aarab cite Robert
se
Escarpit dans Vers une littérature tahitienne de langue francai: Afrique noire. Maghreb. Tahiti. (73)
? Etude comparée de trois littératures
23
Littérama’ohi N°8
Stéphanie-Ariirau Richard
de l’ouverture et de la créativité polynésienne. Enfin si ‘Une jeune littérature se doit, pour exister, de se marquer comme différente, porteuse
d’identité et d’une culture originales et vivantes [...] en même temps
adopter des codes universels pour être comprise et lue par d’autres,
par des ‘étrangers’. Comment être différent tout en étant semblable ?’17
Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun n’a-t-il pas réuni dans cette pièce
? ‘La nuit des bouches bleues’ est
l’emprunte la plus absolue de toute une pensée polynésienne ouverte au.
monde intellectuel, littéraire et mythologique. Cette petite pièce en un
acte, qui pourrait passer inaperçue, tout simplement parce qu’elle n’est
pas ‘publiée chez Gallimard ou autre’, ou encore parce qu’elle n’a pas
reçu de réponse ‘critique’ dans le monde littéraire de l’Hexagone est,
pourtant, la preuve même que la littérature polynésienne n'est pas latente, mais bel et bien vivante, créative, qu’elle fusionne au point de devenir mosaïque. Mais avant de juger de l’existence d’une œuvre, il faut la
lire. Nous verrons dans la troisième partie de cet essai que Pambrun
n’est pas l’unique mosaïste de la littérature francophone polynésienne.
en un
acte la multiplicité dans l’unité
La performance théâtrale n’est pas, non plus, un concept nouveau
en
Polynésie. Lorsque Bougainville a aperçu, pour la première fois, la
silhouette de l’île de Tahiti, les premiers mots qu’il lui sont venus à l’es-
prit furent ‘un amphithéâtre’ merveilleux18 Christopher Balme, dans un
remarquable, révèle que les premières descriptions européennes19 assimilent les spectacles tahitiens à de véritables pièces de
article
^ Mohamed Aït Aarab
1®
(74)
Christopher Balme. Sexual spectacles. Theatricality and the Performances of Sex in Early
encounters in the Pacific
19
Cook, Bougainville, les plus connus, mais aussi Charles Félix-Pierre Fesche de la Boudeuse ou
Georges Robertson du Dolphin : Les termes de ‘spectacles’ ou ‘scènes’ sont employés à plusieurs
reprises dans les comptes rendus journaliers de Cook, Bougainville, etc. Profusion de métaphores
liées à la théâtralité qui ne sont pas dues à un 'embellissement esthétique’ narratif mais plutôt à
une réelle identification de ces spectacles au théâtre occidental.
24
Dossier : Sur la littérature polynésienne
théâtre. Bougainville établit dans ses écrits même deux genres théâtraux
: De
type pastoral (ex : 2 Tahitiens assis sous un arbre, l’un d’eux
jouant de la flûte nasale), de type sexuel (performances sexuelles répétées en public). Ce qui surprend les Européens notamment, ce sont les
applaudissements et les orchestres qui accompagnent ces performances théâtrales.
Balme, par la suite, se réfère à la perception orientaliste d’Edward
Saïd, qui fait un rapprochement entre théâtralité et colonialisme : Le
théâtre, une façon d'encadrer la culture ‘exotique’20. Théâtraliser l’Orient,
c’est une forme de réductionnisme de la culture de l’Autre, un ‘encadrement’ de la culture orientale sur une scène théâtrale. Ce qui nous
amène à la question de la marge dans la théâtralité polynésienne. Dans
le
de la ‘théâtralisation des actes
sexuels’, par exemple : Un
réprimandé par le capitaine de bord, lorsqu’il
intervient dans la ‘performance’, car il voulait ‘leur prouver sa virilité’21.
Ceci exemplifie l’immersion absolue dans la performance théâtrale ; cet
évènement, parmi d’autres, est celui de la démarginalisation performative22. Le fait que ces performances soient sexuelles est, à mon avis,
hautement symbolique d’une volonté des natifs de vouloir intégrer les
nouveaux arrivants, de vouloir les ‘communier’ à leur société. L’amour
cas
Irlandais est vivement
sur scène
est la fusion ultime entre deux cultures. Ce genre de ‘spec-
tacle’, répertorié dans le journal de Cook, sera reproduit au dix-huitième siècle, en Grande-Bretagne, par Charlotte Hayes, dans des huit
clos, avec un public sélectionné.
20 ‘Orientalism defined as a mode of
representation within a enclosed/ framed space [...] E. Saïd
The idea of representation is a theatrical one... a theatrical stage affixed to Europe'
21 Balme The
young irishman had involuntarily ‘gone native' by offending the fundamental cultu-
ral opposition between public and private’ 72.
22 Je
rappelle que ces scènes étaient accompagnées d’applaudissement d’un public ‘entourant’ la
performance, et de musique.
25
Littérama’ohi N°8
Stéphanie-Ariirau Richard
De la performance théâtrale sexuelle ‘révélée’ aux nouveaux arri-
trois siècles, à la pièce métaphysique de Jean-Marc
deux
exemples antagonistes qui, en fait, se rejoignent dans la démarginalisation théâtrale. Dans le premier cas, l’intégration de l’élément étranger
est purement physique, mais à portée symbolique de la fusion de deux
cultures. Dans le second cas, éléments extra-culturels (littérature et
mythologie) et transcendance sont intégrés: Nous avons souligné, plus
haut, la sensualité de Rua-Tini. Ce personnage transcende de façon
impulsive des femmes de différents pays. Le spectateur devient le
témoin de ses transes sensuelles qui le porte en dehors, à l’extérieur de
vants il y a
Tera’ituatini Pambrun... ? J’ai introduit volontairement ces
la scène. La transcendance des personnages repousse l’encadrement
théâtral classique et immerge le spectateur dans un ‘autre monde’23
Je ne doute certainement pas de l’existence de la littérature poly-
nésienne, de l’existence de son théâtre : Il n’a jamais été trop précoce24
pour parler d’une littérature tahitienne francophone. Pambrun l’a bien
démontré dans sa pièce, la littérature polynésienne est on ne peut plus
ouverte au monde extérieur. Le problème se situe, à mon avis, dans
l’absence de réponse critique des milieux intellectuels et médiatiques,
plutôt serait-ce que la théorisation de la francophonie est inadaptée
elle calque sur le monde francopolynésien des expériences dans
lesquelles il ne peut s’identifier ?
ou
car
qu’autrefois, c’était la littérature qui faisait vivre la critique,
aujourd’hui l’effet inverse se produit : C'est la critique qui fait ‘vivre’ la littérature. L’absence de critique présuppose, à tort, l’absence de littérature...
Alors
23 La
question de la marge théâtrale de cette pièce pourrait être développée dans un autre article.
Je ne fais, ici, que la mentionner.
^Mohamed Aït Aarab (75)
26
Dossier : Sur la littérature polynésienne
2. L’inadaptation des théories critiques francophones dominantes
‘C’est le prix à payer mon Cœur
Pour sortir les tiens du Malheur.
Tu devras confronter
Ton esprit à l’adversité’
(1161-1164)
S Les racines de la francophonie :
l’expérience postcoloniale non partagée (Césaire, Fanon)
1962. Le mot ‘francophonie’ apparaît pour la première fois dans la
‘Esprit’. La francophonie est inévitablement née à l’extérieur de la
métropole, forme de rattachement linguistique à toutes ces nations qui
se détachèrent en accédant à leurs indépendances. Le désir identitaire
surgit inévitablement, désir de se démarquer inhérent à la Négritude25 ;
la Négritude est un mouvement réactionnaire, un ensemble de valeurs
historiques, culturelles, spirituelles propres aux Noirs. Le ‘discours sur le
colonialisme’ est une mise au point, un replacement de la pensée coloniale du point de vue de l'Autre, de celui qui a'subi l’esclavagisme, la
colonisation. Césaire introduit deux concepts essentiels dans son discours : L’effet pervers de la colonisation et la remise en question de tout
un mouvement de penseurs coloniaux. Ainsi, il réfute Mannoni et son
complexe de la dépendance26. Ce qui est bien sûr réfutable, seulement
fallait-il faire entendre sa voix, ce que les francophones négro-africains
revue
25
La Négritude : 'C’est une certaine manière d'être homme, et surtout de vivre en homme ;[...]
dont les caractéristiques sont, à cet égard, telles expressions africaines, comme ‘je veux que tu me
sentes’ et non ‘je veux que tu me comprennes’. Rien ne traduit mieux cette façon de sentir que la
nouvelle poésie nègre, qu'elle soit africaine ou américaine, de langue française ou de langue
anglaise’ L.S. Senghor.
25
le destin de l'Occidental rencontre l'obligation d’obéir au commandement : Tu quitteras ton
père et ta mère. Cette obligation est incompréhensible pour le Malgache. Tout Européen, à un
moment de son développement, découvre en lui le désir...de rompre avec ses liens de dépendance, de s’égaler à son père. Le Malgache, jamais ! Il ignore la rivalité avec l’autorité paternelle, la
‘protestation virile’, l'infériorité adlérienne, épreuves par lesquelles l’Européen doit passer et qui
sont comme les formes civilisées...des rites d’initiation par lesquels on atteint à la virilité...'
27
Littérama’ohi N°8
Stéphanie-Ariirau Richard
ont réussi à faire ; Fanon, dans ‘Masques blancs, peau noires’ aborde
la question du complexe d’infériorité, de la race, de la soumission. Ainsi,
la francophonie littéraire qui se développe et qui prospère aujourd’hui
est une francophonie qui prend racine dans des développements sur 1)
le colonialisme pervers, 2) la race, entre autres.
L’expérience coloniale est inévitablement douloureuse, quelque soit
le pays. Cependant l’expérience coloniale polynésienne est unique en
qui concerne la race, la politique, la notion de subjectivisme ou de complexe d’infériorité développée par les francophones
elle-même
: en ce
du continent africain et des Caraïbes.
Dans les journaux des premiers Européens, on remarque l’intérêt
que les narrateurs portent à la couleur de la peau, par exemple des
Tahitiennes27. Georges Robertson, marin sur le Dolphin écrit que les
femmes étaient de ‘couleurs différentes’. Dans un autre livre documen-
vingtième siècle, l’auteur Thor Heyerdahl est étonné d’apprendre que des habitants de l’île de Pâques étaient roux28. Cette question de la race est essentielle et détermine l’approche européenne. Le
contact de l’Autre est culturel, non pas uniquement racial. Ainsi, comme
l’écrit Georges Robertson : ‘This new sight atract our mens fance a
good dale, and the natives observe dit, and made the young girls play a
great many droll wanton tricks’29
taire du
Les premiers contacts relèvent de la question du désir de l’Autre. de
qu'il est, de ce qu’il possède. Je n’efface pas pour autant les conflits
(mentionnés d’ailleurs par Rua-Tini), mais enfin, en ce qui concerne la
ce
^Christopher Balme : Dans le journal de Bougainville, épisode de la Vénus tahitienne :
Comparaison de la jeune femme qui se déshabille sur la frégate à Vénus, Description théâtrale de
Bougainville, dans la position de la jeune fille : comme sur une estrade, les marins et les hommes
qui l’entourent, les hommes sur leurs pirogues, l’observent 'd’en bas’, en spectateurs. Charles
Félix-Pierre Fesche remarque combien sa peau est blanche.
28 Aku-Aku. le secret de l'île de Pâques
2^
Christopher Balme.
28
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Polynésie, la colonisation ne peut se concevoir uniquement en Noir et
Blanc. La douleur coloniale pour le peuple polynésien se fera ressentir
au dix-neuvième siècle avec la
politique de francisation et d’évangélisa-
tion notamment, siècle de l’ethnocide et du génocide culturel.
Et que penser lorsque le colonisateur, en fait, ne veut pas coloniser
et colonise parce qu’il n’a pas le choix ? C’est, rappelons-le, ce qui
s’est
passé au Fenua30. Une colonisation à contre coeur, où ni la
France, ni la Polynésie ne veulent vraiment l’un de l’autre : Pomaré
avait fait six demandes de Protectorat à la Grande-Bretagne. Comment
comprendre la complexité politique de la colonisation de la Polynésie
Française : les théories critiques littéraires postcoloniales appartenant
au mouvement négro-africain et maghrébin, basées sur la race, le cornplexe de supériorité/d’infériorité entre Noirs et Blancs, l’esclavagisme,
etc. sont évidemment inadaptées, inadaptables, puisque la mémoire
collective polynésienne a vécu autrement la colonisation, a vécu autrement la question raciale.
Si les théoriciens de la francophonie se retournaient vers le Pacifique,
ils y trouveraient un mouvement beaucoup plus complexe et subversif :
Ils leurs suffiraient de comparer deux auteurs, Chantal Spitz et Alex du
Prel, pour qu’ils soient désarçonnés. La littérature polynésienne est
unique dans sa multiplicité. À mon goût, elle ne correspond en rien à la
littérature antillaise ou algérienne. Cela ne la dévalue pas pour autant,
mais calquer du Césaire ou du Fanon sur un texte de Chantal Spitz, par
exemple, est à mon avis, dénaturer l’œuvre de l’auteur. L’absence de la
littérature polynésienne sur la scène critique francophone est énigmatique. Selon moi, c’est tout simplement parce que les théoriciens ne se
retrouvent pas dans cette littérature, et donc la marginalise, en se
posant des questions telles que ‘La littérature francophone tahitienne
existe-t-elle vraiment ?’
30 Sémir Al Wardi Tahiti et le partage du
pouvoir. 171 :'Sous le second empire, ce protectorat sera
considéré comme un fardeau qui ne rapporte rien mais coûte 300 000 francs à la France...
29
Littérama’ohi N°8
Stéphanie-Ariirau Richard
■ La marginalisation des francophonies à l’extérieur du triangle atlan-
ticocentriste (Lionnet)
En
lisant ‘Postcolonial
Representations- Women, Literature,
Idendity'de Françoise Lionnet, une contradiction que je n’arrive toujours
pas à expliquer m’est apparue en ce qui concerne la critique ‘postcoloniale’. Le terme 'Postcolonial’ semble explicite : la période de l’après
colonisation. Françoise Lionnet pense que ce terme est incontournable,
lorsque l’on veut parler de littérature francophone, et elle le regrette du
fait qu’il implique une dénégation du ‘néocolonialisme’. Elle explique que
les mouvements de Négritude et d’indigénisme étaient en fait postcoloniaux. Elle se centre sur la question de l’Universalisme, question qui
dérange car elle présuppose une redéfinition des frontières pour l’écrivain31. Tout semble clair dans le déroulement de son essai, jusqu’au
moment où elle cite des auteurs guadeloupéennes, comme interprétatrices du mouvement postcolonial32. Or, de quelle façon ces auteurs
francophones peuvent-elles s’inscrire dans un tel mouvement, alors
qu’à ma connaissance, il n’a jamais été question en Guadeloupe de
‘décolonisation’ ? Est-ce que la francophonie postcoloniale est donc un
mouvement uniquement négro-africain et maghrébin, où est-ce un mouvement critique qui se développe après les vagues de décolonisations.
Cette question, qui peut sembler naïve, ne l’est pas
: elle soumet
le problème de la marginalisation de ma francophonie polynésienne par
francophoniste. Car en fait, les auteurs guadeloupéennes, comme les auteurs polynésiennes, n’ont jamais, connu la
les théoriciens
Françoise Lionnet rejoint sur ce point Louise Peltzer, pour qui l'universalité n’est pas l’uniformité, l’universalité est richesse en soi ( Sylvie André, Discours identitaire et statut des langues dans
la littérature francophone polynésienne)
32 ‘Michelle Cliff
(Jamaica), Amanda Devi (Mauritius), Condé and Warner-Vieva (Guadaloupe), etc.
belong to an increasing number of astute interpretators of the postcolonial condition whose works,
published in the 1970s and 1980s have been redefining traditional conceptions of history and culture, literature and identity.’
30
Dossier : Sur la littérature polynésienne
déferlante indépendantiste. Pourquoi les inclue t-on dans le mouvement
Postcolonial ? Pourquoi les écrivains polynésiens sont-ils exclus de la
scène critique et universitaire ? S’agit-il là de la question de
langage
hybride, de la ‘créolité’ qui réunit les auteurs des Caraïbes? Mais dans
cas, le langage ‘hybride’ est bel et bien présent dans la littérature
polynésienne : Chantal Spitz. Flora Devatine.
ce
Ne faudrait-il pas redéfinir ces termes de ‘postcolonialisme’, ‘néo-
colonialisme’, etc. La contradiction me semble encore plus flagrante
lorsqu’on se met à développer des théories universalistes mais qui
‘englobent des caractères communs et opposés dans les modes de
représentations’, tout en continuant à marginaliser les francophonies
canadienne, belge, océanienne...
Il est donc regrettable, à mon avis, que la théorie critique soit à
même de rendre une littérature vivante, qu’un mouvement littéraire ne
puisse se définir que par la critique. Regrettable, en effet, car cette attitude vis-à-vis de la littérature en général, risque de pousser les auteurs
dans la revendication identitaire, de se faire valoir‘dans un mouvement’,
au lieu de se consacrer à l’essence même de la littérature
sion narrative esthétique des émotions humaines.
: la transmis-
■ Exemple du mauvais calque : Comparer la francophonie de tout un
Continent à celui d’une seule île, située, qui plus est, à vingt milles
lieues de l’Hexagone
La question de Mohamed Aït Aarab sur ‘l’existence’ de la littérature tahitienne
francophone, est légitime, mais injustifiable. Moi-même, je
suis posée cette question il y a 4 ans : la première chose que j’ai
donc fait, en tant qu’étudiante doctorale en littérature francophone, fut
me
de me procurer ce qui m’était possible d’avoir : Des romans du Fenua.
C’est grâce au système internet que j’ai pu accéder à mes premières
lectures. Ainsi, ce qui me gêne en tant qu’universitaire, c’est la façon
dont le sujet
‘est-ce que la littérature tahitienne existe ?' est abordé,
31
Littérama’ohi N°8
Stéphanie-Ariirau Richard
non pas
uniquement par Aarab, mais en général par l’élite universitaire.
C’est pourquoi j’ai tenu à commencer cet article par l’analyse de ‘La nuit
même s’il n’a pas lu cette
pièce, soit touché par la substance esthétique, par les thèmes abordés,
et qu’il se rende compte que lorsqu’on doute de l’existence d’une littérature, on étouffe la créativité et la motivation des quelques auteurs qui
se sont dédiés à leurs œuvres. Enfin pour aborder la littérature polynésienne, pourquoi consacrer les deux tiers de son article aux mouvements littéraires maghrébins et négro-africains, où il n’y a aucune idendes bouches bleues’
: Afin que tout lecteur,
tification possible.
L’article de Mohamed Ait Aarab est très instructif en ce qui concerne le
marché littéraire
•
•
:
Textes publiés à compte d’auteur : 1997,1/3 des ouvrages publiés,
et peu médiatisés.
La faiblesse des tirages, étroitesse du marché et le refus de certains auteurs de se faire rééditer. Soit par stratégie éditoriale (Manu
Tahi), soit par sentiment d’avoir écrit un texte inachevé (Spitz)
•
•
Auteurs d’un seul livre, satisfaire un désir narcissique.
Une petite place est accordée à la fiction alors qu’essais ethnolo-
giques etc. sont majoritaires, fructifs.
Le marché littéraire n’est pas la littérature.
32
Dossier : Sur la littérature polynésienne
3. La littérature francopolynésienne à contre-courant.
'Ce n’est pas la langue en usage
Qui fait toujours un bon ouvrage
C’est la force de son langage
Et la beauté de ses images’
(1448-1452)
■
Interprétation du discours en filigrane : Ces Voix qui m’assiègent
Le texte littéraire est inévitablement interprété différemment selon
le
narrataire, cette interprétation dépend de ses expériences personnelles, de son éducation, de sa relation au sujet.
La voix de la sagesse est, à mon avis, celle du chœur.
La voix de Rua-Tini est plus que celle de Tanti-colonialisme’, et peut-
être, celle d’un ‘Néocolonialisme’. Le néocolonialisme ressenti par un
être qui ‘veut faire entendre sa voix’. À plusieurs reprises, il appelle et
on ne l’entend pas. Rua-Tini veut revendiquer son existence à un
monde extérieur trop envahissant. Ses transes sont un ‘faire valoir’, une
façon de pouvoir s’exporter.
D’ici à faire une analogie avec les dangers d’une théorisation de la critique colonisant les littératures dites ‘mineures’ qui n’arrivent pas à faire
entendre leurs voix, il n’y a qu’un pas...
■ Les enfants de Diderot
:
Production littéraire Vs. Marché de la
scène francophone.
Diderot, en son temps, écrivait dans un petit deux pièces, et s’intéressait peu à ce qu’elles soient publiées, du moins ce n’était pas son premier souci, au contraire de Voltaire, qui tenait à être reconnu. ‘Le’
Diderot vivant au dix-huitième n’est pas le même auteur que nous
connaissons
aujourd’hui. Les chercheurs ont découvert au fil des
siècles des nouveaux manuscrits, et ses textes que nous considérons
acquis, ne l’étaient pas de son vivant.
33
Littérama’ohi N°8
Stéphanie-Ariirau Richard
Aujourd’hui la production littéraire publiée est essentielle à la reconnaissance d’une œuvre. Il y a chez certains auteurs polynésiens, un avantgardisme dans la façon dont ils considèrent le marché : Manu-Tahi qui
ne publie qu’à mille exemplaires, par exemple. Un désintéressement de
la production de masse qui va à contre-courant du marché littéraire francophone. Il semble que pour ces auteurs le plaisir d’écrire devance celui
de la production. Cette attitude vis-à-vis de l’œuvre est à considérer, car
elle est, à ma connaissance unique. Comme cette écrivain qui refuse de
faire publier ces écrits... Ce que certains perçoivent comme une stérilité (les auteurs à ‘un roman’), je perçois comme un mouvement avantgardiste, et peut-être même, un fiu de l’absence de critique, ou une
volonté d’indépendance de l’auteur vis-à-vis de l’écriture.
■ Unicité dans la Multiplicité : Multilinguisme, esthétisme mosaïqué,
éventail de littératures divergentes. Alex du Prel, Chantal Spitz,
Jimmy Ly, Flora Devatine.Je tableau mosaïqué des auteurs de mon
pays
Chaque auteur polynésien, chaque texte littéraire produit, que ce soit
pièce de théâtre, roman, nouvelles, fiction, autofiction, biographie etc.,
que ce texte soit Tunique roman’ de l’auteur, ou le deuxième, ou le troisième, peu importe...constitue un carreau de la mosaïque littéraire francopolynésienne. Cette mosaïque se dessine dans la multiplicité des
œuvres, certaines uniques. La littérature polynésienne n’est pas stérile.
La Mosaïque de visu : Lire Chantal Spitz.
‘Nous écoutons lisons nos penseurs diseurs écriveurs - Ua haere i te haapiiraa teitei
ua roaa te itee. -
qui rampent dans les ornières de la pensée unique correcte abreuvent
les sillons d’honteux oripeaux stéritles, gourmands[...] ‘la littérature polynésienne exis-
te-t-elle’ Écrire-entrailles brouillées contre la domination exclusive [...] Scintiller les pari-
pari-miroirs crépiter les ôrero-puissances luire les pataùtaiéespoirs et les vouloir irréductibles à la rationalité [...] nous écrivons depuis si longtemps, tant de lunes ont rejoint
l’éternité, depuis l'Anglais aux vêtures austères premier maître d’école premier traducteur
de bible. Nous écrivons beaucoup encore toujours partout. Arii gardiens de la parole
34
Dossier : Sur la littérature polynésienne
ôrero tupuna gardiens de la mémoire pasteurs diacres tavana, tous ont fleuri les feuillets
blancs de leur écriture [,..]Paripari parau paari paparaa tupuna
pehepehe âài correspondance mémoire textes fondateurs de l’espace-écriture dans lequel nous nous élancions avec foi...’
La Mosaïque structurelle : Lire Alex du Prel, et ia façon dont les nouvelles sont orchestrées. Dans ‘Le Bleu qui fait mal aux yeux’, la toile de
fond du recueil de nouvelles est ce bleu que l’on retrouve partout. Ces
nouvelles semblent ‘éparpillées’ comme des atolls, sans relation apparente les unes avec les autres. L’unicité du recueil est dans le bleu, dans
le dressage de portraits à la ‘La Bruyère’ et le fil tisseur est le caractère
culturel des personnages.
La
Mosaïque linguistique (lire Peltzer), la Mosaïque multilinguiste et
esthétique narrative (lire Devatine), etc. La Mosaïque, thème à développer chez les auteurs cités et non cités. Dans leurs différences narratologiques, idéologiques ou esthétiques, ils fondent, à l’instar de Rua-Tini
et de la fée de l’eau, toute une généalogie littéraire. Littérature vivante,
mais pour le savoir, il faut les lire.
Stéphanie-Ariirau Richard
Littérama’ohi N°8
Stéphanie-Ariirau Richard
BIBLIOGRAPHIE
? Étude
comparée de l'émergence de trois littératures : Afrique noire, Maghreb, Tahiti.’
Multiculturalisme et identité en littérature et en art, essais réunis par Jean Bessière
et Sylvie André. Paris : L’Harmattan, 2002.
Aït Aarab, Mohamed ‘Vers une littérature tahitienne de langue française
• André, Sylvie ‘Discours identitaire et statut des langues dans la littérature francophone
polynésienne’
Balme, Christopher Theatricality in the Performance of Sex in Early Encounters in
Pacific’ The Drama Review 44, 4 (Winter 2000). Article disponible sur
the
http://muse.jhu.edu/journals/tdr/
Césaire, Aimé Le discours sur le colonialisme
€ Du Prel, Alex Le bleu qui fait mal aux veux
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Tahiti. Manuscrit disponible sur http://www.tahiti-pacifique.com/
• Lionnet, Françoise Postcolonial Representations: Women. Literature. Identity. USA:
Cornell University Press, 1995.
Pambrun, Jean-MarcTera’ituatini La nuit des bouches bleues Polynésie Française :
Editions de Tahiti, 2004. Manuscrit disponible sur le site
http://www.tahiti-
pacifique.com/
• Spitz, Chantal ‘Les Cris d’une Tahitienne’ Hermès 32-33 (2002)
Consultés, non cités
:
Balme, Christopher Decolonizing the Stage: Theatrical Syncretism and Postcolonial.
Drama USA: Clarendon Press, 1999.
• Celentano,
Alexandrine Brami ‘La jeunesse à Tahiti : Renouveau identitaire et
réveil culturel’ Ethnologie Française 32
:4 (Oct-Dec. 2002)
Clark, Sheila Seiler 'Ethnicity embodied : Evidence from Tahiti' Ethnology 33: 3
(Summer 1994)
• Pritchard,
Stephen ‘Essence, Identity, Signature: Tattoos and Cultural Property’
Social Semiotics 10: 3, 2000.
36
Dossier : Sur la littérature polynésienne
NOTE BIOGRAPHIQUE
Parcours professionnel
:
Sept. 1997 - mai 2004 : Enseignante Français tous niveaux: Wichita State University,
Kansas University, New York University
Sept.2004 - juin 2005: ‘Professor affiliate’, participation dans un projet film nouvellevague avec un groupe d’étudiants de NYU. Cours particuliers de français.
Education :
Licence de Lettres et civilisation, université Belle-Beille
Master de lettres française Kansas
d’Angers,
University, Certificat d’études françaises (sociolo-
gie/histoire) NYU. Actuellement je prépare mes oraux de doctorat pour mars 2005.
‘Awards’ : Mai 2000, ‘best graduate students in the French and Italian
department’.
française. Pour le travail éditorial
de la revue Chimères. Mai 1999: certificat d’excellence en
langue italienne.
Pour la remise en place et organisation de la Table
• Conférence : Présentation à la conférence médiévale de Tulsa en
rical frontier between heterosexualism and
1999, de « allegohomosexuality in ‘Le roman de la rose’ »
Translations of documentary films (sur Salif
Keita), dont un a été présenté à un festival de film documentaire en Italie
(‘Witness to an execution), diverses traductions
(publicités, théâtre, etc.)
Autre :
Travail de traductrice et d’aide pour la conférence des
pays autochtones/Conference
of indigeneous countries, à l’ONU en mai 2004.
‘fundraising’/collecte de fonds pour les malades du Sida (environs $900) en équipe
avec des étudiants de
NYU: NY AIDS.walk.
Membre de l’association Moruroa e tatou.
Recherche et intérêt:
® Auteurs polynésiens,
dialogue esthétique et identitaire dans les mouvements théo-
riques francophones.
37
Littérama’ohi N°8
Jean-Luc Picard
LA PAROLE DE LA NUIT
Mises en scènes de l’oralité dans deux romans
de Chantal Spitz, écrivaine ma’ohi
Qu’est-ce que l’écriture
Pour un peuple sans écriture ?
Qu'est-ce que la parole
Pour une société de l’écriture ?
Flora Devatine1
La mise en scène de l’oralité
L’histoire assez récente de l’introduction de l’écriture à Tahiti nous
permet de mesurer les bouleversements que cette technique a provoqués dans une société orale et de comprendre quelles difficultés peut
éprouver la littérature nouvelle polynésienne. Dans les oeuvres qui
paraissent, la mise en scène de l’oralité est plus qu’un motif littéraire. En
effet les écrivains doivent à la fois rendre hommage à ce qui définit
aujourd’hui encore une société authentiquement polynésienne et
essayer de faire la place à une écriture toujours soupçonnée de menacer l’identité d’un peuple.
L’écriture fut à la fois l’instrument d’une acculturation massive et
politique dont usèrent les missionnaires et les chefs du pays.
Et pourtant ce sont ces mêmes missionnaires qui, en faisant l’école en
une arme
reo
ma’ohi ou en collectant les mythes et les légendes, ont sauvé la
langue et une grande partie de la culture ancienne. L’écriture, comme la
religion chrétienne d’ailleurs, bénéficie encore aujourd’hui d’un statut
équivoque pour les tenants de l’authenticité ma’ohi puisqu’on peut l’associer à la fois à la disparition des valeurs polynésiennes et à leur sauvegarde. On comprend pourquoi écrire est toujours, en Polynésie, une
activité qu’il faut justifier.
1 Flora
38
Devatine, Tergiversations et rêveries de l’Ecriture orale, Papeete, Au Vent des Iles, 1998, p. 51.
Il fallut attendre la fin des années soixante et le début des années
soixante dix pour voir les
premiers étudiants polynésiens revenir de
leurs études en Métropole au moment où l’installation du C.E.P.2 boule-
versait la vie d’une Polynésie encore repliée sur elle-même. Après la
»3
première « vague acculturative
du contact au XVIII0 siècle, ce fut la
deuxième qui vint frapper le Territoire. La Polynésie connut un boom
économique sans précédent et sans équivalent dans la région. Les
expériences atomiques de Moruroa favorisèrent l’arrivée de nombreux
popa’a et nécessitèrent l’embauche d’ouvriers locaux. L’essor économique s’accompagna du sentiment de plus en plus fort d’être étranger
sur sa propre terre et d’être sacrifié aux intérêts d’une nation qui méprisait la culture polynésienne.
Il n’est donc pas étonnant qu’à cette époque paraissent les premiers écrits personnels qui posent la question identitaire formulée ainsi
dans Humeurs'' :
Je n’ai plus de repères
Je n’ai plus les Anciens
Pour me guider en mer
Je n’ai plus qu’à passer
Qu’à pousser ma pirogue
En faisant mon chemin.
Les premières protestations contre la pollution du fenua se firent
aussi entendre. La situation nouvelle méritait qu’on réfléchisse à des
moyens nouveaux pour se faire entendre. Henri Hiro demandait à ses
concitoyens de résister en écrivant et en pensant par eux-mêmes :
2 Centre
d’Expérimentation du Pacifique
3 Voir Alain
Babadzan, 1982 Naissance d’une tradition. Changement culturel et syncrétisme religieux
aux Iles Australes
(Polynésie française), Paris, travaux et documents de l’ORSTOM, n° 154, p. 7.
4 Vaitiare/ Flora Devatine, Humeurs,
ouvrage édité à compte d’auteur, 1980, p. 168.
39
Littérama’ohi N°8
Jean-Luc Picard
L’important est que le Polynésien prenne la parole. Et qu’il s’empaIl ne faut pas s’exprimer de
manière évangélique, catholique ou adventiste, l’individu doit pouvoir
s’exprimer seul et non à travers la vision d’un groupe.5
re
de la parole à travers l’écriture. (...)
On
comprend pourquoi la mise en scène de l’oralité dans une
oeuvre
littéraire n’est pas anodine. Elle prend sa place dans un débat
exprime un désir à première vue contradictoire, mais
en réalité complémentaire. Les auteurs de la première génération tiennent à la fois à célébrer une oralité dont ils sont issus et à la prolonger
dans une écriture qu’ils croient nécessaire.
L’oralité dont il est question dans cet article est une oralité mise en
scène par l’écriture, peut-être fort différente d’une oralité authentique
encore vif car elle
dont
que personne ne connaît plus vraiment. Cette oralité ancienne
parlent les écrivains ou les artistes polynésiens témoigne de la vision qu’ils
ont d’un passé lointain condamné par les missionnaires et
du jugement
qu’ils portent sur la société polynésienne contemporaine.
Chantal Spitz, à laquelle nous nous intéressons ici, n’échappe pas
à une double nécessité identitaire. Elle a à coeur de célébrer une oralité porteuse des valeurs d’un peuple qu’elle défend, mais elle veut
aussi
faire sa place à une écriture toujours suspecte. Elle, qui a écrit le premier roman polynésien en français, revendique maintenant avec force
une
écriture militante :
«
Notre pays et notre peuple
méritent des
textes subversifs.»6.
L’action de Ulle des rêves écrasés7 se déroule sur l’île de Huahine,
nommée dans le roman Ruahine, non loin de Tahiti, appelée Rahiti. Les
personnages principaux sont manifestement inspirés par des parents
auxquels le livre est dédié. On reconnaît même l’auteure dans le personnage de Tetiare qui déclare à la fin du roman vouloir écrire l’histoire
5 Henri
6
Hiro, Henri Hiro Message poétique, Papeete,
Tupuna Productions, 1992.
Littérama’ohi, n° 3, 2003, p. 83.
7 Chantal
40
Spitz, L’Ile des rêves écrasés, Papeete, Au Vent des Iles, 2003 ( première édition en 1991).
Dossier : Sur la littérature polynésienne
de son peuple. La seconde oeuvre de Chantal Spitz, Hombo8, moins
autobiographique apparemment, se déroule encore sur l’île de Huahine.
Ces deux romans présentent, à notre sens, une réflexion intéressanté sur l’oralité. Le premier essaie de restituer la Parole ma’ohi dans
toute sa grandeur passée. Il met en avant un personnage, Tematua9, présenté comme le modèle de l’orateur polynésien, une sorte d’orero hors
pair. Mais Tematua meurt et, avec lui, disparaissent les grands discours
solennels. Le second roman revient aussi sur la disparition des “parleurs
de paroles” mais c’est surtout la transmission du savoir qui fait problème.
Le héros du roman, Yves, surnommé Ehu10, est élevé par ses grandsparents qui s’efforcent de remplacer des parents partis travailler sur la
grande île voisine. Le petit-fils n’a plus de repères. Il erre sans attaches,
tel un hombo", privé d’une relation profonde à une terre et à une Parole
traditionnelle qui permettaient jusqu’alors aux Ma’ohi de se définir.
Ces deux romans présentent la Parole ma’ohi en la situant dans une
histoire qu’on peut découper en trois phases : la phase ancienne d’avant
le contact avec les Européens, la phase traditionnelle qui a suivi et qui est
celle de la colonisation, et la phase moderne qui débute, dans les années
soixante, avec l’installation du C.E.P.12 Le premier roman fait référence à
la Parole ancienne d’avant le contact et à la Parole traditionnelle qui a
suivi. Le second roman, même s’il se réfère parfois à la Parole ancienne,
s’intéresse plutôt à la Parole moderne. Les deux chocs acculturatifs,celui
8 Chantal
9
Spitz, Hombo. Transcription d’une biographie, Papeete, Editions Te Ite, 2002.
Matua, adj 1°) Vigoureux, fort, violent. 2°) Dur, fixé, habitué, de longue durée, chronique.
10 « || devient Ehu du nom de cette couleur
particulière qui depuis toujours et sans qu’on sache
pourquoi dore certains êtres et pare leur chevelure de fils du soleil. Son prénom étranger ne lui
sera jamais reconnu par Mahine chef de la famille et ne sera jamais prononcé avent son entrée à
l’école. » (Spitz, 2002 :18). Il est intéressant de remarquer que ce prénom Ehu renvoie bien sûr
comme l'indique l'auteur à la couleur blonde ou rousse des cheveux, mais peut être saisi comme
une allusion à la généalogie des dieux polynésiens rapportée parTeuira Henry (1997 :368). Dans
cette généalogie, apparaissent successivement les dieux du feu. D'abord la blonde Pere, la déesse du feu dans la terre, puis un enfant blond, Tam-ehu. Mais Ehu signifie aussi, dans une autre
entrée du dictionnaire de l’Académie tahitienne, « dévasté ».
11« Hombo » vient de l’anglais « hobo », clochard.
12 Nous suivons le
découpage proposé par Alain Babadzan, ouvrage déjà cité, pp. 7-10.
41
Littérama’ohi N°8
Jean-Luc Picard
du contact et celui de l’arrivée du C.E.P. ont modifié profondément la
forme de la Parole et le rapport des individus à l’oralité.
Ces deux romans lient en outre, de façon explicite, la Parole à la terre
dans laquelle le peuple ma’ohi enterre encore le placenta des nouveau-
nés13. Il n’est pas étonnant que la plupart des discours du premier roman
aient lieu lors de ce rite. Mais ils disparaissent quand la terre de Ruahine
est prise pour installer une base de missiles nucléaires. Finit aussi, avec
le
vol de la terre et l’extinction de la Parole, le grand rêve de fusion d’une
société qui acceptait jusque là sans problème le métissage. Le second
reprend le thème de la fin de la Parole mais d’une manière peut-être
plus pathétique encore puisque le personnage principal, Ehu, n’a plus de
langue pour s’exprimer. Privé de son nom ma’ohi et de sa terre, il est privé
aussi d’une relation vraie à la Parole traditionnelle. Lécole, en lui imposant
l’écrit et le français, l’a chassé de sa culture. Engagé par désespoir dans
l’armée, il quittera son île sans pouvoir murmurer une seule prière.
roman
La célébration de la Parole ancienne
L’hommage à la Parole ancienne ma’ohi, celle d'avant le contact,
passe naturellement par la citation de textes puisés dans une oraliture14
dont la source essentielle est l’œuvre de Teuira Henry, Tahiti aux temps
anciens'5. Cette somme, pourtant sujette à critique en raison des préju-
gés du missionnaire et de sa petite-fille16, reste indispensable non seulement aux écrivains mais à tous les artistes et intellectuels ma’ohi désireux de présenter ce que leur culture a de plus authentique.
13 Voir Bruno
Saura, « Le placenta en Polynésie française : un choix.de santé publique confronté à des questions identitaires », Sciences Sociales et Santé, 182 bd de La Viliette, Paris, Voi. 18,
septembre, 2000, pp. 5-28.
14 « Le terme d'oraliture
désigne toute forme scripturalisée relevant de l’oral. » Winston Pukoki
(1994 : 2). Patrick Chamoiseau, par exemple, utilise fréquemment le terme (1994).
13 Teuira
Henry, Tahiti aux temps anciens, Paris, Publications de la société des Océanistes,
Musée de l’Homme, 1997 (première édition, Honolulu, 1928). Le pasteur Orsmond a commencé
n° 1,
son
enquête dès 1817, lors de son arrivée à Tahiti.
13 Et aussi de
42
quelques erreurs de traduction.
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Llle des rêves écrasés s’ouvre sur le deuxième récit de création rapporté parTeuira Henry : « I Noho maoro na o Taraoa /1 roto i to na ra àpu... »17
Comme si elle voulait en accentuer l’authenticité, Chantal Spitz cite le
mythe dans sa langue d’origine sans en donner ni la traduction ni la référence. Ta’aroa, le dieu principal, las de tourner dans sa coquille, au milieu
de l’espace infini et de l’obscurité permanente, te po, fabrique le monde.
Mais de façon inattendue pour un lecteur occidental, Chantal Spitz fait
suivre ce récit ancien ma’ohi d’un récit devenu maintenant traditionnel pour
les Polynésiens d’aujourd’hui, celui de la Genèse : «
Lorsque Dieu corn-
mença la création du ciel et de la terre, la terre était déserte et vide, et la
ténèbre à la surface de l’abîme. » Dans les deux récits, le monde sort de
l’obscurité originelle, te po, et va vers la lumière du jour, te ao.
Cette double référence textuelle montre non seulement que la culture chrétienne est considérée aujourd’hui comme une part de la cultu-
polynésienne authentique18, mais aussi que le texte ma’ohi, rejeté par
les missionnaires dans les ténèbres de l’ignorance, ne le cède en rien,
re
pour sa valeur littéraire, au texte biblique.
Le deuxième emprunt évident de Chantal Spitz à Tahiti aux temps
concerne la prophétie de Vaità19 (Henry, 1997 : 16-17). A
Opoa20, sur le marae « international » de Taputapuatea, lors « d’une
des dernières réunions du Hau-pahu-nui pour l’adoration des idoles »,
un fait surprenant se produit : une bourrasque enlève le sommet d’un
tamanu, arbre pourtant résistant, et le dépouille de ses feuilles. Tous sont
angoissés. Mais aussitôt un prêtre inspiré, Vaità, interprète le prodige :
anciens
^ La
parenté du texte ma’ohi et du texte biblique n’avait pas échappé au pasteur Orsmond qui
Par endroits, ce chant rappelle tantôt les
Ecritures, tantôt les croyances hindoues. ».
écrivait en note du premier récit de création : «
19Teuira Henry, ouvrage cité, pp. 16-17. Ce récit a été fait par deux prêtres de Bora Bora, en 1823,
soit 56 ans après l'arrivée de Wallis ! A propos de la prophétie de Vaita et des prophéties en général voir les articles de H.A.H. Driessen ( «
Personnages nimbés de gloire et pirogues sans balan-
ciers. Prophéties d’avant les contacts dans les îles de la Société », Bulletin de la Société des
Etudes Océaniennes, Papeete, N° 226, t. XIX, n° 3, mars. 1984, pp. 1481-1511) et de Bruno Saura
(« Naissance d’une pensée millénariste ethnique et développement du nationalisme à Tahiti »,
Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes, n° 295, déc. 2002 - janvier 2003, pp. 20-22).
20
Opoa
,
au sud de l’île de Raiatea, face à la passe sacrée de Te Ava Moa.
43
Littérama’ohi N°8
Jean-Luc Picard
Ils arriveront sur un bateau sans balancier, ces enfants, branches nées
du même tronc, qui nous a donné la vie. Leur corps sera différent du nôtre,
mais ils seront nos frères, pousses du tronc unique. Ils s’approprieront
renversant l’ordre que nous avons établi, et les oiseaux
sacrés de la mer et de la terre viendront se lamenter.21
notre Terre,
Le roman de Chantal Spitz se donne comme l’illustration parfaite
de cette
prophétie qui rappelle aux
Polynésiens le crédit qu’il faut
accorder à la Parole. La famille d’Emere et de Tematua vivait heureuse
à Ruahine jusqu’au vol de sa terre. L’installation de la base de missiles
confirme la lucidité des propos de Vaità : « La prédiction alors s’est
entièrement réalisée. Ils se sont approprié notre Terre, renversant
l’ordre que nous avions établi et, depuis, un visage blanc se tient debout
dans notre monde effiloché. »22
dans Hombo, le troisième emprunt manifeste de
Tahiti aux temps anciens. La nuit, le grand-père fait,
pour son petit-fils émerveillé, ce qu’il n’a pas fait pour son fils. Il essaie
de l’attacher à sa terre et à son passé en lui racontant des légendes :
On trouve,
Chantal Spitz à
La parole de la nuit, elle, est subtile aiguë gracieuse voluptueuse.
Paroles de légendes paroles d’histoire paroles de vie. Parole transformée par celui qui la parle par celui qui la reçoit par celui qui la re-parle
chacun la fécondant de sa vie propre. Ces paroles qu’autrefois Mahine
dans son in-conscience n’a pas parlées à Maurai et que désormais il
parle à Ehu dans la solitude de l’urgence et le silence de l’obscurité.23
La puissance du verbe de Mahine lie le monde des vivants d’aujour-
d’hui
au
monde ancien et nocturne qu’elle
ressuscite. Le grand-père
raconte des légendes de Huahine, celle de la naissance de l’île qui surgit
21 Chantal
22
Spitz, L’Ile des rêves écrasés, p. 20.
Spitz, op.cit., p. 26.
23 Chantal
44
Spitz, Hombo, p. 41.
Dossier : Sur la littérature polynésienne
de la mer, celle de la fille du roi de Raiatea envoyée à Huahine dans un
grand tambour pour y trouver un mari et celle de Paheroo aux grandes
oreilles qui fait rire les femmes de Maeva24.
Dans Hombo, cette Parole venue du passé, ou de la Nuit lointaine,
même si elle s’insère encore majestueusement dans le texte romanesque sous forme de chants versifiés, est présentée comme tardive.
Mahine ne pourra racheter par ses paroles la faute qu’il a commise en
n’instruisant pas son fils. Le lien s’est brisé entre Ehu, son petit-fils, et
sa terre. La Parole n’a plus son pouvoir d’antan. Le rythme des phrases,
les images véhiculées, la magie des lieux lui donnent encore sa beauté mais elle a perdu son pouvoir originel d’attacher les hommes à leur
terre et à un passé que les Polynésiens désignent encore par le mot po.
Ehu, séduit un instant par la magie du verbe, quittera pourtant son île.
En vain Mahine a essayé de lui faire connaître sa culture, en vain il a fait
pour lui ce que les habitants de l’île ont fait, avec succès cette fois, pour
l’archéologue japonais25 :
Ils avaient ranimé les généalogies
qui accueillent l’homme dans
l’ordre du monde et lui accordent l’alliance avec les ancêtres l’appartenance à la famille le droit à le terre. Les
paripari qui déclinent l’identité de
la terre commune et permettent à chacun de revendiquer son groupe
d’origine son appartenance au village et à la communauté. Les légendes
qui ordonnent l’espace en situant avec une consciencieuse fidélité le lieu
des événements dont elles témoignent. Ces généalogies paripari
légendes que les danseurs de mémoires garants de la perpétuité apprenaient pour les transmettre portant ainsi le temps à travers le temps.26
24 t.
Henry, op. cit., pp. 107-109.
25
Samoto, l'archéologue de Hombo, est évidemment la transposition littéraire de l’archéologue
japonais bien réel, Yosihiko H. Sinoto, du Bishop Museum (Hawaï) qui a fouillé à Huahine (Sinoto,
2001 : 5-36). il serait intéressant, dans une étude future, de montrer l'importance du personnage
de l'archéologue dans la littérature émergente polynésienne, et plus largement océanienne, et de
faire le parallèle avec le personnage de l’écrivain.
2®
Hombo, p. 30.
45
Littérama’ohi N°8
Jean-Luc Picard
L’hommage que rend Chantal Spitz à la Parole ancienne est un
hommage bien nostalgique. La plus belle présentation qu’elle en fait
dans Ulle des rêves écrasés se situe au moment de la mort de Tematua,
quand le mourant ressuscite une dernière fois une Parole publique qui
avait pour vocation de fédérer le groupe autour de valeurs communes.
L’écrivaine soigne le cadre énonciatif : le discours a lieu sur la « pointe lointaine », près de la mer éclairée par la lune. Tous sont attentifs, les
animaux, les dieux, et « les fils de Ruahine » assis sur leurs pe’ue. La
scène réalise, pour la première et dernière fois, le rêve orphique27 et
mythique d’une Parole souveraine qui avait le pouvoir d’envoûter toutes
les créatures :
Les oiseaux ont rangé leurs plumes multicolores au bord de leurs
ailes. Les
poissons ont lissé leurs écailles brillantes sous leurs
nageoires. Même les dieux dans les deux ont suspendu le destin des
hommes dans l’attente de la musique des paroles. (...)
L’instant est magique.
Monte alors la voix profonde de Tematua. Voix de la Terre éternelle. Voix des Pères immortels. Venue du fond de la nuit qui a traversé l’espace du temps des hommes. Porteuse de vie et d’amour. Echo de
lumière. Echo de toujours. Chant d’amour et de douleur. Chant de mon
Peuple. Chant de ma Terre. Chant de Ruahine.28
Cette voix magique va répéter la prophétie de Vaità, rappeler le
désir qui a rendu fous les hommes et les femmes lors de l’arrivée des
étrangers. Elle va montrer aussi à quel point les lois rigides et prudes
des missionnaires ont contraint les ma’ohi. Cette voix enfin dit
sa
confiance dans un monde nouveau et plus heureux. Ce dernier discours
de l’orateur tire son pouvoir de persuasion du mélange des registres.
27
Orphée avait la faculté d’apprivoiser les bêtes féroces. Par la douceur de sa voix, il sut calmer
les flots agités, surpasser la séduction des Sirènes et endormir le dragon de Colchide, lors de
l’expédition des Argonautes.
L’Ile des rêves écrasés, pp. 19-20.
46
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Tematua est tour à tour
poète pour chanter la femme ou l’homme
ma’ohi, ironique pour évoquer la sexualité des missionnaires, et coléreux pour reprocher à son peuple son manque de combativité.
Tematua-Orphée peut mourir après avoir fait briller une dernière
fois la Parole ma’ohi dans l’obscurité de la nuit. Son discours est à la
fois la dernière manifestation d’une Parole ancienne publique et le premier moment d’une Parole nouvelle. La romancière conclut la scène en
reprenant les mots de Vaità : « Quand les fils de Ruahine portèrent
Tematua en terre, les larmes de Taaroa se déversèrent sur le monde,
déluge de douleur infinie. Les oiseaux sacrés de la mer et de la terre
replièrent leurs ailes pour se lamenter. »29
La Parole de Tematua, évocatrice des textes anciens et modèle de
la Parole traditionnelle, s’efface à jamais. Ses enfants ne seront pas des
orateurs : ils choisiront l’écriture pour défendre leur peuple.
La Parole traditionnelle
Malgré sa disparition progressive à la suite du premier choc acculturatif, celui du contact avec les Européens, la Parole ancienne survit,
dans la bouche des personnages du premier roman, sous une forme
que Chantal Spitz veut traditionnelle. Les discours qu’elle met en scène
sont marqués par un style particulier, par une écriture qui veut conserver la
puissance de l’oralité30. Mais curieusement, les orateurs du premier roman, Maevarua et Tematua par exemple, maîtrisent une Parole
solennelle qui s’adresse à très peu de monde. La Parole traditionnelle,
celle de la période coloniale, est, malgré les ressemblances stylistiques,
fort différente de la Parole ancienne publique qu’elle remplace. Elle s’en
démarque par trois traits qui en font sa nouveauté : elle est solitaire,
improvisée et lyrique. L’orateur parle le plus souvent dans la solitude
2® L'Ile des rêves
écrasés, p. 30.
30 Voir Alain Babadzan sur la transformation de l’oral dans son
l'écrit
les
puta tupuna » de Rurutu
XXXV, 65, décembre 1979, p. 227).
:
«
»,
passage à l’écrit ( « De l’oral à
Journal de la Société des Océanistes, Paris, Tome
47
Littérama’ohi N°8
Jean-Luc Picard
splendide d’un lieu choisi et il ne récite pas un texte qu’il a mémorisé
car il invente, sous le coup d’une émotion, un discours chargé de transmettre ses sentiments personnels. La solitude présentée comme une
valeur positive31, l’improvisation qui supprime tout travail de mémoire et
l’expression de l’individu dans son originalité montrent bien la fin de la
civilisation et de l’oralité anciennes.
Si la Parole mise en scène dans cette deuxième phase historique
perd son rôle social, elle conserve cependant son lustre, d’où l’importance accordée au style et aux conditions d’énonciation. Mais les dis-
par les personnages, la plupart du temps dans une solitude totale, ne sont pas pour autant de simples discours d’ornement car
cours tenus
pouvoir de fascination de certains rites qu'ils
accompagnent encore et explicitent.
A la naissance de son fils Tematua (La Vigueur), Maevarua
ils tirent souvent leur
(Accueilli Deux Fois) choisit un prénom qui inscrit l’enfant dans la
généalogie familiale32. Il enterre ensuite, selon la tradition, le placenta de
l’enfant, le pufenua33 (Spitz, 2003 : 33) : « Il ouvre le ventre de la terre
nourricière, y dépose délicatement le placenta sur lequel il place un
jeune tumu Uru, puis remet la terre en place. Le placenta a nourri
Tematua en Teuira, le tumu Uru le nourrira en sa vie d’homme. »
Après avoir ainsi attribué une place au nouveau-né dans l’histoire
de sa famille et dans sa terre, le père demande la protection des dieux.
Sa prière s’adresse d’abord aux dieux de l’ancien ordre :
Esprits bienfaisant du marae
Vous qui avez toujours protégé nos Pères
Et qui aujourd’hui veillez sur nous
Je vous confie la vie de mon fils.
»
Le groupe, pupu, était dans la Polynésie ancienne, et est encore de nos jours, une valeur
de référence.
32 «
Maeavarua, Accueilli Deux Fois, son père, a choisi son prénom dans la longue généalogie de sa famille, car nul ne peut porter un nom qui n'appartient à ses Pères. », L’Ile des
rêves écrasés, pp. 31-32.
33 Chantal
48
Spitz n’emploie pas ce mot et lui préfère celui de p/'fo qui désigne le cordon ombilical.
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Mais elle s’achève par ces mots très chrétiens :
«
Aidez-moi à le conduire dans votre lumière
Sur le chemin de sa vie d’homme
Et si je faiblis pardonnez-moi.34»
Maevarua termine le rituel traditionnel par un Notre Père, montrant
bien l’influence chrétienne
sur
les discours ma’ohi anciens. Chantal
Spitz souligne ainsi l’acculturation et le syncrétisme de cette période :
« Tematua bénéficie maintenant d’une double protection, celle de l’ancien ordre et celle du nouveau monde. Maevarua est en paix avec luimême. »
La Parole traditionnelle, issue de l’oralité ancienne mais contaminée
par le discours chrétien, est encore liée au geste rituel. Elle en souligne
la nécessité et la symbolique, mais elle n’est plus faite de formules
apprises comme il était de règle. Elle paraît renaître à chaque énonciation, portée par la beauté légendaire des lieux qui sont souvent les
anciens marae témoins d’une oralité disparue à laquelle elle veut se référer. Maevarua implore les dieux sur la pointe Toèrauroa, là où se dresse
Manunu, le marae de l’ancien ordre. Le paysage choisi n’est pas seulement un écrin. Les noms mentionnés lient les lieux et la Parole qui s’y
tient à des légendes et à des mythes de l’ancienne oralité. La surcharge
symbolique et les liens intertextuels sont d’autant plus nécessaires que
les discours de Maevarua ou de Tematua sont privés de l’auditoire qui
justifiait, avant l’arrivée des Européens, l’existence de la Parole.
Par trois fois, Tematua enterrera le placenta de ses enfants et par
trois fois il prononcera des paroles nouvelles qui accompagnent le rite.
Il ira, de nuit, seul devant l’océan, enterrer le p/'fo de Terii et confier ses
craintes à propos de l’avenir de cet enfant petit-fils d’Anglais. Tematua
répétera encore le rite de l’enterrement du placenta lors de la naissance
34 /.v/e des rêves
écrasés, p. 32.
49
Littérama’ohi N°8
Jean-Luc Picard
d’Eritapeta, née au milieu de la nuit, mais cette fois il prendra dans ses
bras le bébé pour se rendre sur la plage. Enfin, à la naissance de son troisième enfant, une petite fille du nom de Tetiare, Tematua renouvellera une
dernière fois le geste rituel accompagné de la déclamation habituelle.
Il prend, le soir, dans ses bras, celle qui lui ressemble tant, et qui
représente l’auteure dans l’œuvre (2003 : 80) :
Il l’emporte avec lui et lui parle avant même de l’unir à sa Terre,
l'unissant à lui par ses paroles. Il mêle à son placenta un ôra35 aux mul-
tiples significations et ramifications.
Tetiare, fille de mon corps
Je t’attendais avec patience
Te voici comme annoncée par Tetiare
L’ancienne qui t’a donné son nom.36
Les gestes du rite et la Parole ont encore un pouvoir d’enracinement. La Parole
traditionnelle, si elle n’a plus sa vocation publique,
garde le pouvoir de faire participer le nouveau-né à une histoire, de lui
donner une terre et de l’insérer dans un tissu de textes anciens.
Ce premier roman de Chantal Spitz qui semblait vouloir faire l’élo-
ge de la Parole ancienne montre en fait l’émergence d’une Parole diffé-
n’est plus destinée à l’assemblée des marae. Cette Parole,
plus intime, permet avant tout aux personnages du roman d’exprimer
rente qui
leurs sentiments.
Quand Tematua « fait naître Emere à sa vie de femme », l’importance du moment est soulignée par un chant spontané. L’amant est «
parolier comme tous ceux de son peuple », donc capable de tirer, du
plus profond de ses entrailles, des paroles d’amour plus proches de la
poésie d’aujourd’hui que de l’ancienne rhétorique polynésienne :
Un banyan.
36 uie des rêves
50
écrasés, p. 80.,
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Mon corps garde l’empreinte de toi
Premières heures partagées
Sous le ciel parsemé de bouquets d’étoiles
Sur la plage baignée de l’éclat de la lune.37
Il faut noter aussi, autre innovation majeure, que cette Parole nou-
velle n’est plus le privilège des hommes. Les femmes, interdites sur les
de l’ancienne société, expriment, dans ce roman, leurs sentiments par des discours tout aussi solennels. Comme l’a fait son mari,
marae
au
moment où son fils Tematua part pour la guerre, Teuira tient aussi à
exprimer son amour sous la forme d’un chant :
O Tematua mon fils,
J’attendrai jour après nuit
Le bateau qui apparaîtra à l’aube
Pour me rendre mon enfant,
Sang de ma chair, chair de mon sang.38
Tematua retrouvera plus tard, dans son paquetage, un cylindre de
bambou dans lequel sa mère a mis un peu de la terre de l’île.
Et Toofa qui a accepté de laisser à sa fille Emily/Emere un nom
double, symbole de son appartenance aux monde anglais de son père
et au monde polynésien de sa mère, exprime elle aussi spontanément
par une déclamation. Enfin Emily/Emere ne le cède en rien
à Tematua, son mari. Comme lui, elle est capable d’improviser, parce
son amour
qu’elle est aussi « parolière comme tous ceux de son peuple ».
Ce que la Parole ancienne a perdu en efficacité sociale, la Parole
nouvelle, maîtrisée par les hommes ou les femmes, l’a gagné en puissance
lyrique.
37 Ulle des rêves
écrasés, p. 69.
Ulle des rêves écrasés, p. 43.
51
Littérama’ohi N°8
Jean-Luc Picard
La fin des parleurs de paroles
Le second roman, Hombo, reviendra avec force, comme en écho à
la scène de la mort de Tematua dans le premier roman, sur le thème de
la fin de la Parole. La Parole traditionnelle, comme la Parole ancienne,
est condamnée. Dans l’ultime espoir de «
planter» la mémoire collectijeune esprit d’Ehu, le vieux Mahine l’emmène chez
Toerauroa (Long Vent du Nord) qui vit à l’écart du village, un des derniers « parleurs de paroles » de l’île. Cette visite, loin d’avoir les effets
escomptés, souligne la marginalisation du vieil homme. Pourtant, tout,
chez lui, évoque encore le temps passé et les vieilles manières. Sa maison traditionnelle est construite sur
pilotis, au bord de la mer. Il accueille
ses hôtes par un chant de bienvenue et on se frotte les
pieds, avant
d’entrer, avec une branche d’aito.
Mais Chantal Spitz avertit son lecteur : « Toute sa personne grince sa résistance dérisoire à force de solitude mais
qui continue de
déranger les autres quand il apparaît, muet reproche qu’ils aimeraient
oublier définitivement. »39 Toerauroa n’est plus qu’un original dérangéant. Ses paroles ne seront que des aveux d’impuissance :
ve
dans le
J’ai essayé les paroles de notre histoire. Les paroles qui parlent la
mémoire mais surtout les souffrances. Peut-être la résistance. J’ai
essayé vous avez voulu la parole de l’Autre. J'ai parlé les hommes
blancs sur leurs navires de guerre notre peuple a éclaté sous leurs
armes notre terre confisquée nos
guerriers déportés. (...) J’ai essayé
les paroles mon fils j’ai essayé.40
Le français du vieil homme garde la trace des désillusions et des
langues qui se contrarient. Il ne laisse rien espérer à Mahine qui veut
“réconcilier les mémoires” : « Tu as déserté le monde et tu voudrais que
39
Hombo, p. 33.
40
Hombo, p. 36.
52
Dossier : Sur la littérature polynésienne
mes paroles te le rendent. Il est
trop tard mon fils bien trop tard. »41 Le
jeune Ehu ne comprend rien au drame qui se joue. Il ne gardera des
paroles entendues chez le vieillard qu’un vague souvenir quand il quittera son île. La parole est liée si intimement à la terre qu’elle se dérobe
au moment où les Ma’ohi perdent leurs terres. La
langue ma’ohi disparaît aussi, ultime « oubli » d’un peuple qui perd son identité : « Quand
nous parlerons la langue de
l’étranger au lieu de parler notre langue
quand nous ferons les gestes de l’étranger au lieu de faire nos gestes
alors nous serons étrangers comme l’étranger. Nous ne serons
plus. »42
Chantal Spitz a choisi d’écrire ce deuxième roman, plus désespéré,
dans un français moins académique qui traduise la difficulté éprouvée
dans les rapport à la langue. La ponctuation et la syntaxe traduisent la
difficulté de parler la langue de l’Autre tout en essayant de fabriquer la
sienne. L’auteure crée une sorte d’interlangue qui garde dans son
fran-
çais de base le rythme de l’oral et la trace de la langue ma’ohi.
Quelle place reste-t-il aujourd’hui à la Parole venue de l’obscurité
lointaine après l’aveu d’impuissance
de Toerauroa ?
La Parole discrète
Après la Parole ancienne mythique et la Parole traditionnelle plus
intime, le second roman présente un troisième type de Parole qui s’ajuste à la
période de l’après-C.E.P Apparemment plus moderne, cette
Parole n’a plus l’ampleur de celles qui précèdent. Elle semble se réduite à sa plus simple expression dans une société technologique qui n’a
plus de respect pour la rhétorique. C’est la Parole des tuaroi et de l’école du dimanche qu’aime bien Ehu, mais c’est surtout la Parole du quotidien laborieux, celle qui accompagne depuis toujours les gestes fondamentaux, derniers garants de l’identité polynésienne.
41
42
Hombo, p. 36.
Hombo, p. 37.
53
Littérama’ohi N°8
Jean-Luc Picard
La Parole, qui était encore l’égale du geste dans les rites du premier roman, lui est subordonnée dans Hombo. Quand il faut apprendre
à pêcher le poisson, à cultiver le manioc ou à marier la vanille, la transmission du savoir se fait, depuis les origines, par l’observation et l’imitation silencieuses. Ehu goûte des instants de bonheur inégalés à obser-
grands-parents dans leurs tâches quotidiennes.
Spitz nous amène peut-être ainsi à reconsidérer la place
excessive qu’on accorde aujourd’hui à la Parole solennelle, ancienne ou
traditionnelle, nous rappelant que la civilisation orale ma’ohi d’avant le
contact faisait une place importante à une parole plus humble que l’oraliture n’a pas conservée. Le geste, dans une population rurale, est primordial : il rythme la vie quotidienne tout en assurant la transmission
d’un savoir traditionnel que viendra concurrencer le savoir nouveau et
bavard apporté par l’école.
La Parole, devenue plus discrète dans ce deuxième roman, se met
au service des apprentissages :
ver
et à imiter ses
Chantal
L’apprentissage est silencieux. Les gestes cheminent d’un corps à
l’autre tranquille mélodie des gens simples. La parole, sereine remise
ordre, jamais ne trouble l’harmonie de la transmission. Elle l’accom-
en
pagne discrètement. Quand les gestes ont été observés exercés appro-
priés. La parole des gestes est solide précise sobre réfléchie.43
Le geste, qui rythme la vie quotidienne, peut aussi faire danser les
corps et procurer des sensations égales à celles éprouvées lors des
récits nocturnes. L’habileté à produire et à reproduire, ainsi que la
danse, permettent encore au génie ma’ohi de se manifester autrement
que par les discours solennels.
Hombo, p. 41.
54
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Une histoire de la Parole
Chantal
Spitz nous montre l’effacement progressif d’une Parole
majestueuse dont elle commence par faire l’éloge. La Parole mythique
ancienne est remplacée peu à peu par une Parole traditionnelle plus
intime. Mais les « parleurs de paroles » finissent eux aussi par disparaître et la mise en scène littéraire se termine sur un hommage à une
Parole plus humble, et peut-être plus fondamentale.
Ces deux romans esquissent d’une certaine façon une histoire de la
Parole et de l'orateur. L’orateur ancien est un personnage public dont la
mémoire stupéfiante conserve le savoir nécessaire au fonctionnement
de la société. Récitant anonyme de légendes, de mythes ou de généalogies, il s’efface derrière son texte. Mais, quand la communauté commence à se désagréger sous les coups de boutoir d’une économie conquérante, apparaît un nouveau type d’orateur dont le discours vaut avant
tout pour ses qualités lyriques. Sans rôle social précis, il exprime, de
façon spontanée, ses sentiments dans une solitude poétique. Ses dons
d’improvisation, et non plus de mémorisation, deviennent la preuve de
son appartenance au peuple ma’ohi. Enfin, dernier avatar du rôle dans
une société en manque de repères, l’orateur moderne n’est plus qu’un
original dérangeant qui vit aux marges de la communauté. Ses paroles,
sans utilité sociale, ne peuvent dire que l’échec et annoncer le malheur.
Parole de la nuit mythique, Parole des nuits poétiques sur l’île,
Parole joyeuse des réunions bibliques nocturnes, mais aussi Parole
plus discrète qui accompagne les apprentissages fondamentaux,
Chantal Spitz charge toutes ces Paroles sur sa pirogue et les sauve de
l’oubli en leur faisant emprunter la passe de l’écriture :
Tu marches aujourd’hui sur le chemin
Tracé au coeur du temps par nos anciens
Ceux qui ont fait notre terre
Une terre d’amour et d’espérance.44
44 Ulle des rêves
écrasés, p. 80.,
55
Littérama’ohi N°8
Jean-Luc Picard
Ecrire n’est plus trahir. Ecrire, c’est, au sens littéral de l’expression,
prendre la Parole, relayer une Parole ancienne. La littérature polynésienne, qu’aucun éditeur métropolitain n’a encore publiée, entend s’inscrire dans la tradition orale et la continuer à sa manière.
Les femmes, exclues de
l’oralité première et interdites sur les
marae, s’emparent aujourd’hui, grâce à l’écriture, d’un pouvoir de nommer délaissé
par les hommes. Chantal Spitz a compris que la société
polynésienne souffre de repères flous et de nominations hasardeuses,
comme son hombo souffre de son baptême raté ou Emily/Emere de son
nom double. Elle essaie, elle aussi, d’arrêter, par ses écrits, la dérive
des êtres et des choses.
Mettre en scène l’oralité dans un pays où l’oralité fait figure de trait
identitaire, c’est, bien sûr, pour un écrivain polynésien payer son écot à
une tradition
qui marque encore les esprits, mais c’est aussi une maniéde faire place à une littérature qui saura reprendre la lutte où l’ont
laissée les aînés.
re
56
Dossier : Sur la littérature polynésienne
NOTE BIOGRAPHIQUE
Je me suis d’abord intéressé à la littérature antillaise et je peux même dire que
c’est elle qui m’a conduit, parce que je m’intéressais aux problèmes de nomination dans
les romans, vers la littérature polynésienne sur laquelle je travaille aujourd’hui comme
doctorant à l’université de Metz. Après un DEA Imago Mundi commencé à l’UPF et terminé à la Sorbonne sous la direction de Serge Dunis, j’ai publié un article, «
se
Nommer,
nommer, être nommé », dans un ouvrage paru, en 2003, aux Editions Haere Po,
Eloge du métissage. Mythes et réalités en Polynésie II.
Quand je dis que c’est la littérature antillaise qui m’a conduit vers la littérature polynésienne, c’est en partie vrai. Mon expérience comme professeur au collège de Faa’a
(1998-2002), aujourd’hui appelé Henri Hiro, et mes fonctions de conseiller pédagogique
à la DES furent aussi déterminantes. Je garde un souvenir encore vif, et ému, des travaux d’écriture menés avec mes élèves.
J’espère qu’on peut en trouver encore
quelques traces sur le site Itereva (http://www.itereva.pf/). Il vous suffit de choisir «
Disciplines », puis d’aller sur « Lettres » et, enfin, dans la rubrique « Pages d’écritures polynésiennes », cliquez sur « Les élèves par eux-mêmes ».
Et pourquoi passer sous silence, les conversations avec Flora, Jean-Marius ou
Serge. Eux aussi ont contribué à orienter mes recherches.
C’est en lisant les oeuvres publiées, en faisant écrire et en écrivant qu’on fera
vivre la littérature polynésienne. Enseignants, mes amis, il y a encore du travail !
Jean-Luc Picard
57
Littérama’ohi N°8
Violaine Piens
LE JEU DE L’ÉCRITURE
ETUDE SURTI-TI-RI DE FLORA DEVATINE
L’étude du poème de Flora Devatine, «
Ti-ti-ri », a été abordée par
professeur de Français au LU.T. d’Uturoa, avec des
élèves de première L, dans l’idée d’intégrer la littérature polynésienne
au programme du baccalauréat. Le texte a été présenté au sein d’un
corpus poétique centré sur la fonction du poète.
Violaine Piens,
À partir des textes suivants :
Autrefois », Les Contemplations, 15 juin 1839.
Ualbatros », Les Fleurs du mal, 1857.
Arthur Rimbaud, « Le Bateau ivre », Poésies, 1870-1871.
Paul Verlaine, Sagesse, III, 7, 1880.
Flora Devatine, « Ti-ti-ri », Tergiversations et rêveries de
A - Victor Hugo, «
B - Charles Baudelaire, «
CD E
-
l’écriture orale, 1998.
Deux questions ont été posées :
Comparez les visions du poète, du bateau et de la mer, dans les
documents A et C.
Quelle est la fonction attribuée au poète dans chacun des documents du corpus
Afin de
?
préparer le commentaire littéraire du texte de Flora
Devatine.
Le poème traite à première lecture du thème commun aux textes
du corpus, la mer et le voyage, mais il frappe par l’originalité de sa
forme. Nous nous demanderons si cette structure éclatée n’obéit à
aucun fii
directeur, puis nous analyserons le sens des jeux de langage,
et nous nous interrogerons enfin sur les enjeux du jeu de l’écriture pour
Flora Devatine.
58
L’apparence d’une forme éclatée, très originale, qui révèle un fil directeur narratif
Le thème du poème repose sur le topos commun aux textes du corpus mais frappe par l'originalité de sa forme qui, au delà de son apparence
éclatée, révèle un fil directeur narratif.
Dans la filiation des poèmes du corpus, « Ti-ti-ri » s’inscrit dans le
topos de la mer et du voyage. Le lexique du poème est constitué des
champs lexicaux traditionnels, mais du fait .de la nationalité tahitienne
de l’auteur, ce lexique a une connotation polysémique sur laquelle joue
constamment Flora Devatine, Il renvoie à la fois aux récits de voyages
européens du XVIIIème siècle et à la réalité du cadre de vie de l’auteur,
inversant ainsi le lieu attendu de l’exotisme
: la « mer »,
le « corail », et
l’« îlot sacré » évoquant un cadre réaliste, pittoresque.
Cependant, si le thème peut s’apparenter au cliché, « Ti-ti-ri » surprend surtout par l’originalité de sa forme
À première lecture, le poème semble n’obéir à aucune règle.
Illustrant le sens du titre, « Ti-ti-ri », les mots donnent l’impression d’être
jetés, « balancés » « en vrac », sur la page, tels les « galets » sur la
« plage ».
On observe l’irrégularité des strophes et des vers : de un à six vers
par strophe, de une (vers 34) à vingt syllabes (vers 5) par vers. Les
strophes brèves et séparées par des blancs donnent une apparence
morcelée au texte ; aucun schéma de rimes ne peut être identifié.
L’ensemble fait penser à une écriture spontanée, sous le signe de la
liberté, dont le principe consisterait à s’affranchir des règles occidentaies de la versification. Elle rejoint en cela le modernisme des vers
libres. Mais la composition n’obéit-elle à aucun fil directeur ?
En fait, le lecteur peut déceler un fil directeur narratif, et tenter l’hypothèse d’une reconstitution imagée de l’expérience de l’auteur parallèle à l’histoire de Tahiti, selon des étapes précises. Des vers 1 à 3, la première strophe constitue l’introduction, l’entrée du poème, contenant les
mots-clés, énumérés, qui seront repris et explicités dans la suite du
texte, selon le procédé de l’anaphore. L’intention première est donnée
59
Littérama’ohi N°8
Violaine Piens
dans le vers 1, « ra-con-ter » « u-ne-his-toi-re ». Les vers 4 à 9 résument le « choc » dans l’Histoire de la Polynésie, l’arrivée des «
naviga-
teurs » européens, par la « mer » ; une rencontre sous le signe des
« cris arrachés ».. Les vers 10 à 17, glissant sur la polysémie du mot
histoire »,
désignent cette fois-ci celle des « mots », moyens de
première Histoire apportée par la « houle » extérieure,
d’exprimer ses sentiments intérieurs - « des mots d’amour »... et de
créer un nouveau langage. Les vers 18 à 23 poursuivent l’« histoire »
de la nouvelle culture de Tahiti, faite de « métissages ». À partir du vers
24, l’auteur évoque de façon plus intimiste sa quête identitaire, conséquence de la situation historique de son pays, une quête trouvant son
sens dans le travail de l’écriture
des « mots- galets » - qui d’«
hagards » se transforment en « galets jadéites sous les coups ».
Enfin, les vers 30 à 39, sous le signe de la « houle », suggèrent l’aboutissement de cette quête : l’acceptation assumée de cette double culture.
Ainsi l’auteur se fait avant tout conteur, témoin de l’histoire de son
peuple et de son pays, mais loin du regard de l’historien, le poète révèle la spécificité de son histoire à travers un usage original du langage.
«
raconter la
-
Jeux de mots, jeux bilingues et biculturels
L’originalité du poème se révèle aussi dans les jeux de langage :
Flora Devatine invite le lecteur à une lecture interactive, sollicitant particulièrement les sens visuels et auditifs de ce dernier. Poésie concrète,
son
écriture est autant visuelle que sonore,
réactualisant un rythme
proche de l’oralité originelle.
Hormis les effets de mise en page, les variétés de typographies sur-
prennent et attirent l’œil. Lusage du caractère gras pour les mots clés de la
première strophe, ainsi que pour leur reprise, crée une mise en relief et
constitue une sorte de code visuel. La même mise en valeur est utilisée pour
les expressions tahitiennes, langue maternelle de l’auteur. Ce caractère permet aussi de visualiser les assonances sonores en
«
ou »,
combinant
ainsi les deux effets. Les guillemets, enfin, attirent l’œil et renvoient au caractère oral de l’écriture
60
: est-on face à une citation ou un discours
rapporté ?
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Les jeux sonores et jeux de mots sont les plus nombreux, ils
éveillent et amusent le lecteur, créant une complicité avec le poète.
Riches et variés, les jeux sonores
exploitent l’usage des deux langues
onomatopées, citation de paroles d’une chanson de marins, allitérations suggestives des liquides en rapport à la mer, assonances imposantés des « a » de la strophe 3, contrastant avec les sonorités dominantes plus douces (plus intérieures ?) en « o » et en « ou », déclinaison de familles de mots (« crissant / cri », « rouler / dérouler »,
«chocs / entrechoquements », « sort du ressort »...)... Ils se doublent de jeux d’homonymie et de paronymie. Les « mots de passe »
sont-ils un code ou les mots de la passe maritime ? Les « mots dits »
peuvent aussi être « maudits ». Et les galets « Mal polis », sont-ils
irrespectueux ou rugueux ? Les « mots tus » ne peuvent-ils se lire en
tahitien « motu » ? Les questions restent en suspens mais ne constituent-elles pas en elles-mêmes un parti pris humoristique du poète au
« sort » de son
peuple et de sa langue ? Quoiqu’il en soit, l’ensemble
crée une poésie ludique, une écriture profondément orale, cherchant à
ne pas rendre stérile le jaillissement spontané du langage, à traduire de
façon moderne, l'oralité originelle de la poésie tahitienne.
Le rythme, en effet, n’est pas créé par le respect des règles de versification mais par une combinaison de différents procédés. Les tirets,
dans la première strophe, imposent une lecture hachée qui rappelle les
comptines enfantines. L’exploitation fréquente de l’anaphore emprunte
aux textes originels, et reproduit ce procédé mnémotechnique traditionnel. Les énumérations nombreuses et l’usage fréquent du point d’exclamation donnent un souffle quasi épique au poème.
Ainsi, bien qu’elle soit sur le papier, cette écriture conserve la vivacité de l’oralité, du chant, ce qui correspond à une véritable intention de
:
Flora
Devatine
:
«
J’écris
en
chantant,
cela
coule
mieux
»
(Tergiversations et Rêveries de l’Écriture Orale, Te Pahu a Hono’ura, Au
vent des îles, p. 203), dit-elle, car trop de conscience tarit le flot. Mais
quel est l’enjeu du jeu ?
61
Littérama’ohi N°8
Violaine Piens
L’enjeu du jeu ? Révéler et transmettre l’aboutissement
de sa quête identitaire.
À la lumière des différents points observés précédemment, nous
pouvons dégager différents sens symboliques du titre du poème, « Titi-ri ». Nous avons déjà vu qu’il avait en commun avec le texte le champ
lexical du jeter, du lancer
(« roule, en vrac, coups, décochés, frappant,
») contenant ainsi la métaphore des mots « galets » qu’on
jette sur la « p-l-age » blanche et qui rebondissent comme un « ressort
». Mais ces mots-galets,
« polis, façonnés par « la houle » sur des
plages d’investigation » (v.7) semblent prendre leur sens dans les
mots-cris, « arrachés aux fonds océaniques » (v. 5-6) - soit à la langue
tahitienne
et qui subissent une transformation au contact de la «
houle » soit de la langue française -. Il appartiendrait donc à l’auteur
de se situer entre cet écart, de rechercher une langue nouvelle, de trouver sa mélodie. « Ti-ti-ri », enfin, peut renvoyer à la conception d’une
écriture dynamique, jaillissante, qui doit laisser sortir les mots de soi...
L’écriture n’est-elle pas en effet l’outil d’une quête identitaire personnelle? La tonalité lyrique du poème qui repose sur un champ lexical
des sentiments nous invite à une relecture plus intimiste. Les connotations du lexique, d’une part, suggèrent la douleur, la violence et la provocation ; d’autre part, la métaphore de la « houle de l’intérieur » (v.
35) témoigne de l’introspection de l’auteure se contraignant à plonger
en elle-même, aux sources de ses origines, à la recherche de son idenchocs...
-
-
tité, même si cela relève d’un travail douloureux...
Mais refusant le regret nostalgique du passé, Flora Devatine définit
parti pris de modernité, revendiquant son métissage. Même si le
» des cultures, traduit par les métaphores de la « Houle du
large » désignant l’occident et de la « Houle de l’intérieur » désignant
la Polynésie, est évoqué de façon violente (« coups, décochés, frappant de toutes parts
») ; c’est bien des « Chocs et entrechoquements / De cultures » que naissent les « galets jadéites », mots nouveaux façonnés par le poète, joyaux de sa mélodie personnelle.
un
«
choc
...
62
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Ainsi, Flora Devatine attribue au poète une fonction de témoin et de
messager, à la fois ludique et intimiste. Inspiré par les grands voyages,
il est avant tout un conteur qui puise dans un fond de culture commune
et utilise les mots comme le matériau de ses « plages d’investigation ».
Ce jeu sur les mots, au-delà de sa légèreté, est aussi le moyen d’une
introspection d’où surgit l’émotion brute. La quête poétique est révélatrice
de la quête identitaire de l’auteure, qui trouve dans l’écriture le moyen
d’unifier le double héritage des cultures tahitienne et occidentale, orale
et écrite, en créant un langage qui lui est propre. Conçue comme un
chant personnel, l’écriture dévoile donc la recherche mélodique d’une
identité, constamment à polir et à réajuster grâce au travail sur la
langue. Loin d’être une trahison de l’oralité, l’écriture permet avant tout
de se connaître et de se définir.
Violaine Piens
I
63
Littérama’ohi N°8
Violaine Piens
« Ti-ti-ri1 »
ra-con-ter
«
«
«
Où
des-mots
» «
u-ne-histoi-re
rou-lent
»
des-ga-lets »
«
sous-les-coups » « de-la-hou-le »
» «
» «
Une histoire », couleur « eau de mer »,
les «
galets », crissant, au ressac, des cris arrachés aux fonds océaniques,
« Roulent » des « mots »
polis, façonnés par « la houle »
sur des plages d'investigation !
«
»
«
Histoire
» de voyages, de naufrages,
Histoire de départs, d’arrivées,
De navigateurs et d’oiseaux migrateurs
Histoire de mots « Hou ! hou !
«
Roulant
» «
sous
» «
les coups » «
Oh ! Hissez ! Ho !
«
!
»
de la houle »,
»
Des « mots
» de passe, des mots d’amour,
Des mots corail, des mots d'espoir,
Des mots criés, des mots dits,
Des mots balancés, des mots tus
De l’îlot sacré de «
Motutapu » !
Histoire des carrefours,
Des métissages,
Des embouchures,
Où la mer « roule », roule ses vagues,
Pour les dérouler, en vrac, sur la plage,
Avec les galets
Des «
!
galets » hagards,
Barricadeurs !
Des galets pleureurs,
Mal polis
64
!
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Qui s’épanchent
Au retrait de la mer !
Des galets jadéites sous les « coups »
Décochés
Par
Te tai po’ara
rua2»
«
Houle du large
Houle de l’intérieur
«
Frappant de toutes parts »
Chocs et entrechoquements
De cultures
Du sort du ressort.
Flora Devatine,
Tergiversations et rêveries de l’écriture orate, Te Pahu a Hono’ura,
Édition Au Vent des Iles, Papeete, 1998.
1
jeter, lancer
2 « la mer
frappant de deux cotés à la fois », mer dangereuse, comme au Pari, quand les vagues,
parfois, viennent frapper contre les falaises et au reflux, se brisent contre la vague déferlante suivante, ou contre la malheureuse pirogue ignorante du phénomène naturel, du mouvement particulier de telles vagues à certains endroits ou à certains moments (note de l'auteur).
65
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
University of Hawaii at M?noa
Center for Hawaiian Studies
HAWST 494: Pacific Islands Women’s Poetry
Instructor: Haunani-Kay Trask
Spring 2004, revised and corrected in Fall 2004
MANA VAHINE MA’OHI
AGAINST FRENCH COLONIALISM
Anti-Colonial Women’s Literature in Tahiti
Exemplified through a Comparative Analysis
of Chantal Spitz’ “L’île des rêves écrasés"
and Titaua Peu’s “Mutismes"
By Lorenz Gonschor
gonschor@hawaii. edu
Acknowledgements and dedication
I am very thankful to Chantal Spitz whom I first met by pure accident on the streets of Pape'ete in December in 2003 and who immedia-
tely afterwards invited me for an interview. In June 2004 she invited me
to her home in Tarafarero Motu Maeva on the island of Huahine where
I spent a wonderful time with her, discussing her literature and the current situation of politics and society in her country. This paper is dedica-
ted to her courageous efforts to give a voice to the suffering
of her
people. Even though I could not have the same discussions with Titaua
Peu whom I met only fleetingly while she was busy with the campaign
for the victorious 2004 elections, I have to thank her, too, for perpétuating McTohi literature and thus helping me as a foreigner to get a better
understanding of her people. To both writers I wish all the best for their
future writings. Fa'aitoito i tâ 'ârua pôpa'ira'a !
66
Introduction
While in the literature written by indigenous authors of the English-
speaking countries in the Pacific has become well known within the
Pacific area and even beyond, little to this day is known about the indigenous literature in the French colonies of the Pacific. In recent years,
however, there has been a development of literature in these territories
as well, but because of the French/English
language barrier caused by
arbitrary colonial divisions of culturally closely related peoples, this literature has been largely ignored outside of the territories themselves. In
order to reverse this tendency and help making this literature known to
the speakers of English, this paper should make a moderate contribution. In the following I will present and discuss the literature of female
authors from what is called French Polynesia, the French colony comprising the islands around Tahiti and whose indigenous people refer to
themselves as Ma'ohi1 (used in the following as a synonym to the words
Tahitian and Polynesian, in spite of a certain ambiguity of all three
terms). The literature of this territory has so far been dominated by
women, and all novels that have been written by Ma'ohi so far had
female authors. Most of these women had, at least in the beginning of
their writing career, a clearly culturally aware and politically anti-colonial
attitude and their literature can be regarded as a call for cultural revival
1 Note
on Tahitian spelling : Unlike in Hawaiian, there is no compulsory spelling system for the
Tahitian language, but basically three systems existing simultaneously. Besides the system favored
by the Tahitian Academy (language commission), using the same symbols as in Hawaiian, ‘eta
(-okina) for the glottal stop and tQrava (=kahaka) for long vowels, there is also the system by
Turo a Raapoto used by the Protestant Church and some of the pro-independence activists with
an accent grave (') for vowels preceded by a glottal stop (which is omitted however if the
glottal
stop occurs between two equal vowels), tdrava for long vowels and an accent circonflex (A) for
long vowels preceded by a glottal stop, and, finally, the old system set up by the LMS missionaries,
still widely used by native speakers, with neither marker for the glottal stop nor for long vowels.
Thus the term for indigenous Tahitian is alternatively spelled Ma'ohi, Mâôhior Maohi. To facilitate pronunciation for readers familiar with Hawaiian, I will always use the Tahitian Academy version,
except for titles of works and quotations written in their original form and proper names usually
spelled without any markers. It is noteworthy that Chantal Spitz uses the Turo a Raapoto Protestant
version, so all Tahitian quotations from her book are held in that spelling system
67
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
and resistance to French colonialism. It makes therefore sense to speak
of an anti-colonial women’s literature and to focus the present paper on
however, have in recent years
changed their position and there is only one author that has consistently kept her anti-colonial nationalist attitude. As she is also the first
Tahitian novelist, it is useful to focus mainly on her work, and especially on her pioneer novel. Among the various authors of the younger generation, most of whom are confused about political issues, one author is
also outstanding for her first novel, which gives both a brilliant analysis
'on contemporary Tahitian society and a clear political position. In order
this topic. Most of the original writers,
to discuss anti-colonial female authors in Tahiti I have chosen these two
novels as a focus, besides some other works that will be occasionally
cited.
In the following I will first give an'overview over the political and
cultural background of French Polynesia and the emergence of modern
Mci'ohi literature. I will then briefly present the four main female authors.
Then I will present Chantal Spitz, the first Mci'ohi novelist, and give a
summary of her novel, followed by a detailed analysis. I will then do the
concerning young author Titaua Peu and her novel, which will be
analyzed in comparison. After a brief discussion of the public reaction
the two novels provoked, I will give some reference to other contemporary Mci'ohi literature, and in my conclusion I will give a final evaluation
of the two novels. My analysis of the novels and their correlation to
contemporary issues in Tahitian society thereby focuses on the issue of
colonialism and the way it causes social problems, each of which can
be seen as a symptom of the colonial syndrome.
same
I.
Background :
Colonialism and indigenous Tahitian literature
In order to give a background to the emergence of the literature dis-
cussed, let me first give an overview over the political, social and cultural development that took place in French Polynesia within the last few
decades.
68
Dossier : Sur la littérature polynésienne
1.1. Political and social development
Contrarily to the British, Australian and New Zealand colonies in the
Pacific, which became independent nations in the 1960s and 1970s,
Tahiti and the surrounding islands have stayed under French colonial
rule until this day. A statute of autonomy that was intended to be a first
step towards decolonization in the late 1950s was abolished in 1958
and the territory placed once more under authoritarian colonial rule. The
why French Polynesia, unlike the various French colonies in
Africa, was not given its independence was the need of France for a
nuclear testing base, which was installed in the early 1960s on the Atoll
of Moruroa, about 1200 kilometers southeast of Tahiti. In this way, Tahiti
is comparable to Hawai'i, from which independence is also withheld to
this day because the US needs it as a military base. From 1966 to 1996,
nearly 200 nuclear bombs were exploded on Moruroa, until the base
was finally closed down.
reason
Besides terrible effects on health and environment, the nuclear tes-
ting center (CEP, Centre d’Experimentations du Pacifique = Pacific
Experimentation Center) had crucial effects on Tahitian Society as a
whole and caused a tremendous process of social change, probably the
most intense since the initial Western contact in the late 1700s. Besides
thousands of French soldiers and civil service persons who moved in for
the administration of the CEP, France spent billions of dollars for the
infrastructure necessary for the tests. Out of that arose the sudden pos-
sibility of paid jobs that attracted thousands of Tahitians who until then
had lived a traditional subsistence life on their land. As a result, within a
few years the whole economic system of small-scale economic self-suf-
ficiency collapsed and the territory became dependent on the influx of
French money. Mô'ohi looking for paid jobs massively moved from the
outer islands to the suburban areas of Pape'ete where slums developed. The once relatively egalitarian but materially poor agriculturebased economy thus was transformed into a modern consume-oriented
capitalist system with strong social inequalities. On one hand there is
the upper class of French settlers, Chinese immigrants and the westernized Tahitian establishment. On the other side, the masses of formerly
69
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
rural Mô'ohi who live in the slums around Pape’ete from low-paid jobs
or social welfare became more and more
marginalized.
In 1977, France finally granted a new autonomy statute to the terri-
tory, which was enlarged in 1984. As long as the testing base was in
operation, however, this statute remained limited and the real powers
stayed with the French. Only in 1996, considerable powers were ceded
to the territorial government and even more in a most recent autonomy
act in early 2004, which transforms French Polynesia from an “overseas
territory” into an “overseas country”. Even though the local government
had for a long time claimed this status to be the conclusion of a genuine decolonization process, the fact is that France still controls central
elements of power, such as control over immigration, defense, public
security, currency, and the judiciary system. The other main point that
limits the effect of the so-called autonomy is that until June 2004 the
elected local government was not led by anti-colonial nationalists like it
used to be in the 1950s but by the colonial establishment of pro-French
Tahitians, led by Gaston Flosse, a Tahitian multimillionaire businessman
and close friend of French President Jacques Chirac. Flosse headed the
local government since the 1980s and through a network of clientelism,
nepotism and corruption controlled the whole political system of the territory and was constantly increasing his electorate. On the other hand,
the pro-independence opposition, led by Oscar Temaru, was for a long
time virtually powerless because it lacked the money to compete with
Flosse who had millions of dollars of French aid money at his disposal
to buy off voters. While the pro-colonial Tahitian establishment dominated the society, it basically upheld the capitalist materialistic system
created by France and besides a superficial appreciation of traditional
culture, like government-sponsored dancing competitions, it continued
to push forward the colonial process of westernization and development
and the cultural destruction caused thereby. While this paper was being
written, however, enormous changes occurred in Tahiti. In an early election called by Flosse, his up to then almighty pro-colonial Tahô'ârcTa
Party surprisingly lost the election and Oscar Temaru became the new
president of the local government, heading a somewhat uneasy coalition
70
Dossier : Sur la littérature polynésienne
of his independence party with several small pro-French parties opposed to Flosse. However, being in charge for only some weeks before the
completion of this paper and after the publication of the two novels to be
discussed, this recent political change is of rather little relevance for the
following discussion, although is surely gives a new perspective to the
future development of Tahitian society.
I. 2.
Cultural consequences of the social
and political
development
From its beginning in the mid-1800s, the goal of French colonialism
was to assimilate the Mô'ohi and to suppress
their language and culture.
For a long time however, this policy remained without much effect, because the
majority of the Mô'ohi continued to live in traditional family struc-
tures and therefore traditional knowledge continued to be transmitted from
one
generation to the next. In addition, the Protestant mission schools
continued to use Tahitian as the language of instruction, so that most
Tahitians stayed not only fluent but also literate in Reo Mô'ohi, their native
language. Only through the social transformations caused by the CEP
in the 1960s, the French policy of assimilation fully worked out, because
the family structures broke apart and therefore no more domestic education in Polynesian tradition took place. The school system had also beco-
organized after World War II and the French curriculum finally
applicable to all schools. This comprised a ban on speaking
Tahitian at school (which was enforced by corporal punishment until the
late 1970s) and an obligation for teachers to keep the curriculum exactly
as in France with no possibility to include local issues. Finally, in the 1960s
television was introduced, so that people became now confronted with
Western lifestyle and French language even at their homes, instead of listening to their elders and learning their cultural values from them.
Besides a social marginalization, the social transformations of the
1960s thus also caused a process of cultural uprooting. More and more
Mô'ohi were unable to speak their language correctly and lost knowledge of their culture.
me more
became
71
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
In summary, the transformations caused by the CEP and the neocolonial policy of France affected all areas of life in Tahiti and can be
compared to a second colonization2. The MQ'ohi people were thereby
led into a deep identity crisis from which they have so far not recovered.
The origin of modern Tahitian literature must be seen as an answer
to that situation.
In the early 1970s, a cultural revival movement arose. The movement
mainly led by Tahitian academics who had studied in France and
by the leftist ideas of the May 1968 student
revolt. The most important of these intellectuals was Henri Hiro, who for
many years played a central role as an activist against nuclear testing
and for political independence as well as a poet, playwright and cinematographer, until his tragic death in 1990, aged only 46. Virtually all
contemporary authors see him as the founder of the cultural revival and
the first modern MQ'ohi writer and themselves as his disciples. After the
death of Henri Hiro, MQ'ohi cultural awareness through literature has
been maintained and further developed by a handful of writers, most of
was
had become influenced
them women. In the next section the first four of these authors will be
briefly presented.
II. Female authors in Tahiti :
An overview
The first Tahitian woman to write and publish literature was Flora
Aurima-Devatine, who began publishing poetry under her pseudonym
Vaitiare in the 1980s. Besides writing she worked as a schoolteacher
and a social and cultural activist. In her literature she deals mainly with
questions on the nature of writing itself. Most of her writings comprise
2
term after Scemla, Jean-Jo 2001. Littérature dans le Pacifique: Le cas Tahitien. In: Tahiti-Pacifique
magazine N°121, May 2001, p. 46.
72
Dossier : Sur la littérature polynésienne
philosophical considerations about the emerging of literature in a society once based on oral tradition.
The second female Tahitian author is Louise Peltzer, a professor
of linguistics and Polynesian languages, who first edited ancient Tahitian
legends and then in the 1980s began to write herself, first poetry in
Tahitian, then a historic novel in the mid-1990s. Her main point of
concern is the preservation of the native languages.
Another important Tahitian woman writer is Michou Chaze, who
published a collection of short stories in 1990 and then a collection of
poetry in 2000. The fourth of the “founders” of Tahitian Women's literature is Chantal Spitz, who published her first novel in 1991, which will be
one of the
main focuses of this paper.
Originally, all these four women represented an intellectual elite of
culturally aware Tahitians who, continuing the work of Henri Hiro, spearheaded a cultural revival in order to counteract the rapid westernization
process pushed forward by the French and supported by local proFrench politicians like Gaston Flosse. In more recent times however, the
first three of the named women considerably altered their position.
Most noticeable of all, Louise Peltzer, as Flosse’s minister of culture, has become not only an associate but an active member of the colo-
niai establishment, and even though her efforts to preserve the Reo
Md'ohi have to be appreciated, she contributed to the process of cultural destruction as long as she participated in Flosse’s regime. Instead of
fully supporting McTohi language and culture, she chose to serve as
Flosse’s cultural apologist.
Flora Devatine, though for a long time regarded as a grassroots
activist in the cultural revival movement, in recent years had also become closer to the colonial establishment, and did not pronounce herself
against the Flosse regime3.
3
According to various personal communications with cultural activist Sunny Moanaura Walker and
Chantal Spitz in 2003 and 2004
73
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
Michou Chaze, on the other hand, is still an outspoken independen-
supporter, but within the last years she has become more and more
religious and very active in a Pentecostal church so that now she is
rather called a Christian fundamentalist than an anti-colonial writer by
many other intellectuals4.
Of the original four Tahitian woman writers only one has constantly
conserved a true anti-colonial attitude, namely Chantal Spitz. Today, to
her can be added also Titaua Peu, a newcomer in the Mci'ohi literary
scene. Besides her, several new Mcfohi writers became known in the
last couple of years, but so far Peu seems to be the only one among
them to have a clearly anti-colonial attitude. In order to discuss antice
colonial female writers in Tahiti, it therefore makes sense to concentrate on the work of these two women, Chantal Spitz and Titaua Peu, which
will be done in detail in the following.
III. Chantal T. Spitz and her novel
L’île des rêves écrasés
III. 1. Presentation of the author
Spitz was born in Pape'ete in
Napoléon Spitz, a wellknown Tahitian community leader and politician
of the 1970s and 80s5. Even though he never
acted as a pro-independence activist himself,
Chantal Spitz says that he taught her to be independentist6. An attitude
of resistance has some tradition in their family, as her great-grandfather
Chantal T.
1954. Her father was
4
According to Sunny Moanaura Walker, who leads a revival movement of the ancient Tahitian religion and culture, Michou Chaze has publicly denounced his movement as “anti-Christian” and therefore in her opinion dangerous to Tahitian society.
5
O’Reilly, Patrick : Tahitiens, Répertoire biographique de la Polynésie française. Publications de
la Société des Océanistes (vol.36). Paris: Musée de l’Homme 1975 (second edition), p. 529.
74
col nies7.
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Loulou Spitz in the 1920s founded the first political protest movement in
the French Oceania
A mother of three sons, Chantal Spitz first
worked as a secretary, then as a schoolteacher. Even though she had
grown up in a very westernized family, she first went to teach in one of
the rural districts of Tahiti and later left Tahiti to settle on the Island of
Huahine, on the motu (coral plain) of Maeva, where she could live a life
closer to nature and to her roots as a Mâ'ohi. In the mid-1990s she worked for a short moment in the territorial ministry of education but resigned in protest against the resumption of nuclear testing in 1995.
Having been an amateur writer in private for many years before, she
published her first novel, Uîle des rêves écrasés (“The Island of Crushed
Dreams”) in 1991, actually the first novel ever written by a Tahitian
author. In 2002 she became one of the founding members of
Littérama'ohi, the first Tahitian literary review. Her second novel, Hombo,
was published in the same year, and currently she is writing her third
one. Being the first Tahitian novel and having a strong anti-colonial message, L’île des rêves écrasés will be discussed in detail in the following.
III. 2.
Synopsis of Chantal Spitz’ L’île des rêves écrasés8
After a dedication to Chantal’s mother and grandmother (who bear
the same names as two main characters in the novel) and another dedication to her sons in Tahitian that evokes the consciousness of being
Ma'ohi forever, the book begins with two stories of creation: First the
creation story in Tahitian, describing how Ta’aroa, the god of creation,
made the world out of the shell in which he lived. This is contrasted with
the biblical creation story, told in French.
After the creation stories follows a prolog which, supplementing the
Tahitian creation story,
summarizes the destruction of the Ma'ohi world
by the impact of the arrival of foreigners from the point of view of the
6 Interview with Chantal
Spitz, December 2003
7 Interview with Chantal
Spitz, June 2004
® Refered to as IRE in
following quotations
75
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
ancient
gods. A prophecy is quoted that foretells the arrival of the
papa'ô (foreigners, corresponding to haole in Hawaiian) :
“They will arrive on a boat without an outrigger, these children, born from the
life. Their body will be different from ours but they
will be our brothers, grown from the same trunk. They will take our land, turning over the order that we have established, and the sacred birds of the sea
will lament”(IRE, p. 20)
same trunk that gave us our
The proper story begins with the account of the birth, childhood and
youth of a McTohi boy named Tematua in the village of Maeva on the
island of Ruahine. He grows up in the traditional life of his island. Even
though this society is influenced by Christianity, many notions of the
ancient spirituality prevail. After his birth his father buries the placenta at
an ancient marae (sacred temple, corresponding to heiau in Hawaiian)
and prays to the ancestral spirits as well as to “the god of the pastor who
does only manifest himself on Sunday, his day” (IRE, p. 32). Then, when
Tematua has become a young man, one day a French military officer
comes to Maeva in order to recruit volunteers for the war the motherland
fights against Germany. Even though no one in the village knows what
this war is about, Tematua and virtually the whole male youth of the village enroll and depart with the officer. Only after five long years he finally returns, while one of his best friends has died in battle.
The next chapter deals with the birth and childhood of a girl on the
island of Rahiti. Her father Charles Williams is a wealthy British settler
who has a love affair with a young Tahitian woman. He names his
daughter Emily, which is tahitianized to Emere. She grows up torn between two worlds, that of the colonial settlers of her father, and the
Ma'ohi one of her mother. She gets the best education available and is
to be married to another half-caste of the colonial establishment, but
during a business trip with her father to Ruahine she falls in love with
Tematua. Her father is at first strongly opposed to her daughter loving a
rural Tahitian with no formal education, but finally he accepts her decision
to move to Ruahine, marry Tematua and become a schoolteacher in
Maeva. They live on the motu (coral plain) of Maeva in a large comfortable house provided by Emere’s father. They have three children: Terii,
76
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Eritapeta and Tetiare. Terii studies in the motherland and after his return
archeologist and activist for cultural preservation on
Ruahine. Eritapeta on the other hand, goes to live in Rahiti and
becomes associated rather with the colonial establishment of her grandfather. Tetiare finally becomes a politically radical, but contrary to Terii
she rather lives in her dreams and develops visions for a better future
than undertaking concrete action.
One day, the General-President of the motherland announces that
he works as an
the motu of Maeva is chosen for the installation of a nuclear missile tes-
ting range. Emere, Tematua, and especially Terii and Tetiare are shoeked at this decision, and Terii tries to lead a resistance movement on
Ruahine against this project, but most local people do not fully support
it as they look forward to the money that will be brought in by the project. Terii and Tetiare also try to lobby local politician John Prallet, who
promises them to support their cause but in fact does nothing at all.
Finally, the installation of the missile range begins, the family gets evicted from its house, which is torn down, and resettled in the village of
Maeva.
From then onwards the
perspective of the novel changes and
focuses on Laura Lebrun, a nuclear scientist working for the military and
main technical responsible for the center. Even though building up the
center is her job she duly fulfills,
unlike her male colleagues who are
openly racist against the natives, she is very sensitive to their concerns
and constantly questions the military’s actions and also her own role in
it. While her colleagues discourage her from visiting the village inhabited by “savage natives", she frequently visits it and tries to contact the
local people who however shun her. One day she meets Terii and after
a while they fall in love even though he is twenty years younger than her
and they stand politically on opposite sides. Both are heavily criticized
for this affair, especially she by her male colleagues who see Terii as a
terrorist and make racist and sexist remarks about their relationship.
Their love affair is very passionate but it lacks a true understanding of
each other’s culture. Even though Laura tries to understand the local
people, she remains unable to do so, because she is too much trapped
77
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
in her own western way of thinking. Finally, when her duties in the tes-
ting center are over, she goes back to the motherland because her
career proves to be more important to her than her
relationship with
Terii. At the end of the story, the General-President comes to inaugurate the fist missile test. Most people in Maeva have meanwhile accepted
the changes caused by the center and become more and more culturally uprooted, while only Terii and Tetiare continue to oppose the westernization of their island. The book ends with an epilogue, in which the
situation on Ruahine twenty years later is described. It is mainly a
lamentation on the loss and damage caused to the Mô'ohi people. Terii
meanwhile has become a leading member in an independence party
and continues to struggle for his ideals, together with Tetiare. On the last
page it is mentioned that Laura died some years after her return to the
motherland of an unexplained cancer “like many of those who had then
worked for the folly of the General-President” (IRE, p. 200).
III. 3.
Analysis of L’île des rêves écrasés
Structure and style
L’île des rêves écrasés is written as a novel in several chapters with
a
frequent change of perspective. After the dedication, the creation sto-
ries and the prolog, the life story of the main characters is told. That
continuous story in prose is frequently interrupted by sections of poetry,
telling the thoughts and emotions of one of the characters at that particular passage. In the later chapters parts of the story are told through
the diary of Laura Lebrun.
The general sentiment oscillates between sadness and hope, at
least during the first half of the novel, until the announcement of the testing center. After this announcement the mood becomes generally
worse even though there are still from time to time moments of
hope,
embodied particularly by Terii and Tetiare.
78
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Symbolism and metaphors
Although most place names and characters and in L’île des rêves
écrasés are fictional, most of them are clearly representing actual
places and persons or at least allusions to them.
For anyone familiar with the islands of French Polynesia, the place
names
mentioned in the book are obvious : Rahiti stands for Tahiti and
Ruahine is the island of Fluahine. Maeva is actually the village with that
very name on Fluahine, on the shores of a brackish lake, exactly like it
is described in the book. The motu (coral plain) on the other side of the
lake, where the missile testing range is being installed is the site of
Chantal Spitz’ house, as in the novel it is the site of Emere’s house.
Equally referring to actual historical figures are many of the characters. The General-President who orders the missile testing range to be
built and then comes to visit the first test is, of course, an allusion to then
French President General De Gaulle, who ordered the installation of the
CEP and then came to watch one of the first nuclear tests on Moruroa
in 1966. John Prallet characterizes a typical local politician of the 1960s,
most of whom claimed to be opposed to the CEP but did
not do too
because they were interested in the
money from France. The name John Prallet sounds very similar to
Jacques D. Drollet, one of the leading Tahitian politicians of that time,
who, though originally a member of the anti-colonial RDPT party and
pretending to be a supporter of his people, actually was corrupt and
betrayed those who had voted for his party. Terii, the young Tahitian who
studied in France and after his return acted as a cultural and political
activist, is clearly an allusion to the famous activist Henri Hiro, mentioned above, who actually lived on Fluahine and became an inspiration to
Chantal Spitz, even though her relationship to him was also full of
conflicts9. Emere, even though named after Chantal Spitz’ mother, is in a
certain way similar to the author herself, as she herself came from a demi
(“half-caste”) establishment family, and moved to Maeva to become a
much to prevent it from coming,
9 interview with Chantal
Spitz, June 2004
79
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
schoolteacher there, exactly like Emere did in the novel. The difference
between the author and Emere however is that Spitz did not come to
Maeva because of a love affair but because she just wanted to live
there. Only later she met a man from the village who became her com-
panion. Emere’s father Charles Williams is in many respects similar to
Charley Brown, a wealthy English settler who is Chantal’s maternal
grandfather (through one of his Tahitian mistresses). In spite of these
autobiographic elements, however, Chantal Spitz herself does not want
L’île des rêves écrasés to be called an autobiographic novel. She sees
it rather as a description of the collective experiences of her people10
The most crucial metaphor of the novel, however, is the nuclear missile testing center and its impact on the society of Ruahine, the background
for all of the plot in the second half of the book: In that sense, the whole
book can be called a parable for the CEP and its impact on Tahitian life.
The feelings of the author towards the CEP can best be summarized in the
poem written by Emere for the memory of the children of Maeva after the
news of the planned installation of the missile range are announced :
My soul was floating,
Hit by the thunderstorms of life.
I was looking for you, dream without image,
In my heart without root.
Your sacred mountain and your lake
Have been waiting for me forever,
Land emerging from the magic of the ocean,
So that I finally know myself.
Land of love, land of beauty,
Land of dreams, land of insanity,
You, who received my roots,
To help my soul to grow up.
Immortal Maeva,
Today we sell you
Sacrificing you to the God Money
Eternal Maeva,
10 interview with Chantal
80
Spitz, June 2004
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Today we lose you,
Prostituting you to the foreigner.
Maeva, land of my children,
We used to stand in the light,
Now we kneel here in disgrace.
Maeva, Land of the MQ'ohi,
Beautiful through the love of your sons,
Disfigured by the sons of another race.
Children of the lake, Children of Maeva,
Our dishonor makes you orphans
Of the immortal land of our fathers.
Children of the lake, Children of Maeva
Our cowardice leaves you as aliens
In this world,
Deprived of our Fathers’ soul.
Maeva, I used to love you,
Sacred through the blood of the MQ'ohi,
Maeva, I mourn you,
Stained by the money of the foreigner. (IRE, p. 98ff)
By transplanting the test site from the faraway uninhabited atoll of
Moruroa to the site of her house in Huahine, Spitz dramatizes the effects
of the CEP and makes its impact on Tahitian society more graphic. Procolonial critics of Spitz may denounce this dramatization, but in my opinion it is a perfect literary method to emphasize the CEP’s danger to everyone, which otherwise remains obscured by the remoteness of Moruroa.
The fact that Spitz chose not just an inhabited island but precisely the site
of her own house as the site of the nuclear missile testing range can also
be interpreted as a metaphor for herself feeling personally threatened by
the presence of the CEP in French Polynesia. Another background for the
novel is the fact that in the 1980s there were plans of a group of Japanese
investors to buy the whole motu of Maeva in order to construct a large
hotel complex there, a project that was fortunately never realized11.
11
interview with Chantal Spitz, June 2004
81
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
In that sense, the title of the novel, L’île des rêves écrasés (“The
Island of Crushed Dreams”), refers to the dreams of the main characters for a better future that were crushed by the installation of the milita-
ry testing center and the social changes provoked by it. Particularly, it
refers to the dreams of Terii and Laura for a harmonious partnership of
love with no regards for political and cultural differences. This dream is
also “crushed” because finally the political and cultural antagonism of
their situation proves to be stronger than their love12. After mentioning
the death of Laura in the motherland, the novel concludes in that sense :
After twenty years, he [Terii] only mentioned a light allusion to Laura: “We were
born on the island of smashed dreams” (IRE, p. 200)
References to symptoms of colonialism
The nature of Uîle des rêves écrasés as a work of anti-colonial literature is obvious. The whole novel describes the impact of colonialism
on Mô'ohi
society over several generations, from unequal race relations
to the loss of identity and environmental destruction.
For Spitz, the decline of the Mô'ohi people began already with the
conversion to
Christianity; therefore Christianity and colonization go
hand in hand. Spitz is one of the rare Tahitians to argue this way, while
the majority of pro-independence Tahitians is strongly Christian and criticizes only the French colonization, not the Protestant missionization
before13. In her prologue,
she clearly sees the missionization as the
beginning of all the evil for her people.
“The Mô'ohi hoo âià [traitors] sacrificed our Gods in order to court a
new one; thirsty of unjust power, they allied themselves with the foreigners to obtain it. The Mô'ohi here âià [patriots] clung to the Gods of
12 For a similar
analysis of L'tle des rêves écrasés see also Mateata-Allain, Kareva: Maohi Women
Writers of Colonial French Polynesia: Passive Resistance toward a Post(-)colonial Literature. Paper
wriiten in 2003, posted on the web under <http://social.chass.ncsu.edu/jouvert/v7i2/mateat.htm>
13 For an
tion and
analysis of the role of Christianity in Tahiti and its ambigous position between colonizaresistance, see my prevoius paper “The Complex Religious Background of M?‘ohi
Nationalism” from last semester
82
Dossier : Sur la littérature polynésienne
our Fathers,
refusing to bend to that foreign law that negated them. We
then began to kill each other: Canons against ômore [spears], guns
against toi [stone adzes], steel against àito [ironwood]” (IRE, p. 26)
She then laments the loss of the original religion and culture from
the point of view ofTa'aroa, blaming not only the foreigners who brought
the change but also his own people who too easily accepted all of this
and thus became complicit in their own cultural uprooting :
Since then, Taaroa, alone in the infinite space, contemplates full of sorrow, his
shell being devastated,
lamenting the loss of his children. Taaroa the Only,
Taaroa the Trunk, has lost his branches and dies, abandoned by his Sons.
Aua, what sorrow!
Where are you now? My children
Daughters of my love
Whom I created to share with them my life
For whom did I make a Land out of my body?
The dark sea breaks loose
Taking away the fine sand of the beaches
The violent-tempered toèrau rises
And with him ascend the lamentations
Nobody to hear them
No more children to love me
No more people to accompany me
Aua, what sorrow!
I look at my orphan children
I look at my torn people
I look at my devastated body
Auâ my children
I love you so much
Here I am an orphan without you
The grief of Taaroa today is our grief. People of my Land, People of my guts,
Ma'ohi People, Mû'ohi of today. Here I am and look at you, but I do not know
you.
They taught you their language, their way of thinking
They gave you their values, their tastes
They won without much merit
You did really help them
You have become a well-trained monkey.
83
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
Mâ'ohi of today, you are of
Those who don’t know to think anymore
Those who execute the orders
Those who imitate and reject their identity
Those who suicide their soul and sell their land
Those who sell out their country
Those who admire the foreigner
And find the neighbor better
Those who buckle before injustice
And fall apart before those who despise them
Mâ'ohi, what have they done to you
Mâ'ohi, what have you done to yourself?
Do you let yourself being murdered
Whithout ever reacting
Without standing up
Will you help them to steal your soul
Will you let them steal your country
Will you let them kill you and make you
A new man without a soul and without a country?
Mâ'ohi of today
When you will meet your Fathers
Tell them who you are
They will not recognize you,
Pale imitation of a
Race that is not theirs.
Mâ'ohi of today
Never forget:
The trained monkeys
Are always pathetic. (IRE, p. 28)
As it becomes clear in that section, the evil that destroys the har-
mony of her people is not only caused
by the white colonizers even
though they initially brought it into the Ma'ohi’s world. One of the main
topics in Spitz’ literature is the reproach to her own people with being
complicit in the colonial process of cultural destruction. She constantly
refers to this in Lîle des rêves écrasés. To quote another example, let
me quote what Terii says at the end of the book :
84
Dossier : Sur la littérature polynésienne
To all those who reproach the metropolis with having deprived them of their cul-
ture, robbed of their land and dispossessed of their identity, he answers unmis-
singly: “Never forget that they did it with the voracious complicity of persons from
our people. Do not believe that the enemy of the MQ'ohi is the papaâ. it is the
half-caste with fair skin or the MQ'ohi with dark skin, both of them, white guts
and blue-white-red
language. There is
no worse enemy
than the enemy
within...” (IRE, p. 197)
Referring to the contemporary situation in Tahiti, I can only affirm
this. The main responsibles for the steady progress of westernization and
capitalization in Tahiti are no longer the French but the local ho'o 'ôi'a
(collaborators). Spitz clarifies that not only Flosse and his immediate followers are to blame but the whole Tahitian society that had become so
corrupted that it supported its own destruction14.
In this light it is not surprising that the independence movement for
a very long time represented only a small minority of politically
conscious people and had very hard times finding support in society.
This sentiment is perfectly illustrated in the “independence anthem” written by Tetiare :
Tiàmâraa [independence]
I have written your name on the cloudless sky
I have shouted your name into the echoless valley
I have sung your name on the shoreless sea
I have cried your name in my dreamless heart.
I have erased your name from my memory with no tomorrow
I have hidden your name under the sail of indifference
I have lost your name under the power of money
I have forgotten your name under the scornful laughter of men
Tiàmâraa
Tomorrow when the gloomy light
Will rise on the tears of our people
Our sons will ask us, lost,
14 Intereview with Chantal
Spitz, December 2003
85
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
if our Fathers before us had sold themselves.
So my brothers, in front of the eyes of these sons
Who cry for our sins
Will climb into our heart,
Mighty wave,
That disgrace we are trying to stamp out. (IRE, p. 194)
Another of the main topics in L’île des rêves écrasés concerning
contemporary colonial Tahitian society are the race relations and the
cultural and ethnic mixtures prevailing in many Mâ'ohi families, exemplified through the family founded by urban upper-class demi (“half-caste”)
Mâ'ohi Emere and rural pure-blood Mâ'ohi Tematua. These issues have
been a particular focus of controversies about the novel, especially the
following passage :
“The Children of Emere and Tematua, mixture of two cultures, will never be
entire. When their spirit will understand the white man’s world, their soul will
cry out the grief of their land and their people. Eternal uprooting of the soul.
Immortal uprooting of the womb.” (IRE, p. 95)
Focusing on this passage, in his analysis of French language
Pacific Islands literature, Robert Nicole accuses Chantal Spitz of being
obsessed with race instead of focusing on colonial injustice, and therefore harming the good intentions of the movement15.1 do not share that
view, however. Spitz just describes how the mixed ancestry of a large
part of Tahitians creates identity crises; a situation that is obvious if one
carries in one’s veins the blood of one’s oppressors besides that of one’s
own people. She is, however, the least person in Tahiti to be obsessed
with these issues of race, even though such tendencies unfortunately
exist within Mâ'ohi nationalism. Spitz herself became a victim of such
an obsession with racial
purity, as she has many times been attacked by
“racially purist” Tahitian nationalists who accused her of not being a true
Mâ'ohi because of her mixed ancestry and especially her origin from a
15
Nicole, Robert : Resisting Orientalism : Pacific Literature in French. In: Hereniko, Vilsoni and
Rob Wilson (eds.): Inside Out. Literature, Cultural Politics and Identity in the New Pacific. Lanham:
Rownam and Littlefield 2000, p. 280
86
Dossier : Sur la littérature polynésienne
bourgeois family16. Spitz however clearly sees herself as a Ma'ohi and
nothing hybrid at all17, and in another passage of Uîle des rêves écrasés,
she clearly defends the inclusiveness of the term Ma'ohi for all people
of Ma'ohi ancestry regardless of their racial purity, when Emere insist
on being Ma'ohi after her ethnic
identity is questioned by Laura Lebrun
(IRE, p. 132).
Particular reference to women’s issues
Uîle des rêves écrasés is not only a
novel written by a Ma'ohi
denouncing colonialism. It is also a novel written by a M?‘ohi woman
dealing with issues concerning women. Spitz first of all denounces the
way white men have regarded and treated her people’s women. The
chapter on Emere’s birth and childhood is a good example for the arrogant way male settlers behaved towards Ma'ohi women. Charles
Williams has a white wife, who for him is a symbol of status in the sett1er community. As a lover however he prefers a young Tahitian woman,
but instead of getting divorced from his wife and marrying the woman he
actually loves, he prefers keeping the status quo and thus refusing his
mistress official recognition. Their common child, on the other hand, he
regards as his property, dictating his mistress the name for the baby
(IRE, p. 52). When Emere becomes a teenager, however, she successfully rebels against her father’s macho world and finally^succeeds to
make all decisions on her life on her own. She thus can be called an
emancipated woman if not a feminist ahead of her time and she certainly plays a more important role in the novel than most male charakters.
In this sense, Chantal Spitz strongly denounces the tendency still
prevailing among many Tahitian males to see women’s roles limited to
childcare and domestic works. She does not hesitate to criticize this
macho attitude also among many leading pro-independence leaders18.
1® interview with
17
Chantal Spitz, June 2004
Interview with Chantal Spitz, December 2003
16 Interview with
Chantal Spitz, June 2004
87
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
On the other hand, like most other female intellectuals of the
Pacific, Chantal Spitz is also critical of Western feminism that focuses
emancipation of women within the capitalist system only. This criticism is clearly shown in her description of Laura Lebrun, a typical emanon
cipated Western woman, who, even though being the most sympathetic
papa'ô (haole) character in the novel, is still a representative of imperialist capitalism whose career proves to be more important to her than
her superficial concern for the native people and even her love to Terii.
This ambiguous position of a white emancipated woman taking part in
a culturally destructive military project while falling in love with the native leader of resistance against this project is one of the key elements of
the book, and the failure of this love affair can be seen as a metaphor
for the incompatibility of imperialist capitalism and militarism with the
Ma'ohi way of life, no matter whether the representative of the former is
a sexist and racist man or an emancipated and sensitive woman.
III. 4.
Other works by Chantal Spitz
describing related issues
Since the publication of L!ÎIe des rêves écrasés Lîle des rêves écra-
sés, Chantal Spitz has written and published various other texts. Besides
in journals she published her second novel Hombo Transcription d’une biographie (“Hombo - Transcription of a biography”)
in 2002. Inspired by the biography of her companion who grew up in the
village of Maeva on Huahine, Chantal Spitz describes the childhood and
youth of a young Ma'ohi man. The main point in that story is the disorientation and indifference of the Ma'ohi youth, caused initially by colonialism
but maintained through the corrupted Mâ'ohi society itself. Today
Chantai Spitz says that she actually prefers this novel over IRE19.
many articles
Interview with Chantal Spitz, December 2004
88
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Among her various small papers and essays, two points of concern
especially worth being mentioned here :
Spitz constantly questions the different concepts of “national" identity imposed on her people, first by the French colonizers, then by the
various local political movements. In an essay titled Identité comment...{“Identity How...”)20 she denounces for example the “pseudonationalism” and “micro-imperialism” of Flosse’s government, which
adopted the name of Tahiti Nui (“Greater Tahiti”) as the preferred name
for the territory, thereby creating the illusion of a nation-state when the
territory is still a French colony, while at the same time ignoring the
various outer islands and archipelagos that are neither geographically
nor culturally or historically part of Tahiti. But she equally questions the
independence movement’s concept of a “McTohi nation” that uses
“Mci'ohi” in a similar way Flosse uses “Tahiti Nui”, again neglecting the
differing cultural identities of the outer islands. Another misconception
she denounces is the use of the word Polynésie as a synonym for
French Polynesia, thereby ignoring that French Polynesia is just one territory within the large triangle of Polynesia. That misuse of the term
Polynesia, making the inhabitants of French Polynesia believe that they
are the only Polynésiens, reinforces their separation from their cousins
in the English-speaking Polynesian countries and territories. It is true
that unlike most other Polynesian countries, French Polynesia is an arti:
ficial colonial creation and much confusion prevails about that fact. In
the following passage Spitz summarizes her feelings about the various
misconceptions of identity :
are
Strange country where we define ourselves without carrying the name of the
country that carries us. Strange country where we seek our origins in a foreign country. Strange country where we do not speak the country’s language.
Strange country where we foiklorize our people. Strange country where we
exoticize our culture. Strange country, this country, ours, which is not even a
country. (Spitz, Identité comment..., p. 110)
20
Spitz, Chantal : Identité comment... In Littérama’ohï. Ramées de Littérature Polynésienne. Te
Hotu Ma'ohi, Vol. 1, May 2002, p. 110-113.
89
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
Following these words, another topic Spitz is often referring to is the
context of M?‘ohi literature as opposed to the prevailing foreign trave-
ler’s literature that tends to exoticize her people and created a myth of
Tahiti as a “south seas paradise”. Spitz vigorously opposes this literature,
similar to most other indigenous writers
of the Pacific21. Among the
papa'Q myth creators, Spitz criticizes particularly strongly Paul Gauguin
and Pierre Loti, both of whom she accuses of pedophilia (their various
Tahitian lovers were all only 14 to 15 years old) and sexism. In a pam-
phlet on Loti she accuses him of having created, with the character of
Rarahu, the narrator’s 15 year old lover in the novel The Marriage of
Loti, an enduring myth of the Tahitian woman as an exotic object of
Western males’ desires that still prevails and thus prevents Chantal
Spitz from being just an ordinary human being22.
IV.
Titaua Peu
and her novel Mutismes
IV. 1. Presentation of the author
Titaua Peu was born in New Caledonia of
Tahitian parents
in the mid-1970s, and as a
young girl moved back to Tahiti with them. After
studying in France, she came back to Tahiti and
since then has been working as a journalist. In
early 2003 she published her first novel Mutismes (“Mutisms”), which
became a local best-seller. An active member of the independence
party Tavini HuircTatira, she contributed much to the electoral campaign
21 In this contxt see also the article
by Robert Nicole on Pacific Islands literature in French referred to above, and in particular its title
22
“Resisting Orientalism”.
Spitz, Chantal : Rarahu iti e autre moi-même. In Littérama’ohi. Ramées de Littérature
Polynésienne. Te Hotu Ma’ohi. Vol.1, May 2002, p. 114.
90
Dossier : Sur la littérature polynésienne
for the 2004 elections that brought her party to power. Currently she is
writing her second novel23.
IV. 2.
Synopsis of Titaua Peu’s Mutismes
The story begins with a young girl moving with her family back to
Tahiti from New Caledonia where her father had worked in the nickel
industry. The whole book is written from this girl’s perspective. She goes
through a childhood full of horrors, as they live in poverty and her father
is a violent alcoholic who constantly abuses her mother, until they finally
get divorced. The main topic, which returns again and again in the book
is the lack of words in her family and in Tahitian Society in general. She
has no one to talk with about her problems. Her mother, whom she likes
very much, does not really return that love to her, especially after she met
a new partner. The only person with whom the heroine builds up a trust
relationship is her older sister whom she calls Espoir (“Hope”), a girl who
is very self-confident and rebels against everything (her mother, the
school etc.) The heroine then tells a lot about the environment in which
she grows up, the poverty of that section of Pape'ete, contrasted with the
incredibly rich upper class that lives on the ridges and especially on the
west coast of Tahiti. She mentions also prostitution of girls in her area
who try through this way to meet rich tourists with whom they could get
out of Tahiti. Soon she gets confronted with strange things that happen
in the upper class when one day the body of a young girl who was assodated with upper class people is found on the place where the heroine
and her sisters use to play, a murder case that is never resolved. The next
striking event in her life is the sudden unexplained suicide of her classmate Nina, a half-caste upper-class girl who lived in a luxury villa and
was materially spoilt but emotionally neglected by her parents.
23 All
biographic reference to Titaua Peu according to press agency Tahitipresse and personal com-
munications with Chantal Spitz, Tea Hirshon and Sunny Moanaura Walker in May and June 2004.
91
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
Later, when she is about 16 years old, she neglects school more
and more and prefers hanging around and smoking marijuana with a
group of youngsters and older unemployed people. Among this group is
a man in his late thirties who is called Rori, even though his true name
is Tetoa. This man is the only in the group whom she respects as a
friend. One evening they meet and Rori tells her the story of his life. A
convinced anti-nuclear and pro-independence activist, he had worked in
the ministry of culture of the territorial government for the documentation and
preservation of traditional knowledge. As soon as a new
government takes over, everything becomes corrupted and politicized
and he gets into trouble for his pro-independence ideas. Finally he
decides to resign, but before doing so, he exposes to the public a scandal he had witnessed during his job: Two complete families had been
killed when their social welfare houses had been destroyed in a landslide.
Immediately afterwards the director of the building company had
committed suicide and the whole staff of the ministry of public construetion had been transferred to the ministry of culture. Rori found out that
the houses had been constructed on land not classified for construction,
because the government needed to resettle the families somewhere on
cheap land after they were evicted from land confiscated for commercial
development. The publication of this scandal, however, did not outrage
the public at all, as Rori had hoped. Some responsibles were tried and
receive suspended sentences, but after some days the whole affair was
forgotten. Therefore Rori is very disappointed with the whole society.
After having told that long story to the heroine, the heroine has her
fist sexual experience with him and they fall in love. Her mother however strongly disapproves of this relationship and immediately sends her
away to a boarding school on the island of Ra'iatea. There she learns a
lot about history and philosophy and begins to become politically
conscious. Together with some friends she joins the independence
party. Her weekends she spends on the neighbor island of Taha'a, with
her father and her grandparents. At a convention of the independence
party on Ra'iatea she finally meets Rori again, after more than a year of
forced separation. He takes her immediately with him and they decide
92
Dossier : Sur la littérature polynésienne
to live together in an apartment in Pape'ete, in spite of their 20-year age
difference. Through him, who is now a leading member of the independence movement, she finally learns everything about her history and
culture, which further confirms her awareness of being a M?‘ohi. In the
municipal elections of 1994 [a fictional date], the independence party
wins more than half of the municipalities, so that it is now in a position
of strength. Rori becomes the new party leader and is now the leading
politician of the territory, but now he has hardly time any more for her
and she becomes lonely again, at least during the day. Then in 1995
[historically correct date] the newly elected French President Chirac
resumption of nuclear testing, causing a wave of protest
in Tahiti, organized mainly by the independence party, and reinforced by
announces the
various international environmentalist activists. These are criticized,
however, for only seeing the environmental danger and only secondari-
ly caring about the impact on the local people and their political struggle.
.The independence activists decide to build a roadblock at the entrance
of Pape’ete that they maintain for several days, getting more and more
support from the Tahitian community. Then suddenly it is announced
that the territorial president is going to leave the territory for Paris. The
activists, now joined by a crowd of strange men from poor neighborhoods, dismantle the roadblock and go to the Airport in Fa‘a‘a in order
to block the runway. Suddenly, violence breaks out. The crowd is no Ion-
ger under control of the activists. People start smashing and burning the
airport building, and beat up French policemen. When Rori tries to stop
them, he himself is beaten up by another friend of the heroine. After
having destroyed the airport, the crowd moves on to downtown
Pape'ete, smashing, burning and looting everything. A general climate
of violence dominates. When Rori sees an armed young man assaulting
an elderly lady, he comes to her help and kills him. The next day, Rori is
arrested because he is accused of being responsible for the riots. Some
days later the heroine leaves Tahiti for France, being sent there by her
mother to study.
93
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
VI. 3.
Analysis of Mutismes,
in comparison to L’île des rêves écrasés
Structure
Mutismes is written in the style of an autobiographical story, with
the narrator telling the story from her own point of view. Noticeable is the
structure of the text. There are
no
chapters or sections, only breaks
when there is a change of scene. This continuous story is only once
interrupted, when the narrator tells under which circumstances she is
writing the whole text: Two years after the end of her story she is studying in Paris and writes the story of her life as a therapy recommended
to her by a psychologist (Mutismes, p.95).
Style
Unlike Lite des rêves écrasés, which in spite of its overall negative
plot has still some moments of hope and joy, Mutismes is a book of
constant sadness. There are hardly any happy events or passages. Only
some
scene
pages after the beginning, the reader becomes shocked by a
of graphically described extreme violence the heroine’s drunk
father commits against her mother, a scene not unlike that in the movie
Once Were Warriors (Mutismes, p. 7-8). After that shocking passage the
story continues a little less depressing, but it never gets away from a
general feeling of melancholy. The whole book is covered by a sad
mood. Even the heroine’s love affair with Rori is full of sadness. When
she has her first sexual
experience with him, it is not really a joyful
event, but rather a sorrowful encounter of two unhappy persons, underlined by the sarcastic comment she makes to describe her feelings in
that passage :
I desired to feel him in me, on me. Make love. Make love to him. Share together that desire to die a little. (Mutismes, p. 55)
All following moments of hope are sooner or later to be disillusioned. After staying in a middle ground between hope and disillusion for a
certain while, the dark mood returns and gets to its climax at the end of
94
Dossier : Sur la littérature polynésienne
the book when dealing with the 1995 riots. The description of the riots
has a very sinister air: When she describes how one morning about a
hundred strange men appear, join the road blockers and later go with
them to Fa‘a‘a where they finally carry out the riots, this gives almost the
impression of a spooky army of evil spirits: “They came down from
neighborhoods that do not exist or that one is scared to name”
(Mutismes, p. 120). Even more than that passage shortly before the end,
the last few pages about the riots themselves are probably the darkest
and most uneasy part of the entire book. One virtually feels the force of
evil taking control of the people.
In line with that style of constant negative feeling, the book is also full
of sarcasm. When the two families are killed in the landslide, the narrator
mentions that as a superficial sign of sympathy “for two weeks the government ministers’ wives interrupted their shopping trips to L.A.” (Mutismes,
p. 51). In the passage about her stay in Paris during the cold and grey
European fall she comments, “I hate the fall. It reminds me of the hearts
of the people who live here: Dry but not yet dead” (Mutismes, p. 95)
Symbolism and metaphors
Mutismes, in contrast to L’île des rêves écrasés, has rather the characteristics of an account than those of a parable. The place names
mentioned are all actual place names in Tahiti and the Leeward islands,
and several actual historical and contemporary persons are named.
Striking however is the virtual absence of names for characters in
the book. Most of the characters are named only by their function or
relationship to the narrator. The only significant characters bearing
names are the heroine’s sister Espoir and the second main character of
the story, the narrator’s lover Rori. The symbolic value of Espoir is made
clear by her name, meaning hope in French. As the only lifelong person
of confidence she gives hope and confidence for a better future, like the
narrator himself describes it (Mutismes, p. 17). More puzzling and confusing is the nickname Rori. Rori in Tahitian means sea cucumber, which
can be a reference to male genitals. On the other hand it is not a common swear word for that, and calling someone a rori does not sound like
95
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
insult but rather queer and bizarre24 His true name Tetoa, meaning
“the warrior”, makes more sense, referring to his courage in his political
an
activism. The strange nickname Rori is perhaps the reference to the role
he plays in her life: He is her sexual partner, but under strange circum-
stances, concerning both the age difference and the melancholy that
prevails over their love.
As a symbolic character, Rori could be seen as an allusion to both
Henri Hiro and Oscar Temaru, although a tribute to Henri Hiro is mentioned separately (Mutismes, p. 111). Very much like Henri Hiro, Rori
had worked much in the field of cultural preservation and is also an independence advocate. On the other hand Rori plays also parts of the role
of Oscar Temaru, as the leader of the independence movement and
coordinator of the protests against the reprisal of nuclear testing in
1995. Probably Rori should just stand for one of the culturally and politically conscious and determined male activists without any allusion to
a particular individual.
Much more than L’fle des rêves écrasés, Mutismes is an autobio-
graphie novel. The general outline of the story refers to the actual life of
the author, even though certainly some passages are fictional.
One of these passages, the description of the fictional 1994 municipal elections, is of special importance in the light of the most recent
political events in Tahiti. With the invented electoral victory of the independence party before the 1995 anti-nuclear protests and riots, Peu
created a moment of hope in her otherwise so tragic story. Had she kept
to the actual facts, with no election victory of the independence movement before the 1995 events, the novel would be even sadder. The
author could not know, however, that with that passage she anticipates
Oscar Temaru’s election victory of this year. In this way, Titaua Peu can
almost be called a prophet.
24
According to Chantal Spitz, personal communication, June 2004. The narrator in Mutismes her-
self says that she does not fully understand the significance of the nickname Rori (p. 41)
96
Dossier : Sur la littérature polynésienne
What happens fictionally in 1994 actually happened ten years later,
roughly one year after the publication of the book, with very similar
effects on the author like on the heroine in the book. In the book, the
1994 elections suddenly make Rori the leading politician of the country,
a
fact that deeply affects the heroine both as a party member and as
Rori’s girlfriend. Being an activist in Oscar Temaru's party, the author
surely felt very similar emotions after the latter’s election victory, espedally as she had been a leading participant in the electoral campaign.
Not only the heroine’s emotions, but the general mood described in the
novel fit exactly the situation as it was in Tahiti in June 2004: A sentiment
of fundamental change spread among the independence supporters
and in a way affected the whole of society. At the same time there is a
quite uneasy feeling of great responsibility and the fear that the new
government cannot afford making any mistakes because the people
have been betrayed enough times. The situation becomes even more
complex because during the 2004 campaign, Oscar Temaru’s coalition
of opposition parties deliberately took the focus away from the independence issue and concentrated on denouncing Flosse’s corruption and
mismanagement, so that finally it is quite unclear if Oscar Temaru’s new
government has a clear popular mandate to push forward independence or not. Exactly the same uncertainties are described by Peu after the
fictional 1994 election victory :
Those who voted for self-determination, I am not sure if they really wanted
that. I think they desired something else. Neither Rori nor the elders of the
party had the right to deceive them. Not this time. (Mutismes, p. 103)
Reference to symptoms of colonialism
Mutismes constantly refers to symptoms of colonialism and problems in society caused thereby. The main topics discussed in that fra-
mework are loss of identity, incapabilities to communicate, and violence
resulting from this.
The basic theme of the book is already summarized in the title: The
mutism of Tahitian society. Families are unable to communicate, to discuss, to talk about problems. People ignore their history and culture and
97
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
hence have lost their identity. In many passages of the story, Peu gives
reference to that mutism. The word mutismes itself is constantly repeated.
Titaua Peu does not speak Tahitian fluently, like many young people
of her generation. She refers to this problem in her novel, too, when the
heroine has a difficult time communicating with the old people of Taha'a
(p. 76). In a society where most people are still fluent in the native Ianguage and where Tahitian is still the dominant language in some
spheres of life (e.g. in the Protestant church and in all political meetings)
this language barrier is certainly a impediment to communication between the generations and thus contributes to the
general “mutism” of
present Tahitian Society. Besides these direct inabilities to communicate, the term “mutism” refers also to the missing communication between
the different social classes with the upper class’ tendency to isolate itself
from society and to refuse seeing social problems at all.
An indirect result of these inabilities to communicate is violence in
various forms, from spouse abuse to riots. The riots of September 1995
are both the dramatic climax of the novel and the reason for which it was
written, if one follows the last page on which the author in a kind of epilogue addresses the readers :
The day after the riots, voices were raised against the “barbarism”. The same
voices that, all the time, had retrenched in well-protected marble homes.
To these voices I would like to respond, some years later, that violence is never
punctual, it is not born by accident on a lonely way. Because we forgot to listen, my people have stroked, too strongly.
To these voices, I would like to say that September 1995 is never too far away.
(Mutismes, p. 128)
Probably also in this sense the Tahitian subtitle (that strangely
appears only on the outside cover but not on the front page inside the
book) of the novel must be seen : E 'ore te vciva (“there will be no
mutism”), as the immediate negation of the French title seems at first
glance confusing, but means probably that through the publication of the
novel, the silence about the recounted issues is finally broken.
Intertwined with this general topic of the novel (cultural uprooting
leading to mutism leading to violence), particular issues of colonialism
98
Dossier : Sur la littérature polynésienne
are
described in various passages. One such topic is social injustice.
The poverty in the narrator’s neighborhood is constantly contrasted with
the upper class neighborhood of French settlers and the Tahitian esta-
blishment living in luxury. This unequal situation leads also to the exploitation of poor Tahitians
by French settlers: The heroine’s mother for
example works 12 to 13 hours a day, in a fancy restaurant and as a housekeeper for the restaurant’s owner. For all that hard work she is not
even paid the legal minimum wage. (Mutismes, p. 14). Another topic is
the racism of French settlers against Tahitians, who are often discriminated against and treated as if they were stupid or bad in character. As
an example, when the heroine gets the best grade in class, a French
classmate complains with the teacher, claiming that the heroine must
have cheated (Mutismes, p. 68), and in another passage an elderly
Tahitian woman who does not speak French is treated by a French
nurse like a sulky child (Mutismes, p.70).
Very similar to Chantal Spitz, Titaua Peu does not blame the bad
situation on the French only. A main focus of her criticism are also the
local collaborators: When Rori describes the new government that takes
and politicizes the ministry of culture, this is a reference to the
situation in 1991 when Gaston Flosse returned to power after three
over
years in the opposition. The preceding short-lived government, led by
Alexandre Léontieff, and composed of a breakaway movement from
Flosse’s party as well as a heterogeneous coalition of several small par-
ties, had given people in the cultural sector and society in general a
considerable freedom, even though Léontieff himself was both pronuclear and pro-French. After the return to power of Flosse, however,
the power structure became authoritarian again and people working for
the
government had to be politically in line with Flosse. During the
1990s, Flosse’s government then finally began to support Polynesian
culture and developed even a “nationalist” discourse, creating “national”
symbols like an anthem, an order of merit, and using Tahiti Nui (Greater
Tahiti) as a name for the territory instead of French Polynesia. All this,
however, was done rather for strategic reasons, in order to win the votes
99
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
of more and more culturally aware and engaged people, than for a true
revaluation of indigenous culture. In parallel to the superficial support for
cultural issues, the main concern of Flosse‘s government remained the
westernization, materialization and corruption of Tahitian society. The
section of Mutismes on Rori’s trouble in the ministry of culture reflects
that situation very well. Rori strongly denounces the superficial commitment of the government to culture: “Those who once were against all
culture now pretend to be its champions” (Mutismes, p. 43), a sentence
that perfectly fits Flosse’s policy in the 1990s.
Another aspect of that superficial
appreciation of culture by the
colonial establishment is its exploitation for tourism. Rori criticizes this
tendency very strongly, thereby referring to the situation in Hawai'i
where the exploitation of indigenous culture by the tourism industry has
caused tremendous damage. If the same tendency continues to be
pushed forward by the local Tahitian establishment, Rori predicts “One
day we will be like jumping-jacks, like in Flawaii" (Mutismes, p. 42)
Particular reference to women’s issues
Similar to Uîle des rêves écrasés, Mutismes deals also with many
topics specifically concerning women in the colonial society. One of the
main topics in this category is, of course, domestic violence by men
against women, exemplified by the terrible abuse the narrator's father
commits against her mother. In later passages the novel many times
refers to this topic again. This domestic violence is a typical symptom of
social “mutism”, as, like Peu writes, “One rapes his wife, sometimes his
daughters, because one does not know any more...” (Mutismes, p. 71)
Another women’s topic mentioned is prostitution, one of the symptoms of social injustice. The narrator stresses that the girls who prostitute themselves in Tahiti are less interested in the direct income out of
prostitution but rather they try through this way to get to know wealthy
foreigners with whom they could get out of Tahiti. This common preference for white partners by Mo'ohi girls is an outrageous example of the
successful implantation of colonial racism into the minds of the colonized people themselves. Another aspect contributing to that preference
100
Dossier : Sur la littérature polynésienne
is the McTohi men’s greater tendency to violence or at least their reputation for it, which again is a result of colonialism (Mutismes, p. 20-21).
One last point concerning the position of women in society is the
social conception
of women’s sexuality. The heroine is criticized and
severely punished by her mother for practicing sexuality according to
her own choices, because at 16 years a girl is considered still too young
for sexual behaviour and has to abstain from it, a concept undoubtedly
of missionary origin and foreign to the Polynesian way of life. In fact all
the other young girls of her age have love affairs but she is the only one
to be honest (or naïve?) enough to tell her mother about it (Mutismes,
p. 59), and so in fact the reason why she gets punished for her love affair
with Rori is her honesty.
V.
Concluding summary of comparison
of the two novels
Both novels are in some ways very similar but in other ways completely different. Both are written by authors with a strong commitment
to the anti-colonial struggle, a fact that is reflected in their literary works.
Both novels expose the disastrous effects of French colonialism on
Ma'ohi society while not hesitating to denounce also the complicity of
large sections of the Ma'ohi people themselves in their own colonial
oppression. Both novels draw a pessimistic view of society and are
emotionally stirring to the reader. In both novels one of the main elements is an unhappy love affair between people of two different generations. In Lîle des rêves écrasés, however this contrast is even bigger as
the two lovers are also coming from two opposite backgrounds: Laura is
one of the main responsibles for the nuclear missile testing center and
her lover Terii is the leader of the independentist resistance movement
on the island, while in Mutismes the heroine and Rori stand politically
on the same side, but still their love is rather unhappy.
The considerable difference between the two novels, on the other
hand, is their structure and style. While Mutismes is more of a personal,
101
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
more or
more
less autobiographical account, L’île des rêves écrasés has a
global approach. As Chantal Spitz herself said, it is an account of
the collective experiences of her people. This is then exemplified in the
story of the persons appearing in the novel, most of which live through
events that are taken from Chantal’s own experiences. Titaua Peu’s
Mutismes, on the other hand, is conceived in the inverse way : Based
on an autobiographic account, the author touches the various
problems
Tahitian society faces today, but her story remains a personal one and
only in some passages, especially on the last page, the message of the
book becomes explicitly generalized.
In their structural difference but also in their content, the two novels
perfectly complement each other. While L’île des rêves écrasés describes the process that has led to the disastrous state of present Mô'ohi
society, Mutismes describes the fate of persons living in this system
while ignoring how it came into being. In this way the novels perfectly
represent their respective authors : Chantal Spitz was born before the
installation of the CEP and became a witness of the disastrous social
changes it caused, while Titaua Peu was born after these changes, in
the middle of the uprooted contemporary Mô'ohi society, with not even
memories of how life used to be before.
VI. Public debate about the two novels in Tahiti
Both novels created public uproar in Tahiti. After publishing L’île des
rêves écrasés, Chantal Spitz was attacked by many representatives of
the colonial establishment and received
even phone threats25. Titaua
Peu, too, has been criticized by French settlers for the content of her
book26. On the other hand, other indigenous intellectuals and leaders
25
According to the text on the back cover on the 2003 reprint of the novel
26 See for
example a letter to the editor by a certain W.T. in Tahiti-Pacifique magazine N°146, June
2003, in which Peu is attacked for blaming all evil on the French and neglecting the corrupted local
elite (which is completely wrong, see my detailed analysis of Peu's criticism of local collaborators
above).
102
Dossier : Sur la littérature polynésienne
reacted very positively. Jean-Marius Raapoto, professor of Tahitian Ianguage and a leading pro-independence politician and intellectual, wrote
sensitive foreword for L’île des rêves écrasés (IRE, p. 5-7). JeanPambrun, a leading intellectual, activist and writer,
wrote a very emotional favorable review of Titaua Peu’s Mutismes27.
After its publication the book was broadly discussed in the local media
and even in a Paris newspaper. It is also remarkable that there was a
unusually high demand for both books. The first edition of L’île des rêves
écrasés was out of print after a few years (which was then unusual, as
many books from more than ten years ago are still widely available in
Tahiti today) and Mutismes was even out of print within a couple of
weeks, a reprint followed about a month later which was also quickly out
of print, so that now, a little more than one year after the first edition
there is already a third one in Papeete’s bookstores. Despite this
obvious popularity of the two novels, the colonial establishment clearly
shuns them and probably for this reason neither of them has received a
literary award so far.
a very
Marc Tera‘ituatini
VII.
Other recent McTohi women’s literature
Since the foundation of Littérama'ohi, the biannual MQ'ohi literary
review in 2002, many young Tahitian women have begun to write short
stories, poems or essays. Most of them, however, have not yet published any larger works and neither have they shown a clear commitment
to the anti-colonial struggle. The only one among them so far to have
published a major work of literature and to have a clear political commitment seems to be Titaua Peu.
Briefly mentioned however should be the novel Breadfruit, written
by Célestine Hitiura Vaite, a young Tahitian author living in
in 2001
27
Pambrun, Jean-Marc Tera'ituatini: Un l'vre qui fait mal... In : Tahiti-Pacifique magazine N°145,
May 2003
103
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
«
Australia. Although the book by Vaite is generally not very political nor
socially critical28 but rather a trivial description of Tahitian family life, it
nevertheless gives at many points reference to French colonialism and
the way this effects especially women’s lives. The most outrageous
example is described in chapter 35, where a Tahitian mother becomes
the victim of an adoption fraud by a French settler woman. The woman
tricks her by acting as a generous friend and promising her that she can
continue to meet her baby, but as soon as she has signed the papers
(which she does not fully understand) the woman takes the baby away
and refuses the mother to see her child ever again. When she nevertheless tries to enter the French woman’s house to see her baby, she gets
arrested by the police for trespassing and attempted theft29. Even though
only one chapter in an otherwise rather trivial novel, this is one of the
most hard-hitting literary descriptions of colonial violence against
Tahitian women and is therefore worth being mentioned in connection
to the topic of this paper.
Conclusion
Literature is a key to uncover and expose colonial structures and
educate people about how to fight these structures. Hence it is one of
the most crucial tools for what the Kenyan writer Ngaga wa Thiong’o
has called the “decolonization of the mind”30.
Only if the people become
fully aware of the nature of their colonization, they can successfully
struggle to overcome it. Applying these theoretical thoughts to the literature discussed in this paper, one can say that both Chantal Spitz and
Titaua Peu are perfect in this role as mind decolonizers. In their literature they denounce the damage caused by the French colonizers and
2® In one
chapter the author even makes fun of the independcence movement
Vaite, Célestine Hitiura
: Breadfruit. Sydney: Bantam Books 2001, p. 231-35
®®Ng?g? wa Thiong'o: Decolonising the Mind. The Politics of Language in African Literature.
Oxford: James Currey 1986 (Reprint 1997)
104
Dossier : Sur la littérature polynésienne
their local collaborators. Symptoms of colonialism in Tahitian society are
thereby exposed and put into correlation.
In a way, the process of decolonizing the Mô'ohi people’s minds (to
which the two authors certainly contributed) has already very well progressed, as in the last local elections the people voted the colonial collaborator establishment out of power and thus cleared the way for the
new independentist-led government that will hopefully through a new
education and culture policy accelerate this process of mental decolonization.
As discussed in detail above, both authors have their different ways
and styles but essentially both share the same commitment to the anti-
colonial struggle. Comparing the message of both novels, L’île des rêves
écrasés may be more constructive, as it gives at least some reference
to how society used to be before the evil of colonialism came, and also
exposes a certain positive phase of transition, after the people have in
a certain way resigned themselves to the first wave of colonialism, and
found a kind of harmony of life again, before this was finally destroyed
and everything uprooted again through the installation of the nuclear
missile testing center. Even after that, positive visions of the future are
kept alive and revoked from time to time. Mutismes on the other hand
only denounces the system, but does not offer much of a solution. As
Titaua Peu herself stated, however, she has not finished writing31, so
many of her ideas are not yet told and we have to wait for her further
writing.
Anyway, there can be no doubt that Spitz and Peu are the most
important contemporary Mô'ohi authors, considering both their success
among the public and their political commitment.
It is very sad, on the other hand, that of the four founders of modern
Mô'ohi women’s literature only one writer fully retained her attitude. In
the past decade too many intellectuals have been bought off by the
Flosse regime, a tendency that will fortunately stop now, with Flosse
See Peu, Titaua : Je n’ai pas fini d’écrire. Letter to the editor in Tahiti-Pacifique magazine,
N°147, July 2003, p. 47
105
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
having been voted out of power. However there remains a dark shadow
become Flosse’s lackeys, and as many of them
were highly respected and leading
community activists, like for example
Louise Peltzer mentioned above, the playwright John Mairai, or most
recently the singer Angelo Ariitai Neuffer, their ability to become corrupted and betray their own ideals leaves a bad image of Tahitian society
over all those who had
as a whole32.
Against the background of that unfortunate tendency, Spitz and Peu
appear even more outstanding, as they have successfully withstood all
temptations and stayed firm in their ideals. To use a more Polynesian
way of thinking, both authors are women of mana, considering their
artistic talents, their courage to be politically outspoken and their perse.
verance in a hostile environment.
Both novels absolutely need to be published in English. For much
too
long has the French-speaking Pacific been neglected by the
English-speaking countries, and especially the literary development in
Tahiti remained obscure for many years. L’île des rêves écrasés and
Mutismes however are masterpieces of literature that deserve being
treated equally to other outstanding works of Pacific Islands literature.
Most of all Chantal Spitz, but to a lesser degree also Titaua Peu should
belong to the “canon” of Pacific Islands literature classics, like Albert
Wendt, Sia Figiel, Epeli Hau'ofa, Kona Helu, Witi Ihimaera, Patricia
Grace, John Dominis Holt, Haunani-Kay Trask and others.
Lorenz Gonschor
32 John Mairai
as a
playwright wrote and staged several anti-colonial and anti-Flosse plays in the
1980s but later became the editor of “ Te Reo Fenua”, the Tahitian language propaganda paper of
Flosse'a government. Angelo Ariitai
Neuffer is the most famous contemporary Tahitian singer,
admired especially by the youth. His songs used to be strongly political and socially critical and he
used to be close to the independence movement, until in July 2003 he suddenly annouced his
membership in Flosse's party and since then has been singing at Flosse’s party conventions and
other government propaganda shows.
106
Dossier : Sur la littérature polynésienne
BIBLIOGRAPHY
© Mateata-Allain, Kareva : Ma‘ohi Women Writers of Colonial French
Polynesia:
Passive Resistance toward a Post(-)colonial Literature. Paper written in 2003, posted
on the web under
<http://social.chass.ncsu.edu/jouvert/v7i2/mateat.htm>
• Nicole, Robert : Resisting Orientalism : Pacific Literature in French. In: Hereniko,
Vilsoni and Rob Wilson (eds.): Inside Out. Literature, Cultural Politics and Identity in
the New Pacific. Lanham: Rownam and Littlefield 2000, p. 265-290
• Ngâgâ wa Thiong'o: Decolonising the Mind.
The Politics of Language in African
Literature. Oxford: James Currey 1986 (Reprint 1997)
© O’Reilly,
Patrick : Tahitiens, Répertoire biographique de la Polynésie française.
Publications de la Société des Océanistes (vol.36). Paris: Musée de l'Homme 1975
(second edition).
9 Pambrun, Jean-Marc Tera’ituatini : Un livre qui fait mal... In : Tahiti-Pacifique maga-
zine no. 145, May 2003
© Peu,Titaua : Mutismes. E 'ore te vâvô. Pape'ete : Éditions Haere Po No Tahiti, 2003.
• Peu, Titaua : Je n’ai pas fini d’écrire. Letter to the editor in Tahiti-Pacifique magazine,
N°147, July 2003, p. 47
© Scemla,
Jean-Jo 2001. Littérature dans le Pacifique : Le cas Tahitien. In: TahitiPacifique magazine N°121, May 2001, S.43-47.
Chantal : Uîle des rêves écrasés. Pape'ete: Editions Au Vent des îles 2003
(second edition, originally published by Les Éditions de La Plage 1991).
• Spitz,
9 Spitz,
Chantal : Rarahu iti e autre moi-même. In Littérama’ohi. Ramées de
Littérature Polynésienne. Te Hotu Ma’ohi.MoiA, May 2002, p. 114.
• Spitz,
Chantal : Identité comment... In Littérama’ohi. Ramées de Littérature
Polynésienne. Te Hotu Ma'ohi, Vol. 1, May 2002, p. 110-113.
© Spitz, Chantal : Hombo. Transcription d’une biographie. Pape'ete : Éditions Te Ite,
2002.
®Vaite, Célestine Hitiura
: Breadfruit. Sydney: Bantam Books 2001.
• W.T.
(anonymous) Français "coupables”? Letter to the editor in Tahiti-Pacifique
magazine, no 146, June 2003, p. 6.
Interviews with Chantal Spitz conducted in December 2003 in Pape’ete and in June
2004 in Tarafarero Motu Maeva, Huahine.
Portraits of the authors: Tahitipresse
107
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
LITTERATURE FEMININE
ANTI-COLONIALE A TAHITI
illustrée par “L’île des rêves écrasés” de Chantal Spitz et “Mutismes” de
Titaua Peu. Par Lorenz Gonschor 2004.
Université de Manoa à Hawai’i, Centre d’Etudes Hawaiennes : Poésie
Féminine des Iles du Pacifique. Instructeur : Haunani-Kay Trask.
Résumé de morceaux choisis : Annie Coeroli-Green.
Pour Lorenz Gonschor, si « la littérature indigène des colonies fran-
çaises du Pacifique » est moins connue que celle « écrite par les
auteurs indigènes des pays anglophones », c’est parce qu’elle est plus
récente mais aussi parce qu’elle est victime « de la barrière des langues
française/anglaise due à des divisions coloniales arbitraires chez des
populations ayant pourtant des liens étroits de parenté». Cette « littérature moderne ma’ohi » a toujours été dominée par des femmes engagées dans un renouveau culturel et une résistance au colonialisme frangais avec Chantal Spitz et Titaua Peu en figures de proue de cette lutte
anti-coloniale.
Il
présente le contexte politique et culturel avec les bouleverseapportés par le CEP, le statut d’autonomie, l’ancien président
Gaston Flosse et sa politique qu’il critique sévèrement et les élections
du nouveau président Oscar Temaru. Il explique que depuis le milieu
des années 1800, l’objectif du colonialisme français était d’assimiler le
Ma’ohi et de supprimer sa langue et sa culture. Le Ma’ohi, protégé un
temps grâce à sa structure familiale traditionnelle et aux écoles protestantes qui enseignaient en tahitien, n’a pas résisté aux transformations
sociales dues au CEP avec, en particulier, l’éclatement de la famille. Le
système éducatif fut complice en interdisant de parler tahitien à l’école.
ments
L’introduction de la télévision dans les années soixante a achevé ce processus de déracinement culturel
titaire.
108
qui fut suivi d’une profonde crise iden-
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Lorenz Gonschor voit « l’origine de la littérature moderne tahitienne comme une
réponse à cette situation. »
Ainsi, le début des années 70 a vu naître un mouvement culturel
mené par des universitaires tahitiens, ayant fait leurs études en France,
influencés par les idées révolutionnaires de mai 68. Le plus important
fut Henri Hiro, connu pour son combat anti-nucléaire et ses idées indé-
pendantistes aussi bien que pour ses talents d’écrivain et de cinéaste.
Pratiquement tous les auteurs contemporains le voient comme le premier écrivain moderne Ma’ohi, fondateur du renouveau culturel et ils se
considèrent comme ses disciples.
Flora Devatine, Louise
Peltzer, Michou Chaze et Chantal Spitz
sont, pour Lorénz Gonschor, les quatre « fondatrices » de la littérature
féminine tahitienne et l’élite intellectuelle. Elle a poursuivi ce travail de
renouveau culturel afin de neutraliser le
processus d’occidentalisation à
la française soutenu par les politiciens locaux pro-français.
Cependant,
seule Chantal Spitz a conservé une réelle attitude anti-coloniale rejointe aujourd’hui parTitaua Peu. Lorenz Gonschor
critique durement les 3
autres écrivains mais aussi l’homme de théâtre John Mairai, et le chanteur
Angelo Neuffer, pour « leur corruption et la trahison de leurs
propres idéaux qui donnent ainsi une mauvaise image de la société
tahitienne ».
Il fait
une
analyse comparative de “L’île des rêves écrasés” de
Chantal Spitz et de “Mutismes” de Titaua Peu après avoir interviewé les
deux auteurs en 2004.
Les deux ouvragent se complètent et reflètent parfaitement leurs
auteurs. L’île des rêves écrasés décrit l’évolution de la société Ma’ohi
jusqu’à « l’état désastreux » où elle se trouve aujourd’hui alors que
Mutismes décrit le sort des personnes qui vivent dans ce système alors
qu’elles ignorent comment on en est arrivé là. Lorenz Gonschor relève
toutes les références aux « symptômes du colonialisme » et aux causes
des femmes.
109
Littérama’ohi N°8
Lorenz Gonschor
Autres travaux de Chantal Spitz sur ces sujets
Chantal Spitz a écrit et publié un second livre Hombo - Transcription
d’une biographie en 2002 sur la désorientation et l’indifférence de la jeunesse
Ma’ohi et des textes sur l’identité, notamment « Identité corn-
ment... » dans Littérama’ohi.
Spitz s’oppose à la littérature prédominante des voyageurs étrangers
qui ont tendance à rendre son peuple exotique et à créer le mythe de
Tahiti “Paradis des mers du sud ». Parmi les mythes créateurs papa’a,
elle critique en particulier très fortement Paul Gauguin et Pierre Loti
dont elle relève la pédophilie (leurs compagnes Tahitiennes n’avaient
que 14 et 15 ans) et le sexisme. Dans un pamphlet, elle dénonce chez
Loti la perpétuation du mythe de la femme tahitienne, avec le personnage de Rarahu, 15 ans, compagne du narrateur dans la nouvelle Le
Mariage de Loti, objet exotique des désirs des mâles occidentaux, l’empêchant ainsi pour Chantal Spitz d’être juste un être humain ordinaire.
Mutismes de Titaua Peu
Mutismes est un roman autobiographique même si quelques passages
.
appartiennent à la fiction. Dans un de ces passages, la fiction rattrape
la réalité avec la victoire du parti indépendantiste en 1994 qui devient
réalité dix ans plus tard et un an après la parution du livre, avec les
mêmes effets sur l’auteur que pour l’héroïne du livre. Elles ont les
mêmes incertitudes, en 2004 pour l'une, en 1994 pour l’autre.
Autres femmes dans la littérature Ma’ohi
Depuis la fondation en 2002 de Littérama’ohi, revue littéraire bi-annuelle, de nombreuses jeunes femmes tahitiennes ont commencé à écrire
de petites histoires, des poèmes ou des essais. La plupart d’entre elles,
toutefois, n'ont pas encore publié de travaux importants et n’ont pas
montré un engagement réel dans le combat anti-colonial, mis à part
Titaua Peu.
110
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Il faut toutefois mentionner l’ouvrage Breadfruit, écrit en 2001 par
Célestine Hitiura Vaite, une jeune auteur tahitienne qui vit en Australie.
Lorenz Gonschor retient un chapitre du livre, celui où une mère tahitienne devient victime d’une
une
adoption frauduleuse par une française. Il y voit
des descriptions littéraires les plus bouleversantes de la violence
coloniale contre les femmes tahitiennes.
Conclusion
Lorenz Gonschor considère que les écrits de Chantal Spitz et de Titaua
Peu ont contribué à décoloniser l’esprit du peuple Ma’ohi en dénonçant
les dommages causés par les colons français et leurs collaborateurs
locaux. Cette décolonisation de l’esprit a abouti lors des dernières élections à la défaite des classes dirigeantes collaboratrices des colons par
la mobilisation populaire et elle a ouvert la voie au nouveau gouvernement indépendantiste qui, il faut l’espérer, à travers une nouvelle édu-
cation et une nouvelle culture, accélérera ce processus de décolonisation mentale.
«
Spitz et Peu sont les auteurs Ma’ohi les plus importantes. Leur utilisa-
tion d’une façon de penser plus polynésienne ainsi que leur talent artis-
tique, leur courage politique et leur persévérance dans un environnement hostile en font des femmes de mana ».
« Ces deux ouvrages doivent absolument être traduits en anglais. L’île
des rêves écrasés et Mutismes sont des chefs d’oeuvre de littérature
qui méritent d’être considérés à égalité avec d’autres remarquables travaux de la littérature des îles du Pacifique. Titaua Peu mais surtout
Chantal Spitz, devraient appartenir aux grands classiques du Pacifique
comme Albert Wendt, Sia Figiel, Epeli Hau'ofa, Kona Helu, Witi
Ihimaera, Patricia Grace, John Dominis Holt, Haunani-Kay Trask and
others ».
111
Littérama’ohi N°8
Pourquoi écrire ?
LA LITTERATURE POLYNESIENNE
AU LYCEE D’UTUROA
Après les élèves du Lycée Lamenais de Papeete de Heiata Chaze,
Hen Wai, Maeva Daguerre, Hinerava
Huioutu, Aveirii Lachaux, LoonaTeauna, HaamouraTeriierooiterai,
élèves de 1°L du Lycée d’Uturoa, nous ont envoyés leurs travaux menés
sous la direction de leur professeur, Violaine Riens
Mauarii Brothers, Reïa Chin
Lemaire, Jennifer Malinowski, Herehiti
Malinowski, élèves de Terminale L du Lycée d’Uturoa, nous promettent
Leurs camarades,Teiho
pour le prochain numéro de Littérama’ohi le résultat de leur travail de
TPE sur le thème :
«
Rupture et continuité de la littérature tahitienne »
Pourquoi écrire ?
Dans quelle langue ?
À l’occasion d’une rencontre avec Flora Devatine, organisée par les
professeurs de lettres et de tahitien du Lycée d’Uturoa, sur le thème de
l’écriture et du choix de la langue, les élèves de 1ère L ont pastiché librement l’écrivain pour définir leur rapport personnel à l’écriture. Les textes
qui suivent sont le fruit de cette réflexion, dont le point de départ a été
l’extrait des Tergiversations et rêveries de i’écriture orale, Te Pahu a
Hono’ura, proposé dans l’anthologie de Sonia Faessel, Poètes de Tahiti.
112
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Et j’écris,
Comme une goutte de pluie
Glisse sur une feuille de Opuhi.
Je m’exprime
!
Et j’écris.
Je ne sais comment écrire !
Comme l’Académie ou
Comme Raapoto.
«
«
E aha te faufaa ?
»
Na vai te papai papu
«
? »
À quoi cela sert-il ? »
Cela vaut-il la peine de devoir choisir
?
Je préfère savoir écrire les deux.
«
No hea mai teie mau papai
«
Na vai i imi teie mau papai
? »
? »
Le sens est le même
Pourquoi devrais-je choisir ?
Et j’écris comme je le ressens.
Comme je ressens que je souffre,
Quand je souffre,
J’écris ce que je ressens.
Et ça s’écrit !
Comme le premier poème qu’on écrit,
Quand vient la première déception amoureuse.
113
Littérama’ohi N°8
Pourquoi écrire ?
C’est le cœur blessé
Qui guide ma plume.
Sans attention au sens.
Sans attention aux fautes.
J’écris ce que je ressens.
Est-ce ça l’écriture
?
Lorsque je me relis,
Je suis frappée par la sincérité
De mes écrits.
«
Na vai i papai
? »
Je n’ai même pas besoin
De me corriger
Car cela effacerait
La sincérité authentique
Et l’authenticité sincère
UAmour Maohi
De la fille d’Apooiti.
Hinerava Huioutu,
1ère L, L.U.T.
114
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Pourquoi écrire ?
Moi j'écris
Quand bon me semble, je n’essaie pas de faire des rimes !
À quoi cela sert-il ?
Moi j’écris,
Ce que je ressens,
Ce que j’ai envie d’écrire,
Ce qui fait partie de moi, comme la vie fait partie du monde.
Aita outou e hinaaro e papa’i, no te aha outou e papa’i ai
?
Eiaha ia e papa’i.
Pour moi l’écriture,
Exprime les sentiments, les émotions les plus enfouies de ma personne.
Pourquoi ?
Parce que parfois les paroles ne suffisent pas.
Alors j’écris avec colère ou avec gaieté.
J’écris,
En rigolant,
J’écris,
En m’énervant,
Et parfois même,
J’écris en pleurant.
Pourquoi dois-je me confier à quelqu'un
Alors que le seul fait d’écrire me soulage
?
J’écris comme je parle ;
Comme on parle à un ami,
Comme on parle de sa vie,
Comme on parle de ses sentiments.
Lécriture n’est pas mécanique mais un fondement
!
115
Littérama’ohi N°8
Pourquoi écrire ?
Je préfère écrire mes secrets qu’en parler,
La parole n’est pas sûre, elle n’est pas fidèle,
Parfois même elle déforme tout.
Voilà ! Pourquoi écrire
!
Uécriture ne peut être déformée, ce que tu écris,
Reste ancré dans la feuille,
Comme les arbres sont liés à la Nature,
Comme la Nature est liée à la terre.
Alors moi je me réfugie dans mon Monde,
Comme une petite fille qui rêve d’un paradis.
Là, plus rien n’existe, plus rien ne compte,
Que moi et mon écriture.
Et puis j’écris, tout simplement...
Loona Teauna,
1ère L, L.U.T.
Depuis j’ai appris à écrire,
Au fil du temps,
Fouillant, imaginant l’origine de ma culture.
Et j’écris
!
Mais pourquoi remuer le passé,
Pour que j’écrive
Je sais pourquoi
?
!
Je cherche et je range mes idées.
Et j’écris
!
Uécriture en est ainsi,
Où se fonde la connaissance des mots,
Nécessitant une structure interne,
Et intellectuelle de ma langue.
Et j’écris à la portée
116
Dossier : Sur la littérature polynésienne
D’une culture polynésienne,
Pour enfin exprimer l’intérieur de soi,
Et tenter encore d’accéder
À l’aventure dans le monde de l’écrit.
Mai te tau i haapii ana vau i te papai
I imi ana vau
I feruri ana vau
To’u na mau aà
E papai ana vau.
Reïa Chin Hen Wai,
1ère L, L.U.T.
Et j’écris
En suivant les ondes nées du vent sur l’océan des Mers du Sud
À la quête du bout du monde, je me dirige vers de nouveaux horizons
Rêvant, imaginant.
Et j’écris
Au fil du temps qui passe et qui m’arrache à la terre de mes aïeux
Où sont profondément enfouies les racines sacrées de mon histoire
«
«
No vai nei au, no hea mai nei au ?
»
Aita ta’u e faufaa faahou i teie nei mahana.
»
Pourquoi écrire alors que je peux chanter ?
Pourquoi chanter alors que je peux parler ?
Devrais-je m’intéresser à ce que je vois, à ce que je vis ?
Ou n’écrire que sur le plaisir éphémère que je garde en moi ?
Et que ça s’écrit !
Comme toute personne soucieuse
De la valeur et du sens des mots,
Je les retouche un peu,
De ci, de là, afin d’obtenir le meilleur d’eux.
117
Littérama'ohi N°8
Pourquoi écrire ?
Comme nés d’expériences personnelles marquantes,
Dont on amplifie et cultive au fil du temps
Les aspects négatifs et positifs
D’où découle l’essence même de l’inspiration,
Ainsi en est-il de l’écriture.
La douleur qui nous transperce les entrailles
Donne toujours matière à écrire,
Ce qui nous cisaille
Nous donne un avant-goût du pire
Les mots sont parfois puisés dans les moments les plus difficiles
de la vie !
Écrire c’est aussi l’expression de soi,
La plume du stylo suit les traces de pas ancrés dans l’histoire
de la vie de chacun.
Et l’émergence des émotions cachées
Finit toujours sur du papier glacé.
Aveirii Lachaux,
1ère L, L.U.T.
Et j’écris
Comme mon cœur le ressent
Comme ma sincérité le demande.
Je ne sais pas pourquoi
!
Et j’écris
Sans me soucier de ta réaction
Sans me demander ce que toi tu ressens.
À quoi cela sert-il ?
118
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Si j’écrivais en me voilant, en ne tenant pas compte de mes sentiments,
L’écrit de mes sensations ne signifierait pas «
Car « écrire
» ne
Mais « écrire
veut pas seulement dire «
»
écrire »
écrire »
veut aussi dire « ressentir ».
Et que ça s’écrit
!
Bien entendu, je me relis,
Comme l’on ferait pour se souvenir
Comme l’on ferait pour ne pas oublier,
L’instant où notre main se laisse guider par notre inspiration.
Je réveille mes sentiments lorsque je me corrige,
Comme on réveillerait un mort.
Ainsi en est-il de l'écriture,
Laquelle se laisse guider par le cœur
Laquelle se laisse inspirer par la sincérité
Ce qui n’entraîne nullement
À écrire,
Mécaniquement !
Maeva Daguerre,
1èro L, L.U.T.
Et j’écris
En suivant le rythme diabolique de la logique
Exposant le dilemme de mes écrits, et, en même temps,
Prouvant, concluant
Dans quel but
?
119
Littérama’ohi N°8
Pourquoi écrire ?
Et j’écris,
Mais je peux pas m'arrêter
Comme submergée par mon imagination
!
Pourquoi tant écrire ?
Est-ce nécessaire de parcourir tant de lignes
E aha te faufa’a e papai ho’e tane tao
Ua ‘ite anei oe e papai papu teie
?
?
?
Ai-je vraiment tout compris,
Ou mis les mots à leur place
?
Et j’écris
Pas pour moi
Pas comme je le veux
Pas comme je le voudrais
Et que ça me plaise ou non
!
Évidemment, je n’ai pas à me plaindre
Comme une personne manquant de liberté
Ce que je ne suis guère
!
Haamoura Teriierooiterai,
1“ L, L.U.T.
120
Dossier : Sur la littérature polynésienne
Et j’écris.
Depuis ie début des temps,
L’écriture a pris le devant
Et j’écris
Au fil du temps
Comme souffle le vent
«
No te aha hoi, teie papai
«
No te aha te taui ?
«
No te maitai
? »
»
»
Et j’écris
Laissant place à mes sentiments
M’évadant dans le temps.
Et j’écris
Peuple à jamais disparu
À la mémoire irremplaçable
Sentiments mis à nu
J’écris
Ce que je pense qu’est l’écriture.
Mauarii Brothers,
1è,e L, L.U.T.
121
Littérama’ohi N°8
Tutii Chilton
THIS LAND IS...?
I see through the eyes
that quenched the thirst
called reality
and killed us all
that life as a whole
you dirty rat
builds poverty
you skanky ho
how can we move
when we’re broke
you made it like that
even when you go.
this society has always choked
This land is your land
now you
wonder
“this land is MY land
“twinkle, twinkle little star”
from california to the Pacific island
what harlot of life
from sea to sea
will go this far
YOU’VE KILLED MY FAMILY!!!
you’ve abused me
left me alone
you’ve abused me
and left me no home
I was here first
then you came
with your thirst for gold
life to you is a game
when it’s not yours
you take it anyway
to fill your purse
that’s what you say
In order to live with me
my land
you’ll have to be
a helping hand
but since you brought the poison
called drug and alcohol
on
122
Translated by Tutii Chilton
Ecritures
CETTE TERRE EST...?
Je vois a travers des yeux
qu’on appelé realite
que la vie comme un tout
construit la pauvreté
comment bouger
quand nous sommes démunis
cette société a toujours étouffé
maintenant vous vous interrogez
“scintille, scintille petite etoile”
quelle putain de vie
qui etanche la soif
nous tue tous
vous sale rat
qui puez
agissez ainsi
meme quand vous disparaissez.
vous
vous
Cette terre est votre terre
«cette terre est MA terre
depuis la Californie jusqu’aux iles du
Pacifique »
irait aussi loin
de mer a mer
vous avez abuse de moi
VOUS AVEZ TUE MA FAMILLE!!!
vous
m’avez laisse seul
vous avez abuse de moi
et m’avez laisse sans maison
j’étais la le premier
puis vous etes venu
avec votre soif d’or
la vie pour vous est un jeu
Traduit par Annie Coeroli-Green
quand quelque chose n’est pas a vous
vous le prenez quand meme
pour remplir votre bourse
c’est ce que vous dites
Dans le but de vivre avec moi
sur ma terre
vous deviez donner
un coup
de main
mais depuis que vous avez apporte le
poison
appelé drogue et alcool
123
Littérama’ohi N°8
Tutii Chilton
A SHORT STORY
The blood that pours from my head
down my arm and drips off my finger tips
which soils the ground I stand on
will only show you that those that came
with aggressive intention
will always cause blood to be drawn
when can we talk?
for many of years after I pass
will it continue?
see in 9.2. blood
is drawn
and punishment is void
like the soul you control
when in fact a lifeless being
walketh this mother aimlessly
my heart is broken and my spirit flew
to misunderstand is to be misunderstood
know ones self and you shall be free
"THE TRUTH SHALL SET THEE” could it be?
in all your physical misery
you can keep your God happy
by saying turn the other cheek
yeah, no problem, I’ll turn my ass cheek
when you look
see, see !!! the bloods dripping!!!
as the sunsets
behind, in the behind
and the cry of many
through my veins
howling the screams of millions
runs
124
100 to be exact
that perished in the face
of your wealth
blood and sweat mixed
at the end of a hard days work
when you relax and take a shower
and I have to scrounge for food
a foolish man would
believe he’s phat
keep me hungry and I'll steal
keep me broke and I’ll sell
keep me spiritually oppressed
and I’ll kill you in the name
of my Gods...
George is ONE
Abraham is FIVE
& Benjamin is HUNDRED
my Gods, your dead
the ones, fives and hundreds
keep me homeless
and I'll become your house guest
why can’t you see the wrongs
in all that you do
nevertheless, the stench of dead bodies
the stench of bodies in your mind
will never wake you to the tragedy...
that you no longer smell the sweet scent called
HUMANITY!!!
Littérama’ohi N°8
Tutii Chilton
UNE HISTOIRE COURTE
Le sang qui coule de ma tete
le long de mon bras
et dégouliné au bout de mes doigts
qui souille le sol sous mes pieds
te montrera seulement que ceux qui viennent
avec une intention
agressive
feront toujours verser le sang
quand pourrons-nous parler?
des années apres ma mort
cela continuera t’il?
voir au 9.2 le sang est verse
et la punition est vide
comme l’âme que
tu contrôles
quand en fait cet etre sans vie
erre mere sans but
mon coeur est brise et mon
ne pas
esprit vole
comprendre c’est etre incompris
connais-toi toi meme et tu seras libre
“LA VERITE POURRA TE DIRIGER’’ serait-ce possible?
dans toute ta misère physique
tu peux faire plaisir a ton Dieu
en disant tends
l’autre joue
ouais, pas de problème, je tendrai la joue de ma fesse
quand tu regardes
vois, vois!!! le sang dégouliner!!!
comme les couchers de soleil derrière, a l’arriéré
et les pleurs de tant
de courses a travers mes veines
126
Ecritures
hurlant les cris de millions
100 pour etre exact
qui périrent devant
ton sang riche (abondant)
et meie de sueur
la fin d’une dure journée de travail
lorsque tu te relaxes et prends une douche
tandis que je suis oblige de mendier ma nourriture
un fou croirait qu’il est gras
maintiens-moi affame et je volerai
maintiens-moi fauche et je vendrai
maintiens-moi spirituellement oppresse
et je te tuerai au nom
a
de mes Dieux....
George est UN
Abraham est CINQ
& Benjamin est CENT
mes Dieux, tes morts
les uns, les cinqs et les cents
maintiens moi sans logis
et je deviendrai l’invite de ta maison
pourquoi ne peux-tu voir les fautes
dans tout ce que tu fais
neanmoins, la puanteur des corps morts
la puanteur des corps dans ton esprit
ne te reveillera
jamais de la tragédie...
tant que tu ne sens plus l’odeur du doux parfum appelé
HUMANITE!!!
Traduit par Annie Coeroli-Green
127
Littérama’ohi N°8
Tutii Chilton
THE SILENT MAJORITY
Each one teach one
our
job has just begun
mental freedom
we must achieve them
a
physical struggle
to assimilate, boggles
a mind that’s oppressed
through cultural lesson’s they gave
distorted views of who I am
produced one, who’s not a man
and you wonder why people plunder?
I hate myself and what a I do
retarded concepts, that grew
will it enhance
say no more
till you break the door
that stops progression
through mis-education!
intellectual jargon
mistaken bargain
when you can’t read
you can’t meet your need
disciple is discipline
fight hard not to sin
materially prostituted
this I’ve concluded
to self fulfilling prophesy
in the midst of chaos
animalistic, wasn’t that easy
who’s the boss
say it often
and then you begin
that created the loss?
understand the problem
and you can solve them
understand the man
and I & I can
understand why
so you
won't buy
live and learn
this must by earned
only through experience
128
Translated by Tutii Chilton
Ecritures
LA MAJORITE SILENCIEUSE
Chacun enseigne à quelqu’un
comprendre pourquoi
notre travail vient tout juste de
ainsi vous ne croiriez pas
commencer
que vivre et apprendre
doivent se gagner
une libération
mentale
que nous devons réussir
une lutte physique
seulement à travers l’expérience
pour assimiler, embrouille
ne dites plus rien
jusqu’à ce que vous cassiez la porte
qui arrête la progression
imagination oppressée
par des leçons de culture dont ils
une
cela aura t'il plus de valeur
la més-éducation !
donnent
a travers
des vues déformées de qui je suis
jargon intellectuel
faux marchandage
quand vous ne savez pas lire
vous ne pouvez pas combler
le produit, qui n’est pas un homme
et vous vous demandez pourquoi les
gens pillent?
je me hais et hais ce que je fais
des concepts arriérés, qui ont grandi
jusqu'à prophétiser avec une
auto satisfation
vos
besoins
disciple égalé discipline
battez-vous durement pour ne
animalière, ce ne fut pas facile
pas pêcher
matériellement prostitué
dites le souvent
c’est ce que j’ai conclu
et ensuite vous commencerez
au
à comprendre les problèmes
qui est le chef
qui créa la perte?
puis vous serez capable
de les résoudre
comprenez l’homme
et moi & je pourrai
milieu du chaos
Traduit par Annie Coeroli-Green
129
Littérama’ohi N°8
Tutii Chilton
WHAT THEY SAY IS WHAT WE FEAR
F FALSE
E EVIDENCE
A APPEARING
R REAL
Translated by Tutii Chilton
TRANSLATED MEANS : That I believe the Almighty has blessed me to
put these thoughts and feelings together in this manner (poetry). You
have the same thoughts and feelings although you may express it in
another way. Therefore, when one translates s/he brings the words from
one language to another. This is all I’m doing, bringing my thoughts and
feeling from a spiritual plane into the physical plane (spirit, mind into
words).
PEACE
(Pproper Eeducation Aalways Ccauses Eelevation)
“THE MERE IMPARTING OF INFORMATION IS NOT EDUCATION. ABOVE
ALL THINGS, THE EFFORT MUST RESULT IN MAKING A MAN THINK AND
DO FOR HIMSELF”
-
CARTER G. WOODSON
“JUST BECAUSE YOU HAVE COLLEGES AND UNIVERSITIES DOESN’T
MEAN YOU HAVE EDUCATION. THE COLLEGES AND UNIVERSITIES IN
THE AMERICAN EDUCATIONAL SYSTEM ARE SKILLFULLY USED TO
MISEDUCATE”- EL HAJJ MALIK SHABAZZ
THANKS AND PRAISES TO THE ALMIGHTY, FOR ALL MY STRENGTH,
FOCUS AND UNDERSTANDING COMES FROM THE SOURCE.
THIS BOOK IS DEDICATED TO MY FAMILY, MY BROTHERS AND
SISTERS AT HOME AND ABROAD, MAY THE PEACE AND BLESSING OF THE ALMIGHTY BE UPON YOU AND YOUR FAMILY.
130
Ecritures
IN MY HOPE THAT I MAY BE ABLE TO SHARE WITH YOU MY THOUGHTS,
FEELINGS AND IDEAS: I HAVE PUT TOGETHER SOME OF MY FAVORITE
POETRY FOR YOU TO ENJOY. MAY YOU RECEIVE SOMETHING FROM
THEM, AS MUCH AS I RECEIVED FROM WRITING THEM.
STAY STRONG LIFE’S NOT LONG
“THE MOST POTENT WEAPON IN THE HANDS OF THE OPPRESSOR IS
THE MIND OF THE OPPRESSED”
-
BANTU STEVEN BIKO
WHAT THEY SAY IS WHAT WE FEAR
Ce qu’ils disent est ce dont nous avons peur
F FAUX
E EVIDENT
A APPARENT
R REEL
Traduit en anglais par Tutii Chilton
TRADUIT SIGNIFIE
: Pour moi que c’est une benediction du ToutPuissant qui m’a permis d’agencer pensees et sentiments d'une certaine
façon
memes
(poesie). Vos pensees et vos sentiments peuvent etre les
mais vous les exprimerez autrement. Donc, lorsque quelqu’un
traduit, il/elle apporte les mots d’une langue a l’autre. C’est tout ce que
je fais en amenant mes pensees et mes sentiments d’un plan spirituel
a un plan physique (ame, esprit en mots).
PEACE (= PAIX)
(Pproper (= convenable) Eeducation Aalways (= toujours) Ccauses Eelevation)
131
Littérama’ohi N°8
Tutii Chilton
“LA SIMPLE COMMUNICATION DE LINFORMATION N’EST PAS L’EDUCATION
PAR DESSUS TOUT,
L’EFFORT DOIT ABOUTIR A CE QUE L’HOMME
PENSE ET FASSE POUR LUI-MEME “
-
CARTER G. WOODSON
“LE FAIT D’AVOIR DES COLLEGES ET DES UNIVERSITES NE VEUT PAS
DIRE QUE VOUS FAITES DE L’EDUCATION. LES COLLEGES ET LES UNIVERSITES DANS LE SYSTEME EDUCATIF AMERICAIN
MENT UTILISES POUR MAL EDUQUER”
-
SONT HABILE-
EL HAJJ MALIK SHABAZZ
JE REMERCIE ET PRIE LE TOUT-PUISSANT, POUR AVOIR ETE LA SOURCE DE TOUTE MA FORCE, MA CONCENTRATION ET MA COMPREHEN-
SION
.
CE LIVRE EST DEDIE A MA FAMILLE, MES FRERES ET SOEURS CHEZ
MOI ET A L’ETRANGER, PUISSE LA PAIX ET LA BENEDICTION DU TOUTPUISSANT ETRE SUR VOUS ET VOTRE FAMILLE.
DANS L’ESPOIR DE POUVOIR PARTAGER AVEC VOUS MES PENSEES,
SENTIMENTS ET IDEES : J’AI REUNI POUR VOTRE PLAISIR QUELQUES
UNS DE MES POEMES PREFERES. PUISSENT-ILS VOUS APPORTER
AUTANT QUE CE QUE J’AI REÇU EN LES ECRIVANT.
RESTEZ FORTS LA VIE N’EST PAS LONGUE.
“L’ARME LA PLUS PUISSANTE DANS LES MAINS DE L’OPPRESSEUR EST
L’ESPRIT DE L’OPPRESSE”
132
-
BANTU STEVEN BIKO
Ecritures
ISLAND PROBLEMS
‘ONCE WERE WARRIORS’
FIERCE AND STRONG
‘ONCE WERE WARRIORS’
EUROPE COULDN’T GO WRONG.
IN THE YEAR THAT CAME
TRADITIONS IN WHOSE NAME
FOLLOWING 200 YEARS
CONSTANTLY SHEDDING TEARS.
SO NOW IN 97
ALCOHOL, ICE: HEAVEN
A PRICE TO PAY
A WARRIORS DEATH THEY SAY.
WASTED MINDS
WASTED SOULS
DRUGS ARE IN CONTROL.
THE MEN ARE BOYS
FIGHTING FOR MATERIAL TOYS
THE WOMEN ARE WOMEN
STYLING IN MATERIAL FIRMS.
SO THE CONFUSION STATED
CULTURAL SELF DETERMINATION
WHAT’S THE QUESTION
EUROPEAN EDUCATION?
THE FALSE PROPHET
HISTORICAL COUNTERFEIT
MADE UP LIES
WHICH ONE IS WISE?
133
Littérama’ohi N°8
Tutii Chilton
THE ELDERS WERE PEACEFUL
I’M WARLIKE
YOUR DEATH DO EYE SEE
YOUR THE MEEK
BASTARDIZED MY LIFE
RAPED MY WIFE
HALF BREED IS PRODUCED
I’M WITH THE CURSE
MOTHERS SHEDDING TEARS
SONS LOST THROUGH CULTURAL FEARS
AND NOW YOU CALL ME THE WELFARE CHILD
I’M THE PRODUCT, I AM WILD
STRAIGHT TO YOUR HEART
YOUR CITY STREETS FALLING APART
YOUR HOME VANDALIZED BY DRUGS
YOUR CHILDREN THE STREET THUGS...
YES I’M SCREAMING
AT THE TOP OF MY LUNGS
AS I LUNGE
THE KNIFE TO YOUR TEMPLE
SIMPLE...
YOUR DEATH...
‘ONCE MY PEOPLE WERE WARRIORS’
Translated by Tutii Chilton
134
LES PROBLEMES DE L’ILE
‘IL ETAIT UNE FOIS DES GUERRIERS’
FIERS ET FORTS
‘IL ETAIT UNE FOIS DES GUERRIERS’
L’EUROPE NE POURRAIT ALLER MAL.
L’ANNEE D’APRES
AU NOM DES TRADITIONS
S’ENSUIVIRENT 200 ANS
DE LARMES CONTINUELLEMENT VERSEES.
ALORS MAINTENANT EN 97
ALCOOL, ICE = PARADIS
LE PRIX A PAYER
LA MORT DES GUERRIERS DIT-ON.
ESPRITS PERDUS
AMES PERDUES
LES DROGUES CONTROLENT.
LES HOMMES SONT DES PETITS GARÇONS
SE BATTANT POUR DES JOUETS MATERIELS
LES FEMMES SONT DES FEMMES
CREANT DANS DES FIRMES MATERIELLES.
VOILA LA CONFUSION ETABLIE
L’AUTO DETERMINATION CULTURELLE
QUELLE EST LA QUESTION
L’EDUCATION EUROPEENNE ?
LE FAUX PROPHETE
CONTREFAÇON HISTORIQUE
FABRIQUE DES MENSONGES
LEQUEL EST SAGE ?
Littérama’ohi N°8
Tutii Chilton
LES ANCIENS ETAIENT PACIFIQUES
JE SUIS LA GUERRE
VOTRE MORT M’OUVRE LES YEUX
VOUS DONT LA DOUCEUR
A BATARDISE MA VIE
A VIOLE MA FEMME
UNE RACE METIS EST NEE
JE SUIS AVEC LA MALEDICTION
DES MERES VERSANT DES LARMES
DES ENFANTS PERDUS DANS LA
PEUR DE LEUR CULTURE
ET MAINTENANT VOUS
M’APPELEZ ENFANT ASSISTE
JE SUIS LE PRODUIT, JE SUIS SAUVAGE
DIRECT VERS VOTRE COEUR
LES RUES DE VOTRE VILLE TOMBENT EN RUINES
VOTRE MAISON EST SACCAGEE PAR LES DROGUES
VOS ENFANTS SONT DES VOYOUS DE RUES...
OUI JE HURLE
DU PLUS PROFOND DE MES POUMONS
TANDIS QUE JE PRECIPITE
LE COUTEAU VERS VOTRE TEMPE
SIMPLE...
VOTRE MORT...
‘IL ETAIT UNE FOIS MON PEUPLE DES GUERRIERS’
Traduit par Annie Coeroli-Green
136
Ecritures
MISSION STATEMENT: PACIFIC INITIATIVE
Many minds that meld
many hearts were held
many thoughts that provoke
many words that spoke.
My oath, my covenant
never again we must prevent
we touched
each other
we understood
it starts here...
First time
the mind lies the fear !
first rhyme
what’s mine, what’s yours
Move on Courageous
my heart does burn.
brothers and sisters
We’ve come together
keep on, keepin’ on
stay strong, life’s not long.
these Oceanic thinkers
laying the map of progress
NEVER AGAIN TO REGRESS !
Four days of eye opening
four days of Oceanic singing
four days old
The point to be made
on
let’s commit to the road.
paper it was laid
proactive, inactive ?
struggle to live...
I pledge my allegiance
our
to the Oceanic way
The definition
to what we say
I pledge my allegiance
the education
the tired old lines
no more
just mines.
no
regrets, no frets
struggling too...
battle the invasions
any questions ?
Crossing these intellectual
crossing these cultural
crossing these political
just cross the waters spiritual.
You and i
to the questions why ?
this day committed
no more shall come
Waters that separates
to justify the sum
waters that perpetuates
of years of domination
waters that eliminates
IT’S OURS... EDUCATION.
intimate students of life...
Translated by Tutii Chilton
137
Littérama’ohi N°8
Tutii Chilton
MISSION DECLARATION :
UNE INITIATIVE PACIFIQUE
De nombreux esprits qui avaient rejoints
De nombreux coeurs furent pris
De nombreuses pensees qui provoquèrent
De nombreux mots qui parlèrent.
Premiere fois
Premiere rime
Qu’est-ce qui est a moi, a toi
Mon cœur brûle.
Nous sommes venus ensemble
Penseurs océaniens
Couches sur la carte du progrès
POUR NE PLUS JAMAIS REGRESSER !
La mise au point a faire
Sur papier était posee
Proactif, inactif ?
Notre lutte pour vivre...
La definition
L’éducation
Les vieilles rides de fatigue
plus jamais uniquement miennes
Croisant ces intellectuels
Croisant ces culturels
Croisant ces politiques
Juste une traversée des eaux spirituelle.
des eaux qui séparent
des eaux qui perpétuent
des eaux qui éliminent
intimes etudiants de la vie
138
Ecritures
Mon serment, ma convention
Plus jamais nous devons empecher
Nous nous sommes touches
Nous avons compris
Ca commence ici...
L’esprit nie la peur !
Bougez-vous Courageux
Freres et sœurs
Continuez, en continuant
Restez forts, la vie est courte.
Quatre jours pour ouvrir les yeux
Quatre jours de chants océaniens
Ages de quatre jours
Engageons-nous sur la route.
Je promets fidélité
A l’Oceanic way (la façon d’etre des océaniens)
Je promets fidélité
A ce que nous disons
Pas de regrets, pas de soucis
En luttant aussi...
Combattre les invasions
Des questions
?
Vous et moi
Aux questions pourquoi
?
Ce jour engage
Plus rien ne pourra
Justifier le nombre
D’annees de domination
C’EST A NOUS...EDUCATION.
Traduit par Annie Coeroli-Green
139
Littérama’ohi N°8
Vaite Devatine
Extraits de « Textes en live »
LE CHOIX
“C’est pas évident la jeunesse ! Difficile... Difficile... dif..fi..ci..le !!...
pfff....!!!
Faut choisir sa route au bon moment.... Faut savoir sauter sur l’occasion offerte... Mais plus dure est de savoir sauter sur la Bonne Voie
quand Etudes et Vie professionnelle se confrontent à l’approche de la
trentaine
Moi, j’fais quoi ? Je peux pas poser la question aux autres car ils
dire quoi choisir car chacun décide pour soi et chacun est maître de sa “route de vie”....Mais
j’ai envie de crier “putain de
bordel de choix à faire !!!!” Pardon pour la vulgarité
Mais j’Ie ressens
yraiment comme ça dans mes tripes, ce choix !
ne peuvent pas me
...
Galère, galère!!!...Mais c’est pas la “Galère de Vénus”, ni celle de
Cythère....
Il n’y a pas de “Paris” dans cette histoire, seulement un “Pari” sans
“S”....Un “pari” sur soi, un pari pour savoir si on saura bien mener sa
barque
Il n’y a pas non plus de “Grand Augure” à cette histoire là sur
lequel
puisse se confier....Seul l'avenir nous dévoilera si l’on a fait les bons
choix dans notre vie....Et encore, on le saura qu’une fois bien ridé, les
cheveux blancs, à moitié sourd, à moitié aveugle,.... Bref qu’à cet âge
où l’on peut se retourner sur sa vie, pour ne pas dire à cet âge où il ne
nous restera plus qu’à regarder en arrière !
on
140
Ecritures
La vie est belle, la vie est travail, la vie peut être aussi instructive,
gaie, chaleureuse, triste, remplie d’émotions de toutes sortes....Mais
Dieu ce qu’elle est dure !!!!!
Il ne faut pas se leurrer... La vie, ce n’est pas que “cour de récré”,
comme
je l’ai souvent pensé sans le dire, sans me le dire ... Mais sinon,
compte, de façon très inconsciente, jusqu’à maintenant, après
en fin de
ces mots écrits ci-dessus.
T’as raison, maman : “écrire”, c’est vraiment “prendre conscience”...
En fin de compte ces deux termes sont synonymes.
Pardon
encore
pour mon
gros-mot ! Mais ces gros-mots, c’est
aussi moi !
Faudra que je me penche là dessus un de ces jours, sur «
Le Moi
et les Gros-mots... Question identitaire? » ....Mhmmm... Intéressant...
Intéressant... A approfondir II
141
Jean Vanmai
LES CONTRATS D’EDITION
Deux types de contrats lient un éditeur à un auteur : le contrat a compte
d’éditeur et le contrat à compte d’auteur.
CONTRAT A COMPTE D’EDITEUR
C’est le contrat de référence dans le milieu juridique de l’édition.
L’auteur vend, contre rémunération, les droits d’exploitation de son
manuscrit à l’éditeur, qui en assure, à ses frais, la fabrication, la diffusion et la vente.
L’éditeur reste alors le propriétaire des droits d’exploitation de l’ouvrage durant la période légale de cession (70 ans après la mort de l’auteur).
L’auteur reste propriétaire des droits moraux de son oeuvre (il peut
refuser des corrections ou une autre forme d’exploitation : poche, film,
CD-Rom, etc.) et perçoit un à-valoir (définitivement acquis quelques
soient les ventes, sauf en cas de litige) et un pourcentage sur les ventes
futures, qui sera aussi versé à ses ayant-droits en cas de disparition de
l’auteur.
Les pourcentages sur les ventes sont généralement entre 7% et
12% des ventes hors taxes (attention, il faut enlever les 5,5% de TVA au
prix indiqué sur la couverture).
Bien entendu, selon l’importance et les exigences de l'auteur ou de
l’éditeur, chaque type de contrat peut être modulé. Les auteurs connus
ont droit à des Contrats adaptés.
Pour ces « contrats adaptés », les auteurs touchent en général
10% jusqu’au 10.000e exemplaire vendu, 12% jusqu’au 20.000e, 14%
au-delà du 20.000e.
Les droits dérivés et annexes (ou voisins) : ce sont les droits sur les
ventes effectuées, par la suite (en cas de succès), sur d’autres supports
écrits que ceux définis par le contrat (Club du livre, format de poche,
etc.) voire audiovisuels ou multimédias (adaptation au cinéma, à la télévision, CD-Rom, etc.).
142
Droit
Les pourcentages sur ces ventes se négocient aux environs de 5%
pour les supports papier. Les droits audiovisuels et multimédias se par-
tagent le plus souvent en deux, entre l’éditeur et l’auteur. Ces chiffres
sont bien sûr indicatifs. A chacun de négocier...
'j
CONTRAT A COMPTE D’AUTEUR
L’auteur fournit un manuscrit que l’éditeur publie et diffuse aux frais
de l’auteur, selon les conditions définies par le contrat (nombre d’exem-
plaires, format, etc.).
Les exigences que doit vérifier tout auteur signant un contrat à
compte d’éditeur sont aussi valables ici.
L’auteur reste propriétaire de tous les droits (moraux et d’exploitation) de l’ouvrage et du produit des ventes.
Comme l’auteur reste propriétaire des droits moraux et financiers
de son oeuvre et que l’éditeur n’intervient qu’en intermédiaire, ce
contrat est limité dans le temps : en général, celui de la fabrication et de
la vente, soit au grand maximum deux ans.
Tout contrat à compte d’auteur, selon le Code de la propriété intellectuelle (articles L. 132-1 et L. 132-2, ex-articles 48 et 49 de la loi du
11 mars 1957), n’est pas un contrat d’édition.
C’est un «
louage d’ouvrage régi par la convention, les usages
et les dispositions des articles 1787 et suivants du Code civil... » (extrait de l’article L. 132-2).
Précisions indispensables à faire figurer : le document signé doit
préciser la nature du contrat : « à compte d’auteur » avec le libellé
complet d’un article L. 132-2.
Sa durée, qui est limitée.
Les modalités de fabrication et de publications : nombres d’exemplaires, format, qualité du papier, corrections, etc..
Les modalités de diffusion : nombres de librairies, durée de la
...
-
-
-
mise en vente, etc.
-
-
La non-cession des droits de l’ouvrage à l’éditeur.
La part (largement majoritaire) de l’auteur sur le produit des ventes.
143
Littérama’ohi N°8
Jean Vanmai
Tout retirage doit faire l'objet de nouvelles négociations et d’un nouveau contrat.
Il faut aussi reconnaître que de nombreux procès et histoires sin-
gulières agrémentent ce mode d’engagement contractuel et moral :
Le premier problème avec ce genre de contrat est que l’éditeur ne
prend aucun risque ; ensuite, rares sont les ouvrages à compte d’auteur qui bénéficient d’une bonne publicité.
Une association en France, dénommée Calcre*, s’est donnée pour
mission d’aider et de défendre les auteurs inexpérimentés, surtout en
cas de
signature de contrats à compte d’auteur.
Il existe aussi d’autres types de contrats :
CONTRAT DE COMPTE A DEMI
C’est un contrat à compte d’auteur en ce sens que l'auteur finance
les frais de fabrication et de diffusion.
CONTRAT A COMPTE D’AUTEUR A PARTICIPATION
Cette forme voisine, dite contrat « à compte d’auteur à participation », fait financer partiellement par l’auteur la fabrication et la diffusion.
Dans ces deux cas, c'est une « association en participation dans
le cadre des articles 42 et suivants du code du Commerce
»
(article L.
132-3 du Code de la propriété intellectuelle, ex-article 50 de la loi du 11
mars
1957).
CONTRAT A COMPTE D’AUTEUR DIT MINIMUM
Il se résume en gros à un devis d’imprimerie, la seule différence
résidant en ce que l’éditeur prête son label.
L’AUTOEDITION
L’autoédition est une édition alternative à l’édition traditionnelle.
Cela n’a rien à voir avec « l’édition à compte d’auteur », « l’autoédition
assistée
144
» non
plus.
Droit
Le qualificatif d’autoédition doit être réservé aux seuls auteurs qui
exercent, pleinement et au grand jour, leur droit de reproduction, sans
qu’un éditeur ne soit impliqué de près ou de loin par leurs démarches.
S’autoéditer, par conséquent, c’est le fait de s’éditer, de produire et
diffuser soi-même ses ouvrages sans autre intermédiaire.
Attention ! l’autoédition a bel et bien un statut reconnaissant cette
activité : celui de profession libérale ou d’entrepreneur indépendant.
Et, en l’état actuel des choses, comme il sort plus de livres que le
monde ne pourra jamais en lire, et plus d’auteurs qu’il ne pourra jamais en
reconnaître, l'autoédition se développe de plus en plus, en métropole
ailleurs, et convient finalement pour les publications à faible tirage.
comme
Jean Vanmai
Documentation et extraits
:
«
Guide Lire de l’écrivain »,
Jean-Luc Delblat, Editions l’Archipel, 2000. pages 209-213.
*CALCRE (Comité des acteurs en lutte contre le racket de l’édition)
BP 10 016 94404 VITRY Cedex
-
www.calcre.com
Jean Vanmai
Par Frédéric Angleviel
Il est né le 3 Août 1940 sur la mine Chagrin, commune de Koumac.
Son père était arrivé comme engagé en 1937, et il fut parmi les derniers
Tonkinois à être autorisés à résider en Nouvelle-Calédonie. Il s’était
marié sur place avec Madame Nguyen Thi Hao, provenant comme lui
du nord du Vietnam. Jean Vanmai suivit des études à Koumac avant de
se
rendre au lycée technique de Nouméa. Après le départ de sa famil-
le en décembre 1960, à bord du navire Eastern Queen pour Hai Phong,
il entra dans la vie active comme technicien radio. Devenu un spécialiste reconnu dans le secteur de l’audio-visuel et de l’électroménager,
créa
avec
des amis Calédoniens le
il
magasin Flash de Magenta en
1970. Aujourd’hui, son entreprise a fait fusion avec le groupe Caldis. En
145
Littérama’ohi N°8
Jean Vanmai
raison de son influence dans sa communauté d’origine, il fut reconnu
plan politique et fut un élu du R.P.C.R. au Congrès du Territoire
de 1988 à 1995. Il fait aujourd’hui parti du directoire du Rassemblement.
sur le
Marié à Elena Wendt, d’origine futunienne, il en eut trois enfants.
Très tôt connu pour être un animateur inlassable au service de sa
communauté, il fut l’un des artisans de la création du foyer vietnamien.
Ceci l’amena du reste à rédiger en 1991
le livre commémorant le cen-
tième anniversaire de l’arrivée des premiers Indochinois en Nouvelle-
Calédonie. Devenu « historien du dimanche
»
pour servir sa commu-
nauté, il participe depuis cette époque à de nombreuses réunions et
conférences faisant la promotion de la rencontre des cultures.
Sa notoriété vient du fait qu’il fut un des premiers Calédoniens à se
lancer dans l’écriture romanesque et qu’il a su y présenter sa communauté
(Chân Dang, 1981
;
Fils de Chân Dang, 1983 ; Nouméa-
Guadalcanal, 1988) puis les différentes facettes de la NouvelleCalédonie d’hier et d’aujourd’hui avec la trilogie Pilou-Pilou, qu’il édita
président de la SGLF, Georges Olivier
Châteaureynaud, préfaça ainsi le troisième volume de cette saga :
« Jean Vanmai a reçu à profusion ce qui manque le plus aux écrivains
français d’aujourd’hui : le souffle du romancier... La trilogie s’achève sur
un message humaniste d’espoir et de concorde ». Parallèlement, J.
Vanmai a publié six contes et nouvelles, une septième intitulée Phuong
et Sopadi, deux petits « Niaoutis » du nord calédonien, étant encore
entre
1998 et 2002. Le
inédite.
L’Association des Ecrivains de Langue
Française lui décerna en
1981 le Prix de l’Asie pour son premier roman, Chân Dang. Il est aujourd’hui membre de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques,
sociétaire de la Société Des Gens de Lettre de France, sociétaire de
l’Association des Ecrivains de
Langue Française et membre de
l’Association des Ecrivains de Nouvelle-Calédonie.
Frédéric Angleviel, 2003
Maître de conférence à l’UNC
146
Tamatoa Bambridqe
UN DROIT FONCIER AUTOCHTONE EN DEVENIR
EN POLYNESIE FRANÇAISE
Par Tamatoa Bambridge (CNRS-PRODIG)1
Ce texte est un extrait remanié d’un chapitre de ia thèse de doctorat en sociologie menée en
Polynésie française et dans l'archipel des
1998 et 2003. Ce chapitre résume
certains enjeux fonciers qui se posent en Polynésie aujourd'hui.
îles Australes en particulier, entre
Résumé
:
La très grande
indétermination de ce qu’on pourrait appeler un
» est une conséquence, dans les îles de la
Polynésie française, du déplacement de la question foncière de la chefferie vers le ôpü, sans que le système officiel ait pu prendre le relais.
droit foncier autochtone
«
Cette indétermination se manifeste d’au moins trois manières. En premier lieu, pratiquement tous les principes de la structure sociale indifférenciée sont désormais soumis à des tensions extrêmes. En second
lieu, les contradictions deviennent extrêmes entre une conception traditionnelle du droit d’usage et une approche en terme de droit de propriété.
Enfin, la régulation officielle semble entrer dans un maëlstrom dont on
distingue pas la fin à brève échéance.
ne
1
T. Bambridge est chercheur au CNRS, membre de l'UMR 8586 PRODIG. Ses travaux portent
sur les
dynamiques foncières en Océanie et dans les espaces outre-mers français. Contact : tamatoa@univ-paris1.fr
147
Littérama’ohi N°8
Un droit foncier autochtone indéterminé
Quelles sont les quatre caractéristiques premières de la structure,
soumises aux tensions sociales, que le contexte pluraliste rend particu-
lièrement ambiguë ?
Le premier élément est le concept de l’unité des frères et soeurs. Ce
concept est aujourd'hui soumis aux tensions les plus extrêmes, à tel
point qu’il nous a fallu en discuter en termes sociologiques, tant son statut juridique est aujourd’hui flou2. Cette unité repose avant tout sur une
reconnaissance sociale que les espaces de corésidence amplifient.
Autrement dit, même l’unité des frères et sœurs, fondéè sur des reconnaissances sociales, est nécessairement déterminée par la résidence
des groupements de parenté et une échelle de valeurs sociales locale.
L’irruption de l’état civil dans le champ social a, de ce point de vue, rendu
cette unité largement indéterminée, bloquant les dynamiques identitaires
anciennes, permettant une revendication foncière sans même qu’une
résidence directe ou indirecte ne soit effective. La notion de « tiàmô »
(libre, indépendant, légitime) est dans cette perspective exemplaire. Du
point de vue légal, « tamarii tiàmô » traduit par « enfant légitime » au
sens du code civil, alors que du point de vue polynésien, « tiàmô » renvoie tout à la fois à l’idée de résidence indissociablement liée à celle
d’indépendance. Autrement dit, « tamarii tiàmô » siper ce contresens.
L’influence étatique, en matière de filiation, a donc produit des situations
inextricables dont les fils doivent être démêlés au cas par cas.
La seconde indétermination du « droit autochtone », a trait à l’ambi-
guïté qui se rapporte au niveau de groupement pertinent à prendre en
compte dans le cadre d'une revendication foncière. Les analyses réalisées dans la région du Pacifique, ces dernières années, ont permis de
2 Si ce
concept avait revêtu un caractère juridique, nous aurions pu le considérer (sous un angle
sociologique) comme une contrainte s'imposant dans le champ social et non comme un concept
soumis aux alternatives les plus contradictoires. Nous avons suffisamment étayé le fait que l’unité
des germains (au sens local) relève d’un ordre juridique différent car il est indéterminé dans le temps
et toujours susceptible d'être réexaminé à la faveur des évènements et de leur interprétation.
148
Droit
préciser les relations sociales entre les différents niveaux de groupements de parenté, que la seule catégorie de « clan » ou de « tribu »
dissimulait3. A partir de ces différents niveaux de groupements, ces
études ont constaté le caractère pluriel des stratégies sociales mettant
en jeu différents niveaux de groupements (et pas seulement les clans),
allant de l’individu au groupement le plus important et soulignant l’importance capitale des groupements intermédiaires.
En effet, l’unité des frères et sœurs, cette première caractéristique de
la « structure », est associée au fait qu’il convient de raisonner en terme
de groupement et non en terme d’individu4. Ainsi, plus le groupement à
prendre en compte est important (allant du ôpüau ôpü tamarii restreint),
plus les faits les plus contradictoires peuvent apparaître. Les revendications peuvent non seulement opposer des ôpü, mais également des
ôpü fetii entre eux dans le cadre d’un ôpü ou d’une section de ôpü, mais
aussi des membres d’un même ôpü tamarii de tête. Toutes ces possibilités sont bien réelles et ont été rencontrées. Des situations ambiguës en
résultent car tous les instruments officiels et non-officiels peuvent être
utilisés dans une lutte sans merci où le compromis, le consensus et les
modes de résolution des conflits pré-européens font défaut.
La législation officielle introduisant un pluralisme juridique dans le
champ foncier se complexifient parallèlement, en fonction des situations
très variées: état civil, présence-absence d’un cadastre, d’un tomite et
des règles officiellement applicables. Or c’est cette seconde caractéristique (raisonner en terme de groupement) qui pose problème dans la
mesure où le code civil privilégie l’individu au détriment du groupe. La
jurisprudence qui vient corriger les règles écrites du code (revendication
par souche) est cependant incapable de prendre en compte la première caractéristique mentionnée: l’unité des frères et sœurs, autrement
que par des artifices juridiques (testament, prescription trentenaire)
bien imparfaits.
3 Stover
(1990); Ward (1995); Larmour (1997)
4 Dans le même
sens, voir E. R. Leach (1961, p 241) cité par R Ottino (1972, p 433).
149
Littérama’ohi N°8
Tamatoa Bambridge
La troisième indétermination
'
porte sur la conception même de la
propriété associée à un droit de propriété ou un droit d’usage. En particulier dans l’archipel des îles Australes, nous avons bien noté que les
droits de propriété sont reconnus, soit à un ancêtre (tupuna), soit à une
personne très âgée. Il y a là une constance entre les revendications traditionnelies et les revendications devant le droit officiel. Nonobstant, les
reconnaissances de propriété impliquent que la propriété de la terre soit
reconnue
à un groupement de parents, qu’il s’agisse du ôpü, du ôpü
fetii ou du
ôpü tamarii. Autrement dit, les droits fonciers reconnus
devant le système judiciaire, sont avant tout des droits théoriques sus-
ceptibles de se transformer en droits réels en fonction de la résidence
ou de la domiciliation d’un groupement de parenté5. Aussi, ce sont
moins des droits de propriété que des droits d’usage de la terre qui sont
associés aux membres des groupements ci-dessus, car eux-mêmes de
leur vivant n’ont pas la propriété réelle (au sens du code civil) de leur
patrimoine. En dépit du fait que selon le droit officiel, la succession ne
porte plus que sur des transferts de choses d’un patrimoine à un autre
(la terre est considérée comme un « bien immobilier »), on ne peut
pourtant pas en conclure dans l’archipel des Australes que la succèssion au droit de propriété est devenue plus importante que la succèssion aux droits d’usage. Certes, en Polynésie, la législation ne reconnaît
pas le patrimoine du ôpü6 puisqu'elle confond le patrimoine du ôpü
avec I’ «» où chaque individu dispose d’une quotité du bien commun susceptible d’être partagé. Alors que nous l’avons vu précédemment, la
5 Dans un
précédent article (1998), nous nous sommes risqué à faire une analogie entre la revendication foncière devant le système étatique donnant droit à un droit de propriété théorique (et non
réel) et les premiers fruits de l'année remis au groupement d’origine dans l'ancien temps, signe de
préséance, parfois d'allégeance, et du maintien des droits latents envers l’espace de corésidence.
6 A vrai
dire, il nous semble qu’aucune législation dans le monde ne reconnaisse les patrimoines
fonciers des ramages ou des lignages. G. Vladyslav (1999) mentionnait qu’en Nouvelle-Calédonie
c'est dans le cadre juridique le plus flou que les terres des clans ont été reconnues. Voir aussi
Tiffany (1977); Cooter (1991); Waiko (1995) pour une discussion des difficultés pratiques à cette
reconnaissance selon que l’on favorise la loi législative ou la “loi coutumière” issue des cours de
justices locales et traditionnelles: problèmes d’efficacité dans le premier cas, difficultés pour unifier
les coutumes dans le second cas.
150
Droit
configuration des revendications par les générations les plus anciennes
appropriation collective des terres par le ôpü et sur un
monopole d’utilisation par ses membres7.
La quatrième indétermination caractéristique, est la non-unicité du
patrimoine foncier, laquelle est étroitement associée à la structure des
groupements et à leur logique topographique. En clépit de la disparition
des marae qui constituaient les signes les plus visibles de l’ancrage des
groupements dans des lieux de corésidence, nous avons nous-même
été surpris par la pérennité de ce trait relatif aux groupements de parenté
se fonde sur une
aux Australes. En
sence
raison de l’occultation des savoirs anciens et de l’ab-
d’un espace consensuel public, il peut également arriver qu’un
membre ancien (ou sa descendance) ayant connaissance de ces terres
«
oubliées », les revendique dans le plus grand secret où le àitau devient
l’instrument privilégié. Par ailleurs et en
dehors de ce cas, lorsque la
jurisprudence croit s’« adapter » aux normes traditionnelles en appliquant la règle de « l’attribution préférentielle » ou encore le concept de
« droit de
superficie »8, c’est parfois de manière inconsidérée que ces
7
Depuis le début de cette étude, nous avons employé de nombreuses fois la notion d'appropriation dans un sens très général et relativement vague. Cela est dû au fait que nous n’avons pas
voulu donner de définition restrictive à ce terme. Ce qu’implique socialement la notion d’appropriation devait être démontré et non postulé. Il apparaît maintenant clairement que la notion d’appro-
priation renvoie bien à l'“affectation à un usage” au sens de Le Roy (1991, pp 11-23) qui écrit, p
11: “Le rapport foncier est un rapport social déterminé par l’appropriation de l’espace. (...) Cette
première définition cache de nombreuses difficultés (...) La première de ces difficultés est terminologique dans la mesure où la notion d”‘appropriation” recouvre deux réalités, deux manières de
penser l’espace et les rapports sociaux. Ainsi, doit-on constamment se demander si la référence à
r’appropriation” concerne Faffectation à un usage” (...), ou “l’attribution du droit de disposer”
comme dans la tradition du code civil français ou de la théorie de l’ownership britannique (...)”.Tout
le chapitre 10 dans Le Bris, Le Roy et Mathieu (1991), p 27-36: “Lappropriation et les systèmes de
production”, est pertinent pour la discussion de la notion d’appropriation. Mentionnons aussi la très
bonne analyse de G. Augustins (1989) concernant les conceptions de la propriété des Francs et
des Romains dans l’Europe médiévale.
® Ainsi
que le rappelle Ciparisse (1999), pp. 21-22: “le droit de superficie c’est le nom donné au droit
de propriété qui porte sur les constructions et les plantations dans le cas où la propriété de ces
choses est dissociée de la propriété du sol. (...) Le droit de superficie n’est pas régi par le Code Civil
ni par une loi ultérieure. Si la loi l’ignore, la doctrine et la jurisprudence le considèrent comme un droit
réel de plein exercice. Ce droit a été introduit en Europe et aussi en Afrique au XIXème siècle...”
151
Littérama’ohi N°8
Tamatoa Bambridge
règles sont appliquées car toutes les terres ne sont pas appropriables
par n’importe quel groupement.
Tension(s) entre droit d’usage et droit de propriété.
La seconde conséquence de la disjonction entre la chefferie deve-
fonctionnelle, remplacée par l’administration et le recentrage
de la question foncière au niveau du ôpû, est de provoquer des tennue non
sions et des ambiguïtés entre droit d’usage et droit de propriété.
Dès que
l’emprise de l’Etat a été manifeste, surtout lors des
annexions, les tensions sont apparues entre ces deux conceptions de
la propriété. Les réformes foncières du début (procédure des tomite)
puis du milieu du siècle (mise en place du cadastre) furent des
moments de grandes tensions dont les effets se font de plus en plus
sentir aujourd’hui. Pare a Teinaore, membre des toohitu de Rurutu, rappelait que peu après 1900 et avec l’arrivée des premiers étrangers,
quelques Rurutu leur avaient vendu des terres pour payer leurs dettes,
en dépit des interdictions formulées dans le code. A cette époque la tension était encore résolue par les mécanismes d’accueil que nous avons
présentés : afin d’éviter de rendre les terres à son propriétaire originel,
l’accueilli maria ses enfants à l’accueillant, mettant ainsi fin à une possible bifurcation de la conception de la propriété9.
Cela étant, la reconstitution des droits fonciers pré-européens ne
s’identifie pas à la tenure foncière des années 1870 ou 1900 car le droit
foncier pré-européen nous semblait relever beaucoup plus d’un empilement de droits différents, superposés sur un même espace. Il s’agissait
de droits d’usages plus ou moins actualisables dans les rapports
sociaux en fonction de circonstances variées. Conformément à ce que
d'autres auteurs ont relevé dans d’autres
9 T. Teinaore
(1999), pp. 118-134.
Ward et Kingdom (1995); Larmour (1997).
152
régions du Pacifique10, les
Droit
ventes entre les groupements de parenté sont devenues possibles tandis que les ventes à l’extérieur des groupements n’étaient guère envi-
sagées que sous une forme négative. Aux Australes, dans la période
1900-1940, les exemples de ventes entre des groupements de parents
ou entre des groupes co-résidents dans les villages, n’ont cessé de se
développer. Même si le cadre social des ventes est relativement précis,
ces normes concernant les ventes n’en demeurent pas moins soumises
de manière importante à des « ajustements locaux consonants avec
les conditions changeantes »11.
Compte tenu de l’importance grandissante acquise par les non-résidents dans la sociologie des terres aux Australes, c’est en effet cette
fraction de la parentèle qui tente de contraindre (ou de profiter de) ces
dynamiques internes. Dans l’association de Tupuai, le cas des ventes
hors du ôpü est intéressant et leur valeur est liée à l’identité personnelle des dirigeants, projetée aux autres membres. Isidore, un non-résident, expliquait à ce sujet:
tupuna », comme je te l’ai dit. Mais sije dois le faire, il faut
vraiment qu’il y ait quelque chose qui m’oblige à le faire. Si je dois
« aux «
le faire, c’est comme si je ne croyais plus en Dieu ! On a été élevé
dans un milieu protestant, je ne vais pas souvent au « pureraa »
(au temple), mais jamais je ne dirai quoi que ce soit sur le protestantisme. Ca ne me viendrait pas à l’idée de remettre l’existence de
Dieu en question ! Jamais je ne me suis posé la question de savoir
s’il existe vraiment ! C’est comme ça
et c’est comme ça. Mon
grand-père nous disait : -« eiaha e hoo atu i te fenua tupuna12 ».
J’étais tout jeune alors ! Mais c’est quelque chose qui est resté... »
Sans contester ûuvertement les règles officielles, les dirigeants de
cette association, tentent de s’en servir pour résoudre les «
structure
11 Moore
»
conflits de
inhérents à la logique foncière polynésienne.
(1989), p 298.
12 “Il ne faut
pas (il est interdit de) vendre les terres des ancêtres”.
153
Littérama’ohi N°8
Tamatoa Bambridge
La. réutilisation stratégique du code civil est une autre manière de
faire face aux « conflits de structure
»
dans les normes traditionnelles.
A Tupuai comme à Raivavae, une vente ancienne est remise en cause
par les descendants. Comme l’indique Isidore :
«
En fin de
compte, les associations familiales, beaucoup de
familles ont créé ces associations, ce n’est pas récent, au départ
c’était en vue de recenser toutes les terres des ancêtres... Des
fois, on recherche... Souvent dans des ventes, il n’y a pas eu d’autorisation gouvernementale et la vente est faussée là, elle est nulle.
On attaque aussi là dessus. Des fois, l’autorisation est arrivée tard
ou pas
du tout... »
Dans le même sens, la prescription trentenaire facilitée par l’existence
d’un cadastre est activement combattue par cette association. Isidore
explique :
«
..Avec le pasteur et tous les gars de l’association, on a décidé de
garderie terrain pour ne pas que ça soit squatté parquelqu’un d’autre
et surtout le but c’est d’empêcher qu’on ne squatte le terrain.. »
La
avec
réduplication est ici symptomatique. Lorsque nous discutions
Isidore, il semblait dire qu’officiellement (au sein de son associa-
tion et non au regard du droit formel), aucun moyen violent n’était utilisé pour empêcher le àitau ou pour revenir sur une vente ancienne. Cela
est étayé par la
manière dont il parle des cas où des moyens nonlégaux (au regard du droit étatique) sont utilisés :
« ...Tu as vu ces derniers
temps, beaucoup ont eu ce comportement: les gens se pointent sur le terrain et commencent à foutre le
bordel ! Et à ce moment là, aidés par une association, ils arrivent à
deux cent sur le terrain et iis foutent le bordel. Puis, ils se retrouvent au Tribunal....
154
»
Droit
Toutefois, comme nous avons rencontré Isidore plusieurs fois et que
nous sommes
parfois arrivés à son bureau ou chez lui à l’improviste à
Tahiti, nous l’avons surpris avec des dirigeants d’une autre association qui
avait agi de la manière sus mentionnée13. Aussi, il semble que tous les
moyens légaux sont utilisés dans un premier temps pour faire face aux
situations générées par les « conflits de structure » mais que parallèlement cela n’empêche pas que d’autres moyens soient utilisés en même
temps ou lorsque les possibilités de recours en justice sont épuisées14.
Il en est de même aujourd’hui avec les cadastres « traditionnels »
(parau fenua) et administratifs qui se sont succédés à Rurutu et à
Rimatara. Les revendications par la prescription trentenaire (àitau)
devant le droit officiel témoignent d'un jeu considérable. Les appropriations des terres dans ces deux îles se font toujours par les ôpü fetii,
mais celles-ci peuvent naître de fondements d’une très grande variabilité: accueillis de passage dont les descendants transforment les droits
d’usage en droit de propriété; monopolisation des terres revendiquées
à l’origine par un représentant d’un ôpu tamarii où les descendants du
représentant revendiquent au nom personnel du représentant d’origine.
La comparaison des parau fenua (paroles sur les terres) et du
cadastre est éloquente. Dans le cadre des parau fenua (paroles sur les
terres), la propriété de la terre cédée à l’arrivant, n’est pas disjointe de
l’ensemble des relations qui l’unissent à celui qui l’a accueilli, de l’assise locale et des mécanismes d’intégration de l’organisation locale. Avec
le passage de l’oral à l’écrit, l’occultation de savoirs anciens et la disparition des anciennes générations, même les descendants des accueillis
qui n’ont aucune assise locale, revendiquent des terres dans ces îles.
Au-delà de la question de l’évolution et du dysfonctionnement de la
chefferie locale, tous les moyens sont bons à utiliser pour s’approprier des
terres: recherche de coalition, soutien de telle famille sur laquelle on
13 Précisons immédiatement
qu’il ne s'agit pas de l’association “Mata Ara” (Les “yeux ouverts” ou
I’ “œil vigilant”) dirigé par Joinville Pômare.
14 Dans le même
sens, Strathern et Stewart (1998); Schneider (1998).
155
Littérama’ohi N°8
Tamatoa Bambridge
«
parie ». Dans tous ces cas, il n’y a plus aucune logique pré-coloniale à
l’œuvre: tous les arguments sont bons à utiliser pour nier une vente,
asseoir une revendication, contester une décision de justice. La
question
n’est pas de faire le procès du passage d’une tradition à une modernité,
mais lorsque les fonctionnalités traditionnelles d’intégration ont perdu de
leur valeur, les arguments qui sont ici utilisés mettent avant tout en
la spécificité des groupements (allant du ôpü à l’individu,
exergue
passant par le
ôpü tamarii) et non plus leur insertion dans une organisation locale.
On peut trouver une argumentation inverse, comme à
Rapa et à
Raivavae, qui dénonce les modes privés d’appropriation des terres, surveille au sein de l’organisation locale les pas encore timides que font certains, pour séparer leur propriété de l’espace d’organisation locale sans
encore oser clôturer cet
espace privé où le déclarer au service du
cadastre. Dans la confrontation de revendications concurrentes, les formes
anciennes de compromis sont souvent mises entre parenthèses, faisant
place à des moments de grandes tensions mobilisant des coalitions d’influence et des conduites nouvelles constatées dans l’usage de la terre.
L’organisation étatique dans le maelstrom
Nous avons considéré les principes de la structure sociale indifférenciée comme étant une référence permettant une latitude d'action assez
considérable. Cette position théorique préfigure les enjeux qui se dessinent. La structure sociale ne rend plus seulement possible la constitution d’une référence identitaire, elle devient l’enjeu même de cette référence :
le changement social est susceptible d'affecter les
principes
mêmes de la structure sociale16. Dans cette perspective, les enjeux fonciers apparaissent avec d’autant plus de force que les relations collatéraies prennent le pas sur les relations de descendance.
Pour une constatation du regain que revêtent aujourd'hui ces
questions et ces problématiques
concernant la parenté, voir le numéro spécial de la Revue Française
d'Anthropologie, Lhomme,
n°164-155, avril, septembre 2000. En particulier, les articles concernant le chapitre: “la parenté...
à quoi ça sert
pp. 373 à 488, notamment les articles de Strathern et Stewart, pp. 373-390;
Glowczewski, pp. 409-430, etc.
156
Droit
La situation, de nos jours, se retourne complètement car les relations entre collatéraux avec la mort des dernières générations de tête,
prennent l’avantage sur les relations de descendance. Un seul chiffre
peut nous donner une idée du caractère exceptionnel de la situation. A
ce jour, pour une population de 220 000 personnes (pour toute la
Polynésie française), il y a environ 700 dossiers de revendication de
terres déposés au tribunal de Papeete. A raison de trois affaires de partage de terre par dossier (ce qui nous fait 2100 affaires, soit statistiquement une affaire pour cent quatre personnes et ce chiffre implique aussi
les enfants si bien qu’en réalité, il y a environ une affaire pour... trente
personnes).
Ces quelques chiffres succincts nous permettent d’indiquer qu’il n’y
a pas une seule personne en Polynésie, qui soit d’un âge mûr et qui ne
soit pas concernée à plusieurs titres (allant de l’individu à l’appartenance à un des groupements de parenté pertinent), par au moins une affaire de terre (impliquant là aussi les différents niveaux de groupements).
Le tribunal semble écouler environ cent dossiers par an tandis que cent
cinquante dossiers sont présentés chaque année16. C’est dire si la situation n’est pas prête de s’améliorer... Notons que la plupart des décisions du tribunal ne font, dans cette perspective, qu’avaliser une nouvelle situation d'« indivision » (dans la terminologie francophone) souhaitée par les groupements.
Si le système étatique et centralisé ne va pas plus loin dans l’individualisation des droits fonciers, cela tient aussi aujourd’hui, à des raisons de pragmatisme économique. Nous' pouvons en citer au moins
deux: les effets négatifs des partages sur le régime foncier et le coût
des revendications. A force de favoriser de manière quasi idéologique la
propriété privée individuelle, le système officiel doit désormais prendre
-en compte les limites d’une telle logique17. Dans certaines situations, les
Source: Juge Thorel,
Président de la Commission de Conciliation. Audition devant le CESC
(1998).
^ La
parcellisation excessive des terres est un fait que l’on rencontre aussi en Bretagne et qui a
donné lieu à des tentatives de remembrement de la propriété dans des conditions parfois difficiles.
157
Littérama’ohi N°8
Tamatoa Bambridge
groupements revendiquant les terres sont devenus tellement importants
(numériquement) que si le tribunal allait plus loin que la revendication
par ôpü ou par ôpü fetii, les terres seraient trop petites pour que toutes
les personnes aient une parcelle individuelle. Il s’agit là d’un véritable
tournant dans l’histoire foncière polynésienne, favorisée par une croissance démographique sans précédent. Du début du siècle jusqu’aux
années 1960-1970 environ, l’individualisation des droits fonciers en tant
qu'idéologie, était activement supportée par les élites urbaines.
Depuis les années 1980 jusqu’à nos jours, les réalités économiques
ont forcé ces dernières à changer leur fusil d’épaule, tant le partage est
devenu impossible dans quelques situations18. A titre d’exemple, le
Conseil Economique Social et Culturel a discuté à la fin des années
1980 de « Uindivision en Polynésie française », le rapport de ce même
conseil à l'aube de l’an 2000 est intitulé « Foncier: gestion de l’indivision, facteur de développement économique, social et culturel »19. Pour
autant, ni le premier ni le second rapport ne proposent de solution en
vue de gérer cette « indivision ».
En second lieu, le coût des revendications pour le système officiel
est, sans doute, un des paramètres qui explique l’intervention « minimaliste » de ce même système en matière de revendications foncières. Les
revendications se font par ôpü et tous les membres de ces ôpü ne sont
pas convoqués au tribunal, seulement un ou deux représentants le sont
par souche. Le code de procédure civile en Polynésie française prévoit
deux assignations. Une assignation (avec accusé de réception) coûte
7000 CFP (53 euros), deux assignations : 14000 CFP (106 euros). S’il
Selon les norbies de l’urbanisme, il faut au moins que la parcelle de terre fasse 400 mz pour
autoriser la construction d’une maison
Partant d’un constat assez simple : les élites (tahitiennes) parlent “d’indivision’’ comme pour
objectiver une situation pathologique et en même temps, participent, pour la plupart, à une appropriation collective des terres. A quoi tient cette différence entre ce qu’ils vivent et ce qu’ils disent ?
Phénomène intéressant lié à un “double langage” au sens de N. Elias (1989). Peut-être que pour
reprendre un constat de Kay (1978): même lorsqu'ils parlent en français, les Tahitiens n’accordent
pas le même sens aux mots. Il ne s’agit là que d’une piste pour débuter une étude que nous
n'allons pas aborder ici.
158
Droit
fallait convoquer, admettons, cent personnes (ce qui comprend tous les
membres des ôpü tamarii de tête composant les différents ôpû fetii,
dans le cadre d’un ôpü donné) comprise dans une affaire, cela coûterait donc 1.400.000 CFP (5336 euros) et nous n’en serions qu’au tout
début de la procédure. Ainsi, en appliquant à la lettre les règles du code
Polynésie française, la juridiction civile aurait en très peu de temps
épuisé son budget de fonctionnement.
Dans la même perspective s’ajoute le problème lié au temps procéen
durai du fait de l’intervention du tribunal dans les affaires foncières.
Nous avons déjà évoqué le fait que les règles officielles étaient inadap-
tées, ne serait-ce que parce que ce sont des groupes et non des individus qui revendiquent. Par temps procédural, nous entendons le temps
qui s’écoule entre le moment où une enquête de gendarmerie commenpour octroyer l’assistance judiciaire, le suivi de la requête qui est
déposée pour la première fois au tribunal et le moment où, pour une
affaire donnée, le dernier jugement est rendu avec son certificat de nonappel20. Pour l’archipel des Australes, un tableau nous donne une idée
de ce temps procédural :
ce
Affaire concernée
Délais judiciaires
Affaire Patii (Tupuai)
Avril 1976 à mars 1983
7 ans
Aives/Lenoir (Rurutu}
Mars 1985 à juillet 1990
5 ans
Teri’ihaumatani (Raivavae)
Juillet 1987 à février 1993
14 ans
Temps procédural
Poetai (Rurutu)
Août 1985 à Mars 1992
7 ans
Lenoir/Tarina (Rimatara)
Juin 1979 à juin 1993
14 ans
Tavita (Rurutu)
Août 1993 à juillet 1997
4 ans
Mairau (Rurutu)
Avril 1979 à mars 1982
3 ans
Hauata (Tupuai)
Mars 1995 à 1999 (en cours
4 ans
20 Les
partages “amiables" sont donc exclus de ce temps procédural.
159
Littérama’ohi N°8
Tamatoa Bambridge
\
Il ne s’agit là que d’un échantillon qui ne saurait avoir de valeur sta-
tistique. Ce tableau appelle néanmoins quelques commentaires. Toutes
ces affaires ne sont pas conflictuelles et, d’un point de vue judiciaire,
sont tout à fait classiques. Il n’y a par exemple eu aucun appel (mis à
part le dernier cas Hauata). Les affaires dont le temps procédural est le
plus long (entre sept et quatorze ans) mettent en jeu plusieurs ôpü fetii
revendiquant dans le cadre d’un ôpü (Patii, Tarina, Teriihaumatani). Les
affaires les plus courtes (entre trois et sept ans) concernent les revendications par ôpü fetii (Alves/Lenoir, Poetai, Mairau, Tavita). Le cas
Mairau que nous avons déjà évoqué, n’est même pas une affaire de
revendication de terre car un partage à l'amiable s’est fait dans le cadre
d’un ôpü tamarii. Ce qui a pris beaucoup de temps a été de demander
un certificat d’hérédité car le tupuna en question avait disparu en mer.
L’absence de constat de son décès empêchait la revendication officielle
par les descendants.
Compte tenu des remarques précédentes, cela signifie que lorsqu’un groupement fait une revendication, il doit s’attendre en début de
procédure (selon la taille du groupement, les caractéristiques judiciaires
attachées à son cas), à un délai d’au moins trois-quatre ans, allant jusqu’à quatorze ans (si tout se passe bien) entre la première requête, et
l’attribution de la propriété21. Connaissant le nombre de dossiers présentés chaque année devant le tribunal, nous pensons que ce n’est pas
la commission de conciliation, récemment mise en place, qui résoudra
les problèmes fondamentaux que posent les enjeux fonciers aux
Australes, à fortiori en Polynésie. On peut d’ailleurs se demander jusqu’à quel point cette commission n’a pas pour fonction de donner une
solution satisfaisante aux enjeux fonciers mais plutôt de résoudre des
problèmes internes à l’organisation judiciaire22.
21 De manière
générale, ces délais sont également vérifiés en
Polynésie française par l’étude
menée au service des Affaires de Terre à Motu Uta, Papeete, Tahiti. Voir annexe 2.
22 Voir T.
160
Bambridge (1996).
Droit
Par ailleurs et en eux-mêmes, ces délais expliquent, comme nous
l’avons mentionné, que le système judiciaire ne veut pas s’impliquer
davantage dans les affaires foncières qui constituent un véritable piège.
En revanche, les professions para-judiciaires (avocats, généalogistes,
agents d’affaire, cadastre privé, etc..) sont en face d’une véritable
« mine d’or » car ils interviennent à différents niveaux de la
procédure
judiciaire et contribuent à la rallonger. Cela explique aussi que beaucoup de partages ne se font pas devant le système judiciaire tant le coût
est exorbitant économiquement et culturellement I23
Nous avons remarqué que les alternatives ouvertes dans le cadre
des relations foncières ne reposent pas sur de simples choix normatifs
et antagonistes, car c’est à partir des schèmes culturels en vigueur, que
les possibilités qu’offre la situation de pluralisme sont actualisées. Par
ailleurs, tout en se référant à un ordre normatif local, les individus et les
groupes, par leurs choix et décisions, concourent à faire évoluer ce
même ordre normatif (incluant les configurations du pluralisme intranormatif local et les relations entre les ordres normatifs)24.
23 A titre
d’exemple, une revendication de terre selon les normes traditionnelles à Rapa par ôpû
fetii (ou dans 1e cadre d’un partage amiable ailleurs aux Australes), ne prend pas autant de temps.
Un mois tout au plus est nécessaire à l’organisation traditionnelle à Rapa, entre la demande d'une
terre à un tiàau et l’aval accordé par les toohitu pour la dite terre, sans compter que cette organi-
sation est entièrement gratuite.
24 La définition
que donne J. Vanderlinden (1995, p 583) du pluralisme juridique est très intéressanté puisqu’elle reconnaît à l’individu une certaine autonomie dans le contexte d’une pluralité des
ordres normatifs: “la situation, pour un individu, dans laquelle des mécanismes juridiques relevant
d’ordonnancements différents sont susceptibles de s’appliquer à cette situation”. Mais cette définition réside dans le fait que les ordres normatifs semblent s’imposer aux individus en fonction de
leurs choix. Elle ne considère pas le fait que le choix lui-même puisse être constitutif de l’ordre normatif et de sa dynamique. Autrement dit, cette définition ne prend pas en compte la récursivité
entre l’individu et l’ordre normatif. Les interactions entre les individus et les groupes sont à la fois
un
produit culturel et constituent, en même temps, le terreau des interactions futures.
161
Littérama’ohi N°8
Tamatoa Bambridge
Tout comme nous n’avons postulé à priori aucune déstructuration
irréversible du champ foncier, du fait de l’influence étatique, nous ne
souscrivons pas non plus à une vue relativement harmonieuse de la
structuration du champ social. Les configurations des revendications, la
non-unicité de la succession, les processus d’accommodation, apparaissent comme autant de variables permettant de mettre en doute l’ef-
adaptation »25 constatée entre des normes
antagonistes est plus porteuse de contradictions que d’intégration. Le
sens doit sans cesse être recherché et reconstitué à partir des pratiques sociales.
Dans cette hypothèse, ce n’est pas parce que les normes non-officielles se situent dans la clandestinité qu’elles se maintiennent. Au
contraire, elles opposent une résistance et contredisent les principes
officiels lorsqu’elles entrent étroitement en contact avec ceux-ci. De ce
point de vue, il convient de noter que le problème n’est pas que la règle
externe, étatique, n’est pas effective: on constate qu'elle ne l’est pas
puisqu’elle est détournée et réinterprétée; le problème est plutôt que,
paradoxalement, la règle officielle renforce la règle non-officielle qui lui
est contraire26. En effet, la perspective de recourir à un tiers (l’Etat)
imposant un système de règles (en matière de filiation par exemple)
avec des sanctions possibles (des différences d’appréciation dans les
parts d’héritage), garantit la validité des arrangements entre les groupements: on va écarter telle terre du partage parce qu’un problème de
filiation se pose; on va écarter telle autre terre parce que le principe de
non-unicité de la succession ne serait pas reconnu ou parce que la
situation actuelle de pluralisme oblige les groupements à procéder à
l’invention de normes locales. En d’autres termes, la présence d’une
ficacité réelle de l’Etat. L’«
25 Au sens du Mémorundum
26
(1936).
Dans le même sens: S. F Moore (1978) et dans le Pacifique, un collectif d’auteur remarque que
lorsque la coutume est officiellement légalisée, il se développe également des pratiques extralégales contraires à la coutume légalisée. Voir Ward R. G. et Kingdon E. (1995), surtout le chapitre
7, p. 250 d’A. Hooper et de G. Ward.
162
Droit
régulation étatique, renforce des arrangements qui sont contraires aux
règles officielles27.
En outre, l’intervention du système judiciaire sur la scène
publique
occulte pour une grande part la question des statuts susceptible de se
poser en liaison avec les revendications foncières. L’organisation étatique en matière foncière apparaît alors comme un espace imparfait de
production du consensus social, où les hétérogénéités anciennes et
modernes des versions historiques ne sont plus confrontées dans un
espace public consensuel, mais dans un espace public favorisant leur
hétérogénéité. La coexistence de normes opposées n’engendre pas
une restructuration signifiante et
intégrée, si tant est que cela puisse
exister, mais une dualité normative qui se maintient d’autant plus fortement que les antagonismes sont nombreux et profonds28.
27
Pour une discussion théorique des aspects de cette question, voir J. Beliey
(1977); J. D.
Reynaud (1993), notamment, pp. 56-63. Ce dernier auteur signale en particulier le "paradoxe du
tiers garant”, pp. 60-61 :“(...) Dans le paradoxe de Hobbes, on peut imaginer une solution où le souverain n’est rien d’autre qu’un tiers garant de l’accord qu'ont passé entre eux les hommes “raisonnables”. La règle de contrôle -le respect de la propriété et de la vie d’autrui- est identique au
contrat qu’ils pouvaient signer, à la règle autonome qu’ils avaient élaborée. La sanction qu’elle
édicte, fait que trahir [le fait que] le contrat n'est plus avantageux. La règle de contrôle renforce (met
en vigueur) la règle autonome
qui lui est semblable. (...) Ce cas de figure est cependant plus
exceptionnel qu’il y paraît. Il est rare que l’autorité politique se borne à garantir les pratiques des
citoyens; ou que le droit se borne à codifier la coutume. Plus souvent, ils les corrigent. Soit au profit d’une des parties, que l’autorité juge injustement traitée (...). Soit l'autorité oblige à des transactions qui sont moins avantageuses pour les deux parties (...) La conclusion est plus évidente encore si les deux parties ont intérêt à ignorer la
règle de contrôle (...). Le plus important, cependant,
n’est pas que la règle de contrôle ne soit pas effective. C'est plutôt que, paradoxalement, la
règle
de contrôle renforce la règle clandestine qui lui est contraire (...)”.
28 A cet
égard, les deux conceptions du temps qui traversent ie champ social sont révélatrices de
dans la
conception polynésienne, n'est pas créateur de droit. Les processus d'accommodation impliqués
dans l’utilisation de la prescription trentenaire dans la région des Australes est probablement le
meilleur indice de cette conception du temps. Par ailleurs, le souci de la continuité est plus important que celui de la succession. Même les détournements des règles étatiques relatives à la filiation,
témoignent avec vigueur de la profonde prégnance d’un temps non créateur de droit qui est actualisé par la continuité de la résidence réelle ou fictive. On observe bien une réinterprétation fonctionnelle des catégories du droit étatique (droits réels, origine de propriété, àitau, tomite) ou encore une
accommodation sociale. Mais cette réinterprétation est en quelque sorte « de l’émergence d’une
structure symbolique. Autrement dit, le système ici symbolisé est lui-même symbolique.
la dualité normative observée. Les processus locaux paraissent indiquer que le temps,
163
Littérama’ohi N°8
Tamatoa Bambridge
Conclusion
Comme l’indiquait F. von Benda Beckmann, l’anthropologie juridique
est un nouveau domaine dont on n’avait jamais entendu parler avant les
particulièrement créatif et
champ de rencontre de nombreuses approches scientitiques29. Depuis l’irruption du modèle étatique dans le champ social, un tel
domaine d’étude est, à notre sens, d’un intérêt majeur en ce qui concerne la compréhension des changements culturels intervenus au niveau du
système de la filiation indifférenciée en vigueur en Polynésie orientale et
en ce qui concerne les valeurs sociales que ce système véhicule30.
La disjonction actuelle des relations foncières et les tentatives de
refonctionnalisation par l'Etat de l’espace foncier, sont de ce point de
vue parfaitement éclairantes. Vraisemblablement, l’enjeu qui se posera
demain à la Polynésie sera sans doute de reconnaître officiellement des
pratiques aujourd’hui considérées comme extralégales (en matière de
filiation, de régulation de l’autorité, de domiciliation des groupements,
de non-unicité de la succession, etc.) et de considérer sérieusement la
validité des juridictions coutumières31.
années 1970. Ce domaine est aujourd’hui
constitue le
29 F. von Benda-Beckmann
(1971), p 89.
99 Les distinctions au sens de Firth entre “structure sociale” et
“organisation sociale” sont apparues
à cet égard, comme très utiles pour décrire les dynamiques sociales complexes qui se sont super-
posées dans le champ foncier depuis maintenant près de deux siècles. Même dans le cadre de la
compréhension de la dynamique actuelle du champ social, la perspective théorique dé la semi-autonomie du champ social est encore plus pertinente en observant l’interaction des temporalités.
Dans le champ local, les manières dont le passé et le futur sont actualisés dans le présent, nous
font penser à une société polynésienne qui semble s’inscrire dans un ordre symbolique plus “performatif” que “prescriptif”, plus dynamique que statique. La réappropriation des outils étatiques et
administratifs vont dans le sens d’une régulation locale. Les tensions internes à la régulation semiautonome de l’autorité et des conflits pour constituer un espace foncier consensuel, admettent un
large éventail de possibilités pratiques. Nous sommes donc loin d’une perception de la société
dominée et obligée par des droits et des devoirs s’imposant à chaque individu ou encore d’une
conduite sociale qui obéisse aux impératifs et aux sanctions stipulées par le droit étatique.
91
Certes, Griffiths (1986) a bien souligné la nécessité méthodologique de distinguer l’étude des normes
sociales d’origine étatique et celles qui ne doivent pas être confondues avec ces dernières. Toutefois et
comme le
suggère Rouland (1988), l’Etat n’est pas fatalement l’ennemi des normes d’origine commu-
nautaire. La dynamique du champ social semi-autonome nous semble en être une illustration.
164
Droit
La question
ici implicitement soulevée a bien trait au principe de
que les nations européennes se sont elles-mêmes
engagées à discuter et à mettre en oeuvre dans de nombreux secteurs
de la vie sociale. Il est probable que ce principe sera susceptible de
prendre en compte les aspirations légitimes et contradictoires qui sont
en jeu dans le champ social32. Il implique un processus de « reconsidération » au sens de Morse qui conduirait bien plus qu'à une meilleure
prise en compte des normes non-officielles par l’Etat, puisque ce sont
essentiellement les modalités de son intervention dans le champ de la
parenté et des terres qui doivent être questionnées. Dans ce sens, l’importation du modèle étatique dans la société polynésienne est ellemême sujette à caution33. Désormais, l’enjeu théorique et pratique sousjacent à cette démarche de « reconsidération » porte essentiellement
sur le problème d’étendre et d’articuler les principes fonciers endogènes.
«
subsidiarité
»
22 La notion de “subsidiarité” est
impliquée en sous-jacent dans notre discussion de la tentative de
refonctionnalisation de l'espace foncier. Cette notion permet d’étudier deux questions a) est-ce que
tel ou tel secteur de l’activité sociale est fondamental pour telle ou telle régulation? ; b) il s'agit en
outre de distinguer où sont les zones d’autonomie des différentes régulations impliquées dans le
jeu social. Dans le cadre de notre discussion du pluralisme sociologique et normatif, il convient d’indiquer que la gestion des terres et ie statut des personnes constituent des aspects fondamentaux
de chacune des régulations étatique et locale. En particulier, l’Etat préfère s’accommoder d’une
situation où les règles ne se modifient pas fondamentalement (voir à ce sujet l’exemple du règlement du droit de succession au Pays Basque dans Rouland (1998)), les modifications étant néanmoins permises à un niveau inférieur (exemple: le code de procédure civil en Polynésie française).
D’un autre côté, il peut être possible de percevoir certaines inflexions significatives où le droit positif français apparaît de plus en plus multiculturel au sens de Rouland (1999). Il en est ainsi de la
discussion en cours en ce qui concerne l'octroi d’une citoyenneté polynésienne, tout en restant
dans ie cadre de la Nation française. L'octroi de certaines compétences législatives à la Polynésie
française en constitue un indice. Du point de vue du pluralisme sociologique, il serait alors intéressant de discuter des “postulats légaux communs” en émergence et cette discussion mériterait sans
doute une analyse de l’articulation et des tensions entre les “droits de l’homme” (ou “droits
humains”) et les “droits autochtones”. Mais il s’agit là d’un autre débat...
33 Voir Morse
(1988), Le Roy (1999)
165
Littérama’ohi N°8
Tamatoa Bambridge
Parce que la question foncière est régulièrement exprimée en
termes identitaires dans le monde océanien, le problème qui se posera
demain à la
Polynésie sera moins d’introduire des outils juridiques
entièrement nouveaux34, que d’articuler les principes fonciersendo-
gènes et le Développement (au sens des institutions internationales)35.
Lorsque nous avons situé le problème et les enjeux fonciers à ce
niveau, nous en revenons à notre point de départ sur les modalités de
la constitution des enjeux fonciers, historiquement et idéologiquement
situés.
C’est bien une question de représentation sociale qui pose un véritable défi. N’est-il pas exact que le concept de «
droit traditionnel »,
lorsqu’il est utilisé non pas pour se référer à une époque pré-européenne mais pour désigner un ensemble de normes en vigueur, constitue un
qualificatif que l’on donne à un « droit moderne » avec un inconscient
ethno/socio-centrique ? En langage occidental, parler de « droit traditionnel » n’est-il pas qu’une manière de catégoriser des droits autochtones dans la modernité ? Autrement dit, ne s’agit-il pas d’une « maniére » de décrire des droits modernes qui ne sont pas, en l’occurrence,
d’obédience occidentale, ce dernier qualificatif étant irrémédiablement
et faussement associé à l’idée de « modernité
»
? En effet, dans la
perspective étatique, tout semble se passer un peu comme si les droits
autochtones n’étaient pas contemporains de la modernité ! Aussi, pourquoi continuerions-nous à employer les termes de « droit traditionnel »
34 E. Le
Roy (2001, pp 5-12) mentionne en particulier le « retour du foncier » en tant que problématique de la fin des années 1990.
33
Hooper et Ward (1995), p 264, expriment la même idée de manière un peu différente: “In coming
decades further changes will occur in the values to which Pacific island peoples adhere (or ignore) when they organise their societies, arrange their settlement patterns, choose their political leaders, and decide how they use land. In all these issues, the manner in which land tenure is handled will be a factor. Until now Pacific Islanders have had a breathing space in which to ignore the
contradictions between practice, custom and law in land tenure, and between the rhetoric of ‘tradition’ and what actually happens in villages, towns, squatter settlemênts and farms. (...) but the
‘breathing space’ which has allowed adjustment without confronting the inconsistencies of recent
decades cannot be, in Howlett’s phrase, an ‘infinite pause'.”
166
Droit
pour désigner un droit dont le contenu a évolué tout en restant fidèle à
une
logique dont les modalités dynamiques sont toujours à préciser36. In
fine, il nous semble que ce n’est pas ce droit autochtone qui est traditionnel, mais notre manière de le catégoriser. Une question de
«
regards » là encore...
Tamatoa Bambridge
A cet égard, Rouland (1988), pp. 379-381, discutant des échecs des réformes agro-foncières
Afrique après les indépendances, mentionne deux erreurs rendant compte de ces insuccès. La
première erreur a résidé dans la séparation grandissante des élites productrices de droit officiel de
la majorité des habitants. La seconde erreur s’est inscrite dans l’entêtement à confondre le droit
traditionnel avec le contenu des normes anciennes, tout à fait capables d’évoluer “comme les coutûmes l’on toujours fait'. En effet, la “prétendue infirmité" des systèmes juridiques et économiques
traditionnels fut un leitmotiv récurrent plus idéologique que réel. Or, le peu d’engouement des
autochtones pour ces réformes s’explique surtout par “l'exogénéité du droit étatique qu’on entend
leur imposer et dans la modicité des gains qu’ils peuvent concrètement escompter du passage à
en
ia modernité".
167
Littérama’ohi N°8
Tamatoa Bambridge
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Droit
Né le 1” septembre 1970 à Papeete, TAHITI.
Tamatoa BAMBRIDGE
BP 529 Papeete Centre IRD Tahiti
Chercheur au CNRS (UMR 8586)
Tel :708 657
Affecté à ITRD
Courriel
:
tamatoa@ird.pf: tbambridge@yahoo.fr
Formation
2001
Doctorat de sociologie (nouveau régime) obtenu le 8 mars 2001 avec la
mention très honorable et les félicitations du jury. Université de Paris-ix-
Dauphine
1995-2001
Préparation d’un doctorat de sociologie à Paris-ix-Dauphine (laboratoiCERSO). Participation à différents séminaires de recherche sur le foncier (Maid, Paris I ; Idom, Aix-Marseille III) : Pluralisme foncier dans l’archipe! des Australes : espaces, temporalités et dynamiques contemporaines. (Dir. M. Liu)
re
1995- 1994
Diplôme d’Etudes Approfondies (D.E.A.) en science des
Organisations à Paris IX. Séjour d’étude (recherche et terrain) à l’université de Berkeley sous la direction du professeur Singer au Département
de psychologie et des sciences cognitives, Californie, USA (6 mois)
1994- 1991
Ecole
.
1991-1989
Supérieure de Commerce (E.S.C.) de Nantes-Atlantique.
Spécialisation en droit des affaires, niveau 3ème année, à l'Université d’Etat
de Bowling Green, Ohio, USA.
’
<
Préparation HEC, Lycée technique du Taaone, Tahiti, Polynésie française
Publications
I Foncier
Livre à comité de lecture
:
Les revendications foncières dans
l’archipel des îles Australes.
Société des Océanistes, Musée de l’Homme-IRD, Paris, 2005, 365 p.
171
Littérama’ohi N°8
Tamatoa Bambridge
Coordination d’ouvrage à comité de lecture
La France et les Outre-Mers.
L’enjeu multiculturel. Bambridge T.,
Doumenge J. R, Bruno O., Simonin J., Wolton D. (Eds), CNRS Editions,
Hèrmes n° 32-33, 2002, 634 p.
La francophonie à l’épreuve de la diversité culturelle. Bambridge T,
Laulan A. M„ Lochard G., Oillo D., Wolton D.
(Eds), CNRS Editions,
Hèrmes, n°41, 2004, 450 p.
Chapitre d’ouvrage à comité de lecture :
Pluralisme culturel et juridique : le foncier en Polynésie française.
Hèrmes n°32/33, Collection du
307-315
CNRS, avec Philippe Neuffer, 2002, pp
Land tenure in French Polynesia : origin and evolution of
legal pluralism. University of the South Pacific, Fidji. Ed. by Elise Huffer, 2004, pp.
164-185
La société marchande et l’invention de la propriété privée, dans
Chap.
l’espace au regard du droit, dans Anthropologies et Droits,
état des savoirs. Association française d’Anthropologie du Droit, PUF,
Paris, 2004, pp. 400-402.
7
: Uhomme et
Articles de revue à comité de lecture
Développement en question en Polynésie. Avec Christian Ghasarian et
Philippe Geslin. Journal de la Société des Océanistes. Musée de
l’Homme, Paris, 2004, 20 p.
Conception de l’espace normatif dans trois Etats insulaires océaniens. Droit et Société, Université de Laval, Canada, 2004, 12 p.
Juridictions françaises et droit coutumier à Rapa. Les enjeux d’une
traduction, Droit et Cultures, n°44, pp. 153-182, avec Christian
Ghasarian, 2002
Participation à des colloques ou à des revues scientifiques :
Le maillage administratif des terres et des personnes à Rurutu
1953), Bulletin du LARSH n°2, 2004
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Coordination d’ouvrage à comité de lecture :
Environnements et Mobilités géographiques. Bambridge T., Raimond
C. (Eds), Presse Universitaire de la Sorbonne, Paris, 2004, 512 p.
Revue à comité de lecture
:
Mobilité et Territorialité en Océanie, dans Ulnformation géographique,
Paris, Septembre 2004, 25 p.
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Nature dans les sociétés du Pacifique. Un « sens-interdit »,
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Tradition en mutation : le développement des médias en Polynésie
française Année sociologique, Vol. 51/2001 N°2, pp 360-385, 2001
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2003
(14 novembre) Les frontières maritimes en Océanie : tensions et conflits.
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Séminaire de recherche
Pacifica, PRODIG-CNRS
2002
(19-20 octobre) Organisateur de la table ronde «Patrimoine et environnement dans l’Outre-mer français » Secrétariat d’Etat à l’Outre-mer.
2003-2002
Chargé de cours (vacataire) dans le DEA « Société et culture en
Océanie » : Les espaces fonciers et leurs dynamiques dans le Pacifique
à l'Université de la Polynésie française.
Chargé de cours dans la licence pluridisciplinaire de civilisation poiynésienne, Université de la Polynésie française.
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(12 janvier) Les espaces outre-mer français et logique d’autonomie,
Séminaire de recherche du Laboratoire Communication et Politique
(CNRS).
(22 février) Facteurs politique et culturel de la construction d’un espace
régional en Océanie, Séminaire de recherche PRODIG-CNRS.
174
Droit
220013-- 4
Expériences professionnelles
Responsabilités éditoriales
20- 3
-
Membre du comité de rédaction de la revue Hèrmes. CNRS Editions
(depuis 2002)
-
Expert dans l’évaluation de manuscrits aux Editions du CNRS
(depuis 2003)
Responsabilités scientifiques
2002-2006
Responsable et coordinateur d’une recherche-action sur les espaces
fonciers et leurs dynamiques en Polynésie française et en Guyane réunissant des équipes de.PRODIG (CNRS,
Paris I, IV, Vil, EPHE), du LAJP
(Paris I), de Droit et Cultures (Paris X), de l'INALCO et de l’IRIDIP
(Université de la Polynésie française)
Coordinateur du séminaire de recherche
Pacifica, Equateur, Ermel et Sahel
graphiques », UMR PRODIG
Co-coordinateur du
: «
commun aux équipes de
Environnement et mobilités géo-
numéro d’Hèrmes n°41
La
francophonie à
l’épreuve de la diversité culturelle. CNRS Editions (avec Laulan A. M.,
Lochard G., Oillo D„ Wolton D.)
:
Co-coordinateur du numéro d’Hèrmes n° 32-33
:
La France et les
Outre-mers. Uenjeu multiculturel. CNRS Editions, (avec D. Wolton et J.P.
Doumenge)
Autres responsabilités en liaison avec la recherche
2002
2002
Mission
d’expertise sur l’accès aux ressources foncière en Océanie.
Programme Fond Européen de Développement (PFED).
Membre fondateur de l’Association préparant la création de la Cité des
Outre-mers, appelée à devenir un établissement public (parution au J.O
du 19 avril 2002)
Membre fondateur de l’organisation non gouvernementale Géographie,
Culture et Droit
(Président : Charles De Lespinay, Centre Droit et
Cultures, Paris X)
175
Littérama’ohi N°8
Tamatoa Bambridge
2001 (5 mois) Mission
de conseil
sur
les
«
réseaux de communication
Secrétariat d’Etat à l’Outre-mer à la Réunion, à
Caraïbes (Martinique, Guadeloupe)
» pour le
Mayotte et dans les
Expérience professionnelle pendant et après la préparation de la thèse de doctorat
2002-2004
Bourse post-doctorale CNRS N°FG/02/122. Affecté au laboratoire PRODIG
1998 (8 mois) Travail de recherche d’archives sur le foncier au sein de la Direction
des Affaires Foncières (DAF). Polynésie française. En charge des dossiers
de succession et d’héritage
1997 (3mois) Expert foncier invité à la Division du
Développement Rural de
l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
(F.A.O.). Rome, Italie
1997 (8 mois) Responsable de Formation à la médiation civile et pénale des Avocats
des barreaux de Créteil, Versailles et Nanterre, Institut de
Régulation
Economique et sociale, Paris
Déplacements et séjours à l’étranger
-
Océanie
: Usa, côte ouest (1 an),
Archipel des Iles Australes (1 an),
(6 mois), Nouvelle-Zélande (6 mois), Archipel des Tuamotu
(2 mois), Archipel des Marquises (1 mois), de Mangareva (21 jours), Fidji
(1 mois), Iles Cook (21 jours), Samoa (21 jours)
Hawaii
-
-
-
-
176
Océan indien
Caraïbes
:
:
La Réunion (21 j.), Mayotte (21 jours)
Guadeloupe (21 j.), Guyane (21 jours)
Amériques : Usa (12 mois), Canada (1 mois), Mexique (1 mois), Guyane
(21 jours)
Europe : Belgique, Angleterre, Irlande, Pays-Bas, Espagne, Suisse,
Italie (durées variées)
Jean-Marc Pambrun
POLEMIQUE AUTOUR
DE L’AIDE AUX AUTEURS
L’éditorial du magazine Tahiti-Pacifique du mois de mai 2005 s’en
prend violemment aux « intellectuels » de Tahiti, gourous autoproclamés qui squatteraient les émissions littéraires et notamment à Jean
Marc Pambrun
«
:
Que la littérature « ma’ohi » ait aussi adopté la « spécificité »
tahitienne
moderne, la dépendance des subventions, est logique et
tel cet appel de Jean Marc Pambrun dans
Toere qui réclame une « aide à la création littéraire en faveur des
auteurs, des aides financières à ceux qui ont des projets d’ouvrage qui
permettraient, aux uns de vivre dans des conditions décentes, et aux
mène à quelques excès,
autres de prendre des congés sabbatiques rémunérés pour écrire » car
« les écrivains ma’ohi ne
peuvent vivre - et encore moins survivre - de
leur activité », un « constat affligeant d’auteurs qui s’interrogent sur les
». Pourtant celles-ci sont claires : pour vivre de l’écriture, il faut
raisons
écrire des livres intéressants, passionnants qui seront achetés, surtout
pondre des pages d’états d’âme (le « pitoisme ») qui non seulement n’intéressent personne mais, lorsqu’elles sont encensées dans
ne pas
tes médias, donnent une mauvaise image du livre et découragent les
jeunes à plonger dans d’autres bouquins. Uappel de JM Pambrun, ivre
de son importance mais sans le sou, avance que « les écrivains ma’ohi
ont fait leurs preuves, aux pouvoirs publics à prendre des dispositions
nécessaires pour permettre l’émergence d’un statut d’écrivain à part
entière. C’est l’un des prix à payer pour que la littérature polynésienne
croisse en force et en qualité » (sic !) Là n’est qu’une autre démonstration du but essentiel recherché dans nos îles : se constituer une petite rente payée par de lointains contribuables afin de pouvoir aller confortablement méditer sur la plage. »
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Littérama’ohi N°8
Jean Marc Pambrun, dont un nouvel ouvrage vient de sortir, « Le
bambou noir » (Editions Le Motu) a souhaité réagir. Pour ouvrir le débat
sur
le soutien aux auteurs et à la création, une aide qui existent dans
tous les pays et plus particulièrement les pays anglo-saxons, nous lui
ouvrons nos colonnes.
Littérama’ohi
Cher Alex,
Quelle fougue que ton dernier édito et je te reconnais bien
là. Je partage ton point de vue et comprends que tu dénonces le
syndrome polynésien de la subvention, lequel découle d’une politique de la main tendue vers la métropole depuis des lustres.
Mais où je te désapprouve, c’est dans l'amalgame que tu fais
entre un politique qui va demander de l’argent à la France, parce
qu’il n’a aucune imagination pour créer des richesses dans son
pays, et un écrivain, dont la vocation est de mettre en œuvre son
imagination, qui sollicite une bourse d’écriture auprès de son
propre gouvernement ou de commissions nationales ou internationales.
En littérature, il me paraît faux de dire que la subvention relève d’une «
spécificité tahitienne moderne ». Ce mécanisme, qui
vise uniquement à encourager la création littéraire, se pratique
partout et dans de nombreux domaines où l’écriture est sollicitée : le théâtre, le documentaire TV, le scénario de film. Et pas
seulement en France. Le Québec, la Suisse, la Belgique et même
l’Unesco proposent des bourses d’écriture à des écrivains fran-
cophones étrangers, ce que nous sommes pour ces pays.
Pourquoi, nous, Polynésiens, au nom d’une soi-disant spécificité
qui respire à mon sens le délit de paresse et d’incompétence,
devrions-nous y renoncer ? D’autant que l’aide à l’écriture, délivrée sous forme de bourses en France, au Québec ou en Suisse,
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Actualités
est attribuée dans des conditions très sévères et est loin d’être
une
rente, comme tu l’affirmes. Ce n’est pas avec ça que les
auteurs vont pouvoir prétendre aller se dorer la pilule au soleil !
D’où le fait que, de toute façon, hors la minorité d’écrivains
qui a eu assez de talent - ou de chance, grâce à une savante
campagne publicitaire - d’écrire un bon livre lui ayant rapporté
un paquet d’argent, la majorité a un boulot principal ou d’appoint
pour se permettre le luxe d’écrire.
Tu renvoies les écrivains dans leurs foyers en leur disant que
pour vivre de l’écriture, il faut écrire des livres intéressants,
passionnants qui seront achetés ». Lapalissade ! Mais aussi
incongruité, car si on applique ton raisonnement à la Polynésie,
j’en déduis que jamais personne n’a écrit de livre intéressant ni
passionnant pour être acheté et permettre à un auteur de vivre,
car je ne connais pas un seul Polynésien, ni même un popa’a installé en terre ma’ohi, qui pourrait vivre confortablement de ses
«
livres.
Est-ce à dire qu’en Polynésie, personne n’a écrit d’ouvrages
intéressants ?
Que
nenni.
Je
connais
comme
toi des
Polynésiens et popa’a qui écrivent des livres intéressants et passionnants, tel Jean-Marc Régnault, que tu édites d’ailleurs avec
raison. Mais vit-il de son écriture ? Sauf que si la critique locale
était moins médiocre et moins sélective, pour ne pas dire inexis-
tante, la littérature polynésienne se vendrait bien mieux. Quant
aux médias nationaux, sont-ils même informés par les éditeurs
locaux des dernières productions littéraires de chez nous ? Mais
dans ce cas, encore faudrait-il qu’il existât un système de distribution digne de ce nom.
Tu
d’âmes
ajoutes « surtout ne pas pondre des pages d’états
». Depuis quand est-il interdit à un auteur de pondre des
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Littérama’ohi N°8
Jean-Marc Pambrun
pages d’états d’âme, à fortiori fictives et dérisoires, et de ne faire
que du produit qui rapporte? Soyons sérieux, la littérature polynésienne contemporaine cherche ses marques pour afficher sa
différence. Les résultats sont plus ou moins heureux, certes, mais
aucun d’entre nous n’aurait l'outrecuidance de donner des
leçons
d’écriture aux autres et de porter des jugements de valeur déplacés en public.
À ce propos, tu m’as taxé de personnage « ivre d'importance et sans
le sou
Important! Certes, au même titre que n’importe quel Polynésien qui veut conserver sa dignité. Ivre! Pas
encore. J’attendrai qu’un prochain livre me rapporte suffisamment d’argent pour me soûler. Sans le sou! Incontestable. Mais si
je le suis, comme tous les écrivains de Tahiti qui ne peuvent vivre
de leur seule écriture, c’est peut-être parce que les éditeurs
paient mal les auteurs de livres, mais aussi les articles qui sont
publiés dans leur média !
«
».
Je sais que tu as déclaré la guerre à ce que tu appelles
les nouveaux vampires de la subvention ». C’est ton combat,
je le respecte. Le mien est de déclarer la guerre aux vampires de
la création littéraire et artistique qui s’enrichissent sur le dos des
écrivains. Prend note que contre vents et marées, je continuerai
d’assiéger les éditeurs, directeurs de publication et gouvernements, et de me battre pour que le statut d’écrivain soit reconnu
en Polynésie et qu’il puisse bénéficier d’aides à l’écriture, comme
dans tous les grands pays démocratiques, non pas pour
« confortablement méditer sur la
plage », mais pour que les
oeuvres de l’Esprit polynésien soient libérées de l’exploitation, de
l’indifférence et du mépris dont elles font hypocritement l’objet
dans notre pays, alors qu’elles constituent les bases futures du
patrimoine intellectuel de nos enfants.
Sur ce, Tera’ituatini l’Important te salue bien.
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Marie-Hélène Villierme
LE 9È FESTIVAL DES ARTS DU PACIFIQUE
(KOROR, 22-31 JUILLET 2004)
Koror, un des 16 états de la République de Palau a accueilli, du 22
juillet 2004, le IXe Festival des Arts du Pacifique.
En réunissant les 27 États et Territoires insulaires océaniens, ce sont
quelque 2.000 Mélanésiens, Micronésiens et Polynésiens qui se sont
retrouvés pour affirmer leurs réalités culturelles d’hier et d’aujourd'hui.
au 31
“Né du souci de lutter contre la disparition progressive de pratiques
coutumières et traditionnelles”, le Festival des Arts du Pacifique - dont
la
première édition date de 1972 - est placé sous l’œil vigilant du
Conseil des arts du Pacifique et de la Communauté du Pacifique.
“Oltobeld A Malt”
-
Nourrir, célébrer, renaître,
-
était le thème
annoncé pour cette édition, évoquant ainsi l’idée d’encourager révolution des peuples tout en préservant l’enseignement des ancêtres et l’essence de
leur culture.
C’est ainsi aussi que le Festival s’est ouvert progressivement aux
expressions artistiques contemporaines. En effet, il était indispensable
de satisfaire de nouvelles aspirations, mais aussi, de refléter une image
actuelle des sociétés insulaires du Pacifique du XXIe siècle.
Durant 10 jours, le Festival de Palau nous a donné la chance de
voir évoluer des communautés
encore
très traditionnelles, comme
Aborigènes d’Australie, des îles Salomon, de Papouasie
Nouvelle-Guinée,... et, dans un même temps, de réaliser qu’une écriture cinématographique océanienne était en train
d’émerger, avec des
productions prometteuses, d’origines fidjienne, maorie, australienne,...!
celles des
Chaque jour, le programme était très riche et offrait au public venu
nombreux, malgré la pluie parfois, son lot de performances de danse,
de cérémonie coutumière, de théâtre, de chant ou de poésie, et aussi
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Littérama’ohi N°8
de démonstrations collectives, de tatouage, de vannerie, de tapa, de
sculpture, de peinture, de médecine ou de jeux traditionnels.
Les expositions-ventes des objets artisanaux se déroulaient quant
à elles dans les stands dédiés à
chaque délégation, tandis que le
National Belau Museum, édifié pour les besoins du Festival et inauguré
pour l’occasion, recevait une exposition préparée par chaque pays ainsi
que quelques œuvres d’art contemporaines.
L’organisation d’une quinzaine de tables rondes autour de thèmes
l’éducation, la littérature, l’environnement, les arts
visuels, la protection des propriétés intellectuelles, la production musicale, la navigation ou la médecine traditionnelle, a permis aux participants
de partager, avec des mots simples, leurs parcours ou leurs expériences,
d’exprimer leurs préoccupations, leurs priorités ou leurs choix d’évolution.
Lieu d’échanges intenses et fertiles, ces rencontres ont mises en
lumière des similitudes évidentes parmi les individus, confiants et ayant
la volonté de faire entendre la voix du Pacifique. “L’unité dans la diversité”
résume bien l’état d’esprit qui prévalait dans les réunions.
aussi divers que
La communauté du Pacifique n’est pas seulement une notion abstraite. Le Festival des Arts du Pacifique est un moment important de
rencontre, où on a pu constater que cette communauté se construit
avec des hommes et des femmes - certains en sont les
piliers - qui réfié-
chissent sur l’avenir qu’ils souhaitent pour leurs enfants, et animés par
un
souci d’équilibre entre les valeurs fondatrices de leurs cultures et
l’évolution des cadres de vie.
Et comme pour illustrer cette volonté d’œuvrer dans un sens corn-
le Festival, comme les précédents, a demandé aux
artistes présents de réaliser trois pièces collectives.
mun,
ou
nombreux
Il y a eu le projet d’une grande natte communautaire “Peace Maf’,
natte de la paix, assemblant les pièces tressées par chaque déléga-
tion, comme un immense Peue de plusieurs mètres carré.
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Actualités
Sur un grand arbre situé dans les jardins du musée, chaque sculpteur a gravé une représentation symbolique de son pays.
Enfin, un bas-relief en bois, dénommé “Peace Board” a été confié
entre les mains des sculpteurs et graveurs pour réaliser la troisième
oeuvre
communautaire. Ces oeuvres seront ensuite léguées au musée
et témoigneront du IXe Festival des arts du Pacifique.
On ne peut pas parler des impressions que nous a laissées ce
Festival sans évoquer l’accueil que le peuple de Palau nous a réservé.
Bien que leur sens de l’hospitalité soit réputé, nous avons tout de même
été interpellé et touché par leur chaleur et leur simplicité.
Toute la petite ville de Koror, comparable en taille et en densité
démographique à Uturoa, a véritablement vibré au rythme des cultures
océaniennes et a fourmillé de peuples si différents, si semblables...
Rendez-vous à Pago Pago en 2008 !
M-H Villierme
Composition de la délégation polynésienne :
Adams Poema : artisanat en vannerie, gravure sur bois
Huuti Varii : tatouage, sculpture, danse, pahu et ukulele
Lai Marguerite : chorégraphie, danse, démonstration de costumes
Meuel Mauarii : exposition et démonstration de peinture, guitare et pahu
Neti de Montluc Mareva : lien avec les médias, présentation des spectacles
Spitz Chantal : littérature, représentante du ministère de la culture
Tametona Kahu : danse, démonstration de dessin sur tapa
Teururai Taaroaarii : sculpture, pahu et ukulele
VakiYvana : mave marquisien (chant), démonstration de tapa
Villierme Marie-Hélène : exposition de photographie, chef de délégation.
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LEON
Par Mylène Raveino
Leon serait-il Léon sans son chapeau et ses brins de miri, sans son
,
éternel taho à la main, sans ses éclats de rire ?
A la fois nonchalant à l’extrême et opiniâtre dans ce qu’il entreprend,
Léon Taerea est un personnage atypique, artiste dans l’âme, une silhouette familière au détour d’un manguier centenaire, un observateur
incomparable de la nature dont il dessine les secrets d’une pointe
d’encre de chine, un homme ancré dans sa culture et dans son époque
pour qui les rapports humains sont les mêmes, que vous soyez simple
pêcheur ou ministre. Léon est libre, détaché de toute ambition matérialiste ou autre ; il avance dans la vie, son carnet de croquis dans son
panier marché et lorsqu’il a deux oranges, il vous en offre une. La protection de l’environnement est devenu, au fil du temps, une cause pour
laquelle il ne ménage pas ses efforts, lui, si proche de la nature à qui il
a dédié
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l’essentiel de son œuvre.
La capture du soleil
Effervescence animale
Luxuriance végétale
Le monde est fou Hina.
Créatures de l'océan volant dans l’azur
Feuillages insouciants
S’agrippant aux murs
Le monde est fou Hina.
Spirale infinie
Entraînant dans sa course folie
Le minéral et la vie
Comme une horde suivant son idole
Le monde est fou Hina...
Et toi tu tresses
Ta chevelure tu tresses encore
Longue, longue...
L’esprit en éveil
Car il faut sauver le monde.
Arrêter le temps
Ralentir la course,
L’Homme attend
Suspendu à ta source,
La vie Hina tu le sais bien
La vie a d’autres besoins.
Capturer le Soleil :
Voilà ce que tu feras
Et de ta longue chevelure
Le soleil tu retiendras
Pour que dès demain
La lumière succède à l'obscurité,
La lune au soleil,
Comme l’hiver à l’été
Et l’éveil au sommeil,
Car c’est ainsi que doit tourner le monde
Hina, providentielle
Femme éternelle.
Mylène Raveino
(Poésie tiré de « Hina, rêves, poésies et Nature polynésienne
paru en 2004)
Fait partie de Litterama'ohi numéro 8