B987352101_PFP1_2004_006.pdf
- Texte
-
Littérama’ohi
CB
:
Coll
PER.4£/./
:
Cote
Date
Spécial
:
P..é?3.TTj...
:
:
Rencontres
océaniennes
(2)
Ont
participé à
ce
numéro
Manuarii AMARU
Alexandre Moeava ATA
Hinapiaono BOUGUES
Heiata CHAZE
Annie, Reva’e COEROLI
Vaea DEPLAT
Flora DEVATINE
Tokainiua DEVATINE
Vaite DEVATINE
Solange DROLLET
Raurea FROGIER
Yola GARBUTT
Bertrand-F. GERARD
Lorrène GOUASSEM
Fleur GRANDADAM
Raiteva GREIG
Vaihei HAEREHOE
Françoise HELME
Malissa ITCHNER
Te
hotu
Ma’ohi
Ludivine MICHELETTI
Christel POU
Maeva SHELTON
Catherine SOISSON
Numéro 6
Mai 2004
EDITIONS
TEITE
:
En
partenariat avec I'
3V
4*2
Revue
Littérama’ohi
Ramées
de Littérature
Polynésienne
Membres fondateurs
Patrick AMARU
Michou CHAZE
Flora DEVATINE
Danièle-Taoahere HELME
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Jimmy M. LY
Chantal T. SPITZ
-Te Hotu Ma’ohi
-
LISTE DES AUTEURS DE LITTERAMA’OHI N°6
Manuarii AMARU
Alexandre Moeava ATA
Hinapiaono BOUGUES
Heiata CHAZE
Annie, Reva’e COEROLI
Vaea DEPLAT
Flora DEVATINE
Tokainiua DEVATINE
Vaite DEVATINE
Solange DROLLET
Raurea FROGIER
Yola GARBUTT
Bertrand-F. GERARD
Lorrène GOUASSEM
Fleur GRANDADAM
Raiteva GREIG
Vaihei HAEREHOE
Françoise HELME
Malissa ITCHNER
Ludivine MICHELETTI
Christel POU
Maeva SHELTON
Catherine SOISSON
SOMMAIRE
MAI 2004
Liste des auteurs
p.
4
Sommaire
p.
5
p.
7
p.
9
p.
10
p.
12
p.
14
p.
24
p.
32
p.
42
p.
52
p.
62
p.
72
p.
80
Les membres fondateurs de la
revue
Littérama’ohi
Editorial
INFORMATIONS
DOSSIER
: «
•
PARUTIONS
RENCONTRE(S)
•
EVENEMENTS
»
RENCONTRES POLYNESIENNES
•
RENCONTRES
INOUÏES
Annie Reva’e Coeroli
Rencontre
avec une
artiste-poète
Malissa Itchner
Poèmes
Maeva Shelton
Rencontres
au
pays
des maharajas
Solange Drollet
Nouvelle inachevée d'une rencontre
(nouvelle)
Françoise Helme
La Provence et Tahiti, une amitié hors du commun
Catherine Soisson
Le dernier voyage
(Conte dédié à Framboise)
Lorrène Gouassem
Rencontres
Rencontre
«
côté vallée
»
Vaite Devatine
Rencontres
Rencontre
avec
«
pae
uta
»
-
côté vallée
-
la lune bleue
Alexandre Moeava Ata
La lumière bleue de Rafflésie
5
Littérama’ohi N°6
Sommaire
Rencontre
auteur australien
avec un
Fleur Grandadam
L’imaginaire “aborigène” de Patrick White
Rencontre
avec
p.
116
p.
130
des ‘Ombres’
Yola Garbutt
Koké
Les
:
des Ombres
au
tableau
jeunes à la rencontre de la littérature
Flora Devatine
Le début de la relecture de la culture par
Rencontre
avec
l’écriture
les jeunes
p. 133
qui n’attend plus le nombre des années
Manuarii Amaru
La
En
sphère des
p. 141
voeux
Polynésie française : les élèves de Heiata Chaze
Rencontre
avec
l’histoire et
Vaihei Haerehoe et
Nos
avec
p.144
l’écriture
Hinapiaono Bougues
marae :
paroles de Arii (nouvelle historique, récit autobiographique fictif)
Poèmes de Ludivine Micheletti, Raurea
Rencontre
avec
les écrivains et
avec
Frogier, Christel Pou
p.
145
p. 153
la littérature
Flora Devatine
Courriels littéraires
Vaea
p. 156
Deplat et Raiteva Greig
La littérature
Réflexion
A Paris
:
-
polynésienne, littérature engagée ?
:
Production
p. 171
le Comité Reo Ma’ohi
Rencontre estudiantine
•
Rencontre studieuse
Tokainiua Devatine
Te Rurura'a Reo Ma'ohi
-
Une Journée de rencontres
p. 184
Bertrand-F. Gérard
La littérature
en
Polynésie française
p.
192
Flora Devatine
Annexes pour
information : thèmes du Salon du Livre de la Nouvelle-Calédonie
(17-19 octobre 2003, Poindimié, N.C.)
Bilan du Colloque de la FILLM (20-24 octobre 2003, Nouméa, N.C.)
p.202
L’ARTISTE DU N°6
Louis Devienne
6
p.221
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Littérama’ohi
Ramées de Littérature
Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi
Littérama’ohi a été fondée par un groupe apolitique
polynésiens associés librement :
Patrick AMARU, Michou CHAZE, Flora DEVATINE,
Danièle-Taoahere HELME, Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF,
Jimmy LY, Chantal T. SPITZ.
La
revue
d’écrivains
Le titre et les sous-titres de la revue traduisent la société
sienne
d’aujourd’hui
polyné-
:
«Littérama’ohi», pour l’entrée dans le monde littéraire et pour l’affirmation de son identité,
-
Polynésienne», par référence à la rame
papier, à celle de la pirogue, à sa culture francophone,
«Te Hotu Ma’ohi», signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères chinois intercalés entre le titre en français et celui en tahitien.
-
«Ramées de Littérature
de
-
-
La
-
revue a pour objectifs :
de tisser des liens entre les écrivains
originaires de la Polynésie
française,
-
de faire connaître la variété, la richesse et la spécificité des
originaires de la Polynésie française dans leur diversité
contemporaine,
de donner à chaque auteur un espace de publication.
Par ailleurs, c’est aussi de faire connaître les différentes facettes
de la culture polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et modernes que sont la peinture, la sculpture, la gravure, la photographie, le tatouage, la musique, le chant, la danse... les travaux de
chercheurs, des enseignants...
auteurs
-
7
Littérama’ohi N°6
un
Et pour en revenir aux premiers objectifs,
mouvement entre écrivains polynésiens.
c’est avant tout de créer
Les textes peuvent
être écrits en français, en tahitien, ou dans
n’importe quelle autre langue occidentale (anglais, espagnol,.. ) ou
polynésienne (mangarévien, marquisien, pa’umotu, rapa, rurutu...), et
en
chinois.
Toutefois,
qui concerne les textes en langues étrangères
pour ceux en reo ma’ohi, il est recommandé de les présenter
dans la mesure du possible avec une traduction, ou une version de
compréhension, ou un extrait en langue française.
en ce
comme
Les auteurs sont seuls
responsables de leurs écrits et des opinions
émises.
En
tent la
général tous les textes seront admis
dignité de la personne humaine.
Invitation
au
sous
réserve qu’ils
respec-
prochain numéro :
polynésiens,
Ecrivains et artistes
cette
revue
est la vôtre
:
tout article bio et
biblio-graphique
vous concer-
nant, de réflexion sur la littérature, sur l’écriture, sur la langue d’écriture,
sur des auteurs, sur l’édition, sur la traduction, sur l’art, la danse,...
ou sur
tout autre
sujet concernant la société, la culture, est attendu.
Les membres fondateurs
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Editorial
litterama’ohi offre à des auteurs jusqu’alors
inconnus de présenter leurtra-
vail
permet aux auteurs publiés d’affirmer leur écriture sans désir autre que la
promotion de la littérature contemporaine polynésienne
les textes proposés à la publication sont de plus en plus nombreux et le
thème de la rencontre a visiblement inspiré les auteurs désireux de partager
leurs expériences réflexions récits poèmes dans un espace commun communautaire et participer ainsi à la traversée littéraire
l’enthousiasme suscité par cette aventure a produit une
textes et entraîné leur distribution en deux volumes
les traversées
abondance de
font
jamais sans tempêtes les routes sont toujours
parfois pâlissent les vents souvent convulsent la
pirogue doit tenter de garder le cap
chaque numéro porte son lot de doutes d’ombres de malaises les questionnements fâchent les esprits les inquiétudes froissent les décisions les
ambiguïtés fatiguent les convictions
mais chaque numéro comme une brasse supplémentaire porte l’assurance
que la traversée se poursuit
ne se
semées d’écueils les étoiles
littérama’ohi
malgré roulis et tangages tient bon le vent dans les flux et
sur l’océan de la littérature polynésienne
reflux des écritures individuelles
ce
numéro accueille
parmi les anciens des jeunes qui osent
empêche de
cette audace fait du bien donne à revisiter notre écriture
nous
égocentrer
plus
encore
Manuarii annonce la
d'autres
nous
pérennité
lycéens ont creusé réflexion
sur la littérature
serions heureux de les lire dans les prochaines
littérama’ohi
héberge tous les écrits qui
y
contemporaine
publications
sont déposés
surprise émotion plaisir curiosité accompagnent cette fois
re
de
ce
numéro à feuilleter
consommer sans
encore
la lectu-
modération
Chantal T.
Spitz
9
Littérama’ohi N°6
INFORMATIONS
•
PARUTIONS
DERNIERES PARUTIONS
Ouvrages et
revues
o
1° Prix du Président
te ‘a’au
cueilli des orchidées
Récit, éditions Te Ite, Papeete,
...et j’ai
décembre 2003
Ernest SIN CHAN
Identité Hakka à Tahiti
Histoire, rites et logiques
Editions Te Ite, Papeete,
janvier 2004
Concours
pour son ouvrage :
Te heva (Le Deuil)
Livre N° 1 des ventes
:
L’arbre à
pain de Célestine Hitiura
Vaite, Editions Au vent des îles
Le livre le plus lu en Polynésie
française en 2003, selon les
librairies Archipels, Vaima et
Odyssey, février 2004
SALONS DU LIVRE
:
le temps et
l’espace
Pacifique
Textes
au
EVENEMENTS LITTERAIRES
Maeva SHELTON
Le Grand Océan
A PARAITRE
littéraire du 28 novembre 2003
1° Prix Littéraire du Président pour
la Jeunesse novembre 2002
du
EVENEMENTS
Claude TERIIEROOITERAI
Te’ura Camélia MARAKAI
Aue ...Te Oeoe
•
Salon du Livre
de la Nouvelle Calédonie à
sous
la direction de
Serge Dunis
Collection Ethnos, éd. Geor
Poindimié, 17-19 octobre 2003
Colloque de la FILLM à Nouméa,
janvier 2004
20-24 octobre 2003
Invitées à Poindimié et Nouméa
Eloge du métissage
Mythes et réalités en Polynésie II
Sous la direction de Serge Dunis
Editions Haere Po, 2003
Chantal
Salon du Livre
à Paris 19-24
PUBLICATION LITTERAMA’OHI
Littérama’ohi N°4 novembre 2003
sur
le thème de
La Rencontre
-
Un numéro 5
en
-
2 volumes
:
Un numéro 6
-
Auteurs de la
Polynésie française, mai 2004
10
2004
Editions Le Motu,
et les Edition Au vent des îles.
:
Célestine Hitiura Vaite ; dédicace
de son livre L’arbre à pain
Ecrivains du
Pacifique Sud, mai 2004
-
mars
Participation de maisons d’édition
de la Polynésie française dont les
Invitée à Paris
Littérama’ohi
:
T.Spitz et F. Devatine
3° édition du Salon du Livre
en
Polynésie française
27-29 mai 2004
Rencontres
Thème
:
La femme dans la littérature
AUTRES EVENEMENTS CULTURELS
De nombreux écrivains
francophones
et anglophones présents :
Arlette Peirano, Claudine Jacques,
Nicolas Kurtovitch, Frédéric
Réalisation d’un
jeu de société
Virgil HAOA, l’auteur du livre Alliance
Maohi, réalise le Maohi Contest,
Ohlen, Anne Bihan, Bernard
Berger, Catherine Laurent, Jean
Van Mai,Weniko lhage, Sia Figiel,
6° édition du Salon du Livre
d’Ouessant août 2004
Marc
De nombreuses
:
Fremy
Titre du livre
Te
pô rumaruma.
Les histoires de la terrasse, Arue
:
Tahiti, 2003
Soirées
Miroir littéraire
«
Lecture des autres
»
Hauteur face à l’acteur
:
Pascale Taurua, Galerie Les
Tropiques novembre 2003
André Marere,
Galerie Les Tropiques,
ses
amis
Atu
«
Rencontres
avec
2004
Littérama’ohi à la Librairie
spectacles dont :
de M. Lai, Place To’ata,
texte de Valérie Gobrait
Je t’aime, un mot des Dieux et
des Flommes
les auteurs de
Odyssey
novembre 2003
Rencontres entre auteurs de
Littérama’ohi et
mars
»
sur un
Débat
avril 2004
poète, et
peintres, Salle Muriavai,
Patrick Amaru,
De nombreux
»
22 novembre 2003
-
:
MC/TFTN,
«
Débats
expositions
peinture dont
»
21 novembre 2003
«
de
Rautahi
à la Maison de la Culture/TFTN
«
un
jeu de société entre le Trivial Poursuit,
le Monopoly et le jeu des Petits
Chevaux, et dans lequel les
questions portent sur les cultures du
triangle polynésien, mars 2004
Teresia Taiwa
Parmi les auteurs et livres sélectionnés
polynésiennes, rencontres inouïes
lycéens
octobre et décembre 2003
»
de Coco Flotahota, avril 2004
Des festivals
:
Premier Festival International du
Documentaire Océanien
(FIFO)
janvier 2004
Festival de chants traditionnels
CONCOURS LITTERAIRES
Concours littéraires
langues
polynésiennes : Prix du Président et
Prix du Président pour les jeunes :
annonce en
prix
en
en
février 2004, remise des
novembre 2004
tarava
MC/TFTN, novembre 2003
Plusieurs festivals de
musique dont
:
Festival de reggae,
février 2004
Upa Nui (jeunes artistes des archipels de la Polynésie française)
Heiva Upa Rau 19è Oscars de la
musique polynésienne, avril 2004
11
Littérama’ohi N°6
Annie, Reva’e Coeroli
la
ora
Flora
Devatine!
Mutine
Fleur
Couleur
De
coeur.
Me voila
Grâce
a
toi
Dans Littéra
Ma’ohi
De
En
témoignages
bavardages,
J’introduis
Mes amis
Ecrivant
A leur tour
Leurs
amours
Leur senti,
Un
tissage
Métissage
De pages
Qui,
toi,
sans
N’auraient
Pas osé
Le
Un
grand jour,
«
nati
»
De voix,
Un
«
tifaifai
»
De soleils,
Des tresses
De
caresses
Infinies.
Merci.
Annie Reva’e Coeroli
12
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
RENCONTRES POLYNESIENNES
Des “rencontres
polynésiennes”, je vous propose l’artiste
faire découvrir Mata Aiai, peintre et poète.
Malissa ITCHNER pour vous
Avant de
parler d’elle, juste un petit mot sur Lemi Ponifasio,
originaire des Western Samoa et résidant en Nouvelle-Zélande. Sa
troupe de danse « MAU » est composée de maoris et de samoans.
Invité par Marguerite LAI à danser les 28 et 29 novembre 2003 sur la
place To’ata à Papeete, avant le spectacle de « O TAHITI E » intitulé
« ATU », Lemi a présenté « OCEAN INSIDE THE BODY ». Ce fut très
fort pour moi.
Loin des danses traditionnelles, Lemi ose le nu extérieur et intérieur,
un spectacle moderne, avec une certaine influence japonaise, pur et
brut, dur et beau. On ne peut rester indifférent. Je me suis laissée entraîner dans mes délires, un voyage en moi-même. J’écoutais les gens s’interroger sur la signification du spectacle. Ils voulaient comprendre, lis
avaient peur de ne pas avoir compris, peur d’avoir l’air bête ou simplement ils n’avaient pas l’habitude de ce genre de spectacle et étaient
surpris, parfois même choqués. Les questions soulevées m’ont parues
plus intéressantes que les réponses. D’ailleurs ceux qui ont interrogé
Lemi n’ont reçu que des réponses énigmatiques délivrées d’un regard
acéré avec un air moqueur et toujours provocateur.
Merci Marguerite pour inviter de temps en temps des artistes originaux. Encore !
vous
Annie Reva’e Coeroli
Littérama’ohi N°6
Mata Aiai
Malissa Tevahinetemataaiai Itchner
de
poète
Mata Aiai
nom
Malissa Tevahinetemataaiai Itchner est née le 29 août 1967 à
Oahu, Iles Hawaii. Arrivée à Tahiti à l’âge de six ans, elle a grandi dans
la vallée de Tenaho à Pirae, apprenant le français à l’école et le tahitien
auprès de sa grand-mère paternelle et dans la rue. Elle met a profit le
goût pour les langues que sa mère américaine a su lui communiquer
pour devenir traductrice assermentée en anglais, français et espagnol
au Service Territorial de la Traduction et de l’Interprétariat de 1988 a
1993. Secrétaire sténodactylo de formation avec un BTS de secrétariat
de direction et une licence de LEA-Langues Etrangères Appliquées
mention « Affaires et commerce » (anglais-espagnol / mention assezbien), elle a travaillé comme secrétaire de direction a Tahiti Transit de
1987 a 1988 et au CESC (Conseil Economique Social et Culturel) de
1993 a 2001. Depuis 2001, elle vit à Huahine avec ses filles Tuhono et
Temanihi. Elle est chef du secrétariat de la commune et correspondante de La Dépêche de Tahiti.
Fondatrice et secrétaire de l’association de
jeunesse « Tenaho e tu
janvier 1996 a juillet 2001, elle a également été animatrice de
la maison de quartier de Pirae de septembre 1999 à février 2000.
Malissa se découvre très tôt un don pour le dessin, qu’elle tient de
son père artisan et musicien. Elle écrit des poèmes en plusieurs langués, s’est initiée à la peinture depuis 1997 avec une préférence pour
l’aquarelle et l’acrylique. Elle aime faire de la photographie, de la coutunoa »
re
et du va’a. Elle
resse
14
de
à la
rame
dans le club Fare Ara de Huahine. Elle s’inté-
généalogie et est
une
spécialiste du chili
con carne.
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
J’ai
reux
rock
connu Malissa lorsqu’elle était secrétaire au CESC. De nombgoûts communs nous ont immédiatement rapprochées, le hard
heavy metal, mes amis qui pratiquent cette musique, la poésie, le
dessin, l’amour du beau, les traductions, la fête,
misme et le « on s’en fout du qu’en dira t’on ».
un
certain anti-confor-
Fin
janvier, j’ai emmené mes amis hawaïens Keoni et Keao à
mon fils et ma belle-fille, Hiro et Hina que je remercie
encore pour leur générosité et leur patience. En effet, une mère ou
belle-mère comme moi ce n’est pas de tout repos !
Je voulais que Keoni et Keao connaissent Malissa car ces 3 perHuahine chez
sonnes
sont des artistes et sont chères
a mon cœur.
Des notre arrivée, nous sommes allés voir Malissa, nous avons fait
la fête et je l’ai convaincue de me donner des textes pour Littérama’ohi.
Merci Malissa, euh
pardon, merci Mata Aiai pour tes futurs lec-
teurs.
J’espère qu’un jour
dans Littérama’ohi
car
on pourra
Malissa fait
mettre des photos ou des dessins
parfois des tableaux illustrant ses
poèmes.
Annie Reva’e Coeroli
Littérama’ohi N°6
Mata Aiai
HAAMOEURA
A hi’o
ia’u, ta ‘oe vahiné.
na
E aha ta ‘oe
e
‘ite
ra
?
E aha ho’i
au na
E
faufaa anei
‘ohipa,
Ta ’oe
e
e rave
A hi’o maite
Ua
topahia
na
ere
E
auraa mau
Ua 'ite
mea
au
mai ta ’oe
e
hinaaro ?
ia ‘u, o Haameoura.
i teie i’oa
haapa’ora’a ‘ore noa
vau
E
te
‘oe ?
to teie i’oa.
e, e
taamu paari
Tei taati ia taua,
Oia ho’i to taua tama
O ta ‘u i fanau
la
ara
mai
ra
na
to‘u
‘oe.
mau moemoea,
E mutu teie fifi ia ‘u nei
Noa atu ta ‘oe
Mea
ura mau
haamata’uraa
mau
to ‘u
:
mau moemoea.
No reira, a faatura ia‘u, e ta‘u tane,
A here ia‘u i te here mau,
A horo’a mai ia‘u te
mau mea
ato’a
O ta‘u i horo’a atu ia ‘oe,
E
a
tahoê ana’e to taua
la vai
noa
te here i ropu
mau moemoea,
ia taua.
Mata Aiai
13
16
no
eperera
1994
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
HIMENE URA
la tavevo te
mau reo
himene
A
tapiri na i to mata,
A fa’aea na i te parau,
A noho tu
I reira ‘oe
noa
e
na,
'ite ai.
Himene i te po,
Himene i te ao...
E riro te
mau reo
Ei 'ura auahi
rau
Ta te ta’ata tata’i tahi
Mai te fenua
Tae
roa
pu
atu i te rai
e
ha’apura
-
Na roto i te hoê
-
reo
a’au,
‘amui,
Oia ho’i te himene ‘ura.
Mata Aiai
13
no
eperera
1999
17
Littérama’ohi N°6
Mata Aiai
NOTE HOE ORARAA API
Aue ta ‘u tamahine fanau tahi,
Mea hohonu ta ù here ia ‘oe,
Noa atu to ù
mau
O ‘oe ho’i te hotu
ra
No to
na mau
na
ta ù here.
to ‘oe metua tane,
Are’a
E to
riri,
o
hum ino ia'u
haapa’o ‘ore ia taua,
Penei a’e te mo’e nei to na here ia’u
Aore
ra
te mihi nei ‘oia ia na iho.
Te ti’aturi nei
Te
oraraa o
O ta’u
au
ta’u
i te oraraa,
turu nei,
e
rohi nei
e
la maita'i taua i mûri a’e
I te hoê fenua
Te fenua
o
tapiri ‘ore hia,
ta’u i ma’iti,
Huahine-Matairea,
Oia ho’i
o
Vahi
te hoê oraraa maitai a’e.
no
A ti’aturi mai ia’u
no
te reira.
Mata Aiai
9
18
no
eperera
1995
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
MON EPHEBE
Je suis
une
Cherchant
Pour
en
esthète
son
faire
éphèbe
sa
chose
A très haute dose.
A
rendre
boulimique
espérant qu’il m’imite
Dans une grande fusion
me
En
Qui aboutirait à l’éclosion
D’un
amour
-
osmose.
Pour
qu’enfin on ose
malgré l’anathème,
Cette vielle rengaine :
« La différence
d’âge »...
Vivre
Tout est
Et tu
question d’âme,
es mon
fantasme.
Mata Aiai
11 mai 1995
19
Littérama’ohi N°6
Mata Aiai
TOI ET MOI
Je
voulais pas te
ne
voir
Mais
je t’ai senti, là,
me regarder moi,
l’opposé de toi.
A
A
Je
«
me
suis dit
:
place pour toi dans ma vie
pour longtemps, ni pour une nuit ».
Pas de
Ni
J’ai fini par te regarder, et
Ce que tes yeux m’ont murmuré,
Ce que ta bouche m’a offert,
Ce que
M’a fait
ton corps m’a crié,
soupirer d’envie.
Retenir
mon
Puis
souffle,
expirer un air chaud et doux,
ta peau,
Chaud comme ton émoi,
Doux
comme
Toi et moi.
Mata Aiai
12
20
janvier 2004
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
TAURE’ARE’A E
Ua
reva
‘oe
No te hoê taime
Mea teiaha
ra
poto,
i roto.
Ua ori taua
Na roto i te vai
O Fauna Nui.
E i te hitiraa mai
Te ava’e re’are’a,
Ua hiti ato’a mai
Te hoê taure’are’a
I roto ia’u nei.
No ‘oe hoi
Teie huru to’u,
Ri’ari’a ‘ore,
Hia’ai rahi,
Moemoea a’au.
Mata Aiai
13
janvier 2004
21
Littérama’ohi N°6
Mata Aiai
L’AMOUR
L'on
peut prétendre
ne
Pouvoir te
Car tu
Tout
consommer
nous
ce
que
Selon tes
modérément
fais vivre intensément
tu peux nous apprendre.
rythmes variés,
Les choses sont différemment colorées,
Et dans tous tes méandres,
Bien malin celui
qui croit savoir s’y prendre.
En amour, rien n’est prévu d’avance,
Et nul ne connaît ses chances ;
Combien d’idéaux t’ont résisté,
Toi par qui tout peut exister ?
Mata Aiai
02
22
juin 1990
Rencontres
EXPERIENCE
Cela faisait bien
Que
-
polynésiennes, rencontres inouïes
REVEIL
longtemps
corps n’avait autant
Vibré de désir exacerbé
mon
Jusqu’à
en
trembler.
Tu
as dix ans de moins que moi,
Mais tes mains et ton corps
Savent me parler un langage
Qui
se
Dans
passe de paroles,
univers de sensations
un
Que j’avais
fini
Décuplées
par la notion d’interdit,
unissent et me remplissent
Elles
nous
par
Le corps comme
D’une allégresse
oublier.
le cœur
pleine de feu
Et d'une faim dévorante
Que j’ai
très rarement
d’expérimenter.
Eu l’occasion
accepté de jouer avec moi
Et de t’être laissé faire selon mes règles.
Merci d’avoir
Mata Aiai
12
juin 1995
23
Littérama’ohi N°5
Maeva Shelton
RENCONTRES AU PAYS DES MAHARAJAS
consigne donnée par Cati, orgaRajasthan situé au Nord de l’Inde, pays qu’elle
connaît bien pour y être allée déjà dix fois !
Martine de Nouvelle-Calédonie, Tukua de Paris, sa soeur Terangi et
moi-même Maeva de Tahiti, nous retrouvons donc touristes au pays des
mille et une nuits. Les surprises commencent dès l’arrivée à l’aéroport :
ainsi vous sautez dans un taxi et voilà aussitôt une horde de gamins à
la portière demandant je ne sais quoi se terminant par « ...shish ». Estil possible qu’à peine débarqué on vous propose déjà du hashish ? Mais
non, le chauffeur vous explique, tout simplement pour avoir soulevé
votre valise, on vous demandait un pourboire : «un bakshish » !
C’est seulement le lendemain matin que les vraies surprises seront
au rendez-vous. Dès la sortie de l’hôtel à pied, dans la rue c’est tout de
suite le bain de foule ; enfants en quête de pièces, de bonbons, de stylos etc., mendiants de toutes sortes, odeurs très variées : encens, urinés et même excréments humains, épices, fleurs de jasmin en guirlandes pour offrir aux dieux. Déjeuner dans un ancien palais de maharaja
transformé en hôtel
restaurant. Deux employés sont à I’ accueil, en
livrée aussi typique que somptueuse ; ils sont de belle stature, avec de
grandes moustaches qu’ils n’arrêtent pas de rouler, atout qui ferait rêver
plus d’un homme. Cela donne l’impression que le maharaja est toujours
présent dans son palais, attendant les visiteurs... L’intérieur est d’un
extrême raffinement et le buffet très appétissant. Pour une somme
modique, on peut se régaler aussi bien de délices indiennes que de
pâtisseries à la française.
Dans l’après-midi, départ en avion pour Jodhpur où nous attend un
chauffeur. Le lendemain, c’est la visite d’un château fort avec ses balcons en dentelle de pierre, et un mausolée dont les murs en marbre
blanc laissent passer la lumière.
Le tour se poursuit avec la visite de plusieurs temples. L’un d’eux
pourrait être baptisé le « temple aux mouches » en raison des milliers
Rendez-vous à Delhi! Telle était la
nisatrice de
ce
voyage au
-
24
Rencontres
de
polynésiennes, rencontres inouïes
insectes
qui habitent les lieux. On y pénètre par une grande
porte ciselée tout en argent, d’environ trois mètres de haut par autant
de large. Tout le long d’une allée intérieure en marbre, des mendiants et
des infirmes attendent quelque miracle. De la nourriture leur est apportée par des dévots dans l’espoir de gagner les faveurs des dieux par
leurs bonnes actions. Une femme distribue une poignée de tout petits
bonbons aux quelques personnes présentes. On dit que dans ce tempie, plusieurs miracles se sont déjà produits. Il est, en quelque sorte, l’équivalent de Lourdes en France. Un autre abrite, paraît-il, un cobra dans
un orifice visible sous un des murs. Tous les matins, à une certaine
heure, le serpent viendrait boire du lait que le gardien-moine place dans
un bol près de la cachette. Dans tous ces lieux sacrés, des statues de
ces
Bouddha sont
exposées dans des alcôves, protégées par des grilles : il
marbre blanc, en marbre noir, en argent et même en or. La
se faire pieds nus ; à la sortie, les chaussures sont récupérées moyennant quelques pièces pour celui qui les a « gardées » !
Puis vient le moment du shopping. Dehors il fait chaud (35°c). Les
boutiques sont de véritables cavernes d’Ali Baba où les éventuels
clients sont installés par terre sur des tapis posés à même le sol pendant que les marchands déploient devant eux toutes sortes de confections : couvre-lits, tentures, châles, écharpes en soie aux couleurs chatoyantes, sacs à main brodés ; on ne sait que choisir. Alors le marchand
fait.apporter du thé au lait et aux épices que l’on savoure tout en admiy en a en
visite doit
rant
merveilles faites à la main.
ces
Et maintenant
on
se
route pour
Jaisalmer, la citadelle dorée comme
l’appelle du fait de sa construction en pierre d’une couleur ocre qui
en
fond dans le soleil couchant. Au milieu du désert
se
dresse
une
imposante forteresse juchée sur un immense rocher. On ne peut qu’être impressionné et subjugué à la fois par tant de splendeur. Les bâtiments ont été
les
unes
érigés
des autres
intérieure. Comment
se
Xllleme siècle. Quatre portes d’entrée cachées
conduisent à la découverte de toute
une
ville
pas s’extasier devant les balcons ciselés qui
intérieurs de la lumière éblouissante. Autour de cette
dressent de magnifiques chefs d’œuvre, les « havelis » édifiés
protègent les
cité,
au
nous
ne
murs
25
Littérama’ohi N°6
Maeva Shelton
riches marchands de l’époque. Ce sont des maisons tout en
pierre, collées les unes aux autres, comportant généralement quatre
étages et deux sous-sol dont le premier servait pour garder les vivres,
et le second pour emmagasiner les marchandises. À l’époque, cette
ville se trouvait sur la route de la soie ; beaucoup de produits venaient
également du Pakistan : écharpes tissées avec une laine spéciale, appelées « pashmina », pierres précieuses, etc... Les fenêtres sont des
écrans de dentelle de pierre servant autant à embellir qu’à protéger les
femmes des regards indiscrets. Certaines de cês maisons ont été restaurées et transformées en musées, d’autres en boutiques, d’autres
encore servent toujours d’habitation ; il en est-raalheureusement
qui
pour les
tombent
Un
en
ruine
tour
car
l’entretien est extrêmement coûteux...
dans le désert
saurait être
complet sans une promecoucher du soleil. Après
avoir parcouru quelques kilomètres, quel réconfort de se rafraîchir avec
les boissons gazeuses vendues par des gamins loqueteux aux touristes ! Des danseuses et des musiciens arrivent de toutes parts pour animer la pause ; les jeunes filles invitent les touristes
que nous sommes
à se joindre à elles dans leurs danses et on se débrouille tant bien que
mal en empruntant tantôt des mouvements de « tamure » tantôt des pas
de cha cha cha ! Nous nous sentons telles « cinq jeunes filles dans le
désert ». Après une bonne rigolade, nous sommes accompagnées jusqu’à nos tentes « super luxe » dotées d’une salle d’eau comprenant toilettes, lavabo et un robinet sous lequel se trouve un seau ainsi qu’un
pichet pour se laver. Le repas du soir, à la belle étoile et aux lampes à
pétrole, est animé par des musiciens, plus nombreux que les dîneuses
car nous sommes les seules touristes dans ce «
campement ». Il faut
savoir qu’ici on est à moins de deux cents kilomètres de la frontière avec
le Pakistan qui est en guerre avec l’Inde. Les touristes se font donc plutôt
rares dans la région, ce qui permet de bénéficier de tarifs
exceptionnels
et de fréquenter des établissements très luxueux tels certains palais de
maharaja dont une partie a été transformée en hôtel. Martine est ravissanté dans son magnifique sari rouge brodé qu’elle a acheté à Delhi. Et
nous voilà reparties pour une autre leçon de danse. Le lendemain matin,
«
»
ne
nade à dos de chameau dans les dunes
26
au
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
avant le
petit déjeuner en plein air, nous nous promenons pieds nus
jusqu’au lever du soleil.
Dans les villages et même dans les grandes villes, des vaches
déambulent librement dans les rues, y déposant de nombreux “souvenirs” que les gens très pauvres ramassent ; ils modèlent d’épaisses
galettes qu’ils feront sécher au soleil. La bouse de vache est un excellent combustible pour cuisiner. Des cochons mangent les détritus jetés
dans les allées. Des chèvres y circulent également, munies de “soutiengorge” afin d’empêcher les petits de téter.
Pour la dernière nuit, Cati a réservé des chambres dans un palais
de maharaja (il y vit toujours avec sa famille) dont une aile a été aménagée en hôtel. L’architecture en est admirable avec les différentes teintes
de marbre, la riche décoration, les trophées empaillés du maharaja :
tigres de Bengale, léopards et autres animaux. Ce qui frappe l’attention,
c’est une trompe d’éléphant qui sert de pied de lampe. Dans le jardin où
se promènent des paons, se dresse un petit kiosque en marbre blanc
entouré de nombreux bougainvilliers multicolores taillés en grosses
boules. Ce splendide paysage forme comme un tableau dressé au premier plan devant la ville qui s’étend plus loin en contrebas. La piscine
de l’hôtel étant en réfaction, un “taxi de courtoisie” de la réception nous
emmène gracieusement à quinze minutes de là, dans une autre résidans les dunes
dence du
lac.-Nous
un
maharaja datant du Xllleme siècle et située au bord d’un
que deux à profiter des joies de la baignade dans
ne sommes
immense bassin carrelé
en
marbre et entouré de colonnes de la
même
pierre. Des singes en liberté se promènent dans le parc du
peut admirer les magnifiques chevaux des joueurs de polo,
sport non pas hérité des Anglais comme on pourrait le croire, mais venu
des Mogohls il y a plusieurs siècles de cela. Le gardien dirige nos
regards vers des chauve-souris de deux pieds d’envergure (soit 60 cm
environ) une fois leurs ailes déployées, suspendues à des branches
d’un banyan âgé de cinq cents ans.
De retour à Delhi, Michou, la sœur de Cati, nous attend avec un
« swami »
(moine indien vêtu d’une tunique couleur safran). Elle est arrivée avec Cati puis repartie immédiatement en pèlerinage dans une ville
manoir. On
27
Littérama’ohi N°6
Maeva Shelton
sainte. Nous faisons la connaissance du swami
qui nous donne des
enseignements spirituels et répond à nos questions existentielles.
Le lendemain, pour moi, c’est le départ à l’aube. Sur le chemin de
l’aéroport, le spectacle est désolant. Des dizaines et des dizaines de
personnes sans abri sont endormies sur des petites nattes ou à même
le sol sur le terre-plein qui sépare les avenues, ainsi que sur les trottoirs.
En cette saison, les nuits sont chaudes (aux alentours de 30°) mais de
violentes averses s’abattent de temps à autre sur la capitale. En hiver,
par contre, la température avoisine les 10° dans cette région. Il paraît
que ces gens viennent de la campagne pour chercher du travail dans
les grandes villes.
Chacune de nous prend une direction différente. Pour ma part, je
poursuis, seule, mon voyage dans le sud du pays : le Kerala. J’arrive à
Kotchi,( ville baptisée Cochin par les Français), où je vais à la rencontre
d’Amma (qui veut dire mère en Indien). Cela fait plusieurs années que
Cati m’en parle, et j’ai décidé d’aller la voir dans son village natal.
Amma, c’est une « Mahatma », c’est-à-dire une grande âme, au même
titre que Gandhi. Son histoire, c’est la transformation d’une petite villageoise en un guide spirituel qui a su captiver l’attention d’éminents
savants et de leaders mondiaux ; c’est sans doute le chapitre le plus
émouvant de l’histoire actuelle de l’humanité. Elle répand un message
d’espoir à une génération qui a connu plus de guerres et d’effusion de
sang qu’aucune autre à travers l’histoire. Depuis plus de vingt ans, elle
ne cesse de parcourir le monde créant des orphelinats, des écoles, des
hôpitaux, des hospices; distribuant aux pauvres nourriture, vêtements,
et la liste est bien longue encore...
Son oeuvre est semblable à celle de l’abbé Pierre en France, qui,
depuis cinquante ans, prêche les mêmes vertus avec la création de l’association “Emmaus”. Par contre, Amma oeuvre sur une échelle beaucoup plus vaste. On lui compte trente millions de dévots dans le monde
entier. A l’occasion de son cinquantième anniversaire, ses fidèles ont
souhaité organiser un grand rassemblement spirituel de quatre jours
afin d’invoquer la paix dans le monde. J’arrive dans les lieux où doit se
dérouler l’évènement. C’est grandiose ! C’est émouvant et à la fois
28
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
i
effrayant ; il
tant de gens (par la suite j’ai su qu’un million de personà cette célébration, venant de quatre-vingt-onze
pays). Parmi la foule, il n’y a pas que des « bonnes âmes » mais aussi
des pickpockets, alors il faut être vigilant. Je réussis à me glisser petit à
petit tout près de l’estrade dans cet immense stade préparé spécialement pour l’occasion. Je reste des heures immobile à regarder le déroulement de la cérémonie : discours du président de l’Inde, du vice-président, de diverses personnalités venues du monde entier dont la fille de
Martin Luther King des Etats-Unis, de même qu’un ex-sénateur et bien
d’autres encore ; puis vient le tour d'Amma, une petite femme brune, plutôt boulotte, vêtue d’un sari blanc. C’est l’image de la mère ; d’ailleurs elle
s’adresse à la foule en disant « mes enfants ». Selon Amma, le monde
est comparable à une fleur dont chaque nation serait un pétale. Elle
enseigne à ne faire qu’un avec la nature afin d’assurer le progrès de
l’espèce humaine. La spiritualité, dit-elle, nous apprend à vivre dans le
monde. Il ne s’agit pas d’une foi aveugle, mais d’un idéal qui dissipe
l’obscurité. C’est l’élément qui nous enseigne à faire face aux obstacles
ou à des situations adverses avec le sourire.
Aujourd’hui la plupart des
gens ont une attitude de « je » et « moi ». Ils ne pensent qu’à leur plaisir personnel ainsi qu’à celui de leur famille. C’est la mort ! Cela les
conduira à leur propre ruine et à celle de la société. Mes enfants, à ces
gens-là, nous devons expliquer : « ce n’est pas de cette façon que vous
devez vivre ! Vous n’êtes pas des petits étangs où l’eau stagne et devient
de plus en plus sale avec le temps ; vous êtes des rivières qui doivent
couler pour le bénéfice du monde entier. Vous n’êtes pas faits pour souffrir; vous êtes faits pour expérimenter le bonheur ! C’est par l’amour, la
compassion et la dévotion que vous atteindrez votre but »...
Chaque soir, des chants et des danses de divers pays ont lieu sur
l’estrade du grand stade ; Amma donne sa bénédiction à des milliers de
fidèles : le « darshan ». Elle prend chaque personne dans ses bras, lui
chuchote quelques mots, puis lui donne un bonbon, une pomme ou
autre chose, avec un minuscule petit sac en papier contenant des cendres bénies à appliquer ensuite sur le front. Le dernier soir, Amma a
béni de cette façon quarante mille personnes en l'espace de vingt-trois
nés
avaient
y a
accouru
29
Littérama’ohi N°6
Maeva Shelton
gardant sa position: les jambes croisées sans
lever pour quelque motif que ce soit, ni pour boire ni pour
manger ! Pendant ce temps, des chants et des danses animaient la soirée. Un cinéaste français, Jan Kounen, perché sur un siège giratoire qui
n’arrête pas de monter et descendre, prend des prises de vue pour la
réalisation d’un documentaire DARSHAN qui sortira dans quelques
heures et demie, tout en
jamais
se
mois.
Le lendemain, Amma s’envolait pour continuer sa tournée mondiale
Europe...
En ce qui me concerne, je pars de mon côté un peu plus au Nord.
Durant mon voyage en train, je rencontre des « sikhs », avec qui je
converse en anglais. Ils sont vêtus d’un pantalon typique très large et
portent un turban autour de la tête.Ils appartiennent à une religion spédale, sont végétariens, et donnent de la nourriture à ceux qui ont faim.
Ils font beaucoup de pèlerinages au cours de leur vie et justement ceuxci viennent de se rendre dans plusieurs lieux saints. À la gare de
Coimbatore, un chauffeur m’attend pour m’emmener dans une sorte de
pension de famille à mille huit cents mètres d’altitude où je dois faire
une « cure ayurvédique ». L'ayurvéda est une des médecines les plus
anciennes au monde, à base d’herbes. Ces cures sont très réputées en
Inde et en particulier dans cette région. Chacun a son traitement spécifique. Après tous ces déplacements, j’avais besoin d’un peu de repos et
de calme. Alors j’ai demandé une désintoxication du corps et de
l’esprit. En ce lieu, je fais la connaissance de personnes de divers
pays : Angleterre, Australie, Emirats, Californie, Italie. Tous les matins,
c’est le réveil à six heures avec une potion amère pour dégager le corps
de ses toxines, puis yoga de sept à huit heures et demie. Ensuite, petitdéjeuner au soleil dans le jardin. Plus tard, massage exceptionnel exécuté à quatre mains avec de l’huile de sésame agrémenté d’épices ;
pour terminer, une des jeunes filles me fait asseoir sur un tabouret dans
la salle d’eau. Après m’avoir badigeonnée d’une préparation à base de
patate douce crue râpée dans le but de faire partir l’excédent d’huile,
elle me rince comme un bébé en versant des petits pichets d’eau chauen
de
30
sur
tout le corps
.
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Ici, il fait frais car nous sommes en hauteur, loin des tumultes et de
poussière des villes. Quelle différence ! J’apprécie ce calme après
toute cette foule des jours précédents dans une température de plus de
trente degrés. Les alentours sont très verdoyants ; des plantations de
thé s’étendent à perte de vue ; des oiseaux et des singes abondent
la
dans la
région.
Après
de neuf jours, me voilà repartie pour Bombay où
déléguée par des amis absents momentanément m’attend. À l’aéroport, nous nous identifions tout de suite et, immédiatement, le courant passe entre nous comme si nous étions des amies de
longue date. Son chauffeur nous conduit chez elle pour apprécier sa
collection de bonsaï tropicaux. Un petit arbre attire mon attention : c’est
un sapotillier chargé de fruits. Nous prenons le
goûter qui consiste en
une citronnade plutôt salée que sucrée accompagnée d’un petit bol de
pommes de terre tièdes au safran, un peu piquantes. Sincèrement, j’aurais préféré un bon thé du pays avec des petits gâteaux !
Dans ce pays de contrastes, quelque chose attire tout particulièrement mon attention : il s’agit d’une publicité pour un institut spécialisé
dans la perte de poids. Je n’en crois pas mes yeux ! Effectivement, j’ai
eu l’occasion de croiser quelques personnes obèses au cours de mes
déplacements...
Après deux jours de découvertes de la ville, temples, marché où je
me suis régalée de sapotilles de saison, une visite chez d’autres amateurs de bonsaï et plusieurs repas Indiens, car mes nouveaux amis
tenaient absolument à me faire goûter les spécialités de la région, je
quitte ce pays la tête pleine de souvenirs inoubliables.
une
un repos
inconnue
Maeva Shelton
Littérama’ohi N°6
Solange Drollet
intégral qui suit intitulé “Nouvelle d’une rencontre inacherapport avec le thème de la revue fera partie d’un recueil de
nouvelles (6 ou 7) que je suis en train de rédiger à un rythme de tortue
(du fait de mes obligations professionnelles et universitaires). Elle
raconte l’histoire d’une rencontre avec un étrange étranger en Nouvelle
Le texte
vée”
en
Calédonie.
Jimmy mon héros était un de mes clients à l’époque où j’exerçais
là-bas le métier d’avocat de 1971 à 1983. Bien sûr son aventure a été
cessé de me hanter.
beau pays m’a inspiré une seconde nouvelle
romancée mais elle n’a jamais
Mon
séjour dans ce
en cours.
publiés par les Presses universitaires
(PUAM) le premier édité en 1996 est intitulé “Le système polynésien de sécurité sociale” le second édité en 2000 est intitulé
“Le droit du travail applicable en Polynésie française” et ses frais de
publication ont été en partie financés par le Ministère chargé de l’OutreJ’ai écrit deux ouvrages
d’Aix-Marseille
Mer.
A
ce
titre
j’ai également reçu le Prix du meilleur ouvrage en droit
le Centre de droit social de
social de l’année 2000 délivré par
l’Université d’Aix Marseille.
également rédigé un article sur le “Mariage de Loti” publié dans
spécial du Bulletin des Etudes Océaniennes en 2000 à Tinstigation de Daniel Margueron et un article sous forme de commentaire
d’un jugement‘du tribunal administratif de Papeete du 13/3/2001 à la
Revue juridique polynésienne, volume 9, p. 115 publiée par l’UPE Je
prépare actuellement un second article pour cette revue.
J’ai
un
numéro
Et je
voudrais dire tout mon plaisir de participer à une oeuvre col-
lective.
Solange Drollet
32
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
NOUVELLE INACHEVEE D’UNE RENCONTRE
Je
pensais de temps à temps à Jimmy, un Américain aux cheveux
argentés, aux verres de lunette teintés, d’un âge indéfini que j’ai connu
en Nouvelle Calédonie. Il était venu à mon cabinet avec une toute
jeune
fille kanak dont on aurait pu penser qu’elle était sa fille plutôt belle et qui
le suivait
comme son
ombre fidèle.
Ils étaient de la région de Houaïlou, sur cette plaine ombragée de
grande terre qui s’étend de l’embouchure de la rivière Houaïlou jusqu’aux contreforts de la chaîne montagneuse. Sur les longues berges
herbeuses, d’immenses bouquets de bambous pèlerins se penchaient
au-dessus des roches vertes que la transparence de l’eau découvrait
sous le soleil d’été. Houaïlou était pour moi une simple étape paisible
au bout d’une gorge étroite, la porte de la côte est à laquelle on accédait de l’autre côté de l’eau, par un vieux pont métallique enjambant les
la
deux rives sablonneuses.
Les voyageurs s’y arrêtaient
halte d’une nuit dans un petit
toujours avant la fin du jour. Ils faisaient
hôtel ordinaire aux volets bleus, au bord
de la route goudronnée, sous des filaos effilés que le vent faisait parfois
siffloter. Les pins colonnaires, les flamboyants ardents, les eucalyptus
indigènes chuchotaient doucement emportant en l’amplifiant une liesse
communicative jusqu’aux confins de la brousse vive. En attendant le
dîner, le regard du voyageur ne se lassait pas du spectacle, dans les derniers rayons du soleil, des pêcheurs kanaks déployés au loin, autour de
l’embouchure. Ils étaient au pied de la mangrove cueillant dans leurs Iongués sennes fatiguées les mulets du large aux écailles argentées. Du
pont, on pouvait les voir posant un filet en cercle autour des racines de
palétuviers pour enfermer les poissons amenés par le courant de la haute
marée. Quelques autres pêchaient à la ligne sur une plate dérivant au fil
de l’eau, et tous guettaient dans les parages, le requin sage à un œil de
la tradition qui remontait disait-on, le fleuve jusqu’à sa source de légende.
une
33
Littérama’ohi N°6
Solange Drollet
En amont du cours d’eau, près de l’étroit défilé, là où de vieux
kapokiers laissaient pleuvoir des flocons de laine, des cavaliers roux,
torse nu sur des chevaux de stock, rassemblaient leurs troupeaux, au
galop, fouet en main. Ils les poussaient avec des cris joyeux vers les
gués du fleuve qu’ils traversaient en de grandes enjambées dans de
brillantes éclaboussures irisées de gouttelettes argentées.
A l’écart de la
grande route du tour de l’île, le temps semblait arrêle village européen blotti dans son écrin de verdure, sagement
posé le long de la piste de terre rouge qui menait aux mines de nickel
sur les flancs saignants des collines. Dans la soirée, une légère animation se concentrait autour du bazar boulangerie mercerie que tenait une
té pour
vieille famille
saient
calédonienne,
une
sorte de caverne d’Ali Baba où s'entas-
petit bonheur la chance, des pièces de pagne de manou, des
boules de pétanque, de la quincaillerie dépareillée, des boîtes de
conserve, du savon de Marseille, des sacs de farine et des gâteaux en
quantité cuits au four de bois. C’était de là que les jeunes kanaks, ramenant vers Do Neva les provisions de leurs courses, partaient le long des
collines, sur des sentiers de peau rouge, en cheminant de crêtes en crêtes et de vallons en vallons vers le vrai pays, celui des hommes noirs.
au
Jimmy faisait la tournée des tribus dans sa fourgonnette épicerie
qu’il chargeait au dernier moment de paniers de pain frais et de pâtisseries crémeuses. Une place était réservée aux sacs de tracas nacrés
et de trépang abandonnés par les pêcheurs au bord de la route qu’il
devait
ramasser au
retour.
Jimmy n’était pas seulement un colporteur. Sa présence en brousd’intriguer puis d’inquiéter. Son intérêt pour les tribus
apparaissait suspect. Leur vendait-il de l’alcool contre des tonnes de
monnaie trébuchante ? Comme il était souvent accompagné d’une adolescente popinée, il attisait les calomnies et faisait beaucoup jaser sur
son passage. Il pouvait bien être un détraqué sexuel pourquoi pas pédophile cherchant à abriter des amours contre-nature dans une contrée
se
34
n’avait laissé
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
noire à moitié sauvage autrefois anthropophage ou encore un meurtrier
cachant des policiers sous une fausse identité et une qualité imagi-
se
née dans
un pays où des poignées d’herbe nouée indiquaient
toujours
les territoires tabou. Beaucoup pensaient que Jimmy avait plutôt le pro-
fil d’un
installé
espion venu de l’ouest, pourquoi pas vil, pourquoi pas malsain,
près des centres miniers pour en surveiller les activités avec du
matériel bricolé.
«
.
.
Pour les
Kanaks, parmi les plus anciens, Jimmy était devenu une
paroles car il était capable de désigner les forêts hantées par
les aïeux, les villages vidés par des chefs cannibales, les familles
corbeille à
effrayées fuyant les nobles puissants ogres, réfugiées dans les vallées
voisines. Il savait aussi déclamer l’histoire des tribus et leurs alliances et
leurs guerres
et les tribus accueillantes qui préféraient, une fois comblées
présents coutumiers, tuer leur invité étranger plutôt que de le laisser
partir chez les voisins réjouir d’irréductibles guerriers.
de
Jimmy était tout simplement un blessé de la vie, un sauvage réfugié auprès des primitifs pour retrouver sur des rochers calédoniens la
paix de l’âme et le goût de la liberté de ces horizons infinis. Il était peutêtre sensible aux sortilèges de la grande terre, au charme mélancolique
de ces immenses plages sombres ou de ces profondes mangroves
habitées par les esprits des ancêtres. Il connaissait les banians du deuil
dont les solides branches avaient porté des cadavres en poussières
dans des caisses ouvertes au jour, les places interdites aux humains où
étaient à demi-enterrés des morts assis, parfois penchés, les têtes soutenues par un bâtonnet de gaïac. Il devinait sous un parterre de pourpier le commencement d’un chemin secret grimpant lentement vers
quelque clairière mythique. Dans la société kanak, les vivants se mêlent
aux morts, le réel au magique, l’histoire à la légende.
Il habitait à l’entrée d’une baie, entre mer et forêt dans une
impoétage, une vieille demeure en bois sur pilotis d’une
dynastie d’agriculteurs éleveurs dont la grande façade aux couleurs
santé bâtisse à
35
Littérama’ohi N°6
Solange Drollet
surannées dominait
une
rivière de
ramures.
La maison était la dernière
qui menait aux falaises et ne se donnait pas aux regards des
passants. De la route, on ne voyait que l’écran des bambouseraies
échevelées et des cocoteraies malmenées par les cyclones.
Pour l’apercevoir, il fallait s’engager sur une longue allée bordée de
bougainviiliers de tamariniers et de palmiers royaux, voyageurs s’étirant
vers un bouquet d’épais manguiers cernés d’imposants baniajis.
Derrière les anciennes écuries recouvertes de chèvrefeuille, un étroit
sentier se frayait un passage dans la végétation exubérante vers un
antique débarcadère. Là était amarré un cotre ponté qui avait ressemdu chemin
blé autrefois à
un
voilier racé.
Jimmy avait été, tour à tour, trappeur puis prospecteur minier au
avec des milliers d’autres par des petits
mineurs calédoniens pendant les glorieuses années du rush du nickel.
Après la crise, lorsque la fièvre de la production était tombée et que le
minerai avait du mal à se vendre, il avait dû changer d’activité et le pays
kanak, le monde mystérieux des mélanésiens, devint son pays d’adoption. Il profitait de ses tournées d’épicier ambulant pour continuer de
prospecter à la recherche de filons d’or ou de cuivre ou de cobalt ou
encore de chrome que recelait le riche massif calédonien.
Canada. Il avait été recruté
Autrefois accrochés
au
sol aride tout
en
ravines, les petits cobal-
grattaient le flanc de la montagne à la main pour lui extraire le préqu’ils ensachaient de jute avant de l’expédier dans les
grands centres urbains. Dans le Nord, des francs-tireurs avaient descendu du cuivre le long du fleuve Diahot. Des mines avaient été ouvertes mais elles ne livrèrent que de dérisoires pelletés de minerai.
On avait, plus tard, ramassé des paillettes d’or dans les sables du
creek près de la mission de Pouébo et quelques minces veines de chrome affleurant sous la surface des roches. Chacun se prenait à rêver de
cascades vertigineuses, couleur d’ambre éclatant. Mais personne n’avait trouvé le filon qui donnait au fleuve les paillettes qu’il roulait au fil du
teurs
deux butin
courant.
36
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Accompagné de l’adolescente kanak qui lui servait de guide dans
énigmatiques explorations, Jimmy sondait secrètement la terre. Au
pic et à la pioche, il cassait les cailloux d’où ruisselaient des coulées de
poussière. Il enfouissait de temps à autre dans ses grandes poches des
échantillons de minerai d’un précieux vert émeraude. De ses fréquentes
pérégrinations, il avait collectionné des cailloux qui ressemblaient aux
pierres sacrées des kanaks, celles de l’igname pour assurer sa multiplication dans les champs, celles à maléfices, porteuses de maladies que
l’on peut glisser le soir dans la case de l’ennemi. La dernière avait la
forme étrange de la montagne tabou des Mélanésiens. Il la déposa avec
les autres dans la dernière rangée sur les rayons de sa bibliothèque
ses
vitrée.
Un beau
jour, l’univers paisible de Jimmy bascula. C’était le jeudi
petit matin, la brume flottait encore paresseusement audessus de la rivière, il découvrit derrière le bosquet de cordyline une
monstrueuse, immense masse noire et scintillante plus haute que les
plus hauts de ses arbres. Une montagne de minerai avait été posée
dans son champ de maïs en friche, au pied des majestueux banians du
deuil, non loin de l’appontement où s’amarrent encore les gros chalands
des exploitants de nickel. Les grains noirs pailletés d’argent étaient du
chrome. Des inconnus, des rouleurs de mine avaient déversé là leur
chargement en croyant que la terre alentour n’appartenait à personne.
Ils faisaient quelquefois cela en attendant la venue d’un prochain minéralier d’Australie ou du Japon.
Jimmy n’avait rien vu ni rien entendu. Il venait rarement au débarcadère. Les routiers enveloppés de poussière avaient peut-être suivi des
pistes rougeâtres, rongées de crevasses bordées de précipices depuis
le sommet des montagnes en direction de la mer vers la baie jusqu’aux
installations d’embarquement. Après, ils avaient disparu comme par
magie. Jimmy avait guetté patiemment, jour après jour, leur retour. Il s’était posté souvent près de la piste pour scruter le long du chemin poudreux, le suivre du regard de là où il apparaissait jusqu’au point où il allait
se perdre derrière le talus dominé par les pins colonnaires.
du
marché,
au
37
Littérama’ohi N°6
Solange Drollet
grande quantité avait dû être amené de l’ancienne
Tiebaghi à l’extrême nord de l’île de l’autre côté
de la côte. Etrangement, le temps passa sans que personne ne se
manifestât. Jimmy mena discrètement son enquête au village et dans
les centres miniers voisins mais personne ne lui parla de rien. Il n’avait
pourtant pas rêvé. La pyramide de chrome représentait une véritable
fortune et son transport sur la route ne pouvait pas passer inaperçu.
Le chrome
en
si
mine abandonnée de la
Jimmy était même remonté sur la Tiébaghi pour tenter de retrouver
village
désert s’ouvrait au bout d’une longue allée couverte de bois noirs entrelacés de lianes profuses. Il avait pénétré dans un sanctuaire figé dans
l’impressionnant silence du temps. Il avait revu les ruines effondrées
des hangars, des remises et des bureaux abandonnés au vent et à la
végétation. Au sommet de la côte, la maison encore blanche du directeur du centre, immobile sous les énormes flamboyants en fleurs.
Rangés dans les entrepôts, les bennes et les camions achevaient de se
rouiller. Il contempla longuement sur la place principale où gisaient des
excavateurs désarticulés, les épaves rongées des wagons qui se dressaient contre la barrière rocheuse tels de noirs squelettes d’acier pétrila trace des derniers rouleurs de mine. Accroché à la chaîne, le
fiés. Combien de tonnes de minerai avaient été arrachées de leur gangue par les mains calleuses de milliers d’anonymes engagés et parqués
dans ce campement ! On n’entendait plus le grondement de la montagne saignée par les pelleteuses ni le gémissement plaintif
annamites que les contremaîtres nerveux épuisaient à la
paisible et Jimmy communia un
peuple du passé.
maintenant était
més
avec
le
des coolies
tâche. Tout
moment les yeux fer-
Les rouleurs de mine avaient-ils volé leur marchandise avant de
disparaître, s’étaient-ils envolés effrayés par leur forfait ou bien le
contracteur inconnu, mauvais gestionnaire, avait-il fait faillite, mais étaitce possible ? Le mystère s’était encore épaissi lorsque deux ans après
personne mais alors vraiment personne ne vint réclamer ce trésor de
sable. C’est alors que Jimmy fut habité d’un fol espoir. Il ne se maîtrisa
38
Rencontres
plus, il
tous,
se
ce
polynésiennes, rencontres inouïes
mit à rêver tout haut : et si ce chrome définitivement oublié de
venu de nulle part, allait lui appartenir ?
diamant noir
Il
prit la décision de me consulter, de se confier aussi. Je le mis
en garde contre une tentative spontanée, irréfléchie d’appropriation frauduleuse du bien d’autrui : s’il n’était pas un mirage, ce
chrome appartenait encore à quelqu’un. Sa disparition était probablement provisoire. Pour Jimmy, ce quelqu’un était devenu un fantôme qui,
après tout ce temps, ne reviendrait plus sur terre et il ne voulait pas
renoncer à ce miraculeux cadeau du ciel. Je croyais l’avoir découragé
mais il ne prenait pas tout à fait au sérieux mes recommandations de
prudence, mes ennuyeuses ratiocinations. Jimmy me donna rendezvous pour l’année suivante. Je dus lui promettre d’engager des recherches dans tous les sens, des analyses juridiques plus approfondies
avant de nous revoir la prochaine fois, dans plusieurs mois. Il fallait à
nouveau explorer, creuser les articles du code civil, interpréter tous les
principes du droit des obligations et des biens mobiliers ou immobiliers
pour découvrir, à n’importe quel prix, la règle évidente qui le rendrait
enfin riche de son probable trésor.
d’emblée
L’année suivante, au jour et à l’heure convenus, il se présenta
confiant à mon cabinet. A notre seconde rencontre, je n’avais pas beau-
changé d’avis. Notre entretien dut le décevoir. Stoïque, Jimmy
jugea que les rigueurs de mes analyses devaient céder devant d’autres
considérations moins théoriques. Il contesta cent fois les différents raisonnements que je lui proposais, combattit avec ardeur les obstacles de
la loi que je lui désignais, lui décrivais en des mots choisis. Il essaya
patiemment de m’influencer en m’orientant avec fermeté vers la réponse
souhaitée. Pour cela, il avait fait l’acquisition d’un code civil qu’il avait
parcouru des soirs entiers quand la fièvre de l’or le traversait et l’empêchait de dormir. Il crut aussi qu’il pouvait mieux me convaincre, en proposant de m’abandonner une bonne part du prix de vente du minerai
coup
convoité.
39
Littérama’ohi N°6
Solange Drollet
D’une année
sur
l’autre, patient, il continua de m’interroger, imper-
turbable. Il s’entêtait dans
d’homme civilisé. Il avait lu
sa
au
démarche légaliste, dans sa logique
moins cent fois le code civil : le minerai
sur sa terre était une marchandise abandonnée dont la possession valait bien un titre de propriété. Il projetait de charger le chrome sur
déposé
navire minéralier australien ou japonais pour le vendre sur le marché
l’étranger. Il me quittait toujours, encore un peu déçu, sans toutefois
cesser d’espérer.
un
à
parfois de l’imaginer sur sa terrasse à balustrade échaplans sur son fabuleux filon. Jimmy allait tous les
jours voir sa réserve de chrome pour s ‘assurer qu’il n’avait pas rêvé. Il
caressait du regard les ruisseaux de cristaux coulant sur un lit de
brillantes paillettes. Le sorcier de la tribu lui avait rappelé, un soir de clair
de lune propice aux légendes, que la noire pyramide avait jailli mystérieusement de la terre quand il avait ramené chez lui l’étrange pierre
taillée en forme de montagne sacrée.
Il m’arrivait
faudant
sans
fin des
N’ayant pas satisfait à sa quête, je l’avais condamné au supplice de
Tantale, contraint de convoiter éternellement l’or d’un inconnu qui seinavides. Et lui, malgré cela de me
parfois, comme si je n’avais pas
compris que sa vie dépendait de mes recherches. Rien pourtant, lui rappelai-je, ne l’obligeait à me croire ni encore moins de me suivre les yeux
fermés. Il pouvait, bien sûr, passer outre mon avis, après tout, je pouvais aussi me tromper, tout était possible, le tout et son contraire
puisque j'étais jeune et inexpérimentée mais Jimmy n’avait pas vraitillait malicieusement
harceler,
sans
sous ses
arrêt, de
yeux
me sermonner
ment envie de confier son dossier avec son secret à un autre avocat
plus complaisant ou plus savant : il avait décidé seul et à mon corps
me lier personnellement obstinément à son sort. En
quelque sorte, il avait choisi (par superstition ?) de me remettre les
clefs, le sésame de sa destinée. Il espérait m’avoir à l’usure, sûr de son
pari qu’il croyait sensé. Il était simplement en train de jouer en marchandant sa future fortune. Il me sommait de trouver à tâtons sa loi perdue.
défendant, de
40
Rencontres
Il
à
polynésiennes, rencontres inouïes
prétendait m’apprendre à lire entre les lignes, à donner plus de place
l’interprétation sous et par-dessus l’écrit, là où se trouvait la vie.
A bout
d’argument, pour en terminer avec cette attente pesante, je
finis par lui indiquer qu’il ne risquait pas grand-chose s’il transgressait
les limites du droit positif. Le vol de minerai n’était pas une infraction
sévèrement sanctionné, à peine une amende très vite
assurais avec toute la conviction dont je pouvais être
serait pas
Et
condamné sévèrement à de la prison
pour
amortie et je lui
capable qu’il ne
autant.
puis le jour arriva où je lui annonçai avec peine que j’allais quit-
ter le pays, je lui fis mes adieux. Je refermai son dossier, je le rendais à
son destin. Je mettais son histoire extraordinaire entre parenthèses, lui
promettant de la reprendre avec lui bientôt.. Plus tard, loin de lui, son
souvenir m’avait
poursuivie, son regard de reproche ne se laissait pas
puis lorsque les rides ont creusé mon front, je me mis à
regretter de n'avoir pas accompagné Jimmy dans son aventure hors du
oublier. Et
commun.
J’eus envie de revoir Houaïlou.
Bien
longtemps après, je retournai sur les traces de Jimmy.
sut me dire où il était. Personne n’avait jamais entendu
parler de son fabuleux minerai. J’avais retrouvé son dossier dans un
placard au département des archives. Il contenait un sachet rempli du
sable de chrome. Dans un entrepôt de son domaine de brousse gisait
une machine de déchargement de minerai, dans un autre hangar sous
une couverture de chèvrefeuille, se dressait une énorme spirale, une
spirale en acier que Jimmy avait traînée avec lui quand il recueillait le
chrome alluvial des plaines rouges des gaïacs. Jimmy avait disparu en
m’abandonnant à ma cruelle nostalgie. Il avait emporté avec lui le dernier mot de son histoire. Il me sera maintenant et pour toujours, je le
sais, impossible de mettre un point final à notre rencontre.
Personne
ne
Solange Drollet
41
Littérama’ohi N°6
Françoise Helme
LA PROVENCE ET
TAHITI,
UNE AMITIE HORS DU COMMUN
C’est la rencontre entre Catherine née le 3 mai 1948 à Ollioules et
Françoise née le 25 juillet 1947 à Toulon. Les deux varoises se lient d’amitié et elles vont découvrir Tahiti. Françoise a des attaches avec la
Polynésie,
vit
ne
et
en
ses parents sont nés dans
Méditerranée depuis toujours.
les îles du Pacifique et Catherine
Françoise vit dans le mythe de Tahiti depuis son enfance, elle entraîson amie dans ses chimères vers le paradis de ses rêves d’enfant
d’adolescente. C’est l’aventure que je vais essayer de vous traduire.
donc
CATHERINE
Catherine vit
dans
un
modeste
famille, ses parents et ses 2 grands frères
quartier du Mourillon, agglomération de Toulon, en
avec sa
bord du littoral de la Méditerranée. Avant notre rencontre Catherine n’avait jamais
pensé dépasser le périmètre de son quartier d’habitation. En
compagnie de ses camarades de quartier, elles partagent leurs jeux,
sur la placette à quelques mètres de l’église. Sa maman la surveille de
la fenêtre de l’immeuble
au
coin de la
rue
tout
en
travaillant.
LA VIE EN PROVENCE
L’été
Provence tout le monde vit à l’extérieur, les journées se
rallongent et la chaleur est étouffante. Dans la journée, les volets des maisons restent clos pour maintenir une certaine fraîcheur à l’intérieur. En
fin d’après-midi les pépés et les mémés disposent leur banc devant leur
porte d’entrée en racontant les derniers « potins » du quartier. Les femmes s’occupent en préparant les vêtements d’hiver, les aiguilles à tricoter ou des crochets dans les mains. Des parties de pétanque animées
42
en
disputent sur la place entre hommes, des jurons en patois fusent
dans l’air et il y a parfois des contestations avec l’accent du midi. L’hiver
tout le monde rentre à l’intérieur près du poêle pour se réchauffer. Des
se
parfums de ratatouille, aromatisée de thym et de laurier embaument les
ruelles, ainsi que la soupe au pistou et la bouillabaisse.
La rue est très animée dans la journée, on peut apercevoir le chiffonnier, le vitrier ou encore le rémouleur aiguiseur de couteaux, ils poussent leur voiturette montée sur un tricycle. Cela est très folklorique et
typique à la région.
HISTOIRE DE LEUR RENCONTRE
sur
Je crois que nous nous sommes rencontrées pour la première fois
les bancs du catéchisme du quartier et certaines journées de patro-
responsables de la catéchèse
amitié va durer, nous nous
entendons à merveille. Le catéchisme est un peu barbant, nous préférons les après-midi récréatives avec les jeux et chants. Avec Catherine
nage le jeudi après-midi organisées par les
de l’école des sœurs du quartier. Notre
trouvé très amusant d’attendre
2CV rouge avant de nous rendre au catéchisme. C’est un événement pour nous de nous promener en
voiture, aucun de nos parents n’en possède. Nous allons nous retrouver
à l’école primaire des filles du Mourillon. La mixité n’existe pas encore,
il y a l’école des filles et l’école des garçons. Nous ne nous quitterons
plus jusqu’au Lycée Dumont d’Urville en juin 1962, date de notre départ
pour Tahiti, le bout du monde, le Paradis de mes parents.
Je suis l’aînée d’une fratrie de 9 enfants. Papa est engagé dans
l’aéronavale depuis une quinzaine d’années il a fait le tour du monde et
la guerre d’Indochine durant sa carrière dans la Marine. Il est souvent
en mission en Afrique du Nord et rentre rarement en permission. Aussi,
Maman s’occupe de l’entretien du foyer et de l’éducation des enfants,
elle n’avait jamais quitté son « fenua » avant son mariage avec Papa.
et deux autres
camarades,
nous avons
Monsieur le curé devant la Poste
avec sa
43
Littérama’ohi N°6
Françoise Helme
Catherine, benjamine de sa famille a deux grands
frères qui font
Françoise, qui rêve d’avoir un grand frère pour la protéger. Leur papa est souvent absent du foyer, la maman de Françoise
avec sa nombreuse famille est très occupée, celle de Catherine partage
ses journées entre sa machine à écrire et sa machine à coudre. Alors
les deux nouvelles amies comblent leur mal-être en se rassurant
mutuellement et passent le plus de temps possible ensemble se
confiant leurs petits secrets. La maman de Catherine travaille dans une
imprimerie en tant que secrétaire et également couturière à domicile.
Excellente couturière, elle reproduit tous les modèles des magazines en
vogue de l’époque. Elle a dans sa clientèle une grande dame de l’aristocratie qui descend spécialement de Paris pour renouveler sa garde
robe à chaque saison et rester à la mode du jour. Ces déplacements
mettent tout le quartier en effervescence. Nous attendons en rang d’oignons la Comtesse dans sa jolie Cadillac noire, accompagnée de son
chauffeur en livrée, c’est un événement considérable pour nous de voir
« en vrai » du beau monde comme au cinéma. Le frère cadet de
l’admiration de
Catherine
cer son
se
charge de faire la publicité autour du quartier pour annon-
arrivée.
dans certains travaux ménagers notamment
du matin avant de me rendre à l’école, je surveille égale-
Je seconde
les
courses
maman
petits frères et sœurs et souvent Maman me demande de les
lorsque je sollicite l’autorisation de descendre de notre appartement situé au 6ème étage d’un immeuble sans ascenseur. Lorsqu’il ne
m’est pas possible de sortir j’invite ma nouvelle camarade à la maison.
Ainsi débute l’histoire magique de la rencontre de la petite fille provinciale avec la famille « tahitienne » de Toulon, un vrai conte de fée. Je
lui apprends à découvrir ce pays du bout du monde, l’île paradisiaque
de mes parents originaires de Tahiti que je ne connais qu’au travers des
histoires et photos de famille. L'hiver, les jeudis après-midi dans l’appartement familial, où se mélangent l’arôme du café grillé sur le poêle à
charbon de la salle à manger, le parfum de la vanille et des bananes frites, Catherine est émerveillée par les colliers de coquillages, les paréos
multicolores qui garnissent les pièces, Maman dans son paréo, sa fleur
ment
sortir
44
mes
Rencontres
à l’oreille.
son
pays
polynésiennes, rencontres inouïes
Quelquefois Maman prend sa guitare et chante des airs de
et nous demande de danser. Ensemble nous rêvons de ce
paradis avec ses eaux transparentes dans lequel se promènent de
magnifiques poissons, les couleurs émeraude et bleu dégradé de
l’océan, les cocotiers et les couleurs chatoyantes de cette généreuse
nature. Elle nous parle de son « fenua » où il fait beau, il n’y a jamais
d’hiver, et surtout la mer entourant l’île, où ils ont le loisir de goûter aux
joies du lagon tout au long de l’année.
Catherine rêve d’apprendre à nager car ses parents sont trop occupés et n’ont pas le temps de l’emmener à la plage. Ensemble, nous
décidons vers la mi-mai, chaque après-midi après l’école de nous rendre dans une petite crique de la Farlède, sur le littoral. Je lui apprends
la brasse en la soutenant par le menton et la guidant tout doucement.
Catherine a tellement envie de nager qu’elle dépasse ses peurs, elle ne
s’éloigne pas du bord et elle est si heureuse de voir qu’elle peut flotter
et tenir
sur
l’eau.
partons à la découverte de la ville, des ruelles de
après-midi, pour une promenade le long de la
Rade sur le Port et une découverte de la montagne : le Mont Faron avec
son célèbre fort. Infatigables, sur nos petites jambes, nous parcourons
des kilomètres à pied. Lors de ces sorties, je prépare le goûter soit deux
morceaux de pain avec des carrés de chocolat ou des bananes et de
la citronnade dans une gourde. Je connais toutes les rues, les ruelles,
les avenues, les petites villas, c’est l’aventure avec un grand A.
Durant ces années passées ensemble nous allons partager nos
savoirs, Catherine me conseille lorsque je commence à monter mes
mailles pour tricoter mon premier chandail pour le prochain hiver. Ayant
de bonnes bases de couture, elle m’aide dans mes petits travaux. Nous
essayons ensemble d’améliorer nos garde-robes, avec les moyens du
bord. Sa maman couturière est dépassée par les commandes de ses
clientes et Catherine l’aide à bâtir et monter les ourlets.
Ensuite
nous
Toulon le dimanche
Catherine ne fait pas ses devoirs, qu’à cela ne tienje l’invite à la maison après les cours et nous travaillons ensemble, car
cela est plus motivant et nous arrivons à améliorer nos connaissances
Je constate que
ne,
45
Littérama’ohi N°6
Françoise Helme
mutuelles. Nous voilà en train d’imaginer notre enchaînement de gymnastique, en short avec des élastiques aux deux entrejambes. Nous
sommes en bord de route, au
pied de l’immeuble où vit Catherine.
Quelles parties de fou rire nous avons eu et en même temps nous mettons beaucoup de sérieux à notre composition qui sera notée ! En effet
dans notre classe il y a des expertes, la fille de la prof de gym et une
autre camarade qui participe aux concours régionaux de gymnastique
rythmique sur une poutre et qui a été classée. Je ne me rappelle plus
nos notes mais nous avons eu la moyenne toutes les deux.
Il faut préparer notre communion solennelle, c’est un événement
important. Alors nous allons porter de belles robes blanches qui ressemblent à des robes de mariée. Pour la circonstance nos mamans les
ont louées, pour moi je porterai la robe blanche en voile, Catherine elle
portera l’aube. La cérémonie est longue, il ne faut pas déjeuner 3 heures avant la communion, aussi avons-nous l’estomac vide et Catherine
et plusieurs de mes camarades vont se trouver mal, il fait chaud et l’église est pleine à craquer.
Les années passent très vite, notre amitié grandit et Catherine fait
partie de notre vie avec ma smala de frères et soeurs. Elle les connaît
tous et nous aurons l’occasion aussi de nous chamailler surtout avec
petite sœur cadette qui ne se laisse pas faire. Nous nous déplaçons
quelquefois avec mes parents et parfois avec des
« copines » de quartier.
La naissance de mon dernier petit frère en janvier 1962 sera l’occasion de fêter son baptême. Ce sera la dernière fête avant notre départ
définitif. L'appartement va se transformer en salle de banquet, toute la
famille est en vêtement du dimanche et le buffet copieusement garni.
Nous avons même le droit de boire du punch pour l’occasion. Pour la
cérémonie, mes parents ont récupéré des pièces de menue monnaie
afin de les jeter en sortant sur le parvis de l’église, à la sortie des fonds
baptismaux. C’est une coutume du midi, et tous les dimanches après la
messe, lorsqu’il y a des baptêmes avec mes sœurs nous attendons
dans l’espoir de récolter quelques pièces. Mais, les petits bohémiens
sont plus rapides et plus agiles que nous.
ma
souvent ensemble,
46
Rencontres
LE DEPART
DÉFINITIF
polynésiennes, rencontres inouïes
POUR TAHITI UN MOIS DE JUIN 1962
Nous
quittons définitivement la France le 5 juin 1962. Je me revois,
je vais avoir 15 ans à Tahiti en juillet 1962. Je suis accoudée au bastingage du « Mélanésien » paquebot des Messageries Maritimes qui
effectue sa dernière traversée dans le Pacifique. Je suis très heureuse
de partir en même temps j’ai un grand chagrin de quitter la terre qui m’a
vue naître et grandir, j’ai un nœud dans la
gorge et des larmes qui n’arrivent pas à sortir.
La veille de mon départ pour Marseille, avec mes camarades de
Bazeilles (nom de notre immeuble), sur les marches du perron, à l’arrière du bâtiment où
discutions de
nous
avions l’habitude de
nous
rencontrer
nous
prochain départ à Tahiti. Il y avait Catherine, la grande
noirs, très sensible, Timone, de beaux cheveux ondulés avec de grands yeux noisette expressifs et Cosette avec ses deux
grandes tresses marron et très distinguée. Mes camarades habitent le
quartier, nous fréquentons le même Lycée et sommes dans les mêmes
classes depuis plusieurs années. La séparation est difficile cela.fait si
longtemps que nous partageons nos temps de loisirs et nos petites histoires surtout avec Catherine qui est ma confidente. Demain nous ne
nous verrons plus. Je ne ferai
plus le chemin jusqu'au Lycée à pied
avec elles, je ne sais pas encore comment sera ma vie là-bas. A ce
moment-là, je ne peux imaginer l’impact que représente cette destination pour elles, j’ai grandi dans le mythe de Tahiti, je vois mon idéal se
réaliser. Je vais enfin vivre au bord de l’eau, dans la mer toute l’année,
au soleil sans hiver, sans chauffage, au paradis comme disent mes
parents, c’est formidable !
En même temps je réalise que c’est dur de quitter mon quartier,
mes copines, ma vie à Toulon, je prends conscience de l’inconnu qui
m’attend derrière ce rêve ! Nous nous promettons chacune de ne pas
nous oublier et de nous écrire très souvent. La seule qui tiendra sa promesse jusqu'au bout c’est Catherine. Avant mon départ je lui offre mon
chandail vert qui représente une partie de moi, un symbole affectif entre
brune,
mon
aux yeux
nous.
47
Littérama’ohi N°6
Françoise Helme
Du bastingage j’aperçois encore ceux qui nous ont accompagnés
jusqu’à Marseille je ressens de la joie et de la peine mélangées de quitter le berceau de ma naissance et tous ceux que j’aime que je pense
ne jamais revoir.
Les derniers jours de mer avant l’arrivée à Papeete seront agités,
nous allons essuyer une tempête, c’est bizarre, je n’ai pas été malade
durant toute la traversée et la veille je ne me sens pas bien du tout. Je
suis toute retournée, alors que nous sommes si près de Tahiti, tout à
coup je ressens une violente émotion, une peur soudaine de l’inconnu
qui m’attend.
Du large nous apercevons les montagnes encore vierges de Tahiti,
les cocotiers, et toute cette verdure. Il fait un peu gris, une pluie fine, un
crachin vient bénir notre entrée dans le port de Papeete. Il doit être 17
heures et déjà le ciel s’obscurcit, la nuit tombe rapidement. Nous nous
approchons doucement du quai et nous remarquons la foule bariolée,
qui noircit le quai et les effluves odorantes des fleurs qui montent jusqu’au bastingage du bateau. Le bateau s’approche du quai, nous
accostons, et voici que cette foule envahit le bateau et alors là nous
sommes recouverts de colliers de fleurs et les présentations interminablés commencent. Le parfum enivrant des colliers de fleurs, la fouie sur
le quai, les danses, les bises qui n’en finissent plus, la joie, les pleurs.
Depuis mon arrivée sur le Territoire en juillet 1962, j’ai continué à
correspondre avec Catherine régulièrement. Je lui parlais de mes
découvertes, de mon cheminement initiatique pour m’intégrer dans ce
nouveau monde, de la beauté du pays et de la France qui me manquait
terriblement, surtout mes amies, mon quartier. En arrivant sur le sol
polynésien je me suis sentie catapultée d’un monde moderne dans un
mode de vie traditionnel. Tout est différent, les paysages, le climat, les
habitants, la langue, les comportements de chaque ethnie, les habitudes et les croyances. J’ai dû apprendre à m’adapter, j’ai basculé d’un
monde moderne dans un monde rétro, non préparé aux techniques
nouvelles. Le confort me manquait, l’électricité, l’eau courante, le
chauffe-eau, les transports en commun, les spectacles, le cinéma, mes
amis. Petit à petit, les années ont passé, je me suis fait de nouveaux
48
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
amis, j’ai appris à connaître l’île, à comprendre le comportement
des
Polynésiens, leur langue, leur culture.
J'ai terminé ma scolarité au Collège Anne-Marie Javouhey en juin
1966 et dès la fin de ma scolarité en classe commerciale, ayant obtenu
mon CAP de sténo-dactylographe, je suis rentrée dans la vie active en
tant que secrétaire auprès du Gouvernement alors sous la tutelle d’un
Gouverneur, puis d’un Haut- Commissaire, avant l’autonomie interne et
ensuite pour le Territoire de la Polynésie française. Je me suis mariée à
un Polynésien en 1969, nous avons eu 3 enfants.
Cette amitié fidèle est le dernier lien me rappelant ma jeunesse
métropolitaine au bord de la Méditerranée..
Catherine connaît toutes les étapes de mon adaptation en
Polynésie, elle a suivi mon parcours à travers nos échanges de courrier.
Passionnée à travers la lecture de mes lettres et languissant de nous
revoir, un jour elle a décidé de tout quitter en France, son travail, sa
famille afin de venir s’installer à Tahiti et
me
retrouver.
Elle est arrivée à Tahiti le 10 mars 1974. Cela faisait 12 ans que
je
Polynésie. Une grande émotion nous traversait toutes les,deux,
nous nous sommes quittées encore adolescentes et nous nous retrouvions adultes. Notre amitié était toujours très forte. Nous l’avons accueillie
avec mon époux et ma petite famille dans notre maison de Paea. La veille
nous avons enfilé les couronnes de fleurs pour fêter son arrivée.
vivais
en
Dès les premières semaines de vacances, Catherine subjuguée
le pays décide de s’installer à Tahiti et de trouver un emploi en tant
que secrétaire. C’est la période des essais nucléaires et nous sommes
en plein essor économique, le CEP et le CEA viennent de s’installer. Ce
n’est pas aussi difficile qu’aujourd’hui pour se trouver du travail.
Maman s’est chargée de présenter sa candidature au C.E.A. par l’intermédiaire d’un ami pour le poste de Secrétaire du Service Administratif
et Financier. Le temps que le C.E.A. fasse son enquête sur sa personne,
elle trouve un poste de secrétaire chez Tahiti Pétrole (par les petites
annonces dans les journaux locaux). Elle travaille un mois avant d’intégpar
rer
le CEA à Mahina fin avril 1974 avec un contrat de
«
local
».
49
Littérama’ohi N°6
Françoise Helme
Lorsqu’elle travaillait à Mahina elle habitait dans un petit « fare »
appartenant à Maman sur les hauteurs de Super Mahina. Ne sachant
pas conduire, elle descend chaque jour à pied au travail et remonte la
côte le soir. Cela va l’inciter à passer son permis de conduire qu’elle
obtiendra avant de partir sur Moruroa.
En 1975, les services du CEA à Mahina vont être transférés à
Moruroa pour des raisons économiques et le personnel local féminin de
Mahina est licencié puisque les femmes ne sont pas encore autorisées
les sites à Moruroa.
Un arrêté du Gouvernement polynésien
à travailler
sur
donne la priorité aux perde chances de retrouver
du travail à Tahiti, elle ne désire pas rentrer en France. Son patron du
CEA décide de l’emmener travailler avec lui à « Muru », elle accepte de
partir sur les sites. La Direction du CEA a accepté mais les autorités
militaires ont bien évidemment refusé. Ce fut le parcours du combattant,
avec l’aide de son patron, pour rencontrer toutes les instances nécessaires et obtenir l’autorisation. Sa demande a transité par le Ministère
de la Défense, le Ministre des Dom-Tom puis l’Amiral de l’époque et
l’accord a été donné à condition qu’elle ne soit pas la seule femme. Elle
fut donc la première « popaa» à être affectée à Muru, à titre définitif,
(toujours dans le même service) suivie de deux tahitiennes (Elise et
Hinano) jusqu’en septembre 1977 date de sa démission.
Les causes de son retour en France sont multiples. La vie trop difficile à « Muru » pour une femme (vie de chantier et quasi-militaire), le
« blues » de la France, l’envie de retrouver sa famille, des problèmes de
santé, et surtout le désir de fonder une famille.
Elle va rentrer en France en septembre 1977 et continuer à travailler pour une filière du CEA à Paris quelques années avant de s’installer définitivement à Hyères avec son fils unique Mickaël, âgé de 23
ans, élève-ingénieur en informatique à Marseille. La maman de
Catherine vit toujours à Toulon, elle a 93 ans. Les 2 frères de Catherine,
Alain tient une crêperie en Bretagne avec son épouse et ses 2 enfants,
et l’aîné Jean-François est célibataire et retraité de l’Arsenal de Toulon.
sonnes
50
nées
sur
le sol tahitien. Catherine a peu
Rencontres
26
polynésiennes, rencontres inouïes
retour en Métropole, Catherine est revenue en
Elle écrit un roman sur sa vie et ayant eu
connaissance par Danièle de Littérama’ohi, elle a décidé de créer une
nouvelle sous forme de conte que je vous laisse découvrir.
ans
après
vacances au
«
son
fenua
».
Françoise Helme
27 février 2004
51
Littérama’ohi N°6
Catherine Soisson
CONTE DEDIE A FRAMBOISE :
Le dernier voyage
Praline et Framboise se connaissent
sont restées amies durant toutes ces
depuis quatre-vingts ans et
années malgré leur éloignement
géographique. Framboise a passé l'essentiel de son existence en
Polynésie, à Tahiti plus précisément. Praline, quant à elle, est restée
provençale de cœur et de souche dans sa petite ville de Flyères les
Palmiers. Leur amitié, sincère et profonde, a survécu à toutes les tempètes et les cyclones de leur longue vie, les rapprochant épisodiquement dans un sens de la planète ou dans l’autre, au gré de leurs voyages et de leur découverte du Monde.
Ce
jour-là...
Aux
premières heures de la matinée, le soleil est déjà haut dans le
emportent Praline vers le large.
ciel. Les courants marins
Oh la la ! Je crois bien n’avoir jamais eu d’idée aussi saugrenue
de toute mon existence ! Impossible de faire demi-tour, il est trop tard.
—
J’espère que tu ne rebrousseras pas chemin Framboise, ni ne t’éparpilleras de trop en cours de route. Je te fais confiance, tu étais d’accord
sur le projet !
t’inquiète pas Praline, pourquoi as-tu de l’appréhension ?
se passe bien. Les choses vont se corser un peu d’ici
quelque temps mais nous n’y sommes pas encore. J’ai pris la mer une
heure avant le lever du soleil. Je viens de traverser la passe, je suis en
haute mer et je file vers les Iles Marquises avant de me diriger vers les
Iles Galapagos, comme prévu. J’ai été secouée par quelques turbulences lors de mon départ, avec les lames qui se fracassaient sur le récif
corallien, mais maintenant la mer est calme, je suis confiante.
—
Ne
Pour l’instant tout
52
—
La
mer
est
calme, la
mer
est calme... tu parles pour toi ! Ces
jours-ci la Méditerranée est agitée, le vent d’Est se lève et le courant a
tendance à me rabattre vers le rivage. Le voyage commence bien, tiens !
A ce train-là je vais m’épuiser plus vite que prévu. Je crois que les
enfants ont été un peu trop prompts à nous mettre à l’eau. A mon avis ils
auraient dû attendre les beaux jours, le début de l’été par exemple.
Ah, je ne suis pas d’accord ! Tu sais bien qu’en Polynésie l’été
n’est pas la saison la plus propice pour effectuer un si long voyage. Avec
le charivari du grondement des orages au-dessus des Iles Marquises,
—
l’océan
déchaîne. Il y a
des déferlantes et des creux de huit mètres et
galère pour se maintenir à la surface ! Non non, pour
moi c’est la bonne période. Cesseras-tu un jour de râler ? Tu devrais
comprendre que toi en Méditerranée et moi dans l’océan Pacifique ce n’était pas évident pour nos enfants respectifs de s’entendre sur une date. Si
j’ai bien compris depuis mon lieu de repos où je me prélassais tranquillement, ils se sont beaucoup téléphoné pour mener à bien notre projet.
c’est
se
une
vraie
Oui, c’est vrai. Nous leur avions tout préparé en temps utile et
cependant ils ont eu quelques soucis de dernière minute. Te souvienstu de leur tête quand nous leur avions fait part de nos intentions ? Ils
avaient cru que nous étions devenues zinzin !
—
—
Mais
—
une
devenues zinzin ! Oh, ça
fait du bien de penvie passée à s’occuper des autres, de notre
nous sommes
à soi
après toute
petite famille et...
ser
Oh, attends ! Sous moi, j’aperçois un banc de petits poissons de
et, dans le ciel, une tribu de sternes noires et blan-
toutes les couleurs
ches à queue fourchue
festin pour elles !
Sous le ciel de
souffle doucement
s’apprête à piquer droit dans les
vagues
! Quel
Polynésie il fait un temps splendide. Une petite brise
provenance du sud. Framboise, étalée mollement,
en
53
Littérama’ohi N°6
Catherine Soisson
se
laisse
nie de la
porter au gré des vagues douces, contemplant la surface infimer
et du ciel.
Il fait
trop chaud, le soleil m’éblouit et m’aveugle. Je dois absoprotéger de la chaleur pour économiser mes forces. Je vais
essayer d’avancer en m’abritant sous un petit chapeau de nuages qui
se promène au-dessus de ma tête.
—
lument
me
Abrite-toi ! Il
manquerait plus que tu prennes un coup de
dépassé les Iles Baléares et le ciel s’est chargé de gros
nuages blancs comme emballés dans du coton. Les vagues se sont ourlées de dentelle blanche. Je n’aurais jamais imaginé faire un si beau
voyage. Tiens, je descends le long des côtes espagnoles. Je vais me
mettre en vitesse de traîne, à quatre ou cinq nœuds comme les voiliers,
pour mieux savourer le paysage.
—
ne
chaud ! Moi, j’ai
—
nous
Fais bien attention, ne
t’approche pas trop des côtes, tu sais que
dangereux pour nous.
devons les éviter, c’est très
Praline batifole au-dessus des
profondeurs marines, contemple
poissons jaunes et bleus zigzaguant autour d’elle, regarde
à gauche, regarde à droite... Elle se dirige vers le Détroit de Gibraltar
et quittera bientôt sa Méditerranée pour aller à la rencontre des flots de
l’océan Atlantique. Pour l’heure, elle nage tranquillement entre les deux
façades maritimes de l’Espagne et du Maroc.
La mer s’est calmée, se contentant de fredonner un air de clapotis
caressant les côtes escarpées.
une
tribu de
—
moi
Attention ! il
bateau
ne
faut pas que je
jeté l’ancre et
mains d’un pêcheur.
un
—
54
a
Qu’est-ce
qu’il fait ?
un
traîne dans les parages. Devant
moulinet vient de surgir entre les
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
qu’il donne du mou. Il baisse sa canne et laisse couler
ligne. Dis-donc, je ne voudrais pas être à la place du poisson ! ça y
est, il le hisse par la gueule. Tu le verrais, c’est un beau poisson, il se
défend le bougre ! il vrille dans l’air pour essayer de s’échapper !
—
Je crois
sa
dangereux. Concentre-toi sur ta route, tu
perds du temps. Sans compter que tu risques de te fracasser sur les
rochers. Moi, j’approche des Iles Galapagos.
—
—
Ecarte-toi de là, c’est
Framboise, j’aperçois des criques au loin, sur ma
gauche. C’est
féerique ! Je longe ies crêtes du RIF marocain et les hautes
falaises espagnoles. Quelle palette ! J’entrevois la couleur ocre des villes
et les campagnes recouvertes de citronniers et de vergers vert tendre.
d’une beauté
criques Praline, tu ne pourrais pas en ressorplus il y a les égouts qui se déversent pas très loin, l’eau est polluée, c’est un véritable cloaque nauséabond. Tu ne dois pas oublier que
tous ces détritus, largués par des impolis, te regarderont avec mépris et
pourraient même t’emprisonner. Tu n’es pas une habituée du coin !
—
Méfie-toi aussi des
tir. De
Jusqu’à présent la traversée de l’immensité de l’océan Pacifique
sans problèmes majeurs pour Framboise quand, soudain, une nuit d’encre s’abattit sur la mer à l’approche des Iles
Galapagos. Un violent orage la surprit. Le mauvais temps déchaîna sa
rage, le vent se leva avec violence, se mit à souffler en rafales, la malmenant sans pitié. Elle fut retournée et ballottée par des paquets de mer
gigantesques venus de toutes parts et de nulle part.
s’était effectuée
Je ne suis pas tranquille, le ciel est noir, les eaux sont tourmentées, de couleur violet foncé, gansées de galons noirs. Je lutte contre
les courants et les contre-courants. Tout autour de moi, je n’entends que
—
hurlants, hululements ténébreux, sinistres. Praline, je ne suis pas
j’ai toutes les peines du monde à me maintenir sur l’eau.
J’espère qu’un cyclone n’est pas en train de se lever, je n’y survivrais pas !
vents
rassurée et
55
Littérama’ohi N°6
Catherine Soisson
Cramponne-toi, Framboise ! Cramponne-toi comme tu as toujours su le faire dans ta vie ! Tu sais, personne ne viendra nous chercher, nous, les naufragées de l’intemporel ! Ne pense pas au pire, tu as
fait le plus dur, tiens bon, j’arrive !
—
L’orage redouble, j’ai l’impression que le ciel va me tomber sur la
un déferlement de rouleaux, je suis prisonnière de la mousse
d’écume. Je ne sais pas si je vais pouvoir tenir le coup longtemps !
—
tête ! C’est
—
Ah ! c’est toi
qui m’a appris à nager. C’est le moment de me
de m’enseigner. Je te préviens, ce
prouver ce que tu as été capable
n’est pas le moment d’être « fiu » !
Cramponnée aux vagues destructrices, aux trois-quarts immergée,
Framboise subit les assauts de la plus grosse et violente tempête que
l’océan
Pacifique ait
eu
à endurer depuis des décennies.
Epuisée, meurtrie, elle entendait de longues plaintes s’élever des
profondeurs, se mêlant à celles de la tempête. Peut-être les
plaintes de particules éparpillées, perdues en mer. Elle avait peur de
finir comme elles, sans réussir à mener à bien son projet, leur projet
noires
commun avec
Praline.
petit matin, tout s’est brusquement calmé. L’océan poussa un
long soupir, chassant au loin les dernières traînées ventées. Les gros
cumulus s’éparpillèrent, courant après une nouvelle chimère, les
vagues prirent leur temps de pause, repos bien mérité, galons noirs et
rouleaux disparurent. Sur une mer de miroir, le regard de Framboise put
admirer, de nouveau, la ligne de séparation entre les bleus du ciel et de
l’eau. Le rocher des Galapagos était en vue.
Praline, je suis fatiguée. Je viens de prendre une sacrée saucée,
Au
—
il m’a été très difficile de
coucher
par
56
sur un
lit
les vagues !
me
maintenir à la surface. J’aimerais tant
me
d’algues verdoyantes et dormir en me laissant bercer
Rencontres
—
Tu n’es pas
polynésiennes, rencontres inouïes
blessée, dis ?
Si. Je suis toute endolorie et
je crois bien que je garderai
quelques marques de ma traversée tempétueuse, mais ça va. Même s’il
manque des morceaux, le principal est là. Et toi, où en es-tu ?
—
—
Tout
va
bien. Quand le soir est tombé, j’ai ressenti le
besoin de me
reposer. Dans la nuit très sombre, j’ai observé la lune. Elle se tenait bien
fière dans le ciel, sa lumière argentée s’infiltrait dans l’eau profonde, ses
petits points blancs sur la surface. C’était
magique. J’ai pu observer également la voie lactée, ces nébuleuses spiralées lointaines, ces lumières du bout du monde. Notre demeure cosmique, l’univers des défunts parmi les étoiles. Je pensais fortement à toi.
reflets scintillaient de mille
—
Oooh ! Je suis
sie ! On voit bien que
épuisée et toi tu as le courage de faire de la poéta nuit n’a pas été agitée comme la mienne !
Ne sois pas amère ! Tu sais que je ne suis pas très résistante,
moins que toi. J’ai traversé sans encombre le Détroit de Gibraltar et
l’océan Atlantique. J’aborde la mer des Caraïbes et me dirige vers la
—
Martinique. Tiens, il pleut ! J’aperçois un banc de thons filer droit devant.
ce que je vais faire puisque j’ai un peu d’avance sur toi, je vais
aller battre les plages de sable blanc de la Martinique et j’en prendrai
un peu avec moi pour te le ramener. Ça te fait plaisir ?
Je sais
pas t’approcher de trop près du
dépêtreras pas et tu risques de t’y échouer. Tu vas te
mélanger à lui et ensuite tu ne sauras plus qui est toi et qui est sable.
Et moi, que deviendrais-je, seule, dans mon immensité de bleu ?
—
Non. Tu ferais mieux de
sable. Tu
ne
ne
t’en
toujours que tu me fasses la morale ! Miracle ! La pluie a
suis pas spécialiste de peinture mais je peux te dire
qu’ici c’est beau comme un Gauguin ! Tu permets quand même que je
prenne un bain de soleil ?
—
Il faut
cessé. Tu sais je ne
57
Littérama’ohi N°6
Catherine Soisson
retard à notre rendez-vous. Je ne suis pas
loin des
grand albatros blanc tourne au-dessus de moi. Il est très impressionnant avec ses ailes déployées.
—
Iles,
Tu
seras en
un
Galapagos sont en vue. Bientôt Framboise les contournedirigera droit vers le Canal de Panama. Praline contournera les
Petites Antilles où actuellement elle batifole gaiement sous le soleil et
prendra la même direction. C’est là qu’elles se sont donné rendez-vous,
leur dernier rendez-vous spirituel.
Les Iles
ra
et
se
Te souviehs-tu Framboise
—
quand je t’ai fait part de ce projet ?
Comment, à notre mort, aurions-nous pu rayonner dans les étoiles,
errant chacune de notre côté, après tant d’années d’amitié ?
sous terre, moi dans un endroit et toi dans un
regarder de tous côtés, je ne t’aurais pas vue.
regard m’aurait manqué.
—
Nous aurions été
autre. J'aurais
Ton
eu
beau
Oui, alors j’ai eu une idée et je t’ai dit : Faisons une dernière
chose ensemble. Demandons à nos enfants de jeter nos cendres à la
—
Toi, dans l’océan Pacifique, face à la plage de Papenoo, mais tu
mer.
moi face à la plage de
je m’y baignais tous les
les remous. Le paysage est
en choisir une autre si tu voulais, et
l’Alma narre à Hyères. Je l’ai choisie parce que
pouvais
étés. Je connais bien les fonds, les vagues,
avec la colline de Costebelle en arrière
beau
—
plan.
Et j’ai eu
chemin,
nous
l’idée de traverser les océans pour nous retrouver à miqui avons toujours eu soif d’aventures et d’espaces tran-
quilles.
Les alizés
ont
emportées et nous avions tout notre temps
pour nous retrouver. Personne ne nous attend plus désormais. Nos
enfants ont reçu la même consigne : attendre les cendres de « l’autre ».
Tu t’es faite désirer Framboise, il a fallu que je patiente, enfermée dans
—
58
nous
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Tu aurais pu
m’éviter ça, moi qui suis claustrophobe ! Tout ce
temps sans voir le jour ni respirer le bon air de ma Provence tandis que
tu te prélassais au grand air, dans ton jardin sur la colline d’Arue ! Je
sais que chaque matin tu enfouissais ton nez dans la fleur de tiare pertant de rosée matinale et que tu faisais trempette à la plage de la Pointe
mon urne.
Vénus !
en
Je
faisais pas
trempette ! Je m’exerçais à
prévision de notre projet de L’au-delà.
—
ne
C’est ainsi que Framboise et
elles l’amitié éternelle les unissant.
—
Je vois
une
nager
longtemps
Praline souhaitaient emporter
avec
terre, très escarpée, émerger au loin. Je remonte le
long de l’Equateur, je devrais arriver à Panama au petit matin. Je vais nager
doucement, prendre le temps d’admirer les poissons. Hier j’ai aperçu des
dauphins, ils m’ont entourée avec des gestes de bienvenue en poussant
des cris d’amitié. Leau est
—
un
très
droit
limpide, elle
a une
jupe bleue pailletée.
■
Moi, je suis en train de nager au milieu des poissons. Il y en a
capricieux, il vire, descend, remonte. Parfois il plonge en flèche,
vers
les
grands fonds. Mon
eau
à moi est ourlée de rubans blancs.
Fais bien attention à tes
particules de cendres. Dans cette
austère, j’ai réussi à éviter les requins prédateurs mais les poissons ont avalé certaines de mes molécules. Ils
—
immense étendue d’eau
croient que
je suis du plancton.
Moi aussi mais je n’osais pas te le dire. Mes particules
toujours disciplinées et les poissons me les pillent.
—
pas
—
amas
ne
sont
J’ai besoin de
de
me reposer avant nos retrouvailles. Garde ton
poussières bien groupé surtout, nous ne sommes pas une
nourriture marine ni terrestre.
59
Littérama’ohi N°6
Catherine Soisson
Praline et Framboise
se dirigent l’une vers l’autre. Elles avaient
serait Framboise qui franchirait le Canal de Panama. Elle
l’ayant déjà franchi sur un paquebot, voici plus de soixante-dix ans quand elle quitta la France pour Tahiti. Elle saura effectuer les
manœuvres nécessaires pour passer le canal sans encombre ni dommage. Praline l’attendra avec impatience de l’autre côté. Le rendez-vous
est prévu au point de latitude 80 - longitude 10.
décidé que ce
le connaissait,
pue
le sel partout autour de moi. J’ai des visions de couleurs
et de senteurs
odorantes, j’aurais dû demander à mes enfants de met-
—
Ça
tre des fleurs de tiare
avec
moi.
Non mais t’es pas folle Framboise ? Tu
les fleurs. On avait dit « discrétion ». Tu n’as
te serais fait repérer avec
qu’à respirer tes effluves
parfumées au monoï. Moi, avant de « partir » j’ai été enduite de crème
nivea. J’en ai conservé l’odeur, en plus ça m’a adouci les cendres. Elles
sont douces comme de la soie. Je croyais que tes enfants avaient lancé
—
des
couronnes
de fleurs à la
mer
?
Oui mais ils les ont lancées trop tard, j’étais déjà partie. Tu as vu,
l’eau est fraîche et fouette les neurones, nous allons couler des jours
heureux toi et moi.
—
C’est ça,
fait du bien mais
—
leux à moitié
drôlesse, fais des jeux de mots ! Fair du large nous a
on ne ressemble plus à rien avec nos éléments nébumangés par les poissons.
Chacune de
son
côté scrute l’horizon. Au loin, elles devinent l’in-
tersection de la latitude 80
-
longitude 10.
là, face à face dans le petit matin. Leurs frêles tâches
humanoïdes, grisées et poudreuses, dansent sous un ciel tendre bleu
Elles sont
azur.
seul
Leurs flots
se
sont enfin rencontrés. Elles
se
sont
reconnues
d’un
regard. Le regard de l’autre n’avait pas changé.
Quelque chose s’éveille et se met à grandir en elles, une sensation
de chaleur envahit peu à peu leurs particules, leurs molécules, leurs
60
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
neutrinos, leurs cendres. Un halo lumineux se forme, flottant au-dessus
éprouvent une impression de plénitude, comme si des
pièces de puzzle se mettaient en place.
des
eaux.
—
Ma pauvre
mées ! Si
—
trouve
Elles
Praline, je nous regarde et je nous trouve bien abîmettions ensemble pour nous reformer en une ?
nous nous
Laisse-moi d’abord te
regarder avant de nous mélanger. Je te
resplendissante de beauté. Oh, Framboise, le voyage a été si
long !
—
Je sais, mais nous avions toute
l’éternité devant
nous pour nous
retrouver.
—
voyage
—
Viens, il est grand temps de nous mélanger pour notre dernier
et partir à la découverte de l’infini.
quand on regarde dans la même direction, les. rêves
devenir réalité.
Tu vois,
finissent par
Catherine Soisson
© 2004
...Il y a trois
les vivants,
«
sortes d’hommes :
les morts,
et
ceux
qui s’en vont sur la mer...
»
Platon
61
Littérama’ohi N°6
Lorrène Gouassem
RENCONTRES...
En
ma
regardant en arrière, je réalise que chaque étape importante de
marquée par une rencontre.
vie fut
Rencontre
mot
:
simple et compliqué à la fois qui
ne
peut laisser
indifférent.
Rencontres : quelles soient bonnes ou mauvaises, elles ont forgé
personnalité faisant naître des sentiments qui ont fait vibrer chaque
partie de mon corps et de mon cœur.
ma
De l’amitié à l’amour, de la passion à la haine, de la jalousie à l’admiration, de la frustration à la douleur, de la compassion à la colère, toutes ces émotions qui font qu’une vie mérite d’être vécue, se sont succédées au fil des rencontres, des contacts ou d’un simple regard.
Ces rencontres, ces sentiments de
joie et de peine,
ce
chemin de
vie, je les ai livrés à mon journal pour libérer la douleur qui m’opprimait
à la suite du décès d’êtres chers et surtout dans l'espoir de retrouver la
paix et la foi.
Aujourd’hui, je suis prête à les partager avec d’autres car l’écriture
un seul message doit être retenu, je souhaiterai que ce
m’a sauvée et si
soit celui-ci
est
:
enfant est
Rencontre
chapitre 1,
«...
Je
«
un
avec
Appel
ne
des Pins, une
62
être sacré
qu’il faut protéger, aimer et
primordial de sauvegarder tout ce qui fait son identité.
un
l’amour filial
:
extrait de
«
pour
lui, il
La Caldotienne »,
aux secours ».
connaissais pas mon
petite île
au
père et ma mère travaillait à l’île
Sud de la Grande-Terre. Elle ne pouvait pas
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
enfant, elle craignait de ne pas savoir, de décevoir et
ses parents. Elle était souvent absente
et son absence me pesait.
Elle m’avait eue à dix-huit ans, d’un amour de jeunesse qui l’avait
abandonnée, une grossesse non désirée, cachée les premiers mois à
sa famille. Cette grossesse avait déclenché un drame quand mon
grand-père l’avait apprise. Il avait alors enfermé sa fille, ma mère, dans
sa chambre où seule ma grand-mère avait le droit d’entrer, pour lui
apporter sa nourriture jusqu'à ce que l’enfant indigne et illégitime soit
né, jusqu’à ce que la honte qu’apportait cette future fille-mère soit
s’occuper de
son
naturellement, m’avait confiée à
oubliée.
intense désir de protéger cette mère fragile et solisouffles me faisait frémir, chacune de ses souffranfaisait gémir, chaque battement de son cœur faisait grandir en
Naquit alors
taire. Chacun de
ces me
un
ses
moi l’envie d’être aimée.
Fœtus intrus,
je sentais que je devais tout faire pour plaire à cette
magnifique jeune femme rousse aux yeux verts qu'était ma mère.
Dès que je sortirai de ce ventre douillé où je devinais chaque tension, chaque refus de cette vie qui grandissait en elle, je me promis que
jamais je ne la ferai souffrir car plus que tout je désirais qu’elle fût heureuse et qu’elle m’aimât.
Ma soif d’amour était si
s’était
grande, qu’à
ma
naissance, le miracle
accompli.
Ma mère avait fait la
paix avec les démons de son récent passé, six
permis de réfléchir à sa situation. Elle n’abandonbébé, tant pis si personne ne l’aiderait à l’élever, elle se
mois d’exil lui avaient
nerait pas son
débrouillerait...
Mon
et
ne vint pas me voir à l’hôpital mais quand mémé
ramenèrent à la maison, qu’il me prit dans ses bras, il
grand-père
maman me
comprit que j’étais la chair de sa chair, que rien au monde ne nous
séparera, que toujours il veillerait sur moi. J’étais son petit poupon. Je
porterai son nom... »
63
Littérama’ohi N°6
Lorrène Gouassem
Rencontre
Caldotienne »,
avec
une
chapitre 4,
Cette
«
passion dévorante
Prise de conscience ».
:
extrait de
«
La
goutte d’eau avait été un mot de trop, qui, prononcé dans
provoquant, pouvait passer pour du harcèlement.
Je lui parlais des réflexions mesquines et des pressions infligées telle
une drogue à petite dose quotidienne par un supérieur hiérarchique ou
un parent d’élève sceptique avec un manque de diplomatie maléfique.
Ce sentiment de culpabilité que l’on arrivait à faire naître en vous,
vous accusant de laisser des maux sans solution, vous laissant seul
face à vos interrogations, vous faisant perdre le plaisir d’enseigner avec
passion, vous détruisait à feu doux.
Ce plaisir de travailler dans un climat de partage et de confiance,
qui fait la grandeur de l'école maternelle dans laquelle j’avais enseigné
pendant treize ans, je ne le retrouvais pas dans cette école élémentaire
où tout semblait superficiel, amer.
Défaillance du programme primaire ou enseignants réfractaires ?
Ici, plus d’enfants mais des élèves qui entraient dans un système
pas toujours adapté à leurs rêves.
Ici, des instituteurs tout aussi dévoués et téméraires mais obnubilés par des instructions officielles, en oubliant ainsi l’essentiel qu’un
élève est avant tout un enfant qui a soif de connaissances autant que
d’affectivité et de patience.
Ici, des parents qui voyaient leurs enfants devenir grands et qui
oubliaient qu’ils n’avaient qu’entre six et dix ans. D’autres qui refusaient
de les voir leur échapper et qui dans un cocon les enfermaient.
Ici, une directrice harcelant et harcelée par des inspecteurs en
constante mutation, eux mêmes pressés par un ministère manipulateur
et manipulé par la grande majorité de ceux qui critiquaient mais qui n’agissaient jamais.
Monde de carpette servile, panier de crabes dociles où l’enseignant est toujours le fautif et l’enfant, la victime passive.
Prise au piège, j’étais prise au piège d’un système éducatif pour
élite, le reste n’étant que mythe.
«...
un
64
contexte tendu et
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Quand les enfants seront-ils vraiment
au
centre du débat et pas
uniquement sur le papier mais aussi dans la réalité ?
Quand les enseignants du primaire seront-ils mieux considérés et
aidés au lieu d’être dépréciés ou aveuglés ?
Quand vont-ils comprendre que c’est à la base qu’il faut agir efficacernent pour que plus haut tout se passe plus positivement ?
ne
Des souvenirs me hantent, ceux d’enfants en souffrance que l’on
peut secourir que d’une façon arbitraire, sans aide spécialisée, avec
des moyens limités et temporaires car ne
d'éducation prioritaire... »
Rencontre
chapitre 5,
«
avec
la nature
Père inconnu
:
relevant pas d’une zone
extrait de
«
La Caldotienne »,
»
plaine marécageuse, bordée par un ruisseau capricieux,
ombrageuse et silencieuse. Nous aimions y
gambader, folâtrer, découvrir et agir avec ardeur et sans peur. Elle sentait bon le niaouli sauvage, l’herbe folle reflétant de mirages, le marécage
«...
Cette
s’étendait à perte d’yeux,
en
fleurs.
s’y retrouver pour jouer au football, faire
promenades à cheval, ou avec motos et voitures s’élancer dans des
cascades sur fond de pétarades. Ils réalisaient des dérapages contrôlés
époustouflants, des sauts impressionnants, des courses grisantes. Ils
étaient à tour de rôle les champions du monde et les héros de la jourJeunes et vieux aimaient
des
née dans
un
climat
sans
vent de fronde.
la plaine à Fayard était un véritable trésor de
fantastiques. La flore et la faune offraient des contrastes
surprenants et magiques. Des oiseaux de toutes les couleurs y avaient
leur logis. Nous observions avec délicatesse une tourterelle à collier
venue se blottir dans son nid douillet, un colibri au plumage éclatant
donnant la becquée à son petit, un martin pêcheur carnassier plongeant
à grande vitesse dans le marécage nourricier.
Pour tous les enfants,
découvertes
65
Littérama’ohi N°6
Lorrène Gouassem
apercevions des cerfs apeurés qui s’enfuyaient à
grandes enjambées. Le bétail en liberté paissait nonchalamment, accoutumé à la présence humaine, insensible aux cris de joie, de peine ou aux
effluves des moteurs bruyants. De temps en temps un taureau levait la
tête pour observer ces valeureux toréadors, un veau curieux s’approchait alors, se laissait caresser puis retournait téter sa mère tracassée.
Quand la chaleur était trop intense, nous pataugions avec volupté
dans le ruisseau de jouvence, attrapions avec une audacieuse épuisette,
petits poissons ou délicieuses crevettes.
A l’heure du déjeuner, chacun se regroupait autour des nattes, le
pique nique était partagé sans hâte, les rires fusaient, les conversations
s’animaient. Après une courte sieste, certains partaient à la pêche à la
grenouille profitant de cet instant de repos où sur un gros nénuphar
elles se chauffent au soleil. Nous ne les mangions pas, souvent elles
étaient relâchées. A l’occasion, nous les apportions aux professeurs
des collèges qui les utilisaient pour leur dissection. De temps en temps
un insensible plaisantin plaçait une cigarette dérobée dans la bouche
d’un gros crapaud vilain. Sa gorge gonflait, gonflait puis explosait en
produisant un bruit semblable à une bouteille de champagne que l’on
Parfois,
nous
débouche.
plus téméraires enfourchaient leur bicyclette. Commençait
effrénée où chacun se sentait libre comme l’air volage qui leur fouettait le visage. Parfois, l’un d’eux faisait l’expérience d’un
fabuleux vol plané, se retrouvait le nez dans la poussière, les genoux et
les coudes écorchés, le guidon du vélo tordu, les pédales et les roues
en l’air, enchevêtrement ardu de terre et de chair, bouche ouverte
gémissant une déconvenue amère. La famille accourait, le consolait, le
bichonnait et le remplissait de fierté en lui assurant que chacune de ses
chutes l’enrichissait davantage puisqu’il venait d’acheter un terrain en le
marquant de son sang. C’est ainsi que nous étions tous propriétaires
d’une partie de cette plaine et quand nous entendions dire :
Tiens, un tel a acheté un terrain à Fayard aujourd’hui ! Eh, fin valaLes
alors,
une course
ble le terrain, tu connais !
66
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
l’adjectif utilisé avec le mot terrain et le ton du
spectaculaire ou tout juste remarquable.
On trouvait ainsi les expressions :
« ...Tu connais ! Vrai casse gueule le terrain... J’te dis pas, magnitique le terrain... Ben l’engin ! Pas de quoi casser les pattes à un canard
le terrain, mais l’autre, il avait la gueule grande ouverte... »
Nous savions selon
narrateur si la chute avait était
Tout était
sujet à plaisanterie et même les blessures les plus grarécits que chacun en faisait et qui
portaient en héros l’infortuné blessé.
Nous étions fiers de nos cicatrices et, endurcis par nos expériences,
nous ne craignions rien, savions affronter le monde avec prudence et
confiance, encadrés par une famille unie et fiable, chaque enfant était
celui de tous et tous s’en sentaient responsables... »
ves
étaient vite oubliées grâce aux
Rencontre
chapitre 7,
«...
«
l’injustice : extrait de
Haine des z’oreilles ».
Dans la
avec
«
La Caldotienne
»,
soirée, le père de Gino vint voir mon grand-père pour
lui parler de sa petite fille avec qui, disait-il,
et sortir le fouet dès que nécessaire.
il fallait être plus autoritaire
étions battus pour une
jouet volé et non rendu. Bien sûr son père l’avait cru, il me
jugeait voleuse et violente. Ses parents, des métropolitains tout fraîchement débarqués de France, des z’oreilles, comme on les appelait, attirés par le boom économique qui devait marquer un tournant dans l’histoire du peuplement de notre pays, étaient arrivés en Calédonie comme
en pays conquis. Ils se croyaient les maîtres du monde et nous, caldoches sans fortune, métissés de surcroît, comme les kanaks, nous
étions une race inférieure, des sauvages qu’il fallait apprivoiser à coup
de matraque.
Mon pépé l’écoutait sans broncher puis m’appela :
« Qu’est-ce qui s’est passé avec Gino ? »
J’étais terrorisée par la sentence qui m’attendait, aucun son ne
Gino avait menti, il affirmait que nous nous
histoire de
67
Littérama’ohi N°6
Lorrène Gouassem
pouvait s’articuler, je baissais la tête comme une fautive, consciente que
j'avais été agressive. Alors le père de Gino se mit à m’insulter :
« Tu n’es qu’une
petite garce, une vraie salope, tu as failli arracher
le bras de mon fils, gare à toi si je te vois encore chez moi, je te ferai
goûter à mon fouet !... »
Je n’avais jamais vu tant de méchanceté dans un regard, jamais
entendu un homme aussi braillard, jamais vécu telle injustice, il me mettait au supplice !
Il n’eut pas le temps de finir de fulminer contre moi, déjà, mon
grand-père l’attrapait par le cou, le soulevait de terre et le jetait dehors :
« Enculé de z’oreille,
que je n’ te vois plus remettre les pieds chez
moi, t’as pas honte d’insulter une gamine ? Laisse les gosses régler
leurs problèmes entre eux et t’as pas intérêt à la toucher ! »
Il referma la porte et me foudroya du regard :
« Toi,
pète dans ta chambre, on réglera ça plus tard !... »
Rencontre
pitre 8,
«
avec
la mort
Enfant sacrifié
:
extrait de
«
La Caidotienne »,cha-
».
16
juillet 1980 à Tahiti, le 17 à Nouméa. Nous étions tous
Serge, pour un déjeuner de famille. Jo était venu
passer quelques jours de vacances, il reprenait l’avion le lendemain,
nous fêtions son départ.
«
...
réunis chez tonton
Le coup
de téléphone gémissant la naissance d’un nouveau petit
telle une bombe dévastatrice.
pouvait être vrai, il y avait erreur ! Pas elle, pas notre
Didine ! Elle était l’innocence incarnée. Adorable fillette brune toujours
gaie transformée en poupée de chiffon, petit oiseau sauvage sorti de sa
douillette cage pour chanter et s’envoler le jour de l’anniversaire de son
papa. Elle voulait lui faire une surprise, inviter des amis, danser, être
belle et admirée, couronnée comme une promise, elle chantait comme
un pinson qui s’envolait vers un destin fantastique.
ange, tomba
Cela ne
68
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
intransigeante, la voiture lancée à vive allure, la conductrice
s’était pas manifestée, le mauvais sort qui semblait s’acharner, tous ceux-là en ont décidé autrement, sa destinée fut tragique.
Un enfant de plus venait d’être sacrifié impitoyablement.
Sa vie, sa petite vie si frêle et si importante dans nos coeurs, lui avait
été volée. Comment Dieu pouvait-il permettre une pareille injustice ?
Quel message nous envoyait-il en nous plongeant dans ce cruel précipice ? Quel péché avions-nous commis pour être ainsi punis ? Ce Dieu
de miséricorde, en qui j’avais toute confiance, avec qui je partageais
mes espérances et mes souffrances, trahissait notre pacte secret, ma
foi était à nouveau testée, elle ne résisterait pas à une telle vérité. Je me
mis à le maudire avec force, c’est moi qu’il aurait dû emporter, je le lui
avais demandé et même souvent supplié pas elle, pas mon immaculée
tourterelle qui jamais n’avait blessé ni même contrarié ! Pourquoi l’avoir
enlevée, elle qui n’aspirait qu’à la paix ? Comment une telle tragédie
pouvait-elle arriver ?
Les accidents n’arrivent qu’aux autres, maxime fantasmagorique,
oh combien factice dont la preuve nous était donnée ici sans ménagement : Sandrine n’était plus de ce monde, ce fléau l’avait emportée
injustement, sous le regard d’un dieu tout puissant qui avait donné son
consentement. Pourrai-je un jour comprendre, accepter, oublier, pardonner, retrouver la paix ?
La route
éméchée qui ne
pris l’avion le lendemain avec Jo en direction de Tahiti, lieu maupetit être chéri avait perdu la vie.
Mon beau-père nous récupéra à l’aéroport de Faaa, il était en état
de choc, ne comprenait rien, ne savait plus. Maman était restée à la
maison, elle attendait qu’on lui rende son poupon. Elle était méconnaissable, brisée par une douleur inconsolable, perdue dans des pensées
impénétrables.
Je
dit où
un
Le corps
glacé, immaculé, d’une divine beauté de notre bébé tant
sur une table réfrigérée en plein milieu du salon défiguré.
aimé fut installé
69
Littérama’ohi N°6
Lorrène Gouassem
A
dix-sept
ans, c’était la première fois que je voyais un enfant
sommeil éternel, c’était une vision surnaturelle, c’était
souffrance rebelle. Mon regard implorant ne pouvait se détacher de
endormi dans
une
un
cette innocente
enfant, victime d’un adulte inconscient. Elle était arrivée
quelques mois auparavant, heureuse de poursuivre son existence d’enfant sur une île nouvelle, terre natale paternelle, à la recherche d’un
destin exceptionnel. Elle y rencontra la vie éternelle.
Des dizaines d’inconnus arrivaient, s’installaient,
priaient, chantaient, pleuraient, nous soutenaient, nous consolaient, compatissaient.
Jamais je n’avais vu tel attroupement d’étrangers si intimement
transportés dans un même élan de solidarité. J’avais devant moi le
monde tel qu’il devait être à son origine, empli de gentillesse, de simplicité et de générosité. Cet élan naturel, cette force surnaturelle, cette foi
en l’Etemel pénétrèrent mon cœur et je sus à cet instant que ce peuple
serait le mien. C’était ici que je me ressourcerais, c’était ici que je
vivrais, c’était ici que mes enfants naîtraient, c’était ici que je retrouverais la paix.
Après l’enterrement dans le petit cimetière catholique de l’église
Saint Etienne à Punaauia, je dus reprendre l'avion pour Nouméa,
convaincue que je devais terminer mes études curatives, convaincue
que cette année devait se terminer sur une note positive.
Laissant derrière moi des parents affligés et résignés, je rejoignais
le
cœur
révolté
ma
Rencontre
chapitre 11,
«
Calédonie endeuillée...
avec
l’Amour
Famille chinoise
:
»
extrait de
«
La Caldotienne »,
».
Cet Amour s'était construit lentement,
d'un sentiment réciproque sans méfiance, d’une complicité dans le silence, d’une vie quotidienne partagée en toute connivence.
Nos étreintes amoureuses où désir spirituel était en harmonie avec
désir charnel, nous comblaient et nous en redemandions sans arrêt,
jour après jour, nuit après nuit sans jamais nous lasser de cette entente
«...
70
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
parfaite, construisant ainsi mois après mois, année après année, un
profond et fiable où confiance et patience sont indissociables.
Bien sûr cette entente au début idyllique, connut quelques tensions
ataviques, chacun ayant un caractère bien particulier auquel il fallait
s’habituer, s’adapter. Admettre qu’un homme est compartimenté, qu’il
ne peut pas voir son slip traîner et penser à le ramasser, faire la vaisselle et écouter les nouvelles, surveiller les devoirs des enfants et cuisiner en même temps... alors qu’une femme peut faire plusieurs choses
à la fois, cela semble régi par un code et des lois.
Dans les crises les plus intenses, les cris fusaient, chacun voulant
dominer, imposer son avis, se révolter contre cette liberté limitée, changer des habitudes installées depuis des années sans vraiment pouvoir
y parvenir. Les valises se faisaient, se défaisaient, parfois les pleurs
suppliaient un pardon vite accordé.
Agir avec compréhension et pondération, sans abnégation, ni adjuamour
ration.
Apprendre à se connaître, respecter la profondeur de chaque être,
de ses difficultés et les partager, se livrer sans crainte d’être
jugé.
Alors le calme revenait, l’amour prédominait, la réconciliation arrivait, douce, délectable, toujours sur l’oreiller, augmentant nos désirs
faire part
autrefois si souvent refoulés.
Pas de tabou. Un
fou et
toujours plus doux.
protégée, surtout pas de baisers en public, chinois, il était, chacun de ses gestes restaient alors pudiques... »
amour
Intimité libérée et
Lorrène Gouassem
Tahiti, le 12 mars 2004.
Extraits du Journal écrit en 2002, non publié.
71
Littérama’ohi N°6
Vaite, Mafaru,Temoe-a-Hiro Devatine
RENCONTRES
«
PAE UTA
»
-
«
COTE VALLEE
»
La
Polynésie française n’est plus uniquement le lieu paradisiaque
explorateurs et des écrivains du XVIIP et
du XIX° siècle. Les problèmes de nature diverse tels que le handicap
mental, physique, génétique, les problèmes familiaux, existentiels, professionnels, de couple, de vieillesse, de maltraitance, de détresse ou
autres, accompagnent aussi le quotidien du Tahiti moderne. Le mal-être
social y est de plus en plus présent, et la communication interindividuelle
reste à développer.
tant conté dans les écrits des
Depuis quelques années, de nombreux centres spécialisés, socioou d’accueil, ont vu le jour, s’occupant de l’enfance maltraitée,
abandonnée, de la famille dépourvue de domicile, des personnes
âgées, des femmes battues, des jeunes filles-mères, des jeunes filles
maltraitées ou violées, des handicapés mentaux légers, des handicapés physiques,
Soutenus par des associations privées, bénévoles ou subventionnées par l’Etat et par le gouvernement de la Polynésie française, travaillant en collaboration ou en partenariat, en parallèle avec plusieurs
éducatifs
services administratifs du Territoire.
Parmi la
multiplicité et la pluralité, jugée encore faible de tels centres,
(dont la création, et le mérite, reviennent aux
femmes, à leurs associations qui le gèrent, accueillant des femmes
ayant subi des maltraitances et violences physiques, psychologiques,
morales, conjugales et/ou familiales), que j’ai passé deux mois durant
l’été 2003. C’est bien qu’un tel centre existe.
ce
fut
au
sein de l’un d’eux
Avant de
le stage, j’imaginais bien et facilement l’exisdifficiles, car ce sont les mêmes partout dans
le monde. Mais l’avantage en Polynésie française est que cela reste
commencer
tence de telles situations
encore
72
familial. Le centre
a un
côté
«
famille », on y
vit
en
communauté,
et celle-ci est
bien
présente. On se rend compte cependant que
commencent à vivre de plus en plus dans l’individualisme. Alors,
pendant combien de temps la communauté sera t-elle préservée ?
encore
les gens
Pour aller
plus loin, cette petite expérience m’a permis de connaître
mieux les besoins en Polynésie, sur le plan social - ce qui est
fait, ce qui reste à faire - et sur celui des aides aux personnes en danger, en détresse. Pour ce qui reste à faire, il apparaît clairement qu’il y
a un manque et un grand besoin de psychologues, et ce, dans tous les
secteurs : chez les personnes âgées, chez les couples. Il en faudrait
dans tous les centres d’accueil, dans les centres hospitaliers, dans les
services pour personnes qui vont mourir, dans les maternités, pour être
à l’écoute des femmes sur ie point d’être mères, et qu’il y en ait chez les
prématurés, et ce autant pour l’enfant que pour les parents.
un
peu
Je remercie toutes les
féminines
femmes, des Présidentes d’associations
Directeur et directrices des centres d’accueil, de l’équipe
d’encadrement au personnel dans son ensemble, les psychologues et
aux
bien entendu les mamans, leurs enfants, pour
leur accueil, leur patience
je m’autorise à transmettre à Littérama’ohi ces
pages de mes notes, c'est à fin que l’on ait souci et que l’on se souvienne
aussi de cette partie en souffrance de la société polynésienne d’aujourd’hui, en souffrance de parole, et dans la nécessité d’un lieu de parole.
L’écriture, dans leur langue parlée, qui est aussi celle que je comprends
le mieux et que je pratique naturellement, répondrait en partie à leur
attente. Enfin, je remercie Littérama’ohi de m’avoir accueillie dans ses
et leur confiance. Si
pages.
Les femmes qui ont eu recours au centre y trouvent un cadre sécurisant. Elles y sont accueillies, elles et leurs enfants, avec discrétion et
sollicitude. Pendant leur séjour, par le dialogue ouvert ainsi que par
l’écoute,
équipe dévouée, travaillant dans l’ombre, les aide à retroà peu un nouvel équilibre individuel, familial, conjugal, puis à
développer leur autonomie. Elles sont encouragées, accompagnées,
uver
une
peu
73
Littérama’ohi N°6
Vaite, Mafaru, Temoe-a-Hiro Devatine
guidées, conseillées, dans le montage d’un projet personnel, familial ou
professionnel, jusque dans leur installation à l’extérieur du centre. Leurs
enfants sont scolarisés et bénéficient, au centre, d’activités ludiques et
pédagogiques de soutien.
plupart d’entre elles, bien que j’aie eu envie parfois de dire,
toutes », il y a des difficultés de tous ordres, et tout d’abord, de
Pour la
«
pour
langue, d’expression, au niveau de la parole, et de la pensée dont le
mécanisme n’est pas simple. Elles ne « voient pas » ou « ne voient plus
clair dans leur tête ». Elles abordent leurs problèmes à partir d’un autre
et non d’elles-mêmes. L’une d’elles disait « qu’elle ne voulait pas retourner avec son tane », et en même temps, dans les échanges, elle parlait
constamment de « nous », donc de son tane, au lieu de « je ».
du mal à cerner leur propre désir. Elles ont
parler d'elles, sinon qu’« en toute intimité », c’est à dire avec
une responsable « pour elle toute seule ». Cela ne se passe pas obligatoirement dans un bureau, mais dans la chambre de garde ou dans le
jardin, dans l’atelier, et selon le moment qu’elles avaient choisi pour
déposer leur histoire.
En fait, il y a un problème d’image de soi et d’estime de soi. Elles
se disent qu’elles n’ont « pas de valeur. »
Dans les faits, elles ont
du mal à
avait une qui, à son arrivée au centre, présenproblème d’hygiène corporelle, et c’est peu à peu que l’on est
arrivé à lui faire comprendre l’importance de l’image de soi à donner
aux autres par respect de soi. Elle a fait l’effort de se laver, de mieux
s’habiller, mais c’était toujours avec des habits troués ou tachés, ou pas
repassés, et elle était rarement coiffée.
Parmi elles, il y en
tait
un
Donc elle
avait donné
tant
qu’elle
classe !
74
»
un
ne
Elle
raconté que sa belle-sœur, avant de partir en France, lui
carton de linge, du linge « classe », dans son langage, ajou-
a
peut pas le mettre : « Ca ne va pas sur moi », « Ca fait trop
préfère mettre de vieux habits troués qu’elle reprise parfois.
Rencontres
Elle était allée
jour
SEFI
polynésiennes, rencontres inouïes
s’informer
emploi ou
voir pour
On aurait
pu croire que c’était impeccable, mais il manquait toujours quelque
chose : un bouton, que l’on a fait tenir par une épingle à nourrice, et le
pantalon, qu’elle a brûlé en le repassant, parce qu’il était en tissu synthétique. Et elle était partie ainsi habillée. Personne ne s’en était rendu
compte sur le moment. Ce ne fut qu’à son retour, quand elle était venue
nous raconter comment s’était passé son entretien que nous le lui
avons fait remarquer. Elle a rigolé et dit que ce n’était pas grave.
un
au
pour
sur un
pour une formation. Avant de partir, elle était venue nous
savoir si elle était bien habillée, bien maquillée, bien coiffée.
A la suite de
ses
renseignements, elle était partie
en
formation à
Moorea, dans la culture des fleurs. Son rêve est d’être horticultrice,
mais elle n’a pas de terrain.
aime la nature, les plantes.
Donc elle ne peut pas faire ce métier. Elle
Elle a travaillé plusieurs années dans le
fa’a’apu, et ce qu’elle préfère le plus, c’est de dormir dans le fa’a’apu,
de « mettre son pareu au sol » et allongée, de regarder du sol le plant
de carotte qui pousse à côté d’elle.
J’avais aussi établi
échange avec X., une femme complètement
plutôt qui n’était pas encore construite. Au début, les
échanges avec elle s’arrêtaient « à la pluie et au beau temps », et
quand elle parlait, j’avais l’impression qu’elle essayait de « me mener en
bateau ». En fait, je ne le pensais pas vraiment. Vers la fin de mon
séjour, devenue plus confiante, elle parlait plus facilement.
déconstruite
un
ou
Enfant, elle avait subi deux tentatives de viol. A partir de là, ce fut
à s’exprimer, et elle a été
le mutisme, l’enfermement. Elle avait du mal
envoyée en France dans un Centre où elle a été suivie par un orthophoniste qui lui a réappris à parler et l’a aidée à acquérir la lecture. Elle a
effectué deux séjours au centre, la première fois « pour violence conjugale », et la seconde, « pour violence conjugale à la suite d’un endettement, d’un surendettement.
»
75
Littérama’ohi N°6
Vaite, Mafaru, Temoe-a-Hiro Devatine
Un
jour où la question du viol lui aurait été posée « crûment », tout
passé lui était revenu en mémoire, « dans sa tête ». Elle a somatisé avec des maux de tête, des coups de froid, une grande fatigue. Par
la suite, elle s’en était confiée à des membres du personnel d’encadrement qui l’ont soutenue pour lui permettre de rebondir. Depuis, elle va
mieux, elle est souriante, elle aide à la cuisine, elle fréquente l’atelier de
vannerie où elle a commencé et terminé très vite un panier en pae’ore.
Selon la responsable : « Elle a de suite pigé le truc !»
son
«
Quand il y a eu les dons de linge et que l’on avait réussi à l’habiller,
eu honte » de sa beauté. Elle était gênée de se trouver belle,
elle avait
et elle
un
dit que cela faisait « trop femme». En fait, elle est bloquée dans
conflit interne. Car en même temps qu’elle souhaitait assumer sa
a
beauté, elle refusait cette image d’elle, et préférait s’habiller comme un
garçon afin que les hommes « voient moins son sexe », sa féminité. Elle
ne voulait plus qu’ils la regardent comme une femme, et ne voient en
elle qu’un vagin.
Quand elle marche, elle adopte une
démarche de « mec ». Quand
elle prend une posture de « mec ». A table, elle ne discute
pas trop avec ses enfants. Elle porte les cheveux courts. Et à la maison,
chez elle, il semble que ce soit elle qui « porte le pantalon.»
Mais elle a un visage naturellement très féminin.
elle mange,
Elle craint
un
peu
les regards posés sur elle. Elle a peur du regard des
autres, peur du regard des hommes, peur du regard de ses enfants, peur
de
reflet dans le miroir, de son propre
regard porté sur elle. Elle m’a
qu’elle ne s’aimait pas, et qu’elle n’avait aucune valeur à ses yeux.
Pourtant, X. est une belle femme, une très belle femme, physiquement.
Elle a les traits très fins au niveau du visage. On la remarque facilement
quand « elle s’habille », malgré ses épaules carrées et ses jambes lourdes
avec des varices très marquées qui donnent à ces dernières « un aspect
de jambes d’homme ». Pour aller au travail, elle se met une toute petite
touche de crayon noir sur les yeux, avec un peu de rouge aux lèvres.
dit
76
son
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Au niveau de la
dévalorisation, elle n’aime pas l’argent. C’est une
grande dépensière. Elle m’a expliqué que si elle dépense beaucoup, et
qu’elle n’aime pas l’argent, c’est parce qu’elle-même, elle n’a aucune
dépense aussi pour faire plaisir aux autres, car elle aime
faire plaisir aux autres, mais pas à elle. Par exemple, elle va « acheter
de belles choses » pour ses enfants, pour son mari, mais pas pour elle.
valeur. Elle
Elle est originaire d'un peu partout, de la famille Y. Elle a des terres
à Raiatea, à Huahine. Elle en aurait aux Tuamotu et ailleurs. Et au fil de
la conversation, elle m’a dit avoir des ancêtres royaux.
Je
qu’elle
me
a
suis donc
appuyée
sur ses
origines royales pour lui. dire
de la valeur.
Elle fait
beaucoup de choses de ses mains, par exemple, un tableau
enfants, mais c’est toujours maladroit, et
cela se voit que c’est une gamine qui l’a fait. Elle a toujours un air gamin.
D’ailleurs, quand elle « fait un tableau », une fois celui-ci terminé, elle le
montre à tout le monde en disant : « Regarde ce que j’ai fait ! C’est joli !
Hein ? » Elle attend que l’on reconnaisse son travail, une attente d’autant plus grande que la crainte ressurgit, celle de quelque chose ou le
rappel du refoulé, insupportable.
D’où la régression et le retour dans le monde enfantin, à faire des
tableaux avec du sable, des perles, des bouts de tissus.
avec
des fils dans l’atelier des
Elle
mente
rigole, enfin elle sourit,
sur son
comme une
enfant. Quand
on
la compli-
travail, elle semble gênée comme une enfant.
A l’atelier de couture, on
aide les femmes, par l’habillement et avec
maquillage, à devenir elles, en tant que femmes. Elles sont contentes. On les sent plus légères, exister, et s’accepter dans leur féminité.
Elles s’habillent, se maquillent, plaisantent avec le gynécologue. Après
leur passage par cet atelier, toutes ont senti, quand elles sont à l’extérieur, le regard posé sur elles. Certaines se font draguer.
le
77
Littérama’ohi N°6
Vaite, Mafaru, Temoe-a-Hiro Devatine
cher
Un soir, X. est sortie en ville dîner avec son mari qui est venu la cherau centre. Elle était belle et « s’était habillée comme une femme ».
la reconnaissait plus, « habillée, sapée comme
les gens en ville n’arrêtaient pas de la regarder.
Elle raconte cela un peu gênée, mais aussi en disant que cela lui faisait
plaisir de se sentir regardée en tant que belle femme, en tant que femme.
Une autre femme, Z., elle aussi, se sentait belle et se plaît maintenant à s’habiller et à se maquiller. Sa famille ne l’a pas reconnue le
Elle
une
dit que son mari ne
belle femme », et que
a
week-end où elle était allée leur rendre visite.
Elle l’avait trouvée
Le souhait de la
de venir à leur tour
métamorphosée.
plupart d’entre elles est de travailler dans le social,
en
aide à des personnes en
difficulté. Mais elles
n’ont pas de formation, et elles n’ont pas le niveau suffisant pour accéder à celles qui existent. De plus, elles sont sans moyen financier pour
suivre
une
quelconque formation.
qui est triste.
C’est aussi cela
Et moi,
Je dirai
«
quel souhait
ou
quel vœu voudrai-je faire ?
:
prime pas !
longtemps tous solidaires les uns des autres ! »
Que l’individualisme
Que l’on soit
encore
ne
problème conjugal, familial, on constate soudans tout conflit, la responsabilité incombe aux deux
parties. Il faut être deux pour se disputer. Donc au niveau des hommes
Par ailleurs,
dans
un
vent que comme
et des femmes :
le respect revienne, que l’on ne tape pas sur l’autre,
l’on ne parle pas mal.
Il ne faut pas tendre la main pour frapper mais pour aider,
Il ne faut pas ouvrir la bouche pour crier ou pour insulter mais pour
communiquer,
Il ne faut pas ouvrir ses bras pour encercler, enfermer mais pour
protéger,
«
que
78
Il faudrait que
Rencontres
Il faut
«
debout debout la
polynésiennes, rencontres inouïes
montagne quoi !
»,
et que la confiance
soit, elle aussi, présente.
Il faudrait
hommes et aux femmes ne serait-ce qu’à
gens qui sont susceptibles de leur venir en aide.
Il faut se confier,
Il faut savoir écouter les conseils,
Il faut savoir accepter, simplement, tout ce qu’on reçoit de bon,
Il faut aussi s’accepter ! Et faire confiance aux jambes qui nous portent, ce qui revient à faire confiance à soi-même ! »
apprendre
faire confiance
aux
aux
Vaite, Mafaru, Temoe-a-Hiro Devatine
(Deug psychologie, Paris, mars 2004)
79
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
TUOTE AMA
LA LUMIERE BLEUE DE RAFFLESIE
Cela faisait deux
jours déjà : Tautu n’était pas apparu sur le chantier de construction de la maison, érigée derrière la remise, ainsi que se
dénommait l’emplacement réservé aux tombereaux transportant, tôt
chaque matin, les produits vivriers et animaux destinés à la vente au
marché. Nul ne s’était tout d’abord inquiété de cette absence, c’était le
temps lointain des travaux à la tâche, un peu indolents, on se donnait le
temps, et le temps coulait avec lenteur. Au reste, on n’en était qu’aux
fondations à creuser, dans le marécage qui s’étendait tout autour de la
cathédrale un peu hideuse, et qu’on s’employait à combler peu à peu,
comme on pouvait, car l’agglomération se densifiait, et l’espace littoral
devenait étroit. Le quartier, comme on disait, allait se transformer radicalement, et ses limites provisoires s’affichaient sans doute possible, la
cathédrale à l’ouest, et l’évêché à l'est. Le temple protestant y répondait
dans le voisinage proche. Des écoles des deux confessions avaient
surgi. Y compris une école chinoise, qui servait aussi de temple à l’occasion des services funéraires. Même une loge maçonnique se dressait
sur ses hauts pilotis, en mitoyenneté paisible du temple protestant.
La maison
construction allait faire date, car elle
comportait deux
niveaux, rareté notable. Hauts plafonds, fenêtres vitrées, parquet
Versailles, et large véranda. Le tout agrémenté d’un jardin composé
autour d’un parterre de fleurs, et bordé d’ixoras rouges, curieuse idée,
ces fleurs étant réputées porter malheur. Des avocatiers d’espèce rare,
couleur marron ou violette d’écorce, jaune profond moelleux de chair
déjà s’élançaient. Un manguier avait aussi été transplanté, et allait
déployer son ombrage sur un coin où prendre le thé, quand il ferait
chaud ailleurs. Un goyavier importé de Atiu, à gros fruits de chair laiteuse
susciterait la curiosité. Un ‘ahi’a aux fruits grenat et ivoire allait un jour
déposer les pistils et les étamines de ses fleurs flétries en un tapis
en
enchanteur et irréel de couleur
80
mauve
et
rose.
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Le chantier bruissait
d’engins sommaires, sortes d’écopes mécaniques, pour drainer la boue marécageuse. Et ces afouillements avaient
mis à jour plusieurs vestiges de pierre, dépouilles d’anciens rites, ou
simplement vigiles plantés aux limites des terres. L’une de ces pierres
figurait, en dépit de l’érosion des ans, deux grossiers contours, identifiablés malgré tout, l’un d’une femme, l’autre d’un homme. Ce tii, dira-t-on
pour simplifier, taillé dans un roc rouge foncé, galbé, ovoïde, presque
phallique, était lourd, et même très lourd, malgré sa hauteur de 55 centimètres. Les deux ouvriers qui l’avaient mis à jour, extrait de la vase, et
posé au soleil après l’avoir rincé avec soin attestèrent que son poids
leur paraissait anormal. Ils en déduisirent que ce ‘ofa’i, ce caillou, devait
être porteur de ce mana que, d’instinct, on devait redouter. Non pas de
crainte de maléfices précis: plutôt d’une sorte de prévention, sait-on
jamais, c’est pourquoi il fallait le rendre propre, et le mettre bien en évidence. Tautu, l’un des deux ouvriers, ne dissimulait pas son appréhension, et sa déférence remarquée : il saluait le tii à son arrivée, comme à
son départ du chantier. Il avait l’intention de l’oindre de mono!,
pour parfaire sa toilette et lui restituer le lustre dont il était persuadé qu’il était
paré avant son naufrage de tourbe.
Il n’en eut pas le temps car il fut foudroyé la troisième nuit de la
lune. Il dut s’aliter. Et quand son compère vint s’enquérir des raisons de
son
absence,
sa
femme lui fit
un
récit surprenant. Deux nuits durant
avant la
pleine lune, une lumière bleue, diaphane mais persistante, s’était
projetée dans la petite cour de leur maison du bord de mer d’Arue,
continûment battu par la houle, furieuse en ce mois de novembre,
comme
à l’accoutumée. La deuxième nuit, une voix, comme dédoublée,
duo, se plaignit et répéta sa plainte rauque et lente et elle
distingua l’interrogation qui depuis taraude Tautu : “ pourquoi nous astu laissés au soleil, no te aha, no te aha ?” entendit-il, encore et encore,
sans qu’il n’y puisse rien. Et cette complainte
presque chantée avec une
immense douleur, était si lancinante et l’atmosphère de la maison en
était devenue si changée que les comportements de chacun en furent
atteints. Tetua, l’épouse, devint quasi-insomniaque, elle crut voir tous les
comme un
81
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
tupapa’u de la terre errer aux environs, le moindre bruit la mettait en
alerte, sans qu’elle pût maîtriser et son trouble et ses gestes de plus en
plus désordonnés. Le sel toujours en suspension dans l’air fouetté par
les embruns qui fusaient des grosses vagues de saison n’était pas
étranger à la nervosité ambiante, et aux tics qui taquinaient les visages
plissés par le désarroi, le manque de sommeil, et la sourde prémonition
que quelque chose d’étrange, de malfaisant peut-être, d’incroyable
sûrement, d’injuste aussi, venait de s’abattre sur cette petite famille
sans autre histoire que celle d’une maisonnée ordinaire, le père ouvrier,
la mère femme de ménage, les enfants écoliers, pêcheurs à leur retour
à la maison, surfeurs le jeudi après-midi, le week-end et les jours sans
classes.
Mahi, le collègue, ne se posa pas d’autre question, ni n’en posa,
autrement que pour s’inquiéter du retour de son copain de travail, il en allait
de son emploi, il ne pouvait imaginer travailler en compagnie d’un autre
celui qui avait toujours été son compagnon, parfois son complice,
depuis leur enfance dans l’île de Tahaa où ils grandirent, s’ébrouèrent
sur le Motutorea à capturer les oiseaux, suivre les tortues le long des
récifs, chasser la paraha pe’ue dans la passe de Tiva, et en revenir
ruisselants de leurs captures, de leurs rires et de leur bruyante insouciance d’ados comblés. Mahi avait toujours été considéré comme un
être à part. Sous les frondaisons de mape bleu de Hurepiti, les anciens,
c’est-à-dire oncles et grand-parents, qui lui avaient donné ce prénom
l’avaient affranchi sur sa lourde signification, dont le sens n’avait pas été
altéré par les siècles. Ces vieux sages l’avaient mis en garde: Mahi portait une très lourde responsabilité sur ses épaules, car ce nom remontait à l’origine du monde, par la grâce d’une rencontre fortuite avec un
autre nom qu’il ne fallait pas prononcer à l'encan, sous peine de terrible
sort. De l’autre côté de l’île, les vieux sages de Faaaha, assis sous leurs
mape presque noirs, avaient une version différente de ces commencements, à vrai dire peu significative. Ensemble ils s’accordaient sur le
sens profond des actes premiers, avec des variantes qui n’étaient que
de gloire ajoutée au nom de Mahi. Modeste et presque effacé, Mahi se
que
82
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
jeunesse vagabonde, un
à l’image du premier Mahi, se passera sans que personne n’eût
l’interroger sur l’origine de ce prénom peu courant, entre Tahaa,
Raiatea et Tahiti où il prit femme venue de la distante presqu’île, dans
le voisinage d’une grotte dont les sages bleus lui avaient indiqué l’emplacement secret. Il en tirait l’enseignement, et de plus en plus à mesure
des années, que son peuple s’était détourné de ses anciennes histoires, comme il aimait à qualifier les mythes fondateurs. Une fois, en randonnée dans une vallée, il crut reconnaître, à une certaine configuration
d’un vallon auquel on accédait par une défilé étroit de rochers à pointes
acérées, l’un de ces refuges que lui avaient décrit les sages bleus, lieu
de rassemblement des derniers ‘ariois à jambe noire, chassés par le
nouvel ordre des choses, et pourchassés par les nouvelles croyances,
bannis par des pharisiens empressés. Il crut entendre leurs chants rythmés de pulsions charnelles. Il crut apercevoir leurs ébats naturels et
sans contraintes. Il crut entrevoir les envolées des costumes rouge et
blanc, puis les corps nus en quête de plaisirs, puis les accouplements
dirigés par des exclamations extatiques, enfin les alanguissements
d’ébènes, de peaux plus claires, ensemble confondus dans les sueurs
reposantes des assouvissements partagés. Il avait en mémoire ce que
les sages bleus lui en avaient dit, que ces ‘ariois étaient venus de
Raiatea, dont le roi presque dieu avait été le fondateur; que cette
confrérie était aussi une forme de religion, malgré l’opprobre dont elle
fut injustement frappée; que leur fonction était indissociable de la raison
d’être même de son peuple, dont elle personnifiait la vraie nature, étant
consubstantielle à la justification des relations sociales, complexes aux
sens d’aujourd’hui, limpides et nécessaires alors, un peu Attilas, pillards
et exigeants; étant aussi au coeur même de l’alchimie complexe, encore non résolue, de la compétition permanente des présents entre les différents prestiges, qu’ils fussent d’autorité suprême, ou subordonnée, de
pouvoirs religieux, et même des manahune ambitionnant d'accéder à
l’ultime abondance de Rohutu; participant à leur manière à une répartition des richesses exigées, du moins entre leurs congénères, proches
et éloignés; voués par principe rigoureux à l’infanticide exacerbé d’une
conformerait à
ces
recommandations, et
sa
peu
osé
83
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
pratique largement répandue par ailleurs; imprévisibles surtout, car le
n’était connu que d’eux seuls, hors les
périodes sempiternelles du retour du ahunera’a, abondance annoncée
que chacun savait et à quoi se préparait. Sans qu’il pût détailler ses
sentiments, tant l’érosion du sens avait fait sa terrible oeuvre, Mahi ne
put s’empêcher de regretter cette époque inconnue, mal connue,
méconnue encore plus. Il se mit à espérer vaguement qu’un jour peutêtre il pourrait jeter un regard rétrospectif sur ce qui avait été, pleinement, comme en reconstitution, et cette folle espérance ne le quitta
plus, assuré que Mahi, ce nom prestigieux dont il avait hérité, pourrait
être le moment venu le sésame utile. Les sages bleus, parfois énigmatiques, avaient un peu entretenu ce fantasme en lui décrivant le privilège redoutable d’être porteur de ce nom chargé de lointains échos dont
ils disaient qu’ils résonnaient encore les soirs de lumière bleue, quand
la lune troisième va s’amincir, et que les ombrages des mape bleu-sombre donnent à la baie devenue effrayante l’air indistinct, ciré mais palpable de tous les possibles.
calendrier de leurs apparitions
il
rudimentaire mais appliqué. Ces acquis
maison toute simple d’aujourd’hui, tapie
dans la longue vallée de Tefaaroa, au pied d’une petite cascade rafraîchissante, qui faisait prospérer le fafa ‘apura, le plus recherché, agrippé
aux rochers aspergés, parmi les mousses épaisses d’où émergeaient
Après quelques vagues séjours dans des écoles dites pratiques,
devint maçon, puis menuisier,
lui permirent de bâtir la petite
d’un jaune citron moucheté.
Quelques hibiscus rougeoyaient ici et là. Un vénérable mape balançait
ses feuilles sulfatées qui frissonnaient sous les embruns des chutes
d’eau tumultueuses, ses racines rampantes donnaient du relief à la
terre, un ondoiement dont les jeux de lumière révélaient les contrastes.
Deux plants de tiare tahiti attestaient que Mahi espérait avoir deux
enfants, et que le moment venu le cordon ombilical des nouveaux-nés
serait enfoui sous leur protection. L’air tranquille de ce havre exhalait la
cordialité de l’accueil que les amis en visite vantaient : la bière rafraîchie
dans le bassin de la cascade ajoutait l’insolite au plaisir. Itia, la compagne,
les délicates orchidées sauvages,
84
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
vahiné pas encore tout à fait hoa, mais c’était égal, l’on sentait bien que
le plaisir d’être ici à deux avait le charme indicible des bonheurs simples,
enjoués et
sans cesse en
jouvence. Souvenir de Tahaa, une cuisine à
l’ancienne, grand cornet renversé jusqu’à terre de ni’au tressé, ahima’a
au centre, et fumée dans les yeux de tous: mais le cochon sentait bon
la
couenne
craquante et roussie, le poisson étouffé à souhait, et le fafa
cochon, il ne savait pourquoi,
onctueux. Mahi n’était pas très friand de
et les vieux sages ayant associé son nom
à celui d’un cochon dont il eut
garde à l’origine des temps, c’était toujours avec retenue qu’il y piongeait les doigts, et le dégustait avec respect, presque un remords.
D’ailleurs, une connivence inhabituelle s’était établie entre Mahi et cet
animal de choix : il pensa qu’il avait décidément une drôle d’influence
sur lui, il ne savait pourquoi, mais c’était ainsi qu’il fallait le considérer,
sans autre apprêt des sentiments. Dans la cour, une truie immense grognait : curieusement, quand il s’en approchait, elle venait de son groin
rauque et agité, lui faire part des raisons de ses balancements
brusques, comme on va se plaindre à son maître. S’engageait alors une
sorte de chassé-croisé de grognements et de jetés de mots modulés
selon un mystérieux solfège d’une partition tonitruante et inaccessible à
nul autre. Le bruit en ruades de la cascade ponctuait ces entretiens déjà
sonores de ses quintes irrégulières. La truie rose et suie se résignait. Le
maître lui roulait de gros yeux câlins mais fermes. Elle alla s’embourber.
Il regagna la maison.
la
Quand il rendit visite à Tautu, un détail pourtant retint son attention.
sa femme insista à plusieurs reprises que dans son délire Tautu
Tetua
voyait rouge, un gros caillou rouge en feu, un feu cerné d’éclat bleu, d’où
s’échappaient des cris d’incompréhension, de douleur et de menaces de
moins en moins voilées. Formé à l’école des sages bleus, Mahi partit
pour la presqu’île se recueillir au pied de Tahuareva à Tautira, et
recueillir le sens de ces messages. Dans la grotte où gisait encore,
presque intact le too enveloppé de son vane que Mahi l’ancien avait
amené de Raiatea, il plongea dans une profonde méditation. Quand la
lune quatrième filtra de sa faible lueur la grotte sombre, alors Mahi se
85
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
leva et alla
interroger les flots à ses pieds, puis matari’i dans les deux,
scintillantes, presque
les Pléiades étaient en ce mois de novembre
joyeuses de leur éclat, mobiles de Calder étincelants de phosphorescence. C’est alors qu’il discerna, suspendu et se balançant dans la nuit,
le lourd ti’i rouge sombre de deux figures qu’il reconnut aussitôt. C’était
celui qu'avec Tautu il avait désembourbé, nettoyé, puis installé au soleil
en attendant de le caresser de monoï de fleurs de tiare pour achever de
leur restituer une apparence respectable. C’était donc cà ! Mais le tii ne
disait mot, ni complainte, ni gémissement, ni colère. Il attribua cette
retenue à la magie de son nom, que sûrement le couple du tii avait
reconnu, et qu’il leur était sans doute interdit d’interpeller. Et Mahi revint
près de sa cascade, déterminé à trouver au tii un havre de fraîcheur.
Ce qu’il fit dès son retour sur le chantier: il plaça le couple à l’ombre du
manguier, ce serait leur demeure pour plus d'un siècle, nul n’aurait osé
le déplacer, le récit de Mahi s’étant transmis de génération en génération, parfois grossi d’anecdotes imaginaires, de méfaits inexistants, ou
de malheurs terribles encore plus.
Et
pourtant, Tautu continuait à décliner, et sa raison
l’abandonnait.
Quand la lune vingt et neuvième disparut, Tautu expira, emportant avec
lui l’écho désormais inaudible aux humains que le tii n’émettait plus. Sur
amaigri, squelettique, tristement translucide et fané, Mahi
posa un morceau d'étoffe nattée qu’il emportait avec lui partout, ainsi
que l’avaient prescrit les sages bleus. Il enduit son visage de teinture de
mati rouge. Il eût aimé conduire son ami lui-même, et le guider vers ce
Rohotu dont les sages bleus lui avaient décrit la suavité, la douceur, les
fragrances, l’entrain qui y régnait, et surtout la vue panoramique dont
on pouvait y disposer pour jeter un regard sur le monde d’avant, et le
monde d’alors, et même prendre de l’avance sur le temps, apprécier le
chemin parcouru, et se lamenter parfois de la tournure des lendemains.
Mahi était certain que l’étoffe ouvrirait à Tautu les portes désirées. Son
visage barbouillé de mati le rendrait d’emblée familier aux deux vigiles
postés à l’entrée. Et prononcerait-il le nom de Mahi, que les bras s’ouvriraient en s’élevant, lui assurant un séjour qu’il pourrait goûter et organiser
son
86
corps
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
à
sa guise. Tautu ne pourrait probablement pas rencontrer le Grand Oro,
sauf à distance, étant donné sa condition inférieure. Mais qui sait ? L’ami
de Mahi ne pouvait pas ne pas abroger la distance, et le grand Oro
accéderait à
supplique. Le Suprême Taaroa serait encore moins
énergie première s'était affaiblie lors de la génération de
l’univers : il se reposait désormais, c’était bien son droit, hors d’atteinte
de tout visiteur, même du plus idolâtre. Tout au plus condescendait-il à
jeter un regard épisodique sur ce que le prodige initial avait depuis
enfanté : très vite il retournait à ses alanguissements, en tressaillant
d’étonnement, parfois de stupeur, souvent d’incrédulité, ai-je bien fait ?
ne cessait-il de s’interroger, mais nulle réponse ne lui parvenait jamais.
On verrait bien. Il lui suffisait que son ami eût le privilège de le précéder
dans cette contrée qu’il connaîtrait un jour : en pensée, Mahi délégua
ses espérances à son ami Tautu qui saurait bien lui faire retour de ses
découvertes, dans ses rêves, ou en apparitions imagées et sonores, de
cette voix chaude, lente et timbrée qui allait lui manquer. De la culture,
tous deux n’en avaient égrené que les versets bibliques hachés de
l’école du dimanche qu’ils fréquentaient, comme tous les enfants de
leur âge, dans le coin du fare de réunion prévu à cet effet près du tempie de Tiva à Tahaa. Ils lurent peu de livres, et rendaient responsable de
ce peu d’intérêt le mode de lecture saucissonnée à haute voix qui occupait ces dimanches studieux. Exilés à Tahiti, ils se prirent de passion
pour les chansons en vogue, et en particulier “If only I could turn back
the hands of time” qu’ensemble ils fredonnaient si souvent. Ils ne se
doutaient évidemment pas combien le sens de ces paroles apparaîtrait
un jour si prémonitoire.
accessible,
sa
son
pressenti. Mais il n’avait osé imaginer que le
serait aussi fantastique. Car son dernier râle déclenphénomènes inouïs. Tautu se retrouva aux abords
marae Manunu de Maeva, sous l’ombre qui fut effrayante
comme aux participants titrés ou ordinaires invités aux
Mahi l’avait bien
départ de
cha
une
son ami
suite de
immédiats du
aux
officiants
cérémonies de renouvellement des attributs vestimentaires du Grand
Oro, et des divinités inférieures dont les effigies avaient été transportées
87
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
là pour le semblable rituel annuel. Mais en raison encore de sa condition modeste, Tautu n’eut pas le loisir de s’attarder en ces lieux
mythiques. Déjà l'arc-en-ciel l’avait attiré comme un aimant, le soulevait
gravillons de corail poudreux, et dans un tourbillon de sable
l’aspirait à travers les branchages des aito géants pour une direction
inconnue quelque part dans l’azur élevé. Cela, Mahi le vit dans le même
instant, car de sa cascade s’était déployé un arc-en-ciel dans le spectre
bleu duquel il reconnut Tautu, un peu hagard, mais bientôt rasséréné,
car il comprit que Mahi l’observait avec tranquillité, que son immémorial
homonyme avait sans nul doute bien reçu le message inconscient qui
lui avait été adressé, comme une silencieuse et confiante prière.
D’ailleurs deux figures inconnues, au regard vaguement inquisiteur,
du sol de
accueillirent Tautu à
feuille de ti
son
arrivée
au
bout de l’arc-en-ciel
:
elles tenaient
jaune, fau ro’a par quoi bienvenue était signifiée sans
la sérénité qui atteste que le visiteur est attendu, puis
s’évanouirent dans les vapeurs bleutées. Tautu se sentit soudain chez
lui, déjà comme en-paysé avec naturel, dans ce déploiement fabuleux
qui s’offrait à lui. Très tôt, et par intermittences, un tii rouge gravé de
deux silhouettes mâle et femelle, venait tournoyer gracieusement, douces et rieuses, dans son champ de vision lointain. Il se dit
que cela lui
rappelait, mais comme une vision fugitive, un vieux cauchemar du
temps de son passage sur terre. Leur socle était-il d’argile aimanté,
retenu par on ne sait quel phénomène, électrique peut-être qui expliquerait ce camaïeu luminescent de soies bleutées, pour être ainsi capablés de se balancer dans le vide, ou plutôt l’apparence de vide ambiant,
peuplé d’épures, de pictogrammes à ce point légers que tout l’entour
semblait composer un ballet tel que celui, il n’avait d’autre comparaison
à l’orée de ses souvenirs, que les virevoltes des poissons que l’écume
des vagues houleuses, de novembre à février, accueillait devant sa maison, pour l’émerveillement de tous. Tautu se sentait retenu par des forces invisibles, elles lui procuraient la sensation nette de ne
plus appartenir aux jours d’avant son arrivée ici, en ces lieux ineffables, et il se mit
à boire outre-mesure tout ce qui était à sa portée, comme s’il allait vivre
de multiples vies, que ses tympans allaient vibrer à d’autres paroles, à
une
paroles,
88
avec
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
d’autres bruits, à d’autres silences. Grande fut sa
surprise de ne croiser
anges qui avaient plané dans les récits humains, preuve
que le mensonge avait exercé ses ravages, parmi bien d’autres fariboles. Il fut habité par l’anxiété d’une sorte de déracinement, venant d’un
monde où nulle part sa place n’était plus réservée, hors le liseré de l’oubli si aisé aux humains. Bien qu’il affichât cet air d’être chez soi, inexprimable mais confortable, il se sentait comme rescapé par le grand
envol, il lui restait à ménager son espace, à moins que cette inclination
humaine ne fût superflue ici, il faudrait sur ce point consulter Mahi par
un moyen ou un autre.
aucun
de
ces
Au reste, pas un
seul instant le sentiment de la mort n’avait effleuré
plus quelques visages le regardaient avec un air tout en
questions, à cause de son maquillage sans doute, mais de questions à
la fois silencieuses et pacifiées, et Tautu croisa même des regards
presque complices. Il flottait, et avec lui sa mémoire encore grouillante,
qui se saturait de bribes inédites, à une cadence inouïe, au point qu’il
se forçait à des pauses pour reprendre souffle. La mort, mais était-ce
bien cela?, lui apparut ainsi comme une chevauchée en des espaces à
déchiffrer, à défricher, sans trêve, mais sans entraves, au gré des tentâtions dont il balisait lui-même le cheminement, sans qu’à rien ni personne aucun compte ne dusse être rendu. La mort ce serait ainsi une
multiplication de vies, mais était-ce bien de vies ?, pour découvrir sans
cesse, pour apprendre sans relâche, pour humer sans répit, pour interroger sans fin. C’était donc cela, une existence infinie, aux pliures infinies. Elle rendit Tautu perplexe, intrigué mais confiant: près de la cascade, Mahi sûrement lisait dans ses pensées. Pour l’heure, tiens ! mais
il n’y a pas d’heure en ces lieux qui rayonnaient en tous sens, il résolut
de partir en reconnaissance, il se mouvait avec une légèreté qui lui était
inconnue, à peine intimidé par sa démarche, s’abandonna tout entier à
son intuition et s’apprêta à consigner sur le web multi-sites de ce qu’il
continuait à dénommer son cerveau, les grésillements de sa quête
Tautu, tout
au
curieuse.
89
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
D’abord, d’un lent regard circulaire, Tautu explora les lieux, qui
élastique, se dilatant et se rétractant avec aisance,
leurs limites étaient incertaines, peut-être même qu’elles n’existaient
semblaient de nature
lui parut un dôme éthéré,
qui de ses nuances semblait flotter nulle part et partout. Des effets spéciaux de cinéma semblaient partout à l’oeuvre. Il y avait bien ces esquisses légères d’arbres
familiers qui allaient et venaient, parfois avec lenteur, d’autres fois échevelées par la vitesse de leur déplacement. Il y avait bien ces senteurs
dont il reconnaissait les arômes comparables à ceux des fleurs sirupeuses dont il avait parsemé son jardin. Il sentit même la fraîcheur des larges feuilles de purau et se dit que les ‘apiu assemblés feraient une couche propice au repos quand il en sentirait le besoin. Des averses en
pas. D’ailleurs, il eut du mal à situer ce qui
cette canopée de lumière bleue permanente
bruines traversaient l’azur en sifflant et irisaient l’environnement des
éblouissement féerique. Des gallinacés en
plumes sous la pluie, les vini piaillaient de joie
et quelques canards partaient à la recherche d’une mare où barboter.
On entendait piaffer quelques chevaux, seules leurs crinières au vent
étaient visibles, comme des pinceaux de fouets qui traçaient des
esquisses fugitives. Peu de silhouettes humaines étaient apparues, sauf
de loin, et vaguement, comme des ombres chinoises, il allait falloir se
présenter à elles, le moment venu, sur un signal dont Tautu était assuré qu’il lui serait adressé par Mahi. Pour l’heure, mais était-ce bien
d’heure dont il s’agissait ? Il lui était agréable de n’inspirer nulle discordance sonore, de ne se heurter à aucune brisure, de palpiter au souffle
enivrant d'une sorte d’attente indéfinissable, mais comme apaisant,
délivré de tourment, qui semblait se prolonger, s’arrondir, l’envelopper,
lui chuchoter des mots qu’il ne comprenait pas encore, des mots, mais
était-ce bien des mots ?, qu'il n’avait jamais entendu, dont le sens était
devenu opaque aux humains, même Mahi n’aurait pu les entendre, et
couleurs chatoyantes d’un
vadrouille battaient des
dont les grappes se détachaient, demeuraient immobiles dans l’attente
de répliques que Tautu ne parvenait pas à formuler : cela lui rappelait
chargés d’énigmes silencieuses et interrogatives dont les
pétroglyphes des rivières de Tahaa attendent toujours en vain des
ces
90
dessins
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
signes venus des humains depuis longtemps déserteurs. Au loin, assis
en curieux équilibre sur un relief monumental, aux volumes changeants
et souples, il distingua deux personnages engagés en palabres. A un
déclic qui l’alerta, c’était sans doute Mahi, il reconnut le Grand Oro et
Tamatoa, en un acte renouvelé pour se rappeler à sa mémoire : de graves propos s’échangeaient, d'où il ressortait qu’il fallait lancer le mouvement ‘arioi, combiner à propos épicurisme et pouvoir pour asseoir la
suite des temps à eux soumise, les humains étant peu enclins à renoncer ni à leurs pulsions d’ivresse des plaisirs, ni à la génuflexion complaisanté à l’autorité dominante. Tautu en déduisit qu’en ces lieux aussi
d’étranges entreprises prenaient corps : il en concluait que la frontière
entre les mondes n’était peut-être pas aussi étanche qu’il l’avait imaginée. Il lui vint à l’esprit l’image de deux faces d’un même miroir, comme
celui qu’illustrait si bien le bassin de la cascade chez Mahi : sous la surface apparaissaient poissons, cailloux, sable et plantes, et chevrettes
sautillantes; sur la surface, se reflétaient visages, arbres, lumières,
même les brises prenaient corps pour ainsi dire en ridant avec grâce la
nappe d’eau couleur de mousse vieillie. Souvent Mahi restait figé devant
ce double effet, il lui démontrait un lieu de confusion de l’espace, du
temps, du vivant et de l’inanimé. Il s’imprégnait longuement de cette circonstance inépuisable, de cette matière à méditer sur les correspondances immatérielles qu’un moment d’attention pouvait privilégier. Quand
ensemble il leur arrivait de se mirer là, Tautu et Mahi s’en détachaient
intrigués, ils étaient convaincus qu’un tiers invisible, sorte de messager,
peut-être l’immémorial Mahi justement, dont Mahi l’ami lui avait narré la
glorieuse épopée, était intervenu dans ce processus fascinant.
Tautu crut reconnaître les lieux de son enfance,
juste en dessous,
protégées du même
lagon, distinctes en cela des autres îles montagneuses moins prévoyantes. Il revit en un flash-back d’une étonnante précision les jours enchantés de son enfance, en compagnie de Mahi, leurs jeux de mer, quand
ils nageaient au milieu des bancs de ‘ouma ou de puharehare si peu
craintifs lorsqu’ils sont ainsi assemblés en colonies baladeuses, qu’on
car
les deux îles de Raiatea et Tahaa s’étaient
91
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
avait
scrupule à les déranger, à les capturer encore plus. Sur son coin
plage à Hurepiti, à l’ombre d’un ‘ati dont les fruits ronds flottaient ici
et là dans la baie, avant de porter message au loin, il pouvait apercevoir papa P. se préparant à partir pour pêcher, sa vieille pirogue à la
peinture qui fut bleue déjà à l’eau, et son litron de vin rouge anonyme
au frais. Sans doute irait-il taquiner le mulet près du récif, ou le ‘apa’i au
crépuscule. Il en reviendrait plein de ces histoires dont il avait coutume
de ravir un auditoire ébahi venu à sa rencontre sur la plage au déclin du
jour. Car chaque sortie de pêche abondait en récits chaque fois nouveaux, et de surprises dont papa P. était le tout premier étonné : car la
mer n’était jamais la même, ses couleurs avaient changé d’hier, et les
poissons ne s’y retrouvant plus s’en allaient ondoyer ailleurs, laissant
le lagon à d’autres visiteurs venus des côtes voisines ou lointaines,
comme ça, en ballade, juste pour voir, et jouer à cache-cache avec cette
figure de légende qui auréolait la stature titubante de papa P., familier
oh combien de la mer, du vent, des coraux et des poissons, parfois un
peu cruel à ces derniers, lorsqu’il lui venait l’étrange idée soudaine
d’appâter certains d’entre eux et de les capturer, de les distraire de leurs
promenades, contradiction incompréhensible contre quoi le désarroi des
poissons témoignait parfois en faisant crépiter à la surface des bulles
répétées de dépit.
de
Lui
apparurent aussi distinctement leurs jeux de terre, de collines
vallées, quand ils partaient en mata’ita’ira’a, puis en hi’opo’ara’a,
puis en ‘imira’a, puis en tapapara’a, enfin en harura’a, phases d’approche et de capture des filles de Hapora, et même jusqu’à Raai loin au
nord. Il s’attendrit aux ahurissements de leur adolescence au spectacle
que leur offraient leurs aînés. Les scènes se rejouaient comme pour
son édification. Y compris celles qui les avaient quand même troublés,
sans plus d’ailleurs. Comme ces attrapements sexuels brutaux, parfois
même d’une rare violence, auxquels les jeunes gens se complaisaient
quand le soir venu l’instinct rôde et enjoint aux sens une charge impérieuse. Il se souvenait qu’au sortir de l’adolescence ils avaient ensemble
copulé avec la quasi-totalité des jeunes filles tapies à Ruutia, et plusieurs
et de
92
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
moins jeunes, y compris des parentes proches, ce dont nul ne se scandalisait vraiment, ces exploits étant en quelque sorte l’appât tentateur,
et l’attestation d’un savoir-faire avéré, de l'entrée dans le monde frissonnant des
‘aravihi, sinon des aito confirmés, enviés, et redoutés tout à la
fois. La
pénombre du jour, et l’ombre épaisse de la nuit offraient à leur
regard exercé les occasions d’accomplir ce qui au reste n’était que la
recherche de plaisirs fugaces, rien que pour le plaisir d’en jouir, d’en
parler, pour ensuite guetter l’occasion suivante, dans une précipitation
accordée à leurs jeunes pulsions avides. Des enfants pouvaient bien
naître de ces jeux: ce serait l’affaire des grand-mères, comblées de voir
éclore leurs prolongements de chair. Il jeta un coup d’oeil attendri à ces
jours passés. Il remarqua aussi qu’aujourd’hui, les conduites passées,
toujours latentes, étaient corsetées dans un étrange maillage de préjugés, de contraintes, d’interdictions, de minaudages qui pensait-il, enlevaient toute grâce naturelle aux accouplements, désormais sanglés
dans des raideurs incompréhensibles. Comme si les moeurs nouvelles,
venues de Tahiti, empruntaient avec lourdeur et componction le trajet
inverse de celui qui conduisit les ‘arioi vers leur extinction. Ces derniers
crurent déceler quelques similarités entre leurs croyances et les nouvelles
configurations : fatale méprise, qui aboutit à leur dilution, puis leur
inéluctable dissolution dans les sables alors mouvants des irruptions
inouïes. Il eut beau scruter les horizons avec soin, écarquiller ses yeux
avides de comprendre, il n’arrivait pas à reconstituer les causes de l’apparition de ces hédonistes-politiques, les causes de leur fulgurant succès, de l’incommensurable influence qu'ils imposèrent, même aux plus
grands, dont il perçut toutefois les mobiles d’accaparement de l’autorité,
aidés d’une bonne connaissance
sans
doute des conduites humaines,
puisque de vigoureuses séquelles perduraient encore sur terre, et à des
qui n’étaient pas tellement autres. Il ne trouva nulle trace convaincante non plus des causes de leur brutale disparition, compte tenu de
l’incontestable forme d’adéquation de leurs moeurs exacerbées aux
inclinations ataviques du commun des humains. Une chose était sûre,
fins
ces
‘arioi avaient laissé des traces durables dans l’inconscient collectif,
et le
langage même trouvait sans peine les mots pour les évoquer, dans
93
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
mélange incertain de nostalgie confuse, d’excitation des sens et de
regrets d’une quotidienneté périodiquement vouée aux plaisirs sans
freins. Foin de la mélancolie se dit Tautu, puisque les entreprises humainés ne sont pas pérennes à jamais. Il se persuada que de là où il se
trouvait désormais, il saurait bien, par un moyen que les dieux lui indiqueraient, réussir à insuffler un renouveau de l’obsession des racines
vraies : elles s’emploieraient en rampant avec détermination à reconquérir les espaces en perversion rongés, et allégeraient ainsi la tâche
des esprits encore déliés.
un
De Atupii il tressaillit à la vue de
bait Maeva d’où il avait été enlevé. Il
Matairea, dont la colline surploms’efforça d’apercevoir l’éminent et
toujours imbattu dieu Tane, sur son lit en cuvette de pierre taillée, enveloppé de nave fraîchement tressé, remonté de Manunu où il avait dû
être durant trois jours honoré, au milieu des incantations, des chants,
des hommages et des libations furieuses et licencieuses. Il nota avec
tristesse que les noms des huit chefferies avaient été changés, complot
manifeste d’assassins de la mémoire. Seul survivant de cet effacement,
Moua Tapu se dresse toujours, intouché, ses aito un peu squelettiques,
perturbés par le bruit des avions qui fréquentent un aérodrome proche.
pentes d’une colline à l’entrée de Maeva, des effigies de Roo,
de Raa et de Tane voisinent et s’observent, peut-être se lancent-ils des
défis en silence, ou gémissent-ils à l’effacement ultime qui les menace.
Vers Taareu, les fare sur pilotis, plancher de uru recouvert de bambou
rara’a, cloisons de tiges de ‘a’eho et toitures de fara ont disparu, et avec
elles tout une vie grouillante du lac des pièges pierreux à poissons. Des
cerfs-volants arrondis, immenses, s’élançaient dans le ciel, portés par
le vent d’est: tout un village s'adonnait à ces compétitions. Quelques
vieilles gens penchées sur les eaux de Fauna en ratissaient les fonds à
la recherche des tuai. Là-bas, sur la pente nord d’une vallée, face à un
ilôt récifal, il aperçut l’ami Henri Hiro, pensif : dans un raccourci pathétique, Tautu le vit successivement débrousser un coin de terre, y planter du tara qu’il recouvrit de feuilles de cocotier, inspecter ses plants de
paka, s’asseoir pour improviser remontée de ses manava écorchés une
Sur les
94
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
nostalgie à la guitare, tomber malade d’avoir trop succombé chaque soir
relents funestes d’un fafaru en terminale décomposition, traîner son
mal et finir foudroyé, puis enterré sur un tertre isolé, seul parmi les
broussailles et rejets encombrants, puis enfoui sous la gourmandise
végétale impitoyable ou peut-être secourable. On dit que le ruisseau voisin s’est depuis de douleur asséché. Tautu et Mahi récitaient parfois ses
longs poèmes hermétiques, traversés d’énigmes enfiévrées, portés par
une rythmique cadencée ou tenue comme des incantations de himene,
d’où fulgurait parfois le sens caché, dense et pathétique, comme une
flèche qui faisait mal, comme une écharde aux sens. Peut-être l’apercevrait-il un jour, ou plutôt un soir, pareu autour des reins, assis sur les
hautes marches de sa maison sur pilotis adossée à la colline, une guitare à la main, un joint à-demi consumé, et la lèvre où se lirait l’ironie,
l’indulgence et le non-dit échappé des interstices de ses poèmes tendres ou de feu. Tautu eut confirmation qu’avant de fermer les yeux il
demanda si son ami Moeava était venu : mais celui-ci ne voulut pas le
voir s’en aller ainsi, entouré d’interprètes ambigus.
aux
Il eut
une pensée pour le brave Auna que des missionnaires
visite à Huahine, nouveau nom de Atupii, souhaitaient qu’il
évangéliser les Marquises, mais en fut empêché par le mauvais temps, et c’est vers Hawaï que leurs navires mirent le cap: son
action fut décisive auprès des “souverains” successifs
Rihoriho,
Keokuolani, Kamehamalu de ce pays; il en revint avec sa femme après
deux années de service, d’abord brièvement à Huahine, puis à Maiao
où il mourut. Remarquable destin de ce fils d’un dignitaire de Raiatea,
et qui fut tour à tour élève missionnaire, ‘arioi, poro ‘evaneria, voyageur,
confident de la cour hawaïenne, puis diacre à Huahine, enfin pasteur à
Maiao. A Hawaï il eut recours en maintes occasions à la protection
royale afin de soustraire sa femme aux convoitises répétées de plusieurs chefs qui invoquaient les obligations rituelles découlant notamment des décès royaux (il y en eut deux en deux ans) : sans doute songea-t-il alors à ses errances d’arioi de naguère, et son journal, aujourd’hui disparu, ne livrera plus les états d’âme qui ont dû le hanter. Il fut
anglais
en
les aidât à
95
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
surpris de voir défiler d’autres compatriotes adoubés au sauvetage des
âmes des souverains de cet archipel cousin. Quel zèle et, pensa-t-il
quels mérites ! Il ne savait comment qualifier justement ces expéditions,
parmi d’autres, qui avaient fait de ces concitoyens, souvent parents, les
messagers des adorations nouvelles, comme le fut Tute, ou bien les
porteurs de flambée insurrectionnelle comme Teofai qui s’illustra parmi
les Mau à Samoa. Il faut croire qu’ils devaient avoir, au point le plus haut
de persuasion, le don de la communication, le verbe convaincant, le ton
sans réplique, la démonstration qui fait vaciller les certitudes. Quelques
pages du journal de Tute, transcrit parfois il est vrai avec hésitation,
porte témoignage de cette combinatoire, des mots employés en ce
temps-là, des formules imagées et sans doute inspirées de culture religieuse, n’empêche, Tautu se plaisait à imaginer l’auteur assembler les
éléments de son discours, les détacher à propos, saisir la faille, ou l’opportunité de ficher à sa guise le coin qui emporterait la conviction de
son auditeur royal, dont l’autorité au vrai était perturbée, et même affaiblie par les prémices en fermentation de sa décadence annoncée.
De Faanui il revit à la dérobée les moments de rencontre éblouie
de Oro et de Vairaumati, et vécut avec intensité ces instants si décisifs
destin du
peuple ma’ohi, l’arc-en-ciel en écharpe, désormais familier
fut pas peu étonné qu’on vînt lui susurrer qu’il portait un
nom cher à cette vallée de Porapora. Mahi le lui avait caché sciemment,
sans doute, pour que la surprise fût complète. Car les aventures de ce
Tautu qu’il découvrait le fortifièrent dans sa conviction croissante que
les dieux veillaient sur lui avec indulgence. Il revit ce fort et beau jeune
homme, peut-être lui-même, aimait-il à croire, partir en téméraire à la
main-mise sur les îles rivales de Raiatea. Ce ne fut pas sans mal, et la
curiosité de Puni fut sa chance d'être accueilli à Porapora, puis de prendre la tête des opérations de soumission successives des îles voisines.
Ses exploits répétés eurent pour effet de fédérer des autorités émiettées, le jeu des alliances “royales” apportant au fil des décennies le
concours de leurs subtils dosages à l’effacement de certaines lignées,
et à la nouvelle distribution des pouvoirs déjà fragilisés et de plus en
au
à Tautu. Il
96
ne
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
plus menacés par l’afflux des grandes pirogues sans balancier. Dans
panoramique il se mit à disserter sur l’espèce de magie qui
pour son gré émulsionnait les contacts, le hasard, les entreprises, la
bravoure, le sexe, le discours et les déités. Etrange rencontre ! se dit-il,
et sans doute étais-je là moi aussi, latent, ou incarné, ou même actif, en
tous cas présent il en était sûr, et gratifié.
cette vision
Il n’était pas peu
fier d'observer que les îles de son archipel avaient
engendré d’extraordinaires talents de manahune ordinaires. Et la liste
s’allongeait au fur et à mesure de ses visions : du ‘arioi et cartographe
Tupaia aux évangélistes Tute et Auna partis pour Vaihee, jusqu’à
Teraupo qui résista fièrement, Mai, même Mehao, pourtant originaire de
Maiao, se lima la cervelle au foisonnement d’intellectuels engagés de
l’archipel. Se peut-il que l’intrusion des nouveaux grands prêtres ait
favorisé ce surgissement inattendu de volontés, d’énergies populaires,
en quelque sorte libérées et des antiques certitudes et des conformismes sociaux ? La nouveauté donnait sans doute à l’opportunisme toujours à l’affût, un surcroît de virtualités à saisir. Le verrouillage des institutions, et des comportements était si serré que les initiatives personnelles avaient peu de chance de s’exprimer, et Tautu observait avec
envie les mesures de déchéance en vigueur à Hawa’i à l’encontre d’autorités jugées trop absolutistes, ou personnelles à l’excès. On rapportait
que pareil traitement fut réservé à un lointain grand ancêtre de Raiatea :
Tautu était bien placé pour savoir enfin que ce ne fut que le prétexte
avancé, et soutenu pour accélérer la déchéance plus radicale des pouvoirs installés. L’afflux, pour ne point dire le déferlement d’idées neuves,
de déférences inédites, et de référents inaccoutumés avaient pu avoir
des effets de mutation psychique chez les uns, de lente évolution chez
d’autres, de moutonnement sans doute chez la plupart : cela frappait
Tautu au point qu’il lui était aisé de comparer ces changements à ceux
que Mahi et lui-même avaient continûment observé autour d’eux. On y
faisait allusion à des cycles liés à des événements fortuits, ou assumés,
ou imposés, chaque fois perturbateurs des idées reçues, des agissements habituels, des schémas couramment adoptés. Et ces périodes
97
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
fébriles étaient la
cause
entamer l’érosion des
de quiproquos
perfides,
ou
travestis, destinés à
valeurs, à répandre le doute propice aux attein-
subissaient alors, dans le désordre des esprits, les fragiles
dans
à sa
manière, en soubresauts, en pauses réflexives, haussant les épaules à
l’occasion, ou d’un mouvement des sourcils réagissait avec une résignation amusée à ces phénomènes qu’il entrevoyait d’un coup d’oeil
pour la première fois, se transportant simultanément dans le passé que
son nom lui permettait de visionner, le présent qu’il vivait intensément,
et même le futur dont il repérait les signes avant-coureurs qui ne surprenaient ni son intuition, ni ses déductions.
tes que
cohérences rassurantes. Mais pour l’heure, rasséréné, baignant
un environnement apaisé, Tautu se contentait de philosopher
de tout voir, tout connaître, tout prévoir, et cette
quête insatiable avait annihilé en lui tout désir d’autre nourriture. Non
pas qu’il n’y pensât point, car il lui arrivait de songer avec délectation
aux repas préparés en famille chez Mahi, quand le apura était à point,
le nato gras, les chevrettes ‘oiha’a, et le pua’a encore jeune et rôti à
point. Cela qu’il avait savouré ne le taraudait pas: seul le souvenir lui
était aimable, au point de le combler, et cela suffisait à ravir ses papilles,
à rassasier ses entrailles et procurer le contentement. Il ne fut pas plus
surpris de voir sa femme copuler avec l’un de ses voisins, qui s’installa
dans la maison de la plage, et son fils ne se poser aucune question. Il
eût pu se comporter de même, se dit-il. Tout était donc normal, tranquille
et n’appelait aucun autre commentaire que celui que parfois il marmonnait : était-il devenu un simple esprit de chair, un titiraina ballotté dans
l’azur, doué de prescience, de facultés inouïes de voir, d’entendre, sans
qu’il pût jamais plus agir ni faire ? Autour de lui, mais à distance, ce n’était que lucioles, silhouettes, esquisses d’êtres évanescents, ou translucides, qui se mouvaient avec lenteur sur des planchers de bambou trèssé, souple comme ceux des fare pote’e à Hauino, si frais, si aérés, qui
musaient vers des destinations qu’il n’avait pas encore explorées, parfois des signaux lui parvenaient, tous ne lui étaient pas encore intelligiblés, des crinières flottaient, des fruits jaune et vert se baladaient, des
Il n’avait faim que
98
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
fleurs
projetaient leurs arômes, quelques grincements étaient audibles,
parfois des bruits de lourds battants de roseau ’a'eho qui s’ouvrent puis
se referment, et puis ces chants, cantilènes envoûtantes qui caressent
l’azur en égrenant des noms, des histoires et des contrées inconnues.
Fils d’un pasteur cultivé, écouté et éloquent, Tautu avait lu quelques
livres, et des chroniques éparses donnaient à ses lectures les couleurs
de leur
temps. Il se désolait,
de récits fussent
juste des témoignages
directs, ou bien la flamme subjective des réactions de l’instant; ils eussent induit la ruse nuancée, ou le mot ambivalent qui intrigue, selon une
tradition bien ancrée; ils eussent avec concision, ce fut la marque de
cette langue au temps de sa cohérence, relaté avec relief des événements, des comportements, des états d’âme, des relations changeantes,
des conflits de personnes, des généalogies sur lesquelles reposaient
les droits fonciers. La langue s’est depuis diluée dans l'amphigouri
adossé aux pilotis claudicants des avatars en cascades.
écrits
en
tahitien
:
comme son
père,
que peu
ils eussent donné le ton
Son
père lui avait narré la navrante chronologie des ralliements,
qui avaient succombé à ces étrandécisions allaient occuper de hautes fonctions, recevoir des pré-
des abandons, des trahisons. Ceux
ges
bendes confortables, et des honneurs dont la notoriété était entretenue
et répandue avec soin. Mais dans sa situation, Tautu pouvait en visionla
récapitulation, pour la part visible qu’il lui était permise, et cette
plongea dans la perplexité, parfois la rage, il en restait plus
souvent interdit. Quelle longue liste que celle de ces grands chefs,
grands prêtres, chefs et notables qui prirent tour à tour le parti de leur
peuple, celui de leurs dieux, puis celui des missionnaires, puis celui des
intérêts commerciaux, enfin ceux des nouveaux possesseurs. C’est
ainsi qu’il assista, comme s’il y était, aux conciliabules de Tati, dit le
grand, troquer sa stature contre une maison à l’anglaise, service à thé
compris; aux ruses rédactionnelles du même Tati, et Utami, et Hitoti et
Paraita, porte-parole de la reine dite, il en lut même le texte dans sa version tahitienne qui fut promptement “perdue”; il assista aux tonitruances
ner
faculté le
99
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
toujours empressé, apparu en tunique rouge devant les mamaia
assemblés; il entendit les consuls ourdir les moyens de circonvenir la
reine absente; il lut quelques textes qui autorisaient les représentants des
de Tati
possesseurs à ne point s’étouffer de trop de scrupules; il fut
témoin des résipiscences de grands chefs “rétablis” dans leurs droits,
nouveaux
salaires de gratitude à l’appui; il prit connaissance des appréciations dont
les encensaient les nouveaux maîtres; il passa en revue les colifichets
dont
ces
trails de
derniers avaient garni, comme
ces
ralliés,
ou ces
marqués au fer rouge, les poi-
collaborateurs, ou ces traîtres, ou ces débous-
solés, épaules et dos perclus de soumission. Son indulgence retint une
hypothèse moins cruelle : les chefs n’avaient pas vraiment accepté la prélignée Tutaha-Tu-Pomare, et s’ils s'y étaient, non sans
combat, résignés, c’est qu’ils se proposaient de prendre une revanche qui
pour leur malheur, ne rencontra pas la conjoncture opportune. Aux discrètes entrevues qu’il put apercevoir dans le voisinage inspiré des marae de
Tautira, de Punaauia, de Paea surtout, Tautu en conclut que les alliances
éminence de la
circonstancielles et volatiles des Vehiatua-Amo-Purea-Tetoofa-Pau ne
pouvaient survivre, tant leur fragilité était apparente, et divergents leurs
intérêts. Les ressentiments croisés qui en résultèrent furent durables :
Mahi et lui s’en entretenaient souvent, et leurs veillées du soir étaient lourdes de regrets et de rancoeurs encore vivaces, un “e ho’i” concluait avec
amertume leurs réflexions désabusées, enragées parfois. C'est pourquoi
Tautu s’employait à suspendre son émotion, à se dédoubler souvent, pour
tenter de mettre à vif les causes de comportements qui lui étaient incompréhensibles, insupportables à force de variations. Les soirs de lune pleine, il enrageait de ne pouvoir dénouer les noeuds de ces cordages de
mémoire qui enfermaient les vérités, car la lune de lumière nappée est
celle de la parole recréée, et pour Tautu comme l’envoûtement vécu les
yeux ouverts, puisque le temps de la mort et le sien sur le même espace
se
confondaient désormais.
Opoa, dont Mahi lui avait décrit les moindres recoins, il reconnut
grand, le tourmenté, le plusieurs fois détruit puis reconstruit
par strates successives marae Feoro, ou Vaiotaha, ou Taputapuatea,
De
d’emblée le
100
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
ainsi
qu’une réunion annuelle, selon les dires, eût enfin convenu de désihaut-lieu de rencontres d’océaniens venus d’ailleurs, de loin, des
pays atea. Il entendit la rumeur longue et tremblante des tambours qui
faisaient frissonner moana nui, et qui se sont tus, même la passe sacrée
n'est que rarement empruntée, comme s’il ne fallait point souiller ce passage devenu désert, morne et silencieux. Son lourd regard s’attarda sur
la plage de sable gris et blanc, caressée par la faible marée, fouettée par
le vent d’est persistant, sous la cocoteraie échevelée : lui et Mahi sont
souvent venus sur ce littoral de l’emblématique Fareatai, très tôt assombrie quand le soleil va darder ses rayons à l’ouest; alors Fareatai va
retrouver ainsi l’ombre qui abrita son fabuleux destin, berceau d’une
aventure dont l’écho résonne encore les soirs de veillée, jusqu’à Tahiti,
poisson prodigue échappé de Raiatea, écho dont l’inconscient collectif
ma’ohi est taraudé, par une lancinante fermentation de nostalgie, d’envie, de regret de ne pouvoir jamais plus porter le titre sourdement convoité de ‘arioi. Ici, au commencement des temps, Tamatoa Tautu et Mahi
échangèrent leurs noms, devenant l’autre chacun, et l’on imagine que
ces alter ego posèrent sur l’épaule de l’autre lui-même des “mains qui
disent les secrets de l’esprit”. Ils eurent grand besoin de cette connivence, avant que ne soit instituée la secte politico-religieuse des ‘arioi.
L’histoire dira la souterraine pérennité de cette émergence fortuite.
gner ce
Mahi l’en avait
prévenu
:
le très haut Taaroa semblait être
sur
le
chemin de
l’oubli, malgré les insurpassables hauts-faits auxquels sa
renommée est attachée, avérée, et sans lesquels l’univers n’eût pu sur-
gir de l’ennui du rien. Mais pourquoi donc de cette énergie initiale le
monde des humains s’était-il détourné, pour suivre d’autres chemins
balisés par les dieux inférieurs, ou parfois à peine dieux, ou demi-dieux,
ou simples habiles travestis dépourvus de la noblesse première de l’inventeur de l’univers ? Disposition particulière des hommes à n’idolâtrer
que le secondaire habile, l’ego hypertrophié se jouant des petitesses
d’autrui, l’attrait insatiable pour la nouveauté passagère pourvu qu’elle
fût surprenante et traiteur de ripailles ? Mahi et Tautu eux-mêmes
avaient plus d’une fois succombé aux appels de sirènes inconnues. Ils
101
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
l’insularité en était la cause, Tahaa leur était une prison,
plutôt une terre dont très tôt ils désirèrent s’éjecter pour d’autres horizons, fuir la promiscuité vénéneuse, le familier frustrant, la routine des
jours à peine compensée par les ruées du soir, les saturations au goût
acre, ce tourner en rond qui finissait par installer un ronronnement d’éjaculations mécaniques, ni nécessaires ni voluptueuses itérations.
en
inféraient que
ou
s’encouragea au spectacle des Mamaia, parmi lesquels il reconplusieurs hauts ‘arioi, ceux-là même qui avaient épousé les modernés incantations. Il salua avec respect Teao et Hue les initiateurs aux
Il
nut
prédestinés à ébouriffer le monde d’aurores, et surtout Taero,
augurant, lointain cousin de Mahi, qui reconquit l’âme de
Maupiti regimbée à l’unisson, entraînant avec lui Taua, pasteur en cette
île, mais renégat des ‘arioi de Huahine, et parent éloigné de Tautu. Les
danses avaient repris leur fonction d’introduction aux plaisirs d’ensemblés, les corps nus, les têtes fleuries de fleurs de ‘ati, et de tari’a pura
fleurs champignons qui phosphoraient dans la nuit. Et toute l'île se rendait en bruyante équipée vers le promontoire de Tereiavarua, cette partie du lagon où s’ébrouer en chantant et gagner à pied l’îlot sableux des
libertés près du récif. Trempés, fourbus, ivres de ce nectar de fruits de
tara qui irrigue le corps de ses fragrances liquoreuses, on pouvait alors
s’ébattre sans autre frein que la syncope des convulsions ultimes. Ces
hédonistes hérétiques selon les uns, enhardis selon les intéressés,
résolurent de défier ceux qui sans doute par envie, voulaient, disaientils les ramener au bercail des nouveaux dieux. Maupiti tout entière se
dressa et défit promptement les guerriers de Tamatoa, donc ceux de
Tautu d’alors, qu’importait à ce dernier puisqu’il s’agissait de se ressourcer aux fontaines vénérables, de prendre “une douzaine d’épouses
par jour” comme le relate avec horreur un missionnaire un peu plat, et
de se ruer au spectacle vérifiable des guérisons qui valaient bien celles
qu’on leur rapportait avoir eu lieu il y a 1820 ans..! On disputait sur la
disparition du ‘umete de pierre qui accueillait les philtres rituels, cependant que Tautu, dont le regard balayait la planète, le localisait au loin,
dans une capitale espagnole, et se lamentait d’être impuissant à le
noms
autre nom
102
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
rapatrier. Il résolut
sans effort de s’associer avec ardeur et volupté aux
rites renaissants, et leur coloration religieuse contemporaine n’enlevait
rien à leur pouvoir irrésistible. Il s’en fut enquêter partout, mais d’abord
et surtout dans
îles où le mouvement
prospéra tant : Raiatea, Tahaa
qui n’attendaient
qu’un signal pour vivre une aventure qui allait effriter les rites empesés
dont le carcan commençait à leur être imposé. Les populations s’y
jetaient à corps perdu, c’est le mot. EtTautu les observait avec compassion, lui qui savait d’emblée que les forces inconnues allaient pourtant
l’emporter bientôt sur ces violents sursauts. Il s’enthousiasma néanses
et Huahine sonnaient le rassemblement des foules
moins des désertions
en masse
des
nouveaux
lieux de cérémonie, sur-
tout à
Tahiti, et dans lesquels psalmodiaient des prêtres de noir vêtus,
transpirant, et dont la triste mine l’apitoyait, y compris celle, travestie, de
ses rares concitoyens en chaire dont la verve eût été mieux employée
à raviver les chairs plutôt qu’à en maudire les feux. Sa joie fut ambiguë,
et de courte durée : comme le signalent les spasmes ultimes des derniers instants. Et de fait il s’attrista de voir s’évanouir si rapidement, à
peine une génération, un mouvement qu’on crut de renouveau, mais qui
ne fut qu’une opportunité défaite, et probablement promise dès le
départ au sort fugace des engouements enflammés, singularité des
humains sur sa terre, en même temps que victime des agissements
convergents des nouveaux venus, des chefs soumis et complices, honteux de leur corps, et des pouvoirs placés là hors des usages, trop
récemment établis il est vrai pour puiser en leur sein le sursaut salvateur. De Papara parvinrent des harangues tonitruantes, et quelques
mousquets, et son orateur célèbre déjà sur ses terres que visita Cook
eut raison, si l’on peut dire, des inclinations des sympathisants Mamaia
à Tahiti, et non des moins augustes. Bien entendu, un tel mouvement ne
pouvait pas entièrement déserter la psyché collective. Et à Tahiti, Mahi
etTautu décidaient parfois de rejoindre en catimini quelques amis, dans
un vallon adjacent à Papenoo, et s’engouffraient dans la mêlée d’épisodiques rencontres où la mélopée des voix se faisait entendre, où les
vieux dires ressuscitaient pour exalter les esprits, où le pia hamani d’oranges et le komo puaka de sucs du cocotier délivraient la gloire enfouie
103
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
des
sens.
Ils
en
revenaient les yeux
pleins d’étoiles, la démarche soula-
un peu ivres, nostalgiques et essoufflés, la couronne flétrie d’avoir
été macérée de sueurs confondues. Des jours durant, les deux compè-
gée,
res
vont exhaler les senteurs décantées des lendemains
de fête païen-
ne, de fara et de pua, et il adviendrait qu’un peu ébaubis, ils se transporteraient loin, très loin dans leur passé congédié malgré eux, et une tor-
peur
de mal-être hanterait leurs nuits désormais aseptisées.
Il revit
venus,
en
reconstitution fidèle toute
une
cohorte de nouveaux
la plupart sans croyances affichées, mais dont les
intentions dis-
des veaux inconnus leur tenaient lieu de figures divines et dorées. On n’en était qu’au tout début, mais déjà celles-ci
étaient affichées comme des icônes que l’on promenait dans les rues,
ou clouées aux arbres, ou distribuées à l’encan. Elles étaient pleines de
ces promesses de bonheurs futurs au travers de ce qui se dénommait
élection, à laquelle tout un chacun était prié de participer avec enthousiasme, tant était alléchant le destin qui en découlerait. Ces balbutiements, et les gesticulations qui les accompagnaient, prenaient parfois
l’allure des anciennes tournées d’abondance des ‘arioi, la ronde en était
semblable, le rapt des esprits entamant le processus d’échanges
antique. Il vit se raréfier, puis disparaître les grandes pirogues et leurs
figures de proue. Celles des dieux, si exposées, de matériau si modeste, si épurés par la taille et la facture minimaliste furent transgressées,
incendiées, ou noyées, ou pillées, ou vendues, Tautu en apercevait en
tous les points de la terre, en musées, galeries, combles, réserves en
sous-sols, salons et marbres de cheminée. Les pierres rassemblées et
assemblées avec vénération, science et patience étaient détachées de
leur agencement sacré et vouées à la construction de routes qui rongeaient les terres fertiles et accueillantes au voyageur en visite. Les terres conquises par la guerre et acquises aux cultures étaient remises en
cause, les cartographies s’animaient, les toponymies devenaient faireparts de mémoire, les tii témoins des laborieuses délimitations étaient
déplacés, pour tromper l’oeil, et les repères encore plus. D’autres
moyens d’accaparement étaient en vogue, et emplissaient conseils,
simulaient
104
avec
peine
que
Rencontres
haute
polynésiennes, rencontres inouïes
et
prétoires, moyens d’enrichissement sans cause, dont se
saisissaient aussi bien des proches de la famille de Tautu, ses propres
cour
frères, redessinant les cartes coutumières, surtout à Raiatea qu’il scrutait de plus près, et les îles voisines, dont on travestissait les noms de
lieux pour mieux effacer leur existence de la mémoire collective. De vastes domaines étaient arrachés à leurs multiples usagers et apportés en
dons de bienvenue à des
étranges dont Tautu récapitulait sans
peine la longue liste de lignées qui ne sont pas éteintes : il en avait
connu à Hurepiti, autour des mape des sages bleus endeuillés dont les
terres se rétractaient sous les assauts du lucre, des nouvelles séductions,
des miroirs
aux
noms
alouettes et du relâchement des autorités anciennes,
souvent
complices des us et rites nouveaux, abdiquant leurs délégaou acquises, face à des édits qui les en dépouillaient,
autre forme inédite d’échange sous l’empire de contreparties inhabituelles. Les rides du front crispées, le sourcil bloqué en circonflexe, la veine
battant la tempe, la gorge serrée, et l’estomac noué, il pouvait se lamenter en effet. Il n’avait pas lu Montaigne qui en ses Essais avait développé avec un calme cynisme une théorie de la prostitution de conscience.
Les grands prêtres eussent pu tout aussi bien puiser à d’autres
époques, sous d’autres lieux, et se réclamer de St Thomas, et du devoir
de miséricorde qui légitimait le rôle tutélaire qu’ils exerçaient dans le
sillage des détenteurs du pouvoir. Des pincées de séquelles de ces rapports ambigus, Tautu et Mahi en avaient vécu la survivance à Tahaa, et
plus encore à Raiatea, certains grands prêtres anciens étant devenus,
par l’effet aimanté d’une giration subite, les suppôts des nouveaux
venus, les chantres enflammés des odes civilisées, les contempteurs
de leur héritage. Tautu se rendait compte qu'il vivait une troisième vie,
ou plutôt trois vies simultanées, celle de la terre qu’il avait quittée, celle
du long voyage en arc de couleurs, celle de l’installation et de la familiarisation en ces lieux étranges certes, mais pas tout à fait étrangers,
Mahi et le couple pierreux ayant sûrement ménagé les introductions, et
facilité son adaptation. Et cette aptitude à embrasser quand il le voulait,
n’importe quel sujet, à n’importe quelle époque, lui était une chance
tions naturelles
immense. Mais de cette situation extraordinaire, il voulait surtout en
105
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
qui jamais ne lui avait été accessible et qui désormais
portée, dès lors qu’il évoluait dans tous les espaces, dans tous
les temps, dans toutes les psychés. Ses facultés sensorielles s’étaient
aiguisées et comme façonnées pour ces vastes coups de projecteurs,
comme aussi aux plus minutieuses explorations, rien n’échappait plus à
ses recherches, aux chevauchées de ses pensées, il veillait à prêter l’oreille afin d’entendre même le plus secret murmure, le plus imperceptiessorer
était à
tout
ce
sa
ble frémissement des âmes, de l’air, de l’eau,
tation même du sommeil
de la nuit. D’ailleurs la ten-
l’habitait
plus, à peine si une halte brève,
qu’on reprend, lui procurait une indéfinissable quiétude, comme un repos passager. Alors il se remettait en quête de réponses, d’écrits, de dires, de flammures, de vols d’oiseaux, de chuchotements de ramures, de vols planés de poissons, de bruissements de plumes superbes et fondatrices, de sourires narquois des dieux, de colères des vents, des rages marines ou de leurs aciers aveuglants, des cris
de guerre et des incantations portées par des fumées d’oracle, et aussi
les jeux, les vastes bacchanales, les halètements des hommes, des
femmes et des jeunes gens en sueur qu’il avait connus, et qu’il lui était
donné de voir s’accoupler en désordre mais sans vaines paroles, il se
surprenait à sourire, à s’apitoyer, à vouloir les prévenir, les aider, les
secourir, cela qu’il regrettait amèrement d’être impuissant à mettre en
oeuvre, comme si un paua de feuillage invisible faisait écran à ses velcomme un
léités. En
ne
souffle
ces
occasions il était assailli de doutes, il ressentait comme
imperfection, et bien que toute peur lui fût devenue étrangère, il
regard Mahi, et l’ayant trouvé le persuadait en silence de
ne point lui lâcher la main, alors le couple pierreux venait se balancer
sous ses yeux, tranquille, rassurant. Une fois il se reconnut, méditant
jadis en ses derniers jours de son règne déclinant, cherchant à résoudre le délicat problème de sa succession à Raiatea, à Tahaa, Porapora
un temps, Huahine en partie, soupesant les choix des alliances à
contracter, l’étendue des terres ainsi apportées par les femmes, inaugurant la lignée des Tamatoa qui étendit son influence bien au-delà des
lagons de Havaiki. Tautu en conçut quelque fierté. Il doutait avec anxiété de la pérennité de ce maillage compliqué, rendu quasi-incontrôlable
une
cherchait du
106
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
raison des distances à
parcourir à la voile, et des interférences extéheures, religieuses et militaires. Il indexa ses espoirs à la forte personen
nalité des femmes ainsi rassemblées par les articulations qu’il avait
mises en place. Ses calculs accordèrent en effet un sursis : les tentations de disposer de nouveaux pouvoirs distincts des héritages, appâtés de
pensions et de prébendes, et quelques abandons de chair,
au bout du compte, que d’affadissements, que de petitesses en face des pitoyables mirages, habiles
compliments, demeures, honneurs, pensions, nominations, promotions,
maigres salaires, toilettes et colifichets d’or de cuivre ! Et quand le dernier du nom fut dit-on déchu, mais quelques feuillets de sa plume évoquent plusieurs circonstances où il fut plutôt circonvenu, avec lui se désagrégeraient sans retour les pages haletantes et terminales d’une histoire qui n’a pas encore décanté ses péripéties qui furent sans précédent. De tout cela, il frémissait de gêne, bouillait parfois de colère, pestait d’un impétueux désir de mettre le feu à tous ces documents honteux, et de ne pouvoir masquer la réalité qui se déployait sans fard
devant ses yeux embués. Mais il lui prenait plus souvent, car. Tautu
n’était que l’alter ego convenu de l’illustre autre, il y a maintenaht bien
longtemps, de hausser les épaules, d’agiter la tête, de lever les jcras
bien sûr, et dans un reniflement saccadé, de transférer d’un déclic son
eurent raison de cette brève accalmie. Car
ressentiment à la bouée dérivante du destin.
Une sorte de
béatitude, de prélassement, de résignation berceuse,
de lente accoutumance,
pouvait bien alors laisser les ans s’écouler
entraves, et se lover avec paresse dans les perfidies insondables.
Les grands tambours firent place au doldrum généralisé. Tautu ne pouvait plus ignorer que les changements de mentalités allaient être fatals
aux rites, les vidant de leur substance. Il n’était pas sûr d’ailleurs que
survivraient leur authentique émotion, et leur gestuelle esthétiquement
accomplie. Il pouvait regretter que lors de son envol, il ne lui fut pas
sans
donné d’assister
ments
aux
cérémonies de Manunu. Déserté des engage-
personnels, et désorienté par le brouillard de l’histoire qui se
cours du temps de terre, meurtrie, lacérée, ne pouvait lui
dérobe, le
107
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
le spectacle décevant des gesticulations insipides et des correspondances absentes. Enfin Teraupo vint, et avec lui toute une
héroïque cohorte, que certains ne purent rejoindre, comme Teofai, qui
partit guerroyer à Upolu où la mémoire de ses hauts faits est vénérée
dans un village samoa perdu. Teraupo vint, non pas tant celui qu’au
barème établi des sursauts est classé et c’est justice, au tout premier
rang des fiertés retrouvées. Mais ce Teraupo qui sommeillait en chaque
ma’ohi aux yeux décillés, celui peu à peu démultiplié qui à sa suite et
en série
inorganisée se désembusqua des cocoteraies, se découvrit
d’îles en vallées, émergea comme ces hameçons de nacre scintillante
que les tupa remontent de leur trou les lendemains de pluie, dans Tornbre ourdit, en silence trama, en période de crise fomenta, conjectura
continûment, en permanence guetta le moment propice, en période de
transition saisit l’occasion, sut jouer des circonstances, se jouer des
séductions, déjouer les sorts contraires, harangua, protesta, négocia,
s’indigna à la face du monde incrédule, s’allia au diable, à l’argent, se
compromit ou composa, lécha le miel des vanités, grimaça aux vilenies,
s’alanguit au confort, au conformisme, dans un balancement incessant
entre aporie et engouement. Teraupo vint, et en vint à incarner pour toujours, plus souvent à l’insu de disciples inconscients, la revendication
permanente, de plus en plus complexe, de moins en moins feutrée, de
plus en plus enlisée dans les méandres aux contours imprécis où les
conduites humaines se hasardent, louvoient, se mesurent, se défient et,
comme les joueurs aux dés, s’essaient aux gués improvisés, à l’articulation imprévisible des affluents aux désirs entremêlés et du delta des
accomplissement improbables. Ce faisant, par ce défilé d’images, de
bruits et de perspectives, Tautu s’édifiait une quatrième vie, en assemblant des éléments d’emblée ajustés, fort loin du puzzle qui les avait, lui
et Mahi si souvent accablés par l’impuissance à comprendre. Une quatrième vie, dé-celée de cette vaste fresque révélée en direct, au laser
de son regard omnipotent, en flash-backs aveuglants, en travellings qui
n’épargnent rien ni personne. De cette fresque, il ne trouvait pas
d’exemple terrestre, hormis dans le vague souvenir qu’il avait encore
des épopées que lui avait conté son père lisant la bible à haute voix à
offrir que
108
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
la faible lueur vacillante et enfumée d’un mori ‘avae, cette lampe à pétrole
son enfance. Une quatrième vie, peut-être intermédiaire vers l’ultime
de
inconnu, mais il serait temps d’y songer, puisque le temps ne semblait
plus lui être compté. Il se consacra pour l’heure à débrouiller l’écheveau
des conjugaisons vibrionnantes dont il était le témoin altier, surpris, et
stupéfait encore plus. Avait-il encore quelque idée sinon du bonheur, du
moins de minutes heureuses, puisées dans la mémoire, ou vécues dans
l’irréel présent, ou procuré par ses neuves aptitudes? Curieux que ce
voyage intérieur semblait recouvert d’un voile imperméable, des forces
occultes en avaient peut-être ainsi décidé. L’usage de la parole, peut-être
l’en avait-on privé, à peine s’il pouvait balbutier à soi-même quelques
brins de phrases qui semblaient s’échapper malgré lui, comme des bribes d’un passé en vestiges. Au reste, à qui parler, dans cet univers sans
borne ni frontière, décoré d’ébauches fuyantes, ou d’oeuvres achevées
dans la seule épure de leur substance, où les oiseaux sont dépourvus
de leurs plumages sacrés aux humains de terre, où se balancent les
dieux pierreux en un ballet surréel et si étonnamment aérien, où les couleurs
se
chevauchent
en
allées et
venues comme
des oriflammes flottant
vent, où les feuilles sont tour à tour si foncées puis si blanches d’être
glacées, où les fruits obéissent à un cycle si lent et si rapide à la fois
qu’on les croirait en révolution permanente, où tout semble luire de sa
propre lumière ou se résorber dans une alternance cadencée, où résonnent des musiques inouïes aux phrasés de chute gutturale venus de
Rapa écorchés ? Alors il pouvait avec nostalgie revivre les parlers animés, parfois vifs, parfois lents, dont Mahi et lui-même meublaient leurs
rencontres. Les filles, bien sûr, et le jadis de leurs ardeurs adolescentes;
mais aussi leurs femmes, ou plutôt mères de leurs enfants, sujet intarissable de l’après taure’a, quand paraît le seuil de la maturité qui va happer pour longtemps, et brider votre liberté; l’attrait des secrètes expéditions en vallons de Papenoo, exutoires aux derniers feux des sens violents qui vont s’assagir; les parties de pêche le soir au rama de folioles
de cocotier séchées; aussi hélas ! le quotidien nouveau, sans cesse surprenant, et qui allait les prendre de vitesse, mais des deux seul Tautu
pouvait le savoir, les basculer dans un autre quotidien assailli de bruits,
au
109
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
d’usages et de conséquences bouleversantes. Déjà Mahi, désormais un
peu seul, semblait égaré, n’était le recours à la grotte lointaine, seul vrai
réconfort à
son
tourment. Tautu
se
fit
un
devoir de lui adresser par
signes d’amitié surtout le soir, près des pierres encore
chaudes du ahima’a, quand Mahi en retirait le ‘auhopu ‘eu, la bonite à l’étouffée qui serait le principal du dîner.
moments des
Aujourd’hui, mais était-ce bien aujourd’hui, ou avant-hier, ou
demain, la question était oiseuse, son attention intriguée se portait
ailleurs, sur cette terre d’où il avait été te anuanua-porté. Car des
partis politiques voyaient peu à peu le jour, sous
grands maîtres habiles aux recrutements. Tautu et Mahi
ne s’étaient pas impliqués dans ces turbulences périodiques. Ils n’en
saisissaient pas les méandres, tant était malléable la dialectique qui
leur était soumise. On ne savait pas qui du peuple ou de ceux qui prétendaient l’incarner désormais sortirait vainqueur de ces joutes qui
commençaient à prospérer. Les diatribes fusaient, et leur écho attestait
leur futilité .Des conciliabules tenaient lieu de palabres conduites, en
des enceintes sans âme, par des récitants au parler flou, vulgaire et
sans réelle inspiration : leurs hosties semblaient n’avoir comprimé que
des slogans interchangeables et désincarnés. Avec peine tiré d’un
engourdissement toujours latent, et entretenu à-propos, le peuple, celui
d’en bas comme il se dit désormais, servait à la fois de caution, d’alibi
et de porte-étendard, héraut démultiplié en innombrable faire-valoir, le
temps fugace mais convoité d’une apparition surgie d’un théâtre d’ombres miniature pour emprisonner de plein gré, en la glissant dans une
rainure, une part de son futur capturé et captif. Sollicités, Tautu et Mahi
empruntaient en ces occasions des chemins divergents. Ils estimaient
leur cap aux couleurs, à leur densité, à leurs nuances, c’était leur façon
d’accorder leur démarche à leur sensibilité. Tautu penchait pour le rose,
assez vif, mais selon lui pas assez prononcé pour lui rappeler les pourprès violents, les écharpes d’incandescence de certains crépuscules
qui enveloppent de violet sombre les sages mape bleus de son île.
Quant à lui, Mahi inclinait au bleu, tous les bleus, qu’il avait apprivoisé
confréries dénommées
la houlette de
110
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
à la
pêche quotidienne durant sa jeunesse, le long de l’ilôt Tautu, justeprestige de son patronyme semblait le lui avoir imposé à son
insu depuis longtemps, peut-être toujours, et peut-être même bien
avant que tout ne surgisse d’un ébouriffement de plumes dont l’occurrence lui était comme viscéralement induite, plumes rouges et blanches
se métamorphosant dans le grand ennui céruléen qu'allait parcourir
sans relâche le peigneur de comètes du poète. Les vertus de ces deux
couleurs, le rose franc et les bleus, avec leurs nuances, n’étaient pas si
étrangères dans le spectre lumineux, et les proclamations des confréries qui tentaient de les convertir en symboles distinctifs différaient surtout par la personnalité de leurs porte-paroles, le ton de leurs discours,
et l’aisance plus ou moins avérée de leurs moyens financiers.
ment. Le
Dans
Atupii qu’il surplombait, Tautu s’attarda sur une famille aimaun peu recroquevillée sur ses certitudes traversées
d’inquiétudes, prompté aux discours enflammés, bravant le parler des
autres en imposant le sien, déracinant des tubercules de pensées
enfouies trop longtemps, requérant le concours des flambées de rnétaphores sonores et des gerbes d’images de couleur, de ce rose buvard
profond qui absorbe les premières lueurs de l’aube qui se pose sur
Moua Tapu, quand la terre se met à vibrer au diapason des aiguilles des
‘aito accrochés à son sommet. Déjà au début du siècle, un membre de
cette famille Pouvanaa avait été, sur la proposition des autres chefs,
placé à la tête de l’île, après avoir été chef du district de Maeva, ce village où murmurent les pierres, et disent le grand secret, du récif aux collines, et d’un bout à l’autre du lac. Cet aïeul finit en prison, quand les
nouveaux pouvoirs entreprirent de parachever la dissolution des
anciennes organisations. Par tempérament, sentiment, et vagues
espérances, désormais conjuguées à sa propre légende, Tautu avait
trouvé là de quoi se rassurer, s’adosser, s’épanouir, et il était prêt à y
engager la fougue de ses vingt ans d’alors, de ses trente ans plus tard,
de ses quarante ans d’après s’il avait pu le faire. Il avait aimé ce mode
de transmission des convictions d’un visage blanchi par l’âge, au regard
bleu insolite, à la voix de marteau assourdi sur l’enclume, à l’espèce de
ble, nombreuse et
111
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
ce metua héritier qui serait, il l’avait toujours su,
effeuillait maintenant les preuves, victime de l’incrédulité, des
prescience qui habitait
il
en
regards biaisés, des oreilles plombées, de la suffisance médiocre et des
rets que lui tendraient les conformismes àplatventristes. Tautu le vit sur
une pirogue, entre Huahine et Porapora, la nuit, ciseler en silence sous
la pluie battante, les arguments pour convaincre. Il l’entendit arbitrer
avec patience entre des disciples peu sûrs, et des partisans trop zélés.
Il y avait du Confucius dans cet homme-là, jusque dans l’humour candide dont il émaillait ses discours, et plus encore ses réponses en formules détachées, concises, imagées, énigmatiques parfois, ou en apparence banales, aux questions qui lui étaient posées. Ses prononcés
avaient souvent un caractère déroutant, et son enjouement était bien
propre à laisser accroire à chacun l’à-propos ou la justesse de sa propre opinion. Il avait voulu transmettre une forme de sensibilité viscérale
à la refondation de la pensée tirée de l’inviolabilité des entrailles de la
terre, principe initial, primordial, permanent, organisateur et sacré. Il
était persuadé du rôle éminent que lui destinait sa naissance, dans une
île familière depuis longtemps à son clan dans le voisinage des dieux
tutélaires qui jalonnaient les rives et peuplaient les collines d’un lac de
jouvence aux rites fondamentaux. Il voyait dans la dissolution de ceuxci la preuve de la désorganisation sociale, nonobstant l’enseignement
des préceptes chrétiens. Il semblait persuadé que son rôle pédagogique
ne lui survivrait pas intact, et qu’aux exaltants commencements de bravoure qu’il incarnait succéderaient des actes de bravades vulgaires
accordés aux égarements des moeurs. Il n’avait pas de disposition à
gouverner. Et encore moins d’aptitude à déjouer les complots qui sont
la trame des subtiles et viles compétitions qui sont la loi de cette jungle.
Non, son magistère était de présence, une sorte d’immutabilité qu’on
prit pour de l’entêtement. Son émergence avait été improbable, et plus
,
résonance, tant les cartes semblaient distribuées dans l’alanguissement consensuel. Il posait un regard mi-attendri, mi-dépité, sur la
conjonction de l’élan qu’il avait donné, et des partis déjà perceptibles qui
s’offriraient aux appétits des malins. Néanmoins, Il confiait sa certitude
que des vagues de fond avaient été mises en branle, leur reflux ne
encore sa
112
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
d’opportunité. Dans la pénombre lugubre de son bureau
décrépit d’un “palais de la reine “ dérisoire où rôdaient les fantômes de
fantoches en portraits satisfaits et dévoués aux fripons, sa voix avait des
accents incantatoires et sévères, “no te aha” pourquoi ? demandait-il
parfois avec rancoeur à ces ombres disqualifiées. Sa lucidité, faite de
réserve, de discernement, de mise en garde et de subversion, donnait
alors à ses convictions le souffle lent, presque un râle, des causes en
divagation, car il en savait le sort déjà jeté. Son temps lui était propre,
et l’étrangeté même de la perception qu’il en avait le forçait à une sorte
d’exil de ce monde qu’il avait cru pouvoir modeler à son imaginaire. Les
tâtonnements d’une communauté en quête de cohérence, et l’expérimentation décisive qu’un parent lointain inspira par l’exemple, avaient
fait luire l’audacieuse espérance que la pièce pouvait être rejouée sur
les nouveaux tréteaux, et au-delà, en des théâtres atteints par contagion. Mais les protagonistes avaient muté en une dualité à ce point déséquilibrée que l’irrépressible projet de posséder aurait raison des paralysantes vacillations. Irréfragable déception du temps imperturbable. “No te
aha” reviendrait alors le hanter et sans cesse renouveler son interrogation dans l’épreuve. Tautu le vit hissé à bord d’un cargo en partance,
dans un filet humiliant. Puis en prison, puis en résidence surveillée, puis
revenir toujours l’ironie aux lèvres, puis s’éteindre en paix avec la
conviction que le tubercule qu’il avait déterré marquerait pour toujours
l’humble mais valeureux destin dont il avait profondément compris que
la survie ne devenait désormais concevable qu’en répudiant les lâches
renoncements, en regimbant continûment. Sur un point capital, l’illusion
n’avait jamais bercé sa douloureuse méditation : la route en serait Iongue, chaotique et semée de tous les faux-semblants que hérissent les
ego, l’indifférence toujours empreinte d'un hédonisme qui se soumet
pour s’assouvir, et l’accélération des variations des enjeux entrecroisés.
Les allégories bibliques, il les sollicitait avec un rare bonheur, et ses
citations soigneusement triées avaient l’autorité des paroles scandées
comme des évidences. Mais il n’était qu’une voix dans la nuit inéluctable. Il lui sembla possible d’exorciser les ambiguïtés. Il apparut étrangement tel un héros légendaire d’un opéra tragique où croisèrent ses
serait que
113
Littérama’ohi N°6
Alexandre, Moeava Ata
dieux d’ombres
résignés et dont il déclamait, infatigable et pathétique,
grand air haletant d’une longue soirée d’adieux. Désormais affranchi
des combats, délivré des zélés et des avides; hors d’atteinte des faux
disciples et des marchands de hontes, Pouvanaa rejoint pour toujours
le tendre et incorruptible poème d’une terre blessée qui se dérobait
sous ses pas. On l’imagine sans peine alors revivre, incrédule, la bourrasque des tranchées qu’il endura jadis en des combats lointains : il les
évoquait avec l’esprit tranquille, et en revenait toujours avec la même
lancinante question, “no te aha” ?. Cette voix résonne encore de faibles
échos contradictoires : près de la passe de Tiputa, à Rangiroa, Tautu
pouvait percevoir les lamentations du fidèle T., resté fidèle malgré tout;
ou en quelques présences faussement respectueuses et malséantes,
près de son buste de blanc d’oeuf inexpressif, pollué à Tarahoi des
vapeurs d’automobiles. Mais à Atupii, près du quai, mama P. évoquait
pour ceux qu’elle savait attentifs, des souvenirs pleins de nostalgie
traversée de courroux, qu’elle prolongeait en mélopées stridentes au
crépuscule de sa terre de Tetaha. Tautu observait avec tristesse la Iongue période d'oubli qui s’était ouverte, depuis que le vote insensé d’un
dévot dévoyé avait retranché de la terre cette part de sa chair depuis
lors gangrenée, et l’avait à jamais meurtrie. Mais il savait déjà que dans
un futur inexorable, des syllabes intemporelles reprendraient souffle et
accompagneraient de leurs rythmes syncopés des adolescents éveillés
et curieux, quand s’ouvrirait le cycle des reprises, comme d’une pièce
de théâtre interrompue, imperceptible encore aux pharisiens du jour.
Sans doute, ces syllabes prendraient la forme silencieuse, elliptique,
énigmatique des nouvelles conventions spontanées de la communication qui signeraient leur identité. Le vieil homme et la terre seraient
vénérés sur de très petits écrans de couleurs d’espérance et de rage,
qui lanceraient leurs dards furieux en messages sibyllins aux corruple
teurs des consciences.
Mahi
quant à lui, n’avait pas encore trouvé à quoi arrimer sa préféle bleu. Désolante infortune, lui fit savoir Tautu, qui pouvait
distinguer nettement deux rayures bleues faire leur apparition dans les
rence
114
pour
Rencontres
airs et
polynésiennes, rencontres inouïes
des vallées de feu de Tahiti. Mais cela
passerait bien
plus tard, quand Mahi aurait comme lui quitté la terre, il n’aurait pas
hélas ! la chance, peut-être le bonheur, d’accorder ses convictions prèssantés aux couleurs qu’il eût affectionné. Pour son ami Mahi, dont l’intuition était comme suspendue, Tautu se promit d’entre ouvrir plus tard
quelques auvents sur les confuses contorsions qui feraient tanguer la
psyché de ses petits enfants. Ce serait le pathétique déroulement d’un
palimpseste dont le décryptage n’obséderait que les assiégés du camp
retranché des livres. Le ma’ohi, tiens ! mais à quand donc remonte
cette dénomination ? ne les lirait que lorsqu’il se serait désempêtré des
circonvolutions de sa mue troublante, étrangement passive, soumise
au coeur
se
vrombissements des uns, aux bourdonnements des autres, aux tintinnabulements des mobiles suspendus, potlachs en décomposition mis
aux
scène comme des hochets rituels par les marchands de conscience
à l’affût des hédonismes latents. Quand le vertige verbeux de la survie
en
le céderait à la reconnaissance
: alors ses poito arata’i en baliseraient
le clair chemin, ainsi apparu parce que construit enfin. A la rencontre
d’une longue histoire et d’un tourment mal assumé. Mais son tracé n’é-
mergerait
Un
que
dans
après-midi
un
que
futur tapi dans le halètement du temps.
Mahi avait gravi le sommet de sa petite casca-
de, pour cueillir le fafa ‘apura arrivé à maturité, il distingua au loin, au
très loin, un arc tout bleu très pâle en ciel. Il sut alors que Tautu lui signalait
mélancolie que
la lumière bleue n’était encore qu’un mirage
peine à la surface du désert bleu déjà gris de moana nui,
peut-être même une chimère en icône bleuie de léthargie, chiffonnée
aux lignes bleutées qui dépeignaient l’horizon. A la nuit tombée, Mahi
fut dirigé par Tautu jusqu’au ti’i aux deux visages qui, plus tard veillerait
de tous ses charmes antiques mais bien vivants, au seuil de la maison
de Tuo, sur les terres où frayaient en désordre des rayures bleues. La
lune était bleu d’argent, filtrait par les feuilles du manguier bleu noir, et
sur le ti’i rouge frissonnant déposait de très légers tremblements de
avec
frémissant à
lumière bleue.
Tuo te
ama
(ocf 2003)
115
Littérama’ohi N°6
Fleur Grandadam
Rencontre
avec un
auteur australien
L’IMAGINAIRE “ABORIGENE” DE PATRICK WHITE
PREAMBULE
Pourquoi l’Australie, les Aborigènes plutôt que les Polynésiens ? et
après tout, ne sont-ils pas dans l’âme, des peuples similaires qui jadis
(et encore aujourd’hui pour les groupes plus traditionnels) tissaient des
liens infrangibles et sacrés avec l’environnement ?
Née à Tahiti d’une mère demie-tahitienne et
d’un père français, je
suis toujours considérée comme une « demie » (bien que quarteronne), à la fois française et tahitienne, ni l’une ni l’autre, une sorte de
« créature hybride », selon l’expression de Patrick White, serait le plus
approprié. Lorsque je côtoyais des Australiens et qu’ils me demandaient
quelle était ma nationalité, ils étaient surpris de ma réponse :
« French... half-French, half-Tahitian ». Puisque j’étais originaire de
Tahiti, avais grandi là-bas, ils trouvaient normal de dire que j’étais
« Tahitian ». Pourquoi pas ? Anglais, Irlandais, Grecs, Asiatiques et
Aborigènes occidentalisés se définissent tous comme étant communément « Australian », contrairement aux Polynésiens qui se disent
Français, Chinois, Tahitiens ou demis. Là une frontière ethnique se creuse
lorsque la question identitaire est abordée. Pourquoi ces sentiments
d’étrangeté à l’égard de la mère patrie - conséquence probable d’une
identité « schizoïde » (mi autochtone mi « made in France ») - et de
familiarité avec les pays voisins comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie
et Hawaii ? La proximité géographique, bien entendu, nous permet de
tisser des liens plus intimes avec nos voisins que les voisins de nos voisins... c’est ce qui m’a motivée à quitter mon île dans l’intention de
connaître l’Autre, l’Aborigène Australien, I’ « Autre-demi » ou « half-
me
cast
116
»...
J’ai effectué des recherches dans le cadre de mon doctorat d’an-
glais en Australie, pendant trois ans, à Sydney, Darwin et Alice Springs
principalement, l’esprit encore aujourd’hui imprégné de la magie de certains lieux « vénérés » par les autochtones, et dont l’équilibre écologique est rudement protégé par des programmes comme le
« Landcare » (groupe de protection des terres bénéficiant d’un appui
gouvernemental à tous les échelons) qui donne la priorité aux espèces
végétales indigènes, contribuant ainsi à préserver la diversité biologique locale. Mon sujet de recherche a porté sur les « Mythes, rites et
symboles dans la littérature de Patrick White : essai de lecture anthropologique », sous la direction du Professeur S. Dunis (Université de la
Polynésie française) et de Madame Françoise Grauby (codirectrice,
Université de Sydney). Ce travail de trois années en Australie a enfin
abouti à une soutenance de thèse présentée pour obtenir le grade de
Docteur en Etudes Anglaises de l’Université de la Polynésie française,
spécialité Littératures et Civilisations du Pacifique Anglophone : le 12
Juin 2003, par visioconférence dans le studio de Tahiti Nui Telecom à
Papeete, le 13 Juin dans le studio de l’Université de Sydney. Mon parcours universitaire m’a mené à occuper un poste temporaire d’A.T.E.R.
(2002-2004) à l’Université de la Polynésie Française.
Ma grand-mère maternelle tahitienne a versé une petite larme opalescente le jour de la soutenance. Tout en arborant le visage fier des
Ma’ohi, elle me murmura, pendant le cocktail, « n’oublie pas que tu es
uneTumahai », à ce moment-même je percevais dans ses yeux la flamme qui jadis scintillait avec ardeur lorsqu’elle revenait de sa pêche nocturne et qu’elle m’annonçait avec joie : « regarde tous les poissons que
j’ai attrapés, il y a des tarao et un beau rouget pour toi »... Mais cette
flamme ne va-t-elle pas s’éteindre bientôt ? Subitement les yeux perlés
de larmes sur ces écrits, je ne peux m’empêcher de dédier cet article à
ma grand-mère, Juliette Tumahai-Terorotua, ainsi qu’à tous ceux qui
comprendront ce que j’appelle « scission intérieure ». Patrick White,
écrivain australien, éprouvait également un sentiment d’étrangeté quant
à son identité propre. Eternel voyageur sans point d’attache, il nous
confesse dans son roman autobiographique, Flaws in the glass, qu’il se
117
Littérama’ohi N°6
Fleur Grandadam
sentait dédoublé
étranger à lui-même partout où il se trouvait. Cette
puise ses origines dans son identité culturelle double, à la fois
anglo-saxonne et australienne. Pour combler cet abîme intérieur, P.
White se comparait à un indigène écartelé entre ses traditions « mystico-religieuses » (le Dreaming) et le monde moderne.
ou
aliénation
L’article que
je présente se polarise sur un point de la thèse : l’idéologie aborigène sous-jacente à l’écriture « blanche » de Patrick White. Il
est précédé d’un dialogue imaginaire que j’ai conçu, ci-dessous, afin de
mieux éclairer deux pensées, deux conceptions du monde liées d’une
part, au monde aborigène et de l’autre, à celui des Occidentaux.
«
DIALOGUE IMAGINAIRE ENTRE L’HOMME BLANC
ET L’HOMME NOIR
—-
H. B
»
Mais que reste-t-il alors à la fin de ce voyage ?
H. N : Des traces, des os, un passage, une écriture,
:
de l’ocre
rouge à la surface de la terre, des taches d’encre sur une feuille blanche... Un passage, une trajectoire...
H. B : Et que relate cette trajectoire ? Un sens ?
H. N : L’homme tend vers, mais atteint-il un jour, les îles bienheureuses ?... Elles ont été englouties par l’Occident qui a érigé à sa surface le temple, le gratte-ciel et l’usine...
—
—
—
—
—
—-
H. B
:
Comment les retrouver ?
H. N
:
Dans le
H. B
:
Mais
toire a-t-elle
H. N
désert, dans
vous
un sens
terre qui mène vers nulle part...
répondu à cette question, la trajec-
une
n’avez pas
?
Et l’oiseau chante et vole et marque
des trajectoires...Y achant et au vol de l’oiseau ?... Le boomerang,
une fois lancé, revient sur son lieu d’émission... Y a-t-il une signification
pour que le soleil illumine la terre de ses premiers rayons du jour ?
H. B : Pour le poète, le physicien, l’astronome, ou l’historien,
oui... je crois.
—
t-il
une
—
118
:
signification
au
Rencontres
—
décris,
H. N.
ce
:
Eh bien pour
polynésiennes, rencontres inouïes
moi, ils n’ont pas le même sens que tu
sont juste des songes, tels les nuages qui voyagent dans le
ciel... Mais sais-tu que
c’est la force invisible du vent qui pousse les
Tiens, regarde là-haut, les feux stellaires et leur lumière flamboyante... ce sont les hommes du Rêve qui campent dans le ciel...
H. B : Ah ! Superstitions !
nuages...
—
FLEUR GRANDADAM
Marqué par sa participation à la dernière guerre au Moyen-Orient
Grèce, marqué par la résistance culturelle et géographique de
l’Australie à la colonisation européenne, Patrick White (1912-1990, Prix
Nobel de littérature en 1973) saisit le prétexte d’une exploration avortée
de la plus grande île du monde et l’érige en symbole d’introspection
identitaire impliquant l’homme, le pays (ville, Bush, désert : Outback) et
le rapport à la femme. Vbss (1957) est l’histoire de l’impossible vécu
homme-femme confiné dans le fantasme, l’ère du Rêve aborigène, l’osmose spirituelle, mais capable de transcender les clivages sociaux.
Dans cette oeuvre épique, White montre que l’identité doit passer par la
terre, que l’avenir des Australiens doit résider dans la fusion du
Dreamtime et de l’histoire judéo-chrétienne. Il faut parcourir des étendues désertes de sable sur une terre inconnue (Leichhardt l’explorateur) ou sillonner des mers dangereuses (Voss le navigateur) pour
découvrir son moi intérieur et se réconcilier avec ses origines. Les termes abordés par l’éminent écrivain sont des termes modernes qui ancrent le roman australien dans une ère post-coloniale, une ère davantage multiculturelle, mettant ainsi fin au grand mythe nationaliste d’une
et
«
en
Australie blanche
».
Né à Londres, le 28 mai 1912, Patrick White est
envoyé en
Angleterre par sa mère dès l’âge de 13 ans. Il vit ce changement
comme une véritable déchirure psychologique, et le collège qu’il fréquente est comparé à une prison où il doit ‘purger ses quatre ans de
peine’. Entre 1929 et 1931, le jeune artiste travaille en tant que jackeroo
119
Littérama’ohi N°6
Fleur Grandadam
(cow-boy australien s’occupant du stock, le bétail) et mène pendant une
période la vie d’un pionnier. De retour en Angleterre, en 1932, il
poursuit ses études à King’s College, Cambridge où il apprend le frangais et l’allemand. Il passe la majeure partie de ses vacances en
Allemagne et subit la fascination de sa littérature romantique. En 1941,
White s’engage en tant qu’officier de renseignements dans la Royal Air
Force et passe quatre ans au Moyen Orient (Erythréee, Egypte,
Palestine) et en Grèce. C’est dans le désert égyptien qu’il conçoit l’idée
du grand mégalomane germanique incarné par Voss, héros éponyme.
De retour en Australie, en 1946, il s’installe à Castle Hill, près de
Sydney, où il achète une petite ferme, ‘Dogwoods’. Il demeure là pendant 18 ans, en compagnie de son partenaire Manoly Lascaris, officier
de l’armée grecque qu’il avait rencontré à Alexandrie, en 1941. C’est
dans son lit, en proie à de terribles crises d’asthme, qu’il écrit Vbss.
Rejetant l’idée d’un roman proprement historique, Patrick White
retrace dans Vbss l’itinéraire d’un explorateur dont le cheminement géographique n’est que le catalyseur d’un voyage initiatique qui le transforme
à tout jamais. Son périple hasardeux à travers le grand désert australien s’accompagne d’un parcours spirituel périlleux dans le Dreamtime
aborigène, d’un passage de la vanité à l’humilité, d’un monde profane,
gouverné par les apparences, à un monde sacralisé, celui des
Aborigènes. L’œuvre romanesque transcende le temps historique et
linéaire de l’épopée leichhardtienne pour se transformer en un véritable
mythe littéraire, celui d’un Don Quichotte qui poursuit inlassablement sa
course à l’échec, qui triomphe dans sa propre perte, personnage dont
les illusions sans limite motivent son voyage vers les confins de la terre,
esclave du désir insatiable et des contingences d’un monde qu’il ne
peut transcender.
La figure tragico-comique du héros littéraire reflète toute une idéologie à la fois sociale et culturelle de l’Australie : l’esprit démocratique et burlesque apparaît en filigrane dans la portée métaphysique de Vbss. Le
musicien Topp, le poète rimbaldien Le Mesurier, l’étranger allemand, le fermier Sanderson, l’ancien bagnard Judd et le guide aborigène Jackie sont
autant d’émanations du même esprit démocratique et multiculturel de
courte
120
Rencontres
l’Australie. La
médiocrité
polynésiennes, rencontres inouïes
des années 1950,
témoignant d’une volonté
traduit dans \/oss comme le pas qui mène à la sublimation :
« / am confident that the
mediocrity of which he speaks is not a final and
irrevocable state ; rather is it a creative source of endless variety and subtlety. » (Vbss, p. 447) R. F. Brissenden, au contraire, soutient que le message qui sous-tend l’œuvre poétique de White se rapporte à la transcendance, à la négation ou au rejet de la médiocrité propre à la société australienne. Pour le critique, Voss incarne le modèle du surhomme nietzschéen, capable de se surpasser et de se démarquer de la masse :
His arrogance and Laura’s humility are clearly intended to demonstrate a greatness of spirit which is lacking in a society where the premium is on the safe, decent, respectable virtues; a greatness of spirit
without which any culture is doomed. »
White est jugé par de nombreux critiques comme un écrivain sévère,
à l’humour caustique, mais aussi épique. Son style accompagné d’une
prose riche reflète un langage qui combine le ‘raffiné’ (propre à la société
victorienne du XIXe siècle) et le ‘grotesque’ (propre aux classes ouvrières) menaçant sans cesse de briser les tabous de la société. Ses romans
dont la texture est fortement poétique au sens où les rapports associatifs (réseaux métaphoriques et relations intriquées entre différents personnages) sont prédominants - requièrent du lecteur un souci du détail
dans l’analyse de chaque ‘mouvement’ attaché à un personnage en particulier afin de le replacer dans une structure d’ensemble extrêmement
complexe. Des procédés récurrents, dans Voss, tels que le paradoxe, le
zeugma, sont extrêmement révélateurs d’un certain rapport au monde et
à l’identité : ils suggèrent une écriture de l’étrange communication entre
hommes et choses, ou encore entre l’humain et le divin, l’être et l’illusion.
égalitariste,
«
»
se
-
.
Malgré la rhétorique « tarabiscotée » de White, son style littéraire
quelque peu alambiqué (propre aux penseurs comme Nietzsche) et les
portraits de personnalités excentriques qu’il esquisse dans ses romans,
le contenu philosophique reste le même, celui de l’homme en quête d’une
relation non pas transcendantale avec l’univers (à l’instar de ÏÜbermensch), mais de symbiose avec les hommes et les éléments (dont la
121
Littérama’ohi N°6
Fleur Grandadam
vie des
Aborigènes constitue un modèle exemplaire). C’est par l’entremise du paysage australien, qui peu à peu fait naître un sentiment d’humilité chez le protagoniste, et grâce à l’amour fraternel et platonique,
que
Voss parvient à
In the novel
se
libérer de
ses
rêves icariens
whole Voss is revealed
:
the
prisoner of his own
only partial release through his heroic encounter
with the Australian landscape and through his reluctant and grudging
initiation into the seifless world of love through Laura Trevelyan.
as a
as
selfhood who finds
Ainsi, les
formes ordinaires se transforment continuellement en
». L’ordinaire, le médiocre, est source de richesse
dans Voss. Les images de la mouche à viande sur son tas de détritus
«
contours lumineux
(Voss,
p. 447), du crachat qui pour Stan Parker représente Dieu dans
The Tree of Man (p. 495), de la divinité d’un tas de boîtes de conserve
(The Vivisector, p. 515), évoquent l’idée du beau puisé dans l’horreur ou
la métaphore oxymorique du ver extrait de la rose, « There was a small
pale grub curled in the heart of the rose », et de la rose comme « efflorescence sur
de la mort
».
Dieu
ne
saurait
en
effet exister
sans
l’incar-
nation, sans l’esprit se faisant chair dans l’avènement du Christ. Il est
également présent dans les choses les plus ordinaires qui agrémentent
la vie. En dépit de la portée largement métaphysique du roman, celui-ci
commence et se termine par des scènes ordinaires. La chute du transCendant dans
l’immanent, du Dieu déchu de Voss assis sur un trône
God » qui n’est que l’incarnation de « dog » dans les pièces de Patrick White, traduit un désir de la part de l’auteur de poser le
divin sur le même plan que la matière. White insiste sur les détails de la
vie ordinaire et sur les objets simples comme la table, le beurre, le lait,
le pain, le couteau, comme base d’une philosophie égalitariste. L’ironie
branlant, de
«
de Voss réside ainsi dans le culte
narcissique
que se voue
le protagonis-
te, incapable de déceler une lueur divine dans le monde des formes sim-
pies, si
ce n’est à travers son propre nom qui brille comme un cristal.
D’une manière poétique, White ancre l’Australie dans un mythe à
la
fois identitaire, historique et littéraire, celui de l’Européen, de l’étranger,
de l’explorateur qui cède peu à peu à ses ambitions scientifiques et
122
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
personnelles pour trouver que son voyage est motivé par des forces
inconscientes, des forces autochtones. Il devient le roi déchu de son
trône qui capitule devant ses « sujets noirs » pour être initié à leurs
rituels sacrés. Si le Dieu blanc est
décapité, le Rainbow Snake (l’emblècertaines ethnies aborigènes), lui, continue son
voyage dans le ciel et la terre au dénouement de Vbss. White place ainsi
l’Européen du côté du comique, du profane, du héros tragico-comique
aux ambitions démesurées que seule son humilité peut sauver, et
l’Aborigène, du côté de la sagesse et de la spiritualité incarnée, celui qui
peut apprendre à l’homme d’aujourd’hui et de demain que l’esprit, la
magie et la beauté siègent dans la matière, dans les choses, des plus
sublimes aux plus banales, et que le progrès non maîtrisé peut engendrer des guerres dans l’unique but d’acquérir plus de pouvoir, que
l'homme n’est pas le centre du monde... La pensée, la philosophie aborigène ne rejoint-elle pas, au niveau de l’idée, la pensée même du poète
qui célèbre les liens puissants et harmonieux avec la nature ?
me
de la déité pour
L’écrivain
romans, au
ne cesse d’évoquer la notion du ‘Sacré’ dans tous ses
sein des relations ‘magiques’ et ‘mystiques’ que nouent les
la terre australe. P. White semble en effet dévoiler un
implicite à travers ses écrits : celui d’une terre qui ne peut être
asservie, transformée en vue d’intérêts lucratifs car les forces autochtonés sont plus puissantes et affirment les liens infrangibles avec les
Ancêtres du Rêve, le Dreamtime aborigène. Plus qu’une œuvre poétique qui reflète une idéologie et un héritage culturels occidentaux, Vbss
est avant tout une œuvre unique, dans sa volonté de répudier le style
personnages avec
message
réaliste de la tradition littéraire australienne. Roman
aux
couleurs
exo-
tiques, emprunt du sceau de l’idéalisme transcendantal allemand et
paradoxalement très réaliste dans la représentation qui se refuse à
toute idéalisation du réel dans ses aspects les plus vils et sordides, il
est difficile d’insérer la littérature whitienne dans un cadre préétabli, proprement occidental. Son style exotique, hautement symbolique brise le
joug traditionnel qui rattache la littérature australienne à un héritage
purement européen.
123
Littérama’ohi N°6
Fleur Grandadam
Lorsque White commence à écrire les premières pages de son
épique en 1955, dans sa chambre d’hôpital (Royal North Shore
Hospital, Castle Hill), en proie à de violentes crises d’asthme, ces
années sont marquées par une psychose nationale, la question aborigène, une culture sur le chemin de l'oubli. Un mouvement littéraire, désigné par le nom de Jindyworobak, se fait jour dans les années 30, les
hommes blancs se penchant peu à peu sur la littérature orale des
Aborigènes, les mythes et les légendes autochtones qu’ils s’empressent de collecter afin de faire « revivre » une culture en déperdition :
roman
Sky-father, Baiame,
got me from chaos.
I, Kunapipi,
rose
from the
sea.
Under His hand
totems walked the land.
My children fed
on
gum yarran trees
Their dances, songs,
lilied
billabongs,
I gave, with law,
from Altjeringa.
I, the
woman
of the many breasts,
at last received
races
of iron.
Their totemic
signs
:
Pound and Dollar.
And I to suffer
their
chaffer, defiled,
with shrivelled
without child.
124
dugs,
bled.
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
White
partage avec les poètes du mouvement littéraire
Jindyworobak les mêmes aspects idéologiques, à savoir la relation spirituelle entre l’homme et la terre, le caractère sacré et insondable de
l’environnement ainsi que de ses autochtones, l’hermétisme ou le mystère conféré à des mots
langue aborigène, l’hymne consaDreamtime, clef de voûte de la cathédrale spirituelle des indigènés. Les écrivains et poètes du mouvement Jindyworobak, également
victimes d’un mélange de frustration et de mélancolie provoquées par
l’inadéquation des idées européennes et du paysage australien, ressentirent la nécessité de retourner vers des origines « primitives » dans
le but de mieux pouvoir « interpréter » la terre. « L’étrange mélancolie »
que Marcus Clark avait ressentie dans le bush, dans ce paysage nouveau et singulier, résistant à toutes descriptions esthétiques, avait procuré un sentiment d'impuissance et de nostalgie chez l’explorateur,
«
égaré » sur ces terres inhospitalières. La même aliénation ou sentiment d’étrangeté se reflète au travers des mots autochtones employés
par les poètes dont l’âme est métissée. Rex Ingamells, fondateur du
mouvement, avait choisi le terme Jindyworobak (annexer, joindre) pour
nommer cette nouvelle société de poètes australiens, fondée en 1938,
à Adélaïde. Ce mouvement nationaliste s’est également créé dans le
but de mieux pouvoir résister aux influences internationales et d’offrir
sur la scène australienne un nouveau genre poétique, dont les canons
diffèrent des critères européens. L’introduction de mots aborigènes dans
les textes poétiques confère ainsi à la nouvelle poésie du mouvement
un caractère exotique et mystérieux.
cré
exotiques
en
au
Les
adeptes » du Jindyworobak se concentrent sur l’essence,
l’esprit, et les valeurs pastorales et écologiques du pays. L’âge d’or du
mythe agrarien australien se situe pour eux à une époque pré-coloniale,
ancré dans le paysage du Rêve aborigène. Le concept Alcheringa,
Alchera, ou Dreamtime, est la clef qui permet aux Australiens d’appréhender la terre archaïque. Les membres de ce mouvement artistique quelque
peu idéaliste pensaient qu’en s’identifiant aux Aborigènes et en remplaçant l’esprit chrétien par une puissance « païenne », ils parviendraient
«
125
Littérama’ohi N°6
Fleur Grandadam
l’esprit de l'Australie. Jugée peu crédible en
confus, l’école littéraire se dissout
progressivement vers la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, l’importance des influences internationales poussant l’Australie à sortir de son
isolationnisme à la fois politique et intellectuel.
alors à saisir l’essence
raison de
ses
ou
critères quelque peu
Si le mouvement disparaît, ses idées demeurent néanmoins dans
de nombreux chefs-d’œuvre littéraires, comme ceux de Judith Wright et
plus particulièrement. La philosophie du
Jindyworobak dont les mots clefs sont l’esprit de la terre, le Rêve ou
Alcheringa, le destin, les forces invisibles, l’étrange, l’idéal agrarien,
imprègnent également les romans de Joan Lindsay, Picnic at Hanging
Rock (1967), et ceux de Vance Marshall, Walkabout. La force phénoménale et quasi surnaturelle donnée à la terre rouge et aux pierres, confère
au paysage une âme sacrée qui inspire le sentiment d’une terreur religieuse, le numineux. Dans son roman intitulé Kangaroo (1923), D. H.
Lawrence, qui sut exprimer avec profondeur l’esprit du bush, fut également l’une des forces majeures qui incita le mouvement Jindyworobak
à se créer. Patrick White fut également fasciné par les descriptions du
bush aux alentours de Sydney dans ce merveilleux roman, grâce
auquel a certainement germé dans l’esprit de l’auteur, l’essence spiride Patrick White, dans Voss
tuelle du continent australien.
La
poétique whitienne choque, dérange les esprits de paroisse,
société, son style est truculent puis soudainement
excessivement raffiné, réaliste, puis hermétique, hiératique, pour retomber l’instant d’après dans le profane et les valeurs iconoclastes, tragique
et absurde, épique dans sa volonté d’exagérer les prouesses des héros
et ironique dans la volonté même de les ridiculiser. Dans Voss, le narrateur omniscient est un clown sarcastique qui dissimule une profonde
tristesse, un mal-être, car le monde, il le sait, ne peut être appréhendé
d’une manière manichéenne : l’univers whitien est un soleil qui tremble
de froid, les vérités sont des illusions auxquelles le monde se rattache
pour se persuader, croire que la vie a un sens, mais ce sens, White
semble le poser non pas de manière explicite au sein du cheminement
brise les tabous de la
126
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
initiatique des personnages, si ce n’est de manière implicite, dans des
images oniriques ou les expériences hallucinatoires des protagonistes.
C'est effectivement dans le rêve, dans la folie ou la déraison que les
personnages accueillent une épiphanie, qui changent leur vie à tout
jamais. Le rêve leur offre le pouvoir translucide des chamans, métamorphose leur perception de la vie. C’est bien au-delà de la pensée logique
qui aboutit bien souvent en aporie, au sein des phénomènes oniriques
qui guident la vie des Aborigènes et qui, dans Vbss, ont une valeur prophétique, - que se mettent à l’œuvre les dynamismes du Dreamtime
-
.
Dès
sa
publication
Australie, mais connut
en
un
1957, Vbss fut sévèrement critiqué en
succès indéniable
aux
Etats-Unis et
en
Grande
Bretagne. Les contemporains australiens de White n’étaient
accoutumés à un style hautement symbolique, à une
poétique reflétant l’esprit alambiqué d’un érudit, et n’hésitèrent pas à
qualifier l’œuvre de l’écrivain de véritable ‘bouillie verbale à la fois prétentieuse et absurde’ (A. D. Hope). White doit en effet la complexité de
son art à l’enseignement littéraire qu’il a eu à Cambridge, mais son
génie propre, il ne le doit qu’à lui-même ainsi qu’à son héritage pastoral qui l’a rapproché du monde aborigène...
effectivement pas
Dans plusieurs de ses discours, White fait l’éloge de la vie pastorale
et de celle des autochtones dont l’économie reste stationnaire et ne
bouleverse pas l’équilibre écologique. Il s’oppose avec frénésie à l’extension urbaine, au « béton », et par conséquent, à la propagation et au
cumul du capitalisme, cause des inégalités. Les valeurs marxistes de
Patrick White
prônant l’égalité des classes, l’aide aux plus démunis,
rejoignent ainsi la philosophie pragmatique des Aborigènes : l’égalité
entre les hommes, la non-compétitivité, car à chaque individu est assigné une tâche particulière en relation à son totem. Il n’y a pas de totem
meilleur qu’un autre, car chaque espèce totémique correspond à une
localité, à un maillon de la grande chaîne du Dreaming. Mais si ce
maillon venait à manquer, il pourrait alors provoquer un déséquilibre, un
désordre dans le rythme cyclique de l’univers.
127
Littérama’ohi N°6
Fleur Grandadam
White embrasse la
des
Aborigènes et milite pour la préserprotection de l’environnement. La relation entre l’homme et
la terre implique une symbiose, un échange fondé sur des rites de fertilité, et non pas la destruction, l’épuisement des ressources naturelles.
Il s’insurge contre les essais nucléaires dans le Pacifique, qui, selon lui,
mutilent la terre-mère et sont la cause de désastres naturels tels que les
tremblements de terre. Cette interdépendance entre l’homme et les éléments naturels est frappante dans la psyché de l’écrivain et des
Australiens en général : «Sol am angry. If the earth is angry, the human
beings who inhabit it have cause to be angry too. » Alors que dans les
récits du Dreaming, le grand serpent arc-en-ciel, tant redouté par les
Aborigènes, menace d’engloutir la terre dans les eaux torrentielles ou
de la dessécher complètement, dans l’imaginaire du poète blanc, il est
remplacé par le champignon géant atomique. White pose la relativité
entre les cultures mais n’y a-t-il pas allusion à une pensée millénariste,
à la fin de Vbss, lorsque la comète, phénomène surnaturel pour les
Aborigènes (manifestation du serpent arc-en-ciel) vient « décapiter »
l’homme blanc, qui aussitôt se transforme en un dieu déchu, une
marionnette manipulée par des forces primitives et invisibles ?
cause
vation et la
Fleur Grandadam
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Patrick White, London, published for the British Council and the
League by Longmans, Green, 1966, p. 34.
R. F. Brissenden,
National Book
LE POETE A. D. HOPE
va jusqu’à adresser des critiques cinglantes à White au sujet
rhétorique : « When so few Australian novelists can write prose at all, it is a great
pity to see Mr. White, who shows on every page some touch of the born writer, deliberately choose as his medium this pretentious and illiterate verbal sludge. » (A. D. Hope,
« The
Bunyip Stages a Comeback [The Tree of Man] », in P. Wolfe (ed.), Critical Essays
on Patrick White, Boston, Massachusetts, G. K. Hall, 1990, p. 49.
de
sa
J.
COLMER, Patrick White, London, New York, Methuen, 1984, p. 41.
P.
WHITE, Voss, Vintage, London, Sydney, [1957], 1994, p.447.
P. WHITE, The
Aunt’s Story, Penguin Books, Harmondsworth, Middlesex, [1948], 1982,
P-22.
A. GIDE, Les
p.
nourritures terrestres suivi de Les nourritures, Paris, éd. Gallimard, 1990,
147.
P. WHITE, Voss,
R.
ROBINSON,
op.cit.,
«
p.
41
I, Kunapipi
& A. W. Reed, 1970, p.
: «
»,
his
own name a
crystal in his mouth.
».
in Altjeringa and other Aboriginal poems, Sydney, A. H.
62.
C. FLYNN ET P. BRENNAN
(eds.), Patrick White Speaks, Sydney, Primavera Press,
1989, p. 194.
129
Littérama’ohi N°6
Yola Annick Maire Garbutt
KOKE
XXI0
:
DES OMBRES1 AU TABLEAU
siècle, Paris, Salon d’Automne 2003. Un siècle après sa mort,
la Ville Lumière célèbre
l’aventure océanienne
du
peintre Eugène,
8 mai 1903 à Atuona Marquises). Expo-scoop2 : l’ascendance tahitienne et ancestrale liée
aux tupapa’u (trad, l’esprit des Morts).
«
Henri, Paul Gauguin (7 juin 1848 à Paris
Camille C.
douze
»
-
visite l’expo en compagnie de son grandpère. « Les Tahitiens se mangeaient entre eux »,
« autrefois » lâchet-il, pour « calmer » la joie de sa petite-fille, subjuguée par les couleurs3
,
ans,
...
trait noté
1893 par
le poète symboliste Stéphane MALLARME, surpris par « autant de mystère dans tant d’éclat »-. La collégienne se rapproche de sa camarade (6°, Collège privé, 12°) Mia G., onze ans, née
à Paris, tahitienne par sa mère.
-
M.G.
C.C.
en
(prévenue de la force des « clichés »4)
(indignée) : - « Tu devrais le savoir ! »
:
-
«
Ah bon I?!
»
Au
placard « l’idole des philosophes »5. Le Supplément au Voyage
Bougainville est « tributaire des idées anglaises » et traduit de trop
près « sa réelle bonté héritée de son père » ; fi du puissant levier philosophique au service d’une non moins puissante destination qui fleure
bon l’Eden. Ici gît le siècle des Lumières océaniennes. Place à l’authentique. Suivons la trace du fumet anthropophage...
de
Mana’o
tupapau (1892) (litté, esprit ou pensée - ombres) une huile
genèse serait liée à une « frayeur ancestrale et sauvage » ; un tableau baptisé (!) « l’Olympia de Tahiti » par le critique Thadée
NATANSON2, lors de sa présentation à Paris, en 1893. Expo. Fiasco6. Le
sur
toile dont la
brandissement des couleurs
GAUGUIN Vahiné
ses
130
«
fait hurler la foule
»
et autorise Mette
(litté, l’épouse légitime de Koké, née GAD, mère de
cinq enfants, la vahiné ha’aipoipo)7 à se défaire de son tane : « Mon
mari, barbouilleur et
est doué pour tout sauf pour la
coureur
des
mana
litté, (le/la) rendre investi(e) d’un pouvoir
mers,
peinture »3’
Quant à Teha’a
-
particulier (réservé aux artisans) qui (le/la) faisait craindre (ainsi que
œuvres) par le reste de la population - elle est « selon la coutume ou la majorité tahitienne » la vahiné fa’aea (trad, union libre), elle
est rebaptisée Te’ura - litté, le/la rouge, couleur royale... Koké est
dans le sillage de Charles GIRAUD, «le tahitien »6 - peintre officiel du
Protectorat qui juge que Tahiti « n’est pas propice à la peinture, le
soleil colore mal les objets, tout est noir le matin » -.
ses
L’imitant, il exploite son sujet d’études : sa case et sa vahiné. Fait
pleure son roi, Pômare \/, mort deux jours avant l’arrigénie. C’est la période noa (litté, opposé(e) à sacré(e), les
interdits sont levés)83. Le motif sculpté - dont l’envoûtement est soupçonné par John WEBBER (Deuxième voyage de Cook)8b dans sa gravure de « tupapow » - fait partie de son panthéon privé, domine le lit,
bloque la composition à gauche et impressionne.
nouveau :
Tahiti
vée du futur
Plus fort que «
le
morceau
de nu
rupture des liens spirituels
», une
Terre, Ciel et Océan93 transmis par les Ancêtres (trad, tupuna). Des
Ombres qui ne cessent de fasciner et qui auraient revu le jour dans le
design contemporain, influences urbaines98 de ce XXI siècle.
Yola Annick Maire Garbutt
Certifiée Lettres Modernes à la retraite Paris
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
•
1. Dictionnaire
Encyclopédique universel.- Précis
-
Ed. 1998 (p.906) OMBRE. Déf. 3
et 4 art et espace.
•
2. Revue d’Art
«
L’œil
»
Hors série, «
n°9 de Claire FRECHES et
Gauguin à Tahiti
(p. 27 )2'.
»
-
Ed. 2003 (p.8) Rép. Interview
131
Littérama’ohi N°6
Yola Annick Maire Garbutt
•
3. Dossier 16
Tahiti
•
»
4. Article
Vahinés
•
-
-
»
Paris, Musée de l'Homme), « Gauguin à
(p.14) - 3’ (id).
Dossier “Education, culture”, cf: Valeurs Mutualistes, n° 215, « Kannibals et
(Expo Musée National des Arts d’Afrique et d’Océanie - Déc. 2001) (p.31).
5. Petite Histoire Illustrée de la Littérature
«
•
(Société des Océanistes
de M-T et B. DANIELSSON -1982.
Denis Diderot
6. Dossier 23
»
Française, de J. CALVET
-
Paris -1948
-
(p.155).
(Nouvelles Editions Latines - Paris 6°), « Peintres de Tahiti », de Patrick
(p.14) - 6’ (p.10).
O’REILLY- 1978•
7. Dossier 27
(Nouvelles Editions Latines - Paris 6°), « Vahiné Tahiti », de C. LANGE(p.22).
VIN-DUVAL -197 ?
-
•8.
a) Dossier 1 (Société des Océanistes - Paris - Musée de LHomme), « Art ancien de
Tahiti », de Anne LAVNDES - 1979 - (p. 11)- 8a (p.2).
b) Dossier 24 (Nouvelles Editions Latines - Paris 6°), « Tahitiens d’autrefois » de
José GARANGER, P. O’REILLY et J. POIRIER - 1978 - (p .24).
•
9.a) Dossier 2 (Société des Océanistes - Paris, Musée de L’Homme), « Pierres et
rites sacrés », de José GARANGER - 1979 - (p.22).
b)Collection Design du Monde (Editions Assouline), « Iles Pacifiques » d’Herbert
YPMA -199 ? (p.25).
-
132
rama’ohi N°6
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
tàfmiLiJüJ®
LE
DÉBUT
DE LA RELECTURE DE LA CULTURE
PAR LES JEUNES
Rencontre des
entre Tradition
générations
- et Modernité - de l’écriture
des chants, des danses
-
-
Te hu’ihu’i nei te manava !
Les jeunes
A Tahiti,
s’intéressent à la littérature !
à Paris, cadre scolaire, universitaire, ou non,
Les immédiates initiatives des
jeunes en témoignent !
Littératures du Pacifique »,
Polynésie française » !
« La littérature polynésienne, littérature engagée ? »
Travaux Personnels Encadrés, « L’auteur face à l’acteur
Rurura’a
«
reo
ma'ohi,
La littérature
«
«
en
»,
Miroir littéraire »,
Ta’ita’i te miti rure’e !
A
rave a
tu’u i ta ‘oe tavae
‘Oia mau, e
Les jeunes
a
ti’i i te ra’e
e
tere mai !
Marna Huarepo !
surfent sur la littérature !
Quelque chose se passe-t-il ?
Quelque chose a-t-il été mis en place ?
Un bourgeon est sorti !
Un
rameau
tout neuf !
C’est le leur !
Ils veulent voir !
133
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
Ils veulent y participer
Ils veulent le fortifier !
Ils veulent le voir
Pas
!
grandir !
question de rester étrangers à l’évolution de leur culture !
question de rester les bras ballants face à leur culture !
Pas
‘Eina’a
tere i te muriavai / Fariu maira i uta
e
E aha ta ‘oe
e
‘Ofai ‘ara
Aucun
tapapa nei
mau a
e
!
complexe !
Ils sont à l’aise, confiants !
C’est
sympathique !
agréable !
C’est
C’est réconfortant !
Te
mea
teie
e
mihi ai
au
I Ta’u aroha iti i te fenua !
C’est enthousiasmant parce que ça
existe !
Réunions, rencontres, séminaires, synthèses, réflexions, productions,
Lycéens, collégiens, La Mennais, Papara, Taravao, S.Raapoto,
De Tahiti à
On les
Hawai’i, étudiants
en
France !
imaginait si loin d’une telle préoccupation !
C’est étonnant mais rassurant !
Un baume pour
les entrailles des auteurs qui défrichent
pour la culture, la société !
«
Voyons ! Fi des complexes, des préjugés !
Du papier, un crayon
et des livres !
....
Le
«
la
»
étant donné, suivons le cap
A l’oeuvre !
134
»
!
Rencontres
Les jeunes
surfent sur la planche !
Te’uraheimata I E
Na te mata’i ri’i
Comme
ce
au
no
te fa’a
purotu he’e noa
e
11 tahiri i to hi’u
rouru.
vendredi-là, 21 novembre 2003, et le lendemain
TFTN,
au
soir,
Petit Théâtre de la Maison de la Culture /
où avaient lieu
par
polynésiennes, rencontres inouïes
«
Lectures des autres »,
les auteurs de Littérama’ohi, N° 4, et « L’auteur face à l’acteur
par un groupe de jeunes, neuf filles et un garçon,
ayant suivi l’option théâtre
au lycée du Taaone.
»,
Dans le même
un
temps, dans l’espace du Grand Théâtre,
se produisait Nonahere,
groupe de danses de Mahina, et le lendemain, à la même heure,
Un festival de chants traditionnels tarava !
Chants et danses
s’y exprimaient
en
tahitien, colorés, rythmés,
éclatants, à quelque distance des lectures et mise en scène qui se
donnaient en français et tahitien.
Côté Place To’ata, une salle spacieuse, éclairée,
et la foule venue de diverses communes
Nombreuse, couronnée, fleurie, pour se ressourcer, se détendre.
Côté rivière de
Tipaepo, le Petit Théâtre, décor sombre comme
l’intérieur d’une grotte,
Un public rare mais averti, ami des lettres, de la poésie, des mots,
« témoins
privilégiés, récipiendaires et passeurs »
de la conscience polynésienne
Qui s’exprimait par les écrits, les dits des écrivains polynésiens.
Ainsi d’un côté les anciens, la tradition,
De l’autre, les jeunes, la modernité,
Et les auteurs
navigant de l’un à l’autre !
135
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
dans le temps entre ce qui a été
qui sera !
Quelle image si juste de la Polynésie française d’aujourd’hui !
Quelle opposition dans l’espace et
et
temps, image-flash de quelque chose d’un accouchement,
prémices de la récolte,
En même
que
ce
la foule, rassemblée dans une grande salle, joyeusement attend,
minuscule, obscure, où le travail se fait,
lentement apparaît la vie.
Tandis que dans une autre,
Cependant, ici et là, la même famille, la société polynésienne !
Là, en fête !
Ici, dans la douleur, momentanée, de l’enfantement.
Elle éclatera en joie !
signes qui ne trompent pas !
quart de siècle après qu’il ait été écrit et lu sur la même scène
Il est des
Un
du Petit Théâtre,
Conscience polynésienne,
repris, rediffusé.
l’un des textes fondateurs, La
est
Ainsi le mouvement de transformation vis à vis de la culture
A
qui y avait été lancé, sans bruit,
petit pas, continue à se mettre en place, à la fois moderne
et ancré dans le passé,
Celui des chants et des danses dans
il
Mouvement
d’aujourd’hui,
lequel sans cesse
puise sa force,
comme un
rafraîchissement de la culture,
s’ancrant simultanément dans ses deux
langues,
L’une et l’autre, tantôt intimes, ésotériques, tantôt porteuses d’avenir,
d’ouverture sur le monde,
Cela
De
136
plus
en
se
traduira dans le futur !
plus, dans une nouvelle langue française qui déjà se crée,
Rencontres
A
Pour
en
polynésiennes, rencontres inouïes
prend son essor,
l’exemple de celles déjà apparues aux Antilles,
au Canada ou en Afrique.
revenir
aux
deux soirées
Lecture des autres
«
Miroir littéraire », si celle de
montré que les auteurs sont soudés,
n’hésitant pas à quitter la pénombre de leur tour d’ivoire et de leur
mori mata’i pour interpréter les textes de leurs compagnons de plume,
Celle du samedi 22 novembre 2003, « Uauteurface à l’acteur»,
«
» a
est à
En
ce sens
retenir, historique,
qu’elle marque une étape qui a été franchie,
plus, dans l’évolution de la culture !
Une de
En effet, pour la première fois, de jeunes comédiens polynésiens
mettent en scène les textes de leurs écrivains !
Ils s’en étaient
Y
Et
ce
fut
prenant en
comme une
à la
Tel
un
appropriés,
fait et tout simplement leur part,
naissance, au sens où ces jeunes naissaient
littérature, prenant celle-ci,
enfant
s’emparant d’un jouet,
Puis ils ont commencé à la tourner dans tous les sens, d’un air ravi.
Par leur aisance et par leur jeu sans complexe qui consistait à saisir
à pleines mains ce qui leur appartient,
Par leur impertinence et par leur façon légère de traiter, au meilleur sens,
Les extraits
qu’ils ont eux-mêmes choisis, et des sujets graves comme
l’extrait de texte de Titaua Peu,
Nous avons eu, ce soir-là, la vision d’une pépinière de jeunes pousses
qui cherchent la lumière, leur oxygène,
Talents en herbe qui ne demandaient qu’une occasion pour se révéler,
Et qui ce soir là, en dépit des maladresses, et tout comme les
écrivains polynésiens qu’ils interprètent l’ont fait avant eux,
En groupe, ont revendiqué une place entière, et non pas seulement
un strapontin.
137
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
C’étaient
au
s’ils avaient soufflé
des
papiers qui dormaient
qu’ils ont ouvert, vieux papiers qu’ils ont rafraîchis,
« détruits », selon leurs
propres termes,
Et les textes, paradoxalement, par le souffle vital
qu’ils leur avaient donné,
D’apparaître, en fait, mis en valeur,
dans l’élan, d’ouvrir grande la porte entre baillée par
les générations précédentes,
comme
sur
fond d’un carton
Et
Dont celle des auteurs issus de leur société.
Parmi les auteurs, certains, intimidés, presque «
devant la désinvolture,
L’audace de
ces
Etaient
filles et garçon
sans
tétanisés
»
qui s’appropriaient ainsi leurs textes,
mot, mais heureux
comme
des enfants,
Tandis que,
Tels des
maîtres des lieux et de la scène, les jeunes paraissaient
grands, sûrs d’eux,
photographes qui, ayant trouvé dans un tiroir des négatifs
inconnus,
Y ont mis révélateur et fixateur
Pour,
sur
le papier, faire apparaître l’image,
et montrer à tous la
C’est
ce
que
firent
qualité des clichés.
et fixer des clichés
ces jeunes: révéler
de leur société !
Et c’est ainsi que les textes sans voix présentés
couchés sur le papier,
Grâce à l’enthousiasme des
à plat
jeunes et à leurs talents,
pris du relief, de la vie, en prenant de la voix,
Et que la feuille sans vie, froissée, ayant ainsi et soudain pris du volume,
A révélé des saveurs que chacun a pu goûter,
Des aspérités, des pics qui retiennent l’ombre, accrochent la lumière,
Tout un jeu de facettes, clair-obscur !
C’est ainsi que le n°4 de Littérama’ohi a mis en lumière de nouveaux
talents, et permis à ces derniers de se faire connaître,
ont
138
Rencontres
d’annoncer à tous que
polynésiennes, rencontres inouïes
la récolte sera bonne !
C’est ainsi que la Salle du Petit Théâtre est un autre volet de
Un autre relais entre les anciens et les jeunes !
la culture,
C’est ainsi que Littérama’ohi acquiert définitivement le statut de phare,
Qu’elle confirme dans le n°5 avec un phare portant encore plus loin,
de plus en plus loin,
En
les écrivains de la région océanienne se rencontrent,
échangent, partagent dans les pages de Littérama’ohi.
ce sens
que
Notre souhait, pour sûr, est que les liens qui se sont
au travers de différents organismes rassemblant
tissés perdurent
les auteurs.
aussi sur un socle de moyens,
qui signifie que des auteurs isolés ne peuvent pas pérenniser
ce à quoi ils ont donné naissance.
faut donc trouver des organismes qui soutiennent, et à terme,
prennent le relais.
Mais la culture repose
Ce
Il
Pour l’heure, sur le Territoire, chaque numéro de Littérama’ohi
D’une prise d’une nouvelle conscience
Débouchant
Ce
sur un
nouvel auteur qui se
est l’objet
déclare,
qui tend à montrer qu’il y a une réserve !
Littérama’ohi est un projecteur qui révèle
les coulisses retiennent, cachent dans l’ombre !
Et c’est ainsi que
Tout
ce
que
C’est ainsi que ce qui a été conçu, planté, et a
le for intérieur de l’homme,
poussé dans
Toujours se révèle à son heure,
Et rien
ne
l’arrête.
Flora Devatine
important est invisible à l’œil »
(A. de Saint-Exupéry, Le Petit Prince)
«
139
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
2003-2004
Des années fastes pour
la littérature polynésienne,
la revue Littérama’ohi,
Grâce à l'intérêt grandissant qu’elles suscitent, chez les jeunes,
chez les enseignants, en Polynésie, en France, à l’étranger,
Grâce aux Salons du Livre, à Paris, à Papeete,
notamment, au Premier Salon du Livre en Nouvelle-Calédonie à Poindimié,
au Colloque de la FILLM à Nouméa,
Evénements littéraires, auxquels avaient été invités deux auteurs fondateurs
pour
de la
*
revue
Littérama’ohi.
(Nota : les extraits de pariparifenua cités sont de Huarepo Vahiné)
“L’auteur face à l’acteur”, un groupe de jeunes de l’option théâtre du
revisite les textes des auteurs de Littérama’ohi.
140
lycée du Taaone
>rama ’ohi
N°6
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
nuarii Amaru
Rencontre
avec
i’écriture qui n’attend plus
le nombre des années
qu’ils imaginent, avec
qui appartiennent à leur vision des choses. Sous une histoire
toute simple, il existe un monde irréel qui veut vivre avec des latitudes
et des données que les adultes ne se permettraient pas de mélanger,
je vous laisse découvrir la vie avec des situations et des solutions qui
appartiennent à l’enfance.
Les enfants veulent aussi dire et raconter ce
des mots
Danièle-Taoahere Helme
LA SPHERE DES VŒUX
petite maison, une famille pauvre qui était
de nourriture. Il y avait trois garçons et deux filles. Ils étaient tous malades à part le cadet, Jean qui
n’avait que 9 ans et demi. Il était courageux et chanceux.
Il était
souffrante
une
car
fois, dans
une
elle n’avait pas beaucoup
magique à la recherche de la
sphère imaginaire qui allait lui permettre de réaliser trois vœux .11 préAlors il décida d’aller à la vallée
para ses
-
-
-
-
-
-
-
affaires
:
corde,
couteau,
une
un
à pêche,
briquets,
une aiguille à coudre,
une gourde d’eau,
et un bout de pain.
une canne
deux
Puis le lendemain matin il
C’était
un
endroit
partit
vers
la vallée.
magnifique et paisible. On pouvait entendre le
le bruit du vent dans les arbres et la mélodie du courant des rivières. Il se mit à suivre un sentier qui le conduisit dans une
chant des oiseaux,
grotte.
141
Littérama’ohi N°6
Manuarii Amaru
un drôle de bruit. Il s’approcha et il rencontra un
géant. Celui-ci était prisonnier dans des branches énormes. Il ne
pouvait plus bouger. Alors, Jean prit son couteau et trancha les végétaux qui retenaient l’animal. En remerciement, le reptile lui offrit une
écaille de crocodile en pendentif et lui chuchota :
« Même si tu traverses les courants les plus forts, tu pourras
nager plus vite qu’un crocodile.» Jean le remercia et lui donna son bout
de pain et comme il faisait noir, il lui laissa un briquet. Puis il continua
Soudain, il entendit
lézard
—
son
chemin.
Jean commença à avoir faim, alors il prit sa canne à pêche et
pêcha. Ses appâts étaient des vers de terre qu’il récoltait sur son chemin. Il attrapa trois gros poissons qu’il grilla grâce au feu qu’il alluma
avec son autre briquet et il les dévora, puis il s’endormit. Mais pendant
ce temps, un crocodile le réveilla en lui disant :
« Tu as chassé mon déjeuner ! Bon ! Je vais te laisser une chance.
Si tu arrives de l’autre côté de la rive, je te céderai une de mes
—
dents.
qui gagne. Tu finiras dans mon estomac ! »
départ. Alors, Jean utilisa l’écaille de crocodile. Il fut si rapide qu’il put pêcher six poissons tout en arrivant le premier. Mais il était si généreux qu’il donna quatre de ses poissons au perdant. Le crocodile le remercia. Puis Jean rangea la dent dans sa poche
Mais si c’est moi
Le crocodile donna le
et continua son chemin.
plumes multicolores qui portait un collier
magique. L’oiseau expliqua qu’il avait besoin d’une dent de crocodile
pour remplacer la griffe qu’il avait perdue. Jean échangea la dent contre
le collier du volatile. Mais l’oiseau ne savait comment mettre la dent à la
Il rencontra
un
oiseau
aux
place de sa griffe. Alors, Jean la fixa à l’aide de son aiguille à coudre.
L’oiseau le remercia puis Jean continua son chemin avec le collier.
Ensuite, il rencontra un lionceau qui était prisonnier dans une crevasse
142
très
profonde. Tout de suite, Jean prit sa longue corde, la lança et
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
s’y accrocher et le libéra. Le lionceau avait soif. Pris de
pitié, le jeune garçon lui partagea l’eau de sa gourde. Le lionceau
connaissait la vallée par cœur alors il le conduisit à la sphère des vœux.
dit à l’animal de
Ils arrivèrent
chaleureux
car
au cœur
de la vallée. C’était
un
endroit merveilleux et
tous les animaux étaient réunis en famille.
Cependant,
sphère était protégée par un sorcier aussi le garçon enfila le collier
magique qui le rendit invisible. Grâce à ce pouvoir, il put facilement se
procurer la sphère tant convoitée. Victorieux, il monta sur le dos du lionceau qui le raccompagna aussitôt chez lui.
la
famille était mourante. Sans plus attendre, il
sphère de la guérir. D'un coup, il vit sa famille se relever.
Ils étaient guéris. Alors Jean exprima ses deux autres vœux :
« J’aimerais que nous devenions riches et que mes amis de la
vallée aient une vie prospère.»
Dès cet instant, ils vécurent heureux et eurent une vie prospère.
A
son
arrivée,
sa
demanda à la
—
Manuarii Amaru
11 ans,
fils de Manutahi Amaru
et Hina Toromona
143
Littérama’ohi N°6
Heiata Chaze
A la rencontre de la littérature
:
les élèves du
lycée La Mennais de
Heiata Chaze
Les textes
qui suivent ont été rédigés en groupe ou individuellelycée La Mennais, dans le cadre
intitulé :
ment par des élèves de seconde du
d’un projet d’action éducative (P.A.E),
«
SE RENCONTRER
Mis
en
:
LE CHOC D’UN REGARD
place conjointement
par
»
les professeurs d’Histoire et de
Français.
Visite des
d’Opunohu à Moorea, conférences-débats avec
spécialistes, documentaires audio-visuels, lectures variées de
documents patrimoniaux, de récits de navigateurs, de textes littéraires,
recherches personnelles des élèves... ont permis la découverte ou la
redécouverte d’un passé trop longtemps oublié. Au sein d’un atelier
d’écriture qui proposait divers sujets ayant pour thème commun les
marae, les élèves ont pu imaginer, rêver et recréer, grâce à l’écriture, le
passé. Ils ont également pu réfléchir aux bouleversements inévitables
liés à la rencontre des Polynésiens et des Européens.
marae
des
Voici
nouvelle
historique, récit autobiographique fictif puisque
glissées à l’intérieur d’un ari’i, et quelques poèmes
de formes variées. Ces productions témoignent de l’intérêt, de la sensibilité et du talent des élèves qui se sont impliqués majoritairement dans
ce projet.
les élèves
une
se
sont
Heiata Chaze
(Professeur de français, lycée La Mennais)
144
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
hei Haerehoe et Hinapiaono Bougues
Rencontre
un
avec
récit
Nos
l’histoire et
avec
l’écriture
:
autobiographique fictif
marae :
paroles de Arii
J’ai décidé de
porter la main à la plume pour qu’ainsi lorsque je
pô, vous, les peuples futurs, garderez une trace de notre
culture, l’histoire des tupuna, nos ancêtres vénérés. Moi aussi, un jour,
je l’espère, je prendrai place parmi eux. Je garderai le même nom qu’à
présent, Terii-e-vao-i-te-ra’i-nui-atea-o-Taaroa, le roi issu de la vallée et
du ciel divin de Taaroa.. Ce nom royal m'a été attribué parce que je suis
le chef des leva et le arii rahi no Tahiti, le chef suprême de mon île ; je
suis, en effet le premier fils d’une lignée de arii. Pour revenir à ma naissance, quelques minutes après moi, est née ma sœur jumelle, Hina-ra’iteupo’o-tinitini-no-vai-‘otahi, ce qui désigne le ciel de la première femme
à la tête immense et à l’existence unique.
Me voilà encore, depuis plus d’une dizaine de jours, sur mon
marae, le marae Farepu’a à Vaiari (aujourd’hui, Papeari). Je ne sais
depuis combien de temps mes paupières alourdies ne se sont pas relevées. Néanmoins, je me plais à écouter ce silence, le silence de la nature, le silence de mon marae. Je sens la pierre qui bouge, le vent qui souffie caressant mes longs cheveux noirs, j’entends les ‘arevareva (oiseaux
messagers) et tous les vivants autour de moi. Mes oreilles ont été assourdies par la fanfare des Arioi, je suis ainsi retourné vers ma mère nature,
ma terre nourricière. Je pense à mon peuple, à ma famille qui festoie
depuis trop longtemps déjà. Invoquons Taaroa, le dieu créateur, pour que
les récoltes et les cultures ne s'éteignent jamais. Et la mélancolie m’entraîne de plus en plus, minute après minute, vers le terrible souvenir qui me
tourmente depuis ma plus rude enfance. Cette période de ma vie, je me la
rappellerai à jamais. Elle a commencé par une simple disette, peut-être
comme celle que l’on rencontrera dans les jours à venir.
serai dans le
145
Littérama’ohi N°6
Vaihei Haerehoe et
Hinapiaono Bougues
sept ans, au moment où la famine nous envahit peu à peu. En
Arii Rahi no Tahiti, j’ai l’obligation de me rendre au marae
Taputapuatea à Opoa, à Havaii (actuelle Raiatea) où j’ai assisté à ma
première cérémonie. À ce souvenir, je sens toujours mon cœur se flétrir
mais il m’est interdit de pleurer de crainte qu'un ata, un messager ne me
J’ai
tant que
surprenne.
Après trois jours en mer nous arrivons à Havaii. Tous les habitants
que compte Opoa nous accueillent ainsi que leur arii, Tetuarii, orné de
plumes rouges, symboles du culte voué à Oro, le dieu de la guerre. Et de
chaque côté, tanguent sur leurs pirogues doubles, les différentes délégâtions des îles lointaines. Je suis comme à mon habitude au devant du
navire, positionné sur une plate forme surélevée. Je sens le vent arrière
qui nous entraîne vers la rive et j’entends la foule qui m’acclame. Mais,
dans leurs cris, sous les regards, je perçois tout le désespoir qui les
consume. Comme mes ‘orometua, mes précepteurs, me l’ont appris, je
n’ai point défailli, mon regard est resté noble et indéchiffrable. Des dizainés de pirogues doubles accostent maintenant et certains de nos hôtes
parlent avec les teuteu, les serviteurs, au sujet de la cérémonie. La préparation, le pa’iatua qui dure trois jours, doit débuter le lendemain.
suis levé très tôt et me suis préparé pour
très bien, c’est comme s’il allait se
passer quelque chose de terrible mais je me dis que ce n’est que l’angoisse de l’inconnu qui me trouble. Pour moi, ce jour est très important,
je vais assister à ma première cérémonie, c’est excitant car elle va se
passer sur le marae Taputapuatea, le marae international, le plus grand
et le plus important de tous les marae. Je suis inquiet, je ne sais pourtant pas comment cela va se passer et qui sera présent.
Le lendemain matin,
la cérémonie. Je
je
me
ne me sens
pas
Deux heures avant le commencement, mes teuteu
der à
me
viennent m’ai-
préparer. C’est la première fois que je mets le costume de
cérémonie, celui-ci est éblouissant, je suis admiratif devant ce magni-
fique vêtement. Il est orné de plumes rouges qui luisent mystérieuse-
146
Rencontres
ment. J’ai hâte d’être à la
et sérieux
avec
polynésiennes, rencontres inouïes
cérémonie, je suis fin prêt mais je reste calme
cérémonie doit être
envisagée sans précipitation
Lorsque l’on est sur un marae, quel qu’il soit, il faut le
pas faire de bruit mais écouter.
car une
sérénité.
respecter,
ne
Je succombe alors à
pressentiment qu’en vain j’essaye d’étoufprésent seul dans mon fare, j’ai renvoyé les teuteu et ne
désire recevoir aucune visite. Je fais les cents pas, tourne en rond. Je
n’arrive pas à me maîtriser, j’ai l’intuition que le malheur est proche et
que je ne peux ni le résoudre ni l’éviter. Pourquoi le doute m’a-t-il pris ?
Je suis à présent persuadé que j’aurais pu faire quelque chose et ainsi
éviter le pire !
ce
fer. Je suis à
L’incontournable est de la sorte arrivé. Un ata a surgi dans la pièce
sûrement pour m’appeler et me placer pour le pa’iatua. J’entends, lors-
qu’il
ouvre la porte, la furie qui s’empare du village. Des femmes crient,
guerriers accourent vers la vallée. Je ne sais pas comment tout cela
doit se dérouler car je n’ai assisté à aucune cérémonie jusque là. Mon
regard se perd dans le cadre. Je vois ce messager courbé devant moi,
je vois ses lèvres bouger à une vitesse étrange. Je n’arrive plus à discerner quoi que ce soit, les mots se heurtent dans mon esprit, mon
estomac se noue. Et puis, tout d’un coup le monde tourne très vite
autour de moi, mes pulsations cardiaques s’intensifient, j’ai mal au
cœur, ma tête va exploser. Ma fin est proche, le mana m’a-t-il quitté ?
Je ne vois plus rien, tout est noir, je n’ai que sept ans, je ne veux pas
mourir, j’ai peur. J’appelle à l’aide, j’ordonne, personne ne me répond,
des échos me reviennent. Ensuite, tout est noir, j’ai froid, je ne peux plus
bouger, j’ai l’impression de disparaître, je ne veux pas mourir !
des
Au moment où
je retrouve mes esprits, je distingue des tahu’a, des
guérisseurs empressés autour de mon corps jusque-là inerte. Ma mère
pleure, mes amis et nos hôtes chuchotent. Mon réveil n’a pas été sans
surprise. J’apprends bientôt que Tetuarii, le chef de Opoa est mourant,
la maladie l’a frappé. Voilà donc le malheur dont j’avais été prévenu.
147
Littérama’ohi N°6
Vaihei Haerehoe et
Pourtant, cela
Hinapiaono Bougues
la tension monte, je me sens sur le
si affaibli... Mais, je ne peux continuer
aux tahu’a. Et avec dignité, je me lève.
Je n’aurais pas pensé être capable de lutter contre cet affaiblissement.
Je me dirige alors vers le fare du chef. Quand je suis arrivé à proximité
guidé par des teuteu, j’aperçois le marae Taputapuatea, celui qui a tant
de renommée, celui qui est tellement craint, si respecté. Une question
me traverse l’esprit, que va-t-il se passer maintenant pour la préparation
de la cérémonie ? Mon serviteur me confie alors qu’elle n’a été que
reportée parce que, malgré la mort prochaine de Tetuarii, les peuples,
de Havaiki (actuelle Vaihî ou encore Hawaii) à Ao Tea Roa (Te Waka O
Maui et Te Waki Punamou), meurent de faim. Il est de notre devoir de
chefs d’y remédier.
ne me rassure pas,
point de m’évanouir, je
me sens
à fuir. Je demande des remèdes
Porté à dos d’homme,
j’accours jusqu’à la demeure du chef. Bien
qu’essoufflé, j’entre toutefois la tête haute, je m’avance vers son chevet. Je
lui parle, le rassure, lui confie mes présages et le dissuade de lutter. Il est
mourant, je lui tiens la main comme le fait mon père quand je suis malade.
La fièvre le consume, j’en suis conscient. Il me tient le poignet, le serre, je
sens son pouls s’accélérer, son souffle est saccadé. Je comprends qu’il
est à son dernier moment, et je prends l’initiative d’appeler les tahu’a,
même si je sais que je n’en ai pas le droit. Ici, je ne suis, hors des cérémonies et loin de mes subordonnés, qu’un garçon de sept ans. Surpris,
les prêtres m’obéissent pourtant et c’est avec des incantations et des
prières enchanteresses que Tetuarii part dans le pô.
Très calme,
je m’éloigne de sa couche et remercie la famille du
qui je présente mes plus sincères condoléances. Je sais bien
qu’une amitié profonde liait nos deux lignées. Je me retire dans la plus
profonde tristesse et sans même m’en apercevoir, je me retrouve
devant le marae. Soudain, le phénomène terrifiant qui avait précédé la
mort de Tetuarii me reprend. Je n’ai pas le droit de succomber de nouveau à ce présage, de permettre un nouveau décès. A mon grand regret
pourtant,.mon cœur trépasse, le noir prend place, l’énergie me manque.
défunt à
148
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
l’aveuglette, je titube, je tombe, des cris me parviennent,
je distingue ceux de Hinara’i, ils persistent, pleins de désespoir, de peur.
Il me faut me calmer, empêcher un drame semblable. Je dois pouvoir
retrouver mes esprits le plus tôt possible et ainsi éviter la mort d’un
innocent, protéger ma sœur jumelle.
Je marche à
Lorsque je retrouve ma raison, j’apprends que le frère du chef d’un
mat’aeina’a, un district voisin, agonise. Je suis accablé, c’est à
moi qu’ont été adressés ces présages et je n’arrive pas à les gérer. Une
visite s’impose et je l’accomplirai. Etonnamment, son fare se situe lui
aussi à côté du marae Taputapuatea. Je vais lui rendre un dernier homautre
mage,
c’était
un
brave guerrier qui servit fidèlement.
panique est maintenant générale, beaucoup de familles partent
pour l’île voisine en espérant ainsi échapper à la mort. Au contraire, les
chefs restent sereins car tous connaissent le principe, la loi. En effet, il
est inévitable qu’un autre décès ait lieu. Lorsque je passe le long des
chemins, j’entends des pleurs. Je suis certain qu’avant même l’arrivée
de toutes les délégations, quelque chose d’important s’est passé. J’ai
besoin d’en être sûr, je décide alors de demander aux tahu’a du marae
Taputapuatea l’histoire de leur district.
La
images m’assaillent. L’obscurité
prend place, mais j’ai changé. Je ne désire plus en sortir, mais au
contraire percevoir, ce qui se révèle à moi, je veux connaître les causes
et les conséquences à venir. Je me laisse guider par la folie ou peut-être
par la raison, je suis lucide et à la fois inconscient, je suis mené par des
sentiers, je rentre dans des vallées et j’en sors. Je me maintiens grâce
à cet esprit qui fait tant de mal mais qui me livre ses secrets... Je lui offre
ma confiance et je ressens la sienne. Durant des heures, il se joue de
moi et je m’amuse avec lui. Ma clairvoyance m’étant revenue entièrement, toutes mes pensées deviennent claires, je connais la cause et je
sais comment arrêter cette catastrophe. Je suis au fond de la vallée et
je contemple l’ancien marae de Taputapuatea. Les tahu’a n’ayant pas
En allant à leur rencontre, des
149
Littérama’ohi N°6
Vaihei Haerehoe et Hinapiaono Bougues
respecté les rites, auraient construit le marae côtier selon les traditions
tapu, retiré le mana de l’ancien
marae. Paisiblement et à la fois rapidement, je retourne au village pour
prévenir les prêtres et ainsi avoir la possibilité de vaincre ce désordre.
certes mais sans avoir refermé le
A mon arrivée, ma mère en pleurs m’embrasse, incapable de m’expliquer ce qui lui arrive. Mon père se précipite, la renvoie. A mon grand
embarras, il me prend à l’écart : une autre personne est en train de
mourir, c’est Hinara’i. Je n’arrive plus à me contenir, l’amertume me
dévore. Pourquoi l’avoir choisie elle après s’être confié à moi? Ma rage
est inconditionnelle... le désespoir m’inonde ! Elle ne mérite pas de
mourir. Elle n’a rien fait. En la tuant, le mana de Taputapuatea m'assassine de l’intérieur. Mon sang coule dans ses veines, elle est mon chez
moi, ma confidente, ma sœur, mon complémentaire ... sans elle je ne
suis rien. J’abandonne mes parents, j’entre dans le fare, elle est là,
étendue, elle me voit, elle m’appelle. Je ne peux lui répondre, je ne sais
que lui dire. Je prends mon courage à deux mains, je défaille, je m’approche d’elle. Je la prends dans mes bras, je sais que ce sont les dernières minutes à passer ensemble. Elle me dit qu’elle m’aime, me fait
promettre de protéger ceux qu’elle aime. Je la serre contre moi tout près
de mon cœur, je voudrais mourir à sa place, m’offrir à sa place. Je la
sens, brûlante et blême, s’affaiblir, son visage est tout pâle. Je sais
qu’elle va nous quitter. Je tiens entre mes mains ses doigts qui se
dénouent. Je sanglote, je jure, je parjure, je blasphème pourvu qu’on ne
la tue pas. Je lui dis tout ce que personne n’a jamais osé dire à quiconque. Dans un dernier souffle, elle me rappelle que je dois vaincre la
disette dans nos îles, et faire en sorte qu’elle n’y revienne jamais.
J’ai cru que j’allais mourir de douleur.
Ô petite sœur chérie ! Tu étais si gentille et gaie, et douce. Toujours
prête à aider les autres, tu étais surtout la seule à pouvoir me consoler.
Quand enfin, ivre d’amertume je peux me
tahu’a,
ces
sont là. Ils arrivent avec des rituels pour
150
détacher d’elle, les
assassins coupables du déclenchement de ces drames,
conduire
son
âme au mont
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Rotu’i où elle sera dirigée vers le Rohotu no’ano’a, le paradis par la pierre
de vie, de Tataa au mont To’areva, ou vers le séjour des morts au mont
Temehani, par la pierre de mort. La colère m’emporte, j’aurais fait mourir
prêtres pour cette erreur monumentale qui a déchiré tant de familles.
Je leur livre, la rage au coeur, les raisons de cette tragédie. Ils approuvent
et partent pour ainsi conjurer tout le mal qu’ils ont provoqué. Le regard
ces
triste, les yeux baissés, ils reconnaissent leurs torts. Afin de retrouver ma
sérénité, j’ai hâte de retrouver ma terre ancestrale ; elle seule peut me
consoler. A
présent je suis seul, j’ai perdu tous mes appuis, surtout ma
le pilier qui me soutenait. J’ai passé la nuit à son chevet, la pieurant, la regrettant. Comment pourrai-je vivre sans elle ?
sœur,
Les trois
jours suivants sont consacrés à la cérémonie pour laquelle
délégations des îles lointaines s’étaient rassemblées : le
pa'iatua. Ce rite est très important. A l’aube d’un nouveau jour, l’agitation me réveille, tous se préparent. Je me suis endormi à côté de
Hinara’i. Je l’embrasse une dernière fois. Mes teuteu arrivent pour m’aider à revêtir mon habit de plumes rouges. Résigné, je me laisse faire.
Une demi-heure après, en procession, nous nous dirigeons vers le
marae Taputapuatea. En ordre, chacun s’installe et gagne sa place, les
pierres-dossiers, positionnées selon un ordre hiérarchique. J’essaye de
me rasséréner mais je sais à présent que personne ne peut prendre
soin de moi. Pour réussir le rite, je dois moi aussi y participer, louer la
gloire des Dieux, apporter à Oro ma spiritualité. Guidés par les chants
des prêtres, les gardiens commencent par dépouiller l’autel des nattes
et des anciennes offrandes. Puis l’on décore le marae de tapa, de nattes et de feuilles fraîches de ‘ape. Les tahu’a énumèrent les gloires des
Dieux, leurs exploits, les légendes où résident le pouvoir des arii et cela
jusqu’au soir du second jour. La nuit venue, nous nous abstenons de
prendre un bain puisqu’il est formellement interdit de se baigner durant
les trois jours du pa’iatua. En procession, le tahu’a rahi apparaît tenant
une feuille de ‘ape, les autres tahu’a le suivent portant les images des
dieux messagers ; nous les accompagnons. Aucun d’entre nous n’est
couvert, nos épaules sont nues. Puis, face à l’autel, l’ahu, nous nous
toutes les
151
Littérama’ohi N°6
Vaihei Haerehoe et
Hinapiaono Bougues
inclinons pour supplier les dieux de bien vouloir tolérer notre présence.
Nous regagnons nos pierres-dossiers respectives. Devant une feuille de
‘ape remplie d’eau, les images des dieux sont purifiées. Les heures pasen chants, en invocations, en silences. Soudain, les arbres frémissent, les oiseaux survolent le marae, les dieux se manifestent-ils ? Au
lever du jour, le troisième jour, le tahu’a rahi et les autres tahu’a s’absentent et se dirigent vers un petit fare à côté du marae, le fare ia manaha.
Bientôt, le tahu’a rahi revient avec une pièce de bois entourée de fibres
de coco et de plumes jaunes et rouges, c’est un to’o. Puis il dépose du
tapa parfumé sur une natte placée sur Yahu. Au milieu de la matinée, la
cérémonie se termine, les images sont placées de nouveau dans leurs
enveloppes et ramenées dans leur fare. Le pahu résonne, le tapu est
levé. Les feux s’allument, chacun peut à nouveau parler haut et se laver.
Les teuteu préparent maintenant le festin des dieux et des hommes.
sent
longues heures qui suivent, je ne festoie pas. Tous les
participants chantent, crient, dansent. Mais, moi je ne peux pas, je suis
en deuil. Je me retire de la fête et personne ne vient me déranger ;
beaucoup, comme moi, ont le cœur noué, plein de rancœurs. Le lendemain seulement nous revenons vers Tahiti puis rejoignons Vaiari. Je
suis convaincu que rien ne sera plus jamais pareil, sans doute à cause
de ma participation à cette cérémonie, mon premier pa’iatua, du moins
c’est ce que je dis, mais, au plus profond de moi, je sais que c’est parce
que j’y ai perdu la moitié de mon être, celle aujourd’hui oubliée par tous,
mais qui, faisant partie de moi, ne peut être oubliée par moi.
Pendant les
Terii-e-vao-i-te-ra’i-nui-atea-o-Taaroa
152
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
divine Micheletti
Le
temps des
niarae
Jadis, dans les temps anciens,
Le
peuple polynésien,
Avait bâti des marae,
Surveillés par des gardiens ;
Ils consacraient tous leurs biens
Aux arii
qu’ils vénéraient.
C’était à
Que
Opunohu,
suppliaient devant l'Ahu
Les ethnies
Leur Dieu
inférieures,
Oro, protecteur,
D’apporter dans leurs demeures
De la paix et du bonheur.
Puis
s’organisait la procession.
grand prêtre appelait la nation.
Tous vêtus de tapa parfumés,
Portaient l’image de leurs dieux aimés,
Avaient pour seule conviction,
Celle d’accomplir leur mission,
Le
Transmettre leur culture,
La
préserver dans le futur...
Depuis, certains perdirent l’espoir,
Cependant il faut y croire,
Le temps ne peut tout effacer,
Si les hommes peuvent encore s’aimer.
Ludivine Micheletti
153
Littérama’ohi N°6
Raurea
Le
Frogier
marae
ensorcelé
‘auti
Chassent les mauvais esprits
Qui oseraient le profaner.
Tabu et immense est ce lieu
Où seul le Tahu’a et sa feuille de
Tabu et immense est ce lieu
sacré.
Quiconque s’en approche sera maudit
Car ici reposent les esprits,
De nos valeureux guerriers.
Chacune de tes
magnifiques pierres,
Font de toi notre sanctuaire
Où
se
recueille la tribu.
Vaste, immense et menaçant
Ainsi, nous te construisons
Car tu
es
gloire et puissance pour la tribu.
Raurea
154
Frogier
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Marae oublié
Lieu autrefois sain et pur
au fond de la vallée
Je vis
Au milieu de la nature
Avec des fleurs par
milliers.
Autrefois, j’étais sacré et
Les
Polynésiens n’avaient d’yeux
avais été
Que pour moi qui
Lien entre terre et cieux.
On fêtait les naissances sur
Mon habit de
En
pierres séchées
lieu sacré et pur
ce
Que l’on
parait de tiare
plumes jaune doré
Rien que pour les grands dieux,
Ô dieux pour qui j’ai été
Et de
Lien entre terre et cieux.
Je
me
fonds dans la nature
Entre les arbres de mape
Moi le marae si pur
Avec
mes
Moi le
grands chemins dallés
marae
Où sont
mes
oublié...
cérémonies
D’antan ? Moi
qui avais été
Lien entre terre et cieux.
Moi le
marae
oublié
J’étais la demeure des dieux
Lieu autrefois très sacré
Lien entre terre et cieux.
Christel Pou
155
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
Rencontre
avec
les auteurs et avec la littérature
COURRIELS LITTERAIRES
1° MESSAGE : 8 septembre 2003
Objet : requête lycéenne
Madame la directrice,
Nous
sommes
élèves
en
terminale littéraire
au
lycée La Mennais et
permettons de vous écrire aujourd’hui pour vous soumettre
requête.
Voilà, dans le cadre des Travaux Personnels Encadrés, communément appelés TPE, nous désirerions entrer en contact avec quelques
auteurs polynésiens et susciter une interview auprès de chacun dans le
but de donner de la matière à notre sujet qui est “La littérature
Polynésienne : Littérature Engagée ?”.
'Veuillez agréer dès lors, madame, nos salutations respectueuses.
nous nous
une
DEPLAT Vaea et GREIG Raiteva.
Bonjour Vaea, bonjour Raiteva,
Je suis très sensible à l’intérêt que vous
portez à la littérature poly-
nésienne, et c’est avec plaisir que nous vous rencontrerons,
ceux
d’entre
D’ores et
groupe Littérama’ohi.
A bientôt donc,
Flora
156
du moins
qui le pourront.
déjà, je fais passer le message auprès des membres du
nous
(8 septembre)
2° MESSAGE
: 12 septembre 2003
Objet : RE requête lycéenne
Bonjour Flora,
Nous
avions
envoyé, Vaea et moi un mail au sujet d’interview,
réponse qui nous a enchantées, vous avez laissé entendre
que nous nous rencontrerons, nous, vous, ainsi que quelques membres
de l’équipe Littérama’ohi.
vous
et dans votre
Nous aimerions donc connaître les dates de
ces
éventuelles
ren-
contres, pour pouvoir nous organiser dès à présent.
Merci
des
beaucoup,
lycéennes sympathiques et dynamiques,
Vaea et Raiteva.
Bonjour, ô lycéennes sympathiques et dynamiques !
Pour le moment tes auteurs de Littérama’ohi ne se retrouveront que
dans deux semaines. C’est donc à cette occasion que je
de votre demande.
leur ferai part
Mais d’ores et
déjà, il serait quand même bien que j’aie un minisur votre projet. Donc si vous avez les grandes
lignes de ce que vous voulez faire : objectif, durée, enseignants responsables, projets de restitution ou de production... à la suite de vos tramum
d’information
vaux.
uns
Je pense qu’il sera toujours facile de trouver un moment avec les
et les autres. Il faut savoir que les auteurs sont dispersés, il y en a
qui vivent à Raiatea, à Huahine, aux Australes...
A bientôt,
Flora (13 septembre)
157
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
3° MESSAGE
:
15 septembre
2003
Objet : RE requête lycéenne
Bonjour Flora,
Merci
En
beaucoup pour le sérieux coup de main que vous nous donnez !!!
qui concerne les détails de notre projet, nous avons de
ce
une autre séance deTPE, pendant laquelle
professeurs (qui sont Mr Rigo, prof de philo
et Mme Chaze Heiata, prof de littérature, il me semble que vous les
connaissez...)
Nous essaierons d’élaborer au mieux une description de notre projet,
que nous vous enverrons alors.
Merci de nous consacrer un peu de votre temps,
Amicalement dès à présent,
Raiteva (et Vaea).
14h30 à 16h30
nous
aujourd’hui,
discuterons
avec nos
Re-bonjour Flora,
Voilà, nous sommes à l’instant même en séance de TPE. Alors en
qui concerne notre projet, il a démarré le lundi 1er septembre, et la
production finale, qui sera sûrement sous forme de reportage (écrit ou
télévisé, entre les deux nous hésitons encore), est à rendre en Janvier.
Nous avons donc, jusqu’aux vacances de décembre pour tout mettre au
point, ce qui est peu.
Notre objectif est d’en savoir un peu plus sur la littérature locale, de
connaître ses motivations, et de comprendre en quoi est-ce qu’écrire en
Polynésie représente un réel engagement, personnel, culturel et politique. Pour cela, nous avons l’intention d’interviewer les principaux
concernés, autrement dit, les écrivains locaux. C’est dans ce but que
nous avons fait appel à vous, parce que votre parcours littéraire nous
intéresse, pour vous demander de nous mettre en contact avec vos collègues écrivains et aussi pour vous demander des conseils.
Aujourd’hui, par exemple, avec Vaea, nous nous sommes dit qu’il
serait intéressant d’entrer en contact avec des auteurs qui écrivent en
ce
158
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
tahitien, étant donné que nous n’en connaissons pas beaucoup (seulement John Mairai et Patrick
ner
d’autres
avançons en terrain
raire est occidentale.
nous
Merci
Amaru), est-ce
que vous
pourriez nous don-
et informations. Car nous ne vous cacherons pas que
noms
inconnu, puisque notre principale culture litté-
d’accepter de nous guider...
Raiteva et Vaea.
4° MESSAGE
:
15
septembre 2003
Objet : RE requête lycéenne
Re-bonjour,
déranger encore, mais nous venons d’endébat dans l’enceinte d’Odyssey entre Jimmy Ly et
un autre, et il nous semble que Jimmy Ly fait partie de l’équipe de
Littérama’ohi, de ce fait, pouvez-vous nous donner un peu plus d’information au sujet de ce débat (date, heure, sujet traité,...).
Merci beaucoup de bien vouloir nous aider.
Excusez
nous
de
vous
tendre parler d’un
Vaea et Raiteva.
Chers futurs
auteurs-reporteurs d’écrits,
Chères Raiteva et Vaea,
Bravo ! C’est très intéressant
ça nous
Vous
ture
ce
que vous
faites ! Ca m’intéresse,
intéresse tous !
me
locale, il
savoir plus sur la littérafaudra lire les auteurs déjà publiés, c’est le premier
demandiez des conseils: pour en
vous
à faire et le passage obligé: Henri Hiro, Duro Raapoto, Chantal
Spitz, Michou Chaze, Jimmy Ly, Patrick Amaru, Célestine Vaite, Titau
Peu, Louise Peltzer, J-Marc Pambrun, Valérie Gobrait, Rôti Make,
Emmanuel Nauta,... je vous cite là quelques noms incontournables.
Ensuite vous pouvez nous inviter en classe (c’est à voir avec vos
responsables et l’administration) etlou bien entendu les rencontrer en
pas
159
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
dehors de votre établissement: Chantal
Spitz descend volontiers de
déjà les années passées répondu
à la demande de lycéens du Lycée S.Raapoto, du Lycée de Papara, du
Collège de Taravao, de l’Université. Je pense que Danièle Helme peut
se libérer; Jimmy Ly quand il est là, Marie-Claude Teissier aussi...C’est
toujours possible. Nous restons en contact.
Il vous faut également lire certains articles dans les 3 premiers
numéros de Littérama’ohi, ils ont été publiés dans ce sens. Vous y trouverez aussi les noms des auteurs écrivant en tahitien, ceux qui avaient
participé aux concours de l’Académie et plus récemment les lauréats du
Huahine si elle est invitée. Nous
avons
Prix Président. Parmi eux: Vaetua Coulin du Fare Vana’a,
Taaria Walker...
performants et pertinents dans vos interviews, il vous faut
en tout premier lieu lire les auteurs, du moins leurs premières productions...parce qu’ils ne vont pas analyser leurs écrits mais ils peuvent
répondre à vos questions de savoir pourquoi ils ont écrit telle ou telle
chose, comme ils peuvent infirmer ou confirmer ce que vous avez saisi
(une phrase, une pensée) dans/de ce qu’ils ont déjà écrit.
C’est la seule façon “d’en savoir un peu plus sur la littérature locale,
de connaître ses motivations, et de comprendre en quoi est-ce qu’écrire
en Polynésie représente un réel engagement, personnel, culturel et politique.” comme vous ie dites si bien. Chantal et moi nous sommes absenPour être
tes du 11
au
26 octobre:
nous serons
à l’Université de Nouméa où
se
colloque international sur les littératures insulaires d’émerdont la nôtre. Mais vous pourrez rencontrer les autres auteurs
pendant cette période, je verrai avec ceux du groupe à la fin septembre.
Profitez de ce temps pour lire! Je repars du 11 décembre 2003 au 20 janvier 2004, donc il faudra trouver un créneau. Vous pouvez aussi consulter sur internet “les littératures îliennes” dont celle du Pacifique.
Vous avez en effet peu de temps. Et il vous faut beaucoup lire!
Quels sont vos jours et heures libres pour une rencontre ? Donnez
plusieurs possibilités, en fonction de vos emplois du temps. Nous sommes, du moins certains d’entre nous, plus libres que vous.
tiendra
un
gence
Bon courage,
Flora (29 septembre)
160
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Bonjour Vaea, bonjour Raiteva,
Je n’ai pas eu
l’avez bien reçu.
de réponse à mon dernier mel, j’espère que vous
promis, j’ai fait part aux membres du groupe Littérama'ohi
ce samedi 21 septembre du thème de votre
TPE et j’ai transmis votre demande de rencontrer les auteurs: tout le
monde est d’accord pour échanger avec vous. Le plus simple, étant
donné que chaque auteur a la maîtrise de son temps dans les jours et
mois à venir, nous avons décidé qu’il serait préférable que vous vous
mettiez directement en rapport avec chacun d’entre nous pour la programmation de cette rencontre: c’est pourquoi je vais vous communiquer les contacts. Je pense que vous devriez faire à chacun des propositions de mois, jour et une heure de rencontre selon vos possibilités à
vous... en précisant bien les moments d’empêchement pour vous.
Par exemple, du côté des auteurs, Patrick Amaru qui se réjouit que
vous vous intéressiez à la littérature en reo ma’ohi, ne sera libre que le
mercredi après-midi et le vendredi après-midi: il vous le dira certainement (il est enseignant à Papenoo).
Mais n’hésitez surtout pas à les contacter individuellement, ils
attendent que vous vous manifestiez.
Comme
lors de notre réunion de
-
-
-
-
-
-
Chantal
Spitz : hombo@mail.pf
Teissier/Landgraf : mctjl@mail.pf
Michou Chaze : mchaze.iaora@mail.pf
Jimmy ly : jimmy.marc.ly@net courrier.com
Daniélz Helme : taoahere@mail.pf
Patrick Amaru : tél. 85 60 50 (dom.) (appeler à partir de 7h du soir
pour avoir des chances de l’avoir à la maison)
Marie-Claude
Bon courage et à bientôt,
Flora (29 septembre)
161
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
5° MESSAGE : 06 octobre 2003
Objet : RE requête lycéenne
Bonjour Flora,
D’abord
tions
excusez-nous
pour ce
long silence, mais quelques explica-
s’imposent.
long silence est dû à la décision que nous avons prise
professeur de littérature qui est
également celle qui nous “suit” pour notre projet en TPE, de vouer un
mois et demi au moins à une lecture intensive des auteurs que nous
avons, avec elle, sélectionné pour présenter à travers eux la littérature
polynésienne, avant de prendre contact avec eux pour quelques interviews. Notre choix s’est porté sur vous Flora, sur Michou Chaze, Chantal
Spitz, Jimmy Ly, Turo Raapoto, Louise Peltzer et quelques autres.
C’est dans le but de nous consacrer à la lecture des oeuvres de
Alors voilà, ce
suite
ces
aux
conseils de Mme Chaze, notre
auteurs et d’autres que nous avons
délaissé l’outil informatique,
excusez-nous encore.
lu et à lire, Qu’est ce que la
(Sartre), Vai (Michou Chaze), Hakka en Polynésie (Jimmy
Ly), Tergiversations et Rêveries de l’Ecriture Orale (de vous!), Hombo et
Elle des Rêves Ecrasés (Chantal Spitz), etc,
Enfin, c’est très gentil à vous de nous donner les moyens de
contacter quelques auteurs, merci beaucoup !!!
Nous sommes encore vraiment désolées de ce retard !!!
Dans une semaines ce sont les vacances pendant lesquelles nous
allons sûrement achever les dernières lectures qui nous restent à faire et
pour la rentrée, nous serons alors prêtes à prendre rendez vous avec
vous ! De plus la date d’échéance à été un peu repoussée (d’environ un
mois !!! Vers Janvier-Février), ce qui nous laisse un peu plus de marge !
Voilà, merci encore Flora de nous aider comme vous le faites !!!
Et encore une fois, nous nous excusons pour le retard !
Merci, désolées, et à bientôt,
A titre d’information, nous avons
Littérature
Raiteva et Vaea.
162
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Bonjour Raiteva et Vaea,
Vous êtes tout excusées du silence
cause
puisque c’était pour la bonne
!
Bonne lecture donc!
de vous suggérer
(1° prix littéraire
Jeunesse de 2002, de Titaua Peu, de Manu’ora NAUTA dont un long
extrait en tahitien traduit en français par lui-même sortira dans le n°4.
Car il me semble que ce sont aussi des références incontournables:
Patrick peut se libérer; peut parler de ce qu’il fait, (sans que vous ayez
à lire son livre en tahitien, mais ça serait bien aussi de le faire); Camélia,
parce que c’est quelqu’un de votre génération, et elle est très accessibie, d’une grande sensibilité et surtout disponibilité et gentillesse: elle
est à l’IUFM et enseigne à Paea le tahitien, mais elle se libérera volontiers pour vous, je pense. Titaua Peu, parce qu’elle marque non pas un
tournant mais un repère dans l’histoire de la littérature en Polynésie
française: c’est un auteur que vous devez absolument rencontrer.
De la liste que vous me donnez je me permettrai
les noms de Patrick Amaru, de Camélia Marakai
Manu’ora Nauta, est aussi très riche, comme vous pourrez vous en rendre compte dans le n°4 qui va sortir vers le 17 novembre.
Alors, retenez d’ores et déjà les dates du 21 et du 22 novembre
car auront lieu à ces dates-là au Petit Théâtre de la Maison de la
2003
Culture, deux soirées, “Miroir Littéraire”, de lectures publiques d’extraits
des étudiants anciens élèves option théâtre du
Lycée Taaone, ou plutôt de théâtralisation de certains textes.
Il y aura aussi une lecture par nous d’extraits d’autres auteurs :
de textes du n°4 par
nous
lisons les autres auteurs cette fois-ci !
qui sera vendu lors de ces soirées.
proposé aux étudiants de reo ma’ohi de
l’Atelier d’écriture conduit par Camélia Marakai de nous aider à écouler
les stocks restants des N°2 et N°3 au prix de 2000 cfp chacun, en
offrant à chacun la possibilité de gagner 1000 cfp pour chaque paquet
de 5 revues vendues (au choix des deux n°). Car nous avons besoin
Tout ceci afin de lancer le n°4
Actuellement
nous avons
163
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
d’argent pour maintenir la sortie de cette revue. Donc si cela vous intéc’est possible aussi de voir avec vous.
Enfin, votre travail (article ou étude) nous intéresse pour figurer
dans le n°5: ça sera une grande reconnaissance de votre travail !
Voilà en vrac quelques idées,
Bon courage !
Flora (6 octobre)
resse,
Bonjour,
Que devenez-vous ? Trop de travail ?
Alors, bon courage !
Flora
(02 novembre)
6° MESSAGE
:
03 novembre 2003
Objet : RE requête lycéenne
Coucou Flora,
Alors as-tu fait bon voyage
Nous sommes sûres que
ment intéressant de la
?
oui étant donné le caractère particulière-
conférence à laquelle vous avez participé
(Chantal Spitz et toi)....d’ailleurs nous espérons un compte rendu.
Pour l’instant, de notre côté ça bûche dur et dès la semaine prochaine nous entamerons notre série d’interviews...alors tiens-toi
prête....
Nous sommes dans l’immédiat dans l’incapacité de fixer une date
et un lieu mais nous avons des amies, qui font elles, parties d’un autre
projet de TPE et qui seraient extrêmement désireuses de te rencontrer
dans le cadre de “l’évolution de la femme polynésienne”, dans le courant de la semaine prochaine.
Nous te donnons une adresse mail où les joindre, temaruatadream@mail,pf
164
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Voilà, quant à nous, nous nous verrons bientôt ce dont nous avons
vraiment hâte.
En
attendant, merci pour tes encouragements
Merci
Raiteva et Vaea.
7° MESSAGE
28 novembre 2003
:
Objet : RE requête lycéenne
Coucou Flora,
ça
toi
Après
un
Nous
venons
long moment d’absence, c’est re-nous !!!!
de finir notre BAC BLANC et on respire....Dieux que
fait du bien quand ça s’arrête !
Bon pour eh venir aux choses sérieuses, nous aimerions fixer avec
un
rendez-vous.
Nous te laissons la liberté de choisir l’endroit et la date mais
fixons les limites
au
début de la semaine
nous
prochaine, à la date à laquelle
tu pars. Nous sommes libres n’importe quel jour à n’importe quelle
heure dans ce créneau-là, sauf peut-être le week-end (car on a une
épreuve
sur
table le samedi).
Voilà, maintenant c’est à toi de voir.
A part ça, Flora, nous avons essayé de joindre Turo Raapoto et ça
s’est révélé mission
impossible ! Mr Rigo nous a dit que ce qu’il faudrait
lettre en tahitien mais des personnes ayant
déjà tenté de le faire nous ont dit que cela ne servirait à rien ! Et même,
si par miracle on décrochait un rendez-vous, il nous faudrait avoir avec
nous un interprète tahitien....Nous trouvons que c’est beaucoup de
faire c’est lui envoyer une
contraintes...et
nous nous
tournons
vers
toi
comme vers
notre dernière
chance....pourrais-tu faire quelque chose pour nous ?
Merci d’avance de bien vouloir y réfléchir.
A très bientôt, porte toi bien....
Raiteva et Vaea.
165
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
Chères Raiteva et Vaea,
Je suis bien contente d’avoir de vos nouvelles: en effet,
demandée
Ah
ce
je me suis
ce que vous deveniez.
sacré bac blanc!
J’espère que tout s’est bien passé pour vous.
Pour le rendez-vous avec Turo, je ne serai malheureusement d’aueu ne aide pour vous: Turo, quand on arrive à le contacter (ce qui n’est
jamais gagné d’avance), accepte exceptionnellement les rendez-vous.
C’est bien dommage.
Quant à notre rencontre, on pourrait la fixer au lundi 10 décembre à
11 h, Place To’ata, ou à 17 h au même lieu et le même jour.
Voilà, à bientôt donc,
En attendant, bon week end,
Flora. (28 novembre)
Bonjour Raiteva et Vaea,
Je
ne
sais si
vous avez
reçu mon message en
réponse au vôtre et
à la demande de rencontre.
Je
vous
ai fixé
un
rendez-vous
ce
jour 1° déc à 11 h ou à 17 h à
To’ata, et j’attendais une confirmation de votre part.
Malgré tout je serai à To’ata à 11 h, et si vous
n’y êtes pas, je n’y
serai pas à 17 h.
A bientôt peut-être,
En attendant bonne journée
Flora
et bonne semaine,
(le 01 décembre)
8° MESSAGE :15
mars
2004
Objet : de Raiteva et Vaea
Bonjour Flora,
Nous
avons
166
pas
nous
confondons
donné de
nos
en excuses car
il est vrai que nous ne vous
nouvelles, mais il est vrai que nous étions très
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
la mise en forme de notre projet de TPE. Mais maintenant
que nous avons passé les épreuves nous sommes toutes disposées à
vous revoir, et, éventuellement à vous communiquer le poème que nous
avons écrit à la suite de notre réflexion, comme vous nous l’aviez proposé.
Nous espérons que vous nous excuserez et que vous nous répondrez, si vous en avez le temps
occupées
par
Merci et à bientôt
Raiteva et Vaea
9° MESSAGE : 18 mars 2004
Objet : RE : poème
Bonjour Vaea,
Merci de ton mot,
J’attendrai donc l’envoi de Raiteva.
A bientôt,
Flora
(19 mars)
10° MESSAGE: 18 mars 2004
Objet : et voilà notre dossier...
Coucou Flora,
Voilà
l’intégralité du dossier que nous avons rendu aux examina-
teurs dans le cadre de nos
TPE.
sujet de la littérature polynésienne,
production personnelle (c’est à dire un poème sur l’écriture écrit en
français puis que nous avons traduit en reo maohi avec l’aide de Mme
Garel, professeur de tahitien à La Mennais), des biographies issues
d’internet et enfin notre bibliographie.
Là tu trouveras notre réflexion au
une
discuté avec nos pro(notamment avec Mme Chaze et Mr Rigo) et tous les deux
Nous tenions à te dire, Flora, que nous avons
fesseurs
167
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
ont conseillé de
publier uniquement notre poème, car notre
risque (si elle est publiée) de nous causer du tort d’après eux.
Là dessus, nous aimerions ton avis car nous nous posons beaucoup de questions à présent.
C’est vrai qu’après tout, qui sommes-nous pour tenir de tels propos
sur un sujet dont nous n’avions aucune connaissance il n’y a même pas
6 mois. Nous sommes conscientes qu’il y aurait beaucoup à redire et
nous ne sommes sûrement pas prêtes à en assumer les conséquences,
nous
réflexion
surtout face à des adultes.
Par contre
prêtes, s’il le faut, à rédiger une présenentreprise et des TPE ainsi qu’une introduction qui expliquerait notre poème et la démarche que nous avons faite.
Enfin si cela ne te pose pas de problème nous aimerions te rencontrer mercredi prochain, alors à toi de voir et de déterminer le lieu et
nous sommes
tation de notre
l’heure.
Sur
ce
à très bientôt...
Raiteva et Vaea.
Bonjour Raiteva,
Merci pour
Cela
me
l’envoi de votre travail, à toi et à Vaea.
réconforte et m’enthousiasme
s’impliquent dans
ce
toujours que des jeunes
qui les touche, et s’emparent de ce qui leur appar-
tient.
Bien sûr, on
pourrait y relever un ton un peu appuyé, mais je crois
que c’est à la hauteur - avec l’énergie, la vivacité, - et la qualité -de ce
que vous avez vécu, ressenti, et apprécié, suite à la lecture et à votre
découverte de vous-mêmes au travers des écrits des auteurs polynésiens.
J’y ai lu le désir et une volonté, - à d’aucuns péremptoire -, mais
dirai, affirmés, de voir s’affermir, se développer, et être reconnue,
notre conscience ou pensée littéraire.
C’est peut-être un peu confus ce que je dis là II?
moi je
168
Rencontres
Mais
vous
m’avez touchée et
mère que je suis, et qui
le domaine littéraire,
C’est à dire
non
vous
polynésiennes, rencontres inouïes
faites du bien à la vieille
voit que la relève,
-
grandhi’ohi’o, ti’ati’a, rauti -, dans
seulement dans celui de la création mais aussi
dans celui de la
pensée, de la conscience en général, est assurée !
j’aimerais bien que l’on vous lise !
Je sais bien que la balle est à présent dans notre camp !
Je te fixerai donc un jour et une heure où nous pourrons nous renEt
comme
contrer
avec
Vaea.
En attendant, bon courage
sur
et bonne préparation pour votre devoir
table !
A très bientôt,
Flora (19 mars)
Bonjour Vaea,
Bonjour Raiteva,
C’est bon pour mercredi prochain à 12h à
Dans mon précédent courriel j’avais omis
To’ata.
de vous dire qu’il' serait
en effet judicieux, comme Raiteva l’a proposé, de “rédiger une présentation de votre entreprise et des TPE”, “une introduction de votre
poème”, et une note sur “votre démarche”.
Bon week-end et à
A
mercredi,
fa’aitoito,
Flora
(19 mars)
Bonjour Raiteva,
Bonjour Vaea,
Je
vous
avais donné
une
date pour
notre rencontre: le mercredi 24
à 12 h, mais en ayant oublié que je serai empêchée ce jour-là.
Serait-il possible de nous voir plutôt vers 17 h toujours Place To’ata ?
mars
J’ai relu votre dossier de TPE. Il
me
semble,
avec
votre synthèse,
l’explication de votre démarche, la suppression du dernier paragraphe
169
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
(3 à 4 phrases), que les lecteurs de Littérama’ohi, auteurs ou non, sauapprécier votre “réflexion sur la littérature polynésienne”.
Pour ma part, je voudrais voir avec vous l’autorisation de publier
l’échange électronique qu’il y a eu entre nous depuis votre prise de
contact jusqu’à ce met, car il n’est pas sans intérêt, il parle et plaide en
ront
votre faveur.
Et c’est moi
qui vous remercie de ce que vous êtes et
de votre
confiance.
A
bientôt,
Flora
(21 mars)
11° MESSAGE
:
30 mars 2004
Objet : synthèse de Vaea
Voilà, Flora, ma synthèse que tu m’as demandée, j’espère qu’elle
conviendra et n’hésite pas à dire ce qu’il faut modifier ! Dis-nous alors
s’il faudra
rajouter quand même une explication de notre travail.
rédiger l’explication de notre poème.
Sinon
cette semaine nous allons
A très bientôt
Vaea
Bonjour Vaea,
J’ai bien reçu ta synthèse et je t’en remercie.
Elle convient telle qu’elle est, et il n’est pas nécessaire
explication de votre travail: tout y est déjà. Mais
poème pourrait être intéressante. Je l’attends donc.
une
Bonne semaine à toi et à
Et
au
Flora
170
plaisir de vous lire!
(30 mars)
Raiteva,
d’y ajouter
celle de votre
Rencontres
a
Deplat et Raiteva Greig
La Littérature
polynésiennes, rencontres inouïes
]
polynésienne, littérature engagée ?
SYNTHESES
Synthèse de Vaea
Par où
commencer
?
je pense qu’il faut expliquer pourquoi Raiteva et moi
parler de la littérature polynésienne.
Tout d’abord,
avons
choisi de
départ, nous voulions parler de la littérature engagée en France
puis Madame Chaze nous a proposé de parler de notre pays, ce qui
n’était pas une mauvaise idée parce qu’il s’est avéré que nous ne
connaissions vraiment pas grand chose sur cette littérature. Donc en
définitive, nous pouvons dire que les six mois de recherches, d’interviews, de lecture, de réflexion, de discussions, et de partage nous ont
beaucoup apporté.
Mais à travers cette recherche sur la littérature, nous avons aussi
découvert le malaise de la population polynésienne, ses revendications.
Pour bien traiter notre sujet, il y avait aussi un passage nécessaire vers
le passé, pour « revisiter » la colonisation, l’oppression de ce peuple,
les traditions orales, et la naissance de l’écriture. Au moins, lorsque
nous serons en métropole pour nos études, nous pourrons parler de
Au
notre pays.
De plus,
les rencontres avec les divers écrivains ont été plus qu’en-
richissantes, et les interviews étaient incontournables pour comprendre
un
minimum cette littérature.
Ainsi,
donc fait la connaissance de Michou Chaze,
Patrick Amaru, Chantal Spitz mais malheureusement
nous avons
Flora Devatine,
la chance de rencontrer Louise Peltzer, Dura
Raapoto, Titaua Peu et MacoTevane. J’ai dû surmonter un peu ma timidité pour parler avec ces personnes.
nous
n’avons pas eu
171
Littérama’ohi N°6
Vaea
Deplat et Raiteva Greg
plus un travail de réflexion que de recherqui n’était pas plus mal. Cela
nous a obligées à avoir nos propres idées, à les mettre en commun et
à former, je l’espère, une réflexion de qualité.
Notre travail était donc
ches dans les livres et sur internet, ce
plus que des rencontres, il nous a fallu lire les œuvres, sans
quoi les interviews n’auraient pas eu lieu d’être. Il y a donc eu beaucoup
de temps de lecture, de réflexion et de discussion avec diverses personnés, telles que les professeurs.
Mais
Certes
nous avons
rencontré quelques difficultés,
mais mineures :
départ, nous avons passé beaucoup de temps à organiser notre
sujet, à avoir accès aux noms des écrivains polynésiens et à lire
quelques-unes de leurs œuvres ; donc du temps que nous n’avons pas
passé à interviewer ces mêmes écrivains. Mais nous nous sommes rattrapées pendant les vacances de Noël. De plus, nous n’avons pas eu la
chance de rencontrer la ministre de la culture qui était très occupée. En
ce qui concerne le représentant de l’Eglise protestante, Duro Raapoto,
était très difficile d’accès tant pour le rencontrer que pour le contacter.
Nous avons par contre pris rendez-vous avec Titaua Peu à deux reprises mais celle-ci a annulé à chaque fois. Nous ne savons pas vraiment
quoi en déduire... c’est dommage parce que c’était la plus jeune « écrivaine » polynésienne. Et Maco Tevane, président de l’Académie tahitienne, par manque de temps. Sinon, tout au long de notre travail, nous
nous sommes très bien entendues et notre intérêt pour notre sujet n’a pas
diminué. Ce fut donc une période de lecture, de partage et de communiau
cation enrichissante.
Vaea
172
Deplat
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Synthèse de Raiteva
Bien avant la
première séance Vaea et moi nous étions mises d’ac-
cord pour assurer ensemble les TPE cette année. J’ai eu beaucoup de
chance de l’avoir comme coéquipière car nous sommes généralement
longueur d’onde et entre nous les désaccords, les dispulitiges sont rares et je pense que c’est primordial au bon
déroulement d’un projet. C’est très important d’avoir un minimum d’affisur
la même
tes
ou
nités
les
avec
entente entre
Mais
qui l’on doit travailler pendant plusieurs
qualité du résultat dépend aussi, un peu, de la bonne
les membres d’une équipe.
la personne avec
semaines. La
y avait entre nous, dès le début nous
heurtées à certaines difficultés dont la première fut l’op-
malgré la complicité qu’il
nous sommes
sujet. Heureusement nos professeurs ont été là pour guider et
qui s’est définitivement porté sur « la littérature de
Polynésie ». Je pense que c’est le caractère totalement inconnu de ce
domaine qui nous a convaincues car toutes les deux n’avions aucune
idée de ce qui nous attendait. Mais à présent, six mois après, nous ne
regrettons rien. Ces quelques semaines ont été une succession de lectures locales, de recherches, d’interviews, de réflexion, d’enrichissement et de partage.
tion du
éclairer notre choix
Grâce
acquis beaucoup de connaissances
culture dont fait partie la littérature. Nous avons dû
moins loin dans l’histoire de la Polynésie et ce que
appris m’a à la fois étonnée, fascinée et sidérée.
aux
TPE
nous avons
notre propre
remonter plus ou
sur
nous avons
Initialement, j’avoue que mon opinion en ce qui concerne la littéra-
polynésienne était nettement péremptoire et méprisante. Elle s’appuyait sur des « on-dit » tout à fait infondés et les TPE m’ont prouvé
qu’une fois de plus on ne peut pas se fier aux rumeurs. Les livres que
nous avions choisi de lire m’ont montré que la littérature de Polynésie
ne vaut pas moins qu’une autre. Elle n’est pas moins belle qu’une autre
et vaut la peine qu’on s’y consacre pour se détendre et apprendre.
ture
173
Littérama’ohi N°6
Vaea
Deplat et Raiteva Greg
Si
de n’avoir pas pu rencontrer, pour
les personnes que nous aurions aimé voir
Titaua Peu, Louise Peltzer ou Turo a Raapoto, nous avons tout
nous avons
été très déçues
des raisons diverses, toutes
comme
formidables. Qu’elles se nomFlora Devatine, Patrick Amaru ou Chantal Spitz,
de même réussi à interviewer des gens
ment Michou Chaze,
personnes ont un caractère unique et, j’ose le dire, exceptionnel. Elles ont accepté avec tant de gentillesse de partager avec
nous leurs convictions que je les en remercie sincèrement.
toutes
ces
Les TPE m’ont également ouvert les yeux, car je me rends compte
présent que je me contentais de survoler les précédents sujets de
recherche que j’avais à traiter, alors que les TPE demandent, eux, un
véritable travail de recherche rigoureux et drastique.
Si le CDI reste un lieu, un outil de recherche indispensable, nous
avons tout de même découvert d’autres sources d’informations telles
que la bibliothèque de l’OTAC et la bibliothèque universitaire (où les
lycéens sont très peu nombreux mais très bien accueillis). Deux espaces
dont il ne faut pas faire l’impasse dans une telle situation (les TPE) !
à
présent que tout cela s’achève, je pense qu’il est important de dire
qu’en plus de tout ce que j’ai déjà dit, les TPE cette année m’ont rendue
plus sereine quant à mon prochain départ en Juin pour la France. Je sais
que je ne partirai pas vide de ma culture et de mon pays. Bien sûr, c’est
un bagage bien mince mais c’est aussi un bon début, non ?
A
Raiteva
Greig
Rencontres
La Littérature
polynésiennes, rencontres inouïes
polynésienne, littérature engagée ?
REFLEXION
Une réflexion
tout
une
au
définition du
la suite de mettre
en
sujet de la littérature de Polynésie nécessite avant
concept même de la littérature qu’il convient par
relation
avec
les facteurs locaux.
désignepeut pas
s ‘appliquer à la littérature polynésienne, car en Polynésie, la notion
même de littérature ne se réduit pas à une stricte dimension écrite. Si
l’on en croit les auteurs locaux que nous avons rencontrés, la littérature est avant tout un véhicule « d’émotions et de messages » (Patrick
Amaru), « l’art de s’exprimer » (Flora Devatine).
En Polynésie, en effet, la littérature prend en compte au même titre
que l’écriture, l’« oraliture » (terme apparu en 1982 et consigné par écrit
en 1988 dans un travail de recherche), c’est -à dire l’usage littéraire de
la parole. Si l’on considère cela, l’histoire nous apprend qu’en Polynésie
la littérature (principalement orale) est aussi ancienne que la culture.
Si l'on s’en tient à la définition du dictionnaire, la littérature
rait l’« ensemble des
Elle
se
oeuvres
écrites
».
Mais cette définition
manifestait notamment à travers les
tâtions des
«
‘orero
ne
» ou encore
les réci-
généalogies.
ajoutée l’écriture avec la revendication
Polynésiens d’une culture et d’une littérature qui leur soient propres.
Ainsi il y a environ vingt ans (années 70-80) sont apparus les premiers
écrits publiés d’auteurs polynésiens. Et c’est pour faire la distinction
avec la littérature orale qu’on parle alors de littérature écrite.
Si Maco Tevane, directeur de l’Académie Tahitienne, pouvait déclarer à propos de la littérature écrite qu’ « elle n’ est que la dénaturation »
de ce qui fait la singularité de la littérature polynésienne, c’est-à-dire
son oralité, nous nous permettrons tout de même de discuter cette affirPuis à I’
«
oraliture
»
s’est
des
mation.
175
Littérama’ohi N°6
Vaea
Deplat et Raiteva Greg
Quant à notre réflexion, si elle porte sur
la littérature de la
Polynésie, elle considérera uniquement la littérature polynésienne dans
sa dimension écrite. Ainsi c’est à travers des écrivains polynésiens phares que nous allons tenter de comprendre ses fondements, ses revendications, ses engagements, ses besoins et ses aspirations.
Contexte
historique
logique colonisatrice, la Polynésie s’est vue déposséder
qui faisait l’expression de sa culture. Ainsi la langue, les danses, la religion, les tatouages jusqu’aux mœurs vestimentaires polynésiennes ont été longtemps dévalorisés. A la place, s’est imposée la culture occidentale, à laquelle les Polynésiens devaient s’adapter.
La littérature de Polynésie est née de la main d’un peuple colonisé
en réaction à la colonisation. De ce fait on peut affirmer que la littérature
de Polynésie est une littérature en Français de colonisés.
Dans
une
de tout ce
véritablement dans les années 70, période postqui a vu le renouveau de la culture ma’ohi et connu l’effervescence du débat sur l’avenir institutionnel (autonomie ou indépendance)
de la Polynésie.
C’est dans ce contexte politique qu’ont été créés les principaux
partis indépendantistes polynésiens. C’est ainsi que l’on peut lier étroitement le désir d’indépendance croissant de l’époque et les prémices
de la littérature polynésienne. En effet, lorsqu’un Polynésien écrira, ce
sera principalement pour revendiquer son identité et sa culture ma’ohi
noyées dans la culture occidentale, et pour exiger de posséder son
fenua dont il a longtemps eu le sentiment d'être privé. « Si tu étais venu
chez moi, je t’aurais accueilli à bras ouvert et j’aurais tout partagé avec
toi. Mais tu es venu chez toi, et je ne sais comment t’accueillir chez toi.»
dira Henri Hiro, précurseur de la littérature en Polynésie.
Elle est apparue
coloniale
Bien que
orale, elle n’est
cela et à exclure définitivement l’écriture.
la Polynésie soit une société de tradition
pas condamnée à n’être que
Comme le dit Louise Peltzer, “il faut
176
arrêter d’opposer l’oralité à l’écrit.”
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Cependant c’est
une idée à laquelle quelques personnes, qui suivent un
mouvement conservateur et traditionaliste, n’adhèrent pas forcément.
Nous pouvons
citer notamment Maco Tevane (cf introduction). Pour
part, nous pensons que l’écriture ne nuit en rien à Poraliture. Ces
deux notions ne s’opposent pas, au contraire, elles se complètent.
L’écriture est un enrichissement qui permet de combler les failles de la
transmission orale qui est bien souvent lacunaire. En effet, si la parole
est éphémère, les écrits restent.
Puis il ne faut pas oublier que l’écriture a donné un nouveau statut
à l’oraliture longtemps dévalorisée.
notre
Ecrire hier...
Dans
contexte
plus général, produire un écrit est toujours une
d’engagement, un engagement dans le fait même d’écrire.
En Polynésie, les premiers auteurs, notamment Henri Hiro et Turo
Raapoto, désiraient à travers leurs ouvrages délivrer aux lecteurs des
messages forts. Ils écrivaient souvent dans le cadre d’une introspection
identitaire. « Que suis-je ? » se demandera Monsieur Raapoto dans un
texte terrible publié en 1978 dans le Journal des missions évangéliques
intitulé “Ma’ohi”. Quête de soi qui aboutira finalement à la soif d’être
ma'ohi. « Nous serons Maohi ou ne serons plus. » dira encore dans le
même texte Monsieur Raapoto.
Puis, passé le cap de l’identité les auteurs ont écrit essentiellement
pour crier leur colère et pour revendiquer leur culture. Ecrire pour prouver que le peuple ma’ohi existe et pour faire retentir sa voix.
En dehors de cela, les écrivains se sont aussi exprimés pour corriger l’image chimérique véhiculée durant plusieurs années par la littérature exotique (littérature sur la Polynésie écrite par des étrangers) avec
surtout Loti (Le Mariage de Loti).
Quelles que furent les raisons premières de l’engagement, celui-ci
consistait d’abord (et consiste encore) dans le simple fait d’écrire. Ecrire
c’est s’engager. S’engager à dire, à prendre en charge et à assumer ce
qui est dit.
un
sorte
177
Littérama’ohi N°6
Vaea
Deplat et Raiteva Greg
Puis
une
fois les textes écrits il fallait ensuite franchir le pas
de la
publication. Et publier une œuvre est certainement l’engagement qui
publier, se faire connaître et par la suite reconnaître
étaient à l’époque une entreprise difficile. Bien entendu la difficulté
n’était pas dans la recherche d’une maison d’édition mais dans l’acte
même de publier. Il a fallu beaucoup de courage aux premiers écrivains
pour décider de se faire publier. Ainsi, Flora Devatine s’est prudemment
dissimulée derrière le pseudonyme Vaitiare à ses débuts en tant qu’écrivain. Elle fut l’un des premiers auteurs à comprendre qu’il fallait écrire
pour écrire et c’est là que réside son engagement personnel.
suit l’écriture. Car
pour Henri Hiro écrire est ce qui compte.
Quelle que soit le message, quelle que soit la langue d’écriture également,
il faut écrire. « Maintenant il doit écrire et ainsi s’exprimer, peu importe que
Pour Flora Devatine
comme
français ou en anglais ! Limportant est qu’il s’exprime. Faites-le !» dira Henri Hiro (“il” fait référence au peuple polynésien).
Cependant après la revalorisation de la culture polynésienne, en
partie grâce à sa littérature, on aurait pu penser que la principale langue d’écriture serait le Reo Ma’ohi, le Tahitien. Pourtant beaucoup d’auteurs écrivent encore en Français. Ce qui peut paraître étrange puisque
la plupart d’entre eux se sont énormément engagés dans le combat
pour la ma’ohitude (culture ma’ohi ). A cela, on nous a répondu que l’enfance de plusieurs écrivains a été bercé particulièrement par la langue
française puisque le Tahitien était interdit à l’école. Ils ont ainsi appris le
français imposé et obligatoire, au détriment de leur langue maternelle.
ce
soit
en reo
ma’ohi,
en
Si certains auteurs ont alors
comme
du texte
recours
à la traduction d’autres
« une trahison vis à vis
Patrick Amaru considèrent cela comme
d’origine».
Ecrire
aujourd’hui...
Aujourd’hui on peut constater que la question de la revalorisation
pose plus et que la culture polynésienne est entièrement revalorisée. Ceci en particulier grâce aux combats des écrivains pour affirmer
ne se
leur maohitude.
178
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Aujourd’hui, le message d’hier est passé et reçu et la prise de parole
acquise et librement utilisée.
à travers l’écriture est enfin
Aujourd’hui il est évident que les engagements ne sont plus tout à
qu'il y a vingt ans. Le message et le contenu de l’écriture ont changé; ainsi Michou Chaze nous confiera qu’elle avait beaucoup
écrit dans le but de contester, de critiquer et de dénoncer. A présent ce
qu’elle souhaite c’est écrire sur des thèmes plus positifs comme l’amour
et le bonheur. Et de nombreux écrivains ont suivi sa démarche, apaisés.
fait les mêmes
toujours des auteurs qui n’ont pas fini de dire ce
qu’ils ont commencé à dire vingt ans auparavant. Ainsi Chantal Spitz (et
plus récemment Titaua Peu) ne semble pas avoir quitté le cadre des
années 70-80 et n’épargne pas de sa plume virulente le métropolitain
étranger.
Justement, à présent que la culture polynésienne (et tout ce qu’elle implique) a été revalorisée, ne faut-il pas passer à autre chose ? Ainsi
revient la question d’écrire pour écrire ? Maintenant que la littérature
polynésienne est lancée ne devient-il pas urgent d’écrire dans un but
purement littéraire ? Que la littérature se prenne elle-même comme
objet d’écriture et comme objectif ? En effet l’écriture n'est pas forcéNéanmoins il reste
ment de la littérature.
besoin de s’unir.
la littérature polynésienne
Actuellement, la plupart des auteurs ressentent le
Car ils
comprennent qu’il y a urgence et que
doit continuer à vivre et à s’enrichir de nouveaux auteurs.
cadre de la
revue
Ainsi dans le
Littérama’ohi, “Ramée de littérature ma’ohi”, ils se
regroupés pour former un groupe littéraire, un groupe de réflexion
qui veut promouvoir l’écriture en Polynésie.
Ces auteurs sont tous différents, avec une histoire, une personnalité et des opinions différentes (plus ou moins engagés), cependant ils
restent soudés et solidaires car peu à peu ils prennent conscience qu’ils
sont automatiquement liés, par leur désir d’écrire. Ecrire pour écrire.
sont
179
Littérama’ohi N°6
Vaea
Deplat et Raiteva Greg
Ecrire demain...
Revendiquer sa culture.
Crier
sa
douleur.
Dénoncer la souffrance.
Tenter de
Libérer
se
trouver.
son cœur.
légitime de
réagir, lorsqu’on a souffert du sentiment d’être opprimé, lorsqu’on a été
écorché par la vie, par l’autre, l’étranger. Et l’écriture est un moyen de
réagir très efficace. Mais l’écriture et la littérature ne doivent pas se restreindre à dénoncer, revendiquer, crier ses angoisses et ses peurs.
Ce que l’on essaie de dire c’est que, par dessus tout, quelque soit
le message, qu’il en ait un ou pas, il faut avant tout écrire pour écrire,
sans pour autant perdre de vue le souci littéraire. Comme nous l’avons
dit précédemment l’écriture n’est pas forcément la littérature...
Ce sont là de belles et nobles raisons d’écrire. Il est
180
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
PRODUCTION
Poème
Poème écrit
en
sur
l’écriture
français et traduit en tahitien.
I te
marumaru o
Ua
vauvau
te tumu vi,
hia te peue.
Api parau...penitara...te papai nei au...
E aha
? Aore
ra
auraa...
No te aha ? Aore
au
i ite.
Papai, papai noa,
Papai noa mai, papai noa iho,
Papai mai te matai.
Te
oaoa
mai te oto.
Te here mai te hara.
Eiaha ia mu, ia ruperupe ra
la ruperupe te oraraa.
te manao,
Papai.
papai nei au,
No te parau ia,
Te
No
u
nei,
No te maitai noa,
No te
haaparare i te ora,
i mûri,
Te ora i teie mahana,
I mua,
To
u ora.
No te firi to
I to to
I to
oe
u
u
iho
ora
i to vetahi ma,
nunaa,
iho.
Inaha hoi,
Tera te papai.
181
Littérama’ohi N°6
Vaea
Deplat et Raiteva Greg
A l’ombre du
manguier
pe’ue est installé
Papier.. .crayon.. .j’écris.
Le
Quoi ? Je
ne
saurai décrire...
Pourquoi ? Je ne saurai le dire.
Ecrire, simplement écrire
Ecrire tout, écrire rien
Ecrire
Les
vient
joies comme les peines
comme
L‘amour
ça
comme
la haine
Ne rien taire, laisser
Pour
se
vivre
laisser vivre
J’écris !
J’écris pour dire
Pour rien de mieux
Pour rien de
pire
Pour dire la vie
après,
La vie avant, la vie
La vie maintenant,
Ma vie
Pour lier
ma
A celles des
vie à celles des autres,
miens,
A celles des tiens,
Parce que
finalement
Ecrire, c’est ça !
«
Ecrire », ce mot
résonne comme une prière.
l’ignore pas car il est là.
Ne l’enfouis pas, ne
A papa’i ana’e !
Raiteva
182
Greig et Vaea Deplat
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
BIBLIOGRAPHIE
•
La rencontre de Claude Cerdan
•
Hakka
•
•
•
•
en
Polynésie de Jimmy LY
Chantal Spitz
de Michou Chaze
Hombo, Transcription du biographie de
Vai
ou
la rivière
sans
nuage
L’île des rêves écrasés de Chantal T.
Rêveries et
Spitz
Tergiversation de l’Ecriture orale de Flora Devatine
•
Moana Blues de Anne-Catherine Blanc
•
Mutismes de Titaua Peu
•
«
Littérama’ohi
•
«
Le Dixit
»
»
N°1, N°2, N°3, et N°4
(numéro 6)
•
Un extrait de Lettre à Poutaveri de Louise
•
Recueil de
Peltzer
poèmes de Henri Hiro
Site(s) web :
www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/pacifique/paroles.html
183
Littérama’ohi N°6
Tokainiua J-D Devatine
Rencontre estudiantine
-
Rencontre studieuse :
à la découverte de la littérature
TE RU RU RA’A REO MA’OHI
UNE JOURNEE DE RENCONTRES
Le 6 décembre 2003 eut lieu à Paris dans ie
sous-sol de la
Délégation de la Polynésie française une Journée de Rencontres, dans
un premier temps entre étudiants, puis entre étudiants et chercheurs,
dans le cadre du séminaire de Reo Ma'ohi intitulé
Rurura’a Reo Ma’ohi.
organisée par le comité de Reo
l’impulsion de la Fédération des Associations des
Etudiants de Polynésie Française (FAEPF) dont il dépend. Toutefois, le
comité jouit d’un fonctionnement à part, ayant son bureau et bénéficiant
d’un budget propre. Le programme doit répondre à l’objectif, imposé par
la FAEPF, qui est la rencontre des responsables de l’apprentissage du
Tahitien au sein des Associations des Etudiants de Polynésie
Française. Cela afin de faire le point de l’atelier « reo ma’ohi » de
chaque association, de partager les expériences pour que celles-ci
soient profitables à tous, de permettre des échanges entre responsablés mais également avec toutes les personnes présentes, la journée
Cette manifestation annuelle est
Ma’ohi,
sous
étant ouverte à tous.
général qui avait été retenu pour cette Journée était
Expression, savoir et échange ». Il résume parfaitement l’idée maîtresse du séminaire, il s’agit de son épine dorsale, sa colonne vertébrale :
Le thème
«
«
184
Exprimer ce que l’on sait
Exprimer le désir d’échanger
Savoir s’exprimer
Savoir échanger
Echanger des modes d’expressions, voir
Echanger les savoirs »
D’emblée
voici
en
changer
de
questions d’humanisme, de transmission, de médiation, de collaboration, de don, de contre don, mais
aussi d’amitié et de générosité.
En même temps, cette année nous avons pensé innover et donner
une nouvelle orientation au séminaire de Reo Ma’ohi, en incluant dans
le programme différentes interventions dont les sujets ont été choisis
parmi ceux de l’actualité du fenua.
En
effet,
nous
au cœur
remarquions, qu’étant en Métropole, il y avait peu de
Polynésie française et nous. C’est dans le
combler ce vide que le comité de Reo Ma’ohi s’est intéressé à
nous
communication entre notre
souci de
l’actualité. Ainsi
nous
choisîmes d’entendre
une
intervention de
:
Bertrand F. GERARD, sur la littérature en
Polynésie.
qu’elle nous parle des actions des étudiants
de l’UPF, notamment le « prix littéraire des étudiants » récompensé par
le prix Coup de cœur Animafac
Jean-Yves TREHIN, sur Gauguin à l’occasion du centenaire de la
-
-
Mareva LECHAT, afin
-
mort de
ce
dernier.
(Uintervention fut suivie d’une visite de l’exposition Gauguin.)
Le thème
Expression, savoir et échange » ?
Expression
Tout le monde est invité à exprimer ses sentiments, ses joies, ses
craintes, ses peurs, à parler, à discuter, à échanger avec les autres.
L’expression est un véhicule qui nous permet d’atteindre du savoir, elle
est une pirogue.
C’est la
«
pirogue de pêche qui
pour nous nourrir,
C’est la pirogue
veaux
de
voyage
nous
qui
permet d’attraper du poisson
nous
permet d’atteindre de
nou-
horizons,
185
Littérama’ohi N °6
Tokainiua J-D Devatine
C’est la
d’acheminer
pirogue de transport de marchandises qui nous permet
nos
récoltes.
Savoir
pirogue et nous embarquons pour savoir,
apprendre, connaître, comprendre.
Notre assemblée est
une
Nous
partons à la pêche
partons découvrir
Nous partons faire des rencontres
Nous
Echange
Partager la même faim et la même soif. Mettre nos efforts en cornmun. Se nourrir de ce que chacun apporte, du fruit des travaux des
intervenants de
ce
séminaire.
Echanger ses idées et ses impressions les uns avec les autres et
peut-être en soi une graine, celle du désir d’apprendre et
faire germer
de partager.
souhaitions que tous ensemble nous
pland’un de ces beaux arbres qui prodiguent nourriture,
ombrage et fraîcheur à ceux qui y viennent.
Par
tions
ce
une
séminaire
nous
pousse
Pour le comité de Reo Ma’ohi, c’était aussi,
à travers le Rurura’a,
de s’inscrire dans la continuité de la semaine du Reo Ma’ohi en
Polynésie française qui eut lieu durant la semaine du 24 novembre
journée, rassemblant tous les responsables d’AEPF
chargés d’animer un atelier d’apprentissage du reo ma’ohi dans leur
ville (Aix-en-provence, Nice, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Montpellier,
Strasbourg, Paris), manifestait la volonté des étudiants de France de
participer là aussi, à leur manière à l’actualité territoriale.
2003. Ainsi notre
un premier bilan des ateliers dans chaque AEPF.
développe à sa façon des idées originales : ateliers à thème
Il fut dressé
Chacune
186
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
la préparation du po'e,... avec l’apprentissage des termes, des noms des ustensiles en tahitien. Par ailleurs, le
comité et les personnes présentes ont remarqué que l’apprentissage du
tahitien n’était pas conçu indépendamment des pratiques corporelles.
Au contraire, les deux choses sont liées.
comme
celui de la couture, de
Le comité Reo de Ma’ohi, dans son
rôle de soutien de l’apprentis-
sage du Tahitien parmi la population estudiantine tahitienne de France,
a offert aux AEPF, un dictionnaire du Fare Vana’a et un exemplaire du
Tintin et le crabe
Par ailleurs,
aux
pinces d’or traduit en Tahitien.
fut présentée une série de méthodes et de grammai-
l’apprentissage du Tahitien que les AEPF pourraient
acquérir pour leur atelier : celle du Tahitien de Mirose PAIA et Jacques
VERNAUDON, celle de TRYON, la grammaire descriptive de Louise
PELTZER, la méthode de Turo RAAPOTO, la méthode des instituteurs.
Il a été rappelé que la forte demande de vocabulaire en langue tahitienne de la part des étudiants polynésiens devait être accompagnée
impérativement de leçons de grammaire s’ils voulaient réellement
apprendre le Tahitien et non mal le parler.
res
relatives à
Le comité de Reo Ma’ohi tint
également à présenter le site internet de
la FAEPF pour les raisons suivantes : promouvoir le site au sein des AEPF,
car il s’agit d’un site bien conçu, « cordon » qui nous unit entre nous, avec
la fédération et le Territoire. Il est
régulièrement mis à jour, présente l'avan-
tage de bénéficier de nombreuses rubriques intéressantes, rassemblant
les informations relatives à la vie associative des étudiants de Polynésie
française ; attirer l’attention sur la rubrique consacrée au reo ma’ohi qu’il
héberge, puisque la Journée rassemble les responsables de l’apprentissage du reo ma’ohi dans les AEPF. Cette rubrique est un outil pour l’apprentissage du Tahitien et pour la diffusion de la culture polynésienne,
puisque bien approvisionné en source bibliographique et en adresses utiles ; d’une façon plus générale, remercier les membres de la Fédération,
son Web master (MAIRE Tere) et le précédent comité présidé par AITA
Jean-Paul qui a participé à la mise en place de la rubrique de Reo Ma’ohi.
187
Littérama’ohi N°6
Tokainiua J-D Devatine
Enfin, suivirent les exposés de la journée, mais nous avons
que
demandé
les intervenants se présentent.
Bertrand F. GERARD :
«
C’est
comme
chercheur en archéologie
que je suis arrivé en Polynésie, en 1970. J’y ai séjourné près de 5 ans,
à l’issue desquels j’ai soutenu une thèse de doctorat sur les “marae”.
enseignements reçus de cette expérience m’ont conduit à m’engager sur des recherches ethno-historiques en Afrique de l’Ouest, chez les
Kurumba du Lurum (Burkina Faso). J’y trouvais confirmation que le
passé s’élabore toujours au présent. Je travaillais là dans un univers
social encore profondément enraciné dans l’oralité, soumis depuis peu
aux effets de l’introduction de l’écriture. Ce n’est que près de vingt ans
après avoir quitté la Polynésie que j’y suis revenu, comme répondant à
l’appel d’un texte signé de Flora Devatine qui questionnait la littérature
ma’ohi. Un texte posant ceci, que la littérature ma’ohi soit reconnue ou
non, elle “existe” comme faisant inscription dans les pratiques sociales
et le réel des corps; le temps est venu de lui donner corps-écrit sans se
soucier de sa reconnaissance immédiate. Quelque chose là se trouvait
engagé d’un passage à autre chose ».
Les
Il résuma ainsi
suite de cet article
son
intervention, qui est donnée in extenso
à la
:
de l’oralité à
Polynésiens
n’ont jamais cessé d’écrire depuis l’instauration du “royaume-missionnaire”. Mais l’écriture contemporaine, celle adressée au public, fait subCe
qui se passe aujourd’hui n’est pas un passage
l’écriture mais de l’oralité scripturale à la littérature, les
«
version de l’ancien ordre colonial en restituant l’auteur à une
position
subjective. Ecrire et publier s’adressent aux autres et à l’Autre comme
désir d’inscription des identités singulières et collectives. L’identité
comme nom d’une fondation élaborée avec des mots, ceux propres à
chacun et non celle résultant de ia fiction d’un corps non-métissé. »
Mareva
2003
188
:
LECHAT,
se
présenta également.
Titulaire d’une licence de droit et d’un DEUG de lettres
Rencontres
modernes. Actuellement
et sciences
en
polynésiennes, rencontres inouïes
maîtrise de droit, option carrières judiciaires
criminelles, à Bordeaux.
Vice-présidente étudiante de l’UPF ; réélue deux fois
représentante du département Droit-AES de 2000 à 2003 ; rédactrice
en chef du journal étudiant « Te Ui Mata », gagnant du 1er prix Varenne
décerné au meilleur journal des Universités et grandes écoles de
France ; co-organisatrice du premier prix littéraire étudiant ayant remporté le prix coup de cœur Animafac, journaliste accréditée lors de la
venue du Président de la République Jacques Chirac ; invitée lors du
dîner « Jeunesse » au restaurant Jimmy par le Président de la
République Jacques Chirac pour représenter les étudiants polynésiens.
Mareva fit découvrir à l’auditoire le dynamisme des étudiants en
Polynésie française, à travers le journal étudiant Te u’i mata, lauréat du
prix Varenne, catégorie meilleur journal étudiant, ainsi que la création
du prix littéraire étudiant, récompensé par le prix Coup de cœur
Animafac. Les points de son intervention furent les suivants :
2001- 2003
:
cruel de « vie étudiante »
(Raisons ; mentalité de l’étudiant polynésien de l’UPF)
Des étudiants volontaires pour une année 200212003 en effervesUn manque
cence
!
Le journal
-
étudiant « Te Ui Mata »
5 numéros, le 6ème en décembre :
des rubriques pour tous les
goûts, des interviews variées, la couverture de nombreux évènements,
beaucoup de culture (musique, peinture, tamure...) ; (le prix Varenne ;
le premier prix littéraire étudiant ;la venue de Chirac...)
bouge sur le campus !
(La journée « Vahiné, société : mode d’emploi » ; le forum des
entreprises ; la venue de RFO « Un jour avec » ; le cross de la St
Valentin sur le campus...)
Ca
Des associations motivées :
(L’association Ana ‘ihi (annuaire...) ;Team Campus (calendrier...) ;
Ascup...(Certaines qui dorment : tarte aux pom’d’aden,
AEUPF,...)
Cinévasion ;
189
Littérama’ohi N°6
Tokainiua J-D Devatine
Quant à Jean-Yves TREHIN, ce
dernier s’intéresse beaucoup à la
photographie de voyage et aussi à Tahiti. Son ouvrage Tahiti, Gauguin
photographie, publié par le Musée de Tahiti et des îles, regroupe
de nombreux clichés qui ont été réalisés entre 1860 et 1900. Après
moult recherches ce dernier a constitué un capital photographique de
plusieurs centaines de pièces dont les illustrations de ses livres sont
des extraits. Il est l’auteur de Tahiti, l’Eden à l’épreuve de la photographie, Gallimard / Musée de Tahiti et des îles, 2003 ; Tahiti, Gauguin et
la photographie, Musée de Tahiti et des îles, 2003.
et la
En conclusion, le
comité Reo Ma’ohi des AEPF fut très heureux
organisé cette manifestation. Les buts contenus dans le thème
Expression, Savoir et Echange », ont été atteints puisque tout le
monde s’est exprimé sur l’apprentissage du Reo Ma’ohi au sein des
AEPF, et que les intervenants qui y ont été invités ont captivé l’attention
des personnes présentes.
d’avoir
«
particulièrement apprécontenu que par sa personnalité et son érudition.
Beaucoup d’étudiants prirent conscience que la Polynésie écrivait,
et écrit de plus en plus, et qu’il existe une littérature polynésienne avec
des enjeux qu’elle véhicule pour la Polynésie future.
L’intervention de Bertrand-F.GERARD fut
ciée tant par son
exprimèrent le souhait de trouver dans les AEPF une bibliothèque dans laquelle trouver des ouvrages littéraires écrits en Polynésie
ou par des Polynésiens et publiés en Polynésie ou ailleurs, quelque soit
la langue dans laquelle ces ouvrages étaient écrits.
Ils
Après l’exposé de Mareva, les réactions furent aussi immédiates,
l’UPF, dont nous apprîmes les actions, certaines idées et projets à concrétiser germèrent dans la tête des personnés présentes.
et à l’instar des étudiants de
190
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Ainsi cette Journée de Rencontres du Rurura’a Reo Ma’ohi 2003
a
été à
plus d’un titre une expérience enrichissante pour le comité dont la
présidente Teumere MU tint à remercier tous les acteurs, institution,
associations, intervenants, participants qui ont permis la tenue et la
réussite de cette journée, dont monsieur Alain FERNBACH, chef de la
Délégation de la Polynésie française à Paris et à travers lui la
Délégation toute entière pour avoir vu l’importance d’une telle manifestation organisée par les étudiants du fenua, et répondu favorablement à
notre demande de salle afin de nous réunir; le bureau de la Fédération
des AEPF, son Président Teiva ROE et son équipe, pour leur soutien ;
toutes les AEPF et leur bureau qui ont su trouver des responsables
dans leur association afin que l’apprentissage du Reo Ma’ohi continue
malgré le mouvement de va et vient des étudiants ; nos trois intervenants, d'horizon et de parcours très différents, qui nous ont parlé de la
Polynésie à travers des thèmes piochés dans l’actualité : B. GERARD,
J-Y. TREFIIN et Mareva LECFIAT ; les personnes venues écouter les
interventions de la journée. Par leur présence, elles nous ont montré
leur intérêt pour les thèmes choisis ;
Sans oublier l’AEPF Paris et tous les amis qui ont permis que cette
journée se passe bien : hébergement des représentants, préparation
des repas, de la salle, etc.
Tokainiua J-D Devatine
(article
pour
Littérama’ohi dont le thème du dossier est « Rencontres »,
Paris, avril 2004, pour le comité Reo Ma'ohi)
191
Littérama’ohi N°6
Bertrand-F. Gérard
LA LITTERATURE
EN POLYNESIE
FRANÇAISE
(Journée du Rurura’a Reo Ma’ohi, Paris, 6.12. 2003.)
Polynésie avec l’arrivée des missionnaires
n’était pas inconnue des
Polynésiens qui n’avaient pas manqué d’observer que les premiers
navigateurs notaient tant leurs observations que les échanges nécessaires à l’approvisionnement de leurs bâtiments. Par ailleurs, que des
inscriptions soutiennent un savoir ne leur était en rien étranger, la sculpture, les pétroglyphes, les tatouages, des poteaux généalogiques (unu)
implantés sur les marae donnaient à voir ce que les récits ou récitations
qui leur étaient associées donnaient à entendre : voir et savoir, ite en
reo ma’ohi, c’est le même terme et vient dire que le savoir fait inscription. Transcrire le reo ma’ohi, traduire la Bible, Te Parau a te Atua, et
alphabétiser les populations relevaient pour les missionnaires d’une
même exigence. La langue anglaise et le reo ma’ohi se trouvèrent ainsi
confrontées, puis affrontées, comme soutenant l'une le primat de l’écriture, l’autre celui de l’oralité. Leur réconciliation après la victoire de
Pômare fonda, sur les ruines de la tradition préchrétienne, un nouveau
lien social par là une nouvelle culture où l’écrit soutenait la loi oralement
transmise. La Loi divine et celle des hommes faisant inscription et transmission sur le mode de l’oralité scripturale. L’écriture n’y jouait pas qu’un
rôle de transcription de la parole, elle lui imposait sa loi propre ou pour
dire mieux la chose en l’énonçant mal, en lui imposant sa logique. Un
pas décisif car irréversible fut alors franchi. La colonisation intervenue
ultérieurement imposa la langue française. Mais le protestantisme
« anglais » ou plus précisément d’inspiration anglaise, remanié par les
Polynésiens, demeura la religion dominante, le catholicisme s’imposant
aux archipels périphériques tels les Marquises, les Tuamotu et les
L’écriture fit intrusion en
à la fin du XVIIIe siècle. Pour autant elle
Gambiers.
192
Cet
arrimage de l’écriture à la religion, de la chose écrite au corps
social par le biais de la catéchèse ou de l’enseignement religieux aux
différents codes civils et religieux, c’est-à-dire à la morale et à la loi et
rejet et à l’invalidation des traditions et des usages préchrésoutint la destitution de ceux qui étaient en charge de les
transmettre eut pour effet d’ouvrir la Polynésie au monde extérieur mais en
retour de brider toute forme d’expression subjective tant orale qu’écrite.
Avoir de « mauvaises pensées », faire part de ses sentiments les plus
profonds, éprouver de la colère ou de la rancoeur et plus encore passer
à l’acte, c’était se comporter en païen ou en sauvage. La faute en revenait aux tupapa’u associés à la présence du diable que chacun porte en
soi, mais qui était aussi posé comme ayant trouvé refuge dans la brousse non-christianisée par opposition aux espaces habités structurés en
paroisses. Le mal semblait se loger là où le regard des autres n’avait
pas prise, habiter cette autre scène obscure qui la nuit plus particulièrement peut nous envahir. Il n’était pas rare dans les années 1970s
encore que l’on tienne dans chaque foyer une lampe allumée pour
conjurer le risque d’un retournement nocturne de la scène visible à celle
invisible, de ce qui se donne à voir et à savoir à ce qui est insu ou caché.
Donner à lire, à voir et à savoir publiquement ce qui pouvait se révéler
de cette autre scène n’était pas de mise et cela demeure encore très
difficile. La pudeur, l’une des versions de la honte (ha’ama) s’y opposait
et s’y oppose encore.
par là au
tiens que
Longtemps donc, pratiquement jusqu'à la fin des années 1960s,
une fonction de transcription de la langue,
d’établissement d’archives, de support d’informations, de remplissage
de formulaires ou de préparation pour des performances orales que l’on
a tendance aujourd’hui à rassembler sous le terme d’ ‘orero. Un des orateurs et compositeurs de chants les plus réputés me fit un jour savoir
qu’il était incapable d’effectuer deux lectures publiques d’une même
composition. A la différence de bien d’autres pourtant, il en garde la trace
écrite qui peut avoir été rédigée en langue française ou en reo. Les archives familiales, puta tupuna, comportent parfois outre les généalogies et
l’écriture demeura confinée à
193
Littérama’ohi N°6
Bertrand-F. Gérard
compositions plus personnelles, plus rarement
qui pourrait être qualifié d’« écrits intimes ». Faire état de ce qui nous traverse et nous travaille, donner à voir-savoir ce qui relèverait ailleurs de la confidence ou
de la confession n’est pas de mise dans le monde polynésien si ce n’est
depuis peu de temps sous la forme d’écrits poétiques où domine la
métaphore, ce dont rend compte ce terme très polynésien, emprunté à
la langue française, de « ressenti ».
les titres fonciers des
des lettres adressées à d’autres mais rien de ce
cela tende à être passé sous silence,
Oopa fut-il le premier à avoir brisé, sur le registre politique,
Sans doute, bien que
Pouvanaa
a
le cadre de la bienséance
en
remettant
en cause
l’autorité de la métro-
prônant la revitalisation des valeurs polynésiennes, mais il le
jamais remettre en cause les fondements chrétiens de la culture.
Porte-parole de l’irréductibilité de la culture polynésienne, du nouage de
son peuple à sa terre et à sa langue, un monument public en rappelle
la mémoire, mais fait significatif pour mon présent propos, ses lettres,
ses textes, ses discours n’ont jamais été rassemblés et publiés, comme
si il y avait quelque chose d’indécent ou de menaçant à le faire. Cette
résistance, ce retrait tient-il aux proches, à la famille ou au pouvoir en
place, je ne sais. Mais le fait est là, non seulement sa voix ne porte plus,
mais ses écrits sont soustraits à une quelconque lecture et de ce fait se
pole et
fit
en
sans
trouvent interdits de transmission,
inavouables.
génération suivante fut celle soumise aux effets des premiers
envoyés poursuivre leurs études en métropole.
Certains d’entre eux firent relance, dans le style propre à leur époque,
de la contestation politique. Parmi eux s’imposèrent la figure et la présence charismatique d’Henri Hiro qui secoua du même élan les pesanteurs affectant le dynamisme des Eglises Evangéliques au point de
prendre le risque d’une rupture qui ne fut jamais totale. Loin de s’en
tenir aux seuls registres du politique et du religieux, il fit fracture des
convenances consensuelles pour enfin oser écrire et s’exprimer publiquement à la première personne qu’il s’agisse de bref textes ou de poèmes écrits dans les deux langues. Quelques années plus tard, vers la
La
retours des étudiants
194
Rencontres
fin des années 1970s, un acte tout
Manutahi
polynésiennes, rencontres inouïes
aussi décisif fut posé par Charles
qui publia à compte d’auteur, hors sollicitation ou commande
éditoriale, un recueil de poèmes dans leurs versions française et tahitienne, ne s’en autorisant que de sa seule écriture et de son désir d’être
lu. Une
prise de risque annonçant pour ce même auteur d’autres publiqui suscita ce même désir d’être lu pour un autre auteur de
talent, lui aussi bilingue, Vaitiare : un nom reçu d’une autre femme dont
cations et
le talent oratoire était alors
pour une
reconnu
et sollicité. Ce don d’un nom valait
reconnaissance. Charles et Vaitiare, je laisse ici de côté les
patronymes car ils sont tous deux, tout comme le fut Henri, de mes
amis, ont ceci en commun que leur souci, volonté et désir d’écrire fut
pour tous les deux soutenu par un mouvement de retour vers les fonds
de vallées.
Charles y
interrogeait l’énigme des temps anciens tels que les pay-
sages, les grottes et les objets ou les sites archéologiques en recélaient
le mystère (piri) qui en reo consonne avec l’association qu’il avait fondée à cette fin, celle des pi’imato qui évoque ces « grimpeurs » des
temps anciens dont la fonction était de porter les ossements des
défunts dans les anfractuosités des falaises, le terme p/7 signifiant certes grimper mais aussi savoir, être instruit. Vaitiare fit aussi retour vers
les fonds de vallée, certes elle était très sensible, j’en témoigne ici, aux
témoins matériels de la culture préchrétienne, elle m’avoua un jour avoir
été gênée, presque jalouse de ce que j’avais découvert peu après mon
arrivée une ébauche de lame d’herminette sur un chemin qu’elle
empruntait depuis plusieurs années. Qu’un non-polynésien à peine
débarqué de métropole puisse identifier au premier coup d’œil un objetsigne du passé polynésien l’avait renvoyée à une certaine amertume de
la chose perdue, doublée peut-être d’un sentiment de dépossession. A
contrario Charles s’en remit à mes enseignements pour y voir plus clair
en la matière, ce dont il atteste en quatrième de couverture de ses trois
premiers ouvrages. J’évoque ceci d’une part parce que beaucoup
d’amitié nourrit ces souvenirs, mais aussi parce que ces petites anecdotes attestent de ce que l’Autre, ici le langage scientifique, était convo-
195
Littérama’ohi N°6
Bertrand-F. Gérard
qué et sollicité pour soutenir la vérité de chacun. Or si ce locataire de
l’Autre peut soutenir l’élaboration de certaines connaissances, il est
incompatible avec la vérité subjective puisque le discours de la science
vise très précisément à son effacement Un théorème mathématique se
passe, pour être validé, du nom de son auteur. Mais alors que Charles
en vint à confondre, à faire amalgame dans ses écrits ultérieurs de
l’imaginaire de vérité scientifique et de la transmission traditionnelle,
ses livres sur la vallée de la Papenoo ou sur le dessin de l’univers ma’ohi de Paiore en attestent, Vaitiare s’engagea sur une voie plus discrète,
des ressourl’archéologie
aux archéologues et l’ethnologie historique aux ethnologues, alors tous
presque secrète. Ce fut celle d’une quête des richesses et
ces de sa langue maternelle, le reo ma’ohi. Abandonnant
euro-américains, elle fit le pari, plus exactement
l’homophonie l’impose,
accepta malgré sa formation universitaire l’enseignement du Pari,
qui lui dictait de s’écarter du discours universitaire pour
se mettre à l’écoute de ceux qui se tenant à l'écart des effets et sollicitâtions immédiates de la modernité demeuraient les locuteurs vivants
elle
sa
terre natale,
langue maternelle. Ils vivaient pour beaucoup des produits de la
pêche et de la terre, souvent sur des terres alors encore non convoitées
des fonds de vallée, improvisant des discours ou des harangues pour
les fêtes communautaires ou familiales, se laissant traverser et habiter
de
sa
les gens les plus
par ce que j’appelle ici « le savoir de la langue » dont
humbles demeuraient les dépositaires. Un orateur est né
de cette expé-
puis un écrivain. Les recueil de traditions orales anciennes et
plus contemporaines déboucha ainsi sur une créativité ancrée dans ce
qui lui préexistait, la langue, mais engageant un nouveau style, exprimant des enjeux et dévoilant des vérités contemporaines. Les performances orales des orateurs convoquent en effet les registres les plus
traditionnels de la parole pour exprimer une approche actuelle du
monde, singulière et caractéristique de chacun.
rience
Les années 1990s furent celles
de l’émergence du roman
poésie, le cinéma (Henri Hiro), le théâtre (Maco
Hiro) avaient ouvert la voie au roman de fiction, une
sien. La
196
polyné-
Tevane, Henri
fiction qui de
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Spitz à Titaua Peu en passant par Louise Peltzer demeure à
égards autobiographique. Notons que si les poètes et les
auteurs de pièces de théâtre ou de nouvelles sont des hommes et des
femmes (citons ici les noms de Patrick Amaru et de Valérie Gobrait qui
privilégient pour leurs écrits le reo ma’ohi), le roman polynésien est
exclusivement féminin de langue française ou anglaise et le demeurera
sans doute pour quelques temps encore. Il semble que les hommes
éprouvent encore quelque difficulté à franchir ce pas vers une exprèssion en première personne pour un récit qui pour être de fiction colle
plus manifestement à la peau de l’auteur que la poésie qui pour en dire
davantage permet à l’auteur de se dissimuler derrière le jeu de la métaphore et sollicite davantage le lecteur d’en élaborer par sa propre lecture
le texte (les récents poèmes de Michou Chaze ne font pas exception,
l’auteur écrit un « je » voilé par les certitudes de la religion, un jeu
amputé en quelque sorte de sa part obscure ou païenne).
Chantal
bien des
indépendamment pourtant ils convergent sur ceci, l’éviction des pères ou leur destitution et la division du
sujet entre tradition (orale) et modernité (scripturale) qui est le thème
central de Lettre à Poutaveri de Louise Peltzer. L’île des rêves écrasés
puis Hombo de Chantal Spitz donnent à lire l’impossible réconciliation,
suscitant l’éclatement des solidarités familiales, la fuite vers le consumérisme ou la dilution dans l’alcool et la drogue, entre un passé idéalisé
qu’il soit ancestral ou familial et les contraintes actuelles de la modernité. Mutisme de Titaua Peu est de tous le plus pessimiste, l’antidote
ayant été produite en langue anglaise par breadfruit de Célestine Hitiura
Vaite la dimension autobiographique y est clairement exprimée, moins
du fait des événements relatés que du désarroi d’une jeune femme divisée entre son appartenance polynésienne et son désir d’inscription participante dans la modernité. L’indépendance comme visée politique soutient pour elle l’autonomie du désir. Mais c’est la jouissance qui s’impose, celle du sexe ou de l’alcool. Mais le ratage final, l’échec de la contestation qui vire à l’émeute justifiant ainsi sa répression, fait savoir un
énorme espoir que la personne qui rédigea la quatrième de couverture
Ces
romans
ont été écrits
,
197
Littérama’ohi N°6
Bertrand-F. Gérard
résuma par ces mots : E ‘ore te vava qui figure en première
ture sur la seconde édition, « retourne le silence ».
de couver-
Voilà, c’est bien de cela qu’il est question, trouer le silence, mettre
sur ce qui divise, sur ce qui sépare et sur ce qui fait trou ou
déchirure dans toute transmission. L’identité est en soi introuvable.
des mots
Chaque nom, tout nom a sa propre histoire et est animé de son mouvement propre à la condition des autres et à celle du langage. Ce dont
atteste la littérature est que chacun, aujourd’hui comme hier n’est polynésien qu’arrimé à des échanges et des réseaux sociaux ouverts sur
une parentèle et une altérité interne et externe ouverte sur l’extérieur, la
famille Pômare c’est aussi la famille Salmon, la famille Devatine c’est
aussi la famille Urima. Les ancêtres mémoriaux des uns et des autres
avaient pour langue maternelle ou d’instruction qui les reo ma’ohi, qui
l’anglais, qui le français, pour d’autres le chinois ou l’espagnol, le reo
paumotu ou celui des marquises... Cette nostalgie d’une authenticité
indivise, altérée par la colonisation ne reflète que la difficulté contemporaine propre à chacun d’affronter l’existence et l’histoire singulière de ce
qui l’a accueilli dans le monde, celle du nom reçu et attribué. Que cela
se dise enfin, que cela s’écrive dans une certaine désillusion (Adieu
l’Etang aux chevrettes de Jimmy M. Ly) mais pas sans humour ni ironie
ou s’écrive comme un déchirement, une souffrance (Tergiversations et
Rêveries de l’Ecriture orale de Flora Devatine) est tout à fait décisif.
Pourquoi ? La réponse à cette question a engagé un acte de la part
polynésiens qui est la fondation de la revue
Littérama’ohi. Nous y trouvons cette réponse, pour que ce qui s’écrie
puisse s’écrire, pour que ce qui s’écrie(t) circule et fasse appel pour
d’autres : la revue accepte tous les styles, toutes les langues, tous les
genres et n’exige d’aucun qu’il soit déjà reconnu comme auteur. Elle est
destinée cette revue à faire lien ; dit autrement à faire fondation. La fondation tend à tisser ce qui dans la diversité suscite une appartenance
commune par opposition à l’affirmation identitaire qui exige d’expulser
de soi ce qui en altérerait la fiction ; c’est cet écart qui fait bord entre le
de différents auteurs
198
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
soit nommé ici « littérature » ou autre chose n’est
aussi important qu’on peut le croire, et désir des autres comme partenaires de l’échange et garants de ce que nous pouvons engager et
entreprendre, et la haine de soi qui résulte de la rupture de l’échange,
d’un usage du langage réduit à la communication ou à l’information,
politique, commerciale ou génétique et impose de s’amputer de notre
propre altérité pour nous réduire à un trait, celui de la couleur de la
peau, de l’appartenance religieuse ou politique, ou encore de notre
carte génétique. L’Europe est née des grandes invasions et des migrations ultérieures, la Polynésie est née des grandes migrations et des
migrations ultérieures et il en va ainsi du reste du monde. Là où la tradition, là où la religion, là où le lien social ne peuvent plus répondre des
questions que nous nous posons là littérature peut prendre le relais.
désir de l’Autre, qu’il
pas
je suis un méchant homme, je terminerai cet exposé par
question perfide, mais juste : « une Maison de la Polynésie qui ne
met pas à la disposition non seulement des Polynésiens, mais de quiconque désire y accéder une bibliothèque est-elle une Maison de la
Polynésie ou du silence et de l’effacement du monde polynésien ? » £
Et
comme
une
‘ore te
vava
!
Bertrand-F Gérard
Annexes
:
Henri Hiro, fév. 1993.
Tu es un Européen qui a fait de notre passé son métier.
alors que nous en mourons car c’est au nom de notre passé
avons
été
Tu en vis
que nous
condamnés à devenir chrétiens cessant ainsi d’être nous-
mêmes.
passé nous ne savons plus rien et le peu que nous en
le te dirons pas. Tu étudies les pierres, nous
sommes, nous, l’âme de ces pierres. Nous sommes ce que tu ne peux
comprendre.
De notre
savons encore nous ne
199
Littérama’ohi N°6
Bertrand-F. Gérard
passé pour qu’un Européen l’apprenne à nos
qui ne parlent plus tahitien, nous ne le voulons pas. Je préfère
pour eux le mystère des explications des vieux qui n’existent plus. Ils
sauront que les vieux ont su et garderont en eux la nostalgie de leur
être. Si tu leur expliques le passé à ta façon qui n’est pas la nôtre, ils
deviendront des Européens comme ceux des Hawaii sont devenus des
Américains à la peau brune dont les Américains ne veulent pas.
Si ce que tu nous a dit est vrai, que tu t’intéresses aux Tahitiens et
à leur passé, si tu veux vraiment protéger ce passé, alors rentre chez
toi car, ici, tu n’es qu’un voleur.
Rechercher
ce
enfants
Tutu
des
: mars
1994.
importe-t-il que ceux du passé aient vécu une vie avec
instruments de travail et un système d’organisation sociale difféQue
nous
rents des nôtres ?
Que
nous
de devenir
importe-t-il que notre histoire polynésienne soit en passe
manifestation folklorique tout juste bonne à satisfaire la
une
curiosité du touriste ?
Et puis, posons la question autrement: que nous importe-t-il finalement que nous soyons aujourd’hui un peuple sans histoire, c’est-à-dire
sans âme ni personnalité s’adaptant individuellement au goût du jour ?
La vie
aujourd’hui est tellement différente avec ses modes de tra-
vail, d’information et de circulation, que le passé ne peut que nous sembler
étranger à tous points de vue...
Les Polynésiens, plus que jamais sont engagés de plein pied dans
la civilisation moderne. Ils s’y trouvent bon gré mal gré dans l’obligation
de se créer une identité. Le vague et le flou définissent leur situation
actuelle. La fascination se lit encore dans leurs yeux émerveillés parles
apports techniques et culturels dont ils n’ont pas suivi l’évolution.
Faire parler des pierres, vestiges de leur âme profonde engluée de
nostalgie où sourd une vague de révolte étouffée, leur serait-il un stimulant approprié qui leur permettrait de prendre de l’élan vers un avenir où
tout peut se jouer pour ou contre la naissance d’une culture polynésienne
authentique ?
200
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
BIBLIOGRAPHIE
•
•
BRUNO SAURA, Pouvanaa A
Oopa, Papeete, Au Vent des Iles, 1997.
CHARLES MANUTAHI, Poète du Temps passé, Papeete, 1979 ; Le Mystère de l'Univers Maohi, Papeete,
o te Hiroa Maohi, 1992 ; LHistoire de la Vallée Profonde de Papenoo, Ile de Tahiti, id. 1997.
TeTumu
•
•
VAITIARE, humeurs, Papeete 1980.
CHANTAL T. SPITZ, L’île des rêves écrasés,
Papeete, Au Vent des Iles, (1991), 2003 ; Hombo, Papeete,
Te Ite, 2003.
•TITAUA PEU, Mutisme,
•
•
•
•
•
•
•
Papeete, haere po, 2003.
LOUISE PELTZER, Lettre à Poutaveri,
PATRICK AMARU, Te Oho no te tau
VALERIE GOBRAIT, Te
MICHOU CHAZE,
Papeete, Scoop, 1995.
Auhunera’a, Papeete, Re a te Peretiteni, 2000.
‘a’Ai No Matari’i, Papeete, 2000.
Vai, Pepeete, 1990 ; Toriri, Papeete,2000.
CELEST1NE HITIURA VAITE, breadfruit,
Sydney, Bantam Books, 2000.
JIMMY M. LY, Adieu
l'Etang aux Chevrettes, Papeete, Te Ite, 2003.
FLORA DEVATINE,
Tergiversations et Rêveries de l’Ecriture Orale, Te Pahu a Hono’ura, Papeete,
AuVent des Iles, 1998.
'
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
Une annexe pour
1
-
information
LE SALON DU LIVRE
DE LA NOUVELLE-CALEDONIE A
POINDIMIE
(17-19 OCTOBRE 2003)
Le thème
«
de l’identité et des
et
au
identités à travers la littérature
sein d’un monde de tradition orale ».
Au programme
-
général :
du Salon :
Des tables rondes
la jeunesse : oralité et appropriation de l’écrit, thème abordé
lire c’est bon pour les bébés Kanak » présenté par Marie-Adèle Jorédié ; d’une conférence sur « Littérature jeunesse et tradition orale » par Jean Perrot ; table ronde à laquelle participait la Bibliothèque Bernheim (Christiane Waneissi), et des auteurs
dont Anita Heiss, Juliette Maes
2) sur la traduction : écriture en langue et traductions de traduc1)
au
sur
travers d’un document «
tions
présentation et discussion du thème à laquelle ont participé des
éditeurs, des auteurs, des enseignants : Peter Brown, lan Templeman,
Dewe Gorodé, Marc De Gouvenain,... et Anne Bihan, (dont on peut lire
l’intervention dans ce n° 5)
3) sur I’ édition : politiques éditoriales et enjeux identitaires en
Océanie table ronde animée par Peter Brown, à laquelle ont participé
des éditeurs de la Nouvelle Calédonie, de Fidji, d’Australie, de France,
parmi lesquels, Linda Crowl, lan Templeman, Laurence Viallard,
Frédéric Ohlen, Jean-Claude Bourdais, Marc de Gouvenain...
4) sur le théâtre : impact des langues régionales sur l’écriture théâtraie, animation par Colette Delval/ Anne Bihan ; y ont participé Pierre
Gope, Nicolas Kurtovitch, Dewe Gorodé, Ismet Kurtovitch, Colette
,
Alonzo...
202
-
Des débats
1 ) sur
l’identité :
a) « identité et devoir de mémoire », animé par Ismet Kurtovitch ;
présentation par Louis-José Barbançon de son ouvrage,« L’archipel
des forçats » ; participation de Jerry Delathière, Pascale Déplanque,
Christiane Terrier, Chantal Spitz, Déwé Gorodé...
b) « identités et création littéraire », animé par Déwé Gorodé avec
la participation des auteurs : Nicolas Kurtovitch, Anita Heiss, Philip
McLaren, Chantal Spitz, Pierre Gope, Flora Devatine, Russell Soaba...
2) sur la littérature aborigène : ce identité littéraire et peuples aborigènes » ; présentation de ce La littérature aborigène » par Anita Heiss ;
participation de Philip McLaren ; communication par le doctorant JeanFrançois Vernay...
3) sur l’écriture poétique : « écriture poétique : écriture de l’oralité »,
débat animé par Frédéric Ohlen, et auquel ont participé les auteurs :
,
Dewe
Gorodé, Anita Heiss, Nicolas Kurtovitch, Jean-Noël Chrisment,
Flora Devatine,
Jacques Gédéon, Katia Imasango, Pierre Gope, Michel
Chevrier, Jean-Claude Bourdais, Russell Soaba...
-
Des lectures de textes
Lecture de textes d’auteurs calédoniens
(bilingue)
Lecture de textes d’auteurs
Lecture de
-
aborigènes.
poèmes d’auteurs présents (bilingue)
Du théâtre
avec
la
avec
la
Compagnie Théâtrale Francophone : « Libertés
compagnie Cebue : « Les murs de l’oubli »
»
(Nota : Nous demandons l’indulgence pour les erreurs et les omisnoms d’animateurs et de participants, à quelque niveau que ce
sions de
soit)
203
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
2
-
LE COLLOQUE DE LA FILLM
À NOUMEA)
(20-24 OCTOBRE 2003
Le thème
:
Pacifique Sud :
Littératures d’émergence, intérêt local et global, signification :
théorie, politique, histoire »
«
Littératures du
Il ne s’agira pas d’étudier la littérature coloniale mais d’explorer
littérature moderne encore assez méconnue : celle du Pacifique
«
une
Sud, qui regroupe un nombre infini d’îles éparses
dans cet immense
océan.
faire se rencontrer des écricontinent encore à découvrir, et de confronter les différents problèmes abordés par la littérature de ces pays,
presque tous insulaires... » (extrait du Préambule du colloque de la
Cette Convention sera l’occasion de
vains
venus
d’Océanie,
FILLM 2003 à
Du
ce
Nouméa)
colloque, dense autant par le nombre que par le contenu des
(5) et des communications (14) des universitaires cher-
conférences
cheurs internationaux,
j’ai pu, surtout ce qui me convenait, notamprise de conscience et une prise en compte d’un certain nom-
J’en ai retenu
ment une
bre de choses
ce
que
:
prise de conscience chez des chercheurs que les auteurs ne
objets mais des sujets, des êtres humains,
de conscience qu’il faut faire attention au sens caché,
sous-jacent de certains concepts, et qu’il est nécessaire de définir ce
que chacun entend par un mot avant de l’utiliser, d’en préciser le sens
dans un emploi particulier, bien,
La prise de conscience que des termes utilisés quotidiennement en
littérature ou en analyse littéraire, ont eux aussi une histoire qui a débuté
La
sont pas des
La prise
204
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
à
un moment donné et qui a évolué dans le temps, une raison
mentaire pour veiller à l’emploi adéquat des termes,
La prise de conscience qu’il faut manipuler avec précaution
supplé-
des terà propos de la littérature,
situations politiques des
égard à l’existence d’une cul-
tels que « post coloniale », « émergente »
étant données la diversité, la complexité des
mes
territoires anciennement colonisés et
eu
ture, d’une littérature orale autochtone ancienne. Certains universitaires
les ont
remplacé par « nouvelle »,
prise de conscience de la richesse et de l’importance pour tous
de l’échange écrivains-universitaires,
La reconnaissance et la prise en compte de l’apport de la réflexion
des écrivains de la région du Pacifique pour une plus grande connaissance, une plus juste définition, dans une plus large approche de la litLa
térature de
nos
différentes sociétés insulaires
Beaucoup de conférences, de communications, d’exposés sont à
lire et à relire,
Mais pour ce
Mais
faire, il faudra attendre les Actes.
quel enseignement après ce séjour en Nouvelle-Calédonie ?
Quelle continuité donner, quel projet notamment en Polynésie française ?
Avant tout, des
à
prises de conscience également :
Nous
avons
Nous
avons
à apprendre
avons
à
apprendre sur nous-mêmes, entre nous-mêmes,
à nous positionner par rapport à nous-
mêmes,
Nous
apprendre à
ne pas
parler à la place de quelqu’un
d’autre,
Nous
à
apprendre à avoir le souci d’inviter le silencieux, l’absent, le timide, l’exclu, le mal à l’aise, le violent... à s’exprimer sans en
avoir peur, en ayant confiance en lui, en nous, en ayant conscience qu’il
vaut mieux que l’agressif le soit par des mots plutôt que par des actes.
avons
205
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
En Nouvelle-Calédonie,
malgré le silence, les non-dits des dou-
leurs, des souffrances qui pouvaient apparaître ça et là dans les différentes communautés, il est à souligner l’accord sur un point de ces dernières, et qui est la volonté de bâtir et de réussir ensemble « un destin
commun ». Il y a un consensus qui fait que l’on se retient de réagir vivement, sur le champ, et que l’on apprend à vivre non plus « contre » mais
« avec » l’autre,
A être
«
l’Autre de l’Autre
».
(Dewe Gorodé)
BILAN DE LA CONVENTION DE LA
FILLM
ici ce que nous avons retenu,
quand bien même ce ne seraient que des bribes, de ce qui a été globalement exprimé, déclaré, partagé, analysé, conclu... lors de la séance
des conclusions de la Convention, par les président(e)s des séances de
travail soit au sujet de leurs propres communications et conférences soit
à propos de celles tenues par les universitaires-chercheurs présents.
Nous
nous
contentons de consigner
1) Le Pr Jean Perrot (Professeur émérite de
littérature comparée
l’Université de Paris, fondateur de l’Institut International de
Recherches Charles Perrault) qui a présenté une communication sur
« Littérature de jeunesse émergente : marginale ou centrale, au
à
cœur
de l’Institution ?
»
expérience intéressante » : « la littérature enfantine fait
l’objet d’un enseignement », « c’est une littérature d’émergence » et «le
lectorat est émergent, avec les enfants ».
«
C’est
Et
une
parlant de la séance qu’il a présidée ou dont il fait le
rapport :
simplicité a une relative complexité. »
l’archéologie avec l’historique de la FILLM » depuis sa
création en 1928, pour arriver à « la rencontre d’esprits autonomes qui
forment une nouvelle fixité.», à « une dualité de textes qui se chevauchent », et donc se pose le problème des chevauchements.
«
On est allé d’une relative
On s’est livré à
206
«
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Seixo (Professeur
à l’Université de
Lisbonne), « Littérature post-coloniale et globalisation. Terreurs et
enjeux, l’écriture ET la différence »,
2) A propos de la conférence du Pr Maria Alzira
de littérature française et de littérature comparée
Ont été abordés
dangers de la globalisation uniformisante et
aux nationalismes qui se referment. »
Il importe de maintenir « le dialogue avec l’autre » et cela passe par
« une
prise en compte de l’autre dans les lettres. » Comme il importe
de « dire la place de l’enfant à naître » : « un être nouveau que nous
portons sur les urnes du baptême qui reste à définir. »
La « nécessité » est, pour reprendre les termes de Dewe Gorodé :
« Ensemble soyons l’Autre de l’Autre ».
les
menaces
«
les
des tendances
3) ( Intervenant non identifié) « Des idées ont pris forme ». « Le fait
de rassembler auteurs et universitaires nous a amenés vers une découverte l’un de l’autre.
»
Ça doit « nous rappeler que
raconter des histoires. »
la finalité de la littérature, c’est de
de « l’idée de la représentation de l’autre, chacun des
apporté une dimension nouvelle à cette problématique. »
A propos
auteurs
a
4) (Intervenant non identifié) La deuxième
confrontation », « un malentendu possible entre
journée a eu lieu «une
Occidentaux et gens du
Pacifique. Les termes utilisés sont eux-mêmes coloniaux et avec lesquels les auteurs ne sont pas d’accord. »
« Certains exposés n’avaient rien à voir avec le Pacifique, mais
avec la littérature émergente. »
5) (Intervenant non identifié) « La création d’un nouveau genre est
difficile », tout comme « la naissance d’une nouvelle littérature est difficile. » On l’a vu en Égypte où « le renouveau de la littérature est apparu
avec
l’apparition du roman.»
207
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
6) A propos de la communication du Pr Ziva Ben-Porat (Pr de poécomparée, et directrice du Porter Institute for Poetics
and Semiotics à l’Université de Tel Aviv, Israël) sur les « Aspects de
l’intertextualité : la politique et la poétique dans les représentations de Jérusalemn dans la poésie hébraïque et palestinienne
dans des situations politiques en évolution »,
« La littérature palestinienne est émergente », non parce qu’elle
n’est pas familière avec la langue, mais parce que « c’est une nouvelle
littérature qui doit se distinguer, se détacher de l’existante ».
« Il en va de même pour la littérature hébreu », où « on a réussi la
renaissance de la langue biblique: les Israéliens produisent quelque
chose de différent des textes bibliques ».
Il y a eu « un exposé traitant d’une littérature émergente dans une
très longue tradition littéraire ».
sie et de littérature
7) (Intervenant non identifié) Une intervention « a fait avancer la
compréhension des termes.... » « Nous nous sommes rendus compte
que nous n’avions pas assez de connaissances sur le contexte d’ici »,
c'est à dire du Pacifique Sud.
Geraghty (« Docteur en linguistique de l’Université de
spécialiste dans l‘histoire et la sociologie des langues du
Pacifique, surtout le Fidjien ») intervenant sur « Le Combat contre une
norme étrangère : l’émergence d’une littérature d’expression fidjienne », m’a appris beaucoup de choses sur la culture et la langue de
Fidji, « des choses qui nous étaient inconnues » jusqu’à « cette rencontre entre représentants de régions du monde différentes, entre
l’Occident et le Pacifique », et « entre auteurs qui redéfinissent la fonction des auteurs dans leurs propres contextes », et les chercheurs qui
prennent de la distance pour étudier les phénomènes »
« Tout ce que j’ai appris, c’est une masse d’informations ».
«
Paul
Hawaii », «
8) Le Pr Jean Bessière (Paris) (Professeur de Littérature compaPrésident honoraire de
rée à l’Université de Sorbonne Nouvelle,
208
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
l’Association Internationale de Littérature
Comparée) dont le titre de la
émergentes » :
« Je remercie les organisateurs,... les collègues,... les écrivains
de tout ce que j’ai appris. On ne vient pas de si loin pour s’engager dans
des combats qui conduiraient à l’inintelligence, à l’incompréhension ».
conférence est
«
Penser les réseaux des littératures
...
émergentes » : « La notion de littéraémergentes, telle qu’elle s’est constituée, il y a une trentaine d’années, concernait, de fait, les littératures du Tiers Monde. Il s’agissait
alors de dire leurs différenciations d’avec les littératures européennesles littératures des anciennes puissances colonisatrices. Cette perspective est aujourd’hui datée en ce qu’elle considérait ces littératures à l’aune
des littératures établies. La notion était, de plus, en partie impropre dans
Sur
«
la notion de littératures
tures
la
mesure
où
ces
littératures avaient commencé avant la décolonisation,
parfois bien avant. Aujourd’hui, il faut réexaminer la notion de littéraémergente suivant une triple perspective : localisation des littératures émergentes : archéologies que se reconnaissent ces littératures ;
relative autonomie de ces littératures par rapport aux définitions que se
sont données les littératures des décolonisations » (Extrait du résumé
Doc de la FILLM 2003, Colloque de Nouméa, p.30)
et
ture
La fin de la
journée était consacrée à des exposés
par Dominique Jouve (Pr de langue et littérature françaises à
I 'Université de la Nouvelle-Calédonie)
« sur les nouvelles de
Claudine Jacques et spécialement sur « C’est pas la faute à la
lune », « examiné sous l’angle du fantastique,
et par la doctorante Stéphanie Vigier, sur des personnages féminins dans sa communication « Ethique et mémoire féminines mêlanésiennes : quelques pistes ».
«
-
-
Ils
-
étaient intéressants pour
la double raison » :
(celui de Claudine Jacques) était « une reprise d’éléments
écrivain non kanak qui propose une réécriture » de faits de la
«
l’un
par un
société kanak,
209
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
(celui de Stéphanie Vigier) « a mis en évidence la difficulté
culturelle des femmes ».
« Ces deux exposés nouaient sur des cas d’études précis l’image
des tensions et des actes culturels dans les contextes locaux ».
De même « L’évocation des récits de vies enregistrés a apporté
une indication, des témoignages ».La question étant ce « que peut être
une représentation aussi pertinente que possible ».
-
l’autre
de la situation sociale et à la fois
9) Durant la séance présidée par Pr Sylvie André (Présidente de
« sur la littérature française du XX° siècle, sur
les littératures exotique, coloniale et émergente, et dont la communication fut « Les Littératures du Pacifique à la lumière des théories
post-coloniales »),
Le Pr Raylène Ramsay (Pr de français à l’Université
d’Auckland) a donné une communication intitulée, « Hybridité et
métissage dans la littérature calédonienne »
l’UFP, Tahiti, travaillant
minutieuse du problème de
l’identité, de l’altérité, de l’hybridité dans la littérature calédonienne,
avec une typologie spécifique à la littérature calédonienne ».
C’est déjà « un élargissement de l’approche de la littérature caléOn
a
donienne
entendu
« une
lecture précise et
».
10) La communication sur « La Nouvelle Littérature de la
Papouasie - Nouvelle-Guinée : intérêt universel contre intérêt
local » par le Pr Kalyan K. Chatterjee (Birbhum, India, professeur de
littérature dans diverses universités en Inde, aux Etats-Unis et en
PNG)
Traitant de la littérature « en anglais,...l’une des plus récentes
parmi les littératures post-coloniales », c’«...était une manière de poser
la littérature à travers une interrogation sur une littérature écrite dans
des conditions spécifiques d’éducation, d’apprentissage culturel qui
porte des signes » d’une volonté de « faire cohabiter ses propres données culturelles
210
».
Rencontres
«
C’est
une
polynésiennes, rencontres inouïes
image saisissante de la question qui se posait ».
11) Pour le Pr John Noyes (Toronto, Directeur du département de
langues et littératures germaniques de l’Université de Toronto), dont la
communication est
«
A l’Aise dans
sa
voix
:
les
cas
de Yolo Tawada
et d’Emine Ozdamar »,
«
C’est
une
tentative de trouver dans les littératures
européennes
anciennes et contemporaines à partir de l’étude d’une femme écrivain
turque et d’une autre de langue maternelle japonaise, qui ne sont pas
allemandes mais qui écrivent en allemand.... »
«
autre problème qui est qu’aucune littépeut être exempte de l’apparition en elle-même
Cette évocation pose un
rature existante
ne
d’une autre littérature.
»
« Il y a une génération d’une littérature à l’intérieur même d’une littérature existante... » « Quels que soient les conflits politiques, les
voies, et voix de l’expression
finissent toujours, parce que c’est
voix de la vie, par l’être, par l’identité ».
...
la
12) Le Pr Sonia Faessel (Professeur de littérature française et de
comparée à l’Université de la Nouvelle-Calédonie), présidente de l’Atelier « Littératures féminines », dont « l’objectif était de
déterminer s’il y avait une écriture, une approche féminine des choses »
et s’exprimant à ce propos :
littérature
«
Elle
Mais
aucune
des écrivaines
ne
s’est perçue
de cette manière.
parlaient d’êtres humains, d’écrire en tant qu’être...
Les mots-clés des écrivaines étaient :
-
l’idée de
responsabilité, d’écriture, de paroles (Anita Heiss, A.
Wright)
-
l’idée de tradition
(Patricia Grace),
211
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
l’idée d’écriture
-
C’était donc
«
(préoccupation de Flora Devatine)
».
plutôt écrire l’être, la condition humaine
».
13) Pour le Pr Rosemary Johnston, (Directrice du Centre de
Recherches et d’Education à la faculté des lettres de l’Université de
Technologie de Sydney, spécialiste de la littérature et de la littérature
pour enfants), sa communication, « Les Mers du Sud et les océans
fabuleux: la littérature de voyage australienne pour la
jeunesse » serait un
«
Voyage à l’intérieur de toi-même sur l’océan fabuleux... ».
Elle y abordait « la place de l’océan (et de la plage) dans la littérature australienne pour enfants », « le lien de cette notion avec celle du
voyage comme symbole et allégorie de l’exploration et du développement intérieurs
»
Ajoutant qu’il y a ici beaucoup d’Australiens blancs qui veulent
corriger des erreurs », qui essayent « de faire oublier les erreurs du
passé ».
« Nous sommes la Fillm qui étudions la puissance et le pouvoir des
mots ...» il y a à discuter « des contextes, des racines, des situations
«
des Australiens
On
«
ne
».
doit pas
objetiver l’auteur »
« Je lance un appel aux universitaires. Dans les écrits, je veux
déchiffrer le livre et expliquer à mes étudiants ce que j’ai trouvé. Je veux
concevoir des théories dans le but de nous aider à parler plus claire-
ment
».
«
Les discussions ont été
14) Le Pr
Éva Kushner,(Université de Toronto, Canada, spécia-
liste des études
donné
212
une
âpres mais néanmoins fructueuses ».
sur
la Renaissance et de la littérature
conférence
sur
comparée), a
«L’émergence de l’émergence » dans
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
laquelle elle rappelait que « la notion d’émergence repose sur une
métaphore » qui « évoquait alors celle d’un paysage au sein duquel surgit quelque configuration nouvelle » ce qui « présuppose un ensemble
déjà constitué - une littérature majeure en une langue majeure mais
aussi un système littéraire mondial où tout « novum » doit chercher sa
place », or « le modèle existant est eurocentrique, lié à un canon »
« Pour appartenir, un phénomène littéraire doit d’abord être reconnu
comme tel ce qui dans le passé signifiait sa légitimation par l’histoire littéraire métropolitaine. De plus en plus cela signifie qu’il doit être accepté par la littérature plus jeune elle-même dans le contexte du processus
identitaire et que la littérature perçue comme nouvelle (et qui ne l’est
pas toujours) rejoint la littérature mondiale sur la base de ses propres
définitions. » (Doc de la Fillm)
«
Je suis contente
qu’on ait souligné le caractère créatif de l’analyse
des universitaires »,
Dans sa conférence sur I’
études littéraires
»
«
Evolution des paramètres dans les
le Pr Subramani (Pr de
littérature à l’Université
Pacifique Sud à Suva, directeur du département de Langues et
Littérature ) a parlé de nos savoirs :
du
«
Quel que soit le savoir, nous
«
Nous sommes
Donc
:
tout est lié à des formes
«
-
interprétons le travail des autres. »
toujours le produit de deux ou trois cultures ».
d’expression
l’écrivain dans le cadre communautaire » et «
vie
».... pour
dire
«
le rôle de
l’importance des récits de
».
-
il y a «
beaucoup d’îles » et donc « de langues ».
s’agit là d’une véritable mouvance qui représente des hommes
qui ont des histoires a raconter et à interpréter ».
« J’ai appris beaucoup plus que je ne le croyais dans ce court laps
temps ».
«
Il
et des femmes
de
213
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
15) Le Pr Sonia Faessel, organisatrice du Colloque :
« Je tiens à remercier tous les participants qui ont pris le temps de
parole » et « l’ont respecté ». « Le programme était d’une densité tout
juste supportable ». « Il y a eu beaucoup de communications : quatre
heures le matin, trois heures dans l’après-midi, donc des journées chargées au détriment des temps de parole à donner au public et aux écrivains
».
Cependant,
écrivains
« j’ai mis en place des espaces de parole entre les
Salon du Livre, avec le public et les éditeurs, et dans
au
l’espace de la bibliothèque Bernheim.
Donc,
«
la combinaison des autres manifestations (dont le Salon du
Livre à
Poindimié) permettait un espace de parole ».
logement » dans le même hôtel « des écrivains et des universitaires devait permettre des discussions, des échanges entre les écri«
Le
vains et les universitaires
«
Les thèmes du
débordé
«
a
».
sur
Colloque étaient tous abordés », mais «
l’opposition entre région et universel par exemple ».
ça a
L’objectif de faire se rencontrer les écrivains et les chercheurs »
ce que des liens se sont peu à peu tissés, se sont construits
abouti à
entre les écrivains...Et aussi entre les chercheurs et les
écrivains, dont
présence et la fidélité à ce Colloque » n’ont pas failli. « Ils ont assisté
à ce Colloque, aux conférences de ces journées, intéressés par ce qui
la
se
dit
».
C’était dans
qui est de créer
nents
«
«
un
l’esprit de la Fillm qui est une entreprise humaniste,
esprit : joindre la culture, les hommes et les conti-
».
C’est la
première fois qu’une telle manifestation
a eu
lieu
en
litté-
rature, et qui permet de faire le point sur des notions théoriques, et aux
Calédoniens, écrivains
214
»,
d’y participer.
Rencontres
«
polynésiennes, rencontres inouïes
Les chercheurs de la Fillm ont donné de la hauteur aux
problé-
matiques de la région du Pacifique sud ».
« Je rends un hommage vibrant aux chercheurs qui sont venus, qui
ont tous lu la littérature francophone et anglophone du Pacifique.
Le Centre Tjibaou a été partenaire pour la première fois : 120 personnes pour les « Intermèdes océaniens », et 220 personnes au cinéma
«
Visages océaniens ».
Donc un succès pour eux et pour nous.
de
16) Michel Pérez (de l’Université de la N.-C., membre fondateur
CORAIL), secrétaire dans l’organisation du colloque) :
«
et
J’adresse
mes
remerciements aux écrivains et aux chercheurs,
je regrette qu’il n’y ait pas eu plus d’espace de parole. »
17) Enfin le Pr Neide de Faria, présidente de la FILLM)
(« Retraitée de l’Université de Brasilia, elle a joué un rôle de pionnier
dans le domaine des langues et des littératures modernes »,
« Professeur de littérature française, de littérature comparée et de la
théorie de la littérature ») :
FILLM et les avatars de la
j’ai fait passer l’annonce du prochain congrès de la Fillm
en juillet 2005 à Quairns en Australie. Ce serait enrichissant avec la présence de ceux qui ont participé ici. Le thème du congrès est
« Textes et la cité : l’homme et la littérature dans les contextes
«
Dans
ma
conférence inaugurale, « La
littérature », «
urbains».
J’adresse
mes
remerciements au peuple de la
Calédonie, au peuple
canaque.»
important de prendre connaissance des rites et des
mythes, (par ex : l’igname), l’imaginaire des peuples jouant avec les fau«
nés
C’est
et les flores.
globalement mes remerciements aux différents acteurs
qui ont participé à la réussite du colloque.
J’adresse
215
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
Il y a une sorte de consensus général sur
tion. Que des éloges très chaleureux !
la qualité de la traduc-
plutôt que le
qui n’est pas beau. C’est un terme qui a normé cha-
Je tiens à remercier vivement les écrivains-femmes,
mot
«
écrivaine
»
cun.
L’exposé était important, solide. Vous méritez les éloges de la Fillm.
colloque, j’avais cité Barthes:
qu’on enseigne », et c’est cela qu’on nous
En faisant l’ouverture du
«
La littérature, c’est ce
enseigne dans ce colloque.
J’ai dit aux femmes, aux écrivains, qu’on s’occuperait de la création.
l’enseignement sont les deux phases de la littérature.
l’émergence de l’imaginaire et le passage par une discipline,
auteur, par un enseignement.
La création et
Il y a
par un
posé la question de la langue. Il faut faire
émerger la langue au niveau de l’expression littéraire. Donc, c’est une
association très heureuse la métaphore de la Fillm et « les avatars de
Vous-mêmes
la littérature
vous avez
».
employé la métaphore du caméléon.
un défi, et c’est impossible. C’est un champ
culturel mais qui nous échappe comme le caméléon.
C’est l’image de kaléidoscope.
Un créateur
a
Définir la littérature est
La Fillm est très concernée et enrichie de votre rencontre.
depuis le Moyen-Age. Mais c’est au début du
la littérature est enseignée comme discipline.
La littérature existait
XIXe siècle que
La Fillm
prévoyait déjà un retour vers les littératures du Moyen-Age,
Moyen-Age, où le latin est remplacé par le français.
des débuts du
216
Rencontres
polynésiennes, rencontres inouïes
Aujourd’hui nous sommes aux prises avec l’anglais.
La Fillm a deux langues et on ne peut lutter contre les langues
hégémoniques modernes les plus fortes. Elles nous servent de langue
de communication.
Il faut
un
Il faut passer par
Ce
dépasser et atteindre l’internationale.
les langues.
moment pour
qui nous amène à deux projets, deux grands
l’Unesco
projets de
:
premièrement, celui de la diversité culturelle, avec un grand
respect pour le patrimoine commun de l’Humanité,.La diversité est
considérée comme le patrimoine commun.
deuxième grand projet fort important : c’est le vaste programme
de la traduction où il faut faire attention à toutes les littératures qui n’ont
pas été traduites : dans quelle mesure elles peuvent apporter.
Il y a un apport très important des liüératures qui viennent de l’oralité.
Il n’y a aucune intention d’hégémonie : c’est l’envie de faire connaître.
-
-
Je suis très heureuse ici. J’ai eu une cure avec un
document très
fort pour une nourriture personnelle, affective, intellectuelle.
Merci de nous avoir permis cette récolte si fructueuse.
A
partir de maintenant chacun jouera le rôle de passeur,
médiaire.
d’un inter-
»
Pour terminer,
quelques idées retenues de la communication « Au
de la gouvernance : oui à une éthique politique océanienne »
du Lr Elise Huffer qui « enseigne la Science Politiques et les Relations
nom
Internationales à l’Institut d’Etudes du Pacifique
de l’Université du
Pacifique Sud à Suva :
fermés
«
Les écrivains ouvrent les espaces
«
On doit commencer à lire les océaniens »
»
217
Littérama’ohi N°6
Flora Devatine
C’est à travers la littérature
qu’on comprend mieux les injustices
subissent les hommes et les femmes », comme « la difficulté
d’approcher l’écriture », ce qui amène à vouloir « faire sauter les barriè«
que
res »
philosophie politique océanienne : elle est dans
langage au quotidien », et « elle a besoin d’être publiée, analysée »
« Nous cherchons à approfondir les mots, et les réalités de l’imagiIl faut étudier la
«
le
naire
»
«
On doit faire attention à
tenariat
«
avec
les océaniens
La traduction
C’est
une
:
c’est
ce
que
l’on dit ; on doit travailler en par-
»
un
secteur tout à fait
porteur en Océanie.
question de volonté politique »
F. Devatine
(Notes, Nouméa, oct 2003)
Littérama’ohi
d’écrivains de Polynésie française
Publication d’un groupe
Directrice de la
publication :
Flora Devatine
BP
- Tahiti
(689) 820 680
: tahitile@mail.pf
3813, 98713 Papeete
Fax
E-mail
:
Numéro 06 / Mai 2004
Tirage
:
600 exemplaires
Mise
en
-
page :
Imprimerie : STP Multipress
Patricia Sanchez
© Editions Te Ite 2004
LOUIS DEVIENNE
peintre est de déchirures, de quêtes identitaires, de recherches
artistiques.
Louis Devienne est né le 9 décembre 1965 en Afrique de mère
Le
polynésienne et de père français en exil.
Il suit des études à l’Ecole
retour à Tahiti
des Beaux-arts de Nice mais c’est de
qu’il trouve un équilibre dans sa peinture pour, écrit-il, se
impressions, toutes les sensations, toutes tes
“libérer de toutes les
inquiétudes auxquels je n’ai trouvé de solutions,
que me procuraient l’acte de peindre".
mis à part les issues
de jeunesse de Pabio Picasso, il peint des
visages, des hommes et des femmes en attente dans des tons ocres.
Il dit choisir un “équilibre précaire entre la nostalgie et l’exaltation”,
mais reconnaît que cet équilibre est “fragile comme l’amour
Il faut dire que son pinceau cherche le regard intérieur, jusqu'à tracer
une ligne épurée.
Influencé par les œuvres
technique est un laqué-chiffon, une peinture de bâtiment frottée,
effacée, étalée.
Il vient d’exposer 34 toiles à la galerie du Chevalet, à Papeete, fini
les portraits d’ailleurs, il peint la Polynésie, ses tane et ses vahiné, cerclés de chevelure comme un océan où se perdre.
Sa
G.M.
Oeuvre de Louis Devienne
EDITIONS
TEITE
ISBN 2-9518794 6-6
Fait partie de Litterama'ohi numéro 6