B987352101_PFP1_2003_004.pdf
- Texte
-
Littérama’ohi
'
Dossier
f/l'
,
-,
D3
l^
Ür-.S
p
Ont
d’ecriîtiresi
participé à
ce
numéro
:
Kareva Mateata ALLAIN
Patrick AMARU
Association ’Ana ’Ihi
Alexandre Moeava ATA
Michou CHAZE
Loci ne CHAVES
Annie Reva’e COEROLI
Flora DEVATINE
Heiariki Nina FAAFATUA
Bertrand-F. GERARD
Lorrène GOUASSEM
Danièle-Taoahere HELME
Marie-Hélène HELME
Te’ura Camélia MARAKAI
Daniel MARGUERON
Manu’ora NAUTA
Titaua PEU
Chantal T. SPITZ
Patrick SULTAN
u
Ma’ohi
M.-C. TEISSIER LANDGRAF
TonyoTOOMARU
Liline TUPAI
Mflhméro 4
Novembre 2003
EDITIONS
ÏEITE
Littérama’ohi
Ramées de Littérature
Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi
Publication d’un groupe
d’écrivains de Polynésie française
Directrice de la
Flora Devatine
:
publication
postale 3813 Papeete, 98 713 Tahiti
Fax : (689) 820 680
boîte
E-mail
:
tahitile@mail.pf
Comité de direction
:
Patrick AMARU
Michou CHAZE
Flora DEVATINE
Danièle-Taoahere PIELME
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Jimmy LY
Chantal SPITZ
Numéro 04 / novembre 2003
Tirage
:
600 exemplaires
mise
en
-
page :
Imprimerie
:
patricia sanchez
© Editions Te Ite
STP Multipress
*
© EDITIONS TE ITE, 2003
Revue
Littérama’ohi
Ramées
de Littérature
Polynésienne
Membres fondateurs
Patrick AMARU
Michou CHAZE
Flora DEVATINE
Danièle-Taoahere HELME
Marie-Claude TEISSIER LANDGRAF
Jimmy LY
Chantal SPITZ
-Te hotu
Ma’ohi
EDITIONS
TEITE
-
LISTE DES AUTEURS DE LITTERAMA’OHI N°4
Kareva Mateata ALLAIN
Patrick AMARU
Association ’Ana ’Ihi
Alexandre Moeava ATA
Michou CHAZE
Locine CHAVES
Annie Reva’e COEROLI
Flora DEVATINE
Heiariki Nina FAAFATUA
Bertrand-F. GERARD
Lorrène GOUASSEM
Danièle-Taoahere HELME
Marie-Hélène HELME
Te’ura Camélia MARAKAI
Daniel MARGUERON
Manu’ora NAUTA
Titaua PEU
Chantal T. SPITZ
Patrick SULTAN
Marie Claude TEISSIER-LANDGRAF
Tonyo TOOMARU
□line TUPAI
SOMMAIRE
Liste des auteurs
p.
Sommaire
p.
Les membres fondateurs de la
revue
Littérama’ohi
Editorial
INFORMATIONS
DOSSIER
:
•
PARUTIONS
•
EVENEMENTS
«Quelles langues d’écritures ?»
4
5
p. 7
p. 9
p.
10
p.
13
p.
14
p.
20
p.
33
p.
35
p.
40
p.
44
p.
50
p.
52
p.
59
p.
72
Annie Reva’e Coeroli
Langues des ancêtres
Danièle-Taoahere Helme
Le
langage du cœur
Titaua Peu
Quelles langues d’écriture ?
Lorrène Gouassem
Ma
langue caldotienne
Chantal T.
Spitz
langue domination
langue libération
Marie-Claude Teissier
Une
Landgraf
langue pour imaginer.
Te’ura Camélia Marakai
Oui, écrire !
POEMES
Association ‘Ana ‘Ihi
Poètes
en
herbe
(Poèmes de Heiariki Nina Faafatua, Tonyo Toomaru,
Liline Tupai, Locine Chaves, Te’ura Camélia Marakai)
Marie-Hélène HELME
Poèmes
Te’ura Camélia Marakai
Te rei
te
La proue
sacrée de la langue
(Extrait de «Aue...Te Oeoe o te ‘a’au» : «L'écho des
entrailles...» : traduit en français par l’auteur)
mua o
reo
-
5
Littérama’ohi N°4
Annie Reva’e Coeroli
“VAIHERE”
traduits
(Poèmes traduits en anglais par
tahitien par Isidore Hiro )
en
l'auteur
;
....p.
84
Michou Chaze
Etienne
p.
86
p.
90
ECRITURES
Kareva Mateata-Allain
Réminiscences du va’a
popa’a
Alexandre Moeava Ata
Escale
en
Rafflésie
(extrait du Journal)
p. 101
Titaua Peu
Hannah
(extrait)
Manu’ora Nauta
p.124
Matari’i
(extrait de E HE’EPUANUI TE RA : «C’est un beau
coucher de soleil» : traduit en français par l’auteur)
p.140
Flora Devatine
Extrait de
Logue (3)
p.162
Patrick Amaru
Te tohu
a
Tetohu
p.178
ACTUALITE LITTERAIRE
Bertrand-F. Gérard
Lire le ma’ohi
p.183
Manu’ora Nauta
Mutismes de Titaua Peu
p.194
Patrick Sultan
Le
premier homme né blanc (Benang de Kim Scott)
p.198
Margueron
Bibliographie des écrivains polynésiens francophones
p.203
Daniel
PEINTRE
Michel Ko par
6
Michou Chase
Littérama’ohi
Ramées de Littérature Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi
Elle
a
été fondée par un groupe
apolitique d’écrivains
polynésiens associés librement :
Patrick AMARU, Michou CHAZE, Flora DEVATINE,
Danièle HELME, Marie-Claude LANDGRAF,
Jimmy LY, Chantal SPITZ.
Le titre et les sous-titres de la
revue
traduisent la société
polynésienne d’aujourd’hui :
«Littérama’ohi», pour l’entrée dans le monde littéraire et
pour l’affirmation de son identité,
«Ramées de Littérature Polynésienne», par référence à la
rame de papier, à celle de la
pirogue, à sa culture francophone,
«Te Hotu Ma’ohi», signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères
chinois intercalés entre le titre en français et celui en tahitien.
-
-
-
-
La
-
pour objectifs :
de tisser des liens entre les écrivains
revue a
originaires de la
Polynésie française,
de faire connaître la variété, la richesse et la
spécificité des
originaires de la Polynésie française dans leur diversité
contemporaine,
de donner à chaque auteur un espace de publication.
-
auteurs
-
Par ailleurs, c’est aussi de faire connaître les différentes
facettes de la culture polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et modernes que sont la peinture, la sculpture,
la gravure, la photographie, le tatouage, la musique, le chant, la
danse... les travaux de
chercheurs, des enseignants...
7
Littérama’ohi N°4
Et pour en revenir aux premiers objectifs, c’est
créer un mouvement entre écrivains polynésiens.
avant tout de
Les textes
peuvent être écrits en français, en tahitien, ou
n’importe quelle autre langue occidentale (anglais, espagnol,.. ) ou polynésienne (mangarévien, marquisien, pa’umotu,
rapa, rurutu...), et en chinois.
Toutefois, en ce qui concerne les textes en langues étrangères comme pour ceux en reo ma’ohi, il est recommandé de les
présenter dans la mesure du possible avec une traduction, ou
une version de compréhension, ou un extrait en langue française.
dans
Les auteurs sont seuls
responsables de leurs écrits et des
opinions émises
En général tous les textes seront admis sous réserve qu’ils
respectent la dignité de la personne humaine.
Invitation
au
prochain numéro :
polynésiens,
Ecrivains et artistes
cette
revue
est la vôtre
:
tout article bio et
biblio-graphique
vous
concernant, de réflexion sur la littérature, sur l’écriture, sur la langue d’écriture, sur des auteurs, sur l’édition, sur la traduction, sur
l’art, la danse, ...ou sur tout autre sujet concernant la société, la
culture, est attendu.
Les membres fondateurs
8
Editorial
Littérama’ohi
persiste et signe un numéro quatre avec pour
Langues d’Ecritures ?». Interpeller le lecteur
à partir d’un thème, provoquer des réactions, n’est-ce pas là un
moyen d’exciter des ripostes qui deviendront des écrits ?
Les partenaires de cette revue conscients que les balbutiements deviendront «Langues d’Ecritures», délient les cordes
spécifiques à chaque auteur. Camélia MARAKAI fait résonner
l’Echo des Entrailles, Titaua PEU le français malgré moi, vlan les
deux pieds dedans. ‘Ana’lhi, association des Etudiants introduit
les poètes en herbe, ils ont raison à Tahiti l’herbe pousse très
vite ! Manu’ora NAUTA nous transpose dans son roman : un
thème «Quelles
beau coucher de soleil
avec
Matâri’i.
Les avancées de la
pirogue cherchent des textes pour lecl’écrit garde son sens dans une
époque de haute technologie. Les joies les craintes, les espoirs,
les critiques font partie du défi. Grâce à tous ceux qui osent la
plume dans l’esprit qui est le leur, le vent souffle dans la voile de la
Ramée, quatrième escale avec «Quelles Langues d’Ecritures ?»
La pirogue de Littérama’ohi trouve sa direction avec des
coups de rames qui provoquent des vagues concentriques qui
houlent les réflexions de Chantal SPITZ, tandis que Flora
DEVATINE propose «Des effluves sulfureux de mots vaporeux». Pour la suite, ne pas tout révéler, chut... à lire !
Je vous invite à la page qui vous convient et laissez-vous
glisser au gré de l’aventure littéraire polynésienne.
teurs concernés afin de croire que
Danièle-Taoahere Helme
9
Littérama’ohi N°4
INFORMATIONS
•
PARUTIONS
Corinne Mateata McKITTRICK,
Te a’a’mu noTintin, Te pa’apa’a
DERNIERES PARUTIONS
Ouvrages et
revues
Etienne AHUORA
Les
EVENEMENTS
•
‘àvae fa’ahohoni
piru
.(traduction
en langue tahitienne de
l'aventure de Tintin “Le crabe aux
(pseudonyme),
parfums du silence
pinces d’or”,
théâtre, éditions Le motu, Tahiti,
de Voltina
2003.
avec
la collaboration
Roomataaroa-Dauphin,
John
Fa’atae Martin, Raymond
Vanaga Pietri) éditions Caster-
Virgile HAOA,
man,
L’alliance ma’ohi
Paris 2003
illustrations de
Gotz, pour adolescents, éditions Aux vents des
îles, Papeete 2003.
Jimmy M. LY,
Adieu l’Etang
éditions Te ite,
Chantal T. SPITZ
L’île des rêves écrasés
(réédition, 1991) éditions Aux
vents des
chevrettes
Papeete 2003.
aux
La Revue LITTERAMA’OHI
N° 3
des
de
expressions culturelles et
questions identitaires»,
éditions Haere Po, Tahiti, 2003.
L’arbre à
roman
Aux
La
des
îles,
Lionel
collaboration
plusieurs
polynésiens, diffusé par
MATA,
Voix des
Etudiants, N°5
«Vie culturelle» ; Prix littéraire des
étudiants ; les livres sélectionnés;
l’auteur primé, Anne-Catherine
l’artiste
avec
Duroy, Ohéditions 2003
Titaua PEU,
(3° édition revue) éditions Haere
po, Papeete 2003
polyvalent Jonathan Men-
carelli, 1°Prix de sculpture au Festival des Artistes
Polynésiens d’ocPapeete...
Le périodique a reçu :
le Prix Fondation Varenne (août
2003)
le Prix «Coup de cœur» de
l‘Animafac (septembre 2003)
tobre 2002 à
-
Mutismes,
10
?
extraits
BLANC ; Célestine Hitiura Vaite ;
Tavae RAIOAOA,
Si loin du monde,
en
sommes-nous
(juin-juillet août 2003)
Papeete, 2003.
récit écrit
Où
les éditions Te ite.
TE U’I
l’anglais,
vents
:
pages d'écritures,
conférences... par
auteurs
pain,
traduit de
éditions
:
(avril 2003)
Dossier
Les membres de l’AFAREP,
«Rencontres des mondes,
Célestine Hitiura VAITE,
îles, Papeete 2003.
-
Bravo les étudiantes et les étu-
Patrick Sultan
diants de l’Université de
Littéraire, septembre 2003)
nésie
Poly-
(in La Quinzaine
Française !
EVENEMENTS
ON EN PARLE
2° Festival des Artistes
MUTISMES
Polynésiens
(Place To’ata
de Titaua Peu
“...Il est des brûlures contre les-
quelles le monoï
peut rien.
gens de
Peu !... Une langue décomplexée,
chez
ne
les
énergique, juteuse,
une
Bienvenue
sue
fiction
cou-
de cicatrices.
Voilà
livre
qui mérite de trajusqu'à la métropole. Avec une belle santé, il fracasse le mythe tahitien...”
F. P. (in Le Canard enchaîné 13 août 2003)
un
verser
septembre 2003)
exposé 500 oeuvres, peinture, sculptures, photos
durant 5 jours sur la place To’ata.
-
200 artistes ont
éditions Haere Po
l’océan
Salons du Livre
Des auteurs
invités
aux
polynésiens ont été
salons littéraires.
Odette FROGIER
au
Salon du Livre de l’Outremer
(18-19 octobre 2003) à Paris sur
le thème : «Enfances et jeunesultramarines»
ses
Flora DEVATINE
et Chantal T. SPITZ
HOMBO
de Chantal T.
Spitz
“...On dit souvent
(c’est désormais
que les écrivains postcoloniaux donnent la parole à
un
ponsif)
qui en sont dépourvus. Il
serait plus juste pour caractériser
la démarche de Chantal Spitz de
dire qu’elle est à l’écoute des silences de ceux qui se taisent, qu’elle
lit entre les regards et les gestes...La narration sans chapitre,
avec sa ponctuation minimale, traversée par de courtes séquences
en tahitien, capte, s’installe dans la
proximité, suit le cheminement
des personnages, les accompagne. Les silences ne sont pas
comblés, ils sont prolongés...’’
ceux
au
Premier Salon du Livre de la
Nouvelle Calédonie, à Pondimié
éditions Te ite
(Côte Nord-Est) (16-19 octobre
2003), rencontre d’auteurs autour du «.thème de l’identité et
des identités à travers la littérature et
au
sein d’un monde de
tradition orale», au Colloque International de la FILLM à l’Université
de
la
Nouvelle-Calédonie
(19-24 octobre 2003) sur le
thème
: «Littératures du Pacifique
Sud, jeunes littératures : intérêt
local et
global, signification : thé-
orie, politique.»
Rencontre écrivains chercheurs
(21 octobre 2003)
Atelier «Littérautres féminines»
(23 octobre 2003)
11
Littérama’ohi N°4
Soirée «Intermèdes Océaniens»
:
lectures de textes d’auteurs océaniens
baou
au
Centre
Culturel
Tji-
(22 octobre 2003)
Les résultats des Concours
Littéraires
Prix du Président et Prix du Président pour
Chantal et Flora adressent leurs
la Jeunesse à Papeete
pour la Journée du reo
novembre 2003)
ma’ohi le 28
plus vifs remerciements, pour
leur généreuse et chaleureuse
invitation, à mesdames, messieurs
Sonia FAESSEL,
:
r
Christophe AU-
GIAS, Michel PEREZ, Liliane
TAURU, Jean François VERNA
...organisateurs des manifestations littéraires, au titre de l’Université de la Nouvelle Calédonie
(Colloque de la FILLM), de la
Bibliothèque Bernheim (Premier
Salon du Livre), du Centre Culturel Tjibaou (Intermèdes Océaniens).
1
A NE PAS RATER
LES EVENEMENTS
DE LA REVUE
L
LIITTERAMA’OHI
-J
«Miroir Littéraire»
Vendredi 21 et Samedi 22
novembre 2003
-
Maison de
la Culture.
Deux soirées
exceptionnelles
autour de la littérature
Mauruuru
roa e
la
ora na
!
A PARAITRE
Maeva
polynésienne
Lectures publiques par les
écrivains polynésiens d’autrès auteurs et théâtralisa-
tion par de jeunes étudiants
d’extraits du N°4 de la revue
SHELTON,
J’ai cueilli des orchidées,
Littérama’ohi.
récit, éditions Te ite, Papeete,
2003
Dédicace et débat
Samedi 22 novembre 2003
Te’ura Camélia MARAKAI
Aue...Te Oeoe
o
te
‘a’au,...
1 ° Prix Littéraire du Président
pour
la jeunesse (2002).
prépare
la publication en 2004 d’un numéro
spécial consacré à la littérature
de la Polynésie française.
12
autour des auteurs du N°4
de la
La Revue Manoa
de l’Université de Hawaii
de 9h à 12h,
Librairie Odyssey,
revue
Littérama’ohi.
Dossier
Quelles langues d’écritures ?
Au dernier numéro de
avaient
Littérama’ohi, le n°4, les auteurs polynésiens
trempé leur plume pour cerner les contours de leur encrier,
avec la question “Où sommes-nous ?”.
Cette fois-ci ils
se
penchent
sur
la couleur de leur
encre.
“Quelles
Je
ne
Ceux
langues d’écritures ?”.
suis pas sûr que beaucoup d’écrivains se posentcette question.
Peut-être les écrivains émigrés, réfugiés, bannis.
qui ont dû quitter leur maison, leur pays, leur langue maternelle
pour trouver accueil dans un autre monde,
une autre culture, une autre écriture.
à Milos Kundera qui a écrit son dernier roman (“L’ignorance”
ed. Gallimard), non pas en polonais, son pays natal,
mais en français, son pays d’accueil, pour le faire paraître en premier
dans une traduction... en langue espagnole.
Coquetterie d’auteur ? Non, révolte d’un homme blessé,
Je pense
dramatiquement coupé de sa langue maternelle, en errance de langue.
L’encre des écrivains polynésiens, les 7 qui ont accepté de répondre,
est de cette blessure.
Ceux
qui
ne
ou
la voient pas sont aveugles ou pire tiennent le couteau,
simplement, du passé ils ont fait table rase
tout
rassurés de leurs certitudes de
Ne découvrez pas ce
dossier
avec
langue officielle.
l’oeil du bon docteur,
écrivains ne souffrent pas, ils crient.
Alors laissons-nous entraîner dans leurs questionnements,
ces
ils écrivent pour
offrir les réponses.
Gilles Marsauche
13
Littérama’ohi N°4
Annie Reva’e Coeroli
Langues des ancêtres
ECRIRE
Arracher les
images par des
Les poser tendrement sur le
A tout jamais
M’en libérer
Sans oublier
Trouver la
paix...
IMMORTALITE
IMMORALITE
LIBERTE
VOYAGER
Dans
ma
tête
Dans le
Dans
temps
l’espace
Sans limites...
ET PARTAGER
LES LANGUES
Enrichies de
Les
mélanges,
langues échangent
Des
rêves, des émotions,
Des sensations.
Les écrire,
C’est offrir
Mes
pudeurs,
C’est dire
14
mots
papier
Dossier
:
Langues des ancêtres
Mes silences,
Une chance
De
parler
me taire,
De
De Voir
Au-delà du visible
De savoir
Au-delà du risible...
C’est chercher
Mes vérités,
Les mettre en
musique,
En couleur
Et
vous
entraîner
Loin, loin...
En moi,
En
vous.
Les lire,
C’est
Des
me
découvrir
soupirs
Pour les couleurs
Des autres
Des
nuances
Nouvelles
De douleurs
Universelles
Et
comprendre
Que respirer
Dans d’autres souffles
C’est
se
rejoindre,
Et croire
Qu’on peut
Et espérer
s’entendre,
En l’humanité.
15
Littérama’ohi N°4
Annie Reva’e Coeroli
CULTURE-NOURRITURE
Enfant
mots
aux
faa’amu, ailleurs j’ai mangé d’autres cultures et des
parfums différents.
ENTENDRE
J’ai écouté chanter le
provençal et le français dans l’accent
du midi et dansé de folles farandoles à Moustiers-Ste Marie,
écoute le
son
de la «Diane».
J’ai découvert à Marseille des mots délicieux que le dictionnaire ignorait. J’ai écouté la campagne et regardé la ville.
J’ai
entendu
la
complainte de la langue corse qui me
maquis. J’ai écouté les histoires le soir
au coin du feu ou en promenade les étés sur les routes, sous les
étoiles. J’ai aimé ces maisons, ces rythmes, les saisons...J’ai
partagé les variations de ces rires, les violences, les passions,
leur sagesse et leur cœur, leurs poèmes, leurs livres, leurs hisramène
encore
l’odeur du
toires, leurs chansons.
Je
pénétrais doucement les notes et les couleurs de
l’anglais, du latin et de l’italien au lycée Gassendi à Dignes.
Encore des livres, des poèmes, des chants, encore des voyages lointains et intérieurs. En pension, j’écrivais parfois des
poèmes, toujours mon journal, une autre fois un feuilleton dont
je racontais les épisodes tous les soirs à mes camarades et un
scénario
sur
Toutes
de
fond musical de Miles Davis
ou
Thelonious Monk.
langues m’ont permis de mieux comprendre et
grandir dans la tolérance et l’amour.
ces
VOIR
Ma tante
au
16
Liban,
en
qui m’avait faaamu, avait vécu longtemps en Syrie,
Egypte et en avait rapporté des livres écrits dans
Dossier
:
Langues des ancêtres
des écritures arabes fort diverses. J’admirais la
perfection de
d’objets dignes des «Mille et Une
Nuits», écoutant ses souvenirs de paysages inoubliables, d’hommes et de femmes fiers et courageux, racontant le désert, les
tempêtes, les hommes bleus, les femmes voilées.
Enfant, j’avais plaisir à lire lentement volontairement car je
trouvais qu’un mot c’était beau en soi. J’ai encore aujourd’hui
deux roses des sables sur mon bureau qui m’emmènent en voyage
et me parlent. Quelle magnifique écriture que celle du vent qui,
des années durant, agglomérant des grains de sable, écrit des
ces
volutes
en
rêvant
au
milieu
roses.
Les
pierres parlent, les arbres parlent, les plantes, les aniquelle langue ? - Celle de l’Amour. On peut les
maux...Dans
entendre et les lire.
En classe de 6eme,
je me passionnais pour la civilisation
égyptienne avec ses hiéroglyphes. Jeune surveillante au lycée
P.Gauguin, j’assistais aux premiers cours de mandarin avec les
élèves de 2nde, attirée par la beauté de la calligraphie chinoise.
Plus tard, la découverte du Bouddhisme m’a permis d’admirer
l’écriture sanscrite.
COMMUNIQUER
Vers l’exterieur
Mes
responsabilités syndicales au niveau du Pacifique, de
région Asie-Pacifique et au niveau international, m’ont donné
l’occasion de voir Nandi et Suva à Fidji, le Vanuatu, les Samoas
Occidentales, Bruxelles, Kathmandu, Singapour, Tokyo, Rio de
Janeiro, Durban en Afrique du Sud, de rencontrer des hommes
et des femmes du monde entier, d’apprendre à entendre les
douleurs des autres, d’apprendre à se comprendre. J’ai appris à
écouter davantage les attentes des autres plutôt que de leur plaquer des solutions théoriques élaborées dans des réunions.
la
17
Littérama’ohi N°4
Annie Reva’e Coeroli
J’ai
parlé et écrit en français, en anglais, en italien, j’ai compris
l’espagnol, un peu le portugais. Entendre les gens dans leur
langue facilite la connexion. On se comprend davantage de l’in-
térieur.
Vers l’interieur
Ma
rencontre
avec
les
hawaïens de
l’association
«Hui
Kupuna O Hawai’i Nei», leur aide au retour des
ossements des ancêtres en Polynésie française, leur façon
d’être, la profondeur de leur respect pour leur culture, leur sensibilité, leurs croyances, ont bousculé mes certitudes. Une nouvelle remise en question, un retour au point de départ : «D’où
venons-nous ?...», faire table rase et reconstruire. J’ai eu le désir
de rechercher ma généalogie, mon histoire, l’Histoire, découvrir
des langues polynésiennes, d’apprendre à décoder ces histoires
Malama I Na
anciennes.
ECRIRE
Ecrire
dans
plusieurs langues, c’est aimer autrement,
langue ne pouvait me suffire. J’écris d’abord
pour moi, facile, un vrai plaisir, puis j’accepte d’être lue, d’être
nue et c’est plus qu’un partage, passage difficile.
comme
si
une
seule
Je laisse venir les mots avant d’écrire. Ils viennent dans
une
langue ou dans une autre et cela me donne le ton. Pendant
l’écriture je les regarde sortir de moi sans les censurer, après je
cherche à décoder. J’ai alors parfois quelques surprises... Je me
sers de l’écriture pour cheminer. Je laisse faire, je me laisse faire
et cela me donne une impression de liberté.
J’écris parfois dans une autre langue par pudeur comme si
une langue étrangère me permettait ce que je n’oserais dans ma
langue maternelle qui me parait trop directe, trop crue. J’ai ainsi
18
Dossier
:
Langues des ancêtres
moins peur d’exprimer des sentiments. Il reste
quelque
caché dans le manque de maîtrise même de la
chose de
langue étrangère
qui, paradoxalement, en même temps, peut offrir de nouvelles
et multiples possibilités.
Quand j’écris en anglais, je privilégie la simplicité par rapport
à la forme...par force. Je ne m’attendais
pas à ce que cela m’emmène vers plus de simplicité en français, moins de fioritures
inutiles et ce que j’écris maintenant est plus
authentique. Cette
nouvelle sobriété m’a ramenée à l’essentiel dans la vie, moins
de superflu, moins de peurs. Finie la
peur d’être notée, évaluée,
jugée, humiliée, fini l’orgueil. Finie la peur de paraître simplette
aux yeux des intellos. L’écrivain est
juste celui qui écrit.
Je choisis la langue dans laquelle je vais écrire en m’interrogéant sur celle qui correspondra le mieux à ce que je ressens au
moment présent, celle qui «traduira» le mieux mes sentiments à
et
ce
moment-là.
Annie Reva’e Coeroli
Littérama’ohi N°4
Danièle-Taoahere Helme
Le
langage du
Le
cœur
Le
cœur
du quotidien
quotidien et sa langue
La langue et diversité
Ecrire c’est
d’humeur
juste ressentir le moment. Hier, je me suis levée
grise. La même pièce, les mêmes meubles, le même
balcon, tout semble fade
comme
l’état d’âme du moment. Je
reste
allongée pour prolonger cette langueur qui m’envahit
depuis quelques jours, un bon «f/u» de chez nous. Une phrase
vient émerger de cette torpeur pour me le répéter. La langue du
«f/'utisme», un vrai «spleen» morose, qui vous fait râler pour une
broutille de travers.
Avant
d’écrire, l’état du moment !
Les escaliers
encore
souillés de l’inconscience de chacun,
plastique indécent n’a pas rejoint le bac géant à l’extérieur et
épluchures mêlées aux papiers jonchent interrogativement le
sol attendant un miracle pour terminer la course inachevée.
Aujourd’hui la prise de conscience va t-elle engager la responun
les
sabilité ? Tout
l’homme
devrait ainsi
se
faire
sans
l’intervention
de
qui salit et de la commune qui est responsable des
irresponsables. Le Saint-Esprit a beaucoup de travail dans le
secteur. Beaucoup de personnes se concertent pour résoudre
les défis de l’environnement. Si quelques uns osent l’exemple,
trop hélas, bafouent le capital de survie de nos enfants : l’environnement. Il paraît que si tout le monde prie, un génie va sortir d’une boîte de Pandore pour sauver le quartier c’est la
conception des uns et le désespoir des autres. La réalité est là
tandis que la solidarité est anesthésiée au profit des belles litanies. Les salissures attendent leurs solutions. Les publicités proposent certains produits-étonnants. Ce doit être comme le Père
Noël, il suffit d’y croire pour éviter l’action et faire ainsi abstraction
20
Dossier
:
le
langage du
coeur
des immondices
qui livrent le spectacle des «permanents», en
opposition aux «intermittents» de la dégradation.
Un chien au-dessous, pleure son espace, les animaux ont
dû s’adapter aux appartements. L’escalier nettoyé la veille, déjà
les papiers narguent, au point de faire monter la pression et la
colère. Une dame salue, envie de vomir, non, pas la dame le
«pourquoi te prendre la tête tout le monde laisse sale, tu passes
et tu ignores !». Excusez-moi, je croyais l’escalier en commun !
Habillés pomponnés, aspergés de senteurs artificielles, désodorisés, ignorant la puanteur des lieux arrosés par des animaux qui
ont libéré leurs besoins
sont ornés de
en
reniflant le sol à leur manière. Les
graffitis que les excités du quartier n’ont pas osés sur les murs de leurs parents : nous avons la
totale. Faut-il être contre, parler pour simplement brasser de l’air,
murs
nouveaux
prendre le chiffon pour donner un brin de dignité, dérangée par
toutes les obscénités qui s’écrasent sur le mur d’entrée, est-ce
là
une
langue d’écriture que j’ai négligée : c’est l’appel à la solivrai pays à vocation hautement touristique.
darité pour un
Changement d’humeur, le temps passe Flora attend !
Ce matin, je me suis réveillée un bouquin pour nourrir la
journée, quel cran cet auteur, il ose ses tripes, cela me dynamise, je vais écrire. Je crise sur le thème, cela fait dix fois que
l’on s’explique là-dessus, faut-il toujours expliquer si qui se vit si
intensément dans l’âme de la Tradition ? Flora persiste et signe
lorsqu’elle veut quelque chose, elle y tient, me voici donc dans
«Quelles Langues d’Ecritures»... Ou reste t-il encore des choses
à dire, sûrement, Flora doit le savoir ! Ce matin n’est pas
hier, je me lève et j’ai envie de me précipiter au clavier et de pianoter tout
qui me passe par la tête, je démarre la boîte mécanique qui prend aussi le temps de s’étirer avant de me placer les
icônes. Je retourne au balcon, le jour n’est pas encore au rendez-vous je suis un peu trop tôt ce matin, mais c’est mon
moment magique, je vais entendre en crescendo le silence, le
ce
21
Littérama’ohi N°4
Danièle-Taoahere Helme
salut des oiseaux, le bruissement croissant des activités
qui s’éjusqu’au brouhaha où tous les bruitages vont trouver leur
apogée, les voitures, les camions, les scooters, les salutations,
les scènes, c’est en live, ce cinéma c’est «le bruitage de la rue».
Il faut le raconter pour que les générations puissent se situer
dans la progression de leur histoire et dire que l’âme polynésienne respire dans sa continuité.
veillent
Je souris à
plantes, mon humeur a suivi le bulletin
météorologique annoncé la veille, c’est pour cela que j’admire
les gens de ce métier, ils font de la voyance à distance et peu de
gens savent qu’il faut regarder la météo tous les soirs pour
connaître le baromètre personnel. C’est le langage de la bonne
humeur qui revient, comme à la météo, je l’avais bien dit !
mes
Bref, revenons à ce qui nous intéresse, sur mon balcon, je
suis attirée par la lune qui se laisse porter par son croissant, les
étoiles insistent encore un peu avant de se retirer devant le jour
qui va les effacer. Fetia po’ipo’i est là, c’est l’Etoile du Matin,
repère des pêcheurs, qui rentrent au port. Des lumières artificielles veulent rivaliser avec les étoiles, mais elles doivent rester à
leur place, au-dessous du scintillement des vraies stars. Ma
disposition d’esprit est réajustée, je suis prête, je me suis éloignée du scénario de la veille, puisque le bruit de la route vient
familièrement à mon oreille comme un ronronnement et non plus
comme une agression. Un amical salut à la dame qui m’a dérangée hier, une geste de sympathie vers ces épluchures pour les
accompagner vers le bac situé à l’extérieur, un geste pour
remercier l’enfant qui accepte de rafraîchir le pallier souillé. C’est
vrai que l’environnement trouve ses solutions, le tri des ordures,
les huiles de vidange, les piles, il faut s’y mettre tous ensemble.
J’ai envie de dire et d’écrire, j’ai besoin d’aligner des mots et
de donner du texte en vrac dans un premier temps avant de le
fignoler en gommant les imperfections et les répétitions.
22
Dossier
:
le
langage du
coeur
Ça
y est, je vais écrire !
Pour écrire il faut d’abord
parler, bienheureux les bavards, ils
grande langue car il faut tant de mots pour
écrire des fragments qui vont rejoindre d’autres pensées !
doivent avoir
une
Bienheureux les muets, ils entendent toutes les élucubrations
ayant la chance de ne pas entrer dans les polémiques,
cause de quoi,
justifier, répéter, confirmer, soupeser, jauger, estimer, ne pas
froisser, c’est compliqué bien des fois !
Bienheureux les sourds, ils n’entendent que leur langage
avec tous les bruitages qui les habitent. Ils sont
privés des
refrains agréables et protégés des rumeurs assourdissantes de
la cacophonie des langages.
en
d’accord, pas d’accord, pourquoi, où, comment, à
La
langue des mots avec toutes ses possibilités, ses aspériqui définissent la subtilité de chaque registre. Les Mots
encore pour communiquer, dire, crier, délirer, s’enflammer, se
moquer, oser, riposter, s’excuser, se plaindre, raconter, transmettre et prolonger l’histoire qui bâtit des liens pour les généra-
tés
tions à venir. Les mots
phrase
se
mêlent et s’entremêlent pour compo-
permettent
paragraphe, arrangent un
slogan. La langue maternelle comme les premiers balbutiements d’un bébé qui déclenchent l’admiration dès qu’il s’exerce à répéter des bribes pour
rejoindre le monde des grands. Bredouillement deviendra
apprentissage, puis sevrage selon les influences de notre revendication socioculturelle. Certains préfèrent naviguer entre français-tahitien avec un charabia qu’ils échangent sans complexe
et qui ne dérange que les défenseurs de la langue ou les contrariés de naissance. Pour écrire, il faut donc avoir une langue parlée pour reproduire des mots qui vont se jeter sur une feuille
ser
une
texte, osent
avec
un
se
un
livre, brandissent
un
les sentiments et les émotions rattachées à chacun. Il
manquait plus
mis de
ne
cela. Je connaissais la carte d’identité, le perconduire, les diplômes, le curriculum vitae, les attestations,
que
23
Littérama’ohi N°4
Danièle-Taoahere Helme
certificat de concubinage, la langue d’écriture reven-dique sa place et se précise :
empreinte qui définit tout le brassage du passé vécu dans le présent qui s’en va déjà vers son lendemain !
les reconnaissances, le livret de famille, le
«Quelles Langues d’Ecritures ?»
La
langue de notre culture, nous y voilà, elle a fini d’être
me donne l’image d’un point de broderie qui est fait
défait jusqu’à ce que le fameux point soit enfin ajusté.
décriée, cela
et
Tout
en
en
Polynésie est langage, le regard à lui seul en dit long
son message par un geste, un mouvement des
confirmant
un hochement de la tête. J’observe Tetuanui, elle interpelle Tama en lui pointant cinq doigts dirigés vers sa montre et
la direction de la maison. Les sourcils vont signifier que la décision est sans appel. Tama essaie de demander un sursis en roulant son index pour gagner un peu de temps après l’entraînement, la réponse est non. D’après le mouvement pointé et l’intonation de l’échange, Tama comprend que ce n’est pas aujourd’hui qu’il faut exagérer, il acquiesce et confirme cinq heures à
sourcils,
la maison, elle sourit !
Le langage des fleurs
et des couleurs tant de variétés et de
diversités pour exprimer qu’à Tahiti tout pousse et si facilement.
La discrétion ou l’audace des bouquets exprimés avec tant de
possibilités. Tetuanui connaît le marché, elle aime le traverser
rien que pour se remplir des couleurs et des senteurs. Elle frémit, c’est son moment particulier de gratitude pour vivre à Tahiti.
Un sourire au coin de sa lèvre exprime une victoire, c’est par des
roses rouges que Tama vient de lui demander pardon. Il lui a
offert un magnifique arrangement floral en proportion de la culpabilité du moment, accompagné d’une ferme résolution pour
une trêve amoureuse. Tama a fait rajouter une rose car chaque
crise est représentée par une rose, le bouquet est conséquent.
Tetuanui est émue par le geste et a oublié le décompte des crises !
24
Dossier
:
le
langage du
coeur
Le
langage de la mer avec les compétitions de va’a qui
dépassent maintenant les frontières ont réussi le défi international. Tetuanui assiste aujourd’hui à la compétition de Tama pour
l’encourager certainement, mais également pour le surveiller de
plus près. Les rameurs deviennent des vedettes et Tetuanui le
sait. Aussi les entraînements, les fêtes qui font partie de tout ce
rituel est contrôlé d’assez près. Apporter la serviette et la bouteille du réconfort d’une part et surtout préciser qu’elle existe.
Tetuanui pense que l’alliance au doigt, aujourd’hui n’est plus le
repère sécurisant pour éloigner les tentations. Elle préfère se
manifester. Sa jalousie la stimule dans ce sens, les rivalités ne
sont pas simplement sportives !
La danse a elle seule a toute sa dimension et chaque étape
permet de relire le contexte qui fait partie de l’évolution, la partie
contenue, la partie libérée, la partie cachée, la dans du tapa, la
partie moderne.
Tetuanui est enchantée elle va danser, les costumes prévus
sont magnifiques et c’est vrai, ils mettent tellement en valeur la
beauté de la femme polynésienne. Tama est énervé, d’après lui,
cela fait dix fois qu’elle se maquille, elle s’est parfumée alors qu’elle
va transpirer, elle n’a jamais pris autant de
temps pour lui. Il cherche ses arguments pour cacher sa contrariété. Il tente un conflit
pour détourner son problème, Tetuanui a décidé de rester zen, il
paraît que cela évite les disputes. C’est à son tour d’aiguiser la sensibilité de Tama, elle jubile, il est jaloux et cela la rassure !
Le langage du chant fait partie du sens profond qu’exprime
le Polynésien. Tant de choses à dire, à raconter, tant d’histoires
amoureuses
d’un
amour
belles
ou
douloureuses. Tant d’âmes à la recherche
idéal et aussi les notes amusantes où l’humour du
chanteur
qui aime imiter ou déformer une chanson à la mode
fête improvisée. Aux fêtes de Juillet Paparai a
ce sens pour rappeler au peuple son authenticité «la joie de vivre». Tetuanui et Tama sont invités c’est le
moment où ils se retrouvent en accord, la tonalité de la bringue
locale pour une
tant donné dans
25
Littérama’ohi N°4
Danièle-Taoahere Helme
est déjà dans sa phase tonique lorsqu’ils rejoignent leur groupe
d’amis. La tenue est décontractée, la soirée l’ambiance agréa-
ble, incite à la fête. Ce soir pas de dispute Tetuanui se laisse
emporter par les airs des guitares et des «ukulele». Le jus
accompagne les conducteurs désignés, la bière et le vin, les
dispensés de conduite. Des grillades et du poisson cru sont
disposés sur le buffet où chacun se sert et compose son menu
à son gré. Le self fait dorénavant partie des moeurs, il a remplacé le service maison d’autrefois. La fête continue malgré la
fatigue qui se fait sentir et plutôt que de s’avouer vaincus, les
chanteurs enchaînent avec un ralenti qui fait penser au phonographe de grand-père lorsqu’il fallait vite aller le remonter. Les
chanteurs sont toujours persuadés qu’ils sont dans le rythme
tonique et assument leur répertoire. Tama ose, «ta’oto ana’e, rohi
rohi roa». Le groupe déraille complètement dans son rythme,
même le rire est dans sa phase de déclin, les paupières ne résistent plus, les matelas préparés pour la circonstances accueillent
les invités pour les accompagner dans les bras de Morphée après
le langage de la fête.
ECRIRE
J’ai choisi d’écrire
français parce que je m’aiguise mieux
que les sujets m’interpellent directement. Je trouve fascinant de pouvoir manier la plume en donnant de l’importance à mes sentences, du rythme à mes délires,
des sens à mes contresens. Un vrai régal la langue française
avec tant de subtilités. Tant de mots encore à découvrir lorsque
tu as fini d’éplucher un dictionnaire, il reste un gros dictionnaire.
Lorsque tu as fini le gros dictionnaire, si tu y arrives, il reste les
encyclopédies. Lorsque tu as déclenché l’Annapuma, il reste les
règles grammaticales, avec leurs applications, leurs contestations, leurs tergiversations, leurs retournements, les fantasmes,
les rythmiques, leurs alliances, leurs mésalliances, une merveille
et un casse-tête chinois en même temps.
dans cette
26
en
expression et
Dossier
:
le
langage du
coeur
Les dialectes s’en mêlent !
Ce n’est pas non
plus sans compter sur les chinoiseries de
langue entre les accords et les règles qui n’en finissent qu’en
exceptions, oui chinoiseries sur une composition française. De
la langue chinoise, je me limite à l’intonation avec ses tournures
saccadées qui demandent l’exigence, le ralenti et le sourire pour
la plaisanterie, la rapidité et le ton qui hausse pour l’échange
d’arguments. L’accent mathématique pour annoncer les montants qui se calculent dorénavant à la machine et non plus au
boulier. J’entends aussi un langage codé, langage des colères
du quartier, car en dehors de l’intonation qui permet la discrétion
dans l’échange pour ceux qui ne sont pas familiers ou apprentis
de cette langue, j’entends le chinois, je ne prétendrai pas le cornprendre !
Des idées qui viennent de l’observation et du vécu, c’est
mon langage. J’écris aujourd’hui avec les évidences du
peuple
polynésien qui vibre en moi depuis que ce sol sacré a accueilli
mes premiers pas vers la sensibilité du peuple «ma’ohi», Je ressens les choses en polynésienne parce que j’habite sa terre et
sa culture, avec des savates bien de chez nous, un paréo traditionnel et un chapeau avec des fleurs qui n’ont d’artificielles que
les contextures métissées dont je suis issue. Je scrute avec le
regard observateur du Polynésien qui dans son silence observe
et scrute les évènements, les situations, les incidents. C’est le
langage de l’observation. Silence qui permet ce vrac sur des
feuilles qui veulent s’assembler, se relier, se mélanger, se supprimer, se modifier, se rectifier, pour dire et aussi médire également. Maudire pour oser plus profondément du texte au kilomètre comme il nous l’est demandé. Lorsque trop de questions
agressent, je décroche et je me réfugie dans ma bulle qui me
permet l’étanchéité des moments de crises, de critiques, de désaccord, pour retrouver mon harmonie personnelle avec une
exactitude qui n’engage que ma perception. Puisque l’on a le
droit d’être d’accord, de ne pas être d’accord, j’ai compris enfin :
la
27
Littérama’ohi N°4
Danièle-Taoahere Helme
vivre
agréablement le moment d’écriture et le partager avec
qui le reconnaissent. J’ai des idées pêle-mêle qui se précipitent en brouillon, passent par un toilettage approprié, puis des
mots plus cohérents interviennent pour arrondir les angles, fautil vraiment les arrondir, avant de se ranger en colonnes, en paragraphes, qui se proposent avec la décence ou l’indécence que
chacun peut approuver ou désapprouver selon la perception ou
ceux
la sensibilité de chacun ?
L’écriture est
simplement la langue des mots. Les mots sont
expressions malignes et coquines qui aiguisées savent
déguiser la réplique instinctive. Les mots peuvent être également
un régal, un dessert, un casse-tête, un Chop Soy, une amertume,
une nausée, un délire, un éclat, une pointe d’humour, une chanson, une complainte. Plus laxistes les mots caresses pour une
paresse. Plus intelligents les mots appropriés pour afficher Tinstruction. Sournois d’apparence inoffensive, camouflés tels des
caméléons pour fustiger des règlements de comptes, encore des
mots en quelque langue que ce soit avec ou sans écriture !
Les mots adaptés à chaque peuple pour dire sa survivance
des
et sa mouvance,
douceur
sa
le
reo
ma’ohi
dolence, sa violence, sa
des mots qui ont pris des natio-
avec sa
consonance, encore
nalités différentes pour exprimer des interrogations. Les’expres-.
sions du physique et des mimiques prennent la réplique : oui, les
sourcils
lèvent
acquiescement, non de la tête, froncement
pour une contrariété, rictus du coin de la lèvre pour la désapprobation ou «n'importe quoi !».
Les mots ont accepté de se dire par milliers, avec des
variantes qui ressemblent à un nuancier pour augmenter ou
atténuer la précision d’un ressenti : manger, festoyer, déguster,
bouffer, se gaver, ingurgiter, déjeuner, dîner. Les teintes précisent la façon de prendre son repas ou de l’avaler sur le pouce,
de s’asseoir, de se lever pour indiquer le temps accordé. Tout a
un sens et chaque mot mélangé, malaxé, pétri, composé, décomposé va vers sa nouvelle définition.
28
se
en
Dossier
:
le
langage du
coeur
Le langage amoureux, langoureux dans les débuts, plus
aiguisé dans le parcours, libérés en intimité, réglementé en
société avec la subtilité des registres tel un code de la route du
langage dirigé dans ses croisements et ses priorités.
Le
langage culinaire propose des recettes pour des ingréqui ne se posent jamais de questions mais se confondent
pour se présenter avec des noms plus ou moins talentueux. Il
faut approuver leurs appellations pour sembler familier de leurs
définitions qui déclenchent les papilles des gourmets : pommes
vapeur, robes des champs, méli-mélo. Voilà des termes maquillés
avec une sauce pour revenir à des questions culinaires, bêchamelle, le Parmentier, chacun son brevet pour y ajouter un certificat d’origine !
dients
Tant
Les
qu’une langue survit,
un
peuple existe !
de la
langue pour afficher les subtilités bien
par les littéraires, compliquées pour certains qui s’insurgent devant les méandres qu’ils accusent de snobisme.
Echange soutenu avec vol direct, mélange délicieux de Précieux
et de Ma’ohi, qui provoque ou méprise, propose ou justifie, interroge ou riposte, voici ce que cela donne au marché de Papeete
où les échanges sont saisis au vol, interprétés ou déformés en
fonction de la perception de chacun !
nuances
vues
Précieux : (tandis qu’il réajuste discrètement son paréo qui
impeccable) cet instant tant attendu éclaire ma journée aussi
je vous donne le bonjour avec les égards que vous méritez !
Ma’ohi : tu es un petea ou quoi !
Précieux : «Auriez-vous l’obligeance de m’adresser votre
serviteur pour que je puisse être introduit chez vous cette semaine
selon les usages !
Ma’ohi : eaha tera mea “zusages”.
-
reste
-
-
-
29
Littérama’ohi N°4
Danièle-Taoahere Helme
-
Précieux
:
attention à
vos
gestes brusques qui risqueraient
de froisser mes vêtements !
po’ara, e froisser ato’a.
aux ripostes s’aventure encore dans ses
élucubrations tandis que Ma’ohi persiste dans ses diatribes
envers ce foutu langage qui lui paraît si compliqué et qui dit si
longtemps pour expliquer une simple chose. De son côté
Précieux marmonne aussi contre le verbiage tahitien où les mots
ressemblent parfois à des rallonges électriques. Il a vu à un guichet «Haamaramaramaraa», il a dû le prononcer par étapes !
Précieux : Que de couleurs, de senteurs, un bouquet exotique qui ravit tous mes sens, je prends un tel plaisir !
Ma’ohi •' a ho’i atu i to ‘oe fare, e ‘ere roa teie vahi no tera
mau ‘ohipa plaisir ta ‘oe parau mai ra.
Ma’ohi commence à s’énerver et Précieux trop excité par
son élégance verbale continue ses réparties sans tenir compte
de leurs différences d’interprétations et se donnant encore
davantage d’aisance. Ma’ohi sent une colère imminente qu’il
contient de plus en plus difficilement.
Ma’ohi : rahi roa parau parau, a heare ana’e e ti’i ma’a i’a
no te fafaru, bla bla bla. Aita taua e pai’a ia te tiare.
-
Ma’ohi
:
E te
Précieux indifférent
-
-
-
Le
langage parlé
L’orateur, le politique, le râleur, le beau
-
parleur, l’enchanteur,
kilomètre car
sont des termes pour définir ceux qui s’expriment au
il faut beaucoup de métrage pour faire un discours.
Les
préfixes ou les suffixes :
Les «istes» sont des mots
qui oeuvrent en faveur d’une
à défendre, les conformistes s’opposent aux méthodistes
leurs idées religieuses. Les gaullistes les indépendantistes,
cause
avec
les socialistes, les séparatistes,
idée ou d’un mouvement.
30
les écologistes, partisans d’une
Dossier
Viennent évidemment
:
le
langage du
coeur
opposition les «anti» ou contre :
anticlérical, anti-tabac, anti-alccol, anti-moustiques, anti-nucléaire, anti-pollution, anti-dépresseurs.
Les «ismes» avec le colonialisme, le modernisme, le moralisme, le fondamentalisme, le nationalisme pour mesurer les
séismes occasionnés par les changements.
Les «ites» ou inflammation, les tendinites, les rhinites, les
gingivites, les conjonctivites, les mastites (inflammation de la
glande mammaire), à ne pas confondre avec les masses-tites,
inflammation des
Les
masses
en
!
«iques», mimiques, polémiques, anémiques, endémi-
ques, épidémiques, monarchiques, politiques, électriques.
Les «iens» Tahitiens, Mélanésiens, Indonésiens, Calédo-
niens, les Martiens.
Les «tion» attention, punition, tentation, obligation, pétition,
revendication, contemplation, multiplication, soustraction, corn-
pilation.
Les mots font partie également de toutes les définitions, les
pléonasmes soignent leur asthme, voilà que même les mots ont
leur diagnostic ! Les arthrites aiguës accompagnent la
goutte
pour un bout de route.
Il y a même des liaisons comme dans les feuilletons qui étalent les épisodes avec des aventures qui ressemblent
étrangement à des séries qui se suivent avec leur éternelle continuité
pour retenir le spectateur dans son rêve matérialiste car les résidences et les tenues si élégantes ne collent pas du tout avec la
réalité du quotidien.
Les familles de mots
avec
les «fetii»,
L’argent de l’oncle Maui, homme argenté de la famille désargentée, camoufle dans sa coquille l’argenterie de la lignée. Un
argentier démuni cherche désespérément l’introduction dans
son monde pour se croire
argenté !
31
Littérama’ohi N°4
Danièle-Taoahere Helme
L’euphonie ou langage de la chanson déposer des notes sur
des mélodies, des mots pour amplifier ce qui se vit dans tous les
registres d’une portée qui se dit en do, ut, sol ou en fa, le tahijamais avare dans ce sens puisque son intonation est
déjà mélodie, rapsodie, mélancolie.
tien n’est
Des
Des
virgules volent
points se garent
Des accents klaxonnent
Des
Des
Des
Des
apostrophes s’interpellent
syllabes démarrent
mots tentent leur permis
phrases passent au rouge
Des textes osent des infractions
Des pages narguent les contraventions
Des livres garés en double file
Des
langages ont leurs carrefours
Des cultures au-delà de leurs frontières
«Ma’ohi» souviens-toi de ta culture pour
en
la transmettre
héritage à cette génération qui réactive doucement ses
mémoires traditionnelles.
Danièle -Taoahere Helme
32
Quelles langues d’écriture ?
Je sais pas vous, mais moi, cette
question elle me gêne un
Enfin, on pourra me répondre, «mais toi, tout te gêne !».
Okay, bon j’avoue que plus d’une chose me gêne, c’est pour ça
que j’écris, non ? Bon, bref. Quelles langues d’écriture, avec un
«s». Pourquoi poser la question ? On écrit en ce
qu’on veut :
français, tahitien, paumotu, marquisien... «frantahitien», on se
sert de tous les styles aussi, «beaux mots», «nanaoture», «écriture parlée», «interlangue» et que sais-je encore ?... La réponse
me paraît tellement évidente... C’est la
question qui l’est moins,
c’est elle qui (me) pose problème. La poser, c’est partir du principe qu’il y a quelque chose qui cloche. Retournez un peu l’interrogation, et en voilà de toutes autres qui surgissent, par delà nos
petits méninges, comme dans un devoir sur table. Ça donne à
peu près ça : pourquoi écrire dans une langue, plutôt qu’une
autre. Puis, sournoisement peut-être, mon écriture aura-t-elle
une portée, une légitimité ? Que sera-t-elle, face à la «normée»,
la «courante» ou bien même la «vraie», c’est à dire la «grande
écriture-littérature». Ouais, il y a comme beaucoup de sousentendus, presque des chuchotements. Enfin, c’est ce que je
pense, c’est tout à fait personnel, quoi.
Comme on dit, «cela relève du subjectif». Et c’est tellement
subjectif, que je répondrai très simplement Je n’irai pas chercher
les plus beaux théorèmes, les plus grands systèmes de pensée.
Bon, alors je réponds : j’écris en français. Le français, presque
une langue de cœur. Le français, c’est tout... par tradition ?
Parce que je sais pas écrire autrement, je sais pas parler autrement. J’y ait goûté, comme beaucoup de gens d’ici, dès le sein.
Je sors du ventre de ma mère et «vlan», je mets les deux pieds
dedans et je grandis tout en sachant, én ressentant que ce n’est
en rien ma langue maternelle. Bizarre, c’est sûr. Gros vide, dès
l’entrée dans la vie. Savoir que ce qu’on utilise tous les jours,
peu.
33
Littérama’ohi N°4
Titaua Peu
pour se
faire comprendre, aimer, haïr, n’est pas le «véhicule» de
parents et de ses ancêtres... et pourtant accepter - presque
totalement
cet état de fait. Il faut bien vivre, non ? Je pourrais
ses
-
«J’y pouvais rien» et puis aussi je pourrais rajouter «Je peux
réapprendre ma langue, tahitienne, marquisienne...» Je pourrais... mais je ne le ferai pas. Ça ne regarde que moi, ça ne
regarde que le rapport que j’ai avec mon pays, ses langues et
ses coutumes. C’est quand même incroyable qu’il faille aujourd’hui, toujours s’excuser, presque se repentir. Quelle langue d’écriture ? Et bien celle dans laquelle je me sens le plus à l’aise,
celle de «l’étranger»... hélas. Parce que celle que j’ai perdue, ou
jamais apprise, aujourd’hui me semble trop belle pour que j’en
fasse n’importe quoi. Et en plus, il fallait bien que je me fasse
comprendre du plus grand nombre. Et en plus, c’est joli tout ça,
le tahitien = langue officielle. Je trouve quand même qu’elle ne
l’est
officielle
encore une fois que pour l’élite. Qui l’apprend
en profondeur à l’école ? Et à qui a-t-on rabâché que le français
était la langue de la réussite ? Parce que la réussite c’est vraiment tout ce qui compte, n’est-ce pas ? Maintenant, on s’étonne
qu’il y ait plus de «hutu painu» comme moi que d’académiciens.
On s’étonne et on s’offusque.
Voilà, c’est, entre autres, pour ça que j’écris en français. Et
c’est pour ça aussi que je m’incline devant vous, auteurs maohi
qui écrivez en reo maohi, qui parlez et vivez votre langue.
dire
-
-
Titaua Peu
Lorrène Gouassem
Ma
Problèmes pour une
langue caldotienne
«caldotienne»
Je
parle français, j’écris français, je ne pense pas comme
française.
Je suis française mais pas farani, en Nouvelle Calédonie on
«pas z’oreille».
une
dit
A
A
Tahiti, on
Nouméa,
a
souvent dit de moi : «taratoni tera»
dit «Alors la tahipouette...»
on
Problème...
Je
ne
Je
me
suis
plus vraiment caldoche,
pas
tout à fait tahitienne,
dit «caldotienne».
Je suis entre deux mondes
qui
se
chevauchent, s’entre-croi-
sent, s’imbriquent ; je ne suis même pas une demie.
Entre une aïeule kanake, une autre venue de l’Inde, un aïeul
kabyle,
autre breton, des grands parents et une mère caldobeau-père tahitien, deux enfants polynésiens, un mari
chinois et un dernier fils tahitien-caldoche-chinois, un des seuls
repères fiables qui me reste, c’est la langue française.
La seule langue qui ait survécu à tous ces mélanges, à toutes ces migrations forcées ou désirées,
La seule langue que l’on ne m’ait pas permis d’oublier.
Je suis de Tahiti et de Calédonie et pour que les liens subsistent il y a le sang et aussi la langue ;
Pour moi, c’est aujourd’hui, le français.
ches,
un
un
Problème...
Les calédoniens
les
parlent le français et pourtant, les français ne
comprennent pas toujours, ils ont un accent et des expressions
35
Littérama’ohi N°4
Lorrène Gouassem
qui leurs sont propres, parfois difficiles à décoder, souvent choquantes, je l’appelle le «frandoche».
Les tahitiens parlent le français, un français particulier avec
des R roulés et des petits mots bien locaux, des structures spécifiques qui se mélangent, se substituent, transforment ce français importé, c’est le «frantien».
J’ai la chance de pouvoir comprendre ces mondes, ce «frandoche», ce «frantien», ce français d’ici et d’ailleurs, qu’im-porte
les termes, l’important c’est de comprendre et d’être compris.
N’est-ce pas le souhait de beaucoup sur cette terre ?
Problème...
Quelle langue je parle ? Quelle langue j’écris ? Quelle langue
je comprends ? Quelle langue est la mieux comprise ?
Quelle que soit la langue qu’on utilise, il y en a une que tout
le monde
peut parler, que tout le monde peut écrire, que tout le
peut comprendre, il suffit de vouloir l’apprendre.
C’est la langue du cœur.
Encore faut-il oser la parler, oser l’apprendre, oser l’écrire.
monde
Ecrire pour
Ecrire pour
Ecrire
Ecrire
dire, écrire pour séduire.
crier ou bien pour pleurer.
pour se libérer.
tout simplement pour s’aimer.
Problème...
Ecrire. Sommes-nous capable de prendre un stylo et de
remplir une feuille blanche, nous, hommes et femmes du Pacifique qui ne savons qu’écouter et raconter ?
Problème...
36
Dossier
: ma
langue Caldotienne
Souhaitons-nous seulement témoigner, nous, qui depuis si
longtemps sommes enfermés dans un monde doré si convoité
par l’extérieur, si pourri de l’intérieur par ces vers nommés assistanat, nombrilisme, résignation ou m’en foutisme ?
Ces vers qui ont grandi jusqu’à nous faire oublier ce que
nous avions appris ?
Appris à dire, appris à comprendre,
Appris à lire aussi et à ne plus se méprendre,
Appris à écrire pour ne plus oublier ni souffrir ;
Appris avec nos mots, appris par nos maux
Que nous sommes un peuple du bout du monde
Qui sait aussi se réveiller quand le tonnerre gronde !
Problème...
Ecrire.
Pourquoi faire, ça ne change
Ecrire. C’est fiu ! disent les autres,
Ecrire. Je
ne
sais pas
Pourtant, chacun est
écrire...
petit enfant à qui la maîet dit :
Allez, regarde l’image et écris ce que tu vois.
tresse tend
-
rien ! disent certains,
un
comme ce
crayon
Problème...
Le
petit enfant tremble car il voit tellement de choses sur
image qu’il ne connaît pas assez de mots pour traduire sa
pensée. Alors, il n’écrit pas parce qu’il est persuadé que ce qu’il
écrira ne sera jamais comme ce qu’il imagine.
La maîtresse revient et l’encourage :
Ecris juste un mot et je comprendrai...
cette
-
Alors le
Mer,
un
visage s’illumine et le petit enfant écrit : MER.
mot plein de sens, juste un mot et tout commence :
MER.
37
Littérama’ohi N°4
Lorrène Gouassem
Cette
qui nous entoure parle ia même langue que nous,
ses mots, elle s’agite quand il faut, et, par son
chant mélodieux, apaise nos malaises ténébreux.
De Nouméa à Tahiti, De l’Australie à Hawaï, de Papouasie à
Rapa Nui et de bien plus loin encore, elle nous parle dans sa
langue et nous la comprenons et nous la respectons.
Elle ne craint ni les critiques, ni les menaces, ni même les
sévices, car elle a dit ce qu’elle avait à dire et sait qu’elle a été
entendue et même comprise.
Ainsi elle ne sera jamais soumise.
elle
nous
mer
berce de
Problème...
Oserons
Comme
nous comme
ce
cet océan
enivrant,
petit enfant,
Utiliser les mots que nous avons pour
Pour montrer notre bonheur,
Pour écrire la langue de notre cœur ?
dire notre malheur,
Problème...
Pour les souvenirs
Pour les
d’hier,
joies et les peines du moment,
générations futures,
Oserons nous ouvrir notre porte à l’écriture
Pour que personne ne puisse dire que nous n’avons pas
d’histoire,
Pour que personne ne puisse dire que nous sommes un
peuple dérisoire,
Pour que personne ne puisse écrire que notre langue se
meurt de désespoir ?
Pour les
Problème...
38
Dossier
Saurons-nous utiliser
nos
mots
: ma
langue Caldotienne
pleins d’ardeur,
Ceux tout droit sortis de notre cœur,
Même s’ils ne sont pas à la hauteur,
Pour traduire notre ferveur ?
Problème...
Si
A
parfois
nous ne savons
plus qui
nous sommes
l’école, le français nous avons appris
Et même s’il
nous
pose un
dilemme
Concluons
ce
Notre âme
ne sera
Nous
sommes
pas
problème
flétrie
avant tout des hommes.
Le respect de notre personnalité,
De nos croyances et de nos différences,
Restera à
jamais marqué,
Lorsque les portes auront été forcées
Et qu’en grand nombre nous nous serons exprimés,
Pour que notre message soit gravé et plus jamais effacé.
Quelle que soit la langue utilisée, reo maohi, mélanésiens,
caldoche, chinois, français,
Ou bien tout simplement la langue du cœur,
L’important est de se lancer
Et de ne pas avoir peur.
Lorrène Gouassem
Littérama’ohi N°4
Chantal T. Spitz
langue domination
langue libération
Elle a été LA question
Primaire prééminente prédominante primordiale
Question qui sertissait toutes les autres
qui affouillaient touprésumées assumées
effeuillaient tous mes
grés mais bons
effritaient toutes mes écritures avant même
qu’elles ne se tracent. Question qui voilait toutes les autres
auxquelles je voulais échapper
qui oppressaient mes pentes
mes
fois
sées chancelaient mes audaces scellaient mes contradictions
dans des circonstances atténuantes portes de sortie fils à retordre amendes honorables. Question qui enfantait toutes les autres
auxquelles je devais m’affronter
qui se déclinaient en face
à face contre-jours dos à dos clairs-obscurs
dans un dédale
de faux-fuyant volte-faces mauvaises passes faux-semblant.
«
Quelles langues d’écriture » comme une tempête fouettant un
océan étale déferlait des vagues concentriques
laient mes réflexions tanguaient mes conceptions
mes
intelligences
retraites battues
dans
aux
restes
un
non
qui hounaufrageaient
pitoyable sauve-qui-peut aux
demandés.
Quelles
langues d’écriture » déroulait mes détresses
chaque nœud portait un questionnement
aux multiples inconnues
qu’il m’appartenait de résoudre
sans m’égarer dans des rancoeurs
aigrissantes des illusions
abusantes des hostilités disculpantes des soumissions ané«
comme un
viriviri dont
miantes.
Comment extriquer les mystères d’un esprit
cosmopolites
irrigué de sources
sa différence
dans des temps où revendiquer
s’escortait d’une mise à l’écart de l’Autre occidental
des temps où affirmer son identité s’amplifiait d’une
dans
mise en
doute des apports étrangers
dans des temps où certifier
son appartenance s’ornait d’une mise en évidence de
signes
extérieurs
40
initiatiques.
Dossier
Comment dénouer
:
langue domination
langue libération
cacophonies scandées
langue d’écriture langue d’identité langue de fidélité
langue française langue de domination
langue tahitienne langue de libération
écriture-émancipation écriture-aliénation
écriture-dépossession écriture-revendication
écrire dans la langue de son peuple et refuser la domination étrangère
écrire dans la langue étrangère et être traître à son
peuple
écrire en français alibi justificatoire de la colonisation
écrire en tahitien chronique révocatoire de l’assimilation
ces
dans une dérade de déserts identitaires une dérive de ruines viscérales une débâcle de désolations internes.
D’analyses
sans complaisance en argumentations sans fondede raisonnements méthodiques en engagements
ment
polide dénigrements belliqueux en contradictions venimeuses
de rejets vindicatifs en aveux intempestifs
de
discours déchirés en accusations déprimées
les fardeaux
se sont dépesés les noirceurs se sont
dégradées les amertumes
se sont déposées les
attaques se sont défaites les haines se
tiques
sont détendues.
Si au fil des manques chuchotés des douleurs balbutiées
l’esprit
était moins contracté et les idées moins condensées
quant au
rejet formel intégral de l’Autre
au fil des angoisses communiées des béances silencées le
ventre était moins coagulé et le corps moins opaque
quant à la
mésestime dégradante minorante de nous-mêmes
Si
Si au fil des craintes confessées des misères dénudées les sentiments étaient moins touffus et les consciences moins
pâteuses
quant
avenirs généreux et
souverains de notre peuple
pour moi restait entier
en des temps où
l’écrire-création-à-soussigner se genésait dans des timidités
le
aux
questionnement
individuelles
en des temps où
l’écrire-intériorité-à-signifier
s’originait dans des pudicités communautaires
41
Littérama’ohi N°4
Chantal T.
Spitz
L’urgence de mon écrire-sinon-mourir s’aggravait de mon incapacité à suffisamment maîtriser le tahitien pour composer des
textes honorables
en des temps où le deuil de mes
manques pluriels continuait de m’être souffrance profonde
des manques comme des désarticulations des déchirures des
décombres
des manques encore comme un abandon une
désertion une trahison
des manques surtout comme une
souillure un déshonneur une humiliation. Des manques qu’il
m’appartenait de clarifier méditer accepter
apaiser
pour m’affranchir de mes obsessions mes irrationalités mes
incohérences mes névroses
pour me réconcilier avec moimême
avec
les autres
avec
la vie.
L’écrire-tripes-à-vomir indéfectible compagne de tous les engagements tous les replis tous les feux toutes les défaites
l’écrire-âme-à-reconstruire
inébranlable
sentinelle
de tous
les
transports tous les remords toutes les ardences toutes les déliquescences
tant d’écrires sur le lent cheminement
solitaire intimité avec moi-même pour terrasser les démons
errance éperdue dans les débris épars de mon intériorité
et
toujours partout LA question sans réponse
qui disqualifiait
les pour qui écrire pour quoi écrire
évaporait les écrire
le passé écrire le futur.
Question primaire prééminente prédominante primordiale
Quelles langues d’écriture
qui m’engluait dans un écrire-sans-lecteur un écrire-sans-réalité
me figeait dan un écrire-sans-inspir un écrire-sans-avenir
m’enlisait dans
moi
une
non-existence
une
non-actualité
qui n’osais montrer mon cahier
Besoin d’affronter
un
regard. Pas n’importe lequel. Le seul qui
comptait.
Le
42
regard de celui qui avait enflammé nos intelligences dénudé
Dossier
lâchetés dérouté
:
langue domination
langue libération
suffisances
reconquis nos fiertés
regard le plus exigeant le plus impitoyable
qui allait décider de mon sort de mon étoile
moi qui écrivais en français
nos
nos
le
On n’a
plus le temps pour ça
écris nous écris notre peupie écris notre pays c’est déjà tard
on s’en fout de la langue
tu dois écrire
écris »
délivrance de cette question poisseuse comme toutes les autres
qui ont replié les ailes de notre créativité
question visqueuse comme toutes les autres qui ont décrépit le souffle de
notre originalité
«
Merci Henri de m’avoir invitée
choeur de mes fécondités
aux
obsèques de mes vides
au
Soudain écrire
français n’était plus une tache indélébile
tatouage d’infamie
écrire en français avait perdu
ses pouvoirs déstabilisateurs
ne
restait qu’un
mot
intransigeant
intransitif
en
comme un
écrire
mot-évidence
qui saturait ma vitalité
mot-opahi pour ébaucher mon pays
mot-tohi pour ciseler mon peuple
les questions se sont éteintes
les doutes se sont dissous
je me suis mise au travail
en français
E Hiro
e
ia
ora
Chantal T.
Spitz
Tarafarero Motu Maeva avril,
2003
43
Littérama’ohi N ° 4
Marie-Claude Teissier Landgraf
Une
langue
pour
imaginer
Quelle
quer un
langue d’écriture ? Dans cette phrase qui peut implichoix, il y a d’abord le mot langue.
Langue maternelle
langue de la première enfance où la
mimiques précèdent de loin le
développement de la fonction symbolique et du langage.
Apprentissage des mots rajoutant des fragments de phrases aux
fragments du monde, qu’enfant on apprend à connaître.
Langage lié ainsi aux structures inconscientes du cerveau ; ce
qui fait que le même mot recouvre autant de créations imaginaires qu’il y a de cerveaux
imaginant.
Langue tahitienne : enfances dans le Pacifique Sud imbibées de la charge émotionnelle de tes mots et de celle des liens
qui les lient les uns aux autres. Enfances qui n’ont pu qu’entr’apercevoir ton système de signes (interdit pendant de si nombreuses années) et qui plus tard à l’âge adulte, ne peuvent plus
t’utiliser pour pouvoir s’exprimer pleinement. ‘Aue !
Langues apprises à l’école, outil de socialisation permettant
la greffe d’autres mots sur ceux de la langue maternelle.
Langue
que l’on récite sans pouvoir tout comprendre et qui force l’élève
à penser toujours au-dessus de lui. Langue qui
oblige, à partir
de sa forme, à réfléchir sur son contenu. Langue enfin
apprise,
que l’on maîtrise et que l’on imite pour pouvoir dire «autrement».
Cette question «Quelle langue d’écriture» souligne la chance
de vivre dans un pays et dans un système éducatif qui permettent de combiner au minimum deux langues à plusieurs modes
de pensées.
*
La chance de l’écrivain et du poète vient du fait que si tout
est dit depuis des siècles et des siècles sur l’art, les
passions, la
condition humaine etc., rien n’est encore compris.
:
communication affective et les
44
Dossier
: une
langue
pour
imaginer
Dans le contexte de cette revue, j’interprète le thème de ce
comme étant un choix entre langues françaises ou
poly-
dossier
nésiennes.
Ce choix existe t-il
encore au
sein de la
population ? Ou
n’est-il pas réservé à un petit groupe d’élus culturels vieillissants
et à quelques dizaines d’étudiants universitaires diplômés en ce
domaine ?
Un
jour, partie à la recherche du temps passé, je prenais
plaisir à flâner dans les rues enserrant le marché de Papeete.
J’entrai dans un magasin de tissus rempli de bric-à-brac entassé
jusqu’au plafond. Je me laissais aller au ravissement d’antan
devant le même fouillis apparent et parmi les mêmes odeurs,
quand un spectacle me laissa pantoise. A quelques mètres de
moi, deux jeune femmes polynésiennes, la vendeuse du magasin et une cliente discutaient chiffons en se vouvoyant. Non.
Elles ne jouaient pas «à la marchande» en France. Leur argumentation sur la qualité des tissus, sur les prix et sur leurs goûts
respectifs, était très sérieuse.
Sensibilisée depuis par cette anecdote, j’ai remarqué plusieurs fois dans un petit aéroport d’une île éloignée, que pratiquement tous les jeunes parents autochtones s’adressent spontanément en français à leurs jeunes enfants que l’attente d’un
départ ou d’une arrivée d’avion rend turbulents.
Quant aux collégiens, à croire plusieurs professeurs de langue tahitienne, ils apprennent avec bien plus d’intérêt l’Anglais/
Américain que le Tahitien.
J’ai remarqué dans l’Histoire humaine, que lorsqu’un phénomène devient plus rare, nos yeux s’ouvrent, et c’est là qu’interviennent la réglementation et la protection. On réalise l’horreur
ou le gâchis que quand ils tendent à disparaître.
L’interrogation de ce thème ne ferait-il pas partie du Chant
du Cygne de la littérature polynésienne ?
45
Littérama’ohi N°4
Marie-Claude Teissier
Dans la
Landgraf
question «Quelle langue d’écriture ?» il y a ensuite
le mot écriture.
Lorsque l’on considère l’écriture comme étant un code de
au second degré par rapport au langage, il faut
savoir la maîtriser pour exprimer au plus près sa pensée et son
ressenti. Eternelle bataille intérieure entre la technique et l’émocommunication
tion, entre le conscient et l’inconscient.
Les écueils rencontrés sont
multiples
:
Le
danger des mots réside en ce que l’on place derrière eux
pensées, des jugements de valeur et des
préjugés.
Choisir sa langue maternelle comme un moyen d’expression
identitaire peut entraîner l’auteur à l’aveuglement, à l’intolérance.
Or le racisme est biologiquement sans fondement.
J’ai lu que la maîtrise de la langue sert d’une part à se faire
respecter des autres. A mon avis, cet objectif représente un
écueil car il risque d’emprisonner la créativité dans le jugement
des groupes sociaux et dans des chapelles de pensées.
Et que d’autre part la maîtrise de la langue sert à avoir un
peu plus de liberté. Ne serait-ce pas une illusion ? Car croire en
notre liberté est tout simplement demeurer dans l’ignorance de
ce qui nous fait agir.
des automatismes de
Si, dans
toute autre perspective, nous acceptons l’idée
que chacun est dépositaire d’une mémoire collective, et que l’écriture est
une
forme
d’énergie, alors que celles et ceux qui sont
attirés par cette perception des choses se laissent guider par
cette force. En faisant toutefois le deuil d’une autre illusion : celui
une
d’un retour
aux sources
Cela est devenu
véritables du monde culturel
impossible
car nous sommes
polynésien.
les produits d’une
civilisation actuelle.
L’inspiration suscitée par cette mémoire fait surgir dans l’imagination et dans les émotions des personnes qui possèdent
46
Dossier
: une
langue
pour
imaginer
cette
les
sensibilité, des visions modernes du monde ancien. Que
jeunes surtout, aient le courage de les exposer au grand jour.
Qu'importe si cela n’est
pas authentique selon les écrits des premiers blancs de passage, selon les confidences à demi oubliées
d’un grand-père qui lui même n’avait retenu qu’une partie de ce
qui lui avait été transmis, ou encore selon les radotages d’anciens sur «ce qui se faisait avant.». Certaines formes actuelles
d’inspiration et d’expression artistique locale dans la danse,
dans la sculpture, dans la peinture, dans la photo, sont déjà sublimes. Et dans la littérature
nous ne cessons
de progresser.
L’important c’est d’imaginer. L’important c’est de créer.
J’interprète également la question «Quelle langue d’écricomme étant une interrogation sur le style à adopter.
ture ?»
D’un point de vue rationnel, le style
vail et de l’invention qui fait peau neuve
c’est la marque de traà l’idée. C’est quelque
chose qui convient à cette dernière, qui l’éclaire et qui la supporte sur un certain rythme. Le style, c’est la griffe de l’artisan en
écriture.
Du point de vue
subjectif, le style c’est la magie des mots, la
magie de leurs combinaisons, et de nouveau, de leurs rythmes.
Dans quel tour d’illusionnisme doit-on se perfectionner pour s’alléger de ses propres émotions ? Pour se faire plaisir (pourquoi
pas un brin provocateur ?). Pour être lu (avec quel rayonnement
géographique ?).
Du point de vue commercial, existe t-il un style efficace :
pour contenter l’amoureux des ‘paripari’ et des ‘orero’ (chants et
discours traditionnels) ? Pour satisfaire l’expert en analyse linguistique ? Pour enchanter l’amateur éclairé ? Pour attirer la personne
réticente à la lecture ?
Notre
petit groupe littéraire a déjà débattu
conclure. Peut-être parce que nous ne sommes
le sujet sans
qu’une grappe
47
Littérama’ohi N°4
Marie-Claude Teissier
Landgraf
de fruits verts ? Et
qu’il faudra attendre la saison de la récolte
pour reprendre la discussion.
En ce qui me concerne, j’utilise un style volontairement
facile et plaisant (je l’espère) pour transporter la personne qui
me lit - comme sur un tapis volant à chaque page tournée - hors
de
son quotidien. En effet, je travaille en respectant le lecteur qui
dépensera son argent et son temps pour me lire. Deux denrées
précieuses aujourd’hui.
J’aime aussi conduire mon style suivant le rythme endiablé
de.s ‘pahu’ (tambours), la mesure assourdie des vagues s’allongéant sur le récif, la cadence irrégulière des émotions cachées
au plus profond des ‘a’au (viscères). Juste retour de mon privilège à exister en cette partie du monde.
«Quelle langue
d’écriture ?» peut sous-entendre enfin la
possibilité de faire des choix à partir de ce que l’on veut faire
passer dans des messages.
On rentre ici dans le domaine des croyances que
je me suis
toujours refusé à argumenter.
D’autre part, volontairement (mais pas inconsciemment), je
me refuse à vouloir faire passer des messages dans ma langue
d’écriture. Sans doute par réaction aux livres techniques que j’ai
produits professionnellement, et qui en étaient bourrés. L’expérience m’a sensibilisée à leurs valeurs relatives et provisoires,
pour ne pas dire illusoires pour beaucoup.
Depuis que j’écris pour mon plaisir, je raconte des histoires
sous forme de nouvelles, de romans, et une fois de biographie.
Pour le lecteur qui s’intéresse à une deuxième lecture derrière
mes mots et mes phrases, j’offre des interrogations. C’est tout.
J’offre des personnages de réelle substance et bêtes, car il leur
arrive souvent de ne plus rien comprendre. Je suis aussi plus
bête que le lecteur, et surtout, je ne pense ni «bien» ni «juste».
Avec moi, il faut sauter toujours plus loin pour ne pas tomber.
48
Dossier
En résumé,
: une
langue
pour
imaginer
quelle langue d’écriture ?
Spontanément, nous réagissons et nous pensons pour la
plupart d’entre nous soit en Ma’ohi, soit en Français, soit en
Chinois, soit en Américain. Nous écrivons tous en Français, parfois en Ma’ohi, parfois en Français/Ma’ohi, parfois en Américain.
Nous agissons tantôt selon une hiérarchie de valeurs, tantôt
selon une autre, tantôt... ? Qui pourrait bien le savoir ? Même
nous-mêmes...
Un vrai
‘Shop-Suei’ ! Spécialité culinaire multicolore et savoula communauté chinoise nous fait apprécier depuis
près d’un siècle et demi. ‘Shop-Suei’ qui réunit toutes races et
toutes générations confondues à la convivialité d’une même
table où s’échangent toutes les langues et tous les styles.
reuse
que
Certains écrivains
accents
font relire de
bouilleuse
efforts
possèdent un langage universel aux
d’actualité, qui les font lire à travers le monde et qui les
en
générations
en
générations. Serai-je
un
jour, scri-
littérature, touchée par cette grâce ? Tous mes
convergent vers cette langue d’écriture.
Marie Claude Teissier
Landgraf
Littérama’ohi N°4
Te’ura Camélia Marakai
Oui, écrire !
Ecrire, c’est
est
un
Art. Mais, avant l’écriture, il y a la Langue qui
également
un Art.
L’Art d’orateur et l’Art d’écrivains sont dissociables pour certains mais indissociables pour d’autres.
Mais
écrivain passe
nécessairement par la formulation
spontanée ou réflexion interne, directe ou indirecte, orale
ou mentale, de sa pensée qu’il va matérialiser et ce, à l’aide de
signes visuels.
Et cette gymnastique intellectuelle conduit à l’utilisation de la
Langue.
un
écrite
Mais, quelle Langue d’écriture ?
Je ne prétends pas détenir la clé de la réponse car je ne suis
point une «linguiste» ou «scientifique» mais simplement, une
«passionnée» des Langues et de l’Ecriture.
Aussi, à la question posée, je ne répondrais que très brièvement ainsi
:
Ecrire, Oui ! C’est essentiel aujourd’hui si nous voulons préles quelques connaissances ou histoires importantes
racontées par nos parents, grand-parents, amis, professeurs ou
autres...ainsi, nous pouvons les graver dans les «Archives» de
server
notre Histoire...
Ecrire, oui, avec un grand OUI ! ! !
Ecrire, en utilisant la Langue où on se sent à l’aise, libre de
survoler les pages tel un papillon
dans son épanouissement total.
dans
sa
plus parfaite forme,
Ecrire, dans la Langue de ses Ancêtres pour certains, dans
Langue étrangère pour les
pour d’autres...
une
50
uns,
dans la Langue «d’école»
Dossier ; oui, écrire !
Ecrire, encore une fois, Oui !
Mais, avant tout, écrire dans la Langue de ses entrailles...
(Ainsi, il n’y
aura aucune
faille...).
Te’ura Camélia Marakai
(septembre 2003)
Littérama’ohi N°4
Les
poètes ‘Ana ‘Ihi
Les
poètes
’Ana ’Ihi est
l’Université de la
une
en
herbe de ‘Ana ‘Ihi
Association culturelle des étudiants à
Polynésie française. Depuis sa création en mai
2001, quelques membres ont produit, et ce pour la première fois,
des
Lors de la Journée du Reo
poèmes ont été exposés au
restaurant universitaire de la Polynésie française et ont été l’objet de félicitations et d’encouragements.
Nous sommes conscients que nous ne pouvons guère éga1er nos «ancêtres» avec leur lyrisme irréprochable, riche en symbole, en images et en vocabulaire précis. Mais, écrire des poèmes simples est un moyen pour nous, jeunes étudiants polynésiens d’aujourd’hui, d’exprimer nos sentiments, à notre manière,
avec notre vocabulaire, notre syntaxe, notre pensée et notre affinité pour tel et tel thème. Car, il nous reste encore du chemin à
faire pour écrire des poèmes magnifiques. Nous sommes modestes et pensons réellement être des «poètes en herbe». Le plus
important pour nous reste cependant le fait que nous avons osé
écrire dans notre Langue.
Aussi, notre reconnaissance s’adresse particulièrement à
Flora Devatine qui ne cesse de nous encourager à écrire et qui
nous valorise énormément. Cela nous touche profondément et
nous pousse à continuer dans cette voie mais en essayant d’être
toujours plus «professionnel». Merci également à toute l’équipe
de Littérama’ohi pour son soutien et son accueil dans cette revue.
poèmes rédigés en tahitien.
mâ’ohi le 28 novembre 2002, ces
Nous
vous
laissons à
présent profiter de quelques poèmes
que nous avons sélectionnés. En espérant être digne de figurer
dans cette revue, nous vous souhaitons une Bonne lecture...
Mauruuru
e
la
ora na.
L’Association Ana ’Ihi.
(septembre 2003)
52
Poèmes
E tà ’u Atua ê
A toro mai
’oe i tô rima
na
Nô te tauturu mai iâ ’u nei
A toro mai
’oe i tô tari’a
na
Nô te fa’aro’o i tâ ’u nei
A türama mai
na
’oe i te ’e’a
Nô te arata’i i tô ’u
A hôro’a mai
mau
mau
anira’a
mau
haerera’a
’oe i tô tâ pono
Nô tà ’u nei mau hevara’a
A tïa’i mai
na
na
’oe iâ ’u nei
I tà ’u nei moera’a
A aroha mai
na
I roto i tô ’u nei
E tâ ’u Atua ë,
E tâ ’u Atua ë,
’oe iâ ’u nei
mau mamae
aroha mai
aroha mai
Pehepehe pa pa’ihia e Heianki, Nina FAAFATUA
Deug Reo mâ’ohi 1
53
Littérama’ohi N°4
Les
poètes Ana ‘Ihi
’Ana ’Ihi
’Ana ’Ihi ë,
Te puna ô te mâramaramara’a,
Te rua ô te’ihira’a,
Te ’ana ô te ’itera’a mâ’ohi !
A tôtoro
na
i te parau
ô tô tatou peu tumu
la türama i te ’e’a ô te peu
Nô teie u’i hou maere
E roiroi
noa
i
mua
i te peu
tahito
à vëtahi ma.
’Ana ’Ihi ë,
Te fa’aara nei ’oe i te parau 5 tô tatou mau Tupuna
Nô te ’ôrerorero i te mau ’ohipa meha’i ô terà tau.
E ia ’ore te
A mëhara
la
E
I
E
mau
na
ho’u’ura’a ô tô mëtua
i te tau ô Tamatoa mâ Rata
pïna’ina’i te parau i te mau u’i ato’a.
tuatâpapa ato’a i te orara’a tau tahito ra
mua
i te
mau
ohi hum
rau
’apo’apo nei i ta vërà mâ faufa’a.
’Ana ’Ihi ë, ’Ana ’Ihi ë,
Te
pü ô tô ferurira’a
Te fëruri nei teie u’i itoito
Nô te ’ü’anara’a ô tô tatou hîro’a tumu.
Ua tü ’oe
e
te tü nei matou
Nô te ti’a-fa’ahou-ra’a ô te mau Reo mà’ohi
E ia ruperupe â tô na parau tumu
I mua i te feià ’ë’ë e vai nei i te ’âi’a mâ’ohi ra
A tü, a tü, a tü... !
I
mua
i tô aro, a tau e a
hiti
noa
atu.
Pehepehe pàpa’ihia e Tonyo TOOMARU
Licence Reo mâ’ohi
54
Poèmes
Tahiti ë
Rau tô ’oe hôho’a
Mai te
e
Tahiti ë
pürotu te hum, ua hia’aihia ’oe e te mau râtere
tô ’oe parau
Mai te tiare mà’imihia, ua parare
Rau te
mau
’una’una ô tô ’oe ’ahu
Rau te
mau
hina’aro ô tà tô
mau
râtere iâ ’oe
E tô 'u fenua
Tahiti ë, Tahiti ë
Ua
topahia tô râtou i’oa : te mâ’ohi
Mâ’ohi tô mûri, Mâ’ohi tô mua
Ua riro ato’a ei hô’ë, ei mâ’ohi
A ho’i mai na, a
ho’i mai
na
Ua fa’aru’e ’outou i tô tumu
Te fëti’a i hihi ià ’oe mà te
Te feti’a
moana
parataito ô te ao
Nô te aha ’outou i fa’aru’e ai i tô tumu, i tô
Teie nei râ, ua
riro’oe mai te tiare
maemae
hïro’a
te hum
Te oriori nei ’oe, te tiare ’üa’a
E te
pohe
A ho’i mai
ra
na
!
A ho’i mai rà i tô
püfenua
O Tahiti.
Pehepehe pàpa’ihia
e
Liline TUPAI
Licence Reo mà’ohi
55
Littérama’ohi N°4
Les
poètes Ana ‘Ihi
Tô
reo
A
rave atu i te pou
O te hô’ë taura ia
tumu
E tâ’amu nei i tô fenua
’Oia ho’i te
reo.
E ’â’au maita’i tô ’u
la toro tô ’u tarifa i tô
Te mâuruuru nei
la toro tô ’u tari’a i tô
Te
pïna’ina’i nei
E ta’i
navenave
tahiti
reo
tahiti
ia
o
Te vâna’ana’a râ
reo
au
o
ia
nâ teie.
’Eie ho’i tô
reo
Te
reo
ô tô
Tupuna
Te
reo
ô tô
’Âi’a
ra.
Te parau atu nei au :
«E ora à tô reo
’Aore
la vai
e
mate»
noa
à tô
reo
Ei Reo Tumu
Ei Reo nô tô
Âi’a
ra.
Pekepehe pâpa’ihia e Locine Chaves
Deug Reo mà’ohi 1
56
Poèmes
Pïna’ina’i 5 te
reo
Tô te fenua ê, Maeva
Tô te fenua ë, Mânava
Tô te fenua ë, la ora na
la ora, la ora, la ora na
he’e, he’e, he’e mai nâ
hoe mai nà, hoe, hoe, hoe mai nâ
Tô uta ë, a he’e mai nâ,
Tô tua ë, a
Tô te ’âi’a ë,
A he’e mai, a
he’e mai râ
A tomo mai, a tomo mai râ
.
A toro mai i tô tari’a
A tahiti’a mai, a
tahiti’a mai râ
I te tau ’âi’ui’u
Tâhiri
noa na
Hâruru te ta’i
Pîna’ina’i te
te mata’i
pàtiri
reo
nà te
mau
peho
Ho’a te iho ô te ’â’au
Oia, te Ora
Pïha’a mai nei te ahi
Ahi nô te
la
reo
pïna’ina’i â tô tei pïna’ina’i na
la vâna’ana’a â tô tei vâna’ana’a na
la
ora
â tô tei ora na
Inaha,
Ua
moe
te
mau
Tupuna
Te mauri nei te mau mëtua
’Eie nei
au
tâ ’oe u’i hou
57
Littérama’ohi N°4
Les
poètes Ana ‘Ihi
0 mâtou,
Matou
e
te ’eina’a
Mâtou i te ’â’au
Mâtou
e
’âpï
rau
te ’Ana ’Ihi
Mâtou nô te
reo
Horuhoru a’e
A tae ho’i
no
ra
Tupuna
tô mâtou
manava
te tau nô ananahi
Inaha,
E
ora
tau ’ore â tô te
reo
Tupuna ?
’É, e’e ’oia !
E tü, e tü â mâtou
E rohi, e rohi à mâtou
E ’ai, e ’ai â i te ’â’ai
Tupuna
E nânà â mâtou i te mou’a tü
la
api ho’i te ’â’au i te ’ihi rau
I te ’ihi
Tupuna ra’a
E tô te ’âi’a ë !
A hono ana’e tâtou
A fero ana’e i te'ie ahi
Te ahi nô te
reo
la vâna’ana’a â tô tei vâna’ana’a
la
pïna’ina’i â tô tei pïna’ina’i
ora â te reo Tupuna ra’a
la
E
a
tau,
e a
tau
noa
atu
E
a
hiti,
e a
hiti
noa
atu
la
E
pïna’ina’i â te
a
tau,
e a
hiti
mau reo
noa
na
na
mà’ohi
atu...
’Orero pàpa’ihia e
58
Te'ura, Camélia Marakai
Marie-Hélène Helme
Marie-Hélène, Michèle, Poemoana Helme née le 03 janToulon, de Denise Juventin et Alfred Helme, sur
le Territoire depuis 1962. Fonctionnaire retraitée depuis une
année, a toujours aimé écrire.
vier 1950 à
Depuis toujours fait quelques essais car elle éprouve l’envie
d’exprimer son ressenti à travers l’écriture, et de jeter les émotions qui traversent son esprit sur papier. A quatorze ans a tenu
un journal de jeune fille, a continué à jeter pêle-mêle des morceaux de vie et écrit des poèmes qui visitent son esprit.
Son rêve serait de réaliser
recueil de
poèmes et un livre
retraçant son arrivée sur le Territoire à l’âge de trois ans, son
retour en France à cinq ans, puis sa nouvelle intégration à l’âge
de douze ans. Long parcours semé d’embûches et de pittoresque, car a connu Tahiti d’avant, pendant et après le C.E.P.
Sa
de
ce
un
phrase préférée : «Tu deviens responsable pour toujours
tu as apprivoisé» de Antoine de Saint-Exupéry.
que
SOLITUDE 26/12196
Peu
importe
Que je sorte de ma solitude
Qui devient une habitude.
Solitude
quand tu nous tiens par la
C’est le destin, mon cœur saigne
A
main
peine tu daignes regarder notre misère.
Pauvre terre
Un
chagrin me tourmente
quoi que tu sentes
Tu t’en vas à petit pas
Sans t’occuper de mon cas.
Et
59
Littérama’ohi N°4
Marie-Hélène Helme
TRISTESSE 26112196
Il était
une
fois
une
Il était
une
fois
une
personne
personne
Et moi, je n’avais plus d’amis
Pour me remonter le moral
qui m’aimait
qui partait.
Quand tout est bancal.
Mon
cœur nouveau
Ploie
comme un roseau.
Cueillez, cueillez jeunesse
Avant la vieillesse
Une fleur douce
Pour que
comme un cœur
tout ne soit pas leurre.
NOEL 1996
Demain c’est Noël
Ce devait être
Mais
Une
Une
poème,
plutôt une scène
de plus, sans soleil.
grande peine
un
ce sera
Quand tout veille.
Dehors il
Alors
pleut
je fais un vœu.
J’essaie de sourire
Pour oublier le
pire.
Vive Noël
Qu’il devienne
un
poème...
POEME
Penser à toi reste
mon
silence
le
plus précieux
plus long, le plus orageux silence.
Tu es en moi toujours
Comme un cœur inaperçu
Le
Mais
comme un cœur
Blessure
60
ferait mal
qui fait vivre...»
Poèmes
«Citation du poète Khalil Gibran» :
«Ne laissez pas les vagues
les années que vous avez
venir...»
de la mer vous séparer désormais et
passées avec nous devenir un sou-
RENCONTRE 1996
J’ai marché
Pour oublier
Qui étreint
longtemps
ce grand tourment
mon cœur
Un si
A
grand bonheur
pris naissance
Telle
une
délivrance.
Je trouve tout beau
Tout est si
Oh,
De
mon
ce
nouveau.
Dieu merci
jour béni.
Nos chemins
se
sont croisés
Nos
regards se sont trouvés
Une vie nouvelle est née.
LA PLUIE 11110198
Aujourd’hui, il pleut
La pluie glisse sur mon
cœur,
Cette humble demeure,
Oh, divine torpeur qui m’alanguit
Malgré ce temps, toi tu souris.
J’admire le paysage, la
Une véritable aventure
Que je veux vivre et
nature
dévorer
à
pleines dents.
Cette roue du temps
Qui
avance
Vers
un
inexorablement
avenir incertain
Qui est nommé DESTIN....
61
Littérama’ohi N°4
Marie-Hélène Helme
LE RUISSEAU 11110/98
Oh ! doux bruit du ruisseau
A
mes
oreilles sensibles
Tu descends
Le
en
cascades,
long des rives, tu dérives,
joyeusement sur les pierres
Puis saute
Et charrie des feuilles mortes
Coincées entre les faux
tulipiers
Finalement rendues libres
Heureuses de vivre
Une aventure
palpitante
A l’aube naissante.
LA VIE 10111198
Je
me
promène dans la vallée de la «Vaipoopoo»
D’autres avant moi y étaient venus
Ce n’étaient peut-être pas des inconnus.
Je
respire l’odeur des fougères
m’emplie les poumons
De ce parfum délicieux,
Accompagnée d’un petit vent malicieux
Je
Qui
me
raconte des histoires.
L’histoire d’avant, d’antan, de maintenant
Des gens qui ont vécu
Qui y ont cru
Pleins de rêves,
Oui il faut
pleins d’espoir
y croire...
encore
PETITE FILLE 10111198
a des yeux bleus
Parfois rieurs, souvent tristes
Elle lit, elle rit, elle pleure.
Elle
Pourquoi cette pâleur
Fugitive, hâtive
62
Rien
n’y paraît plus.
Le bleu des
ses
yeux
Le ciel bleu
Les cheveux blonds
Comme neige qui fond.
NATURE 10111/98
Les bananiers
agitent leurs feuilles
Gorgées d’eau
Des petites perles rondes tombent
Sur le sol humide
Les oiseaux cherchent
Par
ce
un
abri,
temps pourri
Adieu nid !
La cascade dévale la
montagne
plus câline.
Petite musique en sourdine
La nature reprend son droit
Gronde et
Elle aussi
se
fait
a ses
lois.
Respectez-là, elle
vous
le rendra.
MAMAN 24/11/98
Maman, c’est toi qui m’a donné
Qui
a
un
prénom,
fait de moi ton enfant.
Tu m’as
prise par la main
Pour que je n’ai pas peur du lendemain,
Tu m’as conduite à l’âge adulte
Contre vents et marées.
Je n’ai pas
Tu t’es fait
toujours été une enfant facile,
beaucoup de bile.
Tu n’étais pas sûre de ma réussite,
J’ai persévéré, j’ai gagné,
Ce combat difficile de la vie,
Que certains m’envient...
Littérama’ohi N°4
Marie-Hélène Helme
A MON FILS AINE «Tua» 24/11198
A
fils aîné, mon
mon
Tu
es
arrivé
un
peu
premier né
rapidement
Tant attendu, tant désiré.
Tu étais dans mon ventre nourricier.
Pour toi, j’ai failli perdre la vie
Pour te faire cadeau de la tienne.
J’avais dix huit
Encore
ans
à
peine.
enfant,
Mais toi, tu voulais venir
Pressé de voir ton devenir,
une
Ouvrant les yeux sur ce
monde nouveau.
Ta
petite bouche rieuse
Un vrai petit joyau
Que tu étais beau !
C’était un grand choix
Et toi, tu étais mon
petit ROI.
HYMNE A LA NATURE 27110/98
Les oiseaux chantent
branche
sur une
Ils
sifflent,
Passe
une
biche
Apeurée
Qui s’enfuit à l’orée d’un sentier.
La nature s’éveille
Point besoin de réveil
Le
premier cri du coq,
Dans le lointain
Fait lever tôt les paysans,
Qui n’ont pour horloge que le temps.
Toute la nature s’éveille
Aux premiers rayons de soleil.
Merci pour cette vie
Merci pour cette joie
Merci d’avoir la Foi
64
MA VALLEE 27110198
Les faux
tulipiers s’élancent
Dans la trouée du ciel
Oh !
ciel
un arc en
Mon Dieu ! Quelle merveille !
Un
goût de miel
orangées
Sur les fleurs
Pourtant mal aimées
Qui demandent le droit de vivre
Dans cette vallée charmeuse,
Où coule
une
rivière tapageuse
Entourée de buveuses d’eau
Quel magnifique
tableau.
Inventez-vous des couleurs
Qui
iront droit
vous
au cœur.
Un brin de tendresse
Telle
une caresse
Glisse
la rive,
sur
Vois cette
vive.
eau
Jouis de la vie
Avant
A tout
qu’elle ne te sois ravie
jamais... à tout jamais.
APPROCHE DE LA MORT 06112198
C’est la fin du voyage
Et il me faut beaucoup
Pour laisser ceux que
Oublier toute haine
Redevenir
Avec
ce
un
tout
de courage
j’aime.
petit enfant,
sourire innocent.
Fermer doucement mon
Aux
regard
objets familiers
Qui seront bientôt hors d’atteinte.
Il
me
faut
quitter cette vie
Littérama’ohi N°4
Marie-Hélène Helme
Pour aller
vers
la lumière
Loin de cette terre
En
espérant trouver le paradis
promis
Mes yeux se voilent
Tant
Mon souffle s’éteint
Tiens-moi la main
Jusqu’au bout du chemin.
L’ETRE HUMAIN 06112/98
La
générosité, c’est de faire chaque jour,
Un heureux.
Le
cœur sur
la main
Sans peur du lendemain.
Aura-t-on à manger ?
Aura-t-on à boire ?
Qu’importe !
La Providence
Ne
gaspillons
nous
l’avance,
le pain quotidien.
Pensons à ceux qui n’ont rien
En partageant, nous aurons toujours
Un surplus divin.
pas
La conscience d’un don
Fait dans l’abandon.
Un
jour heureux, un jour nouveau
Quel merveilleux cadeau...
LA ROUE DU TEMPS 06112198
Nul
ne
sait le
Et chacun vit
Sans
temps qui lui est imparti
sa
vie.
se soucier de quoi sera fait demain.
perds la vie
Quelle importance tous tes biens
Mais toi qui n’en n’as cure
Si tu
66
Quelle sinécure !
Il
te resteras que
ne
Pour
pleurer,
Rien
ne
tes larmes
fera refleurir
Ce
jardin odorant,
parfums sucrés
Ce sourire enjôleur
Eteint à tout jamais.
Cette main passée sur ton front.
Non, rien plus rien que le néant.
Ces
Tu te dresseras
ton séant.
sur
Et tu
regretteras les moments perdus
besognes.
La qualité de présence
En vaines
Que rien
Tu
as
Tu
as
ne
compense
perdu ton temps,
perdu ton enfant.
MA PEINE 06112198
La
peine insidieuse, cruelle, méchante
S’infiltre dans
Elle
pénètre
Traverse
mon cœur,
mon
âme,
mon
corps
Sans remords, sans
mon esprit.
Mes lèvres laissent
regrets
Rejoint
échapper
un
cri
Qui déchire la nuit.
Oh douleur !
Pourquoi ne t’éloignes-tu pas ?
De ce fatras de pensées
Qui me retiennent prisonnier
D’un
carcan
d’idées sournoises
Toujours vivaces, tenaces
Qui laissent des traces profondes,
Littérama’ohi N°4
Marie-Hélène Helme
Des
plaies, des stries
Toujours agrandies
Enveloppées dans le manteau
De la nuit.
A MON FILS AROMAITERAI-I-FAREPUA 1999
Tu
es venu comme un
ange
Descendu du ciel,
Tu es venu sans douleur
Et tu es resté posé sur mon cœur.
Tes yeux remplis de vie
Ne comprenaient pas encore
Ce nouveau décor.
Ta
petite main serrait
La mienne
Ainsi tu étais rassuré
Pour sauter le pas
Dans ce monde nouveau
Que
nous nommons
EXISTENCE.
POLYNESIE 19101199
Je
invite à la
promenade
pirogues polynésiennes,
vous
De
En bateaux
Les
sur
l’eau
jolies « vahiné »
plages dorées
Sur les
Avec leur «tiare»
Leurs sourires,
Leurs yeux de
Et l’hospitalité
Offertes
aux
braise,
de leur table,
autochtones.
Et que je donne, et que je donne....
Cette nature généreuse de Tahiti
Où tout sourit.
68
C’est le
cœur
qui parle,
C’est la main qui donne,
Le
regard qui adresse
de tendresse
d’amour tout simplement.
Un peu
Un peu
«Vahiné» femme
Tiare fleur de
Polynésie
Polynésie
en
LE FEU 19101199
Le feu
crépite
S’élève
volutes
en
Rougeoyantes
Pleines de tisons.
Sa chaleur réchauffe
mon cœur
Quelle bonne odeur !
Feu tu
purifies la nature.
Oh ! merveilleuses flammes
Qui lèchent le bois,
Sans
se
soucier de la fumée
Qui prend à la gorge
Telle une forge.
Et moi,
Mon
je rêve
esprit s’évade
Il s’envole
Il
,
rejoint l’au-delà
Tout là-bas, tout las-bas.
ANNIE,
Connais-tu Annie ?
Oui, c’est
mon
Elle est forte et
Comme
une
amie.
fragile
gracile,
fleur
Littérama’ohi N°4
Marie-Hélène Helme
Elle sourit à la vie
Telle
petite souris
grignote le temps
D’un regard charmant
Ses yeux sont bleus
une
Elle
Tiens fais
un vœu.
Une étoile filante
Traverse le ciel bleu
Cela
me
surprend
me comprends.
Mais Toi tu
LA NUIT 19/01199
La nuit tombe sombre et noire,
Elle étend
son
manteau
Sur la terre notre mère.
Elle descend doucement
Dans les chaumières
Sans faire de bruit
Sans
aucune
Les bruits
vie.
s’estompent,
La vie s’arrête pour un
Le calme est revenu
moment,
Doucement, doucement.
La nuit
Elle
nous
nous
Jusqu’à
enveloppe et nous guette,
tient tête ;
l’aube
regard
égard.
ce que
Nous dérobe à
Sans
aucun
son
«Concours de la Saint Valentin
Parution à la
Dépêche du 12 février 1999»
dédie cette lettre, en gage de fidélité,
Je voudrais faire passer un message très important,
Je
70
vous
Poèmes
J’aimerais inventer des couleurs,
Des saveurs, peindre des phrases
inexistants pour dépeindre des
Je voudrais décrocher la lune,
dans le ciel, dire des mots
sentiments naissants...
Les étoiles, pour les déposer à vos pieds,
mille parfums, de toutes les couleurs,
cueillir des fleurs aux
Déposer une couronne de fougères sur vos
Je sais aimer tout simplement.
A
mon
cheveux soyeux
.
dernier né 21109103
Cari, Tamahere, Vetearii, Ronald
Mon dernier
né,
Ma douleur mais aussi
Nous
avons
mon
bonheur,
traversé l’enfer, le désert,
Peines et Joies,
Je sais maintenant que
Est derrière,
le pire
L’Amour d’une mère
Est
un
trésor
Que Dieu
ne
donne qu’une fois
Un bonheur indicible
Une
Un
pensée imperceptible
long chemin
La main dans la main.
71
Littérama’ohi N°4
Te’ura Camélia Marakai
Aue...Te Oeoe
«
Te rei
mua o
te
te ‘a’au...»
o
(Extrait)
’ài’a...
reo
Makatea ë,
Ua
rau
te huru
o
Tei hea ia te
mau
Te hia’ai nei
au...
Te hia’ai nei
au e
te ’oto
o
tô ’à’ai,
raut! ?
’ai i tô ’â’ai,
’Ei ’ümerera’a ia nâ ’u.
Te hina’aro nei
au...
Te hina’aro nei
au e
’aro i te
mau reo
ta’ero
Tei nà ’ô mai ë...
«Hïae ! ’O uai ho’i ’oe nô te
pâpa’i i te ’â’ai
o
Ma’atea !
E ’amu te fenua i te ta’ata !»
’E
pa’i !
E ’amu ihoâ te fenua i te ta’ata,
'Eiaha râ i te
mau
I hâro’aro’a ai
au
huâ’ai.
i terâ ra
reo
iti a’ia’i
:
«T
E hine ’oe nô Ma’atea,
Tô
Tô
«Tupuna», nô Ma’atea nei,
«Tupuna», te moe nei i roto i te ’â’au o tô ’ài’a,
E ta’ahira’a ’âvae
mau
à tô ’oe i ’ü nei.
Inaha,
E hine tumu ’oe nô Ma’atea !
’Aua’a
72
roa
atu
e
ha’amo’e i teie parau
!»
Poèmes
Traduction
(par l’auteur)
«L’écho des entrailles...»
(Extraits)
sacrée de ma Langue...
La proue
Oh Makatea,
Multiple sont les sons de ta légende,
Mais, où sont donc les orateurs ?
Je voudrais...
Je voudrais
Pour
en
engloutir ta légende,
éloges.
faire des
J’aimerais...
paroles venimeuses
m’agressent ainsi :
«Hum ! Qui es-tu pour écrire la légende de Ma’atea ?
La Terre engloutira l’homme» !
J’aimerais lutter
ces
Qui
En effet !
La Terre
engloutira l’homme,
descendance.
Mais pas sa
J’entends
«T
Tu
justement cette belle voix qui résonne :
,
es
la déesse de Ma’atea,
Tes Ancêtres, ils sont
Tes Ancêtres,
Ton
originaires de Ma’atea,
ils dorment dans les entrailles de ton île,
piédestral, il est ici.
Car,
Tu
es
la déesse de Ma’atea !
N’oublies
jamais ces paroles» !
73
Littérama’ohi N°4
Te’ura Camélia Marakai
Nô reira... i teie nei,
E fa’aro’o
noa vau
i te
pehe ô tô ’u ’â’au
Nô te türamarama i tô ’u hïro’a,
’la api te mau ’api i te mau reta rau.
E ’àrue ho’i au i te rahi o tô ’u here i teie fenua.
’Auë râ...
Te rürü nei te rima,
Te tahe ’ü’ana nei te vai-mata,
’Ua puru te mau
A tae ho’i ê !
Te vâna’a nei te
’api.
mau «
Tupuna
»
I roto iâ ’u...
Te ta’i
pahu nei te ’â’au...
’Omuara’a
1-
:
TE HEVA
Tepairu iti ë...
Mâtea, ’o te hô’ë ia taure’a mai te tahi atu
mau
taure’a. Te
mea
ta’a ’ë râ, ’o te parau ia nô tô na ’â’au ; ’â’au teie e ’oto’oto noa nei,
’â’au teie e hevaheva noa nei, ’â’au teie e mihi puai nei i tô na mâmâ,
iâ
Tepairu. Inaha, ’ua reva taua vahiné
hôpe’a, ’ua reva ho’i i te Aora’i.
ra,
’ua
reva
i te revara’a
’Aita râ tôna nâ metua, te mau fëti’i e tô na mau hoa i ’ite i te
rahi
o
tô Mâtea heva. ’Oia nei, i mua ia râtou, e mata ’oa’oa tô na ’e
te ’ata’ata ato’a ho’i.
’la toe
ai mai te
-
ra o
noa
mai râ ’ona
’ôhïtâpere
ra
ana’e, i reira ia te vai-mata
Matea
e
tahe
te huru.
Nô te aha ? Nô te aha ’oe i
rave
ai iana ? Nô te aha
noa
mai nei taua tamahine
?, ta’i a’e
Mâtea i te Atua.
’Oto’oto, hevaheva, he’uhe’u
74
o
ra.
Poèmes
Aussi... dès
aujourd’hui,
Je n’écouterai désormais
Pour illuminer
mon
plus que le chant de mes entrailles
identité,
Pour que
Je
s’encombrent sur les feuilles toutes les lettres.
glorifierai mon grand Amour pour cette Terre.
Mais hélas...
Ma main tremble,
Mes larmes coulent à flots,
Et inondent mes feuilles.
Oh
mon
Dieu !
Les Ancêtres chantent
A travers moi...
Mes entrailles résonnent tels les tambours...
Oh, très chère Tepairu...
Matea est
une jeune fille comme tout le monde. Cependant,
entrailles sont différentes ; elles souffrent, elles se lamen-
ses
tent, elles pleurent sans cesse sa maman qui se nomme,
Tepairu. Car, celle-ci s’en est allée, elle s’en est allée pour le dernier voyage, elle est partie pour les Cieux.
Mais, ni ses parents, ni sa famille, ni même ses amis n’étaient conscients de la souffrance de Matea. Car, devant eux,
celle-ci avait un visage rayonnant et était toujours souriante.
Et quand elle se retrouvait seule, alors, les larmes de Matea
coulaient telle
une
cascade.
Pourquoi ? Pourquoi l’as-tu prise ? Pourquoi donc ?
au Seigneur.
Elle souffrit, elle se lamenta, elle suffoqua.
-
demanda Matea
75
Littérama’ohi N°4
Te’ura Camélia Marakai
-
hea
Mdmâ ë, tei
te aha 'oe i
rêva
ma
’oe ? Haere mai, ’a ho’i mai
ai i te revara’a
na
iâ’u nei. Nô
hôpe’a ? Nô te aha ho’i ’oe i 'ore ai i
ato’a atu iâ ’u ?
rave
A tahi ia
pô, ’a piti ia pô, ’a torn ia pô tô Mâtea uiui-noa-ra’a,
mau parau nei.
Inaha, ’eita ’oia e fâri’i i te pohe o tôna mâmâ, te hina’aro nei ho’i
fa’arorirori-noa-ra’a i taua
’oia ’ia
tôna mâmà
ora noa
e a
mûri
Tae a’era i te hô’ê mahana, pure
«
E tô matou Metua here i te
’Ua
ora
mai
au
ao
noa
atu.
atura taua tamahine ra i te Atua :
ra,
i roto i te Here ’e te Aroha
o
tô ’u mâmà,
’Ua ha’amaita’i ’oe i tô ’u ’utuâfare mai te tau
I teie nei rà
’Auë ho’i te
Inaha, ’ua
e
te tau.
mahana,
mamae
rave
ô tô ’u
manava.
’oe i te aho
o
tô ’u mâmà ë,
Parau mau, te vai nei te papa ô te ’â’au,
’Ei mëhara ia nô te tau a ora noa ai ’oia,
E’ita rà
e
nava’i te reira, e’ita roa atu...
E tô mâtou Metua here i te
ao
ra,
Parau mau, ’ua riri au ia ’oe,
Te fëtôtono nei tô’u ’â’au.
A fa’a’ore mai
Inaha, e’ita
e
na
i teie hara nâ’u.
ti’a i te ta’ata ’ia ha’avà i tà ’oe ture
I parau na ho’i ’oe ë :
«E ho’i ’oe i te repo, nô
reira mai ho’i ’oe».
E tô màtou Metua here i te
ao ra,
Te
tàtarahapa nei au i tô ’u riri ia ’oe,
’O ’oe ho’i te Atua Tumu, te Atua Teitei, te Atua
A fâri’i mai
Pure
’Ua
na
i teie pure,
tàtarahapa
rave
a te manava
’oe ia Mâmâ.
Nà reira ia.
’la ti’a mai tô hina’aro.
76
fâfati.
Mana-Hope.
Poèmes
Oh Maman, où es-tu ? Viens donc, reviens vers moi.
Pourquoi es-tu partie pour le dernier voyage ? Pourquoi donc ne
pas m’avoir prise avec toi ?
Et Matea ne cessa de se demander, de se répéter ces parales, le premier soir, le deuxième soir, le troisième soir.
Car, elle ne pouvait accepter la mort de sa mère, elle voulait
que celle-ci vive éternellement.
Aussi arriva un jour où elle adressa une prière au Seigneur :
-
«Notre Père
qui êtes aux deux,
grandi dans l’Amour et le Respect de ma maman,
Et tu as béni ma famille depuis les temps,
Mais aujourd’hui,
Oh, que mes entrailles souffrent.
Car, à ma maman, tu as repris son souffle.
Il est vrai que les souvenirs sont là,
Pour se remémorer le temps où elle vivait encore,
Mais cela ne suffit point, oh non...
J’ai
Notre Père
qui êtes aux Cieux,
Il est vrai que je t’en voulais,
Mon âme était très remontée après
toi,
pardonne-moi ce péché,
Nul ne peut aller à l’encontre de ton jugement
Car, il est dit :
«Tu retourneras poussière, car tu es née poussière.»
Mais
Notre Père
Je
qui êtes
aux
Cieux,
repens de m’être mise en colère,
Car tu es le Dieu d’Origine, le Dieu Suprême,
me
le Dieu
aux
Pouvoirs éternels.
Puisse-tu
La
accepter cette prière,
prière de repentance d’un cœur douloureux.
77
Littérama’ohi N°4
Te’ura Camélia Marakai
Teie râ tâ’u
poro’i ia ’oe,
'A tauturu atu
Mai iâ’u i ani
’la
na
ia Mâmâ.
noa na
ia ’oe,
pârahi ’oia i roto i te Hau, te Here ’e te ’Oa’oa.
Teie tâ’u pure «iti» ia ’oe,
Nâ roto i te i’oa ô tô Tamaiti here, ’o Iesu Mesia,
Mai teie nei
e a
mûri
noa
atu...
’Âmene».
I mûri mai i teie pure, ’ua tâmata o Mâtea i te fa’aitoito i te ora.
’Ua haere e 'ârearea nâ mûri i te mau hoa, ’ua mâta’ita’i i terà e terâ
fenua, i Raro mata’i mâ, i Tuamotu mâ, i Ni’a mata’i ’e te vai atu â.
’Aita râ i mânuia, te mihi noa nei ’oia i tôna mâmâ i te mau
taime ato’a.
Ho’i atu
’ite i te
noa
i Makatea nô te
ra
moana
’oto
o
püpuni iâna, ’ia ’ore ho’i tô te ao ’ia
tôna ’à’au.
’E, nô te rahi o te heva i papa roa ai i te tahi pehe ’oto i piha’a
mai, mai roto mai i te hôhonu o tôna manava.
’Ôrerorero noa atu ra o Mâtea ma te hevaheva nâ tahatai, nâ
Tema’o
:
’Otoha’a nô
I
Tepairu
ora noa na vau
i te
ao
mai te tahi atu taure’a,
I roto râ i tô’u ’â’au, te ua noa nei a.
I
na ho’i ë : e matahiti teie nô te taure’a,
nei râ ho’i au ë : e matahiti teie nô te heva.
parau-noa-hia
Te parau
’Auë râ ho’i
’Auë te
Tepairu ë !
punavai o tô’u ’à’au !
'Auë râ tâ’u Mâmâ here iti ë !
I hea
roa
Te parau
78
ho’i ’oe i te revara’a atu !
nei vëtahi ë,
Poèmes
Tu
as
pris
ma
Maman.
D’accord !
Qu’il
en
soit fait selon ta volonté !
Mais, je t’adresse cette requête,
Puisse-tu aider ma Maman,
Comme je te l’ai toujours demandé,
Faites qu’elle vive dans la Paix, dans l’Amour, et dans la Joie.
Ceci est
Au
nom
ma
petite prière que je t’adresse,
bien-aimé, Jésus-Christ,
de ton Fils
Pour les siècles des siècles...
Amen.»
Après cette prière, Matea essaya de vivre. Elle alla s’amuamis, elle voyagea dans telle et telle île, aux Ilessous-le-vent, aux Tuamotu, aux lles-du-vent et dans bien d’autser avec ses
res
îles
encore.
Mais elle
échoua, car, elle pleurait sans cesse sa Maman.
Aussi, elle retourna à Makatea afin de se cacher, afin que personne ne pût voir l’océan de douleur qui recouvrait ses entrailles.
Et ce fut ainsi qu’une complainte jaillit du fond de ses
entrailles, tant la douleur était immense.
Alors, Matea pleura en se lamentant, là, sur la plage de
Tema’o
:
Complainte
pour Tepairu
Je vis dans
Mais
ce
monde
comme
tout le monde,
entrailles, elles, pleurent encore.
pourtant dit que c’est l’année de la Jeunesse,
Mais, je dis que c’est l’année du deuil.
mes
Il est
O
Tepairu !
O la
O
source
ma
de
mes
entrailles !
tendre Maman chérie !
Où donc es-tu
partie !
79
Littérama’ohi N°4
Te’ura Camélia Marakai
'Ua ta’oto ’oe i te ta’otora’a
hope’a,
Te parau nei rà vau ê,
Te moe nei ’oe i te moera’a màtâmua.
I mata
ara noa na
Mai te taime
a
ho’i ’oe ia mâtou to’otoru,
hiti mai ai ’o Râ
’E tae atu i te taime ’a hiti ai ’o Hina-i-te-mârama,
Riro mai nei ’oe ’ei pou
nô te ’ütuâfare.
’Ua oti te ta’i, te auê, te autâ.
’Ua vaiiho mai ’oe i te ma’i ’e te mâuiui.
’Ua fa’aru’e ’oe i tô ’âi’a, ’o Makatea,
Nô te fano ti’a atu i te Aora’i,
Nâ te ’e’a
Nà te
te
pohe e arata’i ia ’oe i te Pü o te Ora,
pohe ho’i i fa’a’ere ia ’oe i te Aho o te Ora.
o
E te Atua ë !
e
te Atua ë !
Atua i te ’â’au aroha
noa
!
’A hi’i mâite mai ’oe iana,
Mai iana i hi’i mai ia’u !
I tahiti’a
noa
Mai ia’u i
ho’i ’oe i tâ ’u
’upu,
noa na ia ’oe !
I vaiiho noa ho’i ’oe iana i te ao,
Mai ia’u i ani noa na ia ’oe !
’upu
’Ua tae rà ho’i i te taime
E
rave roa
ai ’oe iana.
’Ua hina’aro râ ho’i
E fa’aro’o i tona
’aepau,
’Ua hina’aro rà ho’i
au
E ’ite i te mahei
rava
’Ua hia’ai râ ho’i
au
E
80
au
reva
ô tôna
ë...
ato’a nà mûri iana.
’â’au,
Poèmes
Certains disent,
Que tu dors de ton dernier sommeil,
Mais
je dis,
Que tu t’endors enfin de ton premier sommeil.
Car tu n’as pas cessé de veiller sur nous trois,
Depuis le lever de Ra, le dieu-soleil
Jusqu’au lever de Hina-i-te-marama, la déesse-lune,
Ainsi, tu es devenue le Pilier de la famille.
Finis les
Tu
as
Tu
as
Pour
Et,
pleurs, finis les cris, finies les douleurs.
laissé la maladie et la souffrance.
quitté ton île, Makatea,
partir vers les Cieux,
sur
le chemin de la mort, tu iras
Et dire que
O
vers
le Centre de la Vie,
la mort t’a ôté le Souffle de Vie.
Seigneur ! O Seigneur !
Dieu d’Amour !
Puisse-tu la bercer,
Comme elle m’a bercée !
Tu
toujours écouté ma prière,
Lorsque je t’implorais !
as
Laisse-la
encore en ce
monde,
Je te le demande !
Mais, est arrivé le moment,
Où tu l’as
reprise.
J’aimerais tant
Entendre
son
dernier souffle,
J’aimerais tant
Sentir
dernier battement de cœur,
Je voudrais tant...
La
son
rejoindre.
81
Littérama’ohi N°4
Te’ura Camélia Marakai
E te Atua ë !
e
te Atua ë !
A vëhi iana i te hei maire nô Ma’atea,
A tauahi iana no ’u,
’E ’a vâna’a atu iana i teie ’ôrero ha’iha’i
«Mâmâ here iti ê,
la ’oa’oa ’oe i te
pârahi ana’e rà !
mea
’eita ’oe
e
autâ
la ’ite ato’a mai râ ’oe ë,
E ora noa ’oe i roto i te hôhonu
Hôro’a atu
na
:
i te
e
fa’ahou,
te hôbonu
tapa’o aroha i te
mau
o
tô ’u nei ’à’au.
«Tupuna»
I tô’u i’oa ’o Mâtea.
’Ua mo’e ’oe i teie ao,
Te vai fero
noa
rà te taura
o
te ’ura
Here-mure-’ore,
’Ua mo’e ’oe i teie ao,
E aupuru ia vau i tô tâua ’ài’a, ’o Makatea,
’Ua fa’ata’a te pohe ia tâua i teie nei,
E fero râ te Atua ia tâua i te tau
Pârahi ana’e rà
e
’E nâ ni’a i te i’oa
Te parau
atu nei
vave...
â ’u Mâmâ here iti ë !
o
te Tamaiti
au ia
’oe
e
a
te Metua,
Mâmâ
:
«Âmene, Amene, ’Âmene» !
’E te parau fa’ahou atu nei au ia ’oe
«’Âmene, ’Âmene, ’Âmene» !
E
a
tau,
e a
tau
noa
atu !
E
a
hiti,
e a
noa
atu !
E
a
tau,
e a
hiti
hiti
noa
atu... !»
e
Mâmâ
:
Te’ura Camélia Marakai
(septembre 2003)
82
Poèmes
O
Seigneur ! O Seigneur !
Enveloppe-la de la couronne de
Embrasse-la de ma part,
Et, dis-lui ces petites paroles :
«O
ma
«
tendre Maman chérie, pars
Sois heureuse
car
désormais, tu
maire
»
de Ma’atea,
donc !
souffres plus,
ne
Mais sache,
Que tu vivras toujours dans
Salue donc nos Ancêtres,
De
ma
Tu
as
les profondeurs de mes entrailles.
part, de la part de Matea.
quitté ce monde,
Mais la corde sacrée de l’Amour éternel restera
toujours
nouée,
Tu
as
quitté ce monde,
je protégerai notre Terre, Makatea,
aujourd’hui, nous a séparées,
le Seigneur, très bientôt, nous réunira...
Et donc,
La mort,
Mais
Aurevoir,
ma
tendre Maman chérie !
Et, au nom du Fils du
O Maman, je te dis :
Père,
«Amen, Amen, Amen !»
Et, O Maman, je te redis :
«Amen, Amen, Amen !»
Jusqu’à la consommation des siècles !
Jusqu’à la fin des temps !
A jamais !...»
...
Te’ura, Camélia Marakai avait emporté le Premier Prix au Concours Littéraire
Prix du Président
novembre 2002.
pour
la Jeunesse, lors de la Journée du Reo Ma’ohi le 28
disponible très prochainement.
Son ouvrage sera
83
Littérama’ohi N°4
Annie Reva’e Coeroli
Texte
Voici
-
“VAIHERE”
POEME
poème que j’ai écrit en
français pour l’anniversaire de mon amie
Vaihere Doudoute, aujourd’hui professeur de français. Je connais Vaihere
depuis qu’elle a 16 ans et notre amitié
est toujours profonde. Vaihere a écrit
des textes en reo Tahiti. J’espère qu’elle
continuera et les publiera. J’aurais voulu
écrire ce texte en reo Tahiti pour lui faire
encore plus plaisir mais je ne maîtrise
pas encore la langue. Alors que j’écrivais, j’imaginais Vaihere danser sur mes
mots, sur les images que je voyais et les
sons que j’entendais. Je me disais :
«Ah ! si ces mots pouvaient être en reo
Tahiti, ils pourraient être orero ou chants
un
traditionnels, ils résonneraient sur fonds
de pahu, de vivo, de toere...» C’est pour-
quoi je remercie Isidore Hiro pour sa traduction. De plus, il a transforme mon
incapacité en un beau cadeau.
Vaihere, ma fille d’amour,
La pureté de ton cœur
N’égale que ton regard enjôleur
Et ton sourire
apaise
mes
douleurs.
J’aime te voir danser.
Tu fais vivre les mots,
les sentiments.
Tu
amplifies les notes et te livre
entière,
Tantôt grave, tantôt
Je te vois balancer
légère.
Comme une palme au vent.
Tu montes, tu descends
Et tangues comme la mer.
Tu
Et
es l’oiseau qui s’envole
j’entends les montagnes,
les
rivières,
sur chaque pierre,
Le vent qui chante dans
les vallées,
L’eau
Le bruissement des feuilles
Isidore
HIRO
est
un
ami
et
un
poète que j’admire. Il a fait partie de
mon équipe de surveillants pendant plusieurs années au collège de Faa’a, ce
collège qui porte maintenant le nom de
collège Henri HIRO, frère d’Isidore.
Isidore a écrit un «puta pehepehe»
intitulé «E a tau a hiti noa atu», publié
en mars 2000 par «Te Fare Tauhiti Nui».
Voici donc deux histoires d’amitié,
l’autorisation de Vaihere et d’Isidore :
avec
dans celui de ton “more”.
Tes
longs cheveux ondulent
Comme les cascades tremblent
Et ton
parfum
sauvage est
celui
des forets.
Danse
sur mes paroles
rappelle a mon cœur
Comme simple est le bonheur.
Ma petite Vaihere
Et
Tu
Et
es comme un
soleil
je te protégerai toujours.
Annie Reva’e Coeroli
84
Poèmes
“VAIHERE”
“VAIHERE”
Vaihere, my daughter in love,
Vaihere,
Only the purity of your heart
Equals the glamour of your eyes
And your smile soothes my pain.
I love watching you dancing.
You give life to words,
And you give life to feelings.
You amplify the notes
And deliver yourself completely,
Now grave, now light.
I see you swaying
Like a palm in the wind
You go up and then down
Ta ù tamahine faaamu iti here
And
move
like the
waves
in the
sea,
Te
to âau
ma o
0 te
mam
E
to ôe nei 3 mata iti àtaata noa
na
ia
to mata ia hid
o
E tarnaru i to ù nei
No te ôraôra
ta
oe mau
Tài haruru i teie nei râ...
Tài
âua nei
varovaro
0 ôe i te peepee e...
Mai te rauère raau ra
I
Te faaroo nei
Mai te
The wind
Te vavâ
The
rii atoà
of the forests.
Dance
my
You’re like the
sun
And I will protect you
te matài
ra
au
i te
mau
mouà,
tahora
mau
te pape
o
i nià i te
mau
ôfafai
ra
Te matài
Te âhehe
e
tâvevovevo i roto i te
o
te
mau
ùnaùna
o
to
mau
oe na
Faa
ra
More
To roüru
topa noa
toparaa pape e haruru ra
To ôe na hoi hâuà noànoà,
E
au
ia i te
O te noànoà ia
words
And reminds to my heart
How simple happiness can be.
My little Vaihere,
on
e
manu e rare ra
Te
one
puhihia
e
E pee ê atu ra i nià,
E topa mai ra i raro
The water
singing in the valleys,
rustling leaves singing in
your “more”.
Your long hair are wavy
Like waterfalls are trembling
And your savage perfume is the
ra
parauparàu
E te mau àpa ôtooto o te âau
E ua püpü roa ôe ia oe i te tài navenave o te
pehe ra
o
Mai fatifatiraa miti
hear the rivers,
on each stone,
ra
mauimaui
mau
E teôteo rahi to ù ia ôe ia ôri
Like the bird who flies away.
I can hear the mountains,
can
e
na
for always.
0 te
mau
tiare ôviri
o
te
mau
peho
ra
A ôri i nià i ta ù nei ôrero
Ei faahitahita i to ù nei
manava
Te ôaôa, o te haehaa ia o te âau
E Vaihere iti e...O ôe ia.
Mai te hihi
Teie
mau ra oe o
au...no
te
te Râ...
aüpuru e no te poihere ia ôe.
English translation
Annie Reva’e Coeroli
Traduction
:
Isidore Hiro
85
Littérama’ohi N°4
Michou Chase
Etienne !
Mort tout seul
dans ta maison sordide
Abandonné de tous
Ignoré de
ceux que
tu servais
Etienne !
Mort tout seul
dans la
répugnance, la misère et l’immondice
Etienne !
Mon ami
Que s’est-il passé ?
Je t’ai
lorsque j’étais encore une adolescente
qui me parlait de Dieu
dans l’église peinte en rouge
Tu étais alors vêtu des vêtements de prêtre
connu
C’est toi
Tu servais Dieu.
Non ! Etienne !
Je t’ai dit que je n’oublierais pas
Je n’oublierais pas qu’un jour
Tu
as
!
donné ta vie à Dieu !
Je n’oublierais pas !
Même si tu me taquinais
en
disant
:
“Ah!
Aujourd’hui, c’est toi qui prêches !”
qu’un jour
Je n’oublies pas
Dieu t’a appelé
et que tu lui as dit oui.
Dans notre quartier paumotu
tu
parlais à notre peuple
conséquences de la bombe,
celle que voulait installer la France
des
dans
nos
îles des Tuamotus
Les vieux, en entendant tes
tombaient à terre,
et
se
roulaient
“Aue !...
86
aue
!
en
paroles,
hurlant leur douleur.
”
Poèmes
Tu
retiré tes vêtements sacerdotaux,
as
refusé
au
un
poste de prof de français à l’Université de Lima
Pérou
“Est-ce que
moi
j’ai l’air d’un prof de reo-farani,
Paumotu, trempé jusqu’au talon
dans
un
bouillon d’idées
indépendantistes ?”
Tu t’es marié, et tu as eu des enfants
“Après être monté au ciel,
je suis descendu dans la dimension humaine
que j’ai confondu avec les enfers !”
me diras-tu plus tard dans une lettre écrite de la France
“Mais, au fond de moi, je me dis :
j’ai servi mon Fenua, dans l’abnégation, 7 ans durant,
de 1962 à 1969..
Mea
culpa,
culpa; Amen... oui, chère Teraimateata,
qui t’écrit”
De retour à Tahiti, à ceux qui ne te connaissent pas
Tu te présentes en disant : “Etienne Teparii, 25 ans de bagne !”
Tu es revenu à Tahiti après 25 années d’absence!
Ce jour là, jour de ton retour,
Tu t’es tout simplement bourré la gueule
mea
C’est bien le Père Etienne
Etienne !
Mort tout seul à Paea
Dans ta maison
tu traduisais
Et
j’étais
aux
mon
vitres cassées
livre VAI
venue comme
en
tahitien
chaque samedi
te rendre visite, travailler avec toi
Les portes étaient ouvertes comme toujours
Mon fils et moi nous t’avons trouvé par terre
Enroulé dans ton tifaifai
Tout seul,
sans ton âme...
Etienne,
Mon ami
Que s’est-il passé ?
87
Littérama’ohi N°4
Michou Chase
Un soir, tu m’as réveillé vers minuit
Le téléphone sonne
Je
lève
me
Allô!
—
J’ai trouvé la clé !
—
Quelle clé ?
—
La clé de ton livre !
—
Ah !
—
Oui ! C’est Yaweh! V.AJ. c’est I.A.V. !
—
Tu étais tout heureux, moi aussi !
Je vais le traduire ! Tu verras !
—
En moins d’un mois,
j’aurais terminé !
Etienne !
Tu avais à
peine commencé que ton âme est partie
parlé de ta douleur
Ta grande douleur
Celle d’avoir perdu ton fils Vatea
Fauché par une voiture
alors qu’il faisait du vélo
Tu m’as
Tu
devenu fou
es
Rien n’a été
pareil ensuite...
jour je t’ai invité à venir avec moi
J’étais en short et chemise jean
Un
au
pureraà
Tu avais mis ton costard
Et ta cravate
Puis
nous sommes
Tu t’es
Tu
as
et
une
Nous
mis
déjeuner
un
short
chemise
avons
habillés
avec
allés
changé
qui n’avait que deux boutons
mangé comme des rois,
comme
tout
ce
des clochards,
que nous
avions
Etienne!
Que s’est-il passé mon
Au moment de ta mort
88
ami ?
en
poche!
Poèmes
Que s’est-il passé ?
Je
ne
sais pas...
Je vois
ton
visage
les douleurs de ta vie
tous les sacrifices
ton
abnégation
ta folie
Je vois derrière les vices et les
pièges de la vie
précieux
Sur la table, il y avait un cendrier rempli de mégots,
ton coeur si
un verre avec un
et
fond de vin rouge,
partout
les traces de ton
chagrin
Chaque fois que tu étais hospitalisé tu m’appelais
Tu voulais que je vienne prier
Je venais et m’asseyais près de toi
Alors que nous prions, des larmes coulaient, silencieuses,
Que tu chassais très vite
De ton sourire moqueur,
enfantin,
Comme
surpris
prier et pleurer
De
Etienne !
Mort tout seul
Les
Je
uns
verront le vice et le
vois que
Etienne
ne
péché
ta douleur
Mon ami !
vois que
Etienne
Je
ne
ton coeur
Mon ami !
Michou Chaze
89
Littérama’ohi N°4
Kareva Mateata Al lain
Réminiscences du va’a
popa’a
Les vagues giflent les flancs de mon kayak. Tiou tiouk... tiou
tiouk. Je scrute l’île toute verte, étendue devant moi entre l’océan indigo et le ciel d’azur. Des nuages enveloppent les pics
des
montagnes de leurs écharpes soyeuses et grisâtres.
s’alignent contre la plage noire, et à ma
gauche, le fantôme du Tahara’a se dessine sur la baie de
D’innombrables maisons
Matavai. Cet immense hôtel abandonné est vide maintenant,
sauf pour les tupapa’u des ancêtres qui s’y traînent et qui se
lamentent des chambres, leur seul réconfort étant ces
grandes
fenêtres qui leur permettent de guetter le présent. Mes yeux
aperçoivent une longue
de minuscules voitures,
procession silencieuse et somnambule
pare-chocs contre pare-chocs, se glissant sinistrement sur la route d’Arue à Papeete.
Les ombres argentées de deux dauphins ondulent lentement sous le plastique fluorescent du kayak. J’immerge ma tête
dans l’eau et j’entends leurs jacasseries. Je me réinstalle au
fond de mon siège, et au rythme du tiou, tiouk...tiou tiouk du
Pacifique contre le plastique, mes pensées s’engouffrent en moi
au bourdonnement du silence. Mon attention est divertie par les
maisons en dur plantées dans les montagnes. La nostalgie des
années de mon enfance passées à cheval à travers ces mêmes
montagnes me pince le cœur et je ressens comme une boule
dans ma gorge. Ces montagnes étaient sauvages et virginales à
cette époque là. Elles me réconfortaient par leur mystère, éparpillées de sentiers anciens cachés sous la verdure épaisse et
sauvage. Maintenant, des routes goudronnées remplacent ces
sentiers qui autrefois menaient aux endroits sacrés. Ces routes
tissent des toiles de bitume et de béton, elles ceinturent les maisons de leur labyrinthe permanent, ce même labyrinthe qui a
étouffé les marae, qui a étranglé le ‘uru et le tara et toute la
végétation qui nous nourrissait depuis des siècles. Ce même
labyrinthe goudronné renferme sous sa couverture artificielle et
90
Ecritures
“Va’a
I’m
floating
popa’a revival”
the deep Pacific, floating in a kayak, a long
plastic neon green banana.
I can feel the sun baring down on my back, the doubleedged oar laying across my knees. Waves are slapping against
the sides of my kayak. Chu Chuck. Chu Chuck. I look at the
island in front of me in the distance. The mountain ridges are
wrapped in clouds. Coconut trees and fences line the black beaches. I can see match box size cars, bumper to bumper along
the road of the hills, specks of white and chrome, nosing along
in dreamlike silence. Two dolphins pass under my neon green
on
banana. Their dark silver barreled shadows slither underneath
I stick my head under
Back up in the kayak, and
water and I can hear them gossiping.
in rhythm to the chu chuck chu chuck
of Pacific against plastic, the hum of silence shrouds my
thoughts as I eye chunks of cement houses digging into the
me.
mountainscape before me. Nostalgia for my childhood years
spent riding horses through these same mountains floods
through the channels of my memory, although they looked different then. They were comforting in their mystery and they were
zigzagged with ancient rugged footpaths hidden in the thick
vegetation. Now labyrinths of asphalt force their way around, in
front of, and behind mazes of homes, covering dry rocky creekbeds that lead to sacred spaces, and the fresh spring crevices
where we’d water the horses. They’d gulp the sweet, clear liquid,
lips pursed, Adam’s apples pulsing, eyes closed. Up through the
jungle it was humid and damp but cold and shady, almost dusklike. We were unaware of time since shade and vegetation
masked the daylight. The sun couldn’t dominate its way through
thickly layered cracks in the foliage. Birds chattered incessantly
and occasionally the smell of a wild boar would drift our way,
intermingling with horse sweat and wet leather. We’d reach up
from our saddles, keeping balance with our knees, standing in
91
Littérama’ohi N°4
Kareva Mateata Allain
lourde les secrets
qui menaient aux endroits sacrés des anciens et
passé. Mais désormais, ces secrets sont
enterrés pour toujours ainsi que le terrain sacré de nos ancêtres.
Ces labyrinthes pavés ont coupé le souffle des sources qui jadis
apaisaient la soif de nos chevaux et des tupuna.
à la découverte de notre
fond des vallées à cheval, il faisait humide
mais sombre. La verdure sauvage des pistes nous couvrait
d’ombre. Toute notion de journée disparaissait car le soleil n’arSi l’on allait
au
rivait pas à pénétrer le feuillage épais.
cesse dans une vivante cacophonie,
leurs causeries. Pendant
ces
Les oiseaux jasaient sans
coupant notre silence de
balades,
nous
avancions souvent
communion totale avec la nature, notre souffle en
piétinant la moquette de feuilles sur la
piste. De temps en temps, l’odeur de cochon sauvage pénétrait
nos narines, s’entremêlant avec l’arôme de sueur et de cire
mouillée des chevaux. Lorsque nous passions au-dessous des
arbres fruitiers, nous répartissions au mieux notre équilibre dans
les étriers de nos selles afin de saisir des mangues ou des fruits
de la passion qui nous tentaient. Nous mordions voracement le
bout d’un fruit de la passion, le crachant par terre et suçant le
nectar succulent du trou formé par nos dents. Notre sentier nous
menait souvent loin de la verdure épaisse de la jungle vers l’autre dimension du monde frais des sapins. Là, l’air changeait,
séchant notre transpiration de sa brise fraîche. Le vent me chuchotait des petits messages tandis que ma jument Varna écoutait aussi, ses oreilles remuant au rythme de sa crinière.
Tiou...Tiouk, Tiou...Tiouk. Le Pacifique me berce, me ramenant au présent. Je ne reconnais plus ces montagnes et ces vallées profondes où habitent les tupapa’u et les tupuna. Autrefois,
j’en connaissais chaque coin et recoin, chaque raccourci. J'étais
sans
parler,
cadence
en
avec
les sabots
souvent à la tête de
ces
balades,
en osmose
totale
avec
le pay-
sage et les chants des ancêtres. Je connaissais les arbres en lisant
leurs feuilles, et je sais que les tupuna me regardaient de leurs
branches. Une fois, Varua avait glissé du sentier, en se lançant
92
Ecritures
stirrups to grab passion fruit, hungrily biting off an end, spitting it out, then sucking out the sweet juicy seeds through the
hole. We’d reach high above the clamminess of the jungle and
enter another dimension into the world of fresh pine forests. As
our
our
sweat and that of the horses dried in the cool
wind
breeze, the
whispered little messages to me while my horse Baroka listwitching in rhythm to her swaying mane.
tened too, her ears
Chu Chuck, Chu Chuck. The rocking of the Pacific
back to now. I no longer recognize these mountains
brings me
and deep
valleys where the tupapau e tupuna live. I used to know every
nook and cranny, every short cut. I would always be in front on
these rides, inextricably intuned to the landscape and the songs
of the ancestors. I knew the trees through reading the leaves. I
remember one time Baroka slipped off the trail and we both
stumbled frantically down a ravine while Hinano, Hono, and
Marguerite panicked, watching, frozen. Baroka’s back legs went
down first, struggling in the damp mud, entwined in auti. She felt
for root stumps so deeply entrenched in the mountain that they
held her for moments. I was crouched in a jockey position, trying
to get my weight off her lower back while she strived for footing.
Mud and leaves were flying everywhere. There was grit in my
mouth and long, spindly fingers of branches reached out for my
cheeks and pulled my hair. I could feel Baroka sliding down the
mountain on her belly. Then she stopped. The tupuna saved us.
There was an entanglement of wild bamboo and strong jungle
leaves shaped into a ledge halfway down the ravine. It caught
us. She managed to regain her footing, her back legs pushed off
from the bamboo. I had a split second to take advantage of this
gift. I gathered my reins, regained my seat, nudged her gently
with the insides of my legs, and we surged forward toward the
dimly lit footpath. She leaped over the last hurdle of foliage and
landed on the trail, her left flank against a mossy cliff wall. We
were both trembling. She with fear, I with relief. And I muttered
93
Littérama’ohi N°4
Kareva Mateata Allain
avions trébuché avec frénésie
Hinano, Hono, et Teragni nous
regardaient, paniqués, paralysés par la peur. Les jambes postéheures de Varua s’enfonçaient dans la terre molle. Elle luttait
contre la gueule de la nature qui essayait de nous avaler. Nous
étions entourées de Auti. Je m’étais mise en position de jockey
afin de libérer son dos de mon poids tandis qu’elle s’efforçait de
regagner sa prise. La boue, les feuilles, et des racines volaient
autour de nous à toute vitesse, nous entravant la vue. J’avais
des gravillons sous la langue et entre les dents. Les doigts longs
et étiolés des branches me griffaient les joues et me tiraient les
cheveux. J’ai senti Varua se glisser sur son ventre encore plus
en bas dans la pente. Tout d’un coup, elle a cessé de se battre.
Les tupuna nous avaient sauvés. Il y avait une espèce de saillie
dans la ravine. Ensemble, nous
au
bas de la ravine tandis que
en
bambou et
en
auti à mi-chemin du bas de la ravine. Elle nous
attrapées. Varua arrivait à retrouver son pas, et elle utilisait ses
jambes postérieures pour nous lancer vers le haut, vers la piste
et vers nos amis qui nous attendaient avec angoisse. Je ne
disposais que d’une milliseconde pour profiter de ce présent. J’ai
ramassé les rênes en regagnant mon assise et je l‘ai encouragée en appuyant gentiment avec l’intérieur de mes jambes afin
qu’elle nous hisse vers le sentier ombragé. Elle sauta le dernier
obstacle de feuillage et de racines et atterrit sur la piste, son
flanc gauche et ma botte appuyés contre le côté de la montagne.
Nous tremblions. Elle, de peur, et moi, de soulagement. Et j’ai
murmuré «mauruuru» «mauruuru» aux tupuna qui nous ont
a
tenues dans leurs mains.
À
deux kilomètres de la
plage, et à vingt ans de ces jours là,
je dérive sur mon kayak dans la même baie où a mouillé le
Capitaine Cook, deux siècles auparavant. Je regarde tristement
la cocoteraie d’Arue qui disparaîtra bientôt afin de laisser place
à la construction d’une espèce d’hébergement touristique. Et le
spectacle qui s’était dévoilé aux yeux du Capitaine Cook au-delà
d’où je flotte aurait sûrement beaucoup ressemblé au paysage
94
Ecritures
thank you, thank you to the
hands and led us to safety.
tupuna, who had held us in their
A mile from the shoreline and twenty years away from those
days, I float in Matavai Bay where Captain Cook had landed two
centuries before on The Dolphin. His view from where I now drift
would have looked much like the landscape of my childhood.
But a lot can happen in twenty years. They call it Erima now. This
sprawling development of cinderblock houses barricaded with
eight foot walls entangled in asphalt webs. No sign of tropical
lushness except for the green tips of a mango tree, the flailing
dreadlocks of a coconut tree or the sloping scarves of a banana
tree pleading, reaching, for the valleys from their barricades,
imprisoned like the residents of Erima within the confines of
cement walls. Having remote control privacy gates is a status
symbol now and I imagine a BMW or a Mercedes hesitating in
front of one'of the gates, opening it with a click from the comfort
of the steering wheel, giving a passerby a quick glimpse of Tahiti
preserved like a museum piece within its walls, like our gods who
now reside in glass cases. The gate is a camera shutter snapping a teasing shot of paradise before the gate reslithers across
its track.
I knew
Erima
A fabulous
imporchampion
galloper, full of class and breeding. An elegant dark bay with a
thick black mane and tail; she was a dancer, a prancer, and was
renowned for her long legs, her beauty, and her speed. Corisis,
a huge stallion, with jaws and neck swollen with testosterone,
was a legend around the racing stables. Only his trainer could
get near him. He flung vibes of fear around with his saliva as he
bared his teeth and rolled his eyes at anyone who dared
approach his stall. One day, his jumped the five foot barrier that was
meant to keep him in and he forced his way into Erima’s stable.
an
once.
ted from New Zealand carried this
thoroughbred
name.
She
mare
was a
95
Littérama’ohi N°4
Kareva Mateata Allain
mon enfance : des pics sauvages, des forets de sapins, des
collines vertes, naturelles, et intactes, sans ces développements
envahissants et atroces qui dominent et qui couvrent ce paradis
de
de
jadis. Il y a eu plus de changements à Tahiti en deux décenqu’à travers deux siècles. Ce développement que je vois
devant moi s’appelle Erima, cette mosaïque de maisons en dur,
barricadées des voisins et du reste du monde par des murs
bâclés de deux mètres de hauteur. Aucun signe de végétation
luxuriante des Tropiques sauf si ce n’est les sommets verts des
manguiers et des cocotiers visibles des hauteurs des murs. On
dirait qu’ils prient, qu’ils supplient, et qu’ils se penchent en direction des vallées, enviant la liberté sauvage et naturelle de leurs
ancêtres. Aujourd’hui, comme les résidents humains, ils sont prisonniers des limites encadrées d’Erima. Maintenant, des portails
télécommandés sont des symboles de prestige, et j’imagine un
BMW ou une Mercedes qui hésite devant un de ces portails. Le
chauffeur l’ouvre du confort du volant avec un clic. Le portail glisse
lentement et mystérieusement sur ces rails et pour un instant, il
sert d’obturateur, offrant aux piétons un aperçu instantané de la
verdure préservée comme un artefact de musée. Cela me fait
penser à nos tikis qui résident dans les vitrines aux pays popa’a.
Et je crains le présent et l’avenir et la détention éventuelle de tout
ce qui est Ma’ohi.
J’ai connu une Erima autrefois. Une magnifique jument pursang importée de Nouvelle Zélande, la championne des galopeurs à Tahiti. Elle était très élégante, la crinière et la queue noires et épaisses. Elle caracolait, une vraie danseuse sur ses
sabots légers. Elle était reconnue pour sa grâce, sa beauté, et
sa vitesse. Corisis, un étalon énorme et puissant, ses mâchoires
et son cou enflés de testostérone, était alors une légende à l’hippodrome. Seul son entraîneur pouvait l’approcher facilement.
Corisis avait l’habitude de lancer sa bave et la peur aux autres
par un mouvement brusque de sa tête tandis qu’il roulait ses yeux
en grimaçant, les dents jaunâtres et féroces. Un jour, il s’échappa
nies
96
Ecritures
He
raped her violently, ripping her delicate frame with his hooves
day, we found her, running in sores and bleeding. Her withers slashed in deep gashes, her beautiful mane
shredded, her back ripped open by Corisis’ teeth, her eyes deep
within their sockets, vacant, lost, violated. Having that many
wounds in the tropics left her wide open to disease. She emaciated rapidly and within a week, she was skin, rack, and bone ;
her once satin coat replaced with huge gaping wounds oozing
with green and yellow pus. It was tetanus they said. Nothing
could be done. The damage was irreparable. She was ravaged,
ruined, beyond repair.
and teeth. The next
And
I
imagine these oozing sores in the landscape,
bandaged up with cement and cinderblocks, so far removed
from Captain Cook’s Tahiti. And I feel for all the Erimas. A heavy
thud is in my solar plexus and I try not to mourn the loss, for what
once was. I dive into my present and leave the kayak for the soothing depths of the Pacific. The water engulfs me with its liquid
blanket as I soar toward the sea bed. I allow my weight and the
power of my dive to take me down to this other world. But it is
miles deep, so once my gravity fizzles out, I do a flip and push
my body back up in the direction of the surface. I open my eyes
and I see the sun’s reflection shimmering on the ceiling above
me. The salt burns my eyes as I continue my soaring to the roof
of the sea. I pop out of the ocean like a tiny flame out of a Bic
lighter and I quickly spin my upright body to scope the kayak. My
arms cut underneath the water’s surface in a racing breaststroke
and I make it to the craft. I reach up and grab the bit of rope that
is melded into the side of the hard plastic and an epiphany slaps
me in the face. As much as modernity is a large sore on the horizon, I have come to rely on it to get me back to shore, to touch
the beach, to get back to Tahiti. And I keep the memories of my
childhood in a safe, sacred place, tucked away in my essence
where I can unfile them at will. And as I hold onto this plastic
now
97
Littérama’ohi N°4
Kareva Mateata Allain
de
box
abattant la barrière de sécurité
qui le séparait des
imposé dans le box d’Erima où il la violait sans pitié, aveuglé de désir et de passion. Il l’attaquait sans
égard pour la destruction de son corps et de son esprit. Ses
son
en
autres chevaux. Il s’était
dents et
ses
sabots déchiraient la chair délicate de cette beauté
fragile. Le lendemain, nous l’avons trouvée avec des plaies énormes et purulentes. Elle était couverte de sang. Le port de reine
qu’elle avait jadis n’était plus, sa tête était toute pendante. La
queue et la crinière, une fois belles et magnifiques, étaient
déchirées, exposant sa chair blanche et vulnérable. Les garrots
cinglés d’entailles profondes, sa crinière en lambeaux et son dos
et ses jambes ravagés par les dents de Corisis, elle était envahie de mouches qui profitaient de sa faiblesse. Les yeux d’Erima
avaient sombré dans leurs orbites, son regard vague, perdu,
violé. Avec tant de blessures aux tropiques, elle était tout exposée aux maladies. Elle s’était très rapidement amaigrie, et après
seulement une semaine, on ne voyait plus que ses os. Sa robe
une fois luxuriante et soyeuse était remplacée de plaies ouvertes avec le pus jaune et verdâtre qui suintait de ses blessures.
Elle ne pouvait pas manger. Ils ont dit que c’était le tétanos. On
ne pouvait plus rien faire. Elle était ravagée, ruinée. Les dégâts
étaient irréparables.
Et maintenant j’imagine ces plaies purulentes qui infectent le
paysage. Ce sont ces maisons en dur qui servent de pansements. Et je sens une compassion profonde pour toutes les
Erimas. Un poids pesant s’installe dans mon plexus solaire et
j’essaie de ne pas pleurer la perte de ce qui fût jadis. Je replonge
dans mon présent et je quitte le kayak pour les profondeurs
réconfortantes du Pacifique. L’eau m’engloutit avec sa couverture liquide tandis que je m’élance vers le fond de la mer. Je
laisse mon poids se soumettre au pouvoir de ma plongée, et je
tombe vers ce monde marin. Mais sa profondeur fait des kilomètrès, alors d’un coup léger, je me retourne, en poussant mon
corps vers la surface. J’ouvre mes yeux et je vois la réflexion du
98
Ecritures
neon
banana, I hoist myself up onto it as
I would a horse. I
plastic and slide myself into its molded seat.
Grasping my oar, I dip in an edge at a time in the direction of the
dark green mountain ridges. In rhythm to the bladed figure eights
I craft into the water, I remain engulfed with awe that I come from
this place. My ancestors’ bodies are buried here and their spirits
still live here, and I can feel them with me now as I surf the current and surge toward the black shore.
straddle
the
Kareva Mateata-Allain
99
Littérama’ohi N°4
Kareva Mateata Allain
soleil
qui miroite sur le plafond de l’eau au-dessus de ma tête.
me pique les yeux et je continue mon retour à la surface.
Je surgis de l’océan comme la flamme d’un briquet Bic. Très vite,
je fais pivoter mon corps étroit afin de percevoir le kayak. Mes
bras coupent la surface de l’eau en nageant la brasse et j’atteins
la barque. Je lève mon bras pour agripper la corde qui est attachée au flanc de plastique dur et une réalisation me gifle, me
Le sel
réveillant de
ma
grande plaie
sur
rêverie. Même si la modernité semble être
une
l’horizon, moi aussi, je dépends de ses commodités afin de me rendre à la plage et de retourner à Tahiti. Et je
garde les souvenirs de mon enfance dans un endroit sûr et
sacré, rangés dans mon essence où je peux les retrouver selon
ma volonté. Et tandis que je tiens la corde de ce kayak néon, je
me hisse à bord et je me m’installe dans le siège de plastique
sculpté. J’empoigne la rame et je la glisse dans l’eau, pagayant
en direction des pics verdoyants. Au rythme des figures en huit
que je dessine entre l’air et l’eau, je suis remplie de joie, si heureuse de la chance que j’ai d’avoir pour origines un tel endroit.
Les corps de mes ancêtres sont enterrés ici ; leurs esprits y
vivent encore, et je sens leur présence avec moi alors que je
surfe le courant en direction du rivage de Tahiti.
Kareva Mateata Allain
Alexandre Moeava Ata
Nom de
plume
:
Tuo Te Ama
Escale
la
en
Rafflésie
(Extrait du journal de “Tuo Te Ama, exilé intérieur”, et avec
permission de l’auteur).
Avertissement
:
la Rafflésie est une contrée un peu
imaginaire, où
s’épanouit la plus géante des fleurs, la rafflesia, énorme parasite évasé
de cinq pétales spongieuses rouges parfois tachetées de noir, qui n’a ni
tronc, ni racine, mesure un mètre de diamètre, et pèse sept kilogrammes.
La rafflésia a pour voisin anglais, «raffle: rubbish ; to throw dices ;
picks of conversation; sort of lottery.»
Escale
jour 1
L’arrivée
en
Rafflésie par mer
éveille la nostalgie des vieux
qui sentent bon la fougère: le hupe bienfaisant et frais aura
comme chaque soir parfumé les vallées qui fendent les collines et
s’évasent vers le lagon. En vain les narines tâchent à inspirer le
souvenir : les fumées qui s’élèvent ici et là, les vapeurs qui montent du bitume, et les bruits de partout signalent que les livres doivent être rangés. Pourtant, une pirogue, puis deux, puis trois,
miracle toute une flottille surgit de l’horizon proche. Ecarquillés,
les yeux s’emplissent de soulagement, de bonheur, ouf ! on a eu
peur. Hélas ! les piroguiers sont corsetés de liera, ont honte de
leurs corps, et ne vont pas à la pêche : la compétition publicitaire
est leur raison d’être aujourd’hui. Par l’Est on peut saluer le mont
glorieux Puu tara, joyau dentelé avec ses gardes ‘Ara’i et
Rohena que l’altitude a préservés. La forêt s’est raréfiée. Les
rivières s’évaporent sous vos yeux. La barrière de corail s’est
excrue d’énormes perles métalliques grises : on dit qu’elles sont
le symbole des richesses nouvelles. Tiens, l’îlot des vieilles photos
jaunies a disparu : des hangars bleus hideux se poussent pour
occuper le terrain davantage, un immeuble tente de s’imposer, une
livres
101
Littérama’ohi N°4
Tuo Te Ama
cage de verre observe les allées et venues des navires. Partout,
faute de tout-à-l’égout s’insinue lourdement un étrange mélange
d’odeurs de
de
coprah, de relents de poisson séché, d’hydrocarbures, de bitume, de détritus, et de mares croupissantes :
signal qu’à son tour la brise qui vient de l’Est est empêchée de
passer, halte-là ! nous vivons une autre époque, et qu’à hier s’arrête le vent. Tiens, les voiles aussi ont disparu, peut-être que
non, car trois pirogues à voile affrontent la brise, essoufflées,
maladroites et curieusement dérivées : mais non, déception,
c’est une compétition à trois, liera, pub et vaa ta’ie. Deux pachydermes des mers sont côte à côte, façon inédite d’accoster. Des
catamarans speedent vers l’île d’en face, affichant leurs exploits
annoncés : en trente minutes ici, ou en vingt-cinq, ou en quarante
plus loin, voiture, famille, chiens, poissons et cochons, package
affaire, musique, télévision, climatisation, snack-bar, la traversée
du bien-être quoi. Que sont les ballades lentes et secouées
devenues ? De vieux journaux racontent les grappes humaines
ballottées, les moteurs hoquetant, les gosiers de bière écumée,
les guitares et les chants, l’arrivée de nuit, de l’autre côté de l’île
d’en face, d’intrépides humains épuisés, ivres, heureux, et couverts de fleurs. Las ! les journaux sont habiles à inventer des histoires pour faire rêver leurs lecteurs. Pourtant, ces photos, mais
oui, je le connais, je la reconnais, on s’était bien amusé, Hutia
était tombé en pleine mer, la lune était pleine, et des arbres flottaient autour de Miti’aro qui tanguait mais n’avançait pas, la
pêche fut joyeuse et grâce aux arbres dérivant miraculeuse, et
l’on fut parvenu à destination au petit jour du lendemain : témoignage invérifiable et suspect. Non, décidément, ce devait être
dans un autre monde. Rideau. D’ailleurs, ces constructions anarchiques de béton témoignent, eux, d’un style déjà très ancien,
une facture qui affirme depuis longtemps son arrogante supériorité : affranchie de toute imagination, étageant sa laideur clonée,
à peine voilée par quelques arbres mal émondés, étalant ses
insultes dans le sillage désormais perdu du beau matériau, de la
102
rance
Ecritures
belle ouvrage,
des beaux assemblages, des contours de douceur,
Décidément, les journaux comme les livres
racontent de drôles d’histoires: il ne faut pas s’y fier. Mais la nuit
va tomber, elle tombe vite en ce juin de cette escale en Rafflésie.
Que sont les fêtes orgiaques devenues, les bacchanales, les danet des tons fondus.
ses,
les chants, la flûte vivo, les bambous de sonorités sourdes,
les cris, les rapts d’un soir, les rires esclaffés d’après, les fébriles
attentes des lendemains, les bains de rivière ébroués, la voluptueuse insinuation des fleurs capiteuses et des sommeils souriants ? Ce soir
l’orgie est électrisée et jette ses feux sur des êtres
illuminés, c’est le mot, pour des repas à la sauvette, des sons guimauve ou techno, et des parades de passives présences. C’est
donc bien ça : tous ces écrits n’étaient que tromperie, par mots,
images, sons, odeurs, et sensations.
Où trouver
seauiste
lieu de repos pour
la nuit ? Ce très rousdépliant du syndicat d’initiative vante les charmes
un
désuets de l’hôtel Aimeho, vue sur mer, et cloisons de tissu
blanc, «donnant une bonne aération aux chambres» : bien on y
mais déception, un kiosque à journaux menteurs présente
ses grilles infranchissables. Va pour l’hôtel Stuart, rendez-vous
«de l’élite» qui apéritive en son cercle Bougainville, fréquenté de
belles au corps décolleté doré, et de beaux-belles langoureux
uniques à Rafflésie, fichtre, la nuit sera torride : mais à bas le
va,
dépliant, une banque a remplacé les étages des plaisirs d’antan. La liste se rétrécit à l’hôtel Diadème, horreur, un McDo ; à
l’hôtel Métropole, immeuble de verre et de béton ; à l’hôtel Tiare,
arrondi désormais
comme
une
enceinte
forme bandé d’un «sécurit» rassurant
:
Sony. Passe
ah
un
uni-
bon, le Manahune,
près de l’usine électrique, non merci
; ah, le Gardenia, près de
la Poste, merci on ira voir : une entrée encombrée de valises,
mais atmosphère aimable, non, seulement le petit déjeuner, vue
sur
au
la
mer
? Oh oui,
néon laser à
voilà, en bas un serpent de lumières, la Poste
côté, mais les rideaux sont épais, bonne nuit.
103
Littérama’ohi N°4
Tuo Te Ama
Les
journaux menteurs d’autrefois ont disparu. Sont devejournaux rapporteurs des faits et gestes, des allées et
venues, des dires et des médires, des pages pour séduire, choisir,
acheter, vendre et même se vendre. La semaine semble agitée,
vite quelques notes, pour rapporter à notre tour...
nus
Escale jour
Il est
2
beaucoup question d’un petit avion disparu, à bord les
dirigeants d’un parti politique émergeant, remuant, veille d’élections d’un président d’une lointaine république qui voilà un siècle
succomba aux voluptés de Rafflésie. Un rapporteur quotidien
rappelle que l’un des disparus avait fait ses classes supérieures
à l’enseignement professionnel où se cultivaient une variété
d’agrume et un plantain. Il lui sembla que cela ne lui convenait
pas, et s’en fut butiner au gré des alizés, à la recherche d’une
science à lui, qu’il nomma «troisième» : il oublia que Rafflésie se
déclinait au chiffre cinq. On rapporte que le tahu’a de Rafflésie
se vengea de cette méprise : ils furent cinq disparus. De vifs propos étaient échangés dans l’enceinte du Corps qui se voulait
législatif, dénomination usurpée, disait-on, par des légistes assoitfés de grappiller des pouvoirs accrus, jeux favoris du moment.
Dame Lutetia, en chaire, fut accusée sans nuance d’empoisonner un débat poignant, et un légiste la somma de cesser sa distillation, de peur que Rafflésie ne soit tétanisée. Les rebelles de
Rafflésie se comportèrent diversement : on supputa que ces
comportements ne présageaient pas l’harmonie utile pour gouverner un jour. Une grande confusion régnait : elle exprimait
celle de l’esprit rafflésien, balancé entre le tout et le contraire de
tout, de discours en invectives, de prononcés en divagations. Le
proconsul de la lointaine république, fraîchement débarqué, en
perdit son latin, et s’en fut recueillir aux sources lointaines le blé
de son quotidien pain amer, le régent et lui cohabitaient comme
deux hérissons.
104
Ecritures
Le blé
justement, il en était beaucoup question : blé des
république, blé d’un gène atomisé, ayant
germé sur des lits de champignons que la lointaine république
avait essayé d’acclimater, étrange idée, au sous-sol d’atolls de
Rafflésie. Des gardiens de blé veillaient encore en ces îles éloignées. Des hommes de science sourcilleux se répandaient en
médisances : ce blé portait en germe d’énormes dangers. Des
armées de la lointaine
associations de défense des consommateurs de
à rallier à leur
cause
ce
blé tâchaient
des assemblées de la lointaine
république.
Certes, leur répondait-on, mais ces germes se trouvent sous
haute surveillance. Et ils vous rapportent du blé, à pleines meules, tas d’enfarinés. Dame Lutetia était muette sur ces sujets, et
sujets, affectait de trouver grand mérite à ces blés,
coupés et distribués par senatus-consulte. Il suffisait de faire germer un blé substitutif, au besoin l’importer, payable en blé contaminé, afin d’éloigner les dangers, d’ailleurs imaginaires, des hommes de science de service ayant convaincu le père François de
la lointaine république de se porter garant de l’innocuité de ce blé
républicain.
comme ses
D’ailleurs, Rafflésie était devenu
un
vaste champ de blés.
Toutes les variétés y
prospéraient. Elles crûrent en même temps
les étranges échafaudages qui emplissaient son paysage
mutant. Elles encombrèrent les routes. Elles obstruèrent le port.
Elles grimpaient à l’assaut des collines. Elles se répandaient
dans les archipels. Elles arrivaient de toutes parts, par tous
que
modes, et
dans les
res
en
toutes conditions. L’une de ces variétés s’insinuait
neurones
rafflésiens
:
ils
bégayèrent les parlers prospè-
des blés. Leur haut rendement donnait du blé à moudre
gens
aux
de science, d’économie et de finance. Des distributeurs à
blé, des meuneries, des silos à blé, des boulangeries, des pâtisseries
proliférèrent devant la gourmandise du petit peuple raffléreligion bio se mit à proposer des blés.
sien friand de blés. Une
Biédine devint
une
héroïne. Les blés sont mûrs, un mantra. La
105
Littérama’ohi N°4
Tuo Te Ama
à la gloire des bienfaits
des blés. Quand il fallait coucher les blés, de curieux longs carmoisson des blés
un
rite, le rite
nouveau,
consignaient les blésures, en blèques barrés. On s’en allait
de blés des pays lointains : des traveller-blés y
pourvoyaient. Des enseignes vantaient les variétés de blé, elles
croissaient et se multipliaient tant que les adorateurs de blés en
blésaient blêmes jusqu’à en blettir. Des coiffeurs lancèrent la
mode de l’épi, du germe, du blé d’Inde, du blé du Canada.
Rafflésie se mit à manger son blé en herbe. Les blés peuplèrent
les parcs d’occasion. Ils achevèrent le patient travail des officinés aux aguets. Ils prirent pied dans les enceintes régentes. Il
bouleversèrent l’ancien ordre de marche des blés. Des ogm de
blés pointaient à l’horizon. Tous attendaient leur tour de faucher
les nouveaux blés. En Rafflésie impatience rimait à bombance et
abondance. L’épi d’or était leur veau.
nets
ensemencer
La bléfolie avait de fâcheuses
conséquences sur la santé
répandus. Avec eux se
propagèrent les bléachats, qu’on empilait sur des porteblés
opportunément mis à disposition. Ces anapurnas de blés donnaient le vertige. Et les gens de médecine lançaient de vains
avertissements : car la diabétie devenait le mal endémique en
Rafflésie. Le bien-être des Rafflésiens faisait l’objet de campagnes de mises en garde, de recommandations diététiques, de
théories thérapeutiques, de clips télévisés destinés à décourager les blévoiements : ces intentions en restaient là. Les narrateurs en étaient marris, et citaient de vieux livres, encore les livres :
«il est ici une famille qui présente, hommes et femmes, les plus
purs types indigènes. Il n’est pas possible de réunir à ce point la
sveltesse de la taille, l’équilibre des proportions, l’élégance des
mouvements, la suavité de la peau et sa qualité lumineuse, la
pureté des traits, le modelé de la bouche, l’éclat de la denture,
la profondeur animale du regard, l’opulence et le brillant de la
chevelure, tant de choses encore qui échappent à l’analyse et
des rafflésiens. Les blémarchés étaient
106
Ecritures
constituent dans
Adieu voyages,
perfection l’harmonie d’un être humain».
adieu indigènes...
sa
L’agriculture faisait flores. On supputait l’implantation d’une
pommier «république». Certains en doutaient : le climat, hors les îles très australes, ne s’y prêtait pas. Mais l’ancienne et distante théocratie devenue perlière peut-être : le produit le plus en vue de ses entrailles un jour paraissait le souhaiter ardemment, un autre le trouvait dépassé, on ne savait plus
très bien quels sols devaient être préparés pour accueillir ces
plants nouveaux. Les gens de la terre étaient en outre mécontents, inquiets, anxieux, se comparaient aux damnés, de la terre
justement, et semaient le trouble au Corps législatif : dame
Lutetia dut quérir avec une résolution remarquée la maréchaussée pour y mettre bon ordre, c’était une première, il faut bien
innover dirent les plaisantins. Du très lointain, le roi républicain
évoquait d’octroyer de vastes franchises et de substantielles
délégations. Nul ne semblait en savoir davantage. Et les légistes
hissaient leur science incertaine au pavois des abracadabrantesques élucubrations.
variété de
Les
gazetiers rapportaient à l’envi, pour ainsi dire, des relations où le viol, l’inceste, la brutalité, et l’omerta donnaient aux
joutes des prétoires le sel, la salacité serait mieux dire, des
réquisitoires et des plaidoiries au vent des pulsions antiques,
avec des froncements de sourcils graves et vains : la vindicte ne
devenait ni populaire ni publique. On rapportait cette incroyable
histoire d’une lointaine île australe
:
un
chef de famille s’étant
laissé aller, dans le désoeuvrement si l’on peut dire, à savourer
les charmes à peine naissants de sa progéniture, fut justement
châtié par
la justice rendue au nom du peuple de la distante
république. Patatras, sitôt le verdict rendu, et promptement exécuté, le petit peuple de la lointaine île australe pétitionna le proconsul pour que fût libéré le présumé coupable aux seuls yeux
i
107
Littérama’ohi N°4
Tuo Te Ama
justice du peuple de la distante république. Sagement
le proconsul
qu’il recommanda à ses pulsions. Nul n’entendit plus jamais d’elles une
quelconque allusion. Des gens d’anthropologie improvisèrent
l’hypothèse que l’île australe lointaine était tout entière envoûtée
d’instincts premiers aussi tenaces qu’irréfragables. A leur égard,
les Rafflésiens, trait constant de leur caractère, haussaient les
épaules, en un langage inimitable et révélateur.
de la
selon les uns, scandaleusement selon d’autres,
rendit l’infortuné, en le morigénant, à la sagesse
Escale
jour 3
D’un vieux livre
jauni, images, encore menteuses, de cinéma
muet, animé de sons de guitares, et de commentaires en parler
rafflésien. C’est désormais tabou, ou ombres blanches, pures nos-
talgies enfuies, lourds regards apaisés, gestes de dieux disparus,
sable lunaire et mer suaire. Banales salles hier soir, et films parlants, hurlants, vociférants. A l’hôtel, trente-six chaînes enchaînent
la chaîne zappante des parlers de partout, parfois même de parlers rafflésiens, si peu, si vite, si discrets, si incertains de leur propre intrusion dans ce déferlement sonore et imagier.
le psychodrame
: «un peuple...
tellement mobile dans ses pensées journalières qu’il finit par se
devenir un spectacle inattendu à lui-même... le plus casanier et
routinier... prêt à pousser jusqu’au bout du monde et à tout oser...
trompant toujours ses maîtres, qui le craignent trop ou trop peu...
plus capable de génie que de bon sens... adorateur du hasard, de
la force, du succès, de l’éclat et du bruit... inalté-rable dans ses
principaux instincts». Le peuple de république aura sans doute
perdu le goût de lecture. Et d’ailleurs, selon un dicton rapporté
par les gazettes, on prend les mêmes...
La distante république se convulsait dans
électoral. Souvenir d’un vieux livre de comte
108
Ecritures
Toujours les livres, où musique et danses voisinent et séduisent et s’achèvent en mêlée désordonnée des sens.
Justement,
préparent aux grandes nuits annuelles rituelles. Dans la cour d’une école, contre un mur pour pelote basque,
un magicien narquois de l’assemblage improbable des mots,
des apparences et des légendes instantanées s’époumone à
transmettre d’ésotériques fulgurances à des danseurs et musiciens pour la plupart apprentis, hilares et vaguement envoûtés.
Leurs gesticulations puisent à leur incompréhension : la danse,
la musique, leur sens anarchique n’éveillent en eux aucun des
sens dont parlent les livres, mais depuis longtemps émasculés.
La lente fermentation du spectacle s’abreuve à l’improvisation
continue. La cohérence des thèmes torture le regard, l’ouïe et le
cerveau. Cela finira par être paré de costumes secourables au
maquillage nécessaire : car les lueurs de demain ne sont encore
qu’en vaporeux frémissement. Mais où sont donc passées les
beautés brutes des nudités, des rituels sacrificiels, des voluptés
de luxure ? Un rafflésien justement, de retour de Marquisie, terre
des hommes malgré tout, entretient ses lecteurs d’un «pèlerinage du doute» en cette contrée dont les livres, encore eux,
décrivent l’absolutisme des instincts. La distance, et quelques
croisés acharnés semblent avoir eu raison de ces inclinations
antiques. D’ailleurs, un «grand ballet» affiche, cette année, un
étonnant baby-foot surgi des jeux électroniques en vogue, poupées mécaniques sur dièses et bémols, nouveaux asthmes des
gosiers, éclatant renversement des tabou. Ces essoufflements
vont s’étioler sur les planches d’une arène en plein air, seule au
les rafflésiens
se
monde à avoir installé les musiciens derrière les acteurs : on
comprend mieux pourquoi l’effet permanent de contre-temps
donne aux spectacles des résonances pénibles. Un ami lecteur
se souvient avec des trémolos qu’un groupe composé des péripatéticiennes de la ville avait enchanté les spectateurs, séduits
par leur souplesse, leur savoir onduler vériste, leurs enjôlements
entendus, et ce brusque coup de bassin par quoi leurs danses
109
Littérama’ohi N°4
Tuo Te Ama
achevaient
leurs ébats solitaires,
éperdus et perdus. Il
qu’une danseuse venue de Vava’u vrillait ses hanches jusqu’à terre. Qu’une autre alternait avec un art de la
contorsion jamais égalé des rythmes lents et saccadés. Qu’un
danseur stringé de fibres de noix de coco tint en haleine tout
Rafflésie, torchère d’une main, et nacre irisée de l’autre, durant
vingt minutes d’un solo mémorable. Qu’une plantureuse chanteuse fut inaudible, ayant omis de déclencher son microphone
dissimulé dans sa poitrine. Qu’une prêtresse de dieux imaginaires haranguait en vain le public hilare par le contrepoids d’un
micro. Et qu’un danseur étoile soudain mordit les planches, si
l’on peut dire, à la recherche de son dentier expulsé. Quelques
photographies d’un amateur de souvenirs inertes montraient
d’étranges accoutrements : les rafflésiens avaient emprunté,
c’est le mot, les pudeurs nouvelles. La nudité s’était peu à peu
recouverte ; et même apprêtée de tissus anglais vifs et colorés ;
puis peu à peu s’était laissé deviner, puis suggérer, puis dissimuler
seulement par endroits, puis devint suggestive, puis provocante
et parfois intégrale, en cette danse du tapa qui s’achevait par la
révélation aux rois d’antan les atours convoités d’une prime belle
et sa prime efflorescence. Preuve de l’inaltérable vertu des
instincts primordiaux.
se
en sueur
racontait
Un comité ordonnateur de tous les
jeux annuels avait très
finement perçu l’appétence rafflésienne pour les plaisirs renouvelés. Et les gazetiers rapportaient la suite interminable des
lieux, des participations, des programmes, requis pour distraire
le
peuple de Rafflésie. Des esprits chagrins prétendaient avec
malveillance que ces jeux du cirque s’apparentaient à ceux qui
en d’autres temps, sous d’autres deux hantés de dieux païens,
tenaient
en laisse le peuple affamé de ripailles, de luxure et de
de sorte que l’agora fût réservée aux spécialistes entre
eux, et eux seulement. Des rhéteurs s’égosillaient cependant.
Des gens de langue disséquaient les langues de Rafflésie, les
sang :
110
Ecritures
mettaient
barres, trouvaient des sens cachés aux syncopes
produisaient de doctes traités confidentiels. En vol de gerfauts, des faucons de culture fonçaient en hâte sur des proies
muettes, et lacéraient à loisir, parfois avec sadisme, des cornportements à eux hermétiques. Une fabrique de cerveaux produisait des arrogances écervelées. Un petit groupe intrépide se
réunissait sous une jolie bannière à l’enseigne de mots composés pour la circonstance : quelques auteurs rafflésiens en herbe
s’essayaient à l’écriture, dans une entreprise émouvante comme
un appel à l’aide, que leur
apportait avec chaleur un pentagone
d’artistes peintres volontaires, graves, enthousiastes et joyeux.
Aux écoles du dimanche, spécialité rafflésienne du samedi, on
faisait naître des vocations à parler le rafflésien avec une ténacité
admirable, et ces efforts étaient parfois couronnés publiquement.
En somme, selon les rapporteurs quotidiens, tout un murmure
bruissait autour de talents émergents, de prétentions bruyantes,
d’illustrations et de bouillonnements, et donnait cependant à ces
sortes d’infusions une allure chatoyante où pouvait s’insinuer en
en
et
liberté la curiosité.
Escale Jour 4
Il
pleut. La violente averse fut précédée des vents annonrépublique lointaine s’était trompée : ou
plutôt les Rafflésiens lui faisaient reproche de prédire après
coup. Les prévisions étaient des tours de magie. Une radio frondeuse y allait de ses appellations des vents. Les télévisions, des
leurs. Ces girouettes étaient cacophoniques. Mais la pluie fut au
rendez-vous : par bourrasques, par gifles aux arbres qui s’effeuillaient, par rase-mottes aux jardins qui se couchaient, par
violentes raclées aux fruits qui s’éparpillaient, par soulevées de
poussière dans les rues, par subites crues des filets de rivières,
par coulées de boues vers le lagon d’ocres festonné.
dateurs. La météo de
111
Littérama’ohi N°4
Tuo Te Ama
Contre-image d’Epinal, ce tour de l’îie insolite. Comme si la
montagne allait un jour déferler vers la mer devenue sombre.
Bananiers déchiquetés, gazons encombrés de palmes de cocotiers, ruissellements, débordements des bas-côtés de la route,
même le lagon tentait de les recouvrir par endroits. Les cascades de Gauguin se rappellent au souvenir, et elles sont bien là.
Tout près, dans le rugissement des vagues et le clapotis pierreux, des planches aident à les surfer. Tiens, un golf, en terre
Eugénie, disent les livres, qui abrita les amours torrides et
sucrées d’un proconsul de la distante république. Les Rafflésiens de l’endroit prétendent que ce domaine est fatal à qui s’y
installe sans précaution. Quelques livres font allusion aux sortilèges qui enveloppèrent ces lieux. Et l’on dit que la liste n’est pas
close, que seul le retour de ces terres à ceux qui y vivaient voilà
deux cents ans mettrait un terme aux malheurs qui ne cessent
de menacer. Un bain de rivière, annonce une pancarte, mais
c’est à peine si on peut s’en approcher, car ses abords sont
occupés par des estaminets enfumés : adieu «l’eau pure qui
descend des roches volcaniques, filtrée par elles, et rafraîchie
par le sous-bois...». Adieu Papema, l’eau propre. Non loin, une
petite cascade rappelle l’anecdote que content les colonnes d’un
journal de Los Angeles. Un richissime dentiste d’Encino avait
voulu y bâtir son rêve, verrière encastrant la cascade que l’on
devait apercevoir de toutes les pièces de la villa rêvée. Le malheureux dentiste repartit découragé, les pluies incessantes lors
de son séjour avaient transformé les lieux en cauchemars déferlants. Plus loin, des gazons japonais transformés en mares
moussues parsemées de belles gerbes de plantes de tous les
tons rouges. Une somptueuse demeure d’une Australienne
pleine d’allant, de charme et d’aventures. Puis la forêt des sages
mape, bleus de sagesse, bleus d’être aspergés de pluie luisante
et bleue, impassibles saillies de troncs verts et moussus parsemés de fougères et qui prolongent leurs dires en parler aujourd’hui incompris, lamentations silencieuses de racines attelées à
112
Ecritures
compassion. Tiens, contraste saipailles-en-queue, pourquoi
pas ? Plat calme, aito songeurs et mélancoliques, un pêcheur,
enfin un, sur une pirogue de musée, au loin grisaille des collines,
par endroits jaunes, nimbées de vapeurs ascendantes, et saignées point encore trop. Collines bocages du Poitou égarées
sous les cieux de Rafflésie, où paissent de chétifs cheptels, et
que hanta longtemps un rescapé d’une noble famille de Suisse,
réfugié plus tard en Inde où il finit en crémation. A sa mort, qui
bouleversa le gotha d’Europe, furent mis au jour des trésors en
lambeaux, d’Aubusson et de Savonnerie ; des éclats de cristaux
rares ; des débris de porcelaine de haute finesse ; des ors et des
lustres ; et dit-on le nécessaire à la toilette de Marie-Antoinette
en partance pour l’échafaud. La fine pluie de ce jour semble
accordée à ce que suggère ce souvenir insolite d’un si pathétique destin.
d’autres racines étreintes de
sissant ! Comment ? Ah ! Port des
ébéniste de la pirogue tapi près de la mer vaseuse
cet endroit où il niche un atelier de tous les désordres, de
Il est
en
un
chaises de purau,
noir, de pirogues de bois d’arbre à pain,
légères, légères, on n’en construit plus comme ça, de pirogues
des temps nouveaux, empruntés aux Sandwich, paradis pour
l’engouement des Rafflésiens. Moulés et modelés, ces nouveaux
vaa se bousculent sur les lagons, en haute mer, et même en
lointaines îles sous le vent. Les pagaies aussi ont changé, et se
sont conformées aux modèles en vogue à Sandwich. Notre artisan-ébéniste-rameur avait accompli quelques exploits dans sa
jeunesse : une équipe de piroguiers plusieurs fois gagnante,
encouragée par un médecin installé dans le voisinage, qui consaera sa vie d’ici à frayer le peuple de la presqu’île de Rafflésie et
son curieux nom, Truc, lui ouvrit les portes de l’amitié et du
renom. Quand l’atelier de vaa est fermé, l’ébéniste se consacre à
son autre hobby : l’élevage et le combat de coqs. Il fit venir en
désordres créateurs
:
de tables d’acajou, de
de meubles de bois
113
Littérama’ohi N°4
Tuo Te Ama
1972 deux douzaines d’œufs de coqs
shamo, du village emblématique japonais de Tokushima. La foire agricole de ‘Ari’ari où il
réside eut la primeur des premières portées : de beaux spécimen, d’en moyenne cinq kilos, hautains, dominateurs, déjà
agressifs et batailleurs, ce qu’ils démontrèrent abondamment
par la suite. Par crainte de quelques actes malveillants de la part
de nombreux envieux, surtout asiatiques, une meute de chiens
fut affectée jour et nuit à veiller sur ces gallinacés uniques, et
surtout profitables : ils remportaient largement tous les combats,
et les fans de
ces
combats cruels s’en souviennent
avec
un
mélange d’admiration et d’envie, d’enthousiasme et de dépit.
Souriant, ravi et pas peu fier, leur propriétaire continuera, avec
des trémolos que paraissent comprendre ces coqs de trophée,
à distribuer, seul aliment à ces invaincus, des platées de choux
frais râpé.
Avant que
la falaise ne dresse ses contreforts à l’est du dervillage, Tiratau, on pouvait apercevoir un vieil Italien empli
d’argent, de goûts italiens élégants et profus, dans une demeure
à peine achevée, palazzio étonnant au bord de ce canal d’un
lagon presque vénitien, sur lequel se prélassait un yatch de la
pius belle facture italienne. Il se déplaçait aussi en hélicoptère
de la plus récente technologie. La médisance l’avait injustement
associé à de sombres organisations. Le proconsul de la distante
république lui présenta quelques excuses. Elles ne suffirent pas
à prévenir son exil pour Ao teaoroa, où il se fit ériger une splennier
dide demeure
sur une
falaise
au
milieu d’un lac. Rafflésie
ne
lui
portait pas chance : il mourut d’un accident de la route, sur un
modeste vélo, au bord d’un beau lagon turquoise sous le vent.
Le village Tiratau qu’on traverse au retour n’est célèbre que
le
qu’y laissa un ancien chef, dont la stature controverimposait à tous. Les proconsuls y trouvaient matière à se
féliciter de leur clairvoyance en même temps que le chef vénérable les régalait fastueusement. Sa mort fut saluée comme il
par
sée
114
nom
en
Ecritures
convient à
personnages qui marquèrent de leur empreinte
ambiguë les années houleuses de la transition vers les nouvelles
organisations des pouvoirs.
ces
Dans le
village voisin, Uepu, moins prestigieux, il est une
remarquable par sa grâce et sa beauté, son autorité et le goût d’accomplir des choses accordées à ce qu’elle
aime, et plus souvent encore à ce qui lui plaît. Elle crée autour
d’elle une atmosphère de respect, d’intimidation et d’engagement
naturel à regarder vers le haut, à tendre en permanence l’ambidame tout à fait
tion de faire mieux. Le timbre assuré de
vocale, font le reste
Elle
règne
avec assez
voix, sa couleur
d’assurance pour convaincre.
sa
petit peuple obligé, avec des projets pleins la
tête, de danses, de musique, de costumes, de gastronomie étudiée et de fertiles engouements. Son époux semble un peu
éthéré, malgré ses fonctions municipales renouvelées. D’elle, on
dirait volontiers qu’elle aime non pas tant combattre, que se dresser : contre le mauvais goût, l’indolence et la l’oisiveté, le contresens des mots, les fausses références aux pierres, aux mythes
et aux légendes colportées par des Rafflésiens amnésiques. Une
assemblée de sages anciens l’aide dans cette démarche du
sens. Son agilité intellectuelle, et un peu son aptitude à humer à
temps la direction des vents, lui procurent l’habileté élégante de
ne point se laisser surprendre par les changements. Elle fut à
l’origine d’une sympathique aventure de participation collective à
une forme d’implantation touristique et hôtelière. Et l’on se souvient avec nostalgie de l’Arc en ciel, où le gîte était confortable,
sur un
le couvert savoureux, et l’accueil chaleureux. Des buffets fastueux
régalaient les appétits les plus exigeants. Un vice-président
américain, des princes tongiens et toute une foule de personnalités furent en ces lieux choyés. Les plantes sont sa passion,
qu’elle partage avec un frère qui veille avec précision et préciosité sur une proche oasis de voluptueuses beautés florales.
Quand le soir tombe, et que le lagon se retire en chuchotant sur
115
Littérama’ohi N°4
Tuo Te Ama
le sable d’éclats noirs, une
ques
guitare se fait entendre, et de magichansons s’égrènent et naviguent sur l’eau.
On ne quitte pas cette région étrange, qui semble suspendue, cernée d’un vaste dépôt d’ordures et de projets ambitieux
de seconde métropole de l’île, sans être frappé par l’immobile, la
stagnante atmosphère de toujours de cette partie de l’île. Bien
des Rafflésiens évoquent avec une rage contenue une belle
occasion
manquée, celle de l’implantation d’un campus univerles collines nui. Pour donner naissance à une agglomération vivante, et vivifiante à toute la zone, la recette s’imposait d’évidence, aux dires des sociologues et du bon sens : s’offrir le marché captif qu’eût pu être le réservoir sans cesse abondé
des étudiants. Le reste va de soi, ou aurait justement dû l’être :
logements, loisirs et distractions, équipements collectifs, de santé,
de sport, sur terre, sur mer, et même dans les airs, pour peu que
fût construit l’aérodrome secondaire dont les plans de détail
existaient déjà mais tout conspira à faire échec à un grand projet qui, en dix ans, eût métamorphosé en l’irriguant la désolation
qui perdure, que l’on sent, qui va se verruer des laideurs qui
s’annoncent, dans la funeste conjugaison du béton, de la ferraille et de la pollution.
sitaire
sur
Mais il est
temps de faire un clin d’œil tranquille à un
patriarche chinois disparu. Il rythma plus d’un demi-siècle le
pouls de ce quasi-désert. Restaurateur, éleveur, commerçant,
agriculteur et développeur immobilier, il s’était aménagé un
havre confortable près d’un vivier poissonneux, la table était raffinée, et les vins de Bourgogne de grande cuvée. A Paris, on l’apercevait, toujours à la même table, chez la Reine Pédauque,
près de St Lazare : sa popularité y était grande, et ses pourboires
généreux. Quelques belles de la rue d’Amsterdam lui tenaient
galante compagnie : «ça me rajeunit» aimait-il à dire. Il laisse un
encore
souvenir aimable et souriant.
116
Ecritures
Un aviateur
pionnier avait fait construire une piste pour son
qu’il pilotait depuis toujours, depuis ce vol en solitaire qu’il avait entrepris entre Paris et Saigon. Il fut aussi le premier à atterrir sur l’atoll au nuage vert des reflets de son lagon,
et les habitants du village se souviennent de la frayeur qu’il en
eurent, l’île n’ayant pas d’aérodrome. Né d’une famille illustre
française, il avait épousé une Suédoise aguichante et entreprenante : ses frasques ont un peu désenchanté son époux, discret,
et indulgent. Leur belle demeure près de Pailles-en-queue était
un lieu de grâce, d’enchantement et, au pavillon de lecture
séparé, de sérénité pour lire des livres somptueusement reliés.
Ils prirent quartier plus tard sur les bords de Seine, lui sur un
chaland d’évasion, elle sur les terrasses fleuries de géranium qui
surplombent le Champ-de-mars. Les gens de société en Rafflésie
attestent que leur départ laissa un grand vide.
monomoteur
La côte Nord de la
grande île est prenante sous la grosse
pluie, le vent violent, la mer houleuse, souvent ouverte au large
qui déferle à grands rouleaux de rage. Le vert domine, tous les
verts, sombres et atténués, clairs et jaunis, panachés de brun,
de jaune, de rouge, de rose et de violet. On peut saluer au passage le capitaine Wallis ; s’émouvoir des gesticulations aux intentions mal assurées auxquelles se livrent des associations dites
culturelles de la vallée de Vainoo ; et quand on aborde le lieu dit
Haavai, les vieux livres racontent le passage de la planète
Vénus ; la lunette du capitaine Cook, qui ne fut pas un «découvreur» comme le dit stupidement un tronc de bois délabré, mais
un visiteur ; l’épopée de missionnaires habiles en
marketing ;
l’ébahissement de Bligh quand à sa table un soir le roi de
Rafflésie d’alors copula sur le parquet, puis se releva, prit sa serviette et s’essuya, suggère avec retenue le journal du brave
mutin. Adieu Rafflésie des plaisirs simples accordés aux pulsions de l’instant. Elle fut un temps assez bien reconstituée quand
le mutin se fit héros d’un film où domina le grand, le superbe
117
Littérama’ohi N°4
Tuo Te Ama
talent de
Brando, et la grâce ensorcelante de Tarita. On ne quitte
cette partie de l’île sans saluer Hall, .qui décrivit dans un
style un peu morne l’épopée du mutin, mais dont la modeste
demeure restaurée conserve malgré tout un peu de la chaleur
pas
communicative de
sa
lente conversation.
Le cimetière
royal voisin est à l’abandon, et rongé des
appétits d’alentour. Déjà la modeste pierre tombale d’un valeureux missionnaire linguiste est phagocytée. L’indifférence entretenue des Rafflésiens fera, ou défera le reste.
Il
pleut toujours et encore davantage quand on atteint le pont
duquel on peut voir Puutara, aperçue du bateau le premier jour,
tiens ! les gazettes rapporteuses sont toutes deux côte à côte. Et
l’on est éclaboussé de tous côtés, par les voitures, les camions,
les motos, tout ce que les blés permettent d’embouteiller les
rues. On rapporte que la rivière en furie un jour déborda tant
qu’elle se propagea jusqu’à cinq cent mètres de chaque côté,
jusqu’à une plantation de canne à sucre dont le moulin fut noyé
et l’enseigne, Adams and Kennedy, embourbée dans l’étang
aujourd’hui comblé. Le très riche, et très courtisé Brown, haut
perché en sa demeure en bordure de mer, dut attendre trois
jours avant de pouvoir s’en aller inspecter ses terres de ville, qui
étaient vastes et convoitées, ses terres des champs, vastes et
convoitées, ses terres des îles, vastes et convoitées : à sa mort,
les convoitises reprirent avec acharnement et leur polémologie
encombra durablement les prétoires de la distante république.
Clin d’œil à la vallée de Pu’atehu où enfant on se baignait.
Loti s’y ébrouait en compagnie de Rarahu, belle-beau nu(e) parmi
les mimosas. Un buste disgracieux rappelle cet épisode. Il ne dit
rien des frasques de cet écrivain un peu plat, habile aux déguisements, et dont le merveilleux Philippe Draperi souhaitait décrire
la vie ondoyante : il n’en eut pas le temps, son grand talent fut
emporté par la nef des fous vers les sables noirs des ténèbres.
118
Ecritures
rapporte que dans une île de
rêvait d’être enterré debout, Loti
On
monde,
ses
une
la distante république où il
fut couché comme tout le
pelle de plage et une chistera de pelote basque
à
côtés.
crépuscule lançait ses écharpes de velours pourpre sur les
soudain calmées, c’était une singularité de Rafflésie que le
soleil tout à coup, au mépris des météo trompeuses, surgissait
Le
eaux
mine de rien, pour que
la journée soit prometteuse de nuit apaisée.
Escale Jour 5
les livres, évoquent l’existence d’une briquetterie, inaugurée avec pompe et grandiloquence par un proconsul un peu niais, en pointe nord de la rade. Bien sûr qu’elle
n’est plus là. Mais des vestiges en sont encore visibles, en des
Les livres, encore
bâtiments
un
peu
délabrés, mais de proportions harmonieuses, et
est frais. Un asile psychiatrique en témoigne, et une sorte
d’entrepôt militaire aujourd’hui des bureaux. Un senatus-consulte
décréta naguère que seraient construits en ce matériau les bâtiments publics : ce qui a été entrepris semble un peu suranné et
sans âme, un peu entassé, sans recul, maigrement paysagé, et
cette propension s’étend aux îles sous le vent. Brique, béton et
tuiles sont la trinité païenne des architectes institutionnels.
l’air y
photographies ramènent à des années
d’humanité variée, colorée, pittoresque et changeante que n’ont plus les rues de la ville
d’aujourd’hui. Elles se ressemblent toutes par le dessin sans
relief, architecture serait trop dire, des façades, des gabarits
anarchiques, des couleurs et des styles arrêtés en chemin. Un
côté far-west honteux d’être là, alors qu’il eût fallu accentuer cet
aspect débridé en certains quartiers. Des verrues de ciment, des
bâtisses pompeusement baptisées immeubles, des façades de
De vieux albums de
où les
rues
avaient cette atmosphère
119
Littérama’ohi N°4
Tuo Te Ama
reflétant que des voitures, un seul et unique parc, miraculeusement sauvé et malingre faute de soins ; n’était le front de
verre ne
mer
boisé, et tailladé plutôt qu’entretenu comme il conviendrait ;
visiteurs, le moindre espace est
et l’oasis de verdure du fare des
voué
dre
aux
constructions dont l’allure
dégingandée accroît le désor-
urbain, et prive la cité d’une vie propre, condamnée au
marchands et des
soir venu. Le visiteur se prend à rêver d’une vaste allée piétonnière ombragée
tout au long du lagon : il se contentera, en le déplorant, d’une
vague promenade de trottoir sur les quais lourdement lestés,
contraire à n’être que le bruyant exutoire des
consommateurs diurnes, empressés à fuir le
même les fleurs s’essoufflent à croître dans du béton, au milieu
du
vacarme
automobile, et des fumées de combustion, c’est à
quoi se réduit une flânerie dans ce port qui n’a pas encore choisi
son visage. Le promeneur curieux ne rencontre que le sourire
empesé de marchands de tout, même les fleuristes du marché
vous toisent avec suspicion. Des regards hérissés et méfiants se
croisent sans s’attarder. En voiture la morgue est de mise, et les
verres teintés des portières réfléchissent des signaux d’exclusion inquiétants. La pauvreté déambule, des visages soucieux
errent au gré de l’oisiveté, de l’occasion de marauder à saisir, de
l’ennui à conjurer, d’une voiture à pilier, ou simplement à érafler.
La cité résume en ses fonctions, sa fréquentation et son allure,
quelques caractères de Rafflésie : un côte-à-côte du dénuement
et de la prospérité, un étalage de l’épatant ébloui de fluorescences nocturnes, un parc d’attractions en somme, où se jouent
sans se joindre des scènes inaltérables d’une soif de paraître,
de vite s’effacer ensuite dans un sillage déshumanisé par le
prospère qui peut, tant pis, je m’occupe de moi, variations sur un
thème qui court en Rafflésie impassible et belle, opulente mais
hautaine et grimaçante, désinvolte et veule malgré tout. Elle n’a
pas d’histoire, d’ailleurs elle n’en porte aucune trace et ne paraît
pas pressée d’en tracer quelques contours durables pour demain.
Reléguées sur les collines, des archives muettes s’ouvrent à des
120
Ecritures
Rafflésiens clairsemés, et
qui ne portent nul intérêt à la
bas. D’autres terres les tourmentent. Celles de la ville sont
cité d’en
perdues.
Escale Jour 6
Une
grève annoncée des personnels de l’aviation civile de la
république va avoir des répercussions en Rafflésie. Il
faut donc se résoudre à partir subitement. Sur le chemin de l’aéroport rien, mais vraiment rien n’appelle l’attention : par les collinés la route s’élance et plonge sous un tunnel ; par la plaine, ah
si, mais il fallait lire les livres, encore eux : une lettre adressée
par l’alors vice-régent de Rafflésie au proconsul de la distante
république qui l’avait convié à une cérémonie insupportable aux
Rafflésiens, au cimetière près d’un monument dédié, protesta le
vice-régent, à la mémoire «des militaires qui sont venus en 1844
conquérir par la force cette terre de Rafflésie : ses défenseurs
n’avaient que des frondes et des lances : ils ont été assassinés.»
Le vice-régent érigea plus tard un monument, que l’on voit encore,
et sur lequel fut apposée une plaque commémorant le sacrifice
lointaine
des Rafflésiens «tombés d’avoir défendu leurs terres et leur indé-
pendance». L’histoire de Rafflésie est dense de ces prismes réfracqui se font face.
L’église évangélique de Faipao est un modeste édifice sans
grâce, entre quatre rues, mais visible et assuré. On rapporte
volontiers, non sans raison, l’influence qu’exerce cette confession sur la vie du pays. Ses archives écrites avec application à
la plume ronde retracent les cheminements de son histoire, ses
immixtions, ses tutelles, ses élans vers la jeunesse, ses arbitrages, parfois ses inspirations plus séculières que spirituelles. On
dit que la connaissance qu’elle a de la société est inégalée : ses
structures concentriques tissent un réseau d’information dont
taires
l’auscultation, la sélection, la macération, enfin la décantation
en
synode annuel revêtent ses prononcés de l’autorité morale qui
donnent
aux
Raflésiens
une
incessante matière à réflexion.
121
Littérama’ohi N°4
Tuo Te Ama
On visite peu les cimetières, et on a tort. D’autant qu’une
inscription fleurie à l’entrée de celui de la ville vous souhaite, le
croira-t-on, la bienvenue... Les calligraphies funéraires y sont
autant de pages de chapitres d’une histoire non écrite, malgré
l’invasion de l’écrit. Et nul n’a entrepris de déchiffrer ces périodes que portent les pierres, d’associer des patronymes, de
conter les alliances, les mésalliances, les descendances et les
curiosités généalogiques. Une toponymie des lieux dirait les hiérarchies sociales, les ferveurs et les faveurs. Les cimetières sont
aussi le reposoir des nouvelles donnes des pouvoirs successifs.
Les Rafflésiens d’avant, des ordres d’antan, on les trouvera peu
ou guère mentionnés en ces méandres funèbres. Ils restaient
confinés chez eux, enfouis peu à peu sous la végétation envahissante, ou des constructions irrespectueuses. Exposer son
destin final est un trait de la nouvelle Rafflésie, comme elle se
plaît à afficher son être, sa prospère condition et sa docilité aux
injonctions nouvelles. Deux façons d’exprimer des comportements jusqu’au seuil du néant. On pourrait revenir, pour un plus
long temps, décrire ces manières de présenter des offrandes
ultimes
aux
ténèbres
en
Rafflésie.
Clin d’œil à Jean Marie
Tjibaou, curieusement rappelé au
grille de la mairie tumultueuse de l’endroit. Sa
haute figure était un fabuleux don des dieux païens de Kanaky.
Ayant écorché sa chair tribale pour en extraire les sucs fondasouvenir
sur une
mentaux dont il voulait instiller les nouvelles données des pou-
voirs, pour en conjurer les maléfices, il fut condamné par des
rustres
outragés. Il est juste que son nom soit en ses terres éloignées vénéré comme le pur ornement de l’ode à la beauté métamorphosée des nobles rêves élancés de Kanaky.
Les
gazettes évoquent parfois la figure, et les paroles du maire
commune rebelle de Rafflésie. La pratique du golf lui a
enseigné les vertus zen. Sa carrière, les facéties changeantes des
de cette
122
Ecritures
hommes, et leur inconséquence. Son magistère lui rappelle
chaque jour combien est impure la décantation des appétits
macérés des hommes. Son inspiration insuffle à son parti des
envolées, des perspectives, des idéaux croisés. Le timbre de
ses prononcés fait vibrer un auditoire encore perméable aux
beaux parlers, aux mots gonflés de sens, regorgés d’inquiétudes. Il occupe une place à part, en Rafflésie de naguère et d’aujourd’hui. Sans doute encore demain, car Rafflésie le couve en
souriant avec étonnement, avec affection parfois. A-t-il lu le
Léviathan ? Encore et
toujours des livres : bien des Rafflésiens
intrigués, s’interrogent gravement...Car son présubit les assauts d’une moissonneuse-faucheuse,
toujours les blés, conduite avec détermination et savoir-faire par
un Rafflésien entreprenant, boosté par les vertus prêtées aux
doutent et,
carré de pailie
en
agrumes en vogue.
On entre
infinie
patience dans le labyrinthe de l’enregistrement des passagers à l’aéroport international. Sa conception est anarchique, il faudrait le raser. Sur le tarmac, une fleur de
Rafflésie vous envoie de ses cinq pétales blanches, perchées sur
un
avion
aux
avec une
couleurs de Rafflésie, un salut rieur et malicieux.
Le crâne bourré de contrastes pour
il faut remettre à
l’heure irréconciliables,
plus tard le patient décoffrage des impressions
prisonnières.
Tuo Te Ama
(juin 2002)
123
Littérama’ohi N°4
Titaua Peu
Titaua Peu. 27 ans, ou 28 ans au moment de la sortie du
Littérama’ohi n°4, et si je suis toujours vivante. 1 enfant. A écrit
«Mutismes», paru en avril 2003.
Résumé
:
Situation
:
Hannah vit en France. Elle a quitté Tahiti pour des
études et s’est installée à Paris. Peut-être pour de bon. Hannah
a fui. Sa famille, sa mère son père et ses tonnes de frères et
(neuf au moins).
Personnages du livre : Ma : c’est la mère. Auguste le père :
il a eu un très grave accident il y a quelque temps. Coma, pendant deux mois au moins. Pina est le personnage principal, cette
petite de huit ans raconte, prête sa voix et surtout ses souffrances. Elle a deux grand-frères : Pauro et Auguste Junior. Ce dernier, junior est ce.qu’on appelle un hombo. Pauro, le fils parfait et
pourtant homosexuel. Drame du livre : le père lentement, somsœurs
bre dans la démence et le racisme à outrance
etc.. Pina
a
d’autres
sœurs :
:
meurtres de blancs
Hannah, celle dont
on
est fière, qui
semble avoir réussi et aussi Rosa, prostituée à Papeete. Le livre
oscille entre Pirae et Paris. Des vies toutes différentes et pourtant
trop liées.
En gros : histoire d’une misère, de trahisons, la mère (considérée comme la «marna») va tromper son mari et oublier ses
enfants. Beaucoup de déchirures puisque Pina sera violée par
son
père devenu fou. Mais enfin, y a pas
rédemption (à venir !!!!).
que
du «gore». Il
y a
aussi de la
Texte
:
Les arbres de
l’esplanade sont maigres et nus. Quelques
jouent sur un carré de terre grise, accompagnés de leur baby sitter étrangère. Il y a beaucoup de noires
parmi elles. Hannah est seule, comme presque toujours. Le
banc verdâtre sur lequel elle est assise est un peu humide. Il a dû
pleuvoir peu avant. Le ciel, c’est presque comme une évidence
enfants emmitouflés
124
Ecritures
ici, est bas, troué parfois d’une lumière blanche. C’est l’automne,
c’est
triste. Ça vous donne des
a reçu hier une lettre de sa
mère. Hannah regarde un homme en costume de marin se faire
prendre en photo, devant les grilles du tombeau des Invalides. Il
sourit très largement à son amie. Elle a l’air d’être son amie, sa
femme. Elle a les cheveux auburn et porte un grand manteau de
peau de bête, tout aussi auburn. Pourvu que ce ne soit qu’une
imitation, se dit Hannah. Oui, pourvu. Et puis non, finit-elle par
penser. Elle avait elle même assez de problèmes comme ça.
Qu’est-ce qu’elle irait s’enquérir du sort de ces bêtes ? Il y a plein
d’associations qu’on paye pour y penser.
Le couple s’en va du côté de la rue de Varennes. Il jette un
dernier regard aux grilles dorées. La femme s’est cachée dans
l’épaule de l’homme. Le vent est glacial, pénétrant, humide, il
traverse la peau brune d’Hannah. Ça reste supportable. Ça fait
deux heures qu’elle est assise là, qu’elle relit la lettre de sa
mère. Cette lettre est pleine d’angoisses. Ces angoisses, Hannah
sent, sait qu’elles ont toutes un facteur commun : Auguste, ce
père rendu étranger et inatteignable par l’alcool. Hannah se souvient-elle d’un jour de sobriété, de douceur paternelle ? Elle ne
le croit pas et puis, au fond elle s’en fiche pas mal. C’est un fait,
cette absence du père, sur lequel elle n’est jamais revenue, pensant que ce n’était pas nécessaire. La lettre est mal écrite bien
sûr, pleine d’appels qui n’en sont pas, pleine d’amour qu’on a
peine à croire, pleine de «ça va toi ?» insistants, comme pour
signifier qu’on vous écrit pour vous dire que sans vous, ça ne va
pas. Pour vous le reprocher sans doute ; pour pas être seul à se
sentir seul même si jamais on ne se l’avouera. Hannah vient
d’apprendre l’accident d’Auguste, sa rédemption. Puis ses bizarreries rajoutées soudain à sa légendaire distance. La lettre parle
de religion. Ma dit que c’était bien au début, ce retour vers Dieu
et puis qu’ensuite ça a pris des proportions incontrôlées, incontrôlabiés. C’est là qu’Hannah sourcille. Quand est-ce que sa mère,
peu triste. C’est même trop
envies de vous foutre en l’air. Hannah
un
125
Littérama’ohi N°4
Titaua Peu
seule fois avait pu
contrôler les choses ? Pas chez eux, en
dans leur pauvreté commune. Ma raconte qu’elle
essaye de maintenir les apparences, de faire croire aux autres
que la famille est à présent unie, même si seule manque
Hannah. Les enfants ont grandi. Pauro passera son bac très
bientôt, c’est un homme tu sais, un bel homme. Ma parle longuement de Rosa, de l’inquiétante Rosa, la perdue et retrouvée
enfin. Rosa pour l’instant traverse une période difficile, mais ça
ira. La mère est très vite passée sur Pina.
Cette lettre est pleine de demandes non formulées, d’appels
au secours silencieux. Mais quoi Ma, tu veux quoi? Hannah se
sent mal à l’aise, elle lit des choses qu’elle croit seulement deviner. Et puis quoi à la fin ? Parleras-tu clairement, Ma ? Qu’attendstu de moi ? Que je revienne vous sauver ? Moi, qui n’ai pas
une
tout cas, pas
encore
la tête hors de l’eau ? Dans
sa
lettre Ma demande si l’en-
treprise d’Hannah se porte bien. Oui, à ses yeux Hannah est
chef d’entreprise. Le malaise est persistant. Hannah commence
à manquer d’air. Elle défait le gros nœud de son écharpe. Ok, ça
va un tout petit peu mieux. Chef d’entreprise. Mon Dieu, si seulement. Non, elle n’est pas vraiment chef d’entreprise. Depuis un
peu plus d’un mois, elle a pris en gérance une affaire de Claude,
son amant-patron, même pas son mec, on peut pas dire que
Claude soit son mec, encore moins un mari potentiel. Non, c’est
trop tôt encore. Ils ne se sont pas dit je t’aime, n’ont même
jamais insinué qu’ils avaient une relation.
Bref, depuis quelques semaines, elle s’occupe d’une «boutique d’art» pas comme les autres. Là bas, l’art n’est plus inaccessible. Les copies de Klein font fureur ces temps-ci. Le magasin,
qui s’appelle «Art popu» est strié, balafré, du coup, de rectangles, noirs, rouges de toutes les couleurs. On ne voit plus que
ça, des carrés rectangles dont le sens échappe à Hannah, mais
c’est pas grave, elle est pas là pour comprendre. Elle doit juste
vendre, organiser des mini expos, remplacer les stocks de Pollock
(des copies bien sûr) qui marchent toujours aussi bien, elle doit
126
Ecritures
se
en
farcir des boutonneux aussi, grands et talentueux étudiants
Histoire de l’art et puis des adultes du samedi, en basket ou
rollers très dans le coup, quoi qu’il leur en coûte. Enfin, elle a
quand même affaire à des gens qui savent beaucoup de choses,
qui en connaissent un très large rayon, au contraire d’elle pauvre Hannah, qui a dû être formée sur le tas, par Claude, entre
deux avions. Tout ça, les clients ne le savent pas, heureusement. Comme ils ne savent pas que Claude est galeriste, qu’il a
cinq vraies galeries en France (plus une «fausse», celle dont
s’occupe Hannah), une autre à New-York et enfin deux en Italie.
Claude a dû être un peintre raté pour autant connaître les imperfections des plus grands : Gauguin, Picasso etc. Il a dû être un
piètre artiste pour autant aimer l’art, jusqu’à en oublier la vie ellemême. Bien sûr, Hannah garde ça pour elle. Il y a deux jours,
Claude est parti pour Milan. Il doit y préparer l’exposition d’un
jeune italien qu’il dit talentueux et encore inconnu. A dix heures
ce matin, Hannah a quitté la boutique située Quai Branly. Elle
avait pas envie de foutre grand chose. Elle a confié les clés à la
en
vendeuse et
a
marché
vers
les Invalides. Elle
a
rendez-vous
Michel, un ami, informaticien dans la boite où elle travaillait
juste avant ça. Il va pas tarder.
Il y a un peu plus de monde sur l’Esplanade, malgré le
temps pourri. Elle repense à Ma et dit, voilà Ma, ce que je suis.
Presque une femme d’affaires, comme tu l’aurais tant souhaité,
presque seulement. Ses yeux parcourent de nouveau la lettre un
peu froissée. Après tout ce temps, une lettre mal écrite, énigmatique, une lettre qui a donné envie à la jeune fille de retourner là-bas,
de retrouver ce qu’elle a pu retenir de cette terre, les quelques belles choses. Une lettre qui lui a rappelé qu’elle était trop loin de tout
aussi. Elle se remet les visages de ses proches et s’attarde un peu
avec
plus sur celui de Pina. Pina au regard qu’elle a toujours trouvé très
intelligent, pas morne, pas joyeux non plus, mais lucide pour une
petite de quatre ans. C’est là la dernière image qu’elle garde de
sa petite sœur : quand elle avait quatre ans, guerre plus. Un
127
Littérama’ohi N°4
Titaua Peu
visage maigre et des cheveux très crépus. Elle ressemblait à
une petite africaine, mais la peau moins sombre. Ça fait si loin.
Que devient-elle, souffre-t-elle, elle aussi ? Puis Hannah se rappelle que la seule enfant qui n’avait jamais reçu le moindre coup,
c’était Rosa. Pourtant cette dernière, Hannah ne la détestait pas.
C’est comme ça. Hannah s’est toujours dit que les enfants
devaient accepter les parents qu’ont leur a foutu dans l.es pattes,
accepter ces êtres qui avaient leurs préférences et qui le
cachaient très maladroitement. Les accepter sinon, on ne s’en
sortait pas. Elle a accepté, jusqu’à son départ.
Qu’y a t-il Ma ? Je t’enverrai de l’argent, ne t’inquiète pas.
Peut-être aussi que je reviendrai quelques semaines... pourvoir
si ça va, pour voir si on ne peut pas colmater, réparer nos vies.
Parfois je me dis que tout ça, c’est une erreur. Oui, ma présence
ici. Crois-tu mère que je t’ai quittée, en partant ? Crois-tu que la
distance fait oublier ce qui jamais n’a pu être dit ? Loin de toi, j’ai
pleuré, je pleure encore. On ne grandit pas, tu sais ? Michel a
écrit un très beau poème dont j’ai retenu quelques mots, enfin je
crois que ce sont ces mots-là : «Je me suis grillé, comme un
éphémère, aux réverbères morts de Paris». C’est un poète,
Michel, un être rempli de blessures. Je t’appellerai Ma, il n’y a
plus que ça à faire. Et même si c’est un peu trop tard, je t’appellerai. Hannah s’était installée depuis deux minutes sur le banc
qui fait face aux escalators du métro. Elle voit le sommet du
crâne bien connu, châtain et qui manque un peu de cheveux,
surgir lentement de la bouche sombre. Le ciel a noirci, un peu
plus. Michel se laisse monter par la machine, au contraire des
autres tous courbés, en anorak, speedés même le samedi.
Michel garde les yeux baissés, comme toujours. Puis c’est la
terre à ses pieds, les gravillons. Il relève le menton, lentement. Il
a toujours l’air d’être ennuyé, mais c’est jamais par prétention,
c’est toujours par timidité. Parce qu’il se sent tellement petit malgré son corps long et lourd. Le front est large, on dirait celui d’un
grand scientifique dont l’intelligence est à ce point vaste, qu’elle
128
Ecritures
eu d’autre ressource que s’étirer au maximum du dessus des
arcades sourcilières à la racine des cheveux. Entre les deux, ça
n’a
dix centimètres.
Aujourd’hui, ses cheveux sont
peignés, il porte une chemise sous un pull gris, il porte aussi un
coupe vent. Il est mieux mis que d’habitude. Il est étrangement
pataud. Hannah, s’est toujours dit ça, que Michel était étrangement pataud, que cette lourdeur contrastait en tous point avec
son esprit. Vif, alerte, au dessus, trop au dessus de la moyenne.
Bientôt, ce sera un écrivain célèbre. Elle le sait, elle le sent. Il ne
peut pas en être autrement, ce serait pas juste sinon. Il y a beaucoup d’affection entre eux. Il la voit enfin et sourit. Un jour Michel
a sorti que parfois il se mettait à sourire car tout à coup il venait
de se rappeler que le sourire, c’est la chose la moins laide que
les gens ont en commun. Alors parfois, ça lui arrive de sourire,
parce qu’il n’aime pas être trop moche. Il aime être cynique, mais
trop moche, non. Ils s’enlacent assez longuement. Michel aime
beaucoup enlacer Hannah de cette manière. Qu’est-ce qu’elle est
toute petite à côté de lui ! Elle lui arrive juste à la taille. Alors quand
ils se parlent, c’est pas très commode pour Michel, il est obligé de
se baisser et de s’attraper, à l’usure, un truc à la colonne.
Ça fait plaisir de te voir Michel.
doit bien
mesurer
—
—
Tu crois ?
Ouais.
—
Ça t’as fait plaisir de quitter la boîte aussi.
—
Oh !
—
Dis pas non.
—
Ok, c’est vrai je suis partie mais toi t’en aurais fait autant
—
si t’avais été
C’est
—
—
simple secrétaire commerciale.
sur.
Bon, où on va ?
Au Le Divellec ? c’est
juste en face.
Hannah avait éclaté de rire. Mais oui, bien sûr.
—
Quel taré ce
Michel.
—
Au Le Divellec faut
s’appeler Mitterrand ou Delon.
129
Littérama’ohi N°4
Titaua Peu
Ou Lacan, ou «gnon-gnon».
—
Allez,
on y va.
Là, Hannah a perdu son sourire.
Non, Michel, j’irai pas.
—
Pourquoi ?
—
—
—
—
C’est pas pour
S’il te plait !
C’est moi
moi.
qui te le demande. Je me sentirais mal et tu le
sais. J’aime pas ces endroits.
T’as tort. T’es belle.
—
C’est pas un critère Michel. Là bas, on te demande pas
d’être beau ou intelligent, on te demande d’avoir un maximum
—
d’argent. Et toi et moi, c’est
—
pas
gagné.
T’es belle Hannah.
Tu
l’as
déjà dit. Mais je m’en fous.
parfois était un être incohérent. Il détestait la foule,
les attroupements, mais il adorait les restas bondés, surtout
lorsque ces derniers sont cotés.
Bon allez, viens Hannah, je t’emmène ailleurs.
—
me
Michel
—
—
Ouf.
Ils avaient trouvé
resta
français «spécialités sud-ouest»
Dominique. Le restaurant jouxtait Ed l’épicier.
Ça faisait incongru les prix affichés au dehors juste à côté d’un
mec tout sale qui vendait son Réverbère. Le resta, ça allait pour
Hannah. C’était abordable et pas tout à fait coté, même inconnu.
Pas la moindre chance d’y apercevoir PPDA ou autre chose.
Quand ils ont été installés, Michel est sorti pour s’acheter
des magazines. Hannah a attendu une dizaine de minutes et elle
a commencé à paniquer. Michel avait toujours été imprévisible.
Il aurait pu s’en aller comme ça, rejoindre le métro, parce qu’il
oublie tant de choses, ce Michel. Bon, Hannah réussit à garder
son sang froid. En attendant, elle sirote un Guignolet. C’est doux
et même «déstressant». Déjà, ses jambes sont cotonneuses.
Elle aime bien cette sensation. Ouf, Michel réapparaît. Elle a
envie de l’étrangler.
dans la
130
rue
Saint
un
Ecritures
—
—
—
—
Me fais
plus ça, Michel.
Oh si, et je me gênerai pas ma
Et pourquoi ?
Pour te
petite.
punir d’avoir choisi ton Claude. «Cet artiste, bel
homme, évanescent et très
T’exagères. J’avais
toujours aimé Michel, mais
con»
à choisir entre lui et toi. Je t’ai
ami.
Mais comme un ami, poil au kiki.
Hannah lui jette un regard un peu las, un peu torve aussi.
Okay, je m’arrête.
Qu’est-ce que tu t’es acheté ?
Marie Claire, Féminin, Actuel et puis... Penthouse.
Hannah sourit de nouveau. Elle songe que Michel ressemble
à ces animaux en voie de disparition. On les aime très fort, mais
qu’est-ce que vous voulez, on n’a pas que ça à faire. Et puis ces
animaux, c’est pas comme s’ils vivaient sur notre palier. Michel n’a
pas la télé, il évite la radio, il s’achète pas Libé ou Le Monde. C’est
pas qu’il s’en fout des infos, de la vie, puisqu’il y puise son inspiration, mais il a pas envie d’entendre, de lire les commentaires de
ces journalistes qu’ont toujours, qu’auront toujours un problème
d’ego monumental. Alors, il lit le courrier des lectrices de ces
magazines. Ainsi il sait ce qu’il se passe, ce sont les coups de
gueule et de cœur de ces «femmes du peuple» qui le lui dévoilent.
Michel s’est pris un whisky sur glace, il fume. Ils ont cornmandé sans grand enthousiasme. Va pour un confit de canard,
pour du foie gras au porto. Ce qui compte un peu plus, c’est le
vin, le meilleur sans doute, enfin c’est Michel qui le dit. Hannah
ne s’y connaît pas très bien, elle laisse faire. Ils discutent, la
jeune fille demande à Michel de lui parler. Qu’est-ce qu’il
devient, vraiment ? Et son manuscrit déposé, cette histoire de
cadres paumés ? Michel répond qu’il attend qu’on l’appelle, ou
qu’on lui écrive. Ça viendra Michel, t’inquiète pas. Il est sur autre
chose maintenant. Déjà ? Et de quoi ça parle ? Michel avait
répondu «De toi, Hannah» et bien sûr l’autre ne l’a pas cru.
—
pas
comme un
—
—
—
—
131
Littérama’ohi N°4
Titaua Peu
Tu sais, Hannah, à force de rien croire, de pas
croire en les
qu’ils te disent, tu finiras comme la Bernier, tu sais la
comptable de la boîte. Ouais, comme elle. Seule, moche et vieille.
T’es pas sympa Michel. Je dis juste que je te crois pas,
toi. Parce que je sais pas. J’arrive pas. T’es tellement pas cornmun, t’es tellement d’ailleurs, c’est pas possible. Et puis tu m’accuses de croire en rien. Et toi, tu t’es regardé ? Tu rayes tout
dans tes écrits. Quand on a fini de te lire, on pleure parce qu’on
se dit qu’y a plus rien qui mérite qu’on y croit encore. Tu détruis
tout. Alors t’es pire que tout, Michel. T’es pire que moi.
T’as tort Hannah. Quand je raye tout ça. C’est pour dire
qu’on a encore besoin, qu’on a surtout besoin de croire en pleins
de choses, et d’abord en la vie. Et tu le sais. T’es injuste. Je te
dis que j’écris sur toi. Moi, je trouve que c’est la plus belle
—
gens, en ce
—
—
preuve.
Michel n’a pas
continué «d’amour». Il y a des moments dans
réflexion, où on n’arrive pas à aller plus loin. C’est l’aporie,
ça peut aussi s’appeler l’impasse ou comme ici, la pudeur.
Une vielle dame, à leur gauche les regarde, attendrie. Ça
une
ressemble à
petite discorde conjugale. C’est beau.
plats. Le couple commence à manger, en
silence gêné. Michel est allé trop loin. Ça ressemble à un aveu.
Aujourd’hui je n’ai pas pensé à Claude, pense-t-elle. Elle sourit.
Et avec Claude, comment ça va ?
Ça tombe bien, je venais juste de me dire qu’aujourd’hui
je n’ai pas pensé à Claude.
Michel a comme un petit rayon lumineux dans les yeux.
Ah, merde alors j’aurai pas dû t’en reparler... Tu me fais
mal, Hannah. J’ai mal de voir que ce mec, même lui qu’est pas
une brute, ne t’aime pas comme il faudrait.
Qu’est-ce que t’en sais ?
Je sais, c’est tout. Où il est à l’heure qu’il est ? Est-ce
qu’une seule fois il t’as emmenée en voyage ? Tu sais ce qu’il
fait de toi ? Il te prend pour un faire valoir occasionnel. Pour sa
On
—
—
—
—
—
132
a
une
servi les
Ecritures
nenette
exotique du vendredi, qu’il trimballe dans des vernisla mode. Il t’as donné sa boutique, et encore
le mot qu’il faut. Cette boutique, c’est pas la
plus classe de ses affaires. Et ses autres galeries hein ? Qui s’en
occupe ? A chaque fois des pétasses.
T’as l’air bien renseigné Michel.
Qu’est-ce que tu crois, que je te laisserais couler comme
ça ?
T’es jaloux, c’est tout.
Jaloux «ou ou». Ouvre les yeux Hannah. Tout à l’heure tu
disais non au Le Divellec, mais c’est parce qu’au fond t’avais
peur. Et s’il y était hein ? avec une pouf, hein ?
S’il te plait Michel arrête.
Hannah n’a plus faim. Elle se reprend un verre.
T’as jamais été aussi ignoble que ça, Michel. Personne
n'a jamais été aussi ignoble avec moi.
Elle avait presque crié. C’était peut-être l’alcool, le surmenage. Depuis qu’elle est Quai Branly, elle dort quatre heures par
nuit, souvent moins mais jamais plus. Elle se creuse le ciboulot,
pour faire plaisir à Claude. Pour qu’il soit épaté, hein ?
Michel est pantois, tout con. Ça lui apprendra. Les clients
sages de Noirs à
donner c’est pas
—
—
—
—
—
—
ont tous tourné la tête
—
vers eux.
Pardon Hannah. Pardon.
Elle
bon de déballer tout
qu’elle avait dans la tête et
puis aussi là, à l’intérieur, près des tripes.
J’en ai marre. Marre de pas être heureuse. Marre d’avoir
personne à aimer. Claude a soixante ans. Impensable hein ?
Moi, j’en ai 22, bientôt 23. Il a eu trois femmes déjà. Toutes elles
a cru
ce
—
ont de la classe. Toutes ont fait les beaux-arts et c’est du genre
à regarder les sortants de Saint-Charles avec de gros yeux de
pétasse. Et moi, j’ai rien fait d’autre qu’une école de commerce
la plus réputée. En plus j’étais boursière.
Merde... Hier, j’ai reçu une lettre de ma mère. Tu sais que j’ai
une mère, Michel et un père aussi. Et j’ai une tonne de frères et
et pas
133
Littérama’ôhi N°4
Titaua Peu
de
sœurs. La petite dernière, je l’ai jamais vue, même
pas en
photo. Elle s’appelle Moïra, t’en as rien à foutre, hein ? Je te dis
ça juste comme ça. Oui, ma mère...elle. J’ai reçu une lettre
d’elle hier soir. Pour la première fois elle m’a écrit et j’ai senti que
là-bas, c’est encore pire qu’avant et ma soirée en a été foutue.
Et même ce matin, j’étais pas bien. On a tous des problèmes
avec nos mères, tu me diras. C’est sûr. J’en ai
toujours eu des
tonnes avec elle. Plus jeune, je comprenais pas qu’elle largue
pas mon père ce poivrot. Je comprenais rien. Et puis là quand je
t’attendais, ça a fait tilt. Elle l’a jamais quitté parce qu’elle s’est
sacrifiée, et à jamais pour un homme, pour ses enfants. Elle
croyait que c’était bien, que c’était ce qu’on attendait d’elle.
Soudain je comprends que je l’aimais cette femme. Je l’aime
encore. Jamais elle n’a eu un câlin pour moi. J’étais la bonne à
tout faire, parce que fallait qu’elle s’occupe des mioches qu’arrêtaient pas d’arriver, comme un cheveu sur la soupe. Que je
m’occupe de mon père aussi, mais ça elle le savait pas. Que je
m’occupe de lui. Et oui, je t’en dis des choses. Cruelles. Ça peut
pas exister. Longtemps je me suis détestée, je l’ai détesté cet
homme. Il fallait que je m’occupe de ses nuits à lui, comme une
femme dressée qui a appris à connaître son homme jusque
dans les moindres soupirs. Qui sait les pauses, les fatigues. Qui
a appris à faire venir plus vite ces instants redoutés,
dégueulasses et libérateurs à la fois, pour lui, pour moi. Que
je m’occupe
de le rendre heureux pour pas qu’il se sente seul, à cause de
toutes ces grossesses à répétition. J’avais huit ans, pas plus. En
t’attendant, j’ai relu sa lettre et puis je me suis dit. Connasse, où
t’étais quand j’avais besoin de toi ? Où ? Mais où tu veux qu’elle
ait été ? Où tu veux qu’une femme comme ça ait été ? Elle avait
tous ces gosses, elle avait ses blessures du week-end, plus ou
moins graves, ses arcades défoncées, ses côtes fêlées.
C’est l’alcool qui fait ces choses là, qui détruit des familles.
Qui me détruit. Tu sais au fond, Claude qu’est-ce que tu veux
qu’il me fasse. Il peut pas m’atteindre, personne ne peut plus
134
Ecritures
m’atteindre Michel, c’est fini.
T’as peur pour moi ? C’est trop tard,
je suis morte il y a très longtemps. Alors Claude, toi, un autre, ça
change quoi ?... Revenons à cette lettre. Là j’ai enfin compris, en
me rappelant que mon père m’avait fait des choses qui détruisent
une fille, j’ai compris que quand j’ai eu l’air de m’accrocher à
Claude, ce qui arrive très souvent chez moi, c’est pour me forcer
à oublier. Même l'alcool ne m’y aide pas. C’est faux de dire qu’on
boit pour oublier. L’alcool ça vous oblige à vous pencher sur vous
même. A vous regarder la vie comme si ça avait été un nombril
en putréfaction. L’écœurement, mais on n’y peut rien. On observe
la mort, c’est presque plaisant et chaque jour, on y goûte à cet
alcool, on y revient. Toujours. Pour trouver la faille de votre existence, pour planer un peu aussi. Alors voilà je bois, sans oublier.
Alors voilà, il y a Claude et la boutique. Ce sont eux mes palliatifs. Okay, Claude est tout juste un amant. Alors on baise, quand
c’est possible. C’est comme ça que j’arrive à oublier un peu, et
j’oublie oui, finalement là, j’oublie.
J’ai haï ma mère. J’ai pensé parfois qu’elle savait. Je lui en ai
voulu d’être aussi féconde que ça. Je déteste les grossesses. Je
la déteste mais je sais qu’elle a besoin de moi, en ce moment. Et
mes petites sœurs, ça doit pas être le paradis pour elles. Tu viens
m’agresser avec tes conneries de Claude, de toi aussi qui m’avoues à demi mots que tu m’aimes. Merci Michel, mais crois-tu
que je pourrai me relever de ces blessures ? Et quand tu m’accuses de croire en rien. T’as faux. Je crois qu’il y a une forme de
rédemption. Pas celle du Christ qui rachèterait le genre humain.
Celle d’une personne, d’un être pur qu’arriverait à nous sortir de là,
les miens et moi. Alors j’attends cet être pur. J’attends la rédemption pour moi, ma mère et mon père aussi. Oui, pour lui aussi.
Elle a fini par répéter qu’elle haïssait les grossesses, puis
elle est partie dans un rire nerveux, un petit rire d’hystérique.
Michel pleurait. Voir un homme pleurer aussi silencieusement, sans scandale, sans haine, sans drame, Hannah a trouvé
ça émouvant.
135
Littérama’ohi N°4
Titaua Peu
Tu
le seul à savoir Michel. C’est
beaucoup.
gorgée de vin descend, un peu âpre encore.
Il est 17 heures déjà. Ni Michel ni Hannah ne s’étaient rendus compte que le restaurant avait été déserté. Le patron était
resté silencieux, immobile à l’autre bout de la salle. Michel lui a
donné un très gros pourboire et l’a remercié pour ne pas avoir
cherché à les déloger. Le type imposant, à l’accent du sud avait
été aimable et même chaleureux. Il a risqué un «à bientôt j’espère»
et les a regardé sortir, partir, disparaître.
Il faisait presque nuit. La rue Saint Dominique était vide, la
Clé des marques tirait ses rideaux gris taggués, des prospectus
roulaient en bordure de trottoir. Hannah titubait un peu. Ils se sont
arrêtés au tabac PMU pour se prendre des paquets de Marlboro.
En face, il y avait une boutique de vin. Ils en sont sortis avec quatre bouteilles de Chardonnay, c’est ce qu’Hannah aime.
Je veux pas rentrer chez moi, Michel.
Je sais. Moi non plus, je veux pas te voir partir. Plus jamais.
Le pataud Michel l’a enserrée par la taille, fort. Il était vraiment très grand.
Ils ont appelé un taxi pour se rendre dans le quinzième, rue
de la Convention. Michel avait un trois pièces. Le salon était
vaste, sobre, avec juste un canapé et une bibliothèque.
Il a allumé le néon de la cuisine et a laissé la porte ouverte.
Ça faisait rectangle de lumière là-bas, à l’autre bout. Ça faisait
deux mondes, l’un noir, l’autre éclatant. Ils avaient choisi le noir.
J’ai trente six ans, Hannah. Pas soixante. Je suis pas un
esthète vaporeux. Je voyage pas beaucoup. Je suis un peu
claustra. Je fais pas le poids à côté de ton Claude. Je t’en parle
encore. Je suis jaloux tu sais ? Je t’ai vu ce jour là quand t’as
débuté chez M. Timide, mal à l’aise. Si belle et je t’aimais déjà.
—
es
La
—
—
—
Puis tu m’as abordé.
C’est vrai, oui. C’est moi
qui t’ai abordé. C’est marrant. Oui,
j’avais pas trop envie de parler aux autres. Toi, c’était autre chose.
Comme toujours, chez toi. C’est jamais comme chez les autres.
—
136
Ecritures
Hannah avait
bottines, ôté
en
son
allongé
ses
jambes
sur
la table basse, ôté
ses
col roulé. Il avait monté le chauffage. Elle était
tee-shirt moulant et
—
Je suis
léger.
jamais sorti avec des amis. Ça
me
fait tout bizarre
déjà.
Le vin attendait dans les
minutes à
—
verres
à
pieds, lavés il y a quelques
peine.
Tu fais pas
beaucoup le ménage Michel.
Non, tu vois, j’suis un mec. Pas le temps, pas envie.
Faut que t’arrêtes de me parler de Claude comme ça. Les
choses ont changé en quelques heures. Parfois il suffit d’un mot
d’une pensée, et ce qu’on croyait nécessaire hier devient tout à
coup futile, inutile. Ou le contraire...
—
—
Il avait mis
disque. C’était une compilation de jazz. Il y
Ellington, Billie Holiday, les autres.
T’aimes le jazz, Michel ?
Pas vraiment. C’est pour faire ambiance. C’est pour me
donner un genre, quand je prends des filles chez moi.
un
avait Duke
—
—
—
Merci.
Y
a pas de quoi.
Ils ont ri, doucement. C’était presque puéril.
Tu me parleras encore de toi Hannah ?
—
C’était léger.
—
Oui avait-elle dit, sans penser aux
éventuelles conséquences, au bien ou au mal que ça pouvait lui faire. Pour Tinstant, elle se sentait déchargée, moins lourde. Elle avait peut être
bien fait, qui sait ?
Dans quelques minutes, on fera l’amour Michel. Alors tu
auras tout eu de moi. Mon corps, ma vie passée. Demain, tu me
jetteras peut-être. C’est pas grave. Ça peut arriver. Je ferai un
essai. Je dors chez toi. Au matin, si tu sens tout à coup que tu
t’es gouré, si je vois que ton regard a changé, alors t’es aussi
con que les autres. Mais ne t’inquiète pas, n’aie pas de scrupules, rappelle-toi, je suis morte il y a longtemps.
Les minutes ont couru. Ils se faisaient face. Il a posé une
—
—
137
Littérama’ohi N°4
Titaua Peu
main
sur sa nuque et l’a attirée à lui. Elle pouvait sentir son torse,
l’odeur d’une transpiration douce. Sous sa chemise, elle a vu
quelques poils. A embrassé, sucé la peau. A cherché les doigts
et les paumes. Il a fermé les yeux, petit soudain, fragile, à la
merci de cette fille. Il s’est assis sur le sol, a contemplé le corps
nu, allongé sur le canapé. Les cheveux lâchés enfin, elle semblait l’implorer. Il a caressé, a fait tarder son souffle sur l’entrejambe puis sur la vulve. Y est entré, calmement, différemment.
Sa langue, comme lui, avait oublié toutes ces choses qu’il pensait obligées. Sa langue, comme lui, possédait une autre fonction : qui dépassait le plaisir, qui fait qu’on tient à marquer un territoire, mais non par égoïsme, plutôt par urgence, par nécessité
de redonner la vie.
Elle aurait voulu crier. Quand il l’a
possédée, à l’intérieur ce
plus seulement chaud et doux. Il venait de penser que
toutes ces femmes qu’il avait cru aimer, aucune d’elle n’avait eu
le sexe aussi désirant. Les contractions du vagin avaient quelque
chose d’insistant, de désespéré et de mortel.
Des hommes, c’est pas ce qui manquait à sa vie mais
jamais, même pas avec Claude, ça n’avait été aussi douloureux,
ample aussi. Douloureux. Trop de choses les liaient. Ils n’ont pas
songé qu’un préservatif était nécessaire. Partager l’amour, le
vrai, c’est prendre le risque de mourir par ou avec l’autre.
Michel a toujours pensé qu’il était un piètre amant et qu’il
était loin d’égaler les stars du porno. Sportivement, physiologiquement, il croyait pas être capable d’approcher leurs performances. Mais Hannah s’était abandonnée, comme jamais aucune
femme ne l’avait fait avec lui. Ça pouvait pas être du simulé.
n’était
A l’instant, il se trouve sur son balcon. Il est nu. Il
fume, il
gèle mais il s’en rend à peine compte. C’était un 25 novembre.
Dans un mois ce sera Noël. Il songe qu’enfin il aurait quelqu’un
à qui offrir un cadeau somptueux, à qui souhaiter de bonnes
fêtes. Il regagne la chambre. Hannah dormait dans son grand lit
138
Ecritures
a toujours trouvé trop froid. Elle avait le visage paisible.' Il
s’assit et toucha ses fesses, ces dunes galbées. On dirait une
qu’il
princesse. C’est ma princesse, dit-t-ii, ma princesse des îles. De
sa langue, il la réveilla. C’était bon. Hannah a senti son corps
trembler. En elle, il y avait un gros vide, celui que laisse parfois
le bonheur, un bonheur amer parce qu’on a peine, à y croire. Elle
a
cédé. Elle
a
enfin chialé.
Titaua Peu
139
Littérama’ohi N°4
Manu’ora Nauta
Manu’ora, né le 28 décembre 1958 à Papeete, lauréat du troisième Prix du Président
2001,
avec son roman :
au
Concours littéraire de “reo Maohi” en
“ E he’epuanui te râ” (Un beau coucher de
soleil), est passionné de littérature en reo Tahiti.
(Teie mai nei te ho’e tuha’a o te puta ta u i papa’i
tata’ura’a
i te
reo
I
-
reo
Ma’ohi
na, no
te
te matahiti 2001, e to na tatarara’a na roto
no
farani.)
Matârii i tô
na
E mahana ra’iatea
ruhiruhiara’a
pûva’iva’i te mata’i, e mahana varavara
hope noa a’enei te ‘atutu
o te mau ‘oroa matahiti, e te morohi ri’i noa atu ra te mau hîhî hope’a
o te râ i roto i te reva ‘ona’ona’o, tei fâtata roa i te uriuri, te puhipuhi
hofa’a nei o Matâri’i i tâna paipu.
ho’i
no
te ‘omuara’a
Mai
Erima,
e
raro
no
e
a’e mai i te
‘ite hua
noa
te
teie ‘avae tenuare.I
taupe’e
o
tô na nohora’a i te teiteira’a no
hia i tua, i te aeha’a, i te pae to’o’a o te ra, te
‘orepe hanahana o te mau mou’a teitei no teienei fenua iti no
Moorea, teina ho’i no Tahiti Nui, ‘o râua, i te mana’ora’a a te mau
mau
tupuna, tei rahu ‘âpîpiti hia e te mau atua i muta’a ra.
I roto i teienei ‘orama he’euri, mai te hoho’a peni maere roa e te
fa’ahiahia te hum, te toro te’ote’o nei o Mou’a Puta i tô na tara i te
ra’i. Tupu’ai mou’a tu’iro’o teie e hâmama nei i te ‘utu o te heri ‘a’ano
tei
e
patia hia e Pai te ‘aito paro’o no
te ra’ara’a, e te hauriri’a.
A
te tau tahito, i tâna omore nano,
ai te pouri i te aoroa ‘ura, mâ tô na pereue rumata’itahi noa ai i te pae to’o’a o te râ te mau ti’arama no
te puaoa no Papeete, ‘oire atea ri’i e pae iti tirometera i raro noa mai,
te mêhara nei Matâri’i i te mau ‘ohipa i arata’i mai i tô na orara’a e
tei tapa’o hia i roto i te mau ‘api parau o te puta ora e to te faufa’a
feteui e fâtata nei i te hope nô na i teienei ao.
tâpo’i
noa
ruma, a pura
140
Ecritures
Traduction par
I
-
l’auteur
Matâri’i
au
crépuscule de sa vie
En cette fraîche et belle fin de
journée du mois de janvier,
journée sans nuage et exceptionnellement rare pour un été tropical, alors que les tumultes des fêtes de fin d’année viennent
tout juste de se dissiper et que s’évanouissent délicatement les
derniers rayons de soleil dans le firmament teinté de mille couleurs qui bientôt s’assombrira, Matâri’i fume sa pipe avec nonchalance.
De la terrasse de
son
domicile situé dans les hauteurs de
Erima, on devine aisément au loin, vers le large, du côté du couchant, les cimes majestueuses de la corolle montagneuse de
l’île de Moorea, petite sœur de Tahiti Nui qui, selon la croyance
des anciens, auraient été créées toutes les deux en même
temps, par les dieux de l’antiquité.
couleurs
féeriques comme extraifantasmagorique, Mou’a Puta, piton perforé,
érige fièrement sa pointe vers le ciel. Ce pic célèbre découvre à
son sommet une large anfractuosité transpercée par la puissanté et terrifiante lance sacrée de Pai, le ’a/'fo, valeureux et
légendaire guerrier, des temps anciens.
De
ce
décor de rêve
aux
tes d’un tableau
recouvrent de leur manteau noir la
et que peu à peu s’éveillent modestement les lumières de l’agglomération de Papeete, ville distante
d’environ cinq kilomètres en contrebas, vers l’ouest, Matâri’i
songe aux événements qui ont jalonné les pages de son existence et qui ont façonné sa vie, événements inscrits dans le
grand livre de la vie et de l’alliance éternelle qui sous peu, s’achèvera de s’écrire pour lui.
Tandis que les ténèbres
voûte écarlate crépusculaire
141
Littérama’ohi N°4
Manu’ora Nauta
‘Ona’ona’o
te ‘û
Hofa’a
tefa’atau ri’i (avec nonchalance)- a’eha’a = i tua i te atea - ‘Orepe
tupua’i moua - Tupuai moua = te hopea iaote teiteira’a o te mou’a
Heri = ‘apo’o - ‘Omore nano = omore puai ia patia hia - Puaoa = te
‘oire e tona mau tuha’a e tapiri mai - aoroa = te rai (firmament) Feteui = ‘etereno, ‘aita e hope te tau Ra’iatea
=
=
ra’i mâ te ata ‘ore
-
= ua rau
-
ma
=
-
la fâtata mal te marehurehu
mai
na
mâ te itoito
ato’a i ‘aro
o
te tâiva ‘ore i
e
teienei orarara’a tino tâ
mua
i te
mau
na
i ha’a
‘ati hum rau, o tâ
mâ te tu’utu’u ‘ore ia manuia mai te parau
ti’a
te rohirohi ho’i, orara’a tei ha’amau râ
mau mea pôpôunu o te mau mahana
ato’a, o tâ na ato’a ho’i i tutava noa na, noa atu te ha’iha’i o te tuha’a
tâ na i amo mai, ‘aore ra, noa atu te faito o te puai tâna i horo’a mai
no te patura’a i tô na ‘âi’a, te mea iti te reira ia, te mea rahi ho’i te
reira ato’a ia, ia ‘amui hia râ i ta te ta’ato’ara’a ‘aue ia te fa’ahiahia te ha’amana’o nei ‘oia i tô na vai ‘âpîra’a, i tô na orara’a i roto i te
mau motu, i te mau ha’api’ira’a e te mau fa’a’uera’a ti’a a tô na hui
metua, e tâ tô na ato’a ho’i metua vâhine, râtou tei ha’api’i mai ia na
na roto i te mau parau fa’aau e te mau parapore e rave rau, rave’a
ha’api’ira’a mataro hia e te nûna’a ma’ohi i tahito ra.
na
noa na
te parau tano - orara’a fifi e
i tô na ti’aturira’a i roto i te
e
Teie te tahi hi’ora’a
pinepine mai iâ na
au,
a
mau
roto mai i tô
‘E a’u tamaiti
i teienei râ. ‘Eiaha
‘ai i te
no
e
e:
tupuna tâne tei parau
‘A ora na i to ‘oe orara’a ma te
ha’amau’a te hô’ê
na
noa
a’e taime
tetoni ato’a, te ara nei a ha’a. la
o
te mahana,
tape te râ ‘ua mohifa’ahou ia ‘oe
mohi ia, e ia mohimohi ‘ua taere roa ia. E’ita vau e ho’i
na, o
‘oe râ te haere mai iâ ‘u nei”.
‘Ua pau
parau
te taime iâ na i te ‘imira’a i te aura’a o taua nei mau
huna ra. ‘Eaha ta tô na pâpâ m’au poro’ira’a iâ na ? ‘Eaha te
‘aro i huna hia i raro a’e i teie mau ta’o tâna i ‘ore roa i ‘a’apo
parau
i taua taime
ra
? E
a’e ‘eaha te aura’a
142
e ua
o
mate teienei ru’au, ê, ‘aita ‘oia i
teienei
piri.
fa’ata’a
noa
Ecritures
Au soir de
vie, une vie de dure labeur et de courage face
militantisme, de foi inébranlable en des lendemains qui chantent, de luttes pour défendre ses idéaux de justice
et de vérité, d’efforts inlassables pour apporter sa pierre - petite
sa
à l’adversité, de
contribution vraisemblablement mais ô combien nécessaire
ajou-
tée à celles des autres pour bâtir son
vient de sa jeunesse, de sa vie dans
“fenua", sa patrie - il se soules îles, des conseils de ses
grands-parents, ceux de sa mère... sages conseils toujours dispensés d’ailleurs sous forme de métaphores, méthode d’éducation
tant appréciée jadis par le peuple Ma’ohi.
Par exemple son aïeul aimait à répéter : «Mon enfant, vis ta
vie le mieux que tu pourras, maintenant ! N’en gaspille pas un
instant. Dévore chaque seconde. Dès ton réveil, agis, travaille.
Lorsque le soleil se couchera, il fera sombre et dès lors il sera
trop tard... Je ne reviendrai jamais vers toi, en revanche, toi, tu
viendras vers moi». Que n’a-t-il passé du temps à rechercher la
signification de ces paroles énigmatiques ! Quel enseignement
pouvait-il bien vouloir lui léguer son «papa’u», son grand-père ?
Quel mystère pouvait bien se cacher sous cette vérité qu’il avait
tant de mal à appréhender ?...
Depuis, le vieillard ayant quitté ce monde sans jamais avoir
aucune explication sur le sens de cette énigme, il n’a eu
de cesse jusqu’au jour où il a pu appréhender ne serait-ce qu’un
semblant d’interprétation. Mais, son aïeul savait très bien que le
temps viendra où toutes ces choses lui seront révélées et alors,
le film opaque qui obscurcissait la réflexion de son petit fils, lui
sera ôté. L’avenir lui rappellera les paroles qu’il lui a laissées en
héritage pour lui et sa descendance.
fourni
Aujourd’hui, ayant atteint l’âge de son pépé, c’est à dire à ses
quatre vingtièmes années, il en saisit enfin tout le sens : “le temps
perdu ne se rattrape pas. L’enfant vieillit, l’adulte ne rajeunit pas.
143
Littérama’ohi N°4
Manu’ora Nauta
Marehurehu
mahana
-
Pôpôunu
maramarama
te taime i mûri
maruao,
=
‘oa’oa -1 ‘ore
=
noa
i ‘a’apo
roa
=
mai i te tapera’a
i ‘ore i haro’aro’a, i
‘oi’oi.
fa’ata’a hia e matara maite
rehu e ha’arumaruma nei i te
‘Ua ‘ite teie metua e, ia tae te taime i
te
ato’a,
mau mea
ferurira’a
parau
o
e
tâtara hia te
teie tamaiti. ‘Inaha
mau
na
te tau
ato’a tâna i tu’u mai ei faufa’a
I teienei
e
fa’ahamana’o mai i te
mau
te hua’ai ‘amuri a’e.
no
mahana, ia rae’a ia Matâri’i te rahira’a matahiti
o
tô
na
tupuna tâne, o te va’u-’ahuru-ra’a ia, te haro’aro’a nei oia i te aura’a
o taua mau parau ra. ‘Inaha, te mahu’i nei ‘oia, ‘eita roa te tau
‘ahemo i ha’amau’a hia e noa’a fa’ahou ia tâpapa. Oia ho’i, e haere
te tamari’i i te ru’aura’a, ‘aita te ruhiruhia e ho’i fa’ahou i te ‘âpîra’a.
No reira, ia ‘ai maite te
feia ‘âpî i te mau tetoni ato’a, oia ho’i ia
fa’a’ohipa ratou i to ratou puai i te taime
pautuutu noa ai to ratou
‘âpîra’a - no te
mea, ia tape ana’e te râ = o to ratou ia ru’aura’a - ‘ua mohimohi ia =
‘ua paruparu ia - ‘e ‘ore te ‘ohipa e nehenehe fa’ahou ia rave maite hia.
tino. ‘Eiaha
ta’oto i te taime arara’a
e
=
a
o
to ratou ia
‘Ei
mai
o
te
ha’apotora’a, te itoito ra a ha’a, ‘aita e tâtarahapara’a i mûri
te mea ‘ua hope te mau mea i te rave hia. la tae mai te hora
pohe ‘ua hotu te mau târeni.
no
Na roto i te tahi atu
iho â i mâtaro
na
e
mau
e au
tupuna tâne iâ na i te mau parau
Mahu’i
=
‘ite i te hô’ê
huru rau, mai ta te feia pa’ari
nei ia parau, ‘ua ha’api’i â tô
pa’ari no te orara’a...
parapore
ta ratou ato’a ho’i
‘ohipa i ‘ore
na
i ‘ite hia na mua ra
‘I teienei ‘arui teatea, ia
mai i te
mau
ta’i nei
o
144
‘aivi,
e,
paâta mai te ti’arama no te pô, i mûri
‘a a’e ri’i noa ai te mau fétu verovero, te mata’i-
Matâri’i i te
mau
ata
o
te mou’a
e
to te tahi tuha’a
o
te
Ecritures
pendant qu’il en est temps, il faut vivre et bien vivre et ne
gaspiller aucune seconde, aucune minute pour des futilités”.
Aussi
pas
C’est
pourquoi, il importe que les jeunes dégustent toutes
les secondes de leur vie, c’est à dire qu’ils agissent tant que leur
corps possède encore toutes les capacités, notamment celles
de réagir vigoureusement. Il ne faut pas somnoler = il ne faut pas
la jeunesse - car à la torn- il fera sombre = la force
qui apparaîtra laborieux ne se fera.
paresser - pendant le réveil = durant
bée du jour = à l’âge de la vieillesse
déclinera et
plus rien de ce
l’énergie est présente, il faut accomplir
mission, il n’y aura aucun remord par la suite car tout aura été
achevé en temps voulu. Lorsque arrivera enfin l’heure du départ
pour l’autre monde, tous les talents auront fructifié.
En résumé, tant que
sa
paraboles comme les anciens en avaient
ils les affectionnaient tant, son grand-père
Avec bien d’autres
l’habitude et
comme
enseignements de la vie pour que son petit-fils
puisse les garder plus facilement dans son cœur et y puiser en
aimait illustrer les
cas
de besoin...
tandis que la lune ronde et dorée se hisse dans le
les étoiles aussi brillantes les unes que les autres
au loin, Matâri’i contemple les ombres des collines et
des arbres qui laissent découvrir leurs contours dans ce paysage mille fois décrit par les premiers navigateurs-découvreurs
de Tahiti. Il en est saisi et comprend tout à fait leur envoûtement
face à ce panorama si exceptionnel. Le voilà qui se surprend à
s’extasier avec fierté devant ce spectacle qui s’expose à sa vue.
Il se rappelle les nombreux livres écrits par de nombreux
écrivains sur la beauté de cette île qu’il fixe intensément de ses
yeux. Les premiers navigateurs venus de loin avaient transcrit
leurs histoires qui ont fait le tour du monde. Les évangélisateurs
Ce soir,
ciel et que
s’illuminent
145
Littérama’ohi N°4
Manu’ora Nauta
natura tei
roa
tô
puta mai na roto i te turama o te ‘atira’a ‘ava’e. Ua putapu
‘â’au i
na
i teienei
mua
Te ha’amana’o nei ‘oia i te raura’a
te ta’ata
‘Ua
e rave
pâpa’i na te
mai te
rahi i ni’a i te hum
o
te
o
mau
mua
iâ
na.
puta i papa’i hia
teie fenua tâ
na e
e
tutonu nei.
te mau horomoana matamua i fano mai
e
ratou ato’a tei ‘afai mai I te parau ‘âpî no te ‘evatenetere i ma’iri, e tae noa a’enei i teie ‘anotau. ‘Ua papa’i
mai,
ara
neria i
na
ho’i te
mau
i ‘ite na, e
o
tâparau to tera
e
tera fenua i te
mau mea
ato’a ta ratou
tei ha’aputapu i to ratou ‘â’au.
Te ta’a nei iâ
ai i
‘ihitai
mau
vai taha’a nei i
mau mea e
na
i teienei taime, no
teie fenua
teaha to ratou mana’o i
arua-
Tahiti tei fa’a-au hia i te
“pô rohotu nui
“te ô edene ra” ‘aore
ra te «pârataito». Te
pâpû nei iâ na ‘eaha te tûmama o taua mau fa’atara-ra’a no tô na ‘âi’a. Oia ho’i, no te ‘una’una e te ruperupe o te heipuni o tô na fenua. A tahi nei taua hum mana’ona’ora’a i tupu ai i
rua
mua
no
atea” ‘oia hoi ta tatou ato’a
roto iâ na, i
rahi
roa
Tupu iho
mana’o
na
i teie rohi
--
ra te
roto i tô
pehe iti
Pâata mai
verovero
=
Aruarua
mea e
=
ai tô
e
nehenehe
na
e
parau :
fa’ahiahia.
‘umere i roto i tô
na
na ‘â’au, puroro a’era te
vaha i te fa’atenitenira’a i tô na ‘âi’a na roto
:
hiti mai
a’e ri’i
pa’iuma maru noa - Fétu
‘anapanapa - Tâparau = ta’ata papa’i parau homhom (ému) - Tûmama = tumu - Heipuni = te mau
=
-
noa
=
feti’a
ha’ati nei ia tatou.
‘E Tahiti nui i te
afeafe rau,
Tei rahu hia
mau
Aue
ra
e
te
atua i muta’a
ra.
‘oe to’u ‘ai’a here iti te ‘una’una
e.
‘E fenua te târava nei, o Pare ‘Ame, aora’i ‘amera’a
I te
O
146
mau
‘Ari’i nui
no
Tahiti, tei ‘î te hanahana.
Papa’oa te nohora’a ro’o nui,
Ecritures
également durant les deux siècles passés et jusqu’à
jours. Des écrivains de diverses contrées ont consigné
abondamment leurs aventures ainsi que leurs souvenirs sur des
pages et des pages. Ils ont raconté ce qu’ils ont vu et vécu, et
tout ce qui a transporté leur cœur...
en
ont écrit
nos
Maintenant, il découvre la raison de leur inspiration pour
son “fenua" que l’on désignait alors par ces mots “Te po
rohotu nui atea” qui peut se traduire aujourd’hui par “jardin
Tahiti
“paradis sur terre”. Il appréhende désormais le
pourquoi de ces louanges admiratives pour son pays ; ces éloges chantant sa beauté chatoyante et exubérante. Pour la première fois, il ressent dans son cœur une chose si naturellement
extraordinaire, qu’il n’avait pas perçue auparavant : son “fenua"
est si beau, qu’il en devient modestement fier.
d’Eden”
ou
bien
jaillissent alors ces vers d’exaltation pour sa
patrie qui retentirent de sa bouche avec une passion étonnante :
De
son cœur
O Tahiti, ô grand Tahiti aux milles collines,
Créé jadis par les dieux.
Que tu es magnifique ô mon île bien-aimée
Pare Arue est la résidence
!
prestigieuse
Des rois célèbres de Tahiti,
Papa’oa en est la demeure illustre.
Matavai est la baie qui s’étend de la pointe Outu’ai’ai à la
pointe Tefauroa*
La mer profonde et sombre qui t’entoure, résidence de
Ruahatu
l’océan, est un lieu de crainte, un lieu sacré,
pourtant, source de vie du natif dont il se nourrit de son
produit.
Une eau vive s’écoule, c’est Vainahiti, eau fraîche
Qui désaltère l’assoiffé et rafraîchit celui qui a chaud !
Dieu de
Et
(*Aujourd’hui dénommée pointe vénus)
147
Littérama’ohi N°4
Manu’ora Nauta
O Matavai te ‘o’o’a
‘E
moana
Atua
‘E
no
ora
uri pao
te
râ
moana.
no
te
moti i Outu’ai’ai, e
hope i te ‘otu’e Tefauroa*
te hâ’ati nei, nohora’a no Ruahatu,
e
‘E vâhi hâhano
e
vâhi ra’ara’a,
ihotupu tei ‘o’oti i tâna ‘ina’i i roto i to ‘utai
te val haumaru
‘E tahe te pape ri’i matati’a, o vai Nahiti
I ha’amaha tei po’iha, i tamaru tei ahu.
‘E fenua he’euri mau, i
peha ai te mau ra’au hum rau,
po’ia, ha’apura’a no te nûna’a rau.
No te fa’atura e te aroha o te mau tupuna
I vai ruperupe noa ai ‘oe e to’u fenua iti.
‘Ua pûpû mâ mai ratou ia ‘oe i te u’i hou,
No te fa’ati’a i te tapu a Ta’aroa tei ‘urne mai ia ‘oe
la ‘i tei
Mai roto mai i te rumia, i te
fa’atumura’a hia
o
teienei
ao :
“No te ta’ata te fenua, no te ta’ata te tai e ‘amuri noa atu !”.
Afeafe
= e ‘aivi, e orepe - *Teiparau hia i teienei te
ri’ari’a - ‘Pape ri’i matati’a = vai tahe, vai ora -
‘otu’e Venus Peha = e tupu
maita’i, e a’ere ‘ohie noa - ‘Utai = te pape miti, te tai - Rumia = huero
matameha’i no roto mai te fenua i te ‘umera’a hia mai e Ta’aroa -
Hahano
=
Rahi atu â to Matâri’i
maere
i tô
na
‘ami, te ‘ohi’ohi’o nei ‘oia i te ‘a’anora’a
atu i te moana, mai ta te mau
manu ra o
Mai tô
e
‘âi’a, i te mea e, i teie nei
te ateara’a, ‘eiha mai raro
papa’a matameha’i i fa’ati’a na, mai te
te ra’i te hi’ora’a mai...
na
‘apa’era’a i ‘Erima, te fa’aro’oro’o pâpû nei ‘oia te ‘ora-
varava navenave o
te ‘are miti
e
fâfati nei i nia i te
muhumuhu tei tavevo hia mai i te tahi taime
e
mau
te niuhiti
la tau atu tô na mata i te pae hitia’a o te ra,
a’e i te ‘iriatai, mai te hoe hîhî marama tei pipiha
to’a a’au,
puva’ivai.
i Mahina, na ni’a
mai mai roto mai
te hoe ana hohonu e te pouri, te pura pura tamau noa ra te mori
‘amo’amo o te fare tia’i pahî ta Matâri’i e nehenehe e nânâ maite no
te ‘iteatea maita’i
148
o
te
reva.
Ecritures
C’est
une
terre luxuriante d’où
prolifère les végétaux
Qui rassasient l’affamé, refuge pour la multitude.
Par le
respect et l’amour des ancêtres,
gardé ton exubérance ô mon île,
Eux qui t’ont légué immaculé aux générations montantes,
pour honorer la parole sacrée de Ta’aroa qui t’a sorti
De l’œuf primitif au commencement du monde :
“La terre est à l’homme, l’océan est à l’homme, à tout
jamais”.
Tu
as
Ce soir, Matâri’i est de
plus en plus saisi par un enthousiasme
spectacle merveilleux qu’il contemple à
perte de vue, non pas à partir de l’océan comme l’ont vécu et l’ont
raconté les premiers navigateurs venus d’Europe il y a déjà deux
siècles, mais comme un oiseau admirant un paysage magique
qu’il survole pour la première fois.
De son perchoir de Erima, il distingue nettement le bourdonnement furtif des vagues qui viennent se briser sur les récifs,
murmure relayé de temps à autre par la brise rafraîchissante du
étourdissant face à
Niuhiti
-
ce
alizé du Nord-Est.
Lorsque
commune
ses yeux se tournent vers le levant, du côté de la
de Mahina, le phare de la pointe Vénus, comme une
lueur
surgissant du bout d’un sombre et long tunnel, clignote de
rythmés. Cette lumière, il la perçoit avec
netteté tant la visibilité sur la mer porte sur une longue distance.
Il semble qu’elle veuille attirer à elle tous les regards qui se perdent dans la nuit, ces regards nostalgiques d’un passé révolu...
Émergeant aussitôt de son ravissement, il se remémore
alors toutes ces petites choses, ces paroles de sagesse, paroses
feux intermittents et
les de connaissance, valeurs morales fondamentales et essentielles
progrès de l’être humain. Tous ces petits riens qui font
beaucoup lorsque tout est vécu avec simplicité, sans manière et
avec beaucoup de charité.
au
149
Littérama’ohi N°4
Manu’ora Nauta
‘E mahere e, te hina’aro nei teie ma’a mon iti e ‘urne atu iâ na
ra
te
‘oto
mata ato’a i ‘overe haere
mau
ra
i te
roto i te ru’i, o taua mau mata
i ma’iri i te tau ‘auiui
mau mea
Fa’aru’e a’era ‘oia i tô
te feruri haere i te
na
na
mau mea
ta’i i te orara’a. Taua
a’eto’erau, e ua ho’i mai i te tau nei mâ
ri’iri’i ato’a, faufa’a varua, tei ha’amaiha’iha’i
‘ite ânei, parau
pa’ari ânei, e niu arata’i râ i te haere’a o te ta’ata, tei riro mai ei tao’a
hau atu i te faufa’a ia ora hia râ ma te rotahi te ‘â’au, te peu ‘ore e
mau mea
roa ra,
parau
te aroha.
maerera’a rahi
‘Ohi’ohi’o
hi’ohi’ofa’a’aü - ‘Oravarava
te ‘are miti - Iteatea = ateatea maitai te hi’ora’a (visibilité) - Mahere = e aurae- Tau ‘auiui = tau tahito - a’eto’erau =faa’eara’a hau o te varua e maitai ato’a ai te tino
Maiere
=
=
pahôhô iü
‘Ua riro
-
=
navenave o
na
i muta’a
ra
‘ei
porifenua, ‘ei tao’a rahi i parau hia ai te
mau peu maitata’i. ‘E mau
ta’ata ri’iri’i ‘ua nani i te fa’ari’ira’a i teie
tao’a teie tei hau atu i te ‘auro ‘aore
hia râ i teie ‘anotau
e
te feia
Te hoho’i mai nei i tô
pûpû hia mai e
ra
tô
na reo
i te haru
maoti
e
pa’ari,
ra
ha’afaufa’a ‘ore
tae roa i te morohi roa-ra’a.
i te taiamani, tei
e ua
mânava ha’ava te
ha’api’ira’a i
tâ na ra metua vâhine here hia o Vahineta’u. Te na’o
na
mau
‘E a’u Tamaiti-iti, i roto i to ‘oe orara’a ‘eiaha ‘oe e titau
noa no
te
fa’atupura’a i te
roa’a ia ‘oe i te
rave.
‘A ma’iti
mau mea maitata’i ato’a,
na e tau noa niu mana’o.
e’ita
e horo’a atu : «’Ei ‘â’au horo’a noa to ‘oe i te mau
tano e te a’au ti’a to ‘oe, ia parau hia ‘oe e ta’ata
parau-tia i to ‘oe mau haere’a, ia ‘ore ho’i to here ia marau.»
Teie
e
torn, ta’u
taime ato’a, ‘ei peu
‘Ua ta’a maita’i iâ
hina’aro nei tô
na
ato’a ta te tino i roto i tô
150
na e,
na
roto i teie
mau
fa’aitoitora’a, te
metua vâhine ia huri tua atu ‘oia i te
na
paruparu e
mau mea
arato atu iâ na. ‘E ua fa’ari’i
Ecritures
Hier, richesse aussi précieuse que l’or et le diamant, aujourd’hui presque
insignifiante et peut-être disparue à jamais.
Il lui revient
en
mémoire les
enseignements que lui avait prodi-
sa mère tant aimée, Vahineta’u. «Mon fils», lui disait-elle,
«dans ta vie ne cherche pas à tout réaliser, tu n’y arriverais pas.
gués
Essaye de t’en tenir à quelques résolutions. Je t’en propose trois :
généreux en toute circonstance, sois honnête dans ta vie, enfin
recherche la justice afin que la charité ne périsse pas.» Il savait que
par ces encouragements, qu’elle considérait comme des repères
fondamentaux, elle l’invitait à se détourner de tout ce vers quoi la
chair pouvait, dans sa faiblesse, l’entraîner. Il avait ainsi décidé
d’observer ces préceptes, non pas tant parce qu’il en avait envie
que parce que son caractère doux et agréable l’en prédisposait tout
naturellement et son éducation aidant, tout cela lui était facile...
sois
Comme
leçons lui avaient été d’un grand secours ! Il se
il avait évité de justesse la prison
la même occasion il sauvait son
arrière train d’une raclée paternelle magistrale et mémorable.
Cela s’était passé dans son île natale de Tubuai. C’était un
matin, à l’aurore. Son père n’était pas rentré de la pêche et sa
mère qui était infirmière-sage femme avait été appelée pour une
urgence, une dame était sur le point d’accoucher.
ces
par exemple, la fois où
et l’humiliation à son père. Par
rappelle
La
gendarmerie était venue sonner à la porte de la maison
une réponse. Il s’était levé brusquement et
était sorti sur le pas de la porte. Les représentants de l’ordre
apportaient avec eux une belle pièce à conviction pour confondre celui qui avait commis un forfait la veille au soir. Lui n’en
familiale et attendait
savait absolument rien. Il devait avoir environ huit
ans.
L’un des
papa
gendarmes lui avait demandé des nouvelles de son
et s’il pouvait confirmer que le joli mori pata, lampe torche,
151
Littérama’ohi N°4
Manu’ora Nauta
oia i te
ha’apa’o i taua nau arata’ira’a ra, ‘eiaha noa no te mea ‘ua
tupu te hia’ai rahi, no te mea râ tei roto iho â i tô na natura taua
mau parau ra i te nene’ira’a hia, e iho ia no tô na orara’a. ‘E no te
mea te heipuni ‘utuafare tâ na i ora na, ‘ua
patu hia ia i nia i te mau
ha’âpî’ira’a pa’ari a te mau tupuna, i ‘ohie roa ai iâ na i te auraro i
taua
mau mea ra.
Pori ferma
rahi te tao’a,
‘Ua riro
roto i tô
na
=faufa’a no roto mai i tefenua, fa’aruna - Nani
tefaufa’a ifatu hia
taua
ha’âpî’ira’a ra ei tauturu pâpû iâ na i
orara’a. Te ha’amana’o nei oia i taua taime ahoaho ra tei
mau
mau
na metua tâne i te fare
tohe i te vera o te ta’iri.
pâruru i tô
i tô
na
Teie taua ‘a’amu
i te tataiao,
= ua
‘aita â tô
i
ra
‘auri
e
tupu i te fenua
te ha’ama,
no
e
tei fa’aora mai
Tupua’i. ‘E po’ipo’i
roa,
metua tâne i ho’i mai nâ te tautai pô, e, tô
na metua vâhine e tuati ma’i-maia ia, tei
tâpapa hia mai no te fa’afânau i te hô’ê vâhine tei ‘iti’iti a’ena.
Nâ te
metua,
e
pâtôtô
te tia’i
noa
na
mai e piti muto’i farâni i te ‘uputa o te fare
noa ra
ia ‘iriti hia mai. Ara a’era oia
e ua
haere mai
i rapae. Te fa’a’ite mai nei taua nçiu muto’i ra i te tahi mori pata
riro mai ia râua i roto i ta râua titorotorora’a. ‘Inaha e ‘ohipa ‘ino
tupu i te pô i ma’iri a’enei. ‘Aita o Matâri’i i fa’aro’o i tenâ
‘E mahere e, e va’u paha tô na matahiti i taua tau ra.
’Ua ani maira te hô’ê
tâne
e
’ua ui mai
:
ere,
na
‘âpî no tô na metua
pata» tei tô na rima i te fa’ai-
to ‘oe metua».
pata ‘auri ‘ahana maita’i teie, tapiri hia i te
uaua
‘ere’-
te ‘âpî noa ra, huihui maita’i, ‘ana’ana.â te ‘ana’ana e te puai te
tûrama. Pâhono atura ‘oia
152
muto’i i te parau
«’E ’ere ânei teie mori
tera’a mai «i te tao’a
‘E mori
o na
na
tei
tei
‘a’amu.
e :
Ecritures
bien rutilant, de dernière nouveauté et à
l’éclairage puissant,
appartenait bien à ce dernier. Il leur répondit qu’il était parti à la
pêche depuis la veille au soir et qu’il n’était pas encore de retour.
Mais avant de répliquer pour l’attrayante lampe torche, il s’en
alla vérifier si celui de son père se trouvait ou non dans le placard de rangement.
Il constata
qu’il était bien dans l’armoire avec d’autres outils
pêche. “Mais”, pensa-t-il, “si j’affirme au - mutoi farani - au
gendarme - que c’est effectivement le mori pata de mon père,
celui ci gagnerait un nouvel outil bien utile. Mon papa m’en serait
très certainement reconnaissant. Il me féliciterait pour la vivacité
de mon esprit et tout le monde sera content ! Par contre, si je
disais la vérité, nous perdrions un accessoire intéressant !”.
de
Tout
en
revenant
vers
les
gendarmes, il était fort préoccupé
par cette question vitale “que devrais-je répondre ?” La tentation
de l’appât était trop forte. “Après tout” se dit-il “pourquoi ne pas
récupérer ce mori pata T... Finalement il se ravisa et décida de
dire la vérité, s’étant rappelé ce que sa mère lui disait souvent
«bien mal
acquis ne profite jamais», en d’autres termes la cupijouerait de vilains tours à ceux qui s’en laissaient appâter.
Fort de cette pensée et avec regret pourtant, il déclara que l’objet
qui lui était présenté ne pouvait pas appartenir à son père...
dité
L’un des deux
gendarmes lui redemanda “En es-tu certain ?”
répondit “Tout à fait, puisque celui de mon père est dans le placard”. A cet instant, les deux représentants de l’ordre le remercièrent et le quittèrent pour rejoindre leur lieu de travail...
Il
Quelques jours plus tard, au petit déjeuner, il surprit une
ses parents qui avaient rencontré un “fetifun cousin
qui lui apprit que la semaine précédente, une jeune
femme avait été violée et qu’un mori pata bien neuf avait été
conversation entre
-
153
Littérama’ohi N°4
Manu’ora Nauta
«‘Ua haere to’u metua i te tautai mai
‘inapo mai â, e ‘aita â i ho’i
mai.»
Hou
ra
‘oia
a
pâhono atu ai no teie rama uira, ‘ua haere atu e
iho i tô na vaira’a.
hi’o e, tei roto ânei ta ratou
Tuati ma’i-maia
=
tuati vâhine fa’afânau -
Tei ‘iti’iti a'ena = tei
mauiuifânau - ‘Ahana = ‘a’ano e te rahi - Huihui = mâ, ‘ana’ana (lustréj.
‘inaha, te ‘ite
E
te vâhi i fa’ata’a hia,
nei ‘oia i te mon pata a tô na metua tâne i
‘oia ho’i i roto i te ‘afata vaira’a tauiha’a no te
noa
i te muto’i, na
a’e e horo’a hia mai na matou,
e, e mauruuru-roa ia to ‘u metua tâne ia ‘u i te mea e, ua fatu te
‘utuafare i te tahi tao’a ‘âpî. ‘Area ra, ia parau vau i te parau mau,
‘ua ‘ere ia matou i teie mori pata». ‘A ho’i atu ai ‘oia e fârerei i te
muto’i, te feruri noa ra ‘oia i te pâhonora’a tâ na e horo’a atu. Puta
maira te ha’âpî’ira’a a tô na metua vâhine i roto i tô na roro : ‘Te mea
ato’a i fatu hia e ‘oe mâ te ti’a ‘ore, ‘e’ita ‘oe e maita’i”.
tautai. Mana’o atura ‘oia «mai te mea e, e parau vau
ta’u metua tâne tenâ
rama
uira, penei
Pahîpahî noa a’era tô na mana’o no teie mau parau, e ‘ua tia’i
a pâhono atu ai i te muto’i. «’Eaha mau te mea e ti’a ia ‘u ia
parau atu ?» feruri a’era ‘oia. Na ‘o a’era ‘oia iâ na iho «e mea au a’e
paha ia parau atu vau i te parau mau». Pâhono atura : «e ‘ere te mori
pata ta ‘oe e fa’a’ite mai nei i te tao’a na to ‘u metua tâne».
ri’i hou
Ui fa’ahou mai nei te hô’ê o nâ muto’i : «’Ua
Pâhono atura
:
hau iâ na, ‘ua
nau
«’Oia
mau».
fa’arue mai i tô
ra’a i
‘utuafare
e
‘ua ho’i atu i ta râua
fa’aro’o nei Matâri’i i te tahi ‘aparau-
rotopu i tô na nâ metua tei fârerei i te hô’ê feti’i tei parau mai
hepetoma i ma’iri a’enei, ua mâfera hia te hô’ê vâhine, e ‘ua
“I te
154
na
piha ‘ohipa.
Tau mahana i mûri mai, te
e :
pâpû maita'i ia ‘oe ?»
I reira, ‘ua ha’amauruuru mai nâ ti’a o te
Ecritures
recueilli sur le lieu du crime. L’objet, servant à démasquer le malfaiteur, avait été récupéré par les gendarmes qui avaient aussitôt mené leur enquête dans tous les foyers. Si l’on découvrait le
propriétaire du fameux mori-pata, ce dernier serait donc accusé
d’être l’auteur de l’agression.
Il
rappela alors de la visite matinale des gendarmes et de
questions insistantes... Fort heureusement, le désir de
relater la vérité l’avait emporté sur la convoitise et la sincérité
avait été résolument plus forte que la malhonnêteté. Il remercia
le ciel des enseignements providentiels et salutaires qui lui
furent prodigués et qui l’ont aidé à se sauver d’une situation qui
aurait pu être dramatique.
se
leurs
On
peut imaginer le soulagement qu’il en avait ressenti
rendit compte qu’il venait d’échapper à une correction magistrale. En effet, connaissant le tempérament coléreux
et bourru de son père, Dieu sait comment son paternel l’aurait
traité pour avoir été la cause de son internement voire de la
poursuite au tribunal dont il aurait fait l’objet et pour une faute
qu’il n’aurait pas commise.
ne
dès lors. Il
se
Comment aurait-il pu alors justifier cette mauvaise option,
en s’accusant d’avoir été cupide. Cela aurait eu un effet
néfaste sur sa réputation notamment vis à vis de ses amis et de
sinon
cousins
qui l’auraient traité de menteur, sobriquet qui l’aurait
poursuivi longtemps après. C’aurait été une suprême humiliation. Ouf ! Cette mésaventure peu glorieuse, aurait pu très mal
ses
se
terminer...
Par la suite et
chaque fois qu’il était confronté à des problèqu’il devait apporter une réponse capitale,
ou lorsqu’il était environné de difficultés et
qu’il devait prendre
une décision importante, il vérifiait la moralité de ses choix...
mes
de cet ordre et
155
Littérama’ohi N°4
Manu’ora Nauta
pata ‘âpî roa i te vâhi i rave ‘ino hia ai ‘oia.
tao’a parira’a i te ta’ata i
hara. ‘Ua titorotoro ratou i roto i te mau ‘utuafare ato’a no te ‘imira’a, o vai te fatu o taua mori pata ra. la ‘ite hia mai, ua pâpû roa ia
e, ‘o ‘oia te ta’ata hâmani ‘ino”.
Pahîpahî tô na mana’o = ua rahi teferurira’a i roto i te upo’o (préoccupé).
‘ite hia mai te tahi mon
Tei roto i te rima o te mau muto’i te reira
tupu a’enei, i te tere
uiuira’a onoono.
‘Aua’a pa’i ‘aita tona nounou i taua mori pata ra i hau atu i te parau
mau. ‘Aua’a ua feruri, ‘aua’a ho’i ua faito te maita’i e te ‘ino, ‘aua’a
Ha’amana’o a’era teienei tamaiti i te mea i
o
nâ muto’i farâni i te ‘a’ahiata, e, i ta râua mau
ua
ma’iti i te maita’i.
mâfatu i te mea e,
‘aita ‘oia i fati noa a’e i te nounou tao’a e ua parau atu i te parau
mau. Ha’amauruuru atura ‘oia i te ra’i, no te mau ha’âpî’ira’a maitata’i tei ha’apa’ari iâ na.
I taua taime ra, ‘aita e
faito te mâmâ
‘Ahiri ho’i ‘oia i ha’avare atu, ‘ua
tei roto tô
na
rotoro â te
o
tô
na
pâpû roa ia e, i teie mahana,
ho’i ê, e titonehenehe ai e taui atu i tâna
metua tâne i te fare ‘auri. ‘E, mai te mea
mau
muto’i, nahea ‘oia
e
parau. ‘E ia taui ho’i, ‘ua riro ia ‘ei ta’ata ha’avare
hoa e tô na feti’i ta’ato’a. ‘Aue ia te ha’ama e !
No reira, mai taua
‘oia i te
mau
tâfifira’a
mahana
rau o
ra, e,
i mua i tô na mau
i te mau taime ato’a e û atu ai
tei titau hia ia horo’a atu ‘oia i te hô’ê
pâhonora’a pâpû, ‘aore ra ia natu ‘oia i roto i te tahi fifi, e, no te mea
te titau hia mai nei te hô’ê fa’aotira’a no te tatara i taua mau
hou
a rave
fifi
ra,
atu ai i tâna fa’aotira’a, e hi’oniao ‘oia : «Te tû ra ânei te
‘opuaraa ta’u e fa’aineine nei i te rave, i te ha’âpî’ira’a morare i ha’âpî’i hia mai ?»...
la natu = ia topa i roto i te maufifi rahi - Hi’oniao = mâtutu, mâ’imi
maita’i, hi’opo’a maita’i.
156
Ecritures
II
-
Vahinetau, la mère de Matâri’i.
Souvent, les gens disaient de Vahineta’u “e pua’a tane mau”
(littéralement c’est bien un mâle) d’elle ou qu’ils la méprisaient, non
ils la respectaient plus que tout. En
effet, ils l’estimaient pour sa franchise et son énergie face aux
multiples contrariétés de la vie. Vahineta’u est considérée.par
son entourage comme une brave dame très courageuse. Par
exemple, lorsqu’elle prenait une décision, elle s’y tenait ferme et
ne vacillait jamais face aux tentatives de pression des autres.
Elle n’avait pas l’habitude de changer d’avis selon la direction
-
c’est
une
maîtresse femme
pas qu’ils se moquaient
absolument pas, au contraire
non
des vents dominants.
forgeait le respect des autres, remplie
générosité et toujours attentionnée envers ses semblables,
constamment prête à rendre service et à répondre à ceux qui
s’aventuraient à frapper à sa porte. Elle ne craignait jamais d’exprimer ses propres opinions, surtout si elles étaient contraires à
celles de ses concitoyens et ni d’ailleurs d’affronter leur opposition. Ce qui est particulièrement surprenant, c’est qu’elle n’appréhendait jamais aucune rencontre y compris les plus désagréables et que, pour elle, seul son Dieu méritait d’être craint, car
lui seul peut lui ôter l’essentiel, sa vie. C’est pourquoi, il était son
unique refuge.
C’était
une
dame qui
de
III
-
Généalogie de Vahineta’u
Hurimana tane et Hurimana vahiné, était le nom
de mariage
la Reine Pômare IV aux deux ancêtres
leur union. A cette époque, une loi interabsolument le mariage entre les popa’a - les étrangers Ma’ohi
les indigènes.
conféré par sa Majesté
de Vahineta’u le jour de
disait
et les
-
157
Littérama’ohi N°4
Manu’ora Nauta
II
-
Vâhinetau, te metua vâhine o Matâri’i.
pinepine te ta’ata i te parau e “e pua’a tâne mau o Vahlneta’u”,
mea e, te fa’a’ô’ô nei ratou i teienei mâmâ, ‘a’ore ra te tahitohito ra ratou iâ na, ‘e’ita roa. Te tumu i topa hia ai teienei i’oa, no
to ratou ia fa’atura iâ na i tô na vî ‘ore i mua i te mau fifi rau o te orara’a. ‘E vâhine atehuhu e te matapû mau o Vahineta’u. la fa’aoti ‘oia
i te tahi parau ‘aita ‘oia e turorirori noa a’e i mua i te mau fa’ahemara’a e te mau nene’ira’a a vera. ‘Aita tô na mana’o e tauiui noa a’e ia
au te ‘avei’a o te mata’i e puihauhau mai.
‘E
‘e’ita i te
aroha, e te tavini atu i te ta’ata. ‘E vai
pâhono atu i te anira’a a te feia ato’a i pâtôtô mai
i tô na ‘uputa. ‘Aita ‘oia e hepohepo i te fa’aite atu i tô na mau ‘aro’a,
noa atu e, ‘ona ana’e i tona pae, e, e mea ta’a’e roa te mana’o o vera.
Te vâhi ra i hau atu i te fa’ahiahia, ‘oia ho’i, ‘aita teienei patea ‘ino e
mata’u i te ta’ata, noa atu ê, e tâne, maoti ra i te Atua ana’e tei riro
’ei ha’apura’a nô na.
‘E vâhine hoturoto, e te
ineine noa ‘oia i te
II. 1
-
Te ihotatau o Vahineta’u :
O Hurimana tâne e Hurimana vâhine te
i’oa fa’atara ta tô na ra
Âri’ivâhine Pômare IV i topa atu i ni’a i teie na tuti’i e
piti nei i to râua fa’aipoipora’a hia. I taua ‘anotau ra te vai nei te tahi
ture tei ‘opani ‘eta’eta roa ia fa’aipoipo te papa’a i te ihotupu ma’ohi.
Marumana te
(audacieux) - Matapû = itoito, vi ‘ore - Hoturoto
fa’atura roa hia e te ta’ata - Nene’ira’a = fa’ahepora’a (pression) ‘Aro’a = mana’o i nia i te hô’ê tumu parau - Patea ‘ino = metua vâhine
here - Ihotatau = papara’a tupuna - Marumana = hanahana (majesté)
Tuti’i = tupuna
Atehuhu
=
-
158
=
itoito
Ecritures
a Tura, fille d’ascendance royale, avait décidé de
Joseph Papa’a d’Irlande, et comme elle était également
suivante de la reine Pômare IV, celle ci autorisa ce mariage.
Pour ce faire, sa Majesté décida de lever cette interdiction pour
quelques jours seulement. C’est pourquoi, les nouveaux mariés
furent appelé “Hurimana Tarie” et “Hurimana Vahiné" c’est à dire
“le mana
le pouvoir - a été modifié, changé”.
Quelques années plus tard, ce tabou fut complètement
Or, Toru
s’unir à
-
aboli.
couple conçut huit enfants dont Ovahine Vahineta’u qui
épousa Benjamin originaire de Grande Bretagne. Ils eurent à
leur tour trois enfants dont John-Moenanu qui, avec Teri’itetini
Fanauatua, enfanta Teri’ifa’aruia laquelle mit au monde
Ce
Vahineta’u la mère de Matâri’i
Épilogue
crépuscule de son existence, Matâri’i contemple son
passé, il mesure la distance parcourue dans la souffrance mais
également dans la joie, et sa conscience ne regrette absolument
rien de ce qu’il a vécu.
Au
jette maintenant un regard vers l’avenir et il se réjouit pleicar de nouveaux horizons se profilent pour les jeunes
qui organisent leur vie selon leurs propres résolutions et conformément à la mentalité de leur époque. Le temps s’en va et la vie
s’écoule, se renouvelle et se métamorphose. Cette jeunesse,
c’est le nouveau bourgeon de la vie, il ne s’est pas consumé, il
ne se consumera pas, jamais...
Il
nement
les bouleversements de toutes
qu’ils auront à combattre, tout
ne doit pas les en préserver. La
Les malheurs, les obstacles,
sortes et toutes les vicissitudes
cela c’est aussi la vie et
on
159
Littérama’ohi N°4
Manu’ora Nauta
‘Are’a
ra no
te
mea e
tamahine huiari’i
o
Torn
a
Tura teie e apiti
na orara’a ia Iotepha Papa’a no te fenua Irirane mai, e, e
tapaim ato’a ho’i no tô na Hanahana ra o Pômare IV i fa’ati’a ai teie
Ari’ivâhine ia tupu taua fa’aipoipora’a ra. ‘Ua ‘opaeture atu ‘oia i tenâ
na tapu no te tahi tau mahana noa. No reira teie i’oa Hurimana tâne
e Hurimana vâhine i topa hia ai i nia i na tamari’i nei, ‘oia mau ‘ua
ruri ‘e hia te mana. Tau matahiti i mûri mai ‘ua fa’aore roa hia taua
nei i tô
ture
ra.
‘Ua fânau mai teie nâ metua ia ‘Ovâhine Vahineta’u tei
atu ia Peniamina
Moenanu Tihoni tei
fa’aipoipo ia Teri’itetini Fânauatua, e ua fânau
teie nâ metua ia Teri’ifa’aruia tei
vâhine ia
o
fa’aipoipo
te fenua Peretâne mai. ‘Ua fânau mai râua ia
no
fânau mai ia Vahineta’u te metua
Matâri’i...
Manu’ora Nauta
160
Ecritures
sagesse lui a appris en effet, que de cette brousse touffue, de
cette fange dénaturée paraîtront de nouvelles et belles choses.
Le
grain mis en terre fertile ne germera et produira du fruit que
enveloppe subit les agressions du temps et se détériore.
Il sait que l’adversité affermira ces jeunes comme ce fut le cas
pour lui en son temps. En affrontant ces épreuves, en s’efforçant
de lutter contre tous les dangers, il naîtra un homme nouveau...
si
son
Aujourd’hui, son âme exalte la vie car, bien que pour lui le
se couche, il sait en revanche que pour la génération future
soleil nouveau se lèvera de même qu’une pensée nouvelle,
C’est pourquoi dans son cœur, il se mit à chanter :
soleil
un
“C’est
un
beau coucher de soleil"
E HE’EPUANUI TE
:
RÂ.
Manu’ora Nauta
Littérama’ohi N°4
Flora Devatine
1° Extrait de Logue (3) de
Une fois le
Correspondance
point mis au pied de la lettre du dernier mot de
“Logue” (2),
Quel soulagement ce
fut !
Celui, non pas culpabilisant, ressenti au terme précipité, brutal, d’une composition littéraire dont la rédaction aurait été, tout
du
long, un véritable pensum !
Mais de ceux, non réfrénés, non
réprimés, qui voudraient
“Saltare”, “danser”, battre des mains et des cils, comme l’enfant, soudainement rayonnant, à l’annonce d’une heureuse nouvelle,
Et de bonheur
exploser,
De délivrance,
éclater de rire,
Virevolter, irradier
D’enthousiasme, d’exaltation.
Une sensation d’aisance,
qui suit le lâcher - prise, d’un
poids invisible, chargé et rechargé, dans l’inconscience !
Une
impression de jouissance, proche de l’extase, ouvrant
l’espace,
A coeur,
“De par en par”
Au vide, comblé, ras
le ruisseau,
Au silence, gazouillant, à ras de vie !
Un moment fort que celui des retrouvailles avec sa
carcasse”,
162
“vieille
Ecritures
Où l’on
se
sent, soudainement, ré-intégrée, dans un corps,
prêt à porter, taillé sur mesure,
De surcroît, seyant à ravir et donnant à ressentir, pleinement
et simplement, le sens profond, vrai et tellement juste, de l’expression :
“Guenille si l’on
veut”, mais “ma guenille m’est chère !”
s’enlacer, de
puis doucement, se balancer !
Une envie irrésistible, de
Et la
soi
avec
se serrer
joie, fécondée par la Conscience, dans
soi, de sourdre, de submerger !
Et dans
une
contre soi,
l’adéquation de
fusion délicate de l’eau et du feu, une douce
chaleur, d’inonder !
Comme celle des
“pueueu”
ou
fragments de “tifaifai”, à l’éclat
terni, dont aimaient à s’envelopper nos vénérables
grand’mères !
Reliques des plus précieuses, des plus sacrées,
Auxquelles, pieusement, elles se raccrochaient,
Comme aux derniers fils ténus les rattachant à ce monde,
S’appliquant à convaincre, avec sérénité et “force
“Oia ! E
mea
tranquille” :
mahanahana roa !”
“Si ! Elles sont bien chaudes !”
“Guenille, si l’on veut : ma guenille m’est
chère !”
C’est aussi cela !
Mais s’exhalent, peu à peu,
Des effluves sulfureux de mots vaporeux
163
Littérama’ohi N°4
Flora Devatine
Qui s’accrochent, se décrochent, s’effilochent,
Dans
une course
indécise, multi-colorée,
De lambeaux de nuages,
évanescents,
Etrangers aux rêves d’expansion !
Et de
balayer la Conscience exaltée !
Et les scories de mots rugueux,
d’être crachotées !
A Hue et à Dia !
En vrille, en vrac
!
En file indienne, par les prés !
A saute-montagne, par
ricochet !
Roulant, dévalant, s’étalant,
Tête-bêche, tête-à-queue !
Jusqu’au rivage, jusqu’à “Rumia”,
Par
jets de ‘“ouma” ou de “aua” frémissants !
Prenant
Tout
plaisir,
comme
les vaguelettes,
A la marée montante,
A éclabousser et
jouer des clapotis
Sur “Te ‘iri-a-tai” ou “les
planches marines” !
Et, de nouveau, comme à la pêche aux thons, il
Tourner
164
sa
Face
vers
Face
vers
“pierre”,
la mer,
la terre,
faut
Ecritures
Tenir
palme de voile
“perche”,
sa “pirogue”
sa
Tendre
Ramer
sa
Sur l’azur, vers l’horizon,
Vers la lumière-énergie,
Aspiratrice et révélatrice
De particules de plancton,
D’étincelles de vie,
Nourritures de
l’esprit,
thons !
Assimilables par les
Et le ban des
“idées-matrices” tumultueuses, de remonter,
de suivre leur fil, à gros
de leur “trou” abyssal,
bouillons, comme ‘“a’ahi” ou germons,
Répondant au besoin de clarté
l’appel d’air
Comme à
De l’instinct de vie !
Et l’ensemble, de tournoyer,
De passer,
De virer,
de repasser,
de “s’informer”, se déformer,
plonger pour disparaître,
réapparaître, pour s’affirmer !
l’ensemble, de s’élever !
De
Puis
Et
Dans
En
un
une
même envolée !
nouvel
A tire-de
essor
!
nageoire caudale,
165
Littérama’ohi N°4
Flora Devatine
Au-dessus de l’eau !
A
tire-perche, à tire-ligne,
Des “manu-o-ro’o” du “va’a
tira” !
»
F. Devatine
2° Extrait de
(27-6-95)
Enquête de l’écriture à son corps
défendant
qu’elle s’émut d’elle-même dans les prémiréminiscences étonnantes de quelques personnages de ses rares lectures parmi
lesquels Mme Bovary. Un rapprochement peu flatteur ! Lui restait en mémoire la sévérité de la critique envers la pauvre dame
et son auteur. Question de mode, d’époque, d’évolution de la
société, des mentalités sans doute ? Bien des auteurs et leurs
oeuvres n’avaient-ils pas connu des fortunes analogues ?
«...Ce fut ainsi
ces
de
son roman
et il lui vint à l’esprit des
Cependant ses observations n’empêchaient pas l’écriture de
C’était même là ce qui la tenaillait. Mais c’était la montagne s'élevant au milieu d’une plaine côtière ! Que faire pour la
franchir ? Pourrait-elle la contourner pour arriver de l’autre côté et
voir ce qu’il y avait au delà, sans avoir à en faire l’ascension ?
Mais le roman et le plaisir qui en découlerait ne seraient-ils pas
justement le récit de l’avancée du voyage, des péripéties, des
émotions pendant l’ascension, sans parler des paysages, des
réflexions traversant les grimpeurs au fur et à mesure de l’escalade,
et une fois au sommet ? Et la voilà le regard tourné vers la montagne et vers ses vallées pentues faisant assaut d’écriture, ce
nouveau terreau ou terre-plein pour détecter, expérimenter, cirson roman.
conscrire
ses
difficultés à écrire son roman.
De l’observation immédiate et
admit
166
provisoire qui s’en suivit, elle
qu’il fallait, pour écrire un roman, comme dans
l’ascension
Ecritures
montagne, quelques préparatifs, des outils, des vivres, du
temps. Très vite elle se rendit à l’évidence que pendant qu’elle
tournait autour de sa difficulté mettre en place et à faire avancer
son récit, le roman ne s’était pas écrit. Elle ne lui avait pas trouvé
de la
temps, ni n’avait
Le sujet pourraitil être l’écriture de sentiments, de réflexions sur la quête de
quelque chose qu’elle n’avait pas ou qu’elle n’avait plus. Et qui
lui manquait ! Ce qu’elle ignorait !
de thème ni de personnages, ni fixé le lieu, le
ressenti la nécessité de fabriquer une histoire.
Ce qui, en désespoir de cause dans la violence du sentiment
de manque, l’amenait à forcer l’écriture. Alors que celle-ci devrait
être expression spontanée, jaillissante, et liberté de comporte-
ment, des sensations dans son environnement, comme une cas-
pic ou rivière depuis sa source. Or de source encaissée
précisément, elle se perdait entre rochers moussus et pierres
glissantes. Il suffirait de peu pour que l’écriture démarrât ! Mais
elle stagnait, ne sourdait pas, prise dans un état d’absence de la
mémoire de l’eau et d’inadéquation de la pensée avec l’écriture.
cade à
Comment
mencer
se
faisait le choix du moment et du lieu où corn-
l’histoire de
son roman
? Bizarre
une
histoire que l’on
un moment pris au hasard ! Et pour la faire aller
où ? Comment ? Et la fin de cette histoire ? C’est là tout le pro-
ferait débuter à
sujet de son roman pourrait être celui de l’artiste qui
une vie passée à ressentir les êtres, la nature,
tout ce qui se mouvait, vibrait autour de lui, dans un brassage
sans fin de souvenirs, d’observations, de pensées irréfléchies
qui se mêleraient, s’entortilleraient, puis se révéleraient dénouées,
restructurées, transformées dans ses oeuvres.
blême ! Mais le
se
cherche dans
Cela serait dans
ses
cordes ! Depuis son
observatoire particu-
d’où elle décelait
palpitations, mouvements perpétuels de tout le vivant, l’inerte et
lier, loin de l’agitation, à la frontière de la vie, et
les
167
Littérama’ohi N°4
Flora Devatine
le
décomposé de la vie ! Du moins ce qui lui apparaissait comme
sans pouvoir en son for intérieur en ressentir le feu des
passions, des grands bonheurs et insupportables douleurs, ne s’étant pas rendue.au centre même de la dynamique de la vie, et bien
qu’elle en entendît tous les cris. Elle savait bien que la satisfaction
née de la justesse de l’observation en aucun cas ne saurait remplacer les battements et les émotions du cœur de la vie pris dans
la confrontation directe, dure, parfois cruelle avec ce qui fait vie.
tel, mais
Il faudrait, se dit-elle,
toujours en mal d’écriture de son roman,
partir d’une phrase, d’une image, ou d’un mot qui servirait tout à
la fois de port d’embarquement et de moyen de transport. Une
sorte de mot bateau, de mot pilote, de mot embarcadère, de mot
grand courrier, coursier des mers, qui l’aiderait à rejoindre le
monde des lettres. Forte de cette pensée, elle se mit en quête de
ce mot magique qui lui ouvrirait la porte de son récit.
Mais où et comment trouver dans
des
ses errances
le mot clé
champs
ou
«Que
mot s’impose à mon esprit, qu’il se révèle dans ma
ce
chants élyséens de fragrance rohotu ?
consciences, qu’il m’apparaisse en songe... !» fusa la réponse.
«Qu’il ne se fasse pas trop attendre !
Qu’il vienne à l’esprit, qu’il me tourmente, qu’il occupe mon
esprit ! Qu’il se batte et débatte avec ma pensée ! Qu’il me pousse
ma réserve, qu’il me fasse la guerre, qu’il me montre mes
limites, qu’il me blesse ! Mais qu’il vienne ! Qu’il m’émeuve !
Qu’il naisse fils de mon esprit après le trop long temps de
gestation en mon esprit, ce mot de «te papa, fondation
ouvretoi», ce mot «sésame... a vahia», de la caverne de mon écriture !
hors de
...
Où donc est
ce
mot relais des commencements et des
recommencements ? Où est le mot de passe de mon roman ?
Combien en faudrait-il de mots ? Un seul y suffirait-il ? Ou deux
mots à dire ? Exotisme
168
vocabulaire, endoréique vocalise ! Des
Ecritures
mille et des cents, côte à côte,
mètres de plages de mots sur
Ecrire
un roman sur
à l’envers et à l’endroit ! Des kilodes océans d’écriture !»
les mots, sur la musique des mots, sur
la dureté, la sécheresse des mots, et sur la portée des mots à
manière d’un conte, cela pourrait-il être une idée d’écriture ?
la
subrepticement, me
l’esprit sans crier gare ni subtilement encore moins délicatement : «Ho-i !». «Y a t-il quelqu’un ?» A un moment où mon
esprit vaquait occupé à des choses futiles, il faut croire, mais qui
m’importaient au moment des faits. Je ne l’avais pas vu arriver.
Je fus donc surprise par l’entrée soudaine, sans façon du mot !
C’était un mot tout seul, tout simple, à l’abord anodin, un de ces
mots vagabonds comme de jeunes lapsus linguae cherchant à
tuer, à brûler le temps et ses étapes.
«Il était
une
fois
un
mot qui, subitement,
traversa
Un mot oisif !
Soudain, on ne sait par quel hasard ni pour quelle raison, il
s’arrêta, hésita, puis littéralement s’installa, s’imposant avec insistance à
esprit !
Impossible de l’en déloger ! Depuis, il ne m’a plus quittée et
ne m’est plus sorti de l’esprit. Pour sûr, il y avait élu domicile, le
lieu lui paraissant sans doute idéal, tranquille pour féconder d’autrès mots et créer qui sait un roman ! Entré par effraction, il occupaît maintenant et totalement mon esprit, y régnant quasiment en
maître et ne comptant plus en partir, en tout cas, pas de si tôt !»
Elle était bien embarrassée à présent avec ce mot qui l’habitait ayant jeté l’ancre en elle ! Comment se défaire de cet intrus
qui s’y incrustait, s’accrochant à elle ? Il lui avait entortillé l’esprit
à un point tel qu’elle avait fini par penser et croire qu’il y avait
légitimement sa place, qu’il faisait partie d’elle, ayant sa résidence en son esprit, et qu’il avait à y faire. Et qu’elle faisait bien
des manières pour si peu en raisonnant et ronchonnant comme
mon
169
Littérama’ohi N°4
Flora Devatine
elle le faisait ! Et combien elle avait oublié les lois de
l’hospita-
lité, de l’accueil à ceux de passage !
possédé, administré par un mot, n’était pas
qui pouvait arriver de mieux à quelqu’un dans la vie ! Car un mot
qui vous péguait, çà n’était pas du po’e ! C’était bien plus que du
p/a ! C’était lourd et c’était agaçant à la fin, ! Comme le corail autour
de l’ancre tombée à l’eau, comme elle l’avait vu à la télé d’un
bateau en Mer rouge à l’épais dépôt de sel visible sur la coque !
Mais être colonisé,
ce
Quel était donc
ce
mot qui lui jouait des tours ?
prononcés sans réfléchir qu’elle avait
qui avaient fait partie de son
quotidien, qui la connaissaient bien, et qu’elle croyait connaître à
son tour. Mais là, il lui fallut bien reconnaître que les mots, malgré
les usages et les fréquentations, et toutes les conversations au
quotidien, et les rencontres extraordinaires au cours des lectures.
On ne les connaissait pas tant que cela !
C’était
un
de
ces
mots
oubliés si tôt dits. Un de ces mots
«On
agit souvent à leur encontre comme si on les connaît,
en croyant les utiliser à son actif et à bon escient, mais
ils demeurent intra terrestres dans ce qui se dit, extra terrestres
de
plus
qu’ils côtoient ! Même ceux de leur propre famille provienne sait quel monde, quel pays, quelle culture, fuyant on
ne sait quelle bataille, saisissant la première opportunité pour
changer de sens, de port d’accueil, de patrie, depuis d’autres
temps, par d’autres gens, à travers des civilisations et des langués d’origines, d’évolutions diverses, la plupart inconnues,
insoupçonnées de ceux qui les utilisent.
à
ceux
nent d’on
Personne n’en connaît rien en fait !
qui servent pour s’exprimer, on leur confie ses
pensées les plus intimes pour qu’ils les expriment à sa place, par
Ces mots
170
Ecritures
les écrits et par tous ses discours, afin que de mer en mer et d’île
en continent ils les communiquent à d’autres avec le tact de bon
ton, le rythme et la précision voulue, atteinte ou non.
Ces mots-là, on ne les connaît pas tant que ça ! Ils sont parfois lointains, par toutes leurs lettres et leur musique d’ocarina,
de trous à vents, certains, un tantinet usés par le temps et l’em-
ploi abusif, dilué au cours des générations. Des mots rabotés à
force d’être radotés. D’autres, les futés, plus affûtés, sont de
ceux qui font mal, causant du tort à tous, et qui, à cause de cela,
mériteraient qu’on leur torde le cou.»
Ainsi
divaguait son esprit à l’affût de son écriture.
qu’elle était dans sa situation, comment aller tordre le cou au premier mot, au seul qui se fût jamais présenté à
son esprit pour répondre à l’appel de son désir d’écrire, alors
qu’il n’était déjà pas si aisé d’en avoir un présent à l’esprit, puis
sous la main, au bout de sa plume, de ses doigts, sur son ciavier, puis sur la feuille, sans parler de tous ceux coincés, perdus
au bout de sa langue !
Mais telle
Il lui fallait faire bonne mine contre mauvaise
vaise récolte et infructueuse
pioche, maupêche. A vrai dire, elle l’avait surtout
grise ! Et elle était trop heureuse malgré tout d’en avoir un à la
portée de son esprit ! Pensez ! Un mot combien même derviche
pour tourner autour et le tourner, le retourner dans tous les
sens
!
Et pour une fois qu’elle en tenait un, combien même il ne
saurait être à lui seul tous les mots de son roman, elle ne ferait
pas
la fine bouche ni ne laisserait filer l’unique de son esprit.
l’esprit des lettres !
A moins de vouloir tuer dans l’œuf même
il lui
Depuis lors, elle demeurait vigilante pour le rattraper quand
prendrait fantaisie sans tambour ni to’ere de disparaître de
171
Littérama’ohi N°4
Flora Devatine
pensée sans mémoire ! Ce serait bien de la folie, en effet, que
s’échapper le seul mot qui lui ait répondu parmi les
appelés de ses vœux, y compris les muets, les sourds et les
sa
de laisser
abonnés absents !
Mais
avec un
mot, un seul, quelle longueur de texte pouvait-
faudrait bien davantage ! Aucune bordée ne
pourrait constituer à elle seule une embarcation ! Aucun pont
digne de ce nom ne saurait se construire à partir d’une pierre
unique ! Il lui en fallait plus d’un, des milliers de mots avec lesquels jongler et sur lesquels régner, car il s’agissait aussi d’être
elle écrire ? Il
maître de
ses
en
mots !
mal, avec elle-même, à propos
parlait comme si ce mot, toujours le même et
depuis longtemps déjà, s’était présenté à son esprit qu’il avait
traversé et dont il aurait pris possession sans vergogne.
En réalité, il n’en fut rien ! Il n’en était rien ! On lui demanderait :
Ainsi devisait-elle, bien ou
d’un mot. Elle
«-
en
Quel est
ce
mot ?»
Elle n’avait pas de réponse ! Pour la raison que jamais
mot n’avait surgi jusque-là en son esprit ni de son esprit.
Elle avait pensé, parlé, pour meubler une néantude délirante de
aucun
nullité et de vanité !
n’empêcha pas que le désir d’écrire un récit important
eût existé, fût réel. Mais voilà, comment et où
le situer, le commencer ? Sur quel sujet ? Comment le développer
et l’amener à sa fin ? Un atelier d’écriture serait-il une réponse ?
Cela
comme un roman
Devrait-elle continuer à écrire à son habitude ?
manquait l’esprit inventif, ce dont elle se sentait dénuée.
l’impasse de l’écriture ? Et ses écrits jusque-là
ne seraient-ils que fétus de paille, étant incapable de grands
feux de l’écriture ? Mais pourquoi rechercher constamment un
Il lui
Serait-elle dans
172
Ecritures
grand feu d’explosion quand une simple brindille incandescente
à elle seule pourrait suffire pour incendier, embraser une
forêt immense ?
A propos de feu, peut-être devrait-elle écrire au sujet des
matériaux servant à bouter le feu ainsi que de la façon dont celui-
s’exprimerait ! Comment il montait, fumait, dans
point de mourir, il
réapparaissait et repartait rougeoyant avant de s’enflammer ! Le
feu déclencherait et nourrirait l’inspiration de son roman même si
se mettre devant le feu face à son roman à écrire ne la prédisposerait pas forcément à parler de l’un ou de l’autre.
ci
une
fois allumé
souvenirs d’enfance ! Comment, sur le
ses
Mais par
quel bout prendre le vif du sujet pour raconter ce
qui se passait dans son roman comme dans le feu ? Par ce qui
arriverait au bois à l’écorce craquelant dans un éclat, et que le
feu rongeur destructeur consumait pour le réduire en cendre
terne ? Saurait-elle parler le bois, le soi des bois soumis à leur
effacement par le feu accomplissant son œuvre d’alliance, ou de
purification, pour les uns, mission de désintégration pour les autres
? Et les émotions des forêts victimes du feu dévorant, avant
de renaître de leurs cendres, et
de s’en remettre ?
représentait un tel travail de recherche préalable dans
environnement social qu’il lui faudrait mener, avant même de
Cela
son
plusieurs vies et partir de
expériences pour reconstruire une histoire à partir d’éléments
des événements qui l’auraient touchée, inspirée, et dans lesquels l’écriture commencerait à faire son œuvre d’alchimie, plus
simplement de décantage des effets de la mémoire.
bâtir
son roman
! C’est à dire entendre
ses
pensée, elle signifia à
qu'un roman s’écrivait avec du temps, un sujet, et
enquêtes, et «en final de compte», dans une écriture qui suit
Pour résumer
son
état d’esprit et sa
elle-même
des
173
Littérama’ohi N°4
Flora Devatine
vagabondage de son esprit plus que
de réflexion, elle revint à son ordinateur ! Mais ses doigts s’immobilisaient, ne sachant par quel mot commencer. Une citation
bien choisie d’un auteur classique célèbre leur aurait sans doute
facilité la relance du roman. Du moins cela aurait pu leur servir,
à ses doigts comme au roman, d’introduction. Et il aurait été dit
que telle citation fut à l’origine du roman. Elle se rappela le
visage réjoui de Bernard Pivot présentant lors de ses émissions
littéraires les écrivains et les livres sélectionnés, gloire et honneur de la littérature française. Si elle n’eut aucune peine à en
prendre la mesure, il lui en coûta de prendre conscience de la
distance qui la séparait de ceux dont parlait Pivot. Saurait-elle
jamais écrire et sans peine en français comme en sa langue ?
Atteindrait-elle jamais ces hauteurs et la profondeur de la pensée qui les définissait et qui en découlait ?
Mais déjà son esprit sans cesse trémoussé et sillonné par
ses pensées vaporeuses, volages, l’avait ramenée à l’un de ses
projets à savoir faire le récit des nouvelles que Ruana lui rapportait chaque matin. Toujours variées, elles reflétaient le quotidien
de joies et de peines, et l’état d’esprit particulier qui prévalait
chez les habitants de la côte sud-est de la presqu’île. Sa pensée
s’arrêta sur sa manière d’écrire, sur les récurrences. Il lui apparut que souvent elle avait placé la charrette avant l’attelage, à
en juger par les écrits, témoignages de ce qu’elle vivait
une
structure ! Et trêve de
échanges, il était clair qu’elle se référait constamqu’elle avait plus d’une fois exprimé par ailleurs, connu
ou non d’un auditoire ou lectorat. Il y avait là une tâche ardue et
longue à laquelle il lui faudrait tôt ou tard s’atteler : rendre disponible ce qui avait été exprimé. Mais elle n’était pas pressée. Elle était
bien placée pour s’être plus d’une fois rendue compte combien l’écriture pouvait être une aventure aussi harassante, laborieuse,
hasardée, hasardeuse, que celle des chercheurs d’or ! Et tout
comme chez ces derniers, il y avait une part de filon, de veine !
Dans ses
ment à ce
174
Ecritures
Ces
bavardages mentaux la ramenaient peu à peu vers le
équilibre intérieur dont elle avait besoin, et qui, par
instants, suffisait pour la mettre en confiance, bien que persistât
sa difficulté à s’en tenir au sujet du roman, faute de définition et
de précision quant à la trame de son histoire.
nécessaire
Elle
savait dans
quelle direction se porter, ni quelle hisquel thème s’arrimer ? A quelle époque situer
son action ? A il y a 50 ans ? A aujourd’hui ? Elle se rendit
compte, au stade où elle était de son écriture, qu’elle n’avait toujours pas démarré son récit. Ca en devenait ennuyeux, même
pour elle, sans parler de son futur lecteur.
Allait-elle s’éterniser sur sa page ? Non !
Elle s’arrêta d’écrire pour faire une pause comme tout le
monde. Sa pause, plus qu’une suspension d’écriture, fut longue
comme un long temps d’arrêt. Quand elle voulut reprendre son
roman, celui-ci, découragé par son manque de régularité, avait
pris la décision de se prendre en main mettant lui-même sa patte
à l’étrier scriptural pour s’écrire, seul. C’est ainsi qu’il prit naissance, enveloppe encore informe, motte de récit incréé, et peu à
peu il sortit, prenant par tous les bouts son propre récit. Puis sautant par dessus les trous tahi pu tahi pu tahi pu, il se projeta hors
de lui-même pour exister. Le sujet se confirmait et s’inscrivait
centré sur la difficulté d’écrire et tournant autour de cette problématique. Le roman de la rose des vents devenait celui de la rage
d’écrits, par l’allure et le chemin qu’il semblait prendre désormais.
ne
toire raconter. A
fois
souffle de vie, création de
l’esprit, esprit
lettre, lettre de l’écriture, écriture de la littérature, qui s’ennuyait, parce qu’il s’était fourvoyé. Pour se distraire ou se dynamiser, il souffla, souffla, en alizés, en rafales, contre-alizés. Il fallait qu’il en soit pour en avoir ! Quand même et à bout se souffie, il accosta aux frontières marines de la terre d’un apprenti«Il était
une
un
de la
romancier
en
butte à
son roman.
175
Littérama’ohi N°4
Flora Devatine
Là il
mit à aborder tous les habitants du
rivage touché, à
posséder ceux avec qui il entrait en contact par le regard croisé
ou par le corps frôlé, ou par la peau frottée, à l’emplacement de
signes, lignes, ou lettres inscrites. C’est ainsi que l’esprit peu à
peu reprit de son poil de bête à Bon Dieu, et se mit à s’exprimer,
à couper le souffle aux autres. Personne ne le voyait puisque c’était un souffle. On le sentait juste vibrer. Parfois, on entendait son
râle à travers les mots qu’il marmonnait. A cause de cela, il attirait les curieux, il faisait se déplacer les foules, diseurs, conteurs,
orateurs, peu à peu transformés en lecteurs.»
A
se
roman s’arrêta pour reprendre lui aussi son
façon assez perceptible. L’auteur en profita pour
ajouter son grain de café, de perle, de sel, de fantaisie, bribes de
ce
détail le
souffle et d’une
ses
souvenirs d’internat.
Elle
souvenait à
cet
instant, elle ne sait pourquoi,
tempérament gai, généreux. Avide de la
vie, elle buvait celle-ci à grandes gorgées, les yeux brillants et
malicieux, et le sourire aux lèvres, toujours prêt à s’épanouir, à
s’éclater en rire. Chaleureuse envers quiconque l’approchait,
Angélina régulièrement s’absentait ou s’extrayait du monde qui
l’entourait pour se jeter corps et esprit dans la lecture de romans
qu’elle dévorait avec gourmandise et délices à pleins yeux. De
temps à autre, il lui arrivait de s’essayer à écrire, romans policiers, et des romans photos.
se
d’Angélina,
Car
une
fille
au
Angélina était
non
seulement
une
grande lectrice mais
déjà
un écrivain en herbe qui fascinait, émerveillait sa voisine de
dortoir Teriieura arrivée d’un atoll lointain et entrée en pension dès
l’âge de 8 ans. Teriieura aurait aimé savoir écrire, pouvoir écrire,
Angélina, et ressentir la passion d’écrire d’Angélina !
comme
176
Ecritures
plaisir que celle-ci semblait y trouver se lisait sur son
visage absorbé et dans tout son corps rond et fragile ! Elle intriguait, interpellait l’enfant qui se posait des questions auxquelles
elle n’avait pas de réponse. Tant de moments libres consacrés à
la lecture ou à l’écriture, assise dans le couloir du collège, fesses à terre et dos contre le mur, parce qu’il n’y avait pas de
banc ! Ou le soir, sur son lit, peu avant de se brosser les dents
et l’extinction des feux ! Angélina et le monde intérieur qu’elle
rejoignait aussi vite et aussi souvent que les cours et le travail
scolaire le lui permettaient remuaient intérieurement et profondément Teriieura qui, n’y ayant pas eu accès, ne pouvait se l’imaginer.
Le
plaisir palpable, et ce transport, comme cette absorption
magique la rendaient perplexe. Qu’en était-il donc de tout cela ? De ces passions, de ce
bonheur de lire et de cette patience d’écrire, de ces yeux rieurs,
de cette joie de vivre ? Moins elle en connaissait, plus elle se
Ce
de l’être tout entier dans un ailleurs
sentait attirée.
Plus tard, elle
apprit à lire et sut lire. Mais se souvint-elle,
plus d’une fois elle s’endormait sur son livre, dès les
premières
pages.
Pour elle, cet
énigme, longtemps, resta entier, jusqu’au jour
apprendre pour savoir, pour comprendre.
s’astreignit, se contraignit à écrire...»
où elle décida d’en
Elle
Flora Devatine
(jam. 2001)
177
Littérama’ohi N°4
Patrick Arai’a Amaru
Te tohu aTetohu
Un
jour de Mai, à Faa’a...
«Allô, Amaru Patrick ?
—
—
—
—
Oui ?
Simone Davazanti,
producteur à l’appareil...
Oui, et alors ?
Voilà, je veux réaliser un film, le Bounty
à Tupuai, l’île
oubliée...
—
—
Encore !!!
Attends... Il
ne
s’agit
pas
d’une autre version du Bounty de
Marlon Brando...
—
—
Ah bon ?
Oui, j’aimerais raconter les péripéties du Bounty à Tupuai ;
très peu
—
—
de personnes les connaissent...
Ben, il y a le journal de James Morisson !
Oui, mais... j’aimerais aussi mettre en scène un vieillard qui
Bounty et qui mettrait en garde son petit fils
conséquences de l’arrivée de ces blancs...
Ah, intéressant !
aurait
eu
la vision du
des
—
—
Et
Peux-tu écrire cela
me
tahitien ?»
en
voilà lancer dans l’écriture, certes
partielle, d’un scénario
de film...
Extrait du scénario
:
Les personnages :
Tetohu, la vision, la prophétie : un vieillard, une cordelette de
«nape»
à la main
.
Temata, l’œil, le regard, le témoin : le petit fils de Tetohu.
178
Ecritures
Tetohu
—
A
récitant la généalogie d’un roi de Tupuai.
te arii ra o Tamatoa no Tupuai , o
:
moe
te
Mataura te mataeinaa i te vahiné ra...
Tupuai
dont le marae est
Mataura le district, prit pour femme...
Soudain, il perd le fil de ses pensées, le regard à la recherche
de quelque chose, les mots lui échappent...
marae, o
—
Le roi Tamatoa de
Temata
—
:
,
inquiet
Tetohu iti e, e
aha tena ?
Tetohu, que se passe-t-il ?
les mots se refusent-ils au détenteur du savoir et de la mé-
—
moire... ?
Tetohu, muet, le regard dans le vide, au loin, vers le large...
Images du large ? bruit de la massue à taro ? présages...
Temata
—
: avec
Tetohu,
e
insistance
aha tena ?
Ua mo’e te parau
E moo pô teie ?
?
pas de réponse...
grande inquiétude...
généalogique est-elle rompue ?
le lien se brise...
Tetohu, que se passe-t-il
Les mots ont-ils disparus ?
—
La tresse
Tetohu
?
:
lourd fardeau. Il
presse affectueusement, comme s’il s’agit d’un nouveau né, la
cordelette de «nape», «te àha», contre sa poitrine...il souffle sur
Il
se
redresse, lentement, comme portant un
l’objet.
—
E oia mau, e mou
te parau !
E mâmü te mau atua !
—
Oui, les paroles s’évanouiront !
Les dieux se tairont !
179
Littérama’ohi N°4
Patrick Arai’a Amaru
Il
s’arrête, l’air de guetter quelque chose, il se bouche les oreilles.
E
—
E,
E
aoaoa
teie
faaï nei ia Rumia.
e
e aoaoa.
ere
i te
reo
taata,
Un brouhaha
—
Oui,
un
e aoaoa
!
emplit Rumia.
«Rumia», coquille de Taaroa
brouhaha !
Pas de voix humaines.
Un bruit,
simplement.
Temata
:
Il recule
prêt à s’enfuir...
Tetohu
:
Il raconte
Ruriapo ia ù i
—
son
rêve,
sa
vision.
na po,
Hurihuri ia ù tino
I te
hihipo o te moenanu,
Pahi tira i te muturaa i te
rupehu,
E
pahi tira torn,
pahi ama ore
tua à, i tua roa
E
I
I te fanoraa mai
I te motu nei...
Un cauchemar m’a habité hier,
—
Mon corps était ballotté
Dans un vertige,
Un navire fendait la brume,
Encore,
un
Un navire
Là,
Et
trois mâts,
«encorek étant le premier navigateur
sans
balancier
là,
large,
encore
au
qui voguait
Vers notre île...
—
—
Aue,
a
faaroo
Oh écoute !
180
na
!
au
grand large
Ecritures
Bruit de la massue, les voiles
Temata tend l’oreille
Le mal
.—
—
s’approche de /’/7e...
E oronau teie !
Ce sont de mauvais présages
Cris, hurlements, présages
—
qui claquent...
mais ne perçoit rien...
!
de guerre, de malheurs...
Manino hinuhinu hia
Te àre
potopoto.
Manina hinahina hia
Te àre roroa.
Manino i te tere o te
ino !
Aue, aue !
Les courtes vagues
aplanies.
longues vagues
Aplanies.
Aplanies par le sillon du mal !
Images plus nettes du navire comme une bête féroce qui
fonce sur sa proie. Tetohu se lève, angoissé devant l’éminence
d’un danger... il pressent le malheur...
Seront
Les
—
Eie te ino i te ava
No te Aramoana !
Eie i te tairoto
NoTupuai !
Eie, eie
Ua tipae i tahatai !
Vai pué hauri toto hia
O Vaiohuru...
Le mal est dans la passe
De Aramoana ! «Aramoana», nom
de la passe en face de
Mataura
181
Littérama’ohi N°4
Patrick Arai’a Amaru
li est entré dans le
De
lagon
Tupuai !
Le voici, le voici
Il s’est posé sur
Vaiohuru
«
le rivage...
Vaiohuru»,
nom
de la rivière de Mataura
Charrie du sang...
Textes et traductions littérales
Amaru Patrick Arai’a
CK
.
terrait' «
WW-V
182
Bertrand-F. Gérard
Lecteur
Lire le Ma’ohi
Un monde s’invente, se crée, s’écrit
qui a pour nom ma’ohi.
Les
puta tupuna constituent un fond d’archives privées,
qui ont été perdues ou détruites. Un auteur
déjà ancien tel la reine Marau ou un autre plus récent tel Charles
Manutahi se sentirent appelés, mais par qui ?, à recomposer
voire à élaborer au présent les sagas des grandes familles, plus
récemment encore Taaria Walker témoigna par un écrit de l’intrication de son histoire familiale et de la mythistoire de son île
Rurutu. Ces écrits où la mémoire rencontre, se heurte et se
confronte à l’Histoire comme pour en soutenir et y arrimer les
noms semblent peu à peu faire place à d’autres récits, dont certains de fiction où le nom s’efface, s’évide pour laisser surgir,
s’exprimer, se faire reconnaître le «je» qui n’est ni celui de l’énondation, ni celui de l’énoncé, mais celui de leur incomplétude :
celui qui se dévoile à l’auteur dans le temps même de l’écriture,
dont la quête fut si fortement exprimée dans Tergiversations de
l’écriture orale, signé du nom de Flora Devatine. Un «je» donc
qui se défile, se soustrait à sa saisie par qui voudrait exercer sur
lui une quelconque maîtrise. Les mots nous parlent et font
inscription, là où l’auteur n’est pas, ne peut être, mais adviendra
peut-être, subrepticement, à son insu, là où il était, dans l’aprèscoup de son dire, de son propos, dans l’après-coup d’une
inscription inattendue, surgie là sur la feuille, de sa propre main :
nana’oture par ce terme bilingue forgé pour un texte intitulé
«Existe-t-il une littérature ma’ohi» (1996) Flora donnait un nom
à ce qui de ce «je» fait inscription corporelle, savoir insu, inconscient pour dire le mot, qui se manifeste dans la douleur d’écrire.
Il est ce «je» effet de traces, inscriptions muettes et pourtant douloureuses, scarifications immémoriales, déchirures présentes. Il
fait archive d’un objet perdu, d’un mot qui manque à la langue
rehaussées de celles
183
Littérama’ohi N°4
Bertrand-F. Gérard
pour
le dire. Ce «je» porte l’orateur à la parole et s’impose à l’é-
criture, il fait injonction «Lis, écris tes ratures !». Il impose le par-
tage des langues, leur intrication et convoque par son effacement même un autre mot, parfois en surcharge parfois vide de
sens, qui représentera l’auteur pour un autre mot. Ni oralité, ni
écriture, «je» est ce qu’Omer Arrijs épingla lors d’un séminaire
du néologisme, parlécriture oralité scripturale.
La recherche d’un titre correspond bien souvent à la tentative
d’en faire inscription. Ainsi en va-t-il du mot «lire» dans le titre de
cette présentation, où lire vient prendre la place d’une présentation, Bertrand-F. Gérard, psychanalyste, directeur de recherches
etc. Psychanalyste n’est ni un titre, ni une fonction mais fait savoir
qu’un autre discours, celui de la psychanalyse fait ici disjonction
entre celui du nom propre et ceux de la fonction et des titres associés à des appartenances institutionnelles IRD, CNRS, MNHN.
Lire fait savoir que le nom propre, patronymique ne soutient rien
de lui-même, un lecteur occupe cette place, un parmi d’autres, un
quelconque, qui ne se soutient que de son expérience, psychanalyse, sans prendre appui sur le nommer à, directeur, et sans se
soutenir du nom d’une institution. Je travaille à l’IRD et au CNRS,
mais je ne parle ici ni IRD, ni CNRS, ni comme ethnologue ou
archéologue et sûrement pas comme psychanalyste, terme placé
entre virgules, mis entre parenthèses.
,
Longtemps j’ai
cru le ma’ohi pétrifié dans la pierre, réifié
le corail, les ivi tupuna. Je l’ai pisté de longues
années dans les fonds de vallées, les grottes, les lits de rivières,
dans le bois
ou
les passes où je le pensais enfoui, immergé, submergé. Il
demeurait engangué dans le silence, toujours inaccessible que
fouilles, nos resarchéologue.
Mais l’archéologie n’a jamais restitué à quiconque son passé ;
tout juste peut-elle en proposer une interprétation prise dans le
langage de la science et de ses exigences, une lecture, ce qui
ne
parvenaient
taurations,
184
nos
pas
à trouer
nos
sondages,
nos
reconstructions. Il fit de moi
un
Actualité littéraire
déjà pas si mal. Le ma’ohi, bien que représenté par des
objets, des sites, des restes, demeurait introuvable. Mais pourquoi poursuivre une telle quête ici ? Parce que la question qui me
n’est
tenait
«comment
:
en
sommes-nous
arrivés là où
nous nous
«là où» n’ayant pas de localisation parautre plus intime : «Qu’en était-il du
mon nom avant ?». Je suis un menehune de métropole,
ma généalogie côté mère et côté père ne remonte pas sur plus
de trois générations, il faut au-delà franchir des frontières politiques et religieuses peut-être, qui ont été verrouillées en secrets
de famille. La Polynésie était alors présentée, dans les cours
d’ethnologie, comme une société paradigmatique de la puissance structurante des généalogies, de la mémoire généalogique. J’avais donc à apprendre de ces gens là. Je découvris
plus tard que les cartes postales représentant alors un jeune
athlète grimpant sur un cocotier où une jeune vahiné en pareu
d’un exo-érotisme torride et tropical, cachaient une réalité plus
dure, les moustiques que n’annonçaient aucun dépliant publicitaire ni les toiles de Gauguin dont j’ignorais alors tout. Mais ce
que j’ai aussi découvert est un pays, confronté aux exigences
d’une réalité complexe, au carrefour d’une histoire pas toujours
très heureuse et dont les populations polynésiennes, entre autres
traits, m’apparurent comme en surcharge de généalogies, prises
pour beaucoup dans des embrouilles foncières faisant valoir
qu’une page décisive de leur histoire était tournée : à l’amour de
la terre tendait à se substituer un urgent besoin de terres, le désir
cédait le pas à la nécessité au risque de l’exil foncier d’une partie croissante de la population. Ce que nous connaissons bien
ailleurs où un tel exil a largement contribué à l’érosion ou la rupture du tissu social sur fond de ségrégation résidentielle.
tenons
aujourd’hui ?»,
en masquait
ticulière,
nom, de
ce
une
étrange, malgré toute sa richesse et sa profondeur,
héritage généalogique ne semble pas protéger la population
d’un certain désarroi, certains textes font état d’un sentiment de
Chose
cet
185
Littérama’ohi N°4
Bertrand-F. Gérard
perte incommensurable qui n’est pas sans lien avec la nostalgie
origines. Une pandémie de l’âme contemporaine, dont j’ai
pu constater ailleurs les effets délétères au Moyen Orient, en
Afrique, chez les Premières Nations nord-américaines, les Blacks
ou African Americans, les Aborigènes d’Australie. Une telle nostalgie, dans toutes ces littératures, porte à des écrits qui incriminent, non sans raison, l’Autre, le Colonisateur, le mainstream ou
la culture dominante, le Blanc. Mais alors qu’ailleurs le christiades
nisme est dénoncé
comme
l’un des instruments de l’aliénation
peuples soumis ou colonisés, la Polynésie fait à cet égard
exception. Une exception qui repose peut-être sur le fait que des
personnalités éminentes de la chefferie (la natte généalogique
des ari’i) ont directement participé à son implantation, son
instauration et sa diffusion, mais plus encore sans doute parce
que la conversion fit fondation. Ce qu’il en était avant l’arrivée
des missionnaires, le ma’ohi, s’en est trouvé divisé entre te tau
tahito, réceptacle des généalogies et soubassement structural
d’une nouvelle organisation sociale et te tau etene, «les temps
païens, obscurs», dépositaire du bannissement d’une large part
de la mémoire et de pans de la langue. L’origine apparaît ici
comme l’objet perdu, le prix de toute nouvelle fondation. Tel est
le ma’ohi, divisé entre origine ou imaginaire de vérité et fondation, assise symbolique d’un nouvel ordre social.
Ce savoir banni, exilé, forclos faisait autrefois retour, et
aujourd’hui encore sous d’autres formes. Les tupapa’u hantaient
ces lieux déshérités de la mémoire faisant irruption dans les
corps, par la maladie, des accidents, parfois la mort et nourrissant de leurs chroniques, rehaussées par la rumeur, les traditions populaires. Par leur présence, la brousse, le fenua ‘aihere
n’étaient pas dépeuplés et des mots venaient s’y loger, dans une
anfractuosité rocheuse, les pierres des marae, les ti’i, les ivi
tupuna, le ma’ohi était là aussi, encore, se moquant d’y être
dénoncé comme superstition par qui y demeurait étranger, le
popa’a, la langue française. Il était là et y demeure comme vérité
de
186
Actualité littéraire
subjective à distance du discours de la science et peu décidé à
s’y laisser prendre, emmurer, réduire par lui au silence.
«Nous sommes l’âme de ces pierres, avait dit Tutu à ce jeune
archéologue, nous sommes ce que tu ne peux comprendre». Le
ma’ohi refusait de se laisser prendre au filet de mes boîtes à
échantillons
Tutu
ou
dans les écrits de
mes
inventaires. Le ma’ohi,
qui s’adressait à moi, Henri Hiro qui traduisait parfois, l’anPolynésiens dont je m’efforçais de cerner
cêtre indifférencié des
les contours. Il était tous ceux-là.
Mais cette brousse
source
refuge des mots du passé demeurait
vive de bonne nourriture, de médicaments-ressources,
les ra’au
qui n’étaient pas encore dits ma’ohi, mais tahiti. Ces
ra’au venaient à bout de cette forme de la maladie qui résiste à
abord médical, scientifique, s’adressant à un sujet corps de
langage et non à un individu réduit à son corps biologique. Ces
ra’au, plantes, feuilles, racines ont un nom, une résidence, on
sait où et quand les trouver, parfois dans quelque recoin du jardin où elles ont été transplantées : réceptacles du ma’ohi dans
le corps de la langue où s’énonce au présent un savoir déjà là.
son
Le silence des
pierres est le ma’ohi, le tupapa’u est ma’ohi,
plantes, ces fruits, ces racines sont ma’ohi, comme ces
chants qui s’élèvent depuis la maison de prière ou la voix d’un
‘orero, celle encore d’un enfant murmurant «j’ai chappé l’école».
Autant d’éléments signifiants qui se donnent à lire, à écrire, à
décrire, à translittérer, à transcrire, à traduire. Le ma’ohi habite
l’une et l’autre langue, le reo ma’ohi et toute autre langue, comme
ce qui se transmet, jamais à l’identique et ce qui résiste à ne pas
se transmettre. Indifférent aux fondations et aux refondations,
réfractaire au discours de la science, transgressant les barrières
des langues, insensible aux contradictions, il vient nommer ici
cette autre scène, commune à tous et propre à chacun, que nous
nommons depuis Freud, l’inconscient où s’élabore un savoir insu,
ces
187
Littérama’ohi N°4
Bertrand-F. Gérard
celui dont
écrase
ou
rêves nous font savoir quelque chose que la réalité
sacralise. La réalité écrase et désacralise les rêves et
nos
c’est cela
qu’ils viennent nous dire : que le désir c’est le manque.
C’est de cette dimension du ma’ohi dont je m’efforce de dire
ici
quelque chose
écho à ce qui s’en écrit, ne l’abordant pas
registre de nom propre, nommant le nuna’a
et me tenant à quelque distance des propos idéologiques qu’il
soutient : celui de son arrimage à l’imaginaire de vérité d’une origine purifiée de toute contamination culturelle ou biologique.
Lecteur, un des lecteurs, de ce qui s’écrit ici, c’est d’une lecture
possible que je rend compte, qui n’est ni archéologique, ni ethnologique, mais subjective, c’est-à-dire divisée entre ma vérité traversée, bousculée par vos écrits et le savoir qui s’en élabore et
pour lequel je ne revendique pas de légitimité scientifique.
directement
en
sur son
Deux textes, l’un
signé de Louise Peltzer, l’autre de Chantal
Spitz m’ont conduit à cette modalité de lecture et moins directement quelques autres. Lettre à Poutaveri donne à lire la division
de l’auteur entre deux noms Rui, Louise Peltzer, celle entre deux
langues le reo ma’ohi, la langue française, deux adresses l’une
manifeste nommée Poutaveri-Bougainville, français, catholique
et l’autre Tavi-Davies, anglais, protestant. Cette division est eausée par la lettre, celle posée comme destinée à Poutaveri, celle,
intrusive, de l’abécédaire, dont le fac-similé fut publié plus tard,
proposée puis imposée par Tavi et ses successeurs. Une fiction
ethnographique qui s’impose à la lecture comme un roman autobiographique où la lettre s’impose comme cause du désir, d’écrire,
d’inscription, de faire inscription, de s’inscrire.
Cette lettre vient imposer un ordre alphabétique, dans notre
jargon il est dit «universitaire», qui fait division du sujet, par là
aussi de la culture, entre oralité et écriture, tradition et modernité, vérité subjective et savoir universitaire. Cette division a un
prix, mais elle engagea le ma’ohi peu après l’arrivée des missionnaires, dans une nouvelle fondation.
188
Actualité littéraire
à
L’Ile des Rêves Ecrasés, autre fiction, proclame son nouage
familial ayant pour toile de fond une mythistoire plus
un roman
proche, celle de l’arrivée tout aussi intrusive que la précédente,
langage de la technique faisant lien entre le discours de
la science et celui du capitalisme. Nouvelle division du sujet,
nouvelle fondation, mais la division se fait déchirure et arrachement et la perte qu’elle engage béance. Et là le sujet se trouve
placé face à son propre effacement étant requis de céder sur
son désir pour l’avoir, tous les avoirs, le paraître, le parlêtre, de
céder encore sur sa vérité pour s’en remettre aux savoirs constitués, institués. La gestion scientifique, technique, politique du
désir relève désormais de la programmation, le dire est emmuré
dans l’information. Le cybernanthrope menace le ma’ohi.
celle du
Et
n’est pas la contemplation fut-elle
tableau de Gauguin, surchargé ou non d’une
programmée d’un
question décisive,
qui y pourra quelque chose. «Qui suis-je, où vais-je et sur quelle
étagère ?» Cette erreur de transcription est due à un mauvais
élève, ils ne sont pas tous Polynésiens les mauvais élèves de
l’ordre culturel, grand admirateur de Gauguin et comme ce dernier de corps juvéniles au teint cuivré. Comme quoi ce qui s’inscrit dans la culture suppose qu’il n’y ait pas que du cérébral pour
le faire tenir. La tête c’est bien mais il y faut autre chose pour que
ça tienne. La culture c’est comme les ascenseurs, ça démarre
du sous-sol avant d’atteindre le sommet. Mais restons en là, à
mi-pente. Ces deux livres, certes parmi d’autres, donnent à lire
que le ma’ohi est aussi une figure de la modernité, divisée entre
assimilation et sentiment d’appartenance. Or l’assimilation fait
inclusion dans la modernité, qui peut être celle de l’Etat ou de
Tahiti Nui pour ce qui est des institutions, des visées gouvernementales. Mais cette inclusion ne soutient pas, pas nécessairement l’appartenance et là se profile le spectre de l’exclusion qui
peut prendre le tour de la contestation, de la récrimination, de la
violence, de l’errance, de la ségrégation ou de l'autoségrégation,
ce
189
Littérama’ohi N°4
Bertrand-F. Gérard
qui se donnent à lire sur des registres différents dans Hombo,
signé de Chantal Spitz, tout comme dans Mutismes de Titaua
Peu, deux très beaux textes, pour moi indissociables. Deux
récits décisifs aussi qui nous font savoir que la mer, avec ou
sans «e» final ça peut s’écrire et s’inscrire dans les corps avec
un «l’» apostrophe, qu’il y faut une coupure entre la mère et l’enfant qui suppose que celle-ci ne soit pas seulement désirée et
désirable, mais désirante aussi et pour autre chose que pour son
enfant. La rature de ce désir, autrefois imposée par le discours
chrétien aujourd’hui relayé par celui du capitalisme, des médias,
de la publicité, le prêt-à-porter, à consommer sur place touristique, n’est pas pour rien dans ce nouage contemporain de la
violence domestique à la violence sociale encore subie, celle de
Raerae en Polynésie ou de La douleur de vivre, mais dont on
peut s’attendre sans être prophète à ce qu’elle envahisse un jour
l’espace politique... à nouveau. L’inclusion au àià ne fait pas toujours, partout et pour tous sentiment d’appartenance, nous le
savons aujourd’hui en France comme ailleurs.
Que l’inclusion puisse ne pas faire appartenance renvoie le
sujet à lui-même, hors de lui-même où tout devient miroir ; un
«je» de solitude même dans la foule que ne parcourt plus le lien
social, un «je» en exil de la langue, étranger à sa terre. Alors le
ma’ohi peut devenir angoisse, ce qui vous prend au ventre et à
la gorge lorsque le dire n’a plus d’adresse, lorsque la parole des
autres ne nous atteint plus. Reste le suicide, l’alcool ou la drogue, la violence, la bande soit un collectif d’ego agglutinés
autour d’un leader pour faire tenir le nom, celui de la bande
comme nom
propre.
Aussi n’est-ce pas pur
hasard si quelques femmes, écrivairépondu à l’appel d’abord lancé par Flora Devatine en
1996 dans un article paru au BSEO sous le titre «Existe-t-il une
littérature ma’ohi ?», repris donc depuis près d’un an par ce
groupe rejoint par deux hommes écrivains. Un groupe qui fonda
la revue d’auteurs Litterama’ohi. Cette revue, ouverte à tous,
nés
190
ont
Actualité littéraire
présente de nombreux textes dont i’intérêt tient dans leur divernous donne à lire que le ma’ohi demeure en
attente de s’écrier comme ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire.
Il est puits insondable du passé, inscription corporelle de ce qui
ne trouve pas à se dire, nana’oture, objet primordial perdu, objet
de perspective, de quête de la culture polynésienne. Il est supposé depuis toujours déjà là et pourtant inatteignable car en
devenir, repli sur soi et même haine de soi retournée en affirma-
sité même. Elle
tion identitaire. Mais il est
encore
tension, désir d’affirmation,
retrouvailles, refondation, appel, découverte, inédit, réconciliation. Autant de lettres-textes
qui se croisent, s’évitent, s’ignorent
revue appel, une revue rencontre des genres, des styles, des langues, des appartenances, des
sensibilités... du nuna’a dans toutes ses composantes. Ces
mais aussi font rencontre. Une
vahiné là
se
sont faites savoir
désirantes, les hommes aussi ont
accepté cette forme de féminisation qui consiste à mettre des
mots sur cette souffrance intime au lieu de donner des coups. Et
ensemble ils ont fait appel au partage de la chose écrite pour
être vite, plus vite que l’on pouvait s’y attendre, rejoints par d’autrès. «Il faut avoir beaucoup à taire pour se décider à écrire...»,
un livre pour citer sans coupure cette assertion de Marie-Claude
Teissier-Landgraf, un livre ou quoi que ce soit d’autre ajouteraisje ici en prenant une distance, pas nécessairement respectueuse, de qui au nom de l’ordre orthographique ou universitaire
proclamerait qu’il ne s’agit pas là de littérature. Et pour cette
seule raison que ce qui fait littérature ne relève pas du discours
du maître pas plus que de celui du savoir, ce que nous fait savoir
cette jeune génération qui ne lit plus, qu’un livre emmerde
comme une corvée de vaisselle, mais qui écrit, qui s’écrie en
écrivant. Une génération nouvelle, riche de nouveaux auteurs,
souffrante aussi, mais qui exige qu’on lui reconnaisse le droit à
s’écrier, se parlécrire avant que de découvrir la beauté et les ressources de sa ou de ses langues qu’elle s’apprête à enrichir de
ses inédits lexicaux, syntaxiques, rythmiques. Et que des auteurs,
191
Littérama’ohi N°4
Bertrand-F. Gérard
pour certains reconnus, acceptent de publier sur un support partagé avec ceux qui se risquent à écrire est à proprement parler
une trouvaille. Une trouvaille ici traversée par la quête du ma’ohi
qui est aussi, en ces circonstances, nouvelle fondation comme
celle du désir d’écrire : e ore te vava peut-on lire en quatrième
de couverture de Mutismes où chancelle le «s» final et que je
traduirai ici par «trouer le silence».
le dire ainsi en quelques mots, le ma’ohi est
qui articule un savoir gagné à un savoir perdu d’une part, à
un savoir insu d’autre part, à la charnière du singulier et du collectif. Comme figure littéraire il ressort de la rhétorique sur le versant du sens et de la forme, de la poétique sur le versant du
rythme et de la signifiance. Imprédictible, il habite les mots, se
loge dans les blancs, les suspensions, les scansions, donne
corps de voix à l’orateur et corps écrit à l’écrivain bousculant parfois et les styles et les genres.
Pour s’imposer ainsi fait-il littérature ? Question qui n’a d’autre réponse que la reprise de cette injonction : «Listes ratures !
Tes ratages, toi le chercheur, l’universitaire et laisse-le parlécrire ! Laisse l'écrivain côtoyer l’écrivant, l’orateur écouter le dire,
Nous pouvons
ce
l’auteur
se
faire lecteur et le lecteur s’écrire !»
je me suis intéressé à cette affaire, en passant, alors que
retenait ici, si ce ne sont des souvenirs et des liens
amicaux, c’est que le ma’ohi comme figure orale et scripturale
de la modernité, je l’avais rencontré aussi ailleurs où il s’appelait
en Australie, chez les Warlpiri, Yapa, en Amérique I’Indian ou le
Black, le Juif en Allemagne avant les années 30s, et un peu partout «les femmes» soit ces voix et ces textes venus trouer le
silence d’un sujet emmuré dans la communication, le consumérisme, la gestion, les consensus, confronté à la rupture du lien
social communautaire et familial, en quête de nouvelles amarres, de nouveaux repères, dénonçant sa réclusion, contestant
son exclusion au risque de soutenir, de par ce mouvement
Si
rien
192
ne me
Actualité littéraire
même, la ségrégation et l’autoségrégation. Et il m’a semblé, et
1996, à la lecture du texte de Flora «Existe-t-il une littérature
ma’ohi ?», qu’un pas avait été franchi vers des perspectives
nouvelles, celles où la quête et l’affirmation de l’appartenance
pouvait ouvrir sur l’échange et non sur le repli sur soi identitaire.
ce
J’en ai
parlé alors avec elle... invité à lire. Une invitation relan-
cée par une femme qui tenait le stand d’un archipel, celui
Australes je crois, lors de la première et si belle journée du
des
reo
anticipée
Marquises Lucien Kimitete dont je
ma’ohi, réitérée plus tard par un responsable paumotu,
par l’accueil que me
salue ici la mémoire,
fit
aux
celle d’Henri Hiro aussi.
lecteur de passage, je vous remerlangue, l’une de celles que nous
avons en partage, la française et l’anglaise et merci d’écrire
aussi dans tous les reo, de nous faire savoir que le monde n’est
pas un mais un lieu de partage, de lecture. Cet Autre que vous
convoquez si souvent pour l’engueuler ou le solliciter, c’est aussi
Voilà, lecteur en passant,
cie d’écrire aussi dans notre
le ma’ohi.
B-F. Gérard
Salon du Livre
(Avril 2003, To’ata. Papeete)
193
Littérama’ohi N°4
Manu’ora Nauta
Un livre qui se livre, un livre qui livre une
celle des clichés établis selon le mythe du
réalité, non pas
bon sauvage ou
des cartes postales paradisiaques, mais celle de la vie, la
vraie, dans les îles, en Polynésie :
Mutismes
de Titaua Peu
Quand tu parles de
celui qui
ne
sait s’exprimer
par
des
paro-
les, quand tu dis pour celui qui se fige dans son mutisme, quand
tu traduis
simplement
ce que
d’aucun
a
du mal à extérioriser
en
mots, quand tu racontes sans ambages la réalité de ton vécu qui
est
également le mien, le vécu de
ceux
qui ont grandi dans
ce
fenua, je te suis reconnaissant de tant de sollicitude. Par toi, je
m’exprime, par toi je me découvre, par toi nous nous laissons
découvrir, enfin, par toi nous sommes reconnus pour ce que
nous
vivons dans notre mutisme.
Mutisme ? Oui, mutisme ! Hier ? Certainement ! Aujourd’hu ?
Peut être ! Mais demain ? Jamais plus ! Car tu ouvres désormais
le chemin de la Parole. Mauruuru
e
Fa’aitoito.
La
publicité faite par les médias, autour de la parution de ce
ayant suscité ma soif de lecture, je me suis dès lors précipité pour l’obtenir coûte que coûte. Enfin, pas exactement moi,
puisque le jour de la dédicace, j’étais en déplacement à Moorea
pour mon job. J’ai donc insisté auprès de ma femme pour qu’elle
aille s’en procure pour moi. Malheureusement ce samedi, elle
était également de garde. Elle a donc, à son tour, chargé son
frère de cette mission de la plus haute importance. Importance ?
Je ne le savais pas encore. Mais peut-être l’avais-je deviné dans
roman
mon
inconscient ?...
Si
j’ai souhaité acquérir
ce
livre,
ce
n’était
au
départ que
locale.
pure curiosité et surtout pour encourager la littérature
Parce qu’il fallait bien l’encourager cette littérature !
194
Actualité littéraire
Ma femme, pour essayer de comprendre mes motivations
dans cette volonté d’acquérir un ouvrage qui lui semblait quelconque, et l’ayant eu en sa possession bien avant
naturellement parcouru avec nonchalance. Elle
moi, l’a donc
fut aussitôt
conquise.
Le soir, au dîner, elle m’en
parle. Elle me dit que dans l’après midi, avec ses collègues, s’étant accordées un moment
pour souffler (ou plutôt pour fumer), elles se sont laissées aller à
feuilleter cet écrit qui les a toutes captivées. Ma femme étant la
lectrice, les autres l’auditoire attentif.
Déjà, dès les premières pages, chacune s’est reconnue
dans une partie des événements relatés et des lieux décrits qui
leur rappelaient leur jeunesse, voire leur enfance.
L’une ayant subi l’alcoolisme dans sa famille évoquait avec
douleur tout le cortège de souffrances qui en découlait. Ce n’était
malheureusement pas une histoire banale ni exceptionnelle.
L’autre, la dernière d’une fratrie de 10 enfants, se rappelait
qu’elle était effectivement considérée comme la “chiente”, la
“tape’a hû”, celle qui était toujours à la traîne et qui ralentissait
tout le monde. Les plus grandes auraient bien voulu s’en débarrasser mais ce serait défier les instructions des parents.
Une autre de par son statut social de “pauvresse”, héritait de
temps en temps du superflu des voisins plus riches qui avaient
tout et qui gaspillaient de surcroît. Elle en ressent d’ailleurs,
encore aujourd’hui et de manière très forte, cette injustice.
Certaines ont fréquenté l’école des sœurs et sa morale
rigide, d’autres s’amusaient à la récré à “pere guerre” qui, pour
annoncer le début des hostilités, les faisait crier à tue-tête
“comensuio”. Les adversaires répondaient en écho à ce cri d’attaque : “titi’ôro”ou bien “pôporotio”, ce qui ne voulait rien dire en
soi sinon que le jeu commençait...
Toutes avaient connu les premiers émois d’un amour interdit
d’adolescente. C’était un peu comme le raconte l’auteur, mais
avec plus ou moins d’intensité...
195
Littérama’ohi N°4
Manu’ora Nauta
Bref, cela devenait palpitant. Cependant, ne pouvant indéfiniment fumer
cigarette sur cigarette et donc prolonger la pause,
il fallait bien arrêter la lecture publique. Par conséquent, n’ayant
achever la totalité du bouquin, elles se sont de ce fait, promide se le passer les unes après les autres pour le terminer
chez elles. Mais ceci, on va le savoir, ne pourrait se réaliser...
pu
ses
A
mon
tour, le lendemain dimanche, curieux mais surtout
excité par
les quelques extraits rapportés la veille au soir, je le
dis-je, plutôt le dévorai à tel point que, le soir
venu, je n’avais toujours pas préparé le repas. Mon “ma’a” matériel passait après le “ma’a" spirituel. Mon épouse de retour du
travail m’en fit d’ailleurs, sévèrement, le reproche mais se ravisa
aussitôt lorsqu’elle apprît la raison de mon inaction.
Quand on est seul et quand on n’a pas grand chose à faire,
la lecture dominicale est une détente. Mais celle-ci fut bien plus
qu’une distraction, une passion qui a imprégné totalement mon
être et qui s’est propagée dans mon entourage lequel l’a ensuite
fait éclabousser autour de lui. En effet, l’intérêt pour un chef
d’œuvre à notre mesure, fit boule de sable, comme ce sable noir
de Tahiti que nous avons pétri de nos mains, sur la plage de
notre enfance et qui s’éparpille ensuite lorsqu’il est lancé...
Une polynésienne, Titaua qu’elle s’appelle, venait d’écrire
des pages de nos histoires. Oui de nos histoires, car il nous était
apparu que cette œuvre était la compilation de souvenirs de plusieurs personnes, y compris certainement de i’auteur qui en fit
parcourus, que
un roman
Voilà
échelon
d’une seule trame
pourquoi,
ou
à
un
:
Mutismes.
nous nous sommes
autre...
tous
reconnus
à
un
Enfin, la littérature polynésienne prend son essor !
Un
petit défaut s'il en était un, concerne la conception matél’ouvrage. En effet, dès le premier jour, les feuillets se
rielle de
196
Actualité littéraire
sont détachés
à un, au fur et à mesure
qu’on tournait les
pages. On avait beau s’appliquer pour éviter la désagrégation,
mais rien à faire, tout se décortiquait. Une de mes relations me
racontait à ce sujet, qu’à chaque page lue, il avait son tube de
colle tout prêt à intervenir.
Était-ce délibéré ? Cela faisait-il parti d’une campagne publicitaire bien organisée au détail près ? Je m’étais dit dans un premier temps que pour permettre une diffusion la plus large possible, dans le cas où nous aurions souhaité le passer à un proche,
les concepteurs avaient voulu nous obliger à en acheter carrément pour l’offrir. En effet, on ne pouvait pas décemment prêter
un ouvrage littéraire dans ces conditions de délabrement.
Après mûre réflexion, je me suis ravisé: «Non les éditeurs ne
pouvaient pas être aussi machiavéliques que cela. Non, c’était
impensable !». J’ai donc interprété cette particularité comme
l’illustration même du message de ce que ce livre voulait bien
nous
un
transmettre. C’est à dire
:
“comme
ces
feuilles s’envolent
au
vent, une à une, aujourd’hui, la parole est libérée et désormais
elle
nous
fait sortir de notre mutisme”.
Manu’ora Nauta
Mai 2003
Mutismes de Titaua Peu, éditions Haere Po
197
Littérama’ohi N°4
Patrick Sultan
Le
Kim Scott.
premier homme né blanc
Benang. Traduit de l’anglais (Australie) par Pierre
Girard, 472 pages, Actes-Sud.
On
récemment
multiplier d’éclatantes revendications
aborigène. Ainsi, chacun garde en mémoire, lors des
Jeux Olympiques de Sydney, le tour de piste triomphal de l’athlète
australienne Cathy Freeman arborant, outre le drapeau national,
les couleurs de son peuple.
a vu
se
de l’identité
Ces
symboles frappants, mobilisateurs de l’opinion, ont le
mérite, même s’ils sont inévitablement simplificateurs, de rendre
visible un aspect longtemps occulté du passé colonial australien : le «blanchiment» de la population aborigène opéré avec
méthode par l’administration de l’État fédéral autonome dès sa
constitution
en
1901.
Confrontée à
passé infamant, l’Australie commence à
peine son travail de mémoire. Si elle cesse, depuis peu1, d’être
«terra nullius»
“terre de personne” selon la formule juridique
qui avait permis aux Britanniques d’en prendre possession sans
signer de traité - c’est pour se peupler des spectres d’un ethnoce
-
eide fondateur de la nation.
Le
australien
(à moins qu’il ne faille dire plutôt le
aborigène ?) de Kim Scott, Benan2, dont l’action se situe
dans une période qui va du tournant du siècle aux années
soixante-dix explore cette mémoire douloureuse.
Benang n’est cependant en rien un roman-fresque qui viserait à reconstituer l’envers de l’histoire, à exalter le peuple aborigène ou à en faire connaître le patrimoine.
«Je ne veux rien, déclare le narrateur, écrire d’autre que la
simple histoire d’une famille, la plus locale des histoires»^ 1 ). Mais
ce projet aux allures d’autobiographie, aussi limité et modeste
roman
198
roman
Actualité littéraire
qu’il soit initialement, le contraint à emprunter détours et voies
obliques, et finalement à plonger dans les cercles de l’enfer. Car
précisément c’est la famille aborigène que le Native Welfare a
entrepris de détruire et d’éradiquer ; le tableau de famille conduit
au cœur de la tragédie. Seul un «récit chaotique et tortueux»
(24) peut en effet donner la mesure de ce qui est moins une histoire qu’une suite de «déplacements», de déportations succèssives, de ségrégations de brimades, de vexations, de massacres, d’enlèvements d’enfants.
Dans les autobiographies post coloniales classiques
(Soyinka, Gandhi, Camara Laye,...), on pouvait noter une certaine idéalisation du monde de l’enfance. La dénonciation du
jamais totalement exempte d’une certaine
nostalgie et du désir de recouvrer à travers la parole des ancêtres un art de vivre authentique. L’exploration du passé s’accompagnait de l’inventaire exaltant de grands ancêtres glorieux, de
la célébration de paysages somptueux ou de lieux intimes avec
lesquels on entretenait une relation chaleureuse. Le passé présentait une plénitude, ou du moins un point d’équilibre.
colonialisme n’était
génération (Kim Scott est né en 1957) ou
signe d’un pessimisme politique ? On ne trouve rien de
tout cela dans Benang : aucune volonté d’idéaliser une origine
perdue ; la mémoire est de part en part souffrance, et le souvenir n’ouvre pas la voie triomphante à la fière affirmation d’une
identité menacée ; elle donne seulement accès à un passé qui,
pour désolant et amer qu’il soit, doit être dit. C’est une question
de nécessité, une manière de conjurer le malaise.
Ce caractère d’urgence tient à la situation particulière de
Harley, le narrateur : il est en effet le «premier homme né blanc»,
un monstre orthogénique3, le produit d’une sélection «réussie», d’un
soigneux et lent processus d’effacement de toute trace de peau
noire : «En tant que premier homme né blanc dans la lignée famiHaie j’ai été soumis à une terrible pression, plus particulièrement
Est-ce
un
effet de
bien le
199
Littérama’ohi N°4
Patrick Sultan
le
et le
front, et me suis cru aveugle. En fait, à vrai dire, il
n’y avait rien à voir sinon - juste devant mes yeux - une blancheur
qui n’était que surface, sans profondeur, et très peu variable.»(13).
sur
nez
Tout le travail du récit consistera donc à inverser intérieurement cette opération réalisée par une administration paternaliste, impitoyable et pétrie de bonnes intentions. Insérés dans la
fiction, des documents d’époque donnent à saisir les principes
progressistes, «moraux» si l’on ose dire, de cette tentative de
rendre invisible le «nègre» en recourant à des classifications
juridiques subtiles, à des distinctions visant à cerner les degrés
de teinte, les chromatismes de la peau.
Ainsi les
consignes de A.O. Neville, l’administrateur qui fut,
1941, le «Protecteur en chef des Aborigènes» : «//
ne faut pas brusquer l’aborigène, il n’a pas l’esprit vif ; et vous
devez de votre côté vous efforcer de trouver ce qu’il veut vraiment ; ce qui est souvent très difficile.» (151 ).Ou bien ce compterendu paru dans un bulletin paroissial : «Des êtres charmants à
la peau noire couraient de toutes parts...»(89).
Ces collages de documents d’archives (questionnaires,
fiches de reconnaissance, requêtes, correspondances, rapports)
n’ont pas pour fonction de produire un effet de réel mais plutôt
de mettre en évidence le processus textuel, l’opération d’effacement et de renomination en quoi consiste aussi la colonisation.
«On se faisait attraper comme ça sur le pap/'er»(405).
On comprend que la rage et la rancœur soient les sentiments
majeurs qui animent le premier mouvement de cette remontée
vers soi ; ils visent essentiellement le grand-père écossais du
narrateur, Ern Seat, despote lubrique, imbu des principes d’eugénisme, tout entier livré à son désir de «purifier» sa postérité.
Mais au règlement de comptes succède progressivement
une forme d’apaisement. Assurément, le mutisme auquel les
oncles et tantes aborigènes du narrateur ont été contraints est
un obstacle que l’écriture généalogique de
Benang doit surmonter : « Grand-papa avait peu écrit, mais il avait collecté et classé
entre 1917 et
200
Actualité littéraire
toutes sortes de documents. Oncle Will avait
pages de Mémoires, et c’était
«Mon père n’avait rien écrit, et
rédigé quelques
tout ce qu’il possédait.»( 158) ;
avait tout juste commencé à en
parler»( 159)
Quant
au grand-oncle Sandy Mason «il avait un problème
langue ; à la pointe. Elle était ligneuse et morte, la peau
noircissait et pelait sans cesse.»(240)
avec sa
Pourtant,
au
terme d’une narration sinueuse, instable, cons-
truite par
juxtaposition de scènes violentes qui sont saisies fragmentairement, de notations infimes laissées en suspens, de pensées inabouties et de souvenirs ressassés, des figures émouvantes émergent du silence, prennent corps : l’oncle Will et l’oncle
Jack, quelques personnages féminins. On les voit errer au gré des
expulsions, survivre, se débrouiller, contenir leur colère, se taire.
Sur fond de paysages calcinés, de routes abandonnées, de
mines désaffectées, de lignes de télégraphes en déshérence se
joue le drame des Aborigènes condamnés à l’extinction inéluctable ou à la dilution dans la population blanche.
L’absence d’intrigue de ce roman touffu, les associations
déconcertantes d’images, la minutie et l’extrême lenteur avec
laquelle sont décrites des actions répétitives accomplies par des
personnages murés dans leur secret et dont on discerne mal les
motifs, enfin les pauses méditatives qui figent et immobilisent
une action perpétuellement entravée ne facilitent pas la lecture
de Benang. Mais tous ces éléments n’ont pas empêché la critique australienne4 de saluer l’événement culturel que représente cette œuvre marquante : elle a unanimement reconnu sa
capacité à exprimer avec justesse, de l’intérieur, le nu désespoir
auquel on a condamné la «génération volée», la désintégration
des Aborigènes.
Sans doute la paralysie et l’enlisement du récit étaient-ils le
prix esthétique à payer pour dire au mieux la suffocation de ce
génocide par dilution. Dans le prologue du récit, le narrateur avoue
sa propension à décoller du sol ; il ne peut se retenir de planer ;
201
Littérama’ohi N°4
Patrick Sultan
il
a
du mal à s’accrocher à la terre... Pourtant, lors
séances
en
d’irrépressibles lévitations,
montant
sur
le toit à le retenir
d’une de
ces
ses deux oncles parviennent
«Attiré par mes appels au
:
oncle Will arrivait en clopinant aussi vite qu’il en était
capable. Il monta à l’échelle, raide et maladroit, tendit la main...
secours,
Et
partit dans les airs avec moi, tenant la gouttière d’une
main et de l’autre moi, le cerf-volant.
Puis ce fut au tour de l’oncle Jack. Pour une raison que je ne
pas encore comprendre, il parvint à attraper Will, et se
lourd et assez fort pour nous ramener comme on
ramène des poissons au bout d’une ligne.» (139).
pouvais
révéla
assez
Ses oncles
suggèrent alors à Harley un remède pour résouson assise : «Je n’avais qu’à me
mettre à écrire. Ça servirait apparemment à me fixer au sol.»( 140)
On peut dire que Benang par sa densité et aussi par sa lenteur même réussit à donner consistance et poids à des souvenirs estompés, à ancrer dans la lourdeur des mots une mémoire
qui refuse de se dissiper.
dre cette difficulté à stabiliser
Patrick Sultan
Le Native Title Act
reconnu
qu’en 1993.
2- Paru
en
1999
qui reconnaît
sous
le titre
:
aux
Aborigènes leur qualité de premiers occupants du sol n’a été
Benang : From the heart.
3- Cette situation n’a cependant rien d'exceptionnel en Australie dans la mesure où la politique de
«whitening» a effectivement entrepris d’assimiler la race en mariant les filles à plus clairs qu’elles. Sur
question de l’eugénisme et de sa mise en pratique, on peut consulter C.Tatz, Genocide in
Australia, AIATSIS Research Discussion Papers, n°8, 1999.
cette
4- Notamment Gordon Briscoe dans Aboriginal History, volume 21, 1999 ; ou bien encore Carly
Chynoweth dans Australian Review of Books du 9 juin 1999.
Le Native Title Act qui reconnaît aux Aborigènes leur qualité de premiers occupants du sol n’a été
reconnu qu'en 1993.
Paru en 1999 sous le titre : Benang : From the heart.
Cette situation n'a cependant rien d’exceptionnel en Australie dans la mesure où la politique de «whitening» a effectivement entrepris d’assimiler la race en mariant les filles à plus clairs qu’elles. Sur
cette question de l’eugénisme et de sa mise en pratique, on peut consulter C.Tatz, Genocide in
Australia, AIATSIS Research Discussion Papers, n°8, 1999.
Notamment.Gordon Briscoe dans Aboriginal History, volume 21, 1999 ; ou bien encore Carly
Chynoweth dans Australian Review of Books du 9 juin 1999.
202
Daniel
Margueron
des
polynésien e1
Bibliographie
écrivains polynésiens francophones
La littérature
francophone
ainsi que le cornanalytique et critique se développent rapidement. Il m’a
semblé utile de constituer, pour les lecteurs, les curieux et les
chercheurs, le premier essai de bibliographie tant des oeuvres
que de la critique littéraire qui y est adossée. Certains lecteurs
seront surpris de voir mentionner des ouvrages d’écrivains tahitianophones. Je n’ai signalé les livres en langue tahitienne que
dans la mesure où y figurent certains extraits traduits en français. J’ai également inclus les ouvrages canoniques écrits par
des Polynésiens ou par des Occidentaux ayant recueilli des
mémoires polynésiennes concernant la culture, l’histoire et les
légendes. Des oublis d’oeuvres ou d’articles sont bien évidemment possibles, ils seraient involontaires de ma part. Le lecteur
est prié de les signaler à la revue Littérama’ohi qui complétera
dans un prochain numéro cette première bibliographie, tout en
poursuivant sa recension méthodique des publications.
mentaire
1- Productions littéraires
Adams
et A.
Henry, Mémoires d’Arii Taimai, traduit de l’anglais par S.
Lebois, Société des Océanistes, Paris 1964
Ahuroa Etienne, Les
parfums du silence, théâtre, éditions Le
Motu, Tahiti, 2003
Amaru Patrick, Araia, poèmes traduits, voir Ouvrage collectif
1 Puhihau ci-dessous et Te oho no te tau’auhuneraa, dédicace
pour une exposition, poésies bilingues 11 pages, illustrations
Hubert Fareea, Maison de la Culture, Papeete avril 2002
203
Littérama’ohi N°4
Daniel
Margueron
Association culturelle «Te
reo o
te Tuamotu», Tuamotu te
kaiga, langues et culture, 1° festival septembre 2000, divers poèmes traduits en français, éditions Haere po, Papeete 2001
Boyer Tarata (en collaboration avec J. Blanchard, C. Sanford,
M, Ching), Petit nuage rose et le cyclone, pour enfants, Editions
des Mers Australes, Papeete 1985
Brémond Hubert, voir Mana ci-dessous
Chaze Michou,
Vai La rivière
au
(traductions)
ciel sans nuages, édition
Cobalt/Tupuna, Papeete 1990 et Toriri, Prières, murmures, chuchotements, auto-édition, Papeete 2000, Où vont les oiseaux
lorsqu’il pleut ? A mon ami René Shan, nouvelle, in TP n°106
février 2000, La ballade de hambo, nouvelle, reprise dans littérama’ohi n°1
Colas Teura, Pour Alain Colas,
éditions Grassin, Carnac 1999
Coste Marie Hélène, La légende de Pipirima, pour
Editions des Mers australes, Papeete 1994
Cruchet Rosalie, La
enfants,
légende des trois cascades, pour enfants,
Papeete, 1993
Editions des Mers australes,
pseudonyme Vaitiare, Humeurs, auto-édition
Papeete 1980, Tergiversations et rêveries de l’écriture orale, Te
pahu a hono’ura, éditions Aux vents des îles, Papeete 1998, Les
Tablettes Te Hiapo, poème sur Hokulea (1976), La peau de l’ours
(1994), Uhistoire de Hina et de l’anguille (1998), chant d’exhortation sans titre Uenfant, la conscience polynésienne, in BSEO n°206,
mars 1979, Papeete, voir également ci-dessous Faessel
Devatine Flora,
-
(Flora Aurima-Devatine, Henri
Hiro, Charles Manutahi, Louise Peltzer, Chantal Spitz), éditions
La Table ronde, la petite vermillon, Paris 2001
Faessel Sonia, Poètes de Tahiti
Frogier Odette, Kiki le coq, nouvelle in TP n°79 novembre 1997,
du Temehani, pour enfants, éditions Aux vents des
îles, Papeete 2001
Les jumeaux
204
Actualité littéraire
a’ai no matari’i, théâtre en langue tahitienne,
français, ministère de la Culture, Papeete 2000, voir
Gobraît Valérie, Te
résumé
en
également Puhihau
Grand Simone, Hotu
painu, nouvelle, in TP n°32 décembre 1993
Guillain France, Le bonheur sur la mer, éditions R. Laffont,
Paris 1974, La petite sirène des océans, éditions Les Presses de
la cité 1975, Naviguer avec ses enfants, éditions Artaud 1985,
Les femmes d’à bord éditions Artaud 1986, Maïma, éditions
Plon, Paris 1987
Haoa
Virgil, L’aliance ma’ohi, illustrations de Gotz, pour adoles-
cents, éditions Aux vents des îles, Papeete 2003
Helme Danièle, Créativité, auto-édition,
Papeete 2002
Henry Teuira, Tahiti aux temps anciens, traduction de l’anglais
par B. Jaunez, Société des Océanistes, Paris 1968, repris dans
Mythes tahitiens, L’aube des peuples, éditions Gallimard 1993
Hiro Henri, Pehepehe, message poétique, ouvrage
éditions Tupuna productions, Papeete 1991, Nostalgie
bilingue,
(poème
traduit par A. Deviègre) in BSEO n°249/250 janvier/juin 1987, Te
maitai, poème bilingue, traduction de Jean-Marius Raapoto, in
De l’écriture au corps, édition Au vent des îles, Papeete 2002, voir
également Faessel et Mana
Kimitete Lucien, Te
Hakamanu, La danse de l’oiseau, traduction
éditions Haere po no Tahiti 1990
de Gilbert Banneville,
Lou Damien
Tangaroa, Le feu clair, auto-édition, Papeete 2002
Ly Jimmy M., Hakka en Polynésie, auto-édition 1996, Bonbon
pai coco, auto-édition, Papeete 1997 et Adieu l’Etang
aux Chevrettes, éditions Te ite, Papeete 2003
soeurette et
Kalolo, Laupua,
ami, La reine des animaux, Le cheval bleu, Mon amie la
baleine, Uétoile de mer, La fleur jaune, Le nuage rose, Le papillon
géant, La légende du cocotier, éditions Way désign, Papeete, 1996
Make Rôti, Contes de Wallis et Futuna : Le filet de
mon
205
Littérama’ohi N°4
Daniel
Margueron
Charles, Poète du temps passé,
1979, Contes et légendes de la Polynésie, 1982, Le don d’aimer,
1984, La fleur polynésienne dans l’histoire et la légende, 1986,
Manutahi Teriiteanuanua
Le
mystère de l’univers maohi, 1992, L’histoire de la vallée proPapenoo, autoédition ou éditions Veia Rai, Papeete,
voir également Mana
fonde de
Neuffer
Philippe, La force invisible, nouvelle in TP n°23 mars
1993, L’appel de l’au-delà, nouvelle, in TP n°31 novembre 1993
Ouvrage collectif 1, (Patrick Amaru, Valerie Gobrait, Tane a
Raapoto) Puhihau, poèmes, Maison de la culture, Papeete, 2003
Ouvrage collectif 2, Nouvelle vague, (certains auteurs des nouPolynésiens : Hinanui Cauchois, Raïta Gramont,
Maïte Samuela, Caroline Tchung Koun Tai), récits primés au
concours littéraire du journal Les Nouvelles en l’an 2000, éditions Aux vents des îles, Papeete 2001
velles sont
Ouvrage collectif 3, Légendes polynésiennes (A. Peni, J.
Poroi, V. Richaud), textes inspirés de Tahiti aux temps anciens
et Océania, éditions Haere po no Tahiti, Papeete 1991
Pambrun
Jean-Marc, L’Allégorie de la natte, auto-édition,
Papeete 1993, La fondation du marae, auto-édition Papeete 1998,
Les éditions de Tahiti, Papeete 2002,
Rencontres ma’ohi à huahine, TP n°117 janvier 2001, Un secret
bien gardé, TP n°133 mai 2002, La pierre perdue de Vai-oa, TP n°136
août 2002, La passe du voyant de Maupiti, TP n°141 janvier 2003
La nuit des bouches bleues,
Peltzer Louise,
Légendes tahitiennes, (présentées et traduites
par), ouvrage bilingue, éditions Conseil international de la langue française 1985, 103 rue de Lille 75007 Paris, Hymnes à mon
île, éditions Polycop Papeete 1995, Lettre à Poutaveri, éditions
Aux vents des îles, Papeete 1995, voir également Faessel
Peu Titaua, Mutismes,
éditions Haere po, Papeete 2003
PômareTakau, Mémoires de la reine Marau Taaroa, Société des
Océanistes, Paris 1971
206
Actualité littéraire
Raioaoa voirTavae
Raoulx
Yannick, Pêle-mêle, éditions La Pensée universelle,
Délire, éditions la Pensée universelle, Paris 1980
Paris 1979,
Salmon
de Tahiti,
Salmon
Ernest, Alexandre Salmon et Ariitaimai, Deux figures
SEO, Papeete, 1982
Tati, Lettres de Tahiti, Les éditions du Pacifique, Papeete
1980
Shan René, Reflets,
auto-édition, Papeete 1977
Spitz Chantal T., L’île des rêves écrasés, Les éditions de la
plage, Papeete 1991, réédition Aux vents des îles, Papeete,
2003 et Hombo, éditions Te ite, Papeete, 2002, voir également
Faessel
Sylvain Moea, Un monde
en
paix, in TP n°92 décembre 1998
Taoula, Contes de Polynésie, éditions CLE international, Paris
1983
Tavae
avec
Raioaoa, Si loin du monde, récit écrit
Duroy, Ohéditions 2003
en
collaboration
Lionel
Teissier
Landgraf, Marie-Claude, Rose et Marguerite, nouvelle
juillet 1996, Vous avez dit «draguer», nouvelle in TP
janvier 1997, en cours de publication, Tahiti, racinement et
in TP n°63
n°69
déchirements
Tumahai Josette,
Voici le temps de la poésie, auto-édition,
Papeete 2000
Turu Hina, braves vahiné dans la
mars 2001
politique, nouvelle in TP n°119
Vaite Célestine Hitiura, L’arbre à
pain, la vie l’amour à la tahi-
tienne, traduction de l’anglais par Henri Theureau (Breadfruit,
Bantam Book, Australie 2000) éditions Aux vents des îles,
Papeete 2003
Vaitiare, voir également Devatine Flora
207
Littérama’ohi N°4
Daniel
Margueron
Walker Taaria dite Pare, Rurutu, Mémoires d’avenir d’une île
australe, éditions Haere po, Papeete 1999
Wheeler
Marie-Claire, Arraché à l’oubli, Tefaaora, l’enfant de
peut enfin téoigner, traduit du tahitien par elle-même,
manuscrit non encore publié, poésies dans Litteramaohi n°1
Matairea
2
•
A
-
Bibliographie critique
générale
Beniamino M., La
1999
francophonie littéraire, L’Harmattan, Paris
Bessière J. et Moura J. M., textes réunis par, Littératures postcoloniales et francophonie, Honoré Champion éditeur, Paris
2001
Gauvin L., Lécrivain francophone
tions Karthala, Paris 1997
à la croisée des langues, édi-
Glissant E., Introduction à une
Gallimard 1996
poétique du divers, éditions
Moura J. M., Littératures
éditions le
B
1
-
-
francophones et théorie postcoloniale,
PUF, Paris 1999
polynésienne
articles dans des ouvrages
Aït-Arab
Mohamed,
littérature tahitienne de langue
française, in Multiculturalisme et identité en littérature et en art,
édition l’Harmattan, Paris 2002
André
vers une
Sylvie, littérature francophone et institutions en Polynésie
française in Littératures postcoloniales et francophones, éditions
Honoré Champion, Paris 2001
208
Actualité littéraire
Devatine Flora, Dans
quelle langue écrire ? Revue Dixit,
Papeete, 1997, Les Tablettes - Te Hiapo - Tata’u sur Tapa de
Vaitiare: Identité (texte non daté), La part d’ailleurs (1999), chez
l’auteur, Récit d’une communication avec les esprits hi’ohi’o sur
deux pratiques magiques : la parole et l’écriture, in Magie et fantastique dans le Pacifique (colloque UFP 1993, éditions Haere po
no Tahiti, Papeete 1993), La levée du tapu de l’écriture,
2001,
(non publié)
Faessel Sonia, Au
écrasés de Chantal
en
confluent de deux cultures, L’îles des rêves
Spitz, in Parole, communication et symbole
Océanie, (colloque Corail, Nouméa 1994), éditions L’Harma-
ttan, Paris 1995
Gérard Bertrand, De
pages,
l’archéologie à la littérature, manuscrit 44
chez l’auteur
Legras Edith, Images littéraires de la Polynésie, thèse de doc(notamment étude sur Vaitiare-Flora Devatine et Charles
Manutahi), Paris III, 1982
torat
Margueron Daniel, Vers
dans
toute
Littérature
sa
une
littérature francophone
littérature, éditions l’Harmattan,
in Tahiti
Paris 1989,
Polynésie française in Anthologie des littératures
francophones d’Asie et du Pacifique, éditions F. Nathan, Paris
1997, Ile (à propos des productions de Vaitiare-F. Devatine - et
de Henri Hiro) in Papeete au temps composé, Association
Pacifique, Paris 1990
en
Nicole Robert, The word, the Pen, and the Pistol : literature
power
and
in Tahiti. Suny, New-York 2000
Picard Jean-Luc, La vérité des noms, mémoire de DEA, UPF et
Paris III, Papeete 2001
209
Littérama’ohi N°4
Daniel Margueron
2- Dans des
•
revues
et
journaux
Bulletin de la SEO
(Société des Etudes Océaniennes B.P. 110
Papeete)
Devatine Flora, Problèmes rencontrés pour la conservation du
patrimoine culturel et le développement des cultures océaniennés, n°206 mars 1979, Papeete
Mairai
John, Hiro
Papeete
avec
toi
nous sommes,
hommage n°249/250,
Margueron Daniel, Une parole de proximité, regard sur ia littérapolynésienne anglophone, n°271 septembre 1996, Papeete
ture
Margueron Daniel, compte rendu de Tergiversations et rêveries
Devatine, n°283 décembre 1999, Papeete
O’ Reilly Patrick compte rendu de humeurs 1980, n°217 décembre 1981, Papeete
de l’Ecriture orale de F.
Pietri
Raymond, Henri Hiro,
n°249/250, Papeete
un
RaapotoTuro, Ua mate te
in BSEO n°249/250, Papeete
oa,
poète n’est plus, in BSEO
Vérin
Pierre, compte rendu de Rurutu Mémoires d’avenir de T.
Walker, n°283 décembre 1999, Papeete
•
Dixit
(éditions Créaprint B. P 21768 Papeete)
Devatine F., Dans quelle langue écrire ? n°6 Papeete 1997 dossier consacré à la littérature polynésienne n°10 Papeete 2001 :
Aït-Arab M., De la parole à l’écrit
Grand S.,
Navigation, sculpture et écriture
Pambrun J.M.,
Paroles tragiques de l’écrivain maohi
Raapoto J.M., Les traditions littéraires orales
Rigo B., Propos
sur
la littérature
en
210
n°61997
Polynésie
Polynésie
Pambrun J.M., Cultures et identités
obscurs maohi,
en
en
Polynésie, 1992 Clairs
Actualité littéraire
•
Hermès
(CNRS éditions, 27 rue Damesme 75013 Paris)
n°32/33 La France et les outre-mers, 2002
André S., La quête identitaire
et néo-calédonienne
dans les littératures polynésienne
Spitz C., Les cris d’une tahitienne
•
La
Dépêche de Tahiti (B.P. 50 Papeete)
Saura B., A la découverte de
bre 1991
•
Les Nouvelles de Tahiti
Aït-Arab M.,
l’île des rêves écrasés, le 4 octo-
(B.P. 629 Papeete)
De la littérature francophone aux littératures fran-
cophones (8 juillet 2000),
André S., La littérature
polynésienne en français 26 septembre
2000)
Blondin H., Le roman
polynésien est un style nouveau (4 mai
1991)
Chaze M., Rencontre avec
mars
Henri Him (24 février 1990 et 12
1990)
Gontier D., Oser le
Hoarau H., Le cri
français, oser en français (29 juillet 2000)
maohi de Chantal Spitz (29 juillet 2000)
Lacabanne S., Ecriture
polynésienne, littérature océanienne
(22 juillet 2000)
Peltzer L.,
L’expérience poétique (17 juin 2000)
Sultan P., Littératures
francophones à l’ère postcoloniale (8 juillet
2000)
•
Le Canard
enchaîné
(173 rue Saint-Honoré 75001 Paris
France)
Pagès F., Mutisme de T. Peu, n°4320 du 13 août 2003
211
Littérama’ohi N°4
Daniel
•
Margueron
La
quinzaine littéraire
Sultan P., Hombo de Chantal
2003
•
Littérama’ohi n°1,
Spitz, N°860 du 1er septembre
(Flora Devatine, B. P. 3813, 98713 Papeete)
Papeete mai 2002
Couchois H., A quoi sert d’écrire ?
Devatine F.
Qu’en est-il de la littérature
Polynésie française ?
Gérard
,
sur
le territoire de la
B., Ecrire à Tahiti
Grand
S., Ecrire pour raconter,
Mafaru, Comment j’écris ?
Margueron D.
,
Ecrire c’est
Rigo B.
:
Vaitea
Existe-t-il
:
Lettre
aux
se
reterritorialiser
écrivains de Littérama’ohi
une
littérature
polynésienne ?
Notices
bio-bibliographiques et extraits d’auteurs : T. Walker, H.
Brémond, M. C. Wheeler, M. Shelton, J. Nouveau, R. Make, V.
Gobrait, R. Pietri, P. Coulin dite M. Vaetua, L. Peltzer, P. Amaru,
H. Fareea, E. Marchand, F. Ueva, M. Meuel, M. H. Viilierme, M.
Chaze, C. Spitz, D. Flelme, M. C. Teissier
•
Littérama’ohi n°2, Papeete novembre 2002
sur la littérature polynésienne au salon du livre
Interventions
(mai 2002),
Devatine F., Oralité, oraliture, Littérama’ohi
Gérard B.,
Propos
Margueron D. : 1960/2000
Polynésie française
:
quarante années de littérature
en
Bio-bibliographies et extraits d’auteurs : K. Allain, P. Amaru, A.
Ata, M. Chaze, F. Devatine, D. Flelme, C. Flotahota, I. Ly Tang,
212
Actualité littéraire
C. T. Marakai, E. Maraea,
C. Spitz, H. Teuira, M. C.
J. M. Pambrun, M. Reasin, V. Richaud,
Teissier,
Critique littéraire :
analyse du récit de C. Spitz Hombo (RFO
De Chazeaux M.,
15/9/2002)
Ly J. Après littéram’aohi, un picturâma’ohi ?
Teissier M. C., Ecrire un roman, quelle aventure !
Spitz C., Francophonie
Tetahiotupa E. analyse de l’ouvrage de P. Amaru Les prémices
du temps de l’abondance,
Littérama’ohi n°3,
Papeete avril 2003
préparé par G. Marsauche : Où sommes-nous ? Propos
de M. Chaze, F. Devatine, A. Ata, D. Flelme, P. Amaru, J. Ly,
Taraue, M. C. Teissier, C. Spitz.
Ecriture : M. C. Teissier, M. Chaze, C. Spitz, G. Brothers-Teore,
J. Mere, V. Richaud, A. Coeroli, M. H. Villierme.
Critique littéraire :
Allain, K. Les auteurs maohi de la Polynésie française, une
résistance passive contre le mythe de la vahiné,
•
Dossier
Devatine F., Dans
quelle langue écrire ?
Gérard B., Ecriture et identité,
•
Mana, revue (a south pacifie journal of language and
literature)
(P.O. Box 5083 Raiwaka Fiji)
publiés, se reporter à la 1° partie «productions littéraires»
volume n°7 1982,
Auteurs
•
Notre
librairie,
75683 Paris cedex
revue
des littératures du Sud (6, rue Ferrus
14)
Scemla J.J., Littératures insulaires du sud Le cas
tahitien, n°143
213
Littérama’ohi N°4
Daniel
Margueron
Paris
janvier/mars 2001, article repris dans Tahiti-Pacifique
n°121 mai 2001
•Tahiti-Pacifique (mensuel B. P. 368 Moorea)
Lacabanne S. et
L’arbre à
Margueron D., Célestine Hitiura Vaite
pain n°128 décembre 2001
:
Margueron D., Sia figiel, un écrivain des Samoa à découvrir : La
petite fille dans le cercle de la lune, n°111 juillet 2000, Sia Figiel :
L’île sous la lune, un roman qui transgresse le tabou du bonheur
polynésien, n° 122 juin 2001, Hombo de Chantal Spitz ou les
funambules de la modernité, n°138 octobre 2002
Pambrun J. M. Vers
une
culture totalitaire ? n°137
septembre
2002, Un livre qui fait mal (Mutisme de Titaua Peu) n°145 mai 2003
•Te FareTauhiti Nui
(Maison de la Culture B. P. 1709 Papeete)
à Henri Hiro, bimestriel n°24
Farereira’a Henri Hiro, hommage
mars/avril 2000, Papeete
Te ui mata, La voix des étudiants,
l’UPF (B.P. 6570 Faa’a Tahiti)
•
journal des étudiants de
n°4 dossier consacré à la littérature et à
l’édition, mai 2003
Proust I., rencontre avec Célestine Hitiura Vaite n°5,
juillet 2003
présentation de Hombo de Chantal Spitz n°5 juillet 2003
Vea porotetani (mensuel de l’Eglise Evangélique
française, B. P. 113 Papeete)
•
en
Polynésie
Devatine F., Y-a-t-il une littérature maohi ? octobre 1996
Margueron D., la
ora na Flora Devatine, décembre 1998/janvier 99
Dossier consacré à Henri Hiro, (témoignages et hommage avec R.
Teinaore, E. Roe, T. Raapoto, J. P. Barrai, J. Drollet, P. Atger, P.
Auzépy, T. Tuheiava, V. Richaud) mensuel n°2 mars 2000, Papeete
214
3•
45••
Actualité littéraire
Actes du
«La mémoire
colloque
polynésienne, l’apport de l’autre», Association Ra-
cines, Tahiti 1992
Chazeaux M. de, La mémoire en
Devatine
images
F., La mémoire polynésienne,
une
création
Margueron D., l’écriture, invention d’une nouvelle mémoire
Saura, B., Uinfluence de Segalen et de Gauguin dans le
veau
renou-
culturel tahitien
Recherches
polynésiennes universitaires
Pukoki
Winston, Langage, culture et communication chez les
Polynésiens, thèse, Paris III, 1993
Richaud Vahi
(née Tuheiava), Essai d’analyse de la parole,
DEA, UFP, Tahiti, 1999
Sur les sites internet
(les «articles» peuvent
être de manière éphémère)
www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile (dossiers consacrés à Michou
Chaze, Flora Devatine, Henri Hiro, Jimmy Ly, Louise Peltzer,
Chantal Spitz, Taaria Walker)
y
www.perso.clubinternet.fr/jacbayle/livres/lettres (recension
des publications et commentaires)
www.mana.pf/events/2000/hiro (commémoration Henri Hiro)
www.itereva.pf (conférences : R. Pineri : Les passeurs de signes,
D. Margueron : Tahiti ou l’atelier d’une invention littéraire et 19601
200, quarante ans de littérature en Polynésie française
www.arts.uwa.edu.au Mots pluriels n°17 avril 2001, en ligne :
Gannier Odile, Tahiti de l’exotisme à l’exil (Références à M.
Chaze, F. Devatine, H. Hiro, J. Ly, L. Peltzer).
www.culture-sud.net (L.
Peltzer)
215
Littérama’ohi N°4
Daniel
Margueron
www.listes.auf.org ( F. Devatine, L. Peltzer, C. Spitz)
www.fabula.org (F. Devatine, L. Peltzer, C. Spitz)
www.francopolis.net (F. Devatine)
www.univ.nc.nc
(F. Devatine, L. Peltzer, C. Spitz)
www.lire-en-fete-.culture.fr
(F. Devatine, C. Spitz)
www.pangaea.to (H. Hiro)
www.lire.fr
(H. Hiro)
Remerciements à Flora Devatine
pour ses
suggestions et conseils
Daniel
Margueron
Tahiti, septembre 2003
NOTES
Il s’agit des oeuvres publiées par les Polynésiens en langue française. On
l’appelle également littérature francophone ou d’émergence ou encore postcoloniale.
216
Michel Ko
Par Michou Chase
Peintre de la
rue ou
Peintre à la
rue
Lorsque j’ai connu Michel Ko, il venait de tout perdre. C’était
après la fameuse vague de cyclones qui a tant détruit en 1983.
Il vivait sur un motu de Bora-Bora et peignait comme un fou, des
toiles immenses, comme s’il voulait de son pinceau atteindre le
ciel...
Depuis la vie n’a jamais été pareille pour Ko. Il n’a jamais
peindre... dans sa tête. Car c’est tout ce qu’il avait pour
peindre... ni papier, ni huiles, ni gouache, ni même un pinceau.
D’origine tahitienne par sa mère, chinois et vietnamien par
son père, Ko commence à peindre à l’âge de quinze ans
lorsqu’il
découvre Modigliani. Fasciné par l’œuvre, les couleurs et le parcours du célèbre artiste qui avait tout
pour réussir, Ko fait sa
première expo à Raiatea avec Rosine Masson au début des
cessé de
années 70.
Aujourd’hui il est à la rue. Il n’a ni toit ni revenu... Mais il
peint... sur du carton trouvé près des poubelles, près des déchets
des autres..Tll peint, ne vit que sa peinture et ne fait que cela.
Misère et rue donnent une peinture étonnante, équilibrée,
baroque/moderne, drôle, tendre, dure... Ko raconte Papeete...
une
beauté différente...
un
talent
rare
!
Oeuvre de Michel Ko
EDITIONS
TEITE
ISBN 2-9518794 2-3
Fait partie de Litterama'ohi numéro 4