B987352101_PFP1_2003_003.pdf
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Revue
Littérama’ohi
053 8
-
Te hotu Ma’ohi -
22
3
Numéro 3
En partenariat avec I'
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Revue
Littérama’ohi
Ramées
de Littérature
Polynésienne
Membres fondateurs
Patrick AMARU
Michou CHAZE
Flora DEVATINE
Danièle-Taoahere HELME
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Jimmy LY
Chantal SPITZ
A/ W 1o$
Littérama’ohi
LISTE DES AUTEURS DE LITTERAMA’OHI : N°3
1 -ALLAIN Kareva Mateata
2 - AMARU Patrick Araia
3-ATAAlexandre Moeava
4 - BROTHERS-TEORE Gilberte
5 - CHAZE Michou
6 - COEROLI Annie, Reva’e
7 - De CHAZEAUX Michèle
8 - DEVATINE Flora
9 - GERARD Bertrand-F.
10 - HELME Danièle-Taoahere
11 - LY Jimmy
12 - MARSAUCHE Gilles
13-MERE Jean
14 - PAMBRUN Jean-Marc Teraituatini
15 - ROOMATAAROA- DAUPHIN Voltina
16-SPITZ Chantal T.
17 -TARAUA
18 - TEISSIER- LANDGRAF Marie-Claude
19 - TUHEIAVA Vahi Sylvia (pi’i-hia Sylvia RICHAUD)
20 - VIGOR Raymond
21 - VILLIERME Marie-Hélène
L’artiste peintre : Raymond Vigor
4
SOMMAIRE
4
5
p. 7
p. 11
p. 12
Liste des auteurs - Titre
p.
Sommaire
p.
Les membres fondateurs La revue Littérama’ohi
Editorial de Chantal Spitz
Informations
DOSSIER
:
OÙ SOMMES NOUS ? »
-
Où êtes vous Chantal T. SPTIZ, Jimmy LY ?
Propos recueillis par Gilles MARSAUCHE
-
p.
Michou CHAZE
C’est çà pa/'a le problème
Flora DEVATINE
Où en sommes nous ?
Alexandre Moeava ATA
A la recherche d'un peuple et de sa langue
!
19
24
p. 34
p. 48
p. 62
p. 67
p. 72
p. 73
p.
p.
Danièle-Taoahere HELME
Où sommes-nous ? Contrastes et Réalités
Araia Patrick Amaru
Ta to’u rima e ueue, ta to’u ia rima e ooti...
Jimmy LY
Ma disparition est-elle inévitable ?
TARAUA
Question de temps
!
Marie-Claude TEISSIER- LANDGRAF Où en sommes nous ?
Chantal T. SPTIZ
14
Ecrire-contester p. 80
(Thème du prochain dossier : «Quelle langue d'écriture ?»)
ECRITURES
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
p.
84
Extrait de TAHITI RACINES ET DECHIREMENTS
(Tahiti Herehia, Tahiti Rahuia)
chapitre Les vacances à Paea. Traduit en anglais par Dr. N. CARRUTHERS
Michou CHAZE
Chantal T. SPITZ
L’IRAK... cette guerre
Extrait de Elles Terre d’Enfance
p.
94
p. 101
Gilberte BROTHERS-TEORE, Vve LUCAS Mehara no to’u tamari'iri’ira’a... p. 106
p. 112
MERE Jean
Pehepehe
Vahi TUHEIAVA-RICHAUD
E vahiné
Annie COEROLI
Rapatriement des «ivi tupuna»
Marie-Hélène VILLIERME
De
la
p. 117
oe
naissance
officielle
polynésienne contemporaine
p. 130
d’une
photographie
p. 143
5
Littérama’ohi
CRITIQUE LITTÉRAIRE
Kareva Mateata ALLAIN Les auteurs ma’ohi de la Polynésie française :
Une résistance passive contre le mythe de la vahiné
p. 146
ACTUALITÉ LITTÉRAIRE
Concours Littéraire Prix du Président
p. 163
(Journée du Reo Ma’ohi - 28 novembre 2002) :
Voltina ROOMATAAROA-DAUPHIN
Texte d’introduction des résultats
Lectures publiques de Littérature Polynésienne
(11 décembre 2002) :
Michèle De CHAZEAUX
Lectures publiques
p. 168
Gilles Marsauche
Introduction
p. 171
Voltina ROOMATAAROA-DAUPHIN
Poèmes d’introduction
p. 172
Séminaire «Ecritur.es de l’identité»
(Paris- octobre 2002) :
Bertrand-F. GERARD
Ecriture et identité
p. 174
Flora DEVATINE
Dans quelle langue écrire
p. 178
Colloque International «Paul Gauguin : héritage et confrontations»
(Tahiti 6-8 mars 2003)
Flora DEVATINE
Paul Gauguin, de la confrontation
l’héritage (Extraits)
p. 186
Chantal T. SPITZ
Confrontation
p. 197
Jean Marc PAMBRUN
Triste sauvage (Extraits)
p. 199
UNE ŒUVRE
Raymond Vigor une biographie
Raymond Vigor présenté par Michou Chaze
6
p. 204
p. 210
Littérama’ohi
Ramées de Littérature Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi
Elle a été fondée par un groupe apolitique d’écrivains polynésiens associés librement.
Il s’agit de :
Patrick AMARU,
Michou CHAZE,
Flora DEVATINE,
Danièle HELME,
Marie-Claude LANDGRAF,
Jimmy LY,
Chantal SPITZ.
Le titre et les sous-titres de la revue traduisent la société polynésienne d’aujourd’hui :
«Littérama’ohi», pour l’entrée dans le monde littéraire et pour
l’affirmation de son identité,
-
«Ramées de Littérature
Polynésienne», par référence à la
papier, à celle de la pirogue, à sa culture francophone,
«Te Hotu Ma’ohi», signe la création féconde en terre polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par le ginseng des caractères
chinois intercalés entre le titre en français et celui en tahitien.
-
rame de
-
La revue a pour objectifs :
«- de tisser des liens entre les écrivains
originaires de la
Polynésie française en leur offrant un espace de rencontre, de partage, de découverte, de soutien, d’encouragement mutuels,
de faire connaître tous ceux qui écrivent, qui s’expriment (conteurs,
romanciers, poètes, essayistes, auteurs de pièces de théâtre...),...»
de faire connaître la variété, la richesse et la spécificité des
auteurs originaires de la Polynésie française,
-
-
7
Littérama’ohi
les faire reconnaître dans leur identité, leur originalité, dans
leur diversité contemporaine,
-
-
-
de faire connaître les écrits des auteurs polynésiens,
de donner à chaque auteur l’occasion de prendre date (son
œuvre
continuant à lui
appartenir en propre) et de devenir un
«auteur oublié».
Par ailleurs, c’est aussi de faire connaître les différentes facettes de la culture polynésienne à travers les modes d’expression traditionnels et modernes que sont la peinture, la sculpture, la gravure,
la photographie, le tatouage,
la musique, le chant, la danse,
Les travaux de chercheurs, des enseignants...
D’une façon générale, c’est initier une dynamique entre gens de
culture polynésienne, auteurs, créateurs, intellectuels qui sont l’ex-
pression d’une conscience, d’une écriture, d’une littérature polynésienne,
Dans le respect de l’expression de chacun, en langue polyné-
sienne, chinoise, occidentale,
Avec l’ouverture d’esprit qui favorise l'écoute de l’autre, qui faci-
lite la compréhension de soi par l’autre, qui permet l’échange avec
l’autre,
Et pour en revenir aux premiers objectifs, c’est avant tout
Créer un mouvement entre écrivains polynésiens.
La Revue
:
La revue a à cœur de présenter systématiquement :
-
En 4° page de couverture une œuvre d’art (une gravure, une
sculpture, un bijou d’art, une photographie d’art... d’artistes polyné(peintres, sculpteurs, tatoueurs, photographes
en noir et
blanc, la couleur étant d’un coût excessif)
siens
-
...
Et en 3° de couverture, le titre de l’œuvre d’art avec une notice
sur l’artiste.
La périodicité de parution de la revue est de 2 numéros annuels.
8
Le nombre de pages
me
des auteurs
:
variera selon l’inspiration et l’enthousias-
c’est ainsi que devant le succès du n°1 ce
nombre a été revu à la hausse.
Le tirage
a
été également augmenté. Pour mémoire, le n°1 a
été tiré à 500 exemplaires..
Langue d’écriture des textes destinés à la parution :
En vue d’une publication, les textes peuvent être écrits en fran-
çais, en tahitien, ou dans n’importe quelle autre langue occidentale
(anglais, espagnol,.. ) ou polynésienne (mangarévien, marquisien,
pa’umotu, rapa, rurutu...), et en chinois.
Toutefois, en ce qui concerne les textes en langues étrangères
comme pour ceux en reo ma’ohi, c’est à dire en l’une ou l’autre des
langues polynésiennes,
Il est recommandé de les présenter dans la mesure du possible
avec une traduction, ou une version de compréhension, ou un
extrait en langue française.
Les auteurs
Dans l’objectif de faire connaître les écrivains, comme les artis-
tes, polynésiens qui y seraient publiés, chaque auteur dispose dans
la revue de 2 à 8 pages pour présenter un écrit portant sur une ou
plusieurs de ses œuvres, ou sur le thème de réflexion proposé.
Chaque écrit fourni, et délimité par l’auteur dans les conditions
matérielles qui lui seront définies, est clos ou introduit par une notice bio-bibliographique rédigée par l’auteur ou avec son assentiment.
Le principe étant que les auteurs sont propriétaires de leurs
écrits, et seuls à porter la responsabilité du contenu de ceux-ci et
des opinions émises.
En général tous les textes seront admis sous réserve qu’ils
respectent la dignité de la personne humaine.
Comité de lecture: Il n’est pas mis en place de Comité de lecture chargé d’endosser la responsabilité de ce qui y est écrit et publié.
9
Littérama’ohi
Mais
un
Comité de direction composé des membres fonda-
teurs décide,
à la majorité des membres fondateurs présents, du
contenu et du montage de chaque numéro de la revue.
Destinataires du N°2 de la revue :
Présidence, Ministère de la Culture, Service de la Culture,
Maison de la Culture, Fare Vanaa, Universités, Ecole normale, lufm,
Presse, Archives et bibliothèques, les membres fondateurs, les
auteurs
publiés.
Participation des auteurs :
Chacun des auteurs publiés dans un numéro contribue financièrement à sa parution à hauteur de 2.500Hcfp,
Le surplus du coût étant couvert par des dons, des
sponsors.
Appel - invitation pour le prochain numéro :
-
Ecrivains et artistes polynésiens,
Cette revue est la vôtre
: tout article bio et
bibliographique vous
concernant, de réflexion sur la littérature, sur l’écriture, sur la langue
d’écriture, sur des auteurs, sur l’édition, sur la traduction, sur l’art, la
danse, ...ou sur tout autre sujet concernant la culture, est attendu.
-
Ecrivains vivant en Polynésie,
«Littérama’ohi
Ramées de Littérature Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi»,
Vous accueille et vous ouvre ses pages
!
Quelle conscience polynésienne émerge de ces écrits de
Polynésiens ? Quelle identité polynésienne s’exprime et se cons?
truit dans la littérature polynésienne d’aujourd’hui
A découvrir !
Bonne lecture !
10
Editorial
Une année deuxième salon du livre troisième numéro de littérama’ohi
déjà seulement avec nos enthousiasmes nos hésitations
encouragements vos critiques moment important de l’année ou les écriveurs s’exposent les lecteurs s’éprouvent les idées
débattent les esprits confrontent commune appétence pour l’envol
de notre littérature l’expression de notre originalité culturelle.
Nous avons souhaité partager avec vous une réflexion engagée autour d’un thème défini par le comité l’essentiel restant le
respect de la liberté de chaque auteur tant dans le déroulement de
sa pensée que dans la forme de son écriture. “Ou sommes-nous”
nous a paru un questionnement intéressant en ces temps hasardeux afin d’éviter de nous noyer dans un océan d’incertitudes et
poursuivre pacifiquement notre traversée littéraire. Le texte documenté argumenté de Alexandre Moeava Ata bien que rédigé indépendamment du thème a trouvé naturellement espace dans un dossier a l’image de la pensée de la créativité polynésiennes polyforme
polyphone polygraphe. Nous espérons des textes multipliés pour le
prochain numéro afin d’enrichir d’aiguiser nos consciences autour
du thème “quelles langues d’écritures”.
avec vos
Littérama’ohi lien entre les lecteurs les auteurs les artistes
déploie dans ce troisième numéro des regards intérieurs des témoignages généreux des analyses résolues des raisons matures il
donne a lire des textes a faire grincer les dents s’alléger les cœurs
se hérisser le poil se rafraîchir les idées multiple
élégance de nos
multiples compositions.
Souffle le vent vogue la pirogue pour un plaisir d’écrire fécond
pour un plaisir de lire infini.
Chantal T. Spitz
11
Littérama’ohi
INFORMATIONS
Une première :
CREATION DU PREMIER PRIX LITTERAIRE décerné par des étudiants de l’UPF à un roman publié en Polynésie
.
Remise du Prix lors du
2° Salon du Livre (24-26 avril 2003, Place To’ata)
Ouvrages parus :
-
CREATIVITE de Daniéle-Taoahere HELME,
Imprimerie Polytram,4° trimestre 2002.
-
PUHIHAU
:
Valérie GOBRAIT
poèmes Prix Henri HIRO de Tane a RAAPOTO -
Arai’a Patrick AMARU
Te Fare Tauhiti Nui - Maison de la Culture,
Impression STP-Multipress, février 2003.
-
LUE DES REVES ECRASES de Chantal T.
SPITZ, (réédition)
Editions Aux vents des îles.
-
MUTISMES deTitaua PEU, Editions Haere Po.
A noter la parution du :
-N°4deTEU’l MATA, La Voix des Etudiants
,
(Mars!Avril 2003)
:
tout un dossier consacré à la littérature, à l’édition.
A relever.
Plusieurs expositions de peinture à Te Fare Tauhiti Nui-Maison de
la Culture (Léon TAEREA, Raymond VIGOR
,
Bobby HOLCOMB, ...)
Exposition de peinture de Ueva TANE, Hubert FAREEA, Mauarii
MEUEL, Eriki MARCHAND, et dédicace de PUHIHHAU, recueil de poèmes, Prix Henri HIRO de Tane a RAAPOTO - Valérie GOBRAIT - Arai’a
Patrick AMARU.
(24-28 mars 2003, Salle Muriavai - Te Fare Tauhiti Nui - Maison de la
Culture)
12
Dossier : Où sommes-nous ?
Dossier
Où sommes-nous ?
Il était de bon ton de s’étonner de l’existence d’une lit-
térature polynésienne.
vous
«Vous existez, mais alors où êtes-
?» pouvait-on entendre.
Aujourd’hui la question prête à sourire. Les écrivains
polynésiens publient, même si notre impatience souhaiterait une production plus intense, ils et elles écrivent (dans
des revues), interpellent (lors de colloques), débattent avec
les lecteurs (et rencontrent des lycéens, des étudiants, des
universitaires). Ils et elles sont à leur place dans la solitude
de l’écriture, dans l’imaginaire ou le reflet de notre société,
dans le témoignage ou le fictif.
Ce premier dossier de la revue Littérama’ohi interroge
les écrivains sur l’espace qu’ils occupent aujourd’hui.
Chacun à sa manière propose une lecture autour de la
question «Où sommes-nous ?».
Michou Chaze questionne l’aujourd’hui pour préparer
demain, Flora Devatine questionne l’écriture, Alex Ata
questionne l’Histoire, Danièle-Taoahere Helme raconte en
trois nouvelles, Taraua par la poésie, Marie Claude TeissierLandgraf élargit sa tente au Pacifique, Chantal T. Spitz voit
dans l’écriture une contestation et répond avec Jimmy Ly à
une
interview.
Ce dossier se veut ouvert, c’est un lieu de dialogue, il
appelle vos réactions et vos contributions.
13
Littérama’ohi
«Où êtes-vous ?»
L’écrivain se reflète dans son œuvre, miroir de la société. Au
croisement des influences et à la recherche de sa voie (voix
?), il
suscite, subit, s’expose. Attendu, disséqué, analysé par les spécialistes de littérature,
compris ou incompris il se doit d’accepter les
regards du lecteur sans se renier. Conteur, provocateur et/ou messager, il tient son rôle. Deux écrivains ont accepté de faire le point
sur leur situation d’auteur aujourd’hui.
Nous avions rendez-vous à midi dans un restaurant chinois.
«Tu verras, m’avait dit Jimmy Ly, chez D. tu mangeras des trucs que
tu n’as jamais mangé». Chantal T. Spitz avait acquiescé, l’ambiance, les parfums, l’intimité du lieu, tout cela la transportait au-delà de
nos frontières culturelles.
Il avait fallu les convaincre de se prêter au jeu de l’interview
«Pourquoi moi ? Est-ce qu’on n’a pas déjà tout dit ? Fiu tes questions...». Ils étaient aussi excités par cette mise au point que par ce
face à face.
Mais dès ma première question, «Où êtes vous aujourd’hui, là,
maintenant ?», ils ont pris la tangente.
Jimmy Ly n’a pas voulu s’exposer avant de rendre hommage à
la revue Littérama’ohi, «en côtoyant des écrivains de différentes cultu res, elle m’a fait un bien fou. Ces rencontres m’aident à aller au
bout de mes possibilités, j’écris différemment, mon esprit s’est remis
à fonctionner.»
La richesse de cette mise en commun, Chantal T. Spitz la sou-
haitait depuis longtemps, «c’était fiu les séparations entre les chinois d’un côté et nous de l’autre. Et enfin Flora Devatine a réussi à
nous
réunir. Mais ce que je cherche c’est une réflexion commune
sur notre travail».
14
Dossier : Où sommes-nous ?
Littérama’ohi
: Pour vous l’écrivain a-t-il un rôle
particulier
aujourd’hui, en Polynésie, est-il porteur d’une conviction qu’il
veut partager ?
Jimmy Ly : Bien sûr, j’ai un message à passer pour les gens de
communauté. J’ai une conviction très profonde. Si les chinois
ma
perdent leur particularité originelle, ils n’apporteront plus rien à la
société polynésienne de demain. Ce n’est pas parce qu’on prend
des cours de Tamure chez V. qu’on est Polynésien. C’est peut-être
qui nous demandent à nous d’apporter ce que l'on a de meilleur.
Mais si je ne me fais pas comprendre ce n’est pas mon problème. J’écris pour moi, par plaisir, le
message reste secondaire.
Chantal T. Spitz : Je ne me pose pas comme quelqu’un qui
veut passer un message. Les lecteurs demandent une littérature
avec une vision tahitienne de la société, avec une
exigence d’engagement mais pas forcément pour dénoncer ce qui est, ou la vision
occidentale portée sur nous, mais pour remettre les choses au
point, avec notre perception.
eux
L.
:
Vous écrivez pourtant, «j’entre en écriture comme on
entre en résistance».
Chantal T. Spitz : Contre l’enfermement dans lequel on nous a
tenu
depuis 200 ans, il faut résister. Mon moyen c’est l’écriture.
C'est surtout contre la connerie, qu’elle soit française ou tahitienne
(ou chinoise glisse Jimmy Ly), c’est juste pour être un être humain.
Nous sommes les premiers à écrire, il nous faut donc nous
inscrire dans notre histoire. Les textes que j’écrivais où le peuple
était beau et où nous étions des Hommes, c’est fini. Je suis maintenant dans la réalité, le désastre.
L.
Jimmy, vous écrivez que vous ne voulez pas avoir des
petits enfants qui vous reprocheraient de n’avoir rien laissé. Y
:
a-t-il dans l’écriture le besoin de laisser une trace ?
15
Littérama’ohi
Jimmy Ly : Il y a chez tous les chinois ce souci de vouloir perpétuer la lignée, le nom. A la lumière de l’expérience de vie commune, il faut mesurer l’efficacité et l’utilité de nos coutumes. Je ne parle
pas de ces idioties comme bander les pieds des femmes. Ce que je
veux laisser à mes enfants c’est un viatique, des règles, des principes pleins de bon sens. Je voudrais qu’ils conservent cela mais
qu’ils se retrouvent aussi dans les autres cultures. Et puis ce qui est
bon chez l’autre n’est pas forcément bon pour nous. Il faut faire la
part des choses. Çà aussi c’est un apprentissage.
L.
: Est-ce par
nostalgie ou pour donner un sens à l’avenir ?
Jimmy Ly : Ce n’est pas de la nostalgie. Si personne ne dit rien,
il ne reste que nous, écrivaillon. Nous ne sommes pas Proust, si on
laisse une trace, si quelqu’un dit, «c’est vrai, il faut perpétuer cela»,
alors on a fait notre boulot, non seulement de citoyen, mais d’homme.
Chantal T. Spitz : Je ne suis pas dans le registre de la nostalgie.
Bien sûr quand on parle de mia... Élégance Tahitienne, c’est ie plaisir
du souvenir, c’était comique cet art de vivre, les «Quinn’seuses» dans
leur décapotable, rentrer à une heure du matin sans avoir l’inquiétude
de se faire violer. Aujourd’hui je ne vais plus au cinéma le soir. Mais il
faut que l’on arrête de se poser en victime. Nous devons être responsable de notre destin, assumer.
L.
: Avez-vous le sentiment d’être à la croisée de
plusieurs
styles littéraires ?
Jimmy Ly : Quand je me relis, je n’ai pas le sentiment que
c’est un chinois qui a écrit. J’écris avec les règles de la grammaire
française et avec ce que je ressens. J’aime la littérature classique,
Stendhal mais pas Céline. Je n’aime pas torturer les phrases. Il est
très difficile d’entrer dans les circonvolutions de la littérature chinoise.
Même le prix Nobel...
Chantal T. Spitz : «La montagne de l’âme», ô mon dieu, quelle horreur !
16
Dossier : Où sommes-nous ?
Jimmy Ly :
En plus traduit, la langue se perd. «Hakka» en
anglais, çà ne vaut rien du tout.
Chantal T. Spitz : Ce qui m’intéresse c’est ce qui est dit. Par là je
me sens proche de la littérature des minorités, noire américaine,
antillaise, maghrébine ; J’aime ce que dit Sia Figiel mais pas son style.
...
L.
: Avez-vous des envies d’écriture
?
Jimmy Ly : J’aimerais écrire des romans mais je ne sais pas
un personnage. Peut-être que je n’ai pas assez vécu.
J’écris toujours le même livre comme dit J.L. Le Clezio.
Chantal T. Spitz : Pour écrire des romans, il faut beaucoup lire
pas forcément beaucoup vivre. J’ai écrit des textes pour enfant. Je
n’ai envie d’écrire que des romans.
Jimmy Ly : Je souffre d’un manque d’appartenance. J’ai la
peau blanche, les yeux verts, je ne suis pas chinois avec des
parents chinois... Il faut bien que je souffre de quelque chose (dit-il
en riant).
Chantal T. Spitz : Par contre un chinois qui a les mêmes interrogations que nous, c’est étonnant.
Jimmy Ly : Je sais qu’il y a quelque chose derrière la calligraphie, çà me tracasse, je vais défricher le chemin pour mes enfants.
Chantal T. Spitz : J’ai aussi écrit mon premier livre pour mes
enfants, comme un testament. Au départ tu écris pour quelqu’un,
après tu écris.
inventer
L.
un
: Le
français comme langue d’écriture, c’est un choix ou
accident ?
Jimmy Ly : Je n’ai pas eu le choix. Mes parents pensaient que
tout ce qui était chinois était mauvais et que tout ce qui était popa’a
était bon.
Chantai T. Spitz : Çà a été un long questionnement pour tous
les écrivains polynésiens. J’ai accepté d’écrire en français. Je n’écris pas
les mêmes choses ni sur les mêmes sujets en tahitien.
17
Littérama’ohi
Et l’énergie que je mettrais à écrire un roman en tahitien ne vaudrait
pas le coût parce que personne ne lit dans cette langue. Quand je
rencontre des lycéens, ils sont unanimes, ils ne comprennent même
pas le tahitien, alors ils nous demandent d’écrire en français.
On m’a donné la langue en essayant de me donner la culture
française, mais on a jamais vécu comme des français, à cueillir des
pommes, à regarder la neige tomber, à débattre entre gauche et
droite. Tout ce qui fait que tu es français, on ne sait
pas. La culture
française que j’ai, vient des livres, pas de la réalité. Et je ne peux
pas oublier que c’est la langue du colonisateur, même si ce débat
est dépassé et qu’on en a fait le deuil. Le français c’est la
langue de
ma tête, mais la langue de mes
tripes c’est le tahitien, la langue de
l’affection.
Jimmy Ly : Mes années charnières, je les ai passées en
dehors du pays, en dehors de ma famille, huit années en France,
dans un pensionnat. J’ai dû faire comme les autres, un peu caméléon, un peu perroquet. Je me suis fait tout seul avec des influences
diverses. Résultat, rien ne me déplaît, je suis comme une
éponge,
j’absorbe rapidement et je garde ce qui est bon.
Chantal T. Spitz : En même temps on a plein de souvenirs
communs. Moi, on m’a colonisée. Lui, il a
émigré.
Jimmy Ly : Si tu me demandes si je suis français, je dis oui,
polynésien, oui, chinois, oui.
Et le débat pourrait continuer des heures. Encore sur le trottoir
nous poursuivons, sur le rôle de
l’intellectuel, «ce n’est pas un mot
de notre vocabulaire, ici» dit Jimmy Ly. «C’est juste un mot
qui
impressionne» dit Chantal, qui ajoute «je ne prétends pas changer
le monde».
Ces deux-là savent où ils sont, d’où ils viennent, où ils vont, leur
seul tort ne pas s’en contenter, pour notre plus grand
plaisir.
Propos recueillis par
Gilles Marsauche
18
Dossier : Où sommes-nous ?
Michou CHAZE
C’est cà païa le problème
!
Il y a quelques temps, un ami me racontait sa rencontre surréa-
liste avec un habitant de Moorea. Il était assis sur un quai, tout seul,
à la tombée de la nuit, lorsqu’un jeune homme est venu s’asseoir
près de lui et a engagé une conversation.
Ses premiers mots furent :
-
«Il faut s’entraîner !»
tout en faisant, debout, des gestes très explicatifs. Des coups
de poings dans l’air, devant, derrière, sur les côtés. Quelques coups
de pieds en direction
-
d’un ennemi invisible.
«Il faut s’entraîner ! C’est çà païa le problème
Le problème, c’est quoi
!»
?
Je vois, j’écris, je crie.
Ou... dois-je me taire
?
Etre écrivain dans un pays où personne ne vous lit. Etre écripays où toute pensée opposée à celle de
l’Establishment est rejetée. Etre écrivain dans un pays qui a donné
vain
au
dans
un
monde le tatau, le surf et le hoe ana. Etre écrivain dans un pays
qui a subi les tests nucléaires. Etre écrivain dans un pays qui n’est
même pas un pays.
C’est çà le problème
!
Quel rôle les écrivains et les artistes doivent-ils jouer dans la
société ? Peut-on définir ce rôle ? Peut-on le fixer, le déterminer, le
décrire de manière claire ? Doit-on le faire ? Les meilleurs écrivains savent
qu’abuser de cette liberté durement gagnée ferait
d’eux de mauvais artistes.
19
Littérama’ohi
J’étais semble-t-il, à la sortie de VAI, ce que l’on
appelle commuPourquoi m’a-t-on étiquetée ainsi ? Et
pourquoi cela me fait-il grincer des dents ? J’étais un «auteur engagé»
parce que, au moment de la sortie de VAI, j’adhérais au mouvement
pour l’Indépendance et je manifestais contre les essais nucléaires.
«Mais qu’est-ce qu’elle avait besoin de l’ouvrir celle-là ? Ne
pouvait-elle pas se contenter d’écrire, d’être un gentil petit poète,
tout doux, qui dit de gentilles petites prières ?»
nément un «auteur engagé».
-
J’ai sorti TORIRI. J’étais alors devenue un «auteur
religieux».
D’autres ont rallongé l’étiquette qui est devenue : «auteur reli-
gieux engagé». «Elle écrit bien, mais le problème c’est qu’elle est
un peu religieuse» a-t-on entendu dire...
-
«C’est çà païa le problème !»
En fait ces affreuses appellations vous sont
appliquées, non
pas parce que votre œuvre est politique ou religieuse (ne parlons
pas de littérature bien entendu !), mais parce que vous prenez position. Vous prenez parti. Pire: votre point de vue est clair.
Ne croyez-vous pas qu’il puisse y avoir, dans la vie d’un
peu-
pie, un temps où le climat politique exige que même les individus les
plus «raffinés» prennent ouvertement position ?
Je pense que cette heure est venue.
Je pense que, dans les années à venir, les intellectuels et les
artistes seront amenés à prendre parti, et cette fois, contrairement
à la lutte pour l’Indépendance, nous n’aurons
pas le luxe de cornbattre des colonisateurs. C’est nous que nous devrons combattre.
Nous serons amenés par la force des choses, à nous
poser de
pénibles questions sur nos valeurs et nos traditions, sur notre vision
du futur, nos responsabilités en tant que citoyens, sur la
légitimité
de nos institutions, le rôle du Gouvernement, de l’Etat, de la
police,
de l’armée, du pouvoir judiciaire et de la communauté intellectuelle.
20
Dossier : Où sommes-nous ?
Depuis quelques temps, la Polynésie épouse son passé de pays
colonisé. Elle fait la noce. A grands coups de casernes coloniales, de
belvédères, de trônes, de carnaval, de médailles, de bustes, et j’en
passe... pendant qu’un peuple se meurt en hurlant de tout son être
enflé, gonflé, sniffé, champignonnisé, alcoolisé, tranquilisanné...
accidenté... violenté... désespéré... misèré... insulté...
Or, depuis quelques temps, une autre menace se profile à l’horizon.
Il ne s’agit pas d’une guerre, ni d’une purification ethnique, ni
d’un génocide, ni d’une famine, ni d'une épidémie, ni même d’une
nouvelle bombe.
Elle s’est imposée à nous sans que nous nous rendions compte ;
comme un besoin ; un mal nécessaire. Elle
elle est devenue
concerne des
questions aussi ennuyeuses que l’écoulement du tra-
fie, la construction de nouvelles routes, rond-points et tunnels, boulevard Pômare et places... Tahiti a perdu sa paix comme on perd
temps, sans s’en apercevoir. Processus d’une telle ampleur
qu’il est sans précédent. Vous aurez deviné que je veux parler de la
son
Mondialisation.
On aurait très bien pu s’en passer, nous petit «pays» de
200.000 habitants, et regarder le reste du monde entrer dans la partie,
comme on
regarde un match de foot.
Qu’est-ce que cela va nous apporter ?
La mondialisation va-t-elle doter de générosité ceux qui depuis
plusieurs siècles ont une longueur d’avance ?
Cette mondialisation s’intéresse t-elle à l’éradication de la pauvreté dans le monde, ou bien n’est-elle qu’une variété mutante du
colonialisme, commandée à distance et contrôlée par nous ne
savons pas très bien qui ?
Voilà de bien grandes questions.... Et les réponses varient
selon qu’elles proviennent des taudis ou des quartiers sociaux, des
salons de la classe moyenne florissante-qui-vit-à-coups-de-loyers,
21
Littérama’ohi
des tables feutrées de l’Université
ou
des salles de conseil des
entreprises ou encore de celles des ministres.
-
«C’est çà païa le problème
!»
Ce qui se passe aujourd’hui n’est pas un problème. Les débats
que nous pouvons soulever aujourd’hui ne sont pas des «causes».
Ce sont des grands cataclysmes politiques et sociaux qui ébranlent
le monde. Le problème c’est que lorsqu’on a pris conscience de
cette nouvelle menace, on ne peut plus l’ignorer. Se taire ou ne rien
dire, devient un choix politique. Quelque soit votre choix, vous êtes
responsables.
Si la
majorité de la population n’a pas encore vraiment pris
conscience de ce qui est en train de se passer, c’est à nous, écrivains, poètes, artistes, chanteurs, compositeurs, acteurs, danseurs,
qu’il incombe de faire les rapprochements. Nous avons le pouvoir
de décrypter les journaux «télévisés», les diagrammes des flux
monétaires, et les discours mirobolants des politiciens, universitaires, scientifiques, etc... pour en faire de vraies histoires, qui parlent
de vraies personnes, dans la vraie vie tout autour de nous, dans
notre vrai pays. Des histoires qui racontent ce que c’est que de
céder son pays, ses terres, sa maison, ses enfants, son emploi, sa
dignité, son passé et son futur à une force invisible, que l’on ne peut
pas haïr, que l’on ne peut même pas imaginer
.
Un nouveau défi s’offre à nous aujourd’hui. Ce défi va permettre à une
nouvelle forme d’art de s’exprimer. Les cocotiers et la piro-
gue sur la plage. Mais bien sûr !
Mais surtout un art capable de rendre visible l’invisible et évitable l’inévitable.
Un art capable de démasquer l’adversaire incorporel et de Tinscrire dans la réalité.
Nous pouvons mettre l’écriture au service de cet art.
22
Dossier : Où sommes-nous
Aujourd’hui, plus que jamais dans toute l’histoire, les pays les
plus puissants du monde veillent farouchement à la liberté d’expression des écrivains. Quiconque tente ouvertement de faire taire la
voix d’un artiste s’expose à une sévère opposition. L’écrivain est
protégé et défendu. Dans ces pays dits puissants, l’artiste est plus
libre que jamais.
A Tahiti, ne le serions-nous pas tout autant
? Il faut s’entraîner !
C’est çà païa le problème.
Michou Chaze
Littérama’ohi
Flora Devatine
Où sommes-nous ? Où en sommes-nous ?
Ces questions, dès l’abord, en appellent d’autres: «Dans quelle langue, dans quelle culture et structure de pensée se situer pour
y répondre
? En quelle langue penser, parler, écrire ?»
Pensée en français, la question «Où sommes-nous
ne la
nous
?», concersituation, la place à occuper, le rôle à tenir à un moment : «Où
mettons-nous ?Quel est notre rôle ? Que pouvons-nous,
qu’allons-nous faire ?»
Pensée en tahitien, la question nous interroge plus profondé: «C’est qui ce lieu-entité où nous nous tenons ?», en d’aut-
ment
res
termes, «Qui sommes-nous, que sommes-nous en ce lieu ?»
Quant à «Où en sommes-nous ?», c’est un bilan et la formule
la plus ouverte : «A quel endroit de notre tâche sommes-nous ?»,
Ce qui sous-entend : «D’où venons-nous et où allons-nous ?»
«Sur quelles actions du passé fonder le futur
?»
Ces questions, qui ne sont pas sur le même plan, nous les
retrouvons dans le titre du célèbre tableau-testament inspiré à Paul
Gauguin
:
«D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?»
Où la question «Où en sommes-nous ?», se décompose en
«D’où venons-nous ?» et «Où allons-nous ?»
Et où celle de «Où sommes-nous ?» correspond à la question
centrale du titre
:
«Que sommes-nous ?».
24
Dossier : Où sommes-nous ?
L’une nous amenant à nous situer dans l’espace, à nous positionner géographiquement dans le monde, et socialement dans la
vie, dans notre groupe humain, au point d’arrivée, de naissance,
d’ancrage, de résidence, de plantation, d’enracinement, de culture,
du moment,
L’autre, «Où en sommes-nous ?» nous renvoyant aux actes,
travail, à la notion de durée, de temps, temps du bilan, de la
récolte, temps de départ, d’un nouveau départ vers de nouveaux
au
lieux de voyage, de culture.
Quant à les examiner de façon plus personnelle :
«Où suis-je ou que suis-je ? Où en suis-je ?»
Pas très aisé d’y répondre, mais nous nous y lançons et assumons
!
Où suis-je
?
Je suis au monde ici à Tahiti survivant dans la solitude des trous
qui peu à peu se comblent et d’où je remonte à la face du monde,
Dans
vie différente de celle de
parents, de mes
grands-parents, de mes arrière-grands-parents, différente de celle
de mes enfants, de mes petits enfants, plus tard, de celle de mes
arrière petits-enfants, arrière-arrière petits-enfants.
une
mes
Je suis, sur le chemin de vie qui est le mien, à ma place qui est
celle de ceux de ma génération, en passe de devenir tupuna, ancê-
très, positionnés dans le relais, la transmission.
Je m'agite,
plus que je ne m’active, au milieu d’une jeunesse
dynamique, étudiants, artistes, poètes, jeunes auteurs pleins de
talents, porteurs d'espoir, d’avenir de la société polynésienne.
25
Littérama’ohi
ma
Et quand assise à ma table, je suis présente à moi-même dans
boîte crânienne comme dans mon corps de douleurs, j’observe,
je saisis, je décortique, je ressens !
Où suis-je
?
Dans ma vie-voyage en mer et sur pente de colline à escalader
puis à redescendre en même temps que le soleil couchant ?
A quel lieu d’avancée par glissement imparable ?
A mes lieux du passé croisés au point d’intersection où je me tiens !
Où suis-je
? Que suis-je ?
Je suis lieux du passé et de tous les espaces que j’ai traversés,
tant bien que mal, lieux de mémoire de vie, de chutes, de surf, dans
ma course en ce
Où suis-je
monde !
?
Je suis là où je me tiens, où je vis, où j’écris, chemin et
vie
au
point de croisement des espaces et des temps courus et parcourus
qui ont influé sur ma façon d’être, de penser,
Et où je fus confrontée aux autres, et avant tout à moi-même.
Où suis-je
?
De puis que la question insiste je suis à «
l’encrage » !
Et mon esprit galope dans sa curiosité impatient de voir ce qui
s’y accrocherait !
Où-suis-je ?
Au même point donc
?
A peine plus loin, là où je viens d’avancer, c’est à dire à mon
nouveau
lieu d’évolution !
Où en suis-je
?
plus grave que celle de savoir où je suis, me
projette dans les espaces et dans les temps passés de ma vie !
Cette question,
26
Dossier : Où sommes-nous ?
Où en suis-je
?
Une main s’en va gratter derrière la tête entre la nuque et l’o-
reille, marquant mon embarras et la préoccupation du temps par
rapport à ce qui doit être fait et reste à faire, à ce qui n’a pas été
jusque-là accompli:
«Que faire dorénavant ? Comment ? Quand ? Dans quel laps
de temps
?»
Devant le doute et l’angoisse qui s’insinuent, la leçon de toléet de
générosité de la vie inscrite dans la langue s’impose
pour rassurer : on peut toujours, pendant le laps de temps qui
reste, rattraper, essayer de faire mieux,
Pour la sauvegarde de la société,
Comme un dernier brin de tresse qu’il est toujours possible d’ajouter à la généalogie de l’histoire de la société.
rance
Où en suis-je?
Si la question de l’espace nous concerne individuellement, et
n’engage que l’individu, que nous seule,
Celle se référant au temps concerne l’ensemble du groupe
social, engage l’avenir, le maintien du groupe,
Une situation dans laquelle ma responsabilité y est en question,
engagée dans le bilan des actions à faire, de ce qu’il y a à accomplir, de l’utilisation maximale du temps qui reste !
Où en suis-je
?
Il y a eu un parcours de vie qui fut ce qu’il a été, tant bien que
mal, où on a assumé comme on a pu, et on en est encore à assumer,
espérant qu’en fin de compte et de parcours, on aura fait quelques
percées et avancées, en dépit des difficultés, des bouleversements.
en
Où suis-je au milieu des élucubrations de l’esprit ?
Un coup d’oeil sur les préoccupations ressenties dans le passé
et sur les actions menées, m’a surprise cherchant à faire la liaison
entre le passé et le présent avec un œil sur le futur,
27
Littérama’ohi
Donc, cherchant à couvrir tout le temps, m’appuyant sur le
passé (avec la culture avant tout orale, traditionnelle, que j’en avais
présent pour déjà
et que j’ai pu développer) pour rebondir sur le
écrire pour le futur.
Où suis-je
au milieu des auteurs polynésiens d’aujourd’hui ?
Si je me présente porteuse ne serait-ce que d’une parcelle infinitésimale de la culture du passé et du présent, alors je serai à la
base ou un tronc entouré d’une multitude de branches dont certainés
sont des branches maîtresses, et beaucoup d’autres, en atten-
te de se révéler ou de se fortifier,
Un tronc se chargeant d’insuffler la sève, et de canaliser l’ensemble dans une tâche essentielle qui est de faire éclore les talents
cachés ou qui s’ignorent,
L’avenir étant d’en faire éclore le plus possible.
Et en cela je me tourne vers l’avenir.
Où suis-je par rapport à l’écriture, à la langue d’écriture
?
C’est une écriture-discours, (un texte qui s’écoule continuellement
et s’éparpille, auquel je ne sais comment
asséner un temps d’arrêt)
C’est à dire, une écriture orale, une écriture parlée, par le flot et
l’agencement des mots et des phrases,
Parce que j’écris comme les orateurs parlaient.
S’il apparaît que je me définis comme un orateur qui écrit - et
dont le style,
dans ses trop rares moments d’inspiration, porte la
marque du souffle des orateurs -,
En réalité, je ne suis que trait d’union entre l’orateur et l’écrivain,
C’est à dire plus tout à fait orateur et pas tout à fait écrivain
!
Et c’est ainsi que je me trouve au centre de cette évolution littéraire orale et écrite !
28
Dossier : Où sommes-nous ?
Longtemps dans ce que j’avais entrepris, il s’était agi avant tout
de fixer les anciennes formes littéraires, de fixer les mots, les façons
de s’exprimer, de traquer le sens profond des mots.
C’est ainsi que sur le plan de la langue, je me sens être également trait d’union entre la langue ancienne tahitienne et celle
moderne française.
Je me trouve à la jonction entre deux mondes, et je
m’exprime
à partir de ces deux mondes, et sur ces deux mondes.
Où suis-je par rapport au tahitien ?
Je suis à la fois dans la langue tahitienne de ma famille et de
mon
milieu social d’origine,
Et dans la langue française acquise laborieusement,
progressi-
vement, et exclusivement au cours de nombreuses années d’étude,
de' séjours et de pratique,
Mais laquelle langue se trouve être celle de la famille que j’ai créée-,
C’est ainsi que je suis également et simultanément dans les
deux langues,
Et je fais le pont entre une rive et l’autre.
Cependant, la langue française reste mon champ de combat
personnel depuis l’école, depuis l’enfance, jusqu’au jour d’hui
Une période et des événements trop proches encore dans les
mémoires pour être dépassés définitivement !
.
Aujourd’hui, les jeunes Polynésiens donnent l’impression d’avoir fait le choix du français en tant que langue de communication,
langue de l’ouverture,
Sans doute parce c’est aussi la langue la plus enseignée.
Ce choix trop marqué amène à préserver les langues
polynésiennes, à essayer de les sauver, par l’enseignement, également
par l’écriture, par la création littéraire.
29
Littérama’ohi
Donc écrire, et notamment écrire en français, est une lutte intérieure permanente de maîtrise de la langue française, et à un autre
niveau, pour juguler tous les tupapa’u-épouvantails rencontrés sur
ma
route dans le passé
Ce qui
!
n’empêche pas de jouer des deux langues dont l’une
coule de source, et l'autre résiste, loin de l’essence des mots qui
révèlent la profondeur de la pensée notamment dans leur plus sim-
pie expression,
Et je m ‘émeus devant la justesse et la richesse de la pensée
densifiée ou cristallisée dans les mots de la langue.
Quand j’écris en français, je suis dans la tête, dans le cerveau,
je raisonne, insensible, j’intellectualise, et je construis mécaniquement !
Quand j’écris en tahitien, l’expression étant intériorisée,
Je ventrilise pour désentraver les entrailles, et pour que la langue qui remonte raconte les senteurs de l’enfance, les couleurs et
les sonorités de ma mémoire de fenua ‘aihere,
Et j’écris des poèmes, des paripari, des poèmes traditionnels à
la terre.
?
styles anciens gardés, inscrits en moi, je les transpose
dans l’esprit contemporain.
Où suis-je par rapport à la littérature
Les
Où suis-je dans mes activités du moment
?
Je suis avec des jeunes pour préserver la flamme, empêcher
qu’elle ne s’éteigne, pour faire passer un flambeau,
Le transmettre !
J’essaie de faire ce que les anciens dont ceux de la génération
de mes parents n’avaient pas fait, n’ayant pas eu le temps de le
30
Dossier : Où sommes-nous ?
faire, emportés qu'ils avaient été dans le boom économique, social,
moral, des médias et des cultures occidentales, polynésiennes et
autres, qui les avait submergés puis laissés en plan !
J’essaie de rattraper les choses, et je fais beaucoup d’études,
et de recherches, pour rattraper.
On dit que l’on est ce que la terre, lieu de naissance et lieux de
vie font de nous : je suis née et j’ai grandi jusqu’à dix sept ans à la
limite entre te fenua ‘aihere, la brousse, la campagne, la partie sauvage, inculte, vierge de la presqu’île, Te pari ,
Et le village appelé te ‘oire , «la ville», partie «urbanisée», civi-
lisée, de Tautira,
D’où
l’esprit sans frontière, sans limite, embrassant tout le
champ culturel, dans lequel il y a autant de place nécessaire pour
aborder presque tous les sujets :
Un monde intérieur vaste, étendu, que je sens large, vierge,
inhabité, à l’instar du paysage et des fonds marins qu'enfant j’avais
devant les yeux et que je scrutais intensément depuis la pirogue,
Tant ils m’attiraient, me fascinaient et m’effrayaient tout à la fois,
M’interrogeant à leur propos sur ce qu’ils renfermaient, portaient, cachaient, pendant les multiples et longues heures de voyage en pirogue, entre le Pari et le village.
C’est dire que mon esprit a encore bien des choses à conquérir
Et j’ai conscience de l’infini de l’esprit
!
!
Comme
j’ai conscience que les conquêtes modernes du
Polynésien doivent se faire par les études, par les essais ou par les
recherches sans cesse renouvelées !
Le champ est vaste,
Et loin d’être occupé totalement
!
31
Littérama’ohi
C’est la raison pour laquelle, nous devons nous mettre à l’écriture, à la recherche, au dépassement constant,
Et c’est la confrontation des esprits, des idées, des situations,
qui fait avancer.
S’y refuser, c’est s’interdire d’aller dans ces lieux inexplorés,
inhabités dans cet espace de l’esprit,
Et vis à vis des jeunes, des générations qui montent, on ne peut
les tenir à l’écart !
Le champ est vaste, très vaste,
On ne peut pas interdire au futur
!
langage au quotidien, il est un vocable
polynésien qui souvent s’accroche à l’esprit,
maoro, traduisant la longueur de temps et d’espace ainsi que
Parmi les termes du
«masser»,
Et il instruit
:
«Massage ! Un geste qui demande du temps, et les doigts courent sur la peau, et les mains prennent possession de la surface du
corps !
C’est la vie au fil des doigts et sur un filet de mono’i
!»
«Maoro ! Longueur de temps, d’espace, et passage-massage,
et pétrissage sur la méta-culture humaine
!
sonorités, reflet de ses
pensées, de ses désirs, de ses rêves, et descentes en lui-même,
Frappant, malaxant du bout des doigts, du crayon, du pinceau,
mots et peinture déversés et assemblés pour en faire une œuvre
Etalant des mots-couleurs, senteurs,
nouvelle,
Résultat de cultures pétries dans les détails, les traitements, les
thèmes, les motifs empruntés au passé, pour ouvrir le futur !»
32
Dossier : Où sommes-nous ?
Où sommes-nous ? Où en sommes-nous ?
Il est temps de
prendre acte des transformations, de faire le
point,
En se mettant à écrire, avant que tout ne se dissolve dans la
brume de l’oubli et du temps qui passe, ouvrant certes le futur, mais
créant la nostalgie,
Comme il est temps de rendre compte de son état, de son fonctionnement particulier, celui d’aujourd’hui.
C’est la raison de la revue Littérama’ohi.
Flora Devatine
(01-04-2003)
33
Littérama’ohi
Alexandre Moeava ATA
nom de
plume
TuoTe Ama
Mon mal vient de plus loin....
A la recherche d’un peuple et de sa langue
Un débat ambigü, et quelques gesticulations ont récemment
remis en lumière une question bien ancienne, plus générale que
celle tendant à faire que les justiciables puissent légalement s’exprimer
«dans leur langue».
Cette interrogation est inséparable d’une autre, ancienne elle-
même, et récurrente
: quel peuple dans notre pays est en droit de
revendiquer une langue en particulier ?
Nul problème ne cumule autant de mal-être. Il augure peut-être la
seule, la fondamentale revendication à venir : restaurer la dignité du
peuple d’ici dans la plénitude de son droit d’être ce qu’il est. Ce peuple
: «peuple maohi», «taata maohi», «nunaa
maohi», étant écarté le peuple «polynésien» ( Samoa, Tonga etc en
font partie). Ce droit est diversement revendiqué : intuitivement, mais
profondément, il apparaît à tous comme imprescriptible
est diversement dénommé
.
La présente contribution, entièrement personnelle faut-il le préciser, repose sur une double analyse : celle qui a cours, historique pour
ainsi dire, coloniale pour tout dire, d’une part ; et celle qui d’autre part,
34
Dossier : Où sommes-nous ?
cherche appui aux sens partagés, hérités de représentations trans-
mises, rassemblés autour de symboles, d’intuitions, de déclamations et dont la concordance vaut sentiment d’appartenance à une
même communauté d’hommes, dans un espace géographique
donné, un espace océanique propre, et s’exprimant en un langage
dont les variances n’entament plus de nos jours la commune reconnaissance de ce qu’il énonce.
1-) L’alambic de l’histoire
«Les peuples ne se décrètent pas»...
Voire...
La citation ci-dessus est empruntée au président Mitterrand, qui
commentait ainsi une décision du conseil constitutionnel à propos
du «peuple corse». Constitution en main, et ses divers appendices
successifs, ce juge - Diogène avait vainement cherché une mention
écrite particulière du «peuple corse». En effet.
On en déduit, et c’est déjà une singularité, qu’un peuple ne saurait exister que par l’attestation écrite de sa réalité.... par un autre
peuple, inventeur pour ainsi dire. On pense avec émotion à l’inspirateur de toutes les Constitutions modernes, ou des pratiques qui en
tiennent lieu, Pascal Paoli, Corse bien né,
protestant dans sa
tombe. J.J. Rousseau soi-même, dans son projet pour la Corse,
constatait déjà
qu’il
A-) Repères
y a un peuple corse.
aux deux bouts de la chaîne :
prise de possession partielle aux Marquises par E. Marchand le
22 juin 1791, puis annexion par Dupetit-Thouars le 1er mai 1842 : la
-
violence des contacts entre Français et Marquisiens ne peuvent qu’at-
tester, c’est le moins qu’on puisse dire, l’existence d’un peuple) ;
9 septembre 1842 : offre et acceptation provisoire du protectorat sur Tahiti (les textes ne le précisent pas, seul en fait mention le
-
35
Littérama’ohi
grand juge Paofai dans sa lettre séparée d’adhésion du même jour) :
«la
souveraineté, l’autorité de la reine et celle des chefs sur leurs
peuples sont garanties», comme «est garantie la possession des
terres de la reine et du peuple» ;
25 mars 1843, ratification de l’acceptation du protectorat par
Louis-Philippe : notamment «sur la personne et les terres de tous
-
les Tahitiens» ;
29 juin 1880 : Déclaration de Pômare V : «parce que nous
connaissons les bonnes intentions de la République française à
-
l’égard de notre peuple et de notre pays»... «nous demandons à ce
grand pays de continuer à gouverner notre peuple en tenant compte
des lois et coutumes tahitiennes».
-
29 juin 1880 : Déclaration concomitante du commissaire de la
République
es
«que les îles de la Société et dépendances sont réunià la France» ;
-
30 décembre 1880
: Loi
portant ratification de la cession faite
à la France par SM Pômare V de la souveraineté pleine et entière
des archipels de la Société dépendant de la couronne entière de
Tahiti. L’article 3 indique que «la nationalité française est acquise de
plein droit à tous les anciens sujets du roi de Tahiti».
16 mars 1888 : «prenant en considération les demandes
d’annexion qui nous ont été adressées par les populations de ces
îles»... (celles-ci) «sont à l’avenir, placées, sans partage ni réserve,
sous la souveraineté pleine et entière de la France»
16 mars 1888 : «le gouverneur prenait possession de l’île de
-
-
Huahine au nom de la France» ;
17 mars 1888 : «le gouverneur prenait possession de l’île de
-
Raiatea au nom de la France» ;
-19 mars 1880 : «après avoir fait connaître les intentions de la
France, aucune opposition ne s’étant manifestée, le gouverneur a
déclaré solennellement l’île de Bora Bora et ses dépendances
réunies à tout jamais, sans restrictions ni réserves, à la France qui
en
36
prend la souveraineté pleine et entière.......
-1881, annexion de l’archipel des Gambier, avec, curieusement,
Dossier : Où sommes-nous ?
maintien du «code mangarévien», applicable il est vrai, aux seuls
Mangaréviens ;
-
27mars 1889 à Rurutu et 29 mars à Rimatara, le protectorat
de la France a été consacré et l’annexion opérée en 1900 et 1901
respectivement (note : de la survivance des lois indigènes de
Rurutu jusqu’en 1945, on peut en inférer que le «peuple de Rurutu»
aura cessé d’exister cette
année-là); (Tubuai et Raivavae l’ont été en
1880, comme dépendantes de la couronne des Pômare) ; Rapa, littéralement violentée
Lacascade
en
se
soumit totalement
aux
menaces
de
1887 ;
la mise en place des «établissements secondaires» des îles
autres que Tahiti et Moorea ne tient compte ni du peuple, ni de la
-
langue ;
On aura donc noté que les seules références au peuple sont
contenues, d’une part dans les actes d’ «offre» et d’établissement
du Protectorat de «Tahiti»
( ?) ; d’autre part, dans la Déclaration
de Pômare V. A l’exclusion de tout autre document.
On observe aussi que, sans doute pour des raisons d’insuffisance
de cadres expatriés, plusieurs institutions (districts,
tribunaux) sont
maintenues provisoirement, mais sous la tutelle ou présidence du
délégué du gouverneur. La langue utilisée était celle de l’île.
Ces dernières années du siècle consacrent bien l’entreprise
coloniale de dépouillement des autorités. La loi de ratification visée
plus haut est singulièrement prémonitoire à cet égard.
Des glissements successifs ont progressé,
si l’on peut ainsi
parler, dans le même sens de déni croissant.
On n’est pas étonné à cet égard que le décret du 17 juillet 1897
37
Littérama’ohi
disposât en son article 1er «qu’il appartient au gouverneur, par arrêtés, de rendre les lois indigènes reconnues par le gouvernement
insensiblement plus conformes à la législation française». La confer-
mité sélective prescrite par ce texte est significative du caractère
délibéré de rejet graduel que l’entreprise impliquait.
B-) Les avatars constitutionnels :
a-) la théorie des Préambules :
Celui de la Constitution du 27 Octobre 1946
proclame
particulièrement nécessaires à notre temps, les principes
politiques, économiques et sociaux ci-après....La France forme
avec les peuples d’outre-mer une union....L’Union française est
composée de nations et de peuples....Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a la charge à
la liberté de s’administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires»...
Celui de 1956 renvoie expressément, en son 1er alinéa, au
Préambule de 1946 évoqué ci-dessus ;
Celui de 1958, enfin, toujours en vigueur, dispose en son 2ème
alinéa : «en vertu de ces principes (droits de l’homme et souveraineté nationale) et de celui de la libre détermination des peuples ( et
de libre manifestation de leur volonté), la République offre aux terri-
«comme
-
-
toires d’outre-mer... des institutions nouvelles...»
b-) les textes constitutionnels
:
r
Il n’est pas sans
intérêt de rappeler que la Constitution de
1958 disposait, art 1er, «a République et les peuples d’outre-mer...
-
instituent une Communauté... fondée sur l’égalité et la solidarité des
peuples qui la composent». (L’article 86, al 3 de la loi constitutionnelle du 4 juin 1960 permettait en outre à un Etat
indépendant de
demeurer membre de la Communauté).
38
Dossier : Où sommes-nous ?
Cet article 1er précité, et les références à la Communauté,
-
( titre
XIII) ont été abrogés
par la loi constitutionnelle du 4 Août 1995 ;
Le nouvel article 1er ( anciennement art 2, alinéa
1er) stipule
-
dorénavant « la France est une république indivisible
...
»
;
La loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 a rétabli un titre XIII,
-
réservé à la Nouvelle Calédonie
: «les
populations de NC» (se pro-
nonceront sur l’accord de Noumea) ;
c-) Qu’en est-il
au juste.de ce flottement ?
L’Union française, comme la Communauté, ont cessé d’être.
On aura noté les qualifications, ou les connotations successi-
-
ves
:
«nations», «peuples», «peuples des territoires d’outre-mer»,
«territoires d’outre-mer» ( sans références aux
peuples), «peuples
d’outre-mer», «populations de Nouvelle Calédonie»
-
;
Certains spécialistes ( on dit «une partie de la doctrine») assu-
rent que les préambules faisant corps avec les textes constitution-
nels, dont ils sont indissociables, il suit de là que la reconnaissance
des peuples des territoires-d’outre-mer n’a pas été totalement évacuée de ces textes.
-
On remarquera cependant que l’article 74 de la Constitution
est ainsi libellé
: «les territoires d’outre-mer de la
République ont
organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l’ensemble des intérêts de la
République. Cette organisation est définie et modifiée par la loi après consultation de l’assem-
une
blée territoriale intéressée».
Question : les «intérêts propres des tom» sont -ils une énonciation malhabile, ou ramassée, des intérêts des peuples, ou des
populations, ( ou, qui sait ? peut-être des peuplades...ou des sujets,
comme on l’a vu plus haut.) des territoires d’outre-mer ? On notera
aussi la fragile garantie du système :
la loi (mais aussi le règlement) fait et défait...Elle pourrait même, a priori, aller jusqu’à exprimer de son contenu
(la spécialité législative) l'article 74...
Que «les territoires d’outre-mer peuvent garder leur statut
-
39
Littérama’ohi
(quelle expression ! I) au sein de la République» n’est pas d’un
grand secours dans le problème qui nous occupe ;
Le conseil constitutionnel, dans sa décision du 2 juin 1987, pose
que la mise en œuvre des principes de libre détermination des peupies et de libre manifestation de leur volonté «doit permettre, dans le
cadre de la Constitution, aux populations consultées par les autorités
compétentes de la République de manifester leur volonté», (cette
consultation est distincte du referendum, car préalable à la loi) ;
-
C-) Florilège :
-
En réponse au discours enthousiaste du maire de Pirae, le 8
septembre 1966, le général de Gaulle se fit anthropologue: «le fait
que le peuple d’ici confonde son destin à celui du peuple français
n’empêche pas qu’il lui appartient de conserver ses traditions, son
caractère et sa figure, qui sont extrêmement respectables...» Le
lendemain, à «l’hôtel du gouvernement» ((ainsi s’appelait alors la
résidence du gouverneur à Taraho’i) le même, à bâtons rompus
avec les agents de l’administration (dont faisait partie le signataire),
énonça: «nous ne sommes pas des conquérants ; il convient de
laisser au peuple d’ici ses franchises»
-
Le président Giscard d’Estaing, à son arrivée à l’aéroport de
Faaa, le 18 juillet 1979, fut accueilli par un «‘orero» (discours) d’un
indépendantiste de Faaa, puis honoré d’un himene ( chant) du dis( dont le maire de Teva i Uta venait de faire une
déclaration «personnelle» remarquée à la radio sur l’indépendance
inévitable du pays) sous la voûte du faré des couronneuses. Le président, inspiré, s’enhardit, sur un podium dressé sur le parking
Ou est: «ie salue le peuple de Tahiti...». Il faisait nuit. Et le peuple
était clairsemé... Le lendemain 19 juillet, place Tarahoi : «vous serez
demain l’exemple de ce que peut réussir le peuple polynésien lorsqu’il fait partie du grand peuple de France», gallo-centrisme tempéré
par une phrase en tahitien, «‘e teie nunaa e’»...( à ce peuple -ci).
trict de Mataiea
40
Dossier : Où sommes-nous ?
Le président Mitterrand ne dit mot des peuples d’outre-mer
dans sa Lettre à tous les Français : les contorsions sur la Nouvelle
-
Calédonie ne donnent pas d’indices clairs. ( JM Tjibaou
disait à ce
propos : c’est une seconde conquête, «seule la République»..., a
écrit le président Mitterrand»). On notera que le président balançait
entre «si j’écoutais mon cœur» et «l’innocuité des essais nucléaires», avec une propension à se convaincre de celle-ci, pour écarter
toute immixtion de celui-là. Recourant enfin,
à la cessation des
essais, à des notions floues («nous formons une seule communauté»)
«citoyens d’outre-mer» (sans lesquels «la France serait un
peu moins de France»),
A Papeete, le 16 mai 1990, le président souhaite néanmoins à la
Polynésie un destin «d’égal à égal avec tous les autres peuples de cet
immense océan». A l’inauguration du nouvel hôtel de ville, le président louera «un peuple authentique dans sa diversité que je salue»,
suivi de «ce que représente votre peuple à travers les siècles»..
Aux élections présidentielles de 2002, on note que le candidat
Jospin consacre 15 lignes d’un livre d’entretiens de 281 pages à
l’outre-mer, en ces termes : «il n’y a pas un outre-mer, mais des
outre-mers. Chacun a sa particularité
Quand aux éventuelles
évolutions institutionnelles, elles seront respectueuses du principe
que j’ai posé : aucune ne sera possible sans la consultation préalable des populations concernées»...
Le candidat Chirac, dans un appel traduit en tahitien, n’évoque
ni pays, ni peuple d’outre-mer...Mais les deux candidats tahitiens
aux élections législatives de juin 02 confirment que «Jacques Chirac
a pris des engagements clairs et précis pour consolider le développement de la Polynésie, dans le respect de notre identité» ;
Des professions de foi aux élections territoriales du 6 mai 2001,
on relève que le Fetia Api n’évoque ni peuple, ni pays (mais la revendication, colorée d’irrédentisme du marquisien Roo Kimitete ne laisse aucun doute à cet égard) ; que le «Taho’eraa Huiraatira» au pouvoir propose (un programme) «pour notre pays, notre avenir avec la
France», la version tahitienne étant plus dense «no to tatou ‘ai’a»
ou aux
-
-
-
41
Littérama’ohi
(pour notre patrie ) ; que le «Tavini Huiraatira» prône «l’indépendance de notre pays (inéluctable), sans rupture avec la France» ;
Le nouveau
parti «Te Hono e Tau i te Hono a u’i» propose
linguistique, cheville ouvrière d’une
émancipation élargie ;
Le député tahitien Buillard récemment souhaitait le recrutement de juges de proximité parlant reo maohi (les langues locales);
naguère (septembre 01) il plaidait la cause du «peuple polynésien
qui a subi de profonds bouleversements» (dûs au centre d’expérimentations du Pacifique) ; en 1999, à l’occasion d’une discussion
sur le projet de statut de POM : «notre identité polynésienne se
manifeste tout particulièrement par l’usage de notre langue....le
peuple polynésien est un peuple fier, traduit en « te nunaa porinetia...to tatou iho-taata porinetia» ; évocations parfois diluées dans
«le peuple polynésien dispersé dans tout le Pacifique» ;
On n’est pas surpris que l’église évangélique, réunie en synode annuel, le 118ème en août 2002, «confesse qu’il est de sa responsabilité de s’engager dans la vie du peuple de ce pays» ; s’engage à
lutter contre les injustices, dont «la non-reconnaissance de la langue
maohi» ; mène une réflexion sur «la libération du peuple maohi»;
L’archevêque de Papeete, en sociologue tranquille, observe
sur ces sujets une position optimiste :
peuple et langue en
Polynésie sont des réalités à ce point incontournables qu’elles finiront par l’emporter, quelles que soient les contorsions auxquelles
elles sont soumises. Il rappelle avec sérénité que la Polynésie
participe sans voix délibérative à la Conférence des évêques de
France, mais est membre à part entière de la conférence des
évêques d’Océanie, région dont «les peuples» sont sa préoccupation spirituelle et sociale, comme l’a rappelé le
communiqué final de
la conférence de Rabaul le 31 mai 02
(entretien avec le signataire
le 16 septembre 02);
On aura relevé avec perplexité que la ministre «de l’outremer», appellation inédite pleine de présages ( ni peuple, ni territoire,
ni pays, ni même département...), en visite fin Août
2002, n’ait sem-
notamment une émancipation
-
-
-
-
42
Dossier : Où sommes-nous ?
ble-t-il soufflé mot ni de pays, ni de peuple, ni de langue, à peine
d’identité..
-
L’anecdote retiendra une insolite notation diplomatique, cette
adresse de l’ambassadeur de Chine à Paris, le 1er septembre 02, à
Papeete: «je salue le peuple tahitien»...
On aura noté, accessoirement, mais non pas secondairement,
la convergence de langage sur ces sujets, du président du Sénat,
en visite à Papeete, en sept 2002, à celui de la ministre de l’outremer; le président du Sénat, sur le départ: «je ne conçois pas la
France sans l’outre-mer, sans les outre-mer, sans la Polynésie»...
-
2-) la complainte des vaincus ?
a-) au sommet :
-
Le vice-président Pouvanaa : son credo fut explicite, constant
: «‘e fenua to te nunaa ; ‘e reo to te nunaa» (un peuple
et martelé
a une
terre, une langue);
Le
vice-président Sanford a privilégié l’expression «notre
pays» au lieu et place de «territoire» («les animaux ont un territoire,
les peuples, un pays», aimait-il à dire). Il introduisit, non sans mal ni
réticences de la part de certains des membres de son Conseil, la
langue tahitienne, par une décision du 28 novembre 1980, promue
«langue officielle conjointement à la langue française». Nonobstant
les avatars que connut cette décision, elle eut le mérite minimum de
soustraire à l’autorisation du gouverneur, obligatoire jusque-là, l’usage de la langue tahitienne dans les media. Un éminent juriste a
même prétendu que ce texte officialisait pour la première fois la langue française...
Les lois «statutaires» ultérieures, (elles traduisent incomplètement croit-on savoir, les vœux du gouvernement en place) si elles
sont loin d’épuiser le sujet (sur lequel ferraillent les oppositions),
consacrent avec timidité l’enseignement de la langue «maohi» à
-
-
43
Littérama’ohi
divers stades. Et l’Université française du Pacifique (Polynésie) s’est
ouverte aux enseignements de deux langues au moins.
On rappellera que le programme politique proposé par le
Tahoeraa huiraatira en 1990 portait en frontispice «Un Projet pour
-
notre pays»; et que la lettre introductive de ce document, signée
Gaston Flosse, énonce avec netteté : «notre pays et notre peuple,
sont les seuls enjeux du vrai débat»;
-
On peut observer que la version en français de l’hymne «ter-
ritorial»
(quelle expression !) est moins dense que son modèle en
(«pays» pour «‘ai’a», patrie) et que seule une couronne
odorante immatérielle conduit le pays, de Dieu, à ses enfants.
tahitien
b-) dans le peuple, justement :
Ce n’est ni un secret, ni une anomalie : l’émerveillement, l’étonnement, la joie, la douleur, le désir, l’assouvissement, l’appétit, le
rassasiement, la soif, la désaltération, les menus plaisirs, les déconvenues, les espoirs, l’attente, les colères, le dégoût, l’encouragement, le découragement, la mer, la terre, l’air et les cieux, l’insulte,
la salacité, le mépris, le dédain, la vanité, l’orgueil et l’entêtement, la
météo, les périls: il suffit, car c’est bien leur prononcé dans la lan-
gue maternelle qui règle l’humeur, le quotidien, partant la vie même
des gens ordinaires.
Les groupes dits folkloriques, jusques et y compris le plus
institutionnel d’entr’eux, «les grands ballets», ne peuvent en faire
-
l’impasse : fenua, ‘ai’a, nunaa, reo (terre ou pays, patrie, peuple,
langue). Largement de citations, triturées et pré-digérées par des
transmissions diverses, leurs références peuvent paraître de pur
passéisme (très souvent mal appréhendé). Il faut y voir une étape
sur la voie semée d’embûches du lent et délicat
assemblage des
termes d’une culture qui se forge pour les
temps qui viennent.
Le thème est certes porteur (mais le serait-il vraiment s’il ne
coïncidait pas au bon sens, et au sentiment
d’appartenance à un
même peuple ?), mais chanteurs et
compositeurs trament leurs
-
44
Dossier : Où sommes-nous ?
et leurs créations du même mantra
: fenua, nunaa, ‘ai’a,
du fond des âges, hiro’a (bloc de traditions), tumu
(authenticité), parfois frappé du tapu (interdit).
La complainte d’une petite fille, dans un clip récent, résume
bien cette obsession collective qui, dans la lignée des auteurs,
Henri Hiro en tête, et jusqu’à Patrick Amaru, psalmodie les mêmes
litanies. On les retrouve dans chaque paragraphe de chacune de
toutes les pièces balbutiées au théâtre depuis «I TAI», (au large),
tonnerre qui secoua la MJMC de Tipaerui à Papeete.
œuvres
reo, venus
-
3-)
-
pour que demain ne soit pas une vieille histoire :
Etant observé que les débats au Parlement ne semblent pas
indiquer que les représentants de la Polynésie aient exprimé une opinion lors de la suppression des références aux peuples d’outre-mer;
Etant noté, en outre, le flottement subséquent d’une partie de la
classe politique locale après le vote pourtant unanime de l’assemblée
de Polynésie sur l’usage de la langue maohi devant les tribunaux;
-
Une entreprise de clarification s’impose.
Serait-il téméraire de
percevoir, dans l’entrelacs des formula-
tions répertoriées que celles-ci confluent en fait vers une large plage
de consensus ? Certains des acteurs peuvent bien se récrier. Nier
cette convergence les exposerait au risque d’aggraver leur propre
désarroi, et de restreindre le débat à une querelle partisane: notre
pays doit sur ce sujet primordial en être épargné.
Osons donc proposer trois ferveurs indissociables, dans le dessein de reconnaître explicitement :
qu’il y a un peuple dans l’espace géographique dénommé
actuellement «Polynésie française» ;
que ce peuple se reconnaît en ses traditions et ses coutumes ;
ces traditions et coutumes comprennent, notamment, des lan-
-
-
gués reconnues ;
45
Littérama’ohi
En d’autres termes, et pour prévenir toute véhémence protestataire de cet abbé Grégoire qui sommeille en tout jacobin, déclinons
sans
ambages
:
Proposition n°1 :
«peuples des pays d’outre-mer» doivent être réintégrés
dans le corps de la Constitution, car les séquelles qui subsisteraient
dans le préambule de 1958 paraissent d’une efficacité problématique; de surcroît, le groupe des PTOM désormais établi au sein de
l’Union européenne est un relais agréé et prometteur ;
-
Les
Proposition n° 2 :
Un Titre XIII nouveau disposerait: «conformément aux engage-
-
ments solennels
pris par la France, il appartient au peuple de
Polynésie française de conserver ses traditions et ses coutumes,
dont font partie les langues reconnues par lui»;
-
Proposition N°3
:
Les décisions de justice pourraient être rendues «au nom du
peuple», formulation transactionnelle conciliante plus accordée à
l’esprit nouveau, et conforme à la nature des choses.
En guise de conclusion provisoire :
Entre haussement d’épaules et anathèmes,
cette instillation
d'éléments d’un droit local, qui n’est pas inconnu de la république,
paraît mériter l’instauration d’un vrai débat, également distant des
préjugés et des prétéritions. Notre société, peut-on penser, ne pourrait que gagner en signification, en cohésion, autrement dit en cette
identité intelligible recherchée de tous bords dans la fièvre, l’obsession, plus souvent dans l’improvisation. Une mise en harmonie
d’une réalité si sensible, avec son expression juridique, serait plus
accordée au consensus populaire du
moment (pourquoi ne pas
s’en assurer par une consultation, populaire justement), si évidemment latent qu’il en devient manifeste.
46
Dossier : Où sommes-nous ?
Et si le bien pouvait venir de loin...
«Les lois doivent être tellement propres au peuple pour
lequel
elles sont faites, que c’est grand hasard si celles d’une nation
peuvent convenir à une autre».
Montesquieu
«Nous ne devons pas nous guider par ce seul motif que les lois
d’Europe ont parlé dans un sens ou dans un autre»
(attribué à Utami, chef de Punaauia
en assemblée des chefs de
1824).
TuoTe ama
(20.09.02)
Extraits de lectures (octobre 2002):
«Dieu est la personnalité synthétique de tout un
peuple, consiles dieux perdent
leur caractère indigène, ils meurent, et avec eux les
peuples (qui
croient en eux)»
déré depuis ses origines jusqu’à sa fin...quand
Dostoievsky
Les possédés
«Chaque peuple entend ces mots (bien et mal) à sa manière.
Ces idées viennent-elles à être comprises de même chez
plusieurs
peuples, ceux-ci meurent»
«La population des îles de l’Océanie se meurt, parce
qu’elle n’a
plus un ensemble d’idées rectrices de ses actions, une commune
mesure pour juger ce qui est bien ou mal»
Reclus
Géographie XIV
47
Littérama’ohi
Danièle -Taoahere HELME
Où sommes-nous ?
Contrastes et Réalités !
Leurs extravagances refreinées, leurs désirs refoulés,
Leurs violences imminentes, leurs instincts réprimés,
Leurs colères latentes, leur rage incandescente,
Leurs désordres régurgités, leurs revendications actuelles,
Leurs humiliations, leur dévalorisation dans le regard baissé,
Leur communauté, leur identité retrouvée
!
Demis !
Tetuanui est née de
parents polynésiens, eux-mêmes demis
depuis quatre générations. Elégante par sa simplicité, raffinée dans
ses gestes, pas d’artifices pour mettre sa personnalité en valeur.
C’est samedi, hora maha, elle a noué son paréo autour de sa taille.
Le rouge, le vert et le jaune se marient bien. Son bustier importé,
s’implique aussi dans la notion de «demi», même l’habillement a
droit à cette affirmation !
Un chapeau en pae’ore
relevé d’une couronne aux fleurs artifi-
cielles, se prend bien entendu au jeu du “demi”. Elle tient à son couvre-chef, qui fait partie de son identité c’est la touche finale qui dit
son
appartenance. Ses pieds se sont glissés dans des vieilles sava-
tes qui épousent bien la forme des pieds, plus confortables que les
auxquelles il faut accorder un temps d’adaptation pour trousymbiose entre le pied et la savate.
neuves
ver la
48
Dossier : Où sommes-nous ?
Elle est arrivée par le truck pour sauvegarder encore un
peu ce
qui fait partie de son folklore. Les trucks sont eux-mêmes en situation
de demi-trucks ou bus-trucks. La jeune femme se dirige vers
l’étalage
des marnas qui attendent passivement le choix de la clientèle, artisanés oui, commerçantes, à la manière tahitienne !
Ce soir, les copines ont rétabli la bringue informelle de fin de
mois, juste pour raviver la mémoire du Areareara’a. Dans le coffre
de sa voiture japonaise qu’elle a garée à l’entrée de la ville, une glacière contient une boîte hermétique, remplie d’une bonne salade de
fruits, quatre boîtes de punch, c’est sa participation. Le punch est
contenu dans des boîtes importées assemblées localement,
on
peut-
dire que tout se met à revendiquer l’appellation des demis
nous sommes
que
devenus !
Elle veut une couronne pour elle-même et une autre
pour
Mahine qui la reçoit ce soir. Elle lance un «la ora na» aux vendeuses
tandis qu’une question vient rapidement titiller son esprit : «A
qui vais-je acheter mes couronnes ?». Ses hésitations qu’elle seule
connaît disparaissent rapidement, instinctivement elle va laisser
guider son choix par les couleurs et les senteurs qui vont maintenant
orienter sa sélection. Une guirlande de fleurs bien colorée et une
deuxième avec du moto’i qu’elle préfère pour sa suavité, un peu enivrante mais particulière. «Celle-ci et l’autre avec du moto’i»,
indique
t-elle avec son doigt pointé. Elle demande «£ hia moni», «maha
hanere tara», à l’ancienne manière de d’annoncer les sommes.
Tetuanui dépose deux billets de mille francs qui représentent le travail de l’artisane. La marchande et la cliente se remercient mutuel-
lement, la marna accueille avec reconnaissance chaque billet qui va
faire partie de son nécessaire, l’acheteuse est fascinée par la créativité proposée. Elles restent ainsi dans le sens de l’égalité et de l’é-
change perpétré à partir du gestuel.
Tandis qu’elle range ses deux couronnes dans une poche plastique qui remplace le papier journal ou la poche en papier que lui
49
Littérama’ohi
tend
sa
semblable, elle se retourne étonnée de reconnaître une
ancienne de son collège, elle ne l'a pas revue depuis des lustres
!
Elle l’interpelle joyeusement Sioulène (elle n’a jamais compris l’or-
thographe des prénoms chinois, elle s’est toujours contentée de les
prononcer), «Quelle surprise après tant d’années !». Son élan pour
lui flanquer deux bises à la manière traditionnelle est réfréné par
une réplique qui lui fait l’effet d’une douche froide, «Je m’appelle
Madame Solienne !»... Spontanéité évanouie, elle pense à certains
camarades chinois qui malgré leur réussite sociale brillante, gardent
leur simplicité. Retour à la réalité des «demis» naturalisés qui sont
francisés par des noms plus élégants que ceux des «demi-tahitiens» qui n’ont pas eu l’avantage de changer des noms qui ne leur
convenaient peut-être pas toujours !
Tetuanui ose encore «mais à l’école...», c’est à ce moment précis qu’elle revoit furtivement la condition de ses camarades de classe d’origine chinoise. Pauvrement vêtues, pas le temps pour la cantine car à l’heure du repas il fallait rentrer pour aider au magasin ou
au restaurant, puis revenir vite à l’heure en classe... Etrangères
avec un numéro sur leur carte de séjour avec comme devise «travailler, encore et toujours». Son ego blessé riposte contre sa logique
qui est venue lui rappeler les conditions précaires de leur situation
encore récente, «Es-tu sûre d’être francisée ou européanisée ?»
ne peut-elle s’empêcher pour dissimuler son trouble.
L’affrontement de la Polynésienne sur son territoire et de la
Demie-Chinoise campée sur son apparence qui traduit sa victoire
sociale tient les deux personnalités sur le ton du défi. C’est seulement à ce moment que la native pour se démarquer toise ce qu’elle
considère maintenant comme un déguisement ridicule, ce qu’elle
avait relevé comme un critère d’élégance avant l’incident. Un tailleur
qui détonne maintenant avec les allures du marché. Suprématie
pour provoquer ce lieu où tant de Chinois sont venus des jours et
des jours pour y écouler des produits source de leurs revenus, de
leur survie et de leur liberté.
50
Dossier : Où sommes-nous ?
Elles s’observent à trois car la marna a reconnu non pas le sens
de l’affrontement des deux personnalités, mais sous-jacent celui
des deux cultures ! C’est vrai la marchande scrute pour percevoir
les intonations, baisse son regard et sa tête pour s’interroger en
elle-même
: où sommes-nous
?
A ce moment Tetuanui perd son assurance, son paréo devient
ridicule, délavé, elle se souvient même d’un petit accroc invisible
pour les autres, mais pas pour elle. Elle plaque alors son «panier
marché» contre son bustier pour se protéger du regard qui précise
la différence. Les intonations laissent comprendre que la jonction ne
s’est pas faite sur le plan de l’amitié mais sur les revendications d’un
peuple qui a souffert dans son implantation pour réclamer le droit de
devenir un chinois-tahitien et non plus un Chinois de Chine.
Tetuanui oublie la présence de la marchande, sa sensibilité est
blessée, sa colère lui fait marmonner son ressenti à haute voix sans
qu’elle ne s’entende parler tout haut. Elle veut reprendre le truck, elle
se trompe de côté, revient dans la bonne direction où le
transport en
commun attend sa clientèle, non pas à l’arrêt
prévu à cet effet mais
là où les clients décident l’arrêt. Habitudes ou contradictions tahitiennés pour
défier l’ordre établi...
Une invitation familière lui signifie sa place, elle s’assoit pour
retrouver un peu ses esprits et calmer cette confusion intérieure qui
l’accompagne clandestinement alors qu’elle voudrait pouvoir baisser
qui résonne encore dans sa pensée, intensité du défi qui
vient contrarier sa superbe !
ce volume
Elle s’interroge pourquoi des réactions et des susceptibilités alors
que son intention était amicale ? Elle réalise que les questions n’ap-
partiennent pas seulement aux personnes. Les interrogations font
partie de la société qui cherche aussi son identité à travers les fréquences ambulatoires des contestataires et des non-contestataires !
51
Littérama’ohi
Elle réalise le questionnement des deux cultures qui apprennent
leur évidence identitaire et qui ont besoin de deux personnalités pour
soupire de ne l’avoir pas compris sur le
moment, et puis non cela devait s’exprimer, il faut que les vérités s’opposent pour trouver leur espace et leur direction, son paréo redevient
coloré et les couronnes restituent leurs parfums !
crier leur malaise. Elle
La musique déversée par les basses assourdissantes réussit à
abrutir ses tympans pour anesthésier l’incident qu’elle n’arrive pas à
clore. Une sensibilité pour réanimer la fragilité des deux histoires. Les
rythmes et les mélancolies déversent leur pouvoir et recréent l’ambiance évanouie des folles après-midi dansantes d’antan. Un glissement, un air particulier plus langoureux la ramène dans son époque
d’adolescente. Amour éphémère, plein d’espoir, d’immaturité, rêve,
réprimé par les bénédictions et les autorisations, étape inachevée,
mélancolie des jours pluvieux...
Dring ! Un arrêt pour un retour un peu brusque à la réalité, tandis que sa voisine observe avec insistance le plastique dont l’odeur
permet d’identifier le contenu. Elle reconnaît enfin Marna Akoui
après toutes ses tergiversations. Cette Chinoise a laissé sa Mercedes
au garage et pour ne pas trop la salir, elle préfère alterner avec le
truck. Tout le monde sait que la voiture de Marna Akoui affiche au pire
trente mille kilomètres et chacun ose son audace «Est-ce que tu
vends ta voiture ?».
La vieille dame contient son insistance elle attend
patiemment
que Tetuanui lui accorde de l’attention pour poser cette question qui
restait en suspens. «Tu es allée au marché juste pour acheter des
couronnes
?» lance t-elle en guise d’ouverture, mettant un peu plus
en évidence son
panier débordant de légumes. Sans convenance aux
préjugés elle persiste, «Combien as-tu payé tes couronnes ?».
Tetuanui a saisi les subtilités qui vont suivre, intérieurement elle
sourit et répond en forçant sur le montant pour stimuler davantage
52
Dossier : Où sommes-nous ?
la riposte : «trois mille francs». Elle entend la suffocation de Marna
Akoui qui a déjà converti la somme en quantités de légumes pour la
semaine
salade, haricots verts, tomates, carottes... Son esprit
commerçant a calculé sur la base de mille francs multipliés par trois
pour jauger les quantités. Elle connaît les prix du marché pour les
avoir établis si longtemps pendant les années difficiles. Tetuanui ne
lui en veut pas, elle la comprend, elle lit sur son visage les rides de
l’effort, observe le dos voûté qui a dû souvent plier sous l’effort des
:
tâches lourdes et rébarbatives. Les mains calleuses laissent deviner
les besognes rudes de son époque qui faisaient partie des si nombreuses attributions de la «mère chinoise».
Tetuanui s’en attendrit leurs différences sont relatives car elles
sont dans la simplicité et elles se permettent de rester dans le
regis-
tre d’égalité des origines confondues. Tetuanui est arrivée au
par-
king, elle sonne pour demander l’arrêt, s’apprête à descendre et
revient sur ses pas, elle entrouvre sa poche plastique et
dépose une
couronne autour du cou de Marna Akoui qui a suscité son
respect,
malgré ses élucubrations, fugitivement elle dépose un baiser filial au
front pour saluer son parcours, son cœur s’emplit d’une émotion de
tendresse, elle a juste eu le temps de surprendre deux larmes per1er des yeux bridés...
Elle règle sa course, cent vingt francs dans le
langage actuel. Elle
l’impression d’avoir passé toute une
journée au marché en une heure de temps», en consultant sa montre.
«J’avais promis à Mahine d’être en avance pour l’aider tant
pis, je
l’aiderai pour le rangement après tout, c’est la même chose».
se hâte maintenant et lance «J’ai
Elle déverrouille la portière de sa voiture à partir d’une télécommande qui obéit à la pression. Elle dépose l’autre couronne dans la
glacière, sur les boîtes de punch, celle-ci elle l’offrira à son amie,
l’autre lui a donné la joie d’avoir honoré celle qui a manqué, non
plus
d’argent, mais de reconnaissance.
53
Littérama’ohi
Puis seule à bord de
son
véhicule alors qu’elle amorce son
recul, un fou-rire la prend, ne pouvant contenir plus longtemps ce
qu’elle vient de réaliser «J’ai mis un temps fou c’est vrai et pourtant
j’y ai gagné une foule de perceptions qui appartiennent tellement à
ma
réalité de demie !»
L’aéroport et la Tradition
Tetuanui se rend à l’aéroport sa fille Vairani qui effectue ses études en dehors du Territoire arrive par le vol de 6 heures du matin.
Elle scrute l’aéroport à la manière des Anciens,
elle pressent les
retrouvailles avec une excitation croissante. L’aéroport accueille tant
de visiteurs en quête de dépaysement. Combien d’économies fautil engager, pour certains des années d’espoir
!
Elle vient de quitter son logement situé à quelques centaines de
mètres et elle contemple les contrastes entre les habitations cossues, les habitations précaires, les jardins et les carrés de mouchoir.
Le petit le grand, le riche la misère, l’aisance le manque, le rutilant
le mutilant...
Le parking est géré mécaniquement, il suffit de presser sur le
bouton pour déclencher la barrière qui se lève automatiquement, elle
s’effectue et lance comme autrefois «la ora na, maita’i ‘oe» à la borne
qui reste muette. Elle ne s’habitue pas à cette automatisation qui simplifie tant dé choses, mais enlève progressivement des emplois.
Elle trouve une place pour se garer et se dirige vers les vendeude colliers qui
proposent des fleurs pour les arrivées et des
coquillages pour les départs. Elle retrouve ses repères familiers
après sa contrariété avec la machine et se permet un tamure disses
cret avant d’avancer son choix. Les dames observent différemment
la situation. La plus âgée se permet
«Aue i to’u tau, tu sais à mon
époque je savais bien danser, maintenant j’ai mes yeux et mes
54
Dossier : Où sommes-nous ?
oreilles pour jouir du rythme des
mes
toere, je vis toujours la danse dans
‘a’au».
Tetuanui sait qu’elle a dansé d’après sa réaction et son affirmation, elle sourit. Un «n’importe quoi» camouflé, pensé trop fort est
accueilli par son apparente indifférence. La plus rigide observe et
accentue sa déclaration en gardant les yeux sur son ouvrage, «c’est
bien la danse ‘eiaha ra ia mo’e te pure-». Tetuanui est de bonne
humeur pour la raison qui l’amène à l’aéroport elle n’a pas l’intention de se laisser agresser aujourd’hui, elle rétorque «n’utilise pas
pure pour dire ce que tu penses toute seule, je crois que tu n’as
jamais osé ta danse, tu es dans le jugement, même les fare pure
dansent aujourd’hui, tu es en retard !».
Un silence de la part de celles qui se sont senties concernées, un
rire franc pour l’opposition qui reconnaît la joute oratoire du polynésien.
Lancienne redouble son rire, stimulée par l’audace de la cliente.
Tetuanui achète ses couronnes et salue les vendeuses qu’elle vient
d’interpeller par son attitude, provocation pour les uns et naturel pour
les autres. Elle sort couronnes à son bras droit avec un vrai tamure
plus exubérant que celui de l’arrivée pour confirmer sa déclaration...
Elle est à l’heure pour ne pas rater ce moment important, c’est
normal, c’est la mère... Zut, le chéri l’a devancé, il ne manquait plus
que celui-là. Elle s’amuse de sa réaction et reçoit généreusement
Tahimana qui revendique Vairani.
Il y a du monde, la coutume d’accueillir survit bien
aujourd’hui,
elle s’est adaptée à l’aéroport qui a remplacé le port... «Quand le
bateau arrivera le long du quai, tu salueras les parents les amis...».
L’image des départs avec l’interrogation sur l’éventuel retour au
fenua avec la couronne lancée à l’océan et le cercle tant attendu qui
devenait symbole du retour prochain pour apaiser les spasmes de
la séparation...
55
Littérama’ohi
Elle observe discrètement le groupe de militaires volontaires,
l’émotion est la même dans un cadre nouveau à une époque différente. L’espace réservé aux arrivées s’emplit des militaires ils attenvenu, les popaa ont même adopté les colliers,
fiers d’accueillir d’une manière spéciale ceux qui sont si agréable-
dent un
nouveau
ment surpris par la coutume
«Era atu
mea ma»
!
affectueusement lancé, pour désigner l’ar-
rivée de la famille, des amis qui deviennent naturellement les tontons et les cousins, les fetii. Tout est en effervescence pour ceux qui
arrivent, tout est dans la décence pour ceux qui partent. C’est
moderne, les portes s’ouvrent automatiquement pour démarquer la
ligne d’arrivée ou la ligne de départ qui freinent les débordements
que ne pourraient contenir les services administratifs représentant
la sécurité et la gestion des passagers de l’aéroport.
L’attente ne va plus durer longtemps, l’avion vient d’atterrir. Elle
rappelle fugitivement l’époque où tout le monde applaudissait à
l’atterrissage pour relever la compétence du pilote et remercier d’être arrivés à bon port. Quelques prières rassuraient les peurs lors
des turbulences, les prières étaient bien vite reléguées dès que les
frayeurs avaient disparu au débarquement.
se
Elle revient à la réalité et reprend contact avec les siens à partir
des banalités «non elle n’a pas grossi, elle a pris l’accent des popaa,
c’est plus facile pour s’intégrer, elle s’est bien adaptée, oui elle a de
bons résultats». C’est connu que les mères affichent les bons résultats
face aux autres et exigent de meilleurs résultats face à leurs enfants...
Enfin, les portes laissent entrevoir la silhouette élégante de
Vairani qui est vêtue à la Parisienne. Elle fouille rapidement la foule
pour reconnaître les siens. Un grand cri pour exprimer les retrouvailles. Les questions de place et de convenances se sont éva-
nouies pour ne plus laisser passer que la joie du moment. Tout le
56
Dossier : Où sommes-nous ?
monde pose des questions en même temps, cela frise la cacophonie «mai haere ana’e i te fare». C’est la tradition de se retrouver
autour du bol de café pour raconter ce que les autres n’ont pas
vécu. Allez tous à la maison, les consignes sont lancées prends
trois baguettes, je prends des firifiri
Hauani viens nous rejoindre
C’est décidé tout le groupe tumultueux connaît la direction.
,
!
Les bagages sont rangés, les couronnes entremêlées dégagent
maintenant leur parfum
! Je vais juste chercher mon jeton pour le
parking. Le défilé des quatre voitures se dirige vers la sortie, elles
contournent la bretelle et trouvent la sortie.
Vairani dit
qu’elle est contente de rentrer au pays que c’est
agréable de retrouver tous les cousins et amis. Beaucoup de nouveaux appartements sont accrochés en flanc montagne. Les «rondpoint» ont remplacé les carrefours, nous y sommes bientôt. Tetuanui
observe les amoureux qui se sont réfugiés dans leur univers.
Tahimana a revendiqué sa place, elle sourit, elle comprend...
La mère commence son monologue car le couple est dans ses
retrouvailles. «Beaucoup de choses ont changé, je m’inquiète pour
l’environnement, je ne comprends pas pourquoi les personnes ne
sont pas concernées par la protection de la nature, la pollution, les
prix qui augment, les taxes... Des ordures traînent partout, les murs
sont remplis de graffitis les poubelles débordent de leur contenu...»
Les logements bourgeois ont disparu la réalité apparaît mainte-
nant, les maisons avec moins d’allure, plus vétustes, les logements
sociaux qui ont proliféré pour contenir ceux qui n’ont que cette possibilité. Trop de monde, trop d’enfants, trop d’hébergés en quête de
leur propre solution.
Tetuanui a tout rangé pour dissimuler l’évidence des habitats
sociaux, elle a changé les draps, les rideaux sentent la douceur de
57
Littérama’ohi
l’assouplissant. L’entrée a été soigneusement balayée très tôt ce
matin. Elle pose la question pour savoir si la France subit les mêmes
agressions dans l’environnement, elle s’est complètement égarée
dans ses élucubrations du mental en oubliant le moment intense
des retrouvailles. Vairani annonce
«
nous
voici chez nous
».
Sa
voix traduit l’appartenance et cette réalité que sont ses racines avec
ou sans
les problèmes de l’environnement.
Elle est amoureuse elle n’a pas vu les plastiques, les cannettes,
elle a juste ressenti l’odeur et le retour au fenua...
Un mégot égaré, des égarés sur le trottoir,
Un papier ramassé à la propreté incite,
Un geste discret ne s’oppose à la cause,
Un mouvement à suivre, la vie continue...
Le marché moderne
C’est samedi après-midi après la sieste Tetuanui décide d’effectuer les courses de la semaine. Elle interroge Tamahere qui décide
malgré lui de l’accompagner. Il a ses propres achats et il sait cornbien les courses prévues initialement pour une heure peuvent durer
plusieurs heures...
Tetuanui glisse sa liste dans son panier et interroge «est-ce que
tu as ta carte ?» «oui» inquiet. Ils ont opté
pour le
partage des frais
dans la mesure où la liste est approuvée au départ. Tamahere gare
le véhicule tandis que Tetuanui se dirige vers la course au chariot du
week-end. Elle attend qu’une famille range ses courses dans le coffre de la voiture et tend la pièce pour disposer du
«panier géant»,
métallique à
les paniers marché ont été supplantés par le panier
roulettes qui contient dix fois plus.
58
Dossier : Où sommes-nous ?
Tetuanui guide le chariot et propose d’abord le rayon des produits ménagers. Tamahere n’exprime pas le même intérêt, il opte
pour les disques rétrécis des ordinateurs qui remplacent les microsillons «78 tours». Elle est d’accord et lui conseille de la rejoindre
ensuite ! Il est soulagé de n’avoir pas à donner un avis que Tetuanui
ne
prendra pas en compte, c’est son domaine à elle. Elle est enfin
rayon de l’entretien et elle commence par consulter sa liste : un
baril de lessive, un produit assouplissant pour le linge, du détachant,
au
il lui reste le produit pour la vaisselle...
Ruita, tu vas bien ? Qu’est-ce que tu deviens ? Je suis vraiment contente de te revoir, c’est vrai nous nous sommes perdues de
vue, depuis combien d’années
? depuis l’école, tu as des enfants..
!
Bonne journée, quelle surprise après tant d’années
Tamahere
inquiet de s’être attardé à écouter les nouveaux
hâte pour rejoindre sa compagne et la retrouve
toujours aux articles des produits. Rassuré pour son compte il reprend avec assurance «Tu es toujours aux produits ?» elle répond
«Je compare les prix». Tamahere accepte il a évité les questions.
Tetuanui le ramène à ses achats «tu as trouvé ce que tu voulais ?»
«oui, je vais juste au rayon de l’outillage, j’ai besoin d’une perceuse
pour fixer tes étagères», en accentuant sur « tes » pour justifier l’achat. Il se dirige vers les outils et s’évade déjà vers ses propres projets «J’ai envie des basses, j’ai deux haut-parleurs, du contre-plaqué
et je veux la perceuse»... Tetuanui pousse maintenant son «panier
métallique» vers les produits pour les animaux domestiques, elle se
rappelle qu’autrefois les restes suffisaient à nourrir les bêtes et que
maintenant le statut d’animaux domestiques leur donne droit aux aliments, aux vitamines, aux visites médicales et même au carnet de
vaccination, il ne leur manque que les remboursements !
«microsillons»
se
Elle cherche la marque habituelle et ne la trouvant pas elle a
besoin de consulter Tamahere car c’est lui qui gère ce secteur. Elle
59
Litiérama’ohi
va
le
rejoindre à l’outillage et le surprend à la «sonorisation».
Tamahere sait se justifier : «Je regarde comment ces haut-parleurs
pourrait amplifier le son de ta télévision, mon ami l’a fait, le son est
d’une précision je suis sûr que tu en serais ravie !». Reconnaissante
qu’il s’inquiète pour son confort elle demande «Peux-tu brancher les
haut-parleurs que tu veux faire ?» «Oui». Emue Tetuanui accepte
l’achat de la perceuse en commun. Satisfait Tamahere accompagne
Tetuanui aux rayons des fruits, des légumes, perd son impatience,
double de galanterie se propose à la pesée des articles.
Tetuanui s’amuse de la façon dont Tamahere s’y prend comme
un gamin, il délire avec les paquets à
peser. Il se met à la criée
tomates, courgettes, pommes de terre, aubergines... Tamahere est
prévenant il suit patiemment les courses. Il rencontre Manu son ami
qui doit l’aider à faire les basses, il dit à Tetuanui, «Je te laisse terminer les courses tiens la carte, je vais prendre un café avec Manu,
viens nous rejoindre lorsque tu auras terminé !».
Tetuanui se sent libre dans ses choix et profite de l’opportunité
de ne pas avoir à justifier la nécessité. Les produits
rejoignent plus
rapidement le chariot, la liste s’allonge.
Dégustation de crème glacée, nouveau parfum passionpapaye, c’est la promotion du jour une boîte pour essayer la nouveauté emportée par l’élan de la présentatrice, elle
range deux boîtes
pour le prix avantageux de la promotion. Elle effectue le tour du
rayon et se rappelle sa visite médicale ! Elle ne sait plus comment
restituer l’objet interdit, elle fait un tour d’approche
pendant ses hésitâtions et un second tour pour sa décision, feint de s’être
trompé
dans son choix, simule l’échange et
s’éloigne discrètement de l’objet du délit.
Elle a besoin de se consoler, les vêtements vont servir de corn-
pensation à la frustration qui a précédé. Ce n’est pas mal du tout...
60
Dossier : Où sommes-nous ?
La glace tant convoitée a perdu sa priorité et les désirs de femme
sont bien vite rattrapés d’autant plus que Tamahere n’est pas là pour
argumenter ses choix.
Une robe discrète avec des motifs
polynésiens avec une étiquette «made in Bali» c’est le produit vendu au prix local. Elle y
ajoute deux bustiers. Comment Tamahere va t-il réagir ? Elle va subtilement utiliser la promotion pour faire passer les dépenses imprévues ? Elle lui choisit un beau tee-shirt dans les tons qu’il aime vertkaki, elle introduira sa bonne intention avant de présenter ses
achats !
Dring, c’est Tamahere, il s’inquiète qu’elle ne les ait pas encore
rejoint, elle le rassure, il y a du monde à la caisse, j’arrive, je te
rejoins dès que j’ai réglé. Elle enclenche ce qu’elle vient d’affirmer,
direction la caisse. Elle attend son tour s’impatientant maintenant de
la lenteur des caissières plus que du temps qu’elle s’est accordé,
c’est pratique pour justifier les retards après tout. Elle s’active maintenant qu’elle a réglé le montant des emplettes. Elle a réglé avec la
carte de Tamahere et elle a pris les vêtements à son compte. Elle
demande une eau gazeuse citronnée puis s’assoit, les courses
sont réputées pour être fatigantes à la sortie, jamais à l’entrée.
Tamahere s’en amuse et la taquine, il la connaît et se permet «tu as
l’air fatiguée !». Elle a reconnu de la malice dans son regard et lui
rétorque «j’ai mal aux jambes et à ta carte !».
Daniéle-Taoahere Helme
décembre 2002
61
Littérama’ohi
Amaru Araia Patrick
la ora na. Eie a tatou.
Eie a te manaonao e fetoitoi nei
I te hinuhinu o te manava.
E aha pai te faurao e peperu
No te tau atu i te mau tipaeraa no ananahi
Teie anei vaa tauati, ua marau to na hohoa
?
?
Teie anei vaa ama ore, ua araa hia to na parau
Aore ra, e tata’i tatou i teie vaa tau’ati,
Atuu atu ai i te mau moihaa no teie tau,
E a fano tia atu ai tatou i te orama ?
Aore ra, e maiti tatou te vaa e au ia tatou,
E au atoa i te mau faaohiparaa,
Aore ra, te mau fa...
E, e aha pai te faurao e rave ?
Ua huri hoi te tau i to na pererau,
Ua mairi hoi te tau no te mau haere po,
E tau huri tau hoi tei te fenua nei,
A papai anae,
la toro aa hia te reo,
A papai anae,
A roohia tatou i te po
A papai anae
62
!
?
Dossier : Où sommes-nous ?
Ta to’u rima e ueue,
Ce que mes mains ont semé,
ta to’u ia rima e ooti...
mes
Ta to u rima e ueue
Ce que mes mains ont semé
Ta to u ia rima e ooti...
Mes mains les cueilleront...
E hotu hoi au
Je suis fruit
No te here metua
De l’amour
mains le cueilleront...
Ta to u metua tane
Que mon père
1 tanu
A planté
Ta to u metua vahiné
Que ma mère
1 amo
A porté
E tumu anei teie
Est ce les raisons
1 po ai to oe na mata
Qui ont fermé tes yeux
Marna, aue
Maman...
E hotu hoi au
Je suis fruit
No te here metua
De l’amour
Ta to u metua tane
Que mon père
1 tanu
A planté
Ta to u metua vahiné
Que ma mère
1 amo
A porté
E tumu anei teie
Est ce les raisons
I faru ai oe ia u nei
Qui t’ont poussé à me violer
Papa, aue
Papa...
Aue te mauiui e te haama
J’ai mal et j’ai honte
To u metua tane
0 mon père
Te rave ino noa nei a oe
Tu me violes encore
la u i teie po
Aue te mamae e te viivii
Cette nuit
J’ai mal, je suis souillée
To u metua tane
0 mon père
Te rave ino noa nei a oe
Tu me violes encore
la u, ta oe tamahine...
Moi, ta fille...
63
Littérama’ohi
Ta to u rima e ueue
Ce que mes mains ont semé
Ta to u ia rima e ooti...
Mes mains les cueilleront...
E pai
E hotu hoi au
Je suis fruit
No te here metua
De l’amour
Ta to u metua tane
Que mon père
I tanu
A planté
Ta to u metua vahiné
Que ma mère
I amo
A porté
E no reira
O parents
To u na metua
Mes parents
Te marohi nei te hotu
Le fruit se flétrit
Te marohi nei au...
Je dépéris...
Amaru Araia Patrick
24-04-2000
Na te mau tama i rave ino hia...
Pour les enfants maltraités...
Tahu’a Raau
Guérisseur
Mo’emo’e te po
Mystérieuse nuit
Hi’amo’e te feruriraa
Raison bannie
Tara o Hina
La déesse Hina
Matara te nati
Défait ce qui n’est pas
Ua ora te rahu
L’enchantement est là
Rere a rahu
Il prend son envol
Rayon de lune sur le noir
La pierre transpire
Le pilon tremble
Le pilon respire
Hihitau i te rehu
Hinuhinu te ofai rehu
Ruru te penu
Ua ara te penu
64
Dossier : Où sommes-nous ?
Ara te fare
La maison s’éveille
Aahiata i te fenua
L’aube est sur la terre
Hihi a Ra i te umete
Araara te mata
Rayon de soleil sur le umete
Des yeux s’entrouvrent
Ua ara te mo’a
Le sacré vit
Mau te penu
Le pilon est saisi
Papahia te aa
Les racines écrasées
Marna te penu
Le pilon est léger
Papahia te paa
L’écorce écrasée
1 nia te penu
Haut le pilon
1 raro te penu
Bas le pilon
Ua rere te penu
Vole le pilon
1 te rere a manu
Du vol de l’oiseau
Marere te reo
S’envole la voix
1 te aore reva
Dans le néant céleste
Te reo tahua
La voix du prêtre
Pure i te ao
Priant le monde
Te ao atua
Le monde des dieux
la ore te ma’i
Que disparaisse le mal
la tu te maita’i
Et que le bien soit
Amaru Araia Patrick
«Na marna Faateni !»
65
Littérama’ohi
Na u hoi e ti’ai ia oe
E firi a vau i te ea nape
No te hono te fenua i te ra’i
la a’e atu taua i te ata moe
No te tapuni i to taua here
E paofa’i a vau i te poe
Te topata haumaru no te hupe
la i roa to apu rima
la pua tea te apu nui
E tautai a vau i te fenua
No roto mai ia Rohotu
la iri to taua nei tino
I te one tea no te hani
E ta u nei ipo
Na u hoi e ti’ai ia oe
la faahei te moe ia oe
E ta u nei ipo
Na u hoi e ti’ai ia oe
Amaru Araia Patrick
30-10-91
«Na ta’u ipo
66
!»
Dossier : Où sommes-nous ?
Extrait inédit du prochain livre de Jimmy LY
«Adieu Xia Gong Tan»
(à paraître)
MA DISPARITION EST-ELLE INEVITABLE ?
Tu en as de la chance, toi qui vas vivre les plus belles années de
ta vie dans les certitudes
syncrétiques et les innovations technologiques prodigieuses du troisième millénaire. Moi, je suis né sur une
frontière du temps, dans un pays en transit, au milieu de gens différents, parmi des cultures en transition et des langues en voie d’extinction. Je sais que, moi-même, je ne suis qu’un être en sursis, un survivant d’un autre âge dont le temps et la volonté d’être soi-même sont
comptés. Comme une sentinelle face à la débâcle qui s’annonce, je
dois faire plus que monter la garde, je me dois de mener la dernière
charge contre l’inévitable et continuer à défendre ma propre grande
muraille indéfendable à force d’être continuellement délabrée, faute
d’avoir su résister à l’engourdissement de nos volontés. Je me dois
aussi de te transmettre ce qui doit être transmis pour ne pas mourir
dans une solitude et dans une amertume absolues.
Aujourd’hui, et peut-être par ma faute, je dois reconnaître que tu
perdre irrémédiablement tes racines mères et qu’il va me
falloir trouver autre chose de très fort et très solide pour pouvoir résister et survivre au naufrage imminent de notre culture d’antan. Si
aujourd’hui être chinois nécessite un examen de passage, il n’est pas certain
qu’il y aurait beaucoup de reçus et à fortiori encore moins avec une
mention. Notre appellation de «Chinois» n’est plus un label d’origine et
malheureusement, ni non plus une garantie de qualité. Le temps, la
fatigue, l’apathie, les dissensions et oserai-je le dire paradoxalement
es en train de
notre réussite même sont les causes de notre crise existentielle.
En ignorant le principe de précaution culturelle qui n’était qu’une
simple mesure de sauvegarde, les idées chinoises d’autrefois ont semble-t-il presque perdu la bataille. Elles sont en train de se diluer car elles
ne possèdent
plus les qualités nécessaires de résilience pour survivre.
67
Littérama’ohi
La sinité n’a pas seulement reculé, elle est en train de sombrer corps
et biens dans les pièges de l’intégration facile, piège redoutable propre
à ces îles accueillantes mais aussi dangereuses pour la survie que
les plantes carnivores de la forêt amazonienne. Avant, nous vivions en
autarcie, presque en ghetto. Pour notre survie en tant qu’étrangers,
c’était la famille, le magasin, l’école qui, non seulement, assuraient l’éducation et la transmission des valeurs et des savoirs, mais aussi pro-
curaient la
protection nécessaire contre la pauvreté, la maladie, les
mauvais coups du sort, sans compter la retraite paisible des parents et
grands-parents. Aujourd’hui, tout cela est en train de disparaître.
Laminée à merci, notre culture chinoise est devenue standardisée
et pour tout dire simplifiée à l’extrême pour accommoder notre crasse
ignorance. Et la question se pose de savoir si en tant que communauté trop extasiée par les mirages d’idéologies dépassées ou les plaisirs
flagorneurs de la réussite et qui vit dans un insupportable consentement à sa propre fatalité, nous n’avons pas régressé au point de vouloir et d'appeler nous-mêmes notre propre disparition. Ou bien, devraisje le dire autrement, avons-nous si bien progressé dans l’intégration
jusqu’à l’oblitération ?
Malgré les efforts futiles car sans cesse contrariés des rares chevilles ouvrières de notre communauté encore lucides, la civilisation ori-
ginelle que nos grands-parents portaient en eux va disparaître à tout
jamais, ne laissant derrière elle que des lambeaux ou des fac-similés
culturels d’une douteuse viabilité. Dans une irresponsable et ironiquement presque joyeuse atmosphère de fin de règne, je me demande si
le dialogue avec les valeurs éternelles de notre passé est encore possible. Faute de volonté, de sens, d’imagination, de rêves, les seuls
mots qui vont nous rester de notre culture seront-ils, «Te souviens-tu
encore
?»
Dorénavant, je ne suis pas loin de croire que seul le souvenir fidèle ou non aux traditions sera désormais l’unique patrimoine qui nous
reste, dont la vertu principale est d’empêcher que les choses ne meurent
complètement. Et je me demande avec angoisse dans quelle
mémoire vivrons-nous enfermés après notre mort. Car, au-delà d’une
réussite purement matérielle incontestable, où peuvent coexister tous
les compromis comme d’ailleurs toutes les compromissions qui sem-
68
Dossier : Où sommes-nous ?
blent être la préoccupation de la majeure partie de notre communauté,
je te parle d’une mort autre, encore plus cruelle, encore plus terrible:
celle qui efface pour toujours ton souvenir de la mémoire des vivants.
Celui qui est sans mémoire ne se souviendra de rien et celui
qui ne se
souvient de rien ressemble plus à un zombie qu’à un être humain.
Je me souviens de ma première escale,
après la traversée du
canal de Panama, lors de mon premier
voyage vers la France à bord
du paquebot Tahitien. Le regretté François Lonfat
qui évasanait son
beau-père malade me servait aussi de chaperon. Au cours de nos promenades au hasard dans la ville de Colon, il avait réussi,
je ne sais
comment, à dénicher dans une ruelle cachée, un restaurateur parlant
notre dialecte. Ce jour-là je n’ai jamais vu un
visage aussi radieux que
celui de ce Chinois égaré au milieu d’une population noire. La
joie qu’il
se faisait de parler hakka avec
François faisait vraiment plaisir à voir. Il
ne voulait pas nous laisser le
quitter aussi vite et il insistait pour nous
avoir à déjeuner dans sa cantine. Nous ne
pouvions pas refuser.
Et ce fut, sorti de sa cuisine, un formidable «chao men»
pantagruélique qui nous fut servi avec tous les égards dus comme à des
membres de sa famille. Après deux semaines de
navigation sans escale et de cuisine française sans kai fan1, ce «chao men» si savoureux
avait valeur hautement symbolique. Pour moi, ce
plat avait comme un
parfum de la cuisine de la maison. Pour lui, il servait de trait d’union à
des retrouvailles inespérées entre gens de la même famille. C’est ainsi
que je compris que ce plat mythique pouvait servir de sésame universel de reconnaissance entre tous les Chinois
immigrés de par le
monde.
Mais cette même joie de connivence presque
complice, je n’ai pas
réussi à la retrouver lors de l’escale de la
Martinique, où j’ai senti toute
la détresse impuissante et résignée d’un autre Chinois
possédant un
magasin d’alimentation comme ceux de chez nous. Parlant de son fils
parti étudier, comme il dit, vers la métropole, il nous avoua que celui-ci
ne parlait plus le chinois,
par manque d’école, faute de gens avec qui
converser et surtout par manque
d’intérêt. Il y avait dans sa voix
plus forte que la
tradition. «Mao Pan Fap»2 était le leitmotiv qui revenait sur ses lèvres
en lamentation. J’étais
trop jeune et très loin de penser qu’un jour la
comme un fond de tristesse comme si la fatalité était
69
Littérama’ohi
même chose pouvait nous arriver. Notre communauté avait l’air si forte,
si solide sur des bases apparemment si saines. Je ne me doutais pas
que le ver était déjà dans le fruit.
Je sais que je ne peux pas te reprocher d’avoir tout oublié. Tu n’avais rien à oublier puisqu’au départ on ne t’avait rien appris.
Rejetée
par tes jeunes camarades éduqués superficiellement non seulement à
l’occidentale mais aussi à la chinoise et à la polynésienne, cachée
craintivement par les vieux qui ne détiennent plus qu’un savoir-faire
obsolète, devenu inutile car inopérant, notre langue hakka est sur la
voie de l’extinction comme appelée à mourir d’inanition. De jour en jour
son existence devient asymptotique à celle de sa
déchéance et de sa mort. Sa fin programmée est donc non seulement
la courbe de
question de temps, elle est devenue presque une certitude mathématique.
Bien sûr, tout ce beau monde qui t’entoure, te dira et te jurera, en
fêtant joyeusement le Jour de l’An chinois par exemple, que notre culture n’est pas encore morte, qu’elle perdure encore dans les associations qui se bagarrent à qui mieux mieux, comme pour se prouver à
elles-mêmes qu’elles existent toujours. Mais notre déclin et notre malheur n’ont-ils pas commencé depuis ce jour funeste où nous avons
sacrifié l’esprit et la fidélité des valeurs éternelles de la sinité aux idoles factices que sont la facilité éphémère, factice et hypocrite de la
une
fausse modernité
venue de
l’Occident ?
Peut-être qu’il était nécessaire de concevoir un destin plus polynésien pour les générations à venir. Peut-être qu’il fallait aussi se débarrasser de nos
oripeaux culturels non essentiels. Mais pas en bradant
l’éducation et la transmission de nos savoirs spécifiques et uniques. A
l’instigation des leaders de chez nous, qui, à cette époque, étaient certainement de bonne foi et de bonne volonté, nous nous sommes jetés
dans une voie en apparence pleine de promesses avantageuses sans
prendre le temps de vérifier si elle n’allait pas mener notre culture d’origine vers son extinction.
A l’agonie depuis quelques décennies, elle sent déjà la désolation
et les parfums aseptisés de l’embaumement du dernier voyage.
D’ailleurs ne sens-tu pas déjà approcher les signes avant-coureurs et
malsains d’une mort annoncée ? A cette étape critique de son existen70
Dossier : Où sommes-nous ?
ce, elle est en train de finir desséchée, comme les vies pathétiques de
personnes âgées qui hantent nos asiles mouroirs du Temple de
KANTI, négligées par leur descendance, oubliées comme une honte ou
ces
négligées comme une plaie qu’on voudrait dissimuler aux regards.
Mais au fond, qui s’en préoccupe vraiment ? Et sa fin venue, avec tout
ce qui faisait de nous un autre genre humain à
part mais authentique,
fier et vivant, qui voudra encore en prendre soin comme le veut
depuis
des millénaires la tradition de nos ancêtres ?
Je sais qu’il
m’est difficile de te convaincre de l’urgence de tout
cela en même temps. De te convaincre de la conscience d’une identité, de l’existence d’une culture originelle perdue, qui se dirige vers un
destin dans
avons
été
lequel il est encore difficile de se reconnaître. Si nous
importants dans le passé, est-ce que nous compterons
encore dans le futur
? Comment arriver sain et sauf au bout de ce chemin sans balises, où plus personne n’aura plus besoin de se
poser des
questions et de se convaincre que l’on ne s’est point trompé ?
Comment apaiser et exorciser ces inquiétudes de tous les
temps, de
celles qui demeurent sans réponse et se dressent comme autant de
dangers sur la route de ton destin ? Je ne sais pas avec quels mots il
faut que j’écrive pour te faire comprendre que nous sommes
aspirés
dans une fuite en avant, vers un trou noir d’oubli si dense
qu’il risque
d’engloutir nos consciences d’origine et faire taire à jamais cette question : «Qu’est-ce que tu as fait dans ta vie de la
part de «chinois» qui
était en toi ?»
Jimmy Ly
Notes :
1)
Riz sauté au poulet et aux légumes
2) «Il n’y a rien à faire». Constat
d’impuissance formulé à
l’époque par le premier Consul chinois, Yao Tin Chin,
face à l’administration locale pour faire baisser les taxes
sur les Chinois.
71
Littérama’ohi
Où en sommes-nous ?
Question de temps
Pendant encore combien de temps ?
A la première déception,
Au premier ressenti d’injustice,
A la première discussion à coeur ouvert,
Au premier soupçon de parti-pris,
Pendant encore combien de temps ?
A l’écoute d’une contre vérité,
Face à l’incompréhension
A l’écoute d’une interprétation erronée,
Face au refus de comprendre,
Pendant encore combien de temps ?
Avec une brutalité contenue,
Avec un trait d’humour pour défense,
Avec une fierté ravalée,
Avec un juron pour attaque,
Pendant encore combien de temps
Devra-t-il y avoir confrontation ?
Suffira-t-il de se moquer de leurs travers,
Faudra-t-il critiquer leurs comportements,
Sera-t-il nécessaire de les rendre responsables de nos regrets ?
Ce n’est qu’une fois ce temps pris,
Utilisé, décliné, rallongé, intégré, occupé,
Que, les rames solidement enserrées au creux des mains,
Les pirogues glisseront à nouveau au dessus de la mer.
Taraua de Brest
72
Dossier : Où sommes-nous ?
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
1 - Où en sommes nous ? (En littérature locale)
Aborder ce sujet me fait l’effet de manier un sac de coprah. Mes
mains dérapent sur les formes rondes du contenu : l’oraliture, la ver-
baliture, les puta tifaifai pu, les aparima, les “bouts d’essais”, la poésie, les extraits de livres, etc. Mes doigts tentent d’agripper la masse
de jute à différents endroits : la littérature écrite par les tahitiens, par
les chinois, par les “demi", par “les quarts-les huitièmes-les seiziè-
mes”, par les originaires exilés, par les exilés intégrés. Mon corps
essaye de le soulever en agissant par le haut : la littérature des universitaires diplômés ; un trop gros morceau ; pas pour moi. Il ruse
ailleurs : les écrits de Littérama’ohi. C’est maniable mais pas encore
gagné. Le sac me nargue, toujours entier, compact et fermé. Pourquoi ?
Peut-être parce que je répugne à jongler en pensée avec le
vécu
et à transformer ainsi des relations fluctuantes
en
absolu
immobile ? Non pas seulement par paresse intellectuelle mais surtout par méfiance des mots avec lesquels on explique tout et son
contraire, avec lesquels on recouvre son inconscient avec bonne
conscience. Ayant fait partie des personnes dont le métier est de
parler sur les autres - sur ce qu’elles pensent et sur ce qu’elles font
-je sais combien il est illusoire, et même dangereux pour les cibles,
d’interpréter la réalité. Car on la déforme. Toujours.
Mais assez tergiversé !
“Où en sommes nous “ ?
73
Littérama’ohi
Les mots “Où” et “En”
de la
phrase ne sous-entendent-ils pas le concept espacetemps si cher aux philosophes ? Quand je pense aux pensants
éclairés qui pourraient juger ma dialectique je régresse au temps
des sentences notées. Je tenterais bien une dernière fois une diversion - une danse de trublion : “Tralalalalère” - pour qu’ils ne puissent
pas me cataloguer, encore moins m’analyser ; pour qu’ils s’excla-
ment, impatientés : “Totalement nulle !” avant de passer à un autre
auteur.
Le mot “nous” me ramène auprès du groupe de Littérama’ohi,
plus spécialement à celles et à ceux qui ont osé quitter l’atmosphère douillette des confidences devant cahiers ou
écrans d’ordinateur
pour déboutonner
leurs émotions et présenter leur style, en public.
L’épreuve a été vécue à maxima devant les regards des spectateurs
lors de la présentation du N°2 de la revue. Elle a eu l’avantage certain de souder le groupe des téméraires. Pourrait-on, s’il y a une
prochaine fois, utiliser une ancienne façon mélanésienne consistant
à parler seul devant un public qui a le dos tourné ? Le spectacle des
oreilles serait peut-être moins intimidant que celui des yeux ? Mais
j’ai bien peur, dans ces conditions, que l’exigence de la qualité littéraire soit encore plus impérative.
“Où en sommes nous?” auteurs et écrivains de LITTERAMA’OHI
Notre existence récente donne à cette évaluation trop de minpour posséder une réelle signification. Nous sommes encore
dans le fragile, dans les possibles, dans la
ceur
joie de la naissance
publique de nos écrits et dans le cocooning (existence protégée) de
notre
revue
“Littérama’ohi. En effet, si certains d’entre nous sont
déjà confirmés et reconnus officiellement dans leurs oeuvres, la
majorité vit pour l’instant le meilleur de l’état d’auteur sans s’être
heurtée aux exigences de l’écrivain.
74
Dossier : Où sommes-nous ?
Cependant nous venons de prouver que le besoin en Polynésie
de s’exprimer par écrit et que l’intérêt suscité par notre littérature
locale sont indéniables.
Merci à Flora Devatine qui a su nous insuffler son courage à
ébranler les vieux préjugés, à réduire ceux intériorisés par nous
mêmes
(génération des jeunes auteurs exceptée) et qui œuvre
admirablement et si efficacement à l’existence de cette revue. Merci
aussi aux média qui font équipe avec nous.
La force initiale de notre mouvement vient du fait que nous
engagés en toute authenticité : vouloir être ce que
ne pas vouloir paraître ce que les autres voudraient
que l’on soit. Authenticité : qualité pour laquelle le public possède un
flair infaillible et auprès de laquelle il se sent bien, car intégré à nos
nous sommes
nous sommes,
créations.
Il semble donc que notre meilleure façon d’exister est d’être la
littérature du ressenti, du vécu symbolique, de l’imaginaire poétique
et chanté, pour que les lecteurs puissent s’identifier à elle, se ressourcer, pour qu’ils pleurent et qu’ils rient avec elle, pour qu’ils pren-
nent plaisir à s’évader, et à la relire.
A vouloir exister officiellement nous endossons également la
responsabilité d’amplifier cet engouement car, toute proportion garrapport à l’ensemble du Territoire, cet événement ne
concerne qu’une très petite minorité de personnes, surtout parmi les
polynésiens. J’ai été frappée, en revenant au fenua après vingt ans
d’absence, par le fait que nous sommes toujours maintenus dans
les rôles du croyant et du consommateur. On ne favorise pas celui
du curieux. Et ce ne sont pas les systèmes scolaires existants, introduisant les enfants le plus tôt possible dans les processus de productions économiques d’une société marchande, qui pourraient
actuellement changer quoi que ce soit.
A cette responsabilité s’ajoute la vigilance à sauvegarder notre
liberté d’expression.
Nous existons avec le désir de perdurer localement et même
plus loin que nos frontières. Cela nous place devant deux problèmes
dée par
75
Littérama’ohi
immédiats et majeurs : le fait que lire soit un luxe pour le consommateur local
,
ce qui entraîne - entre autres choses - un marché bien
délicat de l’édition ; et le fait que l’on manque de traducteurs en langue tahitienne et anglaise. Car si l’on veut exister dans la région il
faut se faire publier en Anglais. Le Pacifique Sud représente en effet
l’immense avantage de posséder un public ayant des affinités culturelies et des problématiques voisines des nôtres. Ces similitudes
pourraient peut-être susciter spontanément de l’intérêt pour notre littérature locale ? Cette question reste entière car, à l’inverse,
“Où en sommes nous”?, auteurs et écrivains originaires de
la Polynésie avec ceux de la région océanienne
Pourquoi les écrivains du Pacifique Sud, tout comme ses habiconnus des lecteurs polynésiens, de notre
monde culturel et du grand public ?
On a l’habitude de prétexter l’handicap de la langue anglaise.
Prenons alors l’exemple de notre Territoire fortement engagé dans
un tourisme qui dans sa
grande majorité la parle
avec l’accent
américain, néo-zélandais et australien. Cela n’empêche pas la
population de réaliser les programmes de développement. Cette
indifférence semble donc relever en partie d’un manque de motivatants, sont-ils si mal
...
tion à découvrir nos voisins. Non pas pour leur montrer ce
sommes
que nous
mais pour savoir qui ils sont.
D’autre part, objecter la barrière linguistique c’est oublier la littérature publiée en Nouvelle Calédonie. Belle occasion
perdue de
familiariser avec la culture traditionnelle, l’histoire, la vie et la
sensibilité des diverses communautés “du Caillou”. C’est omettre
se
également celle du Vanuatu qui, en tant que Nouvelles Hébrides, a
été officiellement bilingue durant une soixantaine d’années sous la
dominance conjointe de la France et de l’Angleterre. C’est
ignorer
l’Institut des Etudes du Pacifique Sud (U.S.P à Suva FIJI) qui a
publié des écrits océaniens en langue française quand ils lui étaient
expédiés (la liste a été présentée dans le premier numéro de
76
Dossier : Où sommes-nous ?
Littérama’ohi). Il possède un catalogue de vente de plus de 300
ouvrages traitant de quinze domaines différents, et d’une vingtaine
de cassettes vidéo concernant des sujets culturels. Œuvres
publiées surtout en Anglais mais également en langues vernaculaiUne de ses représentantes - parlant français - est
venue nous voir lors du premier salon du livre.
L’oraliture, cet “ensemble des récits, des oralités, une façon
particulière de laisser des traces dans les mémoires par la voix qui
imprime et tatoue les récits dans les esprits” (Flora Devatine - page
232 Littérama’ohi N°2.), est également délaissée avec nos voisins
res océaniennes.
de l’Océanie.
Or, avec eux, nous pouvons nous épancher mutuellement sans
peur d’être incompris, spoliés, copiés, ou victimes de préjugés. Tout
en étant différents les uns des autres, nous nous sentons
spontanément bien ensemble. Le
Pacifique Sud est un espace où le mot
“brotherhood” (fraternité) lorsqu’il est lâché dans un éclat de rire,
avec de la
joie dans le regard et une tape amicale sur l’épaule, proconcentré de bonheur pur et intense, une autre façon
d’exister tout en restant soi-même.
Les recherches culturelles sur le terrain sont toujours enrichies
cure
un
d’expériences annexes qui à priori n’ont aucun rapport avec les
objectifs précis de départ, mais qui, après réflexion, les relieront à
d’autres ensembles plus vastes de compréhension.
Des exemples, au hasard des souvenirs :
Les états de Micronésie sont bien moins éloignés de Hawaï que
Los Angeles et ils réservent bien des surprises à qui prend la peine
de les découvrir. Au cours de discussions portant sur les
migrations
océaniennes, les habitants des îles Marshall m’ont montré comment
ils établissaient des cartes nautiques en utilisant un réseau de
tiges
de bois qui représentaient les principales directions de réflexion et
de réfraction des vagues. La dégustation d’un dessert fait avec des
fruits mûrs de pandanus m’a initiée à différentes techniques de survie sur un atoll (dont la pêche des requins à mains
nues) et à la philosophie insulaire si particulière qui les sous-tend.
77
Littérama’ohi
En séjournant sur l’île de Pohnpei, j’ai été conduite au village
Kapingamarangi, dit “tahitien” là bas, dont la langue et la culture ont
beaucoup d’affinités avec celles des Tuamotu, et dont les habitants
accueillent les polynésiens à bras ouverts. Un peu plus loin sur la
même île, j’ai été étonnée au delà de l’entendement en visitant les
ruines de Nan Mandol : des îlots semi artificiels bâtis sur le récif et
encadrés par d’immenses colonnes de basalte. Quand et surtout
comment ces blocs géants de pierre ont-ils été transportés à cet
endroit, loin du rivage, entre ciel et mer ?
Les habitants de Kiribati n’ont pas leur pareil pour disserter -
par exemple - sur le cocotier : sur les personnalités du mâle et de
la femelle, sur leurs symboles et leurs légendes, sur la fabrication
du toddy qui donne du rêve au quotidien. Leurs paroles traduisent
toute l’affection et le respect éprouvés envers cet arbre dispensateur de vie de génération en génération.
Moins loin de la Polynésie, un stage de langue maori s’est merveilleusement complété par une cérémonie sur un marae de Nouvelle
Zélande. Un séminaire de travail dans
un village fidjien a enrichi
chaque soir mon éducation culturelle prodiguée par les participants
locaux alors que nous étions réunis autour d’un immense récipient à
kava : heures privilégiées où les barrières sociales disparaissent et où
les informations s’échangent librement.
La diversité de ces quelques exemples montre les combinaisons infinies des connaissances et des liens offertes à
chaque visi-
teur sincèrement désireux de découvrir l’autre.
Si j’ai choisi et développé ce sujet, c’est qu’à la question “Où en
sommes nous avec la culture littéraire écrite et orale en Océanie
?”,
la réponse au niveau du grand public (et peut-être au niveau universitaire ?) est : “A rien du tout". Cet état de fait est bien attristant, et
même pénalisant pour ceux qui dans leur quête identitaire ma’ohi
passée et présente sont obligés d’inventer alors que peut-être des
informations fascinantes par leur variété et leur complémentarité
sont laissées en friche. Tout à coté.
78
Dossier : Où sommes-nous ?
Pour conclure,
Nous sommes heureux d’exister, avec l’espoir que notre cercle
s’agrandisse et que nous intéressions de plus en plus de lecteurs.
Mais il n’y aura pas d’avenir à notre revue, à notre élan littéraire en général, si nous ne l’imaginons
pas.
A nous de nous organiser dans la concertation avec toutes les
personnes ressources, avec toutes les structures existantes avant
d’en créer d’autres.
Ce faisant, à nous toutes et à nous tous de veiller à ne
ner en
pas tourrond, en système fermé, sur nous mêmes. Pour nous régé-
nérer à un niveau d’information et d’organisation plus large, pourquoi ne pas découvrir nos voisins océaniens : leurs réalités, leur
sensibilité, leur culture et leur littérature ?
Ensuite, pourquoi ne pas envisager de faire rayonner notre littérature aussi en Océanie ?
M.C. Teissier/Landgraf
79
Littérama’ohi
Chantal T. SPITZ
Ecrire-contester
«la crainte que cela ne déborde très vite et nous échappe, nous
entraînant sur le terrain de la contestation, des questions d’ordre poli...
tique...» (Flora - Littérama’ohi n°2)
Merci Flora de toujours m’offrir le p’tit truc qui force ma paresse à réfiéchir pour tenter de faire avancer notre schmilblic
Dans notre pays comme dans tout pays colonisé l’acte d’écrire ne constitue-t-il pas par lui-même l’acte suprême de contestation de résistance
de subversion de dissidence — ne porte-t-il pas en lui-même tous les
ferments de toutes les contestations à germer éclore dilater multiplier
Quand nos mémoires ont commencé de s’éteindre avec l’avènement du
christianisme
quand notre civilisation a continué de s’éteindre avec l’avènement de la
colonisation
nous avons écrit
écriture de notre mémoire de notre histoire
écriture de notre civilisation de notre fondation
écriture de nos immémoires pour notre éternité
écriture de nos absences pour notre permanence
contestation de l’ordre importé imposé
Quand nos anxiétés ont commencé d’épaissir avec la disqualification de
notre mémoire
quand nos insécurités ont continué d’épaissir avec la disqualification de
notre civilisation
nous avons écrit
écriture de nos brûlures de nos déchirures
80
Dossier : Où sommes-nous ?
écriture de nos lacunes de nos amertumes
écriture de nos affirmations pour notre émancipation
écriture de nos convictions pour notre insoumission
contestation de l’ordre imposé agréé
Quand Henri nous appelait à l’écriture dans tous nos espaces
quand tu nous appelles à l’écriture dans toutes nos audaces
écrit nous écrivons nous écrirons
écriture de nos frayeurs de nos candeurs
nous avons
écriture de nos raideurs de nos ardeurs
écriture de nos constances pour notre espérance
écriture de nos discordances pour notre existence
contestation de l’ordre agréé établi
Contestations frileuses hargneuses
inavouées manifestées
apeurées assumées
Depuis tant de temps sur tant de tons nous écrivons contestons
Chaque texte est une pierre à notre mur des contestations
textes murmurés psalmodiés
incantés mélopés
chantés déclamés
textes manuscrits encrés
tapuscrits imprimés
mémorisés disquettés
La contestation est en marche larvée depuis le
premier puta tupuna elle
s’est déposée aux tréfonds des âmes des
esprits des cœurs des vent-
res
des corps. Nous l’écrivons nous la chantons nous la lisons nous
l’entendons elle nous emmêle les entrailles elle nous chavire les intelligences pourtant normés que nous sommes aux modèles littéraires
81
Littérama’ohi
occidentaux elle nous échappe car elle est comme notre littérature polyforme polylingue polycolore
tellement polynésienne
La contestation est en marche avérée
depuis que nous consentons
nous-mêmes à l’existence à la qualité de notre littérature depuis que
nous sommes en impatience de nos publications encore
trop peu nombreuses depuis que nous osons des commentaires des analyses des
souhaits depuis que nous avons surmonté nos hontes nos peurs nos
doutes depuis que nous nous tenons debout dans la lumière de notre
littérature
A nous de la porter dans tous les espaces de la pensée
dans tous les espaces de l’écriture
dans tous les espaces de la société
dans tous les espaces de la modernité
A nous de la nourrir de nos hoquets de nos sourires
de nos colères de nos amours
de nos désastres de nos désirs
de nos morts de nos espérances
A nous de lui offrir la meilleure vêture
les mots les plus éloquents
les vers les plus luxuriants
les textes les plus manifestes
Pourquoi une telle crainte
Au contraire
Appelons la contestation de toutes nos plumes de toutes nos voix de
toutes nos langues de tous nos tons contestons tous les ordres
importés imposés agréés établis contestons tous les désordres sociaux économiques culturels intellectuels
Entrons en déviance avec toutes les politiques
qui prétendent anesthésier nos intelligences dans une non-pensée
unique entrons en discorde
82
Dossier : Où sommes-nous ?
avec toutes
les religions qui prétendent voûter nos intelligences dans
une soumission
expiatoire entrons en dissonance avec tous les conformismes qui prétendent claustrer nos intelligences dans une normalité
comateuse
Contestons délicatement âprement
pacifiquement farouchement
tranquillement passionnément
Contestons en fable en chronique
en roman en
en
pamphlet
nouvelle en comédie
Notre pays notre peuple méritent des textes subversifs
des textes qui renversent abolissent la bienséance la bienpensance
des textes qui démontent effondrent les injustices les
inégalités
des textes qui composent modulent les dignité les fiertés
des textes qui fondent amplifient les confiances les évidences
des textes
qui engagent l’auteur et le lecteur dans une perspective
autre que celle certifiée unique raisonnable
A nous écrivants-s’assumant
écrivants-s’ignorant
écrivants-vacillant écrivants-tergiversant
de rendre cette contestation audible lisible
intelligible de nous de tous
Notre pays notre peuple méritent des textes subversifs
83
Littérama’ohi
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
TAHITI RACINES ET DECHIREMENTS
Tahiti Herehia, Tahiti Rahuia
Extrait du chapitre : Les vacances à Paea.
Après le déjeuner, la fillette se dirige le cœur battant vers
Dominique couché à l’ombre des grands arbres de la plage. Elle
s’assied tout à coté de lui, à le toucher presque. Elle aimerait que
leurs peaux s’effleurent, et se figure le trouble délicieux de leur
contact fugace. Que tout cela est excitant ! Mais le garçon ne partage pas du tout son attente. Il somnole. Désireux d’avoir la paix, il
s’écarte en grommelant. Frustrée et vexée, elle décide d’observer
intensément le mouvement des vagues sur les récifs lointains. C’est
la marée haute. La frange d’écume court et bouillonne comme une
langue de flammèches sur une longue ligne brune. Elle perle, disparaît dans un bruit fracassant et se reforme un peu plus loin dans un
rythme sans fin.
Sophie pense au grand-père de Rachel, à sa croyance en la
réincarnation, aux morts qui revivent dans les nouveaux-nés. La vie
sur les récifs est pareille à celle des humains : en réalité, il
n’y a ni
début, ni fin, seulement un mouvement perpétuel. Peut-être que la
naissance et la mort ne s’opposent pas ? Peut-être que c’est l’envers et l’endroit d’une même chose ? Quelle est cette chose ?
Peut-
être en est-il de même pour le bien et le mal ? On lui interdit de par1er tahitien “parce que c’est mal”. Mais elle sait que cela lui ouvrirait
tout un nouveau monde et lui donnerait des amis. Et puis, cette lan-
gue est si belle ! Dans les discours, elle ressemble à de la musique.
Dans ce cas-là, le mal n’est-il pas le bien?
Il faut qu’elle partage ses réflexions avec Dominique. Elle le secoue
dans l’espoir d’amorcer un dialogue. L’incompréhension est totale :
84
Ecritures
TRADUCTION Par Dr. N. CARRUTHERS
“TAHITI BELOVED AND FORBIDDEN"
Chapter : Holidays at Paea District.
After lunch, the girl headed with beating hart towards
Dominique
lying in the shade of the tall trees by the beach. She sat down close
to him, almost touching him. She would have liked their skins to
brush one another, and imagined the delightful confusion that their
brief contact would cause. How thrilling it all was ! But the boy did not
share her expectations. He was drowsing. Looking to be left in
peace, he moved grumpily away. Frustrated and cross, she decided
to study closely the movement of the waves against the distant reefs.
It was high tide. The fringe of the foam surged and seethed like a tongue of white sparks against a long brown line. It fragmented, disappeared with a crash, and formed again further on in a rhythm without
end.
Sophie thought of Rachel’s grandfather, of his belief in reincarnation, of the dead coming back to life as the newborn. The life of
the sea on the reefs was like that of humans : in reality, there was
beginning, no end, just perpetual movement. May be birth and
death were not opposites. May be they were the two sides of the
no
thing ? What was that thing ? Maybe it was the same for good
and bad. She was forbidden to speak Tahitian “because it is bad”.
same
But she knew it would open a whole new world for her and
bring her
friends. And besides, that language was so beautiful ! In
speeches,
it was like music. In that case, was the bad not
good ?
She needed to share her reflections with Dominique. She shook
him, hoping to start a conversation. There was complete incompre-
hension :
“What are you on about ? The life of the sea has nothing to do
with ours ! When someone is alive, you can see him,
you can touch
him. When you speak to him, he answers you. When he is dead,
85
Littérama’ohi
-
Que vas-tu chercher là ? La vie de la mer n’a rien à voir avec la
nôtre ! Quand quelqu’un vit, on le voit, on le touche. Quand on lui parle,
il nous répond. Quand il est mort il n’y a plus rien. Fini tout ça. Et puis
le mal ne peut pas être parfois le bien. Tu es bien une Farani. Toujours
à compli quer les choses ! Aue ! Je suis fiu ! J’en ai assez de t’écouter ;
par moments on dirait une vrai taravana, une folle, qui parle !
Il se lève d’un bond souple et s’éloigne. De nouveau
livrée
seule à elle même, un malaise bien souvent éprouvé la reprend. A
chaque fois qu’elle se risque à livrer ses pensées, c’est toujours la
même chose : elle se heurte au mieux à l’ennui, au pire au rejet.
Peut-être est-elle vraiment folle ? La majorité de son entourage ne
la reconnaissant pas dans la totalité de son être, elle se sent parfois
habitée par une double vie. Lorsqu’elle se trouve en parfaite harmonie avec le paysage et avec les habitants du pays, elle se sent
Tahitienne au plus profond d'elle même, avec ses a’au, comme lui
a expliqué un jour Vanaa, la seule personne qui l’accepte entièrement. Tout s’écroule lorsqu’elle se fait traiter de “Blanc-blanc”, de
Farani, de Popaa. Cela n’est jamais dit méchamment, juste pour se
moquer. Mais elle se sent détruite par ce regard des autres, à qui
elle voudrait tant ressembler. Inversement, avec sa mère et à l’école,
elle est considérée comme étant trop tahitienne : sa façon de rouler
les r et de chanter les phrases, son penchant à se laisser vivre, son
manque de compétitivité en classe, ses fâcheuses fréquentations
avec les gosses de son quartier, etc. La liste est longue. De ce coté
là, elle est perçue comme une enfant à mater. Ce n’est plus la couleur de sa peau blanche qui est en faute, mais celle de son âme qui
noircit aux fumées de l’enfer tout proche tout en s’ “encanaquant”
dangereusement.
Comment se faire accepter par tout le monde, quoi que l’on
paraisse physiquement, quoi que l’on soit spontanément ? Penser
à tout cela lui fait très mal. Mais elle a la chance d’avoir à sa disposition un lagon turquoise pour se laver de tous ces horribles sentiments. Elle fixe le déferlement continu des vagues sur les récifs tout
en s’abandonnant à leur chant lointain. Cette contemplation finit par
86
Ecritures
there is nothing, it’s all over. And anyway, the bad cannot be good
sometimes. You are a real
Farani. Always complicating things ! Auae ! I’m fiu, I’m tired of liste-
ning to you ; at times you sound like a real taravana, a crackpot talking.
He leapt up nimbly and went off. Left to herself once more, an
often-felt uneasiness came over her. Ever time she got up the nerve
to share her thoughts, the same thing happened : she evoked bore-
Maybe she really was crazy ?
Since most of those around her did not see her in the fullness of her
dom at best, or at worst rejection.
being, she sometimes felt she had a double life inside her. When
she felt in perfect harmony with the landscape and the inhabitants
of the country, she felt Tahitian deep down inside herself, with her
a’au,
as
Vanaa, the only person who totally accepted her, had
explained to her one day. All that collapsed when she got called
“White-white”, Farani or Popa’a. It was never said spitefully, just to
tease. But she felt destroyed by this view of her by others whom she
so much wanted to be like. Conversely, by her mother and at school
she was considered as being too Tahitian ; the way she rolled her
R's, her sing-song way of talking, her penchant for letting herself go,
her lack of competitiveness in class, her unfortunate relations with
the neighbourhood boys, etc. The list was a long one ! On that side,
she was seen as a child to be tamed. It was not the colour of her
white skin which was wrong, but that of her soul, darkened by the
smoke of a hell close at hands, as she dangerously “went native”.
How could you get yourself accepted by everyone, however you
looked
physically, whatever you were spontaneously ? Thinking
about it was very painful for her. But she was lucky enough to have
turquoise lagoon available to wash away all these horrible feelings. She gazed upon the continuous breaking of the waves on the
reefs, giving herself over to their far-off song. This contemplation
eventually left her numb : she flew far away from her earthly shell,
anaesthetised from all pain, freed from all impediments. She became, colour, air and cloud. What tranquillity !
a
87
Littérama’ohi
l’engourdir : elle s’envole très loin de son écorce terrestre, anesthésiée de toute douleur, libérée de toute entrave. Elle devient couleur,
air, nuage. Quel repos !
Les rayons de soleil glissant sous les arbres de la
plage la
réveillent. Est-ce que les autres font de tels voyages ? Prudemment,
elle garde ces questions pour elle.
Après le repas du soir, Anita qui doit aller faire des courses à
Papeete le lendemain, pose une feuille de cocotier en travers de la
route. C’est une façon de faire arrêter le truck devant chez elle.
Comme elle n’a pas de
réveil, un simple coup de klaxon le remplacera largement. On
l’attendra si besoin est.
Les enfants s’endorment dans de bonnes effluves de cuisine.
Anita mitonne des haricots rouges mélangés à de la viande de
porc
coupée en petits cubes, le tout parfumé de feuilles quatre épices. Il
suffira de cuire une immense casserole de riz le lendemain
pour que
le déjeuner soit prêt.
Anita est de retour. Sophie arrive juste au moment où elle
déballe sur la table de cuisine toutes les bonnes choses ramenées
...
de la ville : boîtes de confiture australienne aux
images de fruits si
tentantes ; boîtes dorées de beurre néo-zélandais ornées de fleurs
pourpres Warrata ; beurre de cacahuète
Crunchy américain, le
meilleur, celui avec des morceaux craquant sous les dents ; et enfin,
une immense boîte métallique de Cabin biscuits Arnott’s décorée
d’un beau perroquet gourmand grignotant dans le noir un biscuit à
la lueur d’une lampe tempête. Des petits morceaux tombant de son
bec en suggèrent le croustillant. Anita retire furtivement de sa
poche
petit paquet gris tout neuf. C’est du Bison, du tabac à rouler. Elle
sort d’une vieille boîte métallique de thé
chinois, cachée parmi la
réserve de conserves, des feuilles pour rouler les
cigarettes. Elle
paraît gênée, comme fautive :
Je sais que cela donne mauvais genre à une femme de fumer
du Bison. Mais les cigarettes américaines sont
trop chères pour
un
-
88
Ecritures
The sun’s rays slipping under the trees by the beach awoke her.
Did the others go on such journeys ? Prudently, she kept these
questions to herself.
After the evening meal, Anita, who was to go to shopping in
Papeete the next day, laid a coconut frond across the road. This was
the method for
getting the truck to stop opposite her house. Since she had no
beep of the horn would adequately fulfil its
function. They would wait for her, if need be.
The children went to sleep amid good smells of cooking. Anita
was simmering red beans mixed with pork cut into little cubes, seasoned with leaves of black cumin. It would be enough to boil a huge
pot of rice the next day for lunch to be ready.
alarm clock, a simple
...
Anita was back. Sophie arrived just at the moment when she
unpacking on to the kitchen table all the good things brought
back from town: tins of Australian jam with such tempting pictures of
was
fruit ; golden tins of New Zealand butter decorated with purple
Warratah flowers ; American Crunchy peanut-butter, the best kind,
with bits that crunched between your teeth. And finally an immense
metal box of Arnott’s Cabin biscuits decorated with a handsome par-
rot, greedily nibbling a biscuit in the dark, by the light of a storm-lantern. Little morsels falling
from his beak suggested its crispness.
Anita furtively pulled from her pocket a brand new little grey packet.
It was some Bison, a rolling tobacco.
She took from an old metal
hidden among the stocks of preserves, some
papers to roll cigarettes with. She appeared to be embarrassed, as
if guilty :
Chinese tea caddy,
“I know it looks bad for a woman to smoke Bison. But the
American cigarettes are too dear for me. And besides, I like the flavour of this tobacco
better. I especially like to roll my own. You see,
I spend my days working for other people : “Anita here, Anita there,
do this, do that.” When I am rolling my cigarettes, I take some time
just for me. When I smoke after finishing a job, that is my reward.
89
Littérama’ohi
moi. Et puis je préfère le goût de ce tabac. J’aime surtout me les
préparer moi-même. Tu vois, je passe mes journées à travailler pour
les autres : “Anita par-ci, Anita par-là, fais ceci, fais cela.” Quand je
roule mes cigarettes je prends du temps rien que pour moi. Quand
je fume après avoir fini un travail, c’est ma récompense. Seulement
tu connais les béni-oui-oui du quartier qui sont aussi nombreux et
envahissants que les tupa du bord de mer ! Ils sortent sans arrêt de
chez eux pour aller soit-disant faire du bien chez les autres. Quand
ils parlent, tu crois d’abord que c’est du miel, de la consolation, de
l’espoir. Après tu réalises que ce sont des langues de pute qui
bavent comme les crabes leurs méchancetés et leur jalousie. Ils
n’arrêtent pas de critiquer tout le monde, moi en premier. Ici, si tu ne
fais pas comme les autres, tu es foutue. Il faut rester dans le rang,
bien alignée. Il ne faut pas faire honte à tes feti’i, à ta paroisse.
Quand on nous entend chanter au temple ou à l’église, quand on
nous voit sortir tous ensemble avec nos beaux chapeaux blancs et
nos beaux habits, ceux
qui ne nous connaissent pas s’exclament :
-
Quelle ferveur !
Il y a plein de popa’a qui aiment croire que nous sommes de
bons sauvages. Cela leur fait plaisir ! Mais ils ne connaissent rien
des jalousies, des racontars ni même des inventions méchantes qui
courent parmi nous. Quand certains d’entre eux viennent vivre avec
nous et réalisent
quelle est notre vraie vie, alors ils nous en veulent
et nous critiquent. Eh bien, ce sont d’autres cons ! S’ils se sont trom-
pés sur nous et que leur rêve est brisé, ce n’est pas de notre faute !
La pincée de tabac, à force d’être tripotée, s’est transformée en
une fine cigarette irrégulière, prestement allumée avec un
briquet
tiré du soutien-gorge. La flamme s’élève très haut, d’un seul coup,
obligeant Anita à plisser les yeux et à tordre ses lèvres de coté pour
éviter de se brûler le nez. Elle aspire, une fois, deux fois : le papier
rougeoie vivement puis semble s’éteindre. Elle avale la fumée, le
visage levé vers le ciel, puis la rejette en volutes nonchalantes. La
réverbération du soleil sur le lagon fait danser la lumière sur un mur
90
Ecritures
But you know these busybodies in the neighbourhood, who are
and as intruding as tupa are by the sea ! They are forever
leaving their houses to go and supposedly help others. When they
talk, you think at first it is all honey, sweetness and light. Later, you
realize that they have mouths like bitches, spitting out their spite and
jealousy like crabs dribbling. They never strop criticising people, me
above all. Round here, if you don’t do as the others do, you’re buggered. You have to stay in line, in your place. You must not disgrace your feti’i, nor your parish !
When people hear us singing in chapel or in church, when they
see us coming all together in our beautiful white hats and our beautiful clothes, those who don’t know us say :
as many
“
What fervour !”
There are lots of popa’a who like to believe that we are noble
savages. That makes them happy ! But they know nothing of the
jealousies, the tales and even the vicious rumours that go around
among us. When some of them come to live with us and realize
what our life is like, they are resentful towards us and criticise us.
Well, they are idiots, too ! If they made mistakes about us and their
dreams are shattered, that’s not our fault.
The pinch of tobacco, by dint of fiddling, had been transformed
into a thin, oddly shaped cigarette, nimbly lit with a lighter produced
from her bra. The flame at once shot up very high, forcing Anita to
screw
up her eyes and twist her lips sideways to avoid getting her
She breathed in once, twice : the paper glowed bright
nose burned.
red, then seemed to go out. She inhaled the smoke, with her face
raised towards the sky, then exhaled it in lazy curls. The sun beating down on the lagoon made light dance on the kitchen wall. The
silence was serene. Sophie steeped herself completely in the
sweetness of these moments and enjoyed them to the full.
Suddenly Anita burned her fingers on her cigarette butt, swore
mightily and stood up abruptly. The respite was over.
91
Littérama’ohi
de la cuisine. Le silence est serein.
Sophie se coule tout entière
dans la douceur de ces instants et les savoure pleinement.
Soudain Anita se brûle les doigts avec son mégot. Jure un bon
coup et se lève brusquement. La trêve est terminée.
...Le dîner étalé sur la table est un vrai festin : des vana avec
des tranches de pain recouvertes de beurre salé, à la boite fraîchement ouverte, des restes de ma’a tinito ;
mais surtout des Cabin
bread tartinés soit de beurre de cacahuète, soit de gelée de goyaUn gourmand prend prestement un de chaque, les presse l’un
contre l’autre, et s’apprête à les tremper dans son bol de thé, quand
ve.
Anita intervient brusquement en grondant :
Pas de dessert avant que vous n’ayez fini vos haricots et votre
riz de ce midi ! La déception s’abat, intense. La protestation surgit,
-
vite réprimée. Mais un des gamins plus facétieux que les autres, se
contorsionne sur le banc et lâche un long pet. Les haricots du déjeu-
ayant fait leur effet parmi tout le reste de la troupe, voici que chas’ingénie à faire plus haut, plus longtemps, plus rythmé, plus
musical que le voisin. Anita qui se dirigeait vers la cuisine n’en croit
pas ses oreilles. Qu’un concert de pets soit organisé ainsi dans la
cour, alors que les voisins tout proches, “des Popa’a haut placés”
comme elle dit, sirotent leurs apéritifs sur leur terrasse, c’est
inimaginable ! Sa patronne sera mise au courant à coup sûr. Elle risque de
perdre sa place si un tel laisser-aller des bonnes manières continue.
Alors elle revient sur ses pas à toute vitesse. Tonitruante elle
ner
cun
s’exclame :
Celui qui pète en mangeant
Verra le diable en dormant
Et sûrement en mourant.
L’effet escompté est instantané : le silence est immédiat. La
perspective de voir le démon est trop épouvantable !
M.C. TeissierLandgraf
92
Ecritures
..
.The diner set out on the table was a veritable feast : vana with
slices of fresh bread spread with salt butter from the newly opened
leftover ma’a tinito ; but above all the Cabin bread
biscuits, spread either with peanut butter or with guava jelly. One
can, some
glutton quickly grabbed one of each, pressed them together and
dip them in his bowl of tea, when Anita suddenly intervened, grumbling :
“No dessert until you have finished your beans and your rice
from lunchtime !” Intense disappointment fell upon them. Protests
was about to
arose, to be
quickly suppressed. But one of the boys, more facetious than
the rest, contorted himself on the bench and let out a long fart. The
lunchtime beans having had their effect on the other members of the
group, each now strove to perform louder, longer, more rhythmical-
ly or more musically that his neighbour. Anita, who was heading
towards the kitchen, could not believe her ears. A concert of farts
being organized like this in the yard, while nearby neighbours “some
highly-placed Popa’a” as she called them, were sipping their drinks
on their terrace : it
was inconceivable ! Her employer would be
informed for sure. She risked losing her place if such negligence of
good manners continued.
So she retraced her steps hastily. In ringing tones she proclaimed :
He who farts as he eats
Will see the Devil as he sleeps,
And certainly when he is dying.
The desired effect was instantaneous : the silence was imme-
diate. The prospect of seeing the devil was just too terrible !
Traduction Dr. N. Carruthers
93
Littérama’ohi
L’Irak...
cette guerre...
par Michou CHAZE
A Toàta où nous aimons nous réunir, mes collègues écrivains et
moi
:
nous
union autour d’un repas sympathique, Flora nous a demandé de
inscrire dans notre histoire. Je me suis dis que, par conséquent,
nous ne pouvions pas ne pas parler de l’Irak qui est au cœur de toutes les conversations, pensées, business, transactions, soucis, inquié-
tudes, prières, journaux télévisés, presses, etc... de tout le monde
depuis quelques temps.
Que dire ? Tant de choses ont été dites... diarrhée verbale sur
écran... A l’heure où j’écris ces mots, la guerre a commencé, des innocents souffrent, et les pays occidentaux manifestent dans la rue. Que
dire, alors que, tandis qu’à Tahiti, des manifestants défilaient dans les
rues de
Papeete contre la guerre, comme dans de nombreux pays du
monde, les Etats-Unis n’attendaient pas notre approbation pour cornà bombarder l’Irak. C’était un samedi... devançant ainsi, de
plusieurs semaines, l’échéance donnée à Saddam Hussein !
J’appartiens à une génération et à un peuple qui n’ont jamais
connu la guerre. Et je ne me considère pas apte à parler de ce sujet.
Mais ce sujet nous concerne tous, habitants de la planète terre, y
compris ceux de la Polynésie.
mencer
Pour ou contre la guerre : il ne s’agit pas pour moi de prendre
parti pour l’une ou l’autre des positions, mais de réfléchir sur ce qui se
passe, en écoutant ceux qui le vivent ou l’ont vécu, en plongeant dans
leur histoire. De part et d’autre les arguments sont puissants, et il est
difficile de prendre une décision. Il est difficile de se décider pour ou
contre la guerre.
Kofi Anan a dit que « nous sommes entrés dans le troisième
millénaire par une barrière de feu ».
José Ramos Horta, prix Nobel de la paix en
1996, qui a lutté
pour l’indépendance de son pays, a écrit :
«Il m’arrive souvent de nous compter pour savoir combien d’entre nous
94
sont encore en vie. Un matin,
récemment, mes deux frères
Ecritures
survivants et moi-même prenions le café ensemble. Et je me suis
encore
surpris à compter. Nous étions autrefois sept frères et cinq
sœurs, une famille nombreuse parmi tant d’autres, dans un tout petit
pays
catholique. L’un de mes frères est mort quand j’étais bébé.
Antonio, l’aîné, est mort en 1992 faute de soins médicaux. Les trois
autres frères ont été assassinés dans le long conflit du Timor-Oriental
l’Indonésie. Maria Ortencia, l’une de mes sœurs cadettes, est
morte le 19 décembre 1978, tuée par une roquette tirée par un OV-10
avec
Bronco, avion que les Etats-Unis ont vendu à l’Indonésie. Elle a été
enterrée au sommet d’une montagne majestueuse, et sa tombe a été
entretenue par les humbles gens de la région pendant vingt-ans...(...)
Deux autres de mes frères, Nuno et Guilherme, ont été exécutés par
les soldats indonésiens en
1977, sans que nous sachions où ils ont
été tués et abandonnés. Dans mon pays, rares sont les familles qui
n’ont pas perdu un être cher. Beaucoup ont été décimées pendant
les décennies d’occupation indonésienne et de résistance à l’oc-
cupant. Les pays occidentaux ont contribué à cette tragédie.
Certains sont directement responsables parce qu’ils ont fourni à
l’Indonésie une assistance militaire ; d’autres ont été complices
par leur indifférence et leur silence ; mais tous se sont rachetés.
En 1999, une force internationale de maintien de la paix -sous la
férule de l’Australie- a aidé le Timor-Oriental à obtenir son indépendance et à défendre son peuple. Aujourd’hui le Timor est un pays
libre. Mais je garde le souvenir vivace des souffrances et des
malheurs de la guerre. Si la guerre n’était pas
monde n’en serait que meilleur.
nécessaire, le
Pourtant je n’ai pas non plus oublié le désespoir et la colère
que j’ai ressentis quand le reste du monde a préféré ignorer le
sort tragique de mon peuple. Nous avons supplié les puissances
étrangères de nous libérer de l’oppression - au besoin, par la
force.
Ce n’est donc pas sans quelque consternation que je suis le débat
sur l’Irak au
Conseil de sécurité des Nations Unies et à l’OTAN. Les
grands airs de certains dirigeants européens ne m’impressionnent
95
Littérama’ohi
guère. Leurs actes compromettent le seul moyen vraiment efficace de
faire pression sur le dictateur irakien : la menace du recours à la
force. (
)
Les manifestations contre la guerre, elles, sont parfaitement
nobles. Je sais que les divergences d’opinion et le débat public sur
des questions comme la guerre et la paix sont essentiels.
Aujourd’hui, si nous jouissons du droit de manifester et d’exprimer
nos opinions- ce que nous n’avons jamais connu en
vingt-cinq ans de
terreur-, c’est parce que le Timor-Oriental est une démocratie indépendante.»
Les morts n’ont pas de visage. Et les individus perdent leurs traits
distinctifs dès
qu’ils tombent du côté de la mort. Les morts par
Ils ne sont plus présents. Ils n’ont
jamais été présents, puisque aucun traits de leurs visages ne renvoient ceux qui observent ces faits aux jours qui ont précédé.
C’est dans les années 50 que la vie culturelle de Bagdad se
développa. Au cours de ces années, de nouveaux cafés inaugurèrent
une renaissance culturelle. Le café Chahbandar conservait sa
position particulière de club littéraire : on y fonda la première Union des
Saddam Hussein ne parlent pas.
écrivains irakiens.
Les années 60 furent celles des poètes qui se réunissaient au
Café du Parlement, ou bien dans les bars de la rue Abu Nuwas. On
raconte encore aujourd'hui leurs bruyantes querelles qui se terminaient parfois au poste de police, où les policiers découvraient alors,
médusés, que l’objet du litige était... un poème.
Ces poètes rêvaient d’un monde différent de celui que leur promettaient les partis politiques. Ils dévoraient les revues Shiir (Poésie)
ou Hiwâr (Dialogue) pour
y découvrir les derniers courants de la poésie arabe ou étrangère, les idées nouvelles. La génération irakienne
des années 60 est née de circonstances
historiques particulières,
mais aucune école poétique ne fût plus âprement attaquée. Aucune
ne
fût plus durement taxée de trahison. En
l’espace de quelques
années, le pouvoir comme l’opposition se chargèrent de réprimer
cette poésie, d’interdire les revues, et d’emprisonner les poètes de ce
96
Ecritures
courant. C’est ainsi qu’en 1969 fût publiée la revue Poésie 69, pre-
mière de son genre en
Irak à présenter un réel projet, mais elle fût
contrainte de cesser sa parution au bout de quatre numéros sur ordre
du ministère de l’Orientation. Ainsi, à la fin des années 60,
Bagdad
rentrait dans la longue nuit du régime baassiste.
L’aspect de Bagdad date de la fin des années 70, époque où
l’Etat était occupé à épurer l’opposition intérieure et à faire la guerre
à ses concitoyens Kurdes. Saddam Hussein, depuis son accession
au
pouvoir, s’affaira à anéantir les partis d’opposition et toute concurmême de son parti, le Baas.
rence au sein
Entre 1971 et 1982, des dizaines de milliers de Kurdes furent
chassés de Bagdad sous prétexte qu’ils étaient « perses », tandis
que les chiites étaient persécutés et peuplaient les prisons. Une fois
assuré de sa sécurité sur le plan de l’intérieur, le régime put se consacrer à sa
guerre contre l’Iran, en 1980.
A ce moment, Bagdad se métamorphosa en un gigantesque
chantier : de nouvelles avenues furent percées, des tunnels souterrains créés, au côté d’innombrables monuments commémoratifs...
La littérature et l’art se muèrent en une farce sordide, supposée
célébrer la tradition mésopotamienne et l’héritage islamique.... C’est
ainsi que Baas finit par dominer tous les aspects de la culture...
Ces dernières années, Saddam Hussein s’est mis en tête d’entrer dans le monde des lettres, en publiant trois romans... Il est l'Irak,
sa culture,
sa société, son histoire...
En 1995, il n’hésita pas à faire déchoir de leur nationalité trois
poètes irakiens
: Al Bazzar, Al Jawahiri et Al Bayyati. En
1999, le
ministère de la Culture faisait paraître un décret intimant à tous ceux
qui possédaient des oeuvres des «écrivains de l’exil» de les remettre
au ministère, sous peine de poursuites.
Ultérieurement fut publiée une liste de plusieurs dizaines d’artistes vivant à l’étranger, traités d’apostats...
La guerre a commencé et ceux qui meurent se transforment en
nombre. Aucun biographe, aucun metteur en scène ne viendra les
97
Littérama’ohi
choisir pour les rendre à la vie et nous montrer que leur mort fut une
perte épouvantable. Aucun ne bénéficiera de ce dont jouit le citoyen
ordinaire dans les pays de citoyenneté ordinaire : que sa mort soit le
préambule à une remémoration de sa vie, de sa vie personnelle dont
la fin, comme dans toute vie, est une tragédie pour ceux qui restent.
Personne ne viendra se faire relever une vie dans laquelle, de toute
manière, il n’y a pas grand-chose. C’est sans doute ce que tout le
monde s’est dit en entendant annoncer aux informations, que les
Afghans résisteraient jusqu’à la mort, et aujourd’hui que les Irakiens,
eux aussi, résisteraient jusqu’à la mort. Nous aussi, en tant
que partie de ce «tout le monde», nous nous sommes pris à croire que ces
gens accordaient un moindre prix à leur vie du fait qu’ils savaient
qu’elle ne valait pas grand-chose.
Mourad Mazaev, le premier réalisateur professionnel tchétchène, vient de tourner le premier film de fiction tchétchène : Marcho,
qui veut dire Liberté, et qui parle de la guerre. Ce premier long-métrage traite de la guerre, mais aussi de ces combattants qui rêvaient de
tout autre chose. Mourad n’a que 25 ans, mais tout ce qu’il a vécu
suffirait à remplir une longue vie.
Mikaïl, le héros, a une passion qui n’a rien à voir avec la guerre,
le dessin, auquel il veut consacrer son existence. La guerre éclate et
Mikaïl part défendre sa patrie. Le héros meurt. Son cadavre est ramené chez lui, et le film se termine sur la scène des adieux, où le cadet
qui a 13 ou 14 ans, arrache à son frère mort son bandeau vert, symbole de la guerre sainte.
«Lidée» dit Mourad Mazaev, «est que la mort d’un combattant
n’arrête rien : si l’on en tue un, un autre se dresse, et, si le cadet est
tué à son tour, le benjamin prendra la relève... L’essentiel, pour moi, ce
sont les scènes où l’on voit ce que ce sont vraiment les combattants :
des gens qui rêvaient de tout autre chose. Enrôlés dans un détachement, ils espèrent encore, s’ils restent en vie, réaliser leurs rêves.»
«... C’est un film qui montre
que les hommes sont obligés de
combattre, alors que ce sont des gens ordinaires, qui ne veulent pas
la guerre. Tant qu’on nous propose uniquement de nous battre, cela
signifie que, lorsque la génération qui a grandi est décimée, elle sera
98
Ecritures
remplacée par celle qui est devenue adulte, puis par une autre encochaque nouvelle génération ayant de plus en plus de raisons de
partir en guerre.»
«... plus çà va, et plus il
y a de sang versé. Plus il y a d’enfants
qui ne voient que cela dès leur plus jeune âge et prennent cela pour
la norme. Vivre pour eux signifie faire la guerre. Viendra un jour où
personne ne se demandera plus au nom de quoi on fait cette guerre...
ce sera juste la banalité du quotidien.»
«... Pour les jeunes, la frontière entre le bien et le mal
s’estompe,
parce qu’ils ont grandi dans l’horreur. Finalement, cette frontière
devient si imperceptible que le mal finit par passer pour le bien.»
re...
En 1991, les forces américano-britanniques ont largué de l’uranium
appauvri sur l’Irak. Résultat : des cancers par centaines de milliers. Et
aucun médicament pour les soigner, à cause de
l’embargo...
Denis Halliday, Irlandais, a passé 34 ans aux Nations Unies, où
il a fini sa carrière en tant que secrétaire général adjoint. En 1998, il
a démissionné de son poste de coordinateur humanitaire
pour protester contre les effets de l’embargo sur la population civile.
«Cinq mille enfants meurent chaque mois. Je refuse de diriger un
programme qui a ce genre de chiffres pour résultat... Ce sont les petites gens qui perdent leurs enfants ou leurs parents par manque d’eau
décontaminée. Ce qui est clair, c’est que désormais le Conseil de
sécurité échappe à tout contrôle, car ses actions sapent sa propre
chartre, ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme et
les conventions de Genève. L’Histoire sera impitoyable envers les
responsables.»
A l’ONU, Mr Halliday a ainsi rompu un long silence collectif. Le
13 février 2000, Mr. Hans von Sponeck, qui lui avait succédé en tant
que coordinateur humanitaire à Bagdad, démissionnait à son tour.
Comme Mr. Halliday, il travaillait depuis plus de trente ans aux
Nations Unies.
«Pendant combien de temps encore, a-t-il dit, la population civile
irakienne se verra-t-elle infliger un tel châtiment pour une chose dont
elle n’est pas coupable
?»
99
Littérama’ohi
Des démissions sans précédent de la part d’hommes qui osent
dire l’indicible, à savoir que l’Occident est responsable d’une extermination massive en Irak, évaluée par Mr. Halliday à plus d’un million
de victimes.
-
Encore quelques chiffres et idées pour terminer :
Un missile vaut (à lui seul) un million quatre cent mille dollars
US.
-
Avec le budget de la guerre contre l’Irak, on pourrait résoudre
les problèmes de pauvreté et de précarité dans le monde.
Tout cela, hélas, se confond dans une indécence absolue.
Pour ou contre cette guerre. Comme je le disais au début, les raisons sont
puissantes de part et d’autre, et le choix reste difficile.
Comme tous les Polynésiens, je crois en Dieu, je vais à l’église
le dimanche, et j’ai
été élevée selon des préceptes religieux. Et
beaucoup de Polynésiens, mon réflexe est de chercher la
réponse dans les Ecritures. C’est ce que j’ai fait. C’est vrai qu’on y
parle de guerre. On y parle aussi de loi du talion annulée. On y parle
d'aimer et de bénir ses ennemis. On y parle de pardon... jusqu’aux
dix commandements où il est écrit : Tu ne tueras pas. Point final !
Il n’est pas écrit : tu ne tueras pas, excepté les terroristes et les
musulmans ! Il est écrit : Tu ne tueras point !
comme
Je désire ardemment le silence dans un monde rempli de bruit et
de violence
Que plus personne ne crie de douleur !
Ne plus entendre quiconque hurler de rage et de colère
J’ai soif d’un monde non
!
ponctué par le préjudice, la haine, la
rage et la colère...
Je reste résolument utopiste, et préfère rêver d’un monde de par-
tage où règne la paix.
L’utopisme, c’est ce qui n’a pas encore été essayé.
Michou Chaze
100
Ecritures
Chantal T. SPITZ
«Elles Terre d’Enfance»
roman en enfantement -
Extrait
«Laisse-moi te conter te raconter te compter te recompter ma
Terre d’Enfance. Elles. Ecoute le compte de mes vies entre ma première mort et mon ultime naissance. J’ai traversé tant de morts déjà
certaines dont l’acuité de chaque détail ne lasse pas de m’étonner
quelques-unes qui m’agacent tant elles sont banales comme si j’avais perdu mon temps d’autres au contraire qui m’émeuvent par leur
majesté leur élégance que je revivrais volontiers. Je suis morte tant
de fois déjà que je ne peux que vivre désormais mais avant que je
ne me mette à vivre définitivement et sérieusement il me faut te dire
toutes
mes
morts
légères et profondes apaisantes et souffrantes
nécessaires et inutiles provisoires et permanentes toutes ces morts
qui m’ont accompagnée sentinelles de mes souvenirs fantômes de
mes avenirs sur le chemin de ma naissance. Tu ne sauras jamais si
mon compte est exact j’inventerai des vérités quand tu douteras
je
tairai des raisons quand tu auras peur car tu douteras et tu auras
peur tu souhaiteras m'oublier tu fuiras nos rencontres tu protégeras
ton esprit mais tu reviendras pour m’écouter m’absorber te saouler.
Tu te saouleras de mes histoires à dormir debout de mes éloquences à coucher dehors de mes larmes qui ne coulent pas en
perles
de diamant de mes rires qui ne se déploient pas en cascades de
cristal. Tu te saouleras et tu écriras. Peu importe comment. Tu ajouteras légèreté couleur charme à mes mots quand ils te ploieront tu
ôteras accablement obscurité brûlance à mes mots quand ils te
menaceront tous ces mots que je riverai à tes mémoires pour qu’ils
deviennent tes mémoires passées tes mémoires futures que tu ne
sauras plus démêler de tes propres pensées que tu rouleras en toi
comme une sarabande boiteuse tu
es celle
les écriras. Tu les écriras car tu
qui écrit et je te plains. Je te plains de contrefaire ta vie et
101
Littérama’ohi
d’endosser celle de tous les autres ceux à qui tu donnes vie en les
écrivant illusions prophétiques souvenances intuitives que tu préfères aux ombres humaines
qui musardent tes pensées captive de tes
créatures oublieuse des réalités. Je te plains d’être jeune puisqu’il
te faut te mesurer à ce monde désolant. Moi le Ciel dans son indi-
cible clémence m’a accordé de flotter sur les marées de mon esprit
qui affluent et refluent entre raison et déraison qui voguent et sombrent entre cohésion et confusion depuis ma vie est plus douce.
Personne ne s’intéresse plus à moi je n’ai plus d’intérêt personne
n’attend plus rien de moi je n’ai plus rien à donner personne ne me
regarde plus je suis transparente mais surtout personne ne m’approche plus l’extravagance fait peur. Ne me restent que mes comptes râpeux et pathétiques je te les offre pour qu’à ton tour tu les
comptes les contes les recomptes les racontes. Ainsi après être
morte si souvent je vivrai à jamais.»
Par ces paroles comme une bouteille à la mer dans l’océan pad-
fique de trop de solitudes elle a surgi dans mon espace alors que je
savourais placidement le spectacle des voiliers ondulant dans les
rougeurs du soleil couchant sur un banc du front de mer. Je ne l’avais vue ni entendue s’installer et je me retrouvais soudainement
agacée par cette étrange inconnue qui me dérangeait me bousculait
me distrayait de ces images qui me reposaient des trépidations de la
vie citadine que je goûtais égoïstement chaque soir sur le chemin de
la maison. Je me souviens avoir immédiatement désiré qu’elle se
taise et me laisse à mes quiétudes qu’elle tarisse cette mélopée
monocorde porteuse de désolations et de richesses qu’elle disparaisse et me préserve de ses désordres qu’elle contienne cette
modulation uniforme porteuse d’ors et de rouilles. Je me souviens de
l’angoisse qui grignotait mes entrailles quand j’écoutais sa voix
comme un sortilège de la panique qui dévorait mes intelligences
quand j’en goûtai le trouble immédiat et fatal. Je ne me souviens pas
comment se sont composées nos rencontres ni combien de fois
nous nous sommes retrouvées je me souviens seulement avoir sou-
102
Ecritures
vent lutté contre elle contre la fascination qu’elle
naissait et enflait
dans mon être entier je me souviens encore de mes doutes de mes
peurs de mes fuites de mes retours haletants vers ce banc toujours
le même celui de nos débuts sur lequel elle me patientait sûre des
redditions qui me rejetaient malgré moi vers elle sur lequel elle fruc-
tifiait ses déserts comme pour écouler ses défiances éteindre ses
démences épuiser ses errances. Je me souviens surtout du bonheur clair de l’écouter de l’entendre sans besoin de question.
Aujourd’hui que je commence d’écrire son histoire tant de temps
après son ultime départ je réalise que je ne sais rien d’elle que je sais
tout d’elle ses secrets déguisés ses vérités inventées. Je ne sais rien
de sa vie formelle normalisée je sais tout de sa vie clandestine bien
sûr je pourrais savoir qui elle est l’ordonner dans ses généalogies si
je le voulais nous sommes sur un si petit bout de terre. Curieusement
je n’en éprouve aucune nécessité elle se suffit à elle-même. Savoir
autre chose que ce qu’elle m’a dit ne servirait de rien rien ne viendra
la grandir la réduire je garde d’elle tout ce qu’elle m’a dit tout ce qu’elle ne m’a pas dit tout ce que j’ai compris tout ce que je n’ai pas cornpris. Sa voix unie comme une incantation qui mieux que la mélodie
la plus achevée faisait d’elle une conteuse marginale me soudait à
ses paroles qui abolissaient le temps et l’espace dansaient l’enfance
et la vieillesse sculptaient les peines et les espoirs chantaient les
chaînes et les noblesses. Une voix rauque et lente comme si elle
fourbissait chaque parole avant de la dire en aveu une voix comme
des torrents ardents qui s’échappaient de ses rêves. Ses yeux sérénité océane reflet des tourments de son âme posés sur ses permanences ses survivances des yeux luminescents des mémoires pailletées de ses multiples vies. Son visage impassible impénétrable je ne
lui ai jamais vu un sourire un rictus un froncement un haussement de
sourcil aucune expression un visage absolument silencieux définitivement muet. Ses mains aux doigts entrelacés comme déposés
négligemment sur les cuisses pour se protéger d’elle-même de ses
détresses de ses hantises de ses dérives de sa folie car je n’ai
103
Littérama’ohi
jamais douté de sa folie une folie domestiquée civile qui l’habitait
entièrement et la faisait belle aimable humaine. Comme si des volcans
fissuraient ses entrailles. Une folie qu’elle dépeçait pour être
continuer de vivre de mourir qui sait peut-être désarmer ses frayeurs
se
réconcilier avec elle-même atteindre
nouveau.
l’apaisement et aimer de
Je garde d'elle tout ce qu’elle m’a parlé fardeau indélébile
dont j’ai essayé de me défaire au long d'années apathiques à jamais
responsable de son histoire palpitant en moi à chaque instant nos
mémoires mêlées dans une étreinte sans confins mon originalité
dépaysée dans des souvenirs sans origine. Goût unique sans cesse
humé jusqu’à l’extrême saturation jusqu’à la vomissure finale m’empêchant de penser autres choses autres mots autres sons m’empêchant de rêver autres avenirs autres espérances autres essors parales traîtres entortilleuses m’obligeant à la réclusion à la fatalité de les
remémorer les raviver les tracer les ciseler pour m’affranchir de leur
servitude disposer de mon âme et conscience improviser mes
hasards et mes nécessités et enfin de nouveau exister.
Je l'ai souvent maudite d’être le geôlier de mon esprit.
Je ne l’ai jamais plainte la plaindre aurait été outrage elle qui est
plus forte que toutes les défaites toutes les larmes toutes les
qui a tous les courages tous les mérites tous les abandons la plaindre aurait été impudence moi petitement assujettie à
mes lamentables manques mes piteuses trahisons mes tristes
négligences mes dérisoires prétentions. Elle a labouré toutes mes
certitudes pétri toutes mes vanités écroulé toutes mes arrogances
elle m’a démise de mon écriture pour me transmuer en scribe moi
qui me pensais avec hauteur écrivain moi qui me voulais avec
orgueil créateur. Dieu que je l’ai haïe de me rendre à mon inconsistance elle qui tissait ses obscurités d’antiques aurores Dieu que je
l’ai maudite de dénuder mes médiocrités elle qui égrenait ses
contes d’éclats de fin du monde Dieu que je l’ai aimée que je l'aime
de ce qu’elle m’a légué. Je ne suis pas déçue parce qu’elle n’a rien
amours elle
104
Ecritures
inventé parce qu
‘elle a tout inventé parce qu’elle n’a rien dissimulé parce qu’elle a tout dissimulé elle m’a offert des chevaux qui galopent dans les nuages des amants qui meurent d’avoir trop aimé des
enfants nés d’écume et d’océan des îles gardées par des sirènes à
la queue argentée des toerau époustouflants qui soufflent des délu-
ges mieux que tous les romans insipides que mon imagination étri-
quée peine à féconder mieux que toutes les fresques épiques que
mon écriture chétive échoue à engendrer.
L’histoire de sa vie
plus qu’une histoire
mieux qu’une vie
plus et mieux qu’un succès triomphal
une
cinglante et intense fragmentation.
Chantal T. Spitz
105
Littérama’ohi
Gilberte BROTHERS-TEORE, veuve LUCAS,
dite TUAIVA vahiné
Biographie
:
Brothers -Teore Gilberte, veuve Lucas née le 30 octobre 1961
à Uturoa, île de Raiatea
Fille du Pasteur retraité Brothers -Teore Ramon, aînée d’une
famille de 4 enfants dont 2 filles et 1 garçon adopté.
A vécu une grande partie de son enfance à Tahiti,
année à Noumea et 4 ans en France.
au
puis une
Après le BAC obtenu en 1982, a occupé un poste d’institutrice
sein du Service de l’Education de Polynésie Française en école
maternelle, de 1982 à 1988.
en
Reçue au concours interne d’entrée à l’Ecole Normale de Pirae
juillet 1988, a fait une formation en tant qu’élève - institutrice pen-
dant 2 ans.
En parallèle, a suivi une formation d’animatrice - éducatrice de
centres de vacances et a obtenu le diplôme du BAFA en 1984.
A donné sa vie à l’éducation des jeunes enfants jusqu’en 1992,
ensuite a pris la décision de suivre une formation de 4 ans pour l’obtention du diplôme de Directrice de Centres de vacances (BAFD).
En 1992, obtient un poste de professeur d’enseignement général à l'Ecole Technique Protestante d’Uturoa jusqu’en juin 1995.
Décide de reprendre ses études et notamment de se perfectionner dans l’étude des
langues polynésiennes (Reo Ma’ohi) à
l’Université de Polynésie Française à Tahiti en 1997 jusqu’en année
de Licence.
En 1999, tente aussi de suivre une formation accélérée de
Pré
professionnalisation à l’IUFM (Institut de Formation des
Maîtres) de Papeete pour le module de français.
106
Ecritures
Monitrice de l’école du dimanche au sein de l’Eglise
Evangélique Protestante de Polynésie Française depuis 1974, a
aussi oeuvré au sein de comités divers pour la jeunesse polynésienne à partir de 1982.
Membre active du Comité des Femmes Protestantes a collaboré à toutes les manifestations organisées par l’EEPF aussi bien à
Tahiti qu’aux Iles - Sous - Le-Vent.
A toujours participé aux grandes manifestations mises en place
dans le domaine de la Culture, de la langue et de la Condition
Féminine, de l’Environnement et du Social avec beaucoup d’intérêt.
Avec l’aide
précieuse et les conseils encourageants de Mme
Louise PELTZER Professeur et directrice du département de Langues
Polynésiennes à l’université de Tahiti et qui plus est, Ministre de la
Culture, de l’Enseignement Supérieur et de la Condition Féminine et
Académicienne, et ainsi que de tous ses professeurs de l’université,
elle travaille d’arrache -pied pour l’enseignement de la langue tahitienne aux enfants de
Polynésie et ainsi qu’aux adultes qui le désirent.
A présidé la toute première association des étudiants de Reo
Ma’ohi «TE HONO O TE REO»
(l’Alliance des langues), mise en
place en 2000 au sein même de l’Université de Polynésie Française.
Actuellement, elle exerce à nouveau son métier d’enseignante
en tant que professeur de lettres et langues au Lycée Professionnel
Protestant Tuteao
a
Vaiho, à Uturoa, sur son île natale, avec le
désir profond de pousser encore ses recherches plus loin.
Intervient aussi en tant que formatrice au sein de l’organisme
de formation de la CCISM, le CEFOR, depuis 2000, en ce qui
concerne la partie culturelle et la langue polynésienne.
-
A collaboré
-
très
étroitement à
la
traduction
des
Codes
Communaux entrepris par Mr TISSOT Christophe, Administrateur
d’Etat aux îles-sous-le vent durant 8 mois en compagnie des élus
communaux de l’île de
RAIATEA.
A écrit de nombreux poèmes, chants, dictionnaires pour
enfants, nouvelles, lexiques... en tahitien, jamais publiés et souvent
107
Littérama’ohi
inachevés en raison de déplacements fréquents et du manque de
temps.
A collaboré à l’élaboration d’un dictionnaire en tahitien pour jeunés enfants de
8 à 12 ans, en 2000.
Mère de trois enfants
Manureva, Glenn 15 ans et demi,
Vaitiare, Mélodie 14 ans et demi, et Matahi, Steeve 13 ans.
:
Gilberte, ou Tuaiva (neuf dos), c’est le nom de mariage qui lui
fut donné en souvenir de l’un de ses arrière-grands-pères, ensei-
gnant, greffier, officier d’état - civil, interprète, grand orateur à l’esprit
combatif, continue de travailler dur pour l’intérêt de la culture et de
la langue polynésienne mais s’intéresse aussi beaucoup à l'histoire
de son île et de la civilisation polynésienne telle qu'elle ne lui fut
jamais dévoilée quelques années auparavant.
Chanteuse infatigable et musicienne née, elle ne cesse de participer aux évènements religieux et culturels de cette Polynésie
qu’elle adore et trouve sa force et toute sa sagesse dans la Parole
de Dieu qui l’accompagne depuis toujours...
Ecrit
Mehara no to’u tamari’iri’ira’a...
E rave rahi taime, ia fâ mai te ho’e mana’o, te ho’e ‘ohipa, ‘aore
ra te ho’ê
‘opuara’a ‘ohipa, e hiti noa mai te parau nô tô’u tamari’i-
ri’ira’a, te mau ha’uti no terâ ra tau, te mau hum parauparau no
terâ ra tau, te mau fa’anahora’a ato’a no terâ ra tau e te hum o te
ta’ata i terâ
ra tau.
la ha’amana’o ana’e au, e mea hum au mau... Ua pa’ari au i
ni’a i te ‘âivi iti no Heremona, i ni’a noa a’e iâ
fenua e parauhia e: o Faiere...
108
Pape’ete, i te tuha’a
Ecritures
la tae i te tau parara’a mà ’a, e’ita te vaha e fa’aea maoro noa
mâ te mâ’a ‘ore; inaha ho’i e rave rahi huru vï e tupu na i terâ vàhi,
e te tâmerêni, te mea papa’a, te mea tinito..., te tahi mâ’a hotu fa’ahiahia roa nâ ’u ‘oia ho’i te tamanu papa’a, no tôna ‘ute’ute ‘aore ra
tôna re’are’a...Te vai ato’a ra te “pistache”, te “barbadine”, te
mapê
“piropiro” (te mau tamari’i tei pa’ari i ‘ô ana’e tei ‘ite ‘eaha ia terâ
mà’a), te vï ‘atoni, te vï ‘opureva, te vï maire, te vï tutehau, te vï “greffé”, te vï “carotte”.... Oia ato’a ho’i te mau mei’a... Aita e tumu ‘aita i
pa’iumahia e mâtou; ‘aita e ‘ama’a ‘aita i ta’ahïa e mâtou; e rave rahi
ato’a râ taime tô mâtou topara’a mai ni’a mai i teie mau tumu râ’au...
I te mau mahana ato’a e ti’a ana vau i te fare
ha’api’ira’a poro-
tetani no Pômare. I to’u na’ina’i roara’a, aita à ia tô mâtou e faura’o
no te haere atu i te ha’api’ira’a. I te
po’ipo’i roa ia te mau tamari’i nô
Heremona e ha’amata ai i te pou no te haere i te ha’api’ira’a mâ te
fa’atï tapou ti’a atu i Orovini.
Te vàhi ‘arearea, ‘aita ato’a pa’i e purümu tô terâ tau, e nâ ni’a
ia mâtou i te mau ‘ë’a ri’i ia fa’ahe’e ‘ohure atu è tae roa atu i te vâhi
e mau atu ai...
Ua tae ana’e i te fare ha’api’ira’a, ua ‘ere’ere roa ia tô mâ tou
tohe i te repo a riro atu ai ia ei fa’a’o’ora’a nâ tô? Papeete pu’era’a
tamari’i. O mâtou ihoa ia (te mau mea ri’i pa’ari) te fa’aruru i teie
mau fa’a’o’o...
Aita ana’e tà mâtou e ha’api’ira’a, e haere ia mâtou iô te mau mitio-
papa’a e tonohia mai i Heremona no te fa’aineinera’a i te mau ‘orometua porotetani, no te ha’uti ’aore ra no te ha’api’i i te tai’o ‘aore ra no
nare
te ha’api’i iâ ràtou i te parau Tahiti. O te tahi ia ‘ohipa ‘arearea no te
tupu na tâ mâtou ‘atara’a ia fa’aro’o i teie mau papa’a ià parau
Tahiti mai. Terâ noa atu ra pa’i, ia ho’i ana’e mâtou i te ha'api’ira’a i
mea e
Pape’ete, e’ita ia tâ mâtou ‘atara’a e noa’a fa’ahou no te mea e ‘opani
‘eta’eta roahia ia parau Tahiti i roto i te ‘aua no te fare ha’api’ira’a.
E’ita e mo’ehia iâ’u te mauiui o tô’u nâ tari’a ia huhuti ana’ehia,
na reira ato’a ho’i to’u mau rimarima ia ta’irihia i te rà’au
e te
‘oro-
metua ha’api’i.
109
Littérama’ohi
I tera tau, ’aita pa’i te mau tamari’iri’i i ‘ite ’eaha te tumu e ‘ôpanihia ai te parau Tahiti. A ‘ino roa atu ai ho’i, ia tae ana’e ite mau
tau fa’aeara’a ha’api’ira’a e ti’i mai na o pâpâ rü’au ’aore râ o màmâ
rü’au ià’u e tô’u nâ tuahine iti no te ho’i i te fenua ‘ai’a, o Ra’iatea. E
parau Tahiti noa ihoa ia matou e ‘afaro ai te parauparaura’a; ‘aita
ana’e, mea tohu rima noa ihoa ia.
Ua ho’i ana’e mai i Tahiti, ha’amata fa’ahou à te tari’a i te
màuiui, e te rouru i te hutihutia, e te rimarima i te ta’iri’irîa, e te turi
‘avae i te pahurehure no te tuturi noara’a nâ
ni’a i te mau vâhi tara-
tara ato’a...
Are’a râ, ‘aita te reo i morohi; noa atu te mau ha’avïra’a ato’a
i fa’aruruhia mai na e au, ‘aita te reo o pâpâ rü’au ma i mo’e ia’u. Te
parau nei, te hïmene nei, te vauvau nei e te papa’i ato’a nei. Aua’e
maoti te mana’o tu’utu’u’ore e te ‘a’au fa’a’oroma’i, te ha’api’i ato’a
nei au i teie reo ‘opanihia, i te mau tamari’i o teie tau, e te feià pa’ari o tei hia’ai nei i te parau pâpü i to tatou reo, e nâ reira ato’a i te
mau
papa’a o tei ‘ite i to tàtou parau e o tei hia’ai nei i te parau i to
tâtou reo....
Parau mau, te vai nei ihoa te tahi mau ta’ata e parau mai nei
ia’u e :
-
Eaha ‘oe e ha’api’i ai i te reo Tahiti i te mau papa’a! Aita anei
to ‘oe taime e mâu’a noa ra ?
-
Teie ihoa ia tâ’u pâhonora’a : -Ua ha’api’ihia vau te reo farâni,
te reo peretâne, te reo paniora e te mau papa’a, e te fa’a’oru nei au i
teie mahana no te mea ua roa’a ià’u teie mauiha’a o te ‘ite. Mea ‘oa’oa
nà’u ia rave i te ‘ohipa o tâ’u e rave nei...
E no reira, e hoa ‘ino mà, eiaha na tàtou e ha’avahavaha i to
tâtou reo e to tâtou hiro’a tumu mâ’ohi, a rohi maite na tâtou nô te
ha’apàpüra’a i to tâtou ti’ara’a mâ’ohi. A parau na, a pàpa’i na, o te
reira ana’e te mea faufa’a. la ha’amo’e hia te mau mea nô tahito ra ia ti’a mai tô teie u’i e fâ mai nei.
110
Ecritures
£ ma’a piri iti teie...
A huri a’e ia tau,a he’e a’e ia tua
A mahemo a’e te râ, a ‘orero noa ai te vaha
A vaivai a’e ‘oe, a târavarava a’e ‘oe
A piri mai, a pe’e atu
A ho’i mai, a reva atu
Ha’amata mai, ‘opani atu
A rava mai ê ravarava roa atu
O vai ia o ‘oe nei ?
-
te ravarava
Il me vient une devinette que voici...
Passe le temps, passent les générations
Court le soleil, s’épuise la bouche de parler
Toi tu restes, tu te prélasses
Tu t’approches, tu disparais
Tu reviens, tu repars
Tu débutes, tu termines
Tu apparais lisse jusqu’à être plus distincte
Qui es-tu donc ?
-
l’étendue de lettres
Tuaiva v.
(Dimanche 9 février, de l’an 2003.)
111
Littérama’ohi
Jean MERE
O vau teie o MERE Jean, e 36 o to’u matahiti, ua fanau hia o
vau
i te tuhaa fenua no Opoa i te fenua ra no Raiatea. Ua fa’amu
hia o vau e to’u papa ruau e to’u marna ruau ato’a.
I to’u neinei raa, e ere au i te mea parauparau ro’a ino, e faaea
haere no’a o vau i roto i to’u maa peho iti, i mûri maira i to’u haere
raa atu
i te haapiiraa teitei no Uturoa, i reira o vau i te haamata raa
i te parauparau i te ra e te ra taata.
Te rave nei au i te Ohipa, e raatira haapa’o tivira no te oire no
Taputapuatea a tahi ahuru matahiti i teie nei. lie mau matahiti i mairi
aenei ua riro ato’a atu o vau ei taata arata’i ratere. I reira te noaa raa
mai ia’u ite here raa i to’u fenua iti e te mau motu ato’a e haati nei
ia na, e nehenehe ato’a ia’u i te parau e, na te ratere i horo’a mai
ia’u i te hinaaro raa i te papa’i i te mau parau no to’u fenua iti o
Raiatea.
Ua haere ato’a atu o vau i te tahi haapiipiiraa i te fenua tahiti no
nia iho ato’a i te parau no te PAPA’I RAA e te TAIORAA.
E taata here au i te natura, no roto ato’a mai i te reira te noaa
raa
mai ia’u i te puai no te papa’i raa.
E mea au roa na’u ia taio i te mau puta huru rau ato’a, e te ite
nei au, e mea rahi ato’a te papa’a e papa’i nei i te parau no to’u
fenua ia au i to ratou hio raa taata papa’a.
E mea pinepine ato’a o vau i te ani hia mai e tera e tera fare
haapiiraa no te arata'i raa i ta tatou mau tamarii i roto i te ite raa i te
parau no te hiro’a tumu ma'ohi anei, e te tahi atu mau parau i nia i
te marae no Taputapuatea e te vai atura.
Ua riro ato'a na o vau ei tomite hiopo’a i roto i te mau tata’uraa
Himene anei, e te Heiva i Taputapuatea.
Ei omua raa iti teie... e maha teie na’u pehepehe iti no to’u
fenua iti o Raiatea... Mauruuru no te taioraa... e a faaitoito anae i te
papa’i raa i te mau parau no to tatou fenua...
112
TE TURA
IA TURA TE TAATA I TE Al A
TE METUA I FANAU IA TATOU
IA HIO TE TAATO’A I TO NA MOU’A
O TE HANAHANA TE REIRA O TE AIA
UA PAPA TE RAI, UATUOROORO
UAAMAAMATE UIRAVEROVERO HIA
UA AMOAMO NA MATA O TOERAU
TE Tl AN I AN I RA I TE TAMA
UA TUO TO TE RAI
UA PA TE MARAAI
TE OMUA I Tl O TE TOA
TE MATAI E TE MATAI I TERE HIA MAI
E TE NUU ATUA E
TAHI RIMA UATORO
UATINI TE RIMA I TORO MAI
TUPU AERA TE AHU
TEITEI AERATE MARAE
RAARAA HIA E TE U RA E U RA TE VAU VAU
E URA MOEMOE TE UNAUNA
E URATE TUTURI
E URATE PAPA
E URAANAE TE MARAE
OHU HIA E TE ANUANUA HURU RAU
Littérama’ohi
OPOA TO’U FENUA
OPOATEIE
I TE HITI RAA O TE RA
E FENUA MARUMARU
E FENUA TEI
OTI OTI HIA E TE OTATARE
ARATAO TO OE FAA
VAIRAA NO TE MARAE VAEARAI
TE MARAE NO TAAROA NUI
E PUNAATUA
UA Hll HIA OE ITE MAROURA
UATATUA HIA I TE MAROTEA
UAUMERE HIA ETE MANU
HUME HIA E TE MAIRE FAIREA
TAMATOATE ARH
E PU MANAVA NO TE MAO HI
E VAHI HI PA RAA NO TAAROA
E VAHI U PA RAA,
E VAHI FAN AU RAA FENUA
E VAHI HEVA RAA
E VAHI HONO RAA
ANAPANAPATE MITI
I TAI TOAHIVA
TAITAI TE U RI RI
ITE OUTU I MATAHIRA I TE RAI
HEE ATU Al TE RA
VAI A OE OPOA ITIE
114
Ecritures
FAAREPA TO’U MATAEINAA ITI
Topatapata te ua i uta i te Fa’a, No FAAREPA,
Ua Rupehu te ra’i,Ua teretere te ata,
Ua pe’epe’e te hupe,
Anoinoi hia i te noanoa o te natura
E anuanua, e anuanua no o e e Hina
Tei natinati ia oe e to’u fenua iti
la oe OPOA nui e,
O Matere te pape,
Tei pue’e noa i te muriavai.i Tai pari
Tei hee hia e te Ahi amatoa
Te vaa o Hiro e
Huri huri atu ai
I te otu roa i tai i Fainu e
Ua ho'a ho’a anapa te uira,
Ua ahehe te tai,
U a mare va reva te reva
Aue oe e to’u mataeina’a iti e,
Aue oe e to’u ha’apeu ra’a
Aue oe e to’u fa’atura ra’a
Aue oe e to’u manava
E pehepehe iti faateni i to’u mataeinaa iti o Faarepa
e
vai i Opoa Taputapuatea.
115
Littérama’ohi
OROANOTE MAMA
E PEHE TEIE NO TE METUA VAHINE
E PEHE FAATENI IA OUTOU
E HIMENE FAATAU AROHA
E HONO NOANOA NO TO OUTOU OROA
E MAMA ITI E, E MAMA HERE E
IA OAOA OUTOU I TEIE MAHANA
E MAMA ITI E, E MAMA HERE E
TEIE TA MATOU H O RO A NA OUTOU
MAI TE HIHI O TE RA
MAI TE HUPE HAUMARU
UA VEHI HIA OE I TE ANUANUA
TERA MAI TE HEI TIARE
NOTE FAAHEI IAOE
TAPAO NO TO MATOU HERE
IA OUTOU
E pehepehe iti no te mahana oro’a o te mau marna....
Mauruuru.
116
Ecritures
Vahi aTUHEIAVA-RICHAUD
Ua riro te parau o te Vahiné ei mana’ona’ora’a no te hui fa’aro’o e te
hui mana o te fenua nei. E tâpa’o fa’a’ite te reira i te ‘e’a i haerehia mai na
e te mau vahiné mâ’ohi iho à ra mai te tau i ha’amatahia ai tô râtou
parau
i te ferurihia. Te parau-noa-hia nei te parau o te tahi mau tupuna vahiné
mâ’ohi tu’iro’o no roto mai i te mau ‘ôpü hui ari’i no terâ e terà ra motu i
roto ia Porinetia Hitia’a o te râ npo terâ ra tau. ‘Aua’e ato’a paha teie mau
ti’a vahiné fa’ahiahia no to tahito i vaivai ri’i noa mai ai te parau o te vahine i te hô’ë vâhi e’ita e ti’a ia
parau e ta’ata faufa’a ‘ore te vahiné.
I mara’a ai te vahiné i te hô’ë fâito e’ita e ti’a fa’ahou ia tàpô noa te
mata i ni’a iho, no te mea ia e, ua pâruruhia te vahiné e te mau mitionare matamua i tae mai io tâtou, o râtou tei ‘ite i te mau
‘ohipa ti’a ‘ore e
ravehia ra i ni’a i te vahiné aita e ti’ara’a to râtou.
A hi’o noa na i te mau upo’o ‘irava i fa’ahitihia no te vahiné i roto i
te Ture no Tahiti i ha’amanahia e te ari’i Pômare II e te feiâ mana i turn
ia na, mai ia Tati, Utami, Arahu e o Veve, i te 13 no Më 1819 :
-
-
-
-
-
IX. No te vahiné toopiti hoe tane ra.
X. No te vahiné mairi tahito.
XI. No te tara vahiné e te tara tane.
XII. No te faarue tane e te faarue vahiné.
XIII. No te rave ore i te maa na te vahiné.
Nà reira ato’a ho’i i tei pü’aihia mai i ni’a i teie pu’era’a, i roto i te
Ture no Raiatea, no Tahaa, no Porapora e no Maupiti i mana mai i te tau
no Tamatoa
-
-
III, pi’ihia o Fa’o :
XVII. No te uumi vahiné, e te matera.
XVIII. No te vahiné faaturi e te tane faaturi.
...
Mai te reira mai â tau, ua nu’u ri’i marü te parau o te vahiné mâ’ohi i mua, e i teie nei mahana, tei hea te parau o te vahiné i te vaira’a ?
E’ere hô’ë ana’e pâhonora’a, tei te huru o te hi’ora’a e tei te huru o
te hôhonu o te hi’ora’a.
Ua mana’o vau e vaiiho noa i te parau ia mani’i mai i râpae. la matara tâ te ‘a’au e matara ri’i ai to te ferurira’a
pae. E nà iho te parau o te Aroha.
117
Littérama’ohi
E vahiné ‘oe
O vai ‘oe e te vahiné e,
l‘ana’anaea ai au i te fa’ahiti i to ‘oe parau
I fâri’i ai au i te heheu i to ‘oe hoho’a,
I hina’aro ai au i te vauvau i to ‘oe tuatua,
I rohi maine ai au i te feruri i to ‘oe parau
la matara ‘oe iho i to ‘oe iho parau ?
O vai ho’i ‘oe e te vahiné e,
I tâpo’ipo’i noa hia na
No to ‘oe huru iti ‘onevaneva
I ha’avï noa hia na,
No to ‘oe nâtura iti ‘oviri e te fa’ahema,
I ha’amâuiui noa hia na
No to ‘oe paruparu e te ha’eha’a,
I tümahia noa hia to ‘oe parau
No te faufa’a ‘ore o to ‘oe ti’ara’a ?
O vai ‘outou, e te mau vahiné e,
E itoitohia ai i te ha’aparare i to ‘outou ro’o,
E reohia ai ia ‘ore to ‘outou parau ia vai i roto i te reru,
E hô’ë ai te mana’o ia pa’ehia to ‘outou parau,
E tü ai te mana’o ia ‘ore to ‘outou parau ia vai i roto i te mo’e,
E tütavahia ai i te pâruru i to ‘oe ‘ananahi,
Mai tei ia ‘oe iho na te huru.?
Vahiné, e te vahiné e,
E tama ho’i ‘oe hou a riro ai ei tâmahine,
E tamahine ‘oe hou a riro ai ei poti’i,
118
Ecritures
Femme, qui es-tu
Femme qui est-tu
Pour que cela me plaise de parler de toi,
Pour que j’accepte de dévoiler ton image,
Pour que l’envie me prenne de révéler ton histoire,
Pour que je m’applique à réfléchir sur toi
Afin que tu puisses voir clair en toi-même ?
Qui es-tu donc, femme
Qui as été si souvent reléguée
Pour ton humeur espiègle et changeante,
Qui as été assujettie,
Pour ta nature indomptable et séductrice,
Qui a été soumise à de mauvais traitements
A cause de ton impuissance et ta discrétion,
Dont l’histoire a été comme effacée
A cause de l’insignifiance de ton statut ?
Qui êtes-vous, ô femmes,
Pour que nous nous efforcions de répandre votre réputation,
Pour que nous élevions nos voix afin de ne pas vous laisser dans l’opacité,
Pour que nous nous unissions afin que votre histoire sorte de l’anonymat,
Pour que nous nous entendions afin de ne pas vous laisser dans l’oubli,
Pour que nous tentions fermement de protéger votre avenir,
Comme de protéger ceux qui vous ressemblent ?
Femme, ô femme,
Enfant donc tu étais avant de devenir fillette,
Fillette tu étais avant de devenir jeune fille,
119
Littérama’ohi
E poti’i ‘oe, ua vahinehia
ia ‘oe.
E purotu ‘oe, ua vahinehia ‘oe.
A amo râ i ta ‘oe tuha’a
la Tï-màite-hia ‘oe i te ‘ite, te pa’ari e te maramarama o te Mâmâ.
Ua rahi ‘oe no te fa’aoti i to ‘oe iho parau !
Vahiné, e te mau vahiné e,
Tei hea vahiné teie e parauhia nei ?
Tei hea vahiné teie e nânâhia nei ?
Tei hea vahiné to na te parau i tau’ahia mai ?
Tei hea vahiné to na te reo e fa’aro’ohia nei ?
O ‘oe ânei, o vau ânei, o râtou ânei ?
Vahiné, e te mau vahiné e,
Tei hea vahiné teie e vai mü noa nei ?
Tei hea vahiné teie e tâpuni noa nei ?
Tei hea vahiné aita to na reo e pina’ina’i nei ?
Tei hea vahiné teie aita to na e parau ?
O ‘oe ânei, o vau ânei, o râtou ânei ?
O ‘oe i parihia na
O ‘oe te tumu o te vi’ivi’i o te ta’ata,
O ‘oe i fa’aoti-a’e-hia na te parau
Aore e ‘ohipa e mara’a maori ra te fànau tama,
O ‘oe i mana’ohia na
E fati hànoa i te rave a te püai,
O ‘oe ato’a ho’i e tâvirihia nei te hoho’a
Ei parura’a i te feiâ paruparu e ei ‘imira’a moni
A mau pâpü i to itoito e to ‘eta’eta,
A fa’a’ite mai i te mâ o to ‘a’au,
A heheu mai i te hôhonu o to manava,
A fa’atupu i te maere i tei piri ia ‘oe mai tei àtea ia ‘oe
120
Ecritures
Jeune fille tu es, alors femme tu es.
Belle tu es, alors femme tu es.
Porte à présent ta part du fardeau
Pour que tu sois lentement remplie du savoir, de la sagesse et de l’in-
telligence de la Mère.
Tu es adulte pour décider seule de ton sort !
Femmes, ô femmes,
De quelle femme parle-t-on ?
Sur quelle femme lève-t-on les yeux?
De quelle femme s’est-on préoccupé?
A quelle voix de femme prête-t-on oreille ?
Est-ce de toi, de moi, d’elles dont il s’agit ?
Femmes, ô femmes,
Laquelle d’entre vous se mure dans le silence?
Laquelle d’entre vous reste dans l’ombre?
Laquelle d’entre vous a la voix qui reste sans écho ?
Laquelle d’entre vous est ignorée ?
Est-ce toi, moi, elles dont il s’agit ?
Toi qui as été accusée
D’être à l’origine de la salissure humaine,
Toi dont le destin a été scellé
De n’être capable que de procréer,
Toi qui as été considérée
Aisément ébranlable sous les coups de la violence,
Toi dont l’image est également usurpée
Pour appâter les faibles et pour se faire de l’argent,
Tiens ferme dans ton courage et ta détermination,
Exhibe la pureté de ton cœur,
Dévoile la profondeur de ta conscience,
Etonne tes proches comme ceux qui te fréquentent de loin.
121
Littérama’ohi
Ua rahu mai te Atua o te Aroha
I te ta’ata,
E’ere ei tàne ana’e
E’ere e ei vahiné ana’e,
Ei tàne mà te vahiné rà
la au i to na hoho’a.
E tàne ra, e vahiné iho à ia
E vahiné ra, e tàne iho à
la maita’i ‘oe ra, e maita’i ato’a ia te tàne
la ‘ino ‘oe ra, e ‘ino ato’a ia te tàne
Tei ravehia i ni’a ia ‘oe, e ‘o’a ato’a ia i ni’a i te tàne
Inaha, hô’ë ‘orna i mua i to na aro
Ei tàne e ei vahiné e ta’atahia ai te fenua
E ao to te ta’ata i roto i te Atua.
‘la ‘ite mai ‘oe, ‘e’ere noa ‘oe
No te ha’apeu e te fata
No te fa’a’oru e te fa’atihaehae
No te te’ote’o e te fa’ateitei
No te fa’atietie e te vahavai
No te fa’aü e te fa’aruru,
No te tâponi e te moemoe,
No te fa’ari’ari’a e te ‘otohetohe,
No te pi’o e te ha’afefe,
No te mâuiui e te ta’i,
No te autà e te vaha rarahi,
No te ‘ohumu e te maniania,
No te pâtiatia e te fa’aharama’au
No te mutamuta e te tahitohito,
No te tihotiho e te fa’a’ino
No te parau ‘ino e te tuhi,
122
Ecritures
Le Dieu d’Amour et de Compassion a crée l’être humain,
non
pas en homme uniquement
pas en en femme uniquement,
mais en homme et en femme
non
A son image.
Là où l’homme est, là aussi est la femme
Là où la femme est, là aussi est l’homme
Si tu es bien, alors l’homme sera bien aussi
Si tu es mal, alors l’homme sera mal aussi
Ce qu’on te fait subir se répercutera aussi sur l’homme
Car voici, vous êtes un devant sa face
Homme et Femme il en faut pour que la terre soit habitée par des êtres
humains
L’être humain en Dieu vivra.
Vois-tu, tu n’es pas que
Pour te pavaner et
pérorer
Pour t’enorgueillir et jouer la fière
Pour fanfaronner et aguicher
Pour te vanter et être mielleuse
Pour résister et endurer
Pour te dissimuler et épier
Pour avoir peur et marcher à reculons
Pour te courber et te ployer
Pour souffrir et pleurer
Pour gémir et hurler
Pour médire et rouspéter,
Pour lancer des piques et chercher querelle
Pour ronchonner et railler
Pour rapporter des propos et diffamer
Pour dire des jurons et insulter
Pour fainéanter et paresser
123
Littérama’ohi
No te fa’atau e te hupehupe
No te fa’afa’aea e te tà’oto’oto
No te màmü
No te huna.
la fa’aro’o mai ‘oe, e ta’ata ato’a ‘oe no te here
E ta’ata ‘oe no te Aroha,
E ta’ata ‘oe no te fa’aro’o,
E ta’ata ‘oe no te ti’aturi,
E ta’ata ‘oe no te ‘ôpere,
E ta’ata ‘oe no te fa’a’oroma’i
E ta’ata ‘oe no te turn,
E ta’ata ‘oe no te tauturu,
E ta’ata ‘oe no te tàvini,
E ta’ata ‘oe no te aupuru,
E ta’ata ‘oe no te ‘atu’atu,
E ta’ata ‘oe no te tanu,
E ta’ata ‘oe no te fa’atupu,
E ta’ata ‘oe no te rapa’au,
E ta’ata ‘oe no te tamarü,
E ta’ata ‘oe no te taurumi,
E ta’ata ‘oe no te pâruru,
E ta’ato ‘oe no te fa’aitoito,
E ta’ata ‘oe no te fa’ati’a,
E ta’ata ‘oe no te fa’atàmâ’a,
E ta’ata ‘oe no te fâri’i,
E ta’ata ‘oe no te ‘orero,
E ta’ata ‘oe no te paripari,
E ta’ata ‘oe no te fa’a’oto i te hïmene,
E ta’ata ‘oe no te ‘arue,
E ta’ata ‘oe no te fa’ateni,
E ta’ata ‘oe no te fa’atara,
E ta’ata ‘oe no te fa’ahanaha,
E ta’ata ‘oe no te ‘apa,
124
Ecritures
Pour prendre l’air et faire la sieste
Pour te taire
Pour cacher.
Entends-tu, tu es aussi un être d’amour,
de charité,
de foi,
de confiance,
de partage,
de patience,
de soutien,
d’aide,
de service,
de tendresse,
de soin,
Tu es faite pour planter,
pour faire pousser,
pour soigner et guérir,
Tu es apaisement et réconfort,
massage,
protection,
encouragement,
Tu es faite pour relever,
pour donner de la nourriture,
Tu es accueil et hospitalité,
Tu es pour déclamer,
Tu es pour chanter un paripari,
Tu es pour entonner les chants,
Tu es pour louer,
Tu es pour glorifier,
Tu es pour toucher et émouvoir,
Tu es pour honorer et célébrer,
Tu es pour danser,
125
Littérama’ohi
E ta’ata ‘oe no te ‘oa e te fa’aoa,
la ta’a mai ‘rà oe, e ta’ata ato’a o’e no te ‘ite,
E ta’ata ato’a râ ‘oe no te maramarama,
E ta’ata ato’a rà ‘oe no te pa’ari,
E ta’ata ato’a ra ‘oe no te ha’api’i,
E ta’ata ato’a ra ‘oe no te ti’a’au,
E ta’ata ato’a ra ‘oe no te arata’i,
E ta’ata ato’a ra ‘oe no te parau,
E ta’ata ato’a rà ‘oe no te pehepehe,
E ta’ata ato’a râ ‘oe no te a’o,
E ta’ata ato’a ‘oe no te fa’anaho e te ‘ôpua,
E ta’ata ato’a râ ‘oe no te mana’o,
E ta’ata ato’a ra ‘oe no te pâpa’i,
E ta’ata ato’a ra ‘oe no te feruri,
E pou ‘oe no te Tura e te fa’atura.
A vaiiho i te Atua ia fa’a’àpï mai i to ‘oe parau
la ‘ore ia hahi i to ‘oe ta’ahira’a ‘àvae,
la ‘ore ‘oe ia topa i roto i te fa’ahema,
la ‘ore ‘oe ia herepata e ia tâmaumau fa’ahouhia.
Vahiné, e te vahiné e,
Eiaha ia mo’ehia ia ‘oe
Ta te rü e fa’atupu, e mea rave ‘atâ ia tâpe’a,
Tà te tâho’o e horo’a mai, eita e mâ fa’ahou i te fa’a’ore,
Ta to püai iho e haru, e haru fa’ahouhia ia,
Ta to maramarama iho e ‘ôpua, e fa’aturuhehia ia e tei ni’a a’e i to ‘oe.
Ha’amana’o i te vàhi no reira mai ‘oe,
Ha’amana’o ato’a rà i te vàhi aita ‘oe i nâ reira mai,
Ha’amana’o i to mau tupuna i ha’amata i to ‘oe parau,
Ha’aman’o ato’a râ i to mau ta’ata i ha’afifi i to orara’a,
Ha’amana’o i te feiâ i patu i to ‘oe parau,
126
Ecritures
Tu es pour être heureuse et donner du bonheur,
Mais comprends-tu, tu es aussi savoir et connaissance,
Tu es aussi intelligence et clairvoyance,
Tu es aussi force et sagesse,
Tu es aussi enseignement et transmission,
Tu es aussi garde et sauvegarde,
Tu es aussi guide et conductrice,
Tu es aussi dire et parler,
Tu es aussi poésie,
Tu es aussi conseil,
Tu es aussi pour organiser et projeter,
Tu es aussi pensée,
Tu es aussi écriture,
Tu es aussi réflexion,
Pilier du respect et de l’honneur tu es
autant que pour respecter et honorer.
Laisse Dieu agir pour insuffler à ton histoire un souffle nouveau
Pour que tes pas ne te mènent pas sur des chemins trompeurs et sans
lendemain,
Pour que tu ne tombes pas entre les griffes de la tentation,
Pour que tu ne te fasses ni piéger ni enfermer.
Femme, ô femme
N’oublie pas
Ce que la précipitation engendre est difficilement contrôlable,
Ce que la vengeance apporte a du mal à s’effacer,
Ce que ta seule force accapare sera à nouveau saisi,
Ce que ta seule intelligence projette sera abaissé par supérieure à la tienne.
Souviens-toi de là d’où tu viens,
Mais souviens-toi aussi des chemins par lesquels tu n’es pas passée,
Souviens-toi de tes ancêtres qui ont été à l'origine de ton existence,
Mais souviens-toi aussi des tiens qui ont entravé ta vie,
127
Littérama’ohi
Ha’amana’o ato’a i te mau ta’ata i ta’ata’ahi i i to ‘oe
Ha’amana’o i to mau metua i tauto’o mai i to ‘oe
parau,
parau.
E ha’amaura’a matamua ana’e te reira no to ‘oe arati’a,
E ha’aferurira’a faufa’a te reira no to ‘oe ‘ananahi,
A ara eiaha ‘oe ia fa’auri
parihia i ta ‘oe e pari.
Vahiné, e te vahine e,
E vahine ato’a ho’i teie,
E pi’i nei
E uiui nei
E pe’ape’a nei
E vâna’ana’a nei
E parau nei
E ‘imi nei
E pâheru nei
E pâpa’i nei
E ora nei
E ti’a atu nei
E aroha atu nei ia ‘oe.
Vahi a Tuheiava-Richaud
28101/2003
128
Ecritures
Souviens-toi de ceux qui ont forgé ton destin,
Mais souviens-toi aussi de ceux qui ont piétiné ton histoire,
Souviens-toi de tes parents qui ont oeuvré pour toi.
Que tout cela serve de fondation première à ton cheminement,
Que cela soit pour toi méditation utile pour ton avenir,
Veille à ce qu’on ne t’accuse de ce que tu reproches à autrui.
Femme, ô femme,
Femme aussi est celle ici présente,
qui interpelle
qui s’interroge
qui se préoccupe
qui laisse parler son cœur
qui parle
qui cherche
qui fouille
qui écrit
qui vit
qui est debout
qui te salue.
Vahi aTuheiava-Richaud
2810112003
129
Littérama’ohi
Annie COEROLI
Permettez-moi tout d’abord de partager avec vous l’immense
joie d’être, pour la première fois, grand-mère depuis le 1er mars
2003, d’une merveilleuse petite fille nommée Hitivai, Laetitia,
Halekinau. Je remercie ma courageuse et adorable fille Vairea et
Michel l’heureux papa. Le mois d’octobre 2003 me réservera le
même bonheur grâce a mon fils aîné Hiro et ma belle-fille Hina qui
habitent Huahine. L’année de la chèvre s’annonce bien. Je souhaite autant de bonheur à tout le monde. Merci «tupuna»
!
Hier, à Papara, sur la terre « Mouanui » de mes ancêtres, mon
compagnon Ron et moi-même, avons planté un «bois de santal»
pour la mise en terre du «pufenua» = placenta de notre «mo’otua»
petite fille. J’ai récité ma généalogie, maintenant la sienne, et
demandé la protection des ancêtres. Ce protocole ressemble à celui
que je pratique lors des cérémonies d’inhumation des «ivi tupuna»
ossements des ancêtres, mais la naissance et la mort ne se
relaient-elles pas dans un cycle naturel relié à la terre ? Ne se rejoignent-elles pas dans les questions existentielles que nous nous
posons et dans nos croyances ?
=
=
Née le 24 novembre 1949, je fus baptisée en réalité : AnneMarie, Reva’e Coeroli mais on a l’habitude de m’appeler Annie, en
diminutif d’Anne-Marie. Je vis le jour à Papeete,
quartier «Paofai»,
dans l’ancienne maternité de
mes
«Vaiami». A cette époque, les coututraditionnelles étaient considérées comme «primitives» avec
un sens péjoratif d’inférieur. Nombreuses sont nos mères donc
qui
abandonnèrent leurs placentas, nos «pufenua» à Vaiami et
j’aime
aujourd’hui le Ministère
de la Santé ne, en quelque sorte sur nos
pitos.
l’idée que cette ancienne maternité abrite
130
Ecritures
Mon
père Antoine Coeroli, militaire d’origine Corse, arriva à
Tahiti sur «Le Sagittaire», bateau qui ramenait au pays les volontaires
du bataillon du
Pacifique. Il se prit d’amour pour ma mère
Petina, Mataieaiteririvave Tinau a Ruta a Fare, très belle polynésienne aux origines des plus diverses, hawaïenne-«paumotu»-tahi-
tienne-francaise-portugaise, très fière de descendre, à la fois, du roi
Kamehameharii de Hawai’i et du frère d’Anne-Marie JAVOUHEY.
Mon premier prénom m’a été donné en hommage à cette missionaire-sainte. Mon jeune frère Martin porte Kamehameharii en deuxième
prénom en rappel de nos origines royales hawaïennes. J’ai cinq
qui j’ai peu grandi.
sœurs et deux frères avec
En effet, dès l’âge de trois mois, mon père m’emmena en France
je fus «fa’a’amu» = élevée par sa sœur Marie Grac, veuve sans
enfants. Je grandis jusqu’à 17 ans à Moustiers-Ste-Marie, petit villaou
ge des Alpes de Haute Provence, à Dignes, à Marseille, en Corse,
accueillant toutes ces cultures avec amour et fierté.
Je suis venue a Tahiti avec ma mère adoptive de 1955 a 1957.
Les voyages s’effectuaient alors uniquement par bateau et duraient
mois. Deux bateaux effectuaient la traversée : «Le Tahitien» et
«Le Calédonien». A Papeete mon père était directeur de la prison de
un
Tipaerui, située alors à l’actuel emplacement du stade et de la piscine.
J’habitais avec ma famille biologique et ma mère adoptive dans une
maison bâtie dans la cour même de la prison. Les prisonniers et pri-
sonnières appelaient tous ma mère «mamy».
C’était comme une
grande famille élargie dont mon père était le père-chef-directeur.
Je revis ma famille biologique venue en vacances en France en
1960 et en 1966 j’acceptai
la proposition de mon père de venir à
Tahiti. J’y restai 3 ans. Après le baccalauréat série B, je repartis en
France pour l’université d’Aix-en-Provence afin d’étudier la psycho-
logie. C’est là que je rencontrai Patrice Colombani, étudiant en
science-économique, demi comme moi, né dans ce qui s’appelait
131
Littérama’ohi
Saigon en Indochine, de Paul Colombani, père demi Corsepolynésien, et de Georgette Kollen, demi calédonienne-alsacienneespagnole. Nous nous sommes mariés en 1973 à Aix-en Provence
et avons eu trois enfants : Hiro, professeur de biologie au collège
de Fare à Huahine, Vairea, hôtesse de l’air à Air France et Philippe,
infographiste à l’O.P.T. Divorcés, nous avons depuis, comme on dit,
refait nos vies. Je vis en concubinage depuis 24 ans avec Ronald
Green, demi, anglais-maori de la tribu des Ngatiporou de Gisborne,
chanteur. Il a deux enfants : Angéla, chanteuse en NouvelleZélande, maman d’un petit garçon nommé Cam et Christopher
Green, steward à Air Tahiti Nui.
encore
Sur le
plan professionnel, j’ai assumé les fonctions de
au lycée Paul Gauguin de 1973 à 1983,
Conseillère d’Education au collège de Mahina de 1983 à 1986 puis
au collège de Faa’a de 1986 à 1994 et Conseillère Principale
d’Education, Concours National 1994, toujours au collège de Faa’a
mais à mi-temps car je bénéficie d’une demie décharge syndicale de
l’Education Nationale prise sur le contingent du SGEN-CFDT.
Surveillante d’Externat
En plus de mon travail au collège, j’assume des responsabilités
dans diverses activités :
Activités syndicales au sein de la Confederation
Syndicale A Ti’a I Mua :
-
Secrétaire Confédérale
chargée des Femmes et de
l’Education.
Secrétaire Générale du S.G.E.N.Général de L’Education Nationale).
-
Polynésie (Syndicat
Conseillère au C.E.S.C. (Conseil Economique, Social et
Culturel) de Polynésie française. Rapporteur des rapports :
“«Quelle politique de la Jeunesse sur le Territoire»,
“«Avant-projet de délibération relative à l’interruption volontaire
-
de grossesse».
132
Ecritures
°«La situation de handicap» : Rapport en cours d’étude.
Présidente du S.P.O.C.T.U., le Conseil des syndicats
du
Pacifique Sud et de l’Océanie, en 2000 et vice-présidente en 1998,
-
1999 et 2001.
Représentante de la région du Pacifique au Comité des
Femmes de la C.I.S.L. (Confédération Internationale des Syndicats
Libres) à Bruxelles de 2000 à 2004.
Activités associatives
:
Présidente de l’association «Te tupuna Te Tura»
qui s’occupe
Polynésie française les ossements humains et les
objets funéraires qui leur sont liés.
de rapatrier en
Secrétaire-adjointe de «Musicale Expérience» présidée par
gère un local qui lui appartient
situé dans la zone industrielle de Tipaerui à Papeete, ce qui permet
à des groupes de musiciens de pouvoir répéter du hard rock en
passant par le punk, du reggae, du blues, du rock au hip-hop, sans
gêner personne. Les groupes les plus connus sont : «Varua Ino»,
«Snocuds», «Dum Dum System», «Troubled Experience»,
-
Roura BOUGUES. L’association
«Machetazo».
-
Membre du conseil d’administration de «Te Ui Rau», associa-
tion d’insertion par l’économique située à Faa’a, dont le président
estAIdo TIRAO.
Secrétaire du Centre de Méditation
Naropa de Papara,
présidente est Brenda Chin Foo.
L’association est affiliée à la F.P.M.T., Fondation pour la Protection
de la Tradition Mahayana sous la direction de Lama Zopa
Rimpoche.
-
association boudhiste dont la
-
Membre d’Amnesty International.
133
9
Littérama’ohi
Autres
:
Membre du conseil d’administration de l’EPAP, Etablissement
Public Administratif pour la Prévention.
Membre du conseil d’administration de la commission du
R.S.T.
Passe-temps favoris (lorsqu’il me reste du temps, c’est à
dire trop rarement) : Dessin, poésie.
J’aime écrire dans plusieurs langues.
Voici un petit cadeau en anglais :
Projections
In this world of confusion
Sharing emotions
We’re just projections
Of our imagination
And reality is just a perception
And this happiness
We felt
Just a reflect
Of an endless
Dream of compassion
Annie, Reva’e
134
Ecritures
RAPATRIEMENT DES “IVITUPUNA” DE POLYNESIE FRANÇAISE
DEPUIS LE «BERNICE PAUAHI BISHOP MUSEUM»
D’HONOLULU, HAWAI’I
par Annie Coeroli
Laissez-moi vous conter l’histoire merveilleuse du retour de nos
ancêtres sur leurs terres.
Je ne prétends pas ici convaincre qui que ce soit et j’ai simplement choisi le risque d’être sincère. Me dévoiler ainsi
par écrit me
paraît très impudique mais résumer uniquement les faits dits «historiques» serait renier l’aspect culturel de notre histoire, en oublier
la dimension spirituelle et manquer de respect à nos
«tupuna».
Je ne saurais dire quand cette histoire a réellement commencé
pour moi car rétrospectivement j’ai le sentiment que depuis longtemps divers événements de ma vie semblent n’avoir existé que
pour me préparer à prendre en charge cette responsabilité. Les cartésiens vous diront que le passé nous construit et nous conduit
logiquement à faire nos choix, mes amis hawaïens, qui m’ont aidée à
basculer dans ce monde nouveau pour moi, disent que ce sont les
tupunas qui choisissent... Ce que je peux affirmer c’est que j’ai
reconnu certains signes et que dès la
première fois que je me suis
trouvée en présence des ivi tupuna au Bishop Museum, je me suis
sentie envahie par un amour et une compassion immense
qui m’ont
poussée à accepter ce travail.
L’aventure semble commencer en août 1999. L’association
«Haururu» de Papenoo, Tahiti, s’était déplacée à Hawai’i pour présenter un spectacle intitulé «Te Taura Tupuna» au festival de danses
135
Littérama’ohi
tahitiennes
organisé par l’association «Kauai Tahiti Fêtes» sur l’île
Ce fut pour moi le début d’un voyage intérieur et d’une
de Kauai.
aventure fantastique. Dès 1997, j’avais traduit en anglais les textes
du livret du spectacle «Te Taura Tupuna» - «la corde des ancêtres»
écrits par Araia Patrick Amaru. L’association «Haururu» présenta ce
spectacle au public en août 1998 sur le site de Fare Hape à la
Maroto. Mon rôle à Hawai’i était celui de traductrice. Cependant,
j’avais l’impression que ma présence avait un autre sens, mais je
me disais que, peut-être, il fallait chercher le lien dans ma
généalogie
hawaïenne.
Le soir du samedi 7 août 1999, après le spectacle «Te Taura
Tupuna» à Kauai, Mme Wilma H. HOLI, originaire de cette île, émue
par le spectacle, vint à la rencontre d’Eriki MARCHAND, Araia
Patrick AMARU, Vetea AVAEMAI, alors président de l’association
«Haururu» et moi-même. Elle pleurait en nous racontant qu’elle se
trouvait la veille sur une autre île et que dans la nuit elle avait reçu
des signes lui disant de venir le lendemain à Kauai. Quand il y a des
signes, ce qui est naturel pour Wilma, on agit sans se poser mille
questions. Elle a donc fait le déplacement.
Le spectacle sur le stade, s’est achevé sous la pluie. Nombreux
furent les spectateurs qui restèrent malgré tout. Wilma a vu dans cette
pluie un autre signe des «tupunas». Elle nous avait observés tout
l’après-midi et le soir, et espérant avoir trouvé ceux qui ramèneraient
les ancêtres de Polynésie française. Elle nous informa de la
présence
dans les réserves du Bernice Pauahi-Bishop Museum d’Honolulu
d’ossements humains issus de Polynésie Française et nous proposa
son aide et celle de l’association «Hui Malama I Na
Kupuna O Hawai’i
Nei» (= Ceux qui prennent soin des ancêtres de
Hawai’i), si nous
acceptions la responsabilité de rapatrier ces «ivi tupuna».
L’intitulé «Te Taura Tupuna» prenait soudain tout son sens à
mes
136
yeux.
De plus, instantanément, ce fut comme un déclic, j’eus
Ecritures
l’impression que j’avais la réponse que je cherchais, j’étais venue
pour ça. C’était comme un puzzle qui prenait forme, comme si nous
avions réveillé quelque chose, comme si les
«tupunas», nous prenaient au mot par rapport à l’intitulé du spectacle. J’avais
l’impression d’un beau défi lancé au clan «Haururu» qui voulait tant
que ce
spectacle soit autre chose que du folklore et en revendiquait la profondeur culturelle. Plus simplement, il me semblait
que cette responsabilité s’inscrivait dans la suite logique de notre démarche de
recherche, d’échange culturel, de respect de l’homme et de la terre.
Le président de «Haururu», Vetea Avaemai, et une
partie des
projet, certains avec crainte.
D’autres personnes avaient trop de peurs. J’essayais de convaincre en disant que si nous faisions
quelque chose de bien pour NOS
tupunas et que nous le faisions de bon cœur, avec amour, il ne pouvait rien arriver de mal et qu’il s’agissait simplement de ramener ces
morts comme nous le ferions pour notre famille et
que d’ailleurs ils
étaient de notre famille... Je sentais vivement physiquement dans
mon «a’au»-ventre, que je devais tout faire
pour que ces ancêtres
polynésiens rentrent chez eux, chez nous, même si je ne comprenais pas tout ce qui était en train de se passer. Toutefois
je n’osais
prétendre en prendre la responsabilité car j’estimais que cet honneur devait revenir à d’autres personnes
qui connaissaient la culture polynésienne
beaucoup mieux que moi.
membres
étaient favorables
au
Un événement fantastique m’arriva à Kauai, sur le marae de
LAKA, marae dédié à la danse. Je venais de terminer de filmer et de
prendre des photos de l’échange culturel entre des «kumu»
hawaïens, des groupes de danse et le groupe «Haururu», lorsque
j’entendis une voix. J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une marna de
notre groupe mais je m’étais éloignée et personne n’était
près de moi
et puis cette voix féminine avait les modulations
aiguës et particulières des marquisiennes. Elle criait : «Haere mai, haere maiiiiiiii !...».
J’ai entendu bien des histoires de ce genre mais je pensais
que ça
137
Littérama’ohi
pouvait pas m’arriver. Je me suis dit :«Mygod Annie ! Voilà que
toi !!! Tu entends des voix !» Je ne comprenais pas et commençais
ne
à raisonner en
me
demandant pourquoi j’entendrais
des voix. Et
même en admettant le phénomène, pourquoi des voix marquisien-
hawaïen ? Mais... je découvrirai plus tard que,
parmi les tupuna qui patientaient sur les étagères du Bishop
Museum, les plus nombreux étaient ceux issus des îles Marquises.
Il me faut bien du courage pour vous raconter ça car certains me
croiront dérangée du ciboulot. Mais, si je suis honnête avec moimême, c’est arrivé et je dois bien l’accepter sans le cacher comme
une chose honteuse et donc avoir le courage de l’écrire.
nés sur un marae
Une semaine plus tard, une partie des membres de l’association
«Haururu» est au rendez-vous, comme prévu, au Bishop Museum à
Honolulu ainsi que M. Blaine KIA. Nous sommes accueillis par Mme
Wilma HOLI, M. Edward Halealoha AYAU, directeur du projet «Ola Na
Iwi» de l’association «Hui Malama I Na Kupuna O
Hawaii Nei» et
Ils sont revêtus d’un pareo noir
noué sur une épaule. Le conservateur du musée nous accompagne
jusqu’à la salle où sont gardés des ossements humains de tout le
Pacifique. Il y a là sur des étagères, tristement alignés dans des boites en cartons étiquetées, les ancêtres : ceux de Polynésie
Française, de Guam (rapatriés en 2001), du Vanuatu, de Fidji, de
Tonga, de Nouvelle-Zélande, des Samoa américaines et des Western
Samoa, des Salomon, de Papouasie-Nouvelle Guinée. Une cérémonie émouvante est conduite par les hawaïens à l’entrée de la salle
puis
à l’intérieur. Dans la salle, au bout d’un moment, je dus demander à
Eriki de continuer à traduire à ma place car j’étais bouleversée, incapable de parler. Je n’arrêtais pas de pleurer et même de sangloter,
sans comprendre pourquoi et sans
pouvoir me maîtriser, ce qui ne me
ressemble pas du tout. J’ai plutôt la réputation d’être très dure même
dans des situations difficiles et j’avais honte de ne pouvoir me retenir.
Je souffrais de voir nos ancêtres la, comme des
objets, en même
temps, je ressentais leur amour et leur détresse. J’avais l’impression
Melle Miki’ala (sœur de Halealoha).
138
Ecritures
de comprendre pour la première fois la
signification du mot «aroha».
pleurer. J’offris un peu plus
tard mes excuses et je demandais à Wilma si elle était
soulagée et
contente de notre réponse positive concernant le
projet de rapatriement. A ma grande surprise elle me répondit
qu’elle nous avait fait
venir surtout pour voir si eux, les tupunas, voulaient rentrer avec nous
et qu’elle était heureuse car cette réponse était
positive. Je naviguais
là dans un système de pensée qui m’était totalement inconnu.
D’autres personnes se mirent également à
De retour à Tahiti, je fus nommée, au sein de
Haururu, responsable
tupuna».
Mme Louise PELTZER, Ministre de la Culture de
Polynésie
Française, fut la première à apporter son soutien à ce projet.
de la commission chargée du projet de rapatriement des «ivi
En avril
2000, je partis à Honolulu et réunis, au Bishop
Museum, des responsables du musée et de l’association «Hui
Malama I Na Kupuna O Hawai’i Nei». M. Sinoto fut invité au titre de
chercheur ayant lui-même rapatrié un partie des ossements
humains, mais il ne vint pas car il était malade.
En novembre 2001 : M. Edward Halealoha
Ayau, avec l’aide
de quelques responsables du musée et de l’association, achève le
travail de recherche effectué pour nous aider, à notre demande. Il
nous adresse le
listing définitif des «ivi tupuna» et quelques
objets
associés. Les renseignements dont nous disposons n’ont
pas permis
d’identifier ces personnes ni leurs familles mais seulement les lieux
où ils ont été trouvés, avec plus ou moins de précision.
En décembre 2001
: Mme Hiriata MILLAUD, directrice du
«Musée de Tahiti et des Iles-Fare la Manaha» alors à Hawai’i, à la
demande de Mme Louise Peltzer, Ministre de la Culture, rencontre
les
responsables de l’association «Hui Malama» et du
Museum et finalise les conditions de rapatriement des «ivi
en
Bishop
tupuna»
Polynésie Française.
139
Littérama’ohi
En mars 2002, Hiriata accepte d’accueillir provisoirement les ivi
tupuna au Musée de Tahiti et des Iles à la demande de M. Guy
KAULUKUKUI du Bishop Museum, d’accord avec l’association Hui
Malama, le ministère de la culture et nous.
Le 23
2002, Marguerite LAI s’envole pour Hawaï pour
accompagner un groupe sans rapport avec les ivi tupuna. Ce voyage venait d’être reporté durant 3 semaines successives pour tornber, comme par hasard (si on croit au hasard), cette semaine-là.
Ceci lui a permis de représenter l’association «Haururu» à la cérémonie d’enveloppement des ossements, dirigée par l’association
«Hui Malama», au Bishop Museum, le 29 mars, car personne d’autre ne pouvait partir à ce moment-là. William PETIS et Maurice
mars
SNOW ont aidé eux aussi.
Le 30 mars 2002
: Arrivée des ivi
tupuna à Tahiti. Ils sont accompagnés de Mme Marguerite LAI, M. Edward Halealoha AYAU, Mme
Wilma HOLI et M. Kimo ARMITAGE de l’association «Hui Malama I Na
Kupuna O Hawaii Nei». L’association Haururu est à l’arrivée.
DATES ET LIEUX D’INHUMATION : Les précisions concernant
les lieux ne sont pas données intentionnellement afin de protéger les
ivi tupuna de nouveaux pillages. Des cérémonies traditionnelles sim-
pies ont eu lieu partout accompagnées, selon les endroits, selon le
choix des habitants et selon la volonté des représentants des diverconfessions, de cérémonies catholiques ou protestantes ou
nous considérions comme de
simples intermédiaires
rendant aux populations de chaque île ou commune leurs
tupunas.
ses
sanito. Nous
140
17/04/2002
:
UA HUKA
21/05/2002
:
HIVA OA
31/05/2002
:
MAUPITI
04/06/2002
:
HUAHINE
21/06/2002
:
RAIATEA
Ecritures
11/07/2002
:
12/07/2002
:
PAPEETE, TAHITI
BORA-BORA
24/07/2002 : MAKATEA
30/08/2002
:
HAAPITI, MOOREA
30/09/2002
:
NUKU HIVA
15/10/2002 :MANGAREVA
30/10/2002
:
05/11/2002
:
PAPENOO, TAHITI
PAEA, TAHITI.
01/02/2003 : AFAREAITU, MOOREA
Des évènements extraordinaires se sont produits lors de nombreux rapatriements, cadeaux des tupunas. J’ai pu
percevoir ainsi
l’interdépendance des choses dans la nature, ressentir le lien qui
nous unit à la terre. Nous avons
accepte avec humilité l’évidence
d’être un élément en interaction avec les autres éléments de l’uni-
vers, l’eau,
la terre, le ciel, la pluie, les vents, les arcs-en-ciel, les
dauphins, les baleines. Les signes sont toujours là mais il faut les
regarder. Les ancêtres ont encore beaucoup à nous apprendre.
Enseignons à nos enfants le respect dans l’amour. N’oublions pas,
nous sommes les futurs ancêtres.
Nous remercions l’association «Hui Malama I Na
Kupuna O
Hawai’i Nei», le Bishop Museum, et Hawaiian Airlines, les maires et
toutes les personnes de bonne volonté de Polynésie
française qui
ont permis à des centaines de tupunas de retourner
reposer en paix
sur leur terre avec, en particulier toute notre reconnaissance à M.
Marcel GALENON pour AIR TAHITI qui nous a offert de nombreux
déplacements dans les îles, et sans qui nous n’aurions pu accomplir aussi rapidement ce travail.
Le 12 mars 2003, une nouvelle association s’est constituée :
«TE TUPUNATE TURA». Elle a pour objet de continuer à ramener
depuis les musées ou collections privées les ivi tupuna et objets
associés et de protéger ceux qui sont en Polynésie française.
141
Littérama’ohi
Le même jour, dans les journaux, on annonçait la découverte
d’ossements humains à Punavai. Hasard ?
L’association va rencontrer les responsables du ministère et du
service de la culture ainsi que du musée dans l’espoir de construire
un
partenariat pour nos actions présentes et futures.
L’association «TE TUPUNA TE TURA» a pour secrétaire :
Moeata Galenon et pour trésorière : Elisabeth Poroi. Toute personne souhaitant rejoindre l’association peut me contacter aux coordonnées suivantes
: Annie
Coeroli, présidente de l’association «TE
TUPUNA TE TURA» BP 13304, Punaauia. Vini
: 776149.
Te Aroha Rahi
142
Ecritures
De la naissance officielle d’une
photographie
polynésienne contemporaine
Marie-Hélène VILLIERME
Le premier festival de la
13 octobre 2002
a
photographie qui s’est déroulé du 7 au
officialisé
en
quelque sorte l’existence d’une
photographie contemporaine en Polynésie française et permis la
reconnaissance de l’artiste photographe.
Pour cette première édition, il a été
important, c’est vrai, de rendre hommage aux précurseurs, comme Ch.G.
Spitz, R.Parry, et
plus tard A.Sylvain, et de distinguer à l’aide d’une rétrospective de
clichés divers (1860, première photographie datée dans l’histoire de
la photographie en Polynésie) le regard
qui a été posé sur la société tahitienne.
Les images révèlent que l’échange de
regard a été frontal, scru-
tant, décryptant; l’un et l’autre devant être tout aussi curieux que
fascinés, quand ils n’étaient pas sidérés !
Comme à travers les
témoignages écrits, il
en
reste
une
empreinte forte de “rencontre” avec l’Autre.
La rencontre a eu lieu. Elle a lieu encore pour les uns. Pour les
Autres, qu’y a-t-il eu entre temps ? Du métissage...
Aujourd’hui donc, la photographie contemporaine polynésienne
semble être née du mariage d'une photographie de rencontre et
d’une photographie métisse.
Cette photographie de rencontre découvre,
explore les fascina-
tions de l’inconnu, saisit “innocemment” les merveilles de tous les
instants.
143
Littérama’ohi
Son œil “touche-à-tout” nous révèle encore des surprises et des
facettes non explorées de la réalité et se permet d’aller là où les pré-
jugés et l’observation inconsciente de codes sociaux limite l’œil
métisse.
quête d’identité, la photographie métisse, doit creuser un
sillon, creuser encore au-delà des images fixées par nos aînés précurseurs, trouver les moyens d’évoquer la société par laquelle elle
existe; elle doit alors l’interroger, la chercher, la provoquer, la rêver
ou la refléter... Sa richesse tient à ses visions tantôt intérieures tanEn
tôt extérieures. La distance existe, elle varie sans cesse.
Sans sujet de prédilection obligé, la photographie peut rendre
compte de la société, de ses valeurs, de ses anachronismes, de ses
réalités, de ses modes qui passent ou de ses aspirations. Elle peut
aussi réinterpréter son imaginaire collectif.
En quête d’affirmation, la jeune photographie polynésienne doit
se
bâtir, pierre après pierre.
Elle est partie d’influences, de rencontres, de métissages. Elle
est et restera sous influences, sous l’influence de sa nature en pre-
mier !
Sa nature justement, ne rayonne-t-elle pas déjà au-delà de son
océan, ne crée t-elle pas des ondes d’influence hors territoire ?
Pourquoi une photographie îlienne devrait-elle être davantage
influences qu’une photographie continentale ? Nous sommes
tous sous influences, perpétuellement et réciproquement.
sous
Une
photographie polynésienne peut donc exister sans cornplexe. Parce qu’elle doit se construire, pour donner son interprétation du monde, elle doit maintenant se prévaloir d’une production.
Produire pour cheminer. Produire en quantité pour cheminer vers la
qualité.
144
Ecritures
Il est important aujourd’hui que cette production se fasse, en
dehors des modes ou des volontés capricieuses d’une histoire, pas
encore écrite.
Elle doit être enracinée et multiforme; elle atteindra sa maturité
à ce prix.
Ainsi, aux côtés de l’écriture, cette photographie pourrait-elle
participer à l’établissement de courants de pensées et d’expressions, à l’acceptation de notre identité complexe, au regard de l’intérieur. Son œil relève de l’expression artistique comme du travail
documentaire.
Car une des priorités culturelles semble-t-il est de rendre compte (aujourd’hui) de la société que nous constituons, et de permettre
à des artistes d’exister à travers une expression “moderne”, mais
qui pourrait dire que la société tahitienne n’a pas évolué elle aussi
avec l’image ?
Marie-Hélène Villierme
Février 2003
145
Littérama’ohi
Kareva Mateata-ALLAIN
Je suis une fille Allain, la petite fille de Sergeant Julien Allain (la
base 190 a Faaa porte son nom). Mon arrière grand-mère était Marna
Kina, fameuse sage femme qui a mis au fenua trois générations de
bébés Ma’ohi. J’ai grandi a Tahiti, la quittant en 1980 lorsque j’avais
presque 17 ans.
Nous habitions a Faariipiti et j’allais a l’école d’abord
a Ste Thérèse ensuite a CES Taaone.
Ma vie aux USA durant les dix
premières années était très difficile, mais en 1989, j’ai pu profiter de l’éducation supérieure de l’Amérique et j’ai commencé mes études; d’abord la maîtrise, après le CAPES (Masters) et maintenant, je fais un
doctorat en littérature indigène et postcoloniale.
C’est pendant mes
compte que la littérature
Polynésienne (Ma’ohi) reste toujours invisible à l’érudition littéraire.
C’est alors que j’ai décidé d’embarquer sur un trajet pour que le monde
découvre cette littérature qui est riche, intéressante, vive, et belle.
études de doctorat que je me suis rendu
Cet article contient des analyses des oeuvres de Chantal Spitz,
Michou Chaze, Louise Peltzer, et Flora Devatine. Certes, il y a des
démarches infinies en littérature, et pour mes analyses, j’ai choisi le
thème d’une identité ma’ohi qui est difficile a retenir sous les prèssions attirantes de l’assimilation, surtout dans un monde de changements
perpétuels dans l’ère du cyber-espace, HBO, CNN, Gap,
Nike, et McDonald’s.
Cet article était écrit d'abord en anglais et je veux absolument
ajouter que je suis endettée envers ma grande copine et collègue,
Anne-Sabine Nicholas, étudiante au niveau doctorat des lettres, qui
m’a beaucoup aidé avec la traduction.
Elle a sacrifié des heures
interminables a réviser mes phrases et a me donner des conseils
très valables et je lui en suis très reconnaissante. Après tout, mon
propre français est kaina de Faariipiti !
Kareva Mateata-Allain
146
Critique littéraire
Les Auteurs Ma’ohi de la Polynésie Française:
Une Résistance Passive Contre Le Mythe de la Vahiné
Introduction
Un élément très intéressant au
sujet des études indigènes,
francophones, et coloniales est l’absence d’érudition sur les auteurs
Ma’ohi qui contribuent cependant à la production littéraire de la
Polynésie française. Depuis presque vingt ans, il existe une réapparition énergique, une résurrection focalisée, et une reconstruction
stratégique de la culture Ma’ohi. C’est évident que la littérature
Ma’ohi traduit un intérêt profond pour le retour aux valeurs indigènés. En outre, la majorité de la dynamique en Polynésie française
est générée par des femmes, un point à la fois remarquable et cornplexe qui serait initialement perçu par les critiques occidentaux
comme féministe, mais le féminisme est un concept qui dépend du
patriarcat afin de se définir. Or, les femmes dans la société Ma’ohi
pré-missionnaire ne devaient pas faire face aux mêmes problèmes
que leurs contemporaines européennes. Tout d’abord, la société
avant l’arrivée des Européens était ambilinéale et la discrimination
sociale était fondée sur l’affiliation à une caste plutôt qu’à un sexe1.
Les femmes pouvaient hériter des terres et elles avaient une liberté
physique, sexuelle, et verbale qui allait menacer les notions occidentales du patriarcat. En second lieu, le concept du mariage au
sens judéo-chrétien ne faisait pas parti de la cosmologie Ma’ohi.
Une femme pouvait choisir la polyandrie ou la monogamie, selon sa
préférence, mais elle pouvait aussi quitter son partenaire ou en
choisir un autre selon sa volonté ; un luxe que l’Européenne ne
pouvait pas se permettre. Les femmes Ma’ohi ne devaient pas
dépendre économiquement de leurs maris pour survivre puisque la
terre fournissait tous leurs besoins. Elles pratiquaient en outre le
contrôle des naissances (y compris l’infanticide et l’avortement),
participaient aux évènements sportifs avec ou contre les hommes,
et elles avaient la liberté de choisir leurs partenaires sexuels.2 Cette
147
Littérama’ohi
condition féminine menaçant le patriarcat et l’ordre social européen
devrait faire l’objet d’une étude féministe occidentale.
Cependant, chaque auteur Ma’ohi suit un modèle individuel,
mais ses luttes, ses thèmes, et son esprit ont un dénominateur cornla solidarité et l’identité Ma’ohi. En
général, la littérature
indigènes et lance un
appel au retour linguistique et culturel. Néanmoins, les auteurs les
plus publiées sont Michou Chaze, Chantal Spitz, Flora Devatine (qui
écrit également sous le pseudonyme “Vaitiare”), et Louise Peltzer.
En 1990, Michou Chaze a publié une collection de nouvelles intitulée Vai : une rivière au ciel sans nuages, mais L’ile des rêves écrasés
de Chantal Spitz publié en 1991 a été considéré comme le premier
roman Ma’ohi à entrer sur la scène littéraire de la Polynésie française. Les oeuvres Ma’ohi précédant cette date sont des oeuvres poétiques écrites pour la plupart en reo ma’ohi par les poètes Henry
Hiro, Turo Raapoto et Vaitiare (Flora Devatine). Cette poésie est
apparue à la fin des années soixante-dix et son apparition coïncide
avec la renaissance culturelle du Fenua dont l’objectif était d’insuffler
mun
:
Ma’ohi révèle donc
une fierté de
un
retour aux sources
l’identité culturelle Ma’ohi. Par la suite, les années qua-
tre-vingt lancent une campagne nationale pour ressusciter la culture
Ma’ohi en danger de disparition. Les auteurs ont pressenti que les
Ma’ohi avaient besoin de redéfinir une existence indépendamment
de l’assimilation française imposée. Ces auteurs instruits et engagés
politiquement sont devenus les voix politiques de leurs frères et
sœurs Ma’ohi réduits en silence. Le thématique de leurs oeuvres
reflètent inévitablement les réformes sociales, économiques, politiques, et culturelles qui affectent l’identité, la conscience, et la solidarité Ma’ohi. Cette littérature Ma’ohi représente donc un élément
important du post-colonialisme que remarque Feroza Jussawalla : à
savoir l’affirmation de l’individualité indigène (“Kim, Huck” 125).
Les auteurs Ma’ohi s’engagent souvent sur la voie de la redécouverte identitaire culturelle et Flora Aurima-Devatine,
native de
Tautira sur l’île de Tahiti, est experte dans ce domaine. La littérature
de Devatine lance un appel aux Ma’ohi pour retourner aux sour-
148
Critique littéraire
ces
de leur Ma’ohi-nété3, pour redécouvrir leurs racines culturelles
et leurs liens avec la terre. En outre, il ne faut jamais qu’ils oublient
d’où ils viennent. Elle encourage les Polynésiens à écrire afin de
perpétuer la transmission de la culture. Elle défend un principe de
responsabilité sur des Ma’ohi qui malgré leur tradition orale, doivent
devenir les gardiens d’une trace écrite afin de sauvegarder et d’enrichir leur héritage culturel et linguistique. Pour Devatine, la perte
des coutumes et de la langue signalera la fin de la culture Ma’ohi,
et par conséquent, la fin d’un peuple (Vaitiare 383). Son livre,
Tergiversations et Rêveries de l’Écriture Orale réitère l’importance
de l’écriture et l’urgence de concrétiser les pensées Ma’ohi sur
papier. Cette oeuvre, écrite en français avec des insertions en reo
ma’ohi, est créée dans un style poétique qui reflète l’oralitude; c’est
une
adaptation post-moderne de la tradition orale Ma’ohi.
Tergiversations présente une ode prolongée à l’écriture, et sa fonction pour conserver et préserver les cultures indigènes noyées dans
le changement global et envahissant.
Ses lecteurs sont Ma’ohi et elle encourage la réflexion et la
conscience de Soi pour s’exprimer par l’écriture. Elle se rend compte que l’écriture est un concept occidental, et non pas une pratique
traditionnellement Ma’ohi, mais elle implore les Ma’ohi à embrasser
l’écriture, outil puissant de conservation :
É-C-R-l-R-E/ Six lettres qui n’hésitent pas à s’afficher/ Avançant,
seules, buste en avant/ Traçant, frappant, martelant la route/ Et
emplissant l’air de leurs rythmes !/ Écrire !/ C’est notre vie !/ C’est
notre ‘job’/ Spécialité ?/ Condamnation ?/ C’est notre liberté !/ C’est
quelque chose, dans nos cordes!/ Allons enfants...!/ Teie mai nei to
mau tamari’i...!/ Afa’i mai nei i te mau pehepehe/ No to taua ‘ai’a.J
/Te amo nei ho’i matou/ I te hanahana o to tatou fenua...!/
Intéressées, impatientes/ De découvrir et de décrire/ Vos paysages
intérieurs!/ Nous sommes prêtes à toutes vos frasques!/ Nous
acceptons tous les défis de votre imaginaire ! (Devatine 61)
En encourageant la préservation des mots, Devatine encourage la
149
Littérama’ohi
survie de la culture. Elle accentue l’importance de l’écriture afin que
puisse se connaître, se questionner, se répondre, et se
comprendre, dans le but d’avoir un sens de soi et ses multiples
rôles dans le monde qui l’entoure. Toutes les pages de ce livre sont
consacrées à l’importance de l’écriture; peu importe si on écrit pour
rien ou pour tout, il faut se mettre devant un clavier ou tenir un stylo
dans la main. L’objectif est de jouer avec les mots et le message de
Devatine est clair—les Ma’ohi doivent prendre le temps de créer
des phrases et des mots, qui par leur inscription deviennent immortalisés, éternels.
Le premier roman Ma’ohi à être publié, L’île des Rêves Écrasés,
écrit par Chantal Spitz, utilise des personnages très pertinents qui
sondent les effets chaotiques d’une culture qui s’impose sur une
autre. Cet ouvrage a comme thèmes centraux la perte des traditions, l’envahissement de la mentalité européenne et ses essais
nucléaires, les conflits d’identité au Fenua, et la difficulté qui existe
lorsque qu’il y a un mélange de cultures qui embrasse des cosmologies tout à fait opposées. Spitz aborde les différences fondamentales entre l’éducation Ma’ohi et l’éducation française et elle montre
comment l’éducation française piétine les voi(es)x indigènes. En
outre, elle démontre comment les gens préfèrent choisir la mentalité
française, convaincus qu’elle est supérieure au caractère Ma’ohi. Ce
qui est intéressant est la manière dont Spitz juxtapose les deux mondes. L’un, européen, est élitiste, superficiel, (hypo)critique, et obtient
son pouvoir en dehors du Soi avec des valeurs capitalistes externes.
L’autre, Ma’ohi, est sage, doux et profond. Il obtient son savoir grâce
à sa connexion avec la nature, son âme, son esprit, et ses relations
avec le cosmos lui donnent une fondation spirituelle qui est puissante. L’auteur dénonce la méconnaissance absolue des français pour
les indigènes et raconte comment le gouvernement colonial exploite
les Ma’ohi, la terre, et ses ressources. En outre, elle dévoile le problême de l’installation arbitraire d’une base nucléaire et les risques
de radiation pour la population et l’écosystème. Spitz aborde le système hiérarchique social qui existe à Tahiti, le mépris pour tout ce
l’individu
150
Critique littéraire
qui est Ma’ohi et l’élitisme popa’a adopté par ceux qui se croient
supérieurs aux autres du fait de leur éducation, leur assimilation,
leur milieu social, leurs biens matériels, et la clarté de leur peau.
Elle se préoccupe aussi du phénomène des demis qui tournent le
dos aux Ma’ohi en embrassant la culture française et niant leur sang
Ma’ohi. Malheureusement, les deux cultures ne peuvent pas se rencontrer parce qu’elles n’ont pas le même regard sur le monde. Sa
préoccupation avec les demis est très symbolique, car un demi est
le symbole ultime du mariage des deux races, donc des deux cultures, des deux mentalités. L’ironie est que même si ce métissage est
produit par une distribution égale de sang Ma’ohi et de sang français, on a tendance à englober la culture et la mentalité européenne en niant le côté Ma’ohi, et en discréditant ses valeurs culturelles
et spirituelles. Ulle des Rêves Écrasés emporte le lecteur dans un
voyage à la découverte de l’âme Ma’ohi en quête de son identité et
de sa culture piétinées par la présence européenne et ses valeurs
capitalistes. Dans ce roman, Spitz explique les conséquences de
l’intériorisation des idéologies du colonisateur par le Ma’ohi. Le texte
contient également des intrusions poétiques, sous forme de prières,
d’hommages, et de chansons locales, qui viennent interrompre le
style occidental des paragraphes. En utilisant des mots empruntés
à la tradition orale, cette intrusion symbolise l’existence en parallèle
des deux cultures. Tout au long de l’œuvre, Spitz analyse les thémes politiques et les subtilités des moyens de contrôle sur le chaos
interne qui sévit dans les îles. Spitz place le texte du roman entre
un prologue et un épilogue qui s’engagent à présenter un ton et une
voix radicalement différents de ceux du narrateur. L’auteur offre
ainsi aux Ma’ohi une nouvelle plate-forme politique, les engageant
au réveil collectif afin d’aspirer à une conscience nationale Ma’ohi.
Le narrateur les prie de se prendre en charge, d’assumer une
responsabilité nationale, et de créer une résistance contre l’assimilation totale. Le prologue s’ouvre avec la voix d’une déesse Ma’ohi
qui évoque la nécessité de se reconnecter avec le passé culturel et
ancestral pour trouver la force et la solidité dans le chaos colonial :
151
Littérama’ohi
Voici que je vous regarde et que je ne vous connais pas/ Ils t’ont
appris leur langue, leur façon de penser/ Ils t’ont donné leurs valeurs,
leurs goûts/ Ils ont gagné sans grand mérite/ Tu les as vraiment bien
aidés/ Tu es devenu un singe bien dressé/ Ma’ohi d’aujourd’hui, tu es
de/ Ceux qui ne savent plus penser/ Ceux qui exécutent les ordres/
Ceux qui imitent et rejettent leur identité/ Ceux qui suicident leur âme
et vendent leur Terre/ Ceux qui bradent leur patrie/ Ceux qui admirent
l’étranger/ Et trouvent meilleur le voisin/ Ceux qui se courbent devant
l’injuste/ Et se cassent devant qui les méprise/ Ma’ohi qu’a-t-on fait
de toi?/ Ma’ohi qu’as-tu fait de toi ? (Spitz 22-23)
Dans cet extrait, Spitz montre comment l’identité indigène s’efface devant les idéologies du colonisateur. Elle veut que les Ma’ohi
prennent conscience de leurs comportements conditionnés par les
méthodes puissantes et efficaces de l’éducation occidentale. Son
épilogue décrit le racisme qui existe en Polynésie entre les Ma’ohi
eux-mêmes et elle dénonce le système éducatif qui sert d’instrument
de colonisation et de déculturation formulée de façon à préparer les
Ma’ohi à l’échec. Ce système produit une société indigène incapable
de s’adapter à la vie moderne en les préparant à devenir des travailleurs exploités et sous-payés (Spitz 181). Cette œuvre de Spitz
est brillante, engagée, et est écrite avec sensibilité, intelligence, et
poésie afin d’ouvrir les yeux des Ma’ohi sur la réalité des subtilités du
discours raciste et colonial. Elle les pousse à préserver l’esthétique
de la culture Ma’ohi. Ce roman les encourage à trouver un équilibre
culturel et spirituel dans un milieu qui est souvent tendancieux.
Louise Peltzer, auteur, érudite, professeur, linguiste, défend,
elle aussi la culture Ma’ohi. Née à Huahine, la politique de Peltzer
se préoccupe de la conservation du reo ma’ohi. Elle a
publié plusieurs œuvres et articles érudits en français et en reo ma’ohi sur la
culture et la linguistique Ma’ohi. Première autorité linguiste mondiale du monde reo ma’ohi, elle est très active dans l’académie
tahitienne dont l’objectif est de préserver et de conserver la langue
ancestrale. Dans Lettre à Poutaveri, Peltzer donne la voix principale
à l’une de ses ancêtres, Rui, une petite fille Ma’ohi qui raconte
152
Critique littéraire
l’histoire de l’arrivée des étrangers blancs du point de vue Ma’ohi.
Grâce à la
perspective de Rui, Peltzer retrace les effets dramatiques du contact européen après le départ de Louis Antoine de
Bougainville.
Bien que les événements historiques soient racontés avec
l’exactitude chronologique qu’offre la documentation des missionnaires et les récits des explorateurs, ce roman renverse radicalement les notions occidentales de temporalité. Du commencement
du récit jusqu’à sa fin, plus de soixante ans d’histoire ont évolué
dans le concept occidental du temps, mais Rui n’a ni vieilli, ni grandi.
Une telle perception de temps démontre une des différences cosmologiques entre l’occident et la Polynésie, une différence qui souligne une temporalité non-linéaire. Cette différence est profondément métaphysique et l’esprit de la tradition orale, incarné par Rui,
renforce la mémoire ancestrale qui serait difficile, si non impossible,
à analyser ou à théoriser d’un point de vue occidental. La complexité
de Lettre à Poutaveri exige une compréhension des éléments culturels, cosmologiques, et spirituels des insulaires et elle souligne les
implications radicales du contact européen sur la culture Ma’ohi, surtout l’arrivée de'l’écriture et son rôle dans la préservation du reo
ma’ohi. Si les érudits occidentaux veulent reconnaître la valeur de la
littérature insulaire indigène, ils doivent être disposés à modifier les
thèmes et les définitions théoriques traditionnels
afin d’inclure les
voix indigènes qui continuent d’être supprimées et mal entendues.
Lettre à Poutaveri fonctionne simultanément comme une ethno-
graphie et aussi comme une œuvre de littérature non-romanesque
historique écrite d’une perspective insulaire. De plus, elle utilise une
formule que j’appelle le réalisme ancestral4 qui donne vie à la voix
Ma’ohi trop souvent noyée dans les récits tendancieux des explorateurs, des navigateurs, des écrivains européens, et des chroniqueurs missionnaires. Le réalisme ancestral qui domine et qui enrichit le récit de Peltzer situe les événements historiques au moyen
d’une mémoire collective héritée des ancêtres. Cette mémoire collective utilise le concept de mémoire continue et transmise sous les
153
Littérama’ohi
formes de chansons informatives,
spirituelles, et légendaires, de
et des récits
mouvements de danse symboliques et interprétatifs,
familiaux et communautaires. Cette mémoire héritée renforce Thistoire vécue par les générations précédentes d’une manière réaliste.
Selon Anna-Leena Siikala, “genealogy forms an unbreakable chain
which links everybody to the origin, to the divine world of the gods
and ancestors. Both the individual and the whole ethnic group have
history which define [sic] all the important factors constituting the
identity” (6).5 Siikala ajoute que “spatial memory has been created
through the intentional activities of many generations” (9).6
Autrement dit, les concepts temporels indigènes forment un lien
irrévocable avec l’ascendance, la mémoire héritée, et l’identité qui
sont des sujets abordés dans le contenu de Lettre à Poutaveri.
Afin d’obtenir une idée plus claire de la complexité de l’œuvre de
Peltzer, il est important de se concentrer sur le début du récit. La
brève introduction, la seule partie du texte qui utilise la troisième personne, s’ouvre sur la narration épistolaire du livre. Elle a une double
fonction : elle annonce l’arrivée historique de Louis Antoine de
Bougainville et son départ sous le regard pleurant de Rui :
Dix jours plus tard, la séparation fut déchirante, des idylles s’étaient
nouées, des promesses échangées, sous un cocotier une petite fille
pleurait le départ de son ami... De retour en Europe, Bougainville,
devenu Poutaveri, fit connaître le nom de l’île heureuse, l’île qui lui
permet d’espérer: TAHITI. L’île existe-elle toujours ? Ses amis que
sont-ils devenus? Et la petite fille là-bas qui sanglote sur la plage,
dans l’attente... Laissez-lui du temps... Le temps est venu, les larmes ont séché..., elle parle. (Peltzer 5)
A priori, Rui semble se lamenter le départ de Bougainville. Mais
Bougainville ne fut à Tahiti que neuf jours et il ne parlait pas la langue; donc il est peu probable qu’il ait eu les moyens ou le temps de
créér des liens profonds avec le peuple. Je pense au contraire que,
à un niveau extratemporel, Rui ne pleure pas son départ, mais plutôt les conséquences dramatiques de la visite de Bougainville qui va
bouleverser l’existence et l’histoire Ma’ohi. Après tout, le séjour de
a
154
Critique littéraire
Bougainville et son départ de l’île marque le moment historique qui
transformera la culture, la société, et la manière de vivre des Ma’ohi.
Mais
Peltzer reconnaît que ces changements
n’ont pas tous été
négatifs puisqu’ils ont apporté l’écriture, et donc l’outil de préservation du reo ma’ohi.
La première page de Lettre à Poutaveri justifie le titre du roman
et annonce l’ensemble du récit en s’ouvrant par une salutation épistolaire à Bougainville, “Ami très cheP (9) et suggère que
l’écriture
doive devenir un instrument qui accompagne l’oralité traditionnelle.
Autrement dit, Rui doit écrire à Bougainville afin de lui raconter son
histoire. Si les Ma’ohi veulent posséder leur histoire et immortaliser
le présent, l'écriture doit devenir un instrument au service de l’oralité
traditionnelle. Paradoxalement, dans Lettre à Poutaveri, c’est l’absence
de Bougainville,
donc l’impossibilité de communiquer orale-
ment qui initie la présence des mots écrits de Rui. Le corps du livre
est écrit du point de vue de Rui à la première personne, mais sa lettre à Bougainville révèle presque un siècle d
‘histoire, un siècle qui
changé l’existence Ma’ohi pour toujours. Parce que Rui est à la fois
narratrice et participante active dans le texte, elle représente d’une
certaine manière l’esprit persévérant de la tradition orale, la voix du
réalisme ancestral. Elle est suspendue dans le temps et immortalisée sur la page écrite pour pouvoir raconter une histoire d’importance historique qui n‘a pas encore été racontée ou écrite d’une perspective Ma’ohi.
Les thèmes principaux dans la collection de vignettes de
Michou Chaze intitulée Vai : la Rivière au Ciel sans Nuages se rapportent à la quête perpétuelle d'une identité indigène distincte sous
le règne colonial. La façon dont Chaze utilise le langage de la vie et
les mouvements insaisissables de la conscience s’inspire du dialecte
franco-ma’ohi poétique d’une manière qui évoque un retour aux
racines mythologiques en cherchant un présent inculqué d’un savoir
ancestral. Ces vignettes sont consacrées à l’identité Ma’ohi et montrent une appréciation et un respect pour la nature et la culture.
Même si ces thèmes évoquent une nostalgie pour le passé, Chaze
a
155
Littérama’ohi
est réaliste. Elle se rend bien compte que le passé ne peut jamais
être récupéré alors elle crée une conscience du passé pour instal1er une fondation dans le présent plutôt qu’un désir nostalgique de
retour à l’époque pré-coloniale. Ce livre, enrichi par les couleurs de
images, présente chaque vignette comme un tableau littéraire
qui incite les Ma’ohi à se regarder et à se rendre compte de leur
ma’ohi-neté, leur langage, et l’essence de leur être.
Néanmoins, ce livre est engagé politiquement puisqu’il se réfère également aux mouvements de révolte contre les essais nucléaires et la bombe. Chaze confronte le colonialisme et son système
patriarcal en même temps que l’invasion du pouvoir militaire français, l’installation des sites nucléaires dans le Pacifique sud, une
économie artificielle, et toutes les techniques de contrôle bureaucratiques du colon qui oppriment et règlent le peuple Ma’ohi. Dans
un entretien avec Chaze, Johanna Frogier raconte que Chaze souligne l’importance de la transmission d’une conscience Ma’ohi aux
jeunes en utilisant des actes simples de résistance: “Essayez d’être Polynésiens le plus que
possible! Habitez dans des maisons
tahitiennes! Mangez tahitien! Dansez tahitien! Parlez tahitien! Soyez
Tahitiens!” (4). Evidement, la littérature de Chaze utilise les
concepts d’une rupture des méthodes assimilatives qui servent à
ses
distraire le Ma’ohi de sa conscience et de sa fierté.
En outre, son
écriture reflète une volonté de reconnecter avec le passé ancestral
pour aider les Ma’ohi à s’identifier dans un monde en changement
perpétuel.
Chacune de ces quatorze vignettes est liée au pouvoir de vai
Le
mot vai a des significations multiples qui rendent cette œuvre corn-
plexe. Vai veut dire l’eau, la rivière, la vie, l’existence, et le verbe “être.”
Le premier chapitre est intitulé «Généalogie» et présente une petite
fille qui ignore son passé et son héritage ancestral. Le narrateur la prie
de chercher ses racines culturelles. Ici, Chaze souligne le thème d’une
quête de l’identité Ma’ohi. Comme la tradition orale est virtuellement
éteinte, la petite fille doit chercher la connaissance de son passé, de
ses racines, et des histoires de l’origine Ma’ohi dans des livres écrits
156
Critique littéraire
par les Européens. Elle est si assimilée qu’elle ne reconnaît pas les
signes dans la nature, dans le ciel, dans la mer, et sur la terre.
Perturbée par son identité, elle continue de se chercher tandis que les
tupuna l’observent tristement des branches d’un arbre. Par conséquent, cette petite fille démontre comment cette quête d’identité est
une inquiétude Ma’ohi. Au Fenua, il devient de plus en
plus difficile
pour les enfants de trouver des réponses aux origines culturelles dans
une société colonisée déconnectée de la tradition orale. La
plupart du
savoir historique et culturel dépend des observations mal interprétées
des hommes européens du 18ème et 19ème siècles.
Une des vignettes qui démontre les conflits socioculturels entre
le passé et le présent, entre la nature et les constructions artificielles
de l’homme, et entre l’occident et l’indigène est “La Rivière” dans
laquelle Chaze juxtapose deux enfantements. L’un prend place tranquillement dans la nature auprès des gargouillis chantants et idylliques de la rivière. Malheureusement, ce n’est qu’un rêve et la
maman enceinte, réveillée par ses contractions, est menée à la clinique froide et stérilisée avec son éclairage sévère et un personnel
hospitalier intrusif. Non seulement ce texte suggère une nostalgie
pour le passé, mais il aborde aussi la modernité en Polynésie française donc les relations symbioses de la maman, de la nature, et de
l’enfant deviennent envahies par l’intrusion coloniale. Le réveil brutal
de la mère est l’épreuve que la réalité Ma’ohi demande une adaptation obligatoire aux pratiques et aux perspectives occidentales.
Une autre vignette, “La Vieille Dame,” relate les conflits spirituels et ethniques provoqués par la colonisation. L’extrait suivant
suggère les définitions alternées d’identité qui se reproduisent à travers le livre.
Dans «La Vieille Dame,» deux missionnaires blancs se
présentent chez une vieille dame avec l’intention de la convertir. Ils
initient le dialogue, et c’est évident que les interlocuteurs ne se corn-
prennent pas :
—
nos
Nous venons vous parler du bonheur. Voulez-vous entendre
paroles ?
—
Voulez-vous un verre de whiskey ?
157
Littérama’ohi
—
—
—
—
—
—
—
—
Avez-vous une religion ?
Et vous ?
Êtes-vous catholique ou protestante ?
Je suis paumotu
Il paraît que les Paumotu sont protestants
J’ai grandi aux Marquises
Il paraît que les Marquisiens sont catholiques
Des noms ! Des noms, Catholique !
Protestant ! Mormon !
Autrefois on nous appelait les sauvages; ensuite on est devenus les
indigènes, puis des canaques, ou peut-être que c’est l’inverse. Un
jour, je suis devenue tahitienne. Il paraît que maintenant je suis
polynésienne. (Chaze 30)
Ici, un interlocuteur blanc insiste sur la religion comme mode d’identification, mais la vieille insiste sur une identification ma’ohi. Elle
est née auxTuamotus et remarque la propension occidentale d’attri-
identificatoire alors qu’elle est très
Elle insiste sur un mode d’identification
insulaire basé sur des siècles d’origine Ma’ohi plutôt que sur l’emphase Euro-chrétienne de la dichotomie Protestante ou Catholique.
L’utilisation du langage dans l’œuvre de Chaze mélange souvent
le français avec le reo ma’ohi dans les mêmes phrases, un fait qui
non seulement reflète la résistance passive contre la langue du “maître,” mais qui renforce aussi la solidarité Ma’ohi. Nicole remarque que
l’indigènisation de la langue française dans les récits de Chaze souligne sa récognition que Tahiti est une fusion de cultures et que cette
reconnaissance dénote l’hybridité de Tahiti. Nicole ajoute que Chaze
rejette le piège essentiel de la ‘race’ et elle offre une réalité qui est
donc plurivocale, hybride, métissée et tolérante des différences
(Nicole 191). Son écriture reflète l’oraliture traditionnelle et son style
émule la façon Ma’ohi de parler et de penser et qui doit être apprécié pour son originalité du langage et son adhésion aux concepts traditionnels d’expression indigène. Le fait que son style puisse appabuer des noms comme moyen
consciente des ses origines.
raître abstrait aux lecteurs occidentaux donne à ses oeuvres une
valeur digne d’érudition.
158
Sa façon de présenter le langage reflète
Critique littéraire
définitivement la couleur locale et la prononciation chantante du ver-
naculaire, connue localement comme le kaina. En outre, Chaze
emploie des éléments très politiques dans ce livre, particulièrement
dans «Césure,» une vignette qui décrit une révolte contre les essais
nucléaires et un dédain pour la science de l’Occident, soulignant l’idée que la présence de la science occidentale en Polynésie est
contre la nature et contre les Ma’ohi. Dans “Pour Toi”, avec un ton
amer et ouvert, Chaze confronte le colonialisme et son
système
patriarcal et occidental : L’âme, coincée dans ce gant payé au prix
fort, voudrait se délivrer. Sortir de ce gant juste assez épais pour
empêcher de voir la couleur de la musique. Sortir et glisser sur le
mara’amu jusqu’aux récifs, fa’a he’e au-dessus des vagues qui se
brisent. Danser dans les parfums de moto’i. Sur le sable, on aime le
câlin du soleil sur la peau huilée de mono’i, le frisson qui soulève la
chevelure, dépose ses baisers sur la nuque jusqu’à la chute des
reins. On écoute le vivo. Aimer, aimer inlassablement, lascivement,
tendrement, follement. Etre l’égal des dieux. Le gant a tout bousillé.
Il s’est levé et a dit il faut que je paie les contributions et ma patente,
mes impôts et ma facture d’électricité, les assurances, la C.P.S.,
mes traites, mes échéances, le resto, la cantine, les chaussures du
petit et le chewing-gum de l’autre et encore un Twistie pour le troisième. Il faut que je paie mon loyer, l’essence, la bouffe, la banane
et le coco que je ne peux pius cueillir, l’eau pour me laver, le mono’i
pour me parfumer, ma couronne pour séduire. Il faut que je paie la
mort de mes parents pour garder la terre de mes ancêtres. Il faut
que je paie les Japonais qui vont nous acheter. Il faut que je paie un
passeport européen pour que les Belges et les Italiens soient ici
chez eux. Il faut que je paie la guerre. Il faut que je paie la bombe
pour payer ensuite l’hosto et le cercueil. Il faut que je paie pour voir
nos dieux sous verre au musée. (Chaze 79-80)
Ici, Chaze nous donne un exemple des problèmes politiques et
économiques qui servent à contrôler les Ma’ohi. Elle offre un
contrepoint au colonialisme qui se présente, selon Robert Nicole,
comme un regard vers le passé comme étant un agent purifiant et
159
Littérama’ohi
de pouvoir obtenu par la sensation d’appartenir à des
racines communes. Chaze est très consciente des ses affiliations
une source
ancestrales mais elle reconnaît le fait qu’elles sont irrévocablement
entremêlées dans la réalité multiculturelle de son présent (192).
De
Chaze consacre les thèmes de ses histoires à l’identité ma’ohi et à l’appréciation de la nature et de la culture. Elle
illustre sa connexion au passé ancestral afin de déchiffrer un monde
de changements perpétuels et discordants.
toute évidence,
La production littéraire Ma’ohi dissout le mythe de Tahiti et de la
vahiné exotique,
et pour la première fois dans leur histoire colonia-
le, les auteurs Ma’ohi offrent un côté contrepoint de l’expérience
coloniale en utilisant la littérature, objet d’étude crucial de l’analyse
post-coloniale. Traditionnellement, les seuls récits historiques
disponibles sur Tahiti ont été écrits d’une perspective européenne et
mâle par les explorateurs, les botanistes, les navigateurs, les
marins, les écrivains, les artistes, et les missionnaires. Aujourd’hui,
les auteurs contemporains Ma’ohi essaient de persuader leurs lecteurs que même si la Polynésie Française est toujours sous le règne
de la loi coloniale, il est possible de faire un retour aux origines indigènes et de résister à l’assimilation totale. Pour ces raisons,
Devatine, Chaze, Peltzer, Spitz, et al. déclarent très justement que
les Ma’ohi doivent commencer, et continuer, à écrire. L’écriture est
la seule façon d’immortaliser la culture, de faire connaître les Ma’ohi
au reste du monde, et de les aider à se rendre compte qu’ils ne sont
pas seuls dans leurs luttes socio-politiques. Les expériences culturelies peuvent différer légèrement, mais les thèmes de la quête
d’une identité culturelle et d’une résistance contre le colonisateur
sont plus au moins universels.
Il est essentiel que les Ma’ohi donnent à leurs histoires, leurs expériences, leurs espoirs la possibilité
d’être entendus par le reste du monde en dehors de la Polynésie.
Ils doivent
éradiquer personnellement les mythes des insulaires
joyeux, puérils, et innocents. Il faut également que les voix polynésiennes soient entendues par les colonisateurs qui ont essayé de
160
Critique littéraire
les supprimer. Les voix Ma’ohi doivent avoir la chance d’être reconnues
par les Français et le canon francophone, les érudits, les cri-
tiques du monde entier, et la scène littéraire française. Et enfin, la
femme Ma’ohi doit être valorisée pour son intellect. Son silence et
son
effacement ne doivent ni être perpétués, ni tolérés.
Historiquement, la vahiné a été malentendue, exotisée. eroticisée,
et sexualisée depuis le premier contact européen.
Comme ces
auteurs le démontrent, le temps est venu de rejeter les
stéréotypes
de la vahiné, pour admettre ses capacités intellectuelles, et pour lui
rendre une voix, forte et puissante.
Kareva Mateata-Allain
Bibliographie
Chaze, Michou. Vai : la Rivière au Ciel sans Nuages. Papeete:
Cobalt/Tupuna, 1990.
Devatine, Flora. Tergiversations et Rêveries de l’Écriture Orale. Papeete:
Au Vent des îles, 1998.
Frogier, Johanna. “Le Portrait d’une Muse de Tahiti : Michou Chaze
—
Retour vers la Culture par l’Écriture.” 19 octobre 2000.
www.lehman.cunv.edu/ile.en.ile
Jussawalla, Feroza. “Kim, Huck, and Naipaul : Using the Postcolonial
Bildungsroman to (Re)define Postcoloniality.” Links & Letters 4 (1997): 2538.
“(Re)reading Kim: Defining Kipling’s Masterpiece as Postcolonial.”
Journal of Commonwealth and Postcolonial Studies 5.2 (1998): 112-127.
—
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Nicole, Robert. The Word, the Pen, and the Pistol: Literature and Power in
Tahiti. SUNY: New York, 2000.
Oliver, Douglas. Ancient Tahitian Society. 3 vols. Honolulu: University of
Hawaii Press, 1974.
161
Littérama’ohi
Peltzer, Louise. Lettre à Poutaveri. Papeete: Au Vent des îles, 1995.
Siikala, Anna-Leena. “Spatial Memory and Narration: Oral History and
Traces
of the
Past
in
a
Polynesian Landscape.” Suomen
Antropologi/Antropologi i Finland (SAnt), Helsinki, Finland, 23.2 (1998): 419.
Spitz, Chantal T. L’île des Rêves Écrasés. Papeete: Les Éditions de la
Plage, 1991.
Vaitiare. Humeurs. Papeete: Polytram, 1980.
Notes :
V Certes, avec les castes inférieures, des tapus existaient
entre les hommes et les femmes, mais selon Lockwood,
ces tapus étaient fondés sur des craintes de souillure
spirituelle et non pas sur la discrimination sexuelle.
2) Pour une lecture plus approfondie, veuillez consulter
Ancient Tahitian Society de Douglas Oliver
3) le fait d’être Ma’ohi et d'embrasser une conscience et
une fierté
Ma'ohi
4) Avec le réalisme ancestral, les ancêtres ne sont pas
morts, car ‘la mort' est un terme occidental qui suggère
la terminalité. Au contraire, les ancêtres vivent parmi
nous. Ils ne sont pas coincés dans une autre dimension,
mais plutôt, ils co-existent dans le monde physique afin
de nous guider et de nous protéger.
5) La généalogie forme une chaîne incassable qui lie chacun
à l’origine, au monde divin des dieux et des ancêt-
res.
L’individu et le groupe ethnique en entier partagent
histoire qui définit tous les facteurs constitutifs de
une
leur identité.
6) La mémoire spatiale a été créée grâce aux activités
intentionnelles de générations multiples.
162
Actualité littéraire
Voltina ROOMATAAROA-DAUPHIN
Nom marital
DAUPHIN
Prénom
Voltina
Nom patronymique
ROOMATAAROA
Date de naissance
31 octobre 1952
Lieu
Moerai - RURUTU
Situation familiale
mariée, 3 enfants
Diplômes
-
-
Baccalauréat série A4 obtenu en 1975 à Annecy - Grenoble
Maîtrise d’Histoire obtenue en 1981 à l’Université Paul Valéry
de Montpellier
-
se du
Licence de Reo ma’ohi obtenue en 1994 à l’Université françai-
Pacifique, Centre universitaire de Polynésie française
DEA - Sociétés et cultures dans le Pacifique insulaire : dynamiques et mutations - obtenu en 1999 à l’Université de la Polynésie
-
française
Expériences professionnelles :
Enseignante en Histoire-Géographie au Collège de Mahina
pendant (4 mois en 1981-1982)
Enseignante en Histoire-Géographie au Collège de Ta’aonePira’e (de 1983 à 1985)
Enseignante vacataire du tahitien aux Collèges de Ta’aonePira’e, Arue et au Lycée Paul Gauguin (de 1983 à 1985)
Traductrice au Service de la Traduction et de l’Interprétariat
(depuis 1986)
Enseignante vacataire en Reo ma’ohi à l’Université du Pacifique
-
-
-
-
-
de 1994 à 1998
-
Enseignante vacataire en Reo ma’ohi à l’Institut universitaire
de formation des maîtres (depuis 1998)
163
Littérama’ohi
Enseignante vacataire en Reo ma’ohi à l’Université de la
Polynésie française (depuis 1999).
-
Fonction culturelle
-
Membre du Jury du
Prix littéraire Prix du Président (depuis
2000)
-Académicienne au Fare Vana’a - Académie tahitienne (depuis
2002)
Expériences d’animatrices de jeunes :
Diplôme d’animateur de colonie de vacances obtenue en 1970
-
-
-
Monitrice de colonie de vacances de 1970 à 1974
Monitrice de l’Ecole du sabbat au sein de l’Eglise adventiste
depuis 1983
Responsable des jeunes de l’Eglise adventiste de Fautaua
-
Langues parlées, écrites et lues : Français - Tahitien - Rurutu Anglais scolaire
Langues lues : Espagnol - Allemand.
Loisirs : médaille d’argent en chant obtenue en 1995 au
Conservatoire Artistique territorial, saxo
Passion : la marche, la couture, l’artisanat et le jardinage.
164
Actualité littéraire
Ma’a mana’o ri’i i ni’a i te tata’ura’a
o
te puta pàpa’i
E parau tâmau nâ te metua vahiné i ta na tama i roto i tô râua
orara’a i te nâ’ora’a ë : «E tâ’u tamaiti ë, fa’aro’o maita’i mai na ‘oe i
teie parau nà’u :
e
E pë te papie, eita ra tà‘u parau e pë». I terâ ra tau
ha’api’i na te metua i ta na tama i te parau o te orara’a nâ roto i te
rave-rima-ra’a, te fa’aro’o-tari’a-ra’a e te hi’o-mata-ra’a. O te tino
ta’ato’a o te tama, i roto i tô na nâ tuha’a e torn ato’a ra të ha’api’ihia na. Mea parau vaha noa, mea fa’aro’o tari’a noa, mea tâmau
‘a’au râ, mea rave rima ra, mea ora i piha’i roa i te mau 1 o te natura, i ropü i te hahano o te ao e te fa’anahora’a mâ’ohi nei.
A tae mai i teie mahana, të hutihia nei te tamari’i, e te metua
ato’a, ia pâpa’i na i te parau, e ‘a’amu anei nô te orara’a o terâ, e
mana’o hàmani noa anei nô terâ, e moemoea anei nô teie. E mana’ona’ora’a ia të vai nei. Oia mau, të he’e nei te tau, e të he’e ato’a nei
te ta’ata. la reva ‘ë te ta’ata ra, eita ia e ho’i fa’ahou mai, e reva ‘ë ra
e
te faufa’a e vai ra i roto ia na. I ‘ore ho’i i ‘apohia mai i te orara’a
ra, ua mau’a ia. Nâ vai atu ra ia e ha’api’i, e, e aha të ha’api’i
? Ua
mohimohi anei te mëharo o te ta’ata, aore ra të morohi atu ra i «te
ha’anëneva a verâ». Teie paha te rave’a e pârahi ai te metua nô te
fa’a’ite nâ roto i te pâpa’i, e ‘apo ai te tamari'i i te parau pâpa’i. E ua
‘ï ia tamari’i i te faufa’a nô roto mai i te pâpa’i e te ha’api’i, ua pâpa’i
ato’a ia, ia ‘ite mai te metua i te pa’ari e vai ra i roto i te tama nô tô
nô te parau o te ao e orahia nei e ana. Eita anei te ‘a’au e
hiemate’oa i te taura o te pa’ari i te ti’ara’a mai. Ua honohia !
na parau,
E farara mai te maita’i, e tü mai te puâhiohio, e vai à te parau i
tô na vaira’a. E te reira mau ho’i te maita’i e hina’arohia nei ia vau-
vauhia mai, e ia vai màhorahora mai tô na nehenehe, e ia fâna’o te
ta’ato’ara’a i taua faufa’a i tu’uhia i roto i te ta’ata pâpa’i. Oi vaivai
a’e, a mo’e atu ho’i te hiro’a e taua faufa’a i te ta’ata rohi parau ra ia
tae i tô na ra tau.
165
Littérama’ohi
Nô reira e tano roa ia ha’amauruuru-maita’i-hia, e ia ha’apou-
pouhia, te ta’ato’ara’a o te feia pa’ari e te mau u’i ‘âpï, râtou i ‘ore i
ha’amâ i te hohora mai i tâ râtou mau mana’ona’ora’a. Ua fa’a’ite
mai terâ i tô na mana’o i ni’a i te parau o tô na mata’eina’a, tô na
motu, tô na metua, are’a teie, të ‘ite ra ia i te mau atua i te orara’a i
roto i tô râtou ao a fa’atere noa ai i te orara’a o te ta’ata, i te tau maita’i, i te tau ‘arora’a, i te tau ‘otora’a, i te tau ipora’a. Të fa’ahiti ra
teie i te parau o te ‘aha taura, te puna, te pito, te moni, e teie i te
vahiné i hi’a ai mai ni’a mai i te ti’ara’a e te mau hotu o taua ‘ohipa
nei. Ua fa’aô roa teie ia na i roto i te terera’a o te tau e te mau ta’a-
ta i ora mai na i roto i tâ na ‘a’amu.
E mau ta’ahira’a mâtâmua noa teie nô te pàpa’ira’a puta. Te
mea
faufa’a, ua fa’a’ite te rohi parau i tâ na parau, e ua tu’uhia taua
parau pàpa’i ra i ni’a i te fâito tano o te pa’ari, ia ‘ore tàtou ia horo
hânoa nà te mau rëni horora’a aita e tâpa’o fa’aara, aita e tâpa’o fa’areva e,
aita e tâpa’o tâpaera’a. Ua niuhia mai teie ‘ôpuara’a i ni’a i te
pa’ari roa paha nô vetahi, aita roa e tü’ati ra i te fa’anahora’a mana’o o te ta’ata mâ’ohi.
mau tïtaura’a,
I te mea ra, tei roto noa â te mau rohi parau i te mana’ona’ora’a
o te parau o
tô râtou mau atua, tô râtou mau ti’aturira’a nô muta’a
nô te mau metua, nô te mau tupuna, e të ‘imi ra ia fa’aora-fa’haou-hia mai. E tau ‘oa’oa i muta’a ra, e tau mihihia ra i teie mahara,
na. Mea nehenehe a’e i nanahi ra i teie mahana. Të hina’aro ra e
ho’i,
të huti noa ra râ te tau ia nu’u atu i mua. Ua nu’u-‘ohure noa atu
ra, a fa’ahina’aro noa ai i muta’a ra. E aha pa’i ia te parau nô te tau
e
orahia ra, oia teie mahana, teie nei. Ua fa’ari’i vetahi e te orara’a i
orahia mai, e ha’api’ira’a ia nô te orara’a o teie mahana. Ua tâpe’a
mai i te mea maita’i, e ua vaiiho atu i te mea faufa’a ‘ore.
la ti’a mai te u’i ‘âpï, ua pehepehe i te oeoe o te ‘a’au. E pehe fa’atauaroha i te metua herehia i roto i tô na tere i te ao ra. Ua tâmau
mai i te orara’a o te metua e te ha’api’ira’a a te ‘orometua, e tuha’a
166
Actualité littéraire
‘ohipa nâ te metua i terâ ra tau, e ha’api’ira’a ra nà te ‘orometua i
teie tau. Oia mau nei, aita te iho mâ’ohi i neneva ‘ë, ua «tâvai- manino-hia» paha, ua reruhia paha i roto i te reru o teie tau, ua hltoretore-haere-hia paha e te pëni a tei mârô mai, të vai mau nei ra te rito.
O te mea faufa’a mau ia. E te reira tà tatou e ‘atu’atu eiaha ia ‘ino.
Noa atu te püai o te ‘aravatai o te tau, te teitei o te mata’are o te peu,
e mâiha mai ihoâ te va’ata’ata.
E’ere anei !
Voltina Roomataaroa-Dauphin
(28-11-2002)
167
Littérama’ohi
Michèle De Chazeaux
Lectures publiques de littérature polynésienne
Organisées parla revue Littérama’ohi le mercredi 11 décembre
2002 au petit théâtre du Fare tauhiti Nui
Ce fut une soirée dense, émouvante que celle qui nous a été
offerte Mercredi soir au petit théâtre de la Maison de la Culture !
Pourquoi en parler, me direz-vous, puisqu’elle est passée et
que beaucoup n’ont pu y assister ?
C’est tout simplement parce que je ne peux l’oublier et qu’elle a une suite, non que l’évènement ait lieu une seconde fois,
mais parce que ce soir là célébrait la naissance du numéro 2 de
la revue Littérama’ohi.
Mieux qu’une signature, ce fut une lecture, une lecture mise
en
scène avec un décor réduit à l’essentiel :
une
lampe posée
bureau, une chaise, quelques lourdes bougies posées,
rangées en demi-cercle et, en toile de fond une vue classique de
montagne, de lagon et de récif.
sur un
La lumière s’éteint, une voix off annonce la soirée et c’est
Flora Devatine qui, la première, lit son texte, vit son texte. “Merci
à mes ancêtres”, lance-t-elle et la voix est là
re,
qui chante l’écritu-
la mémoire et la gratitude.
Tour à tour les membres fondateurs de la
offrir leurs mots, leurs phrases, leurs textes et
revue
viennent
je suis frappée de
leur aisance, de l’art de leur diction, du naturel de leur voix, de
l’intensité de leur présence, là, sur cette scène.
Les yeux se lèvent, les regards volent sur le public, les mains
bougent, la tête tourne pour capter peut-être un regard ou ne
réserver à personne ce clin d’œil complice qui rassure l’orateur !
168
Actualité littéraire
Et je me disais en les écoutant, que l’Oral était encore leur
Monde, qui, à cet instant décuplait le pouvoir de l’écriture, une
écriture offerte sans comédie ni réserve, naturellement, généreusement !
Je ne peux évoquer toutes les lectures offertes ce soir là, ce
n’est pas l’envie qui m’en manque, mais ce serait trop long !
Je vais quand même faire une exception pour un auteur qui a
eu l’heureuse idée d’harmoniser lecture et
musique. Patrick Amaru
disait son poème, sa fille reprenait en écho les vers, les chantait,
s’accompagnant tantôt du Vivo, tantôt du Toere qu’elle frappait elle
même en rythme discret... Ce fut un grand moment !
Il y en eut d’autres : Jimmy Ly, Chantal Spitz, Michou Chaze,
Danièle Helme, Marie-Claude Teissier, tous ont su nous séduire !
Et c’est avec impatience que de retour à la maison,
feuilleté la revue, ce numéro 2 de presque 300 pages. Il
j’ai
est
comme une malle au trésor. Ouverte, la revue étonne, surprend :
Que d’écrits sont restés enfermés dans les tiroirs, cachés dans
le secret d’un cahier d’écolier : souvenirs d’enfance, confidences, pensées, rêves, tout est là, qui a pris la forme du roman, de
la poésie, de l’essai, ou du simple récit, tout est là, presque
spontanément révélé ! Et il se dégage de ce bouquet de textes
glanés, un parfum de bonheur, celui de la délivrance ! Finie la
peur de ne pas être reconnu ! Oubliée cette pudeur paralysante !
Tout peut être dit, révélé, chanté comme le revendique Flora
Devatine : “Ces états d’âme éclatés, explosés, éparpillés,
défragmentés, des états qui portent la marque presque palpable
de trous énormes à l’intérieur des corps et des esprits, celle invisible, cachée, retranchée d’un sentiment de confusion par intermittence, de sentiment d’inexistence, d’absence d’identité, de
décalage, de non-concordance, de frustration, de non-être !
Tout cela, jusque là, insaisissable parce que la pensée éclatée, dispersée ne s’exprime que dans son groupe, dans sa famille,
169
Littérama’ohi
clos, dans la solitude et la violence de son être et de ses
corps.” Et Flora de poursuivre: “Il s’agissait donc pour Littérama’ohi
en vase
de réunifier les
fragments de l’expression de cette conscience
avant d’aborder le domaine spécifique de la littérature
proprement
dite, au sens moderne, occidental du terme ! Mais une littérature
qui se révélera assurément avec une empreinte particulière, celle
des hommes et des femmes de la Polynésie Française”. “Le chemin est long”, confesse une étudiante en
psychologie “mais je sais
qu’au bout, c’est du bon ! “
La soirée fut, elle, trop courte ! J’aurais bien écouté encore
et encore ces mots, ces voix, cette parole mais la
Revue est là
enrichie de cette lecture jouée à voix haute.
Michèle de Chazeaux
Chronique à malice, Radio Polynésie,
le dimanche 15 décembre 2002.
170
Actualité littéraire
Introduction à une lecture publique
Merci à vous toutes et à vous tous d’avoir répondu à notre invitation,
d’avoir pousser la porte du Petit Théâtre du Fare Tauhiti Nui et d’avoir
accepter quelques instants ce merveilleux voyage que nous propose les
auteurs polynésiens, je devrais dire polynésiennes tant elles sont nombreuses ce soir.
Nous allons lire maintenant par-dessus leur épaule leurs écrits, mais rassurez vous leurs
épaules sont larges,
Si larges.
Ce sont des ailes et déployées elles nous emportent un peu partout là où
le lagon est bleu mais aussi là où la boue vient briser les enfances.
Ce sont des ailes, et leur plume vient tracer des mots.
Les mots des rêves ou des peurs.
Tracer des mots qui passent ou qui restent,
Mais toujours leur plume transcrit des mots qui ne laissent jamais indifférents.
Ce soir,
nous
garderons la trace de leur voix.
«Avant d’écrire, je mâche les mots, je marmonne les bouts de phrase, je
les malaxe.
Après seulement je les trace sur le papier.
La langue orale c’est l’origine de toute littérature» dit l’écrivain allemand et
prix Nobel Gunter Grass.
Ce soir 9 écrivains polynésiens vous proposent d’écouter ce murmure
quand il devient livre,
Flora Devatine,
Michou Chaze et le chant de Torea,
Edith Maraea,
Patrick Amaru,
Teura Camélia Marakai et son groupe,
Danièle-Taoahere Helme,
Jimmy Ly,
Marie Claude Teissier-Landgraf,
Chantal Spitz
Bonne soirée
Gilles Marsauche
Littérama’ohi
Te manava parau
I rere noa na te pu’e ta’o nâ te ‘aere,
I vevovevo noa na nâ te vao.
I val na ! E val â !
Toro a’e nei teie tari’a ro’o,
‘Amo atu ra teie mata uiui,
‘Apo mai nei i te ta’o.
E ta’o tühura,
E ta’o hura,
E ta’o tietie,
E ta’o tuhi,
E ta’o mëhara,
E ta’o fa’a’ite.
Ua türoto te mana’o,
Ua türorirori, ua mau.
A fa’aine mai e te pu’e ta’o
Nô te papa i te tarutaru.
Oi vaivai a’e te ao,
Oi vaivai a’e te hau,
Oi vaivai a’e te aho ora.
Tê hura rà te mau ‘ü i roto i terâ,
Të ihu atu ra te ‘oto a te hine i te pae o te tau,
Të pina’ina’i ra te ‘a’au o te ütau e hi’i ra i ta na ‘aitu,
Ua ‘I tô terâ mata i te ‘aehuehu.
Ua oeoe te ‘aere ta’o i roto i te mëhara o te rohi
parau.
Ua ‘iriti e ua vauvau i te hohonu o te ‘a’au,
I tà te mata e ‘ite ra,
I tâ te tari’a e fa’aro’o ra.
O te rima nei à te tâvini o te ta’o.
Ua tâparau, e ua tâparau.
Teie te nu’u rohi parau.
la ti’a te haere’a o te manava ui,
O te manava parau.
Voltina Roomataaroa-Dauphin
172
Actualité littéraire
L’auteur
Les mots tournoyaient dans l’espace,
Le verbe résonnait dans la solitude.
Ils existaient ! Ils existeront !
L’oreille attentive déploya ses sens,
L’œil interrogateur ouvrit ses investigations,
Il attrapa à la volée le mot.
Mots de transbordement,
Mots d’allégresse,
Mots de louange,
Mots d’affront,
Mots de reconnaissance,
Mots de témoignage.
L’esprit est satisfait,
Il est embarrassé, il se résout.
Approchez armée de mots
Et construisons l’œuvre.
Tant que la lumière brille,
Tant que l’opportunité se présente,
Tant que la vie déborde.
Ici, des milliers de couleurs dansent,
La douleur de la femme se perd dans le temps,
Là, le cœur de la nourrice allaitant son enfant est tourmenté,
Le visage de celui-là est inquiet.
La multitude de mots se bouscule dans la mémoire de l’écrivain,
Qui ouvre et déverse les sentiments profonds de son âme,
Et décrit ce que l’œil voit,
Ce que l’oreille entend.
La main servile de la parole s’attelle,
Elle écrit et ne cesse d’écrire.
Le corps des écrivains est en marche.
Que satisfaction soit sur le chemin
De l’âme en quête de parole,
De l’auteur.
173
Littérama’ohi
Journées annuelles de l’unité de recherche
«CONSTRUCTIONS IDENTITAIRES ET MONDIALISATION»
(23 et 24 octobre 2002, Centre IRD d’île de France)
Séminaire
«Écritures de l’identité»
Bertrand-F. Gérard
L’écriture peut tenir lieu de langue étrangère permettant de dire
l’interdit des mots.
Ecrire pour ne pas sombrer dans la folie de la douleur. Ecrire
pour «écrier» la déchirure d’un entre-deux langues, la tension entre
l’imaginaire «historisé» ou «archéologisé» de l’origine et une insertion dans la modernité qui met à mal le sentiment
d’appartenance.
Tels furent les enseignements que je reçus d’un
projet qui n’avait pas encore de forme, ni reçu de nom, demeurant en attente d’un
assentiment plus large pour sa mise en œuvre. Comme
inscrit dans un article,
projet, il était
publié en 1996 dans le B.S.E.O., signé de
Flora Devatine dont le titre est «Existe-t-il une littérature ma’ohi ?».
Ce projet suscita un passage à l’acte
quelques années plus tard,
Tergiversations de l’écriture
orale... du même auteur. Un pas de plus venait d’être franchi le destinataire du second texte étant quiconque, alors
que celui du premier
article se limitait au lectorat d’une société savante. Un
changement
d’adresse donc mais qui demeurait le fait d’une seule
engagée dans
un propos qui ne relevait
pas de la fiction romanesque et nous offrait
une grille de lecture pour la lecture d’autres
ouvrages tels L’Ile des
rêves écrasés de Chantal Spitz ou encore Lettre à Poutaveri de
Louise-Rui Peltzer, je ne cite ici que les titres de
quelques ouvrages
qui me viennent à la mémoire, il y en a d’autres.
sous
174
la forme d’un livre dont le titre est
Actualité littéraire
Du temps est passé et voici que nous en sommes au troisième
numéro de Littérama’ohi,
une petite revue locale impulsée par
quelques auteurs polynésiens, à l’écart des grands courants éditoriaux.
En quoi cela me concerne-t-il ? En quoi cela m’apporterait-il
quoique
ce soit de l’ordre d’une plus
grande clarté sur cette petite question dont
je partage avec d’autres le souci au Museum, à l’IRD ou encore au
CNRS qui accueillent mes travaux ? Certes les liens qui m’attachent
aujourd’hui à la Polynésie portent sur quatre générations, il y a de l’affectif, de l’émotion, une curiosité amicale, dans ma démarche, pour
Flora, pour Patrick, pour Chantal et d’autres encore, mais rien de tout
cela ne justifierait à soi seul que depuis quelques années
j’ai repris le
chemin des Iles assez régulièrement : j’ai horreur des
voyages !
Et comme les choses qui ne se disent pas, ne
s’expliquent pas
insistent et s’imposent par quelque détour, cette «petite revue loca-
le» s’est trouvée déposée au cœur d’un séminaire de travail
qui
réunit deux jours durant une vingtaine de chercheurs dans une ville
de la banlieue parisienne. C’était en octobre 2002 à
Bondy, dans un
Centre de l’I.R.D. Ces chercheurs de différentes institutions IRD,
CNRS, EHESS, ont en commun de travailler sur les questions identitaires qui agitent bien des régions, bien des
pays qui les
accueillent. La responsable de cette unité de recherche Marie-José
Jolivet et le conseil de l’UR m’avaient confié la tâche
d’organiser
cette année là le séminaire autour du thème «Ecrire les identités»
et
ce
conclu
du seul fait
un
qu’au cours d’une réunion antérieure, j’avais
séminaire d’enseignement par ces mots «les sciences
humaines doivent disparaître» en brandissant d’une main le premier
numéro de Littérama’ohi. Disparaître comme sciences, non comme
intérêt ou exigence, mais l’heure était venue pour les chercheurs de
faire une pose dans la fabrique du savoir pour se mettre à l’écoute
de ce qui s'écrie par et avec de l’écrit.
Pris au mot et décidé à pousser plus avant cette proposition, à
quelques égards provocatrice, mais sans provocation cette démarche
trop vite qualifiée de science humaine se trouverait vite engluée dans
175
Littérama’ohi
des certitudes établies, j’ai invité quelques auteurs à participer à nos
discussions dont Flora Devatine. Ils nous firent l’amitié de répondre
à cet appel. Et je remercie ici, dans votre revue qui a suscité cette
rencontre, Boniface Mongo Mboussa écrivain d’Afrique francophone,
Shu Cai du département de Littératures Etrangères de l’Université
de Beijing,
Orner Arrijs, médiateur culturel en Belgique, Flora bien
sûr, et les chercheurs venus d’Afrique de l’Ouest, d’Amérique Latine
ainsi que ceux basés en France, d’avoir contribué à établir quelque
chose de cette clarté que j’évoquais plus haut. Je ne peux ici, en
quelques pages rassembler l’ensemble de nos propos, je n’en retiendrai que quelques points.
Le premier fut soulevé par Shu Cai, qui appartient à un monde
aujourd’hui largement unifié par une langue, le chinois de communication, parlée par plus d’un milliard de personnes. Ce point porte sur
les enjeux de la traduction ; cette langue chinoise si riche de sa tradition littéraire demeure ouverte à la traduction et s’en enrichit. La
traduction est ici partage des langues et source de créativité ; Shu
Cai participe de ce mouvement traduisant en chinois des auteurs
français contemporains. A cet égard, l’ouverture de Litterama’ohi à
l’ensemble des langues en usage sur le territoire, représente plus
que la possibilité pour chacun d’écrire dans la langue de son choix,
elle représente la possibilité d’un partage des langues et de la prise
en compte d’une histoire qui ne fasse pas évinction de l’ancestralité.
Le second
point fut convoqué par Boniface Mongo-Mboussa
qui nous fit savoir que ce sont des difficultés d’édition qui freinent le
développement des littératures en langues dominantes (français,
anglais, portugais) et langues vernaculaires. Pourtant des publications locales en langues régionales attirent des lecteurs tandis que
les publications en langue dominante subissent les contraintes
d’une exigence littéraire extérieure, se coupant par là même d’une
partie du lectorat. A cet endroit la prise et l’emprise de l’anglais sur
ce
continent semblent non seulement issues de l’histoire coloniale
176
Actualité littéraire
mais encore liées à la grande souplesse de la critique qui n’hésite
pas à primer des auteurs Indiens, Africains ou Asiatiques auxquels
la francophonie demeure assez réfractaire même si la situation évolue quelque peu et avec quelque retard.
ses colonnes à tous
Littérama’ohi en ouvrant
les styles d’expression, sans exclusive, partici-
pe là encore d’un mouvement d’avant-garde qui consiste à prendre
le risque de la publication comme préalable à la reconnaissance lit-
téraire
: un
pas très décisif.
Franchir ce pas fut l’injonction lancée par Orner Arrijs qui fit ressortir à quel point la subversion de ce qu’il nomme «l’ordre alphabé-
tique» peut susciter l’invention de styles et de propos inédits autant
qu’inattendus, sans préjudice pour la littérature normalisée ou reconnue. Présentant l’état des lieux de la Littérature en Polynésie associé
à ses propres questions, que je ne retrace pas ici puisque son texte
est disponible, l’intervention de Flora apparut comme une synthèse de
nos débats. Une synthèse assez percutante pour que des chercheurs
me fassent savoir après-coup, qu’ils n’avaient peut-être pas prêté une
attention suffisante aux littératures des pays qui les accueillent.
Alors Littérama’ohi, une «petite publication locale»
? Très cerl’on ne peut la trouver en kiosque à Paris,
Londres ou Abidjan, mais très certainement aussi une revue qui participe et éclaire un mouvement de subversion d’un ordre littéraire
établi, sans lui porter tort, et qui recèle dans et par son projet même
des avancées et des apports qui débordent les eaux territoriales.
Des exemplaires de la revue sont désormais disponibles dans notre
bibliothèque et même celles d’autres implantations là où des chercheurs s’y intéressent sans pour autant entretenir des liens d’amitié
ou de travail avec le monde polynésien. Et ça, c’est peut-être le
signe, certes discret mais important qu’il s’est passé quelque chose
dont nous ne connaîtrons le mot de la fin que plus tard.
tainement en
ce
que
Bertrand-F. Gérard
177
Littérama’ohi
Flora Devatine
Dans quelle langue écrire en Polynésie française ?
Contribution au séminaire «Écritures de l’identité»
Extraits
«...
:
Comment se positionner pour répondre à l’attente
dans quelle langue
? Et
?
Comment suis-je identifiée
? Et dans quel domaine ?
Je n’aurai de cesse que je ne me lance à l’instant dans l’angoisse
de mon vide, de mes incertitudes,
Dans l’espace interstice de ma béance, de ma blessure, que je
définis, nomme et inscris ici
:
Une pensée, une écriture, une identité, non conventionnelles,
Entre Oralité, poésie traditionnelle et Littérama’ohi, ramées de
littérature polynésienne
...
En
2- La Polynésie française et le problème de la langue
Polynésie française, Territoire d’Outre-mer (TOM) d’une
superficie d’environ 3700 km2 de terres émergées (la moitié de la
Corse) dispersées sur une zone économique de 5 millions de km2
de superficie d’eau dans le Pacifique Sud,
Composé d’une centaine d’îles formant 4 Archipels
Dont celui des Iles de la Société, subdivisées en Iles du Vent
(Tahiti, Moorea, Maiao) et en Iles sous le Vent ( Raiatea, Huahine,
Bora-Bora, Maupiti...)
Celui des Iles Marquises (subdivisées en groupe des Iles du
Nord, et en groupe des Iles du Sud)
178
Actualité littéraire
Celui des atolls desTuamotu (comprenant plus de 80 atolls
habités) et des Iles Gambier,
Celui des Iles Australes (Rurutu,
Raivavae, Tubuai, Rimatara)
et l’Ile de Rapa),
Nous sommes à des milliers de km de partout ailleurs,.
Avec des îles s’étendant sur une superficie quasiment égale à
celle de l’Europe,
et tout comme en Europe, constituant une aire
géographique riche en langues,
Avec une population de plus de 220 000 habitants dont des
Polynésiens maohi et Demis, des Européens, des Chinois,
Parlant français (la langue officielle) et des langues polynésiennés ou reo
ma’ohi, aux nuances plus ou moins marquées, parmi les-
quelles le tahitien (la langue véhiculaire), le marquisien (avec les différences entre le marquisien du Nord et celui parlé dans le Sud), le
pa’umotu, (une dizaine de dialectes principaux) le mangarévien, la
langue des Iles Australes dont le rurutu, rimatara,...et le rapa,
Et le chinois (hakka).
par les principales activités économiques de la
Polynésie française que sont le tourisme, la perliculture, la pêche,
Et seS principaux partenaires que sont la France, les EtatsUnis, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande,
Mais
de
Les langues de communication, de commerce avec l’extérieur
sont avant tout l’anglais et le français, puis viennent l’espagnol,
le
japonais, et bientôt le chinois (mandarin),
-
Une
délégation gouvernementale polynésienne forte d’une
centaine de personnes, dont le Président du Gouvernement, la
Présidente de l’Assemblée Polynésienne et des Ministres, était il y
179
Littérama’ohi
deux semaines
(depuis le 7 octobre 2002) en mission économique, commerciale à Pékin, comptant parmi ses projets une cornmande de bateaux de pêche aux chantiers navals chinois -
a
Mais ces langues européennes, notamment le français et l’an-
glais, vont avoir un double effet, celui de concurrencer les langues
vernaculaires, polynésiennes, tout en permettant aux différents
groupes îliens de communiquer par l’intermédiaire d’une langue
commune, en l’occurrence le français,
Mais l’enseignement généralisé et exclusif du français, dans la
logique généreuse d’une politique d’intégration et d’assimilation
dans la culture française, va avoir pour conséquence, pendant un
temps, l’éclipse des langues vernaculaires,
Mais mal adapté, ce même enseignement ne permettra pas
non plus la maîtrise de la langue véhiculaire qu’est le français à un
grand nombre de Polynésiens
.
Puis arrive l’époque moderne où l’on assiste à la résurgence du
tahitien grâce à la diffusion
radiophonique, et avant tout à la pratique et à l’enseignement dans les églises,
Et c’est ainsi que le tahitien, à son tour, devient une langue-lien
entre les archipels,
Et ces derniers, sur la trace du tahitien et par opposition à celuici, de revendiquer également, et à leur tour, leur autonomie, leur
reconnaissance identitaire linguistique.
Ainsi, après la création de l’Académie Tahitienne en 1972 et
l’enseignement généralisé du tahitien,
(- Après application de la loi dite loi Deixonne du 11 janvier
1951 dans la zone d’influence du tahitien par décret du 12 mai 1981
publié le 16 mai 1981 au JORF en juin 1983, le tahitien est une
épreuve d’examen à l’écrit comme à l’oral au bac selon les sections
ainsi qu’une épreuve dans les concours administratifs -).
180
Actualité littéraire
Ce fut la création en 1999 (
?) de l’Académie de la langue mar-
quisienne,
Suivie en 2000 de la création de l’Association culturelle Te Reo
Paumotu et de celle de l’Association culturelle mangarévienne.
Ceci pour situer en quelques lignes la question des langues
en
Polynésie française.
...
4 - L’écrivain polynésien et la réalité
a- La réalité
Qu’en est-il aujourd’hui de l’écrivain polynésien ?
La réalité, c’est que jusqu’à présent il n’y a pas conscience
d’une identité polynésienne au sens d’une pensée propre, commune aux
Polynésiens de la Polynésie française, du fait de ses facet-
tes diverses, multiples dans ses manifestations, dans ses langues,
La réalité, c’est qu’il y a peu d’écrivains dans le sens qu’il n’y a
pas suffisamment de pensées exprimées par des créateurs accèssibles au public, au grand public comme à celui des Polynésiens
eux-mêmes, pour que l’on puisse percevoir, observer, et définir les
voies et tendances principales émergeant de la pensée, de la conscience polynésienne.
La réalité, c’est qu’il y a bien des lettrés, des intellectuels, les
plus reconnus sont d’anciens étudiants qui ont été formés en
France, et de plus en plus aux Etats-Unis, à Hawaï, à Fidji, en
Nouvelle-Zélande, en Australie,
Et depuis peu, en Polynésie même,
-
Parmi lesquels les moins reconnus, cependant les plus présents,
les plus actifs sur le terrain, au niveau de la base de la société, sont
notamment les responsables des églises, les pasteurs,
181
Littérama’ohi
Et les compositeurs de chants, traditionnels ou lyriques, popu-
laires, modernes, aux chants de plus en plus de revendication culturelle, d’affirmation cultuelle, religieuse, chants aux paroles constituées de versets bibliques, sur un ton de lamentations, de prières,
de suppliques, de plaintes, à tous les dieux, ancestraux et chrétiens,
Et conformément
aux
divers genres
poétiques traditionnels
polynésiens,
Lesquels intellectuels, de ce fait, c’est à dire de par leur instruction, leur éducation, ont été formés dans des structures de pensée,
des modes de vie, d’être, de se comporter,
Multiples, laïque ou religieuse, parfois sans être bien au point,
bien au clair des définitions, des significations, des différences, des
distinctions, des frontières,
!
...
-
Et nous sommes du nombre ! -
Et lesquels intellectuels agissant à partir de leur vécu et
par-
individuel, de leur formation diverse, sont parfois et forcément
décrochés de la société polynésienne de base,
Combien même celle-ci profite des nouvelles technologies, à
plus ou moins grande échelle, (mais certes, elle les a à sa disposition !)
cours
Mais tout en restant accrochée à la terre,
Même si ce n’est que lopin ou lot de terre ou pâté de corail en
ces îles de la
Polynésie française,
Cette terre qui
les nourrit et les pousse à l’expression d’une
pensée combien même multifacielle, mais de source commune, du
même sable limon ou argile basalte s’effritant,
s’égrenant vers la
même mer, dans des baies au rivage multicolore,
Une pensée enracinée dans son lieu, et se
nouissant dans son espace.
182
développant, s’épa-
Actualité littéraire
La réalité, c’est que l’écrivain polynésien est issu d’un monde
pluriethnique, multiculturel, structuré successivement, confusément, imparfaitement et à la hâte,
Parfois, dans une absence de structuration,
Et dans diverses conceptions :
Dans la conception polynésienne traditionnelle,
Dans la conception océanienne anglophone, anglo-polynésienne,
polynésienne franco-polynésienne, américano-polynésienne, sino-polynésienne,
Dans la conception franco-chinoise, française, chinoise ...
Dans la conception
A cela vient s’ajouter la religion avec les différentes structura-
tions, formations, conceptions religieuses.
La réalité, c’est que c’est complexe mais c’est toujours dyna-
mique, en effervescence, à redéfinir constamment,
En réalité, il serait temps d’accepter et de dire que la réalité, en
de Polynésie, pour les Polynésiens et pour les non
Polynésiens, est ultramarine, multi-îlienne, archipélagique,
Polynésienne, occidentalo-polynésienne.
terre
La réalité, c’est que l’écrivain polynésien, pluriethnique, multiculturel, est multi-expressioniste, pluriforme, dans sa créativité,
Et son écriture, unique, en tant qu’expression polynésienne, et
collective, multiforme en tant que mémoire d’un groupe, renferme
forcément en son sein la confusion, le paradoxe et contre-sens des
mondes, des mots,
La réalité, c’est que l’écrivain polynésien, comme tout écrivain
en tout lieu,
est un, individuel, unique dans une réalité sociale corn-
munautaire plurielle,
Tout comme la littérature, en ses formes et langues et quant au fond.
183
Littérama’ohi
b- La forme d’écriture
Alors quelle écriture
? Quelle forme d’écriture ?
De nos jours, c’est
Une écriture ponctuée librement,
Une écriture du souffle à auditionner,
Une écriture rivières rejoignant l’océan, par vague, flux et reflux,
Une écriture répétitive avançant en spirale,
Une écriture enfilée, longue aiguillée, longue ligne de fond,
Une écriture tantôt debout, tantôt penchée, penchée en avant,
penchée en arrière, avec des pleins et des liés, des points de
suspension, des espaces, des ronds points, et des barres, des frontières absentes,
Une écriture laborieuse mais de plus en plus décidée, volontaire, de compétition, de performance, de saut à la perche, de grimper
à la corde, de course de pirogue,
Une écriture pirogue à coups de rame,
Une écriture heiva, tambour tariparau qui transportent les mots,
Une écriture ‘ote’a de tir à l’arc à coups de hanche.
c- La
langue d’écriture
Dans quelle langue
?
Dans l'une quelconque des langues que l’on
maîtrise, qu’elle
polynésienne, chinoise, européenne,
Dans la langue de son inspiration, dans la langue d’expression
de son inspiration, dans la langue du lieu d’expression de sa
pensée,
Dans la langue du domaine physique, quotidien, poétique, artistique, religieux, philosophique, littéraire, critique, journalistique,
scientifique, dans lequel naît, s’exprime sa réflexion, sa pensée,
soit
184
Actualité littéraire
Dans la langue de son cœur, de son corps, de sa pensée, de
son
âme,
Dans la langue de l’instant créatif qui vient à l’esprit au moment
où l’on écrit,
Dans la langue la plus appropriée à la création de son esprit,
Dans la langue de bois d’eau de mer de basalte de corail de feu
de terre, de source de surgissement
De jaillissement
de sa résurgence de son ruisseau vahavai
‘anavai de sa bouche rivière, de sa bouche existence de rivière qui
creuse,
Dans la langue de son mouvement, la langue de son rythme,
Sa tonalité, ses sonorités, minoritaires ou majoritaires,
Dans la langue de sa qualité, langue de saveur de son goût de
son
toucher de son ouie de son entendement de ses entrailles....»
Flora Devatine
(24-10-2002)
185
Littérama’ohi
Colloque International
«Paul Gauguin : héritage et confrontations»
Université de la Polynésie française
(6-7-8 mars 2003)
Flora Devatine
De la confrontation à l’héritage
Extraits de la communication
«L’angoisse et le doute, jusque-là refoulés, à l’instant me rattrapent au premier son à émettre, tels qu’ils m’ont taraudée l’esprit aux
premiers mots accouchés à faire vibrer.
Ressac du corps qui s’en laisse imposer, chavirement du cœur
qui s’en trouve tout retourné !
Concessions, négociations, perpétuelles du sens des mots
qu’échafaude mon esprit pour construire mon dit :
«Paul Gauguin : de la confrontation à l’héritage.»
Où le futur s’origine par comparaison avec le présent
!
Et je les extériorise, sentiments hétérogènes, de ma voix trébuchante dans notre communication étayée sur le ressenti,
Nous en tenant, pour notre part, à la question de l’héritage, «te
faufa’a», dans la langue,
Une question importante de mémoire polynésienne, et d’actualité.
Héritage linguistique, héritage ancestral, patrimonial !
Tout autant que la question de l’Autre, de l’Apport de l’Autre, de
l’héritage de l’Autre,
Héritage culturel, héritage spirituel !
186
Actualité littéraire
Ces questions sont de celles qui, dans l’esprit à l’œuvre dans le
creuset de l’âme, aujourd’hui nous travaillent au corps,
Et s’inscrivent dans la littérature contemporaine.
Aussi sommes - nous heureuse et exprimons-nous notre gratitude aux organisateurs de ce Colloque International sur Paul GAU-
GUIN, en particulier à Monsieur le Professeur Riccardo PINERI, de
nous y
avoir invitée,
Une façon de reconnaître l’existence d’une écriture polynésienne,
En ce lieu où des auteurs et artistes polynésiens vont pouvoir
témoigner de ce qu’ils ont à dire d’une question sur l’art et sur l’héritage culturel.
«De la confrontation à l’héritage»
ou
Une parole hétéroclite
Cristallisée au cours de notre cheminement vers l’héritage.
L’intérêt d’un tel intitulé, c’est de pouvoir y dire ce qui nous vient
à l’esprit à l’écoute intérieure des termes du sujet de notre comrnu-
nication,
Relevant de-ci de-là des impressions, des sentiments,
En accord avec notre voix, avec notre mode d’expression,
Donnant à voir la création à l’œuvre, ici, celle des idées en
chaos,
Dans leurs brisures, ruptures, fissures, écarts, béances, trous,
manques,
Discordances qui forcent à la créativité,
Pour dire la complétude, l’harmonie, face cachée du chaos.
Gingembre des vallées, bouquet de feuilles sauvages, plumes
de paille en queue, rubans de fibres séchées,
Couronne de bric, de broc, d’éléments divers assemblés, mis
en
relation, en résonance, dans un accord recomposé, sauvage.
187
Littérama’ohi
De l’art naissant
ré-agencement d’amas d’objets, d’idées, de
pensées, de voix, de formes, de couleurs,
Inharmonieux, malsonnants, hétéroclites !
Dans cette communication qui nous donne l’opportunité de
mettre les mots sur des sentiments vagues, précisant des impressions diffuses,
Et de connaître l’homme Gauguin, sa vie, son oeuvre,
Et notre pensée, en prenant corps, de devenir un peu moins
incohérente !
(...)
CONFRONTATIONS
Premières confrontations !
Tout d'abord, à un illustre inconnu,
-
Ce qu’était en réalité Paul Gauguin pour nous, autant l’hom-
me que son
!-
œuvre
Confrontation
à
son
œuvre,
à
son
génie, autres grandes
inconnues pour nous, pendant la préparation de notre intervention !
-
Un inconnu ici, extra connu ailleurs, aujourd’hui en passe d'ê-
tre reconnu, mieux connu, chez nous.
Et confrontations avec nous-mêmes dès le début de notre
cheminement !
Confrontations
les
contradictions, les confusions, les
dérapages, les cacophonies, les acculturés, incultures, ignorances,
oppositions,
En matière d’art, de théâtre, de poésie, de cinéma,...et j’en
passe !
...
188
avec
Actualité littéraire
-
Peut être tout autant que d’autres ! -
Confrontations à sa..., à son..., à ses...,
A ses croyances, à ses ancêtres,
A son âme, à sa langue, à tout ça,
A sa nature et à plus encore
!
Confrontations aux lettres, aux signes,
Des mots couleurs sous les couleurs
Et des sonorités !
Confrontations à notre pâté de corail !
Entre les exo et les endo, les hétéro et les homo, les intra et
-
les extra,
Les anciens et les modernes, îliens, continentaux ! -
Eclats de silex contre morceaux de bois
Faisant fi de tout bois,
Faisant feu de toute pierre
!
Confrontations inégales,
A outils, à connaissances et à histoire en décalage
-
!
Entre grands spécialistes, grands poètes, philosophes, écri-
vains,
Et gens du lieu qui débutent ce jour la réflexion sur l’héritage de
Gauguin ! Mais rencontre des esprits, quels qu’ils soient, de quelque cul-
ture, à quelque niveau, spécialistes ou non, qu’ils soient !
Acte
premier
pour
nous
d’appropriation de l’héritage de
Gauguin !
189
Littérama’ohi
Confrontations à l’image de soi,
Confrontations à l’image des siens, aux errances et généralisations
!
Confrontations au défi, à la distance à avoir,
A son jugement, à la hauteur à avoir,
A sa vision !
Confrontations à ce qui est supportable
!
Or de la confrontation surgissent des idées nouvelles
!
Que de l’impact donc du choc de la rencontre...
Partent des traits de lumière, éclairs de compréhension,
Alliances et pérennité de l’humanité
!
Tonalité de soleil levant, atonalité des feux du couchant
!
Pour que s’élaborent des reconstructions, des restructurations,
Dans un face à face dans sa solitude
Avec soi, sa blessure, «son angoisse», «sa grande souffrance»
!
Car il est des vides, des trous, et quelques bribes de pensées,
de réflexions dans le brouillard, comme
des brisures de feuilles
sèches ou bouts d’épaves remontés à la surface,
Aévider !
Déliant par
les mots déposés ce qui fait nœuds dans nos
confrontations,
Pour que nous puissions
Hériter,
-
Si nous le voulons -
Entrer en héritage,
Hériter Gauguin
(...)
190
!
Actualité littéraire
Il y a du cliquetis et du claquet de l’hétéroclite
!
Il y a de la danse du cochon, de la danse du sauvage
Il y a du vagabondage dans notre intervention
!
!
Assemblage étonnant de ressentis anciens et nouveaux !
Jour de confrontations !
Jour d’entrée en héritage
!
HERITAGE
Mais Gauguin,
Quel héritage, pour nous, pour la Polynésie
?
Héritage !
Gauguin fait-il partie de l’héritage culturel de la Polynésie ?
Il y a quelques années, nous avions été confrontée à une question similaire, lors d’un Colloque sur l’Apport de l’Autre dans la
mémoire polynésienne,
Organisé par l’Association Racines présidée alors par Mme
Paule LAUDON, malheureusement absente aujourd’hui.
C’était en mars 1992, et à propos de Gauguin nous écrivions ce
qui suit :
L’Apport de l’Autre?”
UApport de I’Autre, c’est le mythe, le mythe de Tahiti, le mythe
Gauguin, le mythe Ségalen,...le mythe accentué, traversant le
temps, traversant l’espace, pour parvenir jusqu’à nous.
-
Faut-il les tuer?
191
Littérama’ohi
Certes, les mythes sont des créations, littéraires, artistiques,
scientifiques,...
Mais quels qu’ils soient, ils font partie de la Mémoire, ils
contiennent notre Mémoire, ils sont la Mémoire: des mots, des histoires, des récits d’épopées héroïques, de tous temps, de tous lieux,
de tous contextes culturels, desquels nous avons été nourris, auxquels nous sommes rattachés et restons attachés, et lesquels,
depuis l’enfance, constituent notre base. Ils nous relient à la vie,
nous ouvrent sur les autres, nous font aller plus loin.
C’est un lien avec I’Autre, un pont vers l'Autre, un support pour
d’autres créations.
C’est la
“Mémoire-Création”
laquelle,
comme
la pensée
“Mana’o”, se forme, se projette, s’intégre, s’inspire, se sculpte, se
cisèle, se dentelle, se cristallise, s’imprime, se tatoue !
Au début des années 60, la peinture de Gauguin était encore
peu appréciée, et Segalen, peu connu.
Mais pour nous,
étudiants “tahitiens” qui les connaissions
davantage de nom que véritablement au travers de leurs oeuvres,
ils étaient nos pierres parlantes résonnant en nos fors intérieurs, y
trouvant écho, comme le bris des vagues sur le récif, et le reflux sur
le sable.
Ils
berçaient, nous transportaient dans un monde
magique, loin dans le temps, loin dans l’espace, dans le monde
archaïque du souvenir, dans notre monde intérieur, antique, de la
Mémoire Polynésienne.
nous
Pour nous qui nous nous retrouvions hors de notre environnement habituel, ils étaient les témoins dont nous pouvions nous pré-
valoir. Bien plus, ils étaient notre laissez-passer, faisaient partie des
192
Actualité littéraire
signes distinctifs de notre carte d’identité, nous marquaient de leurs
sceaux.
En fait, ils nous donnaient le sentiment réconfortant d’exister et
nous infusaient le sens nouveau de notre identité.
Parfois, du fait qu’ils étaient mal connus ou peu appréciés, nous
l’impression peu gratifiante et déséquilibrante de nous
appuyer sur quelque chose de creux, d’évanescent, de nous tenir
sur un sol mouvant qui fuyait sous nos
pieds et disparaissait sous le
avions
bras.
Cependant ils restaient notre ‘“e’a turu”, notre pont, entre le
monde polynésien et l’occidental. Et dans l’ascension de ce dernier,
ils étaient notre “taura”par lequel nous nous encordions.
Nous devenions objets exotiques, sujets-modèles de
Gauguin.
On nous comparait aux femmes de ses tableaux :
“Oh ! Pas aussi grosse que les “vahiné” de
Gauguin !... mais
aussi indolente !...”
Plus tard, les premiers Polynésiens, qui s’essayèrent à la
pein-
ture, s’inspirèrent tout naturellement de Gauguin, le copièrent
même.
Plus
récemment, la première galerie d’art ouverte par un
Polynésien prit le nom de...’”Oviri”.
Quant à Ségalen, il fut un merveilleux support, de rêve pour les
uns,
Occidentaux, de nostalgie pour nous, Polynésiens, profondé-
ment nostalgiques.»
(...)
193
Littérama’ohi
Quel héritage pour nous les Polynésiens ?
Et en particulier pour nous, artistes, écrivains de nos riva-
ges à qui est donné aujourd’hui de pouvoir parler devant cet
aréopage,
Quel héritage ?
-
Notre héritage,
Gauguin nous le donne aujourd’hui en cette fin de matinée
:
C’est le témoin pour la prise de parole
!
!
C’est l’espace temps accordé à notre parole qui aujourd’hui fait
héritage !
C’est l’acte même de prise de parole
Au moment où elle s’exprime publiquement, officiellement,
Au moment où elle commence à dire
:
«NOUS» !
Au moment où elle commence à dire
:
«JE» !
A parler «IHO»,
A parler SOI,
A parler identité,
A parler essence de l’homme,
A parler «ce qu’il y a de sacré en l’homme»
!
«D’ou venons-nous ?»
«Que sommes-nous ?»
«Où allons-nous ?»
Eternelles
questions des origines des commencements des
changements des identités des cultures d’avenir !
Actuelles réponses dans le changement qui s’opère !
194
Actualité littéraire
Avec ce que nous pouvons et voulons mettre en place, poser
marque repères inscription tatouage image forme sculpture
objet représentations photographie d’aujourd’hui !
Avec ce que nous pouvons et voulons inscrire, transcrire, excrire,
décrire, prescrire, écrire, manuscrire, re écrire, pictucrire, tacrire,
pour demain !
(...)
comme
Quel héritage pour les intellectuels, écrivains, artistes ?
(...)
au risque de paraître manquer d’humilité,
Avançons-nous la pensée osée suivante :
...
Qu’un clin d’œil furtif depuis le passé avait projeté l’idée dans
notre esprit d’une similitude, toutes proportions gardées,
Entre le parcours du groupe de poètes, d’écrivains, et de pein-
très de Pont Aven, auquel appartenait Gauguin,
-
Dans lequel le mot «symboliste», sous la plume de Verlaine,
devint «cymbaliste», à distinguer de «cymbalier»,
Pendant que Gauguin lui-même s’était amusé
mot Cyntaise» pour le faire rimer avec «foutaise» -
à «forger» «le
Et celui, actuellement, que tentent d’ouvrir de petits groupes
d’artistes et d’écrivains polynésiens,
Lesquels ont décidé de peindre, d’écrire, d’exprimer leur cultu!
re, sans l’aval de quiconque
«Verbaliture», «nana’oture», «picturama’ohi», «littérama’ohi» !
Reprise ou poursuite d’un mouvement initié il y a un siècle !
Accord ou non sur cette filiation,
Le clin d’œil furtif du passé fut bien séduisant !
Comme un feu, un brandon, pas tout à fait éteint,
195
Littérama’ohi
Qui soudain en ces mêmes lieux, mystérieusement, se rallume,
Un siècle plus tard,
Et nous éclaire dans notre quête à nous, aujourd’hui
!
«Mon Dieu, que c’est difficile la peinture quand on veut exprimer la
pensée avec les moyens picturaux et non littéraires !» avait
écrit Gauguin.
Que dirions-nous, nous Polynésiens, aujourd’hui, de l’écriture,
de la littérature?
Eh bien, que c’est difficile l’écriture
Et que c’est compliqué la littérature
!
!
Mais cela ne nous empêche pas de continuer à écrire.
Ainsi, au carrefour de ces confrontations, (de l’histoire, avec
nous-mêmes, avec la langue, avec nos mots,...)
Nous portons en nous l’empreinte et le dépôt de scories de celles du passé et auxquelles nous nous confrontons aujourd’hui,
Comme nous sommes confrontés aujourd’hui au problème
De la transmission des valeurs, des biens, du nom, de la terre,
de la langue,
De ce qui fait héritage,
Et du patrimoine à transmettre.
Aussi pour ce faire, nous faut-il entrer dans les livres,
Entrer dans les productions littéraires, artistiques.
Il est plus que temps pour nous de passer à l’écriture
!
Car c’est par l’écrit que se dessine le renouveau culturel présent ! ...»
F. Devatine
(06-03-2003)
Actualité littéraire
Chantal T. Spitz
Confrontation
Publier des extraits de ma contribution au colloque international
“Gauguin héritage et confrontations” écornerait la structuration de la
pensée et la progression de la logique qui plantent ma réflexion
dans une perception une conscience une parole autres que celles
prévalant depuis deux siècles qui démontent le conformisme l’aveuglement l’engourdissement occidentaux nous confinant dans une
fiction monotone indélébile.
Le présent texte n’est en aucune façon une tentative de justifi-
cation encore moins de dédit de la communication faite le 06 mars
dernier dont chaque mot a été choisi avec rigueur et vigilance sans
vulgarité ni mépris pour traduire chaque idée avec conviction et précision sans concession ni illusion dans la chimère que ce colloque
saurait être ainsi que titré un espace de confrontations d’échanges
de rencontres un carrefour de paroles de regards de pensées.
Le dialogue n’a pas eu lieu pendant le colloque chacun s’accrochant à ses angoisses ses certitudes malgré quelques ébauches
d’ouverture qui n’ont pu se développer par manque de lieu et de
temps mais aussi par incapacité à entendre une voix tahitienne qui
parle “la non-fascination de l’Autre” et propose une lecture de la
société contemporaine sans détours ni ambiguïté.
La violence des réactions de quelques “universitaires spécialistes”
qui s’approprient et paternalisent Gauguin est la preuve de leur déstabilisation de leur désenchantement eux qui sont venus entendre validation de leur bienfaisante colonisation confirmation de l’admiration due à
Gauguin qui aurait sauvegardé notre culture. Elle est aussi la preuve de
l’ignorance de l’arrogance envers un peuple à qui ils dénient la parole
“vous n’avez pas le droit de parler ainsi” à qui ils dénient la pensée
“mais connaît-elle bien sa vie son oeuvre” comme si avoir une opinion
différente et sans complaisance de Gauguin constituait un délit un
197
Littérama’ohi
crime de lèse-Occident comme si j’avais avili l’incommensurable honneur
qui m’a été accordé de côtoyer les Grands de la pensée correcte
démonstration s’il en fallait de mon (notre) atavique inéducabilité.
Le dialogue n’a pas lieu chez nous non plus chacun s’arrêtant à la
lecture et la délectation des quelques mots “juteux” employés pour par-
1er de Gauguin -syphilitique sale type satyre pédophile raciste débauché- se réappropriant ainsi la mémoire collective orale par laquelle nous
connaissons le peintre et frissonnant du parfum de scandale et d’indé-
pendantisme désormais prêté à ce texte qui n’en revendiquait pas tant.
Le dialogue continue de ne pas avoir lieu ici et ailleurs puisque
mon texte -souvent connu par morceaux ou par oui dire- ne suscite
que des commentaires qui vont de la dignité outragée de la société
bienpensante bienséante à la récupération politico-identitaire des
mutisés d’un système qui nous ronge les intelligences, commentaires permettant d’occulter d’évacuer la deuxième partie qui traite de
notre mal-être actuel et qui à mon sens est autrement plus intéressanté mais tellement dérangeante pour ceux qui aiment à croire
consciemment ou inconsciemment que notre prise en charge par
l’état français nous donne accès à l’humanité.
Le dialogue est inexistant la pensée se constitue de multiples
monologues qui parlent les béances les souffrances Gauguin n’est
somme toute qu’un prétexte à notre parole qui donne à entendre
notre profonde déstructuration notre insondable misère.
Les multiples monologues qui bruissent nos consciences nous
invitent sur les chemins de la reconstruction de notre identité intime
de notre intériorité. Cette reconstruction n’est possible qu’à travers
la mise à jour mise en mots de nos douleurs de nos pertes de nos
redditions de nos soumissions elle passe surtout par la reconnaissance par
l’état français mais aussi par nous-mêmes du fait colonial
du fait nucléaire.
Le dialogue aura lieu un jour...
Chantal T. Spitz
Tarafarero Motu Maeva 31 mars, 2003
198
Actualité littéraire
Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun
TRISTE SAUVAGE
Extrait de la communication faite le 8 mars 2003 sur le paquebot
Paul Gauguin1
Alors que sur la mer Sacrée, je pêchais à la lueur vacillante des
flambeaux de la libération culturelle les préceptes oubliés de mes
ancêtres, Ricardo Pineri m’a fait cette proposition inattendue de
prendre la parole devant vous pour dire ma pensée sur un popa’a2
appelé Paul Gauguin... Comment parler d’un étranger lorsqu’on ne
sait rien sur l’homme qui l’habite? Je n’ai pas remonté ma ligne de
fond tout de suite. Je l’ai laissé errer quelque temps sur les hautsfonds de notre mémoire pour prendre le temps de la réflexion.
Il y a 10 ans, je n’aurais consenti pour rien au monde à parler de
Gauguin. J’estimais alors que j’avais déjà trop peu de temps à consacrer à mon peuple pour l’aider à s’approprier de nouveau son immense héritage spirituel, sans en plus accorder toute mon attention à un
étranger, dont je ne voyais rien dans ses œuvres qui puissent m’apprendre quoi que ce soit sur l’histoire et la culture de mes ancêtres.
De cette journée ennuyeuse à mourir où, alors que j’entrais
dans ma onzième année, on m’emmena visiter le musée Gauguin à
Papeari3 et jusqu’à l’année dernière encore, je ne fus jamais saisi de
curiosité pour les tableaux de Gauguin. Mon regard, pourtant exercé à dépister les traces infimes de notre’identité par un père pionnier du renouveau culturel dans les années 604, caressait les œuvres du
peintre comme autant d’illustrations de cartes postales désolantes de banalité.
Seule la croisade menée par Paul Gauguin contre la sale
Europe bigote et le régime colonial emporta mes faveurs aux alentours de mes 25 ans. Pourtant, même si je la partageais pour des
motifs voisins et s’il avait encore été de ce monde, je lui aurais tenu
des propos pour le moins peu amènes, comme à n’importe quel
popa’a se plaignant de retrouver à Tahiti ce qu’il avait fui.
199
Littérama’ohi
Mais quelle quête insensée t’a poussé à venir t’échouer sur une
terre inconnue? Ignorais-tu que tu te rendais dans une colonie fran-
çaise et que le sort des peuples autochtones était signé? Quelle
sorte de chimère s’est donc emparée de ton esprit? Regarde aujourd’hui : nous allons à l’église ou au temple et nos diacres sont
Polynésiens, nos enfants ânonnent dès l’école primaire les refrains
effarants de brutalité de la Marseillaise et, plus tard, ils s’engagent
dans l’armée française et la gendarmerie nationale, nous payons nos
impôts avec nos allocations familiales et nous exploitons les nôtres
comme de sauvages capitalistes que nous sommes devenus.
Nous avons fini par adorer ce que tu brûlais de la civilisation
occidentale et brûler ce que tu adorais dans la nôtre. Nous cherchons notre salut sur terre dans la fonction publique et avons transformé nos temples traditionnels en lupanars pour touristes. Ta quête
est pareille à cette statue d’argile rouge que tu as façonnée et que
j’ai découverte au détour d’un écrit de Victor Segalen. Avec le
temps, elle s’est effritée sous le soleil de l’indolence coloniale et des
intempéries de la conversion politique et religieuse et a été réduite
en poussière. Quel que soit le pouvoir dont tu as voulu la
charger, il
est resté d’argile.
Quant au souvenir que tu aurais laissé dans nos chroniques
locales, si en Occident tu es un super héros du symbolisme et du
primitivisme, dans la mémoire polynésienne, tu n’as enfanté que
des anecdotes douteuses et imprécises. Bien sûr, tu pourrais te
consoler en te disant que tu fais au moins partie de la mémoire
orale, mais hormis ce que tes descendants et ceux de tes proches
qui t’ont côtoyé à Tahiti comme aux Marquises peuvent encore rapporter, le reste de la population ne connaît que ce que la rumeur
mauvaise et salace a propagé : un homme vérolé et pédophile, aux
prises avec les curés et les gendarmes.
Ta place à la cour des tristes popa’a égarés en
Nouvelle-Cythère
n’est pas plus grande aujourd’hui qu’elle ne le fut de ton vivant : elle
s’est simplement démultipliée comme un mauvais photocopillage.
Suffirais-tu à animer encore les commérages d’Atuona que tu ne
200
Actualité littéraire
n’occuperais qu’une infime tranche des veillées. Et même si d’aupensent que ta réputation s’est répandue, elle n’est qu’une
goutte d’eau dans l’océan de l’histoire et de la culture polynésiennes
qui resurgit quand la mémoire des hommes est sollicitée.
Et ma peinture, et mes écrits, me diras-tu, tous les Polynésiens n’y
sont pas étrangers. Certes, mais nous ne sommes qu’une poignée d’initiés à nous y intéresser. Les uns, par goût de la littérature ou de la
peinture, les autres — parfois les mêmes —, par pur intérêt spéculatif.
Certains enfin, comme moi, ne sont guidés que par la recherche de ce
que tu as pu laisser des traces de notre propre passé.
cuns
Tout en me remémorant mes monologues intempestifs, je n’étais pas rassasié. Je sentais une insatisfaction profonde me dévorer comme une concession facile accordée à l’ethnocentrisme. Mais
comment échapper à son ethnocentricité, surtout dans un pays où
chacun
s’est
toujours revendiqué comme étant le nombril du
pourquoi vouloir y échapper ? Combien de
ces petites trouvailles sémantiques du meilleur cru de l’anthropologie coloniale ont été inventées pour condamner les indigènes au
silence et à la contemplation? L’ethnocentrisme avait sans doute
une valeur opératoire au temps où les Tristes Tropiques5 étaient
sans histoire. Aujourd’hui, ethnocentrisme rime avec souveraineté
et organise ses droits et ses devoirs. On ne peut déclamer sa propre culture si on ne peut la revendiquer avec fierté et ainsi affirmer
monde? Et d’ailleurs,
sa
différence.
Mais je n’étais toujours pas satisfait.
Mes paroles semblaient
justes pour animer les différents plans d’observation qu’elles suggéraient, mais elles n’offraient aucune perspective. Privées de point
de fuite, elles se précipitaient dans le ravin du négativisme. Et si je
m’étais trompé...
Et si je n’étais atteint que du syndrome post-colonial de l’indigène qui, pour combattre l’humiliation et l’indignité dont il souffre, s’est
souvent livré à deux exercices impossibles : gommer le Blanc ou le
noircir. Impossibles, car à gommer le Blanc, on finit par crever la
201
Littérama’ohi
page, et à le noircir, à la rendre opaque. Dans les deux cas, on
construit sa négation de l’Autre et l’on détruit la part de sa propre
histoire et, donc de soi-même. Cette idée m’étant insupportable, je
résolus qu’il n’était pas question que j’y succombe et j’acceptais la
proposition de Ricardo Pineri.
Alors, j’ai ramené ma ligne et suis parti voler au-dessus des flots
du temps écoulé pour retrouver dans mon passé l’héritage que Paul
Gauguin m’aurait laissé et que je n’aurais su voir. Les premières étapes de ce voyage d’introspection inhabituel ne furent pas commodes, tant j’étais assailli par la crainte de céder à un exercice qui serait
fatal à mon indépendance d’esprit, dès lors qu’il répondait, une fois
encore, à un appel extérieur à la mer Sacrée. En cette ère où littérature et art pictural polynésiens se débattent dans les scories boueuses de la pensée coloniale pour trouver une autonomie, dont ils tentent de repousser les frontières de la singularité, l’inquiétude, même
si elle rogne une grande part de notre objectivité, est légitime.
En effet, tant que l’artiste polynésien n’aura pas affirmé sa propre
identité ni rendu pleinement hommage à son peuple et à sa culture, ou
tout au moins tant qu’il ne se sera pas mis en paix avec lui-même, l’idée de se passionner pour un étranger dans ce même élan d’universalité lui semblera toujours incongru et superflu. Il ne faut pas s’attendre à ce que les Polynésiens, viscéralement attachés à leur culture,
mettent de sitôt un Blanc exilé en pays canaque sur un piédestal.
Nous avons déjà tant de difficultés à réhabiliter nos ancêtres
éponymes, nos pères de la liberté et nos intellectuels rebelles
disparus trop tôt, pour nous préoccuper de commémorer les génies
qui ont contribué à l’enrichissement de la pensée européenne. Car,
plusieurs générations après la destruction de la civilisation polynésienne, nous sommes loin de savoir ce que nous avons perdu,
comme nous ne savons toujours
pas ce que nous allons y trouver.
Nos esprits s’égratignent dans les champs épineux de l’acculturation à séparer le grain de la pensée indigène de l’ivraie de la
pensée occidentale encore colonisatrice. Une entreprise d’autant plus
harassante que, sous la pression de la modernité à laquelle ont
202
Actualité littéraire
maria6,
cédée de nombreux Polynésiens, la marge entre les deux pensées
n’est pas plus épaisse qu’une feuille de papier bible.
La spiritualité
polynésienne, longtemps gonflée par le souffle du
a éclaté en
grande partie au contact des pointes acérées et insidieuses du matérialisme occidental, la voix de l’oralité déchire ses poumons à se faire
entendre dans la cacophonie de l’écrit, les coutumes se tassent pour
laisser le rouleau compresseur des traditions occidentales postmodernes dérouler le macadam de l’homogénéisation des différences...
À plusieurs reprises, lorsque la houle devenait trop forte, je me
suis réfugié à l’écart de la tempête pour retrouver l’esprit qui nous
habitait avant que notre civilisation ne disparaisse. J’ai longtemps
médité sur les motifs de mon emportement.
Et enfin, j’ai réussi à
taire mes revendications pour laisser les images de mes rencontres
extraordinaires avec Koké envahir mon corps et être ainsi prêt à
accueillir l’homme étranger chez moi. Pour la pensée traditionnelle
polynésienne, celle qui marche sur la langue des dieux et des ancêtrès, l’événement fortuit n’existe pas et tout acte humain a son prix
et sa récompense. Il me fallait donc libérer l’histoire de ses chaînes
idéologiques et céder le pas de la chronologie des faits aux enseignements du monde des rêves, des visions et des intuitions.[...]
Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun
Notes :
1) Cet extrait reprend intégralement les premières pages de ma communication,
des extraits plus larges seront publiés dans le Tahiti Pacifique Magazine.
2) Popa’a
:
mot tahitien servant à désigner tout ce qui n’est pas Ma’ohi
(Polynésien) : les étrangers.
3) Commune située sur la côte ouest de Tahiti.
4) Eugène Pambrun, 1927-2001, fondateur du Ma’ohi Club (1965).
5) Référence au titre de l’ouvrage de Lévi-Strauss.
6) Maria : pouvoir surnaturel attribué aux grands chefs et aux prêtres traditionnels, mais aussi à certains objets inanimés.
203
Raymond VIGOR
Né
1948, artiste peintre tahitien autodidacte coloriste,
expressionniste, impressionniste, naïf sont parmi d’autres, les qualificatifs que la presse locale lui attribue.
en
A 16 ans, fréquente l’école de peinture de Rui JUVENTIN où il
restera six mois. Ayant constaté que toute la classe fait du
JUVENTIN ; décide de quitter le cours et travaille seul.
Rui
En 1973, présente sa première exposition composée de gouaches, aquarelles et peinture à l’huile.
Pendant vingt ans, participe à des expositions collectives principalement en Polynésie Française : galerie Vaima, galerie Winkler,
galerie Arevareva, Musée de la perle Moorea, Mairie de Papeete,
Mairie de FAA’A, Festival des Marquises et prison de Nu’utania.
En 1995, est sélectionné avec quatre autres artistes polynésiens pour exposer à Tokyo au Japon.
A partir de 1993, expose seul. Peintre itinérant, il travaille sur le
motif au gré de ses voyages qui le mènent d’un archipel à l’autre
aux
:
Australes, Marquises et aux îles de la Société.
Fréquente l’atelier des beaux arts de Toulouse de septembre 1999
à juin 2000 où il travaille particulièrement le nu d’après modèle vivant.
Lors de son séjour en France, présente plusieurs expositions, à
Paris, à Sainte Savine, Moissac, Beaulieu sur Dordogne et à Toulouse.
En 1999 et 2000, est invité par la ville de Paris à participer au
Xlè et au XIlé salon des artistes peintres et sculpteurs des
Départements et Territoires d’Outre-Mer (DOM-TOM)
Suit une formation en atelier d’icône à Sainte Foye la grande
dans une communauté orthodoxe.
205
Littérama’ohi
Participe au jubilé des artistes en 2000 à Montaigu de Quercy.
Anime volontiers des ateliers d’initiation de dessin ou de peinture en milieux scolaire et carcéral.
S’intéresse à tous les aspects de son travail. Toujours en recher-
che, explore des genres tout à fait différents les uns des autres, et
plus particulièrement l’érotisme dans la peinture et l’art religieux.
Est présenté en galerie à
G.lecallain 82440 mirabel
Moissac-France : galerie ? la licorne ?
Et à Tahiti : galerie ? le chevalet ? 158 bd pomare-papeete tel :
42.12.55 ; ? l’atelier ?, à Mataiea pk 43 montagne tel : 57.30.35 sur
a
Raymond Vigor, né d’un père français et d’une mère tahitienne,
toujours dessiné.
“Aussi loin que mes souvenirs remontent, je me suis toujours
dessinant. Enfant, je m’amusais à dessiner sur le sable mouillé
vu
des plages. Ces dessins à caractère éphémère me plaisaient bien.
Le jeu consistait à prendre de vitesse la vague: finir le dessin avant
que la mer ne l’emporte et ne l’efface.
se
Au collège, je n’étais pas le meilleur en dessin, la plus mauvainote fut un 4 sur 10. Je n’arrivais pas à me plier aux exigences
du professeur de dessin, ne faisant que ce que je pensais être bien.
En quittant le collège, je m’inscrivis au cours de dessin de Mr
Rui Juventin, à raison d’une après-midi par semaine. Je n’y restais
pas très longtemps, toujours la même difficulté à faire exactement ce
que demandait le professeur. J’y acquis les premières bases, peinture à l’huile, travail au couteau. Le fusain, le pastel et l’aquarelle.
M'apercevant que toute la classe faisait du Rui Juventin, moi
compris, je décidai de quitter le cours, moins d’une année s’était
passée et depuis lors, je me mis à travailler seul.
206
Une oeuvre
En 1970, je fais poser copains et copines, pour du nu.
En 1972, avec l’aide de monsieur Rui Juventin,
je présente ma
première exposition dans les locaux de la mairie de Papeete. Une
trentaine d’oeuvres: huile, gouache et aquarelles seront proposées
au public dont un nu masculin à l’huile:
“Rapsodie in Blue”.
Pendant les années qui suivirent, je participai à de nombreuses
expositions collectives.
En 1977, je décidai d’embrasser la carrière
artistique. Aussi étrangement que cela puisse paraître, je choisis les métiers de la mode:
mon amour du dessin m’orientait vers le dessin de mode.
Après avoir
présenté quelques collections a Papeete, je décidai de partir à Paris
parfaire mon éducation dans une école de mode. Pour cela, je m’inscrivis dans une toute nouvelle école, le FASHION FORUM, située
dans les Halles, et qui proposait une formation accélérée.
A mon retour de Paris, en 1983, j’ouvris un atelier de couture
où j’exerçai mon métier pendant deux années. La clientèle ne suivant pas, étant trop avant-garde, je décidai de fermer l’atelier et de
me
retirer au dessin.
Mataiea allait m’apporter le calme nécessaire à ma reconver-
sion et ma reconstruction.
Sans trop me préoccuper du lendemain, je me contentai de
vivre au jour le jour ; me réappropriant un espace et une nature
que
j’avais oubliée. Je réapprenais le sens des mots : simplicité, calme,
solitude, nature, méditation, harmonie.
Petit à petit je me reconstruisais dans le silence, aidé par la lecture et les promenades dans la nature, peignant de
temps à autre
lorsque la muse était présente.
En 1989, je partais à Paris où un emploi de
Baby-sitter m’était
proposé. Je profitai de cette aubaine pour visiter l’Italie : Venise et
Florence retinrent particulièrement mon attention ; de retour à
Paris, pendant mes temps libres, je visitais les musées et les galeries. Cette débauche d’art exacerbait mon désir de création. Frustré
par l’impossibilité de créer en appartement, je fréquentai parcs et
jardins publics où je pouvais dessiner à loisir.
207
Littérama’ohi
Mon contrat de Babysitter arrivant à expiration, en 1990, je
décidai de revenir au Fenua où je me fis construire un atelier afin d’y
créer en toute tranquillité.
Mon premier mois à Tahiti me vit peignant jour et nuit. Ma frustration était grande et ne supportait plus l’attente. Je décidai de préparer une exposition qui eut lieu en 1993 à la salle Le musée de la
mairie de Papeete : c’était «Image d’Océanie». Les peuples océaniens avec leur culture m’ont servi de thèmes à cette exposition pré-
parée entre quatre murs, en atelier.
L’espace confiné de cet atelier ne me suffisant plus et ne pouvant pas en repousser les murs, je décidai d’aller peindre sur le
motif. Sans le savoir, je me préparais à devenir peintre itinérant. Je
choisis les Iles Australes comme laboratoire, et pour parfaire cette
expérience et lui donner un parfum d’authenticité, je décidai de
m’armer de patience, de courage et d’affronter la mer. Sac à dos,
carton à dessins et couleur empaquetés, je m’embarquai sur le
TUHA’A PAE pour un voyage qui allait durer plus de cinq mois. C’est
ainsi que je visitai et peignis RAIVAVAE, RIMATARA, RAPA,
TUBUAI.
Dans mon carton a dessin, je ramenais une cinquantaine d’œuvres.
C’était l’exposition «Iles Australes» 1996 qui se tint à la salle
Le musée de la mairie de Papeete.
Fort de cette expérience, je décidai de repartir l’année suivante
à RURUTU. Ce fut le sujet de l’exposition de 1998.
Parallèlement, je fis des demandes auprès de la Maison de
Tahiti et de ses îles à Paris pour y présenter une exposition ; en
même temps, je m’inscrivais pour une année aux Ateliers des
Beaux Arts de Toulouse. Mon exposition à Paris me servit de trem-
plin et je fus invité deux années durant à participer au 11ème et au
12ème Salon des Artiste sPeintre et Sculpteurs des Territoires et
Départements d’Outre-mer en 1999 et 2000. Depuis lors, régulièrement, une fois par an, je présente mon travail de l’année.
Une exposition sur les Marquise en 2001 me permit de visiter
celles-ci.»
208
Une oeuvre
Extraits de Presse - Parole de Collectionneurs
1 - Extraits de presse
«Des explosions de couleurs choisies
parmi les plus vives. Un
style que l’on n’a guère l’habitude de voir sur le territoire».
La Dépêche 22 nov 96 my.
«Une touche à tout qui ne sait faire
que de belles choses.»
La Dépêche 28/10/98
«Un travail approfondi de recherche au niveau des
matières»
Les Nouvelles 28/10/98 Nathalie BAFFERT
«Cet artiste réussit à composer un univers de couleurs fort
contrastées mais tout en nuance»
La Dépêche 10/05/01 PHC
«Une démarche spirituelle, véritable
quête de l’essentiel vers
le cœur de l’émotion»
Les Nouvelles 10/05/01 LFI.
«Le style de Raymond Vigor
n’appartient qu’à lui-même, entre
l’expressionnisme, son exposi-
le fauvisme le trait du naif et
tion surprend.»
Les Nouvelles 08/06/01 Ruau
2 - Paroles de collectionneurs
«J’ai toujours été attirée par cet artiste,
ses recherches et son assiduité
par sa spontanéité par
dans son travail»
MCR
«C’est ton idéal. Tu as toujours poursuivi ton
des fois c’est difficile. C’est vrai c’est
idéal, même si
ça et tu crois en toi voilà»
MP
209
Littérama’ohi
«Moi j’aime. C’est expressif. Quand je regarde, je comprends
le message qu’il a voulu donner»
HT
«On l’aime tout simplement parce qu’il a un art qui évolue»
BCF
«Tout d’abord, c’est un peintre local. Il y en a peu. Il faut les
encourager ; ensuite, j’aime beaucoup ses couleurs. Sa peinture me parle»
TK
«Vigor, c’est nous, Ta mari 7 Tahiti»
MC
«Tout le monde aime Vigor, parce que c’est un vrai artiste»
MK
Œuvres dans les collections particulières
TAHITI - RAIVAVAE
-
-
TUBUAI - RURUTU - MAUPITI
-
HUAHINE
RAIATEA
FRANCE
-
ITALIE
-
GRECE
-
LOS ANGELES - JAPON
Raymond Vigor
Texte à placer droite
RAYMOND VIGOR
par Michou Chaze
Un jour, alors que je me promenais dans les rues de Papeete
le peintre Ko, nous avons rencontré Raymond Vigor.
Raymond était descendu du district et faisait sa tournée en ville, son
panier paeore au bras ; il se dirigeait, comme souvent lorsqu’il vient
à Papeete, vers le marchand de glace, avant de poursuivre son chemin vers le truck qui le ramènerait à Mataiea.
Et Ko de s’exclamer : “Tout le monde aime Vigor, parce que
avec mon ami,
c’est un vrai artiste !”
Il avait ce jour-là résumé ce que l’on peut dire de Raymond
Vigor : C’est un vrai artiste...
Raymond vit à cent pour cent comme un artiste. Sa maison est
mur de ce qui ressemble à un garage. Après
avoir traversé un jardin bien entretenu, on traverse le garage. On y
pousse une petite porte entrouverte. Et là, derrière le mur de ce qui
ressemble à un garage, surprise ! : une jungle, avec des fleurs,
des fruits, des arbres immenses qui touchent le ciel, des poules et
des coqs et leurs chants, un ruisseau avec des poissons et des
opuhi tupapau... et sous l’ombre des arbres, une petite maison
toute simple, ouverte à tous les vents ; une maison d’artiste, avec
des tableaux et des sculptures partout... des bouquets ramenés de
l’église parce que c’est carême... des vi Tahiti dans les
bouquets...un chapelet... encore des fruits... sur la table, un repas
merveilleux fait avec les produits du jardin... et tout autour, un jeu
d’ombre et de lumière qui enveloppe, magie et douceur, la maison
de Raymond Vigor.
cachée derrière le
Vigor ne vit que pour cela, la beauté du voyage, la beauté du
temps qui passe, la beauté de la création, la beauté de la créature,
la beauté du Créateur, la beauté de la peinture...
211
Littérama’ohi
Une peinture forte, enfoncée sur la toile à grands coups de couleurs, des personnages mystérieux au regard de sphinx, des maisons comme la sienne, noyées dans l’ombre et
balayées par les
vents, que seule la lumière intérieure réconforte et attire encore...
une peinture qui choque, qui fait parler, voire
scandaliser, que ce
soit de par ses nus d’homme ou ses sujets religieux.
Peinture religieuse, a t’on dit... Oui, si la religion est bien ce lien
qui relie l’homme à son Créateur...
Michou Chaze
212
Littérama’ohi
Ramées de Littérature Polynésienne
Te Hotu Ma’ohi
Publication d’un groupe d’écrivains de Polynésie française
Directrice de la publication
Flora Devatine : boîte postale 3813 Papeete, 98 713 Tahiti
Fax : (689) 820 680
E-mail : tahitile@mail.pf
Comité de direction
:
Patrick AMARU
Michou CHAZE
Flora DEVATINE
Danièle-Taoahere HELME
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Jimmy LY
Chantal SPITZ
Numéro 03 / avril 2003
Tirage : 600 exemplaires
-
Imprimerie : STP Multipress
mise en page : patricia sanchez
Fait partie de Litterama'ohi numéro 3