B987352101_PFP1_2002_001.pdf
- Texte
-
Revue
Littérama’ohi
Numéro 1
En
partenariat avec
Zp ™6
^citA ^
Revue
Littérama’ohi
Kame^
dey Littérature/
Polyv\é4ter\r\>e/
Membres fondateurs
Patrick AMARU
Michou CHAZE
Flora DEVATINE
Danièle-Taoahere HELME
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Jimmy LY
Chantal SPITZ
-TE HOTU MA’OHI-
1
LES AUTEURS DE LITTERAMA’OHI
:
N° 01
AMARU Patrick Araia
ARBELOT Hina-Marie
BREMOND Seta Hubert
CARTRON Nicolas
CAUCHOIS Mickaelle-Hinanui
CHAZE Michou
De CHAZEAUX Michèle
COULIN Patua dite Vaetua
DEVATINE Flora
FAREEA Hubert
GERARD Bertrand-F.
GOBRAIT Valérie
GRAND Simone
HELME Danièle-Taoahere
LY
Jimmy
MAFARU
MAKE Rôti
MARCHAND Eriki
MARGUERON Daniel
MEUEL Mauarii
NOUVEAU Johanna
PELTZER Louise
PIETRI Raimond
Vanaga
RIGO Bernard
SHELTON Maeva
SPTIZ Chantal T.
TARAUA
TEISSIER- LANDGRAF Marie-Claude
TETUANUI Namoiata
TOKAINIUA D.
UE VA Tane
VAITEA
VILLIERME Marie-Hélène
WALKER Taaria TEINAORE dite Pare
WHEELER Marie-Claire
2
Littérama'ohi
Ramées de Littérature
Polynésienne
Te Hotu Ma'ohi
3
SOMMAIRE
PRESENTATION DE LA REVUE
Flora DEVATINE
INTRODUCTION
Bertrand-F. GERARD
Bernard RIGO
PAROLES DE JEUNES
-
ECRITURE DE JEUNES
MAFARU
Namoiata TETUANUI
J-D.TOKAINIUA D.
VAITEA D.
Mickaelle-Hinannui CAUCHOIS
s
Nicolas CARTRON
NOTICES BIO/BIBLIOGRAPHIQUES DES AUTEURS
Taaria TEINAORE dite Pare WALKER
Seta Hubert BREMOND
Marie-Claire COLOMBANI-WHEELER
Maeva SHELTON
Johanna NOUVEAU
Rôti MAKE
Valérie GOBRAIT
Raymond Vanaga PIETRI
Patua COULIN dite AMARU Vaetua
Louise PELTZER
Patrick Araia AMARU
Hubert FAREEA
Eriki MARCHANQ
Ueva TANE
Mauarii MEUEL
Marie-Hélène VILLIERME
Michou CHAZE
Chantal T. SPITZ
Danièle-Taoahere HELME
Marie-Claude TEISSIER-LANDGRAF
Jimmy LY
Flora AURIMA-DEVATINE
ANALYSE
-
POINTS DE VUE
-
RESSENTIS
Simone GRAND
Daniel MARGUERON
Flora DEVATINE
Hina-Marie ARBELOT
Michèle de CHAZEAUX
TARAUA
HOMMAGE
Michou CHAZE
à René
SHAN, poète et artiste peintre
4
-
EXTRAITS
Une
revue
littéraire
polynésienne existe.
Son NOM est
Littérama'ohi
Ramées de Littérature
Polynésienne
Te Hotu Ma'ohi
Elle
a
été
fondée
par
un
groupe
apolitique d'écrivains
polynésiens associés librement.
Il
s'agit de
:
Patrick AMARU,
Michou CHAZE,
Flora
DEVATINE,
Danièle HELME,
Marie-Claude LANDGRAF,
Jimmy LY,
Chantal SPITZ.
Le titre et les sous-titres de la revue traduisent la
polynésienne d'aujourd'hui
société
:
« Littérama'ohi »
pour l'entrée dans le monde
littéraire et pour l'affirmation de son identité,
« Ramées
de
Littérature Polynésienne », par
référence aux feuillets, à la rame de papier et à celle de la pirogue,
à sa culture francophone,
« Te
Hotu Ma'ohi », signe la création féconde en
-
,
-
-
terre
polynésienne,
Fécondité originelle renforcée par
caractères chinois à intercaler entre le titre
en
le
en
ginseng
tahitien.
Les
objectifs des fondateurs, à travers la revue
«
Littérama'ohi
Ramées de Littérature Polynésienne
Te Hotu Ma'ohi »,
5
des
français et celui
Sont
:
écrivains originaires de la
Polynésie française en leur offrant un espace de rencontre, de
partage, de découverte, de soutien, d'encouragement mutuels,
«
de tisser des liens entre les
-
qui écrivent, qui
s'expriment (conteurs, romanciers, poètes, essayistes, auteurs de
de
-
faire
connaître
tous
ceux
pièces de théâtre.»
la-variété, la richesse et la spécificité
originaires de la Polynésie française,
les faire reconnaître dans leur identité, leur originalité,
leur diversité contemporaine,
de faire connaître
-
des auteurs
-
dans
de faire connaître les écrits des auteurs
-
-
de donner à
polynésiens,
chaque auteur l'occasion de prendre date
(son oeuvre continuant à lui appartenir en propre) et de devenir un
«
auteur
publié
».
ailleurs, c'est aussi de faire connaître les différentes
l'écriture polynésienne à travers les modes
d'expression traditionnels et modernes de la culture polynésienne
d'aujourd'hui, que sont la peinture, la sculpture, la gravure, la
photographie, le tatouage, la musique, le chant, la danse,
Les travaux de chercheurs, des enseignants...
Par
facettes
de
façon générale, c'est initier une dynamique entre gens
polynésienne, auteurs, créateurs, intellectuels qui sont
l'expression d'une conscience, d'une écriture, d'une littérature
polynésienne,
D'une
de culture
Dans le
respect de l'expression de chacun, qu'elle se fasse en
langue polynésienne, chinoise, occidentale,
Avec l'ouverture d'esprit qui favorise l'écoute de l'autre, qui
facilite la compréhension de soi par l'autre, qui permet l'échange
avec l'autre,
Et pour en
Créer
un
revenir
aux
premiers objectifs, c'est avant tout
mouvement entre écrivains
6
polynésiens,
La Revue
:
La
à
revue a
En
cœur
4°
présenter systématiquement
de
:
de couverture une œuvre d'art (une
bijou d'art, une photographie d'art
d'artistes
polynésiens
(peintres,
sculpteurs,
tatoueurs,
photographes
en noir et blanc, la couleur étant d'un coût
excessif)
Et en 3° de couverture, le titre de l'œuvre d'art avec
-
gravure,
page
sculpture,
une
un
...
...
-
notice
une
sur
l'artiste.
La périodicité de parution de la revue
est de 2 numéros par
an.
Le nombre de pages variera entre 30 et 40 pages,
comme un
tirage
Le
sauf imprévu,
événement culturel important.
situe
se
entre
200
et
250
exemplaires,
selon
les
moyens,
Exception faite du N° 1, tiré à 500 exemplaires,
Sa parution initialement prévue pour le mois de juin ayant
été avancée
tenue les
PAPEETE
au
mois de Mai 2002
en
raison de l'événement de la
16, 17 et 18 Mai 2002 du Premier SALON du LIVRE de
organisé par l'Association des Editeurs de Tahiti et des
Iles.
La Langue d'écriture des textes destinés à la parution
:
en vue d'une publication dans la revue peuvent
français, en tahitien, ou n'importe quelle autre
langue occidentale (anglais, espagnol,.. ) ou polynésienne
(mangarévien, marquisien, pa'umotu, rapa, rurutu...), et en
Les textes
être
écrits
en
chinois.
Toutefois,
en
ce
qui
ou
comme pour ceux en reo
l'autre des langues polynésiennes,
Il
est
recommandé de
possible avec une traduction,
langue française.
les textes en langues
ma'ohi, c'est à dire en l'une
concerne
étrangères
les
présenter dans la mesure du
version de compréhension, en
ou une
7
Les auteurs d'articles
Dans
l'objectif de faire connaître les écrivains, comme les
artistes, polynésiens, chaque auteur dispose dans la revue de deux
à quatre pages pour présenter un écrit portant sur une ou plusieurs
de
ses oeuvres.
délimité par l'auteur dans les
définies, est clos ou introduit
notice bio-bibliographique rédigée par l'auteur ou avec son
écrit fourni,
Chaque
et
conditions matérielles qui lui seront
par une
assentiment.
Le principe étant que les auteurs sont propriétaires de leurs
écrits, et les seuls à porter la responsabilité du contenu de ceux-ci
opinions émises
et des
.
En général tous les textes seront admis sous
respectent la dignité de la personne humaine.
réserve qu'ils
Comité de
chargé d'endosser la responsabilité de ce qui y est écrit et
Comité de lecture: Il n'est pas mis en place de
lecture
publié,
un
Comité de direction composé des membres
décide, à la majorité des membres fondateurs présents,
contenu et du montage de chaque numéro de la revue
Mais
fondateurs
du
.
Participation des auteurs
:
publiés dans un numéro contribue
parution à hauteur de 2000Fcp,
Chacun des auteurs
financièrement à
sa
Exception faite pour la parution du Numéro 1 pour
laquelle la contribution est d'au moins 2500 cfp.
surplus du coût étant couvert par des dons, du
sponsoring.
Le
Destinataires du N° 1 de la
Universités
:
3
ex.
Ecole normale et Iufm
Presse
:
5
revue:
:
2
ex.
ex.
8
bibliothèques
Archives et
:
5
ex.
Présidence, Ministère de la Culture, Service de la Culture,
Culture, Fare Vanaa : 5 ex.
Maison de la
par
membre fondateur: 5 ex. soit 35 ex. au total,
par
auteur publié : 2 ex.
Pour le prochain numéro :
polynésiens, cette revue est la vôtre :
bibliographique vous concernant, de réflexion sur
la littérature, sur l'écriture, sur la langue d'écriture, sur des
auteurs, sur l'édition, sur la traduction,... est attendu : n'oubliez
pas d'y ajouter des extraits de vos écrits,
Ecrivains et artistes
-
tout article bio et
Ecrivains vivant
-
en
Polynésie,
« Littérama'ohi
Ramées de Littérature Polynésienne
Te Hotu Ma'ohi »,
Vous
accueille,
vous ouvre ses pages
!
ailleurs, une page du courrier des lecteurs sera ouverte
prochain numéro.
Par
dans le
Regrets mais
ce
n'est
que
partie remise !
Nous sommes les premiers à regretter l'absence, dans ce premier
numéro, de noms d'auteurs polynésiens connus, alors qu'ils y étaient
prévus, y avaient leur place,
Mais nous ne sommes pas arrivés à entrer en contact avec eux.
Nous souhaitons vivement qu'ils se manifestent pour le second
numéro de décembre 2002.
Contenu du Numéro 1
:
Des
« bouts
d'écrits »,
notices
biographiques,
notes
bibliographiques, extraits d'écrits, écriture de voyage, poésies,
nouvelles, réflexions sur l'oralité, sur la littérature, sur les
différentes formes d'expression de la société polynésienne,...
déposés par les auteurs eux-mêmes,
9
poètes traditionnels, compositeurs de chants
chants lyriques, des artistes peintres,
photographe, des auteurs ayant déjà publié, des auteurs
ayant participé à des concours littéraires,(de l'Académie
Tahitienne, du Prix du Président, des Nouvelles, du Salon
d'Ouessant, de la Maison de la Culture...), des auteurs prêts
pour la publication, des chercheurs polynésiens jeunes et
moins jeunes, des étudiants,...et des amis invités à s'exprimer
dans ce premier numéro de
Conteurs,
traditionnels,
de
Littérama'ohi.
Quelle conscience polynésienne émerge de ces écrits de
Polynésiens ?
Quelle identité polynésienne s'exprime et se construit dans la
littérature polynésienne d'aujourd'hui ?
A suivre i
Et bonne lecture !
Adresse
:
B.P. 3813 Papeete
ou Contacter l'un des membres qui transmettra.
Les membres
10
fondateurs
Ecrire à Tahiti.
Une nouvelle association vient de naître. Encore une, une
plus.. ? Pas tout à fait,
pas que
rassemble nombre d'écrivains
cela,
une
singulière
en ce
de
qu'elle
polynésiens.
Ayant laissé filer, ici en France, quelques éléments de cette
il m'en revint ceci : « dans quelle langue écrivent-ils,
quel public et plus simplement ils écrivent quoi ? »
annonce,
pour
Ces
questions,
il
s'agit
d'y
répondre
que d'en
il y a près de
deux siècles une
nouvel ordre
politique et religieux et par-là mettant fin à l'ordre social régnant
alors. Sans doute le roi Pômare fut-il le premier écrivain polynésien
en ce qu'il
permit que la Bible ne fut pas traduite en langue
tahitienne mais écrite en tahitien pour la culture polynésienne, ce
qu'une traduction juxtalinéaire n'aurait pu susciter. Il instaura ainsi
un mode de lecture et d'écriture à partir de la Bible dont les Eglises
Evangéliques en Polynésie ont maintenu la tradition.
moins
répondre. Répondre de ceci
que l'écriture fut à Tahiti,
découverte intrusive imposant un
Que l'écriture
au
christianisme
certains,
écriture
l'idée
soit imposée dans l'après-coup du passage
permet pas de soutenir, n'en déplaise à
d'une opposition radicale entre « oralité » et
se
ne
dont ne subsiste d'opposition que leurs modalités celle
l'expression orale ou écrite. Ce qu'a instauré le passage à l'écrit
est l'opposition encore perceptible entre l'écriture et l'oralité
scripturale, une oralité prise dans les effets de la lettre (école du
dimanche, scolarisation, administration et justice, puta tupuna,
correspondances).
«
»
de
La lettre est là qui depuis 1819 impose sa loi et engage des
effets pour ceux qui y ont recours et pour certains s'efforcent de
s'en tenir à l'écart. Noter, transcrire et faire archives tout cela se
transmet
depuis plusieurs générations, mais l'écriture demeurait en
nouveau franchissement, celui de l'émergence d'une
attente d'un
écriture d'auteurs.
se définit pour le présent propos ainsi : un nom
signature d'un texte qui vient sub'vertir l'ordre alphabétique
et même celui de la ségrégation des langues telle qu'elle s'était
imposée des effets de la scolarité obligatoire limitée au seul usage
de la langue française.
L'auteur
comme
Les
Mémoires des reines Ari'i Taimai et Marau sont riches
d'informations
sur
le
passé des Iles et de leurs institutions
11
ou
usages,
auteurs,
rien de leurs
dissimuler, se
savoir ethnohistorique et des enjeux
mais elles ne nous disent pratiquement
l'expression subjective trouvant à s'y
masquer,
derrière
un
fonciers. Les lettres de
Tati sont plus explicites, il y
inquiétudes, agacements ou satisfactions, mais
elles n'étaient pas destinées à être publiées et malgré leur
caractère privé demeurent sous l'emprise d'une grande pudeur
statutaires
ou
exprime certaines
quant à l'expression des sentiments.
d'écrire en première personne futde roman, les auteurs
polynésiens ne s'y aventurent que depuis peu de temps. Je me
souviens de l'hésitation de Henri Hiro lorsqu'il fut sollicité de
traduire du français en langue tahitienne la présentation d'une
conférence pour le bulletin de la MJC de Paofai, je lui enjoignis
alors de ne pas traduire mon texte mais d'exprimer par écrit, ce
qu'il ressentait de l'argument de cette conférence. Il fit les deux,
établit la traduction de cette présentation insipide et livra un texte
faisant état du désarroi profond qu'il en ressentit. Ce fut me
semble-t-il le premier texte qu'il publia. Un texte oublié... pas tout
à fait, je le donne à lire et à commenter à mes étudiants depuis
lors en quelque sorte comme antidote aux enseignements qu'ils
reçoivent par ailleurs. Certains d'entre eux en tirent la leçon qu'il
n'y a pas de réhabilitation possible du passé ; le passé s'élabore au
présent ce qui pour la littérature peut faire point d'appui.
Nous étions en 1974, quelques années plus tard, Charles
Manutahi publiait ses premiers poèmes, bientôt suivis d'autres
ouvrages dont la quatrième de couverture fait rappel de mon nom.
S'agit-il pour autant de moi ? On peut l'imaginer et qui
l'imaginerait ne pourrait que se tromper : le rappel de ce nom est
rappel d'autre chose. Il s'agit d'une discussion qui s'est tenue il y a
près de trente ans sur le retour de la Papenoo. Il y fut moins
question de ces anfractuosités des falaises susceptibles de receler
des objets du passé, que du désir d'écrire qui s'en imposait.
Ces deux évocations seulement pour poser ceci : le désir
d'écrire, longtemps confiné à un écrire pour soi précéda de bien
Ecrire, prendre le risque
elle dissimulée sous le nom d'un personnage
années d'en adresser à d'autres
ce qui s'en manifesta de
publication pour d'autres, c'est déjà le regard de l'Autre.
L'Autre, ainsi nomme-t-on souvent dans des écrits polynésiens les
Eglises, la parentèle, l'autorité universitaire telle qu'elle s'impose
encore du
modèle métropolitain. Mais l'Autre dans une grande
des
textes. La
diversité d'écrits c'est d'abord
l'ordre alphabétique (rhétorique,
stylistique et conceptuel) tel qu'il s'impose du prêt-à-lire et à être
12
publié des lettres françaises. Le regard de l'Autre donc comme
ce qu'il dégage d'autorité et dont l'effet fut de stériliser sur
plusieurs décennies ce désir d'écrire en français certes mais par-là
désir de
en
langue tahitienne.
d'écrivains polynésiens aura-tresponsabilité de préserver cette fonction subversive de la
littérature à l'endroit de la norme universitaire quelle que soit la
langue convoquée par un auteur, la française, les langues
polynésiennes et le tout récent « franhitien » : la littérature fait
appel pour des écrivains et non à des clercs qu'ils soient popa'a ou
Sans doute cette association
elle la
ma'ohi.
Cette subversion
a
eu
lieu et
ne
fut pas sans
conséquences
puisque cette association est née de ses effets. Sa fondation était
inscrite dans un recueil de textes intitulés « Tergiversation... »
signé de Flora Devatine. S'y trouve posée, non pas en bilingue
mais dans un français troué et parfois déchiré de mots et
d'expressions tahitiennes, la question du je qui écrit. Non du je(u)
de l'écrivain mais du « je » de l'écrivant confronté à l'acte d'écrire.
Cet acte engage quelque chose de plus qu'un savoir faire avec le
style, la grammaire et l'orthographe. La critique locale, écrite ou
parlée, a salué la sortie de cet ouvrage ou s'en est étonnée,
louange ou objection convergeant sur une même question : qu'en
faire ? S'agit-il de littérature ou de promesse de littérature ? à
quand le roman ?
D'où se dévoile la portée de l'acte, celle d'un engagement
subjectif dont on ne peut prévoir les effets, on en saura quelque
chose plus tard. Un plus tard qui porte sur bien d'autres noms les
uns déjà inscrits sur le registre de l'association et d'autres pas ou
pas encore : des noms qui signent des témoignages, des romans,
des poèmes, des prières, des pièces de théâtre et combien de
textes encore inédits ? Un plus-tard donc déjà en mouvement.
Que cette association se soit
crée dans cette période décisive
où le Territoire prend le risque de ses langues et de ce qu'elles
recèlent de possibilités littéraires fait savoir qu'un pas décisif vient
d'être franchi, celui d'une invitation aux langues dans leurs
expressions orales et littérales.
Bon Vent pour
cette nouvelle traversée, celle de la lettre !
Bertrand-F. Gérard
13
philosophes, bien souvent, écrivent mal. Littérairement
qu'ils écrivent bien, on ne les comprend plus. Lourde
clarté de Descartes ou de Kant. Fulgurances obscures d'Héraclite
ou de Nietzsche. Eloquence suspecte de Rousseau. Ceux-là mêmes
qui écrivent trop bien, n'accordent-ils pas trop à la forme pour être
autre chose que de piètres penseurs ? Le bon sens doit concéder,
toutefois, que, s'il suffisait d'écrire mal pour penser bien, le monde
Les
s'entend. Dès
tournerait différemment...
formuler le problème autrement : la littérature estde l'écriture ? La belle forme arrange le
et l'on sait qu'un penseur sérieux
commence par gratter la surface...
Posée dans ces termes, la
littérature n'est que coquetterie et imposture.
On peut
elle autre chose que le fard
fond et le rend séduisant
Invité par l'Université Française du Pacifique pour recevoir le
titre de Docteur Honoris Causa, l'écrivain péruvien Mario Vargas
Llosa a profité de cette occasion pour tenir, dans le grand
amphithéâtre, un discours où l'art de l'écrivain était présenté, non
pas comme activité superflue, mais comme exigence aussi bien
démocratique qu'humaine.
Pour résumer
brillant, le romancier fait plus que
faisant cela, il préserve liberté
d'expression et liberté de penser. Par l'imaginaire, il peut refuser,
voire dénoncer le réel. Par la fiction, il se pose comme sujet libre.
de
des
raconter
Cette
liberté
étiquette, à
ouverte,
de
sa
propos
l'écrivain
aucun
par
indifférente
son
histoires ;
ne
saurait
se
soumettre
à
aucune
intégrisme, à aucun terrorisme intellectuel :
fonction même, l'écriture est par nature
frontières nationales, territoriales ou mentales. Le
philosophe, lecteur de Kant, ajouterait qu'il n'est de pensée que
métissée : « Mais penserions-nous beaucoup, et penserions-nous
bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec
d'autres, qui nous font part de leurs pensées, et auxquels nous
aux
14
communiquons les nôtres ?
En
finissait
».
forçant avec éloquence un peu le trait, Mario Vargas Llosa
quasiment par conclure que la liberté du romancier, l'art
de l'écriture arrachaient l'homme à l'animalité
voie d'une
en
lui ouvrant la
pensée libre et libérée.
Disant cela, le grand romancier disait l'essentiel en occultant
qui faisait l'essentiel. L'art des artistes est toujours bien
supérieur à leur réflexion théorique : les peintures impressionnistes
et abstraites sont bien plus profondes, par exemple, que les
considérations théoriques de Monet ou de Kandisky. Excellent
critique d'art, Baudelaire n'est pas le mieux placé pour comprendre
ce que fait Baudelaire. L'écrivain, y compris Mario
Vargas Llosa, fait
bien plus et autre chose que ce qu'il croit faire.
ce
On aurait pu
faire deux objections majeures au conférencier
la première, c'est que les hommes n'ont pas attendu
l'écriture pour entrer dans l'humanité ; la seconde est que la
péruvien
:
définition de la littérature comme liberté se trouve particulièrement
réduite dès qu'elle se formule dans une perspective ethnocentrique
qui fait du
roman
la forme littéraire universelle et universalisable...
Au demeurant, si liberté il y a, est-elle dans cette fameuse
imagination qui nous permettrait de nous évader du réel ? On peut
résumer l'histoire de Madame Bovary aux quelques lignes du fait
divers banal dont s'est inspiré Flaubert. Car raconter des histoires
n'est pas tout, c'est même la moindre des choses. Les enfants
passent leur temps à raconter... qui ne sont guère écrivains.
Légendes,
épopées, mythes, sagas, récitations, chants,
confidences,
élucubrations,
drames,
confessions,
mélopées... il y a mille façons de dire une histoire, du récitant sacré
au romancier contemporain, en passant par le
griot africain ou le
ménestrel itinérant. Ceux-là n'écrivent pas forcément qui sont
pleinement humains. Le roman n'est qu'une forme d'expression
parmi d'autres, et ce n'est déjà pas si mal. La réflexion ne doit
donc pas porter sur telle ou telle forme d'écriture, mais sur l'idée
même de littérature. En dépit de l'étymologie, il ne suffit pas
d'aligner des lettres pour faire de la littérature et la créativité de la
pensée ne passe pas forcément par la lettre : elle passe par un
certain usage des mots - écrits ou parlés. L'écrivain dont la
prétention n'est pas celle de l'écrivant ni celle du philosophe ne
doit s'interroger en priorité ni sur ce qu'il dit, ni sur le sens des
mots. Il n'est ni historien, ni philosophe et des mots banals
suffisent à raconter l'histoire banale d'Emma Bovary. Car toute la
fables,
15
question est là, par quelle magie les personnages médiocres d'une
histoire médiocre peuvent-ils constituer le fond d'une grande
œuvre ? La réponse est simple : ils ne le peuvent pas. En quoi
consiste alors la grandeur du roman ? C'est peut-être aux
linguistes à nous mettre sur la voie.
L'illusion la plus commune consiste à penser que la valeur de
l'écriture consiste dans la valeur du message : c'est confondre
l'usage
locuteur.
littéraire et la fonction référentielle utilisée par tout
Le message m'informe sur l'état du monde, l'écriture
réaliste veut décrire le monde. Mouvement littéraire dans lequel on
classe l'auteur d'Emma
Bovary et dans la filiation duquel se situe
Vargas Llosa. Tentation naturaliste. Avec cette ambiguïté :
non seulement décrire le monde, mais aussi le dénoncer dans ses
noirceurs : l'écrivain devient celui qui décrit bien ou celui qui
critique bien ; sa valeur artistique est proportionnelle à l'exactitude
du message ou à la noblesse des idées. Réalisme et utopie
vertueuse. Où trouver, cependant, propos plus réalistes qu'au zinc
du café du Commerce où, quelques verres aidant, le monde est
verbalement refait plusieurs fois par jour ?
Mario
aussi commune, héritage de la
quitté les études en même temps
que le lycée : l'écriture consiste à s'exprimer, sa fonction est
émotive : je n'informe pas sur l'état du monde, mais sur mon
état : j'invite à partager mon univers intérieur. La valeur de
l'œuvre s'évalue alors à son degré d'épanchement,
à son
coefficient pathétique, à sa capacité sympathique. Romantisme et
narcissisme.
On notera
que
Flaubert est aussi l'auteur de
Salammbô, œuvre épique imprégnée de romantisme. Où trouver,
cependant, plus grand déballage affectif que dans la presse du
cœur
et
dans
les
messages
passionnés d'amants guère
Seconde illusion, presque
culture adolescente de celui qui a
passionnants ?...
partagent la même erreur : elles veulent
qualité littéraire en fonction du contenu du message : sa
capacité à décrire le monde ou soi-même, à s'indigner ou à se faire
Ces deux illusions
évaluer la
aimer... On est si content d'être sûr de savoir ce que l'auteur « a
voulu dire », comme le répètent à l'envie les professeurs de lettres
qui traduisent, pour leurs élèves, du français en français, dans un
exercice souvent curieux de traduction monolingue. Comment
empêcher, dès lors, ces jeunes lecteurs de penser que les auteurs
auraient pu
écrire plus simplement afin que Ton puisse voir le
fait plus joli, certes,
circulaire. Il faudrait
message directement, sans maquillage. Cela
mais on comprend moins bien. Problématique
16
pourtant enfin leur dire que, par exemple, Baudelaire n'est pas
forcément
sympathique,
que
ses
pensées sont souvent
réactionnaires et misogynes, et ajouter - car c'est bien là
l'essentiel - que ces considérations sont anecdotiques et hors
sujet : indépendamment de cela, Baudelaire reste l'un des plus
grands poètes modernes...
Il n'est de littérature que dans la fonction poétique, au sens
donné par Roman Jakobson. Ce qui compte, ce n'est pas ce qui est
dit, mais
ce qui se dit. Le message n'est pas texte mais prétexte :
le fond n'est pas le vrai fond. Si Flaubert voulait seulement décrire
la vie d'Emma Bovary, il n'avait pas besoin de faire passer sa prose
à
l'épreuve de son gueuloir : une phrase n'est acceptée que si,
gueulée par son auteur debout devant un pupitre, elle passe
l'épreuve de l'oreille et du souffle. Par quoi, on peut voir, en
passant, à quel point tout débat entre oralité et écriture est vide de
sens : la littérature existe dès que,
orale ou écrite, la phrase,
n'étant plus simple instrument au service d'un message, devient la
matière même et la finalité de l'activité littéraire ; elle ne dénote
plus, elle s'impose en imposant sa réalité même. Elle ne veut rien
dire, elle se fait entendre en tant que telle. Par là, elle ne dit pas
rien, elle dit, enfin, autre chose parce qu'elle dit autrement. La
littérature des écrivains est cette capacité à dire autrement, tout le
reste est... littérature pour les écrivants qui distinguent fond et
forme, séparent le message des mots et, ce faisant, retirent aux
signifiants toute valeur. L'écrivain prend les mots au sérieux : sa
liberté souveraine, ce n'est pas de les instrumentaliser dans une
syntaxe commune, c'est de composer avec eux une syntaxe qui,
par elle-même, fasse sens. Sa priorité est comment dire. C'est bien
la raison pour laquelle Mario Vargas Llosa a, en même temps,
raison et tort
:
la littérature est la liberté même. Le
roman
n'est
modalités particulière, historiquement datée et
géographiquement circonscrite. Contre l'étymologie, la littérature
ne se confond pas avec l'écriture : bien des écritures n'ont rien de
littéraire et bien des formes orales d'expression ont des qualités
littéraires. Dès que quelqu'un ne se satisfait pas de l'usage
commun des mots, dès qu'il cherche moins à dire quelque chose
que de faire en sorte que quelque chose se dise ; bref, dès qu'il
prend les mots au sérieux, il entre de plain pied dans la
littérature : il réussit ce tour de force, dans l'oralité, d'assurer une
permanence de la parole, par ses effets de résonances intérieures ;
dans l'écriture, d'assurer la présence d'un auteur absent, grâce à
un timbre unique.
qu'une de
ses
17
Littérama'ohi, j'aime le mot comme j'aime tous les
néologismes, dès qu'ils disent quelque chose qui ne se disait pas
avant.
Pour
prolonger un propos que j'ai déjà tenu ailleurs, les
Polynésie n'ont rien à prouver en terme de
littérature et surtout pas à se situer, sur le mode de l'imitation ou
de l'opposition, par rapport à des modèles de production littéraire
existants - le roman, par exemple.
intellectuels de la
Toutes les formes sont
légitimes, celles qui existent déjà et
dès que quelque chose se dit. Pour
pense, précisément, que bien des choses ont à
se dire et vont sans doute, enfin, se dire. Si j'ai finalement accepté
d'écrire ces quelques lignes à la demande expresse et réitérée de
Flora Devatine, c'est, au-delà de l'amitié qui me rend difficile de lui
celles
qui n'existent
bien des raisons, je
pas encore,
refuser
quelque chose, parce que cela me permet
membres de Littérama'ohi à la fois à quel point
d'exprimer aux
je les envie de
répondre, en quelque sorte, à une mise en demeure de littérature,
à une urgence du sens ; et à quel point je mesure, dans toutes
leurs rigueurs, les exigences que cela implique.
Le 6 avril 2002
Bernard RIGO
18
«
Comment
C'est fiu
j'écris ?
cette
»
question ! C'est fiu cette façon scolaire de
depuis petit, depuis qu'on est en âge
penser qu'on nous impose
d'aller à l'école, d'écrire,
Cette
question posée
comme
s'il fallait qu'on soit tous dans le
même moule !
Elève Un Tel, c'est encore trop juste !
Ta rédaction n'est pas rédigée correctement
Introduction mal abordée !
«
Il
n'y
Ça
Mais
a pas
d'effet d'entonnoir,
du plus large au plus petit !
ne va pas
!
»
qu'est-ce qu'on s'en fout de cette règle !
Le
«
corps
du
devoir
est
disproportionné dans
ses
différentes parties ! »
là
là ! Qu'est-ce que cela m'agaçait aussi de faire un
français « à la mathématique » ! S'il y a 15 lignes dans la
première partie, il en faut aussi 15 dans la deuxième... N'importe
quoi ! ! !
Ah
devoir de
Quasi absence d'ouverture dans la conclusion H!
Trop juste, trop juste !... Aucune méthodologie ! »
«
Mais
qu'est-ce qu'on
en a
à faire ? On s'en fout de
ces
règles
de l'écriture ! ! !
C'est pas ça l'écriture pour moi !
calvaire ! Y'a pas de joie dedans ! C'est
ressenti ! Y'a pas de vie !
Je
collait et
Et
L'écriture comme ça, quel
formel, c'est un corps sans
soupire de toute cette contrariété qui chaque année
me
me
recollait à la peau.
on remue
le couteau dans la
plaie
:
Si la méthodologie est respectée, vous assurez dix
points. Après, ce n'est que du remplissage
C'est pas compliqué
pourtant U! »
«
...
19
un
Ça m'est difficile de répondre à cette question, de constituer
texte, d'écrire sur « Comment j'écris ? »,
Car
tout remonte, toutes les frustrations qui
me sont
plus celles que, chaque année, quasiment chacun de mes
profs,
depuis
la
Sixième, a soigneusement confectionné,
simplement créé pour moi,
propres,
celles-là
Mais
sont
plus piquantes, plus blessantes,
empoisonnantes,
Moins aimantes, plus reprochantes, plus maltraitantes.
plus
Ça y est, je me suis calmée ! Car
minutes dans mon coin, d'abord dans le
j'ai pleuré pendant trente
salon où j'ai commencé à
écrire, mais de façon discrète, car tout le monde (frère, sœurs,
amie du frère, mère) y est présent : une larme qui, à peine
essuyée de manière très discrète, comme si quelque chose vous
gênait dans l'œil, laissait place à une deuxième et ainsi de suite
...
d'avoir
de faire pipi, je me dirige
où, fermée à double tour, les
plus rapidement, la gorge se serre et la respiration
mine
Faisant
normalement
vers
larmes coulent
envie
la salle de bain
est saccadée.
Pourquoi je pleure ?
répondre
Car
ressortir
en
à
moi toutes
question « Comment j'écris ? »
souffrances autour de l'expression,
la
mes
Souffrances que j'ai refoulées et que je
Souffrance qui est difficile à traverser !
fait
refoule toujours,
Car
je m'aperçois que quand je la traverse et que je pense :
est ! J'ai réussi ! », et que je crois que j'ai dépassé le cap,
je la retrouve, la même souffrance, sur mon chemin, plus tard, à
«
Ca y
quelques mois.qui suivent, voire quelques années.
Souffrances autour de
-
-
souffrance dans
l'expression sur deux plans :
l'expression écrite,
orale,
souffrance dans l'expression
Parce que
je bégaye, parce que je n'arrive pas à parler sans
que ma gorge ne
s'étouffe
pas, sans
20
ressentir un nœud en haut de
là où la parole sort,
cette gorge,
donne la
Frustration
...
Car la
sur
deux
le plan
sur
-
a
au
plans qui m'empêchent de m'exprimer :
écrit,
méthodologie semble plus importante que ce que l'on
à dire, et l'on juge la personne
la façon de
texte :
bout du chemin du souffle qui
parole.
davantage sur le corps de son
relier les mots (un bon écrivain), la façon de
jouer avec les mots, de les agencer (pour cette dernière phrase, je
suis d'accord !)... prime sur le contenu plus que sur ce que l'être
veut exprimer, sur ce qu'il a besoin d'exprimer.
-...
Car
ma
le
sur
plan oral,
gorge se
Ou encore,
bloque alors que ma pensée veut parler.
si la gorge laisse passer les mots, c'est comme
si
pensée car n'exprimant pas correctement la
pensée, utilisant les mots les plus pauvres,
Ces mots plats qui font que, quand on parle, c'est banal, trop
elle
trahissait
la
banal.
Frustration
comprise
: «
aussi
de
pensée floue
Ou encore,
parler ou d'écrire, et de
pas
de ne pas être comprise parce que l'entourage
on a affaire maîtrise bien
des mots employés, sens qui ne
auquel
n'être
»,
les mots et te reprend sur le sens
correspond pas à ce que tu veux
dire,
Du coup, on ne se focalise pas sur l'idée, sur la pensée
exprimée, sur ce que tu viens de dire, mais seulement sur cette
sémantique qui, à son tour, vient parasiter, vient étouffer
l'expression.
Ainsi, à l'école, c'est la méthodologie qui
étouffe l'expression.
l'oral, c'est la gorge qui trahit, qui empêche l'expression en
qui permet cette même expression,
En la retenant pour jouer avec, le temps de se ridiculiser
devant les autres, le temps que je bégaye et de honte m'arrête,
A
retenant le souffle
Cette gorge
qui étouffe l'expression.
21
A
l'étouffe
l'oral, c'est cette gorge qui transforme la pensée et qui
encore.
Du coup, je ne parle pas et me tais. Je préfère écouter les
parler, et j'écoute, sans pour autant faire le moindre effort
pour... Une fuite ?
gens
Oui ! Fuite de
...
Cela
me
l'expression, fuite du monde, fuite, fuite, fuite.
rappelle quand j'étais petite : si l'on pouvait faire
de pouvoir dormir
se réaliserait, je rêvais
Pendant cent ans, mille ans !
un vœu
qui
Ah ! Cent ans,
mille
ans
...
Quel bonheur !
Pas pour que le Prince vienne un jour se pencher sur
d'un baiser me réveiller, mais pour avoir la paix.
moi et
Ah ! Cette paix II! Dans le sommeil, on rêve. Le rêve, c'est
l'expression, là où ni les profs, ni la gorge ne peuvent trahir
l'expression, la pensée.
de
Ah ! S'exprimer
Quel bonheur ! ! !
Il
sans
jugement des autres,
sans
bégayer
...
m'arrivait de penser, ça
c'est vrai, que si un Prince, au
allait venir me réveiller, ce serait
quand le monde aura changé, mûri, quand il aura cessé de se
moquer ou de tuer l'expression par des formes, quelles qu'elles
soient à respecter !
bout de
cent
ans,
mille
ans,
Ou encore, que le Prince serait
ces nœuds d'expression.
celui qui arriverait à me faire
enlever
ce n'est qu'un rêve !!! Le monde est ce qu'il est ! Je suis
je suis !
Bref, jusqu'à présent, je n'ai pas répondu à la question :
c'est bien moi, ça aussi !
Mais
ce
que
Comment
j'écris ?
22
J'écris
qui est
en
source
bloquant
«
l'intellect
».
Cet intellect qui
me
trahit,
de frustration.
En conclusion, j'aime écrire, mais que des lettres, lettres à
Papa et Maman, aux amis.
Quand j'écris, je ne pense plus, je laisse tomber la
méthodologie et je laisse mon stylo aller comme il veut.
Surprenant peut être, mais c'est
comme ça que
j'écris
mes
lettres.
mon
Mon stylo me guide et s'exprime car il est relié directement à
ventre,
Ce ventre, la source de tous mes ressentis.
C'est nul
...
ce que j'ai écrit /II
C'est moi ça aussi I
Mafaru.
(étudiante
23
en
Deug, psychologie, Paris)
L'écriture est une trace visible faite, laissée, donnée.
L'écriture est une transcription de signes, de lettres,
de
chiffres, de symboles.
J'écris pour être lue, être comprise...
reproduire... J'écris pour communiquer.
Mais
J'écris pour produire,
qu'est-ce que j'écris ?
N'importe quoi, ce qui me vient
à l'esprit, ce que j'ai envie
à haute voix ou encore ce
d'écrire, ce que je ne peux pas écrire
que j'ai élaboré mentalement.
Comment
j'écris ?
Avec une force motrice comme mes
mains!
J'écris à l'encre, j'écris avec les touches d'un clavier, j'écris
avec de la peinture, j'écris avec une pression exercée dans le
sable, la farine, le sel.
Mais mes mains ne sont que
Elles sont
guidées
par mes
le moyen pour écrire.
émotions, mes états
d'âme, mon
humeur, mon envie, mon devoir...
Je suis triste, alors j'écris des choses moins gaies.
Je suis heureuse, et j'ai envie d'écrire : le flot de mes pensées
coule comme une cascade et les mots jaillissent tels des poissons
volants.
J'écris parce que je veux exprimer ce qu'il y a en
J'écris pour laisser une trace, pour exister.
moi.
L'héritage de l'homme se présente sous la forme de dessins
laissés dans les grottes, et l'écriture nous permet de laisser des
traces, et à l'être humain, de trouver des réponses à des questions
existentielles
ou
autres
.
Ainsi j'écris en pensant que peut-être cela servira,
dans l'histoire, l'histoire de ma famille, mon histoire.
un jour,
J'écris pour être lue par quelqu'un qui n'est pas près de moi.
J'écris pour prendre des nouvelles ou pour en donner. J'écris pour
être lue comme un journaliste qui écrit pour relater des faits et les
partager avec les hommes.
Namoiata TETUANUI
(étudiante
en
Licence d'Anglais, Besançon
24
01/04/2002)
Société à Tradition Orale ?
L'oralité ?
Qu'est-ce que c'est ?
Vague idée !
Ne serait-ce pas une invention,
Une invention étrangère ?
Qu'est-ce
que
la tradition orale ?
Une invention d'hommes
sociétés
«
Et de
démarquer de
se
venus
de
loin, désireux de découvrir des
autres »,
ces «
demi-civilisés
»
?
Pourquoi n'aurions-nous pas eu une forme d'écriture ?
Qui l'a décidé ? Pourquoi nous infliger cette honte, cette peur de
l'écriture ?
Pourquoi nous avoir privé d'écriture ?
Tatouage, impression sur tapa, hiéroglyphe, dessin sur le sable,
N'étaient-ce pas des formes d'écriture ?
Ecrire, n'est-ce pas imprimer sur, dessiner sur, graver dans
?
...
...
Et comment se transmettait le savoir ?
Certes,
par
Une forme
notre
A la
Mais
voie orale !
d'écriture
«
dérive,
qui « s'écrit
»
Une écriture orale
dans
Alors
»
éphémère qui s'évanouit dans le bleu de
fenua,
nos
...
dans nos pensées,
qui s'inscrit dans nos pensées, qu'il faut fixer
mémoires !
l'écriture était-elle absente de notre société ?
Polynésie ?
Aujourd'hui ? Depuis toujours ?
Est-elle absente de
Et le
Une
geste ?
...
forme
Forme d'écriture invisible mais très présente !
d'écriture
différente
de
celle
que
nous
entendons, différente de celle des « tupuna scientifiques »
Il y a une multitude de
l'écrit et d'écrire l'écrit.
.
façons d'écrire, de penser l'écrit, de dire
25
D'ailleurs, parler, c'est écrire dans la pensée des gens qui nous
écoutent, c'est imprimer une parole dans la mémoire des gens.
a toujours été là !
sociétés !
n'existait tout simplement pas de la même façon
L'écriture est
...
là, elle
Dans toutes les
Elle
n'était pas
qu'ailleurs et
valorisée de la même façon.
aujourd'hui ?
quelle forme ? Comment écrire ?
Et
Ecrire sous
Pourquoi écrire ?
«
Dis-moi comment tu
«
-
Peu
écris, je te dirai qui tu es ! »
importe ! Il importe trop !
Ecrivons !
Dis-moi que tu
écris, je te dirai que tu es ! »
Ecrivons
simplement, écrivons justement,
Ecrivons
généreusement, écrivons passionnément !
J-D Tokainiua D.
(étudiant en licence d'ethnologie, Paris,
26
01/04/2002)
Existe-t-il
littérature
une
polynésienne ?
question a de quoi d'emblée vexer un Polynésien.
Pourquoi n'en existerait-il pas ?
La littérature n'est-elle pas liée à la culture ? La littérature ne
fait-elle pas partie intégrante de la culture ?
Cette
Autant demander s'il existe une culture
Polynésien,
polynésienne !
» ou pas, à partir du moment où
polynésienne est reconnue, il paraît
évident qu'une littérature polynésienne existe.
Pour
un
l'existence
d'une
«
culture
demi
Mais alors, pourquoi cette question ? Quel est le sens de cette
question ? Quelle est la nécessité de poser cette question ?
Ne
nous
reconnaît-on pas de
littérature
propre
?
oui, il existe urte littérature polynésienne, bien sûr.
exemples ? Les 'orero, les chants, les prières, les généalogies
récitées
les légendes toujours fantastiques...
Et pourtant,
Des
,
Mais cette littérature n'est pas
écrite.
La littérature
polynésienne est essentiellement orale, et s'élève
qu'elle est couchée sur du papier, elle semble
dimension, et même deux: celle de l'espace et celle du
dans les airs. Dès
perdre
une
temps.
La valeur esthétique des œuvres polynésiennes est déployée
grâce à la voix et grâce au cœur. Or la voix utilise l'espace et le
temps pour se propager. Le son s'envole et se déploie dans les
airs, et il s'installe dans la durée.
Et la mémoire collective
polynésienne est toute entière éveillée par les émotions véhiculées
par ce son, et se présente à la conscience de ceux qui sont prêts à
la reconnaître.
Car
la
littérature
polynésienne est la littérature des
Polynésiens, celle constituée, édifiée par les Polynésiens.
Elle est, à l'image des Polynésiens, métissée, le produit de
plusieurs brassages ethniques.
Mais la littérature
écrite
ou
énoncée
en
polynésienne doit-elle être nécessairement
langue polynésienne ?
La littérature créée
avec un
esprit de Polynésien, avec un cœur
27
Polynésien, avec une âme de Polynésien, mais pas en
polynésienne, est-ce de la littérature polynésienne ?
de
Polynésienne. L'adjectif porte en lui-même la pluralité.
La Polynésie a été explorée, et influencée, au cours des
langue
siècles
des navigateurs espagnols, anglais, français...
( Et d'où viennent les Polynésiens ?)
Ces rencontres ont façonné les Polynésiens, qui les
parfaitement intégrées. Elles font partie de leur histoire. C'est
par
ont
leur
culture. C'est notre culture !
Les chocs culturels ont
été nombreux au cours des siècles, et
certains subsistent encore.
En
effet, n'est-ce pas un choc culturel que
les membres d'une
polynésienne demandent à l'heure
littérature polynésienne ?
société très liée à la société
actuelle s'il existe une
Et
qui
doit
reconnaître la valeur esthétique des œuvres
polynésiennes ?
Est-ce que ces œuvres
d'une
société
tierce
ou
doivent être reconnues par les membres
par les pairs de ceux qui les ont
composées ?
La
littérature
polynésienne est plurielle. La littérature
polynésienne est multiple.
Et à présent, elle doit se diffuser, se faire connaître, apprivoiser
les esprits extérieurs.
Or pour se
faire connaître, pour mieux se diffuser, la
littérature
polynésienne doit passer par l'écriture. Car c'est l'écriture, plus que
la parole, qui témoigne de l'existence à l'extérieur de la Polynésie.
La littérature polynésienne doit accepter une perte d'intensité,
d'authenticité pour pouvoir s'enrichir dans un temps à venir.
Ainsi, les écrits polynésiens seront traduits dans d'autres
langues
la
et
littérature polynésienne sera connue, et donc
reconnue.
Mais la
qualité des
œuvres
polynésiennes n'est
pas
esthétique, c'est aussi leur valeur
significative, cognitive, et leur potentiel de cohésion.
leur
valeur
uniquement
historique,
Polynésiens, qu'ils soient « demi » ou non, doivent prendre
en eux, et s'exprimer, témoigner de leur culture et de
leurs pensées. Ils ont à se présenter au monde, à mettre en
lumière leur identité, car c'est ça, la littérature polynésienne !
Les
confiance
Vaitea D. (Prépa HEC. Paris,
28
31/03/2002).
/4
Fait partie de Litterama'ohi numéro 1