B987352101_PFP3_2010_318.pdf
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Société
des
Etudes
Océaniennes
Fondée le 1er janvier 1917
c/o Service des Archives de Polynésie française, Tipaerui
B.P. 110,
•
98713 Papeete, Polynésie française • Tél. 41 96 03 -Fax 41 96 04
e-mail : seo@archives.gov.pf • web : etudes-oceaniennes.com • web : seo.pf
Banque de Polynésie, compte n°12149 06744 19472002015 63
CCP Papeete, compte n°14168 00001
8348508J068 78
Composition du Conseil d'Administration 2010
Mme Simone Grand
Présidente
M. Fasan Chong dit Jean Kape
Vice-President
M. Michel Bailleul
Mme Moetu Coulon-Tonarelli
Secretaire
Secretaire-adjointe
M. Yves Babin
Trésorier
M. Pierre Romain
Tresorier-adjoint
Administrateurs
M. Christian Beslu • M. Constant Guehennec
Mme Eliane Hallais Noble-Demay
M. Robert Koenig • M. John Mairai
Membres Correspondants
M. Bernard Salvat • M. Darrell T. Tryon
Membre d'Honneur
M. Raymond Vanaga Pietri
S.E.O.
Bulletin
de la Société
des Etudes océaniennes
(Polynésie orientale)
N°318 Janvier - Avril 2010
Sommaire
Avant-propos
p.
4
E parau note tupuna o te mau arii no Raiatea
p.
6
p.
27
p.
46
p.
86
p.
90
p.
93
p.
94
p.
97
Bernard Pichevin
A propos de quelques objets et sites archéologiques
uniques ou « orphelins » aux Tbamotu
Jean-Michel Chazine
Des divinités premières aux figures mythiques :
pratiques et croyances ancestrales des Futuniens
Pascal Ibrahim Lefèvre
Le maire fantôme
Yves Babin
AU SUJET D’EDOUARD AHNNE
Un don qui ravive la mémoire filiale
Simone Grand
Edouard Ahnne, seul Compagnon de la Libération
des EtabÜssements Français d’Océanie
Constant Guéhennec
RUBRIQUE OUVERTE SUITE AU VANDALISME DU BUSTE DE PIERRE LOTI
Le buste de Pierre Loti, victime d’un incivisme chronique
Tahiti Presse
Quand, à Tahiti, Loti rime avec oubli !
Christian Beslu
Pierre Loti déboulonné
p. 103
Simone Grand
On déboulonne, on déboussole, Loti profane ou profané ?
p. 109
Constant Guéhennec
Loti le tupuna, pour une éthique de la diversité
p. 111
Riccardo Pineri
Quant à Loti... un monument, c’est ce qui rappelle
Robert Koenig
p. 118
Avant-propos
renouvelle son
conseil d’administration lors de l’Assemblée générale du vendredi 28 mai à l6h.
Venez entendre les bilans moral et financier ainsi que les projets de l’équipe
En cette année 2010 la Société des Etudes Océaniennes
renforcée voire rénovée selon vos désirs.
Le nombre fixé de membres de CA est de douze, mais après nous être
retrouvés onze, nous avons fonctionné à neuf assurant la parution du bulletin,
la réédition d’ouvrages, l’alimentation de notre site web, la participation à des
CA d’établissements publics et aux salons du livre dans
le cadre de l’Association
des Editeurs de Tahiti et des îles. Toute personne intéressée à œuvrer au CA est
priée d’envoyer sa candidature au plus tard le 13 mai 2010. A bientôt donc. Et
si vous ne pouvez venir, merci d’envoyer une procuration pour que le quorum
soit atteint dès notre première réunion.
Etonnamment, lors de la constitution de ce bulletin, nous n’avions pas
conscience que nous en réalisions un sur la mémoire.
En effet, avec Eparan no te tupuna o te mau arii no Raiatea, ou Généalogie des arii de Raiatea, Bernard Pichevin, traque les premiers manuscrits
fixant des repères matériels d’une tradition jusque là orale. Comme Maiarii
Cadousteau le rappelle dans Généalogies commentées des arii des îles de la
Société dont c’est la cinquième édition, (c’est dire si cela intéresse) ; aux temps
anciens, dérouler sa tresse généalogique remontant à un couple divin primordial était fondamental. Ici, sans remonter à Taaroanui Tahi Tumu, Bernard
Pichevin, atteste de la filiation des Pômare auxquels il est lui-même affilié par
mariage, à Tamatoa.
Jean-Michel Chazine nous invite à réfléchir A propos de quelques objets et
sites archéologiques uniques ou « orphelins » aux Tuamotu ; illustrant des
béances de mémoire.
Et c’est encore de la mémoire dont il est question pour Pascal Ibrahim
Lefèvre avec « Des divinités premières auxfigures mythiques -.pratiques et
croyances ancestrales des Futuniens ». Quand il faut s’interroger sur
tion entre religion ancienne et religion nouvelle, la question
la rela-
soulève imman-
quablement la problématique des survivances et/ou du syncrétisme. Dans une
société ayant adopté une religion allogène, sans pour autant avoir supprimé ce
qui aurait pu constituer une pratique liée à l’ancienne religion : cette cérémonie
4
(du kavci), immuable vecteur d’une identité, constitue un espace-temps sacré où
les invocations des anciennes divinités perdurent.
Yves Babin nous présente : Le maire fantôme de Papeete, fantôme car
effacé des mémoires bien qu’il exista pourtant.
Avec Constant Guéhennec, nous remercions deux dames venues offrir à la
SEO, des courriers et des « Récits missionnaires » protestants de leur grand-père
arrière-grand-père, Monsieur Edouard Alinne. Ces documents nous informent
européens du début du XXè siècle qui ont participé à forger la
mémoire et l’opinion sur la population polynésienne et sur celles que cette
population a fini par avoir d’elle-même.
et
sur les discours
Enfin, le vandalisme sur le buste de Pierre Loti fut l’occasion d’ouvrir une
rubrique où, Tahiti Presse, Christian Beslu, Riccardo Pineri, Simone Grand,
Constant Guéhennec et Robert Koenig abordent le traitement de la mémoire sur
et par les Polynésiens.
Bonne lecture
Simone Grand
PS. Une lectrice m'a signalé une erreur commise lors de la restitution du chant Te matete dans
le dernier numéro. Nous fûmes et sommes si nombreux à l'avoir chanté et à la chanter de
manière erronée que cela milite pour encourager la restitution soigneuse de ces chansons dont
les auteurs étaient de véritables poètes majoritairement sinon tous oubliés.
Te matete
Au mar<hé
I to matou haereraa i te matete
En allant au marché
I to matou ho'oho'ora'a i te pahua
Nous avons acheté des bénitiers
Ano'i hia i te vanira, rorehia e te mimi
Aue te ma'a e, te haapa'oraa 'ore e
Mélangés à la vanille, chapardé par le chat
Un grand festin pour tous les amis
Hélas quelle nourriture ! immangeable oui !
Aue, aue, te tihopu pouroa e
Hélas ! hélas ! le vrai ratage !
E ua riro ei tamaaraa na te mau hoa
5
E parau no te tupuna
Raite1
o te mau arii no
ingénieur
hydrographe de la Marine, Pierre-Louis Gaussin. Pendant trois ans, sous
l’autorité du capitaine de vaisseau Bruat, il effectue des levés hydrographiques dans les archipels des Marquises et de la Société, et à titre
personnel s’intéresse aux cultures indigènes, ainsi qu’aux langues polynésiennes sur lesquelles il écrira un ouvrage2. Rentré à Paris, pressentant la menace qui risque de peser bientôt sur les cultures locales, il écrit
la lettre suivante à son chef, le Directeur général du Dépôt des cartes et
Au début des années 1840 arrive en Océanie orientale un jeune
plans de la Marine :
Paris, le 8juillet 1848
Amiral,
d’une manièreplus ou
la connaissance de
la langue des pays que le marin est appelé à visiter peut lui être de
la plus grande utilité, j’ai la confiance que vous accueillerezfavorablement le projet quej’ai l’honneur de vous soumettre, et dont le
Si un progrèsfait dans une science concourt
moins directe au progrès des autres sciences, si
but est de rassembler les documents ethnologiques relatifs aux
peuples de la Polynésie et defaciliter V étude de leur langue.
1
1
Généalogie des arii de Raiatea.
Pierre-Louis Gaussin, 1853, Du dialecte de Tahiti et de celui des îles Marquises, et, en
polynésienne, Paris.
général, de la langue
N°318 • Janvier - Avril 2010
En ne considérant qu’une peuplade de l’Océanie en particulier,
de pareilles études, il est vrai, ne présentent guère que l’intérêt de
la curiosité, mais il n ’en est point ainsi lorsqu ’on voit les mêmes
observations se répéter avec une identité vraiment surprenante de langues, de mœurs, de religion, et sur toute l’étendue de la
Polynésie, c.à d. des Iles Sandwich à la Nouvelle-Zélande, de l’Ile
de Pâques à Tikopia. Un fait aussi extraordinaire a de tout temps
attiré l’attention des savants et des géographes. Dumont D’Urville,
Malte-Brun, Guillaume de Humboldt, etc. ont tour à tour cherché
à en donner l’explication. Frappés des ressemblances que les
langues de la Polynésie présentent avec celles de l’archipel indien
et de Madagascar (ce qui constitue toute mie famille nouvelle de
langues répandues sur les deux tiers de la circonférence du globe),
les uns ont supposé, et cette opinion perd tous lesjours du terrain,
que la Polynésie avait été peuplée par une colonie de Malais. D’autrès ont admis l’hypothèse d’un ancien continent qui aurait
disparu dans un cataclysme. Cette opinion, vers laquellej’inclinerais volontiers, paraît confirmée par la traduction de quelques
versets encore mal rassemblés du Pihe ou chant funéraire de la
Nouvelle Zélande. Quoi qu’il en soit, on voit, par les considérations très succinctes qui précèdent, que l’étude des peuples de la
Polynésieparaît devoir se rattacher à l’histoire générale du Globe
et de l’humanité. Mais hâtons-nous de recueillir les précieuses
traditions que ces peuples conservent encore dans les chants
sacrés qu’ils récitent avec mie fidélité religieuse et sans en
comprendre le sens. Hâtons-nous ! Car l’envahissement de
l’Océan ie par la race blanche tend à les effacer chaque jour de
leur mémoire; et que la science ne trouve point plus tard une
cause de regrets dans les
bienfaits de la civilisation que leur
apporte le christianisme.
Si dans les circonstances actuelles, un voyage d’exploration n’est
point possible, et serait, dans tous les cas, trop dispendieux, l’occupation de plusieurs points de l’Océanie par les Français peut
permettre de rassembler, avec des frais insignifiants, un grand
nombre de matériaux utiles. Voici quelques renseignements d’après
lesquels le Gouverneur de nos Etablissements pourrait être engagé
à encourager ces recherches.
7
N°318 • Janvier - Avril 2010
Iles Marquises
L’interprète Moto, par la connaissance complète qu’il a de la langue
indigène, pourra facilement recueillir de la bouche des Tuhura ou
prêtres les documents suivants :
1 ° Liturgie ou chants sacrés qu’ils récitent dans toutes les
grandes
occasions, pour faire la paix, pour lesfunérailles d’un chef etc. la
plupart de ces chants sont devenus inintelligibles aux naturels.
2° Traditions.
3° Specimen de leurs chants poétiques retraçant leurs guerres,
leurs fêtes, leurs amours, etc.
Il sera facile en outre, de se procurer un exemplaire de
chaque
ouvrage publié par les missionnaires, dans la langue du pays, et
peut-être une copie à la main de leur dictionnaire.
Taïti
Le Tahitien Mare estpeut-être le seul habitant de Tahiti
encore
qui conserve
dans sa mémoire les anciens chants sacrés, et qui soit
capable de les fixer par l’écriture. Lui demander particulièrement
qui se rapporte à la cosmogonie, à la déesse Hina, au Dieu Te
Fatu ; le chant commençant par ces mots : Parahi. Taaroa te ioa.
Le missionnaire anglais
M'Orsmondpourra donner les renseignements les plus utiles sur les documents à recueillir.
Envoyer un exemplaire du Dictionnaire Tahitienfrançais et anglais de
l’interprète M Darling, lorsqu’il aura été publié, et une bible tahice
tienne.
Je pense que tous ces documents à mesure que l’on pourra se les
procurer, devront être envoyés à une de nos bibliothèques, et celle du
Dépôt de la Marine meparaît devoir être choisie, puisque cet établissentent est destiné à recevoir toutes les archives relatives à la Marine.
J’espère que vous accueillerez les diverses propositions que j’ai eu
l’honneur de vous présenter et que vous voudrez bien les soumettre
au Ministre. La question de
dépense ne sera pas, je crois, un obstacle
puisqu’il suffira de quelques légères primes d’encouragement.
Quant à la question d’utilité, je crois l’avoir résolue plus haut en
aussi peu de mots qu’il m’a été possible. La seule
récompense que
9
# Œu/letùt
de- /a- Société dex études- &xxanietme&
je demanderai de mon initiative sera de prendre connaissance des
différents documents que l’on pourra recueillir.
J’ai l’honneur d’être avec respect, Amiral, vôtre très humble serviteur
L. Gaussin, Ing.r hydrographe
Cette lettre est transmise au Ministère de la Marine et des Colonies,
qui la joint à la dépêche ministérielle suivante, adressée au successeur de
Bruat dans les Établissements français de l’Océanie, le capitaine de vaisseau Lavaud :
Paris le 17Juillet 1848
Ministère de la Marine et des Colonies
Direction du Personnel
Bureau Mouvements
Citoyen Commissaire,
J’ai l’honneur de vous envoyer la copie d’un mémoire dans lequel le
citoyen Gaussin, Ingénieur hydrographe, signale l’utilité de recueillir
des documents ethnologiques sur les peuples de la Polynésie.
Je partage l’opinion du citoyen Gaussin sur les avantages qu’offriraient ces recherches au double point de vue de l’histoire générale
du globe et de l’humanité.
Je vous prie donc d’appeler l’attention des Français et des étrangers
avec lesquels vous êtes en rapport, sur les études ethnologiques.
Vous remarquerez, au surplus, que le citoyen Gaussin indique les
documents qu’il lui paraît nécessaire de recueillir soit à Taïti soit
aux Iles
Marquises.
Vous voudrez bien me transmettre les documents dont il s’agit, au fur
et à mesure qu’ils vous seront soumis.
Salut et Fraternité
Le Min istre de la Marine et des Colonies
Pour le Ministre et par son ordre
Le Sous-Secrétaire d’Etat
signé Vemirnc
Au citoyen Lavaud, capitaine de ri"
Commissaire de la République
10
N°318 • Janvier - Avril 2010
Lavaud accuse réception de cette directive, non sans s’étonner que
Gaussin veuille faire recueillir par les autres ce que lui-même n’a pas su
obtenir pendant son séjour :
Établissementsfrançais de l’Océanie
Papeete, le 16 mars 1849
Citoyen Ministre,
J’ai reçu votre dépêche en date du 17juillet dernier sous le timbre
Personnel mouvements, ainsi que la copie d’une lettre de Mr
Gaussin, ingénieur hydrographe, dans le but de faire recueillir, en
-
Océanie, des documents ethnologiques sur lespeuples de la Polynésie.
J’ai déjàfait etjeferaifaire de nouvelles recherches à ce sujet ; mais
il n’est pas aussi facile que semble le penser Mr Gaussin de se
procurer ce qu ’il désire, et ce qui le prouve encore mieux que ce que
l’on pourrait dire, c’est que Mr Gaussin qui est resté près de trois
ans en Océanie, en est parti sans pouvoir obtenir ce
qu ’il demande
aujourd’hui aux autres.
Sijepuis, par les moyens qu ’indique cet officier meprocurer quelques
documents, je vous les adresserai au fur et à mesure qu ’ils seront en
ma possession, Il ne faut compter, à cet
égard, que sur les indigènes,
et c’est peu ; car les Européens les gardent, soit pour s’en servir euxmêmes, soitpour les donner à des personnes capables de les utiliser.
Agréez, Citoyen Ministre, l’hommage de mon respect.
Salut et Fraternité !
Le Commissaire de la République
signé: Lavaud
Et l’année suivante, il joint à la lettre suivante les documents qu’il a
recueillis auprès de deux Tahitiens, Mare et Apo :
Établissementsfrançais de l’Océanie
Papeete, le 20 mars 1850
Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur, conformément à votre invitation du 17juillet 1848,
de vous adresser ci-joint les documents ethnologiques que j’ai pu
me
procurer sur les îles de la Société.
11
^ bulletin do lev Société de-s études/ Océaniennes/
J’yjoins également ceux que Mr le Commandant Noury, d’après mes
instructions, a pu recueillir, pendant son séjour, sur les Marquises.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’hommage de mon respect.
Le Capitaine de vaisseau
Commissaire de la République aux îles de la Société
signé : Lavaud
Ces documents sont regroupés dans un petit volume relié de 44 feuil-
lets qui comprend deux parties intitulées respectivement :
«
Traduction des documents ethnologiques sur les îles de la Société et
les îles sous le vent, recueillis par M1' Lavaud, Capne de vau, Commissaire
de la République aux îles de la Société. Manuscrits du 16 juillet et 20
septembre 1849 » ; et :
«
Texte Taitien des Manuscrits du 16 juillet et 20 Septembre 1849.
Documents ethnologiques sur Taïti, Huahine, Raiatea, etc. etc. RecueiUis
par Mr Lavaud, Cap"e de Vaisseau, Commissaire de la Répubüque aux
îles de la Société. »
Lavaud a conservé dans ses archives personnelles une copie de la
traduction française des documents recueillis, ainsi qu’une traduction
partielle en langue anglaise du manuscrit de Mare. Ces documents ont
été, à sa mort en 1878, versés aux Archives nationales : ils sont
aujourd’hui conservés au Centre des Archives d’Outre-Mer (C.A.O.M.)
d’Aix-en-Provence.
L’exemplaire reçu au ministère de la lettre du 20 mars 1850 de Lavaud,
aujourd’hui conservé à la Bibliothèque centrale de la Marine, au château de
Vincennes, porte dans la marge, ajoutée par le destinataire, la mention :
à transmettre au Dépôt pour être communiquée à M. Gaussin, qui l’a
demandée » et, au-dessus du texte :
transmis au Dépôt le 26 Août. »
«
«
Comme Gaussin l’avait proposé dans sa lettre du 8 juillet 1848, la
pièce jointe a effectivement été enregistrée au Dépôt des cartes et plans
de la Marine sous la cote SH 256 du Service Hydrographique : elle y a été
conservée jusqu’aux années 1970 avant d’être transférée à la Bibüothèque
centrale de la Marine.
12
N°318 • Janvier - Avril 2010
Gaussin sera d’ailleurs le premier à publier, en I860 dans la revue
Tour du monde*, une traduction de certains des textes du manuscrit tahitien remis par Mare à Lavaud. Mais il
s’agit de sa propre traduction, et non
de celle transmise par Lavaud, puisqu’il précise :
Ajoutons que si notre traduction est nouvelle, nous avons cependant
consulté avec quelque profit la version anglaise qui a été faite à
Tahiti, par ordre
de M. le gouverneur Lavaud, et qui est restée manuscrite. »
Ce commentaire indique qu’il a eu accès non seulement aux documents
«
Rousier5,
reçus par le ministère, qui les lui a fait communiquer (cf. ci-dessus), mais
également aux documents conservés par Lavaud, où se trouvait la traduction
langue anglaise d’une partie des textes du manuscrit de Mare {idem).
Si on fait abstraction de cette publication, et de celle faite
quelques
années plus tard par Armand de Quatrefages d’une liste
généalogique tirée
du manuscrit de Mare, sur laquelle nous reviendrons
plus loin, il faudra
attendre 1928 pour qu’une traduction française de l’ensemble des documents recueillis par Lavaud en 1849 soit
publiée par Paul Roussier, archiviste
du Ministère des Colonies, dans la Revue
d’Ethnographie et des Traditions
populaires4. Cette traduction n’était pas celle jointe aux manuscrits tahitiens
transmis par Lavaud, mais celle conservée
par celui-ci, qui en diffère sur des
détails de forme, mais a le mérite de ne pas reprendre certaines des erreurs
qu’elle contient. Roussier précisait en effet avoir utilisé un document qui :
en
« a été
reçu à Tahiti, en 1849, par le Gouverneur Lavaud, rapporté par
lui en France en 1880 [sic : il faut lire 1850], et est
entré, après sa
mort, aux Archives Coloniales » et qui
« contient le texte en
anglais d’une partie du manuscrit du 16
juillet »
(Roussier, 1928, op. cit. : 193).
La Société des Études Océaniennes a, en 1979,
Bulletin la publication de
3
reproduit dans son
mais aucun des textes tahitiens des
Pierre-Louis Goussin, 1860, "Traditions religieuses de la Polynésie. Cosmogonie Tahitienne
(Document
inédit)", Le Tour du monde : 10-12,302-304.
4
Paul Roussier, 1928, "Documents Ethnologiques Taïtiens recueillis en 1849 par le Capitaine de vaisseau
Lavaud", Revue d'Ethnographie et des Traditions populaires, n“ 34-35-36:188-206.
5
Charles Lavaud, 1979 [1850], "Documents ethnologiques tahitiens recueillis en 1849 par le
Capitaine de
Vaisseau Lavaud", Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes, n° 208:525-529 ; n° 209:547-557.
13
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^jMU» kV'«JcLVctuîà; CajjÇ’ài Uft^Hou.,
N°318 «Janvier-Avril2010
manuscrits de Mare et Apo n’y a jusqu’à présent été publié. Cela semble
d’autant plus regrettable que la traduction qui l’a été n’est pas entièrement
fidèle : elle comporte des ajouts et des commentaires, introduits dans le
texte ou sous forme de notes, mais parfois aussi des erreurs. Il semble
donc intéressant et utile d’envisager la publication d’au moins certains
des textes tahitiens.
Comme indiqué plus haut, ceux-ci constituent la seconde partie du
petit volume de 44 feuillets transmis par Lavaud. Elle comprend ellemême deux documents, datés respectivement du 16 juillet et du 20
septembre 1849 :
-
le « document donné par Mare » (feuillets 16 à 31) :datédu«Julail6,
1849 », il est écrit au crayon, en tahitien, sur du papier d’un format sensiblement inférieur à celui du reste du volume ;
le « document dicté par Apo d’Atimaha à Moorea » (feuillets 33 à 37 :
le feuillet 32 est vierge) : écrit à l’encre il porte, ajoutée en français, la date
-
du 20 septembre 1849, et contient un texte tahitien avec, en regard, sa
traduction en anglais.
Le manuscrit de Mare commence par une adresse à Lavaud :
“E te Tavana, e Lavaud ê,
Iaora na oe i teAtua
nei6”
Teie te paran ta oe i faaue mai ia’u
mais ne comporte ensuite ni division ni titre, ces derniers étant constitués
par des phrases telles que celle qui introduit le troisième des sept textes
qu’il contient :
“E parau no te tupuna o te mau arii no Raiatea1”.
6
«
Gouverneur Lavaud, salut à vous par le vrai Dieu ! Voici les paroles que vous m'avez demandées » (feuil-
lets 17 pour le texte tahitien et 2 pour la traduction).
7
«
Généalogie des rois de Raiatea" (feuillets 21 pour le texte tahitien et 7 pour la traduction). C'est une
généalogie de Hiro, ancêtre prestigieux connu dans tout le triangle polynésien, qui va jusqu'à la reine
Pômare IV. Curieusement, l'ordre des textes du manuscrit tahitien n'est pas celui qui a été retenu pour la
traduction française jointe au manuscrit, de sorte que des numéros correspondant à ce dernier ont été
ajoutés, à l'encre, sur le manuscrit : la généalogie porte ainsi le numéro 7. En revanche, la traduction
conservée par Lavaud, celle publiée par Roussier, suit l'ordre du manuscrit tahitien, et il en est de même
pour la traduction anglaise qui y est jointe.
15
Œullclin do la Société de& ètude& Qcéanie/i/ie&
Cette généalogie de Hiro présente un
comme nous allons le voir
intérêt tout particulier. En effet,
ci-après, Mare en a écrit une autre version,
aujourd’hui disparue, qui a fait, comme la traduction française de celle
recueillie par Lavaud, l’objet de publications.
En 1866, Armand de Quatrefages publie Les Polynésiens et leurs
migrations, ouvrage dans lequel figure une « Généalogie des rois de
Raiatea, ancêtres de la reine Pômare8 », dont la Este généalogique est
précédée de la mention :
Généalogie extraite du manuscrit appartenant au Dépôt de la Marine.
Recueillie à l’époque où l’amiral Lavaud commandait aux îles de la
Société, sévèrement contrôlée dans le but d’établir les droits que les
Pômare pouvaient avoir à la possession d'une partie de l’Archipel, cette
pièce a toute la valeur d’un document historique officiel et parfaitement authentique. Le texte tahitien est écrit au crayon. J’ignore à qui est
«
due la traduction annexée. »
Quatrefages écrit par ailleurs dans son ouvrage, à propos de Tahiti
et des îles voisines :
«
[... ] on voit de quelle importance serait pour l’histoire de ces îles
un recueil aussi
complet que possible de leurs chants nationaux, de
leurs traditions »,
et il ajoute :
«
Ce recueil paraît avoir été fait pour Tahiti par M. Orsmond, qui a
passé une grande partie de sa vie en Polynésie. Ce savant missionnaire,
dont Moerenhout parle avec de grands éloges, et que MM. Ribourt et
Gaussin ont personnellement connu, est mort depuis quelques années,
et malheureusement on ignore ce qu’est devenu un travail considérable
qu’ü paraît avoir terminé.” (Quatrefages, 1866, op. cit. : 110).
J. Orsmond avait effectivement réalisé, depuis son arrivée en 1817,
un travail
ethnologique considérable. Mais son manuscrit, remis à Lavaud
à son départ de Tahiti en 1851, disparut peu après l’arrivée de celui-ci en
métropole. Sa petite-fille, Teuira Henry, consacra une grande partie de sa
vie à reconstituer son œuvre à partir des notes qu’il avait laissées.
Armand de Quatrefages, 1866, Les Polynésiens et leurs migrations : 195-197.
16
N°318 «Janvier-Avril2010
C’est ainsi qu’elle remit à S. Percy Smith, un des premiers responsa-
1893,
blés du Journal ofthe Polynesian Society (J.P.S.) où il la publia en
une «
Genealogy of the Pômare family of Tahiti, from the papers of the
Rev. J. M. Orsmond », dont il est précisé :
“taken from-Mare’s copy, 27th November, 1846, from Raiatea, by the
Rev.J. M. Orsmond
S.P. Smith croyait que cette généalogie avait la même origine que
celle publiée en 1866 par Quatrefages, et s’étonnait de trouver dans celleci des noms mal orthographiés ou manquants :
“Miss Teuira Henry, of Honolulu, supplies thefollowing genealo-
gical table, taken from the documents presewed by her grandfather, the Rev.J. M. Orsmond, one ofthe early missionaries to Tahiti,
who arrived there in 1817.A copy ofthis has already been published
in De Quatre/uges’s 'les Polynésiens” but some of the names are
wrongly spelt, and others not given in full in that publication. It
has been deemed advisable therefore to republish it here, with some
notes shoiving the connection betiveen thisfamily and others in
Hawaii, Rarotonga, and New Zealand’ (Smith, 1893: 25)10
Une généalogie très semblable, mais pas identique, intitulée « La
famille Pômare de Tahiti », a été publiée ultérieurement dans l’ouvrage de
T. Henry, Tahiti aux Temps anciens, parmi plusieurs autres regroupées
sous le titre « Généalogies royales de Tahiti (1)" », avec, en note, la
mention :
5
S. P. Smith, (from the papers of the Rev. J.M. Orsmond, with notes thereon by), 1893, "The genealogy
of the Pomare family of Tahiti", Journal of the Polynesian Society, vol. 2:25-42.
111
« Mademoiselle Teuira
Henry, de Honolulu, nous adresse le tableau généalogique suivant, qui provient
des documents conservés par son grand-père, le Rév. J. M. Orsmond, un des premiers missionnaires à
Tahiti, où il arriva en 1817. Une copie en a déjà été publiée dans Les Polynésiens, de De Quatrefages, mais
l'orthographe de certains noms est erronée, et d'autres ne figurent pas en entier dans cette publication. Il
a donc semblé opportun de la publier à nouveau ici, avec quelques notes montrant les liens entre cette
famille et d'autres de Hawaii, Rarotonga et de Nouvelle-Zélande. »
11
Teuira Henry, 1968 [1928], Tahiti aux temps anciens, traduction de l'édition en langue anglaise ["Ancient
Tahiti"]: 255-281.
17
bulletin de- la Société des études- Océaniennes
(1) Copié en 1846 d’après le manuscrit de Mare (toux) généalogiste
et membre de la famille royale, et mis à jour par les services de Mr
Cardella, maire de Papeete, avec le concours de Marau, reine douairière de Tahiti, et de sa cousine12. »
Malheureusement, les manuscrits de T. Henry ont disparu comme
ceux d’Orsmond13.
Nous connaissons donc l’existence de deux généalogies de Hiro,
remises par Mare :
l’une à Orsmond en 1846 : le manuscrit a disparu, il nous reste deux
-
listes généalogiques, publiées respectivement en 1893 par Smith et en
1928 dans l’ouvrage de T. Henry, dont le manuscrit a également disparu ;
l’autre à Lavaud en 1849 : nous disposons du manuscrit de Mare, des
-
deux versions de la traduction française qui y est jointe et de la traduction
anglaise jointe à une de celles-ci ; nous avons aussi la publication de la
traduction française par Roussier en 1928, et la reproduction de celle-ci
dans le Bulletin de la Société des Études Océaniennes (JB.S.E.O.) en
1979 ; nous disposons enfin de la liste généalogique que Quatrefages en
a
tirée, publiée en 1866.
12
II est intéressant de noter que, dans l'édition anglaise de l'ouvrage de T. Henry, 1928, Ancient Tahiti,
Bernice P. Bishop Museum, Bulletin 48, Honolulu, la note correspondante mentionne ici, en plus de Marau :
"[...], by her cousin, Ta'aroari'i Vahiné, and by Mrs Charlotte Platt of Ra'iatea".
Elle comporte en outre le commentaire suivant, non repris dans l'édition française, et à peu près équivalent à celui, cité plus haut, qui précède la liste généalogique de Quatrefages :
"This Ra'iatean and Tahitian genealogy of the Pomare family, from Uru to Queen Pômare IV and her children,
has long been held by the French Government as a valuable historic and official document from a most
authentic source, a copy of it having been obtained by the French Admiral Lavaud when, as commandant of
the Protectorate Government of Tahiti, he was strictly inquiring into the rights of the dominion in the group
of the Pomare family. After this test it was published in the French work called 'Les Polynésiens et leurs
Migrations', by De Quatrefages."
13
L'édition anglaise de l'ouvrage de ï. Henry comporte, p. 247, la note additionnelle suivante de l'éditeur
qui n'a pas non plus été reprise page 255 de l'édition française :
"The author's copy of there genealogies, unfortunately, was lost after retyping, making it impossible to
verify the printed copy by reference to the original''
«
L'exemplaire de l'auteur de ces généalogies a, malheureusement, été perdu après recopie, rendant impossible de vérifier la copie imprimée par rapport à l'original. »
18
N°318 «Janvier-Avril 2010
Il est clair que le manuscrit tahitien original est le seul document de réfé-
auquel doivent être confrontées les autres versions de la généalogie. Nous reproduisons donc ci-après les pages correspondantes du
manuscrit, suivies d’une recopie du texte de la généalogie et des commentaires que suscite cette confrontation.
rence
E parmi no te tnpuna o te mau arii no
Raiatea
O Uru te tupuna tane o Hinaturoro te vahiné. Fanau ta raua o Iritea
pnrai t.
Amoe Iriteapura ia Tefefe. Fanau ta raua o Tavaearii.
Amoe Tavaearii ia Tetapu. Fanau ta raua o Imitoa t.
Amoe Imitoa ia Tepevanua. Fanau ta raua o Maramaitetua t.
Amoe Maramaitetua iaNohoa’e. Fanau ta raua o Tu’itu’i t.
Amoe Tu’itu’i ia Rorofa’i. Fanau ta raua o Raitetumu.
Amoe Raitetumu ia Hinateunu. Fanau ta raua o Raitepapa.
Amoe Raitepapa iaHinatea. Fanau ta raua o Raitemeremere.
Amoe Raitemeremere ia Hinatuatua. Fanau ta raua o Raitehota-
hota,
Amoe Raitehotahota ia Hinatuatai. Fanau ta raua o Raiemate
iteniuhaameâ atane.
Amoe Raiemate iteniuhaameâ tane ia Mautu. Fanau ta raua o
Moeitiiti.
Amoe Moeitiiti iaFaafâro. Fanau ta raua o Moeterearea.
Amoe Moeterearea ia Tiaraaura. Fanau ta raua o Moeterauri.
Amoe Moeterauri iaFaimano. Fanau ta raua o Him.
O Te Him teie e papai hia i te aai ra ia Him, e taata teie, te vai nei
tana tapao inia i te fenua nei, te uri a Him, te matau,
oia hoi tei
tahi, terai tua rua, terai tua torn, terai tua
hâ, terai tua rima, terai tua ono, terai tua hitu, terai tua varu, terai
tuaivai, terai tuatini, terai hamama atane, parahi atura inia i te
hora i Tainuna, aita o Tane e horo raa, uafaateni ihora oia, o vau
auau ia tane i te rai tua
o Him. Itiiti e raurau mai to rima rae
Him. e Him arave. Ua parau
maira Tane ia Him, ia ora vau. Ua parau atura Him eita oe e ora
19
ÇJ&ullelln de la Société de& Studeœ 0*ceaniefmes
ei hoo oe i tau mau tuaana ia Meahiu, ia Hiutoto, ia Hiutetauirariio uporu, e teina iti herehere o Tupara’ira’i. Tera te hara ipohe ai
raton, o Tane manu ua tini hia e raton. Uaparau maira Tane e vaiho
a’e oe iau ei atuafaateretere no oe. Na oe e tara ia’u, e na’u e uru
iroto i taua ta oe i tarai ra, e na’o ta oe parau, o Tane oe a noho,
Noho ia mai te too, noho ia mai te aha, noho ia mai te ma, o Tane
noho, a noho, tei roto ihora Tane oti e Tane ota. Riri aéra Him
parau mai tana, e taata paari Him, ua
amu oia i te upu aAna i roto i te fare i Tapuata i terai, e taata eia
hoi, nana eia te mau atua ni ra ourutu, ouruanoho, ouruamaneenee, o Varaihaua, Tepohauneatu, Teâo haune mai. Teie te upu
eia naHiro. Tuu a’e teara noAtihoro no Him tepo, no Him te ao, o
Him te eia eia hau te mau atua rii ra o Uruatu, o Urua noho, o
Urmhau, o Uniamaneenee, o Varaihaua, Tepohauneatu, Teâo haune
oe a
no te mea aore-roa- -Tane i
mai. Tevare o te ro’a ê tavere, tevere o tepurau e tavere, tevare o te
uhu e tavere, e tavere aturâ i te mata o te moe fare ia moe to roto
ia ara to vaho. E rave rahi te parau rii no Him eita e hope ia papai.
AmoeHiro ia Vaitumaria, fanau ta raua o Marama, fanau maira e
vahiné, o Piho i te marotairoa.
Amoe Marama ia Maapu, fanau ta raua o Faaniti.
Amoe Faaniti ia Vairaumati, fanau ta raua o Hoata tama.
Amoe Hoata tama ia Haamahea, fanau ta raua o Fata.
Amoe Fata ia Utiutirei, fanau ta ram o Roo.
Amoe Roo ia Vaipuai, fanau ta raua o Ho’a.
AmoeHo’a ia Vaitea, fanau ta raua o Taahue.
Amoe Taahue ia Motuma, fanau ta raua o Ruutia.
Amoe Ruutia ia Vaituraa, fanau ta raua o Huui.
AmoeHuui ia Tupeeheiva, fanau ta raua o Raauri.
Amoe Raauri ia Aretemoe, fanau ta ram o Tu.
Amoe Tu ia Bupauraivaiahu, fanau ta raua o Tautu.
Amoe Tautu ia Teunuhaaehaa, fanau ta raua o Tamatoa.
Amoe Tamatoa ia Teaoinaia, fanau ta raua o Ariima’o t., fanau
maira e tau maehaa oAriirua tetahi, o Rofa’i tetahi.
Amoe Ariima’o ia Teeeva no Papara, fanau ta raua o Ma’ua.
Amoe Ma’ua ia Tetuanuimarama, e tuahine no Tereroa, fanau ta
raua o
20
Rohianuu, ahee imuri o Turaiarii v., ahee imuri oMoetu t.,
N°318 «Janvier-Avril2010
ahee i mûri o Varivari v., ahee i mûri o Vaaveroa t., ahee i mûri o
Mato t., ahee i mûri o Faaraurau v., toohitu ia.
Amoe Rohianuu ia Teioatua v., fanau ta raua o Teriitaria, pohe
attira Rohianuu,
riro aéra te vahiné ia Mato, fanau ta raua o
Turaiarii oia te tupuna o Pômare i te fenua i Huahine.
Amoe faahou aéra Mato i te vahiné api ia Tetuaveroa, fanau aéra
o
Tenania t., ahee imuri o Teheiura t., oia te tupuna o Ariipeu
vahiné i Huahine.
Amoe Tenania ia Tohemai, fanau ta raua o Turaiarii v., tirara,
Amoe faahou aéra ia Vairaatoa v., fanau ta raua o Teriia’etua v.,
tirara hoi ia.
Amoe Teheiura ia Taaoa, fanau aéra o Taaroarii t.
Amoe Taaroarii ia Tematafainuu, fanau aéra o Ariipeu v.
Amoe Ariipeu v. ia Paraupapaa, fanau aéra oAimata v.
Amoe Tamatoa ia Teaoinaia, fanau ta raua o Ariima’o t., ahee
imuri e tau maehaa, oAriirua tetahi, oRofa’i tetahi, tootoru ia.
AmoeRofa’i iaMarama,fanau ta raua o Tamatoa t., ahee imuri o
Tetutaata v., ahee imuri o Varivari v., ahee imuri o Hapairai t., ahee
imuri o Bupaura v., ahee imuri o Titiarii t., ahee imuri o Fanofano
v., toohitu ia.
Amoe Tamatoa ia Maihea,fanau aéra o Tetupaia v., ahee imuri o
Teriinavahoroa t., ahee imuri o Teruria t., ahee imuri o Hapaitahaa
v., too maha ia.
Amoe Tetupaia ia Teu, no Pare ia, fanau ta raua o Teriinavahoroa
v., ahee imuri o Vairaatoa t,, ahee imuri oAriipaea v., ahee imuri o
Teriifaatau t., ahee imuri o Vauô v., ahee imuri o Tepau t., toono ia.
Amoe Vairaatoa ia Tetuanuireia i terni iatea, fanau taraua o Terii-
navahoroa v., ahee i mûri o Pômare piti, ahee imuri o Teriinavaborna t.
Amoe Teriinavahoroa te tuaane o Tetupaia ia Buni v., e tamahine
na
Teheâtua, to Tuutoa v. mua’e, fanau ta raua o Teriinuiouruahee imuri o Teruria t., ahee imuri o Tetupaia v., ahee
maana t.,
imuri o Teriinavahoroa t.
Amoefaahou aéra i te vahiné api ia Rereao, e tamahine na Uruatu,
e
tuahine no Maevarua. Fanau aéra o Hihîpo t., ahee imuri o
Tamatoa t., ahee imuri o Tahitoe t., ahee imuri o Maihea v. Moe
aéra hoi ia
Teroro, fanau aéra o Tepoanuu t.
21
bulletin de la Société des- études- (Océaniennes
Amoe Tarmtoa ia Turaiarii, fatum aéra ta raua o Teriitaria v.,
ahee
i te tua o Teritooterai v., ahee i te tua o Tamarii v., ahee i te tua o
Teriitinorua t., ahee i te tua o Teihotua v.
Amoe Teritooterai i te tane ia Pômare piti, e arii no Tahiti, fanau
aéra
ta raua o Aimata v., ahee imuri o Teina t.,
ahee imuri o
Pômare torn.
Amoe Teihotu i te tane ia Hirô, fanau aéra o Tenania t., ahee i te tua
o
Paraupapaa.
Amoe Tenania ia Pômare v.
Si on fait abstraction du récit relatif à Hiro, qui n’a été repris dans
aucune des
généalogies tirées de celle de Mare, les listes généalo-
giques de Quatrefages et de Smith, très sobres, sont proches de celle
du manuscrit de Mare14. Nos commentaires se limiteront donc ici à
relever une série d’erreurs, dans la traduction manuscrite, et une
modification dans la généalogie de Tahiti aux temps anciens.
Aux l6ème et 17ème générations après Hiro, on ht dans le manuscrit
tahitien :
«
Amoe Rohianuu ia Teioatua v., fanau ta raua o Teriitaria, pohe atura
Rohianuu, riro aéra te vahiné ia Mato, fanau ta raua o Turaiarii oia te
tupuna o Pômare i te fenua i Huahine.
Amoe faahou aéra Mato i te vahiné api ia Tetuaveroa, fanau aéra o
Tenania t., ahee imuri o Teheiura t., oia te tupuna o Ariipeu vahiné i
Huahine.
Amoe Tenania ia Tohemai, fanau ta raua o Turaiarii v., tirara.
Amoe faahou aéra ia Vairaatoa v., fanau ta raua o Teriia’etua v., tirara
hoi ia”.
“Roohianuu dormit avec Teioatua v., Teriitaria leur naquit, Roohianuu
mourut, sa femme devint celle de Mato, leur naquit Turaiarii, aïeule de
Pômare à Huahine.
14
II faut cependant noter que ces deux listes sont présentées comme des généalogies de la reine Pômare.
Quatrefages, mais pas dans
celle de Smith. Et l'une et l'autre limitent la descendance du second Tamaloa, fils du frère Rotai de Ariimao,
à celle de sa fille aînée Telupaia, qui constitue la lignée la plus directe entre les Tamaloa et les Pômare
La descendance du fils aîné Ariimao du premier Tamaloafigure dans celle de
puisqu'elle est la mère du premier Pômare.
22
N°318 • Janvier - Avril 2010
Mato dormit à nouveau avec une nouvelle femme, Tetuaveroa, naquirent alors Tenania t., et ensuite Teheiura t., ancêtre de Ariipeu v. à
Huahine.
Tenania dormit avec Tohemai, Turaiarii v. leur naquit, c’est tout. Il
dormit ensuite avec Vairaatoa v., Teriia’etua v. leur naquit, c’est vraiment tout. »
La traduction anglaise est correcte, sauf pour les commentaires
ajoutés entre parenthèses :
“Rohianuu took to wife Teioatua and begat
Ist Teriitaria female.
Rohianuu then died and Teioatua became the wife of Mato by whom
she begat Turaiarii. the progenitor of Pomare on the Huahine side.
Mato then took another wife Tetuaveroa by whom he had 1 Tenania a
son - and 2 Teheiura
(The late Mahine of Huahine, spoken of by Cook
in his last voyage ) also a son - this last being grandfather to Ariipeu
valiine on the Fathers side.
1 Tenania took to wife Tohemai and begat Turaiarii. Tenania again took
to wife Vairaatoa, and
begat Teriiaetua (Now living in Huahine and
called Itia or Teraimano)”.
On ht en revanche, dans la traduction française jointe au manuscrit
de Mare, dont l’autre version, celle publiée par Roussier et 1 eB.SJi.0., ne
diffère que par des détails de forme :
«
Rohianuu épousa Teroatua vahiné, et engendra 1° Teriitaria, fille, 2°
Rohianuu, né mort, 3° Teivatua fille, qui épousa Mato frère de
Rohianuu (son oncle) de laquelle naquit Turaiarii, aïeul de Pomare,
,
du côté de la branche de Huahine. »
«
Mato épousa une autre femme nommée Tetuaveroa de laquelle il eut
Tenania ou Teheiura15 garçon. Ce dernier est le grand père paternel
d’Ariipeu vahiné, aujourd’hui beüe sœur de la Reine Pomaré. »
Tenania épousa Toemai vahiné et en eut Turaiarii vahiné. Il se remaria
ensuite avec une autre femme, nommée Vairatoa, de laquelle il eut
«
Teriiaetua16. »
15
« Ce Teheiura est le même
personnage dont parle Cook dans son dernier voyage, sous le nom de
Mahine. »
On notera gue, dans l'autre version de la traduction manuscrite, on lit que Mato « eut Tenania et Teheiura. »
16
"Encore vivant aujourd'hui à Huahine et connu sous le nom de Itia ou Teraïmano."
23
ÇPidletÀii de la xPociété de& étude& 61■ceamenne&>
Il est clair que les trois dernières lignes du premier alinéa de cette
traduction sont grossièrement erronées. Nous savons en outre :
-
par la suite de la généalogie, que Turaiarii est une femme ;
par J. Davies17 que Terme tua, fille et non fils de Tenania et de
Vairaatoa, la veuve Itia du premier Pômare, est décédée vers 1811 : la
-
note la mentionnant sous le nom de Teraimano concerne très probablement la fille Turaiarii de Tenania et Tohemai, effectivement connue
également sous le nom de Teraimano, mais qui n’avait pas de lien de
parenté direct avec Itia.
Notre second commentaire concerne la première des généalogies
de Tahiti aux temps anciens. Nous savons qu’elle ne provient pas du
manuscrit remis par Mare à Lavaud mais, tout comme celle publiée par
Smith, de celui remis à Orsmond et exploité par T. Henry. La liste généalogique de Tahiti aux temps anciens aurait donc logiquement dû être
identique à celle publiée par Smith si elle n’avait pas fait l’objet de la
mise à jour » mentionnée plus haut.
Outre la traduction des noms et l’indication systématique du sexe,
celle-ci a introduit une modification, à la génération 17, au nom du petitfils de Hiro, Faaniti : la üste de l’ouvrage de T. Henry le nomme d’abord
Fa’aniti Tamatoa-’ura, t. ou Tamatoa I », en tant que fils de Marama, à
la génération 16, puis « Tamatoa I (Fa’aniti) » à la génération 17 ; elle nomme
ensuite « Tamatoa H » le Tamatoa de la génération 28, le premier à
porter
ce nom dans les trois autres listes, et
que Smith appelle « Tamatoa I18 ». Le
décalage ainsi introduit se poursuit ensuite :
le second Tamatoa de la liste de Mare, le Tamatoa II de celle de
Smith, père de Tetupaia et de Teriinavahoroa, y est appelé Tamatoa III \
le troisième, beau-père de Pômare II parfois appelé « Tamatoa le
Grand », dont la branche n’apparaît pas dans les listes de Quatrefages et
Smith, figure dans celle de Tahiti aux temps anciens sous le nom de
«
«
-
-
Tamatoa TV.
17
18
John Davies, 1961, The history of the Tahitian Mission (1799-1830), édité et annoté par C. Newbury : 138.
Ni le manuscrit remis par Mare à Lavaud ni la liste généalogique de Quatrefages ne donnent de numéro
oux Tamatoa
24
successifs.
N°318 • Janvier - Avril 2010
Le fils de ce dernier ne porte pas le nom de Tamatoa dans la
généalogie de Mare, qui le nomme Teriitinorua. Mais les deux versions de la
traduction française précisent :
«
Teriitinorua, aujourd’hui Roi de Raiatea sous le nom de Tamatoa. »
La liste de Tahiti aux temps anciens le nomme Moeore, Teriiti-
norua, Teariinohorai et ne mentionne à son sujet ni sa fonction ni le nom
de Tamatoa. Le décalage introduit précédemment se trouve ainsi rattrapé,
de sorte que son successeur à Raiatea, le fils Tamatoa de Pômare IV, y
figure bien sous son nom de Tamatoa V.
Sans émettre ici d’hypothèse sur les raisons qui ont pu conduire les
auteurs de la « mise à jour » de la généalogie de
l’ouvrage de T. Henry à
avancer de 11 générations l’introduction du nom de
Tamatoa, il nous
semble nécessaire qu’une fois pour toutes on adopte la numérotation
partant du Tamatoa I de Smith, et qu’on nomme donc respectivement
Tamatoa III et Tamatoa IV le grand-père et l’oncle de Pômare IV. Une
certaine confusion règne en effet dans de nombreux ouvrages d’auteurs
contemporains qui hésitent entre les deux numérotations et les mélangent parfois. On constate d’ailleurs que les conséquences de cette « mise
à jour » de la généalogie de Tahiti aux temps anciens n’ont pas toujours
été tirées dans le reste de l’ouvrage de T. Henry19.
En terminant cet aperçu des généalogies tirées de manuscrits de
Mare, nous mentionnerons trois autres documents.
Le premier, Eputa tupuna no te arii ra o Tunuieaaiteatua, est une
copie dactylographiée d’un livre généalogique ayant appartenu au prince
Hinoi Pômare. On y trouve une généalogie intitulée “E parau tupuna no
te hui arii i Raiatea, e Atupif qui semble trop proche de la première
généalogie de Henry, de celle de Smith et de la partie correspondante de
19
On y lit par exemple, p. 203 : « Tamatoa II de Ra'iatea semble avoir été le seul roi qui ait eu le courage
de donner son maro'wa à des Européens. » Il ne peut s'agir ni du Tamatoa II de la généalogie de T. Henry,
qui a vécu au 17Èmt siècle, ni probablement de son petit-fils, grand-père de Pômare I, le Tamatoa III de sa
liste généalogique, mais plutôt du petit-fils de ce dernier, le Tamatoa //de cette liste.
On lit également, p. 160 : « Les rois Pômare II et Tamatoa III ainsi que les premiers missionnaires certifièrent
avoir vu [...]. » Ce Tamatoa, contemporain de Pômare II et des premiers missionnaires, figure dans la liste
de Henry sous le nom de Tamatoa IV.
25
Œidletin de la Société des études* Océaniennes
celle du manuscrit de Mare, pour que ce dernier n’en soit pas très probablement l’auteur.
Le second document est une copie manuscrite, réalisée vers 1950
par Aurora Natua, d’un manuscrit de la famille de Marau Salmon. La
plupart des généalogies qu’il contient sont à peu près identiques aux
généalogies correspondantes du document de Hinoi Pômare mentionné
ci-dessus. C’est le cas en particulier de la première, intitulée également
“E parau tupuna no te hui arii Raiatea“, très proche comme celle de
H. Pômare de la première généalogie de T. Henry, de celle de Smith et du
manuscrit de Mare.
Le dernier, qui figure à l’inventaire des manuscrits
du Musée de Tahiti
et des îles sous le titre :
«
Documents ethnologiques sur les îles de la Société et les îles Sous-le-
Vent donnés à Mr lavaudpar Mare et Apo : manuscrit de 118 pages (17,5 x
22) ; tahitien et français »
du texte tahitien des manuscrits de Mare et
Apo. Mais, en regard de chaque page de ce texte, on a recopié celui de
sa traduction française : celle de Gaussin pour les textes qu’il a traduits,
celle jointe au manuscrit tahitien pour les autres, dont la généalogie de
Mare. Ce document, soigneusement calligraphié, comporte cependant
quelques erreurs de recopie du texte tahitien.
est une copie manuscrite
Bernard Pichevin
26
A propos de quelques objets
et sites archéologiques
uniques ou « orphelins »
aux Ibamotu
Les parcours professionnels sont souvent tributaires de paramètres
imprévus mais particulièrement déterminants. Parmi ceux-ci, mon
inscription à Paris X-Nanterre au cours de « Préhistoire du Pacifique » en
1972, puis mes relations avec le Professeur José Garanger (tout autant
bien-sûr qu’avec sa femme Suzy), sont les plus notables. Et si je resterai
toujours redevable à José Garanger de m’avoir fait venir travailler avec
lui en Polynésie et plus particulièrement à Tahiti, puis transmis une bonne
part de son expérience, les cheminements qui s’ensuivirent tiennent tout
autant de conjonctions de hasards et de rencontres que d’enthousiasmes
personnels.
Aussi ai-je voulu, alors que José nous a quittés récemment et que les
souvenirs ont refait surface en ces tristes circonstances, évoquer quelques
questions sinon de méthodologie stricto sensu, du moins soulever
quelques lièvres qui font partie des questionnements générés en archéologie, par le cas exceptionnel ou isolé et le traitement que l’on peut lui
appliquer.
En particulier, en archéologie, au-delà de la prudence que l’on se
doit de conserver vis-à-vis de probables futures découvertes risquant de
Structures de l'atoll de Taiaro (Tuamotu)
relevées en 1974 (JM. Chazine)
N°318 «Janvier-Avril 2010
remettre en cause des hypothèses trop rapidement ou
légèrement élabo-
rées, il faut cependant concevoir un système d’explications ou de justifications rationnelles qui intègre le maximum des données dont on
dispose.
général, de
partir du particulier pour s’appliquer au général, et d’élaguer les
éléments perturbateurs » qui altèrent la généralisation. L’observation
de quelques cas uniques constatés en particulier aux Tuamotu me semble
illustrer ce qui sert de prétexte à Geertz (Geertz, 1983) pour s’intéresser
non pas d’une manière excluante aux
comportements exceptionnels ou
paradoxaux, mais au contraire, pour tenter de les inclure dans une
possible rationalité acceptable par la communauté scientifique du
La tendance étant, comme pour les sciences humaines en
«
moment.
Sans forcément affirmer, comme lui, que « peut-être paradoxale-
ment, les clés... peuvent se trouver dans les phénomènes rares ou
uniques aussi souvent que dans ceux qui sont communs ou typiques ; et
que la forme essentielle peut être vue plus adéquatement en termes d’une
chaîne de variations qu’en termes d’un modèle rigide dont les cas déviants
d’éloignement {ibid : 42), c’est ce point de vue qu’il m’a semblé pertinent
de soulever, pour quelques exemples observés au cours de mes travaux
dans les Tuamotu.
De fait, mon engagement pour la préhistoire des Tuamotu s’est
rapidement et inopinément mis en place, dès la première année où José
Garanger m’a fait venir avec lui à Tahiti, en 1974. Certes les travaux qu’il
avait courageusement et le premier - assisté de Suzy - conduits à
Rangiroa
Lavondès, s’étaient bien déroulés aux
Tuamotu, mais rien ne laissait présager que j’allais moi aussi m’y investir
rapidement. C’est cette même année, à l’occasion d’une mission sur l’atoll
de Taiaro, propriété de M. Robinson transformée en réserve naturelle,
organisée par le Service de l’Urbanisme hébergeant à l’époque le délégué
au Patrimoine Naturel et Culturel, Denis
Capitaine, qu’avec quelques
collègues de l’Orstom1, j’ai eu mon « first contact » avec une île basse.
avec le concours ultérieur d’Anne
1
II s'agissait de Bertrand Gérard, archéologue et François Rivière, entomologiste, tous deux de l'ORSTOM,
de Pierre Ottino-Garanger et de Jocelyne Toumelin, alors assistants-stagiaires de chantier.
29
Si cette expérience fat riche en découvertes, c’est plutôt dans le domaine
des relations humaines qu’un séjour sur une île déserte provoque qu’elle fat
prolifique, les vestiges archéologiques que nous y avons repérés à l’époque,
n’étant ni très nombreux, ni particulièrement remarquables, en dehors
cependant, de deux enclos d’une dizaine de mètres carrés pour l’un et d’une
centaine pour l’autre (voir figures 1 et 2) présentant une morphologie inhabituelle. Pour le premier, le muret périphérique haut d’une cinquantaine de
centimètres, présentait une étrange petite « porte/entrée » couverte par un
linteau en dalle de corail. Le fait est que ce type de structure n’a jamais - à
ma connaissance
été observé ailleurs et que sa fonction exacte reste énigmatique. Si elle est ancienne et « autochtone », sa destination reste mystérieuse. Si par contre sa construction est récente (l'appareillage en plaques
de corail est classique), voire élaborée lors des travaux d’aménagements de
bâtiments par le propriétaire par exemple, sa finalité reste imprécise. Nous
avions à l’époque pensé avec B. Gérard, à un enclos pour petits animaux,
mais c’est l’hypothèse du poulailler une fois recouvert d’un treillis superficiel qui nous avait semblé pouvoir être finalement la plus plausible. La
seconde structure dont l'appareillage des murets est identique, présente des
ouvertures en vis-à-vis qui elles aussi, sont inhabituelles.
Mais ce sera plutôt l’année suivante, en 1975, dans le cadre du
programme MAB initié par le Professeur Bernard Salvat et coordonné sur
place par Paul Moortgat que j’ai pu me rendre à Takapoto et y faire l’expérience véritablement vécue de mes lectures théoriques et universitaires
antérieures. Encore bien novice, je pensais qu’à peu près tout semblait
pourtant effectivement avoir déjà été observé, depuis le terrain effectué par
K. P. Emory, alors encore essentiellement ethnologue et ses collègues à
Napuka et lors de leur exemplaire expédition dans les années trente.
Encore qu’au remarquable corpus constitué par Emory, grâce à ses
travaux de repérages, de recueils de traditions orales, de localisations et
de corpus linguistiques, s’ajoutaient les analyses approfondies en anthropologie, conduites dans les années soixante, par Paul Ottino à Rangiroa,
suivies logiquement, mais de façon néanmoins encore pionnière par les
magistrales observations, reconstitutions et analyses effectuées par José et
Suzy Garanger, complétées par Anne Lavondès.
-
30
N°318 «Janvier-Avril2010
Quelques années plus tard, j’eus pourtant l’occasion de découvrir
des objets, ainsi que des structures inédites et restées même uniques
jusqu’à présent : des petites fosses inexplicables à Makemo (Chazine
2003), un hameçon à hampe avec une protubérance inédite à Ana’a
(Chazine 2001) ou encore un disque de corail travaillé à Tatakoto
(Chazine 2005). Aucun de ces « objets » n’a à ma connaissance encore
été observé ni décrit dans la littérature.
C’est de fait la vision et le parcours des méandres en montagnes
Takapoto qui ont fait naître mon intérêt
pour les anciens occupants des atolls. Le contraste entre les descriptions
de communautés quasiment « misérables », dénuées de la plupart des
ressources jugées nécessaires à toute survie physique ou culturelle, et le
gigantisme de ces fosses ne laissait pas de m’impressionner et surtout de
susciter étonnement et interrogations. Si l’existence de ces fosses avait
bien été signalée et, dans quelques cas, décrites avec quelques précisions,
en particulier par Emory (1975), l’importance de leur volume et de leur
étendue, et donc leur inscription sociale et technique dans le passé des
Pa’umotu n’en avait cependant que peu été précisée.
Ainsi, grâce à cette première expérience, le domaine d’investigation
que représentaient les Tuamotu et plus particulièrement les atolls acquit
pour moi une dimension nouvelle particulièrement passionnante.
Par la suite, une brève intervention de repérage d’urgence à Reao
en 1977 lors de l'établissement du projet d’implantation d’un aérodrome
m’a confirmé l’importance spatiale des zones de fosses de culture, mais
ce potentiel ne s’est véritablement révélé que lors de la mission francojaponaise de 1980 organisée par le Pr. Sachiko Hatanaka.
C’est au cours de celle-ci que non seulement le réseau des fosses et
de leur intrication sociale ont été mis en évidence, montrant que les insulaires des îùamotu avaient su s’adapter, gérer et modifier un environnement naturel limité, mais également que leur ingéniosité avait tout autant
porté sur de petits détails puisqu’un type d’outil tout à fait particulier est
aussi apparu en plusieurs exemplaires au cours des fouilles.
C’est à cette occasion, où pour la première fois des sondages avaient
pu être réalisés dans des secteurs où habitat et activités se superposaient,
russes des fosses de culture de
31
IFRAO 1°.
©JM. Chazine
-
2008
Reproduction de couteau à bénitier (Kokaro pohua)
contemporain en mikimiki (Pemphis acidula)
Dessins Fanfan Tevivi
Squelette de tortue
Chelonia Midas
Lames de carapace utilisées
comme
pelles/bêches N
Os coracoïde (utilisation pour
les couteaux à bénitier)
Os de la ceinture pelvienne
(utilisation pour les alênes)
-
1980
N°318 «Janvier-Avril 2010
que le champ des investigations que représentaient les Tuamotu et plus
généralement les atolls s’est défini à mes yeux avec encore plus de précision. Au-delà des seuls vestiges couramment observés et minutieusement
décrits par notre communauté scientifique que sont les marae, ces structures socio-religieuses - et souvent également funéraires - qui ont longtemps servi de fossile-directeur générique à toute reconstitution de
l’occupation des Tuamotu, ces fosses de culture fournissaient probablement une image imprimée sur l’espace même des atolls illustrant les capacités techniques mais aussi humaines et sociales de leurs occupants.
Cette mission pluridisciphnaire faisait suite à celle déjà organisée en
19762, et a aussi permis le recueil d’un très grand nombre de données
ethno-archéologiques, et sociologiques, autant que linguistiques et anthropologiques, tandis que les nombreux sondages ont fourni un inventaire
notablement élargi des témoins de la culture matérielle et de l’utilisation
de l’espace.
D’abord, ce n’est que dans le contexte des fouilles qui y ont été
conduites qu’un outil encore inconnu a été trouvé, et ce, à divers stades
de fabrication, d’utilisation et de fragmentation.
Et si cet ensemble d’objets encore singulier a déjà été présenté
(Chazine 1982; 2001*), c’est plutôt une réflexion liée à l’expérience
acquise avec José Garanger qui m’incite ici, à tenter d’en approfondir les
modabtés d’existence et d’usage. Un objet unique ne constitue qu’une
preuve tangible qu’il est néanmoins débcat de générabser, l’échantillon
étant alors trop réduit ; alors que plusieurs objets, quels qu’ils soient,
forment déjà une série et constituent un faisceau d’indices qui augmente
les probabihtés d'interprétations.
Sur le terrain, au-delà des éléments recensés comme constitutifs d’une
culture, on peut se poser la question de savoir comment, non seulement
classer, mais surtout expbquer la présence même en très peu d’exemplaires d’un « objet », fut-il un outil, un instrument ou une structure
2
On peut rappeler que le choix de Reao comme lieu d'investigation avait été indirectement déterminé par
l'important corpus déjà recueilli par Peter Buck et par le précédent terrain d'études de S. Hatanaka situé
sur l'atoll voisin de Pukarua pour cause de présence à l'époque, d'une léproserie encore active à Reao.
33
# Œulletin-
île la Société (/ex études- Gcca/Ueu/tex
construite. En ce sens, le cas de l’outil découvert à Reao,
qui s’est révélé
être un couteau à ouvrir les bénitiers, étant encore isolé, est un bon
support
d’interrogations, voire d’hypothèses élaborées et confrontées à un corpus
de connaissances ou d’observations comparatives multiples.
Schématiquement, bien que les fouilles aient porté sur les pentes des
talus des fosses de culture afin d’en révéler plus aisément les éventuelles
stratigraphies, les niveaux d’enfouissement étaient tels qu’ils ne correspondaient pas à un groupe d’objets abandonnés à peu près simultanément en surface qui auraient été recouverts par les déblais de creusement
des fosses (Chazine 1982 ; 1984).
Cette répartition ainsi que cette localisation à l’intérieur des couches
stratigraphiques successives, leur confère une ancienneté en tout état de
cause supérieure aux divers autres éléments matériels collectés en surface
(pelles en plaques de carapaces de tortues, herminettes en bénitier
notamment) dont l’ultime utilisation remonte au plus aux dernières
phases d’utilisations traditionnelles, contemporaines des premières
implantations européennes.
Grâce aux nombreux déchets de squelettes de tortue recueillis tant
en surface
qu’en fouilles, il a été possible, disposant de la forme originelle,
de retrouver précisément à partir de
quel os cet outil avait été aménagé
par débitage. Il s’agissait en fait du coracoïde (l’équivalent de la clavicule) de la tortue Ghelonia midas, l’espèce la plus fréquemment pêchée
et entrant dans des cycles de consommation rituelle
importants3.
Souvent brisés en plusieurs morceaux, ce n’est
qu’après analyse
comparative des fragments que l’on a constaté que certaines zones avaient
été intentionnellement et systématiquement fracturées
pour obtenir une
forme précise. Il s’agit d’une partie des zones proximales et distales
qui
ont été éliminées partiellement
pour, d’une part, garder une forme plane
incurvée à une extrémité et, d’autre part, une
partie large et plate pouvant
3
Des datations viennent d'être effectuées à partir des blocs de corail
m///eporo déposés dans des niches frontaies de deux marne de Takaroa. Ce corail, prélevé vivant sur le récif
puis déposé sur le matae atteste de
pratiques cérémonielles datées de 1.553 AD pour l'un et 1.726 et 1.735 AD pour l'autre (comm. pers. de
M. Weisler du 08/09/08).
34
N°318 • Janvier - Avril 2010
servir de poignée à l’autre (Figure 3) ■ Le débitage par percussion des
parties inutilisées, tant distales que proximales, ne porte que sur des zones
plutôt spongieuses - donc de moindre résistance - du coracoïde.
Ensuite, l’observation de la partie proximale appointée et affûtée au
polissoir, a révélé de nombreuses striures, toutes orientées dans le même
sens et perpendiculaires au grand axe de cet objet. Ces striures, dont la
régularité n’était cependant pas assez répétitive pour être des incisions
intentionnelles, correspondaient visiblement plutôt à des traces d’utilisations successives qu’à des stigmates de fabrication délibérées.
De fait, c’est en interrogeant un de nos aides de chantier local que
l’interprétation précise de cet outil m’a été indirectement fournie. Alors
que je lui demandais comment, avec son seul couteau de brousse, il pourrait se débrouiller pour survivre s’il se retrouvait totalement isolé sur un
motu (îlot corallien), il me montra comment il se fabriquerait immédiatement un kakaro pahua (couteau à ouvrir les bénitiers) en mikimiki
CPemphis aciduld) pour se nourrir de ces coquillages. Ceux-ci sont effectivement extrêmement nombreux et facilement accessibles, en particulier
à Reao, où ils constituent d’imposants koekenmuildings. Déjà, le soin
qu’il prit à faire une extrémité appointée, spatulée, affûtée et incurvée fit
apparaître une ressemblance frappante avec les pointes précédemment
recueillies en fouilles. Ensuite, une fois qu’il eut ouvert une dizaine de
bénitiers, l’identification ne faisait plus de doute. Les striures perpendiculaires au grand axe du couteau étaient bien identiques à celles observées sur les fragments issus des fouilles. Elles correspondent aux traces
laissées par le frottement circulaire de l’outil le long de l'orifice du passage
du byssus, le pied d’attache du bénitier, afin de sectionner le muscle et de
permettre l’ouverture immédiate des deux coquilles (figure 4).
Par-delà l’ingéniosité de l’utilisation pour sa courbure naturelle d’un
certain os du squelette de la tortue, on doit noter qu’en pratique, c’est le
seul, en dehors de ceux des carapaces dorsales et ventrales et d’une partie
de courbe elle aussi, de l’omoplate, qui soit parfois utilisé pour des usages
techniques. Cela révèle - et confirme - une très grande connaissance des
propriétés mécaniques des os de tortue. Ceux-ci (en dehors des os des
carapaces et de quelques os crâniens) sont particulièrement spongieux et
35
Pointes et spatules en os de tortue (Atoll de Reao 1984)
collectées en fouille
©JM. Chazine
N°318 «Janvier-Avril2010
fragiles. En fait, la partie de cet os coracoïde qui a été sélectionnée est la
seule présentant, outre la courbure voulue, une surépaisseur relative du
périoste justement là où on l’a utilisée. Là aussi, cela démontre que les
observations des insulaires et ce, probablement après de nombreuses
expérimentations empiriques - étaient suffisamment affinées pour isoler
le seul fragment dont les propriétés mécaniques et la dureté pouvaient
leur être utiles. En tout cas, aussi bien dans les collectes de surface généralisées sur l’ensemble des atolls prospectés (et correspondant aux
vestiges des dernières phases d’activités pré- et proto-européennes) que
dans le mobilier fourni par les fouilles, c’est quasiment le seul élément
osseux du squelette, en dehors des carapaces, qui ait été utilisé.
D’un point de vue archéologique et plus précisément chronologique,
ces kakaropahua n’ont été découverts à Reao,
que lors des fouilles des
talus des fosses de culture au nord du village actuel de Reao. La profondeur relative des couches d’occupation d’où ils ont été extraits varie entre
25 et 40 centimètres et les datations, effectuées au Japon par notre
collègue E. Nitta, ont donné des dates entre la fin du XVIIP et le milieu du
XIXè siècle. Rappelons que les talus des fosses où les sondages ont été
effectués ont une stratigraphie symétrique particulière par rapport au
niveau du sol, puisqu’ils comprennent sur leurs sommets, d’abord les
vestiges les plus anciens correspondant aux déblais de la partie inférieure
des fosses, avant d’arriver au niveau originel du sol, puis de faire apparaître ensuite la stratigraphie naturelle du substrat. La répartition de
déblais sur le sol archéologique lui-même n’est pas facilement perceptible, puisque répartie d’une manière manuelle aléatoire. La distribution
des kakaro pahua et de leur étalement dans les niveaux d’occupation,
sans pendage manifeste, indique que certains sont bien dans la couche
archéologique, tandis que d’autres situés au-dessus et en désordre apparent, correspondent, eux, paradoxalement, à des vestiges - et donc des
utilisations nettement plus anciens.
-
-
Reste maintenant, une fois mises en évidence et la connaissance empi-
rique des propriétés mécaniques de la matière, et l’extraction d’une partie
tout à fait ponctuelle d’un os pour un usage bien spécifique, à tenter d’en
interpréter la présence limitée - jusqu’à présent - au seul atoll de Reao.
37
Œn//eJm de- la Société des études- Océaniennes
En effet, rien de semblable n’a (encore) été observé sur les autres
atolls des Tuamotu, ni à ma connaissance ni à celle des collègues auxquels
je me suis adressés, dans ceux du reste du Pacifique. De même, une
mission de prospection comprenant de nombreux sondages, réalisée sur
l’atoll proche de Tatakoto3 qui, outre des analogies linguistiques et coutumières, présente une faune benthique tout à fait semblable à celle de Reao,
comprenant d’immenses amas coquilliers en bénitiers, où la consommation alimentaire y a été manifestement semblable, n’a pas non plus fourni
le même outillage spécifique. On est donc là, jusqu’à preuve du contraire,
présence d’une adaptation véritablement « orpheline », sans ascenni descendance autre que très courte- culturelle apparente.
Car ce qui a été attesté et vérifié ensuite ailleurs, au moins à Napuka
(Conte, 1988 ; 484 et suiv.), c’est l’utilisation régulière également selon
ses informateurs du bois de mikimiki pour fabriquer autrefois - ou
actuellement en l’absence de petit couteau - un ouvroir à bénitier. L’absence de vestiges végétaux dans les fouilles empêche de dépasser le stade
des suppositions pour l’ancienneté de cet usage, même s’il est très probablement d’usage archaïque et généralisé. Cet arbuste pousse en effet quasiment partout sur les atolls.
En ce qui concerne ces outils et leur fonction, même s’ils avaient été
antérieurement et même probablement aussi ailleurs - réalisés, voire
généralisés à partir d’un morceau de bois aménagé, donc en un matériau périssable qui a partout disparu des couches archéologiques, l’utilisation récurrente d’une partie d’un os de tortue spécifiquement
sélectionné, demeure tout à fait exceptionnelle et ne s’est elle, apparemment pas généralisée.
L’une des fonctions de l’archéologie étant de tenter de reconstituer
le contexte culturel avec le maximum de ses composantes, de communautés étudiées avec le plus de précisions possibles à partir des faits et des
en
dance
-
-
3
Voir articles dans La Dépêche de Tahiti, décembre 2007. Depuis, j'ai pu apprendre que les lépreux avaient
été regroupés sur le petit motu face à la passe de Takaroa, ce qui, tout autant que pour Reao, pourrait expliquer pourquoi un aussi grand nombre de témoins matériels du passé (en particulier, des herminettes en
bénitier à Reao) n'y ont jamais été prélevées, voire touchées...
38
N°318 • Janvier - Avril 2010
données matérielles obtenues dans les fouilles, on dispose également de
données ethnographiques, pour rendre compte, au delà des seids faits
tangibles matériels, d’un champ d’hypothèses issues de comparaisons
parmi lesquelles seules les plus plausibles ou possibles seront choisies.
On ne peut manifestement pas ici avoir à faire, à une « invention »
individuelle, due à un ingénieux « bricoleur » de talent, dont la création
astucieuse ne s’est pas propagée autour de lui et serait restée sans suite.
Ce n’est pas possible, puisqu’on peut constater que le nombre de ces
outils (ou du moins des vestiges suffisants pour les comptabiliser, soit
une dizaine au total) est relativement important et qu’il s’est étalé (à la
finesse de nos observations de terrain de l’époque près) sur un laps de
temps dépassant largement un simple et unique événement ponctuel, voire
un essai non concluant. Comme ils se retrouvent dans plusieurs couches
ou au moins niveaux d’occupations distincts, cela exclut un événement
ponctuel et unique. On peut donc penser que cet outil aura été reproduit
à plusieurs exemplaires non seulement pour des usagers multiples mais
également par une succession d’utilisateurs, même si l’utilisation proprement dite de chaque outil n’a probablement pas été très longue. Si le
constat que cet outil n’a pas été retrouvé ailleurs sur l’atoll et se trouve
donc jusqu’à preuve du contraire confiné dans une seule zone d’activités,
on peut penser à un usage limité à une communauté restreinte. En extrapolant à partir des connaissances ethnographiques comparatives disponibles sur l’utilisation technique et la gestion sociale des fosses de culture
qui étaient des espaces attribués à une famille et son lignage, on peut
penser que ce serait effectivement une seule et même famille qui aurait été
au moins conceptrice et dépositaire de cet objet et de la procédure technique d’obtention. Sa non-diffusion alentour pose question. Si elle n’est
pas due à la non-reconnaissance d’un éventuel progrès technique dont
l’outil serait porteur, elle serait alors l’expression de la reconnaissance
d’un droit ou d’une appropriation sociale non partageable. Une restriction valable, non seulement en-soi, mais surtout non étendue spatialement aux autres. Une reconnaissance de facto en quelque sorte, d’une
appropriation technique. Le fait est qu’en particulier pour les Tuamotu,
les études qui y ont été réalisées ont bien fait apparaître une cosmogonie
39
TOSH
Exemples de "couteaux à bénitier"
de Reao (kakaro pahuaj
Dessins de R. Tevivi (1980)
N°318 • Janvier - Avril 2010
mettant en relation certains éléments de l’environnement naturel des insu-
laires et leur panthéon ainsi que quelques éléments matériels tels que
pirogues ou instruments personnels. La même reconnaissance que par
exemple sur les henninettes des îles hautes, n’a pas été appliquée sur les
objets dits triviaux ou utilitaires des Tuamotu. Rien n’empêche de penser
qu’il ait pu leur être attribué aussi la valeur symbolique attachée à l’animal
d’où il provient. Certes, on est loin des observations faites ailleurs en
Océanie, et en particulier en Nouvelle-Guinée où toutes choses égales par
ailleurs, il peut y avoir appropriation lignagère des motifs de décors attachés à certains objets (Lupu, 1973 ; Derlon et Ballini, 1988).
Dans cette hypothèse, on peut aussi se demander si c’est l’idée même
de se fabriquer un outil spécifique différent de ceux utilisés couramment
pour ouvrir les bénitiers en os de tortue (un animal dont l’utilisation
rituelle était justement déterminante pour les insulaires des atolls) qui
n’aurait pas été « libre de droits » et donc à usage « réservé » à certains,
certaines occasions seulement. Le fait que la connaissance du
principe mécanique de cet outil, que tout un chacun peut se fabriquer en
bois, puisque réahsé en matériau naturel qui se trouve partout en « hbre
accès », ait subsisté jusqu’à maintenant, montre qu’il était bien connu.
C’est l’emploi du matériau non seulement osseux mais surtout de tortue
qui en fait en soi, une spécificité. En l’absence de données ethnograou pour
phiques locales déjà recueilhes ou transposables directement, on ne peut
que faire appel à un autre ensemble d’hypothèses pour tenter d’exphquer
l’existence d’une telle exception.
Parmi celles-ci, on peut alors poser l’hypothèse qu’on aurait alors à
faire à des objets ayant eu une fonction spécifique, peut-être lors de repas
rituels, et utiüsés dans un contexte cérémoniel particuher et non seulement trivial. A moins d’invoquer une « invention » purement déconnectée
de tout contexte technico-culturel et de ce fait rigoureusement personnelle, quoique reproduite localement dans un laps de temps relativement
étendu, il est plus probable d’envisager un statut différent. L’usage et l’utibsation restent communs mais le matériau utilisé inhabituel, et même
unique - en auraient fait alors un objet particuher utilisé, dans des conditions elles-mêmes particulières. Or l’utihsation des lames de carapaces
-
41
Œu/lefm da la Jociété des études &céa/Uennes
tant dorsales que ventrales des tortues a bien été généralisée puisqu’on
en a trouvé en de nombreux endroits sur
plusieurs atolls. Bien que consacrés apparemment, à des usages horticoles, donc essentiellement fonctionnels et triviaux, rien n’empêche, même en l’absence de toute
information orale déjà recueillie, d’envisager que certaines d’entre elles
aient été chargées également d’un « plus » culturel, voire donc cultuel,
découlant implicitement du statut des tortues capturées. En tout cas, on
se doit de
l’envisager pour les atolls des Tuamotu, au même titre que pour
les îles hautes de Polynésie.
Ce que l’on peut également déduire de l'existence de ce simple outil
reproduit ponctuellement en plusieurs exemplaires et s’échelonnant
pendant un temps délimité, c’est la connaissance - et la maîtrisequ’avaient leurs concepteurs des techniques de débitage des os, démontrant par là même l’adaptation des techniques nécessaires à la finalité
d’utilisation de celui-ci. La précision de la chaîne opératoire mise en
œuvre que l’on a retrouvée, toutes proportions gardées, dans la réalisation des trous de fixation des manches de pelles en os de carapaces de
tortues ou en nacre confirme bien que ce sont des choix précis et des
applications en toute connaissance de cause qui ont été mis en œuvre. Il
en va d’ailleurs de même pour tous les débitages de la nacre, en particulier, pour la fabrication des hameçons, dans plusieurs autres atolls des
Tuamotu étudiés par ailleurs.
On dépasse ainsi largement les contingences imposées par un isolat
maritime particulièrement rigoureux pour expliquer la diffusion et/ou la
non-diffusion de modalités techniques particulières. En deçà des immensités océaniques qui séparent ces minuscules ilôts coralliens, où les
hommes ont réussi à s’installer et plus durablement4 qu’on ne l’a longtemps supposé - ce sont aussi probablement les comportements et les
pratiques culturelles des humains eux-mêmes, qu’elles soient individuelles
ou collectives, qui ont tout autant probablement généré ces isolats.
-
4
Voir Tahiti-Presse du 20/06/08 et rubrique "Archéologie" sur www.netfenua.pf du 14/09/08.
42
N°318 «Janvier-Avril 2010
De même, l’archéologie est régulièrement confrontée à la représenta-
tivité potentielle de toutes les découvertes, tant qu’elles sont isolées et
données pour « orphelines ». Correspondent-t-elles alors à des réalisations
individuelles, à une petite communauté particulière, plus ou moins autonomes, ou sont-elles, malgré leur unicité, représentatives d’une expression
culturelle ou technique dont tous les autres exemplaires ou illustrations
auraient disparu ? L’un et l’autre cas ont certes dû se produire, et le tri que
nous devons effectuer en fin de parcours n’en est que plus délicat et soumis
pour leur interprétation, aux personnalités de leurs auteurs.
Aussi, la liste limitée à ce jour a plusieurs éléments disparates tels
que :
-
une seule zone à Reao où
l’on a trouvé des couteaux à ouvrir les
bénitiers en coracoïde de tortue ;
-
une seule zone à Makemo avec
de petites structures en fosse inex-
püquées ;
-
-
deux enclos à Taiaro, aussi mystérieux l’un que l’autre ;
un seul atelier
improbable - car ayant perduré en surface malgré
les avatars climatiques et marins - de fabrication d’hameçons sur un
motu de Takaroa5;
hameçon à protubérance externe sur la hampe à Ana’a ;
disque de corail à Tatakoto, ce dernier rappelant ceux
découverts récemment par Michel Charleux à Eiao ;
limite clairement le champ des généralisations. Il conforte cependant celui du potentiel créatif - bien que très circonscrit - des insulaires
des atolls et de ceux des Tuamotu en particulier. Devons-nous pourtant
considérer ces originalités comme des « déviations limitées du modèle
général, provoquées par des forces agissant localement et qui sont de
nature écologique, historique ou acculturelle » ou comme « plutôt un
ensemble de limites à l’intérieur desquelles les variations sont maîtrisées » {ibid : 42,44) ?
-
-
5
un seul
un seul
Voir Tahiti-Presse du 20/06/08 et rubrique "Archéologie" sur www.netfenua.pf du 14/09/08.
43
W bulletin de la Société des* étude& Océaniennes
De mes implications dans les travaux dirigés en Polynésie par José
Garanger, me restent gravés dans la mémoire et vivifiés par mon vécu ultérieur, la conscience de cette problématique. Je ne peux qu’évoquer pour
ce faire, les fouilles et les activités de restauration auxquelles j’ai participé
et mises en œuvre avec José et Suzy, sur le marne Marae Ta’ata enl974,
où la découverte progressive des diverses stmctures accolées chronologiquement les unes aux autres a fait apparaître des caractéristiques
communes, tout en ayant révélé pour chacune sa propre identité. Là, c’est
l’unité de lieu qui a figé la succession des aménagements que les transformations sociales ont généré.
Les questions que nous nous sommes posées à cette occasion, en
particulier sur le mode d’obtention et la taille des dalles de corail à
replanter sur chant, illustraient assez bien l’analyse combinatoire des
hypothèses possibles et des contingences de la réalité, laissant malgré
tout la place à une incertitude tout à fait certaine.
Mais peut-être n’avait-on là aussi, que l’image d’une tradition qui, à
peine ébauchée, s’est simplement interrompue ? L’important est que, sous
une forme ou une autre, elle ait laissé sa trace et qu’ainsi, elle perdure.
Tenter de mettre de l’humain et surtout de la pensée organisée, même si
elle est de beaucoup plus hypothétique, autour des simples faits ou objets
archéologiques, fait partie de ce que j’aurai appris en ayant côtoyé les
travaux réalisés par José Garanger. Je reste persuadé que sa pratique de
l’ethnoarchéologie nous aura tous inspirés, chacun à notre manière. En
ce qui me concerne, c’est effectivement l’humain que je cherche à faire
réapparaître derrière les vestiges archéologiques, comme un ethnologue
qui arriverait « en retard »... Je pense aussi que l’influence qu’il aura eue
sur beaucoup d’entre nous, illustre ce recours à un procédé d’interprétation analogique et me rend bien conscient de faire partie du petit
nombre de ceux qui en auront (d’en avoir) largement bénéficié6.
Jean-Michel Chazine
6
La destination originelle de cet article ayant été changée, je me dois ici, de remercier E. Conte pour les
relectures préalables et particulièrement acérées qu'il en avait faites.
44
N°318 • Janvier - Avril 2010
BIBLIOGRAPHIE
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la Société des Océanistes, 29 (40), pp. 13-23.
OTTINO Paul, 1972. Rangiroa, Terres et parenté étendue, Paris, Editions Cujas.
45
Des divinités premières
figures mythiques :
pratiques et
croyances ancestrales
aux
des Futuniens
Les vagues déferlent, la mer devient limpide.
Alors, on défile pour rendre visite au rocher du dieu Kula.
Puis on se rend aussi sur le rocher de Tagaloa,
qui recèle les secrets de nos origines.
(« Tapaki de Ma’uifa », T 6l : 301)1
Culte des ancêtres, rites parfois liés aux symboles totémiques, divinités spécifiques, cycles mythologiques complexes et amorce de cosmo-
gonies constituent le fonds commun des religions océaniennes.
1
Chaque fois que nous citerons un extrait du recueil de textes à tradition orale de Futuno - La Tortue au
dos moussu nous le préciserons de cette manière T = texte + 61 = le numéro du texte (sur un total de 118)
-
tel qu'il apparaît dans la table des matières du recueil.
N°318 • Janvier - Avril 2010
S’agissant de l’île de Futuna, différents travaux, souvent anciens, ont
été menés à ce sujet2 ; la lecture de ces ouvrages révèle des contradictions
qui sont la conséquence de témoignages émanant de personnes ayant leur
propre connaissance du sujet, ou héritant d’une transmission orale ayant
subi de nombreux aléas (anachronismes, confusions, acculturation, etc.).
Les études menées par quelques religieux, dont les tâches furent souvent
de constituer des rapports ethnographiques pour la Mission, vont parfois
dans le sens d’une discréditation des croyances ancestrales, ce qui se
comprend dans le contexte de l’évangélisation. Si ces études d’érudits ne
présentent pas toujours le caractère objectif que de telles recherches
scientifiques auraient imposé, elles permettent néanmoins de révéler de
nombreux éléments précieux, les derniers que nous pouvons encore
consulter. Ce qui peut également nous interpeller, c’est l’absence totale à
Futuna, contrairement à la Polynésie française notamment, de traces matérialisant ces croyances pratiquées avant l’évangélisation : si les
Polynésiens de l’Est ont aujourd’hui le privilège de nous présenter des sites
consacrés à des rituels, tels que les marne ou des statues telles que les
tiki, rien de tel à Futuna puisque ce sont des items spécifiques des cultures
de la Polynésie Orientale. Il est bien évident que la première action des
missionnaires fut d’effacer
souvent de manière radicale
tout signe
représentant ce qu’ils nommaient les cultes païens ; les témoignages des
évangélisateurs ainsi que la transmission orale mentionnent ces traces
matérielles de manière très parcellaire ; ceci peut s’expliquer par le fait
que c’étaient les hommes, en l’occurrence les rois ou les chefs, qui incarliaient une divinité, les autres présences ou représentations des déités
n’ayant comme support que des éléments naturels - le poteau central
d’un fale (habitat traditionnel), ou les kete, sacs en feuilles de cocotier
tressées soumis à la dégradation du temps.
-
-
-
2
Les plus anciens sont ceux des premiers missionnaires dont certains d'entre eux ovoient
reçu la charge
expresse de la Mission Mariste de constituer ces rapports ; le premier ouvrage ethnographique consacré à
Futuna étant celui de E.G. Burrows (Ethnology of Futuna, 1936).
47
Œidletin d& lu Société de# études (Océaniennes
Dans la plupart des sociétés premières, des cultes étaient rendus à
deux éléments cosmologiques, le Soleil et la Lune. La tradition orale ne
permet pas d’affirmer que ces astres étaient, à Futuna, l’objet de croyances
particulières, ni de représentation symbolique, voire de hiérogamie
(aucun observateur n’en a fait mention). Cependant, le Soleil et la Lune
ne sont pas absents des mythes samoans3 ; il est donc fort probable que
de tels mythes ont existé, mais qu’ils ne sont pas parvenus aux oreilles des
premiers Européens.
Les ouvrages nous ont permis de confronter certains éléments
convergents, et aussi de souhgner les confusions ou contradictions dont
l’impact est relatif ; elles ne concernent que la présence effective ou non
de certaines divinités dans le panthéon futunien. La présente étude permet
de rassembler l’ensemble des analyses menées sur le sujet de la religion
dite « primitive » des Futuniens, d’éclaircir certains points restés obscurs
ou incomplets, mais aussi de pointer les limites entre le phénomène du
syncrétisme et les survivances de pratiques ancestrales qui étaient profondément ancrées dans le quotidien de ces hommes.
Nous voudrions, dans un premier temps, aborder la théorie du totémisme, à la lumière des analyses de Durkheim - certes anciennes, mais
solides afin de mieux appréhender les pratiques anciennes des Futuniens :
après avoir évoqué, parmi les multiples représentations totémiques, l’exemple
des tatouages, nous proposerons de considérer certains patronymes en relation avec un ancien nom totémique. Ceci nous amenant à émettre l’hypothèse de l’existence d’un système totémique archaïque. Un bref survol du
système religieux polynésien nous amènera ensuite à aborder la théogonie
futunienne et son panthéon, et à interroger la tradition orale qui est le véhicule essentiel de la mise en scène de ces ligures divines et de ces personnages
mythiques. Enfin, nous voudrions achever en donnant un aperçu aussi précis
que possible de quelques éléments de la vie et des pratiques religieuses
-
anciennes, en s’arrêtant sur un certain nombre de rites.
3
Par exemple, la divinité Aloimasina était également surnommée « Enfant de la Lune ».
48
N°318 • Janvier - Avril 2010
LA THÉORIE
TOTÉMIQUE
Du nom totémique au patronyme
Dès la constitution de groupes humains - très probablement originaires de Fidji, puis de Samoa, apparut très vite la nécessité de se distin-
guer les uns des autres. C’est ainsi que s’engagea l’attribution de noms,
empruntés à leur environnement proche. Chaque clan put alors ressentir
ce sentiment
d’appartenance symbohsé par son totem4 dont la représentation et le rapport aux individus allaient rapidement appartenir au monde
sacré. Et c’est bien de ce rapport, au départ inexprimable, inconcevable,
entre les individus et leur emblème que va naître un sentiment
rebgieux :
«
Voilà en quoi consiste le totem : il n’est que la forme matérielle sous
laquelle est représentée aux imaginations cette substance immatérielle,
cette énergie diffuse à travers toutes sortes d’êtres hétérogènes, qui est,
seule, l’objet véritable du culte » (Durkheim, 1912 : 337).
Durkheim ajoute que, nonobstant le rôle initial joué dès le départ
par le totem (individualisation), le symbolisme est indispensable à la vie
sociale, il assure en effet sa cohésion, il permet à la société, aussi réduite
soit-elle
ce qui fut le cas pour les
premiers Futuniens - de prendre
conscience de soi, et d’assurer la continuité de cette conscience. Paul
Radin a rappelé le rapport causal qui he la création de divinités et la
-
société :
«
Il n’est pas toujours certain que l’homme crée les dieux à son image,
par contre, il ne saurait faire de doute qu’il ne les crée que s’il y est
poussé par la structure sociale et économique de son groupe. »
(Radin, 1941: 153).
4
Roppelons que le mot « totem » a été emprunté à la langue des Ojibway, tribu indienne du Nord des Etats-
Unis ; il apparaît pour la première fois dans la littérature ethnographique en 1791. C'est J. G. Frazer qui
en 1887, fut le premier à lancer le débat sur le totémisme
(Tolemism), théorie qui sera remise en cause plus
tard, du moins du point de vue de son universalité, notamment par Lévi-Strauss (notamment dans Le lotémisme aujourd'hui, 1962).
49
w bulletin do la Société de& ètade& Océanienne*&
Le clan choisit pour totem un objet du règne animal, moins souvent
du règne végétal ; certains clans prirent comme totem - quelques noms
Pacifque5.
propres le montrent - un objet artisanal (par exemple la pirogue). Il
semble que, s’agissant de la sacralisation ou de la totémisation, aucun
objet n’est prédestiné - ou réfractaire - par sa nature. Le caractère sacré
d’un objet est en quelque sorte surajouté à ses propriétés intrinsèques.
D’ailleurs, la partie vaut le tout : un morceau de l’objet est autant sacré
que son intégralité ; nous pourrions parler de « sacralité métonymique ».
Durkheim remarque l’absence de zoolâtrie vis-à-vis de l’animal totémique ; il s’agit plus d’un sentiment de respect n’impliquant pas forcément
la pratique d’un culte. Ainsi, à Futuna, si la tortue, animal totémique, était
tapu, il était possible d’en consommer, mais sous l’autorité d’un chef qui
était le premier à pouvoir en manger, après avoir obéi à des rites.
Il est bien évident que l’histoire des religions des Polynésiens se
confond avec l’histoire du peuplement du
La religion toté5
Rappelons que c'est à partir du nord-ouest des Fidji peuplée vers - 950, que la deuxième vague de ces
colons sont partis à la conquête de la Polynésie occidentale : c'est ainsi que les futurs Polynésiens peuplérent Tonga puis Samoa vers 900-850 av. J.-C, Futuna aurait été
peuplée, selon les dernières datations
publiées par C. Sand, (Sand, 2000-02) entre 850 et 800 av. J.-C. Cette conquête du Pacifique ne prit fin qu'au
début du premier millénaire de notre ère - après ce que P.V. Kirch a appelé « la Longue Pause » - avec la
colonisation de l'île Cook, Mangareva (Gambier) et la Nouvelle-Zélande. Nous prenons de cette manière
toute l'ampleur de l'ancienneté du peuplement de Futuna au regard de l'histoire du peuplement du Pacifique : cette île a été colonisée et occupée près de 1200 ans avant la Nouvelle- Zélande. Si la poterie Lapita
est un fil conducteur, permettant de lier entre eux de nombreux archipels, nous pourrions également
évoquer certains toponymes qui ont également « voyagé » d'île en île, et qui constituent au même titre que
le Lapita, des traces de l'histoire du peuplement. Ainsi, le « radical toponymique » Mu (« sable ») - issue
d'une protolangue océanienne - fut très productif puisque nous le trouvons, respectant ainsi l'itinéraire de
la colonisation, d'abord aux Fiji (les atolls Mubasaga, Musemanu, le village de Musere à Viti Levu),
à Tonga (la capitale Mu'alofa), à Futuna (le village de Mu), puis à Tokelau (le village de Mulakia),
aux Marquises (île de Mu-Hiva), etc.
6
La théorie selon laquelle l'origine du peuplement du Pacifique est l'Asie du Sud-est ne souffre pratiquement plus de controverse aujourd'hui, et est largement attestée dans les milieux scientifiques ; les preuves
d'ordre linguistique, ethnographique, ethnobiologique et surtout archéologique sont suffisamment
nombreuses. Les partisans d'un peuplement par l'est, soutenus par les recherches et l'expérience de Heyerdhal, sont minoritaires ; certains chercheurs penseraient même, a contrario, que ce sont des Polynésiens
qui auraient « découvert » le continent sud-américain, y rapportant notamment la patate douce, et peutêtre la technique de la statuaire lithique.
50
N°318 • Janvier - Avril 2010
mique étant la forme la plus élémentaire, nous devons émettre l’hypothèse selon laquelle les premiers voyageurs partis d’Asie du Sud-Est6 introduisirent leurs pratiques religieuses dans les îles qu’ils colonisèrent. Ainsi,
il n’est pas étonnant de constater que les réflexions de Durkheim illustrent
souvent les éléments propres à Futuna ; non seulement Durkheim s’efforce de dresser un tableau commun aux sociétés archaïques, mais en
plus, son objet d’étude porte sur la religion primitive des Australiens.
Quand nous savons que la première étape du peuplement du Pacifique fut
l’Austronésie, et la seconde les îles du berceau polynésien, dont fait partie
Futuna, nous ne nous étonnerons pas de retrouver des éléments
communs.
S’agissant de Futuna, il fallait approfondir et développer cette notion
de totémisme, sous l’influence d’une simple note de bas de page du
recueil de textes qui sert et illustre nos analyses. En effet, dans La Tortue
au dos
moussu7, il est fait mention d’un animal attaché à un clan, en l’ocpieuvre, et si le mot « totem » n’apparaît pas sous la plume
des auteurs, il se dessine bien en filigrane, cela est incontestable : « Feke,
la pieuvre, est aussi le nom d’un hgnage dont la tradition orale n’a pas
gardé trace. Il pourrait provenir, comme le Faletolu qui se rattache aussi
au clan Feke, des îles Samoa. Au dessus de Leava
[village de Sigave à
Futuna], il existe un emplacement dédié au dieu Feke, qui porte le même
nom et surplombe le champ de bataille de Matea où Vikiviki et
Magotea
combattirent » (Frimigacci et alii, 1991 : 118). À Samoa, selon Turner,
Fe’e (Feke) faisait partie des divinités supérieures, vouée à de nombreux
currence la
7
«
Ce corpus de traditions orales a été recueilli au cours des années 1984 et 1985 à l'occasion d'un
programme de recherche CNRS/ORSTOM dirigé par Daniel Frimigacci et Bernard Vienne, sur l'archéologie
et l'ethnohistoire de Futuna. Les enregistrements sur bandes
magnétiques ont été effectués par Petelo
Faua, Sakopo Tialetagi et Bernard Vienne qui avait, en outre, la tâche de coordonner tout ce travail. Atonio
Faua et Kilisitina Tuaga ont réalisé la première traduction littérale de ces textes. Muni Keletaona et Daniel
Frimigacci ont ensuite établi la première version française. En 1992, à Futuna, Claire Moyse-Faurie a repris
la traduction littérale, et réécrit le texte fulunien dans sa forme académique. [...] Enfin, dans un esprit de
plus grande fidélité au texte futunien, C. Moyse-Faurie a entièrement revu la traduction française. » (Frimigacci et alii, 1995:9).
51
bulletin de la Société de,s études, 0iceame/me&
cultes et dont l’importance est à souligner ; Fe’e est d’abord un dieu de
la guerre qu’un chef nommé Tapuaau, ramena avec lui de Fiji ; un temple
lui était d’ailleurs consacré ; elle est aussi une déesse domestique selon
les provinces. (Turner, 1883 : IV).
Nous voudrions ajouter, mais cela ne repose que sur la foi de son
énonciateur, qu’une famille du village futunien de Vasei (village de Sigave),
se sait descendre de ce clan, sans pour autant que le patronyme de ladite
famille porte le nom de Feke ; si certains noms de famille de Futuna
portent encore - d’après nous - la trace matérielle (le « signifiant ») de
leur ancien totem, cela n’implique pas que les autres familles en fussent
dépourvues. Ce phénomène est à replacer dans l’histoire - et ses vicissitudes des groupes sociaux, des alliances et mésalliances, des tentatives
d’invasions ou colonisations qui marquèrent l’histoire de Futuna ; Thistoire de la religion, ainsi que celle des patronymes, sont intimement hées
à ces phénomènes.
Si l’on remonte aux premiers occupants de Futuna - dont les traces
remontent aux alentours de 800 avant J.C. - nous pouvons considérer
que le nombre de kutuga (clans) devait alors être limité. Il n’est pas
interdit de supposer que ces premiers hommes avaient rapporté avec eux
leur totem de Fidji, puis, plus tard, de Samoa8 ; les représentations totémiques étant empruntées au monde animal et végétal issu de l’environnement naturel immédiat des individus, ces nouveaux arrivants
retrouvèrent à Futuna les mêmes objets emblématiques, les îles d’origine
présentant de très nombreuses caractéristiques végétales et animales
communes. Ainsi, le clan qui avait pour totem la tortue de mer, n’eut
aucune difficulté à continuer les pratiques qui lui étaient attachées,
puisque l’animal est présent aussi à Futuna. Mais nous pouvons également concevoir que certains clans ont pu opérer une mutation ou une
transfiguration de leur totem dans la mesure où l’objet totémique n’apparaissait pas, à l’identique, à Futuna.
-
8
Ce lien avec Samoa sera souvent appuyé grâce à l'étude ethnographique de Turner, Samoa, très ancienne,
mais qui permet d'éclairer de nombreux points communs aux deux îles.
52
N°318 • Janvier - Avril 2010
Quoi qu’il en soit, selon Durkheim, l’enfant reçoit à sa naissance le
totem de sa mère ; ce processus est d’ailleurs confirmé par le mission-
naire Bataillon9 : les propos suivants contiennent de manière implicite
une attribution
totémique matrilinéaire ;
Lorsqu’un enfant vient au monde, affirme le missionnaire, il reçoit un
qui n’est jamais celui de son père : c’est celui d’un oiseau, d’un
poisson, ou toute autre expression choisie dans la langue du pays.10 »
(Abal, 2003 : 17).
«
nom
Tialetg1.
Ces propos confirment bien la « couleur » totémique du nom attribué
à l’enfant wallisien ou futunien, respectant ainsi les deux principales carac-
téristiques de la totémisation qu’il faudrait qualifier de matronymique : la
filiation maternelle et la désignation d’origine animale ou végétale.
Nous pouvons ainsi mettre en relation certains noms de famille avec
les totems : lorsque l’on consulte la liste des noms de famille futuniens, il
apparaît que certains d’entre eux auraient pu être la représentation totémique des premiers clans. Nous trouvons par exemple des noms caractéristiques de certains totems tels qu’ils ont pu apparaître dans d’autres
sociétés premières ; ainsi les noms de famille dont le totem était d’origine
animale comme Gata (le serpent), Lape (le poisson-perroquet), ou du
règne végétal (Tiale). S’il existe des noms dérivés des premiers, il faut y voir
ce que Durkheim appelle les « sous-totems » ;
lorsque des individus ont
voulu en quelque sorte s’affranchir du clan, et ainsi créer un groupe plus
restreint. C’est de cette manière que nous pouvons considérer que, par
exemple, le clan originel ayant pour totem la fleur de tiaré (tiale), a pu voir
quelques-uns de ses membres se détacher en partie, et créer une branche
nouvelle dont la nouvelle caractéristique est adjointe au nom totémique
originel, par exemple tiale + tagi (= pleurer), sous-totem qui a abouti par
antonomase au patronyme
Ces noms propres désignant tous
des espèces animales et végétales, sont encore présents aujourd’hui et
9
Le père Bataillon, devenu évêque, fut chargé de l'évangélisation de Wallis, prélat très autoritaire, il
implanta pendant quarante ans des stations missionnaires dans de nombreux archipels océaniens.
10
On pourrait y ajouter le nom d'une plante, d'un lieu, d'un ancêtre, le rappel d'un évènement, etc.
11
Nous proposons en Annexe 1 une liste de noms de famille de Futuna dont nous suggérons l'origine totémique.
53
W ŒuUetin de ta Société dc.t ètude& &céa/iie/i/>es
doivent donc être considérés comme les noms de clans les plus anciens de
l’île ; ils rappellent le totem des premiers habitants. Les noms dont la
formation semble plus élaborée sont probablement apparus en un temps
où le totémisme commençait à décliner, laissant place à une pratique reli-
gieuse plus évoluée. C’est ainsi que l’onomastique, en relation avec le totémisme, permet de déceler une datation des familles de Futuna, même s’il
semble que le nom de certains clans ait disparu : le clan Feke n’a laissé
aucune trace dans
ce
l’onomastique ; des familles connaissent leur hens avec
clan, mais le nom même du totem a totalement disparu.
Les représentations totémiques : l’exemple des tatouages
Le totem, emblème du clan, peut être représenté sur des objets
(murs, poteaux, armes, pirogues, instruments, etc.), mais c’est sur le
corps que son mode de représentation est la plus forte.
Dans l’ensemble des sociétés traditionnelles, lors de fêtes ou de
guerres, les vêtements étaient marqués de l’emblème, qui pouvait également s’appliquer par des coupes de cheveux, des scarifications et des
dessins sur le corps. Ce dernier point doit attirer notre attention quand
nous savons quelle importance revêtait la pratique du tatouage chez les
Polynésiens ; après une longue période de prohibition, cette pratique
ancestrale hit remise à l’honneur, sous l’impulsion d’individus conscients
de retrouver une part importante de leurs traditions, et de la réaffirmer.
Il ne reste aucune trace dans les mémoires contemporaines de ce
que représentaient les tatouages des Futuniens, jusqu’à ce que les missionnaires en interdisent la pratique, mais nous pouvons avancer l’idée que
les hommes arboraient par ce moyen le totem de leur clan. La tradition
orale mentionne l’existence de cette pratique très ancienne mais sans
pour autant fournir les détails attendus. Les textes n’évoquent pas de
manière précise leurs aspects religieux, cependant ils vont plutôt mettre
l’accent sur le fait qu’ils permettent en général l’identification ; ainsi cet
homme reconnaissable entre tous car « en ce temps-là, seul Faka’ilo de
Sigave portait de tels tatouages », particularité qui est souvent associée à
la beauté physique puisque « cet homme était d’ailleurs fort beau »
(T 113: 484). C’est donc bien cette fonction d’individuation, qui est
54
N°318 • Janvier - Avril 2010
attribuée aux tatouages ; ainsi cet extrait faisant allusion à la femme d’un
guerrier qui part à sa recherche à l’issue d’un combat ; le tatouage permet
sa quasi identification : « elle savait qu’il portait des tatouages partout sur
le corps » (T 30 : 179). D’une manière plus générale, les tatouages se
révèlent des éléments caractérisant et distinguant des hommes des deux
royaumes12 : les textes ne donnent aucune indication sur la nature des
motifs que représentent ces tatouages, nous savons juste que les motifs de
Sigave sont différents de ceux d’Alo, ainsi le conteur exphque « qu’autrefois les tatouages des gens d’Alo présentaient des grands motifs, tandis
que ceux de Sigave avaient des petits motifs » (T 79 : 376).
Les témoignages des missionnaires, apparemment peu intéressés par
ce qu’ils devaient considérer comme une pratique archaïque, l’évoquent
très succinctement et pourtant ils auraient dû se rappeler qu’elle ne fut
pas étrangère aux premiers chrétiens. Bataillon mentionne que « Tous
les hommes, à peu d’exceptions près, sont tatoués » (Abal, 2003 : 6). Le
missionnaire ne dit rien à propos des motifs ; il est impossible qu’un seul
missionnaire ne vit pas d’assez près ces tatouages pour ne pas établir une
description précise de leurs représentations.
Si nous voulons avoir une idée plus précise de ce qu’étaient les
tatouages à Futuna, leurs représentations et leurs fonctions, il faut se
tourner vers Samoa et la Polynésie pour lesquelles de nombreuses études
ont été menées. Selon P.V. Kirch, par exemple, il apparaît que ornementation corporelle et décoration de la poterie Lapita sont concomitantes :
-
It is conceivable that the decorated vessels were actually represen-
tations of ancestors, and that the act of decorating the pots ivas
analogous to tattooing a human body. (Kirch, 1992 : 105)13.
12
L'île de Futuna est en effet toujours constituée officiellement de deux royaumes, celui de Sigave et celui d'Alo.
13
Nous renvoyons également à deux ouvrages de référence : l'un spécifique aux tatouages pratiqués aux
Marquises : Te Patu tiki, Part du tatouage aux îles Marquises (Pierre et Marie-Noëlle Ottino, publié par les
éditions Christian Gleizal, Teavaro, Moorea 1999), l'autre plus général : Tatoo History, A Source Book, (Steeve
Gilbert, publié par Juno Books distribué par Power House Books, New York) ; cet ouvrage abondamment
illustré, retrace l'histoire du tatouage à travers le monde, des origines à nos jours. Un chapitre est d'ailleurs
consacré au tatouage en Polynésie et dans d'autres îles du Pacifique, notamment Samoa. Il est bien entendu
que, si l'on doit ramener les origines du tatouage à l'histoire du peuplement du Pacifique, ce sont les Tongiens
par le biais de leurs conquêtes, et les Samoans qui ont importé cet art en Polynésie Orientale.
55
bulletin de la Société des études Oceaui
Ainsi pouvons-nous
suggérer ce que pouvaient représenter les
tatouages Wallisiens et futuniens, à partir des éléments décrits plus haut,
et en y ajoutant l’importance du totem. L’individu tatoué devait avant tout
arborer la représentation totémique du clan auquel il appartenait (par
exemple une tortue, un serpent ou une plante), cela pouvait être les
Un valeureux guerrier était
reconnu par l’importance de ses
tatouages, puisque chaque bataille et a
fortiori chaque victoire, devait être marquée sur son corps.
Ces différentes représentations corporelles pratiquées par un prêtretatoueur, étaient accompagnées d’une stylisation caractéristique de
Futuna, ou de Wallis, dont les motifs des tapa" actuels pourraient nous
donner une idée. Nous ne pouvons affirmer que chaque individu était
libre de se faire tatouer quand il le voulait, et comme il le voulait ; il était
peu probable que le prêtre tatoueur fût sollicité de manière intempestive ; puisque la pratique du tatouage ressortissait - en partie - au sacré,
elle devait s’inscrire dans des modaütés bien définies et précises. Néanmoins, il n’est pas mterdit de penser que certains individus pouvaient s’y
adonner dans un temps et un espace profanes, et cette désacralisation de
la pratique du tatouage devait être l’un des signes que les croyances primifives étaient en régression, notamment durant les années qui suivirent
totems respectifs du père et de la mère.
l’arrivée des missionnaires.
DIVINITÉS ET FIGURES MYTHIQUES DE FUTUNA
Le système religieux polynésien
Les Polynésiens croyaient en un panthéon dont Ta’aroa- le créateur,
apparaissant sous la forme « Tagaloa15 » à Futuna - Tane, le dieu de la
lumière, Oro ou Tu, le dieu de la guerre, Rongo, le dieu de l’agriculture et
14
Le tapa est une étoffe d'origine végétale sur laquelle sont peints des motifs traditionnels. Quelques pièces
provenant de Wallis et Futuna sont exposées au Musée du Quai Branly.
15
Nom qu'il ne faut pas confondre avec le dieu polynésien des ténèbres Tangaroa, fils de Aito et Fenua,
enfants de Hoatu et Hoatea, le couple primordial.
56
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de la paix, Maui, qui avait donné le feu et des îles, Hina, qui s’envola vers
la lune, et plusieurs autres. L’essor de Ta’aroa débuta à Raiatea, et il
surpassa ainsi les autres divinités majeures, « C’est lui qui se trouve au
centre de la création du monde »
(Guennou et alii, 1987 : 58). Ces
hommes croyaient aussi aux fantômes qui étaient les esprits des personnes
décédées. Ce polythéisme vint à maturité sur l’île de Raiatea dans les îles
de la Société, à partir de laquelle il s’étendit à toute la Polynésie. La classe
des prêtres organisait le culte autour de plateformes basses en pierres
nommées marne16 (malae à Futuna) sur lesquelles des sculptures de
pierre ou de bois, nommées tiki (à l’origine, nom de l’ancêtre de
l’homme, puis dieu de la sorcellerie) qui représentaient les dieux et les
esprits, étaient adorées et honorées. Ils croyaient que chacun des dieux,
des esprits et des êtres vivants possédait des quantités variables de mana,
une sorte de « force de la vie »
qui pouvait être obtenue en mangeant la
chair de ses ennemis ou perdue en violant les règles sacrées du tapu
déclarées par les prêtres.
Une vie sociale sacralisée
Les cérémonies fondées sur des mythes et des légendes qui décrivaient entre autres la création du monde, des dieux et des humains se
composaient principalement de rites sacrés ou actions d’ordre le plus
souvent symbolique destinées à rapprocher les hommes de leurs dieux.
Excepté le fait de structurer la société polynésienne, la religion
ancienne constituait son fondement puisque des règles strictes et différents
interdits {tapu) étaient étabüs par les chefs (aliki) et les prêtres au nom
des dieux. Le respect de ces tapu renforçait le pouvoir du aliki et tout
manquement était puni. Les rites ou cérémonies, pratiqués presque
uniquement par les toematua (prêtres) étaient destinés aux aliki et aux
16
Nous pensons notamment au plus célèbre et prestigieux des îles de la Société, le grand marae de Taputaputea à Raiatea ; aucune trace de ce type de lieu sacré n'a été conservée à Futuna où les malae devaient
être des espaces ouverts, sans édifice. Mais contrairement à la Polynésie, le malae est toujours, à Wallis et
Futuna, le lieu « sacré » de la vie coutumière. On peut constater que le malae de chaque village s'inscrit
systématiquement dans la même configuration : face au fale fana (maison de réunion) et proche de l'église.
57
Œu/leUn de /a Société dex ë/ndex Océanien/tex
différentes divinités, et consistaient en offrandes, sacrifices, réunions,
prières et récits. La consécration d’un souverain, sa maladie, les prières
en raison d’une sécheresse, la préparation d’une guerre sont quelques
exemples de cérémonies se déroulant sur un malae.
Certains rites se devaient d’être exécutés avec la plus grande attention et la moindre erreur pouvait être fatale à son exécutant. Les participants devaient toujours être isolés du reste de la population, pouvoir se
purifier, les chants et les offrandes ayant pour but d’obtenir un contact
avec les dieux. Ces personnes choisies des dieux avaient ce pouvoir de
communiquer avec eux et détenaient donc le sacré, le mana. Les mythes,
légendes et généalogies devaient démontrer une relation entre les chefs
(auxquels on vouait également un culte puisqu’ils étaient le tabernacle des
divinités), la terre, l’univers et les dieux. Grâce à ces récits, le pouvoir d’un
aliki se renforçait, ils avaient pour but de valoriser l’aristocratie insulaire
en élevant souvent leurs membres au rang de héros. On comprend donc
l'importance de tels rites dans la société de ces îles. Cette relation divine
constituait l’Histoire, qui confond mythes, légendes et réalité.
Divinités et figures mythiques de Futuna
Il ressort de la lecture du seul recueil de textes de tradition orale de
Futuna17, La Tortue au dos moussu, la présence de personnages appartenant au panthéon futunien ; nous évoquerons quelques-uns d’entre
eux à l’appui de quelques textes. Mais avant cela, il convient de donner
quelques considérations d’ordre plus général afin de mieux contextualiser cette approche. D’abord il faut remarquer la croyance en plusieurs
types de dieux ; deux dieux primitifs (Maui et Tagaloa), communs à l’ensemble polynésien, qui sont à l’origine de la création du monde et des
îles, mais dont la légende concernant Futuna ne figure pas dans le
recueil18. Viennent ensuite les dieux primordiaux (qui ne se rattachent
17
Conforté des études, anciennes, mais qui demeurent une référence, de Burrows (1945).
18
Nous pouvons néanmoins en proposer une version dans l'annexe 2, il existe aussi une autre version
d'une légende mettant ce dieu en scène.
58
N°318 • Janvier - Avril 2010
à aucune généalogie), les dieux ancestraux qui sont souvent des personnages historiques, des ancêtres - dont l’existence n’est pas toujours véri-
fiable
-
devenus
mythiques (même s’il faut revenir sur l’aspect
définitionnel de ce terme, parfois employé abusivement), ils sont assez
nombreux et la tradition nous révèle leur théogonie. Enfin, il ne faudra pas
omettre l’existence, tout aussi importante, de dieux protecteurs - souvent
animaux - des titres de chefferie ou d’éventuels dangers naturels, la
plupart sont des « totems-dieux », pour reprendre l’expression de
Maurice Leenhardt,
«
c’est-à-dire quelques totems qui, dans le recul du passé, vont se
confondre avec les ancêtres et deviennent des dieux » (cité par Radin,
1941: 178).
Certains de ces personnages sont mentionnés ci-dessous. Enfin, il
faut savoir que les Futuniens croyaient à la vie dans l’au-delà et à l’existence d’un monde chtonien, le Pulotu, considéré comme la demeure des
dieux ; ainsi pouvons-nous assister dans ces textes au « retour » assez
particulier de personnages dans ce domaine souterrain, qui ne doit pas
être assimilé à l’enfer chrétien.
Le panthéon futunien : tableau synthétique
Pour présenter ce panthéon de manière synthétique, il est apparu
nécessaire d’élaborer un tableau qui s’efforce de mentionner l’ensemble
des déités, en les caractérisant et en évoquant leur lieu de résidence habituelle. Ce travail s’appuie sur les recherches de E. G. Burrows et de
D. Frimigacci (s’appuyant elles-mêmes sur la tradition orale).
59
Œidlctin de la Société des études Océanien/
Noms
Typologie
Dieux primitifs
et
ou
Maui
Lieu de résidence
Caractéristiques
des édités
particularités
Pêcheur d'îles, créateur, entre Tu'atafa
autres, de Futuna.
primordiaux
Tagaloa
Pêcheur d'îles, dieu d'Alofi.
Mont Kolofau
T 5,49 et 61
(Alofi)
Mafuikefulu
T 5,49 et 61
Généralement, il dort mais dès Pulotu
qu'il se retourne, il provoque des (monde chtonien)
tremblements de terre.
Dieu majeur de Futuna.
Dieux
ancestraux
Mago et
Tafaleata
Arrivés de Samoa « dans une
Anakele
noix de coco ». Ce couple a eu 7
(Tua)
T 8 et 49
enfants présentés ci-dessous.
1. Matagitoga
Dieu de Pouma - protecteur des
Utumagalua
Les Pyramides »
parcs à poissons
«
2. Fitu
Dieu des hauteurs et de la guerre
Paipai
T 27 et 49
3. Sogia
Dieu des vengeances
Paipai
T 8, 25 et 27
4. Malafulafu
Dieu protecteur de la nature - Falcaki
possède la pierre de vie et de mort (Tu'a)
5. Kula
?
Alofi ou Nuku
T 61
6. Fineiasi
Déesse protectrice de Futuna
Mont Puke
T 5,6,57
7. Fakavelikele
Premier roi - dieu de la guerre
Partout
T 6,10,12,116
et du monde invisible.
Dieux
protecteurs
non animaux
Kausala
Lita
Kakasalulu
Protecteur du Tui Asoa (titre)
Fuga Asoa - Alofi
Déesse ancestrale d'Alofi
Alofi, puis
-
Protectrice du Mauifa (titre)
Somalama (Tavai)
Protecteur du titre de Fainuvele
Muli (Vele).
T 69.
(titre).
Sugele
Protecteur du titre de Safeisau
Olu (Tua)
(titre)
Lagi (ciel)
Protecteur du Tui Sa'avaka (titre)
Mamati
et du village de Poï
60
Ufi
Protecteur du village de Poï
Mamati
Ugaie
Protecteur du village de Pouma
Partout
T 25
N°318 «Janvier-Avril2010
Il faudrait, pour que ce tableau fût complet, lui ajouter d’autres déités
qui sont intimement liées à la croyance en la vie dans l’au-delà, et qui
sont celles qui accueillent ceux des mortels qui sont condamnés à Terrance éternelle : il s’agit de la triade constituée par Atuamatalua, Atuamatatasi et Atuamagumagu.
Enfin, des personnages que l’on qualifierait plus volontiers de
mythiques » doivent être évoqués également : le premier, Sina est hé à
«
mythe étiologique, le deuxième, Ufigaki/Muni remplit sa fonction bienfaitrice auprès des hommes avant de s’enfoncer dans le Pulotu.
un
Divinités et personnages mythiques mis en scène :
la tradition orale
À l’issue de cette présentation des principales figures divines
présentes dans le panthéon futunien, nous proposons leur mise en situation, leur intervention ou leur allusion dans les textes.
Il est bien évident que notre objectif ne sera pas de vouloir être exhaustif,
en voulant mentionner l’intégralité de leur présence ou évocation ; nos principaux critères de choix furent non seulement la place privilégiée faite à
certains de ces personnages, devenus emblématiques de tout un peuple, mais
aussi certaines mises en situation assez originales et assez marquantes pour
être soulignées. Quant aux autres figures divines ou mythiques, le tableau
supra mentionne leur présence dans l’économie du recueil.
Les dieux fondamentaux ou ancestraux
Deux figures principales se dégagent très nettement dans les récits,
on les retrouve en action et en situation à
plusieurs reprises. Ce sont
surtout la jeune Finelasi qui sauva Futuna d’une invasion tongienne et
Fakavelikele, le premier roi. Leurs parents, Mago et Tafaleata sont, nous
dit la tradition, arrivés de Samoa « dans une noix de coco ; ce couple de
Samoans mit au monde sept enfants19 » (T 10 : 79). Dans un autre récit,
19
Ici peut se poser le phénomène de l'acculturation : ces enfants étaient-ils réellement sept, ou la transmission orale post chrétienne a-t-elle intégré des éléments d'une symbolique allogène ? Un autre texte du
recueil porte le titre suivant : « Histoire des sept maisons de Toloke » (T 81 ).
61
yjr Ç$udleti/i d& la Société/ des études> Océaniennes/
le conteur justifie le choix des noms attribués à ces
enfants : « Ils leur
donnèrent les noms des anciens dieux de Futuna » (T 12 :83). Ce dernier
élément peut provoquer une certaine confusion ou des interférences ; ces
personnages portent donc le nom d’anciens dieux, ils ont été ensuite
déifiés, ils sont considérés comme des dieux qui portent le nom d’autres
dieux... Nous sommes ici au cœur de la problématique des aléas de la
transmission orale.
•
Finelasi contre l’ogre Tongien
Le recueil offre très peu d’exemples de figures féminines embléma-
tiques ; il laisse une large place aux grands guerriers et rois qui ont laissé
une trace dans l’histoire de l’île par leurs faits marquants. Cependant il est
à noter que la mythologie futunienne n’a pas exclu dans son panthéon
des personnages féminins dont l’accès au statut de divinité n’est pas
contesté.
Dans le texte intitulé « L’arrivée des Tongiens » (T 57), apparaît Fine-
lasi, la seule fille du couple Mago-Tafaleata, considérée comme la déesse
tutélaire de Futuna (figurant parmi les dieux ancestraux); elle sauve son
peuple des envahisseurs. Ce texte raconte qu’une petite fille va feindre
d’amener les envahisseurs chez elle, mais arrivée sur un pont de liane, elle
le sabote précipitant ainsi les guerriers dans le vide. Ce récit souligne
surtout les échecs successifs des tentatives de colonisation tongienne à
Futuna, qui, contrairement à Wallis, ne s’est jamais laissée envahir ou
occuper.
•
Fakavelikele : une figure emblématique
On peut présenter ce personnage comme étant la figure la plus populaire de Futuna, puisqu’il a donné son nom au premier titre de sau, c’est-
à-dire de roi, à Futuna. Ainsi, ce fait est déclaré clairement par le conteur,
qui dans « La royauté », commence son court récit par ces mots : « Le
premier roi s’appelait Fakavelikele » (T 116 : 495), le dernier-né du
couple Mago-Tafaleata. Le titre de Fakavelikele sera porté par tous les
régnants jusqu’à ce que la Mission jugeât ce titre trop « païen » et le
remplaçât par celui de Tui Agaifo (porté depuis lors par les rois du
royaume d’Alo). Deux autres textes font référence à ce personnage pour
rappeler, non sans pudeur dans un premier temps, sa relation incestueuse
62
N°318 • Janvier - Avril 2010
avec sa soeur Finelasi
que nous venons d’évoquer. Il s’agit d’abord du
Tapaki de Kolotai » (T 5) dans lequel l’inceste est présenté grâce à un
euphémisme, une périphrase qui attribue la faute à Finelasi : « Le scandale est arrivé, Finelasi tu as commis une faute » (T 5 : 56). L’autre texte
rappelant cet événement est 1’ « Histoire de Kolotai » dans lequel il semble
que Fakavelikele soit à l’origine de la faute : « Fakavelikele commit un
inceste avec sa sœur Finelasi » (T 5 : 59).
«
Si Fakaveükele et sa sœur Finelasi sont des personnages marquants,
si les récits les mettent en situation, un sort différent est réservé à
quelques-uns de leur frères, dont les noms ne sont que brièvement
évoqués : Fitu et Sogia, par exemple, apparaissent séparément dans deux
textes différents, puis ensemble dans le même texte, Kula n’apparaît
qu’une fois.
Les dieux protecteurs
•
Les larmes de Lita
Lita est une figure divine dont les aventures ne manquent pas de
rebondissements et même d’humour, elle est présente dans plusieurs
textes, dont « Histoire de Vikiviki et de Magotea » (T 18), « Le règne des
Ma’uifa » (T 22), et le « Takofe de Fiua » (T 69). Elle est avant tout la divinité attachée au titre de Ma’uifa, se présentant sous la forme d’un rocher
qui dut quitter l’endroit où il reposait (l’île d’Alofi) car des gens le
couvraient de déchets ou d’excréments. Arrivé sur le rivage de Futuna, et
jetant un regard vers Alofi, des larmes tombèrent, et chaque chute donna
naissance à un nouveau rocher. Sa fuite s’acheva là où le rocher ne pouvait
plus voir Alofi, alors « Il resta là, ce qui donna naissance au rocher de
Somalama, et il y est encore » (T 22 :131). Et pour montrer à quel point
le rôle protecteur des dieux est important, le conteur note ensuite que
peu de temps après « le Ma’uifa mourut car il n’avait plus sa divinité avec
lui » (ibidem). Déesse de la fertilité, elle était implorée en cas de sècheresse, chacun n’oubliant pas les nombreuses larmes qui ont ponctué sa
tristesse de quitter Loka, sur l’île d’Alofi.
Lupe : la colombe messagère
Lupe a joué un rôle très important dans l’histoire des origines des
•
63
♦ bulletin
de la Société des études Océaniennes
titres, puisqu’elle est la déesse du sau (le titre de roi), elle serait venue
à Saufekai du domaine des dieux, sous l’apparence d’une colombe, pour
donner le premier sau aux Futuniens. Saufekai est surtout lié à l’anthro-
pophagie - réelle ou imaginaire - rien ne prouve absolument que ce
personnage, devenu mythique, ait réellement existé, mais son nom est lié
aux
origines du titre de sau à Futuna. À ce propos Daniel Frimigacci nous
dit que « la danse du tapaki de Taoa rapporte que Lupe serait venue à
Saufekai [... ] accompagnée d’une jeune vierge nommée Falekula, cadeau
des dieux au futur premier sau de Futuna. Mais comme l’élu de Lupe
allait dédaigner Falekula pour « une étrangère aux cheveux clairs », Lupe
avait quitté les beux. [... ] La déesse Lupe va apparaître une seconde fois,
au-dessus de Toloke, en un endroit indéterminé. Elle s’incarnera en la
personne de Folituu et lui apportera son panier noir [... ] » (Frimigacci,
1990:56).
Autres personnages mythiques d’origine divine
Un mythe est l’intégration des symboles religieux dans une forme
narrative. Us fournissent non seulement une vue complète du monde,
mais ils offrent également les outils pour déchiffrer le monde. Nous quali-
fions les personnages suivants de « mythiques », avec toutes les réserves
que ce terme impose tant il fut souvent employé de manière abusive ; en
effet, si l’on en croit la définition du « mythe » proposé par Mircea Eliade :
Le mythe raconte une histoire sacrée, c’est-à-dire un événement primordial qui a eu heu au commencement du Temps, ah initio. Mais raconter
une histoire sacrée équivaut à révéler un
mystère, car les personnages du
mythe ne sont pas des êtres humains : ces sont des dieux ou des Héros
civilisateurs » (Eliade, 1957:82). Et il ajoute une dernière caractéristique
qui rejoint l’acte de dire le mythe, un acte en quelque sorte fondateur
puisqu’une fois dit, révélé, le mythe devient « vérité apodictique », révélant ainsi une vérité absolue, celle que les générations suivantes auront à
transmettre. Durkheim souligne davantage le rapport qui reüe le mythe
avec l’interprétation de rites existants, plutôt
que la commémoration des
événements passés : le mythe est plus une explication du présent que le
«
récit d’une histoire.
64
N°318 «Janvier-Avril 2010
•
Sina et les dauphins
Sina est le nom de l’une des figures les plus célèbres de la mythologie
futunienne, ce personnage est aussi populaire que Fakavelikele, ancêtre
déifié dont la geste relève de la tradition orale à valeur historique. Cependant, le nom de Sina apparaît également hors de Futuna. En effet, si elle
est connue sous la forme « Hina » à Tahiti, il existe un mythe vanuatais qui
la met en scène ; dans les îles Makura et Emae (groupe Sherperd), Sina
est le nom d’une déesse à qui il arrive une aventure bien cocasse (Guiart,
1962 :115-116). Plus proche de Futuna, des mythes samoans la mettent
également en scène20.
Dans l’extrait suivant, Sina la « Futunienne » sauve ses frères d’une
mort certaine car ils sont poursuivis, à Alofi, par des chasseurs d’hommes.
Arrivés à un promontoire, elle révèle son appartenance à l’autre monde :
[... ] je vais plonger dans la mer, et si vous voyez que je me trans«
forme en poisson, alors laissez le four et sautez dans l’eau également.
[...]. Alors Sina sauta dans la mer ; les deux frères virent qu’elle s’était
transformée en poisson. [...]. Ces poissons qui vivent parmi nous dans
le monde, sont des dauphins. Ce sont ces trois frères et sœur qui sont
à l’origine des dauphins dans le monde. » (T 28 :165)
Cette jeune fille, petite-fille de Malafu, apparaît dans un autre récit,
«
Histoire de Sina », où elle s’enfonce dans le Pulotu. Sina doit attendre
Tuapese, près d’une source, mais ce dernier tarde à arriver,
elle éclate en sanglots et pleure :
Tuapese ! Tliapese ! La pirogue divine vogue sur les érythrines, tu t’es
moqué de moi » ! (T 70 : 328). À ces mots, elle commence à s’enfoncer
dans le sol ; Tuapese n’arrivant toujours pas, elle réitère cette phrase
sacrée qui l’enfonce davantage. Tùapese arrive enfin mais pour n’entendre
que les dernières paroles de Sina qui a le temps de jeter un dernier regret
sur une demande en mariage non satisfaite. Notons que la grand-mère
de la jeune fille a assisté à toute la scène, et avait une connaissance implicite de ce qui allait se produire puisqu’elle « savait que sa petite-fille allait
son amant,
et Sina s’impatiente péniblement ;
«
2"
C'est une divinité incarnée en un oiseau (veka) et nommée « Sina Ai'Mata » (Sina mangeuse d'yeux) :
sorte d'épouvantail pour les enfants turbulents. Une autre Sina apparaît dans une chanson d'amour ; sa
fin tragique, elle meurt noyée, la rapproche de la Sina futunienne.
65
bulletin de Ui Société de& Stade# Océan
disparaître à jamais » {ibidem). Ce récit montre ainsi l’origine divine de
Sina qui rejoint le domaine des dieux, comme le fait un autre héros civi-
lisateur, Ufigaki.
Ufigaki / Muni : un héros civilisateur
Deux versions évoquent ce héros ; dans la première version, le
•
personnage est présenté en action, in médias res :
« Le Tui Sa’avaka avait demandé à Muni de
Sigave des collets de taros
pour son champ » (T 15 : 98), tandis que dans la seconde version, le
conteur débute le récit en nous expliquant les circonstances de son appa-
rition ; ce sont des oiseaux qui ont « déposé » un enfant encore dans son
placenta sur la plage, il est ensuite élevé par le couple qui l’a trouvé. Le
lendemain de son « arrivée » à Futuna, des signes évidents de son origine
divine se manifestent puisque sa croissance est anormalement rapide :
Le lendemain matin, l’enfant parvenait déjà à marcher à quatre pattes,
et le jour suivant, il se tenait assis. Il grandissait véritablement à vue d’œil »
(T 71: 331).
D’autres signes vont susciter des doutes de la part de la population ;
en l’occurrence une force surhumaine :
appelé pour aider aux travaux
champêtres, ses coups de pieu à fouir sont terribles à tel point que la «
terre tremblait et l’océan s’agitait » {ibidem). Les tarodières sont l’une
des préoccupations essentielles de la vie quotidienne des Futuniens,
puisqu’elles leur fournissent leur principal aliment, le taro ; ainsi la force
d’Ufigaki est mise à contribution dans la préparation des champs et pour
la plantation. Comme Sina qui doit retourner dans le Pidotu, Ufigaki doit
non pas prononcer des paroles mais entendre celles qui provoquent sa
disparition. Il écoute une conversation de ses parents adoptifs dans
laquelle ils rappellent la genèse de cet enfant si particulier. Ce dernier leur
répond : « Je vous remercie beaucoup, Tafala et Moekalia, mais je sais
maintenant que vous n’êtes pas mes vrais parents et que j’ai été trouvé
dans la mer. Cela sera nos dernières paroles, vous allez rester ici, mais
moi, je vais vous quitter » (T 17:333) ; Ufigaki s’enfonce ensuite, et pour
toujours, dans le sol. Pour les conteurs, cet homme « devait être un dieu »,
même s’il ne figure pas « officiellement » dans le panthéon futunien.
«
66
N°318 • Janvier - Avril 2010
ÉLÉMENTS DE LA VIE ET DES PRATIQUES RELIGIEUSES
La plupart des éléments que nous voulons évoquer ici
prennent appui
sur les
témoignages des pères Chanel, Servan et Bataillon, même s’il faut
parfois prendre garde aux nombreux préjugés discréditant la plupart des
faits, pourtant très précieux et détaillés, que ces missionnaires maristes
rapportent.
Il existait des prêtres (toematua) mais chacun était attaché à une
famille, généralement noble (aliki), dont il assurait les soins par l’invocation des divinités tutélaires de la parenté, qui souvent étaient
symboli-
sées par des paniers en feuilles de cocotier tressées (kete) ; ces kete
pouvaient contenir des objets « précieux » - comme des dents de baleine
-
ainsi protégés, et il faut penser qu’ils étaient l’équivalent moins élaboré
des tiki de Polynésie, qu’ils fussent en bois ou en pierre, ou même des
to’o21 : leur première caractéristique commune étant leur mobilité,
puisqu’ils étaient amenés aux champs.
Si à Wallis il existait une séparation des pouvoirs coutumier et religieux, il n’en était pas de même à Futuna : le roi était aussi investi des
fonctions de prêtre, puisqu’il parlait au nom de la divinité du moment qui
habitait son corps. Cet aspect renvoie au rapport qui doit se concevoir
entre les esprits et le prêtre ; ce dernier semble, selon P. Radin, être investi
de pouvoirs transcendant ceux des divinités dont il est le porte-parole,
l’intercesseur auprès des hommes : « On peut assurer, affirme Radin, que
les hommes ont tout d’abord créé les esprits et les divinités selon
l’image
qu’ils se faisaient du chaman » (Radin, 1941 : 156). Si l’on en croit
Bataillon, il semblerait que les cultes fussent démultipliés ; en effet, si
chaque famille était protégée par une divinité particulière, il fallait y
adjoindre un culte pour chaque membre du corps, d’où cette impression
d’une société saturée par la sacralisation. « Ils ont des maisons de dieux
pour tous les membres du corps » (Angleviel, 1994 : 13), affirme le
prêtre, et ajoute que ces divinités sont honorées et remerciées par des
21
Le to'o tel qu'il se présentait dans les îles de la Société, était une représentation divine, taillée dans une
pièce de bois, enserrée dans de la fibre de coco tressée.
67
®
(bulletin de la Société des* études* Océaniennes
offrandes, telles que des étoffes ou des objets précieux, afin d’apaiser leur
colère. La même remarque est formulée par le père Chanel dans une lettre
écrite en mai 1840 : « Dès que quelqu’un est tombé malade, ils courent
à la maison du Dieu qui veut le manger ; mais il faut d’abord qu’ils aient
bien reconnu le membre qui souffre ; car chaque Dieu a des maisons
différentes [...] » (Abal, 2003 : 378).
Les représentations divines
Des témoignages partiaux
Y avait-il des représentations matérielles de ces divinités
? Les
missionnaires restent peu prolixes à ce sujet, et la plupart des témoi-
gnages de voyageurs ne le mentionnent pas. La lettre de Pierre Chanel
précédemment citée aborde le sujet des représentations divines, mais il
faut se rendre compte combien les propos restent imprécis, (volontairement ?) et flous ; en tout état de cause, ils ne sont pas d’un intérêt ethnographique majeur (ils eussent pu l'être), le sujet est traité dans le sens
d’une « décrédibilisation » de ces représentations en faveur de l’éminence de la nouvelle religion. Voici le témoignage du père Chanel :
Un jour, il [Bataillon] proposa au roi de brûler une multitude de divi«
nités du second ordre, très redoutées à Futuna et dans les îles voisines.
Le roi et tous les chefs y consentirent, persuadés que nous ne serions
jamais assez téméraires pour en venir à l’exécution. Mais dès le lendemain, ces ridicules Dieux, ou plutôt les objets consacrés à leur culte,
furent publiquement livrés aux flammes » (Abal, 2003 : 378).
Si ce témoignage signale l’existence d’un culte rendu au moyen d’ob-
jets sacrés, il n’en demeure pas moins évasif - la nature et le morphotype
de ces derniers ne sont pas précisés. D’ailleurs, le missionnaire accompagne le mot culte d’un appel de note en bas de page qui apporte la
précision » suivante : « Ces divinités, appelées A-Tua-Mari, ne sont pas
représentées par des statues : le peuple les honore comme des êtres spirituels et invisibles qu’il croit néanmoins de figure ronde. » Cette note
répond donc à la question que nous nous posions plus haut : d’après
Chanel, les Futuniens représentaient leurs divinités. Pas de mention explicite de statues, mais il est évoqué des objets consacrés au culte des
«
68
N°318 • Janvier - Avril 2010
divinités, apparemment de « figure ronde », puisqu’ils se les imaginaient
ainsi, et certainement d’origine végétale puisque ces objets subirent la
destruction par le feu.
Les traces matérielles des croyances religieuses
La représentation la plus courante d’une divinité majeure était sans
conteste, dans les sociétés anciennes, celle que l’on taillait dans la pierre
ou le bois. On pense, pour rester dans le contexte du
Pacifique, aux tiki
représentant les divinités inférieures. Apparemment, de telles représentâtions aussi élaborées n’existèrent pas à Futuna ; les nombreuses fouilles
archéologiques auraient pu en révéler la présence, ou quelques traces.
Quand bien même les missionnaires auraient interdit les marques matérielles des croyances, il est difficilement concevable qu’aucune de ces
statues ou statuettes n’ait pu traverser le temps ou échapper à aucune
anecdote. Il faut donc imaginer que la plupart de ces divinités étaient
matérialisées par des supports naturels, non élaborés ; par exemple, un
rocher représentait Lita ou Tagaloa. Quant aux divinités anthropomorphes
apparues assez tardivement, ce sont la plupart du temps des ancêtres divinisés, dont le roi était souvent le tabernacle ; les autres divinités devaient
garder leur aspect immatériel, et le besoin de les représenter ne s’est
peut-être fait jamais ressentir.
Ou peut-on se demander si les Futuniens possédaient les techniques
et les moyens pour façonner des monoüthes ? Certaines dalles en pierre,
plantées dans les malae, étaient appelées « pierres divines22 », elles
n’étaient pas sculptées mais juste polies : pouvaient-elles néanmoins,
malgré cet aspect trivial et sommaire, représenter des divinités qu’on
aurait pu craindre ? En tout cas, il semble bien que cette marque matérielle d’une croyance fut la dernière à subsister à Futuna, jusqu’à ce que
le père Servan eût le plaisir d’assister à sa destruction. Dans une lettre
22
II s'agit de ce que l'on nomme plus couramment des « pierres dossiers », des dalles plantées contre
lesquelles les alikiie haut rang s'adossaient lors des réunions ou pour les cérémonies de kava. Symboles
du statut d'autorité, du rang et du prestige de la personne. Ces dalles de corail étaient dressées autour des
sépultures des gens de haut rang ; abritaient un esprit tutélaire et/ou une divinité.
69
W Œullvtin de la Société des études Océaniennes
datée du 19 août 1842 - soit six ans après l’arrivée de Pierre Chanel - le
missionnaire relate cet événement :
au milieu d’une place publique se trouvait encore plantée une pierre
sacrée, dans laquelle les habitants du pays supposaient que la divinité
résidait spécialement ; elle a été abattue et brisée par la main de ses
«
anciens adorateurs » (Abal, 2003 : 382).
Nous ne reviendrons pas sur la phraséologie apostolique surtout
présente dans la fin de la citation, très teintée d’idées rédemptrices ; ce
qui est digne d’intérêt, c’est de constater que ce que Servan qualifie de
dernier reste de l’idolâtrie de Futuna », fut aboli d’une manière assez
radicale, sans protestation apparente, ou avouée, et qu’elle marqua l’entrée de ce peuple dans une nouvelle période, sans préjuger de l’état d’esprit de certains, dont les croyances indigènes ont pu persister. Dès lors,
le malae, « désacralisé », ne devait plus être destiné qu’aux rites coutumiers, au sortir de la messe, notamment symbolisées par la cérémonie du
kava mais est-elle « désacrafisable23 »? et ce lieu où jadis on adorait
et invoquait les divinités, allait être choisi pour être celui à côté duquel les
églises allaient être édifiées. Abordant la fonction des marne de Polynésie,
Éric Conte confirme bien la pérennité de ce lieu sacré recevant l’édifice
de la nouvelle religion, l’inscrivant ainsi « dans une certaine continuité
avec les divinités ancestrales » (Conte, 2006 : 35).
«
-
-
Les cérémonies rituelles
L’ensemble des systèmes rituels constitue le culte ; Durkheim en
distingue trois : le culte négatif qui impose les interdits, le culte positif
regroupant les rites d’initiation, et enfin le culte piaculaire, qui sont des
cérémonies où les individus font face à un malheur. Il est bien évident que
l’ensemble de ces types cultuels fut présent à Futuna. Nous n’aborderons
23
II faut bien sûr nuancer l'emploi de ce terme ; si nous reprenons la dichotomie classique profane/sacré,
il faut suggérer que ce lieu n'a pas été vraiment désacralisé (pas plus qu'inculturé) même s'il n'est plus
l'espace de la vie religieuse première. Dès lors qu'il reçoit toujours une cérémonie ancestrale, celle du
kava attachée intimement aux anciennes croyances - sa désacralisation n'est pas effective. Le malae ne
redevient en fait un lieu profane dès lors qu'aucune cérémonie, quelle qu'elle soit, s'y tient. La cérémonie
du kava, même à l'ère chrétienne, consacre le malae.
-
70
N°318 • Janvier - Avril 2010
pas dans les lignes qui suivent le culte positif car peu de témoignages nous
permettent d’aborder les rites qui en relèvent - consistant surtout au
passage à l’âge adulte, dont la circoncision et les tatouages sont les événements majeurs.
Les cultes négatifs
En général, les toematua, comme dans la plupart des sociétés primi-
tives, savaient tirer parti de la crédulité de la population, de leur crainte
des dieux24, et profitaient largement des oblations destinées à calmer leur
colère. Ces prêtres avaient aussi la charge, lourde et complexe, de faire
respecter l’une des règles qui régit toute société traditionnelle : les tabous.
Ces interdictions relevant du culte négatif, et qui varient en fonction du
type de société, affectent les personnes, les objets et les lieux ; véritable
règle de conduite des individus, la transgression des interdits pouvait
amener la maladie, un accident tragique ou la mort. Il est bien évident
que
le tabou s’impose à toute société qui s’efforce de se structurer et de se
caractériser, ainsi chacune d’entre elle peut en proposer un récit étiologique ; voici celui des Futuniens, rapporté par Servan :
«[...] un jour, tous les dieux préparèrent un festin, faisant cuire toutes
sortes de vivres et d’animaux comestibles ; lorsque ces aliments furent
cuits, les dieux se réunirent autour du four et se précipitèrent pour en
manger beaucoup, au moins pour en manger de chaque espèce. Ceux
qui ne furent pas assez diligents pour prendre de chaque espèce d’aliment forent soumis à la loi du tapu »
(Servan, 1996 : 63).
Si la règle des interdits est commune à de nombreuses sociétés, nous
pouvons néanmoins en relever qui peuvent être spécifiques à Wallis et
Futuna, ainsi qu’à Samoa et Tonga. Le père Bataillon rappelle qu’à Wallis
«
les tapus permanents et communs à toute l’île sont de toucher ce qui
est l’usage du roi et des chefs, d’entrer dans les maisons où se fabrique
la tape [le tapa], et, pour les femmes et les enfants, de manger avec leurs
époux et leurs pères » (Abal, 2003 : 19)-
24
L'un des moyens pour fléchir la colère divine consistait, par exemple, à amputer plusieurs phalanges de
l'auriculaire et à l'enterrer au pied du poteau sacré, ou à mettre en scène un simulacre de sacrifice humain.
71
IQr Ç&ulletùi de Ut Société des études (Océaniennes
La règle des interdits puise sa source dans les croyances ancestrales ;
certains d’entre eux s’expliquent par le caractère sacré attribué à tel être
ou à tel
objet, ainsi en est-il des personnes du roi et des chefs, incarnant
Le missionnaire continue cette description en abordant un
point qui retient toute notre attention, puisqu’il ne fait que corroborer
nos propos à la lumière des études de Durkheim : l’interdit qui peut
frapper des espèces animales ayant pu être le totem de clans. Ainsi,
quelques poissons et la plupart des oiseaux sont sacrés pour l’île
entière. » (Ibidem) ; l’origine totémique de ces animaux ne fait aucun
doute, telle espèce de poisson ou d’oiseau est soumise à la loi du tabou,
seul le chef du clan concerné peut en lever l’interdit, et permettre ainsi
sa consommation25. Dans ce cas précis, consommer de l’animal totémique astreignait le clan au respect de rites destinés à prévenir, à
demander à l’ancêtre la permission de manger l’animal dans lequel son
âme s’était réfugiée. Enfin, des cas extrêmes de transgressions devenues
mortelles ont été rapportés hant ainsi totémisme et mort ; Marcel Mauss,
s’appuyant sur les travaux de Mariner-Martin et Turner, souligne que le
totémisme a laissé des traces comme moyen de figurer certaines causes
de mort : « En particulier à Tonga, Mariner raconte comment un homme
qui avait mangé de la tortue interdite en eut le foie grossi et en mourut.
Mais c’est surtout aux Samoa que les tabous (totémiques) violés se
vengent. L’animal absorbé parle, agit à l’intérieur, détruit l’homme, le
mange, et il meurt » (Mauss, 1950 : 324).
une divinité.
«
L’exemple du poteau sacré
Le père Louis-Catherin Servan évoque un interdit qui semblait provo-
quer la plus grande crainte des Futuniens, et suscitait aussi le plus grand
respect : il concernait le poteau sacré de la maison du roi, ou des aliki.
Nous voudrions consacrer à cet élément les hgnes qu’il mérite, tant il est
source de réflexions et
d’interrogations.
25
Durkheim rappelle à ce propos le lien fusionnel qui lie l'individu d'un clan et son totem ; un homme du
clan d'un animal ou un végétal donné, se croit, se sent être cet animal ou végétal, c'est par cette qualité
qu'il se définit, et pour la garder, il fait de temps en temps passer dans sa propre substance un peu de l'espèce totémique.
72
N°318 • Janvier - Avril 2010
Le père Marie-Nizier décrit très bien l’existence de ce poteau et son
caractère sacré :
«
«
Nos affaires furent déposées chez le roi, près de ce qu’il appelait le
heu sacré », un espace compris entre deux poteaux [...]. Ce heu
sacré était si respecté par les indigènes n’appartenant pas à la famille
royale, qu’il n’y auraient pas passé pour tout l’or du monde : c’est qu’ils
auraient été alors soumis au courroux de leur prétendu grand et redoutable Fakavelikele ! Lequel leur aurait infligé une terrible maladie ou
même la mort ! Ces poteaux étaient faits d’énormes troncs d’arbres ; le
plus gros, qui mesurait plus d’un mètre soixante de circonférence, était
le poteau divin ; rien dans l’île ne présentait un caractère plus saint. L’effleurer du bout des doigts, c’était encourir la vengeance divine la plus
terrible ! Mais nous, nous n’étions pas au courant de ces interdits
absurdes et diaboliques. Aussi le père Chanel décida-t-il de fixer là, à
ce poteau énorme, son autel portatif. A
grands coups de marteau nous
y enfonçâmes de gros clous pour y suspendre le crucifix, le bénitier,
etc... Et dire qu’il était interdit de le toucher même du bout du doigt !
Le roi étouffait de surprise et d’indignation mais n’intervint pas »
(Manuaud, 1983).
Ce témoignage doit bien sûr être replacé dans le contexte d’un
missionnaire catholique face à une croyance païenne : les nombreux
modalisateurs (utilisation du conditionnel) et les termes péjoratifs qualifiant et la divinité, et son culte (« prétendu, absurdes et diaboüques »)
sont largement présents dans les propos du missionnaire afin de discré-
diter et dévaloriser une pratique jugée barbare. Néanmoins, nous pourrions être surpris, étonnés même, de constater que l’immense blasphème,
plutôt la transgression du tabou, n’ait pas été réprimée plus durement :
Servan parle de la surprise et de l’indignation du roi ; s’agit-il d’un euphéou
misme ? Un tel sacrilège aurait dû être sanctionné de manière plus expé-
ditive. Servan le suggère plus loin ; le roi Niuliki était sur la voie,
semble-t-il, d’une forme de transfert de sa crainte non plus envers Fakaveükele, mais envers Chanel.
En tout état de cause, il semble que le polythéisme commençait à
évoluer vers un hénothéisme, puisque Fakavelikele dominait, il allait
devenir la figure emblématique pour tous les Futuniens, hénothéisme dont
73
bulletin de la Société des études Océaniennes
on sait qu’il « prépare » souvent à une forme de monothéisme, qui n’exdut pas entièrement la présence concomitante, et souvent discrète, d’ani-
mismes qui portent bien souvent le nom de superstitions.
Ce qui est également remarquable dans les propos de Servan, c’est l’acte,
sacrilège certes, qui consiste à utiliser le poteau sacré (pou tapu) afin de
rendre un culte à une religion niant celle en partie représentée par ce poteau.
Fut-il un geste « fondateur », en quelque sorte ? Symbolique sûrement. N’oubbons pas le caractère théocratique du gouvernement des Futuniens de cette
époque : renverser les divinités équivalait à renverser le souverain, d’abord
incarné par la divinité : ainsi l’ignorance du tabou affirmée par Marie-Nizier,
laisse dubitative. Toujours est-il que de nos jours encore, dans les fale, le
poteau principal (pou matagî) continue de recevoir les autels, statuettes de
la vierge ou autres icônes chrétiennes. Ce poteau continue bien, finalement,
à assurer sa fonction originelle et sacrée ; il a donc subi l’opération d’un
glissement cultuel : ce poteau, tabernacle d’une religion polythéiste, allait
recevoir les mêmes fonctions accordées à une religion monothéiste. Nous
pourrions suggérer que le signifié du poteau reste le même, seul son signifiant a subi un changement matérialisé par le passage d’une croyance à une
autre, mais cette nouvelle croyance, marquée par la conversion au catholicisme, n’a pas complètement annihilé l’un des « piliers » de la première.
Poteau acculturé ? Ainsi, s’adressant au pou matagi dont le caractère tapu
doit être maintenant nuancé, les Futuniens se tournent toujours vers le même
point qui porte leur nouvelle religion, point qui porte au plus profond de
lui-même des siècles de croyances ancestrales.
Les cultes piaculaires
Ces rites consistent en des cérémonies où le clan doit affronter une
calamité, ou en rappeler une et la déplorer ; il s’agit donc le plus souvent
de « fêtes tristes », contrairement au culte positif qui n’exclut pas la gaieté.
Ces rites piaculaires se déroulent dans l’inquiétude et la tristesse ; deux
d’entre eux peuvent être approchés ici puisque certains témoignages nous
sont parvenus : il s’agit du rite agraire et du deuil.
Le rite agraire consistait notamment en l’invocation des divinités pour
que tombe la pluie, accompagnée d’oblations, dont le kava représentait
74
N°318 • Janvier - Avril 2010
l’offrande majeure ; les fouilles archéologiques ont bien démontré que de
sévères périodes de sécheresse ont touché Futuna, ayant pu amener ainsi
les gens à la pratique du cannibalisme (même si ce ben entre cannibalisme et catastrophes naturelles n’est pas établi tout à fait) ou à des exils.
Dans une lettre en date de mai 1840, Pierre Chanel relate les faits :
«
Une grande cérémonie païenne a eu lieu aujourd’hui pour que cesse
la sécheresse. La foule s’est avancée en procession vers le sommet
d’une montagne pour offrir là-haut, au dieu de la pluie, bananes, taros,
poissons, etc. tous les participants ont passé la nuit à la belle étoile,
persuadés que leurs vœux seraient exaucés la nuit suivante » (Abal,
2003:378-379).
Un autre témoignage nous renvoie bien aux caractéristiques des rites
piaculaires définis plus haut : il fait référence à l’offrande des prémices
destinées à recevoir le bien-être :
«
Les premiers fruits à pain ou ignames sont réservés au dieu. La foule
se retire
après les prières consacrées par Falima qui demande au dieu
que le vent se calme, que le soleil se fasse plus favorable aux récoltes,
que les fruits et l’eau soient prodigués en abondance, que la mer se
révèle être plus poissonneuse et, qu’enfin, s’apaise cette grande colère
divine qui s’est abattue sur les hommes » (Abal, 2003 : 179) •
Quant au deuil, certaines pratiques qui l’accompagnent, ont pu être
observées bien après l’évangélisation, d’autres ont subsisté jusqu’à
aujourd’hui. Le deuil relève principalement du culte piaculaire, mais il ne
faut pas perdre de vue qu’il ressortit également au culte négatif, dans la
mesure où il
impose une série d’interdits. Ce que nous voudrions évoquer
s’agissant de Futuna, est une pratique commune aux anciennes sociétés
austraüennes : l’automutilation.
Dans la plupart des sociétés insulaires du Pacifique, il y a ceux qui
détiennent les magies de la pluie et du soleil au bénéfice de tous, qu’ils
peuvent aussi bien manipuler au détriment de tous. En Polynésie Occidentale, l’idée dominante est que le chef suprême doit être tenu responsable de la fertilité. C’est ce qui légitime son pouvoir. Durkheim s’appuie
sur le célèbre ouvrage
ethnographique de Spencer et Gillen (Northern
Tribes ofCentralAustralia) dans lequel les deux auteurs rapportent leur
témoignage de scènes d’automutilation pendant la durée d’un deuil. En
75
Œ/dletin de- la Société de# études- Océan
général, à la mort d’un proche, les femmes se coupent les cheveux pratique qui s’observe encore à Futuna - et se livrent sans retenue à des
actes d’une violence telle que certains individus en meurent. En effet, ce
rite consiste surtout pour ces tribus australiennes, à se lacérer la tête, à
se faire de terribles blessures sur le visage, et même à exprimer cette
violence envers d’autres membres du clan. De telles pratiques ont été
observées à Futuna par les missionnaires, ainsi le père Servan rapporte
que les femmes de la parenté du défunt, déchirées par la douleur, se
faisaient de larges et profondes incisions avec les ongles ou des coquillages (Servan, 1996 : 57-60). Le père Chanel quant à lui, parle même de
pugilats éclatant lors de repas funèbres. George Turner, dans son ethnographie de Samoa, bit témoin de scènes identiques :
These and other dolefid cries [...] were accompanied by the most
frantic expressions ofgrief such as rending garments, tearing the
hair, thumping thefaces and eyes, burning the body with smallpiercingfirebrands, beating the head with stones till the blood ran, and
this they called an “offering ofblood ”for the dead »
(Turner, 1883: XII).
«
Quelles expbeations peut-on donner à de tels rites qui semblent
premières ? Durkheim propose que, d’une part
qu’ils renforcent la cohésion sociale : pleurer et souffrir ensemble, c’est
rappeler les hens qui unissent chaque membre du clan non seulement
avec le défunt, mais entre eux, c’est communier dans la douleur ; d’autre
part, il faut assimiler ces mutilations sanglantes à une offrande que les
vivants adressent au disparu : « Les effusions de sang qui se pratiquent si
largement pendant le deuil sont de véritables sacrifices offerts au mort »
(Durkheim, 1912 :670-671). Cet acte propitiatoire est indispensable afin
d’attirer les faveurs de l’âme du défunt, de peur qu’elle ne vienne troubler
communs aux sociétés
les vivants.
N’oublions pas en outre le sens qu’il faut attribuer au mot « sacrifice » ;
selon Hubert et Mauss, les rites sacrificiels, hormis les oblations végétales,
sont souvent bés au don d’une victime qui doit verser son sang au
pied d’un
autel, en hommage à une divinité sollicitée ; le sacrifice implique un don qui
doit subir une destruction. Enfin, ne perdons pas de vue que ces rites doivent
76
N°318 • Janvier - Avril 2010
être replacés dans le contexte de la dichotomie profane/sacré : le défunt
est sacré par nature, le sang versé l’est aussi, la cérémonie du deuil est une
cérémonie sacrée, en un heu et en un temps sacré.
L’au-delà
Évoquer la vie dans l’au-delà, c’est bien évidemment aborder la
notion d’âme, qu’il ne faudra pas confondre avec celle d’esprit. En effet,
l’esprit semble bénéficier d’une plus grande « liberté », il peut se mouvoir,
contrairement à l’âme prisonnière du corps - quoi qu’il faille nuancer
cette dernière remarque : après la mort l’âme peut un temps
présenter
une caractéristique commune avec
l’esprit, tant qu’elle n’a pas effectué sa
transmigration dans un autre corps. Comment ce phénomène était-il
perçu par les Futuniens ? Il faut d’abord rappeler que l’âme était dans les
sociétés archaïques, représentée sous une forme animale, après la mort
du corps, cette forme animale se manifeste, redevient elle-même, puisque
jusqu’alors, elle était comme voilée par la forme même du corps humain
avant la mort. Chez les Indiens d’Amérique par exemple, après le décès,
l’âme redevient l’animal emblématique du clan du défunt, elle passe pour
se réincarner dans un corps d’animal confirmant
par là la nature
première de l’âme, son animalité. Ce même processus se manifestait aussi
à Futuna. Deux possibilités s’offraient au Futunien qui venait de décéder :
la vie heureuse et éternelle dans le ciel (lagi), ou la maison des morts
(falemate) où l’attend la souffrance. Nous voudrions ici relever une affirmation de Jean Guiart qui nous met face à une possible confusion au sujet
de l’emploi d’un fieu, le Bulotu26 : « De Samoa aux Fiji et aux Wallis, les
morts semblent vivre à la fois dans un des nombreux deux (langi) que
se partagent les dieux, et à Bulotu, île
que l’on place toujours à l’ouest
dans la direction d’où sont venus les ancêtres des habitants de ces archi-
pels » (Guiart, 1962 : 25).
26
Cette dichotomie Lagi/ Pulolu ne recouvre pas notre propre dichotomie judéo-chrétienne « paradis /
enfer ». D'ailleurs, E.G. Burrows (1936:104) évoque une sérieuse interférence avec les concepts de la reli-
gion chrétienne...Il semblerait plutôt que ce soient le rang, voire le statut et/ou la fonction qui commande
en première instance la localisation
(Lagi/ fa/e mate) et la conformité sociale les conditions d'existence.
77
^ bulletin de la Société des études ôcéartie/ines
S
Il faut convenir que le tenue Bulotu, présenté ici comme une île origi-
nelle, mythique, peut-être la première d’où seraient partis ceux qui colonisèrent la Polynésie, peut être confondu du fait de la paronymie, avec le
terme Pulotu désignant dans la tradition orale de Futuna et de Samoa, le
domaine souterrain des dieux. Si la tradition place le Pulotu sous le sol de
Futuna (à Upolu pour Samoa), c’est qu’il renferme les personnages et
les
divinités qui sont les figures fondatrices de cette île ; ceci rejoignant en
partie la caractéristique de l’île de Bulotu. Même si ces deux termes ont pu
être confondus, il n’en existe qu’un le « P/Bulotu », lieu mythique des
ancêtres (le phonème [b] n’existe pas dans la langue futunienne).
L’accès au lagi, pour l’âme qui aura d’abord retrouvé son corps
après une métempsycose, n’était autorisé que si l’individu, homme ou
femme, avait été marié, et avait versé son sang sur le champ de bataille
durant sa vie terrestre. Pour ceux-là seulement, le lagi s’ouvrait à eux, et
offrait tous les bienfaits et plaisirs possibles ; le pukatala27 leur fournissait toute la nourriture désirée.
Après une mort violente, les proches du défunt devaient revenir sur les
lieux du décès, afin de retrouver l’âme qui était égarée et qui devait errer.
À cet endroit était étendu un pamnaki (une écorce) : il fallait attendre
qu’un animal dans lequel l’âme s’était réfugiée, y passât pour l’enfermer
dans cette étoffe végétale et l’enterrer près du corps ; nous retrouvons donc
à Futuna ce lien étroit qui unit dans les anciennes sociétés, l’âme au règne
animal. Turner note un processus similaire à Samoa :
«[...] they thought it waspossible to obtain the soul ofthe departed
in some tangible transmigratedform. On the beach, near where a
person had been drowned, and whose body was supposed to have
become a porpoise, or on the battlefield, where anotherfelt, might
have been seen, sitting in silence, a group offive or six, and one a
few yards before them with a sheet ofnative cloth spread out on the
ground in front ofhim. Addressing some god of thefamily he said,
"Oh, be kind to us; let us obtain without difficulty the spirit ofthe
Surtout réservé aux plus braves guerriers, le pukatala est un arbre dont les feuilles cuites au four, se transformaient en un lac, la va/o/a; s'y baigner rendait la jeunesse et la santé - ce paradis voluptueux porte le
11
nom
78
de Rohutu-noanoa à Tahiti.
N°318 - Janvier-Avril2010
young man!” The first thing that happened to light upon the sheet
was supposed to be the spirit. [...]. By-and-by something came;
grasshopper, butterfly, ant, or whatever else it might be, it was carefully wrapped up, taken to thefamily, thefriends assembled, and the
bundle buried with all due ceremony, as if it con tained the real
spirit ofthe departed » (Turner, 1883 : XLI).
Si nous évoquons ici la notion de métempsycose, Durkheim souligne
que ce phénomène s’observe surtout dans des sociétés où le totémisme
commence à régresser.
Le falemate, quant à lui, recevait ceux qui n’avaient pas péri coura-
geusement lors des guerres, qui étaient morts de maladie, ainsi que les
célibataires. Les morts devaient d’abord passer entre les « mains » de
dieux (<atua) successifs qui accroissaient leur souffrance : le séjour
commençait respectivement chez Atuamatalua, Atuamatatasi, et Atuamagumagu. Parcours pénible, le mort subissait à chaque fois les mutilations
caractérisant chaque divinité : débutant son calvaire avec ses deux yeux
(matalua) chez le premier, le mort perdait un oeil (matatasi) chez le
deuxième, puis terminait le visage complètement mutilé (magumagu)
chez le troisième. À Tahiti, ceux qui n’avaient pas accès au « paradis »,
étaient les serviteurs des dieux, ils renaissaient éternellement après avoir
été râpés et mélangés aux épinards de Ta’aroa.
Subsistances ou syncrétisme ?
Que reste-t-il aujourd’hui des croyances ancestrales dans la vie spirituelle des Futuniens ? L’évangélisation, la christianisation, opérées voilà
maintenant un siècle et demi, ont-elles en toutes sortes d’aliments, définitivement effacé toute trace, tout signe des divinités et croyances primi-
tives ? Cela est difficile à mesurer, tant il faudrait interroger des individus
sujet qu’ils risqueraient de prendre non pas comme un blasphème
hérésie, mais comme un archaïsme peu digne d’intérêt. Cependant, il est à noter que lorsqu’on demande à un certain nombre de
personnes de donner immédiatement un nom de divinité ancienne, la
première qui vient à l’esprit est sans conteste Fakavelikele, ancêtre divinisé à l’origine du titre de roi à Futuna.
sur un
ou une
79
Yy ÇPuflclin de la Société des- études Océaniennes
L’évidence constatant que les divinités cessent d’exister dès lors qu’on
plus en elles, dès lors que l’on cesse de pratiquer un cidte en leur
hommage, est parfois à nuancer ; que penser lorsqu’un fidèle « ose » vous
avouer que pendant la messe, il se demande parfois à qui les prières, les
invocations sont-elles adressées ? Que la figure de Dieu ou de Jésus est parfois
doublée, comme sublimée par des figures qui ramènent le Futunien chrétien
à des divinités ancestrales ? Ainsi la question de savoir si l’on peut à la fois
renier ou refouler les déités à l'origine d’une île, d’un peuple, peut inciter à
la réflexion. Le dieu panpolynésien Maui aurait « pêché » Futuna, au
Commencement du Monde, mais à partir de 1837, des étrangers - des papalagi également toematm (prêtres) - annonçaient aux Futuniens que seul
Dieu est le créateur de toute chose sur Terre ; il aurait donc créé également
Maui ou Fakavelikele, pourrait-on objecter naïvement ? Ainsi la cohabitation
de deux systèmes de croyances se pose, et l’on sait combien la pratique du
monothéisme n’empêche aucunement des pratiques ou croyances préchrétiennes, favorisant ainsi les phénomènes d’interpénétrations cultuelles, dont
ne croit
l’acculturation et l’inculturafion sont les formes observables28.
Conclusion
La théorie du totémisme, appliquée de manière assez inédite à This-
toire de la religion primitive de Futuna, permet de saisir un certain
nombre d’éléments dont il faut mesurer la complexité. En premier lieu,
présentent les difficultés liées à l’absence de traces matérielles des
pratiques religieuses anciennes - source de nombreuses interrogations
se
de la démarche
ethnographique de certains missionnaires - nombreux sont en effet les
témoignages à valeur scientifique, et quasi objectifs - nous devons d’autre
part pointer - dans la démarche évangélique - une volonté systématique
de gommer les représentations divines ancestrales, dont les tatouages
et hypothèses. S’il faut d’abord reconnaître l’importance
constituaient l’un des véhicules.
28
Nous vous renvoyons pour ce phénomène précis, à notre étude « La cérémonie du kava à Futuna : un
exemple de mutations et de permanences au regard des effets dïnculturation et d'acculturation » in Bulletin
de la société des Etudes Océaniennes n°314, Papeete Tahiti avril 2009
80
N°318 • Janvier - Avril 2010
Afin de pallier ces manques et incomplétudes, il a fallu resituer Thistoire ancienne de Futuna avec celle de Samoa notamment dont les liens
historico-culturels sont avérés29 ; nous avons alors montré l’intérêt des
travaux de George Turner, qui ont permis de confirmer des éléments
connus et
d’en déduire d’autres. L’étude des pratiques religieuses
anciennes s’inscrit dans l’histoire du peuplement des îles du berceau
polynésien - le « homeland » selon l’expression de Kirch : de Tonga à
Samoa, puis arrivant à Futuna, des figures mythiques ont suivi les
hommes au fil de ces migrations. Kirch précise l’emploi de cette exprèssion « homeland » :
Archaeology positions the primary geographic homeland of the
parental population in the Tonga-Samoa archipelagoes and their
smaller neighbors, including Futuna, ‘Uvea, and Niuatoputapu. »
(Kirch, 1992 :214).
La question des représentations divines est un des points qui
demeure dans l’ombre, et notamment la question de savoir si les Futuniens, à l’instar d’autres peuples de la Polynésie Occidentale par exemple,
avaient représenté leurs divinités sous forme monolithique. Les
recherches archéologiques - non renouvelées, et surtout centrées sur la
période Lapita - n’ont pas mis au jour des indices allant dans ce sens :
méconnaissance de la taille de la pierre ? Matériau adéquat inexistant ou
impropre ? Seules les figures divines comme peuvent l’être les tiki polynésiens peuvent donner une idée de ce qu’auraient pu être quelques
siècles plus tôt de telles représentations à Futuna30 chantent, racontent ;
en présence de chefs, des décisions coutumières ou «
politiques » peuvent
y être prises (de nombreux meetings, durant les dernières campagnes
présidentielle et législatives, s’y sont déroulées, les candidats apparaissant, dans cet espace spécifique, davantage comme des prétendants à une
«
29
Si le peuplement de Futuno n pu se faire antérieurement et/ou simultanément avec celui de Samoa ; il
semble bien que les Samoans se soient bien installés à Futuna à diverses périodes.
30
Interrogé à ce sujet, Christophe Sand, l'actuel responsable du Département Territorial d'Archéologie de
Nouvelle-Calédonie, nous a confirmé - confortant notre première impression- qu'aucune donnée archéologique ne montre l'existence d'une tradition de taille de statues de pierre ; cela semble d'ailleurs être le
cas pour l'ensemble de la Polynésie Occidentale.
81
y fMa/letin de la Société des études Océaniennes
fonction coutumière que républicaine... ).. L’absence d’une statuaire en
pierre taillée est-elle liée à l’environnement (présence de matériaux), à
la technologie, au savoir-faire ou l’outillage ?
L’étude du système théogonique - relativement complexe - a permis
la reconstitution du panthéon futunien, révélant l’existence de nombreuses
déités aux rôles et formes variées, sans compter d’autres divinités tutélaires ou domestiques, propres à une famille ou à un clan qui allaient
bientôt accueillir - après vingt siècles de pratiques polythéistes - le souffle
d’une nouvelle croyance.
A cet égard, il nous a semblé que l’exemple du poteau sacré élément architectural et spirituel - est révélateur. Il a « supporté » la tran-
sition entre les deux religions puisqu’il a été au centre d’un transfert :
réceptacle d’un dieu ancestral, il s’est muté en réceptacle de l’autel de la
religion catholique. Il ne s’agit pas réellement de « désincarnation » spirituelle : la divinité est « sortie » du poteau pour laisser sa place à un
nouveau système de croyances dont ce même poteau serait désormais le
nouveau tabernacle.
Il a fallu enfin poser nécessairement la question du syncrétisme ou des
survivances. Les pratiques liées à la nouvelle religion ont intégré - ou est-ce
l’inverse ?
-
les pratiques culturelles dont la cérémonie du kava représente
le symbole le plus emblématique, et renvoyant à des croyances anciennes.
Cette cérémonie constitue une persistance ; son caractère immuable traver-
social.
plutôt est-ce cette cérémonie qui s’est accommodée de nouvelles pratiques religieuses.
Si l’espace sacré de l’église est un Heu de l’invocation à un dieu, la
sortie de la messe présente une spécificité remarquable. En effet, la cérémonie du kava qui peut - selon les occasions - la suivre, se déroule sur
le malae, un autre espace sacré, renvoyant à un temps sacré : celui d’ausant les siècles, s’est imposé comme le pilier du système coutumier et
La religion chrétienne a intégré cette cérémonie ou
très invocations - et donc de la réactualisation - des anciennes divinités,
le tout semblant former une certaine homogénéité et cohérence.
Pascal-Ibrahim Lefèvre
ivalefevre@yahoo.fr
82
N°318 • Janvier - Avril 2010
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Collection « L'espèce Humaine », Gallimard.
SAND Christophe, 2000-02. « La datation du premier peuplement de Wallis et Futuna : contribution à la
définition de la chronologie Lapita en Polynésie occidentale », Paris, in Journal de la Société des Océanistes,
111.
SERVAN Louis Catherin, 1996. Écrits de Louis Catherin Servan, Paris, Pierre TEQUI éditeur.
TURNER George, 1883. Samoa, A Hundred Years Ago And Long Before, first printed in London, 1884,
reprinted by Institute of Pacific Studies, University of the South Pacific, 1984, produced by Michael Ciesielski
and the PG Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net.
83
Œid/elin da la Jociété des études Océaniennes-
ANNEXE
1
Liste de patronymes futuniens supposés d'origine totémique
Les noms communs ci-dessous en gras italiques, sont devenus, par antonomase, des noms patronymiques à
Futuno, portés par de nombreuses familles. Ainsi, le nom totémique emblème d'un don (par exemple, le
serpent : gata), a pu être approprié par certains et devenir le patronyme de la famille (gala 0 famille Gata).
NOMS EMPRUNTÉS AU RÈGNE ANIMAL
Animaux marins
CRUSTACÉS
•
kaviki : un petit crabe blanc vivant dans le sable.
POISSONS
•
malau : « écureuil à queue blanche », Adioryx caudimaculatus (Rüppell), Holocentridé ; ou « écureuil
rouget », Adioyx adamanensis (Day)39.
•
lape : « girelle », Thalassosoma sp., Labridé, ou « labre au nez pointu », Cheilio inermis (Forskal). Plus
connu sous
•
le nom de « poisson-perroquet ».
pusi: l'anguille de mer (nom générique).
Animaux terrestres
OISEAUX
•
lupe (kula) : « Carpophage du Pacifique », Ducula pacifica, Columbidé (le mot lupe désigne la
colombe ou le pigeon ; l'adjectif kula désigne la couleur rouge).
SERPENT
•
gata (c'est le nom générique de l'animal).
NOMS EMPRUNTÉS AU RÈGNE VÉGÉTAL
TUBERCULES ALIMENTAIRES
•
talo : le taro.
•
vea : un
type d'igname.
ARBRES
•
toa : le bois de
fer, Casuarina equisetifolia L, Casuarinacée. Bois très utilisé dans la fabriquation d'ou-
tils ou d'instruments, notamment les armes.
•
sea : Parinarium insularumk. Gray, Chrysobalanacée. L'écorce de ses fruits entre dans la confection de
colliers ; la graine du fruit, réduite en poudre, entre dans la confection de produits parfumés, utilisée lors
d'événements importants de la vie sociale ou coutumière.
•
kolivai : Syzygium sp., Myrtacée.
PLANTES
•
lue : Carnavalia maritima (Aublet) Thouars, Légumineuse. Cette plante rampante pousse au bord de
mer, elle est utilisée dans la médecine traditionnelle.
39 La plupart des définitions de ces termes sont empruntés au Dictionnaire futunien-françaisde C. Moyse-Faurie.
•
pua : Fagraea berterenia, A. Day, Logoniacée. Elle donne des fleurs jaunes et blanches.
84
N°318 • Janvier - Avril 2010
•
•
puapua : ses fleurs blanches sont très odoriférantes.
tiale : la fleur de tiaré.
uto :
•
Aglaia saltatorum A.C. Smith, Méliacée aux fleurs jaunes et vertes.
ANNEXE
2
Quelques mythes de création
2.a. Ta'aroa à l'origine de la création du monde
«
Ta'aroa joue le rôle dans la création du monde. Il se crée à partir de lui-même dans la solitude ; il n'avait
ni père ni mère et fut l'auteur de ses propres jours. Cela se produisit dans un espace infini [...] à l'intérieur d'une enveloppe en forme de coquillage [...]. Au bout d'un temps infini, Ta'aroa monte à la surface
de son coquillage, s'y tient debout et pousse un cri. Pourtant, il ne reçoit que l'écho de sa propre voix.
Déçu, il se retire dans un nouveau coquillage qui a poussé sur l'ancien et, dans le coquillage apparaissent
à l'intérieur du dieu, la mémoire, la pensée, l'observation ; pour finir, toujours dans l'obscurité, il crée les
dieux [...]. Enfin vient le jour où, faisant sauter sa coquille, il surgit à la lumière qui était apparue autour
d'eux, puis crée le ciel et la terre à partir des deux moitiés de sa coquille [...] ensuite les animaux, les
plantes et l'eau sont créés. » (Henry, 1968:414-416)
2.b. Maui crée Futuna
Maui est certainement le dieu le plus populaire de la littérature orale polynésienne, il est également présent
Mélanésie, notamment aux Vanuatu où de nombreuses versions mettent en scène Mauitikitiki, le dieu
pêcheur d'îles. Voici la version qui raconte la création de Futuna : « Le dieu Maui ne pouvait pêcher que
dans les ténèbres. Une nuit, Maui était à la pêche avec sa pirogue et l'aube s'annonçait. Alors Maui jeta
une dernière fois son filet et en ressortit l'île de Futuna. Mais le temps pressait, il ne devait pas se faire
prendre par le jour. Dans sa hâte, il marcha sur l'île qu'il venait de pêcher au lieu de la contourner, c'est
pour cela qu'il y a des montagnes à Futuna. » (Frimigacci, 1990:21 )
en
Résumé La théorie du totémisme, appliquée à l'étude de la religion ancienne de Futuna, permet de révéler
des éléments jusqu'alors peu abordés - par les missionnaires ou les premiers ethnologues - notamment la
relation du nom de famille avec un totem supposé, marque originelle d'une pratique religieuse élémentaire.
Mais cette théorie éclaire également sur ce que purent être les représentations totémiques, dont l'exemple des
tatouages - pratique bannie par les missionnaires est commune aux sociétés polynésiennes.
Nonobstant de nombreuses incertitudes et manques, l'analyse de témoignages, enrichie et confirmée par
la tradition orale, permet de connaître les divinités et figures mythiques de Futuna, et d'en reconstituer le
panthéon.
Quand il faut s'interroger sur la relation entre religion ancienne et religion nouvelle, la question soulève
immanquablement la problématique des survivances et/ou du syncrétisme. L'exemple de la cérémonie du
kava est en soi très révélateur d'une société ayant adopté une religion allogène, sans pour autant avoir
supprimé ce qui aurait pu constituer une pratique liée à l'ancienne religion : cette cérémonie, immuable
vecteur d'une identité, constitue un espace-temps sacré où les invocations des anciennes divinités perdurent.
Mots-clefs : Futuna - totémisme - religion - divinités - survivances - identité
85
Le maire fantôme
de Papeete
En 2008 la commune m’a demandé de faire le calendrier 2009 sur
le thème du patrimoine de la ville. Fin 2009, la même demande a été
formulée pour 2010.
Cette année, précisément le 20 mai, nous célébrerons le 120ème anniversaire de la commune de Papeete. J’ai donc proposé mi octobre depuis
mon ht de
chnique d’honorer les maires de la cité. Seul problème, il n’y
avait que 11 maires pour 12 mois. C’est pourquoi j’ai décidé pour le mois
de janvier, de raconter l’histoire de Tahiti avant 1890.
Or, alors que le travail était presque terminé, Madame Vaihere Tehei,
l’archiviste municipale me fait savoir qu’il existait un maire de plus, et
qu’elle l’avait cité dans son ouvrage Papeete témoignage d’un autre
temps ; cet homme aurait été maire de 1902 à 1903. Elle me disait avoir
lu cela mais ne pouvait fournir aucun document.
En tant qu’historien il me fallait des preuves. Or, dans la salle du
conseil municipal, il n’existe aucun portrait de ce maire ; de plus le seul
écrit disponible est un texte de Danielson qui parle d’un maire par intérim.
Ce personnage était Hégesippe Langomazino (1844-1911), cité par
le père O’Reilly qui écrit dans Tahitiens « il rempht les fonctions de maire
en
1903 ».
Avec Pierre Morillon, le chef du Service des Archives de Polynésie
Française, nous avons décidé de parcourir le JOEFO des années 1901,
1902,1903, parcourir pages après pages car ses journaux ne possèdent
pas d’index et nous avons trouvé les documents suivants :
N°318 • Janvier - Avril 2010
Jo du 13/14 novembre 1902
Jo du 4 décembre 1902
Jo du 4 décembre 1902
Jo du 18 décembre 1902
Jo du 29 octobre 1903
Jo du 29 octobre 1903
Jo du 26 mai 1904
Révocation de Cardella
élection de deux conseillers municipaux
un texte de
Langomazino maire par intérim
élection de Langomazino
démission de Langomazino
Cardella élu Maire par le CM
Cardella élu au suffrage universel
Après discussions avec des juristes, il ne fait aucun doute que Langomazino a bien été maire et élu pour la période du 15 décembre 1902 au
9 octobre 1903 (moins de dix mois.)
Comment peut-on expliquer ces évènements politiques ?
Philipe Mazellier, dans son introduction du Tome IV du Mémorial
Polynésien, résume parfaitement le contexte de la fin du XIXe et du début
XXè siècle :
«
sans
A la fin du XIXe siècle, l’administration coloniale entend régner
partage ; elle se heurte à la société en formation des « colons » et
des premiers « demis », société divisée en clans qui s’affrontent en
violentes querelles verbales autant qu’épistolaires... Le peintre Gauguin
y prend une part active dans des journaux pamphlétaires tels que les
guêpes ». Mazellier ajoute : « les gouverneurs jouent plus ou moins de
savoir-faire d’une faction contre l’autre et vice-versa. » Mazellier montre
que cette société est par contre unie contre les impôts et les taxes et
qu’elle se sert du conseil général d’où sa suppression en 1903.
Face au gouverneur il n’existe que deux institutions élues :
Le conseil général créé en 1885
Le conseil municipal crée en 1890
Le conseil général est supprimé le 19 mai 1903 par le gouverneur
Petit qui avait écrit un rapport en 1901 dont j’extrais ce passage : « Le
conseil général convoqué pour le 11 novembre 1901 n’a pas pu se réunir valablement à cette date suite de l’obstruction systématique que ne cessent d’ap-
porter dans son fonctionnement les 4 membres élus de la ville de Papeete ».
De ce fait en dehors du conseil municipal de Papeete, il n’y aura plus
aucune
représentation de la population avant 1946 (création de l’As-
semblée Territoriale).
87
Les
Guêpes
Paul Gauguin. Gaspard et son petit page.. Caricature inédite, signée et datée : Paul Gauguin, 1900.18,5 >: 24 cm.
[Collection John Rewald). — Un ours figuré de profil, une couronne impériale posée sur la tète et portant
la croupe un petit singe assis, est posté devant une grande ruche do paille entourée d'abeilles et portant
Miel de Tahiti ». Ii s’agit du Gouverneur Gallet, « l'Empereur » ; le singe, le petit page, étant sans doute
le secrétaire général Rey.
sur
«
N°318 • Janvier - Avril 2010
Et pour les gouverneurs, l’homme à abattre est le maire de Papeete
Cardella. L’un de ses 4 élus municipaux avec le premier adjoint Langomazino et M. Coulon, tous du parti catholique, Coulon le propriétaire du
journal Les guêpes dans lequel écrit Gauguin qui représentait le gouverneur sous la forme d’un cochon. De plus en 1898 Cardella osait réclamer
l’autonomie interne alors qu’il était président du conseil général. Le
gouverneur Gallet avait alors déjà proposé la suppression de ce conseil
général.
Cardella, président en 1895, est réélu en 1899 malgré le gouverneur
qui soutient le « parti » protestant dirigé par Victor Raoult, un catholique
et aussi le premier importateur de produits français ; Raoult compte sur
Brault et Chassagnol plus quelques élus tahitiens dont Tati Salmon.
Ces élections au conseil général sont d’ailleurs contestées par les
deux camps ; il faut dire qu’en 1899 Coulon est élu à Atuona avec dans
l’ume 221 bulletins pour 169 votants... Par contre les deux camps sont
toujours d’accord pour s’opposer aux impôts et aux taxes et pour
réclamer la diminution des salaires et des frais des fonctionnaires métro-
politains. Le gouverneur va donc révoquer le maire Cardella en 1902 puis
imposer une élection partielle pour être sûr d’avoir le quorum et obliger
Langomazino de passer de maire par intérim à maire élu par le conseil
municipal. Cardella pouvait toujours compter sur Coulon et Langomazino
même si ce dernier a semble-t-il été écarté lors des élections d’octobre
1903 qui donnent toute sa légimité à Cardella.
Il va donc falloir ajouter un portrait dans la salle du conseil muni-
cipal de Papeete, tout en sachant que Langomazino n’est que l’homme de
paille de Cardella qui était resté conseiller municipal. Comment pourrat-on respecter la chronologie des maires accrochés au mur avec « ce
dernier maire » ? Cet épisode de la commune de Papeete montre aussi
clairement que le pouvoir colonial par l’intermédiaire de ses gouverneurs
a eu beaucoup de mal à accepter un petit contre-pouvoir élu, préférant
les chefs de service dociles comme le directeur de l’intérieur dessiné par
Gauguin sous la forme d’un singe installé sur le dos du cochon.
Yves babin
89
Un don qui ravive
la mémoire filiale
Ce 19 janvier 2010, Mesdames Annick Walker et Maud Ahnne, petite
fille et arrière petite-fille, du pasteur Edouard Ahnne qui assura par deux
fois la présidence de la SEO, sont venues offrir à notre société : une photo
de leur aïeul prise en 1933, trois lettres manuscrites à Papeete, adressées à son fils Paul et un fascicule de 59 pages de Récits missionnaires
illustrés, (1931) intitulé : « Dans les îles du Pacifique » précédé d’un
avant-propos emprunté au rapport de M. Allégret.
Les lettres écrites à Papeete
•
La lettre du 4 janvier 1931
E. Ahnne annonce qu’il vient de recevoir les lettres de novembre et
décembre... ainsi qu’un livre écrit par le gouverneur Petit ou son épouse
sous le
pseudonyme d’Aylic Marin. Il y est question de livres à acquérir
pour les revendre ou les collectionner ainsi que de « mon bulletin de la
SEO du 4è trimestre 1930 dont la parution a pris du retard par la faute
de l’imprimeur. » Il y raconte aussi un voyage d’une journée le 25
décembre à Tetiaroa dans des conditions mouvementées sur le cotre
d’Emory. Au retour, le temps fut si mauvais qu’à Paea « le vent renversa
Il
parle de Majoric qui remplit les fonctions de substitut du procureur et de
Pailloux qui trouva une place d’instituteur aux Iles Sous-le-Vent...
notre garage, abattit 4 ou 5 cocotiers et faucha tous les bananiers. »
N°318 «Janvier-Avril2010
•
La lettre du 10 juillet 1938
Il y est question du « fameux timbre 3fr de l’Exposition », de « la
fameuse statue en bois qu’on attribuait à Gauguin » qu’il certifie être un
faux ; de l’apparition d’une « véritable industrie... mais j’ai souvent de la
peine à m’y retrouver, surtout quand on les a enterrés (les objets)
quelques mois ou placés dans le lit d’une rivière dont les cailloux polissent les angles et leur donnent une apparence de vétusté. » Il déplore
qu’on ait « supprimé les sœurs » à l’hôpital et se réjouit du dévouement
des infirmiers de Orofara. Il parle de Monsieur de Chapdelaine connu
comme délégué et devenu ministre de la marine.
•
La lettre du 10 février 1939
Où est évoqué le désir d’écrire de Paul sur Morillot et Gauguin.
E. Ahnne donne son avis sur ces deux peintres dont il a suivi le parcours
et reconnaît un talent supérieur à Gauguin «
forçat du travail » dont le
talent « s’est mûri et développé par la douleur et la misère. »
Récits missionnaires illustrés N° 30 intitulé :
«
Dans les îles du Pacifique » par Ed. Ahnne
Avec en couverture une photographie « Pêcheur au harpon à Tahiti »
où quatre personnes dont trois sont sur une pirogue à moitié échouée
sur le
rivage. L’homme vêtu d’un short, débout, brandit une longue perche
laquelle il vise un poisson en tournant le dos à trois femmes vêtues
de robes ne laissant visibles que la tête et les mains. Deux dont l’une tient
une rame, sont assises dans la pirogue et regardent le photographe.
L’autre, debout près de la pirogue sous l’ombre des arbres est de dos.
L’avant-propos (M. Allégret)
Résume en 11 pages l’histoire des îles telles qu’il l’a comprise au
prisme de ses convictions rehgieuses.
avec
•
•
Dans les îles du Pacifique (E. Ahnne)
En 42 pages, nous sont présentées la géographie des îles, les habi-
tants, avant et après la conversion, observés et compris avec le prisme de
la pensée européenne du début du XXème siècle.
91
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Récits
Missjpnljaires illustrés: N" 30
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DAHSJ.ES ILES DD PACIFIQUE
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Par
Ed.
AHNNE
*Pêcheur au
harpon à Tahiti
PARIS
SOCIÉTÉ DES MISSIONS EVANGELIQUES
102, boulevard Arago (XIV’)
1931
Prix
:
3 francs.
N°318 «Janvier-Avril 2010
Remercions ces descendantes de monsieur Edouard Alinne pour ces
précieux documents qui, en nous éclairant sur les pensées animant les
Européens du début du XXème siècle nous permettent de décoder bien des
discours et comportement du présent.
Simone Grand
Edouard Ahnne, seul Compagnon de la Libération
des Etablissements Français d’Océanie
Né en 1867 à Voujeaucourt dans le Doubs, Edouard Ahnne est mort
le 7 avril 1945 à Papeete, un mois avant l’armistice qui mettait fin au
conflit mondial.
Arrivé à Tahiti en 1892 pour assurer la direction de l’Ecole libre
Protestante, il assura les fonctions de président de la Société des Etudes
Océaniennes, président de la Caisse Agricole, et membre du Conseil des
Etablissements Français d’Océanie.
Edouard Ahnne fut l’initiateur du ralliement au Général de Gaulle
des Territoires français de l’Océanie (parmi les premiers Outre-Mer) le
2 septembre 1940 soit deux mois et demi à
peine après l’appel du 18
juin. Le Général ne Toubliera pas. Le 28 mai 1943 il est fait Compagnon
de la Libération, ordre prestigieux créé le 17 novembre 1940
qui n’a
compté que 1038 membres dont il reste aujourd’hui 44 en vie.
Constant Guéhennec
93
Extrait du site de tahitipresse.pf du 30 novembre 2009
tahitipresse.pf
Le buste de Pierre Loti
victime
d’un incivisme chronique
Le 30 novembre 2009 à 15:54 / Source : tahitipresse / Un commentaire
N°318 • Janvier - Avril 2010
Le buste de Pierre Loti jeté récemment dans la rivière Fautaua n’est
pas le premier évènement portant atteinte à l’intégrité de ce monument.
Administrateur de la SEO, Constant Guehennec avait déjà écrit un cour-
rier, publié en 2007 dans le Bulletin de l’association internationale des
amis de Pierre Loti (AIAPL), dans lequel il déplorait des gestes répétés de
dégradation de l’oeuvre et du site.
Il y a encore quarante ans, racontait Constant Guehennec, “la frondaison était abondante, exubérante même“. Hélas, “par défaut d’en-
tretien, par incivisme surtout, te site est devenu quelconque“. Pour ne
pas arranger les choses, le socle est régulièrement souillé de graffitis.
“Bouteilles de soda ou de bière et papiers gras jonchent le sol alen-
tour“, faisait encore remarquer cet érudit, auteur - il y a une vingtaine
d’années
-
d’un “Ciel de Tahiti et des mers du Sud”, en collaboration
avec Maurice
Graindorge.
Aujourd’hui, situé juste à côté de lotissements sociaux, le heu sert
toujours à la baignade des enfants du quartier. Mais il est aussi, le weekend, le siège d’agapes nocturnes arrosées de bière et la guitare a été
remplacée par les “boum boum” de sonos bruyantes qui dérangent le
voisinage.
95
Constant Guehennec a accepté de prêter à Tahitipresse l’une des photos
envoyées à l’AIAPL. L’occasion de revoir le buste disparu de son socle et
jeté récemment dans la rivière Fautaua - heureusement récupéré par la
municipalité. L’occasion, également, de signaler le numéro triple (285-6-7)
du Bulletin d’avril-septembre 2000 de la Société des Etudes océaniennes
(BSEO), entièrement consacré à l’auteur du “Mariage de Loti”.
CJ
Un commentaire pour “Le buste de Pierre Loti
victime d’un incivisme chronique”
1. panda a écrit :
30 novembre 2009 a 23:16
Ah la la ils en font tout un « fafaru » pour cette vieille statue rouillée
qui sert à rien ! Il n’y a bien que les popa’a pour s’offusquer ainsi pour si
peu. Mettez donc un buste de Henri Hiro poète artiste et philosophe tahitien et peut être qu’on le prendra moins pour un urinoir ou un buste à
grafîtis. loi
96
Quand, à Tahiti,
Loti rime avec oubli !
Le jeune chirurgien de marine Gustave Viaud, désigné pour les
Etablissements Français de l’Océanie débarque à « l’île délicieuse » le
9 juin 1859 et sa vie bascule alors dans un bien-être total. Outre le
travail médical et social pour lequel il a été nommé et dont il s’acquitte
avec
zèle, il s’engouffre dans une vie de rêveur romantique, fréquentant
la cour de la reine Pômare IV sous le pseudonyme de « Roueri », il
adopte la vie tahitienne en compagnie d’une vahiné « Tarahu » avec
laquelle il demeure jusqu’à son départ en juin 1862. S’il ne donne guère
de ses nouvelles durant les premiers mois de son installation il se
rattrape ensuite en inondant son petit frère Julien et sa sœur Marie de
récits descriptifs, de dessins et de photographies dont il est devenu
spéciabste.
Julien est lui aussi entré à l’école navale en 1867. Il rêvait de
rejoindre son frère chéri à Tahiti mais celui-ci, malade, était mort lors
de son voyage de rapatriement sur VAlphé, à la sortie du détroit de
Malacca, le 10 mars 1865. En 1871, Juhen embarque sur la frégate à
hélice la Flore qui arrive à Tahiti le 29 janvier 1872 après escales à l’île
de Pâques et aux îles Marquises. Le jeune aspirant de majorité (auprès
de l’amiral Lapelin) est encore plus doué que son frère pour le dessin
et on lui doit de nombreux croquis exécutés dans tous les pays visités,
particulièrement à l’île de Pâques, et qu’il espère d’ailleurs rentabiliser
plus tard en les collant aux nombreux écrits dont il rempli ses cahiers.
N°318 • Janvier - Avril 2010
Dès son débarquement à Papeete, Julien part sur les traces de son frère,
espérant sans doute découvrir une descendance de celui-ci mais il ne
trouve pas d’enfant et la belle Tarahu a, depuis longtemps, changé de tane
(homme). Comme son frère, il se met à fréquenter la société coloniale et
l’aristocratie polynésienne par le biais de la famille royale laquelle lui
donne le surnom de « Rôti » (nom d’une jolie fleur parfumée) qu’il transforme en « Loti ». Grand observateur, il fait aussi de longues et agréablés promenades durant lesquelles il recueille impressions, photographies
et dessins. Il aime particulièrement la vallée de la Fautaua au fond de
laquelle coule une rivière issue de splendides cascades et c’est toujours
au même endroit qu’avec son entourage il va fréquemment observer les
baigneuses si ce n’est se baigner lui-même.
Après Tahiti, où il n’a séjourné que quelques semaines et où il ne
reviendra jamais, Julien poursuit sa carrière de marin mais contmue aussi
à écrire sous le pseudonyme de Pierre Loti et se met conjointement à
exploiter un journal intime bien rempli. Il semble que son idylle polynésienne racontée sous le titre Rarahu idylle polynésienne se soit surtout
inspirée de celle qu’avait vécue son grand frère plutôt que de son expérience personnelle et Rarahu se confond fort bien avec Tarahu. Ses
romans obtiennent en France un succès grandissant jusqu’à son admission à l’Académie Française en 1891. A Tahiti, seuls quelques intellectuels sont au courant et se montrent fiers de cet écrivain qui a si bien
chanté le pays.
C’est le célèbre abbé Rougier (dont les revues philatéliques ont déjà
longuement parlé *) qui est en 1929 président de la Société des Etudes
Océaniennes et qui émet le premier l’idée d’élever une statue à la gloire
de Loti après la mort de celui-ci en juin 1923, mais le budget prévisionnel
pour une telle réalisation est plutôt élevé (70 000 francs de l’époque) et
le conseil d’administration de la société échafaude des tas de projets pour
récupérer cet argent. Le sculpteur Philippe Besnard est contacté et se
le travail en métropole mais le projet définitif n’est adopté qu’en 1932 (alors que l’abbé vient de mourir) et un
comité Pierre Loti » est enfin formé. André Ropiteau, homme aux multipies relations, est nommé président de ce comité, et se rend en France
montre d’accord pour effectuer
«
99
OTAC
OFFICE TERRITORIAL D’ACTION CULTURELLE
PRÉSENTE
DANS LES JARDINS DE L’ASSEMBLÉE TERRITORIALE
SPECTACLE BILINGUE
Théâtre, chants et danse
Adaptation libre: Alain DEVIÈGRE - Mylène RAVEINO
Chants et chorégraphie: Coco HOTAHOTA
Représentations
LE
jjjj^gfrioitolis et samedis 19-20 -26 - 27 ALAi à 20 h
de
et les dimanches 21 et 28 mai à 18h30
LOTI
POLYNESIE FRANÇAISE
■ts et réservations : 42.88.50 poste
ICE DES POSTES
>-$►
'ELECOMM UNICATIONS
114
N°318 • Janvier - Avril 2010
avec l’intention de tout mettre en œuvre pour
rassembler les fonds néces-
saires. Une grande réception est organisée dans l’atelier de Ph. Besnard
où se presse le Tout-Paris. Parallèlement la poste métropolitaine admet
l’idée d’émettre un timbre à la gloire de P. Loti, avec une surtaxe de 20
centimes destinée à aider à l’érection du monument à Tahiti mais ce n’est
qu’en 1937 que la vignette voit le jour.
La maquette en plâtre du monument effectuée par Besnard se trouve
encore au bureau de la Société des Etudes Océaniennes à Papeete, agrémentée d’une bonne couche de poussière qui s’est avec le temps
incrustée dans le plâtre. Quant au monument lui-même, érigé en grande
pompe le 16 juillet 1934 dans le quartier de Tahiti dit « bain Loti », il est
de nos jours complètement oublié au fond de cette vallée de la Fautaua
tant vantée par le poète, et encore fréquentée lors des sorties de plein air
par quelques classes de primaire dans les années 1960/1970. Pour y
accéder de nos jours, il est nécessaire de traverser une zone industrielle
dont le romantisme laisse quelque peu à désirer, zone elle-même suivie
de logements sociaux en tous genres qui ne rafraîchissent guère le
paysage.
Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner si le timbre commémorant
le 50ème anniversaire de la mort de l’écrivain, émis en Polynésie française
en
1973, ne rencontre pas beaucoup de succès auprès de la population
d’autant que sa valeur faciale (60F cfp) ne correspond pas à un tarif très
usité (lettre de 50 gr par avion pour la Métropole). Tiré à 75 000 exem-
plaires et avec 47 762 exemplaires détruits, il devient donc un timbre
intéressant » et parmi les plus cotés.
Lorsqu’en 1995 le petit groupe théâtral de Tahiti décide de monter
une pièce inspirée du roman Le Mariage de Loti, une exposition est également présentée au Musée Gauguin et l’office des postes accepte d’émettre
un timbre reproduisant une scène du spectacle donné en plein air. Il n’a
pas l’heur de plaire d’avantage que celui de 1973, bien que les artistes y
figurant soient issus du monde polynésien. Les philatélistes locaux ont
malgré tout cherché les supports les plus originaux possibles pour cette
vignette postale tirée à 325 000 exemplaires mais dont 224 381 furent
«
détruites
101
Œul/eJin de la Société îles &tude& Océaniennes
Comme si le désintérêt ne suffisait pas, en cette fin 2009, le buste de
Loti a été jeté dans la rivière proche et heureusement repêché et déposé
à la Mairie à fins de réparations et nettoyage. Aujourd’hui, seul le
piédestal, copieusement tagué, rappelle que le site fut autrefois un haut
lieu de promenade.
C. Beslu
Timbre de France 1 937 réalisé en taille douce
par G. Barlangue
(*) - Pour l’abbé Rougier , se reporter à : Timbroscopie N°53 & 54 - Le monde des
Philatéliste N°535 - Timbres Magazine d’octobre 2002...
Ref : Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes « spécial Loti » N°285/286/287 Tahiti
102
Pierre Loti
déboulonné
A l’ouverture du Salon Lire en Polynésie, le 26 novembre 2009,
circula telle une traînée de poudre l’information : « le buste de Pierre
Loti a été déboulonné... puis retrouvé dans la Fautaua ! ».
Signalé par quelques lignes dans Les Nouvelles, ce fait iconoclaste fut
commenté de diverses manières dans les stands des différents éditeurs
réunis autour du Paepae a Hiro au Fare Tauhiti Nui. « Vandalisme de
saoulards ! Acte de rébellion culturelle anti Popa’a ! Application de l’in-
jonction biblique : ‘Tu ne feras pas d’image taillée !’ Détérioration de
désœuvrés ignorants ! »... furent les motivations supposées.
Riccardo Pineri s’indigna dans un long article proclamant le statut de
tupuna à Pierre Loti dans des termes qui indignèrent Chantal Spitz réagissant vivement à son tour.
La S.E.O1. étant à l’origine de ce buste et d’un numéro
spécial
consacré à cet auteur, il m’a semblé intéressant de poursuivre la réflexion
en sollicitant au
hasard, des membres de notre Société sur ce sujet pour
lequel je propose une réflexion en trois axes :
le contexte dans lequel l’acte s’insère,
la grille de lecture proposée par Régis Debray dans Le moment
-
-
fraternité,
-
1
le traitement de la mémoire tahitienne.
Cf. BSEO N° 285/286/287 Supplément au mariage de Loti (2000).
Œu/Jctin de la dociété des études- Océaniennes
Le contexte
Utilisons, ce qui figure à la « Une » de nos quotidiens des 27 et 28
novembre 2009.
Le vendredi 27 novembre
Les Nouvelles : « Flosse interdit de gouvernement, Foire d’empoigne
malgré un 3ème ministère pour les siziliens, le gouvernement GTS 3 se
négocie dans la douleur ; Croqué par Plantu : le Vieux lion à la Une du
Monde ; Braquage de Champion : trois suspects en garde à vue ; Retour
à 1995 : pas plus de 118 000 touristes en 2009. »
La Dépêche : « L’institut Malardé n’a plus de sous ! Evasan en Casa et
Super Puma : Nouvelle alerte sanitaire à Rapa ; Lire en Polynésie 9™e
édition ; Le Leader price ouvre enfin en ville ; dernière année à Lorient
Marama : Il est temps que je m’éclate ; Arrestations après le braquage
de Moorea, le 3ème suspect était en fuite à Tahaa ; Lutte anti-drogue hier
soir à Papeete : Descente au Spot de Vaitavatava. »
Le samedi 28 novembre :
Les Nouvelles : « Champion de Moorea : les deux braqueurs et leur
complice en détention à nuutania ; Salon du livre Terri Janke défend la
propriété intellectuelle des peuples autochtones ; Un gouvernement
sans majorité... ; Assemblée : Robert Tanseau président de To Tatou
A’ia ; Motions : la version culturelle des renversements ; Inhumation :
Vibrant hommage d’Oscar Temaru à Emile Vanfasse » et c’est page 5 de
ce numéro que 8 lignes en deux colonnes évoquent : la « Vallée de
Titioro et le buste de Loti jeté à l’eau. ».
La Dépêche : « Les braqueurs de Moorea écroués à Nuutania ; Un
coffre-fort braqué à Mamao ; Obsèques à l’Uranie : dernier hommage
à Emile Vanfasse ; malgré les tensions avec les îhens, Un gouvernement
api ce matin ; Le contrat avec TNS prend fin lundi mais... Canal+
garantie jusqu’au 31 décembre. »
Attardons-nous sur ces titres :
«
Flosse interdit de gouvernement »... Ainsi, celui qui, durant des décen-
nies, fut le maître incontesté du Pays, est : déboulonné et « jeté »... en
prison.
104
N°318 • Janvier - Avril 2010
Foire d’empoigne malgré un 3èrae ministère pour les siziliens »... « Braquage
de Champion » Notre société aurait-elle développé une culture du hold-up
«
de postes de pouvoir et d’argent public à l’aide de trahisons du suffrage
électoral et du braquage du contenu de caisses d’entreprises privées à
l’aide ou non d’une arme à feu ?
«
L’institut Malardé n’a plus de sous ! Evasan en Casa et Super Puma : Nouvelle
alerte sanitaire à Rapa » Ainsi à côté du déboulonnage d’icônes de la vie
politique, le hold-up de valeurs sonnantes et trébuchantes a entraîné des
négügences en santé publique avec des conséquences morbides et
mortelles pour les populations.
Retour à 1995 : pas plus de 118 000 touristes en 2009. » Et cela, malgré les
montants gigantesques consacrés à la promotion du tourisme, à ses orga«
nismes et à la construction hôtelière. Le BSEO consacré à Pierre Loti,
rappelle que l’érection du buste participait d’une volonté de promotion
du tourisme culturel.
Décodage à l’aide de Régis Debray 2009 :
(Gallimard 368p.)
Le moment fraternité.
De cet essai à la lecture jubilatoire je propose de retenir ceci :
p.4l : « Première observation : là où il y a du sacré, il y a une
enceinte. Et là où la clôture s’efface - ligne, seuil, dénivelé-, le
•
sacré disparaît.
p. 61 : Deuxième observation : là où il y a un nous, il y a une
sacralité ; et là où le nous se disloque, le sacré s’estompe.
•
•
p. 63 : Le heu est sacré quand il fait lien, mais c’est le lien qui fait
le heu, non l’inverse.
•
p.64 : Nous avons à Paris un autre exemple tangible de ce que tout
sacré, chose, heu ou texte est menacé d’un Alzheimer. »
•
pp. 64-66, comparant le « Mémorial des martyrs de la déporta-
tion » et le « Mémorial de la Shoah » l’auteur constate : « Le heu de
mémoire public n’a plus de pubhc ; le privé lui en a un. Du premier,
le Français moyen ne sait plus trop ce qu’il fait là ; du second,
105
# bulletin
de la Société des études Océaniennes*
n’importe quel Juif de France le sait. Une sacralité, fut-elle gelée dans
la pierre, n’est pas un titre de propriété, mais un plébiscite de chaque
jour. »
Ce qui amène à conclure que pour les sociétés d’ici et d’ailleurs :
-
-
-
les deux sacrés ou à révérer sont délimités par une enceinte,
le sacré est issu d’un « nous » et non d’un « je »,
le lien qui unit ce heu au « nous » nécessite un récit et un rituel
qui nourrissent l’un et l’autre.
Que disparaisse l’un des éléments et le heu devient terrain vague
pour un « je » privé du « nous » qui lui donne une dimension autre à son
individualité.
Qu’en est-il de la société tahitienne ?
Dans la société ancienne, pour déchner son identité, il importait de
décrire son territoire, d’en préciser les limites, d’y situer ses deux investis
de différents degrés de sacralisation jusqu’aux marne familiaux et inter
îles. Ensuite, l’on déroulait des récits animant ces deux, véritable tresse
identitaire dant les vivants entre eux, les vivants et les morts, l’humain à
l’environnement, aux éléments, à la flore et la faune, au visible et l’invisible, à hier aujourd’hui et demain, tous différenciés mais indissolublement dés. Dans cette culture du lien, chacun pouvait se revendiquer d’un
nous » le dotant d’une dimension exaltante. Les défunts rejoignaient la
«
nuit primordiale te P, y subissant le processus d’ancestralisation, tupuna,
évoluant en divinité tutélaire, formalisée parfois dans teAo, le Jour, par
des figurines sacrées : tii, tiki, unu et too reliquaires. Quand les « divinités » représentées par ces objets étaient jugées inefficaces, il était
procédé aufa’aru’e tii (Henry : 186), cérémonial où l’objet répudié était
enterré... mais non détruit.
La destruction des objets sacrés se fit après le désastre sanitaire dû
au Contact ;
quand la population estimée à 204 000 habitants à Tahiti par
Cook en 1774 ou 75 000 par des démographes, chuta à 16 050 en 1797
(Wilson), pour descendre à 6 100 en 1857 (Cuzent).
106
N°318 • Janvier - Avril 2010
Le premier geste iconoclaste monothéiste, fut perpétré en 1818 par
Pômare II qui, pour accéder, se maintenir au pouvoir et le conserver pour
descendants, brisa publiquement les tapu et poussa à la destruction
des marae, tii, too, etc. Il argua entre autre, du commandement bibbque
ses
qui interdit la fabrication et l’adoration d’images taillées. Ainsi scella-t-il
son albance avec les missionnaires qui mobilisèrent leurs nationaux de
passage ou déserteurs, aie soutenir et instaurer un nouveau système pobtico-rehgieux, une nouvelle légitimité et un nouveau sacré. Tout espoir
de retour des familles de arii nui bit ainsi rehgieusement annihilé.
Lors de l’étude sur les soins traditionnels, j’ai observé et entendu à
quel point le reniement de ses origines polynésiennes et les gestes iconoclastes de 1818 pouvaient se répéter sous le mode du traumatisme non
résolu, et ce, encore en l’an 2000 et de manière compulsive parfois (S.
Grand : 2007 Le monde polynésien des soins traditionnels Ed. Au Vent
des îles).
Médiatrice dans le dispositif ethnopsychiatrique accueillant des
familles adressées par des praticiens et le service des affaires sociales en
impasse devant certaines souffrances et la manifestation de certaines
formes de désordre, j’ai pu approcher la violence du traumatisme
toujours opérant du reniement de ses tupuna, ancêtres, disqualifiés
païens arriérés » et stigmatisés « adorateurs du Démon », par les déten«
teurs de La Vérité.
Une rebgiosité singuhère laissa supposer l’existence d’un gène du
reügieux polynésien. Or, en Océanie et ailleurs dans le monde à certains
moments de l’Histoire, on retrouve ces formes de dévotion suite à une
catastrophe. Car les deuils sont des moments privilégiés pour des chasseurs d’âmes d’activer une stratégie maniant l’amnésie pour désaffilier
des origines et ré affilier à un nouveau groupe dont on détient le contrôle.
Conclusion
Le vandalisme du buste de Pierre Loti, fut perpétré contre un objet
oublié au fond d’une vallée jadis riante et aujourd’hui terrain vague
parsemé de détritus. Les vandales dont les motivations nous sont
107
W bulletin du la Société dus études. Océaniennes
méconnues, ont mis en évidence qu’il n’existe plus de groupe fervent de
Tahit2.
Loti à
Pas plus qu’il n’existe de fervents de la culture insulaire originelle
dont les objets et monuments sont investis d’un sacré vestigiel si maléfique
pour les descendants des premiers habitants qu’ils sont plus menacés de
destruction que n’importe quelle effigie importée.
Qui sait si la restitution de la mémoire, de toute la mémoire, y
compris celle de l’aveuglement sur soi des discoureurs, n’est pas le meilleur traitement à appliquer pour que les objets témoins soient conservés
et transmis ?
Simone Grand
1
J'ai interrogé 35 étudiants de ]è,e année universitaire, à l'esprit éveillé, pleins de curiosité et attentifs :
-
-
-
-
-
-
Connaissez-vous Pierre Loti ?
?
Avez-vous entendu parler de Rarahu ?
?
Connaissez-vous la chanson qui fut faite pour elle et Pierre Loti ?
Chante-la-nous madame.
J'ai chanté le premier couplet. Ils ont écouté et dirent :
-
«
Ah I ça ne me dit rien. »
108
On déboulonne on déboussole,
Loti profane ou Loti profané ?
En ce début du XIXème siècle à Eimeo (Moorea
aujourd’hui) on parlait
beaucoup des dons naturels de ses habitants qui disaient aux missionnaires de la LMS qu’avant leur arrivée les hommes de Eimeo étaient aveu-
gles de trois yeux, des deux du corps et de l’oeil de l’entendement.
Faut-il considérer la dégradation à Titioro en novembre 2009 du
buste de Loti comme un geste de barbare, de celui qui refuse l’autre
par
peur ou par ignorance. On pourrait bien sûr discourir : « le monument
Loti ça n’était que des pierres et un peu de bronze » et faire fi du sacré.
Mais « Msieur dirait du fond de la classe un élève à son
prof, c’est quoi
le sacré ? » Ça pourrait être comme disait le
linguiste Emile Benveniste
parlant du sacré dans les langues indo-européennes une force exubérante qui devient le signe du divin
qu’on traduirait d’un mot à Tahiti le
manu, c’est déjà plus qu’un état d’âme. Et ce passage de l’état profane à
l’état sacré est toujours frappé du signe du tapu, de l’interdit. Or dans
toutes les sociétés humaines ce
balisage de l’interdit, du tapu est mis en
place pour proscrire parce qu’il faut protéger et conserver. Sa transgression devient toujours une aliénation de la
pensée et la fin de cette force
exubérante. Les mythes nous ont enseigné les rites de
passage et ses
embûches. Passer du chaos à l’orphéon, du domaine du Pô à l’harmoniefanfare c’est accepter un système de valeurs et c’est créer du lien, éléments
constitutifs de l’identité d’un peuple. On pourra regretter
aujourd’hui
dans nos archipels combien est distendu le lien avec le sacré. Pourtant
Œulleti/i de la Société dex études Océaniennes.
nolens volens nous baignons tous ici dans le moule républicain et nous
supposés avoir acquis un système de valeurs dont l’une
devrait nous tenir à coeur, l’esprit de tolérance. Accepter l’autre dans sa
sommes donc
diversité c’est aussi créer du ben et cette action ne relève pas des gouver-
plus pour dessein d’asservir la pensée des populations avec
adresse ou avec lourdeur. Faut-il pour autant se complaire dans la
nants qui ont
recherche d’un paradis perdu ? Les mythes fondateurs ont un avantage
pour l’esprit, üs sont du domaine du sacré et intrinsèquement du domaine
du vrai; c’est pratique pour l’homme d’aujourd’hui, il croit tenir un hen.
Laissons plutôt le mot de la ûn à Juhen Viaud, alias Pierre Loti1 :
« En ce
moment, des phrases me reviennent à la mémoire, prononcées par mon cher Alphonse Daudet, un jour où nous causions de mes
origines... - « tu as surgi là comme un diable qui sort d’une boîte.
Plusieurs générations, qui étouffaient de tranquillité régulière, ont
tout à coup respiré éperdument par ta poitrine. ...Tu paies tout ça,
Loti, et ce n’est pas ta faute.... »
Est-ce que je sais, moi, si je suis responsable, ou si c’est mon temps
qu’il faut accuser, ou si simplement je paie ou j’expie ? Mais ce que je
vois bien, c’est que la mousse et les fleurettes sauvages ont pris possession de ces marches sur lesquelles nous sommes, et que nous n’aurions
pas dû les troubler par notre présence étrangère. Et, ce que je sens bien,
c’est que l’ombre triste de ces vieux arbres descend comme un reproche
Non, ils ne me reconnaîtraient point pour un des leurs,
les ancêtres de Me, et leur maison ne saurait plus être la mienne. Üs
sur ma tête. -
avaient la paix et la foi, la résignation et l’éternel espoir. L’antique poésie
de la Bible hantait leurs esprits reposés ; devant la persécution, leur
courage s’exaltait aux images violentes et magnifiques du livre des
Prophètes, et le rêve ineffablement doux qui nous est venu de Judée ihuminait pour eux les approches de la mort. Avec quelle incompréhension et quel étonnement douloureux ils regarderaient aujourd’hui dans
mon âme, issue de la leur !... Hélas, leur temps est fini, et le lien entre
eux et moi est brisé à jamais... Alors, revenir ici, pourquoi faire ? »
Constant Guéhennec
Extrait de l'ouvrage de Pierre Loti écrit en 1899 : Le château de la belle au bois dormant.
110
Loti, le tupuna
Pour une éthique
de la diversité1
Agis dans ton lieu, pense avec le monde.
Edouard Glissant
Au début des années 1970, le buste en bronze de Pierre Loti, érigé
en
1934 à l’initiative d’André Ropiteau par le sculpteur Philippe Besnard,
avait été descellé et jeté dans la rivière de la Fautaua. Ce qui autrefois était
mis sur le compte de l’alcool mais aussi de l’émergence des signes de
xénophobie plus ou moins latents dans les sociétés postcoloniales, est
devenu aujourd’hui, avec la répétition du même geste, un « acte culturel »,
justifié évidemment par la « juste lutte contre les symboles de l’oppression de la culture occidentale ». Comme les avions écrasés sur les tours
de New York représentent le « détournement » de la technologie occidentale contre elle-même, le 4x4 rutilant devenu si évident dans le paysage
polynésien, a été utilisé pour jeter la statue de l’écrivain à l’eau. La technologie est ici aussi mise au service de la barbarie. Ceux qui ont accompli
le geste ce ne sont pas des « sauvages » mais des représentants de la
nouvelle barbarie de l’ignorance, propre aux sociétés post-identitaires,
1
Ce texte avait paru sous une version plus circonstancielle dans le journal Les Nouvelles de Tahiti du 12
décembre 2009 et dans la revue Confluence n°2, janvier 2010.
fÉ/dlclin dey la Jociété des éludes Océaniennes
exemples du demi-savoir, du savoir à moitié qui trouvent la légitimation
de leur geste dans de formules creuses, intègres et intégristes, de « mots
d’ordre » incantatoires (« colonialiste », « impérialiste »), fauteurs des
pires désordres qui commencent toujours par la confusion des esprits. Au
lieu d’opposer une nouvelle politique, fondée sur des bases tout autres par
rapport aux valeurs concurrentielles et matérialistes de la société
moderne, ces représentants de la « haine de l’Occident » imitent ses
valeurs les plus conquérantes, tout en les désavouant. Le « vandalisme »
mélange à la fois des références issues de la violence primitive pour qui
l’hôte et l’adversaire, l’ami et l’ennemi sont si facilement interchangeables
et la violence du ressentiment, qui a déjà aperçu la différence entre le
bien et le mal et opte pour ce dernier.
La société polynésienne contemporaine connaît encore plus violent-
la crise des anciennes solidarités (communauté,
religion, politique, famille, école). La barbarie du demi-savoir est nourrie
depuis des nombreuses années par les mauvais conseillers occidentaux,
elle est le signe de la crise que traversent toutes les sociétés et l’école
aujourd’hui en est le miroir effrayant. La nécessaire remise en cause des
références devenues trop rigides, a fait place à des nouvelles rigidités, au
rejet de l’histoire, de la littérature, de la philosophie par ceux qui en ont
reçu quelques rudiments, au profit de nouvelles idoles des « cultures
asservies », associées aux solutions techniques pour « gérer le flux ». Ce
mariage d’archaïsmes et des technicismes, ainsi que l’accusation portée
par les intellectuels ma’ohi sur les artistes « pédophiles » et « dégénérés », sur les écrivains « pollueurs de notre pureté» a scellé la nouvelle
alliance des intellectuels indigènes et des maîtres occidentaux de la repentance, à l’affût chez Loti, chez Gauguin, chez Segalen des marques infamantes de la mentalité coloniale, pourfendant 1’« esclavage missionnaire
aux Gambier ». Ce qui en résulte est le « tahbanisme tropical », forme de
l’idéologie dominante aujourd’hui dans nos îles, mélange d’importation
proprement ahurissant de lepénisme et de surenchère de la bonne
conscience, de nationalisme étriqué et de rejet de l’autre. En Afghanistan,
les étudiants intégristes se revendiquaient, il y a quelques années, de
ment qu’en Occident
112
N°318 • Janvier - Avril 2010
l’Islam pour détruire à la roquette les statues de Bouddha, représentant
la culture de l’Autre, du bouddhisme qui a essaimé dans tout l’Extrême -
Orient, fondant à la fois une philosophie religieuse et une culture originales. Le« talibanisme » diffus montre que la « culture » est devenue
l’enjeu majeur de l’histoire contemporaine et que les guerres de religion
ont fait place aux « guerres de culture » qui prétendent, comme dans
l’exemple afghan, récrire l’histoire des peuples partant du « point zéro »,
du « Ground zero ». La relecture nécessaire de l’histoire est l’héritage de
l’historicité elle-même, née en Occident depuis plus de deux mille ans, qui
affirme que la mémoire des événements est susceptible de versions différentes, que le passé n’est pas un stock figé de traditions disponibles, un
répertoire de mythes auquel on fait dire à peu près tout et son contraire,
mais le heu où la mémoire et l'oubli, la tradition et le sens du nouveau
tissent leur dialogue et leur confrontation permanents. Les nouveaux liistoriens, gavés par l’esprit du ressentiment, ne cessent de vouloir faire rendre
gorge au passé, en récrivant l’histoire du « point de vue postcolonial »,
quitte à justifier toutes les horreurs sous le sceau du point de vue de la
victime. Depuis les années 60, avec le vaste mouvement de décolonisation
de la planète, les revendications nationales s’appuient sur la logique victimaire, jetant les morts respectifs à la figure de l’autre, jouant la surenchère infinie du rôle de la victime. La lecture victimaire de l’histoire a
permis l’émergence d’une nouvelle conscience des responsabilités colléetives, la fin de la colonisation de la part des puissances européennes, la
fin de l’apartheid en Afrique du Sud et en Amérique, la venue au premier
plan du souci des « minorités » (femmes, homosexuels, handicapés),
jusque là relégués à des rôles subalternes. Ce juste souci d’une autre
lecture de l’histoire, rendue possible par l’exercice démocratique de la
discussion et de la confrontation, a également fait émerger de nouvelles
maladies des chaînes où le racisme est toujours celui des autres, la
violence ne fait que répondre à une violence précédente, le Mal est
toujours extérieur à soi et ne peut provenir que de l’Autre. La chaîne
infinie de la vengeance a repris du service et la logique victimaire, le juste
souci du faible et du vaincu, qui a trouvé ses origines dans la naissance
historique du christianisme, se trouve ainsi dévoyée, mise à nouveau au
113
W bulletin- de la Société des- études (Océaniennes
service de la cause de la violence comme unique solution aux conflits de
l’histoire, selon les mots bien connus de Chesterton, « le monde moderne
est plein d’idées chrétiennes... devenues folles ».
L’invention de la tradition de la part des nouvelles nations nées de
l’effondrement de l’ordre colonial, le mélange souvent inextricable des
racines réelles et des fictions du désir et de l’imagination, a produit l’éclosion de nouveaux langages, des formes nouvelles d’expression artistique
et littéraire, tout en laissant venir au premier plan aussi des certitudes
identitaires, des nouvelles idoles qui semblent prétendre à nouveau au
rôle de vérité absolue. Dans la foulée de ces revendications d’identité, est
né dans l’aire francophone d’Afrique, la notion de « roman autochtone »,
qui pourrait s’entendre avec un sourire légèrement oximorique, comme
dans la phrase « vieille jeunesse », signifiant que toute identité ne se
conçoit que dans le rapport à son autre, que le devenir de l’esprit printanier pour les nations comme pour les individus est dans l’anticipation
de la maturité à venir et que l’oubli de cela fait aussi partie du charme de
l’innocence juvénile. Ce qui, traduit dans une formule plus pensante,
implique que toute origine n’est pas une substance figée, mais le lieu
travaillé par la différence, par son autre impliqué, comme le faisait remarquer Victor Segalen dans l’Essai sur l’exotisme : « L’unité ne se représente à elle-même que dans la diversité ».
Le syntagme de « roman autochtone » fait plutôt signe vers le clin
d’œil intéressé de la part de mauvais conseillers qu’à aucun moment n’interroge son sens paradoxal. Le « roman » est bien la forme par excellence de la Modernité en tant qu’elle résulte de la crise des identités
anciennes, de Vépos primitif qui en confirmait l’immuable unité selon
une harmonie préétablie. Il inaugure la crise des « patries » en tant qu’héritage stable et fixe de valeurs et de références, il implique la nécessité de
la construction de l’identité de la part des écrivains et des créateurs,
hommes traduits », selon la définition du romancier anglais d’origine
indienne Salman Rushdie, si familiers de l’exil, même lorsqu’ils ne
perdent pas leur patrie d’origine, parce qu’ils savent faire entendre à l’intérieur de leur langue la dimension originaire d’étrangeté de l’être-au«
monde.
114
N°318 • Janvier - Avril 2010
Dans son Discours antillais (1981), Edouard Glissant attaque le
«
vieux syndrome du colonisé », qui veut reconstituer les identités fermées
propres au discours colonialiste du HXe siècle, mimant à travers le rejet
le plus radical la même logique de l’enfermement ethnique et l’impérialisme de la différence. A l’universalisme dogmatique de la raison occidentale qui s’est développé au XIXe siècle sur le terreau des entreprises
coloniales, les cultures postcoloniales répondent souvent par les mêmes
erreurs : la volonté de substantialiser la culture, d’en faire un corpus figé
de références absolues, de reconstruire artificiellement l’origine unique
d’un peuple et d’une langue. Prenant ses distances avec le « tiersmondisme » de Franz Fanon et avec le concept de « négritude » d’Aimé
Césaire et de Léopold Sédar Senghor, Glissant prône celle qu’il appelle,
dans le Traité du Tout-monde del997, l’« identité en archipel » : « Notre
identité ne se fonde plus sur une essence, elle conduit à la relation ». Le
rejet du différentialisme de la part de Glissant, est motivé par une critique
serrée de la notion d’« identité culturelle », conçue comme une essence
stable et « naturelle » que chaque peuple recevrait en propre. L’écrivain
opère une rupture avec l’idée d’un peuple unique comme socle d’une
nation, avec l’idée d’une communauté originaire source en droit et en
fait de la nation. En septembre 2007, en réaction au « mur ministère » de
l’Identité nationale et de l’Immigration, Édouard Glissant et Patrick
Chamoiseau publient le manifeste Quand les murs tombent, reprenant
l’idée-force de Glissant de 2004 : « Nous devons construire une personnalité au carrefour de soi et des autres. Une identité-relation. » Toute la
pensée récente de Glissant se veut la mise en œuvre d’un chiasme culturel
entre les nations, dégageant la possibilité pour les cultures d’un espace
dialogique », où les cultures étrangères, la culture « haute », propre des
sédimentations littéraires et la culture « basse », la culture populaire et
la tradition orale, trouvent un essor nouveau dans une véritable reprise
pensante des traditions. Il ne s’agit pas d’opposer banalement les mythes
sur la naissance du blé ou du uru à Cervantès ou à Shakespeare, l’oralité
de prétendues cultures spontanées et vivantes à l’écriture « morte » de la
tradition occidentale, mais d’ouvrer pour un dialogue en archipel, comme
Glissant l’affirme dans l’entretien avec Laure Adler en septembre 2005 :
«
115
Œul/eÂin de la- Société- des- études Océaniennes
«
Je pense que la relation c’est l’autre forme d’universel, aujourd’hui.
C’est notre manière à nous tous, d’où que nous venions, d’aller vers
l’autre et d’essayer comme je dis souvent de se changer en échangeant
l’autre, sans se perdre, ni se dénaturer. Et, je pense que sans cette
révolution nous continuerons à souffrir les souffrances que le monde
avec
endure aujourd’hui. »
La « diversité » que Glissant oppose à la dialectique fermée de l’iden-
tité et de la différence, veut faire entendre cette voix du devenir des iden-
tités, ce danger pour les cultures de se fermer sur un patrimoine
prétendument acquis, au profit d’une logique de la rencontre qui prive la
violence identitaire de ses repères théoriques et de ses justifications
pratiques.
Entre les Dieux Anciens et les Nouveaux Créateurs, la littérature
autochtone polynésienne affirme qu’il n’y a rien, rien qu’un héritage
imposé par l’oppression coloniale plus ou moins déguisée qu’il s’agit
d’effacer, rien que l’emprise de la « langue impérialiste » qu’il faut briser,
par une écriture qui ne peut se définir qu’incomparable et absolument
originale, sous les clins d’œil intéressés et applaudissants des conseillers
en pâmoison. Rarahu, idylle polynésienne de 1880 qui prendra plus
tard le titre Le mariage de Loti est le roman du passage de la société tahitienne des Temps anciens au nouveau monde issu de la réalité coloniale.
Voir dans ce roman l’apologie de l’esprit colonial, vouloir ici aussi comptabiliser les « vainqueurs » et les « vaincus », cela revient à regarder Thistoire avec le viseur du taliban, pour faire rentrer dans la boîte de la
perspective monoculaire la complexité de l’histoire des êtres.
L’« exotisme » chez Pierre Loti, avant d’être une tare de l’esprit colonial,
est le constat tragique, inlassablement figuré par l’écrivain dans des multipies géographies, d’une parenthèse offerte par l’amour, un voile que les
amants partagent et qui masque pour un temps l’échec et la solitude.
L’idylle est alors le nom propre, pour Julien Viaud dit Loti, de ce temps en
suspens qui est légué aux êtres, à la fois comme richesse et illusion ; la
littérature ce nom d’un temps suspendu qui sauve les images éphémères
et transitoires du monde.
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N°318 «Janvier-Avril2010
S’écartant délibérément du clin d’œil et de la vision monoculaire, la
littérature nous apprend à regarder, elle nous apprend à lire. Par rapport
au
regard de survol des historiens et des lettrés postcoloniaux qui préten-
dent regarder par la fenêtre et se voir en même temps passer dans la rue,
le romancier Pierre Loti nous rend la réalité charnelle des êtres éphémères que nous sommes, insérés comme des étrangers dans l’histoire.
Il ouvre des fenêtres sur des horizons communs, attentif à la finitude des
êtres, plus fondamentale que toute appartenance culturelle. C’est la notion
de « personne » de sujet ouvert au rapport à un Dieu personnel qui a
rendu possible l’émergence éthique, le choix librement assumé de
valeurs qui m’obligent envers l’autre, qui changent les signes prétendu-
L’histoire commune des
nations, legs de la culture contemporaine vivante, s’éprouve dans une
communauté d’intérêts pour ce qui a été, pour une « histoire-monde » où
viennent se confronter et se mesurer la mémoire pensante de la Shoa, la
traite des esclaves, la mise à sac de Rome en 445. Il devient enfin possible
une « autre histoire » du monde, bien plus originaire aux yeux des intellectuels que tout différend et opposition dérivée, comme le rappelait
Albert Camus dons son Discours de Suède : « Celui qui, souvent, a choisi
son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent, apprend bien vite qu’il
ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec
tous ». En ce sens tout véritable créateur est un ancêtre pour des hommes
à venir, plutôt qu’un témoin orgueilleux de l’actualité ; toute nation se
constitue dans le partage assumé de l’histoire commune de l’humanité.
C’est cette réalité de l’ouverture que la barbarie fière d’elle-même des
demi-doctes et l’ignorance fautive veulent tout le temps refermer.
ment étrangers en « patrimoine commun ».
Riccardo Pineri
Hamoa, Raiatea
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Quant à Loti
un monument,
c’est ce qui rappelle...
..
.du moins selon l’étymologie, qui nous ramène aux origines des
mots. Monument vient de la racine indo-européenne « men », au fait
d’avoir une activité mentale, de faire appel à la pensée et à la mémoire.
C’est ainsi que la fonction première d’un monument, quel qu’il soit,
rappeler quelqu’un ou quelque chose — tout comme le monstre
qui nous renvoie d’abord à « la volonté des dieux ». Si cet effort de
mémoire s’inscrit dans la durée, elle peut alors devenir patrimoine et
héritage des pères anciens.
est de
Du moins en Occident, puisque monument est un concept savant et
devenu nécessaire au XIF siècle, dans le Moyen-âge européen, pour désigner d’abord le tombeau, tout ce qui rappelle le défunt et l’absent.
Si l’on cherche dans quelques dictionnaires polynésiens du Paci-
fique, l’idée de monument se retrouve, par exemple, à Hawai’i, dans
celle de kia tupapa’u (du monument funéraire) et de kia ho’omana’o
(du gardien qui rappelle), ou aux Samoa, dans celle de ma’a fa’amanatu, tout comme en Nouvelle-Zélande, dans celle de whaka maharatanga (beu pensée-mémoire). Plus proche de nous, aux îles Marquises,
le monument renvoie chez Dordillon au faé hakaiki ou au faé tupapaku, et à Tahiti, chez Tepanojaussen, au fare unauna, au palais... Mais
alors nous sommes très proches de notre modernité.
N°318 • Janvier - Avril 2010
Est-ce pour
cela que, peu avant la Noël 1820, confrontée au
problème de la traduction du Livre de Ruth, la petite équipe de diacres
menée par John M. Orsmond et John William fait appel à la racine grecque
mnema pour rendre compte de l’idée de mémorial, de patrimoine invoquée par Booz et invente alors le mot de menema ? John Davies, dès les
années 1830, reprend ce terme pour dire monument, sépulcre.
Serait-ce donc parce que l’idée même du monument est étrangère à
nos îles que les monuments, eux qui doivent rappeler quelqu’un ou
quelque chose, sont si facilement vandalisés, détraits et même effacés ?
Est-ce ainsi que nous pourrions comprendre, par exemple, depuis
quelques années, le démantèlement d’installations et la disparition de
constructions qui n’auront même pas eu le temps d’arriver dans la
mémoire et ni même de devenir des monuments historiques ?
Victor Segalen, ce poète, c’est-à-dire cet inventeur de mots, a créé en
1907 le terme d'Immémoriaux pour comprendre par l’imagination ceux
qui effacent leur mémoire, ceux qui se reformatent pour accueillir les
temps nouveaux, quels qu’ils soient. Apparemment il ne pouvait imaginer
que, moins d’un siècle plus tard, seraient inventés de gigantesques
broyeurs à mémoire, installés sur quelques îles basses ou même sur le
récif, qui ramèneraient tout à la poussière, tout le travail et le labeur des
hommes, leurs joies et leurs souffrances, tout leur passé et toute leur
mémoire.
D’ailleurs il 11e s’est rien passé puisqu’il ne reste rien — à moins
d’élever un jour, plus tard, un monument de circonstance, pensé par les
uns et refusé par
les autres, un monument dans l’air du temps...
Afin que les monuments qui rappellent quelqu’un ou quelque chose
puissent rappeler, faudrait-il se tourner vers d’autres Üeux de mémoire,
par exemple les marne tahitiens ou les me’ae marquisiens ou encore les
maite pa’umotu ? Hélas ! Leur histoire est aussi trop souvent l’histoire de
leur saccage et leur disparition, celle du progrès technique : la négligence
mais aussi la mise en valeur des terres se nomment aussi nivellement de
monument.
A moins de reconstruire, précisément selon l’éternel esprit du temps
présent, par exemple dans les années 1950, selon la nécessité de la mise
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bulletin/ de lev Société de& études/ Océaniennes/
en
scène des reconstitutions historiques sur le marne Arahurahu (cf.
BSEO n°105), ou alors, dans les années 1990, au grand scandale du
professeur Sinoto, de se livrer comme à Huahine ou à Raiatea à « la
destruction délibérée d’autres sites existants et déjà restaurés, dans le but
de restaurer des marae déterminés » (cf. BSEO n°289 « Papatumu »
p. 32)...?
Monument Loti (cf. BSEO n°287 « Supplément au Mariage de Loti »)
et autres, pauvres monuments ! Et
quelle chance a la cathédrale Saint-
Michel de Rikitea ! Le passé est devenu un jeu de familles où l’on peut
choisir, au gré et au hasard, sa mémoire, une mémoire fluctuante au gré
des modes intellectuelles et au hasard des circonstances.
Est-ce par esprit de famille étymologique que le monu...ment et
démeut ?
Robert Koenig
BIBLIOGRAPHIE
DAVIES J., 1851-1984, A Tahitian and English Dictionary, Haere Pô
DORDILLON l.-R., 1904-1999, Grammaire et dictionnaire de la langue des îles Marquises, SEO
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WILLIAMS H. W.,
1992, Dictionary of the Maori Language, Auckland
Bulletins de la Société des Etudes océaniennes, Papeete
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Dictionnaire de la langue tahitienne
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Etat de la société tahitienne à l’arrivée des Européens,
par Edmond de Bovis (2èmc édition)
Journal de James Morrison, second maître à bord de la Bounty,
traduit par Bertrand Jaunez
Alexandre Salmon et sa femme Ariitaimai,
par Ernest Salmon
Les cyclones en Polynésie Française (1878-1880),
par Raoul Teissier.
Chefs & notables au temps du Protectorat (1842-1880),
par Raoul Teissier.
Généalogies commentées des arii des îles de la Société,
Colons français en Polynésie orientale, BSEO n°221
par Pierre-Yves Toullelan
Les Etablissements français d’Océanie en 1885
(numéro spécial 1885-1985)
Moruroa, aperçu historique 1767-1964,
Naufrage à Okaro
par Christian Beslu
Les âges de la vie - Tahiti & Hawai’i aux temps anciens
Par Douglas Oliver.
Tahiti au temps de la reine Pômare,
par Patrick O’Reilly.
Tahiti 40,
par Emile de Curton
Collection des numéros disponibles
des Bulletins de la S.E.O. :
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Mise en page : Backstage
Ecole protestante de jeunes filles de Papeete -1931
Ce BSEO traite de la mémoire : celle qui fut consignée dans de premiers
écrits et attestant de la filiation de Pômare à Tamatoa et rappelée par
Bernard Pichevin ; celle lacunaire signalée par Jean-Michel Chazine au
sujet d’objets archéologiques orphelins aux Tuamotu ; celle qui perdure
à travers les rituels de la nouvelle religion à Futuna observée par Pascal
Ibrahim Lefèvre ; celle ravivée par Yves Babin au sujet du maire fantôme
de Papeete ; celle encore entretenue et transmises par des descendantes
d’Edouard Ahnne du regard européen au début du XXè siècle sur nos
îles. Et enfin, à l’occasion du vandalisme du buste de Pierre Loti, six
réflexions sur le traitement des objets de mémoire.
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 318