B987352101_PFP3_2010_318.pdf
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1
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Société
Etudes
des
Fondée
le
1er
c/o Service des Archives de
B.P. 110,
•
e-mail
:
janvier
Océaniennes
1917
Polynésie française, Tipaerui
98713 Papeete, Polynésie française • Tél. 41 96 03 -Fax 41 96 04
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Composition
Conseil d'Administration 2010
du
Mme Simone Grand
M. Fasan Chong
dit
Présidente
Jean Kape
Vice-President
M. Michel Bailleul
Secretaire
Mme Moetu Coulon-Tonarelli
Secretaire-adjointe
M. Yves Babin
Trésorier
M. Pierre Romain
Tresorier-adjoint
Administrateurs
M. Christian Beslu
•
M. Constant Guehennec
Mme Eliane Hallais Noble-Demay
M. Robert Koenig
•
M. John Mairai
Membres Correspondants
M. Bernard Salvat
•
M. Darrell T. Tryon
Membre d'Honneur
M. Raymond Vanaga Pietri
S.E.O.
Bulletin
de la Société
des Etudes océaniennes
(Polynésie orientale)
N°318 Janvier
-
Avril 2010
Sommaire
Avant-propos
p.
4
E parau
p.
6
p.
27
p.
46
p.
86
p.
90
p.
93
p.
94
p.
97
p.
103
p.
109
p.
111
p.
118
note tupuna o te mau arii no Raiatea
Bernard Pichevin
A propos
de quelques objets et sites archéologiques
uniques ou « orphelins » aux Tbamotu
Jean-Michel Chazine
Des divinités
premières aux figures mythiques
:
pratiques et croyances ancestrales des Futuniens
Pascal Ibrahim Lefèvre
Le maire fantôme
Yves Babin
AU
SUJET D’EDOUARD AHNNE
qui ravive la mémoire filiale
Un don
Simone Grand
Edouard Ahnne, seul Compagnon de la
des EtabÜssements Français d’Océanie
Libération
Constant Guéhennec
RUBRIQUE OUVERTE SUITE AU VANDALISME DU BUSTE DE PIERRE LOTI
Loti, victime d’un incivisme chronique
Le buste de Pierre
Tahiti Presse
Quand, à Tahiti, Loti rime avec oubli !
Christian Beslu
Pierre Loti déboulonné
Simone Grand
On
déboulonne,
on
déboussole, Loti profane
ou
profané ?
Constant Guéhennec
Loti le
tupuna, pour une
Riccardo Pineri
éthique de la diversité
Quant à Loti... un monument, c’est ce qui rappelle
Robert Koenig
Avant-propos
renouvelle son
conseil d’administration lors de l’Assemblée générale du vendredi 28 mai à l6h.
Venez entendre les bilans moral et financier ainsi que les projets de l’équipe
En cette
année 2010 la Société des Etudes Océaniennes
désirs.
Le nombre fixé de membres de CA est de douze, mais après nous être
retrouvés onze, nous avons fonctionné à neuf assurant la parution du bulletin,
la réédition d’ouvrages, l’alimentation de notre site web, la participation à des
CA d’établissements publics et aux salons du livre dans le cadre de l’Association
des Editeurs de Tahiti et des îles. Toute personne intéressée à œuvrer au CA est
renforcée voire rénovée selon vos
priée d’envoyer sa candidature au plus tard le 13 mai 2010. A bientôt donc. Et
si vous ne pouvez venir, merci d’envoyer une procuration pour que le quorum
soit atteint dès notre première réunion.
Etonnamment, lors de la constitution de ce bulletin, nous n’avions pas
réalisions un sur la mémoire.
te tupuna o te mau arii no Raiatea, ou Généalogie des arii de Raiatea, Bernard Pichevin, traque les premiers manuscrits
fixant des repères matériels d’une tradition jusque là orale. Comme Maiarii
Cadousteau le rappelle dans Généalogies commentées des arii des îles de la
Société dont c’est la cinquième édition, (c’est dire si cela intéresse) ; aux temps
anciens, dérouler sa tresse généalogique remontant à un couple divin primordial était fondamental. Ici, sans remonter à Taaroanui Tahi Tumu, Bernard
Pichevin, atteste de la filiation des Pômare auxquels il est lui-même affilié par
conscience que nous en
En
effet,
avec Eparan no
mariage, à Tamatoa.
sites
Jean-Michel Chazine nous invite à réfléchir A propos de quelques objets et
archéologiques uniques ou « orphelins » aux Tuamotu ; illustrant des
béances de mémoire.
Pascal Ibrahim
Lefèvre avec « Des divinités premières auxfigures mythiques -.pratiques et
croyances ancestrales des Futuniens ». Quand il faut s’interroger sur la relation entre religion ancienne et religion nouvelle, la question soulève immanquablement la problématique des survivances et/ou du syncrétisme. Dans une
société ayant adopté une religion allogène, sans pour autant avoir supprimé ce
qui aurait pu constituer une pratique liée à l’ancienne religion : cette cérémonie
Et c’est encore de la mémoire
4
dont il est question pour
(du kavci), immuable vecteur d’une identité, constitue un espace-temps
les invocations des anciennes divinités perdurent.
Yves Babin
sacré où
présente : Le maire fantôme de Papeete, fantôme car
qu’il exista pourtant.
Avec Constant Guéhennec, nous remercions deux dames venues offrir à la
SEO, des courriers et des « Récits missionnaires » protestants de leur grand-père
et arrière-grand-père, Monsieur Edouard Alinne. Ces documents nous informent
sur les discours européens du début du XXè siècle
qui ont participé à forger la
mémoire et l’opinion sur la population polynésienne et sur celles que cette
population a fini par avoir d’elle-même.
Enfin, le vandalisme sur le buste de Pierre Loti fut l’occasion d’ouvrir une
rubrique où, Tahiti Presse, Christian Beslu, Riccardo Pineri, Simone Grand,
Constant Guéhennec et Robert Koenig abordent le traitement de la mémoire sur
et par les Polynésiens.
nous
effacé des mémoires bien
Bonne lecture
Simone Grand
PS. Une lectrice m'a
signalé une erreur commise lors de la restitution du chant Te matete dans
le dernier numéro. Nous fûmes
et sommes si nombreux à l'avoir chanté et à la chanter de
manière erronée que cela milite pour encourager la restitution soigneuse de ces chansons dont
les auteurs étaient de véritables poètes majoritairement sinon tous oubliés.
Te matete
Au mares
doivent donc être considérés comme les
noms
de clans les plus anciens de
l’île ; ils rappellent le totem des premiers habitants. Les noms dont la
formation semble plus élaborée sont probablement apparus en un temps
où le totémisme
commençait à décliner, laissant place à une pratique religieuse plus évoluée. C’est ainsi que l’onomastique, en relation avec le totémisme, permet de déceler une datation des familles de Futuna, même s’il
semble que le nom de certains clans ait disparu : le clan Feke n’a laissé
aucune trace dans l’onomastique ; des familles connaissent leur hens avec
ce clan, mais le nom même du totem a totalement disparu.
Les
représentations totémiques : l’exemple des tatouages
emblème du clan, peut être représenté sur des objets
(murs, poteaux, armes, pirogues, instruments, etc.), mais c’est sur le
corps que son mode de représentation est la plus forte.
Le totem,
Dans l’ensemble des sociétés
traditionnelles, lors de fêtes ou de
guerres, les vêtements étaient marqués de l’emblème, qui pouvait également s’appliquer par des coupes de cheveux, des scarifications et des
dessins sur le corps. Ce dernier point doit attirer notre attention quand
nous savons quelle importance revêtait la pratique du tatouage chez les
Polynésiens ; après une longue période de prohibition, cette pratique
ancestrale hit remise à l’honneur, sous l’impulsion d’individus conscients
de retrouver une part importante de leurs traditions, et de la réaffirmer.
Il ne reste aucune trace dans les mémoires contemporaines de ce
que représentaient les tatouages des Futuniens, jusqu’à ce que les missionnaires en interdisent la pratique, mais nous pouvons avancer l’idée que
les hommes arboraient par ce moyen le totem de leur clan. La tradition
orale mentionne l’existence de cette pratique très ancienne mais sans
pour autant fournir les détails attendus. Les textes n’évoquent pas de
manière précise leurs aspects religieux, cependant ils vont plutôt mettre
l’accent sur le fait qu’ils permettent en général l’identification ; ainsi cet
homme reconnaissable entre tous
car
«
en ce
temps-là, seul Faka’ilo de
Sigave portait de tels tatouages », particularité qui est souvent associée à
la beauté physique puisque « cet homme était d’ailleurs fort beau »
(T 113: 484). C’est donc bien cette fonction d’individuation, qui est
54
N°318
•
Janvier - Avril 2010
tatouages ; ainsi cet extrait faisant allusion à la femme d’un
guerrier qui part à sa recherche à l’issue d’un combat ; le tatouage permet
sa quasi identification : « elle savait qu’il portait des tatouages partout sur
le corps » (T 30 : 179). D’une manière plus générale, les tatouages se
attribuée
aux
distinguant des hommes des deux
royaumes12 : les textes ne donnent aucune indication sur la nature des
motifs que représentent ces tatouages, nous savons juste que les motifs de
Sigave sont différents de ceux d’Alo, ainsi le conteur exphque « qu’autrefois les tatouages des gens d’Alo présentaient des grands motifs, tandis
que ceux de Sigave avaient des petits motifs » (T 79 : 376).
Les témoignages des missionnaires, apparemment peu intéressés par
ce qu’ils devaient considérer comme une pratique archaïque, l’évoquent
très succinctement et pourtant ils auraient dû se rappeler qu’elle ne fut
pas étrangère aux premiers chrétiens. Bataillon mentionne que « Tous
les hommes, à peu d’exceptions près, sont tatoués » (Abal, 2003 : 6). Le
missionnaire ne dit rien à propos des motifs ; il est impossible qu’un seul
missionnaire ne vit pas d’assez près ces tatouages pour ne pas établir une
description précise de leurs représentations.
Si nous voulons avoir une idée plus précise de ce qu’étaient les
tatouages à Futuna, leurs représentations et leurs fonctions, il faut se
tourner vers Samoa et la Polynésie pour lesquelles de nombreuses études
ont été menées. Selon P.V. Kirch, par exemple, il apparaît que ornementation corporelle et décoration de la poterie Lapita sont concomitantes :
It is conceivable that the decorated vessels were actually representations of ancestors, and that the act of decorating the pots ivas
analogous to tattooing a human body. (Kirch, 1992 : 105)13.
révèlent des éléments caractérisant et
-
12
L'île de Futuna est en effet toujours constituée officiellement de deux royaumes, celui de Sigave et celui d'Alo.
13
Nous renvoyons
également à deux ouvrages de référence : l'un spécifique aux tatouages pratiqués aux
Marquises : Te Patu tiki, Part du tatouage aux îles Marquises (Pierre et Marie-Noëlle Ottino, publié par les
éditions Christian Gleizal, Teavaro, Moorea 1999), l'autre plus général : Tatoo History, A Source Book, (Steeve
Gilbert, publié par Juno Books distribué par Power House Books, New York) ; cet ouvrage abondamment
illustré, retrace l'histoire du tatouage à travers le monde, des origines à nos jours. Un chapitre est d'ailleurs
consacré au tatouage en Polynésie et dans d'autres îles du Pacifique, notamment Samoa. Il est bien entendu
que, si l'on doit ramener les origines du tatouage à l'histoire du peuplement du Pacifique, ce sont les Tongiens
par le biais de leurs conquêtes, et les Samoans qui ont importé cet art en Polynésie Orientale.
55
bulletin de
la
Société des études Oceaui
Ainsi pouvons-nous
suggérer
ce que
pouvaient représenter les
tatouages Wallisiens et futuniens, à partir des éléments décrits plus haut,
et en y ajoutant l’importance du totem. L’individu tatoué devait avant tout
arborer la
représentation totémique du clan auquel il appartenait (par
exemple une tortue, un serpent ou une plante), cela pouvait être les
totems respectifs du père et de la mère. Un valeureux guerrier était
reconnu par l’importance de ses
tatouages, puisque chaque bataille et a
fortiori chaque victoire, devait être marquée sur son corps.
Ces différentes représentations corporelles pratiquées par un prêtretatoueur, étaient accompagnées d’une stylisation caractéristique de
Futuna, ou de Wallis, dont les motifs des tapa" actuels pourraient nous
donner une idée. Nous ne pouvons affirmer que chaque individu était
libre de se faire tatouer quand il le voulait, et comme il le voulait ; il était
peu probable que le prêtre tatoueur fût sollicité de manière intempestive ; puisque la pratique du tatouage ressortissait - en partie - au sacré,
elle devait s’inscrire dans des modaütés bien définies et précises. Néanmoins, il n’est pas mterdit de penser que certains individus pouvaient s’y
adonner dans un temps et un espace profanes, et cette désacralisation de
la pratique du tatouage devait être l’un des signes que les croyances primifives étaient en régression, notamment durant les années qui suivirent
l’arrivée des missionnaires.
DIVINITÉS
ET FIGURES
MYTHIQUES DE FUTUNA
Le
système religieux polynésien
Polynésiens croyaient en un panthéon dont Ta’aroa- le créateur,
apparaissant sous la forme « Tagaloa15 » à Futuna - Tane, le dieu de la
lumière, Oro ou Tu, le dieu de la guerre, Rongo, le dieu de l’agriculture et
Les
14
Le tapa est une
étoffe d'origine végétale sur laquelle sont peints des motifs traditionnels. Quelques pièces
de Wallis et Futuna sont exposées au Musée du Quai Branly.
15
Nom qu'il ne faut pas confondre avec le dieu polynésien des ténèbres Tangaroa, fils de Aito et Fenua,
enfants de Hoatu et Hoatea, le couple primordial.
provenant
56
N°318
•
Janvier - Avril 2010
de la paix, Maui, qui avait donné le feu et des îles, Hina, qui s’envola vers
la lune, et plusieurs autres. L’essor de Ta’aroa débuta à Raiatea, et il
les autres divinités majeures, « C’est lui qui se trouve au
» (Guennou et alii, 1987 : 58). Ces
hommes croyaient aussi aux fantômes qui étaient les esprits des personnes
décédées. Ce polythéisme vint à maturité sur l’île de Raiatea dans les îles
de la Société, à partir de laquelle il s’étendit à toute la Polynésie. La classe
des prêtres organisait le culte autour de plateformes basses en pierres
nommées marne16 (malae à Futuna) sur lesquelles des sculptures de
pierre ou de bois, nommées tiki (à l’origine, nom de l’ancêtre de
l’homme, puis dieu de la sorcellerie) qui représentaient les dieux et les
esprits, étaient adorées et honorées. Ils croyaient que chacun des dieux,
des esprits et des êtres vivants possédait des quantités variables de mana,
une sorte de « force de la vie »
qui pouvait être obtenue en mangeant la
chair de ses ennemis ou perdue en violant les règles sacrées du tapu
déclarées par les prêtres.
surpassa ainsi
centre de la création du monde
Une vie sociale sacralisée
Les cérémonies fondées
des
mythes et des légendes qui décrimonde, des dieux et des humains se
composaient principalement de rites sacrés ou actions d’ordre le plus
souvent symbolique destinées à rapprocher les hommes de leurs dieux.
Excepté le fait de structurer la société polynésienne, la religion
ancienne constituait son fondement puisque des règles strictes et différents
interdits {tapu) étaient étabüs par les chefs (aliki) et les prêtres au nom
des dieux. Le respect de ces tapu renforçait le pouvoir du aliki et tout
manquement était puni. Les rites ou cérémonies, pratiqués presque
uniquement par les toematua (prêtres) étaient destinés aux aliki et aux
sur
vaient entre autres la création du
16
Nous pensons notamment au plus célèbre et prestigieux des îles de la Société, le grand marae de Taputaputea à Raiatea ; aucune trace de ce type de lieu sacré n'a été conservée à Futuna où les malae devaient
être des espaces ouverts, sans édifice. Mais contrairement à la Polynésie, le malae est toujours, à Wallis et
Futuna, le lieu « sacré » de la vie coutumière. On peut constater que le malae de chaque village s'inscrit
systématiquement dans la même configuration : face au fale fana (maison de réunion) et proche de l'église.
57
Œu/leUn
de /a
Société dex ë/ndex Océanien/tex
différentes divinités, et consistaient en offrandes,
sacrifices, réunions,
prières et récits. La consécration d’un souverain, sa maladie, les prières
en raison d’une sécheresse, la préparation d’une guerre sont quelques
exemples de cérémonies se déroulant sur un malae.
Certains rites se devaient d’être exécutés avec la plus grande attention et la moindre erreur pouvait être fatale à son exécutant. Les participants devaient toujours être isolés du reste de la population, pouvoir se
purifier, les chants et les offrandes ayant pour but d’obtenir un contact
avec les dieux. Ces personnes choisies des dieux avaient ce pouvoir de
communiquer avec eux et détenaient donc le sacré, le mana. Les mythes,
légendes et généalogies devaient démontrer une relation entre les chefs
(auxquels on vouait également un culte puisqu’ils étaient le tabernacle des
divinités), la terre, l’univers et les dieux. Grâce à ces récits, le pouvoir d’un
aliki se renforçait, ils avaient pour but de valoriser l’aristocratie insulaire
en élevant souvent leurs membres au rang de héros. On comprend donc
l'importance de tels rites dans la société de ces îles. Cette relation divine
constituait l’Histoire, qui confond mythes, légendes et réalité.
Divinités et
figures mythiques de Futuna
Il ressort de la lecture du seul recueil de textes de tradition orale de
Futuna17, La Tortue au dos moussu, la présence de personnages appartenant au panthéon futunien ; nous évoquerons quelques-uns d’entre
eux à l’appui de quelques textes. Mais avant cela, il convient de donner
quelques considérations d’ordre plus général afin de mieux contextualiser cette approche. D’abord il faut remarquer la croyance en plusieurs
types de dieux ; deux dieux primitifs (Maui et Tagaloa), communs à l’ensemble polynésien, qui sont à l’origine de la création du monde et des
îles, mais dont la légende concernant Futuna ne figure pas dans le
recueil18. Viennent ensuite les dieux primordiaux (qui ne se rattachent
17
Conforté des études, anciennes, mais qui
18
Nous pouvons
d'une
58
néanmoins
demeurent une référence, de Burrows (1945).
version dans l'annexe 2, il existe aussi une autre version
en proposer une
légende mettant ce dieu en scène.
N°318
à
•
Janvier - Avril 2010
généalogie), les dieux ancestraux qui sont souvent des personnages historiques, des ancêtres - dont l’existence n’est pas toujours vérifiable
devenus mythiques (même s’il faut revenir sur l’aspect
définitionnel de ce terme, parfois employé abusivement), ils sont assez
nombreux et la tradition nous révèle leur théogonie. Enfin, il ne faudra pas
omettre l’existence, tout aussi importante, de dieux protecteurs - souvent
animaux
des titres de chefferie ou d’éventuels dangers naturels, la
plupart sont des « totems-dieux », pour reprendre l’expression de
aucune
-
-
Leenhardt,
quelques totems qui, dans le recul du passé, vont se
confondre avec les ancêtres et deviennent des dieux » (cité par Radin,
1941: 178).
Maurice
«
c’est-à-dire
Certains de
ces
personnages sont
mentionnés ci-dessous. Enfin, il
faut savoir que les Futuniens croyaient à la vie dans l’au-delà et à l’existence d’un monde chtonien, le Pulotu, considéré comme la demeure des
dieux ; ainsi pouvons-nous assister
particulier de
personnages dans ce
être assimilé à l’enfer chrétien.
dans ces textes au « retour » assez
domaine souterrain, qui ne doit pas
Le
panthéon futunien : tableau synthétique
présenter ce panthéon de manière synthétique, il est apparu
nécessaire d’élaborer un tableau qui s’efforce de mentionner l’ensemble
des déités, en les caractérisant et en évoquant leur lieu de résidence habituelle. Ce travail s’appuie sur les recherches de E. G. Burrows et de
D. Frimigacci (s’appuyant elles-mêmes sur la tradition orale).
Pour
59
Œidlctin
de la
Société des études Océanien/
Noms
Typologie
Dieux
et
primitifs
primordiaux
ou
Maui
Lieu de résidence
Caractéristiques
des édités
particularités
Pêcheur d'îles, créateur, entre Tu'atafa
autres, de Futuna.
Tagaloa
Pêcheur d'îles, dieu d'Alofi.
Mont Kolofau
T
5,49 et 61
T
5,49 et 61
(Alofi)
Mafuikefulu
Généralement, il dort mais dès Pulotu
qu'il se retourne, il provoque des (monde chtonien)
tremblements de terre.
Dieu majeur
Dieux
ancestraux
Mago et
Tafaleata
1.
Matagitoga
noix de
coco ».
Dieu de Pouma
dans
une
Anakele
T 8 et 49
-
protecteur des
à poissons
Utumagalua
Les Pyramides »
«
2. Fitu
Dieu des hauteurs et de la guerre
Paipai
T 27 et 49
3.
Dieu des vengeances
Paipai
T
Sogia
4. Malafulafu
Dieu protecteur
Falcaki
de la nature possède la pierre de vie et de mort (Tu'a)
5. Kula
?
Alofi
6. Fineiasi
Déesse protectrice
7. Fakavelikele
Premier roi
et
Dieux
«
Ce
couple a eu 7 (Tua)
enfants présentés ci-dessous.
parcs
protecteurs
de Futuna.
Arrivés de Samoa
non
de Futuna
dieu de la guerre
du monde invisible.
-
ou
Nuku
8, 25 et 27
T 61
Mont Puke
T
5,6,57
Partout
T
6,10,12,116
animaux
Kausala
Lita
Protecteur du Tui Asoa
Déesse ancestrale d'Alofi
Protectrice du Mauifa
Kakasalulu
(titre)
Fuga Asoa - Alofi
Alofi, puis
-
(titre)
Protecteur du titre de Fainuvele
Somalama
Muli
T 69.
(Tavai)
(Vele).
(titre).
Sugele
Protecteur du titre de Safeisau
Olu
(Tua)
(titre)
Lagi (ciel)
Protecteur du Tui Sa'avaka
et
60
du
(titre)
Mamati
village de Poï
Ufi
Protecteur du
village de Poï
Mamati
Ugaie
Protecteur du
village de Pouma
Partout
T 25
N°318
«Janvier-Avril2010
Il faudrait, pour que ce
tableau fût complet, lui ajouter d’autres déités
qui sont intimement liées à la croyance en la vie dans l’au-delà, et qui
sont celles qui accueillent ceux des mortels qui sont condamnés à Terrance éternelle : il s’agit de la triade constituée par Atuamatalua, Atuamatatasi et
Atuamagumagu.
Enfin, des personnages que l’on qualifierait plus volontiers de
mythiques » doivent être évoqués également : le premier, Sina est hé à
un mythe étiologique, le deuxième, Ufigaki/Muni remplit sa fonction bienfaitrice auprès des hommes avant de s’enfoncer dans le Pulotu.
«
Divinités et personnages
la tradition orale
À l’issue de
mythiques mis
en
scène
:
présentation des principales figures divines
présentes dans le panthéon futunien, nous proposons leur mise en situation, leur intervention ou leur allusion dans les textes.
Il est bien évident que notre objectif ne sera pas de vouloir être exhaustif,
en voulant mentionner l’intégralité de leur présence ou évocation ; nos principaux critères de choix furent non seulement la place privilégiée faite à
certains de ces personnages, devenus emblématiques de tout un peuple, mais
aussi certaines mises en situation assez originales et assez marquantes pour
être soulignées. Quant aux autres figures divines ou mythiques, le tableau
supra mentionne leur présence dans l’économie du recueil.
cette
Les dieux fondamentaux
ou
ancestraux
figures principales se dégagent très nettement dans les récits,
en action et en situation à plusieurs reprises. Ce sont
surtout la jeune Finelasi qui sauva Futuna d’une invasion tongienne et
Fakavelikele, le premier roi. Leurs parents, Mago et Tafaleata sont, nous
dit la tradition, arrivés de Samoa « dans une noix de coco ; ce couple de
Samoans mit au monde sept enfants19 » (T 10 : 79). Dans un autre récit,
Deux
on
les retrouve
19
Ici peut se poser le phénomène de l'acculturation : ces enfants étaient-ils réellement sept, ou
mission orale post chrétienne a-t-elle intégré des éléments d'une symbolique allogène ? Un autre
recueil porte
la transtexte du
le titre suivant : « Histoire des sept maisons de Toloke » (T 81 ).
61
yjr
Ç$udleti/i d& la Société/ des études> Océaniennes/
le conteur
noms attribués à ces enfants : « Ils leur
des anciens dieux de Futuna » (T 12 :83). Ce dernier
justifie le choix des
donnèrent les
noms
élément peut provoquer une certaine
confusion ou des interférences ; ces
personnages portent donc le nom d’anciens dieux, ils ont été ensuite
déifiés, ils sont considérés comme des dieux qui portent le nom d’autres
dieux... Nous sommes ici au cœur de la problématique des aléas de la
transmission orale.
Finelasi contre
l’ogre Tongien
d’exemples de figures féminines emblématiques ; il laisse une large place aux grands guerriers et rois qui ont laissé
une trace dans l’histoire de l’île par leurs faits marquants. Cependant il est
à noter que la mythologie futunienne n’a pas exclu dans son panthéon
des personnages féminins dont l’accès au statut de divinité n’est pas
•
Le recueil offre très peu
contesté.
Dans le texte intitulé
L’arrivée des Tongiens »
(T 57), apparaît Finelasi, la seule fille du couple Mago-Tafaleata, considérée comme la déesse
tutélaire de Futuna (figurant parmi les dieux ancestraux); elle sauve son
peuple des envahisseurs. Ce texte raconte qu’une petite fille va feindre
d’amener les envahisseurs chez elle, mais arrivée sur un pont de liane, elle
le sabote précipitant ainsi les guerriers dans le vide. Ce récit souligne
surtout les échecs successifs des tentatives de colonisation tongienne à
Futuna, qui, contrairement à Wallis, ne s’est jamais laissée envahir ou
«
occuper.
•
Fakavelikele
: une
figure emblématique
peut présenter ce personnage comme étant la figure la plus populaire de Futuna, puisqu’il a donné son nom au premier titre de sau, c’està-dire de roi, à Futuna. Ainsi, ce fait est déclaré clairement par le conteur,
On
qui dans « La royauté », commence son court récit par ces mots : « Le
premier roi s’appelait Fakavelikele » (T 116 : 495), le dernier-né du
couple Mago-Tafaleata. Le titre de Fakavelikele sera porté par tous les
régnants jusqu’à ce que la Mission jugeât ce titre trop « païen » et le
remplaçât par celui de Tui Agaifo (porté depuis lors par les rois du
royaume d’Alo). Deux autres textes font référence à ce personnage pour
rappeler, non sans pudeur dans un premier temps, sa relation incestueuse
62
N°318
•
Janvier - Avril 2010
d’évoquer. Il s’agit d’abord du
Tapaki de Kolotai » (T 5) dans lequel l’inceste est présenté grâce à un
euphémisme, une périphrase qui attribue la faute à Finelasi : « Le scandale est arrivé, Finelasi tu as commis une faute » (T 5 : 56). L’autre texte
rappelant cet événement est 1’ « Histoire de Kolotai » dans lequel il semble
que Fakavelikele soit à l’origine de la faute : « Fakavelikele commit un
avec sa soeur
Finelasi que nous venons
«
inceste
avec sa sœur
Finelasi
Si Fakaveükele et
»
sa sœur
(T 5 : 59).
Finelasi sont des personnages marquants,
différent est réservé à
quelques-uns de leur frères, dont les noms ne sont que brièvement
évoqués : Fitu et Sogia, par exemple, apparaissent séparément dans deux
textes différents, puis ensemble dans le même texte, Kula n’apparaît
qu’une fois.
si les récits les mettent
Les dieux
•
en
situation,
un sort
protecteurs
Les larmes de Lita
figure divine dont les aventures ne manquent pas de
rebondissements et même d’humour, elle est présente dans plusieurs
textes, dont « Histoire de Vikiviki et de Magotea » (T 18), « Le règne des
Ma’uifa » (T 22), et le « Takofe de Fiua » (T 69). Elle est avant tout la divinité attachée au titre de Ma’uifa, se présentant sous la forme d’un rocher
qui dut quitter l’endroit où il reposait (l’île d’Alofi) car des gens le
couvraient de déchets ou d’excréments. Arrivé sur le rivage de Futuna, et
jetant un regard vers Alofi, des larmes tombèrent, et chaque chute donna
naissance à un nouveau rocher. Sa fuite s’acheva là où le rocher ne pouvait
plus voir Alofi, alors « Il resta là, ce qui donna naissance au rocher de
Somalama, et il y est encore » (T 22 :131). Et pour montrer à quel point
le rôle protecteur des dieux est important, le conteur note ensuite que
peu de temps après « le Ma’uifa mourut car il n’avait plus sa divinité avec
lui » (ibidem). Déesse de la fertilité, elle était implorée en cas de sècheresse, chacun n’oubliant pas les nombreuses larmes qui ont ponctué sa
tristesse de quitter Loka, sur l’île d’Alofi.
Lupe : la colombe messagère
Lupe a joué un rôle très important dans l’histoire des origines des
Lita est
une
•
63
♦ bulletin
de la
Société des études Océaniennes
titres, puisqu’elle est la déesse du
sau (le titre de roi), elle serait venue
dieux, sous l’apparence d’une colombe, pour
donner le premier sau aux Futuniens. Saufekai est surtout lié à l’anthropophagie - réelle ou imaginaire - rien ne prouve absolument que ce
personnage, devenu mythique, ait réellement existé, mais son nom est lié
aux origines du titre de sau à Futuna. À ce propos Daniel
Frimigacci nous
dit que « la danse du tapaki de Taoa rapporte que Lupe serait venue à
Saufekai [... ] accompagnée d’une jeune vierge nommée Falekula, cadeau
des dieux au futur premier sau de Futuna. Mais comme l’élu de Lupe
allait dédaigner Falekula pour « une étrangère aux cheveux clairs », Lupe
avait quitté les beux. [... ] La déesse Lupe va apparaître une seconde fois,
au-dessus de Toloke, en un endroit indéterminé. Elle s’incarnera en la
personne de Folituu et lui apportera son panier noir [... ] » (Frimigacci,
1990:56).
à Saufekai du domaine des
Autres personnages mythiques d’origine divine
Un mythe est l’intégration des symboles religieux dans une forme
narrative. Us fournissent non seulement une vue complète du monde,
mais ils offrent
également les outils pour déchiffrer le monde. Nous qualide « mythiques », avec toutes les réserves
que ce terme impose tant il fut souvent employé de manière abusive ; en
effet, si l’on en croit la définition du « mythe » proposé par Mircea Eliade :
Le mythe raconte une histoire sacrée, c’est-à-dire un événement primordial qui a eu heu au commencement du Temps, ah initio. Mais raconter
une histoire sacrée équivaut à révéler un
mystère, car les personnages du
mythe ne sont pas des êtres humains : ces sont des dieux ou des Héros
civilisateurs » (Eliade, 1957:82). Et il ajoute une dernière caractéristique
qui rejoint l’acte de dire le mythe, un acte en quelque sorte fondateur
puisqu’une fois dit, révélé, le mythe devient « vérité apodictique », révélant ainsi une vérité absolue, celle que les générations suivantes auront à
transmettre. Durkheim souligne davantage le rapport qui reüe le mythe
avec l’interprétation de rites existants, plutôt
que la commémoration des
événements passés : le mythe est plus une explication du présent que le
fions les personnages suivants
«
récit d’une histoire.
64
N°318 «Janvier-Avril 2010
•
Sina et les
Sina est le
dauphins
de l’une des figures les plus
célèbres de la mythologie
futunienne, ce personnage est aussi populaire que Fakavelikele, ancêtre
déifié dont la geste relève de la tradition orale à valeur historique. Cependant, le nom de Sina apparaît également hors de Futuna. En effet, si elle
est connue sous la forme « Hina » à Tahiti, il existe un mythe vanuatais qui
la met en scène ; dans les îles Makura et Emae (groupe Sherperd), Sina
est le nom d’une déesse à qui il arrive une aventure bien cocasse (Guiart,
1962 :115-116). Plus proche de Futuna, des mythes samoans la mettent
également en scène20.
nom
Dans l’extrait suivant,
Futunienne » sauve ses frères d’une
à Alofi, par des chasseurs d’hommes.
Arrivés à un promontoire, elle révèle son appartenance à l’autre monde :
[... ] je vais plonger dans la mer, et si vous voyez que je me transmort certaine car
Sina la
«
ils sont poursuivis,
«
forme
poisson, alors laissez le four et sautez dans l’eau également.
[...]. Alors Sina sauta dans la mer ; les deux frères virent qu’elle s’était
transformée en poisson. [...]. Ces poissons qui vivent parmi nous dans
le monde, sont des dauphins. Ce sont ces trois frères et sœur qui sont
en
des dauphins dans le monde. » (T 28 :165)
jeune fille, petite-fille de Malafu, apparaît dans un autre récit,
Histoire de Sina », où elle s’enfonce dans le Pulotu. Sina doit attendre
son amant, Tuapese, près d’une source, mais ce dernier tarde à arriver,
et Sina s’impatiente péniblement ; elle éclate en sanglots et pleure :
Tuapese ! Tliapese ! La pirogue divine vogue sur les érythrines, tu t’es
moqué de moi » ! (T 70 : 328). À ces mots, elle commence à s’enfoncer
dans le sol ; Tuapese n’arrivant toujours pas, elle réitère cette phrase
sacrée qui l’enfonce davantage. Tùapese arrive enfin mais pour n’entendre
que les dernières paroles de Sina qui a le temps de jeter un dernier regret
sur une demande en mariage non satisfaite. Notons que la grand-mère
de la jeune fille a assisté à toute la scène, et avait une connaissance implicite de ce qui allait se produire puisqu’elle « savait que sa petite-fille allait
à l’origine
Cette
«
«
2"
C'est
divinité incarnée
(veka) et nommée « Sina Ai'Mata » (Sina mangeuse d'yeux) :
d'épouvantail pour les enfants turbulents. Une autre Sina apparaît dans une chanson d'amour ; sa
fin tragique, elle meurt noyée, la rapproche de la Sina futunienne.
une
en un
oiseau
sorte
65
bulletin
de Ui
Société de& Stade# Océan
disparaître à jamais » {ibidem). Ce récit montre ainsi l’origine divine de
qui rejoint le domaine des dieux, comme le fait un autre héros civilisateur, Ufigaki.
Sina
Ufigaki / Muni : un héros civilisateur
évoquent ce héros ; dans la première version, le
personnage est présenté en action, in médias res :
Le Tui Sa’avaka avait demandé à Muni de Sigave des collets de taros
pour son champ » (T 15 : 98), tandis que dans la seconde version, le
conteur débute le récit en nous expliquant les circonstances de son apparition ; ce sont des oiseaux qui ont « déposé » un enfant encore dans son
placenta sur la plage, il est ensuite élevé par le couple qui l’a trouvé. Le
lendemain de son « arrivée » à Futuna, des signes évidents de son origine
divine se manifestent puisque sa croissance est anormalement rapide :
Le lendemain matin, l’enfant parvenait déjà à marcher à quatre pattes,
et le jour suivant, il se tenait assis. Il grandissait véritablement à vue d’œil »
•
Deux versions
«
«
(T 71: 331).
D’autres
signes vont susciter des doutes de la part de la population ;
l’occurrence
force surhumaine
appelé pour aider aux travaux
champêtres, ses coups de pieu à fouir sont terribles à tel point que la «
terre tremblait et l’océan s’agitait » {ibidem). Les tarodières sont l’une
des préoccupations essentielles de la vie quotidienne des Futuniens,
puisqu’elles leur fournissent leur principal aliment, le taro ; ainsi la force
d’Ufigaki est mise à contribution dans la préparation des champs et pour
la plantation. Comme Sina qui doit retourner dans le Pidotu, Ufigaki doit
non pas prononcer des paroles mais entendre celles qui provoquent sa
disparition. Il écoute une conversation de ses parents adoptifs dans
laquelle ils rappellent la genèse de cet enfant si particulier. Ce dernier leur
répond : « Je vous remercie beaucoup, Tafala et Moekalia, mais je sais
maintenant que vous n’êtes pas mes vrais parents et que j’ai été trouvé
dans la mer. Cela sera nos dernières paroles, vous allez rester ici, mais
moi, je vais vous quitter » (T 17:333) ; Ufigaki s’enfonce ensuite, et pour
toujours, dans le sol. Pour les conteurs, cet homme « devait être un dieu »,
même s’il ne figure pas « officiellement » dans le panthéon futunien.
en
66
une
:
N°318
ÉLÉMENTS
DE LA VIE ET DES
•
Janvier - Avril 2010
PRATIQUES RELIGIEUSES
La plupart
des éléments que nous voulons évoquer ici prennent appui
témoignages des pères Chanel, Servan et Bataillon, même s’il faut
parfois prendre garde aux nombreux préjugés discréditant la plupart des
faits, pourtant très précieux et détaillés, que ces missionnaires maristes
sur
les
rapportent.
Il existait des
prêtres (toematua) mais chacun était attaché à une
famille, généralement noble (aliki), dont il assurait les soins par l’invocation des divinités tutélaires de la parenté, qui souvent étaient
symbolisées par des paniers en feuilles de cocotier tressées (kete) ; ces kete
pouvaient contenir des objets « précieux » - comme des dents de baleine
ainsi protégés, et il faut penser qu’ils étaient l’équivalent moins élaboré
des tiki de Polynésie, qu’ils fussent en bois ou en pierre, ou même des
to’o21 : leur première caractéristique commune étant leur mobilité,
puisqu’ils étaient amenés aux champs.
Si à Wallis il existait une séparation des pouvoirs coutumier et religieux, il n’en était pas de même à Futuna : le roi était aussi investi des
fonctions de prêtre, puisqu’il parlait au nom de la divinité du moment qui
habitait son corps. Cet aspect renvoie au rapport qui doit se concevoir
entre les esprits et le prêtre ; ce dernier semble, selon P. Radin, être investi
de pouvoirs transcendant ceux des divinités dont il est le porte-parole,
l’intercesseur auprès des hommes : « On peut assurer, affirme Radin, que
les hommes ont tout d’abord créé les esprits et les divinités selon
l’image
qu’ils se faisaient du chaman » (Radin, 1941 : 156). Si l’on en croit
Bataillon, il semblerait que les cultes fussent démultipliés ; en effet, si
chaque famille était protégée par une divinité particulière, il fallait y
adjoindre un culte pour chaque membre du corps, d’où cette impression
d’une société saturée par la sacralisation. « Ils ont des maisons de dieux
pour tous les membres du corps » (Angleviel, 1994 : 13), affirme le
prêtre, et ajoute que ces divinités sont honorées et remerciées par des
-
21
Le to'o tel qu'il se présentait dans les îles de la Société, était une représentation divine, taillée dans une
pièce de bois, enserrée dans de la fibre de coco tressée.
67
®
(bulletin
de la
Société des* études* Océaniennes
offrandes, telles que des étoffes ou des objets précieux, afin d’apaiser leur
colère. La même remarque est formulée par le père Chanel dans une lettre
écrite en mai 1840 : « Dès que quelqu’un est tombé malade, ils courent
à la maison du Dieu qui veut le manger ; mais il faut d’abord qu’ils aient
bien reconnu le membre qui souffre ; car chaque Dieu a des maisons
différentes [...] » (Abal, 2003 : 378).
Les
représentations divines
témoignages partiaux
Y avait-il des représentations matérielles de ces divinités ? Les
missionnaires restent peu prolixes à ce sujet, et la plupart des témoignages de voyageurs ne le mentionnent pas. La lettre de Pierre Chanel
précédemment citée aborde le sujet des représentations divines, mais il
faut se rendre compte combien les propos restent imprécis, (volontairement ?) et flous ; en tout état de cause, ils ne sont pas d’un intérêt ethnographique majeur (ils eussent pu l'être), le sujet est traité dans le sens
d’une « décrédibilisation » de ces représentations en faveur de l’éminence de la nouvelle religion. Voici le témoignage du père Chanel :
Des
il [Bataillon] proposa au roi de brûler une multitude de diviordre, très redoutées à Futuna et dans les îles voisines.
Le roi et tous les chefs y consentirent, persuadés que nous ne serions
jamais assez téméraires pour en venir à l’exécution. Mais dès le lendemain, ces ridicules Dieux, ou plutôt les objets consacrés à leur culte,
furent publiquement livrés aux flammes » (Abal, 2003 : 378).
«
Un jour,
nités du second
témoignage signale l’existence d’un culte rendu au moyen d’objets sacrés, il n’en demeure pas moins évasif - la nature et le morphotype
de ces derniers ne sont pas précisés. D’ailleurs, le missionnaire accompagne le mot culte d’un appel de note en bas de page qui apporte la
précision » suivante : « Ces divinités, appelées A-Tua-Mari, ne sont pas
représentées par des statues : le peuple les honore comme des êtres spirituels et invisibles qu’il croit néanmoins de figure ronde. » Cette note
répond donc à la question que nous nous posions plus haut : d’après
Chanel, les Futuniens représentaient leurs divinités. Pas de mention explicite de statues, mais il est évoqué des objets consacrés au culte des
Si
«
68
ce
N°318
•
Janvier - Avril 2010
divinités, apparemment de « figure ronde », puisqu’ils se les imaginaient
ainsi, et certainement d’origine végétale puisque ces objets subirent la
destruction par le feu.
Les traces matérielles des croyances
religieuses
représentation la plus courante d’une divinité majeure était sans
conteste, dans les sociétés anciennes, celle que l’on taillait dans la pierre
ou le bois. On pense, pour rester dans le contexte du
Pacifique, aux tiki
représentant les divinités inférieures. Apparemment, de telles représentâtions aussi élaborées n’existèrent pas à Futuna ; les nombreuses fouilles
archéologiques auraient pu en révéler la présence, ou quelques traces.
Quand bien même les missionnaires auraient interdit les marques matérielles des croyances, il est difficilement concevable qu’aucune de ces
statues ou statuettes n’ait pu traverser le temps ou échapper à aucune
anecdote. Il faut donc imaginer que la plupart de ces divinités étaient
matérialisées par des supports naturels, non élaborés ; par exemple, un
rocher représentait Lita ou Tagaloa. Quant aux divinités anthropomorphes
apparues assez tardivement, ce sont la plupart du temps des ancêtres diviLa
nisés, dont le roi était souvent le tabernacle ; les autres divinités devaient
garder leur aspect immatériel, et le besoin de les représenter ne s’est
peut-être fait jamais ressentir.
Ou peut-on se demander si les Futuniens possédaient les techniques
et les moyens pour façonner des monoüthes ? Certaines dalles en pierre,
plantées dans les malae, étaient appelées « pierres divines22 », elles
n’étaient pas sculptées mais juste polies : pouvaient-elles néanmoins,
malgré cet aspect trivial et sommaire, représenter des divinités qu’on
aurait pu craindre ? En tout cas, il semble bien que cette marque matérielle d’une croyance fut la dernière à subsister à Futuna, jusqu’à ce que
le père Servan eût le plaisir d’assister à sa destruction. Dans une lettre
22
II s'agit de ce que l'on nomme plus couramment des « pierres dossiers », des dalles plantées contre
lesquelles les alikiie haut rang s'adossaient lors des réunions ou pour les cérémonies de kava. Symboles
du statut d'autorité, du rang et du prestige de la personne. Ces dalles de corail étaient dressées autour des
sépultures des gens de haut rang ; abritaient un esprit tutélaire et/ou une divinité.
69
Œullvtin
W
de la
Société des études Océaniennes
datée du 19 août 1842
-
soit six ans après l’arrivée
missionnaire relate cet événement
de Pierre Chanel - le
:
au milieu d’une place publique se trouvait encore plantée une pierre
sacrée, dans laquelle les habitants du pays supposaient que la divinité
résidait spécialement ; elle a été abattue et brisée par la main de ses
«
(Abal, 2003 : 382).
la phraséologie apostolique surtout
présente dans la fin de la citation, très teintée d’idées rédemptrices ; ce
qui est digne d’intérêt, c’est de constater que ce que Servan qualifie de
dernier reste de l’idolâtrie de Futuna », fut aboli d’une manière assez
radicale, sans protestation apparente, ou avouée, et qu’elle marqua l’entrée de ce peuple dans une nouvelle période, sans préjuger de l’état d’esprit de certains, dont les croyances indigènes ont pu persister. Dès lors,
le malae, « désacralisé », ne devait plus être destiné qu’aux rites coutumiers, au sortir de la messe, notamment symbolisées par la cérémonie du
kava mais est-elle « désacrafisable23 »? et ce lieu où jadis on adorait
et invoquait les divinités, allait être choisi pour être celui à côté duquel les
églises allaient être édifiées. Abordant la fonction des marne de Polynésie,
Éric Conte confirme bien la pérennité de ce lieu sacré recevant l’édifice
de la nouvelle religion, l’inscrivant ainsi « dans une certaine continuité
avec les divinités ancestrales » (Conte, 2006 : 35).
anciens adorateurs
Nous
ne
»
reviendrons pas sur
«
-
-
Les cérémonies rituelles
L’ensemble des
systèmes rituels constitue le culte ; Durkheim en
distingue trois : le culte négatif qui impose les interdits, le culte positif
regroupant les rites d’initiation, et enfin le culte piaculaire, qui sont des
cérémonies où les individus font face à un malheur. Il est bien évident que
l’ensemble de ces types cultuels fut présent à Futuna. Nous n’aborderons
23
II faut bien sûr nuancer
l'emploi de ce terme ; si nous reprenons la dichotomie classique profane/sacré,
lieu n'a pas été vraiment désacralisé (pas plus qu'inculturé) même s'il n'est plus
l'espace de la vie religieuse première. Dès lors qu'il reçoit toujours une cérémonie ancestrale, celle du
kava attachée intimement aux anciennes croyances - sa désacralisation n'est pas effective. Le malae ne
redevient en fait un lieu profane dès lors qu'aucune cérémonie, quelle qu'elle soit, s'y tient. La cérémonie
du kava, même à l'ère chrétienne, consacre le malae.
il faut suggérer que ce
-
70
N°318
pas
•
Janvier - Avril 2010
dans les lignes qui suivent le culte positif car peu de témoignages nous
permettent d’aborder les rites qui en relèvent - consistant surtout au
passage à l’âge adulte, dont la circoncision et les tatouages sont les événements
majeurs.
Les cultes
négatifs
général, les toematua, comme dans la plupart des sociétés primitives, savaient tirer parti de la crédulité de la population, de leur crainte
des dieux24, et profitaient largement des oblations destinées à calmer leur
colère. Ces prêtres avaient aussi la charge, lourde et complexe, de faire
respecter l’une des règles qui régit toute société traditionnelle : les tabous.
Ces interdictions relevant du culte négatif, et qui varient en fonction du
type de société, affectent les personnes, les objets et les lieux ; véritable
règle de conduite des individus, la transgression des interdits pouvait
amener la maladie, un accident tragique ou la mort. Il est bien évident
que
le tabou s’impose à toute société qui s’efforce de se structurer et de se
caractériser, ainsi chacune d’entre elle peut en proposer un récit étiologique ; voici celui des Futuniens, rapporté par Servan :
En
«[...]
jour, tous les dieux préparèrent un festin, faisant cuire toutes
lorsque ces aliments furent
cuits, les dieux se réunirent autour du four et se précipitèrent pour en
manger beaucoup, au moins pour en manger de chaque espèce. Ceux
qui ne furent pas assez diligents pour prendre de chaque espèce d’alisortes
un
de vivres et d’animaux comestibles ;
forent soumis à la loi du tapu »
(Servan, 1996 : 63).
règle des interdits est commune à de nombreuses sociétés, nous
pouvons néanmoins en relever qui peuvent être spécifiques à Wallis et
Futuna, ainsi qu’à Samoa et Tonga. Le père Bataillon rappelle qu’à Wallis
les tapus permanents et communs à toute l’île sont de toucher ce qui
est l’usage du roi et des chefs, d’entrer dans les maisons où se fabrique
la tape [le tapa], et, pour les femmes et les enfants, de manger avec leurs
époux et leurs pères » (Abal, 2003 : 19)ment
Si la
«
24
L'un des moyens pour fléchir la colère divine consistait, par exemple, à amputer plusieurs phalanges de
l'auriculaire et à l'enterrer au pied du poteau sacré, ou à mettre en scène un simulacre de sacrifice humain.
71
IQr
Ç&ulletùi de Ut Société des études (Océaniennes
des interdits puise sa source dans les croyances ancestrales ;
eux s’expliquent par le caractère sacré attribué à tel être
ou à tel objet, ainsi en est-il des personnes du roi et des chefs, incarnant
une divinité. Le missionnaire continue cette description en abordant un
point qui retient toute notre attention, puisqu’il ne fait que corroborer
nos propos à la lumière des études de Durkheim : l’interdit qui peut
frapper des espèces animales ayant pu être le totem de clans. Ainsi,
quelques poissons et la plupart des oiseaux sont sacrés pour l’île
entière. » (Ibidem) ; l’origine totémique de ces animaux ne fait aucun
doute, telle espèce de poisson ou d’oiseau est soumise à la loi du tabou,
seul le chef du clan concerné peut en lever l’interdit, et permettre ainsi
sa consommation25. Dans ce cas précis, consommer de l’animal totémique astreignait le clan au respect de rites destinés à prévenir, à
demander à l’ancêtre la permission de manger l’animal dans lequel son
âme s’était réfugiée. Enfin, des cas extrêmes de transgressions devenues
mortelles ont été rapportés hant ainsi totémisme et mort ; Marcel Mauss,
s’appuyant sur les travaux de Mariner-Martin et Turner, souligne que le
totémisme a laissé des traces comme moyen de figurer certaines causes
de mort : « En particulier à Tonga, Mariner raconte comment un homme
qui avait mangé de la tortue interdite en eut le foie grossi et en mourut.
Mais c’est surtout aux Samoa que les tabous (totémiques) violés se
vengent. L’animal absorbé parle, agit à l’intérieur, détruit l’homme, le
mange, et il meurt » (Mauss, 1950 : 324).
La règle
certains d’entre
«
L’exemple du poteau sacré
Louis-Catherin Servan évoque un interdit qui semblait provoquer la plus grande crainte des Futuniens, et suscitait aussi le plus grand
respect : il concernait le poteau sacré de la maison du roi, ou des aliki.
Nous voudrions consacrer à cet élément les hgnes qu’il mérite, tant il est
source de réflexions et d’interrogations.
Le père
25
Durkheim rappelle à ce propos le lien fusionnel qui lie l'individu d'un clan et son totem ; un homme du
clan d'un animal ou un végétal donné, se croit, se sent être cet animal ou végétal, c'est par cette qualité
qu'il se définit, et pour la garder, il fait de temps en temps passer dans sa propre substance un peu de l'espèce totémique.
72
N°318
Le
•
Janvier - Avril 2010
père Marie-Nizier décrit très bien l’existence de ce poteau et son
caractère sacré
:
«
Nos affaires furent
«
heu sacré
déposées chez le roi, près de ce qu’il appelait le
compris entre deux poteaux [...]. Ce heu
sacré était si respecté par les indigènes n’appartenant pas à la famille
royale, qu’il n’y auraient pas passé pour tout l’or du monde : c’est qu’ils
auraient été alors soumis au courroux de leur prétendu grand et redoutable Fakavelikele ! Lequel leur aurait infligé une terrible maladie ou
même la mort ! Ces poteaux étaient faits d’énormes troncs d’arbres ; le
plus gros, qui mesurait plus d’un mètre soixante de circonférence, était
le poteau divin ; rien dans l’île ne présentait un caractère plus saint. L’effleurer du bout des doigts, c’était encourir la vengeance divine la plus
terrible ! Mais nous, nous n’étions pas au courant de ces interdits
absurdes et diaboliques. Aussi le père Chanel décida-t-il de fixer là, à
ce poteau énorme, son autel portatif. A
grands coups de marteau nous
y enfonçâmes de gros clous pour y suspendre le crucifix, le bénitier,
etc... Et dire qu’il était interdit de le toucher même du bout du doigt !
Le roi étouffait de surprise et d’indignation mais n’intervint pas »
(Manuaud, 1983).
», un
espace
Ce
témoignage doit bien sûr être replacé dans le contexte d’un
catholique face à une croyance païenne : les nombreux
modalisateurs (utilisation du conditionnel) et les termes péjoratifs qualifiant et la divinité, et son culte (« prétendu, absurdes et diaboüques »)
sont largement présents dans les propos du missionnaire afin de discréditer et dévaloriser une pratique jugée barbare. Néanmoins, nous pourrions être surpris, étonnés même, de constater que l’immense blasphème,
ou plutôt la transgression du tabou, n’ait
pas été réprimée plus durement :
Servan parle de la surprise et de l’indignation du roi ; s’agit-il d’un euphémisme ? Un tel sacrilège aurait dû être sanctionné de manière plus expéditive. Servan le suggère plus loin ; le roi Niuliki était sur la voie,
semble-t-il, d’une forme de transfert de sa crainte non plus envers Fakaveükele, mais envers Chanel.
En tout état de cause, il semble que le polythéisme commençait à
évoluer vers un hénothéisme, puisque Fakavelikele dominait, il allait
devenir la figure emblématique pour tous les Futuniens, hénothéisme dont
missionnaire
73
bulletin de la Société des études Océaniennes
qu’il « prépare » souvent à une forme de monothéisme, qui n’exentièrement la présence concomitante, et souvent discrète, d’animismes qui portent bien souvent le nom de superstitions.
Ce qui est également remarquable dans les propos de Servan, c’est l’acte,
sacrilège certes, qui consiste à utiliser le poteau sacré (pou tapu) afin de
rendre un culte à une religion niant celle en partie représentée par ce poteau.
Fut-il un geste « fondateur », en quelque sorte ? Symbolique sûrement. N’oubbons pas le caractère théocratique du gouvernement des Futuniens de cette
époque : renverser les divinités équivalait à renverser le souverain, d’abord
incarné par la divinité : ainsi l’ignorance du tabou affirmée par Marie-Nizier,
laisse dubitative. Toujours est-il que de nos jours encore, dans les fale, le
poteau principal (pou matagî) continue de recevoir les autels, statuettes de
la vierge ou autres icônes chrétiennes. Ce poteau continue bien, finalement,
à assurer sa fonction originelle et sacrée ; il a donc subi l’opération d’un
glissement cultuel : ce poteau, tabernacle d’une religion polythéiste, allait
recevoir les mêmes fonctions accordées à une religion monothéiste. Nous
pourrions suggérer que le signifié du poteau reste le même, seul son signifiant a subi un changement matérialisé par le passage d’une croyance à une
autre, mais cette nouvelle croyance, marquée par la conversion au catholicisme, n’a pas complètement annihilé l’un des « piliers » de la première.
Poteau acculturé ? Ainsi, s’adressant au pou matagi dont le caractère tapu
doit être maintenant nuancé, les Futuniens se tournent toujours vers le même
point qui porte leur nouvelle religion, point qui porte au plus profond de
lui-même des siècles de croyances ancestrales.
on
sait
dut pas
Les cultes
piaculaires
Ces rites consistent
en
des cérémonies où le clan doit affronter
une
rappeler une et la déplorer ; il s’agit donc le plus souvent
», contrairement au culte positif qui n’exclut pas la gaieté.
Ces rites piaculaires se déroulent dans l’inquiétude et la tristesse ; deux
d’entre eux peuvent être approchés ici puisque certains témoignages nous
sont parvenus : il s’agit du rite agraire et du deuil.
Le rite agraire consistait notamment en l’invocation des divinités pour
que tombe la pluie, accompagnée d’oblations, dont le kava représentait
calamité,
de
74
«
ou en
fêtes tristes
N°318
•
Janvier - Avril 2010
l’offrande majeure ; les fouilles archéologiques ont bien démontré que de
sévères périodes de sécheresse ont touché Futuna, ayant pu amener ainsi
les gens à la pratique du cannibalisme (même si ce ben entre cannibalisme et catastrophes naturelles n’est pas établi tout à fait) ou à des exils.
lettre
date de mai
1840, Pierre Chanel relate les faits :
grande cérémonie païenne a eu lieu aujourd’hui pour que cesse
la sécheresse. La foule s’est avancée en procession vers le sommet
d’une montagne pour offrir là-haut, au dieu de la pluie, bananes, taros,
poissons, etc. tous les participants ont passé la nuit à la belle étoile,
persuadés que leurs vœux seraient exaucés la nuit suivante » (Abal,
2003:378-379).
Dans
une
«
en
Une
renvoie bien aux caractéristiques des rites
piaculaires définis plus haut : il fait référence à l’offrande des prémices
Un autre témoignage nous
destinées à recevoir le bien-être
«
:
premiers fruits à pain ou ignames sont réservés au dieu. La foule
retire après les prières consacrées par Falima qui demande au dieu
Les
se
que
le vent se calme,
que
le soleil se fasse plus favorable aux récoltes,
que les fruits et l’eau soient prodigués en abondance, que la mer se
révèle être plus poissonneuse et, qu’enfin, s’apaise cette grande colère
abattue sur les hommes » (Abal, 2003 : 179)
Quant au deuil, certaines pratiques qui l’accompagnent, ont pu être
observées bien après l’évangélisation, d’autres ont subsisté jusqu’à
aujourd’hui. Le deuil relève principalement du culte piaculaire, mais il ne
faut pas perdre de vue qu’il ressortit également au culte négatif, dans la
mesure où il impose une série d’interdits. Ce que nous voudrions évoquer
s’agissant de Futuna, est une pratique commune aux anciennes sociétés
divine qui s’est
•
austraüennes : l’automutilation.
Dans la
plupart des sociétés insulaires du Pacifique, il y a ceux qui
de la pluie et du soleil au bénéfice de tous, qu’ils
peuvent aussi bien manipuler au détriment de tous. En Polynésie Occidentale, l’idée dominante est que le chef suprême doit être tenu responsable de la fertilité. C’est ce qui légitime son pouvoir. Durkheim s’appuie
sur le célèbre ouvrage ethnographique de Spencer et Gillen (Northern
Tribes ofCentralAustralia) dans lequel les deux auteurs rapportent leur
témoignage de scènes d’automutilation pendant la durée d’un deuil. En
détiennent les magies
75
Œ/dletin de- la Société de# études- Océan
général, à la mort d’un proche, les femmes se coupent les cheveux pratique qui s’observe encore à Futuna - et se livrent sans retenue à des
actes d’une violence telle que certains individus en meurent. En effet, ce
rite consiste surtout pour ces tribus australiennes, à se lacérer la tête, à
se faire de terribles blessures sur le visage, et même à exprimer cette
violence envers d’autres membres du clan. De telles pratiques ont été
observées à Futuna par les missionnaires, ainsi le père Servan rapporte
que les femmes de la parenté du défunt, déchirées par la douleur, se
faisaient de larges et profondes incisions avec les ongles ou des coquillages (Servan, 1996 : 57-60). Le père Chanel quant à lui, parle même de
pugilats éclatant lors de repas funèbres. George Turner, dans son ethnographie de Samoa, bit témoin de scènes identiques :
These and other dolefid cries [...] were accompanied by the most
frantic expressions ofgrief such as rending garments, tearing the
hair, thumping thefaces and eyes, burning the body with smallpiercingfirebrands, beating the head with stones till the blood ran, and
this they called an “offering ofblood ”for the dead »
(Turner, 1883: XII).
«
Quelles expbeations peut-on donner à de tels rites qui semblent
sociétés premières ? Durkheim propose que, d’une part
qu’ils renforcent la cohésion sociale : pleurer et souffrir ensemble, c’est
rappeler les hens qui unissent chaque membre du clan non seulement
avec le défunt, mais entre eux, c’est communier dans la douleur ; d’autre
part, il faut assimiler ces mutilations sanglantes à une offrande que les
vivants adressent au disparu : « Les effusions de sang qui se pratiquent si
largement pendant le deuil sont de véritables sacrifices offerts au mort »
(Durkheim, 1912 :670-671). Cet acte propitiatoire est indispensable afin
d’attirer les faveurs de l’âme du défunt, de peur qu’elle ne vienne troubler
communs aux
les vivants.
N’oublions pas en outre le sens qu’il faut attribuer au mot « sacrifice » ;
selon Hubert et Mauss, les rites sacrificiels, hormis les oblations végétales,
sont souvent
bés au don d’une victime qui doit verser son sang au pied d’un
autel, en hommage à une divinité sollicitée ; le sacrifice implique un don qui
doit subir une destruction. Enfin, ne perdons pas de vue que ces rites doivent
76
N°318
•
Janvier - Avril 2010
être
replacés dans le contexte de la dichotomie profane/sacré : le défunt
nature, le sang versé l’est aussi, la cérémonie du deuil est une
cérémonie sacrée, en un heu et en un temps sacré.
est sacré par
L’au-delà
Évoquer la vie dans l’au-delà,
c’est bien évidemment aborder la
notion
d’âme, qu’il ne faudra pas confondre avec celle d’esprit. En effet,
l’esprit semble bénéficier d’une plus grande « liberté », il peut se mouvoir,
contrairement à l’âme prisonnière du corps - quoi qu’il faille nuancer
cette dernière remarque : après la mort l’âme peut un temps
présenter
une caractéristique commune avec
l’esprit, tant qu’elle n’a pas effectué sa
transmigration dans un autre corps. Comment ce phénomène était-il
perçu par les Futuniens ? Il faut d’abord rappeler que l’âme était dans les
sociétés archaïques, représentée sous une forme animale, après la mort
du corps, cette forme animale se manifeste, redevient elle-même, puisque
jusqu’alors, elle était comme voilée par la forme même du corps humain
avant la mort. Chez les Indiens d’Amérique par exemple, après le décès,
l’âme redevient l’animal emblématique du clan du défunt, elle passe pour
se réincarner dans un corps d’animal confirmant
par là la nature
première de l’âme, son animalité. Ce même processus se manifestait aussi
à Futuna. Deux possibilités s’offraient au Futunien qui venait de décéder :
la vie heureuse et éternelle dans le ciel (lagi), ou la maison des morts
(falemate) où l’attend la souffrance. Nous voudrions ici relever une affirmation de Jean Guiart qui nous met face à une possible confusion au sujet
de l’emploi d’un fieu, le Bulotu26 : « De Samoa aux Fiji et aux Wallis, les
morts semblent vivre à la fois dans un des nombreux deux (langi) que
se partagent les dieux, et à Bulotu, île
que l’on place toujours à l’ouest
dans la direction d’où sont venus les ancêtres des habitants de
pels
26
»
ces
archi-
(Guiart, 1962 : 25).
Cette dichotomie
Lagi/ Pulolu ne recouvre pas notre propre dichotomie judéo-chrétienne « paradis /
D'ailleurs, E.G. Burrows (1936:104) évoque une sérieuse interférence avec les concepts de la religion chrétienne...Il semblerait plutôt que ce soient le rang, voire le statut et/ou la fonction qui commande
en première instance la localisation
(Lagi/ fa/e mate) et la conformité sociale les conditions d'existence.
enfer ».
77
^ bulletin de la Société des études ôcéartie/ines
S
Il faut convenir que le tenue
Bulotu, présenté ici comme une île origi-
nelle, mythique, peut-être la première d’où seraient partis ceux qui colonisèrent la Polynésie, peut être confondu du fait de la paronymie, avec le
terme Pulotu désignant dans la tradition orale de Futuna et de Samoa, le
domaine souterrain des dieux. Si la tradition place le Pulotu sous le
sol de
(à Upolu pour Samoa), c’est qu’il renferme les personnages et les
les figures fondatrices de cette île ; ceci rejoignant en
partie la caractéristique de l’île de Bulotu. Même si ces deux termes ont pu
être confondus, il n’en existe qu’un le « P/Bulotu », lieu mythique des
ancêtres (le phonème [b] n’existe pas dans la langue futunienne).
L’accès au lagi, pour l’âme qui aura d’abord retrouvé son corps
après une métempsycose, n’était autorisé que si l’individu, homme ou
femme, avait été marié, et avait versé son sang sur le champ de bataille
durant sa vie terrestre. Pour ceux-là seulement, le lagi s’ouvrait à eux, et
Futuna
divinités qui sont
offrait tous les bienfaits et
sait toute la nourriture
plaisirs possibles ; le pukatala27 leur fournis-
désirée.
Après une mort violente, les proches du défunt devaient revenir sur les
lieux du décès, afin de retrouver l’âme qui était égarée et qui devait errer.
À cet endroit était étendu un pamnaki (une écorce) : il fallait attendre
qu’un animal dans lequel l’âme s’était réfugiée, y passât pour l’enfermer
dans cette étoffe végétale et l’enterrer près du corps ; nous retrouvons donc
à Futuna ce lien étroit qui unit dans les anciennes sociétés, l’âme au règne
similaire à Samoa :
«[...] they thought it waspossible to obtain the soul ofthe departed
in some tangible transmigratedform. On the beach, near where a
person had been drowned, and whose body was supposed to have
become a porpoise, or on the battlefield, where anotherfelt, might
have been seen, sitting in silence, a group offive or six, and one a
few yards before them with a sheet ofnative cloth spread out on the
ground in front ofhim. Addressing some god of thefamily he said,
"Oh, be kind to us; let us obtain without difficulty the spirit ofthe
animal. Turner note
11
un
aux plus braves guerriers, le pukatala est un arbre dont les feuilles cuites au four, se translac, la va/o/a; s'y baigner rendait la jeunesse et la santé - ce paradis voluptueux porte le
Surtout réservé
formaient en
nom
78
un
processus
de Rohutu-noanoa à Tahiti.
N°318
-
Janvier-Avril2010
man!” The first thing that happened to light upon the sheet
supposed to be the spirit. [...]. By-and-by something came;
grasshopper, butterfly, ant, or whatever else it might be, it was carefully wrapped up, taken to thefamily, thefriends assembled, and the
bundle buried with all due ceremony, as if it con tained the real
spirit ofthe departed » (Turner, 1883 : XLI).
Si nous évoquons ici la notion de métempsycose, Durkheim souligne
young
was
phénomène s’observe surtout dans des sociétés où le totémisme
à régresser.
Le falemate, quant à lui, recevait ceux qui n’avaient pas péri courageusement lors des guerres, qui étaient morts de maladie, ainsi que les
célibataires. Les morts devaient d’abord passer entre les « mains » de
dieux (: 24 cm.
[Collection John Rewald). — Un ours figuré de profil, une couronne impériale posée sur la tète et portant
la croupe un petit singe assis, est posté devant une grande ruche do paille entourée d'abeilles et portant
Miel de Tahiti ». Ii s’agit du Gouverneur Gallet, « l'Empereur » ; le singe, le petit page, étant sans doute
le secrétaire général Rey.
sur
«
N°318
•
Janvier - Avril 2010
les gouverneurs, l’homme à abattre est le maire de Papeete
Cardella. L’un de ses 4 élus municipaux avec le premier adjoint LangoEt pour
Coulon, tous du parti catholique, Coulon le propriétaire du
journal Les guêpes dans lequel écrit Gauguin qui représentait le gouvermazino et M.
neur sous
plus en 1898 Cardella osait réclamer
qu’il était président du conseil général. Le
Gallet avait alors déjà proposé la suppression de ce conseil
la forme d’un cochon. De
l’autonomie interne alors
gouverneur
général.
Cardella, président en 1895, est réélu en 1899 malgré le gouverneur
qui soutient le « parti » protestant dirigé par Victor Raoult, un catholique
et aussi le premier importateur de produits français ; Raoult compte sur
Chassagnol plus quelques élus tahitiens dont Tati Salmon.
au conseil général sont d’ailleurs contestées par les
deux camps ; il faut dire qu’en 1899 Coulon est élu à Atuona avec dans
l’ume 221 bulletins pour 169 votants... Par contre les deux camps sont
toujours d’accord pour s’opposer aux impôts et aux taxes et pour
Brault et
Ces élections
réclamer la diminution des salaires et des frais des fonctionnaires métro-
politains. Le gouverneur va donc révoquer le maire Cardella en 1902 puis
imposer une élection partielle pour être sûr d’avoir le quorum et obliger
Langomazino de passer de maire par intérim à maire élu par le conseil
municipal. Cardella pouvait toujours compter sur Coulon et Langomazino
même si
1903 qui
Il
ce
dernier
a
semble-t-il été écarté lors des élections d’octobre
sa légimité à Cardella.
donc falloir ajouter un portrait dans
donnent toute
la salle du conseil municipal de Papeete, tout en sachant que Langomazino n’est que l’homme de
paille de Cardella qui était resté conseiller municipal. Comment pourrat-on respecter la chronologie des maires accrochés au mur avec « ce
dernier maire » ? Cet épisode de la commune de Papeete montre aussi
clairement que le pouvoir colonial par l’intermédiaire de ses gouverneurs
a eu beaucoup de mal à accepter un petit contre-pouvoir élu, préférant
va
les chefs de service dociles
comme
le directeur de l’intérieur dessiné par
Gauguin sous la forme d’un singe installé sur le dos du cochon.
Yves babin
89
Un don
qui ravive
la mémoire filiale
janvier 2010, Mesdames Annick Walker et Maud Ahnne, petite
petite-fille, du pasteur Edouard Ahnne qui assura par deux
fois la présidence de la SEO, sont venues offrir à notre société : une photo
de leur aïeul prise en 1933, trois lettres manuscrites à Papeete, adresCe 19
fille et arrière
sées à
fils Paul et
fascicule de 59 pages
de Récits missionnaires
illustrés, (1931) intitulé : « Dans les îles du Pacifique » précédé d’un
avant-propos emprunté au rapport de M. Allégret.
son
un
Les lettres écrites à
Papeete
La lettre du 4
janvier 1931
qu’il vient de recevoir les lettres de novembre et
décembre... ainsi qu’un livre écrit par le gouverneur Petit ou son épouse
sous le pseudonyme d’Aylic Marin. Il y est question de livres à acquérir
pour les revendre ou les collectionner ainsi que de « mon bulletin de la
SEO du 4è trimestre 1930 dont la parution a pris du retard par la faute
de l’imprimeur. » Il y raconte aussi un voyage d’une journée le 25
•
E. Ahnne
annonce
décembre à Tetiaroa dans des conditions mouvementées
sur
le cotre
d’Emory. Au retour, le temps fut si mauvais qu’à Paea « le vent renversa
abattit 4 ou 5 cocotiers et faucha tous les bananiers. » Il
parle de Majoric qui remplit les fonctions de substitut du procureur et de
Pailloux qui trouva une place d’instituteur aux Iles Sous-le-Vent...
notre garage,
N°318
•
La lettre du 10
«Janvier-Avril2010
juillet 1938
Il y est question du « fameux timbre 3fr de l’Exposition »,
fameuse statue en bois qu’on attribuait à Gauguin » qu’il certifie
de « la
être un
faux ; de l’apparition d’une « véritable industrie... mais j’ai souvent de la
peine à m’y retrouver, surtout quand on les a enterrés (les objets)
quelques mois ou placés dans le lit d’une rivière dont les cailloux polissent les angles et leur donnent une apparence de vétusté. » Il déplore
qu’on ait « supprimé les sœurs » à l’hôpital et se réjouit du dévouement
des infirmiers de Orofara. Il parle de Monsieur de Chapdelaine connu
comme délégué et devenu ministre de la marine.
•
La lettre du 10 février
Où est
1939
Morillot et Gauguin.
dont il a suivi le parcours
et reconnaît un talent supérieur à Gauguin « forçat du travail » dont le
talent « s’est mûri et développé par la douleur et la misère. »
évoqué le désir d’écrire de Paul
E. Ahnne donne
son
avis
sur ces
sur
deux peintres
Récits missionnaires illustrés N° 30 intitulé
:
Dans les îles du
Pacifique » par Ed. Ahnne
photographie « Pêcheur au harpon à Tahiti »
où quatre personnes dont trois sont sur une pirogue à moitié échouée
sur le rivage. L’homme vêtu d’un short, débout, brandit une longue perche
avec laquelle il vise un poisson en tournant le dos à trois femmes vêtues
de robes ne laissant visibles que la tête et les mains. Deux dont l’une tient
une rame, sont assises dans la pirogue et regardent le photographe.
L’autre, debout près de la pirogue sous l’ombre des arbres est de dos.
L’avant-propos (M. Allégret)
Résume en 11 pages l’histoire des îles telles qu’il l’a comprise au
prisme de ses convictions rehgieuses.
Dans les îles du Pacifique (E. Ahnne)
En 42 pages, nous sont présentées la géographie des îles, les habitants, avant et après la conversion, observés et compris avec le prisme de
la pensée européenne du début du XXème siècle.
«
Avec
en
couverture une
•
•
91
It*»'
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Récits
Missjpnljaires illustrés: N" 30
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DAHSJ.ES ILES
I If-1
f
Par
Ed.
*Pêcheur
au
DD PACIFIQUE
AHNNE
harpon à Tahiti
PARIS
SOCIÉTÉ DES MISSIONS EVANGELIQUES
102, boulevard Arago (XIV’)
1931
Prix
:
3 francs.
N°318 «Janvier-Avril 2010
Remercions
ces
descendantes de monsieur Edouard Alinne pour ces
précieux documents qui, en nous éclairant sur les pensées animant les
Européens du début du XXème siècle nous permettent de décoder bien des
discours et comportement du présent.
Simone Grand
Edouard Ahnne, seul Compagnon de la
des Etablissements Français d’Océanie
Libération
en 1867 à Voujeaucourt dans le
Doubs, Edouard Ahnne est mort
le 7 avril 1945 à Papeete, un mois avant l’armistice qui mettait fin au
conflit mondial.
Né
Arrivé à Tahiti
1892 pour assurer la direction de l’Ecole libre
les fonctions de président de la Société des Etudes
Océaniennes, président de la Caisse Agricole, et membre du Conseil des
Etablissements Français d’Océanie.
Protestante, il
en
assura
Edouard Ahnne fut l’initiateur du ralliement
au
Général de Gaulle
des Territoires
français de l’Océanie (parmi les premiers Outre-Mer) le
septembre 1940 soit deux mois et demi à peine après l’appel du 18
juin. Le Général ne Toubliera pas. Le 28 mai 1943 il est fait Compagnon
de la Libération, ordre prestigieux créé le 17 novembre 1940
qui n’a
compté que 1038 membres dont il reste aujourd’hui 44 en vie.
2
Constant Guéhennec
93
Extrait du site de
tahitipresse.pf du 30 novembre 2009
tahitipresse.pf
Le buste de Pierre Loti
victime
d’un incivisme
Le 30 novembre 2009 à 15:54 / Source :
chronique
tahitipresse / Un commentaire
N°318
•
Janvier - Avril 2010
Le buste de Pierre Loti
jeté récemment dans la rivière Fautaua n’est
le premier évènement portant atteinte à l’intégrité de ce monument.
Administrateur de la SEO, Constant Guehennec avait déjà écrit un courrier, publié en 2007 dans le Bulletin de l’association internationale des
amis de Pierre Loti (AIAPL), dans lequel il déplorait des gestes répétés de
dégradation de l’oeuvre et du site.
pas
Il y a encore quarante ans, racontait Constant Guehennec, “la frondaison était abondante, exubérante même“. Hélas, “par défaut d’en-
tretien, par incivisme surtout, te site est devenu quelconque“. Pour ne
pas arranger les choses, le socle est régulièrement souillé de graffitis.
“Bouteilles de soda
tour“, faisait
d’années
-
ou
de bière et papiers gras jonchent
encore remarquer
le sol alen-
cet érudit, auteur
d’un “Ciel de Tahiti et des
mers
du
- il y a une vingtaine
Sud”, en collaboration
Maurice
Graindorge.
Aujourd’hui, situé juste à côté de lotissements sociaux, le heu sert
toujours à la baignade des enfants du quartier. Mais il est aussi, le weekend, le siège d’agapes nocturnes arrosées de bière et la guitare a été
remplacée par les “boum boum” de sonos bruyantes qui dérangent le
avec
voisinage.
95
Constant Guehennec
accepté de prêter à Tahitipresse l’une des photos
envoyées à l’AIAPL. L’occasion de revoir le buste disparu de son socle et
jeté récemment dans la rivière Fautaua - heureusement récupéré par la
municipalité. L’occasion, également, de signaler le numéro triple (285-6-7)
du Bulletin d’avril-septembre 2000 de la Société des Etudes océaniennes
(BSEO), entièrement consacré à l’auteur du “Mariage de Loti”.
a
CJ
Un commentaire pour
victime d’un incivisme
1.
panda a écrit
:
30 novembre 2009 a
Ah la la ils
“Le buste de Pierre Loti
chronique”
23:16
font tout un
fafaru
pour cette vieille statue rouillée
qui sert à rien ! Il n’y a bien que les popa’a pour s’offusquer ainsi pour si
peu. Mettez donc un buste de Henri Hiro poète artiste et philosophe tahitien et peut être qu’on le prendra moins pour un urinoir ou un buste à
grafîtis. loi
96
en
«
»
Quand, à Tahiti,
Loti rime
Le
avec
oubli !
jeune chirurgien de marine Gustave Viaud, désigné
pour
les
Etablissements Français de l’Océanie débarque à « l’île délicieuse » le
9 juin 1859 et sa vie bascule alors dans un bien-être total. Outre le
travail médical et social pour lequel il a été nommé et dont il s’acquitte
zèle, il s’engouffre dans une vie de rêveur romantique, fréquentant
de la reine Pômare IV sous le pseudonyme de « Roueri », il
adopte la vie tahitienne en compagnie d’une vahiné « Tarahu » avec
laquelle il demeure jusqu’à son départ en juin 1862. S’il ne donne guère
de ses nouvelles durant les premiers mois de son installation il se
rattrape ensuite en inondant son petit frère Julien et sa sœur Marie de
récits descriptifs, de dessins et de photographies dont il est devenu
avec
la
cour
spéciabste.
Julien est lui aussi entré à l’école navale en 1867. Il rêvait de
rejoindre son frère chéri à Tahiti mais celui-ci, malade, était mort lors
de son voyage de rapatriement sur VAlphé, à la sortie du détroit de
Malacca, le 10 mars 1865. En 1871, Juhen embarque sur la frégate à
hélice la Flore qui arrive à Tahiti le 29 janvier 1872 après escales à l’île
de Pâques et aux îles Marquises. Le jeune aspirant de majorité (auprès
de l’amiral Lapelin) est encore plus doué que son frère pour le dessin
et on lui doit de nombreux croquis exécutés dans tous les pays visités,
particulièrement à l’île de Pâques, et qu’il espère d’ailleurs rentabiliser
plus tard en les collant aux nombreux écrits dont il rempli ses cahiers.
N°318
•
Janvier - Avril 2010
débarquement à Papeete, Julien part sur les traces de son frère,
sans doute découvrir une descendance de celui-ci mais il ne
trouve pas d’enfant et la belle Tarahu a, depuis longtemps, changé de tane
(homme). Comme son frère, il se met à fréquenter la société coloniale et
l’aristocratie polynésienne par le biais de la famille royale laquelle lui
donne le surnom de « Rôti » (nom d’une jolie fleur parfumée) qu’il transforme en « Loti ». Grand observateur, il fait aussi de longues et agréablés promenades durant lesquelles il recueille impressions, photographies
et dessins. Il aime particulièrement la vallée de la Fautaua au fond de
laquelle coule une rivière issue de splendides cascades et c’est toujours
au même endroit qu’avec son entourage il va fréquemment observer les
baigneuses si ce n’est se baigner lui-même.
Après Tahiti, où il n’a séjourné que quelques semaines et où il ne
reviendra jamais, Julien poursuit sa carrière de marin mais contmue aussi
à écrire sous le pseudonyme de Pierre Loti et se met conjointement à
exploiter un journal intime bien rempli. Il semble que son idylle polynésienne racontée sous le titre Rarahu idylle polynésienne se soit surtout
inspirée de celle qu’avait vécue son grand frère plutôt que de son expérience personnelle et Rarahu se confond fort bien avec Tarahu. Ses
romans obtiennent en France un succès grandissant jusqu’à son admission à l’Académie Française en 1891. A Tahiti, seuls quelques intellectuels sont au courant et se montrent fiers de cet écrivain qui a si bien
Dès
son
espérant
chanté le pays.
C’est le célèbre abbé Rougier
(dont les revues philatéliques ont déjà
longuement parlé *) qui est en 1929 président de la Société des Etudes
Océaniennes et qui émet le premier l’idée d’élever une statue à la gloire
de Loti après la mort de celui-ci en juin 1923, mais le budget prévisionnel
pour une telle réalisation est plutôt élevé (70 000 francs de l’époque) et
le conseil d’administration de la société échafaude des tas de projets pour
récupérer cet argent. Le sculpteur Philippe Besnard est contacté et se
d’accord pour effectuer le travail en métropole mais le projet définitif n’est adopté qu’en 1932 (alors que l’abbé vient de mourir) et un
comité Pierre Loti » est enfin formé. André Ropiteau, homme aux multipies relations, est nommé président de ce comité, et se rend en France
montre
«
99
OTAC
OFFICE TERRITORIAL D’ACTION CULTURELLE
PRÉSENTE
DANS LES JARDINS DE L’ASSEMBLÉE TERRITORIALE
SPECTACLE BILINGUE
Théâtre, chants et danse
Adaptation libre: Alain DEVIÈGRE - Mylène RAVEINO
Chants
et
chorégraphie: Coco HOTAHOTA
Représentations
LE
jjjj^gfrioitolis et samedis 19-20 -26 - 27 ALAi à 20 h
de
et les dimanches 21 et 28 mai à 18h30
LOTI
POLYNESIE FRANÇAISE
■ts et réservations
:
42.88.50 poste 114
ICE DES POSTES
>-$►
'ELECOMM UNICATIONS
N°318
l’intention de tout mettre
•
Janvier - Avril 2010
pour rassembler les fonds nécesgrande réception est organisée dans l’atelier de Ph. Besnard
où se presse le Tout-Paris. Parallèlement la poste métropolitaine admet
l’idée d’émettre un timbre à la gloire de P. Loti, avec une surtaxe de 20
avec
en œuvre
saires. Une
centimes destinée à aider à l’érection du monument à Tahiti mais
ce
n’est
qu’en 1937 que la vignette voit le jour.
La maquette en plâtre du monument effectuée par Besnard se trouve
encore au bureau de la Société des Etudes Océaniennes à Papeete, agrémentée d’une bonne couche de poussière qui s’est avec le temps
incrustée dans le plâtre. Quant au monument lui-même, érigé en grande
pompe le 16 juillet 1934 dans le quartier de Tahiti dit « bain Loti », il est
de nos jours complètement oublié au fond de cette vallée de la Fautaua
tant vantée par le poète, et encore fréquentée lors des sorties de plein air
par quelques classes de primaire dans les années 1960/1970. Pour y
accéder de nos jours, il est nécessaire de traverser une zone industrielle
dont le romantisme laisse quelque peu à désirer, zone elle-même suivie
de logements sociaux en tous genres qui ne rafraîchissent guère le
paysage.
Dans
ce
contexte, il ne faut pas s’étonner si le timbre commémorant
le 50ème anniversaire de la mort de l’écrivain, émis en
Polynésie française
1973, ne rencontre pas beaucoup de succès auprès de la population
d’autant que sa valeur faciale (60F cfp) ne correspond pas à un tarif très
usité (lettre de 50 gr par avion pour la Métropole). Tiré à 75 000 exemplaires et avec 47 762 exemplaires détruits, il devient donc un timbre
intéressant » et parmi les plus cotés.
Lorsqu’en 1995 le petit groupe théâtral de Tahiti décide de monter
une pièce inspirée du roman Le Mariage de Loti, une exposition est également présentée au Musée Gauguin et l’office des postes accepte d’émettre
un timbre reproduisant une scène du spectacle donné en plein air. Il n’a
pas l’heur de plaire d’avantage que celui de 1973, bien que les artistes y
figurant soient issus du monde polynésien. Les philatélistes locaux ont
malgré tout cherché les supports les plus originaux possibles pour cette
vignette postale tirée à 325 000 exemplaires mais dont 224 381 furent
en
«
détruites
101
Œul/eJin
de la
Société îles &tude& Océaniennes
Comme si le désintérêt
suffisait pas, en cette fin 2009,
le buste de
jeté dans la rivière proche et heureusement repêché et déposé
à la Mairie à fins de réparations et nettoyage. Aujourd’hui, seul le
piédestal, copieusement tagué, rappelle que le site fut autrefois un haut
lieu de promenade.
Loti
a
ne
été
C. Beslu
Timbre de France 1 937 réalisé
par
(*)
en
taille douce
G. Barlangue
Pour l’abbé Rougier , se reporter à : Timbroscopie N°53 &
- Timbres Magazine d’octobre 2002...
Ref : Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes « spécial Loti
-
54 - Le monde des
Philatéliste N°535
Tahiti
102
»
N°285/286/287
-
Pierre Loti
déboulonné
A l’ouverture du Salon Lire
Polynésie, le 26 novembre 2009,
poudre l’information : « le buste de Pierre
Loti a été déboulonné... puis retrouvé dans la Fautaua ! ».
Signalé par quelques lignes dans Les Nouvelles, ce fait iconoclaste fut
circula telle
une
en
traînée de
commenté de diverses manières dans les stands des différents éditeurs
réunis autour du Paepae a Hiro au Fare Tauhiti Nui. « Vandalisme de
saoulards ! Acte de rébellion culturelle anti Popa’a ! Application de l’in-
jonction biblique : ‘Tu ne feras pas d’image taillée !’ Détérioration de
désœuvrés ignorants ! »... furent les motivations supposées.
Riccardo Pineri s’indigna dans un long article proclamant le statut de
tupuna à Pierre Loti dans des termes qui indignèrent Chantal Spitz réagissant vivement
à
son
tour.
La S.E.O1. étant à
l’origine de
ce
buste et d’un numéro spécial
consacré à cet auteur, il m’a semblé intéressant de poursuivre la réflexion
en sollicitant au hasard, des membres de notre Société sur ce
sujet pour
lequel je propose une réflexion en trois axes :
le contexte dans lequel l’acte s’insère,
la grille de lecture proposée par Régis Debray dans Le moment
fraternité,
-
-
-
1
le traitement de la mémoire tahitienne.
Cf. BSEO N°
285/286/287 Supplément au mariage de Loti (2000).
Œu/Jctin de la dociété des études- Océaniennes
Le contexte
Utilisons,
ce
qui figure à la
Une
«
»
de
nos
quotidiens des 27 et 28
novembre 2009.
Le vendredi 27 novembre
Les Nouvelles
Flosse interdit de gouvernement,
Foire d’empoigne
malgré un 3ème ministère pour les siziliens, le gouvernement GTS 3 se
négocie dans la douleur ; Croqué par Plantu : le Vieux lion à la Une du
Monde ; Braquage de Champion : trois suspects en garde à vue ; Retour
à 1995 : pas plus de 118 000 touristes en 2009. »
La Dépêche : « L’institut Malardé n’a plus de sous ! Evasan en Casa et
Super Puma : Nouvelle alerte sanitaire à Rapa ; Lire en Polynésie 9™e
édition ; Le Leader price ouvre enfin en ville ; dernière année à Lorient
Marama : Il est temps que je m’éclate ; Arrestations après le braquage
de Moorea, le 3ème suspect était en fuite à Tahaa ; Lutte anti-drogue hier
soir à Papeete : Descente au Spot de Vaitavatava. »
: «
Le samedi 28 novembre
:
Les Nouvelles
: « Champion de Moorea : les deux braqueurs et leur
complice en détention à nuutania ; Salon du livre Terri Janke défend la
propriété intellectuelle des peuples autochtones ; Un gouvernement
sans majorité... ; Assemblée : Robert Tanseau président de To Tatou
A’ia ; Motions : la version culturelle des renversements ; Inhumation :
Vibrant hommage d’Oscar Temaru à Emile Vanfasse » et c’est page 5 de
ce numéro que 8 lignes en deux colonnes évoquent : la « Vallée de
Titioro et le buste de Loti jeté à l’eau. ».
La Dépêche : « Les braqueurs de Moorea écroués à Nuutania ; Un
coffre-fort braqué à Mamao ; Obsèques à l’Uranie : dernier hommage
à Emile Vanfasse ; malgré les tensions avec les îhens, Un gouvernement
api ce matin ; Le contrat avec TNS prend fin lundi mais... Canal+
garantie jusqu’au 31 décembre. »
Attardons-nous
«
sur ces
titres
:
Flosse interdit de gouvernement »...
Ainsi, celui qui, durant des décen-
nies, fut le maître incontesté du Pays, est : déboulonné et
prison.
104
«
jeté
»... en
N°318
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Janvier - Avril 2010
d’empoigne malgré un 3èrae ministère pour les siziliens »... « Braquage
Champion » Notre société aurait-elle développé une culture du hold-up
de postes de pouvoir et d’argent public à l’aide de trahisons du suffrage
électoral et du braquage du contenu de caisses d’entreprises privées à
«
Foire
de
l’aide
ou non
d’une
arme
à feu ?
L’institut Malardé n’a
plus de sous ! Evasan en Casa et Super Puma : Nouvelle
Ainsi à côté du déboulonnage d’icônes de la vie
politique, le hold-up de valeurs sonnantes et trébuchantes a entraîné des
négügences en santé publique avec des conséquences morbides et
mortelles pour les populations.
Retour à 1995 : pas plus de 118 000 touristes en 2009. » Et cela, malgré les
montants gigantesques consacrés à la promotion du tourisme, à ses orga«
alerte sanitaire à Rapa »
«
nismes et à la construction hôtelière. Le BSEO consacré à Pierre
rappelle
que l’érection
du tourisme culturel.
Loti,
du buste participait d’une volonté de promotion
Décodage à l’aide de Régis Debray 2009
(Gallimard 368p.)
:
Le moment fraternité.
De cet essai à la lecture
jubilatoire je propose de retenir ceci :
Première observation : là où il y a du sacré, il y a une
enceinte. Et là où la clôture s’efface - ligne, seuil, dénivelé-, le
sacré disparaît.
p. 61 : Deuxième observation : là où il y a un nous, il y a une
sacralité ; et là où le nous se disloque, le sacré s’estompe.
p. 63 : Le heu est sacré quand il fait lien, mais c’est le lien qui fait
le heu, non l’inverse.
p.64 : Nous avons à Paris un autre exemple tangible de ce que tout
sacré, chose, heu ou texte est menacé d’un Alzheimer. »
pp. 64-66, comparant le « Mémorial des martyrs de la déporta•
p.4l
: «
•
•
•
•
tion
»
et le
«
Mémorial de la Shoah
»
l’auteur constate
: «
Le heu de
mémoire
le
public n’a plus de pubhc ; le privé lui en a un. Du premier,
Français moyen ne sait plus trop ce qu’il fait là ; du second,
105
# bulletin
de la
Société des études Océaniennes*
n’importe quel Juif de France le sait. Une sacralité, fut-elle gelée dans
n’est pas un titre de propriété, mais un plébiscite de chaque
jour. »
la pierre,
qui amène à conclure que pour les sociétés d’ici et d’ailleurs :
ou à révérer sont délimités par une enceinte,
le sacré est issu d’un « nous » et non d’un « je »,
le lien qui unit ce heu au « nous » nécessite un récit et un rituel
qui nourrissent l’un et l’autre.
Ce
-
les deux sacrés
-
-
Que disparaisse l’un des éléments et le heu devient terrain vague
pour un « je » privé du « nous » qui lui donne une dimension autre à son
individualité.
Qu’en est-il de la société tahitienne ?
déchner son identité, il importait de
territoire, d’en préciser les limites, d’y situer ses deux investis
de différents degrés de sacralisation jusqu’aux marne familiaux et inter
îles. Ensuite, l’on déroulait des récits animant ces deux, véritable tresse
identitaire dant les vivants entre eux, les vivants et les morts, l’humain à
l’environnement, aux éléments, à la flore et la faune, au visible et l’invisible, à hier aujourd’hui et demain, tous différenciés mais indissolublement dés. Dans cette culture du lien, chacun pouvait se revendiquer d’un
nous » le dotant d’une dimension exaltante. Les défunts rejoignaient la
nuit primordiale te P, y subissant le processus d’ancestralisation, tupuna,
évoluant en divinité tutélaire, formalisée parfois dans teAo, le Jour, par
des figurines sacrées : tii, tiki, unu et too reliquaires. Quand les « divinités » représentées par ces objets étaient jugées inefficaces, il était
procédé aufa’aru’e tii (Henry : 186), cérémonial où l’objet répudié était
Dans la société ancienne, pour
décrire
son
«
enterré... mais
non
détruit.
objets sacrés se fit après le désastre sanitaire dû
au Contact ; quand la population estimée à 204 000 habitants à Tahiti par
Cook en 1774 ou 75 000 par des démographes, chuta à 16 050 en 1797
(Wilson), pour descendre à 6 100 en 1857 (Cuzent).
La destruction des
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N°318
•
Janvier - Avril 2010
Le
premier geste iconoclaste monothéiste, fut perpétré en 1818 par
qui, pour accéder, se maintenir au pouvoir et le conserver pour
ses descendants, brisa publiquement les tapu et poussa à la destruction
des marae, tii, too, etc. Il argua entre autre, du commandement bibbque
qui interdit la fabrication et l’adoration d’images taillées. Ainsi scella-t-il
son albance avec les missionnaires qui mobilisèrent leurs nationaux de
passage ou déserteurs, aie soutenir et instaurer un nouveau système pobtico-rehgieux, une nouvelle légitimité et un nouveau sacré. Tout espoir
Pômare II
de retour des familles de arii nui bit ainsi
Lors de l’étude
rehgieusement annihilé.
les soins
traditionnels, j’ai observé et entendu à
quel point le reniement de ses origines polynésiennes et les gestes iconoclastes de 1818 pouvaient se répéter sous le mode du traumatisme non
résolu, et ce, encore en l’an 2000 et de manière compulsive parfois (S.
Grand : 2007 Le monde polynésien des soins traditionnels Ed. Au Vent
des
sur
îles).
Médiatrice dans le
dispositif ethnopsychiatrique accueillant des
des praticiens et le service des affaires sociales en
impasse devant certaines souffrances et la manifestation de certaines
formes de désordre, j’ai pu approcher la violence du traumatisme
toujours opérant du reniement de ses tupuna, ancêtres, disqualifiés
païens arriérés » et stigmatisés « adorateurs du Démon », par les détenfamilles adressées par
«
teurs
de La Vérité.
Une
rebgiosité singuhère laissa supposer l’existence d’un gène du
reügieux polynésien. Or, en Océanie et ailleurs dans le monde à certains
moments de l’Histoire, on retrouve ces formes de dévotion suite à une
catastrophe. Car les deuils sont des moments privilégiés pour des chasseurs d’âmes d’activer une stratégie maniant l’amnésie pour désaffilier
des origines et ré affilier à un nouveau groupe dont on détient le contrôle.
Conclusion
Le vandalisme du buste de Pierre
oublié
au
Loti, fut perpétré contre un objet
fond d’une vallée jadis riante et aujourd’hui terrain vague
parsemé de détritus. Les vandales dont les motivations
nous sont
107
W
bulletin du la Société dus études. Océaniennes
méconnues, ont mis
en
évidence qu’il n’existe plus de groupe fervent de
Tahit2.
Loti à
plus qu’il n’existe de fervents de la culture insulaire originelle
objets et monuments sont investis d’un sacré vestigiel si maléfique
pour les descendants des premiers habitants qu’ils sont plus menacés de
destruction que n’importe quelle effigie importée.
Qui sait si la restitution de la mémoire, de toute la mémoire, y
compris celle de l’aveuglement sur soi des discoureurs, n’est pas le meilleur traitement à appliquer pour que les objets témoins soient conservés
Pas
dont les
et transmis ?
Simone Grand
1
J'ai
-
-
-
-
interrogé 35 étudiants de ]è,e année universitaire, à l'esprit éveillé, pleins de curiosité et attentifs :
Connaissez-vous Pierre Loti ?
?
Avez-vous entendu
parler de Rarahu ?
?
-
Connaissez-vous la chanson
-
Chante-la-nous madame.
J'ai chanté le premier couplet.
« Ah I
ça ne me dit rien. »
-
108
qui fut faite
pour
elle et Pierre Loti ?
Ils ont écouté et dirent :
On déboulonne
Loti
En
ce
profane
ou
déboussole,
Loti profané ?
on
début du XIXème siècle à Eimeo (Moorea aujourd’hui) on parlait
beaucoup des dons naturels de
habitants qui disaient aux missionqu’avant leur arrivée les hommes de Eimeo étaient aveugles de trois yeux, des deux du corps et de l’oeil de l’entendement.
Faut-il considérer la dégradation à Titioro en novembre 2009 du
buste de Loti comme un geste de barbare, de celui qui refuse l’autre
par
peur ou par ignorance. On pourrait bien sûr discourir : « le monument
Loti ça n’était que des pierres et un peu de bronze » et faire fi du sacré.
Mais « Msieur dirait du fond de la classe un élève à son
prof, c’est quoi
le sacré ? » Ça pourrait être comme disait le
linguiste Emile Benveniste
parlant du sacré dans les langues indo-européennes une force exubérante qui devient le signe du divin
qu’on traduirait d’un mot à Tahiti le
manu, c’est déjà plus qu’un état d’âme. Et ce passage de l’état profane à
l’état sacré est toujours frappé du signe du tapu, de l’interdit. Or dans
ses
naires de la LMS
toutes les sociétés humaines
balisage de l’interdit, du tapu est mis en
place pour proscrire parce qu’il faut protéger et conserver. Sa transgression devient toujours une aliénation de la
pensée et la fin de cette force
exubérante. Les mythes nous ont enseigné les rites de
passage et ses
embûches. Passer du chaos à l’orphéon, du domaine du Pô à l’harmoniefanfare c’est accepter un système de valeurs et c’est créer du lien, éléments
constitutifs de l’identité d’un peuple. On pourra regretter
aujourd’hui
dans nos archipels combien est distendu le lien avec le sacré. Pourtant
ce
Œulleti/i de la Société dex études Océaniennes.
baignons tous ici dans le moule républicain et nous
supposés avoir acquis un système de valeurs dont l’une
devrait nous tenir à coeur, l’esprit de tolérance. Accepter l’autre dans sa
diversité c’est aussi créer du ben et cette action ne relève pas des gouvernants qui ont plus pour dessein d’asservir la pensée des populations avec
adresse ou avec lourdeur. Faut-il pour autant se complaire dans la
recherche d’un paradis perdu ? Les mythes fondateurs ont un avantage
pour l’esprit, üs sont du domaine du sacré et intrinsèquement du domaine
du vrai; c’est pratique pour l’homme d’aujourd’hui, il croit tenir un hen.
Laissons plutôt le mot de la ûn à Juhen Viaud, alias Pierre Loti1 :
nolens volens
sommes
nous
donc
phrases me reviennent à la mémoire, prononcher Alphonse Daudet, un jour où nous causions de mes
origines... - « tu as surgi là comme un diable qui sort d’une boîte.
Plusieurs générations, qui étouffaient de tranquillité régulière, ont
tout à coup respiré éperdument par ta poitrine. ...Tu paies tout ça,
Loti, et ce n’est pas ta faute.... »
Est-ce que je sais, moi, si je suis responsable, ou si c’est mon temps
qu’il faut accuser, ou si simplement je paie ou j’expie ? Mais ce que je
vois bien, c’est que la mousse et les fleurettes sauvages ont pris possession de ces marches sur lesquelles nous sommes, et que nous n’aurions
pas dû les troubler par notre présence étrangère. Et, ce que je sens bien,
c’est que l’ombre triste de ces vieux arbres descend comme un reproche
sur ma tête.
Non, ils ne me reconnaîtraient point pour un des leurs,
les ancêtres de Me, et leur maison ne saurait plus être la mienne. Üs
avaient la paix et la foi, la résignation et l’éternel espoir. L’antique poésie
de la Bible hantait leurs esprits reposés ; devant la persécution, leur
courage s’exaltait aux images violentes et magnifiques du livre des
Prophètes, et le rêve ineffablement doux qui nous est venu de Judée ihuminait pour eux les approches de la mort. Avec quelle incompréhension et quel étonnement douloureux ils regarderaient aujourd’hui dans
mon âme, issue de la leur !... Hélas, leur temps est fini, et le lien entre
eux et moi est brisé à jamais... Alors, revenir ici, pourquoi faire ? »
«
En
ce
moment, des
cées par mon
-
Constant Guéhennec
Extrait de
110
l'ouvrage de Pierre Loti écrit en 1899 : Le château de la belle au bois dormant.
Loti, le tupuna
Pour
une
éthique
de la diversité1
Agis dans ton lieu, pense avec le monde.
Edouard Glissant
Au début des années
en
1970, le buste en bronze de Pierre Loti, érigé
1934 à l’initiative d’André Ropiteau par le sculpteur Philippe Besnard,
avait été descellé et jeté
dans la rivière de la Fautaua. Ce qui autrefois était
de l’alcool mais aussi de l’émergence des signes de
xénophobie plus ou moins latents dans les sociétés postcoloniales, est
devenu aujourd’hui, avec la répétition du même geste, un « acte culturel »,
justifié évidemment par la « juste lutte contre les symboles de l’oppresmis
sur
le compte
sion de la culture occidentale
».
Comme les avions écrasés
sur
les tours
de New York
représentent le « détournement » de la technologie occielle-même, le 4x4 rutilant devenu si évident dans le paysage
polynésien, a été utilisé pour jeter la statue de l’écrivain à l’eau. La technologie est ici aussi mise au service de la barbarie. Ceux qui ont accompli
le geste ce ne sont pas des « sauvages » mais des représentants de la
nouvelle barbarie de l’ignorance, propre aux sociétés post-identitaires,
dentale contre
1
Ce texte avait paru sous une
décembre 2009
et
dans la
version plus circonstancielle dans le journal Les Nouvelles de Tahiti du 12
Confluence n°2, janvier 2010.
revue
fÉ/dlclin dey la Jociété des éludes Océaniennes
exemples du demi-savoir, du savoir à moitié qui trouvent la légitimation
de leur geste dans de formules creuses, intègres et intégristes, de « mots
d’ordre » incantatoires (« colonialiste », « impérialiste »), fauteurs des
pires désordres qui commencent toujours par la confusion des esprits. Au
lieu d’opposer une nouvelle politique, fondée sur des bases tout autres par
rapport aux valeurs concurrentielles et matérialistes de la société
moderne, ces représentants de la « haine de l’Occident » imitent ses
valeurs les plus conquérantes, tout en les désavouant. Le « vandalisme »
mélange à la fois des références issues de la violence primitive pour qui
l’hôte et l’adversaire, l’ami et l’ennemi sont si facilement interchangeables
et la violence du ressentiment, qui a déjà aperçu la différence entre le
bien et le mal et opte pour ce dernier.
La société
polynésienne contemporaine connaît encore plus violentqu’en Occident la crise des anciennes solidarités (communauté,
religion, politique, famille, école). La barbarie du demi-savoir est nourrie
depuis des nombreuses années par les mauvais conseillers occidentaux,
elle est le signe de la crise que traversent toutes les sociétés et l’école
aujourd’hui en est le miroir effrayant. La nécessaire remise en cause des
références devenues trop rigides, a fait place à des nouvelles rigidités, au
rejet de l’histoire, de la littérature, de la philosophie par ceux qui en ont
reçu quelques rudiments, au profit de nouvelles idoles des « cultures
asservies », associées aux solutions techniques pour « gérer le flux ». Ce
mariage d’archaïsmes et des technicismes, ainsi que l’accusation portée
par les intellectuels ma’ohi sur les artistes « pédophiles » et « dégénérés », sur les écrivains « pollueurs de notre pureté» a scellé la nouvelle
alliance des intellectuels indigènes et des maîtres occidentaux de la repentance, à l’affût chez Loti, chez Gauguin, chez Segalen des marques infamantes de la mentalité coloniale, pourfendant 1’« esclavage missionnaire
aux Gambier ». Ce qui en résulte est le « tahbanisme tropical », forme de
l’idéologie dominante aujourd’hui dans nos îles, mélange d’importation
proprement ahurissant de lepénisme et de surenchère de la bonne
conscience, de nationalisme étriqué et de rejet de l’autre. En Afghanistan,
les étudiants intégristes se revendiquaient, il y a quelques années, de
ment
112
N°318
•
Janvier - Avril 2010
l’Islam pour détruire à la roquette les statues de Bouddha, représentant
la culture de l’Autre, du bouddhisme qui a essaimé dans tout l’Extrême -
Orient, fondant à la fois
philosophie religieuse et une culture origila « culture » est devenue
l’enjeu majeur de l’histoire contemporaine et que les guerres de religion
ont fait place aux « guerres de culture » qui prétendent, comme dans
l’exemple afghan, récrire l’histoire des peuples partant du « point zéro »,
du « Ground zero ». La relecture nécessaire de l’histoire est l’héritage de
l’historicité elle-même, née en Occident depuis plus de deux mille ans, qui
affirme que la mémoire des événements est susceptible de versions différentes, que le passé n’est pas un stock figé de traditions disponibles, un
répertoire de mythes auquel on fait dire à peu près tout et son contraire,
nales. Le« talibanisme
une
»
diffus montre que
mais le heu où la mémoire et
l'oubli, la tradition et le sens du nouveau
dialogue et leur confrontation permanents. Les nouveaux liistoriens, gavés par l’esprit du ressentiment, ne cessent de vouloir faire rendre
gorge au passé, en récrivant l’histoire du « point de vue postcolonial »,
quitte à justifier toutes les horreurs sous le sceau du point de vue de la
victime. Depuis les années 60, avec le vaste mouvement de décolonisation
de la planète, les revendications nationales s’appuient sur la logique victimaire, jetant les morts respectifs à la figure de l’autre, jouant la surentissent leur
chère infinie du rôle de la victime. La lecture victimaire de l’histoire
a
permis l’émergence d’une nouvelle conscience des responsabilités colléetives, la fin de la colonisation de la part des puissances européennes, la
fin de
l’apartheid en Afrique du Sud et en Amérique, la venue au premier
plan du souci des « minorités » (femmes, homosexuels, handicapés),
jusque là relégués à des rôles subalternes. Ce juste souci d’une autre
lecture de l’histoire, rendue possible par l’exercice démocratique de la
discussion et de la confrontation, a également fait émerger de nouvelles
maladies des chaînes où le racisme est toujours celui des autres, la
violence ne fait que répondre à une violence précédente, le Mal est
toujours extérieur à soi et ne peut provenir que de l’Autre. La chaîne
infinie de la vengeance a repris du service et la logique victimaire, le juste
souci du faible et du vaincu, qui a trouvé ses origines dans la naissance
historique du christianisme, se trouve ainsi dévoyée, mise à nouveau au
113
W
bulletin- de la Société des- études (Océaniennes
service de la cause de la violence comme
unique solution aux conflits de
l’histoire, selon les mots bien connus de Chesterton, « le monde moderne
est plein d’idées chrétiennes... devenues folles ».
L’invention de la tradition de la part des nouvelles nations nées de
l’effondrement de l’ordre colonial, le mélange souvent inextricable des
racines réelles et des fictions du désir et de l’imagination, a produit l’éclosion de nouveaux langages, des formes nouvelles d’expression artistique
et littéraire, tout en laissant venir au premier plan aussi des certitudes
identitaires, des nouvelles idoles qui semblent prétendre à nouveau au
rôle de vérité absolue. Dans la foulée de ces revendications d’identité, est
la notion de « roman autochtone »,
qui pourrait s’entendre avec un sourire légèrement oximorique, comme
dans la phrase « vieille jeunesse », signifiant que toute identité ne se
conçoit que dans le rapport à son autre, que le devenir de l’esprit printanier pour les nations comme pour les individus est dans l’anticipation
de la maturité à venir et que l’oubli de cela fait aussi partie du charme de
l’innocence juvénile. Ce qui, traduit dans une formule plus pensante,
implique que toute origine n’est pas une substance figée, mais le lieu
travaillé par la différence, par son autre impliqué, comme le faisait remarquer Victor Segalen dans l’Essai sur l’exotisme : « L’unité ne se représente à elle-même que dans la diversité ».
Le syntagme de « roman autochtone » fait plutôt signe vers le clin
d’œil intéressé de la part de mauvais conseillers qu’à aucun moment n’interroge son sens paradoxal. Le « roman » est bien la forme par excellence de la Modernité en tant qu’elle résulte de la crise des identités
anciennes, de Vépos primitif qui en confirmait l’immuable unité selon
une harmonie préétablie. Il inaugure la crise des « patries » en tant qu’héritage stable et fixe de valeurs et de références, il implique la nécessité de
la construction de l’identité de la part des écrivains et des créateurs,
hommes traduits », selon la définition du romancier anglais d’origine
indienne Salman Rushdie, si familiers de l’exil, même lorsqu’ils ne
perdent pas leur patrie d’origine, parce qu’ils savent faire entendre à l’intérieur de leur langue la dimension originaire d’étrangeté de l’être-auné dans l’aire francophone d’Afrique,
«
monde.
114
N°318
•
Janvier - Avril 2010
Discours antillais
(1981), Edouard Glissant attaque le
syndrome du colonisé », qui veut reconstituer les identités fermées
propres au discours colonialiste du HXe siècle, mimant à travers le rejet
le plus radical la même logique de l’enfermement ethnique et l’impérialisme de la différence. A l’universalisme dogmatique de la raison occidentale qui s’est développé au XIXe siècle sur le terreau des entreprises
coloniales, les cultures postcoloniales répondent souvent par les mêmes
erreurs : la volonté de substantialiser la culture, d’en faire un corpus figé
de références absolues, de reconstruire artificiellement l’origine unique
d’un peuple et d’une langue. Prenant ses distances avec le « tiersmondisme » de Franz Fanon et avec le concept de « négritude » d’Aimé
Césaire et de Léopold Sédar Senghor, Glissant prône celle qu’il appelle,
dans le Traité du Tout-monde del997, l’« identité en archipel » : « Notre
identité ne se fonde plus sur une essence, elle conduit à la relation ». Le
rejet du différentialisme de la part de Glissant, est motivé par une critique
Dans
«
son
vieux
serrée de la notion d’« identité culturelle
stable et
naturelle
»,
conçue comme une essence
chaque peuple recevrait en propre. L’écrivain
l’idée d’un peuple unique comme socle d’une
nation, avec l’idée d’une communauté originaire source en droit et en
fait de la nation. En septembre 2007, en réaction au « mur ministère » de
l’Identité nationale et de l’Immigration, Édouard Glissant et Patrick
Chamoiseau publient le manifeste Quand les murs tombent, reprenant
opère
«
»
que
une rupture avec
l’idée-force de Glissant de 2004
nalité
au
: «
Nous devons construire
une
carrefour de soi et des autres. Une identité-relation.
»
personToute la
pensée récente de Glissant se veut la mise en œuvre d’un chiasme culturel
entre les nations, dégageant la possibilité pour les cultures d’un espace
dialogique », où les cultures étrangères, la culture « haute », propre des
sédimentations littéraires et la culture « basse », la culture populaire et
la tradition orale, trouvent un essor nouveau dans une véritable reprise
pensante des traditions. Il ne s’agit pas d’opposer banalement les mythes
sur la naissance du blé ou du uru à Cervantès ou à Shakespeare, l’oralité
de prétendues cultures spontanées et vivantes à l’écriture « morte » de la
tradition occidentale, mais d’ouvrer pour un dialogue en archipel, comme
Glissant l’affirme dans l’entretien avec Laure Adler en septembre 2005 :
«
115
Œul/eÂin de la- Société- des- études Océaniennes
Je pense que la relation c’est l’autre forme d’universel, aujourd’hui.
nous tous, d’où que nous venions, d’aller vers
l’autre et d’essayer comme je dis souvent de se changer en échangeant
avec l’autre, sans se perdre, ni se dénaturer. Et, je pense que sans cette
«
C’est notre manière à
révolution
endure
nous
continuerons à souffrir les souffrances que
aujourd’hui.
le monde
»
que Glissant oppose à la dialectique fermée de l’idendifférence, veut faire entendre cette voix du devenir des identités, ce danger pour les cultures de se fermer sur un patrimoine
prétendument acquis, au profit d’une logique de la rencontre qui prive la
violence identitaire de ses repères théoriques et de ses justifications
pratiques.
La
«
diversité
»
tité et de la
Entre les Dieux Anciens et les Nouveaux
Créateurs, la littérature
polynésienne affirme qu’il n’y a rien, rien qu’un héritage
imposé par l’oppression coloniale plus ou moins déguisée qu’il s’agit
d’effacer, rien que l’emprise de la « langue impérialiste » qu’il faut briser,
par une écriture qui ne peut se définir qu’incomparable et absolument
originale, sous les clins d’œil intéressés et applaudissants des conseillers
en pâmoison. Rarahu, idylle polynésienne de 1880 qui prendra plus
tard le titre Le mariage de Loti est le roman du passage de la société tahitienne des Temps anciens au nouveau monde issu de la réalité coloniale.
Voir dans ce roman l’apologie de l’esprit colonial, vouloir ici aussi comptabiliser les « vainqueurs » et les « vaincus », cela revient à regarder Thistoire avec le viseur du taliban, pour faire rentrer dans la boîte de la
perspective monoculaire la complexité de l’histoire des êtres.
L’« exotisme » chez Pierre Loti, avant d’être une tare de l’esprit colonial,
est le constat tragique, inlassablement figuré par l’écrivain dans des multipies géographies, d’une parenthèse offerte par l’amour, un voile que les
amants partagent et qui masque pour un temps l’échec et la solitude.
L’idylle est alors le nom propre, pour Julien Viaud dit Loti, de ce temps en
suspens qui est légué aux êtres, à la fois comme richesse et illusion ; la
littérature ce nom d’un temps suspendu qui sauve les images éphémères
autochtone
et transitoires
116
du monde.
N°318
«Janvier-Avril2010
S’écartant délibérément du clin d’œil et de la vision
littérature
monoculaire, la
apprend à regarder, elle nous apprend à lire. Par rapport
regard de survol des historiens et des lettrés postcoloniaux qui prétendent regarder par la fenêtre et se voir en même temps passer dans la rue,
le romancier Pierre Loti nous rend la réalité charnelle des êtres éphémères que nous sommes, insérés comme des étrangers dans l’histoire.
Il ouvre des fenêtres sur des horizons communs, attentif à la finitude des
êtres, plus fondamentale que toute appartenance culturelle. C’est la notion
de « personne » de sujet ouvert au rapport à un Dieu personnel qui a
rendu possible l’émergence éthique, le choix librement assumé de
valeurs qui m’obligent envers l’autre, qui changent les signes prétendument étrangers en « patrimoine commun ». L’histoire commune des
nations, legs de la culture contemporaine vivante, s’éprouve dans une
communauté d’intérêts pour ce qui a été, pour une « histoire-monde » où
viennent se confronter et se mesurer la mémoire pensante de la Shoa, la
traite des esclaves, la mise à sac de Rome en 445. Il devient enfin possible
une « autre histoire » du monde, bien plus originaire aux yeux des intellectuels que tout différend et opposition dérivée, comme le rappelait
Albert Camus dons son Discours de Suède : « Celui qui, souvent, a choisi
son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent, apprend bien vite qu’il
ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec
tous ». En ce sens tout véritable créateur est un ancêtre pour des hommes
à venir, plutôt qu’un témoin orgueilleux de l’actualité ; toute nation se
constitue dans le partage assumé de l’histoire commune de l’humanité.
C’est cette réalité de l’ouverture que la barbarie fière d’elle-même des
demi-doctes et l’ignorance fautive veulent tout le temps refermer.
nous
au
Riccardo Pineri
Hamoa, Raiatea
117
Quant à Loti
un
c’est
ce
monument,
qui rappelle...
l’étymologie, qui nous ramène aux origines des
indo-européenne « men », au fait
d’avoir une activité mentale, de faire appel à la pensée et à la mémoire.
C’est ainsi que la fonction première d’un monument, quel qu’il soit,
est de rappeler quelqu’un ou quelque chose — tout comme le monstre
qui nous renvoie d’abord à « la volonté des dieux ». Si cet effort de
mémoire s’inscrit dans la durée, elle peut alors devenir patrimoine et
héritage des pères anciens.
..
.du moins selon
mots. Monument vient
de la racine
Occident, puisque monument est un concept savant et
devenu nécessaire au XIF siècle, dans le Moyen-âge européen, pour désiDu moins
en
d’abord le tombeau, tout ce qui rappelle le défunt et l’absent.
quelques dictionnaires polynésiens du Pacifique, l’idée de monument se retrouve, par exemple, à Hawai’i, dans
celle de kia tupapa’u (du monument funéraire) et de kia ho’omana’o
(du gardien qui rappelle), ou aux Samoa, dans celle de ma’a fa’amanatu, tout comme en Nouvelle-Zélande, dans celle de whaka maharatanga (beu pensée-mémoire). Plus proche de nous, aux îles Marquises,
le monument renvoie chez Dordillon au faé hakaiki ou au faé tupapaku, et à Tahiti, chez Tepanojaussen, au fare unauna, au palais... Mais
alors nous sommes très proches de notre modernité.
gner
Si l’on cherche dans
N°318
•
Janvier - Avril 2010
Est-ce pour
cela que, peu avant la Noël 1820, confrontée au
problème de la traduction du Livre de Ruth, la petite équipe de diacres
menée par John M. Orsmond et John William fait appel à la racine grecque
mnema pour rendre compte de l’idée de mémorial, de patrimoine invoquée par Booz et invente alors le mot de menema ? John Davies, dès les
années 1830, reprend ce terme pour dire monument, sépulcre.
Serait-ce donc parce que l’idée même du monument est étrangère à
nos îles que les monuments, eux qui doivent rappeler quelqu’un ou
quelque chose, sont si facilement vandalisés, détraits et même effacés ?
Est-ce ainsi que nous pourrions comprendre, par exemple, depuis
quelques années, le démantèlement d’installations et la disparition de
constructions qui n’auront même pas eu le temps d’arriver dans la
mémoire et ni même de devenir des monuments historiques ?
Victor Segalen, ce poète, c’est-à-dire cet inventeur de mots, a créé en
1907 le terme d'Immémoriaux pour comprendre par l’imagination ceux
qui effacent leur mémoire, ceux qui se reformatent pour accueillir les
temps nouveaux, quels qu’ils soient. Apparemment il ne pouvait imaginer
que, moins d’un siècle plus tard, seraient inventés de gigantesques
broyeurs à mémoire, installés sur quelques îles basses ou même sur le
récif, qui ramèneraient tout à la poussière, tout le travail et le labeur des
hommes, leurs joies et leurs souffrances, tout leur passé et toute leur
mémoire.
D’ailleurs il
s’est rien
passé puisqu’il ne reste rien — à moins
jour, plus tard, un monument de circonstance, pensé par les
uns et refusé par les autres, un monument dans l’air du
temps...
Afin que les monuments qui rappellent quelqu’un ou quelque chose
puissent rappeler, faudrait-il se tourner vers d’autres Üeux de mémoire,
par exemple les marne tahitiens ou les me’ae marquisiens ou encore les
maite pa’umotu ? Hélas ! Leur histoire est aussi trop souvent l’histoire de
leur saccage et leur disparition, celle du progrès technique : la négligence
d’élever
11e
un
mais aussi la mise
en
valeur des terres
se nomment
aussi nivellement de
monument.
A moins de
reconstruire, précisément selon l’éternel esprit du temps
présent, par exemple dans les années 1950, selon la nécessité de la mise
119
bulletin/ de lev Société de& études/ Océaniennes/
en
historiques sur le marne Arahurahu (cf.
alors, dans les années 1990, au grand scandale du
scène des reconstitutions
n°105), ou
professeur Sinoto, de se livrer comme à Huahine ou à Raiatea à « la
destruction délibérée d’autres sites existants et déjà restaurés, dans le but
BSEO
de restaurer des
p.
déterminés
marae
»
(cf. BSEO n°289
«
Papatumu
»
32)...?
(cf. BSEO n°287 « Supplément au Mariage de Loti »)
et autres, pauvres monuments ! Et quelle chance a la cathédrale SaintMichel de Rikitea ! Le passé est devenu un jeu de familles où l’on peut
choisir, au gré et au hasard, sa mémoire, une mémoire fluctuante au gré
Monument Loti
des modes intellectuelles et
Est-ce par
au
hasard des circonstances.
esprit de famille étymologique que le monu...ment et
démeut ?
Robert Koenig
BIBLIOGRAPHIE
DAVIES J.,
1851-1984, A Tahitian and English Dictionary, Haere Pô
DORDILLON
l.-R., 1904-1999, Grammaire et dictionnaire de la langue des îles Marquises, SEO
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NICOLE
du tahitien nouveau et biblique, Papeete
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ELBERT, 1986, Hawaiian Dictionary University of Hawaii
WILLIAMS H.
W., 1992, Dictionary of the Maori Language, Auckland
Bulletins de la Société des Etudes océaniennes, Papeete
120
'
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par
Edward Tregear (2èmc édition)
Etat de la société tahitienne à l’arrivée des
Européens,
Edmond de Bovis (2èmc édition)
Journal de James Morrison, second maître à bord de la Bounty,
traduit par Bertrand Jaunez
par
Alexandre Salmon et
sa
femme Ariitaimai,
par Ernest Salmon
cyclones en Polynésie Française (1878-1880),
par Raoul Teissier.
Chefs & notables au temps du Protectorat (1842-1880),
par Raoul Teissier.
Généalogies commentées des arii des îles de la Société,
Les
par Mai’arii
Choix de textes des 10
premiers bulletins de la S.E.O.
(mars 1917 - juillet 1925)
Papeete, BSEO n°305/306
par Raymond Pietri
Papatmnu - Archéologie
Colons
français
par
en
Polynésie orientale, BSEO n°221
Pierre-Yves Toullelan
Les Etablissements
français d’Océanie
en
1885
par
Collection des numéros
aux
temps anciens
disponibles
des Bulletins de la S.E.O.
:
-,
-
f
Le Bulletin
Société
de la
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Le Bulletin de la Société des Etudes océaniennes
(B.S.E.O.)
paraît depuis mars 1917.
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Mise
en
page : Backstage
Ecole protestante
de jeunes filles de Papeete -1931
celle qui fut consignée dans de premiers
attestant de la filiation de Pômare à Tamatoa et rappelée par
Ce BSEO traite de la mémoire :
écrits et
Bernard Pichevin ; celle
lacunaire signalée par Jean-Michel Chazine au
sujet d’objets archéologiques orphelins aux Tuamotu ; celle qui perdure
à travers les rituels de la nouvelle religion à Futuna observée par Pascal
Ibrahim Lefèvre ; celle ravivée par Yves Babin au sujet du maire fantôme
de Papeete ; celle encore entretenue et transmises par des descendantes
d’Edouard Ahnne du regard européen au début du XXè siècle sur nos
îles. Et
enfin, à l’occasion du vandalisme du buste de Pierre Loti, six
sur le traitement des objets de mémoire.
réflexions
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 318