B987352101_PFP3_2009_315-316.pdf
- Texte
-
Bulletin de la Société
des Etudes Océaniennes
316
Janvier / Juin 2009
N°315
-
Société
Etudes
des
Fondée
le
1er
janvier
Océaniennes
1917
c/o Service des Archives de
B.P. 110,
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e-mail
:
98713 Papeete, Polynésie
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Polynésie française, Tipaerui
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Composition
Conseil d'Administration 2009
du
Présidente
Mme Simone Grand
M. Fasan Chong
dit
Vice-President
Jean Kape
Secretaire
M. Michel Bailleul
Mme Moetu Coulon-Tonarelli
Secretaire-adjointe
Trésorier
M. Yves Babin
Tresorier-adjoint
M. Pierre Romain
Administrateurs
M. Christian Beslu
•
M. Constant Guehennec
Mme Eliane Hallais Noble-Demay
M. Robert Koenig
•
M. John Mairai
Membres Correspondants
M. Bernard Salvat
•
M. Darrell T. Tryon
Membre d'Honneur
M. Raymond Vanaga Pietri
Bulletin
de la Société
des Etudes océaniennes
(Polynésie orientale)
N°315/316 Janvier/Juin 2009
-
Sommaire
Avant-propos
p.
4
p.
7
p.
14
p.
20
p.
27
p.
39
p.
53
p.
68
p.
77
Gambier, un archipel à la végétation naturelle relictuelle
la flore patrimoniale menacée
Jean-François Butaud
p.
99
Comptes-rendu de lecture et d’écoute de Compact Disc
p.
141
p.
178
Légendes de migrations et de découvertes d’îles
Recueillies par Alexis Massainoff, traduite du
Taaki, l’homme le plus heureux du monde
Recueillie par Alexis Massainoff, traduite du
Teiti
a
Ioane
russe par
russe par
Marie Zakrevsky
Marie Zakrevsky
Toakau
Mamatui, légende communiquée par le capitaine Victor Brisson
Eléments
sur
l’histoire
pré-européenne
et
l’archéologie des îles Gambier
Eric Conte et Patrick V. Kirch
Approche de la démographie aux îles Gambier (1840-1945)
Laurent Burel
Rouru, succès et limites d’un
couvent
«
»
mangarévien du XIX‘: siècle
Laurent Burel
Un rapport
du docteur Cassiau, administrateur des Gambier,
des E.F.O
Présenté par Michel Bailleul
au
gouverneur
Rikitea : Deux dernières décennies d’écoles missionnaires
(1887-1904)
Frère Le Port
Les
et à
Lime
-
Paeamara
-
Kubnick
Bilan moral et financier,
-
Barbe
-
André
budget prévisionnel et résolutions
Avant-propos
Chers membres de la Société des Etudes
lecteurs,
Ce premier bulletin de l’année est en
Océaniennes, chers
retard, veuillez
nous en
excuser.
l’archipel des Gambier.
reproduites avec corrections, des légendes parues dans de
tous premiers bulletins. Leur lecture ayant interpellé, en particulier
celle de Maviku avec son bouc magique, son poulailler misérable près
d’un palais somptueux..., seules deux légendes d’Alexis Massainoff,
traduites du russe en français par Marie Zakrevsky, furent retenues. Je
me suis permise d’en corriger la syntaxe ; ai remplacé « idole » par
tiki », « roi » par « akariki » ; ai replacé les émotions dans les
entrailles alors qu’elles avaient migré dans le cœur... tout en laissant
des flèches s’abattre sur les tiki de Rapa nui, même s’il n’est fait réféIl est double et
concerne surtout
Sont
«
rence
à
aucun arc.
Vous trouverez
Toakau dont la fin est
le capitaine Brisson, elle
aussi, la légende de Teiti a
quelque peu confuse. Recueillie en 1926 par
semble authentique.
Nous prendrons connaissance d’éléments archéologiques grâce à
Eric Conte et Patrick Kirch avant de passer à la période missionnaire.
Nous suivrons deux analyses de Laurent Burel : l’une sur la démographie des Gambier et l’autre sur le couvent de Rouru où il nous propose
un éclairage sur cette période controversée.
Ensuite, nous prêterons attention à des documents administratifs
introduits par Michel Bailleul. Il s’agit du courrier où le gouverneur transmet en 1904, au Ministre des colonies, un rapport du docteur Cassiau
administrateur des îles Gambier décrivant les relations tendues avec
les
catholiques de Mangareva. Il n’est pourtant pas si éloigné
(60 ans), le temps où le maintien de la présence des pionniers (Laval et
missionnaires
4
Caret) de cette même mission fut un des éléments pesant dans la décision
du gouvernement de la France d’intervenir et d’asseoir sa présence à
Tahiti1.
Dans
étude
l’école missionnaire, le Frère Leport,
souligne
l’importation sous nos latitude de « la guerre des deux France » opposant
catholiques et anticléricaux.
Car telle est l’histoire de nos îles qui vue de l’intérieur,
peut s’apparenter à
son
une
sur
suite de déferlements de tour à tour et/ou
maladies dévastatrices
introduites,
découvreurs
en
même temps :
trafiquants, miségalement persuadés de leur supériorité sur les insulaires à sauver du démon ; représentants du pouvoir
colonial républicain, convaincus de la nécessité de les sauver de tous les
obscurantismes y compris chrétien ; escouades de guerriers de l’atome
cocardier inaugurant non sans brutalité l’ère de la société de consommation ; exploitants perlicoles brandissant la prospérité économique en
banière salvatrice de la pauvreté,...
Ces idéologies ont mobilisé et continuent à agiter des humains y prenant successivement ou concomitamment le pouvoir, tous déclarant
agir
pour le bien d’une population qui ne leur avait rien demandé dans un
espace géographique restreint où la vie continue au milieu d’une végétation que Jean-François Butaud nous invite à découvrir,
«
»,
sionnaires chrétiens rivaux mais tous
«
..
.dégradée et secondarisée, les différentes îles
ne
présentant
essen-
tiellement que des zones herbacées régulièrement brûlées et des plantâtions forestières récentes. La flore indigène de 97 espèces, qui
s’amenuise continuellement avec 9
espèces présumées éteintes, y est très
largement surpassée par près de 500 espèces introduites dont plus d’une
dizaine d’espèces menaçant la biodiversité. »
Pour clore le
chapitre « Gambier », il vous est proposé un corn: Mangareva de
Jean-Hugues Lime et Mangareva
mentaire de lecture de
akaereere de Lucas Paeamara.
1
P.Y. Toulellan
:
1982, Colons français en Polynésie orientale 1830-1914 (p.1172) in BSEO n°221.
5
Œulleti/i
de la
dociété des études Océante/uies
L’ensemble de
écrits, pourrait participer à une réflexion sur la
gérer les traces (ruines et cicatrices, vermes et béances) laissées par les différentes vagues d’activités humaines toujours triomphantes
en leurs débuts, que les cyclones et tsunamis, voire la seule usure du
temps, amènent à observer sous d’autres angles. A un moment où la Terre
est parfois comparée à une île, les expériences vécues à Mangareva invices
manière de
tent à penser.
paraissant concerner un registre différent, les commensur le Compact Disc Le beau temps des colonies
et en particulier la chanson « Une fleur sur l’oreille » ; illustrent certaines
Bien que
taires de Michel Bailleul
obsessions de la société occidentale.
Ensuite,
nous nous
laisserons guider par Jean Guiart dans ses corn-
mentaires de deux ouvrages.
En fin de
bulletin, vous trouverez les bilans, le projet de budget et les
résolutions, tous approuvés par notre Assemblée générale du 28 mai
2009.
Bonne
lecture,
Simone Grand
P.S. Souvenons-nous du BSEO N°
les
mœurs
6
296-297 paru en 2003 consacré à Léon Gaston
qui a installé le 2 mai 1902 son « laboratoire de zoologie de Rikitea ». Il y décrit
écosystèmes, la faune tout en s’intéressant aux marne, aux langues, aux outils et aux
Seurat
àesPa’umotu etMa’areva.
Légendes de migrations
et
découvertes d’îles
C’est le chant de la
Des terres
grondante, notre héritage éternel.
inconnues, ensoleillées, ensevelies au-delà des eaux du désert
mer
C’est le chant du sage et
joyeux marin Teagiagi.
I
Quand Mangareva fut aussi peuplée qu’une baie remplie de sable,
l’encombrement fut si grand que l’on pensa à chercher de nouvelles terres.
A cette
époque-là, vivait
sur
l’île, entouré d’une nombreuse famille,
le vieux Nua.
Aveugle de naissance, il possédait le mana d’une vue secrète et soubaigné de lumière, il disait
vent, les yeux sans vie tournés vers l’océan
aux enfants qui l’écoutaient attentivement2.
—
Je vois sur les ondes, loin derrière l’horizon, se lever des îles
inconnues, telles des écuelles renversées. Elles sont là, à droite,
«
à
gauche et attendent l’arrivée de l’homme. Mettez la voile sur
bateau et ce monde vierge s’ouvrira à vos yeux, à condition
que vous soyez guidés par votre benjamin3 Teagiagi. »
un
2
Texte du n°39
Lorsque Mangareva fut peuplée d'hommes, telle une baie remplie de sable, l'encomgrand et l'on pensa à chercher de nouvelles terres. A cette époque-là, vivait sur l'île, entouré
d'une nombreuse famille, le vieux Nua. Il était aveugle de naissance, mais possédait la force miraculeuse
d'une vue secrète et souvent, les paupières aveugles fixées sur l'océan baigné de lumière, il disait aux
enfants qui l'écoutaient attentivement. » Ceci permet d'avoir une idée du texte initial où idole et roi sont
ici remplacés par tildet akariki.
3
Le texte utilise le terme « frère cadet » mais le récit indique qu'il s'agit du plus jeune, du benjamin.
brement fut
: «
ŒulletÀn do lev Société de& ètude& Océaniermes
! s’écrièrent en riant ses frères
enfant : il sculpte des
tiki et des canots dans l’écorce des arbres et se baigne avec les
petits. Non, c’est l’aîné qui sera notre capitaine.
Ayant ainsi décidé, les neuf fils se mirent en route, errant en vain sur
—
«
Nous laisser guider par Teagiagi
aînés. Mais il s’amuse
encore comme un
l’océan immense et revinrent bredouilles.
Mais la mer continua à chanter et appeler,
la mer vaste et sans limites
pendant que sur terre l’espace se réduisait. Alors, réparant le bateau brisé
par les orages, ils reprirent la mer, guidés cette fois par Teagiagi.
Et comme s’il connaissait le chemin depuis toujours, Teagiagi, Ô jeunesse bienheureuse ! mit le cap plein sur le soleil levant et, après plusieurs
lunes, une terre apparut sur les flots, pareille à une écuelle renversée.
Les oiseaux de mer poussaient des cris stridents. Des pieuvres
énormes nageaient dans l’eau étincelante sous le soleil.
Dépassant les monstres, le bateau aborda une terre belle et mystérieuse. Des centaines de
tiki de pierre, gigantesques comme des
rochers
s’élevant sur les talus, les corps recouverts de mousse ancienne, y paraissaient être les seuls habitants. Puis à la nuit tombée, des hommes nus,
oreilles assaillirent les frères mais ils périrent tous jusqu’au dernier après un court combat.
Les frères brûlèrent les vaincus et l’aîné s’y établit avec sa femme.
C’est ainsi que Rapanui fut découverte, île triangulaire comme un signe
de pierre inconnu, situé à la limite des choses.
Les navigateurs continuèrent leur route, attrapant des poissons avec
leurs hameçons de nacre et buvant de l’eau amère jusqu’à ce qu’ils aperçoivent une île nouvelle.
Havaiki, terre de nos lointains ancêtres, berceau des générations
solidement bâtis et aux longues
«
futures !
De toi
s’échappent des fumerolles enveloppées de brouillard, voiles
d’aubes rayonnantes. »
Là ils s’arrêtèrent pour un repos bien mérité. L’aîné des huit prit possession de Havaiki tandis que les autres se dirigeaient vers le Sud.
s’éclipsaient, d’autres naissaient. Dans une écume
les flots s’étalaient sous la voûte du ciel cachant la
Les vieilles étoiles
froide et harassante,
8
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
moitié du ciel ; les longues nuits se penchaient silencieuses sur
noires et le voyage parut décevant aux navigateurs.
les
eaux
Soudain, tel l’œil d’une jeune fille éprise attendant son fiancé, une
le ciel resplendissant et
des Maoris (NouvelleZélande), accueillit les marins dans sa fraîcheur humide pénétrée de
rosée. Des cascades de vapeur chaude tantôt s’élevaient en lézardes
huilantes, tantôt disparaissaient sous la terre telles de blanches apparitions
souterraines. Un sourd ronflement grondait sous les pieds mais l’herbe
était verte et les vallées riantes. Les frères se vêtirent de chaudes plumes
d’oiseau, se réchauffèrent sur la terre imprégnée de vapeur, et l’aîné d’entre eux y resta avec sa femme et son bétail.
Vers la chaleur, vers la douceur paisible, le capitaine dirigea son
navire et c’est dans l’archipel des Cook vers l’île Atia qu’abordèrent les
marins. L’aîné de ceux qui restaient s’y établit. Les cinq autres continuérent leur chemin ; en route, un jeune perroquet se percha sur les agrès
et conduisit les voyageurs vers la joyeuse terre Rarotonga.
Comme une jeune fille entrant dans la mer pour s’y baigner, elle offrait
en riant ses vertes tresses aux vents et encore une fois, l’aîné d’entre eux
fit de Rarotonga son héritage à jamais.
La nouvelle lune naquit et lorsqu’elle eut atteint son quart, les marins apercurent les beaux contours bleus de caps rayonnants paraissant plonger dans l’eau
comme des bêtes de montagne qui s’abreuvent avidement dans l’océan, mais qui,
pris par le sortilège de la mélodie des eaux, ne peuvent étancher leur soif.
C’était la Tahiti dorée, couronnée d’un cercle de nuages, entourée de
l’écume blanche des récifs et l’aîné des quatre marins tout heureux, y
haute montagne couverte de blanc se révéla sous
la terre Angara, que nous appelons aussi terre
resta avec sa femme et son bétail.
décida Teagiagi et tournant
l’ouest, il trouva l’île Tonga Tapu et l’île Vavau, fit débarquer ses deux
derniers frères et tout seul se mit à chercher une terre pour lui-même.
De légers ouragans virevoltaient dans les deux, la pirogue de Teagiagi
tournoyait sur les ondes salées, la pluie cinglait, l’orage grondait.
N’ayant rien trouvé pour lui-même, épuisé et triste, Teagiagi s’en
revint à Mangareva.
-
«
Maintenant, rentrons chez
nous
!
»
vers
9
Æ|j
Œu/lctin da la Société de& études. (Océaniennes
père, dit-il à Nua ; ta vue ne t’indique-t-elle pas une
posséder moi aussi ? »
Si, lui répondit Nua. Bien des terres sont encore ensevelies
dans les gouffres bleus, va à leur découverte, Ô aito !
Teagiagi garda le silence, cloué sur place, paraissant prêter l’oreille
bruit d’un orage lointain et enfin il murmura :
Crois-tu que les vagues et les vents n’aient pas assez fouetté
mon corps et que ma peau ne soit pas assez brûlée par le soleil
ardent comme le varech sur le sable ? Autrefois, t’en souvienstu mon père ? J’aimais la danse. Maintenant les folles danses d’un
océan furieux ont chassé ce goût de mes entrailles. Autrefois, t’en
souviens-tu mon père ? J’aimais les chants. Maintenant seul
l’orage gronde dans mes oreilles remplies d’eau salée et ma voix
elle-même est rauque comme le hurlement des trombes, comme
les soupirs implorants des vents de Tokerau. Non, je suis las des
voyages mon père.
Et il s’établit sur l’île de Taravai, appartenant à sa sœur bien aimée.
—
«
Mon
belle terre, que j’aurais pu
—
au
—
«
«
II
Ayant entendu parler des exploits de Teagiagi, Poatuto, l’un des chefs
de Mangareva apprêta un grand bateau et apprenant que
avaient d’abord mis le cap sur le soleil levant, il expédia son
les marins
formidable
fils à la recherche de l’île Rapanui.
Le fils de Poatuto trouva Rapanui et vit d’innombrables statues de
dieux inconnus ornant les talus. Il permit à une ruse méchante et hardie
de s’introduire dans
son cœur.
Découvrant le fils aîné de Nua
vaillait la terre dans
leusement
—
«
qui vivait là depuis longtemps et tra-
dur labeur, le nouvel arrivant lui demanda orgueil-
:
Comment as-tu osé
avis ?
—
un
t’emparer de mon île sans demander mon
»
Voici deux ans que je suis installé dans cette île », répondit le
fils de Nua avec indignation. « Vois-tu l’arbre de Kauveriki ? Je l’ai
«
apporté de Mangareva lorsqu’il n’était qu’un rejet et maintenant
10
N°315/316 - Janvier/Jum 2009
—
il
nous
«
Menteur !
offre
une
»
ombre fraîche.
»
s’écria le fils de Poatuto.
«
As-tu
vu
les centaines
de tiki qui ornent mon
—
île ? La première fois que je suis venu, j’ai
apporté un petit tiki et l’ai planté en terre. Regarde maintenant
ce que sa race donne ! »
J’ai entendu bien des oiseaux crier en vain en tournoyant sur
les ondes, mais jamais encore il ne m’est arrivé d’entendre un
pareil babil ! » répondit le fils de Nua l’aveugle. « Allons deman«
der
tiki eux-mêmes de
aux
nous
Et les deux hommes montèrent
sur
dire la vérité.
le talus où
se
»
dressait
un nom-
bre infini de silencieuses statues de pierre.
« Le voilà » fanfaronna le fils de
Poatuto,
—
sur
le dos.
«
Il est le premier
frappant l’un des géants
de l’espèce. Je l’ai planté en terre
il y a de cela quelques années ! »
Et un sinistre prodige eu heu. Un étrange
éclair s’alluma dans les
du tiki qui leva son énorme main, frappa la tête du vantard qui rapetissa, se transformant en un nain à peine visible. Jetant des petits cris stridents tel un coq vaincu, il s’enfuit loin des géants pour rejoindre son
bateau où dissimulé sous les cordages, il s’enfuit.
yeux
III
Pendant
ce
temps, au royaume de Poatuto, vivait le géant Marea
Tararoa.
Il vivait
au
sommet de la
depuis des temps immémomaître de lui accorder de la terre en plaine car
montagne et
riaux, il suppliait son
parmi les rochers, il était à l’étroit.
Comment puis-je t’accorder de la terre au pied du rocher avec ton
poids démesuré ? Si tu t’installes ici, rien qu’en marchant, tu feras
s’écrouler toutes les maisons et avec tes pieds, tu creuseras des trous
profonds tout le long du rivage. » répondit l’avide Poatuto au géant.
Une grande colère s’empara du géant qui abandonna Poatuto et
partit à la recherche du bonheur. Après avoir longtemps erré, il aperçut
l’île d’Angaru et s’y établit avec le troisième fils de Nua l’aveugle arrivé
—
avant
«
lui. Ils vécurent ensemble dans l’amitié
paisible.
11
bulletin de/ la Société/ de& études/ Océaniennes/
Après le départ du géant, Poatuto délaissé fut vaincu par ses ennemis
de fuir honteusement. En chemin, il rencontra la nef rapide
son fils qui rentrait.
Maintenant, c’est lui qui me protégera ! » s’écria Poatuto avec
joie, s’adressant à ses serviteurs. « Sa main est puissante et son
esprit vif. Sois le bienvenu mon fils. Te portes-tu bien ? J’ai besoin
et contraint
de
—
«
de ta force redoutable.
»
Lorsque les bateaux se croisèrent, Poatuto ébahi, vit le piteux aspect
en resta d’abord muet de sidération puis hurla
de l’infortuné nain. Il
comme en un
—
«
débre.
Tournez la
barre,
nous
allons à Rapanui !
»
IV
Ils abordèrent dans la nuit. Deux feux brûlaient à la porte
de la maiaboyait et des cris d’enfants retentissaient dans l’obscurité. La famille accueillait dans la nuit son premier né.
Poatuto ne viola pas leur paix bienheureuse.
Ce n’était pas à eux, mais aux formidables tiki qu’il avait déclaré une
guerre inexorable et s’approchant des statues dans les ténèbres, il cria
son
du fils du vieux Nua. Un chien
d’une voix assoiffée de sang :
« Démons !
pourquoi avez-vous
fils bien-aimé ? »
—
—
«
Parce
qu’il avait menti.
»
défiguré si impitoyablement mon
répondit la voix de pierre dans le
silence de la nuit.
Tous mentent
cria Poatuto dont la fureur
grandissait, « Le
quand il s’empare de la terre du pauvre, la mère
ment elle aussi en faisant l’éloge de sa fille au fiancé, l’enfant
ment lorsqu’il a volé un fruit. Et vous aussi vous mentez butors,
si vous avez l’intention de nous faire croire que le monde est mû
par la vérité. »
La terre trembla sous ses pas puissants et les géants se rapprochant
—
«
»
akariki ment
les
uns
—
12
des autres entourèrent Poatuto et
Tuez-les
ses
hommes.
hurla Poatuto en proie au délire, « projetez
lances, transpercez-les par des nuages de flèches ! »
«
»,
vos
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Lances et flèches
partirent et rebondirent sur les corps de pierre se
plus étroitement dans un sourd frémissement.
guerriers de Poatuto effrayés se précipitèrent vers leur bateau, lui
seul avec son fils nain se tenait encore parmi les géants éclairés par la
pleine lune, les accablant d’injures jusqu’à ce que la main gigantesque
recouvrant les vallées de son ombre immense, saisisse les malheureux et
les jette par-dessus l’île, sur leur navire ballotté par les flots.
Bientôt, des vagues pareilles à des montagnes s’élevèrent emportant
le bateau qui périt corps et biens.
resserrant
Les
Ainsi
se
termina la révolte de l’homme contre l’éternelle vérité des
dieux.
Et l’aube
se
leva.
Impassibles, les statues de pierre s’élevaient sur leurs places de toujours ainsi qu’elles le feront jusqu’à ce que Maui se lasse de tenir sur ses
épaules notre vieille terre pesante.
Après la fuite de Poatuto, une vie paisible régna sur l’île de
Mangareva.
Teagiagi seul demeurait insatisfait, il ne voulait plus vivre sur les
terres de sa sœur, il désirait une terre pour lui-même. Voyant sa souffrance, le vieux Nua lui chuchota :
L’homme peut tout Teagiagi : marcher sur les eaux bouillonliantes et attraper les étoiles du ciel comme celui qui se rend à
une fête cueille les fleurs des arbres ; descendre dans une nuit
éternelle et s’élever vers le ciel où demeurent les grands esprits.
L’homme peut tout si son esprit est droit et sa volonté ferme, et
s’il s’est abstenu de toute débauche. Toi qui as trouvé huit terres,
ne peux-tu en trouver une petite pour toi ?
Alors Teagiagi s’avança en mer et, troublant les eaux tempétueuses,
surgit auprès de l’île de Taravai, l’îlot Anka uita où il demeura jusqu’à sa
mort, aimé de tous et libre comme un oiseau de l’Océan.
—
«
Légende recueillie par Alexis Massainoff
Traduite du
russe
par Marie Zakrevsky, publié dans le BSEO n° 33 en 1931Texte repris par Simone Grand pour le n° 315 en 2009
13
Taaki, l’homme
le
plus heureux du monde
L’homme demanda à la mer où demeurait le plus heureux des humains ;
roulaient, racontant ce qu’elles savaient des terres étrangères et
ce n’était pas de notre terre qu’elles parlaient.
L’homme interrogea le vent et celui-ci riait pour toute réponse, car il
avait vu bien des choses le sage vent, et il n’avait jamais rencontré ni île, ni
pays où la maladie et la mort, maîtresses de l’univers, n’eussent pas régné.
Alors l’homme interrogea la perle, rejetée sur le sable et elle lui murmura tout bas qu’un jour elle avait été pêchée près de l’île Timoe par le
beau et jeune Taaki considéré comme le plus heureux des hommes vivant
les vagues
inconnues. Mais
sous
le soleil.
Ecoute bien
l’on raconte de lui.
l’appela le bienheureux car il
était pourvu de toutes les vertus.
Il était si fort et si vigoureux que d’un coup de lance, il tuait le plus
grand des requins.
Il était si gai que lorsqu’il dansait, c’était comme si la joie elle-même
qui dansait ; en vérité Taaki était aussi le meilleur de nos chanteurs.
Mais ce qu’il avait de plus merveilleux lui avait été donné à sa naissance : Taaki avait une peau dorée comme le ciel de l’aube, une peau
douce et luisante et en plus, il avait du mana. Mais tout le monde ignorait l’existence de ce mana, même la bien-aimée de Taaki, la belle et
Taaki vivait
étourdie Nua.
ce
sur
que
l’île de Mangareva. On
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Lorsqu’une joyeuse jeune fille aime, elle chante du matin au soir au
point d’interrompre les oiseaux et lorsque descend le crépuscule, elle inonde
son bien-aimé des plus incroyables et plus bizarres noms, doux comme la
canne à sucre. Mais le nom préféré inventé par la bavarde Nua
pour son ami
était celui de Teurere, doux comme le roucoulement de tourterelles.
Le mariage approchant, Taaki décida de lui offrir un beau cadeau et
se dirigea vers l’île de Timoe jadis célèbre pour ses perles.
Le chemin était long, le temps orageux et Taaki dût affronter les flots
tumultueux avant d’atteindre l’île.
Seules deux familles
d’un
peuple étrange aux visages blancs- l’hanourrissaient de coquillages. Le soir,
réunis en cercle, ils regardaient le ciel rouge et chantaient des chansons
mélancoliques sur un pays enfoui sous les eaux et sur leur sort étrange.
Ces hommes étaient beaux comme des fleurs, mais les plus beaux
de tous étaient le jeune Teuirangi et la jeune Marama ou Clair de lune.
Le jour, Taaki plongeait à la recherche de sa perle et Marama assise
sur la plage à le regarder lui offrait des noix de coco à boire.
Lorsqu’il eut enfin trouvé une perle grande et brillante comme l’étoile
du matin, Taaki décida de rentrer à Mangareva. La jeune fille s’approcha
de lui en pleurant :
Bien des feux étincellent dans le firmament, bien des feux tombent en roulant dans le ciel quand vient la nuit. Taaki, que ton
étoile t’éclaire à Mangareva, si elle n’est pas couchée déjà. Mais
si cela se produit, rappelle-toi que mes larmes sont plus chaudes
que le feu et plus salées que la mer.
Après cinq longues lunes d’absence, Taaki rentra à la verte Mangareva mais personne ne vint à sa rencontre sur la rive. Entrant dans le village, il entendit les cris joyeux des gens revenant d’une fête, tous parés de
couronnes de réjouissances.
Tu rentres trop tard Taaki » crièrent-ils. « Nous venons du
mariage de ta Nua avec le pêcheur Tuku. Mon ami, lorsqu’une
femme se met à parler de son amour aussi doucement que le fait
un oiseau, prends une amie sourde et muette, et tu seras plus
-
bitaient. Ils écoutaient le vent et
—
—
se
«
«
heureux
en amour. »
15
Œullcii/t de /a Société des. études. 0 100
EN
1/1/2
CR
3/10-15/> 300
VU
Anaa
: en
danger critique d'extinction ; EX : éteint aux Gambier
Le Tableau 3
présente le statut de conservation de ces 13 espèces
protégées. Parmi celles-là, trois n’ont pu être retrouvées. Les nombres
d’îles, de stations et d’individus indiqués correspondent aux observations
récentes et ne font pas référence aux observations historiques. Enfin, un
statut UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) est
proposé pour chacune des espèces à l’aune de son abondance et de sa
dynamique dans le seul archipel des Gambier.
Il faut noter que 7 des 10 espèces subsistantes sont présentes au
niveau des falaises et bas de falaise des Monts Mokoto et Duff
sur
Man-
indique l’intérêt patrimonial de ces sites de superficie resailleurs, ces sites consistent souvent des seules stations
connues des différentes espèces protégées (Coprosma, Gouania,
Lipocarpha, Pisonia, Streblus).
Les espèces présumées éteintes sont les arbustes Achyranthes mangarevica non revu à Mangareva depuis 1934, Fitcbia mangarevensis
uniquement observé en 1922 et Gossypium hirsutum var. taitense qui
avait été domestiqué par les missionnaires dès les années 1830 à partir
d’un pied localisé en montagne à Mangareva et qui n’a jamais été récolté
par les botanistes.
gareva, ce qui
treinte. Par
119
bulletin de la Société das études 0icea/iiefi/icdi
espèces remarquables non protégées mériteraient égaleparticulière dans la mesure où elles sont sur le point
de disparaître de l’archipel. Il s’agit par exemple de l’arbre indigène Nesolima polynesicum var. glabrum dont seuls 2 individus sont connus de
Kamaka, l’espèce nouvelle Kadua sp. nov. dont 4 pieds sont réfugiés sur
les falaises du Mont Duff à Mangareva, la fougère apparemment nouvelle
Cheilanthes sp. nov. se développant sur la falaise du Mont Mokoto à Mangareva, l’arbre endémique de Niau et des Gambier Glochidion tuamotueuse non retrouvé à Taravai et identifié pour la première fois à
Mangareva (Walter Teamotuaitau, comm. pers. 2008), l’arbre indigène
Sapindus saponaria bien connu sous le nom de Koku’u aux Marquises
et restreint à de petites populations relictuelles sur les îles de Mangareva
et Kamaka, et la liane méconnue Ipomoea tiliacea var. merremioides
endémique des Marquises et identifiée à Mangareva dans la station de
Sapindus précédemment citée.
D’autres
ment une attention
Il faut donc considérer que
la plus grande partie de ces espèces
endémiques et/ou protégées est en sursis aux Gambier et que des actions
de conservation des espaces ou des espèces sont primordiales pour assurer leur pérennité.
De nombreuses
causes
de
dégradations
dégradation de la végétation de l’archipel des Gambier qui a été
évidence par les différents naturalistes précités résulte de différents facteurs. Peuvent y être décelés des impacts humains directs et indirects ainsi que des phénomènes climatiques exceptionnels.
La
mise
en
Impacts humains directs
L’arrivée des premiers mangaréviens a résulté en des défrichements
préalables à l’installation et à la mise en culture. Ces défrichements ont
notamment été réalisés par brûlis ; il est par ailleurs probable que des
incendies involontaires se soient produits et que ce soient ces derniers qui
120
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
soient principalement
responsables de la disparition des zones forestières.
ailleurs, des espèces végétales de la forêt naturelle ont été également
exploitées de façon ciblée pour subvenir aux besoins alimentaires, utilitaires ou médicinaux. Ces impacts se sont par ailleurs accrus depuis le
contact et la redécouverte européenne.
Par
Cette installation
naturelle mais
a
donc conduit à une diminution des surfaces de forêt
également à la raréfaction de certaines espèces végétales.
Impacts humains indirects
L’arrivée de l’homme
conduit
également en l’introduction de nomespèces animales et végétales. Relativement aux espèces végétaies, ces introductions ont contribué à complètement modifier le paysage
de l’archipel avec, généralement, une concurrence accrue et le remplacernent de la flore indigène par la flore introduite plus compétitive. Il est
ainsi possible de noter que les Gambier comptent aujourd’hui 14 espèces
classées comme menaçant la biodiversité de Polynésie française (Tableau
4) par l’arrêté 65 CM du 23 janvier 2006. Certaines de ces espèces sont
aujourd’hui omniprésentes dans le paysage de l’archipel comme l’herbacéeMelinis minutiflora qui se développe même sur les îlots ou le Falcata (Falcataria moluccand) qui a été introduit pour fixer et enrichir les
sols mais qui aujourd’hui se naturalise.
a
breuses
Tableau 4 : Statut et abondance des 14
espèces classées envahissantes des Gambier
Espèce
Nom
Statut
Eugenia uniflora
Cerise
Nat.
Falcataria moluccana
Falcata
Nat.
Flemingia strobilifera
Queue de chevrette
Cuit.
Kalanchoe pinnata
Kalanchoé
Nat.
Assez
commun
Taralcoa
Nat.
Assez
commun
Acacia
Nat.
Assez
commun
Mélinis
Nat.
Sensitive géante
Nat.
Parapatini
Nat.
Psidium cattleianum
Tuvava kinito
Subsp.
Rubus rosifolius
Spathodea campanulata
Syzygium cumini
Syzygium jambos
Framboisier
Nat.
Pisse-pisse
Subsp.
Rare
Pitate
Nat.
Commun
Pomme-rose
Nat.
Rare
Lantana
camara
Leucaena
leucocephala
Melinis minutiflora
Mimosa diplotricha
Passiflora maliformis
Abondance
Assez
rare
Commun
Rare
Commun
Rare
Assez
commun
Rare
Assez
commun
121
i
ÇÈid/clin de la Société des éludes (Océanietmcs
L’introduction et la
subséquente naturalisation d’animaux sont égaperturbation de la forêt naturelle. En effet, les rats
introduits par les Polynésiens (Rattus exulans) et les Européens (Rattus rattus) sont des prédateurs de semences d’espèces locales mais peuvent également écorcer les branches en saison sèche (Meyer & Butaud,
2009). L’impact des chèvres férales et des bœufs n’est également plus à
démontrer avec l’éradication de zones forestières et d’espèces végétales
particulièrement appétantes. Ces animaux contribuent par ailleurs grandement à l’érosion des sols du fait du surpâturage.
Enfin, l’extinction d’oiseaux frugivores disséminant les graines d’espèces à fruits charnus est également la cause de disparition de la flore
indigène et endémique. En effet, plusieurs pigeons appartenant aux genres
Ptilinopus (les pigeons verts), Ducula (les carpophages) et Gallicolumba (les gafficolombes) fréquentaient l’archipels autrefois et ont probablement été victimes de la chasse par l’homme (ossements trouvés sur
des lieux d’habitations par les archéologues) mais également de la prédation des œufs et des poussins aux nids par les rats.
lement
sources
de
Phénomène
climatique exceptionnel
longues et récurrentes apparaissent régulièrement
dans la tradition orale mangarévienne. Ce phénomène exceptionnel qu’est
la sécheresse a probablement dû avoir un impact plus important sur des
petites îles peu élevées et très isolées que sur d’autres îles plus grandes
et élevées comme les Marquises ou les îles de la Société. Ces périodes
sèches ont certainement dû atteindre la végétation locale avec la raréfaction ou la disparition de certaines espèces particulièrement sensibles.
Elles ont surtout probablement fragilisé la végétation naturelle qui est
devenue plus sensible aux impacts humains comme l’exploitation (par
défaut de régénération) ou l’incendie (inflammabilité accrue). Cet impact
de la sécheresse est par ailleurs aujourd’hui très discuté pour expliquer
la disparition de la forêt de l’île de Pâques (Orliac & Orliac, 2008).
A la lumière des descriptions passées, de la flore actuelle et des
causes de dégradation, il apparaît possible de résumer succinctement
l’histoire de la végétation des Gambier :
Des sécheresses
122
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Epoque pré-polynésienne (avant900 aprèsJ.G.) :
à dominante forestière, du niveau de
la mer jusqu’au sommet des montagnes. Présence de 110 à 130 espèces
indigènes dont 10 à 20 endémiques de l’archipel.
•
Iles couvertes d’une végétation
Epoque polynésienne (entre 900 aprèsJ. C. et 1797) :
Polynésiens et introduction de 60 espèces végétales alimentaires, médicinales ou utilitaires, de la poule, du rat polynésien, du
chien et du cochon. Défrichage à la main et par le feu des plaines httoraies et des basses pentes fertiles et plantations d’espèces alimentaires.
Régression de la forêt naturelle aux pentes les plus fortes et en altitude dans un premier temps.
•
Arrivée des
Phénomènes récurrents de sécheresse entraînant des feux
plus
importants éradiquant les forêts naturelles de la plupart des îles et augmentant la pression humaine sur les rehques forestières ; concentration
des cultures alimentaires aux sites les plus humides, disparition de plantâtions d’arbre à pain et d’autres espèces des basses pentes ; sol à nu et
érodé du fait des feux.
Disparition de 10 à 20 plantes indigènes
ou endémiques et de plufrugivores.
Végétation des îles schématisée sous la forme de 3 cordons : littoraux
aux rehques de végétation littorale, plaines aux cultures alimentaires et
versants aux fourrés de roseaux et fougères.
sieurs oiseaux
Epoque historique (entre 1797 et 1970) :
Européens et introduction de plus de 200 espèces végétaies dont de nombreuses ornementales, du rat noir, du chat, de la chè•
Arrivée des
vre
et du bœuf.
Perpétuation des feux, accroissement de l’érosion du fait du surpâturage herbivore, disparition du couvert végétal arborescent naturel et
raréfaction du couvert herbacée. Développement de forêts secondaires.
Disparition des plantations alimentaires des hauteurs et diversification des cultures dans les plaines.
Disparition de 10 à 20 plantes indigènes ou endémiques et de plusieurs oiseaux frugivores.
123
j j j lj Œulletin de la Société des Stades> Océaniennes^
•
Epoque moderne (depuis 1970) :
près de 200 espèces végétales, essentiellement des
Introduction de
ornementales.
Eradication par le service forestier
des chèvres et des bœufs des principales îles afin de lutter contre l’érosion (réintroduction de ces animaux
durant les années 1980-90).
Plantations forestières par le service forestier et les Mangaréviens
dans les années 1970 et 1980, Pinus caribaea, Falcataria moluccana et
Casuarina equisetifolia, et naturalisation de ces espèces depuis.
Raréfaction des zones érodées, progression des forêts secondaires.
Raréfaction de la flore locale, sans nécessairement de disparition.
Cartographie de la végétation de Pile de Mangareva
Les formations
végétales de Mangareva ont été étudiées par l’interdescription de la végétation sur des points d’arrêt dans
différents types de milieu. La photo-interprétation des photographies satellites récentes a permis ensuite de tracer les contours des formations végétaies les plus remarquables. En effet, même si sur le terrain il était possible
de distinguer des formations élémentaires, elles n’ont pas pu toutes être
visualisées sur les photos satellites. Aussi, nous nous limiterons à la cartographie et à la présentation des principales formations végétales de
Mangareva tout en détaillant le cas échéant dans le texte la variabilité présente au sein de chacune d’entre elles. Les formations végétales trouvées
sur les autres îles de l’archipel sont identiques ou très proches de celles
trouvées sur Mangareva, à l’exception des formations sur motu coralhens et, dans une certaine mesure, des forêts de Koueriki (Terminalia
glabrata var. koariki) de Kamaka.
Sont présentées dans le Tableau 5, les différentes formations végétales
reconnues sur l’île de Mangareva avec les superficies qu’elles occupent.
médiaire de la
124
M
Fom\citioQ/ Sttorale/
Forêt/ naturelle/ et
Pruticée/ de Palaî/e
|; ; ; • ; ;| Forrnafcion/ n\élarigéo/ Pruitière/
I ' ' 'I Forrriation/ à Kjbi/cu/ tiSaceu/
WH Foret/ de
Zoqe/
Poux-pt/tad^er/
herbacée/
Zoqe/ artiPiriai/ée/
|
Plar\tdtlpnr Pore/tière/ et
Carte
régénération
Mangareva
hjlon\«br«/
■BR8
p bulletin
de la
Société des buides
Tableau 5
:
Formations
ucéaniefines
végétales de Mangareva
Types de végétation
Surface (ha)
Proportion (%)
Végétation littorale
88
6.3
Forêts naturelles diverses
16
1.1
Fruticées de falaise
13
0.9
Formations
Forêts denses d'Hibiscus tiliaceus
72
5.1
forestières
31
2.2
secondarisées
Forêts denses de pistachiers
Forêts mélangées fruitières
118
8.5
Zones herbacées
Zones herbacées basses
48
3.4
Zones herbacées hautes
99
7.1
Village et habitations
Forêts de Casuarina equisetifolia
Plantations de pins des Caraïbes
96
6.9
373
26.7
122
8.7
Forêts de Falcataria moluccana
323
23.9
1399
100
Formations
végétales
Formations naturelles
Zones artificialisées
Formations
forestières issues
de
plantations
Mangareva
La carte de
végétation de Mangareva est, quant à elle, présentée en
présentées dans le tableau précédent ont été calculées à partir du Système d’information Géographique (SIG), surface glob^de de l’île y compris. Pour des raisons de lisibilité, certaines formations
végétales ont été bisionnées sur la carte : forêts naturelles et fruticées,
zones herbacées hautes et basses, forêts de Casuarina, de Pinus et de
Carte 1. Les surfaces
Falcataria.
L’île de Mangareva apparaît donc comme très largement secondarisée avec moins de 9% de formations qui peuvent être considérées
naturelles. A contrario, les
plantations forestières et la naturaespèces les constituant (Pins, Aito/Toa et Falcata)
couvrent près de 60% de l’île aujourd’hui. Il faut néanmoins noter que
ces plantations ont été réabsées aux dépens des zones érodées et des
herbacées, autrement dit des landes à fougères ou à Kaka’o/Miscanthus
floridulus, qui sont ebes mêmes issues de la dégradation des formations
comme
bsation ultérieure des
naturebes.
aiheurs, ü s’agit seulement de la réabsation de la première carte
dans l’archipel des Gambier. Les formations végétales rehctuehes sont à rapprocher de cebes des Australes avec notamment des fruPar
de végétation
ticées bien
126
développées
sur
les falaises fraîches.
Abutilon mangarevicum Fleur 13 Munui Gambier
Nesoluma sp. Fruit 3
Kamaka Gambier
Çfoulletin de la Société des éludes (Océaniennes
Formations naturelles
Les formations naturelles résiduelles de
Mangareva correspondent
dégradés. Elles peuvent être considérées comme
largement secondaries mais il a été choisi de les individualiser du fait
aux
milieux les moins
de la
présence
endémiques.
non
négügeable d’espèces indigènes remarquables
ou
VÉGÉTATION LITTORALE : la végétation Uttorale indiquée sur la
carte comprend des formations assez modifiées par l’homme mais
qui comportent à la fois des espèces et une morphologie proche de
ce qui est supposé être naturel. Cette végétation couvre un peu plus
de 6% de l’île et consiste en une bande plus ou moins étroite le long
du lagon. Les espèces principales sont les arbres Hibiscus tiliaceus,
Thespesia populnea et Pandanus tectorius, les lianes Golubrina
asiatica, Ipomoea littoralis, Ipomoea pes-caprae et Canavalia
sericea, les herbacées Fimbristylis cymosa, Lepturus repens et Paspalum vaginatum et la fougère Microsorum grossum.
•
•
FORÊTS
NATURELLES DIVERSES
tous les sites non
des
type de végétation regroupe
littoraux, à l’exception des falaises, qui comportent
: ce
espèces et des lambeaux de végétation patrimoniale. Il n’occupe
qu’un peu plus de 1% de la surface de l’île, soit environ 16 hectares.
Il s’agit à la fois des bas de falaises du sud des monts Mokoto et Duff
mais également de lambeaux de forêt au nord et au nord-ouest du
mont Duff. Ces 4 sites contiennent la quasi-totalité, avec les falaises,
de la flore indigène de Mangareva et il convient impérativement de
les ériger en aire protégée. Les espèces principales sont les arbres
Artocarpus altilis, Aleurites moluccana, Hibiscus tiliaceus, Melia
azedarach, Terminaliaglabrata, Pisonia austro-orientalis, Sapindus saponaria et Celtis pacifica, les arbustes Glochidion wilderi,
Goffea arabica, Alyxia stellata, Cyclophyllum barbatum, Psydrax
odorata, Maytenus vitiensis, Coprosma rapensis, Jossinia reinwardtiana etPremna serratifolia, les fougères Hypolepis tenuifolia,
Cyclosorus spp., Asplénium spp., Pyrosia repens, Nephrolepis spp.,
128
Sophora mangarevaensis
Fleurs
bulletin de/ lev Société de& études/ ûiceante/i/ies
Adiantum hispidulum et Davallia
solida, l’orchidée Taeniophyllum fasciola et les lianes Ipomoea
indica, Ipomoea tiliacea, Gouania mangarevica, Byttneria acu-
Microsomm commutatum,
leata et Golubrina asiatica.
•
FRUTICÉES
DE FALAISE
de l’île sont situées
au
:
Ces fruticées
qui couvrent moins de 1%
niveau des Monts Duff et Mokoto et consistent
des falaises et vires mesurant de 5
de haut à
plus de 200 m
les plus hautes. Une végétation assez clairsemée s’y développe
comprend un grand nombre de plantes patrimoniales préservées des dégradations éventuelles par leur inaccessibilité. Les espèces
principales sont les arbustes Metrosideros collina, Celtis pacifica,
Premna serratifolia, Maytenus vitiensis, Psydrax odorata, Jossinia reinwardtiana, Strebluspendulinus, Sophora mangarevaensis et Glochidion wilderi, les arbrisseaux Pilea sancti-johannis et
Kadua sp. nov., les banes Ipomoea indica, Gouania mangarevica
et Jasminum didymum, les fougères Microsorum membranifolium, Asplénium indusiatum, Cheilanthes sp. nov., Psilotum
nudum et Pyrosia serpens, les herbacées Peperomia blanda, Oplismenus hirtellus etLipocarpha mangarevica.
en
m
pour
mais
Il faut insister
le fait que
les deux derniers types de végétation
de la flore patrimoniale de l’île sur une superficie très faible, moins de 30 ha, soit 2% de la superficie de l’île. Des
actions de conservation pertinentes (contrôle du caféier, clôture des sites
accessibles aux chèvres...) seraient à promouvoir pour assurer la protection et la gestion de ces sites vitaux pour la flore mangarévienne d’hier.
sur
concentrent la quasi-totakté
Formations forestières secondarisées
Ces formations forestières consistent
récents
de terres autrefois défrichées
peu
130
des
développements assez
d’espèces introduites ou de {‘Hibiscus tiliaceus en recolonisation
ou
en
dénudées. Elles
d’espèces indigènes patrimoniales.
ne
comprennent pas ou
Vue
sur
falaise Mokoto
Mangareva
Vue
sur
Mokoto de l'Ouest Mangareva
-
Gambier
bulletin de la Société des ètade& Otccanie/mes
•
FORÊTS DENSES D'HIBISCUS TILIACEUS :
ces
forêts dense de ‘Au
plus de 5% de l’île au niveau des bas de versant,
plaines littorales ou de certains talwegs humides. Il s’agit essenbellement d’une recolonisation naturelle de terres aujourd’hui inutihsées mais exploitées par le passé, notamment pour l’élevage ou la
culture. L’espèce dominante est donc Hibiscus tiliaceus et le sousbois est essentiellement herbacé avec Oplismenus compositus.
couvrent un peu
des
FORÊTS DENSES DE PISTACHIER : le pistachier Syzygium cumini,
espèce envahissante, a été planté par le passé pour ses fruits cornestibles, essentiellement en bord de sentier ou d’habitation. Il s’est
•
depuis naturalisé de proche
en proche (gravité, consommation
cochons) pour occuper aujourd’hui plus de 2% de la
surface de l’île. Cette progression va très probablement se poursuivre. A terme, ces forêts vont se densifier et aucune espèce autre que
le pistachier ne pourra s’y installer.
humaine
ou
FORÊTS MÉLANGÉES FRUITIÈRES
forêts occupent 8,5%
de
plantations d’arbres
fruitiers comme les manguiers, cocotiers, litchis, agrumes, goyaviers... Dans une certaine mesure, les jardins près des maisons y
ont été inclus. Il s’agit de formations dominées par des espèces introduites cultivées par l’homme, très diversifiées mais qui ont tendance
actuellement à s’enfricher faute d’entretien, notamment à cause de
la progression du pistachier. L’espèce dominante dans ces forêts
demeure le manguier avec quelques fougères banales au sol.
•
l’île et consistent
en
: ces
d’anciennes et actuelles
Zones herbacées
Ces formations herbacées sont totalement artificielles et liées à la
dégradation des forêts originelles
par
le feu, l’exploitation humaine
ou
les animaux herbivores.
•
ZONES
HERBACÉES
BASSES
:
ce
type de végétation consiste
aujourd’hui en un grand pâturage (3,4% de Me)
132
sur les pentes
nord
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
du mont Mokoto. Il est maintenu
par l’abroutissement des troude chèvre occupant ce sommet. Ces pelouses sont essentiellement occupées par des herbacées et semi ligneux introduits
appartenant aux familles des Astéracées, Malvacées, Poacées et Cypéracées. Il faut noter qu’une partie non négligeable de la zone cornraz
peaux
mence
à être envahie par Lantana camara et que certains sites sont
érodés, notamment à l’ouest du Mont Mokoto.
ZONES
HERBACÉES HAUTES
type de végétation dominé à basse
Kaka’o (Miscanthus;floridulus) et à plus haute altitude
par Tarataratuna (Dicranopteris linerais) était probablement le plus
répandu au début du XIXe siècle lors de l’arrivée des premiers navires
européens. Il n’occupe aujourd’hui qu’un peu plus de 7% de l’île alors
que plus de 50% devaient être couverts de roseaux deux siècles auparavant. Cette réduction tient aux plantations forestières menées par les
services forestiers au cours des années 1970 et 80 mais également au
pâturage herbivore. Il faut noter que sur le versant nord du mont Duff,
l’envahissante Melinis minutijhra est très abondante.
•
: ce
altitude par le
Zones artificialisées
Il s’agit
des
zones
très fortement modifiées
par
l’homme et où la
végétation
a pratiquement disparu. Elles consistent essentiellement en
constructions et aux terrains alentours comme les jardins et autres ter-
rains recouverts de
pelouses ou à nu. Le village de Rikitea ainsi que toutes
isolées, les cultures maraîchères, le dépotoir, le couvent de
Rouru et la friche attenante en font partie. Tous ces sites anthropisés occupent un peu moins de 7% de la superficie de l’île.
les habitations
Formations forestières issues de
plantation
plantations réalisées par les
services forestiers durant les années 1970 et 1980 (SDR-Département
FOGER, comm. pers. 2005). Il s’agit à la fois des plantations elles-mêmes
mais également des nouvelles zones occupées du fait de la naturalisation
des différentes espèces concernées.
Ces formations forestières sont hées
aux
133
bulletin de la Société des* études* Océan
À CASUARINA EQUISETIFOLIA : le Toa/Aito consiste
probablement en une introduction polynésienne à Mangareva.
Les services forestiers ont planté près de 70 ha de cette espèce sur
Mangareva mais aujourd’hui le Toa s’est naturalisé sur une grande
surface et couvre 373 ha et 27% de la surface de l’île. Le sous-bois
•
FORMATIONS
très
de
forêts est généralement exempt de toute
espèce végétale à l’exception des forêts situées sur le col entre les monts Duff et Mokoto
qui dominent un sous étage de framboisiers (Rubus rosifolius) et
ces
de lantana.
PLANTATIONS DE PINS DES CARAÏBES
plus de 144 ha de
pins des Caraïbes ont été plantés à Mangareva. Le SIG a permis de
localiser uniquement 122 ha, soit un peu moins de 9% de l’île, ce qui
indique une faible naturalisation et éventuellement l’échec de certaines plantations envahies par le Falcata ou le Toa. Le sous-bois des
plantations de pins des Caraïbes est généralement très bas avec
essentiellement des fougères des genres Nephrolepis, Dicranopteris et Cyclosorus et des Poacées comme Oplismenus compositus.
•
: un
peu
Un début de naturalisation est néanmoins visible au sein
de
zones
herbacées attenantes.
près de 250 ha de Falplantés par les services forestiers sur l’île de Mangareva.
Aujourd’hui, 323 ha ont été cartographiés par SIG, ce qui représente
un peu moins de 24% de l’île et qui indique une nette naturalisation
de l’espèce dans tous les types de milieu. Les sous-bois de Falcata
sont généralement assez clairs et permettent la croissance de différentes espèces comme les graminées Miscanthusflorididus, Oplismenus compositus ou les arbustes endémiques Glochidion spp. ou
•
FORMATIONS EFALCATAR1AMOLUCCANA
cata ont
été
introduits Lantana
134
camara.
:
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Conclusion et
perspectives
La végétation
des Gambier apparaît ainsi dans son ensemble comme
largement dégradée et secondarisée, les différentes îles ne présentant
essentiellement que des zones herbacées régulièrement brûlées et des
plantations forestières récentes. La flore indigène de 97 espèces, qui
s’amenuise continuellement avec 9 espèces présumées éteintes, y est très
largement surpassée par près de 500 espèces introduites dont plus d’une
dizaine d’espèces menaçant la biodiversité.
Une illustration de l’état de dégradation de ces îles consiste en la
proportion d’espèces protégées identifiées dans l’archipel. En effet, plus
de 13% des espèces indigènes des Gambier bénéficient de ce statut car
présentant des populations précaires et menacées d’extinction.
Par ailleurs, les herbivores et notamment les chèvres férales, bien
qu’éradiquées durant les années 1970, ont fait leur retour dans les différentes îles et notamment les hauteurs de Mangareva et Akamaru ainsi que
les îlots Mekiro, Makapu et Makaroa. Elles contribuent alors à la raréfaction extrême de la plupart des espèces indigènes ainsi qu’à l’érosion
des sols largement visible aujourd’hui sur Akamaru.
très
Ce tableau noir de la flore des Gambier
ne
doit néanmoins pas mas-
quer les richesses subsistantes. Ainsi, même si 2 espèces endémiques de
l’archipel sont considérées comme éteintes, 8 sont toujours présentes
dans certains refuges. Le plus riche de ces refuges, les falaises et bas de
falaises des monts Duff et Mokoto sur Mangareva, a ainsi été désigné par
un collège d’experts comme étant l’un des 15 sites de conservation
prioritaires de Polynésie française sur 115 sites identifiés dont la préservation est impérative du fait d’une faune, d’une flore, de formations végétales
et de paysages originaux et exceptionnels (Meyer et al., 2005). Un autre
site, les îlots Manui, Kamaka et Makaroa, classé comme à priorité intermédiaire par ce même collège d’experts, consiste en une des 32 Zones
Importantes pour la Conservation des Oiseaux (ZICO) de Polynésie française (www.manu.pbT_ZICO.html). La flore et l’avifaune des Gambier
135
Ç&idleti/i dv ta Société des btudes Océanie/t/te&
sont
du
donc
reconnues
à l’échelle de la Polynésie française, voire
comme remarquables et justifiant
des menaces pesant sur elles.
Pacifique,
tion à la
vue
à l’échelle
des actions de conserva-
l’archipel des Gambier n’a pas été prospecté de façon homogène (Me de Akamara devant notamment receler quelques plantes encore
non décelées), certaines lignes directrices visant à la préservation de son
patrimoine naturel peuvent être tracées à l’aune des connaissances
Si tout
actuelles.
Ainsi, la priorité floristique consiste en la préservation et en la resvégétation naturelle réfugiée sur les falaises et au niveau
des bas de falaise des monts Duff et Mokoto sur l’île de Mangareva. En
effet, ce site comprend actuellement plus de 55% des espèces indigènes
tauration de la
dont 8 des 13 espèces protégées et 6 des 10 endémiques. Les
en œuvre pourraient consister à la mise en place de clôtures, à la chasse aux chèvres férales, à la lutte contre les espèces végétaies envahissantes et à la mise en œuvre de plans de conservation propres
à chacune des espèces protégées et/ou remarquables. Une pépinière serait
alors probablement nécessaire.
de l’archipel
actions à mettre
ailleurs, les îlots de Makaroa, Kamaka, Manui et Motu Teiku se
avérés riches, non seulement pour les oiseaux marins, mais égale-
Par
sont
les découvertes d’une espèce endémique des
(Abutilon mangarevicum) et d’importantes formations forestières naturelles sur Kamaka, ces dernières
abritant notamment l’endémique Pilea sancti-johannis et un nouvel
arbre pour l’archipel, Nesolumapolynesicum. Ces motu, et notamment
Kamaka, sont par ailleurs essentiels dans le cadre de programmes de
conservation de la flore in et ex situ car leurs petites tailles (moins de 50
ha pour Kamaka, le plus grand) rend possible des opérations de réhabilitation (éradication des chèvres, des lapins ou des rats ; contrôle des
plantes envahissantes...) De cette manière, il serait d’ores et déjà possible de (ré)introduire un certain nombre d’espèces végétales menacées
ment pour
leur flore
avec
Gambier présumée éteinte sur Manui
136
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Kamaka dont les chèvres ont été
éradiquées en 1963 par son propriétaire. Il pourrait en être de même à Manui avec l’éradication des
lapins et à Makaroa avec celle des chèvres.
sur
Enfin, la réintroduction d’un pigeon vert frugivore du genre Ptilinopus serait très bénéfique à plusieurs arbres et arbustes indigènes produisant des fruits charnus. En
effet,
tel pigeon appelé par les
Mangaréviens Kuku était présent au XLXè siècle dans l’archipel et contrihuait certainement à la dissémination de graines par ingestion. Sa disparition a ainsi entraîné la raréfaction progressive de certains arbustes
un
appartenant notamment aux genres Alyxia et Cyclophyllum et ne subsis-
forme de bouquets limités en extension. Les mêmes obserêtre réalisées dans les îles de Rurutu, Tubuai et Raivavae
aux Australes et l’île de Anaa dans les Tuamotu, où aucun pigeon
frugivore
n’est présent aujourd’hui.
tant
que sous
vations peuvent
L’archipel des Gambier pourrait ainsi constituer un véritable laboprojets de restauration de sa flore et de sa faune,
projets associant non seulement les scientifiques des plantes et des
oiseaux mais également la population locale et les propriétaires, ainsi
que les services administratifs et communaux concernés.
ratoire dans le cadre de
Remerciements
Nous tenons
premier lieu à remercier la commune des Gambier, sa mairesse, Monique Richeton, et ses habitants pour toutes les facilitées accordées lors de cette mission de prospection ainsi que pour les
informations partagées relatives aux plantes, notamment de la part de
Daniel Teakarohi et Dominique Devaux. Un grand merci à Monique Richeton et Mateo Pakaiti pour le logement sur Mangareva et à Johnny Reasin
pour son intérêt relatif aux richesses naturelles de l’archipel et pour l’expédition sur son île Kamaka. Nous sommes également reconnaissant à la
SOP Manu et Anne Gouni pour nous avoir permis de réaliser cette étude
et Claude Serra de la DIREN pour l’avoir poursuivie. Je remercie également Walter Teamotuaitau, Ravahere Taputuarai et David Hembry pour
en
tout
137
bulletin/ da Ici Société des étude& Océaniennes/
les informations
leurs prospections
de 2008, Jacques Florence pour
archipel, Tara Hiquily pour l’ouvrage de
Lesson, Eric Poinsignon pour le calcul des superficies des des et George
Staples pour l’identification de Ipomoea tiliacea.
Ces travaux ont été réalisés grâce aux financements accordés par la Direction de l’Environnement et la Société d’Ornithologie de Polynésie MANU.
les discussions
sur
sur
la flore de cet
Consultant
138
en
foresterie et
Jean-François Butaud
botanique polynésienne
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
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de l'Herbier de la Polynésie française (PAP). Site Internet : http://www.herbier-tahiti.pf
139
Œuf/eUn
(/4
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WILSON J. 1799. A missionary voyage to
1798, in the ship Duff. London.
140
the Southern Pacific ocean performed in the years 1796, 1797,
Comptes rendus de lecture
et d’écoute de Compact Disc
ean-Hugues Lime Mangareva
Midi, 308p. 2008.
Edition Le Cherche
Ce
vraie
roman
est
présenté
en
4ème de couverture comme une « histoire
».
début, on se laisse prendre par le récit mais assez rapidement, les
inexactitudes, outrances et contradictions rendent la lecture pénible. Lime
décrit l’arrivée des Picpuciens dans l’archipel en 1834 comme étant le
premier débarquement d’Européens...
Or, tout laisse penser que ce soit Beechey en 1825 qui le fit, suivi de
trafiquants en tous genre et surtout en nacre et perles. Moerenhout,
raconte son escale en 1834 dans Voyage aux îles du grand Océan. Ces visiteurs y ont introduit des maladies ravageant les populations au point
d’amener les survivants au reniement de leurs origines et à la conversion
au christianisme selon un schéma classique de recherche de protection
d’une divinité dont les adeptes ne mourraient pas.
En 1834 donc, les Picpuciens furent accueillis d’abord par deux
Anglais sans doute autoproclamés missionnaires protestants, avant de se
retrouver à, en effet, partager durant un temps, une case, avec une truie
et ses petits ainsi qu’« un millier de rats ».
Lime fait l’impasse sur les épidémies d’avant l’arrivée des missionnaires ; normal puisqu’il en fait les premiers visteurs européens.
Au
bulletin da la iJoctéléy dcA études &eéanien/u
Voici deux
exemples de sa technique narrative :
(p. 14) « Mangareva, où résident sans doute plusieurs milliers de sauvages n’a jamais été visitée. D’après ce que racontent les trafiquants
qui prétendent commercer avec eux,...»
(p. 18) « Cette fois, ce ne sont pas les TuamoUis ni des Pasquans... »
(p. 19) « Pour la première fois dans leur histoire, un bateau surgit
hors du Po’uli, le vide infini du monde... dont les anciens murmurent
qu’aucune pirogue ne revient jamais. »
Ainsi
:
personne
allés !...
n’a visité
ces
îles... racontent des trafiquants qui
y sont
depuis l’au-delà de l’horizon d’où pourtant,... des
surgissent régulièrement pour des razzias, s’en
vont puis reviennent... et que les légendes sont prolixes en voyages d’ancêtres fondateurs dans l’archipel et ailleurs.
D’une phrase à l’autre immédiatement ou à la page suivante ou plus
loin, il affirme une chose puis son contraire. Quant au « Po’uli, vide infini
du monde », c’est un n’importe quoi parmi d’autres.
Sa description du mffieu naturel et des mœurs est tout aussi fantaisiste et contradictoire. Il explique l’absence de pirogues (remplacées par
des radeaux faits de troncs d’arbres) par l’absence... d’arbres jadis coupersonne n’est revenu
Pa’umotu et Pascuans
pés par les insulaires dont la nourriture de base est toujours... le fruit de
l’arbre à pain qui est un arbuste bien qu’étant un arbre... détruit par les
plantations maraîchères, de « cèpes » (sic) de vigne, de blé, les construetions missionnaires et le besoin en tapa pour habiller les insulaires...
Et revient le poncif éculé du Polynésien vivant au jour le jour,
n’ayant ni hier, ni demain, ni avant ni après, ni passé ni futur ; vivant le
moment présent, une sorte d’« ici et maintenant » comme aucun adepte
du Bouddhisme Zen et de Yoga n’a jamais réussi à atteindre. Somme
toute un nirvana permanent !... Dans le même temps, sont décrits : un
culte des ancêtres, des statues, des légendes, une langue,... autant
d’éléments inévitablement hérités du passé et pieusement entretenus
jusqu’à la conversion...
Ses procédés narratifs me font penser à ces prêches débitant des
séries de phrases paradoxales qui soit provoquent de fortes céphalées, soit
142
amènent le
à
plus sélectionner le cohérent de l’incohérent, à
le surgissement d’émotions et à suivre le locuteur. Interrogeant mon amie Ioana Atger pédopsychiatre, celle-ci me suggère la lecture de Gregory Bateson qui nomme ce type de relation : double
bind ou « double lien » mettant le sujet dans une situation de « dissose
cerveau
ne
laisser emporter par
nance
cognitive
».
Mais c’est un autre sujet.
Simone Grand
Paemara Lucas
Mangareva taku akaereere
Ed. Au Vent des îles 2005,120 p.
offre
l’opportunité de parler de ce petit ouvrage écrit
agréablement par un Mangarévien, descendant de ce que d’aucuns
continuent en toute innocence d’appeler : « sauvages primitifs ». L’écriture alerte, les mots choisis avec soin, racontent de manière plaisante
l’histoire et les émotions d’un petit garçon né pendant la seconde guerre
mondiale à Kirimiro et qui décide à 12 ans de quitter son archipel pour
Tahiti s’y préparer à la prêtrise. Il relate le départ, le voyage, l’arrivée et
le séjour au petit séminaire de Mitirapa à la presqu’île, le renoncement à
ses vœux, son séjour à Papeete et le retour après 10 ans d’absence tout
en nous faisant part de ses étonnements et réflexions sur la nature
Ce BSEO
nous
fort
humaine et l’existence.
Par touches
légères comme dans un pastel il dépeint les phases
majeures de la vie de son archipel. L’époque ancestrale bien que reléguée dans un heu temps refoulé est toujours présente par la langue, les
noms et légendes. Elle est suivie de l’épisode des aventuriers précédant
ou contemporains des bâtisseurs de cathédrales. Puis vient son enfance
ordinaire » d’une quotidienneté uniforme relevée par les seuls passages
de bateaux. Jeune adulte en rentrant de Papeete, il assiste à l’invasion de
son archipel par les guerriers de l’atome cocardier, offrant des produits
«
de consommation
:
alcool et fanfreluches contre des faveurs de tous
143
Ç&idlctin de la Société de» étude» &céan
ordres. Sont
invisibles
érigés des hangars sensés protégés les Maareva de retombées
d’explosions dont les déflagrations leur étaient perceptibles et
dont les ondes de choc faisaient vibrer trembler les vitres des fenêtres.
Lucas
s’interroge
ciguatera.
sur
la malformation rénale de
son
fils et l’épidémie de
La politique
municipale puis territoriale le mobiüse avant de l’écarter.
perlière. Lucas se retrouvant observateur a pris le temps de nous offrir ce récit de l’intérieur où les
deux ou trois coquilles ayant échappé aux relecteurs ne réussissent pas à
ternir l’agrément éprouvé. Tout ce que l’on peut souhaiter est qu’il se
A la fébrilité nucléaire suit le boom de la culture
remette à nous raconter
ses
histoires.
Simone Grand
Abri anti-atomique
144
(Photo A. duPrel)
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Henri Kubnick
in Le beau
Les
fleur sur l’oreille
temps des colonies, Compact Disc, 2006
Une
polémiques à propos de l’histoire coloniale en général, et celle
en particulier, battent leur plein en ces premières années du
de la France
XXI6 siècle.
L’agitation est intense, et pas seulement chez les historiens, car cette
particulièrement difficile à transcrire sereinement, partagée
entre descendants de colonisés et descendants de colons, qui s’affrontent
en commémorations, repentances, réécritures, prises de position
politiques, rejet des valeurs, publications multiples, films...
L’histoire coloniale, c’est l’histoire des temps où des États, solidement structurés et avancés technologiquement, ont « colonisé » des
espaces du monde moins - ou pas du tout - structurés, et moins - ou pas
histoire est
du tout
marche
le
progrès industriel. Elle fut longtemps officonsidéré comme indiscutable :
la supériorité des « valeurs » apportées par l’action de coloniser : humanisme contre barbarie, christianisme contre paganisme, capitalisme
contre tout autre système économique, rationalité contre « fantaisies
-
en
ciellement occultée
infantiles
Il est
vers
au nom
d’un principe
»...
domaine où le temps des
très forte dans la société française, c’est
colonies a laissé une empreinte
celui de la chanson. En 2006 est
paru un CD intitulé Le beau temps des colonies, titre provocateur en ces
temps de remise en question, avec en illustration le tirailleur sénégalais
dont l’image a fait la célébrité du chocolat en poudre Banania (y’a bon !).
Sur 19 chansons, 13 ont pour référence géographique le continent africain, 3 l'Indochine, 2 les Antilles et une... la Polynésie.
Cette dernière s’intitule « Une fleur sur l’oreille ». Je ne m’attarderai pas sur les auteurs. Henri Kubnick, le parolier, s’est rendu célèbre par
ses talents d’animateur radiophonique (« Cent mille francs par jour »
devenu « Le jeu des mille francs »). Henri Bourtayre, le musicien, a cornposé pour de nombreux chanteurs de renom (Tino Rossi, Maurice Chevalier, Luis Mariano...)
un
145
I
Œn/ldin de, la Société des études Océaniennes,
L’interprète, Guy Berry, n’est guère connu maintenant que par les
nostalgiques des années 30-40-50 et des disques vinyle. Sa voix assez
haut-perchée, ses r qui « rrroulent », sont en phase avec une musique
bien rythmée, exécutée par un orchestre aux accents jazz de l’époque nous sommes en 1946 -, alternant au gré des paroles cadence langoureuse et rythmes sautillants.
C’est une chanson frivole, qui ne cherche pas à faire passer un message. Ses paroles sont néanmoins d’un grand intérêt. Elles expriment tout
l’imaginaire exotique attaché aux îles d’Océanie et à leurs habitants. (À ce
sujet, on peut lire Le credo de l’homme blanc, d’Alain Ruscio).
Les trois couplets sont chantés sur un rythme mi-lent ; le ton est docte
au début, se teintant dans sa deuxième moitié d’une légère grivoiserie. Le
refrain est joyeux, rapide et saccadé. (La version proposée sur le CD n’indut pas le deuxième couplet, ce qui ne nuit guère à la compréhension.)
Accompagnons le texte pas à pas.
Premier
«
Cela
couplet
Suivant
:
un
très ancien usage,
référence aux temps anciens : le groupe ethnique où va se dérouler l’histoire reste attaché à des pratiques d’un autre âge ;
c’est le thème du retard de civilisation qui d’emblée va justifier ce qui est narré.
commence
«
par une
Aux îles de la Société
précision géographique est la première de six références que
plus loin. L’adage selon lequel les Français ne connaîtraient pas leur géographie se confirme dans ce texte. En fait, on va le
voir, il s’agit de se gargariser de noms évoquant les terres lointaines, quasi
mythiques, monde de rêve où tout est permis.
Les filles, quand ell’s en ont l’âge,
S’occupait elles-mêmes de se marier
Nous voici d’emblée au cœur du sujet : la transgression des normes
civilisées en matière de liberté féminine, et par là même en matière de
sexualité ; les filles sont émancipées dès qu’elles en ont l’âge. Quel âge
? La suite donne un élément de réponse.
C’est pourquoi un’fillette en quête,
Cette
l’on
va
découvrir
«
«
«
146
N°315/316-Janvier/Juin 2009
En
qnêt’ d’un homme à épouser
récurrence du thème de la précocité des jeunes filles.
Dès les premiers écrits sur la Polynésie, la liberté sexuelle est abondamment décrite, en insistant sur la jeunesse de celles qui sont à la disposition des marins, avec, comme pour se disculper, l’affirmation selon
laquelle les adultes-parents favoriseraient ces pratiques.
Faisait gentiment la coquette,
La coquette sous les cocotiers.
La précision gentiment est là pour nous rappeler qu’il n’y a pas lieu
«
Une fillette :
«
«
de voir le mal.
Inévitables : les cocotiers, autres
assonance
Le décor est
scène
symboles de l’exotisme,
avec cette
approximative mais efficace coquette-cocotiers.
place. Les précautions ont été prises pour que la
qui va être décrite soit à la fois très attendue et par avance excusée...
en
Refrain
«
Une fleur sur
«
Une guirlande
l’oreille,
autour du cou
C’est le moment de décrire l’héroïne de cette chanson
:
la vahiné
parée de fleurs...
...
«
Elle était la plus
«
Des filles
et native
belle
de Touamotou
d’un beu
au nom
pittoresque : Touamotou. Peu importe
désigne ici un lieu-dit, alors que chacun sait que c’est un arcliipel. C’est le mot qui résume à lui tout seul la magie des « mers du sud ».
À noter que Touamotou se situe aux îles de la Société.
Mais il manque encore un détail.
Une fleur sur l’oreille,
Une guirlande et rien en d’sous
La nudité ! Le Français des années d’après-guerre peut s’abandonner
à ses fantasmes, et fuir par le rêve les souvenirs des heures noires. Comme
que le mot
«
«
il aimerait être là...
«
Elle troublait les veilles
«
De tous les jeunes
Papous.
147
bulletin de ta Société des èüidesy Océaniennes
jeunes Papous ! On n’en est plus à une confusion près.
cependant une nuance : au mot Papou est attaché un caractère de
sauvagerie » qui pimente le récit et rappelle - inconsciemment - que
l’exotisme a un revers inquiétant.
...
avec ces
Avec
«
Notre héroïne
«
a un nom :
Au bord de l’eau oh !
«
Toutes les nuits oui
«
Talimao, oh !
«
Cherchait
un
mari
mot facile à prononcer :
Talimao. D’où sort ce nom (ou
prénom) ? Henri Kubnick l’a-t-il inventé ? Ou bien l’a-t-il trouvé dans des
listes de noms ? (C’est un patronyme réel au nord-ouest des États-Unis,
peut-être d’origine samoane.) Peu importe, la consonance est polynésienne, et Talimao prend place aux côtés de Kimouli, Goulou-goulou et
Timichiné-la-poupou (héroïnes d’autres chansons).
C‘est
un
«
Sur les coraux,
«
Elle courait
-
oh !
ait
Courir la nuit sur les coraux : là aussi,
il importe peu que l’action soit risquée pour le corps (puisqu’elle est nue), et que le décor réel soit si peu propice
pour une entreprise de séduction. Ce qui compte, c’est le mot coraux, évocateur d’une nature merveilleuse qu’on ne verra peut-être jamais « pour devrai ».
«
«
Offrant son corps, au
Premier qu’en voidait.
On aborde là la prétendue
frénésie sexuelle qui anime les femmes des
tropicaux. Elle va d’homme en homme : cherche-t-elle vraiment un
mari, ou bien passe-t-elle sa jeunesse à satisfaire un besoin impérieux ?
pays
«
«
Unefleur sur l’oreille,
Une guirlande autour
«
Elle était la merveille
«
Des filles
Second
«
de Touamotou.
couplet :
mariage quand on y songe
Ne doit pas être improvisé
le
«
148
du cou,
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
Le second
couplet se veut d’abord sentencieux, mais la sentence est
ironique.
Après un p’titpêcheur d’éponges
EU’ séduisit cinq, six guerriers.
Puis cette fille démoniaque
Alla par les champs de manioc
Ensorceler des chefs Canaques,
Des sorciers et de gros maîtres-coq.
Une précision nouvelle vient caractériser les ardeurs de Talimao pour
trouver un mari qui lui convienne : c’est unefille démoniaque qui ensorcelle ceux qu’elle veut séduire. L'allusion au démon rappelle l’état de paganisme de ces peuples, et justifie la présence renforcée des missionnaires.
(À la fin des aimées 1940, à propos des îles des EFO, paraît un petit ouvrage
de propagande missionnaire intitulé Cannibales à genoux !) Ses
conquêtes peuvent être dans le registre de la romance avec un petit
pêcheur d’éponges (dont le modèle doit être méditerranéen) ou rappeler
les Amazones conquérant des guerriers, en bon nombre, l’imprécision de
celui-ci accentuant son insatiabilité. Autre cliché pour faire couleur locale :
les champs de manioc, nourriture exotique dont tout le monde a entendu
parler. L’emploi du mot canaque est encore courant à l’époque pour désigner l’ensemble des habitants de l’Océanie. Bien sûr, autre cliché, eüe
séduit des chefs et des sorciers. Que viennent faire ici les maîtres-coq ?
Allusion au cannibalisme, ou tout simplement hasard de la rime ?
«
«
«
«
«
«
Refrain
Troisième
couplet
«
Dans
«
De
«
«
ses
:
recherches inlassables
l’époux qu’elle avait rêvé
Elle essaya tous les notables
Des îles de la Société.
Nous retrouvons les îles de la Société
évoquées dès le début de la
dépasse les clivages sociaux et raciaux,
car ne pouvons-nous pas voir une allusion à l’administration coloniale
métropolitaine derrière ce mot « notables » ?
chanson. La beauté de cette fenune
149
Œulleii/i
do Uv
Société des études Océanie/f/ies
Final’ment cette
chipotière
c’était le premier
Qui /’sait encor’ l’mieux son affaire
Et c’est lui qu’elle a épousé.
Pour la rime, encore, l’auteur use du néologisme chipotière, au lieu
de chipoteuse. Nous ne sommes pas encore arrivés à bout des poncifs.
Voici l’inconstance, la frivolité, l’imprévisibilité du caractère féminin. Le
retour à la case départ renvoie à ces films où l’héroïne revient à son premier amour. Mais y a-t-il de l’amour ? Le mot n’est pas prononcé. Il n’y a
pas non plus de romantisme dans l’apothéose.
Une fleur sur l’oreille,
Une guirlande autour du cou,
Quelle noce sans pareille,
Quell’ noce à Touamotou
Le mariage, ou plutôt la noce (qui n’est pas éloignée de la bringue),
termine dans la joie cette quête.
«
«
Trouva que
«
«
«
«
«
«
«
Des îles de la Sonde
«
Aux îl’s Marquises
L’auteur revient
et Sous l’vent
géographique. Encore
fois, peu importe ; seuls les consonances comptent : îles de la Sonde
(entourées de mystères), îles Marquises (Gauguin), îles Sous le Vent
(cocotiers, plages, voiliers)...
sans
vergogne à l’incohérence
une
des ondes
«
De tous les
«
On vit venir ses amants
coms
Toute l’Océanie
(les ondes) est en fête. C’est la joie de vivre, comme
l’exprimera quelques années après un film tourné à Tahiti. Pas de rancune, pas de ressentiment chez ses amants.
Pour acclamer, hé !
«
«
Talimao oh !
Quand le sorcier hé !
Lui passa l’anneau
Amusant, l’amalgame entre un rituel d’Européen {passer l’anneau)
et l’auteur du geste : le sorcier, maître de cette cérémonie sauvage mais
«
«
bon enfant.
150
N° 315/316
«
Et pour souhaiter
«
Bonheur charmant
-
Janvier/Juin 2009
hé !
-
ant
«À la mariée et
À ses quinze enfants.
«
Avant-dernier cliché : les femmes sont très
lifiques, dans
fécondes, et même prodonc
ces pays lointains. Avec quinze enfants, Talimao a
atteint un certain âge, ce qui permet d’amener la chute :
« Une
fleur sur l’oreille,
«
«
Une guirlande
autour du cou,
Maintenant elle surveille
Son
époux d’un airjaloux.
apaisés. La jeune femme frivole est sans doute devenue
une matrone, jalouse comme il se doit. Mais la chanson se termine sur
l’image de départ.
Une fleur sur l’oreille,
Une guirlande et rien en d’ssous,
Elle était la plus belle
Des femmes de Touamotou. »
«
Les
sens
sont
«
«
«
«
Pour bien
vous
écoutiez
Mais
faire, il serait bon, chères lectrices, chers lecteurs,
ce
que
CD.
attendant, concluons. Certains qualifieront peut-être le texte
d'affligeant et bête. Et en effet, cette accumulation de clichés sur les pays
tropicaux et leurs noms utihsés en dépit du bon sens, sur la femme et les
moeurs de ces mêmes heux du bout du monde, dresse un tableau caricatural ne reflétant pas la réalité.
Mais une tehe chanson n’a pas besoin de certificat de conformité à
la réalité pour exister.
Les Français de l’époque n’ont retenu de l’Océanie que les récits
de l’escale de Bougainville à Tahiti, les tableaux de Gauguin et l’exposition coloniale de 1931. Quelques-uns ont sans doute lu Pierre Loti,
Jean Dorsenne, Nordhoff et Hall, Marc Chadourne, Georges Simenon,
auteurs dont les romans ne font que renforcer les clichés gravés dans
en
151
{fyulletw/ do la Société des blades Okceameânes
l’imaginaire collectif. Sans oublier les cartes postales de vahiné dénudées de la collection Lucien Gauthier...
Chanson d’une autre
due
en son
époque : qui pourrait me dire si elle fut ententemps à Tahiti130 ?
Michel Bailleul
Dominique Barbe
Histoire du Pacifique, des origines
Perrin, Paris, 685 p-, 4 cartes, 2008
pavé est à juste titre très ambitieux. En soi, c’est une bonne
d’intégrer les deux rives du Pacifique dans l’explication de l’histoire
contemporaine, européenne, de celui-ci. Il y a eu aussi des prédécesseurs
non Européens aux colonisateurs blancs. Mais cela demande des compétences que l’auteur n’a pas vraiment. Ses seuls morceaux de bravoure
ont trait à la description des sociétés métisses espagnoles des plateaux
andins. Il est faible par contre sur le Mexique, le Japon, la Chine, et le Sudest asiatique (l’auteur ne sait pas que l’isolement voulu du Japon sous le
gouvernement des shogun s’est traduit par l’interdiction faite aux navires
de pêche de posséder un gouvernail pouvant tenir la haute mer ; le résultat sera qu’à chaque tempête, les gouvernails se brisaient et les bateaux
dérivaient dans tout le Nord Pacifique, depuis Hawaii et les îles Aléoutiennes jusqu’à l’Alaska : on retrouvait les pêcheurs japonais comme
esclaves dans les tribus indiennes de la côte nord-ouest de l’Amérique).
Et c’est là un historien du Pacifique de plus, qui ne comprend pas
grand chose aux sociétés insulaires, ni aux sociétés indiennes des
Andes, ni à celles d’où que ce soit, pour lesquelles il récite un certain
nombre de poncifs (les Ifugao coupeurs de têtes, alors qu’ils sont
Ce gros
idée
130
Enfant et adolescente, j'ai entendu cette chanson et l'ai chantée comme une chanson exotique ne concernullement ma réalité de Tahitienne vivant à Tahiti, fréquentant des Pa'umotu et ignorant tout des
nant
Papous vivant dans le même océan mais loin là-bas... Simone Grand
152
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
parmi les agriculteurs les plus raffinés de la région, sans compter qu’il y
a trente-six
façons et autant de raisons pour couper les têtes, et que chacune présente une signification différente), sans exercer de
jugement critique sur les dires des observateurs européens coloniaux, qui ne pouvaient
en aucun cas
être
objectifs,
parce que
cela aurait été contraire à leurs
intérêts bien compris, même contradictoires. Dans des circonstances par-
ticulières, dont l’auteur ne sait rien - il n’a jamais vécu dans aucune des
sociétés dont il croit pouvoir traiter - certains auteurs blancs, bien peu,
se sont rapprochés d’une forme
d’objectivité. Et c’est dans le Pacifique Sud
qu’il est le moins bien informé, le détail des événements n’étant pas toujours ce qu’il croit pouvoir décider du haut de son Olympe.
L’auteur est dans cette affaire un compilateur, ou pour être plus gentil un encyclopédiste ne se déclarant pas comme tel, ce qui est le défaut
d’un grand nombre d’historiens, ou de pseudo historiens, de la région.
Et ce compilateur travaille à partir d’autres compilateurs, ce qui est une
des malédictions permanentes de bien des sciences sociales. Il ne va
jamais aux sources du savoir sur tel ou tel point. Il n’y a pas un atome
d’originalité dans ce qu’il écrit. Tout ce qu’il expose a été dit ailleurs, et
le plus souvent bien mieux.
Son défaut principal est aussi de ne presque jamais citer ses sources,
ce qui est contraire à la
déontologie internationale en sciences humaines.
Cela lui donne l’aspect d’un plagiaire aux multiples facettes. Sa bibliographie est si sommaire que c’en est une mauvaise plaisanterie. Et les
sources qu’il cite en passant ne sont pas toujours des meilleures (Jules
Garnier n’est pas fiable : il recueille des ragots chez les colons ou chez les
militaires de l’époque, il ne vérifie rien). L’auteur donne ainsi la fausse
impression de présenter une œuvre novatrice, ce qu’elle n’est pas, et ce
qu’elle ne pouvait être en aucun cas, étant donné l'amplitude du propos.
Il
ne
saurait
se
vouloir omniscient.
Monsieur Barbe
début des
phrases méchantes sur les ethnologues, dont il prétend se démarquer, mais je retrouve ici et là des moiceaux de mes propres exposés, sans qu’il se donne la peine de citer la
source bien sûr. Une bonne dizaine de cas, dont je suis fier, seul à avoir
raison contre tous. J’apprécie cet hommage silencieux, mais j’aurais
a au
153
ÇÛuflefùi
de lev
Société des études Occam
préféré qu’il ne s’en attribue pas la paternité à mes dépens. Le mépris
des ethnologues cache la réalité empirique, le mépris des règles de bonne
conduite auxquelles les autres se soumettent de bon gré. Je prétends pourtant être meilleur historien que bien des historiens professionnels touchant au Pacifique, parce que je colle à la réalité insulaire, que je connais
dans le détail, depuis plus de soixante ans, au heu de la remplacer par
l’une ou l’autre des visions simplistes en cours dans tant de milieux,
mêmes académiques. Cet auteur ne colle à rien.
Vient
contrepoint l’acceptation aveugle par l’auteur des catégories
Dumont d’Urville : Polynésie, Mélanésie, Micronésie, qui
montre son manque d’esprit critique en ce qui concerne la vie réelle des
sociétés du Pacifique Sud. La frontière culturelle entre Polynésie et Mêlanésie n’a pas d’existence empirique. Les missionnaires de la London Missionary Society, mieux informés parce que sur le terrain, classaient la
Mélanésie orientale dans la Polynésie occidentale, avec les îles Fiji, Tonga
et Samoa. Ils avaient parfaitement raison. Les institutions sociales, d’un
proposées
en
par
bout à l’autre de cette
région intermédiaire, fonctionnent en tant que
modèles, ceux de chefferies à différentes échelles,
héréditaires sauf mise à l’écart de l’aîné parce qu’il ne conviendrait pas
(Nouvelle-Calédonie, îles Loyalty, Fidji, Tonga, chefferies qui n’ont rien à
voir avec les féodalités occidentales), ou de système de titres électifs
(Samoa, îles Shepherd) ou matrilinéaires (Efate et sa couronne d’îles).
Dumont d’Urville ne pouvait le savoir. Sa vision des sociétés du Pacifique
Sud était très superficielle, sinon presque toujours fautive.
Le peuplement de la Polynésie, dans la suite logique de cette constatation, ne pose aucun problème. Les Polynésiens sont issus de la Mêlanésie occidentale, avec la quelle ils ont conservé des relations maritimes
jusqu’à l’arrivée des Européens. Ce sont ces derniers qui ont imaginé,
directement ou indirectement, les hypothèses romantiques destinées à les
séparer de leurs ancêtres mélanésiens, parce qu’il fallait justifier de leur
utilisation comme petits cadres coloniaux pour l’administration et Foccupation militaire de la Mélanésie, et donc leur attribuer quelque supévariantes des mêmes
riorité
154
sur ces
derniers.
N°315/316 Janvier/Juin 2009
-
L’auteur est
n’avons
un
fanatique de l’explication
par
des migrations, dont
preuve. On peut imaginer aussi, pour expliquer les
différences culturelles entre les groupes aborigènes australiens, penser à
nous
aucune
des formes de
métissage, entre autres culturels, entre
groupes
variant
d’un point à un autre, l’isolement relatif, en particulier des Tasmaniens,
se traduisant pas des évolutions génétiques différenciées. L’auteur ne sait
pas que les Tasmaniens,
chassés systématiquement comme du gibier, n’ont
pas tous disparus et se sont maintenus anonymement comme cueilleurs
et pêcheurs sur la côte rocheuse du nord de leur île.
Cela dit, pour un lecteur non spécialisé, cet ouvrage peut paraître
attrayant. Il se lit facilement et raconte un assez grand nombre d’histoires
intéressantes, la plupart bien connues, mais il n’empêche, cela est fort
bien écrit, sauf quelques fautes : les terres « immergées » au lieu de
émergées » ; pour Fidji, et de manière répétitive, Cabokau au lieu de
Cakobau (c = th anglais dur, the) ; Paddon s’installe au large de la petite
île d’Anatom (il s’installe dans un îlot collant à la côte de la grande île
montagneuse et volcanique d’Anatom : le volcan éteint a explosé il y a cinq
ans) ; à peu près assuré aux îles du Vent, le protectorat est plus difficilement assuré aux îles Sous-le-Vent (il ne l’est pas du tout, les îles Sous-leVent restant indépendantes, sous la protection de visites annuelles de
navires de guerre anglais) ; « Burns Philip » au lieu de « Burns Philp »,
pour la célèbre maison commerciale australienne, ce qui est une faute
impardonnable quand on se prétend spécialiste ; « les Tongiens dominent
Lau, une île riche en coprah » (les îles Lau constituent l’archipel le plus
oriental du groupe des îles Fiji) ; le roi Georges Tubou abolit le servage aux
îles Vavau (il n’a jamais existé, où que ce soit dans le Pacifique Sud,
quelque chose qui ressemble au servage, c’est là une interprétation d’ignorants, comme il y en a eu des centaines décrivant en Polynésie, ou ailleurs,
un système féodal qui n’a jamais été : la situation était tout autre et ne relevait pas de références prises dans le passé occidental, le nombre de missionnaires et de laïcs qui se sont ainsi trompés du tout au tout, et continuent
ainsi à le faire, est considérable, c’est la conséquence de l’idée fausse du
chefs ayant droit de vie et de mort sur leurs soi-disant sujets) ; le poncho,
vêtement national de toute l’Amérique Andine, inventé par les Mapuches ;
«
155
Œiiflclii)
de [a
Jociété de& ètiide& ôcéa/uennex
l’important collège fondé par les Sœurs de Saint Joseph de Cluny qui
devient par la suite séminaire (la vocation pédagogique des sœurs était de
s’occuper des filles, pas des garçons, le séminaire a été fondé tout à fait en
dehors, bien plus tard, par le père Luneau) ; la mission du Sacré-Cœur
d’Issoudun s’est vu attribuer la Papouasie (pas le nord de la Nouvelle-Guinée, le nord et le reste des des Salomon ont été attribués à la Congrégation
de Marie, l’auteur a une fois de plus mal lu) ; la LMS a bénéficié à Lifou et
Maré de l’appui de Tongiens (il s’agit de gens venus de Rarotonga, ce qui
n’est pas la même chose, et qui sont toujours là) ; les teachers de la LMS
n’ont pas été massacrés à l’île des Pins, mais retirés par souci pour leur
sécurité (c’est une légende d’origine cathohque) : John Williams n’a pas
acheté son premier navire missionnaire en Angleterre, il l’a construit de ses
mains, avec des charpentiers polynésiens, à Raiatea ; parler du Cargo cuit
en Polynésie est faire une assimilation parfaitement injustifiée (les messianismes ne sont pas des cultes du cargo, qui en réalité n’ont jamais existé
nulle part, il s’agit là d’un concept inventé par les planteurs, policiers et
missionnaires blancs pour déconsidérer les mouvements pré-indépendantistes) ; « c’est aux Tonga que les missionnaires obtiendront les succès
les plus durables » (les premiers missionnaires LMS laissés à Tonga se
sauveront à Port Arthur, et c’est bien plus tard que les méthodistes interviendront) ; etc.
Autres bourdes : « très tôt la société aborigène semble s’être abstraite
de la possession, favorisant ainsi la spiritualité », phrase dépourvue de signification empirique qui témoigne que l’auteur ne sait pas que, dans l’ensemble du Pacifique, la possession valorisée est celle justement des instruments
de l’identité de chaque groupe de descendance, des « traits culurels » et des
variantes de leur justification dans le mythe affirmé et approprié. La terre est
en trust, son accession fiée au nom donné à la naissance, et qui doit être
remise intacte à
son successeur
tion et les trous d’eau et fieux de
(en Australie les itinéraires de nomadisa-
campement et emplacements rituels, ailleurs
les fieux d’habitat et de culture ainsi que
les fieux de culte).
Canaques ne sont pas des semi-nomades. Si les champs nécessitent de longues jachères, les habitats restent stables. Si l’on abandonne un
site précis à cause d’une mort, on se rétablit à côté. Les tarodières ne
Les
156
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
dépendent nullement d’un système de conduits fragiles en bambou, mais
de canaux d’irrigation fort bien tracés et qui éventuellement traversent
des seuils rocheux. Les bambous de grands diamètres ont été introduits
à partir de l’Inde, par les navires amenant les missionnaires protestants
et leurs familles. Ils n’existaient pas anciennement (les bambous gravés
sont un phénomène de contact).
Les collections de curiosités de l’attirail ad hoc
(du cannibalisme), les célèbres fourchettes de cannibale, se sont révélées à la vérification être le moyen de porter à la bouche la nourriture sans utiliser les
doigts par un prêtre momentanément placé sous interdit. Rien à voir avec
«
»
le cannibalisme.
Pour ce
qui est de la Nouvelle-Guinée, l’auteur ne sait pas que les migranombre, intérieures à l'île, se font d’une haute vallée alpestre à une
vallée parallèle, chassant les groupes plus faibles, sans jamais qu’il soit
question de passer par la côte. Le choix de sites non impaludés a pu être
tout au départ, à la pointe occidentale de la Nouvelle-Guinée, il y a vingt
ou trente mille ans. La succession des groupes des Hautes Terres ignore
parfaitement l’existence de régions côtières impaludées, ce qui n’empêche pas l’afflux dérangeant d’autres moustiques que les anophèles dans
tions
en
l’intérieur humide.
Le
peuplement Lapita » est une simplification dangereuse. Les
poteries Lapita correspondent à une étape, à une tradition de plusieurs
siècles, au moins deux millénaires, pas à un peuplement, puis la mode
a changé (ce sont les femmes de certains groupes de descendance qui
étaient les potières), et d’autres décors, ou pas de décor, ont pris la
place, la forme des poteries évoluant moins sauf à se spécialiser dans une
fonction particulière (les grandes poteries pour la conservation du
sagou, ou coniques pour la confection de beignets de taro, ou par
réponse à une transformation de l’habitat : la disparition des maisons
longues collectives pour être remplacées par un habitat familial donne
les poteries canaques de Nouvelle-Calédonie, destinées à permettre le
repas familial). Ce qui a surtout changé, au cours de la dernière période,
c’est la disparition plus ou moins complète de la poterie en Mélanésie et
en Polynésie, remplacée par la cuisson au four dans des paquets de
«
157
bulletin de la Société des études Océaniennes
feuilles de
bananiers, technique plus facile de mise en œuvre, plus hygiénique (on brûle les résidus végétaux) et dont tous les éléments se trouvaient sur place (mise au point d’une variété de bananiers sans fruit et
offrant une belle richesse de feuilles). Mais ce sont les mêmes Mélanésiens au départ et à l’arrivée, qui se transformeront, pour nous du moins,
en Polynésiens en avançant vers l’Est, créant alors des zones de relatif
isolement où pouvaient jouer « l’effet de fondateur » et « la dérive génétique » (variations génétiques moins nombreuses, d’où apparence physique plus cohérente ; passage lent de la dolicocéphalie à la
brachycéphalie d’ouest en est).
Les techniques attribuées si généreusement par l’auteur aux Polyné-
forme plus
sophistiquée. La cuisine au four techniquement la plus complexe est au
Vanuatu. Les pirogues doubles mélanésiennes sont plus élaborées que les
polynésiennes, tiennent mieux la mer, et connaissent toutes la manière
de changer le mât d’emplacement pour virer de bord. La Papouasie orientaie utilise des pirogues multicoques qui jouent un rôle économique fondamental pour aller chercher, par la haute mer, en frôlant le nord de
l’Australie, à l’ouest le sagou (échangées contre des poteries), qui permettra de faire la soudure avec la prochaine récolte d’ignames. Les progrès polynésiens orientaux et micronésiens sont dans la façon de
s’orienter en haute mer, ce qui n’était pas nécessaire en Mélanésie, où il
suffit de monter sur la première montagne pour voir la prochaine île
(excepté entre les Santa Cruz et le nord Vanuatu, où la distance est plus
grande, mais où il existe une île intermédiaire inhabitée, Vatghanay, qui
sert de heu d’étape et comporte des arbres fruitiers, des plantations de
taro et des bananiers, entretenues à chaque passage).
Le chapitre sur le rôle et l’évolution des cabinets de curiosités est
excellent. Il est pourtant étrange qu’il n’ait pas cité celui de Jacques Cœur,
confisqué, qui sera à l’origine des collections royales, ni les collections
organisées pédagogiquement au bénéfice des Dauphins de France (à l’origine des excellentes collections amérindiennes du Musée de l’Homme).
siens, existent partout en Mélanésie et souvent sous une
Par contre l’affaire de la mort de Marion du Fresne à
en
la Baie des îles,
Nouvelle-Zélande, est mal relatée. L’auteur n’a pas vu que, dans ce cas
158
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
comme
dans celui de
Cook, il s’agissait de
couper
des pins kaori
pour
refaire des mâts après tempête, et de prétendre les abattre au plus près, sur
la côte, dans un endroit interdit et pas là où les Polynésiens en étaient d’accord. La reprise de l’invention selon laquelle le capitaine Cook aurait été
assimilé au dieu Lono, est le fruit d'imaginations intéressées (Marshall Sahlins n’est pas un
homme de terrain et est à la recherche d’hypothèses originales qui puissent compenser ses trous de connaissance). La non divinité
des étrangers venus d’au-delà des mers était bien connue des Hawaiiens, qui
avaient déjà fréquenté au moins des Russes et des Japonais, smon des Espagnols dont les galions passaient au large de leurs côtes, en résultat aussi
des observations faites et par les femmes, qui voyaient le fonctionnement
sexuel des Blancs, et par celles des enfants, qui espionnaient ces derniers
et
les observaient dans l’exécution de toutes les autres fonctions naturelles.
Personne
veut, par convenances anglo-saxonnes,
parler de choses aussi
simples et aussi claires (aucun auteur de langue anglaise ne parle jamais de
ne
l’exécution des fonctions naturelles dans les îles).
Pour
l’auteur,
ailleurs, tous les insulaires rencontrés par les precannibales, ce pourquoi il n’existe aucune preuve
scientifique. De même pour les sacrifices humains que l’on a cru voir à
Tahiti. Il y a eu traitement d’un cadavre sur le marne, mais aucun des
témoins européens n’a assisté à l’exécution, si exécution il y a eu. Le reste
est donc hypothétique. Les Européens voulant à toute force qu’il y ait cannibalisme ou sacrifices humains, leurs informateurs locaux leur ont alors
dit tout ce qui pouvait leur faire plaisir (dans la mesure où il y avait vraiment
communication de type linguistique entre les deux camps, ce dont je doute
fort pour les premières décennies de visites intermittentes). Mais cette
déplorable habitude de dire au Blanc ce qu’il veut entendre s’est maintenue
au cours des générations suivantes, et n’a pas réellement
disparu.
De même pour la légende de la diffusion de la syphilis, en milieu msulaire, par les marins de Wallis, Bougainville, Cook et La Pérouse. Malgré
toutes les affirmations dans ce sens, c’était absolument impossible.
Presque tous les insulaires, Polynésiens ou Mélanésiens, avaient contracté
le pian dans leur enfance et en guérissaient spontanément à l’adolescence.
Or le pian et la syphilis étaient mutuellement incompatibles, donnés par le
par
miers observateurs sont
159
bulletin da la Société das ètude& Océante/i/ies
même
tréponème, mais le pian n’était pas une maladie sexuelle, contracté
sol infecté. Le résultat est que les Océaniens
ne pouvaient contracter la syphilis, ayant du fait du pian les anticorps
nécessaires pour éviter la syphilis. Ce que les observateurs européens ont
vu est la diffusion de la blennorragie, qui rendait les femmes infertiles.
Quant à la diffusion de la tuberculose, les observations anciennes ne
pouvaient tenir compte de la découverte récente d’une maladie virale existant dans le Pacifique (de la famille des virus dits « lents »), apparentée
à la maladie de la vache folle. Les Polynésiens possédaient les anticorps
pour la variante océanienne, que les Blancs contractaient, et dont ils mouraient, mais par contre les Européens leur apportaient en échange la
variante européenne de cette maladie, pour laquelle les Blancs possédaient les anti-corps, mais pas les Océaniens. Il s’agit de ce qui sera par
la suite décrit à Tahiti, au XIXe siècle, comme une maladie de « langueur ».
De même la destruction des tarodières par les chiens et les cochons
importé par Cook à Balade est à corriger. Le chien, kuli, n’était pas
inconnu dans le Pacifique Sud, où il y en avait partout, servant d’ailleurs
de nourriture aux groupes côtiers polynésiens d’origine, à Ouvéa, à Hiengliène, à Balade et Pouébo. Les chiens de Cook étaient plus grands de
taille. Les porcs se sont multipliés, mais ils avaient de l’espace pour ce
faire. Le problème des tarodières à Balade avait été d’abord celui de la
sécheresse, qui avait coupé leur arrivée d’eau, plus que les déprédations
des porcs. Ces derniers avaient par contre obligé à placer les morts sur
les branches horizontales des banians, pour les protéger. La sécheresse
est à l’origine de l’aspect squelettique des habitants, du fait de la famine,
comme un demi-siècle plus tard à l’arrivée des missionnaires catholiques,
chassés parce qu’ils n’avaient pas voulu partager leurs provisions avec
leurs hôtes canaques affamés. Quant à l’observation par les Français de
l’anthropophagie, c’est là l’expression de l’imagination constante de tous
les explorateurs de l’époque, de même que plus tard, les explorateurs
modernes ajoutaient du cannibalisme là où il n’y en avait pas, pour faire
bien à la salle Pleyel à Paris. Par contre, ce qui s’était passé à Balade était
l’installation de groupes de descendance venant d’Ouégoa, de l’autre côté
des montagnes basses (col d’Amos), voulant être au plus près des futurs
en
marchant pieds nus sur un
160
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
navires
qui viendraient, de façon à bénéficier des largesses de leurs équipages (le même phénomène de construction de villages côtiers qui n’existaient pas avant le premier passage de Cook a été noté aussi en
Nouvelle-Zélande : au prochain voyage, ces villages étaient pleins d’objets à
vendre, dont les fameux pendentifs heitiki, les intéressés en portant alors
plusieurs au cou pour la présentation).
L’histoire de la colonisation
anglo-écossaise de la Nouvelle-Zélande
(il n’est jamais dit que cette colonisation était en grande partie écossaise,
et presbytérienne) est une des meilleures écrites en français. Mais elle
comprend des trous. La série des messianismes maoris n’est pas envisagée dans leur succession, ni dans leur ampleur. La réalité de la « royauté »
de la Waikato n’est pas vue dans son efficacité réelle, dont la construction
d’une ligne fortifiée qui ne pourra être prise d’assaut de front (elle a été
remise en état et proclamée monument national) et devra être tournée en
construisant une route sur un marécage.
La qualité technique de la résistance maorie n’est pas comprise. Les
Maoris, comme les Chinois communistes contre les Japonais, comme les
Vietminh contre les forces américaines, ont su s’installer souterrainement
pour la protection physique de leurs familles. Ils avaient inventé de leur
côté toutes les méthodes de fortifications enterrées pratiquées plus tard
par les troupes russes à Sébastopol, et où les Maoris avaient remarquablement calculés tous les angles de tir possible. Us ont même construit de
fausses fortifications destinées à attirer le feu ennemi, eux-mêmes repliés
sur une seconde ligne dont le dessin avait été calculé pour prendre les
assaillants par un tir de flanc, leur causant des pertes sévères. Les échecs
de la répression militaire ont été nombreux, mais soigneusement cachés
par la propagande coloniale, ce qui fait que notre auteur ne s’en est pas
aperçu. Les pertes maories ont de même été moins importantes numériquement que les historiens coloniaux ne l‘ont affirmé. De même encore
notre auteur ne sait pas que la division britannique, constituée de Highlanders et d’Irlandais, a fini par se révolter, général Cameron en tête,
contre la répression déloyale et cruelle dont on l’avait fait l’instrument, et
s’était installée dans une position d’attente, en arrêtant toute opération
offensive. Il faudra la rapatrier. Accessoirement, l’auteur prend Wiremu
161
bulletin
de ta
Société des études 0
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 315 -316