B987352101_PFP3_2009_315-316.pdf
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Bulletin de la Société
des Etudes Océaniennes
N°315 - 316
Janvier / Juin 2009
Société
des
Etudes
Océaniennes
Fondée le 1er janvier 1917
c/o Service des Archives de Polynésie française, Tipaerui
B.P. 110,
•
98713 Papeete, Polynésie française • Tél. 41 96 03 - Fax 41 96 04
e-mail : seo@archives.gov.pf • web : etudes-oceaniennes.com • web : seo.pf
Banque de Polynésie, compte n°12149 06744 19472002015 63
CCP Papeete, compte n°14168 00001 8348508J068 78
Composition du Conseil d'Administration 2009
Présidente
Mme Simone Grand
Vice-President
M. Fasan Chong dit Jean Kape
Secretaire
M. Michel Bailleul
Mme Moetu Coulon-Tonarelli
Secretaire-adjointe
Trésorier
M. Yves Babin
M. Pierre Romain
Tresorier-adjoint
Administrateurs
M. Christian Beslu • M. Constant Guehennec
Mme Eliane Hallais Noble-Demay
M. Robert Koenig • M. John Mairai
Membres Correspondants
M. Bernard Salvat • M. Darrell T. Tryon
Membre d'Honneur
M. Raymond Vanaga Pietri
Bulletin
de la Société
des Etudes océaniennes
(Polynésie orientale)
N°315/316 Janvier/Juin 2009
-
Sommaire
Avant-propos
Légendes de migrations et de découvertes d’îles
Recueillies par Alexis Massainoff, traduite du russe par Marie
Zakrevsky
Taaki, l’homme le plus heureux du monde
Recueillie par Alexis Massainoff, traduite du russe par Marie Zakrevsky
Teiti a Toakau
Ioane Mamatui, légende communiquée
p.
4
p.
7
p.
14
p.
20
p.
27
p.
39
p.
53
p.
68
p.
77
p.
99
par le capitaine Victor Brisson
Eléments sur l’histoire pré-européenne et l’archéologie des îles Gambier
Eric Conte et Patrick V. Kirch
Approche de la démographie aux îles Gambier (1840-1945)
Laurent Burel
Rouru, succès et limites d’un « couvent » mangarévien du XIX‘: siècle
Laurent Burel
Un rapport du docteur Cassiau, administrateur des Gambier,
au gouverneur
des E.F.O
Présenté par Michel Bailleul
Rikitea : Deux dernières décennies d’écoles missionnaires (1887-1904)
Frère Le Port
Les Gambier, un archipel à la végétation naturelle relictuelle
et à la flore patrimoniale menacée
Jean-François Butaud
Comptes-rendu de lecture et d’écoute de Compact Disc
Lime
-
Paeamara
-
Kubnick
-
Barbe
-
p. 141
André
Bilan moral et financier, budget prévisionnel et résolutions
p. 178
Avant-propos
Chers membres de la Société des Etudes Océaniennes, chers
lecteurs,
Ce premier bulletin de l’année est en retard, veuillez nous en
excuser.
Il est double et concerne surtout l’archipel des Gambier.
Sont reproduites avec corrections, des légendes parues dans de
tous premiers
bulletins. Leur lecture ayant interpellé, en particulier
celle de Maviku avec son bouc magique, son poulailler misérable près
d’un palais somptueux..., seules deux légendes d’Alexis Massainoff,
traduites du russe en français par Marie Zakrevsky, furent retenues. Je
me
«
suis permise d’en corriger la syntaxe ; ai remplacé « idole » par
tiki », « roi » par « akariki » ; ai replacé les émotions dans les
entrailles alors qu’elles avaient migré dans le cœur... tout en laissant
des flèches s’abattre sur les tiki de Rapa nui, même s’il n’est fait référence à aucun arc.
Vous trouverez aussi, la légende de Teiti a Toakau dont la fin est
quelque peu confuse. Recueillie en 1926 par le capitaine Brisson, elle
semble authentique.
Nous prendrons connaissance d’éléments archéologiques grâce à
Eric Conte et Patrick Kirch avant de passer à la période missionnaire.
Nous suivrons deux analyses de Laurent Burel : l’une sur la démographie des Gambier et l’autre sur le couvent de Rouru où il nous propose
un éclairage sur cette période controversée.
Ensuite, nous prêterons attention à des documents administratifs
introduits par Michel Bailleul. Il s’agit du courrier où le gouverneur transmet en 1904, au Ministre des colonies, un rapport du docteur Cassiau
administrateur des îles Gambier décrivant les relations tendues avec les
missionnaires catholiques de Mangareva. Il n’est pourtant pas si éloigné
(60 ans), le temps où le maintien de la présence des pionniers (Laval et
4
Caret) de cette même mission fut un des éléments pesant dans la décision
du gouvernement de la France d’intervenir et d’asseoir sa présence à
Tahiti1.
Dans son étude sur l’école missionnaire, le Frère Leport, souligne
l’importation sous nos latitude de « la guerre des deux France » opposant
catholiques et anticléricaux.
Car telle est l’histoire de nos îles qui vue de l’intérieur,
peut s’apparenter à une suite de déferlements de tour à tour et/ou en même temps :
maladies dévastatrices introduites, « découvreurs », trafiquants, missionnaires chrétiens rivaux mais tous également persuadés de leur supé-
riorité sur les insulaires à sauver du démon ; représentants du pouvoir
colonial républicain, convaincus de la nécessité de les sauver de tous les
obscurantismes y compris chrétien ; escouades de guerriers de l’atome
cocardier inaugurant non sans brutalité l’ère de la société de consommation ; exploitants perlicoles brandissant la prospérité économique en
banière salvatrice de la pauvreté,...
Ces idéologies ont mobilisé et continuent à agiter des humains y prenant successivement ou concomitamment le pouvoir, tous déclarant
agir
pour le bien d’une population qui ne leur avait rien demandé dans un
espace géographique restreint où la vie continue au milieu d’une végétation que Jean-François Butaud nous invite à découvrir,
«
..
.dégradée et secondarisée, les différentes îles ne présentant essen-
tiellement que des zones herbacées régulièrement brûlées et des plantâtions forestières récentes. La flore
indigène de 97 espèces, qui
s’amenuise continuellement avec 9 espèces présumées éteintes, y est très
largement surpassée par près de 500 espèces introduites dont plus d’une
dizaine d’espèces menaçant la biodiversité. »
Pour clore le chapitre « Gambier », il vous est proposé un cornmentaire de lecture de : Mangareva de Jean-Hugues Lime et Mangareva
akaereere de Lucas Paeamara.
1
P.Y. Toulellan : 1982, Colons français en Polynésie orientale 1830-1914 (p.1172) in BSEO n°221.
5
Œulleti/i de la dociété des études Océante/uies
L’ensemble de ces écrits, pourrait participer à une réflexion sur la
manière de gérer les traces (ruines et cicatrices, vermes et béances) laissées par les différentes vagues d’activités humaines toujours triomphantes
en leurs
débuts, que les cyclones et tsunamis, voire la seule usure du
temps, amènent à observer sous d’autres angles. A un moment où la Terre
est parfois comparée à une île, les expériences vécues à Mangareva invitent à penser.
Bien que paraissant concerner un registre différent, les commentaires de Michel Bailleul sur le Compact Disc Le beau temps des colonies
et en particulier la chanson « Une
fleur sur l’oreille » ; illustrent certaines
obsessions de la société occidentale.
Ensuite, nous nous laisserons guider par Jean Guiart dans ses cornmentaires de deux ouvrages.
En fin de bulletin, vous trouverez les bilans, le projet de budget et les
résolutions, tous approuvés par notre Assemblée générale du 28 mai
2009.
Bonne lecture,
Simone Grand
P.S. Souvenons-nous du BSEO N° 296-297 paru en 2003 consacré à Léon Gaston
Seurat qui a installé le 2 mai 1902 son « laboratoire de zoologie de Rikitea ». Il y décrit
les écosystèmes, la faune tout en s’intéressant aux marne, aux langues, aux outils et aux
mœurs àesPa’umotu etMa’areva.
6
Légendes de migrations
et découvertes d’îles
C’est le chant de la mer grondante, notre héritage éternel.
Des terres inconnues, ensoleillées, ensevelies au-delà des eaux du désert
C’est le chant du sage et joyeux marin Teagiagi.
I
Quand Mangareva fut aussi peuplée qu’une baie remplie de sable,
l’encombrement fut si grand que l’on pensa à chercher de nouvelles terres.
A cette époque-là, vivait sur l’île, entouré d’une nombreuse famille,
le vieux Nua.
Aveugle de naissance, il possédait le mana d’une vue secrète et souvent, les yeux sans vie tournés vers l’océan baigné de lumière, il disait
aux enfants qui l’écoutaient attentivement2.
—
Je vois sur les ondes, loin derrière l’horizon, se lever des îles
inconnues, telles des écuelles renversées. Elles sont là, à droite,
«
à gauche et attendent l’arrivée de l’homme. Mettez la voile sur
un bateau et ce
monde vierge s’ouvrira à vos yeux, à condition
que vous soyez guidés par votre benjamin3 Teagiagi. »
2
Texte du n°39 : « Lorsque Mangareva fut peuplée d'hommes, telle une baie remplie de sable, l'encom-
brement fut grand et l'on pensa à chercher de nouvelles terres. A cette époque-là, vivait sur l'île, entouré
d'une nombreuse famille, le vieux Nua. Il était aveugle de naissance, mais possédait la force miraculeuse
d'une vue secrète et souvent, les paupières aveugles fixées sur l'océan baigné de lumière, il disait aux
enfants qui l'écoutaient attentivement. » Ceci permet d'avoir une idée du texte initial où idole et roi sont
ici remplacés par tildet akariki.
3
Le texte utilise le terme « frère cadet » mais le récit indique qu'il s'agit du plus jeune, du benjamin.
ŒulletÀn do lev Société de& ètude& Océaniermes
—
«
Nous laisser guider par Teagiagi ! s’écrièrent en riant ses frères
aînés. Mais il s’amuse encore comme un enfant : il sculpte des
tiki et des canots dans l’écorce des arbres et se baigne avec les
petits. Non, c’est l’aîné qui sera notre capitaine.
Ayant ainsi décidé, les neuf fils se mirent en route, errant en vain sur
l’océan immense et revinrent bredouilles.
Mais la mer continua à chanter et appeler, la mer vaste et sans limites
pendant que sur terre l’espace se réduisait. Alors, réparant le bateau brisé
par les orages, ils reprirent la mer, guidés cette fois par Teagiagi.
Et comme s’il connaissait le chemin depuis toujours, Teagiagi, Ô jeunesse bienheureuse ! mit le cap plein sur le soleil levant et, après plusieurs
lunes, une terre apparut sur les flots, pareille à une écuelle renversée.
Les oiseaux de mer poussaient des cris stridents. Des pieuvres
énormes nageaient dans l’eau étincelante sous le soleil.
Dépassant les monstres, le bateau aborda une terre belle et mystérieuse. Des centaines de tiki de pierre, gigantesques comme des rochers
s’élevant sur les talus, les corps recouverts de mousse ancienne, y paraissaient être les seuls habitants. Puis à la nuit tombée, des hommes nus,
solidement bâtis et aux longues oreilles assaillirent les frères mais ils périrent tous jusqu’au dernier après un court
combat.
Les frères brûlèrent les vaincus et l’aîné s’y établit avec sa femme.
C’est ainsi que Rapanui fut découverte, île triangulaire comme un signe
de pierre inconnu, situé à la limite des choses.
Les navigateurs continuèrent leur route, attrapant des poissons avec
leurs hameçons de nacre et buvant de l’eau amère jusqu’à ce qu’ils aper-
çoivent une île nouvelle.
Havaiki, terre de nos lointains ancêtres, berceau des générations
«
futures !
De toi s’échappent des fumerolles enveloppées de brouillard,
voiles
d’aubes rayonnantes. »
Là ils s’arrêtèrent pour un repos bien mérité. L’aîné des huit prit possession de Havaiki tandis que les autres se dirigeaient vers le Sud.
Les vieilles étoiles s’éclipsaient, d’autres naissaient. Dans une écume
froide et harassante, les flots s’étalaient sous la voûte du ciel cachant la
8
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
moitié du ciel ; les longues nuits se penchaient silencieuses sur les eaux
noires et le voyage parut décevant aux navigateurs.
Soudain, tel l’œil d’une jeune fille éprise attendant son fiancé, une
haute montagne couverte de blanc se révéla sous le ciel resplendissant et
la terre Angara, que nous appelons aussi terre des Maoris (Nouvelle-
Zélande), accueillit les marins dans sa fraîcheur humide pénétrée de
rosée. Des cascades de vapeur chaude tantôt s’élevaient en lézardes
huilantes, tantôt disparaissaient sous la terre telles de blanches apparitions
souterraines. Un sourd ronflement grondait sous les pieds mais l’herbe
était verte et les vallées riantes. Les frères se vêtirent de chaudes plumes
d’oiseau, se réchauffèrent sur la terre imprégnée de vapeur, et l’aîné d’entre eux y resta avec sa femme et son bétail.
Vers la chaleur, vers la douceur paisible, le capitaine dirigea son
navire et c’est dans l’archipel des Cook vers l’île Atia qu’abordèrent les
marins. L’aîné de ceux qui restaient s’y établit. Les cinq autres continuérent leur chemin ; en route, un jeune perroquet se percha sur les agrès
et conduisit les voyageurs vers la joyeuse terre Rarotonga.
Comme une jeune fille entrant dans la mer pour s’y baigner, elle offrait
en riant ses vertes tresses aux vents et encore une fois, l’aîné d’entre eux
fit de Rarotonga son héritage à jamais.
La nouvelle lune naquit et lorsqu’elle eut atteint son quart, les marins apercurent les beaux contours bleus de caps rayonnants paraissant plonger dans l’eau
comme des bêtes de montagne qui s’abreuvent avidement dans l’océan, mais qui,
pris par le sortilège de la mélodie des eaux, ne peuvent étancher leur soif.
C’était la Tahiti dorée, couronnée d’un cercle de nuages, entourée de
l’écume blanche des récifs et l’aîné des quatre marins tout heureux, y
resta avec sa femme et son bétail.
-
«
Maintenant, rentrons chez nous ! » décida Teagiagi et tournant
l’ouest, il trouva l’île Tonga Tapu et l’île Vavau, fit débarquer ses deux
derniers frères et tout seul se mit à chercher une terre pour lui-même.
vers
De légers ouragans virevoltaient dans les deux, la pirogue de Teagiagi
tournoyait sur les ondes salées, la pluie cinglait, l’orage grondait.
N’ayant rien trouvé pour lui-même, épuisé et triste, Teagiagi s’en
revint à Mangareva.
9
Æ|j Œu/lctin da la Société de& études. (Océaniennes
—
«
Mon père, dit-il à Nua ; ta vue ne t’indique-t-elle pas une
belle terre, que j’aurais pu posséder moi aussi ? »
—
Si, lui répondit Nua. Bien des terres sont encore ensevelies
dans les gouffres bleus, va à leur découverte, Ô aito !
«
Teagiagi garda le silence, cloué sur place, paraissant prêter l’oreille
au bruit d’un orage
—
«
lointain et enfin il murmura :
Crois-tu que les vagues et les vents n’aient pas assez fouetté
et que ma peau ne soit pas assez brûlée par le soleil
ardent comme le varech sur le sable ? Autrefois, t’en souviensmon corps
tu mon père ? J’aimais la danse. Maintenant
les folles danses d’un
océan furieux ont chassé ce goût de mes entrailles. Autrefois, t’en
souviens-tu mon père ? J’aimais les chants. Maintenant seul
l’orage gronde dans mes oreilles remplies d’eau salée et ma voix
elle-même est rauque comme le hurlement des trombes, comme
les soupirs implorants des vents de Tokerau. Non, je suis las des
voyages mon père.
Et il s’établit sur l’île de Taravai, appartenant à sa sœur bien aimée.
II
Ayant entendu parler des exploits de Teagiagi, Poatuto, l’un des chefs
de Mangareva apprêta un grand bateau et apprenant que les marins
avaient d’abord mis le cap sur le soleil levant, il expédia son formidable
fils à la recherche de l’île Rapanui.
Le fils de Poatuto trouva Rapanui et vit d’innombrables statues de
dieux inconnus ornant les talus. Il permit à une ruse méchante et hardie
de s’introduire dans son cœur.
Découvrant le fils aîné de Nua qui vivait là depuis longtemps et tra-
vaillait la terre dans un dur labeur, le nouvel arrivant lui demanda orgueilleusement :
—
«
Comment as-tu osé t’emparer de mon île sans demander mon
avis ? »
—
Voici deux ans que je suis installé dans cette île », répondit le
fils de Nua avec indignation. « Vois-tu l’arbre de Kauveriki ? Je l’ai
«
apporté de Mangareva lorsqu’il n’était qu’un rejet et maintenant
10
N°315/316 - Janvier/Jum 2009
il nous offre une ombre fraîche. »
—
«
Menteur ! » s’écria le fils de Poatuto. « As-tu vu les centaines
de tiki qui ornent mon île ? La première fois que je suis venu, j’ai
—
apporté un petit tiki et l’ai planté en terre. Regarde maintenant
ce que sa race donne ! »
J’ai entendu bien des oiseaux crier en vain en tournoyant sur
les ondes, mais jamais encore il ne m’est arrivé d’entendre un
pareil babil ! » répondit le fils de Nua l’aveugle. « Allons deman«
der aux tiki eux-mêmes de nous dire la vérité. »
Et les deux hommes montèrent sur le talus où se dressait un nom-
bre infini de silencieuses statues de pierre.
—
«
Le voilà » fanfaronna le fils de Poatuto, frappant l’un des géants
sur le dos. « Il est le
premier de l’espèce. Je l’ai planté en terre
il y a de cela quelques années ! »
Et un sinistre prodige eu heu. Un étrange éclair s’alluma dans les
yeux du tiki qui leva son énorme main, frappa la tête du vantard qui rape-
tissa, se transformant en un nain à peine visible. Jetant des petits cris stridents tel un coq vaincu, il s’enfuit loin des géants pour rejoindre son
bateau où dissimulé sous les cordages, il s’enfuit.
III
Pendant ce temps, au royaume de Poatuto, vivait le géant Marea
Tararoa.
Il vivait au sommet de la montagne et depuis des temps immémo-
riaux, il suppliait son maître de lui accorder de la terre en plaine car
parmi les rochers, il était à l’étroit.
Comment puis-je t’accorder de la terre au pied du rocher avec ton
poids démesuré ? Si tu t’installes ici, rien qu’en marchant, tu feras
s’écrouler toutes les maisons et avec tes pieds, tu creuseras des trous
profonds tout le long du rivage. » répondit l’avide Poatuto au géant.
Une grande colère s’empara du géant qui abandonna Poatuto et
partit à la recherche du bonheur. Après avoir longtemps erré, il aperçut
l’île d’Angaru et s’y établit avec le troisième fils de Nua l’aveugle arrivé
—
«
avant lui. Ils vécurent ensemble dans l’amitié paisible.
11
bulletin de/ la Société/ de& études/ Océaniennes/
Après le départ du géant, Poatuto délaissé fut vaincu par ses ennemis
et contraint de fuir honteusement. En chemin, il rencontra la nef rapide
de son fils qui rentrait.
—
«
Maintenant, c’est lui qui me protégera ! » s’écria Poatuto avec
joie, s’adressant à ses serviteurs. « Sa main est puissante et son
esprit vif. Sois le bienvenu mon fils. Te portes-tu bien ? J’ai besoin
de ta force redoutable. »
Lorsque les bateaux se croisèrent, Poatuto ébahi, vit le piteux aspect
de l’infortuné nain. Il en resta d’abord muet de sidération puis hurla
comme en un débre.
—
«
Tournez la barre, nous allons à Rapanui ! »
IV
Ils abordèrent dans la nuit. Deux feux brûlaient à la porte de la maison du fils du vieux Nua. Un chien
aboyait et des cris d’enfants retentis-
saient dans l’obscurité. La famille accueillait dans la nuit son premier né.
Poatuto ne viola pas leur paix bienheureuse.
Ce n’était pas à eux, mais aux formidables tiki qu’il avait déclaré une
guerre inexorable et s’approchant des statues dans les ténèbres, il cria
d’une voix assoiffée de sang :
—
«
Démons ! pourquoi avez-vous défiguré si impitoyablement mon
fils bien-aimé ? »
—
«
Parce qu’il avait menti. » répondit la voix de pierre dans le
silence de la nuit.
—
«
Tous mentent » cria Poatuto dont la fureur grandissait, « Le
akariki ment quand il s’empare de la terre du pauvre, la mère
ment elle aussi en faisant l’éloge de sa fille au
fiancé, l’enfant
ment lorsqu’il a volé un fruit. Et vous aussi vous mentez butors,
si vous avez l’intention de nous faire croire que le monde est mû
par la vérité. »
La terre trembla sous ses pas puissants et les géants se rapprochant
les uns des autres entourèrent Poatuto et ses hommes.
—
«
Tuez-les », hurla Poatuto en proie au délire, « projetez vos
lances, transpercez-les par des nuages de flèches ! »
12
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Lances et flèches partirent et rebondirent sur les corps de pierre se
resserrant plus étroitement dans un sourd frémissement.
Les guerriers de Poatuto effrayés se précipitèrent vers leur bateau, lui
seul avec son fils nain se tenait encore parmi les géants éclairés par la
pleine lune, les accablant d’injures jusqu’à ce que la main gigantesque
recouvrant les vallées de son ombre immense, saisisse les malheureux et
les jette par-dessus l’île, sur leur navire ballotté par les flots.
Bientôt, des vagues pareilles à des montagnes s’élevèrent emportant
le bateau qui périt corps et biens.
Ainsi se termina la révolte de l’homme contre l’éternelle vérité des
dieux.
Et l’aube se leva.
Impassibles, les statues de pierre s’élevaient sur leurs places de toujours ainsi qu’elles le feront jusqu’à ce que Maui se lasse de tenir sur ses
épaules notre vieille terre pesante.
Après la fuite de Poatuto, une vie paisible régna sur l’île de
Mangareva.
Teagiagi seul demeurait insatisfait, il ne voulait plus vivre sur les
terres de sa sœur, il désirait une terre pour lui-même. Voyant sa souffrance, le vieux Nua lui chuchota :
L’homme peut tout Teagiagi : marcher sur les eaux bouillonliantes et attraper les étoiles du ciel comme celui qui se rend à
une fête cueille les fleurs des arbres ; descendre dans une nuit
éternelle et s’élever vers le ciel où demeurent les grands esprits.
L’homme peut tout si son esprit est droit et sa volonté ferme, et
s’il s’est abstenu de toute débauche. Toi qui as trouvé huit terres,
ne peux-tu en trouver une petite pour toi ?
Alors Teagiagi s’avança en mer et, troublant les eaux tempétueuses,
surgit auprès de l’île de Taravai, l’îlot Anka uita où il demeura jusqu’à sa
mort, aimé de tous et libre comme un oiseau de l’Océan.
—
«
Légende recueillie par Alexis Massainoff
Traduite du russe par Marie Zakrevsky, publié dans le BSEO n° 33 en 1931Texte repris par Simone Grand pour le n° 315 en 2009
13
Taaki, l’homme
le plus heureux du monde
L’homme demanda à la mer où demeurait le plus heureux des humains ;
les vagues roulaient, racontant ce qu’elles savaient des terres étrangères et
inconnues. Mais ce n’était pas de notre terre qu’elles parlaient.
L’homme interrogea le vent et celui-ci riait pour toute réponse, car il
avait vu bien des choses le sage vent, et il n’avait jamais rencontré ni île, ni
pays où la maladie et la mort, maîtresses de l’univers, n’eussent pas régné.
Alors l’homme interrogea la perle, rejetée sur le sable et elle lui murmura tout bas
qu’un jour elle avait été pêchée près de l’île Timoe par le
beau et jeune Taaki considéré comme le plus heureux des hommes vivant
sous le soleil.
Ecoute bien ce que l’on raconte de lui.
Taaki vivait sur l’île de Mangareva. On l’appela le bienheureux car il
était pourvu de toutes les vertus.
Il était si fort et si vigoureux que d’un coup de lance, il tuait le plus
grand des requins.
Il était si gai que lorsqu’il dansait, c’était comme si la joie elle-même
qui dansait ; en vérité Taaki était aussi le meilleur de nos chanteurs.
Mais ce qu’il avait de plus merveilleux lui avait été donné à sa naissance :
Taaki avait une peau dorée comme le ciel de l’aube, une peau
douce et luisante et en plus, il avait du mana. Mais tout le monde ignorait l’existence de ce mana, même la bien-aimée de Taaki, la belle et
étourdie Nua.
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Lorsqu’une joyeuse jeune fille aime, elle chante du matin au soir au
point d’interrompre les oiseaux et lorsque descend le crépuscule, elle inonde
son bien-aimé des plus incroyables et plus bizarres noms, doux comme la
canne à sucre. Mais le nom préféré inventé par la bavarde Nua
pour son ami
était celui de Teurere, doux comme le roucoulement de tourterelles.
Le mariage approchant, Taaki décida de lui offrir un beau cadeau et
se dirigea vers l’île de Timoe jadis célèbre pour ses perles.
Le chemin était long, le temps orageux et Taaki dût affronter les flots
tumultueux avant d’atteindre l’île.
Seules deux familles
-
d’un peuple étrange aux visages blancs- l’ha-
bitaient. Ils écoutaient le vent et se nourrissaient de coquillages. Le soir,
réunis en cercle, ils regardaient le ciel rouge et chantaient des chansons
mélancoliques sur un pays enfoui sous les eaux et sur leur sort étrange.
Ces hommes étaient beaux comme des fleurs, mais les plus beaux
de tous étaient le jeune Teuirangi et la jeune Marama ou Clair de lune.
Le jour, Taaki plongeait à la recherche de sa perle et Marama assise
sur la plage à le regarder lui offrait des noix de coco à boire.
Lorsqu’il eut enfin trouvé une perle grande et brillante comme l’étoile
du matin, Taaki décida de rentrer à Mangareva. La jeune fille s’approcha
de lui en pleurant :
—
Bien des feux étincellent dans le firmament, bien des feux tombent en roulant dans le ciel quand vient la nuit. Taaki, que ton
«
étoile t’éclaire à Mangareva, si elle n’est pas couchée déjà. Mais
si cela se produit, rappelle-toi que mes larmes sont plus chaudes
que le feu et plus salées que la mer.
Après cinq longues lunes d’absence, Taaki rentra à la verte Mangareva mais personne ne vint à sa rencontre sur la rive. Entrant dans le village, il entendit les cris joyeux des gens revenant d’une fête, tous parés de
couronnes de réjouissances.
Tu rentres trop tard Taaki » crièrent-ils. « Nous venons du
mariage de ta Nua avec le pêcheur Tuku. Mon ami, lorsqu’une
femme se met à parler de son amour aussi doucement que le fait
un oiseau, prends une amie sourde et muette, et tu seras plus
—
«
heureux en amour. »
15
Œullcii/t de /a Société des. études. 0<ceamennesy
Taaki n’alla pas à la fête. Il se cacha dans la forêt voisine et disparut
quand un vieillard apparut, trébuchant appuyé sur un bâton, les yeux larmoyant, boitant.
Il passa devant la nouvelle maison où Nua se tenait murmurant à son
mari, des noms bizarres de son invention, doux comme la canne à sucre.
—
«
D’où viens-tu vieillard ? » demanda Nua sondant l’obscurité et
apitoyée par l’air malheureux du vagabond qu’elle invita à passer la nuit sous leur toit.
La remerciant, le vieillard s’assit en silence dans un coin.
Tout d’un coup Nua dit à son mari :
—
« Mon
bien-aimé, la lune n’a pas encore paru et la pêche sera
bonne. J’ai follement, follement envie de poisson Ta. Et si tu allais
en attraper
de suite pour ta petite Nua ? »
Etonné par l’étrange prière de sa femme désirant manger si tôt après la
fête, Tùku prit cependant une torche et le harpon et sortit en bateau sur le lagon.
Il vit une quantité innombrable de poissons, des troupeaux, des
nuées de poissons. L’eau bouillonnait sous leurs mouvements précipités
et Tuku ému comme tout pêcheur poursuivant sa proie, les frappait l’un
après l’autre en riant. Il criait en s’agitant :
Ici les poissons ! La belle Nua vous mangera ce soir même ! Ici, ici,
poisson Ta. »
Mais quand il voulut rentrer, persuadé d’apporter des montagnes de
captures, Taku s’aperçut que son bateau était vide. Stupéfié, il alluma une
«
autre torche et retourna sur le lagon.
Pendant ce temps, Nua scrutant la nuit où scintillait le feu rouge de
son
mari, riait doucement et voluptueusement.
—
—
—
Pourquoi ris-tu ? » demanda le vieillard assis dans un coin.
Je ris de bonheur » sourit Nua. « Et toi, pourquoi n’essuies-tu
pas tes larmes vieillard ? »
Je pleure ma bien-aimée qui m’a abandonné. » répondit tout
«
«
«
bas le vieillard dont les larmes coulèrent de plus belle le long de
ses
—
«
joues ridées.
Ta bien-aimée ? » éclata de rire Nua peinant à se tenir debout
tant elle riait.
16
N°315/316 Janvier/Juin 2009
-
«
—
Oui » répliqua le vieillard sévèrement. « Elle était tout aussi
belle et écervelée que toi Nua, ma fiancée. Ne veux-tu pas venir
avec moi et me
—
«
prendre à la place de ton mari ? »
Comment t’appelles-tu, fou que tu es ? parvint à
hoqueter tor-
due de rire, Nua.
—
—
«
«
Mon nom est Teurere » répondit le vieillard qui baissa les
yeux.
Teurere ? Toi, pleurnichard ? Que sais-tu de Teurere ? » proféra
Nua cessant de rire effrayée.
—
«
Teurere me l’a dit lui-même » répondit le vieillard.
A ce moment-là, Tuku entra confus fâché.
—
«
Je suis ensorcelé ! » s’écria-t-il. « J’ai vu des nuées de poissons
et je n’en ai attrapé aucun ! Que t’as dit ce vieillard ? »
Rien ! » répondit Nua en rougissant.
Le vieillard se coucha en silence.
—
«
Toute la nuit Nua pleura amèrement.
Lorsque le second soir descendit comme un nuage humide sur la
terre, Tuku se rendit à nouveau à la pêche, errant sur la mer, poursuivant
des myriades de poissons les plus rares mais n’en attrapant aucun.
Nua dis-moi », demandait pendant ce temps le vieillard assis
près
de la maison, « le cœur humain suit-il la beauté ou l’amour ? »
L’amour » répondit Nua.
—
—
—
«
«
«
Veux-tu me suivre alors ? »
Non » rétorqua Nua qui ne riait plus.
Et soudain, à la place du vieillard
—
«
pleurnichant, elle vit Taaki luimême, son bel ami si triste. Il sortit de la maison sans un mot.
—
«
Mon bien-aimé ! » cirait Nua se précipitant derrière lui sur le sable
froid de la plage. « Pourquoi as-tu voulu m’éprouver ? Pourquoi
t’es-tu transformé en vieillard ? Je ne te savais pas autant de manu. »
—
«
Le sable n’est pas un soutien à la pierre »
répondit Taaki sans
se retourner.
—
«
Je serai forte ! » criait Nua au désespoir, en se roulant sur le
sable. « Je te jure que je serai forte Taaki. »
—
«
Si tu es forte », répliqua Taaki, « suis-moi. »
Et il marcha sur les vagues comme sur la terre ferme.
17
bulletin de lu Société des études/ ùcéaniennes
Nua se précipita derrière lui et les flots l’engloutirent avant de la rejeter sur la rive.
ses
Anéantie, elle rentra à la maison où son mari l’attendait examinant
captures.
Je suis ensorcelé » s’écria-t-il de nouveau, montrant un tas de
pièces de bois noir qu’il avait attrapé en lieu et place de poisson Ta.
Taaki se souvenant de la fidèle Marama, mit le cap sur l’île Timoe où
—
«
il avait pêché des perles. Le soir, il arriva à la côte et se transformant à
nouveau en
vieillard, il s’approcha de la maison de la jeune femme.
Marama était assise avec le jeune Teurangi et interrogeait les vagues
montantes sur l’avenir. Voyant le vieillard, elle sourit et murmura :
Vieillard, nous venons d’interroger les vagues sur l’avenir et la
mer m’a dit que j’épouserai le plus bel homme de la terre. »
Tu seras ma femme » répondit sinistrement le vieillard.
Marama la joyeuse éclata de rire :
Non j’épouserai Teurangi le plus bel homme de la terre perdue.
Mieux que lui il n’y a que Taaki mais il est parti bien loin et il ne
—
—
—
«
«
«
m’aime pas. »
—
«
Et si j’étais Taaki ? » dit le vieillard en se levant : « M’aurais-tu
aimé tel que je suis, repoussant ? »
—
«
Oui » répondit Marama fermement.
Alors le vieillard redevint Taaki à la peau dorée comme le soleil cou-
chant, heureux. Il emmena Marama sur l’île de Mangareva.
Apprenant que son rival était de retour, Tuku le mari de Nua s’en alla
consulter le plus puissant des sorciers et, ensorcelant tous les poissons Ta,
ceux qu’il n’avait pu attraper pendant ces deux soir mémorables, il organisa une grande fête et un concours. Le vainqueur serait celui qui piongérait à la plus grande profondeur.
A peine Taaki qui avait été invité à la fête, avait-il plongé dans les profondeurs que les poissons Ta ensorcelés par le sorcier, l’entourèrent en
nuées et lui enlevant sa peau dorée, s’en affublèrent avant de se disperser gaiement dans tous les coins de l’océan.
Voilà comment les poissons rouges apparurent la première fois dans
la mer.
18
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
Mais Taaki ensanglanté ne voulut plus revenir sur terre et rejoignit
volontairement sa défunte mère dans l’éternelle Nuit .Po.
—
«
Mère » dit Taaki passant par les chemins déserts de la Nuit,
«
Ils m’appelaient l’heureux, mais il n’y a pas de bonheur sur
terre. Donne moi l’oubli, l’immortel oubli,
donne-le moi ma
mère. »
—
«
Mon fils, tu es peu raisonnable » lui répondit sa mère en sou-
riant. Tout bonheur doit être mérité et ce n’est que maintenant
que tu en es digne. »
Et donnant à Taaki une peau encore plus éblouissante, elle le renvoya
dans le monde sous la lune où le peuple s’agitait et criait sur la rive
croyant Taaki perdu.
—
«
Le voilà ! Le voilà ! Où étais-tu Taaki ? » criait la foule aperce-
vant le nageur qui se soulevait d’au-dessus des flots.
Je suis allé chercher mon bonheur » répondit le jeune homme
« On dit
que tout bonheur doit être mérité.
Et pour le mériter, j’ai dû faire un bon bout de chemin. »
Et brillant de sa peau éclatante et dorée, il se dirigea gaiement vers
—
«
en sortant de l’eau.
sa maison.
Nua quitta son mari ce jour-là. Apprenant par les poissons rouges
que Taaki était allé chercher son bonheur dans la Nuit éternelle, elle se
rendit dans le royaume souterrain et rencontrant la mère de son bien
aimé, se mit à se plaindre de son triste sort, pleurant amèrement.
Tu sais mon ami : qui pleure dans la Nuit éternelle, ne retourne plus
à la clarté du soleil.
Et jusqu’à maintenant, sous les voûtes des grottes noires et désertes,
Nua l’infidèle solitaire sanglote amèrement.
Légende recueillie par Alexis Massainoff
Traduite du russe par Marie Zakrevsky, publié dans le BSEO n° 33 en 1931.
Texte repris par Simone Grand pour le n° 315 en 2009
19
Teiti a Toakau
Il y a bien longtemps à Maareva, vivaient Tùikura et son épouse Toakau.
Toakau fut enceinte mais au bout de 3 mois, elle expulsa unputoto,
(placenta).
Toakau prit ce putoto et le déposa dans les racines d’un hotu et n’y
pensa plus.
Tuikura ignora ce qui s’était passé.
Quand Moegaroa, un esprit du monde de la Nuit passa par là.
Il aperçut ce putoto qui rampait comme un lézard.
Le putoto s’enroula autour de sa canne tendue pour le toucher.
Il l’emporta chez lui dans le monde de la Nuit et le confia à sa fille
Toamoegaroa.
Us l’adoptèrent et l’appelèrent Teiti a Toakau
Le garçon grandissait.
Dans la journée Toamoegaroa s’occupait de lui qui, la nuit dormait
auprès de Moegaroa.
Un jour, Moegaroa dit à sa fille : « Prends bien soin de l’enfant, je vais
à la guerre. Lorsqu’il se réveillera, ne lui dis pas où je suis. »
Moegaroa s’en alla
Le matin en se réveillant, Teiti a Toakau demanda à sa mère : « Où
est grand-père ?» - « Par là. » lui répondit-eüe.
L’enfant rassuré ne prit pas la peine de chercher son grand-père.
Puis il revint à la maison près de sa mère qui tressait une natte.
U lui demanda de lui fabriquer un harpon, un oto, (petit harpon).
Toamoegaroa lui fit un petit harpon qu’elle amarra avec une fibre
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
de pandanus prélevée dans son rouleau. L’amarrage tournait de gauche
à droite. Quand le harpon fut terminé, elle le remit à son fils.
Ce dernier s’empressa d’aller jouer autour de la maison.
Teiti a Toakau lança son harpon vers le ciel.
Ce harpon tomba dans l’œil du akariki que son grand-père corn-
battait.
Le akariki s’enfuit avec le harpon dans l’œil.
Pendant que l’on cherchait le héros au harpon à l’amarrage tournant de gauche à droite, Moegaroa revint en hâte chez lui et demanda à
sa fille : « Qu’as-tu donné à ton fils ?» - « Cet enfant m’a demandé de lui
faire un oto pour s’amuser. Je lui en ai fait un et l’ai amarré avec une
tresse de pandanus tournant de gauche à droite. »
Moegaroa comprit immédiatement et s’écria : « Ce harpon appartient
à ce lézard tombé de l’autre monde ! »
Teiti a Toakau entendant ces paroles se mit à pleurer, malheureux
d’être traité de lézard. Il pleura, pleura, malgré les efforts de sa mère
pour le calmer. - « Tu veux sans doute retourner dans le monde d’où tu
viens. » lui dit-elle. - « Oui ! » lui répondit Teiti a Toakau.
Toamoegaroa s’en fut vers son père : « Cet enfant pleure sans cesse.
Il est inconsolable et veut retourner dans son monde. Moegaroa répon-
dit : « S’il le veut, qu’on le laisse faire. »
Sa fille supplia : « Ne le laisse pas partir sans rien. En arrivant dans
l’autre monde, on lui demandera chez qui il habitait. Quand il répondra :
‘j’habitais chez Moegaroa’, on ne le croira pas facilement et on lui répliquera : ‘Si tu as habité chez Moegaroa, il ne t’aurait pas laissé partir sans
son mam. Car
Moegaroa est un akariki, un grand aito, au grand manu.' »
Agacé Moegaroa s’écria : « Mais que veux-tu donc ?» - « Donne lui
une partie de ton maria, celle appelée
Igogo à Maareva. » insista sa fille.
Toamoegaroa revint auprès de son fils : « Mon chéri, j’accepte que
tu retournes dans l’autre monde, dans ton pays natal. Mais tu ne
partiras
pas sans rien. Ton grand-père te léguera une partie de son maria. Pour
cela, il te faut du courage. Fais ce qu’il te dira de faire. Quand il te cornmandera de monter sur un cocotier, préserve tes forces car au sommet,
un vent terrible soufflera des
quatre coins du ciel. »
21
Œid/clia de la Société des Stades Ocean
Après qu’elle eut parlé, Moegaroa arriva et ordonna à Teiti a Toakau
de monter sur un cocotier. Lorsque l’enfant atteignit le sommet, un fort
vent s’éleva des quatre coins
du monde.
Teiti remporta l’épreuve.
Lorsqu’il redescendit, Moegaroa le conduisit à la mer et lui donna
l’ordre de plonger. Il plongea et revint à la surface où son grand-père lui
demanda ce qu’il avait vu sous l’eau.
J’ai vu un homme avec un harpon dans l’œil. »
Plonge encore, arrache ce harpon et apporte le moi. » lui dit
Moegaroa
L’enfant obéit à son grand-père puis revint près de sa mère qui l’at—
—
«
«
tendait.
—
«
O ! mon fils ! Lorsque tu seras dans l’autre monde, dans ton
pays natal, tu marcheras au bord de la mer et lorsque tu verras
un
hotu, arrête toi, c’est là que tu es né. »
Puis elle embrassa son enfant le cœur plein de chagrin. Teiti s’en fut,
quittant la maison et laissant Toamoegaroa dans une grande douleur.
Arrivé dans l’autre monde, Teiti marcha le long du rivage et vit le
grand hotu sous lequel il s’assit. A cet endroit, deux enfants jouaient avec
le sable du rivage appelé à Maareva tutaepotiki tiki, construisant avec,
des maisons qui s’écroulaient sans cesse. Teiti les observa et proposa d’en
construire une ; ce que les enfants ravis acceptèrent.
Grâce à son maria, Teiti érigea rapidement une johe maison dans
laquelle les enfants pénétrèrent enchantés par sa beauté.
Ces deux enfants qui étaient les frères de Teiti coururent vers leur
mère : « Viens à la plage voir la belle maison, lève-toi, lève-toi. »
La mère se leva mais arrivée à la plage, ne vit aucune maison. Teiti
l’avait démohe.
Toakau gronda ses deux enfants pour l’avoir inutilement dérangée.
Elle rentra chez elle et après son départ, les enfants dirent à Teiti : « Faisnous encore une maison. »
Teiti exauça leurs désirs et fit une maison encore plus belle que la
précédente, décorée de johes choses à l’intérieur que les enfants ne se lassaient pas d’admirer.
22
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Ils demandèrent à Teiti : « Qui sont tes parents ? »
—
«
Mon père se nomme Tuikura et ma mère Toakau. » leur répon-
dit-il
—
—
«
Mais ce sont nos parents ! » s’écrièrent les enfants.
«
Ce sont cependant les miens » leur affirma Teiti.
Les enfants coururent prévenir leur mère que la maison était à nouveau terminée et la
pressèrent d’aller la voir. La mère refusa et les gronda
de sans cesse la déranger. Elle les chassa. Les enfants lui dirent alors :
«
Sur la plage, un enfant nous a raconté que son père s’appelle Tuikura
et sa mère Toakau. » La mère n’y prêta pas attention.
Tuikura revint de la pêche et prépara le repas. Une fois rassasié, il
ordonna à ses enfants d’aller à la plage chercher leur couverture. En les
voyant arriver, Teiti rendit la couverture si lourde que les enfants ne purent
la transporter. Ils la laissèrent et rentrèrent à la maison.
Tuikura s’étonna de leurs mains vides. Ils répondirent : « Elle est si
lourde que nous l’avons laissée à la plage. » Le père en fut intrigué :
«
Comment ? Mais c’est la même couverture que vous portez tous les
jours ! Retournez la chercher ! »
A leur arrivée à la plage, Teiti proposa : « Laissez moi porter la couverture. » Ce qu’ils acceptèrent. En les voyant le père interrogea : « La couverture est-elle là ? »
—
—
—
—
«
Oui » répondirent-ils
«
Comment Lavez-vous portée ? »
«
Ce n’est pas nous qui l’avons portée, c’est ce jeune garçon - là. »
«
Aue ! » s’écria Toakau, « faites entrer ce pauvre petit orphelin
et donnez-lui à manger. »
Tous s’empressèrent pour lui offrir à manger.
Toakau confia à son mari : « Les enfants m’ont parlé de ce jeune garçon qui leur a dit que ses parents étaient Tuikura et Toakau. » - « C’est
un être
humain, parlons-lui. » dit Tuikura
Quand Teiti fut rassasié, Tuikura le questionna : « Enfant, qui sont tes
père et mère ? »
Mon père se nomme Tuikura et ma mère Toakau. » lui répon—
«
dit l’enfant.
23
bulletin/ do lev Société des études Oceanicfines
—
Quoi ? » s’exclama Tuikura : « Ce sont nos noms et voici nos
enfants. » « Et pourtant ce sont bien mes noms de famille. On
m’a toujours assuré que je m’appelais Teiti a Tuakau. »
«
-
Et l’enfant leur expliqua l’histoire de sa naissance.
Après l’avoir entendu, Tuikura se tourna vers son épouse : - « Que
penses-tu du récit de cet enfant ?» - « Je crois qu’il dit vrai » répondit-elle.
Tùikura insista : « Où demeurais-tu et pourquoi es-tu revenu ici ? » «J’habitais chez Moegaroa. Je suis revenu ici parce que mon grand-père
m’a traité de lézard tombé de l’autre monde et ça m’a mis très en colère. »
Après mûre réflexion, Tuikura dit à Teiti : « Maintenant, nous sommes
sûrs que tu es bien notre fils. Installes-toi dans la maison près de tes
frères. » Le soir, Teiti demanda à son père : « Où es ta maison consacrée ?» « Le toit de ma maison sacrée est abîmé, l’eau y passe à travers
quand il pleut. » - « Cela ne fait rien ; allez-y tous les deux l’arranger, je
veux y dormir cette nuit. »
Ses parents s’en furent tenter de réparer la maison puis le père
s’adressa à son fils : « Vois, cette maison est en très mauvais état. On voit
les étoiles au travers du toit. » « Cela ne fait rien, j’y dormirai cette nuit. »
Au milieu de la nuit, Toakau hit réveillée par les grondements du
tonnerre, les éclairs, la pluie et le grand vent. Pensant à son fils, elle
réveilla Tuikura : « Il fait mauvais, allons voir notre enfant. » Arrivés près
de la maison, ils furent surpris de la voir éclairée de l’intérieur par une
-
-
brillante lumière. La maison délabrée avait été transformée en une belle
maison toute neuve. Etonnés de voir leur fils dormir profondément ils se
dirent : « Il a réellement habité avec Moegaroa ce génie très puissant et
de grand renom. »
Le matin, la maison avait repris son aspect habituel.
A partir de ce jour, Teiti demeura auprès de ses parents et de ses
frères. A la saison des uru, ses deux frères se rendirent à Takuaro pour
la récolte. Le lendemain matin de leur départ son père s’adressa à Teiti :
«
Vas toi aussi cueillir des uni. »
Le lendemain, Teiti partit pour Takuaro et commença la cueillette
près d’une montagne où il ne prit que les petits fruits appelésporori. En
revenant à Takutua avec un panier de fruits, Teiti le jeta par-dessus la col-
24
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
line et les petits uru entrouvrirent la terre et traversèrent la montagne
jusqu’à la mer. Le peuple de Taku s’émerveilla de ce prodige. Le trou fut
appelé Terua ma kai tagata et Tokairi les pierres le recouvrant. La renomniée de Teiti dépassa Mangareva pour atteindre les terres lointaines de
l’Océan d’Atu Hiva. Un génie de La Nuit nommé Pouatake vint le provoquer en duel : « Ta renommée m’est parvenue. Puisque tu es un aito, battons-nous. »
«J’accepte dit Teiti, à condition que tu commences la lutte
car Pouatake est un puissant génie.
-
Le mana de Pouatake résidant dans le feu, l’île entière de Mangareva
se mit à flamber. Teiti fut
rempli d’effroi et sa pensée se troubla devant le
spectacle de l’incendie. Il s’enfuit au sommet de la montagne pensant
mourir par le feu gagnant la cime de la montagne.
Toamoegaroa vit tout cela et fut saisie de pitié en songeant à son fils
sur le point de mourir. Elle appelle Moegaroa son père : « Pouatake va
certainement tuer Teiti. »
« Que veux-tu faire ? » lui dit son
père. Prends la sueur de sous ton aisselle et jette la sur Maareva.
Moegaroa prit la sueur sous son aisselle et la jeta sur Maareva qui en
fut submergée. Devant cette inondation Pouatake effrayé se réfugia dans
une pierre et aussi dans le bois, celui d’où sort le feu. Le feu dans la
pierre, le feu dans le bois. Pouatake se demanda où était passé Teiti.
C’est alors qu’arriva un autre génie nommé Teiti a Pie qui avait la
forme du poisson porc-épic, tôtara. Il venait d’un autre pays avec son
ami Paou qui avait également la forme d’un poisson. - « Ta renommée
m’est parvenue à Atu Hiva, c’est pourquoi je suis venu à toi. Nous devons
nous battre. » Pouatake accepta. Teiti a Pie commanda aux flots marins
de recouvrir Maareva et l’île fut inondée. Voyant cette inondation Teiti se
-
«
transforma en oiseau en attendant sa dernière heure. L’ami de Teiti a Pie
lui dit : « Nous ne pourrons jamais en venir à bout. Allons-nous en, sans
cela il nous tuera.
-
«
Ne crains rien, nous pourrons toujours nous échap-
per à la nage par le lagon de cette terre. » lui répondit Pie
Teiti a Toakau fit reculer la mer grâce à son mana. Quand le lagon
fut sec, le totara se retrouva piégé dans les mailles du filet de Teiti a Toakau. Quant à son ami, il s’enfuit mais avant de partir il dit au totara :
«
Mon ami, tu vois ce que c’est que d’être entêté. Je t’avais prévenu qu’il
25
Société des études* Océaniennes*
fallait nous enfuir. Regarde dans quel état tu es. Reste ici et meurs, moi
je me sauve. » Quand Teiti a Toakau rencontra Pie, il le subjugua en lui
disant : « Tu es victime de ta témérité mais pourquoi as-tu une dent cassée ?» « C’est pour avoir mordu la montagne de Tahiti » lui répond Pie.
Il se dit à Maareva que cet endroit est l’isthme de Taravao, Te puku
o Tahiti. Vint ensuite le akariki de Viriga (qui est Atitui, district de Rikitea) du nom de Hei a Roto. Rencontrant Teiti, il lui recommanda :
-
Lorsque les gens de Taku viendront, je te conseille de les laisser tranquilles, surtout ceux de Hei a roto de Takau. » Puis un jour, les gens de
Teiti s’en furent à Atitui quérir la couronne faite d’ongles humains. Ils
furent faits prisonniers et Hei a Roto donna l’ordre de les massacrer.
Or, ces hommes étaient les préférés de Teiti a Toakau. En apprenant
cela, Teiti vit combien il avait été trompé. Il envoya ses hommes chercher
ce Hei à roto pour le tuer. Ils arrivèrent de nuit à Atituiti. La mère de Hei
a Roto entendit le bruit de la barque s’échouant sur le rivage. Elle appela
son fils : « O Hei ! J’entends des hommes sur la plage » - « Ce sont des gens
qui vont à Viriga se baigner. » lui répond Hei a Roto. - « O Hei, j’entends
du bruit sur la plage. » Un jeune homme qui passait par là assista à l’enlèvement. A peine eut-elle fini de parler que Teiti arriva avec ses hommes.
Il captura Hei à Roto et se saisit de la couronne de mai’u’u. puis s’adressant aux gens de Hei : « Venez demain matin voir mourir votre akariki. »
Au moment de la capture de Hei, sa mère s’écria : « O Hei ! Adieu ô mon
fils. Demain, portés par les vagues de la mer, tes gens viendront. »
Le lendemain matin, le peuple de Viriga se rendit à Taku sur l’îlot
«
Ina et hit témoin de la mort de Hei a Roto. Il est bien mort et la couronne
de mai’u’u devint la propriété de Teiti a Toakau.
Te Hope’a
Ioane Mamatui
Rikitea 1926
Le texte en maareva est conservé dans les archives de la SEO. (Légende communiquée
par le capitaine Victor Brisson, publiée pp 99-106 du BSEO N°26
et réécrite par Simone Grand en 2009 pour le N° 315)
26
Eléments sur l’histoire
pré-européenne
et l’archéologie
des îles Gambier
Introduction
Lorsque, le 21 mai 1797, le capitaine James Wilson « découvre »
l’archipel qu’il nommera « Gambier », cela fait probablement près de
mille ans que des Polynésiens ont abordé ces des et s’y sont établis, constituant au fil du temps une culture originale parmi celles de la région. Après
l’installation des missionnaires cathobques, en 1834, l’archipel va vivre
sous un régime théocratique pendant près de quarante ans. Sous la férule
du Père Laval, de nombreux édifices (116 recensés en 1900) sont
construits, les pierres des monuments de la période pré-européenne,
notamment les marae, étant largement utilisées à cette fin. Comme cela
s’est produit en maints endroits, les missionnaires, tout en s’efforçant
d’effacer les traces matérielles des temps « païens » et de changer les
façons de penser et de vivre, s’attachèrent aussi à en décrire les aspects
à leurs yeux les plus significatifs. A Mangareva, ils encouragèrent même
les nouveaux convertis instruits par leurs soins à consigner par écrit leurs
connaissances du passé. De ces « récits mangaréviens » le Père Laval tira
les matériaux d’un ouvrage qui demeure à la base de nos connaissances
sur la culture ancienne de l’archipel.
Çûallclin de la Société des études Océaniennes
Bref historique des recherches ethnologiques
et archéologiques aux Gambier
La connaissance de l’histoire et de la culture pré-européenne de l’ar-
chipel bénéficie, à partir de la fin du xvmc siècle, des descriptions des
navigateurs et des missionnaires, notamment du Père H. Laval (1938)
déjà mentionné. En 1921, K. Routledge réalise un premier travail archéologique qui, hélas, ne hit jamais publié. La Mangarevan Expédition du
Bishop Museum de Hawai’i, en 1934, durant laquelle K. Emory et T. Hiroa
(P. Buck) demeurèrent plusieurs mois sur l’île, constitue un moment
majeur dans l’étude de l’archipel qui donna heu à une synthèse ethnographique (Hiroa, 1938) et à un premier inventaire archéologique
(Emory 1939)- Toutefois, très déçu par les îles hautes où il estima que
tous les vestiges archéologiques avaient été détruits à l’instigation des missionnaires, Emory investit ses efforts sur l’atoll de Temoe dont les monuments étaient exceptionnellement préservés. Après le bref passage de
l’équipe de Thor Heyerdahl en 1956 (Heyerdahl and Smith, 1961), R.
Green devait séjourner dans l’archipel en 1959 en y introduisant les
méthodes de l’archéologie moderne. Il se concentra sur l’étude stratigraphique de six abris-sous-roche (trois à Kamaka, deux à Aukena et un
à Mangareva) et étudia également des structures de surface dans la baie
de Tokani sur l’île de Akamaru. Les résultats de ces recherches n’ont été
publiés, en partie, que récemment par R. Green et M. Weisler (2000,
2002,2004). Il n’y eut pas de nouvelles recherches avant les deux visites
de Weisler en 1990 et 1992 (Weisler, 1996), durant lesquelles il recensa
vingt sites archéologiques (abris, terrasses horticoles, structures
lithiques) dont certains inconnus jusqu’alors, ce qui contredisait l’idée
d’une destruction totale des vestiges monumentaux avancée par Emory.
En avril-mai 2001, M. Orliac réalisa une mission de recherche dont
l’objet était l’étude de la composition et de l’évolution de la flore (Orliac,
2003) Concentrant son travail sur la côte et les zones littorales de Me de
Mangareva, à Gatavake, Rikitea et Atirikigaro, il découvrit notamment un
dépôt culturel enfoui avec du matériel (hameçons, grattoirs en nacre, etc.)
et des vestiges végétaux caractéristiques des arbres côtiers. Ce site a été daté
entre 1030-1290 apr. J.-C. Depuis 2001, un programme de recherche est
•
28
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MANGAREVA
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Fig. 1 : Carte des îles hautes des Gambier
^ ta Société c/e& ètude& ôcêanieime&'
conduit par E. Conte et P.V. Kirch sur les îles hautes. Il a déjà donné heu à
trois missions : l’une de prospections et de sondages, en 2001, avec Anderson et Weisler ; et
deux autres de fouille du site de Onemea sur l’île de Tara-
vai et de Nenega-Iti sur l’île de Agakauitai en 2003 et 2005. L’atoll de Temoe
d’un programme de recherches conduit par Conte et
Weisler en 2001, puis par Conte et Murail, en 2002,2003 et 2005 pour réaest également l’objet
liser l’étude détaillée de tous les monuments de l’île, des sondages à la
recherche des premières occupations et la fouille de sépultures.
Les premiers établissements humains
Le plus ancien site découvert à ce jour aux Gambier, celui de Onemea sur l’île de
Taravai, atteste une présence humaine vers 900 après J-.C.,
qui correspond aux données acquises par ailleurs sur les premières
implantations humaines en Polynésie orientale (Conte et Kirch, 2004). Il
est remarquable qu’à partir des Estes des chefs de l'archipel rapportées par
les traditions orales Hiroa (Buck) ait calculé une ancienneté du même
ordre, quoique moindre (Hiroa, 1938 :18-20). D’après les informations
linguistiques (Fischer, 2001), les premiers habitants des Gambier faisaient
partie de la même expansion humaine qui colonisa Pitcairn, Henderson et,
enfin, Rapa Nui. Toutefois, préciser leur archipel d’origine n’est guère
encore possible, d’autant qu’il s’agit d’un processus complexe, auquel ont
pu participer des populations de provenances diverses, et ayant pu s’éta1er dans le temps depuis la découverte de ces îles jusqu’à leur occupation
pérenne, avec d’éventuels séjours temporaires. Notons que les traditions
orales et les généalogies suggèrent des influences anciennes de plusieurs
îles, notamment des Cook, avec au fil du temps l’arrivée de divers groupes,
confirmée, d’une certaine façon, par 1’ « invasion linguistique » marquisienne mise en évidence par certains spécialistes. Les sources orales indiquent que, durant une période, des habitants des îles Tuamotu les plus
proches fréquentaient ces rivages pour y pêcher, capturer des oiseaux, collecter du bois, mais sans s’y établir. Ces des, en effet, devaient offrir des ressources attrayantes, avec notamment d’importantes colonies d’oiseaux
marins et terrestres qu’abritaient d’épaisses forêts
primaires. Ces
oiseaux furent décimés durant les quelques siècles qui suivirent l’arrivée
ce
30
Fig. 2 Grosse pierre plate sur le paepae de Atituiti Runga (Mangareva)
ATOLL DE TEMOE
Fig. 3 Carte de l'atoll de Temoe
Œullelm de la Jociélé de& études Océan
des hommes en raison de la chasse, des défrichements qui perturbaient
leurs habitats et de l’introduction du rat, un prédateur redoutable pour les
œufs et les poussins. Comme toutes les îles du Pacifique oriental, à l’état
naturel, l'archipel n’offrait que de rares ressources végétales exploitables.
Pour s’y installer durablement, les hommes durent y transplanter les arbres
et les plantes indispensables à leur ahmentation et
à leurs besoins quoti-
diens (constructions, tressage, etc.) que leurs lointains ancêtres avaient
domestiqués plusieurs millénaires auparavant dans l’ouest du Pacifique
(cocotier, arbre à pain, bananier, taro, etc.). Furent aussi introduits les
porcs, les chiens et les poulets. Par la suite, probablement lorsque le milieu
se dégrada et qu’il devint trop difficile de les maintenir, porcs et chiens
disparurent de l’archipel et n’y étaient plus présents au moment du contact
avec les Européens. En revanche, l’immense lagon fournissait à profusion
coquillages, crustacés et poissons qui devaient constituer l’essentiel des
ressources carnées des habitants de l’archipel.
Il est probable que dès cette époque, des relations d’échanges existaient avec les îles de Pitcairn et Henderson colonisées par la même vague
d’expansion et disposant de ressources complémentaires de celles des
Gambier. L’archipel, on l’a vu, était riche en poissons et en huîtres perhères servant à la confection des hameçons, tandis qu’à Pitcairn se rencontre une pierre bien meilleure que celles des Gambier pour la
confection des outils. L’atoll de Henderson ne possède évidemment pas de
pierre mais il abritait de très importantes colonies d’oiseaux et surtout
était un lieu de ponte pour les tortues, des proies très convoitées par les
habitants des autres îles. Ce réseau d’échanges va être entretenu durant
plusieurs siècles. Grâce à l’étude géochimique des pierres dont sont
confectionnés certains objets découverts aux Gambier, on sait par ailleurs
que des relations, certes peut-être bien indirectes, existaient aussi avec les
îles de la Société et même la lointaine île de Eiao, aux Marquises.
Croissance démographique et dégradation du milieu
Il semble qu’entre le XIIIe et le XVe siècle la population de l’archipel
ait connu un accroissement significatif, comme le suggèrent les sites datés
de cette période retrouvés sur la plupart des îles. Nourrir ces hommes
32
Fig. 6 Marne oïota (secteur Tupa-Temoe)
bulletin de la Société des &fades ôcéanie/i/ies
plus nombreux4, nécessite l’extension des espaces cultivés, des défrichements par brûlis qui, outre le couvert végétal, appauvrissent les sols. Sur
ces îles aux surfaces réduites et au milieu terrestre fragile, cette pression
exercée par l’homme, sans doute conjuguée à une dégradation climatique comme celle que connut l’île de Pâques, provoqua une profonde
crise écologique durant les derniers siècles antérieurs à l’arrivée des
Européens. Ainsi, en 1797, Wilson décrit-il les flancs des montagnes seulement couverts de roseaux et de fougères. Ce sont probablement les difficultés croissantes à se procurer certaines ressources terrestres qui
expliquent, en partie, les conflits entre les chefferies des différentes îles
que relatent les traditions orales (Laval, 1938). Par chance, ces difhcultés semblent avoir été quelque peu atténuées par l’abondance des ressources que les hommes pouvaient trouver dans l’immense lagon qui,
elles, ne semble pas avoir été affectées. La détérioration des conditions
écologiques et de vie aux Gambier devait conduire à l’étiolement, puis à
l’abandon, des relations jusqu’alors entretenues avec Pitcairn et Henderson. Privés de ce « cordon ombilical » socioéconomique avec les Gambier, les habitants de ces îles pauvres et isolées voient leur survie
compromise : ces communautés s’éteindront sur place ou déserteront les
üeux « découverts » inoccupés par les Européens.
Monuments et vestiges de la préhistoire récente
Destruction massive des monuments sur les îles hautes
Onze marne dédiés à Tu, divinité assurant la fructification de l’arbre
à pain, sont mentionnés (Emory, 1939 :12). Tous passent pour avoir été
édifiés par llipa qui, 24 générations avant 1900, serait arrivé d’une terre
nommée Hiva. Cinq de ces monuments sont signalés à Mangareva, deux
à Aukena, un seul sur chacune des îles Akamaru, Taravai et Agakauitai et
un, enfin, sur l’îlot Te Kava.
4
La population fut estimée à 1500 habitants par Beechey (1831 :191), ce qui lorsqu'on ne prend on compte
que les terres habitables et exploitables fait une densité forte, de l'ordre de 180 b / km2 (Conte et Kirch,
2004:26).
34
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Diverses sources (traditions orales, informateurs d’Emory) indiquent
également l’existence d’autres marae de statut moins élevé. D’après
Emory, la plupart des monuments cultuels de l’archipel n’étaient plus visiblés lors de sa visite en 1934. Toutefois, son affirmation de la destruction
totale des monuments pré-européens doit être quelque peu nuancée. En
effet, nous avons pu repérer, en 2001, des restes du principal marae de
Mangareva, le marae Te Kehika consistant en son mur de fondation, long
d’environ 6 m, constitué de gros blocs disposés en deux assises sur une
hauteur d’environ deux mètres. Nous pensons également avoir repéré des
vestiges du marae Te Mata o Tu dans le secteur de Atituiti Raro, toujours
à Mangareva. D’autres marae restent donc peut-être à retrouver. Ajoutons que Emory signalait aussi l’existence de divers monuments, mais
qu’il avait tendance à les négbger dans la mesure où il ne s’agissait pas de
marae sur lesquels se focabsait son intérêt.
Lors de notre mission 2001, nous avons étudié et cartography des
pavages de maisons, des murs, des aménagements horticoles en terrasses
sur toutes les îles prospectées (Conte et Kirch, 2004). A Mangareva, par
exemple, nous avons repéré un ensemble de constructions très important
sur les pentes de la montagne en arrière du village de Rikitea comme
dans les districts de Atiaoa et Gatakave, autant en bordure de rivage qu’à
l’intérieur des terres. A Atituiti Ruga, un vaste complexe de structures
lithiques a été étudié avec des paepae, des pavages, des terrasses liées à
l’horticulture sèche et humide. Une grande plate-forme (400 m2) parbellement pavée, de forme plus ou moins carrée, comportant en son centre une grande pierre plate qui a pu servir de siège et un escalier sur sa
face est, apparaît comme le monument le plus remarquable de la zone.
Sa construction a été datée du XVÈ siècle apr. J.-C. L’hypothèse selon
laquelle ces aménagements pourraient être associés à l’observation du
soleil aux solstices, a été formulée en se basant sur les dires de Laval
(1938 : 214) selon qui les Mangaréviens étaient les seuls Polynésiens à
régler le calendrier lunaire sur le soleil et non sur les Pléiades. Sur l’une
des crêtes du mont Ao’orotini (Mont Duff) sont encore visibles les vestiges
de la nursery royale cartographiés par Emory (1939 : 23) où, Yakarïki
de Rikitea était élevé jusqu’à l’âge de 12-14 ans. Sur l’île de Agakauitai,
35
bulletin/ de/ la Société des/ études> Océaniennes/
dans l’abri Te-Ana-Tetea, désigné par la tradition orale comme lieu de
sépulture de Te Akariki-Tea et de Te-Akariki-Pagu, Emory, en 1934, put
encore voir un crâne et les ossements d’au moins deux individus, avec du
tapa blanc et de fines tresses en fibres de bourre de noix de coco (nape)
L’exceptionnelle préservation des monuments de atoll désert
de Temoe,
Même si des vestiges en demeurent visibles, les marne des îles hautes
des Gambier sont trop ruinés pour que leur aspect initial puisse être reconstitué. Il en est de même pour divers types de monuments pré-européens
(habitations, maisons collectives, etc.). Par chance, le petit atoll de Temoe,
situé à 48 km au sud-est des îles hautes, a conservé quasiment intacts ses
monuments anciens. Sans doute inquiets de savoir une communauté de
païens » si proche des îles qu’ils s’efforçaient d’évangéliser, en 1838, les
missionnaires catholiques parvinrent à convaincre les 82 habitants de Temoe
d’abandonner leur atoll pour venir s’installer à Mangareva. Dès lors, l’île
ne fut jamais plus occupée en permanence. Les marne, les soubassements
des maisons, etc., échappèrent autant aux destructions des hommes qu’à
celles des raz de marée causés par cyclones qui ne touchent guère cette
zone, contrairement à ce qu’il advint aux marne des Tuamotu régulièrement balayés par les flots. Ne restant à Temoe qu’un jour et demi en 1934,
Emory fit pourtant un travail remarquable. Il recensa et localisa les principaux vestiges, réalisa des plans schématiques et des photographies des principaux monuments et recueillit quelques informations des Mangaréviens
qui l’accompagnaient à propos des noms des marne et des divinités auxquelles ils étaient dédiés. En 2001, nous avons entrepris un programme
d’étude intensive sur cet atoll (Conte et Weisler, 2002 ; Murail et Conte,
2005) associant étude des monuments de surface, fouille de sépultures et
recherche de sites enfouis afin de dater les premières installations humaines.
A ce jour, plus de 300 structures archéologiques ont été étudiées.
Ainsi, parmi les 13 marne recensés sur l’atoll, le plus imposant, du
nom de Toa Maora, était dédié au dieu Tu. Il est implanté du côté océan
dans le secteur nommé Tutapu, où plus de cent autres structures archéologiques ont été recensées. Sa partie construite (ahu) mesure 18 m de
«
36
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
long pour une largeur de 7 m et une hauteur d’environ 2,50 m. La façade
présente deux degrés aménagés avec des dalles bien agencées. Une fosse,
au sommet de l’édifice, contenait encore, lors de la visite d’Emory, les
restes d’un adulte et d’un enfant. Deux « niche »s, chacune ayant 110 cm
de long, 75 cm de large et une hauteur de 70 cm, étaient aménagées aux
extrémités du monument. Elles contenaient jadis les objets et les effigies
manipulées durant les cérémonies. Face à l’ahu, a été aménagée une surface plane de plus de 200 m2 et est placée une grande fosse qui a pu renfermer des sépultures. Partant de la cour du marne, un chemin dallé
traverse l’îlot et rejoint, côté lagon, un vaste pavage (260 m2). Ce dernier,
qui comporte trois « tables » de corail, était flanqué de deux maisons
rectangulaires en matières végétales.
Pour la plupart concentrés en quelques zones de l’atoll, surtout côté
océan (à Tutapu, Tupa, Onemii et Orotu) de nombreux autres vestiges
Ethiques ont été recensés et étudiés. Ce sont, parmi d’autres, une trentaine
de monuments en forme de quadrilatères réguliers ainsi que plus de cent
monticules aux formes diverses dont certains ont été fouillés par P. Murail.
La plupart de ces monticules (et cela restera à vérifier sur les monuments
mieux construits) se sont avérés être des sépultures, primaires ou secondaires, parfois de plusieurs individus. Ces squelettes ont été datés entre les
XVè etXVEÈ siècles. Certains monticules, peut-être des cénotaphes, sont vides.
Les plus anciennes traces d’habitats sont un peu antérieures aux sépultures
(entre 1300 et 1420 apr. J.-C.). Bien que des indices d’occupation plus
anciennes, n’aient pas encore été trouvés, il est probable que l’atoll fut découvert et visité, au moins épisodiquement, à la même époque que les îles hautes.
Pour conclure, disons que malgré de récentes avancées, beaucoup
reste à découvrir sur cet archipel qui est sans doute, avec l’île de Pâques
et la Nouvelle-Zélande, l’une des dernières terres atteintes par l’homme
dans son exploration du Pacifique.
Eric Conte et Patrick V. Kirch
Eric Conte : Professeur, Université de la Polynésie Française, Directeur du Centre Internationa]
de Recherche Archéologique sur la Polynésie (CIRAP)
Patrick Vinton Kirch : Professeur, University of California, Berkeley ;
Directeur de l’Oceanic Archaeology Laboratory.
37
bulletin d& la Société dc& études 0iceatuefme&
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38
Approche de la démographie
des îles Gambier
(1840-1945)
Lors d’un court séjour aux îles Gambier en 2008, j’ai rencontré M.
Sauvage qui a attiré mon attention sur l’importance de la démographie
dans l’histoire de la Polynésie en général et celles des îles Gambier en particulier. Plus tard, en lisant l’ouvrage de J. L. Rallu5, je constatais qu’il ne
faisait pas mention de ces îles du lointain. Par ailleurs, ni la somme du P.
Laval6, ni l’ouvrage de M. Vallaux7 n’apportaient de réponse sérielle sur la
longue durée pour une approche du fait démographique dans l’archipel.
On savait que ce dernier avait subi le choc bactériologique et que la
population avait fortement régressé mais l’hétérogénéité des sources laissait perplexe8. D’origines privées ou administratives, discontinues dans le
temps, elles laissaient planer des ombres sur leur approche de la réalité.
Quel crédit apporter au calcul des rythmes de variation quand on ne possède que des données éparses ? Quel peut être le rapport entre solde naturel et solde migratoire, tant mis en avant par les détracteurs du P. Laval,
quand on n’a que des approximations ? Quelles comparaisons peuvent
5
J. L, Rallu 1990. Les populations océaniennes auXIXe etXXe siècle, PUF.
s
P. H Laval, Mémoires pour servir à l'histoire de Mangareva, ère chrétienne 1834-1871, Éd par C. W. New-
bury et P. O'Reilly, P. S. 0., Paris, 1968, 674p.
F. Vallaux, 1994, Mangareva elles Gambier, MEPF/ETAG, 208p.
8
Idem, p.89
7
Œidletin de la Société des- études- Oc<eaniefme&
être tentées avec les Marquises, avec Tahiti ? Les populations des différentes îles des Gambier évoluent-elles de la même façon entre le
début de
la présence missionnaire et le milieu des années 1940, hmite temporelles
posée par les sources de l’archevêché ?
Autant de questions sans réelles réponses. Aussi, des recherches
pourraient aborder la période comprise entre 1840, moment où les massifs baptêmes d’adultes s’interrompent aux Gambier, et 1945 qui marque
la fin de l’étude de J. L. Rallu sur les Marquises
Résidant à Papeete pour un temps, je pouvais avoir accès à différents
fonds d’archives tant privées, celles de l’archevêché, que publiques, celles
du Territoire. Des visites s’imposaient.
Les sources
Les archives de catholicité relatives aux îles Gambier, pour la période
qui nous importe, se présentent sous la forme de plusieurs recueils : deux
registres de baptêmes des Gambier, deux liber défunctorum pour Rikitea et un registre paroissial pour lHe d’Akamaru. En parallèle, les archives
du Territoire nous permettent d’accéder au fond de l’état civil des îles
Gambier aujourd’hui regroupées sous forme informatisée.
Le premier registre de baptêmes (1834-1855) ne fait que repren-
dre le prénom du baptisé et ceux de son ou ses parrains ainsi que le nom
de l’officiant. Il n’est en fait qu’une compilation tapée à la machine d’un
liber animarum plus ancien mais non disponible. L’autre registre (1855-
1950) est bien mieux tenu avec prénoms, parents, parrains, date de naissance, date de baptême de l’enfant, nom de l’officiant et même des
observations sur le heu de naissance lorsqu’il est différent de la paroisse
de baptême9. On y trouve aussi un décompte par paroisse des baptêmes.
Dans le premier opus, il n’est pas fait mention de l’âge des baptisés. Mais
on peut penser qu’entre 1834 et 1839, on dénombre en grande partie
des adultes. En effet, lors de grandes messes, plusieurs dizaines de personnes recevaient le sacrement ; comme ce 6 janvier 1836 qui vit 131
baptêmes. Mais après 1839, on assiste à la fin des baptêmes en groupe.
9
En 1905, une mention est faite en annexe pour notifier que le baptême fut célébré à Akamaru.
40
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Ainsi, mis à part le cas du baptême groupé, le 28 avril 1863, de 15
adultes des Tuamotu raflés par les esclavagistes péruviens et libérés par
les Pères de Picpus avant d’être installés aux Gambier, l’immense majorité des baptêmes concerne désormais des enfants. Si on ne peut rien
avancer sur les
on
baptêmes in articulo mortis pour la période 1838-1854,
peut penser, pour la période suivante, qu’ils ne furent pas réellement
comptabilisés car on ne remarque que de loin en loin, au détour d’une
remarque, que l’enfant est décédé le jour de son baptême. Mais on ne
peut aller plus loin sans faire un suivi sériel de chaque baptisé, ce qui
représente une analyse de quelques milliers de cas que n’avons pas
encore terminée. Pour dénombrer les décès à Mangareva, on ne possède
que le liber defunctorum de Rikitea (1860-1887) ainsi que le registre
des décès de Rikitea (1887-1981). L’année 1887 étant répartie sur les
deux registres. Quelle est la marge d’incertitude entre la paroisse de Rikitea et Mangareva ? Probablement faible car les baptêmes de Taku sont
comptabilisés avec Rikitea, donc on peut penser qu’il en est de même
pour les décès.
Mais, Mangareva n’est pas les Gambier, bien qu’il y ait confusion dans
le premier registre de baptêmes. Il faut donc tenter de mener une analyse
comparative entre les îles des Gambier. Aussi, il est utile d’utiliser le registre d’Akamaru (1858-1960) où les Pères successifs ont noté les baptêmes
et les décès de la paroisse. Ce registre nominatif est assez bien tenu et les
prénoms des baptisés sont repris en marge. Quant à la formule, si elle est
en latin, elle est toujours la même et donc compréhensible quelle que soit
la lisibilité du document. Mais peut-on être sûr que l’ensemble de la population des îles Gambier est bien comptabilisé sur les registres de catholicité ? En Effet, même si l’immense majorité des habitants est catholique, il
peut y avoir des oublis ou des cas de population non christianisée. Enfin, la
pression missionnaire diminuant avec le temps, on peut craindre une moindre pratique des sacrements. Si cela est vrai pour les populations européennes10, cela est moins pertinent pour les populations autochtones au
10
Pour in famille Pignon, on note la seule mention de Maria Pignon en tant que marraine de Maria Taaapa
en 1859 in
Registre de baptêmes des Gambier, 1855-1950, p. 6, Archives de l'archevêché de Papeete.
41
raggcgns
IfeÆt bulletin do lev Société de& ètude& Qcéaeiicnne&
XIXè siècle. Même si on constate une non prise en compte des enfants baptisés in articulo mortis, la tenue des registres est bonne pour les baptêmes
où sont même admis les enfants de père inconnu. Par contre, on peut craindre des oublis dans la tenue des registres de décès surtout lors des grandes
épidémies. Les pages sont densément remplies et il n’est pas sûr que tous
les morts soient répertoriés par des Pères parfois vieillissants. Il est donc
nécessaire de pouvoir faire des recoupements. Pour ce faire, on peut avoir
accès au fonds de l’Etat Civil conservé aux Archives territoriales de Papeete.
Ce fonds a été compilé par des représentants de l’Eglise de Jésus-Christ des
Saints des Derniers Jours qui, pour des raisons religieuses, doivent connaître leurs ascendances. Un immense travail de reprographie des registres
d’Etat Civil des Gambier a été mené à bien et on peut y accéder aujourd’hui
sous forme informatisée. Le fonds « Etat Civil\Gambier faits » est constitué
de 8 dossiers principaux couvrants les actes d’Etat Civil de Rikitea, Taku et
Taravai entre 1880 et 1909- Il existe aussi un dossier de synthèse répertoriant par nom patronymique la naissance, le décès, le mariage et les parents
de la personne. On compte ainsi plus de 700 noms répertoriés. Néanmoins,
si les actes établis après 1880 par l’Etat Civil peuvent être dignes de foi, on
doit se méfier des actes de notoriété. Pour les personnes européennes, on
croiser les informations avancées par le déclarant avec les actes de
baptêmes et les renseignements sur la date de naissance sont assez fiables.
Mais il en va bien autrement pour les populations autochtones. Outre que
les noms déclarés ne correspondent que rarement avec ceux des registres
paroissiaux, les dates de naissance avancées sont des plus fantaisistes. Les
recoupements ne mènent à rien même avec une marge d’erreur de plusieurs années. Si, après 1880, naissances et décès sont aisément vérifiables
en recoupant registres d’Etat Civil et registres paroissiaux, ce qui plaide
favorablement pour la tenue de ces derniers pour les décomptes aux dates
antérieures, il faut souligner quelques aberrations de la part de l’officier
d’Etat Civil. Ainsi, on dénombre 129 actes de naissances à Rikitea en 1895
alors que les registres paroissiaux ne font mention que de 23 baptêmes. On
remarque aussi que l’addition des naissances pour Rikitea, Taku et Taravai
sont souvent supérieurs de quelques unités au dénombrement des baptêmes
dans les Gambier. Il faut donc penser à un sous enregistrement dans les
a pu
42
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
registres paroissiaux au XXè siècle, notamment pour les personnes de passage. Et il faut aussi évoquer une possible moindre fréquentation des sacrements pour cette seconde, voire troisième, génération de catholiques des
Gambier qui n’avait pas connu les « temps héroïques » des « athlètes de la
foi » et refusaient des modes de vie trop contraignants11. Néanmoins, pour
longue durée, les registres paroissiaux, avec tous leurs trapossibles, sont essentiels. Les dossiers d’Etat Civil ne pouvant que les
affiner par recoupement mais sur un temps plus court, une trentaine d’année au mieux, les lois limitant l’accès aux documents postérieurs au début
du vingtième siècle.
Ces réserves sur l’état des sources étant faites, on doit se pencher
sur l’évolution quantitative de la population des des Gambier entre 1840
une étude sur la
vers
et 1945.
Un solde naturel de moins en moins négatif.
En observant les courbes de natalité et de mortalité aux îles Gam-
bier entre 1840 et 1948, on est frappé par la rupture de rythme qui se produitvers 1885.
Entre 1840 et 1885, la courbe des extrêmes onctions, que l’on peut
décès12, est marquée par de fortes poussées de moitalité alors que le nombre de baptêmes stagne voire décroît car la nataramener à celle des
hté suit ce rythme. Trois pics de mortalité sont observables en 1846-1848,
1856, et 1868-1870 avec des répliques en 1872-1873 et 1879- En 1845,
la mortalité représente près du double des naissances (80 contre 45)13
mais en 1868, le rapport est de 5 à l14. On est en présence de crises liées
à des épidémies. Variole puis galle chinoise de 1865 font des ravages
11
Durant la période étudiée, il n'est fait mention que d'un ondoiement pour un enfont en danger de mort
qui était passager sur un bateau.
12
Ce travail a été fait après dépouillement du registre de baptêmes des Gambier (1855-1950), des registrès de décès de Rikitea et de l'ouvrage du P. Laval : Mémoire pour servir à l'histoire de Mangareva, ère
chrétienne.
13
La population est bien tenue par les missionnaires, ce qui réduit la part des inhumations de rite préchrétien, et les chiffres sont assez souvent recoupés par l'Etat Civil.
14156 décès pour 33 naissances selon les registres paroissiaux, F Vailaux note 150 décès, op. cit.
43
i
ŒulIelÀn do lev Société dc& Stades ôcéa/u
parmi des populations pas toujours bien nourries et dont les défenses
immunitaires ne sont pas préparées à lutter contre ces nouvelles infecdons. Les connaissances médicales du P. Liaussu avaient pu, un temps,
lutter contre les maladies endémiques avec les moyens locaux et quelques
médicaments. Mais il ne put rien faire contre les épidémies, que même
l’Europe peinait à enrayer. Aussi, le P. Laval pouvait écrire sur un ton désespéré :
«
C’était le moment où j’(...) enterrais quelques [fidèles] tous les jours
et plusieurs à la fois, le jeudi saint de cette année-là, j’en conduisis
quatre à la fois au cimetière (...). C’était beaucoup pour un aussi petit
peuple15. »
Les naissances, elles, se font de plus en plus rares. Si elles sont
encore relativement fortes
jusqu’au début des années I860, les pics de
mortalité réduisent d’autant les femmes et donc les mères potentielles.
Certes, la syphilis touche peu la population16, et ne remet pas en question
les taux de fécondité17, mais certaines maladies semblent toucher les
femmes de façon privilégiée. On peut se souvenir de cette épidémie qui
décima du couvent de Rouru18. Elle ne dût pas se hmiter seulement aux
religieuses et à leurs élèves. Elle dût aussi toucher les autres femmes de
Mangareva et faire baisser d’autant les naissances futures. Cette chute de
la natalité est visible après la fin des années I860. Si l’on compte encore
près d’une soixantaine de naissances dans les années 1855-1866, la natalité chute autour de la trentaine par la suite avec des creux de loin en
loin, comme 19 naissances en 1872 ou 21 en 1878.
Mais, après 1885, les situations évoluent fortement. Mortalité et natahté se stabilisent. 15 à 20 naissances par an pour une grosse dizaine de
décès qui chutent à moins de la dizaine par an après 1905 mais avec
quelques pics comme les 15 morts, mais pour 27 naissances, en 1918.
L’archipel n’a donc que peu connu le choc de la grippe espagnole qui a
15
P. H. Laval, Mémoires pour servir à l'histoire de Mangareva, p. 551.
16
La politique sécuritaire du P. Laval y fut pour beaucoup.
17
Comme le montre J. L. Rallu, op. cit., p. 211.
18
L. Burel, Rouru, succès et limites d'un « couvent » mangarévien duXIX siècle, (ci-après).
44
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
dévasté Tahiti. Certes, on pourrait soupçonner une certaine sousestimation par les missionnaires des décès dans leurs registres. D’après le rap-
port d’un gendarme, entre 1898 et 1913, il y aurait eu 286 décès pour 245
naissances19. Or, à la lecture des sources missionnaires, si on compte 257
baptêmes, donc une différence de 12, les décès s’élèvent à 156. La diffétaille, près de 130 cas. Dans un cas, on a une reprise de la
croissance naturelle, dans l’autre, on reste dans une période de déclin
démographique. Il est difficile de choisir entre les deux estimations, d’autant que celles des naissances ne sont pas trop éloignées. Or c’est un seul
gendarme qui est à l’origine du rapport et ce sont les mêmes missionnaires qui tiennent les registres de baptêmes et de décès20.
On ne peut donc suspecter une plus grande probabilité de mauvaise
tenue des registres pour une source que pour l’autre. Il faut néanmoins
remarquer que les registres des baptêmes semblent comptabiliser l’ensemble des Gambier alors que les actes de décès ne sont ceux que de
Rikitea. Il y a donc là un biais. Mais on a vu que les baptêmes dans les
paroisses, autres que celle de Rikitea, ne comptent que pour très peu
dans le décompte de l’ensemble. Comment en déduire qu’il n’en est pas
de même pour les décès ? Il est donc difficile de faire retomber la responsabilité de l’écart sur le seul décompte des missionnaires ; à moins
d’admettre que les paroisses, autres que Rikitea, n’aient connu une très
forte surmortalité, ce que rien ne semble corroborer.
Néanmoins, quelque soit la source, on assiste dans le moyen terme
à une lente remontée de la croissance naturelle de la population. Les
Gambier ne semblent pas donc pas obéir au rythme d’évolution des îles
du vent qui ont une reprise démographique assez rapide21. Mais elles
n’obéissent pas plus au rythme des Marquises.
rence est de
19
J. L Vallaux, op. cil., p.88.
20
RP Ferrier et P M. Bichu.
21
M. Leriche, Notes sur l'évolution démographique de Tahiti jusqu'en 1918, BSEO, n°199, juin 1977.
45
bulletin/ do la Société des Stades ôcéa/iie/mes
Comparaison avec les Marquises
En comparant les courbes22 faites par J. L. Rallu pour les Marquises
avec celles
compilées à partir des registres paroissiaux des îles Gambier,
l’évolution des deux archipels n’est absolument pas
identique. Bien que tous deux forts éloignés du centre tahitien, le recul
démographique est bien plus fort et plus long aux îles Marquises qu’aux
des Gambier. L’inversion de tendance ne se produit, dans cet archipel du
nord, qu’à la fin des années 1920 avec des pics importants de mortalité
comme en 1915. Mais une fois l’inversion faite, la natalité y reprend bien
plus fortement qu’aux îles Gambier. Là, le changement se produit dès la
fin du XIX1' siècle mais la natalité ne reprend jamais fortement. Il reste
trop peu de couples. Mortalité et natalité stagnent autour des 20 à 30 cas
on remarque que
avec une croissance naturelle assez faible.
Elle s’élève à une dizaine de
personnes par an mais avec des disparités comme un déficit de naissances
de 16 en 1903 et des bénéfices de plus de 10 de 1918 à 1922, et avec un
pic de 18 en 1934. On est loin de la chute de mortalité avec le fort retour
de natalité qui caractérise les îles Marquises, on y observe un croît naturel de plus de 50 habitants en 1945. Les Gambier connaissaient donc une
langueur démographique alors que les Marquises pratiquaient le rattrapage. Deux archipels éloignés, deux histoires bien différentes.
Mais les différences de rythme démographique ne se voient pas qu’à
l’échelle de la Polynésie, elles existent aussi à l’échelle des Gambier.
Des rythmes différents selon les îles23.
Bien que la taille des échelles des ordonnées soit différente, on peut
voir que la petite île d’Akamaru se démarque du cas général des îles Gam-
bier. Certes, les chiffres sont si faibles qu’une petite évolution se remarque
tout de suite et qu’on a tendance à la grossir. Mais il existe des trends sur
le temps semi long. De 1875 aux années 1885-1887, les évolutions sont
parallèles. Puis, jusqu’en 1905, ce sont surtout les courbes de mortalité
22
Courbes faites à partir des registres paroissiaux pour les Gambier.
Les tourbes sont faites à partir du registre paroissial d'Akamaru et des registres de baptêmes et des
défunts des Gambier.
23
46
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
qui se recoupent encore bien qu’elles n’aient pas la même intensité. Après,
les courbes évoluent de façons divergentes. Et ce sont les courbes de baptêmes qui divergent le plus vite. Alors que celle des Gambier se situe de
façon assez constante entre 10 à 20 cas par an, le rythme est beaucoup
plus heurté dans la paroisse d’Akamaru où il fluctue entre 0 et 4, voire 5
baptêmes par an durant la période 1900-1945 sans constante. Donc, alors
que le croît naturel est le plus souvent positif et stabilisé aux Gambier, il est
plus contrasté dans l’île d’Akamaru. Faut-il voir dans cette différence une
tendance à faire baptiser son enfant à la cathédrale de Rikitea, comme cela
semble être le cas pour les habitants d’Aukena où il ne se célèbre plus un
baptême après 1878, alors que l’on meurt toujours dans la paroisse ? La
population n’y progresse plus et un mouvement de concentration sur l’île
principale se fait jour. On peut donc conclure que, même si les rythmes ne
sont pas les mêmes, la population des îles Gambier, après une phase très
critique, tend à se redresser mais de façon assez faible tout de même. C’en
est fini de la « grande faucheuse», des épidémies à répétition qui ont saigné l’archipel pendant près d’un demi-siècle.
L’empire des épidémies.
Si l’on en croit le P. Laval, la population des îles Gambier se serait
réduite de 50% entre 1834 et 187124. En 1843, le P. Liaussu pensait diagnostiquer des cas de cholera morbus. Parallèlement, le P. Laval dénonçait la présence d’une épidémie de koivi, squelette, « maladie qui ne vous
laisse que la peau sur les os ». Cette dernière semble être la plus prégnante aux Gambier car elle revient souvent sous la plume du prélat. Elle
est en toile de fond des autres épidémies, galle chinoise ou ruturere, dysenterie, maux de tête et rhume qui peuvent évoluer vers ces mortels maux
de poitrine qui ont enlevé à leur retour de Tahiti, 50 des ouvriers mangaréviens employés sur le chantier de la cathédrale. Laval rejette aussi les
accusations de ses détracteurs européens. Ce ne sont pas les vêtements
imposés par les missionnaires et source de manque d’hygiène, ce ne sont
pas les modifications dans les habitudes alimentaires induites par les
24
P. H. Laval, op. cit, p. 515.
47
bulletin de la/ Société de® étude® Océan
nouvelles plantes introduites par les Picpusiens, ce ne sont pas ses excès
d’autoritarisme qui sont la cause de la mortalité de ses chers Mangaréviens. « La cause principale est à chercher du côté de lapiro-iva, la mauvaise odeur des étrangers ». On ne peut totalement souscrire à cette
charge que le prélat écrit sur le tard et dans la rancœur. La population
mangarévienne, dès avant l’arrivée des premiers Pères des Sacrés-Cœurs,
connaissait les famines et les épidémies. Le père Liaussu, par ses connaissances médicales, améliora certes la situation sanitaire des îles. Mais sa
disparition, l’usure du temps et l’autoritarisme, source de raidissement
moral des Pères, furent défavorables à des pratiques hygiénistes que ces
enfants de paysans ne connaissaient pas. Cependant, il faut admettre que
tous ces travers furent peu de chose face au choc bactériologique, conséquence du contact protocolonial local. Les multiples maladies importées
au gré des passages des navires
européens furent une des causes majeures
de la dépopulation des Gambier. Maladies vidant plusieurs fois le couvent
de Rouru et entraînant sa chute faute de relève, variole importée ou ramenée par des travailleurs migrants, sont autant de causes au recul. Et le
déficit naturel ne fit que se conjuguer avec le solde migratoire bien souvent négatif.
Une importance sous-estimée des migrations
Les écrits du P. Laval sont certes prolixes en récits de fuites, de vols
de pirogues et, selon ses dires, de désertions soit individuelles, soit en
petits groupes. Mais le cumul est néanmoins assez faible. Aussi faut-il
retourner aux sources quantitatives.
48
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Tableau des Variations des populations aux Gambier (1838-1936)
Variation
Population
Période de
nombre
variation
de la
Solde
Totale25
Variation
brute
croissance
migratoire
en
Année
naturelle26
1845
2270
1860
1350
1867
1300
1871
936
1880
656
1845/1860
-920
-195
-725
1861/1871
-414
-420
6
1882
547
1885
446
1872/1885
-490
-777
287
1897
580
1886/1897
134
44
90
1911
527
1898/1926
-79
0
-79
1927/1936
-11
109
-120
1926
501
1931
486
1936
490
Une analyse du tableau ci-dessus fait apparaître, malgré les impré-
cisions des données chiffrées évoquées plus haut, des périodes d’émi-
gration. Mais on observe aussi des périodes d’immigration jusqu’à présent
peu prises en compte. En comparant les données brutes de populations
avec les décomptes des soldes naturels tirés des registres de cathohcité,
on remarque une première période d’émigration. Ce sont les départs dus
à la volonté de fuir la pression, certes paternelle mais bien trop forte, que
faisait peser le P. Laval sur ses ouailles. A cette pression, il faut ajouter
aussi la soif d’évasion, chère à toute jeunesse, et aux incitations faites par
J. Pignon ou par les autorités françaises qui recherchaient une maind’œuvre pour Tahiti et la marine. Mais ce mouvement semble s’inverser
à la fin du siècle. La population régresse moins vite que le solde naturel,
il y a donc une immigration aux Gambier. Le mouvement était déjà apparu
25
F. Vallaux, op. cit. p.89.
26
Sources : Registres des baptêmes et registres des défunts, îles des Gambiers, 1843-J94S, Archives de
l'archevêché à Papeete.
49
^Bulletin de la Société des- études Océan
avec le P.
Laval qui, par souci de constituer un « noyau dur » chrétien,
avait poussé à un regroupement des populations autour de Mangareva27.
Dès le début de son apostolat, les habitants de Timoe, partis suite à une
défaite militaire, puis en 186328, les Pa’umotu et Rapa nui rescapés des
razzias esclavagistes péruviennes, et en 1865, plus de la moitié des habitants de Pukarua29 ; tous dirent lotis30 aux Gambier par les soins des Pères
de Picpus. Même en faisant fi de la présence militaire française, lors de
«
l’occupation des Gambier » dans les années I860, le mouvement se
renforce dès les années 1870 avec la bénédiction des autorités françaises.
Faut-il voir là le retour de ces biyards qui pouvaient enfin revenir après
le départ du P. Laval ou une pobtique plus volontariste de Tahiti qui favorise l’émigration vers ces îles ? On observe ainsi un gonflement des popu-
lations allogènes. Aux 2 ou 3 familles non mangaréviennes installées dans
l’archipel dans les années 1850, succèdent plusieurs dizaines d’Européens et de Chinois à la fin du XIXè siècle31. Mais le mouvement s’inverse
vite avec le siècle nouveau. Les baisons facilitées avec Tahiti, les tentations
sont trop fortes pour des populations dont l’avenir est bien incertain. Le
boom de la perle n’est pas encore apparu.
Conclusion
La population des Gambier a bien vu son nombre chuter entre 1840
et 1945. Mais si le recul est rapide jusqu’en 1885, il s’inverse peu après
et on assiste à une légère reprise après 1905. Plus tard qu’à Tahiti, plus
tôt qu’aux Marquises, la population des Gambier se reconstitue mais assez
lentement. A cela, il faut aussi ajouter un phénomène de concentration de
la population sur Mangareva. L’absence de baptêmes à Aukena, des
27
Cette politique n'est pus une spécificité de lu Polynésie catholique, les Pères des M. E. P faisaient de
même dans les vicariats apostoliques du Tonkin ou de Cochinchine. Il fallait là aussi isoler les chrétiens pour
les protéger des tentations. L. Burel « La paroisse vietnamienne au XIXe siècle, un compromis entre corntraditionnelle et modernité », in Péninsule, 1997.
Registre des baptêmes des Gambier (1855-1950), 28 avril 1863, Archives de l'archevêché à Papeete.
29
P. H. Laval, op. cit. p. 401.
30
Les missionnaires poussèrent à l'installation, probablement à Mangareva, des populations de Timoe,
mune
28
des razziés et des Pa'umotou christianisés.
31
F. Vallaux, op. cit, p. 86.
50
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
rythmes heurtés à Akamaru, laissent entrevoir une migration interne vers
l’île principale que renforce bientôt l’immigration de la fin du XEXè siècle.
Une population plus métissée se forme avant qu’un nouvel appel du large
ne fasse
repartir les jeunes vers Tahiti ou plus loin encore. Là, ils allaient
rencontrer d’autres migrants d’autres archipels... dont l’histoire démo-
graphique reste encore souvent à faire.
L. Burel
Graphe 1 • Courbes des baptêmes et des décès aux îles Gambiers (1840-1948)32
Vie et mort aux îles Gambiers (1840-1945)
^
oS?A? K®3
oS?A3
JPA' A'
A*AP
oS? A3
J3A3
J3 A5
J3A'3 A3
J3 A'
«S*A'K<b&
-°9A1, A* A3 AN A
sr A* A'3
-
Baptêmes
-
Extrêmes onctions
Graphe 2 • Evolution des populations aux Gambiers (1886-1945)33
32
Ce travail a été fait après dépouillement du registre de baptêmes des Gambier (1855-1950), des registres de
décès de Rikitea et de l'ouvrage du P. Laval : Mémoire pour servir à l'histoire de Mangareva, ère chrétienne.
33
Courbes faites à partir des registres paroissiaux pour les Gambier.
51
i
ŒuffcH/i de la Société des- études Océaniennes
Graphe 3 • Evolution des populations aux îles Marquises (1886-1945)34
34
J.L. Rallu, op. cit. p.59.
52
Rouru, succès et limites
d’un « couvent » mangarévien
du XIXè siècle
Avant de quitter la région parisienne pour la Polynésie, je rendais
visite au P. Couronne de la congrégation des « Sacrés Cœurs de Jésus et
de Marie ». Celui-ci m’apportait ses lumières sur l'archipel lointain et
m’offrait deux ouvrages, celui du P. Hodée sur Tahiti et celui de M. Delbos au sujet des constructeurs de cathédrales aux Gambier35. Au détour
d’un chapitre, l’épisode de Rouru attira mon attention car il se rapprochait
de mes recherches sur le contact inter-religieux de terrain dans le Vietnam du
XIXè siècle. Comme dans le Trung Ky et le Bac Ky36, il avait existé
Gambier, avant l’arrivée de l’administration coloniale, une présence
de sœurs autochtones : le couvent de Rouru à Mangareva.
aux
Mais comment était ce couvent ? Comment y vivaient les sœurs et
quelles étaient leurs activités ? Enfin, quelles avaient été leurs relations
puis avec les autorités françaises ? Fort de ces interrogations, je prospectais les bibliothèques et les archives de Papeete et les
avec les missionnaires
35
Hodée P. (1983), Tahiti 1834-1984,150 ans de vie chrétienne en église », Poris Papeete, Ed. St Paul Paris
Fribourg 702p. et Delbos J. P. 2002, La mission du bout du monde, la fantastique aventure des bâtisseurs
de cathédrales dans l'archipel des Gambier, éd. de Tahiti, Tahiti, 207p.
36
Centre et nord de l'actuel Vietnam.
|5gi| ÇBidleti/v do lev Société dos études Océaniennes
élèves mangaréviens que j'avais en classe me contaient la mémoire de
Rouru dont je voulais ébaucher l’histoire.
Commencé comme un espace agricole, Rouru devint un « couvent »,
symbole du succès de l’évangéhsation de l’archipel. Il fut aussi un heu
d’éducation pour la jeunesse féminine selon les désirs de la régente
Maria-Eutokia, et parfois un contre-pouvoir autochtone. Mais ces succès
ne doivent pas faire oublier, que le « couvent » ne perdura guère plus
d’un gros demi-siècle, qu’aujourd’hui le débroussage est nécessaire pour
en visiter les ruines et que la politique éducative des « sœurs » mangaréviennes hit globalement un échec.
Les actions, parfois contradictoires, des R.P. Liausu, Laval et de leurs
successeurs, les attentes et les obligations des populations autochtones
font de Rouru une aventure singulière au bilan néanmoins mitigé. C’est
donc à ce bilan que l’on doit s’intéresser en mettant tout d’abord en avant
les succès mais aussi en abordant les causes de son échec final.
Quand le promeneur de Mangareva ou le lecteur des ouvrages de M.
Delbos ou du P. Laval pense à Rouru, c’est d’abord l’image d’un corn-
plexe architectural qui se présente à leurs yeux ou à leur imagination.
Rouru fut, et est encore aujourd’hui, un espace de construction en dur.
Sur la parcelle G14 d’un plan au 1/50 006 appartenant au dossier G31/19 sis dans les archives de l’évêché de Papeete, on peut voir un parailélogramme représentant l’aire du « couvent ». Délimité, lors de
l’enregistrement des biens de la mission, selon les renseignements fournis par le R.P. Ferrier comme un espace :
«
muré au sud où l’enclos mesure 180m, à l’est où il est de 130m, à
l’ouest de 150m. La montagne (servant) de mur au nord sur une Iongueur de 180m37. »
Il représente donc un espace de près de 3ha, ce que le P. Laval
confirme38, clos de murs et percé par une porte monumentale, de 4m de
haut sur 5m de large et 2m d’épaisseur à linteau cintré, à laquelle on
3?
Archives de l'évêché de Papeete, documents Janeau.
Laval H. 1968, Mémoires pour servir à l'histoire de Mangareva, ère chrétienne 1834-1871, p. CXV. Ed.
Société des Océanistes n°15, Paris, 667p.
38
54
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
accédait par une allée bordée d’orangers. A l’intérieur, on pouvait découvrir neufs constructions, dont trois principales, les autres de tailles et de
destinations diverses. Selon le récit du Capitaine Brandela, corroboré par
le P. Laval, la maison principale fut construite en premier. Elle était assez
vaste pour accueillir plus de soixante jeunes filles dans un dortoir au
pre-
mier étage39 alors que le rez-de-chaussée était divisé en quatre pièces,
«
un bel
appartement avec croisée sur le pignon, de deux autres sur le
devant et une sur l’arrière40. » Ces pièces pouvaient servir de salle d’étude,
de réfectoire, de salle pour les travaux de couture puis, quand la fonction
de couvent fut plus affirmée, de salle du chapitre. A côté de ce bâtiment
achevé en 1842 s‘éleva :
disposé de la même manière pour les petites filles du
peuple que (les sœurs mangaréviennes) élèvent. Perpendiculairement
à ces bâtiments est une fort jolie chapelle... sur la même ligne que la
chapelle, et y attenant, est un hôpital pour les malades41. »
On sait aussi, par le P. Laval, qu’entre la chapelle et la pièce-hôpital,
le P. Cyprien s’était fait aménager une chambre pour assurer plus facilement ses fonctions d’aumônier auprès des « sœurs42 » et des malades.
«
..
.un autre
Mais le P. Cyprien dût bientôt, sur les conseils pressants de son évêque,
délaisser ce logis pour se rapprocher des autres missionnaires43. Outre
ces trois bâtiments
principaux, on connaît l’existence d’autres construe-
tions de tailles plus réduites : un puits, des cabinets, une citerne, une
lingerie ou remise. Bref, un ensemble montrant clairement le succès de
l’action missionnaire, l’orientation chrétienne de la population et sa
capacité à bâtir en quelques années un ensemble conséquent. Rouru se
composait donc d’une part, de bâtiments en dur et d’autre part, d’espaces agricoles intra-muros. On a glosé sur le despotisme missionnaire
39
Lettre du capitaine Brandela à la Société de l'Océanie, 19 juillet 1850, in Bulletin delà Société de l'Océa-
nie, pp. 78-79,1851.
Lettre du P. Cyprien aux Très Révérends Pères, 9 jv. 1845.
111
Lettre du Capitaine Brandela, à la Société de l'Océanie, 19 juillet 1850, in Bulletin de la Société de l'Océa-
nie, pp. 78-79,1851.
H. Laval, op. cit., p. 206.
92
«
Ibid., p.153.
55
Œidlclin de la Société des- études (Océaniennes
engageant les populations dans des projets pharaoniques coûteux en vies.
Certes, la direction du P. Laval ne fut pas toujours tendre et le code qu’il
prépara ne peut être taxé de laxisme. Mais la population participa à l’œuvre d’érection des édifices tant sous la pression missionnaire que par
volonté propre. Une poignée de missionnaires ne pouvait, sans acceptation au moins tacite de la majorité de la population, imposer près de
trente ans de constructions. Rouru devant être un lieu de prières, on
construisit dans l’enceinte une chapelle qui hit bénie en 1850. Mais il ne
faudrait pas parler de l’ensemble architectural de Rouru sans mentionner
d’une part, le cimetière hors les murs et d’autre part, la chapelle Ste
Agathe44 proche de l’église de Rikitea, qui permettait aux pensionnaires
de Rouru d’avoir un havre pour dormir la nuit du samedi au dimanche
avant d’aller aux offices. Il ne subsiste aujourd’hui que la tour de cet édifice mais on peut supposer qu’il existait un bâtiment d’habitation qui la
jouxtait. Le 22 mai 1862, la remise des clefs de la porte monumentale à
la sœur portière mettait fin à vingt-six ans de travaux qui avaient doté l’île
de Mangareva d’un ensemble architectural prestigieux mais aussi d’un
espace de refuge pour les jeunes filles des Gambier45.
Aujourd’hui encore, lorsque l’on questionne les habitants de Mangareva sur l’utilité passée de Rouru, on obtient comme réponse la nécessité d’empêcher les hiles de « traîner dans les rues46 ». Rouru doit donc
aussi être considéré comme un espace de protection de la jeunesse féminine. La protection s’étendant non seulement à l’encontre des marins en
bordée ou des commerçants français en mal de compagnie mais plus
généralement envers les dangers divers que pouvait courir une jeune hile
dont la famille intégrait les préceptes moraux du christianisme.
On place souvent l’origine de Rouru dans la volonté des filles de
Mangareva de ne pas perdre le temps en allers-retours champs maison
lors des premières compétitions de défrichement de l’île. Ramener le pre-
44
H. Laval, op. cil., p.CXV.
45
De plus amples précisions sur les constructions de Rouru se trouvent dons les trovoux de M. Delbos sus
référencé.
46
Mini enquête orale effectuée à Mangoreva en mars 2007.
56
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
mier groupement féminin à des causes de pratiques culturales est certes
possible mais cela minore le rôle du P. Cyprien Liausu. C’est autour de lui,
et sous sa protection, que se placèrent les jeunes filles. En se regroupant
à part, elles gagnèrent ainsi une certaine indépendance vis à vis de leurs
parents et des pesanteurs de la tradition. Quelques années plus tard, dans
le dortoir, à Rouru dont l’altitude protégeait des grosses chaleurs, elles
pourront espérer jouir d’une certaine sécurité tant envers les avances
trop pressantes de prétendants qu’envers la maladie car le P. Cyprien avait
des connaissances médicales47. Le dortoir était confortable pour l’époque
et le heu. Le plancher était en parquet, les hts avaient une double natte
tressée avec des couvertures de laine et parfois des draps en indienne48.
Dans un espace plus frais, les jeunes filles de Rouru étaient protégées par
le P. Cyprien puis, après son départ, par le P. Laval. Celui-ci n’hésitait pas
par ailleurs à cloîtrer à l’abri des hauts murs de Rouru la population féminine de l’île lors des passages de navires ou à dispenser les « sœurs » de
messes de jours à St Michel à Rikitea pour les soustraire aux tentatives
d’avances peu chrétiennes de la part des soldats français stationnés dans
l’île. Ainsi, les Gambier furent très longtemps exempts des épidémies de
syphilis qui endeuillaient tant les autres îles de Polynésie et du Pacifique.
Protégées, les « sœurs » pouvaient s’adonner pleinement à leurs
devoirs religieux. Et le P. Laval d’écrire « aujourd’hui (1842), c’est une
véritable communauté qui n’attend que l’agrément de la supérieure de
Paris, Mme Françoise, pour être agrégée à la congrégation des Sacrés
Cœurs de Jésus et de Marie49. » Cet agrément ne devait jamais avoir heu.
Mais une adoration perpétuelle avait heu dans la chapelle et dès 1847, le
rituel était calqué sur celui de Picpus. Après 1863 la supérieure portait un
manteau rouge et l’adoration se faisait en procession avec prières, récitations du chapelet et invocations50. Lors des messes à St Michel de Rikitea,
les femmes de Rouru ne se différenciaient pas de la population locale. Le
47
Lettre du P. Janeau aux Très Révérends Pères, 19 mars 1903.
48
Lettre de M. Henri à Mgr Doumer, 7 mai 1851.
49
J.P Delbos, op. cit., p.84.
50
Ibid., pl81.
57
bulletin de la, Jociété des, Slades Gcéaniennes-
«
costume (des femmes de Rouru était) à peu près celui des femmes
du peuple, elles (avaient) une pèlerine de la couleur de leur robe, des
cheveux épars comme toutes les Mangaréviennes51. »
Et comme à Tahiti, « elles portaient des robes longues du cou aux
pieds52. » Seule restriction à la tenue des « sœurs » mangaréviennes, des
sœurs de St Joseph de Cluny, de passage à Rouru, auraient désiré que
les cheveux des jeunes femmes soient au moins tressés parce que cela
aurait l’air plus propre53. » Donc Rouru, comme Mangareva, s’inscrivait
bien dans cette ère de rigorisme missionnaire qui englobait la Polynésie
tant catholique que protestante.
Ainsi Rouru avait une vocation de couvent, espace de prières et
espace de sûreté. Mais pour les autorités mangaréviennes, Rouru devait
aussi et surtout être un espace d’éducation. Aussi, la régente Maria-Eutokia précisa, lors de l’établissement de l’acte de possession des
maisons de pierres, des terres plantées d’arbres à pain, des champs
et des plantations de taros (que), le but de la Communauté des Sacrés
Cœurs est d’élever les jeunes filles de l’archipel54. »
Il était aussi stipulé dans le même document que le droit de propriété était établi en faveur de l’évêque, des prêtres mais que si la cornmunauté (des Sacrés Cœurs) venait à disparaître, l’évêque pourrait
disposer des terres mais jamais en faveur des ses parents ou de ceux des
prêtres, enfin, que l’usage des lieux était dévolu à l’éducation des jeunes
filles. Et le P. Janeau de noter en 1903, alors que le couvent va fermer,
«
«
«
..
.le couvent de Rouru, c’était des institutrices pour quelques deux
cents petites filles à cette époque
(1850-1860). Il fallait bien garder et
instruire les enfants qui ne pouvaient pas venir des îles tous les jours55. »
Et le P. Laval complète : « Rouru est notre bras droit, pour l’entretien du linge de sacristie et l’éducation des petites
51
filles56 ». Rouru fut
Lettre du Capitaine Brandela, op. cil.
52
Lettre de M. Henri à Mgr Doumer, 7 mai 1851.
53
J. P. Delbos, op. cit., p.107.
54
Acte de donation fait par la régente, Doc. 6385,1864, Archives de l'archevêché de Papeete.
55
Lettre du P. Janeau aux Très révérends Pères, 22 juin 1852
56
H. Laval, op. cit. p. 557.
58
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
donc bien un lieu de résidence et d’éducation pour la jeunesse féminine
des Gambier. Mais qu’y apprenait-on ?
«
Sous la direction du P. Cyprien, aidé par quelques jeunes personnes
retirées du monde dans le dessin de vivre le célibat... cent cinquante
petites filles (étudiaient) la lecture, l’écriture, le chant, l’agriculture, la
piété, en un mot à être de bonnes mères de familles57. »
Outre la question de l’encadrement par les « sœurs » dont le nom-
bre, faute de vœux perpétuels, pouvait varier fortement, il est nécessaire
de s’interroger sur la langue d’enseignement. Il est peu douteux que la
langue mangarévienne fut largement utilisée tant comme langue vernar
culaire que comme langue d’étude. Le peu de livres en français, leur
rapide détérioration due aux conditions climatiques, leur traduction en
langue locale tend à faire penser que la langue mangarévienne fut favorisée d’autant que de nombreux chants d’église étaient déjà dans cette
langue. Et quelle mère de famille à Mangareva avait besoin de la langue
française pour s’occuper de sa famille ? Aussi, à leur arrivée, les autorités françaises déplorèrent l’incapacité des jeunes filles à écrire et lire en
français58. Car, plus utiles aux yeux des missionnaires étaient les exercices de piété. Certains leur ont reproché, par la suite, leurs excès de zèle
dans ce domaine59. Ils n’étaient en fait que dans leur rôle. Les temps
étaient ceux du revival protestant et de la rechristianisation catholique par
des missionnaires éduqués par des Pères ayant vécu les affres de la Révolution Française. De plus, ces critiques avaient heu en des temps d’anticléricalisme qui étaient, de loin en loin, objet d’exportation dans les
colonies. Se greffait aussi, pour les autorités françaises, la déception de
ne pas trouver à Mangareva, comme dans d’autres colonies lors de Parrivée en force des autorités métropolitaines, le personnel dévoué et bien
formé en langue française, donc tout de suite opérationnel et rendant le
truchement des missionnaires inutile.
57
Lettre du P. Blanc à Mgr Jaussen, 22 juin 1852.
58
Rapport du Résident Mariot, 22 fév. 1874.
F. Vallaux, Mangareva elles Gambier, p. 99.
59
59
bulletin/ de la> Société des études Qcéaniefine&
A contrario, un peuple de catholiques était en train de prendre
forme et les « sœurs » de Rouru l’encadraient pour une part. Les
«
sœurs »
mangaréviennes s’occupaient donc de l’instruction religieuse
des jeunes filles, les préparant à la confirmation, aux communions privée
puis solennelle60. Le dimanche, elles les accompagnaient à l’office et aux
exercices de catéchisme durant lesquels la population, groupée par sexe,
s’opposait en questions-réponses61. Il existait de même un concours interîles lors des fêtes royales. Lors de ces « jeux floraux de Mangareva », des
passages d’Évangile étaient chantés par les équipes représentant leur île
respective62. Cette méthode pédagogique ne fut pas spécifique aux Gamhier car on la retrouve plus tard utilisée par les membres d’autres sociétés missionnaires, les M.E.P63. et les Frères Prêcheurs, au Vietnam, lors des
rencontres organisées par Mgr Sohier ou par Mgr
Diaz64.
Dans ce pensionnat ou au « couvent », elles étaient formées à la filature et une quenouille était positionnée à la tête des lits du
une
dortoir65. Ainsi,
division sexuée du travail tendait à exister dans l’île. Les filles se
consacraient à la filature, à l’entretien du linge d’autel et les garçons au
tissage et à l’aide aux missionnaires pour les affaires du culte. Mais cette
division n’était pas chose nouvelle. Rouru trouve son origine dans un
concours de plantation. Un groupe de néophytes féminines, sous la direction du P. Cyprien, avait défriché le plateau sur les flancs du mont Duff
alors que l’équipe de garçons était dirigée par le P. Laval66. Ce fut la
construction de cases par l’équipe féminine qui donna au P. Cyprien l’idée
de créer une institution pour éduquer les jeunes filles, comme l’avait fait
son frère à Vaylas dans le Lot67. Mais cette institution devait tendre à une
60
H. Laval, op. rit., p. 291.
61
Lettre de M. Henri à Mgr Doumer, 7 mai 1851, Annales de la Propagation de la Foi, 1852.
62
Ibid.
63
Missions Etrangères de Paris. C'est un ordre missionnaire chargé de l'évangélisation de i'Extrême-orient.
64
L. Burel, La commune vietnamienne au XIX siècle, un compromis entre commune traditionnelle etmoder-
nité, Péninsule, 1997, p.21.
J. P. Delbos, op. cit., p.141.
65
66
Annales des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, sept. 1836.
67
J. P. Delbos, op. cit., p.43.
60
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
certaine autonomie alimentaire, donc les plantations furent de tous temps
associées à la vie quotidienne de Rouru et le « couvent » prit des allures
de centre agricole avec ses champs de taro, ses plantations d’arbres à
pain et ses orangers68.
Devant une telle volonté de la part des missionnaires en général et du
P. Cyprien Liausu en particulier, couplée à la réponse enthousiaste d’une
large partie de la population locale, on pourrait penser que le « couvent », pensionnat, école, ferme, filature de Rouru fut un éclatant succès.
Or l’expérience ne dura pas un siècle alors que les « Amantes de la Croix »
vietnamiennes, malgré les persécutions des XIXè et XXè siècles sont toujours actives de nos jours69. On se doit donc de rechercher des raisons
pour tenter d’expliquer l’échec de cette expérience particulière que hit
Rouru.
Certes, les débuts de Rouru furent placés sous des auspices favorablés. « Le Père Cyprien s’occup(ait) tout spécialement de son pensionnat
de jeunes filles de Rouru à Mangaréva70. » Mais il dut aussi s’opposer aux
autres missionnaires pour permettre la construction des premiers bâtiments alors que le chantier de la cathédrale St Michel n’était pas ter-
miné71. Plus tard, M. Blanc proposa la translation des « religieuses » sur
la côte pour installer un séminaire dans les bâtiments de Rouru72. La présence du P.
Cyprien était donc nécessaire à la bonne marche de l’établis-
sement or il devait quitter les Gambier pour retourner en France en 1855
et y mourir.
De plus, sous la douce surveillance spirituelle du P. Cyprien, les
sœurs » de Rouru avaient
pris de l’assurance d’autant que leurs traditions leurs garantissaient une certaine autonomie face aux missionnaires.
«
Le P. Laval s’en plaignait amèrement :
68
Lettre du P. Cyprien, 9 jv. 1845.
69
Enquête orule faite dans le delta du fleuve Rouge et à Huê dans le centre et le nord du Vietnam durant
l'été 1995. Cf. analyse L. Burel 1997 : Les contacts protocoloniaux franco-vietnamiens en centre et nord Vietnam, 1856-1833, Presse du septentrion.
70
J. P. Delbos, op. cit., p. 66.
71
Ibid, p.67.
72
Lettre de N. Blanc à Mgr Jaussen, 30 oct. 1849, Archives des Sacrés Cœurs, dos. 60/2.
61
Œid/etin de- la Société des- études- Qcéanietvu
«
Les sœurs avaient pour ainsi dire, tout droit. Lui seul (le P. Cyprien)
devait les confesser... De même, il n’était permis à aucun prêtre de leur
donner une admonestation, sans quelles allassent jeter de hauts cris...
Le Père les avait faites trop indépendantes des prêtres de la mission73. »
Ainsi, lorsque le P. Guilmard critiqua « l’orgueil de couvent », la
mère supérieure, qui était élue par les autres sœurs, alla se plaindre au
P. Cyprien qui ne put faire d’ailleurs grand’ chose face à son coreligion-
naire74. Plus rude fut la passe d’armes entre le P. Laval et la supérieure du
couvent lors de la procession du jubilée de 1848. Le P. Laval et sa suite
furent interdits d’entrée dans l’enclos de Rouru. Ils ne purent accéder à
la chapelle qui avait été prévue comme station pour la procession.
«
Il nous fut signifié assez hautainement que nous (le P. Laval et la pro-
cession) devions nous contenter du réduit qui donne en dehors de l’enclos et que l’on appelle la chapelle des étrangers75. »
Aucun homme ne devait pénétrer dans le couvent. Mais ne faut-il pas
aussi voir dans cet éclat une certaine rancœur après le départ du P.
Cyprien de sa « chambre » de Rouru ? On doit donc constater une volonté
d’autonomie et une grande force de caractère de la part de cette mère
supérieure et on comprend mieux ainsi la prudence du P. Laval, devenu
confesseur de Rouru et supérieur de la mission après le départ du P.
Cyprien. Il opéra par étapes pour qu’enfin « Rouru, l’insoumise
(revienne) peu à peu à (son) autorité76. » Plus grave encore fut le conflit
entre le « couvent » et une famille locale soutenue par les missionnaires.
Les religieuses refusaient de rendre à la famille une fillette sous prétexte
que cette dernière voulait rester à Rouru77. Malgré la menace de jeter
1‘interdit sur Rouru, les religieuses tinrent bon et l’enfant ne fut rendu à
sa famille que
quelque temps plus tard. Il y eut donc une réelle revendi-
cation d’autonomie de la part de sœurs mangaréviennes et cela ne dût
pas favoriser leurs bons rapports avec des missionnaires élevés dans la
tradition patriarcale européenne.
73
H. Laval, op. cit., p.261.
74
Ibid.
75
Ibid.
76
Ibid., p. 310.
62
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Cette autonomie était d’autant plus forte qu’elle se nourrissait d’une
certaine indépendance économique. Le couvent, sans être riche, avait la
jouissance de plantations. Les familles des élèves devaient subvenir en partie à l’entretien de leurs enfants en fournissant les repas et un baril de
nacre par an.
Par ailleurs, si les missionnaires ne pouvaient faire de corn-
merce, il n’en était pas de même pour Rouru malgré l’opposition du P.
Laval. Rouru pouvait avitailler les navires de passage et vendre la nacre
donnée par les parents d’élèves78. Et c’était sans compter les travaux de
filatures et de tissages qui pouvaient assurer une certaine autarcie vestimentaire. Autonomie, autarcie, on comprend que de tels aspects ne firent
rien pour favoriser le soutien indéfectible de certains missionnaires lorsque
les épreuves s’abattront sur Rouru. Mais il ne faut pas trop dénigrer le P.
Laval car, lorsque Rouru fut en butte aux exigences des autorités françaises,
il défendit le « couvent » avec beaucoup d’ardeur. A l’automne 1865, la
présence française s’intensifia à Mangareva. Le commissaire impérial de la
Roncière, de passage sur l’île, voulut visiter Rouru et donc y pénétrer. Son
passage à l’infirmerie, accompagné de son Etat-Major, provoqua un sauve
qui peut parmi les « sœurs ». En septembre suivant, c’était le Résident par
intérim, le Lieutenant Laurencin qui voulut pénétrer dans l’enceinte de
Rouru. Il était à la recherche de bâtiments susceptibles d’héberger un détachement de militaires. Il peut, pour le moins, paraître curieux de vouloir
loger des soldats dans une enceinte religieuse mais il est probable que
Rouru possédait les seuls bâtiments en dur convenant à cet effet et que le
militaire n’alla pas chercher plus loin, surtout s’il était touché par une
pointe d’anticléricalisme pourtant peu développée dans la « Royale ». De
toute façon, les portes restèrent fermées et un soldat dût sauter le mur
d’enceinte alors que les pensionnaires de Rouru assistaient aux vêpres79.
Ce n’était pas un motif grivois qui motivait l’officier mais une nécessité
militaire même si elle peut paraître mal fondée. En tout état de cause,
Rouru était encore vu comme un espace de contestation de l’autorité, mais
77
H. Laval, op. cil., p. 302.
71
Rapport du Cdt de la Motte Rouge, 23 jv. 1871.
7’
Archives des Sacrés cœurs de Jésus et de Marie, dos. 60/2,1865.
63
^ÜÜ Œu/letin de/ la Société des études Océaniennes
civile cette fois. Aussi, avec le soutien des missionnaires, une partie de la
population établit des tours de garde autour du « couvent ». Rouru n’était
donc plus le lieu paisible où les jeunes filles de Mangareva pouvaient se
retirer un temps pour fuir qui un beachcomber, qui un Mangarévien trop
pressant ou une famille trop pesante.
Plus grave encore pour la réputation de Rouru fut l’évolution des
relations franco-mangaréviennes dans les années I860. Ainsi le P. Laval
dénonce les soldats français qui viennent danser sous les murs de Rouru
en appelant des novices à venir se joindre à eux80. Rouru, de beu de protection devenait pour certains, un réservoir potentiel de compagnie féminine. Il fallut encore une fois la présence de rondes de la part des familles
pour faire reculer les ardeurs militaires. Mais le mal était fait et quelques
sœurs » quittèrent Rouru pour retrouver la vie laïque chez leurs parents.
D’autres, finalement, choisirent de s’unir à des commerçants. En 1851,
quelques trente six pensionnaires avaient quitté Rouru pour aller vivre
avec des commerçants français fraîchement arrivés et esseulés. En 1868,
on a même le cas d’une novice qui recrutait pour le compte de ses frères
et qui fut à l’origine d’une quinzaine de défections81.
Rouru se vidait donc par à-coups suite aux pressions de l’extérieur
que ne pouvaient plus contrecarrer des missionnaires vieillissants. Mais,
à ces causes bien humaines, il faut aussi ajouter le drame que furent les
chocs bactériologiques. En moins d’un siècle la population des Gambier
fut divisée par quatre. De quelques deux mille quarante et un habitants en
1838, la population chuta à près de cinq cents en 189682. Le recul ne fut
pas constant mais ü marqua profondément les îles. Les jeunes mangaréviennes ne furent pas épargnées au point que le P. Laval incriminait l’insalubrité du heu. On peut s’étonner d’une telle affirmation car on ne
comprend pas pourquoi le P. Cyprien, qui avaient des connaissances médicales, ne s’en serait pas aperçu dès le début de l’instahation et aurait
accepté d’ériger son oeuvre privilégiée dans un espace malsain. Ne faut-il
«
80
H. Laval, op. cil., p.262.
Ibid., pp.110 et 578.
82
F. Vallaux, op.cit., p.99.
81
64
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
pas plutôt incriminer des causes plus exogènes comme les épidémies provenant des navires en rade, dont l’ampleur était aggravée par
la promis-
cuité dans laquelle vivaient les « sœurs » ? Ainsi en fût-il lors de l’épidémie
de gale chinoise de 1865. Ou alors, il faut penser à la consommation de
farines avariées qui provoqua une centaine de morts dans les années
1840. Enfin, la surmortalité féminine qui frappa les Gambier dans les
années 1880 sonna probablement le glas d’un Rouru déjà bien éprouvé.
Le « couvent » avait failli à son rôle de protection et les missionnaires
s’étaient peu à peu habitués puis désintéressés de ses problèmes. Les
autorités ecclésiastiques peinaient aussi à assurer la direction du bon
entretien des locaux au point qu’aujourd’hui, quelques Mangaréviens leur
attribuent la fin du « couvent »83.
Néanmoins, il ne faut pas incriminer trop rapidement les Pères de
Picpus mais plutôt rechercher des causes plus sociales. Rouru répondait
de moins en moins aux espérances des Mangaréviens et l’enthousiasme
du début s’essoufflait.
Rouru fut toujours un couvent un peu particuUer. Même si certains
appelaient de leurs vœux l’agrément de la congrégation ou louaient les
ressemblances avec des couvents métropohtains84, il faut noter que les
vœux prononcés par les sœurs ne furent jamais perpétuels. On Ht ainsi
qu’en 1857, encore au fort de l’attraction de Rouru, « il y a quelques
(jeunes filles) qui prennent la vie rebgieuse au sérieux et font des vœux...
de six mois ou un an au plus85. » La population des sœurs, décimée parfois par des épidémies, était donc fluctuante. Et si, au début, la personnalité d’un Cyprien Liausu avait permis que « soixante dix-huit jeunes
filles vivent ensemble sous la forme d’une maison religieuse sans qu’elles
soient liées par aucun engagement »86, une fois le Père parti et les difficultés du temps amoncelées, le souffle diminua d’autant que Rouru se
dépeuplait dangereusement.
83
Mini enquête orale aux Gambier, avril 2007.
84
H. Laval, op.cit., p. 242.
85
Le Médiateur de la flotte, 1857 provient de la copie d'un article de la revue « Le moniteur de la flotte »,
dossier 64 des Archives des Sacrés Cœurs à l'archevêché de Papeete.
86
Lettre du P. Cyprien aux Très Révérends Pères, 9 jv. 1845.
65
Bulletin do la Société des ètude& 0iceametme&
Si, durant les années 1840, on relate le passage à Rouru de reli-
gieuses de St Joseph de Cluny qui aidèrent à l’apprentissage de la couture
et à la confection d’une robe royale87, le naufrage du « Marie-joseph » en
1843 et la disparition des sœurs qui auraient dû être destinées aux Gainhier, hypothéqua gravement l’avenir de Rouru88.
Faute de personnels qualifiés, les « sœurs » mangaréviennes allaient
s’étioler face aux difficultés et à la surmortalité féminine. 30% des effectifs dis-
parurent dans les années 1840 puis se stabilisèrent aux alentours d’une soixantaine de « sœurs » au début des années 1850 avant de s’effondrer pour
atteindre quatre sœurs en 1886. Les sœurs de St Joseph de Cluny ne mirent
pas fin à Rouru mais tentèrent de relancer l’action éducative que Rouru ne
pouvait plus assumer. En 1892, trois sœurs clunisiennes s’installèrent à Mangareva, avalisant ainsi l’échec des sœurs mangaréviennes dont le couvent était
déjà en ruine. Vieilli, dépassé, de mauvaise réputation sanitaire, Rouru dépérissait. Son pouvoir d’attraction sur une jeunesse en quête de sendee et de
reconnaissance sociale s’effritait. A la fin du siècle, on cite encore la présence
de trois sœurs alors que les enseignantes mangaréviennes avaient disparu89.
Aux Gambier comme en Indochine, l’accent était mis sur l’éducation des garçons que les missionnaires rêvaient de von- un jour intégrer le séminaire. Il failait développer aussi l’apprentissage du français qui permettait d’avoir des
employés plus opérationnels auprès des commerçants locaux et des interprêtes pour l’administration. Et pourquoi envoyer ses filles à Rouru alors que
d’autres sœurs étaient en charge de l’enseignement et que les dernières sœurs
mangaréviennes bien vieillies montraient leurs lacunes ? Ainsi, lors de la déhmitation en 1898 des terres diocésaines, la sœur mangarévienne Godberte fut
incapable de signer le document cadastral par autre chose qu’une croix90.
Elle était une des dernières sœurs encore survivante à la fin du siècle.
Décimée par les épidémies ou les empoisonnements alimentaires, harcelées par des prétendants français, n’ayant jamais pu stabiliser par des vœux
définitifs ses effectifs, peinant à recruter face à la dépopulation des îles,
87
J. P. Delbos, op.cit., p. 89.
88
P. Hodée, Tahiti, 1834-1984, p. 199.
88
F. Vallaux, op.cit. p.99.
,0
Archive de l'évêché de Papeete, dos. G 3-1/9.
66
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
n’ayant pu trouver un nouveau souffle faute d’apport à temps de sang neuf et
n’ayant plus le soutient paternel et indéfectible de son fondateur, la connnunauté de Rouru déclinait durant ce dernier quart du XLX1' siècle. Si l’ex-régente
Maria-Eutokia honorait encore le « couvent » en s’y retirant pour y décéder
en tant que novice en 186991, M. Blanc n’était
plus aidé pour s’occuper des
classes de filles de l’archipel en 1884 que par d'anciennes religieuses, d’andemies sœurs de Rouru, probablement mariées92. En 1885, il ne restait que
quatre religieuses au couvent et un seule en 1898, probablement la sœur
Godberte93. Le couvent de Rouru s’éteignit faute de postulantes car il ne
répondait plus à la demande de la population mangarévienne.
Au pied du Mont Duff sur l’île de Mangareva dans l’archipel des Gambier, on visite encore de nos jours les restes de ce qui fut une des expériences
missionnaires des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie les plus accomplies du
début du XEXè siècle polynésien. Nostalgie des ruines, souvenirs d’une aventure grandiose, symbole de la foi des Gambier, le « couvent » de Rouru fut
bien plus qu’un couvent, ferme, école, pensionnat et contre pouvoir envers
les missionnaires et les autorités françaises. Il grandit à l’ombre de l’évangélisation à laquelle il prit part mais ne sut pas se réformer à temps ni montrer assez de constance face aux difficultés du temps. L’arrivée trop tardive
d’une relève féminine mieux formée et plus volontariste, le moindre intérêt
de la paid de missionnaires vieillissants et en trop petit nombre pour s’en
occuper totalement ne permirent pas à Rouru de survivre aux débuts du XXè
siècle et à un colonialisme plus anticlérical. Le P. Laval, malgré sa rudesse,
n’était plus là pour tenter de contrebalancer l’influence métropolitaine.
L’époque de l’autonomie était révolue pour un temps. Décimé par les épidémies, peinant à s’intégrer dans la nouvelle donne coloniale, Rouru devait
s’adapter ou mourir. Le XXè siècle sonna le glas du « couvent » déjà déserté
mais les bâtiments, même en ruines, perdurent encore ainsi que le souvenir
des « sœurs » mangaréviennes dans les mémoires des habitants des Gambier.
Laurent Burel
91
H. Laval, op.cit., p.611.
92
Lettre de N. Blanc, 28 nov. 1884.
93
Lettre de N. Blanc, 19 sept. 1885 et lettre de G. Eich, 23 av. 1898.
67
Un rapport du docteur Cassiau,
administrateur des Gambier,
au gouverneur
des E.F.O.
Le docteur Cassiau, nous dit O’Reilly dans Tahitiens, est né à l’île
Maurice en 1871.
Il fait ses études de médecine à Montpellier où, en 1901, il soutient
sa thèse : De
l’influence du diabète sucré sur l’appareil génital de la
femme.
Il arrive à Tahiti en 1904. Il est nommé aussitôt médecin-administrateur aux Gambier (dans le rapport présenté ici, daté de novembre
1904, il dit qu’il n’a « que six mois de séjour aux Gambier »).
Il n’y reste pas très longtemps, étant, toujours selon O’Reilly, « en
conflit avec des Lévy dont Cassiau gêne les gros profits sur l’alcool et les
perles ».
À Papeete, il exerce la médecine à l’hôpital et avec une dientèle privée.
Il est volontaire pour partir au front et participe aux combats à Verdim et dans l’armée d’Orient.
Il est Président de la Ligue des droits de l’homme.
Populaire, il sera maire de Papeete de 1922 à sa mort en 1933Ce rapport qu’il écrit au gouverneur est précédé d’une lettre de ce
dernier adressée au Ministre des Colonies. La teneur de ces deux textes
s’inscrit dans « l’ambiance » politique du temps : c’est en 1904 qu’est
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
votée la loi interdisant l’enseignement à tout membre d’une congrégation,
précédant d’un peu plus d’un an la loi de séparation de l’Église et de l’État.
Le document (coté 48 W 503) est dactylographié sur 10 pages. Le
coin supérieur droit de ces pages a été grignoté par quelques bestioles
friandes de ce papier centenaire (ce qui ne se produit plus depuis que les
archives sont conservées dans le bâtiment de Tipaerui !). Les mots man-
quants sont signalés par : [...].
Michel Bailleul
«
CONFIDENTIEL
5 Novembre 1904
Au sujet des agissements de la congrégation des Picpus aux Gambier
-1 rapport joint -
à
Monsieur le MINISTRE des COLONIES
(Cabinet du Ministre)
Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur de vous adresser la copie d’un rapport de l’Administrateur des îles Gambier touchant le rôle de la congrégation de Picpus
dans cet archipel.
Bien que très différent, par la forme et par les détails, des documents
sur le même
sujet provenant des îles Marquises, ce rapport constate au
fond des résultats identiques : propagation de la foi romaine, établissement de l’influence spirituelle et temporelle des prêtres, asservissement
intellectuel et matériel des indigènes, accaparement des terres, perles,
richesses mobilières et immobilières par la Mission Catholique, puis
dépopulation, décadence physique et morale des autochtones et anéantissement progressif d’un archipel français.
L’Administrateur ne fait que mentionner en passant « les ignominies
dont les Mangaréviens ont été témoins ou victimes », probablement parce
qu'il suppose assez connus ces faits déjà publiés ; il montre l’élection du
69
bulletin de la Société des Suides- (Océaniennes
chef indigène sous la dépendance complète de la Mission, les mariages
fabriqués par elle sans soucis des conjoints, ni de la morale, ni de la race,
simplement pour maintenir 1’ [influence ?] catholique ; des femmes saines
et fécondes repoussées de Mangareva parce qu’elles sont protestantes
alors que leur présence serait si utile à la repopulation de l’archipel à
peu près dépeuplé en un demi-siècle ; les écoles publiques mises à l’index par un missionnaire parce qu’elles dépendent uniquement de l’Administration française dont la mission est l’ennemie acharnée dès qu’elle
n’en peut être la maîtresse.
Vous apprécierez, Monsieur le Ministre, combien ce boycottage est
dangereux pour nos écoles, pour notre œuvre de francisation et de colonisation en constatant l’influence conservée par les missionnaires aux îles
Gambier, influence qui se traduit par tous les moyens imaginables, même
par l’émigration des indigènes en dehors du rayon d’obUgation scolaire,
ce qui multipbe les difficultés et ne tend rien moins qu’à ruiner d’avance
tous les efforts de l’Administration en vue du développement économique
de cette possession française.
Aussi l’administrateur des Gambier, comme celui des Marquises,
conclut à la nécessité de mettre un terme à l’influence nuisible des missionnaires ainsi d’ailleurs que je l’avais fait moi-même dans un précé-
dent rapport du 20 juillet dernier. »
«
RAPPORT DU Dr CASSIAU :
Rikitea, le 7 octobre 1904
L’Administrateur des Gambier
à
Monsieur le Gouverneur des EtabUssements français de l’Océanie.
Monsieur le Gouverneur,
J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre lettre n° 956, en
date du 29 août 1904, me confirmant votre communication du mois
d’avril même année, me demandant de vous fournir un rapport détaillé
70
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
sur la mission
catholique aux Gambier et de vous faire connaître les avantages et les inconvénients qu’il y aurait à remplacer dans mon archipel les
missionnaires par des prêtres séculiers en conformité des lois récentes
sur les associations.
Tout d’abord vous voudrez bien reconnaître que c’est une tâche
ardue pour moi qui n’ai que 6 mois de
séjour aux Gambier d’avoir à
donner des renseignements sur les faits et gestes des missionnaires ici. Ce
travail demanderait de longs, très longs mois, si on veut faire une enquête
minutieuse. La petitesse du pays, le dévouement des cathoUques aux prêtrès missionnaires qui sauraient tout de suite à quoi s’en tenir et pren-
draient alors des mesures qui nuiraient à la vérité, enfin plus d’un élément
contrarierait une enquête hâtive. Je ne puis donc vous donner comme
certains que les facteurs que j’ai retrouvés constants dans les nombreux
renseignements que j’ai pu obtenir de ci de là, subtilement.
S’il faut remonter à 50 ou 60 ans et même en arrière ce n’est pas un
rapport mais un ouvrage volumineux qu’il y aurait à écrire sur l’influence
de la mission aux Gambier. Tous les chefs de mission qui se sont succédé
ont toujours conservé le même prestige moral dans cet archipel et y ont
toujours eu la même politique. Les Liausu, les Laval, [les ?] Roussel, les
Nicolas Blanc, les Ferrier se sont re [mplacés]... successivement et tous se
sont servis de leur même [ ? ] de propagation de la foi pour exercer librement, trop librement leur théorie d’accaparement à outrance et d’hostilité
envers l’Administration. Il suffirait de relire l’énorme
correspondance que
le chef-beu pour retrouver toujours et
quand même l’œuvre perfide et sournoise de la Mission.
Malgré les ignominies dont les Mangaréviens ont été victimes ou
témoins, ils ont toujours été sous la domination des missionnaires. La raitous mes prédécesseurs ont eu avec
son en est trouvée dans le
pouvoir, autocratique presque, que partageait
le prêtre dès son arrivée, avec les derniers rois mangaréviens. En demandant le protectorat de la France, le père Liausu a atteint son but en étant
nommé le premier délégué de la France aux Gambier. Fort de ce premier
succès les missionnaires à qui notre drapeau était confié se sont imaginés que les Gambier leur resterait en apanage, à titre de ferme où ils resteraient à l’abri de tout ennui. C’est du moins ce qui ressort de la
71
Œulletin de la Société de& étude& 0icea/ue/mess
correspondance de M. le Ministre Jauréguiberry. Mais depuis que la
France, surmontant les difficultés soulevées, a enfin installé un Résident
aux Gambier, il allait de soi que ce représentant devait ipso facto être
l’ennemi acharné des missionnaires, et la chose se révèle dans la cor-
respondance locale depuis 1880. L’Administration française a rendu un
service immense aux indigènes de cet archipel en déliant les chaînes qui
faisaient d’eux les esclaves passifs de la Mission.
Le temps n’est plus où, avec des patenôtres et des coups d’encensoir, les prêtres faisaient faire aux Mangaréviens des ouvrages qu’envieraient presque les Romains. Des ruines témoignent encore du joug sous
lequel vivaient les habitants. Des vestiges d’un couvent situé sur un haut
plateau élevé dévoilent ce qu’a pu leur faire faire [... ] -dictions. Tout
jusqu’à la dernière pelletée de sable portée par la main de l’homme à
travers des sentiers [... ] s’exposait presque à chaque instant. Dans ce
couvent [... ] énorme fantastique bloc de pierres madréporiques a été
mo [... ] pour servir de tabernacle, et on se demande si plusieurs travailleurs n’ont pas laissé la vie pour accomplir un pareil prodige. D’autrès ruines d’égüses, de chapelles, ça et là, affirment l’esclavage passé
sous la sainte direction des missionnaires. Restent encore debout à Riki-
tea une église, que dis-je, un monument et une maison en pierres
dite
maison des tisserands sur laquelle je reviendrai tout à l’heure.
Je reviens sur l’accaparement. Le domaine immeuble de la mission
Gambier est immense. De tous côtés, et non pas dans les pires
endroits, s’étendent des terrains arables appartenant aux prêtres. Rikitea, Gatavake, Aukena, Taravai contiennent de jolis terrains étant leur propriété. Dans cette dernière île notamment ils ont une caféerie qui leur
rapporte tous les ans d’importantes sommes. Je note en passant qu’à la
saison de la cueillette, hommes et femmes quittent tout travail pour aller
aux
à la récolte... à l’œil, ou plutôt pour sauver leurs âmes. Je me suis
demandé d’où leur venaient tous ces immeubles et j’ai su que plusieurs
leur avaient été donnés (?) par le roi Maputeoa, la reine Maria Eudoxie,
le régent Putairi Bernado. Mais d’autres leur ont été légués in extremis
par des gens à qui ils refusaient le saint viatique s’ils ne laissaient quelque
bien pour la sainte cause. Je maintiens ce que je viens de dire car de nom-
72
N°315/316-Janvier/Juin 2009
breux témoignages m’ont affirmé le fait. Mais si je puis expliquer ainsi
l’acquisition de leur domaine dans l’archipel propre des Gambier, je ne
puis comprendre comment ils sont arrivés à posséder des biens dans les
Tuamotu rattachés aux Gambier, puisque cette disposition administrative
ne remonte qu’à 10 ou 12 ans et que ce n’est que depuis cette époque que
[... ] tant de la tournée annuelle du Résident des Gambier [... ] Tuamotu,
le missionnaire fait route commune et recujeille] volailles, nattes, chapeaux, &, la location des terrains [... ] la mission. Ces produits vendus
aux
bateaux, aux habitants des Gambier, ou ailleurs leur rapportent un joli
bénéfice qui paie aisément le prix de leur voyage sur la même goélette que
l’Administrateur. Dans le rapport de M. Donat sur sa tournée aux Tuamotu rattachées et dans la lettre que j’annexais, vous avez pu voir, Mon-
sieur le Gouverneur, qu’un des chefs n’avait pas eu une seule voix aux
dernières élections puisqu’il avait proposé le transfert de l’école qui se
trouve sur un terrain de la mission. Et c’est justement le chef que je vous
ai demandé de nommer sur l’avis de mon délégué.
Mon prédécesseur, M. Nappey, a déjà entretenu, M. Le Gouverneur
Petit de l’audacieuse demande du père Ferrier au chef de Rikitea qui
devait lui donner lOOOfrs sur le prix de vente d’une superbe perle estimé
à 15.000 frs. M. Nappey a aussi écrit au chef heu sur une somme de 3000
frs versée par la mission des Gambier à la caisse centrale à Paris (rue
Picpus). Dans mon rapport sur les scaphandres je vous ai aussi fait savoir
que d’importantes sommes ont été versées à la Mission, soit pour entretien d’église, cloches, &. Alors que nous avons de la peine à trouver des
travailleurs lorsque nous avons besoin, les missionnaires obtiennent aisément une abondante main d’œuvre pour la salvation de l’âme.
Je ne citerai qu’à titre de curiosité quelques traits des agissements des
missionnaires. Ces faits j’ai tout heu de les admettre comme véridiques car
ils m’ont été répétés par M. Donat, mon interprète assermenté, homme
posé et consciencieux qui a la confiance de tous aux Gambier. M. Donat
les tient de différentes sources de bonne foi. Sous le père Laval un vol eut
lieu dans les trésors du roi et le missionnaire étant soupçonné, il convia
toute la population au [...] devant le roi et demanda que les trésors fussent exhi [... ]
témoin oculaire, l’ancien chef de Taravai, le vieux [... ]
73
Tematagipere, vit alors une quantité de perles de [... ] beauté, dont
quelques unes aussi grosses « qu’une bille à jouer ». D’après son appréciation il y en avait de quoi remplir le fond d’un chapeau ordinaire. En
outre un bon sac d’or et des piastres à couvrir une natte. Et sur la
demande de Donat de ce qu’étaient devenues ces richesses, Justino répondit : « C’est la Mission qui s’en est emparée. »
Un étranger américain ayant une fois par trop insisté dans son admiration d’une perle appendue au coup de la Ste Vierge, ce précieux bijou
fut enlevé et remplacé par une fausse joaillerie. À la grande exposition de
1878 à Paris, la mission exposa une perle qui fut vendue 80.000frs.
Le père Liausu, notre premier délégué, en s’en allant à Rome, portant en présent au pape Grégoire quatre perles de toute beauté contre lesquelles le roi Kerekorio (baptisé d’après le nom du pape) reçut... la
photographie du St Père.
En 1886, les quatre grands chefs mangaréviens Petero Roapamoa,
Justino Tematagipere, Marakiano, Matemoko, Utakio Teaoa, envoyèrent à
Mgr. D’Axiéri, l’illustre Tepano Jaussen, une somme de 7000 frs pour
payer les frais d’un procès au sujet de l’île Marutea du Sud réclamée par
les Tuamotu et les Gambier. Les nombreuses réclamations au prélat successeur, M. Verdier, évêque de Mégare, n’ont abouti qu’à de vagues explications sur l’emploi de cette somme qui n’a jamais été dépensée. Enfin
vous parlerai-je des richesses contenues dans l'église de Rikitea ? C’est une
curiosité à visiter.
J’arrive à la question de la maison des tisserands. C’est une immense
bâtisse en pierre à côté de l’égüse et que la mission prétend lui appartenir.
Les alentours de cette maison n’ayant pas été nettoyés conformément à ma
décision n° 22 du 19 juin 1904 que vous avez bien voulu approuver dans
votre lettre n° 935, j’ai prévenu
le père Ferrier [... ] actuel de la Mission aux
Gambier, que je dresserai procès-verbal contre lui, et ce à quatre ou cinq
reprises. Rien n’y faisait ; le père Ferrier prétendant que, en vertu d’un acte
de bail à loyer en date du 12 mars 1883 (copie annexe), l’Administration
succédant à ou tenant heu et place de la commune des Gambier était encore
liée, que l’affaire était à Tahiti, que la mission réclamait les arrérages d’une
indemnité pour réparations. J’eus recours à mes archives et je trouvais copie
N°315/316 Janvier/Juin 2009
-
du rapport présenté sur cette question au conseil privé, le 4 juin 1903, de
M. Vermeersch, receveur de l’enregistrement et du domaine, et dont le texte
peut-être retrouvé et copie annexée au présent. Je fis part de ce rapport au
père Ferrier qui, assez vivement, me répliqua que l’administration ne voulait pas reconnaître l’autorité des grands chefs qui, cependant en 1883,
étaient régis par le Code mangarévien mais que la même administration
avait su faire patte de velours aux mêmes chefs en 1880, pour obtenir d’eux
l’annexion. Il ajoutait que les Mangaréviens, sans les pressions et les
influences de la Mission d’alors ne voulaient pas être Français et qu’ils
avaient demandé par écrit l’annexion aux Américains, mais que le document avait été intercepté par... l’évêque d’Axiéri, Tepano Jaussen. J’en savais
déjà long sur les agissements clandestins du père Nicolas Blanc lors des
préliminaires d’annexion et, outré de ces paroles dans la bouche de Français, je lui ai dit, un peu trop alertement je l’avoue, que les missionnaires
s’étaient conduits aux Gambier comme d’ignobles Français. Le mot est sans
doute dur mais je dois être sincère.
Une contravention avec un franc d’amende lui apprit qu’il fallait se
soumettre ou se démettre et depuis l’établissement est propre.
Le chef actuel de Rikitea, présent à ces déclarations, et bien que
cathobque militant, m’avoua qu’une maison des tisserands avait été
construite par les Mangaréviens avec des matériaux mangaréviens et par
conséquent [... ] la propriété de tous les indigènes et non pas la propriété privée de la Mission qui la revendiquait parce qu’elle avait fait remplacer le toit de feuilles de pandanus par des tôles.
Avant de conclure il me reste de parler des mariages et des écoles.
À tort plus qu’à raison, puisque l’expérience le prouve, les missionnaires se sont plu à faire des mariages entre gens qui se connaissent peu
ou point, dont les caractères ou les sentiments étaient diamétralement
opposés. Le résultat ne tarda pas à se faire sentir. Il est triste à dire qu’au
bout de peu de temps, même de quelques jours, les conjoints se disjoignent pour mener chacun une vie déréglée. La conséquence est qu’un
grand nombre de femmes mariées vivent en concubinage ou de prostitution, et que ma charge est lourde, mais je la prends quand même d’essayer de recoller ces désunions. J’y suis arrivé cependant dans quelques
75
JfJj| j |
^
Société dc& &index Qcéanienne&
cas, mais pas sans peine et quelquefois en usant de rigueurs. Le but des
missionnaires, en mariant soit à des chenapans bigots, soit à des hommes
murs, des fillettes de 14 à 15 ans qu’ils choissent eux-mêmes parmi les
pensionnaires des religieuses est d’éviter leur union avec des protestants.
C’est pour cette raison que les Mangaréviens n’épousent pas les filles de Pitcairn (île anglaise peuplée par les révoltées de la Bounty) qui sont protestantes. C’est pour la même raison qu’ils voudraient que le nombre de
femmes aux Gambier (en telle minorité il est vrai) hit augmenté par l’importation des femmes de Vahitahi, Pukaruha, & qui sont de ferventes catholiques. Je pense vous avoir simplement informé déjà sur cette question.
L’ouverture de l’école laïque des Gambier a tellement indigné le père
Ferrier qu’il est allé de maison en maison menacer des foudres terribles
ceux qui enverraient [leurs] enfants s’y instruire. « C’est une école de
païens, [... ] et vos enfants seront à jamais damnés. Envoyez-les à mon école
chez les religieuses. » Et conune récemment encore, lorsque selon vos instractions, je faisais fermer les deux écoles cléricales, le père Ferrier me
déclarait lui-même qu’il ne manquerait pas de prévenir les parents qui
habitaient à plus de 4 kilomètres que la loi ne les touchait pas, que l’administration ne pouvait pas les obliger à aller à l’école de Rikitea. Le père
Ferrier s’imagine que les religieuses obtiendraient d’ouvrir une école übre,
si cela arrivait les parents réfractaires y enverraient leurs enfants, si éloi-
gnés soient-ils, et nous verrions notre contingent actuel se réduire des 2/3.
Sans doute, Monsieur le Gouverneur, j’omets beaucoup, beaucoup de
ce que j’aurais à vous dire, mais une enquête approfondie serait d’une
extrême longueur. Néanmoins, je crois avoir, par cet exposé, démontré la
nécessité de mettre un terme à l’influence nuisible qu’exercent les missionnaires contre l’administration par leur empire sur les Mangaréviens,
ces grands enfants amateurs de flafla, de pape (sic) à l’œil, de musique,
de chants et surtout d’histoires invraisemblables que les prêtres ne manquent pas de tirer de leur inépuisable sac pour sauver les âmes des fidèles
en haut et subtiliser divinement leurs biens en bas.
Signé. Dr Cassiau
Pour copie conforme
Le chef de cabinet »
76
Rikitea :
Deux dernières décennies
d’écoles missionnaires
(1887-1904)
Préambule
Q. - Par qui les îles qui composent l’archipel des Gambier
furent-elles découvertes ?
Réponses.
D’après une version, elles auraient été découvertes en 1797 par le
capitaine anglais Wilson, commandant le. Duff, et qui, ayant à bord les missionnaires protestants, aurait donné à ces îles le nom du chef de la Mission.
D’après Moerenhout, Wilson aurait donné à ces îles le nom de
-
-
l’amiral Gambier
D’après le Dr A. Lesson, Wilson ne fit que côtoyer les îles et se considéra comme le « découvreur » de ces terres aperçues et signalées déjà par
-
Fernandez en 1572, et par Quiros en l606. Par reconnaissance, il donna le
nom de Gambier à ces nouvelles terres en l’honneur de l’amiral
son
Gambier,
protecteur et le principal instigateur de son envoi dans ces îles.
Q. - quelle est la date de la première occupation des îles
Gambier par la France ?
R. - Le 16 février 1844, le capitaine de Vaisseau Pénaud, comman-
dant la frégate La Charte déclarait ces îles placées sous le protectorat de
i
bulletin da lev Société de& ètude& Océan
Q.-
la France. Elles ont été définitivement annexées au mois de mars 1881. (N.
d. R. : fictivement en 1881, et réellement en 1887)
Quelles sont les îles qui composent l’archipel ?
R. - Il est formé d’un groupe de dix îlots désigné sous le nom de
Mangareva, et dont les quatre principaux: Mangareva, Taravai, Akamaru
et Aukena sont seuls habités94.
Remarques
Ces îles, évangélisées dès 1834 par les Picpuciens, ont eu des écoles.
Comme les pasteurs protestants, les missionnaires catholiques considèrent l’école comme un processus pour préparer l’évangélisation. Un frère
picpucien s’y distingue longtemps, Fr. Urbain, de son nom de baptême :
Alphonse de Florit de Latour de Clamouze (1794-1868). Ce Lozérien a
rendu de grands services à la jeune mission des Gambier. Il a été l’homme
de l’enseignement ; on lui doit un Vocabulaire de la langue de Mangareva ; il tenait à ce qu’on parle français dans son école.
Dans beaucoup de colonies françaises, jusqu’aux élections de 1877,
qui confirment le succès des « Républicains », les régimes politiques français s’abstiennent de stratégie anticléricale. Paris fait admettre aux Missionnaires sa vision des deux fonctions précises qu’il distingue dans les
activités du clergé dans la Colonie :
a) - une fonction de service public : aumônerie des personnes
d’origine métropolitaine (militaires, fonctionnaires), institutions scohires, sanitaires et sociales pour lesquelles les Missionnaires doivent être
aidés et financés par l'administration coloniale ;
b) - une fonction d’évangélisation à proprement parler, pour
laquelle l’Etat français refuse de s’estimer concerné : entière responsabilité, de planification et de financement, de Rome.
On observe parfois quelque divergence, opposition entre Administrateurs
94
Géographie physique et politique des EFO, F.V. Picquenot. Ed. Challamel, Paris, 1900. M. Picquenot est
administrateur des Marquises en 1903.
78
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
et Missionnaires, mais aussi, souvent, une certaine collaboration entre
des Gouverneurs et des Missions qui, somme toute, bon an, mal an,
constituent des auxiliaires efficaces de l’Etat dans les tâches de service
public ou dans la réalisation d’un objectif de civilisation.
Ainsi en est-il dans l’Océanie. Cependant, de graves différends ont surgi
entre Papeete et la Mission des Gambier. Des accusations, des rumeurs -
partiellement calomnieuses ?- parviennent aux oreilles des gouverneurs,
et des rapports s’accumulent dans des dossiers, dénonçant, entre autres,
les « dérapages de pouvoir » du Père Laval. L’enquête du capitaine de la
Motte Rouge en 1870 s’approche de la vérité, mais ne suffit pas à restaurer l’objectivité du regard des fonctionnaires de Papeete sur cet archipel.
Des Frères aux Gambier ?
Les Frères de Papeete commencent à s’intéresser aux des Gambier
une douzaine d’années avant la fin du XDC1 siècle. Ils caressent,
durant plus
de 10 ans, un projet qui, singulièrement, agrée autant l’administration
qu’eux-mêmes ; avec des motivations différentes, cela va sans dire. Une
lettre de Ploërmel résume ainsi, en 1889, le point de vue du Frère Allain :
«
Si nous avions, dit en substance Fr. Main, un autre établissement
dans quelque archipel, nous aurions là une possibilité de changement
d’air et de délassement salutaire95. »
Le même Frère Main, nommé directeur principal en 1890, revient
à la charge en 1894 :
«
[...] Donnez-nous au moins 3 ou 4 autres Frères pour fonder un
autre établissement. Notre congrégation est bien la seule à laisser
s’épuiser 5 de ses enfants dévoués, sans leur donner la consolation de
pouvoir jamais trouver une autre communauté pour changer d’air96. »
La fermeture/laïcisation de l’école de Mataiea en 1887 a produit cette
conséquence-là.
95
(Archives Ecole des Frères PPT) édf p. 322 ; Fr. Yriez ou Fr. Juvénal, 28.10.1889.
96
A. FIC Rome Monographie, Fr. Rulon p.77.
79
bulletin de /a Société des, études Océaniennes
Vu de Ploërmel, le statut des Frères dans les E.F.O. en 1887 et 1888
est déconcertant. Papeete vient de décréter en 1882
la laïcisation du personnel enseignant, à l’instigation de personnes bien connues de Papeete
(Viénot par exemple97) et de Paris (Ministres des Colonies Jauréguiberry
autres.) Or, aucun texte législatif français ne le
décrète avant 1886. La loi Goblet du 30 octobre, stipule en son article 18 :
Aucune nomination nouvelle, soit d’instituteur, soit d’institutrice
congréganiste, ne sera faite dans les départements où fonctionnera
depuis quatre ans une Ecole normale, soit d’instituteurs, soit d’institutrices, en conformité avec l’article 1er de la loi du 9 août 1879- »
Ce qui n’est assurément pas le cas dans les E.F.O. !
La toute récente laïcisation de Mataiea, au processus si embrouillé
et tortueux, confirme l’orientation « anti-congrégations » prise par la
colonie en 1882. Or, Ploërmel reçoit de Paris, cette année-là, une
et Georges Cloué entre
«
demande de Frères pour les Gambier, répercutée à Tahiti par le Journal
Officiel :
Le Sous-Secrétaire d’Etat au Ministère de la Marine et des Colonies,
à M. le Gouverneur des E.F.O.:
M. le Gouverneur,
[...] Je demande au Supérieur Général des Frères de Ploërmel de désigner deux de ses Frères pour être chargés de la direction de l’école
publique des garçons de Rikitea. J’insiste conformément au désir que
exprimé, pour que l’un de ses instituteurs soit choisi parmi
les membres de la Corporation pouvant donner un enseignement pro-
vous en avez
fessionnel.
Eugène Etienne98
Cf Etudes mennaisiennes n°26. Fr. Le Port, p.125-126. -. « Il est évident qu'une influence occulte agit
qui domine le service de l'instruction publique, se plaçant au-dessus du gouverneur lui-même. » Inspecteur Salles, 5 avril 1903 CAOM, Cart. 64, Q 3 ; situation créée depuis longtemps.
97
98J.O. EFO du 10.11.1887.
80
N°315/3l6 - Janvier/Juin 2009
C’est l’époque, il faut le rappeler, où Papeete obtient du Grand
Conseil des Gambier, le 28 juin 1887, l’abrogation de la législation spédale connue sous le nom de Code mangarévien, (déjà retouché, « francisé » par Chessé en 1881.) Un progrès pour Papeete.
Et pour les Gambier ? Pas sûr, à en croire ce qu’écrit le Père Ferrier.
«
Alors que M. Ambroise Millaud venait d’être nommé Administrateur
p.i. le 29 mai, un dîner fut servi pour ceux qui adhéraient aux désirs de
M. Lacascade, gouverneur ; un seul chef, par crainte, nullement par
conviction, demanda l’abrogation du code mangarévien et l’appÜcation des lois françaises. Aussi reçut-il une médaille d’or quelques mois
plus tard. Les trois autres chefs ne reçurent aucune récompense à cause
de leur silence. »
Paris en félicite le gouverneur Lacascade, et, si cela peut contribuer
à amadouer les habitants de cet archipel (en majorité catholiques) qui
consentent enfin à s’intégrer dans les E.F.O., et qui ont demandé des Frères
sept années consécutives, feint d’oublier les grands principes laïcisants de
l’époque, qu’on ne manquera pas de brandir à nouveau avant peu.
A Ploërmel, on tente raison garder.
«
Voici 5 longs mois que 2 Frères (brevetés) attendent le départ d’un
bâtiment pour Tahiti, et nous ne sommes pas plus avancés que le 1er
jour. La Compagnie Tandonnet (Bordeaux) nous a fait promesse sur
promesse, mais l’exécution n’arrive jamais. [...]- La nouvelle de la laïcisation de Papeuriri (Mataiea) a failli brouiller toutes les cartes par
ici ; on ne voulait plus vous envoyer les 2 Frères qui vous étaient des-
tinés ; un moment, la balance a penché pour l’abandon de la mission.
J’ai tenu bon, et les 2 Frères vous sont toujours destinés.
C’est dans le même moment que le Ministre demande 2 Frères pour les
Gambier. Elle tombait mal, cette demande ; un non catégorique, basé
sur la nouvelle laïcisation de Papeuriri, en a été la réponse. Mais chose
surprenante, le Ministre est revenu à la charge et il insiste. Nous n’avons
pas encore répondu à la nouvelle demande, mais le Conseil, suivant
votre avis du 12 août,
99
penche pour le maintien de son refus". »
édf PPT p. 307 ; Fr. Yriez au Fr.Juvénal 1" .12.1887.
81
Œu/lctw de la t Société de*s &Uide& 0itceanL€fuie&
Nouvelle lettre de Ploërmel deux mois plus tard :
[...] C’est vrai, le Ministre nous a demandé des Frères pour les Gambier. Mais comme cette demande nous arrivait presque en même temps
«
que la nouvelle de la laïcisation de Papeuriri, le Rév. Frère (supérieur
général) a refusé net100. »
Un mois plus tard, Ploërmel maintient sa position.
«
Le Ministre a demandé 2 Frères, par 2 fois. Nous avons répondu à la
première : ‘que n’ayant plus d’attache officielle à Tahiti, ce n’était pas
la peine de recommencer pour 2 malheureux Frères qui, sous peu,
seraient aussi jetés à la rue comme les autres.’ Le Ministre a insisté de
nouveau ;
mais le Ministère ayant été renversé dans l’intervalle, nous en
sommes restés là. »
Autre courrier de Ploërmel :
«
Venons-en aux Gambier. Comme vous l’aviez annoncé, le Ministre
s’est enfin décidé à nous demander pour la 3ème fois 2 Frères pour ces
îles. Comme c’était au moment où 15 jeunes Frères partaient pour le
service militaire, nous répondîmes que si l’on voulait bien en exempter 2, nous les enverrions aux Gambier. La réponse se fit attendre ; ce
fut un non catégorique. Il n’y a donc pas heu d’en parler101. »
Six mois plus tard, à la veille de 1890, Fr. Yriez-Marie constate le
silence de Paris.
«
Pour le moment, l’affaire des Gambier est bien enterrée : le Gouver-
nement, qui incline de plus en plus vers la gauche radicale, n’oserait
déjà plus nous demander des Frères102. »
De fait, le Ministère s’est déchargé de cette question, en laissant l’initiative à Papeete.
100
édf p. 311, Fr. Yriez au Fr. Juvénal, 09.02.1888.
Ibid. p. 323, Fr. Yriez au Fr. Juvénal, 19.12.1889.
102
ML au Fr. Allain, 26.07.1890.
101
82
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Les Frères de Papeete sont-ils informés sur les Gambier ? Des anec-
dotes leur sont parvenues sur la rapide conversion à l’Evangile de cet
archipel éloigné de 1 600 km, sur l’épopée du Père Laval (1808-1880)103
et ses différends avec l’administration, sur la participation efficace d’une
équipe d’artisans venus de là-bas en 1855 pour construire la cathédrale
de Papeete. On n’ignore pas qu’un Mangarévien nommé Tiripone (Tryphon) a été ordonné prêtre vers 1870, et qu’on a fondé en cette île un
couvent pour des religieuses autochtones, dont certaines ont participé à
l’œuvre de l’enseignement. Comme le pensionnat de l’école des Frères
accueille quelques enfants de cet archipel, ils connaissent sûrement bien
d’autres choses.
Connaissent-ils, à Papeete, la réelle situation scolaire des Gambier ?
Selon François Vallaux, p. 99, le Père Vincent-Ferrier Janeau (1859-1944,
dont 58 années vécues aux Gambier), arrivé dans l’archipel en 1887,
«
avait une tournure d’esprit naturellement portée à l’enseignement.
Féru de linguistique, il deviendra un remarquable connaisseur de la
langue mangarévienne dont il favorise l’enseignement. »
Il est, avec le Père Hippolyte Roussel (1824-1898) et Kokieke Privato, un enseignant indigène, l’un des 3 instituteurs agréés et subvendonnés par la colonie en 1892 pour tenir l’école des garçons. Pour les
filles, les Soeurs d’origine locale, qui ne se recrutent plus depuis un certain temps, ont été, en 1892, relayées par trois dames de Saint-Joseph de
Cluny, envoyées de Papeete ; elles aussi, (les Sœurs Ludringer, Briens,
Mayer) sont reconnues et subventionnées par le pouvoir civil.
Ce nouvel engagement des Sœurs avait été sollicité en effet par Rikitea en 1891. A Papeete, Sœur Mélanie Misson avait reçu une lettre en
deux langues qui disait :
103
Prêtre SS. CC., né en Eure-et-Loir en 1808, décédé à Tahiti en 1880. Pionnier de la mission aux Gambier
où il débarqua le 07.08.1834. Avec le Père Caret, il tenta de prendre pied à Tahiti en 1836. Il fut aussi
pionnier du catholicisme aux îles Tuamotu en 1849. La christianisation rapide et spectaculaire des Gambier
fut son œuvre. A beaucoup écrit sur Mangareva et en langue mangarévienne. Un zèle de feu qui lui attira
tantôt des conseils de modération, tantôt des démêlés vifs, voire outranciers.
83
Madame la Supérieure,
Nous, soussignés, membres du Grand Conseil des Gambier, désirons
procurer aux jeunes filles mangaréviennes le bienfait inappréciable
d’une instruction solide jointe à une instruction vraiment chrétienne.
C’est pourquoi nous vous prions d’envoyer trois sœurs pour diriger
l’école des filles à Mangareva.
Celles-ci sont au nombre de trente à quarante, toutes sont pensionnaires. Les vivres pour les élever sont fournis par les parents.
Nous prenons l’engagement de payer la somme de trois mille six cents
francs pour le voyage d’arrivée des sœurs et les fournitures de classe,
de leur verser chaque année quatre mille cinq cents francs104.
Signatures : MarakianaMatemoko, Eutakio, Iutino, Petero Roapamoa.
La réponse n’a pas tardé :
J’ai l’honneur de vous accuser réception de la lettre que vous m’avez
écrite dans le courant du mois d’août.
Donc, Messieurs, dans cinq ou six mois, nous irons à Mangareva pour
soigner et instruire vos chers enfants et nous dévouer pour tout ce qui
concerne vos familles. (16 novembre 1891)105.
Instruction publique ?
A Papeete, depuis 1882, la frontière est précise entre écoles libres d’une
part, écoles publiques et instruction publique d’autre part ; il n’en va pas de
même dans les autres archipels, les « Etablissements secondaires » comme
on disait volontiers à
Papeete (Marquises et Gambier), où les choses sont
restées évasives. Ainsi sait-on qu’en 1884, deux ans après la laïcisation à
Papeete, des Frères sont demandés pour les Marquises, par le ministère
des Colonies, au supérieur général des Frères ? Et que, de 1887 à 1897, l’administration entretient avec la congrégation une correspondance en vue
d’envoyer des frères aux Gambier, comme on l’a vu ci-dessus ?...
,M
105
Archives des Sœurs St Joseph de Cluny à Papeete.
Ibid.
84
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
«
L’école de Hatiheu (Marquises) est publique, écrit le résident au
Père Siméon Delmas qui la dirige en 1891. Elle est inscrite sous
cette rubrique sur tous les contrôles administratifs, au budget, dans
l’Annuaire de la colonie. Elle a d’ailleurs les éléments constitutifs de
l’école publique. Le choix de l’instituteur placé à sa tête est soumis à
l’administration, agréé par elle. Il touche un traitement régulier, fixe,
et nominatif106. »
Le Résident Tautain, qui s’est beaucoup investi dans la scolarisation
de l’archipel marquisien, dans un long rapport adressé à Papeete, daté du
15.02.1896, recourt au titre « Instruction publique » pour évoquer les
(seules) écoles missionnaires de l’archipel. Mais l’année précédente, il a
écrit à M. Sarran, instituteur protestant à Puamau, qui lui avait adressé une
réclamation au sujet d’une suppression de subvention :
«
L’enseignement public n’a jamais été organisé aux Marquises. La colo-
nie vous a donné une subvention qui a varié comme chiffre, et qui a été
supprimée en conformité d’un voeu du Conseil (de Papeete) portant
qu’il n’y aurait pas plus d’une école par vallée (Discussion du budget
1894)‘°7.»
Ce flou peut évidemment embarrasser les Résidents, et ils ont à le gérer.
Y.Annuaire desE.F. O. utilise, sous la rubrique « Instruction publique »
tantôt l’étiquette Ecoles subventionnées, tantôt celle d’Ecoles du gouver-
nement, tantôt celles $Ecoles libres, sous lesquelles on lit le nom des écoles
missionnaires. Les étiquettes ont évolué, mais aucune décision administra-
tive, semble-t-il, n’a précédé ni sanctionné ces changements.
Selon un rapport du Conseil général des Gambier,
(7e séance,
30.11.96) :
compte à Rikitea 60 élèves (25 g. et 35 f. : encadrement quasi
pléthorique (2 Sœurs et 2 Pères), taux de scolarisation à peu près satisfaisant pour une population qui n’est plus que de 580 âmes, contre
«
on
2 141 en 1838. »
106
Arch, territ. de PPT Corresp. du Résident au Père ; Hatiheu 17.07.1891.
wlbid., corresp. Du R. à M. Sarran, 25.04.1895.
-
85
Où est donc le problème posé à l’administration ? L’expose assez
clairement ce rapport.
«
La commission propose, lit-on dans le compte-rendu, (sous le titre
Instruction Publique) de supprimer l’allocation de 3 024 fr. pour solde
du personnel de l’école des garçons, et de porter à 2 400 fr. l’indemnité
de 1 200 fr. à deux institutrices (école des filles) pour ce motif que la
première de ces deux écoles ne rend aucun service et que la seconde
accuse de réels progrès. Ces renseignements sont fournis par M. Lévy108,
représentant des Gambier, qui se dit en cette circonstance l’interprète de
la population de Mangareva, laquelle demande instamment que l’école
des garçons soit dirigée par les Sœurs de St-Joseph de Cluny.
M. Cardella exprima son étonnement, évoqua le souvenir de son
propre séjour aux Gambier en 1866 :
« Les Pères auraient-ils donc abandonné les méthodes
qui leur ont si
bien réussi aux Marquises et aux Tuamotu ? [... ] - « Il ne faut pas
confondre les Pères des Gambier avec ceux de Tahiti ou des Marquises.
[... ] Ils semblent s’attacher à rayer l’étude du français de leur programme. [...] »
rétorque M. Lévy.
Mise aux voix, la proposition est adoptée
à l’unanimité.
Sans doute a-t-il eu maille à partir avec la Mission, lui aussi, le négociant en nacres et perles qu’il est, M. Lévy ? - Selon M. Vallaux, le Père Ferrier ne pouvait être accusé de négligence ou de manque d’intérêt (pour
l’enseignement du français) ; tout au plus de divergence d’appréciation...
...
Le 31 août 1897, l’Agent spécial de Rikitea, M. Dormoy, informe
«
M. le Directeur de L’école des garçons qu’il vient de recevoir du gou-
verneur l’ordre suivant :
...
‘Vous devrez attendre de nouvelles ins-
tractions avant de mandater une somme quelconque pour l’année
courante aux missionnaires qui la dirigent.’
Par suite, j’ai l’honneur de vous faire connaître qu’à compter du 1er sep-
108
Emile Lévy (1859-1932) : « commerçant entreprenant et avisé. Pour les insulaires, écrit Vallaux p. 175,
mieux valait que le commerce de leur nacre et de leur perle fût entre les mains de quelque maison bien
assise chez eux que livré à des aventuriers de passage. »
86
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
tembre 1897, les indemnités payées au Directeur de ladite école, et au personnel placé sous ses ordres, sont supprimées jusqu’à nouvel ordre109. »
En 1897 justement, l’administration coloniale formule encore une
demande précise pour les Gambier auprès du Supérieur des Frères de
Papeete.
«
Le 20.12.1897, M. Gallet, directeur de l’intérieur, me demande (au
Fr. Main) des Frères pour cette île ; l’administration prendrait à bail
le local de la Mission et y ferait les réparations. Les Frères auraient 2
000 fr. plus 500 fr. par an pour indemnité
de voyage110. »
Après entente avec Mgr Verdier, le Frère Main Guitton, directeur
principal, demande au supérieur général d’envoyer quatre Frères pour
une fondation en l’île de Mangareva. Mais subsiste une ambiguïté : dans
l’esprit de Mgr Verdier, il va de soi que ce sera une « école publique »,
l’initiative étant venue de la plus haute autorité du Territoire. Le flou persiste jusqu’à l’arrivée des 4 Frères à Tahiti, le 11.11.1898. Le Conseil général, en sa cinquième séance du 30 novembre décide d’augmenter les frais
de personnel de l’instruction publique aux Gambier,
«
de les porter de 4 800 F à 7 400 F, répartis ainsi qu’il suit : école des
garçons 5000 F ; école des filles, 2400 F111. »
L’« air du temps » ayant évolué à Paris, et à Papeete M. Gallet étant
redevenu gouverneur (fonction qu’il avait déjà occupée en 1896), on ne
veut plus autre chose qu’une « école libre » ;
«
Le gouverneur, opine le Frère Main, par peur de Paris, ne voulut
pas leur donner une nomination officielle, mais les garder comme instituteurs libres payés. »
Les Frères restent donc à Papeete, et doivent payer les frais de voyage
que l’administration avait promis de prendre en charge. (1 780 piastres
chiliennes, soit 4 500 F français112.)
I0’
Archives de l'évêché de Papeete.
110
édf, p. 382.
111
J.0.EF0 du 22.12.1898.
1,2
édf, p. 388.
87
bulletin da la Société des* ètudaa &céanienne&
Ayant appris, en novembre 1898, le passage en son archipel de 4
Tahiti, Mgr Martin s’est lancé à leur poursuite, et est arrivé presque en même temps qu’eux à Papeete. Visites suc-
nouveaux Frères se rendant à
cessives au directeur général des Frères, au vicaire apostolique, au
gouverneur...
On comprend la joie qui déborde de sa lettre, écrite entre Tahiti et
les Marquises d’une calligraphie un peu lâche
(« le bateau n’est pas sage, j’écris comme je peux. ») - « Je viens de
Tahiti pour 2 choses surtout : pour démasquer l’espèce de persécution
dont nous sommes l’objet de la part de FAdministration locale depuis
un an.
Je n’ai rencontré à Tahiti que des sympathies. [...]
L'autre motif de mon voyage à Tahiti a été d’aller chercher des Frères
de Ploërmel pour tenir nos écoles de garçons. - Il y a 7 mois, M. le
Gouverneur m’avait promis de les placer lui-même par la voie du Jour-
nal Officiel, de leur donner un traitement fixe, de rendre en conséquence leurs écoles, écoles pubüques. Mais l’arrivée au Ministère de
3 Protestants, dont Freycinet, l’a fait reculer : il ne peut plus, sans se
compromettre, placer ces Frères à la tête d’écoles pubüques. On écrirait immédiatement à Paris, d’où on enverrait des laïques pour rem-
placer les Frères. [...] Comme le Gouverneur a promis que les Frères
auraient 2 000F. chacun, je les emmène. [...] ; 3 Frères pour 2 écoles:
Atuona et Puamau. Un autre Frère viendra prochainement113. »
Ces Frères, qui quittent le service d’une école libre pour aller ensei-
gner dans un établissement semi public peuvent-ils imaginer qu’ils en
reviendront dans 8 ans, expulsés de leur poste sous quelque prétexte, au
temps où plusieurs hauts fonctionnaires feront du zèle pour étendre aux
archipels « les bienfaits de la laïcisation de l’enseignement » ?
113
A. SS.CC., Rome, Mgr Martin au R. P. Bousquet, s. g., 09.12.1898.
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
«
Bousculer tout ça. »
A relire les pages de l’époque, on se convainc qu’en France, hormis
anticléricalisme et anticatholicisme, peu d’autres motivations animaient
les instigateurs des laïcisations. Le grand principe de « liberté de
conscience », que d’aucuns imaginent avoir été l’âme des laïcisations, il
faut tourner bien des pages pour le rencontrer chez les actants politiques
français des années 1877 à 1905... M. Jean Baubérot lui-même, qui a si
longtemps exprimé sa totale approbation des décisions laïcisantes de cette
époque, - qui harcelaient si peu les Egbses protestantes ! - vient à résipiscence quand il écrit en 2007 :
«
Les historiens et les juristes insistent maintenant sur la continuité
entre les dispositions mettant les congrégations hors du droit commun
de la loi sur les associations (1901) et la loi du 7 juillet 1904 interdisant l’enseignement aux dites congrégations. Cet ensemble apparaît dis-
criminatoire114. » (Souligné par l’auteur.)
Qu’en est-il aux Gambier ?
Depuis cinquante ans et plus, le pouvoir civil avait laissé aux rehgieux la charge de former la jeunesse, et, atténuée ou non par de
chiches subventions, celle d’entretenir les écoles. ‘Depuis que la France
a installé ici un Résident115, il allait de soi que ce représentant devait
«
être l’ennemi acharné des missionnaires’ écrit officiellement Cassiau au
gouverneur Henri Cor avec qui il est en confiance116. »
114
Relations Eglises et Autorités Indes savante, p. 13.
1.5
Dont le premier a été le prédécesseur de Cassiau, M. Merlin, qui sera ensuite administrateur des Mar-
quises, puis gouverneur de l'Indochine.
1.6
Vallaux, op. cit. p. 92.
89
U; Œul/etm de la Société de& toUides I rceaiuennea
A Papeete, le gouverneur p. i. Henri Cor117, ne manque pas d’en-
thousiasme, lui non plus, pour œuvrer aux laïcisations... Paris, il faut le
reconnaître, le stimule. La Circulaire parisienne datée du 14.02.03 est
ainsi rédigée :
«
La Chambre invite le Ministre des Colonies à laïciser tous les services
ainsi qu’à supprimer les emblèmes rehgieux dans les étabhssements
dépendants de son ministère. »
Le ministre des Colonies ajoutait :
«
Vous voudrez bien prendre les dispositions nécessaires pour substi-
tuer, aussi rapidement que possible, le personnel laïque au personnel
congréganiste. »
[On apprendra en 1922, avec bien du retard, par M. Jonnart, ambassadeur près le St Siège, une information fournie par une lettre du 20 juillet 1922 de M. le Président du Conseil (Poincaré) : ne sont applicables
Marquises (et dans les EFO), ni la loi sur le régime des Associations
(1901), ni la loi de 1904 (7 juillet) ordonnant la suppression des écoles
congréganistes (ni non plus donc la circulaire du 14 février 1903 qui l’a
précédée ?), ni la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905...
aux
Comment rétablir le Droit, les droits ?]
La première cible du processus déclenché au début du siècle par
Paris/Papeete est le lointain archipel... des Gambier. Fini le temps où
Papeete considérait que les « archipels éloignés » n’étaient pas préparés
à bénéficier des « progrès républicains ».
1,7
Henri Cor : Breton né à Questembert ; assura un long intérim à Papeete, de février 1904 à février!905.
Secrétaire général avant et après cet intérim. Aura à cœur d'appliquer plusieurs textes de lois de laïcisation. « Il s'y emploiera, (écrit Vallaux, p. 163), avec dilection, non sans mettre un brin de cautèle dans ses
rapports avec la hiérarchie. » Cf. lettre du 9 mai 1904.
90
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Dès avril 1904, le gouverneur p. i. entreprend l’œuvre des laïcisations
scolaires... Il adresse un courrier à la Supérieure de Papeete, Mère
Louise Barnay.
Papeete, 19 avril 1904.
J’ai l’honneur de vous faire connaître qu’en vue de répandre l’instruction laïque dans l’archipel des Gambier, je me propose de faire ouvrir
au commencement de l’année scolaire 1904-1905, conformément aux
instructions de M. le Ministre des Colonies, une école publique mixte118
au chef-lieu de cet
archipel.
Cette mesure aura pour conséquence d’entraîner la suppression, à partir
du 1er juillet 1904, de la subvention payée à Mme Ludringer (Sr Rosule),
directrice de l’école des filles de Rikitea, sur le pied de 2 400 fr. l’an.
Je n’ai point voulu opérer une semblable modification sans préalablement vous prévenir, et je vous serai très obügé d’en informer vousmême Mme Ludringer.
Veuillez agréer,119...
Le Gouverneur p.i., M. Cor, rend compte de son action, le 9 mai
1904, au ministre de la Marine Gaston Doumergue, par une lettre, qui
mérite d’être citée in extenso. Le lecteur attentif pourra s’y faire plusieurs
opinions...
«
J’ai l’honneur de vous rendre compte que, poursuivant dans la Colo-
nie l’oeuvre de la laïcisation des services publics120, j’ai, en conformité
des prescriptions de votre circulaire du 14 février 1903, prescrit les
mesures nécessaires en vue de la substitution d’un
personnel laïque au
personnel congréganiste, à l’école de Rikitea (Archipel des Gambier).
Cette école, tenue jusqu’à ce jour par les Soeurs de la Congrégation de
1.8
Arrêt du 27 juillet 1904 - Art 1". Une école publique laïque est instituée à Rikitea, île de Mangareva, archipel des Gambier. Noms des nouveaux enseignants : M. Ouetepabunui a îamatoa. Directeur, Mme Ouetepahunui a Tamotoa, institutrice.
1.9
Archives de l'archevêché de Papeete, (E 25-22-5).
,2G
« J'ai
procédé à la laïcisation de l'hôpital. » avait déjà annoncé la lettre du 29.02.04.
91
bulletin de la Société des études Océaniennes
St Joseph de Cluny, ne recevait dans ses classes que les seuls enfants diri-
gés par leurs parents et sous la férule des Pères Picpus, dans les idées
étroites d’un catholicisme militant, et excluait systématiquement toute la
fraction assez nombreuse de la jeune génération de l’Archipel ayant des
attaches à une autre confession, au protestantisme en particulier.
Préoccupées surtout de développer l’idée religieuse chez les enfants,
laissant, pour atteindre cet objectif, à la routine et au temps, le soin de
les suppléer dans leur rôle d’institutrices, dont elles devraient être uniquement soucieuses, les Soeurs de Rikitea n’ont jamais pu obtenir, on
le comprendra, qu’un assez médiocre résultat dans l’enseignement.
Il importait, pour toutes ces raisons, de laïciser au plus tôt, la principale école des Gambier.
Cette mesure aura le grand avantage de permettre à l’Administration
locale de combattre heureusement l’influence dominatrice des Pères Picpus, qui se fait sentir si lourdement sur la population de cet Archipel.
Elle n’occasionnera, d’autre part, aucune augmentation sensible de
dépense.
La laïcisation de l’école de Rikitea ne sera pas, dans cet ordre d’idées,
un fait
unique.
Je poursuivrai cette oeuvre dans les autres îles de nos Etablissements,
au fur et à mesure que nous le permettra la situation des finances
locales.
J’espère qu’avant peu toutes nos écoles deviendront, par la laïcisation,
des établissements d’enseignement public, ce qui permettra d’appliquer dans toute la Colonie l’obligation scolaire telle qu’elle est prévue
par les règlements, aux lieu et place de l’espèce de séquestration à
laquelle ont été soumis, sous l’influence néfaste des congréganistes, les
enfants de certains archipels, ceux-là précisément où la dépopulation
s’est produite de la façon la plus effrayante, par abaissement progrèssif du chiffre de la natalité.
J’aurai l’honneur, Monsieur le Ministre, de vous tenir au courant de
toutes les mesures que j’aurai prises à cette fin.
Signé : Henri Cor121.
121
Arch, territ.de Papeete ; Corresp. au Min. 1904.
92
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Le Docteur Cassiau, bien entendu, informe de son côté régulièrement Papeete. La lettre suivante présente assurément plusieurs intérêts.
«
Rikitea, 1er juin 1904.
J’ai eu l’honneur de vous parler incidemment dans une autre lettre de la
concurrence néfaste faite à notre école
laïque122 par celle du Père Ferrier
et celle des religieuses. Je crois la question de l’éducation aux Gambier
trop importante pour ne pas en faire l’objet d’une lettre express.
Notre institution communale comprend une vingtaine d’élèves, tous
protestants, pour la raison que je vous donne autre part.
L’enseignement se fait dans une pièce, tout juste assez spacieuse, et à
laquelle j’ai dû apporter des améliorations recommandées par l’hy-
giène moderne.
Je suis très sévère pour les absences non motivées et ai promis d’agir
encore plus sévèrement à l’égard des parents insouciants de l’instruction de leurs enfants. Dans les fréquentes visites que je fais, je stimule
le zèle des enfants en promettant des prix aux institutrices et en menaçant du cachot les indisciplinés et les paresseux.
Sur 18 élèves, je ne relève que 8 filles, toutes de Rikitea même, qui fréquentent notre école ; mais je ne dois pas manquer de vous dire que les
sœurs
accaparent toutes les autres fillettes des îles adjacentes, sans comp-
ter les fillettes catholiques (nombreuses) de cette île... Je dois recon-
naître que les sœurs ont, généralement, jusqu’ici, d’assez bonnes élèves ;
toutes les Mmangaréviennes qui parlent le français l’ont appris chez elles,
ainsi que les éléments de la couture. Si peu, malheureusement !
Je ne puis vous donner le nombre de pensionnaires dans leur école,
mais je suis certain qu’une quinzaine de garçons s’instruisent ( ?) chez
le Père Ferrier...
Donat123 a bien voulu se charger, depuis la création de notre école laïque
mixte, c’est-à-dire depuis peu de mois, de l’enseignement à Rikitea.
122
Singulier : avant l'ouverture officielle de l'école laïque (27 juillet 1904), l'Administrateur en avait déjà
ouvert une. - Qui fait concurrence à l'autre ?
123
Sans doute s'agit-il de Donat Mahana « fils de Français, 15 ans » qui faisait partie du groupe de jeunes
envoyé faire des études en France en 1863-1866, dont a parlé le BSEO n°294.
93
bulletin de ta Société des éludes Océanienne#
Malgré son dévouement et sa bonne volonté, j’ai le regret de dire que son
âge et le travail fatigant de ses fonctions de greffier, d’interprète (et d’infirmier actuellement) rendent la tâche au-dessus de ses forces124... »
Le 08.06.1904, l’administrateur F. Cassiau adresse à Papeete un
compte-rendu de son inspection à l’école des Soeurs à Rikitea, - qui
conclut ainsi :
«
Avant de me retirer, j’ai demandé à visiter les classes, que j’ai trou-
vées excessivement bien tenues ; de même pour le dortoir. »
-
Il leur a demandé de prouver qu’elles respectent les articles 4, 46
et suivants de l’arrêté du 28.07.96. Devant leur « réponse négative »,
il
leur annonce la fermeture de leur école et la suppression de la subvention.
Les Soeurs pouvaient être embarrassées par la question posée ; générâlement les enseignants, face à un inspecteur, attendent qu’il les informe de
qu’il a observé de positif ou de déficient dans leurs activités professionnelles...
ce
Mais, que contiennent ces articles ?
Art 4 - Nul ne peut exercer les fonctions d’enseignement dans les écoles
primaires publiques ou privées, s’il n’est Français, s’il ne remplit les
conditions d’âge fixées par le présent arrêté, s’il ne justifie de ses apti-
tudes par la production de l’un des titres prévus par les art 46 et suivants du présent acte ou par celle du diplôme de bachelier.
Provisoirement, les personnes pourvues du certificat d’étude primaire
pourront enseigner dans les écoles....
Et dans le premier arrêté (1887), on relève les conditions de dispense
du Brevet pour certains instituteurs, déjà engagés dans l’enseignement.J
Art 46 - Le brevet de capacité pour exercer la profession d’instituteur
primaire, public ou libre, portera le nom de brevet élémentaire.
M. Cassiau ignorait, semble-t-il, que l’article 4 prévoit des dispenses
provisoires à l’obligation d’avoir le brevet de capacité. D’autre part, ignorait-il aussi que le gouverneur, M. Petit, écrivant à Paris le 25.06.1902 au
124
Arch, territ. PPT, Corresp avec le gouverneur 1904.
94
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
sujet d’une nouvelle réglementation de l’enseignement, (restée dans les
cartons presque 10 ans) avait fait remarquer, qu’au sujet des
Ecoles privées, avec l’arrêté actuel, les instituteurs peuvent être dispensés de diplôme : le projet les soumet à la règle commune, directeurs
et adjoints ; toutefois, une mesure transitoire, arrêtée en 1887, est respectée, avec l’addition des 15 années écoulées depuis cet arrêté. J’ai,
en outre, avisé les intéressés
par circulaire spéciale, de la mesure qui
nous est proposée, afin qu’ils puissent, s’ils le
jugent convenable,
acquérir les titres voulus, ou faire venir de France des instituteurs diplômés avant la promulgation dans la Colonie du décret demandé.
On lit, vers la fin du même courrier, le constat objectif, dépas«
sionné :
«
Il n’a pas paru possible au Comité de l’Instruction Publique de ren-
dre le projet ci-annexé applicable aux Etablissements secondaires de
la Colonie, en raison des difficultés de communication et de recrutement des instituteurs125.
[...] »
L’autre école de Rikitea, dirigée par le Père Ferrier Janeau, est fer-
niée « le soir du même jour », mais pour un motif assez inattendu :
«
Attendu que M. Vincent Ferrier Janeau, missionnaire de la congréga-
tion des Sacrés-Cœurs, Directeur d’une école privée à Rikitea, îles Gam-
bier, a refusé de se soumettre à la surveillance des autorités
scolaires... »
L’arrêté du 01.07.04, fondé sur ce seul motif, décide la fermeture de
l’école et l’interdiction au Père d’enseigner dans les E.F.O
Cette imputation (refus de se soumettre), la victime la conteste avec
la fermeté qu’inspire une injustice. - Le Père a donné une tout autre version des faits :
«
M. Cassiau vint me demander mon brevet en présence du Père Cèles-
tin. Je lui déclare que je n’en ai pas ; il me dit : ‘Vous saurez que votre
école est fermée. Après la publication de l’arrêté126 divulguant un faux
motif : lettre de protestation adressée au gouverneur - ‘Ces propos,
125
126
Arch, territ. PPT, corresp. du gouv. au min., 25.06.1902).
J0 local du 7 juillet 1904.
95
')^É ÇfouMetin de ta Société de& études Océaniennes
vous les avez
tenus127...’ c’est, en substance, ce que me répondait M.
Cor. - ‘Mais sans preuve ni témoin, tandis que moi j’en avais un : le Père
Célestin. Inertie administrative? Quelque raison profondément ancrée
en
l’esprit du gouverneur p. i. ? On n’élucida pas les faits128. »
Selon François Vallaux,
«
le Gouverneur p.i. Henri Cor, avait confié à l’administrateur des Gam-
bier le soin de mettre au pas la mission et de fermer les écoles confes-
sionnelles.
...
Tâche dont s’acquitta avec zèle Fernand Cassiau,
théosophe et franc-maçon129. »
Bien oubliées, ou inopérantes, les bonnes opinions si favorables
qu’on entendait exprimer au Conseil Général, le 30.11.96, sur l’école
tenue par les Sœurs...
Arrêt du 27 juillet 1904 (JO28juillet 1904.)
Art 1er - Une école publique laïque est instituée à Rikitea, île de Man-
gareva, archipel des Gambier. - Pas de nomination de titulaires dans
cet Arrêt.
Le 17 septembre 1904, au Ministère des Colonies on s’inquiète : le
Directeur des Affaires d’Asie, d’Amérique et d’Océanie, informé peut-être
de quelque dérapage, adresse un courrier - « personnel » - au Secrétariat général, au sujet des Gambier.
.Les textes réglementant, en France, le statut des congrégations et
de l’enseignement privé, [...] ne sont point faits pour des pays neufs
«
..
où les questions se posent d’une manière beaucoup plus simple et peuvent recevoir des solutions
127
«
J'ai donné des instructions à l'Administrateur pour notifier cet arrêté à l'intéressé en lui laissant qua-
rante huit heures pour s'y
« manu
128
129
plus rapides et plus complètes... »
conformer : passé ce délai, si c'est nécessaire, l'Administrateur fera procéder
militari » à la fermeture de l'école. » Cor, au Ministre, 20 juillet 1904. -Arch, territ. de Papeete.
Notes du P. Ferrier, archives SS CC. Rome.
Mangareva et les Gambiers\aMaux p. 161.
96
N ° 315/316 - Janvier/Juin 2009
Libre au lecteur de rêver aux admirables principes de liberté, d’éga-
lité, de fraternité, ou à d'autres aussi enthousiasmants, ce n’est pas ce
qu’on a vécu aux Gambier ni aux Marquises, en 1904. Quelques hauts
fonctionnaires de Papeete ou de Paris y ont refait la « guerre des deux
France », qui a provoqué l’incompréhension dans l’esprit des insulaires,
et a généré, comme ailleurs, une certaine période de « désert en quelque
domaine. » A un système scolaire (adapté, limité ou borné selon le lecteur), enfin apprivoisé par les populations, - cette institution étrange venue
d’au-delà des mers... on a substitué
un néant scolaire, et fait renaître l’opinion qu’on peut se passer de l’école. De quelles compétences
administratives ont-ils fait preuve, nos zélés fonctionnaires ? Quels maîtrès qualifiés ont-ils substitués aux enseignant congréganites ?
-
«
...
Le vide créé par l'application brutale de mesures dont un prédéces-
seur de
Cor, nullement suspect de cléricalisme, avait demandé sans
succès qu’elles s’étalent sur quinze ans, fut difficilement comblé.
Un instituteur protestant et sa femme ont été chargés de l’éducation
des Mangaréviens des deux sexes », a écrit Ferrier dans ses notes...;
affectation sans doute transitoire, dont on ne trouve pas de traces dans
les archives de l’enseignement public ; indiscutablement une mesure de
combat, car les protestants, actuellement (1994) au nombre d’une
vingtaine pour l’ensemble de l’archipel, devaient y être encore plus
rares à l’époque. » (Mangareva et les Gambier. F. Vallaux. ETAG
1994 p. 100.)
Plus flagrante, la catastrophe scolaire aux Marquises, second fruit
des mêmes interventions administratives, parce que constatée en deux
longs rapports établis par un Inspecteur de l’enseignement envoyé de
Paris en 1914 et en 1922.
«
Sur ce point (Instruction Publique aux Marquises), la faillite est
si complète qu’elle pourrait être qualifiée de banqueroute. [... ] »
Après la relève assurée quelques années de manière satisfaisante, est
venue la débandade.
«
Bref, le résultat est qu’il n’y a plus d’écoles aux Marquises, [souligné
97
Œa/lelin de- la Société des- études- Océan
dans le rapport]... Les enfants de moins de 15 ans ne savent ni ne
comprennent un mot de français, l’administration négligeant de leur
envoyer des maîtres. Voilà le progrès. »
Pour y remédier, l’Administration « devra recruter de bons instituteurs,
les payer, et leur assurer une existence acceptable. [...] »
(Rapport fait par M. Revel, Inspecteur de lère classe des Colonies
le
01.04.14. Archives territoriales de Papeete. )
concernant la vérification du Service du gouverneur M. Fawtier Signé
«
[...] Une expérience de près de 20 ans démontre l’impuissance de
l’Administration à assurer l’enseignement aux Marquises où les vieillards et les hommes d’âge mûr parlent seuls le français. L’instruction
officielle a fait faillite, faute de maîtres sachant s’adapter aux conditions d’existence. [... ] Sans parti pris, l’idée se fait jour d’utiliser les
qui peuvent se présenter avec la garantie de la connaissance
du pays et des indigènes. Les Missionnaires du Vicariat apostolique des
concours
Marquises, ceux du Vicariat de Tahiti et les Religieuses de la Congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny d’une part, les Missions
évangéliques d’autre part, pourraient être autorisés à ouvrir, sous le
contrôle de l’administration, des écoles qui seraient subventionnées
par le budget local soit par une allocation forfaitaire annuelle, soit proportionnellement au nombre d’élèves qu’ils recevraient. [... ] »
(Mission d’inspection de 1922 dirigée par l’Inspecteur des Colonies
de lère classe Revel.
-
Observations de l’Inspecteur général sur le Rapport
fait par l’Inspecteur adjoint Coste des Colonies concernant la vérification
du Service de M. Chevolot, chef du Service. Signé le 22.01.1922 .Archives
territoriales de Papeete)
Une école publique digne de ce nom ne parviendra dans ces « Archi-
pels éloignés » que plus tard, des décennies plus tard, quand Papeete
décidera d’y mettra les moyens pour en faire une institution au service des
populations.
Fr. Joseph Le Port
98
Les Gambier,
un
archipel à la végétation
naturelle relictuelle et à la
flore patrimoniale menacée
Un archipel d’îles, d’îlots et de motii au sein
d’un unique lagon
L’archipel des Gambier fait partie de la commune des Gambier qui
comprend également 8 atolls (Temoe à l’est, Tenararo, Vahanga, Tenarunga, Matureivavao (les Actéon), Maria est, Marutea sud et Morane à
l’ouest). Il est situé à près de 1700 km au sud-est de Tahiti. Dans la présente contribution, la désignation géographique des Gambier fera toujours référence au groupe d’îles hautes et aux motu coralliens associés
au sein du même lagon, à l’exclusion des différents atolls de la commune.
L’archipel a probablement été peuplé lors des migrations polynésiennes
après J.C. (Conte & Kirch, 2005). H a été redécouvert par les navigateurs européens, le 23 mai 1797, en l’occurrence par le capitaineJames Wilson
sur le navire Duff qui participait à l’implantation missionnaire en Océanie. Ce
navire n’a pas touché terre, il a juste croisé Temoe (Crescent Island) et longé les
côtes est et nord de l’archipel qu’il a nommé Gambier du nom de l’amiral qui a
parrainé l’expédition, le plus haut sommet de Me, le Mont Auorotini, devenant
le Mont Duff (Wilson, 1799)- Il est néanmoins probable qu’un pirate britannique, Edwards Davis, ait aperçu Temoe et les Gambier dès 1687 (Emory, 1939)
vers 900
•
ti,
bulletin c/c /a Société c/es- études- Océaniennes
L’archipel des Gambier possède une superficie terrestre de plus de
25,5 km2 (Dupon & Sodter, 1993 ; SAU, 2004). Le Tableau 1 présente le
détail des superficies et altitudes maximales des différentes îles et îlots de
l’archipel. Il faut remarquer quelques écarts dans les estimations de la
superficie de certaines îles et notamment de Mangareva. Dans le cadre de
la réalisation de la carte de végétation de l’île de Mangareva, la superficie calculée par le système d’information géographique (SIG) est très voisine de 14 km2, ce qui correspond bien aux données fournies par le
Service de l’Aménagement et de l’Urbanisme (SAU).
Tableau 1 : Superficies et altitudes des îles et îlots composant l'archipel des Gambier
Ile
Mangareva
Taravai
Akamaru
Aukena
Agakauitai
Kamaka
Dupon & Sodter, 1993
Altitude (m)
Superficie (km2)
Superficie (ha)
1392,1 +0,6
495,0 + 1,2 + 0,1
441
14
441
256
5,3
250
2,1
1,35
246
2
246
198
1,5
0,7
198
0,5
0,2
0,075
0,07
0,065
166
-
-
environ 0,5
plus de 150 m
-
-
Mekiro
-
-
Manui
-
-
-
-
SAU, 2004
Altitude (m)
15,4
5,7
Makaroa
Makapu
Brousse & Guille, 1974
Superficie (km2)
139
136
58
54
65
Motu Teiku
Kouaku
Tekava
Tauna
Gaioio
Pohue
Tarauru Roa
Totegegie
Vaiatekeue
196,0
141,0
74,4+1,8
46,5
16,7
7,2
8,2
4,4
1,5
1,0+ 3,6
8,3
0,6+ 0,4
7,7
3,2+ 0,1
16,2+7,4
88,9
6,1
( 16 motu)
Puaumu
12,5
19,5
8,1
Tepapuri
Teavaone
Tenoko
Archipel
0,4
25,5
441
-
441
2571
N.B. : pour les superficies tirées du Plan Général d'Aménagement (SAU, 2004 ; Eric Poinsignon, comm. pers.
2008), lorsque plusieurs îlots composent une même entité, le signe + est indiqué entre chaque superficie
(exemple de 2 îlots de 1,2 et 0,1 ha et de l'île principale de 495 ha pour l'entité de Taravai).
La langue mangarévienne, apparentée à la langue marquisienne, est parlée dans l'archipel (Lemaître &
Tryon, 1993). Deux dictionnaires de cette langue ont été rédigés (Tregear, 1899 ; Congrégation des Sacrés
cœurs, 1908).
100
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Une végétation très dégradée
La flore de l’archipel des Gambier est connue à travers plusieurs des-
criptions d’explorateurs ou de naturalistes dès la fin du XVIIL siècle ainsi
que par des études botaniques plus poussées, essentiellement à partir des
années 1930. Les principales récoltes botaniques et descriptions de la
végétation sont présentées ci-dessous, dans l’ordre chronologique de
leurs réalisations, afin de comparer les appréciations des différents
auteurs et de tenter de suivre l’évolution de la végétation.
Tradition orale
Peter Buck (1938) rapporte que la pauvreté de la flore observée en
1934 est soulignée par la tradition orale mangarévienne. En effet, cette
dernière indique que lorsque Mangareva fut peuplée pour la première
fois, elle ne comportait aucun arbre du bord de mer jusqu’au pied des
collines, et que les arbres et les plantes alimentaires cultivées ont été introduites ultérieurement par Tupa, un grand voyageur mythique. Le Koueriki
(Terminalia glabrata var. koariki), arbre considéré comme endémique
des Gambier par les botanistes, aurait ainsi été introduit de cette façon,
tout comme l’arbre à pain et le cocotier. Dans le même ordre
d’idées,
plus de 50 espèces sont aujourd’hui considérées par les botanistes
comme avoir été introduites par les premiers Mangaréviens.
Wilson 1797
A partir de son navire le Duff, le capitaine Wilson, qui redécouvre
l’archipel, donne la description suivante :
«
L’île principale et celles qui l’entourent (...) présentent un paysage
romantique, sauvage et dénudé : les vallées, néanmoins, apparaissent
couvertes d’arbres, mais de quelles espèces, nous ne pouvons pas le
percevoir, bien que certains aient semble-t-il distingués des cocotiers
(...). Le sommet des collines jusqu’à mi hauteur est en grande partie
recouvert d’une herbe brûlée par le soleil ; et à certains endroits, il y
a
des zones de sol rougeâtre comme sur les pentes moyennes de
Tahiti. » (Wilson, 1799).
101
bulletin de lev Société de& études> Gcéa/iieuncS'
Beechey 1825-1826
Les premières récoltes et observations botaniques des Gambier furent
réalisées lors du passage du navire H.M.S. Blossom, commandé par FrederickW. Beechey du 29 décembre 1825 au 13 janvier 1826 (Beechey, 1831 ;
St. John 1988). Les récoltes furent effectuées par le naturaliste G.T. Lay et le
chirurgien A. Collie. Elles furent étudiées et rapportées par W.J. Hooker et G.A.
Walker-Amott dans leur ouvrage traitant des découvertes botaniques réalisées
à l’occasion du voyage du Blossom (Hooker & Walker-Arnott, 1830-41).
Dans sa narration de l’expédition, Beechey (1831) mentionne 25 espèces
dont 10 indigènes, 14 introductions polynésiennes et 1 introduction
moderne. Cette dernière, la pastèque (Citrullus lanatus), citée sous le nom
water-melon, est étonnante si tôt aux Gambier et pourrait consister en une
mauvaise identification de la gourde (lagenaria siceraria) qui présente des
fruits immatures relativement semblables. Une seconde possibilité est le passage d’un autre navire avant Beechey mais cela semble improbable car les
Mangaréviens ne gardaient que le souvenir de voiles à l’horizon qu’ils prenaient pour des esprits (Dumont d’Urville, 1843).
Beechey décrit par ailleurs succinctement la végétation en indiquant
que la plaine littorale de Mangareva est couverte d’une forêt d’arbres à
pain et de cocotiers. Il constate également qu’il n’y a pas apparemment
de trace récente de feux et que les îles sont couvertes de verdure, et pour
la plus grande partie, d’arbres. Il note :
Les productions sauvages consistent en l’herbe dense Saccharum
fatuum qui couvre les parties de la montagne négligées ou trop pentues pour la mise en culture. »
«
Moerenhout 1834
Le négociant, armateur et ethnographe Jacques-Antoine Moerenhout,
séjourna aux Gambier du 6 au 14 février 1834. Il visita différentes îles,
décrivit très rapidement la végétation et donna une courte Este des principales plantes alimentaires ou utilitaires, soit 17 espèces dont 4 indigènes, 12 introductions polynésiennes et 1 introduction moderne, cette
dernière étant le melon d’eau dont il tient apparemment la présence de
Beechey (Moerenhout, 1837).
102
N°315/316-janvier/juin 2009
Moerenhout se cantonne, en 1834, à la description de la végétation
des plaines et des vallées qu’il indique bien entretenues et plantées de
cocotiers et d’arbres à pain :
« La
végétation y est, en tout, pareille à celle des îles de la Société, mais
moins riche et moins variée. L’arbre à pain, ni aucun des autres arbres,
n’y atteignent le même développement ; et Vanté, dont les habitants
font leurs étoffes, joli arbre à O-taïti, n’est, aux îles Gambier, quoiqu’on
l’y cultive avec soin, qu’un petit arbrisseau, à tiges sans branches, et
rarement de plus d’un pouce et demi de diamètre. D’ailleurs, à l’ex-
ception du fruit à pain et des noix de cocos, les fruits et végétaux y sont
peu cultivés. »
Laval 1834-1871
Les pères Honoré Laval et François Caret, tous deux missionnaires
catholiques de la congrégation des Sacrés Cœurs (Picpus) sont arrivés aux
Gambier en vue d’évangélisation le 7 août 1834 sur le navire Le Péruvien
(Laval, 1938 Lesson, 1845). Le père Laval a, par ailleurs, séjourné dans
l’archipel jusqu’en 1871, date à laquelle il a été rappelé à Tahiti. L’arrivée de la mission entraîna évidemment l’introduction d’un grand nombre
d’espèces végétales et animales. Grâce aux talents d’ethnographes du père
Laval, un grand nombre d’informations relatives à la flore de l’archipel ont
pu nous parvenir, tant sur les espèces présentes que sur leurs utilisations
(Laval, 1938).
Ce sont ainsi 47 espèces qui sont citées avec leurs noms mangaréviens dont 14 indigènes, 21 introductions polynésiennes et 12 introductions modernes. Il faut ici remarquer la citation de la pastèque (Citrullus
lanatus) qui peut être considérée avec confiance (la gourde Lagenaria
siceraria étant également citée), et l’absence du Toa (Casuarina eqnisetifolia) à l’arrivée des missionnaires. Le Kava (Piper methysticwri)
était également présent.
Le père Laval a également donné plusieurs descriptions de la végétation. Ainsi, lorsqu’il découvre les Gambier, il note :
,
Vues de la mer, nos montagnes volcaniques, recouvertes de roseaux
ondulants jusqu’à la cime, puis à leurs pieds, ces cocotiers qui sur«
plombent comme des parasols une étroite bande de verdure, offrent le
103
Çûuüelitt de- la Société des- études 0.ceariie/uies
tableau le plus pittoresque. Aussitôt que l’on met pied à terre on franchit un boulevard de Hibiscus tiliaceus, de Pandanus odoratissimus,
deMiro (Thespesiapopulnea), deKoueriki (Terminaliasp.), quia
toute la majesté de nos chênes, de Rama
(Aleurites moluccana), de
‘Utu (Barringtonia) aux larges feuilles, de Tamanu (Calophyllum
inophyllum) dont la jolie fleur blanche rivalise pour l’odeur avec la
violette, de Gatae (Erythrina sp.) à la branche épineuse et à la fleur
écarlate. Une fois ce boulevard franchit, on entre sous les ombrages
des arbres à pain et des bananiers, où quelques rayons de soleil pénètrent çà et là. »
Au sein du texte d’une légende, il insère la description suivante :
«
Si, parcourant ces montagnes, vous jetez un regard à droite ou à
gauche, vous n’y verrez que de pâles roseaux, des fougères mêlées à la
végétation et aux herbes sèches ; dans le lointain vous ne distinguerez
que des cratères à terre rouge. (...) Si vos yeux se dirigent vers le pied
de la colline, vous verrez avec plaisir se dérouler sur le bord de la mer
une bande plus ou moins large de verdure éternelle qui vous incite à
laisser ces hauteurs brûlées du soleil pour venir goûter la fraîcheur de
ces bosquets chargés de fruits. »
Enfin, il discourre sur les feux et leurs conséquences :
Les incendies appelés vera étaient le plus souvent involontaires, mais
parfois c’est intentionnellement qu’un pêcheur les allumait afin de
s’éclairer pour attraper du poisson. J’ai vu des incendies qui avaient
balayé en moins d’une heure toute une grande étendue de la montagne.
Il n’y avait pas de lois répressives pour empêcher ces ravages. Le feu
est actif dans les roseaux et parmi les fougères à moitié sèches, surtout
si le vent est fort et prend la montagne de côté. C’est sans doute à la fréquence des incendies que l'on doit attribuer le peu de bois qu’il y a sur
les montagnes de cet archipel. Autrefois ces îles étaient, dit on, beaucoup
plus boisées. L’arbre à pain poussait là où je ne vois que des fougères. »
«
Dumont d’Urville 1838
L’amiral Jules-Sébastien-César Dumont d’Urville, commandant de
YAstrolabe, séjourna aux Gambier du 3 au 15 août 1838 avec La Zélée
commandée par le capitaine Charles-Hector Jacquinot (Dumont d’Urville,
1843 ; Lesson, 1845). Des échantillons botaniques ont été récoltés lors
104
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
de ce séjour par Dumont d’Urville qui herborise à plusieurs reprises en
notant les noms locaux mais également par Honoré Jacquinot,
chirurgien
et zoologiste de la Zélée, Jacques-Bernard Hombron, chirurgien et natu-
raliste de l'Astrolabe qui gravit le Mont Duff, et Jacques-Marie Guillou dit
«
Le Guillou », ancien matelot déserteur arrivé à Mangareva en 1830 et
pilote de YAstrolabe à son arrivée (Drake, 1893 ; Florence et al., 2007).
A noter que Le Guillou est toujours présent au passage de Lesson en 1840
et qu’il y décède vraisemblablement en 1876.
Ce sont 46 plantes à fleurs qui sont notées et/ou récoltées à l’occasion de cette expédition, dont 18 espèces indigènes et notamment Dodonaea viscosa
jamais revu depuis, 21 introductions polynésiennes et 7
introductions modernes (Dumont d’Urville, 1843 ; Drake, 1893). Lapremière mauvaise herbe est citée avec Bidens pilosa qui semble avoir été
introduite involontairement à l’occasion du séjour de Beechey. Il faut
remarquer que le coton cultivé sur l’île serait issu d’un seul pied trouvé
en
montagne et qu’il pourrait s’agir de l’espèce indigène Gossypium hir-
sutam var. taitense aujourd’hui disparue plutôt que l’introduite Gossy-
pium barbadense. Dumont d’Urville insiste enfin sur l’absence du Kava
(Piper methysticum) aux Gambier alors qu’il était pourtant bien présent
initialement (Laval, 1938). Il faut probablement voir ici l'impact de l’évangébsation qui a très rapidement proscrit l’usage et la culture de cette
espèce indispensable aux cultes mangaréviens d’autrefois.
Il donne ensuite les descriptions de plusieurs îles et notamment de
Aukena:
«
Nous suivîmes la bande du nord en marchant sur le bord de la mer,
le long de petits sentiers ombragés contre les ardeurs du soleil. Là, je
retrouvais avec joie ces beaux arbres de la zone équinoxiale que j’avais
jadis contemplés tout à mon aise, savoir le Cocotier, le Bananier, les
Pandanus, Artocarpus, Inocarpus, Aleurites, Broussonetia, Barringtonia, Thespesia, Hibiscus, etc. qui forment la base ordinaire de
ces forêts ; ainsi que les plantes herbacées qui sont leurs compagnes
habituelles. Du reste, il n’y a qu’une étroite lisière de terre ombragée
et susceptible de quelque culture. Dès qu’on s’écarte un peu du littorai, le terrain en pente assez rapide n’est plus couvert que de hautes
graminées appartenant aux genres Saccharum et Arundo dont les
103
i
bulletin do lev Société des étude® &tceamenne&
feuilles acérées sur les bords, risquent de vous lacérer les doigts, tandis qu’un soleil brûlant vous dévore. »
Relativement à Mangareva, il note :
«
La surface y est médiocrement boisée et les pâturages dominent. (...)
Déjà les chèvres y ont si bien prospéré que les missionnaires nous invitèrent à leur donner la chasse, car elles allaient quelques fois dans les
plantations des naturels. »
Lesson 1840
Le pharmacien de marine Pierre-Adolphe Lesson séjourne aux Gam-
hier sur le brig le Pylade du 12 au 21 août 1840 (Lesson, 1845). Il réalise de nombreuses observations botaniques, ethnologiques, voire
ethnobotaniques. Dans son ouvrage, ü cite 40 plantes à fleurs dont 15
indigènes, 23 introductions polynésiennes et 2 introductions modernes.
A noter que l’espèce de coton présente est quaüfiée de coton sauvage à
petite gousse, confirmant en cela la présence ancienne probable du cotonnier indigène Gossypium hirsutum var. taitense. Lesson cite également
le Casuarina qui n’avait pas été observé par Beechey (1831) et qui pourrait consister en une réintroduction récente par les missionnaires du fait
de l’emploi de son nom tahitien (Eto, Heto correspondant au tahitien
Ai to, tandis que Toa est l’ancien nom mangarévien). Par ailleurs, il
indique également qu’un nouveau cultivai’ d’arbre à pain a été introduit
par les Pères, un cultivar à graines.
Lesson décrit tout d’abord l’île de Akena, aujourd’hui Aukena :
«
Vue du mouillage, Aukena s’élève en un cône de médiocre hauteur
se terminant au sommet en une arête peu
large, tandis que ses flancs
forment des pentes assez roides, et couvertes d’une végétation abondante fournie par une seule espèce de plante le Saccharum fatuum.
L’effet produit par la teinte jaune uniforme de cette plante est loin d’être
agréable à l’œil quand on est placé à une certaine distance ; on pourrait croire que les sommets de la montagne sont nus et pelés, ou tout
au plus couverts d’un gazon dru, et vu de près on distingue aisément
la graminée qui prête un aspect fauve et triste à ces beux. (...). Au
reste, pas une plante étrangère, pas un arbuste, viennent se mêler à
cette canne à sucre qui croît sans partage, et couronne le sommet de
106
N°315/316 - Janvier/fuin 2009
l’île d’une calotte frangée sur les bords, en créant une première zone
végétale. Au point d’intersection, tranche une riche verdure foncée, forniant une écharpe gracieuse et comme une deuxième zone, car entre
elle et le bleu azuré de la mer, s’étend encore un étroit liséré d‘une
troisième végétation. Celle-ci peu étendue est éparse sur le rivage et va
joindre la mer. (...) Aux îles Mangareva, la flore est appauvrie, le sol
peu productif, les arbres nourriciers peu abondants. »
Il note par ailleurs, que l’île de Akamaru est la plus boisée. Enfin, il
indique également la récurrence d’épisodes de sécheresse et donc de
famine avec une régression de la végétation.
Il confirme aussi les écrits de Dumont d’Urville relatifs aux chèvres :
«
Les Européens y ont introduit quelques quadrupèdes domestiques,
les chèvres qui sont abandonnées à elles-mêmes et comme à l’état
sauvage (...).»
Cuzent1858
Le pharmacien de la marine Gilbert Cuzent a pu effectuer un séjour
aux Gambier du 8 au 24
juin 1858, sur la corvette Maputeo 1er qui s’y rendait pour récolter une cargaison de nacre et toucher ensuite Valparaiso
(Cuzent, 1870-71). Il visite essentiellement Mangareva et Aukena, donne
des descriptions succinctes de la végétation et cite également 27 espèces
dont 8 indigènes, 12 introductions polynésiennes et 7 introductions
modernes. Parmi ces dernières, figurent notamment les agrumes (orangers, bigaradiers et citronniers), le goyavier et le coton américain qu’il
décrit comme formant de « volumineux flocons ».
L’île de Mangareva lui apparaît
«
..
.si montueuse, qu’on ne trouve que les vallées de l’Est et de l’Ouest
qui soient susceptibles de culture. Il n’existe de végétation qu’à sa base,
et les arbres ne laissent à la mer qu’une grève étroite ...»
Il indique pour les 3 autres îles principales que « la végétation est
accumulée à leur base, et la terre végétale y est très rare ». Les plaines ht-
torales apparaissent plantées de cocotiers, d’arbres à pain et de pandanus tandis que
le Mont Duff est « dépouillé de terre végétale ». Les flancs
de ce dernier sont
«
arides, déchirés et parsemés, çà et là, de touffes d’une graminée
107
Œidleltn de lar Société des études Océan
(Erianthus floridulus), ou de tiges de Dracaena {TH ou Kit), dont
les feuilles servent de nourriture en même temps que d’abri aux nombreuses chèvres qui vivent en liberté sur ces sommets déserts. »
Les chèvres fréquentent également activement l’île de Aukena aux
monts « arides » :
«
De nombreuses chèvres vivent en liberté sur les montagnes, où elles
trouvent des graminées d’une belle venue. »
Seurat 1902-1905
Le naturaliste Léon-Gaston Seurat a mené des recherches diverses et
variées aux Gambier et dans les Tuamotu de 1902 à 1905 (Seurat, 2003).
Il était missionné par le Ministère des Colonies pour y étudier l’histoire
naturelle de l’huître perlière et a installé à Rikitea le laboratoire de zoo-
logie dépendant du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Il
détailla notamment la flore des Gambier et des atolls proches, en particuber ceux des Tuamotu de l’Est. Il compila par aiüeurs des noms mangaréviens de plantes ainsi que des dénominations scientifiques : un total
de 31 espèces sont citées (non compris un lichen), dont 13 indigènes, 14
introductions polynésiennes et 4 introductions modernes. Il donna également une description de la végétation des molu récifaux de l’archipel
et récolta quelques échantiüons botaniques (dont Boerhavia acutifolia
jamais revu depuis).
Agassiz 1905
Alexander Agassiz, commandant de YAlbatross, a mené une expédition océanographique et zoologique dans le Pacifique et notamment aux
Gambier où il est arrivé le 27 janvier 1905 (Agassiz, 1906). Il récolta 64
échantillons botaniques sur les motii récifaux et sur Mangareva. Tous ces
échantillons ont été vérifiés ou identifiés par St. John et sont repris dans
(St. John, 1988). Il s’agit essentiebement de plantes de basse
altitude, de mauvaises herbes ou d’espèces cultivées. Une liste de 58
espèces dont 18 indigènes, 15 introductions polynésiennes et 25 introductions modernes a été dressée à partir de ces récoltes.
ses travaux
108
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
Par ailleurs, Agassiz indique :
«
Il est intéressant de noter combien est pauvre la flore de l’archipel de
Mangareva en comparaison de celles des autres îles volcaniques plus
à l’Ouest que sont les Marquises, le Société ou certains atolls surélevés
de l’Ouest des Tuamotu. La végétation sur les îles du récif externe englo-
bant l’archipel consiste des arbustes de récif habituels du Pacifique :
Toumefortia, Miki miki (Pemphis acidula), 1eHuhu (Suriana maritima), Triumfettaprocumbens, et l’universel Scaevola koenigii tout
comme le Pandanus et le cocotier. Dans l’archipel des Gambier, les
forêts sont réduites à quelques bosquets s’étendant le long des petites
vallées drainant les pentes des éperons volcaniques. Je suis informé
que même durant les années 30 du siècle dernier, lorsque les missionnaires arrivèrent à Mangareva, les arbres étaient plus nombreux,
mais n’ont jamais atteint la luxuriance du développement qu’ils atteignent dans la Société ou aux îles Marquises. Aujourd’hui, à l’exception
des forêts déjà mentionnées et de quelques arbres ayant été introduits
pour la culture, les îles de l’archipel sont en grande partie densément
couvertes d’une espèce de canne ressemblant nettement à celle trouvée dans nos États du Sud. »
Whitney Expédition 1922
La Whitney Expedition de l’« American Museum of Natural History »
de New York a parcouru l’archipel du 26 avril au 10 mai 1922 pour
l’étude de son avifaune. Néanmoins, des récoltes botaniques ont été effectuées par les ornithologues E.H. Quayle et C.C. Curtis. La documentation
botanique (Florence, 1997 & 2004 ; Brown 1931 & 1935 ; Brown &
Brown 1931 ; Clyde Imada, corn. pers. 2007) et le travail de synthèse partiel de St John (1988) ont permis d’identifier 77 échantillons sur le minimum de 82 récoltés (dont 1 lichen). Parmi ces échantillons figurent 25
indigènes et notamment l’espèce endémique aujourd’hui apparemment
éteinte Pitchia mangarevensis à Taravai, 13 introductions polynésiennes
et 17 introductions modernes. A noter également la citation de Dianella
intermedia qui n’a jamais été revue depuis. Les îles visitées ont été Mangareva, Aukena, Akamaru, Taravai, Kamaka, Makaroa et apparenunent un
motu corallien situé à l’est de Akamaru (probablement Koauku).
109
bulletin de lev Société des Ôtudes (Océaniennes
Mangarevan Expedition 1934
La « Mangarevan Expedition » du Bishop Museum a parcouru tout
l’archipel en 1934, du 23 mai au 8 juin et le 27 juin. De très nombreuses
récoltes botaniques ont été effectuées à cette occasion par les botanistes
H. St John et R.F. Fosberg (St John, 1934 & 1988) ainsi qu’un relevé des
noms vernaculaires. Par ailleurs, des études ethnologiques et archéologiques ont également été menées sur une période de temps plus importante par Peter H. Buck et Kenneth P. Emory et ont permis de relever en
particulier des noms vernaculaires mangaréviens et des utilisations (Buck,
1938 ; Emory, 1939 & 1947).
683 échantillons d’herbier ont été récoltés par St. John (503) et Fosberg (180) dont plusieurs dizaines de mousses, lichens et hépatiques. A
elle seule, Mangareva présente 415 échantillons ; suivent 78 échantillons
àTaravai, 73 àAukena, 55 àAkamaru, 22 àAgakauitai, 12 àMakaroa, 12
à Tarauru roa, 10 à Tauna et 6 à Kamaka. Ce sont véritablement ces travaux qui ont établi la composition floristique de l’archipel et qui font
aujourd’hui encore référence. En 1988, la synthèse effectuée par St. John
établissait la flore primaire de l’archipel à 99 espèces dont 17 endémiques
de l'archipel ; à noter dans ce nombre, 9 espèces endémiques de Pandanus décrites par St. John qui sont aujourd’hui considérées comme
synonymes de l’indigène Pandanus tectorius var. tectorius. Il dénombrait également 65 adventices, 101 plantes ornementales cultivées et 68
plantes alimentaires.
L’ethnologue Buck (1939) demeura 70 jours aux Gambier en 1934,
assisté une partie du temps par Emory qui conduisit quant à lui l’inventaire archéologique de l’archipel mais également celui de Temoe, du 12
septembre au 5 novembre 1934. Buck mit bien en évidence les utilisations
des principales plantes alimentaires et releva également des noms de
terres et de beux comportant parfois des noms de plantes (Varovaro,
Karaka, Rega, Koporo, Purirau...). Emory réalisa avec St. John l’inventaire de la flore de Temoe et releva la quasi totalité des noms mangaréviens
des plantes de cet atoll (Emory, 1939)- Il consigna par ailleurs plusieurs
noms mangaréviens comme comparaison dans son travail sur les noms
vernaculairespa’umotu des plantes (Emory, 1947). Parmi les noms don-
110
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
nés par Buck, plusieurs n’ont pu être rapportés à une plante précise :
Konini kai (plante grimpante à la tige épaisse et dont l’extrémité charnue
était consommée), Potini kai (fougère à grandes frondes, dont les jeunes
frondes recourbées étaient consommées), Rautea (liseron du genre Ipomoea dont les
jeunes pousses sont consommées une fois cuites). Emory
(1947) rapproche quant à lui des noms du dictionnaire de certains
genres : Pukamaga de Pisonia grandis (cela pourrait convenir à Pisonia austro-orientalis ou à Hernandia nymphaeifolia), Oroga de Pipturns (auquel cas il serait aujourd’hui éteint aux Gambier).
Relativement à la végétation, Buck (1938) note :
Les côtés océans et lagons de la crête principale sont pentus et
rocheux et couverts d’un développement luxuriant de canne (Kaka’o).
«
Pendant la saison sèche, la canne devient très sèche et des feux fré-
quents balayent les versants. Dans les parties les plus larges des îles, de
courtes vallées présentent la plus grande partie des terres cultivables. »
Dans
sa
synthèse floristique sur les Gambier, St. John (1988)
indique :
«
En 1934, il était également observé que les pentes montagneuses
étaient déforestées pour leur plus grande partie, et densément couverte
par une grande herbeMiscanthusJhridulus (la canne de Agassiz) ou
par place par la fougère formant des fourrés, Dicmnopteris linearis. »
Il avait néanmoins décrit de façon assez catégorique l’état de la végétation de l’archipel dès son retour de l’expédition (St. John, 1935) :
«
Les îles Mangareva sont dévastées ; leur flore naturelle est plus exter-
minée que celle de n’importe quelle autre partie du monde que je
connaisse. »
Enfin, Fosberg a donné une description de la végétation de Mangaaprès son séjour dans l’archipel (Mueller Dombois & Fosberg,
1998). Il est par ailleurs le seul à avoir synthétisé ses observations en
types de végétation, ci-dessous présentés. A noter la citation de Halophila
des fonds du lagon de Mangareva.
reva bien
•
PENTES, PLATEAUX ET CRÊTES : ces parties des îles volcaniques
sont principalement couvertes par une dense et rude graminée, Mis-
canthusfloridulus, vert clair durant la saison humide, brun clair en
111
bulletin de la Société des- èludea Ôcétuii
saison sèche. Ce couvert herbacé est maintenu par de fréquents
incendies. Par place, des bosquets de l’herbe Panicum maximum
ou
des tapis de la fougère Dicranopteris linearis, cette dernière
recouvrant les lentilles d’érosion ou les zones très sévèrement brû-
lées. Davallia solida et Peperomia sp. sont communs sur les crêtes
où le Miscanthus est épars. Il y a également des mousses et des
hchens.
•
RAVINS : Dans certains ravins se développent des bouquets ou bos-
quets d’arbres, principalement Aleurites moluccana et Hibiscus
tiliaceus, dans des sites bénéficiant d’une certaine protection vis-àvis des feux.
•
FALAISES : Sur les falaises sont trouvées Nephrolepis sp. et Phy-
matosorus scolopendria. Lantana camara se développe au sein de
bouquets très visibles sous les reliquats de forêt naturelle et au-dessus d& Miscanthus. Sur certaines des crêtes élevées et à la base des
falaises les plus importantes du Mont Duff, se situent quelques petits
restes de forêt à Aleurites moluccana,
Sapindus saponaria, et
Hibiscus tiliaceus, avec des arbustes indigènes incluant Coprosma,
Aerva, Gouania, Abutilon et Wissadula (Malvaceae). Au pied des
falaises du Mont Duff subsiste une forêt à'Aleurites et Hibiscus tïlia-
de sous-bois. Pyrrosia et Davallia se développent en
épiphytes sur les arbres.
cens avec peu
•
BAS DE VERSANTS : Sur ces parties des îles, sont trouvées des zones
plates ou peu pentues, particulièrement à l’arrière des baies, couvertes par une forêt irrégulière d’espèces introduites, par exemple
Syzygium malaccensis, Ficusprolixa, Erythrina sp., et un bambou,
principalement plantés. Cocos, Artocarpus, Mangifera et d’autres
arbres aux productions comestibles ou utilitaires sont en mélange
avec des plantes ornementales ou des arbres littoraux comme Pandanus et Hibiscus tiliaceus. Musa et d’autres plantes de jardin sont
abondantes ici.
112
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
•
LITTORAL : La végétation de Pandanus tectorius, Pemphis ad-
dula, Suriana maritima, Tournefortia argentea, Guettarda spedosa et Scaevola taccada est irrégulièrement répartie sur le littoral
avec les herbacées
Triumfetta procumbens, Hedyotis romanzoffiensis, Boerhavia repens ou B. tetrandra, Lepidium bidentatum,
et Lepturus repens croissant dans les ouvertures en tant que couverture du sol. Cette végétation caractérise les pentes et le sommet des
plages des motn coralliens. Cassythafiliformis parasite abondamment la plupart des plantes plus petites. Les plantations de cocotiers
remplacent la plus grande partie de la végétation décrite ci-dessus et
se développent sur la plupart du bttoral et des arrières plages. Les
motu situés sur la barrière récifale ne diffèrent pas significativement
des atolls des Tuamotu de l’Est dans leur végétation et autres caractéristiques.
Huguenin 1966
Bernard Huguenin, botaniste et mycologue de l’ex-ORSTOM, a réabsé un inventaire de la flore de l’archipel en avril 1966. Ses prospections,
essentiellement sur Mangareva, ont permis de hster près de 250 espèces
vasculaires pour l’archipel, 41 indigènes dont 27% d’endémiques et plus
de 200 introductions (Huguenin, 1974).
Florence 1994
Jacques Florence, botaniste de l’IRD, a prospecté l’archipel au mini12 au 19 avril 1994 avec Michel Guérin et R. Tahuaitu. Malheureusement, toutes leurs récoltes n’étant pas étiquetées, seule une minorité
a pu être retracée (Florence, 1997 & 2004 ; Florence étal, 2007 ; Florence, corn, pers., 2008). Il donne également un état des beux quantitatif de la flore. Ainsi, la flore indigène comprend 83 espèces dont 7
endémiques archipélaires ; la flore secondaire est, quant à elle, composée de 47 espèces naturalisées, 83 adventices et 235 plantes cultivées
(Florence 2007).
Dans ce même document (2007), il réalise une note de synthèse sur
la végétation des différents archipels. Voici celle relative aux Gambier :
mum du
113
Çfyuflelin de Ut Société de& Sùu/e& 0tcea/uermcs/
«
Comme pour les Australes, en raison de la taille et de l’altitude
réduites, la flore et la végétation sont marquées par l’occupation
humaine ; la plus grande partie des pentes est couverte d’une savane à
Miscanthusfloridulus ou d’une lande IvDicmnopteris linearis. Toute
forêt indigène a disparu ; les fonds de vallons hébergent des bosquets à
Aleurites moluccana ou Melia azedarach ; le sous-bois est souvent
envahi par Coffea arabica ; avec des individus dispersés d’espèces indi-
gènes qui se réfugient aussi sur les falaises inaccessibles aux chèvres.
Des plantations de Gasuarina equisetifolia, Falcataria moluccana ou
Syzygium sp. ont été réalisées à Mangareva en vue de hmiter l’érosion,
mais aucune espèce indigène n’a pu se réinstaller. Ainsi la situation de
la flore indigène est celle qui, toutes proportions gardées, est la plus
inquiétante de toute la Polynésie française, puisque trois espèces endéiniques sur les dix connues, sont d’ores et déjà éteintes. Fitchia mangarevensis a disparu après 1920, Achyranthes mangarevica et
Lipocarpha mangarevica n’ont pas été retrouvées depuis 1934. »
Il est ici utile de noter que cette dernière espèce a été retrouvée
depuis.
Orliac 2001
En mai 2001, Michel Orliac, archéologue du CNRS, a mené une étude
d’un site subaquatique sur l’île de Mangareva (Orliac, 2003). De nombreux charbons datant du XIIè siècle ont été récoltés et identifiés par
Catherine OrUac. Ainsi, bien avant l’arrivée des Européens, la flore Uttoraie de Mangareva comprenait notamment les arbres suivants : Aleurites
moluccana, Calophyllum inophyllum, Gasuarina equisetifolia, Cocos
nucifera, Barringtonia asiatica, Guettarda speciosa etPandanus tectorius. La citation du Gasuarina est intéressante car cet arbre avait vrai-
semblablement disparu à l’arrivée des Européens.
Teamotuaitau 2008
Walter Teamotuaitau, naturaliste amateur averti, a séjourné du 27
mai au 3 juin à Mangareva (Teamotuaitau, corn. pers. 2008). Il a pu pros-
pecter l’île et y effectuer des observations importantes (Glochidion wil-
deri, Glochidion tuamotuense, Maytenus, Amorphophallus, Gouania,
114
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Alyxia, Cenchrus caliculatus. fleurs femelles de Pisonia austro-orientalis, Lipocarpha mangarevica, Byttneria aculeata, Wissadula périplocifolia, Premna, Bidenspilosaf. minor).
Taputuarai et Hembry 2008
Ravahere Taputuarai, consultant en phyto-écologie, et David Hembiy, étudiant en thèse sur le mutualisme Glochidion - insecte poflinisateur, ont prospecté l’île de Mangareva du 3 au 10 juin 2008. Ils ont
particulièrement recherché et récolté les arbustes du genre Glochidion,
dont 4 échantillons de G. wilderi (Taputuarai & Hembiy, corn. pers.
2009).
Butaud 2002, 2005, 2008
Jean-François Butaud, consultant en botanique et présent auteur de
cette contribution, a réalisé trois déplacements aux Gambier.
Le premier a eu heu les 22-23 et 29 octobre 2002 dans le cadre
d’une étude floristique aux îles Actéon, fruit de la collaboration du Service du Développement Rural (SDR) et de la Direction de l’Environnement (DIREN). Il a permis de gravir le Mont Duff et d’emprunter la
piste traversière de Rikitea à Kirimiro. Aucune récolte botanique n’a
été effectuée.
Le second déplacement s’est déroulé du 15 au 22 février 2005 et a
permis de prospecter en détail les falaises des Monts Duff et Mokoto à
Mangareva, et de visiter plus succinctement les autres îles hautes de
Aukena, Mekiro, Akamaru, Taravai et le motu Taraururoa et ses voisins
dont Po’ue. 42 échantillons ont été récoltés, représentant 38 espèces dont
29 indigènes, 5 introductions polynésiennes et 4 introductions modernes.
Le dernier déplacement s’est déroulé du 1 au 15 juillet 2008 sous
l’égide de la Direction de l’Environnement (DIREN) et de la Société d’Ornithologie de Polynésie « Manu ». Il a permis de prospecter en détail les
îles de Mangareva, Taravai, Kamaka, Makaroa, Manui et les motu Kouaku,
Tekava et Tauna. Un total de 78 échantillons d’herbier, représentant 63
espèces dont 45 indigènes, 2 introductions polynésiennes et 16 introductions modernes, a été récolté.
115
bulletin de la dociété des- études (Océanienne
Bilan
A travers l’ensemble de ces observations, il est possible de constater
l'exceptionnelle dégradation de la flore de l’archipel avec la quasi-disparition de toute formation végétale naturelle et l’extinction de plusieurs
espèces endémiques. Ces dégradations semblent s’être produites dès la
période polynésienne, probablement en raison de feux volontaires ou
non, de mises en culture ou de sécheresses récurrentes, puisque les premiers explorateurs européens citaient l’absence de forêt sur les parties
élevées des îles et la présence d’une mer de roseaux (Miscanthusfloridulus) et de fougères (Dicranopteris linearis). Puis ces destructions se
sont accrues avec l’arrivée des Européens, l’introduction d’animaux prédateurs de graines, de feuillages et d’oiseaux frugivores endémiques, et la
naturalisation de plantes envahissantes.
Une flore limitée mais néanmoins originale
La flore des Gambier comprend en 2008 un nombre minimum de
586 espèces (ou plutôt taxons afin de comprendre variétés et sous-
espèces) de plantes vasculaires (Tableau 2). Ce nombre est le résultat de
prospections mais également de l’analyse de la riche bibhographie et de l’interrogation de la population.
Parmi ces 586 espèces, 97 sont des indigènes au sens large (incluant
les endémiques) des Gambier tandis que 490 sont des introduites. La flore
primaire se compose donc de 97 espèces tandis que la flore secondaire
en compte plus de 5 fois plus, soit 83% de la flore totale.
nos propres
Au sein des 97 espèces indigènes au sens large (non introduites par
l’homme), 76 sont indigènes au sens strict (car retrouvées en dehors de
Polynésie orientale) et 21 sont au minimum endémiques de Polynésie
orientale dont 10 endémiques strictes à l’archipel. La flore des Gambier
compte ainsi un taux d’endémisme de Polynésie orientale (Iles Cook,
Polynésie française, Ile Pitcairn) de 22% tandis que les endémiques des
Gambier atteignent 10%. Il est probable que la révision taxonomique
116
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Tableau 2 : Statut et abondance des plantes vasculaires de l'archipel des Gambier
Statut
Indigènes
S.l.
Introduites
Endémisme ou Abondance
Nombre
Endémiques de PO
dont Endémiques de PF
dont Endémiques des Gambier
Indigène s.s.
Total indigène
21
Cultivées
287
15
10
76
97
Subspontanées
66
Adventices
41
Naturalisées
95
Total introduites
489
dont Introductions modernes
433
dont Introductions polynésiennes
56
Total Gambier
586
PF : Polynésie française ; PO : Polynésie orientale ; s.l. : sensu largo] s.s. : sensu stricto. Les endémiques
de PO comprennent les endémiques de PF, qui elles-mêmes, comprennent les endémiques des Gambier.
ultérieure de certains taxons (Metrosideros, Glochidion, Cyclophyllum,
Nesoluma) fasse augmenter ces taux d’endémisme.
Les 489 espèces introduites peuvent être subdivisées en deux groupes
selon leur origine dans l’île. Ainsi, 56 espèces, soit 11% des espèces intro-
duites, sont considérées comme étant des introductions polynésiennes
(Pol.), implantées aux Gambier par les Polynésiens à l’occasion de leurs
migrations, il y a plus de 1 000 ans. Les espèces restantes (433, soit 89%)
sont des introductions modernes (Mod.), apportées aux Gambier depuis
la redécouverte de la Polynésie par les Européens, soit près de 200 ans
auparavant.
Enfin, parmi l’ensemble des espèces introduites (Tableau 1), nous
pouvons distinguer les espèces cultivées (287), les espèces subspontanées ou subsistant sur le site de plantation (66), les adventices ou mauvaises herbes des cultures, jardins et bords de route (41) et les espèces
117
Çéul/etù» de la Société des études- Gtcea/uen/iest
naturalisées se disséminant dans un écosystème sans intervention humaine
(95). Ces dernières espèces peuvent, à l’occasion, poser des problèmes à
la conservation du milieu naturel mais également aux activités humaines ;
elles sont alors appelées espèces envahissantes ou nuisibles, voire mena-
çant la biodiversité quand elles sont classées réglementairement.
L’index de secondarisation (proportion d’espèces introduites) des
Gambier atteint 83% tandis que l’indice de secondarisation (espèces indi-
gènes/espèces naturahsées) est de 1. La proportion d’espèces introduites
aux Gambier apparaît ainsi très élevée du fait de la faiblesse de la flore primaire et des très nombreuses introductions, tandis que l’indice de secondarisation est très faible du fait d’un grand nombre d’espèces naturahsées.
Ainsi, en milieu naturel, pour une plante indigène identifiée, une plante
naturalisée aura été observée.
A titre de comparaison, l’île de Pitcairn qui fait partie du même archi-
pel géologique que les Gambier, compte près de 90 espèces mdigènes pour
une superficie voisine de 5,5 km2 et une altitude maximale de 347 m
(modifié d’après Kingston &Waldren, 2003). Ainsi, à superficie égale, l’île
de Pitcairn comprendrait 4 fois plus d’espèces que l’arcliipel des Gambier,
tout en ayant une altitude maximale inférieure de 100 m. Ces chiffres donnent ainsi une idée de l’état de dégradation des Gambier et du nombre
important d’espèces végétales aujourd’hui disparues de l’archipel.
Des taxons remarquables
La flore des Gambier comprend 13 espèces végétales protégées par
la réglementation (arrêtés 1300 CM du 30 août 2007 et 306 CM du 20
février 2008), chiffre important pour un si petit archipel et doté d’une
flore primaire comprenant moins de 100 espèces indigènes. En effet, 13%
des espèces indigènes des Gambier sont protégées, ce qui témoigne d’un
niveau de dégradation des milieux naturels élevé et d’une grande fragilité
des espèces indigènes et surtout endémiques subsistantes.
118
N°315/316 - Janvier/fuin 2009
Tableau 3 : Statut de conservation des espèces protégées des Gambier
Espèces
Statut d'indigénat
Iles / Stations / Individus
Abutilon mangarevicum
Endémique des Gambier
Endémique des Gambier
Endémique des Gambier
2/3/10-15
Endémique des Gambier
Indigène
Endémique des Gambier
Endémique de Polynésie
0
EX
0
EX
Statut UICN
proposé
Achyranthes mangarevica
Coprosma rapensis var.
mangarevica
Fitchia mangarevensis
Gossypium hirsutum var. taitense
Gouania mangarevica
Hibiscus australensis
CR
0
EX
1/1 /1
CR
1 /3/>100
EN
1 /1 / 10-15
CR
1 / 2 / > 200
VU
2/3/> 100
EN
1/1/3
CR
orientale
Lipocarpha mangarevica
Pilea sancti-johannis
Endémique des Gambier
Endémique des Gambier
et de Pitcairn
Pisonia austro-orientalis
Endémique des Gambier
Sophora mangarevaensis
Streblus pendulinus
Termina lia glabra ta var. koariki
Endémique des Gambier
Indigène
Endémique des Gambier
et de Pitcairn
1 /2/> 100
EN
1/1/2
CR
3/10-15/> 300
VU
et de Anaa
VU : vulnérable ; EN : menacé d'extinction ; CR : en danger critique d'extinction ; EX : éteint aux Gambier
Le Tableau 3 présente le statut de conservation de ces 13 espèces
protégées. Parmi celles-là, trois n’ont pu être retrouvées. Les nombres
d’îles, de stations et d’individus indiqués correspondent aux observations
récentes et ne font pas référence aux observations historiques. Enfin, un
statut UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) est
proposé pour chacune des espèces à l’aune de son abondance et de sa
dynamique dans le seul archipel des Gambier.
Il faut noter que 7 des 10 espèces subsistantes sont présentes au
niveau des falaises et bas de falaise des Monts Mokoto et Duff sur Man-
gareva, ce qui indique l’intérêt patrimonial de ces sites de superficie restreinte. Par ailleurs, ces sites consistent souvent des seules stations
connues des différentes
espèces protégées (Coprosma, Gouania, Lipocarpha, Pisonia, Streblus).
Les espèces présumées éteintes sont les arbustes Achyranthes mangarevica non revu à Mangareva depuis 1934, Fitcbia mangarevensis
uniquement observé en 1922 et Gossypium hirsutum var. taitense qui
avait été domestiqué par les missionnaires dès les années 1830 à partir
d’un pied localisé en montagne à Mangareva et qui n’a jamais été récolté
par les botanistes.
119
bulletin de la Société das études 0icea/iiefi/icdi
D’autres espèces remarquables non protégées mériteraient égale-
la mesure où elles sont sur le point
de disparaître de l’archipel. Il s’agit par exemple de l’arbre indigène Nesoment une attention particulière dans
lima polynesicum var. glabrum dont seuls 2 individus sont connus de
Kamaka, l’espèce nouvelle Kadua sp. nov. dont 4 pieds sont réfugiés sur
les falaises du Mont Duff à Mangareva, la fougère apparemment nouvelle
Cheilanthes sp. nov. se développant sur la falaise du Mont Mokoto à Mangareva, l’arbre endémique de Niau et des Gambier Glochidion tuamotueuse non retrouvé à Taravai et
identifié pour la première fois à
Mangareva (Walter Teamotuaitau, comm. pers. 2008), l’arbre indigène
Sapindus saponaria bien connu sous le nom de Koku’u aux Marquises
et restreint à de petites populations relictuelles sur les îles de Mangareva
et Kamaka, et la liane méconnue Ipomoea tiliacea var. merremioides
endémique des Marquises et identifiée à Mangareva dans la station de
Sapindus précédemment citée.
Il faut donc considérer que la plus grande partie de ces espèces
endémiques et/ou protégées est en sursis aux Gambier et que des actions
de conservation des espaces ou des espèces sont primordiales pour assurer leur pérennité.
De nombreuses causes de dégradations
La dégradation de la végétation de l’archipel des Gambier qui a été
mise en évidence par les différents naturalistes précités résulte de diffé-
directs et indiexceptionnels.
rents facteurs. Peuvent y être décelés des impacts humains
rects ainsi que des phénomènes climatiques
Impacts humains directs
L’arrivée des premiers mangaréviens a résulté en des défrichements
préalables à l’installation et à la mise en culture. Ces défrichements ont
notamment été réalisés par brûlis ; il est par ailleurs probable que des
incendies involontaires se soient produits et que ce soient ces derniers qui
120
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
soient principalement responsables de la disparition des zones forestières.
Par ailleurs, des espèces végétales de la forêt naturelle ont été également
exploitées de façon ciblée pour subvenir aux besoins alimentaires, utilitaires ou médicinaux. Ces impacts se sont par ailleurs accrus depuis le
contact et la redécouverte européenne.
Cette installation a donc conduit à une diminution des surfaces de forêt
naturelle mais également à la raréfaction de certaines espèces végétales.
Impacts humains indirects
L’arrivée de l’homme a conduit également en l’introduction de nombreuses espèces animales et végétales. Relativement aux espèces végé-
taies, ces introductions ont contribué à complètement modifier le paysage
de l’archipel avec, généralement, une concurrence accrue et le remplacernent de la flore indigène par la flore introduite plus compétitive. Il est
ainsi possible de noter que les Gambier comptent aujourd’hui 14 espèces
classées comme menaçant la biodiversité de Polynésie française (Tableau
4) par l’arrêté 65 CM du 23 janvier 2006. Certaines de ces espèces sont
aujourd’hui omniprésentes dans le paysage de l’archipel comme l’herbacéeMelinis minutiflora qui se développe même sur les îlots ou le Falcata (Falcataria moluccand) qui a été introduit pour fixer et enrichir les
sols mais qui aujourd’hui se naturalise.
Tableau 4 : Statut et abondance des 14 espèces classées envahissantes des Gambier
Espèce
Nom
Statut
Abondance
Eugenia uniflora
Cerise
Nat.
Assez rare
Falcataria moluccana
Falcata
Nat.
Commun
Flemingia strobilifera
Queue de chevrette
Cuit.
Rare
Kalanchoe pinnata
Kalanchoé
Nat.
Assez commun
Lantana camara
Taralcoa
Nat.
Assez commun
Leucaena leucocephala
Acacia
Nat.
Assez commun
Melinis minutiflora
Mélinis
Nat.
Commun
Mimosa diplotricha
Sensitive géante
Nat.
Rare
Passiflora maliformis
Parapatini
Nat.
Assez commun
Psidium cattleianum
Tuvava kinito
Subsp.
Rare
Rubus rosifolius
Framboisier
Nat.
Assez commun
Spathodea campanulata
Syzygium cumini
Syzygium jambos
Pisse-pisse
Subsp.
Rare
Pitate
Nat.
Commun
Pomme-rose
Nat.
Rare
121
i
ÇÈid/clin de la Société des éludes (Océanietmcs
L’introduction et la subséquente naturalisation d’animaux sont éga-
lement sources de perturbation de la forêt naturelle. En effet, les rats
introduits par les Polynésiens (Rattus exulans) et les Européens (Rattus rattus) sont des prédateurs de semences d’espèces locales mais peu-
les branches en saison sèche (Meyer & Butaud,
2009). L’impact des chèvres férales et des bœufs n’est également plus à
vent également écorcer
démontrer avec l’éradication de zones forestières et d’espèces végétales
particulièrement appétantes. Ces animaux contribuent par ailleurs grandement à l’érosion des sols du fait du surpâturage.
Enfin, l’extinction d’oiseaux frugivores disséminant les graines d’espèces à fruits charnus est également la cause de disparition de la flore
indigène et endémique. En effet, plusieurs pigeons appartenant aux genres
Ptilinopus (les pigeons verts), Ducula (les carpophages) et Gallicolumba (les gafficolombes) fréquentaient l’archipels autrefois et ont probablement été victimes de la chasse par l’homme (ossements trouvés sur
des lieux d’habitations par les archéologues) mais également de la prédation des œufs et des poussins aux nids par les rats.
Phénomène climatique exceptionnel
Des sécheresses longues et récurrentes apparaissent régulièrement
dans la tradition orale mangarévienne. Ce phénomène exceptionnel qu’est
la sécheresse a probablement dû avoir un impact plus important sur des
petites îles peu élevées et très isolées que sur d’autres îles plus grandes
et élevées comme les Marquises ou les îles de la Société. Ces périodes
sèches ont certainement dû atteindre la végétation locale avec la raréfaction ou la disparition de certaines espèces particulièrement sensibles.
Elles ont surtout probablement fragilisé la végétation naturelle qui est
devenue plus sensible aux impacts humains comme l’exploitation (par
défaut de régénération) ou l’incendie (inflammabilité accrue). Cet impact
de la sécheresse est par ailleurs aujourd’hui très discuté pour expliquer
la disparition de la forêt de l’île de Pâques (Orliac & Orliac, 2008).
A la lumière des descriptions passées, de la flore actuelle et des
causes de
dégradation, il apparaît possible de résumer succinctement
l’histoire de la végétation des Gambier :
122
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
•
Epoque pré-polynésienne (avant900 aprèsJ.G.) :
Iles couvertes d’une végétation à dominante forestière, du niveau de
la mer jusqu’au sommet des montagnes. Présence de 110 à 130 espèces
indigènes dont 10 à 20 endémiques de l’archipel.
•
Epoque polynésienne (entre 900 aprèsJ. C. et 1797) :
Arrivée des Polynésiens et introduction de 60 espèces végétales ali-
mentaires, médicinales ou utilitaires, de la poule, du rat polynésien, du
chien et du cochon. Défrichage à la main et par le feu des plaines httoraies et des basses pentes fertiles et plantations d’espèces alimentaires.
Régression de la forêt naturelle aux pentes les plus fortes et en altitude dans un premier temps.
Phénomènes récurrents de sécheresse entraînant des feux plus
importants éradiquant les forêts naturelles de la plupart des îles et augmentant la pression humaine sur les rehques forestières ; concentration
des cultures alimentaires aux sites les plus humides, disparition de plantâtions d’arbre à pain et d’autres espèces des basses pentes ; sol à nu et
érodé du fait des feux.
Disparition de 10 à 20 plantes indigènes ou endémiques et de plusieurs oiseaux frugivores.
Végétation des îles schématisée sous la forme de 3 cordons : littoraux
rehques de végétation littorale, plaines aux cultures alimentaires et
versants aux fourrés de roseaux et fougères.
aux
•
Epoque historique (entre 1797 et 1970) :
Arrivée des Européens et introduction de plus de 200 espèces végé-
taies dont de nombreuses ornementales, du rat noir, du chat, de la chèvre et du bœuf.
Perpétuation des feux, accroissement de l’érosion du fait du surpâturage herbivore, disparition du couvert végétal arborescent naturel et
raréfaction du couvert herbacée. Développement de forêts secondaires.
Disparition des plantations alimentaires des hauteurs et diversification des cultures dans les plaines.
Disparition de 10 à 20 plantes indigènes ou endémiques et de plusieurs oiseaux frugivores.
123
j j j lj Œulletin de la Société des Stades> Océaniennes^
•
Epoque moderne (depuis 1970) :
Introduction de près de 200 espèces végétales, essentiellement des
ornementales.
Eradication par le service forestier des chèvres et des bœufs des prin-
cipales îles afin de lutter contre l’érosion (réintroduction de ces animaux
durant les années 1980-90).
Plantations forestières par le service forestier et les Mangaréviens
dans les années 1970 et 1980, Pinus caribaea, Falcataria moluccana et
Casuarina equisetifolia, et naturalisation de ces espèces depuis.
Raréfaction des zones érodées, progression des forêts secondaires.
Raréfaction de la flore locale, sans nécessairement de disparition.
Cartographie de la végétation de Pile de Mangareva
Les formations végétales de Mangareva ont été étudiées par l’inter-
médiaire de la description de la végétation sur des points d’arrêt dans
différents types de milieu. La photo-interprétation des photographies satellites récentes a permis ensuite de tracer les contours des formations végétaies les plus remarquables. En effet, même si sur le terrain il était possible
de distinguer des formations élémentaires, elles n’ont pas pu toutes être
visualisées sur les photos satellites. Aussi, nous nous limiterons à la car-
tographie et à la présentation des principales formations végétales de
Mangareva tout en détaillant le cas échéant dans le texte la variabilité présente au sein de chacune d’entre elles. Les formations végétales trouvées
sur les autres îles de l’archipel sont identiques ou très proches de celles
trouvées sur Mangareva, à l’exception des formations sur motu coralhens et, dans une certaine mesure, des forêts de Koueriki (Terminalia
glabrata var. koariki) de Kamaka.
Sont présentées dans le Tableau 5, les différentes formations végétales
reconnues sur l’île de Mangareva avec les superficies qu’elles occupent.
124
M hjlon\«br«/
Fom\citioQ/ Sttorale/
Forêt/ naturelle/ et Pruticée/ de Palaî/e
|; ; ; • ; ;| Forrnafcion/ n\élarigéo/ Pruitière/
I ' ' 'I Forrriation/ à Kjbi/cu/ tiSaceu/
WH Foret/ de Poux-pt/tad^er/
Zoqe/ herbacée/
Zoqe/ artiPiriai/ée/
| Plar\tdtlpnr Pore/tière/ et régénération
Carte Mangareva
■BR8
p bulletin de la Société des buides ucéaniefines
Tableau 5 : Formations végétales de Mangareva
Types de végétation
Surface (ha)
Proportion (%)
Végétation littorale
88
6.3
Forêts naturelles diverses
16
1.1
Fruticées de falaise
13
0.9
Formations
Forêts denses d'Hibiscus tiliaceus
72
5.1
forestières
Forêts denses de pistachiers
31
2.2
secondarisées
Forêts mélangées fruitières
118
8.5
Zones herbacées
Zones herbacées basses
48
3.4
Zones herbacées hautes
99
7.1
96
6.9
373
26.7
forestières issues
Village et habitations
Forêts de Casuarina equisetifolia
Plantations de pins des Caraïbes
122
8.7
de plantations
Forêts de Falcataria moluccana
323
23.9
1399
100
Formations végétales
Formations naturelles
Zones artificialisées
Formations
Mangareva
La carte de végétation de Mangareva est, quant à elle, présentée en
Carte 1. Les surfaces présentées dans le tableau précédent ont été calcu-
lées à partir du Système d’information Géographique (SIG), surface glob^de de l’île y compris. Pour des raisons de lisibilité, certaines formations
végétales ont été bisionnées sur la carte : forêts naturelles et fruticées,
zones herbacées hautes et basses, forêts de Casuarina, de Pinus et de
Falcataria.
L’île de Mangareva apparaît donc comme très largement seconda-
risée avec moins de 9% de formations qui peuvent être considérées
comme naturelles. A
contrario, les plantations forestières et la natura-
bsation ultérieure des espèces les constituant (Pins, Aito/Toa et Falcata)
60% de l’île aujourd’hui. Il faut néanmoins noter que
plantations ont été réabsées aux dépens des zones érodées et des
herbacées, autrement dit des landes à fougères ou à Kaka’o/Miscanthus
floridulus, qui sont ebes mêmes issues de la dégradation des formations
couvrent près de
ces
naturebes.
Par aiheurs, ü s’agit seulement de la réabsation de la première carte
de végétation dans l’archipel des Gambier. Les formations végétales rehctuehes sont à rapprocher de cebes des Australes avec notamment des fruticées bien développées sur les falaises fraîches.
126
Abutilon mangarevicum Fleur 13 Munui Gambier
Nesoluma sp. Fruit 3 Kamaka Gambier
Çfoulletin de la Société des éludes (Océaniennes
Formations naturelles
Les formations naturelles résiduelles de Mangareva correspondent
aux milieux les moins
dégradés. Elles peuvent être considérées comme
largement secondaries mais il a été choisi de les individualiser du fait
de la présence non négügeable d’espèces indigènes remarquables ou
endémiques.
•
VÉGÉTATION LITTORALE : la végétation Uttorale indiquée sur la
carte comprend des formations assez modifiées par l’homme mais
qui comportent à la fois des espèces et une morphologie proche de
ce qui est supposé être naturel. Cette végétation couvre un peu plus
de 6% de l’île et consiste en une bande plus ou moins étroite le long
du lagon. Les espèces principales sont les arbres Hibiscus tiliaceus,
Thespesia populnea et Pandanus tectorius, les lianes Golubrina
asiatica, Ipomoea littoralis, Ipomoea pes-caprae et Canavalia
sericea, les herbacées Fimbristylis cymosa, Lepturus repens et Paspalum vaginatum et la fougère Microsorum grossum.
•
FORÊTS NATURELLES DIVERSES : ce type de végétation regroupe
tous les sites non littoraux, à l’exception des falaises, qui comportent
des espèces et des lambeaux de végétation patrimoniale. Il n’occupe
qu’un peu plus de 1% de la surface de l’île, soit environ 16 hectares.
Il s’agit à la fois des bas de falaises du sud des monts Mokoto et Duff
mais également de lambeaux de forêt au nord et au nord-ouest du
mont Duff. Ces 4 sites contiennent la
quasi-totalité, avec les falaises,
de la flore indigène de Mangareva et il convient impérativement de
les ériger en aire protégée. Les espèces principales sont les arbres
Artocarpus altilis, Aleurites moluccana, Hibiscus tiliaceus, Melia
azedarach, Terminaliaglabrata, Pisonia austro-orientalis, Sapindus saponaria et Celtis pacifica, les arbustes Glochidion wilderi,
Goffea arabica, Alyxia stellata, Cyclophyllum barbatum, Psydrax
odorata, Maytenus vitiensis, Coprosma rapensis, Jossinia reinwardtiana etPremna serratifolia, les fougères Hypolepis tenuifolia,
Cyclosorus spp., Asplénium spp., Pyrosia repens, Nephrolepis spp.,
128
Sophora mangarevaensis
Fleurs
bulletin de/ lev Société de& études/ ûiceante/i/ies
Microsomm commutatum, Adiantum hispidulum
et Davallia
solida, l’orchidée Taeniophyllum fasciola et les lianes Ipomoea
indica, Ipomoea tiliacea, Gouania mangarevica, Byttneria aculeata et Golubrina asiatica.
•
FRUTICÉES DE FALAISE : Ces fruticées qui couvrent moins de 1%
de l’île sont situées au niveau des Monts Duff et Mokoto et consistent
en des falaises et vires mesurant de
5 m de haut à plus de 200 m
pour les plus hautes. Une végétation assez clairsemée s’y développe
mais comprend un grand nombre de plantes patrimoniales préser-
vées des dégradations éventuelles par leur inaccessibilité. Les espèces
principales sont les arbustes Metrosideros collina, Celtis pacifica,
Premna serratifolia, Maytenus vitiensis, Psydrax odorata, Jossi-
nia reinwardtiana, Strebluspendulinus, Sophora mangarevaensis et Glochidion wilderi, les arbrisseaux Pilea sancti-johannis et
Kadua sp. nov., les banes Ipomoea indica, Gouania mangarevica
et Jasminum didymum, les fougères Microsorum membranifo-
lium, Asplénium indusiatum, Cheilanthes sp. nov., Psilotum
nudum et Pyrosia serpens, les herbacées Peperomia blanda, Oplismenus hirtellus etLipocarpha mangarevica.
Il faut insister sur le fait que les deux derniers types de végétation
concentrent la quasi-totakté de la flore patrimoniale de l’île sur une super-
ficie très faible, moins de 30 ha, soit 2% de la superficie de l’île. Des
actions de conservation pertinentes (contrôle du caféier, clôture des sites
accessibles aux chèvres...) seraient à promouvoir pour assurer la protection et la gestion de ces sites vitaux pour la flore mangarévienne d’hier.
Formations forestières secondarisées
Ces formations forestières consistent en des développements assez
récents d’espèces introduites ou de {‘Hibiscus tiliaceus en recolonisation
de terres autrefois défrichées ou dénudées. Elles ne comprennent pas ou
peu d’espèces indigènes patrimoniales.
130
Vue sur falaise Mokoto
Mangareva
Vue sur Mokoto de l'Ouest
-
Mangareva Gambier
bulletin de la Société des ètade& Otccanie/mes
•
FORÊTS DENSES D'HIBISCUS TILIACEUS : ces forêts dense de ‘Au
couvrent un peu plus de 5% de l’île au niveau des bas de versant,
des plaines littorales ou de certains talwegs humides. Il s’agit essenbellement d’une recolonisation naturelle de terres aujourd’hui inutihsées mais exploitées par le passé, notamment pour l’élevage ou la
culture. L’espèce dominante est donc Hibiscus tiliaceus et le sousbois est essentiellement herbacé avec Oplismenus compositus.
•
FORÊTS DENSES DE PISTACHIER : le pistachier Syzygium cumini,
espèce envahissante, a été planté par le passé pour ses fruits cornestibles, essentiellement en bord de sentier ou d’habitation. Il s’est
depuis naturalisé de proche en proche (gravité, consommation
humaine ou cochons) pour occuper aujourd’hui plus de 2% de la
surface de l’île. Cette progression va très probablement se poursuivre. A terme, ces forêts vont se densifier et aucune espèce autre que
le pistachier ne pourra s’y installer.
•
FORÊTS MÉLANGÉES FRUITIÈRES : ces forêts occupent 8,5% de
l’île et consistent en d’anciennes et actuelles plantations d’arbres
fruitiers comme les manguiers, cocotiers, litchis, agrumes, goyaviers... Dans une certaine mesure, les jardins près des maisons y
ont été inclus. Il s’agit de formations dominées par des espèces intro-
duites cultivées par l’homme, très diversifiées mais qui ont tendance
actuellement à s’enfricher faute d’entretien, notamment à cause de
la progression du pistachier. L’espèce dominante dans ces forêts
demeure le manguier avec quelques fougères banales au sol.
Zones herbacées
Ces formations herbacées sont totalement artificielles et liées à la
dégradation des forêts originelles par le feu, l’exploitation humaine ou
les animaux herbivores.
•
ZONES HERBACÉES BASSES
:
ce
type de végétation consiste
aujourd’hui en un grand pâturage (3,4% de Me) sur les pentes nord
132
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
du mont Mokoto. Il est maintenu raz par l’abroutissement des troupeaux de chèvre occupant ce sommet. Ces pelouses sont essentiel-
lement occupées par des herbacées et semi ligneux introduits
appartenant aux familles des Astéracées, Malvacées, Poacées et Cypéracées. Il faut noter qu’une partie non négligeable de la zone cornmence à être envahie par
Lantana camara et que certains sites sont
érodés, notamment à l’ouest du Mont Mokoto.
•
ZONES HERBACÉES HAUTES : ce type de végétation dominé à basse
altitude par le Kaka’o (Miscanthus;floridulus) et à plus haute altitude
par Tarataratuna (Dicranopteris linerais) était probablement le plus
répandu au début du XIXe siècle lors de l’arrivée des premiers navires
européens. Il n’occupe aujourd’hui qu’un peu plus de 7% de l’île alors
que plus de 50% devaient être couverts de roseaux deux siècles auparavant. Cette réduction tient aux plantations forestières menées par les
services forestiers au cours des années 1970 et 80 mais également au
pâturage herbivore. Il faut noter que sur le versant nord du mont Duff,
l’envahissante Melinis minutijhra est très abondante.
Zones artificialisées
Il s’agit des zones très fortement modifiées par l’homme et où la
végétation a pratiquement disparu. Elles consistent essentiellement en
constructions et aux terrains alentours comme les jardins et autres terrains recouverts de pelouses ou à nu. Le village de Rikitea ainsi que toutes
les habitations isolées, les cultures maraîchères, le dépotoir, le couvent de
Rouru et la friche attenante en font partie. Tous ces sites anthropisés occupent un peu moins de 7% de la superficie de l’île.
Formations forestières issues de plantation
Ces formations forestières sont hées aux plantations réalisées par les
services forestiers durant les années 1970 et 1980 (SDR-Département
FOGER, comm. pers. 2005). Il s’agit à la fois des plantations elles-mêmes
mais également des nouvelles zones occupées du fait de la naturalisation
des différentes espèces concernées.
133
bulletin de la Société des* études* Océan
•
FORMATIONS À CASUARINA EQUISETIFOLIA : le Toa/Aito consiste
très probablement en une introduction polynésienne à Mangareva.
Les services forestiers ont planté près de 70 ha de cette espèce sur
Mangareva mais aujourd’hui le Toa s’est naturalisé sur une grande
surface et couvre 373 ha et 27% de la surface de l’île. Le sous-bois
de ces forêts est généralement exempt de toute espèce végétale à l’ex-
ception des forêts situées sur le col entre les monts Duff et Mokoto
qui dominent un sous étage de framboisiers (Rubus rosifolius) et
de lantana.
•
PLANTATIONS DE PINS DES CARAÏBES : un peu plus de 144 ha de
pins des Caraïbes ont été plantés à Mangareva. Le SIG a permis de
localiser uniquement 122 ha, soit un peu moins de 9% de l’île, ce qui
indique une faible naturalisation et éventuellement l’échec de certaines plantations envahies par le Falcata ou le Toa. Le sous-bois des
plantations de pins des Caraïbes est généralement très bas avec
essentiellement des fougères des genres Nephrolepis, Dicranopteris et Cyclosorus et des Poacées comme Oplismenus compositus.
Un début de naturalisation est néanmoins visible au sein de zones
herbacées attenantes.
•
FORMATIONS EFALCATAR1AMOLUCCANA : près de 250 ha de Fal-
cata ont été plantés par
les services forestiers sur l’île de Mangareva.
Aujourd’hui, 323 ha ont été cartographiés par SIG, ce qui représente
un peu moins de 24% de l’île et qui indique une nette naturalisation
de l’espèce dans tous les types de milieu. Les sous-bois de Falcata
sont généralement assez clairs et permettent la croissance de différentes espèces comme les graminées Miscanthusflorididus, Oplismenus compositus ou les arbustes endémiques Glochidion spp. ou
introduits Lantana camara.
134
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Conclusion et perspectives
La végétation des Gambier apparaît ainsi dans son ensemble comme
très largement dégradée et secondarisée, les différentes îles ne présentant
essentiellement que des zones herbacées régulièrement brûlées et des
plantations forestières récentes. La flore indigène de 97 espèces, qui
s’amenuise continuellement avec 9 espèces présumées éteintes, y est très
largement surpassée par près de 500 espèces introduites dont plus d’une
dizaine d’espèces menaçant la biodiversité.
Une illustration de l’état de dégradation de ces îles consiste en la
proportion d’espèces protégées identifiées dans l’archipel. En effet, plus
de 13% des espèces indigènes des Gambier bénéficient de ce statut car
présentant des populations précaires et menacées d’extinction.
Par ailleurs, les herbivores et notamment les chèvres férales, bien
qu’éradiquées durant les années 1970, ont fait leur retour dans les différentes îles et notamment les hauteurs de Mangareva et Akamaru ainsi que
les îlots Mekiro, Makapu et Makaroa. Elles contribuent alors à la raréfaction extrême de la plupart des espèces indigènes ainsi qu’à l’érosion
des sols largement visible aujourd’hui sur Akamaru.
Ce tableau noir de la flore des Gambier ne doit néanmoins pas mas-
quer les richesses subsistantes. Ainsi, même si 2 espèces endémiques de
l’archipel sont considérées comme éteintes, 8 sont toujours présentes
dans certains refuges. Le plus riche de ces refuges, les falaises et bas de
falaises des monts Duff et Mokoto sur Mangareva, a ainsi été désigné par
un collège d’experts comme étant l’un des 15 sites de conservation
prioritaires de Polynésie française sur 115 sites identifiés dont la préservation est impérative du fait d’une faune, d’une flore, de formations végétales
et de paysages originaux et exceptionnels (Meyer et al., 2005). Un autre
site, les îlots Manui, Kamaka et Makaroa, classé comme à priorité intermédiaire par ce même collège d’experts, consiste en une des 32 Zones
Importantes pour la Conservation des Oiseaux (ZICO) de Polynésie française (www.manu.pbT_ZICO.html). La flore et l’avifaune des Gambier
135
Ç&idleti/i dv ta Société des btudes Océanie/t/te&
sont donc reconnues à l’échelle de la Polynésie française, voire
à l’échelle
du Pacifique, comme remarquables et justifiant des actions de conservation à la vue des menaces pesant sur elles.
Si tout l’archipel des Gambier n’a pas été prospecté de façon homo-
gène (Me de Akamara devant notamment receler quelques plantes encore
non décelées), certaines lignes directrices visant à la préservation de son
patrimoine naturel peuvent être tracées à l’aune des connaissances
actuelles.
Ainsi, la priorité floristique consiste en la préservation et en la restauration de la végétation naturelle réfugiée sur les falaises et au niveau
des bas de falaise des monts Duff et Mokoto sur l’île de Mangareva. En
effet, ce site comprend actuellement plus de 55% des espèces indigènes
de l’archipel dont 8 des 13 espèces protégées et 6 des 10 endémiques. Les
actions à mettre en œuvre pourraient consister à la mise en place de clôtures, à la chasse aux chèvres férales, à la lutte contre les espèces végétaies envahissantes et à la mise en œuvre de plans de conservation propres
à chacune des espèces protégées et/ou remarquables. Une pépinière serait
alors probablement nécessaire.
Par ailleurs, les îlots de Makaroa, Kamaka, Manui et Motu Teiku se
sont avérés riches, non seulement pour les oiseaux marins, mais également pour leur flore avec
les découvertes d’une espèce endémique des
Gambier présumée éteinte sur Manui (Abutilon mangarevicum) et d’im-
portantes formations forestières naturelles sur Kamaka, ces dernières
abritant notamment l’endémique Pilea sancti-johannis et un nouvel
arbre pour l’archipel, Nesolumapolynesicum. Ces motu, et notamment
Kamaka, sont par ailleurs essentiels dans le cadre de programmes de
conservation de la flore in et ex situ car leurs petites tailles (moins de 50
ha pour Kamaka, le plus grand) rend possible des opérations de réhabilitation (éradication des chèvres, des lapins ou des rats ; contrôle des
plantes envahissantes...) De cette manière, il serait d’ores et déjà possible de (ré)introduire un certain nombre d’espèces végétales menacées
136
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
sur Kamaka dont les
chèvres ont été éradiquées en 1963 par son pro-
priétaire. Il pourrait en être de même à Manui avec l’éradication des
lapins et à Makaroa avec celle des chèvres.
Enfin, la réintroduction d’un pigeon vert frugivore du genre Ptilinopus serait très bénéfique à plusieurs arbres et arbustes indigènes produisant des fruits charnus. En
effet, un tel pigeon appelé par les
Mangaréviens Kuku était présent au XLXè siècle dans l’archipel et contrihuait certainement à la dissémination de graines par ingestion. Sa disparition a ainsi entraîné la raréfaction progressive de certains arbustes
appartenant notamment aux genres Alyxia et Cyclophyllum et ne subsistant que sous forme de bouquets limités en extension. Les mêmes observations peuvent être réalisées dans les îles de Rurutu, Tubuai et Raivavae
aux Australes et l’île de Anaa dans les Tuamotu, où aucun pigeon
frugivore
n’est présent aujourd’hui.
L’archipel des Gambier pourrait ainsi constituer un véritable laboratoire dans le cadre de projets de restauration de sa flore et de sa faune,
projets associant non seulement les scientifiques des plantes et des
oiseaux mais également la population locale et les propriétaires, ainsi
que les services administratifs et communaux concernés.
Remerciements
Nous tenons en tout premier lieu à remercier la commune des Gam-
bier, sa mairesse, Monique Richeton, et ses habitants pour toutes les facilitées accordées lors de cette mission de prospection ainsi que pour les
informations partagées relatives aux plantes, notamment de la part de
Daniel Teakarohi et Dominique Devaux. Un grand merci à Monique Richeton et Mateo Pakaiti pour le logement sur Mangareva et à Johnny Reasin
pour son intérêt relatif aux richesses naturelles de l’archipel et pour l’ex-
pédition sur son île Kamaka. Nous sommes également reconnaissant à la
SOP Manu et Anne Gouni pour nous avoir permis de réaliser cette étude
et Claude Serra de la DIREN pour l’avoir poursuivie. Je remercie également Walter Teamotuaitau, Ravahere Taputuarai et David Hembry pour
137
bulletin/ da Ici Société des étude& Océaniennes/
les informations sur leurs prospections de 2008, Jacques Florence pour
les discussions sur la flore de cet archipel, Tara Hiquily pour l’ouvrage de
Lesson, Eric Poinsignon pour le calcul des superficies des des et George
Staples pour l’identification de Ipomoea tiliacea.
Ces travaux ont été réalisés grâce aux financements accordés par la Direction de l’Environnement et la Société d’Ornithologie de Polynésie MANU.
Jean-François Butaud
Consultant en foresterie et botanique polynésienne
138
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
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140
Comptes rendus de lecture
et d’écoute de Compact Disc
ean-Hugues Lime
Mangareva
Edition Le Cherche Midi, 308p. 2008.
Ce roman est présenté en 4ème de couverture comme une « histoire
vraie ».
Au début, on se laisse prendre par le récit mais assez rapidement, les
inexactitudes, outrances et contradictions rendent la lecture pénible. Lime
décrit l’arrivée des Picpuciens dans l’archipel en 1834 comme étant le
premier débarquement d’Européens...
Or, tout laisse penser que ce soit Beechey en 1825 qui le fit, suivi de
trafiquants en tous genre et surtout en nacre et perles. Moerenhout,
raconte son escale en 1834 dans Voyage aux îles du grand Océan. Ces visiteurs y ont introduit des maladies ravageant les populations au point
d’amener les survivants au reniement de leurs origines et à la conversion
au christianisme selon un schéma classique de recherche de protection
d’une divinité dont les adeptes ne mourraient pas.
En 1834 donc, les Picpuciens furent accueillis d’abord par deux
Anglais sans doute autoproclamés missionnaires protestants, avant de se
retrouver à, en effet, partager durant un temps, une case, avec une truie
et ses petits ainsi qu’« un millier de rats ».
Lime fait l’impasse sur les épidémies d’avant l’arrivée des missionnaires ; normal puisqu’il en fait les premiers visteurs européens.
bulletin da la iJoctéléy dcA études &eéanien/u
Voici deux exemples de sa technique narrative :
(p. 14) « Mangareva, où résident sans doute plusieurs milliers de sauvages n’a jamais été visitée. D’après ce que racontent les trafiquants
qui prétendent commercer avec eux,...»
(p. 18) « Cette fois, ce ne sont pas les TuamoUis ni des Pasquans... »
(p. 19) « Pour la première fois dans leur histoire, un bateau surgit
hors du Po’uli, le vide infini du monde... dont les anciens murmurent
qu’aucune pirogue ne revient jamais. »
Ainsi :
personne n’a visité ces îles... racontent des trafiquants qui y sont
allés !...
personne n’est revenu depuis l’au-delà de l’horizon d’où pourtant,... des
Pa’umotu et Pascuans surgissent régulièrement pour des razzias, s’en
vont puis reviennent... et que les légendes sont prolixes en voyages d’an-
cêtres fondateurs dans l’archipel et ailleurs.
D’une phrase à l’autre immédiatement ou à la page suivante ou plus
loin, il affirme une chose puis son contraire. Quant au « Po’uli, vide infini
du monde », c’est un n’importe quoi parmi d’autres.
Sa description du mffieu naturel et des mœurs est tout aussi fantaisiste et contradictoire. Il explique l’absence de pirogues (remplacées par
des radeaux faits de troncs d’arbres) par l’absence... d’arbres jadis coupés par les insulaires dont la nourriture de base est toujours... le fruit de
l’arbre à pain qui est un arbuste bien qu’étant un arbre... détruit par les
plantations maraîchères, de « cèpes » (sic) de vigne, de blé, les construetions missionnaires et le besoin en tapa pour habiller les insulaires...
Et revient le poncif éculé du Polynésien vivant au jour le jour,
n’ayant ni hier, ni demain, ni avant ni après, ni passé ni futur ; vivant le
moment présent, une sorte d’« ici et maintenant » comme aucun adepte
du Bouddhisme Zen et de Yoga n’a jamais réussi à atteindre. Somme
toute un nirvana permanent !... Dans le même temps, sont décrits : un
culte des ancêtres, des statues, des légendes, une langue,... autant
d’éléments inévitablement hérités du passé et pieusement entretenus
jusqu’à la conversion...
Ses procédés narratifs me font penser à ces prêches débitant des
séries de phrases paradoxales qui soit provoquent de fortes céphalées, soit
142
amènent le cerveau à ne plus sélectionner le cohérent de l’incohérent, à
se laisser
emporter par le surgissement d’émotions et à suivre le locu-
pédopsychiatre, celle-ci me suggère la lecture de Gregory Bateson qui nomme ce type de relation : double
bind ou « double lien » mettant le sujet dans une situation de « dissonance cognitive ». Mais c’est un autre sujet.
teur. Interrogeant mon amie Ioana Atger
Simone Grand
Paemara Lucas
Mangareva taku akaereere
Ed. Au Vent des îles 2005,120 p.
Ce BSEO nous offre l’opportunité de parler de ce petit ouvrage écrit
fort agréablement par un Mangarévien, descendant de ce que d’aucuns
continuent en toute innocence d’appeler : « sauvages primitifs ». L’écriture alerte, les mots choisis avec soin, racontent de manière plaisante
l’histoire et les émotions d’un petit garçon né pendant la seconde guerre
mondiale à Kirimiro et qui décide à 12 ans de quitter son archipel pour
Tahiti s’y préparer à la prêtrise. Il relate le départ, le voyage, l’arrivée et
le séjour au petit séminaire de Mitirapa à la presqu’île, le renoncement à
ses vœux, son
en nous
séjour à Papeete et le retour après 10 ans d’absence tout
faisant part de ses étonnements et réflexions sur la nature
humaine et l’existence.
Par touches légères comme dans un pastel il dépeint les phases
majeures de la vie de son archipel. L’époque ancestrale bien que reléguée dans un heu temps refoulé est toujours présente par la langue, les
noms et légendes. Elle est suivie de l’épisode des aventuriers précédant
ou contemporains des bâtisseurs de cathédrales. Puis vient son enfance
ordinaire » d’une quotidienneté uniforme relevée par les seuls passages
de bateaux. Jeune adulte en rentrant de Papeete, il assiste à l’invasion de
«
son
archipel par les guerriers de l’atome cocardier, offrant des produits
de consommation : alcool et fanfreluches contre des faveurs de tous
143
Ç&idlctin de la Société de» étude» &céan
ordres. Sont érigés des hangars sensés protégés les Maareva de retombées
invisibles d’explosions dont les déflagrations leur étaient perceptibles et
dont les ondes de choc faisaient vibrer trembler les vitres des fenêtres.
Lucas s’interroge sur la malformation rénale de son fils et l’épidémie de
ciguatera.
La politique municipale puis territoriale le mobiüse avant de l’écarter.
A la fébrilité nucléaire suit le boom de la culture perlière. Lucas se retrouvant observateur a pris le temps de nous offrir ce récit de l’intérieur où les
deux ou trois coquilles ayant échappé aux relecteurs ne réussissent pas à
ternir l’agrément éprouvé. Tout ce que l’on peut souhaiter est qu’il se
remette à nous raconter ses histoires.
Simone Grand
Abri anti-atomique (Photo A. duPrel)
144
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
Henri Kubnick
Une fleur sur l’oreille
in Le beau temps des colonies, Compact Disc, 2006
Les polémiques à propos de l’histoire coloniale en général, et celle
de la France en particulier, battent leur plein en ces premières années du
XXI6 siècle.
L’agitation est intense, et pas seulement chez les historiens, car cette
histoire est particulièrement difficile à transcrire sereinement, partagée
entre descendants de colonisés et descendants de colons, qui s’affrontent
commémorations, repentances, réécritures, prises de position politiques, rejet des valeurs, publications multiples, films...
L’histoire coloniale, c’est l’histoire des temps où des États, solidement structurés et avancés technologiquement, ont « colonisé » des
espaces du monde moins - ou pas du tout - structurés, et moins - ou pas
du tout en marche vers le progrès industriel. Elle fut longtemps officiellement occultée au nom d’un principe considéré comme indiscutable :
la supériorité des « valeurs » apportées par l’action de coloniser : humanisme contre barbarie, christianisme contre paganisme, capitalisme
contre tout autre système économique, rationalité contre « fantaisies
en
-
infantiles »...
Il est un domaine où le temps des colonies a laissé une empreinte
très forte dans la société française, c’est celui de la chanson. En 2006 est
paru un CD intitulé Le beau temps des colonies, titre provocateur en ces
temps de remise en question, avec en illustration le tirailleur sénégalais
dont l’image a fait la célébrité du chocolat en poudre Banania (y’a bon !).
Sur 19 chansons, 13 ont pour référence géographique le continent afri-
cain, 3 l'Indochine, 2 les Antilles et une... la Polynésie.
Cette dernière s’intitule « Une fleur sur l’oreille ». Je ne m’attarderai pas sur les auteurs. Henri Kubnick, le parolier, s’est rendu célèbre par
ses talents d’animateur
radiophonique (« Cent mille francs par jour »
devenu « Le jeu des mille francs »). Henri Bourtayre, le musicien, a corn-
posé pour de nombreux chanteurs de renom (Tino Rossi, Maurice Chevalier, Luis Mariano...)
145
I
Œn/ldin de, la Société des études Océaniennes,
L’interprète, Guy Berry, n’est guère connu maintenant que par les
nostalgiques des années 30-40-50 et des disques vinyle. Sa voix assez
haut-perchée, ses r qui « rrroulent », sont en phase avec une musique
bien rythmée, exécutée par un orchestre aux accents jazz de l’époque nous sommes en 1946 -, alternant au gré des paroles cadence langoureuse et rythmes sautillants.
C’est une chanson frivole, qui ne cherche pas à faire passer un message. Ses paroles sont néanmoins d’un grand intérêt. Elles expriment tout
l’imaginaire exotique attaché aux îles d’Océanie et à leurs habitants. (À ce
sujet, on peut lire Le credo de l’homme blanc, d’Alain Ruscio).
Les trois couplets sont chantés sur un rythme mi-lent ; le ton est docte
au début, se teintant dans sa deuxième moitié d’une légère grivoiserie. Le
refrain est joyeux, rapide et saccadé. (La version proposée sur le CD n’indut pas le deuxième couplet, ce qui ne nuit guère à la compréhension.)
Accompagnons le texte pas à pas.
Premier couplet :
«
Suivant un très ancien usage,
Cela commence par une référence aux temps anciens : le groupe eth-
nique où va se dérouler l’histoire reste attaché à des pratiques d’un autre âge ;
c’est le thème du retard de civilisation qui d’emblée va justifier ce qui est narré.
«
Aux îles de la Société
Cette précision géographique est la première de six références que
l’on va découvrir plus loin. L’adage selon lequel les Français ne connaîtraient pas leur géographie se confirme dans ce texte. En fait, on va le
voir, il s’agit de se gargariser de noms évoquant les terres lointaines, quasi
mythiques, monde de rêve où tout est permis.
Les filles, quand ell’s en ont l’âge,
S’occupait elles-mêmes de se marier
Nous voici d’emblée au cœur du sujet : la transgression des normes
civilisées en matière de liberté féminine, et par là même en matière de
sexualité ; les filles sont émancipées dès qu’elles en ont l’âge. Quel âge
? La suite donne un élément de réponse.
C’est pourquoi un’fillette en quête,
«
«
«
146
N°315/316-Janvier/Juin 2009
«
En qnêt’ d’un homme à épouser
Une fillette : récurrence du thème de la précocité des jeunes filles.
Dès les premiers écrits sur la Polynésie, la liberté sexuelle est abondamment décrite, en insistant sur la jeunesse de celles qui sont à la disposi-
tion des marins, avec, comme pour se disculper, l’affirmation selon
laquelle les adultes-parents favoriseraient ces pratiques.
Faisait gentiment la coquette,
La coquette sous les cocotiers.
La précision gentiment est là pour nous rappeler qu’il n’y a pas lieu
«
«
de voir le mal.
Inévitables : les cocotiers, autres symboles de l’exotisme, avec cette
assonance
approximative mais efficace coquette-cocotiers.
Le décor est en place. Les précautions ont été prises pour que la
scène qui va être décrite soit à la fois très attendue et par avance excusée...
Refrain
«
Une fleur sur l’oreille,
«
Une guirlande autour du cou
C’est le moment de décrire l’héroïne de cette chanson : la vahiné
parée de fleurs...
...
«
Elle était la plus belle
«
Des filles de Touamotou
et native d’un beu au nom pittoresque : Touamotou. Peu importe
que le mot désigne ici un lieu-dit, alors que chacun sait que c’est un arclii-
pel. C’est le mot qui résume à lui tout seul la magie des « mers du sud ».
À noter que Touamotou se situe aux îles de la Société.
Mais il manque encore un détail.
«
Une fleur sur l’oreille,
«
Une guirlande et rien en d’sous
La nudité ! Le Français des années d’après-guerre peut s’abandonner
à ses fantasmes, et fuir par le rêve les souvenirs des heures noires. Comme
il aimerait être là...
«
Elle troublait les veilles
«
De tous les jeunes Papous.
147
bulletin de ta Société des èüidesy Océaniennes
...
avec ces
jeunes Papous ! On n’en est plus à une confusion près.
Avec cependant une nuance : au mot Papou est attaché un caractère de
«
sauvagerie » qui pimente le récit et rappelle - inconsciemment - que
l’exotisme a un revers inquiétant.
Notre héroïne a un nom :
«
Au bord de l’eau oh !
«
Toutes les nuits oui
«
Talimao, oh !
«
Cherchait un mari
C‘est un mot facile à prononcer : Talimao. D’où sort ce nom (ou
prénom) ? Henri Kubnick l’a-t-il inventé ? Ou bien l’a-t-il trouvé dans des
listes de noms ? (C’est un patronyme réel au nord-ouest des États-Unis,
peut-être d’origine samoane.) Peu importe, la consonance est polynésienne, et Talimao prend place aux côtés de Kimouli, Goulou-goulou et
Timichiné-la-poupou (héroïnes d’autres chansons).
«
Sur les coraux, oh !
«
Elle courait
-
ait
Courir la nuit sur les coraux : là aussi, il importe peu que l’action soit ris-
quée pour le corps (puisqu’elle est nue), et que le décor réel soit si peu propice
pour une entreprise de séduction. Ce qui compte, c’est le mot coraux, évocateur d’une nature merveilleuse qu’on ne verra
«
«
peut-être jamais « pour devrai ».
Offrant son corps, au
Premier qu’en voidait.
On aborde là la prétendue frénésie sexuelle qui anime les femmes des
pays tropicaux. Elle va d’homme en homme : cherche-t-elle vraiment un
mari, ou bien passe-t-elle sa jeunesse à satisfaire un besoin impérieux ?
«
Unefleur sur l’oreille,
«
Une guirlande autour du cou,
«
Elle était la merveille
«
Des filles de Touamotou.
Second couplet :
«
le mariage quand on y songe
«
148
Ne doit pas être improvisé
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
Le second couplet se veut d’abord sentencieux, mais la sentence est
ironique.
Après un p’titpêcheur d’éponges
EU’ séduisit cinq, six guerriers.
Puis cette fille démoniaque
Alla par les champs de manioc
Ensorceler des chefs Canaques,
Des sorciers et de gros maîtres-coq.
Une précision nouvelle vient caractériser les ardeurs de Talimao pour
trouver un mari qui lui convienne : c’est unefille démoniaque qui ensorcelle ceux qu’elle veut séduire. L'allusion au démon rappelle l’état de paganisme de ces peuples, et justifie la présence renforcée des missionnaires.
(À la fin des aimées 1940, à propos des îles des EFO, paraît un petit ouvrage
de propagande missionnaire intitulé Cannibales à genoux !) Ses
conquêtes peuvent être dans le registre de la romance avec un petit
pêcheur d’éponges (dont le modèle doit être méditerranéen) ou rappeler
les Amazones conquérant des guerriers, en bon nombre, l’imprécision de
celui-ci accentuant son insatiabilité. Autre cliché pour faire couleur locale :
les champs de manioc, nourriture exotique dont tout le monde a entendu
parler. L’emploi du mot canaque est encore courant à l’époque pour désigner l’ensemble des habitants de l’Océanie. Bien sûr, autre cliché, eüe
séduit des chefs et des sorciers. Que viennent faire ici les maîtres-coq ?
Allusion au cannibalisme, ou tout simplement hasard de la rime ?
«
«
«
«
«
«
Refrain
Troisième couplet :
«
Dans ses recherches inlassables
«
De l’époux qu’elle avait rêvé
«
Elle essaya tous les notables
«
Des îles de la Société.
Nous retrouvons les îles de la Société évoquées dès le début de la
chanson. La beauté de cette fenune dépasse les clivages sociaux et raciaux,
voir une allusion à l’administration coloniale
métropolitaine derrière ce mot « notables » ?
car ne pouvons-nous pas
149
Œulleii/i do Uv Société des études Océanie/f/ies
«
Final’ment cette chipotière
«
Trouva que c’était le premier
«
«
Qui /’sait encor’ l’mieux son affaire
Et c’est lui qu’elle a épousé.
Pour la rime, encore, l’auteur use du néologisme chipotière, au lieu
de chipoteuse. Nous ne sommes pas encore arrivés à bout des poncifs.
Voici l’inconstance, la frivolité, l’imprévisibilité du caractère féminin. Le
retour à la case
départ renvoie à ces films où l’héroïne revient à son pre-
mier amour. Mais y a-t-il de l’amour ? Le mot n’est pas prononcé. Il n’y a
pas non plus de romantisme dans l’apothéose.
«
Une fleur sur l’oreille,
«
Une guirlande autour du cou,
Quelle noce sans pareille,
Quell’ noce à Touamotou
Le mariage, ou plutôt la noce (qui n’est pas éloignée de la bringue),
termine dans la joie cette quête.
«
«
«
Des îles de la Sonde
«
Aux îl’s Marquises et Sous l’vent
L’auteur revient sans vergogne à l’incohérence géographique. Encore
fois, peu importe ; seuls les consonances comptent : îles de la Sonde
(entourées de mystères), îles Marquises (Gauguin), îles Sous le Vent
(cocotiers, plages, voiliers)...
une
«
De tous les coms des ondes
«
On vit venir ses amants
Toute l’Océanie (les ondes) est en fête. C’est la joie de vivre, comme
l’exprimera quelques années après un film tourné à Tahiti. Pas de rancune, pas de ressentiment chez ses amants.
Pour acclamer, hé !
«
«
Talimao oh !
Quand le sorcier hé !
Lui passa l’anneau
Amusant, l’amalgame entre un rituel d’Européen {passer l’anneau)
et l’auteur du geste : le sorcier, maître de cette cérémonie sauvage mais
«
«
bon enfant.
150
N° 315/316 - Janvier/Juin 2009
«
Et pour souhaiter hé !
«
Bonheur charmant
-
ant
«À la mariée et
À ses quinze enfants.
«
Avant-dernier cliché : les femmes sont très fécondes, et même pro-
lifiques, dans ces pays lointains. Avec quinze enfants, Talimao a donc
atteint un certain âge, ce qui permet d’amener la chute :
Une fleur sur l’oreille,
Une guirlande autour du cou,
«
«
«
Maintenant elle surveille
«
Son époux d’un airjaloux.
Les sens sont apaisés. La jeune femme frivole est sans doute devenue
jalouse comme il se doit. Mais la chanson se termine sur
l’image de départ.
Une fleur sur l’oreille,
Une guirlande et rien en d’ssous,
Elle était la plus belle
Des femmes de Touamotou. »
une matrone,
«
«
«
«
Pour bien faire, il serait bon, chères lectrices, chers lecteurs, que
vous écoutiez ce CD.
Mais en attendant, concluons. Certains qualifieront peut-être le texte
d'affligeant et bête. Et en effet, cette accumulation de clichés sur les pays
tropicaux et leurs noms utihsés en dépit du bon sens, sur la femme et les
moeurs de ces mêmes heux du bout du
monde, dresse un tableau cari-
catural ne reflétant pas la réalité.
Mais une tehe chanson n’a pas besoin de certificat de conformité à
la réalité pour exister.
Les Français de l’époque n’ont retenu de l’Océanie que les récits
de l’escale de Bougainville à Tahiti, les tableaux de Gauguin et l’exposition coloniale de 1931. Quelques-uns ont sans doute lu Pierre Loti,
Jean Dorsenne, Nordhoff et Hall, Marc Chadourne, Georges Simenon,
auteurs dont les romans ne font que renforcer les clichés gravés dans
151
{fyulletw/ do la Société des blades Okceameânes
l’imaginaire collectif. Sans oublier les cartes postales de vahiné dénudées de la collection Lucien Gauthier...
Chanson d’une autre époque : qui pourrait me dire si elle fut enten-
due en son temps à Tahiti130 ?
Michel Bailleul
Dominique Barbe
Histoire du Pacifique, des origines
Perrin, Paris, 685 p-, 4 cartes, 2008
Ce gros pavé est à juste titre très ambitieux. En soi, c’est une bonne
idée d’intégrer les deux rives du Pacifique dans l’explication de l’histoire
contemporaine, européenne, de celui-ci. Il y a eu aussi des prédécesseurs
Européens aux colonisateurs blancs. Mais cela demande des compétences que l’auteur n’a pas vraiment. Ses seuls morceaux de bravoure
non
ont trait à la description des sociétés métisses
espagnoles des plateaux
andins. Il est faible par contre sur le Mexique, le Japon, la Chine, et le Sud-
(l’auteur ne sait pas que l’isolement voulu du Japon sous le
gouvernement des shogun s’est traduit par l’interdiction faite aux navires
de pêche de posséder un gouvernail pouvant tenir la haute mer ; le résultat sera qu’à chaque tempête, les gouvernails se brisaient et les bateaux
dérivaient dans tout le Nord Pacifique, depuis Hawaii et les îles Aléoutiennes jusqu’à l’Alaska : on retrouvait les pêcheurs japonais comme
esclaves dans les tribus indiennes de la côte nord-ouest de l’Amérique).
Et c’est là un historien du Pacifique de plus, qui ne comprend pas
grand chose aux sociétés insulaires, ni aux sociétés indiennes des
Andes, ni à celles d’où que ce soit, pour lesquelles il récite un certain
nombre de poncifs (les Ifugao coupeurs de têtes, alors qu’ils sont
est asiatique
130
Enfant et adolescente, j'ai entendu cette chanson et l'ai chantée comme une chanson exotique ne concer-
nant nullement ma réalité de Tahitienne vivant à Tahiti,
fréquentant des Pa'umotu et ignorant tout des
Papous vivant dans le même océan mais loin là-bas... Simone Grand
152
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
parmi les agriculteurs les plus raffinés de la région, sans compter qu’il y
a trente-six
façons et autant de raisons pour couper les têtes, et que chaprésente une signification différente), sans exercer de jugement critique sur les dires des observateurs européens coloniaux, qui ne pouvaient
en aucun cas être objectifs,
parce que cela aurait été contraire à leurs
intérêts bien compris, même contradictoires. Dans des circonstances particulières, dont l’auteur ne sait rien - il n’a jamais vécu dans aucune des
sociétés dont il croit pouvoir traiter - certains auteurs blancs, bien peu,
se sont rapprochés d’une forme
d’objectivité. Et c’est dans le Pacifique Sud
qu’il est le moins bien informé, le détail des événements n’étant pas toujours ce qu’il croit pouvoir décider du haut de son Olympe.
L’auteur est dans cette affaire un compilateur, ou pour être plus gentil un encyclopédiste ne se déclarant pas comme tel, ce qui est le défaut
d’un grand nombre d’historiens, ou de pseudo historiens, de la région.
Et ce compilateur travaille à partir d’autres compilateurs, ce qui est une
des malédictions permanentes de bien des sciences sociales. Il ne va
jamais aux sources du savoir sur tel ou tel point. Il n’y a pas un atome
d’originalité dans ce qu’il écrit. Tout ce qu’il expose a été dit ailleurs, et
le plus souvent bien mieux.
Son défaut principal est aussi de ne presque jamais citer ses sources,
ce qui est contraire à la
déontologie internationale en sciences humaines.
Cela lui donne l’aspect d’un plagiaire aux multiples facettes. Sa bibliographie est si sommaire que c’en est une mauvaise plaisanterie. Et les
sources qu’il cite en passant ne sont pas toujours des meilleures (Jules
Garnier n’est pas fiable : il recueille des ragots chez les colons ou chez les
militaires de l’époque, il ne vérifie rien). L’auteur donne ainsi la fausse
impression de présenter une œuvre novatrice, ce qu’elle n’est pas, et ce
qu’elle ne pouvait être en aucun cas, étant donné l'amplitude du propos.
cune
Il ne saurait se vouloir omniscient.
Monsieur Barbe a au début des phrases méchantes sur les ethno-
logues, dont il prétend se démarquer, mais je retrouve ici et là des moiceaux de mes propres exposés, sans qu’il se donne la peine de citer la
source bien sûr. Une bonne dizaine de cas, dont je suis fier, seul à avoir
raison contre tous. J’apprécie cet hommage silencieux, mais j’aurais
153
ÇÛuflefùi de lev Société des études Occam
préféré qu’il ne s’en attribue pas la paternité à mes dépens. Le mépris
des ethnologues cache la réalité empirique, le mépris des règles de bonne
conduite auxquelles les autres se soumettent de bon gré. Je prétends pourtant être meilleur historien que bien des historiens professionnels touchant au Pacifique, parce que je colle à la réalité insulaire, que je connais
dans le détail, depuis plus de soixante ans, au heu de la remplacer par
l’une ou l’autre des visions simplistes en cours dans tant de milieux,
mêmes académiques. Cet auteur ne colle à rien.
Vient en contrepoint l’acceptation aveugle par l’auteur des catégories
proposées par Dumont d’Urville : Polynésie, Mélanésie, Micronésie, qui
montre son manque d’esprit critique en ce qui concerne la vie réelle des
sociétés du Pacifique Sud. La frontière culturelle entre Polynésie et Mêlanésie n’a pas d’existence empirique. Les missionnaires de la London Missionary Society, mieux informés parce que sur le terrain, classaient la
Mélanésie orientale dans la Polynésie occidentale, avec les îles Fiji, Tonga
et Samoa. Ils avaient parfaitement raison. Les institutions sociales, d’un
bout à l’autre de cette région intermédiaire, fonctionnent en tant que
variantes des mêmes modèles, ceux de chefferies à différentes échelles,
héréditaires sauf mise à l’écart de l’aîné parce qu’il ne conviendrait pas
(Nouvelle-Calédonie, îles Loyalty, Fidji, Tonga, chefferies qui n’ont rien à
voir avec les féodalités occidentales), ou de système de titres électifs
(Samoa, îles Shepherd) ou matrilinéaires (Efate et sa couronne d’îles).
Dumont d’Urville ne pouvait le savoir. Sa vision des sociétés du Pacifique
Sud était très superficielle, sinon presque toujours fautive.
Le peuplement de la Polynésie, dans la suite logique de cette constatation, ne pose aucun problème. Les Polynésiens sont issus de la Mêlanésie occidentale, avec la quelle ils ont conservé des relations maritimes
jusqu’à l’arrivée des Européens. Ce sont ces derniers qui ont imaginé,
directement ou indirectement, les hypothèses romantiques destinées à les
séparer de leurs ancêtres mélanésiens, parce qu’il fallait justifier de leur
utilisation comme petits cadres coloniaux pour l’administration et Foccupation militaire de la Mélanésie, et donc leur attribuer quelque supériorité sur ces derniers.
154
N°315/316 Janvier/Juin 2009
-
L’auteur est un fanatique de l’explication par des migrations, dont
nous n’avons aucune preuve.
On peut imaginer aussi, pour expliquer les
différences culturelles entre les groupes aborigènes australiens, penser à
des formes de métissage, entre autres culturels, entre groupes variant
d’un point à un autre, l’isolement relatif, en particulier des Tasmaniens,
se traduisant pas
des évolutions génétiques différenciées. L’auteur ne sait
pas que les Tasmaniens, chassés systématiquement comme du gibier, n’ont
pas tous disparus et se sont maintenus anonymement comme cueilleurs
et pêcheurs sur la côte rocheuse du nord de leur île.
Cela dit, pour un lecteur non spécialisé, cet ouvrage peut paraître
attrayant. Il se lit facilement et raconte un assez grand nombre d’histoires
intéressantes, la plupart bien connues, mais il n’empêche, cela est fort
bien écrit, sauf quelques fautes : les terres « immergées » au lieu de
émergées » ; pour Fidji, et de manière répétitive, Cabokau au lieu de
Cakobau (c = th anglais dur, the) ; Paddon s’installe au large de la petite
île d’Anatom (il s’installe dans un îlot collant à la côte de la grande île
montagneuse et volcanique d’Anatom : le volcan éteint a explosé il y a cinq
ans) ; à peu près assuré aux îles du Vent, le protectorat est plus difficilement assuré aux îles Sous-le-Vent (il ne l’est pas du tout, les îles Sous-leVent restant indépendantes, sous la protection de visites annuelles de
navires de guerre anglais) ; « Burns Philip » au lieu de « Burns Philp »,
pour la célèbre maison commerciale australienne, ce qui est une faute
impardonnable quand on se prétend spécialiste ; « les Tongiens dominent
Lau, une île riche en coprah » (les îles Lau constituent l’archipel le plus
oriental du groupe des îles Fiji) ; le roi Georges Tubou abolit le servage aux
îles Vavau (il n’a jamais existé, où que ce soit dans le Pacifique Sud,
quelque chose qui ressemble au servage, c’est là une interprétation d’ignorants, comme il y en a eu des centaines décrivant en Polynésie, ou ailleurs,
un système féodal qui n’a jamais été : la situation était tout autre et ne relevait pas de références prises dans le passé occidental, le nombre de missionnaires et de laïcs qui se sont ainsi trompés du tout au tout, et continuent
ainsi à le faire, est considérable, c’est la conséquence de l’idée fausse du
chefs ayant droit de vie et de mort sur leurs soi-disant sujets) ; le poncho,
vêtement national de toute l’Amérique Andine, inventé par les Mapuches ;
«
155
Œiiflclii) de [a Jociété de& ètiide& ôcéa/uennex
l’important collège fondé par les Sœurs de Saint Joseph de Cluny qui
devient par la suite séminaire (la vocation pédagogique des sœurs était de
s’occuper des filles, pas des garçons, le séminaire a été fondé tout à fait en
dehors, bien plus tard, par le père Luneau) ; la mission du Sacré-Cœur
d’Issoudun s’est vu attribuer la Papouasie (pas le nord de la Nouvelle-Guinée, le nord et le reste des des Salomon ont été attribués à la Congrégation
de Marie, l’auteur a une fois de plus mal lu) ; la LMS a bénéficié à Lifou et
Maré de l’appui de Tongiens (il s’agit de gens venus de Rarotonga, ce qui
n’est pas la même chose, et qui sont toujours là) ; les teachers de la LMS
n’ont pas été massacrés à l’île des Pins, mais retirés par souci pour leur
sécurité (c’est une légende d’origine cathohque) : John Williams n’a pas
acheté son premier navire missionnaire en Angleterre, il l’a construit de ses
mains, avec des charpentiers polynésiens, à Raiatea ; parler du Cargo cuit
en Polynésie est faire une assimilation parfaitement injustifiée (les messianismes ne sont pas des cultes du cargo, qui en réalité n’ont jamais existé
nulle part, il s’agit là d’un concept inventé par les planteurs, policiers et
missionnaires blancs pour déconsidérer les mouvements pré-indépendantistes) ; « c’est aux Tonga que les missionnaires obtiendront les succès
les plus durables » (les premiers missionnaires LMS laissés à Tonga se
sauveront à Port Arthur, et c’est bien plus tard que les méthodistes interviendront) ; etc.
Autres bourdes : « très tôt la société aborigène semble s’être abstraite
de la possession, favorisant ainsi la spiritualité », phrase dépourvue de signification empirique qui témoigne que l’auteur ne sait pas que, dans l’ensemble du Pacifique, la possession valorisée est celle justement des instruments
de l’identité de chaque groupe de descendance, des « traits culurels » et des
variantes de leur justification dans le mythe affirmé et approprié. La terre est
en trust, son accession fiée au nom donné à la naissance, et qui doit être
remise intacte à son successeur (en Australie les itinéraires de nomadisation et les trous d’eau et fieux de campement et emplacements rituels, ailleurs
les fieux d’habitat et de culture ainsi que les fieux de culte).
Les Canaques ne sont pas des semi-nomades. Si les champs nécessitent de longues jachères, les habitats restent stables. Si l’on abandonne un
site précis à cause d’une mort, on se rétablit à côté. Les tarodières ne
156
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
dépendent nullement d’un système de conduits fragiles en bambou, mais
de canaux d’irrigation fort bien tracés et qui éventuellement traversent
des seuils rocheux. Les bambous de grands diamètres ont été introduits
à partir de l’Inde, par les navires amenant les missionnaires protestants
et leurs familles. Ils n’existaient pas anciennement (les bambous gravés
sont un phénomène de contact).
Les collections de curiosités de l’attirail ad hoc »
(du cannibalisme), les célèbres fourchettes de cannibale, se sont révélées à la vérification être le moyen de porter à la bouche la nourriture sans utiliser les
doigts par un prêtre momentanément placé sous interdit. Rien à voir avec
«
le cannibalisme.
Pour ce qui est de la Nouvelle-Guinée, l’auteur ne sait pas que les migrations en nombre, intérieures à l'île, se font d’une haute vallée alpestre à une
vallée parallèle, chassant les groupes plus faibles, sans jamais qu’il soit
question de passer par la côte. Le choix de sites non impaludés a pu être
tout au départ, à la pointe occidentale de la Nouvelle-Guinée, il y a vingt
ou trente mille ans. La succession des groupes
des Hautes Terres ignore
parfaitement l’existence de régions côtières impaludées, ce qui n’empêche pas l’afflux dérangeant d’autres moustiques que les anophèles dans
l’intérieur humide.
Le « peuplement Lapita » est une simplification dangereuse. Les
poteries Lapita correspondent à une étape, à une tradition de plusieurs
siècles, au moins deux millénaires, pas à un peuplement, puis la mode
a changé (ce sont les femmes de certains groupes de descendance qui
étaient les potières), et d’autres décors, ou pas de décor, ont pris la
place, la forme des poteries évoluant moins sauf à se spécialiser dans une
fonction particulière (les grandes poteries pour la conservation du
sagou, ou coniques pour la confection de beignets de taro, ou par
réponse à une transformation de l’habitat : la disparition des maisons
longues collectives pour être remplacées par un habitat familial donne
les poteries canaques de Nouvelle-Calédonie, destinées à permettre le
repas familial). Ce qui a surtout changé, au cours de la dernière période,
c’est la disparition plus ou moins complète de la poterie en Mélanésie et
en Polynésie, remplacée par la cuisson au four dans des paquets de
157
bulletin de la Société des études Océaniennes
feuilles de bananiers, technique plus facile de mise en œuvre, plus hygié-
nique (on brûle les résidus végétaux) et dont tous les éléments se trouvaient sur place (mise au point d’une variété de bananiers sans fruit et
offrant une belle richesse de feuilles). Mais ce sont les mêmes Mélanésiens au départ et à l’arrivée, qui se transformeront, pour nous du moins,
en Polynésiens en avançant vers l’Est, créant alors des zones de relatif
isolement où pouvaient jouer « l’effet de fondateur » et « la dérive géné-
tique » (variations génétiques moins nombreuses, d’où apparence physique plus cohérente ; passage lent de la dolicocéphalie à la
brachycéphalie d’ouest en est).
Les techniques attribuées si généreusement par l’auteur aux Polynésiens, existent partout en Mélanésie et souvent sous une forme plus
sophistiquée. La cuisine au four techniquement la plus complexe est au
Vanuatu. Les pirogues doubles mélanésiennes sont plus élaborées que les
polynésiennes, tiennent mieux la mer, et connaissent toutes la manière
de changer le mât d’emplacement pour virer de bord. La Papouasie orientaie utilise des pirogues multicoques qui jouent un rôle économique fondamental pour aller chercher, par la haute mer, en frôlant le nord de
l’Australie, à l’ouest le sagou (échangées contre des poteries), qui permettra de faire la soudure avec la prochaine récolte d’ignames. Les progrès polynésiens orientaux et micronésiens sont dans la façon de
s’orienter en haute mer, ce qui n’était pas nécessaire en Mélanésie, où il
suffit de monter sur la première montagne pour voir la prochaine île
(excepté entre les Santa Cruz et le nord Vanuatu, où la distance est plus
grande, mais où il existe une île intermédiaire inhabitée, Vatghanay, qui
sert de heu d’étape et comporte des arbres fruitiers, des plantations de
taro et des bananiers, entretenues à chaque passage).
Le chapitre sur le rôle et l’évolution des cabinets de curiosités est
excellent. Il est pourtant étrange qu’il n’ait pas cité celui de Jacques Cœur,
confisqué, qui sera à l’origine des collections royales, ni les collections
organisées pédagogiquement au bénéfice des Dauphins de France (à l’origine des excellentes collections amérindiennes du Musée de l’Homme).
Par contre l’affaire de la mort de Marion du Fresne à la Baie des îles,
en Nouvelle-Zélande, est mal relatée. L’auteur n’a pas vu que, dans ce cas
158
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
comme dans celui de
Cook, il s’agissait de couper des pins kaori pour
refaire des mâts après tempête, et de prétendre les abattre au plus près, sur
la côte, dans un endroit interdit et pas là où les Polynésiens en étaient d’accord. La reprise de l’invention selon laquelle le capitaine Cook aurait été
assimilé au dieu Lono, est le fruit d'imaginations intéressées (Marshall Sahlins n’est pas un homme de terrain et est à la recherche d’hypothèses ori-
ginales qui puissent compenser ses trous de connaissance). La non divinité
des étrangers venus d’au-delà des mers était bien connue des Hawaiiens, qui
avaient déjà fréquenté au moins des Russes et des Japonais, smon des Espagnols dont les galions passaient au large de leurs côtes, en résultat aussi
des observations faites et par les femmes, qui voyaient le fonctionnement
sexuel des Blancs, et par celles des enfants, qui espionnaient ces derniers
et les observaient dans l’exécution de toutes les autres fonctions naturelles.
Personne ne veut, par convenances anglo-saxonnes, parler de choses aussi
simples et aussi claires (aucun auteur de langue anglaise ne parle jamais de
l’exécution des fonctions naturelles dans les îles).
Pour l’auteur, par ailleurs, tous les insulaires rencontrés par les premiers observateurs sont cannibales, ce pourquoi il n’existe aucune preuve
scientifique. De même pour les sacrifices humains que l’on a cru voir à
Tahiti. Il y a eu traitement d’un cadavre sur le marne, mais aucun des
témoins européens n’a assisté à l’exécution, si exécution il y a eu. Le reste
est donc hypothétique. Les Européens voulant à toute force qu’il y ait can-
nibalisme ou sacrifices humains, leurs informateurs locaux leur ont alors
dit tout ce qui pouvait leur faire plaisir (dans la mesure où il y avait vraiment
communication de type linguistique entre les deux camps, ce dont je doute
fort pour les premières décennies de visites intermittentes). Mais cette
déplorable habitude de dire au Blanc ce qu’il veut entendre s’est maintenue
générations suivantes, et n’a pas réellement disparu.
De même pour la légende de la diffusion de la syphilis, en milieu msulaire, par les marins de Wallis, Bougainville, Cook et La Pérouse. Malgré
toutes les affirmations dans ce sens, c’était absolument impossible.
Presque tous les insulaires, Polynésiens ou Mélanésiens, avaient contracté
le pian dans leur enfance et en guérissaient spontanément à l’adolescence.
Or le pian et la syphilis étaient mutuellement incompatibles, donnés par le
au cours des
159
bulletin da la Société das ètude& Océante/i/ies
même tréponème, mais le pian n’était pas une maladie sexuelle, contracté
en marchant
pieds nus sur un sol infecté. Le résultat est que les Océaniens
pouvaient contracter la syphilis, ayant du fait du pian les anticorps
nécessaires pour éviter la syphilis. Ce que les observateurs européens ont
vu est la diffusion de la blennorragie, qui rendait les femmes infertiles.
Quant à la diffusion de la tuberculose, les observations anciennes ne
pouvaient tenir compte de la découverte récente d’une maladie virale existant dans le Pacifique (de la famille des virus dits « lents »), apparentée
à la maladie de la vache folle. Les Polynésiens possédaient les anticorps
pour la variante océanienne, que les Blancs contractaient, et dont ils mouraient, mais par contre les Européens leur apportaient en échange la
variante européenne de cette maladie, pour laquelle les Blancs possédaient les anti-corps, mais pas les Océaniens. Il s’agit de ce qui sera par
la suite décrit à Tahiti, au XIXe siècle, comme une maladie de « langueur ».
ne
De même la destruction des tarodières par les chiens et les cochons
importé par Cook à Balade est à corriger. Le chien, kuli, n’était pas
inconnu dans le Pacifique Sud, où il y en avait partout, servant d’ailleurs
de nourriture aux groupes côtiers polynésiens d’origine, à Ouvéa, à Hiengliène, à Balade et Pouébo. Les chiens de Cook étaient plus grands de
taille. Les porcs se sont multipliés, mais ils avaient de l’espace pour ce
faire. Le problème des tarodières à Balade avait été d’abord celui de la
sécheresse, qui avait coupé leur arrivée d’eau, plus que les déprédations
des porcs. Ces derniers avaient par contre obligé à placer les morts sur
les branches horizontales des banians, pour les protéger. La sécheresse
est à l’origine de l’aspect squelettique des habitants, du fait de la famine,
comme un demi-siècle plus tard à l’arrivée des missionnaires catholiques,
chassés parce qu’ils n’avaient pas voulu partager leurs provisions avec
leurs hôtes canaques affamés. Quant à l’observation par les Français de
l’anthropophagie, c’est là l’expression de l’imagination constante de tous
les explorateurs de l’époque, de même que plus tard, les explorateurs
modernes ajoutaient du cannibalisme là où il n’y en avait pas, pour faire
bien à la salle Pleyel à Paris. Par contre, ce qui s’était passé à Balade était
l’installation de groupes de descendance venant d’Ouégoa, de l’autre côté
des montagnes basses (col d’Amos), voulant être au plus près des futurs
160
N°315/316 -Janvier/Juin 2009
navires qui viendraient, de façon à bénéficier des largesses de leurs équi-
pages (le même phénomène de construction de villages côtiers qui n’existaient pas
avant le premier passage de Cook a été noté aussi en
Nouvelle-Zélande : au prochain voyage, ces villages étaient pleins d’objets à
vendre, dont les fameux pendentifs heitiki, les intéressés en portant alors
plusieurs au cou pour la présentation).
L’histoire de la colonisation anglo-écossaise de la Nouvelle-Zélande
(il n’est jamais dit que cette colonisation était en grande partie écossaise,
et presbytérienne) est une des meilleures écrites en français. Mais elle
comprend des trous. La série des messianismes maoris n’est pas envisagée dans leur succession, ni dans leur ampleur. La réalité de la « royauté »
de la Waikato n’est pas vue dans son efficacité réelle, dont la construction
d’une ligne fortifiée qui ne pourra être prise d’assaut de front (elle a été
remise en état et proclamée monument national) et devra être tournée en
construisant une route sur un marécage.
La qualité technique de la résistance maorie n’est pas comprise. Les
Maoris, comme les Chinois communistes contre les Japonais, comme les
Vietminh contre les forces américaines, ont su s’installer souterrainement
pour la protection physique de leurs familles. Ils avaient inventé de leur
côté toutes les méthodes de fortifications enterrées pratiquées plus tard
par les troupes russes à Sébastopol, et où les Maoris avaient remarquablement calculés tous les angles de tir possible. Us ont même construit de
fausses fortifications destinées à attirer le feu ennemi, eux-mêmes repliés
sur une seconde ligne dont le dessin avait été calculé pour prendre les
assaillants par un tir de flanc, leur causant des pertes sévères. Les échecs
de la répression militaire ont été nombreux, mais soigneusement cachés
par la propagande coloniale, ce qui fait que notre auteur ne s’en est pas
aperçu. Les pertes maories ont de même été moins importantes numériquement que les historiens coloniaux ne l‘ont affirmé. De même encore
notre auteur ne sait pas que la division britannique, constituée de Highlanders et d’Irlandais, a fini par se révolter, général Cameron en tête,
contre la répression déloyale et cruelle dont on l’avait fait l’instrument, et
s’était installée dans une position d’attente, en arrêtant toute opération
offensive. Il faudra la rapatrier. Accessoirement, l’auteur prend Wiremu
161
bulletin de ta Société des études 0<ccdiftie/i/teti
Tamihana pour un chef militaire, ce qu’il n’a jamais été. C’était un homme
d’Etat maori de grande classe, qui s’est battu pour maintenir la paix. L’auteur ne sait pas qu’en 1914, la chefferie de la Waikato et ses alliés se sont
opposés au recrutement militaire pour le front européen, et ont fait l'objet
de ce fait d’une répression policière. La troupe de colons volontaires
créée pour remplacer l’armée a été levée en réalité dans les bas-fonds de
Sydney et d’Auckland, avec promesse d’être payés en terres maories. Ce
n’était que des brigands qui ont massacré sans états d’âmes femmes et
enfants. Une fois de plus l’auteur n’a pas vraiment eu accès aux sources
souhaitables.
Le chemin pris vers l’indépendance par les sociétés coloniales espa-
gnôles est par contre fort bien dessiné. Je n’y vois rien à critiquer, les
masses indiennes andines n’ayant pas été oubliées dans le récit des événements. Dans tous les cas, tout ce qui a trait à l’Amérique Latine et aux
Espagnols en général constitue la meilleure partie de l’ouvrage. Quoique,
par rapport au Pacifique Sud, il aurait mieux valu traiter l’immense monde
indonésien, les communautés maritimes (et austronésiennes) des côtes
de l’Océan Indien et de Madagascar. Le problème eut été alors celui des
sources (en dehors des aventures de Sindbad le marin).
Les problèmes de la Chine et du Japon devant les changements imposés par l’Occident grâce à des traités inégaux, problèmes si souvent traités, sont bien exposés, à ceci près que l’auteur ne sait pas que les Taï Ping
étaient à direction Hakka, et que les réfugiés de la répression, anciens
soldats et cadres militaires Tai Ping, se sont retrouvés aussi bien en Califorme qu’à Tahiti, ce qui n’est pas sans signification potentielle (le Parti
Communiste chinois est lui aussi pour partie à direction Hakka : Chu Te,
Chu en Lai, Deng Siao Ping étaient Hakka).
L’évolution malheureuse d’Hawai’i aux dépens des Polynésiens est
bien connue, tant de livres l’ont analysée depuis un siècle, que l’auteur
reprend les grandes ügnes, sans entrer dans le détail de cette triste histoire de la traîtrise absolue de l’Occident. Mais le rôle de Kahu’umanu,
dans la levée des kapu, sœur première-née de son mari et par cela même
bénéficiant d’un kapu et d’un rnana supérieurs à lui, n’est pas compris
du tout. L’auteur n’a pas lu ce qu’il fallait.
162
N°315/316 - Janvier/fuin 2009
En Mélanésie, le rôle positif de la mission anglicane est bien noté
(ainsi que sa prudence dans toute intervention culturelle potentiellement
destructrice), de même que celui de l’évêque Selwyn, si le détail donné
n’est pas toujours rigoureusement exact parce que trop résumé. L’auteur
ne dit pas que la mission mélanésienne (Melanesian Mission), anglicane
et High Church, a été la première mission à former des prêtres mélanésiens de plein exercice, et pas seulement les subordonnés des missionnaires, un siècle avant toutes les autres missions (1874, ordination du
premier prêtre), ce qui fait qu’ils n’ont jamais eu à souffrir des millénarismes qui poussaient ailleurs comme des champignons. L’œuvre scientifique du révérend Codrington est ignorée. Le rôle, positif ou négatif, des
cadres formés tout d’abord à Auckland, puis à l’île Norfolk, et enfin à
Mota, aux îles Banks, n’est pas mis en évidence. L’un d’entre eux, Lues Si
Waeko, est un des ancêtres à Maré de la famille Pentecost de Nouméa.
Le dossier des Mélanésiens de retour de Fidji, du Queensland et de
Nouvelle-Calédonie, après 1900 et le nouveau gouvernement Labour du
Queensland décidant le rapatriement des travailleurs de couleur (de façon
à obliger au plein emploi des travailleurs pauvres européens, essentiellement Irlandais ; ce point précis, créant le travaillisme catholique et irlandais du Queensland, est inconnu de l’auteur). Ce sera la naissance de la
White Australia Policy, dont le racisme, et la teinte eugéniste, sont parfaitement clairs et pas du tout « officieux ».
Ces retours ont justifié des hypothèses théoriques quant à la fonction nouvelle de ces hommes (et de ces femmes, moins nombreuses) au
sein de leur société de départ. Mais les théoriciens n’en n’ont jamais vu
un seul en face. J’en ai observé des dizaines dans les différentes îles du
Vanuatu, encore agiles intellectuellement et physiquement. Les positions
qu’ils avaient prises étaient absolument de toutes sortes, certains agissant
et préconisant l’entière impücation dans l’économie de production
(coprah, cacao, café), d’autres prenant des positions dans les églises
locales, d’autres encore cherchant à revivifier les structures traditionnelles (pas en y injectant des marchandise européennes pour l’achat de
positions au sein de la hiérarchie de grades, ce qui est un non sens de
l’auteur, ces positions n’ont jamais cessé d’être payées en porcs à défenses
163
bulletin de la Société dex études* Océan
faisant un cercle complet, jamais en argent). Par contre ce dernier jouait
de plus en plus dans les négociations matrimoniales, mais la dimension
du sex-ratio (le nombre de femmes par rapport à celui des hommes) ne
permettait pas à l’argent de réguler ce marché, d’où les individus n’émergeaient que du fait de la solidarité active de leur parenté élargie. D’autres
retours » encore organisaient la rétraction la plus complète possible de
leur groupe de dépendance par rapport au monde occidental. J’en ai rencontré dans les endroits les plus inattendus, se refusant passivement à
tout nouveau contact avec ce monde, qu’ils avaient longtemps fréquenté,
et dont ils avaient vraiment beaucoup souffert, mais exposant sans amertume leur détermination. Aucune des généralisations proposées ne tient
en cette affaire. Quelle que fut la tendance qu’ils privilégiaient, ils étaient
souvent très seuls, et avaient de grandes difficultés à susciter un consen«
sus autour d’eux.
Les étudiants de retour de France expérimentent aujourd’hui la
même résistance de leur société maternelle à toute tentative de la changer, même de l’intérieur.
La description de la naissance de l’expansion nord-américaine dans
le Pacifique et en Asie, est bien racontée, mais elle l’a été par tant de très
bons auteurs que l’on n’apprend rien ici. Il y a là par contre matière ici
à des séries pédagogiques intéressantes. La même analyse sous la plume
de Douglas Oliver était, elle, originale, mieux charpentée et plus concise.
L’auteur recherche l’originalité dans la multiplicité de détails dont la pertinence n’est pas toujours évidente. Par contre, l’histoire du canal de
Panama, telle qu’exposée ici, est assez peu connue en France. Le « scandale » de Panama n’est pas traité, peut-être avec raison.
Par la suite on ne voit pas bien le pourquoi de l’analyse, forcément
répétitive et peu neuve, des convulsions de la Chine et de la constitution
brutale par la France de la Fédération indochinoise. De faibles pseudopodes rattachent ces chapitres à l’histoire du Pacifique. L’auteur ne
connaît même pas la brutalité des méthodes de recrutement de travailleurs
pour la Nouvelle-Calédonie et les Nouvelles-Hébrides, ramassés par force
dans les rues de Haiphong, renouvelant le procédé bien connu de la
presse ». Il veut nous fait croire qu’ils sont venus volontairement pour
«
164
N°315/316 Janvier/Juin 2009
-
pécule. Il aurait pu avoir accès aux archives de 1‘inspection
du travail française des Nouvelles-Hébrides, que j’ai déposées aux Archives
amasser un
de la Nouvelle-Calédonie et qui racontent une toute autre histoire, celle
de la mise sur pied d’une forme d’esclavage insupportable.
La suite, le mouvement révolutionnaire chinois, l'expansionnisme japo-
nais, la création et le développement du Canada, l’instabilité des républiques
d’Amérique latine, montre que l’auteur se désintéresse du Pacifique stricto
qu’à travers les interventions des grandes puissances, reprenant des analyses que tout le monde connaît. C’est tellement
répétitif et connu que la lecture en devient difficile et ennuyeuse. En quoi la
guerre du Chaco et les autres guerres intra-américaines nous intéressentelles ? Et pourquoi le rôle fondamental des ports chiliens, en tant que base
d’appui pour l’expansion militaire et civile française et britannique en Polynésie orientale, n’est-il pas regardé de plus près ? Cela tient plus ici du manuel
scolaire gonflé au possible. Cet ouvrage devrait changer de titre et s’intituler :
Essai sur l'interdépendance des nations environnant l’Océan Pacifique.
En fait, la méthode de compilation choisie, d’apparence sophistiquée, ne lui
permet aucune démonstration particulière. Ne fournissant que les systèmes
d'explication pillés chez les autres, il est condamné à ne pas en fournir qui
sensu et ne voit l’histoire
lui soient propres.
Les chapitres parlant au passage plus proprement du Pacifique Sud
sont traités en résumé, du point de vue de la version blanche des choses
et des événements (il n’y a jamais eu de combat naval entre Anglais et Amé-
ricains à propos de Samoa). Ils sont là pour le principe, pas pour la
recherche de la connaissance. Les dossiers mieux connus, sur lesquels la
littérature spécialisée est nombreuse, comme pour les Aborigènes austra-
liens, sont décrits en fonction de la recherche d’une voie moyenne ne provoquant ni questions ni critiques, et qui cherche à proposer un consensus
acceptable. Ce chapitre est donc meilleur. En ce qui concerne les Maoris
de Nouvelle-Zélande, la volonté de résumer fait que le transfert des
Maoris à la ville au cours de la dernière guerre n’est même pas envisagé.
Mais où l’auteur a-t-il bien pu trouver que le capitaine Paddon avait
imaginé de transférer la population d’Ouvéa au Queensland ? L’administration coloniale française naissante ne l’aurait jamais permis.
165
Œu/Idin de, la Société des, élu des OilceaM€fine&
Plus loin, l’apparition des mouvements millénaristes en NouvelleGuinée n'est pas reliée à la répression de la grève de Rabaul, dont le récit
oublie que le principal facteur de cette grève était celle de la police mili-
tarisée, dont l’auteur évidemment n’a pas entendu parler. Le père de l’actuel premier ministre de Papouasie—Nouvelle-Guinée, Michaël Somaré,
était policier et a participé à la grève, dont il était un des dirigeants. Le
licenciement des participants à la grève a diffusé partout des hommes tout
prêts à prendre la tête des mouvements messianiques.
La description du petit planteur allemand puis australien, étranglé
par les banques, en Nouvelle-Guinée, est imaginaire. Il n’y avait pas de
banques en Nouvelle-Guinée où le crédit était offert par les maisons de
commerce contre la récolte à venir, de coprah, de coton, de cacao ou de
café. Ils étaient par ailleurs subventionnés de diverses manières, dont la
fourniture de travailleurs étrangers à la région où ils étaient installés. Les
photographies de l’époque montrent qu’ils pouvaient jouir au moins d’une
modeste aisance. Leurs problèmes étaient le paludisme et le manque de
femmes. Les colons réduits à une forme voisine de la misère ont existé en
Nouvelle-Calédonie après la crise de 1929, pas en Nouvelle-Guinée où la
découverte de mines d’or dans la vallée de la Markham river a pu pallier
quelque peu les conséquences de la crise économique.
L’histoire de l’interdiction de l’argent européen par le mouvement
John Frum à Tanna est due à l’imagination d’un missionnaire catholique
très excité, originaire de Malte, le père Zacco, que l’on a dû par la suite
retirer de Tanna (le père O’Reilly s’est fait là piéger à donner crédit à
cette fantaisie, imaginée par des catholiques locaux pour se moquer du
bon père). La crise d’achat des marchandises était due à la panique qui
naquit des nouvelles militaires en Europe et de la crainte, justifiée à ce
moment-là, que les marchandises ne disparaissent du marché par
manque de transports maritimes réquisitionnés pour la poursuite de la
guerre globale. Tous les pays du Pacifique Sud ont eu alors des problèmes
d’approvisionnement. Cette crainte n’avait rien à voir avec un millénarisme quelconque et elle était parfaitement rationnelle. Elle prouve seulement que les Mélanésiens, qui avaient le souvenir de problèmes
identiques au moment de la guerre mondiale précédente, appréhendaient
166
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
mieux les conséquences de la situation internationale que les commer-
çants blancs du cru, qui ont pris peur pour rien. A la déclaration de la
guerre de 1939, ma mère, qui avait des souvenirs de ce qui avait manqué
en
14-18, s’est mise à faire des achats de panique, plutôt de prévoyance,
et elle a fort bien fait. Nous avons vécu quatre années là dessus. Les gens
du Pacifique sont des individus parfaitement normaux et l’irrationalité
des comportements n’est pas le moins du monde ce qui les caractérise.
Dans le récit des événements provoqués par les hostilités en Europe,
l’auteur ne sait pas que le pacte de neutralité passé par le Japon (l’accord
Matsuoka) et l’URSS est venu après une guerre non déclarée entre les
Russes et l’armée japonaise de Mandchourie, où les militaires nippons,
dans l’orgueil de leur victoire de Port Arthur un demi-siècle plus tôt,
avaient subi une défaite sévère aux mains des divisions blindées du géné-
ral Youkov, le futur maréchal. Durant toute la guerre du Pacifique, les
chars japonais étaient d’une qualité plus que médiocre, et l’état-major
japonais n’a jamais su en faire une arme efficace. On ne voulait apparemment pas qu’ils soient trop lourds, de façon à pouvoir les transporter
par mer avec les moyens existants (manque absolu de chalands de débarquement). Ils servaient donc en grande partie contre les civils. L’Ailemagne nazie s’est refusée à un transfert de technologie au bénéfice de ses
alliés, en ce qui concerne ses blindés, qui étaient les meilleurs avec les
bündés de l’Armée rouge.
Le détail de la guerre du Pacifique n’est pas enthousiasmant, tant la
connaissance du détail pertinent manque. L’auteur ne sait pas que cette
guerre a été menée par les Américains, essentiellement avec leurs troupes
d’élite, les Marines, toujours en pointe, par exemple à Guadalcanal. Là où
ils utilisaient des biffins ordinaires, en Nouvelle-Guinée, les opérations
s’étendaient en longueur pour éviter les pertes, et les troupes austrabennes étaient plus efficaces et plus mordantes. La décision d’utiliser la
bombe atomique a été due aussi à la fatigue physique de ces unités d’élite,
ayant subi de lourdes pertes aux approches du Japon (l’auteur les sousestime de beaucoup), et dont les membres s’attendaient à ne pas survivre à
l’attaque de l'archipel nippon, ce qui n’était pas bon pour leur moral.
L’état-major a craint des effondrements collectifs de formations entières.
167
Œidletùt de- la Société des études- 0icea/uen/ies
Il n’y a jamais eu 300 000 Marines débarquant à Hollandia. L’auteur ne
sait pas que les Américains ont mis deux années à mettre au point leur
guerre sous-marine, parce que leurs torpilles passaient sous les bateaux
qu’ils prenaient pour cible et explosaient au-delà. Les torpilles japonaises
étaient de meilleure qualité.
Le reste de l’ouvrage est une tentative, toujours encyclopédique, de
relater l’après-guerre, toujours en résumé là où l’auteur n’est pas pris
par son sujet. Pour l’ensemble de cet ouvrage, se référer aux diverses
têtes de chapitre telles qu’elles sont traitées dans l'Encyclopœdia Britannica permettrait d’être infiniment mieux informé, par les meilleurs
spécialistes. L’auteur a travaillé pour rien. Un addendum révèle qu’il s’agit
là d’un travail collectif, à fins pédagogiques, ce qui explique la formulation par dossiers successifs, mais même les dossiers pédagogiques doivent donner leurs sources. Que les reproches s’adressent en réalité à
plusieurs auteurs ne change rien : ils demeurent.
Jean Guiart
Sylvie André Le roman autochtone dans le Pacifique Sud,\
Penser la conliiinilé
L’Harmattan, Paris, 300 p, 2008
L’ouvrage semble tomber bien. Son inconvénient de méthode est qu’il
est condamné à comparer des choses fort différentes; d’une part des
auteurs restés insérés, à Samoa, en Nouvelle-Calédonie, chez les Maori de
Nouvelle-Zélande (la littérature papoue n’est pas traitée), dans une société
encore bien
vivante, malgré d’effroyables coups du sort coloniaux, d’au-
tre part des auteurs tahitiens qui courent après une culture disparue, et
une société
qui n’existe plus telle qu’elle a pu être, dont ils ne connais-
sent que des bribes, et dont une partie de ces bribes sont de toute évidence
erronées, inventées par des auteurs popa’a (anciens ou nouveaux, de
même que chez les Maori, l’inventionpakeha parallèle, « la migration de
la flotte », a failli jouer le même rôle d’un facteur d’acculturation renforcée, mais a été détournée par les Maori à leur avantage).
168
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
En Nouvelle-Zélande, l’anthropologie sociale britannique appliquée
wx Maori a donné des résultats
décevants, sinon parfaitement trompeurs,
quand on a défini ces derniers comme constitués d’unités patrilinéaires,
alors que la succession matrilinéaire est aussi importante que celle en
lignée masculine, et que les Mes premières-nées sont supérieures, en
maria et en lapii. au premier de leurs frères, et que le fils aîné de telles
femmes est de rang supérieur à son propre père. Ce qui rejoint les règles
similaires, dites de l’hypergamie, pratiquées à Fidji, Tonga et Samoa, mais
aussi en Mélanésie orientale, et explique le nombre de cas où ce sont des
femmes maori qui assument le pouvoir local : elles peuvent être aussi
chefs et prêtres à la fois, comme les hommes (ce qui était hérétique aux
yeux des auteurs blancs aveuglés par leurs idées a priori).
Cet environnement n’est pas connu de fauteur du livre, qui ne se rend
pas compte que la société maori, en dehors des aspects mécaniquement
déterminés par un nouvel environnement plus froid, est à la fois conservatrice de facteurs culturels antérieurs au départ des îles de la Société, et
porteuse d’une évolution spécifique depuis ce temps-là. Au heu de tourner
en rond dans un vide culturel sidéral, les intellectuels tahitiens devraient
se pencher sur ces cousins du Sud, si proches d’eux et qu’ils ont si peu fréquentés. Ils ne vont jamais chez les Maori quand ils se rendent en NouvelleZélande. Cela leur permettrait de construire, en opposition à la littérature
blanche qui les concerne, et qui constitue tout ce qu’ils ont sous la main,
une vision plus critique et plus solide de leur passé.
En effet, ce passé est bien mal compris. L’auteur parle du cycle de
Maui étant le mythe fondateur de la société polynésienne, ce qui est une
énorme bourde. Maui n’est pas seulement un dieu polynésien, il est aussi
une des divinités principales, sinon même centrales, dans tout l’est de la
Mélanésie et jusqu’en Micronésie, où il fait encore l’objet d’un culte
vivant. Sur l’île d’Emae, au centre Vanuatu, le prêtre de Maui est d’une
lignée mélanésienne, qui agit au nom de tous, y compris au bénéfice des
habitants du village de langue polynésienne de Makata, auxquels le culte
et le mythe de Maui n’appartiennent pas. Sur l’île de Tanna, Maui est une
des deux principales divinités, pêchant les îles tranquillement, avec un
hameçon (pas avec la mâchoire de son grand-père maternel), du haut
169
Œid/ctiri de la ^Société des études* Océan
du Mont Mélén. Sur Efate, on ajoute qu’il le fait à partir d’une liane verticale de banian, qui lui sert de balançoire, et qu’il est par ailleurs à l’ori-
gine de la mer, lui ou le fils qu’il a eu de Sina. En allant vers l’Est le
personnage de Maui a pris quelque ampleur, à Tonga et Samoa, jusqu’en
Polynésie orientale, où il s’attaque à l’origine de la mort, dans un mystère
quasi philosophique. Mais le Maui mélanésien avait déjà la capacité de
faire revenir à la vie les victimes d’un ogre dont il avait provoqué la mort
en le trompant successivement, jusqu’à enfin le tuer, et ouvrir ses
entrailles devenues übératrices.
Le problème de Mme Sylvie André, lorsqu’elle nous dit qu’il faut faire
échapper les mythes au ghetto de l’ethnologie, est qu’elle est parfaitement
ignorante des conditions dans lesquelles se recueille convenablement un
texte de tradition orale, elle ne sait pas faire et on ne lui a pas appris,
mais aussi qu’elle n’a pas lu non plus Claude Lévi-Strauss et par conséquent ignore la révolution méthodologique que ce dernier a introduit
dans l’étude des mythes. Il n’existe jamais un mythe dans l’absolu. Nous
ne disposons que de variantes, chacune étant appropriée par un groupe
de descendance particulier, ce qui fait que les différences entre les versions se révèlent sociologiquement pertinentes. Chacune de ces variantes
est aussi scientifiquement valable et authentique que les autres. Il n’existe
pas un mythe authentique et des versions transformées ou édulcorées.
L’étude scientifique des mythes doit prendre en compte toutes les variantes
attestées et par conséquent tous les groupes sociaux intéressés par l’une
ou l’autre de ces variantes (cf. Lévi-Strauss, La voie des masques, Plon).
Evidemment, les esprits purement littéraires fuient devant de telles obligâtions de méthode. Ils préfèrent les raccourcis anciens, même s’ils sont
à chaque fois faux. Le ghetto n’est fait que de la simplicité de ceux qui en
affirment l’existence. Ils auront peut-être le royaume des cieux en apanage, mais cela ne nous arrange pas ici.
On peut cependant consoler Mme André. Les ethnologues ne disposent pas de la pierre philosophale en ce qui concerne le mythe. Ils
ont longtemps commis bien des erreurs (on ne peut scientifiquement
traiter d’une variante isolée des autres, ni de chacune dépouillée de
son contexte), et certains ne savent encore ni comment le recueillir, ni
170
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
comment le traiter de façon convenable. Le dossier n’a que très peu
avancé au cours des cinquante dernières aimées. Seuls les meilleurs élèves
de Maurice Leenhardt, de Marcel Griaule, ou plus tard de Claude Lévi-
Strauss, ont reçu les moyens de s’en tirer et ont accumulé sur ce point une
expérience rare et précieuse. D’autant que les progrès de méthode sont
encore à se diffuser lentement dans le monde académique anglo-saxon.
Ce dernier avait été justement détourné du sujet par les erreurs monstrueuses des spécialistes blancs de la culture maori faisant strictement
n’importe quoi avec cette tradition orale, trafiquant les textes, les censurant ou y ajoutant des développements de leur cru (on en a fait autant
avec la tradition orale tahitienne, et Mme André montre bien comment les
auteurs les plus récents ont peu de retenue devant ce qu’ils prétendent
assumer comme leur propre tradition). Les règles traditionnelles de la
philologie doivent être rigoureusement obéies, et en particulier le respect absolu des sources. Les compilateurs n’ont rien à voir dans ce dossier. Ce sont trop souvent des fabricants de faux mythes. Le problème en
Polynésie française, par rapport à tant d’autres pays du Pacifique Sud plus
chanceux, c’est que les sources, on les a presque toutes perdues. On ne
dispose plus que d’informations indirectes, et si souvent des seuls écrits
de faux témoins, comme Mœrenhout, mais il est loin d’être le seul.
Les meilleurs textes ont été écrits spontanément par des écrivains
océaniens. On en possède de Micronésie, de Polynésie, dont des textes
maori nombreux et bien traités par des érudits maori (les textes présentés par Sir Apirana Ngata, sont les meilleurs possibles et traités de la
meilleure façon), de Mélanésie orientale et des îles Salomon (recueillis
par Codrington et ses successeurs), en plus de ceux recueillis en NouvelleCalédonie par Maurice Leenhardt, par moi-même, par Alban Bensa, JeanClaude Rivierre, son épouse et Mme de la Fontinelle. C’est à ces textes
qu’il convient de se référer, et pas à ceux des compilateurs maladroits
qui encombrent le champ sémantique. Mme Sylvie André ignore entièrement cet aspect essentiel du dossier, alors que tout, ou presque, est disponible en édition, en plus des centaines, sinon des milliers de cahiers
conservés dans les familles à travers toute la grande région, certains en
une forme d’écriture codée, et qui contiennent une connaissance dont
171
THuUetin c/e la Société des études 0iceame/mes
disposons encore aujourd’hui qu’en partie (on en trouve tous les
jours un nouveau). Si Mme André avait eu accès à ces textes, elle aurait
écrit autrement. Il existe pourtant un ouvrage excellent, portant sur la tradition orale concernant la « royauté » de Raiatea. Elle ne semble pas
savoir que ses propres développements ici sur « la parole » proviennent
directement de Maurice Leenhardt, et à travers lui du sculpteur de
masques, puis pasteur protestant canaque Bwesou Eurijisi (Leenhardt,
DoKamo, Gallllimard 1947, pourtant cité dans la bibliographie).
Ses références sont peu critiques. Son admiration pour Victor Segalen n’est pas justifiée. Les Immémoriaux sont un très beau livre, au plan
littéraire. Mais sur celui de la réalité polynésienne, il est faux de bout en
bout, présentant une société parfaitement imaginaire, d’une utopie
romantique échevelée. Les conseils prodigués sur le bateau, à Segalen
par un soi-disant ethnologue, me font rire. Il n’existait pas en France
d’ethnologue à cette époque-là, seulement des médecins qui donnaient
dans une anthropologie physique racialiste et très colonialiste (détruire
le colonisé en le faisant passer pour un primitif), et M. de Quatrefages a
surtout exprimé des idées fausses. Il faudra longtemps en France, et
essentiellement l’intervention, d’abord de Marcel Mauss, de Marcel
Griaule, de Maurice Leenhardt, puis de Claude Lévi-Strauss, pour que se
développe quelque chose qui ressemble à une ethnologie authentique et
scientifiquement sérieuse (ne pas confondre avec le travail des folklolistes, savants urbanisés s’intéressant aux aspects « primitifs » de la vie
paysanne). Les Immémoriaux représentent une construction littéraire
qui s’apparente plus au Kalevala finlandais ou au Barzaz-breiz breton.
Du point de vue de l’authenticité culturelle, c’est une fabrication, de même
que, du même point de vue, le Tahiti aux temps anciens, si admiré et
cité, est pour beaucoup une autre fabrication, à laquelle personne n’a le
courage intellectuel de s’attaquer en faisant preuve de méthode critique.
Ce que l’auteur ne dit pas, c’est qu’il n‘y a rien de plus ennuyeux et
plus monotone que la littérature coloniale, qui accumule des poncifs qui
remontent au complexe de supériorité des anciens citoyens romains, sinon
à l’orgueil culturel de la Grèce athénienne vis-à-vis du monde « barbare ».
Parallèlement, la littérature anti-coloniale peut être tout aussi monotone,
nous ne
172
N°315/316 Janvier/Juin 2009
-
accumulant de la même manière les mêmes poncifs, quoique inversés. La
recherche réussie d’une originalité se rencontre chez peu de plumes océanienne citées ici, Mme Déwé Gorodé à Nouméa et Albert Wendt à Samoa,
au travers de
descriptions de la violence qui sourd de toutes parts dans les
paradis insulaires qui nous sont proposés. Je peux témoigner de la réalité
empirique de leurs descriptions. Tout ce qu’ils racontent présente un fondement dans la vie quotidienne insulaire. Par rapport à ces écrivains de
poids et de talent, une partie de ce que l’on nous propose à Tahiti est de
l’eau de rose, ou relève d’œuvres issues d’une imitation de salons littéraires. Je ne suis jamais sûr de n’avoir pas sous mes yeux que juste un peu
de chair, toujours la même, disposée autour d’un squelette pas vraiment
nouveau, des mêmes idées a priori que l’on exploite jusqu’à plus soif.
La vie des femmes de la société demie est plutôt tranquille, sinon
prospère, même si elle n’est pas franchement enthousiasmante, même si
elles donnent mezzo voce dans la contestation d’un Occident, qu’elles
retrouvent sous une autre forme, tous les dimanches, au temple ou à
l’égüse, en même temps que la semaine à la banque ou au supermarché.
Les situations décrites apparaissent non comme le fruit d’une expérience
douloureuse, mais comme celui de la reconstruction artificielle d’un scénario imaginé de toutes pièces. C’est un peu la littérature du sanglot du
crocodile sur sa victime, avant qu’il ne la dévore. Ces dames vivent, dans
le fait, de ce qu’elles dénoncent. Ce qui se passe dans les coins sombres
du pays côté montagne est laissé de côté. Quant à leurs héros syndicalistes,
la réahté genre Hiro Tefarere en fait plutôt des électrons libres flottant au
hasard des circonstances que les sauveurs d’un pays régénéré. Le Taui
tant espéré sombre dans la comédie de genre. Et le roman tahitien se
donne des racines qui n’existent pas vraiment.
La fonction de l’écrivain (e) se révèle ici plutôt négative, la création
quotidienne de la bonne conscience pour ceux dont la vie ne devrait pas
changer, ayant atteint une sorte d’équihbre médiocre et satisfaisant. La
parole d’une bienséance si légèrement contestatrice substituée à l’acte
libérateur. Que l’on ne s’y trompe pas. J’ai toujours admiré Henri Hiro et
je l’ai soutenu comme j’ai pu. Je regrette sa disparition. Il avait tenté et
apporté beaucoup. J’accepte bien volontiers la légitimité et l’authenticité
173
ÇûullelJn de- la Société dex ëtudex Ûiveamennest
de la démarche de Turo Raapoto, que je suis pourtant mal pour des rai-
linguistiques, qui sont de son choix. Mais d’autres positions me
paraissent assez artificielles et moins bien ancrées dans la réalité insulaire.
Ce qui est un peu inévitable étant donné la forme d’écrasement culturel
dont a bénéficié la Polynésie Française, la « gomme », comme l’exprisons
niait autrefois le père Patrick O’Reilly.
En face d’auteurs, plus au Sud, qui savent se battre au quotidien et
malaxer sans peur la pâte douce amère de leur propre société. Les écrivains maori y parviennent presque à tous les coups. Mais eux ne donlient pas
dans la telenovela des sociétés par trop métisses. Ils
s’affirment en résistant à leur manière à la société blanche, restée très
coloniale, puritaine, raciste et assimilatrice au compte-gouttes, qui les
écrase encore jour après jour. La saga des intellectuels maori de
l’avant-guerre, anoblis par la reine, et qui ont cherché, chacun à sa
façon, à faire avancer les choses, n’a pas libéré leur peuple d’un iota.
Il a fallut tout recommencer, avec des méthodes plus brutales, dont les
marches pour la terre, ou montrer ses fesses, par mépris inversé et renvoyé à l’expéditeur, une fois l’an, à Waitangi, à la reine d’Angleterre ou
au prince de Galles.
De ce point de vue, le comparatisme de Mme Sylvie André est ici informatif et salutaire. Il est regrettable qu’elle ne se soit pas intéressée aux
autobiographies, dont celle du président Michaël Somaré, qui caractérisent
pour le moment la littérature papoue de Nouvelle-Guinée. On y apprend
comment se fait, dans la réalité, le saut qualitatif de la dépendance d’une
brutalité extrême (par manque de moyens, et par peur, le Blanc colonial
se réfugie dans une forme de terrorisme appliqué à l’insulaire : il y a les
victimes, mais aussi ceux qui ont l’art de passer entre les gouttes), à une
indépendance où la domination brutale est remplacée par une relation
élastique, contre laquelle on s’élève sans jamais pouvoir y échapper, à
moins d’y substituer une autre domination (celle un jour de la Chine continentale poursuivant sa croissance exponentielle). Ces autobiographies présentent une même caractéristique, elles magnifient le rôle de la femme, et
surtout de la mère, ce qui est un facteur constant des littératures non européennes dans le Pacifique Sud, dont Mme André traite bien peu.
174
N°315/316 Janvier/Juin 2009
-
La littérature insulaire, que la notion d’émergence caractérise fort
mal, constitue une superstructure selon Marx. C’est dire qu’elle dépend
entièrement des modalités de la structure socio-économique. La Polynésie Française a donné après guerre, après l’épisode héroïque du RDPT et
du prophète chrétien Pouvana’a a O’opa, une société et une culture de l’à
peu près, une forme de médiocrité plus cachée qu’assumée. Elle a là ainsi
la littérature qu’elle mérite.
En Nouvelle-Calédonie, à Samoa, en Nouvelle-Zélande, les rares
écrivains canaques, samoans, et les plus nombreux écrivains maori,
hommes et femmes, ont été beaucoup plus militants, au point pour Albert
Wendt à un moment d’être victime chez lui d’une forme de mise à l’index. Mme Déwé Gorodé a le problème de sa fonction ambiguë de ministre de la culture inamovible et de vice-présidente du
gouvernement local
(elle a fait preuve d’une énergie dont ses collègues masculins n’ont pas
la capacité), par rapport à la détermination de son militantisme indé-
pendantiste (ses anciens camarades de combat sont aujourd’hui piégés
dans des fonctions officielles ou dans des conseils d’administration, et
l’indépendance n’apparaît plus que comme un lointain fantasme). Les
écrivains maori se trouvent confrontés au dilemme d’une volonté d’in-
dépendance culturelle dans un pays où l’indépendance politique est
impossible, du moins depuis que la nation maori a choisi de s’établir
majoritairement dans les villes. Ils sont condamnés ainsi à manier à la
fois l’eau et le feu. Il n‘est pas certain que la génération des écrivains
pionniers voie poindre une couche littéraire de remplacement du même
calibre. L’évolution future des httératures océaniennes risque d’être aussi
ambiguë que la situation où elles se trouvent placées.
On aimerait par contre que la littérature qui se veut tahitienne, et
qui
ne l’est que pour partie, redescende un
peu sur terre, et se penche sur la
souffrance quotidienne des siens, plutôt que sur les interrogations conceptuelles d’un tout petit nombre. Réduite par l’auteur au rang d’écrivain
régionahste, Mme Célestine Hitiura Vaite, elle au moins, à sa manière,
parle des souffrances du peuple tahitien, avec humour et pourtant chaque
histoire est une histoire triste, quoique rarement tragique ? Elle est très lue
parce qu’elle colle à la réalité. On y voit que la réponse tahitienne à la
175
bulletin da la Société des- études Cicea/uctmes
situation coloniale maintenue, c’est de vivre autant que possible au quotidien comme si les Popa’a n’existaient pas. Cela pourrait suggérer à leurs
hommes (et femmes) politiques, des stratégies plus originales que celles
auxquelles ils s’accrochent aujourd’hui.
Pour ma part, je n’apprécie guère la technique rédactionnelle de
l’auteur de l’ouvrage, ainsi que d’autres auteurs ailleurs, de couper les
œuvres d’autrui en petits morceaux et de les recoller selon un plan qui
se veut rationnel, mais n’est jamais vraiment entièrement justifié, parce
que si souvent parfaitement artificiel. L’œuvre est inséparable de hauteur,
et l’on ne nous dit rien ici des écrivain(e)s cité(e)s, alors qu’on nous a
tout appris de la vie de nos totems nationaux. Je connais bien personnellement certains auteurs océaniens, j’aimerais être mieux informé,
dans tout le détail pertinent, sur les autres. Or, je ne trouve rien ici, les
auteurs pourraient aussi bien ne pas exister. Une analyse qui se veut
exclusivement littéraire et ne manie que des idées suspendues en l’air,
finit pas être si difficile à lire que l’ouvrage vous tombe des mains. On ne
le reprend pas toujours. Le chapitre portant sur les littératures émergentes est le plus aisément compréhensible, montrant en particulier que
les écrivains femmes tahitiennes proposent une écriture plus intellectuelle
que venant des tripes, on se demande pourquoi ? Comme si elles croyaient
nécessaire de se justifier d’être à la fois femmes et tahitiennes. Le seraientelles en réalité si peu, tahitiennes ?
Je n’apprécie pas du tout que l’auteur se soit courbé devant la manie
nord-américaine de numéroter ses chapitres et ses paragraphes sous l’aspect de codes chiffrés. Typographiquement, c’est affreux. Et visuellement,
cela bloque régulièrement le plaisir de lire.
Une erreur amusante dans la bibliographie : Le Colon Brossard, de
Paul Bloc, est devenu Le Colonel Brossard. Doit-on en tirer des conséquences psychanalytiques ?
L’ouvrage principal de Mme Déwé Gorodé, Lte Mûrûru, n’est pas
cité, même dans la bibliographie. C’est pourtant le meilleur, et le plus dur,
aussi le plus véridique. Toutes les horreurs coloniales touchant les
femmes, qu’elle décrit avec une force concentrée, mais aussi avec la minutie du chirurgien, sont parfaitement exactes. L’exploitation sexuelle des
176
N°315/316 Janvier/Juin 2009
-
femmes est le revers honteux de l’aventure coloniale. L’ouvrage, épuisé,
s’est vendu à Nouméa à trois mille exemplaires, ce qui est exceptionnel.
Il n’y a pas trois mille lecteurs habituels en Nouvelle-Calédonie, mais trois
cent. Mme Gorodé a su toucher très au-delà de la classe intellectuelle,
essentiellement provisoire et expatriée, mais indéfiniment renouvelée.
Personne ne sait pourquoi l’auteur se refuse à le rééditer.
Jean Guiart
177
Bilan moral 2008
Le Bulletin
En 2008, les bulletins parus sont les numéros 312, 313 et le 314
avec un
décalage en 2009.
Les publications
La réédition du Stimson fut la seule réalisation éditoriale autre que
le bulletin de l’année.
Les Salons
La SEO est membre de l’Association des Editeurs de Tahiti et des des.
En 2008, votre présidente en assurait la présidence et votre trésorier la
trésorerie. La SEO a été physiquement présente à tous les salons à savoir :
-
celui de Paris du 14 au 19 mars où votre présidente consolida les
Üens avec nos habitués et en noua d’autres.
-
Celui de Moorea qui fut une première appréciée du public et où
nombre des membres du CA furent présents : Yves Babin, Jean
-
-
-
Kape, Constant Guéhennec, Michel Bailleul et votre présidente.
Celui de Taravao les 26 et 27 septembre où nous fûmes bien
accueillis tant par la mairie que par la population reçue par votre
présidente, Yves Babin et Jean Kape.
Celui du ministère d’Outre-mer fut annulé.
Celui de Papeete à Te Fare Tauhiti Nui les 21, 22 et 23 novembre
où dans une ambiance conviviale ce fut la fête du livre, les permanences étant assurées par
Yves Babin, Jean Kape, Constant Gué-
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
hennec, Moetu Coulon et Christian Beslu. Des visiteurs saisirent
l’occasion de nous prêter des photographies de Makatea.
-
Ceux des îles Sous-le-Vent eurent lieu le même week-end des 5 et
6 décembre, Yves Babin nous représentant à Bora Bora et votre
présidente à Raiatea. L’AETI étant doté d’un budget plus restreint,
la SEO dut assurer seules les dépenses représentant une moyenne
de 25% des recettes.
Les Salons sont des moments privilégiés de rencontre avec des lecteurs et aussi des auteurs. Pour la SEO, dans la mesure où il y a une
répartition des charges avec l’AETI au moins pour le Salon de Paris, les
dépenses sont largement équilibrées par les recettes qui souvent les excèdent. En tous les cas, l’ensemble des dépenses reste dans le cadre du
budget prévu.
Conseils d’administration
et Assemblées générales d’autres structures
La SEO est titulaire de :
-
deux sièges au conseil d’administration du Musée de Tahiti et des
îles
-
-
Fare Manaha, sièges tenus par Simone Grand et Yves Babin.
siège au conseil d’administration du Centre des métiers d’art qui
Constant Guéhennec,.
un siège au conseil d’administration de l’Association des éditeurs
un
se réunit une à deux fois par an avec
-
de Tahiti et des Iles (AETI) avec Yves Babin et Simone Grand, qui
se réunit pour
-
un
organiser les salons.
siège à la Commission des sites et monuments naturels avec
Eliane Hallais Noble-Demay.
-
La SEO n’est plus titulaire d’un siège au conseil d’administration de
la Maison de la culture, Te Fare Tauhiti Nui, mais Robert Koenig
continue d’y siéger, à titre de personnalité qualifiée, et assure ainsi
la liaison de la SEO avec cet organisme.
Notre Vice-président Jean Kape assure la médiatisation de la parution
de nos bulletins.
179
Œulletùi do lu Société de& études Océan
Toutes les décisions sont prises par votre Conseil d’administration
qui s’est réuni 4 fois avant ou après le comité de lecture.
Furent poursuivies, affinées et/ou résolues :
-
la clarification des co-éditions antérieures avec Haere Po et Le
Motu,
-
-
la convention de co-production d’un film avec Marc Louvat,
la limitation de la vente de livres en notre bureau aux seules productions de la SEO, celles d’associations, du Musée de Tahiti et des
îles et du service des archives.
-
-
l’informatisation de nos données,
l’évolution du site internet.
Nous fûmes sollicités pour les tiki de Raivavae acquis par la SEO au
début du XXè siècle, confiés aux autorités qui les ont promenés ci et là
avant de les fixer au Musée de Papeari, site le moins propice à leur
conservation.
Nous avons reçu en don, une carapace de tortue des Galapagos du
début du XXè siècle. Nous l’avons déposée dans notre réserve de documents...
Ces deux faits mettent en exergue l'impossibilité pour la SEO de pren-
dre soin aujourd’hui d’objets autres que des livres et documents.
Le Musée de Tahiti et des îles nous a adressé un avant-projet de
convention de cession des objets de la SEO conservés dans ses réserves
et salles d’exposition, entraînant au sein de notre CA : le soulagement et
l’émoi. En effet, si l’unanimité se fait autour de l’indispensable consulta-
tion de l’Assemblée générale pour décision, deux tendances existent :
-
l’une se fondant sur le fait qu’après avoir collecté et conservé des
objets y compris au musée de Papeete, la SEO doit désormais passer le relais à la structure réunissant les
compétences et moyens
(Musée de Tahiti et des îles). Ceci sous réserve que :
1.1a SEO conserve deux membres au sein de son Conseil
d’Administration,
2. que l’origine (SEO) soit mentionnée sur chaque objet cédé,
3. que tout prêt à un tiers reste soumis à la décision de la SEO.
180
N°315/316 - Janvier/Juin 2009
-
l’autre tendance désire maintenir le statu quo au moins durant le
temps nécessaire à la réunion de tous les documents (rapports,
courriers) témoignant de l’implication et de la volonté de ceux qui
précédés dans un bulletin spécial. Une fois ce bulletin
réalisé, le projet de convention amendé sera transmis à tous les
membres et une Assemblée générale extraordinaire sera conviée
pour décider.
Nous attendrons la maquette du bulletin spécial jusqu’au 1er octobre 2009. S’il n’est pas remis à cette date-là, c’est la première tendance
qui reprendra le dossier pour le présenter à l’Assemblée générale ordinous ont
naire de mai 2010.
Tel est le bilan moral que nous soumettons à votre approbation.
La Présidente
Simone Grand
181
bulletin de la Société des études- 0icea/uenne&
SEO
Bilan 2008
En banque au 31 12
CCP
429 166
BP
5 358 874
5 788 040
Recettes
Prévues
réalisées
Dépenses
Report au 31 12 07
4 980 839
4 980 839
Cotisations
1 300 000
1 750 927 Fcnt
Ventes directes
Ventes en librairies
900 000
2 600 000
1 477 120 Salaire + cotis CPS
3 088 200 2 communiq presse AG
Prévues
Réalisées
400 000
435 516
1 080 000
1 225 119
60 000
44 610
50 000
30 000
100 000
76 820
Salon PPT*
350 000
Salon Paris*
80 000
Salon Raiatea*
65 000
122 000 Salon Raiatea
12 500
29 950
Salon Bora Bora
65 000
118 000 Salon Bora Bora
12 500
47 500
Salon Octobre*
50 000
annulé Salon Octobre
100 000
126 740
Salon Moorea*
80 000
58 400 Salon Moorea
10 000
55 398
Salon Presqu’île*
80 000
96 500 Salon Presqu'île
10 000
10 000
110 000
136 185
Vente Mururoa (Beslu)
Subvention
8 000
2 000 000
201 500 Salon PPT
85 202 Salon du livre/Paris
plus isolé Achat de livres
0 Achat/ARCH
50 000
277 000
Rembst/Haere Po
50 000
49 201
Achat/ Acad Tahit
12 500
0
Achat Afarep
7 500
0
Achat/ Montillier
Cotisation AETI
35 000
20 000
20 000
BSEO n° 311 + envoi
629 600
591 919
BSEO n° 312 + envoi
625 000
603 850
BSEO n° 313 + envoi
622 000
618 422
BSEO n° 314 + envoi
630 000
n r
Réédition Jaussen
973 118
973 118
Réédition Stimson***
2 545 400
330 000
Réédition Papa Tumu
300 000
n r
Exposition
Particip Rééd, Tahitiens
album Rapa
réédition Papeete
400 000
n r
400 000
n r
2 000 000
n r
513 271
n r
Livre de chants
700 000
n r
Imprévus, Réception
informatique, tvx, logiciel
100 000
Avance AETI
500 000
Avance billet
Total
12 558 839
11 978 S88 Total
‘Cotisations exclues
Résultat à reporter
182
5 504 860
n r
292 480
125 880
12 558 389
6 473 828
N°315/316 - Janvier-Juin 2009
Budget
prév. 2009
Recettes
Dépenses
Report 2008
5 504 860 Font
Cotisations
1 350 000 Salaire + cotis CPS
Prévues
500 780
1 220 000
Ventes directes
1 000 000 Cotisation AETI
20 000
Ventes en librairies
2 600 000 Achat de livres
130 000
Salon PPT
300 000 Salon PPT
Salon Paris
129 500 Salon du livre/Paris
Salon Bora Bora
90 000 Salon Bora Bora
30 000
Salon Moorea
60 000 Salon Moorea
60 000
SalonTaravao
80 000 Salon Taravao
15 000
Salon Marquises
80 000 Salon Marquises
80 000
50 000
300 000
RembstAETI 2008
500 000 Achat Afarep
18 000
Rbst billet AETI 08
125 880 Achat/ARCH
250 000
Rbst AT N oct 2008
126 740 Achat/Acad Tahit
Dictionnaire pa’umotu
Achat/ Montillier
BSEO n° 314 + envoi
35 000
630 300
BSEO n° 315-316 + envoi
930 000
BSEO n° 317 + envoi
630 000
Réédition Papa Tumu
400 000
Particip, exposition MTI
Particip Rééd, Tahitiens
album Rapa
réédition Papeete
400 000
Livre de chants
Total
12 000
2 215 400
500 000
1 000 000
400 000
700 000
Particip svegarde tiki Raivavae
350 000
Dictionnaire mangareva
720 500
informatique
Imprévu
200 000
11 946 980 Total
150 000
11 946 980
Résolutions de l'Assemblée générale
Résolution 1 : Le Bilan moral est approuvé
Résolution 2 : Le bilan financier est approuvé
Résolution 3 : Le budget prévisionnel est approuvé
183
Publications de la Société des Etudes Océaniennes
Prix réservé aux membres, en vente au siège de la société/Archives Territoriales de Tipaerui
Dictionnaire de la langue tahitienne
par Tepano Jaussen (llème édition)
Dictionnaire de la langue marquisienne
2 000 FCP
17 €
par Mgr Dordillon (3èmc édition)
Dictionnaire de la langue paumotu
2 000 FCP
17 €
par J.F. Stimson et D.S. Marshall (2ème édition)
Dictionnaire de la langue mangarévienne
2 000 FCP
20 €
2 000 FCP
20 €
700 FCP
6€
2 000 FCP
17 €
par Ernest Salmon
Les cyclones en Polynésie Française (1878-1880),
1 500 FCP
13 €
par Raoul Teissier.
Chefs & notables au temps du Protectorat (1842-1880),
1 200 FCP
10 €
par Raoul Teissier.
Généalogies commentées des arii des îles de la Société,
1 200 FCP
10 €
par Mai’arii
Choix de textes des 10 premiers bulletins de la S.E.O.
1 500 FCP
13 €
1 500 FCP
13 €
1 200 FCP
1 200 FCP
10 €
10 €
1 200 FCP
10 €
1 200 FCP
10 €
par Christian Beslu
Tranche de vie à Moruroa,
1 200 FCP
10 €
par Christian Beslu
Naufrage à Okaro
par Christian Beslu
Les âges de la vie - Tahiti & Hawai’i aux temps anciens
Par Douglas Oliver.
Tahiti au temps de la reine Pômare,
par Patrick O’Reilly.
Tahiti 40,
par Emile de Curton
Collection des numéros disponibles
4 000 FCP
34 €
1 900 FCP
16 €
2 500 FCP
21 €
1 500 FCP
13 €
1 500 FCP
13 €
200 000 FCP
1676 €
par Edward Tregear (2™e édition)
Etat de la société tahitienne à l’arrivée des Européens,
par Edmond de Bovis (2™e édition)
Journal de James Morrison, second maître à bord de la Bounty,
traduit par Bertrand Jaunez
Alexandre Salmon et sa femme Ariitaimai,
(mars 1917-juillet 1925)
Papeete, BSEO n°305/306
par Raymond Pietri
Papatumu - Archéologie
Colons français en Polynésie orientale, BSEO n°221
par Pierre-Yves Toullelan
Les Etablissements français d’Océanie en 1885
(numéro spécial 1885-1985)
Moruroa, aperçu historique 1767-1964,
des Bulletins de la S.E.O. :
Le Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes
Le Bulletin de la Société des Etudes océaniennes (B.S.E.O.)
paraît depuis mars 1917.
Le Bureau de la Société accepte les articles qui paraissent
dans son Bulletin mais cela n’implique pas qu’il épouse les théories
qui y sont ou qu’il fasse siens les commentaires et assertions
des auteurs qui, seuls, en prennent toute la responsabilité.
Aux lecteurs de former leur appréciation.
Le Bulletin ne fait pas de publicité.
Le Bureau
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peuvent être traduits et reproduits, à la condition expresse que
l'origine (n°, date et pages) et l'auteur soient mentionnés.
Pour toute communication relative à la Société ou à son Bulletin,
s’adresser à la Présidente de la S.E.O.,
B.P. 110,
98713 Papeete, Tahiti - Polynésie française.
Pour tout achat de Bulletins, échange ou donation de livres,
s’adresser au siège de la Société.
Le B.S.E.O. est envoyé gratuitement à tous les membres de la Société.
Cotisation pour l’an 2009 :
membres résidents en Polynésie française : 5 000 F. CFP
membres résidents en France métropolitaine et Dom-Tom : 42 €. plus frais de port.
Règlement : mandat ou virement postal. Autres pays : 70 $ US par transfert bancaire
Imprimé à Tahiti par l’imprimerie STP Multipress
Mise en page : Backstage
Dans ce numéro vous trouverez :
des légendes parues dans de tous premiers bulletins, un
article d'Eric Conte et Patrick V. Kirch sur des vestiges datant
de la période pré-européenne, deux études de Laurent Burel,
l'un sur la démographie, l'autre sur le couvent de Rouru, le
courrier du gouverneur au ministre des Colonies lui transmettant un rapport de l'administrateur des Gambier, une ré-
flexion du frère Leport sur l'attitude des représentants de la
République envers l'école durant la période de tension entre
laïques et cléricaux en métropole, un état de la flore mangapar Jean-François Butaud, des comptes-rendus de
lecture et, pour la première fois, d'écoute d'un compact dise.
Les bilans moral et financier, le projet de budget et les résolutions approuvées par notre assemblée générale du 28 mai.
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 315 -316