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e x Libras
B.E.& M.TH. DANIELSSON
•' J
ILES DU PACIFIQUE
PAR
H.
JOUAN
Capitaine de vaisseau en retraite.
AVEC
UNE
CARTE
PARIS
LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET C1»
108,
BOULEVARD SAINT-GERMAIN
Au coin do lu rue Hautefeaille.
Tou» droits réservés.
LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET C"
B IB L IO T H È Q U E U T IL E
Volumes in-32 de 190 pages, br. 60 c., cart. 1 fr.
G é o g ra p h ie p h y siq u e , par Geikje, professeur îi l'L'niversité d'Edimbourg, traduit de l’anglais par H. Gra
vez, ingénieur (avec figures).
G éologie, par Geikie, traduit de l'anglais par IL Gravez,
avec 47 figures dans le texte.
L es île s (lu P a c ifiq u e , par II. J ouan, ancien capitaine
de vaisseau.
L e s m ig ra tio n s d e s a n im a u x , par Zaborowski.
L es p h é n o m è n e s c é le s te s , par Z urciier et M arGOLLÉ.
L e s c o lo n ie s b r ita n n iq u e s , par H. Bi-erzy, ancien
élève de l’Ecole polytechnique.
T o rre n ts , fleu v es e t c a n a u x d e la F r a n c e , par
IL Blerzy, ancien élève de l'Ecole polytechnique.
L es p h é n o m è n e s d e l'a tm o s p h è r e , p ar Zurcher,
ancien élève de l’Ecole polytechnique. i« édition.
H isto ire d e la t e r r e , pur Buotiuer. ü" édition.
N o tio n s d ’a s tro n o m ie , par L. Catalan, professeur à
l'Université de Liège. 3e édition.
L es p h é n o m è n e s d e la m e r , purE . Margollé. o 'é d i
tion.
L e s c o lo n ie s françaises, par Paul Gaffarel. 1 vol.
in-8, 3 fr.
L e s r é c if s d e c o ra il, leur structure, leur distribu
tion, par Cn.
D a r w ix .
1 vol. in-8, S fr.
L e s g la c ie rs , par J ohn T ïkdall. 1 vol. iu-S, avec
figures, cart, à l’anglaise, G fr.
I.e s v o lc a n s , par Fucus. 1 vol. in-8, avec figures,
cart, il l’anglaise, G fr.
LES
ILES DU PACIFIQUE
INTRODUCTION
Ce petit livre a pour but de présenter avec
tous les développements que perm et le peu
d’espace dont Fauteur dispose, principalement
au point de vue de l'histoire naturelle, le ta
bleau des iles de l’Océan Pacifique dont l’en
semble compose F O c é a n i e , en très grande
partie d’après les observations qu’il a été à
même de faire dans ces parages lointains, où
l’ont plusieurs fois conduit les chances de la
vie maritime.
N o t a . — On s’est servi, pour écrire les noms
de lieux, de peuples, e tc ., de l’orthographe
adoptée par les missionnaires des différentes
communions, devenue officielle dans certaines
îles aujourd’hui très avancées en civilisation.
Dans les mots poly nésiens et micronésiens, « se
prononce comme ou en français; e comme
notre è fermé ; au se prononce a-o ; eu, é-ou ;
ai comme notre interjection aïe; ei, oi, comme
e-ie. o-ie, très ouverts
Dans les mots néo-calédoniens, et en géné
ral dans tous les mots mélanésiens, on a suivi
l'orthographe française; l’e final, quand il ne
porte pas d’accent, est m uet; ou s’écrit comme
en français.
Les milles sont des milles marins de 1852
m ètres; les lieues, des lieues marines de 20
au degré.
On a rejeté un certain nombre de notes ii la
fin du volume.
CHAPITRE PREMIER
GÉOGRAPHIE 1
Océan Pacifique. — Découvertes successives. — ltaces
humaines; type noir, Lype brun. — Divisions géogra
phiques de Dumont d'Urville, de D. de ltienzi, des
Anglais.
Le vaste espace de mer compris, d’une part
enlre les côtes occidentales des deux Amériques, et
les rivages orientaux de l’Australie et de l’Asie de
l’autre, est connu sous les noms de Grand Océan,
(l'Océan Pacifique et de Mer du Sud. La première
de ces dénominations est la seule vraiment conve
nable ; l’épithète de Pacifique, applicable tout au
plus à une petite portion de cette grande mer, de
vient une véritable ironie quand on l'étend à tout
l’espace limité à l’est et à l’ouest comme il vient
d’être dit, et au nord et au sud par les cercles
polaires, et dans lequel, non seulement les parties
situées en dehors des tropiques, mais encore la
zone comprise enlre ceux-ci, sont soumises à de
I . Voir, page 8, la carte îles Iles du Pacifique.
grandes perturbations atmosphériques. Quant au
nom de Mer du Sud, on peut se demander pourquoi
ce nom donné à une mer qui s’étend autant au
nord qu’au sud de l’Équateur?
Le Pacifique est parsemé, surtout dans sa partie
centrale, d’un nombre considérable d’iles, en gé
néral à faible surface, quelquefois isolées à de
grandes distances les unes dos autres, mais le
plus souvent réunies en archipels. Les géographes
ont fait de l'ensemble de ces iles, en y joignant la
Nouvelle-Hollande, plus connue aujourd’hui sous
le nom d'Australie, et qui, par scs dimensions,
peut passer pour un continent, une cinquième
partie du monde, I’Océanie. Au premier coup
d’œil jeté sur une carte, on est porté à croire que
les positions de ces archipels les uns par rapport
aux autres ne sont pas indifférentes, mais qu’elles
semblent résulter d’une loi, qui devient, en effet,
évidente, quand on considère l’aspect, le relief, la
constitution géologique des différentes iles.
Les premières relations authentiques du vieux
monde avec la partie occidentale de l'Océanie (la
Malaisie) datent des découvertes des Portugais
dans l’Inde, mais ils avaient très probablement été
précédés dans ces parages par les navigateurs
arabes. Les Portugais avaient peut-être aussi, dès
1350, étendu leurs courses aventureuses jusque
vers les grandes terres situées dans le sud-est de
l’Asie, Nouvelle - Hollande, Nouvelle - Zélande :
c’est ce qui semble ressortir de vieux documents
portugais et espagnols. 11 -est au moins plus que
supposable qu’ils avaient entendu parler de la pre-
— 7 -
miôrë d.: cos terres par les Malais qui poussaient,
jusqu'à sa partie nord-ouest, pour pêcher le tripang. Dans tous les cas, la partie orientale de
l’Océanie était inconnue, lorsque, le 25 septembre
1513, Vasco Nunez de Balboa, du haut d'une mon
tagne du Darien, découvrit la mer à l'ouest, et,
entrant dans l’eau jusqu’à la ceinture, l’épée nue
à la main, prit possession, au nom du roi des Espagnes, de cet océan qui couvre presque la moitié
du globe et baigne un monde étrange dont il ne
soupçonnait pas l’existence.
Quelques années après, Magellan, franchissant
l’extrémité sud de l’Amérique par le détroit auquel
on a donné sou nom, se lança, nouveau Colombians
cette vaste mer. Un hasard malheureux voulut qu’il
la traversât daus toute sa largeur sans rencontrer
de terres, sauf un ou deux îlots insignifiants.
Scs découvertes se bornèrent à l’archipel des'
Larrons, appelé plus lard archipel des lies Ma
riannes, et à celui des Philippines où il périt dans
un combat avec les naturels. De ses cinq navires,
partis de San-Lucar en 1519, un seul revint au
port au bout de plus de trois ans, prouvant ainsi,
pour la première fois d’une manière tangible, la
sphéricité de la terre.
En 1526, Alvarez do Saavedra, parti du Mexi
que, arrive aux Moluques, et, en essayant de re
tourner à son point de départ contre des vents
contraires, découvre une partie de l’archipel des
Carolines et visite, en 1528, la Nouvelle-Guinée,
dont un Portugais, Menesez, avait eu connaissance
l’année précédente.
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résidions, les malades allaient ordinairement se
confiner dans des grottes, d’où ils revenaient bien
rarement en vie. 11 y a peut-être un argument en
faveur du darwinisme dans cette tendance à l’iso
lement qu’on retrouve chez les animaux malades.
Ne serait-il pas aussi eu droit d’invoquer l’habibitude du flair qu’on trouve d’un bout à l’autre do
l’Océanie? Quand nous demandions à un Nukuliivien le nom d’une plante, s’il ne la reconnaissait pas
tout d’abord, il la flairait avec soin dans toutes ses
parties avant de se prononcer. Les Polynésiens,
les Papous pareillement, quand ils se rencontrent,
se frottent réciproquement le nez; cet acte n’est
pas un simple salut : « ce sont deux êtres qui se
Haïrent; ils ne se sont pas vus depuis longtemps,
ou bien ils sont tout à fait étrangers l’un à l’autre,
et ils se sentent comme feraient deux singes1 » (16),
Aux maladies que les Océaniens avaient déjà,
la fréquentation des navigateurs en a ajouté d’au
tres. La syphilis est répandue presque partout,
1. Jules Garnier, Océanie, 1871.
— 113 —
sinon partout,, présentant souvent l'aspect sous
lequel elle est apparue au xvi° siècle, et dont Fracastor a fait l’elTrayant tableau.
Les rites funéraires n’étaient pas partout les
mêmes. Aux iles de la Société, le cadavre était
placé, dans une bière faite de deux petites pirogues
renversées l'une sur l'autre, sur un échafaudage
recouvert d’un toit en feuilles, jusqu’à la décom
position des chairs ; alors .les os, lavés et ralissés,
étaient enfouis dans un monument funéraire, le
marné (moral), eu môme temps consacré à la
prière et aux sacrifices. Aux iles Marquises, on
pose aussi le tupapao (cadavre) sur un échalTaudage; mais le plus souvent, surtout dans le groupe
nord-ouest de l’archipel, on le momifie en le
frottant constamment avec les mains trempées
dans de l'huile de coco; les intestins sortent par
l’anus à mesure qu’ils se décomposent. Il faut
avoir vu faire cette dessiccation (hakapahaa) pour
se faire une juste idée de ce qu’elle a de hideux,
d’horrible. Au bout d’un mois ordinairement, le
corps est desséché et n’exhale plus de mauvaise
odeur; on le couche alors dans.le cercueil com
posé de deux troncs d’arbres creusés, qu’on en
toure d’étoffes et de bandelettes ; on le suspend au
faite de la maison, ou on le porte dans quelque
cavité de rochers.
A la Nouvelle-Zélande, avant l'introduction du
christianisme, les morts étaient inhumés seule
ment trois jours après le décès, bien frottés d’huile ;
ils n’étaient pas mis eu terre couchés tout de leur
long, mais assis, les membres inférieurs repliés
J ouan. — LXV.
8
coutre le ventre. On disposait sur la tombe des
vivres, quand il s’agissait d’un personnage impor
tant-, pour la nourriture de son waidiua (l’âme)
pendant son voyago jusqu’à Reinga, le cap Nord
de l’ile lka-a-Maui, où se réunissent les chefs
morts ; quant aux gens des classes inférieures, ils
meurent tout entiers. Au bout du temps néces
saire pour la décomposition, on déterrait le corps,
et les os étaient portés dans quelque Gavernc, sé
pulture de la tribu ou de la famille.
Partout los funérailles sont accompagnées de
pleurs, du cris, de hurlements, commençant, lu
plus souvent plusieurs jours avant le trépas du
moribond dont tout ce tapage hâte certainement
la (in. Les femmes se tailladent la ligure avec des
coquilles, des éclats de bambou ; le sang coule
abondamment do ces plaies; elles pleurent de véri
tables larmes et rient aux éclats une minute
après! Quelquefois, quand le défunt était un per
sonnage marquant, on immolait quelques victimes
humaines; c'était do règle aux iles Sandwich, et
quand nous étions aux ilos Marquises, chaque fois
quion entendait dire quo quelque chef ou quelque
prêtre do haut rang venait de mourir; partout où
ne s’étendait pas directement notre autorité, tout
le monde était aux aguets, surtout les individus
appartenant à de petites tribus faibles, à cause dos
individus à la recherche de victimes pour apaiser
les mânes dui défunt. La tribu de ce dernier était
ordinairement soumise à un long tabou, plein do
restrictions très;gènante&i
L'habitude de préparer, de dessécher au, moyen
— Hü —
de la fumée les télés des ennemis pour en faire
des trophées, et quelquefois celles de leurs parents
en souvenir d’eux, semble avoir été particulière
aux Néo-Zélandais.
La naissance des enfants no donne lieu, en gé
néral, à aucune cérémonie. Dans la plupart des
archipels, ils ne sont pas élevés par le père et la
mère, mais par des parents d'adoption ; à peine
une femme est-elle enceinte que c’est à qui retien
dra l’enfant à naître. Ces adoptions, motivées sans
doute par le désir de se procurer des alliances
avec d’autres tribus, produisent dans les parentés
une eonfusiou difficile à débrouiller. Il y a, en
outre, des adoptions entre gens de tout âge; rien
de plus commun que de voir un enfant se dire le
père ou le grand’père d’un vieillard.
Une coutume, qui tient des parentés d’adoption,
consiste à changer de nom avec un ami, ce qui
crée une amitié beaucoup plus étroite et des de
voirs, des obligations réciproques.
Le mariage n’est, en général, qu’une simple con
vention : on se quitte avec la même facilité qu’on
s’est engagé. La polygamie est rare; quelques chefs
seuls se permettent io luxe de plusieurs femmes,
mais il est assez commun de voir une femme
ayant plusieurs maris vivant en bonne intelligence.
La condition des femmes, chez les Polynésiens
e( les Micronésiens, est ordinairement meilleure
que chez la plupart des peuples sauvages; sans
ôlre lout à fait les égales des hommes, il n’y a pas
entre elles et eux la distance qu’on voit ailleurs,
chez les noirs océaniens par exemple. Quelques-
—
n e
—
au temps de Wallis, la fameuse Pomarê, Vaekéhu à
Nukuhiva, la grande prêtresse Mataheva dans la
même ilc, etc.}. Il y aurait pourtant une exception
à faire pour la Nouvelle-Zélande où la condition
de la femme était misérable.
Presque partout, avant le mariage les filles dis
posent de leurs personnes comme elles l’enten
dent et ne s’eu font pas faute, dès l’âge de onze ou
douze ans, mais, une fois mariées, il faut l'ordre ou
l'autorisation du mari, que celui-ci donne tou
jours, quand cela lui rapporte, bien entendu.
Les nouveau-nés ne manquent pas de soin ; ce
pendant l'infanticide était très commun chez la
plupart des Polynésiens et des Micronésiens, et
dans beaucoup d'endroits on le pratique encore
sans scrupule. Avec cette coutume criminelle, les
parentés d’adoption, le peu de consistance du ma
riage, on ne doit pas s’étonner si, dans ces socié
tés, les liens de famille étaient très relâchés.
Les Polynésiens ont une nombreuse hiérarchie
de dieux (Etna, Alun), dont on voit les grossières
images sculptées en pierre ou en bois ; quelquesunes de ces idoles en pierre dure ont dû coûter
beaucoup de travail avec les outils primitifs d’au
trefois. A la fin du dernier siècle, on trouvait des
prêtres, des chefs, qui gardaient le dépôt des tradi
tions et des croyances; mais depuis lors, les prédi
cations des missionnaires, la fréquentation des na
vigateurs, l’envahissement des étrangers, les pro
grès plus ou moins marqués de la civilisation,
— H7 —
tendent à faire disparaître rapidement les traditions
des anciens âges ; à peine trouve-t-on aujourd’hui
un petit nombre de vieillards et de prêtres capables
de donner sur leur mythologie compliquée quel
ques détails incohérents qu’on a beaucoup de
peine à leur arracher, beaucoup plus parce qu’ils
sont eux-mêmes très ignorants sur tout cela que
par tout autre motif. Le reste du peuple l’est en
core bien davantage, et môme, dans certains en
droits, les jeunes gens, devenus sceptiques au con
tact des étrangers, se défendeul de rien entendre
à tous ces radotages. Les premiers missionnaires
protestants ont aussi beaucoup contribué à faire
oublier les traditions religieuses en proscrivant
comme des péchés, presque des crimes, tout ce
qui pouvait en rappeler le souvenir.
Les divers' éléments constituant le monde ont
été créés par des dieux différents qui changent
quelquefois de nom suivant les iles, mais leur his
toire est la même. Maui a fait sortir les terres des
eaux ; Atea, le dieu des pierres, en pêchant à la
ligne, a retiré de la mer un énorme rocher qui a
approvisionné le monde en cailloux; Toètia préside
au tonnerre ; Hanau a créé les poissons ; Tiki est le
dieu et l’inventeur du tatouage ; aux iles Marqui
ses, c’est le dieu le plus en faveur; son image,
un homme monstrueux, avec un nez épaté très
large, de grands yeux, une bouche énorme, un
gros ventre, les jambes fléchies, les bras collés au
corps, les mains se joignant sur l’abdomen, se voit
partout. Dans le même archipel, Tupa est sans
doute le père des autres dieux, el Hina, sa femme,
— 118 —
leur mère. Aux iles Sandwich, Pélé, la déesse des
feux souterrains, habite le cratère de lvilauea. Le
principal des dieux tahitiens était Oro, le dieu de
la guerre; Tangalou était en grande favour à la
Nouvollo-Zélaude. Les Néo-Zélandais avaient un
chant religieux et patriotique, le Pihé, commun à
•toutes les tribus de l’ile du Nord ; mais déjà, au
temps de d’Urville (1827), il n’était que très im
parfaitement compris par ceux qui le cbantaienl.
Dans toutes les iles, chaque vallée, chaque localité
a son dieu particulier, en sorte que le nombre
total des divinités est incalculable. Ces divinités
ont, en général, la forme humaine; los indigènes
de Hawaii prirent Cook pour Lono. un de leurs
premiers souverains, exilé volontaire de son pays,
déifié ensuite, et qui avait promis à ses sujets de
revenir un jour visiter leurs descendants; aussi
n'hésitèreul-ils pas à décerner à Cook les 'honneurs
divins que ce dernier, il faut le dire, accepta avec
une certaine complaisance, et sa mort violente, du
fait de ses adorateurs, n’eut pas pour clfet de les
désabuser. Outre cos dieux à forme humaine, dans
quelques iles on adorait des animaux, los requins,
par exemple, aux iles Tonga. Ailleurs, on adressait
dos prières à des fétiches, des plumes, des mor
ceaux de bois, de petites idoles, etc.
S’il faut en croire le capitaine ErSkine, aux iles
Samoa, au lieu de faire créer la terre ferme par
un dieu pêchant à la ligne, on raconte quo les
iles et les rochers sont tombés du ciel.
Los prêtres des divinités son! de doux sortes ;
les tami ou grands-prêtres et grandes-prêtresses,
et les luhuka (lultuna, tuhumja), de rang inférieur,
très peu importants en comparaison des autres.
Les premiers cumulent les fonctions de médecins et
d'interprètes de la divinité, y joignant souvent la
rpialitê do chef, et disposant du tupu, ce qui suffit
pour les faire craindre. Dans les circonstances or
dinaires, les Polynésiens — surtout aujourd’hui —
sont peu respectueux à l'endroit de leurs dieux et
de leurs prêtres; ils vont même jusqu’à considérer
ces derniers à peu près comme des imposteurs
dont ils devinent les jongleries, — la ventriloquie
est un des principaux moyens employés pour
faire entendre la parole de ïetua à la foule ;— mais
telle est la force de l’éducation et des préjugés
qu’ils observent aveuglément tout ce que ces im
posteurs leur commandent, jusqu'à se laisser
mourir si ces derniers leur persuadent qu'ils ont
enfreint quelque tabou.
11 existence croyance à une autre vie, mais cette
croyance revêt une forme poq consolante; ainsi .les
chefs, les puissants, les heureux de ce monde, au
ront encore la richesse et la puissance dans l’autre,
tandis que les pauvres diables meurent tout en
tiers, ou vont tout au plus dans une sorte d’enfer
où ils n’ont pas plus de jouissances que dans ce
monde-ci. C’est de cet enfer [hamii, liavaihi) que
sortent les revenants qui viennent tourmenter les
vivants. Pour tous les Polynésiens, l'homme a,
connue chez les anciens, un esprit, une âme
(kuhane aux iles Marquises, toividua à la Nou
velle-Zélande) résidant dans le souffle. C’est pour
celte raison que fou presse fortement, avec tes
mains, la bouche el les narines des mourants, afin
d’empêcher leur «âme do s’échapper, procédé qui
hâte très souvent leur fin. Dans quelques iles, l’es
prit séjourne dans le ventre; mais, le plus ordinai
rement, c’est dans l’œil gauche qu’il se trouve.
Après la mort, il reste pendant plusieurs jours aux
environs du cadavre; à la Nouvelle-Zélande, c’est
au bout du troisième jour que le waiilm se rend
au cap Reinga.
Aux iles Marquises, par suite de son isolement,
de la difficulté de communiquer avec les vallées
voisines, chaque vallée forme ordinairement une
unité politique, un centre habité par une tribu re
connaissant un chef (hakaiki). Quelquefois il y a
autant de tribus cl de chefs que de groupes de
maisons. La loi salique n'existe pas : la femme ou
la fille peuvent hériter de la dignité du mari ou du
père. Dans les circonstances ordinaires de la vie, la
plus parfaite égalité règne entre les chefs et leurs
sujets dont rien ne les distingue. 11 n’y a que dans
les cas graves, tels que la guerre et la préparation
des fêles, qu’ils exercent une autorité réelle. Au
trefois, le pouvoir des luikaiki était considérable,
sans contrôle, accepté sans contestation, mais au
jourd’hui ils ne sont plus que les patrons, les
maîtres faciles de domestiques plus ou moins
nombreux qui vivent sur leurs terres comme fer
miers ou comme serviteurs. 11 y a aux Marquises
une véritable aristocratie de naissance qui possède
la terre et a pour clients le reste de la population ;
ailleurs on trouve la communauté des biens par
tribu, ou par famille, el la propriété individuelle.
L'organisation sociale et politique des Néo-Zé
landais rappelait beaucoup les anciens clans
d’Ecosse. Dans l’archipel des Sandwich, jusqu’au
jour où Karaehameha le soumit tout entier à son
autorité, chaque ile obéissait à des chefs différents,
mais il y avait pourtant une sorte de féodalité.
11 en était de môme aux ilos de la Société. Cha
que ile avait un souverain distinct (arii-rahi), et
môme chacune des deux péninsules dont l’ensemble
constitue Tahiti avait le sien. \! arii-rahi avait pour
vassaux des arii qui, dans les circonstanscs ordi
naires, étaient tout à fait maîtres dans leurs districts ;
mais, dans les grandes circonstances, la guerre par
exemple, il commandait tous les contingents qu'ils
étaient tenus de lui fournir. Au-dessous des arii,
une sorte de classe noble occupait les terres qu’elle
tenait d’eux ; puis venaient des prolétaires auxquels
étaient dévolus les travaux manuels. Dès que
Yarii-rahi ou un arii avait un enfant, le pouvoir
appartenait à ce dernier dès le moment de sa nais
sance; son père n’était plus qu’un régent, qui ne
s’approchait plus de son enfant qu’en lui donnant
les marques extérieures de respect dues aux per
sonnes de haut rang, et dont une consistait à ne se
présenter devant elles que le haut du corps décou
vert jusqu’à la ceinture.
L’archipel doit son nom européen, iles de la So
ciété, aux Arioï, qui formaient une corporation,
une confrérie ayant ses initiations, ses mystères,
sa hiérarchie, ses statuts. Les femmes y étaient en
commun ; l’avortement et l’infanticide étaient les
règles fondamentales de l’association. On a cru
,oir da us les arioi une institution économique
par laquelle dos législateurs prévoyants, de vérilables Malthusiens, se seraient proposé d'arrêter
l'aceroiseinenl exagéré de la population sur des
terres où les ressources alimentaires étaient forcé
ment restreintes. Telle était peut-être l’idée pre
mière de l'institution, mais celle*ci n’avait pas
tardé à dégénérer, ot elle ne servait plus qu’à fa
voriser la débauche la plus illimitée et à épargner
aux femmes les soucis ot les embarras de la ma
ternité. Les arioi ont disparu devant la prédica
tion du christianisme.
Dans les plus anciens récits sur l’archipel Tonga,
on le voit tout entier sous l’autorité d’un chef
unique, d’origine divine, de Tui-Tonga, qui cumu
lait le pouvoir spirituel avec le pouvoir temporel ;
dans la suite dos temps, ce dernier pouvoir arrive
peu à peu à l'emporter sur l’autre; l’autorité se
fractionne entre plusieurs chefs, lorsque, dans le
commencement de ce siècle, deux hommes remar
quables, Tiuauje père, puis Finau de (ils, prépa
rent, par leurs luttes et leur persévérance, le retour
de l'autorité entre les mains d’un seul individu
qui commande à des vassaux hiérarchisés, les épi,
les matabulé, deux classes nobles, les mua, intermé
diaires entre la noblesse et le polit peuple, tua.
Gomme.oelaa presque toujours— sinon toujours
— lieu chez les peuples primitifs, Tétai de guerre
était à peu prés permanent dans la Polynésie et
dans la Micronésie, et c’est encore le cas au
jourd'hui dans beaucoup d’iles. Les armes étaient
dos easse-téte, des lances armées de pointes de
— 123 —
pierre ou il oâ, des sagayes jetées à la main, des
frondes:; l’arc et les flèches n’étaient pas en
usage (17). Les guerres ne consistent le plus sou
vent qu’eu embuscades, en surprises; aujourd’hui,
elles soûl peu meurtrières, depuis Xintroduction
des armes à feu dans presque toutes les iles du Pa
cifique, parce que, au lieu de se joindre corps à
corps comme autrefois, on se contente d’escarmoueher, souvent à des distances incroyables.
Quelques coups tirés au hasard, avec de mauvais
fusils, constituent une bataille dans laquelle il n’y
a pas toujours mort d'homme, mais malheur à
ceux qui se laissent surprendre! Ils sont, presque
toujours impitoyablement massacrés, el la plupart
du temps leurs cadavres sont dévorés par les
vainqueurs.
L’anthropophagie:a été trouvée en vigueur pres
que partout dans l’Océanie, chez les races noires
comme chez les races brunes; elle est pratiquée
encore aujourd’hui dans beaucoup d'archipels dont
les habitants ont pourtant, depuis de longues an
nées, des relations très fréquentes avec les Euro
péens. Les belliqueux Néo-Zélandais ne faisaient
pour ainsi dire la guerre que pour avoir l’occasion
de faire de copieux repas de chair humaine. Aux
Marquises, le cannibalisme existe encore, mais
sur une échelle bien moindre; on mange peut-être
encore de l’homme dans une partie des Paumotu,
à coup sur dans la plupart des iles microuésiennes.
Presque partout les sacrifices humains accompa
gnent l’anthropophagie.
Elle n’existait pas à Tahiti lors de la découverte
m —
par Wallis, mais on y sacrifiait des hommes aux
dieux, et, dans les sacrifices, il y avait une céré
monie qui était certainement une réminiscence du
temps où le cannibalisme aurait été en vogue : le
prêtre arrachait avec le petit doigt l’œil gauche de
la victime (séjour de l’âme) et le présentait au
chef qui faisait semblant de l'avaler. C'était un
des privilèges des grands chefs; avant d’avoir pris
le nom de sa dynastie, la reine Pomaré s’appelait
Ai-mata, et ce nom, auquel on a voulu trouver
une signification poétique, veut tout simplement
dire Manr/e-l'œil.
En 1778, les Hawaiiens témoignèrent à Cook une
horreur profonde du cannibalisme; il parait cepen
dant que ce sentiment n’était pas général et qu’un
chef aurait dit au navigateur anglais que rien n’était
savoureux comme la chair humaine : on mangeait
aussi quelquefois les cadavres des princes pour
qu’ils ne fussent pas profanés. On a sacrifié des
hommes aux dieux dans l’archipel hawaiien jus
que vers 1820.
Les naturels de Tonga, d’après Mariner (18), au
raient dù l'anthropophagie aux rapports très fré
quents qu’ils avaient avec les Fidjiens, mais, au
lien d’en faire, comme ceux-ci, une habitude de
tous les jours, ils ne s’y livraient que par accident;
par ailleurs, on sacrifiait aux dieux des femmes et
des enfants. Eu signe de deuil, on se coupait une
ou plusieurs phalanges des doigts des mains; au
jourd'hui, on rencontre encore beaucoup d’indivi
dus ainsi mutilés. Il paraîtrait que le cannibalisme
n’aurait été qu’accidentel aux iles Samoa.
i
Le manque 't'espace ne nous permet pas de rechercher les causes de l’anthropophagie, de dis
cuter la question de savoir si elle a procédé ou
suivi les sacrifices humains. Nous craignons bien
que toutes les sociétés, à leur berceau, n’aient
commencé par être anthropophages, poussées par
le besoin d’une alimentation plus substantielle et
plus assurée que celle que pouvaient procurer des
végétaux poussant spontanément, la pèche ou la
chasse, quand on n’avait à sa disposition que les
instruments primitifs de la pré-histoire; sous ce
rapport, nos ancêtres ne valaient ni plus ni moins
que les cannibales de la Mer du Sud; mais, plus
tard ce ne fut plus le besoin seul qui poussa les
hommes à manger leurs semblables. Sans sortir
du Pacifique, nous trouvons des populations très
bien douées, ayant des mœurs et des institutions
qui paraissent incompatibles avec cette barbarie ;
elles y furent incitées par des motifs plus élevés,
des causes morales, s’il est permis d’employer ces
mots en pareil cas, la gloriole, la vengeance satis
faite, etc. Un vieux chef des Marquises, autrefois
grand mangeur d'hommes, nous a souvent dit
qu’en réalité la chair humaine était bien moins
savoureuse que la viande de porc, et que l'anthro
pophagie était beaucoup plus une affaire de gloriole
qu’autre chose; cependant il convenait qu’il y
avait une certaine satisfaction, qui avait bien son
prix, à faire un repas plus succulent que le repas
habituel de popoi (pâle de fruit à pain). A l’appui
des causes morales dont nous parlions tout à l’heure,
on peut invoquer ce qui s’est passé à la Nouvelle-
— 126 —
Zélande pendant la guerre que les Maoris faisaient
aux Anglais, il y a vingt ans. Nous avons été té
moin do l’émotion causée à Auckland; en 1861,
quand on y apprit qu’à lai suilo d’un combat, los
Maoris vainqueurs avaient arraché le cœur et les
yeux des soldats anglais tués et les avaient dévo
rés, ospérant, conformément à l’antique croyance,
hériter par là do la bravoure de leurs adversaires,
qu’ils ne contestaient nullement;: et pourtant ces
Maoris étaient dos chrétiens, des protestants fer
vents, qui avaient, quelque temps auparavant,
reproché amèrement aux Anglais de les avoir
attaqués un dimanche, à l’heure de l’office divin!
Sur des récits de cannibalisme et sur des actes
de violence Gommis par eux, ou a accusé la plu
part des Océaniens de perfidie, de cruautés atroces ;
nous ne prétendons pas les excuser toujours : ainsi
on no tarda pas à reconnaître que le nom d'lies
îles Amis donné aux iles Tonga, parce qu’on n'avait
pas vu d’armes entre les mains des habitants, était
une ironie, les relations de ces derniers avec les
navigateurs ayant presque toujours été, jusqu’à
une date très rapprochée de nous, signalées par
dos actes d’hostilité. En 1787, ceux des-iles Samoa,
sans aucune provocation, massacrèrent le second
de La Pérouse, de hanglè, el onze marins de l’ex
pédition : aujourd’hui, tout le monde s’accorde pour
vanter leur caractère, la douceur de leurs mœurs.
Tous los insulaires de la Mer du Sud, disent les
navigateurs du dernier siècle, étaient d’etfrontés
voleurs : d’accord, mais ne faut-il pas faire la part
de la curiosité et des tentations irrésistibles, à la
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vue d'objets fioul ces hommes intelligents avaient
toul de suite compris l'usage et l’utilitê? Les étran
gers niétaienl-ils pas queltjuefcis bien sévères dans
la répression de larcins souvent insignifiants et
que, dans tous les cas, ils auraient pu éviter avec
un peu de surveillance?
Quand le Pacifique commença à ôtro sillonné
parles navires de commerce, baloiuiors, sandaliers,
troqueurs, etc., ce fut bien pis: de toutes parts
s’éleva un concert de plaintes sur la cruauté, la
perfidie dos insulaires; on n’entendit plus que de
lugubres histoires d’équipages entiers tués et
mangés; cela arrivait et arrive encore assez fré
quemment, il est vrai ; mais, en allant au fond des
choses, il faut reconnaître que les premiers torts
ne viennent pas toujours (les sauvages, que ceuxci n’agissent souvent que par représailles à l'égard
d'étrangers peu scrupuleux qui se croieul tout per
mis, môme dos actes qui, en pays civilisé, seraioul
punis comme des crimes. Nous pourrions citer,
malheureusement on grand nombre, des faits igno
minieux dont nous avons été témoin, — et triste à
dire — très souvent les naturels sont excités à la
violence par des vagabonds dont on trouve des
échantillons dans toutes les ilos, déserteurs do
navires, échappés des bagnes de l’Amérique occi
dentale et de l’Australie, qui donnent au monde le
Iriste spectacle de l’homme civilisé redevenu sau
vage. Combien de Kanaks n’ont-ils pas été enlevés
par des baleiniers ayant besoin de compléter leurs
équipages, puis jetés à terre loin de leur pays, sans
rémunération, quand on n’avait plus besoin de
—
128
—
leurs services? Il n’y a que quelques années, — et
peut-être cela se pratique-t-il encore, — que des na
vires parcouraient le Pacifique par ce qu'on appelait
par euphémisme le labour trade, c’est-à-dire l’enga
gement volontaire des travailleurs, et qui n’était, on
réalité, que le rapt, le vol à main armée de mal
heureux insulaires qu’on allait ordinairement ven
dre aux exploiteurs, du guano des iles Chinchas.
Les Polynésiens et les Micronésieus ont, comme
tous les sauvages, tous les peuples primitifs, une
somme de bonnes qualités et de mauvaises; chez
les uns, un caractère plus expansif, dil peut-être
à une plus grande facilité d’existence, met les pre
mières en relief : c’était le cas des Tahitiens, qui ne
semblaient être créés que pour le plaisir, qui néan
moins égorgeaient dos victimes humaines et se li
vraient à des cruautés envers les vaincus dans
leurs guerres presque continuelles, en même temps
qu’ils répondaient aux procédés de répression
sommaire et brutale des étrangers par de doux
reproches : •< Vous vous dites nos amis et vous nous
tuez » (voyage de Bougainville), et continuaient à
leur donner l’hospitalité la plus large. C’étaient
avant tout des gens gais, à impressions mobiles et
passagères ; leurs joies et leurs chagrins étaient ceux
des enfants. Tels qu’ils étaient, tels ils sont restés,
malgré tous les progrès qu’ils ont pu faire en civi
lisation. Si les navigateurs d'il y a cent ans reve
naient, ils trouveraient encore dans les Tahitiennes
les vierges folles d’autrefois, avec.' cette différence
pourtant que ce qu’on faisait alors avec la plus
parfaite inconscience, par bonté d'âme, on ne le
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fait plus maintenant
Fait partie de Les îles du Pacifique