SPAA_DAN-00302.pdf
- Texte
-
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Ancien Directeur des Écoles des Iles sous le Vent.
I .A U It KAT I ) E I.A SOCIÉTÉ l)K (HiuOKAI'IIIK COMMERCIALE
DK l'AHIS
1UIATEA LA SACRÉE
ILES SOUS LE VENT DE TAHITI
( Oc: É A N I E
K R AN R A IS E )
AVEC
’i l ,PLANC1IES EN COULEUR, REPRODUCTION DES AQUARELLES ORIGINALES DE L’AUTEUR
8 DESSINS A LA PLUME DE F . HUGUENIN-LASSAUGUETTE,
D’APRÈS DES CROQUIS DE L’AUTEUR, DE NOMBREUSES REPRODUCTIONS DE DESSINS ET LAVIS,
ET DE PHOTOGRAPHIES DE MADAME IIOARE, A TAHITI ;
DES CARTES DRESSÉES PAR MAURICE BOREL ; DES CHANTS NOTÉS PAR H. PLUMHOF
ET A. ROTH DE MARKUS, A VEVEY.
NEUCHATEL
IMPRIMERIE
PAUL A T T I N G E R
‘20, Avenue du Premier-Mars, 20
Au moment où le fruit d’un long mais agréable labeur va sortir
de presse, j’aime à reporter ma pensée vers mes aimables colla
borateurs, vers tous ceux qui m’ont facilité l’accomplissement de
la tâche que je m’étais imposée.
Les uns, simples indigènes de Raiatea, âmes naïves et incultes,
demeureront des auxiliaires obscurs. D’autres possèdent des noms
connus et aimés. Tous ont droit à ma reconnaissance. Qu’ils en
reçoivent ici l’expression.
La Tour-de-Peilz, octobre 1901.
Paul Huguenin.
Jointe du Rcqe.nt
JWc ccntral-
Commcrciilë’.
I
M. Sors/ de/ d'après /a
c a rte d u //e u t f/aureMot
RAIATEA LA SACREE
AVANT-PROPOS
Le voyageur qui, d’Amérique, se rend aux lies de la Société sur
l’un des trois petits voiliers1 faisant le service mensuel entre San
Francisco et Papeete2 a, comme le lièvre de la Fable, du temps de*
reste pour « manger, dormir et écouter d’où vient le vent ». Mais il
a mieux à faire; il lui est loisible de s’initier déjà quelque peu
au monde nouveau dans lequel il se trouve transporté en question
nant les officiers, les boys tahitiens du bord et en consultant les
ouvrages géographiques et les Atlas dont il a eu la précaution de
se munir avant son départ. Ces renseignements préliminaires lui
permettront de s’orienter plus vite et de comprendre plus facile
ment tant de choses étranges et inédites qui vont bientôt s’offrir
simultanément et confusément à ses regards étonnés.
Il apprendra qu’on se tutoie en tahitien et que cette langue, très
riche et difficile à s’assimiler, ne doit pas être confondue avec le
tahitien de la plage, sorte de petit nègre à l’usage des fonctionnaires
1 Tropic Bird, City of Papeete et Galilée.
’ Le XXe siècle a vu s’inaugurer un nouveau service de bateaux à vapeur qui font en
douze jours le trajet de San Francisco à Papeete, ce qui réduit le voyage Paris-Tahiti à
‘28 jours au lieu de soixante au moins qu’il durait jusqu’en 1900.
y
— 7 —
el. des touristes en générai. Mais s’il désire apprendre à l’avance
quelques mots de la langue tahitienne, il y perdra son latin en
s’adressant aux boys du bord dont la prononciation est absolu
ment inintelligible. Il apprendra seulement que bonjour se dit: ta
orana, viens : haere mai, assieds-toi : parahi, manger : amu, et
c’est tout : tirara.
C’est là qu’en restent la plu
part des étrangers qui ne sé
journent que deux ou trois ans
dans les îles. Le bon tabitien
ne se parle guère que dans les
temples et dans les fêtes solen
nelles du peuple où les Chefs,
grands et petits, débordent
\\
d’éloquence et de faconde, et
ne se lit que dans la Bible»
m
seul monument écrit de cette
langue qui n’a pas d’alphabet
spécial.
Encore une génération et il
deviendra inutile de se rendre
aux Iles de la Société [pour
/
recueillir d’anciennes tradi
tions, de vieux contes popu
Fig. 2. — Flâneries à bord sur
laires, des données historiques
l'Océan Pacifique.
quelconques. Les anciennes Pendant les longues journées de calm e en mer,
les passagers cherchent à tu e r le tem ps en
traditions, les vieilles légendes
jo u a n t de la mandoline, en lisant, en pêchant
et
même en ch assan t à coups de c an ard ière de
et les vieux contes se défigu
ra re s a lbatros.
rent, se perdent de plus en
plus et.les récits qu’on peut obtenir actuellement des adultes n ’en
sont que de pâles reflets : des récits touffus, pleins de détails oi
seux, de pléonasmes et d’expressions inutiles.
Par contre, les mœurs se modifient moins rapidement. Le Ta
bitien vit heureux au jour le jour, et, comme en dehors de la capitale,
Papeete, il a conservé beaucoup de ses anciennes coutumes et de ses
habitudes, il offrira de ce côté un large dédommagement à celui qui,
fuyant notre civilisation, désire se faire une idée de la vie d’un
peuple enfant. Ce peuple, jusqu’au commencement du XIX0 siècle,
en était encore à l'âge de la pierre, puisque les métaux n’existent
pas dans les îles. La transformation opérée par l’introduction du
Christianisme, de certaines de nos idées et de beaucoup de nos
instruments et vêtements de luxe, n’a pas modifié le génie de
cetle race; l’Européen qui aura le privilège de vivre à son contact
pendant quelques années finira par comprendre toute la poésie,
le charme doux et enivrant de la vie tahitienne telle qu’elle existe
encore aujourd'hui. S’il demeure assez longtemps au milieu de
ces peuplades primitives, pour les comprendre et les aimer, il les
regrettera, de retour dans la vieille Europe. Son plus cher désir sera
de les revoir et d’y mourir un jour de la même mort paisible et sans
frayeur qui est le partage de ce peuple.
Puissent ces pages écrites au retour d’un séjour de quatre an
nées dans les Iles sous le Vent conserver un peu du parfum et de
la poésie des choses qu’elles vont chercher à dépeindre.
Hélas ! il en sera sans doute comme de ces couronnes fanées et de
ces objets que j’ai rapportés avec moi. Quand j’ouvre mon coffre de
camphrier pour les contempler longuement, les fins parfums des
tiare, du monoi, du bois de santal s’en échappent timidement et
tout cela a l’air glacé sous le ciel gris de nos hivers septentrionaux.
Il faut aller là-bas. Il faut voir ce beau ciel bleu s’embrasant
vers le soir de toutes les teintes de l’arc-en-ciel tant que le disque
rouge du soleil n ’a pas encore tout à fait disparu sous la nappe
brillante de l’Océan infini; puis vient la brume, suivie rapidement
delà nuit; les canots rentrent lentement, chargés de poisson: les
feux s’allument sur la grève; les couples amoureux couronnés de
fleurs blanches passent graves et heureux dans ce printemps éternel.
CHAPITRE PREMIER
EN VOYAGE
Des Marquises à Tahiti.
La courte escale du voilier à Taiohae sur la côte méridionale de
Nouka-Hiva, lies Marquises, ne peut donner une idée bien nette ni
bien exacte des impressions que ressentira le voyageur au terme de
son voyage. Les lies Marquises, au milieu desquelles le voilier nous
promène pendant deux jours, surgissent brusquement de la mer,
les unes après les autres, sans grève, sans ceinture de corail, en fa
laises sauvages.
La brise n ’est plus assez forte pour permettre l’accès de la baie
de Taiohae. Une baleinière s’avance montée par des insulaires ta
toués, aux lèvres épaisses, recouvrant des dents de loup, avec des
veux injectés de sang qui sortent du visage. Quelques-uns de ces
sauvages, agiles comme des chats, grimpent à bord pour amarrer
un câble, les autres tendent leurs biceps vigoureux et nous voilà
remorqués dans le petit port dont aucun bruit ne vient troubler la
tranquillité.
Des cocotiers sur le rivage, des arbres aux feuilles larges et pro
fondément découpées que les naturels appellent maiore, abritent
de misérables cabanes formées d’une enceinte de piquets quadrangulaires et surmontées d’un toit de chaume. De l’unique ouverture,
fort basse, sort une fumée nauséabonde; des groupes de femmes
peine vêtues de quelques misérables loques, le visage au teint
jaune encadré dans des cheveux noirs et graisseux, les jambes cou
vertes de plaies, fument des cigarettes du pays pendant que de rares
enfants tout nus se vautrent dans une terre noire et rouge. Ce sont
là les Marquisiens, à peine sortis de l’anthropophagie,puisque l'un
d’eux emporta le nez d’un gendarme d’un coup de dent, il n’y a pas
plus d’une dizaine d’années.
Une mission catholique entourée d’un beau verger est installée
ici. Je crois que les missionnaires ne sont pas très contents de leurs
ouailles. Depuis peu, l’importation des liqueurs est défendue, mais
T J indigène dans
On donne aussi plus de fer
laquelle on ta ille e n su ite une robe « em pire >.
meté à ces étoffes en les tannant
au moyen de l’écorce d’un petit arbuste, l'abu ou hiri. Comme on le
voit, le tissage est parfaitement inconnu des Tahitiens. Ce ne sont pas
cependant les plantes textiles qui leur ont manqué. Ils se sont quel
quefois couverts de nattes. Mais les nattes se tissent à la main au
______
y .v
Fig. 38. — Eventails.
C eux-ci se fa b riq u e n t avec de la feuille de pan d an u s yfara) ou des fibres de canne ù sucre (lo)
ou de roseau [aeho) e t de m ohi. D ans le plus décoré on a cherché à im iter un bouquet de
fleurs a tta ch é e s p u r un ru b an .
moyen de longs rubans de feuilles de pandanus ou de cocotier. Ils
savent aussi tisser à la main de jolis éventails en losange ou en
cœur avec les mêmes pailles dont ils font leurs chapeaux. Ils ornent
ces éventails de fleurs tressées, de coquillages, de houppes, de ru
bans et les munissent d’un manche plat fait d’une lame de bambou
passant par l’axe de l’objet.
Marchant peu, sur terre ferme, naviguant beaucoup, ils n’emploient
guère la canne. Seuls les vieillards ou les infirmes se munissent d’un
bâton (pûtootoo, pii = en avant : tootoo — pousser à la manière dont
on fait avancer un canot à la gaffe). Actuellement, les chefs singent,
en cela aussi, les Européens, mais ils ne sont pas fiers et se con
tentent parfois de la simple canne d’un parapluie hors d’usage.
Moyens d'existence.
Outils. — On ne rencontre aucun minerai ni aucune bonne terre
à poterie dans les Iles de la Société. De là l’ignorance de l’art de la
céramique et de celui de façonner les métaux. Quoique demicivilisés, les Tahitiens furent ainsi placés dans un état d’infériorité
vis-à-vis même des Nègres plus sauvages sous d’autres rapports. A
l’arrivée de Cook, en 1769, ils en étaient donc encore à l’àge de la
pierre polie. Ils n ’ont pas tardé à comprendre l’utilité de nos outils
et à s’en servir. Nous avons rappelé la mésaventure du grand prêtre
qui vola les outils du charpentier de Cook pour en faire offrande
au dieu Hiro sur le Marae de Huahineiti. Le résultat le plus clair
fut de discréditer le culte de Hiro, de préparer les esprits à recevoir
des idées nouvelles. Dès ce moment, en effet, les Tahitiens allaient
apprendre avec avidité toutes les choses nouvelles que les Blancs
devaient leur enseigner. Mais nos découvertes, nos inventions n’ex
citent pas, chez ces gens l’admiration, l’enthousiasme qu'on pour
rait s’imaginer.
Un de leur prophètes, Mâui, avait prédit qu’un jour on aurait des
pirogues sans balancier. Lorsque parurent les premiers vaisseaux
à voiles, les indigènes s’exclamèrent : Ae, tera te vaa a Mâui e ! « Ah !
ah! voilà la pirogue de Mâui!» L’intelligent Mâui prédit ensuite
129
qu’on aurait des pirogues sans cordages et sans voiles; les indigènes
ne s’étonnèrent donc point de l’arrivée des bateaux à vapeur. Mâui
ne l’avait-il pas prédite? Ils ne s’étonnèrent pas davantage de la lu
mière électrique dont les cuirassés projettent les faisceaux lumi
neux dans les ombres de la nuit: Ne peuvent-ils pas, eux aussi, pro
duire du feu en frottant des morceaux de bois? Montrez-leur du
nouveau, ils sourient d’un air sceptique, faisant, dans leur for inté
rieur, la réflexion que «les Tahitiens ont inventé bien mieux que
ça». Et quand leur curiosité est vraiment en éveil, ils se conten
tent d’un claquement de la langue contre le palais et tout au plus de
l’exclamation: Ae ! Aue ! ou bien encore: Oia mau! Paraît mau !
C’est vrai ; ta parole est vraie !
Leurs seuls instruments de travail étaient les haches en pierre
polie dont on peut encore se procurer des échantillons. Ces haches
étaient emmanchées au bout d’une branche à laquelle on avait
conservé une partie du rameau latéral. Elle était solidement ficelée
à ce rameau par une ligature en cordelette de fibres de coco. Cette
hache primitive servit ensuite de modèle à une espèce de sceptre
royal qu’on retrouve dans plusieurs îles de la Polynésie, hache
symbolique de la puissance du chef. La simple branche est devenue
une pièce de bois sculpté, en partie à jour, gravée d’un dessin
géométrique régulier et servant de manche à une grosse hache de
pierre. Le musée ethnographique de Neuchâtel possède quelques
échantillons de cette hache symbolique.
L’agriculture n ’existant pas dans les îles, il n’a jamais été ques
tion de labour proprement dit, mais de simple forage de trous de
vant recevoir la graine ou le jeune plant. L’instrument dut être sem
blable à celui que les indigènes de l’Australie emploient encore
aujourd’hui: un bâton dont la pointe est durcie par le feu. Ce qui
le ferait présumer, c’est que le Tahitien emploie encore de préfé
rence une barre de fer; lorsqu’il a beaucoup de terre ù remuer, il
l’enlève au moyen de ses doigts ou de sa pagaie.
La chasse ne paraît pas avoir été jamais une grande ressource.
La rareté du gibier, aussi bien sous le rapport du nombre que
sous celui des espèces, en est sans doute la cause. L’arc {te fana) a
9
■>
été peu employé et seulement comme jouet. 11 ne doit pas avoir
joué de rôle dans les guerres où la lance et le casse-tète étaient les
seules armes usagées.
L’unique mammifère qui fait encore l’objet d’une chasse (très
rare) est le cochon sauvage que l’on fait courir par des meutes de
chiens.
Mais, de tout temps, les indigènes
ont construit des pièges pour prendre
les oiseaux. C’est ainsi qu’ils se pro
curent la tourterelle (uupa), le canard
(moora taetaevao) et la poule sauvage
(moa oviri).
Les pièges sont ou automatiques ou
actionnés à la main. Le principal piège
automatique se compose d’une bran
che flexible dont la grosse extrémité
est solidement fichée en terre; à l’au
tre, est fixé en croix un bâtonnet qui
permet de la maintenir en arc de cer
cle, passé qu’il est sous deux crocs de
bois. Cette extrémité porte encore un
nœud coulant que l’on dissimule avec
un peu de terre légère et de feuilles et
au milieu duquel on place des grains
de riz ou de l’amande râpée de coco.
Le canard ou la poule, en picotant le riz, marche sur le bâtonnet
qui se déclanche: la baguette se relève comme un ressort et la bête
a les pattes prises dans le nœud coulant. (Fig. 40, b.)
La figure 40, a explique suffisamment le fonctionnement du piège
ordinaire à main. On emploie aussi une ligne (Fig. 40, c) dont l’ha
meçon est remplacé par un nœud coulant que l’on passe délicate
ment autour du tronc de la bête: en soulevant brusquement la
ligne, on enlève « la volatile malheureuse ».
Les fillettes pêchent d’une manière analogue les tourlourous. A
leur ligne est fixé un paquet de feuilles de burau qu’elles laissent
traîner à terre dans le voisinage du trou du crabe. Celui-ci s’excite
à la vue de l’objet qui remue, se précipite bientôt dessus, le saisit
fortement dans ses mandibules. A ce moment, une secousse l’éloigne
de son gîte et brouille ses notions topographiques assez longtemps
pour permettre à la fillette de l’assommer avec sa ligne, pour le con
sommer ensuite quoique le mets soit peu tentant.
Mais la vraie ressource du Tahitien est la pèche, et c’est ici que
le génie inventif de ce peuple s’est, donné essort. La pèche se pra
tique de toutes les manières: par empoisonnement des eaux, à l'as
sommoir, au harpon, à la ligne, au filet, au barrage. Le premier
mode consiste à porter sous l’eau des morceaux d’un bois vénéneux
(revareva) à demi écrasés. Les poissons étourdis ne tardent pas à
montrer leur ventre à la surface et sont ramassés en grande quantité.
Le poison végétal n'altère pas leur goût et n’agit guère sur eux
que comme un narcotique. Lorsque la nuit est sombre et calme, la
mer tranquille, on va pécher au rama. Le rama est une torche en
bambou que Ton tient de la main gauche. On avance dans l’eau peu
profonde qui recouvre le récif en soulevant les pieds avec précaution
pour ne pas effrayer le poisson. La lumière l’éblouit; il ne songe pas
à fuir et on l’assomme d’un coup de bâton ou avec un fragment de
cercle de tonneau, redressé, en guise de sabre. Un panier (oini) en
fibres de cocotier suspendu à la ceinture sert à recevoir les produits
de cette pêche facile. Le flambeau éteint, on rentre au logis,et on se
régale sur-le-champ. Un autre genre de pèche très répandu et très po
pulaire est la pèche au harpon (pütia)'. Les harpons sont de différen
tes sortes. Les plus simples se composent d’un bâton de burau à
l’extrémité duquel sont solidement liés des fragments très pointus
de bambou. C’est une espèce de fourchette à 10, 12, 15 dents, entre
lesquelles le poisson s’engage facilement. Il sert à prendre le Vieille,
excellent petit poisson long de 20 à 25 centimètres, au corps rond
comme une baguette, à la tète terminée par une espèce de trompe
pointue. Pendant qu’à l’arrière de la pirogue une jeune fille pagaie
doucement, doucement, son galant est debout sur l’avant, la torche
\4vw
Fig. 41. — Pèche au « rama ».
Lo r a m a e st un faisceau de la tte s de bam bous secs que le pécheur tie n t dans la m ain droite e t qui
p ro je tte dans la n u it une vive lum ière su r les eaux. Cotte lum ière perm et de d istin g u e r les pois
sons (ih e ih c j qui dorm ent près de la surface de l’e au . La va h in é dirige doucem ent la pirogue
p en d an t q u e le Lane harponne les iheihe e n tre les dents de bam bou pointues de son harpon (patio).
dans la main gauche, le harpon de bambou dans la droite. Les iheihe
dorment près de la surface, à l’endroit où le récif s’abaisse devant
les eaux profondes. En deux mouvements, le pécheur pique un de
ces poissons et le jette derrière lui, dans le fond de sa pirogue. Le
temps de brûler deux ratna et une centaine de poissons sont cap
turés. Le véritable harpon actuel, celui qui ne quitte pas le pêcheur
\
\
V
\
Fig. 42. — Hameçon de nacre.
A une lam elle de nacre, ta illé e dans la p a rtie la plus épaisse d’uue avicule e st a tta c h é soli
dem ent un frag m e n t d’os po in tu . A l'a u tre e x tré m ité une p e tite touffe de soies de porc
qui m ain tien t l’ham eçon dans la position horizontale pendant q u ’on die la ligne d e rriè re
la p iro g u e de pèche.
en mer, est un simple bâton terminé par 1 ,3 ou 4 pointes de fer à
dent renversée. L’indigène aperçoit sa proie à vingt pas; son arme
repose en son milieu sur sa main gauche, l’index de la droite gui
dant l’extrémité que les autres doigts soutiennent légèrement, il
lance sapdfo'aqui, décrivant une parabole, embroche presque tou
jours à coup sûr le poisson; même lorsque celui-ci n’est pas immo
bile il ne le manque pas, ayant calculé la direction et la vitesse de
ja bête. On en prend ainsi de très gros. Les garçons s’exercent au jet
de la pâtia dès leur plus jeune âge. C’est un vrai jeu national. Le but
ordinaire est un coco fiché sur un bâton. Il n’est pas rare de voir le
coco criblé de harpons lancés à trente pas de distance '. La pêche à
la ligne ordinaire, plus tranquille et moins émouvante, est plutôt
pratiquée par les femmes et les jeunes filles. Les hommes attrapent
le thon (aahi) dans la haute mer au moyen de solides hameçons en
nacre et en os sans amorce. Quelques crins fixés en travers de la
nacre et le scintillement de celle-ci suffisent à attirer les gros pois
sons dont quelques-uns ont jusqu’à un mètre et demi ou deux mè
tres de longueur. Pour la pèche à la ligne, les femmes cherchent, au
préalable, des amorces fraîches. Pendant que les fillettes battent
un ruisseau ou une mare, une femme tient à l’orifice d’écoulement
un panier-filet en fibres de ieie (une liane) et le remplit de menu
fretin, chevrettes, petites truites, etc.
Les indigènes construisent actuellement de très beaux filets de
toutes dimensions et déploient beaucoup d’habileté dans leur em
ploi. Ils savent aussi pratiquer des barrages et y chasser le poisson.
Ce genre de pèche s’appelle ahu. Mais ils ne négligent pas des modes
plus primitifs et pratiquent des pèches collectives très mouvemen
tées et très bruyantes où chacun hurle à la fois, courant et gamba
dant. Ils enserrent l’embouchure d’une rivière dans un vaste et pri
mitif filet formé simplement de branches de cocotier nouées bout
à bout. Marchant serrés les uns contre les autres, derrière ce rem
part de branches, ils frappent l’eau et, s’avançant de plus en plus,
finissent par former un barrage complet. Dans le milieu frétillent de
nombreux maquereaux ou des espèces de sardines (orna), que l’on
assomme aisément à coups de bâton et que l’on jette dans le panier
en cocotier qui pend à la ceinture (oini).
Par le beau temps, on pèche toutes les nuits. A 4 heures du matin,
les pécheurs passent déjà, criant: E V a e! du poisson ! Ils s’en vont
deux à deux, portant les poissons capturés par grappes de vingt sus
pendus à un bambou. A Raiatea,on donne jusqu’à 15 ou 20 maque
reaux pour un toata (pièce chilienne d’un franc équivalant à une de
nos pièces de 50 centimes). Mais lorsque la pèche a été peu fructueuse
ou que les poissons sont de grande taille, on hausse le prix. Inutile1
1 Pour ce jeu, on emploie des harpons à une seule pointe.
136
alors de marchander: lorsque l’indigène a mis dans sa tètede vendre
un poisson 5 francs, rien ne l’en fera démordre; il le jettera plutôt
que de baisser son prix. 11 agit de même dans tous les marchés qu’il
conclut.
La plonge. C’est aux Tuamotou principalement que la pèche de
la nacre, de l’huître pei’lière, a pris la plus grande extension. C’est
presque la seule occupation des indigènes des Tuamotu qui en
viennent à négliger même la pè
che et la cueillette du coco. Des
négociants anglais ou américains
leur fournissent en échange des
nacres tout ce qu’il leur faut pour
vivre : le nécessaire, l’utile, le su
perflu et même le nuisible. Mal
heureusement, cette pèche est
pratiquée d’une manière peu ra
tionnelle: les toutes petites na
cres sont parfois enlevées pour
faire nombre et certains lagons
Fig. 43. — « Oini » en feuilles de cocotier. sont presque dépeuplés.
Ce p an ier sert à em p o rter l’am orce (p e tite s
On pèche aussi quelques na
c re v e tte s p our la pèche à la ligne).
cres aux Iles sous le Vent, prin
cipalement à Maupihaa, Scilly et Bellingshausen, ilôts inhabités qui
ne sont visités qu’au moment de la plonge. Les perles sont, en général,
petites et leurs heureux détenteurs les cachent avec un soin jaloux.
J’ai assistés une partie de pèche à Raiatea. C’était par un malin
très clair; l’eau du lagon était parfaitement calme et permettait de
distinguer, à plusieurs brassés de profondeur, les arbrisseaux de
corail et les coquillages au milieu desquels se poursuivaient les pe
tits poissons rouges, jaunes, bleu céleste.
Nous étions montés sur une grande pirogue; des jeunes filles diri
geaient l'embarcation si doucement et avec tant de grâce et d’habi
leté que la surface de l’onde n’était pas même ridée. A l’avant, notre
pêcheur scrutait les profondeurs, de concert avec les rameuses. C’é
tait à qui découvrirait le premier coquillage, 'fera te tahi ! En voilà
137
une ! s'écria la petite Teipo, désignant du duigt un point noir que
nos yeux n’eussent pas distingué. Le pêcheur était déjà debout sur
la pointe de la pirogue. Il aspira et expira plusieurs fois profondé
ment, refoula l’air contenu dans ses poumons et, se saisissant le nez
entre le pouce et l’index de la main gauche, fit un petit saut et
tomba verticalement sans agiter beaucoup la surface de l’eau II
disparut bientôt; montre en main, nous comptions 30, 31, 32 quand il
reparut, soufflant brusquementet soulevant triomphalement sa proie.
Ce n'était, pour commencer, qu'un jambonneau, mais de belles di
mensions et digne d’èlre conservé. Il trouva ensuite une nacre, mais
il ne nous avait sans doute pas mené à son « coin », de peur de la
concurrence!!... Les hommes sont les mêmes partout et qu’ils chas
sent la morille, le chamois ou la nacre, ils n ’aiment pas à montrer
leur « cachette ».
Cultures, agriculture. — I/agriculture n'existe pas chez ces peuples.
11 y a des cultures à la méthode chinoise ; chacun cultive autour
de sa maison, dans son enclos (aua) tous les produits dont il peut
avoir besoin.
Ordinairement la route, l’unique route, suit le rivage sablonneux
eteorailleux au milieu des trous de tourlourous. De l’autre côté de la
route commencent les enclos sur’uu terrain qui s’élève insensible
ment jusqu’au pied de la montagne. Chacun possède une bande de
terre de largeur variable, bornée par deux lignes perpendiculaires
au rivage et qui s'étend conventionnellement jusqu’au sommet de la
montagne. On construit la maison d’habitation à quelques mètres de
la route; la cuisine {fare tutu) en arrière.
Le terrain sablonneux et criblé de trous de tupa qui se trouve de
vant la fare est déjà utilisé. On y a planté, dans de vieilles boites de
fer-blanc, des tiare (gardenia tahiti), des rosiers, des tipaniers, d’au
tres fleurs; quand les boîtes sont tout à fait rongées par la rouille,
ces plantes ont eu le temps de reprendre suffisamment pour résister
à la pince des tourlourous Cependant, on les entoure d’un petit mur
de pierres sèches et d’une bonne terre noire. On a aussi, devant la
maison, des buissons de basilic et de menthe, des arbustes de sen
teur, comme le motoi, dont les fleurs.servent, avec celles du tiare, à
parfumer le monoi, des lauriers-roses (tarona), un flamboyant (atae),
quelquefois un tamarinier. La route est bordée des indispensables
cocotiers et la maison flanquée de bosquets de bananiers de différen
tes espèces: banane pomme, banane figue, banane cochon, etc.
Immédiatement derrière la cuisine se trouvent les arbres à pain
(uru, maiore) sur un terrain déjà plus meuble, puis des manguiers,
quelques orangers. Un long arbre dénudé porteur de grosses gous
ses, indispensable à chaque famille, est le faux cotonnier (tirita) dont
le coton grossier sert à bourrer tous les coussins (turua) et les mate
las (roi mariï), objet inconnu autrefois; il a fallu créer un nom poul
ie nommer quand on l’a imité des Européens (roi inarir. lit doux).
Au bord du ruisseau qui s’étend paresseusement non loin des de
meures, on plante du taro (famille des Aroïdées) ou du hape, gros
féculent très apprécié des indigènes, mais dont la culture est dan
gereuse, dit-on ; les habitants pataugent dans les marécages, terre
noire relativement froide, pour planter leur taro et gagnent souvent
des accès de feefee à la suite de ces travaux. On plante des éclats
du tubercule (muoo ou moo), comme pour nos pommes de terre, et,
dès que les jeunes pousses émergent du sol, on les recouvre soigneu
sement de branches de cocotier qui empêchent l’action trop violente
du soleil. C’est un sol bien différent qui convient à la patate douce
(umara). Elle se plaît sur le rivage sablonneux et sec où on la plante
en lignées que l’on butte fortement. On se gare du voisinage de la
route par des touffes de cannes à sucre (tô) qui poussent très rapide
ment et que l’indigène ne cultive que pour son agrément particulier.
Ce n ’est qu’à Tahiti qu’on raffine du sucre (Sucrerie Adams, TatiSalmon, Kennedy et Fritch, etc.).
Le sol qui s’étend jusqu’à la montagne n ’est pas également utilisé.
On a soin de laisser déjà brousse : goyaviers dont le bois dur sert à
faire du feu, burau, indispensable pour les usages les plus multiples,
citronniers non moins utiles, bosquets de bambous,'Je tout poussant
naturellement.
Sur les premières pentes on a sa petite plantation de manioc (maniota), fécule qui entre largement dans l’alimentation indigène.
Quant au fehi, il se plaît au fond et sur les pentes des vallées om-
breuses. C’est une espèce de bananier dont le régime est dressé au
lieu de retomber (comme celui du bananier proprement dit). On cuit
les fei au four tahitien ou bien on les bout. Us constituent, avec le
taro, le maiore et l’igname (ufi) qui se cultive aussi dans la vallée,
la base de la nourriture tabitienne.
Le Tahitien cultive ainsi autour de sa demeure tout ce qu’il lui
faut pour son usage personnel. Il a aussi sa plantation d’ananas en
quinconce. 11 lui suffit de planter des pousses d’ananas à une brasse
de distance dans tous les sens et de laisser croître; les premiers fruits
arrivent à maturité au bout de neuf mois. 11 ne manque pas de jeter
dans un coin quelques pépins de citrouille {hue), de melon d’eau (pas
tèque, mereni papaa) et môme de melons qu’il vend aux Blancs. En
fin, chacun a son petit carré de tabac, et si l’on ajoute encore les pré
cieux pandanus, on a une collection complète de végétaux qui per
mettent à chaque famille de se nourrir, de se vêtir et de se loger sans
avoir recours au voisin. Pour la cuisine journalière : uru, fei, taro,
u/i, umara. Pour le dessert, les différents gâteaux faits avec la fé
cule de manioc additionnée d’autres fécules. Les fruits: coco, man
gue, banane, goyave, orange, canne à sucre, pastèque, etc. Les
épices et condiments: l’eau de mer, le citron, le poivre rouge(oporo),
le safran {red). Comme boisson, le coco. La nourriture des poules
et des cochons: le coco (l’amande appelée coprah), le fei, le taro.
Pour les vêtements: l’écorce de burau, de maiore, de mûrier {aute),
la feuille de pandanus, la fibre de bambou, de pia, de m'ou,
de fougère. Pour l’habitation: les troncs de tamanu, de hutu, les
perches de burau, les bambous, les feuilles de pandanus.
Tout cela se trouve à portée de la main et permet à chaque indi
gène, comme à un Robinson, de se suffire à lui-mème et aux siens.
Seulement les goûts et les besoins ayant augmenté avec l’introduc
tion des produits de notre civilisation, le Tahitien ne se contente
plus des modestes revenus de son sol et il a dû chercher à se pro
curer de nouvelles ressources par des cultures plus rémunératrices
qui ont considérablement progressé depuis une vingtaine d’années.
On avait introduit autrefois la culture du coton ; elle eut un mo
ment de faveur, mais elle est presque abandonnée aujourd’hui. Le
café est peu cultivé: il n’est pas d’aussi bonne qualité que celui de
Rarotonga. Cela provient du manque de soins et d’expérience des
indigènes. On essaie d’introduire le cacaoyer, qui vient très bien en
effet; tous les produits trouvent une terre admirable dans ces archi
pels, mais la culture qui a pris le plus d’extension, pendant ces der
nières années, est celle de la vanille. Elle vient de provoquer de véri
tables fortunes à Tahiti, grâce à une hausse passagère du prix de la
vanille tahitienne. Les indigènes ont eu brusquement trop d’argent
et cet afflux de piastres a profondément modifié les habitudes des
indigènes de Tahiti. Ils ont tous désiré des cases à l’européenne, en
planches peintes et avec force découpures d'un goût douteux. Ces
cases, ils les ont garnies d’horribles meubles de San Francisco; ils
ont acheté des chambres à coucher complètes avec lavabo de marbçe
et glace en pied... et toutes ces folies faites, ils se sont retrouvés Ta
hitiens comme devant et sont allés coucher à la cuisine sur Yaretu
(foin). Quant à la magnifique case, on est fier de l’exhiber au pas
sant et on retient volontiers les étrangers pour les loger dans des
draps blancs. On a aussi acheté des voitures et des bicyclettes !1!
qui menacent de détrôner les pirogues... Que deviendront les Tahi
tiens si cette prospérité matérielle continue ?
Heureusement que les Iles sous le Vent sont encore bien en
arrière de ce mouvement. Le prix de la vanille a baissé avant que
le goût de la cultiver soit venu jusqu’ici et il est à espérer que la
paresse et le laisser-aller national empêcheront ces gens de trop
profiter de nos produits. Autrement, c’en est fait de cette civili
sation primitive qui avait ses charmes et qui convenait beaucoup
mieux à ce peuple que tout ce qu’il imitera maladroitement de
nous. Ce qui nous rassure à ce sujet, c'est de-voir le zèle qu’apporte
l’indigène à faire sa plantation (faaapit) et... la rapidité avec laquelle
il se croise ensuite les bras et la laisse envahir par la brousse.
Dans cette terre d'une fécondité inépuisable et sous ce climat hu
mide et chaud, la nature sera un obstacle perpétuel à l’introduction
de nos méthodes et de nos sciences dans la vie pratique de l’indigène.
Le bambou et le bananier poussent de 10 à 15 centimètres chaque
jour. Tous les produits ne demandent qu’à être jetés en terre pour
pousser ensuite tout seuls. Jamais l’indigène polynésien ne s’astrein
dra à faire de la culture. Il plantera par fantaisie, selon les besoins
et les désirs du moment. Ainsi nous pouvons voir arriver le XXrae
siècle sans trop de crainte et nous pouvons espérer que ce peuple
restera longtemps encore un peuple primitif et simple, dont nos
problèmes intellectuels et sociaux n’anémieront pas les cerveaux.
Ceux qui seront fatigués de la complication de notre vie factice, dégoi'ilés de nos conventions absurdes, las du bavardage futile de notre
politique et de nos journaux quotidiens, trouveront encore un refuge
pour jouir de la vie simple, élémentaire, primitive et pour méditer
calmement sur la vanité de notre civilisation et de notre cultureeuropéennes.
Animaux domestiques. — Sauf le cochon, les animaux domestiqués
par les Tahitiens ne leur procurent pas grande ressource. Les pou
lets sont homériquemenl chétifs et aucun de ceux qui en ont goûté
n ’oubliera les batailles qu’il a dû livrera leur chair coriace. Le bœuf
est presque inconnu jusqu’à ce jour, les colons étrangers seuls en
possédant. Le lait ne plaît pas du tout au palais tahitien. Les che
vaux abondent, mais sont aussi mal élevés que possible. Dès l’âge
de huit mois, les gamins les montent en sorte qu’ils sont presque
toujours ensellés et chétifs jusqu’à ce qu’un Européen s’en occupe.
Celui-ci peut alors se rendre compte des mauvaises habitudes que
sa monture a contractées. D’abord les chevaux talhtiens ne connais
sent que le galop; la raison en est sans doute que les indigènes des
deux sexes les montant sans selle ni couverture, le trot seraiL beau
coup plus fatigant pour le cavalier. Ensuite ces animaux sont aussi
capricieux que îles chèvres et, comme les gens doux et sans volonté,
ils ont des accès subits d’entêtement qui les empêchent de traverser
un petit pont s’ils en ont décidé ainsi. 11 y a aussi de remarquables
spécimens qui s’arrêtent net quand on parle au cocher. Tel le che
val du fameux Varna. Lorsqu’en traversant un village les natifs nous
interpellaient par leur hospitalier : llaere mai ta maa ! (viens man
ger !) le Pégase de Tama ne voulait plus bouger. Il ne fallait pas non
plus demander l’heure à son maître, la bête complaisante stoppait
pour permettre à celui-ci de voir la longueur de son ombre.
Une des plaies du pays, ce sont les chiens qui y pullulent. Heu
reusement qu’ils sont très inoffensifs, ne mordent jamais et que la
rage est inconnue en Polynésie. Les indigènes sont très attachés à
leurs chiens, comme du reste aux autres animaux domestiques.
Dernièrement, un impôt ayant été levé sur la gent canine, bien des
indigènes ne pouvant ou ne voulant pas payer et d'un autre côté se
révoltant à l’idée de tuer leurs toutous s’exilèrent volontairement
avec toute une meute dans l’ile voisine de Huahine. Seulement ils
n’avaient pas réfléchi que les mêmes lois régissaient désormais
toutes les Iles sous le Vent, et le cotre sur lequel ils étaient montés
emportait également le bordereau de taxe des chiens à l’adresse du
gendarme de Huahine. On apprit ensuite que des scènes de déses
poir s’étaient passées là-bas, quelques cerbères ayant été dépêchés
aux enfei’s par la voie humide.
Vie psychique.
Jeux, récréations, fêtes, danses. — Les Tahitiens aiment passionné
ment les jeux. Ceux qu’ils ont inventés ne sont pas très compliqués
et plusieurs appartiennent au fonds commun à tous les peuples. Ils
jouent aux cartes des nuits entières (en grand secret, car c’est un
jeu prohibé par les lois indigènes). Ils ne paraissent pas y mettre
de bien gros enjeux, quoique certains chefs et surtout des cheffesses
pensionnées jouent à l’avance leur solde trimestrielle.
Les jeux des enfants, même des hommes, sont pour la plupart
aquatiques. Us consistent à plonger de très haut (naue) dix, quinze
mètres, en sautant dans la position debout d’un rocher ou de la bran
che élevée d’un mape dans un de ces frais bassins que les rivières
forment au pied des cascades. Les fillettes sont très habiles à ce jeu.
Ensuite, c’est à qui remontera des parois de rochers verticales en
s’accrochant aux moindres aspérités. Les garçons, plongés dans la
rivière jusqu’au nombril, se lancent mutuellement des jets d’eau au
visage en la refoulant entre leurs mains, les quatre doigts joints,
les deux pouces accolés, l’espace vide entre les premières phalanges
des pouces formant orifice. Le jet est assez fort et l’adversaire le
reçoit en plein nez. Il re
jette l’eau par la |bouche
avec une affreuse grimace
(,faita) ; c’est à celui qui
tiendra le plus longtemps.
Ce jeu, qui excite à un
haut point l’hilarité des
spectateurs, s’appelle pau.
Les enfants nagent sur le
côté avec une grande rapi
dité, mais jamais sur le
dos. Ils savent exécuter à
la perfection le saut péril
leux dans l’eau comme le
saut périlleux en plon
geant. Ils aiment aussi à
passer sous le corps d’un
autre baigneur en prenant
comme point de départ les
épaules de celui-ci sur les
quelles ils sont assis. Ce
sont là les amusements de
rivière. Un grand plaisir
pour eux est de manger
le maiore au bain, comme
les baigneurs de Louèclie
qui prennent leur déjeuner
dans l’eau. En mer, les
Fig. 44. — Echasses tahitiennes.
jeunes gens s’allongent Ces échasses consistent en deux sim ples m orceaux de bois
liés ensem ble p ar une cordelette.
sur une planche et s’amu
sent à lutter contre le ressac, contre les vagues qui brisent.
Les autres jeux d’enfants sont les échasses (rore) qui se composent
144
r
r
de deux pièces : un bàlon sur lequel est solidement lié, à 50 centi
mètres de terre, un morceau de branche coudé.
Comme les Malgaches, les Tahitiens connaissent le cerf-volant
(pauma) qu'ils confectionnent au moyen de baguettes flexibles
en croix, la branche transversale courbée en arc de cercle et le
tout recouvert de papier, d'étoffe indigène ou de feuilles de bana
nier. L’escarpolette (talioro), cache-cache .(titipauru) une espèce de
jeu de marelle, le jet de la lance (pâlia), sont en grand honneur. Le
jeu appelé tahoro consiste également à courir en rond jusqu’à étour
dissement. Il existe une curieuse main chaude»: un des joueurs
frappe du poing en cadence sur le poing que lui tend son partenaire
en scandant les paroles suivantes: Pepemt, pepenu, Hina, Hina pa
rau, Pere tatio! Tapea na-na na-e, tapea t’a târia. Ces derniers mots
signifient: Saisis mon oreille. On se saisit mutuellement les deux
oreilles que l’on tire doucement en cadence en disant : Poum ! Pal
Poimi! Pa ! Le jeu de l’acrobate (pei) qui consiste à jeter en l’air et à
rattraper successivement des citrons est très goûté aussi des en
fants. Les garçons construisent des pirogues en miniature et s’exer
cent à les diriger au moyen d’une petite voile et d’un petit gouver
nail. Ils jouent aussi aux billes avec les fruits secs parfaitement
sphériques du tamanu (callophylluin) Les enfants s’amusent fré
quemment à retourner leurs paupières en dehors. Ce jeu s’appelle
ofera. Les hommes avaient autrefois des exercices nationaux qu’ils
délaissent maintenant: la lutte, le pugilat, le tir à l’arc (tea). Ils ne
pratiquent guère aujourd’hui, à côté du pere et de la vpaupa que la
course à cheval en vue des fêtes du 14 juillet et les régates soit à
voile soit à la pagaie.
Ils aiment passionnément aussi les combats de coqs (tito ou oroa
faa tito raa mod) auxquels les jeunes gens s’adonnent quotidien
nement, élevant chacun un coq dans cette intention. Il est impos
sible de leur faire comprendre ce que ce jeu a de cruel et d’im
moral. Toute la famille s’assemble le dimanche soir au sortir du
temple pour assister au combat. En passant, vous leur faites ob
server que c’est là un ohipa ino (ouvrage mauvais). Parau mau!
Parau mau ta oe! Ta parole est vraie, répondent les vieux; mais le
X X II
Jeune femme en costume européen
tressant de la paille à chapeau.
145
jeu n’en continue pas moins. Mais si, dans le lointain, on aperçoit
l’habit noir de Vorometua (le pasteur protestant), les coqs sont retirés
au plus vite, les visages prennent une expression béate et les rires
sauvages cessent jusqu’à disparition du pasteur. On a échappé à la
plus grande des hontes : celle de perdre son titre de etaretia (mem
bre de l’Eglise).
Les innombrables fêtes d’antan, les laupiti ou oroa ne seront bien
tôt plus qu’un souvenir. Il faut en chercher la description dans les
ouvrages de Moerenhout, d’Ellis et des contemporains de ces écri
vains. Il y avait les oroa arioï, fêtes des Arioï, les oroa oe-oehamu,
des festins où l’on se goinfrait comme aux noces de Ga mâche, genre
de fête qui subsistera longtemps encore ; les oroa laupiti maona, fêtes
idolâtres avec scènes obscènes, etc., et les grandes heiva (danses)
qui n’ont plus l’ampleur qui les distinguait autrefois et qui se pra
tiquent plutôt en cachette. Nous avons déjà décrit la upaupa, la prin
cipale danse, comme caractéristique des mœurs tahitiennes. Inutile
d’y revenir. Les pantomimes ayant leur côté artistique, nous en par
lerons tout à l'heure.
Mais il faut signaler encore une cérémonie tout à fait typique : le
Farefare rau uni raau (littéralement : estomac affamé, beaucoup de
fruits de l’arbre à pain). On voit ce dont il s’agit: pendant des se
maines, des mois, des femmes se nourrissaient du fruit de l’arbre à
pain pour devenir grasses et « belles », porta, selon l’expression du
pays. Les personnes s’exhibaient ensuite en public et c’était à qui
serait la plus « belle ». Cette conception tout à fait chinoise de la
beauté existe encore aujourd’hui.
Les Umutî. — Haiatea la Sacrée ne mériterait plus guère cette épi
thète que comme souvenir historique si de mystérieuses cérémonies,
derniers vestiges des anciens cultes païens, n’y étaient encore prati
quées de nos jours avec un plein succès et publiquement. Nous vou
lons surtout parler du Umuti, cérémonie devenue de plus en plus
rare et qui rappelle d’une façon étrange le récit des trois jeunes Hé
breux passant dans la fournaise ardente sans même sentir le roussi.
Le Umuti, connu dans d’autres parties du monde (en Inde, croyonsnous), et pratiqué quelquefois à Savau (Fidji), est plus connu dans
to
les autres îles de la Polynésie sous le nom de Vilavilairevo. A l’heure
qu'il est, dans les Iles de la Société, deux seuls individus sont
capables d’y présider; ce sont des descendants des anciens prêtres
{talma), tous deux natifs de Raiatea : Tupaa et Taero. Tupua, très
considéré des indigènes comme sorcier, possède différents talents,
outre celui de guérir les malades. 11 sait retrouver une bague jetée
Fig. 45. — Le sorcier Tupua.
Le p lu s célèbre des lie s de la société, c’e st lui qui préside À la cérém onie du u m u ti.
dans la mer; il sait aussi découvrir des sources. Pour cela, il se sert
d’une baguette en bois sacré (aito, bois de fer, casuarina) qu’il jette
dans la bonne direction après avoir prononcé des paroles fatidiques.
Il doit posséder évidemment quelques connaissances empiriques de
géologie élémentaire; du reste, les îles sont si petites que l’étude
approfondie de tous les terrains n ’est pas bien longue. Mais son prin
cipal talent est celui de construire le Umuti et d’y faire marcher
ses compatriotes en toute immunité.
Nous avons eu le privilège d’assister deux fois, en juillet 1896 et le
20 juillet 1898, à la cérémonie en question. C’est cette dernière que
nous allons décrire. Elle eut comme témoins étrangers l’administra
teur des Iles sous le Vent, les officiers français, gendarmes, soldats,
colons et deux cents touristes anglais de la Nouvelle-Zélande, passa
gers du navire de plaisance le Waihare. De nombreux instantanés
furent pris, ainsi que les croquis que nous donnons ici.
L’emplacement choisi par Tupua se trouve au fond de la vallée
de Tepua, à 3 kilomètres du chef-lieu de Raiatea (Uturoa); c’est une
clairière entourée de hauts mape (châtaigniers indigènes), de bana
niers et de plantations de tara. Une fosse rectangulaire, longue de 8
mètres, large de 6 et profonde d’un mètre et demi fut creusée dans
la terre meuble au milieu de la clairière, la terre rejetée sur les
bords formant un petit rempart. Des fascines de bois léger de burau
et de goyavier furent déposées au fond de la fosse; une deuxième
couche de bois fut formée par les troncs énormes des mape que l’on
avait abattus à l'entour pour agrandir la clairière. Par-dessus le tout,
furent déposées d’énormes pierres basaltiques ou laveuses, les unes
de la grosseur de la tête d’un homme, d’autres aussi grosses que
celle d’un bœuf, en un tas s’élevant au niveau du rempart extérieur.
Le feu fut mis à la couche inférieure par une petite ouverture mé
nagée sur un côté; il dura exactement trente-six heures. Le mercredi
20 juillet 1898, à 9 heures du matin, quatre cents personnes environ
étaient rassemblées dans la clairière, attendant le moment solennel.
La chaleur du brasier se percevait facilement à dix ou douze mètres
de distance du rempart et une colonne d’air brûlante s’élevait visible
vers un ciel sans nuages ; le flamboiement était si intense qu’il em
pêcha de prendre des photographies nettes, l’air chaud estompant
les corps par ses vibrations. Un groupe d’aides, armé de longues
perches de burau, était fort occupé à égaliser le lit de pierres brû
lantes qui paraissaient rouges dessous et blanc grisâtre dessus. Tu
pua se tenait sur le rempart, un bâton de burau à la main. A un
signal donné, le silence se fit et, solennellement, s’avança une pro
cession de 40 à 50 hommes vêtus du pareu, le reste du corps et les
pieds nus, cela va sans dire; ils étaient suivis de quelques femmes
courageuses et précédés de trois grands gaillards en pantalons de
toile bleue, camisole blanche, couverts de franges d’écorce de bu-
rau, couronnés de fleurs et de feuillage et portant des deux mains
un faisceau de plantes sacrées du ti (dracaena terminalis)'. La pro
cession fit halle à trois pas des pierres incandescentes.
Tupua cria :
E te mau tino e tei faa anahi i te umu ! E tinai outou iana. E te
toe ereere e ! E te toe anaana e ! pape vai e pape miti ! Vea vea no teumu, ura no te umu, tauluru i te tapuae no te mau taata tei ori
haere, puhipulii i te veavea no te ofai. E te mau tino toetoe e!
Faa parahi matou i ropu i te umu! E te vahiné nui tahu rai e /*
A mautori oe i te puhipuhi, e faahaere ia matou i te umu mea
poto!
1 Les plantes sacrées de ti avaient été cueillies la veille au soir par Tupua et ses
acolytes avec le cérémonial suivant. Saisissant la plante avant de la cueillir, le sorcier s’était
écrié :
« E te mau Atua e ! E ara outou, e tia outou !
Te haera ra matou i te umuti ananahi! »
(O dieux ! réveillez-vous, levez-vous !
Vous et moi irons demain au umuti.)
Si les feuilles llottent en l’air, elles sont des dieux, mais si elles se couchent à terre,
elles sont créatures humaines. Ensuite, cassant la tige du ti, et regardant dans la direction
du umu (four), Tupua s’était écrié :
« E te mau Atua el Haere i teie nei po. Te haere ra maua ananahi. »
(0 dieux ! allez ce soir. Demain, nous irons ensemble.)
Puis les feuilles de ti furent enveloppées dans des feuilles de fau ou burau (Hibiscus) et
portées « pour dormir « sur un marne (ancien lieu des sacrifices et cérémonies païennes).
En les quittant, le sorcier dit : « E ara outou ! E tia outou ! e te mau Atua e ! Haere outou
i te umuti ; pape vai e pape miti haere atoa. Faahaere te toe ereere e to toe anaana i te
umu. E haere outou, e haere outou i teie nei po e ananahi haere matou ; e haere matou i te
Umuti.»
(Eveillez-vous, levez-vous, ô dieux ! Allez au four ; eau douce et eau salée, allez-y aussi.
Faites aller au four le ver de terre noir et le ver de terre brillant; faites aller le rouge et
l’obscurité du feu au four. Allez, allez ce soir et demain nous irons ensemble ; nous irons au
four [umuti].) Les feuilles de ti liées en faisceau n’avaient été dépliées qu’au dernier mo
ment, ayant été transportées directement du marae au umuti.
’ La « grande femme qui met le feu dans les deux » était une femme de haute naissance
qui se fit respecter par les hommes oppresseurs, au temps où ceux-ci avaient astreint
le sexe faible à observer tant de tabous. La foudre était sous ses ordres et elle s’en servait
pour frapper les hommes qui empiétaient sur ses droits.
—
151 —
Te hii tapuae hoe
»
» rua
»
» toru
»
» ha
»
» rima
#
» ono
»
» hitu
»
» varu
»
» hiva
»
» huru
E vahiné tau rai, poia!
Ces paroles signifient :
O corps (esprits) qui mette/ le feu au four! Éteignez le feu ! O ver
de terre noir, ô ver de terre brillant, eau douce, eau de mer, cha
leur du four, rougeur du four, soutenez les pas des promeneurs,
éventez le feu. O êtres froids, laissez-nous passer au milieu du
four. O grande femme qui mets le feu dans le ciel, tiens la feuille
qui évente le feu et laisse-nous aller dans le four pour un peu de
temps.
Maître de la première trace !
Maître de la deuxième trace, etc.
O grande femme qui mets le feu dans les cieux, tout est couvert!
A ces derniers mots les trois guides du convoi frappent par trois
fois les pierres avec leur faisceau de ti puis s’avancent lentement
suivis des 50 autres indigènes. Lentement, en chantonnant, ils
traversent le four dans toute sa longueur, sans se hâter de retirer
leurs pieds des pierres incandescentes et sans qu’aucun tressaille
ment des muscles de leur visage n’indique une douleur quelconque.
Quand la cohorte a passé une première fois, le chef crie : faariu
(retournez) ; elle revient sur ses pas, puis passe en travers, puis
en rond douze fois de suite. Un bon nombre d’autres indigènes
s’enhardissent alors à les imiter. Une ou deux femmes trébuchent
et se font des brûlures aux cuisses et aux mains. Des Blancs qui
veulent aussi passer, mais chaussés, déclarent (pie la chaleur se
fait surtout terriblement sentir au visage.
Cependant les individus qui viennent de traverser douze fois le
four brûlant se soumettent de bonne grâce à l’examen des Euro
péens, parmi lesquels des médecins. La plante de leurs pieds ne
porte aucune trace de brûlure; les poils même de leurs jambes sont
intacts et aucune odeur de roussi ne se dégage de leurs vêtements.
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Fig. 48. — Passage du four, eu travers.
Des retardataires font mine de vouloir passer encore, mais Tepua
le leur défend avec force imprécations. Il parait que le charme est
rompu maintenant, et que celui qui oserait provoquer les esprits et
s’aventurer dans le four, y serait rôti. De fait, on commence à battre
les pierres depuis le rempart avec des troncs de bananier découlant
de sève. Une épaisse colonne de fumée blanche s’élève vers le ciel.
La cérémonie du Umutî est terminée. Mais Ja chaleur des pierres
va être utilisée. Tupua s’est fait payer à l’avance par quelques
notabilités blanches qui ont sollicité l’organisation du spectacle.
Il a acheté des porcs énormes que l’on sacrifie ; ils vont cuire tout
entiers dans le four, sur un lit de troncs de bananiers1, entourés
de tubercules de taro et de racines de li, le tout recouvert de feuilles
d’hibiscus, de maiore et de la terre du rempart que l’on jette à
pelletées pour intercepter complètement le rayonnement de la cha
leur intérieure. Dans deux heures, le tout sera cuit à point ; le
sorcier et sa nombreuse clientèle feront un copieux repas, se ren
dront bien paia (repus) puis dormiront pendant un laps de temps
respectable.
Maintenant, comment expliquer cette immunité des promeneurs
indigènes sur le
umuti ? Certaine
ment leurs pieds
sont armés d’une
semelle naturelle
qui les p ro tè g e
beaucoup. Mais au
cune p ré c a u tio n
n’est prise contre
le feu ; on ne s’oint
pas d’huile avant la
F i g v 4 9 . — Un Anglais t r a v e r s a n t le f o u r .
cérémonie et cha
Cello p h o to g rap h ie, ainsi que la précédente, ont éfé prises p endant
ht cerem onie de îu ille t 1898. Le d ire c te u r de la Com pagnie de
cun n ’a pas des
n a v ig atio n de N ouvelle-Zélande, M. M iller, traversa le four,
chaussé do b o ttin es ja u n e s. Il a ssu ra que la c h aleu r au visage
semelles naturelles
a tte ig n a it les lim ites supportables.
de môme épais
seur. Il faut croire que les pierres arrivées à un certain degré de cha
leur que leur couleur et leur aspect révèlent à l’œil expérimenté du
sorcier possèdent une espèce de chaleur atente inoffensive, ou bien
que l’émotion produit une transpiration cutanée suffisante pour iso
ler la peau pendant le temps nécessaire, comme cela arrive pour les
ouvriers des fonderies qui trempent leurs mains dans le métal en
fusion. La sécrétion huileuse et la transpiration de la peau seraientils des isolateurs suffisants pour permettre ces douze courses succès1Ces troncs de bananiers à demi écrasés se nomment rauai et servent à empêcher les
aliments de se brûler au contact des pierres.
sives, de la poussière et d’autres fragments pouvant s’attacher aux
pieds toutle long du trajet. Autant de questions irrésolues*. Toujours
est-il que deux hommes seuls possèdent encore,aux Iles de la Société,
le secret de faire marcher sur les pierres incandescentes et que
les indigènes qui marchent sous leurs ordres sortent de cette
épreuve indemnes de blessures quelconques, sauf en cas de chute
maladroite. Mais ceci et le fait qu’aucun Blanc n’est passé nu-pieds
semblerait indiquer que c’est bien l’épaisseur de la peau des pieds
qui garantit des brûlures2.
Il va sans dire que les indigènes ne donnent pas de cette cérémo
nie une explication naturelle et rationnelle. C’est du miracle, de
la sorcellerie. La plupart des Etaretia (membres de l’Église chré
tienne) d’Uturoa avaient traversé le umuti le ‘JO juillet 1898. En
s’en retournant à la maison, leurs visages rayonnaient de joie et ils
ne manquaient pas d’observer que les missionnaires chrétiens
seraient bien embarrassés d’en faire autant. Aussi, quoi d’étonnant
si les domestiques même des missionnaires, qui vivent continuelle
ment sous leur influence, préfèrent, quand ils sont malades, consul
ter en cachette les sorciers. Nous en avons vu plus d’un exemple.
Du reste, bien des « civilisés » en Europe ne consultent-ils pas le
« mège » de préférence au docteur de l’Universitê ? Et les « remèdes
de bonne femme » n’ont-ils pas plus de vogue que les prescriptions
médicales en latin? Q uia raison? Tout le monde. Et ces gens
auxquels nous allons imposer un gouvernement, de nouvelles habi
tudes, de nouveaux besoins et de nouveaux vices, n’avaient pas
besoin de notre civilisation pour être heureux. Ils possédaient, don1
1 Nous avions, en 1896, une jeune cuisinière nommée Tufauanaa a Teofira, âgée de
14 ans, fille de père et mère métis qui était elle-même très blanche de peau, avec des yeux
bleus et des cheveux noirs. Elle voulut passer elle aussi par le four et rapporta quelques
fortes brûlures sous la plante des pieds, brûlures qui l’empêchèrent de marcher pendant
assez longtemps.
' Les Polynésiens supportent très facilement de hautes tempéiatures. Ils peuvent tra
vailler en déployant de violents efloits musculaires d’une manière continue pendant des
heures sans paraître ressentir une fatigue extraordinaire. Cependant, le moindre effort
produit chez eux une transpiration abondante. Même au repos les gouttes de sueur cou
lent sur leurs tempes lorsque la température est élevée.
155
suprême et unique sur cette terre de douleurs, le bonheur dans
cette paix ineffable de l’esprit et du cœur. Cette paix, cette sérénité
ipie notre civilisation ne peut donner, ils l’ont, ces peuples de la
Polynésie qui viennent au monde sans souffrance, qui le traversent
sans soucis et le quittent sans regrets comme sans frayeurs.
On ne sait rien, je crois, relativement à l’origine de la cérémonie
du Umuti ou du vilavila i revo. Elle se pratique aussi à Pile de
Sawau et à celle de Bega ou Bengah (archipel des Fidji) de la même
manière qu’à Raiatéa. Le four (umu) s’y appelle lovu. Mais il existe
une légende qui explique l’origine de la cérémonie. Cette légende
est assez curieuse pour que nous en donnions un résumé.
Les gens de Sawau (Fidji) s’étaient rassemblés un jour pour écou
ter un conteur d’histoires. Avant de commencer ses récits, le narra
teur s’enquit des présents (nambu) qu’on lui ferait pour entendre
l’histoire. Chacun devait chercher à surpasser son voisin par l’im
portance de son nambu. Un homme appelé 'Tui N’Kualita promit
une anguille qu'il avait aperçue dans son trou à Na Moliwai. Dredre,
le narrateur, se déclara satisfait ; il commença son récit et le conti
nua jusqu’à minuit. Le lendemain, de bon matin, chacun s’en fut
chercher son présent. Tui N’Kualita alla à Na Moliwai chercher son
anguille. Comme il enfonçait en vain son bras dans le trou, il y saisit
une pièce de tapa (vêtement indigène); ce devait être le vêtement
d’un enfant. Tui N’Kualita s’exclama : Ah ! ah! ceci doit être une
grotte à enfants; mais ça ne fait rien : enfant, dieu ou nouvelle espèce
d’homme, j’en ferai mon nambu. Il continua à fouiller en creusant
et finit par saisir la main d’un homme, puis son bras et il le retira
de vive force de son trou. Alors celui-ci fit claquer ses mains et dit :
O Tui N’Kualita, épargne ma vie et je serai ton dieu de la guerre.
Mon nom est Tui Namoliwai. Tui N’Kualita répliqua : Je suis d’une
tribu vaillante et je bats tout seul mes ennemis. Je n ’ai pas besoin
de loi. L’autre reprit : Laisse-moi alors être ton dieu duf/
>
moi être ton dieu des femmes et toutes celles de Bega seront à Loi.
— J’ai assez d’une femme, car je ne suis pas un gros chef; viens, tu
dois être mon nambu pour le conteur d’histoire. — Ah ! sois bon et
laisse-moi encore dire un mot. — Parle. — Eh bien, quand vous
aurez une grande quantité de masawe (ti) à Sawau, allons nous
faire cuire avec et au bout de quatre jours nous en sortirons sains
et saufs.
Le lendemain matin, ils préparèrent un grand four pour y être
cuits dedans. Tui Namoliwai y descendit le premier et fit signe à Tui
N’Kualita de le suivre. Tu me trompes peut-être, dit celui-ci, et j’y
mourrai. —Non !Est-ce que je te donne la mort en échange de ma vie?
viens donc. 11 lui obéit et les pierres étaient tout à fait fraîches sous
ses pas. Alors il reprit : Tui Namoliwai, ta vie est sauve; mais ne
restons pas quatre jours dans le four, car qui prendrait soin de ma
famille pendant tout ce temps? Tui Namoliwai consentit à sortir
et promit à Tui N’Kualita que lui et ses descendants marcheraient
toujours impunément sur les pierres incandescentes du four, ce qui
arriva au grand étonnement des gens des Fidji.
Au moment de mettre sous presse, nous apprenons par le Boston
Evening Transcript (du 20 mars 1001) que la cérémonie du Umutlse
pratique cette année aux Iles Sandwich. Le sorcier serait un Tahitien
nommé Papa Ita. Voici le passage en question, dont l’auteur est
M. Gorten, à Honolulu :
« We have lately witnessed still another strange sight successive
of necromancy and the incantations of the East. Papa lta, a Tahitan.
has given us exhibitions of the famous firewalking which is still prac
tised in the South Sea Islands and parts of Japan and India. On the
vacant land swept a year ago by the Chinatown fire a great elliptical
pit was dug and a large quantity of wood placed therein, on which
were piled the lava rocks. All day the fire burned till the stones were
of a white heal; then the white-haired native from Tahiti approa
ched the fiery furnace dressed in a robe of white tapa, with a girdle
and headdress of the sacred ti leaves and a bundle of leaves in his
hand for a wand. Striking the ground with the ti-leaf wand, he utte
red an incantation in his own language, which was a prayer to his
gods lo temper the heat and allow him to pass; then calmly and deli
berately, with bare feet, he walked the length of the pit, bearing
aloft the ti-leaf wand. Pausing a moment on the other side, he again
struck the ground and returned over the same fiery path. This was
several times repeated, and he even paused a few seconds when in
the middle of the pit to allow his picture to he taken. The stones
were undoubtely hot and were turned by means of long poles just
before the walking, to have the hottest side up, and from between
the rocks the low flames were continually leaping up. The heat that
radiated to the spectators was intense. It was a fact that others fol
lowed with shoes on, but no one could he found to accept the stan
ding offer of 500 dollars to any one who would, with bare feet, follow
Papa Ila. None but natives of course believe there is anything su
pernatural, but we cannot explain how he does it. It cannot be cal
led a fake for he really does what he claims to do, and none, so far,
dare imitate him. The natives fall down before him, as a great Kapuna, and many interested in the welfare of the Hawaiiens deplore
these exhibitions, fealing it is bad for the natives, in that is strengthnes their old bonds of superstition, lo the undoing of much of the
advancement they have made. Just now Papa Ita is touring the
other islands of the group, and rumour has it that is manager will
take him to the Pan American Exhibition at Buffalo. In lhat case
people in the States can see and judge of this curious exhibition for
themselves. »
Enfin voici les paroles authentiques du sorcier Tupua et le récit
naïf qu'un indigène de liaiatea (Taumikau) a mis par écrit à notre
intention :
« E parau teie no te umu a Tupua.
Teie te huru a taua ohipa ra. Tapuhia te vallie e toru etaela i le aano.
E fatahia taua umu ra i te mahana
inatamua e faautahia i te ofai inia
iho i taua umu ra, eiaha ra te ofai
no nia iho i te marae, no te mea te
inarae ra te l'aaea raa ia no te varua
« Ceci est le récit du four de Tupua.
Voici la manière dont se fait cet ou
vrage : on coupe trois toises de
bois ; le four a trois toises de long sur
trois de large. On entasse le bois le
premier jour et l’on transporte par
mer les pierres pour construire le
four, seulement il ne faut pas pren-
ino oia te arii no te pô ; e i te pô
matamua no taua umu ra e haere te
mau talma taata ora no te ao nei
oia Tupua e te mau pipi i pihaiho i
taua umu ra e liio i te mau varua
taata no te pô e haere ratou inia iho
taaviri ai ; ia ore i puai te auahi. E
ei taua pô ra, e haere ai hoe taata e
hio i te rau Ti, ia i te oia i te rau Ti
i te hauti raa mai te hauti i te matai
ralii ra, te o reira te raoere Ti e ot'ati mai, e tau mau rauti ra te at’ai hia
i te mahana e haere ai te taata na
roto i taua umu ra, e i te hora maha
i te poipoi ra e tutui hia’i taua umu
ra ; ia ama taua umu ra, e ia puai
roa te ama raa ei reira te tahua parau atu ai i te taata piehi te umu, ia
oti taua umu ra i te piehi, haere atura Tupua i te hili o te umu e parau
tana a haere ai i reira. Teie tana
parau : E na taata e tia i te hiti ote
umu nei, pirae uri e pirae tea. E
tu'u atu i te nu'uAtua ia hae re i te
umu.
« Ei reira Tupua parau ai : E te
pape e a haere! e te miti e a haere.
Tairi hia 'tura te rauti i te hiti o te
umu raparaufaahouattira te tahua:
Te Vahiné tahura’i e po'iâ te tu'u
raa ïa o te avae iroto i te umu, ei
reira toa te mau taata i hinaaro i te
haere na roto i te umu ra e haere ai
na mûri iho ; eiaha ra te hoè taata e
dre des pierres du marae, parce que
le marae recèle les mauvais esprits,
l’esprit du dieu de la nuit. La pre
mière nuit de la cérémonie, les sor
ciers existant à Raiatea, c’est-à-dire
Tupua et ses disciples, vont autour
du four; ils cherchent les esprits
des hommes de la nuit et tournent
autour du four, mais ils n’allument
pas le feu. Et pendant cette nuit, un
homme va chercher les feuilles sa
crées du ti. Il cueille les feuilles
qui fiottent au vent, celles qu’on
nomme raoere ti et qui servent de
médecine; il cueille ces feuilles et
les porte près du four que l’on allu
me à 4 heures du matin. Et quand
le feu est bien consumé, que le bra
sier est en combustion violente, le
sorcier s’adresse aux aides chargés
d’éteihdre le feu et leur dit de faire
leur office. Lorsque les flammes
sont éteintes, Tupua s’approche du
bord du four et avant qu’on y mar
che, il prononce les paroles suivan
tes : O hommes debout près du four,
pirae uri et pirae tea (nom d’un
oiseau). Laisser aller l’armée des
dieux dans le four.
« Ensuite Tupua dit encore : O
eau ! va dans le feu ; ô eau de mer,
va! Agitant les feuilles de ti sur le
bord du four, il dit encore : « O fem
me qui mets le feu dans le ciel et
l’obscurité aussi, laisse aller les
pieds dans le four. » Alors ceux qui
veulent passer sur le four le peu
vent, en marchant les uns derrière
fariu imuri; te taata hopeara te tuô
i te tahua e fariu ; na fariu ïa, mai
te mea e tuô te taata i ropu e
fariu, pau roa te taata i te auahi ; na
reira toa ia haere no te aano o te
umu. »
les autres. Seulement il ne faut pas
qu’un seul revienne en arrière sans
cela tout le monde serait brûlé*.
Le dernier qui passe doit regarder
au sorcier et ouvrir la marche pour
le retour ; ainsi on passe ensuite en
travers. »
Et notre narrateur ajoute les réflexions suivantes, accompagnées
d’une recommandation charmante de naïveté :
« Teie te liuru o taua ohipa ra, e
ohipa Diaporo te lurnu ia i taua ohi
pa a Tupua ra. E vahiné varua ino
teie tona ioa o te Vahiné tahura’i.
0 piraeuri, o piraetea, i ore ratou
ia parauhia, aita e faufaa i taua ohipara. Eiaha roa’tu orua e rave i taua
ohipa ra i te fenua Papa’a na e ama
te taata i te anahi, no te mea e ere
1 te ohipa mau, e ohipa varua ino no
te pô te reira te huru o taua ohipa a
Tupua ra.
« Tereira te mau vahi rii i roà’a
mai ia’u no taua ohipa ra. Tirara.
« Taumihau tane. »
«Voilà la manière dont se fait cet
ouvrage, un ouvrage du Diable que
cet ouvrage de Tupua.
« La femme appelée Vahiné taliurai est un mauvais esprit. De pirae
uri et de piraetea, il vaut mieux ne
pas parler, c’est un ouvrage inutile
que celui-là.
« N’introduisez absolument pas cet
ouvrage dans la terre des Blancs;
n’y portez pas cette coutume d’allu
mer le brasier du four, parce que
ce n’est pas un ouvrage vrai, c’est
l’ouvrage du mauvais esprit de la
nuit, cet ouvrage de Tupua.
« De là le peu de place que je lui
ai consacré dans mon récit. C’est
tout.
« Taumihau tane. »
On voit que ce récit est un abrégé exact. Gomme point de compa
raison, il existe encore une note de Miss Teuira Henry, de Honolulu,,
dans le Journal of the Polynesian Society, vol. il, n° 2, 1893, qui
donne des paroles analogues à celles que nous avons recueillies
après la séance de juillet 1898.1
1 Y aurait-il là un écho de l'iiistoire de la femme de Lot? (Auteur.)
Beaux-arts. — Pendant que les Polynésiens de- 111e de Pâques
sculptaient les gigantesques et grossières statues de pierre qui sur
vivent à la quasi-extinction decetle bran
che de la famille océanienne, et que les
Maori de la Nouvelle-Zélande gravent et
ornent le bois de leurs pirogues, le fron
ton de leurs cases, même leur kumele
(urnete) de figures hideuses et expressi
ves, de décors ornementaux bizarres, les
Tahitiens restent bien en arrière dans
les arts graphiques. Les seuls objets
sculptés qu’ils aient produits étaient de
grossières idoles (lii) en bois de fer. Ils
n’ont jamais connu l’art de la céramique
et n’ont pas eu l’idée de décorer leurs
bols de bois, leurs uinete, leurs pirogues,
leurs pagaies de ces dessins géométriques
réguliers que les Marquisiens emploient
encore.
Leur art décoratif est rudimentaire et
emprunte ses motifs aux formes géomé
triques les plus simples (voir le dessin
d’une natte, d’un panier, d’un éventail)
ou aux fleurs. Il y a, dans leur manière
- de reproduire la fleur au moyen de paille
Fig.50,—Colosse de n ie de Pâques, tressée, un embryon d'essai de stylisa
C ette lig u re e st dounée comme point de
tion. Le premier pas dans la voie du dé
com paraison avec les deux su iv an tes.
Ou re m a rq u e ra que les P olynésiens veloppement artistique fut la confection
in te rp rè te n t la figure hum aine de la
même façon qu'il» tra v a ille n t la
, comme les Indigènes de l’Ile de couronnes gracieuses et variées au
Siee rre
P âq ues ou le bois comme les T ahi
moyen de fleurs naturelles, de petites
tien s e t les M aori. Ces fig u res s ty li
sées ont bien l’a ir d’av o ir été copiées
s u r des cadavres, des T upajuvi. Nous plumes et de coquillages. On gravit un
nous réservons de tr a d e r u lté rie u re
m ent avec plus de d etails l’a r t poly
deuxième échelon en inventant les bou
nésien.
quets montés. En enlevant d’un bout de
tronc de bananier des couches successives et toujours plus pro
fondes d’écorce on fabrique une pyramide tronquée à échelons sur
X X IV .
Indigenes partant pour la peche.
lesquels on pique des fleurs de tiare, de jasmin, de tipanier, des
petits fruits aussi montés sur des tiges
artificielles.
On sait de même décorer avec beau
coup de goût une table pour un festin ou
une maison pour une fête en tressant des
guirlandes d’une fougère appelée aerouri
à Raiatea, manu-tafai à Tahiti. Dans
ces guirlandes qu’on enroule autour des
piliers et qu’on tend gracieusement le
long des vérandas et en travers des cham
bres on fiche des fleurs, des feuilles de tî
déchiquetées à coups d’ongles, des fruits
de pandanus d’un rouge très vif.
Puis, au costume de fête tressé en filet
à franges, on a ajouté des couronnes arti
ficielles représentant des fleurs, des bou
tons, des petits fruits, des nœuds de
rubans. Quelques-unes de ces couron
nes tout à fait monumentales sont vrai
ment artistiques. Le plus souvent elles
sont tressées en fibres de bambou, de
canne à sucre ou de pandanus entremê
lées de fibres noires de fougères. On
ajoute aussi quelquefois des colorations,
ou bien on fixe au moyen de la sève de
maiore (papo) de petites graines rouges
et noires disposées en dessins variés.
Les mêmes motifs décoratifs se répètent
sur les élégants petits paniers, sur les
Fig. 51. — Idole maori.
corbeilles et les éventails. A remarquer
Ces idoles g ra v é es dans des plan
les plaques décoratives faites pour être
ches épaisses se plaçaient aux
deux bou ts de la véranda m aori.
portées à la fête du 14 juillet. On a cer
tainement voulu imiter les décorations qui constellent la poitrine
des officiers étrangers. Enfin, dans la confection des chapeaux, rim a
it
ÊT H ÏÏ
162
gination féminine se donne carrière pour inventer de nouvelles com
binaisons de pailles formant des dessins nouveaux. Ges dessins
sont toujours géométriques et dus au hasard de
l’arrangement des pailles.
Mais où les vahiné mettent tout leur idéal artis
tique, c’est dans la fabrication des tifaifai. Les
tifaifai sont de grandes couvertures dans les
quelles on s’enveloppe pour dormir et que l’on
étale avec orgueil sur le lit composé d’une natte
et d’un matelas de coton. Le tifaifai est com
posé de losanges d’étoffes multicolores, cousus
l’un à l’autre de manière à former de grandes
étoiles à 7, 11 pointes que l’on fixe ensuite au
milieu d’un grand carré de toile.
Si les Tahitiens sont restés très en arrière
dans les arts graphiques, ils n'ont pas poussé
bien loin non plus leurs connaissances musi
cales. Dans leurs chœurs, ils n’emploient qu’un
petit nombre de notes et leurs motifs ne sont
pas très variés. La mesure est étrange et très
difficile à noter. Chaque phrase musicale se ter
mine (même dans les chants religieux)
par une espèce de mugissement dans
lequel on exhale brusquement le souffle
au bout d’un point d’orgue.
Fig. 542.— Idole tahitienne (Atua).
Pour exécuter un himene (nouveau mot
S cu lp lée en bois de tam an u , sa des
tin a tio n é ta it le m arae de fam ille.
imité de l’anglais hymn, le mot ancien
On en fa b riq u a it de to u te s petites
que l’on e n ferm ait dans des é tu is
étantpefte)on se groupe en cercle, les fem
de bam bou à l’u sage des fidèles
qui les s o rta ie n t pour dire leu rs
mes qui chantent le soprano au milieu,
p riè re s {ubu, pure).
les différentes autres voix en cercles
excentriques. Tout le monde est assis a en tailleur », et les jeunes
hommes du cercle extérieur ont comme seule fonction de souffler
bruyamment deux ou trois notes en harmonie avec le reste du
chœur. Chaque note exhalée par eux est accompagnée de mouve
ments de flexion du torse en avant et de lancement des bras alter-
'û
—
163 —
nativement à droite et à gauche. Au milieu du cercle se trouve, de
bout, le directeur du chant, le patau, qui ne se contente pas de battre
la mesure avec la gesticulation accoutumée dans cet exercice, mais
qui soutient le chant d’une voix puissante dans les passages où il lui
paraît faiblir et qui exécute des solos de quelques notes au commen-
Fig. 53. — Dessin de la bordure d’une natte.
Comme ou lo voit ces ornem ents so n t p u rem en t g éom étriques e t composés de lignes droites.
cernent de chaque couplet. Quelquefois les séances de chant sont de
véritables pantomimes; l’on chante debout et l’on s’accompagne d’une
gesticulation effrénée que seul un cinématographe pourrait enregis
trer. Des auxiliaires précieux des chœurs sont les hommes appelés
faaitoüo (les encourageurs) qui circulent dans le groupe, une longue
baguette à la main et houspillent les chanteurs qui menacent de
s’endormir ou qui ne montrent pas un zèle suffisant. Les'chœurs
Fig. 54. — Fleurs en paille tressée.
Ici, l’a r t indigène a fa it u n pas en a v an t en ch erch an t son in sp ira tio n dans la flore e t on
s’efforçant a ’im ite r les form es arro n d ies des p é ta les des roses. Il e st c u rie u x d’observer
qu’à T a h iti l’a rt ne s’app liq u e qu’à la p a ru re (ces fleurs serv en t à décorer les chapeaux).
Les a rts g ra p h iq u e s n’e x isten t po u r ainsi dire pas chez les T a h itie n s, ce q u i m arche de
p a ir avec l’absence d’é critu re . Aussi le mot qui signifiait dessiner des ta to u a g es (jm p a i)
est la seule expression qu'on a tro u v é e de nos jo u rs pour tra d u ire le m ot écrire.
4K
—
165
—
sont quelquefois accompagnés d’un orchestre bizarre, formé de vivo,
flûtes en bambou, dans lesquelles on souffle par le nez et qui rendent
un son analogue à celui de nos mirlitons, d’entre-nœuds de bambou
{ofs), fendus dans leur longueur, sur lesquels on frappe en cadence
avec deux baguettes en les tenant sur le bras gauche, de tiges de
bambou, ouvertes à une extrémité que l’on frappe sur le sol, et
enfin de gros tambours
(pahu, pa'u), formés d’un
tronc de cocotier évidé
sur lequel est tendue une
peau de requin.
Nous donnons, dans le
dernier chapitre de ce
travail, quelques chants
ainsi que des spécimens
de poésie nationale d®
Raiatea.
Religion et mythes. —
On verra plus loin, à pro
pos de la mort et des fu
nérailles, quelles étaient
les croyances relatives à
la vie future. Il en res
sort que les Tahitiens
croyaient à l’immortalité
dont l’âme pouvait jouir
Fig. 55. — Plaque décorative de fête.
OU être privée au hasard.
C ette p laque a orné la poitrine d’un chef aux fêtes du
1
*
l i ju ille t. On voit que ce sont les décoratious aperçues
Li8 «paradis »S6 nommait
sur p o itri110 des officiers français qui o n t inspiré ce
A
"■
tra v a il indigène.
rohutu noa.noa et se trou
vait au-dessus du mont Mehani à Raiatea; ce qui correspond vague
ment à notre « enfer » était la nuit, pô.
Ils croyaient aussi en un dieu suprême, créateur de toutes choses.
Ce dieu, commun à tous les Polynésiens qui le nommaient Taaroa,
Tanaroa, ou Tangaroa, n’était cependant l’objet d’aucun cuite spé
cial, tandis que Oro, le dieu de la guerre, et Hiro, le dieu des vo-
*
*
166
leurs, se partageaient presque exclusivement le culte tahitien. Oro
était le dieu national de Raiatea et devint aussi celui de Tahiti. Hiro,
qui avait commencé par être un homme, guerrier fameux, voyageur
et brigand à l’occasion, fut déifié ensuite et son culte était célébré
surtout à Huahine.
Mais ce n’étaient pas là les seuls dieux. Au contraire, ils étaient
légion et il faudrait une monographie spéciale pour traiter de ce po
lythéisme bizarre, incohérent, où l’on sent la superposition de tradi
tions différentes, témoignage des différentes migrations qui se sont
succédé en Polynésie.
Citons cependant les plus connus des indigènes actuels, ceux dont
les noms sont fréquemment donnés aux enfants nouveau-nés. Il y
avait un certain Tii qui fut le premier homme et son épouse était
Hina, la première femme. Ils furent le fruit d’une mésalliance d’un
dieu (mésaillance avec qui ?... c’est ce que la tradition ne dit pas).
Aujourd’hui ce sont eux-mêmes des dieux et Hina habite dans la lune.
Il ne faut pas confondre TO avec les Tii (Tiki,tigi) qui sont de mauvais
esprits, différents des dieux et des hommes auxquels ils jouent maint
méchant tour. Ils me semblent avoir quelque rapport avec les « ser
vants v de nos Alpes vaudoises. Une de leurs farces consiste à han
ter le corps d’une femme et à lui donner un appétit vorace (mahne).
Il y a d’autres exemples de personnages déifiés. La déification
était un des privilèges des grands rois et des grands prêtres. Ainsi le
grand prêtre Mâui étant un jour occupé à offrir des sacrifices sur
son marae s’aperçut que le soleil était déjà très bas dans sa course,
son ouvrage n’étant pas fini. Alors il saisit les hi/ii ou les rayons du
soleil et l'arrêta pendant un certain temps. Les uns disent qu’il l’a
marra à une île. (C’est ce même Màui qui fut le prophète des piro
gues sans balancier et sans voiles.)
D’autres hommes-dieux sont restés célèbres dans la tradition, ainsi
Rû, qui étendit le ciel comme un rideau, et Aoaomaraia, le père du
feu, parce qu’il fut le premier à découvrir l’art de produire le feu par
friction. Avant lui les gens mangeaient leur nourriture crue, et sans
doute dans la crainte de ne pouvoir reproduire le feu, opération qui
devait passer pour miraculeuse, on confiait ensuite la garde d’un feu
permanent à une femme qu'on nommait Mafiuië, espèce de vestale.
On raconte que la Mahuië qui laissait éteindre le feu était punie de
mort.
Les dieux tahitiens étaient représentés par des idoles. Celles des
rois et des chefs étaient les plus grandes et consistaient en un bloc
de bois de fer ou de ati (callophillum) enveloppé d'étoffes et orné de
plumes. Les idoles du menu peuple étaient minuscules et se por
taient dans des étuis de bambou d’où on les sortait pour faire ses
dévotions. Le culte se rendait sur les marae que nous avons décrits
plus haut. Il consistait en prières, invocations, discours, offrandes et
sacrifices humains. Les prêtres, compris sous l’appellation générale
de tahua, étaient des tahua pure (prêtres prière), des tahua orero
(prêcheurs), des oripo (coureurs de nuit, espions, apprentis prêtres)
et des sorciers {tahua). Cette dernière classe seule subsiste encore
aujourd’hui et, dans la personne de Tupua, exécute les « prodiges »
que nous avons décrits sous le titre Umuti.
Le marae d’Opoa est le type du genre. Au milieu d’une vaste en
ceinte faite de gigantesques pierres dressées se trouve l’autel mesu
rant 15 mètres sur 5 sur une hauteur de 2 mètres et demi. Devant
cet autel de larges dalles de basalte, sur lesquelles se plaçaient le
roi et le grand prêtre, ceint de la ceinture blanche (:marotea).
Un homme apportait l’idole royale et la tenait sur l’autel. A la fin
du culte, l’idole était reportée dans une maison spéciale, à quelque
distance du marae. Le grand prêtre prononçait des prières et inter
rogeait les entrailles (ahuruhitru) des animaux sacrifiés, s’il s’agissait
d’augurer des chances d'une guerre. Lorsqu’il avait découvert que
le dieu réclamait une victime, il en faisait part au roi qui la désignait
en secret. La victime recevait un coup de massue par derrière au
moment où elle vaquait à quelque occupation. On lui épargnait
ainsi les angoisses de cette mort violente. Quelquefois un poisson
suffisait à apaiser le dieu. Dans leur argot, les prêtres appelaient
Va (poisson) les victimes humaines. Victimes et offrandes diverses
en fruits ou en légumes étaient déposées sur l’autel pendant la céré
monie puis jetés dans le charnier qui se trouvait toujours à courte dis
tance du marae.
169
Les hommes seuls avaient accès dans l’enceinte sacrée qui était
tabouée pour les femmes. Le «sermon» consistait en un discours
du orero. Celui-ci débitait, avec une volubilité extrême, et sur un ton
spécial, la tradition politique ou sacrée dont il était le gardien, le li
vre vivant, une sorte de barde national.
Les sorciers ou « inspirés» montaient ensuite sur l’autel et se li
vraient à leurs élucubrations, dictées soi-disant par la divinité.
Quand on procédait à la cérémonie du couronnement d’un roi, les
sorciers étonnaient la multitude par la pousse soudaine d’un man
g u ier1 ou bien faisaient un umuti. A l'heure actuelle, les sorciers
paraissent avoir perdu le secret du « tour du manguier ». Il y avait
encore une foule d'autres cérémonies religieuses qui se célébraient
sur le marue ou en dehors, entre autres l’investiture royale. Le roi
montait absolument nu sur une grande dalle devant l’autel du inarae
d’Opoa. Legrand prêtre lui attachait la ceinture rouge (mafoura),
emblème de la puissance royale.
Quand une flotte de pirogues abordait à Opoa, ceux qui la mon
taient présentaient une pièce de aha (étoffe faite avec de la pellicule
de coco); ils disaient des prières en offrant un cochon ou un régime
de bananes sur le marae.
Ce n’est pas sans peine que l’on parvint à extirper toutes ces céré
monies païennes. Si elles ne peuvent plus se pratiquer publique
ment, il est facile de voir quelle place importante elles tiennent
encore dans la vie des indigènes. Combien ceux-ci ont plus de
confiance dans le pouvoir de leur sorcier et dans ses remèdes que
dans toutes nos médecines. Du temps ! du temps ! il en faudra
pour que ces populations soient pénétrées par une religion qui est
« esprit ». Puissent les Polynésiens survivre assez pour la pra
tiquer comme les nations civilisées ne la pratiquent pas, en ce
1 C’est Dumont d’Urville qui raconte cela dans son Voyage pittoresque autour du
inonde. La prédiction de Màui relative à la pirogue est aussi mentionnée par lui et par Ellis.
Nous avons vu le même tour du manguier joué très habilement par un jongleur
hindou à Colombo (Ceylan). Ce serait une nouvelle preuve à l’appui de l’hypothèse qui
place le berceau de la race polynésienne dans l’Inde. De tels tours ont dû se conserver
mystérieusement de génération en génération dans la classe des sorciers.
170
commencement de siècle, dans un esprit de justice et de véritable
fraternité humaine.
Sciences. — Les Polynésiens, et parmi eux spécialement les Tahi
tiens, ont poussé très loin la science des nombres'. Ils possèdent
beaucoup plus d’expressions que nous pour compter.
Ils ont deux manières de nombrer les objets: par unités simples
ou par couples, et comptent aussi par rima, ce mot signifiant indiffé
remment Twain et cinq. Mais le système décimal était connu de ces
populations bien avant l’arrivée des Européens.
La comparaison des dix premiers nombres dans les différents
dialectes polynésiens est intéressante à un double point de vue :
elle prouve, d’un côté, l’étroite parenté de ces dialectes parlés à des
centaines, à des milliers de kilomètres les uns des autres, de l’autre,
elle montre les faibles altérations (de simples mutations de conson
nes) que ces mots ont subies en passant d’une tribu à l’autre. Les
voici donc :
Samoa.
1.
2.
3.
4.
5.
6.
1.
8.
9.
10.
Tonga.
tasi
lua
tolu
fa
lima
ono
fitu
valu
iva
ngafulu
tahu
ua
tolu
fa
nima
ono
fitu
valu
hiva
hongofulu
Maori.
Rarotonga.
tahi
rua
torn
wha
rim a
ono
whitu
war u
iwa
ngahuru ou
bien : tehau
tai
rua
toru
a
rima
ono
xtu
vam
iva
ngauru
Tahiti.
tahi ou hoe
rua ou p iti
toru
ha, fa ou maha
rim a ou pae
ono
hitu
varue ou vau
iva
ahu ru ou 'um i
Hawaii. Marquises.
ha hi
lua
kolu
ha
lima
ono
hihu
xoalu
iwa
’um i
tahi
ua
tou
fa, ha
ima
ono
fitu, hitu
vau
iva
onohuu
11 se dit en tahitien ahuru ma hoe (= dix avec un)
12
ahuru ma piti (ma rua) ( = dix avec deux)
20
e piti ahuru ( = deux dix)
24
e piti ahuru ma maha (= deux dix avec quatre)
Ainsi de suite jusqu’à cent qui est rau.1
1Des nombres seulement, non pas de l’arithmétique.
JO : ahum ou bien umi
100 : rau
1000 : mano
10.000 : manolini
100.000 : rehu
1.000.000 : iu
Si l’on compte par couples, ces mêmes mots signifient 30, 300,
3000, etc.
Quand il s’agit de compter des cocos on les lie par quatre, en croix.
Un paquet de quatre s’appelle un amui. Par extension, ce mot s’appli
que à des paquets d’autres fruits et de poissons, paquets qui contien
nent toujours le même nombre d’unités pour la même denrée.
Lorsqu’il s’agit de nombrer des bambous on les compte par dix cou
ples ou taau; après chaque dizaine de couples on fait une marque,
un simple trait sur le sable. Les feuilles de pandanus fixées à un ro
seau (rauoro) pour servir de couverture à un toit se comptent aussi
par taau. Alors cinq taau forment un tiaope = cent rauoro. Enfin les
étoffes se mesurent à la brasse (etaeta), les deux bras étendus à hau
teur de l’épaule. 10 brasses = l tumoa ou umi ; 1 aamau = 20 brasses.
On mesure le temps en lunes (avae) et l’on partage l’espace entre
deux lunes en nuits auxquelles on donne des noms spéciaux*. Les
Tahitiens ne paraissent pas avoir divisé le jour en heures, mais plu
tôt en parties assez vagues : poipoi, le matin ; poipoi roa, de bon matin ;
avatea, midi ; ahiahi, le soir;po, la nuit; fin raa po, minuit (c’est-àdire division de la nuit); l’aurore: marumaru ao; le crépuscule :
marumarupo, soit « la douceur de la lumière » et la «douceur de la
nuit». Maintenant (pie nous leur avons enseigné notre manière
de compter par heures, ils savent fort bien dire l’heure par la lon
gueur de leur ombre.
G’est dans la pharmaceutique que les Tahitiens ont poussé le plus
loin leurs connaissances scientifiques, mais celles-ci sont demeurées1
1 Nous n’avons pu obtenir la liste tie ces noms à Raiatea. Le Dictionnaire tahitienanglais ne mentionne que les trois nuits appelées oreore et une autre nuit, maitu.
L'ouvrage de Miss T. Henry nous promet de plus amples informations.
purement empiriques. Au rebours de beaucoup de peuples semicivilisés, ils n’attribuent pas toutes leurs maladies à de mauvais
esprits, mais plutôt à des lésions internes (fati).
Cependant le sorcier, à côté de remèdes rationnels, de frictions,
massages, administration de médicaments végétaux, a souvent re
cours à des pratiques superstitieuses.
Somme toute, les Tahitiens se montrent très intelligents, très aptes
à acquérir des connaissances scientifiques, en arithmétique surtout.
C'est un bonheur pour les écoliers des écoles françaises de faire
des additions, des multiplications et des divisions interminables.
Bien des indigènes ont acquis des connaissances suffisantes pour
manier le sextant et pour recevoir le brevet de patron de bateau pour
le cabotage entre les îles. Je citerai, entre autres, l’auteur d’une foule
de renseignements contenus dans cet ouvrage, Taumihau, patron de
cotre à Utuora, celui qui figure dans l’une des planches en couleur,
assis à terre et faisant du feu. A Uturoa il y a encore Ilahe, Taie,
Otare, Tavere. Peu, Moehonu, Tahi et une quantité d’autres qui
savent diriger (faatere) un cotre de 30 tonneaux de Raiatea à Tahiti.
Les trois premiers seuls possèdent le brevet de patron ; Otare et Peu
sont les pilotes attitrés qui introduisent les grands navires dans la
passe difficile de Teavapiti.
Nous avons déjà vu au chapitre II que les Raiatéens avaient des
connaissancesastronomiqueset qu’ilssavaient classer les vents et les
phénomènes maritimes.
CHAPITRE VII
LA F A M I L L E
A l’heure qu’il est, il devient assez difficile de se faire une idée
exacte de ce que fut la famille tahitienne, avant l’arrivée des Blancs.
Le christianisme l’a certainement transformée en émancipant relati
vement la femme*, mais il me semble que les liens de famille sont
bien relâchés et que, règle générale, la vie commune entre plusieurs
familles est plus développée que la vie familiale proprement dite.
Qu’un enfant s’absente pendant plusieurs jours sans crier gare, on
ne s’inquiétera pas du tout de sa disparition. Il sera allé chez un fetii
quelconque. On sait bien qu'il ne se perdra pas. Du reste, il n’arrive
presque jamais d’accident dans cet heureux pays. Et puis on préfère
souvent les enfants adoptés (tamarii faaamu) à ses propres enfants.
Le jour de la naissance se présente presque toujours une femme
quelconque pour adopter le nouveau-né et lui donner un nom. On
le lui abandonne volontiers, mêmeavant qu’il soit sevré, pour adopter
soi-même un autre enfant.
Règle générale, la famille tahitienne actuelle se compose des
hommes qui ont l’autorité en mains, des femmes qui leur sontconsi-1
1Ce fut même une (les causes qui firent accepter avec plaisir le christianisme parles
femmes tahitiennes, car elles y virent un moyen de s’affranchir de nombreux tabou et.
de devenir nominalement les égales des hommes.
dérées comme inférieures et leur obéissent avec beaucoup de con
descendance, des enfants qui sont gâtés et commandent à père et
mère et des vieillards qui sont supportés, mais non aimés et dont le
départ est considéré comme un bon débarras.
Les enfants sont chéris ; leur mort est la plus grande affliction qui
puisse frapper le Tahitien. Il arrive cependant qu’on les batte, mais
pas tous, car il y a des préférés. L’enfant adoptif est souvent ce pré
féré. On lui donne l’épithète de rii (petit) même lorsqu’il est déjà
adolescent. Ne pas avoir d’enfant (être toivi, de ivi, veuf) est actuel
lement considéré comme une honte et comme un brevet de mauvaise
conduite antérieure pour la femme. On est très fier des enfants na
turels, surtout si leur auteur est un soldat blanc. De tout temps, les
enfants illégitimes ont été considérés à l’égal des autres. On est loin
des Arioï, mais si l’infanticide proprement dit n’est plus pratiqué,
l’avortement l'est encore. Bien des femmes «docteurs» savent le
moyen de le pratiquer en administrant le jus de quelques plantes
exprimées ensemble. Cependant, il y a encore des exemples de très
nombreuses familles. Seulement si des femmes ont jusqu’à vingt
enfants, il n’en survit guère que le tiers, faute d’hygiène et de soins
convenables.
Le mot metua désigne indifféremment le père ou la mère. Pour
les distinguer, on ajoute les mots mâle et femelle : metua taiie.
metua vahiné. Père adoptif ou nourricier se dit metua faa ai ou
faaamu (fait manger). Pas d’expression pour désigner les oncles
et les tantes, ce sont des « pères » et des « mères », dans le langage
des enfants. De même les cousins et les cousines sont des « frères »
(laeae) et des « sœurs ». Seulement, pour nommer, il faut distinguer
les différences d’âge. On dit : celui-ci (ou celle-ci) est mon (ou ma)
tuaana (aîné); celui-là (ou celle-là) est mon (ou ma)teina (cadet). Les
sœurs n’appellent pas autrement leurs sœurs ou leurs cousines. Mais
les frères appellent leur sœur tuahine. Un père appelle son fils aîné :
matahia po. Les ancêtres eu général sont les hui tupuna. 11 y a donc
des tupuna tanc (grands-pères) et des tupuna valdne (grand’mères).
Mais il existe deux mots spéciaux pour désigner le premier, les as
cendants: huaa \ le second, les descendants: hua'ai.
Les descendants se nomment :
tamaroa
fils
i
(
lamaroa
) petit-fils
Mootua <
I tamaliine
petite-fille
Modtuai
tamaroa
arrière-petit-fils
tamaliine
arrière-petite-fille
tamahiuo
fille
Après les arrière-petits-enfants viennent les hinerere, commen
çant par les mootuatini ou mootuatuarau, fils d’arrière-petits-fils, et
quand la descendance est encore plus éloignée, mais incertaine, ce
sont des mootuat initiai.
On observe avec soin les degrés de parenté (vine virua). A partir
des arrière-petits-fils, les descendants sont des hinerere. Les
cousins éloignés (à la mode de Bretagne) sont des vaitaeae (frères
existants).
Quand un jeune homme entre par mariage dans une famille, tous
les parents de la fiancée deviennent des apurua du fiancé et vice
versa. Ses beaux-parents sont appelés metua hoovai, le gendre et la
bru hunoa tane, hanoa vahiné.
Toutes les personnes qui vous sont parentes jusqu’à un degré très
éloigné sont vos fetii. 11 y avait autrefois (et la coutume subsiste
encore) de sévères prohibitions de mariage entre fetii. Si l’on pou
vait passer sur le rang et commettre des mésalliances, on ne passait
jamais sur les prohibitions en question. Aujourd’hui encore, on ne
se marie jamais entre parents, môme éloignés. Cette coutume est
d’autant plus étonnante que le contraire existait chez les Polyné
siens des Sandwich où les mariages entre frères et sœurs étaient
fréquents et où le fils d’un chef succédait sur la couche nup
tiale au père défunt, afin de perpétuer la race. On voit le but
utilitaire de cette tolérance. La prohibition tahitienne pourrait bien
avoir une origine utilitaire aussi et trouver son explication, comme
l’infanticide publiquement pratiqué, dans un surcroît de population,
•Remarquer l’emploi du circonflexe dans ce cas spécial; ce signe qui n'est que gram
matical dans noire langue marque ici une accentuation de la seconde voyelle, accentua
tion qui change la signification du mot.
dangereux en de si petites îles. Un jeune homme pouvait être ainsi
obligé d’émigrer dans une île plus ou moins voisine pour y chercher
femme, chacun se disant (comme dans certain village du canton de
Neuchâtel) cousin, cousine, ou plutôt Frère, sœur.
Le mariage se pratiquait, en général, entre gens de la même classe.
C.’est le plus souvent la jeune fille qui envoie ses parents solliciter la
main du jeune homme. Si elle essuie un refus, elle ne se décourage
pas et tourne ses vues ailleurs Du reste, si chacun a sa femme, il
se fait relativement peu de mariages réguliers maintenant, par
crainte que les nouvelles lois et les prescriptions religieuses ne
rendent l’union trop indissoluble et trop difficile à rompre.
La polygamie n’était pratiquée que par des chefs suffisamment
riches. Elle est prèchée aujourd’hui avec plus ou moins de succès
par des sectes de Mormons d’Amérique qui ont fait quelques pro
sélytes, aux Tuamotu spécialement. Des coutumes, cérémonies,
prières et divertissements qui accompagnaient autrefois le mariage,
il ne reste plus rien d’original. On suit actuellement notre rituel
européen : mariage civil, mariage religieux, grand festin et bal
pour finir. Les mariées se vêtent de mousseline blanche, portent
un voile, des souliers de satin, des fleurs d’oranger véritables.
L'époux s’affuble de son mieux de nos défroques noires. Si le mé
nage n’a pas d’héritiers, on en adopte, et, plus tard, le père adoptif
aura plus d’autorité et de droits sur son faa amn que le père naturel,
malgré toutes les lois européennes.
Une coutume qui paraît être née dès l’arrivée des Blancs dans ces
contrées, puisque Cook en fut l’objet, c’est celle des taio ou fetii. Peu
de temps après votre arrivée dans le pays, vous recevez la visite
d’un, quelquefois de plusieurs indigènes qui vous demandent à de
venir fetii. Si vous acceptez, il se forme bientôt entre vous des liens
qui peuvent être considérés comme aussi solides que ceux du
sang. Il y a, dès lors, communauté de biens entre votre taio et
vous, pour autant que vous le laissez faire, du moins. 11 vous
comble de présents, fruits, poissons, objets du pays et ne manque
pas de convoiter bon nombre d’objets dans votre propre maison. Cela
devient du communisme, du socialisme où l’un donne un œuf, l’au-
tre un bœuf. Du reste, il suffit de manifester le désir de posséder un
objet tahitien pour que le possesseur ne tarde pas à vous l’apporter.
Dans l’idée de ces gens-là, il serait honteux de ne pas obtempérer à
tous les désirs d’un hôte. On ira même parfois au devant de ses dé
sirs: on lui offrira femme et fille si l’on pense qu’il y a goût. Refusez
sans marquer d’indignation : on ne vous comprendrait pas. On au
rait peur de votre « sainte colère » et l’on vous fuirait désormais, non
pas par honte, mais par crainte.
Lorsque le fruit du mariage arrive à maturité et il n ’est pas rare
que la durée ordinaire de la gestation subisse des écarts plus ou
moins prononcés, on prépare les instruments de l’accouchement: un
matelas bourré de coton indigène (vavai) et une corde terminée par
une boucle, suspendue au plafond. La femme s’assied entre les ge
noux d’un homme (médecin indigène) qui lui masse (taurumi) vigou
reusement les reins et la soutient pendant que, s’accrochant des
deux mains à la corde et à demi étendue sur le matelas, elle fait des
efforts qui aboutissent rapidement et sans de bien grandes douleurs,
paraît-il. On lie le nombril (pito) du nouveau-né (aruaru) avec un
peu de more (fibre de l’écorce d’hibiscus), on lave Yaiu (nourrisson,
de ai, manger et û lait) avec un peu d’eau contenue dans un coco
vidé, on l’oint d’huile de coco (monoi) et on l’étend tout de suite sur
une petite natte. Pas de langes pour embarrasser ses mouvements.
La mère ne tarde pas à se lever et à aller elle-même laver son linge
au ruisseau.
Autrefois on baignait l’enfant nouveau-né dans une feuille d’ape
et l’on prononçait une prière (ubic). On pratiquait des cérémonies à
différentes époques de sa vie, spécialement à l’âge de la puberté qui
arrive vers douze ans pour les garçons, vers dix ans pour les filles.
11 ne reste de ces cérémonies qu’une seule fête célébrée au premier
anniversaire d’un aîné de famille. Les fetii de tout rang et de toute
distance s’assemblent ; on récite le aufau-fetii (généalogie de famille),
et chacun offre quelques piastres que le père conserve jusqu’à la ma
jorité ou au mariage de son enfant et qu’il a le droit d’employer pour
construire à celui-ci une maison en planches, à l’européenne. Si cet
héritier présomptif meurt jeune, les fetii s’assemblent à nouveau et
12
le père rend à chacun sa quote-part. Toutes ces cérémonies se ter
minent par un copieux festin (amuraamaa). Le père s'en va nuitam
ment creuser un trou dans sa terre et y enfouir le grand pot de grès
qui contient les précieuses piastres. 11 prend pour dissimuler l’en
droit des précautions d’Apaclie.
La mort et les rites funéraires. Croyances relatives
à la vie future.
La mort n’est pas pour le Tahitien le « Roi des Épouvantements »,
comme la désigne l’Écriture. Ces gens paraissent mourir avec la
même insouciance qu’ils ont apportée à vivre. 11 ne survient pas de
grands malheurs dans l’existence polynésienne; la vie matérielle
est facile, il n’y a que des chagrins.
Les plus grands chagrins sont bien la mort des enfants, adoptifs
ou naturels. Si la mort d’un vieillard est considérée comme une déli
vrance, celle d’un enfant donne lieu à plus de lamentations, mais
ces lamentations ne durent pas longtemps. On comprend assez cette
indifférence devant la mort quand on se reporte aux anciennes
croyances relatives à la vie future, croyances que le christianisme pa
rait n’avoir déracinées que superficiellement dans ces âmes primi
tives.
Je suis frappé, en lisant dans le tome XI du Bulletin de la Société
Neuchâteloise de Géographie les coutumes funéraires des Abyssins
de retrouver des analogies avec les anciennes coutumes tahitiennes.
M. Victor Buchs raconte que « les cadavres sont généralement in
humés le jour même du décès». Cela se pratique aussi dans les îles
de l’Océanie. Seulement l’enterrement était autrefois clandestin. On
attendait la nuit et, avec l'aide de quelques fidèles, dans le plus
grand secret, on portait le corps dans la montagne où on l’enfouis
sait en quelque creux de rocher. On le recouvrait à la hâte et le lieu
de sépulture restait ignoré du public. Cette précipitation provenait
d’un motif analogue à celui qui dirige les musulmans : le désir de
procurer immédiatement la paix éternelle en transportant le corps
dans la terre. Les Tahitiens se hâtaient d’enfouir le cadavre en ca
chette pour éviter toute profanation du corps, une mutilation de
celui-ci pouvant, dans leur idée, affecter l’âme du trépassé. Et si les
Abyssins redoutent de mourir noyés, leur âme passant dans ce cas
dans le corps d’un dauphin, les Tahitiens ne redoutent pas moins les
naufrages; ils pensent que l’âme peut passer dans le corps du rori
(limace ou biche de mer nommée aussi tripang) avant de subir d'au
tres migrations.
Du reste, voici la marche que suivaient les âmes au sortir du
corps.
Elles s’envolaient d’abord vers un groupe de pierres situées sur le
rivage. A Tahiti et à Morea il y avait deux pierres seulement (à la
pointe de Taataa pour Tahiti, à Papeari pour Moorea); l’une s'appe
lait Ofai ora (la pierre de vie), l’autre Ofai polie (la pierre de mort).
A Raiatea les pierres étaient au nombre de trois: Ofaiarâriorio, 0fai
re iriorio, Ofai niaue raa b L’âme, étant aveugle, touchait au hasard
l’une des pierres; si la pierre de mort était touchée, c’était pour
elle l’anéantissement. Si, au contraire, elle parvenait à la pierre de
vie, elle commençait ses migrations qui consistaient généralement
en un séjour sur le Mehani suivi du départ définitif pour Pilot de
Tupai ou Motu-iti, au Nord-Ouest de Bora-Bora2. Aussi Pilot de
Tupai a-t-il, de tout temps, été inhabité et l’on ne s’y rend, pour faire
le coprah, qu’en nombreuse compagnie.
Du reste, les âmes ne demeurent pas tranquilles à Tupai. Elles re
viennent pour tourmenter les vivants. Il en est de même des âmes
des guerriers morts en combattant, âmes qui sont dispensées du sé
jour à Tupai. Elles conservent un corps diaphane et reviennent sous
le nom de Tupapau, Mate ivi (mort squelette), Matefanau (mort-né)1
1 Rxorio : l’esprit d’un enfant ou d'une personne ; ara : veiller, éveiller ; arâ : une
pierre noire dure; rei : la nuque; niaue: voler (comme l’oiseau).
’ Celte idée de fixer le séjour des morts dans la plus éloignée des iles du groupe res
semble assez à nos croyances enfantines. Combien d’imaginations enfantines se figurent
que le bout du monde et l'enfer se trouvent à l’extrémité de l’horizon du village natal !
inquiéter les vivants et les effrayer la nuit par leurs cris. Elles passent
quelquefois clans le corps des oiseaux de mer, et les cris nocturnes
de ceux-ci épouvantent l’indigène. Outre ces migrations à Tupai et
ces retours nocturnes, il existait encore la croyance en un séjour
spécial des âmes, une espèce d’enfer (hades) qui se trouvait au-des
sus de la plus haute montagne de Raiatea, la Montagne Sacrée. Ce
séjour, plongé dans une nuit éternelle (Pô) se nommait le Rohutu.
Il était divisé en Rohutu namua (le Rohutu du commencement),
espèce de purgatoire où les âmes qui n’avaient pas eu une dévotion
suffisante pour le culte des marae étaient soumises à des tourments
rigoureux dont on ne fixait pas la durée. Venait ensuite le Rohutu
noanoa (le Rohutu supérieur) où les âmes dansaient une upaupa
éternelle sous la garde du dieu Urataetae. A la porte du Rohutu noa
noa se tenait une espèce de cerbère, le prêtre ou dieu Romatane, cjui
avait le pouvoir d’y admettre ou d’en exclure les âmes. Certaines
âmès, peut-être celles qui étaient exclues du Rohutu noanoa, se
transformaient en une sorte de dieux inférieurs malveillants, les
Oromatua dont il fallait chercher à conjurer les mauvaises intentions
par des prières spéciales. Deux sortes d’Oromatua étaient spéciale
ment redoutables: les Oromatua ai a m (les Oromatua mangeurs de
vieillards) et les Oromatua nihoniho roroa (les Oromatua à longues
dents) qui revenaient pour étrangler et manger leurs parents sur
vivants. On conçoit ainsi l’horreur que les Tahitiens devaient avoir
des cadavres et la hâte que l’on mettait à les enfouir pouvait provenir
bien plus de ce sentiment que du désir de procurer la paix à ses
morts.
On prenait beaucoup de précautions pour et contre le mort. Ainsi
on lui attachait au médius de la main droite un petit paquet de plu
mes rouges du phaéton (manuhoa: oiseau ami) afin de préserver son
âme du malheur d’être mangée par le dieu dans la pô (nuit). Mais
comme cette âme pouvait être elle-même un sujet d’ennuis et de
désagréments pour les survivants, on accompagnait son départ du
battement répété de deux coquilles d’huitre perlière (panilatui-,
pani: les deux coquilles; tatui: traverser comme une flèche). Le son
des deux coquilles en s’envolant avec l’àme préservait donc de son
retour. Cependant on entendait quelquefois à midi ou à minuit la
voix d’un guerrier mort dans la bataille criant: Opeti, c’est-à-dire: je
suis détruit. Cela, c’était un signe de guerre.
Il arrivait que les prêtres embaumaient des crânes et les em
ployaient, roulés dans un lambeau d’étoffe à leurs cérémonies reli
gieuses, leur adressant des prières. Ces crânes embaumés étaient
aussi appelés Oromalua. Peut-être étaient-ce les crânes d’ennemis
tombés dans la bataille que l’on conservait comme trophées. Quoi
que nous n’ayons pas de renseignement précis à cet égard, nous le
croirions volontiers, une telle coutume ayant existé parmi les Maori
de la Nouvelle-Zélande. Nous avons vu, en effet, au Musée d’Auck
land, des crânes très anciens et très bien conservés avec la peau du
visage et même des poils de moustache, de sourcils et de cils.
Les Maori avaient découvert, d’une manière empirique, la puis
sance antiseptique de la créosote contenue dans la fumée, sans toute
fois connaître cette substance. Voici comment ils s’y prenaient pour
embaumer la tête d’un ennemi : on commençait par enlever les
yeux, la langue, les cervelles. On bourrait alors l’intérieur de la tête
avec une sorte d’étoupe (flax). On la mettait cuire au four maori et
on enlevait la graisse à mesure qu’elle coulait. On exposait ensuite
la tête au soleil pendant le jour et à la fumée d’un petit feu pendant
la nuit jusqu’à ce que tout danger de putréfaction eût disparu.
Aujourd'hui, les coutumes relatives à l’inhumation sont bien mo
difiées, quoique une ou deux persistent encore. L’indigène ne laisse
pas subsister les squelettes que le hasard lui fait découvrir. Gomme
on enfouissait les cadavres en cachette, on en découvre de nos jours
dans les endroits les plus inattendus. Aussitôt le bruit se répand de
la découverte d’un lupapau. On fixe le rendez-vous et une foule nom
breuse se rend dans la brousse, généralement à l’insu des Blancs.
On creuse un grand trou dans lequel on fait un feu où l’on préci
pite les ossements découverts. Je suis arrivé un jour juste à temps
pour sauver une mâchoire inférieure qui paraissait très ancienne.
Les indigènes n’étaient pas rassurés de voir ce tupapau sur ma
table à écrire.
De nos jours, à peine le moribond a-t-il fermé les yeux qu’on pro-
cède à sa toilette. On le revet de ses plus beaux atours. Si c’est un
enfant, les rubans, les broderies, la soie ne sont pas épargnés. On
étend le corps sur un matelas de coton indigène posé sur une natte
au milieu de la case. On le recouvre d’une couverture multicolore,
tifaifai] on place un mouchoir sur le visage, car les mouches se
posent très vite sur les yeux, les lèvres et les narines. Si c’est un
homme, on le revêt très décemment: un veston bleu foncé avec bou
tons dorés, des pantalons blancs, une chaîne de montre (sans mon
tre); on dépose des fleurs sur le corps, un flacon de monoi, des pho
tographies (faites à un voyage à T ah iti)........et les lamentations
commencent, sans beaucoup de larmes, mais avec force cris. Ce sont
seulement les nombreuses femmes (accroupies dans la chambre
mortuaire) qui se livrent à ces .lamentations; la lassitude les inter
rompt souvent, mais l’arrivée d’une parente les fait reprendre de plus
belle. Pendant ce temps, les hommes font des discours. Il arrive quel
quefois que l’enfant défunt est un premier-né au profit duquel a eu
lieu le aufau fetii. Alors le père rend de l’argent aux nombreux pa
rents qui se succèdent et qui répondent chacun à ses paroles par un
discours important. Ces opérations terminées, père et parents mâles
fabriquent le cercueil. lise creusait autrefois (rarement aujourd’hui)
dans un segment de tronc de cocotier ou dans le tronc d’un tamanu.
De nos jours, on achète des planches de pin chez le commerçant.
D’autres parents sont occupés à sacrifier un énorme cochon dont les
hurlements se mêlent au bruit des lamentations, car on ne tardera
pas à enterrer (tupxi) son chagrin (tupit i te oto).
Vers les trois ou quatre heures du soir, on porte le corps au cime
tière qui se trouve généralement sur la colline. Cette coutume doit
avoir été introduite récemment, car la plupart des tombes se trouvent
dispersées derrière les maisons. On enterre de préférence sous un
grand arbre et l’on entoure la place d’une petite barrière. Chacun a
ainsi ses morts près de sa demeure, habitude qui a dû succéder à celle
d’enterrer clandestinement et qui a dû être importée avec le chris
tianisme. C’est aussi sans doute des Anglais que provient l’usage
de planter des fleurs sur les tombeaux. On ne creuse pas la fosse
très profond : les bêtes féroces n’étant pas à craindre. Par-dessus
183
le cercueil, on jette le lit du mort, ses couvertures, sa natte, ses
turua, son bol, tout ce qu’on avait entassé sur la couche mortuaire,
même un peu de nourriture. Est-ce par superstition ou par mesure
d’hygiène que l’on enfouit ainsi ce qui a appartenu au défunt? Je
ne sais. L’inhumation terminée, on fait un grand nmuraamaa et
le chagrin est enterré. L’habitude qu’on avait autrefois de se raser
par places les cheveux en signe de deuil (coutume appelée oimo)
est tombée tout à fait en désuétude. De même pour la coutume
de faire présent d’une pièce d’étoffe aux parents en deuil (ahu ta‘i,
ahu oto). Les deuils ne sont pas les seuls chagrins que l’on enterre
par un bon repas. Des indigènes qui nous avaient témoigné une
affection particulière nous ont écrit récemment qu’après notre dé
part de Raiatea ils avaient « enterré leur chagrin par un bon petit
repas ».
« Te amu net matou i te maa rit maitai i te tahi mahana, te tupa
nei la to matou oto, no te mea aita orna ia matou net. »
« Mangeons nous la nourriture petite bonne un certain jour enter
rons à nous le chagrin parce que pas vous deux à nous ici. »
Le christianisme n ’a pu déraciner les superstitions de l’âme de ces
Polynésiens. Cela n’a rien d’étonnant quand on songe aux superstitions existant encore parmi nos populations chrétiennes, relatives
aux revenants, aux bruits de mort, etc. Malheur à celui sur la tète
duquel retentit le cri (otl) du pic-bois (otatare) ! C’est un signe de
mort Une jeune fille de 14 ans mourut subitement en mars 1899, un
matin à six heures. Elle avait beaucoup aimé l’école dont elle était une
des meilleures élèves. Ce matin même, à six heures, les indigènes ef
frayés accoururent pour me raconter qu’ils venaient d’entendre un
bruit violent dans lu maison d’école et qu’ils n’avaient osé s’appro
cher, ayant justement appris la mort de la jeune fille dont certaine
ment l’esprit venait de visiter encore une dernière fois l’école. Et
quand le cortège funèbre passa devant celle-ci, les porteurs (on
porte tous les morts) s’arrêtèrent un moment déclarant que la bière
devenait subitement très lourde et que sans doute c’était l’âmé de
ia jeune fille qui voulait s’arrêter encore une fois dans la salle de
classe. Le même phénomène de pesanteur subite se serait ensuite
^
produit au moment où la bière fut déposée sur le cotre qui devait
l’emporter dans l’ile voisine où se trouvait la terre de cette famille
et où ses morts étaient réunis.
Bien d’autres superstitions ont encore survécu. Si, autrefois, man
ger de la nourriture destinée au roi « donnait la lèpre », aujourd’hui,
c’est marcher sur la terre autour du tombeau de Pômare à Tahiti
qui la donne. Pour moi, qui ai visité ce monument, je n’en ai emporté
qu’un seul désagrément, celui de voir mes pantalons de flanelle
criblés des graines pointues du piripiri, une graminée importée des
iles Norfolk à Tahiti en 1800. Il faut la patience d’une femme tahitienne habituée à chercher les poux pour débarrasser le drap de ces
détestables semences.
Tous les bruits nocturnes impressionnent l’indigène. Le grillon
vert (peretei) de la montagne, lorsqu’il vient crier autour des mai
sons, annonce de bonnes nouvelles, ainsi que Mmo H. put l’expéri
menter en 1898. Comme elle attendait mon retour de Tahiti, les indi
gènes lui firent remarquer, un soir, que le grillon vert chantait :
bonne nouvelle! Un quart d’heure plus tard j’arrivais. Les indigènes
de triompher en hochant la tète d’un air de mages: *Nons savons,
nous, que ce sont des signes vrais ».
CHAPITRE VIII
1
VIE
SOCIALE
Vie intérieure du peuple tahitien.
Organisation économique.
La propriété. — Le Tahitien est extrêmement attaché à sa terre
et les seuls procès, pour ainsi dire, pendants devant les tribunaux
français à Papeete, sont des procès concernant les terres. Dans
ceux qui se débattaient autrefois aux Iles sous le Vent devant le
roi et les grands juges (toohitu), les plaidoiries consistaient, comme
nous l’avons vu, en récitation de généalogies (aufau fetii).
La scission entre les partisans de la France et les « nationalistes »
endurcis qui a divisé profondément ces îles, de 1888 à 1897, a boule
versé le régime de la propriété, les deux partis s’étant fermé la
porte réciproquement pendant ces dix années et ayant cultivé des
terres appartenant aux adversaires. Tout est à rétablir maintenant
et la tâche sera compliquée. On observera cependant les vieilles cou
tumes : la propriété tahitienne est héréditaire et indivisible entre
les membres d’une môme famille. Elle est inaliénable et il a toujours
été impossible à des Blancs d’acheter des terres aux Iles sous le
Vent. Les indigènes n ’ont jamais consenti qu’à les louer. Il s’est
trouvé, il est vrai, des Européens qui, par des moyens à eux connus,
i'll
,\
ont (ait signer à des indigènes des baux dérisoires où la jouissance
d'une terre pouvant recevoir 100000 cocotiers leur était assurée in
définiment pour le loyer d’une piastre (valant actuellement 2 fr. 50)
l’an.
La propriété ne pouvait être aliénée que par la guerre et presque
toujours des retours de fortune rendaient à leurs anciens propriétai
res les domaines conquis. 11 y avait cependant un cas curieux où elle
pouvait encore s’aliéner. Lorsque deux co-propriétaires d’un domaine
se querellaient, il suffisait que l'un des deux fit cadeau du domaine
au roi pour qu'il fût perdu pour les deux parties.
Les fiefs royaux se sont ainsi considérablement agrandis. Les rois
possédaient également les grands marae nationaux ainsi que les
montagnes et spécialement les lieux historiques et remarquables, ce
que nous tendons à déclarer « propriété nationale ». 11 paraît qu’un
roi plaidant un jour pour la possession d’un rocher inaccessible,
s’étayait de ce seul argument: On ne pouvait être roi de cette île
sans posséder ce rocher1.
La mer, aussi bien que les terres, était divisée en propriétés par
ticulières dont les endroits les plus poissonneux étaient attribués
aux rois et aux chefs. 11 y a trois ans, se produisit uno réclamation
d’un indigène de Raiatea nommé /taraqui revendiquait la possession
d’une grande étendue de mer devant le village d’Uturora. 11 fut re
connu que ses droits étaient patents, et comme il prétendait s’oppo
ser à la pèche publique sur « sa mer » le gouvernement parvint à lui
faire accepter en échange un vaste terrain au bord d'une mare aux
canards (Mana) très poissonneuse. Il est bien heureux que le bon
homme ne se soit pas entêté comme le meunier de Sans-Souci. L’entètement se rencontre fréquemment aux Iles sous le Vent. On devait
déplacer une maison en la roulant, mais pour cela, il était nécessaire
de raser un ou deux arbres à pain qui gênaient au passage. Le pro
priétaire des arbres à pain déclara que môme pour mille piastres par
arbre il ne consentirait pas à les céder. 11 fallut démolir la maison
pièce par pièce pour la transporter.
1De Bovis. État de la Société lahitienne à l'arrivée des Européens, 1863.
Gouvernement. — Avant la conquête des lies sous le Vent par la
France (1897) ces îles formaient trois Etats indépendants : HuahineTubuai-Manu à l’Est, Raiatea-Tahaa au centre et Bora-Bura-Maupiti
à l’Ouest. Ces îles étaient gouvernées par des familles royales
apparentées : les Tamatoa à Huahine et à Raialea, les Tqmatoa et
les Tahitoe qui se disputaient Raiatea, une parente des Pômare
de Tahiti à Bora-Bora. C’étaient ces princes qui seuls avaient le
droit de trancher la question des terres. Ils étaient tous plus ou
moins vassaux des Pômare.
La royauté n’était pas nécessairement héréditaire et l’assemblée
de la classe des chefs (hui-raatira) avait le droit d’élire le roi de son
choix, à condition de le prendre toujours dans les familles royales
(,hui-arii). C’était cette assemblée des Hui-raatira, présidée par le
roi, qui légiférait et nommait tous les fonctionnaires.
Autrefois, chacune des iles était divisée en huit districts gouvernés
chacun par un deucesraatira. Ceux-ci formaient l’une des castes bien
distinctes, dont l’origine remontait aux différentes migrations. Le
peuple se divisait donc en manahune ou tëüffèu arit (sujets du roi),
raatira (chefs) et arii (rois). 11 y avait encore des tiitiî (esclaves.de
guerre).
Pour résumer en deux mots l’organisation intérieure et la législa
tion de Raiatea-TahaaJ, nous prendrons pour guide la description
qu’eu donne M. P. Deschanel, {La politique française en Océanie, 1884).
C’est l'organisation telle qu’elle a existé pendant presque tout le
XIX0 siècle (jusqu’en 1897).
Le roi exerçait le pouvoir exécutif. 11 avait l’initiative des lois
qu’il faisait élaborer par l’assemblée législative composée des chefs,
ministres du gouvernement et orateurs du roi. Il commandait les
troupes en[cas de guerre. 11 avait le droit de grâce.
•Celte des autres iles différait peu.
La justice était exercée par les juges ordinaires et, en dernier res
sort, par les Tooliitu ou grands juges de district. Il y avait un avocat
de la loi par ile. La police était faite par des gendarmes indigènes
(:mut oi).
Les audiences se tenaient à Uturoa la première semaine de chaque
mois. Nous les avons encore vu fonctionner en 1896. L’assemblée se
réunissait derrière la maison du roi, lequel se plaçait sous un grand
arbre, comme naguère Saint-Louis.
Les lois ne prévoyaient ni la peine de mort, ce qui se comprend dans
un pays où il n’y a presque jamais de meurtre pas plus qu’on ne s’y
suicide, ni même la prison. « Le bannissement prononcé contre les
voleurs incorrigibles et les condamnés pour inceste n'était pas une
peine infamante. C’était une simple mesure d'hygiène sociale. »
L’expulsion était prononcée contre les marchands condamnés en
récidive pour avoir vendu des boissons fermentées1. La peine pré
vue pour le meurtre était de 150 piastres dont 100 à la famille de la
victime ; pour blessures, 75 piastres dont 20 au blessé. Le voleur
payait 7 fois la valeur des objets volés. Cette somme était divisée en
sept parts ainsi réparties : deux parts pour l’Etat, une part pour les
témoins, quatre parts pour la partie lésée.
Révocation des fonctionnaires qui se sont laissé corrompre et
amende de 5 piastres. Amende pour adultère ; amende de 15 S po ir
inceste et déportation ; amende de 5 S seulement pour la sodomie.
Défense aux Chinois de séjourner dans les îles sous peine de 50 S
d’amende et d’expulsion immédiate. L’impôt personnel payable à
partir de l’âge de 12 ans était de 3 fr. 75.
Depuis 1882 l’importation de boissons fermentées, bière, vins ou
liqueurs, était expressément interdite aux Iles sous le Vent sous
peine d’amendes plus fortes que précédemment. 11 était seulement
permis aux étrangers d'importer du vin pour leurs repas et comme
remède, moyennant un droit d’entrée.
Depuis 1897, les droits d’entrée ont été augmentés, mais l’introduc
tion des boissons fermentées est admise. Cependant la vente aux in1Deschanel, id. p. 475.
—
189
—
digènes est soumise à des restrictions et ne doit se faire que sur
permission écrite de l’administrateur. Une amende de 1 $ (avec in
demnité del/2saux témoins) était infligée à ceux qui vendaientles pe
tits produitsdu paysau-dessousdu prix fixé par le tarif ; de même aux
personnes qui rôdaient après 9 heures du soir, après le deuxième
roulement du tambour. On a encore, en effet, la coutume débattre
le couvre-feu à 8 et à 9 heures du soir.
«Sont punis d’une amende de 2 à 3 S et d’une indemnité de 1/2 ou
2 $ à payer aux témoins: ceux qui, sans nécessité, circulent le di
manche; ceux qui, par leurs insinuations, cherchent à faire du tort
au roi et aux chefs; ceux qui cherchent à nuire à leur prochain ;
ceux qui calomnient; ceux qui manquent à leurs promesses: ceux
qui jouent de l’argent. »
Enfin un article remarquable était le suivant :« celui qui veut
payer ses dettes avec des cocos doit les vendre 2 S le cent et non 1 S,
sous peine d’une amende de 5 S pour l’Etat et de 5 S pour les
témoins. »
Si le créancier ne voulait pas accepter les cocos, le débiteur en
faisait de l’huile, qu’il devait vendre 1/2 S le gallon, mais pas audessous de ce prix; il pouvait ainsi s’acquitter de sa dette. Si le
créancier refusait d’accepter l’huile, le débiteur pouvait ne plus s’in
quiéter de sa dette et la considérer comme étant acquittée*.
Dans toutes ces lois de Raiatea-Tahaa, on aperçoit l’inspiration et
l’influence des missionnaires anglais. Ceux-ci étaient, en effet, les
personnages les plus importants du pays. Us y ont établi l’ordre et la
sécurité et ont répandu, parmi les indigènes, des connaissances élé
mentaires avec beaucoup de succès. Aussi la plupart de ceux-ci sa
vent-ils lire et écrire leur langue. Ils connaissent aussi parfaite
ment les saintes Ecritures, peuvent discourir à l’infini sur les textes
bibliques et prononcer avec une volubilité sans pareille de longues
prières pleines de redites. Mais pour mener ainsi comme des enfants
ces demi-civilisés, il a fallu ces lois pleines de défenses, de nouveaux
tabou, et. pour ne pas les rendre illusoires, il a fallu développer l’esi Deschanel, id. p. 497.
190
pionnage, la délation (le témoin était toujours récompensé) ; par
là, s’est développée au plus haut point l’hypocrisie qui se retrouve
dans tous les actes religieux de ce peuple.
Comme comparaison avec les lois (d'inspiration anglaise) du XIX0
siècle, il ne sera pas sans intérêt de rappeler ce que furent les ancien
nes lois des Tahitiens, lois qui se résumaient dans le tabou.
Le tabou. —Dès votre première promenade dans une île, vous ne tar
dez pas à être frappé par des piquets surmontés d’une petite planchette
portant en grosses lettres majuscules le mot TABOU ou TAPOU. Ce
mot fatidique fut autrefois l’unique loi de la Polynésie, de l’Océanie
même, le meilleur et le plus puissant moyen de gouvernement entre
les mains des rois et des prêtres, et si des lois semi-françaises, semianglaises, ont remplacé, aux lies de la Société, les anciennes lois in
digènes, elles n’ont fait que réglementer, classer et décorer de noms
divers les différentes applications du tabou.
Le tabou est une restriction. Ce mot signifie sacré, dévoué à. Tout
ce que roi, chef ou prêtre déclarait tabou, tout ce que la coutume
ou l'arbitraire avaient institué tabou devait être respecté et con
sacré au seul usage auquel il avait été voué Les objets, les animaux,
les hommes pouvaient être tabou. Les défenses, les prohibitions
étaient des tabou.
La personne des chefs, rois et piètres était essentiellement ta
bou. Les mots mêmes et les syllabes employés à former le nom des
chefs devenaient par ce fait tabou (prohibés). Cette coutume spéciale
avait nom pi. On devait employer un autre mot pour désigner la
même chose. Point n’était besoin du reste d’inventer un mot nou
veau, les synonymes absolus existant abondamment dans cette
langue. On sait donc que le roi de Tahiti s’étant fait appeler Pômare
(nuit-rhume), ces deux syllabes devinrent pi et furent remplacées,
dans le langage ordinaire, par rui (nuit) et hota (toux). Le dernier des
Pômare étant mort depuis longtemps, on emploie de nouveau le mot
po pour nuit. Les anciens rois de Tahiti ayant été baptisés Tu (celui
qui se lève), ce mot fut remplacé par tia.
Les tabou se rapportant aux cultes, aux prêtres et aux cérémonies
religieuses étaient légion, et les enfreindre entraînait fréquemment
—
191
-
la mort. On avait commencé par faire croire au commun des mortels
que les dieux eux-mêmes se chargeaient de punir les délinquants, soit
en leur envoyant une maladie, soit en les faisant périr. 11 fallait une
sanction sûre à ces menaces et les sicaires des chefs et des prêtres se
chargeaient de représenter les dieux irrités et d’envoyer d’un coup de
casse-tète le fautif dans la pd(nuit). Mais on ne put pas toujours tuer,
les fautes étaient trop nombreuses. On finit par en admettre le rachat.
La crainte, le respect profond du mahahune (l’homme du peuple) pour
son chef sont encore bien vivaces, malgré les nouvelles institutions,
et le fier indigène qui ne se découvrirait pas devant le « chef» Blanc
ne s’approche de son chef indigène que courbé et le chapeau à la
main. Les administrateurs coloniaux savent bien qu’ils peuvent dif
ficilement obtenir des corvées et des travaux faits soigneusement
sans le concours de l'autorité du Tavana Tnfaa (Chef d’arrondisse
ment), du Tavana Mataeinaa (Chef de district), ou du Tavana oire
(Chef du village).
Les missionnaires ont bien compris la force qu’ils pourraient tirer
du tabou; ils ont remplacé les anciens tabou religieux par de nou
veaux : les règles relatives au repos dominical, entres autres, règles
calquées sur la loi mosaïque. Bien de plus aisé aussi que de rempla
cer l’offrande présentée sur le marae par les dons de la « Fête de
Mai » ou fête des Missions1 et les exigences de l’admission dans la
secte religieuse des Arioi par les nouvelles exigences de l’admission
dans la classe religieuse des Etaretia (membres de l’Eglise). Par la
force des choses, certains missionnaires se sont créé, sur ces âmes
simples et faciles à mener, une autorité analogue à celle des anciens
Tahua pure (prêtres). Pour compléter l’analogie, certains même prê
chent parfois sur les anciens marae et construisent des temples dans
leur voisinage immédiat. Tout cela est très habile sans doute, mais
on n’est malheureusement pas allé jusqu’à la conscience de ces
gens-là et leurs cerveaux ne peuvent encore saisir nos idées et nos
croyances pour lesquels, au reste, les mots manquent dans leur
propre langue.
1Primitivement, fête célébrée à l’anniversaire de la reine Victoria.
Les missionnaires anglais ont créé de toutes pièces un vocabu
laire religieux formé de mots grecs ou hébreux tahitianisés. Ces
mots nouveaux sont, par exemple :
Aloe (hébreu), aloès
Alabata (eng.), albâtre
Alegoria (grec), allégorie
Aluna (hébreu), chêne
Amene (hébreu), amen
Anatema (grec), anathème
Aposetelo (grec), apôtre
Bapetito (grec), baptiser
Hiero (grec), temple
Mahula (hébreu), danse
Palahe (grec), concubine
Menaselie (hébreu), chef musicien
Peritome (grec), circoncision.
Diabolo (grec), diable
Diahono (grec), diacre
Diluvi (latin), déluge
Etene (grec), païen
Euhari (grec), Sainte Cène
Gehena (grec), Enfer
Hairesi (grec), hérésie
Hébere (hébreu), charmeur
Kime (hébreu), Pléiades
Obabara (hébreu), souris
Pharemahe (grec), sorcier
Ohereba (hébreu), scorpion
Ces mots ne disent absolument rien aux indigènes. Il faut un dic
tionnaire ou un interprète pour les leur expliquer. Gomme il eût été
plus simple et plus rationnel d’employer leurs propres expressions
partout où elles correspondaient suffisamment à l'idée nouvelle :
ils ont leurs mots à eux pour nommer le temple, le chef d’orchestre,
la danse, les souris, les scorpions, les concubines, les sorciers, la cir
concision. Ils ont le joli mot Matarii (les petits yeux) pour désigner
les Pléiades. Quel besoin avait-on d’aller chercher le mot hébreu
kime? Comble d’absurdité, on leur a imposé les noms anglais des
jours de la semaine et des moisde l’année alors qu’ils les désignaient
par des termes spéciaux qu’il est très difficile maintenant de retrou
ver. On a remplacé les anciennes chinoiseries de la réglementation
par de nouvelles. Encore les anciennes avaient-elles leur poésie et
leur originalité. Pendant les cérémonies religieuses, il était défendu :
1° aux hommes de parler aux femmes; 2° à celles-ci d’entrer dans
l’enceinte sacrée du marae;3° de manger pendant le temps consacré
à certaines prières (Aiai faa).
A certains moments, la côte était déclarée tabou. Défense d’y allu-
-
193
-
mer du feu. Il fallait aller cuire sa nourriture sur des charbons (ahitarahu, feu charbon) dans l’intérieur des terres, sous peine de mort.
Rien d’étonnant si les chefs, rois et prêtres se servaient du tabou
pour se réserver les meilleurs morceaux, les meilleurs poissons.
Ainsi il fut défendu, pendant six mois, de pêcher la bonite, sauf pour
les chefs. Ce tabou sur la nourriture s’appelait noanoa.
D’un autre côté, les hommes, en général, se réservaient la
viande de porc. Les femmes n’en pouvaient manger que dans
de rares occasions, et le cochon cuit pour elles s’appelait puaaroiroi. Du reste les femmes n’osent pas encore, à l’heure qu’il est, man
ger en compagnie des hommes.
Mais l’usage le plus répandu et qui subsiste aujourd’hui encore est
celui du tabou garant de la propriété individuelle, 11 s’appelle alors
plus souvent rahui. Chaque particulier indique sa propriété person
nelle par un signe bien visible : une inscription avec le mot tabou,
un piquet entre les coraux couronné d’une touffe d'herbe, une
branche do cocotier tressée fixée au tronc d’un arbre fruitier. Ces si
gnes de la propriété s’appellent unuunu. Ils sont toujours respectés
entre indigènes et personne ne les enfreindrait sciemment. De
même que dans nos contrées, on a le ban des vendanges, à Tahiti
les chefs posent et lèvent à leur convenance le rahui sur tous les
cocotiers de leur district. Pendant le rahui, on ne peut prendre des
cocos, même pour les boire, sans la permission du chef. Dès qu’il
est levé, chacun va faire son coprah. Une forte amende est la sanc
tion de cette défense. Le rahui s’indiquait comme se notifiaient au
trefois les ordres royaux : par la palme du cocotier tressée (niau) fixée
à l’arbre la tige en bas. Les hérauts du roi parcouraient le pays cet
étendard en main et proclamaient la royale volonté. Refuser le
niau, c’était se mettre en état de rébellion.
La coutume du tabou n’est pas spéciale aux Polynésiens. Elle se
retrouve chez les habitants à demi Papous de l’archipel Bismarck
et chez ceux de la Nouvelle-Guinée. Mais ils l’ont certainement em
pruntée aux Polynésiens.
Du reste, toutes les religions et toutes les civilisations ne regar
dent-elles pas une foule de choses comme sacrées (tabou) : l’autel,
■13
h
ses ornements, les instruments du culte dans les religions judaïque,
chrétienne, musulmane, bouddhiste; les rois, les princes, les empe
reurs même les plus modernes. Que de crimes dits de lèse-majesté
et sévèrement punis qui ne sont autres que des violations du tabou
royal. L’homme est partout semblable à l’homme, sous toutes les
latitudes. Les idées sont analogues, les expressions seules diffèrent.
C’est certainement une bien mauvaise méthode que d’enseigner
une langue étrangère par traductions. On reconnaît universellement
que la seule bonne méthode est celle qu’emploie lanière qui enseigne
en deux ans à un bébé une langue qu’il ne connaît pas, sa langue à
elle.
C’estaussi une bien mauvaise méthode d’enseigner une religion par
la traduction des idées se rapportant aux croyances, aux objets de la
foi. Il faudrait vivre une religion, la vivre au milieu de ces païens,
leur faire trouver par eux-mêmes qu’elle est bonne, puisque les ré
sultats en sont bons, leur en faire comprendre les doctrines par
l’exemple et les idées par la pratique de ces idées. Mais voilà, ceci
c’est plus difficile; il faudrait savoir mettre de côté les intérêts per
sonnels ou ceux de l’association à laquelle on se rattache. Il faudrait
imiter celui qu’on prêche. Serait-ce peut-être surhumain ?
Un des fruits bizarres de la civilisation tahitienne fut la fameuse
société ou secte religieuse des Arioï. Pour en faire partie, il fallait
prêter le serment d’exterminer sa progéniture. Celui qui conservait
son enfant en était honteusement chassé. Les Arioï jouissaient d’une
grande considération et de grands privilèges. Ils étaient sacrés (tabou)
et avaient, en toute circonstance, le pas sur les autres indigènes.
Ils ne travaillaient pas: les simples citoyens devaient les nourrir et
leur offrir le premier choix des produits de la terre et de la pèche.
Ils menaient une vie très immorale et la passaient en danses, en
jeux et en orgies. Ils étaient divisés en sept ordres différents qui se
distinguaient par des tatouages spéciaux.
En temps de guerre, c’étaient de vaillants guerriers; c’était le seul
service qu’ils rendaient à leur pays, avec celui peut-être d’empêcher
la population de devenir trop dense. Il y avait là, en effet, un danger
qui avait dû faire réfléchir les fortes tètes du temps et qui fut peut-
être l’idée-mère de la création de cette société. Il est étonnant de
voir qu’un peuple si doux ordinairement ait pu être adonné à des
pratiques aussi féroces que les sacrifices humains et l’infanticide of
ficiel. Rien n’égale en effet l’aménité générale de ces gens et la fra
ternité sincère qui règne dans leurs relations réciproques. Les
moindres départs sont l’occasion de scènes de désolation auxquelles
font pendant les scènes du retour. Les amies, en se rencontrant, s’em
brassent presque toujours, si elles ne se sont pas vues depuis quel
que temps. Le baiser tahitien s’accompagne d’une aspiration parfai
tement perceptible. On se flaire. Autrefois, on se contentait d’un
attouchement du nez. Le môme mot hoi signifie baiser, toucher les
nez et sentir.
Les hommes se serrent la main avec effusion, en une longue
étreinte. Toutes les fois qu’un petit groupe se forme, quelqu’un
roule une cigarette1, en tire une bouffée et la passe à son voisin.
C’est le calumet des Indiens. Les femmes qui sont de grandes fu
meuses de cigarettes procèdent de môme. Elles sortent plusieurs
fois du temple pendant les services divins, s’asseyent en rond et se
passent la cigarette (pupuhiavaava).
Vie internationale.
Les seules relations fréquentes entre les Iles sous le Vent et
Tahiti ont été des relations commerciales. Cependant, bien que
reconnaissant depuis plus d’un siècle la suzeraineté des rois de
Tahiti, Raiatea garda toujours sa suprématie religieuse et fournit
plusieurs fois des grands prêtres à cette île. On a conservé les noms
de Tupaia qui vivait au temps de Cook et de Mani-Mani.
1Le tabac indigène se conserve en longues carottes, compressé et serré dans une
enveloppe de ficelle. La cigarette se fabrique ainsi : on détache un fragment d’un mor
ceau de tabac comprimé, on le chauffe légèrement sur une allumette et on l’enveloppe
dans un bout de feuille de pandanus séchée que l’on enroule en spirale.
Les gens de Raiatea intervinrent, à plusieurs reprises, dans les
guerres qui ensanglantèrent Tahiti pour soutenir en général le
parti des Pômare. Ils ont toujours eu le renom de vaillants guer
riers. Maintenant les indigènes des lies sous le Vent se rendent
quelquefois nombreux aux grandes joutes des fêtes du 14 juillet
à Papeete. Ils y remportent souvent des prix pour les costumes
anciens, les courses de chevaux et les régates. Ils profitent de ce
voyage pour donner une séance du Umuti, comme cela a ôté le cas
en 1898.
Ce sont nos «civilisés» d’Europe qui ont trouvé que «l’étranger
c’est l’ennemi ». Les Tahitiens ne le considèrent généralement pas
ainsi, et, tant qu’on n’a pas attenté à leur indépendance nationale, ils
se sont montrés extrêmement accueillants et hospitaliers envers les
étrangers. Les gens de Raiatea ont eu de fréquentes guerres civiles
et ont livré des combats à leurs voisins de Huahine et de Bora-Bora.
La seule guerre étrangère qu’ils aient soutenue fut la lutte contre la
France dont nous parlerons plus loin et qui a été suivie (1897) de
leur annexion définitive. Ils n’ont certes pas la rancune longue ou
bien ils poussent loin l’indifférence ou la platitude devant les vain
queurs. Je ne sais. Mais quatre mois après la fin des hostilités, alors
que cinq cents d’entre eux étaient exilés aux Marquises, ils ont célé
bré, avec un grand entrain, la fête nationale du 14 juillet à Uturoa et
leur chantre national, Tupaia, a composé, à cette occasion, une espèce
d’épopée chantée racontant les détails de la guerre, en particulier le
bombardement de l’ile de Tahaa. On avait taillé,à cette occasion, une
grande pirogue « sans balancier » figurant le croiseur Duguay-Trouin.
Des morceaux de bois simulaient les canons. Tupaia, debout au
centre de la pirogue,.affublé d’un costume de lieutenant de vaisseau
qu’il s’était procuré on ne sait où, dirigeait la pantomime. Rien n’y
manquait: le simulacre des commandements en français, des « feux
électriques » à l’aide d’une simple lanterne, des coups de canon au
moyen de vigoureux poum! clamés par cinquante exécutants. 11
poussait même le raffinement dans l’imitation jusqu’à regarder la
foule par le canal d’un bout de bambou en guise de longue vue. Et
ce que les indigènes s’amusaient! Cependant Tupaia avait eu des
parents parmi les morts! Rien ne donne une idée plus exacte de la
puérilité de ce peuple.
Le commerce de ces petites îles ne peut être très considérable.
Mais il l’était davantage il y a dix à vingt ans. Alors on exportait beau
coup de coton et d’huile de coco. Aujourd’hui, on ne cultive plus le
coton parce qu’il ne peut plus lutter sur le marché et on exporte le
coprah brut (amande du coco) au lieu d’en extraire l’huile.
Huahine exporte 300 tonneaux de coprah par a n 1. Raiatea, Tahaa
en exportent certainement une plus grande quantité et Bora-BoraMaupiti une quantité légèrement inférieure, en sorte qu’on peut
évaluer à 1 000 tonneaux l’exportation annuelle de cet article. En
1809, les commerçants le payaient aux indigènes 9 sous chiliens (soit
20 centimes de notre monnaie) le kilo. Ce sont surtout les navires
anglais de la Nouvelle-Zélande (Hauroto, Ovalau, Upolu) qui vien
nent le prendre. Ils emportent en même temps, selon la saison, des
1 Annuaire de Tahiti, 1899.
MOYENS DE COMMUNICATION DE TAHITI :
I" . 1vcc chacun des autres établissements français de VOccanic. — Le vapeur Croixdn-Sud fait 12 voyages par an en touchant à Fakarava (Tuamotu), Taiohae et Aluana
(Marquises), retour à Tahiti. Puis Papetoai (Moorea), Fare (Huahine), Uturoa (Raiatea),
Vaitape (Bora-Bora) et retour par les mêmes localités à Papeete.
2“ Avec San Francisco. — Douze courses de vapeur par an ont remplacé, depuis le
‘24 mars 1900, les départs mensuels des voiliers.
Le courrier mettait, avant 1000, 54 jours de Papeete à Paris par San-Franeisco et 40
jours de Paris à Papeete. La durée moyenne de ce trajet par vapeur est de 24 à 32 jours.
Ainsi le steamer qui a quitté Papeete le 19 décembre 1900 est arrivé à San-Francisco le
31 décembre et le courrier était le 12 janvier à Paris. Il en repartait le 25 janvier, touchait
Frisco le 8 février et parvenait à Papeete le 20 du même mois.
3° Avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie. — Tous les 28 jours un vapeur de la com
pagnie anglaise «Union Steam Ship de New-Zealand « touche à Papeete en passant par
Rarotonga à l'aller et au retour et en s’arrêtant occasionnellement à Huahine ou à Raiatea
pour prendre des oranges et des ananas. (Durée du trajet: 10 à 15 jours.)
D'Auckland (Nouvelle-Zélande) un service hebdomadaire de vapeurs sur Sydney (quatre
jours et demi) et sur San-Francisco (20 jours).
4» Enfin trois navires à voile viennent chaque année directement de Bordeaux en trois
ou quatre mois passant par le cap de Bonne-Espérance et retournant par le cap Horn.
La distance qui sépare Raiatea de Tahiti est de 220 milles (-400 kilomètres). La Croixdu-Sud met de 20 à 24 heures pour franchir cette distance.
198
r
millions d’oranges ou des milliers d’ananas. Les oranges se cueillent
à la main, malgré les longues et vigoui’euses épines qui hérissent
tronc et branches. Celui qui est grimpé sur l’arbre les jette une à une
à un camarade qui les reçoit délicatement. Les indigènes reçoivent
7 francs par mille oranges; elles se vendent 3, 4 ou 5 sous pièce
en Nouvelle-Zélande. Les ananas, payés de 5 à 10 centimes à Raiatea, valent de 2 à 8 shillings à Auckland. 11 s’exporte aussi de
Yarrow-root, du tabac, des ignames, des tripangs et du fungus. On
n’a pas encore eu l’idée de faire le commerce des bois d’ébênisterie
et pourtant il y en a de fort beaux. Puissent les riches forêts de
Raiatea rester longtemps ignorées des marchands de bois de cons
truction.
Comme on vient de le voir, la monnaie qui a cours dans les lies
est d'origine chilienne ou péruvienne. Elle comprend la piastre de
5 francs (dont la valeur commerciale dépasse à peine 2 francs
aujourd’hui); la demi-piastre, la pièce de 2 francs, celle de 1 franc et
celle de 50 centimes. Pas de plus petite monnaie divisionnaire. Les
noms que les indigènes ont donnés à ces pièces sont imités de l'an
glais : tara (dollar), afa tara (half dollar), ou de l’espagnol : raera
(real).
Les amendes et autres peines sont maintenant infligées en corvées
de route. Ces corvées supplémentaires auront bientôt permis d’enceindre i’Ile de Raiatea d’une bonne route et d’entretenir celles qui
existent déjà. C’est, parait-il, à l’amour que les routes de Tahiti
doivent leur existence, les délits amoureux étant punis en cor
vées.
Les indigènes savent construire des ponts en bois très longs et
très solides. Du reste, les matériaux ne sont pas difficiles à se pro
curer: cocotiers, arbres à pain, tamanu et mara. Ils commencent à
acheter des voilures et la première bicyclette, un pneu, a fait son
apparition à Raiatea en l'an de grâce 1899.
Autrefois, toutes les communications avaient lieu par mer; les
Tahitiens sont un peuple navigateur par excellence. A Huahine, ils
ont construit eux-mêmes dernièrement des goélettes jaugeant jus
qu’à cent tonneaux. Mais le bateau national est la pirogue (te va‘a).
199
On rencontre la pirogue à balancier (va’a tipae amaj (.[’Honolulu à
l’lle de Pâques, de Tahiti à Ceylan et à Madagascar.
ha forme n’en varie pas beaucoup. Elle est plus ou moins élégante
selon les îles et aussi selon le goût des constructeurs. Chaque homme
sait tailler la sienne. Le tamanu (callophyllum) le miro (thespesia), le
mara (?), le vieux burau (hibiscus), le hutu (cordia), sont les bois les
Fig. 58. — Pont et route à Haamoa.
Ce pont a été c o n stru it en tièrem en t p a r des indigènes sous la direction de M. Flem eing,
a d m in istra te u r des Iles sous le V ont. Les m atériaux employés sont des tro n c s de coco
tie r e t des p o u tre s eu bois d’arb re à pain (m a iore).
plus estimés par leur solidité et leur résistance à l’action corrosive
de l’eau de mer et desséchante du soleil. Quand il s’agit d’une petite
pirogue à un rameur, un simple tronc de 3 à 4 mètres sur 60 centi
mètres de diamètre suffit. Le constructeur le choisit à proximité de
lam er; il l'amarre derrière une embarcation et l’amène près dé sa
maison. 11 s’installe sous l’ombre épaisse d’un gros hutu (baringtonia) et commence à creuser l’intérieur du Ironc au moyen d’une
espèce de hache en forme de bêche que les commerçants blancs lui
200
ont fournie. Au préalable, il a enlevé l'écorce et aplani le dessus. Il
y marque une ellipse très allongée et évitle le tronc jusqu'à une
profondeur de S0 centimètres. L’ellipse, dans sa plus grande largeur,
n’a pas plus de 40 centimètres. Il façonne ensuite l’extérieur en
laissant sur les côtés une épaisseur de 3 à 4 centimètres. Une des
Fig. 59. — Pirogue simple.
La pirogue e st creusée dans un tronc «le ta m a n u . Le halancier en burau (bois trè s
léger; est fixe au moyen de deux tra v e rses, une plus volum ineuse i\ l'av a n t (en vieux
b u ra u , d u r e t tenace) e t uue a u tre plus légère à l’a rriè re (une sim ple branche do
goyavier). Des cordelettes en m ore servent de lig a tu re . Lu pagaie a la forme d’une
p a le tte plate à bords arrondis.
extrémités se termine en pointe de lance, l’autre est coupée net.
Voilà la carcasse terminée. Il s’agit d’y fixer le balancier, pièce de
bois léger (hibiscus) arrondie et terminée en fuseau aux deux extré
mités et ayant la même longueur que la pirogue. Gela se fait
Fig. 60. — Pirogue double.
Ceci e st le type de la pirogue de pèche qui p e u t a ffro n ter la hau te mer. La seconde
pirogue tie n t lieu de balan cier à la p rem ière.
au moyen de traverses, l’une (en vieux burau) épaisse, façonnée en
arc, l’autre est une simple branche de goyavier. Elles sont mainte
nues en travers de la pirogue par des ligatures en cordelettes qui
passent par quatre trous; elles débordent d’un mètre à un mètre
et demi sur le côté du balancier. A la grosse traverse sont fixés des
bâtonnets qui s’enfoncent dans le balancier, des cordelettes accro-
chées à (les chevilles de bois maintenant le tout solidement; la petite
traverse est simplement attachée an balancier. La pirogue est prête;
le plus souvent un y passe encore une ou deux couches de peinture
rouge vif, rose, ou rarement verte.
Il ne manque plus qu’une paire de pagaies (hoe) en vieux burau
et un petit banc à fixer en travers. Le petit banc (parahiraa) est
Fig. 61. — Pirogue à voile.
Les voiles so n t de sim ples n a tte s en fouilles tressées de pandanus, de nos jo u rs rem placées
quelquefois p a r un ou deux pareu.
parfois une simple planchette ; quelquefois aussi l’indigène se paie
le luxe de le creuser confortable, en selle à appui, dans un bloc de
miro. L’armement se complète par une épuiselte (haapau) taillée
dans un morceau de burau, un simple demi-coco ou une vieille boîte
en fer-blanc, remplissant le même office. Enfin une longue galfe
(to'o) et un harpon (pâlia) et tout est prêt pour la pèche.
S’il s’agit d’une grande pirogue à 4, 5, ou 10 places, la construction
est un peu plus compliquée; on trouve rarement des troncs de
dimension suffisante. On fabrique d’abord le fond; un demi-cylindre
qui n’a que 20 centimètres de profondeur. On y ajoute des côtés de
30 à 40 centimètres et des extrémités : ces cinq pièces sont assem
blées au plus juste et solidement liées les unes aux autres par des
cordelettes enfilées dans des trous. On obtient ainsi d’immenses
pirogues.
Au lieu de balancier, on accouple souvent deux pirogues (taupiti,
taurua) au moyen de solides traverses. On peut fixer alors un plan
cher entre les deux et l’on conçoit le parti qu'on en peut tirer dans
des expéditions lointaines
Ces grandes pirogues doubles sont employées surtout pour la
pèche du thon et d’autres gros poissons. A la première traverse est
fixée une ligne énorme que les pécheurs soulèvent ou abaissent au
moyen de deux cordes; l’hameçon est très gros; il est composé de
nacre, d’os et de crin.
La vraie pirogue de voyage s’arme de voiles. Le mât est fixé à la
grosse traverse, celle d’avant. 11 porte une seule voile quadrangulaire (forme brigantine), ou quelquefois triangulaire, faite en natte
de pandanus ou en pièces d’étoffe ou de toile quelconque, une vieille
robe ou un vieux pareil fait même parfaitement l’affaire. La pagaie
sert de gouvernail. Ces pirogues, qui effleurent à peine l’eau, attei
gnent une vitesse étonnante. Elles chavirent fréquemment, ce qui
ne trouble pas beaucoup les indigènes. Ils se jettent à l’eau, retour
nent leur esquif tout en nageant, le vident rapidement, remontent
et recommencent.
La manière de ramer est particulière. On saisit sa pagaie à l’extré
mité du manche et au milieu ou plutôt plus près de la palette. Assis
près de l’arrière, il s’agit de donner trois ou quatre coups de rame
tantôt à droite, tantôt à gauche de l’embarcation. Il n’y a pas de point
d’appui pour la pagaie. On se penche légèrement en dehors, du côté
où l’on rame. Le coup de pagaie ne se donne pas, comme on pourrait
le croire, parallèlement à l’axe de la pirogue, mais dans des plans
obliques que l’expérience fait connaître, sans cela on ne réussit
203
qu’à tourner sur place, l’embarcation ayanl un tirant d’eau très
faible.
Le côté gauche de la pirogue, celui du balancier (ama), est appelé
paeama (pae: côté); c’est celui des femmes, tandis que l’autre (pae
atea: côté ouvert) est celui des hommes.
On appelle tipae ama ou tau ama la pirogue simple, tipae ati, tipae
raa, taurua, taupiti, la pirogue double; un petit canot double, lahifa;
une grande pirogue à rebord arrondi à un bout m'a hara; une petite
pirogue aux deux bouts pointus, va'a maihi; la pirogue royale, tifatifa; la pirogue sacrée, va'a moemoe.
Quand il rentre, le pêcheur descend dans la mer avant d ’aborder,
le corail à fleur d’eau l’en empêchant souvent; il pousse sa pirogue,
la porte avec l’aide d’un camarade et la dépose sur deux pierres ou
deux troncs posés en travers. 11 la recouvre ensuite soigneusement
de feuilles de cocotier tressées pour éviter que le soleil ne la fen
dille.
Une manière très commode et très rapide de voyager en pirogue
est de se pousser au moyen d’une gaffe. Un plateau de corail large
parfois de quelques cents mètres et profond de 30 à 50 centimètres
seulement, entoure presque tout le rivage de Raiatea. Au lieu d’aller
ramer péniblement au large, l’indigène se tient debout sur la poupe
de sa pirogue et progresse en s’appuyant de tout son poids sur une
longue gaffe (to'o). Dans ce cas, le chemin le plus court, n’est pas la
ligne droite, car les blocs madréporiques effleurent souvent l’eau ; il
faut les contourner et connaître les « passes ». On s’habitue très vite
à les distinguer à la couleur de l’eau. Tout en avançant ainsi, que
l’œil exercé du pêcheur reconnaisse un bon poisson qui nage entre
deux eaux, immédiatement il pose sa gaffe, saisit le harpon, s’en
aide pour avancer tout doucement et, quand il est à bonne portée, le
lance d’une main vigoureuse et sûre; il manque rarement son
coup.
11 faut aussi mentionner la manière dont les indigènes grimpent
aux cocotiers. Le tronc de cet arbre est comme formé d’anneaux
emboîtés qui se terminent par un rebord irrégulier. Le Tahitien met
ce rebord à profit pour grimper, il arrache l’écorce épaisse (more) et
-,
i
incassable truite branche de burau. Il noue ensemble les deux bouts
de cette lanière, la tord deux fois sur elle-même, lui donnant la
forme d’un huit, et passe un pied
dans chacune des branches du
huit. Saisissant alors le tronc par
derrière, la lanière appliquée
sur le premier rebord, il saute
d’un demi-mètre plus haut, la
main servant de point d’appui;
Fig. 02 et 63. — Manière de grimper au cocotier.
Première position.
Deuxième position.
dans ce deuxième mouvement, ses genoux sont fléchis; il liasse
à l’extension des jambes en laissant glisser ses mains derrière le
tronc de bas en haut. 11 est ainsi revenu à la première position
— 205 —
et recommence jusqu’au sommet. La descente s’opère de manière
inverse.
Pour escalader un arbre de grosseur moyenne, nous le saisirions
à bras le corps et l’entourerions de nos jambes. Le Tahitien n'agit
pas de même. 11 saisit le tronc par derrière et se met à grimper
en s’accrochant au moyen de ses orteils aux moindres aspérités
de l’écorce. 11 monte donc tout à fait comme un singe. .J’ai pu
observer très souvent ce fait. Et ce qu’il y a de plus curieux, c’est
qu’il saisit le tronc avec les cinq doigts réunis, sans chercher à
s’accrocher aux branchettes par opposition du pouce. Il y a là, je
crois, un fait qui n’a pas encore été observé précédemment et qui
mérite d’ètre noté.
•j3
CHAPI TRE IX
NOTES
HISTORIQUES
D éco u v erte des îles.
Quelques notes historiques sont nécessaires pour compléter le
tableau de l’état actuel de la société tahilienne. Elles aideront à
comprendre ce qui est par ce qui fut.
Cook n’est pas le premier Européen qui toucha à Tahiti. L’Espa
gnol Quiros aperçut cette ile en 1606 et l’appela Sagittaria. Elle fut
oubliée ensuite jusqu’en 1767, époque où Wallis y passa. Bougain
ville (dont le nom est donné à l’une des rues de Papeete) prit nomi
nalement possession de Tahiti en 1768. Enfin Cook descendit à Matavai (Tahiti) en 1769 pour observer le passage de Vénus devant le
soleil. Dès ce moment, les îles furent visitées fréquemment par les
navigateurs. En 1772, ce fut l’Espagnol Bonechea, en 1773, son
compatriote Langara ; la même année Cook reparut ainsi qu’en 1777.
En 1788 ce fut le navire anglais Lady Penrhyn. Puis la Bounty, dont
le capitaine Bligh fut ensuite débarqué au large par son équipage
révolté. Une partie de cet équipage, comme on le sait, fonda la
colonie de Pitcairn1. En 1789, ce fut Vancouver, officier de Cook,
1 On trouvera tout au long l’histoire de cette étrange colonie jusqu’en 1830 dans le
Voyage autour du monde, de Dumont d’Urville (1834), auquel nous avons emprunté les
quelques notes historiques ci-dessus.
puis La Matilda (1792) et Bligh avec les navires Providence et Assis
tance; enfin, le 6 mars 1797, le Duff, capitaine Wilson, mouillait à
Tahiti.
Introduction du christianisme.
Le Du/}', envoyé par la Société des Missions de Londres, amena
à Tahiti vingt missionnaires et artisans chargés d’évangéliser les
lies de la Société. A la même époque, cette Société envoyait dans
toute l’Océanie d’autres missionnaires. La date du 5 mars 1797 a été
célébrée à Papeete par le jubilé centenaire commémoratif de l’intro
duction du christianisme en Polynésie.
Les missionnaires, très bien accueillis du roi Pômare et des indi
gènes trouvèrent dans les colons déjà acclimatés des interprètes et
des auxiliaires précieux. Ils se mirent aussitôt à l’œuvre, mais tra
vaillèrent en vain de longues années. Les indigènes restaient réfrac
taires aux idées chrétiennes. Au bout de douze ans d’efforts inutiles,
ils quittèrent tous les îles, ne laissant que Haywood à Huahine et
Nott à Moorea.
Peu de temps après, le roi de Tahiti, Pômare II, dépossédé par
des chefs rebelles, se retira à Moorea, triste et découragé. Les dieux
ne lui étaient plus favorables. Peut-être espéra-t-il, comme Clovis,
que le Dieu des chrétiens lui donnerait la victoire. Peut-être aussi
l’appui probable des fusils anglais exerça-t-il quelque pression sur
son esprit Toujours est-il qu’il se trouvait dans un état d’àme que
le pasteur anglais comprit et sut mettre à profit pour lui enseigner la
doctrine chrétienne. Pômare II se convertit en 1812. Dès ce mo
ment, il fut un hardi missionnaire et son entourage ne tarda pas à
suivre son exemple. Mais ce ne fut qu’en 1815 qu’il se hasarda à dé
barquer à Tahiti. Petit à petit, son parti grossit et il finit par être
reconnu roi par toute Pile, après bien des batailles sanglantes où il se
montra magnanime envers les vaincus. Le christianisme devint en
suite la religion officielle et les missionnaires profitèrent de l’amitié et
de la reconnaissance de Pômare II pour asseoir profondément leur
autorité. Ce furent bientôt eux qui gouvernèrent sous le nom du roi.
Ils firent des lies de la Société une vraie théocratie. Il serait intéres
sa n t^ plus d'un point de vue,de faire une étude approfondie et im
partiale de l'influence que le protestantisme anglais a eue sur ces
populations, des progrès qui ont été réalisés, des dangers et des abus
du système théocratique.
Une telle élude ferait peut-être comprendre pourquoi les Tahitiens
tout en n'ayant pris que nos vices européens et non nos vertus
sont cependant un des peuples les plus dévots parmi ceux qui ont
subi l’influence du christianisme au XIX0 siècle. Mais cette étude
sort du cadre de cet ouvrage. Elle mérite d’ètre traitée à part.
Nouveau Salomon, le sage Pômare II finit mal sa carrière: il
s’adonna à l'ivrognerie. Il avait coutume de se rendre chaque matin
dans l'ilot de Motu uta qui se trouve au centre de la rade de Tahiti.
Il s’y rendait, la Bible sous un bras, une bouteille de rhum sous
l’autre. (Juand il avait bien travaillé, car il s’occupait de la traduc
tion des Écritures en langue tahitienne, il s’écriait en regardant sa
bouteille: «O Pômare! ton cochon est plus en état de régner que
toi ! » 11 se rendait justice, mais n’eut pas la force de vaincre son pen
chant. Il mourut de l’éléphantiasis en 1821.
Son père, Pômare Ier, avait régné de 1793 à 1803. Son fils, encore
tout jeune, mourut de la phtisie en 1827. Ce fut sa sœur, la prin
cesse Aimata, âgée de 16 ans, qui prit les rênes du Gouvernement
et, sous le nom de Pômare IV, régna de 1827 à 1877.
La nouvelle reine ne vécut pas de longues années en paix. En
1833, alors que tous les indigènes des Iles de la Société, des Tuamotou et des Gambier étaient convertis au protestantisme, le pape
Léon XII conféra aux missions catholiques le droit d’entreprendre
la conversion des naturels de l’Océan Pacifique*. Les Samoa, les
Viti, les Salomon, la Papouasie, la Nouvelle-Calédonie, restaient
encore païennes et cannibales. « Au lieu d’aller prêcher aux peuples
encore idolâtres, c'est sur les îles Tahiti et Hawaï déjà converties
depuis de longues années par les missions anglaises et américaines1
1Deschanel, Politique française en Océanie, i ü 7.
209
quo les missionnaires catholiques cherchent à s’établir, au risque
de voir éclater des guerres religieuses»1. «Ne dirait-on pas que
les haines religieuses de notre monde civilisé ont choisi les mers
du Sud pour champ de bataille ?... » 12 « 11 convient d’ajouter, pour
être impartial, dit M. Deschanel, que les conflits qui en résultèrent
furent le point de départ de notre intervention active dans ces
parages; mais on peut regretter que le gouvernement de LouisPhilippe ait eu besoin de complications accidentelles pour planter
notre pavillon dans ces îles où nos grands marins du XVIIIe siècle
avaient fait connaître le nom glorieux de la France. »3
Le missionnaire anglais Pritchard, qui était en même temps
commerçant et consul d’Angleterre, ne tarda pas à s’opposer à la
descente des missionnaires catholiques dans les îles. Les comman
dants des navires françaisayant puobtenirde la reine Pômare le libre
exercice des religions, Pritchard agita le pays, y créa un parti favo
rable à l’Angleterre. Mais le parti français, le plus nombreux et le
plus influent, sollicita de l’amiral Dupelit-Thouars la protection du
roi des Français (9 septembre 1842). Louis-Philippe ratifia l’acte
d’acceptation du Protectorat, le 25 mars 1843.
Enfin, le 29 juin 1880, le roi Pômare V, successeur de la reine
Pômare IV, céda à la France ses droits sur Tahiti et ses dépen
dances.
Conquête des Iles sous le V ent.
Cependant l’Angleterre avait remporté un succès partiel en 1847.
Elle avait obtenu du Gouvernement de Louis-Philippe que la France
s’engageât à ne jamais prendre possession des Iles sous le Vent,
avec réciprocité de la part de l’Angleterre. Les signataires de cette
1 Vincendon-Dumoulin cité par Deschanel, p. 169.
» Ibid. 170.
3 Ibid. 173.
14
convention étaient Palmerston pour la Grande-Bretagne et Jarnac
pour la France. Cet arrangement désavantageux fut nommé
« Convention de Jarnac » par les Français.
En 1888 seulement ce traité fut abrogé. Des compensations ayant
été accordées à l’Angleterre dans File de Terre-Neuve, la prise de
possession des Iles sous le Vent eut lieu le 16 mars 1888.
Mais, depuis ce jour-là, il s’est écoulé dix années avant que le
pavillon français ne flottât sur toutes les Iles sous le Vent. Un parti
anti-français se forma, soutenu secrètement par des commerçants
anglais. Ce parti avait son centre de résistance à Uaiatea. Un homme
de paille, Teraupoo, fut choisi comme chef. Les « téraupistes» tinrent
en échec tous les diplomates qui essayèrent de les convaincre par les
moyens pacifiques. Dans l’impossibilité de les réduire de cette ma
nière, le Gouvernement de la République envoya des vaisseaux
de guerre. Ceux-ci apportèrent, le 23 décembre 1896, un ultimatum
à Teraupoo, lui donnant jusqu’au l or janvier pour se soumettre. Tous
ceux qui désiraient faire leur soumission devaient se réfugier sur
les motu qui entourent les îles de Raiatea-Tahaa. Le village seul
d’Uturoa avait, depuis 1888, accepté l’autorité française. Le l or jan
vier 1897, au matin, les navires Duguay-Trouin et Aube, débarquè
rent les troupes d’infanterie de marine et les marins commencèrent
la conquête de ces deux îles. Elle se termina le 17 février par la cap
ture de Teraupoo. Celui-ci fut envoyé en exil à la Nouvelle-Calédonie.
Cinq cents prisonniers furent dirigés sur les Marquises (ils sont
rapatriés à l’heure qu’il est) et, dès ce moment, les lies sous le Vent
furent définitivement soumises à la France.
Dès 1898, de nouvelles lois ont été données aux Iles sous le Vent
et publiées à l’usage des indigènes sous le titre: Pula hire no te mau
Fenua i Raro (Livre des lois des Iles sous le Vent). Les taxes et con
tributions ont été aussi fixées. Voici celles qui étaient à percevoir
en 1898* :
Impôt de capitation. Par individu âgé de 18 à 60 ans: 10 francs.
Prestations en nature. Le nombre des journées de prestation à1
1 Annuaire des Établissements français de l’Océanie, Papeele, 1899.
fournir par les habitants de 18 à (>0 ans est fixé à 24. Le taux de la
journée à verser en remplacement est fixé à 1 fr. 25.
Contribution des licences pour toute personne débitant des bois
sons alcooliques : 200 francs.
Taxe des chiens. Par tète : 5 francs.
Droits perçus sur les liquides :
(Droits spéciaux aux lies sous le Vent.)
Vins
par litre
Alcool
»
Eau-de-vie
»
Rhum
»
Autres liqueurs
»
Bières
»
................................... Fr. 0.20
................................ » 2 .—
..................................... » 0.25
..................................
»
1.20
. . de Fr. 0.25 à » 0.50
..................................... » 0.25
Droit de chargement sur les nacres: 40 francs par tonneau.
Droit de sortie sur tous les produits de l'archipel: 2% ad valorem.
Permis de chasse: 20 francs; de port d’armes: 2 francs.
Amendes pour l’infraction à l’ordre n° 207 sur la fréquentation obli
gatoire de l'école pour les enfants : 2 francs.
Des écoles françaises ont, en effet, été fondées dans chacune des
Iles sous le Vent, les unes dirigées par des indigènes ayant obtenu le
brevet d’instituteur à Tahiti (aux examens du Gouvernement), les
autres par des gendarmes ou d’autres fonctionnaires français. Le
croquis ci-dessus est pris dans une école indigène à Tahaa. L’institu
teur se nomme Tamuera. L’enseignement étant celui de la langue
française et se donnant en français, il y aurait ici matière à une
étude qui sort du cadre que nous nous sommes tracé.
CHAPITRE X
LA
LANGUE
TAHITIENNE
Les langues maléo-polynèsiennes.
Les linguistes sont d’accord pour considérer les langues malai
ses, mélanésiennes et polynésiennes comme trois rameaux issus
d’un môme tronc.
De ce tronc se sont détachées d’abord les langues polynésiennes
par suppression de sons, tandis que les langues mélanésiennes
formaient par mélange avec des éléments papous un système gram
matical plus ingénieux qui atteint son plus haut degré de dévelop
pement dans les langues malaises.
Ces trois langues que Ton range dans la classe des langues aggluti
nantes forment donc une échelle dont les dialectes polynésiens,
langues à particules, occupent le degré inférieur, pendant que les
langues malaises à système de préfixes et de suffixes tiennent le
sommet, les langues mélanésiennes formant l’échelon intermé
diaire b
Dans ces langues, le même mot peut être indifféremment employé
comme nom, comme verbe, comme préposition, comme adverbe,
comme adjectif. On reconnaît cependant la fonction d’un mot à la1
1 Dr Friedrich Millier. Die Sprachen dey Schlichthaarigen Rassen. Wien, 18S2. II. Band,
page 2.
place qu’il occupe dans la phrase ou bien aux particules qui l’accom
pagnent et qui indiquent le lieu, la direction, le temps. Pour former
les mots au moyen des racines primitives, ces langues emploient la
répétition, la réduplication, l’addition des préfixes, des suffixes et
quelquefois des infixes.
.1..
Le tahitien et les langues polynésiennes.
Les lettres.
'I.i
'
iïm i
1. Voyelles. — A, e, i, o, se prononcent comme en français ; u se
prononce ou. E se prononce comme un e ouvert dans la plupart
des cas; quelquefois cependant comme é fermé. Quelquefois a se
prononce très court : parau, presque p'ran.
2. Consonnes. — Les dialectes polynésiens possèdent les suivantes :
h, k, ng, t, s, r, 1, n, p, f^v, w, m.
Les Tahitiens ne retiennent que h, aspiré plus ou moins forte
ment, 1, un coup de glotte qui remplace la consonne k supprimée,
t, r, n, p, f, v, m, soit treize lettres et un coup de glotte.
A remarquer que, dans le tahitien, f et h sont fréquemment pris
l'un pour l’autre. On dit aussi bien ohe que ofe (bambou), afi que
uhi (igname). Mais cet f se prononce sans appuyer les dents sur la
lèvre inférieure, avec une légère aspiration. Cet / ' prononcé pares
seusement et remplacé même parfois complètement par un h fait
penser au h espagnol remplaçant l’f latin: hijo de filins. Placé entre
deux voyelles (paid, bateau, ahu, habit, Uni, nez) h a un son mouillé
qui se mélange à l’aspiration. Nous avons remarqué cela surtout à
Tahiti. R et n permutent quelquefois : ramu, namu (le moustique).
La prononciation du r vibrée à la lahitienne le fait prendre, au pre
mier abord, pour un 1. On croit même parfois entendre un d faible.
Et, de fait, le r tahitien vient souvent d’un 1 malais (rima de lima,
main, repo de lepo. houe, rea de tea, jaune d’œuf). Du reste 1 se
trouve à la place de r dans les dialectes des Samoa, Tonga et Hawaii.
215
Dans le dialecte des Marquises, r tombe complètement : torn, trois,
devient tou; varie, huit, devient vau.
A remarquer l’impossibilité où sont les Tahitiens de distinguer le
p du 1), le t du d. Vous pouvez leur faire épeler b et d, mais en
prononçant le mot, ils les tournent immédiatement en p et t, ce que
nous avons eu cent fois l’occasion d’observer. (Pora-Pora pour BoraBora. )
Il y a une grande tendance aux Iles sous le Venta prononcer, dans
certains mots, l comme un k. On dit : lie taata, l’homme, mea fakata,
bientôt. Cette tendance est d’autant plus curieuse que le k des autres
dialectes a été supprimé dans le tahitien et remplacé par un coup
de glotte :
Rarotonga: arilii (roi);
tahitien: ari'i.
Maori:
moko (lézard);
»
mo'o.
»
moka (saint);
»
mo'a.
»
nuku (flotte);
»
nu'u.
Le ng du Maori, du dialecte des Samoa et de Rarotonga est rem
placé aussi par le *en tahitien :
Maori:
rangi (le ciel) ;
tahitien:
»
ingoa (le nom) ;
»
»
mounga (montagne) ;
»
Barontonga: tangata (homme);
»
ra'i.
i'oa.
mou'a.
ta'ata.
La syllabe.
La syllabe, qui peut indifféremment commencer par une voyelle
ou par une consonne, doit toujours finir par une consonne. Deux
consonnes ne peuvent jamais se suivre. Aussi, dans la prononciation
des mots, des noms européens, les Tahitiens intercalent-ils toujours
des voyelles entre les consonnes. Du nom : Vernier, ils ont fait
Vérénié; de France: Farani; de président de la République : peretiteni no te Repupilita. Ils sont, de plus, obligés, pour prononcer les
—
216
—
mots français, de remplacer nos consonnes d, g, le, c, s, z, par t.
Cependant les enfants apprennent, en général, facilement le français
et n’éprouvent pas de grandes difficultés à le prononcer, sauf les d
et les b toujours confondus avec t et p, comme on l'a vu plus haut.
Par une curieuse inconséquence, les enfants prononcent parfois
nos t comme des s qui n’existent pourtant pas dans leur langue.
Ainsi,nous avons entendu maintes fois réciter le Pater: « Préservenous de la sensation », disaient en choeur les écoliers
Si l’accumulation de consonnes n’est pas admise dans la langue
taliitienne, il y a, par contre, d’énormes entassements de voyelles;
elles ne doivent jamais se prononcer comme des diphtongues, mais
chacune séparément, et quelquefois elles sont séparées par le
Exemples d’entassement de voyelles: Eaea, s’échapper; eeao, passa
ger ; faaaa, provoquer ; faaaau, meurlre ; faaaeae, moribond : faaoaoa,
se réjouir; aaoaoa, fou.
Par la chute de consonnes dans certains dialectes, il se forme une
foule de mots qui se prononcent presque identiquement, quoique
leur signification soit différente, de véritables homonymes, comme
en tahitien:
u'a,
ua,
ua,
ua,
iiâ,
nA,
ua,
aaa,
la pluie
la nuque
croître
bannir
un crabe terrestre
vociférer, braire
signe du passé
s’ouvrir
oe,
oè,
oe,
oe,
oe,
hôe,
hoe,
tu
la cloche
l’épée
erreur, faute
famine, disette
pagaie
un.
Accent. — Dans toutes les langues maléo-polynésiennes l’accent
1 Empruntant aux Anglais les noms des mois, ils en ont fait : Januari, de l’anglais
January, Fepuare February, Mali March, Eperera April, Me May, Junu June, Tiurai
July, Atete August, Tetema September, Atopa October, Noema November, Titema
December.
De l’anglais half ils ont fait a fa, de book pula, hammer hamera, ink inila, pan pant,
prophet perofeta, sabbath tapati, time taime, coffee taofe, docteur laote, captain tapilana, governor tavanu, sugar tihota, teakettle titela, quarter tuata, Friday F araire.
repose généralement sur l’avant-dernière syllabe. Sur six mots,
cinq s’accentuent de cette manière et un seul d'une autre. Ges ex
ceptions comportent des mots accentués sur l’antépénultième ou sur
la dernière syllabe b
Racines. — Toutes les racines polynésiennes sont bisyllabiques.
Celles qui sont monosyllabiques proviennent de mots à deux syl
labes raccourcis. Ces mots déplus de deux syllabes sont des com
posés par dérivation ou par juxtaposition. De ces racines bisyllabi
ques, les autres mots sont formés de trois manières différentes :
1° par répétition ou réduplication ; 2° par juxtaposition; 3° par ad
dition de préfixes ou de suffixes2.
Répétition et réduplication. — a) Pour indiquer qu’une action s’est
répétée fréquemment, on redouble le verbe entier, exemples: Mo,
voir ; liiohio, regarder avec persistance ; reva, partir ; revareva, partir
fréquemment ; abu, mordre; abuabu, mordre d’une manière répétée;
ara, veiller; arara, lancer des éclairs avec les yeux; piri, coller ;pinplri, coller avec persistance (nom donné à des herbes dont les grai
nes se collent aux vêtements); fefe, courbe ; fefefefe, en zigzag; fene,
brisé; fenefene, brisé à plusieurs places; honi, mordre; honihoni,
mordre par petites bouchées;rupe, beau ; ruperupe, luxuriant ;motu,
cassé ; motumotu, déchiré en plusieurs morceaux\pea, perplexe ;peapea, troubles, malheurs; too, pousser; tootoo, progresser avec une
gaffe, b) Pour indiquer soit la répétition, soiL une intensité plus
grande de l’action, on se contente de redoubler soit la première,
soit la dernière syllabe: amui, ajouter; amnimui, le faire avec répéti
tion; haere, aller; hahaere, se promener ; aroha, avoir pitié, ou res
pect ; aroharoha, avoir une grande compassion; parau, parler ;paraparaît, babiller; faalte, faire savoir; fan iteite, ébruiter partout;
ferari, raisonner; feruriruri, approfondir une pensée; huroi,
laver; horolioroi, laver, avec répétition de l’action; hoe, ramer ; hohoe,
ramer, avec répétition de l’action, o) Quelquefois la réduplication
sert à indiquer que l’action est faite par deux personnes : moe, dor-1
1 Friedrich Müller, p. 11.
* Friedrich Müller, p. 12.
r
mir; momue, dormir avec quelqu’un; horo, courir; liohoro, courir
avec quelqu’un ; hoo, acheter ou vendre; hohoo, la môme action faite
par deux personnes; polie, mourir; popohe, mourir deux ensemble;
hoe a popohe raa, une mort double, d) C’est également de cette ma
nière que se forme le superlatif des adjectifs, comme aussi leur plu
riel lorsqu’ils accompagnent un substantif: raid, grand ; rarahi, très
grand ou grands; rii, petit; riirtt, très petit; maitai, bon ; maitatai,
bons; ino, mauvais, iino, mauvais (pluriel) e) Ainsi encore se for
ment des noms collectifs ou des pluriels: huru, poil; huruhuru, che
veux; ahi, le feu; aliiahi, le soir (moment où l’on allume les feux);
ano, semence ; anoano, semences.
Juxtaposition. — Ce moyen de former des mots est peu employé :
tama, enfant ; rii (de arii), chef ; tamarü, gardon ; lama et vahiné ont
produit tamahine, fille; uni, chien, et tanta, homme, ont donné uriitaata, singe; puaa, animal et niho, dent, ont donné puaa-niho, chè
vre; etc.
Préfixes et suffixes. — a) La forme passive des verbes se compose
de l’actif avec le suffixe hia: parau, parler; parauhia, parlé; horoa,
donner; horoahia, donné.
b) Les préfixes faa, haa et ta servent à former des verbes causatifs:
ite, savoir; faa ite, faire savoir; mate, mourir; haamate, causer la
m o rt;hinu, huile; tahinu, sacrer, oindre.
c) Le mot mea, chose, sert à former une foule de composés : inu,
boire; mea inu, boisson (littéralement chose à boire); api, neuf; mea
api, nouvelle, nouveauté; riaria, horrible; mea riaria, horreur, etc.
P a rtie s du d isco u rs.
Le nom. — Dans ces langues, le genre n ’existe pas au sens gram
matical du mot. Le sexe s’indique, comme nous l’avons vu plus
haut, par l’addition des mots tarie (i.), vahiné (y.),oni (mâle), ufa
(femelle).
Le nombre — E (un) et te (le) placés devant le nom indiquent le
—
219
—
singulier. On dit aussi le hoe, te tahi pour un, te hoe raau, un
arbre.
Les noms de matière sont précédés de ma ou maa, du. de la,
comme maa pape, de l’eau, maa matai, du vent. Ce maa répond à
l’anglais some, qui se traduit aussi plus exactement par te hoe maa
bornai le hoe ma miti, donne-moi un peu de sel.
Il y a plusieurs mots pour indiquer des pluriels limités ou illi
mités : na, mau, tau, pue et hui; na dénote une pluralité limitée à
deux, trois ou un petit nombre, na metua, parents (les deux, le père
et la mère); tau a un emploi assez semblable; mau est le pluriel illi
mité: te mau fetii, les parents (de toutes catégories). Pue et hui se
préfixent à certains noms collectifs: pue arii (la famille royale); hui
raatira (les chefs). Le mot ma signifie la même chose que notre « et
compagnie»: Pômare ma, Pômare, sa famille, et ceux qui l’entou
rent. Les lettres qui nous sont adressées débutent p ar:E Huteni ma
e: ô Huguenin et sa famille.
Les cas se marquent en tahitien par des particules qui se placent
devant les noms. Nominatif. Les noms au nominatif sont précédés
de o qui signifie à peu près c’est. O Tahiti, O Raiatea. R mea ruperupe o Raiatea: Raiatea est belle. Génitif. Le génitif se marquait
d’abord par la place des mots, le déterminant se plaçant avant le
déterminé: te hihi mata, les cils (litt. les rayons de l’œil); te fare
manu, le nid (litt. la maison de l’oiseau). 11 se marque surtout par la
particule no; te fare no te arii, la maison du roi. A, na, to, ta, dési
gnent aussi la possession. Te parau a le Atua, la parole de Dieu.
Datif. Le datif est indiqué par i. Accusatif. Aussi indiqué par i (ia
devant des noms propres ou des pronoms). Adlatif. Le signe de
l’ablatif est a.
Enfin le vocatif s’indiqup par e précédant et suivant le nom : e te
Atua e : ô Dieu !
Adjectif. — L’adjectif se place généralement après le nom qu'il qua
lifie; il est invariable, sauf dans quelques cas où il forme son pluriel
par réduplication, comme : e laala màiti, un homme bon, e taata ou
mautaata mailatai, des hommes bons; e taata ino, un homme mau
vais; e taata lino, des hommes mauvais. Les degrés de comparaison
dans les adjectifs se forment à l’aide des particules : i, ne, atu, hau,
roa, ino, e.
Ino, mauvais; ino ae, pire ; maitai, bon ; maitai ae, un peu meil
leur ; maoro, long ; maoro iti ae, un peu plus long; rahi, grand ; rahi
ae, un peu plus grand, mais très peu ; rahi atu, plus grand que la
chose comparée: rahi roa atu, encore plus grand ; rahi roa1 i>io atu,
extrêmement grand ; hau s’emploie aussi pour plus quand deux cho
ses sont comparées entre elles.
E mea faufau tera ohipa, cet ouvrage est mauvais ; ua hau teie i te
faufau, celui-ci est pire; ua hau atu hoi teie, celui-ci est pire encore ;
ua hau e atu teie, celui-ci enfin est le plus exécrable. Un autre moyen
de comparaison est de placer l’adjectif devant le nom de la personne
ou de la chose comparée avec une autre et de mettre la particule i ou
ia entre ces deux noms :
E mea maitai Terii i Tihoni, Terii est bon (comparé) à Jean ; E rahi
Tahiti i Raiatea, Tahiti est grande (comparée) à Raiatea, c’est-à-dire
plus grande que Raiatea; R rahi atu Farani, la France est plus
grande (que Tahiti); E rahi roa: tu Eropa, mais l’Europe est plus
grande encore (que la France).
Dans le langage hyperbolique, cher aux orateurs tahitiens. on ac
cumule ces particules de comparaison :
E mea maitai iti rahi roàtu, littéralement :
Chose bonne petit grand encore beaucoup plus.
Le Pronom. — Ua formation des pronoms personnels est extrême
ment intéressante. La voici, résumée d’après Friedrich Müller:2.
Les formes polynésiennes dérivent des formes malaises suivantes:
lre personne : ahu, tahitien : au; 2e personne : anhau, tahitien :oe;
3e personne : lya, tahitien : oia.
Le pluriel comprend un duel et un pluriel, et, pour la première
personne, une forme inclusive et une forme exclusive du duel et
du pluriel. Pour cette première personne, le duel se forme par l’ad* A remarquer que ino qui signifie mauvais peut aussi exprimer le contraire, excel
lent, dans*l’expression familière : lioa ino, excellent ami. cher ami. lion iino, excellents
amis.
! Die Sprachen tier Sclilichthaarir/en Russen, II. Band, page 23.
dition do ta (inclusif) et de ma (exclusif) au nombre deux (rua); le
pluriel, par l’addition des mêmes particules au nombre trois (toru).
Pour la deuxième personne, c’est la particule ko qui précède rua et
torn. Enfin, à la troisième personne, la particule est ra.
On a ainsi le tableau théorique suivant :
■lr* personne
Singulier
inclusif
Duel
exclusif
inclusif
Pluriel
exclusif
aku
ta-rua
ma-rua
ta-toru
ma-toru
2« personne
3e personne
koe
ia, na
ko-rua
ra-rua
ko-turu
ra-toru
Pour la langue tahitienne, ce tableau devient, par suppression de
lettres, le suivant :
1" personne
Singulier
I inclusif
Duel J
exclusif
^ inclusif
Pluriel
1 exclusif
au, vau, 'u
taua
ma ua
tatou
matou
2e personne
3* personne
‘oe
‘oia
'orua
raus
'outou
ratou
Taua signifie donc toi et moi, nous deuy.\maua, lui et moi, celui
qui parle et un autre; tatou, nous tous et moi et toi, donc tous plus
celui qui parle el son interlocuteur; matou, nous, sans inclure l’in
terlocuteur; orua. vous deux ; raua, eux deux (deux personnes dont
on parle); raton, eux tous.
Il faut encore ajouter verâ qui signifie eux (duel ou pluriel) et
s’emploie quand on parle des personnes en leur présence1.
Les pronoms forment leurs cas comme les noms : 0 vau, je; na.'u,
no'u, de moi ; ia'u, à moi ; ea'u, de moi, par moi.
Les 'pronoms possessifs se forment, en tahitien, au moyen des par'J e pense qu’on peut s’expliquer l’étymologie de verâ ainsi : râ est une conjonction
emphatique qui signifie: quant à; vau rd! quant à moi! ve est un préfixe signifiant quel
que : velcihi, quelqu’un.
tioules o et o placées devant les pronoms personnels. L’article te au
singulier vient encore se fondre avec ces particules. On obtient
ainsi
Singulier :
ta'u, to'u
ta’oe, to'oe
tana,tona
ta maua, etc.
Pluriel :
a'u, o'u
a’oe, o'oe
ana, ona
On dit également na et no devant un nom, pour indiquer la
possession.
Quand faut-il dire na, ta'u, a'u, etc. et quand faut-il dire no, to'u,
oïu, etc. ?
Aucun auteur n’a posé de règles à ce sujet. Un vénérable mission
naire de Tahiti, qui connaît à fond la langue tahitienne, la parlant
probablement plus correctement que les Tahitiens d’aujourd’hui,
m:a dit qu’il croyait pouvoir donner la règle suivante: A s’em
ploie pour parler de tout ce qui entre et de tout ce qui sort du corps
humain. O s’emploie dans les autres cas. Voici des exemples :
Te paraît na te Atua: la parole de Dieu (elle sort en effet de la
bouche de Dieu); te tamaiti na le Arii, le fils du roi ; ta'na maa, sanourriture; ta'na parau, sa parole; aita a ;na maa, il n’a pas de nour
riture; na vai te ruaa ? A qui ce fruit? Na mea. A un tel.
Par contre: Te fare no te Atua, la maison de Dieu ; te fenua no te
Arii, la terre du roi; te Atua no te rai. le Dieu du ciel; to'na nhu.
ses habits; to'na reo, sa voix (ici le Tahitien ne considère pas la
voix comme sortant de l’homme, mais comme faisant partie de sa
personne); aita o'na manao, il n ’a pas d’idées.
Les pronoms démonstratifs sont: teie, teienei, ceci, celui-ci (pro
che), tera, cela, celui-ci (éloigné). Taua (aua) est aussi employé
comme pronom démonstratif, mais doit être suivi de ra, nei ou na
dans la même phrase; taua taala ra : cet homme (sous-entendu dont
on parle); taua mea nei: cette chose (ici); tana taala i parau hia ra:
cet homme dont on parle; tana taata na: cet homme mentionné
avant. la est aussi employé comme démonstratif dans le sens de
celui ; oia ïa, c'est cela ; o vau ïa, je suis celui qui, je le suis. Vai est
le pronom interrogatif: na vai? à qui? o vai? qui ? Il n’y a pas, dans
les langues polynésiennes, de pronom relatif proprement dit. On s’en
passe et l’on dit, par exemple: E taata tamuta haamani maitai te
ohipa o Taiu: Taiu est un charpentier qui travaille bien. Juttéralement : un homme charpentier faire bien l’ouvrage c’est Taiu.
Il existe, de plus, en tahitien, une particule emphatique qui indique
aussi l’opposition et qui renforce le pronom ; c’est iho qui correspond
à notre môme. Na’na iho i hamani : il l’a fait lui-même (sous-entendu
sans le secours de personne).
Le verbe.
Le mot qui fait fonction de verbe dans les langues polynésiennes
ne se distingue comme tel que par les particules qui l’accompa
gnent. Dans les autres cas, ce mot peut aussi bien être un adjectif,
un nom ou un adverbe. Souvent même on se passe du verbe et on
se contente d’affirmer, au moyen d’une particule affirmative, l’exis
tence d’une action ou d’une qualité. C’est de cette manière que se
rend notre c'est. Ainsi ua oti, c’est fini ; ua maitai, c’est bon ; ua teilei, c’est haut.
Pour ne pas se perdre au milieu des particules qui accompagnent
le verbe tahitien, il faut distinguer:
1° Celles qui servent à former les différentes voix du verbe;
2° celles qui servent à déterminer les temps et les modes; 3° les
pronoms des différentes personnes que nous avons déjà énu
mérés; 4° enfin les particules qui déterminent le lieu ou la direc
tion de l’action ainsi que les particules affirmatives et négatives.
1° Voix du verbe, a) Voix passive. Le passif se forme par l’adjonc
tion du suffixe hia. à l’actif :parau, parler, parauliia, parlé. On peut
obtenir des passifs en ajoutant le même suffixe à des substantifs ou
à des adjectifs : ioa, nom, ioa hia, nommé; pape, eau, papehia,
arrosé; i, plein, îhia, rempli.
b) Causatif actif et causatif passif.
On forme un causatif actif au moyen des préfixes: fa'a, ha‘a et ta
et un causatif passif en ajoutant encore hia: ite, savoir, faa ite, faire
savoir, faa ite hia, faire être su ; mate, mourir, haamate, tuer; haamatehia, être cause de l’état de mort; ata, rire, faa ata, faire rire ;
ora, vie, faa ora, faire vivre, sauver ; faaorahia, faire être sauvé,
causer le salut; mo'a, saint, haamo'a, rendu sacré ; avae, jambe, ta
avae, mettre des jambes (à une chaise) -,mau, prendre, tamau, retenir
dans la mémoire; mâ, propre, tamâ. nettoyer; ma'a, nourriture,
tamda, faire manger, etc.
c) Désidératif.
Un préfixe, hia, sert à exprimer le désir; il n’est pas très employé :
hia-ai, avoir faim, désirer de manger ou de boire (de ai: manger).
On dit de même hiamu par contraction de hia et de amu (manger);
hia ta'i (de ta'i, pleurer), être ennuyé par des désagréments, être
prêt à pleurer.
2° Temps et modes. En tahitien. les particules qui indiquent le temps
se placent devant et après le verbe:
Pour le présent: te-nei, ainsi te amu nei au, je mange; pour l’im
parfait: te-ra, te papai ra oia, il écrivait; pour le parfait : i-na, i Aoftpii
na oe, tu as enseigné ; pour le futur : e, devant le verbe, e haapii tatou,
nous apprendrons.
Ainsi que nous l’avons vu, les particules nei et ra marquent aussi
bien le lieu que le temps, nei indiquant ce qui est rapproché et ra
ce qui est éloigné: te inu nei oia, il boit ici (près); te inu ra oia, il
boit là-bas.
Quant aux modes, ils ue sont pas très distincts en tahitien: l’impé
ratif est un futur, puisque l’action n’existe pas encore, aussi le formet-on au moyen du e, e amu tatou, mangeons! Seulement e se rem
place par a à la première personne du singulier: a tii, va chercher.
Le subjonctif a la même forme que l’indicatif et se distingue par
le sens de la proposition principale. Quand il a un sens conditionnel,
il est précédé de ahiri, si, qui peut s’adapter au présent ou à l’impar
fait: Aliiri te hinaaro nei au, si j’aime; ahiri te hinaaro ra vau, si
j’aimais.
225
Le mot ia marque aussi le subjonctif dans un sens futur: ia raa
to oe i’oa, que ton nom soit sanctifié; ia tae to oe ra hau, que ton
règne vienne; ia haapaohia to oe hinaaro, que ta volonté soit faite,
etc. Ce ia marque aussi la condition: ia faaore hoi outou i te
vetahi ô ra hapa, si vous ne pardonnez pas aux hommes leurs
offenses. Les signes de la personne sont donc les pronoms person
nels, vau, oe, oia, etc., qui peuvent être remplacés par le subs
tantif-sujet: t'e parau ra te mau haava, dirent les juges. Aux parti
cules nei et ra indiquant le lieu, il faut ajouter na qui signifie la ou
de la. Ainsi : ia oe na, toi là, quant à toi là, haere mai na, viens ici,
viens de là.
D’autres particules indiquent la direction dans laquelle l’action
doit être faite par rapport à celui qui parle. Haere mai, aller vers
moi, donc viens ; atu1 est le contraire; a tii atu, va chercher, le mot
atu indiquant l’éloignement de la personne qui commande; a’e
signifie près ; nia a.'e, un peu au-dessus, raro a'e, un peu au-dessous.
Nous avons vu que l’affirmation se faisait au moyen de la particule
ua; la négation s’indique au moyen d’un grand choix de particules
négatives, les unes s’appliquant au présent: eere, eete, eore-, les
autres au passé : aore, aima, aina, aipa, aita, les autres enfin au
futur: cita, eima, eipa, eina, etc. Une autre particule exprime la
défense, le «veto», c’est eiaha ou auaa. Exemples: Eere teie te i‘a
maitai, celui-ci n’est, pas un bon poisson. Hinaaro anei oe i teie
nei puta? FAta. Veux-tu ce livre? Non! Ua amu anei oia? Aita.
A-t-il mangé? Non. Eiaha e haamani i te ohipa ino. Ne fais pas le
mal.
Enfin le mot anei indique l’interrogation. Mea maitai anei oe? Lit
téralement: Chose bien à loi? (Comment vas-tu?)
Voici maintenant la conjugaison complète d’un verbe tahitien : E
reva, partir.
1 Le mot mai correspond assez exactememnt à l’allemand lier, et le mot atu an
mot Itin.
’ La particule négative ore, e ore remplit, dans la composition des substantifs, la même
fonction que les suffixes allemands los et anglais less: matau, peur; mUtau ore, sans
peur (furchUos, fearless).
-15
I. Présent : Singulier 1. te reva nei au, je pars
2. te reva nei oe, tu pars
3. te reva nei oia, il part
te reva nei taua, moi et toi partons
Duel
te reva nei maua, moi et lui partons
2. te reva nei orua, vous deux partez
3. te reva nei raua, ils partent tous deux
te reva nei tatou, moi et nous partons
Pluriel
te reva nei matou, nous trois ou plus
partons
2. te reva nei outou, vous trois ou plus partez
3. te reva nei ratou,eux troisoupluspartent
II. Imparfait : te reva ra vau S je partais, je partis
i reva na vau, je suis parti
III. Parfait :
e reva vau, je partirai.
IV. Futur :
i
Mode Impératif.
a reva oe, pars
e reva oia, qu’il parte
a reva orua, (que vous deux) partiez
e reva raua, qu’ils partent (eux deux)
a reva outou, partez (vous trois au plus)
e reva ratou, qu’ils partent (eux trois ou plus).
Mode Conditionnel.
i
ahiri te reva nei au ou ahiri te reva ra vau, si je partais.
Mode Subjonctif.
ia reva vau ou te reva nei au, que je parte.
1 A remarquer le t) euphonique devant au lorsqu’un a précédé.
-
227 —
Adverbes.
Outre les particules dont nous venons d’indiquer l’emploi et sans
l’usage desquelles le verbe n ’aurait aucune signification propre, il y
a, en tahitien, un grand nombre d’adverbes proprement dits pour
déterminer les circonstances de lieu, de temps, d’ordre, de quantité,
de manière, etc.
Nous avons déjà passé en revue les principales prépositions qui
servent à la déclinaison des substantifs, o, e, na, no, ia, tei, la, to, etc.
Plus petit est le nombre des conjonctions. Ce sont : e, atoa ou 1toa,
hoi, area, ra, a, ma; e correspond à notre et ; ma est une conjonction
copulative qui ne s’emploie guère en tahitien que dans les noms de
nombre : ahuru ma rima. Ce ma se retrouve encore dans les ex
pressions : Farani ma, la France et les autres (pays) ; Tihoni ma, Jean
et sa famille, etc.
Interjections.
Les interjections ne sont pas très variées. Il y a plus de variété
dans la manière de prononcer la même interjection que dans le choix
de celles-ci. Ainsi A! signifie la colère ou bien la surprise, selon
l’intonation. A répété plusieurs fois rapidement exprime l’admi
ration. Ae, en deux sons séparés, c’est de l’admiration; liés, delà
douleur; notre hélas! Aue! exprime de même ou la douleur ou
l’étonnement.
Une jolie expression pour marquer la douleur d’un départ c’est
io nei oe! litt. : ici toi, c’est-à-dire ah ! que tu reviennes ici.
Noms de nombre.
Au-dessus de dix, les noms de nombre se forment en ajoutant les
unités aux dizaines, au moyen de la particule copulative ma : e iva
ahuru ma toru, quatre-vingt-treize. Quand il s’agit du passé, les
noms de nombre sont précédés de a, et de e quand il s’agit du
‘m
futur. 11 faut prêter attention à la question pour employer, dans la
réponse, la particule correspondante : Ahia i'a i rave na raton ? Com
bien ont-ils pris de poissons? A ono, six. Quand il s’agit de person
nes, par contre, il faut employer la particule to'o : Ehia tamarii i te
haapitraa9 Combien y a-t-il d’enfants à l’école ? Too toru ahnru :
trente. Les nombres ordinaux se forment au moyen de l’article te
placé devant le nombre : te piti, le second, te pae ahum aore, le
cinquantième; les multiples, au moyen de tai (par): tai piti (par
deux), le double; tai maha, le quadruple ou quatre fois.
11 n’existait pas de mots, dans l'ancienne langue tahitienne, pour
désigner les fractions et les nombres fractionnaires. Le mot tufaa ou
tuhaa indiquait une tribu, une division, une portion. On l’a appliqué
à une circonlocution moderne pour désigner les fractions : te torn o
te tufaa, le troisième de portion, le tiers Demi, afa, est emprunté
au mot anglais Half.
Syntaxe.
Le but de ces notes sur la langue tahitienne n'étant pas d’en donanr une grammaire complète, mais d’en mettre simplement en re
lief le mécanisme comme complément du tableau de la civilisation
polynésienne, nous nous bornerons à citer quelques exemples de la
manière dont ce mécanisme fonctionne.
Un des principaux idiotismes de ces langues, c’est l’absence des
verbes être et avoir dans le sens que nous leur prêtons. On ne peut
pas dire en tahitien: J ’ai un bon fils, mais : E tamaroa maitai ta‘u.
un fils bon à moi (ou le mien). De même, au lieu de; Il a des cocos,
on dit; E Ixaari ia na, des cocos à lui. Elles ont des robes roses : E
aaliu uteute to raton, des robes rouges à elles. Pour affirmer l’état,
notre verbe être se traduit par na, et par mea pour affirmer la qua
lité. Mon frère est malade : Ua poke i te mai to'u taeae, est malade
mon frère. Le poisson est cuit: Ua ama te i'a, est cuit le poisson
L’eau est fraîche: E mea haumaru te pape, une chose fraîche l’eau.
La mer est profonde : E mea hohonu te tua, une chose profonde la
mer.
Hemarquei' ensuite: Quel âge as-tu ? E Ida lo oematahiti? combien
les ans. J ’ai sept ans : A liitu matahiti na'u, sept ans à moi. Mon frère
est bon : E tuane maitai lo'u, un frère bon à moi. La clarté, la préci
sion, la concision sont certainement des qualités inhérentes aux lan
gues polynésiennes. La clarté permet souvent l’ellipse, mais demande
parfois des répétitions afin d’éviter les amphibologies.
On a donc des formules laconiques d’une grande force, comme le
ioneiaoe! déjà cité : manava ! (litt. fruit de mes entrailles), soyez
les bienvenus,jfnai hea oe, d’où toi? (d’où viens-tu?) et des répé
titions nécessitées par l’invariabilité du verbe, comme : A tiiatuoe
i te i'a va chercher toi le poisson. Te mau Fenua i Raro, te ferma Ta
hiti, te mau fenua, Tuamotu, te mau fenua Nuhahiva, no te hau Farani o raton, les Iles sous le Vent, l’ile de Tahiti, les îles Tuamotu,
les iles Marquises, à le gouvernement français toutes.
Autres idiotismes : Na te Atua i hamani i te rai e te a‘o, par le Dieu
créa le ciel et la terre. Les mots anei (est-ce que) et aore anei, e ore
anei (est-ce que ne pas) sont les seuls instruments de l’interrogation.
Oui e s t là ? E taata anei to reira? Un homme est-ce que là? Le
vaisseau est-il grand ? E m earahi anei te paid? Une chose grande
est-ce que le bateau ? N’as-tu pas couru? A ore anei i horonaoe?
pas est ce que a couru toi ?
Remarquer cependant : Où vas-tu? Haere hia (sous-entendu oc)?
Allé? (forme passive).
Quant à la négation, elle se place avant le pronom qui lui-mème
se place alors devant le verbe : Aita vau i ite (Pas je savais, (pour : je
ne sais pas). Aita le painapo (pineapple) e pè (Pas les ananas mûrs).
Vous avez peu de courage: Aita i raid to outou itoito (Pas [était]
grand votre courage).
Il est absolument impossible de traduire mot à mot nos lan
gues européennes dans les langues polynésiennes. Voyez encore les
exemples suivants: Le roi ne fait que s’amuser. Aita roa'tu to te
Arii e oldpa. maori râ e te haut! na oia (Pas du tout par le roi un
travail au contraire jouait lui). Je crois que le compte y est To‘u manao e tano (Mon idée: c’est juste). Il n’y a qu’un seul Dieu : Hoe roa
râ Atua (Un seul mais Dieu). Il ne sait pas comment s’en tirer: Aita
230
roa'tu no na i ite i te ravea e haere i rapae (Pas du lout à lui savait
le moyen sortira dehors). Quel bonheur\Aue! te oaoa e! (Ah! le
bonheur I) La pirogue rouge qu’il a prise est percée : Mea fati o te vaa
uteute tana i rave (Chose percée la pirogue rouge par lui prenait). Il
n’y a plus rien à manger: Ua puu i te ma'a (Est épuisée la nourri
ture). Le charpentier Théophile a construit cette maison : Na te tamuta o Teofira i hamani i tele nei fare (Par le charpentier Théophile
fut construite cette maison-ci.) Abatte/, ce temple et je le relèverai
dans trois jours (Jean II, 19): A vavahi na i teie nei liiero, e ua rui
lot'll ana'e uatia faahou ia ia'u (Abattez là celui-ci temple et sont
nuits trois entièrement est debout de nouveau sera par moi.)
Salamo e piti ahuru ma toru. (Psaume XXIII.)
O Jehova to'u tiai, e ore roa vau e ere, Te faataoto nei oia ia'u i te
mau aua heeuri rà *, te aratai nei oia ia’u na pihai iho i te pape atatia râ. E faaho'i oia i tau varua, e aratai oia ia'u na te e‘a titiaifaro
no to’na rà i'oa. E ia haere noa'tu vau na te pelio râ o te mà rù-pohe
e ore à vau e mà ta’u i te ino, tei pihai atoa iho oe ia'u : to raau e to
tootoo tei haamahanahana mai ia'u. Ua l'aa nahonaho oe ite tahi
amuraamaa na'u i mua i te aro o tau mau enemi123; ua faatavai oe i
tau upoo;e te i nei tau a' ua.
C’est Jéhova mon berger, pas du tout moi serai déçu (dans mes
désirs); fait dormir il à moi dans les parcs herbeux mais, guide il à
moi près des eaux tranquilles mais. Réconfortera il à mon âme,
guidera il à moi par le chemin uni pour son nom. Dussé (je) aller ce
pendant je par la vallée de l’ombre de la mort pas à moi craindrai le
mal, qui près de aussi même toi à moi de (toi le) bâton et de (toi la)
houlette qui réchauffent vers à moi. As dressé toi une table à moi
1 Ce râ est une particule emphatique qui signifie habituellement mais et sert à ren
forcer l’expression.
3 De l’anglais enemy.
281
devant le front de mes ennemis as oint toi ma tète et est remplie
maintenant ma coupe.
E riro à te maitai e te aroha i te pee mai ia‘u i te mau mahana
atoa o to’u nei oraraa; e parahi â vau i roto i te fare o Jehova e
maoro noa‘ tu o‘u pue mahana.
Seront le bien et la considération suivre avec moi les jours autres
de ma présente vie resterai moi dans la maison de l’Eternel long
temps beaucoup de moi les jours.
Les exemples ci-dessus feront saisir la construction de la proposi
tion. Gomme point de comparaison entre les différents dialectes poly
nésiens, entre ceux-ci et les dialectes mélanésiens et malais, nous
transcrirons l’oraison dominicale dans les sept principaux rameaux
de la langue polynésienne, ceux des Samoa, des Tonga, des Maori
de la Nouvelle-Zélande, de Rarotonga, de Tahiti, de Hawaii (Iles
Sandwich) et des Marquises, enfin dans le dialecte mélanésien des
Iles Fidji.
Oraison dominicale. (Matthieu VI, 9-13.)
Dialecte des Iles Samoa. — Lo matou Tamà e, o i le lagi, ia paia lou
suafa. la oo mai lou malo. la faia lou finagalo i le lalolagi, e pei ona
faia i le lagi. la e foai mai ia te i matou i le aso nei a matou mea e
‘ai e tatou ma le aso. la e faamagalo ia te i matou i a matou agasala,
e pei o i matou foi ona matou faa magaloina atu i e ua agaleaga mai
‘a te i matou. Aua foi e te ta'ila iina i matou i le tofotofoga; a ia e
laveai ia i matou ai le leaga. Aua e ou le malo, ma le mana, atoa ma
le viiga, e faa vavau lava, A m ene1.
Dialecte des Iles Tonga. - Ko e mau Tamai oku i he lagi, Ke tabuha
ho huafa. Ke hoko mai hoo bule. Ke fai ho finagalo i mamani, o liage
i lie lagi. Ke foaki mai lie abo ni haa mau mea kai. Bea fakamolemole e mau agahala, o liage ko e mau fakamolemolea akinautolu kuo
1 O le Tusia Paia, o le feagaiga tuai, Samoan Bible, London, 1887.
faiagahala ldate kimautolu. Bea oua naa tuku aldmautolu ki ha
ahiahi, kae fakamoui akimautolu mei he kovi. He oku oou ae buie,
moe malohi, moe nâunâu, o taegata. Emeni1.
Dialecte Maori de la Nouvelle-Zélande. — E to matou Matua i te rangi,
Kia ta y u tou ingoa. Iiia tae mai tou rangatiratanga. Kia meatia tau
e pai ai ki runga ki te whenua, kia rite ano ki to te rangi. Homai ki
a matou aianei he taro ma matou mo tenei ra. Murua o matou hara,
me matou hold e muru nei i o te hunga e hara aua ki a matou. Aua
hold matou e kawea kia whakawaia ; engari whakaorangia matou i
te kino: Nou lioki rangatiratanga, te Raha, me te kororia, ake, ake,
ake. Amine12.
Dialecte de Rarotonga. Iles Cook. — E to matou Metua i te ao ra, Kia
tapu toou ingoa. Kia tae toou basilea. Kia akonoia toou anoano i le
enua nei, mei tei te ao katoa na. O mai i te Rai e tau ia matou i
teianei ra. E akakore mai i ta matou ara, mei ia matou i akakore i
ta tei ara ia matou nei. Auraka e akaruke ia matou kia timataia mai,
e akaora ra ia matou i te kino. Noou old te basileia, e te mana, e te
kakïï, e tuatau na atu. Amene3*.
Dialecte de Tahiti1. — E io matou Metua i te ao ra, ia raa to oe i’oa'
la tae to oe ra hau. la haapaohia to oe hinaaro i te fenua nei, mai
tei te ao atoa na. Ho-mai i te maa eau ia matou i teie nei mahana. E
faaore mai i ta matou hara, mai ia matou atoa e faaore i tei hara ia
matou nei. E eiaha e faarue i a matou ia roohia-noa-hia e te ati, e
faaora râ ia matou i te ino. No oe hoi te hau, e te mana, e te hanahana e a mûri noa'tu. Amene5.
Dialecte des Iles Sandwich. (Hawaii.) — E ko makou Makua iloko o
1 Koe Tohi tabu Katoa. The Tongan Bible, Loudon, 1881.
Ko te Paipera tapu, Maori Bible, London, 1887.
3 Te Bibilia tapu ra, Barolongan Bible, London, 1895.
* Traduction littérale du texte tahitien. Notre Père dans le ciel soit (sacré)ton nom.
Que vienne ton là règne. Sois obéie ta volonté sur la terre ici comme celle au ciel aussi
là. Donne-moi la nourriture qu’il faut à nous en celui-ci jour. El pardonne nos péchés
comme par nous tous est pardonné à qui péché à nous ici. Ne point abandonner à nous
que nous succombions à la tentation, sauvo mais nous du mal à toi-méme le règne et la
puissance et la gloire à jamais éternellement. Amen.
5 Te Bibilia mo’a ra, Tahitian Bible, Oxford, 1884.
ka lani, e hua nuia kou inoa. E hiki mai ko a aupuni; e malarpaia
kou makemake ma ka honua nei, e like me ia i malamaia ma ka
lani la ; e haawi mai ia makou i keia la i ai na makou nu neia la; e
kala mai hui ia makou i ka makou lawehala ana, me makou e kal'a
nei i ka poe i lawehala i ka makou. Mai hookuu oe ia makou i ka
koowalewale ia mai ; e hoopakele no nae ia makou i ka ino; no ka
mea nou ke aupuni, a me ka man a, a me ka hoonaniia, a mau loa
aku. Amené*.
Dialecte des Iles Marquises. — E to matou motua i te ao, ia tapu to
oe inoa, ia koaa ia oe te ferma ei hakaiki, ia tupu to oe hinenao i le
fenua nei mai to te ao atoa, a tu’u na matou i teie neia o te a o te
kai o tea o te liai, e baakoe i ta matou pio ma te matou haakoe i ta
le tahi pio e moi ia titii atu ia matou ia Roohia matou i te pio e haapohoe ia matou i te mate. Amene12.
Dialecte mélanésien des Fidji. — Tama i Keimami mai lomalagi, Me
vakarokorokotaki na yacamu. Me.yaco na nomu lewa. Me caka na
lomamu e vui'avura me vaka sa caka mai lomalagi. Solia mai vei
keimami e na siga oqo na kakana e yaga.vei keimami. la kakua ni
cudruvi keimami e na vuku ni neimami valavala ca, me vaka kei
mami sa sega ni cudruvi ira era sai valavala ca me vei keimami. lakakua ni kauti keimami ki na vere, ka mo ni vakabulai keimami
mai na ca: Ni sa nomu na lewa, kei na kaukauwa, kei na vakarokoroko, ka tawa mudu. Emeni3.
1 Ka liaibala heinolele. Hawaiian Bible, New York, 1886.
* Buschmann, Textes marquisiens, Berlin, 1H43. Cilé par Fr. Müller.
3 Ai Vola tabu, Puijian Bible, London 1893.
CHAPI TRE XI
CONTES ET LÉG EN D ES, CHANTS PO PU L A IR E S
On pourrait imprimer d’encombrants volumes de contes et lé
gendes en langue tahitienne. Mais, d’un côté, ceux qu’il est possible
de recueillir actuellement, pour nombreux et touffus qu’ils soient,
ne peuvent être considérés que comme des débris des anciennes lé
gendes, des épopées populaires qui se sont transmises oralement de
génération en génération. D’un autre côté, ils sont tout émaillés
d’expressions surannées, de termes archaïques dont le sens échappe
même aux indigènes contemporains. Aussi ces lambeaux d’une lit
térature riche et variée ne valent-ils pas la peine d’être sauvés inextenso de l’oubli et n’offrent-ils guère d’intérêt qu’au point de
vue philologique.
Cependant, les quelques morceaux inédits que nous donnons ici
compléteront le tableau général de la civilisation tahitienne. On y
reconnaîtra la manière naïve, simple et laconique du langage primi
tif, et ils serviront de point de comparaison avec les légendes
d’autres peuples sauvages ou semi-civilisés qui ont été publiées du
rant ces dernières années.
Nous avons ajouté une conversation-type entre indigènes, avec
traduction littérale à côté, pensant qu'elle ne manquerait pas de
saveur locale.
Pour la lecture à haute voix des mots indigènes, on voudra bien
se reporter aux règles données au chapitre X (langue tahitienne).
Quant aux chants, nos aimables collaborateurs ont pensé que la
mélodie seule devait être donnée. Nos procédés de notation ne peu
vent rendre exactement l’harmonie de ces mélopées à moitié sauva
ges. Qu’un esprit hardi s’en aille les recueillir dans un graphophone
et publie, en guise de volume inédit, un recueil de &rouleaux » ou
de « plaques » ... ce sera le meilleur procédé de notation.
E aamu.
E paran paari no te mau Fenua tahiti, papaihia no Taumihau tane.
Te hoe taala o Haamauriri no Maupiti, ua opua oia i tona tere e haere
i te mau fenua, e mataitai.
Faaroo aere te hoe tau vahiné i taua tere ra, haere atura faaau ia raua ia
Haamauriri teie te i’oa i taua na vahiné ra o Urumaraitapu, e o Urumaraihau. Ua to ihora i te pahi ia Aere, ua faatia aéra i te ie, faauta ina vaa mataeinaa, ia aua tamarii, e i a ana taata paari.
Farara maira te mata i ra Toerau faaea era o Urumaraitapu e o Urumaraihau i nia i te Maro ura, tere atura Borapora, imi ihora raua i te tane
ireira e aita iitea.
Ura tia ere teie, haere atura Tahaa, imi ihora i te tane ireira, e aila, tia
era te ie o taua pahi ra, tere atura i Raiateatapae atura i Opoa, imi ihora i
te tane, e aita tia ere te ie, tere atura i te Maru fenua i Matairea, imi ihora
i te tane ireira, e aita. Tia era te ie tere atura i te maru fenua Aimeo, imi
ihora i te tane e aita. Tia era te ie tere atura i te maru fenua i Tahiti, tapae
atura Punauia, tei Bunauia te hoe taata o Teena i te maira taua pahi ra, e
na vahiné inia iho ia Urumaraitapu e ia Urumaraihau.
Horo atura na uta i te Arii ra tei Haapape ia o Teriitaihia, te fenua o Ta
hiti tona i’oa, faaite atura i le Arii e pahi teie e haere mai nei e pili tau
vahiné nehenehe roa i nia iho, parau maira te arii, ia Teena, haere a tapare, e tapae mai, faaite atura o Teena i taua na vahiné ra. e vahiné poria
le tahi na oe te reira e te Arii, e vahiné ivi te tahi nau ia e te Arii e !
■ ■ ■ H
836
Tapae inaira taua palii ra o Acre, parahi ihora taua 11a valiiue ra i nia i
te Maroura, pee atura i ropu i te Mahora o te Arii o Territaihia te ara o
Tahiti.
Pii atura te Arii, liaere mai, parau maira o Orumaraitapu eia te vahiné
poria ia rahi mai te manava e te Arii e, i te tere o te taata iino nei, parahi
maira Terii taihia i tona Aorai, e o Teena i te paeaui. haere atura o Urumarai tapu te vahiné poria i nia i te Arii parahi atura, haere atura, o Urumaraihau te vahiné ivi i nia ia Teena parahi atura.
Hoi atura Teena e taua vahiné i Punaauia, i uta i te peho faea atura raua,
e hapu aere taua vahiné, e fanau aéra e tamaroa, topa ‘tura i tona i'oa ia
Auatoa te raa o Tahiti, tona i‘oa, faaamu atura raua ia Aualoa, e paari atura
taua tamaili ra, hinaaro aere i te Otnore, ua fatahia inia i te fare.
Te ui nei o Auatoa i te metua : e alia teie inia i to tatou fare? faaite
atura o Teena : e Omore te reira, o Teara o tahiti tona Poa.
Tatara maira taua tamaiti o Aua i taua Omore ra, tuu aéra i nia i te rima,
ua parau atura i te metua : e aha te ohipa i teie raau ?
Te parau o Teena e taparahi taata. parau atura Auatoa i te metua : liaapii
oe ia'u i te taparahi taata, liaapii atu ra. o Teena i te tamaiti e ite atura,
parau atura Auatoa e haere au e liaati ia Tahiti haere atura taua tamaiti ra
ua huru paari ua noaa paha e piti ahuru tona inatahiti, haere atura i te oire
i te pae miti, i te vahiné i reira, faaea tura ireira. laoto atura i taua valiiue
ra, ia Teranuimarama, e hapu aéra parau atura i te vahiné e haere i le
oire iuta i te peho Puahu ihora te vahiné i to raua tava, e tava rahi roa, e
ita e mae'e ina taata lioe ahuru ia afai, patia ihora i te Omore ra ia Teara
Tahiti i ropu, faauta a'e ra i te vahiné ia.
Teranuimarama i te tahi pae i taua Omore ra, haere atura, e piti mahana
i te haere raa, farerei aéra i te hoe tau laatatoa, teie ta raua i parau mai : e
Auatoa e! homai ta oe vahiné na maua. e toa oe, e toa atoa maua, le parau
nei Auatoa ia raua a rave afai alu i te pae pape aere ia maha to orua hinaaro
faarue mai, rave aéra taua 11a toa ra i taua vahiné ra afai atu ra, aita i vaiho
aahou, imi atura Auatoa i le pae pape e aita, riri aéra Auatoa patia e ra i
te poro Omore i nia i te ofai pee atura Auatoa na mua mai, tia maira parau
atura i taua na aito ra ua polie, patia tura i te tahi, puta ihora faaroo aéra
te metua 0 Teena i te haruru parau aéra ua polie te taata ia Aualoa te haruru ra te Ara 0 Tahiti rave hia taua taata ra taata ra faatia hia te avae i
nia patiti hia te upoo iraro i te vari. 11a reira atoa i te tahi, rave aéra i te
vahiné haere atura i te Metua ra faaea tura ratou i taua oire ra e fanau
atura taua vahiné ra ia Auatoa fanau aéra e tamaroa, i te fanau raa ra aita
e taata i fanau mai te reira te huru, ua roaa paha ia hoe etaeta i te roa i
loua fanau raa mai, ua mairihia lona i'oa ia Honourariaria aéra le metua o
Auatoa afai hia atura i te aua i te vaite piha iti vaiho hia ’tu ireira, fanau
faahou taua vahiné ra ia Auatoa e Maeliaa o Tai iti e o Tai nanu. Tupu
aéra te tere o te hoa Taihia, e haere i te peho e tapu i te i'e, ua parau aere,
te varua ia Ilonoura atia i nia, a Manava i te hoa o te Arii ia Tautu, ua tia
era i nia manava ‘tura taua taata roa ra ia Tautu.
Ua ui atura e haere oe ihea? parau maira Tautu e haere au e imi i
te raau i'e, haere atura oia e aila i maoro tupu atura tona maere i taua
taata ra ia Honoura, hoi atura faaile i ta Arii o Taihia e taata tau
i te iroto i te faa, ua î roa te peho i taua taata ra, parau maira te Arii
îa Tautu, haere oe, e parau ia'na e tia inia tia atura taua taata ra Honoura
i nia e faito aéra te tau opu i te maua ra ia Tahuareva e hau atu ra puta
’tura te upoo i roto i te ata parau aéra atira paha, i reira parau maira te
varua eiaha faaino hia oe e tahiti hia o ihora, na nia iho, i te atura i te oire
0 Temetua, oia Auatoa patautau aéra i te maua ia Tahuareva, teie tana
parapore :
No onei oe i ô tarai noa i te rara e tau o mamao rii erere i te tumu i
Tahuareva, Tiria i te tere ra mata fene o mûri hau anae tai e tai a tu nei,
to'u a ia iite na i pae tahaa, tai ai tei po i te vaa o tane o Tau moua iti e o
Tahuareva.
Fatata ‘tura oia i te pae rai lia i atura o Tahiti nao aéra le taata roa e
parauhia. e le hiti ae ra te râ te haere atoa ra te upoo inia, e inaha aue
atura to te fenua ite ite ra’atu i te upoo o Honoura, ua piri i te pae rai ua
parau aéra Honoura e Tautu e, e alia ihora te hopea i te faaue na oe, na o
atura Tautu taua i te faa i fatu tira, e ainu i te fei, tiria ihora iraro taua
taata roa ra, timenemene i te tumu o Tahuareva tiroro'a tura ite tumu o
Tahuareva ; Taoto maite atura i roto i te aua, faaue atura te Arii Taihia, e i
naa taate e haere i te peho i te maa haere atura ra raton, e ite maira Honoura
ua ui maira e haere oulouhia"? parau maira e haere, i te maa na te Arii,
haere atura ratou e roaa maira te maa parau atura vaiho ionei, e eu te maa
a te Arii, afai atu ai, vaiho atura i ta Honoura i parau mai eu atura ra tou
1 taua maa rahi ra eama ihora parau atura Honoura atu fatata tou ma’a e
paetufaa na tau varua te talii, na reira tura, i ta Honoura i parau haapahu a
tu ra i te pape i Vaitepiha iti, huri atura i te maa iroto i taua pape ra e
te haari te puhi te pura rapu hia tura iroto i taua pape ra, parau atura
Honoura i te mau taata haere mai aarnu e afai ta te Arii i tai; amu ihora
ratou, aita i pau, mai te amu â ïa a te taata nei, parau maira a rave ra te
maa a te Arii afai, parau atura ratou aila e matai, nao mai ra Ilonoura
vaiho mau e amu ta te Arii ma'a, faahamama ihora i te taa nia piri atura
i te pae rai, Amu iliora i taua maa rahi ra, te fei e te puhi te oura pape te
haari e te ofai e taua pape haapahu liia ra pau roaa ’tura iroto ia Honoura
maere iliora te taata, hoi atura te taata i tahatai aita e maa, i te maira te
Arii Taihia e aita e maa parau maira tei hea tura hoi te maa, faa ite mai ra,
ua pau i te taata nui ra ia Honoura, faaue faaliou atura te Arii i te vaa
mataeinaa e haere i te maa, haere atura ratou, e fatata tura pii atura e
Parai manau e, faaroo aéra Honoura o vai ra ia e tia ore hia ra e ere ia i
tou i'oa o Paraimamau. Oinaui tua maui aro e Mauiteipo avarua e o Honoura
toa i tee puu maruea to‘u ioa. Patia ihora i te ô raro i te repo hamani
ihora i te umu e mea iti rahi, papai ihora i te value, e vahie iti rahi, hio
ihora i ie auahi, ama e ra, tae maira te vaa mataeinaa, e te maa 'toa piehi
atura Honoura i taua ahi maa ra huri atu ra i te maa a taua vaa mataeinaa
ra iroto, haapoi atura, riro atura taua umu ra, mai te hoe mau'a te teitei,
E ia ama tau umu ma'a ra parau atura Honoura i te vaa mataeinaa, e huai
i taua umu ra, huai atura ra tatou, hoe mahana hoe po aita i maheu, parau
atura i taua taata nui ra, eita e roaa, ta tatou maa, ua parau atura oia ia
ratou, faatea outou, patia ihora te rima Honoura i ropu ua ope atura i te
repo roaa maira te maa, parau atu ra Honoura i te mataeinaa, a huri te moa
i raro i te pape, huri atura ratou i taua maa rahi ra, te uru, te fei, te apura,
te ape, te mau huru maa tahito, ua huri iraro i te pape, haapahu atura i te
pape, rapu atura i taua maa ra, parau atura Honoura i taua mau taata ra,
e amu outou, ia paia afai atu ai to te Arii, amu ihora ratou, e toe ihora te
rahi o te maa, rave ihora ratou e afai na te Arii Taihia e aita maitai ua paruparu roa taua maa ra, parau atu ra ratou e Honoura eita e maitai te maa a
te Arii, parau maira Honoura : Atira ia Amu ihora Honoura i taua maa rahi
ra, pau roa tura te maa e te pape atoa e te ofai i roto i te opu o Honoura
paia rahi tona, taoto atura i te paepape, ite aéra te lupuna i tau ohipa ra
haere mai ra ia Honoura, ua taoto, ua tupuhia e te mape, parau atura te
tupuna, te polie o te taata iino e, faaroo aéra Honoura i te reo o te tupuna
oia Teena, parau aéra Honoura tei hea te toa parau atura tei Hiva te toa, te
pua'a aitaata i te puo o Malm parau aéra o Honoura, a tii i te Omore ra ia
Ruaipoou, e te pahu tei roto i te marae inia i te paepae, parau atura oia
aita vau iite Tia aéra Teena haere atura, i le oire, faarue maira i te mootua
ia Honoura faaite atura i te Mataeinaa e huri i te paepae e rave i te Omore
ia Ruaipoou e te pahu ra ia Taifaote raa i haapu, Iriti iho raa te taata i
taua Omore ra e aita ima maa faaite atura io Honoura e ita e manaa te
— 239 —
Omore i te taata ia iriti, Tiei atu ra, Honoura i tana rima rave maira i taua
Omore ra e te pahu.
Tupu atura te hamani ino o Teena i taua tamaiti ra ia Honoura. Faaue
atura te Arii ia Taihia, e hamani i te pahi, hama hia taua pahi ra, e ia oti
faalia hia te tira faatomo liia i te ofai, tono atura te vea ia Honoura e haere
mai e tô i taua pahi ra parau maira Honoura ua tia, faaite hia’tura oia e ore
le pahi o te Arii ia tae irairo i te miti e pohe oe, tia 'tura Honoura i nia,
parau atura eihea te pahi o te Arii lutau ai, parau atura Tautu te hoa o
te Arii, eite aehaa parau aéra Honoura e mea maoro, Tia ihora Honoura
i te reimuri i te pahi, palautau aere teie te parapore no taua tô raa i te
pahi ra.
E te pahi nui nei e, e te ivi o te au mo‘a e !
Atu mai a haera, o taua nae teie faatu i te tira o Tearii Taihia e fano i te
rau pua atea, Titi rorea, ta ta rorea, o tuatua e! e tuau te pahi, ua pua noa
mai e te torea a iriti tore i te tau rehia, horo iuta unairao mata nevaneva,
a tahi ruperupe iti na tatou apiti ruperupe iti lia tatou, o Arii Taihia ua
rere i tona aia, A iriti tore i tau rehia !
Tae atura te pahi i te tai haere roaTura i te aehaa, tutau atura i reira i ta
Tautu faaue ra, hoi maira Honoura i uta, Te ui hia nei, tei hea te pahi o te
Arii, faaite maira Honoura tei te aehaa, haere atura te taata e uni e maha
maliana, aita roa iitea, iioi maira, faaite aiha te pahi o te Arii, faaue atura
ia Honoura e tii i taua pahi ra li atura oia i vaua pahira i te aehaa, afai mai
ra i te pae fenua tutau atura ireira parau atura Honoura i te metua ia Auatoa
tei hea te loa faaite maira te inelua tei hivaoia Raialea, o hiva ia i te parau
la hito, tei reira te toa ra, te pua’a aitaata i te puo o Mahu, hinaaro aéra
oia e tii i taua toa ra taparahi, ua parau atura i na teina, e hamani i te pahi e,
haere i liiva, hamani ihora raua i taua pahi ra ia oti haere atu ra ratou i
taua tere ra, farerei atura i taua toa ra patia ’tura i te tura i te omore ra
ia Ruaipaau puta 'tura naroto i te vaha e i mûri mailia ‘tura, irapae, polie
atura tau a toa ra, amu ihora ra tou, aita i pau afai atura i te toe na Aua
toa imi faaliou i te toa i te Auroa, e aito puai te reira o te Auroa. patia
ihora Honoura i taua toa ra, e pohe atura, pohe atura, amu atura ra tou i
taua au ra, aita i pau afai atura i te toe na te metua. Hoi atu ra Honoura
i Tahiti e te pelio paraiù atura, faalia tura i tona fare, afefe te faa, afefe atoa
te fare, afaro le faa afaro atoa te fare parahi atura Honoura i taua fare nui
ra e na Teina, o Tainanu e o Tai iti, iroto i taua fare ra ra ia Temao roa
iata.
Tirara.
I.
—
2'»0
-
U ne lég en d e.
Tradition fabuleuse des Iles Tahiti, écrite par Taumihau fane.
Un homme de Maupiti, nommé Haamauriri, résolut de faire un
voyage de découverte dans les îles.
On sait qu’il pritavec lui deux femmes, l’une s'appelait Urumairaitapu et l’autre Urumaraihau. Ils mirent à l’eau le bateau « Aere », la
grande pirogue du district, hissèrent la voile et s'embarquèrent, les
enfants d’un côté, les adultes de l’autre.
Bientôt le vent du Nord-Ouest, le toerau, s’éleva ; on toucha à BoraBora; Urumaraitapu et Urumaraihau, ceintes de la ceinture rouge,
cherchèrent un mari et n’en trouvèrent point.
N’en trouvant pas ici, on touche à Tahaa pour chercher des maris ;
il n’v en a pas, on s’en va à Raiateaet l’on débarque à Opoa ; on cher
che des maris, il n’y en a pas ici; on remet à la voile pour la douce
terre, Matuirea ou Huahine; n’y trouvant pas de mari, on passe à
Aimeo ou Moorea, sans plus de succès, et l’on fait voile enfin pour
Tahiti où l’on jette l’ancre devant Punavia. Dans le voisinage du lieu
où l’on aborda se trouvait un homme du nom de Teena qui aperçut
les deux femmes, Urumaraitapu et Urumaraihau. 11 courut vers la
montagne, à Haapape, où se trouvait le roi Teriitaihia et lui annonça
qu’un bateau venait d’accoster amenant deux femmes d’nne grande
beauté. Le roi lui dit: Va leur faire signe de débarquer. Teena dit
au roi : De ces deux femmes, l’une, la grande et grosse sera au
roi, et l’autre, la maigre, sera pour moi.
Le bateau de A.ere accosta donc, les deux femmes avec leur cein
ture rouge s’en vinrent l’une derrière l’autre à la cour du roi Terii
taihia de Tahiti.
Le roi éleva la voix et dit: Venez! 11 dit ensuite à Urumaraitapu la
femme grasse: Sois la bienvenue!
Le roi était dans son palais et Teena à sa gauche; Uruma.raitapu,
la belle femme grasse, vint à lui; quanta Urumaraihau, la femme
maigre, ce fut Teena qui l’emmena.
Il s’en alla avec cette femme à Punavia et ils habitèrent dans la
vallée. Celte femme conçut et enfanta un fils auquel elle donna le
nom de Auatoa-le-sacré de Tahiti. Ils élevèrent Auatoa et, quand il
fut devenu adulte, il voulut avoir une flèche qui était plantée sur la
maison.
Auatoa demanda à son père : Quel est ce morceau de bois sur notre
maison? — C’est la flèche de guerre, expliqua le père.
L’enfant détacha la flèche, la tint dans ses mains et demanda:
Quel est l’emploi de ce morceau de bois? — C’est un tueur d’hom
mes. répondit Teena. — Apprends-moi ce que c’est qu’un tueur
d’hommes. Teena le lui apprit. Auatoa dit: Je veux aller à Tahiti. Il
y alla. Il avait envir on vingt ans. Il alla dans le village, au bord de la
mer pour y chercher fortune. Il y trouva une femme avec laquelle il
dormit.
Cette femme se nommait Teranuimarama. Elle devint enceinte.
Auatoa lui dit : Allons au village de la vallée de Pualru. Ils y allèrent
dans leur grande propriété, si grande que dix hommes n’en pour
raient mesurer l’étendue. 11 planta la flèche au milieu et s’en alla en
laissant sa femme Teranuimarama près de la flèche. Après deux
jours de marche, il rencontra deux guerriers qui lui dirent: O Aua
toa ! prète-nous ta femme à nous deux: tu es un guerrier, nous le
sommes de môme. Auatoa leur répondit : Prenez-la. amenez-la près
de l’eau et satisfaites votre désir.
Il s'en retourna. Les deux guerriers allèrent chercher la femme.
Quand Auatoa arriva au bord de l’eau, la femme n’y était pas, il la
chercha en vain ; il se mit en colère, brisa le manche de la flèche sur
un rocher. Il rencontra ensuite les deux guerriers; ceux-ci lui dirent
que sa femme était morte. Il tua l’un et blessa l’autre. Son père
entendit alors sa voix ; cette voix était comme le tonnerre et Auatoa
disait; « Prenez cet homme, placez-le les jambes en l’air et clouez sa
tôle dans la boue. » C’est ce qu’il fit des deux guerriers. 11 retrouva
alors sa femme et retourna chez son père. Ils demeurèrent dans le
village où la femme de Auatoa mit au monde un fils. Jamais on ne
IG
vit un nouveau-né si grand que celui-là ; il mesurait peut-être une
brasse à sa naissance. On l’appela Honourariaria; ensuite son père,
Auatoa, le mena dans une caverne, hantée par des esprits, où il
resta. La femme enfanta encore des enfants à Auatoa, les deux
jumeaux Tai iti et Tai namu.
L’ami de Tailiia fit alors un voyage et alla dans la vallée pour
couper une plante appelée i‘e. Alors l’esprit dit à Honoura : Debout !
Sois le bienvenu, ami du roi ! Tautu, debout, sois le bienvenu !
Il demanda ensuite: Où vas-tu ? Tautu répondit: Je vais chercher
de la plante de Le. Il alla et peu de temps après, grand fut son éton
nement de voir Honoura. Il revint et raconta au roi Taihia qu'il y
avait, dans la vallée, un homme qui la remplissait tant il était grand.
Le roi dit à Tautu : Va et dis-lui: Lève-toi. Il alla vers cet homme et
Honoura debout était si grand que son ventre touchait à la montagne
Tahuareva et sa tète se trouvait dans les nuages.
Il dit C’est assez! L'esprit dit alors: Qu’il ne te soit pas fait de mal
à toi qui viens de Tahiti. Entre dans le village de ton père Auatoa. Il
dit et raconta la légende suivante:
«Tu viens ici toi qui coupes les branches du tronc de Tahuareva
pour faire une offrande aux dieux. Serviteur des dieux qui as fait le
voyage des six îles, allant d’une mer à l'autre.
Bientôt il regarda de l’autre côté du ciel pour voir le lever du
soleil et quand le soleil se leva il vit que c’était Tahiti; alors il
demanda: Quel est ce géant qui a parlé? Le soleil étant levé il s’en
alla la tète en haut et il se trouva dans la terre qu’il connaissait et la
tête de Honoura était tout près du ciel. Alors Honoura dit : O Tautu,
quel est le but de ton ordre? Il alla ensuite dans la vallée et mangea
du fei ; il s’étendit à terre ; ce géant avait arrondi le tronc de Tahua
reva et il dormit les jambes écartées sur le tronc de Tahuareva. Il
dormait dans l’enclos quand le roi Taihia ordonna à ses hommes
d’aller dans la vallée chercher de la nourriture. Ils y allèrent et ren
contrèrent Honoura qui leur demanda: Où allez-vous? Ils dirent:
Nous allons chercher de la nourriture pour le roi. Ils en cherchèrent
une grande quantité; il leur dit: Gardez-la ici et faites-la cuire pour
le roi. Ils apportèrent la nourriture et la gardèrent comme Honoura
243
l’avait dit, et la firent cuire dans le four. Alors Honoura dit: Il faut
bientôt mettre de côté une certaine quantité pour l’esprit. Ensuite
Honoura dit: Arrêtez le cours de l’eau du petit ruisseau de Vaitepiha. Roulez la nourriture dans cette eau, les cocos, l’anguille, les
écrevisses, mélangez cela dans cette eau. Honoura dit alors à ces
hommes: Venez manger et apportez au roi sa part; ils mangè
rent, mais non pas tout. Quand ces hommes eurent mangé, il
leur dit d’apporter de la nourriture au roi; ils répondirent: Ce
n’est pas bon. Alors Honoura mangea la part réservée au roi, puis
il bâilla, leva sa mâchoire supérieure et regarda vers le ciel; il
mangea énormément, le fei et l’anguille, les écrevisses et les
cocos et les pierres mêmes avec l’eau du ruisseau qui avait été
détournée.
Les hommes étaient étonnés de voir Honoura manger ainsi. Ils
retournèrent dans la plaine et dirent au roi Taihia:Il n’y a pas de
nourriture. Le roi demanda : Où est la nourriture? Ils lui firent savoir
que c’était le géant Honoura qui l’avait, mangée. Le roi commanda
de nouveau de prendre la prrogue du district et de chercher de la
nourriture. Ils partirent bientôtet appelèrent Paraimamau. Honoura
les entendit et demanda: Quel est ce nom? Je ne m’appelle pas
Paraimamau. Maui tua, maui aro et maui teipo sont des esprits et
mon nom est Honoura i te puu maruea, le guerrier. Il creusa la terre
avec un bâton, fit un four immense, entassa beaucoup de bois, cher
cha le feu et alluma. La pirogue du district revenait chargée de nour
riture. Honoura enleva les pierres brûlantes du four, chercha les
vivres dans la pirogue du district et les entassa sim le four qui
devint aussi haut qu’une montagne. La nourriture cuit dans le four
dit Honoura; laissons le four couvert et ne le découvrons pas pen
dant un jour et une nuit.
Ils dirent à ce géant: Nous n’avons plus notre nourriture mainte
nant. 11 leur répondit: Consolez-vous. Il enleva la terre qui recou
vrait le four, découvrit la nourriture et dit aux gens de la pirogue:
Roulez la poule dans l’eau, roulez aussi cette nourriture, ces fruits
de l’arbre à pain, ce fei, cet apura (espèce de taro), ce hape (autre
tubercule), et toutes les sortes de nourritures anciennes ; retenez le
%
->
cours de l'eau et mélangez ces vivres dans l’eau. Ainsi Honoura dit
à ces hommes-là: Mangez maintenant et apportez à manger au roi.
Us mangèrent et il restait beaucoup de vivres; ils les prirent et les
portèrent au roi Taihia. Mais ces vivres n’étaient pas bons; ils étaient
gâtés, c’est pourquoi Honoura dit: Elle n’est, pas bonne, cette nour
riture pour le roi. Honoura dit alors: C’est assez, et il se mit à
manger une énorme quantité de vivres; il mangea tout et l’eau et
les pierres aussi : tout passa dans le ventre de Honoura qui était tout
à fait plein. 11 dormit à côté du ruisseau. Son ancêtre sut la besogne
qu’il venait de faire; il vint lui chercher querelle; il le vit dormant,
les entrailles pleines et dit: Ce méchant homme est mort. Honoura
entendit la voix de son ancêtre, Teena. Honoura dit: Où est le guer
rier que tu as nommé Hivatetoa, le mangeur d’hommes, le man
geur de la moelle de Mahu? Honoura dit: Va chercher la flèche
« Ruaipoou » et le tambour qui est dans le marae sur le pavé du
marae. Il répondit : Je ne sais pas où ils se trouvent. Teena se leva,
alla dans le village, commanda aux gens (lu district de rouler les
pierres du marae, prit la flèche « Ruaipoou » et le tambour. Tai faote
s’était réfugié là, et avait enlevé la flèche; il dit à Honoura que la
flèche ne s’y trouvait pas. Mais Honoura l’arracha de ses mains ainsi
que le tambour.
Alors Teena recommença d’agir mal avec son fils Honoura. Le roi
Taihia ordonna de faire une pirogue à balancier, et quand elle fut
achevée on hissa le mât, on chargea de lest et On porta à Honoura le
commandement du roi : Viens combattre ce bateau-ci. Honoura se
leva et dit: Sache que si le bateau du roi ne s’en va pas au loin sur
la mer, tu es mort. Honoura se leva et dit: Où est le bateau du roi,
où est-il ancré'? Tautu, l’ami du roi, lui dit: Il est au large. Honoura
monta seul sur la proue du bateau et entonna le chant suivant pour
chanter le combat naval de ce bateau :
«O grand bateau, et les morts de la sainte guerre reculez! Voici
le chef de la barque du roi Taihia ; il fait voile au loin au delà des
coraux. Titi rorea, tata rorea, e tuatua e!
«Ce bateau est un ravageur. L’hirondelle est venue, le pigeon
aux yeux égarés vole vers le rivage. Un beau petit pigeon vient
à nous, deux beaux petits pigeons viennent à nous. Le roi Taibia
s’est enfui dans son refuge. »
Le bateau s’en retourna sur la mer, s’avança au large, jeta l'ancre
à la place où Tautu avait ordonné de s’arrêter. On demanda alors :
Où est le bateau du roi? Honoura dit: 11 est au large. Les hommes
allèrent à sa recherche pendant quatre jours, ne le trouvèrent pas;
ils revinrent et dirent qu’ils ne trouvaient pas le bateau du roi. Le
roi ordonna à Honoura de chercher ce bateau, il alla chercher le
bateau au large, l’amena à terre et jeta l’ancre. Honoura dit à son
père Auatoa: Où est le guerrier? Le père dit qu’il se trouvait dans la
tribu de Raiatea, dans le Hiva, selon l’expression ancienne; c’est là
que se trouvait le guerrier mangeur d’hommes, le mangeur du cœur
de Malm. Il désira se rencontrer avec ce guerrier et le tuer. Ils
firent un bateau et mirent à la voile pour se rendre au Hiva. 11 ren
contra le guerrier, lança sa sagaie et la flèche «Ruaipaau » le frappa
dans la bouche et par derrière aussi, et le tua. Ils mangèrent ensuite,
lias tout cependant, et apportèrent les restes à Auatoa; il rencontra
de nouveau le guerrier Auroa, un vaillant guerrier celui-là ; Honoura
le transperça, il fut lué; ils mangèrent, mais non pas tout et portè
rent le reste au père.
Honoura revint à Tahiti et resta dans la vallée où il bâtit une mai
son ; il y resta ainsi que Teena et les deux jumeaux Tainanu et
■Taiiti. Cettejmaison fut appelée Temaoroaiata.
C’est tout.
246
-
H im ene no Tupaia no te M atahiti 1897 no te 14 no T iu ra i.
A re a re a a F a ran i.
C hant de T u p aia p o u r l’an n ée 1897, p our le 14 de ju ille t.
F ê te de la F ra n c e .
Transcrit par Taumihau l. à Uturoa, Raiatea.
1. Faahanahâna na‘e tatou i te
Hau Repupirita o tei fa'a li a liiàe te
Hau metuà, ite pae moàna Oteània
nei.
2. Manavâ i te reva Farani o tei
huti liià, inia ina Fenua nei ua oaoa
tona Fènua nei i te Faariro raa hia
ei hoe1 i te huti raa hia o te reva
Farani.
3. Torea iti une arere arere ae ua
Uturea tau raa tei nuutere mea puhia te mata i, te mata i e farara mai
maraai taurere te mata'i, tau turumai
i te mau himene i te faatura raa i to
reo, to reo. Ofai rua2 tamahine
haere te oroa Tiurai e.
1. Gloritions tous le Gouverne
ment de la République protectrice
et le Gouvernement de nos pères,
de ce côté des mers, en Océanie.
2. Bienvenu sois le pavillon fran
çais, lequel est hisâé sur cette terre
ici! Elle est joyeuse, cette terre ici,
pour être devenue unifiée par l’érec
tion du pavillon français.
3. Petite Hirondelle, messagère
d’Uturoa, message qu’emporte avec
rapidité le vent ; le vent souffle vers
nous, du Sud impétueux souffle le
vent; aide-nous dans les chants de
glorification par la voix des deux
pierres; filles, allez à la fête de juil
let.
4. la ora te Hau Repupirita, huro!
4. Vive le Gouvernement de la
Ja ora te Peretiteni, huro ! ia ora te République, hourra! Vive le Prési
Tavanahau, huro!
dent, hourra ! vive le Gouverneur,
hourra !
1 C’est-à-dire pour avoir été de nouveau unie après une division d'environ dix ans.
* Allusion aux deux pierres célèbres dans la tradition de Raiatea. Voir page i 3. Le Mé
hari, la montagne sacrée, se trouve au Sud d’Uturoa.
247
C onversation e n tre in d igènes.
Ceci est un spécimen de la conversation habituellement échangée
entre indigènes qui se rencontrent. Lin couple est assis (en tailleur)
sur sa véranda au bord de la route, à l’entrée du village d’Uturoa.
Le mari. Moehonu lane, fabrique un hameçon de nacre pour la
pèche du thon. La femme, Moehonu vahiné tresse la paille d’un cha
peau en fumant une cigarette. Survient le chef du district éloigné
de Vaiaau, Mataute lane portant sur l’épaule un bambou auquel
sont suspendus des cocos et un mouchoir noué contenant ses
vêtements de rechange. Dès que celui-ci est en vue, le couple Moe
honu l’accueille par le traditionnel : Haere mai ne! Viens ici. L’omis
sion de cette formule de politesse serait une offense tout à fait ex
traordinaire, et notre Mataute va entendre le môme appel en passant
devant chaque case. 11est tenu, en échange, de dire où il va, tout au
moins de prononcer la formule: «Je vais, et je reviendrai, et vous
restez», Haere au, ehoi mai au paralii, outou! Il s’approche ici, et ré
pond avec affabilité : la ora na orna, e borna e ! Vivez vous deux, mes
amis!
Moehonu ma. — la ora na oe. No
hea mai oe?
Mataute. — No Vaiaau mai au.
Mea roa te pu ru mu.
Moe. — Na tai mai anei oe ?
Mat. — Na uta mai. 0 to’u mau
tamarii, na tua mai ratou.
Moe. — Na nia anei oe i te puaahorofenua?
Mat. — Aita! Na rare noa: ua
pohe i te mai o to’u puaahorofenua.
Moe. — E aha to’oe tere?
Vis toi. D’où viens-tu?
De Vaiaau viens-je. Chose longue
le chemin.
Par mer viens, est-ce que toi?
Par terre viens. Mes enfants par
mer viennent-ils.
Sur est-ce que toi le cheval?
Non pas ! par terre seulement : est
malade mon cheval.
Pourquoi ton voyage?
Mat. — Aita! e haere noa vau i
Uturoa. E aha te parau api i Utu
roa?
Moe. — Aita roa’tu te parau api
i to matou oire. Parahi noa r;\ te
taata. Ua faaroo noa o matou i haere
mai te tahi Tavanahau api no Farani.
Mat. — Aue tatou e! E taata marii
anei oia?
Moe. — Taata mat h paha? Aita e
papu maitai. Taata poria ona. Mea
iti tona paparia. A piti urii ia na
To-maua inanao e taata maitai ona.
Mat. — Oia mau ! Tamata noa.
Toohia ta-orua tamarii?
Moe. — Tooono a maua tamarii :
a toru tamahine, a toru tamaroa.
Tei te matahapio, o Teipo vahine
tona i’oa.
Mat. — Aue ! Potii nehenehe oia !
Moe. — Ae! ua i te maitai oia i te
reo farani : ua haere oia i te liaapi
iraa farani i te mau mahana' toa.
Pas (de but) vais seulement je à
Uturoa. Quelle parole nouvelle à
Uturoa?
Pas du tout de parole nouvelle
dans notre village. Restent seule
ment mais les hommes. Entendons
seulement nous est venu un Gou
verneur nouveau de France.
Ah ! nous tous! Un homme doux
est-ce que lui?
Homme doux peut-être? Pas est
clair bien. Homme gras lui. Peu sa
barbe. Deux chiens à lui. A nous
deux pensée un homme bon lui.
C’est juste! Essayons seulement.
Combien à vous deux enfants?
Six à nous deux enfants : trois fil
les, trois garçons.
Voici l’ainée, c'est Teipo fille son
nom.
Viens ! Fille jolie elle!
Oui! sait bien elle la langue fran
çaise, va elle à l'école française les
jours autres (c’est-à-dire, tous les
jours).
Où à vous deux les garçons?
Mat. — Teihea ta orua mau tama
roa'?
Ils pèchent eux. Vois! Là-bas vien
Moe. — Tei tai'a ratou. Ahio!
nent eux dans la petite pirogue. Eh !
teie mai nei ratou i te vaa rii.
Maitu! du poisson est-ce que à vous?
E Maitu e! e i'a anei to-outou?
Un peu de poisson !
Maitu. — E i'a rii!
Moe. — E i'a ha?
Du poisson quel?
Du maquereau est.
Maitu. — E operu ia. '
Combien est?
Moe. — E hia ia?
Chose petite grande (petite ren
Maitu. — Mea iti rahi.
force l’expression).
Apporte ici. Oui, c’est vrai. Beau
Moe. — Afai mai na. E! parau
mau! Mea rahi roa te maa ! E Ha- coup très la nourriture!
'J49
pairai e! a tahu ue liaapeepee i te
auahi e tunu i te maa.
Malaulc. — A ! haere au ! Parahi
outou. la ora na i te parahiraa
Moe. — Eiaha paha e haere oe.
Eita e rû. Mea rohirohi oe i to oe
haere raa mai mai Vaiaau mai. Pa
rahi rii i onei, e tamaa tatou e i’a
rahi to matou.
Mataute. — Atira! e parahi rii au.
E ohipa anei ta-outou i teie uei mataeinaa?
Moe. — Ohipa! E raverahi te ohi
pa. Ohipa purumu, ohipa tare haapiiraa, ohipa no te hau, ua rau te
liuru, te aua, te peue. te vaa. le tanuraa maa. Tei te moniie te arearea
rahi à Farani
0 Hapairai! allume toi vile le feu
pour cuire la nourriture.
Ah! je vais! Restez-vous. Salut à
ceux qui restent.
Pas du tout peut-être aller toi.
Pas de hâte. Chose fatiguée toi de
ton voyage vers de Vaiaau ici. Reste
un peu ici mangerons tous, poisson
beaucoup à nous.
C’est assez, resterai un peu moi.
Ouvrage est-ce que à vous dans ce
district?
De l’ouvrage ! Beaucoup d'ouvra
ge. Ouvrage des chemins, ouvrage
de l’école, ouvrage du Gouverne
ment, cent espèces : les barrières,
les nattes, les pirogues, les planta
tions de fruits. C'est lundi la fêle
grande de France (le 14 juillet).
Mat. — Eha te patau no to outou
Quel est le chef d’orchestre de
votre chœur?
pehe?
Moe. — O Tupaia lane ! Taala ite
C’est Tupaia homme ! Homme sa
ona. Ua hamani oia i te talii himene vant lui. A composé lui un chant
api. To matou manao te re inatamua nouveau. Notre idée le prix premier
à lui.
no na.
Mal. — Ua ite outou i te himene
Savez-vous autres le chant très
maitai roa Aita paha o matou.
bien. Pas peut-être nous.
Point! Savez bien vous aussi. Ah!
Moe. — Aita! Ua ite maitai outou
atoa. Ae ! ua oti le maa. Ta maa ta est finie la cuisson de la nourriture
tou.
Mangeons !
Te rohu Atua teie no Maurua, no Porapora, no Tahaa, no Raiatea,
no Huahine.
Tutaitutai au i te Fenua i te poripori tia pari e! Tutai à i te fenua
man, mai te aere o Maurua, te pii ra te tuahine o Hina, i nia i te au-
—
350
.
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peuvaru : e Rù e I o vai ia fenuaS O Maurua nui te afea. Te liai ia i
tira hia e Rù, u Maurua nui te afea Mai te reira toa Borabara i te hoc
mamu e moe te heiva, mai te réira toa Tahaa nui moral hau, mai te
reira toa, Raiatea nui auha te marari, i pa ran hia'i auha te marari, e
taparahi taata tana ohipa, e orurehau, auha e to ere tana, e auha
tana toroa, emarari te fcnua ia na. aita Iona raàtira.
Na Tùamih'au.
Ceci est l’histoire des dieux de Maupiti. de Bora-Bora, de Tahaa,
de Raiatea. de Huahine.
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(Cette phrase est le lambeau d’une ancienne prière païenne dont
le sens échappe à la génération présente;) '
L’ile de Maupiti sort du firmament; la sœur de Hina (déesse) appëla le dieu Rù, celui qui étendit le ciel et lui demanda: Quelle est
cette terre? C’est. Maurua nui te afea. Elle a été créée par Rù, l’ile de
Maurua nui te afea. Ensuite aussi Bora-Bnra i te hoe mamu e moe te
heiva, ensuite aussi Tahaa nui auha te marari, ensuite aussi Raia
tea nui auha te marari, et voici l’explication de ce nom : Auhà est un
brigand, un trouble-paix, il tue sans combat, brigander est son mé
tier, et Marari est sa terre, dont il n ’est pas le chef.
Noté par Taumihau.
E parau paari no te mau fenua tahiti Ra'iatea e Tahaa. Matairea oia
Huahine, Vaiotaha oia Borapora, te parau na te opu na Toofa.
O Mateirea te taa nia,
TeVii maro uri te Arii,
E hau Moorere te hau ;
O Vaiotaha te taa rare,
O Terii maro tea te Arii,
O Vaitape te hau;
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351
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0 Taputa puatea te arâpoa,
O Terii maroura te Arii;
0 na Toofa te opu
1 parau hia‘i te opû na Toofâ.
Na Taumihau.
Un vieux dicton relatif aux îles tahitiennes de Raiatea et Tahaa, Matairea,
o’est-à-dire Huahine, Vaioiaha, c’est-à-dire Bora Bora, dicton de Toofa.
C’est Matairea la mâchoire supérieure
Le roi à la ceinture noire le Roi,
Le Gouvernement à Moorere;
C’est Vaiotaha la mâchoire inférieure,
Le roi à la ceinture blanche le Roi,
Le Gouvernement est à Vaitape ;
C’est Taputapuatea1 la gorge,
Le roi à la ceinture rouge le Roi;
Ceci est la pensée de Toofa,
C’est dit par la pensée de Toofa.
Noté par Taumihau.
Un des noms poétiques de Raiatea.
Ra ia te a .
fenua he-re no to o - e mau ta-ma-ri - i, Ra‘-i - a-te-a!
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Raiatea.
(Traduction.)
Raiatea, ma Raiatea !
Raiatea, terre chérie
Par tous tes enfants,
Raiatea florissante,
Terre aimée de tes enfants,
Terre chéris de tous tes fils
O Raiatea !
Ton ciel est suave et enchanteur,
Ton firmament est plein d’une lumière nacrée
O Raiatea !
Musique notre par M. Roth de Markus à Yevey.
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pe - u ne he ne he Tei to m a-tou haa pi - i-raa nei.
Pour les petits enfants.
(Traduction.)
Petits enfants, êcoutez-moi.
Je vous enseignerai les bonnes mœurs,
Je vous ferai connaître le bon et le beau,
C’est là ce qu’on apprend dans notre école.
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Musique notée par M. Roth de Markus h Vevey.
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u ha - a - pu - u - raa
mai ai te ve - e ro
Ta-u pa-ru-ru ra - hi - mau.
O .Te- tu ta - u faa - o - ra.
Mon rocher ! 1
(Traduction.)
Mon père est mon soutien
Dans ce désert.
Au sein de cette forteresse élevée
.le demeure à l’abri.
Mon rocher, ma forteresse,
Mon véritable bouclier,
Celui qui dans l’orage me protège,
C’est Jésus, mon Sauveur.
1 Ces paroles sont l’œuvre de missionnaires européens. La musique seule est indigène.
Pages
Avant- propos ................................................................................................
5
Chapitre premier . — En v o y a g e ...................
9
Des Marquises à Tahiti . . . .
9
De Tahiti à R a i a t e a ................................................
. . .
. 12
Chap. II. — Les I l e s ......................................
16
Description géographique
16
R aiatea.....................................................
18
T a h a a .......................................................................................................... 28
Bora-Bora..................................................................................................... 28
Maupiti...........................................................................................................30
Motu-iti et Maupihaa................................................
32
H u a h in e ..................................................................................................... 32
Chap. II!>»■» — Flore ............................................................................................ 34
Chap. III. — Faune...........................................
39
Chap. IV. — C l i m a t ............................................................................................51
Chap. V. — Étoiles, ciel, firmament....................................................................57
Chap. VI. — Population....................................................................................... 60
Origine des Polynésiens, Résumé des hypothèses, Les sources his
toriques ......................................................... , ................................. 60
La race, le type tahitien............................................................................. 71
Caractères physiologiques . .
87
Caractères p ath o lo g iq u e s.........................................................................89
Mouvements de la population . ’ ......................................
. . .
97
Caractères sociologiques............................................................................100
Vie p s y c h iq u e .......................................................................................... 142
-
256 —
P ages
C h a p . VII. — La fam ille......................................................................................173
La mort et les rites funéraires. Croyances relatives à la vie future. 178
C h a p . VIII. — Vie s o c i a l e ................................................................................ 18.')
Vie intérieure du peuple tahitien. . . .
.
. . .
. . 185
Vie in te rn a tio n a le .............................................
195
C h a p . IX. — Notes historiques............................................. .....
. . .
206
I )écouverte des î l e s ..................................................................................... 206
Conquête des Iles sous le V e n t .................................................................209
C h a p . X. — L a langue tahitienne.......................................................................... 213
Les langues m a lé o -p o ly n é sie n n es........................................................... 213
Le tahitien et les langues p o ly n ésien n es................................................. 214
Parties du discours.......................................................................
218
C h a p . XI. — Contes et légendes, chants p o p u la ir e s ........................................234
Fait partie de Raiatea la Sacrée : îles sous le vent de Tahiti (Océanie française)