SPAA_DAN-00106.pdf
- Texte
-
t
-^OTTi --1
■
mm-»
!
VOYAGES
"-'.V*-
if
■;3
DAMS
.
tl
LES DEUX OCÉANS
\
A TLA N TIQ U E ET P A C IF IQ U E
184-1 A 184 7
B RÉ S I L, É T A T S - U N I S , CAP DE BO N N E - E S P É R A N C E , N 0 U V ELLE - H OL L A N D E ,
N O U V E L L E - Z É L A N D E , T A I T I , P HI L I P P I N E S , C H I N E ,
JAVA, I NDES O R I E N T A L E S , É G Y P T E
M. EUGENE DELESSERT
I
1
1? ;
I
'
•
'
•
PARIS
4
’h'-Vifr
A. FRANCK, LIBRAIRE, G9, RUE RICHELIEU
18 49
•r.■
;k %
vf
’ - 'i f ?
'
,,,
H?
^ a
•Il
*
DANS
LES DEUX OCÉANS
SERVICE
DES
, .
. ARCHIVES ) * ‘
N - REG : __ ^ # '
LR:
L | l(
COTE :
DATE :
i
1
»
. v_
- - FEV. 2009
INTRODUCTION.
Monsieur Benjamin Delessert, dont la mort inattendue a jeté le deuil
dans notre nombreuse fam ille, et auquel j ’avais adressé quelques details
sur la colonie de la Nouvelle-Hollande, a été assez bienveillant pour
trouver quelque intérêt à mes observations. Par boulé pour m oi, et aussi
pour pouvoir faire connaître à nos parents et amis l’emploi de mon temps,
il voulut faire im prim er mon journal que j ’ai toujours eu le soin de tenir
exactement pendant le cours de mes voyages. Je n ’avais pu lui adresser
cependant que la première partie de mes notes sur Sydney, parce que je
savais lui être agréable en lui communiquant de suite quelques détails
su r les heureux résultats obtenus en peu de temps dans celte colonie,
et ce qui me déterm ine aujourd’hui à les publier toutes, c’est que je me
crois obligé de suivre ses intentions, et c’est à lu i, qui n’est plus, que
je me recommande encore pour obtenir l ’indulgence avec laquelle il
accueillait les m oindres travaux entrepris dans un but utile.
Vers la fin de 1839, je partis pour le B résil, où je fis un assez long
séjour; de là je passai aux Etats-Unis, où m ’appelaient mes affaires, et,
après avoir visité ce pays de liberté et de p ro g rès, j ’étais de retour à
llio-Janeiro à la fin de décembre de l ’année suivante. Quelque temps
après, m a santé se trouvant altérée par la fatigue et les chaleurs conti
nuelles, je me décidai à ren trer en France, où j ’arrivai en juillet 1841.
'IO.VIK I.
1
2
INTRODUCTION.
Trois ans plus tard, encouragé par mon père, qui lui-même a fait de
longs voyages aux Indes, je quittai une seconde fois le Havre, au mois
d’août 1844, pour me rendre à la Nouvelle-Hollande. Je visitai une partie
de l’Océanie, les îles de la Société, Java, les Philippines, la Chine et les
Indes-Orientales. Après trois ans d’absence, je revins en France par la
m er Rouge, l’Egypte et la Méditerranée.
Je crois avoir rapporté de tous les pays que j ’ai visités des collections
importantes d ’objets d’art et d’histoire naturelle; m ais, comme l’a déjà
dit M. Benjamin Delessert, mon livre n ’est point une relation de voyage,
il est publié comme simple souvenir et n ’a pas d ’autre prétention.
PREMIÈRE PARTIE.
VOYAGE AU BRÉSIL.
Je partis du Havre pour le Brésil vers la lin do
La traversée se fit eu
cinquante-sept jours. On comprendra facilement que ce ne fut pas sans éprou
ver de vives émotions que je quittai ma famille; je ne parlerai donc pas de
cette séparation et encore moins des lenteurs et des ennuis de la traversée;
il me suffira de dire qu'il y avait à bord une trentaine de passagers de tout
âge, hommes et femmes, formant une petite république assez difficile à
gouverner.
Aussi ce fut un heureux jour pour moi que celui où nous arrivâmes enfin à
Rio : mes regards pouvaient assurément se porter sur les plus ravissants points
de vue, mais il fallait plus de calme pour en bien jouir. J’étais pour le mo
ment tout au plaisir de quitter cette prison de bois, où le caprice des vents, la
monotonie d’un long voyage et les mille accidents peu variés d’une traversée
fatigante, finissent par émousser tous les sentiments, pour ne laisser de place
qu’à un ardent désir de toucher terre : elle était là, devant nous, cette terre
tant désirée et que nous allions enfin aborder.
L’expérience m’a appris que le voyageur qui parcourt des contrées loin
taines ferait sagement de prendre connaissance du tarif des douanes de tous
les pays qu’il veut visiter. Je n’avais pas eu la précaution d’étudier ces tarifs,
et force me fut de laisser mes bagages entre les mains des employés fiscaux,
qui, sur ce point du globe comme chez toutes les nations civilisées, se distin
guent par un excès de zèle trop souvent peu courtois.
Mais, pendant qu’on transportait du navire au port les effets et la cargai
son, j ’oubliai le navire et la traversée, je prenais terre avec les yeux. RioJaneiro, vue du port, présente un des plus délicieux points de vue du globe :
les hauteurs sur lesquelles sont bâtis les couvents, et les montagnes des envi-
k
PREMIER VOYAGE.
rons, parsemées de maisons de campagne et de jardins, offrent une vue aussi
variée qu’imposante. A quelque distance apparaissent les Orgues, pittoresques
élévations dont la disposition bizarre justifie le nom qu’elles portent.
Roule de lu (jlui'iu ù Rio.
Sous ees premières impressions, je m'acheminai d’un pas léger vers les amis
qui m’accueillirent avec cette bienveillance du cœur que le savoir-vivre n’imita
jamais. Me vmici donc installé au Brésil et pour un peu de temps. Je ne dirai rien
non plus des émotions passagères, des impressions personnelles et de ces mille
riens qui intéressent l’individu, et qui le plus souvent ne peuvent se bien rendre.
Le voyageur qui de la mer aperçoit pour la première fois la terre du Brésil
11e voit d’abord qu’un pays élevé, agreste, accidenté; mais que le spectacle est
différent lorsqu’il s’avance dans les terres! il découvre les sites les plus pitto
resques : des montagnes richement boisées et des vallons couverts d’une ver
dure éternelle. On dirait une immense forêt, tant la végétation est puissante;
mais celui qui voudrait connaître dans toute sa beauté cette terre si riche de
son soleil, de ses eaux, de ses arbres et de ses campagnes, devrait entrer au
Brésil par le détroit qui sépare Sainte-Catherine du continent. Qu’il ne sc liàle
pas trop, afin de jouir à l’aise de ses impressions. Les magnificences de ces
lieux, la majesté des sites, le grandiose des expositions provoqueront sans
cesse son admiration.
Mous sommes en roule par le point que nous avons indiqué. Voici d'abord
R F.M I BR VO V A G I1:.
fermé aux étrangers avec un si grand soin, qu’on ne connaissait rien de son
intérieur et de son administration. On demandait encore, dans un livre imprimé
au commencement du siècle, si la baie de Rio-Janeiro n’était pas l'embouchure
d’une grande rivière. Si le pays a fait relativement peu de progrès dans les arts
les plus nécessaires, il serait injuste d’en accuser exclusivement les Brésiliens.
Personne n’ignore que le système colonial tendait à retarder le développement
de l’instruction.
L’événement qui conduisit à Rio-Janeiro la famille de Bragance a changé la
face du pays. Ce n’est plus une colonie obéissant avec répugnance à une métro
pole exigeante, c’est un vaste empire avec toutes les chances de parvenir au
plus haut degré de prospérité.
Les institutions démocratiques qui ont fait du Brésil une monarchie fédérative
avaient été regardées par beaucoup comme autant de degrés menant à une
république. L’exemple des turbulents voisins de la Colombie, du Chili, de
Buenos-Ayres devait être contagieux; voilà pourtant que son jeune empereur
de vingt ans ne se trouve pas trop mal assis sur son trône. Grâce à la prudence
de son gouvernement, grâce aux alliances contractées par ses soeurs, dont l'une
a épousé un prince napolitain et l’autre un vaillant (ils de Louis-Philippe, sa
puissance est assez solidement assurée au milieu de. ces institutions consti
tutionnelles.
La capitale de l’empire, Rio-Janeiro, passe ajuste litre pour la plus impor
tante ville de l’Amérique du Sud; elle est située sur une langue de terre haute
et baignée par une vaste baie dont l’entrée, resserrée entre les rochers et pro
tégée par des Torts, est éloignée de trois quarts de lieue de la ville. On distingue
la vieille ville et la ville nouvelle, qui ne date que de 1808. Le port, vaste et
profond, est défendu par un château. La ville se prolonge sur tout un côté de
la baie, abritée malheureusement des vents de. terre par les montagnes; on y
éprouve une chaleur étouffante; elle ne reçoit de fraîcheur que de la brise de
mer, qui ne se fait sentir que dans le milieu du jour. Quelques maisons et
des chantiers sont établis sur des îles voisines du port. Les rues sont bien ali
gnées, généralement étroites, assez mal pavées, mais garnies de trottoirs : on
remarque tout d’abord la rue d’Ovidor, entièrement française. De belles maisons
bâties en granit, plusieurs places publiques, quelques monuments importants
donnent de la physionomie à celte ville. Le palais impérial est un bâtiment fort
simple, dont rien à l’extérieur ne révèle le séjour de scs hôtes illustres; les bri
ques rouges qui ont servi à sa construction lui donnent un pauvre aspect.
Les environs de Rio sont renommés par les admirables tableaux qu’y offre
la nature. «C’est la beauté de la situation, dit AI. Balbi, la bonté du climat et
n les richesses végétales plus que l’œuvre des hommes qui attirent l'attention
« des voyageurs. » On ne. rencontrerait nulle part au monde de plus belles pro-
BRÉSIL ET ÉTAT S-UN IS.
31
monades. Les principales, celles oii si souvent j'ai porlé mes pas el mes rêve
ries, en donnant un souvenir à la patrie absente, sont celles de Botajiùgo, Larangerias, le jardin public, la Gloria, l’Aqueduc, Rio Comprcdo, lingenho
Velko, Saint-Clmslovâo, Corcovado, etc. Le plus brillant coloris du peintre
paysagiste n’en donnerait qu’une idée incomplète : et pourtant ces lieux ravis
sants sont déserts. Les habitants de Rio préfèrent l’intérieur de leurs sombres
demeures aux promenades merveilleuses, où l’on est si bien.
L’eau est amenée dans la ville par un aqueduc d’un bel effet, qui traverse
une vallée profonde. Les églises sont en grand nombre, comme dans toutes les
anciennes colonies espagnoles ou portugaises. Si elles ne se distinguent pas par
une architecture bien caractérisée, l’intérieur est splendidement orné : aussi les
l'êtes religieuses s’y célèbrent-elles avec une pompe inusitée ailleurs. Dans les
grandes solennités, on tire dans les rues et devant les portes des églises des
feux d’artifice dont le bruit, ajouté au fracas de toutes les cloches en mouvement,
surprend et étourdit outre mesure l’étranger.
Je croyais trouver une ville originale, ayant son caractère propre, et le génie
moderne m’avait gâté Rio-Janeiro : je trouvai, comme en Europe, un amas de
maisons élevées, des places et des rues : il eut mieux valu pour les Brésiliens bâtir
d’une autre façon que nous : au lieu d’écraser leurs maisons sous des étages répé
tés, j ’aurais voulu de vastes maisons à un seul étage, avec des galeries, des cours,
des jardins, où l’air puisse circuler ; tout comme à la Havane, qui se trouve à la
même latitude nord que Uio. Si ce n'était une prodigieuse quantité de nègres,
de négresses, que l’on rencontre à chaque pas dans les rues, occupés à divers
travaux, et criant à vous rendre sourd , on se croirait dans une ville d’Europe.
Il y a des habitudes de mauvaise tenue, de malpropreté qui choquent el incom
modent l’étranger. La police des rues est mal faite, tout s’y dépose et s’y en
tasse. Il en résulte des exhalaisons d’autant plus nuisibles à la sauté que le climat
est plus chaud.
Rio a plusieurs établissements scientifiques d’instruction publique, des jour
naux et des revues. On trouve à Rio les partisans du gouvernement el les Jarrajjilhas ou sans-culottes : ces républicains ne sont pas d’accord, les uns veulent
la forme unitaire, el les autres la forme fédérative : en attendant, la république
est ajournée, et sa théorie ne se discute point officiellement. Mais les partis
juste milieu, pour parler comme en France, ou républicain, ne prouvent pas
que l’éducation politique des Brésiliens soit bien avancée.
Le musée de Rio mérite d’être vu : ce qui en fait tout le prix, selon moi,
c’est qu’il est exclusivement formé d’animaux et de curiosités du pays. Je con
seille aux voyageurs de ne pas oublier la salle des oiseaux, où ils remarqueront
une collection des plus rares, la magnificence du plumage et la grande quan
tité des individus. Celle des minéraux ne pouvait manquer d’être curieuse el
PR EM IE R VOYAGE.
riche, avec les nombreux produits minéralogiques du Brésil. Il y a des momies
indiennes bien conservées, divers ustensiles, des armes, des vêtements de sau
vages.
Le théâtre ou alcala est un des plus beaux monuments à visiter, la salle est
vaste, bien éclairée et bien aérée; on la dit aussi grande que celle de l’Opéra
de Paris. Il existe aussi un théâtre français à la mode et où la cour se rend
tous les jours.
L epasso publico, jardin public, est remarquable par la diversité des plantes
qu’on y cultive, et la belle vue dont on jouit. Combien de fois ne suis-je pas allé
dans ce charmant jardin promener mes rêveries, endormir mes soucis, ou
chasser les accès du spleen! La mer m’envoyait des brises rafraîchissantes; et
Dieu, les pensées qui fortifient et consolent. Ce que j'éprouvais au milieu de ces
ombrages, parmi tous ces parfums, en regard de magiques tableaux, je ne sau
rais l’exprimer C’était le calme, une jouissance doucement pénétrante, le bon
heur pour quelques heures.
Un de mes amis m’écrivait d’Europe : « Si lu te promènes , un malin ou un
» soir, sur la terrasse du jardin public, par un soleil brûlant qui ne saurait t’ali> teindre, l’immense baie de Rio devant loi, à gauche les Orgues, à droite l’en« trée de la baie, en face Praia Grande, et si dans une religieuse admiration
« tu te demandes, si quelqu'un comme toi éprouva les émotions touchantes
n auxquelles tu te laisses aller; écoule : il y a dix ans, j ’étais là, moi aussi,
i) mollement bercé de rêveries, heureux de trouver tant de charmes à la vie.
« J’admirais en silence : personne ne venait troubler mes joies intimes. Mais
u je regardais la m er, et la pensée de tout ce qui m’était cher, de tout ce que
« j ’avais quitté, me faisait aspirer vers les climats brumeux de la patrie, »
C’est bien ainsi que se traduisaient mes sentiments. Je jouissais avec délices
de toutes les merveilleuses choses que je voyais : mais une pensée se détachait,
pour aller saluer, par delà les m ers, les êtres chéris qui me manquaient. Et
je revenais de ma promenade un peu ému, triste souvent, mais cette tristesse
était pleine de charmes.
Uio se trouve naturellement par sa position le grand marché du Brésil, et
spécialement celui des provinces d eMinas-Geraes, de Saint-Paul, de Goyas, etc.
Les districts des mines étant les plus peuplés ont aussi le plus besoin de mar
chandises, et envoient en retour les objets les plus précieux du commerce.
L’Anglais Maire dit que le port d'aucune colonie n’est aussi bien situé que
celui de Rio pour le commerce de toutes les parties du monde : il semble
creusé par la nature pour former le lien qui doit unir entre elles les grandes
divisions du globe. Les relations de cette capitale tendent à l’agrandir tous les
jours. Ou importe au Brésil les produits de tous les pays. Les objets d’fcxporfalion sont le coton, le sucre, le rhum, le bois de construction, de marqueterie,
BU ICS IL K T IOTA T S-UNIS.
■i'->
les cuirs cl le suifj'les plus précieux sont l’or, les diamants, les topazes de dif
férentes couleurs, les améthystes, les tourmalines, les aigues-marines, etc.
Dans un temps donné, Rio deviendra un centre de relations commerciales
avec l’Europe, la Chine, les Indes orientales et les îles du Grand-Océan. Il
suffit (pie le gouvernement entende assez bien ses vrais intérêts, pour donner à
celte ville tout le degré de prospérité qu’elle comporte. On évalue sa popu
lation à plus de deux cent mille habitants, dont les esclaves composent la m a
jeure partie.
En descendant dans la partie la plus méridionale du Brésil, nous trouvons le
climat tempéré. La capitainerie de Rio-Grande-do-Sul qui touche à lTraguay
est une de celles que la nature a le plus favorisée. Son territoire produit dans
la partie septentrionale du sucre, et dans la partie méridionale du froment, et
tous les fruits de l’Europe. Ses habitants jouissent d’une santé robuste : ils ont
le teint frais et coloré, les mouvements vifs, les manières aisées.
Sur une presqu’île formée par une colline qui s’avance dans le lac Dos Pa
thos s’élève la jolie petite ville de Porto-Alegre, capitale de la Province. Ses
toits rouges, un peu élevés et saillants, se détachent admirablement, en couron
nant des maisons blanches ou jaunes et d’une architecture simple et gracieuse.
Les maisons de nouvelle construction sont élégantes, celles plus anciennes sont
basses et mal disposées.
Cinq rivières, apportant le tribut de leurs eaux et se réunissant pour former
le Jtio-Grande-do-Sulj présentent en face de la ville un vaste bassin parsemé
d’ilcs nombreuses très-boisées et peuplées d’habitations champêtres. Celle posi
tion est charmante. « Ce n’est plus la zone torride, dit AI. Saint-Hilaire, ses
D sites majestueux et encore moins la monotonie de ses déserts, c’est le midi de
i> l’Europe et tout ce qu’il y a de plus enchanteur. » Ce voyageur était à PortoAlegre au mois de juin : l’eau gela souvent.
Porto-Alegre, situé par 30" .2' sud, doit être considéré comme la véritable
limite du manioc cl du sucre dans la partie est de l’Amérique méridionale.
Au delà de Rio-Grande vers le sud, l’influence du climat devient plus sen
sible. Ainsi à un degré au nord de Porto-Alegre, les arbres dans la saison la
plus froide sont encore tout chargés do feuilles. A San-Francisco-de-Paulo, à
peu près le tiers des végétaux ligneux perd les siennes; et enfin à deux degrés
plus au sud, un dixième des arbres seulement conserve son feuillage, et ce ne
sont guère que les espèces les moins élevées.
Si nous remontons au nord jusqu’au 27° ]!)' de latitude australe, nous tou
chons à Pile Sainte-Catherine, séparée du continent par un détroit qui n’a pas
une demi-lieue de largeur. Rien n’est plus gracieux que la ville et ses environs.
Le canal est bordé de collines, de petites monlagnes très-variées par la forme,
et (pii, disposées sur différents plans, offrent un mélange charmant de teintes
U
P R E M IE R VOYAGE.
brillantes et vaporeuses ; l’azur du ciel n’est point aussi éclatant qu’à Rio, mais
il est aussi pur et se nuance, dans le lointain, avec la couleur grisâtre des
mornes qui bornent l’horizon. L'humidité naturelle du sol entretient dans l’in
térieur de l’ile une brillante végétation, qui ressemble en grande partie à celle
de Rio. La prodigieuse quantité de fleurs, les plus belles, annonce la qualité
fécondante du climat. Les roses et les jasmins y sont en fleurs toute l’année. A
treize lieues plus au sud on commence à trouver des changements plus notables
dans la végétation ; et la différence de l’été et de l’hiver est déjà sensible.
L’entrée du port de Sainte-Catherine est commandée par deux forts. La ville,
peuplée de six mille habitants, est un séjour particulièrement affectionné par
les négociants et les marins retirés. Vis-à-vis de la ville, sur le continent, de
hautes montagnes couvertes d’arbres forment une barrière impénétrable.
En longeant la côte vers le nord-est, nous arrivons à Santos. Celle ville, dont
les environs sont souvent submergés, est un des plus anciens établissements
européens du Brésil. La ville dut son origine au premier navire qui fit nau
frage sur file de Saint-Vincent. Santos est le magasin général de la province
de Saint-Paul : le lieu oii abordent beaucoup de navires qui font la navigation
du Rio-de-la-Plata. On récolte dans les environs le meilleur riz du Brésil. Sa
population est de huit mille habitants.
Si de Santos nous voulons aller visiter Saint-Paul, il nous faut abandonner
le rivage de la mer et nous aventurer dans des montagnes d’une hauteur pres
que inaccessible : mais nous rencontrons là une route merveilleuse, creusée dans
le roc à travers la Serra-de-Pcrrannagua. L’Europe ne peut pas montrer beau
coup d’ouvrages qui l’emportent sur ce chemin, nous dit le voyageur anglais
lUaxvc. Napoléon, qui a percé le Simplon, aurait peut-être lui seul pu en con
cevoir l’idée et en exécuter le plan. On arrive par des pentes ménagées sur une
hauteur qui s’élève à trois mille mètres au-dessus du niveau delà mer
La ville de Saint-Paul ou San-Paulo, chef-lieu de la province de ce nom ,
est bâtie sur une éminence, entourée de tous côtés par des prairies basses, et
arrosée par plusieurs ruisseaux. Elle lut fondée par les jésuites, séduits sans
doute autant par les mines d’or des environs que par la salubrité de sa posi
tion. Sous ce rapport elle ne le cède à aucun autre lieu de l’Amérique méridio
nale. Sa population s’élève au-dessus de quinze mille âmes.
Les Paulistes se sont constamment signalés par leur esprit entreprenant, et
par cette ardeur pour les découvertes qui distingua autrefois les Portugais. Ce
fut d’abord un mélange de la race brésilienne et d’aventuriers des différents
pays de l’Europe. On les désignait sous le nom de Mamclucs, peut-être à cause
de leur ressemblance avec ce qu’on appelait les brigands de l’Egypte. Ils s’en
richissaient par le commerce des esclaves, ils bravaient les édits de la cour, les
brefs du Saint-Siège, chassaient les jésuites cl s’organisaient militairement. Ils
B RESIL ET ET ATS-U-VIS.
:S5
oui parcouru lout le Brésil, se sont frayé de nouvelles roules à travers des
l'orèls impénétrables, et ont trouvé un grand nombre de mines riches, et entre
autres la mine d’or de Juragua, la plus ancienne du pays.
Il y a un siècle passé, ce canton était en or. C’était comme le paradis ter
restre du Brésil, dont il fut pendant deux siècles le véritable Pérou. Ce n ’est
qu’après avoir épuisé les mines parle lavage que les habitants se sont adonnés
à l’agriculture, dont ils se trouvent mieux malgré leurs mauvais procédés dans
cet art encore dans l’enlance chez eux.
Au sud de Saint-Paul on voit successivement s’arrêter la culture des diverses
productions coloniales, dont les limites sont ici le résultat combiné de la nature
de chaque plante, de l’élévation du sol et de l’éloignement de l’équateur. A
dix lieues de Saint-Paul on trouve la ligne des cafiers; douze lieues plus loin,
celle de la canne à sucre : à quinze lieues de là, plus de bananiers; enfin à
quarante lieues plus avant s’arrêtent les cotonniers, ainsi que les ananas.
En se dirigeant à l’ouest, on trouve Los Campos-Gerqes, qui forment un des
plus beaux cantons du Brésil. Les mouvements du terrain n’y sont pas assez
sensibles pour mettre des obstacles à la vue. Aussi loin qu’elle peut s’étendre,
on découvre d'immenses pâturages : des bouquets de bois où domine l’utile et
majestueux araucaria sont épars dans les vallées profondes. Quelquefois des
rochers à fleur de terre se montrent sur le penchant des collines, et lais
sent échapper des masses d’eau qui se précipitent en cascades. De nombreux
troupeaux de juments et de hôtes à cornes paissent dans la campagne, où les
maisons sont rares mais bien entretenues.
Les habitants des Campos-Gcraes tirent peu de parti de leur terrain fertile :
ils se livrent généralement au commerce des mulets, qu’ils vont chercher en
bravant mille dangers dans Rio-Grandc. Respirant un air pur, sans cesse occupés-à monter à cheval, à jeter le lazo ou à rassembler les bestiaux dans les
pâturages, ils jouissent d’une santé robuste, et sont en général grands et bien
faits.
,
Au nord des provinces de Saint-Paul et de Rio-Janeiro nous entrons dans
l 'El Dorado, ce pays fabuleux, on le croyait, qui produit l’or et les diamants.
Tenons-nous sur nos gardes, car on n’entre pas ici sans précaution, et on
n’nn sort pas surtout sans être fouillé. Des postes nombreux sont échelonnés
sur divers points, surveillant les touristes savants ou curieux, les arrêtant, pour
s’assurer s’ils n’ont pas glissé dans leurs poches quelques-unes de ces pierres
précieuses dont la belle moitié du genre humain est si avide.
La province de Minas-Geracs est une des plus mal cultivées. Les bras qui
manient l’or pourraient-ils, avons-nous déjà dit, s’abaisser à travailler la
terre? Aussi les environs de f illa-llica, la ville principale, attristent-ils les
regards liai1leur aspect âpre et sauvage. On ne. découvre de tous côtés que des
36
PR EM IER VOYAGE.
gorges profondes, des montagnes arides. Partout des terrains sillonnés, déchi
ré s,, bouleversés, attestent les travaux des mineurs. Les forêts vierges qui de
Rio se prolongent dans une étendue de cinquante lieues ont été incendiées dans
tout le district. La verdure des gazons a fait place à des amas de cailloux, et les
rivières, salies par l’opération du lavage, roulent des eaux fangeuses et rou
geâtres.
Villa-Rica pourrait être plus justement appelée de nos jours la Ville-Pauvre.
Rien ne répond plus à la magnificence de son nom ; il n ’en était pas de môme
vingt ans après sa fondation. Alors, elle passait pour le lieu le plus riche du
globe. Vers .1713, la quantité d’or produite par le district de Villa-Rica était
si considérable, que le cinquième du roi s’élevait annuellement à 12 millions.
De 1730 à 1750, les mines atteignirent à leur plus haut degré de prospé
rité : il y eut dans cette période des années où le cinquième du roi donna
24 millions.
Peu à peu les mines s’épuisèrent, et la ville riche devint la cité des misères.
Aujourd’hui les habitants désœuvrés, rêvant peut-être un passé qui ne saurait
revenir, négligent la culture de leur beau pays, qui les récompenserait pour
tant amplement des richesses que leurs ancêtres arrachaient de son sein.
Villa-Rica, sous un climat qui rappelle celui de Naples, renferme vingt mille
habitants. Ses rues sont irrégulières, mal pavées, mais variées par des jardins
en terrasse et décorées de jolies fontaines qui conduisent l’eau dans toutes les
maisons.
Saluons cette grandeur tombée, pour laquelle l’or n’est, hélas! trop réelle
ment, plus qu’une chimère, et soyons encore davantage sur nos gardes; nous
voici à Villa-do-Principe, où nous pourrions bien être emprisonnés comme
suspects : c’est la frontière du district des diamants, le Cerro-do-Frio : à me
sure que nous avançons dans ces lieux de trésors enfouis, la contrée, monta
gneuse et stérile, est peu habitée; la misère y est à son comble. Singulière
destinée que celle des hommes occupés aux plus productives industries, ils en
richissent le monde et vivent de privations.
Dans le Cerro-do-Frio, l’aspect du paysage a changé : la surface du sol, re
couverte de graviers et de quartz, dépourvue d’herbes et de bois, présente des
couches degrés micacé. Dans plusieurs endroits, sur les bords des rivières, il y
a de grandes masses de cailloux roulés, agglutinés par de l’oxyde de fer et qui
enveloppent l’or et les diamants.
Nous arrivons à Tcjuco, résidence de l’intendant général des mines. Les
environs de cette ville ne ressemblent en rien à ceux de Villa-Rica. Ici tout est
aride et âpre, mais plus qu’ailleurs la misère est générale : les habitants meu
rent de faim, et ils ont sous les yeux l’or et les diamants qui s’entassent chaque
mois dans le trésor de l’intendance.
B R ESIL ET ETAT S-UN IS.
37
Ce qu’on appelle le district îles diamants peut avoir seize lieues du nord au
sud et huit de, l’est à l'ouest sur le point le plus élevé du Cerro-do-Frio. Ce
lurent des mineurs entreprenants de Villa-do-Principe qui le découvrirent au
commencement du dix-huitième siècle : ils cherchaient de l’or et ils trouvèrent
des diamants.
Depuis 1772 les mines de diamants s’exploitent au profit du gouvernement,
qui punit avec rigueur les fraudeurs maladroits. Malheur au nègre soupçonné
d’avoir avalé une de ces pierres précieuses : si on ne lui ouvre pas le ventre,
comme on rapporte que le faisait faire un chef d’exploitation de je ne sais quel
district des Cordillères, on prend les plus minutieuses précautions pour la re
trouver; car elles ne peuvent se dissoudre et n’ont point été avalées pour donner
l’exemple d’un repas plus somptueux que celui de Cléopâtre.
On rapporte que la quantité de diamants envoyés en Europe pendant les
vingt premières années de la découverte est presque incroyable, elle dépassa
1,000 onces.
La principale exploitation a lieu dans le lit du Jiquitonhonha, qui coule
au nord-ouest, et porte ses eaux au Rio-Grande-de-Tocayes. Les substances
qui accompagnent les diamants 1 et que l’on regarde comme de bons indi
cateurs de leur présence, sont un minerai de fer brillant et pisiforme, un
minerai schisteux, siliceux, de l’oxyde de fer noir en grande quantité, des
morceaux roulés de quartz bleu, du cristal de roche jaunâtre, et toutes sortes
de matières entièrement différentes de celles qu’on sait être contenues dans
les montagnes voisines. Les diamants trouvés dans ce district sont regardés
comme étant de la plus belle qualité. Les connaisseurs les préfèrent il ceux de
l’Inde:
Trois malfaiteurs condamnés pour crimes trouvèrent dans un ruisseau le
plus gros diamant que possède le Portugal. Il pèse une once. Les heureux bri
gands reçurent avec leur grâce une forte récompense. Leur trouvaille en avait
fait d’honnêtes gens.
L’exploitation des diamants, qui rapportait il y a quelques années 200,000 ca
rats au gouvernement, est, comme celle de l’or, beaucoup moins abondante. La
nature est lente à former l’or et le diamant. Nos Pyrénées, où les Romains trou
vaient l’or à la surface de la terre, n’en produisent plus que quelques parcelles
roulées par les torrents, et l’Espagne ne retire plus d’émeraudes ou d’amé
thystes de ses opulentes montagnes. Il arrive un temps où les frais d’exploita
tion dévorent les produits. Les sucs végétaux sont les seuls qui ne s’épuisent
pas, et la charrue est plus précieuse que le râteau du mineur : c’est ce que de
vraient comprendre les habitants du district des mines au Brésil.
1 AI. Mawe.
:5S
PR EM IE R VOYAGE.
Nous n’avons rien de suspect ; nos poches sont vides de tout diamant im
périal, tant mieux : nous pouvons partir pour aller visiter d’autres lieux.
La province de Goyaz à l’ouest de Minas-Geraes donne naissance au fleuve
des Tocantins et au Rio-San-Francisco. A l’ouest de Goyaz s’étend le vaste
pays de Mato- Grosso, qui louche au Paraguay et à la rivière des Amazones;
c’est le boulevard du Brésil, qu’elle couvre et à qui elle donne la facilité de pé
nétrer au Pérou. Ces deux provinces ont également des mines d'or d’un faible
produit.
Nous avons une longue route à faire, pour revenir de l’extrémité occidentale
de l’empire, des frontières de la Bolivie, à la côte orientale où nous trouvons
Bahia. Nous négligeons des pays qui attendent une plus grande prospérité
pour intéresser le voyageur d’Europe. Sur celte côte orientale, toutes les villes
jusqu’à San-Salvador sont situées à l’embouchure des fleuves. Les environs
sont couverts de forêts vierges qu’on a respectées jusqu’ici. Ces asiles impéné
trables expliquent pourquoi les Portugais ne se sont étendus qu’à huit ou dix
lieues du rivage, sur ces côtes, tandis que du côté de 3/alo-Grosso la do
mination brésilienne touche aux anciennes provinces espagnoles.
La province de Bahia est située au nord de celle des Minas-Geraes : elle
occupe une longue étendue de côtes. San-Salvador-de-B ahia-de-Todossantos, généralement connue sous le nom de Bahia, fut pendant deux cents
ans la capitale du Brésil. Cette "ville a successivement été détruite, relevée,
prise et reprise pendant les trente années de la guerre de l’insurrection. Elle
est encore aujourd’hui, par son étendue, ses fortifications, ses édifices, sà vaste
baie, l’une des villes les plus importantes du Nouveau-Monde. Des rochers
dentelés, des coteaux verdoyants, des forêts épaisses, une baie profonde1, mais
tranquille, où peuvent s’abriter deux mille vaisseaux, tel est l’aspect qu’elle
présente, lin Portugais, Diego-Alvarez Corrca-dc-Viana, allant aux Indes
orientales vers 1510, fit naufrage sur cette côte, et, frappé de la beauté du
site, lui donna le nom de San-Salvador, parce qu’il y avait trouvé son salut.
Améric-Vespuce n’avait fait qu’y toucher.
Ici, de même qu’à Bio, la mer semble s’être enfoncée dans les terres; on
peut même conjecturer qu’un grand lac, brisant sa barrière, s’y est tracé un
chemin jusqu’à l’Océan. Six grandes rivières navigables s’écoulent dans ce
golfe ou plutôt dans ce lac paisible et cristallin , qui se divise en plusieurs
anses, pénètre ainsi dans les terres sous toutes les directions. Une centaine
d’Iles vivifient cette petite Méditerranée.
La ville est encore située sur le penchant d’nne colline cl le long de la baie.
La partie la plus considérable est sur la hauteur, c’est le séjour des riches
désœuvrés. Les marchands se sont construit une ville sur les bords de la mer.
Les maisons sont entremêlées de jardins plantés d’arbres toujours verts et no-
lammcnt d’orangers. Les églises, plusieurs couvenls et le palais du gouver
neur sont d’assez beaux monuments. Il y a un collège et une belle biblio
thèque publique. Le commerce très-actif sert d'entrepôt aux productions de la
province On voit Holler dans le port, qui est bien défendu, le pavillon de.
toutes les nations. Bahia est restée la métropole ecclésiastique, puisqu’elle est
la résidence de l'archevêque, de qui relèvent tous les évêques de l’empire.
De nombreuses baleines viennent annuellement avec leurs petits se réfugier
dans la baie de Bahia, pour se mettre à l’abri des vents et des tempêtes; mais
là elles rencontrent, dans les habitants de la ville basse qui les harponnent et
en tirent un bon produit, des ennemis plus dangereux. Les nègres choisissent
certaines parties de ces géants des mers pour se nourrir, quoique la chair de
ces cétacés soit aussi dure que repoussante; c’est, je crois, le seul lieu du monde
oii l’on peut assister de sa fenêtre à une véritable pêche de la baleine.
An nord de Bahia est la province de Pernambuco et sa capitale du même
nom. Trois villes ont formé ce chef-lieu : Saii-Anlonio-de-Becife sur le bord
de la mer, Olinda sur une hauteur, et Bona-Vista. La pente de la colline
d'Olinda est très-escarpée. L’aspect en est si ravissant quand on arrive par
mer, qu’il a fait donner à la ville son nom : en portugais Olinda signifie O belle.
Mais l’intérieur ne répond pas à l’extérieur : Pernambuco est sous le rapport de
l’importance commerciale la troisième ville du Brésil. Seulement sa situation,
à la hauteur du ras de marée, rend l’ancrage souvent dangereux.
.le termine ici celle course au clocher à travers l'empire du Brésil, et mon
voyage sera clos par quelques mots sur les mœurs, l’industrie et le commerce
du pays.
Pour apprécier sainement les habitudes de la vie du Brésilien, il serait mal
de se placer à notre point de vue européen et d’établir une comparaison avec
la France ou l’Angleterre. Au Brésil et surtout dans les grandes villes mari
times, l’affiuence des étrangers de tous les pays du globe masque au premier
aspect le caractère national. Voyez les principales villes maritimes du monde
et vous aurez une idée de ces grands caravansérails des peuples dont la phy
sionomie et l’originalité sont insaisissables au milieu de tant d'individualités
différentes. Mais au Brésil, si vous pénétrez au cœur de la nation, si vous sur
prenez le Brésilien dans sa vie intime et dans son déshabillé, vous trouverez
qu’en fait de manières élégantes et de civilisation, il s’est arrêté au règne du
roi Jean; c’est le Portugais de 1808. Comme l'habitant d e là métropole, il a
de lui-même une liante opinion : il est fier et point orgueilleux. L’orgueil
annonce toujours un profond égoïsme et un grand mépris pour autrui : la
fierté, c'est le sentiment élevé de la dignité humaine qui inspire les actions
honorables et généreuses. Combien je préfère ces grands airs qui s’allient par
faitement avec la politesse et la bienveillance à cette morgue insultante, à ce
VO
l’ UK MI K II VOVA CK.
froid mépris que laid de gens de pou ne parviennent jamais à dissimuler sur
leur figure pour qui n’est pas comme eux aussi richement doté par la fortune!
Un Français habitué au luxe d’une grande existence, un Anglais qui aura
vécu dans le confortable que donne la richesse, prendront en pitié ce fier Bré
silien qui se croit heureux dans de tristes maisons pauvrement décorées, où les
meubles les plus essentiels manquent, et oii rien ne cache la nudité des murs:
un sourire dédaigneux arrivera sur les lèvres de nos Européens élégants, s'ils
voient une famille dans sa demeure. C’est le sans-façon du chez-soi; mais un
sans-façon tant soit peu décolleté. On désirerait que le déshabillé fût plus
décent et plus souvent renouvelé. Chez l’homme comme chez la femme l'habil
lement de la maison accuserait les mains africaines d’avoir déteint sur les
étoffes. Ce défaut, dont il ne faut pas exagérer l’étendue, finira aussi par dis
paraître : les étrangers riches dont les maisons sont bien ordonnées serviront
de modèles aux Brésiliens bornes : ils donneront plus de soins aux diverses
pratiques hygiéniques impérieusement réclamées par les lois de la propreté et
du respect pour soi. Ils feront de leurs maisons, non plus le sanctuaire inabor
dable d’un intérieur repoussant, mais de gracieuses demeures en harmonie
avec leur beau climat.
Si j ’entrais dans des détails qu’un assez long séjour au Brésil m’a fait con
naître, je manquerais au respect dû à la vie domestique du citoyen de tous les
pays. La maison doit être murée et les jugements s’arrêtent au seuil. J ’aime
mieux vous montrer l’habitant d’une grande ville du Brésil sortant de chez lui
pour assister à une fête religieuse. La transformation est complète.: au lieu de
l’habillement négligé, la famille que les cloches appellent est devenue merveil
leusement superbe,dirait La Fontaine; les hommes élégamment habillés de noir
portent à la chemise de riches diamants cl souvent sur l’habit des décorations
de grand prix; les dames en robes de salin noir, leurs beaux cheveux ornés
de fleurs, étalent des rivières de diamants et de pierreries; les enfants sont
aussi parés : jetez sur tout cet éclat, sur toute cette parure un peu roide, la
gravité qui n'abandonne jamais le Brésilien en habits de fêle; voyez-le mar
cher en avant de sa famille, la tête haute, le regard fier et la démarche assu
rée : pour escorte il a ses nègres et ses négresses, qui se sont, eux aussi,
endimanchés; ils portent, avec toute la dignité dont ils sont capables, les
ombrelles, les parasols, les livres de prières et les coussius pour les genoux.
J’ai été frappé, comme le sont tous les étrangers, de la pompe des fêles re
ligieuses, de la magnificence trop fastueuse des processions. On se ferait diffi
cilement une idée des dépenses qui s'engloutissent dans les diverses cérémonies
du culte. Le philosophe se prend à regretter l’emploi de sommes énormes qui
pourraient être mieux utilisées à faciliter l’industrie, à améliorer le sort des
classes pauvres : mais on excusera ces populations méridionales qui ont besoin
de spectacles éclatants; qui recherchent avec avidité tout ce qui charme les
yeux et caresse l’imagination. Le temps et l’instruction, en conservant à la
religion toute sa dignité, viendront mettre le culte en rapport avec toutes
choses.
On reproche aux Brésiliens l’espèce de tyrannie qu’ils exercent sur leurs
femmes, fis les confinent en*effet dans une espèce de gynécée impénétrable qui
les dérobe aux yeux de tous. Ils n’admettent que rarement dans leur intérieur
les personnes étrangères, encore n’est-ce qu'après avoir longuement étudié la
moralité et les habitudes de leurs connaissances. Ce caractère ombrageux et
jaloux explique, sans le justifier, l’isolement des Brésiliennes, qui ne fréquen
tent pas les maisons étrangères. Une pareille vie ne contribue pas médiocre
ment à les entretenir dans l’ignorance des mœurs sociales : elles ne compren
nent pas la vie du monde qu’on leur interdit; voilà la cause de l'espèce de
timidité, de malaise qu’on rencontre chez ces femmes et qui ferait douter de
leur aptitude intellectuelle. La plupart ont de ravissantes figures, des yeux
expressifs qui annoncent clairement combien elles désireraient, comme leurs
heureuses sœurs d’Europe, s’essayer au doux langage. La société qu’elles em
belliraient, si elles y étaient appelées, en aurait plus de charmes, et elles y
acquerraient ce sentiment de noble dignité, de gracieuse aisance qui leur
manque. La société dépend des femmes : tous les peuples (pii ont le malheur
de les enfermer sont insociables, dit Voltaire.
Avec toutes ces précautions les lois de l’hyménée sont elles plus fidèlement
observées au Brésil (pie sur les bords de la Seine, nous demandera-t-on, et les
maris dorment-ils paisibles à l’abri de toute infortune? Le respect que je porte
à la femme me fait un devoir de ne pas répondre à cette question, dont l’examen,
de quelque nature qu'il fût, dénoterait d’injurieux soupçons. Je me bornerai
à former des vœux pour que les voyageurs qui visiteront après moi la terre du
0
D E U X IÈ M E V O Y A G E .
Un ami de ma famille, AI. le docteur Douglas, directeur de l’hôpital des
Etrangers au Havre, et qui longtemps a habité la Nouvelle-Hollande, m’avait
inspiré le désir d’explorer ce pays si riche et si peu connu encore; je pris la réso
lution de me rendre à Sidney, dans la Nouvelle-Galles du Sud. J’avais en con
séquence retenu une cabine à bord d’un des meilleurs navires en partance pour
celle destination, le Persian, capitaine Ch. Mallard (R. N.). C’est ce bâtiment
que j ’allai rejoindre avec mes parents, qui voulurent bien m’accompagner en
Angleterre. Une fois arrivé ci Londres, je m’occupai de mes préparatifs de dé
part, et je fus bientôt prêt. Après avoir vu ce (pic celte grande ville, (pie je
connaissais déjà parfaitement, offre de plus curieux, mon père proposa d’em
ployer les quelques jours qui me restaient à visiter l’ile de Wight; j ’acceptai
cette proposition avec d’autant plus de plaisir, (pie le Persian devait toucher
à Portsmouth. Nous allâmes donc passer deux jours dans cette île, qu’on a
surnommée le .Jardin de VAngleterre, et ce fut pour nous une charmante pro
menade comme au milieu d’un véritable paradis. En effet, rien de plus beau,
de plus frais que celle île pittoresque, ornée de riches pâturages et de petites
villes aussi propres que coquettes.
Nous nous rendîmes ensuite à Portsmouth ; le Persian n’y était point encore
arrivé. Les affaires de mon père réclamant sa présence au Havre, je fus obligé
de me séparer de lui et de ma mère, qui le suivit.
Là j ’attendis mon navire pendant plusieurs jours. Il arriva enfin; mais il
venait d’essuyer, en sortant de la Tamise, une forte tempête, qui avait brisé
son mât de misaine, et cet accident allait nécessairement retarder notre départ
de quelques jours encore, ce qui me contraria beaucoup.
Le. Persian était ancré en rade à deux milles de Portsmouth ; je me rendis
aussitôt à bord pour mettre ma cabine en ordre, occupation importante que no
doit pas négliger un voyageur.
T -
1
®
XO UVE LL 15-HOLLA XI) K.
51
A cette occasion, j ’ai cru devoir placer à la lin de ce volume quelques notes
minutieuses, il est vrai, mais (pii pourront être consultées par les voyageurs,
et que je considère comme des conseils précieux.
Les travaux de réparation du navire éprouvèrent quelque lenteur ; et, comme
je m’étais aperçu que le bateau à vapeur du Havre passait près de notre bord
soir et malin, je résolus d’utiliser le temps que je perdais et de faire une sur
prise à ma famille, .le pris donc un soir le steamer, et le lendemain malin je
déjeunais au Havre au milieu de mes parents et de mes amis, qui tous me
croyaient déjà bien éloigné d’eux, liais ce bonheur ne fut point de longue
durée; le soil’ de ce même jour, je reparlais accompagné du docteur Douglas,
qu’une affaire appelait en Angleterre. Le Persian devait lever l’ancre le lende
main; en effet, quelques heures après mon retour, les chaînes commencèrent à
tinter, le cabestan vira, les voiles se gonflèrent, et nous nous préparions à
une belle sortie, lorsque le vent changea tout à coup et nous força de rester
pendant deux jours ancrés au bas de la rivière, à neuf milles de Portsmouth.
Enfin, le mardi 17 septembre, il nous fut possible de mettre sérieusement à la
voile, et le vent nous resta constamment favorable.
Le trente-deuxième jour après notre départ, nous traversions la ligne sans
que le moindre calme nous arrêtât; c’était la cinquième fois que je passais
l’équateur. Quelques scènes comiques vinrent égayer le bord. Le baptême fut
donné aux novices; on connaît trop cet ancien usage pour que j ’en parle.
Jusque-là aucun fait remarquable ne vint troubler la continuelle uniformité de
notre marche; seulement, quelques jours auparavant, un joli navire hambour
geois s’étant approché de nous, je le reconnus aussitôt pour le brick la Victoria
qui, pendant mon séjour à Kio-de-Janeiro, était venu souvent à la consignation
de la maison de commerce avec laquelle j ’avais fait des affaires. Je profitai de
l’occasion, et fis passer au capitaine une planche noire sur laquelle j ’avais tracé
quelques mots avec de la craie. Je lui adressais mes compliments, et le priais
de vouloir bien me rappeler au souvenir de mes amis de Rio, son port de des
tination. Il me renvoya ses salutations de la même manière, et chacun de nos
navires prit ensuite un cours différent.
Après avoir passé la ligne, nous cinglâmes rapidement vers le cap de BonneEspérance ; notre séjour y fut de courte durée. Là, nous fûmes assaillis par
des tempêtes successives. Xotre navire, beaucoup trop léger, n’ayant qu’un
faible lest, était le jouet des vagues énormes qui en submergeaient continuelle
ment le pont, et nous faisaient une existence des plus misérables. Pour ajouter à
nos tourments, une maladie se déclara à bord. Aucun des passagers n’échappa à
la contagion, et je fus un des premiers atteints. La température, qui, plusieurs
jours auparavant, était à 28 et 30", tomba à 11; ce qui ne contribua pas peu
à aggraver notre position, et celte brusque transition nous lut très-désagréable.
-■•'■■*■•■*■■v j ,
t
52
T
Il Kl M E M E V O Y A G E .
. I.e repos absolu du dimanche est une de ces coutumes que u'abandonneul
point les Anglais partout où ils se trouvent. Le respect pour ce saint jour est
strictement observé à bord ; il se manifeste, si le temps est mauvais, par le
recueillement, le calme et le silence; s’il fait beau , une véritable chapelle est
établie sur la poupe; des bancs y sont rangés convenablement. Une table
placée au milieu, et recouverte du drapeau rouge national, donne une sorte de
solennité à la cérémonie. La cloche du bord résonne lentement et appelle les
fidèles au service. Tous arrivent en silence, depuis le plus jeune jusqu’au plus
âgé, depuis le mousse jusqu'au capitaine. L’homme à la barre reste seul à son
poste, et encore, la tète nue, assiste—
t—
i I , autant qu’il le peut, à la cérémonie
D’anciens m arins, vieux loups de mer, aux cheveux blancs, parés de leurs
plus beaux babils, admirables de propreté, se rendaient avec les autres au se r
vice divin. Je ne pouvais les regarder sans éprouver un certain sentiment d’in
térêt en leur faveur. Ils tenaient tous à la main leur Bible, et je remarquai que
quelques-uns d’entre eux en possédaient de fort belles éditions, reliées et dorées
sur tranche. Les nombreuses marques qui garnissaient la plupart de ces Bibles
indiquaient assez qu'elles étaient l’objet de lectures fréquentes, tandis qu’une
double et triple enveloppe, destinée à préserver la couverture du livre, témoi
gnait du soin qu’en prenait b; possesseur. L’édition la plus répandue était celle
de la société biblique de Londres. On sait que celte société accorde à chaque
marin, moyennant U pence (GO centimes), une Bible complète, reliée en ba
sane, et la donne même gratis à ceux qui lui en font la demande.
La dernière fois que j ’assistai au service, qui depuis fut interrompu par le
mauvais temps, la mer semblait vouloir ajouter au recueillement qu’inspirait
la cérémonie. Sa surface était unie et tranquille, et notre navire en silence
filait à peine quelques nœuds sans la moindre oscillation. Aussi, lorsque le
capitaine, qui remplissait l’office de pasteur, eut commencé, au milieu de ce
calme profond, la prière : Oui• Father (Notre Père), qui fut répétée à voix
basse par tout l’auditoire, je ne pus me défendre d’une vive émotion ; mes yeux
se tournèrent involontairement vers la France; mais je n’aperçus que la mer
et un ciel bleu à l’horizon !!! et je continuai à prier.
Dans ces parages, la pèche et la chasse aux oiseaux apportèrent quelque
diversion à la monotonie ennuyeuse de la vie de bord. Nous primes des bonites
et plusieurs poissons volants. Je parvins à m’emparer d’un grand requin bleu
dont je ne pus conserver que l’épine dorsale, avec laquelle je me propose de
faire monter une canne. Quant aux oiseaux, nous pouvions les chasser sans
nous déranger beaucoup. Plusieurs espèces différentes suivaient notre navire et
semblaient nous escorter. L’alcyon, le damier du Cap, le paille-en-queue, le
pétrel, l’albatros, se disputaient les morceaux de pain ou de viande que nous
nous plaisions à leur jeter. Malgré les fortes dimensions de l’albatros (quel-
\ 0 UV EL L E - H 0 L L A \' D K.
ques-uns de ces oiseaux ont jusqu’à quatorze et quinze pieds d’envergure), rien
n’est plus gracieux que son vol, soit qu’il s’élève dans les airs, soit qu’il des
cende et effleure avec légèreté la surface des eaux sans imprimer le moindre
mouvement à ses longues ailes. La rapidité de sa course est telle, qu’il peut,
en quelques heures, franchir d'énormes distances. Le fait que je vais citer en
est un exemple frappant.
Albatros, vulgairement appelé mouton du (lap.
Le capitaine du navire le Layton, chargé de transporter des prisonniers à
la terre de Van-Diémen, connue aujourd'hui sous le nom propre de Tasmanie,
prit un jour un albatros, et s’aperçut qu’il portait autour du cou un collier en
fer-blanc sur lequel on avait gravé, avec le nom du navire Symmetry, capi
taine Stevens, des indications de longitude, de latitude et une date par heure
et minute, etc. Cette date était précisément celle du jour où l’oiseau s’était
laissé prendre ; l’on put alors calculer, à bord du Layton, que le navire Symme
try devait être éloigné de plus de cent quatre-vingts milles. Ainsi, et sans tenir
compte des déviations produites par l’incertitude probable de sa course, l’ani
mal avait dû parcourir cette distance, prise en droite ligne, à raison de quatrevingt-dix milles à l’heure.
Aussitôt que ces oiseaux se montrèrent, j ’essayai d’en attraper quelques-uns
en faisant usage de mes lignes. Les hameçons en accrochaient quelquefois;
mais je ne pouvais que difficilement les prendre, soit qu’ils parvinssent à se
décrocher, soit que mes lignes se trouvassent cassées par la marche rapide de
notre navire et la résistance qu’opposait l’oiseau. Le meilleur appât pour
attirer ces gros oiseaux est un morceau de gras de porc sur lequel ils se
jettent avec voracité. Dès qu’ils se sentent accrochés, ils font avec leurs ailes
cl leurs pattes une résistance telle, (pie l’effort d’un seul homme ne suffit pas
54
D E U X IEM E V O Y A G E .
pour les amener à bord. Cependant, un beau malin j'eus la satisfaction d’en
prendre un qui était magnifique cl qui, à ma grande surprise, mesurait douze
pieds et pesait trente-huit livres. J’employai ma journée à le mettre en peau,
opération qui réussit parfaitement, l’oiseau n’ayant reçu aucune blessure.
Les albatros, couverts d’un épais plumage, sont presque à l’épreuve du
plomb, et ce n’est qu’en les tirant à balle qu’on peut les tuer. J’en tuai plu
sieurs qui vinrent tomber sur le pont ; et je transformai leurs larges pattes
membraneuses en blagues à tabac pour mes amis. Un jour je tirai sur un de
ces vieux audacieux qui souvent s’amusent à planer au-dessus des navires,
prêts à se précipiter sur le moindre objet qu’on jette à la mer. Ma balle le
toucha, j ’en avais la certitude; quelques plumes tombèrent, mais il n’en con
tinua pas moins son vol majestueux , el'lleurant les vagues ou planant à perle
de vue. Plus d’une demi-heure s’écoula (car j ’avais pu dans cet intervalle tirer
d’autres oiseaux); puis il revint; celle fois, je lui logeai une balle dans la tète
et il tomba sur le pont. Quel ne fut pas notre étonnement de voir que ma pre
mière balle lui avait traversé le corps, et que, malgré cette blessure, il avait pu
nous suivre cl continuer à prendre ses ébats! La chasse ou la pêche étant les
seules distractions que nous pussions prendre, nous trouvions le temps bien
long; enfin nous arrivâmes en vue du cap de Bonne-Espérance, et bientôt après
Vue de lu ville du Cup.
au mouillage dans la baie de la Table : quelques réparations urgentes ii faire
au navire nous permirent de visiter le Cap. De la rade on voil la ville Italie en
WP
K O U V B L L E -H O L L A N D E.
55
amphithéâtre cl dominée par la montagne de la Table an centre, par celle du
Diable à droite, et à gauche par celles de la tôte et de la croupe du Lion.
C’est sur ce dernier point que se trouvent le phare et les signaux.
La ville est très-propre, régulièrement bâtie et d’une teinte générale blan
che; le jardin du gouvernement et le Cliamp-de-Mars, où se trouvent réunies
la bourse et la bibliothèque publique, méritent d’être cités.
Une rue du Cap.
A quelque distance en mer, presque vis-à-vis de la ville, est Robben-Island,
lieu de déportation de la colonie. La disposition de la presqu’île du Cap est
telle qu’il existe deux rades, séparées par un isthme assez étroit : Table-Bay,
mouillage d’été; et Fals-Bay, mouillage d’hiver. Nous voulûmes visiter les
environs de la ville, et l’on nous conseilla de nous rendre à Simon’s-Bay, où
se trouve un arsenal assez important. La route qui conduit à cette petite ville,
station anglaise, est admirablement entretenue. Nous passâmes par Threecop,
oit l’on voit encore trois potences, par Round-Buch et Vingberg, lieux de plai
sance des négociants de la ville. Nous vîmes ce fameux vignoble de Constance
5(i
1) KT M K MK V O V A tiK .
Il est situé au revers sud des montagnes du Diable et de la Table. Il y a le CrandConslanec, le Petit-Constance et uu troisième vignoble nommé Haut-Constance,
dont les produits sont d’une qualité inférieure. Après avoir traversé Steenberg
et Musenberg, la roule devient difficile et ensablée; il faut, avant d’arriver à
Simon’s-Bay, passer à gué un ruisseau très-dangereux à cause de la mobilité
Simon’s-Bay.
du sable; en somme, notre promenade nous fit le plus grand bien et nous parut
très-agréable. Nos yeux trouvaient au moins à se reposer sur mille objets aux
quels nous trouvions peut-être bien gratuitement les formes les plus gracieuses,
car il est facile de comprendre combien on est heureux de prendre terre après
une longue traversée, et combien surtout on est disposé à voir en beau tout ce
qu’on a sous les yeux. Ces naturels n’éelmppèrent même pas à notre admira
tion. II y eut unanimité pour les déclarer aussi laids que possible : est-ce pré
vention, mauvais goût", jalousie même, je n’ose le croire; mais, pour que mon
jugement ne reste pas incertain, je fais un appel au jugement de ceux qui me
liront. Les types qui figurent ici ont été dessinés d’après nature par M. J. Verreaux, savant naturaliste dont j ’aurai l’occasion de parler encore, et qui a
longtemps séjourné au Cap.
X O l VliLLE-H()i,I-.-\\I)I';
Quant aux descriptions qui accompagnent ces vignettes, si elles sont peu
flattées, on ne m’accusera pas du moins d’exagération, car je les emprunte à
MM. Eyriès et Bory de Saint-Vincent. Ces deux auteurs parlent des Cafres et des
Hottentots en général, que je n’ai vus qu’au Cap seulement : je ne peux donc
les suivre dans tous les détails curieux qu’ils en donnent et que je trouve d’une
Vi J .
.>8
DHI X IK MK \ 0 V \.
les os des mâchoires et les dents y sont presque tout à fait obliques. La cou
leur de la peau est lavée de bistre et plus ou moins jaunâtre, mais jamais
noire. Quoique l’angle facial ait au plus 75° d’ouverture, et qu’il soit conséquem
ment plus aigu que chez les autres Africains, le front du Hottentot ne laisse
pas que d’ôlre proéminent; mais le vertex est singulièrement aplati, et quel
quefois môme comme enfoncé. La ligne d'implantation des cheveux décrit une
X 0 UV EL L E - H 0 L L A .VD B.
r,:ï
courbe, dont aucun angle rentrant ou saillant n’altère la régularité. Ces che
veux noirs ou seulement brunâtres sont excessivement courts, laineux et par
petits paquets assez semblables à ceux dont les fourrures dites d’Astracan tirent
leur singularité. Les sourcils très-marqués, quoique minces et non saillants,
sont légèrement crépus; les yeux couverts et ne s’ouvrant qu’en longueur sont,
ainsi (pic chez les Chinois, brunâtres et relevés vers les tempes. En face, la
-•
l’itl, Hottentot, bon chassetir et assez intelligent.
ligure du Hottentot rappelle assez exactement celle des Botocudos du Brésil;
mais vue de profil, elle est bien différente et hideuse d’animalité; les lèvres,
lividement colorées, s’y avancent en un véritable groin contre lequel s’aplatis
sent, se confondent pour ainsi dire de vrais naseaux ou narines qui s’ouvrent
presque longitudinalement et de la façon la plus étrange. Il n’existe que trèslieu de barbe à la moustache ou sous le menton et jamais on n’en voit en
£.
(i'ü mètres environ, et l’élévation des rochers qui le
surmontent à plus de 200 mètres. Quoique situé à une aussi grande hauteur
et si loin de toute grande nappe d'eau, ce bassin abonde, dit-on, en anguilles
d’eau douce d’une grande taille. Sur le pourtour de ce réservoir on trouve en
quantité des fragments de lave vésiculaire qui ont fait supposer qu’un volcan
avait jadis existé dans cet endroit, et que peut-être le lac était contenu dans
son cratère éteint. Le niveau de l'eau paraissait décroître avec une grande ra
pidité pendant le séjour des officiers anglais; ils observèrent qu'en quelques
heures un endroit sur lequel ils avaient trouvé dix-huit pouces d'eau fut mis
à sec; et, non loin de là, ils aperçurent une large fente à travers laquelle
l’eau semblait se frayer une issue, ce qui, à leur sens, favorisait l’hypothèse que
le bassin avait été produit par un éboulement des hauteurs voisines ‘.
1 lies Taïli.
AI. Moerenhout visita ce lac, le 10 août, en 1820; il partit de Maïrcphc dans
l’après-midi, sous la conduite des deux (ils de son ami 7V///, le chef de Pa
pa va, et de six ou huit indigènes. 11 était nuit close quand ils atteignirent la
dernière case à l’entrée du vallon où ils devaient passer la nuit : c’était la li
mite des habitations. Le récit de la réception qui lui fut faite dans cette mai
son est tout il fait touchant. Au point du jo u r, il se remit en roule, non sans
avoir pris sa part d’un succulent déjeuner, oii l’on servit tout entier le plus
gras animal du pays, qu’on avait fait cuire dans un four à la manière taïtienne.
Les échos des montagnes répétèrent plusieurs fois les cris joyeux de scs com
pagnons de route; ils marchèrent longtemps dans une des plus belles vallées
qu’on puisse voir, tapissée de verdure, ombragée richement et arrosée par des
eaux limpides. Oh! comme toujours, la conclusion est que Taïti est un pays
des plus favorisés de la nature.
A mesure qu’on avance, dit-il, la vallée devient plus étroite et la route plus
difficile , surtout à cause du ruisseau qui l’arrose en serpentant, ruisseau qu’il
faut traverser à chaque pas, et dont la rapidité augmente il mesure qu’on s’é
lève vers le point où il se change en un vrai torrent très-difficile cl très-dan
gereux à passer.
Il y avait deux heures que nous marchions d’un lion pas sur un sentier
étroit, inégal, souvent encombré de bois et de pierres, et je n’exagère pas en
disant que nous avions franchi cinquante fois le torrent. Depuis longtemps
nous étions sortis de la vallée, qui ne s'étend guère qu’à une demi-lieue de la
maison où nous avions passé la nuit. Cette vallée se change bientôt en un étroit
vallon q u i, à l’endroit oii nous étions alors, ne formait plus qu’une gorge ou
plutôt un ravin dont le lit du torrent occupait le m ilieu, laissant de chaque
côté un étroit espace jusqu’au pied des montagnes, qui s’élevaient perpendicu
lairement de trois à cinq cents pieds.
«
Ces montagnes sont couvertes de bois et de verdure et ont souvent jusqu’à
leur sommet des arbres immenses, ce qui rend ce passage fort dangereux.
Nous en trouvâmes plusieurs sur notre route : les uns pourris, probablement
tombés de vieillesse; d'autres sains encore, paraissant avoir été cnlrainés par
de fortes pluies ou déracinés par les vents. Nous trouvâmes aussi de temps en
temps de petites cabanes placées en des endroits peu élevés, où l'irrégularité
du terrain laissait plus d’espace; elles paraissent avoir été l’ouvrage d’indiens
surpris dans ces lieux par de fortes pluies, qui rendent le passage du ravin im
possible et changent quelquefois cet étroit torrent en une large rivière, dont les
eaux, dans la rapidité de leur cours, entraînent tout ce qui leur fait obstacle.
Nous nous arrêtâmes dans une de ces cabanes, qu’on me dit être à moitié
chemin, pour prendre quelques rafraîchissements; mais les Indiens qui les
apportaient étaient encore loin en arrière. Ceux qui étaient avec moi se mirent
il crier pour leur l’a ire hâter le pas; leurs cris, clairs et sonores, étaient répétés
par les échos de la manière la plus extraordinaire et dans foules les direc
tions. Bientôt nous entendîmes aussi les cris des retardataires , pendant que
nos compagnons allumaient un grand feu. L’effet de ces cris était singulier ;
on eût dit que des centaines de voix y répondaient simultanément. Le temps
était à la pluie; les sommets des montagnes étaient couverts de nuages, et il
tombait même un petit brouillard. Plus nous avancions, plus la roule deve
nait difficile; les crêtes les plus élevées semblaient vouloir se réunir et les
torrents devenaient de plus en plus rapides. En plusieurs endroits, à droite et
à gauche, l’eau tombait en cascades de quatre à cinq cents pieds. Ces chutes
d’eau, presque insignifiantes à cette époque de l’année, doivent être fort belles
dans la saison des grandes pluies ; il y en a une surtout, d’une grande largeur,
digne de remarque, parce que l'eau tombe sans interruption d’une montagne
rase et unie sur ce point, tandis que partout ailleurs elle est couverte d’arbres
et d’une épaisse verdure. Les chutes d’eau, le bruit du torrent, les hautes cimes
suspendues sur la tête des voyageurs, comme si elles menaçaient de s’écrouler
sur eux, donnent ii ce paysage un aspect triste et imposant. L’effet le plus sin
gulier de ces gorges de montagnes est de tromper l’œil sur leur étendue; elles
semblent se dresser si souvent, comme si elles interrompaient la route, que
l’illusion est complète : on croit à chaque instant en voir la fin, tandis qu’elles
se prolongent de plus en plus.
Enfin les guides m’annoncèrent que nous allions bientôt arriver. Il n’y avait
plus alors devant nous à gravir qu’un pic presque vertical, haut de trois à
quatre cents pieds; mais il fallait en opérer l’ascension par un petit sentier
étroit, roide et très-glissant, à cause de la pluie qui était tombée toute la
journée. Heureusement qu’il y avait, de chaque côté, de la verdure et de petites
branches auxquelles on pouvait se tenir. Ce qui rendait surtout ce passage
dangereux, c’est (pie de grosses pierres, dont le sentier est parsemé, y étaient
assez peu solides, et qu’on devait pourtant les prendre pour point d’appui. Une
seule en se détachant eût non-seulement exposé l’homme qui aurait eu les pieds
dessus, mais encore aurait pu entraîner dans les précipices tous ceux qui le
suivaient. Toutefois, il ne nous fallut pas plus d’un quart d’heure pour gagner
le sommet. Là se trouvait un bois épais et je ne découvrais encore rien ;
quelques pas plus loin, le retour de la lumière annonça un espace plus dégagé
d'arbres, et au même instant le lac s’offrit à ma vue.
La situation du lac est telle, que, loin de dominer sur une grande partie de
l’ile, il est environné par de hautes montagnes. Des arbres magnifiques, la
verdure la plus riche, entourent ce beau bassin d’eau tranquille. Parmi ces
végétaux, on trouve encore 1efara (pandanus), qui embaume l’air, et le bana
nier sauvage, dont le fruit est excellent. Je contemplai longtemps ce site pit-
D E I'X IE M E V O Y A G E .
222
tores t
f
"/:...X X
l.ha'rti'r ••
- i(7 n id t\-i^ li
f
II
£
H
C J h r ,;„>■[
'V v ... - ri
l
y « % !Ô o -
® 5 & ,J
I
o il
— -W —
....
c - M
>■
'
ic
'X l ‘
a k
/ {f u t»r.AW/tr;.
Ll.HW/tf .,
y, '\-<
f'Atbd/'/t t*
•••V."Cf
j
•«\RK > o / t^
\)^
c
71
: —r-~
I.Aroron' ;/,y,r.
i
—
■, c
X,
I'f«nnt|U f ; 'lu J
^ B .iïii.
• \ X >•
e
>-, Yp'Jamauimï
Hiut‘
(■V;,..7,/..'
' /v• /y'% ; /
t"":
•/
(.'mil/v/i’K/V ■:■.
Ï ' / J y £ ''c"‘
Ti x t r ; v
-ovr
xi ^
V.^»n.S',n
v
/% i/«
é -n ù ,.,,L ...
N r’
'Uh-tf/t'fawout -
-
ÏP ê
Awi
____ _
.
/
.--
!
// .,!//. M i l .
iM nunpux
-.
/ :r7'i.no/c/,i V
v
& % ’- t M -
—
V
'
^
s //
X
'U 'lk V t ;
s V if
.
/ ic rm m tln
X X v - #
a
4
V'' y / v
|E .
3 .#
N-
.a
^ tlio .l.-jiu-n-o ;X
X f
V I
,.
, X
1t
h
'
-
Ci. i«y/'d
/ A \ V-
I S -
I )
rl/{ys —
K—
—
7unTifi\
g
a»r
-
:
V lm m -ic K ::-
ÿ ,y
/ Ihwiikon
C A o P ii C t w / y y
~dj7nü
-■ W c
__ '
t i•
/y/4
\
,
C -
/4
JJiit-L- Ifttrltvty
/V.i'Vv.
A ,y
i
.
.vo rjl
K L
L
^ > v
jfw ™ » 1
/
f r r .r iiu i
(.’,/// X a lt/ rx tit.ïh —
• /•C t t l i ’ l r
|
...ii^ -
PSB
!
■:
.
X
’ é>:
. .
. . . . .
■
V
( i( 's
;.,/t.y „ rf
/ ffVfffxtLe-
Af.
- fJ/OH/'t'l
V A J G K X Iy
1-
r>c,
%
• .
,
,
■
8
U
»
<
-I**'-*
/
i * ■ -% * -!
rV^
1
i
:
-
^Vl-U-.- .■ ...------- ------------- :__ !
/,,t M iite r iiit
SM../f/,,w
3o
'C 'd i' / / ;
r:
" • - - .lè s
«a--
I
••••••_'
i
-/'fvVf' iOttshW* S'tIW/A
;-- -X
TT~~
.
^
' V
4 //y,
4 . ri i‘>
• OU
' TU'7
i X
'£
Fait partie de Voyages dans les deux océans, Atlantique et Pacifique, 1844 à 1847