B987352101_S701_Lettres Taïtiennes, Tome I.pdf
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-
17!'l6
[MONBARD DE LESCUEN, Marie-Jo
sèphe de]. Lettres tahitiennes.
Bruxelles, B. Le Francq, 1786. 2 vo1.,
14 cm.
[9306
Marie- Josèphe de Lescuen de Monbard,
en
1750, femme de
teur de plusieurs
née
beaucoup d'esprit, fut rau
Roman par lettres,
ouvrages.
de la plus « naïve immoralité s. Le Tahi tien' Zcir
est venu à Paris, clélaissant son amante Zulica.
Le réci t cles a ven turcs sen timen tales cie ce tendre
et sensible
sauvage permet de chanter, dan>
une «
langue charman te » les mérites sans nombre
cie Tahiti, et COuvre une satire cie la société du
XVIIIe
siècle, Finalement Zulica rejoint SOli
amant, et les cieux Tahitiens s'en retournent
chez eux.
Sur ce livre, voir: J.-M. Gautier,
[ournal de la Sociëtë des Ocëanistcs, 19n,
p. 50-52,
(
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l
T AITI'ENNES',
PAR
,
MADAME
DE
MONBART.
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T 0 M'E
A
Chez
.
1.
BRUXELLES,
B. LE FRA N C Q, Imprimeur
Libraire, rue de la Magdelaine
.
.
�r=-e_���
1\1.
DCC.
��
LXXXVI.
1
,
A VIER T]lS§lEIVTI:IENT"
.
CES Lettres font�el!e.s OTi�
Il efl: des
impreffions éter
n.clks que le tems ru les, foins n:ei
-
.
:.
:.
-facenr point.
ginales? les ai-je CO,,772pofée,r
d: plaifir? Lecteur,
que vous
tmporie
,
fi elles
vous
amu
fent: le hdros /1" efl point un
.Ji.
J.
ROUSSEAU,
dans la nouvelle
Héloife,
ET RE
J
RAISON, vops le
verrez trop aux' défauts qùi
tem�ffènt.ro72 caractere. S'il y
a
plus de plaifir à
prendre
qu' Lis devrotent être, il Y plus d'u-
J.iùté d: les montrer tels
qu'ils
font.
les
.
DE
hommes tels
.
a
.
Î
Je
ne
di/ai' rien
du flile; il[eroii
-
f'7.veur
peut-é tre allé
en
'
:� 3
,
'l'J A VER TISSEMENT.
de demander. gra,ce
pour deux:
j'euneJ gens Jimples:J qui Ize
doivent avoir
eu
d) autre mai-
que la nature, mais. je
m'en difPenfera,i pour plu-
.tre
fleurs 'railons fi �e pub?i.c ":
:
.
cueille t ouvrage:J zl fera
Juge:J
& je n'apprendrai point fa dé
..
\ifion fans ituerét,
INTRODUCTION.
L'ISLE de Tnia J'laquelle
,,1
on
avoiz
/
donné le. nom çle nouveite
Cythère
avant de [avoir celui
qu'elLe reçoit
de {es habuans
dans
la mer
efl,
du Sud, &,
entre
les
quoique }itltle
deux tropiques,'
lt'_l des plus_ doux
,.
,
climats de l'univers.
v
Des
montagnes ifcarpées cou
ju/qu'aux fomm·'ts d' �rbres
,
vertes
toujours verts,
la
defendent des
brulame.s a,rdeurs du hndi : des vents.
dolt::ti, &frais, quiyfOl�t1[empérroJi".
quement ,
conferven: a' la 'Jo! erdure
celte nuance déli�ale
qu.'un [oleil trop.
fou rces lim
ardent ternirait :_ milles
pide,s, après
perue
;
avoir learement
fer
pour flrtilier ces belles' con»:
JJrée..s ,yitmnmtJe réunir en
'1
napes ds:
4.�
•
_
INTRODU·CT10-N.
/
Î::);;:
ii) INTRODUCTION.
crula!
r�tomber en colomnes argentées
long
.& la bonne fei"_le garant de.fis
dans l'indrieur de L'Isle, ou
[ermens,
Le
Le Dieu qui leur donna la
des rochers qui la bordent.
cuité d'aimer n' oubùa pas
Le don plus
Des arbres de toute efpèCè- , cou
verts
d'UlZ� ;nzdticude d'oiflaux
ces
bent mollement leurs bràncltes enla
cées � pour'embmffer de riantes caba/
,
cette
Les
momens
lui Jont
de Leur vie
'
l'Isle
conJacrés
w71fLe ,
les
eruiete
ga{ons fis
efl Jon
auieis
,
'dtfigure pas
L'odieux préjugé n'a
poins d'�;
cës dans cet heureux coin de La terre.,
Leurs Loix fimpl.es
[ont
Isle fortunée. -: ils [acrifieru au
palJion domilZclllte, Olt pùuôc ils
n'en cOlZno�nt point d!autre: tous
gra
qu'elle enferme.
hommes heureux habitent
épare [on 'adte: L'amour cft leur
parure, & n)'
.
.
Dieu aCJ plaifirs , 6, Leur i�nocence
â La
cœur, etle Laif!e deviner les chàrmes.
qu'ils dérobent a La vue & ren
dent inacceJ!ibles· aux. mions du [0lei],
v
difficile de plair�: l�
.la _beauté, car elle efl com;ne leur
nes ,
Des
pour eux
beait/iRait ci Tai�i donner des
cour
fa-
r
fo>nd de
beur ame &
la nature. Us ne
gravées ml
_leur côde-ejl
recompenfen: point
qu'ilsfiont tous b ons.
s'ilspuniflént le vice*) c'ell
°L'
l' que es
':JJ_
'
La vertu parce
____
�
)
'"
'----�o'
'Ï'aitiens:
in:molent les m,zlf�
divinité inférieure,
Il
une
un
genre d'utilité d'ltllC coûtume atroce,
c'efl tirer
t
lN 'TR 0 DUC T l o N.
LETTRES
T.Ai:rI)E:;tV1V7E.S<)
LET T RE
PRE MIE. RE.
Z U LIe A
à
Z.E ï R.
Q
U1': béni [oit à
jamais, �on cher
Zeïr, j'honnête Françoi, qui m'apprit
l'art de fixer
mes
penfé s
,
& de faire
palier ju[qu'à toi les mouvemens de mon
ame, que jamais le poiron de !'indilfe,
rencè ne gbce dans [es bras la
beauté
.
qu'il aura chaille pour rendre hommage
au
bienfaifant Eatoua
�) qui nous dif_
penfe la Ïanté & les plailirs, que jamais
le travail ne
fatigue [on corps. & qu'un
") Nom d'un Dieu des Taùieas,
Tome J.
1
A
'.
,
Lettres
T'aitiennes,
doux repos coule perpétuellement dans
tes membres> & y entretienne le feu
de la 'jeuneffe. Que lerois-je devenue
dans
abfence ,
ton
cher Zeïr, à
mon
qui dire mes regrets? quand les
plaifil:s
rnenvironnent, à qui confier mes peI
nes? Lumiere de
ma
vie, il dl: donc
bi�n vrai que l'on peut s attac l ier a un
'
,
être
au
point
de .devenir indifferent
cher
pour tous les autres? Zeïr,
Zeïr, ta tendre Zulica fil-it retentir de
mon.
fes cris ce rivage où elle te vit s'éloi
gner d'elle, j'y cherche
l'empreinte,
larmes 1
de
pas, j'arTole de
droit où tu me dis aJieu. J'étends mes
tes
mes
en
bras vers toi, & dans IS! tranfporr qui
m
'�gite je
immenfe
voudrais franchir
qui _nous répare.
vrai que le
l'.elpace
Efi-ll bien
pays que tu vas
habiter efl à plus de diflance de nous
nouveau
,
"
.
que mon, imagination ne peut en concevoir? Quand je demande à qUE lques
uns
de ces
Etrangers qui
font reflés
dans notre Isle, fi leur France efi beau r
�O\lP plus éloignée de 110).15 qu.e nS!1!!
où fe borne Je
ils rient &
terme
de nos pêches ,
l
paroiffent étonné de ma
fimplicité.
Qui pourra donc me donner unè'
idée jufie de l'éloignement où nous al.
�
Ions vivre? Zeïr
te
>
on
faire parvenir m�s
mes
promet de
me
Lettres-:éclajrci
doutes, dis moi je le veux. quelle
di{l:ance va nous féparer , ma
penfée la
franchira pour unir mon arne, à la tienne,
Âh Zeir,
m'avoir
pourquoi
quittée?
plus de plaifirs, des
femmes plus tendres, un ciel
plus pur t
Toutes nos belles Taïtiennes
pleurent
ton
départ; la douce Zaira la' vive
oh trouveras-tu
,
Dalila ont oublié le foin de leur
pa
rure, & ta tendre Zulica couchée [ui'
des
gâlons fleuris n'entend plus qu'a
frémiffement chanter l'Hymne
fa
c�ée. ") Reviens ZeÏr,. s'il en efl tems
vec
abjure une vaine curiofiré qui
t'a lé duit , que cherche tu? Le
encore,
repos?
"') Efpece de chanfon que chantent les
Tairiens pendant l'union
de deux Amans.
A
Z
\
,
Lettres
4
�
.
tu
l'as quitté; les plaifirs ? tu, les fuis ]
le
bonheur? tu le trouvois dans
mes
T'aitlennes.
s
'point éprouvé tous les mouvernens
qui l'agitent & auxquels il ne me Ce
roit pa5 poilible de donner un nom.
...
bras '
Vain
efpoir qui m'abufe tu
n'entends point mes gémifTemens l'é
cho ne te porte plus mes foupirs, j'erre
�
'
,
inutilement
dans
témoins de
mon
ces
tre
bois fi
ces
bonheur !
louvent
Pourquoi
fentirnent ,fi cloux, fi naturel ; ce
ptéfent facré 'd'une divinité bienfaifan
te, efl:-il devenu pour moi un Ïenti-"
douloureux & pénible ;. pourquoi
ment
Isle? Pourquoi les fîmes-nous par
cette
ticiper à nos plaifirs? Les cruels! ils
ont
fait
la
conno irre
douleur
pour prix de nos bienfaits;
avides ils voudraient pour
injufies &
leur
permîmes
bonheur que
nous
eux
feuls
de partager; ils ont
ces
le
dans
paifibles con
porté trouble
imprudemment
trée$; c'dl: eux, c'efi leurs -fatals con
reils, qui t'arracherent à
mon amour:
ils allumerent dans
rein
ton
cette
fu
qui t'entr-aine loin de
moi; fans e-ux mes jours paifibles au
neûe
curiofité
roient
coulés dans
qu'au
moment
où
les
un
plaifirs juf
n'eut
connu
que
l'amour j, il
n'eut
�
flamme pure -qui fernbloit le prin
.
cipe
de
dans
tes
-
rna
vie
quand je
l'a
puifois'
yeux; n'efi-elle plus qu'ua
feù dévorant qui me confume ?
Mes compagnes pleurent ;llIffi ton
mais elles peuvent encore
abfence
,
fe livrer au
plaifir
mais elles (ont
elles
,
elles te regrettent.
encore
heureufes ,
"')
t'aimaient donc pas comme
moi? Ah fi cela eH, quelles femmes
te
ne
cheriront comme Zulica !
Mille idées confufes fe
dévelopent
dans
ma
rance. au
d_?ux fornraeil
auroit fermé mes paupieres. Mon cœur
Zeir,
d'où vient l'amour,
ce
Etrangers aborderent-ils dans no
nous
\111
Dis-moi
tête; je regrette mon igno
ce cahos,
quand
milieu de
"') La pluralité des hommes & des fern-,
mes
eft
également perrniïe il Tarti,
A, 3
.
'1
6
Lettres
)e
T'oliiénnes,
{avais que te plaire, & t'aimer;
ne
j'erois
bien
ceperidanr
plus heureufe; j'admire
art
ingenieux qui me
cet
donne la faculté de fixer mon ame fur
& d'offrir
papier,
ce
à
regards
toutes les fenfations
qui l'agitent. Si
une
fleur qlle
•
m'avais cueillie m'é-
tu
\
fi chere ,
'
C
autre rois
toit
tes
combien
ces,
Jignes que ma main a tracé ne te fe
ront-elles pas délicieufement treflaillir,
-Une feule
qu'en
chofe
m'afflige,
c'efl
peignant ma douleur, je
crains de la faire
pafler dans ton ame;
Zeir
fi je te rendois
malheureux, fi
te
,
tu
fentois
ce
que j'éprouve en t'écri
le mien. Vas
avons tant
peut avoir été in
"Ventée que par des amans malheu
admirés:
connaître ?
imprudents nous avons
cher�hé des rcmec\es à des maux que
re'
nous n'avions pas! Reviens Zeïr-,
pourrons encore retrou
ver le bonheur, & nos peines s'effa,.
viens
nous
,
comme un fongé pénible que
ceront
diŒpe un réveil agréable.
��-*=�����
LET
je ferois cent fois plus infortunée.
Plus j'y (onge, & plus je trouve
ne
que nous
ils n'ont été in
arts
tous ces
ventés que pom cacher, ou diminuer
le malheur ; devions-nous jamais les
vanr ,
que l'écriture
7
des nuits plus fo;tunées: tel fut long
tems, mon cher Zetr, & ton fort &
T
l J.
E
Il
Z U LIe A à Z E ï R.
1.1
es
jours paflent & je ne te vois
Que pouvoicnr s'écri;e ceux que
rien ne fepare, qui toujours enfemble
plus, ils reviennent & je ne t'ai point
n'ont befoin que de leurs
yeux pour
tourment que
reux,
-
s'exprimer
ce
qu'ils
fentenr.
Leurs
réponden�
s'entendent & fe
même fans le fecours de la
coeurs
parole;.
leurs iours heureux .font terminés
par
/
vû : il auroit falu avoir
une
idée du
j'epdme P9Ut le craindre.
Qu'ai-je fait, qu'as ru fais toi même?
Iuporterois je la douleur
v
Comment
-
qui m'accable? Chaque inftant fernble
A4
1
8
Lettres
l'accroître & emporter avec {oi une
,partie de l'eCpoir qui me foutenoit;
les plaifirs me font odieux, ils me
mon
bon
rappelleroicnt
heur; où dl: tu, que fa.is· tu? Si Te
l'idée
de
Tnitiennes.
comme
-
_
9
objets qu'on apperçoi t
dans le lointain &
qui s'éloignent, ou
difparoiffent à mefure qu'on fe croit
plus près d'eux.
ces
-
-
pou vois du moins me former une idée
d'es lieux
attentif
tes
(
eue
tu
habites, mon
œil
t'y'fuivroit dans le détàil de
moindres occupations; linon ame
comme un
nuage léger erreroit autour
de toi, & femblable
,à l'a vapeur
déliée de nos plus délicats parfums
elle pénétreroit jufqu'à la tienne,
pour
.lui communiquer la tendre émotion
qui l'agite.
Heureux ZeÏr, ton imagination peut
,
te
tranfpojrer encore dans cette Terre
délicieufe
,
que
tu
n'aurais
point dû
quitrer, tu peux nous fuivre dans Je
-de
paifible vie, tandis
oue
moi malheureufe Je n'ai- nulle
�onfolation; mon ame fatiguée a beau
s'élancer vers toi, elle ne te voit ja
mais, que dans des régions incon
cours
notre
-
nues •
&
ton
de
Il ne' me refle
que le trifie plaifir
t'écrire, puiflai je ne l'avoir ja
-
mais connu, pui:!Tai
je n'avoir eu 'be
-
foin que' de mes yeux
p';;ur t'exprimer
&. de mon cœur pour
te le
Nous
étions fi heureux,
prouver!
mon
amour,
Zeïr!
Que peut on défirer après le
bonheur? Pui:!Te-tu ne pas trOp amè
rement
-
regretter celui que tu as perdu!
puiffcnt les nouveaux objets-qui vg_nt
frapper tes regards, porter à ton cœur
ces
fenfarions délicieufes qui nous font'
bénir notre exiilance
de
ta
Zulica te foit
la 'douce odeur de
,
que 'l'e fouvenir
agréabie comme
nos
prés au matin
.de
l'année, & que tout le bonheur
qu'elle a perdu puiffe être ajouté au tien.
image fuit devant elle.
A )
:
Lettres
T'aitlennes,
���������,
LET
T
vas
ce,
tu
-
devenir quand tu
fatal fecret.
apprendras
Cependant ces Etran
gers font venus chés nous, le hazard
la curioûté les
y amena, l'amour
feroit-il moins
ingénieux?
REl I I.
ou
Z U LIe A à Z E ï R.
Que m'a
dit, que viens-je
(l'apprendre? quoi ZeÏr, mes Lettres
-t-on
parviendront que quand tu fe
ne
te
ras
au
terme
des
quand
de
ton
voyage, que
immenfes
nous fé
efpaces
pareront, que quand peut- être il ne
fera plus -poflible de nous réunir?
Cruels!
vous
vous avez
aurois
-
tu
no�s
trompés,
abufé de' notre
fimplicite: ;
avez
quitté
Zulica , fi l'on
t'a
dit qu'il faloit ne
plus la revoir il au
cette terre qui t'a
'Vû naître, ce pere vénérable
,
�ui prit
foin de tori enfance, tes amis
tes
de
biens
les
barcompagnes? Que
bares t'ont ravi, qui pourra jamais
les rernplscer dans ton cœur! Ah ce
n'dt plus fur moi que je
pleure, c'efl:
rois-tu aband6nné
,
,
fl<r toi,
c 'dl:
fur ta credulité
,
que
'le
pourrois
Peut
-
tu
Pourquoi
pû ?
pas ce qu'ils ont
être n'ont ils vouluque rn'ef
fraÏer pour jouir de mon
inquiétude;
Ce n'ef] pas
-
-
d'aujourd'hui que je
m'apperçois que ce peuple léger peut
[e faire un jeu cruel des
peines de
{es femblables. Le croirois
ces
François fi doux, ces
-
tu
ZeÏr,'
François
auxquels
nos
plus belles Taïtiennes
fe font empre{fées d'offrir le
bonheur,
plus nuire des ingratitudes ont
maltraité ba{fement ceux de
nos corn.
patriotes auxquels la beauté & là
jeu
ne{fe donnoient le
plus de droit à la
par la
concurrence! Nos femmes
ép(')uvan
tées ont refllfé à la
violence ce
que
l'llfage leur préferit d'accorder à. l'a
mour, alors ces fiers &
jaloux Etra�_
gers,
oubliant les droits
facrés de
l'humanité, ont ofé violer I'azile que
A 6
Trûtiennes.
Lettres
]Z
ux
fouillé de
J'étois hier (ur le rivage, mes ye
auffi loin
fixes [ur la mer fui voient
aux
que ma
leur
:Il0US
accordé ;
avions
i}s
ont
fang ces gâ[ons contactées
plaifirs. Pour la premiere fois
& la conflernation fe font
l'horreur
.
'-
repal1 d ues dam notre Isle; ni, la jeuneITe, ni la beauté n'ont été refpe8:ées-;
la contrainte regne [ur tous les vifages.,
pouvait porter, la
le
à ton v ailleau
que je vis prendre
adieux
jour où je reçus tes funeftes
le voir en
quand tout à coup je crois
un
core dans le lointain, je trerraille,
,
,
la défolation efl au fondde nos cœurs.
fremiITement
J'ai oublié ma propre douleur, je
mes
penfe plus qu'à
mes
ne
amis. Que feras
tu, bon Zeir , au milieu-de ce' peuple
de méchans ? Oh reviens, franchis tous
cbilacles ç- reviens!
les
eflaçercnt
que
tu
de
auras
ta
vie
larmes
mes
tous
les infian,s
pafrés loin' de moi �
ne
cher
-Z:eïr,
mes
ce ,
mon
cœur.
au
femblent diflerentes
larmes
Ecoute & frémi en voyant.
.
1
plus attentive
perçois le vairreau français, j'en di
fl:ingue un autre dont les couleurs me
me,
l'air [e..rein
me
,
la mer etait cal
laiffoit voir le feu
épouvantable du canon; tous nos ha
fond de
� quels hommes tu t'es livré,
confiderant alors
ment l'endroit d'où part le bruit, j'ap
coulent plus, mon ame efl: flétrie',
I' horreur & J'effroi (ont
dans
les yeux [ur l'endroit où îe tiennent
les François, je vois avec [urprife que
leur vaifleau n'efl: plus à la même pla
Z U LIe A à Z E ï R.
mon
circule
veines,
.
LET T- REl V�
,
nniverfe 1
;
j'approche le plus p�ès
rn'eft
poffible & prêtant une
qu'il
oreille attentive, je n'ofe même re[
de canon me
pirer; plufieurs C'OUPS
confi.rment dans mon erreur, je jette
������-.ll=�
Z e�r
route
vue
.
bitans accourent, les plus anciens de
bherellt [wr le parti qu'il faut prendre-
\
Lettres
réparer
pour
les
deux
vai{feallx;
quand des cris horribles
redoublent
notre
attention, à l'infiant le valueau
'Ir
Tai.tien.nes.
15
\
nos foins & ceux de quelques,
malzré
b
.homrnes vraiment merveilleux qu'ils
_
nomment
,
du
ennemI
françois difparoit & s'engloutit dans les flots Nos us
pl vIgou'
.
Taïtiens s'élancent dans la
reux
pour tacher
de
ces
malheureux, les autres fe jet
tent
dans des
pirogues; mais
leurs efforts ont été
pu,
pres
mer
quelques-un:
de_fécourir
fauver
tous
inutiles, ils n'om
douze, hommes de
que
d� deux cents qui comp ororenr
1"
Ces
Etrangers fe nomment
'Aeqlll�age:
Ils,
n,glols, parlent ulle autre langue,
chef entend la
françoife,
�al�1e leu,r
IUJ fers
d'interprète 1'1 p'arOlt
r:>
,
.
'
r.
La
.
FrançOIs
"
,e
plupart des
ou
avons
mourants
oublié leurs infultes
no,us
PUIS leur malheur , tous
nos
,-
encres
les
empreiTent
'
a
de�
compa_
,
s
Mon ame , chez Zeïr :1 n'avoit point'
d'idée de tant d'horreur, dirois-tu
froid que ces mal
que c'dl: de fang
heureux fe font a{l'affinés! Ils ne fe
haîfloient point, c'efl pour plaire à
-Ieurs
maîtres
reciproques qui [ont
brouillés, qu'ils s'égorgoient à peux
mille lieues' d'eux. Aujourd'hui ils fe
la
témoignent de la bienveillance, de
bonheur d"t re
.
le,u de la douleur qui m'accable je ne
font morts
meurt
quelques uns de ces termes, morr
efprit s'y perds, mon cœur fe refufé
li
pas II1leniible au
utile à un 'C,
inrorrune,
Chirurgiens, il en
jours quelques -uns,
& au ml-
.
.
,
,
fUI s
les
pitié, ils [ont touchés des maux mu
tuels qu'ils fe font faits; c'étoit par
convention, par devoir qu'ils fe bat
toient. J'ai voulu me faire expliquer
reconnodTant de mes foins
'
tous
1 eur
procurer
fouJagemens qu'jls déiil;ent.; mais
-
� la per[uàhon & tout mon être ré
de détruire tranquillepugne à l'idée
femblable.
fon
ment
'
Fuis ces hommes dangereux qui éri
renonce
gent les crimes en vertus,
à
� leurs fciences defiruétiyes , leurs ia-
ro
Lettres
ventions
Taitiennes.
dangereufes. Reviens conf
truire de riantes cabanes à
tandis qtre fa main reindra
dont tu te
nous
Zulica,
l'étoffe'" )
pares , de ces, belles couleurs
que le foleil
il
ta
laiife après lui
offre l'image;
J
vermeille ne s'ouvre que pour chanter
d'amour. C'efl: en arrivant
rh
ymne
'que je m'emprefle de t'écrire
&
rappelle toi ces
voir renaître ,Jes
ame, ils te rendroient malheu
reux, ah j'en ferois plus mi[érable!
�����=*�*
LET
T
R
V.
E
de
naître
tout
ce
quittée.
nos climats, j'y
pur que dans
flétriroient
regrets
&
vention pour ma patrie, foit regret de
L'air me Icrnble ici moins
t'avoir
'
-
ton
,
vu
qui rn'efl cher.
Te le dirois-je ma Zulica [oit pré
jours heureux, où ces douces occu
pations nous délaffoie�t du repos regrette les quelqLles fois,
:._ mais
non, fonges' plutôr
tu
que
pourras les
l
terre qui
qui renferme aujourd'hui
faluer cette
& dont
m'a
.
refpir:
plus difficilement, mon cœur oppreffe
a
peine à retenir les foupirs qui s'é
chapent de ma poitrine; je ne fuis que
depuis deux heures dans cette ville'" .)
& le bruit qu'on y entend m'étourdit
& me fatigue; au moment où je r'é
Z E ï R à Z U LIe
A.
cris, une impatience involontaire me fait
Q É le di :iri Eatoua verre fur toi
[es
de me recueillir � & de rentrer au fond
de mon ame pour te la montrer toute'
U
ton
plus doux préfens; ma Zulica, que
teint éon[erve
toujours la fraîcheur
d'un beau matin; &
que
ta
bôuche
maudire le vacarme
qui m'empêche
Cependant je remarque dans
les François un air emprelTé qui me
flatte en rn'ernbaraflant je ne fçais ft
entière.
,
") Les Taîriens Ont l'invention de
plus belle couleur de
pourpre,
la
------------��----
') Marfeille,
18
Taitiennes.
Lettres
c'eû à la confidération
que l'on a
pout
digne chef, ou à ma qualité d'é
tranger que je dois ces obligeantès at-'
notre
fanee de la langue me fera pour cela
d'un
je ne {aurois [ur
grand {ec_ours,
,
de cet art
trop bénir l'invention
de lieues de toi me
milliers
à
des
qui
donne la faculté de t'exprimer mes
auqu-I je m'accoutumerai [ans doute.
penfées ; l'on dit qu'il arrive bientôt
mais
te�tlOns,
fuis
quoiqu'il en foit, j'y
(enfibl�, malgré ce ton bruianr
Cette bonne nation me
plait & m'interefle.
tout
un
.
Je veux étudier les mœurs &
m' y
f,
car
me [ou
ras
fans doute qne tu m'au
ecrit. Adieu chere Zulica, puiiTe
vaifleau
,
COI� oro:;;
10�'fql1e
je
,
viens
que
le mé
.
J etuis encore à Tairi
,
pm que quelques François ont mon
tré pour nos
refpeétables coûturnes m'ab
voit deplû , .,
Je t avouerai cependalH
.
une
chore
�ui
me
fâche {ans que je [a-
che trop
101 �
pourquoi
avec
&
,
Il.
.
l' air
C err
{ur
de la
core
feras
,
jeuneiTe & puiiTai-je te voir en
la plus belle de
retour
les Taitiennes ,
toujours la
u� arbre, mais plurôr confidérer fi [on
Je
veux
être utile ou
agréable.
[oigneu[ement m'informer
de tous les ufases du
b
pays pour n en
bleiTer aucun & ne
pas tomher dans
la fame
que j'ai blamée � la connoif'
,
tu
en
����������
mine
faIre peu d'attention a' 1"
ecorce
nous
plus
comme
aimée.
.
lequel on examine ici ma
abri peut
tes
à- mon
toutes
Cuneux
J
cl
tems
LET
T
R
ZE ï R
à
Z U LIe A.
�nes .habits ; il me [emble qu'on de
vroit
paix entretenir long
joues les brillantes rofes
le plaifi.r & la
.
T
A
mes,
E
V I,
douleur, ô-la plus belle des fern
a
paiTé dans mon arne, je viens
de les recevoir ces cara"éteres chéris que
tu as trempé de tes larmes,
je les ai
pofé [ur mon cœur & les yeux tour
nés vers la terre que tu habites, J'ai
Taiiiennes.
20
Lettres
prié j'Etre bienfaifant,
vans, de
dre
que nous fer";
rendre la paix à
ton
abfence te couteroit tant de
larmes,
je me repens de mon imprudence; je
tendre Zulica
,
au
nom
Zlllica, ma
de I'amou- qui
gémit au fond de mon fein', modere
ta douleur,
tu reverras ZeÏr
qui pourrait m'arrêter, �e fuis-je p3S
libre? ne crains rien de l'efpace
qui
nous
fepare, je [aurai le franchir pour
te revoir. Mais ciel
que m'apprends-tu
de ces François
que je croioi� fi doux,
François
une
l�
pafler de la douceur a
même infl:ant
la cruauté',
Jamais, non jamais je ne t'eufle
quittée fi j'avais pû prévoir que mon
détefl:e une vaine curioûté.
je m'y perds quand
ten
cœur.
21
je le vois dans
ne
Ierois- ce pas
que
le·
efl: ·trop
léger pour garder
impreilion durable; le caraél:ere
de ces hommes indéfiniflables me pa
rait refTembler à
ble qu'on
ces monceaux
trouve au
de fa
bord de la mer.
& auxquels nous voyons prendre
formes les plus bifares, fuivant les dif
J�s
ferents
vents
qui les agitent.
__
_
-
cacheraient-ils la noirceur & la barbarie fous des dehors charmans? ils
pu verfer le fang de bus Iernbla-,
bles & profaner
par le meurtre ces
lieux confacrés à l'amour. Je
C0111ont
menee à n'le repentir de ma témérité
& tOlIS les jours j'ai lieu de
i!lgër par
ma
propre
expérience que ce peuple
paru d'abord;
n'efl pas ce qu'il m'a voit
Je n'ofe
fur rien, je
encore
porter de jugement
crains d'être
injufl:e, ce
me
pendant la [cene que
m'a fait frémir d'horreur: Je me fepre·
tu.
racon:e
campagnes rougies-de fang.
compatriotes égorgés & leurs jeunes
amantes �lIyant la fureur effrenée de
fente nos
110S
leurs meurtriers, que faifois-tu �lor�
douce Zulica? dt-tu devenue la proie
de
quelques-uns de ces lâches aflaf
:Uns, ont-ils ofé porter leurs fanglante!l
mains fur
tes
.innccens appas, auroit
tu
été forcée d'accorder à la violence
c.e
qui ne doit être que le prix du pur
Z2
'Taitiennes,
Lettres
amour? Comment la terre ne s'efl
elle pas entre-ouverte fous les
te
pieds de
perfécuteurs innocentes viélirnes ;
vos
pleurs n'ont-ils pas defarmé les barbares; ils ont donc ofé
_violer les droits facrés de l'hofpitalité
vos
& arracher à main armée des faveurs
que la beauté leur offroit.
Nous partons dans un mois pour
Paris. C'efl la ville principale du
Royaume; l'on m'en raconte des mer
veilles, malgré cela je quitte celle-ci
à regret par la commodité que j'ai de
t'écrire journellement, je fçais que tu
n'en reçois pa, mes Lettres plutôt que
peut-être elles l'!e te parviendront que
toutes à la fois; mais je t'écris, ce
plai
,
;(ir trompe ma douleur, il me fait ou
blier pour
quelques infians que je fuis
loin de toi, & lorfque je m'en [ou
viens, je confidere fi non [ans cha
grin, du moins [ans déféfpoir l'efpace
,
qui nous fépare
que (ont
les obfiacles à qui a du courage?
Je � veux lier queLques connoiûan,
avant
<.lirai
de
mes
quitter Marfeille
,
& je
remarques [ur la nation.
Je.ne te parlerai guere' de la beauté,
,
comment
immenfe
2
,
ces
'
de j'étendue & de la commodité des
bâtirnens que
cependant je trouve ad
mir ables en l_çs comparant aux nôtres ,
c'efl
mais
que je fuis perfuadé qu'il
raifon de nèceflité dans le
foin que les François ont pris pour
entre une
perfeétionner ces' arts. Quelle appa
s'ils avoient
rence
que le nôrre , &
lin
ciel
aufli pur
pareille égalité'
une
de
fai[ons, qu'ils préféraJTent leurs
palais dorés qui borne leur vue, & les
emprifonnent à
d'où
ces
riantes cabanes ,
pouvons découvrir le [0leil dans toute [a pompe, [ans être
nous
incommodés de (es raions. La meil
leure preuve que je ne me trompe p'lS
dans mes conjectures s c'efl
qu'ils cher
chent à imiter à force d'art le;' beau
tés qu� la
Les
nature
�roderies,
nous
prodigue.
les
peintures, dont
ils décorent lèurs
appartelJ_1ens repré
fep-tent toujours ou l'émail des fleurs ,
,
Lettres
24
le verd des
ou
rentes
nuances
raient-ils
Tait'iennes.
prairies ,-ou les diffe
du ciel: fe
avec tant
procure
de peines ce qu'ils
-
pourroient avoir fi facilement.
Eh. bien lé croiras-tu chere Zulica J
prends
mais
beautés faé.1:ices
me
feduifent mai
gré moi fadmire l'induflrie de· ca
peuple ingénieux, & je fuis {auvent
tenté de me proflerner devant des
horrîmes qui ne (ont que mes fernbla
bles, mais dont le {avoir prodigieux
J
m'altere.
Du refle
logie
entre
leurs
moeurs
& les nô
refpire ici le plaifir les cam
{ont
riantes et je les vois cou
pagnes
vertes d'une multitude de gens qui les
rendent prefque aufli bruyantes que les
tres J tout
,
villes. Nous femmes dans le
tems
de
la récolte, chacun recueille à préfent
ce
qui doit Iervir à fa fubûflance toute
J'année, c'efl à-peu-près comme chez
110U�; mais
n'y
a
ce
qui m'étonne c'eft qu'il
qu'une partie de la nation J qui (oit
chargée de
ces
fondions utiles. J'ap-
prends
fait des ufa
ali
me
-ges, que je
puis
r�n
dre compte à moi-même de ce nou
encore
tourbillon d'idées
J
qui fe fucce
dent dans ma tête.
Je crois que la vie unie & paifible
que nous menons à TaÏti dès j'enfan
ce,
influe {ur
nos
car
nos
am es ,
comme
fur
de même que le Fran
corps:
çois eft plus délié &
nous
je trouve beaucoup d'ana-.
je
jours quelque chofe ';J
les
fuis fi peu
ne
veau
ces
tous
plus agile que
dans fes rnouvemens , de même
fon efprit reçoit
plus vite
les
fenfa
tians, & compare plus rapidement les
idéès qu'elles font naître.
_
La langue de ce.
païs bien plus éten-'
due que la nôtre prouve ce
que (a
vance. ce ne peut être que la nécef
fité d'expliquer plus d'idées,
qur'Teur
ait fait iaventer plus de
mots; cepen
dant ils ont une'
de
dans
la même
erpece jargon
langue, qui parait à l'ufage
des gens de diûinélion
,
que je trou
ve
vuide de fens;
efb-ce
faute ,de le
Tome t.
peut-être
comprendre, je ne (çais fi
B
1
1
Lettres
T'altiennes.
prévention, mais notre
&
langue me paroit & plus douce,
: il m'eff plus agréable
plus expreflive
rie te dire; que je t'aime dans cette
les fons
langue fi molle, dont tous
les
fentirnens
auffi
font
qu'elle
doux, que
faifoient à chaque in fiant naître de nou
c'eil
encore
J
exprime-; il me femble que nous avons
ceflé de nous entendre, depuis l;'le
nous
parlons un langage étranger j
neanmoins cultive la langue des Fran
c'ef
çois, aime-la ma Zulica , puifque
de
bonheur
le
nous devons
à elle
J
veaux
entretenir, & crois, que dans
quelque idiome que tu t'exprime,
coeur repondra toujours au. tien.
mon
�������)�
LETTRE
VII.
graces prévenantes des
TaÏtiennes , leurs agaceries, 'ces coups
d'œils enflammés
le
J
ma
Zulica,
font ici charmantes,
tout
la manie
Françoifes
finguliere de d&Eendre ce,
qu'elles viennent de .nous offrir; avec
fierté qui m'a glacé de crainte au
premier hommage que j'ai voulu ren
une
-dre à une de ces enchanterefles.
Ce n'efl , m'a-r-elle
dit, qu'à
ma
d'étranger, & à l'ignorance ml
-qualité
je luis des moeurs du -pais qu'elle a
pardonné ma témérité. Conçois-tu,
qu'une femme s'irrite de ce que j'e la
�
trouve
je
me
belle? Il e{1: vrai, que tant que
fuis contenté de Jouer fes char
..
les femmes
&
fOllrioit, finement à quelques-unes
confir
-de
mes
me
meroit dans l'idée, que les Françoifes
ont
fignal
ont
font chez. nous
qui
du bonheur J les
mes, elle a paru fenfible à mes éloI
ges; elle m'écoutoit avec cornplaifance
Z E ï R à Z U LIe A:
EN vérité
doutes dans mon efpr it,
Avec les
que
nous
27
le même culte que vous, fi leurs
manieres bizares et contradictoires J ne
fixés fur
cette
exprellions
,
fes beaux yeux
les miens étoient
douce
langueur
fouvent dans les tiens
J
que
pleins de
je vis fi
& que tu
E
2
rn'ap-
Lettres
Taitlennes.
à
préférer :iUX regards exprefiifs
de la vive Dalila. Quelque fois elle
pris
pour
devoir être celle d'un vil fubor
& fans expérience, j'ai crû
-
rieur: jeune
les haiiloit comme s'ils euffent été fati
gués par le poids du plaifir. Accou
tumé à prolonger ces infians délicisux
,
yeux parcouroient lentement les
mes
1
cette
ame
et
que
dans
je voyois peinte
mour.
ce,
qui
avec
.
dit d'un
air de
mépris
,
me
faire te
repondre.
faute que je ne concevois pas, &
à
quelle rn'avoit pour ainfi dire; forcé
.
,
mon amour,
me
porter à
Interdit & confus , je ne favois que
Co mment me ju!l:ifier d'une
m'ordonna de la lai'{fer d'un ton
m'anéantir , craignant de lui avqir
elle
vous
plus [anglant affront.
for
j'allois me jufiifier �
quand preflant un virage plus [evere,
regards je vous ai
vos
,
crime, &
deplu pâr trop de lenteur à lui prou
ver
de
féduite par l'ex
plus faciles, & ne m'en
tretenez jamais d'une paflion que je
dérefle pu [qu'elle a pû vous diél:er IJn
'
Julie, c'efl le nom de cette jOi
lie Françoife , me repouflanr
preffion
l'amant, qu'il
vous
que
des femmes
chercher [ur [es lèvres
fes yeux. Juge de mon étonnement,
quand je vis la frayeur fuccéder à l'a
cœur,
reflernblent à tous les hommes & qu'ils
des fens; allez Zeïr chercher
n'ont
fa tranquillité, je voulus la {errer dans
bras
en
mon
crû une ame, je vois que les Taïtiens
charmes, quand à b. fin étonné de
mes
avoir trouvé
faloit à
commettre;
piqué d'ailleurs, ':de l'air
paroles dures dont elle avoit
accompagné ces reproches, je Ientis
& des
_
que
infiant ces vifs tranf
jE' ne vis jamais [ur le virage d'aucune
éteindre dans
femme : GeU don là ces mœurs firn
pIes que' j'on m'avoir vanté, & çe
ports que [es yeux venoient d'allumer
cœur
honnête
dont
cm
j'avois' crû voir
rexpre$on- fur une figure trop aimable
moi, l'affurez
mon
.
un
vous,
tour avec toute
lui
dis-je à
la froideur dont
peut être capable un TaÏtien meprifé
...
B 3'
,
Lettres
30
Taiziennes.
fuis fans doute trompé au lan.
-Julie me regardait alors de maniere
gage de vos yeux; fi. j 'avois crû. que
faute que
à me faire retomber dans la
mon
mais
venois de commettre;
je
ma
me
perfonne vous fut odieufe, quel
que belle
ne
me
que
je
m'ayez paru, je
vous
ferois expofé à
llll
amour
je
premiers
ne m'avan
je
rien;
que
voyant
pondis
la jolie
çais pas même pour prendre
retira
la
elle
main- quelle m'offrait,
fan
fiége
en rougiITant, puis éloignant
refus hurni
liant: Les
ufages de mon pays qui
paroifloienr fi. ridicules, m'ont'
:.lp�ris que le plus fanglan! affront que
puifle recevoir une femme" c'efl de'
vous
rencontrer
d'un air de
de la froideur dans l'homme
qu'elle a choifi pour le combler de
fes bontés; nos femmes n'en connoif
fent point d'autre:
tendres, & for
mées pour le plaifir elles choififfent
'librement l'amant qui leur
plair &
quand leurs yeux l'ont nommé, il ne
craint
plus de fe méprendrè, al! de
elle avec
leur
deplaira par un excès d'amour.
Qui vous dit, me repliqua Julie d'�1U
ton
radouci � que
fen{�,
ce
votre
amour
font feulement vos
m'of
étranges
qui m'ont choqué'e ; jurés
moi de Ile
plus me manquer, & vous
mameres
oublier à ce point,
tendant la main.
r.:tl«":.('">._o··�""._
Te
fo\cé, lese.hern
fouris
pays font d'étranges
il faloit bien que je .fuffe
votre
:
folle, quand j'ai ofé
,
ne
dépit, en vérité, me dit
un
créatures ,
me
livrer
au
Ienriment qUè
m'infpiriez.
Ces mots étoient clairs, ils firent
vous
évanouir mes ré[olutions dans un inf
tant, je me précipitai à {es genoLlx,
& faifiITant une de fes mains que je
a vec ardeur,
pourquoi donc.
dis-je, belle Julie, fi je ne VOLlS
baifois
lui
m'avoir
fuis
pas
avec
tant d'horreur?
en
ajouta-t'elle, en me
de
mes
,
,
bleffé de fes
propre cruellement
refus l'emporta,
odieux,
vérité la
repouffé
Pourquoi? Mais
quefliori efl: bonne,
me
dit-elle', en·il poflible CIne vous foyez
B 4
Lettres
32
:fi peu
pas fa voir que
que
vous
vous
pour ne
m'offenfiez" &
m'offenfez encore par la
dans
rure ,
pof
laquelle vous vous tenez
penferoit- on, fi l'on
devant moi. Que
vous trouvoit à
mes
genoux?
L'on
penferoit que je vous adore';
lui
réporrdis-je avec véhémence, que
je rends homl'l1age à l'ouvrage le plus
parf ait; qui Ioir forti des mains de la di.
vinité ,& fi nous étions à TaÏti
,
vous
m'aimaffiez comme vous le
toute
la nature
& que
dites,
prendroit part au bon
heur de deux amans; le Dieu
que
y Cervon! reçevroit
nous
l'hommage
1
de
nos
plaifirs
,
comme
l'offrande la
plu� agréable que puiITenr lui offrir
des créatures qu'il aime, &
auxquel-
\
-
'les
il
Taitiennes.
fait de nos mœurs,
au
commuiiiqua une _étincelle
de fa divinité, que
pour leur donner
ne
la faculté de
gotltèr des plaifirs célef
tes.
Je remarquai alors avec
quelque
Julie vouloit me câcher
,_ que
{urprife
l'émotion _que lui
caufoit
mon
dif-
levez
eours ;
Zeïr, me dit- elle
vous
ufages {ont
n&tre�, que je vous
une con d LUte que v os prinpardonne
cipes juJl:ifi€nt; mais, fi vous m aimez
d'une voix altérée,
vos
fi. differents des
.
,.
véritablement, il faut
me
promet:re
.,
.
de renoncer pour Jamais a d es marne·
ma
res qUI me revo lt e nt , & prendre
-
.
_
,.
'
façon d'aimer; j'y confens, lUI diS-Je,'
:fi �lle eJl:
plus propre à vous expn
m�r ce que vous m'infpirez.
Julie dans
cet
monter fa mere,
inilant
entendant
,
n'eut ,que le tems
-
�e
avoit
qu'elle,
défendre de dire
reprendre un ouvrage,
un
qUi'tt'e, & de 'De
de ce qui venait de fe paITer. en-
mot
tre
aux
je ne vouleis l'expo:e:
plus grands malheurs &, moi .a
nous,
fi
,
celui de ne 'plus la revoir. Je promis
de me conformer à ces ordres, &
Madame
de
St. Val
entra
conduite
par le Comte de Brunoi , notre aima
ble Chef.
Bonjour Zeïr,
me
dit la m�re de
Julie , qL10i tête à tête avec ma fille?
13 5
.-
Que lui
dl liez-vous
de
[ans
en
donc?
Et
tout
entendre ma reponfe
[u:t� � Comte, dit-elle à Mr. de
,
vente
Brunoi ,
avec
qui
m'avait
bonté: je lui
à fait françois
>
déjà
trouve
embraiTé
un
air
tout
c'eût été bien dom
vous
-
petit
vous allés faire à Paris,
que
:loyage,
Je te menerois à la campagne, & à,
votre retour il_ Ieroit
plus en état
d'être préfenté.
veux
-lVladame, lui repondis je: je me
fuis accoutumé depuis long-tems à vi
Mcnfieur
vre avec
,
comme
bien
Madame, dit le
quelque u[age, & trem
blant à chaque inflant davantage de
où je
m'exprimer dans une langue
ne faut pas dire tout
m'aperç-ois qu'il
ce qu'on
penCe.
Voyant que j'héfitois Madame de
St. Val me dit en me frappant douçe
ment fur l'épaule: eh bien mon fils,
Ile
voulez vous pas paiTer quelques
encore
agréable
la
terre
d�l Ioleil après un épais
mais
;
j'ai quelquefois
celle
brouillard
quitté ce- pere chéri, pour jouir
>
-
avec
de la
fociété d'une rnattrefle aimable. En di
[ur
yeux fe tournoient
alors
,
la belle Julie, & il me fembloit
fant ceci
mes
ajoutai-je: que j'avois autant de joie
les.ardeurs
qu'une plante deiTéchée paï
du midi doit, en reffentir aux prérnie
res
gouttes d'une
fraîche rofée qui vient:
humecter fon fein. J'entends votre re-:
,
mois
je vivais
bon pere que j'aime
à Taiti
tendrement, & dont la prélence était
à mon cœur que l'efi à
aufli
un
-
Comte, fi ZeÏr y confent. Je-ne re
pondois rien, tant je craignais de hlef
fer
crifice de l'aimable (ociété du Comte?
avec
mage qu'il mt refié à TaÏti,
devriez me laiiTer pendant le
Je le
�5
Taitiennes.
Lettres
34
nous, & nous f�ire le fa-
ponfe mon cher Zeït·
,
me'
dit' le Co mte
avec un
fourire affettueux , demeurez ,
je vous
reverrai bien-tût, & j'e[pere:
vous
pour
qué dans quelques mois d'ici
r-ez me
-
fuivre dans la Capitale.
Comme il vint des vifites
l'
,
verra t'IOn- en cl emeusa-,a. J e, te
r.
..
R6;,
la con-·
�
.'
renaraa
-,
Taltlennes.
compte de tout ce qui m'arrivera d,é!
rrouveau
ma chere Zulica
car je
fçais
,
,
que le tendre intérêt que tu prends à
moi te fera
mes
ou'
peines
plaifirs; puiflai -je trouver dans
Julie un coeur qui re:fTemble au
tien.
& pui:fTes-tu choiflr dans mon
abfsnce
partager
,
mes
un
ami
aufli
tendre
que
je
le
fuis
pour toi.
LETTRE
VIII.
Ces défirs autre foi.> la fource de mon
bonheur
me
L'ÉTRANGE chofe, m,,:. Zulica,
que les femmes de ce pays, les moeurs
des habitans , leurs coùturnes & le
genre
de leur bonheur. Je crois
qu'un
genie
malfaifant foume ici les maux, la contradiél:ion & la difcorde fur
confument
fans s'éteindre,
dans mes
mon
un
aujourd'hui
feu fourd circule
veines, & fait bouillonner
fang, chaque femme que je vois
cruel d'allumer en moi
des tranfports qu'elle rebute; la bifare
Julie évite de mi: voir feul, & m'a dé
fendu de lui parler de mon amour de
qui que ce foit. Sa mere m'ob-'
& me boude fi je me place au
de
près la fille plus volontiers, ou que
je lui donne la main de preference à
la promenade; elle ,dit que je manque
à ce que je lui dois & aux égards, qu'on
nomme ici la
polit�ffè; le C;mte' de
Brunei efl: parti, je n"ai perfonne à qui
confier mes peines ou qui pui:fTe m'inf
truire des finguliers ufages de ce peuple
vant
Z E ï.R à Z U LIe A.
f
,
tout ce
qui refpire; je me croirois tran[porté
:il Ënoua-motou " S� ce n'éioir la
)
pro-
ferve
,
bifare. Madame de Sr. Val
-
-
-
-<\"")">1..-
-_
�:-r
_
.., __
--,.-,v- ...
s'amure
quelque fois de mon embarras & je
m'apperçois que mon air étranger d�
-
.") Ille deferre que les 'I'airiens regaK.�.
�tent comm. le lieu de leur enfea.
r:oo�r;\
,
je ne me reconnois plus au milieu de
I'inquierude étrangere qui m'agite.
fe fait un jeu
�������
71
rdigiei.!Ce diflance où je fuis 'de Taïti
Lettres
TaÎtiennes.
fement pour Julie>
en un mot
rit en
·tends
avec
d'impatience
j'en
avois de
m'examinant; mais ce ris n'eil:
bienveillance, il eil: de mo
point de
querie. Ces remarques m'affligent, elles
m'humilient. '1-)
fait
.
un
Ce
peuple
vain
me
crime de n'être pas né Fran
fçait-il donc pas que tout
nou veau nous
dl:
parait Gngll
qui
[ans
lier,
que le ridicule fubfifle ail
çois
ne
,
ce
1
leurs que dans nos -yeux? L'on dit que
le frere de Julie arrive bien-tôt. L'on
te
abfence je te préparois
nouvelle cabane
que
revoir. lorsqu'a près
avec
des
une
branches
coupées> & que j-e t'y
un trone de gafon, parferné
arrangois
de ces fleurs odoriférantes que je cul
fraîchement
,
tivois pour toi feule. Doux fouvenirs
de mon bonheur vous faites encore
treITaillir
délicieufement
mon
ame;
non tous les
& fenfé; je
lits en broderie> ces appartemens tapi(
ne
Içais encore trop quel
mais il m'a
Si le jeune Se. Val eil: tel que j'on
me l'a de peint , je veux en faire 1110n
ami & le
confulter fur mille chofes
je lui dirai mon
goût pour (a fœur, la bifarerie de fa
qui m'inquietent
:
conduit_€! , la mauvaife humeur de [a
mere
quand je montre trop dempref-
..,) Il
n'eû
'point de pays où j'on par
donne moins l'air
-�-----
-<)�·I ....
une courte
autant
allure que c'efl un jeune homme aimable
fen� on attache à ce mot;
paru un éloge.
-=�o
39
Je l'at
vertit fous ceux qUI m'obfervenr, L'on
� __
'1-�
_
étranger qu'en France.
raffinemens du luxe.,
ces
fés des plus riches 'ètoffes , ne me _fe�
ront
p oint
éprouver une Ienfation fi
volu ptueufe qu'une prairie émaillée de
fleurs nouvellement éclofes
&
,
cou
ronnée par ces bofquets que la nature
fe plût à femer dans notre île fortunée
pour fervir d'azile à d'heureux amans.
o douces mœurs de mon païs,
ingénuité de mes belles Com
les plaifir s purs
pagnes, que je regrette
aimable
& faciles que vous m'oflriez & que
mon
imprudence m'a fait perdre.
,
1,1.1
III
quelques jours à
Nous allons dans
la campagne, Julie m'a dit à la de
robée que nous y ferions plus libres
& moins o.bCervés; mais à quoi
fervira
cette
de
eÙe
liberté li
nous
fe croit
à elle même la
'impofer
obligée
plus auflere contrainte.
s
Son frere fera du voyage, on' l'at
fous peu
tend
jours, peut être'
plus tranquille. Le
de
qu'alors je ferai
-
Comte de Brunoi en partant m'a vi
vement recommandé
Val, il m'a laiITé
de
ce
à Madame de St,
un e
bonne quantité
métal que tu connois fans le
ne fait rien en France: l'on
quel
on
s'en
Ïert pour 1 échanger
utiles
à fa vie &
fe procurer tout
ou
ce
les
chofes
généralement pour
qui dl: néceflaire
agréable.
Je
ne
conçois pas bien
que l'on
donne quelque ohofe de vraiment utile,
pour
un
morceau
d'or
qui
ne
peut
fervir ni à fe vêtir ni à fe nourrir,
l'on m'a dit que c'étoit pour faciliter
les
41
Taitiennes.
Lettres
40
échanges. & que cela revenoit
parfaitement,
même, cependant
au
métal que la France
s'épuifer,
peut
ne
produit pa!>
efl:
pas de'
terre
que l'ac
multi
il' n'en
même des fruits de la
ce
tivité des habitàns pourroient
vrai comme
t
,
1
1
on:
plier, furtout s'il dl:
du pays
l"aITure qu'une gra�lde 13artie
1
en inculte.
J'écoute beaucoup' & ne comprends
chofe bien des François
pas grande
m'ont paru dans le même (las & cela
me confole.
,
Il y a ici
or
,
ni
reux
une
autre
refervé pour
merce
forte de corn":
qui n'ont Iii
Ceux
il y a des malheu
I'état n'a rien donné
car
t-erre ;
aùxquels
ceux-là fe vendent &
pour vivre,
ou telle quantité de ce
telle
pour
cieux métal, ils fe donnent à un de
pre:
leurs Cemblables qui
de les
employer
pénibles.
Il y
a
un
parait plus
aux
acquiert le droit
travaux 105 plus
troifleme
�
ufage qui me
naturel: c'efl que l'homme
le plus ind\"'fl:üellx vend à [;'1 v oifin
1
-
Leures
42
parefi'eux l'art d'embellir fa mai(on;.
ou fa
perfonne d'une foule d'orne
mens,
ou
de commodités
,
toutes
quoi mettroient
car
quelqu'un qui
de' croire' qu'elles
chement
qu'ils n'ont
fur les queflions que
Les femmes
jamais
je leur propofe.
{ur-tom,
autant
que
j'ai pu le remarquer, ne [avent parler
que d'une .ch ore, ôtez les de ce fujet
elles [ont [ur tout le reûe d'urie igne-
,
,
on nous
cette
obfer
eit bien plus tendre quand j'ai
feule.
bonheur de- la rencontrer
Chaque felume parle
le
perfua
que
ve ,
'
refléchis
tacitement
Julie fi refervée quand
point eux
toute
je
ont
même culte que vous, je
oe d'autant plus aifernent
-
,
mêmes. & auxquelles malgré
pour
,
leurs foins
tous
me le
m'exprimer, foit ignorante de ceux
que je conlulre la plus part des gens
auxquels je m'adrelTe ou me repondent
m<?n attention il m'dl: irnpoflible de
trouver un fens; ou m'avouent fran
elles
contradi8.:ions ;
lU[l{u'ici foit defaut de
des chofes qu'ils n'entendent
-
à defo\er les hommes qui les entourent.
de
Je me perds au milieu de tant
celler
ne
mais
purs
puilTe & me comprendre, & me re
pondre;
paroit être
auffi tendres que nos TaÏtiennes
Il me tarde plus que je ne peux te
avec
fujet
leurs cOlwerfations
ce
dans
bien plus dans leurs têtes que
étoient
elles
fi
enfin
leurs cœurs. Car
que notre fimplicité, deviennent peu.
à peu auffi nécelTaires par l'habitude
que nos befoins les plus réels.
le dire de caufer
mal
favori de
cela l'amour
gré
&
plus agréables
-
avec
l'a8.:ivité de leur imagination; et
auxquelles
l'œil s'accoutume infenfiblemenr
qui fans être peut être
que
rance
43
Taitiennes.
je ne puis accorder
Je
'ici de l'ame ur
un enthouüafme
un feu
pr�pre
à l'exciter dans l'ame la plus frolde,
avec
,
& par un
caprice que je
voir, elles fe défendent
naître
ce
mentent
puis conce
toute 5 de con
fentiment dont elles
com
fi bien les effets.
-
Avec
ne
toutes
ces
Gngularités elles
44
Talt;enn�s.
Lettres
font adorables, c'efl
mêia nge
un
de
langueur dans leurs regards, & de vi
vacité dans leurs aél:ions
fi
des
lnallleres
,
'
,
.
obligeantes, une polite!fe fi affec-
tueule, une gaieté fi féduifante
j'on eil: à
derober
que
chaqu� ini1:ant tenté d; leur
de
un
ces
baifers que leurs
femblenr demander
Y:ux
Ou leur
au
moment
la leçon de Julie' & la
re';
tenue que
je vois aux autres hommes
je fuis devenu plus refervé J 0 brierve
'
,
"
,
.
avec
attention perfuadé
pay�
ne
ceurs de
rer ce
que ce beau
peut pas être privé des dou
,l'amour : pourroient ils igno
pas
au
-
grand
LET
T
REl X.
Z E ï R à Z U LIe A.
Il dl: arrivé
cet
le frere de
chere Julie, je l'ai
(e livrer
ma
[ans
aimable
contrainte
François;
aux
vu
doux
de fon coeur, qu'eUe étoit
pelle dans cet inûanr ! elle a ferré
dans fes pras cet heureux frere, &
pour 1;J. prémiers fois de mes jours j'ai
fepti un mouvement d'envie à la vue
du bonheur d'un autre; je te fais cet
,ilveu dans la honte de mon coeur,
Zulica
'Zulica, j'ai rougi de cette baflefle &
s'ils ne rendent
Eatoua le même hom
j'ai fait la n'dolution, de fuÏr plutôt
cette dangereufe fille que de lui don
bien fupreme? Non
n'en doutons
���������
mouvernens
bouche les refufe.
Depuis
45
nia
point,
mage que nous, il
que dans la manient.
ne
doit différer
der le pouvoir de me rendre méchant.
J'ai eu bientôt reconnu .rnon inju
flice & pour la l'epal'er, j'ai fait au
jeune Sr. Val toutes les amitiés dont
j'ai pu m'avifer fa mere qui m'a
prefenté à lui, lui a tant fait mon
�loge qu'il a repondu à mes carefles
,
Ir
Lettres
avec
une
Taitiennes.
franchife &
que je n'ai encore
cordialite
une
à
vu
aucun
de fes
lefquels je
ne
47
perfonne à qui
trouve
les communiquer.
compatriotes. Dès la premiere foirée
Je n'ai encore vu prefqu'aucunes des
fommes trouvés enfembles
chofes que les étrangers s'empreflent
le plus à viiiter ; ce font des
dir-cn
nous nous
comme
ft
nous
avions
y
été & pour la prémiere fois
toujours
,
,
je fuis en France je me fuis fenti dé.
hommes que je veux voir, & je trouve
faudroit être infenfé, pour être
livré de cette
venu
gêne inféparable de la
crainte d'avoir malfait.
M.
depuis que
de S. Val dl:
,
�aé
I:l
d'environ
qu'il
pofées de telle façon ou
rangés de telle maniere.
cette
d'une
aimable; mais
gaieté paroît .être l'expreflion
ame
paifîble & fatisfaite au
,
lieu que celle
de la
plûpart
de [es
pierres
des arbres
Un coup d'oeil donné en paflant fur
vingt-ux ans, d'une figure intereflan te,'
& de la gaieté la
plus
de fi loin confidérer des
ces
objets a fuffi pour me convaincre
que nous fommes à une prodigieufe
diélance de l'induflrie françoife.
Je ne fçais trop encore fi les foins
_
compatriotes reflemble aux
mouve.
mens
tumultueux d'une
mécon
qu'il a dû en conter pour porter' ces
differents .arts à ce dégré de perfeétion
tente
d'elle, qui cherche à s'étourdir
font préférables à la vie tranquille que
ame
qui' veut en impofsr aux autres.
Nous partons enfin dans deux
jours
pour la campagne, je m'en rejouis pour'
plus d'une raifon, il me fernble que
ces
idées que j'ai tant de
peine à
.placer dans ma tête, s'évaporent au
milieu de ces gr.ands Cercles, dans
ou
,
nous
il
ont
tranfmis
en vrai que
nos
ayeux ;
me
fens
je
mais
humilié
� il s'en faut peu
du
plus pénible travail, je
qu'au prix
ne défire
d'acquerir ces talens qui m'at-
de notre ignorance,
rirent.
Ah Zulica, Zulicà, pourquoi ai-je
I�
Lettres
48
nos fortunées contrées
q4itté
ne
connoit ni
je
me
l'envie;
Taitlennes.
il ef!: fi viUté , fi fêté, fi careff'é, qu'à
ni la honte?
peine a-t-il le loifir de dire 1I1l mot
obligeant à chacun.
Malgré ce bruyant qui m'étourdit;
j'aime' l'air careflant de cette aimable
nation; en vérité quand il n'y auroir
prémier fentiment,
reproche le
& le fecond péfe à mon coeur. La na
ture
m'avoir accordé [es vrais dons;
m'en dormois le prix ,
tu
encore
gu'avois-je
de vrai que la moitié des pr6tef!:ation ..
à délirer.
�������=:il:'�
LET
Z EÏ R à
MAL GRÉ
mon
T
Il
E
X.
Z U LIe A.
em�re:ffement à ql'lef.
fes, il faut attendre que [es
amis lui laiffent le tems de
Depuis
anciens
s'occuper
"-
il efl preflé ,
pouflé , porté par la foule
de [es connoiflances ; chacun lui parle
à la fois, le queflionne en même
tems, lui protefle qu'il ef!: fan ami,
ton
quement ici, l'on aurait
encore
lieu
Dans le nombre des amis de St:
Val y en avoient qui m'ayoient -dé
plû par leur extrême vivacité aujour
d'hui je leur pardonne tout en faveur
de l'empreflemenr qu'ils montrent à cet
aimable jeune homme; mais j'aime
J
encore
vin&t-quatre heures qu'il'efl
ici, il n'a pas eu deux minutes à lui,
du
qu'on a coûtume de fe faire récipro-;
d'en être content.
tionner Mr. de St. Val [ur mille cho
d'un nouveau.
-+�
où j'on
J
le plus propre à dire une chofe
q�'on ne voudrait pas perfuader ; enfùn
il
mieux l'air affeaueux avec le
quel il fe
prête à leurs carelles,
La fenfibiliré qui éclate dans leurs
demonfl:rations paroit être concentrée
dans [on
ame, & on
l'y cherche avec
plaifir. Sa mere feule paroit le voir
avec une indifférence
qui m'a choquée;
"lui adrefle-t-il la
c'efl avec UI1l
parole,
refpea qui tient de la contrainte
TÇJ/lle J.
C
&
\
•
1
Lettres
50
met
lUI parle
T'aùiennes.
\
a
a
gene. S'1 ell e
mer-meme '1
dillraétion &
ce n'dl:
A
,
.
me
que m'infpire ta préfence ,
au contraire une
inquiétude étrangere
qu'avec
m'agite, je me Cens oppreiTé, je ref.'
bien-tôt une par
pire avec peine
par hazard.
Elle dl: encore plus f;oide .pour fa
fille & l'on jugeroit à l'obferver qu'elle
comme
-
tie de
Qu'eft-ce
ceffer
,
bientôt,
la douce
ami-·
j'oflenfe peut être par
plaifirs divi
nité de mes ancêtres, dis-moi
par quel
crim� jai merité ta colere ? Ne régne
Cette
rois-tu
j'aime tant, cette Julie
trouve ce qu'il
qu'après ma Zulica je
n'a de
monde,
a de
plus parfait a_li
y
dé
fenG.bilité
qui me
même qu'un _genre
mants 1 Julie que
-
,
point fur ces climats malheu-,
privés des biens
l'eux
& fercient-ils
que
tu
prodigues à tes enfans.
�����::il=���'
LETTRE
Z E ï R
deplait, toutes (es affeél:ions paroilT'ent
NON
être uniquement placées dans fa tête.
Sa brillantejeunefle la vivacité de
ma
XI.
à, Z U L 1 c Ai
Zulica, non je �e m'étois
pas trompé, les François rendéht horn
,
fes yeux, le coloris de for. teint 1 port,
,
mage ainfi que nous au Dieu dé; plaifirs ces alcoves Iolitaires ces
volup,
,
point
lorfque le [on de t� douce
voix vient frapper mon oreille, je n'é
ce calme
prouve point auprès d'elle
l'efpere
,
plaintes Dieu des
mes
Mde. de St. Val ft obligeante, ft ten
dre même, pour moi, eft d'une froi
deurinconcevable pour des enfans char
comme
vont
o toi que
dr=-t-il
bien le feu dans mes [ens; mais mon
délicieufement émue
ame n'efl
maux
,tié me confolera des peines de l'amour,
rézne ici dans les caraél:er�s ? Me fau
faire une étude' particu liere de
•
ces
du moins je
eft fachée d'avoir des enfans [1 aima
bles.
que Je contrafle qui
tous ceux avec qui je vivrai?
SI
heureux
,
reduits, qui en fe derobant aux
femblent
vous oft'rir une tetraite
yeux
tueux
.
[ure, & tranquille �
ce
C
[ont autant
2.
Leur�.
�2
temples confacrés à [es miûeres,
Tout parle' ici de l'amour. Ces pein
des re
tures que j'admirois hier avec
ont pris
gards ftupides, aujourd'hui
T'altlennes.
de
de la, vie, & du mouvement a mes
éle
ce font au tant de trophées
yeux;
vés
�
au
tendre amour, Sr. Val en m'en
Icunoit de la joye
les
fujets,
expliquant
à chaque nouvelle
témoignais
je
que
les
decouverte, qui paroifloit raprocher
nêtres.
des
mœurs françoifes
Après qu'il eut contenté
ma
curioGté
{ur bien desfujets , apprenez moi donc,
les femmes s'oflen
lui
clis-je, pourquoi
fent ici de ce qui les honore le plus à
Taïti,?_ Elles ne s'en offenfent point,
Zeïr, me répondit-il, mais elles font
forcées .de le f�indre pour éviter le lué
fur
pris que l'opinion publique imprime
celle qui [ont trop faciles à nous accor
der ce que nous défirons le plus; c'eftlln
raffinement de volupté plus que de tiran.
nie, qui tourne au profit des deux
fexes : Croyés moi, Zeïr, cet obfla
çle loin d'en être un à notre bonheur
l\mime -& le fixe, votre Jaci1� felicité
/
vaut
,ne
point
ce
53
paffage continuel de
la crainte à l'efpérance & de l'efpérance
bonheur.
au
'
J'admire la firnplicité de vos mœurs '
.
Je les crois propres à entretenir cette'
douce égalité d'ame qui feroit le bon
heur, :fi l'homme pouvoit être content
de fon Iort ; mais
cette
inquiétude qui
lui eft naturell-e prouve que [on cœur
être remué, & que les pallions
v��t
lUI font néceflaires,
Ce font elles qui diverfernent exci
tées
produifent chez nous ces vertus
ces talens qui vous
que vous admirez &
étonnent, elle feules peuvent nous éle
ver
au
Le
deITus de nous-mêmes.
prémier
état de
l'ho�me
eft
l'ignorance, & la ftupidité, dans cet
état femblable aux brutes, il ne
con-
.noit que les
la nature,
plus urgents befoins de
& ces befoins farisfairs II
n'a plus ni
peines, ni plaifirs.
,
Le fecond dégré des connoiITances
humaines eft celui où vous êtes parve
nus; quelques paŒons douces occupent
C 3
Taitiennes.
Lettres
votre vie, le repos la remplit, & vo-s
jours font plutôt exempts de peines que
marqués par le bonheur.
Enfin le troifieme dégré eft celui oit
nous femmes
parvenus, & après lequel
les hommes ont toujours retrog,radés;.
il efl
un
terme.
au
delà duquel ·l'on
s'égare, & il eH à craindre que nous
n'ayons atteint ce terme.
S5
A mefure que St, Val me _parlait,
une douce lumiere pénétrait dans mes
à-peu-près comme le, prémiers
viennent
rayons du jour, lorfqu'ils
des
yeux, long-tems apéfantis,
frapper
Cens
par le {ommeil.·
Je l'écoutais avecavidité, il me fernbloit que toutes fes paroles & les idées
qu'elles faifoient naître dans ma tête,
décadence du
s'y plaçaient diftinétement, & par or
dre; profondement occupé, je l'écou
le faux
tois encore qu'il avait cene de parler.
U�e délicateffe outrée annonce la
goût, le génie s'éteint,
efprit prend fa place & pré
peu- à- peu ces bouleverfemens
font
retomber les peuples les plus
qui
Eh bien
pare
éclairés dans les ténèbres de l'ignorance'
Vous pafferez comme
nous
par ces
devenu la
Zeïr,
'joye
dif-il ,
me
que
vous
qu'dl:
montriez
tout-à-l'heure, vous auro is-je attrifié
quand je n'ai voulu que vous donner
d'être heureux dans notre
clifférents états, & les mœurs de votre
les
ifle ne font pas, comme vous le croyez
pays en vous confolant de la perte du'
vôtre : l'amitié, ce préfent 'facré des
fans doute, l'état le plus parfait de la
nature; mais feulement lin des periodes
differentes
des
gradations que vous
parcourrez pour parvenir au point où
nous
fornmes
,
& retomber ainii que
nousdans le premier état que je
ai
dépeint.
vous
I_D0yens
cieux, dt-elle ignorée chez vous, n'y
connoitroit-on que les tumultueux tranf
ports de l'amour?
Non, lui répondis
l'amitié efi
un
-
je vivement.
fentiment auffi naturel
& plus facré encore à
nos
coeurs
C 4
./
.
que
lil
56
Lettres
l'amour: Mon
ame,
cher St. Val, a
'prevenu la vôtre & du moment que
je vous ai vu, je vous ai fouhaité ce
caraétere de franchife
qui
,
&
d'aménité;
forme & entretient chez nous ces
liaifons heureufes que le tems fortifie J
& qui [ont notre con[olation dans l'âge
.qui fuccéde à celui des amours.
St. Val après m'avoir affeétueufe;
me fit
ment ernbraflé
plufieurs quef
,
tions à fon tour fur les mœurs de T'aiti,
& malgré la prévention trop marquée
pour fon pays, il ne put s'empecher
plufieurs. reprifes: heu
reufe nation, aimable fimplicité que
n'dl-il poffible de t'allier avec ces con
noiffances précieufes qui embelliflent
de s'écrier à
aotre
vie!
ZeÏr,
me
confervez chérement
dit-il enfui te ,
cette
candeur de
Taiticnnes.
je
vous
que vous aimez dans les François,
ferez par ce moyen le plus aimable &.
vous
le plus heureux des hommes.
Je vous inflruirai de nos mœurs;
'
une
avec
57
franchife
q�1Ï
perrnife ici, tout ce que Je
nos loix, & les opinions de
votre efprit Cain & non encore affervi
aux préjugés feront des traits de ln-
n'dl: pas
penfe de
miere pour le mien.
la
En attendant étudiez ma nation dans
partie que J'on obferve le moins &
qui pourtant la caraélérife : C'eû dans
an
milieu de ces pay
nos
campagnes
fans
qu'on méprife qu'il faut chercher
le caraérere national. C'efi-Ià que vous
retrouverez
la
gaieté, la fr_anchife, &
la noble fierté du
tout
François. C'efi fur
dans ces provinces reculées où les
vices de la capitale n'ont pu pénétrer que
le caraétere
vous
pouvez encore voir
de notre nation tel qu'il fut avalicque
nous
Centiment que vous avez apporté de
votre ifle , & joignez-y ces agrémens
dirai
joint
à
notre
les vices
de
nos
euffions
naturelle,
Iégéreté
voifins,
V oilà ma chere Zulica une partie de
ma
prérniere
converfation
avec_cet
je t'ai pour ainfi
[es
dire copié
propres _paroles, je me
les rappelle, avec plaiiir & je fens une
honnête
François
,
-
C 5
58
Taitiennet.
Lettres-
-
joye inexprimable en (ongeant que tu
liras ceci
avec
inrerêt
,
Je ferai exaél: à t'écrire le
précis de
59
trifre devoir de m'arracher la vie fi je
réuffi{fois dans le plus �her de mes
au
fouhaits !
converfations & j'y trouverai le
double avantage de m'infiruire, &
honneur hi (are ? Si j'aimois une autre
'que j'aime.
n'es-tu ici ma bien aimée,
Que
que ne
1
puis-je joindre les tranfports de l'amour
Val me (erviroit au peril
que Julie, Sr.
&
de (es jours;
parceque mes vœux
femme dont le bon
à
une
s'addreflent
nos
d'entretenir ce
aux
douceurs de l'amitié.
0 Zulica
que je [ens cruellement ta privation &
que tes regards de la belle Julie me
dédommagent foiblernenr de tes naïves
carelles. Adieu, Zulica
adieu, un
>
nuage de trifieffe fe répand autour de
moi toutes les fois
que je prononce
ce-
funefie.
mot
,
LETTRE
1
L
f�ut
blier
ma
XII.
à Z U LIe A.
rén�n�er Julie,'
à
il faut l'ou
Zulica, l'honneur me 1'01'
donne, je nahirois mon ami, je per
drois fa fœur , &: je fbrcerois St, V"j
chofes
à
cet
heur doit lui être cher, il s'y oppofe
l' honneur le veut, & ce barbare hon
,
prefcrit de m'aŒaffiner pour
un crime dont il
eut. été complice.
lui
neur
s'il
eut
eu
une
autre' que
(a fœur
�
.
pour
objet.
Chaque
femme
appartient
ici
en
& en (e donnant
propre à un hornrne
.à lui elle jure de renoncer à tout au
,
���������.
Z E ïR
Conçois-tu quelques
tre
amour.
Caprices, mauvais traite
de la
mens, violation du même f�rment
reléver
part de [on êpoux, rien ne peut la
de cette indifcrete prornefle : les filles
qui ne l'ont point encore faites, doi
fe confer ver pour celui que leurs
parens leur defiine, car le plus fou
vent
vent
elles n.e le "hQifi{fent pas·,
C6
60
Lettres
'Si avant d'être
6i
'Taitien.nes.
engagées
peut les
convaincre d'avoir eu un arnant elles
on
,
demeurent fans états &. vouées au
-
mépris public.
Ne crois pas que des loix fi févéres.
foyenr pour cela mieux ob fer vées •
on les viole tous les
jours. au péril
des plus grands malheurs. La nature vic
torieufe triomphe de tous les obifacles;
& les filles
exceptées que la crainte
de n'avoir PQint
d'époux retient pref
que toujours-, les femmes font ici auffi
faciles qu-'à TaÏti.
J'ai l'obligation de cette découverte
à St, Val, tout le fecret coniifle dans
beaucoup de difcretion de la part de
l'amant, & l'art de perfuader à fa mai
treffe que ce n'eD: qu'à l'amour
qu'elle
céde. J'ai remarqué à la
gloire des
François que plus délicats que nous
.
ils veulent être aimés
pour eux-mê
mes, ils fçavenr peu de
gré à une
femme
voluptueufe ô'avoir cédé à
l'attrait du plaifir, L'inconD:anc'e eR
allffi un crime; �nais ce n'e fi:
quê pou>:
les femmes; les nommes fe font refervé
autant
de liberté que nous.
non par
bien
mais
1a loy,
plus
par l'opinion
forte qu'elle. Ils n'ont qu'un femme;
mais ils peuvent changer de maîtreffe
à leur gré fans qu'on en glofe, pouvu
-
qu'il gardent certains ménagemens d'u
fage, & une forte de filence après la
rupture qui eil: un aveu tacite d'un bon';
heur qu'on eD: convenu de ne pas
publier; en général malgré les égards
qu'on témoigne ici aux femmes) elles
defiinées au
y paroifleut uniquement
bonheur des hommes & l'on voit que
les loix ont cherché à tirer d'elles tout
le parti d'utilité
vait convenir
ou
au'
de plaifir
qui pou
bien-être de l'autre
fexe.
Elles s'en
en
apperçoivent & on les
confole par une efpece de fouve-'
raineté dont elles
fou vent ;
veautés
en
toutes ces
nou
m'amurent & [ans la claufe
cruelle de
[ouirois
abufent, dit-on;
vérité,
renoncer
de la
à Julie, je me re
iinguiarité de
ces
uCa�
Lettres
fçais quoi de piquant que je ne
jamais. Plus je réfléchis & plus
ne
-oonnus
je vois que la fincérité n'efl pas une
vertu de ce
pays, & qu'il fau-t nécef
fairement y être faux
avec
[es meil
leurs amis.
Quelque
éloignement que j'aye
je ne fçaurois
de
me
m'empêcher
repentir d'avoir
pour la diilimulation
fait à Sr. Val l'aveu de
que
toient : d'un
mon
amour
[es
yeux
autre
me
noiITances.
Je
ne
fçais fi c'efl une rufe
Val pour
mais elle
facrifice
.op�lier
[a
fuis réfolu de
lu�
faire
me
ne
de
[œu�.,
obh
faire le
gout pOUf'
à
puis-je oublier
ed�
,�:s picaufé
chagrins que m'a de)a
beauté.
cette fiere & finguliere
����*=:!J=��
LETTRE
-
Z EïR
E fi-ce de l'amour, dt-ce de la folie?
Ecoute Zulica &
de St. Val j'ai eu lieu de me convain
.duire?
,
juge de ce
bifare
fentirnent ,par les effets qu'il peut pro
Julie. que je négligeois depuis quel
tems, piquée de mon indifférence .;
que les
Françoifes feroienr bien
tôt accoûtumées à nos mœurs, j'ai
moins tl'amour pOUt Julie, [es
yeux
me
paroiITent auili beaux mais ils
rneJemblent dépourvus de cette volup-
XIII.
à' Z U LIe A.
couté le repos de [a vie? Je ne
dirai plus; depuis que par le moyen
.'
mon
les
tous
côté, s'il efl: vrai
eut
cre
de St ;
p,OUVOlt erre plus
entier
Julie. Que J1e
promet
que je l'expofafle à quelques périls,
enflai je voulu d'un bonheur qui lui
,
quelques-unes
dû
ne croire
j'aurois
qu'à elle, j'ai perdu par ma faute une
viéioire
dans'
tueu(e langueur que j'ai retrouvé
de mes nouvelles con
geante & je
pour [a fœur ,
63
Taitiennes.
ils-ont, comme dit S. Val, je
ges:
que
ufage pour me ramener- à
qu'une femme de ce
elle,
inutilement. Je
pays n'emploie jamais
a
mis
en
cet art
nos ames
n'avais que trop de
penchant à (lIC�
comber; prornefles devoir, ;rainte ;
tout avait difparu. J'étais à fes pieds;
,
dans un d�
ces
momens
les femmes Içavent ici
heureux que
prolonger par
une
molle réfiflance
cent
fois toucher au bonheur
qui
vous
fait
avant de
l'atteindre. Déjà accoûturné aux u(ages
du pays je menageois la délicatefle de
Julie. Lorfqu'une colere égale à la pré
miere vint encore m'arracher à ce délire.
Outré de me voir une feconde fois le
jouet d'un enfant, le dépit me fit oublier
ce
que je lui devais, je lui demandai
aiTez durement ce qu'elle prétendait
donc faire de moi? Mon amant, me
répondit elle froidernenr , & du ton
-
dont on dirait
li chofe du mande la
plus)ndifFérente; mais un amant délicat
& réfpeélueux qui
n'exigeat d'autres
preuves de
ma
65
Taitiènnes.
Laires
teridreffe que l'aiTurance
que je veux bien lui en donner, &
qui me rnéprifât même fi j'érois un
jour aflez faible pour lui en donner
d'autres. Un amant qui mit tout fon
St
bonheur dans l'union d�
d'enchante�
realisât pour moi cet état
me fuis fait l'idée.
dont
je
ment
s'écria St;
Dites cet état de folie,
la pane
Val en ouvrant brufquement
:
�ouris mo�ue\l:
11, je
contmua
& la regardan t avec un
vérité Julie,
en
-
t
-
fuis auffi étonné de vos extravagantes
vous faites
idées que de l'oubli que
devez. Et
de tout ce que vous vous
aiTe'L féchement, vous
vous, me dit-il
.
.
vous
ayez
promeiIes que
vous
.
mon
que Je croiois
donc oublié les
,
ami ,
al
& trompé ma confiance?
fait
Julie & Je
J'étais aufii con.fus que
.
li1 aviez
me
"
fentois plus<c0upable,
pable
mais
i�ca
d'avoir recours à la feinte, J'a
franchife
qui
vouai mes torrs avec une
la
connois
Je
Val.
défarmât Sr,
il , & l'empire
me dit
for.c!!
-
pallions,
{ur
l'.homme
qu'elles peuvent prendre
vous
des
le plus vertueux; mais
Julie,
vo�s aux fenfa
dont i'ame ne participe pomt
tête, comment avez
votre
de fang froid préméditer
tions de. vot�e
vous pu
66
Lettres.
deS'honneur? Fille fans
amante
Taitiennes.
prin�ipes,
fans foi, comment ayez
ou
-vous
p� envifager ou votre honte ou le fup'
plies de celui que vous aimez?
Julie fanglotoit, la colere
ét�it
peinte fur fon beau vifage & la de fi.
lois
01 ,
'leur, s'approcha d'elle; & voulût lui
parler avec plus de douceur, mals
cette
fille
mens
le
Monfieui
ex rr
êrne
en
tous
fes fenri
répoufla avec hauteur, allez
lui
dit-elle;
."
"
mOI,
_
u�
monde,
me,
duiftt jamais, dès demain' u�
�loltre
,
a
de.
malgré
r
'
trie par
j'aime Zeîr
le
répete ;
couté
un
,
ne
fe Ient
point
odieux- foupçons
vos
:
flé
oui
je le lui ai dit, je VOU5
mais
amour n'a
Val , plus l'on
-
nat�re
&
pl�s 1'0:,
des févéres le
s'éPare, voilà le fnut
a donné à Julie
que l'on
a ladre
romans qu'on lui
extravag:1l15
&
deVOIr
de
lire. A force de parler
filles , l'on exalte
d'honneur a nos )e1,lnes
elles
l'ail fomel-,te en
= de�
ço�s
.
-
,
pas
ml vertu.
forr , ayant une
fouveraine horreur 'pour
m'afTujettir à
un homme en
me mariant
,j'étois déci
dée à faire mon bonheur
d'une ten
dreiTe qui eut
s'éloigne
.
.
cet
remord à
Heureux de
iit St
al
,
de la
qui m'éclaire,
ql:e
.
reprimande ne fortira point de mon
Efprit; mon ame pure comme le jour
vos
Iauvera la honte de rougir
voir quelqu'un
la douleur
yeux &
le priX du cœur
qui n'a pas fentÏ
mots Julie Iortit
lOIS. A ces
LlI a ff"
Je l'
frere.
les infiances de (on
me
En vente, me
votre
•
,
féche
,
Je VOIS
Tout 'e{l changé pour
reITemblent
les hommes (�
que taU,
a
renonce
& je les méprile, je
fe
ne
éclat
dont le faux
gufoit ,elle avait peine à articuler quel
ques mots; Sr, Val, touché de (Q dou-
vou
comme le
fI l'on m'eut àimée
l'être.
& croyois
mon
toujours été innocente,
l
reurs
une
'
tetes
&
fenübilité faél:ice qui fait
le
map
le tourment de
heur de leur vie &
t On leur a don
ceux qUI'1 es entouren
[ur la netant de leçons jllfqu'ici
..
.
,
,
'né
ceffité de n'avoir
point d'amour,
ne
/
68
Lettres
Taitiennes.
l eur en donnera-t-on
jamais (ur la fa";
vaines d'une ardeur qu'elle fçavent en
çon de fe conduire quand elles en ont?
J'ai eu, ajouta-t-il , une maître!fe du
caraétere de Julie: après deux ans d'aŒ
tretenir par une efpérance bien me
elles comptent leurs triomphes
duités j'en obtins enfin le prix de ma
confiance, mais mon bonheur lui coûta
tant
Je
larmes, que le prémier jour
de· ma félicité
en
fut auffi Je dernier.
J'ai juré de fuir à
jamais
ces
ca
raéteres rornanejques , auxquels le ciel
femble n'avoir accordé que le ton de
s'affiiger.
Il
me
ré
nous font
par les pleurs qu'elles
les
.pandre ; & cependant Zeïr, voilà
femmes qu'on honore, voilà celles que
les meres propofent ici pour modeles
à leur filles, celles qui font les plus
heureufes & Jouvent les mieux aimées;
Je fouhaite que vous ne tombiez
Jamais entre les mains d'une- de ces
dangereufes Sirenes & fur-tout qu'elle
ne
joigne pas le manege de 1'1 coquet
,
femble, dis-je à Sr, Val;
<qu'une maitreflë de ce caraétere
eil: plus une, c'ef]
dont la préfence
une
nous
ame
eil:
à laquelle il efi doux de
n'en
tendre,
agréable &
conter
[011
bonheur.
terie à
font les plus
Zejr ,
me
dit-il,
exigeantes, & les plus
l'art
d'êt�e maîtrefl'e de [es
fens! Julie n'efi que romanefque , c'efb
le change & le
la nature
.
qui prend
befoin d'aimer qui fe fait fentir en elle'
avant
Détrompez vous
ce
nagée,
d'avoir un amant. Je me repro
avec
trop de [é
vérité, il faut tout craindre de ces ca
che de l'avoir traitée
jaloufes de toutes les femmes; n'aimant_
raél:eres extrêmes,
je
qu'elles mêmes, c'efl: à leur orgueil
plus qu'à la vertu qu'elles font le fa
crifice des plus doux mouvemens de
i:nconfolabJe fi
moment de
la .nature & du
fupplice de leur amant;
Iercis
[ur-tout
dépit
l'engageoit à s'el1terr�r dans un cloître.
Donnez moi, dis-j e à St, Val, une
idée de ces retraites dont j'ai entendu
un
I�'''-
70
Lettres
Tatüennes.
tantôt avec admiration, tantôt
parler
avec mépris. Tel ef!:
le
caractère de
,
me
notre
-
,
tel
!'.:
libéralité par les voyes les plus illici
tes fous
le Ipecieux prétexte qu'ils
'1
curer
fuit que fes pr'Jpres idées. & la
rai fan qui devroit être une, prend ici
ne
differentes,
un
bon
l'
1
aux
l'empreinte de cette inégalité. La ré
ligion ,dl: le grand .fujet de nos éter
nelles difputes, car quoiqu'aiTujettis â
de l'amour déclament contre cette paf
Iion , tandis
qu'ils
à
fe livrent
des
goûts plus chers à leurs coeurs, & plus
la même croyance, la nation ef!: cepen
pernicieux que
dant cornpofée de trois fortes de gens:
paroiiTent croire & cel!x enfin qui
font profeffion de ne rien croire du tout:
La prémiere claiTe pourrait fe divi
fer encore en une infinité d'autres qu'il
ferait trop long de vous détailler;
c'efl .ce qu'on apelle les devots; parmi
ceux-là il y en a beaucoup qui affee
ti,onnerit particulierement une vertu �
négligent toutes lès aU,treS; c'efl::à-dire,
qu'ils feront l'aumône, .qu'ils Ce prive-
1
u(age de leurs richeiTes
d'autres qui' peu' propres
plaifirs
font
opinions. Nos écrits fur-tout portent
ceux qui croyent de bonne foi, & le
nombre en eff petit; ceux qui par état
Icrupule
de fe pro
les 'mo yens de fatisfaire à. leur
ils ne fe feront nul
blâme ce qu'un autre approuve, chacun
la forme, & la teinte des
tI
d'une
partie de le ur bien pour
fecourir l'indi,gel1t mais en mêmetems
l'ont
répondit-il,
nation
,
ceux
qu'ils
condam
nent, enfin il ef!: rare qu'on trouve
,dans cette clafle un vrai homme de
bien.
�
La feconde ef!:
,
compofée des eccle-o
.
Iiafliques
,
...
des 111.agif!:rats" & des gens ,:
\
\
qui 'par leurs places doivent I'exernpIe au peuple, 'parmi' ceux-là, il s'en'
trouve de très eflirnables qui .fçachant'
difiinguer des opinions utiles' de cel�es;
qui ne fobt, qu'ab(.urdes', tolérent �ar
une vertueu(e indulgence quelques abus'
pour
ne
Ceux
au
pas nécefliter des crimes.
contraire qu'un intérêt par-
7�
Lettres
T'altlennes.
ticu1ier rend
barrement
hypocrites;
fur-tout l'honneur contrebalancent ces
pouvoir que la loi
leur confie, pour fonder jufques dans
les replis des confcien'ces & tourmen
vices, &. rendent le François à l'age
de maturité, le plus aimable des Eu
ufent durement du
,
ter ceux
que leur rniniflere
expofe
au
La troifieme clafle enfin dl: corn
pofée
de
de beaux
fçavans.,
�fprits,
(!,(. de ce qu'on nomme généralement
feulement d'ac
philofophes ; ceux-ci
cord fur l'in credulite ,
ont
autant
de
diverfes opinions qu� leur· interêt ou
l'envie de démentir un de leurs con
freres peut leur
N'eilimant
ils ne
fuggérer.
en
qu'eux
refpeél:ent
ni fouverain , ni
& leur [avoir
ni loix,
ni
ropéens.
Après ce que je viens de vous dire
concevez facilement
VOllS
malheur de dependre d'eux.
moeurs
73
la [ource des
différentes
opinions qve vous avez
remarqué au fujet de ces cloîtres
qui recelent la plus belle jeuneITe 'du
pays; l'origine de ces inftitutions , ou':'
vrage du fanarifme entrenu par la
politiqu'e, ferait trop long à vous dé
'tailler;
il faut d'ailleurs connoitre la
confliturîcn du royaume, pour bien
concevoir I'efpece d'utilité que l'état
croit trouver dans leur confervation,
,
réligion. Si quelque.
fois le gouvernement févit contre leur
audace, la punition confifle' à con
damner le livre au feu , tandis que J'on
Quelque jour nous PQurrons revenir
fur
cette
cours
matiere,
difluader
ma
en
attendant je
1
fœur de l'horrible
delTein de s'enfévelir toute vive �
&
'
.
penfionne l'auteur,
V oilà �ol'l. cher Zeîr une
legere ex
quife du caraélere de ma nation: la
légéreté, l'inconféquence en font le
,
fond; mais la bont-é, la franchife &
fur-tout
empêcher que ce projet ne vienne à la
'connoiflance de Madame de St. Val,
qui ne manqueroit pas d'y donner les
mains pour
en
plufieurs raifons, dont il
efl une que vousn'ignorez
pas. St.
Tome I.
D
-
-:
Lettres
T'altlennes.
Val m'a regardé finement en. achevant
fe charge de mes dernieres Lettres J les
74
,mo_ts & m'a
ce
quitté.
Qu'il devine s'il peut, quant f moi
je
me fuis bien
promis de ne plus le choi
fir pour confident', quand
mes amours
de fa
pour objet quelqu'un
de
Julie
Le
famille.
fort
m'inquiete,
auront
je n'aurai l'ame tranquille l que-quand
de
je la fçaurai pleinement diITuadée
Tu
fr
émirois
fon fmifire projet.
pour
elle ft tu fçavois
que c'efl que ces
prifons qu'on nomme ici CLoi.
doivent déjà t'être parve
Elles feront un inflant dans tes
prérnierës
nues.
belles mains, tes ye�x daigneront en
fixer les caràél:eres. Ah Zulica que ton
amant
envie leur fort & que le fien
efr affreux loin de toi.
�������
LET
ce
pieufes
tres.
L'on y vit feparé du refle des hu
mains & l'on s'engage en y entrant par
un
redQutable ferment de
renoncer au
plus doux vœu de la nature, de repri
d'uri tendre cœur
mer les mouvemens
comme
ne
plus
,
autant de crimes , l'ail jure de
Zulica conçois-tu
rien airner
,
de tourment pareil?
d're amie,
j'oublie
-
Adieu ma ten
tOUS mes
maux en
fécrivant, mais la reflexion cruelle
vient m'arracher à cet éclair de feli
cité. lJ n vaifleau qui
met
à la voile
T
-R
E
XIV.
Z U LIe A à Z E ï R.
QUE
tout le
plaifir que j'ai éprouvé
à la leél:ure de tes Lettres mon bien
aimé puiffe pafler dans ton ame
tu
liras ceci;
un
.'
quand
faiûllement délicieux
a fI
violemment agité mon ame lorf
qu'on m'a remis ce precieux paquet que
mes
forces m'ont abandonnée, & que
j'ai été plufieurs inflants fans pouvoir en
brifer le cachet. Idole de
préfence cherie
mon
coeur
fit
couler
jamais
lin
plaiiir ft vif dans mon ame que la
ta
vue
ne
de ces caracleres facrés qui m'af
furent de
ton'
exiûence & de
D
/"
75
2.
ton
<,
Lettres
amour.
T'aitlennes,
Avare de mon bonheur j'ai 1ft
mens; par
lentement chacune de tes lettres & par
Ïentirnent contraire
un
j'aurois
puis définir,
voulu
j'en relis chaque mot, j'en étudie cha
que expreflion ; les plus tendres, celles
qui m-afluren t de ton amour, font
celles que j'ai· le mieux retenues: Ah
'Zeir ! elles ne s'effaceront point de
mon
ame
;
ce
que
tu
me
dis de tes
peines ne rn'interefle pas moins vive
ment, je haïs
ta
_Julie' pour avoir re
bonheur. Zeïr que
n'a-t-elle mon' ame , ') tant d'amour
fufé
de faire
ton
te' rendroit fans doute heureux! cepen.
faut qlte je te l'avoue avec
franchife qui ne me permet pas
dant il
cette
de te cacher le moindre de mes fenti-
7,7
mouvement
que iie
ne
quelque cher que me fQi{
bonheur, quoique je fl./ffe prête à
facrifier ma vie pour l 'a{furet, je {e
ton
pouvoir en parcourir toutes
à la fois, quoique je craigniffe d'en
les lignes
avoir trop tôt achevé la leéture,
Elles font à préfent fous mes yeux,
un
rois fâchée
-
qu'une autre peut t'aimer
je me plais à difpu
alltan� que moi,
avantage à toutes mes corn
pagnés, & je bois au défefpoir fi
ter cet
j'avois ainfi qu'elles la faculté de goû
ter du plaiur loin de 111CTrj.amant. Pour
toi
Zeïr fois heureux, fois le
que
tu
autant
même
pourras j'être, ne penfe
.à Zulica qu'autant qUI2 fon idée portera
à ton ame une fenfation agréable, fonge
quelques-fois qu'au milieu
s'emprefferont fans
doute de faire ton bonheur, aucune ne
feulement
de ce. femmes qui
t'aimera cElTIme elle
•
J'ai lû avec intérêt les détails que
tu me donnes au fuj et des mœurs fran
çoifes je trouve ainf que toi ce peuple'
aimable ,: mais je le crois faux. S'il ne
,
") Tant de généroûré doit étonner nos
Européennes, je crois cependant cet alDClllr
pou/voit que gagner à être connu, pour
quoi ne fe montreroit-il pas tel qu'il
de
dl: ? -Cette diflimulation ru'efl
tous
pays.
D .3
fufpec-
.
\
T'altiennes-
Lettres
te, ZeÏr conferve ta
Les
tous
ces
font
voulus quitter
n'étois pas heureux,
fentirnens
dans
de t'inftruire
notre
place
la
ne, ces hommes fi prompts à ridicu
eux
Mer tout ce qui -n'efl point
pourquoi, s'ils avoient atteint l'état de
une
inquietude involontaire
au
l'eû en France,
ne
te
paifible que
tu
l'
préfente fuit & t'échappe quand
tu
crois Je faifir.
N'dt-ce
plutôt l'impoffibilité
d'être heureux, jointe à l'envie de le
devenir qui produit chez les François
cette inquietude perpétuelle?
.
pas
mien
leur coeur.
& qu'ils n'ont pas fongé
les fatisfaire.
moyens de
connus jamais d'autre
n'en
-Moi qui
celui
de
te
pofTéder, j;ai tout
de rnoi,
perdu en te voïant t'éloigner
fois prendre le
& G je puis quelque
change
&
goilter quelques
relatifs à
changer:
preflé
te citeras pour exemple & tu n'auras
\
dans la
aux
que
,
inftans de
que par des objets
ta pro['lre (atisfaétion.
Nonobftant ce que je viens de
D4
1
"
François ont eu l'im
à la fois dans
prudence d'en irriter trop
plaiGr, ce n'cil: plus
tu
•
fes défirs ; appa
n'eft -pas
d'en
1
J
l'efpoir
appris qye la fuprême
Quand on eil: content de fon fort,
on
1
remment que les
n'étais-tu pas plus farisfai t ici où tout
où le plaifir qu'on
':;
Ton bonheur avait cefTé, je renonçai
de te le rendre.
dans
facilité de fati�faire
lement fauffes: j'en appelle à toi-même;
félicité
ton coeur
le
de cet amour tendre qui
réfoudre
me
avant. Il fallait
félicité confiftoit uniquement
ximes fur le bonheur me femblent éga
une
défir curieux
voit pris dans
La nature m'a
les forceroit elle à retrograder? Ses ma
t'offroit
a
un
à te voir vivre trifte & mecontent près
ton depart.
de moi ou conCentir- à
refpeétent notre innocence & envient
notre bonheur. Quoiqu'en dife Sr. Val,
,
tu
remphfToit
----
perfeétion
79
doute tu
ce
[;lays, fans
les pays.
François qui
-
cela: Zeïr, quand
pas raifon pour
fimplicité ,' 1'hon';;
nêteté de ton ame , _va,
font de
1
te
Lettres
dire '
j'aime 1 e cara él: ere de Sr VI'
a,
.
.
& Je m e
,
Z"
eir ,
,
te fi
,.
rejoUls de- le (avoir
ton
,ami.
,_
SI
ta
'
cher ZeÏr ,ce
rien de
mon
cher
,
,
peut-il m'êt re
1ll
'd'Ir
rrterenr.
Joli: F rançoifs cerre de
1TI:nter,
'
qUI
je l'aimerai aoŒ,
te
tour-
Privée de
tOI, doux charme de ma vie ,
,
J'" al mIS
bonheur dans Je tien & je ieras
h eureufe ou miférable à
proportion que
mon
r
'
'
feras l'un
tu
ou
l'autre.
Je n'aime pas Madame de St VI'
a,
,
f,emme ÎnfenfibJe
tille
mOllvemens
aux
plus doux
de la nature n'efi
pas di
gne de fentir l'amour. Elle doit d'ail
leurs avoir parré l'âge où on l" r.
Inlplre,
'
.
que veux-tu faire d'elle? Et puis � fi1
ce fentiment efl un crime en F
rance
8r
Tttitiennes.
faire une qui doit l'offenfer? feroit-ce
ainfi qu'on aime
au
pays où tu vis?
Ces reflexions m'artriflent ô bon ie'ir,
indifférentes., fans
fuis ces mœurs
,
qui
doute, pour
étrangers
plaifirs qu'on Y gotIte.
aux
Ne trouves-tu pas cette lettre plus
écri
facile que celles que je t'ai déjà
continuelle
que
L'étude
tes?
prefL[ue"
j'ai fait depuis ton depart
gue des François
familière que
[oit
,
comme
la
tu
me
,
.
grands malheurs, ne manques-tu pas
plus errentiellement à Sr. Val dans la
perfonne de fa mere que -dans celle
<le fa fœur? Encore un mot Z"
eir
S t. Val ef] ton'
ami, comment
-
r:
,
u
.
�ulUI:e refoudre à feindre ave�
a
cacher
quelque chofe
peuxlUI &
pour (ln
de
la lan
l'a rendue auiIi
mienne,
c,ependant
dis, prévention
.
& qu'il plonge les femmes dans de fi
du pays,
naturels
l'es
font peu r-être auffi dangereu{es pour
île l'ef] aUX
toi que l'air pur de notre
inconfidérerr.ent
livrent
fe
qui
ignoralJce des termes,
il
me
,.
fait
fernble
langue
fI abondante ,;
autli que cette
de t'exfi claire quand il ne s'agit que
dal�s mon.
pliquer les idées qui nai{fent
devient [eche & itérile CIuapd
.
erprit,
i� veu� t'eXi'rime�
mon
les
fentimens. de:
cœur,
Le feu
qui confurne mon ame ne
<l:0111e point d'ans mes axpretlions i�·
,
,
D s,.-
fuis affligée de te dire fi mal
que je
t'aime quand je le {ens -fi bien.
J'écris ces
mille fois dans la
larmes l'effacent autant
mots
Journée, mes
de fois, je l'écris encore, & des
pleurs
nouveaux
jours fe
coulent de
paJfent dans
yeux. Mes
mes
triil:e occu
cette
mes le ...
de la joye n'habitera pas fur
vres.
Adieu, puilTe l'Erre bienfai(ant que
j'implore donner
hommage, quant à
renonce
crés
fois
heureufe & Iatisfaite
remerciant de ton bonheur
ou
,
me
le fol
licita""nt encore, mais baignée de lar
mes
& t'arrachant de mes bras comme
où
'je vis s'éloigner de
moi le navire fatal
qui emportoit mon
le
jour cruel
toi,
Zeïr, & mes jours, &
me
mon
mes
[ouhaite plus le bonheur, toi feul
peut me le rendre. J'attendrai patiem
ment ton retour,
j'aurai le courage de
ne
le
point [olliciter,. fi
dans les heureufes contrees
tu
plais
qui te P9fte
fédent; m�is jufqu'au mornenr où mes
yeux
reverront les tiens, le foudre
tu
mes
_O�d',
--0
pleurs
les
me
r�n
difputer le prix
de la beauté que quand
pourra me le donner
mon cher Zeïr !
mon
..
,
•
amant
Ah Zeïr
�������*
L.E
T
T
RE-X V.
Z E ï R à Z U LIe A.
Il n'a pas
encore.
reçu la précédente.
C E'N eil: fait, l'infortunée Julie;
'
fidelle à fes indifcreres promefTes-vient
dont elle eut
un monde,
de
quitter
défefpoir
précipitée
étrange
ref-olution a mis tout en ufage pour 1<1
fait l'ornement. Son frere au
de
cette
&
trop
D 6
�O
toutes
furent fa
rrre
pbuvois
que
dre chers, & je n'irai
cher
nnits ; ne
moi
à fes dons qui
tant
efpoir & ma joye.
Tels [ont loin de
à
ame
l'offenferoient au fein des, plaiGrs , je
m'offre ton image. Non
plus comme
mon
celles que tU choifiras pour lui rendre
pation, & la nuit un fommeil pénible
autre
83
Taitiennes.
Lettres
/
84
Lettres
fléchir J elle
Ta! tiennes.
obfii�ément refufé de
La credu!ité naturelle à 'j'homm e
que moi, & fa barbare
prêté les mains avec
à fes
prendrle teint des différents efprits, &
multiplie ici les châtimens fans pré
a
le voir ainfi
mere a
joye
reproche mon amour
& j'en detefierai à
jamais les fuites
defleins. Je
venirles crimes, les cloîtres, font peu
me
plés de ces
zèle indifcret.
faife un crime de mon indifcrete con-
les y retient; &
La fuperflition les y conduit 1 la loi
J
•
fidence pour Julie; afin de s'ôter à elle
même les moyens de
nous ceux de la
la
changer, & à
pene; des· épreuves ufitées
pareil (as
pouvoir
1
\
en
une
& fa denaturée mere
qui
J
feule
reclamer
contre
cette
cette
loi favorable à
l'ambition des parens, leur donne la
facilii,é de facrifier plufieurs de leurs
enfans à
fléchir, elle a demandé
dif
victimes d'un
innocentes
rnalheureufes , St. Val fe
repent de fa
févérité & peu s'en faut
qu'il ne me
l'efpoir de
faire à
fortune confiderable
Je ccnnois peu
tions,
mais
un
feul
.
encore
ces
inûitu
que j'en appre�s
ame & la
penêtre d'hor
tout
ce
précipitation allegue pour prétexte de
revolte mon
[a coupable indifférence fa foumiŒon
à la volonté de Dieu. Oui ma Zulica
reur, en recevant les jeunes filles qui fe
dellinent à l'état de� vierges. du Seigneur.
ce
peuple fi doux qui a la méchanceté
On leur fait faire le ferment
en
horreur, s'efLfait lin
de renoncer
divinité
tir an de la
qu'il fcrr.
On la répréfente
aux
jeunes gens
le
plaifir
avide de fang & de larmes, jaloufe
le bonheur
de leur bonheur & leur �efendant d'ul'le
être
voix févére
tous ces
_plaifirs dont. elle
mit J'attrait dans leurs
/
cœurs,
affreux
� tout & à elles-mêmes.
Etrangeres à leur patrie, perdant
d'aimer
leurs
plus grand
femblables
encore
..
de leur
utile, on les condamne à de
mander pa�don à Dieu des crimes
Lettres
Taitiennes.
87
quelles n'ont point commis dans les
langueurs d'une mort anticipée. Ah
devroit me favoir gré de ma foumiŒon
Zulica, dt-ce là ce peuple hardi qui
fçair commander aux Elemens & péné
m'en
punit aujourd'hui en me repr�
chant
ma
.
.
'fœur ,
fa
te lIe ,
& pour comble de
propre"
cœur
rent? Sont ce là ces' hommes
qui
mefurer les
fça.
cieux-& -dernander
haflefle
,
ceux
���������bt!
LETTRE
XVr.
abattre, mais per
Z E ï R à Z U LIe A.
fonne n'a le courage de tenir la
coignée.
Je n'ore quefrionner Se,
Val, c'eil
1
agraver' {es douléurs & rappeller mon
qu'ai-je fait que
une
,
barriere éternelle efr élévée
e�tre
Ah Zulica, qu'elle éroit belle Je
jour qu'elle a
qu'elle m'a paru
qui
n'ya plus d'efpoir, le fatal [erme�t
prononcé, j'ai vu Julie mais
nous.
fi1Je aimable qu'elle l'était;
j'ai defiré
partager, un urage cruel me fit aban
donner cet efpoir , & cette Julie
L
eft
je doive me reprocher?, J'ai dit à une
le prix d'lin rentiment
mo�
tous
agité.
force de s'éléver contre. C'efr un vieux
crime.:__ Cependant
maux
,
.
ou
arbre qu'on voudrait
de
-
d'inconféquence & de raifon
plutôt quelle molleITe d'ame, car
le
je vois, je le fens, la moitié de la
nation gémit de ces abus fans avoir la
,
m'accule
auxquels j'ai livré mes amis. St. V �l
me fait appeller
peut-être apprendrai
je- quelque heureufe nouvelle. Adieu
Zulica, jamais mon cœur, ne fut plus
comprd- à la terre de fes mouvemens?
Quel fnélange de grandeur & de
des extravagances de fa
mere s'offenfe de ma trif
relponfable
jufques dans nos climats reculés en
dépit des lI�ers orageufes qui nous fépa
trer
vent
froideur, St, Val me rend
confommé
ce
-fùnefre
facrifice. La veille, c'éroit le jour où
:
s-: Val lue fairoit appeller, je fus forcé
d'interrompre ma lettre, il me remit
88
Lettres
un
billet de [a part
qui contenait
Talilennes.
ce
peu de lignes;
"
Si vous
voulez_ demain accom
pagn�r
�ent de
une
frère &
mon
mere au cou
faute dont je n'ai
point) aiTez de
vertu
pour
j'aurai
le courage de
.
ma
m'y verrez reparer
vous
•..
me
repentir,
me
mais dont
punir. «
propre.
La piétéremplira (on
& la dévotion f,xera
cœur
cette
tendre;
tête exal
tée, j" lui procurerai au furplus tout
à rendre {a
ce qui
pourra contribuer
retraite fupportable ; mais vous, vous
{entez
nir,
ce
billet, je le remis à
il
le lut &
regardant plus
tranquillement que je ne J'aurais irna
gi�é, foit qu'il eut pitié de mon état,
que J'amitié
me
J'emporr'ât dans cet
infiant fur la tendreiTe fraternells
il
m'embraiTa avec bonté & me confo
Jant lui-uiême ' Zeir
me
,
oUbli,er, yOUS-
pOU VOIt
que
le courage d'affifier à la
cérémonie où elle
vous
vous
aiTez maître de
invite, ferez
vous
pour ref
peél:er le lieu & les témoins de ce doulou
reux;
{acrifice?
J'affurai St. Val que je ferors atten
tif à' cacher tous les mouvernens qui
'{ans doute déchireroient mon ame
&
que je répondois de ma fermeté quoi
qu'il put arri ver.
maitreiTe qui
rendre malheu-.
animoit encore,
une
vous
vous
il'
dit-il,
,
..
ne
qui lui dl:
achevant
Sr, Val, qui
par la tournure de [a lettre
fe doutait de ce
qu'il pouvait conte
faut
choiÎlt le genre de bonheur
Un tremblement univerfs] me
failit
en
ou
8�
.
{ont ph faits pour le monde. Peut
être trouvera-t-elle dans l'état qu'elle
ne
Ce tendre frere
qu'un refle d'efpoir
voulut point at
ne
vagance rend
tendre fa mere qui devait auffi fe trou
�er à la cérémonie & conduire la vic
fort ,
-tirne à l'autel. Nous
reux, & ,moi une Cœur que fan extra
.
a
ou
prefque digne de fon
je m'y connais. peu ou Julie
Ull de ces .çaraaere.s
c
hit!l�riques qui
partîmes dom: de
grand matin& nous npus rend\mes a�
couvent de
Julie.
Ayant demandé à la
\.
Lettres'
voir on nous refufa
de fa part;
Sr. Val
T'altietuies,
mals
m'évita
ayant inlifré elle lui fit enfin
lin
cabinet
le
nom
c'ef]
je
pou vois
Julie parûr
,
tout
entendre
à
L'on nomme ainfi le lieu conl' eg t;r:e
IJ'.'
qu'on donne à ces chambres
être vû.
av�r"
tir qu'il étoit tems de nous, rendre
"
facré à la divinité. Julie y étoit
extérieures; & je me plaçai de façon
que
91
fauvant avec p;ecipita
L'infrant d'après on vient nous
m'éloigner, j'entrai dans
attenant au
pa "loir ,
le
tion dans l'intérieur du Couvent.
répondre, qu'elle 'confentoit à le voir
feul , il fallut
en
-
déJot.
Une parure dès plus brillantes rele-.
voit fes charmes, une douce mcdef
fans
tie
après les plus tendres
tempérait l'éclat de
fier,
démonfrrations d'amitié, Ïon Frere lui
&
une
ce
teinte aJTez
regard
fi
vifible
de
fit la peinture la
trifieJTe donnoit à fes yeux cette lan-
vie
gueur que j'aime.
Peu s'en falut qu'à ce
plus effi'ayante de la
qu'elle alloit embraffer. Prieres
j
répréfentations, ferment de la prote
ger contre la tirannie de fa mere
qu'au con(entement tacite de ne
,
n'oubliafle- l'univers entier pom
juf
che� fa barbarie
frere.
J'avoue que tant
d'obfiination
derniere fois ]'a(cendant
de
l'amour tur cet
envers
elle-meme;
mais la vue de [on frere
qui le tenoit
auprès d'elle, les yeux humides de.
pleurs me contint.
Un homme, grote[quement vetu,
élévé au deffus de nous par une efpece
de trône, commença un long difcours
entremêlé de beaucoup de phrafes prononcees cl ans une langue que je n'entends point) & dont
per\onne ne fe
"
me
{urprit, !x m'indigna même,
j'entrai
bru(quement dans le deJTein
d'éprou
ver une
mais Julie
Je
me
précipiter à fes genoux, & lui r,epro -.
plus
s'oppofe- à [a paiIion; tout fut vaine
ment
employé de la part de ce
géné
reux
•
fpeél:acle
efprit fier & entêté;
qui fe craignoit fans doute,
"
,
.
,
�2
Taitlennes.
Lettres
il
f�rt ici:Julie
les agl"émens de la
alloit embraffer, en homme
vanta
vie
;ue
paye, pour le faire croire , &
p arut
perfuadsr perfonne.
ne
Le di{cours fini, Julie {e leva
"
de celui qui alloit
a�procher
{es
s
\
fe.rmens;
{on
v�lr
bite couvrit
mais
une
pour
rece-
s'appuier (ur
f�n frere.
qui lui donnoit la main, Cet
aimable Jeune homme voulut fe (ervir
de
c,et, acci,dent pour faire [u{pendre
1", cerernonie ; mais Madame de Sr
Val arracha
de fleurs
brufquernenr un
bouque;
qui paroit le rein de
J u l'le,
en diifanr
que c'éroir l'odeu r d e ces
fleurs qui lui avoient
porté à la tête
&
en
vers
mere
vit renfermer [ur elle
ces
portes
fepulcrales.
Ne me demande -pas ce que je de.';;
vins après ce trifie [pe€l:acle, j'errai
même tems elle entrain a [a fille
l'autel.
for
plus de deux heures comme
cené, & St. Val après m'avoir cher
un
paleur fu
teint, [es genoux plie
rent, elle fut obligée de
93
vrirent & Julie après avoir pOUr la
dernière fois embraffé [on frere & fa
...
ché long rems me rendit enfin' à moi,
me voir.
en me difant que Julie vouloit
Malgré la réfolution que j'avois prife
de la fuir, je ne pus réfi.fier à l'en
dernier
reproche;
qui je dis mon
intention
vie de lui faire
fon frère à
.
me
un
fupplia de prendre
fur moi & de
n'en rien faire. Le mal efi déformais
fans remede, me dit-il , gardez_vous
_
de detruire des chimères qui peuvent
tems
faire [on 'bonheur. Il n'dl: plus
Julie la paleur de la mort fm le vi
de
co'mbattre l'er!eur qui l'a fédui
{Ilge & les yeux levés au ciel y pro
te,
puiffe
nonça d'une voix tremblante le redou
table ferment qui devoir à jamais la
fêparer du rlèfie des humains.
Alors les
Eortes du couvent
s'ou-
-
t
-
elle durer
autant
que
-Ca vie.
Je n'ai Fas voulu lui refufer la .fa
tisfaél:ion de vous voir pour ne pas
renouveller Far une privation trop dure
...
Lettres
94
TaitÎennes.
95
qu'elle a perdu, mais
tout eil: changé
'Votre attachement; mais
j'attends de votre amitié que vous ta
vois aujourd'hui
pour moi, je
etois
le
froid
précipice dans lequel J
à tomber, & je bénis la
le regret de
ce
chiez d'éteindre
fence
bien
elle par
en
ménagée,
un
une
fentiment
qui ne peut plus que la rendre
mifé
Il
rable,
Je
une
me
tout ce
que St. Val vou
biffai conduire
vers
Julie;
robe noire, & un voile de même
couleur
c'efl une
,
claire qui
cache
piece d'étoffe très
partie du viCage,
'
J.
Je fixois Julie
une
relevoient encore l'éclat de fa peau;
ce triile ajuûernent loin de rien déro
ber de [es charmes, 1eur
1
t
prêtoit au
branlables barres de fer, qui nous fé
paroient
,
rendoient cette liberté bien
inutile. Je les parcourrois dans un morne
jilence quand Julie le rompant me dit
d'un
ton
de voix qui me parut calme:
ZeÏr, votre émotion me touche
vous
me
fûtes trop cher pour que
-
je
puiffe être indifférente aux marques de
attention, l'air
fur
de Cérénité que je voyois briller
à
mon
fon vifage s'étoit communiqué
j'aurois craint de troubler par
reproches la tranquillité que je
lui fuppofois. Etes-vous heureufe me
Ou i
contentois-je de lui demander?
'me répondit cette fille üngu1iere avec
mes
avoit biffés feuls , & je ne m'en
érois pas encore apperçu ; mais d'iné
avec
ame,
contraire un intérêt touchant. Son frere
nous
mai�
prête
qui m'arrache à l'illufion q�i m'�volt
la
ü�duite. Le dépit m'a conduite ICI,
le
&
retenue
a
plus
reflexion m'y
d'avoir
grand de mes regrets, c'efl
v���
monde
un
que J al
{J long-tems dans
toujours méprilè.
-
promis
lut &
d�, ;an.g
ab
,
1
,
une
allur auce que la Icene de
l'égliCe
fembloit démentir.
'.
Je le [ouhaife , Madame, lui dis-je
& oubliant prefque
un
peu émfl,
Eh quoI
:
réfolutions
lues
l'in fiant
�
Julie, continqai je avec véhémence,
de vous
avez-vous pu être maÎtreffe
même � ce
point
fi
vous
m'aimiez
comme
vous
Lettres
T'altlennes.
le dites �
pofer à vous revoir, je me croyois
moins foible & vous moins touché
Mon image
peut-elle être fi-tôt effacée
"Cœur? Ne
de
fond de votre retraite pour
pr.ocher
&
tourrnens
mes
votre
fui vra-i-elle pas
vous
vous
-
au
Peut- être ne
-
ré-,
.
amour
mal-
vos
que je le fuis dans ce moment»
pas moins l'erreur qui
n'en bénis
heurs? Amante trop crainti ve ou plu
tôt abufée, vous avez foulé au-x
je
m'y a conduite
le doux inftinéè de la nature pour ern
nous
pieds
braffer
avez
Je fein de
porté
votre
frere qui vous
le
amant
airne
,
défefpoir
dans
defolé
d'un
,
rent
_
eu
lé
ne
pouvoir {ans
m'accorder cette
me
,
,
pofer
tems. de
rentrer
en
amour, elle me
fe rendre
coupable
legere faveur.
Je la -quittai étonné de fa fermeté
dit-elle
regardant avec tendrefle que_
ne
peux
je
plus vous écouter fans
crime & que je n'aurois pOIS dîl m'exme
voir � c'efl la feule �& derniere
la refufa encore, en m'a:ITurànt, qu'elle
faillir.
en
rendre
flexible, Je lui demandai fa main pour
,.
Ii 11 'dl que trop vrai,
me
dernier gage de fon
défefpoir, je fecouai les
fureur qui la fit tref-
..grilles
nous
permiffion de voir Julie, elle fut in
Julie cherchait à me dérober redon
avec une
pouvions .que
J'avois
[anglots me coupela parole, quelques pleurs que
mou
principes
nos
moi-même, i 'infiflai cependant fur la
? Ici les
hlant
dans
preuve que je vous demande d'un/en
tirnent qui eut dû faire mon bonheur.
fans trouver le
retraéler, vous ai-je pour jamais per
.•.
,
Oubliez moi, & ne cherchez plus
à
efl-il
,repos que. vous cherchez :. Julie,
bien vrai qu'il n'eft plus tems de vous
due
ne
mutuellement malheureux.
vertu farouche.
une
Vous
ferois-je pas ici.
fi j'avois été auffi convaincue de votre
& le
cœur
'
la verrois
navré de l'idée que je ne
plus ; rien
ne
me
raflure
fur le fort de cette infortunée viélime
Tome J.
E
,.
.
9S
de
L�ttres
l'amour, &
ces
qu
de l'erreur. L'on dit
Je 'te
:
bonheur que
exemples ne font pas rares &
à
bien difficile de fixer.
loin de mon cœur,
s'y fait fentir
,
maintenant
bien
j� rappelle l'amour
fi
n'efl, que pour gémir fur le fort de
Julie, ou pour pleurer ton' abfence.
ma
Zulica, adieu
élûe de mon
cœur.
la
fens agités & le prémier
regard'
regard
me�
tour
de fa retraite : ni les
mon
ami, ni les reproches de fa mere
€1e mes
Ta lettre vient de
Ah crois qu'au mi
devorent,
fouvenir fera roujours la plus douce
ton
penfées.
prieres de
n'ont pû m'arracher de ce funefie lieu"
maitrefle
Heu des inquiétudes qui me
fait couler dans le
que. Je P?rte fur moi efi un
de confufion & de
repentir.
ce
Adieu
tu as
D'epuis quinze jours que j'ai perdu
Julie, j'errais comme un infenfé au
vuide affreux
un
'Ï'altiennrs,
9§l
ma Zul�ca
pour tout le
mien. Ta douce voix a rendu le calme
qu'il efi même des filles qui trouvent
dans ces retraites un bonheur
qu'il dl:
Ce fentiment efl
bénis
me
rendre à moi
même, je rougis de mon égarement,
je
n'avais
pas
encore
d'idée d'une
pareille fituation.
Mail ame peu accoûtumée à des fé
coufles fi violentes n'avait ni le pou':
,
����'dJ==:il=.=:iè=l�
L
E 'T
T
REX VI!.
voir, ni la volonté de s'élever au
deflus d'elle
Z E ï R
T
à
Z U LIe A.
lettre, b la plus aimable des
femmes, vient de rendre la vie à mon
ame abattue, j'ai lfi avec refpeét ces
caraéteres chéris, fideles interprètes
a
du plus tendre
cœur
qui
fut jaœais •.
-
même. L'affreufe cerri
tude d'avoir
perdu Julie, quand je
refpire le même air, quand pour ainu
<lire je la vois, je la touche encore
& que les plus faibles harrieres tlOUS
{éparent, porte le défefpoir dans mOJ1
,
E 2
,.
Lettres
100
cœur, & m'a fait
Le croiras
attenter fur
font
-
tu,
mes
attachés,
Zulièa, j'ai voulu
Jours, où les tiens
fans
fans
toi,
doui=e image
qu'un forcené, chargé
ton amant ne
de
ta
,
ferait plus
tous
les ob/hc1es! Cette 1 ulie
que ton (on
venir Ieul m'eut fait oublier �
que je
les
crimes.
trou vois moins
Depuis quinze jours mon efprit n'a
conçu que des projets funefies; j'ai
mettre
Julie
l'enlever de
,
ce
j'euflè
la flamme
à laquelle enfin
quand elle
qu'eut allumé ma coupable
que tu la rendis fi longtems heureufe ,
pour la pofléder un [eu] infiant.
je fuir de ce
N'importe, je fçaurai me vaincre',
puifque je me fuis livré aux vices des
Européens je fçaurai imiter leurs
main.
ZuJiça que ne puis
fatal
,
renoncé facilement
m'aimoit, aujourd'hui je donnerois
ma vie, cette vie
qui t'appartient puif
féjour d'horreur
mourir dans [es bras au milieu de
ou
belle que toi, dont je
comptois les defaurs
le feu à l'habitation de
voulu
101
plus cette cloche tunebre dont les IUa,
gubres Ions reveillent la rage afloupie
dans mon (ein. 0 Zulica, que S. Val
avoit raifon quel
degr é cl'aai vi té les
paflions n'acquierenr-elles pas ici par
pénible exifience.
ma
.re
'Ï'aitletuies.
dejà mille fois rnaudi
-
l'air
qu'on y refpire efi
pals!
contagieux, mon ame épouvantée cher
che en vain à Ce replier fur elle mêrne
,
vertus,
,
Je remord y dl: entré
crime.
avec
l'idée du
Julie.
c'en efl
fait, je
murs,
dont
ne
verrai
l'afpeÇt fait
bcuillonner mon fang, je n'entendrai
plus
ces
Val
repete
Je veux fuir du moins le voifioage
de
St. Val que j'aimè, ce St.
dont l'eûirne l;;'efi ft chere, me
tous
les
à [es
paflions; il me cite la fermeté
jours qu'il' efi indigne d'un
homme de ne fçavoir pas commander
de {a fœur ,
cerre fermeté cruelle
qui
caufe tou� mes maux: eh
bien, j'imio;
-
E l
Taitiennes.
Lettres
102
rons ,
fan
exemple, j'acquercrai des
vertus faélices pujfque j'ai perdu les
te rai
véritables, mais fi J'amour eft
crime
-
jamais
Zulica
ma
ici
,
amant
ne
voudra
s'en
virage
-rne
joye naive, leurs danfes ruûiques
de no s
rappellent 'J'aimable ingenuité
�(�������*.
LET
T
J
e
fuis
de St, Val & la douce certitude d'être
la faculté
d'être heureux. Je fange à mon pays.
gouté à tes
innocens appas & des pleurs d'atten
plaifirs que j'y
driffernent humectent
paupières,
,ancienne maniere
repris
-?e vivre, Fexamine tout, je cherche
J'ai
,
ai
à rn'inflruire
mes
mon
,
& l'étude rend infenfi
blement à mon ame le calme
qu'elle
avait perdu. Nous vifitons St. Val &
moi toutes les campagnes des envi-
heureux
,
ni
fl
ne
font pas tous
& l'on dit
gais,
du François différe de
que le caraEtere
à province. Ce que l'on
province
de terre
ainÎl, dl: une
portion
!lomme
ne
aimé de toi m'ont rendu
2).1X
fi
Z U LIe A.
fuis pm confolé , mais je ne
plus forcené. tes [ages confeils
Ta'itiens. Ils
bons
REX'V -r l I.
Z Eï R à
[a
& plus
La gaieté & la franchife fe peignent
de ces bonnes gens. Leur
fur le
-
jamais ton
corriger.
toute
eO: auffi belle
pompe, elle
variée que chez nous.
un
non
103
la nature eft ici dans
�
auffi grande que notre île, & l'on en
élans le royaume,
compte trente cieux
du même maître.
toutes
dependent
qui
Qnelle idée un tel état
ne
donne-t-il
de fon Eri.
'1-
) Cha
pas de la pui[ance
a fes loix particu<Jieres
que province
res
tlfages. ,Les habitans
& le peuple
.c'efl à
des proyinces méridionales,
font
ceux
près du foleil
-
-
plus
qui
vifs,
{ont plus
plus agiles & plus fpiridire,
_-
--------.,.._.-.�
...
) Er' nom du Roi en langue
E4
/
Taùienne.
Lettres
J04
tuels que le refle de la nation. On les
croiroit formés d'une
partie de la matiere
Taiti.ennes.
Les
Earraées")
lOS'
moins durs ICI,
ou
fa chaleur.
préroga
l'Europe
& même à Taïti, n'�nt point avili la
Les
moitié de la nation; dans les tems des
'lui cornpofe ce grand afire, leur efprit
a
la vivacité de [on éclat & leur ame
Etrang(irS fe plaifent dans ce
beau climat & viennent y chercher
la [an té quand ils l'ont perdue, A
quelques abus près je les comparerois
aux
nôtres, al! travers de pluûeurs
vices, dont j'accufe leurs loix, l'on
retrouve
la franchife & -la bonté na
tionale.
Leurs coeurs tendres font
bles des
fufcepri
p,lus vives impre Iiions
on
pailionnés,
fait
le fond du caraétere
legéreté qui
françois remit
J
Couvent ces heureufes qualités.
Aimant leur
roi
jufql1'à l'enthou
fiafme, il n'a point dans fes états de
plus zèlés défenfeurs mais auffi ne
trouve-t-il point de fujers plus fiers &
même plus rebelles quand il veut rou
cher aux privileges qu'ils [ë [ont refervés,
,
recoltes l'on les voit fe mêler après.
les travaux avec les cultivateurs & ne.
leurs rufli··
pas dédaigner de partager
ques arnufernens.
J'ai fous les yeux deux exemplelt
de l'lnfluence .qu'a le caraétere
frappans
des maîtres fur le bonheur & la vertu;
des vaffaux : Madame de St. V al,
fiere & arrogante, comme le fone à.
ont pag'é leur
ceux
ce
,
,
dit, qu'ils [ont amis chauds & amans
mais la
bien plUS bornés dans leurs
tives, que dans le reûe de
qui,
/
dédaignant de. prendre
de ce qui peut interefler
part à rien
-ceux qui ont le malheur de dépendre
d'elle, dl: rrornpée & haïe de tous.,
ceux qui I'enrourent. Ni la peUl' des plus,
févéres châtirnens
qu'elle multiplie
qu'on dit,
.
vie à la cour,
,
pour fe fai.re
craindre; ni la frayeur
� J Earrades nom des Seigneuts
E li
Taïti�
.
106
Taitiennes.
Lettres
qu'infpire fa dureté; rien ne peut empê
mon ame.
belle encore, je doute que je fois jamais
journellement dans fes terres. Ses Tata
'eÎnolls, ) malheureux & courbés fous
le poid du travail maudiffent fa tirannie
& l'éludent par autant de fupercheries
tenté de lui offrir J'hommage qu'elle pa
'1-
rait défirer.
Dût-elle être la premiere femme qui
effuia de moi un refus, j'en demande
au
pardon à Encoua
contraire, chargé par elle du foin d'une
,
mais tout
mon
être
par (on in
fe revolte à l'idée de fa méchanceté.
génieufe bienfaifa·nce atrouvé Ie moyen
������=:l):::�
autre terre
plus modique
J
d'enrichir les fiens en leur diflribuanr
)
Je ne puis oublier la fcene
d'u bouquet, & quoique je la trouve
cher les defordres qui fe commettent
dont ils peuvent' s'avifer, Son fils
1°7
L
des travaux utiles à l'amélioration de
E
fon bien.Il efi un de ceux que j.'ai
le
�
T
Z E ï R
vu fe mêler
L
plus familierement parmi fes bons
A
Il
douce paix rentre dans mon ame
avec
l'air pur que
plus
cence
& les
;i préCent feul avec lui
J
nous
je
cette
femme dure contrifloit
/
.
") Payfans TaÏt iens liU plutôt vaffaux,
'li") Nom des gens <!_u commun de Tai.li,
�"*) Pièces dé Théâtre,
je retpire, l'inne
plaifirs m'environnent, fi
poffédois ma Zulica, je me
croirais encore à Taiti. Madame de
Sr, Val a confenti à mon départ à ce
avons
quitté fa mere & le voifrnage de Julie;
la vue de
te
XIX.
à t. U LIe A.
Towtow '1-") & chanter d'auffi bon cœur
leurs innocentes chanfons que les
beaux airs .de leurs Héaoas, ""'1- ) J e fuis
E
de fa fille,
que Je crois pour m'éloigner
Val
& moi,
St.
nous femmes feuls J
dans cette petite terre dont je t'ai parlé.
Le climat efi moins brulant & le fol
plus fertile que dans la province que
-
E 6
\.
'
T'aitlennes,
Lettres
j'ai quitté,
".
plus jolies, le langage plus doux, &
également pa.
ivuis en
chanté des Languedociennes, mais mal
le patois du peuple efl un
jargon char
auquel je trouve plus d� moleile>
qu'au François. Les Languedociens
heureufement St, Val -a le défolant
mant
caprice
ont des
) c'ett le même caraélere
Tedouas JI.) fe
dans les habitans ; mais les femmes font
mettent
royaume. En vérité
tout le
de m'interdire le
de ces joJi!lS payfonnes,
commerce
c'eû _Je
nom
cette
qu'on donne en France aux habitantes
langue & leurs .fernmes �nt toutes des
des campagnes, avec autant de Iévé
go fiers divins. H)
Elles 'fOlH généralement brunes com
me les Taïtiennes;
mais elles ont la
riré
peau, tncomparablement plus belle que
les Provençales, qui en cela refTemblent
moyens pour couvrir ou reparer ces
tendres complaiCances qu'on eft con
chanfons délicieufes dans
plus à nos femmes, leur vivacité a je
ne fçais
quoi de tendre que je n'ai point
-trouvé dans la petulance Marfeilloife
(jlloique les deux Provinces fe touchent.
'fout differe ju.fqu'à-la parure des fernmes, que Je trouve plus éleganres : je
parle de celles du peuple, car les
Les
venu
,
\
.
------------------�--�
'"
en
) Il quittoit la Provence & il était alors
Languedoc.,
U} Les femmes
Languedgclennes font
�es plus agréables chanreufes de France,
\
qu'il a contrarié
mon
goÜt pour
Julie.
.
Tédouas
,
dit-il,
ont
mille
de regarder ici comme autant de:
tâches à lit vie d'une femme; tandis
n'ont d'autre bien,
que les payfannes
dans leur pauvreté, que cette igno
du plai:lir qUI! les Françoifes
rance
nomment du mot générique de vertu
& qui parait fuppléer p�ur elles à tou
les autres.
tes
Admire. la force
pretlions que
,*
nous
desprémieres i�
recevons dans no-
) 'F emrnes de condition,
L
'
,
Lettres
enfance. St. Val penfe �omme moi
r JO
tre
fur l'article
de
l'amour,
il
me
l'a
cent,
fois
T'aitiennes.
de la
-
dit & fa conduite
me
l'a
prouvé cependant il fe prive d'une
foule de plaifirs, & s'irnpofe mille
,
Cet homme fi rai(onnable, (i. fenfé
cela
n:en eil: pas moins fournis à des opi
nions qu'il méprife ! Quant à mo�
que j'habiterai
J ma Zulica ,
tent
image adorée, fuffi ra à mon cœur
& déformais je veux borner mes
périls
communiqué la derniere
,
a
été étonné
qu'une Taïtienne peut s'exprimer auffi
facilement dans une langue
étrangere,
mais
ce
qui m'a un peu humilié c'ea
,
qu'il a paru -encore plus furpris de la
en
tout.
,
ces
airs
de
1
accompagnés de qua
qu'on leur pardonne
ridicules
ces légers
prefque fans s'en
"
"
,
appercevOlr.
•
Sr. Val qui pourtant efi de meilleure
foi fur-les défauts de fa' nation, m'a:
dit, que les autres Européens avoient
des genres de redicules à eux
moins [upportables & par deflus celui
encor�
de copierles François. Il m'affure que
ce
gotlt gagne, & qU'aujourd:hu,i c�a
que peuple li (pree
,
le
lités fI aimables,
� I'efpoir de te revoir.
qui rne menacent. St, Val, à qui j'ai
qui
fuffi[ance font
plaifirs
_
d'aITurance
Il faut convenir que
cette
Je relirai. tes lettres, elles me fervirant <le .préfervatif contre les
ton
perfuade à ceux-mêmes qui
plus intereflés à le nier. Leurs vo�f�s
rrruparoiITent le croire, car ils les
fuis refolu à fuivre fes avis, &
peut
1
un
avec
font les
je
image
il' n'y a
a faiu Ja
que lui dans l'univers qui
difent
ils
vous
maniere
vraie
d'être;
cliimere.
contrées. Ton
de fui-mê
trop prevenu en faveur
me; à entendre le François
tre
vations pénibles par
refpeél: pour une
ces
pureté du langage.
Un des défauts de ce peuple eil: d'-ê
pri
être à fuir l'amour tant
111
netteté, & de la jui1:e1fe des idees que
de vouloir lmlte-r
'
,
.-.-
.
fon voifin n'ea
plus rien par lui-rn�ml!.
Béni [oit cent fois
nos
113'
Taitiennes.
Leu res
II 2-
l'éloignement de
climats qui nous a
permis de con[er
[aintes coût urnes dans leur
province, j'acheterois
un
marquifat
monde; &
méner une vie divine,
à
Paris
j'irois
car
il faut Uil titre dans lé
je penCe avec
mais la vieille bonne femme avec les
prend pour fa fanté
que nous Commes jufiement dans
l'état où il faut demettrer
pour être
vivra encore., dix ans.
Je regardai cet homme avec mépris;
heureux.
&
Si trop d'ignorance en nous
privant
des commodités de la vie ea
roiffoit l'écouter avec le même fenti
ver
nos
primitive fimpliciré
,
car
toi
nuiuble
aux
plaiurs, trop de [çavoir I'efl à
coup [ûr au bonheur, J'en Juge par les
gens qui m'entourent· je n'al' vu ICI
la Joie naïve & les
ugnes de la fiell'"
crte ,
que dans la derniere claffe du
A·.
.
.
je lui demandai ce que c'étoit
me re
que cette légere figure? C'efi,
fat
pondit l'homme ra;[onnable, un
les
vrais
ambitieux qui foule aux pieds
ment,
biens, &. fe croit malheureux, pârce
courir
qu'une mere [age l'empêche
il néglige les
à [a perte, l'infenfé
,
"
.
al
pas trouvé
un
feul qui s'a.
vouat
parfaitement heureux.
Si ma mere
mo�roit, me difoit, il
Y a quelquetems un petit maître
une
m'avançant vers un autre qui pa
,
n en
Je
c'eft
;
omms qUI
eïpece d'hem
paroit tenir
.
Je milieu entre les deux
le plus heureux des
drois tout
ce
que
.
.
<
fexes , Je rerois
hommes
r
.
,
Je ven-
je pofféde dans lO!l'
ri
ménagemens qu'elle
.
peuple, parmi ceux qui [ont ignorans
,?ar état, J'ai quefiionné les autres
li'
,
de
,
feuls moyens' d'être heureux. Frappé
de [es paroles & du ton, avec lequel
1
J'
dou
elles avoient été prononcées, je ne
ne
tai point que cet homme u fage
fllt heureux & je le lui demandai avec
€mpreffement; comment, Monfieur
,
me dit-il, dl-ce que vous :i-gnQrez que
je viens de publier un livre qui-a pour
titre du bonheur & pOlir but de rendre
Il
JI li,
·
tous
LettN'S
les hommes
Taitiennes.
heureux: c'eil: la
fleup des plus excellent.es
maximes de
l'antiquité, car je me flatte de pofféder
�lOn Epiéléte mieux que per[onne &
Je travaille aujourd'hui à
mettre
en
J ann
les meilleu-,
auteurs françois.
Je fuis
étranger, lui repondis-je
je n'ai point lû Epiéléte, mais vou:
m'obligeriez de me pré ter votre ou
vrage. Volontiers, me dit-il en tirant
le livre de fa
poche, je l'ouvris' & il
fe
�lit en devoir de m'en faire re mar
"
-
quer les
plus beaux endroits.
Un jeune homme
rioit malicieufement
fineffe, qui
me
demandois-je
fon oreille. Du
air
en
difliller fon
fiel, contre le genre hu
main.
Quelques phrafes
foucieux
de
du
J'auteur
"Iiv!e & l'art
m''avoienr fait
pafler I'enwie de Je queleionner quand
fe rapprochant il m'en fournit l'cccafion
pour ainfi dire malgré moi. Eh bien
,
me
oit-il, comment trou
'quoi riez vous?
1
volupté+-j'oferois prefque dire que_ces
trois chapitres font des chefs d'œu
plaihr que vous venez
vres.
Tachez en les lifant d'entrer dans
auteur, me dit
mon
fens, de
de faire à ce
pauvre
il , en lui demandant un
ouv·rage dont
,
perfonne ne 'Veut, & qu'il vient de fe
ruiner pour faire
,
jeune homme? re
mettez-le {ur Je chapitre de fon 0U-·
'l'rage, vous aurez le plaifir de lui voir
voir, repliqua
Cela n'dl-il pas bien
L'amour
de l'étude. Je mé
frappé?
ri
des
cheffes
les dangers de la
,
pris
de
'm'a,prochant de
Voulez-vous Ie [ça
le
vez-vous ce Ilile ?
donna envie de l'in
terroger à fon tour. De
lui
d'un
pas lui-même !
Moniieur ,
qui nous obfervoit
&
l'art d'être heureux ne Feil
aux autses
imprimer.
Comment, repris-je avec étonne
ment. cet homme
qui veut en[eigner
VOtlS
1
pénétrer de mes
idées, lie fuis rÔr que
vous
e� ferez
ravi. L'on n'écrit plus comme cela au
jourd'hui, tous nos auteurs modernes
fes font gâté le gotIt: la belle anti
quité dl: negligée, 1'011 ne fait plus
,
1
l'
Ir6
Lettres
T'altiennee,
que des brochures licencieu{es qui Cor
rompent le cœur & énervent
l'efprir,
Diriez
-
vous
qu'il ne s'e{l: pas vendu
un feul
exémplaire de mon ouvrage;
c'eû une chofe affreufe
mais
j'ai une
-
�tyre toute prête qui doit me venger
de
mon
ûecle ,
c
'ef]
un
morceau
de
poéfie achevée & jufrement dans le
goût de Juvenal. Le preférez-vous à
Perfe ou bien aimez vous mieux Martial?
En vérité, lui
dis·je, je ne connais pas
même ces noms là. Eh
qu'avez-v;us
donc lû, me demanda avec
{avant di {coureur , eft-ce
méprismon
que
vous
ne
parleriez pas latin P Non Monfieur re
pondis-je en baiffant le ton. En ce cas,
ajouta-t-il avec dédain, vous n'aviez
que faire de me que{l:ionner; en fi
niffant ces mots il me tourna le
dos
aflez brufquement; en
ce
moment
.
blonde chevelure éparfe avec
fes
grace [�r
épaules me fit reconnaître pour un
de ceux:"
auxquels l'admini{l:ration de la
,
,
dai ce que c'étoit que
cet auteur qUi
fa fcience
de
fi enorgeuilli
ê
paroifloit
C'efl
un
fou,
me
l'état, & à .charge
dit-il, inutile à
aux
Grancl.s qu'il
aflornme de fes fades produélions ; il
s'imar;ine que-la cour lui doitde grandes
recompen[es quand il a. chan:é
des
,
aélions que d'autres ont fait: qUI soc
dans
on
cupera de "lui quand
ont ex
de
l'oubli
dignes magiftrats qUI
leur vie & facrifié leur fortune
l'eu,ife
pofé
caufe du peuple) dont
pour [outenir la
'Ho
iis font les peres
)
un
que (a
e'
v� '.
repandu fur toute (a
je ne fçais quoi d'obligeant
dans fes manieres m'engagea ,à m'ap
procher de lui, encore affeél:é de l'irn
politefle de mon [avant je lui deman:
L'air. d'amenicé
perfonne
.
homme d'une
figure aimable>
1 I7
ff" a ma
sont
jufiice dl: con fi,ee, ")'
Il ne me convient pas de me citer;
-----------�------
") Les confeillers au parlement portent
ct{"France les cheveux épars fur les épaules,
...
) Les parlemens font en France les,
repréfentans du peuple..
Hg
T'aitlennes.
Lettres
r �9
mais
j'étais avocat général du parle
èÏvil auteur,
ment
de-
encore pleine de ce que venait de me
-
j'ai perdu ma place pour
je le joignis, & la tête
fouiller d'une. lâcheté, &
vous me
voyez prêt à porter ma tête
dire le
fur un échafaud plutôt
que,
'aux volontés de la cour. Voilà,
denotoit. Bon, me dit l'officier, car
s'en éroit un, appeliez yous cet en
ne
pas
me
que de me des.
honorer par une baffe condefcendence
le
dire,
ceux
j'ore
à (es maîtres
jeune magifirat me
plût & quoique je n'euffe que trop
de fujet de voir par la vivacité de
{es difcours qu'il était plus content de
lui que de (on fort,
j'admirai cette
fierté mâle qui Pavait porté à facri
fermeté pour combattre leurs ennemis ..
le
d'avoir été rebelle à (on roi, & trente
cinq ans de repentir & de gloire n'ont
'point lavé (a vie' de cette tâche inéf
façable,
'for�
un
pays où la
june efl tout.
Tel efi le propre de la force d'ame
,qu'elle en- 'impofe avant qu'on [ache
fi l'aétion quelle nous porte à commet.
.
efl
jufie ou non.
Je refléchiffois à cela quand j'ap.
percus de nouveau celui
mon
plus grand capitaine que la France
ait produit, ".) ·t{e s'efi jamais confolé
.fier fa fortune à la douce idée de faire
fan devoir dans
quand on n'a pas eu le
garder (a
bonheur de naître libre, &
La _fermeté du
de
de (on courage herci
& de la grandeur d'ame qu'il
têtement grandeur d'ame ? Il faut obéir
qu'il faudrait recom
penfer.
tre
magifirat, je lui avouai que
j'étais frappé
Croyez-rnoiçcetre révolution-n'en im
.
pofera qu'aux étrangers qui ne peuvent
pénét ret les rairons fecrettes de cette
opiniâtre refiflance dont l'interêt dels
peuples n'efi. que le prétexte &
l'ambition des particuliers le motif. Ils
qui avait ri
prémier dialogue avec l'in-
") Le grand Condé.
T'altiennes,
Lettres
1"20
admireront l'union de ces corps réu';';
nis pour la caufe commune. parce
qu'ils ignoréront les menées fourdes ,
les intrigues
baffes, que les chefs ont
pour exalter les jeunes
têtes & les attacher à leur parti.
mis
en œuvre
Pourquoi fe revolte-t-on' contre la
prétendue baffefTe attachée au payement
que le roi affeéte
aux
nouveaux
ma-
gill:rats, afin qu'ils rendent la jufiice
,
gratis. c'efi qu'il étoit plus doux de
-
taxer
foi
-
même fes honoraires & de
juger au poid des facultés des cliens.
Sur
quoi feroit fondée
cette
fauffe
délicateffe , un officier par fa naiffance
& {es fervices
un
magifirat?
n
vaut-t-il pas bien
Le fang qu'il verfe pour
fa patrie n'efi-il pas auffi précieux que
quelques di (cours qui ne font pas tou
jours ,prononcés en faveur ge l'inno-:
cence?
CependalJt on nous paye & nous
n'en rougiflons point, fouvent on nous
oublie & le prix de quarante ans de
t,ravaulC efi une vieillefle miférable.
En
12 l
En femmes-nous moins zélés pour
notre
Iouverain ?
Quel
efi l'homme
"
d-e cœur qui ait refufé de fuivre fes dra
peaux, quelque mécontentement par
ticulier qu'il ait pû.avoir , voilà le vé
ritable honneur. Chaque état a [es ver
quelque fublimeque foyent peut
être ces caraéleres inflexibles, ils font
tus;
dangereux
&
punilTables dans
une
monarchie.
Les parlemens ne plieront
point au
jourd'hui parceque le tÎ-linifiére. e'fl: trop
foible, & l'autorité royale fe confer
dépit des parlementaires, par
dans
le fait il
ceque
importe peu au
peuple defiiné à être' gouverné, que
les parlernens ayent
plus d'autorité que
Ie roi, ou le-roi plus que les parlemens ';
vera en
feulement que rune de ces' deux:
autorités ne puiJIe anéanrir
afin
mais
l'autre;
que mutuellement occupeés elles'fi'em.;
'ploient point un loifir dangereux il
fouler ces peuples, aujoud'hui
prétexte
de ces divi!ions.
_
J'avais écouté l'officier àvec
Tom� 1.
.
F
.
,
atten-;
_
....,
Lettres
122
tion & je
ma
,
penchois de fon côté malgré
prévention pour le magifirat,'quand
je m'avifai de lui demander s'il
étole
'
heureux.
-
mes
paffer devant
camarades
moi,
m'a refufé
parce qu'un frere inhumain
l'avancement.
de
les moyens d'acheter
Plufieurs hleflures
dangereu(es m'ont
déjà fait craindre de mourir avant d'a
voir
eu
l'occafion de
Mais n'irnporte
,
me
J'admirai la façon de penfer de' ce
brave
François, & je conclus que je
trouverois pas moins de rnécontens
dans les autres chiffes de l'état, puif
ne
la mifere
qu'on laiffoit dans l'oubli &
un' fujet Ü zélé. Je le quittai en lui
me
témoignant ce que je penfois il
me
fenfibilité
une
qui
remercia avec,
,
fit bien abgurer de la bonté de fon
vecœur & dé la vèrité de ce qu'il
12 3
dire. J'ai eu
depuis 'l'ce
je
ferois tenté de croire que
l'inquiétude & le' mal aire [ont des
-
propriétés
du climat. Malgré cela un
charme fecrer m'y attache, j'aime ces
belles contrées &
je
les
préfererois
;e crois à Taiti , fi tu n'y étois encore.
������
LET T REX X.
mo� fang dl: à n:a,
malgré [on ipgratitude.
Taitien.nes.
d'interroger beaucoup d'autres
gens qui ne m'ont pas paru plus heu
difiinguer.
patrie, & mon cœur à mon fouverain
me
cafion
reux,
Comment le ferois je , me répon
dit-il avec vivacité? J'ai vu dix d,e
-
noit de
"
Z U LIe A: à Z E ï R.
J ai reçu. tes, dernieres- lettrés,
mon
bien aimé. & un inflanr de
joye s'eft:
fait fentir à
mon
ame
en
apprenant
que la tranquillité efl: rentrée dans la
tienne; mais par une bifarerie ifl.con
cévable du fort qui
nous
pourfuit il
femble que mes maux
augmentent il.
mefure que les tiens diminuent.
Au
chagrin de t'avoir ,perdu fe joi
gnent mille def.1grémens dont j'ai ne-'
gligé de t'inflruire efpéranr que mon
,
F s
l
Lettres
124
changeroit &, ne voulant pas
ajoûrer à tes malheurs le recit des
miens. Cependant le danger
augmenté
..-& dam ce péril preflanr chere ame
de ma vie, je ne puis m'ad relIer
qu'à
fort
,
,
-toi pour
donner les avis
me
qui me
TaitienneS.
& que je lui
Tu te Cou viens peut
-
être,
Zeir ,
cruel
déCa_fire dont je t'inil:ruifts
tems
quelque
après ton départ, &. des
violences auxquelles les, François fe
porterent
toyens.
envers
nos
pai!ibles
cenci
Nous n'avons fait depuis que chan
,ger de
tirans
dans
notre
nous
,île
autorifés par ce
violence
,
ou
les
:
mêmes J que
Anglois.
ceux
avons recueillies
leur
après
naufrage.
prérnier exemple de
plutôt par leur férocité
naturelle, ont-tenté de renouveller ces
fcenes d'horreur
mes
:
leur chef épris de
foibles charmes a voulû s'auto
rifer des ufages de Taiti pour me forcer
à me donner à lui : mes -larrnes ma
Jepugnanc;e � le ferment que je t'iii fait
,
B5'
allégué,
mes
con-
tinuels & hu milians refus, rien n'a
rebuter fa folle paflion ;
ma
pû
refillance
[es defirs au point
qu'il ,m'a
fait les plus effraÏantes ménaces.
a
�rrité
Nos
font nécelIaires.
du
ai
chefs
épouvantés
traité
ont
ma refolution de ,caprice, & m'ont
duremen t
reproché les malheurs
de
compatriotes. Tout le monde me
mes
blâme & m'abandonne, mes
gnes
me
raillent,
mes
compa
perfécuteurs
m'effrayent; mais un fentimenr vain
queur de toutes nos loix me fait trou
ver de la raifon & de la
juflice dans
ma
fermeté.
Cependant que de tems
s'écoulera avant que je puifle avoir ta
reponfe l que d'outrages n'aurai-je peutêtre pas éprouvé jufques' Ii!!
Ah Zeïr! quoi qu'il m'arrive, rien ne
-
......,.
pourra détacher mon arne de la tienne.
fentiment qui me fait vivre eil: in
ce
dépendant du fort & de mes ennemis,
-
Lettres
Taitlenne
��������
127
t.OUTS, quand mes plus chers amis'tn'on�
trahi! Toi feul qui m'ai
abandonné
.•.
XXI.
L�TTRE
ZULICA
C
'
JI: N
Zulica
à
devenue
la
malheure�(e
rnonûre � ni mes cris, ni mes. larmes
n'ont pû toucher mes barbares
COl,U
arraché que morte de ,tes bras.
tu
deviendrasquand tu apprenQue
r
-
il
prépare � 'quitter cette île barbare,
payé ma liberté d:une partie de
{es dangereux rréfors & mes I�ches
Les Taitiens ont violé enver, moi
tralné�
.
ce
Eu�opéel1", & par un excès
de lâcheté que tu auras peine � con
cevoir l'on m'a pour jamais
cet odieux tiran.
livré à
Je n'ai plus d'amis , plus de parens ,
de
plus
patrie;
je
m'appartiens plus; ah Ze'if! je fuis
toujours à toi, dans les, fers de mon
perfécuteur mon
en
ame
le joug qu'on ofe lui
un
ne
mot
ne
fubit point
impofer.
o qui viendra déformais à mon [e-
a
compatriotes, féduits par de faux biens •.
l'humanité, j'ai été
farouche
"
-
fe
de force dans la tente de
.
.
cras mes malheurs ? 0,U terois Je peutêtre moi rnêrne P 'Le cruel Johnflon
fauver de l'artifice.
les loix de
fouffre?
ne m'euf
patriotes, mon innocence n'à pû me.
toutes
peus-tu fçavoir
pourquoi m'as-tu
que je
Tu
rn'aurois
défendu, ou 1'0111
quitté?
proye d'un
.
ne
'encore, que
ce
ZEïR.
ef!: fait ZeÏr, la
ef!:
mes
s'applaudiJIent de �eur trahifon.
'N e revjens plus dans cette île mal ..
h eureufe
,
tous
[ont
les vices des Euro
entrés avec
eux
:
la
péens y
bonne foi, le définrereflernenr en font
bannis; la debauche
de l'arnour ,' &.
nos
a
pris la place
Dieux irrités
retiré les
en
plaifirs.
peut-être la dernière lettre
de moi qui t7 parviendra
j'ignore.
où l'on va me conduire, je n'aurai
plus la douceur de t'écrire, je ne rece-:
onr
C'ef!:
-
11 4
Lettres
vria
plus tes lettres, tout m'dl: ravi
à la fois, mais mon amour
Crois que tau! ce qu'il
me
refle,
peut je le tell
rerai pour me réunir à toi,
dans quelque coin du monde
ou
que
que j'a
cheve de vivre le dernier battement
ce mon cœur fera
pour celui qui eut
fon premier foupir.
T
T
ZEÏR
R:r
à
m'étais fait qu'une
..•
mes
fenris ft ravi, {i tranfp'orté
mon em
-
barras & de ma Iimpliciré ,
ST. VAL.
irnpar-,
faire Idee., Mon ame, cher St. Val,
a
peine à fe rendre compte des divers
mouvemens qui
l'agitent. Promenades,
fpeB:acles cerclés, je voudrais pou
voir tout parcourir à la
fois; un en
chantement perpetuel me fait douter
fi je dors, ou fi je veille, ce' tumulte
,
fatiguant mes yeux commence à
plaire à mon cœur, vous me man
.quez cependant, cher ami; & au
en
fans en [avoir trop le motif. 1 De
Le Comte de Brunoi rit de
X XII.
'
ne
doux: entretiens de T
promenades champêtres, mals [ur
toutj la préfence de l'ami qui embellif.
foir. Après cet aveu fincere il faut que
je vous en fafle un autre qui me coûte
tandis que
je ·ne m'accoûturne point à l'air d'in
difference, d'ennui même qu'il conferve
•
u�nt ?,
nos
nos
jours je
vois ici.
que je le fuis de tout ce que je
Nous voici d�ns cette ville brillante"
J
,regrette
ne me
�c��������
L. E
Taitiennes.
1:29
milieu du tourbillon qui m'entraîne je
au
milieu de ces fcenes d'enchantement.
Vous
mê�e,
mon
ami,
vous
ne
de Paris avec l'en.·
m'aviez pas parlé
thoufiafme qu'il doit infpirer , c'efl id
vraiment le
que
j'adore
centre
de
.. ette
politeffe
dans les François.
honnêteté dans leurs manieres
,
Quelle
quelle
bienveillance dans leurs di [cours ?' Et
les femmes, ah St. Val, dites moi donc'
fi l'on
a
réuni
tout
ce
qu'il y en if.
d'adorable dans le roya_ume pour
faire. l'ornement de la capitale?
li'
$)
en!
1
Lettres
13°
.
T'aitletines.
J'ai
vu
de belles femmes à Taiti ,
,J'en ai
vu
de
raviiTantes dans
votre
long-te ms
pecher
Province, mais nulle part qui appro
êtes
chaiTent des Parifiennes. Outre qu'elles
monde.
paroiiTent toutes dans la prérniere
jeunefle, elles ont des graces qui vous ra
viflent avant d'avoir Congé à examiner,
,
mais rien
ne
131
peut m'ern
de dire & d .. fentir
l'ami
que
j'aime
ql�e
vous
le mieux
au
me
��������)�
XXIII.
LETTRE
fi elles étoient belles.
La feule choC� qui
l'uCage
repugne un
où l'on eil: ici, de
faire de la nuit le
jour. J'aime la lu
peu, c'ef]
.
miere du foleil & il
ces femmes
me
que Je n'ai vû
femble que
qu'aux bou
gies .feroient cent fois plus belles au
grand jour qui ne deroberoit à la vue
rien de leur
ST.
me
fr�icheur. La fleur nou
vellement éclofe rr'efl jamais
VAL
à
Z E ï R.
J recon�ois à-vos expreffion's,
E
mon
cher Zeïr, l'enthoufiafme d'une ima
gination ardente qui 'embellit tout ce
qu'elle touche, en prêtant aux objets
qui lafrappent le charme qui dlen elle:
J'ai fenti comme vous cette efpéce
de délire, les plaifirs de .Paris ont fé-
plus belle
duit mon ame, comme ils enchantent
qu'aux prémiers rayons du jour.")
Adieu mon cher St. Val, mille af
la votre, mais l'illufion n'a pas duré, heu
reufement que le charme a ceITé avant
faires m'empêchent de ·vous écrire plus
qu'il ne put me devenir funeil:e. L'a
mitié me donne le droit de vous avertir
du
danger &
ma
propre expérience
-
reffes dont les cœurs fone auffi fardés que
m'en fournit les moyens.
Il m'eft aifé d'appercevoir que Pa
Jeurs
ris
")
0 bon
viïages,
Zeir! crains ces enchante
ne vous a
frappé que par le
F 6
côté
,
\
Lettres
Taitiennes.
qui de voit le moins mériter votre atten
fur-tout revienne eNan au vraies four,,:
1'32
tion. Votre jeuneife & votre inexpé�
rience
vous
abufé
Ont
,
&
.
ces
faifi dans le monde nouveau
qui devoit exciter votre mépris, &.
ce
qui tôt 0.11 tard produira en "Vous
Paris a des charrnes , ZeÏr , j'en fuis
peut-être plus convaincu que vous � il
efl le centre de !'efprit, des talens, de
...
ou vous y
c:1ev�ir,
y eft
moqué ridiculifé pa� des hommes per
:limeurs qui font profeflion de ne rien
être. & tiennent parole.
�
Depuis la cour ju'qu'à la
béurgeoifie
vous trouverez une différence totale
Ia maniere de
que.
vous
dans.
penfer de ces françois
aimiez dans
nos
Tout parlera à vos fens,
VOIre
caraélere
v,ous livrez fans guider
au tor
qui va vous entraîner.
Comte
Le
de
brunei
obligé par
état de vivre à la cour précipitera vo
les foci�tés qu'il vous don
tre ruine
par
nera
& que peut-&tre vous devez cul
tiver pOl:)r l'avancement de votre for
tune.
Que .pouvez-vous, ZeÏr. contre la
féduétion de l'exemple, fi votre cœur
Provinces;
vous
tout arnu
ce
fera votre efprit, rien n'inrereflera votre
ame jufqu'à ce que Iotr.e cœur hlafé:
pré-
fi
m'effraye. C'efl: fait de vous, ZeÏr ,
rent
tout
le
arracher, vous me trouveriez
-févél'e, mais
moins
mais en revanche il efl le tombeau des
honneur ; génie,
rôle
Si j'étois avec
cepteur de mon ami.
le péril
vous, fi je pouvois ou prevoir
vous
mœurs, & de prefque toutes les vertus;
au
porte encore moins à devenir
politeife, & fur-tout des graces;
]a
refoudre
.
ce
le degoût.
me
que je fais: votre âge
morale moins feche , & m<;m goût me
qui
vient d'être offert à vos regards, que
peine à
demande une
-
vez
du bonheur.
J'ai
n'a
vous
I33
trahit- & prend' pour Je bonheur.
qui n'en efi que l'ombre.
Les
femmes contribueront à vous
1(erdr.:: c'eû à prefent plus que j,amais"
.1
.,
Lettres
Tailiennes.
I35
.
que. vous allez
la facilité
Poli ju(qu'à l'excès avec les, Erran-
avec cette différenc,e
que la
bonne foi & l'amour feront bannis de
gers , -le courtifan frap�ois ne fe defait
retrouver
Taïtienn'e
jamai's avec eux d'un' certain ton de
fiipériorité que labonne opin-ion de lui
même, & l'extrême [plendeur de la
néceflitè. C'e!l:
cour à laquelle il vit
un petit
'dedommagement dé la [oupleiTe à laquelle' il e!l: obligé envers
{es intrigues.
Peut-être auffi
m'éffrayai-je inutile
ment,
peut-être ces plaifirs faits [ans
do�te
pour flatter
vos
,
fens, ne pre
duironr (4,r vous d'autre effet
que d'a
murer votre jeuneiTe, en vous
formant
aux
(on maître.
ufages de notre nation. Si maître
de vous,
vous
Heureux Zeïr, vous êtes d'un pays
où point d'ambition ,& peu de befoins
Içavez les goûter mo
dérement, & réparer le danger de ce
ne
,
qu'ils ont d'agréable, votre tems ne
fera point inutilement
empldyé, &
vous
ces
acquerrez dans
an
le ciel l'a fait
dans le choix de vos fociérés ; croyés
eux. foyés poli,
complaifant fans être
rampant, ni fouple; & fouvenez-vous
,
que fi l'on peut trouver des
proteaeurs
dans cette clafle
,
des ,amis.
jamais l'on n 'y trou ve
l'envie, '!li
naître; 'f.) une conven
long ufage 'a fé
paré chez nous les-conditions; l'adrefle,
quelque fois le m�rite, &, Couvent la
fraude ont inégalifé les fortunes; ces
Soyez en grade �ontre vous�même
pel! ou point aux
prome:(fes des geft's
de cour, &,
ne. vous livrez jamais à
ni
tion autorifée par un
à
lité, qu�on etudie en vain ailleurs.
,
laiiTent à l'homme
la nécefliré de s'informer, dans quel rang
Paris,
gi�ces, cette aifancs & cette ;lITIabi.
un
,
..
.
difl:lnél:iolls differentes vou s preparent
un
genre d'humiliati�n, qui pour être,
injufl:e, n'en feroit pas, moins doulou
re�x. Je ne vous crois pas affez 'phi,..
,
------------------------
y 11 fe, trompe, il y a difiinél:ion de
rang il Tairi,
..
_
136
Jof�phe 'pour
vo.üs voir �e fang froid
le
.
dernier de tous & qUI
tOUJOIU'S
piS
eft dependant des autres.
.
aufiez
o,usdans
nourri
principes
vous
,
pas cette fauiTe honte
rougir chez nous celui, qui
n: fentiri.ez
f�lt
rien
qui
n'a'
de recevoir fa fubfifl:ance de ce
�
lui
qui a beaucoup. L'opinion publi
que fait loi dans un 'état policé : ce
qui efl: généralement méprifé eft ré
,
Jugés
plus, laborieux
prendre le parti des armes, mais je
crains que' la diffipation à laquelle je
plus riche & le travail étant utile
la parefle fut. regardée comme lin vic;
la
t;- pauvr,eté méprifée, comme en
la preuve, L'origine des
nes a bien
changé • mais le
vous
Reflechi{fez,
prejuge
.
.
Mille
préjugés
nouveaux
fie
fiont:
.
,
cr
JOI-Bts a celui-là & vous' P reicnvenn
un chOIX dans le
genre d'état q ue vous.
.
'
.
dnevez embrafler, Refola à
-
en
F rance" 1 ,e {ervice efl: le
vous
mon
ami, fur ce que
,
fubfifre.
'.
vois livré, ne vous entraîne &
vous fa{fe perdre un tems precieux.
fortur
fi xer-
plus .facil�
folie'»
V ous m'avez toujours paru porté à
fut d'abord le
etant
,'eil:
ou baffeffe d'ame.
des vertus.
Le
quand
rite, n'dl point fageiTe; è�efr
pré
tous nos
péines, enfin
Les prémieres difl:inétions furent
dans
cordées au courage, à la valeur
les
dans
les combat�, ou à la fagefle
confeils ; les talens & les vertus peu
chez nous,
vent encore mener à tout
fait
& la prétendue philofophie qui
méprifer des difl:inétions toujours pré
011 les doit à fon mé
cieufes
,
meprifable &
:Jlement
tiennent à
l'a-pprenti{fage
tera le moins de
cou
ac
beau me répéter que
'd'autres
celui dont
vous
le chemin de l'honneur.
.
V
137
Tauïennei-
Lettres
moi
je viens de vous dire & répondez
-vous verrai
avec franchiie.. Quand je
craindrai
occupé de quelque chofe je
dont
moins pour vous des plaifirs,
,
l'excés feul deviendroit condamnable:
encore de lettres de Zu�
n'ai
Je.
point
"
Lettres
/
Taitiennes.'
lica, puilTe le Ïouvenir de cette aima':
hie fille vous fauver de celles de
l,
pur,
fon
fexe,
Adieu, j'attendrai votre reponfe
avec
une
charmante, je
tous
ZEï R
Il a
un
,
ST.
V AL.
affez long intervalle
entre
ve�rs; l'amitié me pré {ente un appui.
&-la bienveillance de
1
,
Que
chaque
nir ]
.
Taïtiennes à
fe fait-elle
ces
doux
quelques modificati�ns
un jeu cruel
d'cmpoifonner
in.fl:ans?
y efl-il offert -Ious des formes fi fé
duifantes que pour le fouler aux pieds ?
Comme je jouiifois
à
T aiti d'un ciel
autre
que j'ai adopté pour ma patrie,
Le parti des armes dl: celui effeéH
convient le plus à mon
vement
dt' «lante amitié
chez vous, & Je bonheu; ne vous
tout
lee trouve ,j'acq\1i,�fce
que je
à la propofition qlle vous me faites,
à charge à l'état
pour ne point être
ne
ment
1
qui'
c;taél:ere, & puifque vous, paroillez
Ne Içauroir-on fans crime être heu
reux
vos
{lue vous m'avez dépeints
puis que je fuis ici. Paris' efl le tem
ple du, Dieu que je fers', &.c'efl: vrai
ment ici
que j'ai retrouvé les mœurs
pcès. Pourquoi votre
Cependant pour me conformer
idées, & ne pas me trouver
dans ]a dépendance de ces hommes,
à
cher s-. Val, m'a' créé
unè nouvelle ame , 'je n'exHl:e que de
ceux qui
tous
m'entourent me promet des reflources
aflurées.
craindrois-je pour l'ave·
lettre de ZeÏr à fon A mi.
LE plaifir
=:
L'amour m'offre {es pius douces fa-
REX XIV.,
à
jouir
les biens que les dieux m'y
voient.
��=*�*
T
139
fertile, & des
tendres ernpreflernens d'une compagne
à Paris de
veux
mortelle impatience,
LET
des dons d'un {al
défirer que je m'y fixe', mandés mo",
,
.
à quelles études il faut m'appliquer,
vous, me trouverez docile à vos avis;
mais
,
en
rh anche' defaites
vous
un
'I'aitiennes,
'
140
Lettres
peu de cette humeu- auil:ere..,
qui vous
fait-vous priver des
doux
par un certain
plus
plaiurs
enthôuuafme de
vertu
que j'admire malgré moi; mais'
que
j'ai vû peu imiter dans
yotrt: pays
A
meme.
Que n'êtes-vous ici, mon Ami!
Toute votre
fage{fe ne tiendrait pas
contre les
objets fédnéleurs qui nous
environnent. Le Comte
parait rajeuni
qui fo�iennel1t leur félicité avec une
,
aifance que j'envie: on dit, que quel
q�e tems de
me donnera de
féjourA
dans la'
la
meme
�i�ale,
facilité de
prêter à tous ces plaifirs fans
me
en
être accablé.
Bien loin,
comme vous
ces
que m'a
mon
au
A11'1;i, de
pen fer
fujet des connoiflari
'procuré le Comte de Bru.
noi, je fuis perfuadé
que
ces
nou
de dix ans. Pour moi ne
me deman
dez ni ce crue je fais> ni �
vèaux amis que j'acquiers pourront
un
jour être très utiles à mon avance
car je
ment.
qui m'agite;
co ms
comme
infcnfé d'un ob
jet à l'autre fans pouvoir me fixer :
chaque divers fpeélacle me c,aufe une
émotion
différente
:
chaque femme
que je vois femble me demander une
adoration: mes regards diverfeme'nt
attirés ne'
[çavent oh fe fixer
:
grand de mes embarras aujour
d'hui efr, de me trouver
trop de bon
heur à la fois.
Je vois ici
cent
fortunés que moi
"
jeunes gens auŒ
qui n'ont pas l'air'
aufii embarra{fé de leu!'
perfonne , -&
,
m'ait.
&' je crois que ce feroit le cas de
fervir de leur
du fervice
m,e
médiatio� pour obtenir
..
J'ai déjà fait quelques liaifons char
votre
dans cette clafle
& foit que.
fociétè , cher Sr, Val, m'ait ac
mantes
enfin
le plus
Il. n'en -n pas un qui ne
offert.fes bons offices auprès du Roi,
coûtumé à vivre avec les plus aima
bles hommes de votre nation, ou que
l'on ait de l'indulgence pour ma qua-,
lité d'étranger ,il me femble que je
fuis avec eux aufli: à men aife que �
j'y avois- paflé m� vie,
J 43
'TaitielWÙ.
de
Sé
le
Marquis
quitte pour joindre
Lettres
Les femmes
de
l'expreflion
& des
mes
doute
plus
encore me
de bienveillance
yeux me payent toujours
'les miens leurs adreflen t.
,
de
ce
que
,
bien-tôt j.�
, & j'efpere que
ferai defait par fon. fecours de cet air
gauche que VQUS m'avez vous-même
reproché.
Mon empreflemerit général pour tou
tes
celles qui font jolies, & en
elles me le
LET
fembl�nt toutes, pique leur
..
que Paris efi le pays de l'illufion, &
mon foible
pour les
1:
femmes? Ou plutôt voyez l'heureux:
1
,
ZeÏr
nieres nouvelles que j'ai reçu d'elle 8<
fis
jétois
encore chez vous, je' crains qu'elle
n'ait fuccombé au chagrin : j'avoue,
que malgré la diffipation où je vis,
cette idée vient quelque fois troubler
mes plaifirs, Adieu, cher 4111i, je vou�
part lorfque
E S
ST.
encore,
V A L.
mon
reprochés-moi
de lettres pour moi? Le file�ce
de Zulica m'inquiete. Depuis les der
vous
I�
REX X V.
!
Z EÏ R à
DIT
femmes font
encore
dont je
T
bon A�i;
.
fixer)
plus ten
dres 'que vaines. Malgré cela je fuis
flatté de me trouver l'objet de tant de
A propos n'avez-vous point
vœux
<,
�������*
�érité
amour-propre & les rend jaloules de
me
c'efl le, contraire de chez
nous, où les
avons
partie
protection
voir
&. leurs
pour ce foir une
il
m'a pris fous fa
charmante;
nous
nac ,
regards
éloges naifs que l'enthoufialme
m'arrache, paroiflent
avec'
fans
contentes
vraie de
.
.
malgré vos finifires prédiél:ions
1
parvenu à un état honnête & (fir .par
les bontés d'une femme adorable.
L'amitié du Comte de Brunoi, le.
-
tém�ignage qu'il
rendu que j'étois
fils d'un des prérniers chefs de notre
île
a
n'a pas peu contribué à lever les
difficultés qu'a rencontré la Duche!rë
"
•
de Mimieure dans 'l'exkution de Coq
11
Lettres
Taitlennes.
obligeant deflein. Mais enfin c'efl: à
elle que je dois tout r.crédit dépenfe
elle n'a rien épargné, & je viens par
[es foins d'obtenir une compagnie.
Depuis cette étrange revolution de ma
fortune. mes protecteurs fernblent être
devenus mes égaux, & il ne tient qu'a
moi de proteger à mon tour ceux qui
-être ? N'importe, je commence à croire
144
.
,
'que. le bonheur vaut mieux que la fagef
,_
fe, ou qu'il en eH la preuve.
La Duchefle de Mimieure quoiqu'el
le ne foit plus dans la prémiere jeunefle
,
,
�onferv,é aITez de fraîcheur pour don
ner de l'éclat aux
plus beaux traits
'qui ayent jamais 'exifl:és : à beaucoup
-de graces naturelles, elle joint .toutes
a
[ont refl:és au deITous de moi.
Il me Iémble qu'il en va aflez géné
'celles que l'art de la
�infi. dam votre ,France, &
a un mouvement continuel qui
qu'il y
ceux qui
porte au haut de la roue
-ajourer au charme
ralement
étoient
au
bas & fait
J45'
&
ce
cent
talent
coquetterie fçait
joli virage.
d'un
difficile d'être ·belle de
manieres differentes
qu'on peut
ju.fl:ement appeller la magie de la beauté,
Le premier jour que je la vis.
également re
defcendre les autres.
paroit aITez ju.;
:fie pour' retablir l'équilibre que vos
"toutes
mes
toutes
les femmes
conventions ont détruit.
,à rrr'iuterefler ,
Quoiqu'il en foit me voilà au haut
de cette roue, fans qu'il m'en ait couté
yeux ': cependant malgré mon
attention à l'examiner, ,. ) j'eus lé
un
quart d'heure de fouci; il Y a plus ;
c'ef] que j'aurois payé de toute ma
dépit de voir qu'elle ne s'éroit pas'ap
,perçue de l'impreflion qu'elle avoir fait
Ce jeu du fort
me
incertitudes furent fixées,
ne
qui commençoient
furent ,plus rien il
mes
fortune préfente les plaifirs qui m'y ont .:
conduit. C'efl: ce qui s'appelle être plus
heureux que (age; me direz-vous peut,
être
") A l'examiner! Ah ZeÏr, examine
ce qu'on aime!
G
TO[Tl'C 1,
t-on
\
T'aitiennes.
Lettres
147_
bientôt à l'abri' de
mon'
amour,
m'eut remarqué. Je revois lelendernain
cette,
nouvelle excufe
_pas ,:.jlle de .rnortifier ma vanité, lorf-'
.un billet de fa
que je
part qifi
toutes
r�çus
'
,
,
.térieufernent jufqu'à fon appartement,
elle étoit encore dans Ion lit: un demi-
,par un Ïentiment de leur foiblefle , ou
par les qualités qu'il fuppofè.
-
jour, des parfums délicieux, un déIordre enchanteur, tout excitoit &
Ma
dont on fait 'une vertu dans mon
pays ,.& uh crime dans le vôtre. Docile
.aux mouve mens de mon .cœur forai
rer
cet
infl:ant .être Taitien
,
mairrelle
dans le monde, me força d'accepter
une fomme
,
dans
généreufe
voulant
dès
fufle
en
lors
état
dé
je
q-ue
figue.
fembloit aùtorifer cette heureufe térnê
,
pardonner.
parla de ma fortune, & .des projets
qu'elle avoir fur moi. Lui ayant dit
elle l'ap
mon gout pour le fer vice
prouva. J'ai remarqué que, les femmes
aiment le courage, je ne fçais fi c'eft
préflentiment de mon bonheur
.me fit encore
devancer 'l'heure' qui
rn'étoir préfcrite je fus introduit myf
/
rité
'
Ce fut alors, que la Duchefle me
m'ordonnoit de -rne -rendre, chez elle,'
"Un
le
je trouvai
moyen de me rendre plus coupable &
de faute en faute je parvins à les faire
,� elle cette indifférence .qui ne laifloit
,
&
{ur moi, il ne me parut pas même qu'ene
d'argent confidérable quoi
,
q,ue je I'aflurafle que. le Comte de
& la
Brunei avoit jufqu'ici
,DucheJIe ne par,u.t pas' s'en oflenfer,
Cependant ,par .�n retour que je
,
& comme un
pere tendre , fourni il mes be[oins. Elle
infifl:a fi abfolumenr
que je fus forcé
de ceder.
puis accorder avec la franchife
qu'elle ru'avoit montrée, elle me fit
quelques reproches de ma hardieffe
.ne
J'acceptai
,
•
mais
Je rn'excufai fur nos mœurs, elle ne
fes
dons
en
fil en ce
•
J�.
ayant apperçu fur fa toilette fon
portrait ; ah Madame, lui dis-je enr
fût pas f�tisfaite, j'aJ1eguai .1'ex�s de
1
1
•
Ta-itiennes.
Lettres
148
le portant à
mes
levres
bienfaits voilà celui
,
de tous
vos.
qui me feroit le
plus précieux, daignez me l'accorder
pour prix de ma foumiffion à recevoir'
les
autres.
,
portrait donné n'eû.
affaire: qui me re
une fi
petite
Fas
en
riant,
un
pondroit de votre difcretion?
-
Mé-'
ritez ce portrait, peur-être ferais-je un
jour ailez bonne pour l'accorder à vos
\
défirs.
Quoique ce refus me parut un caprice après ce qu'elle m'avoir accor
clé, je n'c[ai ta preffèl' davantage dans
cet inflant. Je l'ai obtenu depuis &
vous pourrez
quelque 10ur juger de'
la beauté de l'original par celle de cette,
imparfaite copie.
Je continue de voir afliduérnent la
Ducheûe de M!mieul'e, mais toujours
myfiere, ce qui me
fait foupçonner quelque autre intelli
de
gence, quelle croit avoir interêt
ma
de
me cacher. C'e{l; aujourd'hui
avec
le
fanee
même
1491
liaifon de re·connoif..··
laifle toute ma liberté•.
fimple
qui me
Cependant comme la condition expref
fe
qu'elle met à [es bontés efi
renoncer
Doucement, Zeir me ditla Duchef
le
part une
mes, je
de.
à celle de toutes au�res fern
fuis forcé d'ufer de myflere
dans mes intrigues, c'efi un nouveau,
de plaifir dont je lui ai
raffinement
fociétés
l'obligation. Je ne yo�s pas fes
& les tranfports que f;v beauté m'inf
pire l'empechent d'imaginer qu'elle
n'en efi pas le Ieul objet.
Je partirai dans quelques Jours:
mais mon abfence
pour 1110n régiment,
e reviendrai bien
Ile fera p<lS longue, i
de
lieu
délices, qu'on
ce
tôt dans
.
'aflure que je
corinois
pas en
me
Duchefle
la
core. L'argent que
lier
de
fournit m'a donné le moyen
ro
ne
mille connoiiTan.ces délicieufes, & de
ne fe peut
jouir de cent plaifirs qu'on
ce métal fi néceflaire.
procurer fans
Adieu,
mon
Ami, j'acheve à la
hâte, car j'ai mille parties arrangées
G 3
Lettres'
j'ai promis en.
pour aujourd'hui
étourdi -à trois femmes pour la même
,
foirée
-�
mais bon!
un billet qui dérangera
on
m'apporte
tout., Lifons.
Fin �u _Tome premier,
.,
1
l,
f
I.�
1
!
Fait partie de Lettres Taïtiennes, T. I