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Texte
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ILES
MARQUISES
OU
NOÜKA-HIVA.
PRÉFACE.
Au moment où la France vient de
prendre
possession des îles Marquises, il nous a semblé
utile de réunir, dans un même ouvrage, les docu¬
les navigateurs de toutes
nations, qui ont visité ces terres lointaines.
La récente expédition du contre-amiral DupetitThouars a fixé tous les regards. Chacun, en
entendant nommer les îles Marquises comme
ments
recueillis par
les
des terres dorénavant
françaises,
a
désiré
con¬
position, leur histoire, les ressources
qu’elles présentent comme colonie, et, aussi,
de quelle utilité ces nouvelles possessions pour¬
raient être pour la France dans le cas d’une
naître leur
lutte
avec ses
rivaux.
renseignements que l’on possède sur cet
archipel se trouvent disséminés dans un grand
Les
PRÉFACE.
Il a fallu les
réunir, les confronter, et dégager les faits de
tout ce qu’ils présentaient d’exagéré dans le
récit de quelques voyageurs ; telle a été la tâche
que nous nous sommes imposée. Nous avons
été des derniers à visiter ces îles éloignées, sur
nombre de relations de voyages.
les corvettes i'Jstrolabe et la Zélée, et
asseoir notre
nous
opinion,
nous avons
éclairer de tous les documents
si,
pour
cherché à
transmis
prédécesseurs, nous avons , toutefois,
jugé d’après nos propres sensations, en nous
aidant de nos notes particulières et de nos
par nos
souvenirs.
Nous
ne nous
dissimulons pas toutes
les imper¬
fections de cette notice faite à la hâte ; cepen¬
dant
nous avons
cherché à la rendre aussi exacte
complète que possible ; et nous aurons,
dès aujourd’hui, atteint le but que nous nous
sommes
proposé, si nous avons pu par nos
et
aussi
travaux être utiles à notre pays.
ERRATA.
Page
—
—
2,
qui devaient désormais devenir la patrie,
qui devaient désormais devenir leur patrie.
lieu de 6 avril 1772 , lisez 6 avril
1774'
lieu de Baie de la Révolution, lisez Baie de la
ligne i5, «w//ew
lisez
9>
10
,
—
—
28,
nu
II,
au
Résolution.
—
12
,
—
23
,
lieu de où
au
faisait
—
12
—
i5,
—
,
i6,
—
—
—
25
23
au
,
se
traite.
passait
lieu de la maison
au
,
i3.
une
lieu de Hanoou
au
,
une
traite, lisez où
se
Baw, lisez la maison Baux.
lisez Hpnoou.
Z/ewl’obligèrent à accourir, lisez l’obligèrent
d’accourir.
—
23
,
—
27.
26,
au
lieu de et le
i5.
au
lieu de les deux îles Masse et
25, lisez et le 23.
nal de Marchand ),
29,
—
3o
,
au
lieu de à
le Jefferson
33,
—
Il
,
au
lieu de
fusil.
—
_
_
41.
46,
47-
53,
55,
—
—
—
—
17
•
18,
au
au
son
retour, le Jefferson
—
59,
voyant un fusil, lisez en voyant
lieu de pour y abriter,
lieu de d’être punis,
66:
lisez
lisez
pour
sous
un
abriter.
peine d’être
,
nu
,
—
60,
65,
déposa, lisez
punie.
lieu tZeprovoquaient, lisez provoquèrent.
26, faute de typographie •• lisez confusion extrême.
25 au lieu de Keatanoui ni sa famille ne possédaient,
23
ne
_
( Masse et Gha-
déposa.
lisez ni Keatanoui ni
—
Chanal, lisez les
deux îles Hiaou et Fetou-Ouhou
17,
—
lieu de Homi
,
aucun
membre de
sa
famille
lisez Houmi.
Tamaa-Taïpi, lisez Temaa-Taïpi.
9- au lieu de changer leurs dispositions lisez chan¬
ger de dispositions.
28, an lieu de cependant leur effet, lisez mais leur
5,
—
au
possédaient.
au
lieu de
,
effet.
ERRATA
lieu de s’abriter dans
II, au
derrière leurs
28,
murs.
lieu de le système de
au
,
6,
heu de et y mettre
au
lieu de en 1799, lisez en
le feu.
uS,
le feu, lisez pour y mettre
au
24 , uu lieu de Homi , lisez
24, même correction.
hiva.
,
au
1798.
Honmi.
société de Londres, lisez aux îles Nouka-
i5, après la
l
paix pouvait, lisez l’état
paix générale imposé par Porter.
au lieu de plus une douzaine de poules, lisez et de
plus une douzaine de poules.
de
l8
leurs murs , lisez s’abriter
lieu de Fetou-ou-Hou, lisez
Fetou-Oubou.
de Roquefeuille fut conduit, lisez Roquefeuille y fut conduit.
la note : au lieu de G. Foster’s Voyage, lisez
au lieu
20,
A
Voyage.
lieu de Staick. I., lisez Stack I.
8,0« lieu de escarpées , lisez abruptes.
27 , au lieu de de, lisez du.
G. Forster’s
27
20
au
,
,
au
lieu de aux jours de
fête.
fête, lisez dans les jours de
lieu de on remarqua, lisez on remarque.
lieu de la plus grande longueur de l’île est de
six milles du sud-est au hord-ouest, lisez du sud-
Il, au
•il
,
au
,
au
ouest
5
au
17, au lieu
201
226
228
nord-est.
lieu de Faouata , lisez Taouata.
de Cook, lisez Mendana.
lieu de et éviter, lisez et d’éviter.
10,0« lieu de éloments, lisez éléments.
3, au lieu de pur, lisez pour.
6,0« lieu de intercession, lisez à leur demande.
i3 au lieu de Pandauss, lisez Pandanus.
22, au
,
ILES
MARQUISES
on
NOÜKA-HIVA.
CHAPITrxE PREMIER.
Histoire*
Découverte.—Voyages de Mendana, Cook, Marchand, Hergest, Roberts,Wilson.
Arrivée des missionnaires anglais dans les îles
Marquises. — Histoire de
M. Crook.
Voyages de Fanning, Krusenstern, Porter. — Histoire de réta¬
—
—
blissement américain
au
port Taiohae. — Voyages de Fihch, Dupetit-'
Thouars, d’ürville.—Prise de possession au nom de la France.
L’Espagne avait planté son étendard sur presque
les rivages de la vaste
Amérique ; sous sa domi¬
nation *de riches et puissantes colonies s’élevèrent sur
les débris encore sanglants des
villages des premiers
habitants, et celles-ci, imitant l’exemple de la métro¬
pole envoyèrent à leur tour de grandes et nom¬
breuses flottes pour explorer l’océan
Pacifique, à la
tous
,
recherche des terres où
cette
épo({uc, devaient
d’or et
d’argent.
,
suivant les idées
se trouver
de
reçues
grands
1
à
amas
ÎLES MARQUISES
2
l’adelantade Alvaro Mendana de
quitta le Callao avec quatre navires, la capitane Saint-Jérôme,
l’alrairante Sainte-Isabelle, la
galesta le Saint-Philippe et la frégata Santa-Catalina.
Après avoir achevé ses approvisionnements dans les
vallées de Truxillo, de Séna et à Païta, la flotte re¬
cueillit quatre cents passagers des deux sexes, em¬
barqués de gré ou de force, pour former le noyau
d’une nouvelle colonie aux îles Salomon, découvertes
Le 9 avril 1595
,
Neira
vingt-huit
ans
auparavant par ce même
capitaine.
navires, plus d’un aventurier,
attiré par l’appât du gain , jetait à l’horizon un re¬
gard scrutateur, et cherchait déjà quelques jours
après le départ les terres inconnues qui devaient
désormais devenir la patrie. Pour ces hommes
élevés dans la croyance des richesses immenses en¬
fouies au delà des mers, l’exil, les dangers et Tincertitude d’une navigation hasardeuse n’ëtaient plus
Sur le
pont de ces
récits de leurs prédécesseurs ou
contemporains enflammaient leurs désirs.
L’appât de l’or les entassait, hommes et femmes,
vieillards et enfants, sur de frôles navires, errant
au gré des vents inconstants.vers des terres problé¬
matiques ; leur imagination excitée créait partout
des mines à exploiter ; et, sous cette impulsion, ils
livraient avec une effrayante audace leur existence
et souvent celle de leurs familles aux flots changeants
des mers capricieuses.
Le 24 juillet de la môme année, environ par 10°
50' de latitude sud, à cinq heures du soir, la terre,
des obstacles. Les
de leurs
ou
une
terre
NOÜKA-HIVA.
inconnue encore, apparut aux yeux
3
ravis
Espagnols. La partie méridionale de l’archipel
Marquises venait de se révéler pour la première
ibis à des yeux européens. Plus d’un coeur tressaillit
en
contemplant Ips formes indécises de ces îles ; et
en
songeant que là se trouvait peut-êtré la fin de la
traversée. Plus d’une espérance prit naissance dans
les émotions de cette première vue.
Bien que Mendana reconnût que ces terres n’ap¬
partenaient pas aux îles Salomon qu’il cherchait, la
llottille s’en approcha, et bientôt quatre cents sauva¬
ges environ, portés par soixante-dix pirogues, montés
sur des radeaux, ou venus
simplement à la nage,
entourèrent les bâtiments, et montrèrent à leurs
visiteurs une riche constitution, de robustes mem¬
bres, des muscles vigoureux sous une peau cuivrée.
Leur tailla était élevée, leur corps était bien fait.
Ils avaient, dit le narrateur, surtout fies
yeux,
des dents et des bouches
admifablesj les femmes
avaient des mains belles et délicates, elles
portaient
leurs cheveux flottant avec grâce sur, leurs
épaules,
et quelques-uns de ces
visages brunis montraient des
couleurs sur leurs joues. Les enfants étaient
magni¬
fiques, et les hommes avaient les bras, les jambes
et môme la
figure peints comme chez les Bissâyas de
des
des
Manille.
troupe apportait des cocos, des bananes, et
pâte enveloppée dans des feuilles vertes ; qua¬
Cette
une
rante
hommes environ montèrent hardiment à bord
lorsqu’on les
engagea
à s’y introduire; d’abord leur
ÎLES MARQUISES
4
puis à la vue de tant d’objets
ils commirent un grand nom¬
bre de larcins cpii lassèrent la patience en général peu
endurante des Espagnols de cette époque. — On leur
enjoignit de s'en aller, mais ils s’y refusèrent ouver¬
tement; on donna l’ordre de les effrayer par une dé¬
charge de mousqueterie, mais si à ce bruit plusieurs
s’élancèrent à la mer, d’autres résistèrent et ne furent
rejetés au dehors que par la violence. Un vieillard
curiosité fut excitée,
nouveaux
pour eux
obstination. Ac¬
porte-haubans, il ne lâcba prise qu’après
avoir été blessé à la main d’un coup de sabre. Ce fut
aussi le signal du combat: tous les sauvages saisirent
leurs armes déposées dans les pirogues, et ils ten¬
tèrent, avec une audace qui naissait de leur igno¬
rance, de remorquer le navire de l’aoiiràl à la côte.
Les armes à feu répondirent à cette agression ;
cinq ou six sauvages, parmi lesquels se trouvait le
vieillard courageux des porte-haubans, furent tués
et huit ou neuf furent blessés. Le carnage eût été plus
grand si la poudre n’eût pas été humide, et si les sau¬
vages, qui venaient d’être initiés aux effets des mous¬
surtout se
croché
fit remarquer par son
aux
n’eussent pas cherché à se mettre à l’abri lors¬
qu’ils en voyaiént les canons s’abaisser vers eux. Un
seul soldat espagnol fut blessé.
Cette première rencontre dut avoir lieu près de la
pointe sud de l’île Fatou-IIiva, à laquelle Mendana
avait imposé le nom de Magdalena. Les navires con¬
tinuèrent leur route, et ils s’éloignaient rapidement
lorsqu’ils aperçurent une pirogue se dirigeant sur
quets,
ou
NOUKA-HIVA.
Trois individus la montaient et
poussaient des
portait à la main
un rameau vert et un morceau d’étoffe blanche
qui,
après ce qui venait de se passer, devaient être un
signe de paix, et peut-être une invitation à descendre
eux.
cris étourdissants. Clia-cun d’eux
sur
leurs terres.
Sans
s’arrêter, l’amiral poursuivit sa route vers
qu’il appela San Pedro, santa Christîna et la D.ominica-, puis l’escadre
passa sans accident
dans le canal qui sépare Ghristina de la Dominica
(Iliva-oa de Taouala), et louvoya le jour suivant
pour atteindre un mouillage convenable. Les indi¬
gènes accostèrent de nouveau et se comportèrent à
peu près comme ceux de Magdalena. Un vieillard de
trois nouvelles îles
bonne mine vint engager l’amiral, un rameau vert
dans une main et une étoffe blanché dans
l’autre, à
descendre
pendant ce temps-là quatre na¬
vaisseau; paisibles
spectateurs d’abord, ils finirent par saisir un petit
chien de Mendana; et, sautant à la mer, ils l’em¬
portèrent à la nage vers leurs pirogues.
Le lendemain, jour de là
Saint-Jacques (25 juil¬
let ), le maestro de campo fut envoyé dans une
chaloupe pour chercher un port. Il trouva celui de
la Madré de Bios, situé sur la partie ouest de l’île
Taouata et débarqua au son du tambour à la tête
de vingt hommes: Une ligne de démarcation fut tra¬
cée sur le rivage, elle fut respectée par les sauva¬
ges; les femmes seifles eurent le privilège delà fran¬
chir; elles s’approchèrent des soldats qui les trouvésur son
île ;
turels. s’introduisirènt dans le
G
rent
ÎLES MARQUISES
Irès-sociables• de prime
abord; l’impression
cfu’elles produisirent sur eux dut être bien forte,
à leur retour, en racontant à leurs compagnons
les.événements de leur course, ils les dépeignaient
comme étant aussi belles que les femmes de Lima
quoique moins roses. Blanches comme elles, elles
avaient la même manière de parler. Leurs mains déli¬
cates, leur corps gracieux, à peine voilé par une
tunique, surpassaient même, disaient-ils, les attrails
dü beau sexe du Pérou. Ils avaient aüssi conçu la plus
haute idée de la salubrité du climat, à la vue de
la santé, de la force et de la corpulence do ce
peuple.
Cette première descente ne sé termina pas’ non
plus sans effusion dé sàhg; quatre jarres employées
à faire de l’eau à î’aiguade, ayant été volées, on
employa l’argument du fusil pour faire rendre les
objets soustraits. Ainsi le premier contact des
Européens • devait être fatal à • ces malheureux
sauvages plus ignorants que coupables. L’explosion
des armes à feu, leurs effets terrifiants, le spectacle
imposant des vaisseaux dans le lointain, l’aspect
surprenant des étrangers, contribuèrent à les jeter
dans la stupéfaction et l’effroi le plus profond.
Cependant la paix suivit de près cette escarmouclie, et lorsque le 28, l’escadre gagnant le mouillage,
serra ses grandes ailes et laissa tomber l’ancfe, un
grand nombre de pirogues entourèrent les navires,
et les naturels restèrent paisibles spectateurs de
la scène qui se passait sous leurs yeux. Qttiros
car,
ou
NOüKA-HIVA.
'
rapporte cpic ces ]ial)Itants parurent plus noirs que
ceux de la
Magdalcna et surtout moins beaux.
soins de Mendana, fut d’ordon¬
qu’une grande messe,serait célébrée; à cet effet il
conduisit à terre sa femme Dona Ysabel Berreto, ainsi
que la majeure partie de son monde. Pendant le
service divin, les naturels imitèrent le recueillement
des Espagnols et s’agenouillèrent comme eux; une
superbe femme s’assit auprès de Dona Ysabel, elle
voulut pendant tout le temps dë la cérémonie l’éventër avec un éventail curieux, de la fabrique des
sauvages; cette femme avait de si beaux cheveux
qu’on voulut en avoir une mèche, mais on y renonça
bientôt en voyant son déplaisir.
A la fin de la prière, Mendana prit possession des
terres qü’il venait de découvrir, au nom de Sa Ma¬
jesté Catholique. Bizarre usage qui, comme le dit
M. de Fleufieu, eût fort étonné les naturels,, s’ils
avaient pu comprendre le but de l’acte qui s’accom¬
plissait devant eux. Mendana fit le tour dü village
près duquel il se trouvait, et y sema du maïs. Ce
village était composé de cases disséminées au milieu
des arbres, et séparées par des espaces pavés. Ces
habitations parurent être autant de petites commu¬
nautés dans lesquelles demeuraient uU grand nom¬
bre d’individus, à en juger par la disposition de leur
Un des .premiers
ner
coucher.
.
peine l’adelantade fut-il rétourné à bord, que
disputes survinrent entre les Espagnols et les in¬
digènes. Ceux-ci lancèrent leurs armes et parvinrent
A
des
ÎLES. MARQUISES
8
soldat
pied ; mais poursuivis bientôt
de fusil, ils durent chercher leur salut dans la
fuite et ils se réfugièrent avec leurs femmes au som¬
met de trois hautes montagnes derrière des retran¬
chements ; probablement peu d’heures après le mo¬
ment où les Espagnols avaient rendu grâce au ciel de
à blesser
un
nu
à coups
leur
découverte, les malheureux Noukahiviens sup¬
pliaient leurs divinités tutélaires de les débarrasser
de la présence de leurs terribles visiteurs. Soir et
matin ces malheureux, dans leur retraite, poussaient
en chœur des clameurs sonores et harmonieuses,
qui
retentissaient au loin ; puis ils continuaient à lancer
des pi’ojectiles, rendus inoffensifs par la distance à.
laquelle se trouvaient les Espagnols. Cependant ceuxci avaient établi des postes pour garder le village qui
leur avait été abandonné, l’aiguade èt le lieu des¬
tiné à la promenade des femmes de la flotte. Les corps
de garde faisaient un feu continu sur tous les sauvages
qui sortaient de leurs retranchements. Bientôt ceuxci reconnaissant le peu de succès de leurs armes et
effrayés des terribles effets de.celles des Européens,
tentèrent d’opérer un raccommodement. Ils firent
connaître leurs, intentions en offrant des présents de
fruits à pain aux soldats maraudant dans les bois, et
en portant des paniers de bananes et de fruits près des
trois détachements placés par le maestro decampo. Ils
semblaient éprouver le besoin de rentrer dans leurs
cases et demandaient avec instance quand les redou¬
tables étrangers s’en iraient. Un individu dé bonne
mine se fit surtout remarquer; il contracta une étroite
ou
NOUKA-HIYA.
9
chapelain (pii hii apprit à dire Jésiisauprès de l’amiral cjui l’ac¬
cueillit de son mieux, lui offrant des douceurs et du
vin, mais il ne voulut goûter dé rien, quoiqu’il mon¬
trât la plus grande confiance. Au départ des navires
il parut même désirer de les suivre; les soldats
avaient aussi acquis des amis très-intimes, mais
ceux-ci ne cessaient, tout en leur prodiguant leurs
caressés, de les prier de quitter lèur île. Bientôt, à
leur grande joie, le pavillon espagnol cessa de
flotter dans la baie; Mendana partit le 5 août et
poursuivit ses desseins dont on connaît l’issue fatale;
mais avant de quitter ces lieux où ses navires avaient
causé une si grande surprise et laissé de si terribles
traces de leur .passage, il imposa au groupe entier
qu’il venait de découvrir le nom de Marquises de
Mendoo^a, en l’honneur du vice-roi du.Pérou, marquis
de Canete, qui avait favorisé et protégé ses projets;
puis il .fit ériger, en divers endroits, trois croix,
signes de la rédemption, sur le sol baigné parle sang
•de tant de meurtres ; enfin il fit graver une inscription
sur l’écorce d’un arbre, avec la date'du
jour de son
amitié
Maria.
arrivée
avec
le
Il fut conduit
sur ces
terres.
Cent soixante
dix-neuf
ans
s’écoulèrent avant
qu’un autre navire vînt attérir sur ce groupe. Déjà
doute l’apparition de Mendana s’était trans¬
formée en mythe dans les traditions de la génération
qui vit surgir dans les brumes du soir, le 6 avril 4772,
sans
les blanches voiles de la Révolution. Cook arrivait à
son
tour pour
convaincre
ces
peuples de la réalité
ÎLES MARQUISES
dO
la population
({uc la 'vengeance des divi¬
nités m alfaisantes leur en voy ait de nouveaux malheurs.
Après avoir ajouté aux ([uatrê îles découvertes par
premier passage; à
effrayée crut sans doute
(lu
son aspect,
Mendana, l’île Hpod, rocher inculte et escarpé au(|uel il donna le nom du jeune volontaire (j[ui le dé¬
couvrit le premier, Cook se dirigea vers le port delà
Madré de Bios. Pciussé par cet esprit jaloux inhérent
au caractère anglais, il voulut enlever le nom donné
à
la
port par son
Révolution.
ce
Trente
ou
prédécesseur et le nomma baie de
quarante naturels s’aventui’èrent auprès
anglais, mais ils montraient une crainte
non
équivoque; on pouvait deviner qu’ils appréhen¬
daient les scènes du siècle précédent. Après avoir
offert des plantes.dé poivre, symbole de paix, ils se
hasardèrent à montera bord; mais leurs pirogues
chargées de pierres, les frondes dont les hommes
étaient armés,, indiquaient une méfiance (jui ne fut
dissipée que par de nombreüx cadeaux. Le lende¬
main la confiance était revenue, mais avec elle la
convoitise; des échanges eurent lieu d’abord, des
vols ensuite; enfin, pour mettréun terme à l’audafce
du navire
naturels', soustracteur infatigable, on
Coup de fusil à poudre; la bonne foi revint
avec la peur; cependant au moment où l’on touaitle
navire au mouillage, un vol audacieux eut lieu, un
chandelier en fer fut emporté, et dans le premier
mouvement de colère ün coup de fusil tua le cou¬
pable.
de fun des
tira
un
ou
Cook
route il
so
NOUKA-HIVA.
rendait à terre dans cet instant.
11
Sur sa
pirogue qui contenait le cadavre;
conduisaient; l’uii d’eux, déjà sUr
vie, riait aux éclats en vidant l’eau
trouva la
deux hommes la
le déclin de la
sanglante contenue dans la pirogue; l’aUtre, plus
jeune, fils de l’homme tué, avait l’air triste et abattu.
Le bruit des tambours retentissait, sur le rivage, les
sauvages accouraient en armes et se préparaient au
combat. Toptefois quelques présents suffirent pour
les calmer. Mais les tentations étaient trop fortes ^
pour la nature inculte de ces hommes; peu de
temps après, ils essayèrent encore d’enlever la
bouée d’une ancre en la tirant â terre. Le siffle¬
ment d’une balle à leurs oreilles leur donna un
effroi salutaire, et, jusqu’au jour du départ, leur con¬
duite fut plus tranquille.
Le chef du pays, nommé Honoou, vint visiter Cook;
il avait l’air intelligent, le grand nombre de ses
vêtements indiquait son rang, il portait le titre
d’Hekaï.
qui avait ôté remarqué par les
Espagnols, les femmes fuyaient l’approche des étran¬
gers; MM. Sparman et Forster fils voulurent suivre
l’une d’elles, mais les naturels témoignèrent un mé¬
contentement qui les força â y renoncer
Le sé¬
jour des Espagnols avait-il laissé des traces d’affreuses
maladies faites pour effrayer ce peuple ordinairement
si libre? Cette conjecture hasardée petit être vraie,
et l’on doit gémir sur la conduite de ces hommes qui
portent de gaieté de cœur un poison sans remède
Au rebours
de
ce
12
ÎLES MARQUISES
chez des
populations saines et heureuses. Ce n’est
que dans la partie sud de l’île que les femmes furent
moins farouches. M.-Hodge, dessinateur, parvint à
portrait d’une jeune fille.
Enfin, le 12 avril,, les Anglais s’éloignèrent en em¬
portant une triste idée de la propreté de ces sau¬
vages. Cook avait vii l’un d’eux manger dans le
même plat que des eochons.
Peu d’années après Cook, les navires du com¬
faire le
commencèrent à
merce
se montrer
dans
ces
mois d'intervalle
parages,.
(en 1791), le capitaine
Ingraham, de Boston , et notre compatriote Mar¬
chand de Marseille, visitèrent les îles déjà connues
de l'archipel,’ et découvrirent d’autres terres dans
le nord. Le premier de ces navigateurs n’ayant
donné aucune relation de son voyage,, tout l’hon¬
neur de la. découverte revient à
Marchand, bien
qu’il ne l’ait faite que quelques jours après le capi¬
A
un
,
taine américain.
Notre infortuné
compatriote Lapérouse venait
d’Amérique ,(.en 1790);
de visiter la côte N.-Ô.
il
avait attiré
l’attention du
commerce
français
point où se passait une traite de pelle¬
terie, exploitée par les Anglais et les Espagnols.
La maison Baw, de Marseille, mue
par le désir
d’entrepre’ndre cette nouvelle branche de commerce,
équipa le brick le Solide, dont elle confia le comman¬
dement au capitaine Étienne Marchand. Six mois
après, le 12 juin 1791, à dix heures du matin, le
pavillon français flottait, pour la première fois, en
sur
ce
ou
13
NOUKA-UIVA.
des îles Marquises. A l’exemple de
devanciers, Marchand chercha d’abord à mouil¬
ler au port de la Madré de,Bios. Une foule de piro¬
gues, parties de la Doniinica et de l’île Christina,
enveloppèrent bientôt le navire. Des scènes bizarres
et variées accompagnèrent cétte première recon¬
vue
du groupe
ses
naissance. Dans
grande pirogue double, un
guerrier soufflait dans une conque, dont le bruit
rauque se mêlait aux clameurs de ses compagnons.
Ceux-ci chantaient en frappant le coude de leur
bras gauche replié sur la poitrine, avec la paume de
la main droite; puis tout à coup un vieillard,
après avoir prononcé une harangue incomprise, at¬
tacha aux haubans du grand mât un rameau vert et
un morceau
d’étoffe blanche; c’était sans doute
un emblème de
paix, la branche d’olivier des an¬
ciens, car aussitôt, tous les sauvages crièrent : Taj-o,
tajo (ami, ami); l’équipage charmé répondit à
sontoür: Tajo, tajo, et la paix fut définitive.
une
Ces démonstrations amicales furent suivies natu¬
rellement d’une distribution de
verroterie, de
cou¬
qui furent reçus avec un éton¬
joyeux;'les naturels, amoncelés dans les
pirogues ou à la nage, semblaient indiquer qu’ils
connaissaient les besoins du bâtiment, en montrant
teaux, de miroirs,
nement
l’eau
dé
la
mer.
Ils montèrent Sans crainte
à
bord; mais leur foule s’étant accrue, au point de
devenir gênante, on les invita à quitter le bâtiment,
ce
qu’ils firent sans opposer de résistance ou téxnoigner de l’humeur.
,
ÎLES MARQUISES
44
44, le Solide était entré-dans le port
Bios-, plus de cinq cents sau\ages. l’en¬
touraient, et le nombre s’augmentait de moment en
Le lendemain
Madré de
l’arriyée de nouveaux visiteurs de l’île
montrer des intentions hostiles,
cependant ils dérobaient, avec une grande effron¬
terie, tout ce qui leur tombait sous la tpaib* ha
mauvaise foi avait remplacé la loyauté des premiers
échanges, et il fut facile de remarquer que-les natu¬
rels de l’ile Dominica, étrangers à la baie, étaient
les plus turbulents. Un coup de canon à poudre, loip
de les effrayer, ne fit qu’exciter leur audace; alors
un coup de canon à boulet
fut tiré par-dessps
leurs têtes, contre les rochers du pivage. L’effet du
projectile les frappa un instant d’épouvante sans
cependant les faire fuir; ils- saisirent leurs armes,
moment, par
Dominica;
et
de
sans
lancèrent contre le navire des lances et des
coco.
Pour
réprimer enfin
ce
écales
désordre, le capi¬
paraître tout son équipage arnaé;
quelques coups de fiisils furent tirés en l’air, ne
voulant pas user de rigueur envers ces sauvages,
taine Marchand fit
qu’il considérait
comme
des enfants voulant battre des
conduite pleine d’humanité et
toute française, la paix ne fut point troublée, et les
échanges recommencèrent.
;
Des femmes, des jeunes filles, remarquables par
leur jeunesse et leurs formes gracieuses, se trou¬
hommes. Grâce à cette
grand nombre dans ja foule. Elles montè¬
hésitation; on en vit môme
pousser la confiance jusqu’à tenter de grimper dans
vaient
en
rent sur
le pont sans
ou
NOqKA-HIVA.
les hunes par les enfléchures, et rivaliser
les jeunes marins qu’elles suivaient.
15
d’agilité
avec
débarquant à la tête de huit hommes armés.
sur le champ cçnduit à l’aiguade; les
indigènes se souvenaient d’y avoir vu faire l’eau du
navire de Cook, et ils y conduisirent de leur, propre
En
Marchand fut
mouvement
leur
nouveau
visiteur. A l’ombre d’un
bel.arbre, dans up enclos eqtouré de murs en pierre,
franchi par quelques hommes seulement, on lui
présenta un vieillard de petite stature, probablement
le chef de l’endroit auquel on donnait le nom de
Oloou; sans doute c’est le même dont Cook parle
sous
le
nom
de Hanoou. Ce vieillard était tout trem¬
blant; il offrit quatre cochons à Marchand, qui,
après avoir entendu Iq loiag discours qui accompa¬
gnait le présent, fît en retour une ample distribu¬
tion d’objets de peu de valeur.
Un
accidept vint troubler la bonne harmonie qui
régna les jours suivants , naais la mésintelligence ne
futpasdelonguedurée. Unmatelot, préposé à la garde
de l’aiguade où une partie de l’équipage faisait de
l’eau, fît partir involontairemefît l’espingole dont il
était armé : la balle cassale bras d’un jeune ipsulaire.
La foule, effrayée d’abord, se rassura bientôt, mais
elle disait tristement, en réponse aux discours
des Français : Tayo, tayo. Les explications données
pour faire copnaître que le mal était le résultat
d’un accident, parurent avoir été comprises; ce¬
pendant.ils répétaient souvent : Tayo eto, male elo,
Vous êtes nos amis, et vous nops tuez.
ILES
Le
médecin Roblet
blessé ;
nieux.
il trouva sur
qui prouvait
MARQUISES
s’empressa d’aller panser le
la blessure un appareil ingé¬
que ces sauvages
accoutumés à traiter des fractures. Après
étaient
l’opé¬
ration, le malade, comblé de caresses et de ca¬
deaux oublia tout à fait le tort involontaire des
Français et ne leur témoigna aucun ressentiment.
,
Cependant la confiance du capitaine Marchand
guidé par plu¬
sieurs naturels dans une excursion qù’il faisait dans
l’intérieur, il n’eut d’abord qu’à se louer de leurs
soins; tous à l’envi lui donnaient le bras, le soute¬
naient et le portaient presque dans les pas difficiles :
néanmoins l’aspect de leur physionomie trahissait
un mauvais dessein. Le capitaine songea à retourner
sur ses pas, et dès lors ses conducteurs ne montrè¬
rent plus le même empressement à l’aider dans sa
marche, ils le laissaient surmonter tout seul les ob¬
stacles de la route ; bientôt ses soupçons se trouvè¬
rent confirmés. Il hâtait le pas, lorsqu’on lui enleva
son fusil. Il allait atteindre le voleur l’épée à la main^
lorsque les cris de soii domestique, assailli par cinq
ou six antagonistes, l’obligèrent à accourir à son
aide ; son approche mit en fuite les agresseurs.
La nouvelle de cette attaque était déjà parvenue
au rivage lorsque Marchand y arriva ; les naturels
effrayés fuyaient de toutes parts; ils craignaient
sans
doute de terribles représailles. On tâcha
de les rassurer, mais en môme temps on réclama
à un des chefs les objets volés. Celui-ci les rapporta
faillit ensuite lui devenir funeste :
ou
17
NOÜRA-UIVA.
plus tard, et, montrant un casse-tête en
morceaux, il prétendit l’avoir brisé sur la tête des
coupables. Sans croire à son récit, on récompensa
effet
en
néanmoins
zèle simulé.
son
pouvant obtenir, dans ce mouillage, un nombre
suffisant de cochons, on alla, à l’imitation de Cook,
Ne
chercher dans les baies du sud de l’île. Cette
cherche fut fructueuse, et donna lieu d’examiner
en
sol
plus favorisé par la nature
Vaitahou.
que
'
re¬
un
celui du port
quitter définitivement cette île, les Fran¬
çais eurent cependant l’occasion d’éprouver le bon
caractère de ses habitants. Le 19 juin, ayant
Avant de
voulu faire uiie excursion dans l’anse du sud de leur
mouillage, ils tentèrent, à leur retour, de franchir un
mondrain qui sépare cette anse presque inhabitée
de l’anse du nord où se trouvait le
village et l’aiguade. Ils ne tardèrent pas à reconnaître qu’ils
avaient commis une imprudence; à mesure
qu’ils
s’élevaient
cette colline dont
la pente est
trèsdifficile, ils ne trouvaient plus, sur les bords escar¬
pés des rochers, que d’étroits sentiers, rendus glis¬
sants par la pluie ;
suspendus sur des pointes aiguës,
ils chancelaient; le bras de leurs
guides plus aguer¬
ris et plus robustes assurait seul leurs
pas incer¬
tains ; il eûtété facile alors de les
dépouiller de leurs
armes et des
objets qui excitent si vivement la con¬
voitise des
sauvages; mais, loin de là, leurs guides
ne
sur
cessèrent de les aider
port. On remarqua que
,
et les conduisirent à bon
le jeune homme blessé
par
18
ÎLES MARQUISES
l’espingole, aidait, de sa main saine, la marche de
ceux dont l’imprudence avait failli lui être fatale.
Aussi, les Français s’éloignèrent en exprimant un
sentiment de réprobation contre les Espagnols qui
avaient, versé le sang de leurs hôtes, et qui les pour¬
suivaient à coups de fusils dans les bois.
Nous touchons enfin à la découverte de la partie
septentrionale de l’archipel ; une remarque, faite à
bord, y conduisit le Solide. On avait observé au
mouillage, par un temps clair, au coûcher du soleil,
une tache fixe qui présentait l’apparence d’un pic
élevé dans le N.-O. 1/4 O. L’air continuant à être
pur, on l’evit cette tache le lendemain matin, et dès
lors, on soupçomïa dans cette direction l’existenco
d’une tei're encoi’e inconnue. Parti le 20 juin, à midi,
de l’Ue Taouata, le capitaine Marchand eut la satis¬
faction de voir, le 21, au point du jour, tous les
doutes cesser, par l’apparition de la terre, et à dix
heures et demie, il se trouva à quatre milles de la
pointe la plus méridionale d’une île qui reçut le
nom de Marchand.
La côte se montrait ornée de
jolies anses sablonneuses, sur le contour desquelles
des bananiers, des cocotiers, l’arbre à pain, et divers
autres grands arbres, formaient des touffes ver¬
doyantes abritant les cases éparses des naturels.
Ceux-ci s’empressaient d’accourir au rivage pour
contempler de plus près la merveilleuse apparition
qui étonnait leurs yeux.
La narration des premiers visiteurs d’un pays
porte toujours l’empreinte de l’enthousiasme du mo-
ou
naent; la
19
NOUKA-HIVA.
description de l’île Marchand
nous
paraît
avoir subi cette influence. Nous la donnons toutefois,
quoiqu’elle
pressions.
«
cette
»
dont
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
rende pas tout à fait
nos propres
im¬
L’aspect de l’île, dit le découvreur, est,'dans
partie, aussi agréable que varié. Des collines,
»
»
ne
verdure animée
les pentes
douces
des vallées ombragées par des
plantations diversifiées, plusieurs ruisseaux qu’on
distinguait du navire, et qui rendent à la terre,
desséchée par les feux du soleil, la fraîcheur et
l’humidité nécessaires à la reproduction des plantes; enfin une belle cascade, dont les eaux écumantes se précipitent dans un vallon, tous ces objets, réunis sur un petit espace, attiraient tour à
tour, et fixaient agréablement les regards. De
hautes montagnes, dont les sommets sont arides
et hachés, et qui doivent se refuser à tout
genre
de culture, occupent le centre de l’île; mais ces
montagnes cessent de paraître élevées, quand on
porte les yeux sur des pics de rochers nus et inaccessibles, dont les flèches aiguës semblent apparune
et les sommets ;
tenir à des clochers.
couvre
»
En continuant de ranger
la côte occidentale de
aperçut à midi une seconde pointe et une
ouverture qui semblait promettre un abri sûr et
commode ; le capitaine eh second Masse fut
envoyé
avec dix hommes
pour reconnaître cette baie, tandis
que le Solide louvoyait pour ne pas perdre sa posi¬
l’île,
tion.
on
ÎLES MARQUISES
Sur
ces
brick ; un
entrefaites
une
pirogue s’approcha du
seul des trois insulaires qui la
montaient
fier aux signes d’amitié de l’équipage et se
hasarda dans les porte-haubans, mais aucune
osa se
déterminer à entrer dans le na¬
la surprise et la
les cadeaux qu’on lui fit furent reçus d’un
instance ne
put le
vire. Il semblait flotter entre
crainte ;
air indifférent ; sans
doute l’ensemble des choses
extraordinaires qu’il voyait absorbait toute son at¬
tention, les détails n’excitaient pas encore son admi¬
ration. Qu’on se figure, en effet, quelle dut être la
stupéfaction de ces hommes si peu
chelle des connaissances
élevés dans l’é¬
devant des prodiges d’in¬
dustrie; leur imagination
frappée dut
se trouver
éblouie par une magnificence et un pouvoir
elle n’avait aucune idée; c’est ainsi que les
dont
navi-
arabes retracent leurs impressions dans les
voyages merveilleux de Sindbad el Bahari.
Un mouvement précipité de l’équipage effraya ce
sauvage; il s’élança brusquement dans sa pirogue et
s’éloigna promptement. Dans l’après-midi d’autres
naturels s’approchèrent ; leur nombre les encouragea
sans doute à se confier aux étrangers, plusieurs d’en¬
tre eux montèrent sur le pont. Un miroir produisit
un singulier effet sur l’un d’eux; il se mit à rire aux
éclats en voyant son image. On jugea que les clous,
les couteaux et autres bagatelles qu’on leur distribua
gateui's
objets entièrement nouveaux pour eux,
et on en conjectura qu’ils n’avaient pas de relations
habituelles avec l’autre groupe, quoique peu éloigné.
étaient des
ou
21
NOUKA-niVA.
L’enfoncement visité par
l’embarcation renferme
des deux ne parut propre
cinquante naturels environ
s’étaient rassemblés dans l’anse du nord; à l’appro¬
che du canot une pirogue se détacha du rivage et
(leux anses,
à abriter
vint à
un
mais
aucune
navire. Cent
sa rencontre.
Sur
son avant se
trouvait
une
espèce de siège sur lequel était assis le chef du lieu;
desquels il of¬
poisson et des coquilles polies d’huîtres per¬
lières. Le débarquement s’opéra sans difficulté, et
l’entrevue se termina paisiblement. Les indigènes
parurent moins bien faits que ceux de l’île Taouata
et surtout moins tatoués, mais on remarqua les
mêmes usages. Au premier abord les femmes par¬
tageant l’étonnement général, se tinrent à l’écart,
mais elles bannirent toute méfiance lorsque des
vieillards les prenant par la main les conduisi¬
rent auprès des étrangers. Cette baie hospitalière
il vint recevoir des cadeaux
en
retour
frit du
reçut le nom
de Bon^AccueU.
capitaine Marchand allait quitter cette île,
lorsque, à l’instar de ses devanciers, il voulut, par
un acte authentique, prendre possession de ces
terres découvertes par lui.
Dans ce but, il descendit dans la première anse
de la côte nord-ouest de l’île, située à peu de dis¬
tance de la partie septentrionale de la baie BonAccueil. Il prit terre sur une plate-forme de rochers
séparée delà côte par un petit bras de mer. Les natu¬
rels, assemblés sur le rivage au nombre de deux cents,
s’empressèrent de venir l’aider ainsi que ses gens à
Le
ÎLES MARQUISES
22
parmi eux se trouvaient quelques
déjà familières et le chef qu’on avait vu la
veille; ce qui fit supposer que cette troupe provenait
de la haie déjà visitée, et qu’elle avait fait le tour
en suivant le bâtiment. L’aspect des lieux justifiait
cette conjecture : aucune case n’existait dans les en¬
virons, et ce point, dénué de verdure, ne présentait
qu’un sol stérile. On distribua quelques bagatelles à
ces insulaires, qui se pressaient sans confusion en
évitant de se rendre incommodes, et qui ne sem¬
blaient avoir d’autre désir que celui de satisfaire
leur curiosité. Ils donnèrent en retour divers objets,
tels que des lances, des éventails, des toulfes de plu¬
mes, etc. Une inscription portant le nom du navire
et du capitaine, sa nation et la date de la prise de
possession, fut ensuite clouée sur un arbre ; puis
trois copies de cette inscription furent renfermées
dans des bouteilles qui furent remises en dépôt, à un
chef, à un homme d’un âge mûr et à une jeune fille.
Par suite de cette bizarre combinaison, trois géné¬
rations étaient choisies pour conserver ce document,
fort probablement anéanti peu de temps après.
Cette prise de possession, qui reçoit aujourd’hui
une sanction inattendue, a cela de remarquable
qu’aucune effusion de sang ne l’a accompagnée.
Le régime français a tpujours été plein d’humanité
et de bienveillance : faisons des vœux pour qu’il
en soit toujours ainsi, quand même ce serait au
traverser
le canal ;
femmes
détriment de
Le groupe
ses
intérêts.
entier du nord, dont Marchand
com-
ou
NOÜKA-HIVA.
23
pléta la découverte par celle des îles Masse, Chanal,
Baux, Solide et enfin les Deux-Frères, fut nommé
groupe delà Révolution; puis le capitaine s’éloigna
le 25 juin, ne songeant guère que, cinquante ans
plus tard, ses découvertes deviendraient une posses¬
sion française. A lui revient l’honneur d’aVoir donné
des documents importants sur des terres qu’il avait
découvertes simultanément avec le capitaine Ingraham que nous avons déjà mentionné, événement dont
la vanité américaine s’est emparée pour tenter de
dépouiller notre compatriote d’une gloire qui lui est
due.
des îles Marquises ne fut
complète qu’après le passage du Solide et celui du Hope,
navire d’Ingraham; ces terres conservèrent le nom
primitif imposé par Mendana (îles Marquises), que
ceux
qui les visitèrent ensuite étendirent au groupe
La découverte du groupe
entier.
Le lieutenant
Hergest, commandant le Dœdalus,
Marchand. Chargé de porter des
approvisionnements à l’expédition anglaise comman¬
dée par Vancouver, Hergest se trouva dans Une situa¬
tion très-épineuse, dès son entrée dans lé port de la
Madré deDios : le22mars 4792, il èut d’abord à lutter
succéda au capitaine
contre
de violentés raffales descendant dU haut des
collines dominant le
rivage, et le 25, son câble
ayant cassé sous l’impülsion violente d’un grain, il
fut entraîné hors du
mouillage. Dans Ce moment
même, un incendie sedéclara à bord; l’équipage eutà
lutter à la fois contre le feh
et
le mauvais temps; son
24
ÎLES MARQUISES
sans doute à la pensée que la perte
du navire aurait aussi inévitablement compromis son
ardeur s’accrut
existence; il n’aurait trouvé qu’un refuge bien pré¬
caire parmi les tribus de l’île, dont les penchants nui¬
sibles n’étaient bridés que par l’aspect de la force.
Le soir, le navire anglais, après avoir échappé au
double danger couru dans la journée, fut entouré
d’une multitude de naturels qui ramassaient sur
l’eau les débris à moitié consumés des hamacs, pre¬
sources de l’incendie. Le lieutenant
Hergest
mières
débarqua ensuite avec le second et trois hommes,
pour reconnaître l’aiguade et s’approvisionner d’eau.
11 eut beaucoup de peine à prendre pied, à cause du
ressac, et, dès lepreraier abord, il put apprécier quel
eût été le sort de son équipage, si le navire avait péri.
Un grand nombre de naturels assemblés sur la plage,
voyant la faiblesse de ce détachement, volèrent sans
scrupule tout ce qu’ils purent atteindre ; il ne resta
môme plus un seul seau pour remplir les barriques
qu’on avait apportées. Un jeune matelot fut tellement
ému des espiègleries des naturels qu’il se prit à pleu¬
rer; Hergest le gourmandait et lui reprochait son
manque de fermeté, lorsque à son tour il fut en¬
touré et
son
fusil de chasse lui fut enlevé. Il
ne
plus qu’un mousquet dans l’embarcation :
prudence exigeait de patienter; aussi le lieute¬
nant anglais s’éloigna du rivage, tandis
que, pour
couronner leurs larcins, les
sauvages enlevaient le
grappin du canot.
La sûreté des Anglais demandait une
prompte rérestait
la
ou
NOUKA-HIVA.
2S
pression de ces attentats. Voulant, toutefois, conci¬
lier l’humanité avec l’emploi de la force, Hergest di¬
rigea ses embarcations armées vers la côte, et fit
tirer des décharges de mousqueteriepar-dessus la tête
des naturels. Tous se sauvèrent, à l’exception d’un
seul homme qui eut la hardiesse de conserver son
poste, la fronde à la main, et qui ne cessa de lancer
des pierres inoffensives contre les assaillants. Son
courage inspira une admiration qui lui sauva la vie.
Quatre coups de canon tirés par-dessus le village
achevèrent de porter la terreur parmi les bandes
nombreuses qu’on voyait fuir dans les montagnes.
A la nuit, un naturel vint à la nage jeter sur le
Dœdalus un rameau vert enveloppé d’une étoffe
blanche : il réclamait la paix. Du reste, la peur
avait été plus grande que le mal, car le lieute¬
nant Hergest suppose que personne n’a été tué ou
blessé, à l’exception d’un seul individu atteint par
une
balle dans le mollet. Le 24 mars,
monie étant entièrement
la bonne har¬
rétablie, les indigènes ap¬
portèrent diverses provisions. Ils étaient plus tran¬
quilles, mais non moins voleurs ; bientôt leur nom¬
bre sur le navire devint si gênant, qu’il fallut les ex¬
pulser : un pavillon rouge, hissé en tête du mât, servit
à indiquer un tabou (1) qui arrêta les hommes seule¬
ment. Les femmes ne voulurent
point s’y astreindre :
ilfallut tirer des coups de fusil à poudre, pour engager
(1) Tabou signifie, dans le langage noukahivien, défense.
un objet est tabou, il est défendu d’y toucher.
Quand
mmm
ÎLES MARQUISES
26
nombreuses naïades à regagner
avaient quittée à la nage.
ces
la côte qu’elles
employa-t-on des cadeaux et des pro¬
pour obtenir la restitution des objets volés
àl’aiguade, legrappin seul fut rapporté. Le 29 mars,
au moment d’appareiller, des chefs qui avaient reçu
divers dons pour rendre le fusil, se trouvant à bord,
on les saisit : l’un d’eux fut mis dans la grande cham¬
bre, sous la garde d’un factionnaire, et l’on déclara
qu’il partirait avec le navire si l’objet réclamé n’était
pas rapporté. Une demi-heure plus tard, une piro¬
gue portant des emblèmes de paix vint satisfaire aux
conditions imposées. Le prisonnier, rendu à la
liberté, laissa couler ses larmes en serrant dans ses
Vainement
messes
bras
son
libérateur. Tous deux reçurent de nouveaux
présents qui leur firent oublier leurs angoisses pas¬
sées. Hergest exprime une vive satisfaction d’avoir
quitté paisiblement ün port où des vols multipliés et
audacieux étaient toujours sur le point de faire naî¬
tre de graves querelles.
Ignorant la priorité de découverte des capitaines
Ingraham et Marchand, Hergest à son tour donna
des noms aux îles septentrionales de l’Archipel. En
passant devant la partie ouest de l’île qu’il nomma
îleTrevenen, il remarqua plusieurs anses, entre
autres une qu’il nomma Anse des Amis, en raison de
la visite de plus de cent insulaires qui accoururent
pour lui offrir des bananes et des cocos. Enfin il
prolongea la grande île Nouka-hiva( sir Henry Mar¬
tin ), depuis la pointe sud-est, qu’il nomma pojnte
ou
27
NOUKA-HIVA.
jusqu’à l’extrémité la plus ouest. Il remar¬
aussi la baie du Comptroller, qui lui parut
former un port sûr et commode. Il leva le plan du
port Anna-Maria (Taio-hae). Ce havre présente tous
les avantages qu’on peut désirer dans une relâche.
Quinze • cents naturels ( nombre bien fort ), se
trouvaient assemblés sur le rivage et lui firent bon
Martin
,
qua
accueil.
Jusque-là, l’aspect de l’ile était celui d’une terre
très-peuplée; mais à mesure que les
Anglais avancèrent dans l’ouest, le rivage devint une
véritable côte de fer, sans anses, sans abris, dépour¬
très-cultivée et
vue
de verdure et de
fertilité, et
ne montrant
bitations, ni habitants.
Les deux îles Masse et Ghana!
leur donna le
apparurent
d’îles Roberts,
ni ha¬
bientôt;
après quoi on
débarqua. Entièrement inhabitées, ces îles offrirent
cependant un nombre considérable de noix de cocos,
précieux rafraîchissement pour l’équipage; cette
dernière station termina le séjour de cet officier dans
ce groupe ; il continua sa route vers les rives des îles
Sandwich, où, comme son illustre prédécesseur
on
nom
y
Cook, il devait trouver la mort ainsi que son compa¬
l’astronome Goocli.
retour de sa mission, le Dædalus
reparut,
au commenceinent du mois de février
4793, dans
le port Taio-hae, si favorablement décrit dans
le premier passage. Les relations avaient encore
débuté d’une façon tout amicale,
lorsqu’un matelot,
ayant été frappé par un naturel f tua d’un coup de
gnon,
Au
ÎLES
â8
fusil
la
adversaire
son
mer.
MARQUISES
plongeait dans
population en rumeur,
au moment
Cet événement mit la
où il
grand nombre de pirogues de guerre s’assem¬
attaquèrent le navire à coups de pierres.
Le lieutenant Hanson, qui avait succédé à Hergest
au commandement du Dædalus, fut obligé d’aban¬
donner ce mouillage après un court séjour d’un jour
un
blèrent et
et
deux nuits. 11 alla chercher les raffraîchissements
dont il avait besoin à
se
des
mers
Nous
en
Taïti, île fortunée dont l’éloge
navigateurs
trouvait alors dans les récits de tous les
de l’océan Pacifique.
anticipé sur l’ordre chronologique
peu connues
avons
mentionnant le retour du Dædalus ;
commandant le navire du
commerce
Roberts
le Jefferson,
la seconde fois le pavillon amé¬
ricain dans ces parages. Le 25 juin 1792, suivant
Porter, au mois d’août, d’après M. La RochefoucauldLiancourt, le capitaine aborda sur l’île Taouata.
Son long séjour, le fait de la construction d’un petit
navire dans ces îles font regretter de n’avoir au¬
cune narration bien précise à consulter. Tout ce
vint montrer pour
que nous avons pu
suivants.
recueillir
se
résume aux faits
Roberts destiné à aller faire le trafic des four¬
d’Amérique, construisit,
dans le port Yaitahou où il séjourna pendant quatre
mois, un navire de quatre-vingt-dix tonneaux dont
il avait apporté avec lui les principaux membres.
Il vécut longtemps en bonne intelligence avec les
naturels; seulement un jour il fut obligé de dérures sur
la côte N.-O.
5
ou
29
NOUKA-HIVA.
petit na\ire à moitié construit dont
s’emparer. A la tête des trente-six
hommes qui composaient son équipage, il fit feu
sur
ses ennemis, en tua plusieurs, en blessa
beaucoup d’autres, et les mit tous en déroute.
Le lendemain ils vinrent demander la paix et
lui apportèrent leurs blessés à panser; peut-être
fendre
son
ils voulaient
le souvenir du
pansement opéré par le
chirurgien
du Solide, avait-il engagé les naturels à cette
dernière démarche, si toutefois la véracité du
capitaine américain est admise, car plus
que tout autre, les voyageurs de cette nation sont
enclins à donner un trop libre cours à leur ima¬
gination.
Une autre fois, une vingtaine de pirogues de
vingt-dix pieds de long vinrent d’une île voisine
(Hiva-oa sans doute) avec le projet de prendre le
Jefferson. Quelques coups de canons chargés à mi¬
traille dissipèrent cette flottille, une pirogue fut
récit du
brisée, et les autres se retirèrent promptement
pour ne plus reparaître.
En quittant l’île Taouata Roberts fit voile avec
deux navires
ses
sa
route
pour les îles Sandwich ; sur
il reconnut les îles c{ue son compatriote,
Ingraham, n’avait fait qu’apercevoir. Le capi¬
taine Roberts
se
crut
donc le droit de
nommer
qu’il voyait de plus près que son pré¬
décesseur, et il leur imposa le nom d’Archipel
Washington.
A son retour le
Jefferson déposa surNouka-Hiva un
ces
terres
Iles marquises
30
qu’il avait pris au port Vaitahou et qui
originaire d’une île du nord de l’Archipel.
Les noms indigènes donnés par Roberts sont d’ail¬
leurs excessivement incorrects, peut-être ont-ils été
altérés en passant sous la plume de l’auteur déjà cité
qui relate ce voyage.
Quoi qu’il en soit, le Jefferson fut le quatrième
navire qui crut découvrir les îles septentrionales
des Marquises. Ingraham et Marchand presque si¬
multanément en 1794, Hergest ensuite, puis Ro¬
berts tous quatre imposèrent des noms à ces terres,
qui fort heureusement en ont de plus authentiques
donnés par leurs habitants, ce qui tranche toute
vieillard
était
,
difficulté.
époque, ce point du globe commençait
déjà à être fréquenté par divers navires; on pent
mentionner au mois de mars 1792, le Prince Wil¬
liam Henry, dont la navigation offre un exemple
de célérité remarquable, ce navire n’ayant mis que
quatre mois pour se rendre d’Angleterre aux îles
Sandwich, après avoir touché à Taïti et à Taouata.
Ce dernier passage fut même effectué en courant di¬
rectement au N.-E., route praticable, mais qu’on
ignorait alors, personne ne l’ayant encore tentée.
Nous ne ferons que eiter non plus le Buttenuortli,
capitaine Brown, qui, en compagnie de deux petits
bâtiments, visita aussi l’île Taouata, et y fit une
station de deux jours. Ces deux navires qui, du
reste, ne rappellent aueun événement digne d’inté¬
rêt dont les îles Marquises aient été le théâtre, furent
A cette
,
00
NOOKA-HIVA.
3i
qui visitèrent cet archipel avant l’appa¬
anglais dans l’Océanie.
Le 24 septembre 1796, le navire le Duff, com¬
mandé par Wilson , quitta là rade de Portsmouth
pour se diriger dans les mers du Sud. La société des
missions faisait tous les frais de cette expédition, des¬
tinée à porter trente missionnaires protestants sur
les différents groupes de l’Océanie. Plusieurs de ces
apôtres évangéliques étaient mariés, et leurs femmes
les suivaient dans un exil qui devait durer toute
des derniers
rition des missionnaires
,
la vie.
grand dévouement pour leur religion,
qui abandonnaient à jamais la
terre natale pour aller prêcher la parole de l’Évan¬
gile au milieu de ces populations sauvages, dont
les mœurs n’étaient guère eneourageantes. Il est
vrai que ces hommes, d’abord artisans avant de
prendre la robe évangélique, étaient peu fortu¬
nés, et ils avaient peut-être à gagner dans ce pè¬
lerinage. A voir la manière dont, aujourd’hui, ils
exploitent les populations conquises par leurs pa¬
roles
on serait tenté de croire qu’ils n’avaient
Il fallait
à
ces
un
ministres
,
entièrement oublié les intérêts matériels de ce
monde, lorsqu’ils allaient prêcher à ces malheureux
sauvages les peines et les récompenses promises dans
pas
la vie éternelle
Ce fut le 5
juin 1797 que le Duff atterrit dans le
port de la Vaitahou. Une seule pirogue vint à sa
rencontre, un des deux naturels qui la conduisaient
grimpa lestement à bord, à faide d’une corde qu’on
ÎLES MARQUISES
32
entièrement nu, était
noirs, qu’ils cachaient
presque la couleur de sa peau. Son compagnon le
suivit bientôt, et tous deux donnèrent pour le lou¬
voyage à l’entrée du port, des conseils qui indiquaient
jeta ; cet homme, presque
tellement couvert de tatouages
lui
nautiques assez étendues. Sur ces
entrefaites, la pirogue qu’on avait prise à la remorque
des connaissances
propriétaires ne firent qu’une médiocre
absorbés qu’ils étaient par
les manœuvres du bâtiment. Des rafiales impétueu¬
ses
descendant des hautes montagnes de l’île, ren¬
dirent difficile l’approche du mouillage, et ce ne fut
qu’à la nuit qu’on put laisser tomber l’ancre.
Déjà cependant les habitants connaissaientl’arrivée
du navire; au milieu de l’obscurité deux femmes s’ap¬
prochèrent à la nage du vaisseau, et demandèrent
d’y être admises. Pendant une demi-heure, elles ne
cessèrent de crier: Wahine, Wahine ( nous sommes
des femmes) ; puis, désespérant de se faire accueillir,
ces malheureuses créatures reprirent le chemin de
la plage, bieil étonnées probablement, de la dureté
de ces étrangers, dont la conduite était si dilférente
de celle de leurs devanciers. Au jour, sept femmes
vinrent encore à la nage crier autour du navire :
Wahine, PFaliine^ mais ce fut en vain, on n’admit
que la fille d’un chef présent sur le pont. Cette
jeune et jolie personne à peau jaune, avait les
joues colorées par le violent exercice qu’elle venait
de prendre ; la symétrie de ses membres, la beauté
de son corps en eussent fait un beau modèle pour
se
brisa,
ses
attention à cet accident,
,
ou
ÎnTOUKA-IIIVA.
33
sculpteurs et les peintres. Une simple ceinture de
son
unique vêtement; déjà, les chè¬
vres du bâtiment l’en avaient
presque dépouillée,
lorsqu’une Taïtienne, venue à la suite des missionnai¬
res, la prit en pitié et lui donna des effets pour se cou¬
les
feuilles formait
vrir. Dans
bien
ce
costume, la jeune Noukahivienne était
plus attrayante que sa charitable compagne.
Le chef de la
baie, nommé Tenaï, était le fils aîné
de Honoou, connu par Cook; il vint à bord dans
assez belle
pirogue, et offrit au
orné à
son
capitaine
un
extrémité d’une touffe de cheveux.
une
bâton
Voyant
fusil, dont il avait sans doute pu apprécier les
terribles effets, il pria qu’on fît dormir cette
arme,
expression naïve et toute naturelle. Le son d’une
cloche l’étonna beaucoup : « Il était
triste, dit Wilson,
devoir un homme, qui avait toute la
dignité d’un
chef et d’un père, ému par un bruit si
peu digne d’attention ; cette infériorité d’intelligence fàisait mal à voir chez un être
qui pouvait, avec de
» faibles
études, sortir de cet état de dégradation. »
Du reste les parents de ce chef et tous les
sauvages
présents parurent avoir l’air pensif aux yeux des
missionnaires, quoiqu’ils éclatassent de rire, et qu’ils
parlassent avec une grande volubilité par moments.
Ils demandaient surtout des vivres
qu’ils mangeaient
un
»
»
»
»
avec
avidité.
Malgré la décence rigide qui régnait.sur la nef évan¬
gélique j on toléra cependant que les matelots profitas¬
sent
de la bonne volonté des femmes à les aider dans
leurs travaux;
c’était
un
curieux spectacle de voir ces
3
ÎLES MAHQUrSES
34
rudes marins recevoir des
mains des jeunes fdles
entouraient les instruments
les
qui
de leur travail,
pleins de goudron, les pclottes de bitord et
épissoirs. — Bientôt les naturels cédant à leur
penchant pour le vol, dépouillèrent l’équipage de
presque tous les menus objets qu’il possédait j
les
seaux
les
matelots organisèrenit un sys¬
qui eut un plein succès.
pour y obvier, les
tème de précautions
Chacun d’eux fit
choix d’un ami, d’un Tarjo-
dévoue
auquel il confiait ses instruments de travail, mais
en même temps, ils le rendaient responsable de
voyait tous ces bénévoles
assistants porter suspendu à leur cou le couteau de
leur ami,, ou tenir leur mailloche à fom’rer,, et les
leur
con^rvation
suivre dans tous
j
on
leurs mouvements j
eependiant le-
penchant inné des indigènes pour le vol,, penchant
bien excusable lorsqu’on considère les tentations
qu’ils devaient éprouver, amena une scène touchante.
Plusieurs objets ayant été dérobés avec une grande
audace, un des coupables fut saisi et attaché. On lui
fit croire qu’on allait le tuer avec un fusil. A cette
menace, tous les naturels sautèrent à la. mer dans uir
désordre complet, et peu d’instants après un sauvage
arriva en toute hâte, offrant deux cochons placés anfond de sa pirogue , pour obtenir la libératihn de so®
père, qui était le voleur. Ce petit drame se: dénoua
comme celui qui avait eu lieu à bord du Dædeilus.
On refusa de recevoir les cochons, mais on délivra le
coupable-jle père et le fils s’embrassèrent tendrement
puis ils se retu’èrent,j laissant les européens; profon-
ou
35
NOüKA-HIVAi
dément émus de là scène
qui venait de
leurs yeux.
Le but de la mission fut
se passer
sous
communiqué au chef
qui consentit immédiatement à recevoir deux
missionnaires; il leur céda une case et un terrain
pour leur demeure. On connaît trop l’histoire du
missionnaire Harris pour la répéter idi (4). La disso¬
lution de ce peuple effraya ses chastes habitudesi Ce
motif quij dit Wilson^ aurait dû l’encourager à tenter
plus que jamais une conversion utile, engagea cette
âme timorée à s’éloigner avec fe Duff qui l’avait
Tenaï ■,
amènéi Le missionnaire Crook resta seul dans les
Marquises pour poursuivre l’œuVre qu’il devait
accomplir avec son collègue Harris. Mais^ après un
an de séjour^ Toyant tous ses efforts infructueux^ il
îles
dut à son tour abandonner cés lieux où il
ne com¬
ptait
pas encore de
Voici comment le
prosélytes.
capitaine Fanning rend compte
de cette circonstance! Le 22 rnai 1798j.il se trouvait
aVec le brick la Betsey qu’il commandait, sur la
côte de l’île Taouata; déjà diverses pirogues l’avaient
accosté, et avaient engagé avec instances le capitaine
à venir au mouillage ; il le désirait aussi j mais il hé¬
sitait j ne connaissant en aucune façon les ports de
l’îlei De violentes averses de pluie étant survenues, le
navire fut abandonné en
breux
une
un
clin d’œil par ses nom¬
visiteurs, et, aussitôt après leur départ, on vit
petite pirogue, montée seulement par deux indivi-
ÎLES MARQUISES
36
rapidement; on l’attendit, et ce fut
avec un profond étonnement qu’on
entendit un
homme, nu comme les indigènes, presque aussi co¬
loré qu’eux, s’écrier: « Monsieur, je suis un Anglais,
et je viens me confier à vous pour me sauver la vie, »
dus, s’avancer
Cet homme
si semblable à un sauvage,
c’était le
Pascoe-Crook. A peine élait-il
arrivé sur le pont du navire que, cédant à son émo¬
révéï’end 'William
tion, il inclina sa tète pour remercier la Providence
du secours qu’il recevait ; revenant à lui, il déclina
qualité de missionnaire et raconta que, depuis
plusieurs semaines, les dispositions des naturels à
son égard étaient de la nature la plus alarmante.
Deux fois il n’avait dû la vie qu’à l’intervention du
sa
chef qui
sans
l’avait accompagné à bord ; sans lui il aurait
depuis longtemps tué et probablement
doute été
dévoré.
désignait pour son persécuteur
un italien, déserteur d’un navire de commerce qui
avait relâché sur l’île peu de temps après le
départ du Du/f. Cet homme astucieux et perfide,
avait emporté avec lui un fusil, de la poudre
et un certain nombre de balles.
A l’aide de
cette arme il avait acquis une grande influence
sur l’esprit des chefs; il les excitait à combattre
pour augmenter son crédit, et ce fut sur sa
proposition qu’une guerre atroce et impitoyable
fut faite aux habitants de Hiva-oa. A la fin de
Le
cette
révérend Crook
guerre,
l’Italien fit attaquer une tribu située
Il était venu jouer en quelque
dans l’ilemême.
ou
37
NOUKA-niYA.
excitant les
indigènes déjà si enclins au mal à commettre les
actes les plus barbares. C’est en vain que le mis¬
sionnaire voulut s’opposer à de pareilles calamimités, son opposition ne servit qu’à lui susciter de
nombreux ennemis, dont les embûches menaçaient à
chaque instant sa vie. L’Italien cherchait d’autant
plus à le faire massacrer que sa provision de poudre
tirait à sa fin, et avec elle il voyait sa supériorité lui
échapper. Pour renouveler ses munitions, il avait
formé le projet d’enlever, avec l’aide des naturels,
le premier navire qui serait venu relâcher dans ces
sorte
le rôle d’un mauvais
îles.
Aucun
crime
ne
génie,
en
répugnait à ce misérable ; il n’a¬
qu’une seule appréhension, celle de voir ses
plans déjoués par M. Crook : cette crainte le pous¬
sait vivement à consommer son attentat le plus tôt
possible. L’arrivée de/a Betseij, faible bâtiment do
cent tonneaux, secondait les desseins des conspira¬
vait
teurs.
Le missionnaire aurait
inévitablement été massa¬
ennemis, sans la protection du chef
auprès duquel il avait trouvé un refuge ; toutefois
défense lui fut faite de quitter le rivage, tous ses
mouvements furent surveillés, et il désespérait pres¬
que de pouvoir avertir à temps le capitaine Fanning
du complot qui se tramait contre lui, lorsque , à la
faveur de la pluie qui le cachait aux yeux des naturels,
il put accoster laBetsey. L’insistance des deux chefs à
vaincre l’hésitation du capitaine à aller au mouillage.
cré par ses
ÎLES MARQUISES
38
apparut
alors sous un nouveau jour,
Tontes jes 40«
monstrations amicales qu’on avait interprétées gi
favorablement devaient ôter, toute ni éfianpe aqx Epro?
péens.
Le plan de l’attaque était connu î en devait peU’dant la nuit attacher une corde au navire, tandis
qu’un plongeur aurait coupé sans bruit les cables
qui le tenaient au fond; la foule rassemblée sur le
rivage aurait alors, insensiblement, tiré à elle la
corde tendue, jusqu’à ce que le navire eût été
échoué. Dans cette position critique, l’équipage n’au¬
redoutés, et tout entier
des assaillants, dirigés
par un homme civilisé, plus barbare que les sau¬
vages euxrmêmes. Pour effacer toute trace dp cet
acte de piraterie, l’Italien avait déteruiioé les chefs
à n’accorder aucun quartier et à brûler le navire
rait pu se servir des canons
il aurait péri sous les coups
après le pillage.
capitaine Fanning n’èut plus la moindre envie
de séjourner dans un port de cette île ; le récit du
missionnaire avait éveillé toutes ses appréhensions.
sitôt
Le
de nombreux présents, la belle
conduite du chef qui avait amené iVI, Gropk, peut:*
être au péril de sa vie. La séparation dp ces deux
hommes, si éloignés par les connaissances, si ppès
par les sentiments d’une profonde amitié, fqt tour
chante. Le chef partit en priant son ami de revenir
un jour lui donner le bonheur de le revoir, et promît
d’avertir tout navire qui passeraità sa portée du danger
qu’il courrait en abordant sur cette côte inhospitar
Il reconnut, par
Hère, En parlant,
désir de revoir son
il témoigna plusieurs fois le
protégé. L’affection de ce sau¬
vage ne le cédait en-rien
éducation plus raffinée.
Heureux
le
39
NOUKA-HIYA.
ou
à celle des hommes d’une
d’avoir échappé à un
danger imminent,
capitaine Fanning se dirigea, d’après les
tions de
son
passager, vers
Il arriva le lendemain, devant
Un grand nombre de
indica¬
les îles nord du groupe.
Houa-pooiu
,
pirogues l’entourèrent pendant
qu’il y cherchait un lieu sûr d’ancrage; un canot fut
envoyé sonder; mais bientôt M. Crook entendit dans
la foule de sinistres paroles. Les sauvages, jetant un
regard de convoitise sur le bâtiment, rêvaient aussi
le meurtre et le pillage ; ils groupèrent bientôt leurs
pirogues entre la Betsey et son embarcation. Heu¬
reusement on avait compris leurs discours : un coup
de fusil fut tiré en l’air, les canons furent poussés
aux sabords et les sabres reluirent hors du fourreau.
Cet appareil intimida les sauvages ; en voyant l’ex¬
plosion du fusil et le chatoiement des armes blanches,
ils s’étaient écriés
; «
Ce bâtiment vient des nuages,
il porte la foudre avec lui ; ses armes proviennent
du soleil, elles brillent comme lui. » Cependant ils
répondu à cette démonstration par de lon¬
gues clameurs et le bruit de leurs conques de guerre ;
avaient
il fallut
une
une
exhortation de M. Crook pour
collision
sanglante.
empêcher
mai, la Betsey arriva sans encombre dans
une baie'qui doit être celle de Taio-hae (ou AnnaMar ja d’Hergest), Des relations tellement amicales
Le 25
ÎLES MARQUISES
pendant la relâche, qui se prolongea jus¬
qu’au 30 du même mois, que M. Crook, malgré ses
précédentes épreuves, demanda à rester dans celte
île pour continuer l’œuvre de son ministère. Le ca¬
pitaine Fanning, admirant le dévouement de cet
homme à peine sorti de périls imminents, ne voulut
pas le laisser débarquer sans lui donner tous les
objets dont il pouvait disposer, c’est-à-dire quelques
s’établirent
effets et
un
fusil de chasse.
Cette tentative du saint, homme
ne
fut pas
plus
heureuse que la précédente ; la persévérance du ré¬
vérend Crook n’aboutit à rien' : il fut obligé d’aban¬
donner aussi cette île , et,
profitant d’un navire qui
à Port-Jackson et y ré¬
fixer à Taïti, ou il se
passa plus tard, il se rendit
sida longtemps avant de se
trouve établi encore
Pendant que
maintenant.
la France débutait dans là glorieuse
qu’elle a soutenue si longtemps contre l’Europe
entière, une expédition scientifique russe parcourait
l’océan Pacifique. Krusenstern, navigateur dont le
nom est devenu une autorité dans le monde
géogra¬
phique, eut connaissance de l’île Fetou-houkou, le
6 mai 1804, au point du jour.
A cinq heures du soir, Nouka-Hiva trahit ses for¬
mes sous
l’enveloppe de brume qui la voilait, et le
lendemain, dans la matinée, une pirogue amena un
Anglais qui résidait dans ces îles depuis neuf ans, et
qui provenait d’un navire de commerce dont l’équi¬
page s’était révolté. Roberts, c’est le nom de cet An¬
glais tout en offrant ses services au commandant
lutte
,
ou
44
NOUKA-inVA.
s’empressa de l’engager à se méfier d’un
Français, déserteur d’un navire anglais, qui demeu¬
rait aussi dans ces îles depuis plusieurs années» Il le
dépeignit comme un ennemi cruel, saisissant toutes
les occasions pour le noircir aux
yeux des chefs, et
qui avait même plusieurs fois attenté à sa vie. Ici,
encore, ajouté Krusenstern, apparaît la haine innée
entre les deux nations ; leurs dissensions troublent
la paix du monde civilisé, et môme les habitans de
ces îles récemment découvertes
éprouvent l’influence
de leur rivalité sans en.connaître la cause, tandis
qu’il semblerait qu’au milieu d’un peuple dont le
mode d’existence est si cruel, le seul instinct de leur
russe,
conservation aurait dû faire naître
entre
une
étroite union
deux hommes civilisés.
Dans le port
Taio-hae, choisi par Krusenstern
pour y abriter son navire, plusieurs centaines de
naturels vinrent offrir des fruits qu’ils
contre
des
d’enfants
morceaux
échangèrent
de fer. Ils manifestaient une joie
recevant ce métal
précieux pour eux, et
montraient, avec un air de triomphe et de longs éclats
de rire, leurs richesses nouvellement
acquises, à leurs
compagnons moins fortunés. Cette expression de
plaisir prenait sans doute naissance dans le peu d’oc¬
casions qu’ils avaient encore eues de se
procurer ces
objets de l’industrie européenne; Roberts assura que,
dans l’espace de sept ans, deux
petits navires amé¬
en
ricains avaient seuls relâché dans
ce
port.
Tapega Keatanoui, chef de l’endroit, fût seul
admis avec
sa
famille dans l’intérieur du navire
russe
ÎLES MARQUISES
42
parties
parties de
tête qui étaient rasées ; ces dessins formaient la
seule distinction apparente de ce chef, dont la puis¬
sance paraissait bien précaire sur ses .sujets.
Nadeshda 5 un tatouage noir couvrait toutes les
de son corps et s’étendait même jusqu’aux
sa
Le navire
avait été rendu mêou pour tous
les
na--
coucher du soleil, tous les hommes, sans
exception, gagnèrent leurs demeures, mais une
centaine de femmes persistèrent à demander l’hospi¬
talité ; pendant cinq heureselles n’avaient cessé de
turels 5 au
leur accordât l’objet de
nager, en implorant qu’on,
leurs désirs. A la fin, Krusenstern,
touché
par
les
prières de ces pauvres créatures, leva la consigne
qu’il avait imposée.
Le lendemain
une visite officielle fut faite au
chef, un détachement armé accompagna les officiers ;
la foule, assemblée sur le rivage, conserva une tran¬
quillité et un ordre d'autant plus remarquables,
qu’aucun chef ne s’interposait pour les maintenir.
A quelque distance de la case royale, l’oncle de
Keatanpui, qui était aussi son beau-père, reçut les
,
étrangers. C’était un vieillard, d’environ soixantequiuïê ans, dont la contenance indiquait encore le
guerrier de l’âge viril, 11 tenait un long
bâton, avec lequel il tâchait en vain d’écarter la
foule, tandis qu’il conduisait Krusenstern par la
main auprès de la femme du chef, entourée d’un
cercle de ses parentes: .Keatânoui fit aussitôt son en¬
trée, et reçut les visiteurs avec, aniitié.
Assis au TOÎlieu des femmes, l’amiral russe eut
vaillant
ou
NûüKA-HIVà.
43
beaucoup de peine à satisfaire leur euripsité?
Toutes examinaient, touchaient, retouruaippl ges
broderies, son chapeau, ses habits; parmi elle§ la
fille du chef, jeune femme d’environ vipgtTquatre
ans, et sa belle fille plus jeune encore, uvaiept uue
qui n’eût pas été disputée même en Europe,
tatouée, ce qui imi-^
tait assez bien ces gants de soie que les femmes
portaient autrefois.
Un malentendu vint dans la suite troubler la pai¬
sible conduite des naturels. Un bruit répandu sans
motif fit croire aux indigènes que leur chef avait
été mis aux fers à bord de la Nacleslidai ils s’armè¬
rent, et, sans l’intervention de Roberts, ils se seraient
emparés d’un canot de la Neva (second navire dé
l’expédition), qui était arrivée depuis deux jours,
Une nouvelle visite à Keatanpui eut lieu pour fie motif
et dès lors toute crainte fut dissipée.
Avant de quitterhlouka-Hiva, Krusenstern alla faire
une visite dans une baie à cinq milles dans l’ouest
de celle de Taio-hae ; l’aspect pittoresque de ce
bassin parfaitement abrité rendit cette course fart
agréable. De nombreux ruisseaux, un aporage tpD
lement sûr qu’un navire pourrait parfaitement s’y
réparer, devraient d’après Krusenstern faire donner
la préférence à ce port sur celui de Taiq t bae,
Une disposition particulière du terrain met à l'abri
des attaques inattendues des naturels et donne toute
facilité pour l’établissement d’un hôpital à (erre j le
pays aussi est plus beau et plus fertile, les coehons
beauté
La
moitié de leurs bras était
ILES
MARQUISES
plus abondants et même les
attrayants.
habitants parurent plus
Quelques officiers revinrent par terre
à travers
dont les vues agrestes compensèrent
la fatigue de la route ; Roberts conduisait ces mes¬
sieurs, qui reçurent partout sur leur route un ac¬
cueil amical de la part des habitants. Cette ex¬
cursion termina le 'séjour de l’expédition russe ; le
47 mai elle appareilla ; mais loin d’avoir conçu
comme les anciens navigateurs une idée favorable
de ces sauvages, Krusenstern les représente comme
des êtres perfides et féroces, dans la dégradation
morale la plus complète; il leur donne le nom
de sauvages comme étant le titre qui représente
l’homme dans la plus basse condition, celle qui le
met à peine au-dessus de la brute.
Les guerres de l’empire, qui jusqu’en 4815 ébranJèrent toute l’Europe et absorbèrent tous ses efforts,
eurent du retentissement jusque sur les lointains
rivages du groupe des îles Marquises.
Le but du capitaine Porter était de mettre en
sûreté les prises qu’il avait faites sur les Anglais et
de procurer quelques repos à son équipage, lorsque
le 23 octobre 4813 il vint former un établissement
temporaire dans la baie Taio-hae. Les vaisseaux
(Essex et tEssex-Junior commandées par le ca¬
pitaine américain, ses nombreuses prises, les forces
imposantes qui composaient les équipages ne lais¬
saient rien à redouter de la part des naturels, mais
les montagnes,
la division de Porter avait besoin de
réparations : elle
ou
devait
'nouka-uiva.
45
prémunir contre toute aggression inopinée
se
de la part des Anglais, et sous ce rapport, l’île NoukaHiva servait admirablement les projets du capitaine..
Le secret de
sa
relâche et l’excellent abri
qu’offrait
la baie Taio-hae donnaient toute la
sécurité désira¬
ble pour ces opérations.
Keatanoui vivait encore,
ce
mais
n’était déjà
plus le chef robuste dé Krusènstern : l’homme
dans toute sa vigueur était devenu un vieillard
débile.
Il
accueillit
assez
bien les Américains.
agir autrement? La force était là, et
imposante. Autour de lui se groupait
une nombreuse famille, parmi laquelle Patini, sa
fdle, apparaissait plus belle et plus majestueuse que
Pouvait-il
une
ses
force
compagnes.
Elle reçut les avances de Porter avec une
teur et une
hère de
sa
hau¬
dignité qui l’étonnèrent; elle semblait
beauté et de
sa
naissance. Toutefois,
plus tard, elle donna la preuve que'son cœur
insensible.
Européens se trouvaient sur les lieux; deux
d’entre eux s’y étaient établis pour récolter du bois
de sandal, marchandise précieuse sur les marchés
chinois; le troisième était un maraudeur anglais,
qui inspira d’abord de la méliance, mais qui finit
par être employé en qualité d’interprète dans les
n’était
Trois
pas
relations
avec
les Noukahiviens. Par son entremise,
expliqua ses intentions ‘d’établir une
espèce de camp à terre sur un point éloigné du vil¬
lage, et déclara qu’il considérerait comme un ennemi
Porter leur
iLÈS mArqüisks
46
qui se présenterait en armes devant
lui. Ces premières dispositions eurent promptement
leur êffet^ une ligne de démarcation fut établié^
puis un atelier fut improvisé à terre, et sur-le-champ
les voiles des bâtiments y furent envoyées pour être
réparées.
Sur ces entrefaites, Porter apprit que la guerre
était déclarée ëntr'è les Taïs, nom collectif des habi-‘
tânts de cette valléeet les Happas, tribu voisinej
cette circonstance pouvait amener des débats dan¬
gereux dans lé voisinage dés Américains^ Pour y
obvier j le Capitaine profita de la présence de quel¬
ques gtieTrierS Happas qui, efi raison de leurs liai¬
sons de famille avaient la liberté de circuler libre¬
ment entre les deux partis belligérants, pour faire
signifier à leur tribu de cesser la guerre immédiate¬
ment et pendant tout le temps de la présence de
la division sur la rade ^ sous peine d’être punis sévèrementf En outré, le capitaine les engagea à venir
faire, à bord des navires, des échanges de cochons
et de fruits,- dont les équipages avaient grand besoin.
On leur garantissait en même temps toute sécurité
dans leur Voyage aux vaisseaux j et on promettait de
maintenir l’ordre parmi les Tais pendant leur pré-*
sence, s’il en était besoin.
tout îridividu
Keatanoui
se
trouvait dans ce moment dans une
espèce de fort bâti sur le sommet de la montagne qui
sépare les deux tribus; à son retour, il accabla Por¬
ter de témoignages d’amitié. Il changea de nom
avec lui, et insista pour qu’il l’aidât dans sa guerre
OD
.NOliKA-lilVA.
41
Puis voyant cfiie toutes seS
pouvaient vaincre
la résistance de son ami, il s’écria en s’adressant à
Porter, i « Mais les Happas ont maudit les cendres
de ma mère; tu es Keatanoüi inaintenant^ c’est
conirc
les Happas.....
instances étaient inutiles et ne
donc aussi ta mère !
»
•Cependant, dès le lendemain-, les Happas, peu
d’obtempérer aux désirs qu’on leur avait
exprimés, descendirent,des montagnes et ravagèrent
les arbres à pain. Ils en avaient déjà détruit environ
deux cents, lorsqu’on leur envoya urï messager;
message et messager furent fort mal reçus par lesguerriers Happas. «Malgré les menaces desétr'angers,
dirent-ils,. nous avons ravagé les possessienè de nos
ennemis, les étrangers n’ont pas osé nous attaquer ÿ
ils ont peur, bientôt nous vjendirons nous emparer de
leur camp et des objets qu’il renferme. »'
La tournure qu’avaient prise les événements exi¬
geait des précautions extraordinaires; aussi chaque
soir, le quart des équipages descendit à terre en
armes pour veiller à la sûreté dit camp.
Tous les matins les jours suivants, les Happas
prov^oquaient les. Américains du haut des sommets
limitrophes des deux vallées. Les Taïs eômmencèrent
àdouter du pouvoir de Porter en voyant son inaction
après les injonctions quHl avait faites; il devenait
nécessaire de prouver qu’il pouvait punir comme il
soucieux
,
l’avait avancé.
Mouina, principal guerrier des Taïs,
instamment à voit les elfets
tant
demandait
vawtés désarmés à
ILES
MARQUISES
feu; ou résolut de le satisfaire. Un. arbre voisin fut
choisi pour but, et bientôt les morceaux de son
écorce volèrent en éclats. Quelques guerriers Happas
assistaient aussi à
expéi’ience, mais rien ne put
lorsque les Américains,
essayant encore les voies de la conciliation pour faire
cesser la guerre, leur dirent que ce serait folie de
leur part de vouloir affronter de pareilles armes,
tandis que la paix serait faite s’ils voulaient aban¬
donner les crêtes des monts voisins, ils répondirent
avec hauteur, que les fusils ne sauraient
effrayer les
belliqueux Happas.
Dés lors la guerre était devenue inévitable, les
Américains s’y préparèrent. Bientôt un canon fut dé¬
barqué, et après en avoir fait l’essai devant les Taïs,
on leur
proposa de le porter sur un point culminant
pour déloger leuts ennemis des hauteurs. Trans¬
portés de joie, ces hommes bondissent aussitôt, em¬
brassent le canon, comme s’il pouvait sentir leurs
caresses, puis, poussés par l’instinct de la haine, ils
se rassemblent, le soulèvent, et contre toute attente,
le transportent sur un pilon presque inaccessible;
précipices, escarpements, murs taillés à pic, rien
ne peut arrêter leurs efforts. Il y avait une œuvre de
destruction à accomplir et, dans ces cas, les forces
humaines triomphent des plus grands obstacles. En
visitant les lieux plus tard, les Américains ne
purent réprimer leur étonnement; la position leur
paraissait déjà inaccessible à des hommes seuls, et,
à bien plus forte raison, impraticable à ceux qui
cette
ébranler leur courage, et
ou
49
NOUKA-HIVA.
chargés d’un pareil fardeau. Jls n’auraient
à la réussite d’une pareille entreprise, direntils, s’ils ne l’avaientpas vue.
Lb moment d’agir était enfin arrivé; les soldats
de marine, accompagnés d’un détachement de mate¬
lots se mirent en marche, sous la conduite du lieute¬
nant Downes. A peine étaien t-ils partis, que Keatanoui
étaient
pas cru
,
accourut
annoncer
l’arrivée, d’une de
ses
filles
,
happa, chargée de porter des pa¬
roles de paix; mais il était trop tard, l’heure de la
punition avait sonné. On avait déjà enduré trop long¬
temps les bravades et les provocations de l’ennemi sans
y répondré; il gardait, du reste, toujours les hau¬
teurs dominant la vallée ; il fallait s’affranchir de la
crainte d’une attaque inopinée; il n’y avait plus à
femme d’un chef
reculer.
L’insistance de Keatanoui le rendit suspect ; le
détachement préposé à la garde du camp était faible ;
munitions, appi’ovisionnements, tous ces objets
étaient, en quelque sorte, à la merci d’une trahison ;
par mesure de prudence, on garda ce chef comme
otage. Sa frayeur fut grande; malgré toutes les pro¬
testations contraires, il demandait souvent si on ne
voulait pas le tuer.
Une jeune fille, errant dans les buissons, accou¬
rut peu après, tout effarée, annoncer
que les Hap¬
pas s’approchaient du camp. Sur-le-champ, le canon
d’alarme fut tiré, chacun des dix ou douze hommes
présents's’arma comme il put, et tous, abrités par
un
rempart de barriques, attendirent avec une cerarmes,
4
ÎLES MARQUISES
50
anxiété, les forces probablement bien supé¬
Après quelques instants d’at¬
tente on aperçut en effet une troupe de sauvages se
glissant au travers des hautes herbes de la. colline,
pour s’approcher du camp sans être vus, mais le fou
d’une pièce de six les dispersa bien vite.
Il était onze heures lorsque le détachement amé¬
ricain parut sur la crête des montagnes, poursui¬
vant les ennemis, de sommets en sommets. Mouina,
l’intrépide Taï, marchait en avant en agitant le pa¬
villon américain.; la victoire était complète. Voici
tainc
rieures de l’ennemi.
,
opérations de la journée furent racontéesparroffleier qui les avait dirigées, loi’squ’à quatre
heures du soir il fut de retour. En arrivant près des
positions gardées par l’ennemi, le détachement fut ac¬
cueilli à coups de pierres et de lances ; une pierre
ayantfrappéle lieutenant Downesau ventre, ilfutrenversé. Cet incident arrêta toute progression pendant
quelques instants, mais reprenant bientôt ses sens,
cet officier continua de marcher en avant. Bien què les
Happas n’eussent eu encore personne de tué ni même
de blessé, ils n’osèi’ent pas en venir aux mains; tous(I)
s’enfuirent dans un de leurs foets, espèce de rempai’t de pierres, n’offrant qu’une étroite entrée. Là,
se croyant en sûreté, ils insultaient à leurS'ennemis
par des gestes méprisants, qui semblent avQir là
même acception chez tous les peuples. Cet obstacle
comment les
(1) Au nombre de deux
exagéré.
ou
trois mille,, chifffe évidemment
* '
OÜ NOUttA-aiVA.
54
imprévu ne ralentit pas l’ardeur des Américains; sen¬
tant^u’il fallait nécessairement agir avec vigueur, ils
poussèrent trois houèras, puis s’élancèrent à tra¬
vers une grêle de
projectiles vers les fortifications
sauvages. Les guerriers happas ne battirent en re¬
traite que lorsque déjà leurs murs étaient envahis ;
l’un d’eux combattit jusqu’à ce qu’un coup de fusil,
tiré à bout portant , lui eût brisé le crâne. Aussitôt
toute résistance cessa, cinq victimes restèrent sur le
champ de bataille; leurs‘cadavres furent aussitôt saisis
parles Tais, enchantés d’avoir une si belle aubaine
sans avoir couru les
risques du combat ; ils les atta¬
chèrent à de longs bâtons pour les transporter plus
cpmmodéni'ent, puis une bande dés leurs se précipita
dans Un village ennemi peu éloigné, qu’ellé pilla de
fond en comble, et revint chargée dé dépouilles,
telles que des tambours, des nattes, des calebasses,
des cochons.
et môme
Les actions de
ces
sauvages sont repoussantes à
disait le lieutenant Downes; ils se hâtaient
d’achever, avec un féroce acharneraient, les hommes
blessés par la fusillade; ils les tuaient sans pitié', et
chacun d’eux trempait sa lance dans lé sang de. la
voir
,
victime. Ils conservaient
meurtre
alors
avec
soin cette trace de
leurs armes; leurs lances acquéraient
valeur plus grande, elles recevaient le nom
sur
une
de l’homme tué. Les pertes., du côté de Porter, se
réduisirent à deux hommes blessés; en outre, un
Taï avait eu la mâchoire cassée d’un coup de pierre.
Keatanoui, délivré de
son
emprisonnement,
au
ÎLES MARQUISES
52
l’expédition, n’était pas encore revenu de
frayeur qu’il avait éprouvée; on lui dit que main¬
tenant les propositions des Happas seraient écoutées
s’ils les renouvelaient, mais le pauvre vieux chef ne
paraissait plus songer qu’à une seule chose, celle de
pourvoir à sa sûreté. Le voisinage de ses blancs amis
lui inspirait une profonde crainte, son arrestation
pesait douloureusement sur ses pensées.
Curieux de connaître ce qui allait être fait des,cinq
cadavres rapportés en triomphe par ses alliés, Porter,
suivi seulement d’un soldat de marine, se dirigea
vers le village. En arrivant à la case de Keatanoui, il
trouva les femmes rassemblées et dans les plus vives
transes; L’arrestation de ce chef avait jeté une vive
alarme dans la vallée; sa femme se précipita aux
pieds du capitaine en versant un torrent de lar¬
mes; elle lui dit, par l’entremise de "Wilson, que
maintenant qu’il avait vaincu les Happas, il allait, sans
de
retour
la
,
doute, tourner ses armes contre les Taïs.
supplia de l’épargner, ainsi que sa famille,
de devenir
surer
;
adressa
ses
serviteurs. Porter
parvint à la
ras¬
femme, reprenant courage,
long discours aux personnes de son sexe
et bientôt cette
un
El}e le
offrant
qui l’entouraient. Elle leur exposa avec énergie les
avantages qu’on retirerait, en vivant en bonne in¬
telligence avec les étrangers, puis, toujours en proie
à l’émotion qu’elle venait de ressentir, elle les ex¬
horta à ne pas heurter ces chers amis, dont elle avait
tant peur.
La fille de
Keatanoui, épouse d’un chef happa,
ou
53
NOUKA-HIVA.
déjà parlé, était aussi là, dans une
elle dépeignit la terreur de sa tribu,
depuis ses revers, et témoigna un désir sincère de
faire la paix elle reçut sur le champ l’assurance que
la paix serait accordée dès qu’on la demanderait, et
que les calaihités de la journée n’auraient pas eu lieu
sans les provocations multipliées des siens.
Se dirigeant ensuite vers une de ces places carrées
et pavées, destinées aux réunions du peuple. Porter
rencontra en route Keatanoui, qui venait à sa ren¬
contre en mangeant un poisson tout.cru, dont il
trempait les morceaux dans une pâte de fruits à
pain et de bananes, contenue dans une noix de coco.
Puis il arriva au milieu d’une assemblée de cinq ou
six cents guerriers dont il entendait, depuis long¬
temps , les chants de guerre, accompagnés par le
dont
nous avons
attitude désolée ;
bruit des tambours. Les cadavres
ennemis,
encore
perches qui âvaiént servi à les transpor¬
gisaient auprès des tambours ornés d’étoffes
pour laciixonstance; quelques indigènes faisaientretentir ces instruments en les frappant avec les
mains, tandis que d’autres, armés de leurs lances,
chantaient à tue-tête, tin prêtre, nommé Tawataa,
semblait présider cette cérémonie lugubre.
L’aspect de Porter occasionna une confusion exrêmedans la troupe; de bruyantes clameurs s’éle¬
vèrent de toutes parts, et les corps furent cachés su¬
attachés
aux
ter,
bitement
sous
des buissons. Ges démonstrations,
dit
Porter, lui firent réellement croire que ces sauvages
étaient
anthropophages. Le fait avait été affirmé par
ÎLES MARQUISES
54
d’ailleurs il était déjà hors de doute à cette
époque. Porter exigea qu’on remît les corps en place ;
ce ne fut qu’avec répugnance qu’on obtempéra à sa
demande ; et lorsqu’on les rapporta, ils étaient
couverts de feuilles. Il les lit découvrir, et remarqua
qu’ils étaient entiers et ne portaient d’autres lésions
que celles occasionnées par les blessures qui avaient
Wilson ;
donnélamort.
réclama alors ces covps pour les faire
demanda aussi aux acteurs de cètte singu¬
lière fête s’ils avaient l’intention de se repaître de ces
cadavres, en leur exprimant toute son horreur pour
Le capitaine
enterrer; il
j;, 't
manifestation eût in¬
réponse, soit qu’elle fût sincère, ce qui
est peu probable, tous lui assurèrent qu’ils ne se
proposaient pas de se livrer à un repas aussi révol¬
tant; mais, en môme temps, ils le supplièrent de
leur laisser les corps encore un jour ou deux, pour
accomplir les rites de leurs cérémonies, et de leur
en
abandonner deux, qui devaient être offerts
cette
Üiit-
t
action. Soit que cette
fluencé leur
y.
comme un
sacrifice à la mémoire d’un de Iqurs prê¬
tres, tué précédemment ; ils ajoutèrent qu’il pour¬
rait envoyer, plus tard, assister à leur enterrement,
qui aurait lieu à telle profondeur qu’il jugerait con¬
venable. Keatanoui et Tawatea se joignirent à ces
stances, etreprésentèrent que ce serait un
..
if'
I '
bien grand
leurs ennemis d’apprendre qu’on
leur avait enlevé ces cadavres, et qu’on ne leur attri¬
buerait, en conséquence, aucune part dans la victoire
remportée, Yaincu par des sollicitations aussi prestriomphe
|i
in¬
pour
ou NOUKA,-HIVA,
sautes, Porter
55'
consentit à abandonner les deux corps
demandés, à la condition que les autres seraient en¬
voyés au camp.
irremarqua aussi que tous ces naturels avaient le
plusgfand soin de ne pas toucher ces restes inanimés,
et même qu’ils évitaient le contact du sang qui teignait
les perches. Cette circonstance était sans doute la
suite de quelque tabou superstitieux, tandis que le
philanthrope américain la considérait comme une dé¬
licatesse toute particulière qui lui fit grand plaisir.
Il en tira un heureux augure pour les mœurs de
ses alliés, qu’il ne pouvait croire assez dépravés
pour s’adonner à l’affreuse coutume du canniba¬
lisme.
C’est
en
cette race
vain que Porter veut plaider en faveur de
le fait du cannibalisme est trop bien éta¬
:
les mots de leur langue
toujours compris, et que c’est peut-^être
à une méprisé qu’on doit de croire qu’ils avouent ce
penchant : kdi-kdi, qui signifie manger , veut dire
aussi sacrifier; il est notoire, dit-il, que des corps
sont offerts en sacrifice, que les crânes sont conser-.
vés comme des trophées, et que les os gravés avec art
forment des ornements pour le cou ou des instru¬
ments de pêche. Keatanoui ni sa famille ne possé¬
daient aucun ornement de ce genre, et c’est peutêtrè ce qu'il entendait, ou qu’on a cru comprendre
qu’il voulait exprimer, en disant que ni lui ni les siens
ne
mangeaient le corps des ennemis. Ces explications
bli. Il fait remarquer que
ne
ne
sont pas
détruisent ntillement rasserlioadc cannibalisme,
ÎLES
56
MARQUISES
qui, comme nous Tavons déjà dit , a été entièrement
prouvée.
Porter, désireux d’assister à la cérémonie qu’il
avait interrompue, demanda qu’on la continuât mal¬
gré sa présence. Alors, le prêtre Tawataa monta sur
une espèce d’estrade, et, après avoir secoué la
branche sèche d’un palmier, à laquelle pendait une
touffe de cheveux, il prononça quelques paroles qui
furent suivies de trois acclatoations spontanées, pous¬
sées avec un grand ensemble par tous les guerriers :
toutes ces voix réunies ne semblaient former qu’un
son. Chaque acclamation était accompagnée de forts
battements de mains. Après ce début, les tambours
vibrèrent sous une rapide impulsion. Ce conçert
sauvage dura environ cinq minutes, pendant les¬
quelles les personnages de ce sombre tableau chan¬
taient à pleine voix èn faisant des gestes très-animés ;
puis le bruit des tambours et des chants cessant
graduellement, le silence se rétablit.
Par trois fois
la même scène fut recommencée-, et
chaque fois avec plus d’animation. A la fin de cette
répétition, le prêtre demanda à Porter si
cela était motaki, bien 5 et, sur sa réponse affirma¬
tive, il parut fort satisfait.
Wilson, au fait du langage et des coutumes du
pays, expliquait cette cérémonie en disant que les
à
troisième
Tais chantaient la défaite de leurs ennemis et
les
un
re¬
envoyé à leur aide
puissants alliés dont les prouesses avaient amené
triomphe aussi complet.
merciaient -leurs dieux d’avoir
ou
NOUKA-HIVA.
57
Un guerrier happa se trouvait près de là ; à la vue
dé Porter, il se mit à trembler. Il se.rassura cepen¬
lorsqu’il vit celui-ci lui tendre la main, signe
avait appris la signification. Il
énuméra les pertes de sa tribu : un grand nombre
d’individus avaient été blessés par les armes à feu,
et le trouble le plus grand régnait dans la vallée ; les
dant
amical dont il
résultats de la démonstration de la veille avaient
frappé tout le monde de stupeur. En voyant les
frapper à trois reprises dans
le tronc d’un arbre, à hauteur de cœur d’homme, il
avoua que les frondes ne sauraient soutenir la lutte,
et promit d’engager les siens à demander la paix. Il
reçut dans ce but un mouchoir blanc, signe qui de¬
vait le faire reconnaître comme parlementaire.
Le chef des Happas, Mo-wataeh, gendre de Keatanoui, arriva quelque temps après en compagnie de
plusieurs individus de sa tribu. Comme signedepaix,
il portait à la main le mouchoir blanc du parle¬
mentaire ; la contenance de ces hommes indiquait
leurs intentions, ils venaient témoigner les plus
grands regrets de leur conduite passée, et exprimè¬
rent l’espoir qu’on voudrait bien leur accorder de
balles du fusil de Porter
vivre à l’avenir dans les mêmes termes d’amitié
que la tribu de Keatanoui. Cette démarche fut
accueillie favorablement. Toutefois, la paix ne fut
accordée qu’à la condition que les Happas apporte¬
raient
une
semaine des cochons et des fruits
américain, où on leur en délivre¬
morceaux de fer ou autres objets
fois par
à l’établissement
rait la valeur
en
ÎLES MARQUISES
58
de leur choix. Cette entrevue eut lieu sous la tente
Keatanoui paraissait enchanté de ce re¬
de Porter.
tranquillité; mais, ayant remarqué
Porter n’avait pas offert sa main au chef vaincu,
tour à
que
unétat de
par un mouvement qu’on
licatesse d’un homme de
croirait bien loin de la dé¬
espèce, il saisit cette
son
gendi’e, comme un
gage de l’alliance proposée. Un court silence suivit
cette étreinte amicale; puis Mowataeh observa que
les Américains devaient être incommodés par la
pluie 'SOUS leurs abris de toile.—Oui, reprit alors
Keatanoui,, la pluie doit fdtrer jusqu’à nos amis ;
nous devons rendre leur séjour parmi nous aussi
agréable que possible.; que toutes les tribus amies
se réunissent pour leur édifier des maisons ; les
Tats donneront l’exemple en bâtissant celle de Poti
(Porter). '
"
Si cette scène est exactement décrite, combien
les sentiments de ces êtres à l’état de nature pré¬
sentent de contrastes. Naguère, en les voyant se
réjouir sur les cadavres de leurs adversaires, qui
eût dit que peu d’heures plus tard, ils devaient té¬
moigner un vif plaisir de voir la paix succéder à
leur triomphe, et que par une inspiration spontanée
ils érigeraient comme un monument utile de leur
satisfaction mutuelle, une série de cases, pour abri¬
ter les étrangers conduits par le hasard dans leurs
main et la mit dans celle de son
.
querelles domestiques.
La proposition de Keatanoui fut adoptée sur-lechamp ; sur-le-champ aussi on procéda à ce travail,
ou
NOÜKA-HIVA.
S9
avec une rapidité merveilleuse. Les
tribus de l’île vinrent aussi se joindre aux
qui s’accomplit
autres
Happas, en apportant fréquemment
provisions à échanger. Les Taïpis, forte et va-»
leureuse peuplade établie dans une grande vallée, et
une autre tribu dont le nom est étrangement estro¬
pié par Porter { Hatecaahcottwolios ), s’abstinrent
seuls de suivre l’exemple général : les premiers se
confiaient dans leur vaillance qui n’avait jamais
été vaincue, les seconds dans leur éloignement et
Tais
et aiix
des
dans leur nombre. Ces deux tribus étaient d’ailleurs
unies; les Taïpis n’avaient jamais encore
d’échec, ils se vantaient d’avoir toujours dé¬
fendu leur vallée de toute agression étrangère, et
leurs prêtres leur avaient appris à croire que jamais
ils n’éprouveraient de revers dans leurs guerres.
étroitement
subi
valléeShoeme(Homi probablement),
Temaa-Taïpi, s’abstint aussi plusieurs fois
d’apporter son contingent au marché de l’établisse¬
ment. Lorsqu’on lui en demanda la raison, il expli¬
qua qu’étant obligé de passer sur le territoire des
Taïpis, ceux-ci l’avaient insulté plusieurs fois en
l’appelant poltron et que môme ils lui avaient jeté
des pierres ; il réclama la protection de Porter contre
les insultes des Taïpis : sa joie fut expressive lors¬
qu’il reçut la promesse qu’on réprimerait toute at¬
taque tentée contre un allié, surtout des attaques
laites parce qu’il venait apporter des comestibles au
pamp. 11 pria aussitôt Porter de mettre le sceau à sa
promesse en changeant de nom avec lui; mais le cas
Lechef de la
nommé
,
ÎLES MARQUISES
60
qu’on eût
voulu mettre une certaine valéur à cette formalité :
Keatanoui avait iléjà obtenu le privilège demandé.
Porter ne pouvait plus disposer que de son prénom,
David; Tamaa-Taïpi s’en contenta faute d’autre.
Ce chef était un des plus beaux hommes de l’île, et
sa femme avait aussi la réputation d’être fort belle,
ce qui n’empêcha pas son époux de vouloir conférer
devenait ici fort embarrassant, pour peu
même temps que son
nom, à son gracieux ami le capitaine Poti ; une seule
condition était mise à cette-concession souveraine :
c’était un simple collier de verre.
Le camp primitif des Américains était devenu
une espèce de village assez confortable : cinq grandes
maisons, un four, une boulangerie le composaient;
un fort ou plutôt une batterie fut aussi placée sur
un morne voisin qui dominait la rade et les alentours
de la baie. Le 49 octobre fut le jour choisi pour ar¬
borer le pavillon étoilé des États-Unis. Dix-sept
coups de canon, tirés par ce fort et répétés par les
bâtiments sur rade, saluèrent la prise de possession
tous ses
droits conjugaux, en
de l’île Nouka-Hiva.
plaignant des procédés des autres na¬
tions qui avaient imposé à ces terres d’autres noms
que ceux donnés par lès Américains, premiers dé¬
couvreurs
Porter cependant se crut le droit d’en
conférer de nouveaux à son tour. Non content d’ap¬
Tout
en se
,
peler le village et la batterie village et fort Madison,
nomma encore la baie, baie Massachusetts, et l’île,
il
île Madison.
.
ou
fJOUKA-HIVA.
61
prise de possession (1) ayant été
lue et signée par les témoins de cette solennité, elle
fut naturellement suivie d’une libation à la prospérité
La
déclaration de
de la nouvelle domination. Le but de la
cérémonie
expliqué auparavant aux indigènes ; ils pa¬
comprendre le sens et témoigner leur joie
d’être désormais unis à la grande famille des Moullikis( Américains); ils désiraient surtout savoir si
leur nouveau chef était un aussi grand homme que
avait été
rurent en
Keàlanoui.
Cependant les Tais, les Happas et les sujets de
Temaa-Taïpi, vinrent se plaindre de nouveau des
insultes et de la conduite hostile des Taïpis. Les tri¬
bus les plus éloignées prenaient prétexte de cet état
de choses, pour ne plus apporter de vivres, ou pour
n’en apporter que fort peu, « Nos provisions sont
épuisées, disaient-ils; nous sommes pauvres, tandis que les Taïpis regorgent de vivres. Vous avez
promis de nous protéger, et cependant vous soufIrez qu’ils nous insultent sur notre passage. Faites
«
»
»
»
»
»
la guerre aux Taïpis, nous vous aiderons en vous
suivant dans nos canots de guerre. »
motifs, joints aux sollicitations de plus en
plus pressantes des tribus alliées, déterminèrent
enfin Porter à agir. Des messages avaient été déjà
envoyés aux Taïpis pour les engager à changer de
conduite, mais leur réponse avait été des plus insul¬
tantes. « Les Happas ont été battus, disaient-ils,
Ces
Iles MAnqmsEs
62
»
parce que les Happas sont des poltrons,
bien que les Taïs et Keatanoui leur chef.
aussi
Quant
aux Américains,
ce sont des lézards blancs,
une
véritable boue. » Le message contenait
des comparaisons bien plus insultantes encore,
que] nous ne pouvons reproduire. — « Les Américains, poursuivaient les guerriers Taipis, sont
incapables de supporter la fatigue; accablés par
.la moindre chaleur et par le manque d’eau ,
ils ne peuvent grimper sur les montagnes sans
avoir des auxiliaires pour les aider et pour porter
leurs armes.
Et pourtaht, ils menacent de
châtier les Taïpis, une tribu qui n’a jamais été
vaincue par l’ennemi j et à qui les dieux ont
promis un succès constant à la guerre. — Nous
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
les défions de venir dans notre
vallée,
nous
leur
prouverons que nous ne craignons pas lenvs bouhîes,
( fusils ), comme les lâches tribus des Tais, des
Happas et des Shoeme- »
Cette déclaration était explicite, les Taïpis vou¬
laient la guerre, et lés tribus amies ne désiraient
pas moins de voir arriver le commencement des
»
»
hostilités.
novembre, communication fut donnée aux
Happas de l’intention du commandant
d’attaquer les Taïpis le lendemain. Keatanoui et
deux autres chefs s’embarquèrent sur l’Essex Junior,
Le 27
Taïs et
aux
pour faire l’office d’ambassadeurs, ce bâtiment
devant se rendre devant la baie ennemie pour assu¬
rer
l’attaque.
01)
63
NOÜKA-HIVA.
partit en effet dans Taprès-midi. Dans
nuit, Porter quitta la baie à son tour, à la tête de
cinq embarcations et de dix pirogues de guerre,
chargées de guerriers tais, rassemblés au son des
conques de guerre. Au lever du soleil, dix pirogues
des Happas se joignirent à eux, et peu après ils attei¬
gnirent la plage des Taïpis, théâtre futur du combat.
Ce navire
la
Les hauteurs étaient surmontées d’une
couronne
de
guerriers amis, armés de lances, de casse-têtes et de.
impossible par
terre, tandis que les forees américaines et les vingt pi¬
rogues de guerre barraient labaie. Tous cespréparatifs
n’avaient pas échappé à la vigilance des Taïpis; cepen¬
dant auéun d’eux ne paraissait. Le téri-ain plat qui
s’étend du rivage à une centaine de mètres dans l’in¬
térieur, les fourrés épais, alimentés par un sol ma¬
récageux, un étroit sentier serpentant au milieu de
frondes. Ils rendaient toute retraite
buissons, tout était silencieux, et rien ne trahisprésence des combattants.
Ayant de commencer les mouvements, le déjeuner
des hommes fut distribué; ils commençaient à pren¬
dre ce repas, lorsque quelques pierres, lancées par
des mainsanvisibles, annoncèrent enfin la proximité
de l’ennemi. Un des naturels amenés pour jouer le
rôle de parlementaires partit alors pour porter une
dernière sommation, mais il revint bientôt courant
à toutes jambes, la terreur peinte sur le visage, ra¬
ces
sâit la
qqe les Taïpis embusqués l’avaient maltraité
vouloir l’entendre, le menaçant d’une mort
conter
sans
certaine s’il s’aventurait
encore
parmi
eux,
malgré
ÎLES MARQUISES
pavillon blanc. Une grêle de pierres s’éleva un
après du sein des buissons; les hostilités
avaient commencé, un Taïpi en fut la première vic¬
time. Un mouvement le découvrit aux yeux du dé¬
tachement, il devint le but de plusieurs eoups de
feu, mais une seule balle traversa sa jambe. U
tomba au milieu de ses compagnons qui l’empor¬
son
instant
tèrent.
trente-cinq marins qui composaient le
détachement. Porter entra bravement dans les
fourrés; alors les pierres et les lances tombèrent sans
interruption autour de lui; oh entendait le claque¬
ment des frondés, le sifflement des pierres, le
bruissement des lances, sans pouvoir entrevoir ceux
qui les lançaient. Partout l’ennemi était soigneuse¬
ment caché ; aucun cri ne se faisait entendre.
Cette guerre faite par des assaillants in>isibles
rendait la position difficile. S’arrêter eût donné
plus de chances fatales aux armes ennemies,
battre en retraite eût amené les résultats les plus fu¬
nestes, non-seulement en augmentant l’assurance des
Taïpis, mais encore en détruisant la confiance des
alliés. Dans cette espèce de guêpier , il n’y avait qu’un
parti à prendre, celui d’avancer le plus promptement
possible, afin de quitter les dangereux taillis.
On fit un mille sans avoir reçu de blessures, mais
sans en avoir fait non plus. Mouïna, le brave guerrier
Taï marchait, selon sort habitude, en tête du déUxchementqu’il guidait; une rivière se présenta.bieulôt et barra la route, ses bords couverts,d’arbustes
Suivi des
,
ou
serrés vomirent
une
05
NüUkA*lUVA.
encore
des
pierres
nombre;
jambe
sans
d’elles vint malheureusement briser la
gauche du lieutenant Downes.
Ce fâcheux incident
compliquait encore la situatioqi
désagréable des Américains. Les Happas et les Taïs
étaient restés simples spectateurs du
conflit, leur
conlier ce blessé eût été une grave
imprudence. Le
caractère mobile de
peuples pouvait, d’un instant
l’autre, changer leurs dispositions ; leur amitié dé¬
pendait peut-être du succès de la guerre ; retour¬
ner, eût été aussi une calamiteuse nécessité ; on ne
pouvait donc adopter qu’un seul parti, celui de
désigner quelques hprames d’un détachement déjà
faible, pour conduire cet officier à bord de VEssex
Junior. En effet, quati’e hommes
l’emmenèrent, pen¬
dant que leurs compagnons continuèrent leur marche
en avant,
pour traverser la rivière. Le nombre des
lances et des pierres lancées s’accrut tellement sur
ce
point, que Mouina, si intrépide jusque-là, com¬
ces
à
tenir de l’arrière. La rapidité admi¬
coup d’oeil avait été d’une grande
utilité ; plus d’une fois il avait prévenu et détourné
des dangers réels. Làrivière n’était
pas facile à traver¬
mença
à
rable de
se
son
rives escarpées, son coui’ant rapide et pro¬
fond, rendaient le passage hasardeux sous les traits
des ennemis, et auraient
empêché une retraite pré¬
ser
; ses
cipitée.
Il était urgent cependant de ne
pas
l’inactivité. La mousqueterie n’ayant
rester dans
pas pu éclaircir
les fourrés du bord opposé, une
décharge généiale fut
5
ILES
MAliyÜlSES
trois hourras, la
troupe se précipita d’un seul trait dans le gué, et
parvint, sans perte, à gagner le bord opposé.
Le terrain marécageux se prolongea un (£uart de
mille encore; la marche était embarrassée, à chaque
pas, par les buissons épais épars sur la route ; il fal¬
lait parfois ramper pour avancer.
Enfin, on arriva àlaliraitedes marécages; la végé¬
tation n’entravait plus le passage; chacun se sentit
un nouveau courage et de nouvelles forces. Déjà On
espérait arriver sous peu près d’un village voisin,
lorsqu’une nouvelle difficulté vint encore une fois
arrêter les Européens.
En face du chemin, un mur fortement construit
et assez long, élevé d’environ deux mètres au-dessus
du sol, flanqué par des arbustes impénétrables, met¬
tait le comble aux contrariétés de cette journée.
D’horribles hurlements, des décharges plus fournies
que jamais prouvèrent que là se trouvaient les prin¬
cipales forces de l’ennemi, et qu’elles opposeraient
au passage de cette barrière la plus grande résis¬
tance qu’on eût encore rencontrée.
commandée; puis,
en poussant
situé là fort heureuse¬
ment, le lieutenant Gamble, le docteur Holfmann et
Porter lui-même, abattaient avec leurs fusils ceux
des ïaïpis qui montraient leur, corps au-dessus de
leurs remparts. Ces fusils furent les seuls qu’on put
employer avec avantage ; cependant leur effet était si
minime, qu’on résolut de monter à l’assaut ; mais, au
Placés à l’abri d’un arbre,
moment de tenter ce coup
de vigueurj on acquit la
ou
07
NOUKA-IIIVA.
triste certitude que la plupart des marins avaient
brûlé toutes leurs cartouches, et
que quelques-uns
seulement
en
avaient
cruelle vérité abattit
car, sans
aux armes
encore
un
peu
trois
quatre. Celte
l’ardeur de la troupe ;
ou
munitions, les fusils devenaient inférieurs
sauvages.
Depuis le début, la position des Américains était
équivoque ; maintenant, elle
se trouvait
plus embarrassante que jamais. Dans l’in¬
certitude où il se trouvait, Porter détacha le lieutenant
Gamble avec quatre hommes, pour aller chercher des
munitions fraîches, abord del’lïsseajJmior. Une resta
plus alors avec lui qu’une vingtaine d’hommes; de tous
ses alliés, Mouina seul ne l’avait
pas abandonné, mais
déjà celui-ci l’invitait à s’en aller, en lui disant :
devenue de plus en plus
«
Malte, malle;
on vous tuera.
»
Trois hommes bles¬
des pierres, depuis le départ du lieutenant
GamblCj firent en tendre aussi leurs plaintes et sup¬
plièrent de battre en retraite.
Il fallait à Porter un succès
qui en imposât à ses
alliés, dont il se méfiait beaucoup, et il n’avait presque
plus Fespoir de réussir contre les Taïpis, protégés par
leur muraille. Il employa, un stratagème
qui, pourêtre
très-connu dans l’art de la guerre, ne fut
pas moins
efficace. Il feignit de fuir, ét sejflaça en embuscade
derrière un rideau de buissons épais; les enne¬
mis donnèrent dans le
piège, ils se précipitèrent hors
de leur enceinte en
poussant des hurlements affreux ;
ils croyaient courir au massacre des
blancs, lors¬
qu’un retour offensif les arrêta. Une décharge, à
sés par
ÎLÈS MAllQUISES
68
quelques pas de distance seulement, éclaircit
ils se dispersèrent en abandonnant
rangs,
morts.
Loin de
leurs
leurs
poursuivre cet avantage, Porter en profita
la rivière avec ses blessés. Des pierres
partirent encore du milieu des fourrés, mais leur
nombre diminua rapidement. Bientôt même on n’a¬
perçut plus de projectiles et le détachement atteignit
avec joie le rivage protecteur. Les hommes étaient
pour repasser
les sauvages le mé¬
donne la conscience de la supériorité des
harassés, et n’avaient plus pour
pris
que
Bien
armes.
cette
au
contraire, ils avaient conçu, dans
journée, une haute opinion de la
nemis.
force des en¬
fatigue et le découragement qui pesaient sur
détachement, sa faiblesse, non moins que les obs¬
La
le
qu’il fallait surmonter, et d’ailleurs le nombre
blessés, ne permettaient pas de songer à recom¬
mencer une attaque. Le capitaine Porter résolut de
quitter les lieux et de remettre à plus tard une nou¬
velle tentative plus heureuse. Malgré l’échec qu’il
venait de recevoir, il crut cependant qu’il était politi¬
que d’en imposer aux Happas, qu’il commençait à
redouter, et dans ce but, prenant l’air et le ton d’un
vainqueur, il fit porter aux Taïpis les paroles suivan¬
tacles
des
tes
:
poignée d’hommes, je vous ai contraihts de vous cacher derrière vos murailles, je
vous ai tué deux guerriers, et vous avez, en outrç,
de nombreux blessés. Si je voulais, je pourrais
«
»
»
»
Avec une
ou
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
NOUKA-HIVA.
G9
chasser de votre Vallée, et détruire vos villages
de fond en comble, mais je n’ai pas envie de vous
VOUS
plus de mal. Réfléchissez ; il est encore temps
soumettre aux conditions de paix que je
vous ai déjà offertes. »
La réponse des Taïpis ne se fit pas attendre. « Que
sont nos pertes, dirent-ils, comparées à celles des
Américains? Notre nombre nous permet de remplacer nos morts, mais nos adversaires peuvent-ils
suppléer à leurs pertes ? N’avons-nous pas tué un
de leurs chefs ( M. Downes ; ils croyaient qu’il était
mort)? Nous avons compté leurs embarcations, nous
savons de quelle force ils peuvent disposer. Nous
ne les craignons pas, nous méprisons leurs fusils,
que la moindre pluie rend inutiles, et dont les
blessures sont moins douloureuses et plus rarement mortelles que celles des pierres et des lances.
Quant à la menace de nous chasser delà vallée,
nous n’y croirons qu’en' la voyant mettre à exécution. Nous défions qu’on essaye une nouvelle altaque, et dans ce cas, nous promettons de ne pas
nous retirer plus loin que le lieu où se trouvent les
faire
de
vous
fortifications.
»
pouvait influer sur la décision
capitaine Porter, de quitter les lieux; sur-lechamp il s’embarqua ; mais à peine fut-il arrivé
à bord, qu’une charge des ïaïpis contre les pû’ogues auxiliaires, le forç^ de retourner à terre. Aussi¬
tôt les Taïpis s’enfuirent, laissant un homme tué aux
mains des Taïs. Ce cadavre fut emporté par eux en
Cette déclaration
du
,
ne
ÎLES
70
MARQUtSES
triomphe; c’était le seul trophée do cette laborieuse
journée.
La forfanterie que Porter a\ait affectée n’avait ce¬
pendant pas aveuglé les Happas; de nombreuses
bandes armées descendues des montagnes se répé¬
taient la réponse des Taïpis, et la conclusion de
leurs discours
blancs.
»
était
: «
Les
Taïpis ont battit les
L’alliance des tribus était chancelante, un
jeter sur les bras de Por¬
auxiliaires, dont il portait le nombre à
cinq mille, nombre qu’il est permis de réduire con¬
nouveau revers
aurait pu
ter tous ses
sidérablement.
les Happas ne tai’deraient pas
se ranger du côté du plus fort, ainsi que font tous
les sauvages. Le salut des Américains dépendait
Il était évident que
à
l’intérêt de leur dignité
l’exigeait aussi. Dès le retour de l’Essex dans la baie
Taiohaé, tous les préparatifs d’une nouvelle incur¬
d’une prompte vengeance,
lendemain matin, furent faits dans
plus profond ; deux cents hommes fu¬
rent désignés pour aller par terre fpndre sur les Taï¬
pis enorgueillis de leur succès. On renonça à faire
une descente sur le rivage, soit en raison des obsta¬
cles du terrain, soit à cause du mauvais état des
sion, fixée
au
le silence le
embarcations. Aucun avis de
ce
mouvement ne fut
être gêné, par
peut-être dangereuse;
Keatanoui, dont la conduite avait toujours été par¬
donné
une
aux
sauvages,
afin de
suite embarrassante et
faite, Tut seul averti, afin
ne pas
qu’il n’éprouvât pas d’a¬
larmes d’une marche nocturne,
Des
guides sûrs
ou
71
NOÜKA-HIYA.
conduisirent cette nouvelle
mets des
expédition vers les som¬
montagnes limitrophes par des chemins
difficiles, au travers des ruisseaux, des roseaux,
des fourrés, sur la pente la plus escarpée des ro¬
chers. Le bruit du passage avait attiré quelques na¬
turels, mais on leur imposa silence; puis on prit
les plus grandes précautions pour traverser le village
des Happas sans réveiller personne ; dés ce mo¬
ment on put espérer que le secret des opérations
ne serait
pas trahi, et que les Taïpis les ignore¬
raient.
A minuit, on
pouvait entendre le bruit des
bours et les chants retentissant dans la vallée
tam¬
enne¬
mie; diverses lumières, fixées dans différents en¬
lieux où la population
s’était réunie. Les guides annoncèrent que les
Taïpis célébraient par des réjouissances publiques
leur victoire, et imploraient leurs dieux de leur
accorder la pluie si fatale aux fusils; ils étaient là
dans toute l’effervescence d’une orgueilleuse joie,
ne se doutant
pas que de nouveaux dangers allaient
droits, indiquaient les
fondre
sur eux.
point culminant des montagnes, un seul sen¬
tier livre l’entrée de cette vallée ; mais sa pente pres¬
que perpendiculaire, son accès périlleux même en
plein jour, le rendaient, de l’avis des guides, im¬
praticable pendant la nuit. Ôn résolut d’attendre le
jour, en donnant au détachement un repos nécessaire
après la longue marche qu’il venait-de faire. Ce sen¬
tier étant soigneusement gardé, on avait l’assurance
Au
ÎLES
72
MAHOLISES
que les Taïpis no pourraient
la présence des Américains.
recevoir
sommeillait, lorsqu’un cri,
aucun
avis de
cri de mau¬
l’éveilla ; un sauvage lui répétait, en
montrant un nuage noir : « Voilà la pluie, voilà la
pluie, matte bouliis, les fusils sont perdus. » Les
Taïpis avaient aussi aperçu le fatal nuage qui s’a¬
vançait avec rapidité; les cris de joie, le bruit des
tambours.retentissaient de toutes parts : leurs dieux
les avaient exaucés. La pluie, une pluie abondante
comme on en voit sous les
tropiques, tomba bientôt
Porter
un
vais augure,
à torrents.
Immobiles
sur
l’étroite crête où ils étaient
postés,
pouvant se mouvoir sur des rochers rendus glis¬
sants par l’eau, les Américains eurent à supporter
ne
froid
très-vif, produit
violent; ils
préserver leurs fusils et
leurs munitions, mais, au jour, on reconnut que
plus de la moitié des cartouches étaient perdues.
Les guides et quelques sauvages s’écriaient que les
fusils étaient désormais sans valeur, et qu’il fallait se
retirer le plus vite possible.
Cet avis était prudent : il était urgent de le suivre,
malgré le danger qu’il y avait à montrer sa faiblesse.
Pour atténuer autant que possible l’impression qui
devait naître dans l’esprit des indigènes, et pour leur
laisser une idée plus favorable des armes à feu, Por¬
ter fit faire une
décharge générale, espérant que les
coups perdus ne seraient pas remarqués dans l’en¬
semble. Cette décharge réussit au delà de ses pré-’
un
mirent tous leurs soins à
par un vent
ou
NOUKA-IFIVA.
73
visions, elle releva de beaucoup la valeur des fusils;
les échos répétèrent le bruit de cette explosion et le
portèrent aux Taïpis. Â cette détonation répondit le
de guerre ; les tambours résonnèrent
plus belle, et de longs cris se firent entendre d’un
son
de
des conques
bout de la vallée à l’autre. Un brouhaha confus s’éleva
plaine jusqû’aux Américains, ils distinguèrent
grognements des cochons qu’on mettait en lieu de
sûreté, les voix des femmes effrayées, les intonations
élevées des hommes se préparant au combat. Cette
agitation, ces cris, arrachés par l’approche du dan¬
ger , formaient un contraste pénible avec le riche
paysage enveloppé des vapeurs de la pluie. Porter se
félicita de la tournure des choses, car il était sûr du
succès et il était bien aise d’avoir terrifié par la vue
de son nombreux cortège, ses orgueilleux ennemis.
Réduit à les attaquer, il voulait cependant leur faire
le moins de mal possible ; en leur donnant connais¬
sance de ses intentions, il les mettait à môme de sous¬
traire leurs propriétés au pillage des tribus voisines.
Après cette décharge générale, on descendit dans
le village des Happas pour y attendre un temps plus
favorable. Le chef du lieu, prévenu de cette visite,
avait fait vider plusieurs cases, situées sur une place
càrrée, sous lesquelles la troupe fut caser née après
avoir établi une garde.
Le mauvais vouloir des Happas commençait à se
manifester; outre les cases. Porter avait' demandé
des vivres, mais rien ne parut. Pendant que ses
habits séchaient, il pria qu’on lui prêtât une pièce
de la
les
74
ÎLES MARQUISES
d’étoffe pour se vêtir, une natte pour se coucher;
mais on ne lui accorda sa requête qu’après une
longue attente, et avec une répugnance marquée. Le
prestige du pouvoir des étrangers était décidément en
baisse. Les heures cependant s’écoulaient, les soldats
commençaient à se plaindre d’avoir faim et de ne
pouvoir la satisfaire, les indigènes m’apportaient au¬
cune provision,
quoique la vallée fût pleine de co¬
chons et de fruits. Enfin les Happas s’assemblèrent
en armes autour du
logis des Américains; leurs
femmes, qui affluaient un moment auparavant, dis¬
parurent petit à petit, et les Taïs, toujours fidèles,
conseillèrent de redoubler de vigilance.
Il eût été difficile de se méprendre sur les inten¬
tions des sauvages. La position était alarmante et
cet état de choses ne pouvait durer longtemps; l’or¬
dre fut donné de disposer les armes de manière à
les avoir sous la main, en attendant l’arrivée du chef
des Happas
qu’on avait envoyé chercher.
voyant, Porter lui reprocha sa conduite in¬
hospitalière; puis, d’un ton ferme, il ajouta qu’il lui
fallait des provisions pour ses gens bon gl’é malgré,
et qu’il exigeait que tous les Happas, déposassent à
En le
l’instant leurs armes. Aucun résultat n’ayant suivi
ce discours,
Porter fit saisir plusieurs casse-têtes
et plusieurs lances et les fit briser sous ses
yeux ;
puis, il envoya de petits pelotons tuer des cochons,
abattre. les bananiers, les arbres à pain et les
cocotiers du village pouf en recueillir les fruits.
Cet acte de vigueur intimida, les Happas, ils se hâ-
ou
MOPKA'rHlYA.
75
de. leurs intentions amicitles, et
d’apporter aux Américains des approxisionnements
de toutes espèces afin d’éviter la destruction complète
de leurs arbres fruitiers, et à la nuit, la bonne
harmonie paraissait tout à fait rétablie. Alors les
Happas se retirèrent, tandis que les Tais restèrent
groupés autour des feux allumés près des sen¬
tinelles. Au jour, le détacbement, frais et dispos,
prépara ses armes, partagea les munitions et se
mit en marche; en atteignant le faîte où il avait
passé une si mauvaise nuit, il fit une courte halte
pour contempler la scène délicieuse que présen¬
tait la vallée des Taïpis aux premiers rayons d’un
beau jour.
Qu’on se figure une verdoyante étendue de terres
d’environ neuf milles de long sur trois de large (1),
encaissée de toutes parts par de hautes montagnes
escarpées, dont les parois, eoupées souvent à pic, lais¬
saient entrevoir de profonds précipices, Une chute
d’eau de plusieurs cents pieds d’élévation, versait
ses ondes écumeuses à travers la
vallée, et conduisait
ù la mer qui bornait Thorizcm les replis ondulants
d’une jolie rivière. Une douce lumière
remplissait
d’harmonie l’ensemble de ce tableau majestueux.
Porter éprouva de vifs regrets en songeant
qu’avant
peu il allait porter au milieu de ce paisible paysage
la destruction et la mort ; il déplora la nécessité
qui
lèrcnt do prolcstcr
(1) Ces dimensions de la vaUe'e
j'dcit de Porter, fort
exagérées.
nous
paraissent,
comme tout
le
ILES
MARQUISES
l’obligeait à faire la guerre à un peuple
héroïque
admirait la résistance.
L’ordre de descendre dans la vallée interrompit le
dont il
pensées des Américains : un à un ils se
glissèrent dans l’étroit sentier ; Mouina, toujours le
premier dans le chemin de la guerre, marchait en
tête. Un moment de repos fut nécessité par la fati¬
gue excessive de la descente ; puis on se dirigea vers
le pied de la montagne où coulait la rivière; dont
les bords étaient défendus par un corps nombreux
de guerriers couvrant un village fortifié par des
murs. L’action commença dans cet endroit, la rivière
fut traversée malgré une vive opposition ; tous les
hommes du détachement n’avaient pas franchi ce
passage que déjà le village fortifié était pris. Ce
premier succès coûta aux ennemis leur chef princi¬
pal ; un autre homme fut tué et le nombre des bles¬
cours
des
sés fut considérable.
village servit momentanément de centre, d’où
rayonnaient des pelotons chargés d’éclairer les bois
environnants. Après quelque résistance, un nouveau
point fortifié fui enlevé par les Américains, mais
ont dut l’abandonner bientôt après, à cause de l’insulfisance du détachement chargé de le garder. Di¬
vers autres postes furent établis ; ils devinrent bien¬
tôt utiles, dans un mouvement offensif que firent les
Taïpis. On les laissa approcher à portée de pistolet ;
alors le feu croisé de deux postes les arrêta d’abord,
et les mit ensuite dans une déroute complète. A l’ap¬
proche de cette charge impétueuse de l’ennemi, les
Le
ou
NOUKA-HIVA.
77
Happas, qui> comme alliés, avaient ac¬
compagné les Américains, prirent le large en toute
hâte ; il ne restait plus dans ce moment, que les Amé¬
ricains pour faire face à ces nombreux assaillants,
aussi prompts à se débander que rapides dans l’agres¬
Tais et les
sion.
D’après le nombre de projectiles lancés derrière
buissons, dans toutes les directions, il était évi¬
dent qu’une résistance opiniâtre serait rencontrée
sur tous les points delà vallée. Il fallut prescrire de
ne pas dépenser inutilement les
cartouches déjà
réduites à moitié par la pluie de la nuit précédente.
Mais avant d’explorer le reste du pays, on déposa
les blessés dans un local convenable, sous la garde
de quelques marins. Mouina était déjà prêt à con¬
les
duire la troupe vers un autre village,
lorsqu’on trouva
Taïpis. On leur
dès qu’ils vien¬
draient à composition; mais que s’ils continuaient
à lancer des pierres, le village serait détruit. Les en¬
nemis n’ayant point accueilli ees paroles de paix.
Porter finit par s’emparer du village, après avoir
gagné le terrain pouce à pouce. Il trouva,
dans cette cité sauvage, une place publique en¬
tourée d’un pavage en pierre, et qui était plus
grande et plus belle que toutes celles .qu’il avait
le moyen de communiquer avec les
fît dire que les hostili tés cesseraient
déjà
vues.
enrichies
grand nombre d’idoles bizarres, ainsi que les
pirogues de guerre, qui se trouvaient en grand nomLe feu détruisit toutes
d’un
ces
belles cases,
78
ILES
MARQUISES
village. Les auxiliaires se chargèrent de
quelques dépouilles, et tout lé reste fut consumé
par les flammes. La marche des Américains fut dès
lôrs jalonnée par des ruines, ils arrivèrent jusqu’au
pied de la cascade en laissant partout derrière eux des
bi*e dans le
de dévastation.
Après quatre heures d’absence,
près des fortifications où avait
commencé l’attaque, et qui se trouvaient justement
placées aü milieu de la vallée. Les blessés qu’on y
avait déposés n’avaient cessé d’être harcelés par l’en¬
nemi, mais le posté était pai'faitement à l’abri des
projectiles des sauvages, et il n’avait pastmé un coup
traces
ils étaient de retour
de fusil.
Ce fut là que
monde ;
puis voyant que la fatigue dé la journée avait été trop
grande pour tenter de reprendre le chemin des mon*tagnes il se décida à choisir un passage plus facile
situé près de la baie. Plusieurs villages furent encore
détruits dans cè mouvement , mais les Taïpis ne ces¬
sèrent de combattre jusque sur les ruines embra¬
Porter rassembla tout
son
,
sées de leurs habitations.
Enfin les Américains
atteignirent l’enclos témoin
première tentative. En
voyant l’épaisseur et la disposition des murailles, le
capitaine dut se féliciter d’avoir pris la route de terre
de leur déconfiture dans la
nouvelle excursion, car en venant dans les
embarcations, il eût fallu nécessairement commen¬
cer par se rendre maître de ces fortifications,
capa¬
pour sa
bles de résister à tous les efforts des Américains
du côté de la
mer.
Cette citadelle formait la
prin-
ou
79
NOUKA-IIIVA.
cipale force des Taïpis ; leur Vallée n’a que trois
issues; la première, celle suivie le matin, est dan¬
gereuse, parce qu’elle euipôclie toute retraite en cas
d’échec.
La seconde conduit chez des tribus al¬
Taïpis., dont la coopération leur était
querelles. Il no restait
donc plus de praticable que la troisième j celle de
la mer ; aüSsi , le champ de bataille‘ordinaire dans
les guerres intestines de l’île, était-il situé dans
la plaine qui aboutit au rivage. Jamais eriieore les
Taïpis n’avaient eu besoin de s’abriter dans leurs
murs; jamais, non plus, ils n’avaient été obligés de
reculer môme jusqu’aux bords de la rivière, située
à un quart de mille du rivage ; la puissance des
étrangers avait seule pu affaiblir leur confiance et
abattre leur orgueil.
Porter voulut détruire ces fortilications, mais il ne
put y réussir; il aurait fallu de l’artillerie. Le teiïlps
lui manquait ; elles restèrent comme un tnonument
du génie militaire de cette peuplade. Sur le terrain
qu’il avait déjà reconnu à l’époque de son débarque¬
ment, il trouva des troncs d’arbres coupés récem¬
ment, obstacles pénibles à surmonter et qui prou¬
vaient qu’on s’attendait à un nouveau débarquement
sur le
rivage de la baie. Tavi, chef des Happas, suivi
de plusieurs membres do sa tribu, vint à la rencontre
des Américains, un mouchoir blanc à la maiii. Il avait
changé tout à fait de rôle, ce n’étàit plus l’homme de
la veille. Il offrait des présents au capitaine, en lui
liées des
assurée dans toutes leurs
,
demandant de continuer à vivre
en
paix
avec
lui ; il
ÎLES MARQUISES
80
les Américains voulussent
bien passer sur’ses terres, où il comptait leur offrir
l’hospitalité la plus dévouée. Il rappelait à Porter
qu’ils avaient fait échange de noms ; enfin ses protes¬
tations d’amitié étaient d’autant plus vives, que,sa
conduite envers ses alliés avait été déloyale. Ainsi,
chez ces sauvages, la victoire avait (comme du
reste partout) complètement changé la face des
insistait même pour que
choses.
Keatanoui, qu’on croyait plus sincère, fut aussi
plus démonstratif dans sa joie. Ce vieillard était plein
d’émotion; il s’accroupit en plaçant.les mains de
Porter sur sa tête, il appuya ensuite sa tête sur les
genoux du capitaine, puis se levant graduellement, il
posa ses mains sur la poitrine du chef américain,
en
le nommant doucement
Keàtanoui; lui-même
désigna sous le nom de Poté , pour rappeler
qu’ils avaient échangé leurs noms.
Sur le point le plus élevé du sentier, on s’arrêta
encore pour jeter un dernier coup d’œil sur cette
vallée naguère florissante, maintenant couverte des
ruines de dix villages saccagés. Aux splendeurs qui
se
avaient suivi le lever du
soleil, succédaient les
om¬
bres funèbres des fumées de l’incendie. Le matin
encore, une
douce quiétude était répandue
plaine qui le soir
se, trouvait
sur cette
plongée dans la
désolation et la douleur. Quelquês heures avaient
suffi pour produire ce changement, et pour mettre
aux abois les fiers guerriers
ta’ipis. Porter,, auteur
de ces désastres., éprouva un sentiment de pitié,
belle
ou
surtouL
en
84
MOUKA-IIIVA.
voyant les autres tribus se réjouir du
malheur des membres de leur propre
On passa encore cette
famille.
nuit chez les Happas, mais
on y fut l’objet de
prévenances sans nombre, au
lieu d’y recevoir un accueil froid et hostile; le len¬
demain
avait
rejoint Madisonville, après une
jours, pendant les¬
quels on avait fait environ soixante milles dç marche
sur des sentiers
qui n’avaient été encore foulés que
par les indigènes ; sept hommes parmi les plus forts
de l’équipage furent longtemps malades des suites
de leurs fatigues : un d’eux, le caporal Mahan,. y
on
absence de trois nuits et deux
succomba.
Un nouvel ambassadeur fut
envoyé aux Taïpis,
plein succès; al¬
revers, cette tribu s’empressa d’anouverture de paix ; elle supporta une
mais cette fois
térée par ses
cueillir cette
sa
mission eut
un
contribution de quatre cents cochons à titre d’in¬
demnité de guerre. L’île entière se trouvait ainsi
pacifiée; toutes les peuplades, environnantes vin¬
rent, sous l’impression des defniers événements,
renouveler à Porter l’assurance de leur amitié;
les chefs et les prêtres, à défaut de l’échange de
leurs noms, se disputèrent des titres de parenté
avec le
vainqueur, On, voyait- parfois des vieil¬
lards à barbe grise, solliciter d’être appelés ses
gendres, fils, petits-fils, etc., etc. Le nom de
fils était surtout recberebé, êt lorsque les ti¬
tres dévolus aux hommes furent
épuisés, on vit
plusieurs de ees chefs -réclamer le singulier bonC
82
ILKS
neur
d’être
filles.
MARQUISES
appelés ses filles, belles-filles, ou petites-
avait atteint le but de
Porter
sa
relâelie, il deve¬
croisière contre les An¬
glais. Après un séjour d’un mois et demi,, il mita la
voile le 13 décembre; mais, en partant, il voulut as¬
nait temps
surer
ce
de reprendre
sa
à'ses vaisseaux un abri dans ces ■ îles. Dans
but, il laissa dans la baie trois prises anglaises, le
Hammond, le Greemvicli et le Seringa-
Sir Andreiv
les équipages réunis de ces navires for¬
total de vingt hommes, placés sous les
ordres de deux mîdshipmen et du lieutenant Gam¬
ble, chargé d’occuper et de commander le poste. Il
avait en outre quinze prisonniers de guerre confiés
à sa garde.
L’esquisse du' caractère noukahivien apparaît à
travers les amplifications de la narration de Porter;
le récit des événements survenus pendant le séjour
du lieutenant Gamble, complétera l’idée qu’on a
pu se former à cet égard; et c’est dans ce but que
nous croyons devoir le donner.
Aussitôt après le départ de la division américaine,
dès le 15 décembre, lés indigènes, malgré des dé¬
fenses réitérées, mirent le feu aux herbes sèches qui
avoisinaient le 'campi Cette action pouvait avoir
les plus funestes résultats : pour les intimider, on
tira des coups de fusil à poudre, qui produisirent
patnam]
maient
un
.
d’abord l’effet attendu. Mais bientôt la crainte
à leurs
cessa
qui se livrèrent de nouveau
penchants destructeurs. Les Happas et les
d’arrêter
ces
sauvages,
ou
83
NOUKA-UIVA.
Taïpis demandaient
avec persistance des informa¬
le nombre des hommes laissés en garnison;
tions
sur
sans
nul doute,
s’ils avaient connu la vérité, ils
les attaquer, pour venger
n’auraient pas hésité à
leurs défaites passées.
Les difficultés dé la
position ne provenaient pas
l’esprit hostile des sauvages, mais
aussi d’-un relâchement dans la
discipline dés, équi¬
pages. Le nommé Coffin déserta; il. fut heureuse¬
ment ramené par les deux Américains
trafiquants
de bois de sandal, dont on a parlé et
qui se trou¬
seulement de
vaient dans l’île à l’arrivée de la division. Cet évé¬
nement était d’un funeste présage
pour
l’avenir,
lorsqu’on songeait surtout à la grande quantité de
prisonniers anglais qui se trouvaient mêlés aux
Américains.
Un insulaire de
riva
sur
ces
Taïti, embarqué
sur
entrefaites* Son histoire
la donnons que
l’Essex,
est
arr
surpre¬
la foi du narra¬
teur américain ; la voici : ceTaïtien, nommé
Taraaha,
ayant été frappé par un maître de l’Essex, à vingt
milles de la côte environ, sé jeta à la mer, dans un
beau mouvement de désespoir ; après avoir
plongé
sous la quille du bâtimeiît, il resta un
jour et
deux nuits sur l’eau jusqu’à ce qu’enfin une lame
en déferlant le
jetât sur la plage des Taïpis au mo¬
nante
,
nous ne
sur
,
ment où
il était à bout de
ses
forces. En
revenant
lui, il reçut, les soins d’un Taïpi j qui, abjurant
toute inimitié, et malgré la
guerre récente, l’abrita,
à
l’aida à
se
rétablir et le cenduisit enfin à Madi.
ÎLES MARQUISES
84
sonville. Le lieutenant
nité
déployée
Gamble admira l’huma¬
et récompensa lar¬
par ce sauvage,
de générosité. Mais Tamaha avait
pris goût à la vie des champs : au bout de peu de
temps, il déserta et fut sans doute rejoindre son ami
gement cet acte
le
Taïpi.
deux jours et une
passés sur l’eau sont un fait extraordinaire( on
peut, nous le croyons, tomber facilement d’accord
avec lui sur ce point ) ; mais, quant à plonger sous
la quille d’un navire, ajoute-t-il, rien n’est plus fa¬
cile à ces insulaires. On trouva à plusieurs reprises
des Noukahiviens qui, pour une bagatelle, allaient
amarrer un câble à l’organeau d'une ancre à cinq
Porter lui-même avoue
que
nuit
brasses
sous
l’eau.
jardin avait été défriché près de l’établisse¬
oh y travailla toutes les fois que le temps le
permettait, car de fréquentes averses, des vents im¬
pétueux du sud-est avaient succédé au beau temps
qui régnait précédemment; à peine un jour se passat-il sans pluie depuisle 17 décembre jusqu’au 43 mai
4814, qui fut celui du départ.
Le troupeau des cochons appartenant aux Améri¬
cains, fruit des.contributions de la guerre et des
échanges, excita bientôt l’envie des habitants delà
Un
ment ;
les droits de
propriété poussaient l’andace jusqu’à venir en¬
lever ces animaux tout auprès du camp, bien que les
baie. Ces sauvages, sans
la
respect pour
,
Américains eussent menacé de
les
soustracteurs.
Ces méfaits
punir sévèrement
demandaient une
ou
NOUKA-IIIVA.
80
répression, mais il était bien hasardeux de se
mettre en campagne avec si peu de monde. Cepen¬
dant, un beau jour, une expédition fut résolue,
et l’on marcha en masse sur le village dés dépré¬
dateurs. La vue de la garnisoti en armes produisit
un bon effet : un chef vint demander qu’on épar¬
gnât la population, en proie à une vive frayeur.
Guerriers et voleurs avaient gagné les montagnes,
leur refuge habituel dans les moments de dan¬
gers. Le lieutenant Gamble voulait qu’on lui remît
les voleurs pour en faire un exemple : ne pou¬
vant les obtenir, il emmena cinq chefs et deux guer¬
riers en otage. Le soir même, il envoyé un de ces
guerriers réclamer les voleurs, ou,, à défaut, une
contribution de quarante cochons, menaçant de fu¬
siller ses prisonniers le lendemain matin, si on n’ac¬
cédait pas à ces conditions. Au point du jour, les
cochons étaient sur la plage, car les voleurs n’avaient
garde de se montrer. L’Anglais Wilson servit d’iiir
terprète pour recevoir, des prisonniers qu’on venait
de rendre à leurs concitoyens , l’âssurance qu’ils
feraient tous leurs efforts pour arrêter toute dépré¬
dation à l’avenir.
Cependant, (avec les mœurs guerrières et tracasces peuples, la paix générale établie daïis
l’île ne pouvait être de longue duréé; Une querelle
survint entre deux tribus ; dans la rixe, un homme
fut tué. Persuadé que le système de paix pouvait
seul donner quelque sécurité à son établissement, le
sières de
lieutenant Gamble
se
rendit
sur
les lieux, se posa
86
ILES
MAUOUISES
l’afFaire. Ne voulant pas
plus pousser les choses trop loin à l’égard des
voleurs de cochons, qui n’osaient plus reparaître,
depuis que l’un d’eux avait été tué par un des étages
rendus prisonniers dans cette affaire ; Gamble fit pro¬
clamer qu’il leur pardonnerait s’ils bâtissaient une
étable pour ces animaux. Cette offre fut acceptée
avec un joyeux empressement ; en deux jours la ca¬
en
médiateur et arrangea
non
bane était achevée.
'
approvisionnements fournis par les naturels
plus en plus rares. On ne pouvait les
obtenir qu’en les échangeant contre des'dents de ca¬
chalot, objets d’une grande valeur chez ce peuple. Il
Les
devinrent de^
fallut aller
en
chercher dans les îles voisines. Le Sir
remplir cette mis¬
Après néuf jours d’absence, il revint, le 16 fé¬
vrier, avec trente cochons, un grand nombre de
fruits recueillis sur Ta.ouata et Hiva-oa, plus une
douzaine de poules. Ces ressources ne devaient
pas durer longtemps-, et le jardin ne donnait pas en¬
core des résultats suffisants.
Cependant, le -19, on
put y recueillir un premier plat delaitue ; plus tard,
il produisit des navets et des concombres.
L’indiscipliné prenait un caractère dé plus en plus
alarmant, l’état de la petite colonie n’était pas ras¬
surant. Les factionnaires s’endormaient
pendant
leur garde ; des femines étaient introduites à bord,
malgré les défenses les plus expresses ; ces transgres¬
sions devenaient très-graves; les naturels ne
pouvaient
manquer de connaître, à la fin, la faiblesse des Araé-
Andrew Hammond fut destiné, à
sion.
ou
87
NOUKA-HIVA.
ricains, faiblesse accrue par plusieurs malades at¬
teints de diarrhées et d’enflures monstrueuses des
membres, maladies qui cédèrent toutefois aux pre¬
qu’on employa.
miers remèdes
Isaac
Çoflîn ayaut
^
déserté de
nouveau,
le lieute¬
Gamble, guidé par une jeune fille, le fit saisir
dans une case, à deux milles dans l’intérieur, puis
il le fit frapper publiquement de plusieurs coups de
corde, ce qui n’empêcha pas le même individu , de
déserter une troisième fois, en compagnie de trois
autres marins qu’il avait
débauchés. Avec çes
éléments de dissolution, l’avenir se montrait sous
de sombres couleurs ; un matin , il y eut une
chaude alarme; deux ou trois cents sauvages,en¬
tourèrent le camp; on crut à une attaque, tandis
que cette troupe n’avait d’autre intention que celle
de porter à l’établissement un grand nombre de
fruits à pain et de bananes. Depuis le départ de l’Essex, on n’avait pas reçu de si abondantes provisions.
La seule explication qu’on put avoir de cette dé¬
marche, c’est que Wilson avait fait circuler le bruit
que les Américains allaient partir et que Porter ne
reviendrait plus.
Bientôt apres, un autre incident prouva qu’une
nant
machination s’ourdissait dans l’ombre.
Depuis quel¬
avait remarqué que les naturels
plus à la pêche. On apprit, lorsqu’on
s’informa de la cause de ce changement dans leurs
habitudes, qu’une vieille femme avait effrayé les pê¬
cheurs, en leur affirmant que les Américains allaient
que temps,
n’allaient
on
ÎLES MARQUISES
88
partir, et qu’ils les emmèneraient avec eux en les
mettant aux
fers.
faisait despré¬
paratifs depuis plusieurs semaines, allait aussi avoir
lieu.Une foule d’indigènes arrivaient de tousles points
de l’île ; une grande pirogue munie d’une voile
de vingt-éinq pieds de hauteur, amena de HouaHouna un grand nombre de conviés. Sachant que,
pendant cette fête solennelle nommée Koika, un
Unè grande-réunion, pour laquelle on
tabou inviolable
défendait toute attaque, Gamble
permit à ses.hommes d’y assister. Il y prit part luimême et il n’eüt pas à se repentir de sa confiance.
Mais le moment de la catastrophe approchait à
grands pas 5 le vol d’une embarcation précéda la
révolte ouverte de l’équipage du Seringapatnam,
composé en grande partie d’Anglais faits prisonniers
de guerre par les Américains.
Le lieutenant et les.deux midshipmen spusses or¬
dres, furent saisis et garrottés, pendant que le pavillon
britannique s’élevait sur l’arrière du bâtiment, salué
par trois hourras. Une portion des mutins descendit
à terre pour ericlouer les canons de la batterie^ l’autre
portion s’occupa de s’emparer des approvisionnements
des deux autres navires. Vers huit heures,
lehâtiment
après,
mita la voile et sortit de la baie. Un instant
des
gardiens du lieutenant Gamble lui déchargea
son pistolet dans le pied ; aussitôt
plusieurs fusils s’abaissèrent sur la poitrine de cetotficier, dallait être sacrifié sans les cris de l’homme qui
l’avait blessé. A neuf heures, on le jeta lui et ses
un
involontairement
ou
89
NOUKA>HIVA.
compagnons, quatre en tout, dans un canot, avec
deux fusils et un petit baril de cartouches. Souffrant
blessure, affaibli par la perte de
son sang, il
s’ocpuper de gouverner une embarcation
bas d’eau. Après deux heures d’efforts, il
de
sa
dut
encore
coulant
eut le
bonheur d’atteindre lé Greenwich, à bord
duquel venaient aussi d’arriver les deux mar¬
chands de bois de sandal, stationnés dans la baie.
Ceux ci confirmèrent les soupçons que le lieute¬
nant avait conçus depuis longtemps, en lui affirmant
-
Wilson était le principal instigateur de la ré¬
Déjà cet Anglais, à la tête des indigènes,
avait commencé le pillage de rétablissement formé
que
volte.
à terre.
Tout
'
récjuipage
il restait
-
ne
encore, une
s’était
pas
joint
aux
révoltés,
douzaine d’hommes fidèles à
ils furent employés aux préparatifs du
départ, car il était iihpossible de songer à rester plus
longtemps dans ces lieux. Incapable de qui ttèr le bord,
Gamble envoya les deux midshipmen à terre pour
mettre en sûreté les principaux objets contenus dans
l’établissement; ils avaient déjà fait un voyage, lors¬
qu’un des trafiquants américains, Burdenelle, vint
annoncer qne Wilson était rentré dans sa case, et
que les indigènes avaient assuré ne vouloir le défen¬
dre en aucuue façon'. Le désir de punir cet homme
de ses méfaits s’empara des Américains : le midshipman Feltus, accompagné de deux hommes,
courut en toute hâte pour le saisir, mais il arriva
trop tard; Wilson s’était déjà enfui. Se confiant
leur devoir -,
ÎLES MARQ,ÜISES
90
l’apparente-neutralité des sauvages, ce même
midshipraan revint • prendre un surcroît de forces
pour aller détruire la case de Wilson, et aussi pour,
reprendre les effets qui avaient,été volés la veille.
Malgré la répugnance de Gamble à les jaisser partir,
dans
hommes accompagnèrent Feltus, lorsqu’il quitta le bord à onze heures et demie.
Ils n’avaient en tout que trois fusils. Gamble leur
recommanda d’être prudents, et de ne pas s’exposer
à une attaque des naturels ; car il commençait à com
naître le véritable caractère de ces sauvages, et il avait
acquis une triste expérience dans les événements de
Burdenelle et quatre
.
la veille.
appréhensions étaient
bien fondées : à
apparut sur la barre, en¬
touré par une foule de sauvages. On saisit à la hâte
un
paquet de cartouches avec une mèche allumée, et
Ses
midi et
demi,
un canot
l’on
rendit
sur
se
trop
le Sir. Andrew Hammond, mouillé
plus près du rivage; dans ce,mouvement préci¬
pité, on fut obligé d’abandonner un malade impo¬
tent sur
mond,
l’autre navire. A bord du Sir Andrew Ham¬
on
aperçut distinctement les sauvages pillant
le canot ‘dont ils avaient
pris possession ; on chargea
qui n’avaient pas été encloués par les sé¬
ditieux, et on fit feu. Au second coup, on distingua
deux hommes du détachement commandé par Feltus,
jetant leurs armes en signe de détresse sur la plage;
un moment après, ils
nageaient de toutes leur forces
vers ,1e bâtiment. Leurs
compagnons valides couru¬
les
canons
rent
immédiatement à leur aide dans
une
embar-
91
NOUKA*HIVA.
ou
pleine d’eau, laissant le lieutenant
Gamble seul à bord.
\
Cet officier, en proie à une fièvre ardente, souf¬
frant de sa blessure, eut cependant assez de for¬
ces
pour sauter sur un pied d’un canon à l’autre
et y mettre le feu afin de protéger cette ^tentative de
sauvetage. Il tira avec assez de justesse pour écarter
les pirogues qui venaient attaquer le canot; grâce
a ce secours, la vie de cette
poignée d’Aniéricains
fut épargnée : les effets de l’artillerie .mirent seuls
un obstacle au massacre
général projeté par les an¬
cation à moitiô
,
ciens amis des Blancs.
Les deux, hommes sauvés
apportèrent la fatale
nouvelle du meurtre de leurs compagnons ; tous
deux avaient échappé miraculeusement à la
,
qui les menaçait, l’un d’eux même était
grièvement blessé d’un coup de pierre à la tête. Cette
déplorable catastrophe réduisait l’équipage à huit
liomines tout compris,
parmi lesquels on comptait
({uatre blessés. Il n’y avait pas de temps à perdre
pour quitter le port, car déjà Wilson, à la tête d’une
troupe nombreuse,, cherchait à remettre eu état
mort
les
canons
encloués de la batterie de terre.
quatre heures, le feu fut mis au Greenïvich, he
appareilla, tant bien que mal,
mais il fallut couper son câble, l’ancre étant trop
A
Sir Andrew Hammond
lourde pour
les forces de l’équipage. La seule
barcation du bord
ainsi que
se
brisa aussi
en
em¬
la hissant. C’est
les Américains, fuyant sur un navire dés¬
emparé, faisant de l’eau, sans ancres et sans embar-
îles
92
MARQUISES
cations, quittèrent une rade où leur pavillon flottait
naguère triomphant, tandis que les lueurs de
l’incendie du Greenwich, guidaient leur route et
donnaient à
nie
avec
ce
leurs
tableau
une
teinte sinistre
en
harmo¬
pensées.
le dernier ; en arrivant aux
Sandwich, le Sir xXndrew Hammond fut pris par la
corvette anglaise le Cheruh : en inontant sur le pont
le lieutenant Gamble apprit encore la capture dés
Ce malheur
ne
fut pas
îles
navires de Porter par
triste fin de l’expédition
les Anglais. — Telle fut la
américaine, et dè son éta¬
blissement à Nouka-Hiva.
La
traite des fourrures
sur
la côte nord-ouest
d’Amérique, signalée par Lapérouse, avait conduit
quelques navires de commerce aux îles Marquises;
le commerce du bois de sandal, l’industrie des ba¬
leiniers en amenèrent d’autres encore. Malgré les
gueiTes incessantes qui, de 4790 à '4815, préoccu¬
pèrent l’Europe entière, dèg l’année 4810, l’Améri¬
cain Rogers, après avoir reconnu la présence du
bois de sandal sur l’île Nouka-Hiva, à l’odeur agréable
de la fumée d’un feu allumé par les sauvages, parvint
à se procurer plus de deux cent soixante tonneaux de
ce bois
précieux qu’il alla porter sur les marchés
de Chine. Sa cargaison entière lui avait à peine coûté
mille piastres en objets de peu de valeur distribués
aux sauvages, ses fournisseurs ; il la revendit à raison
de vingt piastres le pikle et s’assura un bénéfice
énorme. Bientôt il eut des imitateurs ; les navires eu¬
ropéens fréquentèrent annuellement le groupe des
ou
NOUICA-tUVA.
93
Marquises. De nombreux déserteurs, préférant une
vie aventureuse aux règles des sociétés civilisées, se
répandirent dans ces îles et vécurent comme les habi¬
tants. Dès lors les sauvages, accoutumés à vivre avec
des hommes blancs, s’habituèrent à voir leurs vais¬
seaux fréquenter leurs rivages. Leur mœurs durent se
modifier devant ce contact de la civilisation. Toutefois,
ils conservèrent plus que jamais une salutaire crainte
des armes européennes et de leurs terribles elfets.
En effet, peu d’événements sinistres marquèrent le
passage aux îles Marquises des navires marchands qui
s’y succédèrent et qui, du reste, n’ont laissé que
peu de documents sur leurs voyages aventureux.
Le capitaine Roquefeuille, commandant le Bordelais
de Bordeaux, dans un séjour de deux mois qu’il fit
pendant l’année 18f8,auxîlesNouka-Hivaet Hiva-Oa,
nous a laissé quelques données intéressantes sur le
commerce du bois de sandal qui se faisait alors sur
ces îles. Il y rencontra le navire américain la Res¬
source, commandé par le capitaine Sowles de NewYork, et qui, comme le Bordelais, cherchait un char¬
gement pour les marchés chinois.
Déjà, à cette époque, les naturels ne voulaient plus
recevoir, en échange du bois précieux qu’ils récol¬
taient sur leurs îles, que de la poudre et des fusils,
marchandise dangereuse qui devait, à la longuq,
mettre de terribles armes entre les mains des sau¬
frein que celui
ajoute-t-il qu’il eut
vages, qui ne connaissaient d’autre
de la peur. Aussi Iloquefeuillè
constamment à se
garantir des nombreuses embù-
94
ILES
MARQUISES
naturels, jusqu’au moment où , ses opé¬
terminées, il put mettre
à la voile et abandonner ces terres dangereuses.
Jusqu’en 1825, les documents relatifs à cet arclii^
pel sont de peu d’intérêt ; les navires marchands con¬
tinuèrent à fréquentèr Ces parages, mais ne recueil¬
lirent dans de courtes relâches aucun fait digne d’at¬
tention. Divers navires de guerre mouillèrent encore
sur les rades de
l’Archipel. Parmi ceux-ci, nous de¬
vons citer le brick américain le
Dolfin, commandé par
le lieutenant Paulding.
Le 7 janvier 1825, le missionnaire Crook, dont on
a vu déjà les périls et le dévouement,
quitta Taïti, sur
le Lynx, capitaine Sihrill, pour renouveler ses tenta¬
tives sur l’esprit des indigènes. Il emmenait avee lui
quatre Taïtiens, espèces d’avant-coureurs qui, plus
au fait des habitudes et du
langage des peuples de
l’Océanie, facilitent leur conversion et préparent
ches des
rations commerciales étant
l’arrivée des ministres
évangéliques.
février, M. Crook atterrit sur l’îleFatou-Hiva;
il eut plusieurs entrevues avec les-indigènes, mais
il les trouva mal disposés. Le 27 il
atteignit la baie
Yaitahou, où il avait séjourné un an en 1799,
et, trouvant plus de facilités, il y laissa ses quatre
acolytes, connus sous le nom de Teactiers. Deux se
fixèrent à Hanatetena, sur la côte est de l’île,
et un autre resta dans la baie Yaitahou. Le 4
avril,
M. Crook ayant trouvé une occasion
favorable, quitta
l’île et retourna à Taïti sur le navire Sara-Ann,
capi¬
Le 21
,
taine
Philips.
ou
Les
espérances de
déçues
95
NOUivA-inVA.
ce
missionnaire, furent
encore
bout de deux mois, les teacbers
ne voyanl aucune chance de succès retournèrent à
Taïti. Toutefois, le projet de fonder une mission
fois
une
: au
abandonné, et le 23 oc¬
1827, les teachers
Haamaino Mareore
Faaroaou et Teahou partirent de reclief sur la
Minerve, navire commandé par le capitaine Sibrill,
beau-fils de M. Henry, un des missionnaires de
ces
sur
îles
ne
fut pas
tobre
,
,
Taïti.
'
'
,
•
Mais, cette fois, les teachers avaient emmené leurs
avec eux, dans l’espéraiicé d’acquérir plus
familles
d’influence. Les deux
premiers débarquèrent
encore
Taouata, et fixèrent leur résidence auprès du
chef Yotete, le meme qui a depuis accueilli les
missionnaires français. Les deux, autres teachers
à
Nouka-Hiva
lorsqu’ayant ap¬
pris que deux Européens, venaient d’être assas¬
sinés dans cette île, ils préférèrent s’arrêter au¬
près d’un chef nommé Teato, sur l’île Houa-Poou.
s’acheminaient
Ce
vers
chef bienveillant différait
,
de
ses
subordonnés
qu’il n’était orné d’aucun tatouage; avant
départ de la Minerve, il avait déjà donné aux tea¬
en ce
le
chers
et à
leurs familles
une
maison et
un
terrain
grand. Ces dispositions favorables ne furent
cependant pas de longue durée : les teachers de
Taouata furent obligés de-quitter l’île au moment om
les habitants allaient les sacrifier à leurs idoles, et
ceux de Houa-Poou,
quoique bien traités par le chef,
demandèrent aussi à retournerà Taïti, à cause du peu
assez
96
ILKS
MARQUISES
de succès de leur mission et
pulation leur occasionnait.
des enduis que la po¬
Toutefois, et nonobstant les essais infructueux
qui
anglais de Taïti
n’avaient pas perdu de vue l’arcliipél Nouka-Hiva ;
dans une assemblée générale, en considération, sans
doute, de l’âge avancé de M. Crook, ils avaient désigné
MM. Pritchard et Simpson pour aller s’établir dans
a\aient
eu
lieu, les missionnaires
avait-il, dans cette désignation,
à M. Pritchard, dont le carac¬
tère â'été mis au jour dans la narration du voyage
de la Vénus. Quoi qu’il en soit, au commencement de
1829, ces deux messieurs trouvèrent une occasion
favorable de visiter leur nouveau poste, mais l’as¬
pect des lieux ne leur sourit pas. Ils n’y virent pas
de chances favorables pour l’établissement d’une
ces
un
îles. Peut-être y
motif particulier
mission, et revinrent promptement
position première à Taïti.
Dans la même
année,
un
ricain des îles Sandwich,
de la marine militaire des
reprendre leur
alicien missionnaire amé¬
devenu depuis chapelain
États-Unis, vint étudier
et les mœurs des habitants. Le 26 juillet
1829, la corvette des États-Unis, le Vincennes, sur
le pays
laquelle il était embarqué, vit apparaître l’île HouaHouna, la plus est du groupe nord. En contournant
la-pointe sud-ouest dans la même journée, on aperçut
soudain, sur un morne escarpé, des groupes de na¬
turels accourus pour voir passer le navire. On distin¬
guait leurs corps nus , on les voyait agiter des étoffes
blanches et leurs manteaux au bout de leurs lances.
ou
iVOtjtCA-lIlVA.
97
.enlcndait leurs cris sauvages. La voilure, du
Vîncenhes était trop considérable
pour pouvoir
arrêter subitement la vitesse de son
sillage, mais
on
tandis que
les sauvages suivaient sur une crête oppo¬
progression du navire, la ‘musique s’assemblasur le
pont et répondit par des airs américains aux
cris du rivage. Au moment où les sons harmonieux
parvinrent à la foule éparse sur les rochers dont, on
s’était beaucoup approché, on. vit tous ces honuifes
saisis d’étonnement se coucher à terre,
pour ne rien
perdre de cëtte mélodie inconnue ; sans douter ils se
croyaient sous l’empire d’un charnïe, éii éprouvant
une sensation suave
qu’ils Ignoraient ertcore:
La nuit, une nuit calme et pure, couvrait la terre
de ses ombres, la musiquô.Vaffaiblissait de
plus en
plus parla distance; maisun put voir, tant que dura
le jour, les groupes de ces
sauvages rester immobiles
sur les rochers, comme s’ils étaient absorbés dans
sée la
une
silencieuse admiration.
de la nature
abrupte des monts boisés et
rivages verdoyants, l’aspect de ces sauvages nus
comme leurs rochers et jetant au vent leurs clameurs
confuses, leurs gestes hardis, formaient un singulier
contraste avec ce navire
splendide, le plus beau
chef-d’œuvre de l’industrie humaine, passant ma¬
jestueusement sur, une mer aplanie, et produisant
La
vue
des
une
douce harmonie.. D’un
dans toute
cote
se
trouvait riiomme
dégradation primitive, de l’autre on le
voyait au plus haut degré de l’intelligence et de la
puissance.
sa
7
V-
ÎLES MARQUISES
98
^Le lendemain, 7e Fincennes'mouilla dans là baie'
Taïoliae, en face dû camp de. Porter, mais on en
chcrclia eh vain les yestiges : toute trace avait dis¬
paru, aucun
cet
indice n’indiquait reraplacèment
établissement temporaire.
.
■
do
Bientôt, aü milieu des nojtiibreiiàes pirogues ac¬
de toutes lés parties de la baie, arriva celle
des chefs. Moàha, jeune èhfaht de huit àris, auquel
courues
revenait par
droit d’hérédité lé titré de chef principal
Haape^ son tuteur, espece de ïégent
pendant le temps de sa minorité, etPaïrorp ouPaiou,
chef'des Happàs, tintent recueillir les Cadeatix des
Américains; ils reconnurent le pavillon, et nom¬
mèrent le Yincennes bâtiment dé Porter. Moâna
de là vallée,
était un enfant d’un
aspect charmant; Haape
portait
l’expresèion d’un caractère doüx et bienveillant sur
sa figuré ridée par l'âgé, tandis c[ué Pâïroro avait
une apparence de dignité et de forcé, jusliüée par les
admirables proportions de son corps noir dé tâtoüage.
Le capitaine Finch avait fait comprendrë à ces
chefs qüe le navire serait taâôù, toutes les fois qù’üh
pavillon blanc ne serait pas hisse en tête du mât.
Cette restriction les étonna un peu, surtout loi’squ’aii Coücher du soleil le pavillôh fut amené èt
tout le monde- congédié sans excéption. « C’est un
bâtiment extrdorAïnaîrè, y> dirent-ils en S’en allant, car
ils avaient été habitués à recevoir une hospitalité
beaucoup plus libre à bord dé presque tous les au¬
tres
navires.
Le
lendemain, le capitaine Finch, M. SleMrt,
NOUKA-lilVÂ.
ou
quelques ofTiders clésfceiidirent ;à
Ô9
terre^ pour aller
dliiîcielle aux chefs de la baie. Un
Anglais, norilhié Méfrisson, établi dans ces îles de¬
puis nombre d’années^ en qualité de trafiquant de
bois de' sàndàl, lèur servit d’interprètej et les
guida ■irefs la demeuré d’flàapëj- qi^i habitait atee
Moana ; bette case se trouvait située sur le sommet
d’uriè petite éoHinej eue était paffaitemërit'visible
du mouillagej qu’elle dominait.
Apt-ês avoir reçii tin accueil d’autant plus cordial
qü’ils apportaient des cadeaux, ces messieurs allè¬
rent sè promener dans les alentours. Au sortir de
la maison de Moanà, on leur montra tiri hommè de
petite taille, mais de formes athlétiqües ; on le dé¬
signa comrtïe le Ton guerrier lé plus vaillant de la
tribu. Ses traits avaient,* en effet, une expression duré
et féroce. Contre l’habitude du
pays, sa tête était
recouverte de toUs ses cheveux ; leur
épaisse fri¬
sure était, sans douté, calculée
pour ajouter à la
terreur du regard;; cet homihe,
qui était peut-être le
fameux Moùina de Porter, tenait à la main une
lance. Sur la demande des Américains; il leur
donna la " représentation d’un. eomb’at simulé. Il
montra tant d’agitation dàns ses mouvements, varia
tellement ses poses menaçantes,- ses grimaces et ses
contorsions, il poussa- de tels hurlements, qu’à la
fin on aurait pu croire que l’action' était réelle, ét
que, d’un moment à Tàutre, sa lance redoutable
irait percer qUelqué spectateur.
Après avoir visité la place pavée, qui, dans chaque
Ot
rendre
une
dsite
,
ilfES MAJilQtjiSEâ
■lOO
village, est destinée aux
assemblées du peuplé dans
chapelain Stewart se fit
grandes solennités, le
les
conduire dans une case à
moitié ruinée qui conte¬
naguère des idoles et divers objets du culte.
édifice avait été la suite d’une
guerre récente avec les Happas ; ces derniers avaient
nait
ruine de cet
La
été victorieux,
leurs guerriers avaient saccagé et
pillé toute la vallée, et, depuis lors, on
songé à remplacer les images sacrées qui
enlevées; Haapé et toute sa
n’avait pas
avaient été
tribu étaient soumises à
espèce dewasselage envers leui’s vainqueurs. Le
Païroro, semblait avoir été préposé par
les siens pour surveiller et recevoir les impôts de la
une
chef happa,
vallée soumise.
Américains avait fait naître l’espé¬
qu’ils prêteraient leur appui aux anciens
L’arrivée des
rance
guerre avec les Taïpis.
course faite dans une vallée voisine,
et ses nombreux compagnons furent ac¬
alliés de Porter, encore en
Dans
une
M. Stewart
compagnés par les cris de joie des guerriers taïs, qui
les regardaient comme des auxiliaires : ils bondis¬
saient sur le passage de la troupe, brandissaient
leurs armes et prenaient des attitudes menaçantes en
jetant des .regards de défi vers les montagnes de
leurs ennemis, et en criant : «. Taipi, te mate i te
Taipi ! les Taïpis, mort aux Taïpis ! »
Dans cette, promenade , qui avait pour but d’as¬
sister à une fête
cement
chez les Happas, on revit l’empla¬
.porté le canon de Porter. Les
où avait été
précipices qui avoisinent ce
point, rendent ce
ou
401
NOUKA-HIVA,
incroyable; c’est à peine si les officiers
atteindre eux-mêmes cette crête
escarpée, d’où la vue embrasse un vaste horizon et
fait presque
du FinceHîzes purent
les sinuosités de la côte et des vallées, pendant que
les fraîches brises des vents alisés modifient agréa¬
température si chaude de ces contrées.
du Yincennes n’avait d’autre but que ce¬
lui d’engager les chefs à empêcher la désertion des
matelots des baleiniers américains, désertion qui
laissait quelquefois ces bâtiments sans équipage.
Cependant, ayant appris qu’en 1814, à la suite de
l’assujétion des Taïpis, Eeatanoui, chef des Taïs,
avait été considéré coinme le chef dé l’îlé entière, et
qu’à sa mort, son fils, père du jeune Moana avait
conservé le titre de grand chef, le capitaine Finch
voulut tenter de s’interposer entre les tribus bel¬
ligérantes et de ramener l’ùnion parmi elles,
en faisant reconnaître le jeune Moana comme chef
principal de l’île. Cette tâche paraissait d’autant
plus facile, que toutes les tribus reconnaissaient la
suprématie de Moana, surtout celle des Taïpis-,
blement la
Le voyage
d’où était issue
nes se
son
aïeule. Dans
ce
but, le Yincen¬
rendit, au commencement du mois d'août, dans
la baie de Homi.
Les
Taïpis,
en voyant
arriver
ce
navire, furent
plus grande, que déjà
de fausses nouvelles de guerre avaient été répandues
chez eux par les Happas. Ils crurent qu’on venait
les attaquer, et ils s’occupaient des moyens de dé¬
fense, lorsqu’ils reconnurent qu’on n’avait à leur
saisis d’une crainte d’autant
ÎLES MARQUISES
d02
égard auciine inteption hostile. ï^a haie, déserte èk
lorsque l’assurance
de la paix fut donnée;.,les armes furent déposées
pour faire place aux démonstrations les plus ami¬
cales. La coniîance des Taïpis devipt si grande,
que plusieurs d’entre ,eu?j demandèrent à passer la
l’arrivée, se remplit de nmpde
nuità bord.
L’origine dé la guerre, entre les tribws provenait
ces enlèvements de'victimes humaines, fré¬
quents dans l’histoire des habitants : trois hommes,
trois.femmes et un.enfarit'des Taïs, surpris dans leur
sommeil, avaient été faits prisonniers par une bande
de Taïpis et avaient été offerts en sacrifice aux mânes
d’un chef renommé, mort depuis peü. Çette atrocité
avait amené des repr^ailles, et dès lors les hostilités
d’un de
n’avaient
pas-cessi^.
.
fnreiit tenues à bord du
le capitaine Finch eut la satisfaction de
Diyei’ses conférences
cennes,
voir
et
un
résultat favorable couronner ses efforts
conciliateurs. Moana fut considéré comme chef su¬
périeur de l’île, et la réconciliation des tribus fut
opérée.
La conduite des Taïpis continua à être amicale
pendant le temps que le Vincennes passa au mouil¬
lage, M. Stewart put se promener en sécurité dans
toutes leurs vallées; cependant il eut le soip de.se
faire escorter par un
dé^aphement dans presque
toutes ses courses. Au moment
de partir,
des vols
nombreux, tentés souvent ouvertement, furent les
adieux adressés par
les indigènes
aux
Américains,.
ou
NOUK/y-HIVA.
403
disparaissaient comme par enchante¬
les poignards des midschipmen eurent -.aussi
Les mouchoirs
ment,
à. souffrir du contact des mains tatouées. Toute
été dissipée, Içs pènchants sauvages
reparaissaient. Après la peur, la convoitise.
crainte ayant
M. Stewart s’élève
avec
raison contre la
déplora¬
ble insouciance des navires dii commerce, qui four¬
bissent aux sauvages des fusils et de la poudre pour
en obtenir des vivres. Ce çonimèrce
imprudent pro¬
chaque guerrier des moyens de destruction
plus sûrs, plus prompts, et les ineurti’és se multi¬
plient parmi les naturels; souvent aussi, ces armes
tournent au détriment de ceux
qui les ont mises aux
mains des sauvages. Les embarcations des bâtiments
ont été
plus d’une fois exposées à recevoir des coups
de fusil tirés par dès ennemis embusqués dans les
cure
à
broussailles.
doit
l’avouer, la conduite des Euro¬
péens amène souvent des représailles. D’après un
grand nombre de renseignements pris sur les lieux,
il paraît certain
que plusieurs capitaines baleiniers se
sontemparés des naturels qui, trop confiants, venaient
à bord de leurs navires et qu’ensüite ils les ont em¬
menés de vive force pour suppléer aux bras
qui leur
manquaient. Quelquefois, après avoir choisi les plus
robustes de leurs prisonniers, ils forçaient les aütres à se jeter à la mer, à
quinze ou vingt milles de
la côte; étrangé cruauté,
qui surpasse celle dès sau¬
vages qui tuent, mais qui ne font pas souffrir une
longue agonie à leurs viçtimès. La plupart des insuMais
on
,
ÎLES MARQUISES
loi
laires soumis à cette presse
illégale, mouraient àu
proie aux maladies occa¬
le changement des climats , et peut-être
mauvais traitements.
M. Stewart, dans une de ses incursions, visita une
famille privée d’un de ses membres enlevé par un
bout de
quelque temps,
sionnées par
aussi par les
en
du missionnaire, un
sentiment de douleur se peignit sur toutes les physio¬
nomies, dés pleurs coulèrent pendant qu’on lui ra¬
contait le cruel événement qui privait un chef de
son unique fils. On lui montra une corde sur la¬
bâtiment américain. A la vue
quelle on avait fait des nœuds, à chaque nouvelle
depuis le passage du navire ravisseur ;
il y avait déjà cinq nœuds marqués.
Pendant le séjour du Yincennes, non-seulement
aucune arme, aucune parcelle de poudre ne fut dé¬
livrée mais le capitaine Finch offrit au bâtiment
français, la Duchesse de Berrj, capitaine Moité, qui,
lune survenue
,
en se
rendant du Callao à Manille, faisait une courte
île, de l’aider de tout son pou¬
transactions, s’il voulait suivre son
relâche dans cette
voir dans
ses
exemple. Le capitaine français s’empressa d’obtem¬
pérer à cette demande.
En quittant le port de Homi, le Yincennes, soulevé
par de fortes lames, faillit se briser sur les rochers
de l’entrée. Au moment du danger, les chefs taïs
montrèrent une grande consternation. Un d’eux
prenant le prince Moana dans ses bras comme pour
le sauver, s’écria.; Mate, mateoaKepahinouimanawa-,
mort, mort va être le grand navire de guerre. Heureu-
ou
NOUKA-HIVA.
105
bouffée de venl arrâcha la corvette au
danger, et délivra les passagers de leur frayeijr d’être
dévorés par les Taïpis.
Quelques heures furent encore consacrées aux
adieux des Taïs, puis le 13 août 1829, le capir
taine Finch quitta son ami et son protégé, le
jeune chef Moana, pour se diriger vers les îles
stement, une
Sandwich.
stérile
résultats, du capitaine Waldegrave, commandant
le navire anglais le Seringapatnam, qui visita cet afchipel en 1830, ainsi que le départ de Portsmoulh,
( lé 21 octobre 1831) de MM. Stallworthy et Rodgerson, missionnaires, envoyés par la Société de
Londres, malgré les nouvelles du peu de succès des
tentatives précédentes. En 1835, l’ile Nôuka-Hiva fut
encore visitée par un Français, le baron Thierry, qui
se
proclama roi de l’île, ;ef qui , pour toute mar¬
que de sa royauté passagère, laissa entre les mains
d’un jeune sauvage, Vavanouha, la singulière pièce
suivante, recueillie ensuite par le capitaine Jacquinot, lors du passage des corvettes l'Astrolabe et la
C’est ici le lieu de riientionner le passage,
en
,
Zélée.
«
»
»
»
»
»
»
Nous, Cliarles, baron de Thierry, chef soûve-
Nouvelle-Zélande, roi de l’île NoultaHiva, certifions avec plaisir que Vavanouha, chef
de Portua, est l’ami des Européens, et qu’il s’est
toujours conduit, à notre égard, avec décence et
bienveillance. En conséquence de quoi, nous le
recommandons aux bons soins de tous les navigarain de la
îî^ps
i06
«
tgups,
»
rité.
»
»
marquises
qui peuvent demeurer jci
cq toute
gécu-
'
Donné à PortrCharles
Hiva, le 23 j uillet 4835,
»
Charles
,
(Anna-Maria), îlp Noukabaron de Thierry
j>
Eu.
»
Per le
,
roj,
Fergus, colonel, aide-dercamp.
»
! ajoute M, Jacquinot.
Majesté le bqron Thierry avait fait, dans le cours
de son règne, une courte
açparitipn à .Mouka-Hiva,
sans dçute pour percevoir quelques tributs de co¬
chons et .autres rafraîchissements, à l’aide d’objets
Sa
Heùrenx roi ! heureux sujets
d’échange.
La frégate la ye/ms, commandée par M. DupetitThouars, alors.çapitaine de vaisseau, et les corvettes
l’Astrolabe et /a Zé/ee,. .SQUSles ordres de M. d’ürville,
élevé, depuis au grade de eontre-îamiral , firent en¬
suite nue apparition presque simultanée dans les
eaux de cet archipel,
Le ^ août 4838, la frégate/a Vénus, pilotée par
deux Anglais, Collins et Robinson, établis depuis
longtemps sur l’île Taoupta, atteignit d’abord la
baie à! Jmanoa, située au.nerd de celle à^ Vaitahou.
Le. chef d’Amanoa arriva sur-le-champ à bord,
accompagné de deux autres chefs et d’un enfant,
son fils, qu’il offrit de laisser en otage.
Ce chef, nommé Yotété, était d’une taille colossleet d’un embonpoint non moins remarquable; la
,
,
407
QU rjOUÎfA-mVA,
coillour de
sa
peau
disparaissait
sous une
teinte
noire, produite par pn tatouage compliqué, tandis
que sa
figure, ouverte et pleine de,bonté, inspirait
aivait peine à croire, en le voyant,
la cpnfiancer On
horanae était un chef tbanthropophages.
Dupetit-Thouars nyait reçu à bord de frégpte
que çet
M.
.
deux missionnaires français, qu^il devait
déposer
dans ces îles ; ces deux inessipurs purent eptrer de
suite en communication avec leurs futures ouailles,
auprès, desquelles se trouvait encore M, Stallworlliy,
un des missionnaires
anglais partis d’Angleterre éti
1834. Le second, M. Rodgerson, avait été forcé
d’abandonner son troupeau après trois années d’inu¬
tiles efforts; les difïicultés dé la position de ce dérnier
étaient considérablement augipentées par la présence
de sa femme qui l’avait accompagné. Il eut
beaucoup à
souffrir du caractère guerrier des habitants, de leur
pencjiant au vol, et de leurs moeurs trop licencieuses.
étaient dérobés pour
faire des cartouches;
de meubles qu’il possédait, Içs vêteinents de
sa femme,
chaque objet qui pouyait tenter la cupi¬
dité. des naturels, étaient enlevés peu à
jîeu, d’abord
avec adresse, puis avec violence. Une
fois, la rtiai-son de ce missionnaire fut incendiée ;
pour obtenir
Ses livres
le peu
des
vivres, il fallait aller chercher des fruits à
dans les vallées voisines, car il ne
pain
pouvait pas en
acquérir dans la baie même. Une fois surtout, ceS
privations furent d’autant plus pénibles que madame
Rodgerson était sur le point d’accôucher." Son mari
put à peine obtenir pour elle, dans cet état ma-
îles marquises
408
ladif, une nourriture grossière qu’on lui
partout; l’èloignenient des indigènes pour
refusait
les mis¬
ceux-ci, cependant, n’é¬
prouvèrent aucun mauvais traitement, mais souvent
des troupes de jeunes gens vinrent les insulter et
même les menacer. Il paraît aussi que plusieurs
fois la présence d’une Européenne fit naître des
débats désagréables. Les Chefs, accoutumés à une
sionnaires était extrême ;
liberté
Chez
excessive
les
femmes, trouvaient
les Européens ne suivissent
à cet égard, les habitudes générales dans
fort extraordinaire que
pas,
nie.
fin, M. Stalhvorthy, qui n’était pas marié, en¬
gagea son confrère à s’éloigner, et resta seul en butte
aux railleries des Nauka-Hiviens. « Donnez-moi de
A la
poudre, disaient-ils, et je vous écouterai ; que
»
la
B
me
»
raissèz désirer
reviendrà-t^il d’entendre
me
»
donnez-moi de la
»
vous
écouterai
vos
leçons ? Vous pa-
faire des discours; eh
bien,
poudre ; j’irai me battre, et je
après,
b
Au moment où Yotété quitta
la frégate française,
de canon. C’était, sans
doute, la première fois qu’un pareil honneur lui
était rendu ; il exprirna le désir de voir les canons
faire feu, tandis qu’un des chefs qui le suivaient sol¬
licitait, à son tour, de mettre le feu aux pièces. Dans
la nuit du 4 au 5, de violentes rafales, venant des
montagnes, firent chasser la frégate. Le lendemain,
on changea ce mouillage pour celui de Vaïtahou,
où le môme temps fit éprouver encore le même acon
le salua de quatre coups
ou NoUkA-HlVA.
cident ; une ancre fut cassée, et ce ne fut que
109
le 7
l’ancrage fut enfin définitif.
peine/aVe'Hws eut-elle attcintsa nouvelle relâche,
que déjà Yotété arrivait à bord. Convive exact, il ve¬
nait, aux heures des repas, prendre place à la table
du capitaine dont il savait apprécier la bonne chère.
Le salut qu’on lui avait fait avait tellement flatté sa
vanité, qu’il demanda qu’on le répétât, afin que tout
Vaïtaliou fût aussi témoin des honneurs qu’on ren¬
dait à son rang; on se prêta volontiers à son désir,
et 23our l’accomplir entièrement, on
y ajouta quel¬
ques fusées et quelques chandelles romaines. La
femme de Yotété vint aussi rendre visite à la frégate,
et parcourut ses batteries en entier ; toutefois, ce ne
furentpas les curieux emménagements d’un navire de
guerre qui arrêtèrent ses regards. Le four fixa jdus
2)articulièrement son attention ; on en retirait juste¬
ment, la ration du pain de l’équipage; elle
témoigna
le désir d’y goûter, et ellè fut promptement satis¬
faite. Elle se retira ensuite, en emportant un pain
entier, ce qui était pour elle une rare friandise.
Selon l’usage commun à toutes les îles de l’Océa¬
nie, Yotété avait changé dé nom avec M. DupètitThouars : par cette cérémonie, le chef sauvage
que
A
concédait
au
commandant
français non-seulement
politiques, mais il lui abandonnait en
conjugaux ; il faut ajouter qu’on
n’abusa jjas de tant de générosité.
Le chef et sa femme avaient fait toilette complète
pour cette visite d’étiquette : un manteau rouge
tous
ses
droits
outre tous ses
droits
liO
ILKS MARQUISES
constituait le costume de cérémonie du
premier ;
quant à la seconde, elle avait relevé soigneusement
Ses cliéveux sous une enveloppe d’étoffe de mûrier,
et avait revêtu une robe européenne qu elle avait
cadeau des missionnaires' français. M. D.upelit-Thoüars sé rendit à soq tour dans la demeure
reçue en
de l’auguste
famille; les catleaux qu’il apportait àvee
l’èrhpresseméht lé plus natu¬
rel. La femtne du chef né fut pas. oubliée : ün ri¬
deau rouge sérvit à la rëtidre heureuse au possible.
Les bonnes dispositions montrées par Yolété, éngagèrént MM. bevatiX et Borgella, passagers de la
Vènüs, à fixer leur résidence près de lui. Cette offre
fut accueillie avec béaucoùp d’empressement; cè
chef offrit ünè partie dé sa dèineure pour les loger ,
eh attendant qu ils ehssent un abri à eux; il leur
donna aussi un terrain assez grand pour y bâtir leur
futüré maison ét pour y faire iin jardin.
Le 9 août, la Yénuè appareilla, laissant derrière
elle dé nombreux souvenirs parmi les habitants qiii
voyaient avèc peine' le départ dé ces jeunes marins,
prodigués de verroterie et d’àutrés objets dé la même
impoftahce. Yotété vit arriver l’heure fatale de la
séparation avec émotion ; conviAh éxact dü comman¬
dant il perdait à la fois On généreux ami et des re¬
pas dont il avait reconnu le mérité. Il ne put s’empêchér de verser‘ d’abondantes larmes... Quél a dû
lui furent
reçus avec
’•
,
être son ravissement en retrotivant
deux bonheurs
tour.
dernièrement les
qü’îl croyait avoir pérdiis
sans re¬
dû
Éiï
444
moürà-iuVa.
quittant ifrt Fë'wMS, il ëmjporta ün pâ\il]oh qu’il
avait demandé ; il en connaissait
l’emplDi et voulait
aussi atboref sSs cduleUtS ; il dvait cliUisMé damier
rOUgC ët
ëline
blanc/après aVoié
autre batiorl n’avait
été au-dessous de sa
reçu
adopté
rassilVanéë qü’àü-
ces
ëoideUrs : il eût
dignité de cbnitnettre une USürpâtioii de ce genre. À Un chef aussi puissant il fal¬
lait 11116 enseigne particuliôrë.
MM. Devaux et
Borgella éprouvèrent un sèri'emént
voyàht le paVillon national fuir à
fhorizon ; un bâtiment est ëncore la patrie. Seuls
désormais ait miHèu d’uiie peuplade de cannibales
dont ils ne connaissaient pas lé langage, ils
ignoraient
lé sort qUi leur était, réservé; ils avaient beséin dë
toutieur courage pour surmonter léà- regrets d’une
pâreilie séparation.
de cèeUr réel èh
La baie de
Taio-hae devint le théâtre d’unè Scène
digne des anciens navigateurs, lorsque, le 26 août
soir, l'Astrôlabé et la Zélée y laissèrent tomber
l’anére. A peiné les voiles furent-elles serrées,
qu’un
nombre considérable de pirogues se détachèrent de
divers points de la baie ; des bahdes dé jeunes fem¬
ait
mes,
au
la tête ornée de fleurs
ou
de
feuilles, portant
vinrent a là
bout d’un bâton leurs vêtements,
nage entourer les corvettes. ToUte cétte foule pous¬
longs éclats de rire et de grands cris de joie.
sait dé
C’était bien là
spectacle extraordinaire. Qu’on
figure trois ou quatre cénts sauvages prenant
leurs ébats, en poussant des cris àsSOUrdîSsants.
Tous à f’envi, en nageâint avec grâcedéployaiën'li
se
un
ÎLES MARQUlSEy
agilité et la souplesse de leurs membres ; la mer
écumait, en quelque sorte, sous les efforts de
tant de bras. A chaque instant, d’interminables cris,
Ouoh, ouoli, ouoh, empêcliaient presque le comman¬
dement de l’oflicier de quart de se faire entendre.
leur
calme
Pour éviter
troupe
l’envahissement du navire.par une
aussi nombreuse, qui aurait immanquable¬
la manœuvre, les fdets d’abordage, vaste
enveloppe le .contour d’un navire^ oppo¬
ment gêné
réseau qui
sèrent leur barrière infranchissable à
d’un ennemi de nouvelle
Bientôt les navires
se
l’iutroduction
espèce.
trouvèrent entourés d’une
les baigneurs, qui
le^ moindres saillies des corvettes.
Les factionnaires ne pouvaient suffire à contenir tant
de jeunes femmes perchées sur les rebords étroits
des bastingages, ou négligemment appuyées sur la
flexible muraille qui les excluait si brutalement.
Toutes imploraient du geste et de la voix une hospi¬
talité plus complète., et plus d’une tenta de violer la
consigne des sentipelles. Pendant plusieurs heures,
elles attendirent patiemment qu’on permît leur
introduction, témoignant parfois leur mécontente¬
ment par des murmures ; mais, le plus souvent, elles
tâchaient de charmer les étrangers par des chants
sans art, mais prononcés avec ensemble; le lende¬
main la scène changea d’aspept : réunies le soir sur
le rivage,, ces femmes entonnèrent un chant mena¬
çant, bien différent de celui de la veille, en l’accom¬
pagnant de gestes animés.. Elles s’étaient présentées
ceinture vivante,
avaient envahi
formée par
ou
NOUKA-HIVA.
113
embarcations des corvettes pour se rendre à
bord; mais on avait refusé de les recevoir^ et, .dans
aux
leur
fureur, elles lançaient,
cations
sans
doute, des impré¬
nombre contre le commandant
auteur du tabou prohibitif.
sans
Au milieu de cette
agitation bruyante
français,
on
,
pouvait
aussi remarquer un peu de défiance et
d’inquié¬
tude; bien souvent le mot Moana avait été pro¬
noncé par les sauvages, sans
qu’on pût en com¬
prendre le sens.- Hutchinson, Anglais successeur
des Roberts, dçs Cabri et autres aventuriers
errants
dans ces îles, vint donner le mot de
l’énigme :
Moana est le
du
jeune chef mentionné par le
chapelain Stewart. Avec l’âge, il avait justifié les es¬
pérances de ce missionnaire ; non-seulement il s’était
converti, mais encore il avait voulu engager son
peuple à embrasser le christianisme. Mais l’aversion
des Noukahiviens pour les missionnaires était bien
prononcée
nom
Laissez-nous comme nous sommes,
répondaient-ils aux exhortations de leur chef ; les
missionnaires ne peuvent-ils pas demeurer parmi
nous sans détruire nos
usages ? Les Happas et les
Taïpis ne nous attaqueraient-ils pas, s’ils nous
voyaient abandonner nos coutumes ? » L’opposi¬
tion fut si manifeste, au dire
d’Hutchinson, que le
pauvre Moana, ayant à opter entre son peuple et ses
croyances, préféra aller vivre près des missionnaires
des îles de l’Océanie :
Rarotouga fut, dit-on, le lieu
«
.
»
»
»
»
»
de
refuge qu’il choisit.
partir cependant ,11 avait menacé-haute-
Avant de
ÎLES MAUQUISES
114
sujets endurcis de revenir un jour, à
ment ses
la tête
plusieurs navires de guerre, pour les contrain¬
la force à se convertir. Cet adieu n’avait pas
beaucoup effrayé la population ; mais, en voyant deux
navires de guerre entrer à la fois dans la baie, on se
souvint des promesses de Moana; aussi les naturels
demandaient-ils si leur ex-roi était à bord; Cette
question d’abord incomprise resta sans réponse, et
de
dre par
ces
pauvres sauvages ne
qu’ils eurent la
sur
parurent rassurés que lors¬
conviction que Moana n’était point
les corvettes.
Vavcti-Noui et
avaient
pouvoir de Moana en son absence; Patini, cette fille de Keatanoui, qui avait tant séduit
Porter il y avait vingt-cinq ans , jouissait aussi d’une
grande influence^ en sa qualité de tante de Moana.
Les
chefs
succédé
,
au
quoique déjà,âgée, elle justifiait la
particulière que Porter avait faite de ses
attraits dans sa narration. C’est à cette beauté re¬
marquable, disaient les Anglais établis sur l’île, que
lesTaïs doivent-l’état de paix qui règne entre eux et
les Happas; cette histoiré est assez romanesque,
dii reste, pour qu’on puisse en douter, malgré l’as¬
Belle encore,
mention
sertion de
ces
colons indépendants.
chefdes Happas, ayant beaucoup entendu
Patini, prit un beau jour la ré¬
solution d’aller la voir. Par une huit obscure, il fran¬
Un jeune
vanter
la beauté de
mit son projet à exécution.
Bref, l’entrevue eut lieu, ils se plurent mutuelle¬
ment, et le chef des Happas devint un des époux
chit les montagnes et
ou
de Patini
NOUIÙV-IIIVA.
H5
à Nouka-Hiva, les mœurs sont tout à
de celles des Turcs, et les femmes ont
privilège d’ayoir plusieurs époux légitimes. Ainsi,
:
car,
fait l’opposé
le
la beauté de la fille de
Keatanoui, au rebours de
d’Hélène, a arrêté l’effusion du sang, au moins
pendant quelque temps.
Les Français trouvèrent à Nouka-Hiva un
grand
celle
d'Européens, la plupart Anglais, déserteurs
ou condamnés échappés des colonies
pénales de l’Australiej fixés parmi les sauvages;
nombre
deç bâtiments
leur existence était assurée
quelque sorte par
qu’ils avaient reçues
des chefs. La culture des patates
douces, des igna¬
mes et du Taro, suffisait non-seulement à
leur
nourriture,.mais leur permettait encore.,d’en appro¬
visionner les navires marchands
qui fréquentaient
ces
parages. D’après Hutchinson, une douzaine de
navires étaient venus relâcher dans ee
port depuis
le commencement de l’année ; il s’en trouvait en¬
en
les concessions de terrains
deux
la
rade, toüs deux baleiniers et américâinsi Les navires de guerre paraissaient
plus ra¬
core
sur
rement; lè dernier avait passé en 1835, c’était/e
Vincennesy qui était revenu voir les lieux qu’il avait
déjà visités en 1829.
L’expédition après avoir accompli d’intéressants
travaux, partit à son tour, mais le pavillon français
ne devait
pas tarder à reparaître dans les mêmes
lieux qu’il devait ensuite abriter
pour toujours.
Le brick le Pylade^ commandé
par M. Bernard,
,
vient clore la liste des bâtiments dont les
voyages
ÎLES MARQUISES
116
quelques détails intéressants. Ce brick ar¬
le 29 avril 1810, et, dès l’abord,
il reconnut que le cbefYotété n’avait plus pour les
missionnaires français la bienveillance qu’il avait
manifestée pendant la présence de la Vénus. Flottant
entre les missionnaires anglais et français, son rôle
offrent
riva à Taouata
paraissait se borner à recevoir leurs cadeaux sans sc
soucier le moins du monde du but de leurs religieux
efforts; Yotété ne croyait plus à la loi du Tabou,
mais il n’en voulait suivre aucune autre; de sorte
que la vallée de Vaïtabou continùait, comme par le
passé, à présenter le spectacle d’un peuple peu dis¬
posé à changer ses incéurs èt ses croyances ; Maheono
jeune chefde la vallée considérable d’Hanatété, située
dans l’est de
l’île Taouata, parut en
disposé en faveur du nouveau
revanche mieux
culte. La vallée de
paraissait aussi dans les mêmes dispositions;
avait établi Sa demeure; mais en consul¬
tant les Annales de la foi, publiées par l’association
des missions J, on voit que le résultat des effort,s des
missionnaires sont à peu près nuis encore ; on citait
en 1841, trente-cinq baptêmes dans tout l’archipel.
Le 2 mai, l’équipage du Pylade descendit à terre
pour célébrer la Saint-Philippe. La première pierre
de l’établissement des missions fut posée, il reçut te
nom de la reine Amélie de France. Un Te Deum fut
chanté ; l’autel placé dans les bois donnait à cette cé-*
rémonie un çaehet particulier ; le bruissement des
feuilles,' le bruit sourd d’une cascade, le fracas des
lames déferlant au rivage, les détonations de l’artil-
Poussy
M. Caret y
ou
117
NOUKA-IIIVA.
lerie du
PyUide^ se joignirent aux chants religieux.
qui n’avait jamais encore assisté à pareille fête
était tojut éperdu; il s’écria que lui et son peuple
Yotété
mouraient d’admiration.
La fin de cette cérémonie fut surtout de
goût;
bord, il retrouva les mets savou¬
reux qu’il connaissait
déjà, et qu’il n’avait pas goûtés
son
convié à dîner à
depuis longtemps.
Le ‘Pylade, n’ayant pas aperçu de
mouillage sûr,
communiqua sous voiles avec les missionnaires de
Houapoou. Le chef de l’île, nommé Heato, .avait
non-seulement bien accueilli les missionnaires, mais
encore, il les avait.nourris et logés. Une maison ve¬
nait d’être açhevée, sur le plan qu’ils avaient donné,
et le commandant du Pylade leur acquit, moyennant
six livres de poudre, cinquante-six toises carrées
de terrain autour de leur demeure.
Le 5
mai, le Pylade atteignit le mouillage de la
baie Taiohae ; il reçut immédiatement à bord la
visite des prêtres français établis sur cètte île, qui
le chef, Moana, était de" retour
pérégrinations lointaines. Il était , en, effet,
revenu prendre possession de son titre de chef, qu’il
avait abandonné pour aller se réfugier près des mis¬
sionnaires anglais, à Karotahga, et de là èn Angle¬
annoncèrent que
de
ses
terre.
Malgré les dispositions de Moana à imiter TameaMea, le chef redouté des îles Sandwich, les indigènes
n’avaient pas changé d’habitudes. L’enceinte de la
maison des missionnaires était constamment violée,
îles
marquises
effets mis au pillage. Pour réprimer ces abus,
le commandant Bernard fut s’eriibosser à (leux en¬
cablures de la case de Moana, et exigea de ce chef
la restitution des objets volés. On accorda la nuit
aux chefs pour délibérer, et le lendemain Tétat-
ét leurs
major alla chercher la réponse, alors on vit descendre
armés des montagnes environnantes. Le
son des conques de guerre, le bruit des tambours, les
explosions d’armes à leu retentissaient de toutes parts.
On eut bientôt la Certitude qu'un guet-à-pens avait été
projeté pour enlevér les officiers et les garder en ota¬
ge dans l’intérieur ; mais les dernières disp-ositions
de ce complot n’avaient pas été prises, et l’étatmajor put retourner à bord sans obstacles. On ac¬
corda jusqu’à cinq heures du soir pour se soumettre
àux injonctions qui avaient été faites, et pendant ce
temps, la mer fut déclarée tabou, ajin d’empêcher
lés habitants
Taïpis qui devaient venir,
par mer, pour faire irruption dans la vallée. A
quatre heures et demies Moana viht à bord faire
la restitution exigée, et le 4 mai, les Taïpis ar¬
rivèrent paisiblement au nombre de trois cents,
portés par dix grandes pirogues. Un même dîner
réunit à bord du Pylade les chefs de ces tribus
différentes ; dans cette réunion,, une paix géné¬
ï’arrivée de quatre cents
rale fut cimentée entre toutes les
tribus. Des
exer¬
qui excitèrent, à bord et à
cris prolongés d’âdmiration, célébrèrent,
en
quelque sorte, cette journée solennelle; Le
grand prêtre dès Taïpis ne put s’empêcher de dire,
cices à feu et des fusées
terre, dès
ou
dans l’état de
119
NOUK\-HtVA.
profond étonnement, où il se -trouvait,
que lès étrangers étaient .de§ hommes, tandis que
les'Noukahiviens n’étaient que des rats et des souris
auprès d’eux.
Le chef .Maheatété, de la tribu des Taïoas, accom¬
pagna le brick jusqu’à l’entrée de la baie 'Akani,
qui fait partie de-ses domaines ; il fit alors ses adieux
au
Pylade, qui retourna à Vaïtahou où il retrouva
tout
en
bon- ordre,.
Rapport qui contient les détails de la prise de
possession, au nom cleJa France, de ces terres si
peu connues naguère, vient clore le résumé de leur
histoire, telle qu’on la trouve dans le récit des vdyageurs. Nous croyons devoir le reproduire textuelle¬
ment
car ce document signale le commencement
d’une nouvelle ère pour l’archipel Noükahiva, et
Le
,
doit former la base de
Rapport adressé
par
son
histoire future.
le contre amiral du PetitrTliouars
colonies, sur la
navigation de la frégate là Reine-Blanche, après' son
départ de Valparaiso, et sur la prise de possession de
à
M, le ministre de la marine et des
l’at'clüpel des îles Marquises.
Baie de
«
En
partant de
,
Taîohae, frégate la Reine-Blanche, le 18 juin 1842.
Valparaiso, pressés d’arriver
aux
gouvernâmes directement sur l’île
Fatou-Hiva (la Madeleine), la plus méridionale dut
groupe sud-est de cet archipel. Nous arrivâmes en vtte
Marquises,
nous
ÎLES MARQUISES
120
le 26 avril; le 27, nous en visitâmes toute
quelques relations
avec les indigènes. Cette île qui contient, assuret-on de quinze à dix-huit cents habitants, n’offre
qu’un mouillage en pleine côte, toujours dangereux
et fréquenté seulement par les baleiniers que le be¬
soin de provisions force à y relàcher.-Le
au ma¬
tin, nous étions sur la côte occidentale de l’île Taouata(la Christine ), où nous fûmes contrariés .par
dès calmes qui se prolongèrent assez avant dans la
de cette ile,
la côte occidentale et nous eûmes
,
journée; ce ne fut qu’à trois heures que nous attei¬
gnîmes le mouillage de la baie de Vaïtahou.
A peine étions-nous à l’ancre sur cette rade, que
nous reçûmes la visite de M. François de Paule, su¬
périeur de la mission établie en cette île ; mais ce ne
fut que le lendemain que le roi Yotété vint à hordjj
accompagné du révérend supérieur de la mission ,
qui voulut bien nous servir d’interprète. Le roi pa¬
rut enchanté de mç revoir, et me dit qu’il serait
venu à bord la veille, dès que la frégate avait été
aperçue,-s’il n’avait pas craint que nous fussions
Américains. Il m’apprit alors qu’il y avait environ
quatremois qu’une baleinière, appartenant à un bâti¬
ment de pêche des États-Unis, ayant perdu son bâti¬
*
ment en
chassant
une
baleine, était venue, après
plusieurs jours de mer et de souffrances, étant sans
vivres, relâcher à l’île Fatou-Hiva, où elle avait été
accueillie à coups de fusil, et où elle avait perdu un
homme par suite de cette attaque imprévue. Repous¬
sés de l’île Fatou-Hiva, ces marins avaient repris le
ou
NOUKA-HIVA.
121
large et étaient arrivés à l’île Taouata, où le roi ne
beaucoup mieux reçus ; car il les, avait
dépouillés de leurs.vôtements, et leur avait même en¬
les avait pas
levé leur baleînièi’e.
Depuis cette époque, les marins américains ayant
s’embarquer sur un baleinier venu en relâ¬
che, protestèrent, avant leur départ, contre les actes
de piraterie dont ils avaient été les victirnes, et me¬
nacèrent Yotété de la vengeance de leur
gouverne¬
ment. Yotété, éclairé depuis par les missionnaires et
par les capitaines venus en relâche dans la baie de
Vaïtahou, conçut de vives inquiétudes sur les suites
que pouvait avoir pour lui cette mauvaise affaire, et
il était encore sous l’impression de ces alarmes lors¬
qu’il vint me voir. Il me piâa de le protéger et de
débarquer, lorsque je partirais, une partie de mbn
équipage et des canons de la frégate. Je lui répondis
que j’y consentirais, s’il voulait reconnaître la sou¬
veraineté de Sa Majesté Louis-Philippé et prendre le
pavillon français. Il accepta avec empressement ces
propositions i et nous convînmes que la déclafation
de prise de possession aurait lieu le 1®''
mai, jour de
la fête de. Sa Majesté
Louis-Philippe, et qu’aussitôt
le pavillon français serait arboré sur l’île Taouata.
n Toutes nos
dispositions furent promptement fai¬
tes, et le 1“ mai, à dix heures, je me rendis à terre,
accompagné de l’état-major général et d’une partie de
celui de la Reine-Blanche. Une garde de soixante
hommes nous avait précédés pour rendre les hon¬
neurs à nos couleurs
nationales, lorsque, après la
»
trouvé à
ÎLES MAnOÜISES
déclaration de
au nom
prise de possession que j’allais faire
présence du roi Yoteté, des princi¬
du roi en
d’indigènes, elles
fois, sur le
paux chefs et d’un grand concours
seraient déployées, pour la première
groupe
))
sud-est des îles Marquises.
Arrivé sur les lieux, je
fis ouvrir
un
ban, et ayant
pris la parole, au nom du roi, je déclarai la prise
de possession de l’île de Taouata et du groupe du
S.-E. des îles Marquises. Le pavillon fut hissé aussi¬
tôt; nous le saluâmes de trois cris : Yive le roi! vive
la France! qui furent suivis de trois décharges de
mousqueterie faites par la garde d’honneur et par
des fanfares exécutées par toute
gate la
la musique. La fré¬
Reine-Blanche, mouillée à petite distance du
rivage et entièrement pavoisée, prit également part
à cette cérémonie, en répondant à nos acclamations
par une salve de vingt et un coups de canon.
Les habitants, réunis,en grand nombre, mani¬
festaient également leur joie par des acclamations
bruyantes et répétées, et tous me demandèrent de
»
mettre des canons
suite chez le
à terre. Nous nous rendîmes en¬
roi, où l’acte de ^reconnaissance dé la
Louis-Philippe et «celui de la
souveraineté de S. M.
prise de posssession furent immédiatement signés.
» Le même
jour, nous fixâmes, avec le roi Yotété,
le lieu de la baie où notre établissement serait fondé,
et nous entreprîmes, sans perdre de temps, les tra¬
vaux nécessaires à la construction des logements et
magasins. De jour en jour, depuis cette époque, ces
travaux prirent une plus grande activité; les marins
NÔUKA-MiyA.
ou
423
evLSOjhs, à terre poür prendre
part à nos opérations d’établissertient, rivalisèrent
de là Reine-Blanche,
de zèle
les marinàdela 420°
compagnie destinés
garnison.
Le 22, la baraque destinée au logement: de la
garnison et celle des vivres, que j’avais fait construire
à bord, peridant notre traversée, en venant de Valparaiso, étaient achevées, ainsi que le four et un ma¬
gasin à poudre; l’établissement commença à s’admi¬
nistrer par lui-même.
Dans une course que j’ài faite, le 5 mai, à la
baie de Hanamanou, île Hivaoa .Qa Dominique), j’ai
avec
former la
>)
»
obtenu la reconnaissance de la souveraineté du roi
par les chefs principaux de l’île, qui nous ont de¬
mandé à prendre le pavillon français et à , recevoir
garnison, ce quej’ai promis d’accorder lorsqu’ils
auraient construit pour nous une case de vingt
mètres de long sur, huit mètres de large. Ayant
une
tracé cette case,
se
sont
faire à
les trois tribus qui occupent la baie
satis¬
imnaédiatement mises à l’œuvre pour
ma
demande.,
Tout semblait
prendre, à Vaïtahou
une tour¬
promettre ùn
prompt succès, lorsque, le 22, au moment où je me
»
nure
favorable à
nos
intérêts et
disposais à quitter la baie
nous
rendre à l’île
Nouka-Hiva, un homme qui passe pour être l’in¬
strument aveugle des volontés du roi menaça de
tuer, s’il ne quittait pas aussitôt la baie de Vaïtahou,
un
Espagnol que j’avais fait venir d’une baie située
au vent de l’île
pour nous servir d’interprète à l’êtade
pour me
ILES
124
MARQUISES
Instruit de ce fait par l’Espagnol luimême^ il me parut que cette menace avait été jaite
blissement.
voir jusqu’à quel, point nous
pouvoir.
pour
étendions notre
fait
venir l’homme coupable, je lui déclarai en présence
du roi Yotété que si, à l’avenir, il se permettait la
moindre insulte contre les hommes de l’établisse¬
ment, ou même contre ceux que je pourrais em¬
ployer, je le ferais embarquer, et qu’il ne reverrait
jamais son île. Il ne me parut pas très-effrayé de ma
menace, et deux jours après, il poursuivit un An¬
glais que j’avais fait venir de l’île de Hivaoa pour
faire de la chaux, et l’attaqua dans le jardin même
du supérieur de la mission, qui, étant survenu,
empêcha qu’il .ne fût tué. Cet événement se passait
au moment du coucher du soleil ; je n’en fus informé
qu’un peu tard; mais, dès le jour, je me rendis chez
le roi, que je ne trouvai plus
il était parti avec
toute sa fainille pour aller pleurer un mort, me
dit-on; mais, bientôt, j’appris qu’il s’était caché’dans
une baie voisine, ce qui me confirma dans l’opinion
où j’étais que ces insultes répétées avaient été provo¬
Je me
»
rendis aussitôt chez le roi, où ayant
quées par lui.
J’envOyai une embarcation à la recherche du’roi ;
»
elle revint
sans
l’avoir trouvé où on
était allé. Je fis venir alors son neveu,
assurait qu’il
jeune homme
qui parle bien l’anglais, et je l’engageai à aller dire
à Yotété que s’il ne paraissait pas, je ne le considé¬
rerais plus comme roi, et que je me ferais roi moi-
ou
NOUKA-HIVAr
125
place. Cet indigène alla en dfet à la re¬
qu’il trouva caché tout près dans
petite baie (FHanamiliai ,-située
sur la même rade. Le roi
cependant refusa de l’ac¬
compagner , et me fit dire qu’il ne consentirait à
revenir qu’autant que le révérend supérieur de la
mission irait lui-même l’y engager, ce qui eut lieu
aussitôt; M. François de Pau le ayant bien voulu
s’exposer à remplir cette mission, il nous ramena
lé roi', sa femme et son fils aîné. Le roi Yotété
confessa ses torts et dit qu’il s’était caché parce
qu’il avait eu peur. Je lui reprochai son manque de
confiance en moi, et lui dis que la faute d’un homme
tel que celui qui était coupable ne devait nullement
l’inquiéter, à moins qu’il n’eût agi par son ordre.
Je lui déclarai alors que j’exigeais qu’il me le
livrât et que je le garderais quelque temps à bord
pour le punir, mais qu’il ne lui serait fait aucun
mal ; j’annonçai ensuite au roi l’intention où j’étais
de garder son fils en otage jusqu’à ce qu’il eût rem¬
pli cette condition. Il parut alors trés-afiligé de ma
résolution, mais il se rendit à terre avec l’intention
apparente de me- satisfaire.-Nous devions appareiller
le même jour, je retardai notre départ pour lui
donner le temps d’envoyer le nommé Panaau, ce
qu’au bout de deux jours il n’avait pas encore fait.
Alors, pressé par le temps, craignant que quelquesuns des bâtiments de ma division ne fussent
déjà ar¬
rivés à la baie de Taiohae (îleNouka-Hiva), j’appareil¬
lai pour venir ici, emmenant comme
otage le jeune
même à
sa
cherche de Yotété,
le ravin boisé de la
»
ÎLES MARQUISES
126
TimaOj fiis^îné du roi. Il était essentiel
d’avoir cette garantie, le nommé Panaau
ti’ès-raauvais sujet,
commettre toute
»
Je ne me
éprouver
pour
moi
étant un
très-dangereux, et capable de
espèce de crimes.
suis point éloigné
de Vaïtahou sans
quelques regrets d’ètre obligé de
partir si
promptement; cependant je laissais M. le capitaine de
corvette Halley dans un poste suffisamment fortifié
contre un coup de main, avec des hommes bien ar¬
més et capables de battre à eux seuls tous les habitants
de Taouata. Cette île qui, encore en 1838, contenait
de onze à douze cents habitants, n’en a pas aujour¬
d’hui plus de sept à huit cents en tout ; il y a cette
c’est qu’en 1838, il n’existait
que très-peu d’armes à feu sur cette île, tandis qu’aujourd’hui il n’y a pas un indigène qui ne possède au
moins deux ou trois fusils. Il n’y a pointa craindre
avec ces habitants une attaque de plein jour ni à
force ouverte, mais on peut redouter un assassinat
par surprise, où le feu, si une surveillance active
n’empêche pas une tentative de ce genre de réussir.
En partant de Yaïtahou, nous emmenâmes avec
nous le révéreriid père supérieur de la mission, qui,
depuis plus de quatre mois, était sans nouvelles des
différence
pourtant,
»
missionnaires de Nouka-Hiva et de Houapoou, qu’il
savait d’ailleurs très-exposés aux brutalités des indigè¬
nes
deces deux îles;
il désirait vivement savoir ce qu’ils
d’un autre côté, j’étais con¬
étaient devenus; et,
vaincu, par l’influence morale qu’ont déjà acquise
nos missionnaires parmi les naturels, que la présence
ou
NOUKA-HIVA.
127
de M. François de Paule à bord de la
frégate ne
pouvait qu’être favorable au succès de la, mission que
j’avais à remplir; et en elfel je ne me trompais pas,
comme
vant
verra
suivre.
vont
»
le
Nous
Votre Excellence
par
les détails qui
allâmes, en premier lieu, nous présenter de¬
Hakahaou, où demeure le roi de Houa-
la baie de
j’expédiai un canot à terre et j’appris, à son
retour, que M. Caret et les missionnaires qui étaient
avec lui sur cette île, avaient été forcés
de s’embar¬
poou;
,
il
avait à
près trois mois, et qu’au mo¬
départ ils avaient été pillés.; enfin, que
ce n’était
qu’avec peine qu’ils avaient pu s’échapper
sains et saufs. Nous apprîmes encore
que leur mis¬
sion n’était cependant pas restée sans
succès, qu’ils
avaient fait dix ou douze
prosélytes que' leurs com¬
patriotes ne pouvaient arracher à la,fpi qu’ils avaient
embrassée, et que, parmi eux, se faisait surtout re¬
marquer une ancienne grande prêtresse.
Pressé de suivre ma mission, je ne
pus pour le
moment porter secours à nos
coreligionnaires, et j!ajournai ce projet à l’arrivée du premier bâtiment
qui nous rallierait.
» Le lendemain 31
mai ,'nous mouillâmes dans la
baie de Taïohae, où aucun des bâtiments
que j’atten¬
quer,
ment
y
de leur
peu
»
dais n’était
devenir à
encore
arrivé; Je fis aussitôt dire
au
roi
bord, et il arriva sans se faire attendre.
Après avoir causé quelques instants avec lui par l’in¬
termédiaire de M, François de Paule,
je lui proposai
de reconnaître la souveraineté du roi des
Français,
ÎLES MARQUISES
1528
garnison dans sa baie
consentait; de plus ^ je m’engageai, à forcer la
tribu de Taioas à faire la paix, et à lui rendre sa
femme qu’ils lui avaient enlevée par surprise. Le roi
s’empressa d’accéder à mes propositions ; il fut con¬
que j’enverrais le lendemain chercher les chefs
principaux de Taioas; que la paix se ferait à bord en
présence, et qu’aussitôt tous déclareraient en¬
semble par un acte -authentique la souveraineté de Sa
Majesté Louis-Philippe. Ayant en effet envoyé un ca¬
et
je lui promis de mettre une
s’il y
venu
ma
sous ma
médiation, ils se
tion, et arrivèrent à
1«''
venir faire la paix
rendirent à mon invita¬
inviter les chefs de Taioas à
not
juin.
bord de très-bonne heure le
principaux des deux baies ayant
paix, se donnèrent la main en si¬
gne de réeonciliation, et on rédigea aussitôt l’acte de
reconnaissance et de la souveraineté de Sa Majesté
Louis-Philippe, roi des Français, que tous sigrièrent
avec nous. Il fut ensuite convenu que la déclaration
de prisé de possession aurait lieu en grande céré¬
monie dès le lendemain, à onz'e heures du matin,
et que la pavillon serait aussitôt arboré sür le mont
Touhiva, situé au sud de la baie de Hakapéhi. Lé roi.
s’empressa alors de me céder en toute propriété pour
la France, par un acte authentique émané de sa
volonté, le mont Touhiva pour y faire un port, et
toute la baie pour y fonder les établissements qui
nous seraient utiles, et il me déinanda avec instance
que je lui fisse délivrer un pavillon, pour l’arborer
»
Tous les chefs
consenti à faire la
ou
sur sa
maison
NOUKA-HIVA.
au moment
429
même où
nos
tionales seraient déployées sur le mont
de la déclaration de
couleurs
na¬
Touhiva, lors
prise de possession,^ - ’
Le 2 juin, à dix
heures, je quittai la ReineBlanche, accompagné de l’état-major général et d’une
partie de celui de la frégate, et nous nous rendîmes
»
à terre,
où le roi vint se joindre à nous. Il était suivi
principaux de la haie, de ceux des Taioas
et de la trihu des
Happas. Arrivés sur le mont Touhiva, nous y fûmes reçus par M. le'
capitaine de
corvette Collet.
Ayant fait ouvrir un haù, je pronon¬
çai , au nom du roi, la déclaration de
prise de pos¬
des chefs
session de Nouka-Hiva et des îles du
groupe nord-ouest
qui en dépendent. L’acte authentique de la
prise de
possession fut dressé immédiatement après la céré¬
monie, et signé par tous les chefs.
Les
transactions-terminées ,^ les chefs des Taioas
prièrent de leur donner un pavillon pour açhorer
sur leur
baie, où ils demandèrent à être reconduits.
Je leur accordai un
pavillon, et je leur fis distribuer
quelques présents. Ils partirent ensuite très-satisfaits
de l’accueil qu’ils avaient
reçu, pour la baie d’Hakapéhi, où ils résident. En témoignage dé leur re¬
connaissance, ils m’envoyèrent, par le retour du
canot, des cochons en présent.
Dès le même jour, nos tentes
furent dressées
dans la baie d’Hakapéhi, au
pied du mont Touhiva,
où doit être
placé un fort dont j’ai ordonné la con¬
struction et auquel j’ai donné le nom
de Collet, en
commémoration du contre-amiral de ce
nom, père
»
me
»
,
9
ÎLES MARQUISES
130
fonder
capitaine de corvette Collet, destiné à le
commander, ainsi que le groupe du nordouest des îles Marquises.
La deuxième section de la 120“ compagnie fut
immédiatement débarquée pour ÿ tenir garnison.
du
à le
et
»
Les travaux
et
ne
d’établissement commencèrent aussitôt,
été continués avec une ai’deur qui
s’^est pas ralentie un instant.
L’équipage de la frégate/a Reine-Blanche envoie
depuis ils ont
»
ouvriers de chaque profession
et les corvées d’hommes nécessaires pour employer
le peu d’outils dont nous pouvons disposer pour hâter
chaque jour tous ses
roi Moana nous a
les travaux.
»'
Le
pressement
accueillis avec un em¬
remarquable ; il a changé de nom avec
espèce de contrat en usage parmi les
Po¬
lynésiens, qui fait de celui auquel on donne son
norii un autre soi-même. Nous lui avons fait présent
d’un uniforme rouge, d’une paire d’épaulettes de
colonel, de chemises, d’un pantalon. Il porte tous
vêtements avec aisance, et s’est montré trèsreconnaissant de nos bons procédés. Il nous a donné
échange douze arbres à pain magnifiques et six
cocotiers. Avec ces,matériaux, que nos charpentiers
sont occupés à mettre en œuvre, j’espère quebienlôt
pourrons disposer d’une baraque de vingt mètres
M.'
Collet ;
ces
en
nous
continuera à
les maté¬
fabriquent
trouvé
long sur sept ou huit de large; on
augmenter les constructions à mesure que
riaux nous arrivèrent; des indigènes nous
de la chaux, et le commandant Collet ayant
de
ou
NpUKA-HIVA.
131
prgile propre,à. faire ,des briqvies, j’ai
l’espé¬
fondée que nous;pourrons
.arriver à faille des
tuiles et des briques en
quantité suffisante pour les
une
rance
besoins de l’établissement. Le
-4, la corvette /a rnompliante est arrivée et a mouillé en rade, venant de
Valparaiso, et, en deimier lieu, des îles
où elle est allée
porter les présents de la
été accueillis
ont
enthousiasme
et
reconnais-:
le l'oi et toutes les populations de ce
groupe;
commandant et
l’état-major de la Triomiphanle ont
sance
le
avec
Gambier,
reine; ils
par
assisté à
l’inauguration de
la cathédrale des îles
Gambier; ils racontent des choses merveilleusés de
ces îles où, en
effet, il paraît que les efforts de nos
missionnaires
ont
complet.
»
vous
été couronné du succès le
Dès l’arrivée de la
Triomphante,
le sayeji. Monsieur le
Ministre,
qui,
plus
comme
përdu son
commandant, M. Baligot, dans sa traversée de Brest
à Rio-Janeiro,
j’ai nommé q 'ce commandement
a
M.
Postel, second de la Reine-Blanche, et
y ai emharqué M. Cellier de Starnor ;sur la frégate , où- il
commande la batterie, de la 460°
compagnie des
équipages, qui précédemment était commandée
par
M. Sevin, lieutenant de
vaisseau^ aujourd’hui devenu
second de la
M. Postel.
frégate
par suite du
débarquement
de
détachement d’artillerie arrivé sur la Triom¬
phante est dans la meilleure situation
possible et est
animé d’un très-bon
esprit; M. Rohr, qui le com¬
»
Le
mande,
montre
un
grand zèle pour
son service.
ÎLES MARQUISES
432
Confoi-mément à vos
»
instructions, j’ai divisé ce
composées chacune
de la moitié des canonniers d’artillerie de la marine
et de là moitié des ouvriers delà même arme ; la pre¬
mière section, commandée par M. Rohr, est placée
ici sous les ordres de M. Collet ; la deuxième est
partie sur la Triomphante pour se rendre à ceux de
détachement en
deux sections,
Halley, à Vaïtahou.
M.
Le
»
7, nous avons reçu
le navire le Jides-César, ex¬
pédié par M. le commandant Buglet, en vertu des
ordres que je lui avais laissés; il nous apporte huit
mois dè vivres pour le personnel des deux établisse¬
ments, ce qui me permet d’en assurer la subsistance
jusqu’au 1" janvier pi'ochain, et d’aligner jusqu’au
même jour les vivres des deux corvettes la Boussole
et l’Embuscade, qu’il est urgent de laisser ici au
moins jusqu’à ce que tous les logements et magasins
d’approvisionnement soient terminés.
Le 9, voulant consolider la paix entre le roi
Moana et les chefs des Taioas, qui, malgré le traité
conclu à bord de la Reine-Blanche, retenaient tou¬
jours la femme du roi, je m’embarquai un jour, ac¬
compagné de Moana et du révérend supérieur de
»
la
mission de l’île de
ïaouata, et nous
allâmes à la
d’Hakapéhi, ou ils résident. A notre arrivée,
aperçûmes le pavillon français qui flottait sur
la maison du vieux chef Mahéatité. Nous fûmes trèsbien accueillis, non-seulement des chefs qui déjà
avaient passé deux jours à bord de la frégate, mais
baie
nous
encore
de toute la
population; elle nous accom-
ou
133
NOUKA-IUVA.
pagna dans notre proinenade au milieu d’une ma¬
gnifique vallée d’une largeur variable de 3 à 3j4=
de mille environ, et d’une profondeur de cinq à six
milles
au
moins. Cette vallée est. encaissée entre
deux immenses montagnes à pic comme des murs,
de mille à douze cents mètres d’élévation. Le sol,
s’éloignant de la plage,
en
va en
s’élevant
par une
pente si insensible qu’il paraît presque uni ; au
lieu de la
mi¬
vallée, coule un ruisseau abondant, et de
chaque côté, jusqu’aux montagnes, le.terrain est cou¬
vert d’une forêt d’arbres a pain entremêlés de coco¬
tiers et de pandanus, de bananiers et de quelques
champs cultivés én patates douces et en tabaê.
De distance en distance, nous trouvions des cases
où on nous engageait à nous arrêter et où l’on nous
»
offrait des
Moana
cocos.
dans.une de
Nous trouvâmes enfin
ces cases; ûn nous
la reine
la fit connaî¬
l’engageai à nous accompagner à notre retour ;
le promit d’abord, mais un
indigène qui
auprès d’elle la fit se rétracter. Nous la quittâ¬
tre. Je
elle
me
était
mes
,
et nous continuâmes à nous enfoncer dans la
vallée, pour aller voir un vieux chef nommé Tournée,
qui, étant malade, n’avait pu venir au-devant de
nous. Nous
souffrant
le rencontrâmes dans
sa
case,
couché et
beaucoup d’un rhumatisme aigu. Nous n’é¬
depuis peu d’instants, lorsque la reine
vint nous y rejoindre ; jé lui fis de nouvelles instan¬
ces et lui donnai
quelques présents, mais tout fut
inutile, elle persista dans son refus. Nous retournâ¬
mes alors vers la plage, et nous nous arrêtâmes de
tions là que
134
ILES MARQUISES
à la case où nous
nouveau
l’avions rencontrée la
première fois. Elle y revint bientôt; mes instances
réitérées n’eurènt point un meilleur succès ; mais
M. François de Eaule, lui ayant parlé pendant quel¬
que temps, parvint à la décider à revenir avec son
mari; Moana s’approcha alors de sa femme à la¬
quelle il n’avait encore rien’dit' : dans cë moment,
toute
cri qui nous donna lieu
qu’elle's’opposait à leur réunion; c’était
populatipn lit
la
de penser
un
contraire. M. François nous
tout le
avaient voulu, par délicatesse,
avec sa
expliqua qu’ils
qu’on laissât le roi seul
femme, afin qu’il lui parlât en toute
liberté ;
peü d’instànts après, la reine se leva; elle fut suivie
par son mari, et tous deux, la femme marchant la
première dans le sentier, prirent lé chemin de la
plage. Dès cet instant, tous les ifidigènes se levèrent
ét smvirent, en jetant des cris d’approbation'et en
manifestant leur joie par mille démonstrations étran¬
ges :
c’était
une véritable
fête improvisée. Cetévéne-
dont le succès ést dû à notre révérend mission¬
naire, est en lui-ihême extrêmèment heureux, en
ce qu’il consolide la paix entre les Taibas et les
Tais, dont Moana est le roi ; déplus il aSsiire éga¬
lement la paix de toute l’île : car la princesse, Tàïpi
inent ,
par naissance,'est chez les Ta'ipis l’héritière dupo.ùvoir suprême, par l’adoption qu’elle a faite du fils du
chef de cette tribu. Sa réunion avec Moana assure
donc à
nous
ce
dernier la souveraineté entière de
umer ces
l’île et à
,
nécessaires pour accoüpeuplades à notre'do'raination., â notre ci-
la tranquillité et le temps
ou
vilisation et à
tout
135
NOUKA-HIVA.
nos mœurs,
dévoué.
ce
roi Moana nous étant
‘
Ces transactions
terminées,
nous
revînmes à la
baie de Taïohae, oît, lé lendemain, des
res vinrent de l’intérieur nous apporter
tribusenliiô-
des présents
en cochons et en cocos'. Ces manifestations sont, m’a
assuré M. François, les signes les plus certains de la
reconnaissance de notre souveraineté, d’où il suivrait
que nous sommes établis ici de la manière la plus
complète possible et la plus rassurante pour l’avenir
de notre colonie.
m’ayant amené un étalon et deux
juments pleines, j’ai cru devoir faire présent de l’é¬
talon au roi Moana', qui continue à se montrer
généreux et dévoué à nos intérêts; je suis convaincu
d’ailleurs que.ce titre, de propriété ne portera aucun
préjudice au projet que j’ai formé d’établir la race
»
Le Jules-César
également fait venir des
pleines, pour servir au transport
de l’eau des ruisseaux à nos camjps, service qui, sous
cette latitude, est beaucoup trop pëniblô pour nos
hommes, surtout à l’établissement de Vaïtahbu, qui
chevaline dans
ces
îles. J’ai
ânes et des ânesses
très-éloigné de la seule source
qui existe dans la baie, fâcheux inconvéniént qu*il
n’a pas été possible d’éviter.
Le il, la cornettelaTriomphante a mis à la voile
pour aller à Vaïtahou porter le détachement de ca*nonniers et d’ouvriers d’artillerie de marine, déstiné
à servir sous les ordres dé M. le commandant Halley.
Elle était également'chargée de lui faire un versement
malheureusement est
»
136
ILES
de deux mois de
MARQUISES
vivres, à cent hommes, et celui de
quelques animaux nécessaires à l’établissement, .pour
y commencer un
troupeau capable,
lorsqu’il sera
plus complet, de parer aux graves inconvénients qui
pourraient résulter de la perte d’un des bâtiments
chargés de vivres pour T approvisionnement de la
garnison.
En se rendant à Vaïtahou^ la Triomphante doit rarnener le révérend père François, dont le dévouement
nous a été si utile jusqu’à présent. Elle a encore
pour mission, d’après la demande de M. François,
d’essayer d’enlever.de L’île Houapoou les prosélytes
que le révérend père Caret n’a pu enlever avec lui en
s’en allant. Je n’ai pas cru devoir refuser de rendre
ce service à la mission. Le succès peut avoir d’impor¬
tants résultats pour son progrès, et par suite pour
notre établissement lui-mème. J’ai en conséquence
donné l’ordre au commandant Postèl de se présenter
devant la baie de Hakapoou, déjà visitée par nous, et
de tâcher d’embarquer les prosélytes.qui s’y trouvent,
pour les porter ensuite à Vaïtahoù, d’où je lui ai re¬
commandé de revenir du 20 au 25 au plus tard.
Le meilleur appui que l’on puisse donner à nos
établissements, et le seul necessaire, est de faire sé¬
journer sur rade des bâtiments de guerre ; il est même
urgent d’en maintenir constamment un à Vaïtahou,
et un second à Taïohaè, jusqu’à ce que nos établis¬
sements soient achevés et que nos mœurs aient com¬
mencé à faire.impressioji sur ces populations, ce qui,
je l’espère, ne peut être très-long, surtout ici ; le roi
»
»
ou
NOUKA-1H.VA.
montrant fort enclin à la
se
l’entretenir dans ces bonnes
137
civilisation, il suffira de
dispositions, chose facile
en lui faisant de
temps à autre des présents, surtout
de ceux qui peuvent favoriser son
penchant pour nos
goûts et nos mœurs, tels que des meubles pour orner
une petite maison à
l’eüropéenne qu’il vient de faire
bâtir, des vêtements pour lui et pour sa femme. Déjà
en colonel et
porte des souliers ; étant
resté à bord avec sa femme,
après le coucher du so¬
leil, pour assister à la représentation d’une petite
pièce que l’on jouait, il a vu des matelots habillés
en femmes, et aussitôt-il nous à
priés de faire faire
des robes semblables pour sà femme, ce
que nous
nous sommes
empressés de faire, convaincus quê cës
moyens sont les plus puissants sur eux pour nous les
attacher : en leur créant des besoins, nous nous ren¬
le roi est vêtu
dons nécessaires.
B
Je
suis, etc.
»
^
Le
.
>
.
-
contre-amiral commandant
s tation
navale d^ l’océan
.
»
en
chef la
Pacifique.
A. Dupetix-Thouars.
»
ILES
MARQUISES
CHAPITRE II.
Géographîeg
Description des lieux.
•
'
—
-
Statistique. — fevigation. — Climat. — Température.
—
Productions du sol.
L’archipel des îles Nouka-Hiyà, compris entre|les
§5' et les 10“ 30' de latitude méridionale, et les
141° et 143“ 6' de longitude à l’occident du méri¬
dien de Paris, s’étend dans la direction du nord-ouest
au sudrest, sur un espace dont la plus grande lon¬
•
7“
vingt-quinze milles
quarante-huit
gueur est d’environ, cent quatre
marins, et la plus grande largeur de
milles. 11 se divise en deux groupes.,
est
découvert par
ouest
celui du sud^
MendanaetCook, et celui du nord-
dont la connaissance est
Ingraham et .^Marchand.
due aux capitaines
aperçoit à une
vingtaine dé lieues de distance, présentent en gé¬
néral de hautes chaînes de montagnes, s’élevant de
mille à douze cents mètres au-dessus du niveau de la
mer et dirigées dans le sens de la plus grande lon¬
gueur des îles. De. la cime au rivage, un terrain ac¬
Vues de la
mer ces
îles qu’on
vives et nues
des sommets, des déclivités remarquables, des gor¬
ges profondes qui s’épanouissent en riantes vallées
en s’avançant vers la mer, et sur divers points de
cidenté étale alternativement les arêtes
ou
139
NOÜKA-HIVA.
plages blanches, presque toujours peuplées.
végétation, rare sur les hauteurs, grandit dans
les ravins, et déploie de riches massifs à mesure
qu’elle descend vers le littoral. Dans les plaines qui
entourent la hase des monts, près du sable du rivage,
des cocotiers, au tronc svelte et élancé, détachent
belles
La
leurs têtes
panachées au-dessus des arbres au feuil¬
lage plus sombre et plus touffu.
Après une longue traversée, l’oeil, charmé par la
nouveauté de la scène, erre des pirogues accourues
en foule à la côte
agreste,qui leur sert d’abri, de la
mer bleue aux collines
verdoyantes, et s’arrête enfin
aux saillies
anguleuses des'pics les plus élevés d’où
parfois descendent de belles cascades jetant leurs
eaux brillantes comrne une
écharpe sur les parois
des rochers perpendiculaires. Il distingue aussi des
édifices isolés, découpant sur le ciel leur forme quadrangulaire , et bientôt il reconnaît les fameuses for¬
tifications décrites par Porter, espèce de maisons de
refuge placées sur des points culminants. Ces édi¬
fices., conimé les manoirs de la féodalité dominent
,
,
surveillent les
alentours,- donnent asile et protec¬
indigènes dans leurs guerres.dévastatrices.
Douze îles, îlots, ou rochers, y compris un attolon de sable, composent la totalité de
l’archipel;
oinq sont contenus dans le-groupe du sud est. Ce
sont,, en allant, du sudaü nord, les îles Fatan-Hiva,
Taouaia, Motcoie, Hiva-oa, et le rocher Fetou-Hmkou.
Le groupe du nord-ouest
comprend les îles HouaPoou, Nou-Hiva 'm ISmka^Hiba, Houa‘Hmm,\^& roet
tion
aux
ÎLES MARQUISES
140
46S îles Hiaouel Fetôu-ou-Hou, et un
chers
appelé Ile de Corail.
vingt lieues séparent ces deux groupes j
dont l’aspect, la végétation et les productions sont
les mêmes. Habités par la même race d’hommes,
soumis aux mêmes mœurs et au même langage, ils
ne sauraient être séparés; la constitution des terres
et celle des autochtones en font un archipel unique
auquel les naturels donnent le nom de Nouka-Hiva
par extension.
Groupe du Sud-Est.
attblori de sable
Près de
ILE
'
'
FATOUrHIVA
'
■
OU FATOUHIVA.
'
.
•
'
'
>
première qui ait été.aperçue parMendana, fut nommée par lui Magdalena. C’est près de
la pointe sud-est qu’eut lieu la première entrevue des
espagnols avec environ quatre cents naturels , venus
dans soixante-fdix pirogues (1), entrevue qui fut
bientôt suivie, comme on l’a vu, d’une décharge de
coups de fusils. Le capitaine Brown, du Buttenuortli,
signale un rocher ayant l’apparence d’un navire, à
cinq lieues dans le nord-est de cette pointe, mais
aucun autre navigateur ne l’ayant mentionné, ce
point est plus que douteux, d’autant plus queM. Dupetil-Thouars l’a cherché avec soin sans pouvoir
le découvrir (2). Immédiatement à l’ouest de la
Cette île, la
(1 ) Figueroa hèchos-, etc.
(2][ Dupetit-Thouars, Voyage autour du monde, 1836 à
1839.
ou
NOUK/V-HIVA.
Ui
pointe sud-sud'Ouest ( Fenus) de cette île, pointe
très-remarquable par une haute rnontagne coupée
très à pic, se trouve une vallée
délicieuse, située au
fond d’une jolie-anse (anse de
Bon-Repos), devant laquèlle il y a un mouillage.
;
L’intérieur de cette vallée
,
et
lés bords de cette
sonttapissés de la. végétation la plus brillante,
et couverts d’une multitude de
éases, qui animent ce
anse
riant tableau.
.
Un
grand nombre de pirogues, apportèrent des
Vénus; couverts de tumeurs
scrofuleuses et d’ulcères ces hommes était
repous¬
sants. Plusieurs savaient
quelques mots d’anglais et
montraient des éertificats.des capitaines avec
lesquels
ils avaient été employés comme matelots sur
des ba¬
leiniers anglais ou américains. Ils
engageaient à aller
au
mouillage où ils assuraient qu’on trouverait de l’eau
en abondance. A deux ou trois
milles dans le nord,
se trouve une seconde anse aussi
jolie que la première
(anse dés Yierges-); elle est également très-peuplée,
à cn juger par le nombre des cases
aperçues dans cette
vallée ; cependant
aùcune.pirogue ne s’en détacha.
Aupune, rélation de voyage n’a encore signalé la
relâche d’aucun navire sur cette île
montueuse, haute,
d’après M. de Tessan, de onze cent vingt mètres
naturels à bord de la
,
au-dessus du niveau de la
La
(1).
évaluée par M. Dupetit3,000 âmes; mais, depuis, ce nombre
population
Thouars à 2 à
en est
(i) Carte des iles Marquises,
mer
ÎI.ES MARQUISES
442
a
été
réduit à Celui de 1,600
à 1,800 (4). Les* an¬
précitées paraissent n’offrir qu’un mouillage en
pleine côte toujours dangereux, et qui n’est fré¬
quenté que par les baleiniers à court de provisions
fraîches. La plus grande longueur de cette île est de
sept milles et demi du sud au nord; sa plus grande
largeur de l’est à' l’ouest de quatre milles, et son
côntour embrasse à peu près vingt milles de côte.
Le principal chef de cette île paraissait être, en
ses
1838, Teïaoo.
Gette
motaNe’,'
Mendana
Pedro, est
élevée de cinq cent vingt mètres au-
île, nommée par
tnontueuse,
dessus des'eaux(2),étsbn apparence est
stérile, quoi¬
qu’elle présente quelque végétation sur les hauteurs
et dans les ravines; elle est inhabitée, et ne paraît
offrir aucun abri pour les navires. À la pointe sud-
isolé et élevé, laissé entre la
petit canal praticable pour les embar¬
cations seules. A deux lieües de distancé de la
pointe sud, Marchand trouva un haut fond, sur
lequel la sonde rapporta douze brasses fond de
roche; il s’éloigna sur-lê-champ et en’s’avançant
dans le sud, les sondes devinrent irrégulières de
ix-huit brasses, même fond. A dix milles
sud-est, un gros rocher
terre et
lui
un
(1) Rapport du contre-amiral Dupélit-Thouars an
1842.
(2) De Tessan, Carte des Marquises , 1842.
dé la marine, 18 juin
Ministre
ou
NOUKAtHIVA.
143
distance, la sonde rapporta vingt brasses
après dépassa trente brasses. Cetté île sertj
environ de
et peu
comme
Fetou-^'Houkoü
,
bandes de
de lieu de réunion, à des
naturels'-qui vont s’y livrer à des parties,
de plaisir, véritables saturnales, qui leur deviennent
quelquefois fatales j lorsque leurs ennemis, aux
aguets, profitent de cet imitant pour les surprendre.
Les lieux où ils croÿaiènt trouver le
plaisir, devien¬
nent alors les témoins de leur
mort, et souvent, près
des débris de leurs festins, ils,servent eux-mêmes
à repaître leurs vainqueurs. La distance
qui la sé¬
pare de Taouata idest que de quatorze millés et de
la Dominica dix milles! La
plus grande longueur de
l’île, du sud au nord, est de quatre milles et demi, et
la plus grande largeur, de l’est à
l’ouest, de deux
milles ;, son contour est de
onze
milles.-
TAOÜATA.
C’est à coup sûr
l’île qui a été la plus fréquentée
nommée Santa-Christina, par Mendana,
séjourner dans son port, et après, lui,
Cook, Marchand, Hergest,etc. C’ést une terre haute,
couronnée de pitonsaigusetbienboisésfsa plus graüde
étendue est tapissée d’une herbe jaunissante,.mais
les ravins sontahondammentpourvùs d’àrbres et, l’on
en retrouve
jusque sur la crête des montagnes! .Bien
que la côte Est soit assez accidentée, le plus souvent
elle est escarpée et sans plage au bord de la mer. ; on
n’y distingue aucune apparence de baie et on n’y
du groupe;
elle le vd
Iles marquises
144
remarque ni cabanes ni pirogues, ce qui annonce qqe,
tle ce côte, sa population doit être faible. Cependant
rapport des opérations'du brick Le Pylade, en
1840, mentionne une vallée considérable qui se
trouverait sur cette côte, et dont le chef se nomme
le
Maheano.
'
Dans la
'
'Pâ
llîPII
m
■h'i'
ÎLES MARQUISES
218
possible et à répandre dans leurs mouvements une
agilité qui décèle une respiration abondante. Leurs
bras peut-être un peu minces relativement à leurs
membres inférieurs, ne les déparent point. Ils pren¬
5
délicieuses poses
libre d’entraves; leurs mains sont pe=
faites, leurs pieds mériteraient tes
mêmes éloges, si l’usage de marcher sans chaussure
nent en
effet une part constante aux
de leur corps
tites .et bien
les déformait.
ne
figure de ces hommes porte aussi tous les signes
race favorisée; elle est plus ovale que ronde,
leur front est haut, leurs grands yeux noirs ornés de
longs cils, sont pleins de vivacité ; leur nez est bien
fait, peu épaté, et souvent aquilin; leur boüchej
leurs lèvres, leurs pommettes ont des dimensions
et un volume infiniment mieux proportionnés à la
face, que ceS traits ne le sont ordinairement dans la
race Mongole. Leurs dents sont fort belles, blanches,
brillantes, les incisives sont larges. L’expression de
leur |visage est pleine de douceur et de gaieté, les
hommes partagent avec les femmes un agréable jeu
La
d’une
physionomie, chose remarquable, et qui distin¬
gue particulièrement ces insulaires. Les paroles de
Forster sont exactes, lorsqu’il dit que les jeunes
gens de ces îles sont d’ordinaire très-beaux, et qu’ils
fourniraient d’excellents modèles pour l’art des sta¬
de
tuaires et des
peintres.
leurs cheveux noirs relevés sur le som¬
met de la tête, dont la plus grande partie est rasée,
ils en forment ordinairement deux touffes. Cette
Ils portent
NOUKA-HIVA.
ou
coiffure leur
imprime
valuer à
mètre
219
air étrange d’abord, mais
l’apparente recherche de cet arrangement plaît vite;
elle s’allie également bien à une jeune figure et à la
figure sévère, et même un peu sauvage, des anciens.
La stature des femmes est moyenne, on
peut l’é¬
un
un
soixante centimètr'es environ
;
noirs, un peu rudes au toucher, et
quelquefois légèrement frisés, sont huilés et relevés
leurs cheveux
derrière la tête, ou flottent sur les
épaules et sont
cordon rouge de
vaquois, ou par une bande de l’étoffe qu’ils nomment
tapa. Leur regard est doux, leur physionomie animée
d’une expression de gaieté ; leurs yeux sont vifs,
grands, et souvent relevés en dehors, de longs cils
les abritent. Leur bouche serait qualifiée de bouche
moyenne par les Françaises, elle est petite pour les
Océaniennes. Le nez, ce trait ingrat qui défigure
tant de jolis visages, n’est chez les Nouka-hiviennes
ni trop gros, ni trop épaté. Uh front
déeouvert, des
pommettes modérément écartées, encadrent ces mo¬
biles physionomies qui, grâces à cette dernière et
heureuse modification, n’offrent pas la grossièreté
des traits que l’on retrouve parmi les Taïtiennes
retenus alors
sur
le front par un
elles-mêmes.
Ces femmes sont
gracieusement potelées, leur
l’embonpoint n’a
chez elles rien d’exagéré ; leur cou se fond
parfaite¬
ment avec leurs
épaules, leurs seins sont bien placés,
bien faits, leur développement se renferme dans
des limites parfaites. Leur taille est iin
peu grosse.
tournure est ramassée et courte
;
ÎLES MARQUISES
220
qu’il faut attribuer moins à l’extrême largeur de
bassin, qu’au trop grand évasement de la base
de leur poitrine. Cette organisation leur a consèrvé
un peu de cette apparence pesante que l’on retrouve
plus marquée chez les Taïtiennes, et plus forte en¬
core chez les femmes de Tonga et de Samoa.
ce
leur
Les membres
inférieurs des Noukahiviennes
ne
charme de leur ensemble. L’habide marcher piedsnus, contribue beaucoup à la déformation des jambes
et des pieds; leurs bras, leurs mains, leurs doigts,
sont, au contraire, d’une beauté sans égale. Toiites
répondent pas
bitude de
se
au
tenir accroupies et
les femmes de l’Océanie ont reçu
de la nature cet
pas non plus, lorsqu’ils adoptent
du pays, à brunir au point de iie
le léger costume
pas offrir de dif-
agrément corporel, mais aucune d’elles ne le pré¬
sente aussi complètement parfait que les insulaires
des Marquises. Ajoutons que si ces femmes portaient
des chaussures dès la plus, tendre enfance, elles
auraient les plus jolis pieds du monde,
La couleur de la peau de ces insulaires a de l’ana¬
logie avec celle des Arabes de l’Algérie; sa nuance
brune, jaunâtre, ou cuivrée est plus ou moins fon¬
cée; elle varie suivant les individus qu’on observe./^
Cette différence provient, sans doute, d’une exposi¬
tion plus ou moins fréquente à l’action du soleil ar¬
dent de ces contrées, action si puissante, qu’elle
rougissait, au bout de quelques minutes, l’épiderme
des matelots de l’Astrolabe qui se baignaient au ri¬
vage. Les Européens établis dans ces îles ne tardent
ou NOUKA-HIVA.
221
férence très-sensible entre la teinte de
leur peau et
celle des
indigènes. Parmi
^eux-ci,
on
remarque,
parfois, des hommes et surtout des femmes
presque
aussi blancs que les
Européens;, mais cette coloration
est factice ; elle* s’obtient au
moyen de la prépara¬
tion de la racine d’une
plante nommée papa, espèce
de safran ou de
cucurma, qui donne à la peau un
lustre dont elle est naturellement
privée. Les co¬
quettes de la localité, et quelques hommes destinés
à remplir un rôle dans les
représentations scéniques
des grandes fêtes, se servent de cet
ingrédient qui
remplace, chez eux, les mille ressources de la toi¬
lette française.
Le plus
souvent, la couleur de la peau, chez les
hommes, disparaît sous la couche noirâtre d’un ta¬
touage, compliqué qui étend ses spirales sur toutes
les parties du
corps. Soit que cette opération ait pour
but de durcir la
peau, de la rendre moins sensible
aux
piqûres des insectes ou aüx intempéries de l’air,
soit qu’elle serve de
signe distinctif et d’ornements
aux chefset aux
guerriers renommés, elle est générale
à, tous les peuples de
l’Océanie, qui là désignent sous
différents noms. Les" Noukahiviens excellent
dans
l’art de tracer, au
inoyen d’une incrustation doulou¬
reuse, des dessins délicats, qui ont assez de ressem¬
blance
avec ceux en
usage chez les Nouvêaux-Zélan-
dais; seulement, les lignes
sont plus déliées et ne
laissent pas, comme chez ces
derniers, de profonds
sillons dans la peau. Les chefs d’un
âge avancé se
font surtout remarquer
par le nombre et la compli-
ÎLES MARQUISES
222
d’hyérogliphcs, dont les
signes paraissent awir rpielque signification. Tout
leur corps en est couvert; des ronds, des spirales,
des dentelures capricieuses s’entremêlent, se croi¬
sent, s’étendent parfois jusqu’aux extrémités rasées
de la tête et sur les parties les plus délicates, telles que
les paupières, les lèvres, l’intérieur de la bouche,
cation de ce genre particulier
les narines. A la
ceinture, au bas des jambes,
autour
poignets, on voit habituellement de larges bandes
noires, qui encadrent, en quelque sorte, les bigar¬
rures plus déliées qu’elles font ressortir ; mais ces
des
produisent un effet repoussant,
appliquées transversalement sur la
bandes
sont
bouche, ou des yeux qui pui¬
particulier par l’opposition des .cou¬
figure, au niveau de la
sent un
leurs.
Au
éclat
lorsqa’elles
moitié de la
premier aspect, cette curieuse peinture étonne,
s’y accoutume, bien vite, et l’on finit par
admirer la variété et la régularité qui président aux
caractères qui la composent. On ne pourrait guère
mais l’on
qu’aux dessins fantastiques de quel¬
vieilles armures, et encore la comparaison se¬
les comparer
ques
rait loin d’être exacte.
participent aux honneurs du tatouage,
paraissent pas jouir du privilège de le
porter sur tout le corps; les bras, les mains, le bas
des jambes, les lèvres, le lobe des oreilles sont au¬
tant de points réservés uniquement à ces ornements,
dont les figures diffèrent totalement de celles em¬
Les femmes
mais elles
ne
ployées pour les hommes. Les femmes
de la famille
.
ou
NOUKA-HIVA.
223
des chefs
jouissent seules du droit de recevoir la
marque indélébile de feur haute naissance; leurs
bras, enrichis de dessins courbes, représentant des
poissons, des coquilles, des ronds et des, lignes
ondulées copaine la mer, font l’effet-d’être revêtus
de
gants longs, en dentelle noire.
L’opération du tatouage est longue et douloureuse;
elle
comnience
à
radolesçence, à dix-huit ans envi¬
pratiquée à différents inter¬
ron, et continue d’être
valles, peut-être
aux époques remarquables de la
individus ou à des saisons jugées propices,
jusqu’à ce que le corps ne laisse aucune prise au ta¬
vie des
lent des artistes tatoueurs.
lNulle.part l’axiome banal
qu’il faut souffrir pour être beau, n’est plus suivi
qu’à Noukahiva; c’est au prix de tortures inces¬
santes qu’un guerrier
acquiert une apparence de
plus en plus imposante; sa peau noircit à mesure
qu’il grandit dans l’estinae de ses compagnons, et
chaque figure nouvelle indique'peut-être une action
,
d’éclat,
Tout
porte à conjecturer que les signes du ta¬
touage ont des significations particulières aux yeux
des naturels. Krusenstern cite
l’exemple de Joseph,
Cabri et de Roberts, membres de deux sociétés dif¬
férentes, qui se réunissaient à certaines époques dans
des repas coinmuns. Les
marques distinctives des
affiliés de cette association, dont le but n’est
indiqué
étaient un carré ef un œil tracés
uniformément,sur la poitrine. Porter exprime aussi
une opinion,
analogue sur la signification des figures
que vaguement,
224
ILES
MARQUISES
âu tatouage, mais il a remarqué que ces caractères
differaient de tribu à tribu.
pourraient bien être autant d’ârparlantes qui. rappellent certains faits ou
certains droits, qui tomberaient infailliblement dans
l’oubli chez un peuple qui ne possède aucun moyen
Ces ornements
moiries
sûr de
conserver
serait alors
une
la mémoire des événements ; ce
d’écriture grossière, dont les
sorte
caractères indécis retracent vaguement
de l’histoire des individus.
Cette opinion
le résumé
prend quelque force lorsqu’on com¬
identiques des peujîles de
pare les usages presque
rOcéanie.
'
A
la'Nouvelle-Zélande, chaque chef a son moko,
tatouage particulier, bien connu, bien déterminé,
qui lui sert de signature. A Mangareva,. les insulaires,
du capitaine Becchey, pas¬
sage fatal à plusieurs d’entre eux qui perdirent
la vie dans une rixe, tatouèrent des épaulettes
d’officiers sur leurs épaules, et des points noirs
sur la poitrine pour indiquer les
blessures des
en
mémoire du passage
balles.
peigne sert à pra¬
tiquer le tatouage ; un coup d’un petit marteau de
bois implante dans la chair les pointes de ce
peigne, enduites d’une matière colorante, qui y
laissent l’empreinte indélébile de leur passage. Le
sang coule à flots pendant cette opération, la partie
tatouée enfle considérablement, et pendant plusieurs
jours elle présente les signes d’une vive imflammaUn instrument semblable à
un
ou
NOUKA-invA.
tion, qui, du reste,
ne
elle de graves infirmités.
Le titre de chef
Noukahiviens,
autre que
les pays.
que sur des
paraît pas entraîner
avec
paraît concéder, chez les
prérogative, aucune influence
donnent les richesses dans tous
ne
aucune
celle que
Toutefois,
22b»
comme ces
doutes,
présomptions
ne
on ne saurait
reposent
affirmer que les
décorations du tatouage, si
complètes chez les vieux
chefs, soient uniquement destinées à
rappeler les
hauts faits de leur existence. Peut
distinction réservée
tion
,
ou
bien
une
richesses, qui leur
à leur naissance
être
ou
est-ce une
à leur
conséquence naturelle
posi¬
de leurs
permettent de rétribuer plus
les sauvages artistes de cette industrie
spé¬
ciale. Une seule chose,a été.
constatée, c’est que les
chefs et les guerriers
célèbres, sont ceux dont
souvent
le
corps est le plus recouvert par le tatouage. La
popu¬
lation ordinaire ne présente
ces
qu’un petit nombre de
beaucoup d’individus n’en possè¬
du tout, ces derniers appartiennent tou¬
bigarrures,
dent pas
et
jours à la basse classe. Et, comme un des effets du
tatouage est de voiler en quelque sorte la nudité des
sauvages, il en résulte que ceux-ci paraissent beau¬
coup moins vêtus.
En
complétant les renseignements que nous
recueillis
sionnaire
nous-mêmes, par ceux donnés
Stewart, nous avons obtenu
suivant des différentes classes de la
Au
premier abord
on
avons
par le mis¬
le tableau
population.
remarque deux grandes di15
226
ÎLES MARQUISES
visions : celle de la
classe tabouée, ou des chefs et
prêtres, et
peuple.
celle de la classe non tabouée ou
des
du bas
comprennent les Atouas, nom
donné en gënérdl à toutes lès divinités noukahiviennes, et qui est aussi appliqué â certains hommes
de la classe des TaoMas, dont nous parlerons plus
bas, qui ont été divinisés de leur vivant. Ces dieux,
qui rappellent à merveille les demi-dieux de la mytho¬
logie , exercent un pouvoir surnaturel sur les élé¬
ments; ils peuvent donner de riches récoltes ou
frapper là terre de stérilité, ils infligent â leur gré
les maladies et là mort, et la crâintë superstitieuse
Les classes tabouées
qu’ils inspirent est
si grande, qu’on leur offre des
humains pour détourner lès effets de leur
colère; heureusement le nombre de ces bommesdieuJt est très-limité : il y èri a tout au plus un ou
deux sur chaque île ; ils vivent dans une réclusion
et un mysticisme, faits pour èn -imposer aux crédules
sacrifices
sauvages.
cette
que
Lès honneurs èt
classe ne sont pas
le pouvoir attribués à
toujours héréditaires, quoi¬
cette transmission s’opère quelquefois.
hesAkdikis bu Kakcnkis, sont les
pulation ; les fenimès
chèfs civils de la po¬
de cette classe portent le titre
extérieure de respect
d'Àtépéiou: Aucune marque
accordée à ces personnages ; ôn les voit senlêlèr
la foule, diriger leurs pirogues et quelquefois
n’est
à
pagaier, pécher pour la subsistance de leur famille,
constructions conîme les derniers in¬
dividus de leur tribu, ils nè pèuvènt prélever aucun
travailler aux
ou
NOUKA-HIVA.
227
impôt, aucune dîme sur leurs sujets; ce n’est que
par la voie des échanges pu à titre de don
volontaire,
qu’ils obtiennent les objets appartenant à d’autres
naturels. Cependant, on leur reconnaît un droit
héré¬
ditaire de possession des terres et de
supériorité mo¬
rale; leurs personnes et leurs maisons sont inviola¬
bles, probablement à cause de l’origine sacrée qu’on
suppose à leurs ancêtres. Le concours de la
popu¬
lation leur
est
assuré aussi dans certains:
grands
travaux; pour l’obtenir, ils donnent une fête et
exposent leurs désirs aux conviés; leurs demandes
sont presque
toujours satisfaites, mais c’est entière¬
ment par l’effet du bon vouloir des
auditeurs, et non
par le fait d’une obligation forcée.
Les Taouas sont une classe d’individus
qui devien¬
nent des divinités
après leur jùôrt, qui possèdent, de
leur vivant, la facultéliérédilaired’étre
inspirés parla
divinité ou par les Taouas déjà morts
;’on leur attribue
la faculté de pouvoir
indiquer la cause des calamités
qui affligent la population, et.d’annoncer les dangers
qui la menacent. Leurs attributions sont un mélange
de celles des sorciers
des
pipphètes. Quelquefois,
pendant la nuit, oii les entend jeter des. cris per¬
çants et émettre des soiis rauques et inusités
;. puis,
reprenant le son naturëi de leur voix, ils’feignent de
converser avec unêtr'e
invisible; iis prétendent se trou¬
ver alors en communication avec la
divinité qui leur
révèle.ses volontés. Dans ces
moments, ils sont en
proie à de hideuses convulsions, leurs rcgards.s’animent, leur corps frissonne, leurs mains tremblent;
et
ÎLES MARQUISES
228
1
R
il
état d’exaltation, ils parcourent les envi¬
pronosticfuant la mort, ou en demandant
des sacrifices pur apaiser la colère des dieux..
Les Taoîtfts agissent, en outre, comme médecins ou
conjùrateurs, dans les affections intérieures des or¬
ganes du corps, car chez les Noukahiviens, comme
chez tous les peuples enfants,. toute maladie dont le
siège n’est pas apparent, est considérée comme une
manifestation de la colère des dieux. Ils appellent cet
éiSitmate no te atoua, maladie donnée par un dieu. Les
Taouas, dans cés cas, cherchent le dieu malfaisant qui
et, clans cet
'f:
ir,
rons
i
J
en
dans les entrailles
ils cllercffent à l’apaiser en le caressant
doucement avec la paume de la main, ils le pressent
entre leurs doigts,, et si les douleurs s’apaisent,
le Taoua a triomphé
l’espèce de friction qu’il a
pratiquée, a désarmé la divinité cpurroueée; mais,
lorsque les moyens ordinaires ne suffisent pas, le
malade est placé’dans de l’eau qù’on frappe avec des
branches sèches pendant qu’on lui en verse sur la
exerce en
'
r
1
1
i
:.' ’t.''^•■•‘
■
'■■
'■*
/'' '
'ù" ';■
'■*
■
.
personne sa vengeance
du malade ;
;
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tête.
;.
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'
'-.if
;-■■.>.■■
v.r-i
>.
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i;
'7
r-,.
•' '“l'
^'v
'
7
;ÿ,:'-
■
'/•'-•flf,'' -S
B.' -.ri-M-. ' '
qu’il inspirait; cette
signal infaillible de courses nocturnes
les vallées voisines, pour y faire des prison-
selon la vénération et la crainte
;,
ivTï?i^iSB
■■'■
.
l’esprit de la
population qu’elle dirige à son gré. Non-seulement
chaque Taoua devient ^toua après sa mort, et souvent
de son vivant, comme on l’a vu plus haut; mais tou¬
tes les fois qu’un Taôuü meurt, on sacrifie à ses mânes
unnombre plusou moins grand dé'victimes humaines,
■
.■,■■■■••■•,-. J-'
■fr;--vr-^'i
•
Cette classe.a une grande influence sur
■_.:
mort est
.
dans
le
ou
niers destinés à
nie funèbre.
Les
tres
Talminas
jouer
NOUKA^HIVA,
un
229
triste rôle dans la cérémo¬
.
'
Toulioums sont les véritables
prê¬
du culte noukahivien
; 'ils forment une classe
ou
plus nombreuse, mais moins ïedoutablé que la
pré¬
emploi n’est pas héréditaire, il de¬
cédente. Leur
mande un' noviciat,
offrir
et
consiste
principalement
à
l.qs sacrifices aux Acoiias^ à
accomplir les céré¬
monies du culte, àjchanter les
hymnes sacrées, à
battre les tambours d'ans les
jours solennels, aux fu¬
nérailles et dans les opérations
chirurgicales, cj[ui
leur sont exclusivement dévolues.
Ilsdilfèrenten cela
des Taouas qui ne
S'occupent que. des maladies in¬
ternes.
.
Ce sont
,
qui pansent les blessures reçues dans
combats, qui font l’extraction dès' os
cassés; et
on dît même
qu’ils-poussent la science jusqu’à exé¬
cuter l’opération du
trépan, à 1,’aide d’une dent de re¬
quin. Ils font cette perforation à l’extrémité des fêlures
eux
les
du crâne, survenues à la
suite des coups de mas¬
sue, pour empêcher la fente de se
Les î'a/ioMJifls ont
connaître
un
il consiste,
prolonger.
signe distinctif qui les fait re¬
dans une feuille de cocotier
sqrtede bonnet. La tige est placée
devant le front, tandis,
que les feuilles sont attachées
derrière la tête. Ils portent, aussi
un.orneinent du
même genre autour du cou ; ils
fendent une bran¬
che de cocotier,
jusqu’à un pouce des extrémi¬
tés, et y passent la tête. Les côtes,
dépouillées
de leurs feuilles,
pendent sur le dos et sur la pni:
dont ils font
une
230
ÎLES MARQUISES
.
porté habituellement par
eux, et inYariablemeht clans toutes les cérémonies ptrine; cet Qrpernent est
ligieuses.
qui doit être le même que celui
Moas, sont des homines dont l’office consiste à
aider aux sacrifices humains, présentés aux divinités
parles Tahouncts. On n’admet à.cet emploi cjue ceux
cjui ont tué un ennemi dans un combat avec le cassetête appelé oiiliou , d'où leur nom dérive. Les Ouhous
'
Lés
Ôuhous , ordre
des
ont le
Tahounas
non
dés Tcioms et des
ce qui est interdit aux classes inférieures
droit d’assister aux festins
,
tabottéés.
•
O
quel est le rang des Tous, nom
donné aux* chefs guerriers illustrés par leurs
prouesses. Ce titre est tout à fait, distinct cle celui
On
ne
sait pas trop
civil, quoique les mêmes individus
puissent pprter ces deux désignations'différentes. Ce
titre parâît être aussi entièrement nominal ; il ne
concède aucun droit de suprématie, si ce n’est celui
de donner Texemple et dé marcher Je premier au
combat. Il est possible que le toa d’une tribu soit
chargé de diriger les opérations- contre les ennemis,
quoique en général, dans ces cônflits, chaque guer¬
rier paraisse avoir là liberté de combattre ou de fuir,
selon qu’il le juge convenable , sans dépendre en au¬
cune façon d’une volonté étrangère.
Les Ndü-Kalia sont des individus qui ont le don
de jeter des'maléfices nommés Kahü; ils ont des at¬
tributions communes avec les Taouas, auxquels nous
d’d^flï/d ou chef
croyons
qu’on doit les joindre.
ou
Les classes
non
231
NOUKA-HIVA.
ïaftoHees-.coriliénnent
dividus de là condition la
tous les in¬
plus basse, ceux qui rie
possèdent pas de terres, qui n'ont pas la réputation
de guerriers accomplis ou de constructeurs habiles.
Ces classes sont naturellement bien
que
elles
plus nombreuses
celles qui constituent l’ordre taboué; parmi
on
Les
remarque :
'
,
Peio-Pekéiog, qui reçoivent leur subsistance
des chefs auprès desquels ils
remplissent des fonc¬
tions serviles ; ils cultivent les
terres, récoltent les
fruits, pi’éparent les aliments auxquels ils partici¬
pent eux-mêmes.
Averias, dont les oecupa tiens sont d’une nature
plus indépendante, pourvoient à leurs besoins en
allant à la pêche; ils forment la
populaibn mari¬
time par excellence, car ils h’exèreent aucune autre
industrie, tandis que les autres’naturels ne sont pê¬
Les
cheurs
n’ont
qu’accidentellement,
aucune
autre ressource
Les Holds ou Kciioqs
et seulement
alimentaire*
lorsqu’il
sont^une espèGede troubadours
nomades, des chanteurs qùi .vont de tribu en tribu
chercher fortuné; ce sont eux
qui, dans les grandes
fêtes, remplissent'les rôles de danseurs. Soigneux
de leurs personnes, qu’ils blanchissent Comme les
femmes avec le suc du papa, ils sont tout à la fois
poètes, musiciens, improvisateurs et chorégraphes ;
toutes ces qualités réunies ne
parviennent pas toute¬
fois à leur donner quelque considération. Leurs ha¬
bitudes efféminées leur attirent le dédain d’une po¬
pulation qui apprécie peu les beaux-arts.
t
ÎLES MARQUISES
232-
Enfin, les iVo/iOMas sont placés encore
d.es Holds. Leur condition est
toutes :
au-dessous
là plus misérable de
ils tirent leur subsistance de la terre, et
c’est dans leurs rangs que sé recrutent la
victimes réclamées par-les Taouas.
plupart des
propriété.des terres, entièrement dévolue à la
tabouée, est cependant concédée quelquefois
par les chefs aux individus qui excellent dans un
art,, tel que celui de la construction des pirogues,
de la fabrication des. armes de guerre., ou dé la con¬
fection des instruments de pèche. Cette concession
amène une espèce d’élévation dans la position de
ces hommes ; ils, participent alors aux avantages de la
classe tûèouée ; probablement le nom de Taliouna qu’ils
portent quelquefois, indique une espèce d’assimi¬
lation, avec les prêtres qui sont réputés fort adroits
La
classe
dans l’art dé raccommoder les
membres fracturés.
peut-être une liaison dans l’ésprit des sauva¬
ges, dans les résultats de.cette adresse manuelle dif¬
féremment employée.
Il y a
çj
Ce que nous connaissons, des traditions conservées
dans le souvenir des
Noukahiviens,
se
réduit à quel¬
faits recueillis par les personnes à qui un long
séjour a permis de comprendre la, langue et dé s’ini¬
tier .aux coutumes des lieux, coutumes qui échappent
inévitablement, aux navigateurs dont le séjour est
toujours fort limité dans les mêmes endroits, et
qui d’ailleurs , ne peuvent comprendre le langage
ques
,
des naturels.
Stewart, d’après les récits du missionnaire Crook,
NOUKA-HIVA.
ou
indique
233
les traditions de ces peuples sont
hymnes sacrés des Taliounas -, c’est
ainsi que les peuples primitifs ont toujours cherché
à conserver l’instoire des principaux événements histoiâques, et à les transmettre d’âge en âge. L’ori¬
gine fabuleuse des îles de l’archipél, les noms des
autres îles, à l’existence desquelles ils
croient, la
généalogie des chefs, les hauts faits.des héros, l’his¬
toire des guerres., enlin tous les événements remar¬
quables, sont contenus dans ces chants qui ont plus
que toutes
contenues dans les
d’une ressemblance
avec ceux
dé' l’Iliade.
L’origine de l’archipel Nouka-Hiva y est présentée
qui le composent
étaient, dans le principe, enfouies dans « Havdild, »
( la région àu-dessous ), le lieu des esprits qui ont
quitté la terre, et elles furent élevées æ la place
qu’elles occupent maintenant, par les efforts d’un
dieu quiies souleva. A cette époque il n’y avait point
de mer; ce fut une femme qui la,produisit, ainsi
que tous les animaux et toutes les plantes. Les
hommes et les. poissons, se trouvaient enfermés
dans des cavernes, dans lés profondeurs de la terre
;
une grande
explosion rejeta les hommes à la surface
du monde, et précipita-les
poissons dans- la mer.
de la manière Suivante. Les terres
Ces mêmes chants
én.umèrent- les'noms .de qua¬
rante-quatre îles, outre eelleule. Nouka-Hiva. Dans
ce nombre,
plusieurs se rapportent évidemment à
quelques-unes du groupe de Taïti, une autre est dé¬
crite
comme
possédant
rapporte évidemment
un
aux
lagon, description qui
se
îles Pomotou, aucune île,
ÎLES MARQUISES
234'
des autres
formation.
groupés
■
Une des traditions
présentant une pareille con¬
•
'
relatives a ces îles étrangères
noix de cocos aux
îles Nouka-Hiva. —^^'Ce fut l,e dieu Tao, venu de i’île
donne le récit de l’introduction des
dénuéés
de,cet arbre important, lé lèür apporta'dans un
canot de pierre. Les détails cle cet évenément sont
décrits avec des particularités et une minutie in¬
croyables. Les Tahouncis ont de semblables récits,
Oata-Maaoua
ou
Otoupôou, qui les trouvant
des visites des dieux des.autres îles, et
c’est dans
qu’on trouve la raison qui faisait ap¬
peler les premiers navigateurs des Atoiiàs, nom donné
maintenant â tous les-Européens, quoiqu’ils aient
aujourd’hui considérablement perdu', aux yeux des
Noukaiiiviens, de leur p.r.e’stige passé.
cés traditions
renseignements suivants de
l’origine dé la [population. —Otdia,
(aube du jour ), et Ovcinova on 'Ananéùna, sa femme,
vinrent d’une île appelée Yavao ^ peupler les îles
Nouka-Hiva. Ils apportèrent avec éux dilférentes es¬
pèces de plantes .qui' donnèrent leur nom aux qua¬
rante enfants de .ce couple'fortuné, à l’exception,
toutefois, du premier-né, qui fut nommé Pô ciu là
Nuit, ce qui signifie aussi noir, sombre.
Keatanoui plaçait le lieu où‘ s’établirent Otciia et
sa femme, dans la vallée de Taïo-Hae, et se glo¬
Porter
a
Keatanoui
recuèiili'les
sur
,
rifiait d’avoir liéiité des honneurs de ce pre¬
mier fondateur de sa race. Cette généalogie, qu’il
faisait remonter à
quatre-vingt-huit générations en-
ou
NOüKA-inVA.
235
viron, lui atl'irait la 'considération des chefs de
toutes les tribus de i’îie; tous recherchaient de s’allier
à lui, et sa no'mbreuse famille lui avait donné les
moyens de satisfaire aux nombreuses demandes de
mariage qu’om lui ayait adressées.
D’après Porter, les iridigéries n’auraient conservé
aucun souvenir dù
passage de Mendana, ce qui est
hasardé, car son apparition avait eu lieu â, l’île
Tàouata, et Nouka-Hiva peut bien ne pas s’être
émue d’un événement qui ne la touchait que trèssecondairement. Keatànoui expliquait ainsi l’in¬
troduction des cochons. Une vingtaine de généra¬
tions ( 300 ou 330 ans ) avant l’arrivée de Porter
qui observe qu’un homme est grand-père à einquante
,
ans, et que, par conséquent, quatre générations
existent de son vivant; tin dieu nommé Haii visita
îles du groüpë, et apporta avec lui des
cochons et des poules, qu’il y laissa. Il apparut d’a¬
toutes les
bord dans la baië yttooMtoua (
peiit-être Atma-Atoua,
Dieu-Dieu), sur la côté estde l’île (B. de la Neva).
Là, il creusa le sol pour trouver de l’eau, entreprise
dans laquelle il réussit. L’arbre sous
lequel il résida
pendant son séjour, est considéré comme sacré par
les indigènes cjui, cependant, ne peuvent dire s’il
est venu dans une
pirogue ou dans un bâtiment, et
quel est le laps de temps de sa relâché.
Aucune relation de voyage
lie remonté à
une
époque aussi élevée; de sorte qu’il faut admettre que
le compte des générations des
indigènes est erroné,
il est probable d’ailleurs que ee
navigateur est ün Es-
ÎLES MARQUISES
236
pagnol, à en juger par les rapprochements d.es noms
du cochon dans les deux langues. Les Espagnols le
nomment puerccret les indigènes powaÆa ou pouarka.
Cette conjecture prend une nouvelle force, lorsqu’on
considère que les Espagnols sont les premiers navi¬
gateurs qui ont sillonné ces nièrs.
L’introduction du fer .est ainsi’racontée
années
:
Plusieurs
après le passage à’Hctii, des individus de la
les Nouka-Hmens, mais dépour¬
même couleur que
vinrent, dans un bâtiment à deux
dans la baie de Analiou, sur
l’autre côté de l’île; ils apportèrent des clous, qu’ils
échangèrent contré des cochons. Les indigènes ap¬
précièrent tellement les ayantages de ce métal, qu’ik
accoururent de toutes parts pour faire percer des
coquilles et autres objets aussi durs, et donnaient,
dit-on, un cochon pour avoir l’usage d’un clou pen¬
dant quelques heures.
' ;. ■
Cette tradition.peut, avec quelque vraisemblance,
s’appliquer au passage du Solide, qui n’avait que
deux mâts ; d’autant mieux, que bien peu de navires
de cette forme se sont aventurés dans ces archipels
éloignés.Au temps de Porter, il y .avait un ou deux chiens
et quelques chats dans l’îlé; cés derniers étaient at¬
tribués, à un dieu, appelé Hita-Hita, qui les apporta,
il y avait quar'ante ans environ (ce qui conduirait
à 1773). 11 vint dans une j^irogue grande comme une
île à Taouata, où l’on voyait pour la première fois un
navire de cette dimension, ce qui étonna d’autant
vus
de tatouage
,
mâts, qui jeta l’ancre
.
ou
NOUKA-îtivA,
23“?
plus la'population, qu’-elle n’avait jamais entençlu
parler auparavant d’un pareil vaisseau. Ce diep tua
homme pendant son séjour. Cette dernière cir¬
constance et la date indiquée se
rapportent parfaite¬
ment au
passage de Cook, qui passa dans ces îles en
1774, et qui, en effet, y tua un homme. En outre, il
venait alors de Taïti, nom qui offre
quelque rappro¬
un
chement
des
avec
noms
celui de Hita-EUa. Du
reste,
est peu
importante,
turent constamment les noms
prononciation leur .est difficile.
l’analogie
les sauvages déna¬
européens, dont la
car
.La traversée de l’île Yavao
aux îles
ÎN'oukà-Iliva-,
qui embrasse une distance de 680 lieues marines,
n’est pas absolument impraticable avec les vents ali¬
zés du sud-est,
qui régnent la majeure partie de
l’année, surtout quand on considère que ces vents
varient souvent
sud, et que cette route est semée
qpi offrent des ressources aux na¬
vigateurs. En outre, les pirogues des îles Tonga sont
infiniment supérieures à celles de la pliijrart des au¬
tres peuplades de
l’Océanie; leurs doubles pirogues
au
d’îles nombreuses
affrontent
vitesse
souvent
de bien mauvais temps et ont une
remarquable.
migrations des insulaires de l’Océanie sont des
faits incontestables aujourd’hui ; des défaites dans les
combats, rôppi’essioa d’un voisin puissant, une di¬
sette passagère ou l’insuffisance du sol à nourrir tous
ses
habitants, sont autant de causes qui poussaient
des familles entières à partir sur la foi des
prédictions
de leurs prêtres, pour découvrir des terrés
plus proLes
.
ÎLES MAUQÜISES
238
piccs. Elles sumient l’impulsion du besoin, inné
chez l’homme, de chercher des âvenlures au péril dé
sa vie
et marchant sur les traces de leurs,ancêtres ,
qui avaient cherché et peuplé tant d’îles., elles se di¬
rigeaient vers des rivages inconnus qu’elles attei¬
gnaient quelquefois; mais combien de fpis aussi la
,
mer
englouti dans son sein lès débris
expéditions hasardeuses?.—,,Cet esprit voya¬
expliqué comment les îles de l’Océanie se sont
n’a-t-elle pas
de,ces
geur
successivement
peuplées.
Nouka-Hivà, la croyance de l’existence de nom¬
breuses terres dans les environs, avait, à plusieurs
A
reprises, lancé des pirogues sur-une mer qui ne les
rendait plus. Le grand-père de Keatanoui partit luimême, un beau jour, avec quatre grandes pirogues
rechercher ces îles, tant prônées par
Tahounas, plusieurs familles l’accompagnèrent,
emmenant avec elles des cochons, des poules et des
plantes de toute espèce, et'jamais on n’a su quel
doubles pour
les
avait été
son
'
sort.
,
Temaa-Taïpi, chef de la vallée de
iloumi, craignant les résultats de ,1a guerre, avait
préparé plusieurs grandes pirogues pour abandon¬
ner l’île, et aller chercher de nouvelles terres où la
tribu entière se ,serait établie. L’Anglais Wilson as¬
sura à Ppi’ter ,c{ue, pendant les dernières années,
de ,1807 à 1813, plus de huit cents hommes,
Vers .l’ari 18 j 4
femmes
et
,
enfants, avaient abandonné les différentes
l’Archipel,
patrie. Aucune de
îles de
aller trouver une nouvelle
expéditions ne reparut : une
pour
ces
239
QU NOUKA-mVA.
fois
seulement, quatre pirogues étant parties, elles
arrivèrent aux îles Iliaou et Fetou-Ilouhou
; une seule
des pirogues y séjourna
quelque
tenta
clé
témps, puis elle
Nouka-Hiva où elle n’arriva
Un lipnime etunë femme restèrent seuls sur
l’etourner à
jamais.
Hiaou, ils bâ tirent une case ; mais, au bout de quel¬
ques mois, l’homme mourut et la femriie fut rame¬
née par des chassëurs de
phaétons : ce fut d’elle
qu’on recueillit les détails qui précèdent.
Les prêtres sont
presque toujours la cause de ces
émigrations ; quels que soient leurs motifs; ils en¬
couragent les indigènes à les entreprendre, et, plus
tard, lorsque le départ a eu lieu, ils se glissentpenclant la nuit près des cases des
parents de ceux qui
sont partis; et là en jetant des cris
aigus, comme
s’ils succombaient dans la lutte avec un,
pouvoir oc¬
culte, ils annoncent que les émigrants ont trouvé de
,
fertiles et riantes terres
au
bout dedeur àventureuse
traversée; ils dépeignent la beauté de ces îles, la ri¬
piroductipus, les avantages dont on
y jouit, de manière à Lairé naître le, désir de tenter
une
entreprise semblable pour atteindre le môme
chesse de leurs
but.
■
i
Chez tous les peuples à l’étàt primitif, Thomme
n’entrevoit la divinité qu’à travets le prisme de sa
lës événements qui menacent son
cxistepce sont autant de causés qui occupent sa
pensée; il lës redoute, et né pouvant lës ëxpliquer
natürellement, il en fait des sujets de superstitieuses
apprdiensions. 11 divinise ce qu’il craint ; c’est un
propre
faiblesse
:
240
ÎLES MAEQülSËS
pouvoir terrible ajuquel il rend uncuite, plutôt qu’une
divinité bienveillante qu’il yénère.
Chez les Noukaliiviens, lés Atouas sont nombreux,
soit qu’ils proviennent des hommes divinisés après
leur mort, soit qu’ils existènt encore, soit enfin
qu’ils datent d’uné époque reculée. Toutes ces divi¬
nités sont.autant de pouvoirs suprêmes, jaloux, ter¬
ribles dans leur courroux, redoutables dans leur
vengeance, qui demandent un .culte.
Le bruit des orages, le roulement du tonnerre
dans les montagnes, le froissement des feuilles, les
murmures des insectes dans l’herbe, sont autant de
manifestations de la présence de YAtoua, nom donné
dans toute l’Océanie aux êtres qui constituent un
polythéisme grossier. Il y a des atouas dont l’empire
s’étend sur les monts, et d’autres qui régnent sur
les rivages ; des atouas des bois, de l’intérieur de l’île
et de la mér y des atouas qui président à la paix, à la
guerre^ à la danse et aux chants; leur nombre est
considérable, et chacun d’eux est honoré selon le
degré de crainte qu’il inspire.
M. Croolc a donné les noms suivants de quelques
divinités principales : Opouamanne, Okio, Oenamoc,
Opi-Pitdie Onouko, Oetaliopu, Tali-Aïlapou, Onoetdie.
Aucun de ces dieux ne paraissait du reste avoir une
supériorité marquée sup les autres.
Voici encore le récit que fait ce missionnaire d’une
visite qu’il fit à un atoua vivant :
Get atoua était un homme fort âgé ; il vivait depuis
sa jeunesse dans la vallée d’Haha-tetena, dans une
,
ou
NOURA-HIVA.
241
grande
case entourée d’un.en'clos,
Dans cette maison était une
appelée Hae( mai¬
espèce d’autel ; sur
les poutres de cet édifice et sur les
àrb^es environ¬
nants étaient
suspendus des squelettes humains, la
tête en bas. Personne n'entrait dans cette
enceinte,
à l’exception des hommes attachés
au service de
l’atoua; l’introduction du peuple n’était permise que
dans les jours de sacrifices humains. Cet atoua
rece¬
vait plus de ces sacrifices
qu’aucun autre dieu; sou¬
vent il
s’asseyait sur une espèce d’échafaudage, éta¬
son.
bli devant
sa
demeure
et
times humaines à la
réclamait deux
ou
trois vic¬
fois, et toujours il était obéi :
qu’il inspirait était extrême. On l’in¬
voquait dans l’île entière, et des offrandes lui étaient
envoyées de toutes parts.
En 1829, il n’existait
point d’atoua vivant dans la
caria terreur
vallée de
Taïohae;
d’un de
on
êtres
montrait seulement la de¬
supérieurs, au pied d’un pic
escarpé dans les montagnes. •
Les Taouas, qui paraissent être les desservants
meure
ces
titulaires des divinités, sont
chargés de faire les
offrandes : elles consistent en jeunes
fruits, poissons, chiens, cochons,
times humaines.
pousses,
et énfin
fleurs,
en
vic¬
principe, Tatoua paraît être le pouvoir occulte
effrayant qui, dans ses jours de colère, demande
des victimes pour
expier de graves offenses : le sang
humain apaise seul sa
fureur; les dons de fleurs et
d’animaux sont des offrandes pour le rendre
jpropice.'
L’influence des Taouas sur Tespritde la
population
En
et
16
242
ÎLES MARQUISES
raison.de la faveur qu’on leur suppose auprès
desatouas; ils apaisent le dieu lorsqu’il n’est que
médiocrement èn, colère; l’irritation de Tatoua se
est en
manifeste par les maladies qui affligent la population.
C’est à l’intercession des Taouas que le mal cesse,
mais aussi c’est à leur
intercession qu’il arrive.
les,simples desservants, les
hommes dévoués au service de là divinité, mais
n’ayant qu’une moindre influence qui dérive par¬
ticulièrement des sortilèges qu’ils peuvent jeter.
L’office des Tahounas dans les cérémonies religieu¬
ses consiste en grande partie à'chanler au son des
tambours et des claquements de mains; ces chants
Les tahounas sont
intelligibles seulement
pour ces prêtres. D’après M. Crook, un de ces
chants est une espèce de litanie qu’un tahouna chante
en frappant le grand-tambour du temple, un autre
tahouna la répète à l’autre extrémité de Tédifice sur
le même ton. Les ifotes sont très-prolongées et vers
la fin la voix du tahouna se change, én sons rudes et
sacrés sont variés et souvent
creux.
-
récitatif
déclamé par le prêtre avec la qvlus grande force pos¬
sible de gestes et de voix, il se termine par un son
aigu semblable àTaboiement d’ün chien, auquel l’au¬
Un autre
de cës chants est une espèce de
ditoire répond en chœur.
Les tambours sacrés sont de deux
‘
miers sont
semblables à
ceux
espèces ; les pre¬
employés dans les fêtes
publiques, ils ont environ deux pieds de haut, et
jieuf à dix pouces de diamètre. Us sont formés par le
a
ou
NOUKA-UIVA.
243
d’un
artoe, le kaou (corclja), creusé jusqu’aux
sa
longueur; une séparation ayant un
petit trou'au centre, sépare cette première excava¬
tion de celle qui est. recou ver te
par une peau de re¬
quin, attachée soigneusement avec des tresses de
bourre de cocos ; le bas est
percé de trous ovales pour
tronc
deux tiers de
accroîtrë.la force du
son.
Les seconds sont
beaucoup
plus grands ; hauts de quatre à cinq pieds, ils sont re¬
couverts delà peau,
plus dure, du poisson nommé par
les Anglais devÜ-fish. Tous les deux sont
posés droit
sur le sol, et sont
frappés avec les mains et les doigts;
mais des petits sont
frappés continuement, tandis
que les grands produisent dés sons moins pressés,
formant une espèce de mesure avec le bruit des
petits;
on pourrait assez
comparer cela à nos. tambours or¬
dinaires dont le bruit serait
accompagné par celui
d’une grosse caisse.
Le claquement des mains
qui suit ordinairement
les chants, est exécuté dans le même
mode; les mains
frappées à plat produisent un son mat, qui alterne
avec un son
plus profond lorsqu’on rassemble les
doigts en creux et qu’on les frappe soit les uns contre
les autres, soit contre le coude. Cet exercice
produit
une telle excitation, chez,les
Noukaluviens, qu’on a
vu
quelquefois la peau du coude gauche enlevée par
ces attouchements réitérés, sans
qu’ils cessent pour
cela de frapper.
Les maisons destinées au culte ne diffèrent
pas
des autres ; seulement, l’entrée en est
plus vaste.
Dans la vallée des Happas, on voit un de ces
édilices,
ÎLËS MARQUISES
244
signifie permis,
appelés Meae (peut-être
Meïe, qui
premier, grand et vide,
était, à l’époque où on le vi¬
consacré). H se compose de
sita, rempli par un
frandes ; le second,
deux corps de
logis; le
grand nombre de différentes of¬
plus petit, contenait deux idoles
grossièrement travaillées,. Une d’elles était à deux
semblable au/«HMs ùî/rons. ,
Une autre case, destinée aux mêmes usages, dé¬
faces,
crite par
était faite pour
dans
ce
saient.
la'vallée de Haka-Happa,
inspirer un profond dégoût. C’est
StQvvart, dans
les sacrifices humains s’accomplis¬
Au centre d’une plate-forme de trois mètres
lieu que
d’élévation, entièrement ob¬
struée par une épaisse végétation, se trouvait l’en¬
droit où-les restes des victimes étaient jetés; sur le
devant, seul point accessible, on voyait encore,
dans,une^uge grossière, un corps.en putréfaction.
carrés et
Une .tête
d’un mètre
imparfaitement sculptée, à
l’extrémité de
dé¬
l’auge, ouvrait une large mâchéire, comme pour
vorer les victimes qui pourrissaient là, devant une
idole toute contournée et tombant en ruine, sans
qü’on parût s’en
Porter
de
son
inquiéter.
décrit aussi un
temps, au
la tribu des
endroit de ce genre, situé,
haut de la vallée de Taïo-Hae, chez
grand et magnifique
Ilavouhs. Dans un
bosquet de cocotiers, de casuarinas et de
d’autres arbres, au pied d’une montagne
beaucoup
escarpée,
près d’un ruisseau, sur une plate-forme pavée,
sculptée sur une pierre dure, de.la
hauteur d’un homme ; ses yeux et ses oreilles étaient
et
était unedéité
ou
NOUKA-IUrA.
245
bouche très-large, ses bras et ses jambes
auprès de ce bloc, se trouvaient plusieurs
autres idoles semblables, mais en bois. Des faisceaux
de roseaux étaient posés près de là ; leur sommité était
décorée de longues banderolles blanches, et à leurs
pieds étaienf déposés des têtes de cochons et autres
offrandes. A quelques pas de là, se trouvaient quatre
canots de guerre, richement ornés de touffes de che¬
veux, de coquilles et de banderolles blanchés; la¬
vant de la pirogue principale était tourné vers les
montagnes ; et sur l’arrière,» on voyait une statue te¬
nant une pagaie, comme si elle dirigeait la course
de l’embarcation. Une des plus belles pirogues était
celle d’un prêtre qui avait été tué récemment par
les Happas. Une odeur insupportable érnanait de
ce canot, dans lequel on avait placé en: offrande le
corps d’un dés Taïpis tués dans l’excursion de Por¬
ter ; plusieurs autres carcasses humaines étaient èntassées là, et les naturels disaient c[ue cette pirogue
était destinée à conduire le prêtre en question au
Ciel ; mais, que ne pouvant y aller tout seul, il luifallait un équipage de pagayeurs. Dix victimes étaient
nécessaires pour effectuer ce départ, et il n’y en
avait encore que huit.. Dans lin enclos voisin, on
voyait les cochons et les provisions qui devaient
subvenir aux besoins de ce voyage funéraire.
En voyant le peu de vénération des naturels pour
leurs idoles, qu’ils prenaient par les oreilles et dont
grands,
sa
courts ;
ils montraient le
bouche
et des
nez
camus
et les
difformités, de la
janabes, Porter leur demanda pour-
ÎLES MARQUISES
246
quoi ils les respectaient si peu. On lui répondit que
divinités n’occupaient qu’un rang très-secon¬
daire dans la hiérarchie des Atouas, et qu’elles n’a¬
vaient d’autre emploi que celui de servir de cortège
et de remplir les fonctions de la domesticité auprès
du dieu principal. On sortit bientôt ce dieu, ren¬
fermé soigneusement dans une case enfouie sous le
feuillage du massif déjà décrit, et on l’exposa au
grand Jour. C’était tout simplement un morceau de
bois assez mince, enveloppé par des étoffes blanches
et porté sur une branche de cocotier. Immédiate¬
ment la troupe des indigènes présents commença la
représentation des cérémonies de leur culte.
Un naturel prit le dieu dans ses bras, pendant que
ses
compagnons chantaient en frappant dans leurs
mains ; il agita ce paquet plusieurs fois, l’éleva en
l’air, le jeta sur ses épaules en faisant des sauts con¬
tinuels. Un moment de repos succéda à ce violent
exercice, puis on entonna un nouveau chant sur un
ces
ton
différent, Le dieu fut alors conduit successive-
points de l’enceinte, où on lui fit
à la fin de cette prome¬
nade, il fut replacé au dentre de la place, sur sa
feuille de cocotier. Alors l’homme qui avait exécuté
mènt vers divers
faire de courtes pauses, et
tous ces
mouvements, adressa, d’un ton très-animé,
plusieurs questions à l’auditoire; les réponses qu’il
reçut ayant paru fe satisfaire, il termina la céré¬
monie en remettant
le dieu dans la case. Porter ne
put obtenir de Wilson , son interprète, aucun ren¬
seignement, si
ce
n’est que les chants qu’il avait en-
ou
tendus, reiifermaiént des louanges
VAlom.
247
NOUKA-HIVA.
en
rhonneur de
-
Le missionnaire
Çrook avait aussi remarqué des
cérémonies analogues dans, l’île Taouata. Il rapporte
que, dans certaines solennités, un paquet, composé
d’une pièce de bois enveloppée d’étoffes blanches, et
orné de quatre conques de. guerre, était élevé et
abaissé successivement par les prêtres, qui. adres¬
saient avec vivacité des questions auxquellesla foule
répondait d’un commun accord. D’autres fois,’les
mêmes prêtres plaçaient en évidence, sur un vase
curieusement sculpté, un crâne humain, au milieu
d’un bouquet de fleurs. Une branche de
cocotier,
attachée sur une perche , représentait, dans ces oc¬
casions, le corps d’une victime humaine ; et d’autres
objets, tels qu’une petite pirogue garnie de touffes de
cheveux, une ceinture, un morceau de bois coudé,
étaient levés en l’air et montrés à l’assemblée, de la
,
même manière que
les Tahounas tendent leurs in¬
ciel, lorsqu’ils vont accomplir une
opération chirurgicale. Cette élévation semble avoir
pour but d’implorer l’assistance d’un pouvoir supé¬
struments vers le
rieur.
La crainte
des
sortilèges forme un des points
saillants du caractère Noukahivien ; une classe d’in¬
dividus nommés Nati-Kahas^ qui ne sont peut-être
autre chose que
des Tahounas, jouissent delà faculté
de lancer le terrible Kalia
sur
leurs ennemis. Ce
sortilège s’accomplit en enfermant dans une feuille
salivé, des cheveux, et même des excréments
de la
248
Iles marquises
individu; on l’entoure ensuite d’un sac tressé
compliqués, et on enterre le tout en ac¬
complissant certains rites. La personne ainsi maléficiée dépérit graduellement, sous l’empire d’une
maladie de langueur qui dure vingt jours. Lé seul
remède qu’on puisse apporter à ce mal, est de cher¬
cher le lieu où la feuille est enterrée, et de retirer
le dépôt confié à la terre; le charme cesse alors. —■
La moindre indisposition, la
phthisie qui existe dans
ce
groupe toutes les maladies de langueur, la cécité
même, sont attribués au Kaha, et l’on voit des indi¬
d’un
de nœuds
,
vidus chercher
le fatal charme
Les
sans
relâche l’endroit où est caché
qui doit les tuer.
INoukahiviens
des nom¬
la civilisation, sont
cependant exposés à d’affreuses infirmités., suite
inévitable de leur genre de vie. Couchés sur le sol
dont ils sont à peine séparés
par une natte, ils con¬
encore
breuses maladies enfantées par
tractent des
exempts
inflammations des organes
respiratoires,
foie; ils sont sujets à des rhu¬
matismes douloureux qui contractent leurs
membres,
à l’hydropisie qu’ils attribuent à
l’usage des fruits
taboues. Indépendamment des inflammations causées
par le tatouage et des phlegmons qui en résultent
quelquefois, ils sont en proie à plusieurs maladies
cutanées, à l’éléphantiasis et à une espèce de lèpre’
qui prend peut-être sa source dans l’abus du Kava,
dont l’effet est de couvrir la
peau d’écailles blanches.
Les scrofules abondent aussi
; il n’est pas rare de
et
des affections du
rencontrer des
malheureux atteints d’ulcérés
dégoû-
ou
tants ;
verts
NOÜKA-HIVA.
249
les enfants, surtoutsont généralement cou¬
pustules et d’éruptions. Lès maux d’yeux
de
fréquents,
complète cécité.
sont
et conduisent
Les maladies contractées
par
quelquefois à
une
le libertinage vien¬
compliquer et aggraver celles-là ; cepen¬
dant, quoi qu’on ait dit à cet égard, elles sont peu
répandues ; c’est à peine si deux ou trois cas se sont
manifestés parmi les marins de l’Astrolabe et de la
Zélée, au nombre de cent cinquante environ, après
un libre contact avec la
population pendant une re¬
lâche de plusieurs jours.
Ori doit ajouter aussi
que dans aucune île de l’O¬
céanie, la population n’a l’apparence aussi saine qu’à
INouka-Hiva; partout ailleurs, les maux physiques
atteignent une proportion bien plus élevée, relative¬
nent encore
ment au
chiffre des habitants.
Le massage
pratiqué par les Taouas, paraît être
considéré, indépendamment de son but religieux,
comme un
moyen thérapeutique. Lorsqu’un indi¬
vidu est gravement
malade, il se couche et montre
une
apparente tranquillité ; ses parents po'urvoienl à
ses besoins, et
quand le mal augmente, ils s’occupent
ouvertement des dernières
dispositions. Le malade
voit préparer
l’espèce de cercueil qui doit le renfer¬
mer, et ce soin qui doit lui ôter tout espoir; ne
pa¬
raît pas l’affecter
sensiblement; il considère ces pré¬
paratifs comme un témoignage de l’affection des
siens, qui veulent lui rendre tous les honneurs pos¬
sibles, Aux approches de
mort, des femmes en-
ÎLES MARQUISES
260
pendant que les Tçiouas usent tout
éloigner le fatal moment. Les fem¬
mes sont vêtues de pièces de Tapa blanche, et ne se bar¬
bouillent pas, dans ces circonstances, d’huile de coco
vahissent la case,
leur savoir pour
elles le font d’habitude.
décharges de mousqueterie retentissent, des cris
perçants se font entendre, les lamentations bruyantes,
et
du
suc
du papa, comme
Des
communes
à toute l’Océanie, ne cessent plus ; un cer¬
Bègne dans ces manifestations de douleur,
pleureuses n’emploient pas les-mêmes
exprçssion^-, mais elles terminent les versets qui
suivent leurs récitatifs par clés cris et des gémisseihents cadencés qui étouffent leurs voix. Quelquefois
elles sautent autour du moribond dans un état pres¬
tain accord
toutes
les
des morceaux
requins. Ce rôle
pénible a ses intervalles de repos, de nouvelles ac¬
trices remplacent celles qui sont fatiguées ; celles-ci
que frériéticjue, et se frappent avec
de pierres, pointues ou des dents de
rentrent alors
dans la foule des spectateurs,
raissent d’ailleurs fort peu
ment.
qui pa¬
affectés de cet événe¬
Loçsque'la mort a accompli son œuvre, le cadavre
lavé avec soin, on l’étend sur une plate-forme
formée par une réunion de lances et de casse-têtes
recouverts par une natte, dans une petite case qu’on
construit incontinent, à côté de la demeure du
mort. On recouvre le corps d’une pièce de tapa
qui n’a jamais servi, et, pendant plusieurs jours,
les prêtres continuent leurs chants funèbres, tandis
que Içs parents et les amis du défunt veillent sur
est
ou
251
NOUKA-HIVA^
son corp^, qu’ils ne, cessent de frotter avec de
l’huile de coco ; dans cet intervalle
pn
prépare une
proportionnés à la richesse de la
famille. Pendant que les provisions
s’apprêtent, plu¬
sieurs individus en costume de
cérémonie, c’est-àdire revêtus d’une étoffe blanche, le front ceint d'un
fête et des festins
turban de la môme couleur et la tête couverte
,par
une feuille de bananier
pliée en forme de mitre, et
portant en outre un éventail et une longua perche,
à laquelle pendent
sept banderplles terminées par un
nœud, font l’office de messagers ; ils passent de case
case, pour engager les chefs et les individus des
classes supérieures à assister à cette
fête; ils leur
adressent ces mots : toou ki, qui paraissent
signifier
en
vous
êtes invité.
.
Les hommes ainsi conviés
-se
rassemblent dans
quelque case voisine réservée à ces cérémonies ;
tandis que les femmes exclues restent au dehors dans
leurs plus beaux atours. Depuis l’instant
qui
a
suivi
celui de la mort, jusqu’à celui
qui voit terminer les
chants dés prêtres, toute cette .assemblée
jeûne et
aucun feu n’est allumé dans les alentours. Les
cé¬
rémonies
est
religieuses une fois achevées, la nourriture
apportée, le repas commence, et les cochons sont
retirés du four où. on les fait
cuire, pour être livrés
l’appétit des convives. Le chef de la famille du
défunt sépare les. membres de ces animaux avec un
morceau de bois
pointu; la tête revient de droit au
prêtre principal, les autres morceaux sont distribués
aux chefs,
qui, à leur tour, peuvent pn .faire part à
à
ÎLES MARQDISES
252
plats de pâte de fruits à pain, des
bananes, des cocos, abondent aussi dans ces repas
funèbres, qui durent autant que les provisions, or¬
dinairement jusqu’à la fin du troisième jour; alors les
alentours du lieu du festin sont jonchés de débris,
l’air est empesté des miasmes qu’ils exhalent et de
ceux que
jettent les offrandes faites aux morts et aux
atouas ; ces offrandes sont indispensables, çar les
dieux participent aux dîners des hommes; chaque
fois qu’un homme prend son repas, il a soin de jeter
un morceau de chaque met, sur le chaume de sa
case ou dans les environs, en guise de don propitia¬
leurs amis. Des
toire à la divinité.
Toutes ces cérémonies
ne
s’accomplissent que pour
tribu, car les individus des classes
inférieures ne possèdent ni assez de vivres pour
donner une fête ni assez de considération pour y
les chefs de la
,
prétendre. Ils sont tout simplement enterrés, tan¬
dis cjue les chefs jouissent de la prérogative d’êtré
mis dans une espèce de bière qui contient le corps
entier, à l’exception des deux cornes de la cheve¬
lure, soigneusement serrées dans des bandelettes
blanches. Le corps reste ainsi exposé dans une case
particulière, qui reçoit à Taïti le nom de tompapao.
Au bout d’un temps plus ou moins long ( ordinainairement une année), fine seconde fête a lieu : les
os des morts sont empaquetés avec soin; le temps
en a détruit les chairs, et la boîte qui les enveloppe
ne contient plus qu’un squeletteentiérement dénudé.
Pendant le passage de l'Astrolabe, une de ces der-
ou
NOUKA-IUVA.
253
niéres fêtes avait lieu à Taïohae. Les
naturels, ras¬
échafaudagq et revêtus de tous
leurs ornements, chantaient en
s’accompagnant
du son des tambours.
Quelquefois la véhémence
de'leurs gestes était extrême, et. leurs cris trèsviolents. Ils frappaient avéc force sur le coudé de
leur bras gauche,
replié sur la poitidne, et par¬
fois de longs cris, mate, male te
Tciipis, mort aux
Taïpis ! retentissaient spontanément.: Était ce, des
victimes qu’on demandait pour les mânes du chef
décédé, ou bien ces cris étaient-ils l’expression
semblés autour d’un
-
d’une haine invétérée qui se réveillait au
sopvenjr
de la mort de ce chef, tûé par les
Taïpis? C’est ce
que nous n’avons pas pu savoir. Tout ce que
comprendre, c’est que les hosti¬
reprisés, et qu’on nous
engageait à y prendre part..
Les Mordis, monuments
fqnèbres où,les corps sont
déposés, sont établis sur une plate-forme de pierre,
nous
lités
avons cru
ne
tarderaient pas à être
.
base de toutes les constructions noukahivieunes. Ori
les rencontre
épars danstqute l’étendue des vallées;
particulière ne paraît être exigée
dans le choix de remplacement. Près du ri
vage de Taïo¬
hae se trouve le moraï
,'qui contient les restes d’un
frère de Vatepeïou Palini, un on.cle de
Moana, mort
depuis quelques années, à ce qu’on nous à assuré.
Sous un hangar souteiiu par des
poutres, recouvert
par un toit, mais dépourvu de parvis, à un mètre et
demi au-dessus du sol, en
voyait le coffre contenant les
restes du mort, Une
enveloppe de tapa blanche le
aucune
,
condition
ÎLES MARQUISES
254
pîis, mais du côté de la tête une
large laissait apercevoir les deux
cornes factices dont nous avons déjà parlé, et en¬
suite le squelette en entier. Tout autour de cet
ajoupa, des perches longues et flexibles laissaient
flotter d’étroites banderôlles blanches d’un effet pit¬
couvrait de
ses
ouverture assez
milieu d’elles une grossière colonne
pierre, haute d’environ deux mètres, portait une
enveloppe de tapa. :Un trou était perforé au milieu
de ce bloc, qivi avait dû exiger beaucoup de travail
aux indigènes pour-le polir et le façonner ainsi. Des
matières animales en décompositioii, des débris de
fruits et de fleurs, une mâchoire de cochon , indi¬
quaient que le mort avait reçu de nombreuses of¬
frandes; niais elleaétaient déjà vieilles,-et il est pro¬
bable qu’elles.né ^ont plus renouvelées au bout d’un
temps assez court;. Grâce à leur frêle construction ces
monumènts ne tardénf pas à se détériorer ; ils dispa¬
raissent en peu d’années, sans laisser d’autre vestige
que les grosses pierres qui les ont supportés!
D’après les renseignements les plus précis, à
charjue mort de chef important, des victimes humai¬
nes sont nécessaires ; les sacrifiés prennent le nom de
ïlecma, et c’est dans les tribus voisines que les sujets
sont choisis. Le jour même de la mortdu chef, les
toresque, et au
de
guerriers se mettent en campagne. Malheur alors à
pirogue solitaire qui ne peut fuir à temps , mal¬
heur à la famille endormie dans une douce sécurité;
malheur surtout à l’homme isolé dans les champs;
saisi, garrotté, il est enlevé et transporté aux lieux du
la
ou
NOÜKA-HIViV.
255
sacrifice, il est tué impitoyablement , et son corps se
dessèche à côté de celui à
qui il est offert;
Le
mune
hiva.
cannibalisme, cette affreuse dépravation com¬
à tant de
peuples est aussi pratiquée à NoukaAujourd’hui l’antropophagie paraît avoir'dimi-
nué considérablement dans
ces
îles ;
cependant il n’y
pas bien longtemps encore, on voyait à
Taïohae,
les débris d’un homme, d’une femme et
d’un
a
enfant,
qui avaient servi de pâturé à des guerriers Taïs. Il
est probable
que ces repas monstrueux n’ont lieu qùe
lorsque les dieux ne réclament pas de victimeSj et que,
dans ce cas, les guerriers
mangent leurs prisonniers.
Quoi qu’il en soit, les femmes sont exclues de ces
repas; le vieux chef Nia-hitoutémoigna devant
nous
de la manière la
avait
eu
plus expressive le plaisir qu’il
jeune enfant. La femme qui
faisait partie dès victimes citées
plus haut, -avait
subi la
de manger un
mort
à la suite de
son
Elle
dévouement maternel.
s’aperçut cpie son enfant avait été enlevé, et,elle
qui l’égorgèrent, sans
pitié, avec sa progéniture.
Cependant quoiqu’on ne puisse justifier ces
crüàutés, il faut ajouter que, sans-doute, la vengeance
est le
principal mobile de ces festins contre natiiré ;
chaque famille a un membre qui a péri sous les
coups de l’ennemi, c’est la peine du talion
qu’elle
applique.
'
suivit les traces des ravisseurs
C’est à
res
ces enlèvements de victimes
que les guer¬
de tribu à tribu doivent leur
origine. A la mort
d’un chef, des bandes font
irruption chez la peuplade
ÎLES MARQUISES
256
voisine, la surprennent, et y
sèment la désolation;
représailles suivent ces attentats, et les hostilités
commencent pour ne plus finir. La possession de
certains terrains, l’esprit conquérant de certaines
tribus sont autant de causer nouvelles qui réagissent
et qui constituent un état de guerre permanent.
Une déclaration de guerre précède la rupture de
la paix. Un chef est presque toujours député pour
annoncer les projets belliqueux de sa tribu ; il passe
la nuit .dans le village ennemi où son caractère
d’ambassadeur paraît être respecté; il revient le
lendemain répéter auxsienslesdiscoursqu’ila tenus,
où qu’il «est censé avoir tenus.. Les guerrière se ras¬
semblent alors j les conques de guerre résonnent,
les tambours barttent, et, dès qu’on le peut, des sa¬
crifices humains, nommés, cette fois No-outou, sont
offerts aux divinités pour les réndrês propices.
Avant l’introduction des armes à feu, le mode de
combattre différait ; il consistait dans des escarmouclies prolongées. Les deux partis opposés se plaçaient
des
sur
dés hauteurs ayant une.vallée entre eux; alors
deux des plus braves, ornés de leur costume le
un ou
plus splendide,, s’avançaient en dansant vers l’enn’emi;, et le déliaient par des grimaces et des, gestes
outrageants;, de venir engager un combat singulier.
Aussitôt, un nombre supérieur d’ennemis se déta¬
chait pour les poursuivre; à leur tour ils étaient
forcés de se retirer devant des forces plus considé¬
rables et ainsi de suite. Cette partie de barres s’exé¬
cutait au milieu d’une grêle de pierres et de lances,
,
ou
NÛÜRA'-BIVA,
357
les indigènes évitaient avec une mei'veitleuse
prestesse, mais si par hasard ces projectiles venaient
à abattre
quelques hommes, ils étaient sur-le-champ
assommés sans
miséricorde, et emmenés en triom¬
phe par l’ennemi. Toutefois, l’enlèvement des
corps
devenait le signal de la plus vive
résistance, l’hon¬
neur
exige de ne pas abandonner le corps des tués à
l’ennemi, qui les offrirait à ses dieux, ou qui les
mangerait en réservant leurs-têtes et leurs cheveux
pour en faire des trophées. Ces crânes
tapissent les
cases de tous les
guerriers renommés, qui, par déri¬
sion, leur appliquent des yeux de nacre, un nez de
que
bois
des dents de cochon. Ils insultent ainsi
àleurs
ennemis, et s’enorgueillissent delà prouesse de leur
et
bras, qui
brisé les os de ces crânes. Ces blessures
voir; sur des,têtes recueillies par
M. Dumoutier, on pourrait
presque passêf le poing
dans les lésions qui ont donné là mort.
Aujourd’hui ces combats ont perdu leur caractère
primitif; des coups de fusil à l’improviste atteignent
plus sûrement un ennemi, quoique, dans les grandes
batailles, les sauvages encore inhabiles, tirent de
sont
a
horribles à
fort loin redoutant leur
sont
pas
familiarisés,
versaires.
arme
,
avec
laquelle ils
ne
autant que celles de leurs ad¬
'
Lorsqu’une balle a atteint un homme, l’a dé¬
est générale dans son
parti; ce mode de
combattre est infiniment plus meurtrier
que l’an¬
cien; il prête plus à l’assassinat, et ses résultats
plus certains sont une des causes majeures du
bandade
17
ÎLES MARQUISES
258
décroissement de la
îles.
population qui frappe ces
toujours tués; un
chef, un tahouna, peuvent leur sauver la vie; dans
ces cas ils les adoptent, et les prisonniers devien¬
Les
nent
prisonniers
ne sont pas
membres de la tribu ou de la
famille qui les
reçoit dans son sein. On en a vu un exemple dans
Moe, l’insulaire qui accosta l’Astrolabe, dans le dé¬
troit de Taouata et de Hiva-oa. Cet homme avait été
était venu com¬
et le suivait
à la guerre contre son ancienne, tribu de Taouata.
Une disposition spéciale pèrme taux individus qui
ont épousé des femmes des tribus voisines, de cir¬
saüvé par un chef de Hiva-oa qu’il
battre. Dès lors, il avait adopté sa cause
culer librement entre les
deux vallées lorsqu’elles
guerre. Leur personne
s’ils tiennent aux chefs par
sont en
tout
est respectée, sur¬
des liens étroits. Ils
propositions de paix, ou colportent les
C’est au moyen de ces hommes
privilégiés que .Porter ouvrit des négociations dans
portent les
nouvelles de la guerre.
incursions armées.
qu’on a pu le voir, les
toutes ses
Ainsi
Noukahiviens n’ont
point de forme arrêtée de gouvernement. Chez eux,
T influence des chefs ne dérive que de leurs richesses :
la classe tabouée possède seule les terres, qu’elle se
transmet héréditairement, et le reste de la popula¬
tion tire sa subsistance de son industrie ou de la pê¬
che. De grossières traditions, la crainte des pouvoirs
malfaisants sont les liens imparfaits de cet état so¬
cial rudiraenlairé. Dans l’association de ces sauvages,
ou
NOÜKA-mVA.
259
l’indépendance de l’indi-s'idu est complète., elle ne
plie qu’à la nécessité de repousser l’ennemi com¬
se
mun,'
le danger seul unit
chacun est libre de
à
ses
tous les bras ;
actions. L’homme
hors dé là,
a
rarement
semblable, car il peut satisfaire luimême à tous ses
besoins; dans l’état de guerre mêrne,
il agit souvent
isolément; il combat son ennemi lors¬
qu’il le rencontre, ou le tue traîtreusement s’il
recours
son
Aucune loi civile
déterminée
ne
peut.
réglant sa conduite, aucune peiné
punissant une offense, il en résulte
qu’il se laisse guider par ses passions bonnes ou mau¬
vaises, et ne reconnaît d’autres devoirs imposés par
ne
la société que ceux de la
parenté. Dans cet état
bon et son mauvais
côté,
a son
une
qui
seule règle reli-
giquse, règle puissante et efficace, pose, des bornes
excès nuisibles, arrête les
déprédations, et relie
aux
entre eux tous ces
mille.
Le
Tabou,
bizarre dans
car
enfants libres d’une
grande fa¬
c’est de lui que nous voulons
parler,
effets, varié dans
applications^
qq’il revêt,
car il est
l’expression avouée de la volonté des dieux,
expression révélée aux prêtres qui la manifestent à
reçoit
leur
Sa
toute
ses
sa
ses
force du caractère divin
tour.
première.mission
a
été,
sans aucun
doute, de
constituer la propriété, base de toute société.'
Lés
Taouas destinés à devenir des dieux à leur
mort, les
Tahounas qui participent aux honneurs de cette
classe, les Akaïlds, descendant des hommes divinisés
qui ont peuplé
ces terres,
les ïoas, illustrés par leur -
gôü
MAftQWiSESl
courage et favorisés par la divinité, les hommes
enfin pourvus par la nature de dons plus exquis que
le reste de leurs compagnons,
ont, sous la sauve¬
gardé du Tabou, formé une grande catégorie de pro¬
priétaires qui,, aux yeux du vulgaire, jouissent d’une
position plus riche, plus heureuse, en vertu d’une
espèce de droit divin.
Le tabou a seul produit, heur sécurité, seiil il les
défend contre l’empiétement de leurs voisins plus
pauvres et naturellement envieux d’un bien-être
dont ils voient les effets.
une garantie suffisante; la propriété des
n’est pas entièrement assurée à ceux qui en
toujours
terres
Toutefois, cette loi n’est pas
jouissent. Il arrive quelquefois que le fort s’empare
des biens du faible, un parent puissant de ceux d’un
héritier en bas âge. Mais.alors c’est la force qui dé^
eide de la légalité, le plus puissant l’emporte et ren¬
tre dans la catégorie tabouée, à laquelle il appar¬
tient déjà presque toujours. Roquefeuille a assisté
à un différend soulevé par lès prétentions injustes
d’un oncle sur une portion des terres de son neveu.
Une espèce de conseil de famille s’était assemblé,
mais n’avait rien décidé; outre les parents et les
amis des deux parties, les habitants de la vallée s’étaiertt réunis en divers groupes; presque tous étaient
armés pour assister aux débats des deux parties. De
temps en temps la querelle s’échauffait jusqu’à faire
croire qu’on allait en venir aux mains, mais tout.se
passa sans effusion de sang. Les seuls coups portés
le furent par une tante de l’enfant à l’un de ses cou-
ou
.
sins, celui-ci
eut le
moment. Cette
NOÜKÀ-HIVA,
dessous;
neveu
très-actif
au
fut l’affaire d’un
jeune et d’une grande
ce
femme,
encore
; toutes
deux remplissaient
taille, soutenait ainsi
de leur
261
milieu du
que
sa
sœur
de
les
intérêts
un
rôle
dispute,Lorsque la dis¬
voyait plusieurs des
compétiteurs abattre les buissons avec leurs bâtons,
comme pour
essayer la force dé leurs bras ou pour
dégager le cliamp de bataille.. Quelques hommes et
beaucoup de femmes étaient simples spectateurs et
se tenaient
pour la plupart un peu à l’écart, mais
aucun d’eux
cepeudant ne témoignait de crainte
pour Je cas où on en serait venu aux mains. Les
pro¬
et
n’y paraissaiçnt
vacarme
la
pas déplacées.
cussion s’animait le
plus, on
tecteurs de
l’enfant étant les plus
nombreux,
adversaire parut se relâcher d’une
partie de ses
son
pré¬
Quelques jours après, ayant pris des me¬
dont il espérait
plus de succès, le même indi¬
tentions.
sures
vidu revint
dans la
son
neveu; mais.,
nuit, à l’insu de Tusurpateur, les partisans
de l’enfant
sort
les terres de
sur
des
se
réunirent,
armes.
et l’oncle n’osa tenter le
Il fut chassé du terrain dont il
né
réclamait plus qu’une partie. Ses
projets injustes
ayant complètement échoué de ce côté,' il se tourna
contre
qui,
de
se
un
de
ses
frères plus âgé que lui et
aveugle,
ne se trouvant pas
retirer dans
aussi bien appuyé, fut obligé
coin de
terres, et d’aban¬
cadet.
On remarque
que, dans ces cas de rixes particu¬
lières entre les habitants d’une même
vallée, les
donner le
reste
de
un
sa
ses
propriété à
son
262
ÎLÈS MARQDISÈS
morts ne sont pas
mangés, les enfants sont respec¬
on les voit passer sans crainte devant
des maisons des ennemis de leurs parents.
tés;
le seuil
tabou, il est imposé par les
prêtres, qui se concertent probablement avec les
chefs ; il change de forme de vallée à vallée, de tribu
à tribu ; à chaque grande solennité, à la mort d’un
chef, un nouveau tabou est imposé, et les restrictions
qu’il impose sont souvent aussi rigides que singu¬
lières. Ainsi, l’enceinte des lieux sacrés, la maison
des chefs, les cases destinées à des festins particu¬
Pour
en
revenir
au
liers, les moraïs ou monuments funéraires, les
objets appartenant aux classes supérieures sont taboués pour les classes inférieures.
La tête de l’homme est tabouée, rien ne
on ne doit pas
femmes refuser de monter
au-dessus,
vire pour ne pas passer
placés au-dessous.
doit passer
la toucher; on a vu des
sur
la dunette d’un
na¬
au-dessus de la tête des chefs
les effets, les ustensiles d’un chef sont
les autres individus; ils ne peuvent y
loucher; si uh homme taboué se couche sur la natte
d’un individu non taboué, elle nepeut plus servir à ce
dernier pour dormir, il l’emploie-à un autre usage.
Les nattes,
taboués pour
Les
rigueurs dutaboupèsentpfincipalementsurles
femmes; elles ne peu vent pas entrer dan s les pirogues.
C’est pour cela qu’on les voit toujours arriver à la
nage à bord des navires. Elles ne mangent pas de
tous les aliments permis aux hommes; elles ne pren¬
nent
pas
leurs
repas avec eux,
tandis que céux-ci ont
ou
toute
trent
NOÜKÀ-HIVA.
263
liberté d’action vis-à-vis des femmes. Ils
dans leurs cases, mangent
en¬
leurs jarovisionSj
s’emparent de leurs Ustensiles sans le moindre scru¬
pule.
A côté de ces tabous
particuliers, on voit des ta¬
bous généraux qui
empêchent de manger pendant
un certain
ternps de tel ou tel aliment : lorsque les
cochons deviennent rares, un tabou défend de les
ou de les
vendre, et il est fidèlement exécuté.
tuer
exemple delà rigidité dü tabou’ nous fut offert
M&te-omo, le tayo Ûn lieutenant
Dubouzet, était convié à dîner; il mangea et but sans
scrupule jusqu’au moment où il vit servir des volailles
rôties ; aussitôt il se leva et ne
répondit aux questions
qu’on lui adressait que par les mots sacramentels :
Tabou, tabou. Il ne voulut reprendre sa place à table
que-lorsque le plat fut enlevé.
Dans nos courtes dans la
vallée, nous remarquions
aussi les regards mécontents
que les indigènes nous
jetaient Iprsque, en caressant leurs enfants, nous ve¬
nions à toucher leurs
têtes; les enfants eux-mêmes
nous
regardaient d’un air courroucé dans ces mo¬
Un
à bord de la Zélëe.
ments.
■
mariage des chefs est la cause fréquente de.
tabous bienfaisants qui'eimentent la
paix entre deux
tribus. Une fille dé la tribu des
Taipis ayant épousé
un chef de
Taïohae, tout l’espace de mer
Le
parcouru à la rencontre de
boué. Aucun combat
cette
ne
son
mari
pouvait plus
étendue, le tabou le défendait.
qu’elle avait
,
avait été talivrer dans
se
Cette défense
Î^.ES MARQUISES
264
la durée de la vie de cette femme,sa mort-, car on supposait que
son esprit devait errer sur les lieux où elle avait vécu,
et qu’il tirerait une terrible-vengeance de toute in¬
fraction offensante pour sa mémoire. Un seul cas
avait le pouvoir de rompre ce tabou, c’était celui où
le chef aurait renvoyé sa femme, chez ses parents ;
alors l’effet des restrictions imposées devenait nul.
ne se
mais
limilait pas à
encore
survivait à
La couleur blanche est
que les lieux sacrés
de cette couleur. A
celle du Tabou
: on a vu
étaient entourés de banderolles
l’époque des funérailles, les ha¬
bitants se revêtent de blanc, et lorsque des collisions
avaient eu lieu avec les navires européens, l’envoyé
qui venait réclamer Ja paix, se faisait reconnaître
de tapa blanc, et la plante du Kava,
symbole certain d’un désir pacifique.
Cependant on remarque, dans les enclos où sont
cultivés les végétaux fruitiers, sur le tronc de quel¬
ques arbres, et dans les monuments funéraires, un
autre signe du Tabou; c’est une poignée d’herbes
sèches, dont nous ignorons le nom. On remarque
ces
signes dans plusieurs endroits; leur disposition
fait conjecturer qu’ils sont destinés à indiquer
la prohibition des objets alimentaires, d’un usage
par un morceau
ils serviraient à défendre
l’emploi des vivres offerts aux morts.
Un des plus puissants effets de l’efficacité du
Tabou se révèle à certaines époques de l’année, qui
amènent de grandes réjouissances dont la cause est
inconnue. Ces fêtes, nommées Kdika, sont-elles céhabituel. Dans les Moraïs,
ou
lébrées
265
NOUKA-HIVA.
commémoration de
quelque événement
important, ou bien n’ont-elles lieu qu’au gré des
caprices de la population? Reviennent-elles périodi¬
quement ou à des époques indéterminées? c’est ce
qu’il est impossible de déterminer aujourd’hui; mais
un fait
certain, c’est qu’elles sont fréquentes ; cha¬
que vallée a la sienne, et pendant sa durée, un
en
tabou solennel défend de faire le moindre mal
étrangers qui viennent
aux
participer. Les habitants
époques ; à Taïo-Hae,
le lieutenant Gamble vit arriver une
pirogue double
de l’îlè Houa-Poou, conduisant plus de
quarante
naturels à ces réjouissances, illne trêve
générale
règne pendant ce temps, les tribus ennemies vien¬
nent sans crainte
participer aux plaisirs de ceux
qu’ils combattaient la veille, et qu’ils combattront
encore dans
peu de jours. Ils prennent part aux
repas et aux divertissements, pêle-mêle avec les
hommes de la tribu qui en fait les frais, mais ils
partent ordinairement la nuit du troisième jour,
temps que paraîtdiiniter leur sauf-conduit.. D’après
Stewart, ces fêtes, à l’une desquelles il a assisté,
ont lieu à
l’époque de la récolte des fruits à pain, et
à la ratification de la paix entre deux tribus.
Voici,
du reste, la substance du tableau qu’il a tracé de
y
des îles voisines affluent à
ces
réunions.
Le Talioua
ces
.
ou
théâtre
représentait
un
parallélo¬
d’environ vingt mètres de long sur une lar¬
geur de treize. D’immenses pierres, des quartiers
de rochers, d’un mètre d’élévation et de deux
gramme,
ÎLES Marquises
266
de longueur, assemblés àvec une régularité
soin remarquables, eu égard aux moyens res¬
mètres
et un
indigènes, formait l’am¬
phithéâtre occupé par les spectateurs, assis sur un
espace pavé qui se développait tout autour de ce
treints de l’industrie des
mur.
voyait d’aütres pierres sur
bas; elles servaient de sièges aux indi¬
vidus chargés de faire résonner les tambours, c’était
la place d’une partie de l’orchestre ; l’autre portion
composée de chanteurs, au nombre de cent cin¬
quante environ, était placée sur la plate-forme
destinée aux chefs. D,ans le centre de cet emplace¬
En dedans du mur
un
,
on
niveau plus
ment se
sans
trouvait
un
terrain uni et battu
,
nettoyé et
pierres, ayant sept mètres de longueur sur
était destiné aux acteurs
quatre de large; cet espace
représentation.
Chaque village possède un emplacement pareil,
c’est un diminutif des cirques romains, il est uni¬
quement destiné aux plaisirs de la scène.
Les acteurs mentionnés par Sfe'vVart étaient au
nombre de trois, un. jeune homme de vingt ans et
de cette
deux enfants de dix-à douze
ans.
Tous trois étaient
longues touffes de cheveux
blancs, qui recouvraient leur tète, entouraient leurs
poignets ou pendaient au bout de l’étoffe blanche
qui leur servait de vêtement; comme dans,les céré¬
monies religieuses, lé blanc paraissait la couleur
adoptée. Les deux enfants se trouvaient à l’extrémité
du carré, et l’autre acteur au bout opposé. Leurs
bizarrement accoutrés de
ou
mouvements
suivaient la
rent
fut
furent d‘aborcl gracieux et lents. Ils
mesure
bientôt'; la
des
tambours; mais ils s’animè¬
des chants s’accéléra, et ce
les plus rapides que
mesure
milieu des
au
967
NOÜKA-ftiVA.
mouvements
la danse sé termina.
Des chants succédèrent à cette scène ;
les femmes
sur un ton lent et monotone;
les battements de leurs mains indiquaient la mesure
joignirent leurs voix
accords sauvages,
d’harmonie.
de
ces
Personne
encore
qui n’étaient pas dépourvus
n’a recueilli les
chants ; souvent on y a
paroles de
ces
remarqué le nom de di¬
individus, et celui de certains objets; on
a
pu aussi se convaincre que les expressions de¬
vaient être très-libres, à en juger par les gestes ;
vers
mais toutes les observations
recueillies
se
bor¬
nent là.
d’assister, à bord de l'As^
chants des femmes noukahiviennes.
Assises d’abord sur deux fdes se faisant face, elles
On eut aussi l’occasion
irolabe,
aux
avaient entrelacé leurs
jambes et accompagnaient un
des mouvements de leurs mains
et des doigts,
qu’elles portaient à droite, à gauche,
en avant, avec une
rapidité qui semblait indiquer le
vol des oiseaux. Une d’elles paraissait guider l’or¬
chestre ; elle donnait fréquemment à sa voix une in¬
chant
en
chœur par
tonation
interrogative, à laquelle
ses compagnes
paraissaient répondre. Plus tard, elles frappérerit
dans le
creux
quable, et
ce
de leur main
avec un
ensemble
remar¬
bruit, si peu harmonieux par lui-même.
268
ajoutait cependant
ÎLES MARQUISES
certaine énergie aux accords
troupe. Quelques mots re¬
venaient très-souvent ; céux qui suivent ont été sur¬
tout remarqués. Une femme criait à pleine voix :
Ariri, ar'iri, les autres répétaient en chœur ariri, le
mot était répété encore une fois, puis toutes en¬
semble prononçaient, sur un ton très-élevé,
Une espèce de récitatif à trois temps suivait d'or¬
dinaire ces grands cris, qui revenaient à chaque
une
monotones et lents de la
instant.
Après ce concert vocal, les beautés noukahiviennes donnèrent un échantillon de leurs talents
chorégraphiques, si toutefois on peut donner ce
nom à des
gestes hardis, exprimant des images li¬
cencieuses. Une des figui^es les plus compliquées de
cette danse consistait à former un grand rond ; une
femme se plaçait au cerifre et exécutait sur place une
pantomime expressive, en suivant la mesure deS
chants du reste de la troupe; ses compagnes répé¬
taient les mêmes mouvements en les imitant parfai¬
tement, puis elles sautaient lourdement, à pieds
joints, à la file les imes des autres. Lés chants conte¬
naient sans doute la signification de ces évolutions
qui restèrent un mystère pour nous.
Malgré la nudité presque-complète des indigènes,
le nombre de leurs ornements est encore considérable ;
mais, contrairement à ce qui a lieu chez les nations ci¬
vilisées, ce sont leshommes qui éripossèdentleplus.
Outre le tatouage, armoiries ineffaçables dont-la com¬
plication indique la richesse et la puissance tout aussi
ou
bien que nos habits à la mode ou nos
les Noukahiviens ont
plusieurs objets
fort curieux-. Une étroite
uniformes,
de toilette
ceinture, de l’étoffe du mû¬
rier, forme leur unique vêtement dans les temps or¬
dinaires ; quelques-uns même s’en
dispensent, pré¬
textant, probablement que sous un climat aussi
chaud, on souffre si peu que l’on soit babillé; mais
dans les jours d’apparat, les guerriers ornent leur
front d’un panache'circulaire de
plumes ondoyantes ;
une visière ronde, couverte de
petits pois rouges
,
d’Amérique,
bois, divisé
tations de
entoure leur front ;
en
un
collier de
rayons, recouvert aussi d’incrus¬
pois rouges, entoure leur cou; des
plaques de bois minces, larges et peintes en blanc,
cachent les oreilles, ou bien des dents de cochons
curieusement travaillées, dont l’extrémité est ter¬
minée par une coquille polie (le cône
drap d’or),
remplissent la fente du lobe de l’oreille ; un collier d’os
humains coupés en petits fragments, et
présentant
en relief la
figure de J’atoua des batailles, atoua
difforme, dont l’énorme bouche semble menacer les
chairs des vaincus, vient pendre sur la
poitrine ; des
bracelets formés avec des touffes de cheveux,
trophées
sanglants conquis sur l’ennemi, couvrent les join¬
tures du poignet et du pied, et souvent entourent
la taille. De courts manteaux
blancs, laissant la
poitrine découverte,; flottent soulevés par la brise,
tandisquele guerrier marche à pas précipités, en por¬
tant sur l’épaule son lourd
casse-tête; de temps en
temps, il s’arrête pour tirer de la coquille d’un grand
,
270
MARQUISES
ILES
triton, percé à sa pointé extrême, des sons rauques
prolongés, signal d’alarme compris par toute la
et
tribu.
Noukahivien apparaît
dans toute sa .majesté; ses niembres robustes^ sa
taille agrandie par sa nudité, lui donnent un asr
pect bien supérieur à celui d’un Européen. Ge n’est
plus le sauvage indolent et dégradé de la veille, il
est là dans toute sa force, dans toute son énergie ;
son œil brille d’un éclat remarquable ; .sa démarche
élastique donne la mesure de sa vigueur muscu¬
laire; il devient.imposant et redoutable, dans la
Dans
ces
moments
,
le
noble attitude de l’homme
rils du combat.
qui
va
affronter les pé-,
réunie à des
proportions de corps admirables, en contemplant ce
port hardi, l’expression terrible du visage, les posi¬
Souvent
en
voyant tant ‘d’élégance
tions heureuses des membres libres de toute entrave,
regrette de ne pouvoir reproduire exactement
l’impression que cette vue fait naître. C’est de nos
jours le plus beau modèle de l’homme primitif, de
l’homme guerrier, qu’on puisse voir.
Les vêtements des femmes sont moins compli¬
qués ; les touffes de cheveux, dépouilles sanglantes,
n’ornent pas leurs bras, le panache n’ondoie plus
sur leur tête ; leurs oreilles sont vides ; mais, en re¬
on
elles lissent leurs cheveux avec l’huile
qu’elles retirent de la noix de coco, elles les relèvent
sur le derrière de la tète, ou les laissent flotter sur
leurs cous. Un étroit bandeau , ou un turban nommé
vanche
,
ou
NOUKA-HIVA.
271
palii ceint gracieusement leur front 5 un collier de
fleurs entoure leur cou, petit et flexible. Une courte
pagne descend jusqu’au genou et leur sert de robej
c’est le
fait d’une étoffe plus forte que le
pahi, dont la finesse admirable lui donne l’aspect de
,
la gaze.
complète le costume. C’est tout sim¬
pièce d’étoffe carrée jetée négligem¬
ment sur une épaule ou sur la
tête, cacbant sous ses
replis tout le corps, à l’exception d’un bras toujours
exposé à l’air. Mais cette tlernière pièce de l’habille¬
ment est rarement
portée ; elle ne sert que pour at¬
Un manteau
plement
une
ténuer les rayons du soleil ou pbur
cheurs du soir. Au premier abord,
abriter des fraî¬
la nudité de ce
peuple étonne l’œil des Européens; mais on s’y ac¬
coutume |»ien vite, et l’on finit
par reconnaître que
l’habitude influe beaucoup sur l’idée qu’on se fait de
la décence.
Les femmes donnent à leur
peau
des soins fré¬
quents, soins qu’elles partagent avec les hommes de
la classe des Hokis ou Kaioas,
qui, renonçant à la
gloire des guerriers, sont les véritables dandys de
la population. Une poudre
jaune, obtenue delà
plante nommée papa, est employée avec l’huile
de coco pour,
assouplir l’épiderme. Celte couche,
qui blanchit considérablement le teint, a une odeur
nauséabonde; il faut un long contact pour s’y habi¬
tuer. Cette
préparation est la principale cause de la
curiosité sou\ènt indiscrète que les femmes té¬
moignent, envoyant la blancheur de la peau des
ÎLES M4UQIJJ8ES
Européens; elles la flairent de près, pour y chercher
qu’elles lui supposent. Souvent,
leurs recherches ne s’arrêtent pas aux mains et" au
visage ; elles demandent à voir les bras et la poitrine,
pour s’assurer que la peau a partout la môme cou¬
leur. Leur étonnement donne lieu parfois aux scènes
les plus comiques.
Hommes et femmes se baignent fréquemment ;
c’est dans les flots d’écume soulevés par le ressac
qu’ils cherchent un soulagement à la tempéra¬
ture élevée de l’atmosphère. Vers trois heures de
l’après-midi, le rivage est couvert de groupes assis
à l’abri des Pandauss, quittant, de temps à autre,
la trace de l’enduit
leur repos, pour se plonger dans une mer tiède;
c’est dans cette lutte avec l’eau que ces naturels dé¬
ploient une agilité, une souplesse, une vigueur peu
communes, et qui excitent l’admiration de leurs
spectateurs.
Les ruisseaux de la vallée
offrent aussi, près de
des baignoires artificielles, dont ils font
habituel. Les navires ont à souffrir quel¬
leurs cases,
un
usage
quefois de
est souvent
ces penchants aquatiques, car l’aiguade
envahie par une foule de baigneurs des
qui troublent la limpidité de l’eau, dans
laquelle ils plongent, sans la moindre retenue, leurs
deux sexes,
membres malades.
La coiffure des hommes est des
plus singulières;
ils portent leurs cheveux presque toujours divisés
sur le sommet de la tête, en deux petites touffes en¬
veloppées d’une bande d’étoffe, ce qui leur donne
ou
NOUKA-HIVA.
273
exactement la forme de deux
petites cornes blanches ;
proéminences, jointes à la teinte noire du
tatouage, rendent l’ensemble On ne peut plus diabo¬
lique. Une portion considérable de la tête est rasée.
Autrefois les, coquilles remplissaient l’office des ra¬
soirs, mais aujourd’hui des instruments plus perfec¬
tionnés les ont remplacées.
L’usage des coquilles
s’est conservé cépendant pour la barbe. Les naturels
s’épilent une portion du visage, et du corps, et lais¬
sent ci’oître
capricieusement des bouquets de poils
ces
deux
le menton, en forme de barbe de bouc.
L’industrie ne se développe chez les
sur
raison de leurs besoins
habitants de Noukahiva
peuples qu’en
point de vue, les
ne.devraient occuper qu’une
: sous ce
place bien minime dans l’échelle industrielle ;
dant
un examen
tables
ments
attentif découvre chez
eux
cepen¬
de véri¬
prodiges d’art, lorsqu’on considère les instru¬
qui les ont accomplis.
Ces instrunients
petit nombre sont grossiers
sont faits; une
pierre
dure usée par le frottement, emmanchée sur un mor¬
ceau dé bois
CQudé, sert de hache^et de marteau;
avant l’introduction du fer, on
coupait le bois, on le dé¬
bitait en planches pour les
pirogues, ou on le façonnait
pour édifier la charpente de certaines habitations, avec
cet outil défectueux. Des instruments
pointus, faits
avecla nacre dès huîtres
perlières, servaient à perforer
le bois, tandis
que d’autres coquilles tranchantes, des
dents de requin disposées en scie, étaient
employées
pour graver les armes, pour les sculpter et les,polir.
comme
en
les matériaux dont ils
18
ÎLES MARQUISES
274
restreints ont suffi longtemps à ce
peuple pour vaincre les difficultés de la construction
des cases, et celles bien plus grande's de la confection
des pirogues. Aujourd’hui, le fer apporté par les na¬
vigateurs a amoindri les obstacles ; Chaque Noukahivien possède au moins une hache, et le grand nom¬
bre de ces instruments lés-rerid déjà presque sans
valeur aux yeux des indigènes..
Le plus souvent les cases sont placées sur une
terrasse carrée, formée par de grosses pierres super¬
posées avec symétrie. Cette plate-forme, haute de un
mètre à un mètre cinquante centimètres, semble
avoir un double but : celui de garantir de l’humidité
du sol, et de l’invasion des torrents impétueux qui
descendent des montagnes dans la saison pluvieuse,
et ensuite, celui de fortifier ces demeurés contre une
attaque inopinée des ennemis. C’est Un faible obstacle,
il est vrai, aux entreprises nocturnes des rharaudeurs
en
quête de victimes humaines; mais c’est dêjà une
Ces moyens
moindre bruit peut donner
Une'poutre mobile,
entaillée de coclies profondes, sert d’échelle pour
arriver du sol dans la maison, dont l’accès’est dé¬
difficulté à vaincre, et le
l’alarme à là famille endormie.
fendu par une porte étroite, basse
Il faut s’accroupir pour la franchir.
et incommode.
mais leur
change pas. On en voit dont les dimen¬
sions dépassent vingt-cinq mètres, de longueur, sur
une largeur de deux métrés, d’autres n’ont que sept
mètres de longueur , trois mètres de largeur et deu.x
Toutes
forme
ne
ces cases
varient .de grandeur,
Oir NOUKA-HIVAi
275
mètres et demi de hauteur ; leur construction n’offre
pas de grandes difficultés à vaincre ; elle est cepen¬
dant ingénieuse, et donne un abri
parfait pour le
climat.
Des poteaux
les quatre
supériéure
plantés dans le sol forment d’abord
coins de la charpente; à leur extrémité
une
entaille
cocotiers lisses et
sert à recevoir des troncs de
^minces qui forment la
de l’édifice. Le derrière de la maison est
que la
carcasse
plus élevé
partie antérieure à cause de l’inclinaison de
toiture, qui n’a qu’un versant, ce qui donne à ces
habitations l’asjDect d’une maison qu'on aurait
par¬
tagée en deux dans le'sens delà longueur du toit.
Sur les poteaux et sur lès troncs des
cocotiers,
d’autres pièces de bois léger sont posées transversale¬
ment ; elles sont liées à leurs extrémité
par des amar.
rages réguliers faits avec des trésses de fibres de cocos,
et le vide qui lessépare est rempli par des roseaux
serrés, qui laissent cependant circuler librement
l’air, dont l’action est si indispensable dans les cha¬
leurs du milieu du jour.
Pour achevèr la toiture, les constructeurs en¬
veloppent des perches avec les longues feuilles
du cocotier et du
Ckamœrops humilis, qu’ils plient
en
deux, et les poserit sur les cadres formés par
les poutres et les lattes
déjà mentionnées. Les feuilles
de la preniièrë perche recouvrent cellés de la
seconde,
et ainsi de
suite; le toit déborde un peu les parois
de l’édifice, et les
préserve parfaitement de la
pluie.
:
■
la
,
ÎLES MARQUISES
276
Un
OU
deux trous carrés
ménagés dans la cloison,
fois d’entrée et de fenêtres ; une pprte de
sert aies clore hermétiquement, et le peu
servent à la
roseaux
jour qui entre par ces ouvertures,
de
laisse régner
demi-obscurité favorable aux
mœurs indolentes des indigènes, et qui éloigne les
mouches, fléau insupportable des climats chauds.
Un tronc d’arbre bien sec, bien poli et bien net¬
toyé, est posé à terre contre la pàrdi .la plus élevée ;
un autre tronc semblable est disposé de la même
manière, à un mètre cinquante centirnètres:environ
du premier, à peu près au milieu de la case. Dans
dans l’intérieur une
qui les sépare, une couche d’herbes sè¬
odoriférantes, forme un matelas sur lequel
l’intervalle
ches et
grossièrement faites complètent le luxe
mollesse du lit commun de la famille; la pre¬
des nattes
et
la
mière poutre
remplace l’oreiller, la
seconde sert
d’appui aux pieds. C’est sur cette couche grossière
que les hommes, les femmes et les enfants se livrent
pêle-mêle au sommeil.
Dans les
coins, des cocos secs
dont
on
extrait
l’huile, des calebasses, de petites auges en bois où
se conserve la pâte aigre du fruit à pain , et quelques
autres
ustensiles
Les armes sont
sous
lit,
sont les
n’y a pas d’habitant aujourd’hui qui
fusil, bon ou mauvais, placé près de son
la main. Il
n’ait un
seuls meubles du ménage.
suspendues de manière à les avoir
,
V
Noukahiviens ont le soin de ne pas allumer
de feu dans la case où ils séjournent ; un petit ajoupa.
Les
ou
Ni)UKA-HiVA.
placé à quelques pas de distance, est consacré à cet
usage ; près de cette cuisine rustique on voit aussi de
grands trous creusés dans le sol, qui servent à con¬
server la pâte du fruit à
pain cuit ; de grosses pierres
recouvrent ce réservoir alimentaire
et le font re¬
,
connaître.
végétaux sont la base principale de l’alimenta¬
et les poules
sont réservés pour les festins des jours de
fête, ou
pour la table des chefs opulents. Le poisson n’est
pas d’un usage constant, à cause des moyens défec-.
tueux employés par les pêcheurs. Le fruit à pain sa-*
tisfait presque à lui tout seul aux besoins de la popu¬
lation qui le mange à l’état frais oü conservé, en
forme de pâte qu’elle nomme invariablement popen.
Ce mets a l’apparence d’une bouillie jaunâtre et
épaisse; son goût est douceâtre lorsqu’il est fait
avec des fruits à pain à l’état frais, mais il devient
aigrelet et légèrement piquant, lorsqu’il provient
d’une préparation déjà ancienne des mêmes fruits.
La conservation du fruit à pain demande quelques
manipulations, à l’époque delà maturité. Il est alors
posé sûr un- feu constamment alimenté ; une épaisse
fumée s’exhale des fruits qu’on grille, et dont la peau
Les
tion des Noukahiviens. Les cochons
,
noircit
au
contact de la flamme. L’écorce et le cœur,
trop durs pour être mangés, sont enlevés, à l’aide
d’un instrument tranchant fait avec des coquilles, et
présente une substance tendre, spongieuse,
malléable, et assez fade au goût. Cette substance,
placée dans une auge, subit une trituration complète,
le reste
ÎLES MARQUISES
278
d’un pilon de bois ou de pierre, après quoi
l’enferme dans des trous circulaires, creusés
dans le sol à une profondeur d’un moire et plus, et
au
moyen
on
soigneusement tapissés par de
larges feuilles de bananiers, destinées à préserver
la pâte du contact du sol. Lorsque le trou est
plein, oh le recouvre de terre et de pierres, et à
dont les bords sont
chaque repas on en retire là quantité de pâte-néces¬
saire pour faire la popoï. Elle est de nouveau triturée
avec des bananes, des noix de cocos râpées, des pa¬
tates douces
ou d’autres racines
avant d’être
mangée.
'
Les bananes sont aussi enfouies dans le sol pour hâ¬
ter leur maturité ; en effet, peu de jours suffisent alors
pour Jaunir un régime tout entier,,et pour le rendre
excellent. Ce fruitprécieux joue aussi un grand rôle
dans les repas des indigènes ,, dont il est en quelque
sorte l’unique dessert. Le taro, l’igname, la patate
douce, etc., subissent l’action du feU avant de se
mélanger à la popoï,'mais le poisson se mange cru,
Les Noukahiviens se contentent de le tremper dans
,
la popoï, et l’avalent ensuite.
La cuisson des viandes a lieu
commun
à toute l’Océanie, et
d’après le mode
décrit par tous les
fait chauffer des pierres à un feu ar¬
dent, on les place ensuite dans un trou creusé dans
la terre, on y met le dochon qu’on veut cuire, en¬
veloppé de feuilles, et on enterpe ,1e tout pendant le
temps nécessaire à la coction,. Les viandes appr^ées de cette façon ont une saveur parfaite.
voyageurs ; on
279
NPUK.A-HIVA.
ou
huoiains sont cuits de la même
Les
corps
nière.
ma¬
des chefs sont naturellement les
plus
d’autres plus grandes
encore et d’une construction plus
soignée : ce.sont
celles qui.sont destinées à certaines réunions dont
le but n’est pas ençore'bien connu. Elles sont ré¬
servées à la classe supérieure, et leur entrée est
tabou pour les individus qui n’ont pas un droit ac¬
quis de s’y rassembler. Les femmes ne jouissent pas
non plus, du privilège d’en dépasser l’enceinte, ex¬
cepté dans certaines époques, où "une ou deux
d’entre elles participent aux festins de cette société,
qui deviennent alors très-licencieux. .
Les
cases
belles, mais-
Un de
ces
on en remarque
édifices
se trouve
dans le haut de la val¬
diffère pas des autres cases, sous
beaucoup de rapports. Les colonnes de la charpente
lée des Tais
sont
,*
il
ne
sculptées ; elles représentent l’image commune
^ c’est sans doute un signe de con¬
à tous les Atouas
sécration.
Peut-être est-ce aussi dans
enceintes que
s’ac¬
de chair humaine, avec une
pompe et avec des cérémonies qui n’ont encore été
décrites par personne. Tout ce qu’on sait c’est que
complissent les
ces
repas
,
le Kava
se
lieu. Cette
hautement
boit
avec une
certaine solennité dans
ce
liqueur, dont les qualités enivrantes sont
appréciées par les chefs, est obtenue de
la manière suivante
Des personnes
racine du -Kata
:
des classes inférieures mâchent la
{ Piper mèüsticum ), et la crachent
ÎLES MARQUISES
280
ensuite dans
on
un vase en
bois. On
verse
ejisuite de
vase, et lorsque le mélange est à point,
le sert dans des noix de cocos, qui passent de
l’eau dans
main
ce
main. Cette
liqueur est blanchâtre, son
goût est piquant, ses effets sont prompts. Elle pro¬
duit une ivresse qui rend presque stupide et qui a
horreur du moindre bruit..Elle détruit l’appétit, et
en
conduit à
un
état de torpeur presque constant. La
peau des buveurs se couvre d’écailles blanches, leurs
nerfs s’affaiblissent, et sans doute ce breuvage hâte la
fin de leur existence.
Joseph Cabri et Roberts fai¬
partie de ces réunipns;.ce dernier exprimait
de vifs regrets d’y avoir été admis, quoique ce
fût un grand honneur aux yeux des Noukabisaient
viens.
plus difficile pour des sauvages
pirogues. Cette indus¬
trie n’est pas très-avancée à Noukahiva, ou plutôt
elle a subi la décadence qu’on remarque dans toute
l’Océanie. Il semble que la vue des perfections des
navires européens a dégoûté ces peuples de continuer
La construction la
estinconléstablement celle des
leur ancien mode de travail.
pirogues ordinaires, qui servent pour la pêche,
petites, et leur largeur ne dépasse pas soixantequinze centimètres ; leur profondeur est un peu plus
considérable. Mais les dimensions des pirogues de
guerre sont un peu plus grandes, et leur construc¬
tion présente quelques différences.
Ces dernières sont étroites, longues et
profondes;
les mesures de ces pirogues varient depuis six mètres
,
Les
sont
NOUKA-HIVA.
ou
‘281
jusqu’à quinze au plus pour la longueur, et cinquante
à soixante centimètres pour la largeur, quelquefois
plus, et environ un mètre de profondeur. Un balan¬
cier, formé, par une grosse pièce de bois assujettie
par des liens à trois ou quatre traverses, leur donne
la stabilité nécessaire; le fond de la pirogue est ordi¬
nairement composé d’un seul tronc d’arbre creusé
avec soin, mais les
plats-bords, les bancs des pagaieurs, sont formés par des planches étroites et
mincés, attachées les unes aux au tres par des fibres
de
coco.
La bourre de ces fruits sert aussi à boucher
les fentes des
bordages, mais très-imparfaitement ;
ces embarcations, de manière
constammentl’emploi d’un homme pour
l’eau s’introduit dans
à nécessiter
la vider.
.
est basse J elle projette sa pointe à petite
distance de la mer et,présente ordinairement à son
La proue
extrémité
sculptée; son contour est aussi
siège carré la surmonte :
il est sans doute réservé au chpf ou au guerrier qui
conduit l’attaque ; sur l’arrière un* siège semblable
indique la position de l’homme qui gouverne la piro¬
gue. Dans les occasions d’apparat, ces deux sièges
sont ornés de palmes vertes, arrachées aux cocotiérs
du rivage, et les hommes qui s’y placent revêtent
leurs plus riches ornements.
Les diverses parties de la pirogue ont différents
propriétaires : le balancier, les bancs, les pagaies,
chaque fraction de ce tout, appartient à celui qui l’a
confectionnée. Il arrive souvent de retrouver éparses
une
tête
orné de divers dessins. Un
,
.282
ÎLES MAUQÜISES
dans lés eabanesy
les diverses pièces qu’on a vues pré¬
cédemment sur l’eau.
pagaies ont ordinairement de un mètre vingtcinq à un mètre trente centimètres de hauteur; elles
sont terminées en pelle vers l’extrémité destinée à
frapper l’eau. Les Noukahiviens les tiennent à deux
mains, et les plongent perpendiculairement dans la
Les
mer.
Cette manière de s’en
servir demande des efforts
continus, qui donnent uiie grande .célérité à la mar¬
pirogue, conduite par une dizaine de
naturels unissant leurs mouvements dans un ensemble
che; Une belle
parfait, sUr la mer paisible d’une baie pittoresque,
dés plus jolis spectacles qù’on puisse voir dans
est un
lès scènes de la vie sauvage.
Des crânes enlevés aux ennemis^
décorent quel¬
quefois l’avant de ces embarcations. Ces ossements,
blanchis par le temps, sont t)izarrement ornés : l’or¬
bite de l’œil est rempli par un morceau de nacre,
sur lequel un point noir simule la prunelle ; la cavité
du nez est bourrée avec du bois, de manière à pro¬
duire Un nez factice ; et, au-dessous de l’arcade zygo¬
matique , de chaque coté des mâchoires, de longues ‘
dents dé cochons avancent leurs pointes recourbées.
Des touffes de cheveux, noires ou grises, sont suspen¬
dues à ces débris, qui témoignent de la valeur de
celui qui les possède. Les cheveux gris surtout pa¬
raissent très-estimés.
Les
armes
des Noukahiviens comprennent
deux
espèces de casse-têtes
l’un, haut de. un mètre
soixante centimètres, est terminé par un renflement
283
NOUKA-HWA,
ou
orné de deux
figures sculptée^s en relief 5 c’est une
pesante qui demande une grande vigueur pour
manier. Le second casse-tête est de forme plate,
arme
la
et
il est moins lourd. Le
premier est destiné sans
frappe,
doute à écraser d’un seul coup la tête qu’il
tandis que le second est plus apte à blesser
tranchant.
Une
par son
■
longue lance, dont la pointe est unie ou bar^
beléé, est destinée à atteindre l’ennemi dans les com¬
bats corps à corps, tandis qu’une sagaie plus
légère
se lance de loin et va briser son exitrémité dentelée
dans
une
plaie qu’elle envenijpe,
■
frondes sont faîtes avec les fibres du cocotier;
elles se terminent par une tresse plate qui sert de sac à
Les
la
pierre, qu’elles projettent à une grande distance.
Nous avons parlé des ornements d’os
humains, es^
pèces d’amulettes dont les guerriers entourent leur
cou ; la sculpture uniforme
qui les recouvre sereproduit sur les manches des éventails et sur de
petites
statuettes, rares aujourd’hui, qui paraissent être la
représentation des dieux lares., protecteurs de la far
mille.
„
Les éventails sont
un
,
des
plus jolis produits de
l’industrie de ce peuple, plats, dé forme semi-circu¬
laire, souples et légers , blanchis par une couche de
chaux, ce sont des instruments gracieux dans les
mains des vieillards. Les vieux chefs en sont
toujours
pourvus, ainsi que
noir, surmonté
d’un long bâton en boisidur et
par une toutfe de cheveux soigneuse^
ment .serrés dans nn
eorden. A voir
l’importance et
'284
ÎLES MARQUISES
hommes dans cet attirail, on dirait
que, pour eux, l’éventail est leur sceptre, et le bâton
qui soutient leurs pas, un bâton de commandement.
Nous avons vu deux statuettes en bois, représen¬
la
gravité de
tant
un
ces
homme endormi et
un
oiseau de mer; mais
sculptées, si Joliment faites,
qu’on doit douter de leur origine ; elles sont proba¬
blement dues à l’industrie de' quelque matélot dé¬
serteur, dont l’adresse est façonnée de bonne heure
elles étaient si bien
à tous les métiers.
indi¬
gène se trouve dans les échasses, composées de deux
pièces distinctes, d’un bâton et d’un marche-pied;
c’est dans la structure de ce dernier qu’on observe
une perfection et un fini remarquables. Ils sont for¬
més par une figurine supportant un morceau de bois
recourbé de la largeur dü pied qui s’y appuie ; ces
instruments ont longtemps étonné les voyageurs;
on les attribuait d’abord à un simple but d’amuse¬
ment ; mais il paraît aujourd’hui certain qu’ils sont
nécessités par les inondations des torrents qui, dans
les saisons pluvieuses, courent à la mer en débor¬
Le véritable chef-d’œuvre de
la sculpture
dant de leurs lits.
La fabrication des étoffes nommées tapa
demande
de travail; elle a lieu au moyen d’un battoir can¬
nelé, de forme quadrangulairë. L’écorce du mûrier à
papier est mise dans l’eau pendant un certain temps,
peu
puis elle est battue sans relâche jusqu’à ce qu’elle de¬
vienne assez mince et assez grande pour former un
vêtement. L’épaisseur de ces étoffes varie; on super-
ou
NOUKA-HIVA.
285
plusieurs écorces pour en augmenter l’épais¬
ou bien on frappe jusqu’à ce qu’elles aient
atteint la ténuité désirée. La tapa
qui est destinée à
envelopper la tête est la plus difficile à confection¬
pose
seur
,
ner, en
raison de
son
extrême finesse.
Les vieilles femmes sont
chargées ordinairement
les voit sur les bords des ruisseaux
accomplir leur tâche bruyante. Dans un jour, elles
peuvent facilement produire trois grandes pièces
de
ce
travail ; on
d’étoffe.
Les instruments de
pêche sont les seuls qui nous
se
composent, d’une lance
dont l’extrémité est garnie de plusieurs
pointes bar¬
belées et de lignes, de pêche en tresses de cocos,
garnies d’un hameçon en nacre de perle.
I
Cet hameçon est ovale ; sa pointe est très-grossière
S
et elle varie de
grosseur selon le poisson auquel il
i est destiné; on en voit de grands comme la main
pour les requins , et de tout petits; quelquefois la
substance de ces instruments imparfaits est retirée
d’un os humain; ils sont alors plus
pointus, leur
forme n’est plus ovale, elle est anguleuse; mais
ces derniers sont
rares, et en général ils paraissent
peu usités; les naturels préfèrent l’emploi d’un
moyèn de pêche plus sûr; ils plongent sous l’eau et
répandent au fond une substance végétale (Inophyllmn
Chllophyllum) qui enivre le poisson, et rejette à la
surface une proie facile à saisir.
Ce qui précède résume les notions
qu’on possède
jusqu’à ce jour sur les mœurs et l’industrie des
restent à examiner. Ils
,
ÎLES MARQUISES
286
leur organisation sociale est encore
rudimentaire, aucune loi ne règle les
limites de la wlonté de l’individu ; une seule cou¬
tume, qui tire sa puissance delà superstition, pro¬
hibe ou tolère l’exercice de certains droits, l’emploi
de certains objets; c’est à cette règle puissante que
les chefs doivent la conservation des propriétés héré¬
ditaires qui sont leur unique moyen d’influence sur
leurs sujets; peu disposés à laisser entraver leur li¬
Noükahi'vïèns ;
dans
état
un
,
berté d’action.
La guerre est la suite d’une grave injure ; là
relle dé l’homme devient celle de la tribu, et
c’est
l’anthropophagie. C’est le désir de satisfaire
une
dans cette animosité
que¬
qu’il faut chercher l’origine de
jusqu’au bout, qui a amené ces repas
monstrueux, non moins peut-être que les moments de
famine dans lesquels le plus fort attaque le plus
faible, et satisfait ses besoins en le mangeant ;
dans certains naufrages, on a vu la même cause pro¬
duire un effet analogùé chez des hômmes civilisés.
La faim est un puissant moteur, lorsque aucun autre
obstacle que le sens moral ne s’oppose au meurtre.
Cependant, nous croyons que Krusenstern, si mal
disposé envers les Noukahiviens, a exagéré beaucoup
la férocité de leur caractère, en les représentant
comme des êtres essentiellemieht mauvais
qui dans
les temps de disette, massacrent leurs femmes et leurs
enfants pour s’en repaître. Non, le sauvage noukahivien peut bien, dans ses mauvais jours, tuer un en¬
nemi et le dévorer; mais chez lui les affections de
vengeance
,
ou
famille sont
287
N0UK\-H1VA.
réelles, et si jamais de pareils attentats
ont été commis
ils forment
exception dans leurs mœurs *
,
A côté de cette
sans aiicun
organisation sociale,
constitution de famille
non
doute
une
,
on
voit
une
moins défectueuse. La
libre; elle choisit en quelque sorte de son
plein gré celui qui sera son époux, pendant un temps
plus- ou moins limité ; ut, à l’opposé des peuples de
l’Orient, l’homme n’a plus de harem, c’est la femme
qui jouit dé ce privilège. Comme chez les anciens
Bretons, on voit des ménages où les mâris habitent
ensemble dans une harmonie complète, harmonie
bien rare partout ailleurs dans des cas semblables.
On ne doit pas en inférer que les enfants sont dé¬
laissés; au contraire, l’infanticide, si commun aux
îles Sandùich et à Taïti, ne paraît pas avoir été
ja¬
mais pratiqué à Nookahiva.
femme est
L’affection mutuelle des mem*bres d’ulie même fa¬
mille ne saurait non plus êfre
révoquée en douté.
On voit des lai'mes couler des yeux
des hommes qui
s’éloignent pour quelque temps; ou qui se revoient
après une longue absence. Ils se pressent les mains
et les bras, sé saluent-en frottant leur nez l’un
contre l’autre, et â’attêndrissent au souvémr de leur
séparation. Stewart a vu une manifestation irré¬
cusable de la force de cette affection. Dans
une case
de la tribu de
Houmi, on lui montra les parents d’un
homme enlevé par un baleinier américain. A son as¬
pect, des larmes coulèrent : la vue du mission¬
naire rappelait le rapt commis par ses compatriotes.
ÎLES MARQUISES
288
C’est ici le lieu de mentionner la conduite
de certains
infâme
navigateurs ; ils ont soulevé dans toutes
bien lé¬
gitime, dont leurs successeurs ont quelquefois été vic¬
times. On cite l’exemple d’un capitaine qui s’empara
d’un chef, le fit attacher par les poignets à un mât,
et le laissa dans cette position douloureuse, jusqu’à
ce qu’on lui eût apporté un certain nombre de co¬
chons. Qu’en résulta-t-il? une embarcation de
son
navire eut deux hommes tués par une dé¬
charge de coups de fusils. Après de pareils faits, on
s’étonne de ne pas avoir à énumérer un plus grand
nombre d’actes de représailles sanglantes; à notre
les îles de l’Océanie
un
besoin de vengeance
connaissance, le massacre de ces deux Européens
sur Nouka-Hiva, celui de l’équipage d’une embar¬
cation américaine sur Hiva-Oa, mentionné par
rioiiuefeuille, et la catastrophe mentionnée dans le
commis par
le funeste
événement qui a privé notre màrine de deux officiers
distingués.
Les enfants noukahiviens sont soignés pendant
récit de Porter, sont ies seuls meurtres
les habitants de cet archipel, avant
âge avec une tendre sollicitude, mais dès
qu’ils ont grandi, ils errent en liberté, concourent
leur bas
aux
pèche ou à la récolte des fruits,
qu’enfin iis aient atteint l’âge où ils se
travaux de la
jusqu’à
ce
marient.
particulière ne signale cet en¬
n’est quelquefois un repas où les
Aucune cérémonie
gagement , si ce
membres des deux familles
se
réunissent. L’homme
ou
et la
femmç
dit. Leur
lieu.
NOUKA-HIVA.
289
plu, ils s’unissent et tout est
ménage est prêt aussitôt que leur union
SC sont
Cependant le refus des parents a empê¬
quelquefois la conclusion des mariages; des
a eu
ché
enlèvements
ont
tribu à
été suivis de guerres cruelles de
tribu, mais ces cas sont rares, car les jeunes
lilles jouissent d’une liberté
illimitée; aucune entravé
ne gêne leurs
penchants, peut-être môme ne sontelles pas assujetties à une
règle plus sévère quand
elles
mariées, comme on nous l’a assuré. Dans
Taïo-Hae, toute retenue à cet égard avait
disparu, si jamais elle a existé ; le contact des ma¬
rins qui fréquentent ce
port, a eu une grande
sont
la baie
influence
les
déjà dévergondées de la
population; le langage même s’en est ressenti, bien
des mots anglais ont pris
place dans le dialecte parlé
sur
mœurs
dans la baie.
définitive, la population noukahivienrie pïàrcbe
décroissance rapide ; ce fait est
déjà constaté
depuis plusieurs années.'Les armes à feü ont eu des
En
à
une
résultats funestes.
LecontactdesEuropéens
des effets nuisibles
aproduit
mais on doit espérer que, sous
une administration
régulière, ces maux cesseront
d’avoir leur cours, et que l’habitant
primitif ne dis¬
paraîtra que pour faire place à une population de
;
métis richement constituée.
Les Noukahiviens font de bons matelots
;
plusieurs
déjà fait de longs voyages ; un jour,
peut-être, ils pourront présenter un supplément de
d’entre
eux ont
marins à
nos
armements.
-•
r\
X V/
ÎLES MAUÜViyES
290
Le
langage des Noukahiviens est doux ;
presque
entièrement composés de
leurs mots,
voyelles, n’em¬
ploient que quelques consonnes. Les lettres P, T,
M, N, reviennent fréquemment, ainsi que des sons
alphabet ne peut rendre, et qui forment
aspirations gutturales, mais assez douces. Nous
nous proposions de joindre à notre œuvre un voca¬
bulaire des mots les plus usuels ; mais ayant appris
que notre
des
queM. Lesson, cliirurgien-major du Pylade, allait
publier celui qu’il tient des missionnaires établis à
qu’il était préfé¬
à ce travail plus complet que n’eût
Nouka-Hiva, nous avons reconnu
rable de renvoyer
été le nôtre.
Le mode de compter le temps à Noukahiva
lui du jour et de la nuit ; le jour se divise en
popo-oui.. en
est ce¬
matin,
milieu du jour, oiiatea, et en soir, ahi-
ahi.Les retours des pleines lunes forment
des périodes
qui ont les noms particuliers qui suivent :
Omoa, Ouameliaou, Opolie, Ouapea, Mqldiki, Tououameatakeo, Takouna, Oe liouo, Mdinàihea, Avamanou ,
de temps
mois lunaires for¬
peu près l’époque qui sépare le commence¬
Ouùvea, Oelioua,
ment à
Aveo. Ces treize
pluies de chaque année ; c’est
sans doute à ce phénomène périodique , ou à la pre¬
mière floraison de quelques plantes, que le com¬
mencement de l’année a été fixé chez les sauvages.
En 4836, le premier mois lunaire Ouaoa correspon¬
ment
de la saison des
près à celui de janvier de notre calendrier.
jours des mois lunaires a
une désignation spéciale, que nous donnons ici :
dait à peu
Chacun des noms des
ou
291
NOUJi-A-HIVA.
1 Timoui.
16Ohotouaue.
2 Tou-hata.
17 Otouou.
3 Hoata.
18 Oamoa.
4 Mahama-tahi.
5
Mahama-vaena.
6
Mahama-hapaou.
19 Ometohi.
20 Oekaou.
21
7 Kokoe-tahi.
22
8 Kokoe-vaena.
23
9
24 Ohotx)uaïva.
Kokoe-hapaou.
10 Oaï.
...
.....
?5 Tanaou-tahi.'
26 Tanaovj-vaena.
11 Ohouna,
12 Onehaou.
27
13 Ohoua.
28 Notani.
14 Oatoua.
Tanaou-hapaou.
29 Onounoui.
15 Ohotounoui.
30 Onamata.
,
Pendant le dernier voyage
des corvettes l’Astrolabe
spéciale a été confiée à M. Dumoutier, cliirurgien à bord de l’Astrolabe. Elle avait
pour but d’appliquer la phrénologie à l’étude de This»
loire naturelle de l’hoipine, dans les divers
pays devant
être visités par l’expédition.
L’intérêt qui semble s’être attaché aux
résultats,
et
la Zélée, une mission
non
publiés
velles
(1),
encore,
de
ces
recherches
toutes
nou¬
fait penser que quelques-uns de nos
lecteurs verraient, avec intérêt, la note suivante
qui
résume les observations de ce genre faites sur les
naturels de l’archipel de Nouka-Hiva.
nous a
(1) Foir le n* 13 des Comptes rendus hebdomadaires des séances
sciences, t. XIII, 1841, rappoi't de M. Serres
et celui de M.
Ducrptay de Blaiaville.
de l’Académie des
ÎLES MAU'QUISËS
292
Bien que nous ne partagions pas les opinions
émises dans cette notice, pour l’appréciation de la¬
quelle nous déclarons notre incompétence, nous la
donnons sans réflexion aucune, telle qu’elle nous a
été
communiquée par son auteur, en lui en laissant
responsabilité.
toute la
plirénologique et ethnologique sur les naturels de
l’archipel Nouka-Hiva, par M. Dümoutier.
Notice
La forme de la
[tête des Noukahiviens est généra¬
lement oblongue d’avanten arrière, et légèrem en t com¬
primée sur les côtés ; les sutures frontales et interparié¬
tales sont, chez la plupart, saillantes , et donnent au
sommet de la tête l’appai’ence d’un toit de cabane. Le
front est bordé inférieurement par des saillies sour¬
cilières très-prononcées, et en dehors par des crêtes
osseuses temporales aussi très-accentuées. Ce front est
peu élevé ; sa distance à une ligne qui passe par les
deux orifices auditifs, est jibis courte que celle qui
sépare cette ligne des parties occipitales ou posté¬
rieures. De cette disposition, on peut en toute certi¬
tude inférer que. le plus grand développement du
cerveau a lieu dans les parties postérieures, et qu’ici
l’intelligence est asservie aux instincts. Ce n’est pas
que je prétende que ces insulaires ont peu d’intelli¬
gence ; je m’expliquerai bientôt sur ce point : je dis
seulement que l’activité intellectuelle est chez eux in¬
férieure à leur activité instinctive.
Chez la
plupart des hommes et des femmes, bn
ou
29n
NOÜKA-IÜVA.
peut remarquer la saillie et la largeur de la nuque,
indices du grand développement du
cervelet, et de la
grande influence de cet organe dans toutes leurs
érotiques.
coutumes
Le
grand volume de la région occipitale supé¬
rieure, où siègent tous les organes des" penchants
qui unissent les individus et les familles dans les
liens d’une étroite amitié,
témoignent aussi en fa¬
veur de la
grande activité de ces impulsions instinc¬
tives chez les hommes, et
plus particulièrement
chez les femmes de Nouka-Hiva. Bien
que chez
les personnes des deux sexes non
casées, ou libres
d’engagements conjugaux, le caprice le plus frivole
puisse motiver les intimités amoureuses, et que l’in¬
constance en amour n’ait
pas la moindre importance,
cependant l’attachement amical, l’amour filial, l’a¬
mour fraternel sont
portés jusqu’au dévouement.
Toutes les relations intimes de la
famille, tou¬
tes les
de
ses
relations établies entre elle
membres
ou
quelqu’un
étranger, sont remarqua¬
prodigalité de soins, d’égards, de ca¬
qui rend l’hospitalité de ce peuple douce et
et un
bles par une
resses,
attrayante.
Que celui
qui
maine les indices
ne
saurait
pas
lire sur
phrénologiques de
une
ces
tête hu¬
belles qua¬
lités, se pénètre de la forme de la tête d’une femme
aimante, affectueuse et dévouée, et il comprendra la
forme de la tête des femmes de Nouka-Hiva.
Bien que
la distance qui sépare la base de la voûte
médiocre, et que cette disposition soit
du crâne soit
ÎLES MARQUISES
294.
l’indice d’un faible
développement des organes des
les Noukahiviens
généralement révérencieux pour les vieillards;
ils ont beaucoup d’égards pour leurs femmes et ils
honorent la mémoire des morts, eii rendant uil vé¬
sentiments de vénération, cependant
sont
ritable culte
au
du développement des
organes des facultés intellectuelles, la tète de ces in¬
sulaires est encore remarquable par la proéminence
des, organes des facultés perceptives sur ceux des fa¬
cultés réflectives, disposition qui donne à leur front,
vu de profil, un aspect presque fuyant ^ bien que, vu
de face, il paraisse élevé à cause de sa nudité. C’est
à la calvitie factice des Noukahiviens ( ils se rasent
les cheveux du devant de la tête) ; c’est à cette appa¬
rence trompeuse qu’il faut attribuer une erreur com¬
mune à quelques voyageürs qui ont dit en parlant
des naturels : Leur front est haut. Non i chez la plu¬
part des naturels de ces îles, le front ne présente
que peu à'élévation et que peu de profondeur; dispo¬
sition qui est due chez eüx ail faible développement
des organes des facultés réflectives, ainsi qu’au trèsmédiocre volume des organes de la bonté,
d^ la com¬
passion, de la douceur.
Il est incontestable pour moi que ces derniers or¬
ganes sont beaucoup plus-grands, plus apparents
fchez les femmes que chez les hommes de ces con¬
trées et cette particularité est parfaitement en rap¬
port avec la même diflërence de caractère dans les
Considérée
•
Moraï.
sous
,
,
deux
sexes,
le rapport
Oü
Quant à
avons-nous
NOüKA.-mVA.
295
riiiLcilligence des Noukahiviens, elle est,
dit, assujettie à la prépondérance des
instincts, et elle s’applique plutôt aux idées maté¬
rielles qu’aux idées abstraites. En effet/elle est, et
ne peut être
qu’én rapport avec leurs besoins ha¬
bituels. Or, ces besoins sont tous suscités pour
la satisfaction des impulsions de la vie matérielle;
iis ne s’exercent que sur tes objets du monde exté¬
rieur, et, poui’ le Noukahivien, l’abstraction ou
l’idée abstraite n’est que très-secondaire, sans
portée pour lui qui h’en connaît pas encore les avan¬
tages, et qui n’en éprouve pas le besoin. C’est que
ces avantages et ces besoins
appartiennent à un
mode d’existence auquel il n’est pas encore parvenu.
Aussi, les organes intellectuels les plus exercés
chez lui sont-ils ceux des perceptions; et, il faut le
dire en passant^ chez lui comme chez tous les peu¬
ples non civilisés, ces geCceplions sont incomparable¬
plus viveset plus nettes que chez l’homme civi¬
ment
lisé. Chez ce dernier elles sont plus nombreuses et plus
variées, mais aussi plus confuses et plus passagères.
L’écriture, qui lui devient indispensable pour fixer,
transmettre ou reproduire les innombrables percep¬
tions dont il a enrichi son intelligence, cet immense
bagage de signes conventionnels est inutile et inconnu
à l’homme non civilisé; Ses diverses mémoires Suffi¬
sent à ses besoins : aussi, n’est-ce
qué très-exceptionnellement et très-ràrenient qüé l’on voit appa¬
raître dans les nations naissantes quelques organisa¬
tions cérébrales transcendantes, soi'tes de sentinelles
il.ES MAROüISES
296
l’inteiligence humaine, véritables flam¬
providentiels qui l’éclairent.
La tête des Noukahiviens adultes, est générale¬
ment forte, bien proportionnée à leur stature, et
parfaitement significative de leur constitution ro¬
buste et de l’âpreté de leur caractère. J’ai sous les
yeux plusieurs de ces têtes ; elles sont remarquables
par la similitude qu’elles présentent entre elles , sous
plusieurs rapports, et particulièrement dans leur
avancées tle
beaux
,
structure osseuse.
Le tissu de leurs
os est
serré,
pesant, compact, presque éburné. Toutes les sail¬
lies musculaires, toutes les empreintes sont for¬
tement accentuées-, une seule de ces têtes est un peu
les autres ; les parois du crâne y
peuplus minces. Sur toutes, les dents sont for¬
tes
très-blanches, et très-régulièrement disposées.
Cesitêtes sont encore remarquables par le travail que
leur premier possesseur a pris soin d’y ajouter,
pour les rendre plus hideuses, ou plutôt pour exa¬
gérer la bravoure du vainqueur, en tâchant, après
la mort, de donner à la tête du chef ennemi qu’il a
tué_, une apparence formidable ou terrifiante qu’elle
n’avait pas pendant la vie.
Une courte description, et l’imagination du lec¬
teur suppléeront au défaut d’une figure, qui ne trouve¬
rait pas place dans cette notice.
Qu’on se représente une tête osseuse, dont la mâ¬
choire inférieure est maintenue fortement à sa place
par des petites tresses très-fines, et très-bien disposées
moins pesante que
sontun
,
autour
de l’articulation. Celles-ci sont consolidées
ou
NOUKA-HiyA.
297
plus forte et plus large, se pro¬
longeant au devant des dents incisives des deux mâ¬
choires, puis sous le menton et se terminant par
des nœuds derrière la voûte du palais.
De chaque côté de l’arcade dentaire, une
grande
et forte dent de cochon
sauvage est fixée par des
par une autre tresse
l’os de la pommette, et semble sortir dqla
bouche'de l’individu, comme elle sortait du grouin
tresses à
de l’animal
auquel elle avait appartenu.
de bois dur, grossièrement sculpté,
remplit l’ouverture antérieure des fosses nasales,
et figure tant bien que mal un nez monstrueux.
Les yeux sont simulés par de grands morceaux
de nacre, ajustés dans les orbites : une petite
pièce ronde en écaille tient lieu de prunelle et
quelques cheveux placés entre le morceau de nacre
et l’orbite, représentent les cils de cet œil cha¬
Un
morceau
,
toyant.
Enfin, et pour compléter ce hideux assemblage,
quelques mèches des cheveux du vaincu ont été adap¬
guise de barbe, à l’os maxillaire et
pendantes au-dessous du menton.
tées
,
en
Sur
de
sont
voit les traces de muti¬
après la mort, et qui sont les. témoi¬
gnages d’une horrible coutume que l’on a constatée
chez plusieurs peuples anthropophages : d’après
certains renseignements,^ il est vrai, très-dou¬
teux, il paraîtrait que cette coutume n’est pas
fondée sur une prédilection bien «narqiiée pour le
une
lations faites
ces
têtes,
on
298
ÎLES MARQUISES
pllis délicat et plus
qüe les autres parties deleuUs victihies.
uervëau, tjëi séi ait pour eux
savoürëtix
Elle serait fondée
l’idée
générale qui motive
repas de chair humaine. Les cohvives de
ces hideux
repas croient qü’en mangeant là chair de
leurs ennemis, ils s’approprient les qualités qu’ils
leur reconnaissent*, et comme ils placent lé siège de
ces diverses qualités dans les diverses parties du
corps; et que ces qualités sont plüs ou moins méri¬
tantes à leurs ÿeUx, de là le choix des mOrCeaüx et
leur distribution, selon le rang ou la dignité dés
convives : aux premiers chefs là tête , parce qu’elle
est le siège des principaux sms et de l’intelli(jence, et, Si plusieurs chefs ont droit au moi-ceau,
chacun veut avoir sa part du nez, des ÿèux, delà
langue, dés oreilles et surtout de tâ ôerveîtè. Pour
des motifs analogues, ils réclament quelquefois une
main et Un pied, si le héros vaincu s’était fait remar¬
quer par sa force oU son adresse manuelle, par son
agilité à la course, etc.
Sur un des crânes noukahiviens qui sont en ma
possession, la portion antérieure OU basilaire de l’os
occipital, a été brisée et enlevée. Cette ablation, qui
s’étend jusqu’un peu en arrière du trou Occipital, et
qui est limitée en avant par le sphénoïde, et latéra¬
lement par les apophyses mastoïdiennes, ressemble
tellement par sa forme à celle qu’on observe sur les
têtes conservées par les naturels de la Nouvelle-Zé¬
lande, que l’on est tenté de croire qu’elle a été pra-
l’usage des
sur
ou
299
NOUKA-IHVA.
tiqüée par le hiême procédé. On sait qu’une pierre
aiguë leur sert à ouvrir les noix de coco dont ils
veulent obtenir le lait ; le même moyen leur sert à
ouvrir
un
crâne humain.
Une autre remarque, peut-être
plus intéressante,
m‘a frappé dès la préiuîère vue de ces têtes. Sur
l‘une d’elles, un morceau enlevé, laisse un grand
trou
triangulaire, dont les côtés
mesurent cinq
centimètres, Ce trou existé à gauche, sur
les limites du front et de la tempe, prés dü som¬
met delà tête. Sés bords lisses, tailles en
biseau,
sont couverts d’une éOuche de tissu compacte bien
ébürné. Quelques petites végétations Osseuses de
la table interne du crâne, plusieurs petits sillons
Vasculeux attestent irréfragablement que cette ou¬
verture a été plus grande pendant la vie, puis¬
qu’un travail de cicatrisation en a poli les botds en
comblant les mailles du diploé. Gettè perte de
à six
substance
est la suite d’une blessure
duite
horriblé,
pro¬
probablement par un coup de casse-tête, qui a
déterminé Une fracture du crâne en cet endroit.
fragments se sont exfoliés, où ils ont
été extraits du vivant de l’individu, une cicatrice
Ensuite les
les
remplacés, et le malheureux a
vécu à cette mutilation.
a
longtenips sur¬
Que de réflexions à faire sur de telles guérisons
abandonnées presqüé aux seuls efforts de la nature,
chez des peuples non civilisés
pas en
! et Combien
ne
serait-on
droit de s’étonner davantage de la régénéra-
300
II.ES
MARQUISES
de presque toute la yoûte du crâne,
qu’on l’a souvent observée chez les peuples
américains qui ont Tusage de scalpe?- leurs ennemis!..
tion de la peau
ainsi
Parmi les tètes de Noukahiviens
qui m’appartien¬
nent, il en est une à laquelle j’attache plus d’intérêt
qu’aux autres,-c’est la tête de Teï-Eïto. Je la dois à
l’un de nos compagnons de
voyage, M. Lafond, en¬
seigne de vaisseau, qui me la donna pour en faire
mention dans mes publications.
Teï-Eïto, frère du roi Keatanoui et parent de Patini, était un desprincipaux chefs de la grande tribu
desTaïs. Il s’était fait remarquer par sa valeur et son
intrépidité dans plusieurs combats contre les Taïpis.
Doué d’une intelligence supérieure, et devenu
redoutable, il avait acquis une grande influence sur
les tribus des Happas ; peu s’en fallut qu’il n’u¬
surpât le trône de son frère, et plusieurs fois
son ambition suscita des dissensions
qui faillirent
être funestes à la puissance et à la sécurité delà
tribu.
homme, d’une stature élevée et d’une consti¬
très-robuste, semblait défier la fortune de lui
être jamais défavorable, et en effet elle ne lui flt dé¬
faut qu’une seule fois.
Vers sa quarantième année, victime d’une in¬
signe trahison, il fut atteint d’un coup de lance
qui lui transperça la poitrine; ramené mourant
chez les siens, il expira en peu d’heures, et
son corps fut
déposé, selon l’usage, dans unmoraï
Cet
tution
OÜ
NOUKA-UIVA,
301
orné
de tous Iqs insignes du plus haut rang.
la structure, par la résistance et le
poids de ses os,, par toutes les apparences d’une con¬
stitution athlétique, par tous les indices
phrénologiques d’un caractère très-énergique et très-indépen¬
dant, la tête de Teï-Eïto ressemble à .celles dont
Bien que par
j’ai déjà parlé, cependant elle en diffère par le
développement remarquable de toute la région qui
est le siège des
organes des sentiments moraux et
des sentiments religieux; son front,
plus large
et plus élevé,
indique une capacité intellectuelle
bien supérieure à celle des autres. Enfin, et
pour
tout dire en deux mots,
elle présente, l’orga¬
nisation phrénologique de tout homme appelé
par la nature à conduire et gouverner ses sem¬
blables.
Relativement à
l’origine des Noukahiviens, les
anatomiques et phrénologiques de leur
tête s’accorderaient assez avec les opinions des lin¬
guistes et des ethnographes ; et, bien que 20 degrés de
latitude séparent au nord les naturels des îles Sandwich
des Noukahiviens, et que ceux-ci soient séparés par
plus, de 40 degrés de latitude sud des insulaires de
la Nouvelle-Zélande, cependant ces peuples parais¬
sent avoir une origine ou une souche commune. Le
type qui les caractérise se retrouve sur beaucoup
d’autres terres plus rapprochées de l’archipel Noukahivien, telles que les îles Gambier, Taïti, les Pocaractères
motou, les îles Tonga et Samoa, etc., etc.
302
ILES
MARQUISES
Pes différences tout aussi sensibles existent entre
noukahivien et celui des populations ma¬
laises, ou bien encore entre le type noukahixien et
le type
celui des hommes de la
race
noire océanienne, et
seul et
L’espace me manque pour indiquer
les analogies et les caractères différentiels de ces
peuples. Contrairement à l’opinion de plusieurs
savants distingués, et bien que la position géogra¬
phique des Noukahiviens les rapproche beaucoup
plus du continent américain que du continent d’Asie,
cependant tout porte à leur reconnaître une origine
asiatique.
Pour résumer en quelques mots les inductions
qui ressortent de la comparaison des divers peuples
ne
permettent pas de les confondre
même berceau.
dans
un
de Nouka-Hiva, je
rappellerai les qualités essentiellement attrayantes
de l’Océanie, avec les insulaires
que je leur ai reconnues.
Ils sont généralement hospitaliers,
très-affectueux^
enfants;
de défé¬
rence pour les femmes ; ils sont industrieux, et leur
esprit est vif, léger, pénétrant et enjoué. Les fem¬
mes ont incomparablement plus de douceur, de
pour leurs
ils révèrent la vieillesse; ils ont beaucoup
très-tendres
et^très-caressants
tendresse, d’attachement et de dévouement que lés
hommes, et par-dessus tout, elles sont voluptueuses.
Aucun peuple de l’Océanie ne m’a paru mériter au¬
tant que celui-ci,' la qualification si naïve qui les ca¬
ractérise le mieux : « Ce sont de grands enfants. »
ou
303
NûUKA-tUVA.
population ne m’a paru, posséder au
degré toutes les qualités que je viens d’énon¬
cer, et qui rendent ineffaçable le souvenir des
trop courts instants que j’ai passés, chez les NoukaAucune autre
même
hiviens.
Enfin, pour être vrai, je dois faire connaître
leurs défauts et leurs vices. On doit
supposer que
l’organisation du cerve.au est la même pliez tous
les hommes, mais que le
divers
sont en
développement des
organes cérébraux, et que leur activité
raison de l’état social où l’bomme est
placé.
Or, l’état social des Noukahiviens
fance des sociétés. A
est
celui de l’en¬
point de vue, les vices de
peuple peuvent être attvûbués en partie à son
état social : ne pourrait-on pas les attribuer aussi
aux
rapports qu’il eut fréquemment depuis plus de
deux siècles avec des étrangers qui, loin de lui
ap¬
porter les bienfaits de la civilisation, ne lui en ont
fait connaître que les vices, et n’ont fait
qu’ajouter
à sa barbarie et à sa
corruption.
Composé en grande partie de métis de toutes
nations, le peuple noukahivien n’a plus les vertus
sauvages et l’héroïsme de ses pères. Depuis quel¬
ques années il est envieux, rusé, perfide méfiant,
vindicatif et vaniteux. Son manque de
générosité,
d’équité sa corruption, en feront, pour long¬
temps encore, un peuple turbulent et indisciplinable; longtemps il produira des voleurs incorri¬
gibles, des traîtres, des meurtriersj c’est*dire
combien il est éloigné d’éprouver le besoin du
ce
ce
,
,
304
ÎI^ES MARQUISES
travail^ et de désirer les perfectionnements qui
aux jouissances
honorable des hommes civilisés.
pourraient le' conduire
*'1
de la^ vie
ou
NoüRA-invA.
305
CHAPITRE IV.
Considérations générales.
l’époque où l’art de la navigation vint doter le
nouveaux
continents, et le commerce et
A
n\onde de
l’industrie européenne denouvelles terres à
exploi¬
ter, chaque puissance lança à l’envi des flottes à
la mer, des milliers de
passagers quittèrent ie sol
de la patrie pour aller demander des richesses à
pays nouveaux. Déjà le cap
avait été franchi, et te
de BonnerÉspégrand archipel d’Asie
se couvrait de ces riches
comptoirs, qui à eux seuls
disposaient de toutes les ressources de l’Inde, lors¬
que les pavillons de tous les états de l’Europe
ces
rance
.
vinrent marquer la
prise de possession des rives
américaines, dont les pauvres peuplades sauvages
furent refoulées ou totalement détruites.
Presque
toutes ces colonies naissantes
réussirent, et bientôt
un nouveau
peuple surgit sur les rivages du nouveau
monde, dont les premiers habi tants peuplèrent l’in¬
térieur, Combien en eflet, à. cette époque, ces éta¬
blissements
durent réunir de
puis¬
succès-, malgré l’état peu avancé de la
navigation et les ressources bien inférieures du
commerce. Les guefres civiles, les
guerres religieuses,
santes
nouveaux
causes
de
20
ÎLES
306
MjVftQÜISE's
qui désolaient les royaumes les plus puissants,
le paupérisme et, la servitude qui pesaient encore
de tout leur poids Sur la masse générale des
peuples par suite des lois féodales, toutes ces causes
réunies, rejetaient dans la migration une foule
immense de pauvres
cultivateurs, qui, sachant que
étrangère ils pouvaient avoir des
champs et des troupeaux â eux, espérant même pos¬
séder, à leur tour, des esclaves qui travailleraient à
leurs propriétés, partirent avec joie et se mirent à
sur
une
terre
l’oeuvre avec courage.
puis, ces cohortes déjà nonibreuses vinrent se
grossir de tous les aventuriers, de ces hommes qui,
riches seulement de leurs bras et de leurs épées, ne
Et
peuvent vivre heureux, ou- au moins dans 1-’ abondance,
qu’au milieu des combats et des rapines que la guerre
eùtraîhe nécessairement après elle. Tous les embaucheurs; si adroits pour recruter des soldats, furent
mis en mouvemént, et bientôt des chefs improvisés
l’Amérique, en promettant
vainqueurs les propriétés et les biens des vain¬
cus. L’occasion, en effet, était belle; d’imnienscs
terres étaient à quelques centaihes de, lieues de l’Eu¬
rope, n’attendant que des bras poür se couvrir de
riches cultures. Elles attirèrent bientôt tous ces
cadets de famille, dépossédés par les lois contre
nature de l’époque, et dictées par une politique
injuste; ceux-ci n’avaient sauvé de léur héritage pa¬
ternel que la morgue et l’insolence de l’aristocratie
européènne ; ils obtinrent des terres et des emplois
traînèrent leur troupe sur
aux
ou
dans
colonies,
ces
nos-mœurs et nos
A cette
sur
307
lesquelles ils transportèrent
habitudes
avec
époque aussi, l’Europe
ment sur ses
dentelle
NOUKA^HIVA.
leurs pénates.
ne
voyait
que rare¬
marchés toutes les denrées colonialés
si riche
aujourd’hui. Ces nouveaux cofouillant la terre, lui firent produire des ri'chesses immenses qui vinrent
s’échanger contre celles
delà mère patrie. Tout d’avenir de ces colonies
était
dans l’agriculture. Si les
travaux,, sous un ciel de feUj
étaient pénibles, les débouchés étaient assurés à leurs
produits, dont les colons avaient peine à fournir,
lotls,
est
en
les marchés
d’Europe, malgré leurs prix élevés. De
grandes fortunes s’édifièrent alors; chaque coin de
terre devint un trésor
pourda métropole, qui avait rtécessairèment sa bonne part dans les bénéfices. Mais en¬
suite, une espèce, d’équilibre s’établit; l’étendue des
terres cultivées prit un accroissement immense
; les
arrivages des denrées coloniales multiplièrent la con¬
currence qui, à son
tour, vint faire tomber les prix
et tarifer,
pour ainsi dire, les gains possibles du plan¬
teur. Alors les
on ne
vit
fortunes
se
firent moins
plus, parmi les émigrants,
rapidement;
les jeunes
qui, n’ayant
rien, espéraient s’enrichir sur la terre étrangère.
Mais, pour eux^ les travaux des champs étaient
trop pénibles, ét 1© pep d’artisans et de cultivateurs
laborieux qui allèrent essayer d’arriver
par le travail
à la richesse et à
l’aisance, allèrent aussi chercher des
climats moins chauds et plus assortis à leur vie. habi¬
tuelle que ceux du Mexique et des Antilles.
Auséi,
cadets de famille
Ou ces aventuriers
que
308
ILES
bientôt les colons,
MARQUISES
dont la concurrence
avait abaissé
prix des denrées, manquèrent de bras pour exploi¬
les terres qu’une yégétatiqn active couvrait encore
d’arbres majestueux, mais inutiles. Par un motifde phi¬
lanthropie bien dirigée on alla chercher les habitants
dé l’Afrique .qui, destinés à une mort certaine, éclrangèrent leur sort contre celui de la servitude dans la terre
d’exil. Alors naquit l’esclavage, qui vint donner la vie
et l’activité aux colonies ; puis ,les races se mélangè¬
rent, un peuple nouveau surgit sur une nouvelle
patrie, et oubliant bientôt les liens qui ne le rete¬
naient plus que faiblement à la métropole, le cri de
liberté retentit, et l’Amérique fut couverte de répu¬
bliques.
• ‘
le
ter
refoulant loin de leurs établissements
peuples primitifs qui ne voulurent poipt rester
condamnés à labourer, comme esclaves, les champs
de leurs vainqueurs, les européens se transplan¬
taient sur les rives américaines; tandis que, à la
suite des travaux des champs, leur industrie y en¬
fantait des prodiges , et que lès vastes ports de cette
immense terre se couvraient de vaisseaux qu’y atti¬
rait le commerce, d’autres colonies grandissaient
aussi en puissance et eh richesses dans l’Inde , dans
l’archipel d’Asie, et dans les Philippines. Mais là, les
Tandis que
les
conquérants rencontraient des peuples plus avancés
dans l’industrie, qui vivaient du produit de leur
terre, et qui, déjà courbés'-aux pénibles travaux des
chainps
n’attendaient, plus que les ressources
plus étendu pour devenir nations. De
d’un commerce
OÜ
NOÜKA-HIVA.
309
longues et sanglantes guerres établirent les Euro¬
péens sur ce sol fécond ; ils se posèrent en maîtres,
venant exploiter le
peuple conquis. Alors s’élevè¬
rent les
comptoirs opulents de l’Inde où' vinrent
s’échanger contre les produits européens lés étoffes
de l’industrie indienne et les denrées
particulières
au sol de ces vastes
archipels. Les relations qui
s’établirent entre 'les vaincus et lès
vainqueurs
assoupirent peu à peu les haines; les Malais.et
lés Indoi/s s’habituèrent à travailler
pour lèurs
maîtres, et, sous le monopole du commerce, de
grandes richesses vinrent et viennent encore en¬
richir les métropoles. Ainsi’, deux
systèmes pour
ainsi dire
de
colonisation
deux points
différente s’établirent
oppo'sés du globe ;-sdans l’un les
Européens prirent possession du sol et l’exploi¬
tèrent tout entier après en avoir
expulsé les ha¬
bitants ; dans le second, ils ne firent
qu’imposer
leur domination et leurs lois à des
peuples qui con¬
servèrent une apparencé de liberté, tout en se sou¬
aux
mettant
aux
conditions commerciales
queurs. Toutes ces colonies durent leur
leur grandeur aux travaux dé
et
si, dans le premier
culteurs
et
Européens
le
cas,
des vain^
puissance
l’agriculture; et
les colons durent être agri¬
commerçants, dans le second cas les
trouvèrent toutes leurs ressources dans
commerce.
Les colonies de l’Inde et de
l’Amérique durent
leur accroissement rapide à la
législation de l’époque,
au malaisé de la classe
laborieuse, et surtout au des-
ÎLES MARQUISES
310
potisiîie des gouvernements existants. La rareté des
marchandises coloniales, leur nouveauté et leur uti^
lité amenèrent dé
prompts débouchés, et ce
lés-établissements européens d’outre-mer
d’immenses richesses.
fut pour
des sources
jours, sur les, rivages sauvages de l’Aus->
tralie, se sont élevées, comme par enchantement,
des villes européennes, des villes, avec tous, les ac¬
cessoires delà civilisation lapins avancée ; d’abordçe
De
nos
point occupé par quelcfues misérables con¬
jetés âu hasard sur un sol inhospitalier, et
puis cette famille s’est agrandie et a couvert de ses
rejetons les rivages presque entiers de cette nouvelle
pai’tie du monde, -Là-, tout était à créer 5 les pauvres
peqplades qui parcouraient ces tristes forêts n’étaient
susceptibles d’aucun travail ; le sol ne produisait que
peu de ces denrées enviées par le monde civilisé ; les
éléments de cette société nouvelle furent ces mêmes
hommes que tout peuple cherche à bannir de son
sein comme une lèpre hideuse qui corrompt la
société qu’elle touche.
•
pans ces derniers temps , les résultats obtenus
par les Anglais dans leur système pénitentiaire ap¬
pliqué aux colonies américaines d’abord, et ensuite
aux établisseménts del’Australie, ont occupé tous nés
philanthropes. Bien desfois déjà on a spulèvé la ques¬
tion de savoir, si le système employé par l’Angleterre
pour rendre à la société, le. plus de criminels possible,
était le meilleur^ celui mis en éxpérience par les
Éitats-Dnia d’Amérique et une partie de la Suisse a
fut
un
damnés
ou
fait naître
NOUKA-HIVA,
plus, d’un doute, la question est loin
d’être
311
en¬
vidée; l’étàt actuel de la Fçance, sa lé¬
gislation, ses idées toutes'populaires, l’esprit caracté¬
ristique de ses habitants, enfin les charges de son
trésor, l’étendue de son sol, dont les sept huitièmes
seulement sont en culture, sont autant de considéra¬
tions puiss^intes qui arrêtent une
pomparaison directe
entre ce que pourrait faire la France et ce
qii’elle
core
voit
pratiquer par l’Angleterre; Mais quel que soit
jugement de nos philanthropes, j’en¬
registre les faits. Un nouveau peuple a choisi l’Aus¬
tralie pour patrie; déjà la Nouvelle-Hollande,- la
,T,asmanie, la Nouvelle-Zélande, sont liées par un com¬
merce actif et prospère ; l’avenir de ces établissements
repose en entier, sür les produits du sol, et tout
doit faire croire à une prospérité sans cesse crois¬
sante. Je sens ma voix trop
faîbjie pour oser abprder la
question morale des colonies pénitentiaires, ques¬
tion qui a été déjà tant de fois trai'tée par des hommes
supérieurs, doués d’un talent d’observateur et
d’écrivain que je suis loin de me reconnaître. Mais
si jamais une des opinions émises prévalait; si la
Fi’ance pensait à former un établissement lointain
qu’elle ne perde pas de vue qu’elle possède dans
ses
Jragnes une force qui, prudemment dirigée., peut
assurer le .succès de toute qolohie
agricole.
Déjà, toutes les zones habitables ont été par¬
courues dans tous les sens ; il ne reste
plus de terre
végétable qui n’ait été foulée paç le pied européen*
et c’est dans les glaces éternelles qùe ,nos intrépides
le résultat du
,
ÎLES MARQUISES
312
navigateurs doivent aller bravei* la mort s’ils veu¬
lent encore faire des voyages de découvertes et ar¬
borer le pavillon de leurs nations sur des terres
nouvelles, mais inutiles.. Il n’y a plus de ces régions
où l’or, l’argent se trouvent répandus à profusion
comme naguère le croyaient nos pères ; les denrées
de toutes les parties du monde abondent sur nos
marchés d’Europe, à des prix qui font oublier que
pour les obtenir il a fallu traverser les mers et re¬
muer une terre lointaine, dont souvent aujourd’hui
le consommateur ignore lé nom. Aussi., toute spé¬
culation basée sur les richesses prodigieuses des
pays lointains est terminée , et l’homme qui s’expa¬
trie pour aborder sur une terre vierge sait que, si le
soi doit un jour suffire-à ses besoins, il sera long¬
temps avant arrosé de sa sueur. Une seule consi¬
dération pourrait aujourd’hui jeter le gouver¬
nement dans une voie de colonisation d’agriculteurs, :
ce serait celle d’un surcroît rapide de la population
qui amènerait un trop plein qu’il faudrait verser
loin de la. mère patrie. Tel est l’exemple donné
par l’Angleterre et dont nous devons faire notre
profit.
Si
nous
cherchons à reconnaître les
sources
où
puisé pour fonder de nos jours «ces
agricolesnous retrouvons chez
elle un trop-plein dans la population que ‘ ne
présentent encore nulle parties États de l’Europe.
Là en effet, la population déborde, le paupérisme
étale partout sa misère et ses besoins , que font
l’Anglèterre
a
établissements
,
ou
ressortir
encore
possesseurs ou
313
NaUKA^HIVA.
le luïe
et
les richesses des
propriétaires • des trois
seigneurs
royauuies.
Là, encore, nous retrouvons cés Ipis monstrueuses
qui accordent aux aînés des familles nobles les vastes
propriétés foncières, qui réunissent toujours.en peu
de mainS|la force politique qui estinhérente à la
pos¬
session du sol. Les' cadets de famille
sont
destinés
à composer l’armée,, et souvent ils vont demander
à une terre lointaine une fortune dont ils ont été
dépossédés’dans la mère patriè. Là, enfin, règne en¬
préjugés exclusifs, avec tous ses
privilèges, cette aristocratie orgueilleuse et égoïste
que deux révolutions sanglantes ont pu seules faire
disparaître en France. Là, enfin, nous- trouvons la
puissance dont le commerce est le plus étendu.du
core'avec tous ses
monde, .et dont les nombreux comptoirs ont dû né¬
cessairement beaucoup aider les nouveaux établis¬
sements.
cependant, si nous étudions quels ont été les
d’action du nouvel établissement, quelles
causes de sa
grandeur et de sa rapide ex¬
tension, nous aurions le droit de demander encore
si tes établissements de l’Australie auraient
pu exister
réduits aux simples ressources d’une
émigration vo¬
lontaire. Je me,garderai, je le repète, d’examiner si
Et
moyens
sont les
les colonies de la Nouvelle-Hollande ont été heureuses
comme
établissements
thropes
ont vu couronner de succès, une entreprise
pénitenciers, si les philan¬
conseillée par eux pour ramener à la société des
hommes qu'ils ne considéraient que comme égarés;
.
314
ÎLES .MARQUISES
réginjepénitentiaire appliqué sur ce rivage
lointain a pu diminuer cette, plaie de toute nation
civilisée, celle dont nos bagnes présentent le hideux
spectacle. Mais je vois le premier noyau de la colo¬
nie agricole de Botany-Bay, formé d’hommes actifs
et intelligents, condamnés, à des travaux pénibles,
auxquels la loi imposé une tache que, bon gré,
mal gré, il faut accepter; je vois dans ces hommes
si enfin le
condamnés et réduits
aux
.fonctions de machines des
cultiver le sol. C'était la une
compagnie d’ouvriers difficile à diriger, il est vrai,
mais qu’avec des règlements à part, avec toutes.les
ressources que donne la force de la loi envers des
hommes'qui en sont en dehors, on pouvait avanta¬
bras tout trouvés pour
geusement utiliser.
Après avoir cherché ,à
.
former un établissement
uniqüenient composé de condamnés, l’Angleterre
qui jus¬
Suffisants d’existence, et qui
par cela même donnèrent une nouvelle vie à ces
établissements, extrêmement onéreux à la métro¬
pole. L’argent, en effet, ce levier de tout pays agricole
ouvrit la colonie à des hommes libres,
tifièrent de moyens
industriel, devait être singulièrement rare avec
premiers éléments de colonisation; mais, grâce
à ces nouveaux, arrangements-, grâce, surtout à cet
excès de population britannique et à la grande quan¬
tité de numéraire qui circule dans les transactions
et
ces
anglaises et-qui rend les placements si difficiles, on
vit accourir, de la métropole, de nombreuses cara¬
vanes, de petits propriétaiïes ou de petits rentiers
ou
NOUKÀ-HIVA.
345
quiy apportèrent leurs fortunes; ils vinrent avec clés
capitaux entreprendre des spéculations qui leur
offraient
des
chances
bien
‘ autrement
avanta¬
qu’ils auraient pu tenter dans la
patrie.
Alors, les villes de l’Australie furent des villes
européennes, avec tous leurs établisséments in¬
dustriels. Et puis, peu à peu, une génération
nouvelle remplaça celle qui connaissait la patrie;
il y eut des fortunes faites et défaites
; les enfants
nés sur ce sol et qui eurent besoin du travail
pour
subsister, s’habituèrent facilement aux rudes épreu¬
ves de
ragricuJlüre; dès lors il y eut des ouvriers
libres qui prodiguèrent leur sueur à la terre; le
grand pas, l’épreuve, suivant nous, crîticpie de la
colonie était franchie, et là, en facè de l’Angleterre
où se trouve, accumulée une si grande population,
une extension
rapide devait avoir lieu; car le récit
de ce qui se passait sur les terres australiennes devait
désormais amener de nombreuses émigrations parmi
toutes les classes de la population, même parmi
celle des fermiers agriculteurs.
Plus tard enfin là population de Botany-Bay dut
présenter les éléments les plus divers, et réunir,
coinme celle. d’Europe, des ouvriers de toute nature
qui y transplantèrent leur industrie; alors des cris
s’élevèrent contre les déportations des condamnés;
tant que les colons avaient eu besoin de leurs services,
ils les avaient désirés, mais, dès que chez eux la maind’œuvre ne fut plus rare, ils repoussèrent de toutes
geuses que ce
316
ÎLES MARQUISES
leurs forces
ce
dépôt, qui souille toute société.
l’état actuel..des colonies anglaises; cer¬
tainement si le but tle la Grande-Bretagne était dé
Tel
est
peupler l’Australie entière avec des condamnés qui,
par leur conduite, auraient mérité leur liberté, ce but
est manqué ; certainement si la plupart des
philan¬
thropes avaient cru, par ce système, détruire en entier
le viceet le crime, ils sont loin d’un succès complet ou
même satisfaisant; maisjéle répète, F Angleterre a uti¬
lisé par là avantageusement la population de ses
bagnes ; elle s’est créé des colonies’qui recevront pen¬
dant des siècles encore le trop-plein de «a population ;
elle asatisfaità un besoin urgent, et enfin elle a grandi
sapiiissance d’un peuple nouveau, et qui bientôt com¬
mandera peut-être à l’hémisphère austral. Enfin elle
a jeté une nouvelle vie dans son commerce de
l’Inde,
qui déjà va échanger dans l’Australie ses riches pro¬
duits contre les cuirs et leS; grains de la NouvelleHollande.
Enfin la colonie
anglaisé de Sincapour , créée de
jours et à peine née d’hier, semble former un
type à part et être le modèle des colonies purement
d’entrepôt. Là, -en effet, les ressources du sol sem¬
blent devoir être peu appréciées
; le peuple Malais
que les Anglais y ont trouvé implanté, ne livre
que peu des produits de la terre ^ c’est un simple
comptoir, où se tient un dés marchés les plus im¬
portants du monde. C’est à sa position sur le glohe,
à la vaste étendue du commerce, et des
possessions
de ses maîtres, aux franchisés de son port, que
nés
ou
cet
son
établissement doit
NOUKA-HIVA.
toutes
ses
317
richesses'
importance. C’est à Sincapour
que se
et toute
donnent
rendez-vous les nombreuses flottes de
jonques chi¬
noises et de praos malais qui se confient volontiers
tranquilles eaux des mers des Moluques^ mais
qui hésiteraient à se lancer dans les vastes mers de
l’Inde, Un comptoir européen, placé là, à la limite
que peuvent atteindre .les vaisseaux de ces peuples,
chez qui l’art de la construction des navires est en¬
core dans l’enfance, ce
comptoir, dis-je, doit devenir
le dépôt assuré des transactions de ces
peuples. Mais
ce
qui ajoute encore ici aux avantages déjà si grands
de la position de Sincapour, c’est cet immense com¬
merce
britannique qui possède à lui seul presque
tous les marchés du monde.
Sincapour est le dépôt
des marchandises que la Chine envoie dans l’Inde
pour ensuite se répandre dans le monde.
A côtéde Sincapour, s’élève le
pavillon hollandais,
et cependant rétablissement de
Rhio, occupé par les
Bataves semble végéter à peine à côté de cet essor
rapide de la colonie anglai-se ; c’est, que Sincapour
est admirablement placé pour servir d’intermédiaire
entre la Chine et les maîtres de l’Inde, tandis
que
Batavia, le centre du monopole hollandais, est le
véritable entrepôt où se font les échanges des
denrées d’Europe contre toutes les productions asia¬
tiques.
D’après ce que nous venons de dire, nous sommes
aux
,
naturellement amenés à. diviser les colonies établies
en
deux
classesdistinctes, d’après le but quia présidé
318
îtES MARQUISES
à leur établissement. Elles sont
agricoles
ow com¬
agricoles peuvent être formée^
libres, ou bien elles
sont composées d’un mélange d’hommes libres et de
condamnés, régis par des règlements particuliers; ou
enfin, elles ne contiennent que des condamnés. Les
colonies totalement pénitentiaires n’ont point encore
été essayées ; sans aucun doute, si, suivant les idées
de quelques philanthropes, elles peuvent devenir
avantageuses pour les condamnés, elles doivent être
extrêmement onéreuses à la' métropole. Du reste,
pour nous qui, sans nous occuper de la question mo¬
rale des prisonniers, ne les considérons que comme
un moyen puissant de fonder le noyau d’une colonie ,
en fournissant des bras propres à la culture, ces
derniers'établissements ne diffèrent, en aucune ma¬
nière dés colonies mélangés de condamnés et d’hom¬
merciales. Les colonies
entièrement par des colons,
,
mes
libres.
Les
-
'
,
,
,
établissements commerciaux peuvent être im-
par la conquête à dés peuples vaincus , ou
ils sont formés par une réunion de négociants spé¬
culant sur les arrivages dans leur port ; bien plus
imposés
les produits du sol.
'
Enfin; arrivent les colonies militaires qui se
trouvent dans une catégorie tout à fait particulière.
Leur but en effet, 'est non-seulement de servir de
que sur
lieu de
au
défense, et d’abri
aux
moment'de la lutte de la
mais elles
doivent avoir
vaisseaux de guerre,
puissance fondatrice ;
une grande
influence
partout j OU le commerce d’une nation lointaine
ou
349
NOUKA-HIVA.
butte à
odieuses,
la protection du pavillon est
trop éloignée. Pour toute puissance mai’itime, une
colonie militaire est une nécessité, là où des in¬
est
souvent en
par
le seul fait
térêts
des
mesures
que
commerciaux conduisent
ses
flottes
rnar-
chandeSi Le
monopole du commerce exercé par
peuples, a créé aussi des colonies mili¬
taires; elles deviennent les postes armés, chargés de
défendre les intérêts des vainqueurs contre les ten¬
tatives d’indépendance des peuples vaincus. C’est
ainsi que le poste militaire, établi à Ternate, veille
sur la conduitedes sultans,
chargés d’interdire à leurs
sujets tout commerce d’épices avec les étrangers.
Mais le plus souvent une pensée d’avenir a présidé
à ces espèces^de châteaux forts, placés au milieu de
l’Océan comnie pour y régner en maîtres et y com¬
mandes ; et si le pavillon britannique flotte sur les
rochers stériles de Sainte-Hélène et de l’Ascension,
c’est que la politique de l’Angleterre fut toujours
toutede prévoyance et de domination.
Une colonie agricole ne devient une nécessité
pour un peuple , que lorsque sa population déborde,
et que le sol lui manque pour nourrir ses nombreux
habitants. Dans l’état actuel, la France est loin en¬
core d’avoir à songer à dépeupler son sol et éclairçn
le nombre de ses enfants. L’Afrique, cette belle
conquête, dont elle s*est glorieusement enrichie, en
débarrassant le monde d’un foyer de pirates, voit en¬
core ses longues plaines désertes. Il est vrai qu’une
certains
guerre
dévastatrice promène encore la faux sur ces
320
ÎLES MARQUISES
fécondes; mais la. lutte aura sa fin plus ou
prochainoi Quand nos économistes calculent,
d’après la superficie de la France, quel peut être le
nombre de ses habitants, leur esprit se tranquillise,
car toute la terre cultmble n’est
point encore sillon¬
née par la charrue, et cependant la France peut en¬
terres
moins
core
fournir bien
au
delà de la nourriture à
ses en¬
qu’elle y prenne garde , um autre danger
; l’homme voue aujourd’hui aux travaux
des champs, occupe le dernier degré de l’échelle
sociale; courbé sous les fatigues les plus grandes il
suffit à peine à sa nourriture et à celle de sa famille,
fants. Mais
la
menace
,
aussi les laboureurs sont loin de s’accroître dans
nos
à peine un-fils est-il né, que poussé par
qui impose au père de famille les plus durs
sacrifices, le laboureur Cherche à donner un état à
cet enfant qu’il chérit, et à qui il voudrait éviter les
rudes épreuves de la vie champêtre. Pour le labou¬
reur, l’ouvrier de nos manufactures est un homme
heureux ; en effet s’il travaille, il peut vivre aisément,
se vêtir avec luxe, et enfin jouir
quelquefois de ces
douceurs de la vie inconnues au paysan. Aussi la po¬
pulation de nos villes croît rapidement, et la moindre
épreuve commerciale, en arrêtant l’élan de nos ma¬
nufactures, laisse sans pain et dans les plus fâcheuses
conditions, de longues et tumultueuses cohortes ou¬
vrières. Le désçBuvrement, l’entraînement de ceux
qui déjà sont plongés dans la débauche, les poussent
rapidement à l’inconduite et au désordre, puis ces
hommes deviennent les ennemis d’une société qu’ils
campagnes;
cet amour
ou
NOUKA-HIVA.
haïssent, ils lui déviennent'à charge et
nuisibles.
C’est
321
souvent fort
vain que nos économistes
créent mille systèmes pour donner à l’ouvrier
en
àvenir assuré, et des moyens
se '
un
suffisants d’existence;
qu’ils voient dans quelle proportion effrayante croît
le nombre des petits marchands et dés ouvriers manu¬
facturiers, et qu’ils-établissentla balance avec celui
des consommateurs? En vain les tarifs s’élèvent dans
les ateliers. Il faut encore du travail à
cbacun, et
pour
diminuer le nombre des producteurs ou
açcrottré celui des consommateurs. Etsi enfin le tor¬
cèla il faut
ou
déborde, si jamais on doit êonger à créer un
cette population des
villes, qui com¬
mence à
abonder, une colonie agricole.,sera-t-elle
posSiblè avec de pareils- éléments ? La migration
viendra pèut-être purger'nôs. villes. de tous ces
spëc'ulâteurs malheureux qui n’ont rien., mais
qui veu¬
lent courir à là richèsse, sâns
passer par lès travaux
manuels qui doivent seiils commencer la fortune
qu’ils ont rêvée ; on verra affluer dans nos ports
une foule'
nombreuse, s’expatriant pour aller ex¬
ploiter des terres nouvelles ; mais pas un homme
d’ordre né prendra cette route pour
y chercher,
par le travail, une vie non moins .activé que celle
qui fournit à ses besoins dans la patrie, mais qui
peut aussi lui offrir plus,d’occasions de s’enrichir.
Et puis, au milieu de ces'bandes
d’industriels, dont
rent
débouché à
nos
villes regorgent, et
premiers
l’agiotage
quii se transplanteront les
le sol de; la colonie, on verra naître
qui élèvèra d’abord les prix des terres à
sur
21
ÎLES MAJl.Q.UISES
322
exorbitants, et lorsque tiendra ,1e moinent
réalité, lorsqu’il faudra faire .produire à ces
des taux
•de là
quoi payer j’întérèt de l’argent empoché
par les brocanteurs, les. bras, manqueront;, car
tous les colons se seroiit éxpatriés pour être maîtres
terres
et
de
d’établissements, et non point pour
livrer eux-mêmes à des travaux manuels (1).
Avec nos lois toutes populaires, les. propriétés
chefs
se.
foncières vont constammeut en se
divisant ; chaque
parties
qu’ il y a d’enfants; et, dans eètte classe laborieuse èt in¬
famille partage la terre de ses pères'en autant de
téressai! tedes laboureurs,
ce
coin de terre que
lui
chacuns Attachetellement à
légué son pèré, ou qü’d a
a
gagné au prix de ses sueurs , ,que rien ne saurait l’en
détacher-, quand bien même il peut à peine vivre.sur
son soi', auquel il consacre ses travaux et ses peines.
Telle est notre conviction ,.qué de nos jours une colo¬
nie purement agricole serait infiniment
former, si to.utëfois elle pouvait exister.
lente à se
L’époque
nécessité pèsera sur la. France, est encore
loin de nous; mais nos villes grandissent en popu¬
lation nos campagnes restent stationnaires, nos luanufactures, pQurvues de machines puissantes qui. les
font mouvoir presque sans le secours de l’homme, ne
ou
cette
,
(1) Au mois de
offrait
un
mai 1840 , la baie des Iles (NoÜTelle-Zélande)
agiotage à Korora-Reka, le
exemple frappant, de cet
élevé
près du rivage, presque sans valeur d’abord , s’était
trois mois, à, 3 livres sterling (123 fr.) le pied de façade; et
à quelques cents pas dans l’intérieur là même'mesure
encore
une livre sterling.
'
• ,
,
terrain
ep.
valait
ou
NOÜKA-HIYA.
323
r
plus utiliser tous les bras qui se sont voués,
riridustrie. Les ouvriers, laborieux
comprendront
vitCj il est vrai, que les consommateurs manquent
pour les objets que peuvent enfanter leur
génie. Ils
peuvent
à
retourneront,
peut-êtro
les travaux des
champs,
qui (seuls assurent l’pxistence, et la population ira
en
grandissant rapidement. Heureuse,, la France, si
cette réaction
arrive, et si elle a lieu sans ébranlement !
mille fois heureuse, la France, si elle
n’éprouVe la né¬
cessité d’établir des colonies agricoles,
que lorsqu’elle
sera débordée
par la population des campagnes. Heu¬
reuse surtout, si avant elle
n’éprouve pas le'besoin de
donner un écoulement à cè trop-plein des
villfs, etde
jeter sur des rives lointaines ces hommes qui, pour
n’étre pas nuisibles à leurs
semblables, ont be¬
vers
soin de vivre loin dés, sociétés où ils trouvei’aient
toujours des exemples
ment.
pervers, et un fatal entraîné-,
•
L’établissement d’une colonie commerciale d’eiirtrepôt nous seinble aussi difficile à établir pour les
Français qu’une colonie agricole libre. Avec les
moyens d’émigration dont
cet attachement
pour le sol
tère de
dispose la France, avec
qui entre, dans le carac¬
habitants, quels, seraient les colons d’un
établissement de ce genre? Les négociants
qui jouis¬
sent. à juste titre d’une considération
bien acquise
et qui honorent notre
commerce, auraient-ils intérêt
à s’expatrier
lorsqu’ils vivent heureux et tranquilles
dans leur patrie dont ils sont les soutiens ? Les
pre¬
miers éléments de colonisation ne séraient-ils
ses
pas,
ÎLES MAUQtJISES
324
contraire, les Jiommes que rinconduite laisse
sur les pavés de nos villes, les gens
au
sans ressources
qui, apfès avoir-tout perdu, le plus sou¬
par leur faute, iraient tenter de s’enrichir sans
s’inquiéter des moyens qui doivent les conduire à
leur but? On verrait accourir dans nos ports , prêts
à réclamer leur passage pour un pays neuf à ex¬
ploiter, tous ces aventuriers qui vivent au jour le
jour, et pour qui la terre d’exil n’est qu’un lien de
sans
aveu,
vent
aussitôt qu’ils auront réa¬
de la réputation
d’honneur et dè probité qu’ils laisserit derrière èux.
Consultons à l’étranger les hommes respectables qui,
passage qu’ils doivent fuir
lisé une fortune, sans s’occuper
grandes maisons de commerce,
glorifient d’être Français, et nous comprendrons
leurs plaintes sur la conduite de plusieurs de nos
nationaux, qui chaque jour encore vont tenter la
fondateurs de -nos
se
lointains. C’est sans, doute à
derniers, dont les torts heureusement dispa¬
raissent derrière la réputation irréproehablé de nos
négociants à l’étranger, que s’adressent les paroles
sévères consignées dans l’ouvrage de M. Laplace (1) :
Les escadres, les comptoirs, les traités et de meil¬
leures lois de douanes pourron t bien ouvrir un champ
plus vaste aux opérations de notre commerce, mais
non lui inspirer cet esprit d’ordre et d’économie ,
cette probité dont il manque entièrement et sans les¬
quels il ne fleurira jamais . Tel je l’ai vu dans l’Indé et
fortune dans les pays
cés
«
(I)
de la Favorite.
ou
.NOUKA-mVA.
325
Chine, tel je l’ài retrouvé àValparaiso età Lima, où
pourtant les produits de notre sol et de nos manufac¬
à là
tures se vendent
plus grande quantité que partout
ailleurs; aussi la plupart des Français qui trafiquent
sur, les côtes occidentales du nouveau
monde, n’in¬
spirent que fort peu de confiance aux habitants et
aux
étrangers. Cesohtgénéralementdes pacotilleurs
que de mauvaises affaires, ou l’inconduite, forcent à
quitter l’Europe, et qui,, pour vus de quelques ballots
de marchandises achetées le plus souvent à crédit, et
par conséquent à.dés prix exorbitants, comptent, dans
leur inexpérience, les vendre en Amérique avec des
bénéfices assez élevés pour remplir sans peine leurs
onéreux engagements. Mais, à peine sont-ils arrivés
à leur-destination, que leurs beaux projets subissent
peu à peu des modifications notables ;- d’abord ils
éprouvent mille difficultés à placer leur pacotille,
ensuite ils la livrent beaucoup au-dessous du prix
d’achat ; pour se consoler de tant de désappointe¬
en
ments, nos brocanteurs courtisent les belles Lima-
niennes, sirènes bien dangereuses pour la bourse
des jeunes Européens, et oublient auprès d’elles
leurs créanciers ; puis quand ils sont complètement
ruinés, de dupes qu’ils étaient peut-être, ils devien*
fripons.. D’autres, plus sages ou
plus heureux courent de port en port,, de ville en
ville, pour débiter leurs marchandises, et font as¬
nent de déterminés
,
saut
de
ruse
et
de mauvaise foi
avec
les marchands
indigènes ; lorsqu’enfin, à force de peine , ils ont
capitaux, ils retournent en France, et
réalisé leurs
ÎLÈS MARQUISES
326
les coule à fond ou en fait des
importants. »
Nous avons déjà dit que le succès d’un établisse¬
ment commercial d’entrepôt dépendait non-seule¬
ment de sa position sur le globe, mais encore du
plus ou moins grand nombre de colonies déjà établies
par la puissance fondatrice, et qui se soutiennent entre
elles par de nombreuses transactions commerciales;
or, les possessions coloniales de la France sont telle¬
un
second voyage
personnages
ment
isolées et clair-semées
sur
la surface de la terre,
que si elle songeait à former qix établissement d’en¬
trepôt, celui-cime devrait spéculer presque que sur
le passage des navires étrangers et sur le. voisinage
des colonies de ses voisins; il est vrai que la,fran¬
chise du port est, sans contredit la première condi¬
tion d’un établissement de ce genre , mais elle n’est
point la seule. Aujo.urd’huile commercé, et surtout
celui
d’entrepôt, he saurait exister
de bonne foi et de
et
si
une
sans une garantie
probité de la pairt deseommettants;
colottie commerciale devait être tentée par
compagnie française, elle aurait besoin dérègle¬
particuliers pour se prémunir contre toutes
chances d’insuccès. Du resté, disons-le; franche¬
ment, un établissément de ce genre doit être le ré¬
sultat progressivement amené par Un commerce actif,
dont les longues ramifications ont besoin d’tin
centre plus rapproché que'là métropole pbuc s’y coricentrer; et alors'combien la France est loin encore
d’avoir à y songer ! Sans doute, quand la France vou¬
dra" coloniser elle devra aussi, dans le choix dé la
une
ments
du NOUKA-'HIVA.
327
position' du lieu destiné à recevoir ses colons, calpossibilité d’y créer un centre commercial
dans un avenir plus ou moins éloigné. Mais cettè con¬
culet la
sidération isolcè
il faut du
•temps pour gagner la cdnfiancé des commerçants, et
ce ne sera
que
l’on
ne
saurait la fixer ^ car
accordera des garanties,
s’expatrier ces négociants qui fpnt
tous les pays où ils vont s’établir.
que lorsqu’on leur
verra
l’honneur de
Au.point où
en
sont aujourd’hui lës hâtions civi¬
lisées de l’Européj à voir les principes de philanthro¬
pie qui y Sont professés, et tous'lés succès assiu'és'à Ses
apôtres,
devrait croire à l’impossibilité de fon¬
imposée par la conquête ; mais,
n’avpns-noüs pas vu l’Angleterre persister à éten¬
dre sa domination dans rtnde, et chaque jour en¬
core, imposer sêslois à des peuples nouveaùx ; enfin
la guerre injuste faite à la Chine est-ellé terminée?
Aurait-on pu croire, il y a quelques jours à peiné,
que la hàtion dont les relations sont les plus étendues,
celle qui se yahte d’ètrè la plus philanthropique, et
d’occuper lé premier rang par sa force et ses lumières,
que l’Angleterre, enfin^ déclarerait fa guerre à une
nation qui^ à elle seule, a prbsqùe pôüssé lés arts et
der
une
on
colonie
la civilisation
au
niveau de
l’Eùrope, parce, que la
Chine refusait de recevoir dans son intérieur une den¬
population, mais qui assurait par
grandes richesses aux maîtres de l’Inde.
Ouelques lambeaux de l’empiré céleste, arrachés par
la forcé des armes, doivent être le prix dè la paix; le
mondé comptera une colonie dé plus pour l’Anglerée nuisible à Sa
son'débit de
328
ILES
MARQUISES
pavillon britannique, flattant sur ces pla¬
ges nouvelles, sera là pour dire ce que peut un
peuple puissant guidé par l’égoïsme et l’ambition.
Naguère encore, l’île Sumatra, cette rivale de là
féconde Java, obéissait à des sultans indépendants
et dont l’Europe connaissait' à peine le nom. Au¬
jourd’hui, c’est,après des combats sanglants, après
une lutte
qui n’est point encore terminéaj qiie
le pavillon hollandais vient de couvrir ses ri^es, afin
d’exploiter, par le monopole odieux et exclusif qui
pèse sur l’archipel entier de l’Inde, les, richesses
sans nombre de
cette,grande terre.
Enfin l’Algérie, il faut l’espérer, sera bientôt
soumise, et régie entière par des lois françaises; et
alors, comme l’Angleterre et la Hollande/la France
aura une belle part dans les colonies imposées par
la conquête à des peuples actifs et industrieux.
terre, et le
C’est
ici le lieu d’attirer l’attention
sur
celte
propagande religieuse qui, en atteignant les limites
orientales- de l’Océanie, menace de l’envahir d’un
bout à l’autre.
'
’
Il est difficile au voyageur qui visite encore
aujourd’hui ces îles naguère habitées par des peu¬
plades sauvagee, de ne pas cliercher à prévoir, l’avenir
de ces ai’chipels fortunés, semés au milieu du vaste
océan Pacifique. La première chôse.qui l’affecte, c’est
devoir ces hommes, voués à un servi ce tout religieux,
s’immiscer dans les affaires temporelles de ces peu¬
ples libres, auxquels ils ont impose leur domina¬
tion, sous prétexte de diriger des consciences.
ou
NOUKA-UlVA.
329
plaise que Je m’élève ici contre la pen¬
première qui a présidé peut-être à l’êtablissemen|;
des missions lointaines! Plus que tout autre, J’admire
le zèle et le dévouement de ces hommes
inspmés'qui
les premiers allèrent essayer d’unir à la
grande fa¬
mille des nations civilisées, ces peuplades barbares'
et anthropophages, par le seul
moyen de la morale
et de la religion.
Un point,' un point inaperçu sur l’étendue du
globe, le petit-archipel Gambier (Manga-reva) connaît
et vénère le iiom français, et réunit à luiseul toutes les
vertus. Quatre niissionnaires de lapatrie
y ont en effet
porté la parole de l’Évangile et ses préceptes, mais ils
n’ontpoint.cesséde prôcheràcette nombreuse famille,
dont ils sont devenus lés pères, les principes de
charité et d’humilité dont ils ont été les premiers à
A Dieu
ne
sée
donner
l’exeinple. Heureux les Mangareviens, s’ils
peuvent connaître ces douces lois de la société civi¬
lisée, tout en conservant leurs droits et leur liberté !
prêtres catholiques, s’ils savent résister
pouvoir! Heureux enfin si, fidèles
aux devoirs
que leur impose leur caractère, ils sa¬
vent conserver le titre
de,pères de cette famille,
sans Jamais mériter le sort des
oppresseurs !
A peine le voyageur a-t-il quitté
l’archipel Garahier qu’il rencontre - les îles.Taïti, Samoa,
Tonga,
Vîti, où partout l’Angleterre domine. Ce sont-, il est
vrai, ses missionnaires qui gouvernent pour elle;
mais, si un de ces rois sauvages, qui ne conserve de
sa faible
royauté qu’un titre trop pompeux, voulait
Heureux nos
aux
charmes du
330
ÎLES SIARQUISES
agir par lui-même et repousser tout conseil pour
veiller sur ses intérêts, on verrait le pavillon bri¬
tannique se fixer, et dominer sûr ces terres où la
similitude de croyances
^
religieuses lui ménage¬
parti fort puissant. En voyant
la progression rapide dans laquelle chaque peuple
de l’Europe multiplie et s’étend au delà' de ses
premières limites, il n’est pas permis de douter,
qu’un jour peut-être ho'rt éloigné viendra, où une
colonie européenne s’élèvera sur chacune de ces in¬
nombrables îlès qui forment l’Océanie. Sous ce
pointde vue, l’œuvré des missions mérite toute l’at¬
rait
toujours
un
si, aujourd’hui, c’est
conquête morale faite par quelques hommes
tention du gouvernement ; car
une
dont
on
doit admirer la constance autant que
le dé¬
vouement, ce n’en est pas moins une conquête véri¬
table, qui déjà monopolisé le peu jje commerce de
peuplades, grâce au caractère avide et
jjeU libéral de certains ministres méthodistes. Les
îles Sandtvibh, les plus importantes comme position,
comme terres et même comme population, les îles
Sandwich, dis-je, sont aux Etats-Unis d’Amérique;
les ministres anglais sont déjà sur presque toute
l’Océanie ; sur un seul point à peine visible on parle
le langage français: Totalement dévoués jusqu’ici à
leur ministère, qui ne doit pas s’occuper des choses
d’ici-bas, nos missionnaires prêchent la morale chré¬
ces
pauvres
tienne dans l’Asie et dans la
Nouvelle-Zélande, et,
quelle que soit la nation à laquelle appartiennent les
peuples idolâtres, nos prêtres poursuivent égale-
ou
leur
NOUKA.-HIVA.
331
religieuse et toute d’abnégation.
direction, au contraire, semble diriger les
apôtres dissidents, et, sousi le masque religieux, il
est facile de
s’apercevoir que l’A-ngleterre poursuit
son système
colonisateur, qui n’a plus que quelques
chaînons à forger pour former une vaste ceinture
autour du globe,
qu’elle semble s’être adjugé.-Au
premier coup de canon qui retentira dans la vieille
Europe, on verra un pavillon protecteur surgir sur
chacune de ces îles aujourd’hui, si
paisibles. Dieu
veuille que les ^rois couleürs nationales
s’y montrent
ment
œuvre
Une haute
avec;honneur!
J’ai
entendu dire que l’Angleterre était
souveraine dans l’art de créer des colonies, et
je suis
loin de le contester j niais ce que
je repousse, c’est
.souvent
la France soit totalement incapable de faire
son pavillon sur de riches
comptoirs
posés au delà des. mers.. Certes, je suis loin d’assu¬
rer que si la France eût, comme
l’Angleterre, planté
son drapeau sur le vaste continent de
^Australie,
elle eût-produit des établissements qüi eussent
grandi
aussi rapidement que ceuxvde Sydney et d’Hobart-town
;
je sais que,pourlaprospérité d’une colonie, il faut des
rapports possibles et fréquents avec la métropole,
Sous çç point vue, la Nouvelle-Hollande,
pas plus
que la Nouvelle-Zélande, ne nous aurait convenu 5 car
leur position est celle des antipodes ; presque au¬
cun lien ne les eût réunies à la
France, et les commu¬
que
aussi flotter
nications de nos navires commerçantssont loin d’être,
aussi nombreuses que
celles de la Grande^-Brètagne.
332
ILES MARQUISES
Je sais encore que le caractère national est loin
d’aider les migrations volontaires ; je sais que chez
nous, r.on ne verra que bien rarement des hommes
déjà fortunés, abandoiiner fe sol de la patrie, dans
le but d’agrandirieur fortune et d’en faire profiter
leurs enfants ; je sais encore qué ee qui fait surtout la
prospérité des colonies britanniques, c’est cette lon¬
gue suite d’établissements transatlantiques, qui
établissent entre'eux et
avec
toute
société naissante
d’Anglais, dès relations commerciales continues.
La France, il est'vrai, n’a pour elle aujourd’hui
aucune de ces chances dé succès que l’Angleterre
réunit toutes; mais quelle est la cause première du
mal? Si on se reporté aux; époques où chaque peu¬
ple commençait à se jeter dans ce système de colo¬
nisation, qui a gagné tout l’imivers, yerra-t-pn les
colonies de. cotte époque, fondées par. les Français
moins riches et moins puissantes que celles de leurs
voisins ? Maurice et Saint-Domingue n’ont-elles pas
été les deux plus belles coloiiies du monde, et n’ontelles pas commehcê sous le pavillon de la France?
Mais ensuite, pendant qüe la France concentrait ses
efforts pour maintenir son indépendance, on a vu la
Russieétendfe ses doigts de fer pour joindre l’Europe
à l’Asie sous un même gouvernement despotique ;
tandis que l’Angleterre, tranquille dans ses limites
infranchissables, a continué à étendre ses conquêtes
maritimes. Naguère encore, sous l’empire, combien
de millions, combien de milliers d’hommes n’auraîton pas sacrifiés pour posséder une province de plus
,
ou
NOUKA-HIVA.
le Rhin, tandis que
l’on reoùlerait peut-être
aujourd’hui devant quelques dépensés et
l’envoi d’une flotte pour conquérir un royauiué en¬
tier, mais séparé de nous par une longue nappe d’eau.
Par suite, la France, eiclusivejnerit occupée' d’étendr.e ses possessions eri-Europe, a pour ainsi dire
abandonné sa puissance sur mer, èt aujourd’hui, lors¬
qu’elle porte ses regards en dehors de ses frontières,
lorsqu’elle voit les envahissements de ses rivaux, et
que justement effrayée de la puissaîice qu’ils y ont
acquise, elle mesure les sacrifices qu’il faudrait s’im¬
poser pour ressaisir la prépondérance qui lui échappe
et qui lui est due, elle recule et semble croire à son
incapacité , sans songer qu’il a fallu des siéclés à
l’Angleterre pour assurer sa domination dans toutes
les mers; et que cette longue série d’établissements
britanniques, qui assurent le succès de toute colonie
anglaise naissante, est comme une longue chaîné
dont chaque anneau a été forgé séparément à force
de temps et de sacrifices; mais qui,. une fois com¬
mencée, n’exige plus que de la constance joour s’é¬
tendre et.envelopper lé globe entier.
.
J’admets qu’une' colonie pureflient commerciale,
ou qu’un colonie
agricole libre, serait longue à établir,
et peut-être impossible à la France avec les .éléments
qu’elle peut donner à la migration; mais ne pou¬
vons-nous pas former une colonie
agricole péniten¬
tiaire ? ne reste-t-il pas des lieux à exploiter ? n’ayonsnous pas des forçats dans nos bagnes? manquonsnous d’hommes et dé vaisseaux? Nos ressources’
sur
encore
334
ÎLES MARQÜISÈS
financières sont-elles tellement
épuisées, que nous
puissions encore disposer de quelques millions
pour débarrasser nps ports du redoutable voisinage
des chiourmes, et créer
quelque puissante colonie où
notre armée navale puisse trouver un abri, lorsqu’il
faudra disputer à notre rivale l’empire des mers
qu’elle s’est adjugé. Nous ne sentons point encore
chez nous, il est vrai, ce trop-pleiil delà population,
qui chez nos voisins a besoin de déborder ; mais nous
y marchons rapidément, et peut-être lorsque le mo¬
ment en sera Venu, il ne restera plus de terre culti¬
vable qui ne soit abritée par un pavillon;' et la
France verra alors, mais trop tard qu’elle à perdu
à jamais toute possibilité de se créer des colonies.
Que l’on jette les yeux sur que carte : partout,
à nos côtés, nous voyons là puissance britannique
avec des forces imposantes. Deux peuplés semblent,
pour ainsi dire, vouloir se partager l’empire du
ïïionde : la Russie étend ses conquêtes et promène
ses étendards.sur deux parties du globe; l’Angleterre
couvre la mer dé ses
yaisséaüx, et fait flotter son
pavillon sur toutes les pârties dé la,terre.
Da, nier des Indes, limitée par l’Afriqùe à l’ouest,
au nord les riches possessions de l’Indoustan, et à
Fest le grand archipel d’Asiè.et la Nouvelle-Hollande,
présentent, sur, tous ces alentours, les plus riches
comptoirs. du monde. ' Partout le pavillon anglais
flotte avec, orgueil : sur, le cap de Bonne-Espérance,
dans rinde, dans l’Australie, il ne trouve point
de rivaux. Un point; isolé au milieu dé ce vaste
ne
,
ou
î^QURà-niVA,
335
océan, un point qui était trop français pour çlpvoir jamais être abandonné, l’ile Maurice, semble
devenir le point central d’où b Angleterre surveille
et protège toutes ses possessions, Là encore, dans
ce vaste
archipel d’Asie, un drapeau qui longtemps
fut le roi des mers, celui des. Hollandais, couvre, de
vastes et belles terres ; Java, Sumatra, qui vient de
recevoir des chaînes, seraient à peine suffisantes pour
équilibrerla puissance anglaiserai elles appartenaient
à une grande nation, qui possédât de nombreuses et
puissantes flottes de guerre; mais.déjà l’Angleterre a
pris pied sur ces terres qu’elle convoite , et la pres¬
qu’île de Malaca, sur laquelle elle a bâti Sincapour,
lui a servi à jalonner, sa route vers Ja Chine. L’île
Bourbon, vient seule rappeler, dans ces mers, l’exis¬
tence de la France; car c’est à peine si j’ose mention¬
ner nos
possessions de i’inde, qui se réduisent à ce
que l’Angleterre n’a pas voulu nous enlever. Quel¬
ques mètres de terrain affermés par;lés domina¬
teurs de l’Inde sont tout ce qui rappelle le pavillon
de la France à là génération actuelle, qui ce¬
pendant le vit flotter plus d’une fois avec orgueil,
sur nos escadres souvent- victorieuses, avant de suc¬
comber dans les, derniers combats qui nous cour
tèrent l’île de France. Si, lors des guerres de l’em¬
pire, même après nos revers maritimes, nos frégates
dans l’Inde purent lutter avec autant d’avantages, en
possédant pour tout point de refuge l’îlé Maurice,
ce rocher au milieu de la mer ;
que ne devrionsnous pas espérer de notre marine, si la France pos,
336
ÎLES marquises
-sédait clans ces mers une colonie puissante,
prés^'iitant
des ports nombreux â nos bâtiments en croisière ?
Dans l’état actuel, Bourbon ne saurait manquer de
succ(>mberà la
de possessions
première guerre, et, avec elle, le peu
qui nous restent dans l’Inde,, et c|ui
sauraient résister à l’armée im¬
dans tous les cas, ne
les Anglais possèdent dans ces parages.
Bourbon estime belle, colonie agricole et industrielle,
posante que
fournissant, il est vrai, du
du caféàla métro¬
pole, mais demandant du riz et des troupeaux à
Madagascar, dont elle ne peut se passer pour nour¬
sucre,
inhospitalière
point d’abri à nos vaisseaux : ainsi, pas un
seul port ne nous est ouvert dans les mers de l’Inde,
et si la guerre venait à éclater, de quel poids dans la
bfdance pourrait y être la marine française?
 côté des mers. de. l’Inde où l’Angleterre est si
riche et la France si pauvre, se présente un autre
bassin bien plus vaste ^ l’océan Pacific[ue, (|ui est
dediné à devenir peut-être avant peu le théâtre de
grands événements. Au nord, 'la Russie traversant
les mers a étendu sa domination sur l’Amérique,
les îles Aleutiennes ei toutes les îles septentrionales.
Les possessions nouvelles de l’Australie et de la
iNbuvelle-Zélande, les- Mol tiques,. les Philippines,
puis la Chine, 'sur lac|ueile l’Angleterre ne s’est
point encore'prononcée, limitent ce bassin vers
l’ouest, dont rAméric[ue avec toutes ses répüblitpies
({Ue dominent les États-Unis, forme les rives orien¬
rir
ses
habitants. Du resté, sa côte
n’offre
tales.
■
^
^
^
ou
«
Dans
NOUKA-UIVA.
337
partage de richesses et de puissance,
Laplaceen 1835 (4) , où se feront admet¬
tien certainement les États-Unis, etaucfuel l’Es¬
ce
écrivait M.
tre
pagne môme voudra participer,
tout à fait à l’espérance de
elle
se
contentera
langage, des
lorsqu’ayant renoncé
reconquérir
d’exercer
sur
ses
colonies,
elles l’influence du
mœurs, et d’une ancienne domination;
quelle part s’est réservée la France, qui en Europe
sert de
contiœ-poids à la Russie, et peut rivaliser
TAngletei’re? elle ne paraît môme pas
avoir songé. Ses hommes d’état trouvent ces ré¬
gions trop lointaines pour s’en occuper, ils les dé¬
daignent parce qu’ils ne les connaissent pas ; comme
si la Nouvelle-Galles du Sud et
Yan-Diémen, dont les
progrès rapides les étonnent, étaient moins igno¬
rées à Paris au commencement du
siècle, que ne le
sont aujourd’hui les archipels de la
Polynésie ou le
nord-ouest dé l’Amérique.
Au lieu de s’emparer dans les mers de la Chine
ou dans l’océan Austral d’un
.point qui puisse offrir
par la suite un débouché à ses manufactures et un
abri à ses,escadres, elle sé borne à faire doubler le
cap Horn ou celui de Bonne-Espérance par quelques
sur mer avec
y
»
bâtiments armés, trop peu nombreux pour
paraître
dans tous les, lieux où l’intérêt de son commerce
exigerait leur présence, et trop faibles pour inspirer
peuples en proie aux révolutions,
de la barbarie. Dans quel cpin du
du respecta des
et à peine sortis
(1) Yoyayé de la Favorite, tome IV,
page 83.
22
ëë8
ÎEÈS MAtlQUISÈS
globe sont nos établissements militait'es Ou commercfüellé terre, ou seulement sur quel ro¬
cher flotte le pavillon tricolore j aü milieu de ;bette
iïhitiehse mer dü Sud parsemée d’îles jiresque tontes
Occupées actüëlieinent par les nations maritimes nos
rivales, qui, plus prévoyantes que nous, sê prépa¬
rent a une lutte commerciale et politique beaucoup
moins éloignée que' l’on ne le proit généralement ?
Quand cette lutte commencera, la France se
trouvera sans moyens dé défense, Comme" sans auciatix? Sür
»
d’agression dans l’océan Pacifique. Au
premier bruit d’üne guerre maritime, ses stations,
privées d’un port de relâche et de ravitaillement,
seront obligées, pOur échapper aUx croisières enne¬
mies, de fuir précipitamment verS rEürope,^ en lais¬
sant nos négociants à la merci des autorités locales.
Depuis la paix de 4814, le mal a augmenté con¬
ciln
moyen
»
vingt années de tranquillité sem¬
blent n’âvoir diminué en rien l’inexpérience de nos
tinuellement, et
goUvérnants en fait de comniéreej les intérêts de nos
à la politique intérieure dü
moment, aiiisi qU’à la Crainte de mécontenter les
propriétaires fonciers et les manufacturiers ; des dis¬
cours prononcés légèrement à la tribune, et dont
probablement les suites n’ont pas été calculées, jet¬
tent l’inquiétude parmi nos concitoyens trafiquant
ènpays étrangei’S, ébranlent leur crédit, et parfois
iè rüincnt complètement. D’un autre côté, le gou¬
vernement, toujours resti’eint dans ses dépenses
même les plus nécessaires, et ne pouvant assurer
armateurs sont sacrifiés
ou
atictin
NOÜM-HIVX.
avoîiif finaiîcîer k
réduire
chaque année les
ses
339
projets,' est obligé de
armements de la marine
m'ilitairê et de renoncer à la formation d’aucun éta¬
blissement d’outre-mer.
'
s
Cette
pénurie d’armemehts est cause que les
côtes de la
presiju’île de l’Inde, cellès dela Chine,
lê grand archipel
d’Asie, Van'-Dîém’edj et la NoUvelIè»
Galles du Sud; toutes contrées
que
marchands,
fréquenteùt
nos
qu’ils fréquenteraient si des traités
leur en ouvraient
l’accès, ne sont visitées qu’à de
longs intervalles par les bâtiments de l’État. Il y a
inéine des points sur Ces côtes
; tels que Sart-Blas et
ou
les aufres ports
bien
rarement
pU étendré
»
sa
d’AméfiqUe
au
nord dé Panama, où
nôtre Station du Pérou
surveillance.
et
du Chili
un te! état de choses est éxtrênxemënt
et s’il s'é
ritimes
prolonge plus lohgtènfips,
et notre
influence
(FAmérique fômi)èrÔnf
sur
les
nos
a
fâcheux,
relations' ma¬
peuples d’Àsîé ét
tout à fait. Mais il faut
es¬
pérer que les chatnbrès adopteront énfrn, à l’égard
de notre cofnmeree,' les mésùfèS
cràmélîofatiôn dont
presque tôtttès lés puissances leur donnent l’exémple; ét qù’èllés abandonneront ce principe éxàgéré
d’égoïsine national,' qui,' en empêchant d’établir un
bon système
d’échange avec les autres pays, nuit
considérablement à la prospérité de nos
provinces
frontières. Alors, si elles
comprennent bien leur niîssrôn, elles n’hésiteront pas d’accorder les fonds né¬
cessaires air dévéloppement de ce
systèhre, ét le
gouvernement serà dinsr a mêriie dé remplir digiie-
ÎLES MAUQUISES
310
les armateurs, nonles moyens de débiter
leurs cargaisons , mais encore en entretenant sur
toutes les mers dès forces imposantes qui, présentes
partout au moment du danger, repousseront l’en¬
nemi
ou qui, succombant avec honneur, répan¬
dront sur le nom français un éclat bien préférable au
prix de quelques frégates qu’une excessive prudence
ment ses
engagements envers
seulement en leur procurant
,
aura
conservées.
»
■
.
Depuis quelques jours à peine le pavillon national
sur les îles Marquises , et semble annoncer
que la France ne: veut plus rester étrangère à ce par¬
tage du globe entre les puissances rivales. Quel est
l’avenir de cette colonie naissante? quelles sont ses
Hotte
pour notre commerce ? de quel poids peut
établissement, si jamais la.patrie avait be¬
soin de recourir aux armes pour repousser ses en¬
ressources
être cet
nemis?
Suivant nous,
la colonie des Marquises est un
point militaire, un poste
avancé de la France pour
veiller sur son commerce et
défendre ses intérêts. Le
cultivable qui reste sur ces terres déjà
climat brûlant de ces contrées, ne
permettent pas de supposer que ce nouvel éta-
peu de terrain
si petites, le
blissementpuisseavoir unegrandeimportance comme
colonie agricole, libre ou pénitentiaire ; placé à une
distance immense de la métropole, il ne se trouve
dans aucune des conditions de position nécessaires
devenh’ un dépôt important de marchandises,
établissement commercial où puissent se tenir
pour
un
ou
NOUKA-niVA.
341
des marchés nombreux. Le bois de
sandal, jadis
les navires de commerce pour l’ex¬
porter en Chine, semble s’être perdu sur ces îles, et
peut-être il faudra l’y replanter. Du reste, la popu¬
lation de cet archipel, faible et livrée par
goût à
une, inaction complète, ne présente, dans son indus¬
trie aucun objet que l’Europe puisse envier. Pour
amener au travail ces hommes insouciants, il faudrait
d’abord leur créer des besoins. La nature, si riche
sous ces zones
torrides, semble avoir prévu, cette
tendance qu’ont tous les peuples des tropiques à
si -rocherché par
vivre dans, l’indolence et l’oisiveté. De nombreux
arbres fruitiers assurent, sans culture, une nour¬
riture abondante à
ces
hommes si sobres et si limi¬
tés dans leurs désirs. La guerre,
qu’ils
ne cesseront
pas de faire,' car elle est essentielle à leur nature,
la liberté licencieuse des femmes, si caracté¬
ristique à ce peuple, et qui ne peut qu’ari’êter
la procréation, puis l’abus deS
liqueurs fortes,
dont ils seront avant peu très-avides, enfin les ma¬
ladies dont plusieurs îles sont déjà infestées, toutes
ces causes réunies doivent tendre
rapidement à
diminuer la population. Si on consulte les récits
des voyageurs qui seulement depuis Krusenstern
visitèrent ces peuples et cherchèrent, dans leur pas¬
sage, à estimer lenombrê des habitants, on reconnaît
déjà une tendance vers un prompt décroissement
de la race. Naguère encore M. Dupetit-Thouàrs n’a-til pas constaté une diminution sensible dans la popu¬
lation, diminution qui, il faut l’espérer, ne sera
342
ILES
MARQUISES
point encore augmentée par la présence définitive
des Français sur ces terres, mais qu’ils ne pourront
pas arrêter, car les mœurs de ces peuplés ne
sauraient, suivant nous, éprouver un change¬
ment avantageux, sans une transition lente, si
jamais elle doit avoir lieu. Aussi, suivant toute
probabilité, et malgré toute la bienveillante solli¬
citude qui^ nous en sommes certains, formera
le caractère du nouveau gouvernement qui vient
de prendre possession de ces terres, les ha¬
bitants primitifs diminueront leur nombre ac¬
tuel, et peut-être disparaîtront totalement’ de ces
îles, dont nous resterons les paisibles posses¬
seurs.
^
explorations, hydrographiques de détail man¬
quent encpre sur ces côtes, si souvent visitées, pour
Des
faire connaître toutes les
maritimes,
ports pouvant donner abri aux flottes de
commçrce et même de guerre. Cependant, à moins
en
ressources
comme
que
plus tard, ce gui est peu probable, on ne trouve
des baies bien fermées et défendues de tous les vents,
qui eussent échappé aux reconnaissances sous voiles
déjà exécutées, oh peut, dès aujourd’hui, croire que
la
grande île Nouka-Hiva deviendra le dépôt
tral de
cen¬
les établissements maritimes du gou¬
vernement. Sur sa côte méridionale se trouve en
tous
Taiohae , capable de recevoir et mettre
tous les temps, des escadres et de
grands vaisseaux. A peu de distance de là s’ouvre la
baie Àkahi ou tchitchagoff, la seule qui jusqu’ici
effet le port
à l’abri de
ou
NDUKA-HIVA.
343
paraisse offrir une mer assez tranquille pour y former
des établissements de construction, pu l’on
puisse
exécuter én toute sécurité les.opérations de carénage
qui exigent toujours un abri parfait. Enfin c’e^t en¬
core sur
des
l’xle Nouka-Hiva que se trouve la vaste baie
Taïpis, qui jusqu’ici n’a
offrir un port
mais qui aurait besoin
d’une exploration complète pour en faire connaître
tous les contours et les ressources maritimes ; suivant
certains auteurs, il est vrai d’une opinion douteuse,
elle présenterait des mouillages sûrs et des bassins
parfaitement abrités; quoi qu’il en soit, c’est sur
cette baie que s’ouvre la vallée la
plus vaste et la plus
féconde du groupe, et sous ce point de vue, c’est
encore là
que s’établiront par la suite un grand
nombre de colons, destinés peut-être à devenir les
sûr
aux
navires de passage j
fournisseurs des navires
en
pas paru
relâcbe. Sur toutes les
jusqu’ici quedes anses offrant
mouillages, que les navires ne
peuvent fréquenter-que suivant l’époque où ils se
trouvent, et ta direction des vents régnants.
autres îlesonnetrouve
de très-médiocres
Suivant nous, donc, l’île Nouka-Hiva est destinée
à devenir le centre
Ce
sera
tous
contre
ou
la
capitale de l’établissement.
l’dle Nouka-Hiva que se
dirigeront
les efforts de l’ennemi qui, en terpps de guerre,
chercbera à
s’emparer
à détruire notre établisse¬
Nouka-Hiva,, entourée de,tqus côtés par
une Cote élevée et accore sur laquelle la mer déferla
avec force et ne
permet point un débarquement j
puise sa première force dans cette disposition même
ment.
L’île
ou
344
(le
ILES
côtes
qui
MARQUISE.S
abordables que sur peu de
points; la hauteur des montagnes de l’île, leurs fa¬
laises ardues qui ne permettent que difficilement les
communications entre les différents points de la côte,
rendraient aussi pénibles et peu fructueux les débar¬
quements qui seraient tentés par l’ennemisur tout au¬
tre point que ceux occupés par I es Français. Sur la côte
méridionale où, je le répètesera probablement le
siège principal de l’établissement, la côte est inabor¬
dable sur tout le littoral, excepté dans les baies Akani,
Taio-hae et des Taïpis; les deux premières baies se¬
ront faciles à défendre, grâce à leur entrée étroite et
aux hautes
montagnes qui lés dominent de toutes
parts. Toutefois; ce ne sera point sans des diffi¬
cultés nombreuses et de grandes dépenses
que
les batteries françaises pourront couronner les
hautes et dures falaises qui limitent ces ports. La
vaste baie des Taïpis sera probablement le
point
où rennemi cômmencerait l’attaque à cause des faci¬
lités qu’auraient les. navires de guerre à y entrer avec
vent sous vergues et d’en sortir au cas de non réus¬
site- Un point sur la côte est, l’anse de la Néva, et un
autre signalé sur la côte nord
par M. DupetitThouars comme pouvant offrir
mouillage, sont les
seuls connus jusqu’ici sur tout le reste du
pourtour
de l’île Nouka-Hiva. Enfinj comme colonie
militaire,
les îles Marquises semblent réunir toutes les condi¬
tions nécessaires pour la défense en cas
d’attaque;
mais s’il
s’agissait de s’établir solidement sur
chacune des îles de l’archipel, la garnison deses
ne sont
ou
vrait y
rables.
345
NOUKA-HIVA.
être nombreuse et les travaux d’art considé¬
Après Nouka-IIiva,
qui offrent,
Leur étendue dépasse,
Hiva ; mais, nulle part,
sont celles
les îles Taouata et Hiyaoa
les plus grandes ressources.
il est vrai, celle de Noukaleurs côtes abruptes ne pré¬
des abris, assurés
temps pour les
grands navires, et faciles à défendre; cependant, il
ne faut
pas perdre de vue que le port de Vaïtahou, assez tranquille pendant la mousson d’est, peut
envoyer les navires qui fréquentent sa rade,
passer le teipps déThivernage sur la côte méridionale
de Hivaoa,^ où se trouvent des ports.à petite distance
sentent
et_abrités des
vents
d’ouest.
en
tous
.
position, les navires de guerre mouillés
Marquises seront appelés à commander tous les
archipels de l’Océanie, où les vents d’est, qui souf¬
flent régulièrement pendant huit mois de l’année,
peuvent les porter en quelques jours. L’Australie,
la Nouvelle-Zélande, toutes les Moluques, les Phi¬
lippines, la Chine, le Japon, auront, en cas de guerre,
constamment à redouter un coup de main .tenté
par
nos escadres
embusquées dans les Marquises. Toute¬
fois, ne perdons pas de vue que, jusqu’ici, les Mar¬
quises ne sont qu’un point isolé pour la France; que
de là, s’il est vrai qu’elle peut envoyer ses vaisseaux
sur toutes les
possessions occidentales de nos rivaux,
elle n’a pas un seul port ,sous le vent pour les rece¬
voir en cas de besoin ou de non réussite; aussi, es¬
pérons que la France ne s’arrêtera pas dans ce sysComiïie
aux
,>>1. Il'
346
ÎLES MARQUISES
régénérateur
pour notre marine et notre
bientôt, dans ces vastes mers,
on verra son
pavillon flotter sur d’autres points
que sur les deux rochers de Bourbon et des Mar¬
quises.
Depuis longues années, la France avait senti la
tème
commerce,
et que
nécessité d’entretenir
côtes
une
station nombreuse
sur
les
occidentales d’Amérique; la,
vires de commerce ont
encore
en effet, nos na¬
des relations nom¬
breuses ; et toutes ces petites républiques,,
leur indépendance, orgueilleuses mêpie'de
Aères de
leur fai¬
blesse, ont besoin d’une surveillance active, dans
l’intérêt de nos,nationaux.’Des noüvelles possessions
des États-Unis, dont le port de Columbia semble de¬
voir être le centre principal, méritent une attention
toute spéciale du gouvernement. Les îles Marquises
Sont destinées à devenir le centre de notre station;
c’est de là, désormais, que nos vaisseaux iront s’é¬
chelonner sur cette vaste côte, prêts à appuyer la
justice des réclamations de nos nationaux, et à faire
respecter notre pavillon, s’il devait jamais y être ex¬
posé à des insultes. Sans douté, douze cents lieues
encore séparent nos colonies nouvelles du continent;
un point
plus rapproché de cette vaste terre eût été
préférable ; mais la mer dans ces parages est pauvre
dé ces archipels aux rives découpées dont elle est si
richeensuite. De toutes les îles de l’Océanie réunissant
former un établisse¬
durable, les îles Marquises se présentent les
premières sur la ligne; et à ce titre;, nous devons
les conditions nécessaires pour y
ment
ou
nous
féliciter
347
Nouka-hiva.
d’y voir flotter le pavillon de la patrie.
L’utilité des îles
Marquises, comme possessions
françaises, ne saurait être limitée à l’influence
qu’elles sont destinée^ peut-être à exercer dans le
cas d’une
guerre,' dont le théâtre serait l’océan
Pacifique; nos navires de commerce, dont le nom¬
bre augmente tous les jours, n’aüront-ils
pas un
immense avantage à trouver dans ces mers un éta¬
blissement français qui puisse leur prêter secours et
assistance, lorsque, après-avoir doublé les mers tou¬
jours si tempétueuses du cap Horn, ils débouquènt
dans l’océan Pacifique, souvent avec des besoins
urgents qu’ils lie peuvent satisfaire dans les ports
américains; et puis nos baleiniers qui aujourd’hui,
pour se livrer à leur louable-industrie, viennent par¬
courir toutes les côtes d’Amérique et les mers
qui baignent la Nouvelle-Zélande et l’Australie?,
la poursuite du cachalot, si peu pratiquée
par les
Français, qui se fait dans les archipels de l’O¬
céanie, la pêche des holothuries celle des perles
et de la nacre, enfin la récolte de
l’écaille, toutes
ces industries réclamaient un
point central dans
ces mers, où
nos nationaux pussent réparer leurs
pertes refaire les vivres qui souvent leur man¬
quent, enfin retrouver la protection efficace du
pavillon. Aujourd’hui, cette lacune est comblée,
èt la colonie des Marquises doit être d’autant plus
utile, qu’elle sera abondamment pourvue de tous
les objets que nécessitent cés industries.'.
,
,
Le
commerce
futur des îles
Marquises
sera pro-
348
ÎLES SIAROUISES
bableinent limité
aux
fournitures
qu’elles pourront
aux.navires pas¬
sagers qui, dans leur trajet à, travers l’Océanie,
viendroiit y relâcher. Mais là encore, dans ce com¬
merce, nos possessions françaises am’onl à lutter
contre la^ concurrence
que ne manqueront pas de
leur faire les îles Taïti, Samoa,
Tonga, munies
comme
elles de bons ports placés sur la route
des navires, et qui possèdent encoi;e des plaines plus
vastes et plus fécondes
que les vallées noukahiviennes. Le capitaine Roquefeuille, qui nous a laissé
des renseignements détaillés sur le commerce fran¬
çais dans ees,parages, dit, en parlant des îles Mar¬
quises, qu’elles sont une bonne relâche pour les
bâtiments qui, après avoir doublé le cap Horn, se¬
raient appelés par la nature de leur expédition dans
quelque partie de l’Australie, pour les baleiniers qui
fréquentent le .Grand-Océan méridional., pour les
navires allant à la côte nord-ouest d’Amérique, et à
qui des besoins urgents ne permettraient pas de
pousser jusqu’aux îles Sandwich en tout préféra¬
bles (à l’époque du passage du capitaine). Enfin,
les Marquises sont la relâche naturelle des naviga¬
teurs destinés pour les ports de l’Amérique mé¬
ridionale, et de ceux qui, partant de la côte nordfaire
de, vivres frais
et de campagne,
ouest, vont doubler le cap Horn.
Il suffît de jeter
les yeux sur une carte pour réduire
juste valeur tous les avantages énumérés par
Roquefeuille en l’honneur des Marquises. Ce serait
à leur
nécessairement vrai, si la côte du Ghiliétaitsans ports
ou
NOUKA-HIVA.
349
et sans
ressources'; si, à côté des Marquises, ne s’éle¬
vaient pas les îles Taïti, des
Navigateurs, etc. Poul¬
ies navires qui ,■ après avoir doublé le
cap Horn, vont
dans l’Australie ou à la côte nord-ouest
d’Amérique,
les baleiniers siu’tout qui vpnt poursuivre leur
pêctie le long de la côte américaine, nous nous ran¬
gerons à l’avis de Krusenstern, lorsqu’il dit qu’il sera
préférable pour eux dé toucher à un port du Chili :
le Chili, en effet, si jamais if tombe entre des
mains
déplus en plus industrieuses et animées par le travail,
offrira des avantages nécessairement bien
plus pré¬
cieux queles Marquises. Sa
températurepermet d’y ré¬
colter de lafarme, les
troupeauxy sontabondants, les
salaisons ne peuvent nianquer
d’y êtréà bon marché,
pour
ses
ports sont vastes et sûrs, et, au moins tout
tant
que
les Marquises, ils
au¬
se trouvent sur la route
des navires qui vont là chercher le souffle favorable
des vents alisés. Un seul
avantage pour les îles Mar¬
quises peut momentanément leur valoir la préfé¬
rence; mais il dépend des habitants, du Chili de le
faire cesser,-aussitôt qu’ils voudront tenir leurs ma¬
gasins au niveau des besoins de la navigation; Les
Marquises, aujourd'hui couvertes par le pavillon de
la France, vont avant peu se couvrir de
jardins; les
légumes y seront abondants; c’est peut-être'le point
où .les cochons, cette ressource de
l’Océanie, sont
le plus nombreux ; les
poules et les chèvres ne peu¬
vent tarder
d’y multiplier de manière à pouvoir
offrir des approvisionnements aux navires.
Les ilea Marquises sont eutiffetsur la route d’uneiu-
350
ItES
MjïRQBISES
fjiiité de navix'es ; ceux qui vont de l’Amérique mérir
dionàle en Chine, aux Philippinès, aux Moluques et
qui delà côte nord-ouest auront
pour point d’arrivée .quelquesrùris desportsde laNoüdans l’Australie; ceux
velI'e-Galles du Sud et de la
Nouvelle-Zélande, même
qui vont dü cap Horn à la côte nord-ouest,
pourront toucher aux Marquises, si leurs ports
ceux
réels ; mais il ne faut pas
perdre, de vue que les îles de la,,Société, les îles dés
Navigateurs , ainsi que . celles des Amis et une
foule d’autres, jouissent des mêmes avantages, que
déjà la civilisation ÿ marche avec rapidité, que les
troupeaux commencent à y être nombreux. Si, jus¬
qu’ici, la relâche des Marquises a été préférée pâr
un
grand nombre de.navrres à celle des autresArchipels, c’est que les Cochons et les poules y étaient
offrènt des avantages
encore
dis
quelques bagatelles, tan¬
à Taïti, ces mêmes rafraîchissements
abandonnés pour
que,
plus élevée que le prix
les missionnaires qui, à peu de choSe
près, y monopolisent le commerce.
En résumé, la colonie des Marquises ne peut
avoir aucune importance comme colonie agricole;
comme établissement commercial, ses ressources
seront celles qui sont le partage de tout point de
relâche où,les vivres frais sont abondants, et la con¬
dition pour qu’elle consei’ve cette source de' richesse,
sera que ses produits puissent toujours lutter par
leur qualité, leur abondance et leur bon marché,
avec lès îles ses rivales, qui coïmïie elle spéonleront
avaient
en
est
une
valeur d’autant
fixé par
ou
W.OÜKA-HIVA.
33.1
dés navifes. Ajoutons à cela_, que les
l’Océanie, si riches par leurs végétation j ont
sur les îles
Marquises l’avantage immense de possé¬
der des plaines vastes et fertiles
j que les îles Taïti,
des Navigateurs et autres, Si elles étaient
exploitées
par un autre peuple que la race cuivrée sauvage,qui
l’halnte, et (Jui partout décroît rapidement, que ces
îles^ dis-je ÿ pourraient avec le secours de l’agricul¬
ture^, prendre de rimportançe Comme .colonies agri¬
sur
le passage
îles de
coles
donner lieu à des transactions nombreuses.
L’isthme de Panama,'si jamais il vient à être
et
percép eri
ouvrant
une
route
nouvelle, suivie
bientôt par tous les navires qui visitent
l’Océan,
viendra offrir on nouveau débouché à toutes les îles
de
l’Océanie, mais les conditions restent toujours
le commerce des Marquises aie
plus à j gagner que celui de ses rivales.
Comme point militaire j la colonie des
Marquises
nous
paraît utile ët avantageuse. Plus de cent navires
de coitiinerce français parcourent
aujourd’hui l’océan
Pacifique; ils avaient besoin d’un point de refuge,
d’un point où ils pussent trouver
prOtectioù et assis¬
tance; d’un autre côté, l’inférêt national comme
aussi l’honneur du.pavillon,
exigeaient impérieuse¬
ment que la France entretînt dahs cës mers
éloignées,
des forces imposantes
qui mancjuaient d’un centre
d’action et d’un abri assuré en cas d’événements
qu’il
est souvent. difScile de
prévoir. Les îles Marquises
remplissent ce double but.
Pans l’état actuel; avec le
pèu de possessions qui
les mêmes, pour que
4-
ÎLES MARQUISES
352
restent à
la France
en
dehors de
l’Atlantique, le
militaire des îles Marquises paraît appelé à
plus de services dans un coup de main ou
dans une guerre peu animée avec quelqu’une des
petites républiques de l’Amérique, que dans le cas
d’une lutte avec une des grandes puissances, mariti¬
mes du monde ; dans ce dernier cas la France senti¬
rait bien vite l’insuffisance de ce poste avancé, de
cette sentinelle perdue qui ne saurait être soutenue
immédiatement par le corps d’armée.
C’était un beau projet que celui qui semble
avoir été conçu à l’époque où une colonie fran¬
çaise allait essayer ses forces sur la Nouvelle-Zé¬
lande; c’était là, en elfet, une belle terre sur la¬
quelle toutes les conditions autres que celles de
la distance, se trouvaient réunies pour fonder des éta¬
blissements durables, pouvant après peu de temps
résister aux flottes européennes, et devant avec les
Marquises rétablir la puissance française dans ces
mers, où aujourd’hui elle compte à peine. Mais, il
faut l’avouer, au milieu des vastes ports de la Zé¬
lande des riches plaines qui les entourent, et dont
les Anglais aujourd’hui semblent tirer un si beau
parti, le lieu choisi par la Francé pour les colons
qu’elle y envoyait, était peu propre à rassurer l’opi¬
nion publique sur le succès futur de l’établissement.
On aurait dit que la beauté du port, les facilités de
poste
rendre
^
le défendre étaient les seules
établissement lointain ; comme si la nadu terrain, la fécondité du sol, la facilité d’éta-
pour cet
tpre
conditions nécessaires
ou
NOUKA-HIVA.
blir des communications
nourrir n’étaient
pas
353
enlin la possibilité de s’y
la base d’un établissement du¬
,
rable, qui aussi doit avoir soin de sa défense et
pos¬
séder des ports et des citadelles. Pour
quiconque a
parcouru les nombreuses baies de la
Nouvelle-Zélande,
il sera facilede
comprendre que le choix ne fut point
heureux;
et quand bien même
les seuls et
il n’est pas
France, si
1
nous
fussions restés
paisibles possesseurs de cette vaste terre,
douteux pour nous que le pavillon de la
on
avait dû songer à
ment, n’aurait dû
l’y tixer définitive¬
par flotter sur
d’autres
points autrement rétribués parla nature de leur sol et
par leurs ressources maritimes, que le port d’Akaroa.
De même ici, s’il eût été loisible à la France de
choi¬
sir parmi les îles de l’Océanie
pour y faire flotter ses
couleurs, le choix des Marquises à côté de la riante
commencer
Taïti serait loin d’être heureux. Mais
ce
choix n’était
point possible; les Aies Marquises sont et doivent
rester françaises. Sans doute, la
prise de possession
de cet archipel, qui a suivi de si
près les navires qui
portèrent nos premiers colons à la Nouvelle-Zé¬
lande, n’est que le commencement d’un projet
plus vaste et digne de la grandeur du nom fran¬
çais. On n’a pas spéculé sur le percement futur
de l’isthme de Panama,
pour, en cas de guerre,
assurer une route à nos vaisseaux. On sait
que les
colonies sont comme des forts qui, souvent sans
importance par eux-mêmes, en prennent une im¬
mense en croisant leurs feux avec ceux du
voisin;
notre colonie des Marquises ne doit
pas restçr seule,
23
Iles marquises
354
isolée
au
la patrie.
milieu de l’Océan, à cinq mille
lieues de
conditions, la prise de possession des îles
Marquises nous paraît comme un événement heureux
qui semble annoncer à la France que son gouverne¬
ment songe à l’avenir. Espérons que le pays, recon¬
naissant ses besoins et fier de sa dignité, prêtera un
appui ferme et solide au ministre d’état qui a fait
entreprendre cette noble tâche ; espérons surtout que
l’œuvre se terminera, que la possession isolée des
Marquises ne viendra point dans l’océan Pacifique,
A ces
comme
le rocher de Bourbon dans l’Inde, attester
seulement notre faiblesse.
Pour nous, voyageurs, nous
comme un
considérons d’abord
devoir de faire connaître nos réflexions
sur
les pays que nousavons visités,
ainsi que les ressources
que chacun d’eux présente comme colonie future;
mais nous savons que la jalousie de nos rivaux est
la presse française,
toujours si empressée défaire connaître les actes du
facile à exciter ; nous savons que
gouvernement, a donné la Nouvelle-Zélande à l’An¬
gleterre, lorsqne celle-ci ne songeait point encore à y
planter son pavillon ; aussi, nons croyons devoir taire
ce que nous avons pu voir, pour avant tout servir
notre pays.
NOTES.
NOTE PREMIÈRE.
C’est
une
tâche düBcile que
tous les détails de l’aventure
les
celle de reproduire exactement
survenue au
missionnaire Harris chez
Nouka-Hiviens, peuple dont les actions ne
des contraintes
imposées
connaissent
aucune
la décence chez les nations civilisées.
11 paraît que ce
missionnaire, déjà mal disposé en faveur des ha¬
bitants de Taouata, ne voulut pas
accompagner son confrère Grook
dans une excursion qu’il devait faire dans une vallée
voisine, sous
la conduite duchef Tenaï, leur hôte. Ce chef
bienveillant, qui
avait déjà partagé sa demeure avec les deux
missionnaires, ne
borna pas son hospitalité à cette démonstration
amicale; il voulut
encore conférer à
Harris, pendant le temps de son absence, ses
droits tout entiers ; il en faisait un second
lui-même, sous tous les
rapports, et, pour employer les expressions de Krusenstern, il lui
conféra la charge à’allumeur des
feux du roi, emploi qui donne
la jouissance de toutes sortes de faveurs. Mais le
missionnaire, déjà
accablé par la sombre perspective d’un
séjour prolongé au sein
d’une peuplade aussi sauvage, n’avait pas même
compris le sens
des discours qu’on lui avait tenus : il
négligea totalement la
famille de son ami, ne s’occupa en aucune façon des fonctions
qu’on lui avait imposées, et, cherchant dans te sommeil un remède
à ses inquiétudes, il s’endormit do bonne heure. La femme du
chef, étonnée de cette conduite, et ci-aignant peut-être les re¬
proches de son mari, mue d’ailleurs par ledésir devoirde prés un
Européen, profita du sommeil de Harris ainsi que toutes les femmes
de sa suite pour le contempler à son aise ; mais la curiosité ne se
par
356
NOTES.
borna pas
à cette inspection silencieuse, toutes ces femmes vou¬
de leurs mains réveilla
sur-le-champ qu’on en
voulait à sa vie. Éperdu, il saisit à la hâte la malle contenant ses
effets la chargea sur ses
épaules et se dirigea au plus vite vers le
rivage où il arriva au beau milieu de la nuit.
Malheureusement le Buff était mouillé loin de terre, le bruit du
ressac couvrait la voix du missionnaire
qui appelait à son aide de
toutes ses forces, et il s’était déjà
résigné à attendre le jour assis
sur son
coffre, lorsque quelques sauvages, attirés par ses cris,
s’approchèrent et essayèrent de lui dérober quelques-uns de ses
effets. Cette dernière tentative mit le comble à son
épouvante ; il
s’enfuit dans les bois à moitié fou, et erra
jusqu’au matin en proie
à des transes mortelles. M.
Falconer, vin officier du Buff, envoyé
à sa recherche, ne
put pas débarquer à cause de la barre trèsviolente ce jour-là. Pour comble d’infortune, on fut
obligé de
haler à bord avec une corde le
pauvre Harris à travers le bris
des lames à la plage ; sa raison avait résisté avec
peine à tant de
contrariétés; en arrivant à bord, il n’avait pas encore repris l’usage
lurent le toucher; et le contact imprudent
en sursaut le malheureux Harris
qui crut
J
,
de
sens, et
ses
donna
une
pire que le mal.
Nous
avons
vu
que
nouvelle preuve que souvent la peur est
l’amiral
russe
Krusenstern
Européens, anciens matelots déserteurs
trouva
deux
de leurs navires, fixés sur
les îles Nouka-Hiva. Ces deux hommes
avaient,
chacun de leur côté,
parcouru ime carrière brillante au milieu des sauvages, dont ils
avaient adopté la manière de vivre en se conformant aux mœurs
et coutumes du
pays. Tous les deux étaient devenus des guer¬
riers redoutables, et ils étaient arrivés à
l’apogée de la gloire et
de la
puissance
navires
russes
sauvage lorsque parurent' sur la rade les deux
la Nadeshàa et la Néva. L’un d’eux,
Joseph Ca-
357
NOTES.
bri, Français de naissance, et dont ses journaux nous ont der¬
nièrement rappelé les aventures, se trouvait sur le navire la
JVadeshda lorsque ce bâtiment fut obligé d’appareiller en toute
hâte, sans pouvoir renvoyer notre aventurier à terre. Dès lors Jo¬
seph Cabri fut obligé de suivre la destination de la Nadeshda, et il
quitta pour toujours les îles Marquises pour revenir en Europe. Il
dut être, au commencement, bien embarrassé de la contenance ;
car le
tatouage complet de son corps attirait l’attention de la foule
qui s’ameutait autour de lui ; puis-il devint l’objet de spéculations
particulières et fut promené de ville en ville comme un objet de
curiosité.
11 fut d’abord présenté à l’examen des hautes sommités scienti¬
fiques, il eut l’honneur d’être présenté devant plusieurs têtes cou¬
ronnées, et finit enfin par se montrer au public pour une modique
somme d’argent.
A la foire d’Orléans, on vit, pendant quelques jours, les
longues
affiches du spectacle promis par Joseph Cabri à côté des prouesses
savantes du
fameux
chien Munito.
Ce
rapprochement blessa
l’amour-propre de l’ex-chef sauvage qui, saisissant son casse-tête
faillit faire un mauvais'parti au savant Munito et surtout à son
maître. Joseph Cahri avait presque perdu l’usage de sa langue et il
avait contracté
au milieu des Noukahiviens un sifflement
particu¬
l’on remarque fréquement parmi les Em’opéens qui ont
longtemps véeu parmi les sauvages ; ses auditeurs avaient peine à
le comprendre.
Depuis l’événement qui l’arracha pour toujours à sa patrie adop¬
tive, les Marquises, et qui le ramena dans son pays, Joseph Cabri
dut mener une vie assez misérable ; il continua à exploiter la cu¬
riosité publique jusque vers l’année 1818 oùil expira à Valenciennes
sa ville natale. Il eût sans doute été
précieux de pouvoir conserver
la peau bigarrée de-mille tatouages capricieux de ce vaillant ami
de Keatanoui ; toutefois son corps fut confié simplement à la terre,
grâce peut-être à l’obscurité dans laquelle il passa ses derniers
lier que
instants.
Quant à l’Anglais Roberts, il
plète de
sa
a laissé une histoire presque com¬
vie dans la lettre suivante, adressée à M. Rare, en date
du 11 décembre 1811.
358
NOTES.
a
Monsieur,
prends la liberté de vous adresser le résumé de la narration
aventures, savoir :
n En novembre 1797
, j’ai quitté Londres pour entreprendre un
voyage au delà du cap Horn ; après avoir demeuré à Spithead jus¬
qu’au commencement de janvier 1798, nous avons fait voile, et
trois mois après nous avions atteint l’île de Saint-lago , où nous
avons séjourné
quelques jours avant de nous rendre à Rio-Janeiro.
Notre relâche dans ce port a été de douze à quatorze jours, et
nous avons doublé le cap Horn dans le mois de juin 1798. Nous
avons séjourné pendant six mois aux îles Gallapagos, d’où nous
nous sommes dirigés vers la côte de Californie, en compagnie des
navires le Butterworth et le Liberty, tous les deux de Londres.
Par la latitude de 17» noi’d, nous avons éprouvé à minuit un coup
de vent, le Liberty n’a plus reparu depuis lors, et le Butterworth
perdit son grand mât. A la suite de ce malheur imprévu, nous nous
sommes dirigés vers les îles Marquises, situées par 9“58' latitude sud,
et environ 158» longitude ouest. A lasuite de diverses circonstances,
je devins un habitant de l’île Santa-Christina (Taouata), où j’ai ré¬
sidé près d’un an ; à cette époque j’ai passé sur une autre île éloignée
d’environ trois lieues; je tentai alors de.faire quelques spéculations ;
mais mon éducation imparfaite m’empêcha de réussir. A la fin,
je partis avec un ami, dans une double pirogue, pour Noukahiva,
éloignée d’environ trente-cinq lieues. Dans cette île, la fortune m’a
été plus ou moins favorable. Mon ami, le roi, m’affectionnait
beaucoup, et, de mon côté , je faisais tout ce qui dépendait de moi
pour mériter sa faveur ; j’ai guidé ses guerriers dans les combats
pendant quatre ans. Plus tard, il m’accorda la main de sa sœur
Ena-o-ae-a-ta, comme un faible témoignage de son estime ; de¬
puis j’ai considéré ce mariage comme une grande faveur.
» A la
fin, en février 1806, je quittai les Marquises sur le navire
la Lucy^ de Londres, destinée pour Port-Jackson ; six jours après
nous arrivâmes à Taïti, où se trouvaient douze missionnaires. Ma
femme étant enceinte de son second enfant , je débarquai dans ce
lieu, le 8 mai 1806, et j’y demeurai pendant dix-huit mois, au
bout desquels le capitaine Dalrymple arriva et me prit à bord en
qualité de pilote. Je conduisis son navire aux îles Ladrones, et
dans un mois je le ramenai à Taïti. Après avoir fait de l’eau, du
«
de
Je
mes
NOTES
nous partîmes de nouveau pour les îles Pheacus et
la Nouvelle-Zélande, où nous prîmes un chargement
d’Espars pour Penang; nous arrivâmes dans ce port, en mars
1808 ; j’y séjournai vingt-trois mois , mon capitaine étant mort
;
en février 1810,
je pris passage pour le Bengale, où nous sommes
bois, etc., etc.,
de là pour
arrivés le 17
»
Telle
mes
mars
1810.
est, mon bon monsieur, l’esquisse de mes voyages et de
puisse-t-elle satisfaire à votre désir.
courses,
»
Je
suis, etc.
»
E. Roberts.
»
C’est là tout ce que l’on sait de la vie de Roberts, qui,
après avoir
occupé une si haute position chez les sauvages noukahiviens, est
peut-être allé se condamner à une vie misérable dans un coin éloi¬
gné du globe.
NOTE 3
DÉCLARATION
présente déclaration a pour but de faire connaître au monde,
moi, David Porter, capitaine ,de la marine des États-Unis
d’Amérique, commandant actuellement la frégate des États-Unis
La
que
VEsseæ, ai, au nom desdits États-Unis, pris possession de l’île appe¬
lée par les indigènes Noukahiva, généralement connue sous le nom
d’île sir Henry Martin, mais maintenant nommée île Madison.
requête et avec l’assistance des tribus amies, résidant dans
Tieuhoy, aussi bien que celle des tribus résidant dans
les montagnes, que nous avons vaincues et rendues tributaires de
notre pavillon, j’ai fait bâtir le village de Madison, consistant en
six maisons convenables, une corderie, une boulangerie et autres
dépendances, et pour la protection de ce village autant que pour
celle des indigènes nos alliés, j’ai fait construire un fort, suscepA la
la vallée de
,
360
NOTES.
tible de recevoir seize
canons, sur
lequel j’en ai placé quatre, et
que j’ai nommé fort Madison.
Nos droits sur cette île étant fondés
sur une
priorité de décou¬
verte, de conquête et de possession, ne sauraient être contestés.
En outre, les indigènes
sans défense, pour s’assurer une protec¬
,
tion amicale si nécessaire à leur situation
, ont
demandé d’être
admis dans la grande famille américaine, dont les lois
républi¬
caines ont tant d’analogie avec les leurs.
Et., dans le but d’encou¬
rager ces vues,
dans leur intérêt et
que pour assurer nos
droits
de
pour
leur bonheur, aussi bien
île importante sous beaucoup
moi de leur promettre qu’ils seraient
sur une
rapports, j’ai pris sur
adoptés ainsi qu’ils le désiraient, que notre chef serait leür chef,
et ils ont donné l’assurance
que chacun de leurs frères des ÉtatsUnis qui les visitera dorénavant, recevrait
parmi eux une récep¬
tion cordiale et
hospitalière, et qu’ils leur fourniraient tous les
provisions que l’île produit, qu’ils
rafraîchissements et toutes les
les
protégeraient contre leurs ennemis, et autant qu’il dépendra
d’eux, ils empêcheraient les sujets delà Grande-Bretagne (les con¬
naissant comme tels), de venir parmi eux,
jusqu’à ce que la paix
soit faite entre les deux nations.
Des
présents considérables des produits de l’île,
ont été
par chacune des tribus de l’île, sans en excepter les
et elles ont été énumérées ainsi
qu’il suit, savoir :
apportés
plus éloignées,
Six tribus dans la vallée de
Tieuhoy, appelées les Taeehs,
2° Maouhs, 3° Houneeahs, 4“ Pakeuhs, 5“ Hekuahs, 6“ Havvouhs.
Six tribus des Happas : 1° Nieekees, 2° Fattievovvs, 3“
Pachas,
4" Keekahs, 5° Fekaahs , 6“ Muttawhoas.
savoir
:
1° Hoattas,
Trois tribus des Maamatwuahs
3° Cahahas.
Trois tribus des Attatokahs
heutahs.
;
1“
:
1“
Maamatwuahs, 2“ Tivahs,
Attatokahs, 2“ Takeeahs, 3“ Pa-
Une tribu des Nieekees.
Douze tribus
des Typees : 1“ Poheguahs
,
2“ Naheguahs,
Attayiyas, 4o Cahunukohas, 5“ Tomavaheenahs, 6“ Tickeymahues, 7“ Mooaeekas, 8° Atteshows, 9“ Attestapwyneuahs,
10“ Attehacoes, 1°
Attetomohoys, 12“ Attakakahaneuahs.
3®
La
plupart des tribus ci-dessus ont réclamé d’être admises sous la
361
NOTES.
protection de notre pavillon, et tontes ont manifesté le désir d’ob¬
tenir, à quel titre que ce soit-, une alliance qui leur, promet tant
d’avantages.
Mû par des considérations d’humanité qui promettent une
prompte civilisation, à une race d’hommes qui jouit de tous
les dons intellectuels et corporels que la nature peut accorder, et
qui ne demande qu’à se perfectionner ; sous l’influence de vues
particulières, qui assurent à mon pays une île fertile et populeuse,
dotée de tous les avantages de sécurité, d’approvisionnement pour
les navires, et qui est parmi toutes les autres la’ mieux située, sous
le rapport du climat et de la position locale, je déclare que j’ai, de
la manière la plus solennelle, à l’ombre du pavillon américain
déployé sur le fort Madison, et en présence de nombreux témoins,
pris possession de l’île Madison, au nom des États-Unis dont je suis
citoyen ; et que l’acte de la prise de possession a été annoncé par
un salut de
dix-sept coups de canons , tiré par l’artillerie du fort
Madison, qui a été répété par les navires sur la rade, qui sera do¬
rénavant appelée Massachussets bay. Et que, pour que notre droit à
cette île ne puisse être contesté plus tard, j’ai enterré une bou¬
teille au pied du mât de pavillon du fort Madison, dans laquelle
se trouve une copie du présent acte, avec plusieurs pièces de mon¬
naie
au
coin des
États-Unis.
quoi, j’ai apposé ma signature ci-dessous. Ce dix-neu¬
jour de novembre 1813.
Signé David Porter.
En foi de
vième
Témoins
présents.
Signé John Downes, lieutenant U. S.N. — James P. Wilmer d®.
—S.D. M’KNiGflT,acting lieu tenant U. S. N.—John. G. Cowel d“.
—David P. Adams, chaplain U. S. N.—John M. Gamrle, lieu¬
tenant U. S, marines. —Richard K. Hoffmann, acting surgeon
U. S. N.—JohnM. Maury, midshipmanU. S. N.—M. W- Bostwiok, actiag rnidshipman U. S. N.,— William Smith , master
of the American ship Albatross.—William H. Odenhbimbr,
acting surgeon master U. S. N. —Wilson P. Hdnt, agent for
the North Pacific fur company. — P. de Mester; Benjamin
Cl AFP, citizens of the United-States.
Le contenu
emphatique et pompeux de cette pièce nous a engagés
24
3t)2
NOTES.
produire comme un spécimen remarquable du style américain.
à cette note d’autres documents de cette
nature ; car, Dieu merci, les îles Nouka-Hiva n’ont pas manqué de
découvreurs et de prises de possession; mais le temps nous manque,
et nous les croyons,’ pour le momentdu moins, inutiles à notre sujet.
à la
Nous aurions pu annexer
FIN
DES
NOTES.
TABLE DES CHAPITRES
Préface.
Pag.
CnAP. I.
Histoire
Chap. II.
Géographie
CnAp. ni. Mœurs et Coutumes.
CflAP. IV. Considérations
FIN
1)13
LA
.
.
générales,
TABLE
DES
CHAPITRES.
PARIS—IMPRIMERIE DE FAIN ET ÏHÜNOT,
IMPRIMEURS
DE
u’uKIyERSITE
ROYALE
DE
RuoRaoioe, 23, près de TOdéon..
FRANCE
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