O1649_Les Polynésiens, leur origine, leurs migrations, leur langage. T.II.pdf
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-
LES
Leur
Origine, leurs Migrations, leur Langage
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ANCIEN
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SOCIÉTÉ d’aNTHROPOLOGIE
DEUXIÈME
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LIBKAIRE
DE
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LA
LEROUX,
ÉDITEUR
SOCIÉTÉ ASIATIQUE DE PARIS, DE l’ÉCOLE
LANGUES
28,
ORIENTALES
RUE BONAPARTE,
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VIVANTES,
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SOCIÉTÉ
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28,
ASIATIQUE
ORIENTALES
RUE BONAPARTE,
1881
DE
PARIS,
VIVANTES.
20
DE
ETC.
l’ÉCOLE
4
•I
DEUXIÈME
LIVRE
E^ETIE
PREMIER
CHAPITRE
TROISIÈME
ORIGINE
ASIATIQUE
III.
THÉORIE
DES
POLYNÉSIENS.
Bases
sur lesquelles
repose cette hypothèse ; Révélation biblique; Usa¬
coutumes, langues ; Direction des vents ; Proximité plus grande,
unes des
autres, des terres avoisinant l’Asie. — Exposé, par ordre
chronologique, de l’opinion de tous les auteurs partisans de l'origine
asiatique ou malaise des Polynésiens : de Guignes ; de Bougainville ;
Court de Gebelin ; Cook ; R. Forster; de La
Pérouse; Marsden; Molina ;
ges,
les
Claret de Fleurieu; de Chamisso ; Rafhes ; Crawfurd
; R. P. Lesson ;
Balbi; Bory-St-Vincent ; Beechey ; Lütke et Mertens ; Ellis; Dumont
d’Urville ; Dunmore-Lang; de Rienzi ; J. Williams; Dieffenbach
; H.
Haie ; Gaussin ; W. Earl ; Shortiand ; de Bovis ; Sir
Grey; Taylor ;
Thompson ; de Quatrefages. — Objections opposées à cette théorie :
J. Garnier.
Résumé des opinions de tous les auteurs cités. — Con¬
clusions générales : les Polynésiens ne descendent ni des Malais et des
Javanais, ni des Malaisiens ; ils sont plutôt les ancêtres des uns et des
autres.
Tableaux linguistiques.
—
—
La théorie de la provenance asiatique des
Polynésiens, ou
de la marche des mig-rations de l’Ouest vers l’Est,
la Révélation:
avant tout
sur
s’accorde
avec
une
s’appuie
Révélation, disait Scherer,
saine physique pour faire adopter la
«
La
2
LES
POLYNÉSIENS.
provenance asiatique (1). » Puisque la Bible enseigne que
l’Asie est l’officina gentium, ceux qui y ont foi pouvaientils
placer ailleurs le lieu d’origine des Polynésiens ?
M. de Bellecombe écrivait, dans une brochure publiée en
1867 : (2) « Jusqu’ici l’Asie réunit, comme on sait, la majo¬
rité des voix en sa faveur, majorité qui n’est que la majorité
des
probabilités et non des certitudes. La Bible, ajoute-t-il,
une prédilection marquée pour l’Arménie, oùse trouve
l’Ararat du déluge ; mais elle n’indique rien de certain et de
positif. D’ailleurs le texte de la Genèse a pu être modifié du
mal interprété par ses éditeurs ou traducteurs. y> Et l’auteur
rappelle que les Chinois se prononcent formellement en fa¬
veur de la Chine ; les
Indiens, de l’Inde ; les Chaldéens, de
la Chaldée ; les Persans, de la Perse; les Phéniciens, de la
Phénicie : prétentions rivales, opposées et discordantes.
Il était d’ailleurs nécessaire d’attribuer à l’A^sie
l’origine
des Polynésiens, dès que l’on croyait retrouver chez ceux-ci
les usag-es, les coutumes et même le langag’e des Asiati¬
affecte
ques.
En outre, certains vents
pouvaient autoriser cette suppo¬
les navig’ateurs n’avaient pas tardé à remarquer
a, dans l’année, deux principales saisons pendant
lesquelles les vents soufflent dans des directions tout-à-fait
opposées ; comme on verra, le premier qui rendit cette ob¬
sition,
qu’il y
car
servation évidente est le célèbre de La Pérouse.
Mais ce qui porta surtout à supposer que
les
ancêtres
Polynésiens sortirent de l’Asie, c’est que, au départ, les
terres se trouvent beaucoup plus rapprochées les unes des
des
(1)
Recherches historiques et géographiques sur le Nou¬
veau-Monde, 1777, p. 24. — «En vain, ajoute-t-il, les philosophes
de l’ancien continent ont-ils essayé de soutenir l’éternité du monde,
ces paradoxes sont retombés dans la nuit d’où ils avaient été tirés.
En vain plusieurs peuples, et les Athéniens surtout, se sont
épuisés
en raisonnements sur une
origine sans génération, les différentes
opinions que le siècle actuel a vu naître sur ce sujet n’ont pas
eu plus de succès et n’ont
pu ébranler l’autorité de l’Ecriture
sainte.
•
(2) De Bellecoinbe, Polygénisme et monogénisme.
—•
Paris; 1867,
LES
POLYNÉSIENS.
3
autres. Cette proximité semblait, par cela même, favoriser
l’éloignement des émigrants.
On ne peut le nier, lorsqu’on examine avec attention la
carte de l’Océanie, on est véritablement frappé de la con¬
tiguïté des terres nombreuses reliant en quelque sorte les
îles les plus orientales de la Polynésie à celles qui sont
comme dépendantes des côtes du continent
asiatique. Déjà
nous avons signalé la
disposition irrégulière de ces îles qui,
parfois, et malgré leurs vastes dimensions, sont rencontrées
sur la mer à d’assez grandes distances. Nous devons reve¬
nir ici sur ce sujet, parce qu’il n’en est pas de plus utile à con¬
sulter et surtout à apprécier dans les recherches ethnogra¬
phiques.
Il est possible d’admettre, en effet, au
point de vue géo¬
graphique, que trois routes principales auraient pu servir
aux migrations de l’Asie vers la
Polynésie.
L’une de ces routes, la plus simple, la plus directe, part
de la presqu’île de Malacca pour se continuer : d’un côté,
au Sud,
par Sumatra, Java, Florès, Timor, jusqu’au détroit
deTorrès, entre la Nouvelle-Hollande et la Nouvelle-Guinée;
d’un autre côté, au Nord, par Bornéo, Célèbes, Bourou,
Céram, la Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Bretagne, et, de là,
en allant vers le Sud-Est,
jusqu’aux îles Salomon, aux
Nouvelles-Hébrides et à la Nouvelle-Calédonie d’abord,
puis aux Viti, aux Tunga, aux Samoa, et autres îles encore
plus orientales.
Une seconde voie se relie aux côtes de Chine par les Phi¬
lippines et Formose et se porte de là, vers l’Est, par les Mariannes, les Palaos, les Carolines, les îles Marshall, Mulgraves, Gilbert ; eile rejoint ensuite la première route aux
Samoa, tandis que la troisième, partant des îles du Japon,
passe par les Mariannes encore, et peut êtrp considérée
comme une simple bifurcation
d’origine de la route précé¬
dente.
Il est facile de le constater
atlas, ces routes sont
dessinées, assez distantes l’une de l’autre,
pour qu’on ne puisse voir trop d’arbitraire dans ces distinc¬
tions. Aussi, est-ce par l’une d’elles que tous les partisans
assez
nettement
sur un
4
LES
POLYNÉSIENS.
l’origine asiatique ont fait passer les émigrants qui se
dirigeaient vers la Polynésie, en reliant ainsi tous les arcliipels polynésiens aux grandes terres voisines de l’Asie.
de
Seules, les îles Sandwicli et la Nouvelle-Zélande se
on
trou¬
des lignes indiquées ; mais comme
reconnut bientôt combien il est facile de rapprocher ces
vèrent rester en dehors
îles des autres groupes, sous
cette difficulté cessa
le rapport anthropologique,
vite d’en être une pour les partisans de
à l’envi hypothè¬
hypothèse, cherchèrent à expliquer leur propre peu¬
plement par des colonies, au moins issues primitivement de
l’origine asiatique ; tous, alors, entassant
se sur
la Malaisie.
l’exposé de ces hypothèses et de l’opinion de chaque
peuplement des îles polynésiennes par
l’Asie et la Malaisie, que nous allons d’abord fairp connaître
dans les pages qui vont suivre. Chemin faisant, nous en
donnerons une appréciation succincte ; nous ne nous arrê¬
terons un peu longuement qu’à celles véritablement plus
importantes, et nous renverrons, pour leur réfutation com¬
plète, aux considérations qni suivront notre exposé. Cette
réfutation, en effet, n’est possible qu’après l’acquisition des
C’est
auteur, touchant le
données nécessaires.
En somme, on verra, croyons-nous,
résiste à l’examen critique et
conséquent, elle ne saurait avoir l’importance que
qu’aucune de ces opinions ne
que, par
leur ont accordée leurs auteurs.
les objections n’avaient pas manqué,
l'origine, à cette théorie ; parmi les faits contraires à
nne provenance asiatique ou de l’Ouest, on a surtout indi¬
qué la prédominance des vents d’Est et celle des courants ;
la différence des mœurs et du langage, plus marquée à
Disons du reste que
dès
qu’on avance de l’Est vers l’Ouest ; la différence des
productions, etc. On l’a déjà vu, c’est ce qui a porté Quiros
et quelques-uns de ses successeurs à admettre l’existence
d’un ancien continent submergé dans l’est de l’Océan Paci¬
fique. Plusieurs ethnologues ont même cru pouvoir affirmer
que ces circonstances étaient un obstacle infranchissable à
toute émigration partant de l’Asie : parmi eux, on doit surmesure
LES
tout citer
Océan
POLYNÉSIENS.
l’auteur si connu des
Voyages
5
aux
îles du Grand
(1).
Moërenlioüt, n’a cherché à dé¬
l’impossibilité d’une provenance malaisienne des
Polynésiens. Aussi croyons-nous devoir, dès à présent, nous
arrêter un instant à cette opinion.
Pour cet observateur, le premier fait contraire au peu¬
plement des îles de la Polynésie par celles de la Sonde et
des Moluques, était la prédominance des vents d’Est, qu’il
croyait régner presque continuellement entre les Tropiques
depuis une centaine de lieues du continent d’Amérique jus¬
qu’à l’extrémité occidentale de l’Océan Pacifique (2). Le
deuxième fait contraire était la fragilité des embarcations
Personne, en effet, plus que
montrer
malaises.
croyait pas que la multiplicité des îles
permît de supposer que les Polynésiens auraient pu com¬
muniquer de Tune à l’autre, et arriver, à la longue, jusqu’à
la plus orientale, puisque tout semblait prouver que le sou¬
venir n’en avait pas été conservé par les indigènes.
Enfin, la quatrième circonstance qui s’élevait, suivant lui,
contre l’opinion que les Polynésiens orientaux avaient pu
venir de l’Ouest, c’était la différence des manières, des
mœurs et du langage.
Différence qui était toujours plus
marquée à mesure qu’on se rapprochait de l’Ouest.
Comment, disait-il, dans toutes les îles, depuis la Nou¬
velle-Zélande jusqu’aux Sandwich, et depuis les îles des
Amis jusqu’à Tîle de Pâques, ne parlerait-on qu’un seul et
même langage? Comment ce langage serait-il, chez les émi¬
grants, pur et sans mélange, tandis qu’à leur point de dé¬
part, il en resterait à peine quelques traces chez les peuples
qui l’auraient abandonné pour en adopter de nouveaux,
presque aussi nombreux que leurs îles, et qui existaient
déjà aux époques les plus reculées où l’histoire puisse reEn outre, il ne
K
(1) J. A. Moërenhoüt. Voyages aux îles du
Paris, 1836.
in-S".
Grand-Océan, 2 vol.
—
(2) Ouvr, cité, t. II, cli. IV, p. 230. Recherches sur l’origine des
Polynésiens.
LES
POLYNÉSIENS.
monter ? (1) » Mais il insistait principalement sur la difficul¬
té résultant de la direction des vents alisés et des courants
qui portent tous à l’Ouest. Pour lui, tous ces témoig’nag’e's
d’importance, qu’il n’hésitait pas à conclu¬
re : œ Tout s’accorde donc pour détruire la
supposition ac¬
créditée que la mig’ration a^u lieu de l’Ouest à l’Est ; et
toute personne qui connaît ces mers, reg’ardera la chose
comme absolument
impossible. » Il terminait en disant (2) :
Si le peuple malais était effectivement venu de si loin
pour peupler les îles orientales de l’Océanie, pourquoi, nonavaient tant
seulement chez les Malais, mais même chez les
nations
beaucoup plus rapprochées, ne voit-on pas se renouveler la
migration de l’Ouest à l’Est, tandis qu’elle a encore jour¬
nellement lieu dans la direction
opposée ? Pourquoi ne
dans les îles orientales, le mélange des races
qui est remarqué dans les Fiji et autres'-îles occidentales ?
Pourquoi enfin ne trouve-t-on nulle part, dans les mêmes
îles, un seul descendant des races hideuses qui peuplent
trouve-t-on pas,
l’Ouest du méridien ?
»
Certes il est
impossible de ne pas reconnaître la valeur
des objections faites par Moërenhoüt ; mais il faut
pourtant
reconnaître en même temps qu’elles ne reposent, pour la
plupart, que sur des observations inexactes ;; par conséquent
leur importance est beaucoup moins grande que ne l’ont
cru
quelques ethnologues (3). Ainsi quand cet écrivain dit
que le vent d’Est souffle au moins pendant six mois de
l’année, tandis que les vents d’Ouest ne soufflent jamais
avec violence, sinon pendant un
petit nombre d’heures, son
assertion ne repose que sur un fait inexactement observé.
On sait parfaitement, en effet, aujourd’hui, que rien [n’est
i
(1) Ouvr. cité,
p.
240.
(2) Ouv. cité, p. 259.
(3) Faisons remarquer en passant qu’il n’est pas d’écrivain plus
généraliser que M. Moërenhoüt. Aussi ses conclusions sontelles parfois surprenantes de vérité ; mais il arrive assez
fréquem¬
ment aussi qu’elles s’en
éloignent, comme dans le cas actuel.
(Voir 2» vol. p. 226à2G3).
hardi à
LES
POLYNÉSIENS.
plus fréquent, à certaines époques de
de vent du N.-O. au S.-O.
7
l’année, que des coups
Lui-même, ailleurs, en en citant
exemples, donne à ces vents une grande violence et une
grande durée (1).
D’un autre côté, quand il avance que rien, dans le souve¬
nir des indigènes, ne vient appuyer l’opinion que les canots
sont arrivés dans leurs îles en venant de l’Ouest, et qu’ils
ne l’ont jamais fait que poussés par des vents d’Est, il n’est
pas plus exact : on sait parles traditions (2), par Ellis (3) et
autres voyageurs modernes, enfin par lui-même (4), que
c’est avec les vents d’Ouest que les habitants des îles de
dessous le vent se rendent aux îles du vent (5).
Moërenhoüt a donc beau dire que toute personne qni
connaît les mers pacifiques regardera la migration d’Ouest
en Est comme absolument impossible, les faits observés
dans ces dernières années ne permettent plus de douter que
les migrations se sont, comme nous le montrerons, opérées
de l’un des points du couchant vers le levant, point qui,
seulement, n’est pas celui qu’on a généralement admis jus¬
qu’à ce jour. Il est bien certain, comme il le dit, que les Po¬
lynésiens ont été. entraînés plus souvent vers l’Ouest que
dans toute autre direction ; mais, comme on verra, cela n’a
des
assez
pas
empêché les entraînements contraires, et dans toutes
(1) T. I, p. 365. Il cite en note un coup de vent d’O. très violent,
de vent de N.-O., en 1832. Vancou¬
ver fait la même remarque, t. I, p. 107, 151.
et dans la même note un coup
(2) On verra, par toutes celles qui seront citées, que les exemples
voir particulièrement l’article Migrations.
sont même nombreux :
(3) P. 52, Ellis dit : « Quelques-uns rapportent que les cochons et
apportés de l’Ouest par les premiers habitants. »
Ellis est le premier qui parle des canots attendant les vents d’Ouest
les chiens furent
pour
entreprendre leur voyage vers l’Est.
contrairement à ce qu’il
les vents d’Ouest qu’on s’éloignait;
(4) Moërenhoüt cite un fait qui prouve,
voulait soutenir, que
voyez p.
256, note.
c’est
avec
(5) On sait qu’on appelle ties
dentales, et lies du vent les plus
de dessous le vent, les plus occi¬
orientales.
8
LES
POLYNÉSIENS.
directions, causés par des vents différents. D’ailleurs,
le montrerons encore, ce jie sont pas les entraîiiements involontaires ou isolés qui ont suffi à
peupler
les îles océaniennes, puisqu’il résulte de tous les
faits au¬
jourd’hui connus, que presque toutes, sinon toutes ces îles,
étaient déjà occupées, soit par la même
race, soit par une
autre, à l’arrivée des canots entraînés. Cela prouve
que
leur peuplement s’était opéré bien antérieurement.
les
ainsi que nous
Plus tard
à revenir
longuement sur ce sujet :
mais, toujours est-il, que le fait de la différence des maniè¬
res, des mœurs, du langage, constamment plus
marquée
à mesure qu’on avance de l’Est vers l’Ouest
(1), et surtout
la direction des vents
alisés, et des courants, ont du paraî¬
tre des' arguments on ne
peut plus sérieux, alors qu’on
ig’norait que les vents changent complètement dans le cours
de l’année. C’étaient certainement lès
objectiops les plus
fortes qu’on pût faire à l’origine malaisienne des
Polyné¬
nous aurons
siens ; seulement
objections ont perdu aujourd’hui toute
qu’il y en a d’autres bien plus impor¬
tantes encore, et qui rendent bien autrement
impossible la
venue des
Polynésiens de la Malaisie.
C’est ce qui sera démontré, nous
l’espérons, par les déve¬
loppements dans lesquels nous entrerons par la suite.
On va voir, du reste, chemin
faisant, que quelques-uns
des écrivains qui seront cités
par nous ont eux-mêmes,
depuis longtemps, démontré que les vents alisés, qu’on re¬
gardait comme l’un des plus grands obstacles, n’en étaient
pas un suffisant. De sorte, dirons-nous en terminant, que,
s’il n’y avait eu que
celui-là, les Polynésiens auraient cer¬
tainement pu venir de la Malaisie, et
que, s’ils ne l’ont pas
fait, c’est que cela a tenu à des raisons majeures que nous
leur
importance,
ces
parce
ferons connaître.
En somme, la seule chose
que nous croyons
nir des lignes, précédentes, c’est combien est
devoir rete¬
vraie cette
(1) Ainsi qu’on le verra, cette opinion est entièrement opposée
le naturaliste américain Horatio Haie, opinion
qui a été adoptée par MM'. Haussin et de Quatrefages.
à celle soutenue par
LES
POLYNÉSIENS.
9
géographie seule conduit à faire : que les
et Samoa, sont l’aboutissant de toutes les
d’émigrations, le véritable point central, d’où s’irra¬
remarque que la
îles Viti, Tunga
voies
dient ensuite les routes secondaires
: car
nous
montrerons
que, quelque fût le véritable point de départ des
émigrants, c’était par l’un de ces groupes qu’ils étaient
encore
tenus de passer.
Faisons pourtant remarquer encore, avant
de commencer
de l’Ouest à l’Est », en parlant de la
marche des émigrants supposés partis des îles asiatiques,
uniquement pour simplifier le discours : cette manière de
parler n’est pas tout-à-fait exacte. Si, en effet, l’Asie est dans
l’Ouest, par rapport à un certain nombre d’îles de l’Océan
Pacifique, elle n’est cependant géographiquement ou exac¬
tement parlant que dans l’Ouest-Nord-Ouest et le NordOuest de la»plupart.
L’Ouest, d’ailleurs, comme.le font les quartiers Sud, Nord
et Est, comprend tout l’intervalle qui existe entre le N.O. et
le S.O. Il ne faut donc jamais perdre de vue, quand on dit
Ouest, que c'est cet intervalle qui est exprimé par ce mot,
notre
étude, qu’on dit
«
c’est tout l'intervalle entre le S.E.
et le N.E. qui
le mot Est ; tout l’intervalle entre le S.E. et le S.O.
qui l’est par le mot Sud, et enfin tout l’intervalle entre le
N.E. et le N.O. qui l’est par le mot Nord.
comme
l’est pas
Chose assez singulière, l’histoire ethnologique que nous
poursuivons ne paraît pas avoir beaucoup préoccupé les
premiers navigateurs de l’Océan Pacifique, puisqu’après
Quiros qui, le premier, a établi une théorie, il faut arriver
jusqu’à de Guigmes et Boug-ainville pour voir émettre quel¬
que hypothèse.nouvelle à ce sujet.
En effet, Schouten et Lemaire (1615) Tasman (1642), Roggeween (1722), Anson (1740), Byron (1764), Wallis et Carteret(1766), etc., se contentent de donner le récit de leurs
voyages, sans élever la moindre théorie ethnologique à pro¬
pos des peuples visités par eux. On ne peut guère citer que
le P. Le Gobien qui, à l’occasion des Mariannes, expose ses
conjectures sur le peuplement de ces îles (1701.)
10
LES
POLYNÉSIENS,
Mais, dès qu’on eut commencé à s’en occuper, ce fut à la
théorie que nous allons exposer que tous les anthropologis¬
monogénistes se rallièrent, ainsi que la plupart des voya¬
et c’est cette doctrine qui est regardée aujourd’hui
comme l’expression de la vérité par M. de
Quatrefages.
tes
geurs,
Voici, du reste, pour qu’on puisse juger, d’un seul coup
d’œil, du nombre et de l’autorité des écrivains qui ont adop¬
té cette hypothèse, la liste de leurs noms :
Partisans de
l'origine asiatique
Polynésiens.
De Guignes
De Bougainville ...
Court de Gebelin..
Cook
Forster
La Perouse
Marsdeu
C® Carli
Molina
Claret de Fleurleu.
C'hamisso
Baffles
Crawfurd
(1)
li. P. Lesson
Bory-St-Yincent...
Balbi
Lülke...,
1761.
1761
1771
1774
1772-78
1778
17S6
1786
1788
1789
1790
1816
1817
1818-19
1825-29
1826
1826
1830
ou
malaise des
Ellis
1829-31
Beechey
Dumont-d’Urville..
Dunmore-Lang
De Eienzi
John "Williams
Dielfenbacli
Horatio Haie
Barl
Gaussin
Shortland
De Bovis
Sir Grey
....
•.
....
Quatrefages
1833
1834
1836
1838
1843
1846
1853
1853
1854
1855
1855
Taylor
Thompson
De
1831
1856
...
1859
1864
Le
premier qui a nettement formulé l’opinion que
Polynésiens avaient une origine asiatique est le savant deGuignes (3) : il dit qu’au lieu de venir d’un continent suh—
les
(1) Crawfurd a séjourné 9 ans à la cour du sultan de Java, comme
ou préfet. Il était ami, collaborateur et subordonné de sir
Baffles, de 1808 à 1815.
résident
(2) Recherches sur les navigations des Chinois du côté de l’Amé¬
rique et sur quelques peuples située à l'extrémité orientale de l’Asie.
lmp. dans le 28"-vol. in-4° des Mémoires de l’Académie des
Inscriptions, pub. en 1761.
Do Guignes, qui a émis cette
opinion, est l’auteur de l’Histoire
—
des
Huns,
ce monument
d’érudition orientale ; il était membre de
LES
POLYNÉSIENS.
merg-é, les habitants des îles polynésiennes sont
[Il
plutôt des
ajoute-t-il, k dès le quatrième
siècle de l’ère chrétienne, et longtemps avant les Européens,
les Chinois voyageaient sur les mers de l’Amérique, allaient
jusqu’au Pérou, et parcouraient toutes les îles de la Malaisie
et plusieurs de celles de la Polynésie ou Océanie Orien¬
descendants de Chinois ; car,
tale.
»
Une
pareille opinion n’ayant été considérée, par tous les
d’homme célèbre, nous ne
savants, que comme une erreur
nous
y
arrêterons pas.
Bougainville, qui pensait que « le peuple de Taïti
esfcomposé de deuxraces d’hommes très différentes, quoique
parlant la même langue, ayant les mêmes mœurs et se mê¬
lant sans distinction (1),» s’en rapporte sur ce point à Court de
Gebelin, de l’académie de la Rochelle ; ce savant, parlant
de l’analogiê- des langues tahitienne et malaise, admettait,
par suite, l’origine asiatique des Océaniens.
Je l’ai fort ex¬
horté, dit Bougainville, à publier dans un de nos journaux
le mémoire par lequel il me paraît prouver que la langue de
Taïti a la plus grande analogie avec le Malais, et, consé¬
quemment, que la plupart des îles de la mer du Sud ont
été peuplées par des émig-rations sorties des Indes Orienta¬
les. (2) »
1771.
—
dtans un Essai sur les rapports des mots
langues du Nouveau-Monde et celles de l'Ancien,
qui figure dans l’ouvrage de Scherer (3), Court de Gebelin,
On voiten effet que,
entre les
inscriptions, et il est mort à Paris en 1800, âgé
fils, mort en 1845, est l’auteur du Voyage à Péking
l’Académie des
de 79
ans.
Son
etc. et d’un
et
Dictionnaire chinois.
(1) Voyage autour du monde sur la frégate du roi la Boudeuse,
la flûte l’Etoile, 1766-1769. — S' édit. Paris, 1771, p. 214.
on a pu vérifier le petit nombre de données recueillies
langue tahitienne, on est naturellement porté à trou¬
à priori, cette grande analogie, par trop hâtivement admise.
(2) Quand
alors
ver,
sur
la
(3) Scherer, Recherches historiques et géographiques sur le Nou¬
Paris, 1777, p. 302 et 336.
veau-Monde.
—
12
LES
POLYNÉSIENS.
mis à l’épreuve par Banks qui lui avait
envoyé 62 mots de
Tahiti, trouva, après avoir compulsé tous les vocabulaires
de Bougainville, Solander, Cook et Lemaire, que « ces mots
tenaient étroitement à la langue malaie la plus méridiona¬
le de l’Asie et à celles qu’on parle dans les îles du midi de
l’Asie et de l’Afrique; de sorte, disait-il, que toute la portion
méridionale de notre globe paraît unie par une langue com¬
mune, à peu près, à toutes les peuplades qu’on y a rencon¬
trées. Mais, ajoutait-il, comme la langue malaie aies plus
grands rapports avec les autres langues de l’Asie, surtout
avec la languie arabe,
qui en a elle-même de très grands
avec la Celtique, on ne sera
pas étonné de voir que. les lan¬
gues de la mer du Sud ont de si grands rapports avec toutes
nos anciennes langues. » Et il concluait en disant
que les
îles de l’Amérique méridionale, de même que le Pérou,
avaient été peuplées par l’Asie méridionale.
D’un autre côté, il est
vrai, le même écrivain, dans son
primitif (1), considérait lés populations polynésien¬
nes comme des colonies
phéniciennes, et, pour donner
quelque créance à cette opinion, voici comme il raison¬
nait : « Dès qu’il est démontré que les Phéniciens ont fait
le tour de l’Afrique, et qu’ils ont été jusqu’aux Indes, ils ont
pu faire le tour de la mer du Sud, en allant d’île en île, et
suivre les côtes de l’Amérique orientale et occidentale ; c’est
d’autant plus possible que les Chinois eux-mêmes, naviga¬
teurs bien inférieurs aux Phéniciens, voyagèrent dès le 4®
siècle sur les mers de l’Amérique. » Puis il donnait comme
preuves du séjour des Phéniciens dans ces contrées : 1“ La
conformité des noms de nombre qu’on observe dans l’île de
Madagascar et dans toutes ces îles, avec ceux des anciens
Phéniciens ; 2° Le rapport prodigieux des langues qu’on
parle dans toutes ces îles avec la langue malaie et le Phéni¬
Monde
cien.
Nous
le
ne
saurions dire
quelle'•conformité de désignation
(1) Court de Gebelin, Le Monde primitif, analysé et comparé avec
monde
moderne, 9 vol. 1^4°, Paris, 1773-1783, et
l’Histoire naturelle de la
parole, Paris, 1776.
Abrégé de
LES
POLYNÉSIENS.
13
phéniciens et ceux de Madag-ascar; mais ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que, si la
conformité est grande entre les noms de nombre de Mada¬
gascar et ceux des Polynésiens, elle l’est beaucoup moins
entre les noms de nombre de Madagascar et ceux des Ma¬
lais (1) ; et que, s’il existe quelque rapport entre le Phénicien
et le Malai, ce rapportes! loin d’être aussi prodigieux que le
croyait Court de Gebelin, entre les langues malaie et poly¬
nésienne. On a TU, en effet, qu’il n’y en a .qu’entre les mots
échangés par ces deux peuples, et que ces deux langues dif¬
fèrent complètement par le fond (2).
On n’accorde, du reste, généralement, qu’une confiance
médiocre aux idées systématiques de Court de Gebelin ; on
peut même dire que peu de livres ont été jugés aussi sévè¬
rement que son Monde prhnitif, ouvrage, dit Balbi (3),
qui est le, plus grand exemple que l’on puisse citer pour
prouver qu’une longue étude et un travail opiniâtre ne suf¬
fisent pas toujours pour réussir dans la carrière de l’érudi¬
tion, quand on les emploie à soutenir des systèmes réprouvés
par la saine critique. » Et le même écrivain fait remarquer
que « parmi les fautes grossières dont il fourmille, et que
les partisans de Court de Gebelin ont répandues dans un
grand nombre d’ouvrages, on y lit, entre autres assertions,
que le Persan, l’Arménien, le Malai et PEgyptien sont des
existe entre les
noms
de nombre
K
dialectes de l’PIébreu.
Balbi
a
»
certainement raison
quand il fait cette critique de
détails ; mais il n’est pourtant pas moins vrai que son juge¬
ment doit sembler bien sévère, adressé à l’homme qui, par
ses idées avancées, a été l’un de ceux qui
plus contribué à l’émancipation des Français.
On oublie trop aujourd’hui ce qu’était Court de Gebelin;
on semble ne pas se douter que les idées qu’il soutenait, il
y a plus de cent ans, sont celles qui, chaque jour, tendent à
se généraliser de plus en plus en France.
ses
travaux et
ont le
(1) Voy. vol. Pq le tableau linguistique de la page 151.
(2) Vol. I, cil. 1",
p.
142 et suiv-
(3) Discours préliminaire, p. 25.
•
14
LES
POLYNÉSIENS.
Comme J.-J.Rousseau, Court de G-ebelin n’admettait rien
de surnaturel, point de révélation, point de miracles, point
de
prophètes, point de mystères.
religions qui ont existé et qui existent
sur la terre, n’étaient que des institutions
purement hu¬
maines, par conséquent factices, fantastiques.
A ses yeux, tout était matériel et physique dans l’univers.
Le ciel était l’être suprême, l’être supérieur à tout ce qui
existe. L’âme n’était qu’un instinct physique perfectible.
Il disait que la nature a tout fait, qu’elle est la cause uni¬
que de tout ce qui existe, qu’elle fournit les éléments de
tout ; que tout a sa cause et sa raison d’être dans la nature,
qu’enfin rien ne se fait de rien.
Il disait encore que ce grand ordre de la nature est éter¬
nel, nécessaire, immuable, qu’il fait tout, règle tout, dirige
tout ; qu’il est le lien de tout-; qu’il meut le ciel et la terre,
le corps et l’âme, la vie physique et la vie morale ; etc.
C’était, en un mot, ainsi qu’on le lui a reproché, un ma¬
térialiste dans toute la rigueur du terme, ce qui lui a valu
les épithètes d’impie, de pervers et tant d’autres qui lui
étaient adressées, par les cléricaux de son temps, de même
qu’elles le sont aujourd’hui encore à ceux qui pensent
comme lui, par les cléricaux du nôtre.
Certes, après cela, il est facile de comprendre les critiques
faites à ses immenses travaux par les gens dévots, d’abord,
puis par beaucoup d’autres qui l’étaient moins sans doute,
mais qui ne lui pardonnaient pas d’avoir osé écrire qu’il
soupirait après le moment où la monarchie française sera
Pour lui, toutes les
détruite.
grand homme î pourquoi n’a-t-il pu voir ce qui
passe de nos jours, et entendre ce que l’on dit aujour¬
d’hui, même en chaire, des hommes les plus savants de la
Pauvre
se
France ?
Cook ne paraît pas avoir porté son atten¬
l’origine des peuples visités ou découverts par lui
dans ses premiers voyages ; mais ce qu’on en a dit, en son '
nom, dans la publication de sa troisième expédition, suffit
â prouver qu’il était loin d’avoir une opinion bien arrêtée
1770 et 1778.
tion
sur
—
LES
POLYNÉSIENS.
15
sujet. On lit, en effet, dans la relation du 3” voyage (1) ;
aisé de dire comment une seule nation s’est
répandue, dans toutes les parties de l’Océan Pacifique, sur un
grand nombre d’îles séparées les unes des autres par des
intervalles si considérables. On la trouve depuis la Nou¬
velle-Zélande jusqu’aux îles Sandwicb au Nord, et du
levant au couchant, depuis l’île de Pâques jusqu’aux Nou¬
sur ce
«
Il n’est pas
velles-Hébrides, c’est-à-dire sur une étendue de 60° de latitude
ou de 1200 lieues du Nord au Sud, et de 83 degrés de longi¬
tude
ou
de 1600 lieues de l’Est à l’Ouest. On
ne
sait
encore
jusqu’où vont ses colonies dans chacune de ces directions.
Mais, d’après les observations faites durant mon deuxième
voyage et celui-ci, je puis assurer que si elle n’est pas la
nation du globe la plus nombreuse, c’est certainement la
plus étendue. ®
Et, dans» la vie de Cook par le.D'' Kippis (2), on lit encore
quelques lignes qui établissent, en résumé, qu’il croyait à
une origine asiatique, après avoir admis, un instant, avec
Forster, le point de départ dans un continent disparu.
« On savait en
général, écrit son biog’raphe, quelanation
asiatique des Malais était jadis en possession de la plus
grande partie du commerce des Indes, et que leurs vais¬
seaux non seulement fréquentaient les côtes d’Asie, mais se
hasardaient sur les mers même d’Afrique, jusqu’à la grande
île de Madagascar. Mais on ignorait que de Madagascar aux
îles Marquises et à l’île de Pâques, et enfin jusqu’au côté
Ouest de l’Amérique, dans un espace qui renferme plus de
la moitié de la circonférence du globe, la même nation,
partie de l’Orient, avait fondé des établissements et des co¬
lonies dans tous les ports de ce vaste pays, même dans des
îles à des distances étonnantes du continent, et dont les ha¬
bitants ne soupçonnaient pas l’existence les uns des autres.
C’est pourtant un fait historique que les voyages du capi(1) Cook (Jacques), Troisième voyage autour du .monde {lllQ-l'ISO'),
rédigé par King en 1784. Trad. franc, par Demeunier. —Paris 1785,
t. II, p. 411.
(2) Vie de Cook, trad.
par
Castera.
—
1789, p. 518.
16
LES
POLYNÉSIENS.
Cook, ont parfaitement développé. C’est le capitaine
Cook qui a découvert ce nombre innombrable d’îles perdues
dans l’immensité de l’Océan Pacifique, dont tous les
peuples
taine
montrent, par des traces frappantes, que leur commune ori¬
gine vient d’Asie. Cela ne paraît pas seulement par la con¬
formité des coutumes
et des
institutions, mais par une
preuve invincible, l’analogde du langage.
Cela a été dit plus de dix ans après les travaux des deux
Forster ; mais il en résulte bien que Cook croyait que
Poly¬
nésiens et Malais
appartenaient àunemême nation, envoyant
ses colonies au loin : ce qui est une erreur
que tout notre
livre a .pour but de démontrer. On a déjà vu, en effet,
qu’il
n’y a nulle conformité dans les coutumes et les institutions,
et qu’il n’y en a même pas dans le lang-age,
quoiqu’on ne
cesse de répéter le contraire,
depuis Court de Gebelin, Bou¬
gainville et Cook lui-même. C’est pourquoi nous ne nous
arrêterons pas plus longtemps ici sur cette question, nous
contentant de faire remarquer, en passant, l’origine de l’er¬
reur de l’opinion qui a été soutenue
jusqu’à ce jour et qui
d’est encore par la plupart des ethnologues.
En somme, comme on voit, Bougainville et Cook, entraî¬
nés, sans doute, par les croyances dominantes, se sont bornés
à cette assertion, mais sans chercher à l’étayer de témoi¬
gnages suffisants.
1778.
L’écrivain qu’on peut considérer comme ayant
élevé le premier une théorie ethnologique à propos des peu¬
ples visités par les premiers voyageurs et par lui même, et
qui adopta, comme Bougainville, l’origine asiatique ou malaisienne, fut Reinold Forster, le compagnon de Cook dans
son deuxième voyage.
Plus apte peut-être que son illusIre capitaine, pour la solution de problèmes
qui exigent des
connaissances spéciales et étendues, il consacra quelques
développements à l’origine des Polynésiens (1).
Nous allons reproduire ici ces développements,parce qu’ils
C
—
(1) Observations faites pendant le 2= voyage de Cook dans l'hémis¬
phère austral et autour du monde, etc., parle Dr R. Forster, 1778. —
Voy. aussi 2' voyage de Cook, t. V. et VI, édit. in-S». — Paris, 1778,
et
édit, in-4», t. Y.
LES
sont le
POLYNÉSIENS.
17
oint de
départ de tous les travaux entrepris dans
voie, depuis lors, et qu’ils feront voir d’où vient une
opinion que plusieurs autres auteurs se sont attribuée.
Après avoir rejeté complètement l’origine américaine des
Océaniens, et prouvé qu’ils n’ont pu venir davantage de la
Nouvelle-Hollande, Forster ajoute : « Du côté du Nord, les
îles de la mer du Sud se trouvent
pour ainsi dire liées aux
îles, des Indes-Orientales. La
plupart de ces dernières terres
sont habitées
par deux différentes races d’hommes. Sur
quelques-unes des Moluques, il y a encore une race plus
noire, qui a des cheveux laineux (1), qui est haute et mince,
qui parle une langue particulière et qui habite les collines de
cette
l’intérieur du pays. Sur différentes
îles, ces individus sont
appelés Alfouries (2).
Les côtes de
ces îles sont habitées
par une autre nation
dont les individus ont le teint
brun, des formes
«
plus agréa¬
bles, des chôveux longs et bouclés et une
langue différente,
qui est un dialecte du Malais. Les montagnes de l’intérieur
de toutes les
Philippines sont habitées par un peuple noir,
qui a les cheveux frisés, qui est grand, qui a de l’embon¬
point, qui est très guerrier et qui parle une langue particu¬
lière différente de celle de
la mer,
il
ses
voisins. Mais
y a une race infiniment
sur
les bords de
plus blanche, qui a de
longs cheveux et qui parle différents idiomes. On donne à
ces peuplades des noms
divers, mais les ïagales, les Pampangos et les Bissayas sont les plus fameux. Les
premiers
sont les plus anciens et les derniers sont
certainement alliés
des différentes tribus malaises
qui auraient rempli les îles
des Indes-Orientales avant l’arrivée des
Européens dans ces
mers. Leur
langue a également
des Malais
(3).
plusieurs rapports à celle
(1) Cette opinion n’est que celle empruntée à Ruinpliius. Forster
point allé aux Moluques; il avait sans doute mal compris
Rumpliius qui distingue les Alfourous de la race noire.
n’est
à
(2) Aborigènes de Bornéo, nommés Byajos
Bornéo, p. 43.
par
Beekmann, Virrage
(3) Hernan de los Bios (colonel) Relacion de las islas Molucas.
Navarrete, Traüados historicos de la monarchia de China. —Gemelli
II.
2.
18
LES
«
L’île Formose
rieur de
ses
ou
POLYNÉSIENS.
Taï-Wan, renferme aussi, dans l’inté¬
montagnes, une race d’hommes bruns,
les cheveux frisés et la face
large
;
qui ont
mais les Cdiinois occu¬
pent les côtes du pays, surtout les cantons qui sont au Nord.
« Les habitants des îles de la Nouvelle-Guinée, de la Nou¬
velle-Bretagne et de la Nouvelle-Irlande, ont un teint noir,
et par les mœurs, les coutumes, le tempérament et les for¬
mes, ils ressemblent beaucoup aux insulaires de la Nou¬
velle-Calédonie, de Tanna et de Mallicolo, c’est-à-dire à la
seconde race des habitants des mers du Sud, et les noms de
la Nouvelle-Guinée ont beaucoup de rapport avec ceux des
Moluques et des Philippines.
Les Ladrones et les îles Carolines, nouvellement décou¬
«
vertes, sont habitées par une race
d’hommes qui a une
grande ressemblance à la première race des mers du Sud :
leur taille, leur tempérament, leurs mœurs et les usages,
tout annonce cette affinité, et, suivant quelques écrivains (1),
ils ressemblent presque à tous égards aux Tagales de Luçon
et de Manille.
qu’on peut suivre la ligne des migrations par
dont la plupart ne sont pas éloi¬
gnées de plus de cent lieues l’une de l’autre.
« Il
y a d’ailleurs une conformité très remarquable entre
plusieurs mots de la langue de la race blanche des insulai¬
res de la mer du Sud et ceux de la langue malaise ; mais, de
oe rapport d’un petit nombre de termes,
il ne faudrait pas
en conclure que ces insulaires
descendent des Malais, car,
comme le Malais a des mots qu’on trouve dans la langue
des Persans, des Malabars et des Madecasses (2), des Brames,
des Chingulais et des habitants de Java, il faudrait donc
dire aussi que ces nations viennent des Malais. Cette maa
une
De sorte
suite continuelle d’îles,
Carreri, Il Giro del mtindo. — F. Diego Bergamo, Vocabulario de
Pampango. — Juan de Noceda y el padre Pedro de san Lucar, Vo¬
cabulario de la
lengua Tagala.
—
Manila 1754, in-folio, etc.
(1) Le père Le Gobien, Histoire des îles Marianne^. — Paris 1700,
jn-12.
(2) Reland, Dissertationes miscellanœ. Vol. III.
LES
POLYNÉSIENS.
19
nière de raisonner
prouverait trop ; je suis donc porté à
croire que tous ces dialectes conservent différents mots
d’une langue ancienne qui était plus répandue, et qui s’est
divisée peu
à peu en différents idiomes. Les mots de la lan¬
des îles de la mer du Sud, qui sont semblables à d’au¬
tres de la langue malaise, démontrent clairement, suivant
moi, que les îles Orientales de cette mer ont été peuplées
par les îles de l’Inde ou les îles septentrionales de l’Asie, et
que celles qui sont plus à l’Ouest ont tiré leurs premiers ha¬
gue
bitants des environs de la Nouvelle-Guinée. Si
nous
avions
des vocabulaires exacts des différentes
langues qu’on parle
pourrions dire de quelle tribu en parti¬
culier elles tirent leur origine (1). La postérité acquerra
peut-être sur cela des connaissances plus étendues. (2) »
Forster est l’un des premiers auteurs qui se sont occu¬
pés d’étudier les migrations océaniennes, et son texte est
vraiment l’emarquable par l’érudition et l’esprit de cri¬
tique si indispensables à ce genre de recherches. Comme
nous l’avons dit, du reste, l’exposition qui précède com¬
prend à peu près tous les arguments invoqués à l’appui de
l’origine asiatique des Océaniens : facilités des communica¬
tions d’île en île, existence dans un grand nombre d’archi¬
pels de deux races distinctes d’hommes, analogies de lan¬
gues, que l’auteur avouait être incomplètement étudiées à
son époque.
Forster est d’ailleurs plus explicite dans une autre partie
de son ouvrage où il dit: a II y a lieu de supposer que les
premiers habitants des îles de la mer du Sud étaient de la
race des Papous et des insulaires de la Nouvelle-Guinée et
des environs.... Il est probable que les anciens Malais de la
péninsule de Malacca se répandirent insensiblement, par
hasard ou à dessein, sur les îles des mers de l’Inde, d’abord
dans
ces
îles,
nous
(1) Suit une table comparative de 46 termes, de quinze langues
idiomes océaniens et américains, qui ne prouve pas grand chose,
par suite du peu d’exactitude des données, mais qui cependant
établit déjà les ressemblances et les diâérences principales.
ou
(2) Observ. pendant le 2°
voy.
de Cook, t. I,
p.
251.
20
à
LES
Bornéo, ensuite
POLYNÉSIENS.
Philippines ; qu’ils s’étendirent de là
Larrons, aux Nouvelles-Carolines et aux Pescadores ; et enfin qu’ils allèrent aux îles des
Amis, à celles de
la Société, aux Marquises et à l’île de
Pâques, à l’Est, et
jusqu’à la Nouvelle-Zélande, au Sud. Cette migration paraît
avoir été successive, et, depuis le
premier établissement des
Malais à Bornéo, il s’écoula peut-être
plusieurs siècles jus¬
qu’à l’arrivée de ces peuplades à la Nouvelle-Zélande et à
l’île de Pâques. »
Le même auteur, frappé des ressemblances des
indigènes
des îles les plus orientales du
Pacifique avec ceux des
îles Carolines, n’hésitait pas à dire
plus loin, que ces der¬
nières îles étaient presque sûrement le berceau des
premiè¬
res (1) ; et il terminait enfin ses réflexions
générales par de
sages conclusions, plus modestes certainement que celles
que des voyageurs moins autorisés n’ont pas craint d’avan¬
cer depuis.
J’espère, dit-il, que ces conjectures engageront les na¬
vigateurs à examiner les idiomes, les mœurs, les usages, le
tempérament et la couleur des habitants des diverses terres
aux
aux
îles des
«
de
cette mer, afin de remonter d’une manière
plus certaine à
l’origine et aux migrations de ces peuples et de jeter plus de
jour sur cette partie intéressante de l'histoire de l’homme. »
Malheureusement cet appel n’a pas été suffisamment en¬
tendu, et, malgré l’accomplissement d’une partie des vœux
de Forster, puisqu’on a rassemblé
depuis une foule de voca¬
bulaires, l’ethnologie océanienne conserve encore bien des
mystères. Mais on ne peut nier cependant qu’on ne lui ait
fait faire un pas immense dans ces dernières
années, juste¬
ment à l’aide
de
la
Forster.
linguistique, tant recommandée
En somme, pour
par
lui, les habitants de l’Océanie avaient
origines différentes et formaient deux races ou variétés
distinctes ; l’une noire, partant de la N ouvelle-Guinée et de
ses environs, et allant
peupler la première les îles de la mer
du Sud; l’autre, celle des
Malais, allant successivement
deux
(1) Observations pendant le
2® voyage
de Cook,
p.
306.
LES
POLYNÉSIENS.
21
toutes les îles polynésiennes d’aujourd’hui par des
migrations successives. Pour lui encore, les îles Garolines
étaient le berceau presque certain des Polynésiens de l'Est ;
tous les dialectes conservaient des mots d’une langue an¬
cienne plus répandue et qui s’était divisée en plusieurs
occuper
idiomes ; enfin les mots malais trouvés
montraient
avaient été
en
Polynésie dé¬
clairement, suivant Forster, que les îles de l’Est
peuplées
Et si, avec toute
par
les îles de l’Inde.
sagacité ordinaire, il avait vu que
quelques mots malais en Polynésie n’était pas
suffisante pour faire conclure que les Polynésiens descen¬
dent des Malais, il n’avait pas moins fini par dire, qu’ils
provenaient de la Malaisie, puisqu’il avance que « les îles
orientales de la mer du Sud, aussi bien que la NouvelleZélande et Pâques, ont été peuplées par les îles de l’Inde ou
les îles septèntrionales de l’Asie. »
sa
l’existence de
On voit d’où vient
l'opinion qui a tant pesé depuis sur
tous les successeurs de Forster,
et particulièrement l’idée du peuplement préliminaire des
îles de la mer du Sud par la race noire. Mais ce que nous
croyons devoir surtout faire remarquer, c’est cette croyance
de l'habile observateur que les divers dialectes delà Malaisie
et delà Polynésie conservent différents mots d’une langue
ancienne qui était plus répandue et qui s’est divisée peu à
peu en différents idiomes. On a déjà vu précédemment deux
savants anglais, Marsden et Crawfurd, soutenir cette idée,
celle soutenue par presque
et le
dernier donner à cette
langue ancienne le
nom
de
Grand-Polynésien
sans pouvoir dire exactement d’où
elle était venue jusqu’à Java. Nous reviendrons plus tard sur
ce sujet, et nous essaierons alors d’établir
quelle était cette
langue, admise par un savant français, M. Gaussin, qui a
même essayé de la reconstituer à l’aide du Maori.
i —
28
LES
POLYNÉSIENS.
induction, c’est que les insulaires du grand Océan ont
orig-ine
une
commune avec la nation malaise. Mais à
présent,
comment s’est faite cette mig-ration d’un peuple de l’Asie ?
Comment a-t-il pu originairement se porter à 1,500 lieues
de la terre natale ? Comment a-t-il remonté contre les vents
alisés, qui soufflent
de la partie de
équinoxiale du grand
Océan ? A quelle époque s’est opérée cette migration ? C’est
ici qu’un vaste champ s’ouvre aux hypothèses ; car on ne
peut s’appuyer d’aucune tradition conservée parmi les peu¬
plades qui habitent les îles des Tropiques ; en général, leurs
annales ne remontent pas au-delà de
quelques années ; un
siècle pour ces peuples est l’éternité. On ne peut donc atten¬
dre d’eux aucun secours pour soulever le voile épais qui dé¬
robe à nos yeux cette partie de l’ancienne histoire des hom¬
mes ; et, comme ici la raison et
l’imagination sont à peu près
également en défaut, on peut croire qu’à cet égard les siè¬
cles qui suivront ne seront pas plus instruits que celui qui
l’Est,
va
sur
finir.
presque constamment
toute l’étendue de la
zone
»
Claret de Fleurieu écrivait
lignes en l’an VI, c’est-àépoque où l’on n’avait sur les lang'ues de la Po¬
lynésie que les observations de Le Maire ; celles de Banks et
Parkinson, compagnons-de Cook dans son premier voyage ;
des Forster et d’Anderson, dans le second; de Crozet, le
compagnon de Marion; celles de Rohlet, le médecin de Mar¬
chand; enfin quelques vocabulaires incomplets, tels que
celui de Pigafetta, le compagnon de Magellan. Il était dès
lors tout simple que le savant écrivain crut à la similitude de
ce qu’il appelle la langue universelle des Polynésiens avec
celle du grand archipel d’Asie, et particulièrement de la
presqu’île de Malacca, et qu’il admît l’origine commune des
Polynésiens et des Malais, puisque Forster, La Pérouse et
dire à
ces
une
Marsden l’avaient dit. Mais
comme on
l’a
ce.
n’était pas
moins
une erreur,
vu.
Il est, du reste,
le premier qui soulève la difficulté
distance, 1,500 lieues, et celle, toute naturelle alors,
puisqu’on ignorait l’existence de vents contraires à certai¬
nes époques, de la marche des
émigrants contre les vents
de la
LES
POLYNÉSIENS.
29
alisés. Nous disons toute naturelle, parce que
telle était, à
époque, la croyance g-énérale, résultant des renseigne¬
ments fournis, depuis Magellan, par les anciens
navigateurs,
tant Espagnols, qu’Anglais, Hollandais et
Français. Claret
de Fleurieu ne connaissait point, en effet, les
renseigne¬
ments contraires recueillis par La Pérouse, le
premier, et il
le pouvait d’autant moins, que ces
renseignements, long¬
cette
temps conservés dans les archives du ministère de la marine,
n’ont été
publiés par Milet de Mureau qu’en 1797 (1).
Aujourd’hui, comme on va voir, tout le monde reconnaît
que la direction des vents n’aurait pas été une difficulté, et
l’on verra également bientôt
que la distance elle-même n’au¬
rait pu être un obstacle,
puisque des entraînements ont eu
lieu et ont lieu tous les jours encore
jusqu’à de très-grandes
distances, soit dans
un
sens,
soit dans
un
autre.
Quant à ré.poque à laquelle les migrations ont pu être
faites, nous n’essaierons point ici d’aborder incidemment
une pareille question,
qui exige tant de données préliminai¬
res, et nous nous bornerons à renvoyer au long examen que
nous aurons à en faire
plus tard, quand les données néces¬
saires auront été acquises. Seulement nous dirons, dès à
pré¬
sent, que si, à l’époque où furent publiées les réflexions de
Claret de Fleurieu, les traditions, trop peu nombreuses et
incomplètes, ne permettaient pas, comme le dit le savant
écrivain, de soulever le voile qui dérobe l’ancienne histoire
des Polynésiens, il n’en est plus de même
aujourd’hui, grâce
aux recherches des Crawfurd,
Barff, Ellis, John Williams,
et surtout des Sbortland, sir
Grey, Taylor, et autres. C’est
au contraire à ces traditions
qu’il faut surtout s’adresser si
l’on veut découvrir le lieu d’origine des
Polynésiens et la
marche de leurs migrations : du moins, c’est en nous en
aidant beaucoup, que nous espérons pouvoir éclairer une
foule de faits océaniens, jusqu’ici restés si obscurs, et arriver,
d’une manière presque certaine, à découvrir la véritable si(1) Milet de Mureau, Voyage de La Pérouse autour du Monde,
1785-1788, publié par Milet-Mureau. — 4 vol. in-49 Atlas in-folio.
Impr. do la Képublique,- an V.
30
LES
POLYNÉSIENS.
d’orig-ine des premiers émigrants vers les
Polynésiennes.
tuatiou du lieu
îles
De Chamisso, le célèbre naturaliste, compagnon
de Kotzebüe en 1816, était, lui aussi, d’avis qu’un peuple
1816.
—
d’origine asiatique avait fourni les Océaniens et, comme ses
prédécesseurs, il s’étayait surtout sur l’identité du langage,
a
S’entourant, dit R. P. Lesson (1), de toutes les ressources
d’une érudition riche et féconde, M. de Chamisso emprunta
aux langues parlées par les diverses peuplades, ses princi¬
pales lumières pour remonter à leur origine. »
Sans s’embarrasser des vents alisés, de Chamisso disait de
plus que les migrations s’étaient faites contre eux, car voici
ses paroles (2) ;
La nature vivante s’est évidemment répandue de la terre
ferme aux terres avancées et aux îles, ce qui est positive¬
ment contre le cours des vents, sur toutes les terres qui s’é¬
lèvent sur le Grand-Océan. » Et plus loin : « L’homme a
émigré des grandes contrées situées entre l'Asie et la Nou¬
velle-Hollande, en remontant contre les vents qui régnent
habitnellement de l’Est vers l’Ouest, jusqu’à l’île de Pâ¬
ques. La langue qu’on y parle prouve son origine ; ses ma¬
nières, ses coutumes et ses arts l’indiquent également, a II
ajoutait encore : « Les animaux domestiques, les plantes
usuelles, ont suivi partout les pas de l’homme ; tous appar¬
a
tiennent
on
les
a
au
vieux monde et nous montrent les côtes
enlevés.
d’où
»
prouvait, enfin, qu’une émigration simultanée
avait dù avoir lieu d’un seul point, et à une époque assez
moderne, tandis que l’enfance de la langue lui faisait sup¬
poser une antiquité reculée. Mais, en homme consciencieux,
Tout lui
(1) Voyage médical, p. 156, et
quille.
von Chamisso, Mémoires du Grand Océan,
de sés côtes, Annàles Maritimes, 1825, 2= partie.
(2) Adelbert
et
Zoologie du voyage de la Co¬
de ses îles
Voyage sur le Brick le Rurick, etc. 2 vol. in-12 avec cartes et
portraits, Leipsig, 1836. Le voyage de Kotzebüe a été publié en
russe à St-Pétersbourg en 1821-1823, 3 vol. in-4» et Atlas in-folio;
LES
POLYNÉSIENS.
31
ignorance sur la manière et l’époque où
peuple asiatique avait été semé sur ces îles, contre le
cours des vents régnants, en emportant avec lui ses ani¬
maux domestiques
et ses plantes usuelles. Il ne pouvait
dire non plus comment les diverses tribus, depuis leur sépa¬
ration les unes des autres, avaient pu conserver les mêmes
manières, les mêmes arts, et un même langage.
L’opinion de M. de Chamisso n’était en résumé que celle
deForster:le savant naturaliste, dans sa préoccupation,
n’avait pas vu que les animaux et les plantes de la Polyné¬
sie diffèrent presque complètement des plantes et des ani¬
maux du vieux monde. On ignorait d’ailleurs encore
qu’il
y eût si peu de mots malais dans la langue polynésienne.
il confessait
son
ce
Vers la même
époque, en 1817, le savant gou¬
anglais. Sir Raffles, publia son grand ouvrage sur
Java (1) en collaboration avec son subordonné Crawfurd, et
il émit l’opinion que les Polynésiens ou Océaniens n’étaient
que des colonies parties originairement de la Malaisie.
Cra-wfurd, qui avait résidé pendant neuf ans à Java, de
1806 à 1815, époque dè la reddition de l’île aux Hollandais,
fit lui-même paraître, peu de temps après, ses immenses
recherches sur l’archipel indien (2), et, comme Marsden entre
autres, il admit l’origine commune des peuples de cet ar¬
chipel et des Polynésiens des îles de la mer du Sud. Ce qui
le prouvait, disait-il, c’est qu’on trouvait des vestiges de la
1817.
—
verneur
civilisation autochthone des Javanais
ques .
Comme
jusqu’à l’île de Pâ¬
voit, il était cependant moins affirmatif que
prédécesseurs, puisque, pour lui, qui ne connaissait les
Polynésiens que par les récits des voyageurs, ce n’étaient
plus que des vestiges, qu’il acceptait tels quels, en cédant,
sans nul doute, à son insu, à l’autorité des
premiers qui
on
ses
avaient soutenu cette
opinion.
(1) History ofJava by Sir Stamford Raffles, S vol in-4‘’— London,
1817.
(2) History of the Indian archipelago, by J. Crawfurd.
biirg, 1820, 3 vol in-8“.
~
Edin-
32
LES
POLYNÉSIENS.
Mais, qu’on le remarque, ce n’était pas des Malais que
Cra^furd faisait descendre les
Polynésiens, c’était des Java¬
(1) : pour lui, ceux-ci descendaient d’un « Peuple incon¬
nu », qui était allé, le premier, s’établir dans l’île de Java
;
ce peuple parlait le langage
qu’il a appelé « Grand Poly¬
nais
nésien
Ici
» ou
qu’il
Javanais ancien.
nous
soit permis de donner
tes recherches de Crawfurd
sur ce
fait
un aperçu
sujet,
des
savan¬
que nous n’avons
qu’aborder incidemment (2).
ce Peuple inconnu, parlant,
disait-il, une langue
qui était pour l’Océanie ce que le Sanskrit est pour les lan¬
gues indo-germaniques, que Grawfurd attribuait la civilisa¬
tion autochthone, souche de l’état social dans lequel avaient
été trouvées, lors de la découverte, les innombrables tribus
de la jMalaisie, et même, croyait-il, celles de la
Polynésie.
C’était la langue de ce peuple qu’il regardait comme la sou¬
che primitive des idiomes javanais. Aussi
l’appelait-il encore
C’est à
le Javanais ancien. Il concluait, du reste,
de toutes
ses
recherches, que ce n’est pas le Malai, mais bien le Javanais
qu’il faut considérer comme la véritable souche des idiomes
dits Malais.
La civilisation autochthone
du monde
maritime,
ou
ce
qu’il désignait par le nom de « foyer J avano-Malais », lui sem¬
blait démontrée par la comparaison des différentes
langues
de la Malaisie entre elles et
avec
celles de l’Inde
et de la
Polynésie. C’est ainsi qu’en examinant les mots javanais
correspondant aux objets les plus indispensables à l’homme
dans le premier état social d’une nation, il trouvait d’abord
que ce peuple inconnu avait fait d’assez grands progrès dans
la navigation et l’agriculture, puisqu’il avait étendu,
croyaitil, l’influence de sa langue au-delà des limites du mon¬
de maritime, depuis l’île de Pâques jusqu’à
Madagascar ;
puisqu’il cultivait le riz et autres végétaux, et qu’il avait
(1) Malte-Brun était aussi de cet avis, car il dit en propres ter¬
Java doit être la mère patrie des Malais et des Poljmé-
mes, que
siens.
(2) Voy. t. I, P' partie, livre II, ch. il,
p.
174,190.
LES
POLYNÉSIENS.
33
déjà rendu domestiques la vache et lé buffle, le cochon, la
poule et le canard. Grawfurd trouvait, en outre, que ce peu¬
ple avait été assez industrieux pour connaître et travailler
l’or, l’étain et le fer, et pour savoir tisser les étoffes ; pour
avoir
pour
semaine et
calendrier
particuliers, et, enfin,
s’être peut-être élevé jusqu’à l’invention d’un système
une
un
alphabétique.
En
résumé, toutes les recherches de Grawfurd lui
avaient
démontré, autant que pareille chose peut l’être, que la ci¬
vilisation s’est développée dans la Malaisie même,
indépen¬
damment des nations de l’ancien et du
nouveau
monde, et
que là, comme dans l’ancien continent, se retrouvaient les
traces d’une nation antique,
ayant influé puissamment sur
la formation de la langue, sur les institutions
sociales,
politiques et religieuses, sur les mœurs et les usages d’un
grand nombre de populations, mais dont on n’a pu ni dé¬
terminer l’époque précise de l’existence, ni
indiquer exacte¬
ment le lieu de la demeure primitive.
Il est certain que celui qui étudie cette
question, peut
difficilement mettre en doute l’existence d’une nation
pri¬
mitive à Java, car la comparaison et
l’analyse des langues
parlées en Malaisie, la comparaison et l’analyse des mœurs,
des usages des diverses tribus
malaisiennes, de leurs ins¬
titutions politiques et religieuses, de leurs traditions
popu¬
laires, etc., indiquent bien un foyer de civilisation indigène,
sur laquelle s’est entée la civilisation
étrangère, apportée
successivement par les Hindous, les Arabes, les Chinois, et,
plus tard, par les Européens. Mais, ce qu’on semble n’avoir
pas vu, et ce que Grawfurd particulièrement n’a pas remar¬
qué, c’est que tout ce qu’il dit de cette nation inconnue,
ainsi entée, ne peut s’appliquer qu’aux différents
peuples de
la Malaisie et de ses environs, et nullement aux
Polynésiens
de ce qu’on appelle aujourd’hui la vraie
Polynésie ; ces Po¬
lynésiens, lors de leur découverte, ne possédaient, pas plus
qu’ils ne possèdent de nos jours, ce qui distinguait si bien,
aux yeux de Grawfurd, son
Peuple inconnu.
Il est évident, en effet,
que les Polynésiens des îles de la
mer du Sud ne
pouvaient pas provenir d’un peuple qui, ainsi
II
3.
34
LES
POLYNÉSIENS.
le dit le savant anglais, avait fait des progrès dans l’a¬
griculture ; qui connaissait l’usage du fer, de l’or et de l’é¬
tain; qui savait travailler ces métaux; possédait l’art de
tisser des étoffes faites de la partie fibreuse d’une
plante in¬
digène ; qui avait apprivoisé le buffle et la vacbe et les em¬
ployait dans l’agriculture et les transports ; qui avait do¬
mestiqué la poule, le canard et le cochon pour augmenter
ses moyens d’existence ;
qui s’était donné un gouvernement
régulier ; avait un calendrier civil et un calendrier agricole ;
qui, enfin, possédait un système d’arithmétique et s’était
même élevé jusqu’à l’invention d’un véritable
alphabet.
que
Tous les
ethnologues savent aujourd’hui que les Polyné¬
ignoraient complètement l’usage des métaux ; l’art de
tisser en général ; qu’ils n’avaient même
pas, ce que nous
prouverons ailleurs, l’idée de l’existence de quadrupèdes
autres que le rat et le cochon, et
qu’enfin l’écriture leur
était tout-à-fait inconnue. Il faudrait donc
supposer alors
qu’ils seraient partis avant que le Peuple inconnu n’eût
reçu l’ente des autres nations, et c’est, en effet, ce qui a été
soutenu par quelques
écrivains, partisans à tout prix de
l’origine malaisienne des Polynésiens, mais qui ne s’ap¬
puyaient, ainsi que nous espérons le démontrer, que sur des
témoignages insuffisants (1).
Cependant, dirons-nous, ce Peuple inconnu devait né¬
cessairement avoir, avec les peuples de la
Polynésie, quel¬
ques traits de ressemblance attestés, au moins, par les mots
analogues qui se trouvent dans les deux langues, bien que
leur analogie prouve probablement le contraire de ce
qu’on
en a conclu. Si on le
dépouille des connaissances adventices
puisées par lui après son arrivée à Java, on voit que, par le
reste, il se rapproche beaucoup des Polynésiens. En effet,
en comparant la
langue de ce peuple avec les idiomes de
l’Inde méridionale, le savant Crawfurd a trouvé
qu’il devait
aux Hindous la connaissance du cuivre et de
l’argent, et
peut-être même celle du cheval et de l’éléphant, animaux
dont les noms, communs dans
presque tout le grand archisiens
(1) Voir plus loin l’examen de l’opinion du D'Thompson.
LES
POLYNÉSIENS.
35
pel, sont sanskrits
; qu’il devait aux mêmes Hindous la
connaissance et la culture du coton, du poivre, du mango
fruits, ainsi que l’art de fabriquer l’indig'o et le
la pêche des perles et leur usage ; qu’il leur devait
et d’autres
sucre ;
système d’écriture et d’arith¬
calendrier et sa nouvelle semaine,
de même que la connaissance de leur littérature et de leurs
dogmes religieux. Par la même comparaison, Crawfurd a
démontré le peu d’influence exercée par les Arabes sur la
civilisation de ce peuple : ce qu’atteste le vocabulaire de
cette langue qui n’ofire que peu de mots arabes et presque
tous relatifs à la religion mahométane, introduite postérieu¬
rement, comme la législation (1). Il a fait voir enfin, par le
petit nombre de mots d’origine persane, ou empruntés à la
langue portugaise, l’influence encore moindre exercée par
les Persans, au moyen des habitants de l’Inde méridionale,
et, sans aucun intermédiaire, par les Portugais. De sorte
encore
la modification de
métique,
son
son
nouveau
qu’ainsi débarrassé de ses diverses acquisitions, le Peuple
en réalité, ne possédait guère que des caractères
qui auraient pu convenir à des émigrants de la Polynésie,
ou à toute autre population peu avancée en civilisation.
Crawfurd était, du reste, aussi embarrassé pour préciser le
point de départ de ce peuple que pour fixer l’époque de son
arrivée. Seulement, delà description qui lui en avait été faite
par les peuples noirs de la Malaisie, qui avaient conservé,
disait-il, quelque souvenir de sa venue, il avait conclu,
«
que ce ne pouvait être que celui des îles occidentales de
l’océan Pacifique, arrivé h Java depuis un temps immémo¬
inconnu,
rial.
»
On
race
que,
(1)
pourrait, d’après cela, supposer que c’était un peuple de
noire, puisque les îles occidentales de l’océan Pacifi¬
autrement dit de la Polynésie occidentale des écrivains
«
L’époque de l’introduction de l’Arabe chez les Malais, dit
Crawfurd, est indiquée par l’histoife. Des données assez certai¬
nes peuvent faire soupçonner celle
du Sanskrit. Mais celle de la
langue Grand-Polynésien est ensevelie dans la plus profonde et
même dans
une
impénétrable obscurité.
»
36
LES
POI.YNÉSIENS.
modernes, paraissent n’avoir jamais été habitées par des
hommes d’une autre race ; mais, comme ces renseignements
des hommes eux-mêmes de
noire, cette supposition est peu probable.
Crawfurd ajoute
La nation qui répandit sa langue à
Java était vêtue d’une étoffe fabriquée avec l’écorce des ar¬
bres, et elle ignorait la fabrication des étoffes de coton. »
Cette assertion est très remarquable, et elle servira à mieux
faire comprendre l’opinion à laquelle nous nous arrêterons.
étaient fournis à Crawfurd par
race
évidemment que les premiers émigrants à Java
n’appartenaient qu’à une nation primitive, venant presque
sûrement d’une contrée intertropicale ; mais elle n’aide pas
à découvrir quelle était exactement leur race, car les Méla¬
nésiens se vêtissent d’écorces d’arbres comme les Polyné¬
siens ; elle n’aide pas davantage à deviner de quel pays ils
venaient, puisque l’usage de fabriquer une étoffe vestimenElle prouve
tale
avec
des écorces d’arbre existait autrefois aussi bien
autres lieux (1).
quand on se rappelle, comme
montré plus haut, qu’un grand nombre de
dans l’Inde que dans plusieurs
L’un autre côté, cependant,
nous
mots
l’avons
polynésiens ont été trouvés ou existent encore
en
Malaisie, non-seulement dans les langages des popula¬
aujourd’hui malaisiennes, c’est-à-dire les Battaks, Dayaks, etc., mais même, quoique en plus petit nom¬
bre, dans les langages malais et javanais ; quand on sait
que les Polynésiens ont été de grands navigateurs, et que
les vents les plus ordinaires poussent de la Polynésie vers
la Malaisie ; quand enfin on cherche à se représenter ce
tions dites
(1) On sait que le vénitien Marco Polo dit, en parlant des habi¬
Gipangu et de la province de Caigni, dans l’archipel
des Indes : « Ils sunt jens balances, de beles maineres, et biaus ;
tants de nie
suntydulese se tiennent por elz ; vivent de mercandîsee dars ;
voz di qu’il funt dras des scorces d’arbres, » etc. — p. 147
in-4°; Voyage dans l'Inde et à la Chine, 1370. La piî édition a été
publiée à Venise, en italien, en 1496, in-fol. Traduction française
«
ils
«
et si
insérée dans le recueil de
Bergeron. La dernière édition vient de
titre : Les récits de Marco Polo, citoyen de Venise,
etc.. Texte rajeuni et annoté par Henry Bellanger. — Paris, Maurice
Dreyfûus, 1878, in-16.
paraître
sous ce
I.ES
POLYNÉSIENS.
pouvait être c.e peuple inconnu avant qu’il n’eût ac¬
quis toutes les connaissances, dont l’origine a été indi¬
quée par Crawfurd, il nous semble qu’il est plutôt permis
de soupçonner qu’il n’était formé que par des émigrants
polynésiens, entraînés jusqu’en Malaisie, malgré eux, ou
s’y rendant volontairement, à uns époque probablement re¬
culée, mais dont il est impossible de fixer la date. C’est, en
elfet, cette opinion que nous adoptons : mais, comme en
l’absence des faits qui lui sont favorables, ce n’est point ici le
que
moment de chercher à
en
faire la démonstration, nous nous
l’exprimer en renvoyant aux développements qui
suivront l’exposé des diverses opinions qu’ilnous reste à faire.
Il est d’ailleurs bien certain que l’usage des vêtements en
écorce a été trouvé aux Moluques, en 1521, par Pigafetta :
les lignes suivantes ne permettent pas d’en douter: «■ Yoici,
disait-il, (1) comment ils font, à Tidor, Gilolo, Ternate, leurs
étoffes d’écorce d’arbre : ils prennent un morceau d’écorce
et le laissent dans l’eau jusqu’à ce qu’il s’amollisse, ils le bat¬
tent ensuite avec des gourdins pour l’étendre en long et en
large autant qu’ils le jugent convenable ; de façon qu’il de¬
vient semblable à une étoffe de soie écrue, avec des fils en¬
bornons à
trelacés intérieurement
Mais
comme
qui semble surtout
s’il était tissu.
(2)
»
les Polynésiens
s’étaient rendus en Malaisie et qu’ils l’avaient fait peut-être
assez récemment encore, c’est que le même voyageur
(3)
ce
prouver que
(1) Premier voyage autour du monde par le chevalier Pigafetta,
l’escadre de Magellan, pendant les années 1519, 20, 21 et 22.
in-8».
Paris, an IX. Traduction d’Amoretti, p. 185.
C’est Pigafetta qui, en parlant, quelques lignes auparavant, des
sur
—
—
habitants
«
K
a
de Tidor,
a
dit
; œ
Ils
étaient surtout fâchés de
nous
quelquefois arriver à terre avec nos brayettes ouvertes,
parce qu’ils s’imaginaient que cela pouvait donner des tenta-
voir
tions à leurs femmes.
»
(2) Il est certainement difficile de donner en si peu de mots
plus exacte des tissus façonnés absolument de la même
nière en Polynésie.
idée
(3) Nous
ne pouvons nous
dispenser de faire
une
ma¬
remarquer, en pas¬
sant, combien ce compagnon de Magellan, malgré son amour pour
38
LES
s’était
à
procuré
POLYNÉSIENS.
dans les Moluques, et particulièrement
Tidor, Gilolo et Bacliian, un vocabulaire qui contenait des
polynésiens, en apparence plus nombreux qu’ils ne
aujourd’hui dans ces langages, par suite sans doute de
l’absorption d’un grand nombre de mots par la langue Mamots
sont
laie.
c’est ce vocabulaire qui n’a cessé d’être invo¬
qué pour établir l’identité ou du moins l’analogie des lan¬
gues polynésiennes et malaises, analogie que Pigafetta était
naturellement loin de soupçonner, puisqu’il n’avait vu que
les îles Mariannes. 11 expliquait seulement la variété des
idiomes rencontrés par lui dans les îles malaisiennes, en
faisant la supposition assez curieuse »: que les rois des îles
de la mer du Sud prenaient la peine d’étudier les langues
étrangères, a»
Il est, en effet, bien certain qu’un bon nombre de mots
de ces îles ressemblent à des mots polynésiens ayant la
même signification: aussi, croyons-nous utile, en raison de
l’importance de ce fait, d’en mettre quelques-uns sous les
yeux du lecteur., Nous ne citerons absolument que les mots
semblables de ce vocabulaire, qui n’en comprend pas moins
de 450, et nous ferons voir que quelques-uns ont été mal
entendus ou mal appliqués.
Voici ces mots, tels qu’on les trouve à la fin du livre tra¬
duit par Amoretti, comparés à ceux donnés par d’autres na¬
vigateurs en Océanie et aux mêmes mots employés à la
On sait que
lie
d(Feunf -;rwahwihit tiDgaoer(/ Sol.)khauaru;Steora¬(Ze couhe.
tonga
gara
S-E.
to
timor. barat.
tann
deS-0. Nord;.
Vent
dulev.
Sud).
se
leil
mou.
av rats ratch; atsimou gna . dre;fau fau.
tim;or-lat tan-meou (S. -E) bar;t-day ldaatay-n (S.-O)bart sseel-ma-at S(-00.). outar.
sela- se-
»
av;- aurti. a;dsi- aa;foszigi-an aa;nndr-efou andri-
talhots.
anghin.
du
(
si fo.
hikna-em. komb-anlie aJku. ma.. hhikikun.a;
ma.
le
te
s a e.
i
itu
ra.
tua
(le
te
SAMON.
MARQUÉ-
ki;vu-aliku nnami-t- [dvuauliku duN.) m;-al (dans
arauee-roau; aeto- an- taim- aptoa. aptoeru. thorielaa dlevuer Solei). t0rea couher Solei.
3)
Le
Sud
Le
L’Est
MflrîScdlfghérvepn.uv:a-evaorxBetmseninttdoOema:enatrgsqo'omusilbefen®.urtllrimnt
idem;natrqungi, âcprurdtèeee,,
dtaemqbuuloetexsu
. précis, Tart a, par
ce
L’Ouest Pu, voit
(1) (2)
On
44
LINGUISTIQUE
TABLEAU
MALAI.
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
POLYNÉSIENS.
LES
satu.
dua.
liga.
ampat.
lima.
iinam.
ATCHENOrS
sah.
dua.
tlu.
pat.
limoung.
BATTA.
COMPARATIF, N” 5.
REDJUNG.
sodah.
duo.
tolu.
do.
dui.
tilau.
limah.
lima.
opat.
»
»
tudju.
delapann.
pentu.
tudju.
uallu.
diappan.
sambilann. sakurang. liai).
sapulu.
sapin.
sapulu.
mpat.
»
tiidjua.
delanann.
sambilaii.
sipulu.
LAMPONG.
salii.
rowah.
tulu.
ampah.
limah.
>
|)ithu.
uallu.
shvah.
pulu.
MAORI.
tahi.
rua.
toru.
.
wha.
rima.
ono.
whitu.
waru.
hva.
ngahui'u.
Ce tableau montre que
c’est aux noms de la numération
Battaks, mais surtout des Lampong-s, que ressemblent
le plus les noms de la numération Maori. Il montre encore
d’assez grandes ressemblances entre les mots maori, atchenois et redjang; mais ces ressemblances sont bien moin¬
dres entre le Maori et le Malai, quoiqu’il y en ait évi¬
demment dans tous les mots de ces numérations, comparés
des
entre
eux.
On dirait vraiment que ces
désignations sont formées de
pièces et de morceaux ; mais, s’il est vrai, comme on le
croit g’énéralement, que les Battaks et les Lampongs sont
plus anciens que les Malais, il n’y a guère qu’une conclusion'
à en tirer : c’est que les Malais ne sont parvenus, avec le
temps, qu’à changer une partie des mots primitifs.
%
LES
POLYNESIENS.
ARÜCKIE
MAORI.
MADES
6CNLION°GMUPS.TAQRETIF,
TABLEU
Fur.
TAGLO.
DANO
LAMPONG.
JUN•G
MIN
IvED
BAT A.
ATCHENOIS
MAL I.
qi ne.
epu. cùla. meli.
tahi.
rua.
rek.
me.
t■oru.
wha.
quechu. cayu. relghe. pura. ayla.
rima.
whitu. waru.
ono.
iwa.
fi
kalu.
va.
lima.
01 0. vitu.
valu. ci-wa. tini.
isa.
dal ua.
isa.
laua. tulu. apat. lima. anom. petu. walu. sean.
tailo.
apat. lima.
ani .
sahi. rotvah. tulu. ah. limah.
sye,
. li au. mpat. lima.
duy.
tolu. opat.
sali. dua.
tlu. pat.
ssaautUtjS.a,
dua.
2
pito. ualo.
siyam.
psaonlgpilo,
sampur.
pithu. ualu. si-wah. pulu.
amp
sodih. duo'.
1
ngahur .
telu. efat. dimi. enn. tu. valu. sivî. polu.
dua. rua. kau,
do.
mani.
»
lud
limah, peitu.
»
delap n. sambil.n sipul .
U. i ah.
ail
U
sapul .
limoung. ludji. diap n-. sakurng. saplu.
5)
tiga.
3
ampat. lima. anam. ju. delap n . sambiln. :apLu.
tud
4
5
6
7
8
9
10
MlLElBMlainemeaddeprtjnsooumtrbngaic,,M’Acbaqu’i.s,
dqpapyreouluu’vsiel FMaiedejurketotsn,
tableu lTaeg lo ,
Ce
le
FUTNA.
ROTÜMA.
COMPARTIF, MANGREV.
HAWI.
LINGUSTQE MARQUISE
7.
N"
TABLEU
TAHIT.
SAMOA.
TUNGA.
MAORI.
taci. loua.
lo u.
fa.
tasi. lua. tolu.
fa.
lima. ono. fitu. valu. iva.
tahi. rua. tolu.
ha.
lima. ono. hitu. valu.
ha.
rima. ono. hitu. uaru. iva.
tahi. rua. toru.
kauna.
iva.
les
ongul.
rogu .
kahi. lua. Icolu. ha, lima. ono. hiku. walu. iwa. umi.
hitu.
tahi.
ha.
ua.
tou.
fa,
tahi rua
toru.
acha
tahi. lua. tolu.
fa.
rima(pe).
ima. ono. ûtu, vau. iva.
(lioe). (pit). [mahaj (fene). (vau).
ono
hitu. varu
iva.
lima. ono. fltu. valu. iva.
taba. vua. tolu. nima.
fa.
oao. fitu.
2
3
4
5
6
7
onghu.
ahur .
ngaful.
h
u
g
o
f
l
u
.
valu. hiva.
tahi. rua. toru. wha. rima. ono. whitu. waru. iwa.
1
dialects
p
r
i
n
c
a
u
x
o
n
g
f
u
lima. houw. litou. walou. i-wou.
kau-gflu agful.
dua. rua. kau, va. lima. ono. vitu. valu. ciwa. tini.
POLYNESIENS,
ILESHORN d’après LEMAin.
kalu,
LES
FIJI.
8
9
ngahur tekau.
;
10
numératio
dans
la
de
noms
premi s
dix
des
complète
l’identié
montre
tableau Polynésie.
Ce
la
de
CO
LES
TABLEAU
CHINOIS.
1
2
3
4
5
6
7
.8
COCHIN-
mot.
ye.
ul.
liai.
bon.
su.
leu.
tchi.
pa.
vitu.
valu.
ciwa.
tini.
Chili.
taap.
TABLEAU
rua
ono.
taiig.
9' tcheu.
thi.
tahi
lima.
lak.
bai.
10
dua.
va.
lang.
ou.
TAHITIEN
rua.
kau, kaln
teng.
San.
FIJIEN.
duo.
toi U.
rua.
toru.
ono(fene)
ono.
acha(niaha) wha.
rima(pae). rima.
hitu.
(vau)
iva.
aliuru.
COCHIN-
CHINOIS.
iwa.
FIJIEN.
dia.
Feu
Œil
Tête
Main
Pied
Firmament.
Eau
Père
Mère
ho.
whoa.
vanua; ke- henua.
le, soso.
shu.
tchiau.
tien.
Ne^
Dent
L’Est
L’Ouest
taï.
tchen.
tien.
ulu.
hga.
upoo.
rima.
yava.
vaevae.
yi
■wai.
y>
tama.
»
yi
tina.
»
ucu.
»
»
bâti.
tung.
du.
cake.
si.
taï.
ra.
pi.
Le Midi.... nan.
Fleur
wha.
kiun.
Chien
en.
Poisson
....
whenua.
rangi.
metua-va-
hiue.
te
hitia
o
te ra.
te tua 0 te
ceva.
matu’a-wahine;
whae; koka.
ihu.
niho.
ihu.
niho.
nang.
wha.
ku.
ka.
koli.
ika.
wae-wae.
waï, katao.
vualiku ; ki apatoa.
na mata;
ni vuali¬
se.
kanohi, karu.
upoko.
ringarioga.
metua-tane matu’a-tarie.
pak.
ku.
ahi, kora,
raï.
vaï.
ra.
Le Nord...
ra,mahana, ao.
ao.
mata.
komaru.
marama.
bukawaka. ahi.
lagi.
MACRI.
ra,
mahana ;
mata.
»
»
N° 9.
TAHITIEN.
ti.
tu.
pulu.
tekau.
Terre
tu.
siwah.
ngahuru, sapulu.
siga.
mat.
ualu.
ualu.
iiah.
waru.
ngaï.
yen.sohing
»
pi tu.
penthu.
whitu.
yue.
yi, tien.
limah.
>
Lune
Jour
yi-to.
tulu.
ampah.
limah.
mat-bloci ; mata ni si- râ.
æil-du-ciel
?a, siga
vula.
marama.
blang.
Soleil
roua.
opat.
LINGUISTIQUE COMPARATIF,
CHINOIS.
sahi.
sodah.
(hoe) tahi.
(piti)
LAMPONG.
BATTA,
MAORI.
toru.
vara
N° 8.
COMPARATIF,
LINGUISTIQUE
CHINOIS.
47
POLYNESIENS
rawhiti.
hauauru, hauarahi.
■
nota.
opatoerau. tonga (V. Sud).
pua.
urî.
ia.
pua.
kuri, kirehe.
ika.
48
LES
1826.
—
deuxième
POLYNÉSIENS.
Pour R. P. Lesson, les Océaniens
formaient le
rameau
de la
race
qu’il appelait indoue-caucasi-
que, et dont les Malais étaient le premier rameau
gé
mongol
(1) mélan¬
c’est-à-dire que, pour lui
aussi, les Po¬
lynésiens et les Malais avaient une origine commune. De
au sang
;
plus, comme on a vu, il attribuait tout particulièrement au
mélange du sang mongol les habitants des îles
Carolines,
Mariannes,
Philippines et de toutes celles intermédiaires jus¬
qu’aux Mulgraves. Il les regardait comme formant un troi¬
sième rameau, appelé
par lui Mongol-Pélagien ou Carolin.
En s’appuyant de
l’opinion des orientalistes les plus con¬
nus, il leur donnait
la Tartarie et le
royaume d’Ava pour
patrie primitive. Cette supposition est inadmissible
pour les
Polynésiens
et les Carolins du moins ; nous savons
que les
autres, quoi qu’on en ait dit, ne ressemblent en
Malais.
uns
et les
rien
aux
Il n’accordait du reste
lui-même
tive
les
au
tableau qu’il avait dressé
;
qu’une importance rela¬
en effet, ses paro¬
voici,
(2) ; « Sans donner une grande importance au tableau
suivant, nous grouperons les divers Océaniens à l’aide de
distinctions spécifiques dont les
noms, communément adop¬
tés, n’ont d’ailleurs à nos yeux aucune valeur absolue
qui
puisse répugnera l’intelligence.
Mais s’il
cherchait point à préciser
davantage la source
originelle des Océaniens, et s’il leur en donnait une
com¬
mune avec les
Malais, il était le premier, au contraire, à dire
qu’il ne croyait pas à la possibilité de la descendance
des
Polynésiens des Malais (3). Cela est assez remarquable
pour
que nous n’hésitions pas d’en donner la
preuve en citant en¬
core ses
paroles :
ne
(1) On sait qu’il n’admettait que trois
Polynésie ; les races Indoue-caucasique,
races
en
Malaisie et
mongolique et noire.
(2) Le voyage de la Coquille, ordonné par Louis
XVIII,
de 1822 à 1825, le texte
le t. I de
sur
Zoologie.— Voir
1829, qui reproduit
ce
les
Polynésiens
aussi le
a eu
lieu
paru en 1826 dans
Voyage médical publié
texte, p. 154 et 158.
(3) Mêmes ouvrages cités.
a
en
en
LES
«
Le
rameau
comme
le veut
POLYNÉSIENS.
49
malais, dit-il (l),e3t bien loin d’ètreànos yeux,
l’opinion reçue, la souche des Tahitiens, des
Sandwichois, des Mendocins et des Nouveaux-Zélandais
Ton
reconnaît dans
;
et
peuples ni la même conformation
physique, ni la moindre analogie dans la langue, ni la moin¬
ne
ces
dre ressemblance dans la
Le seul
tradition, les arts et les usag’es.
point de rapprochement serait une sorte d’identité
de croyance religieuse ; mais, chez ces rameaux distincts et
d’une même origine, ce fait n’a rien de
remarquable : il in¬
dique
que tous
les deux ont conservé les traditions indien¬
Ajoutons que s’il eût pu connaître à cette époque,
aussi bien qu’on le fait aujourd’hui, les idées
religieuses des
Polynésiens, il n’eût même pas admis ce rapprochement,
qui, ainsi que nous le prouverons bientôt, n’existe pas plus
que l’identité des caractères physiques et du langag-e.
Disons, d’ailleurs, que si R. P. Lesson trouvait que le
cachet hindou était imprimé sur les hommes du rameau
océanien (polynésien) et que tout indiquait qu’ils étaient par¬
tis du golfe de Siam et du Cambodge, il soulevait lui-même
nes. »
l’une des difficultés les
disait-il
raison,
plus grandes à cette
provenance, car,
il aurait dû rester quelques indices
du passage des premiers émigrants indiens sur les îles tra¬
avec
«
versées par eux, et cependant il n’en existe aucun. C’est ici,
ajoutait-il, il faut bien l’avouer, que cette théorie est eu dé¬
faut et que les faits nous abandonnent complètement. » Et il
continuait en disant (2): «Peut-être, cependant, les Océaniens
pourraient-ils être représentés, dans quelques-unes de ces
îles, par cette belle race d’un blanc jaunâtre, mentionnée
par des auteurs estimables, et qu’un état permanent d’hos¬
tilité a refoulée dans l’intérieur.
Cette question est sans
contredit bien épineuse ; et, quoique nous ne cherchions
nullement à la
résoudre,
nous
soumettons
avec
confiance le
rapprochement qu’il est possible de faire de ce passage du
savant docteur Leyden, concernant les Dayaksy habitants de
l’intérieur de Bornéo ; « Les Dayaks ont un extérieur agréa(1) Voj-age médical,
p.
158.
(2) Voyage médical,
p.
166.
n
4.
50
LES
POLYNÉSIENS.
ble et sont mieux faits que
les Malais ; leur physionomie
plus délicate ; le nez et le front sont plus élevés ; leurs
cheveux sont longs, roides et droits. Leurs femmes sont
a
jolies et gracieuses. Ils ont le corps couvert de dessins
tatoués, etc., etc. » En un mot, ce tableau, peint à grands
traits, est entièrement applicable aux Océaniens. »
a
K
est
«
“
Nous
voulu citer
ces lignes
pour montrer d’où
l’idée, si généralement adoptée dans ces derniers
temps, que les Polynésiens ressemblent plus à certains ha¬
bitants de l’intérieur des grandes îles malaisiennes
qu’aux
Malais proprement dits. On va voir d’Urville s’en
emparer
d’abord et l’appuyer de ses propres observations faites
pen¬
dant notre relâche, en juillet 1828, à l’île Célèbes
; puis, sui¬
vant son habitude, de Rienzi la
répéter, et la plupart des
ethnologues modernes l’adopter, notamment M. de Quatre-
avons
vient
fages.
En résumé, R. P. Lesson a avancé le
premier que les Po¬
lynésiens ne paraissent pas être les descendants des Malais,
qui en diffèrent par presque tous les caractères ; et le pre¬
mier il a fait, entre les Dayaks et les
Polynésiens, le rap¬
prochement que nous allons voir adopter, faute de mieux,
par tous ceux qui veulent absolument que les Polynésiens
soient
venus de l’Asie ou de la
Malaisie, sans chercher à
déterminer de quelle partie de l’Inde aurait pu provenir une
pareille espèce d’hommes.
1826.
A peu
près à la même époque que R. P. Lesson,
après lui, puisqu’il le cite à chaque pas dans ses im¬
menses travaux (1), le savant Balbi attribua
l’origine des
grandes nations de la Malaisie (archipel indien), au Peuple
inconnu qui, d’après Crawfurd, était venu
occuper le premier
mais
—
l’île de Java.
Il reconnaissait deux branches
principales parmi les na¬
Peuple inconnu : à la première apparte¬
naient, disait-il, les Javanais etles Malais; à la seconde tous
tions sorties de
ce
(1) Adrien Balbi, Introduction à l’atlas ethnographique du globe,
in-S”, Paris 1826.—Rey et Gravier, Abrégé de géographie, etc.,
gr. iii-8», Paris, 1833.
LES
les autres
POLYNÉSIENS.
51
peuples de l’Océanie. De sorte qu’il admettait, lui
commune de ces nations, et plus particuliè¬
parenté des Javanais et des Polynésiens.
aussi, l’origine
rement la
Mais,
comme ce n’est que l’opinion de Crawfurd dont nous
déjàparlé, sans le moindre témoignage nouveau en sa
faveur, nous' ne nous y arrêterons pas.
avons
Ce que nous ferons seulement remarquer en passant,
c’est
que Balbi, tout en admettant la communauté d’origine ou
de race des Polynésiens, d’une part, et des Javanais et
Malais,
de
l’autre, établissait, le premier, par ses savantes études
ling’uistiques, que c’était à tort qu’on les croyait parler une
même langue : « Les assertions vagues de quelques voya¬
geurs, disait-il (1), quelques ressemblances trouvées entre
les mots dé vocabulaires imparfaits et la plupart inexacts,
rassemblés à la bâte par les navigateurs, ont fait adopter aux
géographes et aux philologues, même les plus savants,
l’opinion banale que tous les nombreux peuples de race ma¬
laise parlent, depuis Madagascar jusqu’à l’île de Pâques,
des dialectes d’une seule et même langue. L’infatigable
Hervaz et le savant Adelung, ont entrepris en vain de dé¬
truire cette opinion ; il était réservé aux savants Leyden,
Marsden, Raffl.es et Crawfurd de lever tous les doutes. »
Nous ne saurions dire jusqu’à quel point ces derniers écri¬
vains ont réussi à lever tous les doutes ; mais ce qu’il y a de
certain, c’est que, malgré leurs efforts, malgré ceux de
Balbi, de Rienzi et autres, la plupart des ethnologues mo¬
dernes persistent dans cette croyance banale, tant il est diffi¬
cile de se défaire d’une erreur à laquelle on s’est, pour ainsi
dire, habitué avec le temps.
bien
1826-1827.
N’oublions pas
de dire encore qu’un savant
naturaliste, dont on apprécie chaque jour davantage les
travaux, Bory-St-Vincent, plaçait les Polynésiens, de même
que les Malais et les Papua, dans ce qu’il appelait l’espè¬
ce neptuuienne : cette espèce, essentiellement riveraine,
—
occupait, depuis Madagascar, les bords
occidentaux du
(1) Introduction à l’atlas ethnographique, p. 231.
52
LES
POLYNÉSIENS.
Nouveau-Monde jusqu’au Chili, et toutes les îles
polyné¬
siennes.
La
était, pour lui, la première race de cette
la deuxième, la race océanique (orientale), était
race
espèce
;
malaie
formée par ce
qu’on appelle aujourd’hui les Polynésiens ;
(intermédiaire), formait la troisième.
Il donnait donc une origine commune à ces trois races.
Seulement il ajoutait ; « La race
océanique paraît s’être
séparée de la race malaise avant la connaissance des méenfin la
race
papoue
tau.x, si toutefois, elle n’eùt pas un berceau différent » (1).
Ces dernières lignes nous semblent écrites avec une
pres¬
cience vraiment surprenante,
puisqu’il regarde la NouvelleZélande comme le lieu « d’où sortit cette
race, pour s’étendre
lé Nord et dans tous les
archipels de l’océan Pacifique
n’occupent pas des Mélaniens, des Papous, ou même
Siniques et des Hindous, qui out pénétré aussi dans
quelques parties de l'Océanique » (2).
Les lignes suivantes, que nous citons
encore, confirment
vers
que
des
cette assertion et établissent
qu’il plaçait bien à la Nouvellefoyer d’origine des Polynésiens (3) ; k II est, au
reste, dit-il, assez remarquable qu’en cherchant l’origine
des habitants de ce qu’on appelait
naguère encore les îles
de la mer du Sud, tantôt chez les
Indiens, tantôt chez les
Chinois, tantôt ailleurs, personne ne l’ait supposée améri¬
caine. L’habitude où l’on était de
peupler le Nouveau-Monde
avec des enfants du
patriarche Seth, ne l’a sans doute pas
permis. Une telle opinion pourrait cependant se soutenir
tout comme une autre. Eu attendant
qu’on nous en prouve
la possibilité, nous continuerons à reconnaître le
point d’où
s’irradia la race océanique dans la Nouvelle-Zélande. »
On a vu précédemment que cette
opinion de l’origine
américaine des Polynésiens avait elle-même été soutenue
déjà par quelques auteurs.
Zélande le
(1) L’homme, vol. I,
(2) /èM,
(3) Ibid,
p.
p.
298,
314, note.
p.
273.
LES
1829-1830.
POLYNÉSIENS.
Vers cette
époque parut la première édition
de Beechey, ouvrage sur lequel, pour la ques¬
tion qui nous occupe, il n’y a
que fort peu de chose à dire,
parce que le savant navigateur, qui donne de si curieux
détails sur les îles de corail, parle à peine de la
provenance
des Polynésiens.
Il n’agdte en effet cette question
qu’un instant en di¬
sant : (1) a Ça été jusqu’à présent matière à
conjecture que
de savoir comment des îles, si éloignées de deux
grands
continents, ont reçu leurs habitants. La grande analogie du
langage, du culte religieux, des coutumes, des manières et
des traditions des habitants de ces îles,
comparés à ceux des
Malais, ne laisse pas douter que de fréquentes émigrations
ont eu lieu de la Malaisie. Aussi
reg-ardons-nous naturelle¬
ment cette contrée comme le berceau des
Polynésiens. Ce¬
pendant la difficulté d’expliquer comment les migrations
—
du voyag-e
ont pu venir de si loin, contre les vents et les
courants, sans
navires mieux équipés que ceux qu’ils
possèdent,
douter de
a
a
fait
lapossibilité de cette provenance, et cette objection
tellement influencé l’esprit de quelques auteurs,
qu’ils ont
à la route
détournée, à travers la Tartarie, en
Behring et sur le continent améri¬
cain, pour faire arriver les émigrants à un point d’où ils
pussent être conduits, par le cours des vents ordinaires, aux
terres polynésiennes. Mais si cela avait eu lieu il
y aurait
une plus grande ressemblance entre les Américains
et les
habitants de la Polynésie. » Et il ajoute : « Tous ont admis
que des migrations ont eu lieu entre les îles et qu'elles ont
encore lieu, dans quelques circonstances rares, mais
qu’elles
n’ont eu lieu que dans une direction seulement, et
qu’enfiu
elles ont toujours été favorables à l’opinion que les
migra¬
eu
recours
traversant le détroit de
tions venaient de l’Est.
C’est
J)
après cela qu’il cherche à démontrer, par un fait
depuis lors, que la direction des vents
bien souvent cité
(I) Narrative of a voyage to the Pacific andBeering's strait, performed in His M. Blossom, iinder the command of Cap. S. \V. Bee¬
chey., in theyears iSaS, 26-2^-28.^011^. édit.2 vol —London, 1831,
1.1, p. 252.
54
LES
alisés
ne
POLYNÉSIENS.
s’oppose nullement à la migration de l’Ouest
vers
l’Est, attendu que les_ vents alisés sont remplacés, pendant
deux ou trois mois de l’année, par les vents de la mousson
d’Ouest.
Il conclut de cet
exemple, sur lequel nous aurons néces¬
plus tard, que de pareils cas ont dû se
présenter souvent, et suffire pour peupler toutes les îles
Polynésiennes : il est donc disposé à admettre le peuple¬
ment de ces îles par la seule voie des entraînements in¬
sairement à revenir
volontaires.
En somme, le fait observé par Beechey vient corroborer
les observations faites pour la première fois par La Pérouse,
et renouvelées si souvent
depuis
par
Dillon, J. Williams, de
Bovis, etc., comme on le verra bientôt.
On sait que
le Blossom, navire commandé par Beecbey,
quitta l’Angleterre en mai 1825, cinquante-cinq jours après
le retour de la Coquille en France, et qu’il ne rentra que
trois ans et demi après, ayant fait plusieurs découvertes
dans les îles Paumotu.
Ainsi que nous
le ferons voir, quand
nous parlerons de
Pâques, Beechey, comme d’autres l’avaient fait avant
lui, croyait que les statues colossales trouvées dans cette île
étaient dues à une race d’hommes, différente de celle qui
l’occupe aujourd’hui, race qui aurait disparu à la suite de
quelque cataclysme. Mais cela ne tenait probablement qu’à
ce qu’il n’avait
pas examiné avec assez d’attention la nature
l’île de
de
ces
statues.
1830-1831.
—
En
1826, d’après les ordres de l’empereur
Alexandre, l’amirauté
russe expédia dans la mer du Sud
corvettes, le Môller et le Seniavine, pour lever le plan
de la partie des côtes de l’Asie et de l’Amérique apparte¬
nant alors à l’empire russe. L’expédition fut mise sous
les ordres du capitaine Lütke, et G. H. Mertens lui fut at¬
deux
taché
comme
naturaliste.
La traduction de
voyage en français aurait seule été
publiée, sur le manuscrit original, par le conseiller d’Etat
Boyé, et imprimée chez Didot]frères. C’est ce qui sçmble
ce
LES
POLYNÉSIENS.
55
explications du compilateur de Rienzi, qui en
Océanie (1).
On voit, par ces extraits, que le capitaine Lütke regar¬
dait les Carolins comme les descendants des Hindous. Or,
comme il trouvait, avec de Chamisso, que les Carolins
avaient la plus grande conformité avec les Polynésiens, il
donnait donc aux uns et aux autres une même origine, celle
de l’Inde. Voici, du reste, ses propres paroles : « Les Garolins descendent d’un peuple chez lequel la civilisation avait
déjà fait de grands progrès, d’un pays commerçant et navi¬
gateur, et ici, la vraisemblance indique; de nouveau, la race
hindoue, passionnée pour les voyages, plutôt que les Chi¬
nois et les Japonais, qui ne quittent point leurs foyers. (2) »
Mais ce n’était qu’une erreur, qui n’a point échappé à de
Rienzi lui-même, comme on l’a vu, quand nous avons cher¬
ché à préciser le lieu d’origine des Carolins.
Inutile donc de nous arrêter plus longtemps ici à cette
opinion du navigateur russe. Mais ce que nous devons faire
remarquer, c’est celle émise par son naturaliste, Mertens,
contre la possibilité d’une provenance malaise des Carolins :
On a ordinairement compris, dit-il, les habitants des îles
Carolines sous le nom général de race malaise ; mais il ne
faut qu’un coup-d’œil pour les distinguer des véritables
Malais qui habitent les îles des Indes et les Philippines. (3) »
Ainsi, voilà déjà deux naturalistes compétents, Lesson et
Mertens (4), niant la possibilité de la descendance malaise
résulter des
cite de nombreux extraits dans son
K
(1) Océanie, t. II, pages 114, 130, 135, 156, etc. : ouvrage publié
1833. Des extraits plus nombreux sont cités par d’Urville, dans
eu
son
1835
Voyage pittoresque : Art. llalan, Iles Carolines,
;
voir t.
II,
p.
(2) Océanie, t. II,
463.
p.
publié en
219.
(3) Mémoire sur l’archipel des lies Carolines, particulièrement sur
basses, inséré dans la Bibliothèque universelle, 1834 et 1835.
C’est le seul travail que Mertens ait pu donner, sa mort étant
survenue le 17 septembre 1830, un an environ après le retour du
Môller et du Seniavine en Europe.
les lies
(4) Lesson était à üalan en 1824, Mertens en 1828.
56
des
POLYNÉSIENS.
LES
Polynésiens, et l’on
ment
doute dans
va
voir d’Urville la mettre égale¬
Mémoire
sur les îles du GrandOcéan. Plus tard, on verra un savant missionnaire
anglais
faire de même, à propos des Nouveaux-Zélandais.
en
1829.
son
Ici, par ordre de date,
présente Ellis, dont les
étépubliées, comme on sait,en 1829 (1).
Cet écrivain, si ingénieux et si facile dans les
explications
qu’il donne du peuplement de la Polynésie, ne se contente
pas, en effet, de l’Amérique, il fournit en même temps pres¬
que autant de témoignages en faveur d’une origine malaise.
Or, pour lui, qu’ils vinssent de l’Amérique ou de la Malai¬
sie, les ancêtres des Polynésiens étaient d’origine asiatique :
un missionnaire ne
pouvait guère penser différemment.
Comme nous avons déjà longuement
exposé sa collection
d’opinions, surtout en parlant de la théorie de laprovenance
américaine, nous n’insisterons pas davantage sur la ma¬
nière de voir du savant anglais à ce
sujet.
Nous arriverons de suite à l’illustre marin
français qui a
le mieux fait connaître la
Polynésie par ses écrits et par ses
—
Recherches ont
se
nombreux voyages.
1831-1834.
On sait que Dumont d’Urville, imitant ses
devanciers, s’est borné àreconnaître deux racesenOcéanie :
Il appelait ainsi l’ensemble des îles,
—
grandes ou petites,
éparses sur la surface du Grand-Océan, nommé par diffé¬
rents navigateurs Océan Pacifique.
La première race était formée
par ce qu’on a appelé,
depuis lui, les Polynésiens (2), c’est-à-dire par des hommes
auxquels il donnait une taille moyenne, un teint d’un jaune
olivâtre plus ou moins clair, des cheveux
lisses, le plus
souvent bruns
noirs,
avec des formes
régulières, des
offrant du reste presque
autant de nuances diverses que la race blanche
d’Europe.
La seconde race, par des hommes d’un teint très
rembruni,
souvent couleur de suie,
quelquefois presque aussi noir que
ou
membres bien
celui des
proportionnés,
Cafres,
aux
cheveux frisés, crépus, floconneux,
(1) Polynésian researches, 2 vol. in-8».
(2) Mémoire
sur
assez
—
London 1829.
les îles du Grand Océan, p. 8.
LES
POLYNÉSIENS.
57
mais rarement laineux
formes peu
(1), avec des traits désagréables, des
régulières, les extrémités souvent grêles et
difformes, offrant enfin dans leur couleur, leurs formes et
traits, tout autant de variétés que l’on peut en obser¬
parmi les nombreuses nations qui habitent le continent
africain et constituent la race éthiopienne de la plupart des
leurs
ver
auteurs.
On sait également que l’Océanie a été partagée par lui en
quatre divisions principales et fondamentales : 11 a appelé
la première, ou Océanie orientale,
Polynésie, en limitant
l’acception de ce mot aux peuples qui reconnaissent le tapu
et parlent une même langue ; le nom de Micronésie est celui
qu’il a donné aux populations des îles Carolines, Mariannes
et Pelew, occupant ce qu’il
appelle l’Océanie boréale ; il a
.
laissé à
Océanie occidentale le nom de Malaisie que
R. P. Lesson lui avait donné ; let il a enfin formé son Océa¬
nie australe parla grande île de la Nouvelle-Hollande, et
toutes les terres qui l’environnent, jusqu’aux limites de la
son
Micronésie et de la
Polynésie ; il lui a donné le nom de
habitants Mélanésiens, à l’instar
Bory-St-Vincent qui les avait appelés avant lui Méla-
Mélanésie, et il
de
a appelé ses
niens.
Nous
ne
croyons pas avoir besoin de tracer ici les limites
que d’ürville a données à chacune de ces divisions ; on peut
les voir dans son « Mémoire sur les îles du Grand Océan. »
Nous
d’ailleurs
plus d’une fois l’occasion de revenir
sujet.
En somme, d’ürville n’admettait donc
que deux races en
Océanie. L’une noire, regardée par lui comme la première
occupante du sol ; l’autre plus claire, se divisant en deux
branches qu’il a appelées Polynésienne et Micronésienne, et
dont la première occupait l’Océanie orientale, la deuxième
aurons
plus tard
sur ce
l’Océanie boréale.
La
race
plus claire n’était, suivant lui, qu’une
(1) Après avoir dit, p. 3 « rarement laineux
quefois presque laineux, avec un nez épaté,
etc.
1)
*,
race
de
il dit, p. 4 ; «Quel¬
une
grande bouche,
58
LES
POLYNÉSIENS.
conquérants, provenant de l’Ouest, et, pour mieux préciser,
de ce qu’il a appelé l’Océanie occidentale, c’est-à-dire de la
Malaisie. C’est ce que prouve la citation suivante (1) : « Nous
n’hésitons pas à croire que les Polynésiens sont arrivés de
l’Occident et même de l’Asie ; mais nous ne croyons point
qu’ils soient des descendants des Hindous. Ils ont eu proba¬
blement
une
origine
commune
avec
eux,
nations étaient
mais les deux
déjà séparées depuis longtemps quand une
peupler l’Océanie. » Ce qui ne l’a pas empêché,
quelques années plus tard, comme nous l’avons déjà dit,
d’adopter l’hypothèse de R. Forster, qui les faisait venir d’un
continent submergé, situé dans le Sud-Est de la Polynésie,
mais peuplé, il est vrai, par l’Asie, avant sa submersion.
d’elles alla
Toutefois, d’Urville n’admettait pas que les Polynésiens
une colonie de Malais, comme on le croit
générale¬
ment, tant il y avait pour lui de différence dans les carac¬
fussent
physiques ; c’est à peine même si, sous le rapport
linguistique, il avait pu découvrir cinq mots malais de plus
que les 55 déjà rencontrés en Polynésie par Martin, l’auteur
du voyage de Mariner. « Sans aucun doute, disait-il (2),
ces deux nations ont eu jadis des relations ensemble. De
longues recherches ont fait découvrir environ 60 mots (3),
qui sont évidemment communs entre les deux langues, et
c’en est assez pour attester d’anciennes communications ;
mais il y a trop de différence dans les rapports physiques,
pour que l’on puisse supposer que les Polynésiens ne soient
qu’une colonie malaise. » Et il ajoute : « Si la langue des
tères
{Vj Mémoire
sur
les îles du Grand Océan,
p.
16.
(2) Mémoire, p. 17.
(3) Nous avons déjà montré qu’il n’y a même pas 60 mots d’ori¬
gine malaie en Polynésie ; et d’Urville reconnaît que Martin en
avait d’abord indiqué 55. On sait que ce sont les mots malais trou¬
vés en Polynésie, qui avaient surtout porté le rédacteur du voyage
de Marchand à conclure que les Polynésiens étaient de même race
que les Malais, qu’ils avaient une même origine et qu’ils avaient
eu jadis des communications; mais il ne concluait
pas pour cela
qu’ils en descendaient, au contraire.
LES
POLYNÉSIENS.
59
présentait plus de rapports avec le
Polynésien que le Malai lui-même, je ne balancerais pas à
croire que Célèbes a été l’un des- berceaux de la race Poly¬
nésienne, ou du moins l’une des stations principales dans
Alfourous de
Célèbes
marche de l’Ouest
sa
vers
l’Est.
»
Néanmoins, tout en disant que les Polynésiens différaient
trop des Malais pour être leurs descendants, d’Urville trou¬
vait qu’il y avait de grands traits de ressemblance entre
les
languespolynésienne, malaie etmadécasse (1). C’est ainsi
qu’on lit dans le texte du voyage de VAstrolabe (2), à propos
de la langue des Nouveaux-Zélandais : « Il est certain que
le Malai nous a paru être la langue la plus rapprochée du
Nouveau-Zélandais, et il est incontestable que l’une des
langues a reçu de l’autre certains mots par des communi¬
cations d’une date déjà bien éloignée. Cependant, faisait-il
remarquer lui-même, le nombre des mots vraiment com¬
muns aux deux langues est beaucoup moindre qu’on ne le
pense
généralement. Sur plus de 1500 mots cités dans la
grammaire anglaise de M. Kendall et Lee, je n’ai guère pu
en trouver plus de cinquante qui appartiennent réellement
au Malai : or, c’est à peine 1 sur 30. »
après cela qu’il ajoutait (3) : « De fortes présomp¬
des îles malaises sortirent
primitivement les hardis navigateurs qui prirent possession
des deux premières divisions de l’Océanie : Polynésie et
Et c’est
tions donnent lieu de croire que
Micronésie.
11
n’y
»
a donc pas
à
en
douter, c’était, dans son Mémoire du
moins, à la Malaisie qu’il attribuait l’origine des Polyné¬
siens, et il disait, en parlant des Micronésiens ; ^ Suivant
nos conjectures, ce sefait aux habitants des Philippines
qu’ils pourraient se rapporter, et leur première patrie doit
être dans les îles Luçon et Mindanao. » Mais nous ne re¬
viendrons pas sur ce que nous avons
lant des îles Oarolines.
(1) Philologie^ 2'vol.,
(2) P. 564.
(3) Mémoire,
p.
6.
p.
263.
dit à ce sujet, en par¬
60
POLYNÉSIENS.
LES
Les liommes d’une teinte
plus claire appartiennent,
(1), à une race de conquérants qui, prove¬
nant de l’Ouest, se
répandit peu à peu sur les îles de l’Océa¬
nie et y fonda des colonies '
plus ou moins considérables.
Souvent elle expulsa ou détruisit
complètement les premiers
«
disait-il
;
encore
possesseurs du sol. D’autrefois les deux
semble en bonne intellig’ence et leurs
nuances
vécurent
en¬
postérités se confon¬
Enfin fl put arriver que
dirent par des unions multipliées.
les étrangers trouvèrent la
foule de
races
place encore vacante. De là cette
diverses qui caractérisent les habitants de
chaque archipel, sans compter celles qui ont eu pour cause
climats, les habitudes, le régime alimentaire, en un
les
mot les circonstances dues
Quant à la
ceau
race
aux
localités.
»
noire, d’Urville lui donnait pour ber¬
la Nouvelle-Hollande et toutes les terres
qu’il a appe¬
qu’il consi¬
lées Mélanésie ; c’est cette race, avons-nous
dit,
dérait comme la première
Voici
occupante.
ses
propres
paroles (2)
: a
que nous considérons la race noire
bles indigènes, au moins de ceux
Nous devons déclarer
comme
celle des vérita¬
qui ont occupé les premiers
le sol de l’Océanie. » Et, plus loin, il
répète : « Nous devons
ajouter qu’à notre ayis la race mélanésienire dût occuper
dans le principe la plupart des îles de l’Océanie. »
C’est à cette occasion
qu’il dit i On observe encore au¬
jourd’hui à Taïti, dans les basses classes, des individus qui,
pour la couleur, les formes et les traits du visage, se rap¬
prochent beaucoup du type mélanésien. Cook trouva même
à Taïti une tradition qui constatait
qu’une tribu entière de
noirs très féroces vivait
dans les montagnes de l’île, peu
temps avant son arrivée. C’était probablement les tristes
débris des primitifs possesseurs du
sol, et ces hommes du
peuple, dont nous venons de parler, sont des métis issus du
mélange des vaincus avec la race conquérante. » Ailleurs
nous ferons voir
que cela n’est guère qu’un conte.
En parlant des habitants de plusieurs îles des Paumotu :
de
(1) Mémoire,
p.
3.
(2) Mémoire,
p.
3 et 15
LES
Ils
ne
due à
un
a
POL'ÏNÉSIENS.
paraissent être, disait-il
semblable mélange. »
encore,
61
qu’une
race
mixte
Enfin, le même observateur soupçonnait que les Papous
Dorey, h la Nouvelle-Guinée, étaient arrivés récemment
de
des
régions occidentales, et peut-être, disait-il, des îles
Andaman, de Ceylau, ou même de Madagascar.
Il résumait
ainsi son opinion : (1) « Il est facile devoir
je n’admets point cette multitude de races adoptée par
quelques auteurs modernes. Revenant au système simple et
lucide de l’immortel Forster, si bien continué
par Chamisso,
je ne reconnais que deux races vraiment distinctes dans
l’Océanie, savoir : la race mélanésienne, qui n’est elle-mê¬
me qu’un embranchement de la race noire
d’Afrique, et a
race polynésienne, basanée ou
cuivrée, qui n’est qù’un ra¬
meau de la race
jaune, orig-inaire d’Asie.
Et qu’on me permette
d’observer, en passant, que je ne
vois sur toute la surface du
globe, dans l’espèce humaine,
que trois divisions ou coupes qui me paraissent mériter le
que
«t
titre de
vraiment distinctes
: la première est la race
blanche, plus ou moins colorée en incarnat, qu’on suppose
originaire des environs du Caucase, et qui occupa bientôt
toute l’Europe, d’où elle s’est ensuite
répandue sur toutes
les parties du gdobe. La seconde est la race
jaune, suscepti¬
ble de prendre diverses teintes cuivrées ou bronzées : on la
suppose originaire du plateau central de l’Asie, et elle se
répandit de proche en proche sur toutes les terres de ce
continent, sur les îles voisines, sur celles de l’Océanie, et
même sur les terres d’Amérique, eu
passant -par le détroit
de Behring. La troisième est la race
noire, qu’on .suppose
originaire de l’Afidque, qu’elle occupe dans sa majeure par¬
tie, et qui se répandit aussi sur les côtes méridionales de
l’Asie, sur les îles de la mer des Indes, sur celles de la Ma¬
races
laisie et de l’Océanie.
»
En résumé, comme presque tous les
ville ne reconnaissait donc
que deux
ethnologues, d’Urgrandes races en
Océanie, la jaune et la noire. Que les émig-rants allant peu(Ij Mémoire,
p.
18.
62
LES
POLYNÉSIENS.
pler rOcéanie fussent de race noire ou de race jaune, c’é¬
tait toujours de l’Asie qu’il les disait sortis, c’est-à-dire de
l’Ouest (1). Par conséquent il admettait alors les migrations
d’Ouest en Est, avec Forster et tous les partisans de cette
opinion que nous avons cités ; mais le seul témoignage
qu’il apportait à l’appui de ce qu’il dit, c'est que « les hom¬
mes habitant l’intérieur de l’île Célèbes lui ont paru être
ceux qui ont le plus de rapport avec la race polynésienne,
dans la Malaisie.
^
Ce fait est véritablement bien remarqua¬
ble, et il avait déjà été remarqué, ainsi qu’on l’a vu, par
R. P.
Lesson, à l’occasion des Dayaks de Bornéo.
noire était, pour d’Urville, la première occupante
de toutes les îles, et la race jaune une race de conquérants,
produisant, à Tahiti et aux Paumotu particulièrement, par
son mélange avec la
première, une race mixte ou de.
La
race
métis.
Pas
plus, du reste, que R. P. Lesson et Moërenhoüt ne
croyait que les Polynésiens fussent des
Malais, mais il était tout disposé à les considérer comme
l’avaient fait, il ne
des Malaisiens de
Célèbes, surtout si l’on venait à recon¬
la langue des Alfourous de Célèbes ressemble
Polynésien qu’au Malai lui-même.
naître que
plus
Si
au
tenu à donner in-extenso les opinions de
sujet, c’est qu’elles sont celles qui, en raison
de son autorité, ont été adoptées par presque tous les ethno¬
logues modernes. Mais nous avons, dans notre chapitre
relatif aux populations malaisiennes, fourni assez de don¬
nées pour que le lecteur puisse juger lui-même notre pro¬
pre appréciation. Nous ne reviendrons donc pas ici sur ce
que nous avons dit alors (2).
Comme on le voit, c’est à d’Urville, après La Pérouse, que
revient l’idée que les Polynésiens étaient une race de
conquérants, idée qui a été généralement adoptée, quoi¬
qu’elle ne soit guère démontrée, ainsi que nous le prouvenous avons
d’Urville à
(1) On
a vu
ce
pourtant qu’il avait fini par
d’un continent
(2) Voy.
submergé dans i’Est.
vol., ch. III,
p.
adopter ia croyance
249, 255, 259, 268, etc.
LES
POLYNÉSIENS.
63
quand
nous parlerons des habitants des îles Fiji. C’est
qu’est due l’opinion que tous les Mélanésiens ne
sont que des Australiens,
puisqu’il donne la NouvelleHollande pour berceau à toute la race noire. Cette asser¬
tion, nous le savons, n’est pas admissible. La chevelure des
rons
à lui aussi
Australiens diffère de celle des autres Mélanésiens ; elle est
généralement lisse,
celle de
au
lieu d’être crépue
ou
laineuse
comme
derniers, et nous avons montré que, aujour¬
d’hui du moins, il y a plus d’une espèce d’hommes en
Australie, contrairement à l’opinion soutenue par la plupart
des écrivains et particulièrement par le continuateur de
Pérou, le savant commandant de l’C/rame, Louis de Frey¬
cinet, qui, l’un des premiers, a observé avec soin les habi¬
ces
tants de l’Australie.
Quant à la croyance de Forster, adoptée par d’ürville,
que la race mélanésienne a été la première occupante de
la plupart des îles de l’Océanie, on verra plus tard que rien
n’est moins démontré pour la Polynésie proprement dite,
quelques autres assertions de d’Urville, telle, par
exemple, que le métissage des Polynésiens, n’ont pas plus de
et que
fondement.
Ajoutons que, dans une note qui termine son Mémoire sur
Grand-Océan, et destinée à appuyer les grandes
divisions de l’espèce humaine admises par G. Cuvier, Du¬
mont d’Urville dit, — ce qui prouve peut-être un peu
qu’il n’a¬
vait pas lu, avec autant d’attention qu’il l’avance,l’ouvrage de
.Bory-St-Vincent ; — « Après avoir composé cet écrit, j’ai relu
avec attention l’article
publié en 1825 par M. Bory-St-Vincent sur VHomme, et, pour la première fois, j’ai vu que
M. Cuvier ne reconnaissait que trois variétés dans l’espèce
humaine, auxquelles il donne les noms de caucasique ou
blanche, mongolique ou jaune, éthiopique ou nègre. Il est
assez remarquable que douze années d’études et d’observa¬
tions, et près de soixante mille lieues parcourues sur la
surface du globe, m’aient ramené aux opinions que le célè¬
bre physiologiste avait adoptées depuis longtemps, sans que
j’eusse connaissance des écrits où il les avait consignées.
Seulement si, comme l’avance M. Bory, M. Cuvier ne sait
les îles du
64
à
LES
FÜLYNÉSIENS.
laquelle des trois
races rapporter les Malais, les Améri¬
Papous, je ne balancerai pas un moment à rap¬
porter les deux premiers peuples à la race jaune, et les Pa¬
cains et les
pous
à la
race
noire.
»
Après d’Urville, et presque dans le même moment,
l’origine asiatique des Polynésiens fut soutenue par le mis¬
sionnaire écossais Dunmore Lang (I) : non-seulement il
admit que les migrations s’étaient effectuées del’O. versl’E.,
mais de plus, comme on l’a déjà vu, que l’Amérique ellemême avait reçu ses premiers habitants de la
Polynésie,
d’abord peuplée par les Malais. « Je connais, disait-il
(2),
toutes sortes de raisons pour croire que la population amé¬
ricaine est venue originairement de l’Asie, non, comme on
le croit communément, par la route des îles Aleutiennes et le
détroit de Behring, mais par les îles de la mer du Sud, et à
travers la vaste étendue de l’Océan Pacifique. » Nous avons
précédemment montré que les raisons invoquées par le
docteur Lang, pour soutenir sa thèse, n’avaient pas l’impor¬
tance qu’on leur avait attribuée ; nous nous bornerons donc
ici à cette courte citation, qui suffit d’ailleurs à prouver que
le missionnaire écossais était d’un avis tout-à-fait
opposé
à celui du missionnaire Ellis, défenseur de l’origine amé¬
ricaine des Polynésiens, et qu’il devait être nécessairement
un chaud partisan de
l’origine asiatique.
Le R. Lang se basait, pour démontrer cette origine des
Polynésiens : sur l’analogie existant entre les Malais et les
Polynésiens, quoiqu’il n’y eût cependant, disait-il, qu’une
trentaine de mots semblables dans leur langue; sur la
similitude d’un grand nombre d’usages entre les
Polyné¬
siens et les Asiatiques ; et particulièrement sur la ressem¬
blance des idoles polynésiennes avec celles de l’empire
Birman. Ces rapprochements sont assez maigres, comme on
le voit, et comme on le verra encore mieux
quand nous éta¬
blirons qu’il n’y a de ressemblances ni dans les caractères
1834.—
(1) View of the origin and migrations of thePoljnésian, etc., by
Lang. — London, 1834.
Dunmore
(2) Ouvr. cité,
p.
86.
LES
POLYNÉSIENS.
65
physiques, ni dans le langag’e et les usag’es de deux peu¬
ples, ni dans leurs croyances religieuses, etc.
Après avoir admis l’orig-ine malaise ou asiatique, le D"
Lang-, finissant par trouver, comme Marsden l’avait déjà
fait, qu’il aurait été impossible aux Polynésiens de franchir
la barrière malaise
pour se rendre en Océanie,
sans
y laisser une plus profonde trace de leur passage,
crut préférable d’admettre
que les Polynésiens provenaient
de la Tartarie Chinoise
(1). Sur quoi s’appuyait-il pour
(1) Nous croyons devoir citer ici l’opinion émise plus récemment
l’amiralJurien de la Gravière. {Voyagede la corvette la Bayon-
par
naise, 1.1,
p.
On s’est
396, note. 3“ édit. 1872).
beaucoup préoccupé, il y a quelques anbées, de l’ori¬
gine des premiers émigrants qui formèrent le noyau des popula¬
tions indigènes de l’Océanie. Des
systèmes diamétralement oppo¬
«
sés se trouvèrent en
présence. On supposa donc que,, partis des
bords du continent américain, ils avaient été
successivement por¬
tés d’île en île par les vents alisés
jusqu’aux extrêmes rivages des
Philippines ; mais diverses considérations puisées dans une obser¬
vation plus exacte des coutumes, du
langage, considérations que
M. Dunmore Lang sut
présenter avec beaucoup d’habileté, ont fait
abandonner définitivement cette hypothèse. Fondant son
opi
nion sur quelques phrases
échappées à La Peyrouse et sur les
perturbations auxquelles sont soumis les vents alisés dans le voi¬
sinage de l’équateur, M. Dunmore Lang voulut établir la possi¬
bilité d’une colonisation
qui se serait avancée graduellement de
l’Ouest vers l’Est, des rivages de la Malaisie aux côtes de l’Améri¬
que. En notre qualité de marin, nous ne pouvons admettre une
hypothèse, appuyée sans doute de raisons très savantes et très ingé¬
nieuses, mais contre laquelle proteste notre expérience person¬
nelle. Cinq fois, dans le cours de notre
campagne et dans des
saisons très différentes, nous avons
navigué non loin de l’équa¬
teur, entre le 110« et le 160« degré de longitude. Nous croyons
pouvoir affirmer que cette navigation eût été complètement im¬
praticable pour les navigateurs primitifs, qui,: suivant M. Dun¬
Lang, l’auraient accomplie jadis dans leurs frêles pirogues.
11 nous semble que si les îles de la
Polynésie n’ont point été,
comme on l’avait
pensé d’abord, peuplées par des émigrations
fortuites, s’avançant dans les mers intertropicales, de l’Est à
FOuest, elles ont dû l’être par des barques isolées ou des fiottilles
que les tempêtes des mers boréales avaient entraînées vers l’Orient
ou vers le Sud. Car il
est, suivant nous, de toute impossibilité que
le mouvement de
colonisationjait eu lieu sous l’équateur de l’Ouest
more
II
5,
66
POLYNÉSIENS.
LES
lang'ag-e de cérémo¬
rindo-Chine, la Malaisie et la Polynésie, et qu’il
y a des analogies grammaticales entre le Chinois et le
Polynésien. Or ces analogies grammaticales se bornent,
d’après lui-même, aux mots identiques Tong et Tonga,
qui signifient respectivement l’Est en Chinois et en Poly¬
nésien. On sait en effet que le mot Tung, en Chinois, signifie
l’Est ; mais le mot Tonga est-il chinois comme il l’avance ?
nous l’ignorons ; ce
que nous savons seulement, c’est,
comme nous le montrerons, qu’on ne s’accorde pas sur sa
signification à la Nouvelle-Zélande, où il est plus spéciale¬
ment employé comme nom de vent. M. Lang, du reste, au¬
rait pu ajouter que l’on trouve en Chine plusieurs autres
mots identiques à ceux des Polynésiens, tels que Tu, tête,
wha, fieur, etc. ; de même qu’en Cochinchine où le mot Ku
est le nom donné au chien qui, en Polynésie, ou mieux à la
Nouvelle-Zélande, est appelé Kuri.
cela ? Sur
nie dans
Ces
ce
qu’il existe, disait-il,
un
analogies sont évidemment peu nombreuses
;
il serait
à l’Est. On.
ne saurait oublier d’ailleurs
que plusieurs fois des ba¬
japonais, emportés loin des côtes par les ouragans qui
désolent les rivages de Matsmaï, de Niplion ou des Kouriles, sont
venus atterrir, tantôt aux
Philippines, tantôt au Kaintschatka,
quelquefois même aux îles Sand-wicli. Nous inclinerions à croire
que les peuples de l’Océanie, que ceux même du continent améri¬
cain, ont eu pour ancêtres quelques-uns de ces membres égarés
de la famille mongole, et c’est dans les steppes fécondes de l’Asie
centrale, plutôt que dans les plaines de l’Hindoustan, que nous se¬
rions tenté de placer leur berceau. »
teaux
Il avait dit ailleurs dans
naître
dans les
son
texte
: «
On serait tenté de
recon¬
îles
Mariannes, ainsi échelonnées du IS» au 30“
degré vers le Nord, autant de degrés naturels par lesquels ont dû
descendre les émigrations japonaises ou mongoles, des bords de
l’Asie septentrionale jusqu’aux groupes occidentaux de l’Océanie.
Il est certain que le régime des vents qui régnent dans l’Océan
Pacifique rapproche les îles Mariannes des côtes du Japon, tandis
que ces rhêmes vents les placent, pour ainsi dire, hors de la portée
des naturels de la Malaisie,
On
s
quelle était à ce sujet l’opinion de R. P. Lesson, tou¬
chant plus particulièrement les Carolins, et nous nous bornerons
à y renvoyer le lecteur.
a vu
LES
POLYNÉSIENS.
67
certainement plus
s’il n’est pas
logique, pour le mot tonga du moins,
chinois, de l’attribuer à l’entraînement de
quelque canot polynésien jusque dans ces contrées. Aux
orientalistes seuls, du reste, appartient la solution de cette
question ; mais, en attendant, ce que l’on sait, c’est que
Marsden dit, dans son dernier ouvrage,
publié en 1834 (1),
qu’il est impossible de trouver un arrangement grammatical
entre le
Polynésien et aucune langue des continents les
plus rapprochés. Aussi regarde-t-il le Polynésien com¬
me original, en ce sens
que son origine est dans cet
état d’obscurité au-delà
duquel
on ne peut tracer aucune
ligne de dérivation ou de connexion. C’est ce qui a fait
dire par M. Jules Garnier (2), avec
raison, quoiqu’il n’en ait
guère tenu compte plus tard, que « cette assertion catégori¬
que de Marsden semble montrer que le peuple polynésien,
protégé de tous côtés par d’infranchissables barrières natu¬
relles, n’a jamais pu, aux temps anciens, être envahi
par d’autres peuples, pendant que lui, au contraire, s’écou¬
lait peu à peu vers l’Occident, semblable à un ruisseau
que
les
eaux
de la
constamment
mer ne
peuvent remonter, niais qui descend
elles.
» On verra
plus tardcombien ce mot
juste. Nous ferons voir, en effet, que le
peuple polynésien, d’après les traditions elles-mêmes, au
lieu de venir de l’Ouest ou de l’Est directs, s’est
dirigé, ou
est descendu, comme le disent les
traditions, du Sud vers le
«
descendre
Nord,
ou
»
vers
était
mieux du Sud-Ouest
suffire de faire cette remarque
haute
importance
résoudre.
pour
vers
le Nord-Est.
Ici, il doit
qui, à notre avis, est de laplus
la question que nous cherchons à
Après cela, inutile sans doute de dire que l’analogie trou¬
M. Lang- dans les langages cérémoniels de l’IndoChine, de la Malaisie et de la Polynésie, n’existe qu’incomplétement, ou pour mieux dire, n’existe pas du tout dans
la dernière contrée comparée aux deux
premières ; car s’il
a
existé, il a tout-à-fait disparu aujourd’hui, et il semble
vée par
(1) Miscellaneous Works,
(2) Mémoire
sur
p.
5.
les Migrations polynésiennes, p. 39.
68
LES
POLYNÉSIENS.
résulter de
nos reclierclies que ce laug-age, compris seule¬
les prêtres et les chefs, n’était que l’ancien langage
des ancêtres ou premiers émigrants partant de l’Hawahiki.
Nous essaierons de démontrer ultérieurement quecelangage
n’était bien probablement que la langue maori ancienne.
En somme, on peut dire que, comme tous ses confrères,
le missionnaire Lang appuie surtout sa croyance en une
origine asiatique des Polynésiens et des Américains, sur les
traditions bibliques, et que les autres raisons, données par
lui pour étayer cette croyance, ont peut-être moins d’impor¬
tance encore que toutes celles de ses devanciers. Il en est
pour ainsi dire de même, comme on l’a vu, des raisons
qu’il a invoquées pour soutenir que l’Amérique a été peu¬
plée par l’Asie et par des émigrants traversant la Polynésie,
au lieu de passer, comme le dit Ellis,
par le détroit de
Behring.
1836.
En 1836, parut la compilation de Rienzi, intitulée
Océanie pittoresque, dans laquelle on voit que l’auteur était
partisan, lui aussi, de l’origine malaisienne des Polyné¬
ment par
—
siens
(1).
Rienzi, au lieu des deux races admises par tous ses
prédécesseurs, en comptait quatre bien distinctes en Océa¬
nie ; La Malaise, la Polynésienne ou Daya, PEndamène et
la Papoua. Toutes, suivant lui, avaient eu pour berceau l’île
De
de Bornéo.
Pour lui, les
Polynésiens n’étaient donc
que
des Dayaks,
et, comme d’Urville, c’est avec les Bouguis de Célèbes qu’il
leur trouvait le
déjà
plus de ressemblance. Cette opinion, on l’a
R. P. Lesson pour les Dayaks euxdes habitants de Célèbes, de Rienzi
vu, était celle de
mêmes (2). En outre
(1) Univers Pittoresque. Océanie, 3 toI.
1836, Firmin Di dot. —p. 303 et suiv.
par
Domeny de Eienzi,
Nous avons vu précédemment que de Rienzi avait, dès le 17
décembre 1831, lu à la Société de géographie le mémoire où il
établissait les nouvelles divisions de l’Océanie, tandis que celui
de d’Urville, daté du 27 décembre 1831, ne
parut que quelques
jours plus tard, le 5 janvier 1832.
(2) A la
page
27 de
sa
Mastologie méthodique, il dit,
en
parlant
LES
POLYNÉSIENS.
69
reg-ardait
ceux des Philippines, et même ceux des Palaos,
appartenant aussi à la race daya.
C’était, d’après lui, la race noire endamène qui avait
comme
vraisemblablement
formé la population
primitive de
(1), Il pensait qu’elle avait été chassée de Bornéo
la race papua et que celle-ci, à son tour, avait elle-même
«
n
l’Océanie
par
été chassée par la race malaise.
Pouf lui, la Nouvelle-Guinée avait été le
foyer des Méla¬
nésiens, quoique cette race fût venue primitivement, disaitil, de Bornéo, de même que toutes les autres races. On a
déjà vu précédemment que Forster plaçait aussi le foyer de
la
race
noire océanienne dans l’île de la Nouvelle-Guinée.
11 disait enfin
qu’après avoir été chassée de la Nouvellela race endamène s’était réfugiée à
(2).
En somme, pour de Rienzi, c’étaient ces
quatre races qui,
par leur croisement, avaient donné naissance à un cer¬
Guinée par les Papua,
la Nouvelle-Hollande
tain nombre
de variétés ; mais toutes
avaient
eu
Bornéo
foyer primitif. C’est de cette île, regardée par lui
Vofficina gentium de l’Océanie, qu’étaient sortis
la langue et les peuples polynésiens, les langues et les
peuples de l’Océanie occidentale et australe.
Ce qui prouvait, disait-il, que le Daya était la langue
mère du Polynésien, c’est qu’il y avait trouvé une centaine
de mots polynésiens : pour appuyer son opinion, il ren¬
voyait à un tableau de 211angues de l’Océanie dressé par lui.
Or, que démontre ce tableau ? Que c’est surtout par les
noms de la numération que les
Dayaks, comme les Battaks,
les Bouguis
les Tagals, etc., se rapprochent des Ha¬
waiiens, des Tahitiens, des Maori et autres Polynésiens,
mais que, excepté un certain nombre d’autres mots, évi¬
demment polynésiens, tous les autres, au contraire, diffèpour
comme
de la famille
race
Dayak qu’elle fut
océanienne.
(1) Tome I,
p.
«
très-certainement souche de la
19,
(2) De Eienzi regardait les habitants de
Endamènes
ou
Australiens.
Vanikoro
comme
des
70
LES
POLYNÉSIENS.
complètement de ceux de la Polynésie, et ne sont que
ou javanais. Ainsi, à part les mots suivants
de la numération à Mindanao, d’après Forrest : isa un ;
daiia, deux; te/u, trois ; apai, quatre ; lima, cinq ; anom,
six ; petie, sept ; walu, huit ; sean, neuf ; sampulu ou puru,
rent
des mots malais
dix,
nous
n’avons trouvé, sur 800 mots environ recueillis
lui dans cette île, à laquelle d’Urville attribuait la pro¬
des Micronésiens, que les quelques mots suivants
se rapprochant
du Polynésien : ka, à ; atte, foie ; alema,
main ; walle, maison ; matta, œil ; ang’inn, vent ; ina,
mère ; watu, pierre ; élong, nez ; ulo, tête (1).
Le fait que cite de Rienzi est néanmoins de la plus gran¬
de importance, puisqu’il établit, entre les Polynésiens et
les Dayaks, une parfaite identité de langage pour, un cer¬
tain nombre de mots. On comprend parfaitement après cela
que, retrouvant, d’autre part, chez eux, tous les caractères
physiques, les coutumes, etc., des Polynésiens, il en ait con¬
clu que le Paya était la langue mère de la langue polynésien¬
ne : il est vrai
que, pour les mêmes raisons, il eût pu tout
par
venance
aussi bien conclure le contraire.
Nous
avons
déjà traité suffisamment
ce
sujet et
montré que ces ressemblances n’existent pas
nous
seulement
pour les Dayaks, mais qu’on les a observées aussi chez les
Battaks, les Bouguis, les Alfourous, et même chez les Ja¬
vanais et les Malais. Il n’est donc pas nécessaire de nous
y
avons
arrêter
davantage.
admettant, disait de Rienzi (2), que le foyer primitif
des Polynésiens a été dans l’île de Bornéo et chez les
Daya,
et particulièrement les Daya-Idaans qui habitent le Nord de
cette grande terre, la grande difficulté d’origine disparaît :
la langue et les peuples polynésiens, ainsi que la
langue
et les peuples de l’Océanie occidentale et australe, seraient
venus de ce point central. Déjà
j’ai considéré les Dayers et
les Ygolotes de Bornéo comme leurs sources. Ainsi,
ajou¬
tait-il, une langue et un grand peuple océanien se seraient
«
En
(1) Voy. les tableaux linguistiques placés à la fin du chapitre.
(2) Ouvr. cité, t. I,
p.
70.
LES
POLYNÉSIENS.
71
répandus de Bornéo à Madagascar, c’est-à-dire à 1400 lieues
à l’Ouest, et de Bornéo àWaïhu ou Pâques, 2520 lieues à
l’Est ; enfin de Forinoseet d’Hawaii au Nord, jusqu’à l’extré¬
mité de la Nouvelle-Zélande
Sud, environ 1800 lieues. »
qui ne l’a pas empêché de dire ailleurs, et nous
croyons devoir citer encore ce passage pour montrer quelle
au
Ce
confiance
il faut accorder
aux
énonciations de Rienzi
:
C’est à tort que
les géographes et les philologues ont ré¬
pété que tous les peuples de race malaise parlent, depuis
Madagascar jusqu’à Pâques des dialectes d’une seule et même
langue, et que cette langue est le Malayou ; cette erreur,
tant de fois répétée, n’en est pas moins une erreur. » C’est,
comme on voit, la paraphrase écourtée de l’observation déjà
présentée à ce sujet par Balbi, et qui est si vraie, comme
nous aurons
tant d’occasions de l’établir.
reste, tout en reconnaissant, dans la lang-ue polyné¬
sienne, le système du Malayou dans sa plus grande sim¬
plicité, de Rienzi disait encore : « Cependant le Polynésien
ressemble moins au Malayou qu’au Malakassou, et le Tonga
ressemble plus au Tagal qu’au Malayou (1). » Ce qui prouve
bien, dirons-nous ici en passant, qu’il n’avait qu’une connais¬
Du
incomplète du Polynésien, puisque ce langage ne res¬
Malakassou que par sa numération,
et que le Tonga ressemble plus au Maori qu’au Tagal, ainsi
que nous l’avons déjà fait voir (2).
En résumé, de Rienzi ne voyait dans les Polynésiens que
des émigrants delà Malaisie, et pour lui, la race polyné-r
sienne était la même que la racé daya. Aussi l’a-t-il appe¬
lée race daya ou polynésienne.
sance
semble davantage au
1838.
est
un
—
partisans de la théorie asiatique, il en
qui doit nous -arrêter quelque temps, en rai-
Parmi les
surtout
(1) Ce n’est point en effet le Malai seulement, comme on le croit
généralement, qui a été retrouvé à Madagascar, dans la numéra¬
tion, mais bien le Polynésien ; aux Philippines ce n’est pas non
plus le Malayou.
(2) Voir préface des vocabulaires Maori et Tahitien, traduits par
et encore inédits.
nous,
72
LES
son
des faits et des
POLYNÉSIENS.
raisonnements qu’il
apporte à l’appiii
l’origine malaise des Polynésiens, et de l’autorité qù^ouK
lui accorde généralement. Cet écrivain est le missionnaire*/'!
anglais John Williams, qui a résidé plus de dix-huit ans en
Océanie, et qui a publié le récit des entreprises des mission¬
de
naires dans les îles de la
J.
Williams,
mer
du Sud
(1).
tous ses prédécesseurs,
n’admettait que deux races distinctes et d’origine
diflérente,
dans les îles du Pacifique. Il appelait l’une la race
polyné¬
sienne nègre ou occidentale, et l’autre la race
polynésienne
orientale : celle-ci est, dit-il, de couleur de cuivre clair et a
la mine malaise. Il trouvait que cette dernière était évi¬
comme
presque
demment
d’origine asiatique par son caractère général,
malaise, et, comme preuves surabon¬
dantes, il citait :• l’affinité presque complète qu’il trouvait
entre la caste de l’Inde et le tapu des îles de la mer du
Sud ; la ressemblance des opinions et des procédés à
l’égard
des femmes, en Polynésie et au Bengale
plus particulière¬
ment ; la pratique commune de ne
pas manger certains
par sa contenance
aliments ; la conduite barbare des deux contrées
pour les
veuves aux funérailles de leurs
maris ; enfin, un grand nombre de jeux et
malades ; le sacrifice des
d’usages (2).
rapprochements indiquaient clairement
l’origine asiatique dés Polynésiens ; mais c’était surtout la
correspondance des langages qui, à l’entendre, appuyait le
plus son opinion. C’est ainsi qu’il trouvait que beaucoup de
Pour lui, tous ces
mots étaient les mêmes dans tous les
dialectes des îles de
Sud, et qu’il citait à l’appui les quelques mots
suivants, si connus et si peu nombreux, pris dans les dia¬
lectes rarotongan et malai :
Œil, mata, mata; —mort, mate, mate; — nourriture,
la
mer
du
makann;—oiseau, manu, manu et hurong ; —pois¬
ika, ikann ; — eau, vaï, vaï et ayer-aer; etc.
manga,
son,
(1) A Narrativcof missionnary enterprises in the SouthSealslands,
by John Williams. — London, 1837.
(S) Nous
plupart de
précédemment établi le peu d’importance de la
rapprochements.
avons
ces
LES
73
POLYNESIENS.
signalait particulièrement l’emploi que les Polynésiens
avec peu de différence,
disait-il, quoiqu’il y en ait une plus grande qu’avec celles
de toutes les autres tribus malaisiennes, comme on a pu
s’en assurer par la comparaison que nous en avons faite.
Enfin il trouvait que c’était la langue des indigènes de
Samoa, dans laquelle le s et le Z sont fréquemment employés,
qui ressemblait le plus à la lang’ue malaie. Il concluait
que ces circonstances devaient faire regarder les Polyné¬
siens, couleur de cuivre, et les diverses tribus habitant
l’archipel Indien, comme ayant la même origine.
Il
font de la numération malaise,
Il
ne
disait d’ailleurs rien de bien satisfaisant
sur
la
race
qu’il appelait polynésienne-nègre ; il se contentait d’expri¬
mer l’espérance que, lorsqu’on aurait obtenu
quelque con¬
naissance du langage et des traditions de cette race, une
partie de l’obscurité qui enveloppe son origine disparaî¬
trait. En attendant, il ne lui répugnait pas de la croire
partie des îles asiatiques, en suivant la même route, et de
la regarder comme ayant habité toutes les îles avant l’arri¬
vée des Malais-Polynésiens, qui l’auraient chassée de beau¬
coup de ces îles, mais non pas de toutes.
En somme, au sujet de cette dernière race surtout, ce
n’était que l’opinion de Forster, adoptée sans commentaire
et sans la moindre preuve ; c’est pourquoi nous ne nous y
arrêterons pas plus longtemps. Nous ajouterons seule¬
ment que ce fut au moment où il cherchait à répandre le
Christianisme dans l’île Erromango, l’une des NouvellesHébrides de Cook, et alors qu’il était à même de pouvoir
observer lui-même la race mélanésienne, c’est-à-dire sa
race polynésienne-nègre, que le malheureux missionnaire
fut tué par les indigènes en 1839.
Voici comment J. Williams réfutait les objections faites
à son opinion de l’origine malaise des Polynésiens. Nous
croyons utile de transcrire ici la traduction du texte de l’au¬
teur, à cause de son importance et malgré la longueur de
cette citation (1).
{}) A Narrative^ etc., p. 504, ch. XXIX.
74
LES
POLYNÉSIENS.
Trois
objections principales, disait-il, ont été faites à
opinion et ont été considérées comme .formidables :
1“ La distance qui sépare la côte malaie de Tahiti
; 2° la
permanence des vents alisés entre les Tropiques ; 3“ l’inca¬
pacité des pirogues indig'ènes pour de longs voyages. Mais
je puis montrer que ces difficultés ont été exagérées.
a Examinons
la première, c’est-à-dire la distance
qui
existe entre la côte malaie et Tahiti, les Sandwich et autres
«
cette
îles.
«
Cette distance est d’environ 100
et l’on pense
degrés'ou7C00 milles (1),
qu’il est impossible à des sauvages d’avoir
fait un pareil voyage avec leurs
pirogues et leur connais¬
sance imparfaite de la
navigation. Sans doute, s’il n’y avait
pas d’îles sur la route, j’admettrais moi-même la force de
cette objection, et je l’admets même si l’on a voulu dire
qu’ils sont allés directement de la côte malaie aux îles les
plus à l’Est. Mais, si nous pouvons démontrer qu’un pareil
voyage s’est accompli à l’aide de très-courtes étapes, cette
difficulté n’en sera plus une....
Supposons, par exemple,
que les ancêtres des insulaires actuels sont partis de la côte
malaie, et nous allons voir quelle aurait été leur route.
ot En avançant de cinq degrés, ou 300 milles, ils auraient
.
atteint Bornéo ;
qui n’a
de là, traversant le détroit de
Macassar,
que deux cents milles de largeur (2), ils seraient
arrivés à Célèbes, île qui est à 8 degrés de la Nouvelle-Gui¬
née, mais ayant pour intermédiaires les grandes îles Belley
(1) Pour lui, tous les degrés étaient, paraît-il, de 24 lieues envi¬
72 milles. Cependant plus loin il les fait de 20 lieues.
ron ou
(2) Du
Kanioungan ou Mangkalihat, sur Bornéo, à la côte
Célèbes, la largeur n’est que de un degré et dix minutes.
A ce point, près de la côte de Célèbes, se trouve le
groupe des sept
îles Pangalassian, dont la plus éloignée, appelée par les Hollandais
Noordwachter (gardienne du Nord), n’èst qu’à 56 minutes de dis¬
tance du cap Kanioungan. Le passage de Bornéo à Célèbes, et
vice versa,est donc des.plus faciles, puis que ces deux terres ne sont,
en cet endroit, distantes
que d’une vingtaine de lieues. La partie
méridionale du détroit de Macassar est, au contraire, assez large.
(Kenseignements fournis par M. Meyners d’Estrey.)
ferme de
cap
LES
POLYNÉSIENS.
et Céram. La distance de la Nouvelle-Guinée
75
aux
Hébrides
degrés; mais les îles intermédiaires
le voyage aurait pu se faire à l’aide
d’étapes courtes et commodes ; cinq cents milles, séparent
les Nouvelles-Hébrides des Fiji, et, trois cents milles envi¬
ron plus loin, on trouve les îles des Amis. Par une autre
étape de 500 milles, on est porté aux îles des Navigateurs,
et, entre ces deux derniers points, on rencontre trois autres
est de 1200 milles
ou
'20
sont si nombreuses que
g-roupes. Enfin, des îles des
la distance est d’environ 700
aux îles Hervey,
milles (230° Long. E.), et, de
Navigateurs
de la Société, il y a environ 400 milles de
plus, ou 130 lieues.
« Ainsi s’évanouit,
je pense, chaque difficulté, car l’étape
la plus longue, dans le voyage de Sumatra à Tahiti, serait
celle des îles des Navigateurs au groupe Hervey, environ
700 milles, et les habitants de Harotonga disent que leur
ancêtre Karika venait de là (1).
Indiquons les deux points extrêmes : les îles Sandwich
et la Nouvelle-Zélande. Les premières îles sont à environ
2500 milles au Nord de Tahiti ; mais, en partant des Mar¬
quises, le voyage serait facile, puisque la distance est moin¬
dre de 6 à 800 milles, et que les vents alisés pousseraient
rapidement les voyageurs. Les traditions indigènes s’ac¬
cordent d’ailleurs avec cette hypothèse ; et l’une d’elles
rapporte, qu’après la formation de l’île par la rupture d’un
œuf, un immense oiseau avait déposé sur l’eau un
homme et une femme, avec un porc, un chien et une paire
de poules ; ils arrivèrent dans un canot qui venait des îles
de la Société, et ce furent eux qui devinrent les ancêtres
des habitants actuels. Dans une autre, il est dit qu’un cer¬
tain nombre de personnes vinrent de Tahiti, dans un canot,
et-que, s’apercevant que les îles Sandwich n’étaient habitées
que par des dieux ou des esprits, elles se fixèrent à Oahu (2).
là
au
groupe
a
(1) On verra plus tard que cette assertion est très probablement
inexacte, et que la tradition a été mal interprétée par M.Willianis.
(2) Nous aurons plus tard à revenir sur ces traditions des Sand¬
wich, que nous chercherons alors à expliquer.
76
LES
POLYNÉSIENS.
De
pareilles traditions, en l’absence de preuves évidentes
du contraire, doivent être admises pour confirmer la théorie
je soutiens.
de Tongatahou ou des Fiji, pour atteindre la
Nouvelle-Zélande, il y aurait comparativement peu de dif¬
que
a
En partant
ficultés. La distance,
mais si le vent
en
effet, est d’environ
met à souffler du
N.-E.,
1200 milles ;
qui arrive'
fréquemment, le voyage peut être fait en peu de jours.
« Ainsi donc est
détruite, je crois, la première objection
faite à
C’est
ma
se
théorie.
ce
»
raison, et nous le prouverons surabondam¬
plus tard, que J. Williams soutient que la distance
n’aurait pas été un obstacle pour des émigrants de la Ma¬
laisie se rendant en Polynésie : non-seulement, comme il
l’avance, les canots de cette époque étaient peut-être autre¬
ment grands que ceux rencontrés par les premiers
naviga¬
teurs européens, — et pourtant ces canots l’étaient
déjà suf¬
fisamment, — mais, à notre avis, les migrations auraient pu
avoir lieu avec les pirogues que possèdent encore les Po¬
lynésiens pour leurs grands voyages, tant ils étaient bons
marins et navigateurs entreprenants, surtout autrefois : c’est
avec
ment
ce
que
prouvent toutes leurs traditions et les connaissances
géographiques qu’elles constatent. De nombreux exemples,
assez récents, montrent d’ailleurs
que les pirogues actuel¬
les peuvent être entraînées à des distances considérables
de leur point de départ. Nous aurons à y revenir longue¬
ment quand nous nous occuperons des migrations, et sur¬
tout des traditions qui tracent l’itinéraire des Polynésiens,
depuis leur départ du pays d’origine.
Comme le dit J. Williams, les nombreuses îles jetées sur
la route auraient pu leur servir d’étapes, et leur permet¬
tre d’atteindre ainsi, successivement, les îles les plus orien¬
tales de la Polynésie. Quand on jette les yeux sur la carte,
on ne peut même avoir d’autre
opinion que la sienne, car
c’est bien par là que les émigrants auraient eu à passer,
en partant de la Malaisie
pour se rendre en Polynésie. Mais
rien ne prouve, avons-nous déjà dit, et nous le ferons voir en
temps opportun, que les îles intermédiaires, qu’on regarde
LES
POLYNÉSIENS.
77
peuplées d’abord par la race noire, aient jamais
l'a visite d’une autre race, soit en passant, soit pour s’y
fixer, car la langue de cette race noire ne présente quelque
vestige de la langue polynésienne que dans les îles les
plus proches de la Polynésie. Il est bien certain, d’un autre
côté, que les émigrants n’auraient pu suivre exactement la
route indiquée par J. Williams et franchir sans hésitation
comme
reçu
500
ou
700
milles, s’ils n’avaient
térieure des îles
qui
se
eu une
connaissance
trouvaient à cette distance les
des autres ; or il est difficile d’admettre une
naissance ; tout au plus pourrait-on supposer
arrivés involontairement.
an¬
unes
pareille con¬
qu’ils y sont
Mais toujours est-il, répéterons-nous, que s’il n’y avait eu
d’autre obstacle que la distance, les Malais auraient cer¬
tainement pu se répandre dans toute la Polynésie.
Je vais maintenant, dit J. Williams, examiner la deu¬
xième objection : L’existence des vents alisés.
Œ
Cette objection est. celle que
beaucoup d’auteurs ont
argument-puissant contre l’origine
asiatique des insulaires de la mer du Sud ; mais je ne
puis y attacher tant d'importance.
II est certain que les vents alisés régnent générale¬
ment, et que les canots indigènes ne peuvent lutter contre
eux ; mais après avoir observé,
j’ai acquis la conviction que
les vents n'ont pas une direction tellement uniforme qu’elle
soit capable d’empêcher les Malais d’atteindre les divers
groupes et les îles dans lesquels leurs descendants sont au¬
jourd’hui répandus.
Tous les deux mois au moins, il y a, pendant quelques
jours, des vents frais de l’Ouest, et il arrive en février ce
que les indigènes appellent les jumeaux de l’Ouest, c’est-àdire un vent d’Ouest qui souffle pendant plusieurs jours de
suite ; il fait alors le tour du compas et revient dans les 24
heures au même point. J’ai souvent vu qu’il continuait pen¬
dant huit à dix jours, et, une fois, je l’ai vu durer pendant
plus de quinze : de sorte que la prétendue difficulté présen¬
tée par la persistance des vents d’Est est parfaitement ima¬
ginaire.
K
considérée
a
a
comme
un
78
LES
POLYNÉSIENS.
Ayant déjà dit que la plus long’ue
Sumatra à Tahiti, serait de 700 milles,
œ
moi-même, dans
mon
premier voyage
étape, en allant de
j’ajouterai que j’ai,
aux îles des Naviga¬
teurs, fait, en peu de jours, 1600 milles directement à l’Est.»
On
l’existence de ces vents alisés a porté Queiros
l’existence d’un continent méridional, pour expli¬
quer le peuplement des îles polynésiennes, peuplement qui,
avec eux, lui paraissait
impossible par l’Asie, et que son opi¬
nion a été partagée surtout par Claret de
Fleurieu, de Chamisso, et plus particulièrement encore par Forster, MoërenhoütetDumont-d’Urville. On a vu aussi que c’est l’existence
des mêmes vents qui a fait placer par Zuniga le berceau des
Polynésiens en Amérique, tant ces vents étaient pour lui
a vu
à supposer
que
obstacle insurmontable à
la provenance asiatique ou
Polynésiens. Mais on a vu égale¬
ment que La Pérouse a été le premier à démontrer
qu'ils n’é¬
taient pas un obstacle, puisqu’ils étaient
remplacés, dans le
cours de l’année, par des vents tout-à-fait contraires. L’ex¬
périence de J. Williams, vient donc corroborer l’assertion,
si longtemps restée inconnue, du grand
navigateur fran¬
çais. Quand nous parlerons des migrations et des vents
avec lesquels elles se sont
opérées, nous démontrerons par
de nombreux exemples, fournis
par les Kotzebüe, les
Beecbey, les Billon, etc., que la direction des vents alisés
ne s’opposait
pas aux voyages de l’Ouest vers l’Est, puis¬
que ces exemples ne pouvaient être produits que par des
vents soufflant de la partie de l’Ouest.
un
seulement malaise des
Du reste,
disons-le de suite,
on
s’accorde à reconnaître
l’argument tiré de la direction des vents alisés, si sé¬
rieux alors qu’on ignorait le renversement des vents à
certaines époques de l’année, n’a aujourd’hui aucune va¬
leur. C’est ce que savaient certainements tous les marins de
l’Océan Pacifique, avant que Maury (1) et Kerballet
(2) n’en
que
(1) Maury, Géographie 'physique de la mer, et travaux résumés
par M. Julien, officier de marine, sous ce titre : Courants et révo¬
lutions de l’atmosphère de la mer, 1849.
(2) Considérations générales sur l’Océan Pacifique,
Philippe de Kerballet, capitaine de vaisseau, 1856;
par
M. Gb;
POLYNÉSIENS.
LES
79
scientifiques, car il n'est peut-être
navigateur de la Polynésie qui n’y ait éprouvé quel¬
que coup de vent du N.-O. auS.-O., ainsi que cela résulte
du récit de leurs voyages (1). Si donc il n’y avait eu que cet
obstacle, les Polynésiens auraient, en effet, fort bien pu
franchir toutes les distances pour se rendre dans les îles
qu’ils occupent (2).
eussent réuni les preuves
pas un
Enfin J. Williams réfute
jection faite à
sa
théorie
en
ces
termes la troisième ob¬
:
objection, tirée de la construction des
canots indigènes, paraîtra sans doute aussi peu fondée que
les autres, d’après les courtes considérations qui vont suivre.
— « Je
« Ta Tupuna (1) te tuerait, si tu me sui¬
»
partit ; l’enfant la suivit de loin.
qui conduit à l’Havaïki, la
mère fut arrêtée par un oiseau perché sur un Kaku (2).
Le prenant pour le Patiotio (.3), elle appela son mari et jeta
des pierres à l’oiseau. Ils lui en jetèrent beaucoup, mais
La mère
Près d’entrer dans le chemin
sans
l’atteindre.
Soudain, à la place de l’oiseau, ils aperçurent
Maui, sous forme humaine et sans plumes.
leur fils
pénétra dans l’ouverture qui conduisait à l’Havaïki;
premiers pas, il fut arrêté par sa Tupuna qui en
g-ardait l’entrée, couchée sur le côté II ne put jamais la
décider à le laisser passer : Supplications, menaces, tout fut
inutile. Ne pouvant y réussir, il lui coupa le cou.
Dans ce moment, sa mère recevant sur la poitrine quel¬
Maui
mais dès les
ques gouttes de sang, dit à son mari : «
mère ; il faut que je remonte » (4).
(1) Tupuna, aïeule. C’était la
crardait l’entrée du chemin
graud’mere de Maui, c’est elle qui
conduisant à l’Havaïki.
(£) Le Kaku est le seul, parmi
s’enflamme pas par
Tiens, on tue ma
les arbres de Nuku-Hiva, qui ne
le frottement.
(31 Le Patiotio est, aujourd’hui encore, un
Marquises.
oiseau tapu aux îles
(4) On peut donc inférer de ces paroles qu’elle était descendue,
quoiqu’elle eût reconnu son fils sur une des branches du kaku.
Pourtant, d’après une autre version, la mère était restée en haut.
Le sang qui lui jaillit sur la poitrine lui apprit le parricide commis
par son fils. Elle descendit aussitôt et le trouva à moitié chemin
qui remontait ; « Tu as tué la vieille ? » lui dit-elle. — n Parbleu !
répondit-il, j’en étais fatigué; »
214
LES
POLYNÉSIENS.
Sa
grand’mère morte, rien ne lui Ijarrant plus le passage,
Maui descendit courageusement dans les entrailles de la
terre.
A moitié chemin, il rencontra sa mère
qui remontait. Dès
qu’elle le vit, elle s’écria : œ Qu’as-tu fait ? tu as tué ma
mère ! »
«
Oui, répondit Maui, elle ne voulait pas me
laisser passer ; je veux avoir du feu ; je vais en chercher. »
Arrivé en haS, il aperçut la demeure de Mauike et il alla
.—
aussitôt lui demander du feu.
Il y a plusieurs
espèces, de feu : le plus sacré est celui
de la tête ; le plus mauvais est celui des
jambes. Il y a le feu
des genoux, du nombril, etc. Maui voulait le feu de la tête
et pas d’autre. Mauike lui donna celui des
jambes.
Ne pouvant obtenir d’elle le feu qu’il
à
grand’mère : il la tua.
Puis, s’emparant de ce feu, il alla,
comme
désirait, il lui fit
sa
tous les arbres
:
mit même
pierres. Mais
aux
le mettre à
Tous
l’éau
:
mais brûler.
en
colère, le mettre à
s’enflammèrent, excepté le Kaku. Il le
celle-ci,
ce
fut
comme
en
vain qu’il essaya de
ne voulut ja¬
le Kaku,
Cette légende de la découverte du feu chez les Nukuhiviens a, comme on le verra dans la suite, la
plus grande ana¬
logie
avec celle
rapportée par les naturels des Samoa. Nous
plus haut que, d’après une version, Maui tue sa
mère après avoir tué son aïeule et avant de tuer sa bisaïeule.
Ici, au contraire, comme dans la tradition des Samoa, il
épargne sa mère. Dans quelques archipels, il se contente de
battre le dieu qui garde le feu. Ailleurs, l’enfant vole le feu
à l’insu du dieu et il ne s’en
empare que pour le distribuer
avons
aux
dit
humains.
Toutes
traditions dénotent la tendance
profondément
peuples : là c’est un père, ici une mère, ail¬
leurs l’un et l’autre qui, en cachette, veulent
profiter pour
eux seuls de la découverte
qu’ils ont faite du feu ; mais tou¬
jours un fils évente la découverte et la fait tourner à son
ces
égoïste de
ces
avantage personnel.
La ressemblance n’est du teste
pas
ces
moins grande entre
légendes des îles Polynésiennes et celles de laNoüvellê~
LES
Zélande ;
215
POLYNÉSIENS.
il est évident que les unes
d’une même source, source
et les autres dérivent
qui n’est autre, comme nous
espérons le démontrer, que la Nouvelle-Zélande elle-même.
C’est là, en effet, que toutes les traditions ont conservé leur
pureté, et se trouvent complètes, quoiqu’elles présentent
parfois des variantes.
Pour ne pas trop nous éloigner de la question principale
et seulement pour montrer quelle est la ressemblance des
légendes des Marquises et de la NouvellerZélande sur la
divinité chargée du feu, nous allons rapporter ici la tradi¬
tion que donne le missionnaire Taylor. Voici ses pa¬
roles (1) :
Le plus grand des travaux de Maui est sa dispute avec
a
Mauika.
Quelques ' traditions disent que Mauika était le grandpère de Maui ; d’autres disent le contraire. Il paraît avoir
été une sorte de Pluton maori. Son corps était rempli de feu.
Le nom de Mauika semble impliquer qu’il était de la
famille de Maui, et qu’il s’en distinguait en ce qu’il était le
«
tt
dieu du feu.
feu
«
en
En tout cas, on
provenait.
Quelques traditions
femme.
a
et
admettait généralement que le
représentent Mauika comme une
Toujours est-il que Mauika avait le feu dans
orteils. Quand Maui le sut, il se mit en
ses
aller le tuer par ruse.
«
A
son
arrrivée, son ancêtre
koiti
«
lui demanda quel
était le
Maui lui répondit qu’il était venu pour avoir
feu. Aussitôt Mauika lui donna un de ses doigts, le
but de sa visite.
du
ses doigts
route pour
ou
petit doigt.
marcha droit à l’eau,
Maui s’en alla et
où il l’éteignit.
Quand cela fut fait, il retourna vers Mauika et lui dit que
son feu s’était éteint. Mauika lui demanda comràent il s’était
•
répondit qu’il était tombé dans l’eau.
autre doigt, le manawa ou doigt
Maui s’en alla et, quand il l’eut mis dans l’eau, il
éteint, et il lui
«
Mauika se coupa un
annulaire.
*
(1) Te Ika a
Maui, p. 29.
216
fut
LES
ég’alement éteint
;
POLYNÉSIENS.
alors il mouilla
Mauika crut à la vérité de
sa
main pour que
paroles. De nouveau il se
présenta devant lui et lui demanda un peu de feu.
Le motif de ses demandes incessantes, était
qu’en
enlevant le feu de tous les doigts et orteils de Mauika, il
pourrait le brûler lui-même avec le feu. Il continua donc de
ses
«
lui
demander et il alla successivement
en
au
mapere
ou
doigt du milieu, au koroa ou index, au ron^ro-mafua ou
pouce. Puis, ayant fini avec les doigts il demanda les orteils
et les obtint tous, excepté le gros orteil.
Maui lui dit : « Donne-moi ce dernier orteil. » A quoi
Mauika répondit : « Non pas Maui, car tu as quelque mau¬
vais projet contre moi. »
Alors Maui agita le feu et en brûla Mauika, de même
que la terre et les arbres. Maui lui-même fut presque tout
brûlé ; s’il s’enfuyait dans une direction, le feu l’y
poursuivait ; s’il s’enfuyait dans une autre, les flammes le
suivaient ; si bien que, ne trouvant aucun refuge sur la
terre, il s’éleva dans l’air et fit appel à la pluie. Mais là, se
trouvant toujours entouré de flammes, il lui fallut deman¬
der une plus grande pluie, et cela ne suffisant pas, il dut
invoquer une pluie torrentielle, laquelle finit par arriver,
et éteignit les flammes en se répandant sur la terre.
«
«t
a
Quand les
eaux
eurent atteint le Tikitiki
ou
nœud du
sommet de la tête de
Maui, les semences de feu qui s’y
réfugiées s’enfuirent vers le Rata, VHinau, le Kai~
katea, le Rimu, le Mataï et le Miro ; mais ces arbres ne
voulurent pas les recevoir ; elles se sauvèrent alors vers le
Patete, le Kaikomako, le Mahohe, le Totara et le Puketea,
qui les reçurent. Ces derniers sont les arbres dont on obtient
étaient
encore
le feu par
Nous
cette
nous
friction.
»
abstiendrons de toute ■ réflexion à propos
légende maori
de
mais quand nous en serons à la re¬
cherche de la contrée où se trouvait l’Hawahiki, on verra
qu’elle aide elle-même à la faire connaître, puisqu’il n’y a
;
qu’une seulecontréeproduisantplusieurs des arhres désignés.
C’est encore à Maui qu’est due, aux Marquises, l’origine
des jours et des nuits. Autrefois le soleil
paraissait pendant
LES
217
POLYNÉSIENS.
peu de temps et les nuits duraient peu.
combattit le soleil et il allait l’étrangler,
Maui
se
fâcha ; il
lorsque le vaincu
consentit à allonger les jours. C’est depuis ce temps que
les jours et les nuits sont longs.
Nous croyons devoir faire connaître ici une autre légende
des Marquises, qui aidera peut-être aussi à retrouver le lieu
d’origine première : c’est celle qui parle du premier visi¬
premier colon de ces îles.
teur oif
premier homme qui aborda à Nukula tradition, et, fait à remar¬
quer, ce premier homme s’appelait Tiki, absolument com¬
me celui qui, d’après les
traditions zélandaises, porta
les premières patates à l’île Nord de la Nouvelle-Zé¬
lande qui en manquait (1). Ce Tiki zélandais était un grand
voyageur et l’on peut se demander si ce n’était pas le mê¬
me que le, Tiki marquésan. Alors, on comprendrait mieux
l’analogie complète du nom donné, par les deux archipels, à
la patrie première ; Havaiki aux Marquises et Hawahiki à
la Nouvelle-Zélande. Il en serait de même pour l’existence,
dans certains points des Marquises, d’un langage qui se
rapproche infiniment de celui de la Nouvelle-Zélande. Mais,
que ce soit ou non, la légende rapporte que Tiki, arrivé aux
îles Marquises, fut déifié après sa mort, et que son nom fut
donné aux idoles qui remplissent les temples, et au tatouage
dont il était l’inventeur. Toutes les généalogies, du reste,
en parlent, et quelques-unes même le considèrent comme
Le souvenir du
Hiva est
encore
conservé par
le Dieu Créateur des hommes
:
d’où l’on
doit supposer
qu’il y avait peut-être confusion dans le souvenir des Marquésans, qui semblaient ainsi mêler les actes de leur pre¬
mier chef à la tradition mythologique de la patrie pre¬
mière. D’un autre côté, il est
d’autant moins surprenant que
les habitants de ces îles attribuent leur
origine à Tiki
que,
(1) Gomme nous avons à rapporter cette tradition en son lieu
place, nous nous bornons ici à la citer. Nous ajouterons qu’à
Tahiti Tito', sous la forme Tu était également le premier homme.
(Voir Dictionnaire des missionnaires anglais, traduit par nous),
et
218
LËS
POLYNÉSIENS.
d’après la mytholog’iô de la Nouvelle-Zélande, Tiki n’était
l’aïeul des hommes, dans la patrie première ou
Hawahiki, et qu’il était le deuxième fils du ciel et de la
terre (1).
autre que
On ne s’accorde pas,
à Nuku-Hiva, Les uns
toutefois,
sur
le lieu ou ahorda Tiki
pensent que ce fut à Taiohae, où Ton
montre encore \&Hau, Hibiscus tiliaceus, que les indigènes
disent avoir été planté par lui; d’autres rapportent que c’é¬
tait dans le baie Atuatoa où se trouve
le Meï, arbre 'à
pain, qui prêta son ombrage au Dieu.
Que Tiki ait été le premier chef venant se fixer avec ses
compagnons dans l’île Nuku-Hiva ; ou que ce ne soit qu’ùn
souvenir mythologique, à peine conservé, du pays d’origine,
il n’est pas moins à remarquer que ce nom se re¬
trouve dans toutes les îles Polynésiennes, et particulière¬
ment à Tahiti, où il ne se. présente plus, il' est vrai, que
sous la forme TU, par suite de la suppression du k, opé¬
rée avec le temps par les habitants des îles de la Société.
Cette dernière circonstance permet d’inférer que, si une
partie des Marquises ont été peuplées, comme on le dit, par
les Tahitiens, ce ne sont évidemment pas ces derniers qui y
ont porté le nom de Tiki, mais presque certainement les
(1) Taylor, p. 23, dit ; « Le 2« flls du ciel et de la terre, était
Tiki, qui fut le père des hommes et qui passe pour les avoir faits à
son image. »
Une tradition rapporte que Tiki prit de l’argile rouge, la pétrit
propre sang,
cela l’anima.
avec son
Une
autre dit
que
puis forma les yeux et les membres, et après
l’homme fut formé d’argile mêlée à l’eau
rouge oeracée des marais, que Tiki
et le nomma comme lui Tiki-ahua, œ la
là est
venue
lui donna sa propre forme
ressemblance de Tiki ». De
l’expression : Aï-tanga-o-Tiki,
i
la postérité de Tiki,
»
pour désigner les personnes de bonne maison.
L’ornement le plus prisé est une bizarre image d’homme, faite
en pierre verte et portée
suspendue au col, comme un Hei-Tiki,
ou souvenir de Tiki.
Le nouveau-né est appelé
image
he Potiki, de Tiki et de po, nuit ; le
chefs, la partie la plus sacrée, est
nœud du sommet de la tête des
appelée he Tiki.
LÉS
219
POLYNÉSIENS.
Tongans qui ont conservé l’usage du k, alors que les Samoans
eux‘mêmes s’en débarrassaient
(l). '
cherché, comme on sait, à donner la véri¬
signification du mot Tii, appliqué aux statues des
îles Australes. S’il fallait s’en rapporter à son interpréta¬
tion, ce mot n’aurait été que le nom des divinités inférieu¬
res marquant les limites des éléments ;
et les statues
n’auraient été érigées que dans le but de perpétuer le sou¬
venir des phénomènes les plus extraordinaires. Mais il se
pourrait bien cependant qu’un pareil nom ne signifiât tout
Moërenboüt
a
table
simplement
statue, image, comme nous le montrerons
parlant de l’île de Pâques ; ce qui pourrait appuyer
cette supposition, c’est que chacune d’elles avait un quali¬
ficatif différent, de même que les Tiki, plantés sur tous les
points de l’île Nord de la Nouvelle-Zélande par les émi¬
grants venant d’Hawahiki. Il est du reste certain qu’aux
îles Marquises le nom de Tiki était donné aux statues des
temples et des pavés sacrés (2), et qu’il se retrouve dans
toutes les généalogies de ces îles.
bientôt
que
en
Ajoutons qu’il existe aux Marquises une tradition sur
l’origine des poules et des cochons »,. se rapprochant infi¬
niment de la précédente, et qu’on pourrait, à priori, suppo¬
ser lui être bien antérieure, parce que le personnage dont
elle parle est un Dieu ; mais elle n’est elle-même que la
légende bien vague de quelque voyage, fait dans les an¬
ciens temps, puisqu’elle montre qu’il existait déjà une po¬
pulation à Nuku-Hiva. Cette légende est encore due à
«c
[Porter.
Porter
raconte, comme le tenant du chef Te-ato-nui ou,
Ki-ato-nui, père de la célèbre Paetini,. que les cochons ont
été
apportés dans les Marquises, 330 ans avant son arrivée
(1) Ou verra dans les légendes Samoànes que c’est à Tiitii,
qu’est attribuée la découverte du feu et celle du tare.
(2) Par pavés sacrés, on entend les lieux faits en blocs de pier¬
cjclopéennes, sur la plate forme abritée desquels se réunis¬
saient les chefs et lés prêtres pour s’occuper des intérêts sociaux.
res
220
LES
POLYNÉSIENS.
(1), par un Dieu nommé Haii, dont le nom est
Ce dieu visita toutes les îles
du groupe et y laissa, en outre, les poules.
Ce fut dans la baieAtuaatua, l’Atouaatoua ou Dieudieu, de
Vincendon Dumoulin, sur la côte Est de l’île, qu’il débar¬
qua, et qu’il creusa le sol pour y trouver de l’eau. L’arbre
sous lequel se tint le Dieu, pendant, son séjour sur cette
île, est resté sacré ; mais les indig-ènes ne peuvent dire si
le Dieu est venu ■ dans une pirog’ue ou dans un plus grand
bâtiment, ni combien de temps il resta chez eux.
Nous trouvant sur les lieux, nous avons vainement de¬
dans
ces
îles
inconnu des habitants actuels.
qu’elle était cette baie Atuaatua et il nous a paru que
pouvait être que la baie E-Tua-Toa. Le nom de Haii
lui-même était inconnu. Dans la version qui nous fut don¬
née, il s’appelait Hahi, nom qui, du reste, s’en rapproche
beaucoup, et qui était suivi de la qualification de E Tua
tapu, Tapu nui, « dieu révéré, très révéré ou sacré. » Voici
la version qui nous a été donnée par la princesse Putona :
Habi vint dans une pirogue montée par dix hommes. Il
avait de longs cheveux et était sans femme. Cinq pirogues
des Taïpii vinrent le joindre dans le même lieu (2). Il des¬
cendit à terre ; mais au lieu d’entrer dans une maison, il
s’établit sous un Meï qui, depuis, est resté tapu. La pirogue
était un grand bénitier, c’est-à-dire une de ces gigantes¬
ques coquilles qui ont été depuis utilisées comme béni¬
mandé
ce ne
tiers.
fit le Dieu et combien de temps il resta dans l’île,
put nous le dire. Mais elle assura que ce n’est.
point Hahi qui a apporté les cochons, et que ceux qui les
lui attribuent se trompent, car il y en avait beaucoup dans
l’île, avant son arrivée. Plus tard, il est vrai, les cochons
disparurent à la suite d’une disette ; mais il en fut apporté
Ce que
Putona
ne
{!) Porter était aux
Marquises en 1813.
sait, l’une des tribus et la plus
était^ donc habitée à l’arrivée
serait qu’un simple visiteur déifié avec
(2) Les Taipii forment, comme on
redoutable de l’île Nuku-Hiva. L’île
de Hahi,
le temps.
qui, dès lors, ne
LES
221
POLYNÉSIENS.
qui prouve au moins qu’à une certaine
époque, les rapports entre Tahiti et les Marquises étaient
d’autres de Tahiti. Ce
faciles.
Puaka
Marquises
est le
;
mais
nom
donné
aux
cochons
nous ne partageons pas
dans les îles
l’avis de ceux qui
l’Espagnol puerco, parce qu’il était
déjà usité dans ces îles lors de la venue de Mendana, en
1595. Il en est, presque sûrement, de l’origine de ce mot
comme de celle des mots porto, poto, etc., aux îles Sand¬
wich : ceux-ci, avons-nous dit, sont purs polynésiens. En
font venir
ce
mot de
effet, ils sont usités dans toutes les îles peuplées par la race
polynésienne. Nous ajouterons que le mot cochon est rendu
par puaa dans les îles de la Société, parpuaÉa dans les îles
des Amis, et par poaka à la Nouvelle-Zélande.
chapitre, nous allons citer quelques
qui, malgré leur peu de clarté, nous semblent
aider à la solution du problème qui nous occupe. Ces tradi¬
tions concernent l’origine des chiens et des chats, l’origine
des cocotiers, et l’origine des rats. Nous y ajouterons d’au¬
tres légendes curieuses et inédites, telles que l’origine de la
première femme à Nuhu-Hiva, celle des arbres à fruits co¬
mestibles, etc., et nous transcrirons enfin quelques chants
Marquésans, ainsi que le texte de la légende 'qui nous a été
dictée sur la découverte du feu ; on pourra ainsi bien mieux
apprécier quels sont le dialecte et. les mœurs des habitants
actuels des îles Marquises.
Avant de terminer
ce
traditions
L’origine dés chiens
Marquises est généralement attribuée
aux Européens ; ce serait aux Anglais que serait due l’in¬
troduction des premiers, de même qu’aux Américains l’in¬
Origine
des chiens et des
et des chats
aux
chats.
—
îles
troduction des seconds.
y
Toutefois, dès 1813, Porter avait déjà pu remarquer qu’il
avait à Nuku-Hiva quelques chiens et quelques chats ; s’é¬
Kiatonui lui dit qu’ils
apportés, une quarantaine d’années auparavant,
dieu appelé Hitahita.
tant informé de leur provenance,
avaient été
par un
222
LES
POLYNÉSIENS.
D’Urvüle et Vincendon’ Dumoulin
en
ont conclu que
les
Hitahita, avaient voulu parler de
Tahiti et de Cook. Mais cette supposition est d’autant moins
admissible, que les traditions de l’île ont conservé parfaite¬
naturels, sous le
nom
ment le souvenir de Cook et
qu’elles
,
que celui de Tute.
Nous n’avons pu, sur les lieux,
d’autre
ne
lui donnent pas
nom
obtenir aucun renseigne¬
précis ; il pourrait bien se faire que Porter eût mal
entendu et pris le mot Tahiti,prononcé parles Nukuhiviens,
ponr Hitahita ; car, ce qui est à remarquer, tous les Marquésans connaissent et prononcent le mot Tahiti ; ils savent
parfaitement que c’est une contrée qui, dans les anciens
temps, avait de fréquents rapports avec la leur, comme le
prouvent d’ailleurs toutes les traditions, et particulièrement
la légende sur l’origine des rats, qui est encore inédite et
que nous allons faire connaître.
Quoiqu’il en soit, dans les îles Marquises, les chiens vus
par Porter avaient, comme ceux qu’on y rencontre encore
aujourd’hui, tous les caractères qu’on donne aux chiens
rencontrés dans les autres îles polynésiennes, particuliè¬
rement aux Samoa et à la Nouvelle-Zélande, aux Tunga et à
ment
Tahiti.
Ces caractères étaient et sont encore,
malgré les mélan¬
opérés par l’introduction des chiens européens : de lon¬
oreilles et un pelage brun sale ou jaunâtre, avec une
queue touffue chez .ceux, en petit nombre, il est vrai, qui se
rapprochent le plus de l’espèce primitive. On dirait une
espèce de renard ; mais, chaque jour, le nombre des chiens
indigènes disparaît, et il n’y en aura plus probablement
avant peu de temps. John Williams, qui parle de ceux des Sa¬
moa d’après les rapports des habitants, n’avait même pas pu
ges
gues
en
voir
un
seul.
le chien polynésien diffère du
chien de la Nouvelle-Hollande. Les habitants de
On s’accorde à dire que
dingo
ou
rile-Nord attribuent l’introduction des chiens dans leur île
aux
premiers colons qui s’y fixèrent en venant de l’Haajouterons qu’à la Nouvelle-Zélande le chien
appelé Kuri ; à Tahiti, TJri ; aux Tunga Kuli ; aux
wahiki. Nous
est
LES-
POt-ÏNÉSIENS.
223
Fiji. Il est
Marquises, chien se rend par
Nuhe ou Peto, de même que par llio aux Sandwich. Il est
probable que cela est dû à la coutume polynésienne de
remplacer un mot par un autre dans certaines circonsSamba üli ; et, rapprochement curieux, Kolî aux
difficile de dire
pourquoi,
aux
tances.
En somme, les chiens de
Nuku-Hiva et des autres îles Mar¬
quises étant de l’espèce qui paraît propre à l’Océanie, il est
plus à supposer qu’ils y ont été portés par des
émig-rants océaniens que par les voyageurs européens.
Quant aux chats, il est évident qu’ils n’ont pu l’être que
certainement
probablement par les Américains.
de tradition sur l’époque de l’introduction
du fer dans les Marquises ; mais cette introduction semble
être plutôt due aux Espagnols qu’aux Français du navire
le Solide, commandé par Marchand. Celui-ci ne relâcha h
Nuhu-Hiva qu’après Mendana àTahuata.
par ces derniers,
Il n’existe pas
Origine
des cocotiers.
—
Les Nuku-Hiviens attribuent
l’introduction des cocotiers dans leur île au dieu Aakua,
qui venait, disent-ils, d’une île appelée Oata Maua, oU
O Tupu : ainsi, du moins, que les navigateurs écrivent les
mots entendus par eux.
Malgré
nos
recherches, nous n’avons pu retrouver l’éty¬
mologie du mot Aakua, dans la langue Nuku-Hivienne»
Cependant les syllabes aa et kua sont bien du langage des
Marquises ; elles signifient : la l'®, « Voici, voilà, celuici, celui-là, il y a ; » la 2“, « rouge. » Akua, aux îles Sand¬
wich, est le nom donné aux dieux.
Quant au mot Oata, il est évident qu’il a été mal écrit ;
il faut presque certainement en faire deux mots, c’est-à-dire
0-Ata. Le mot qui suit nous semble, comme on va voir, en
îles
faire
une
loi.
Ce que l’on n’a pas remarqué, et ce qui cependant est on
ne peut plus significatif, c’est que ce mot Ata est le nom
qui, d’après une tradition tongane, rapportée par Pritchard,
fut donné par Maui à la première île pêchée par lui dans
les îles Hàpai: cette île est la plus Sud du groupe. Nous cite-
224
LES
POLYNÉSIENS-
cette légende quand nous en serons au peuplement des
Tunga.
rons
îles
Le mot Maua
ou
Maaua semblerait avoir été mal entendu
marquésan, ni zélanSerait-ce, en Maorie Maha,, abondance, multitude,
grande quantité ; et Wa, pays ? Ne serait-ce pas tout
simplement le mot Maui, mal entendu et mal rendu ?
ou
mal écrit
:
il n’est ni tahitien, ni
dais.
cependant faudrait-il écrire Oa-Tamaua, i la
qui, dans l’Hawahiki, était donné au
Peut-être
limite solide », nom
néant.
Quant au mot 0-Tiipii, nous dirons seulement qu’en
maori, Tupu signifie lieu de naissance, rejeton, croître,
pousser,
naître, absolument comme aux Marquises \ à
Tahiti, etc.
et Tipua sont les noms
Tahitien Tupua signifie
charme pour préserver des sortilèges, de même que Tuputupua est le nom d’un TU.
Mais il y a aux Marquises une autre tradition qui
rapporte un peu différemment l’introduction des cocotiers.
D’après cette tradition, le dieu Tao (!)■ serait venu de l’ile
Ahoata Maaua ou 0-Tupu, et, trouvant que ces îles man¬
quaient de cet arbre, il leur en aurait fait cadeau. Cette
Nous ajouterons que Tupua
Maori d’une divinité, et qu’en
tradition est évidemment la même
avec
cette seule diffé¬
que le nom du dieu est tout autre.
Nous croyons donc qu’il est préférable
rence
de voir dans ce
justement de celle qui a été la
première pêchée par Maui. Ce mot, à lui seul, fait mieux
comprendre par qui les îles Marquises ont été en partie peu¬
plées et par qui les poules et les cochons y ont été intro¬
duits. Ce serait alors, comme on voit, un témoignage de
plus en faveur de l’arrivée dans les Marquises des Tongans
ou Hapaiiens, puisque ce seraient eux qui, les premiers, y
auraient porté ces animaux.
Ce mot Ahoata ou Aoata se trouve cité, comme nom de
lieu, par d’autres traditions de Nuku-Hiva, et, ce qui est
motMto le
nom
d’une île et
(1) Rôtir sacrifier.
LES
POLYNÉSIENS.
particulièrement à remarquer, c’est qu’il existait en Hawahiki. L’une de ces traditions dit, en effet, que les poules ont
été apportées d’une contrée appelée Aoata (1) et placée
dans l’Hawahiki.
Quelle que soit la véritable signification du mot ao-ata
Nuku-Hiviens, ce qu’il y a de bien remarquable, c’est
d’après eux, la contrée portant ce nom, se trouvait eu
IIawaliiki,-et que c’est d’elle que provenaient, non seule¬
ment les poules, mais aussi les cochons. Toutefois, comme
nous le ferons voir, il y a ici probablement confusion de la
part des Européens qui ont recueilli ces dernières lég-endes,
car toutes les traditions de l’Hawahiki
prouvent, par leur
silence, que les poules et les cochons y étaient inconnus. Les
Marquésans ont dû probablement désigner par là une île
située plus à l’Ouest qu’eux-mêmes.
des
que,
Que ce soient des canots d’Ata ou des autres îles Tunga
qui aient porté ces animaux dans les Marquises, rien de
plus simple au contraire, car les cochons et les poules
semblent être autochthones en Polynésie. On a vu que les
habitants de ces îles passent pour avoir peuplé les îles Mar¬
quises, au moins en partie. Il ne serait pas snrprenant, après
cela, que la confusion ne vînt même des légendaires Mar¬
quésans.
Nous allons maintenant exposer la tradition qui, à notre
avis, atteste le mieux les rapports anciens qui existaient
entre les îles de la Société et les
Marquises.
Marquises une tradition
l’origine des rats, qui prouve surtout avec quelle facilité
des rapports avaient lieu, à une époque reculée, entre cet
archipel et celui des îles de la Société. Nous allons rapporter
cette légende telle qu’elle nous a été dictée, en 1844, par la
belle princesse Putona, la femme la plus spirituelle, la plus
philosophe, la plus libre-penseuse des îles Marquises :
Origine DES
rats.
—
Il existe
anx
sur
(1) Ao signifie : jour, lumière, monde, éclairer, faire jour, etc. ;
image, portrait, statue, matin, ombra; et en plus, à Tahiti,
il veut dire messager. Dans ce dernier sens, aoata appliqué aux
coqs pourrait signifier ; Messager du jour.
ata,
13.
220
LES
POLYNÉSIENS.
g'rande Haatepeiu, noble, princesse de Nuku-Hiva,
plus belle parmi lesTeii (l).Elle était entourée d’ado¬
rateurs ; mais ayant entendu parler des chefs de Tahiti, elle
refusait tous ceux de ses compatriotes qui se présentaient,
dans l’espoir d’avoir un jour un Tahitien pour époux.
Son désir fût connu à Tahiti en même temps que sa répu¬
tation de beauté. Kioe (2), l’un des chefs tahitiens, s’embar¬
qua secrètement et vint débarquer à Taiohae.
Dès que la nuit fût venue, il se fit conduire chez la belle
Nuku-Hivienne. Aussitôt, aidé par ses compagnons, il l’en¬
leva sans même lui adresser un seul mot d’amour.
Pressé de la posséder, il ne repartit pas immédiatement
pour Tahiti, mais il se mit à rechercher, sur l’île même, un
lieu tranquille et solitaire. Il alla, dit la 'tradition, cacher
son amour à Anakea (3), dans les herbes de la montagne
Tovii (4).
Après trois mois, la belle Haatepeiu s’aperçut qu’elle était
enceinte, et elle accoucha heureusement de plusieurs en¬
fants ; mais quelle ne fut pas sa surprise, quand elle vit
d’aussi petits êtres !
Elle n’avait même pas la consolation de son mari pour se
renseigner : il partait tous les jours de grand matin et il
ne rentrait qu’à la tombée de la nuit. Elle ne l’avait jamais
aperçu en plein jour. Toute sa journée, disait-il, était em¬
ployée à visiter, à entretenir ses propriétés et surtout à pê¬
cher. Chaque soir, en effet, il apportait toujours du poisson
Une
était la
à
sa
femme et à ses enfants.
La pauvre mère se désolait : les enfants ne g’randissaient
point, et déjà ils avaient des poils.
Sur ces entrefaites, elle put entrevoir uû instant Kioe ;
(1) Kom d’uae tribu aux
(2) Ce nom est écrit
où la
îles Marquises.
d’après la prononciation Nûku-Hivienne, là
population fait usage du k.
(3) Ana, antre, grotte ; Kea, pierre.
(4) To, de, pour, appartenant à; VU,
Tovii est très-raide.
ler. La montagne
rond, glisser, tomber, rou¬
LES
POLYNÉSIENS.
elle remarqua que lui aussi avait de longs
fut fort petit. Elle fut alors convaincue que
nant,
un
veinehae.
227
poils quoiqu’il
c’était un reve¬
Ses larmes, son chagrin
Elle ne dormit plus ; elle
augmentèrent avec sa terreur.
maigrit à vue d’œil ; de belle
qu’elle était, elle devint laide ; mais que faire seule, dans
un désert, sans amis, sans secours ?
Elle fit tant, cependant, que son mari consentit à la ren¬
voyer à Taiohae.
Les parents de la pauvre femme se mirent à pleurer quand
ils revirent leur fille si maigre, si malade, avec des enfants
si chétifs. Ils furent les premiers à lui conseiller de quitter
son mari (1). Mais une certaine pudeur la retenait et surtout
la curiosité.
décider à
quitter Kioe, elle résolut de s’assu¬
qu’elle n’avait pu jusque-là entrevoir qu’une
seule fois. Mais comment y parvenir ? Elle eut alors l’idée
Avant de
de
rer
sa
se
forme
de lui soustraire
son
hamî
(2).
Une nuit, profitant du sommeil
mari était plongé, elle lui enleva
profond dans lequel son
facilement sa ceinture.
Celui-ci s’en aperçut en se réveillant vers le point du jour,
lorsqu’il était temps pour lui de sortir, i Qu’as-tu fait de
mon hami ? » lui dit-il.
« Je ne l’ai
pas vu, » répondit—
elle. Kioe
se
Il chercha si
mit aussitôt à le chercher, mais ce
fut
en
vain.
longtemps que le jour avait eu le temps de
paraître et que force lui était de sortir sans hami.
Pendant tout ce temps, sa femme ne cessait de l’observer
attentivement. Quand il franchit le seuil de la caverne, elle
le
disting'ua complètement
rat.
Dans
sa
;
Qu’avait-elle
C’est
depuis lors,
(1) Noter
?
un gros
colère, mêlée de crainte encore, car elle craignait
que ce né fût un revenant,
lieu élevé et éloigné, ses
l’île.
vu
que
que
elle alla aussitôt porter, dans un
petits au nombre de quarante.
les rats se sont répandus dans toute
rien n’est plus dan,s les
usages.
(2) Le hami est la ceinture des Hommes.
LES
POLYNÉSIENS.
disparut le jour même et l’on ne sait ce qu’il est
parle pas davantage de la femme ;
mais la moralité de cette légende est que les jolies femmes,
aussi bien que les laides, ont tort de prendre des étrangers
pour maris. On verra, du reste, par d’autres légendes, que
c’était aussi le défaut des jolies femmes des Tunga et des
Le mari
devenu. La tradition ne
Samoa.
guère permis de conclure de cette tradition que le
Marquises est originaire de Tahiti ; tout au
plus, croyons-nous, peut-on y voir un jeu de mots : Kioe
est aux Marquises le nom du rat, qui s’appelle kiore à la
Nouvelle-Zélande et iore aux îles de la Société. Si la légende
Il n’est
rat des
donne le
îles
nom
de Kioe
au
chef tahitien, c’est que ce nom
Marquésan de l'une des tribus qui
; mais il ne pouvait être évidem¬
ment que le mot iore, puisque les Tahitiens n’emploient pas
le k. Le rat, du reste, étant regardé généralement comme
originaire de l’Hawahiki, on comprendra que les Marquésans eussent pu l’attribuer à ceux qui sont allés peupler
leurs îles, c’est-à-dire aux Tahitiens qui, s’ils ne sont pas
les seuls, paraissent être les principaux. Mais on sait que
est
prononcé
ont conservé
par un
l’usage du k
les Tahitiens eux-mêmes et les autres habitants des îles de
la Société, comme ceux de l’île Nord de la
Nouvelle-Zélan¬
de, attribuaient également sa provenance à l’Hawahiki (1).
qu’aux Marquises le rat était tapu ;
on ne le mangeait jamais, excepté toutefois en temps de
Il est certain, du reste,
disette, alors qu’il n’y a plus rien de sacré.
Origine
de la
première femme.
—
Nous allons résumer
légende relative à l’origine de la première femme à
:
cette légende nous fut également racontée
Putona, nièce du chef Vava Henua, qui passait pour sa •
ici la
Nuhu-Hiva
par
voir le mieux les traditions de
et
Dieu existait.
«
Il habitait le ciel.
son
pays :
(1) Il est inutile d’ajouter ici, et on le verra bien mieux par la
suite, que c’est à l’Hawahiki que tout était reporté.
LES
a
229
POLYNÉSIENS.
Là, vivait ég-alement la Moï (1).
Seule et
sans
homme.
»
Quel était le
elle
nom de ce Dieu ? la légende ne le dit pas ;
ajoute seulement qu’il n’avait ni femme ni enfant.
Quant
au
ciel où il habitait, il est probable que
paradis quelconque.
La nièce de Vava
c’était
un
put nous dire ce que la Moï faisait
ajouta-t-elle, comme les arbres à
pain, les cocotiers, les bananiers et autres plantes s’y trou¬
vaient en abondance, il est à supposer qu’elle y mangeait
bien et qu’elle ne s’y ennuyait pas'trop.
Nous demandâmes également à Vava Henua lui-même ce
que la jeune fille faisait dans le ciel ; il nous répondit
dans
ce
ne
Paradis ; mais,
qu’elle y vivait heureuse, ne s’occupant qu’à manger,
venir et se baigner. Pour elle, la popoï était un mets
cat. Elle avait d’ailleurs une maison, et sa nudité
cachée par un kahu (2).
Mais voilà que le Puhi,
aller,
déli¬
était
espèce de murenophis,que l’on fait
belle nuit, et sans que l’on puisse dire com¬
ment, dans le paradis : il se glissa, sans être aperçu, auprès
de la jeune fille et renouvela avec elle l’histoire si connue
du serpent. Ce fut, dit la légende, de sa queue qu’il se ser¬
vit pour la faire femme. Le lendemain matin, il avait dis¬
paru. La nièce de Vava ajoute que ce serpent s’appelait
mâle, alla,
une
(3).
quelque temps de là. Dieu voyant que la fille qu’il
avait faite à son image, — car les naturels de la mer du Sud
pensent, comme nous, qu’il n’y a pas de plus belles formes
que les formes humaines, — était devenue femme, se fâcha
contre la pauvre .pécheresse ; nepouvant contenir soncour-
Puhi-nui-ao-too
A
oux,
il la chassa honteusement du ciel. L’Eve Nuhu-Hi-
vienne fut alors forcée d’aller habiter la terre ;
mais Pu-
(1) Moï, fille, jeune fille.
(2) Kahu, vêtement.
(3) Puhi, anguille de mer, murenophis
ioo, racine, pied.
;
nui, grand
; ao,
monde
;
230
tona
LES
ne
POLYNÉSIENS.
put nous désig-ner ni quelle terre, ni quel endroit
elle choisit.
ainsi chassée, se sentit bientôt incommodée ;
après son aventure avec le Puhi, elle mit au
monde un fils qu’elle allaita d’abord elle-même, puis qu’elle
nourrit avec les poissons qu’elle parvenait à pêcher ; car
les arbres à pain, les cocotiers et les autres plantes à fruits
comestibles n’avaient pas été chassés du ciel en même temps
qu’elle.
Quand son fils fut g^rand, il devint, à son tour, le mari de
la première femme, sa mère, et d’eux naquirent plusieurs
enfants. On ajoute qu’ils en eurent dix, onohuu\ ce chiffre,
toutefois, n’est pas donné comme certain. La narratrice
nous assura que, parmi ces enfants, il y en avait un noir,
un blanc, un jaune, en un mot un de chacune des nuances
de peau existantes. Parmi eux, aussi, il y avait un garçon
La femme,
neuf mois
très beau et
une
fille très belle.
Sur notre observation que
cette histoire avait dû être for¬
gée a l’aide de traditions européennes, Putona nous affirma
qu’il n’en était rien, et que telle était bien réellement la
croyance des indigènes.
D’après ceux-ci, la mère ne mit pas au monde tous ses
enfants dans le même lieu. Devenue très voyageuse, sans
que l’on puisse savoir par quels moyens,
des contrées différentes ; c’est ainsi qu’à
elle les fit dans
Nuhu-Hiva elle
accoucha d’un garçon, et ce garçon était brun, keekee ; à
Tahiti, elle accoucha d’une fille et d’un garçon : ces deux
enfants étaient également bruns ; comme aussi ceux mis au
monde à Hawaii et dans quelques autres îles. On ne dit pas
toutefois qu’elle sortit de l’Océanie.
Si l’on demande aux Nuhu-Hiviens qui nous a faits, nous
Français, ils répondent que les Américains, les Anglais et
les Français ont une autre mère que la leur : elle était blan¬
che, tandis que celle des Espagnols était d’une couleur plus
foncée. Mais, ajoutent-ils, toutes étaient sœurs et prove¬
naient de l’opération du Puhi avec la première fille. Sui¬
vant la croyance générale, la mère des Nuhu-Hiviens était
la teîna ou sœur cadette de la mère des Français ; celle des
,
LES
POLYNÉSIENS.
231
Espag-nols était la tuana ou sœur aînée de la leur ; la mère
des Français était la tuana de celle des Espagmols, etc.
Nous nous bornerons à ajouter ici que, lors des premières
visites des Européens, les insulaires de Nubu-Hiva étaient
si effrayés en voyant des blancs, qu’ils s’empressaient de leur
offrir des cadeaux afin de les apaiser : « Ce sont vos frères
amis, disaient les anciens à ceux qui étaient mal disposés ;
fâchez pas contre eux. »
ne vous
Origine
des arbres a fruits comestibles.—
A Nubu-Hi¬
appelle Atua enana les hommes devenus
sont ordinairement les chefs de la religion.
va on
dieux
: ce
Les premiers chefs, nés du Puhi et de la première fille,
avaient, paraît-il, appris qu’il existait dans le ciel un grand
nombre d’arbres tels que le mei, arbre à pain ; le meika,
jambosa purpurescens ; l'uhi, igname; etc. Ils résolurent
de se les procurer. Un jour, ayant tout préparé pour la
réussite de leur
■pirogues.
expédition, ils s’embarquèrent dans leurs
Deux chemins conduisaient
au
ciel
:
le
premier était l’ho¬
rizon que l’on pouvait atteindre avec des pirogues ; le se¬
cond partait directement de l’île ; mais, pour le suivre, il
fallait
se
mettre à cheval
sur
un
nuage, ce
facile.
qui était moins
premfère fois en route, montés dans cinq
et, devinant leurs projets téméraires,
il laissa pendre un gros hameçon à l’extrémité d’une longue
corde : il eut bientôt pris l’une des pirogues et il la hala au
ciel. Les chefs des autres pirogues jugèrent alors prudent
de regagner hâtivement la terre, et ils purent le faire avant
que VAtua n’eut eu le temps de redescendre son hameçon.
Celui-ci, après avoir halé la pirogue au ciel, tua tous les
hommes qui la montaient.
Cette expédition malheureuse suffit pour contenir, pen¬
dant quelque temps, l’ardeur des Atua enana ; mais la faim,
mauvaise conseillère, ayant de rechef parlé haut, ils se
Ils
se
mirent
une
canots. L’Atua les vit
décidèrent à faire
On
ne
dit pas
une
nouvelle tentative.
quelle route ils prirent, cette fois
;
mais ils
232
LES
POLYNÉSIENS.
furent
assez heureux pour atteindre le ciel. Là, ils surent
faire si bienvenir de VAtua, qu’ils purent échang-er (àofeo)
se
pour
des taetae, (cadeaux, biens de leur pays),tous les arbres
utiles du ciel. Ce taetae n’était évidemment pas la
tapa ac¬
tuelle faite avec le mûrier, puisque cette plante (aute), n’exis¬
tait pas encore sur
la terre, de même que les mei, uhi, co¬
cotiers, bananiers, meika, etc., manquaient également.
Toutefois la tradition suppose que les taetae remis à VAtua
étaient des dents de cachalot qui, pour les Océaniens, sont
d’un si grand prix.
C’est depuis ce temps que les insulaires possèdent le to
(canne à sucre), le ti (dracœna), le t'aro {arum esculentum),
le meï [artocarpus), l’ulii (igname), le meika
{jambosa purpurescens), etc.
Teadition
Taka
relative a
l’ile
Hiao, l’une
des
Marquises.
(1), fils de VEnana atua Ohio (2), s’était brouillé
avec son père, parce que celui-ci avait obtenu les faveurs de
sa femme : il se retira sur l’île Hiao. Le
père le fit chercher'
partout : aux Atitoka, aux Pua, aux Taipii, etc. Il finit par
—
oa
le découvrir à Hiao. Dans
sa
colère, il le tua et emporta sa
Nuhu-Hiva, après avoir mis une pierre à sa place.
Aujourd’hui encore, assurent les indigènes, on voit le fils
d’Ohio, immobile comme une pierre, au sommet de la mon¬
tagne d’Hiao.
■ •
Cette même petite île possède un lac, ou plutôt un marais,
tête à
dont l’eau est salée
comme
celle de la
mer.
Les insulaires
affirment que ce
divinité femelle
ne
marais a été formé par le mimi, urine d’une
qu’ils nomment Ani/ioo (3). Cette légende
rappelle-t-elle pas celle de la jument de Gargantua ?
Origine
des habitants
des
îles
et Anaana vinrent de Vavao pour
Marquises.
—
Ovanova
peupler les Marquises ;
Vavao, dit la tradition, est situé dans l’Havaïki. Ils appor(1) Taka, pointe
; oa,
longue.
(8) Ohiohio, l’enchanteur.
(3) Ani, ciel ; hoo, faire.
tèrent avec eux les différentes
noms
233
POLYNÉSIEMS.
LES
espèces de plantes, dont
les
l’exception toutefois
furent donnés à leurs enfants, à
premier, qui fut appelé Po ou la nuit. Taiohae fut le
point de l’île où ils allèrent se fixer. La tradition ne ditpas
quel était le nombre des enfants de ces étrangers, mais
elle assure que Tiki fut le premier homme créé.
Cette légende n’est qu’un fragment de la légende maori
si complète que nous aurons à relater.
du
Croyances
relatives au
Moko et au Paaoa.—
d’une femme du pays.
redoutent
avec sa
Les insu¬
le Moko est le fils
laires de Nubu-Hiva sont convaincus que
Le Moko est une sorte de raie.
Ils
des tambours
beaucoup ce poisson et ils font
peau.
confondre le Moko, avec le Mako, sorte de
requin, également très redouté et qui cause souvent la mort
des sauvages, tant ils sont imprudents. Le Mako n’est pas
Il
un
ne
faut pas
homme
:
il
se
contente de les manger.
Les Nuhu-Hiviens assurent aussi que
est
un
homme de Nuhu-Hiva. Il n’y a
que deux poissons
Moko et le Paaoa.
Tradition
Aitu
qu’ils croient avoir été des hommes ; le
l’origine du feu
sur
la baleine, Paaoa,
donc, en résumé,
mea ma to
Maui
aux
Marquises.
kite te kui heke 1
Havaiki.
To Maui tata i te kui.
To te kui kite. Uaua to
ue
i te tama i te oïoï.
Te tama tivava Te hiamoe.
Tekao ite tama
:
Maui ? Te tama aoetekao : hiamoe
Te vehine tekao i te vahana
To te vehine tekao
Vahana tekao
: aue
: aoe ;
: aue
! hakavaa !
! taa au !
Maui hiamoe.
To te vahana tekao i te vehine : amaï.
To te kui
me
te metua
To te motua kukamai
putamai aanui mea oa....,
me manu, me
Patitio
Te kui kukamaï veinehae to te kui to ia.
To te motua tekao : aoe ! Enana ke
;
putamaï ineï ?
tivava.
234
LES
Totekui tekao
Tekao
: a
POLYNÉSIENS.
: aoe.
ee, manu
keee.
To te kui tekao ; aoe
putamai manu tavaie, manu kaï,
keekee, tupuna ia ta koe.
To te moi tekao i te kui : apao koe.
To te moï peki me te kea me to vahana.
Kea to te vahana, kea to te veliine pehi te tama.
putamaï
manu
iti,
;
manu
To Maui kukamaï noho
me
te kea
mea
nui kata...
Tiohi to ue, aue !
Tekao i te motua
: kooua ? to koe
pehi me te kea.
To te motua tekao : ua aoe i kite ia koe.
To te tama tekao : to hiki koe ?
To te motua tekao : to hiki hoï au me manu koe...
E heke
ia onatea.
maua
To te kui too te moeka.
Titii vahi ke.
To te moï ualakee
me aanui me te vahana.
Te moï kukamai te fenua to ia, too i te to, ua kaï...
Maui kukamaï to te tupuna moe i te puta to te aanui.
To Maui kukamai kokoti i te
Kukamaï te
Kukamai
hope
me
;
te aanui
Tekao i te
upoko to te pakahio
;
akana, tohe.
pakahio : ihea taiu kui ?
To te tupuna tekao : ua heke i uta.
Maui kukamaï mei Havaïki, mei henua to te kui...
To te vahana tekao i te vehine
maï te
uma
:
ua
to te moï.
tehe ; te toto
puta¬
Maui titii te tupuna.
To Maui ua heke i te Havaïki i te aanui to te kui.
Vave ka i te aanui
Maui
a
taa koe i te vaï.
To Maui taa i te vaï.
Kapo i te vaï meanui popotu, kakaa
moko,
me
Kukamaï
te punaveevee.
me
te papua.
To te kui tekao
:
To te tama tekao
Kave maï te vaï?
: te vaï ?
To te kui meanui haohao.
me te
veri,
me
te
LES
235
POLYNÉSIENS.
peke meanui ia Maui, tekao ; e tama hauhau,
To te motua
tama makaka.
e
To Maui tekao
:
To .te kui tekao
: aue
To te kui tekao:
To Maui tekao
toïtoï.
e
: a
To te motua tekao
To Maui tekao
henua neï.
i kite i te vaï, i te
: aoe au
To te kui tekao
! ta koe.
hiki i te aki ; Maui a noko.
nolio koe ; ta au ua heke.
: e
notio koe
; o
: aoe
to koe
me
me
te kui.
te kui
e
noko
; o
te tama
te keke i te aki.
To te motua tekao
To Maui tekao
; aoe
koe
To Maui keke i te kae to te
Tuku mai te aki ?
Maui tekao
:
pakakio.
ta to te moï.
pakakio tekao
Maui tekao
: nunu
:
pekea koe ? i te aki mea aka ?
meï.
pakakio tekao : tukumaï
To Maui tuku te keïkaka.
Te
Te
pakakio.
pakakio tekao : ta i koe.
Tote
Te
kukumi te
e
; aoe.
te keïkaka.
pakakio tuku i te alu meï temakamaka vaevae.
Eaka te alu neï ? Tekao Maui.
To Maui too i te alu.
Ua kiki, kukamaï i te. aanui
To te Maui kukumi ;
E
kukumi te aki.
titii.
putamai i te kae to Makuike.
pakakio : ô ! i kea te aki ? ua mate, tekao Maui
Tekao
to
au ua
kika, i to te vaï.
pakakio tekao : tukumaï
To Maui tuku i te keikaka.
To te
te keïkaka.
aki, alu mei te muo.
pakakio tekao : a kiki, poïti.
poïti tekao : Ekia aki iti !
Pakakio tuku te
.
To te
Te
Mea tata
me
te kui.
To te Btua tekao
To Maui kukumi
:
Maui,
me
o ! a
kukumi te aki
ana.
te vaï.
To Maui keke i te kae to Makuike.
To te
pakakio tekao
: mea paopao,
te poïti makaka neï.
;
236
POLYNÉSIENS.
LES
Te
poïti tekao : to au ua liati te
pakahio tekao : i pehea ?
poïti tekao ; i kika.
vaevae.
To te
Te
Tuku te ahi meï te tua.
To Maui too.
•
Kukumi i te ahi.
Tekao i te
Te
pakahio : tuku maï ahi ke, te ahi meitai.
pakahio tuku te ahi meï te pito.
To Maui kukumi ite ahi.
Pakahio meanui
peke
tekao
;
Mahuike, nike, haka hui.
:
Etue,
paopao.
To Maui tiohi.
To Maui tekao
atahi to
peeina.
upoko to Mahuike. Hano
te upoko, tuku me te kete.
To Mauikukamaï me te upoko to te
pakahio, mate tua o
:
oe
To Maui too i te kea iti, kokoti te
te vainehae.
Tekao
namunamu a enana....
Kukamaï te ahi haa
Maui
enana
putamaii te hae to te kui
To te kui meanui te
me
te motua.
peke. Tekao : Tuana nui matua
etaï nui tatou neï !
To te tama tekao
Aoe
e
ahi
o
:
epo,
mai,
to au kaa tu i te puaka.
mei, me te puaka, me te ika.
meï te tunu putamaï me te hae, kaï.
te nunu, o te
Epo tuu i te meï
To te kui tekao
;
: a
hiki.
To Maui
hiki, kukamaï me te paepae moe....
Etahi po aoe kai ; te oioi tika, taha me te hita.
Patu i te ahi ; tuku me te fau ; me te vevaï ; tuku me te
keïka ; me te aukea, meanui kaau.
TJapau te kaau me
te ahi.
Kukamaï atute
tuku
me
upoko
te vaï
O Maui tekao i te kui
Too te
To
;
kukamaï
me
te vaï. Patu- i te ahi,
; aoe ua.
: aoe ua
te ahi
me
te vaï.
upoko, koahu i te ahi ; tuku i te ahi
Maui meanui ninihi, aoe koaa : te kaku
me
te kea.
aoe e
ahi....
LES
POLYNÉSIENS.
TRADUCTION MOT-A-MOT DE LA
Aitu
Ma
7'o
—
Maui
Te
chose, circonstance
le moyen de
de, appartenant à
à travers, par
Maui
—
voir, savoir
la, sa
—
—
Kui
DE MAÜI.
—
—
Kite
LÉGENDE
Enfreindre, qui enfreint le tapu
—
Mea
237
—•
Heke
mère
aller
—
à
Ilavaikî,
—
Havaiki.
To Maui
—
Maui
Tata i te kui.
To te kui
Uaua to ue,
J te tama
I te oioi.
—
auprès de
sa
mère.
La mère voyait,
versait des larmes,
—
—
—
—
Te tama
—
kite,
l’enfant
sur
qui reposait.
L’enfant
Tioava te hiamoe.
menteur le sommeil.
—
Tekao i te tama: Maui't Elle dit à l’enfant
Te tama
tekao.
aoe
Hiamoe tivava.
de
—
dormir).
Te vehine tekao
I te vahana
:
à
te vehine
Aue ! taa
au.
Vahana tekao
La femme dit
son
Aue ! hakavaa,
To
—
mari
tekao
—
:
;
Hélas ! il
—
:
—
Héias
—
se
réveille.
La femme dit
1 il m’a
Le mari dit
:
vue.
:
Aoe ; Maui hiamoe. — Non ; Maui dort.
To te vahana
Le mari
—
Tekao i te vehine
Amai.
—
:
:
Maui ?
L’enfant pas parler.
Sommeil menteur (il faisait
—
—
dit à la femme
Viens, allons-nous-en.
:
semblant
238
POLYNÉSIENS.
LES
To te
kui,
La mère,
—
Me te motua,
Mea
oa.
—
avec
—
aanui,
Putamai
le père,
allèrent
—
To te motua kukamai
Me manu,
avec
—
Te kui kukamai
Yeinehae
‘—
Le
(que c’était)
Me Patitio.
le
—
La mère
—
le cLemin,
père pensait
oiseau,
avec un
le Patitio.
spectre
To te kui to ia.
vers
éloignée.
cLose
pensait
de la mère à elle.
—
To te motua tekao
Le
père dit :
Lomme étranger
Putamai inei ?
venir, être arrivé ici ?
To te kui tekao : Aoe.
La mère (de la femme) dit
Tekao : a ee, — (Le père) dit : va-t-en,
Aoe
ke
enana
:
—
pas
—
—
—
Manukeee
—
oiseau messager.
: — La mère dit
To te kui tekao
: non.
:
Aoe; putamai, — Non ; arrive.
Manu tavaie, — oiseau Liane,
Manu kai ;
—
oiseau bon à
manger ;
Putamai, manu iti, — arrive, petit oiseau.
Manu keekee, — oiseau arrière-neveu,
Tupuna ia ta koe. — aïeule h toi.
To te moi tekao
I te kui
:
To te moi
Pehi
me
La fille dit
—
apao koe !
— La fille
te
kea,
—
Me to te vahanUi
vehine,
Pehi te tama.
me
pierres de la femme,
frappèrent l’enfant.
te kea.
pehi
me
Pierres du mari,
—
—
—
—
Maui pensa
sur les
s’asseoir
pierres.
Il essaya de pleurer, hélas !
Kopua, — Il dit à son père : Vieillard,
te kea. — tu me frappes avec des pierres;
Tiohi to ue, aue !
Tekao i te motua
To koe
avec des pierres.
ainsi que son mari.
—•
To Maui kukamai.
Noho
à la mère : tais-toi
lança
—
Kea to te vahana,
Kea to te
—
—
:
LES
To te motua tekao
To te tama tekao
To hiki koe 1
;
—
To te motua tekao
hiki hoi au,
Me manu koe.
To
E heke
maua
tea.
ona
To te kui
—
vas
Le
—
:
?
père dit
:
m’en aller certainement moi,
—
puisque toi oiseau.
—
Aller
nous
deux
à cet endroit.
—
—
:
239
père dit;
savoir c’était toi.
Moi pas
Le fils dit
—
Tu t’en
—
la
—Le
:
Ua aoei kite ia koe.
POLYNÉSIENS.
La mère
Too te moeka..— leva la natte.
Titii vahike.
To te moi
aanui,
Me
Ils
—
ua
lakee
—
—
mari.
—
—
;
la mangea.
Maui kukamai
Maui pensa
—
tupuna moe — (que) son aïeule dormait
puta to te aanui. ^— à l’entrée du chemin.
To te
I te
I
La fille pensait
(que c’était) la terre à elle,
arracha une tige de canne à sucre
fenua to ia,
Ua kai.
avec son
—
Te moi kukamai
l'oo i té to ;
ce lieu.
La fille serpenta
—
dans le chemin,
—
Me te vahana.
Te
quittèrent
To Maui kukamai
—
Maui pensa
upoko — (qu’il) couperait la tête
tepakahio. — de la vieille.
Kukamai te hope. — Il pensait (qu’il) finirait par là.
Kukamai me te aanui, — Il pensait dans le chemin,
Akana, toke. — à le faire, entêté.
Tekao i te pakahio : — Il dit à la vieille :
Kokoti i te
To
Ihea tau kui ?
To te
—
tupuna tekao
Ua heke i uta.
—
Maui kukamai.
Mei
Où de moi la mère ?
Havaiki,
—
: — L’aïeule dit :
elle est allée dans l’intérieur.
Maui pensait
(qu’elle était descendue) dans l’Havailii,
—
Mei henua to te kui.
—
dans la terre de
sa
mère.
240
POLYNÉSIENS.
LES
To te vahana
Le mari
—
Tekao i te vehine
Ua tehe.
Te toto
Te
—
On
putamai
lima
:
—
To Maui,
Le
—
—
tupuna.
heke.
ua
Eavaïki,
—
sang-
:
à ta mère).
■
tombait
—
Maui laissa l’aïeule.
Maui alla
dans l’IIaYaiki,
le cbemin de la mère.
par
—
Vaoe ka ite aanui.
Maui,
cou
(sur) la poitrine de la fille.
—
Ite aanui to te kui.
—
Marcha vite dans le chemin.
— Mani^ va voir, toi,
à l’eau, chercher de l’eau.
taa, koe,
a
I te vai.
dit à la femme
coupé (le
to te moi.
Maui titii te
I te
a
—
To Maui taa i te vai.
—
Maui alla à l’eau.
Kapo i te vai — Il saisit dans l’eau
popotu, beaucoup de bêtes,
Meanui
Kakaa,
—
de vers.
veri, — avec des insectes de mer.
te moko, — avec des lézards.
Me te
Me
Me te punaveevee. —
Kukamai
me
Tote kui tekao
:
—
Il pensait à les renfermer.
—
La mère (lui) dit
;
Apporte-moi l’eau.
kama tekao : L’enfant dit :
Kave mai te vai.
To te
des araig-nées.
avec
tepapua.
Te vai '?
—
—
de l’eau ?
To te kui meanui
haohao.
—
La mère (fut) beaucoup
étonnée.
To te motua.
—
Le père
Peke meanui ia Maui.
Tekao
: e
—
tama hauhau,
Colère beaucoup contre Maui.
(II) dit : (c’est) un enfant ré¬
—
voltant,
E tama makamaka.
To Maui tekao :
Aoe
au
1 te vai
i kite
—
(où il
un
enfant très méchant.
:
moi savoir
a) de l’eau
pas
y
dans cette terre-ci.
toitoi. — La mère dit : c’est vrai.
kui tekao: aue ta koe ! — Lamèi’e dit : hélas ! de toi J
I te henua nei.
—
To te kui tekao
:
To te
—
Maui dit
—
I.ES
To te hui tekao
:
E hiki ite alii ;
Maux,
a
—
—
noho.
—
M.aui tekao
To
A. nohoe
Ta
ko ;
au ua
—
:
O to koe
—
;
:
moi y aller.
: — Le père
dit
reste toi
—
:
avec
la mère.
Maui dit : non ;
noho ; — à toi avec la mère rester
aoe
:
te kui
me
Maui dit
—
te kui.
me
:
reste là toi-même ;
heke.
To Maui tekao
La mère dit
241
il faut aller chercher le feu
Maui, reste là.
To te motua tekao
E noho koe
POLYNÉSIEMS.
;
e
—
O te tama te heke i te ahi.
—
;
à l’enfant aller chercher le
feu.
To te motua tekao
Aoe koe
e
:
Le père dit :
pakahio. — Ne tue
—
kukumi te
To Maui tekao
To Maui heke
: aoe.
pas
la vieille.
: non.
Maui alla
—
pakahio.
Ite hae to te
Maui dit
—
—
à la maison de la vieille.
Tuku mai te ahi.— Donne-moi le feu.
To te pakahio tekao
:—■
La vieille dit
:
C’est pour toi ?
Maui tekao : ta to te moi. — Maui dit
Ta i koe ?
—
:
c’est pour
pakahio tekao : — La vieille dit :
Pehea koe ?
Pourquoi en demandes-tu ?
I te ahi mea aha ?
que veux-tu faire du feu ?
To te
ta tille.
—
—
Maui tekao
:
Nunu Mei.
Te
Maui dit
—
;
Faire cuire les fruits de l’arhre à
—
pakahio tekao
pain.
: — La vieille dit :
Tuku mai teKeikaha. - Donne-moi les filaments du hrou
de
coco.
To Maui tuku te Keikaha.
pakahio tuku
—
Maui donna le Keikaha.
La vieille donna
(le feu) pris dans
Te makamaka vaevae.
les doigts de pieds.
Eaha te alu net ? Quelle est cette prise ?
Te
I te alu mei
—
—
celui
—
Tekao Maui.
—
dit Maui.
To Maui too i te alu.
Maui
prit cette prise, (ce feu).
Il s’en alla,
Kukamai i te aanui, pensant dans le chemin,
üa
Jiiki,
—
—
IG
242
POLYNÉSIENS.
LES
Eukumi te ahi.
To te Maux
Titii,
e
qu’il éteindrait le feu.
— Maui réteignit,
—
kukumi,
putamai,
le jeta et alla (revint)
—
I te hae to Mahuike.
Tekao
üa
To
: o ! — La vieille
Où est le feu ? '
pakahio
Ihea te ahi ?
—
mate, tekao Maui ;
au ua
à la maison de Maliuike.
—
dit : oli !
Le mien est mort, dit Maui
—
liika i to te vai.— Je suis tombé dans l’eau.
pakahio tekao : — La vieille dit :
Tuku mai te keikaha. — Donne-moi le
;
To te
To Maui tiiku te keikaha.
Pakahio
tuku te ahi
—
keikaha.
Maui donna le keikaha.
La vieille donna le feu
—
pris dans le g’enou.
pakahio tekao : — La vieille dit :
A hiki, poiti. — Va-t-en, enfant.
Te poiti tekao ; — L’enfant dit ;
Alu meite
muo.
—■
To te
Ehia ahi iti !
Mea tata
me
—
Quel feu petit !
te kui.
To te Etua tekao
—
(Il s’en alla) non loin de sa mère.
o ! — Le Dieu dit : oh ! Maui,
Maui
:
A kukumi te ahPana.
—
éteins
To Maui kukumi me te vai.
ce
—
feu aussi.
Maui l’éteignit dans
l’eau.
To Maui heke
—
Maui retourna
1 te hae to Mahuike.
—
à la demeure de Mahuike.
pakahio tekao : — La vieille dit :
Mea paopao ! — chose fatigante !
Te poiti makaka nei î — kenfant méchant celui-ci f
Te poiti tekao : L’enfant dit :
To au ua hati te vaevaoé — de moi j’ai brisé les pieds.
To te pakahio tekao : i pehea ? La vieille dit : pourquoi ?
Te poiti tekao : i hika. — L’enfant dit : en tombant.
To te
Tuku te ahi mei tua.
To Maui too.
—
Tuku mai
Maui le prit;
—
pakahio
Te ahi meitahi.
Te
Elle lui donna le feu du dos.
feu.
Il dit à la vieille :
ahi ke,— donne-moi un feu autre,
Kukumi i te ahi.
Tekao i te
—
—
pakahio tuku
:
Il éteignit le
—
un
—
bon feu.
La vieille donna
POLYNÉSIENS.
LES
Te ahi mei
tepito.
243
le feu du nombril.
Maui éteignit le feu.
Pakahio meanui peke, — La vieille en
grande colère, '
Tekao : etue
Ipaopao. — Dit : assez ! je suis lasse.
Makuike, nike, haka hui. — Mabuike, confuse, se fit
—
To Maui kukumi i te ahi.
—
spectre.
To Maui tiohi.
Atahi to
Maui l’observa.
—
To Maui tekao
:
—
Maui dit
peeina.
oe
cela.
—
(J’en ai vu)
To Maui too i te kea iti ;
Kokoti te
buike.
Hano te
Tuku
Maui
—
te vainehae.
—
tome.
Tekao
Maui
—
me
—
Il
colère.
Tekao
:
mai,
tuana
—
Etai nui tatou
e
ahi
cuire
o
te
parla inintelligiblemôüt
Il
—
—
—
Maui arriva à la maison
de
peke.
sa
—
mère et de
son
La mère dans
père^
une
grande
— Elle dit : grande ainée,
proche parente,
nei !
grand soutien de nous tous !
—
au kai tu
cocbon.
Aoe
pensait
(que c’était) la tête de la
nui,
To te tama tekao
Epo, to
corbeille.
pensait le feu
te motua.
To te kui meanui te
Matua
pierre petite ;
la tête de Ma¬
une
coupa
devenu insensé.
putamai i te hae
To te kui
une
insensé.
Kukumai te ahi
enana.
^il
comme
(la tête) morte coupée du fan-
namunamu a enana.
comme un
Haa
—
semblable
—
vieille.
o
Maui prit
la mit dans
—
upoko to te pakahio,
Mate tua
un
Il saisit la tête,
—
te kete.
To Maui kukumai
Me te
—
upoko to Mahuike.
upoko,
me
:
:
—L’enfant dit
itepuaka.
nuhu
—
—
:
Bientôt, je mangerai du
Il n’y avait pas de feu pour faire
244
Ote
I.E.S
mei,
Me te
—
iniaka,
POLYNESIENS.
les fruits à pain,
les cochons,
—
poissons.
Epo, tuu i te mei ; — Bientôt j’offrirai les fruits à pain ;
Me te ika.
—
Mei te tunu
les
putamai — le fruit à pain cuit arrivera
— à la maison (pour) nourriture.
Me te hae, kai.
To te kui iekao
:
a
Tiiki.
kukamai
To MavÀ hiki,
—
—
Sa mère dit
:
va-t-en.
Maui s’en alla, pensant
Aupavé(sur lequel il) dormira.
Me te paepae moe. —
Etalii po aoe kai. — Une nuit il ne mangea pas.
To oioi tika taha me te hita.— Le lendemain il alla en sueur.
Patu i te ahi ;
Tuku
me
te
Il fit du feu ;
—
fau
; —
il le mit à l'hibiscus ;
cotonnier ;
Tuku me te keika ; — il le mit au jamhosier ;
Me te aukea ; — à l’aukea (sorte de taro) ;
Aleanui kaau. —à beaucoup d’arbres.
Ale te vevai ;
—
au
üapau te kaau me te ahi. — Les arbres furent consumés
par le feu.
Kukamai atu te upoko ; — Il pensa à le mettre à la tête ;
Kukamai me te vai.
Il pensa (à le mettre) à l’eau.
—
Il fit du feu
vai ; — le mit à l’eau
Patu i te ahi ;
Tuku
Aoe
me
ua.
te
—
—
(l’eau)
ne
brûla
ua
Too te
te ahi
me
upoko ;
Koahu i te ahi.
Tuku i te ahi
—
—
me
pas.
Maui dit à.sa mère ;
te vai. — Le feu n’a pas pris à l’eau.
O Maui tekao i te kui :
Aoe
;
—
Il prit la tête ;
jeta au feu.
Il la
te kea.
—
Il mit le feu
aux.
pierres.
meanui ninihi ; — Maui s’efforça beaucoup ;
Aoe koaa. — il ne prit pas.
To Maui
Te kahu
aoee
ahi. —Le kahu
ne
(brûla)
pas au
feu.
l’Havaiki.
reposait auprès de
sa mère, qui regardait l’enfant et pleurait sur lui.
Pour s’assurer qu’il dormait et qu’il ne l’espionnait pas,
Comment Maui
sut que
sa
mère
allait dans
Maui faisait semblant de dormir ; il
POLYNÉSIENS.
LES
elle l’appela : « Maui ! »
semblant de dormir.
L’enfant
Soudain la femme dit à
ne
répondit
245
pas :
il faisait
mari : « Hélas ! voilà qu’il se
Non, dit le mari, il dort. »
Alors le mari dit à sa femme : « Viens, allons-nous-en, »
Le père et la mère arrivèrent au chemin qui était éloig’né.
(Arrivés près de l’entrée qui conduit à l’Havaiki, ils vi¬
rent quelque chose qui attira leur attention) (l) : le père crut
voir un oiseau, le Patitio ; la mère crut voir le spectre de
réveille ; il m’a vue.
sa
y>
—
son
.
LES
cetteia.irection
POLYNÉSIENS.
générale qu’elles disent avoir
miers habitants.
257
reçu
leurs pre¬
Ainsi donc
déjà, l’examen des deux premiers archipels
qu’ils ont été peuplés par des émigrants venant du
Sud et de l’Ouest et se dirigeant, d’une mauière
générale,
vers le Nord-Est, comme s’ils
s’éloignaient de leur point
de départ, poussés par des vents de Sud-Ouest.
Voyons maintenant à quelle contrée les autres archipels,
formant la limite extrême de la
Polynésie orientale, attri¬
buent eux-mêmes la provenance de leurs populations. Ce ne
sera qu’après cette étude
qu’il nous sera possible de désigner,
avec une certaine
certitude, le véritable point de départ des
émigrants. S’il y a concordance, il n’y aura plus de doute à
avoir : ce sera presque sûrement de la terre
indiquée par le
plus grand nombre de témoignages que les émigrants se¬
ront partis. D’après la position de cette
terre, par rapport
aux îles plus orientales, il sera facile de conclure
quelle aura
été la direction suivie par
eux, depuis le dernier point de
montre
départ.
Ces archipels sont, d’abord les Paumotu, puis les
Mangareva et l’île de Pâques.
Nous commencerons par les Paumotu.
O
II
17.
V
CHAPITRE
ILES
PREMIER
PAUMO.TU ET MANGAREVA
I
ILES
PAUMOTU OU TUAMOTU.
physiques des habitants des îles Paumotu. — Ce sont de véri¬
Polynésiens, qui semblent être anciennement venus de Tahiti.
Etymologie du mot Paumotu.
Caractères
tables
—
Nous venons de dire que si les îles Marquises ont été
peuplées, comme on le croit généralement, par TaMti, les
Paumotu ont dû l’être elles-mêmes aussi par les Tahitiens.
En effet, ont dit généralement que tous les habitants de
l’archipel reconnaissent qu’ils sont originaires de Tahiti.
Une tradition tahitienne précise même le point qui les au¬
rait fournis, en rapportant qu’ils ont été chassés d’Afaïti
par les habitants d’Hitiaa, denx districts de l’île Tahiti.
A part la couleur plus foncée de leur peau, couleur due
au haie qui les atteint plus facilement sur leurs îles basses,
à peine abritées par quelques arbres, les insulaires des Pau¬
motu ont tous les caractères physiques des Tahitiens : ils
sont grands, bien faits, à cheveux plus souvent frisés, il est
vrai, mais qui sont toujours ceux de la race. Ils sont
seulement moins
259
POLYNÉSIENS.
LES
V
beaux, moins délicats, moins soig’ûeüx
îles où ils trou¬
de leurs personnes, surtout dans les petites
vent à peine une alimentation suffisante.
Voici
que Wallis, le découvreur de l’île de la ReineCharlotte, la Reao des indigènes, a dit de ses habitants :
œ Ils sont de taille
moyenne, ont le teint brun, et leurs che¬
veux flottent sur leurs,
épaules ; les femmes sont belles et
les hommes bien pris. (1) » A l’occasion de leur couleur,
Moërenhoüt dit lui-même en note (2) : « 11 est d’observa¬
tion ^constante qu’après quelque séjour loin de leur terre
natale, de noirs et laids qu’ils paraissent être à leur arrivée,
les habitants des îles basses prennent souvent un teint plus
clair, des traits plus agréables et deviennent plus souples et
plus agiles même que les habitants des îles élevées ; mais il
est aussi de fait qu’ils sont moins robustes et moins grands
que ces derniers. »
Ajoutons que la taille et la couleur varient suivant les
îles, et que tous sont de véritables Polynésiens, parlant la
langue polynésienne.
ce
Moërenhoüt
a
Paumotu diffère
bien dit
Quoiqu’il
ment il
ne
en soit, d’après tout ce qui précède, non-seule¬
serait point étonnant, mais il est même très pro¬
J. Fernandez
été le découvreur des îles Mang-arevues que deux siècles
après lui. De la sorte encore, Juan Fernandez, aurait pré¬
cédé le voyageur espagnol Queiros, qui a presque certaine¬
ment vu ces îles, car il y serait allé vers 1572, tandis que
Queiros ne l’aurait fait qu’en 1606. Telle était l’opinion du
capitaine Duperrey relativement à Queiros, et telle est celle
que nous avons adoptée nous-même après l’examen le plus
attentif (1).
Dès 1840, nous avions pu remarquer que les habitants des
îles Mangareva ou Gambier n’avaient, sur le lieu d’origine
de leurs ancêtres, que les idées les plus vagues, et nous écri¬
vions à cette époque (2) : « Prétendre donner une date à l’é¬
bable que
reva.
Dès lors Wilson
tablissement de la
a
ne
race
les aurait
humaine
sur ces
îles, serait vouloir
conjectures. Tout indique
qu’elles sont peuplées depuis longtemps, car les
naturels possèdent à ce sujet diverses traditions curieuses ;
il se disent les descendants d’un grand peuple qu’ils appel¬
lent Arani ou Harani (3), et dont ils seraient' une colonie
d’émig’rants. Ils n’ont cependant gardé aucune notion pré¬
entrer dans le domaine des vaines
seulement
cise
sur
leurs ancêtres.
(1) Voir notre Examen critique de Vitinéraire de Queiros. (Ma¬
nuscrit )
.
(2) Vorage aux îles Mangareva, p. 109.
(3) En Maori, ara signifie route, se réveiller ; hara, péché, cri¬
pécheur, pécher. Ni n’est pas maori ; on ne trouve que ninihi
qui signifie s’enfuir, échapper, se dérober. Aux Mangareva, ara
signifie branche, rameau ; les mots chemin, route, se rendent par
aranui. En Tahitien, ara, signifie route ; aranui le grand chemin,
le chemin public ; aranoa, la grande'route. Arani est la pronon¬
ciation du mot orange. iVz n’est pas tahitien. Ne peut-on pas sup¬
poser qu’aranî se dit d’une branche séparée d’un grand tout et
que ce mot peut avoir un sens relatif à la première émigration ?
Les insulaires paraissent en avoir perdu la valeur première; mais,
ce qui est bien curieux, ils appliquent ce mot aux Français, qu’ils
se complaisent à regarder comme leurs ancêtres. Sans doute parce
que français est prononcé par eux farani.
me,
LES
«
Les
à six
ou
269
POLYNÉSIENS.
Mangaréviens portent leur premier établissement
sept cents ans. Un calcul
approximatif peut être
annales orales, en donnant
rois. Or comme ces peuples
comptent de 60 à 70 monarques ayant gouverné comme chefs
suprêmes le groupe entier des îles, on se trouve obtenir un
résultat sinon précis du moins probable.
Nous croyons, disions-nous encore, qu’il existe une
grande connexion entre la race établie sur les Marquises
et celle qui vit sur les îles Gambier, et si nous comparons
leur analogie physique, leurs mœurs, leur religion primi¬
tive, nous serons porté à reconnaître que les Mangaréviens
sont une jeune colonie de Marquésans. Les deux peuples
fait pour concorder avec leurs
10 ans de vie moyenne à leurs
«
descendent du
leurs usages
océanien pur ; leur langue, comme
et leur mœurs ont les rapports les plus
rameau
grands. »
Aujourd’hui, après avoir demeuré parmi les
et les avoir observés
intimement, nous
Marquésans
ne pensons
plus
qu’ils soient les seuls ancêtres des Mangaréviens, et nous
sommes porté à croire que ceux-ci
doivent autant, sinon
plus, aux habitants des îles les plus méridionales de l’Océan
Pacifique, à ceux des îles Paumotu les plus voisines, peutêtre même à ceux d’Anaa. Il est certain, en effet, qu’une
rapporte que les habitants de cette dernière île,
grands navigateurs et dé tout temps renommés par leur
esprit d’entreprises et de. conquêtes, sont allés jusqu’aux
Mangareva, c’est-à-dire à plus de 600 milles de leur terre.
Moërenhoüt a trouvé que le dialecte des îles Mangareva se
rapproche plus de celui des îles Rapa, Raïvavaï, Tubuaï et au¬
tres îles plus occidentales, et John Williams a lui-même
avancé que les premiers Mangaréviens n’étaient pas des émi¬
grants de l’île Rarotonga, opinion adoptée et soutenue par
M. de Quatrefages. Mais, î^uand on remarque que lenom de la
famille royale, aux Mangareva, est celui de Tonga ou Tongoa,
Ui, on peut se demander si les premiers émigrants n’é¬
taient pas plutôt partis des îles Tunga elles-mêmes, pour
s’y rendre, soit directement, soit en commençant par passer
dans les îles Manaia. Lorsque nous aurons montré quel rôle
tradition
t
270
LES
ont ioué
POLYNÉSIENS.
î
les îles Tung-adans le peuplement des autres îles
Polynésie^ on sera peut-être porté à le croire.
qui mérite d’être cité à cette occasion, et qui
prouve surtout que les îles les plus éloignées les unes des
autres avaient des rapports au moins accidentels entre
elles, c’est que, dès l’époque de la découverte de l’île Rapa
par Vancouver, ce navigateur apprit que les habitants de
cette île avaient des relations avec üne île plus grande que
la leur et gisant dans le N.-E. Ils l’appelaient Manganeva,
comme on crut l’entendre (1). Cette île Manganeva n’éfàit
évidemment que la principale des Mangareva. Ce que nous
"voulons surtout faire remarquer, c’est que si Moërenhoüt a
trouvé que les dialectes des deux îles se rapprochent, Van¬
couver qui il est vrai, lie connaissait pas les Mangareva, a
cru voir que les habitants de Rapa offraient de grandes ana¬
logies avec ceux des Tunga, excepté qu’ils n’étaient pas ta¬
de la
Un fait
toués.
Beechey, dit-on généralement, était d’avis que les Mangaréviens ressemblaient plus aux Nouveaux- Zélandais
qu’aux habitants de tous les archipels voisins : c’est, en
effet, ce qui résulte de quelques passages de ce navigateur.
Mais, comme il a également trouvé tant d’analogies avec
d’autres, il est difficile de dire avec quels indigènes il les
trouvait véritablement plus ressemblants. Nous croyons de¬
voir rapporter ses paroles qui constatent seulement, d’une
manière positive, que les insulaires des Mangareva, comme
ceux de Pâques, appartiennent à la race polynésienne (2) :
a
La
plupart des indigènes appartiennent à cette
classe
(1) C’est donc à tort que M. J. Garnier a écrit (Voyage autour
monde, Océanie, p. 324) : « Ils se disent originaires de l’île -de
Pâques, qu’ils connaissent sous le nçm. de Rapa-nui, ou Rapa la
grande, tandis que leur île est
bi, ou Rapa la petite. » Le
nom de Rapa-nui ne semble même pas appartenir à l’île de Pâques.
du
(2) Narrative of a voyage to the Pacific andBeering’s Strait, performed in His M. Blossom under the command of captain S. W.
Beechey, in
Londres, 1831.
the
—
years
Vol. I,
1825-26-37-38.
p.
185.
Nouv.
édit., 2 vol.,
LES
3’.
que
271
POLYNÉSIENS.
R. Forster aurait placée dans
la première variété de
l’espèce humaine des îles de la mer du Sud.
Par les traits, le langage, les coutumes, ils ressemblent
aux indigènes des îles de la Société, des Amis, des Mar¬
quises et des Sandwich.
Par le tempérament et la figure, op pourrait trouver
quelque ressemblance même avec des tribus éloignées, tel¬
les que celles delà Nouvelle-Zélande, de la Nouvelle-Calé¬
K
a
donie et de Malacca.
Caractères physiques des habitants an¬
Ces caractères les rangent
parmi les Polynésiens,
surtout des Néo-Zélandais.: — Ils s’en différencient
—
rapprochent
la distension lobulaire des oreilles et l’usage de la poterie, d’ori¬
gine mélanésienne. — Discussion à ce sujet. — Traditions relatives à
Tîle de Pâques. — Le langage de Tile est
polynésien et se rapproche
surtout du Maori.
Liste des rois de Pâques. —
Description des statues
et autres monuments de
Pâques. —■ Les habitants de Pâques sont des
émigrants d’îles polynésiennes situées plus à l’Ouest, et probablement
et
par
—
des îles de la Société
ou
de Raiatea.
L’île de
Pâques a été appelée Paaschen par Roggreween,
les Anglais, te Api ou Tapi, par Cook, Waïhou
par Forster et Waïliu (1) par Beechey. On lui a même don¬
né, dans ces dernières années, le nom de Rapa nui ; mais
le contre-amiral de Lapelin
pense que c’est à tort (2) : se¬
lon lui, les habitants de l’île de
Pâques nient que Rapa nui
Easter par
ï
Wdu'signifie eau ; /net il
ajouta à la description de Roggeween, touchant les habi¬
tants et les statues (2).
En 1774, Cook et les deux Forster y trouvèrent les poules
et les cochons signalés par les premiers visiteurs, et parmi
les principales plantes, le mûrier à papier •{Broassonetia
papyrifera), VHibiscus populneus, les patates douces, les
igmames, les bananes, les cannes à sucre, le Ti, {Dracœna
terminalis), etc. L’Hibiscus y était appelé Hait (3). Les Fors¬
ter n’y virent d’ailleurs que neuf espèces de plantes de TA-,
mérique, y croissant à l’état sauvage, mais en plus grand
nombre qu’à la Nouvelle-Calédonie, où ils n’en avaient
rencontré que trois.
Ils remarquèrent quelques maisons en larges pierres- par¬
faitement assemblées ; quelques-unes, à moitié construites
Elle fut
-
revue
en
1770 par
l’île Davis ; il la
anglais la Topaje ; S» des chirurgiens de ces deux
des annotations fournies à Tahiti prohahlement par
quelque missionnaire ayant séjourné à Pâques.
navire do guerre
navires,
avec
(1) Ces mots ne sont peut-être que les mots maori inatakite
: matakite,
personne qui prévoit les événements, sorcier ;
rahi, grand. Peut-être aussi peuvent-ils se décomposer ainsi : ma¬
ta, figure ; ki, à ; te, le ; rage pour rangi, ciel. Mais nous croyons
rahi
plutôt que c’est le mot maori matakitaki, mal entendu et estropié,
et signifiant, prendre garde, veiller: ce mot s’appliquerait alors ■
aux
statues
élevées
sur
l’île.
(2) Il commandait le San Loren^o et la Santa Rpsalia sous le
roi Amat.
vice-
(3) A Tahiti, VHibiscus est appelé Puraii et Fau ; il est appelé
aux Marquises.
Hau
a
LES
POLYNÉSIENS.
277
en pierres; d'autres étaient sou¬
également que les naturels par¬
laient un dialecte de la lang’ue de Tahiti, puisque le com¬
pagnon de Cook, Oedidee (1) avait pu causer facilement
en
terre, avaient une voûte
terraines. Ils reconnurent
avec eux.
Le 9 avril 1786,
tata que
de La Pérouse visita cette île, et cons¬
les demeures souterraines vues par Cook étaient
des habitations et
non
des tombeaux.
En 1816, Kotzebüe remarqua,
pendant sa courte et dan¬
gereuse relâche, que les statues du rivage avaient été ren¬
versées de leurs piédestaux.
Après lui, Beechey s’y présenta en 1826 et y fut aussi
mal reçu ; il y vit des maraë, c’est-à-dire des enclos sacrés,
servant à la prière.
Il est inutile d’ajouter que, depuis ces navigateurs, de
nombreuses visites ont été faites à cette île, surtout par
les
baleiniers, et que c’est dans ces derniers temps, avant que
VOhigghins, la 2’opaze et la Flore s’y présentassent, qu’une
française y a été établie, et que le rapt d’un grand
nombre d’insulaires a été opéré par des navires péruviens
armés dans ce but (2).
mission
toutes les îles de la Polynésie, on
population de l’île de Pâques.
Ainsi, d’après Roggeween, elle s’élevait à plusieurs mil¬
liers ; Gonzalès l’estimait .-être de 3000 âmes ; de La Pé¬
rouse en portait le chiffre à 2000 seulement et Forster ne
l’évaluait qu’à 900. Depuis ces dernières années, tant d’in¬
sulaires ont fui leur patrie, tant d’autres ont péri à la suite
d’enlèvements et de maladies importées par ceux qui sont
revenus des îles Chinchas, tant d’autres enfin ont succombé
à l’abus des liqueurs fortes, que la population se trouve ré¬
duite aujourd’hui à un noi^ibre excessivement restreint. En
1868 on comptait encore 900 individus ; ils n’étaient plus
a
Comme pour presque
diversement estimé la
(1) Petit chef taliitien, dont le nom véritable était Mahine ; il
était né à Raiatea.
(2) Voir Revue coloniale, t. XXXV.
278
LES
POLYNÉSIENS.
que 700 en 1870, d’après le commandant Pana ; enfin en
janvier 1872, lors du passage de la Flore commandée par
l’amiral de Lapelin, on n’en comptait plus que 275, dont
55 femmes seulement. Cette dépopulation, générale dans la
Polynésie, est attribuée surtout à la scrofule et à la
pbthisie (1)'; mais ici elle a en plus pour cause la variole
rapportée par les hommes que les Péruviens avaient enle¬
qui, sur les réclamations des autorités européennes,
furent enfin rapatriés, alors que laplus grande partie d’entre
vés et
eux
avait
déjà disparu.
Une tradition
rapporte, dit-on, que, faute dé nourriture
suffisante, les habitants de Pâques ne laissaient pas la po¬
pulation dépasser le chiffre de 900 personnes. Ce fait est
peu croyable, car non seulement les anciens navigateurs
ont indiqué des chiffres plus élevés, mais encore le premier
missionnaire français qui est allé s’établir sur cette île
assure y avoir trouvé environ 1500 habitants vivants. Que
les infanticides y fussent aussi communs qu’aux Mangareva, aux Marquises, à Tahiti, il ne pouvait gngre en être
autrement, puisque les indigènes étaient d’origine polyné¬
sienne ; que les vieillards malades y fussent tués et enter¬
rés presque tout vifs, comme aux Mangareva et aux Mar¬
quises encore, il n’y a pas à en douter ; mais nous n’avons
jamais entendu, pendant notre long séjour en Océanie, rap¬
porter de tradition pareille à celle que l’on cite au sujet de
l’île de Pâques.
Nous ajouterons que, pour Roggeween, l’île de Pâques
avait 16 lieues d’étendue ; 12 à 15 lieues de circuit pour Gon¬
zalez ; que Cook et La Pérouse déterminèrent exactement
sa
circonférence
La Pérouse et
en la portant à 36 milles ; qu’enfin, d’après
Dagelet, Pâques git par 27°8’ ou 9’ de Lat. S.
f.
(1) Cons.
sur ce
sujet. Bulletins de la Société d’anthropologie,
1872, p. 683, 8,21; 1874, p. 103 ; 1875, p. 207,. 210. — J. Garnier,
Voyage autour du Monde, la Nouvelle-Calédonie, p. 240. — De
Quatrefages, l’Espèce humaine, p. 163, '315. — De Varigny, Comp¬
tes-rendus du
Congrès du Havre,
Orient, février 1879,
p.
256, etc.
p.
1064.—Annales de l'Extrême-
LES
et 112'’4’ 31” de
POLYNÉSIENS.
long*. O. mérid. de Paris, et d’après
par 27“9’ L. S. et 111°45’ long-. O.
Nous allons maintenant examiner la
279
Beechey,
question qui a tant
préoccupé les ethnologues, et qui, aujourd’hui encore, est si
peu résolue, du véritable lieu d’origine des habitants de
l’île de Pâques.
Bien que l’île de Pâques soit située à plus de 60 0, lieues
du continent américain, à 500 lieues de l’île polynésienne
habitée la plus voisine, à 1500 lieues de la Nouvelle-Zélan¬
de, e^ à 800 lieues de Tahiti, on sait aujourd’hui que ses
habitants ont tous les caractères physiques généraux de la
race polynésienne, qu’ils en ont les usages, les croyances,
et même jusqu’au langage.
Déjà Roggeween avait dit que les insulaires, vus par lui à
Pâques, étaient vifs, alertes, vigoureux, d’un air doux, sou¬
mis, agréable et presque timide ; que leur peau avait la
couleur de celle des jEspagnols, et' que quelques-uns étaient
blancs ; que leur corps, enfin, était tout couvert de dessins
d’animaux et oiseaux divers (1).
Gonzalez les avait décrits d’une manière qui ne permet¬
tait guère de douter de leur origine polynésienne, car
voici comment il s’exprime : « Ces Indiens sont d’un carac¬
tère souple et docile, et montrent un penchant irrésistible
pour le vol. Leur teint est communément de couleur bron¬
zée. Chez quelques-uns, ce teint est plus clair, chez d’au¬
tres, il est rougeâtre comme s’ils étaient brûlés par le soleil.
Ils sont de la plus grande taille : on n en voit nulle part de
mieux faits, ni de mieux proportionnés. Les hommes lais¬
sent croître leur barbe, qu’ils ont très-épaisse, et les femmes
sont fardées d’un rouge très vif : ils conservent le feu sous
terre et ne le prennent qu’avec des cérémonies qui annon¬
cent quelque superstition. Ces insulaires n’ont d’autres ar¬
mes que des bâtons et des pierres. Leur vêtement consiste
en une légère draperie qui leur couvre les parties naturel(1) Quand les Forster virent cette île, les hommes étaient tatoués
pieds ; les femmes l’étaient moins et les deux sexes
se peignaient de rouge et de blanc.
de la tête aux
280
LES
POLYNÉSIENS.
les. Ces ceintures
paraissent être tissées de fil de coton :
elles sont artistement travaillées. On voit dans leurs mai¬
sons des couvertures de la même étoffe
(1). »
Enfin voici ce
qu’en a dit l’observateur siexact,Beechey(8) :
belle race ; les femmes sont
particulièment belles. Le bel ovale de leur visag-e, leurs traits rég’Uliers, leurs fronts hauts, arrondis et lisses, leurs yeux noirs,
le plus souvent petits, quelquefois
enfoncés, et leur rangée
de dents blanches comme de l’ivoire, nous faisaient trouver
que leurs figures ressemblaient aux têtes de la Nouvelle-Zé¬
lande. La couleur de leur peau est plus claire que celle des
Malais. Leur corps est bien fait ; les jambes ne sont pas
très charnues, mais annoncent de l’agilité. La hauteur gé¬
nérale de la taille est de 5 pieds 7 pouces 1/2. La chevelure
est d’un noir de jais, et portée modérément courte. Les
lobes des oreilles sont démesurément percés. Les lèvres,
quand elles sont fermées, ne forment qu’une ligne, laissant
voir très peu de chair, et qui donne un air décidé.. Les
yeux
sont petits et noirs, ou d’un brun foncé. Le menton est
pe¬
tit et un peu saillant quelquefois, et la langue excessive¬
ment large ressemble, par sa face supérieure, à celle d’un
blanc malade. Le nez est aqullin et bien
proportionné. Le
tatouage est très-répandu, surtout chez les femmes. Les li¬
gnes sont tracées dans la direction des muscles, d’une ma¬
«
Ils forment
une
nière semblable à celle de la Nouvelle-Zélande
C’est
en somme avec
les Néo-Zélandais que
(3).
»
Beechey leur
(1) Voy. Dalrymple, ouvr. cité, trad. de Fréville, p. 480.
(2) Ouvr. cité, 1" vol.
p.
51.
(3) Pour montrer le contraste opéré depuis lors, nous donnerons
description qu’on trouve dans la traduction du rapport de M.
Pana. Leurs traits principaux, dit-h, sont
aujourd’hui : une sta¬
ture moyenne (la taille aurait donc
diminué) ; des yeux grands ; le
front protubérant ; le nez effilé
; les cheveux déliés et plats, noirs
ou jaunâtres ; la bouche
grande ; les lèvres régulières ; les dents
belles, blanches, et bien alignées. Peu d’individus sont remarqua¬
blement musclés ; les membres sont
déliés, les épaules étroites,
le cou long et féminin.
la
LES
POLYNÉSIENS.
281
plus de ressemblance, malg-ré l’immense intervalle
4500 milles qui sépare les deux terres. Ainsi
qu’on le verra plus tard, c’est ce que fait également remar¬
quer le missionnaire anglais Taylor (1). Il faut bien recon¬
naître, en effet, que tous les caractères indiqués, moins.
deux, sont complètement ceux des Polynésiens en général
et des Néo-Zélandais en particulier.
Les caractères exceptionnels dont nous voulons parler
sont : La petitesse des yeux, et l’ouverture démesurément
grande pratiquée dans les lobules des oreilles, parfois si
longs, dit Beechey, qu’ils tombent sur les épaules et qu’ils
peuvent être attachés ensemble derrière la tête. Ces der¬
niers caractères appartiennent évidemment à une autre
trouve le
de 75 degrés ou
Mais c’est surtout la description du
Bâte, chirurgien de
VOhigghins, qui montre les changements survenus, et qui ne fait
plus des insulaires actuels que des êtres maladifs, scrofuleux, des¬
tinés à disparaître avant peu de temps. En voici le résumé : mus¬
cles peu développés, mous, blancs ; angle facial, 75» ; tête longue,
basse et large ; nez régulier, aplati et déployé ; yeux noirs, expres¬
sifs, un peu obliques ; pommettes proéminentes ; bouche bien des¬
sinée ; lèvres un peu grosses ; dents grandes, fermes, blanches ;
mains et pieds petits et bien proportionnés ; peau couleur citrine
ou bronzée ; cheveux plats, lisses et noirs ; barbe de la même cou¬
leur, mais rare ; articulations saillantes ; thorax faible, étroit, long,
aplati ; omoplates proéminentes et séparées plus qu’à l’ordinaire ;
stature moyenne, 1 m. 57. La plupart, ajûute-t-il, sont scrofuleux.
Cela est significatif.
qu’il écrit à la page 89 de son ouvrage sur la Nou¬
: a II y a encore plus de ressemblance entre les NéoZélandais et les insulaires des îles de la Société et des Sandwich,
qu’entre les premiers et les Malais, et peut-être, de toutes ces îles,
est-ce nie de Pâques qui offre la ressemblance la plus complète. »
Aussi en a-t-il conclu que l’île ae Pâques paraissait être la de¬
meure des ancêtres de la race polynésienne, et lui a-t-il attribué le
peuplement de la Nouvelle-Zélande. « Il est très-probable, dit-il,
que quelques-uns de ses habitants ont trouvé le chemin de la
Nouvelle-Zélande et, fait à remarquer, le point qu’ils 'devaient at¬
teindre, grâce au courant, se trouve être nommé Waiho, c’est-àdire comme leur île.
Il y a ici une erreur de la part du savant
missionnaire; c’est Waihii et non Waiho qui est le nom d’un district
de la Nouvelle-Zélande et, peut-être aussi, celui de l’île de Pâques.
(1) Voici ce
velle-Zélande
282
LES
POLYNÉSIENS.
que la race polynésienne, c’est-à-dire à la race mé¬
lanésienne. Il en est de même pour l’existence, à l’île
de Pâques, de l’usag-e de la poterie pour la cuisson de cer¬
tains aliments, usagée qui n’a été trouvé que dans les
race
populations fuligineuses. Ces trois différences sont en
qu’il soit possi¬
détruisent pas le
cachet polynésien, quetous les autres caractères donnent aux
insulaires de Pâques, il n’en est pas moins vrai qu’elles
soulèvent, relativement à leur origine polynésienne, quel¬
ques doutes que nous aller tâcher d’éclaircir.
îles à
effet trop remarquables, à notre avis, pour
ble de les passer sous silence. Si elles ne
Le premier fait signalé par Beechey,la petitesse des yeux,
pourrait bien être une exception, et n’avoir pas par consé¬
quent une grande importance ; mais il n’en est évidemment
pas de même de la longueur des lobes des oreilles et de l’u¬
sage de la poterie, sur le compte desquels se sont étendus
presque tous les voyageurs. On sait que les Péruviens, sous
les Incas, avaient, eux aussi, la coutume de se faire aux oreil¬
les un trou d’une grandeur incroyable, dans lequel ils pas¬
saient
un
pendant d’or d’une longueur démesurée. C’est sans
fait, joint à quelques autres analogues, qui a porté
plusieurs écrivains à conclure que. les premiers habitants
de Pâques provenaient probablement d’Amérique, où nonseulement les lobes des oreilles étaient si largement fen¬
dus, mais où les cheveux sont droits et raides, absolument
comme ceux des statues de Pâques. 11 est vrai que ces mê¬
mes analogies en ont porté quelques autres à conclure le
contraire, c’est-à-dire à admettre que la partie sud de l’A¬
mérique, et particulièrement le Pérou, avaient pu être peu¬
plés par des émigrants venant justement de l’île de Pâques :
cette dernière opinion paraît être celle de l’auteur du rap¬
port inséré dans la Revue Maritime et coloniale, dont nous
avons parlé plus haut, puisqu’il dit que Mango-Oapac et
Mama-Oello (1) pourraient bien être ces émigrants de l’île de
doute
ce
(1) En maori, mango signifie requin ; kapa, ligne, cercle de per¬
; kapakapa, battre comme le cœur. Marna, léger, être lé¬
ger, couler, coulage.
sonnes
LES
283
POLYNESIENS.
Pâques ou de quelque île malaise. Pour M. Pana, les premiers
habitants de l’île de Pâques ne seraient point les ancêtres
de ceux d’aujourd’hui ; il croit que ces habitants primitifs
auraient pu venir de la Malaisie et qu’ils auraient été
chassés par les Polynésiens, longtemps après leur pre¬
mière occupation. Mais s’il y a un assez grand nombre
d’analogies entre les habitants de Pâques et les Péru¬
Malais ? Quel¬
ques-unes physiques, il est vrai; quant aux langues, mœurs,
coutumes, croyances, etc., tout diffère.
En somme, l’opinion de M. Pana ne repose, à notre avis,
sur aucune base
solide, puisque, malgré quelques ressem¬
blances, les Péruviens diffèrent des Polynésiens par une
foule de points et même par les caractères physiques, et
qu’ils se rapprochent plus des Chinois que des Malais (1).
Quoi qu’il en soit, d’autres écrivains ont pensé, avec plus
de raison peut-être, que la distension exagérée du lobe des
oreilles avait été introduite à Pâques soit par des Fijiens,
soit par des Néo-Calédoniens, chez lesquels on trouve cette
coutume de même que l’usage dé la poterie. Il était, en
viens,
en
existe-t-il entre ces derniers et les
effet, naturel de supposer que ces usages,
tout-à-fait in¬
Polynésiens, ou du moins inusités, provenaient
de la race fuligineuse elle-même ; et l’on en a conclu que
l’île de Pâques avait été primitivement peuplée par des
hommes de cette race et que c’était eux qui avaient élevé
les statues et les monuments de toute sorte qu’on y ren-contre. Plus tard, ajoutait-on, les Polynésiens arrivèrent et
ils finirent par chasser ou par absorber les Mélanésiens.
connus aux
En tahitien : mao,
ner une
requin
;
apa
hameçon. Marna, léger, termi¬
cérémonie, une prière. O, préfixe des noms propres au no¬
oe, pron. toi, ép^, cloche, erreur, disette, famine. (Le
employé par les Tahitiens.) Hio, voir, regarder, etc.
sand-wiehien : oilo, première pousse des végétaux.
minatif, etc.;
/ n’est pas
En
Ces
rapprochements sont curieux, s’il est vrai qu’une grande
été connue des Polynésiens,
terre, qu’on croit être l’Amérique, ait
ainsi que semblerait le faire croire la
(1) Voyez ce que nous avons
carte de Tupaia.
dit à ce sujet.
284
LES
Il est bien vrai que les
terie et
Mélanésiens ont l’usage de
l'a
po¬
se font de grandes ouvertures aux oreilles ;
mais ils n’élèvent pas de statues : du moins on n’en a ja¬
mais rencontré dans les îles qu’ils habitent, tandis
qu’on en
a
qu’ils
POLYNÉSIENS.
trouvé dans
beaucoup d’îles polynésiennes et même, com¬
Polyné¬
Pâques,
n’auraient point les cheveux droits et l’on re¬
le montrerons, dans le pays d’origine des
siens. En outre, si les Mélanésiens avaient existé à
me nous
les insulaires
trouverait dans leur
langage quelques traces du langage
mélanésien, si foncièrement différent de celui des Polyné¬
siens. Cependant comme les deux usages retrouvés à Pâques
appartiennent tout spécialement aux Mélanésiens, il faut
nécessairement admettre qu’ils y ont été apportés par eux.
Peut-être quelque pirog’ue égarée soit des îles Fiji, soit
de toute autre île à
traînée
race
noire, a-t-elle été fortuitement
en¬
jusque là, et les survivants, nécessairement peu
nombreux, de ce périlleux voyage, soit qu’ils aient devancé
ou suivi les Polynésiens, se seront
promptement confondus
avec eux. Cette
supposition expliquerait même la remarque,
faite par presque tous les observateurs, par Moërenhoüt en¬
tre autres, que les habitants de Pâques ont la peau plus fon¬
cée que les autres Polynésiens, bien que leur île soit beau¬
coup plus Sud que toutes les îles Polynésiennes. Elle ex¬
pliquerait aussi la forme donnée par les dessins des pre¬
miers visiteurs aux visages de ces insulaires : cette forme
n’est pas exactement celle des visages polynésiens, et elle
se rapproche des figures mélanésiennes plus
allongées.
Elle expliquerait enfin pourquoi on n’a pas trouvé à Pâques
des traces de la langue mélanésienne.
Cependant, pour ce dernier motif surtout, nous ne croyons
pas à la venue d’un canot tout Fijien. Nous aimerions
mieux supposer, malgré les légendes que nous ferons con¬
naître, que ce canot venait des Tuiiga ou de toute autre île,
car Tongans et Fijiens avaient anciennement de nombreux
rapports qui s’expliquent par leur voisinage et que relatent
leurs légendes; Il aurait alors suffi que quelques Mélané¬
siens des Fiji se trouvassent dans la pirogue entraînée jus¬
qu’à Pâques : ainsi pourraient s’expliquer la présence, dans
LES
285
POLYNÉSIENS.
•
de deux usag-es appartenant à la race mélanésien¬
ne, et l’absence de tout autre langage que le Polynésien.
Quelle que soit, du reste, la supposition que l’on adopte,
cette île,
migrations tout comme un peuple¬
d’Amérique ou d’ailleurs. Dans ce cas seule¬
ment les migrations se seraient faites de l’Ouest vers l’Est,
absolument comme cela a eu lieu pour le peuplement de
toutes les îles de la Polynésie plus occidentales que Pâques,
ainsi que nous le montrerons au fur et à mesure que nous
elle entraîne l’idée des
ment venant
avancerons.
quelques auteurs ont dit que les liabitants de
Pâques étaient autocbtbones, soit qu’ils se fussent trouvés
réduits un instant au sommet de leur île, lors de quelque
grand catacly.sme,soif que leur île fit partie du continent que
l’on a supposé exister dans le S.-E. des îles de la Société.
Il n’est certainement pas plus difficile d’expliquer de la sorte
l’origine des habitants de Pâques que celle des plantes qui
Sans doute
croissent
reille
sur
cette île et sur toutes les autres.
Mais
une pa¬
hypothèse n’est guère satisfaisante, et, d’un autre
côté, trop de faits prouvent- les migrations, pour que l’on
puisse mettre en doute que quelques-unes aient pu avoir
lieu
jusque là.
vu l’immense étendue de mer qui sépare l’île
Pâques de toutes les autres îles^ nous croyons que ce
n’est guère qu’au hasard qu’elle doit son peuplement, et
comme les
Polynésiens, plus voisins, devaient être ceux
que les coups de vent entraînaient le plus fréquemment,
nous croyons que ce sont eux, plutôt que tout autre peuple,
qui s’y sont présentés les premiers ; mais peut-être s’y sontils présentés avec quelques individus de race noire. Il est
également bien certain qu’en admettant la possibilité d’un
peuplement antérieur par quelqu’autre race, les Polynésiens
plus forts, plus aguerris, n’auraient pas eu de peine à sou¬
mettre ces populations primitives, à leur faire adopter leur
langage, leurs croyances, à les absorber en un mot. On
sait, en effet, qu’ils avaient la coutume d’exterminer tous
ceux qui les
gênaient. Cette coutume qu’on a retrouvée
dans les îles de la Société, était surtout celle des Néo-Zé-
Toutefois,
de
286
LES
POLYNÉSIENS.
€»
comme après leur départ de leur pays d’ori¬
l’a vu, c’est à eux que Beechey, Taylor et tant
d’autres ont comparé, pour leur ressemblance, les habitants
de Pâques.
Telle est donc, d’après nous, la manière dont l’île de Pâ¬
ques se serait peuplée, c’est-à-dire par des migrations invo¬
lontaires, venant de l’Ouest ; car il est certain que pour
atteindre Pâques qui est dans le Sud-Est de l’Océan Pacifi¬
que, il fallait nécessairement venir de l’Ouest et être poussé-,
en outre, par des vents d’Ouest et de Nord-Ouest, contrai¬
res aux vents alisés qui, eux, n’auraient pu amener les habi¬
tants de Pâques que du cap Horn ou de l’extrémité la plus
sud de l’Amérique méridionale.
Du reste, personne aujourd’hui ne met en doute que les
habitants de Pâques ne soient des Polynésiens : c’est ce
qu’attestent leurs caractères physiques et crâniens, leurs
mœurs, leurs usages et croyances, et leur langue elle-mêmême, comme l’avait déjà avancé Balbi (1). Ce savant trou¬
vait même, ce qui mérite d’être [remarqué, que l’idiome de
cette île a la dureté et les sons gutturaux de celui des NéoZélandais. Le P. Roussel, missionnaire français qui le pre¬
mier a résidé dans cette île, préconisait aussi la similitude
des deux langages, et la ressemblance de celui de Pâques
avec celui de la Nouvelle-Zélande. Enfin il n’est pas jusqu’à
la connaissance, acquise dans ces dernières années de quel¬
ques légendes polynésiennes, qui ne vienne appuyer la
croyance en une origine polynésienne des habitants de Tîle
de Pâques.
S’il fallait s’en rapporter au récit du commandant du na¬
vire anglais la Topaze, qui a visité l’île de Pâques avant
La Flore, ce ne serait même que d’une petite île polyné¬
sienne voisine, que seraient arrPiés les premiers habitants
de Pâques : « Il y a plusieurs siècles, dit-il, leurs ancêtres
arrivèrent dans un grand canot de Rapa, île située à 1900
milles à l’Ouest. Ils abordèrent à Upipu, baie située sur la
côte Est. Leur roi était avec eux, et il fit les statues avec la
landais, avant
gine
; or, on
(1) V. Tableau 23 de la famille des langue::- malaises, et note;
POLYNÉSIENS.
pierre d’une carrière située dans le cratère.
LES
,
28?
» Il ajoute que
celui des autres monuments
origine orientale. Enfin, il regarde
le caractère de ces statues et
dénote évidemment une
comme
probable que le voyage a eu lieu avec les vents
d’Ouest.
Qu’une pareille tradition ait
été donnée, nous n’en
doutons pas ; mais qu’elle puisse être fondée, on nous per¬
mettra d’en douter. Nous sommes même convaincu que
opinion provient uniquement de ce qu’on a rencontré
àRapa des pierres taillées de 2 m. 50 de long sur 1 m. 80 de
baut, placées les unes sur les- autres de manière à former
un mur monumental, comme on en a tant trouvé dans les
îles de la Société, Marquises, etc. On comprend cependant
que quelque canot de Rapa aurait pu être entraîné jusque
là. comme de tout autre point de la Polynésie, et il y aurait
même un fait favorable à cette opinion dans, le langage de
l’île Rapa, qui se rapproche plus du maori que celui des îles
de la Société. Mais nous ayons pourtant delà peine à ad¬
mettre-que telle a pu être l’origine des habitants de l’île de
cartte
Pâques.
moins à la tradition rapportée par
d’après laquelle deux grandes em¬
barcations sans voile, avec la poupe et la proue relevées
comme celles des jonques chinoises, et portant
chacune
Nous croyons encore
le commandant Pana,
400 personnes, arrivèrent dans cette île,sous le commande¬
ment d’un roi appelé Hotu ou Tu-Kaio, qui débarqua et se
Anakena, puis partagea les terres et établit ses colons
Hangaroa, à Mataveri, à Vaï-hu et à Utu-iti (1).
fixa à
à
(1) Evidemment, ce ne seraient pas des Chinois qui auraient
aux localités les noms signalés : tous ces noms, et celui du
chef lui-mème, sont polynésiens et surtout néo-zélandais.
Hotu est prohahleinent mis ici pour 0‘tu. Tu et hotu sont éga¬
lement tahitiens et néo-zélandais. En tahitien, hotu signifie
donné
porter des fruits comme un arbre, s’enflammer comme un homme
en colère ; 0-tu est
le nom d’un dieu et Était autrefois celui du
premier chef ou roi. En maori, hotu, être pressé,
licité.
Tukaio n’est pas
maori
en un
poussé, sol¬
seul mot ; peut-être est-ce Tu
288
LES
POLYNÉSIENS.
Il n’est rien dit d’ailleurs des
populations qui auraient
exister antérieurement. Mais dans ce cas, il est évident
que les nouveaux venus se seraient imposés par la force et
auraient chassé ou exterminé des populations nécessairement
pu
peu nombreuses, puisqu’il n’est rien resté des noms qu’elles
auraient évidemment donnés les premières aux localités.
M. Fana semble du reste admettre comme nous que la colo¬
nie, arrivant ainsi à Pâques, était quelque tribu fuyant l’es-
île par hasard.
à penser que les
habitants actuels de l’île de Pâques y sont arrivés à une
époque peu éloignée, peut-être même à celle qu’indique
ou la mort, et rencontrant cette
Mais tout se réunit, ajoute-t-il, pour donner
clavag-e
Ici
leur tradition.
différons de manière de voir avec
nous
malgré que les traditions n’indiquènt que vingt-deux
générations, nous pensons, et nous ferons voir pourquoi en
parlant de la date des migrations, qu’elles auraient pu avoir
lui
:
lieu bien antérieurement.
possible d’accorder quelque con¬
nos jours, nous aimerions
certainement mieux admettre celle qui appartient aux îles
Mangareva, parce que celle-là a du moins pour elle la vrai¬
semblance, tout en témoignant d’un fait qui a dû se présen¬
ter et qui s’est présenté bien souvent en Océanie. Voici cette
Si néanmoins il était
fiance
aux
tradition
.
traditions obtenues de
:
partisans d’un certain chef de Mang’areva ayant été
Les
battus, durent chercher leur salut dans la fuite. Favorisés
fort vent d’Ouest, ils partirent
par un
Kaioio
:
bas. Kai
à
:
anake, seulement;
Hangaroa est aussi tout maori
Mataveri,
un
en
iti,
en
gnifie pet.
Utii
en
maori
insecte de
Vai-hu,
mêmes
g-rand nombre,
ka, particule, brûler ; ioio, être dur; ou Tit-ka-iho : iho^ en
signifie manger, nourriture et toute personne employée
quelque ouvrage.
ylaateîîÆ est maori
est
en
:
:
mata, œil ;
na,
interjection.
hanga, fait, faire
; ro«,
grand.
veri, racine. En tahitien, veri
mer.
maori
maori
Wai,
:
:
utu,
significations,
en
eau ;
hu, qui bout. En tahitien, hu si¬
paiement, présent ; iti, petit. En tahitien
outre de plusieurs autres acceptions.
LES
POLYNÉSIENS.
289
hommes, femmes et enfants, avec des provisions de toutes
sortes, sur deux grandes pirogues qui ne revinrent pas. La
même tradition ajoute cependant qu’on a su plus tard, par
l’un d’entre eux qui revint à Mangareva,
qu’ils avaient ren¬
contré une île en plein Océan, qu’ils y débarquèrent dans une
petite baie environnée de montagnes, et qu’ayant voulu vi¬
siter l’île, il y trouvèrent des traces d’habitants. Pensant
alors qu’ils ne tarderaient pas à être
attaqués, ils se fortifièisent au plus vite sur les hauteurs d’Anakena et se ren¬
fermèrent dans des carrés de pierres. Peu de jours après,
en eiîet, ils furent
attaqués par une nuée d’habitauts armés
de lances et de pierres, mais ils reçurent si bien les assail¬
lants que pas un d’eux n’échappa. Le reste de la
population,
éparpillée çà et là dans l’île, fut impitoyablement massa¬
crée, sauf les femmes et les filles que les nouveaux venus
gardèrent pour eux.
Nous
quel est le premier écrivain qui a fait
légende ; elle rfétait point encore connue
du studieux M. de la Tour, quand nous visitâmes les Man¬
gareva ; mais nous ne^ croyons guère au retour de l’un de
.ceux qui avaient émigré à
Pâques : ne serait-ce pas tout
simplement la même tradition que nous avons racontée si
longuement dans notre Voyage aux îles Mangareva (1), et
qui n’avait trait qu’à la fuite d’un parti vaincu, vers la pe¬
tite île appelée Timoe, en vue des îles Gambier ? Nous se¬
rions assez porté à le croire.
Cette tradition, si elle pouvait être admise, prouverait
que l’île de Pâques aurait déjà été peuplée avant l’arrivée
des Polynésiens dont elle parle ; mais puisque la popula¬
tion entière aurait été exterminée par ces derniers, ce ne se¬
rait pas elle, comme on l’a soupçonné, qui serait allé peu¬
pler le Pérou, ayant Mango-Gapac à sa tête. Tout au plus
aurait-elle pu en venir, comme le supposent les partisans
du peuplement de la Polynésie par l’Amérique. Mais alors
on aurait du trouver à Pâques quelques mots laissçint soup¬
çonner l’origine péruvienne, ce qui n’a pas eu lieu.
ne.-savons
connaître cette
(1) P. 6 et suiv.
Il
19.
290
LES
POLYNÉSIENS'.
O
Malgré toutes les suppositions faites, aussi bien relative¬
américaine, que relativement
à celle d’une race noire polynésienne, première occupante
de Pâques, on n’a, jusqu’à ce jour, jamais trouvé dans cette
île que des mots non pas seulement polynésiens, mais plutôt
Néo-Zélandais. A ceux que nous avons déjà cités, on peut
ajouter, par exemple, les mots miromiro, ti, hau, rano, kau
ipapaku, puhu mangamanga, etc., qui tous appartiennent
à la langue maori (1). lien est de même de la plupart des
mots qui figurent dans la liste des rois de Pâques, liste qui
a probablement été donnée par le P.. Roussel à M. de Lauelin, lors de son passage à Tahiti, mais que Ton a signa¬
lée comme incomplète. Voici cette liste, telle qu’elle a été
transcrite. Nous ne cbèrcberons pas à déterminer la signi¬
ment à l’existence d’une race
fication de tous
ceux
des
ces
mots ; nous nous bornerons à dire que
où. existe le h sont de la
Nouvelle-Zélande, des Tunga,
Marquises, des îles Hervey ou des Sandwich.
Hotu
hotu, poussé, pressé, et plus probablement
motua. :
o-tu, nom de dieu et de chef ; motua,
Tu
MA
n’est ni
Maori, ni Tahitien ; matua, père, mère à la Nou¬
velle-Zélande ; metua, à Tahiti.
HEKE : tuma au-dessus de ; heke, personne qui a émi¬
gré
;
pur,
tu, dieu, chef ; ma, en Maori et
blanc, net, propre, etc.
en
Tahitien,
(1) Miromiro ou miro, est en Maori le nom du Podocarpus ferruginea ; à Tahiti, le toromiro ou amae est un arbre sacré planté
dans les
marae.
Ti, est, à la Nouvelle-Zélande, le nom de la cordyline australe;
à Tahiti, celui du Bracœna terminalis.
Hau, hibiscus, ne peut venir que des îles de la Société ou, des
: c’est le purau des Mar/^uises et le fau de Tahiti*
Rano, nom d’un cratère à Pâques, n’est pas maori : c’est rango,
et en Tahitien, rao ; ce mot, dans les deux endroits, signifie : rou¬
leau pour traîner les embarcations, grande mouche, marques pouf
enchantements, etc.
Marquises
Kau
pàpaku
: en
‘Maori, kau, seulement ; papaku, profond; à Pâ¬
aussi est-ce raraftw,tranquille.
enflure, tumeur ; c’est le nom
ques, il signifie cimetière; peut-être
Puku manga manga, en Maori,
d’une montagne à Pâques.
O
Jf
•
.
LES
Mircï
POLYNÉSIENS.
291
ma^heke : miru n’est ni Néo-Zélandais, ni Marquésan, ni Tahitien ; ce doit être maru, nom d’un
dieu, et signifiant en outre : puissance, être meur¬
tri, tué, être couvert, protégé.
Lata miru :
laia, apprivoisé, domestique (Samoa), être
proche, être soumis ; latu, chef constructeur (Sam.)
Miru ohata : ohata n’est
pas Samoan.
Mitiake : miti, lécher, sucer, boire à
petits coups, claquer
des lèvres; afee, toujours.
A'saraka a miru ; ata, ombre, aurore,
héros, homme fort
(Samoa) ; matin, ombre, doucement (Nouvelle-Zé¬
lande) ; raka, entortillé, embrouillé (Nouvelle-Zé¬
lande).
otu
Atuü
RERAKA ■:
avant ;
Uraki
atuM n’est pas
lande.)
kekana :
aturere,
nom
maori ;afM, d’ici, de là, en
d’un poisson (Nouvelle-Zé¬
uraki n’est maori ; ura,
briller, resplendir
parlant du soleil ; ki ; très, parler, penser ; keka,
se frapper la
poitrine, se lamenter; na, interjection,
conjonction, adverbe ; etc.
tuhuka : fe/iMi,
troupeau, (Nouvelle-Zélande) ; réu¬
en
Kahui
Te
nion, multitude (Marquises) ; tuhuka, prêtre, mé¬
decin, habile, maître (Marq.).
grand, (Nouv-Zél.) ; le grand-prêtre
(Marq.) ; long, grande distance (Tah.).
Marakapau ; mara, ferme, culture ; ka,
particule, temps
des verbes; pau, patate,
consommé, épuisé.
Ahurihao : àhuriri, haie élevée autour des cultures
pour les
préserver de l’inondation (Nouvelle-Zélande) ; hao,
entourer, environner.
Nui te patu : nui, grand ; te, le ;
patu instrument pour
frapper, battre, tuer.
Hirakau tehito ; hira, m\iltitude
; kau, seulement ; tehito,
tuhuka roa :
roa,
vieux, ancien, décrépit (Marq.),
Toki : tupu,
descendre, pousser ; i, de ; fe la ;
toki, hache.
Kura ta hoka : kum,
rouge ; ta hoka, abri en branches
coupées.
Tupu
i te
,
292
LES
POLYNÉSIENS.
iti, petit ; rua, deux, nom d’un dieu
tien ; anea pour anahe, seulement.
Havi nikiro : ces mots ainsi écrits ne sont pas maori.
Hiti
ruaanea :
Te
ravarava :
Te
rehai :
taM-
grand, mince, beau (Tabit). ; rava,
noir, brun (Tah.) ; rawarawa n’est pas maori ; raloa, enjoué, étranglé, biens, propriété, etc. (Nou¬
ravarava,
velle-Zélande.)
peut-être pour te rehe, le ridé,
signifie ciel, en Tahitien.
ou pour
te ra'i qui
.
Koroharua
:
koro, personne, et probablement horua,
descendre.
Te
ocre,
te rïki, le petit ; en
ticule ; atea, clair, être clair,
Tahitien, rii ; ka, par¬
nettoyé ;
Kaï makoï : kai, travailleur, homme ;
makoi, menteur, tra¬
cassé, tourmenté, jaloux.
Tehetu KARA.KURA : probablement wuetu, étoile ou
plutôt
ketu, couler comme la marée, déraciner, arracher ;
kara, vieillard, pierre basaltique ; kura, rouge.
Hüero ; probablement wero, pointe, aiguillon, percer à
coups de lance ; en Tahitien, huera signifie graines
des arbres, œufs des oiseaux, poissons, lézards,
etc.,
huero moa, œuf de poule.
Kaimakoi : kai, homme ; makoï, menteur, tracassier. Kairikaatea ;
makoi et
portés
son
aux
fils Maurata ont été enlevés et trans¬
îles Ohinchas, où ils sont morts.
On voit que presque tous ces mots sont néo-zélandais,
àpart
tahitiens, samoans, etc.
Il existe une autre liste qui ne donnerait
paraît-il que
le nom des reines. Elle semble être encore
plus incom¬
plète que la première. Nous croyons devoir la donner éga¬
lement avec la signification des mots qu’elle cite ;
quelques-uns, qui sont des
Hotu,
d’un roi dans la première liste.
inu, boire ; meke, racine de fougère broyée.
nom
Inumeke
Vakaï
noms
:
kaï, personne (du pays).
lumière ; roa, grande.
Mitiake ; miti, lécher, sucer ■, ake,
toujours.
Inukura : inu, boire ; kura, rouge.
:
Marama
wa, pays ;
roa :
marama,
/
LES
0
Mira
Otü
Inü
Iku
293
clialeur rouge.
:
raka^ enveloppé, entortillé.
'd’un poisson, le dernier
raka :
iko
inu boire ; hikie, queue
d’une troupe de peuple.
:
kanae :
de
Tuku
POLYNÉSIENS.
hiku queue
poisson,
d’un poisson, etc. ; kanae, espèce
saumon.
tuku, descendre ; ia, courant, ce, lui, elle ;
hiahia, désir.
Ail MOA mana : au, moi ; mon, pierre ; mana, puissant.
Tüpai riki : tupai, pierre ; riki, petite.
Mataipi : matai, mendier, nom d’arbre ; pi, monter.
Terakai : tera, celui-là ; kai, homme.
Raimokaki : rahi, serviteur ; rae, front ; rei,
poitrine,
grande dent ; mokaikai, tête desséchée.
Kopara ; ko, préfixe ; para, couper des broussailles.
Tepito : te, le ; pito, nombril, fin d’une chose.
IA IA
:
Cette liste, à notre avis, n’a d’autre valeur que de mon¬
trer, mieux que la précédentq^ que la plupart de ces mots
sont
maori.
Les ' mots meke et kanae surtout
indiquent
origine. Peut-être aussi pourrait-on, de l’ensemble,
conclure à l’entraînement, jusqu’à Pâques, de quelque colo¬
nie des Marquises qui aurait été la population première de
l’île. Ainsi s’expliquerait l’absence de tout mot
étranger et
le peu d’influence que les femmes, conservées après le mas¬
sacre des hommes, auraient eu sur la
prononciation maori
importée par les derniers Polynésiens arrivants. Ces lan¬
gues, en effet, devaient alors se ressembler beaucoup ; on
sait parfaitement,aujourd’hui que les dialectes polynésiens
sortent tous d’une source commune et que les légères diffé¬
rences qui existent entre eux ne se sont formées
qu’avec le
temps et l’isolement.
*
Quant à l’usage de la poterie et à la distension exagérée
du lobe des oreilles, l’explication que nous avons donnée
de leur introduction à Pâques nous paraît la plus ration¬
nelle, car nous n’admettons pas, malgré quelques analo¬
gies, que les premiers habitants de cette île aient pu être
des émigrants d’Amérique : les différences entre les deux
cette
«
294
LES
POLYNÉSIENS.
'
populations sont trop profondes. Le contraire serait plus
vraisemblable.
Pourtant, il faut bien en convenir, c’est plutôt à cette
la plupart des écrivains, les modernes
surtout, seinblent disposés à attribuer l’origine des habi¬
tants primitifs de l’île de Pâques qui, plus tard, auraient
été chassés ou exterminés par les Polynésiens. Ce qui les y
porte le plus, c’est l’analogie trouvée entre certains mopuments de cette île et ceux du Pérou, mais particulièrement
celle qui existe entre les statues des deux contrées : on a
vu que telle est l’opinion émise par M. Pana. Déjà Beechey,
croyant qu’il y avait impossibilité matérielle aux habitants
trouvés dans cette île d’élever de pareils monuments, n’a¬
vait pas hésité à les regarder comme l’ouvrage d’une race
d’hommes différente de celle qui l’occupe aujourd’hui, et qui
aurait disparu à la suite de quelque grand cataclysme ; c’é¬
tait également, comme on sait, l’opinion de d’Urville, qui
écrivait, alors qu’irn’avait pas visité Pâques ; « Les habi¬
tants trouvés par les premiers navigateurs n’étaient pas
les aborigènes, mais bien une autre race qui aurait été
exterminée par la dernière arrivée, venant des îles occiden¬
dernière contrée que
tales.
»
Ainsi que nous
allons tâcher de le montrer, l’opinion de
et
repose que sur une observation incomplète,
les ressemblances réelles qui existent entre les habitants
Beechey ne
de
Pâques et leurs statues prouveraient plutôt, à notre avis,
qu’elles n’ont été faites que par eux." Mais avant d’aborder
cette discussion, nous dirons ce qu’étaient et ce que sont
encore ces statues, dont tous les voyageurs ont parlé, de¬
puis Roggeween, jusqu’à M. Palmer, le chirurgien de la
Topaze, qui a décrit les monuments encore nombreux de
l’îlede Pâques, jusqu’à M. de Lapelin, le commandant de
la Flore, qui en a donné un dessin exact dans la Revue Ma¬
ritime et coloniale de 1872.
plusieurs centaines encore,
pieds, et en atteignent même parfois
Beaucoup sont couchées, mais la plupart sont éle-
Ces statues, au nombre de
sont hautes de 5 à 20
30 à 40.
'
LES
POLYNÉSIENS.
295
vées'sur de vastes plates-formes bâties avec des pierres polies
et taillées avec soin (1). Quelques-unes sont enterrées jus•qu’au cou, de sorte que la tête seule est visible. Elles sont
faites d’un seul bloc de lave grise trachytique ; toutes
autrefois portaient sur la tête une sorte de bonnet for¬
mé avec une pierre rougeâtre, d’une autre nature que celle
du bloc principal. Une de ces statues, mesurée d’une épaule
à l’autre, n’avait pas moins de dix pieds de largeur. Leur
principale singularité, c’est que toutes ont les lobules des
or'èilles très-allongés et percés absolument commé les lo¬
bules de la
population actuelle.
Le reste des traits de la
figure est assez fidèlement repro¬
duit, mais les autres parties du corps sont difformes. Pour
en avoir une. idée exacte il suffit, du reste, de jeter un coup
d’œil
sur
les
quelques figures publiées dans la Revue
Maritime et Coloniale de 1872,
mais surtout
sur
le des¬
Dumont d’Urville a donné dans son Voyage pit¬
toresque (2). Ce dernier fait parfaitement comprendre
l’effet produit par le bonnet posé sur la tête et l’allengesin que
ment des lobules de l’oreille.
premiers, décrit ces statues avec
le front était à peine
marqué, le cou très-court, les oreilles énormes, et que les
cheveux étaient raides et droits. D’après eux, le bonnet qui
surmontait la tête de chacune était formé d’un cylindre en
pierre, de quatre à cinq pieds de diamètre, faisant à lui seul
Cook et Forster ont, les
soin. Tous les deux observèrent que
le tiers de la statue.
Quoique vues dans le même moment par Cook et Forster,
premier, qui n’a jamais écrit un mot polynésien sans
le dénaturer, donna à ces statues les noms de Gotole
(1) Le rapport inséré
que
dani la Revue maritime dit,
les pierres des plates-formes sont brutes.
au
contraire,
(2) Ch. 63. Voir aussi le Journal sur Terre et sur Mer, 3= n°
articles
l’Etat-
p. 73, où M. Viaud en fait figurer quelques-unes, dans les
fournis par lui sous le titre de Journal d’un sous-officier de
Major de la Flore,
Co
296
I.ES
0
POLYNÉSIENS.
Marapate, Kanaro, Goioai-toogoo, Matta-Éi'atta,
moara,
devant
lesquels devait être placé, disaitdl, le mot moi, au¬
ajoutait quelquefois celui à’aree-kee. Il ajoutait que
moi signifiait, d’après ce
qu’il avait compris,
Ma sœur, écoute le chant
delle de
ma
gogo
sina !
!
de ton Tane, ô blanche hiron¬
mer.
bien-aimée, je vole partout à ta recherche.
Je descends dans la vallée, je monte
un oiseau.
Je
le
chère Sina, ô ma chère Sina,
Ma sœur, mon
O
o
cours vers
toi ; ne
t’effraie
pas ;
dans la vallée, comme
n’aie
pas peur
de moi !
458
LES
Sou,
Sina,
POLYNÉSIENS.
funa, épithète quand on parle à une femme ; soufuna, terme d’appel à une femme.
de femme, blanc, blanche.
mon, ton ;
*■
nom
Le, article le.
Tamafafine, la mère de descendants, de postérité ; fille de
mère
seulement ; les enfants d’une sœur ;
fafine, femme, épouse, femelle.
Feagaiga, parenté entre frères, sœurs et leurs enfants.
Lota,
mon, ma.
Tuafafine,
Na, de.
sœur
de père.
E, exclamation, sig'ne du vocatif après le
l’impératif.
Tagi, cri, plainte, lamentation, chant.
I, dans, sur, avec.
Lau, ton.
Tane, homme, mâle, mari, nom d’homme.
Gogo, oiseau, hirondelle de mer.
nom,
signe de
Manamea, hien-aimée.
Ana, son, sa, caverne, chercher secrètement.
Tipa, couler, voler,
Iso, descendre,
nag’er.
Vanu, vallée,
Ae, monter.
Au, moi.
Manu, oiseau.
Ta, je, nous deux, préfixe dénotant une action répétée,
prompte, pénétrante.
Alu, aller, aller en avant, en arrière, arrivée opportune.
Ita, je, moi.
Nei, ne, de peur que ; ce, cet, ces.
Pau, être craint, redouté, craindre, atteindre, arriver à.
Lilia, timide, effrayé, épouvanté,®qui a peur.
Chant
Sole Tui, sau i
fale !
de
Sina.
T'ui e, sau i fale, i ta gagase.
Nau valaau, o Tui, ma Tui !
9
LES
459
POLYNÉSIENS.
le tafue !
tofa i ou vae nei !
Oe mai ai le tasi Tui, o Tui
Le
moe
nei 1 Le
Tui e, sau i
fale nei !
Cher Tui, viens dans la
maison !
O Tui, viens dans la maison, je te le
Je t’appelle avec ardeur, ô Tui, mon
Toi,
mon
^
permets, ami.
Tui !
unique maître, ô Tui, mon appui !
•Dormons ensemble ! viens dormir dans mes bras !
O
Tui, viens dans cette maison !
Soie, ami.
Tui, nom donné à un grand chef ; roi.
Sau, venir.
/, dans,
sur, avec.
Fale, maison.
E, exclamation ; signe du
l’impératif.
vocatif après le nom ; signe de
Ta, je, nous deux, préfixe dénotant une
pide, pénétrante.
action répétée, ra¬
Gaga, permission.
Se, ami.
Eau, désirer ardemment.
Valaau, appeler, inviter.
Ma, nous deux, pour maua ;
Oe,, toi.
préfixe, préposition.
Mai, particule dénotant une action vers celui qui parle ;
prép. de ; venir de, s’élever de.
Ai, partie relative ; pronom qui ; probablement, sûrement.
Le, article.
Tasi, unique.
Tafue, la partie d’un arbre juste au-dessus du sol.
Moe, dormir, s’asseoir comme une poule sur ses œufs,
cohabiter.
Nei, ce, cet, ces ; ne, ne pas.
Tofa, nom donné au sommeil
Ou, mon, ma, mes, dans, sur.
Vae, jambes, cuisses.
des chefs.
460
LES
POLYNÉSIENS.
MUALEVA,
CHANT
SAMOAN.
Aue mauga, mauga o
Savaii, e tau fetaai !
tiga mauga o Savaii, e tau fetaai !
E fetaitai ma fale,
Ma mauga loa ma Vaete,
Ma utu alau fau.
Aue mauga, etc.
E
,
Sepule aléa,
Ma
maluatea.
Ma midi mauga o Olomea,
Ma te vao na o masa tuai,
Lopa mai i le nuanua,
Ma le afia i muli mauga.
Aue mauga,
Nous
sens
ne
etc.
cherclierons pas
à traduire
est fort obscur ; nous nous
ce
mualeva, dont le
bornerons à
en
donner le
mot-à-mot.
Aue, hélas ! oh !
Mauga, montagne.
O, préfixe possessive, de, appartenant à.
Savaii, Savaii.
-E, signe du nominatif ; indicatif ; pron. pers. toi, vous;
interject. ; signe du vocatif ; particule af¬
firmative ; pron. ceux, qui, etc.
; exprimer le suc ; champ,
plantation, saison, année ; aller frapper ;
feuilles qui servent à couvrir le four sa-
Tau, cueillir certains fruits
moan
Fêtai
ou
fetaai,
cocotier;) conduire les autres; nom
plante rampante.
battre, lutter avec des casse-têtes ; aller
par bandes ; s’entrevisiter ■ de village en
village.
de
se
etc.
se battre avec des casse-têtes ; lutter avec
des lapalapa (nervure principale des feuilles
d’une
Taufetaai,
;
/
LES
Tiga,
vain ; souffrir
POLYNÉSIENS.
461
souvenir amer.
*
Fetaitai, marcher deux ensemble, les doigts entrelacés, bras
en
;
dessus, bras dessous.
deux ; prép. avec ; conj.
Ma, pron. pers. pour maua, nous
aussi.
Fale, maison.
Loa,long ; longtemps, il y a longtemps ; de suite, inconti¬
nent.
Vaete, probablement nom de lieu.
ütu, fossé, trou, tranchée
couler;
;
jonc
sans cesse,
;
être épuisé, cesser de
incessamment.
A, quoi ? lorsque, si ; presque, sur le
la part de, par, de.
point de ; mais
;
de
Lau, feuille, pousser des feuilles ; pron. possess. ton, ta,
tes, mon, ma, mien, etc.
Fau, Hibiscus ; cordon fait au liber de cet arbre.
Se, s’égarer, se tromper ; effrayé ; cigale, insecte ; pron. et
art. indéfini un, l’un, tel, quelque.
Pule, commandement, ordre, ordonner, commander, gou¬
verner.
Le, art. le, la
; pron.
négat.
relat. celui
que, ce
que ;
adv. de
ne pas.
Malua, anfractuosité, trou dans un récif où se tient le fee
(poulpe.)
Tea, être parti de ; déloger, quitter la place ; être
rassé, privé, éloigné de ; etc.
débar¬
Midi, le dernier, la fin, le derrière, le fond ; en dernier
lieu.
Olomea,
nom
de lieu.
Te, le, art. le, la.
*
Vao, bois, forêt, endroit non cultivé, inhabité.
Na, pron. ce, cette ; caché, doux, paisible, apaiser.
Masa, basse mer ; avoir mauvaise odeur ; vide.
Tuai, tarder à, se faire attendre, être long ; il y
temps, vieux, ancien, d’autrefois.
a
long¬
462
LES
POLYNÉSIÈNS.
Lopa, collier.
Mai, particule dénotant action vers celui qui parle.
I, prép. à, pour, de, avec.
Nuanua, arbrisseau, melitis vitiensis.
Afia, arbrisseau, ascarina lanceolata.
O
P
IV.
TRADITIONS ET
LÉGENDES.
Témoignages d’entraînements des Tongàns et des Saiiioans aux Fiji. —
ces entraînements,
rapportées par Pritchard. —
Légendes : Sina; Rorandini 5 origine des cocotiers; origine duTaro;
origine du feu ; origine des serpents aux Samoa. — Autres analogies
cômmünes entre les trois archipels. — Croyance en un même Burotu.
Traditions relatives à
Discussion sur cë mot.
—
Conclusions générales.
précédentes, auxquelles nous avaient
propres études, après un long séjour en Océanie,
ont été confirmées plus tard par l’ouvrage si plein de faits
publié par Pritchard. Cet écrivain, plus h même que tout
autre de comprendre les traditions océaniennes, dont quel¬
ques-unes l’avaient bercé dans son enfance, a réuni toutes
celles qu’il a pu se procurer pendant sa résidence, comme
Consul, dans les deux archipels Samoa et Fiji. Nous allons
examiner ces traditions, si importantes pour la thèse qui
Les conclusions
amené
nous
nos
occupe.
qu’elles appuient tout particulièrement les dé¬
auxquelles nous sommes arrivé par l’observation et
par l’étude des dialectes, c’est-à-dire que les Tongans et les
Samoans sont allés aux Fiji, mais entraînés d’abord par les
coups de vent.
Si elles établissent que^ des entraînements ont eu lieu
fréquemment des Tunga, des Samoa, et même parfois d’îles
plus Ouest, telle que Rotuma, elles montrent aussi, qu’ex¬
cepté le mélange opéré, dans les îles orientales des Fiji,
entre les Fijiens et les Tongans, ce mélange n’existe pour
ainsi dire pas dans les îles occidentales, où il se borne à la
postérité d’un petit nombre des naufragés;
On
verra
ductions
464
LES
Ces traditions ne
POLYNÉSIENS,
précisent
pas
Vi
l’époque des entraîne¬
Tong-ans et des Samoans aux Fiji ; mais elles
semblent faire remonter à une date assez éloignée la déter¬
ments des
par les Fijiens, de tuer tous ceux
deraient dans leurs îles ; les motifs qu’elles en
mination, prise
sont
trop vraisemblables pour n’être pas les
qui abor¬
donnent
véritables.
prouvent enfin que les îles Fiji étaient connues des
autres archipels depuis fort longtemps ; que les mélanges
observés dans l’Est semblent dater eux-mêmes d’une épo¬
Elles
que
antérieure à la loi d’extermination ; que les îles Samoa
présentent pas ces traces de mélanges existantes entre
les Fijiens et les Tongans ; etc.
Nous citerons d’abord quelques témoignages d’entraîne¬
ments rapportés par le savant anglais :
On trouve, dit-il (1), sur la côte Nord-Ouest des Fiji, des
traces de mélange avec la population de Rotuma, qui est
située à 300 milles dans l’Ouest ; le souvenir de la venue
de ces habitants de Rotuma est encore conservé dans les
traditions de quelques familles. Mais il ajoute un peu
plus loin : (2) « Sur cette côte, le mélange des races est
borné à la postérité du petit nombre de ceux arrivés de Ro¬
tuma, des Samoa ou même des Tunga. »
Des hommes 4rès-âgés lui ont rapporté la tradition de la
venue de Samoans dans les environs du district de Mathuata, sur la côte Nord-Ouest des Fiji : ces Samoans avaient
été entraînés pendant qu’ils étaient à la pêche ; mais, ajou¬
te-t-il, CT je n’ai jamais ti’ouvé de descendants de ces hom¬
mes dans les localités indiquées. (3) »
Les lignes suivantes méritent surtout d’être remarquées,
parce qu’elles expliquent l’existence, aux Fiji, du mot Sa¬
moa : (4) « Sur la côte Est de l’île Wakaia, c’est-à-dire tout
ne
à-fait
au
centre du groupe
(1) Loc cit. p. 379.
(2) Ibid, p. 3S4.
(3) Ibid, p. 379.
(4) Ibid. p. 380.
«
des Fiji, existe une vallée, dé0
LES
465
POLYNÉSIENS.
rivag-e, qui porte le nom de Samoa. Cette
longtemps inhabitée -, il n’y a aucune tra¬
dition touchant le nom qu’elle porte. Aucune tribu n’a la
prétention de l’avoir dénommée ou de l’avoir possédée au¬
trefois. Mais les Fijiens sont si habitués au fait des mi¬
grations involontaires et, par suite, au mélange des races,
qu’ayant interrogé à ce sujet un vieux prêtre, il me répondit,
sans la moindre hésitation, que le nom de cette vallée n’é¬
bouchant
sur
le
vallée est restée
tait,que le vestige de l’habitation de quelques
pauvres Saentraînés anciennement de leurs propres îles, et
les descendants, après s’être mêlés aux naturels
moans,
dont
Wakaia, avaient fini par être exterminés, dans les guer¬
fréquentes qui étaient survenues dans cette île. »
A la même page de son ouvrage, Pritchard cite un autre
de
res
exemple d’entraînement
et dans l’île voisine
: «
Dans le district de Rewa (1)
Kandavu,
sur
les limites Sud-Est du
groupe, il y a aujourd’hui, dit-il,, une
nom. de Vasanamu : son état social et
tribu connue sous le
politique est tout-àfait distinct de celui des autres îles Fiji ; elle attribue son
origine aux gens qui formaient l’équipage d’une flotte de
canots de guerre, entraînée plusieurs générations aupa¬
ravant, de Tongatabou jusqu’à l’île Kandavu. Ceux qui
échappèrent au naufrage s’unirent à des femmes fijiennes ;
ils enseignèrent à leurs descendants la langue, les cou¬
tumes, les traditions et le culte des dieux de la terre d’où ils
partis malgré eux.
grand orgueil des descendants de ces vieux nau¬
fragés sur une terre étrangère, est de passer pour être les
plus habiles dans la manœuvre de leurs canots, et de chérir
leurs ancêtres Tongans. »
Mais la tradition, la plus importante peut-être, rapportée
par Pritchard, est celle qui fait connaître la cause de la loi
d’extermination, promulguée contre tout étranger abordent
les îles Fiji.
Suivant le savant anglais, cette coutume de tuer et de
manger tous les naufragés jetés snr les Fiji, coutume qui
étaient
«
Le plus
(1; Rüwa
se
trouve sur l’île Na-Viti-Levu.
30.
U
*1
466
LES
POLYNÉSIENS.
: « Les naufragés sont envoyés
les dieux pour fêter les chefs, » était de date récente,
comparativement aux rapports existant entre les Polyné¬
siens et les Fijiens : d’après lui, en effet, ces rapports da¬
taient, au contraire, d’un temps très reculé. Ce qui le prouve,
dit-il, c’est que les vieillards les plus âgés, les conserva¬
teurs des anciennes histoires, affirment unanimement qu’il
y a eu un temps où n’existaient, dans leurs îles, ni canni¬
balisme, ni guerres.
*
Cette assertion est appuyée par le récit suivant, d’un
vieux prêtre octogénaire, qui habitait la vallée de Namosi
dans l’île Viti Levu, sur l’origine de la guerre, le cannihalisme et les visites anciennes des étrangers aux îles Fiji (1).
Dans les anciens temps, bien longtemps avant que le
grand-père de mon grand-père devînt prêtre de Namosi, les
guerres étaient inconnues dans les Fiji, et il y ' avait
beaucoup plus d’habitants et de villages qu’aujourd’hui.
avait donné üeu à la maxime
par
.
a
Les chefs d’alors
se
contentaient de vivre
sur
leurs propres
dérober la femme des
jalousaient pas. Les étrangers qui arri¬
vaient aux Fiji dans leurs canots, etqui disaient avoir été en¬
traînés par des coups de vents de leur pays, du pays que les
dieux leur avaient donné, n’étaient pas tués. Il leur était per¬
mis de rester parmi les Fijiens, et on les considérait comme fai¬
sant partie de la famille du chef, sur la terre duquel ils avaient
abordé. Quand les guerres commencèrent aux Fiji, ils ai¬
dèrent les chefs avec lesquels ils vivaient. Mais, plus tard,
quelques-uns de ces étrangers causèrent des troubles : ils
firent de mauvaises choses. Après être devenus membres
de la tribu parmi laquelle ils vivaient, ils se crurent
très puissants. Ayant traversé les tempêtes de la mer,
ils pensèrent, par suite, pouvoir Entreprendre quelque cho¬
se. Quelques-uns d’eux tuèrent les chefs des Fiji, avec les¬
quels ils demeuraient, et prirent leurs femmes, pendant que
d’autres faisaient la guerre à quelques autres chefs. Quel¬
ques-uns essayèrent même de se faire chefs. Ils disaient
terres ;
ils n’avaient pas appris à
autres, et ils
ne se
(1) Réminiscences, p. 38L
LES
POLYNÉSIENS.
467
que leurs dieux étaient plus puissants que les dieux des
Fiji. Cela irrita les prêtres. Si bien que les prêtres dirent à
leurs chefs, que les dieux étaient courroucés et
qu’ils avaient
ordonné qu’on tuât tous ceux qui yiendraient aux îles Fiji.
Les prêtres dirent encore que les dieux avaient
envoyé ces
étrang’ers pour tuer les chefs et prendre leurs femmes, parce
qu’ils étaient irrités contre les chefs qui avaient permis à
ces
étrangers de vivre sur une terre que les dieux n’avaient '
donnée qu’aux Fijiens. De sorte que les chefs, effrayés de
la colère de
dieux, tuèrent toutes les personnes qui
Fiji dans leurs cauots. Les prêtres
avaient dit aussi que les dieux leur avaient fait connaître
qu’aucun des chefs fijiens, qui seraient tués parmi étranger
étaient
nos
venues
aux
d’une autre terre, n’irait vivre
dieux seraient
en
Burotu, et que, quand les
apaisés en voyant les chefs obéir aux prêtres,
grands vents pour pousser les peuples
jusqu’aux Fiji, afin que les chefs pussent tuer tous les étran¬
gers et prendre leurs canots et leurs femmes.
Et ainsi les étrangers qui arrivaient aux Fiji étaient
tués, parce que les dieux l’avaient ordonné.
Ce vieillard, ajoute Pritchard (1), pensait fermement
que c’était véritablement la volonté des dieux que tous les
gens de chacun des malheureux canots, entraînés sur les
côtes des Fiji, fussent condamnés à mort, et,
quoiqu’il ne
voulût pas en convenir complètement, je vis clairement,
par
ses subterfuges, qu’il pensait également
que c’était la vo¬
lonté des dieux qu’ils fussent mangés. »
ils enverraient de
«;
«
Il n’est certainement pas d’exemple prouvant mieux
que
celui-ci que les Tongans et les Samoans ne sont d’abord
allés aux Fiji qu’entraînés par les vents, et non dans le but
de les conquérir. D’après cp récit, ils n’auraient été
que to¬
lérés, jusqu’au moment de leur expulsion, à la suite de
leur tentative d’usurpation du pouvoir. Mais quand on se
rappelle le grand nombre de mots polynésiens qui existent
dans lé lang'age des Fiji, il est évident, comme nous l’avous
dit, qu’ils avaient dû
(1) Ibid,
p,
383.
y
séjourner fort longtemps avant
468
LES
POLYNÉSIENS.
qu’on ne prît cette mesure ; c’est, comme on vient de voir,
l’opinion de Pritchard lui-même. Cela avait dû se passer à
une époque assez reculée, bien antérieure par conséquent à
celle dont parle Mariner, et probablement, ainsi que nous
l’avons supposé, dès le début de l'arrivée des Fijiens dans
leurs îles.
l’époque de Mariner, des rapports fréquents et intimes
Tongans et les Fijiens des îles
orientales, c’est-à-dire avec les îles des Fiji où s’étaient éta¬
blies depuis longtemps des colonies polynésiennes. Mais les
rapports desTongans avec les îles Fiji les plus occidentales,
malgré les quelques faits cités, n’étaient guère qu’involon¬
taires, tant, dès ce moment même, les Polynésiens avaient
de l’éloignement pour les populations de ces îles. C’est ce
que nous avonspu observer nous-même, vingt ans plus tard,
pendant l’exploration des îlesFiji, par l'^stroZabe, et c’est ce
qui nous a été expliqué alors par l’ambassadeur de l’une
d’elles, qui est resté plusieurs jours à bord. Ce n’est que
depuis ce moment, c’est-à-dire depuis que le contact avec
les Européens a augmenté chaque jour davantage, que les
relations ont offert aux Tongans une sécurité plus grande.
Néanmoins, ils n’aiment pas plus qu’autrefois aller dans les
îles occidentales ; quand ils se dirigent vers les Fiji, c’est
toujours dans le but d’atteindre l’une des îles les plus
voisines, où ils se rendent, non pas seulement à cause de la
facilité plus grande du commerce, mais surtout parce qu’ils
sont certains d’être bien accueillis par les métis leurs com¬
patriotes. D’un autre côté, il n’y a guère que ces métis qui,
pour les mêmes raisons, aillent de temps en temps aux îles
Tunga.
Nous l’avons déjà dit, et nous insistons encore sur ce
fait, à l’exception de Rewa, de €Candavu, de Lakemba sur¬
tout et de quelques autres points, toutes les autres îles
Fiji sont occupées par une population purement mélané¬
sienne, de même que les îles Tunga le sont par une popu¬
lation purement polynésienne. A peine existe-t-il, dans les
deux archipels, quelques métis perdus de toutes sortes de
races, mais dont le nombre, au contact des voyageurs, augA
avaient bien lieu entre les
c
;
LES
mente
mis
POLYNÉSIENS.
rapidement de jour
en
doute
:
il
a
en
jour. Ce fait
469
ne
^saurait être
été sig'nalé par Pritchard lui-même,
malgré sa disposition à voir presque partout des mélanges
1
Polynésiens-Malais » avec les .« Fijiens-Papous^ » ainsi
que, à l'instar des missionnaires anglais, il appelle les deux
de
races.
Une autre
légende, rapportée
par le même savant, prouve
que non -seulement les Samoans connaissaient depuis long-
tenlps les Fiji, mais que, de plus, des relations amicales
s’étaient, aune époque reculée, établies entre les deux races.
A cette occasion, Pritchard fait remarquer
que les îles
Samoa ont plusieurs légendes, dont les héros et les héroï¬
nes sont des dieux et des déesses,
des princes et des prin¬
cesses des îles Fiji. Ce
qui implique, dit-il avec raison, que
des rapports directs ont eu iieu de bonne heure entre les
deux groupes. Mais aujourd’hui, ajoute-t-il,
(1) « en compa¬
rant les caractères physiques des Pijiens et des Samoans, on
ne trouve
pas de traces apparentes d’un mélange direct,
comme celui qui existe entre les
Pijiens et les Tongans. »
Voici, du reste, cette légende, telle qu’elle lui a été don¬
née par Le-Pule, vieux chef orateur,
{Tulafale-SiLi,) de Saluafata, dans les Samoa (2) :
Sina, était
une
à tous les
très belle princesse des îles Samoa, alliée
grands chefs de son temps. Le plus beau et le
plus brave des chefs Tong'ans n’avait pu parvenir à toucher
son cœur ; le plus beau et le
plus brave de son pays n’avait
pas été plus heureux.
La réputation de sa beauté s’était d’abord
répandue dans
les îles Tunga, puis de là dans les îles Fiji. Tingilau, le fils
du Tui-Viti, se décida à aller voir la jeune princesse,
qu’au¬
cun chef n’avait
pu obtenir. Tingilau, paré de sa beauté,
guidé par deux tortues fryorites au service de ses dieux,
et suivi par une flottille de canots de guerre, arriva à Sa¬
moa. Beau et
brave, gai et éloquent, il gagna vite le cœur
de la belle Sina.
(I) Réminiscences,
p.
{î) Réminiscences,
p
317.
387.
470
LES
Cl
POLYNÉSIENS.
Les
jeuneachefs Samoans, dans leur jalousie, s’opposaient
qu’elle suivit le chef étranger. Tingilau lui dit que,
dans son pays, le désir du fils du Tui-Viti ne trouvait pas
d’obstacle, et il prépara son équipage à combattre pour elle,
Elle tempéra son ardeur impétueuse en lui disant : « Sina
ne se rendra
pas au canot de Tingilau à travers le sang de
ses parents, b
à
ce
Elle lui dit
lui demanda
: «
La lune est ronde et brillante.
»
Et elle
Combien faudrait-il d’bommes pour vainçre
la résistance d’une femme et de quelques-unes de ses do¬
: «
mestiques, si
sur
on les trouvait se promenant tranquillement
le bord de la mer, au clair de cette pleine lune ? »
Tingilau garda le silence ; il cherchait dans son esprit.
qu’il se retirait pour aller boire le
Kava avec les chefs de ses canots. Sina comprit : elle at¬
tendit que le temps fut venu d’aller se promener sur le ri¬
Puis il dit à la belle Sina
clair de la lune.
vage au
Autour du bol à Kava étaient assis
Tingilau, le fils du
chefs choisis, les fidèles capitaines de sa
flotte. Tingilau, s’adressant à eux, dit : « Mon père TuiViti, votre chef, ne souffrira pas que nous abordions aux
Tui-Viti, et
Viti si le
ses
de la conque et
du tambour ne proclame pas
présence de la belle Sina, que tous les autres chefs
n’ont pu obtenir. Cette nuit, quand la marée atteindra les
pieus auxquels les canots sont amarrés et que la fraîche
brise de terre apportera le sommeil aux jeunes Samoans,
que vos voiles soient prêtes et vos pagaies dehors. »
Tingilau, le fils du Tui-Viti, but son Kava, et il retourna
son
la
vers
la belle Sina.
Il lui dit
tranquillement, tout bas à l’oreille : « Je pense
avec trois ou quatre esclaves fidèles, pourrait
vaincre la résistance d’une princesse et de ses trois ou
quatre suivantes, si elles se promenaient sur le rivage pour
qu’un chef,
voir
la marée montante et le coucher de la lune.
lui dit à l’oreille
assurer en eu
: «
faisant l’essai.
Les suivantes de
ouaieut
sa
beauté
;
»
Sina
Tingilau, le fils du Tui-Viti, peut s’en
Sina
»
chantèrent
des
chansons
le refrain de chacune était
»
qui
qu’aucun
1
LES
chef
ne
POLYNÉSIENS.
471
pourrait jamais toucher son cœur oi? l’emmener.
Tingilau, le fils du Tui-Viti, chantèrent
Les suivants de
les actions de leur chef
toucher le
Fiji
sans
cœur
:
le chœur
répétait l’impossibilité de
de Sina, et la nécessité de retourner
aux
l'a belle princesse.
Le milieu de la nuit était
les
sur
passé ; la lune était dans l’Ouest;
jeunes Samoans dormaient. Sina et cinq filles étaient
la plage de sable du rivage, leurs pieds battus
par les
flols montants.
Tingilau, le fils du Tui-Viti, était là avec cinq esclaves
Chaque homme enleva son fardeau, qui se taisait, et
le porta dans le canot de Tingilau. Les
pieus furent aban¬
fidèles.
donnés
; la fraîche brise de terre enfla les voiles.
La belle Sina, qui avait attiré aux Samoa un si grand
nombre de jeunes chefs des autres îles, parés de leurs bel¬
les nattes bordées de
plumes de perroquet
rouge, de leurs
coquilles de nautilus, de
leurs riches colliers de mères-perles éclatantes, la belle
Sina, dont le cœur n’avait pu être touché par aucun chef
des Samoa, par aucun chef des Tiinga, partait et s’éloignait
sur la mer, avec le beau et brave
Tingilau, le fils du Tui-Viti.
Il résulte de cette légende que les Fijiens se rendaient en
simples visiteurs aux îles Samoa, et cela probablement à
une époque fort reculée : c’est du moins ce
qu’indique le
nom donné à la princesse,
puisque Sina était, comme nous le
verrons dansfia légende relative à l’origine des cocotiers
(1),
la fille de Tagaloa, Dieu de l’Océan, l’un des dieux créa¬
teurs de la mythologie polynésienne, et l’Etre suprême aux
brillants ornements de tête
eu
Samoa.
Cet
veur
la
exemple
prouverait tout particulièrement en fa¬
prêtre de Namosi que, avant
de l’assertion du vieux
loi
faite à
l’occasiox du
soulèvement
des
Tongans
(1 ) Sina est, en effet, la même que Hina, les Samoans ayant
emprunté le s'aux Fijiens pour remplacer le h.
Quant au mot tingi, il n’est point Fijien ; il est là, sans doute,
pour le tangi de la Nouvelle-Zelande. Tani, auxFiji, signifie crier,
pleurer ; lau,
percer avec une lance, blesser,
frapper.
f)
472
LES
et des Samcans dans les
•
POLYNÉSIENS.
Fiji mêmes, il n’existait dans
îles ni .Qfuerre, ni cannibalisme.
On remarquera que l’enlèvement
ces
de Sina, par le chef fijien, fut couronné de succès, tandis que celui de la belle
Haatepeiu des Marquises, que nous avons rapporté en son
lieu et place, s’ôst terminé par la plus amère déception
(1).
La morale de cette tradition, disions-nous, c’est
que les
grandes dames ont tort de préférer les étrang’ers à leurs
compatriotes. Il semble vraiment que les gens sensésides
deux
races
avaient la même manière de
voir,
car une
légende des Fiji, citée encore par Pritchard (2), montre
que les Fijiens n’étaient pas plus disposés que les Samoans
et les Marquésaus, à laisser enlever leurs belles femmes
par les étrangers. Cette légende, comme une foule d’autres,
témoigne également de l’ancienneté des relations existant
entre'les Fiji et les Tunga.
Roraudini-nda-Veta-Levu vivait à Suva; Elle était admi¬
rée par
les Fijiens et les Tongans ; les chefs surtout se dis¬
putaient la possession de ses charmes.
Quoiqu’elle fut fijienne, elle préférait les Tongans. Tous
les chefs, l’un après l’autre, essayèrent de toucher son cœur.
Elle refusa formellement de donner la préférence à l’un
d’eux. Toutes ses faveurs étaient pour les beaux
jeunes gens
des Tunga.
Plusieurs chefs Tongans de Lakemba allèrent la visiter.
Pour se préparer à la danse de la soirée, elle désira avoir
des
couronnes
de fleurs odorantes. Elle envoya un
messager
demander à Ndandarakaï, grand
esprit qui demeurait à
Lami, près Suva, sur la côte Sud de Viti-Levu, des couron¬
nes de fleurs, cueillies
daus les bocages odorants de Bu-
rotu.
ni
Ndandarakaï renvoya le messager :
qu’elle favorise les Tongans. Les
odorantes de Burotu
ne
notre pays. »
,
884.
O
Va dire fi Pvorandi-
sont pas pour eux,
(1) Voyez ci-dessus. Origine des rats,
(Si Ouvr. cité, p
«
couronnes
p,
233.
de fleurs
étrangers dans
0
LES
Confiante dans l’effet de
POLYNÉSIENS,
ses
473
charmes, Roranôini alla elle
supplia l’Esprit de lui accorder les cou¬
qu’elle désirait: « Grand Ndandarakaï, lui dit-elle,
donne-moi, pour la danse de cette nuit seulement, des cou¬
ronnes, des fleurs odorantes des bocages de Burotu, et les
Tongans ne seront jamais plus reçus à Suva par Rorandini.
Donne-moi les couronnes odorantes pour la danse de cette
nuit seulement, et à l’avenir Rorandini appartiendra au
grhnd Ndandarakaï, à lui seul. »
Alors, va danser, Rorandini, et rends les Tongans heu¬
reux pour la dernière fois, car demain je te réclamerai, com¬
me m’appartenant, appartenant à moi seul,
ici, à Lami,.
pour que tu y restes avec moi. »
Mais, où sont les couronnes odorantes ? » demanda
la beauté suppliante. « Va danser. Que les Tongans te
voient telle que tu es. Pendant que tu danseras, les cou¬
ronnes des bocages odorants de Burotu tomberont sur ta
tête et couvriront le sol à tes pieds. Les Tongans verront
ta beauté, et ils reconnaîtront alors que tu es à moi, à moi
même à Lami, et
ronnes
«
«
seul.
»
Rorandini retourna à Suva.
Tongans entrèrent en fête ; la
commença ; la lune se leva : aucune couronne ne
tomba sur la tête de Rorandini. Les Tongans étaient en
admiration devant les charmes de la jeune beauté. Pendant
ce temps,
elle pensait que Ndandarakaï s’était moqué
Au coucher du soleil, les
danse
d’elle.
Tout-à-coup, d’en haut, couronnes sur couronnes, toutes
composées des fleurs les plus choisies et les plus suaves des
bocag-es de Burotu, descendirent sur sa tête et tombèrent
sur le sol à ses pieds. Elle regarda en l’air et sourit. Les
Tongans la trouvèrent pRis belle encore.
Aussitôt elle suspendit la danse. Elle dit aux Tongans de
préparer leurs canots et de l’emmener de suite à Tunga.
Fiers de leur prise, ils ne perdirent pas de temps : la
flotte des Tongans s’éloigna ; à la pointe du jour, elle attei¬
gnait Lakemba.
Ndandarakai, au lever du soleil, se rappela les paroles de
\
474
LES
POLYNÉSIENS.
jeune be^iuté : a lesTongans ne seront jamais plus reçus
Rorandini. » Il vint pour voir sa nouvelle épou¬
se : elle était partie.
Il appela aussitôt, au moyen d’une racine de yakona
(1),
un millier d’esprits
charpentiers de Benga, œ Construisezmoi un canot : la coque eu kavika (2) ; le pont en wi
(3) ;
le mât en tarawau (4) ; les vergues en dawa (5). Quand ce
yangana (6) sera bu, que le canot soit lancé, la voile
la
à Suva par
bissée.
»
*
Au moment même où les
la belle
avec
son nouveau
Tongans partaient de Lakemba
Rorandini, Ndandarakaï partait de Suva dans
canot.
Il dit à
ses
timoniers
:
a
Avec
ce
vent,
le voyage pour Tunga doit se faire en passant par Lakem¬
ba ; gouvernez sur Lakemba. »
Alors que le soleil se. levait, le deuxième jour, Ndandara¬
kaï
atteignit la flotte des Tongans qui s’éloignait de La¬
Regardant aux cieux, il vit Levatu, la mère de sa
mère, planant au-dessus de son canot. « Dis-moi, Lèvatu,
comment j e dois délivrer la belle Rorandini de ces Tongans
kemba.
fanfarons ?
»
En entendant la
prière de Ndandarakaï, tous tremblèrent
seul nom de l’impitoyable Levatu, et ils s’em¬
pressèrent de nager plus vite. Rorandini se cacha elle-même
sous les paquets de Anes nattes qui avaient été les prix de
de peur, au
ses
hôtes à la danse.
To-qt-à-coup, le canot de Ndandarakaï se couvrit de fruits
: La
coque, le pont, le mât, les vergues, ayant chacun
les fruits de l’arbre qui avait servi à les faire. Levatu, d’en
mûrs
(1) Piper methysticum.
(2) Eugenia malaccensis.
^
(3) Spondias dulcis.
(4) Arbre à racines plates.
(5) Sorte de Lichi, arbre des Molnques, En Maori, Tawa est le
nom
du Laurus Tawa.
(6) Nom de la boisson faite arec le Piper methysticum.
T
■0
LES
haut,
secoua
ïong-ans.
POLYNÉSIENS,
le canot, et les fruits
475
tombèrent parmi les
Oubliant leur peur et leur capture, ils cherchèrent, en
luttant, à s’emparer de
ces excellents fruits : il y avait tant
bruit, tant d’empressement dans la lutte, qu’il était impos'sible de rien distinguer.
de
Ndandarakaï, assisté de Lei^atu, enleva lestement, du
Tongans, sa nouvelle épouse toute tremblante ;
la déposant dans le sien, il fit aussitôt route
pour Suva, et
laissa les Tongans, avec leur avidité
pour les doux fruits,
se lamenter sur la
perte de Rorandini-nda-Yeta-Levu.
canot des
Nous croyons devoir transcrire ici quelques autres légen¬
des, inédites pour la plupart, et qui sont d’autant plus di¬
gnes d’attention, qu’elles .relatent des faits appartenant à
une époque des
plus recdléés. Les noms des personnages
qu’elles citent ne permettent pas d’en douter. Ces noms tels
que Tangaloa, Mafuie, Pipi, Tiitii, Hina, etc., remontent
aux premiers
temps de la mythologie océanienne.
Origine
du cocotier aux
Samoa. — Les habitants de Savait
plaignaient de n’avoir que de l’eau à boire.
Une jeune fille nommée Hina, fille de Tiitii, avait adopté
une petite anguille,
qu’elle nourrissait dane une calebasse.
Tant que l’anguille fut petite, elle n’essaya point de sortir
de sa demeure : Hina et elle grandirent ensemble.
^lais
dès qu’elle fut bien développée, peu reconnaissante des
soins qu’on avait eus pour elle, elle se servit de sa queue
pour violer la jeune fille, puis elle se sauva aussitôt à
Upolu.
Hina la poursuivit jusque dans cette île ; elle finit par la
trouver et elle voulut la tuer pour se venger : a Tue-moi si
tu veux, lui dit Tanguille ; mais sache que si tu ne mang-es
que mon corps et si tu plantes mon épine dorsale et ma tête,
tu obtiendras un arbre qui te procurera des fruits bons à
boire et à manger ; ces fruits te fourniront, en outre, de
l’huile pour adoucir ta peau, préparer ta nourriture et te
donner de la lumière pendant la nuit. En souvenir de moi,
se
476
LES
rappelle-toï de
POLYNÉSIENS.
boire ces fruits qu’en les suçant. »
que les indigènes ont l’habitude de
boire les cocos, en défonçant l’un des œils qui, par leur
disposition, rappellent si bien la tête et surtout les yeux et
la bouche de l’anguille. C’est depuis lors aussi qu’existe le
premier cocotier, créé par Hina, en se conformant aux re¬
C’est
ne
depuis lors
commandations de
Origine
l’anguille.
Taro.
Tiitii
(1) était le fils du petit-filj de
(2). Ennuyé de ne pas manger de Taro, il se décida
à faire la guerre à Tangaloa.
Tiitii avait appris l’existence du Taro pendant ses voyages
au ciel. Les voyages y étaient alors assez facilement exé¬
cutés : il suffisait de passer par l’horizon appelé fafa. C’est
le chemin que Tiitii avait pris pour se rendre au ciel.
Tangaloa refusa de lui donner le Taro qu’il lui deman¬
dait. Il est probable que ce refus provenait de l’esprit de
prévoyance du vieux Tangaloa. La guerre fut donc dé¬
du
—
Tamaloa
cidée.
Tiitii
partit avec toute sa famille pour le ciel ; le combat
s’engagea, et Tangaloa fut chassé du champ de Taro qu’il
gardait avec un soin si jaloux.
La paix fut bientôt conclue, et, malgré sa victoire, Tiitii
s’engagea à ne pas toucher au Taro. Il est donc supposable
qu’il ne vainquit Tangaloa que fort incomplètement.
Cependant Tiitii
ne tint pas la promesse qu’il avait faite ;
s’empara, sans être vu de Tangaloa, d’un petit pied de
Taro, et la légende ajoute qu’il ne trouva, pour l’empor¬
ter, d’autre moyeu que de le cacher dans son urèthre (3).
il
(1) Tiitii est le Tikitiki delà Nouvelle-Zélande.
(2) Probablement Tangaloa, pronondé Tagaloa et mal orthogra¬
phié par les Européens.
(3) Hésiode nous a transmis une légende analogue : Prométhée,
Japhet, trompa Zeus et cacha dans un roseau creux l’éclat
du feu qu’il lui avait dérobé.
Une légende pareille à celle de Tiitii existe à la Nouvelle-Zé¬
fils de
lande.
LES
Revenu sur la terre, Tiitii
planta son Taro j en peu de
temps il en récolta beaucoup et
famille.
Pourtant il lui
477
POLYNÉSIENS.
il put en donner h toute sa
manquait toujours le feu nécessaire pour
Taro ; c’était pour lui un tourment incessant,
et il est à croire que si Tangaloa en eût été le dispensateur,
il eût recommencé à lui faire la guerre. La légende suivan¬
faire cuire
te
son
apprendre le moyen employé par Tiitii pour se
le feu.
va nous
procurer
Origine
du peu aux
Samoa (1)
—
Tiitii, à l’affût de tout
qui pouvait le conduire à la découverte du
peine le temps de dormir.
ce
Pendant
ses
feu, prenait à
veilles, il remarqua que son père.
bâche à la main. Il supposa
sortait la nuit, une
Pipi (2),
d’abord
qu’il allait travailler ; mais les sorties de son père se re¬
chaque nuit, il le surveilla et il découvrit qu’il
se dirigeait constamment vers une pierre près de laquelle
nouvelant
il
disparaissait.
Une nuit, il suivit
Pipi avec précaution ; il l’entendit
pierre ; « Ouvre-toi ! » Il vit la pierre s’ouvrir à cet
fois son père entré, se refermer sur lui.
Surpris, il attendit d’abord quelque temps, pensant que
son père allait revenir ; puis il s’approcha de la pierre et, à
son tour, il lui dit ; a Ouvre-toi ! » La pierre s’ouvrit aus¬
dire à. la
ordre et, une
sitôt.
Sans hésiter,
Tiitii
se
précipita par cette ouverture ; il
s’avança ; il descendit jusque dans les entrailles
re ; là il aperçut son père très-occupé dans un
taro.
de la ter¬
champ de
arbre, dont les branches s’é¬
au-dessus de la tête de Pipi ; il cueillit une
Il monta sans bruit sur un
tendaient
petite pomme et la lançafà son
père.
absolument la même que celle que nous
procurée aux îles Marquises, et elle est l’analogue
d’une légende Maori, où Maui joue le rôle de Tiitii. Voy. ci-dessus,
p. 212,- 215.
(1) Cette légende est
nous sommes
[2) D’après Pritehard,*ce serait
Talaga.
0
478
I,ES
POLYNÉSIENS.
Celui-ci, pensant que le fruit avait été jeté par l’oiseau
(1), ne se dérangea pas de son travail ; il se contenta
de dire : œ Cesse, Tuia, ou sinon je te lancerai des
pierres. »
Mais une deuxième pomme Payant.atteint, Pipi tourna la
Tuia
tête et aperçut son fils sur l’arbre.
Que fais-tu là, malheureux, lui dit-il ? N’as-tu pas
peur de Mafuie qui demeure là, tout près, et qui garde le
feu ?» —
0
494
ble
LES
polynésiens.
position Qu’elle donnait à cette demeure première de
Samoans.
Voici, du reste, cette légende, telle que la rapporte Prit-
chard
(1).
Les Samoans, dit-il, ont
tradition qui fait connaî¬
l’homme, et qui implique
ancienne émigration venant de l’Est.
«
tre leurs idées
une
sur
une
la création de
Le dieu
Tangaloa envoya, du ciel, sa fille, sous la forrne
pluvier {Tuli), pour chercher un lieu de halte dans Tes
basses régions, où tout était eau sans terre.
«
d’un
Dans le cours de son voyage, elle trouva un
rocher,
dont la surface s’élevait au-dessus de la mer. Etant
retour¬
née vers son père, elle lui fit part de sa découverte.
«
«
Plusieurs fois le dieu
elle remarqua
l’envoya visiter le rocher solitaire ;
qu’à chaque visite, il devenait plus grand
plus haut, tout en restant nu et stérile.
Un jour, Tangaloa lui donna un
fue (2) et
terre pour le faire croître.
et
a
a
Etant allée visiter son rocher
elle vit que cette plante
rampante
couvrir de verdure.
un peu
de
quelque temps après,
commençait déjà à le
Y étant retournée de nouveau,
pour obéir aux ordres
du dieu son père, elle trouva alors le rocher
complètement
«
mais, fait surprenant, la plante rampante, d’abord si
et si verdoyante, s’était desséchée sur
place ; et,
quand la fille de Tangaloa retourna au rocher, les feuilles
vert ;
bien
venue
sèches s’étaient
autre
changées en vers. Elle y revint enfin une
fois, et elle trouva que les vers étaient devenus des
hommes et des femmes.
« Ce
rocher, le lieu de repos de ia fille du dieu
la
Tangaloa,
première demeure de l’homme, n’a pas de nom.
La tradition, ajoute qu’il est situé à l’Est des
Samoa, i
Œ
le mata
«
Un
o
le Toelau
k
dans l’œil dn vènt alisé.
fragment de légende, dit Pritchard,
(1) Ouvrage cité,
p.
»
en
terminant,
396.
(2) Le fue est le pohue des autres îles
O
:
Convolvulus peltatus (nob.)
■
LES
POLYNÉSIENS.
495
établit que les ancêtres des Samoans atteignirent les Samoa
en faisant voiles devant les vents alisés « toelau ^ de l’Est.
Ils venaient d’une très belle île où le sable était très blanc,
et où les cocotiers croissaient
Dans cette
l’homme.
légende, le
en
épaisses forêts.
de l’île est ég’alement per¬
du ; mais les naturels ne doutent pas que ce soit la même
île dont il est parlé dans la légende de la création de
«
nom
»
Ij’interprétation de
Pritchard, nous le répétons, ne nous
explicite pour qu’on la préfère à la croyan¬
ce générale des Polynésiens qu’ils venaient de l’Ouest.
Or, comme on vient de le voir, il n’y a, dans le Nord-Est
des Samoa, que les Marquises, dont les traditions ne parlent
pas d’émigrants envoyés par elles vers les Samoa ; elles
semblent plutôt dire qu’elles ont reçu leurs premiers habi¬
tants de ce côté. Mais dans l’Est, il est vrai, en tirant un peu
semble pas assez
vers
le
Sud,
se
trouvent les îles de la Société et les îles Pau-
motu, qui, pour la plupart, ont de belles plages de sable
blanc, des forêts de cocotiers ; quelques-nnes même au¬
raient certainement pu, ainsi que le dit la légende, être le
lieu d’origine des Samoans. On sait que quelques écrivains
ont fait sortir les Polynésiens de Tahiti, longtemps avant
que Pritchard ne fît connaître la légende qui nous occupe.
Mais on a vu aussi que la croyance des îles de la Société, de
celle des autres archipels, est qu’elles ont été
peuplées par des émigrants venant de l’Occident. Il ne suffit
donc pas. à notre avis, d’une légende comme celle qui est
rapportée par M. Pritchard, pour détruire la croyance, pour
ainsi dire générale, deis habitants de la Polynésie.
En ne tenant compte que de la signification des mots Tohelau, à Futuna, et Kolau aux Sandwich, peut-être seraitil préférable de croire qîie les premiers habitants des Sa¬
moa sont venus du Nord, c’est-à-dire des îles Hawaii. Cette
opinion a même été soutenue par un plus grand nombre
d’écrivains que la première, et particulièrement par Diefmême que
fenbach, d’ürville, etc. Mais
nous avons
dit
attribuer leur
on a vu
aussi, par tout ce que
précédemment, que les Hawaiiens semblent
origine aux îles mêmes auxquelles, d’après
t
0
496
cette
LES
FÜLYNÉSIENS.
interprëtation, ils auraient fourni leurs premiers habi¬
tants.
Nous croyons
donc qu’il faudrait s’en rapporter plutôt à
sig-iiification des mots Tokoau aux Marquises, et Toerau
aux îles de la Société, et qu’au lieu de traduire : i le mata o
la
le Toelau
N.-E.,
ou
»
(l),
par «;
dans l’œil ou la face du vent alisé de
« dans l’œil
il serait préférable de le traduire par
la face des vents de N.-N.-O. ou Ouest
s’accorderait avec la croyance
sont
Aœnus
de l’Occident.
: »
cela du moins
générale des Polynésiens, qfl’ils
Mais, quel que soit le choix que l’on fasse, il est certain
la légende rapportée par Pritchard, en ne s’appuyant
seul mot, est loin d’apporter la conviction dans
l'esprit, et qu’elle aurait besoin, à notre avis, de témoigna¬
ges plus convaincants pour être acceptée.
Nous ferons remarquer, en passant, que Mariner,dans son
vocabulaire Tongau, a dit au mot matangi, vent, que matta
le matangi signifie to windward. Or ce mot veut dire, eu
anglais « vers ou contre le vent, le côté du vent ». Ta get
to windward, » gagner au rent, monter contre le vent. »
Ne pourrait-on pas voir là une preuve qu’au lieu de venir
du Nord-Est, les premiers émigrants aux Samoa y seraient
plutôt arrivés en remontant contre ce vent ? Quand nous
indiquerons avec quels vents principaux se sont faites les
migrations vers l’Océanie, on sera peut-être de cet avis.
Plus loin d’ailleurs, on verra qu’en traduisant de la même
manière une légende des Tunga sur la création de l’homme,
Pritchard répète la même erreur,
sur la provenance
orientale des premiers habitants de ces îles, et qu’il les fait
venir d’une île de sable, nommée Bulotu, placée, elle aussi,
d’après lui, dans l’œil des vents alisés, alors que des légen¬
des antérieures la placent dans» le Nord-Ouest.
Il est du reste fort probable que Pritchard a confondu des
légendes différentes, car nous possédons, depuis un grand
que
que sur un
(Il II faut, croyons-nous, préférer « face » à « œil » ; car, aux
Fiji, on rend vent du Nord ou le Nord par vualiku : na-mata ni
vualiku signifie : « la face du vent de Nord, du Nord. »
LES POLYNESIENS.
497
nombre
d’années, la légende samoane sur la création de
l’homme, et, quoiqu’elle soit plus complète que celle qu’il
rapporte dans ses Réminiscences, elle ne fait pas la moindre
allusion à la situation relative
du
rocher
peuplé
Tan-
par
galoa ; elle dit seulement qu’il a été créé par le dieu, sur la
demande de l’oiseau Tuli qu’animait sa fille
Sina, mais
sans indiquer dans
quelle direction.
Notre légende possède un tel cachet de vérité, ou
mieua de simplicité ; elle donne, à notre avis, une idée si
exacte des croyances samoanes,
que nous n’hésitons pas à
la faire connaître,
malgré son étendue. Toutefois, pour
qu’elle soit mieux comprise, pour qu’on saisisse mieux les
rapports qui unissent les Polynésiens entre eux, nous
ajouterons encore que nous avons rencontré absolument
les mêmes légendes dans les îles de la
Société, aux Marqui¬
ses,
à la Nouvelle-Zélande.
Ellis cite la
légende tahitienne d’après laquelle le premier
homme fut créé par Taaroa avec
l’Araea, c’est-à-dire avec
de la terre ou du sable
rouge (1). Nous avons précédem¬
ment relaté la légende des îles
qui
que
concerne
l’homme
l’argile
la
Marquises. Quant à celle
on lit, dans Taylor (2).
avoir été créé par Tiki avec de
Nouvelle-Zélande,
passe pour
rouge, que le
Une autre
y
dieu malaxa d’abord et anima ensuite.
légende néo-zélandaise dit également que
avec de l’argiLe et de l’eau ocreuse des
marais. Enfin il existe encore une
légende, d’après laquelle,
à la Nouvelle-Zélande, la
première femme a été formée de
terre par Arohirohi (3), ou la chaleur frissonnante du Soleil
l’homme
a
été fait
et de l’Echo. La femme de Tiki se nommait Marikoriko
leur fille Kauatata
(5).
(4) et
Voici la légende relative à la création des îles Samoa et
a
(1) Ouvr. cité, t. II.
p.
38. Ellis écrit à tort
areau.
(2) Ouvr. cité, P. 23.
(3) dro/zîVo/îî, tourbillon, tourbillonner, tourner
en
rond.
{k) Marikoriko, crépuscule.
(5) Kaua,
non, ne, pas ; lata,
proche, escope
pour
U
vider l’eau,
32
î
t
498
de
LES
POLYNÉSIENS.
l’hommcî, telle que nous l’avons recueillie
mêmes.
Création
des
îles
Samoa
et de
l’Homme.
pelé Tuli, qui était animé
—
sur
les lieux
L’oiseau ap¬
par Sina, la fille de Tangaloa,
habitude, de remonter au ciel après
avoir erré tout le jour et s’être bien fatigué. Il demanda
alors à Tangaloa, le dieu du ciel, de lui procurer sur la
mer un lieu où il
pourrait se reposer pendant le jour» Le
dieu lui répondit : » Va-t-en : tu trouveras demain ce que
venait, suivant
tu demandes.
son
»
Tuli s’en alla. Le lendemain il trouva
où il
pouvait
Un soir
une
île sablonneuse
se reposer.
qu’il était remonté au ciel, Tangaloa lui deman¬
ce qu’il désirait. — « Oui, répondit l’oi¬
seau, mais il n’y a que du sable, s — « Que voudrais-tu
donc ? » lui dit le dieu ?
« Je
voudrais, répartit Tuli,
qu’il y eût des montagnes couvertes d’arbres et qu’on pût
da s’il avait trouvé
—
trouver toutes les
tourne
choses nécessaires à la vie.
donc, reprit Tangaloa
;
tu demandes. »
Quand, le soir, Tuli remonta
»
—
Re¬
demain tu trouveras tout
ce
que
vela
demande
au
ciel, Tangaloa lui renou¬
J’ai trouvé tout
j’ai demandé, dit
quelque chose : Il faudrait
quelqu’un pour gouverner l’île. » — œ Que veux-tu ? » dit
Tangaloa ? — « Je veux, répondit l’oiseau, un homme com¬
sa
: a
Tuli ; mais il manque encore
ce
que
me vous. »
Tangaloa, pour le satisfaire, prit un morceau de blanc, et
traça sur une planche l’homme demandé. Quand il eut ter¬
miné, il dit à Tuli : k Tiens, voilà ton homme. »
L’oiseau insatiable lui
répondit : « C’est bien son image,
il faut d’abord lui donner un nom. »
(t Eh
bien, dit Tangaloa, appelons-le Tamaloa (I) ; nous
nommerons sa tête Ulu. »
« Oui,
dit Tuli, et nous appel¬
lerons le derrière de sa tête Tuli-Ulu, par ce qu’il ne faut
pas m’oublier. » —« Accordé, » dit le dieu. — « Comment apmais cela
ne
suffit pas :
00-
—
(1) A Tahiti, Tamaroa. signifie
f
garçon,
mâle.
0
LES
POLYNÉSIENS.
499
corps ?» — ^ Tino, » dit Tsingaloa. —
«C’est cela, et comment nommerons-nous le dos ?» — « TuliTua. » — « Les bras ?» — « Lima. » — « Les coudes ?» —
pellerons-nous le
«Ïuli-Lima.
genoux
Yae.
?»
»
—
— «
«
Les
jambes ? » — « Vaevae. » — « Les
» « Et les pieds enfin? » — « Tapu-
Tuli-Vae.
»
En
instant, toutes les parties du
un
corps eurent
leur
nom.
«
’Cela
femme.
ne
suffit pas,
dit l’oiseau
;
il faut lui donner
une
»
Tangaloa se mit aussitôt à l’œuvre : il prit l’homme, et
il l’anima instantanément en lui soufflant dans une ouver¬
qui est destinée aujourd’hui, parmi nous, à recevoir
le souffle d’un dieu.
Cela fait, Tang'aloa dit à l’homme ainsi animé : « Descends
avec Tuli, tu trouveras une femme qui sera ta
compagne,
et une île où sera réuni tout ce qu’il faut pour vivre ; il te
manquera pourtant une chose : du feu ; tu n’en auras que
plus tard ; en attendant, tout ce que tu mangeras sera
ture
autre chose que
cru.
»
L’homme descendit
il eut d’elle
sur
la terre ;
plusieurs enfants.
il
y
trouva la femme et
Comment avait été créée cette femme ? d’où
provenaitle dit pas. A nos questions, le narrateur
se borna à répondre : « Elle venait du ciel. » Tangaloa, qui
avait pu si facilement animer un homme, avait également
eu la puissance de créer tout aussi aisément un être infé¬
rieur à lui. La légende rapportée par Pritchard est plus
explicite, puisqu’elle montre comment les feuilles pourries
du fue se transformèrent en vers, et comment de ceux-ci
naquirent des hommes et des femmes.
La légende est muette éè’alement sur ce qui survint dans
ce nouvel Eden au couple primitif : on le perd complète¬
ment de vue, jusqu’à Tiitii, fils du petit-fils de Tamaloa,qui,
ainsi que nous l’avons vu plus haut, sc procura le tare et
elle ? la
légende
ne
le feu.
En
résumé, bien qu’elle ait été émise
par un
O
(■
homme qui
600
LES
POLYNÉSIENS.
pjus qu’un autre, habitué aux dialectes polyné¬
siens, cette opinion en une provenance orientale des premiers
habitants des îles Samoa, est évidemment sans fondement,
devait être,
et les
expressions invoquées
en sa
faveur, prouvent plutôt
que le lieu d’origine se trouvait situé vers le couchant.
Il faut donc absolument chercher le point de départ des
premiers émigrants
vers
entre le Nord-Ouest et le
les Samoa, dans les terres situées
Sud-Ouest, autrement dit, dans le
quartier du globe qui constitue l’Occident. C’est là, en effet,
qu’existent les plus grandes terres, et que se trouvent par¬
ticulièrement celles que presque tous les ethnologues ont
regardées comme le berceau des Polynésiens, c’est-à-dire
les îles de la Malaisie. 11 est bien certain, comme nous l’a¬
vons déjà dit plusieurs fois,
que les vents n’auraient pu
être un obstacle à cette provenance, puisqu’il est démontré
aujourd’hui que, dans le cours de l’année, ils changent à
peu près complètement de directions, et parfois, pendant
une période assez longue. C’est ce que, entres autres, ont
démontré La Pérouse et Dillon, ainsi que M. de Bovis qui,
dans
son
mémoire
sur
Y Etat de la Société tahitienne, dit
plus exacte de ces mers
appris qu’à certaines époques de l’année, les vents d’Ouest
régnent transitoirement par séries qui vont de trois à quinze
jours, lesquels amènent quelquefois un temps magnifiqne
et sont, dans ce cas, appelés Arueroa. i C’est enfin ce qui a
été soutenu plus récemment par M. Philippe de Kerhallet,
dans ses Considérations générales sur l'Océan Pacifique.
Nous allons donc rechercher de quel point, situé entre le
Nord-Ouest et le Sud-Ouest, ont pu partir les premières
colonies polynésiennes qui ont été peupler les îles Samoa.
textuellement
: k
Une connaissance
a
Nord-Ouest, si
la légende qui
donne Bolotou pour lieu d’origine des Tongans et des Samoans, il place cette île, résidence ordinaire des dieux,
Il faudrait admettre la provenance du
Mariner a été exact quand, en relatant
dans le N.-O. des
Mariner par
Tunga.
depuis la publication des observations de
le D” Martin, la conjecture adoptée par près-
On sait que,
LES
POLYNÉSIENS.
501
tous les ethnolog’ues est que les premiers émigrants vers
partis d’une île Bolotou. Mais ce que n’ont
pas remarqué ou n’ont pas voulu remarquer les ethnologues,
c’est que cette île Bolotou était placée, par la légende, au¬
trement que celle qu’ils regardent comme le point de départ
que
les Samoa sont
en
Malaisie.
En etfet, Mariner dit formellement que
l’île à laquelle la
légende donne le nom de Bolotou, légende que d’Urville
'fÿ
appelle imaginaire, était située dans le Nord-Ouest de Tongatahou, c’est-à-dire dans un point qui ne pouvait être celui
où les ethnologues ont cru la retrouver en Malaisie, En
outre, ce point nepouvait être, à la fois, le même lieu pour les
Tunga et les Samoa, puisque ces dernières îles ne sont ni
par lamêmelatitude, nipar la même longitude que les îles
Tunga: c’est déjà un motif de douter que les émigrants aient
pu provenir d’un pareil lieu; et l’on peut en conclure que l’on
a, à tort, placé, pour les besoins de la cause, l’île Bolotou
dans une autre direction que celle qui lui est assignée par
la légende.
11 n’existe, dans le Nord-Ouest des Samoa, en poussant
jusqu’au Japon, que les groupes d’iTes formés par les Carolines
et les Mariannes : il n’est guère probable que
l’un de ces groupes ait pu être la « grande île » dont parle
la légende. C’est seulement dans le Nord-Ouest de Tungatapu et d’une partie des îles Tunga ou Hapaï, qu’on trouve
quelques grandes terres, telles que les Fiji, les NouvellesHébrides, les Salomon ; mais ces terres sont peuplées par
une race différente qui n’a pu donner naissance à la race
polynésienne des îles Tunga et Samoa.
C’est évidemment la difficulté de trouver, dans le Nord-
Tunga, le lieu nommé Bolotou par
légende, ainsi que l’impossibilité de placer ce lieu dans
l’une des îles à populations mélanésiennes, qui ont fait dé¬
laisser par les ethnologues une indication qui contrariait
si fort leurs idées préconçues. Ils ont donc cherché ce lieu
dans une direction que n’indique pas la légende, mais qu’ils
ont été habitués, pour ainsi dire, à considérer comme la di¬
rection constamment suivie par les migrations.
Ouest des Samoa et des
la
0
502
LES
POLYNÉSIENS.
Tous, en' effet, ont trouvé
N.-O.
en
Malaisie, dans l’O. 1/4
des Samoa etl’O.-N.-O. des
Tung-a, la grande île
première des Samoans et des Tongans, que
Mariner avait, d’après la légende, placée dans le NordBolotou,
source
Ouest.
Parmi les écrivains
modernes, c’est le savant américain
départ des
émigrants. S’appuyant surtout sur la linguistique, il crut
pouvoir désigner la Bolotou de la légende, et il en fit l’ile
Bourou des Moluques. Cette île, par rapport aux Tunga et
aux Samoa, ne se trouve nullement située dans la direction
indiquée par la légende : n’importe. Il n’y a maintenant,
pour ainsi dire, plus d’autre opinion dans la science, surtout
depuis que M. de Quatrefages est venu lui apporter la sanc¬
tion de sa haute autorité. De même que le savant améri¬
cain, le savant français croit que les traditions permettent
de désigner cette île « avec une certaine probabilité, » et
lui-même s’appuie surtout sur les reclierclies linguistiques
Horatio Haie qui, le premier, précisa le point de
de
son
devancier.
Ces reclierclies
nous
semblent
inexactes
:
nous
allons
donc, pour le prouver, combattre à la fois
deux savants. Nous tâcherons de montrer que
l’opinion des
les analogies
trouvées par M. Haie ne consistent que dans une similitude
de son, présentée par des mots n’ayant ni la signification ni
l’origine qu'on leur a supposées, et que, par conséquent,
Bourou, au point de vue Lling’uistique, n’a pu être le Bolo¬
tou de la légende. Puis nous chercherons à établir que
cette croyance des Samoans et des Tongans n’était piobablement qu’un mythe, emprunté à la race mélanésienne
voisine, mais qui n’aide en rien à fixer le point de départ
des premiers habitants des deux archipels polynésiens.
Voici le texte de M. de Quatrejages : (1) « Lorsqu’on in¬
terroge les habitants des Samoa et des Tonga, ils répondent
par des traditions d’où il résulte que leurs ancêtres vinrent,
dans l’origine, d’une grande île située encore plus à l’Ouest.
Cette indication, à elle seule, nous transporte bien loin des
(1) Revue des Deux-Mondes, année 1864, T. XLIX, p. 889.
P
LES
POLYNÉSIENS,
Polynésie et
503
rejette évidemnient jusque
ne peut être question de
chercher des ancêtres aux peuples qui nous occupent chez
les nèg^res, plus immédiatement à côté d’eux dans cette di¬
limites de la
dans les archiuels
nous
indiens,
car
il
rection.
s’ag-it permettent de désig’ner, avec
probabilité, le point des archipels indiens d’où
sortirent jadis les émigrants qui, les premiers, posèrent le
piedosuT le seuil de la Polynésie.
Les Tonga et les Samoa désignent également cette île
par le nom de Bourotou. Or, la dernière syllabe de ce nom
tou, n’est, paraît-il, d’après M. Haie, qu’une sorte de parti¬
cule exprimantl’idée sainte. Si bien que Bourotou, pourrait se
traduire par Bouro-la-Sainte. S’il en est ainsi, il ne reste
plus qu’à chercher une île Bouro dans la Malaisie orien¬
tale et là, en effet, nous en trouvons une qui porte un nom
à peu près identique : c’est l’île Bourou des géographes,
grande terre placée à l’Ouest de Céram et à une centaine
«
une
Les traditions dont il
certaine
«
de lieues à l’Est des Célèbes.
»
Ainsi, d’après cette citation, M. Haie admettait que la
première syllabe Bouro (1) était le nom de l’une des Moluques et que la seconde, tou, n’était qu’un qualificatif, une
sorte de particule exprimant l’idée de sainte, divine, sacrée.
Il en concluait que Bourotou voulait dire Bouro-la-sainte,
la sacrée, comme on dit Tongatapu la Tunga sacrée. Pour
nous, cette étymologie est inadmissible, et voici pourquoi.
Bourotou, on l’a vu, était placé, d’après la légende ellemême, dans le Nord-Ouest des Tunga ; par conséquent, le
mot Bouro, obtenu en décomposant Bourotou, ne pouvait
s’appliquer à l’île Bourou des Moluques, puisque cette île se
trouve seulement dans l’O. 1/4 N.-O., ou tout au plus l’O.N.-O des îles Tunga,
^
D’un autre côté, le mot tou n’est pas un mot malaisien.
lise trouve, il est vrai, dans le Sanskrit, qui auraitpule faire
connaître à la Malaisie ;
à-fait
polynésien, ainsi
mais,
que
en
réalité, c’est un .mot tout-
fijien. Peut-être même
pour-
(1) Bourou, dérive de Bouroung , oiseau, en Malai. Stavorinus
prononçant ou.
écrit Boero, le ce hollandais se
•y
04
LES
POLYNÉSIENS.
0
rait-on, d’après sa signification aux Fiji, supposer qu’il est
encore plus fijien
que polynésien (l). Quoi qu’il en soit, il
ne
pouvait pas, comme on l’a dit, signifier sainte, ni sacrée,
puisque ces mots se rendent par tabu aux Fiji et tapu dans
toutes les îles à populations
polynésiennes, et que les Ma¬
lais
n’emploient ni l’un ni l’autre.
Nous croyons donc pouvoir conclure
que, bien probable¬
ment, M. Haie n’a été conduit à cette
interprétation que
par l’analogie des mots ; c’est à tort qu’on s’en contente¬
rait.
On s’est
appuyé
l’éloignement des denx terres,
légende dans l’île Bourou :
sous ce rapport, il
y a, en effet, une certaine analogie ; car
si la distance est grande pour
Bourou, elle semble être vrai¬
ment prodigieuse pour l’île Bourotou,
d’après une légende citéepar Mariner, et que nous allons faire connaître. Mais cette
analogie n’est elle-même qu’apparente : en effet, d’après
une autre tradition de
Mariner, complétant la première, le
Bourotou ou Bolotou, dont il est parlé, ne
pouvait être aussi
éloigné, puisqu’il suffisait de deux journées pour aller de
ce lieu aux îles Samoa.
Cela seul suffit pour détruire la
possibilité d’un éloignement aussi grand que celui qui existe
entre les îles Samoa et l’île Bourou des
Moluques.
Voici le récit de Mariner ; (2) a Les habitants des
Tonga
croient positivement qu’il existe, dans la direction du NordOuest, une grande île, à une distance considérable des leurs,
st que cette île est larésidence des dieux et des âmes des no¬
bles et des Mataboule (3). Ils la disent
beaucoup plus gran¬
de que leurs îles réunies ; on y trouve toutes les
plantes.
encore
sur
pour retrouver le Bourotou de la
(1) En Sanscrit, tu signifie, injurier, léser, frapper. En Fijien,
signifie rester, être debout. Il remplace est après le verbe ; placé
après le nom, il semble indiquer augmentation, importance. Enfin
c’est une expression très-employée far les enfants
parlant à leur
père. Tout paraît donc dénoter son origine fijienne.
iit
(2) Histoire des îles Tonga ou des Amis, etc. Traduction de Faucompret, t. II, p. 171.
(3) Les Mataboule sont les ministres descliefs
sont souvent nobles eux-mèmes.
et des
grands; ils
LES
POLYNÉSIENS.
505
tous les arbres charg-és des meilleurs fruits ePcouyerts des
plus belles fleurs qui, comme toutes choses, animaux, oi¬
seaux, etc., y sont immortels.
Suivant eux, cette île est si éloig’née, qu’il serait dange¬
reux pour leurs pirogues d’essayer de s’y rendre, et même
quand ils y arriveraient, ils ne pourraient pas, disent-ils, y
aborder, parce que les dieux ne le leur permettraient pas.
Ils sont même persuadés qu’ils ne l’apercevraient pas, à
mSins que ce ne fût par la volonté des dieux. »
Et il ajoute : « Ils conservent cependant une autre tradi¬
tion qui dit qu’un canot des îles Tonga, en revenant des
Viti, il y a bien longtemps, fût entraîné par les vents h
Œ
Bolotou.
les insulaires qui montaient ce canot,
ignorant où ils se trouvaient, et manquant de provisions,
abordèrent dans cette île en la voyant couverte de toutes
sortes de fruits. Ils voulurent y cueillir des fruits à pain;
mais, à leur étonnement inexprimable, ils ne purent pas
plus les toucher que s’ils n’en eussent été que l’ombre. Le
tronc des arbres n’arrêtait pas leur marche, et les murs des
«
Ils disent que
maisons, qui étaient construites comme celles des Tonga, ne
leur opposaient aucune résistance. Les dieux leur comman¬
dèrent de partir immédiatement, attendu qu’ils n’avaient
pas à leur donner de nourriture qui pût leur convenir ; ils
leur promirent un vent favorable et un prompt retour dans
leur pays.
« Ils se
mirent donc
une
vitesse
moa,
en
mer,
et leur canot voguant avec
prodigieuse, ils arrivèrent
en
deux jours à Ha-
où ils avaient besoin de relâcher avant de retourner à
Tonga. Etant restés deux à trois jours aux Samoa, ils re¬
tournèrent dans leur île. Mais peu de jours après qu’ils y
furent arrivés, ils moururent tous, non pas par punition
d’avoir été à Bolotou, mais par suite naturelle du séjour
qu’ils y avaient fait, l’air qu’il avaient respiré dans cette île
étant mortel pour les hommes. »
Il est bien évident, dirons-nous, que s’il n’a fallu que
deux jours pour arriver de Bolotou aux îles Samoa, cette
île Bolotou ne pouvait pas être Tîle Bourou des Moluques
506
OU
LES
tout autre île de la
tainement été
POLYNÉSIENS.
Malaisie
: un
pareil
voyag-e
eût
cer¬
plus merveilleux que le récit même de la lé¬
gende. Deux jours auraient, au contraire, parfaitement suffi
pour aller des Fiji principales aux îles Samoa, ou même de
tout autre point placé vers l’Ouest, mais non aussi éloigné
que Bourou. Nous qui savons, après l’avoir expérimenté
dans plusieurs îles Mélanésiennes, et notamment à Vanikoro, que la plupart de celles qui se trouvent dans cette
direction sont excessivement malsaines (1), nous ne pifuvons que faire remarquer les dernières lignes de la tradi¬
tion : elles semblent prouver que ce ne pouvait être qu’une
de ces îles, ou seulement la Grande Fiji, qui, par ses criques
à palétuviers et sa température humide, n’est pas plus sai¬
ne, à certaines époques, et sur plusieurs points, que ne
le sont les îles Hébrides et Salomon. Mais que ce soit l’une
où l’autre, il est bien certain qu’il est impossible de reve¬
nir en deux jours de l’île Bourou aux Samoa ; c’est, par
conséquent, à tort que l’on s’est appuyé sur cette légende
pour soutenir cette provenance.
Bien mieux, on n’a même pas remarqué que cette lé¬
gende ne donne pas le récit de l’arrivée des premiers émi¬
grants, ainsi qu’on l'a cru, mais qu’elle donne tout simple¬
ment le récit du voyage merveilleux, fait involontairement
à Bolotou, par une pirogue des Tunga, qui, revenant des
Fiji, se trouva entraînée jusque-là, puis en revint. Les
premières traditions zélandaises, données à Cook, rapportent
des faits semblables : on y voit que des pirogues sont reve¬
nues, après avoir été entraînées fort loin,’jusqu’à Ulimarao.
Cette légende n’est, en résumé, qu’une tradition des temps
fabuleux; tout ce qu’on peut en inférer, puisque l’île abordée
par le canot tongan était beaucoup plus grande que les
Tunga réunies, c’est que cette assertion s’applique à l’une ou
l’autre des grandes îles Fiji, ou même à quelque île des
Hébrides ou des Salomon, plutôt qu’à Bourou qui, par tou¬
tes les raisons que nous avons données, ne peut pas être
.
(1) Nous
nous
les Tukopiens refuser, pour
à Vanikoro.
avons vu
accompagner
ce
seul motif, de
0
LES
POLYNÉSIENS.
507
regardée comme ayant envoyé les premières colonies qui
sont arrivés aux Samoa. Il ne s’agissait probablement pas
de la Nouvelle-Calédonie, qui gît directement dans l’Ouest
des Tunga, et qui possède l’arbre à pain parmi ses plantes
alimentaires ; car en partant de l’île, que la légende appelle
Bolotou, le canot, pour arriver aux Samoa, aurait eu à tra¬
verser les Fiji, et s’y serait sans doute arrêté de préférence.
D’un autre côté, il est à peu près certain qu’il ne pouvait
s’agir de la Nouvelle-Hollande, puisque cette terre n’a pas
les fruits qu’indique la tradition, et qu’elle est encore plus
éloignée. A plus forte raison, il s’agissait encore moins de
la Nouvelle-Guinée, de la Nouvelle-Irlande et de la Nou¬
velle-Bretagne, qui gisent bien, comme le faisait le Bolo¬
tou de la légende, dans le Nord-Ouest des Tunga, mais à
une telle distance qu’il est impossible d’admettre que le tra¬
jet ait pu en être fait en deux jours.
Ensomme, comme dans le Nord-Ouest direct, et justement
à une distance qui peut être franchie en deux jours, il n’y a
que la grande Fiji, nous pensons que la légende a probable¬
ment voulu parler de cette île plutôt que de toute autre.
Sans doute, ainsi qu’on s’accorde à le dire, on ne peut.pas
chercher les ancêtres des Samoans et des Tongans dans les
îles à
populations mélanésiennes, autrement
dit dans les
Fiji ; mais ici il ne s’agit pas d’origine : il s’agit tout sim¬
plement d’un voyage fait à Bolotou. Or, quand on remarque
que cette croyance en une pareille île est absolument la
même dans les trois archipels ; quand on remarque que le
nom est tout fijien, et que la tradition semble avoir pris
naissance dans les Fiji ; il nous semble qu’il est bien permis
de supposer, sans trop conjecturer, que la légende n’a voulu
parler que des îles Fiji. Celles-ci, en effet, sont placées dans
le Nord-Ouest de Tongatabou, et exactement à une distance
quine demande que deux jourspour aller d’un point à l’autre,
que l’on parte de Vanua ou de Viti-Levu.
On a vu que Viti-Levu n’a pas moins de 90 milles de l’Est
à l’Ouest, sur 54 du Nord au Sud, avec 50,000 habitants, et que
Vanua a 115 milles del’E.-N.-E à rO.-S.-0,sur 23 milles de
largeur, avec une population
de 31,000 habitants. Pourquoi
508
donc
LES
setait-ce
POLYNÉSIENS.
pas vers Tune de ces
îles, et plus proba¬
Levu, que les Tong’ans, à une époque
fort reculée, remontant au début de leurs
rapports avec les
Fijiens, auraient été entraînés, comme nous avons vu qu’ils
l’ont été, à diverses époques, et qu’ils l’étaient encore il
y a
peu d’années ? Plus tard, avec le temps, et le merveilleux
aidant, ils auront fini par voir des dieux dans les habitants
du pays, qui leur ont refusé de la nourriture et leur ont or¬
donné de s’éloigner. Si donc ils sont arrivés en deux
fours
aux îles Samoa, c’est, nous
le ré[ièterons, parce qu’ils
étaient partis d’une île qui ne pouvait pas être plus éloignée
que ne l’est Viti-Levu, et parce que les vents qui les avaient
poussés étaient presque certainement des vents venant
de la partie de l’Ouest et soufflant probablement du Nordne
blement à Na Vit!
Ouest.
Une autre preuve encore vient
d’ailleurs appuyer cette
supposition. Nous savons, en effet, que la croyance en un
lieu appelé Bulotu, résidence des dieux, et où se rendent les
âmes des morts, a été plus particulière aux îles Fiji. Nous
avons vu que les Fijiens
appellent également ce lieu Burotu et qu’ils le prononcent Mburotu. Or, puisque, aux îles
Tunga et Samoa, le r se change en l, comme cela, du res¬
te, a lieu aussi aux Sandwich, puisque les Polynésiens
remplacent d’ordinaire le b par le p (1), il est évident que le
Burotu des Fijiens est le même mot que les Tongans ren¬
dent par Bulotu, les Samoans par Pulotu, et non Bo-lotou,
ainsi que Mariner avait cru l’entendre et qu’il a estropié,
comme tous ceux qu’il a fait connaître. Nous voilà bien loin,
on
le
voit, du Bourou de la Malaisie.
Nous
reviendrons pas sur ce que nous avons
dit, dans
chapitre précédent, sur la croyance commune des trois
groupes en un Bulotu, ni sur lej raisons qui ont conduit
les Tongans, et peut-être les Samoans, à employer peu à peu
ce mot dans le sens de patrie, tandis
que, dans tous les ar¬
chipels polynésiens, la patrie première se nomme Havaïki.
Mais nous répéterons encore que les habitants des Samoa
le
ne
(1) Nous avons vu plus haut que
conservé le b dans le mot bulotu.
les Tongans ont,
par
exception
»
n’ont pu
LES
509
POLYNÉSIENS.
venir d’un Bulotu placé dans le
Nord-0>.est, puis¬
qu’il n’existe pas, dans cette direction, de grandes îles ca¬
pables de fournir des populations polynésiennes. Par con¬
séquent, c’est ailleurs qu’il faut chercher leur lieu d’origine.
Non seulement, en effet, les Samoans ne peuvent être
venus de ce côté, ainsi que Forster était porté à le croire,
mais ce sont eux, au contraire, qui ont dû fournir les popu¬
lations polynésiennes que l’on rencontre quand on se dirige
vers 1« Nord-Ouest. Nous avons suffisamment traité cette
question, quand nous avons
étudié le peuplement des îles
Carolines et Mariannes ; il est
donc inutile d’y revenir.
Nous allons maintenant examiner
viendraient pas de l’Ouest.
Et d’abord, répétons que par
si le% Samoans ne pro¬
Ouest, autant pour simpli¬
l’exposé que pour répondre aux exigences géographi¬
ques, nous entendons les trois directions O.-N.-O., O. 1/4
fier
N.-O. et Ouest direct.
Or, presque tous les ethnologues, en s’appuyant sur une
légende qui, ainsi qu’on vient de le voir, indique une di¬
rection différente, soutiennent que les Samoans sont venus
de l’une de ces directions, en partant de Bourou ou de toute
autre île Malaisienne.
Il est certain que,
depuis Haie sur¬
tout, il n’y a guère d’autre opinion, et qu’on
néralement à faire venir les Polynésiens de
s’accorde gé¬
la Malaisie,
qui est dans l’Ouest des Samoa et des Tunga, en suivant une
route directe
ou
indirecte.
que la route directe passait par le
de la sorte, en effet, il eût été facile d’é¬
Thompson soutient
détroit de Torrès
;
viter tous les obstacles,
puisqu’on n’aurait pas eu besoin de
Fiji. Haie, de son côté, pense
traverser les Hébrides et les
que cette route directe passait parle Nord de la NouvelleGuinée, de la Nouvelle-Bretagne, de la Nouvelle-Irlande,
et des îles Salomon. De là, avec moins de difficultés encore,
les émigrants seraient arrivés aux îles Samoa. Cette hypo¬
thèse est celle qui est à peu près généralement admise.
passé d’abord des îles asiati¬
Amérique ; de là aux Sandwich, et même à l’île de
La route indirecte aurait
ques en
510
Pâques,
LES POLYNESIENS.
répandre ensuite, avec les vents alisés, dans
Polynésiennes. C’est particulièrement
ce que croyait Ellis. Cette dernière
opinion étant toute con¬
jecturale, nous ne nous y arrêterons pas.
Quand nous nous sommes occupé de l’orig-ine asiatique
des Polynésiens, nous avons montré qu’il était impossible
que les migrations eussent pu partir des îles Malaisiennes.
Nous pourrions donc nous borner ici à renvoyer aux raisons
que nous avons données à cette occasion, ainsi qu’à cèiles
que nous venons de présenter, dans les pages précédentes,
contre le peuplement des îles Samoa par une provenance du
Nord-Ouest. Cela seul suffirait, croyons-nous, pour qu’on fût
convaincu que ces îles n’ont pu recevoir leurs premiers ha¬
pour se
toutes les autres îles
bitants de l’une des trois directions que
sous le nom d’Ouest.
nous comprenons
opinion est générale, comme c’est celle qui
Haie, nous ne pouvons guère nous dis¬
penser de peser au moins, à notre tour, les témoignages sur
lesquels s’est appuyé le savant américain, témoignages qui
ne sont d’ailleurs, comme les précédents, que ceux fournis
par Mariner.
Haie, avons-nous dit, a placé la route directe par les îles
Salomon : sans tenir compte de l’assertion positive de Ma¬
Comme cette
a
été soutenue par
: que Bulütu était dans le N.-O. D’après la légende, il
croyait avoir retrouvé ce Bulotu dans l’île Bourou des Moluques, qui gît seulement dans l’O. 1/4 N.-O. des Samoa.
Prenant là les émigrants, il les fait passer d’abord au
Nord de la Nouvelle-Guinée, en une seule colonne ; puis
une fois les îles Salomon doublées, par le Nord aussi, il
suppose que cette première colonne se partage en deux co¬
lonnes secondaires, qui vont peupler directement : l’une les
îles Samoa, où elle se divise pour^envoyer une colonie aux
Tunga ; l’autre les îles Tunga encore, mais après s’être ar¬
rêtée aux Fiji pendant un temps plus ou moins long. C’est
du moins ce qui résulte du texte des traducteurs du compa¬
gnon de Wilkes, et particulièrement du travail de M. de
Quatrefages, publié en 1864, dans la Revue des Deux-Mon¬
riner
des.
•f'
O
LES
POLYNÉSIENS.
511
préférence, emprunter «encore ici, à
professeur français, une citation qui a le double
avantage de faire si bien connaitre son opinion, en même
temps que celle qui a généralement cours dans la science.
Après avoir expliqué l’origine du mot Bolotou, dont nous
nous sommes occupé si longuement, M. de Quatrefages dit (1) :
Or, nous voyons l’émigration se scinder dès le début, soit
que le même flot d’émigrants se soit partagé en deux cou¬
rante après avoir dépassé les îles Salomon, soit que deux
colonies contemporaines, ou se suivant de très près, se
soient portées dans deux directions différentes au delà de
ces îles. L’une est allée directement à l’archipel des Navi¬
gateurs ou Samoa et s’est étendue jusque dans celui de
Tonga ; l’autre a gagné les îles Fiji ou Yiti. Là, elle a trou¬
vé le sol en partie occupé déjà par des populations nègres.
Les deux races ont assez longtemps vécu côte à côte l’une
Aussi allons-nous, de
l’illustre
«
de l’autre ; mais à un
leurs
a
certain moment la guerre des cou¬
blancs ont été vaincus et chassés. Or,
éclaté. Les
pendant leur séjour, ils se soient alliés aux noirs,
qu’après leur défaite, ils aient laissé aux mains de leurs
adversaires un assez grand nombre d’individus, et surtout
des femmes, toujours est-il que la race nègre des Fiji a été
profondément modifiée par des croisements dont on recon¬
naît encore aujourd’hui les traces irrécusables (2j. En même
temps ils emportaient avec eux, dans leur langage, dans
leurs mœurs, un certain nombre de traits spéciaux emprunsoit que
soit
(1) Revue des Deux-Mondes (1864), t. XLIX,
p.
839.
(2) Dans son ouvrage sur les Polynésiens et leurs migrations,
publié deux ans plus tard, M. de Quatrefages ajoute, après
ce
mot
œ
irrécusable
3>
:
LES
puie M. de
«
blancs
»
POLYNÉSIENS.
i
515
Quatrefages, pour soutenir le départ des
Fiji, chassés par la population mélané¬
des îles
sienne, montre d’une manière certaine qu’elle ne
s’appli¬
que qu’à un départ des îles Tunga.
A notre avis, il
n’y a donc qu’une conclusion non dou¬
teuse à tirer du récit
précédent : c’est que les Fiji étaient
habitées lors des premières visites des
Polynésiens dans ces
îles ;>mais cela ne dit
pas du tout que les Polynésiens n’au¬
raient pas pu être
depuis longtemps fixés dans les leurs,
et surtout, cela ne dit
pas qu’ils fussent venus de la Ma¬
laisie.
Nous
relèverons, en passant, les expressions « de nègres »
qui reviennent plusieurs fois dans lé récit
précédent : les Fijiens ne sont pas des nègres, dans
l’accep¬
et de
«
blancs
tion ordinaire de
ce
mot ;
ils
ne
sont pas semblables à des
Africains, et les Polynésiens ne sont pas des blancs non
plus. Ces mots étant opposés, n’ont été évidemment
employés
que pour indiquer la différence des couleurs ; mais cette
manière de parler n’en est
pas moins 'capable d’induire les
ethnologues en erreur.
Sans nous arrêter à rechercher
pourquoi les « blancs »,
chassés par les œ nègres » fijiens, auraient «
surtout laissé
des femmes, » qui, suivant M. de
métissage des Fijiens,
nous nous
Quatrefages, expliquent le
bornerons à répéter queues
métis, qui n’existent que dans quatre
ou cinq îles, ressemFijiens qu’aux Tongans, et que cela tient à ce
qu’ils ont presque tous des mères fijiennes : les femmes poly¬
nésiennes n’aiment pas généralement s’allier aux
Fijiens
blentplus
aux
et elles
ne le font
que par exception.
Nous pourrions aussi demander à M. de
Quatrefages dans
quelleîle polynésienne les « #3lancs » chassés des Fiji auraient
emporté avec eux, dans leur langage, dans leur mœurs,
un certain nombre de traits
spéciaux, empruntés à leurs
vainqueurs, traits qui, de nos jours encore, distinguent leurs
descendants de toutes les autres tribus
polynésiennes. »
C’est aux Tunga surtout qu’on devrait trouver ces
traits :
or, après avoir vu les habitants de
Tongatabou, ainsi que
«
tous les autres
Polynésiens,
nous pouvons attester
qu’ils
O
516
LES
C
POLYNÉSIENS.
D’Urville, avec lequel
fait digne
de remarque, qu’aux îles Tunga, la race polynésienne sem¬
n’existaient pas en
nous nous
1827 dans cette île.
trouvions, signale même, comme un
ble offrir moins de
mélange avec la race
noire océanienne
Tahiti ou à la Nouvelle-Zélande (1).
Les Tongans ressemblent complètement à tous les autres
Polynésiens, et si l’on trouve des mots fijiens parmi les
leurs, ils se bornent à un petit nombre : cartons ceuXjcités
par Mariner sont inexacts, c'est-à-dire ou mal entendus, ou
mal orthographiés (2).
Enfin le récit de M. de Quatrefages passe sous si¬
lence ce qu’il y aurait eu de plus important à connaître,
c’est^*'dire la marche depuis le point de départ, depuis
Bourou jusqu’aux îles Salomon. On conviendra qu’il est
difficile de comprendre qu’on ait commencé par faire
longtemps route au Nord, pour revenir au Sud, au lieu de
prendre d’emblée la route directe par le détroit de Torrès,
ou
mélanésienne, qu’à
précédentes, ni du N.-O.,
ni de l’O., serait-ce donc de rO.-S.-0,-autrement dit de l’Australie ? Pas davantage, et même encore
moins, puisque l’Australie possède une population qui ne
peut avoir donné naissance à la belle race polynésienne.
On a pu le supposer tant qu’on a ignoré les différences
typiques des Australiens et des Polynésiens, et cette opi¬
nion était d’autant plus séduisante, que la Nouvelle-Hollaniie est un véritable continent, peu éloigné des terres
polynésiennes. Aujourd’hui il n’est plus permis de le faire.
Cook, Crozet et d’Urville, senties navigateurs qui ont le
plus donné lieu à cette conjecture par leurs assertions sans
fondement. En effet, le premier a dit que, quelques années
avant son arrivée à Tahiti, cette île avait encore des habi¬
tants plus noirs que le reste de la population et vivant à
(1) « Ce fait, ajoute-t-il, est d’autant plus remarquable, que les
îles Tonga sont immédiatement suivies, à l’Ouest, par les îles Viti
qui sont demeurées au 'pouvoir de la race noire. » (V. p. 225. To¬
Si ce n’est d’aucune des directions
ni de rO.-N.-O,
me
IV», h»
partie.)
(2) V. Dict. corrigé par nous, 2= vol.
J, entre autres.
1817. Lettre
do l’édition anglaise. London,
►
LES
POLYNÉSIENS.
517
l’écart, dans l’intérieur ; or nous avons montré o^ue cc réeit
avait été mal compris et que ces hommes n’étaient pas d’une
autre race, mais seulement des sauva^jes, relativement aux
autres Polynésiens.
Crozet prétend avoir vu trois espèces d’hommes à laNouvelle-Zélande ; ce n’était qu’une erreur d’observation, com¬
me nous le ferons voir bientôt ; ce qu’il avance lui-même
suffit à le prouver, puisqu’il dit que ces. trois espèces
d’hoi’^mes sont beaux, bien faits qu’ils ont tous de g-rands
yeux et le nez aquilin. Aurait-il donné une semblable des¬
cription, s’il avait eu sous les yeux des descendants des nè¬
gres de l’Australie, transplantés, comme il le suppose, à la
,
Nouvelle-Zélande ?
D'Urville, enfin, n’a fait qu’appuyer cettedernière opinion,
en la mitigeant, car il ne reconnaissait que deux es¬
pèces au lieu des trois de Crozet : lui aussi n’a pas moins
contribué par son autorité à induire presque tous les eth¬
nologues en erreur, malg-ré les assertions contraires de
Moërenhoüt et de quelques autres écrivains.
mais
aujourd’hui, à considérer les Aus¬
n’ayant pu aider au peuplement des îles
Polynésiennes, car ils ne sont nullement navig’ateurs.
On s’accorde, du reste,
traliens
comme
SI les Samoans n’ont pu venir ni da l’Est, ni de l’Ouest,
ou de l’O.-N-O, ni ael’O.-S.-O, ils n’ont donc pu,
ni du N.-O
afin de ne pas sortir des limites du couchant, où toutes les
traditions s'accordent à placer leur poin de départ, venir
simplement que du Sud-Ouest, c’est-à-dire des îles
ïunga.
C’est, en effet, dans le Sud-Ouest des îles Samoa que se
trouvent les îles Tunga, et c'esr de ces dernières îles que,
contrairement à ce que l’on a cru jusqu'à ce jour, les Sa¬
moa ont reçu leurs premâers habitants. Il est facile de le
tout
prouver.
Il est
surprenant que l’on ne se soit pas aperçu plutôt de
cette provenance :
cela tient, sans doute, à ce que les ethno¬
logues, non moins moutonniers que les anciens navigateurs,
se sont bornés à accepter une opinion toute faite, qui cadrait
e
518
sibien
LES
POLYNÉSIENS.
préconçue en une origine malaiasiatique des Polynésiens.
On vient de le voir, il n’y a dans la science d’autre opi¬
nion que celle-là : pour tous, les Tunga ont été peuplées par
des colonies venant, en second lieu, des îles Samoa et des
îles Fiji, ou même directement, comme le veut M. de Qua
trefages, delà contrée d’origine première, qui est géné¬
ralement placée, quel que soit le nom qu’on lui donne, dans
les îles Malaisiennes. Nous répétons qu'il n’y a qu’une
seule opinion, parce que si, plus récemment, M. Pritcliài’d a
cru trouver, dans une tradition, la preuve que les habitants
des Tunga sont arrivés dans leurs îles en venant de l’Est,
ce témoignage n’a pas l’importance qu’on pourrait être dis¬
posé à lui accorder, ainsi que nous le montrerons un peu plus
avec
leur croyance
sienne oü
loin.
Il
n’y a donc qu’une seule croyance parmi les ethnolo¬
c’est que non-seulement les émigrants sont partis des
îles Malaisiennes, mais que, de plus, ils ne sont arrivés aux
Tunga, qu’après une étape dans les Samoa et les Fiji. En
effet, puisqu’on supposait qu’ils avaient commencé par s’ar¬
rêter à Savait et aux Fiji, il était tout naturel qu’on ne les
fît arriver que consécutivement aux Tunga, de même, comme
on le verra, qu’il était aussi naturel qu’inexact d’attribuer
le peuplement de l’île du Milieu à l’Ile Nord de la NouvelleZélande. Pourtant, en se basant surtout, pour soutenir cette
opinion, sur la ressemblance des caractères physiques et
du langage des deux archipels polynésiens, il eût été tout
aussi naturel et tout aussi logique de supposer que c’étaient
les Samoans qui provenaient des îles Tunga, plutôt que les
Tongans des îles Samoa. Si on n’y a jamais songé, c’est
Tue l’on s’est borné, en la paraphrasant tout au plus, à ac¬
cepter l’hypothèse toute faite de Haie. Nous avons déjà dit
que cette hypothèse, de même®que l’origine malaise des
Polynésiens, ne repose sur aucune base solide ; elle n’est
que la suite d’une erreur anthropologique. Quant à l’hypo¬
thèse du peuplement des Tunga par les Samoa, elle a con¬
tre elle une tradition qui dit que les îles Samoa ont été
pensées par les îles Tunga.
gues,
O
»
LES
POLYNÉSIENS.
519
devenue générale depuis le savant
C’est cette croyance,
américain, qui, seule, a empêché, jusqu’à ce joifr, de donner
explication vraie du peuplement des Samoa. Dès qu’on
fussent venus de
Malaisiens, il était
impossible qu’on expliquât le peuplement des Tunga autre¬
ment qu’on ne l’a fait.
Au surplus, la tradition, qui indique nettement le peu¬
plement d’Upolu, l’une des Samoa, par les Tunga, n’est pas
seule favorable à l’arrivée des premiers habitants des
Samoa du Sud-Ouest, autrement dit des Tunga : cette pro¬
venance est encore mieux démontrée par la position des
îles Tung’a.
Les Tunga, en effet, sont à la fois et plus Sud et plus
Ouest que les Samoa
c’est-à-dire qu’elles sont mieux pla¬
cées que ces dernières, pour recevoir sans difficulté des
émigrants d’une grande partie de l’Occident, d’où, on le sait,
tous les Polynésiens s’accordent à faire venir leurs ancêtres.
Aucun obstacle n’existe, pour ainsi dire, sur la route; on n’a
qu’à jeter les yeux sur la carte pour s’en convaincre. En ou¬
tre, si l’on consulte les traditions des Tunga, on voit qu’elles
placent le lieu d’origine de leurs habitants dans un point,
qui n’est pas du tout dans la direction des Samoa : bien
qu’elles soient plus Ouest que ces dernières, elles le disent
placé encore plus à l’Ouest qu’elles-mêmes.
D’un autre côté, ainsi que nous l’avons déjà dit, aucune
des traditions des Samoa ne parle de l’envoi que ces îles
auraient fait aux îles Tunga ; toutes, au contraire, montrent
qu’à une époque éloignée, les Tongans allaient fréquem¬
ment guerroyer contre les Samoans, et que ces guerres ne
semblent avoir cessé, momentanément du moins, qu’après
le mariage des enfants des chefs d’Upolu et de Tongatabou.
Nous avons rapporté un» de ces traditions, d’après laquelle
les Fijiens faisaient de même, et étaient peut-être plus re¬
doutés encore que les Tongans ; enfin, on sait qu’on trouve
encore, dans l’intérieur d’Upolu, des restes de fortifications,
qui paraissent avoir été élevées pour résister aux attaques
une
voulait absolument que les Polynésiens
la Malaisie, qu’ils fussent en un mot des
,
de
ces
derniers.
5î0
LES
La tradition la
POLYNÉSIENS.
plus importante
pour
la thèse que nous
soutenons, est celle qui dit nettement que l’île Upolu a été
les Tong-ans. Cette tradition, si favorable à
tongane des Samoans, est rapportée par
Pritchard, et, en raison de son importance, nous croyons de¬
colonisée par
une
provenance
voir la donner in-extenso.
Upolu, dit--il, (1) est divisée en trois grands dis¬
ces districts occupe l’extrémité orientale de
nie et est appelé Atua;un second occupe le milieu de l’île et
porte le nom de Le Tua Masaga, ou Masanga ; enfin, le
troisième occupe l’extrémité Ouest et est appelé Aana. »
L’une.des plus anciennes traditions des Samoa, ajoutet-il plus loin (2), rapporte les aventures de deux sœurs, Ana
et Tua, et de leur frère Sagana ou Sangana, qui firent voile
de Tonga pour les Samoa, et allèrent atterrir à l’extrémité
Ouest (3) d’üpolu, l’île australe du groupe. Aujourd’hui
encore, c’est par ces trois noms que les districts politiques
d’Upolu sont désignés.
Ana, la sœur aînée, s’arrêta à Textrémîté Ouest, qui est
toujours appelée Aana, et elle lui donna la massue et la
«
L’île
tricts
:
L’un de
«
a
lance pour
«
emblèmes.
Tua, la plus jeune sœur, alla jusqu’à l’extrémité Est et
s’y fixa : le district porte toujours son nom,. A-tua, et il pos¬
emblème TOso ou pieu à planter, qu’elle lui avait
assigné.
Enfin le frère s’établit dans le district intermédiaire,
qui porte toujours son nom, Sagana (4) ; il a pour marque
distinctive le fue (5) ouémoucboir de l’orateur, qu’illui avait
sède pour
«
donné.
(1) Reminisce'ices, p. 51.
(2) Ibid.
p. 390.
(3) Çet atterrissement était tout naturel, puisqu’ils venaient
d’un point encore plus occidental.
(4) Ce mot sagana ou sangana n’est bien probablement que le
mot maori hangana. Il semble, du reste, y avoir une erreur dans
le texte, puisque plus haut ce district a été nommé Le Tua Ma-
saga ou
Masanga,
.(5) Le fue était le signe distinctif d’une famille princière ; il
consistait en une baguette artistement ornementée, surmontée de
c
LES
521
POLYNÉSIENS.
Réunis, disent les indigènes, (1) ces trois emblèmes
pleins de force : la massue et la lance protègent le
plantoir ou bâton à planter, et le plantoir nourrit la massue
et la lance. Séparés, au contraire, ils sont faibles et impuis¬
sants : le plantoir est brisé, parce que la massue et la lance
ne sont pas là pour le protéger ; la massue et la lance sont
«
sont
affamées
pour
et
affaiblies, parce que le plantoir n’est pas là
les nourrir.
»
Q?tte tradition fait mieux que montrer l’ancienneté des
rapports établis entre les Samoa et les Tunga : elle prouve
surtout, à notre avis, que ce sont les Tongans qui ont été
peupler l’île Upolu ;elle prouve, par conséquent, le contraire
de ce qu’on a cru jusqu’à présent, c’est-à-dire que les Tun¬
ga, au lieu d’avoir été peuplées par les Samoa, ont peuplé
au moins une des
principales îles des Samoa, si, ce qui pour
nous est fort probable, elles né les ont pas peuplé toutes.
Nous pourrions encore invoquer, à l’appui de cette as¬
sertion, un autre fait, cité également par Pritcbard, (2) c’est
qu’un chefSamoan, nommé Pulepule, descendait d’ancêtres
Tongaus qui, quelques générations avant, étaient venus se
fixer dans les Samoa. Ce chef avait encore les caractères du
mélange Tunga-Fiji.
Le vice-amiral Jurien de la Gravière cite
chant Ton-
qui vient également corroborer la thèse que nous sou¬
gan,
tenons
a
un
(3):
Sparte de l’Océanie : elle
plus de chants d’amour que de chants de guerre. Les
Sandwich, les îles Viti, préféraient l’épopée à l’idylle
Taïti était la Lesbos et
non
la
avait
îles
plumes, et manœuvrée par des esclaves qui chassaien
ainsi les mouches. La conclusion morale qui découle de cette lé¬
touffes de
gende, c’est
que les deux soeurs
de nourrir leur frère.
*
(1) Ibid,
p.
étaient chargées de défendre et
C8.
(â) Ibid, p. 379.
(3) Voyage de la corvette la Bayonnaise dans les mers de Chine.
Paris, 1872, t. Il, p. 851.
0
522
LES
POLYNÉSIENS.
Les îles
tes
fut
Tonga redisaient, sur un mode attendri, les plain¬
maternelfes de leur reine Fiti-Mau-Pologa, dont le fils
emportépar les vents, loin de
île natale. Sa pirogue,
longtemps errante sur les flots inconnus, aborda enfin aux
son
rivages de Samoa.
Un songe avait rassuré la reine, mais n’avait
pas con¬
solé sa douleur. Chaque
matin, elle venait s’asseoir sur la
«
plage, et, les
libre
«
cours
à
yeux tournés vers le
son
affliction.
Regardez, disait-elle: le
nuage
Nord, elle donnait
du matin
se
lève.
—
un
Où
repose ce nuage vermeil ? — Est-ce sur la baie d’Oneata ?
Cette baie où est à présent mon fils ? — Mon fils chéri est
loin de
—
ma
maison !
Mon fils est allé
boules
sur
—
Que
mes
larmes soient
jusqu’à Samoa.
un
océan !
On dit qu’il joue aux
un enfant
qui ga¬
; il était comme le Tiare (1), — dont le
les vents, —réjouit au loin le voyageur
le bord de la
mer.
—•
—
C’était
gnait tous les cœurs
parfum, apporté par
qui passe. »
Enfin, si l’on remarque que, de tout temps, les habitants
des Samoa ont tenu, comme ils tiennent
encore aujourd’hui,
Tunga en grande considération, considé¬
ration qui, chez les peuples à
demi-sauvages, ne s’accorde
guère qu’aux ancêtres ou à ceux qui ont été les plus forts
et les ont tenu en sujétion
pendant plus ou moins long¬
temps ; si l’on remarque que les migrations n’ont dû s’o¬
pérer, d’une manière générale, que suivant une route qui
s’éloignait du couchant et avec des vents qui, ainsi que
les habitants des
nous
le démontrerons
enfin,
bientôt, poussaient
vers
l’Orient
;
si
les Tongans sont des navigateurs
entreprenants, qu’ils sont allés de tous côtés faire
on remarque que
hardis et
des visites
ou
établir
des
colonies, tout
cela, certes, est
plutôt les
bien suffisant pour faire supposer que ce sont
Samoa qui ont reçu des colonies^des îles
Tunga, que les
Tunga des îles Samoa.
Les Tongans, du reste, tiennent également les Samoans
(1) Le Tiare est le Gardénia florida, que les Polynésiens placent
à cause de son odeur suave.
dans leurs cheveux,
f
P'
LES
POLYNÉSIENS.
grande estime : c’est aux Samoa que
fils de famille allaient séjourner plusieurs
en
523
les princes et les
années, pour com¬
pléter leur éducation. Il semble que, pour eux, ces îles
étaient ce qu’étaient, pour les Romains, la Grèce antique et
surtout Athènes : car ils y recherchaient principalement le
beau langage et le^ belles manières.
On s’accorde généralement à reconnaître aujourd’hui que la
marche des mig-rations s’est faite duCouchant versle Levant.
C’est déjà une présomption pour que les îles Samoa aient
été*'peuplées de la même manière, c’est-à-dire pour qu’elles
aient reçu leurs premiers habitants d’îles plus occidentales
qu’elles-mêmes. Or, ou vient de le voir, c’est ce que dit for¬
mellement la tradition qui fait peupler l’île Upolu par le
frère et les deux sœurs, et nous sommes convaincu que
les autres îles Samoa n’ont pas été peuplées différemment.
On verra bientôt que les migrations vers l’Ile Nord de la
Nouvelle-Zélande ne se sont pas faites autrement non plus,
malgré tout ce qu’on a dit de leur départ des îles Samoa.
En résumé, nous croyons pouvoir conclure, de tout ce qui
précède, qu’au lieu d’être les ancêtres des Tongans, comme
on le dit généralement, les insulaires des Samoa sont plu¬
tôt leurs descendants ; en un mot, que les îles Samoa ont
été peuplées par les îles Tunga.
Mais une pareille hypothèse ne fait que reculer la diffi¬
culté sans la résoudre. Nous allons donc, dans les pages
suivantes, essayer d’indiquer d’où provenaient les premiers
émigrants qui se sont établis dans l’archipel des îles Tunga.
PEUPLEMENT DES ILES TUNGA.
Examen dos deux
nance
hypothèses opposées : provenance orientale ; prove¬
occidentale.
Les îles
O
—
La
Fiji auraient été
première hypothèse n'est pas admissible. —
obstacle presque insurmontable à une pro¬
un
Réfutation de l’opinion de M. de
Examen critique des traditions recueillies par Mariner
et Pritchard.
Ces traditions ne justifient en rien les conclusions
qu’en ont tiré les ethnologues modernes. — La provenance malaisienne
des Polynésiens n’est pas admissible. — Les
émigrants polynésiens
sont venus du Sud-Ouest. — C’est par la Nouvelle-Zélande qu’ont été
peuplées les îles Tunga, puis, successivement, les autres îles polyné¬
venance
occidentale de la Malaisie.
Quatrefages.
—
—
—
siennes.
Nous devrions, pour rechercher l’orig-ine des premiers
habitants des îles Tung'a, suivre la même marche que pour
peuplement des îles Samoa, c’est-à-dire passer
indiquées précédemment ;
mais comme les arguments dont nous, nous sommes servi
contre le peuplement des Samoa par l’Est, par l’Ouest ou
par toute autre direction, s’appliquent aussi bien au peu¬
plement des Tunga, nous croyons devoir nous horneà
compléter ici les objections que nous avons faites, et à exa¬
l’étude du
en revue
chacune des directions
miner, à notre tour, les quelques lég'andes dont nous n’avons
point encore parlé, et sur lesquelles, cependant, on s’est
appuyé pour soutenir que les îles Tunga ont été peuplées di¬
rectement, soit par l’Est, soit par l’Ouest, autrement dit par
la Malaisie.
Il
suffirait,
sans
doute,
pour
montrer
l’impossibilité
LES
POLYNÉSIENS.
5i5
peuplement des Tung-a, aussi bien que dgs Samoa, par
voie, de dire, ainsi que nous n’avons cessé
de le répéter, que les Tongaus, pas plus que les Samoans et
les autres Polynésiens, n’appartiennent point à la race Ma¬
laise. Cependant, comme le peuplement par la Malaisie est
l’opinion généralement adoptée ; comme c’est celle que
soutenait M. de Quatrefages, au moment même où M. Pritcbard soutenait l’opinion contraire, nous ne croyons pas
du
cette dernière
p(favoir nous dispenser d’examiner attentivement ces deux
hypothèses si diamétralement opposées. 11 importe, en effet,
de montrer que les traditions invoquées par ces deux auto¬
rités si compétentes, bien qu’à des titres différents, ont été
interprétées inexactement, et qu’elles sont, par conséquent,
plutôt contraires que favorables aux provenances admises.
Il nous sera facile, après cet examen, de montrer quelle
est la terre occidentale qui, pour nous, a été, d’une manière
presque cei’taine, le lieu d’origine des premiers émigrants
aux îles Tunga.
Toutefois, dès à présent, nous allons établir que ces émi¬
grants, fussent-ils venus de la Malaisie, comme on le croit,
auraient eu certainement plus de peine à atteindre les Tun¬
ga que les Samoa. Quelle qu’eût été la route suivie par eux,
même la plus directe, par le détroit de Torrès, ils auraient
rencontré sur leur chemin l’obstacle, suivant nous insur¬
montable, des îles Fiji. Ces îles, én effet, forment une bar¬
rière qu’il faut absolument traverser, pour arriver aux
Tunga quand o n vient de la Malaisie.
INous savons que ces îles sont au nombre de 225, dont
80 sont habitées. Les plus grandes et les plus peuplées, et
en même temps celles dont les populations sont le plus pures,
occupent le côté occidental de l’archipel, c’est-à-dire celui
qu’il eût nécessairement fallu aborder le premier. Or, ces
populations appartiennent à une race guerrière, mais sur¬
tout redoutable par le nombre. Il n’est dès lors guère pro¬
bable qu’elles auraient permis, comme le veut M. Haie, aux
émigrants malaisiens d’y séjourner d’abord, puis de s’éloi¬
gner, une fois la bonne entente disparue entre les deux
.
races.
•)
526
LES POLYNÉSIENS.
On
a vu,
pâr tout ce
que nous avons
dit précédemment,
la population des îles Fiji n’est pas uniquement le mé¬
lange de Polynésiens et de Mélanésiens, mélange admis par
tous les écrivains, depuis Haie, et particulièrement M. de
Quatrefages; mais qu’elle est mélanésienne pure dans toutes
les îles de l’Ouest, et pour ainsi dire dans toutes les autres :
car il n’y en a que quatre ou cinq, parmi les plus orien¬
tales, qui présentent le mélange dont il a été tant pajlé.
En un mot, plus on se rapproche de l’Ouest et du NordOuest, plus cette population est distincte de la race poly¬
nésienne, plus elle devient nombreuse. L’inverse eût né¬
que
cessairement
ce
eu
lieu si des Malaisiens fussent arrivés par
fait, à lui seul, suffirait pour détruire la conjec¬
admise par tous les ethnologues, s’il n’y en avait pas tant
côté. Ce
ture
d’autres concourant
au
même résultat.
répéter : cette population se regarde
première occupante des îles Fiji ; elle n’a
conservé aucun souvenir d’étrangers, venant de loin par
l’Ouest, mais au contraire celui d’entraînements d’îles voi¬
sines, telles que Rotunia, dans l’Ouest, et surtout les Sa¬
moa et les Tung-a, dans l’E.-N.-E. et le S.-E. ; enfin pas une
de ses traditions ne fait allusion à une pareille provenance.
On a vu aussi que les missionnaires anglais ont attribué la
pureté de race, que cette population paraît avoir conservée
pendant longtemps, àl’observance de la coutume de tuer tous
les étrangers. Si donc, des mélanges ont fini par se produire
dans les îles de l’Est, ces mélanges n’ont eu lieu qu’à la
longue, par l’arrivée successive, volontaire ou non, d’indi¬
gènes de race polynésienne, s’unissant aux femmes fijiennes,
et produisant en plus grand nombre, là seulement où ils
se rendaient de préférence, ces métis qu’on croit, à tort,
être la population entière de l’arcbi^el. Sans doute le nom¬
bre de ces métis a beaucoup augmenté avec le temps et, par
leurs croisements, soit avec les Européens, soit avec de
vrais Fijiens ou de vrais Polynésiens, ils ont donné lieu à
une grande variété d’autres métis ; mais nous le répéterons
encore, les premiers et véritables métis de Mélanésiens et
de Polynésiens, sont bornés aux îles Fiji les plus orientales
Il est inutile de le
comme
la seule et
LES
POLYNÉSIENS.
527
ainsi qu’on ne cesse de le dire, la po¬
pulation entière. Ils la constituent si peu que les purs Fijiens
et les purs Tongans distinguent ces métis par un nom qui
ne signifie pas autre chose que métis de Tongans et de Fi¬
jiens : Tunga-Fiji.
Voilà ce qu’on ignorait il y a quelques années encore, et
ce qu’ont démontré les missionnaires
anglais fixés dans
et
ne
constituent pas,
ces^les. Après cela, il n’est certainement plus
mettre
en
doute que
possible de
la grande majorité de la population
Fiji appartient à la race mélanésienne pure.
vrai, comme l’a avancé d’ürville, que cette
race mélanésienne, ou si l’on veut fijienne, a été un obsta¬
cle à la marche des Tongans vers l’Ouest, et les renseigne¬
ments acquis depuis ses voyages semblent lui donner rai¬
son, qu’en conclure ? Que les émigrants, s’ils fussent venus
de la Malaisie, comme on le croit, c’est-à-dire de l’Ouest
vers l’Est, auraient eux-mêmes, à plus forte raison, trouvé
ce même obstacle beaucoup plus insurmontable encore,
puisqu’ils seraient forcément arrivés sur celles des îles Fiji
qui sont les plus populeuses, et alors les indigènes se se¬
raient presque certainement opposés à leur descente, sinon
des
Mais s’il est
à leur passage.
ces diverses difficultés
impossible un peuplement
par la Malaisie des îles Tunga et des autres îles Polyné¬
siennes. Mais comme l’assertion que nous avançons n’est
pas une preuve suffisante, nous allons Tétayer par l’examen
critique des raisons qui ont porté M. de Quatrefages à souténir que les Tunga et les autres îles de la Polynésie ont
été peuplées par la Malaisie.
A l’époque où le savant français a publié son remarqua¬
ble travail dans la HeuuS des Deux-Mondes (1), il admettait
purement et simplement l’opinion de Haie, et il se conten¬
tait de dire que les îles Tunga avaient été peuplées par deux
colonies de Malaisiens : l’une, la première arrivée, venait
des Samoa ; Fautre, fixée d’abord aux Fiji, en était chassée
Il
nous
auraient
semble,
en somme, que
du suffire à rendre
(1) Revue des Deux-Mondes, 1864.
528
LES
POLYNÉSIENS.
et, à peine rendue aux îles Samoa, soumettait celle qui s’y
précédemment établie.
Quelques années après, dans son ouvrage sur les Po~
lynésiens et leurs migrations, (1) il ajouta une colonne spé¬
ciale venant directement du lieu d’origine première, c’està-dire de Bulotu qui, pour lui, nous le savons, est l’île
Bourou des Moluques.
Enfin, plus récemment, M. de Quatrefag-es, tout en con¬
servant toujours la croyance en l’hypotlièse de Haie, ajoute
une nouvelle colonne qui se serait attardée en NouvelleGuinée. Yoici, en effet, les paroles que le savant professeur
prononçait, en 1877, dans la séance publique annuelle de la
Société d’acclimatation de Paris : (2) » Aux temps dont nous
parlons, Bouro devint le point de départ d’un courant d’é¬
migration qui se porta d’abord au Nord-Est, et envoya pro¬
bablement quelques rameaux en Micronésie. Mais la majo¬
rité des émigrants se dirigea vers le soleil levant. Un petit
nombre, inclinant bientôt au Sud-Est, gagna l’extrémité
était
orientale de la
Nouvelle-Guinée, où leurs descendants ont
été récemment découverts par le capitaine Moresby. Le gros
de l’émigration dépassa les îles Salomon et se scinda en
trois branches, La
première
l’arcliipel des Samoa ;
la troisième descendit jus¬
gagna
deuxième, celui des Tonga
qu’aux îles Viti. y
la
;
de ces assertions ? M. de Quatrefages la
importantes traditions que nous allons,
malgré leur longueur, rapporter en entier, afin que les
ethnologues soient mieux à même de les interpréter.
Nous commencerons par celle sur laquelle M. de Quatre¬
fages s’est surtout appuyé pour soutenir que la Malaisie
était bien le lieu d’origine des Polynésiens. O’est Mariner
qui l’a fait connaître.
°
Où est la preuve
trouve dans deux
Cette tradition fait venir de Bulotu les habitants de Tun-
gatapu, et elle leur fait envoyer des colonies vers
l’Est,
(1) Les Polynésiens et leurs migrations, iii-4'>. Paris, 1866.
(2) Les migrations et l’acclimatation en Polynésie, in Revue scien¬
tifique du 9 juin 1877. Voy. aussi L'Espèce Humaine, p. 141.
t
LES
POLYNÉSIENS.
529
c'est-à-dire dans la direction du
groupe des îi^s Hervey,
des îles Australes, de la Société, et Paumotu. Elle
rapporte
que Tungatapu a été peuplée par Tangaloa, ce dieu
qui,
suivant elle, pêcha les îles Tunga à la
ligne. Et ici, remar¬
les légendes Maori disent également
que les émigrants d’Hawaliiki se sont dirigés vers l’Est ;
quons en passant que
elles disent absolument
de même
l’Ile-Nord de la
Maui, émigré, lui aussi,
de rflawahild ; et, pour
plus de ressemblance, on montre à
Hoonga, dans les Hapai, le roc saisi par l’hameçon de Tan¬
galoa, comme on montre, près'du cap Est, celui auquel s’é¬
tait accroché l’hameçon de Maui,
quand il tirait Aotearoa
Nouvelle-Zélande
a
été pêchée par
que
du fond de l’eau.
Voici ce que rapporte Mariner (1) ; « Ils n’ont
que des no¬
tions très vagues sur l’origine de la terre. Ils croient
qu’autrefois il n’y avait, au-dessus des eaux, d’autre terre
que
l’île de Bolotou qui,
probablement, de même que les Dieux,
le Firmament et l’Océan, avait
toujours existé.
jour Tangaloa, le dieu des arts et des métiers (3),
sortit pour pêcher dans le Grand-Océan.
Ayant laissé tom¬
ber, du haut du ciel, sa ligne et son hameçon dans la mer,
il sentit tout-à-coup une résistance
paissante. Pensant
avoir pris un immense poisson, il
employa toutes ses for¬
ces, et il vit paraître, sur la surface de l’eau, diverses
pointes
de rochers, dont le nombre et la
grandeur augmentaient à
mesure qu’il tirait sa
ligne : Il était donc évident que l’ha¬
meçon était accroché au fond de l’Océan.
Il aurait fini par tirer ainsi un vaste continent du sein
des eaux, mais sa ligme se cassa, et les îles
Tonga sont la
preuve que l’entreprise de Tang'aloa n’a pas complètement
«
Un
o:
réussi.
Le
dans
lequel l’hameçon s’était arrêté était dé¬
jà sorti de l’Océan. Il sê trouve dans l’île de Hunga, et
«
roc
l’on y montre encore le creux dans
lequel l’hameçon s’était
(1) Histoire des naturels des îles Tonga, etc., t. II,
p.
184.
(2) A la Nouvelle-Zélande, Tangaroa était le G” fils du Ciel
la Terre, le père des poissons et le dieu de l’Océan.
Il
34.
et de
530
LES
POLYNÉSIENS.
engagé. Ce^hameçon était en bois ; il a été,
conservé dans la famille du Tiiitonga ; mais
mé dans
un
de tout temps,
il
incendie, il y a environ trente ans.
a
été consu¬
Tangaloa, ayant ainsi découvert la terre^ la couvrit de
plantes et d’animaux semblables à ceux de Boulotou, mais
«
d’une nature inférieure,
puisqu’ils étaient sujets à la mort.
Voulant alors que Tongatabou fut b’abitée ' aussi par
des êtres doués d’intelligence, Tangaloa dit à ses deux fils :
«
«
Emmenez
vos
femmes
a
Tonga. Divisez le
«
vous en
pays en
avec
vous,
et allez demeurer à
deux portions et que chacun de
prenne une. » Ils partirent.
L’aîné se nommait Toubo et le plus
jeune Vaka-aku-uli.
plein d’intelligence ; il le prouva en inven¬
tant la hache, les étoffes, les miroirs et les colliers. Toubo,
au contraire, n’était qu’un paresseux et un envieux.
Lassé
d’être obligé de demander sans cesse à son frère ce dont il
avait besoin, il résolut de le tuer. Un jour, il mit son projet
à exécution : l’ayant rencontré à la promenade, il le battit
jusqu’à ce qu’il fut mort.
Tangaloa accourut de Boulotou fort en colère. Il lui dit :
Pourquoi as-tu tué ton frère ? Ne pouvais-tu pas travailler
comme lui ? Pars, misérable ! Va dire à sa famille de
«
Ce dernier était
«
«
*
«
venir immédiatement me trouver.
«
»
Les divers membres de la famille étant
arrivés, Tan¬
galoa leur dit ; « Mettez vos canots à la mer ; faites voile
du côté de l’Est, vers la grande terre que vous trouverez,
et fixez-y votre demeure. Votre peau sera blanche, parce
«
que vos cœurs sont purs. Vous aurez de la sagesse, des
«
haches, toutes sortes de biens, et de grands canots. J’irai
K
> ; sans chercher pour le mo¬
ment non plus, quelle pouvait être, dans l’Est, la terre à
laquelle il était fait allusion, il est certain que cette tradi¬
tion indique d’abord, mais sans la préciser, une provenan¬
ce occidentale ; puis,
elle montje qu’en quittant Tunga,
les émigrants de cette île se sont, par ordre de Tangaloa,
dirigés vers l’Est, et, probablement, vers le Sud-Est ; le
Il faut remarquer également
successivement pêchées par
pétuel, écraser, tuer une personne. Yavao, en Samoan, veut
dire prohibition, bruit confus ; en Tahitien, séparer deux com¬
battante, espece de taro, noix de coco qui ne contient plus de
ait.
LES
POLYNÉSIENS.
533
effet, qu’il fera souffler les venta de la terre
qu’ils habiteront. Or, l’on sait que les vents régnants pour
les Tunga sont les alisés du Sud-Est.
*
Mais, en désignant Bulotu comme le lieu d’où étaient
venus Tangaloa ou Maui, lorsqu’ils ont pêché les îles Tunga, cette légende ne détermine, pas plus que les autres, la
situation que ce lieu occupait véritablement. C’est cepen¬
dant sur elle que M. de Quatrefages s’est appuyé tout particiflièrement (1) pour soutenir que les Tunga ont été peu¬
plées en partie par cette portion de Malaisiens, que Haie
disait s’être arrêtée d’abord aux Samoa et aux Fiji. Cette
interprétation, il faut en convenir, est aussi ingénieuse
qu’utile pour l’hypothèse qu’on veut faire accepter ; mal¬
heureusement, cette hypothèse ne repose sur aucune donnée
satisfaisante. Rien, dans les autres traditions, ne lui vient
en aide ; bien mieux, elle est contredite par le texte même
de la légende,‘lorsqu’il détermine les vents nécessaires pour
aller facilement aux Tunga. En effet, quoique M. de Q.uatrefages croie pouvoir avancer que les Tongans se sont à
tort appliqué cette légende, que lui-même, pourtant, re¬
connaît avoir été le résultat d’une véritable enquête de
Mariner, et être, par conséquent, d’origine toute locale ;
quoiqu’il croie pouvoir dire que les Tongans se sont évi¬
demment calomniés ; que l’application qu’ils ont faite est
erronée, qu’elle ne s’explique que par l’oubli des origines
premières, et surtout par la confusion qu’a dii laisser l’i¬
dentité des noms de l’archipel Tonga et du Tong-a de VitiLevu, il est pourtant positif que, d’après les propres termes
de la légende, les vents souffleront de l’Est pour permettre
aux partisans de Vaka-aku-uli qui, sur la recommandation
de Tangaloa, s’étaient portés plus à, l’Est, de revenir à vo¬
lonté trafiquer à Tungat^pu ; tandis qu’il sera impossible,
au contraire, aux fils de Touho, restés dans cette île, d’aller
les trouver avec leurs petits canots. Or, d’après la légende,
le fait s’est passé à Tungatapu, qui est elle-même plus orien¬
tale que les Fiji : il ne s’agit donc que des émigrants restés
dieu
dit,
en
(1) Les Polynésiens,
p.
14‘2| 143.
534
LES
avec
Toubo bt de
ceux
polynésiens.
qui,
sur
l’ordre de Tang’aloa, se sont
portés encore plus à l’Est; il ne saurait être 'question ici,
le croit, ni des Fijiens, ni des îles Fiji.
Rien, d’ailleurs, daris cette lég-ende, pas plus que dans
toutes celles que nous avons citées, ne permet de supposer
que l’on a voulu parler des îles Fiji ; tout, au contraire, in¬
dique formellement qu’il ne s’agissait que de Tungatapu.
comme on
Les
un
noms
de Toubo et de Vaka-aku-uli, sont eux-mêmes
témoignage
car
ces noms
en
soutenoîis,
faveur de l’opinion que nous
Polynésiens (1).
est autorisé à conclure que M. de Qua-
sont tout
D’après cela, on
trefages n’a appuyé son opinion que sur des renseigne¬
ments inexactement interprétés : cette opinion ne peut
avoir, par conséquent, toute l’importance qu’on lui ac¬
corde.
ajoute, il est vrai, que s’il l’a adoptée, c’est parce que
renseignements recueillis par Mariner reportent la tra¬
dition dont il s’agit a au-delà du voyage de Cook, et que ce
navigateur, dans les trois visites qu’il fit à cet archipel
Tonga, n’eut qu’à se louer des habitants, ce qui lui fit don¬
ner au groupe entier le nom significatif d’îles des Amis. »
Mais d’abord, en quoi l’ancienneté des renseignements
Il
les
pourrait-elle aider à prouver qu’il s’agissait plutôt des îles
Fiji que des Tunga, comme point habité par Toubo (2), et
Vaka-aku-uli ? Puis, qu’il nous soit permis de dire, à
occasion, s’il est vrai que Cook n’a eu qu’à se louer
des habitants de Tunga, il ne l’est pas moins que, dans ce
même ai’chipel, le grand navigateur a échappé, comme par
miracle, au massacre prémédité contre lui par les indigèpar
cette
(1) Toubo est probablement ici pour Tu-po, ou mieux pour Tupu,
croître, pousser, rejeton, lieu natal. En Fijien, Tubu signifie an¬
cêtres.
f
Vaka-aku-uli, signifie « ma pirogue noire : * Vaka, pirogue ;
aku, mon, ma, mes ; uli, noir, noire. Peut-être pourrait-on lire ako,
enseigner, instruire.
(2) Nous avons vu, à Tungatapu, le représentant de cette famille,
portant le même nom : c’était le chef d’un
district de Tîle ; il était
déjà converti au Christianisme en 1827. (V. d’Urville, Voyage de
l'Astrolabe, t. IV,
partie. Edit. in-S”, p. 75.)
LES
535
POLYNÉSIENS,
c’est là que fut massacré l*équipage du
lequel se trouvait Mariner ; c’est là ég’alement
que Bligli et plusieurs autres navigateurs ont été attaqués,
sans parler de l’^sfroZabe, sur laquelle nous nous trouvions
nous-même avec d’ürville en 1827. Ces faits suffisent à dé¬
montrer la perfidie des indigènes de tout le groupe, et,
par conséquent, le peu de justesse du nom donné par Cook
nés.
On sait que
navire sur
à
c^
îles, bien que ce nom leur soit
jour (1).
En somme, nous croyons que
ce que
resté jusqu’à ce
M. de Quatrefages
appelle «une contradiction» (2),n’enestpasune aussi grande
qu’il le dit. S’il trouve, en compagnie de Haie, que cette
opinion est légitimée parce que le nom de Tonga est ren¬
contré à Viti-Levu, où il désigne une localité de la côte
Ouest ; si, d’après lui, tout annonce que là débarquèrent
les colons venant de Bulotu, nous reconnaîtrons, encore
une fois, combien une pareille interprétation est commode,
mais nous ferons remarquer qu’elle ne s’appuie que sur un
fait sans importance. En effet, si Ton se reporte aux légen¬
des, précédemment citées, recueillies par W, Williams,
Pritchard et autres, on verra combien il est simple et fa¬
cile d’expliquer comment un point, situé sur la côte Ouest
de Viti-Levu, a pu recevoir le nom de Tonga : Quelque
canot tongan y aura été entraîné, et son équipage sy
étant fixé, les naufragés eux-mêmes ou les indigènes lui
auront donné ce nom. On a déjà vu que des naufragés samoans ont appelé Samoa un point de Tîle Wakaia,
à une
époque si éloignée que le souvenir en est pour ainsi dire
perdu ; on a vu également que quelques familles entraînées
de Rotuma ont laissé leurs traces et surtout leur souvenir
sur la même côte Ouest de Viti-Levu. Ces faits ne prou¬
vent d’ailleurs absolumelit rien, quant à une provenance
(l)Voir d’Urville, t. IV. 1"= partie, p. 230; voir aussi Mariner, pour
martyrologe des Européens dans la Polynésie, ainsi que la fin du
volume de John Williams, qui, en l’écrivant, ne se doutait guère
qu’il était si près de l’augmenter.
le
(2) Les Polynésiens, p. 144.
536
LES
POLYNÉSIENS.
malaisieimS, puisque Rotuma, par exemple, n’a été peuplée
qu’assez tard, par les Samoa et peut-être les Tung-a.
Encore une fois, aucune des traditions des Fiji relatant
les faits anciens, ne parle de la venue des Malaisiens ; au¬
cune ne permette supposer cette venue ;
pas une d’elles ne
fait allusion à la légende tongane qui est bien purement
tongane ; pas une surtout ne laisse croire qu’il s’agit plu¬
tôt des
Fiji que des Tunga. Toutes, au contraire, ou du
plupart, parlent des entraînements involontaires
voyages faits aux îles Fiji par les Tongans et les
moins la
ou
des
Samoans.
Il est donc à croire, en
définitive, que si elles ont .laissé
de la Malaisie dans l’oubli, c’est que
cette provenance n’a jamais eu lieu.
M. de Quatrefages, avons-nous dit, ne se borne point,
pour le peuplement des Tunga, aux faits avancés d’abord
par Haie. Tout en trouvant que ces faits sont hors de doute,
il ajoute, après la discussion des preuves, qu’un seul point
la seule provenance
lui semble soulever des difficultés et nécessiter
une correc¬
tion.
(1), n’admet que deux colonies, venues
peuplant d’abord, l’une la côte
orientale des Fiji, où elle se trouva en contact avec les nè¬
gres ; l’autre, l’archipel Samoa, probablement inoccupé
jusque-là. Tonga aurait été peuplée, comme nous venons
de le voir, par les émigrants venus de ces deux centres pri¬
M, Haie, dit-il
directement de Bourotou, et
mitifs.
«
Je crois, au
contraire, qu’il faut regarder Tonga comme
ses premiers habitants de la Malai¬
ayant reçu, elle aussi,
sie
(2).
Et il
s’appuie
tradition recueillie également
qui lui paraît on ne peut plus
plicite, est ainsi rapportée (3) :
sur une
Mariner ; cette tradition,
(1) Les Polynésiens
à
(2) Nous
sujet.
avons
et
par
ex¬
leurs migrations, p. 146.
rapporté plus haut les paroles qu’il
a
ce
(3) Histoire des îles Tonga,
r
par
Mariner, t. II,
p.
189.
prononcées
>
Œ
A
une
LES
537
POLYNÉSIENS.
époque où les îles Tonga existaieiï-t déjà, mais
n’étaient pas encore peuplées d’êtres intelligents, quelquesuns des dieux inférieurs de Boulotou, dé’âireux de voir les
par Tangaloa, partirent dans un grand
nombre d’environ deux cents, mâles et femelles,
pêchées
terres
canot
au
et arrivèrent à l’île de
«t
Tonga,
La nouveauté du lieu eut tant d’attraits pour eux,
qu’ils
réélurent
d’y fixer leur séjour. En conséquence, ils brisè¬
rent leur
grand canot pour en faire plusieurs petits.
a
quelques jours, deux ou trois d’entre eux
phénomène alarma les autres, car l’idée de
pouvait venir à des êtres immortels.
Au bout de
moururent. Ce
la mort
a
ne
Dans le même moment, l’un d’eux,
se
sentant inspiré
par un des dieux supérieurs de Boulotou, annonça que les
dieux avaient décrété que, puisqu’ils étaient venus à Ton¬
ga, en
avaient respiré l’air et s’étalent nourris de ses pro¬
ductions, ils étaient devenus mortels, comme tout ce qui les
entourait.
«
à
Cet arrêt les jeta
dans la consternation, et ils se prirent
regretter d’avoir brisé leur canot.
En ayant fait un autre, quelques-uns d’entre eux s’em¬
barquèrent dans l’espoir de regagner Boulotou, après avoir
promis, s’ils réussissaient dans cette entreprise, de revenir
chercher leurs compagnons. Mais ils s’eftorcèrent en vain
a
de retrouver la terre des
Tonga.
dieux et ils durent revenir à
»
ajoute : « Il existe dans cette histoire une petite
inconséquence, puisqu’ils croient que leurs dieux n’ont pas
de canots, attendu qu’à Tinstant où ils le désirent, ils se
trouvent transportés où ils veulent aller ; manière de voya¬
ger infiniment supérieiîte à toutes celles que nous connais¬
Mariner
sons.
»
de laquelle M. de Quatrefages
pouvoir déduire une provenance malaisienne.
Telle est la tradition,
cru
a
Certainement, d’après elle, une compagnie de deux cents
personnes,
divines
ou non,
est bien arrivée directement de
m
538
LES
POLYNÉSIENS.
Tung-a (1), sans passer par les Samoa et
Fiji. Sous ce rapport, on ne peut qu’être de son avis.
Mais, ce qu’il faut remarquer, c’est que cette lég-ende ne
parle, pas plus que les autres, de la situation de Bulotu.
Or si Bouro, dans les Moluques, n’a pu être, comme nous
croyons l’avoir démontré, le lieu d’orig-ine des Polynésiens,
il faut bien reconnaître qu’on persisterait à tort à les faire
venir d’aussi loin, et surtout d’une île aussi peu étendue,
comparativement à ses voisines.
’
Il est évident, comme nous allons le montrer tout-àl’beure, que les émig-rants auraient pu venir d’un tout autre
point, sans sortir des limites du couchant, et aborder direc¬
tement les Tung’a, sans avoir besoin de passer par les Sa¬
moa, et même par les Fiji.
Toutefois, M. de Quatrefag-es a raison quand, interprétant
le voyag’e à Tungatapu des dieux inférieurs de Bulotu, il
dit : « Ces prétendus dieux inférieurs mâles et femelles, ve¬
nus de Boulotou à Tonga, n’étaient évidemment que
des
hommes ; c’étaient les premiers colons malaisiens arrivés
dans ces îles. La preuve en est que, pour voyager et fran¬
chir l’océan, ils ont besoin d’un canot. Or, ces moyens
Bulotu à l’îlfe de
les
humains
sont nullement nécessaires
ne
aux
dieux pour se
transporter d’un lieu dans un autre, d’après les croyances
des Tongans eux-mêmes, très explicites sur ce point, tin
qu’à vouloir pour franchir les plus grands espaces.
premiers habitants de Tonga se montrent donc très
nettement dans cette tradition, avec ce caractère à demihumain et à demi-divin, que presque tous les peuples, et les
Polynésiens en particulier, ont attribué aux héros de leur
histoire primitive.
dieu n’a
Les
paraît difficile, ajoute-t-il, de ne pas voir dans cette
véritable document historique, racontant les
temps de la première colonisation de Tonga, les difficultés
de l’établissement, peut-être même la mortalité qu’entraîna
chez les émigrants un changement de patrie, et leur inspira
a
II
me
tradition
un
(1) On sait
que
Martin dit, dans
p. 93,
vol., que quand ils se
entendre l’île Tongatabou.
c
son
Histoire des îles
Ton^a.,
sert du mot Tonga seul, il
faut
>
LES
/
le désir d’un retour
POLYNÉSIENS.
qu’ils
ne
539
purent efifectuerP La diffé¬
que cette légende présente avec celle des fils de Tangaloa, vient d’ailleurs à l’appui de l’intërprétation que
rence
Haie
a
donnée de la
l’ensemble de
ses
première partie de cette dernière, et de
conclusions.
»
complètement de l’avis de M. de Quatrefages sur ce document, et nous sommes convaincu qu’il n’est
que le récit légendaire de l’une des premières visites faites
aux 'Cunga, après la découverte. Comme lui, encore, nous
pensons que « rien n’autorise avoir dans Tonga, comme dans
Tahiti, une fille de l’Ohevai, de Tupaiaou de Forster. » Mais
nous différons nécessairement d’avis quand il dit que « ce
document nous montre, en même temps, une colonie sortant
de Bouro-la-Sainte, et arrivant directement à Tonga, sans
passer par l’intermédiaire des Samoa. » Nous avons déjà
trop souvent dit pourquoi; il n’est pas nécessaire d’y revenir.
En somme, M. de Quatrefages, après avoir ainsi corrigé
la carte de Haie, termine en disant :
Cette manière de
voir s’accorde d’ailleurs, aussi bien que celle de l’ethnolo¬
gue américain, avec tous les faits qu’il a si bien mis en lu¬
mière. En particulier, elle satisfait entièrement aux exi¬
gences de la linguistique, puisque les Samoans et les Tongans primitifs, venus les uns et les autres de la même île,
devaient avoir le même langage. Elle a même, ce me sem¬
ble, l’avantage d’expliquer, plus aisément que celle de Haie,
la suprématie spirituelle du Toui-Tonga et du Veachi. Ces
descendants des dieux seraient pour nous les successeurs des
premiers chefs, colonisateurs de Tonga, respectés encore à
cause de leur origine, mais dépouillés du pouvoir temporel,
passé presque tout entier aux petits-fils de ceux qui, chassés
des Fijis, vinrent combattre et vaincre leurs ancêtres. »
Nous
sommes
qu’une courte remarque à cette occasion ;
cette manière de voir s’accorde avec celle
guère possible qu’il en fût autrement,
puisqu’elle n'eu est que le complément. De plus, si elle sa¬
tisfait les exigences linguistiques, il faut pourtant reconnaî¬
tre que, puisque les colonies étaient parties d’un même
point, ces colonies devaient nécessairement parler une mêNous
ne
ferons
s’il est certain que
de Haie, il n’était
I
540
me
LES
POLYNÉSIENS.
langue^ce point de départ eùt-il été tout autre que
Bouro-la-Sainte.
Quant à l’avaiîtag-e incontestable que M. de Quatrefages
d’expliquer, plus facilement que celle de Haie,
suprématie du Tui-Tonga et du Veachi, il est impos¬
sible de le nier ; mais, si on avait réfléchi que les émigrants
étaient conduits par les pontifes et les prêtres expulsés en
même temps qu’eux, peut-être eût-on trouvé une explica¬
tion plus simple encore, et, par cela même, plus probable.
O’est ce que nous essaierons d’expliquer prochainement
quand nous serons arrivé à dire pourquoi les Tunga et les
Samoa, de même que les îles de la Société, Mangareva,
Marquises et Sandwich, ont fait choix du mot Ariki, pour
désigner le chef suprême.
En somme, l’hypothèse de M. de Quatrefages est on ne
peut plus commode pour expliquer le peuplement des Tun¬
ga; mais elle n’est pas plus fondée que celle do Haie, quant
à la situation du lieu d’origine, et tout indique que ce lieu
d’origine, appelé Bulotu, ne pouvait pas être en Malaisie.
On est, du reste, si peu fixé sur sa position, que tout ré¬
cemment encore, nous l’avons vu plus haut un écrivain
anglais plaçait ce Bulotu dans l’Est des Tunga, c’est-àdire dans une direction tout-à-fait opposée à celle admise
par MM. Haie et de Quatrefages. Cela semblait résulter
pour lui d’une légende tongane qui, disait-il, indiquait
que les Tongans étaient venus d’une île de sable située dans
l’Est. Nous avons déjà montré que ce n’était qu’en s’ap¬
puyant surtout sur un mot, qu’il était arrivé probablement à
émettre l’opinion que les îles Samoa elles-mêmes avaient été
peuplées par l’Est. Nous pourrions donc nous dispenser de
nous y arrêter plus longtemps. Toutefois, en raison de son
origine, nous croyons devoir fairg connaître textuellement
cette légende, afin que le lecteur puisse lui-même l’apprécier.
Voici les paroles de Pritchard : (1) « La tradition tongane
de la création de l’homme, qui implique aussi une ancienne
migration de l’Est, est ainsi rapportée :
lui trouve
la
(1) Pritchard, iîe'miaticences,
p.
397.
.
.>
LES
4
Sur
tt
une
île de
du vent alisé, un
POLYNÉSIENS.
sable, dans l’Est de Tonga» dans l’œil
Kiu (chevalier ou pluvier) cherchait sa
nourriture dans le sable du bord de la meî.
de
son
541
excursion, il trouva
un
Dans le
cours
Eue (1).
Ayant gratté le sable parmi les feuilles, celles-ci se
changèrent en vers. En grattant parmi les vers il les vit se
«
en femmes (2).
perdu ; mais c’est probablement la
mêi/e que cite la tradition qùi rapporte la migration à
Tonga. »
Et Pritchard rapporte cette tradition dans les termes sui¬
transformer
«
Le
nom
en
hommes et
de l’île est
vant^: « Dans l’œil du vent alisé, est une île appelée Bulotu, la demeure des dieux.
€
Environ deux cents des dieux et déesses inférieurs,
ayant
des îles venaient d’être tirées des profondeurs de
le dieu Maui (3), pendant qu’il était à la pêche,
partirent dans un grand canot, sans en demander l’autori¬
sation aux dieux supérieurs, pour aller visiter les nouvelles
terres (4).
Ces îles leur plurent tant, qu’ils résolurent de s’y fixer,
et, dans ce but, ils brisèrent le grand canot qui les avait
amenés, pour en faire de plus petits, destinés à être em¬
ployés dans les lagons de leur patrie d’adoption.
Cette escapade déplut aux dieux supérieurs : pour punir
les déserteurs, d’immortels qu’ils étaient, ils les rendirent
mortels ; de dieux et de déesses, ils en firent, par le fait,
des hommes et des femmes, et ils les assujettirent à la mort
pour les punir de leur désobéissance.
On voit encore, à l’extrémitéEst de Tongatabou, le point
où les dieux débarquèrent à leur arrivée; ce point porte le nom
appris
que
mer
par
la
«
«
«
de
«
Lavenga-Tonga,l’atteinte ou point d’arrivée à Tonga. »
(1) Convolviilus yeùalîi^.lplante rampante.
(2) C’est la répétition de la même légende aux Samoa.
la
p.
(3) Remarquer que c’est encore
légende précédente.
ici Maui, au lieu du Tangaloa de
(4) C’est la même légende que celle rapportée par
189, et par M. de Quatrefages, p. 146.
«
Mariner, t. H.,
542
LES
POLYNÉSIENS.
Dans cat
endroit, les rochers saillants, que les natu¬
appellent « Haainonga Maui, la charge de Maui, > pas¬
sent pour avoir ëié apportés là, de Bulotu,
par le dieu Maui.
Une fois, ajoute Pritchard^ ayant fait
remarquer à un
chef que cette légende ne s’accordait pas avec celle de
la création de l’homme par des vers, comme on le voit
dans l’histoire du Kitu ou pluvier, ce chef me
répondit
aussitôt, et avec un air de dédain, que cette légende n’était
que le récit de la création des esclaves, tandis que la * ernière était celle de l’origine des chefs. ^
Ainsi, d’après cette tradition, Bulotu n’aurait plus été
«
rels
a
dans le N.-O. de
portée
Tungatapu,
comme le dit la
légendp^rap-
par Mariner, ni dans l’Ouest ou dans la Malaisie,
comme le disent M. Haie et ses
partisans, mais bien dans
« l’œil du vent alisé
■», c’est-à-dire dans l’E. et le N.-E. de
Tungatapu. Or, à notre avis, cette assertion entraîne un
identique à celui qui nous a paru résulter de lalégende,
citée par Pritchard, sur l’origine orientale des Samoans.
l’île
doute
Ce
qu'il faut
effet, c’est que la légende
rapporter, est la seule qui donne une
pareille provenance aux Tongans ; toutes les autres, au con¬
traire, s’accordent à leur donner une orig ine occidentale, et
l’on a vu que les divers archipels examinés
jusqu’à présent,
s’accordent tous à cet égard.
Dès lors, n’est-il pas préférable d’adme Être la
croyance gé¬
nérale des Polynésiens, plutôt que d’acct
pter celle qui résul¬
terait de la légende citée par Pritchard, et
qui ne s’appuie,
en résumé, que sur un mot dont la
signification est douteuse.
A cette occasion, nous ferons
remarquer que Pritchard ne
nous semble pas avoir bien traduit les mots
Lavenga, Tonga
et Haa monga Maui (1) : il rend la
première phrase par
l’arrivée à Tonga, » et la secof.de
par « la charge de
Maui. » Or lavenga paraît signifier
charge, fardeau, plutôt
que haa monga. Celui-ci semble être le mot maunga, mont,
remarquer, en
que nous venons de
o:
(1) En Maori, ce mot lavenga doit s’écrire kawenga : il signifie
charge, fardeau. Peut-être a-t-il été mal entendu. Unga, en
Maori, signifie arrivée.
montag-ne
; ti
doit,
543
LES
POLYNESIENS.
par
conséquent être traduit par
monts de Maui.»
•
a
les
faudrait-il lire : LavenS'a Maui et Haamong-a Tong-a. Quant au mot Tong-a, nous
avons déjà expliqué qu’il ne doit pas être écrit ainsi, mais
bien Tunga, comme l’avait fait d’ailleurs Mariner, avant
que l’erreur de Martin n’eût fait adopter le mot Tonga par
tous les ethnologues.
Peut-être y a-t-il eu inversion, et
Qu|i qu’il en soit, qu’il y ait eu ou non transposition des
interprétation, nous croyons qu’on peut infé¬
rer de ce que « Ton voit encore, à l’extrémité Est de Tongatabou, le point où débarquèrent les dieux, » que ces dieux
moti/et fausse
venir directement de l’Ouest ; dans ce cas, en
effet, ili^ seraient nécessairement arrivés sur la côte Ouest
au lieu de le faire sur la côte Est. On le voit, c’est un nou¬
u’ava^'int pu
veau! témoignage contre la
valeur, il
sans
On
ne
possibilité d’une provenance
il est fourni par une tradition
saurait avoir une gi-ande importance.
malaisienne ; mais comme
comprend très bien, au contraire, que venant du Sud-
Ouest, par exemple, ils auraient pu être
forcés d’aborder
ce'point de Tîie plutôt que sur tout autre. Il leur aurait
suffi, pour cela d’être « sous-ventés », comme on dit en mari¬
ne, et il est probable qiie c’est ce qui devait arriver souvent
aux émigrants,
quand ils étaient emportés par les vents
sur
d’Ouest et de Nord-Ouest.
pouvait accorder quelque valeur à cette cir¬
témoignage favorable à une
provenance du Sud-Ouest, c’est-à-dire de la Nouvelle-Zé¬
lande, de même que le nom donné au dieu par la légende est
un autre témoignage non moins favorable, puisque, d’après
cette tradition, au lieu de Tangaloa, c’est Maui qui pêche
les îles Tunga : or Ton sait que Maui est le héros qui passe,
Mais si l’on
constance, ce serait déjà un
à la
Nouvelle-Zélande,
avons vu
que ce
pcj^ir avoir pêché TIle-Nord, et nous
mythe est connu jusqu’aux îles Sandwich.
résumé, que conclure de tout ce qui précède ? Que les
Tunga n’ont pu recevoir leurs premiers habitants de
En
îles
Tune des directions que hous avons
indiquées,
en
parlant
544
LES
POLYNÉSIENS.
Samoa,
qu’elles ne les ont pas plus freçues de l’Ouest,
particulier, que de l’Est : c’est donc encore dans une
autre direction qE’il faut cliercher le point de départ des
émig-rants vers les îles Tunga.
Or, il y a une autre direction, dont nous n’avons point
parlé jusqu’à présent, et qui appartient toujours à l’Occi¬
des
en
dent
:
c’est,
en
effet, dans le Sud-Ouest que se trouve une
grande terre, qui est même
assez peu éloignée des Tunga,
puisque l’intervalle qui sépare les deux groupes n’esique
de 900 à 1100 milles.
»
Cette terre est l’Ile-Nord de la Nouvelle-Zélande
ou
Ika-
indigènes. Elle est, comme tout le groupe,
peuplée par la race qui occupe les îles Polynésif''''lies ;
c’est elle, comme nous espérons le démontrer, qui S- fourni
les émigrants qui sont allés peupler les îles Tunga, d’abèrd,
et les autres îles Polynésiennes, ensuite.
A priori, il n’est certainement pas de terre qui semble
mieux faite que la Nouvelle-Zélande pour être le berceau
des Polynésiens : non-seulement elle est grande,populeuse;
mais de plus, les vents qui y régnent sont ceux qui pous¬
sent avec force vers la Polynésie ; c’était ce que d’ürville
lui-même avait bien remarqué, quoiqu’il se soit arrêté à l’o¬
pinion contraire. Pour nous, nous sommes surpris qu’en
raison de son étendue, de sa situation, sous un climat tem¬
péré, mais exposé aux grands vents, en raison du grand
nombre de ses habitants, de leur vigueur, et de leur cou¬
rage bien connus, de leurs coutumes et de leurs idées reli¬
gieuses, enfin de leur langage, ce groupe n’ait pas fixé, plus
qu’il ne Ta fait, l’attention des ethnologues, et que quel¬
ques-uns d’entre eux, au moins, parmi les modernes, n’aient
point été amenés à supposer que là pouvait, ou devait se
trouver la patrie première des Polynésiens en général, et
des Tongans en particulier.
4
Cela tient surtout à ce qu’on a toujours voulu sauver la
Bible et le Monogénisme. On n’a sans doute pas remarqué,
ou Ton n’a pas voulu voir que les
caractères physiques,
moraux et intellectuels des Polynésiens en font
une race
distincte, tout-à-fait à part, qui diffère véritablement trop
na-Maui des
i
LES
545
POLYNÉSIENS.
désormais, on
persiste à faire descendre les Polynésien.? de l’une ou de
des
malaise et américaine, pour que,
races
l’autre de
ces races.
qui existe entre
Polynésiens et les Nouveaux-Zélandais, et l’on en a
conélu, avec raison, que les uns et les autres provenaient
On
a
bien
reconnu
l’étonnante similitude
les
d’une même
source.
Mais naturellement, on s’est contenté
sipposer que c’étaient plutôt les Polynésiens qui avaient
peuplé la Nouvelle Zélande, que la Nouvelle-Zélande la Poly¬
nésie ; car c’était l’opinion émise par Forster, et il n’était
g’uère possible, en effet, d’en avoir une autre, en voyant
qu’ell^lffait la seule soutenue par Haie, Dieffenbach, Thom¬
pson e+'it ürville lui-même.
Cependant, c’était une erreur, ainsi que nous allons le
démontrer ; erreur due surtout, avons-nous dit, à ce qu’on
confondait deux races parfaitement distinctes : la race ma¬
laise et la race polynésienne.
Les développements dans lesquels nous aurons à entrer
devant être fort longs, les témoignages qu’il nous faudra
fournir devant être fort étendus, nous renvoyons à un autre
chapitre l’étude de cette question, à notre avis si impor¬
tante. En effet, il sera nécessaire de présenter, sur la Nou¬
velle-Zélande, des considérations préliminaires, destinées à
faire comprendre la possibilité d’une pareille provenance,
et qui ne peuvent être présentées qu’à part.
Nous commencerons donc, avant tout, par bien établir ce
que l’on doit entendre par Nouvelle-Zélande. Puis, successi¬
vement, nous rechercherons quels sont les véritables noms
indigènes des principales îles et quelle est leur étymo¬
logie ; nous indiquerons, avec le plus grand soin, quels
sont les vents régnants, dont la direction aide si bien
à comprendre celle des nfigrations ; nous rechercherons
quel est le chiffre de la population ; quels sont ses ca¬
ractères physiques et à quelle race elle appartient ; nous
réfuterons surtout les assertions erronées qui ,
depuis
Crozet, ont cours dans la science à ce,sujet : cette réfutation
est indispensable pour qu’on paisse comprendre, plus tard,
comment l’Ile-Nord, que nous regardons comme la contrée
de
II
85
546
LES
O
POLTNÉSIENS.
Polynésie a pu être peuplée
encSre plus à l’Ouest qu’elle.
ayant peuplé la
une
contrée
Nous
avons
pu nous procurer
elle-même par
les renseignements les plus
été publiés sur la Nou¬
traduit la plupart des ouvrages
anglais qui les ont fournis, et nous espérons que les ethno¬
variés et les
plus récents qui aient
velle-Zélande
logues nous
; nous
avons
pardonneront l’étendue des
développepients
lesquels nous serons forcé d’entrer, en raison de 1', inté¬
rêt présenté par quelques-uns.
L’opinion que nous avons adoptée, tout opposée qu’elle
soit aux idées g’énéralement reçues, n’est cependant pas nou¬
velle : il y a déjà bien long-temps, et, pour ainsi çE-Tre, dès
le début des premiers voyages en Polynésie, c’étâiifucelle
dans
Cook, et de Crozet, le lilutec’était également celle de l’érudit /omte
Carli, et du savant Bory de Saint-Vincent. Tous, il est vrai, ne
l’appuyaient que sur des témoignages insuffisants, puisque,
fait bien remarquable d’ailleurs pour l’époque, ils ne l’ap¬
de Banks,
le compagnon de
nant de Marion ;
puyaient que sur l’analogie de langage reconnue par eux
entre le Tahitien et le Maori. Mais tous les autres écrivains
ont, au contraire, comhattucette opinion ; tous ont cherché,
par les faits et les raisonnements, à démontrer l’impossibi¬
lité du peuplement de la Polynésie par la Nouvelle-Zélan¬
de. Parmi eux, d’Urville est celui qui a fait le plus d'objec¬
tions à une pareille provenance, et, comme ce sont, en
même temps, les obje'ctions les plus sérieuses, il nous suffi¬
ra de les réfuter, pour que toutes celles faites par les autres
écrivains le soient ég-alement.
Ce
ne sera
•
qu’après cela que nous accumulerons les
témoi¬
qui, à notre avis, démontrent l’ori¬
gine Néo-Zélandaise des Tongan^et des autres Polynésiens.
gnages
et les déductions
FIN DU
DEUXIÈME VOLUME.
(
vr
A
Table des
Macères
DU
SECOND VOLUME
f
DEUXIÈME PARTIE
LIVRE PREMIER
CHAPITRE III
TROISIÈME THÉORIE
ORIGINE
Bases
lesquelles
ASIATIQUE
DESÿOLYNÉSIENS.
hypothèse : révélation biblique ;
langues; direction des vents; proximité plus
grande, les unes des antres, des terres avoisinant l’Asie. — Ex¬
posé, par ordre chronologique, de l’opinion de tous les auteurs
partisans de l’origine asiatique ou malaise des Polynésiens: de
Guignes ; de Bougainville; Court de Gebelin ; Cook ; R. Forster ; de La Pérouse ; Marsden ; Molina ; Claret de Fleurieu ; de
sut
repose cette
usages, coutumes,
Chamisso ;
Ç.affles; Crawfurd
;
R. P. Lesson ; Balbi
;
Bory de
Saint Vincent ;
Beechey ; Lütke et Mertens ; Eliis ; Dumont
d’Urville ; Dunmore-Lang- ; de Rienzi ; J. Williams ; Dieffenbach ; H. Haie ; Gaussin ; W. Earl ; Shortland ; de Bovis ; sir
Grey
sées à
tous
;
; Thompson ; de Quatrefages. — Objections oppo¬
théorie : J. Garnier. — Résumé des - opinions de
Taylor
cette
les
auteurs
cités.
—
générales :~les Polynésiens
Javanais, ni des Malaisiens ;
des uns et des autres. — Tableau
Conclusions
ne
descendent ni des Malais et des
ils
sont
plutôt les ancêtres
linguistique
i
LIVRE
RECHERCHE DE
DEUXIÈME
l’or1|^INE RÉELLE
DES POLYNÉSIENS.
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.^
jusqu’ici émises sur le lieu d’origine des Polynésiens
insuffisantes. —Nouvelle théorie basée sur l’étude de toutes
les données anciennes et récijntes : anthropologiques; philologi¬
Les théories
sont
ques;
traditionnelles; spéciales. — Marche suivie dans cette étude.
142
548
MATIÈRES!,
TABLE DES
CHAPITRE PREMIER
f
ILF'î' SANDWICH
Fait partie de Les Polynésiens, leur origine, leurs migrations, leur langage. Tome premier et Tome deuxième