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-
BULLETIN DE LA SOCIETE
DES ETUDES OCEANIENNES
N°311 - DECEMBRE 2007
e
90
Anniversaire
1917 - 2007
Bulletin
de la Société
des Etudes océaniennes
(Polynésie orientale)
N°311 - Décembre 2007
Sommaire
Avant-Propos................................................................................. p. 2
Nuku-Hiva 1804 - Terre des hommes Langage des hommes - Le document Langsdorff........................... p. 4
Constant Guéhennec
Evolution de la cartographie de Nuku-Hiva................................... p. 75
Michel Bailleul
Lettre de Kekela proposée par Barry Rollett
et mise en forme définitive............................................................ p. 90
Pierre Romain
Commentaires de lecture de William Pascoe Crook,
Récit aux îles Marquises, 1797-1799 par
Serge Dunis................................................................................ p. 96
Avant-Propos
Chers membres, chers amis, votre comité de lecture composé quasiment des mêmes personnes que votre conseil d’administration, a le
grand plaisir de vous présenter ce numéro consacré aux Marquises.
Il commence par le gros travail de réflexion et de commentaires de
Constant Guéhennec sur le document Langsdorff, recueil des mots de la
langue marquisienne réalisé en 1804. Il s’agit là d’une référence dorénavant.
Michel Bailleul nous offre un historique de la cartographie de l’île
de Nuku-Hiva en onze cartes dessinées par différents navigateurs européens de 1791 à 1993.
Quant à Pierre Romain, il met au point pour nous une traduction
commencée par Barry Rollett, d’une lettre de J. Kekela, pasteur protestant hawaiien en 1866 à Puamau Hiva Oa.
Enfin, Serge Dunis nous parle de Récit aux îles Marquises de
William Pascoe Crook qui y résida de 1797 à 1799, édité par Haere Po.
Après avoir commencé l’année 2007 par la réédition du
Dictionnaire de la langue marquisienne de Dordillon, c’était une
bonne manière de la terminer que d’approfondir encore nos connaissances sur les Marquises.
Nous venons aussi de rééditer Etat de la Société tahitienne à l’arrivée des Européens d’Edmond de Bovis et dont le prix de cession est
passé de 1200FCP à 700FCP, ce qui, tout en nous permettant de rentrer
dans nos frais autorise un plus grand nombre à l’acquérir et donc à s’informer et accroître ses connaissances.
Nous finalisons actuellement la réédition du Dictionnaire de
diverses langues pa’umotu de Stimson et Marshall et regrettons d’avoir
pris quelque retard sur notre programme car il était prévu qu’il participe aux cadeaux de fêtes de fin d’année. L’agréable surprise préparée
par votre Conseil d’administration s’en trouve donc différée.
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N°311 - Décembre 2007
En 2007, dans le cadre de l’Association des Editeurs de Tahiti et des
îles dont nous sommes membre, la Société des Etudes Océaniennes fut
présente de manière active à quasiment tous les salons organisés.
Bénéficiant de subventions des ministères territoriaux de la Jeunesse et
de la Culture et de l’Etat par le Fonds du Pacifique, dans l’AETI, nous
pûmes participer aux différents salons : de Paris en mars, Papeete en
avril, Paris ministère d’Outre-mer en octobre, Raiatea en novembre et
Bora-Bora les 30 novembre et 1er décembre. Quasiment tous ces salons
furent fructueux en contacts, ventes et adhésions, sauf celui d’Ouessant
mais aussi, celui du ministère d’Outre-mer. « Fructueux » pour la SEO,
c’est faire des rencontres de lecteurs et d’auteurs, accroître notre cercle
d’adhérents et partenaires et couvrir l’essentiel des dépenses voire revenir avec un surplus. Pour Ouessant donc où l’AETI hésita avant d’y mandater une personne d’Au Vent des îles, ce fut un fiasco et décision fut
prise de ne plus y participer du tout. Au Salon d’Outre-mer, nous fûmes
pénalisés par la grève des transports et par une communication par trop
confidentielle de l’évènement. Toutefois, la SEO put établir de nouveaux
contacts institutionnels, consolider les anciens et satisfaire la curiosité
des quelques étudiants qui apprirent par hasard les dates exactes de ce
salon annuel.
Cette année fut aussi une année de chagrin car notre amie Janine
Laguesse, si constante et fidèle à la Société des Etudes Océaniennes
depuis plus de soixante ans, nous a quittés pour rejoindre nos devanciers au Rohotu No’ano’a. Son petit-neveu Philippe Machenaud au nom
de la famille, a remis à la SEO, le livre des procès-verbaux de réunions
de Conseils d’administration et Assemblées générales qu’elle a consignés
en tant que secrétaire, de 1956 à 1988. Qu’ils en soient remerciés.
C’est le moment des vœux, qu’au nom du Conseil d’administration
j’ai le plaisir et l’honneur de vous présenter en vous souhaitant le meilleur de la vie et si l’adversité insiste, puissiez-vous la surmonter de
manière allègre et sereine.
Bonne lecture et Bonne année.
Simone Grand
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Nuku-Hiva 1804
Terre des hommes
Langage des hommes
Le document Langsdorff
Des mots pour le dire
Les premiers « découvreurs » de la zone Pacifique ont souhaité
engager un dialogue avec les populations insulaires qu’ils visitaient. Ils
se heurtèrent tout de suite au barrage de la langue même si quelques uns
plus hardis s’affranchirent assez vite de l’obstacle afin de rapporter une
image moins incertaine. On sait dans le langage des hommes la relation
étroite du vocabulaire avec un locuteur qui vit sa langue plus qu’il ne la
parle ; cela vaut par exemple pour les gens de mer et leur jargon souvent
hermétique pour les non initiés ; cela vaut également au sein d’une
société élaborée comme l’était celle de l’archipel des Marquises d’avant
le Contact.
Elément instable de la langue, le vocabulaire donne à l’évidence un
reflet de la civilisation du moment.
Le contexte historique
Au début du XIXè siècle, les autorités du grand empire russe le tsar
Alexandre 1er en tête, sont convaincus de l’importance grandissante du
commerce des fourrures entre l’Alaska et l’Extrême-Orient et décident
d’organiser une expédition maritime dans le Pacifique. Ils en confient le
commandement au jeune capitaine von Krusenstern. Une autre raison
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est invoquée : en dépit des efforts de la tsarine Catherine II, grand-mère
d’Alexandre 1er, le pavillon russe a été relativement absent de cette zone
durant la seconde moitié du XVIIIè siècle tandis que le pavillon des
Français et l’Union-Jack de la Grande Bretagne flottaient haut et fort au
vent de l’Océan Pacifique.
Von Krusenstern a pour mission d’assurer une liaison entre les
comptoirs russes implantés depuis peu dans les Aléoutiennes un archipel qui s’étire en arc de cercle au large des côtes nord-américaines, sur
l’île Kodiak et dans les installations d’Asie. Il a en outre pour mandat de
conduire une action diplomatique vers le Japon pays toujours très verrouillé en ce début du XIXè siècle ; d’ailleurs un envoyé spécial du tsar
est à bord, missionné pour renouer les liens entre les deux empires. A
ce volet politico commercial s’ajoute un autre plus maritime et non
moins conséquent. Les Russes veulent accomplir une circumnavigation
de prestige à l’égal du capitaine Cook dont les exploits et le courage sont
connus de toute l’Europe et dont la renommée a rejailli bien au-delà des
rivages britanniques.
L’expédition russe quitte les côtes d’Europe en 1803 ; elle est composée de deux bâtiments appelés à naviguer de conserve, la Nadeshda1
sous les ordres du capitaine Krusenstern, et la Neva2 aux ordres du capitaine Lisiansky. A bord de la Nadeshda se trouve Georg Heinrich von
Langsdorff 3. Cet homme d’origine allemande est âgé de 30 ans. Diplômé
en 1797 à Gottingen docteur en médecine et chirurgien, il est surtout un
passionné d’histoire naturelle. Alors qu’il était jeune médecin, il est parti
exercer son art sur un théâtre d’opérations, au Portugal sous les ordres du
Prince de Waldeck « homme de savoir ami des sciences et des arts » ;
1 Nadeshda, l’Espérance.
2 Neva, sans doute ainsi nommée pour honorer un combat épique du XIIIè siècle gagné par les Russes contre les
Suédois, sur les bords de la Neva. On notera que les deux navires de l’expédition furent achetés en Angleterre,
pays où Krusenstern avait fait son apprentissage de marin.
3 Georg Heinrich von Langsdorff est né à Wolstein en 1774 et il est mort à Freiburg im Bresgau en 1852. Il était
connu sous le nom russe de Grigori (Gregory) Ivanovitch, baron de Langsdorff. Après cette circumnavigation avec
Krusenstern, von Langsdorff servira encore les intérêts de l’empire russe comme chargé d’affaires au Brésil dans
la décennie 1820. Il conduira une expédition dans la jungle d’Amazonie. Pour la petite histoire précisons qu’il avait,
en naturaliste convaincu baptisé son domaine agricole au Brésil du nom de Mandioca (manioc). En 1992 le Brésil
a rendu hommage à von Langsdorff en produisant un timbre à son effigie.
5
von Langsdorff a servi ensuite les Anglais dans leur campagne contre les
Espagnols ; puis il a visité Londres et Paris. Toujours fasciné par l’histoire naturelle il a rencontré des confrères français comme Brongniart.
Il vient d’être nommé correspondant de l’Académie impériale des
Sciences de St Petersburg quand il apprend le projet russe de circumnavigation. C’est une chance inespérée pour cet homme plein d’allant,
désireux d’élargir son horizon.
Hélas il s’y est pris un peu tardivement. Un certain docteur Tilesius
est déjà affecté comme naturaliste de l’expédition. Un autre savant est à
bord de la Nadeshda, un astronome du nom de Horner.
Multipliant les démarches, von Langsdorff parvient à rejoindre l’expédition à Copenhague où les navires doivent relâcher quelques jours.
« Armé de courage il intervient avec tant d’ardeur et de suppliques
auprès de son excellence Resanoff chargé de conduire la mission diplomatique au Japon », que sa demande d’embarquement est agréée par le
capitaine von Krusenstern. Il faut noter aussi la présence à bord du cartographe Herman Ludwing von Löwenstern qui écrira une relation de
voyage, hors circuit officiel.
L’expédition russe s’effectue à l’époque charnière où s’achèvent les
grandes découvertes maritimes du Pacifique Terra australis incognita
jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, où commence une ère d’exploration
méthodique et de mise en valeur des sites reconnus. Plus que jamais les
naturalistes et les savants héritiers du siècle des Lumières ont leur rôle à
jouer. Or, von Langsdorff est fait de la même « pâte » de savant naturaliste que ses illustres prédécesseurs : les Forster père et fils et Anderson
(expéditions Cook), les Commerson (expédition Bougainville) et
Menzies (expédition Vancouver). Ces hommes passionnés d’histoire
naturelle étaient en effet animés de la même volonté : voyager jusqu’au
bout du monde pour aller regarder autrement, observer, comparer in
situ et rendre compte à leur retour à une société d’érudits certes, mais
aussi faire savoir à tous leur enthousiasme. Leur force : une grande soif
de connaissance et des yeux tous neufs. Von Langsdorff précise :
« Je n’ai jamais eu l’intention de compiler des informations nautiques, et l’aspect politico commercial de l’expédition ne me concernait
pas davantage. »
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Il est vrai que les îles d’Océanie recelaient plus de mystère pour ces
chercheurs des XVIIIè et XIXe siècles qu’une pierre de lune pour les
Terriens d’aujourd’hui. Une majorité d’entre eux ont herborisé avec passion, décrit avec le souci du détail le pays visité ; certains ont dépeint
avec assez de justesse les mœurs et les coutumes en adoptant une attitude originale : aborder des populations dites primitives en cessant de
les considérer comme des groupes ethniques inférieurs. Par là même,
ils jetaient les bases d’une ethnologie inédite4. Bien entendu on doit à ces
pionniers la transcription des premiers éléments des langues polynésiennes.
Le contact
La Nadeshda de Krusenstern qui a contourné le Cap Horn aborde
les rivages de Nuku-Hiva le 6 mai 1804. A terre, les Russes ont eu la pertinence de rencontrer deux Européens qui ont échoué dans l’île :
Edward Robarts sujet britannique et Joseph Cabri ou Kabris (ou JeanBaptiste Kabris) citoyen français. Tous deux sont des marins que la fortune de mer a jeté bas sur ces côtes marquisiennes quelques années
auparavant, à la manière de beachcombers. Tous deux sont des opportunistes et cherchent à tirer profit des potentats locaux. Tous deux enfin
se détestent cordialement. Robarts et Kabris connaissent assez bien les
mœurs de la société locale. Leur intégration paraît réussie ; surtout pour
Kabris qui a même adopté un certain mode de vie marquisienne. Il a
pris femme, a eu des enfants. Il s’est fait tatouer le visage et le corps et
parle la langue du pays ; von Langsdorff dit même qu’il a quelque peu
oublié sa langue maternelle.
Rappelons que les Iles Marquises ont été « reconnues » en 1595
quand l’espagnol Mendaña aborde les îles du groupe sud-est. Ces terres
lointaines tombent ensuite dans l’oubli et demeurent recouvertes d’une
chape de silence pendant près de deux siècles. La partie méridionale de
l’archipel est visitée à nouveau en 1774 lors du deuxième voyage de
4 cette ethnologie balbutiante ou le constat d’une diversité des groupes humains et l’étude de leur richesse intrinsèque, est un concept bien éloigné de ceux des temps antérieurs quand on théorisait le primitif soumis à gradation
selon une échelle de valeur, qui en faisait un bon ou un mauvais sauvage.
7
Cook, mais c’est en 1791 que l’américain Ingraham aborde les
Marquises du nord-ouest et notamment l’île Nuku-Hiva.
L’expédition russe décide de relâcher quelques jours à Nuku-Hiva
et reconnaît les baies de Houmi, Taiohae et Hakaui. Les bâtiments mouillent à quelques encablures de la côte. Robarts et Kabris deviennent pour
un temps des agents de liaison dévoués entre visiteurs et autochtones.
Par le fait, des relations amicales s’établissent avec la population. Les
Russes font provision de vivres frais. Von Langsdorff est attentif et écoute
beaucoup ce que lui dit Kabris ; il observe aussi la vie marquisienne au
quotidien et fait provision d’informations.
Au moment de l’appareillage survient un incident navrant dont les
causes restent controversées. Kabris dira qu’il a été enlevé, les Russes
répondront que le Français était librement monté à leur bord, mais qu’on
ne pouvait lui permettre de redescendre à terre en raison de l’état de la
mer et du vent qui avait forci. Pourtant, contraint sinon forcé, le Français
quitte les Marquises avec l’expédition Krusenstern. Ce natif de Bordeaux
laissait derrière lui un large pan de sa vie à Nuku Hiva. Il allait encore
vivre une vingtaine d’années palpitantes, à défaut d’être exaltantes,
comme moniteur de natation à l’Ecole de Marine de St Petersburg, «
danseur marquisien » sur les planches à Moscou, avant de rentrer en
France et terminer sa vie assez tristement, exhibant ses tatouages5.
Après trois années de circumnavigation riches en événements, l’expédition russe est de retour en Europe. Les deux capitaines von
Krusenstern et Lisiansky décident alors de publier chacun leur relation
5 Kabris demanda audience au tsar Alexandre 1er qui lui fit raconter son aventure et lui promit de le laisser rejoindre la France dès que Napoléon cesserait de lui faire la guerre. Rentré en France en 1817 il futt à sa demande reçu
par le roi Louis XVIII qui lui proposa de le faire ramener à Nuku-Hiva quand un navire français partirait pour
l’Océanie. Un collaborateur des « Archives historiques et littéraires du nord de la France » qui avait rencontré
Kabris quelque temps avant sa mort le 23 septembre 1822 à Valenciennes raconta : « qu’un amateur de choses
rares avait fait quelques démarches pour avoir la peau de ce personnage afin de le faire empailler. L’autorité informée de cette fantaisie, craignant qu’on n’exhumât clandestinement l’ex-ministre pour l’écorcher prit des mesures.
On venait d’enterrer un vieillard de l’hospice de Valenciennes. Kabris fut mis au dessus de lui et, sur Kabris on plaça
le cadavre d’un autre vieillard du même hospice. » Et notre commentateur qui ne doutait de rien avait précisé :
« Ces détails ne sont pas oiseux ; ils pourraient devenir précieux pour l’épouse et les enfants de Kabris, si cette
notice tombait entre leurs mains ; or, il n’est pas impossible que les ‘Archives’ aient un jour des abonnés aux îles
Marquises. »
8
Joseph Kabris, Le Tatoué
de voyage. Tilesius et von Langsdorff feront de même. Un cinquième
homme von Löwenstern rendra compte en franc-tireur de son voyage se
montrant peu amène dans ses écrits envers Rezanov l’envoyé du tsar.
Contre l’avis de Krusenstern qui a préféré puiser ses sources auprès de
Robarts, von Langsdorff va exploiter judicieusement le savoir de Kabris.
Il reconnaît d’ailleurs très honnêtement qu’une escale de dix jours ne lui
aurait pas permis de faire ample moisson s’il n’avait eu l’assistance du
Français. Sa relation de voyage sera publiée en 1812 d’abord en version
allemande Bemerkungen auf einer Reise um die Welt in den Jahren
1803 bis 1807, Frankfurt am Main, puis en version anglaise Voyages
and Travels in various parts of the world, imprimé pour H.Colburn,
Londres 1813. Le fruit de ses travaux se rapportant à Nuku-Hiva n’est
pas négligeable. L’auteur y a consacré plus d’une centaine de pages. Il
décrit avec un soin extrême le pays marquisien, sa géographie et son
aspect physique, les structures de sa société et la vie matérielle de ses
habitants. Techniques diverses, arts et musique, l’auteur ne néglige
aucun aspect de la société marquisienne qu’il a rencontrée.
En outre, Von Langsdorff rassemblera dans un glossaire trois cent
trente cinq entrées. C’est le Vocabulaire du langage de Nukahiwa (sic)
que nous appellerons désormais pour plus de commodité le document
Langsdorff.
L’entité polynésienne
Du fondement ethnique
On sait aujourd’hui que des mouvements migratoires notables ont
eu lieu pendant des millénaires dans ce vaste Océan Pacifique. De nombreux indices laissent à penser qu’à partir d’un creuset malayo-indonésien, ces divers flux auraient atteint par vagues successives Madagascar,
Taiwan, la Mélanésie, la Micronésie et l’aire polynésienne. Un courant
Proto-Polynésien émergera, d’où naîtra à terme une véritable entité polynésienne. Le peuplement du Triangle polynésien délimité par l’archipel
hawaiien au Nord, Rapa Nui au sud-est et le Pays Maori de Nouvelle
Zélande au sud-ouest, se serait effectué entre 1300 et 1000 avant J.-C,
notamment dans le nucleus du Triangle aux Tonga et aux Samoa.
10
La pénétration dans l’aire PPO (proto polynésienne orientale) se situerait singulièrement aux Marquises, 150 ans avant J.-C et plus largement
dans les îles de Polynésie orientale au début du premier millénaire après
J.-C.
En se fixant durablement dans les archipels ces groupes de population vont peu à peu composer des formes de sociétés nouvelles, imprégnées de culture polynésienne certes, mais chacune acquérant sa spécificité notamment sur le plan du langage. Des aires linguistiques originales vont naître et perdurer.
Des langues polynésiennes
La plupart des linguistes océanistes s’accordent pour considérer le
proto-polynésien comme étant la matrice d’où serait née une famille de
langues polynésiennes. Deux branches s’en seraient détachées :
– le proto-tongien qui donnera naissance à la langue de Tonga et
celle de Niue
– le proto-polynésien nucléaire (PPN) qui donnera naissance à
deux rameaux :
• le proto samoan
• le proto polynésien oriental (PPO)
Le diagramme ci après met en image le transfert et l’irrigation
des idiomes, le tii, à l’intérieur du Triangle Polynésien. Les données
qui y figurent sont inspirées des travaux de Bruce Biggs (1921-2000)
qui a beaucoup oeuvré pour les langues polynésiennes et plus particulièrement pour la langue maorie de Nouvelle-Zélande, pays d’où il
était originaire.
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N°311 - Décembre 2007
Aires de fixation
du Proto-samoan
– Malo Tuto’atasi o Samoa
(Samoa occidentales)
– Samoa américaines
– Futuna de l’Est
– Pukapuka (îles Cook)
– Uvea de l’Est (île Wallis)
– Rennell (îles Salomon)
– Pileni (îles Salomon)
– Tikopia (îles Salomon)
– Ouvea (Nouvelle-Calédonie)
– Emae (Vanuatu)
– Mele Fila (Vanuatu)
– Futuna Aniwa (Vanuatu)
– Tuvalu (ex îles Ellice)
– Sikaiana (îles Salomon)
– Luangiua (îles Salomon)
– Takuu, Tauu (Papouasie Nelle-Guinée)
– Nukuoro (Micronésie)
– Kapingamarangi (Micronésie)
Aires de fixation
du Proto-polynésien oriental
– TAHITI, archipel de la Société
– RAROTONGA, archipel des Cook
– TUAMOTU, archipel des
– TE AO TEA ROA,
Pays maori de Nelle-Zélande
– HAWAII, Archipel de Hawaii
– MARQUISES, archipel des
– MANGAREVA, archipel des Gambier
– RAPA NUI, île de Pâques
Noter que sous l’appellation TAH il faut comprendre plus largement l’archipel de la Société et les
îles Australes même si ce dernier archipel possède des dissemblances dans son reo mā’ohi qui
le rendent proche de l’aire Rarotonga et Mangaia de l’archipel des Cook.
13
Des langues PPO
Le rameau dit Proto-polynésien oriental (P.P.O.) regroupe un
ensemble cohérent de langues parentes, géographiquement voisines
pour la plupart, car en majeure partie implantées dans la zone orientale
du Triangle polynésien. Ces langues laissent apparaître des concordances notables sur des points importants de leur organisation. Elles
possèdent en commun un système de signes et de règles combinatoires
de même origine (structures syntaxiques analogues, encore que des travaux récents cités dans The language of Easter Island de R. Langdon et
D.Tryon, publié par The Institute for Polynesian Studies, Hawaii 1983,
ont mis à jour un certain particularisme dans la langue de Rapa Nui :
anomalies dans l’arrangement de la phrase, présence supposée d’un
phonème perdu au niveau PPN matérialisé par une glottale dans certains
vocables de la langue de Rapa Nui. Par ailleurs, si chacune des langues
PPO est constituée de couches lexicales de diverses origines, on retrouve
dans toutes, un fonds primitif proto-polynésien commun. Il alimente les
langues PPO de termes ayant un rapport avec les éléments naturels, la
cosmogonie, les industries traditionnelles de l’homme polynésien, son
alimentation, soit la globalité de son quotidien.
Il existe pourtant entre ces langues parentes des lignes de démarcation nettes, que sont les phonèmes et les sons. Nul doute qu’à leur
niveau antérieur PPN (Proto-Polynésien Nucléaire), les langues PPO disposaient-elles du même nombre de phonèmes, mais leur évolution s’est
opérée diversement dans le temps et dans l’espace.
Si l’on observe par exemple le cheminement du phonème /ng/ dans
les aires linguistiques PPO, on constate qu’il est ici conservé en l’état,
mais subit ça et là de notables altérations jusqu’à disparaître complètement pour être remplacé par une glottale. Ainsi le prototype /rangi/
donnera : /rangi/ (RRTG - TUAM - NZ - MGRV - RAP ) /lani/ /’aki/
/’ani/ (HAW - MARQ NO - MARQ SE) /ra’i/ (TAH)
Ces distorsions paraissent obéir à une loi qui fait qu’un phonème se
conservera en l’état ou subira une altération notable dans la quasi totalité du vocabulaire de son aire linguistique.
Cette règle peut souffrir des exceptions; ainsi dans les îles de la
Société, dans le reo mâ’ohi Tahiti où le phonème /ng/ s’est glottalisé,
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quelques vocables conservaient encore dans le milieu du XIXè siècle un
élément résiduel du phonème ancien : /ng/ —-> /n/.
/nâ/ marque du pluriel/, /nahe/ fougère/, /nati/ clan/ (Davies
1851) —-> ‘ati (Lemaitre 1973)
/natu/ marque/ bleu/ (Davies) /usé/ - ne semble plus usité de nos
jours /ninita/ papaye/ (Davies), —-> /’i’ita/ (Lemaitre 1973). Dans la
langue de Rarotonga où le phonème /ng/ est toujours actif, on rencontre
/ninita ou nita/ (Savage l980), ce qui semble démontrer un « glissement » au niveau de l’articulation ou bien un emprunt au vocabulaire
tahitien.
Aux Marquises, autre particularité, la vélaire ayant aussi changé de
lieu d’articulation on relève :
/ng/ —-> /k/
/ng/ —-> /n/
Ainsi le prototype PPN /ngaru/ donnera
dans l’archipel marquisien du NW —->/ka’u/
dans l’archipel marquisien du SE —->/na’u/
Dordillon, l’auteur de Grammaire et Dictionnaire de la Langue
des Iles Marquises donne la représentation des voyelles et de l’alphabet
syllabique en usage aux Marquises, soit :
a e i o u - ‘a ‘e ‘i ‘o ‘u - Fa fe fi fo fu - Ga ge gi go gu Ha he hi ho hu - Ka ke ki ko ku
Ma me mi mo mu - Na ne ni no nu - Pa pe pi po pu - Ra re
ri ro ru - Ta te ti to tu - Va ve vi vo vu On note que tous les phonèmes des langues PPO sont ici représentés, à l’exception de /La le li lo lu / phonèmes actifs seulement dans l’aire
linguistique hawaiienne.
Nous tenterons de proposer ci-après, dans Aperçu d’un système
phonématique dans les aires linguistiques orientales du triangle
polynésien, un repérage des langues PPO à partir de leur alphabet
syllabique
15
On pourrait certes au sein du système phonématique, comme une
forme d’activité ludique, construire et découvrir un mot dans une
langue, à partir d’un terme d’une quelconque aire linguistique PPO que
l’on suppose appartenir au patrimoine PPN.
Ainsi, ta’ata (TAH) donnera —> kanaka (HAW) —> ‘enata, ‘enana
(MARQ NO et SE), lesquels se rattachent au prototype PPN /tangata/.
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N°311 - Décembre 2007
Bien entendu ce n’est là que gymnastique de l’esprit, il ne peut y
avoir interchangeabilité intégrale entre les signes. Toutefois cet exercice
n’est pas sans intérêt. Mettre en valeur des éléments relationnels dans
telle ou telle aire PPO, ou au contraire en souligner les disparités, peut
apporter des indices non négligeables au chercheur en quête d’un meilleur éclairage sur les mouvements migratoires qui se sont déroulés au
cours des âges protohistoriques.
A l’examen du système phonématique des langues PPO, on
remarque des variations notables au niveau des points d’articulation,
certains phonèmes ayant effectué un glissement d’avant en arrière plus
accentué que d’autres.
Ainsi le phonème /k/ (occlusive vélaire) s’est glottalisé dans l’archipel de la Société (TAH) et aux MARQ SE. Processus identique dans l’archipel hawaiien, où l’on observe un double phénomène : « glissement » au
niveau glottal de la vélaire PPN /k/ et « glissement » de l’alvéo-dentale
PPN /t/ au niveau d’une vélaire /k/ ; ainsi le prototype /tangata/ devient
dans l’archipel hawaiien /kanaka/6.
A noter dans la langue des Marquises cet emploi d’un système vocalique particulier dans certains vocables où une voyelle semi-ouverte /e/
se substitue à une voyelle ouverte /a/, comme si cette action de traitement phonétique conduisait à une évolution équilibrée du système lexical ; ainsi on note /vehine/ issu du prototype /vahine/ ou /me’ama/
issu de /marama/.
6 Notons à titre anecdotique que ce vocable polynésien /kanaka/ est entré dans la langue française (canaque)
avec une connotation plutôt dépréciative. Son prototype /tangata/ signifie /l’homme/, terme générique qui donnera dans le Triangle polynésien les variantes : /ta’ata/ dans les Iles de la Société ; /kenana/, /’enana/,
/’enata/ dans l’archipel des Marquises ; /kanaka/ dans l’archipel hawaiien et à Rapa Nui où le générique subit
comme aux Marquises une forte érosion au niveau des occlusives dentales et vélaires. Il semblerait, de source non
confirmée, que le terme /kanaka/ s’est appliqué largement au travailleur agricole quand au XIXè siècle des exploitations se sont ouvertes et développées à une grande échelle, dans l’archipel hawaiien et dans les autres archipels
polynésiens et mélanésiens. On constate le voyage incertain de ce vocable puis son point d’ancrage aujourd’hui, en
Nouvelle-Calédonie. Le peuple « Canaque », pardon je veux dire les Kanaks se sont appropriés le terme et l’ont
magnifié en en faisant un substantif pour désigner leur Territoire, la Kanaky, c’est à dire le Pays de l’Homme. Les
Marquisiens ne nomment pas autrement leur archipel : /te henua ‘enata/, /te fenua ‘enana/ ; bis repetita placent.
17
On trouve pareille singularité dans la langue hawaiienne. Ainsi si
l’on examine la formation du vocable /honolulu/ qui rappelle à tous le
nom de la capitale du cinquantième Etat des Etats-Unis d’Amérique on
trouve les prototypes PPN /fanga/une baie/ et /ru/trembler/ - /fanga/
(SAMOA) qui donnera dans les aires PPO /whanga/ (NZ), /fanga/
(TUAM, Anaa et Hao), /fana/hana/ /haka/ (MARQ) et à HAW après altérations /hanga —> hana —> hono/ (remplacement d’une voyelle
ouverte /a/ par une voyelle semi-ouverte postérieure /o/ pour s’accorder
avec le phonème /n/ (alvéo-dentale antérieure) - /ru/ rédupliqué en
/ruru —> lulu/ frissonner, trembler légèrement/ - Assemblées ces deux
formes donneront Honolulu, /un hâvre tranquille, une baie abritée/.
Ces traits distinctifs dans la chaîne parlée sont logiquement apparus
dans l’écriture quand elle sera fixée, aux débuts de l’ère historique. Ceci
nous amène tout naturellement à dire un mot de la notation du langage
à la période du Contact.
Code de notation
Les archipels polynésiens ignoraient l’écriture avant l’arrivée des
Européens. Seul le langage s’adressant à l’oreille pouvait donc servir à
la communication. Or chacun sait qu’il n’y a rien de commun entre une
langue de type européen (espagnol, anglais ou français) et une langue
polynésienne. Alors, comme l’adulte qui apprend une leçon à l’enfant en
utilisant un langage fait de sons simples et répétitifs, visiteurs et insulaires vont procéder par « touches » pour communiquer entre eux.
Parler c’est d’abord reproduire des sons entendus. Chacun va faire
confiance à son oreille et récolter des sons plus ou moins mal identifiés.
« Il est clair7 qu’on doit mal savoir un idiome qu’on a appris d’un
maître qui ne connaissait pas un seul mot de la langue de son écolier ;
la prononciation des insulaires est en général, si peu distincte, qu’il
arrivait rarement à deux d’entre nous, écrivant le même mot prononcé par la même personne, de faire usage des mêmes voyelles,
pour le peindre. Il y a plus encore ; nous ne nous trouvions pas
7 Commentaire de Anderson : Réf. Troisième voyage de Cook tome II p.99, traduction française de 1785.
18
N°311 - Décembre 2007
d’accord sur les consonnes, dont les sons prêtent moins à l’équivoque. L’expérience nous fit voir d’ailleurs, que nous altérions, d’une
manière bizarre, quelques uns des mots les plus ordinaires.8»
« Le seul moyen dont ils (les missionnaires) disposaient, était
d’écouter soigneusement les sons de la langue puis de les transcrire à
l’aide des caractères qui les exprimaient. Ils y trouvaient une grande
difficulté. Les missionnaires étaient grandement gênés par le fait que
la plupart de leurs syllabes sont toujours formées d’une consonne et
d’une voyelle, et qu’une voyelle terminait toujours aussi bien leurs syllabes que leurs mots.9 »
Nul doute qu’il est relativement facile pour un Européen qui connaît
intuitivement l’alphabet phonétique de sa langue, de différencier un /p/
d’un /b/, ou un /f/ d’un /v/.
Par contre il lui sera plus malaisé d’identifier ces phonèmes dans la
chaîne parlée d’une langue PPO compte-tenu de sa difficulté à en saisir
les traits phonétiques. Soulignons en effet ce particularisme des langues
polynésiennes. Pour composer ses mots, une langue se servira de l’agglutination de formes simples où la consonne n’est jamais utilisée isolément, ce qui se traduit par une écriture syllabique ouverte : pe-ka-ha
(MARQ), nga-na (TUAM), ha’a-ma-ra-ma-ra-ma-ra’a (TAH) 8 Pour illustrer son propos Anderson rapporta à propos du mot /voleur/ l’anecdote suivante. De passage à Tonga
les britanniques utilisèrent le mot /teete/ qu’ils avaient recueilli quelques temps auparavant en pays maori de
Nouvelle-Zélande pour désigner un voleur. Voulant faire plaisir à leurs nouveaux amis les Tongiens utilisèrent à
leur tour ce mot /teete/ qu’ils perçurent /cheeto/. Anderson pensa alors qu’il s’agissait d’un véritable mot de leur
langue. Il se rendit compte plus tard de la méprise, Maoris de NZ et Tongiens utilisaient un même terme pour désigner /un vol/ /Kaeehaa/ (sic) (à lire /kaia/ en pays maori de NZ mais /kaiha’a/ à Tonga). On remarque que le
premier vocable /teete/ qui ne figure plus dans la langue tahitienne a toutefois été relevé à Tahiti en 1792 par
Menzies de l’expédition Vancouver. Il semblerait qu’il faille plutôt l’écrire /tete/ avec le sens /ôter, enlever/. Le
terme d’Anderson pour /voleur/, /kaeehaa/ est plus largement réparti dans le Triangle : kaia en en pays maori
de NZ, kaiha’a aux Tonga, keia aux iles Cook, ‘eia à Tahiti. Ainsi selon qu’on était insulaire polynésien ou sujet britannique on « entendait » pour un même mot une musique différente. Mais peut-être est-ce aussi un effet du
Miroir de l’autre ou l’ethnographe ethnographié, pour reprendre le titre d’un article de Jean-Claude Muller, in «
Anthropologie et Sociétés », Université de Laval, Québec.
9 Relation de Ellis à propos des premiers missionnaires débarqués à Tahiti en 1797: Réf. A la recherche de la
Polynésie d’Autrefois, tome 1, p. 263 - publication n°25 de la Société des Océanistes - Musée de l’Homme - Paris
1972).
19
On obtient alors une image acoustique où les phonèmes sont toujours voisés. Ce phénomène sera sans doute la cause d’un certain désordre qui va s’installer dans l’oreille européenne.
Des malentendus se produiront dans la saisie de mots par des locuteurs étrangers à l’aire polynésienne ; ils ont persisté jusqu’à nos jours.
Tels : Bora Bora versus Pora Pora ; Tubuai versus Tupuai ; tabu versus
tapu etc...
Tout naturellement la transcription écrite comportera le même
décalage.
Ainsi pour Stephen Savage auteur de A dictionary of the Maori
Language of Rarotonga, le /w/ était en usage à Rarotonga dans les
temps anciens. Il pense que l’introduction de la lettre /v/ dans la langue
de Rarotonga a été une erreur survenue au moment de l’évangélisation
de l’archipel des Cook en début 1821 à Aitutaki, par des locuteurs tahitiens formés par les missionnaires européens établis dès la fin du XVIIIè
siècle dans l’archipel de la Société :
Thus, they learned to use the /v/ sound instead of the Rarotongan
/w/ sound dira-t-il.
Or nous savons que ce sont les missionnaires venus d’Europe qui
ont fixé l’écriture de la langue de Tahiti. Mais alors le son /v/ en usage à
Tahiti à la période protohistorique correspondait-il tout à fait au son /v/
« européen » importé peu après le Contact ? On peut en douter.
Si l’on se rapporte par exemple aux compte-rendus des premiers
français qui débarquèrent à Tahiti10 on observe que Fesche et Vivez transcrivent les mots : /aine/ et /ayenene/ femme et fille/, où le son /v/ de
/vahine/ est ignoré parce qu’il n’existe pas ? ou plus vraisemblablement
parce qu’il n’est pas perçu par les Européens comme une consonne /v/
dite labio-vélaire.
Sydney Parkinson et James Mario Matra ou Magra11 tous deux membres de l’expédition Cook à bord de l’Endeavour noteront : « /aheine/
10Réf. Bougainville et ses Compagnons autour du monde 1766-1769, Journaux de Navigation établis et commentés par E. Taillemite, Imprimerie Nationale Paris 1977.
11Matra est l’auteur peu connu de l’intéressant The anonymous journal publié hors circuit officiel après le retour
de Cook en Angleterre.
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woman/ (Parkinson, notera aussi /ewaha/ pour /e-va’a/ et /waow/ pour
/vau ou au/) ; /uhiane/ woman/ (Matra).
Dans l’archipel hawaiien, le signe /w/ en usage dans la langue
écrite, seule langue PPO avec le maori de NZ à l’utiliser, présente au plan
phonétique des particularités selon qu’il est associé avec l’une ou l’autre
voyelle :
– placé devant les voyelles /i/ ou /e/ il serait l’équivalent du /v/ PPO :
/wela/chaud (HAW) ; = /vera/ (TAH)
Mais justement ce terme tahitien /vera/ a été noté par Fesche à TAH
/uera/, qui nous semble plus proche phonétiquement de la demi
consonne /w/ que de la consonne /v/
– placé devant ou après /a/, il devient ambigu et peut prendre la
forme d’un /v/ ou effectuer ce que les anglo-saxons appellent un
glide, c’est-à-dire un glissement vers le stade de la demieconsonne /w/ : Hawaii—> Havaii vs Ha-ouaillii, Waikiki —>
Vaikiki vs Ouaille-kiki.
– placé après /u/ et /o/ il a le son de la demi-consonne /w/
On pourra observer dans d’autres aires PPO pareilles pratiques.
A Vahitahi (TUAM) par exemple : /âtea/ devient /vâtea/ si le mot
précédent se termine par la voyelle o. En pays maori de NZ on relève
/kahuwi whetu/ concurremment avec /kahui/.
A Rarotonga se trouvent notés également /ove/ et /oe/ /une cloche/.
Aux ISLV (Raiatea) il y a quelques décennies, l’expression /na ‘owe/
pour /na ‘oe/ était en usage chez certains locuteurs.
A Tahiti il est courant d’entendre encore /Punaa.w.ia/ concurremment avec /Punaauia/.
Langsdorff notera des particularités analogues dans le vocabulaire
marquisien.
A l’évidence, ll faut voir là un outil euphonique bien commode.
Mais il n’empêche que le signe conserve un caractère ambigu. On
constate en effet que les phonèmes PPO notés /v/ et /w/ ont un point d’articulation très proche, alors que dans une langue européenne comme le
21
français un décalage existe, plus marqué. Devons-nous pour autant
adopter une notation unique pour ce signe ? On est tenté de répondre «
voui » en forme de boutade, et plus sérieusement, considérer les /v/ et
/w/ PPO comme des labio-vélaires quasi identiques.
Curiosité à remarquer de nos jours à Tahiti : le /v/ labio-dental
contenu dans la chaîne parlée de la langue française. Ce /v/ devient une
consonne labio-vélaire dans la bouche de locuteurs polynésiens. On
entend fréquemment : /cou.werture/ vs /couverture/ ; /en.woyer/ vs
/envoyer/
Il serait intéressant de vérifier dans d’autres aires PPO si pareil phénomène s’est produit dans des langues d’importation.
On pourrait retrouver semblables distorsions avec d’autres signes
importés dans les langues de Polynésie orientale, car les premiers
découvreurs ont paré au plus pressé en jetant les bases d’un code de
notation du langage.
Alors justement il faut rendre hommage à ces hommes de bonne
volonté venus dans le Pacifique apporter l’Evangile. Sans compétence
particulière pour défricher des âmes ou déchiffrer des langages ils ont
eu pour souci immédiat dès leur arrivée dans les îles, d’apprendre la
langue du pays puis de la faire fonctionner afin assurer une meilleure
perméabilité des esprits au message nouveau apporté. Un système
d’écriture codifié sera mis en place qui favorisera les premières publications d’ouvrages écrits en langue vernaculaire, au début du XIXè siècle
dans les îles de la Société.
En revanche, on pourra regretter que dans le même temps soit
apparue une cassure brutale avec la civilisation polynésienne d’avant le
Contact. Les élites locales tôt converties aux idées nouvelles ont servi de
moteur auprès des populations. Les ponts seront vite coupés avec un
passé proche même si des tentatives sont tentées pour perpétuer une
certaine forme de mental culturel comme celle inachevée du mouvement syncrétique les Mamaia, dans l’archipel de la Société.
Cet appauvrissement culturel n’a pas été sans dommage sur la
langue. On remarque ainsi qu’un vocabulaire important encore en usage
22
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dans les premières décennies du XIXè siècle, relevé par Davies pour la
langue de Tahiti, Buschmann et Dordillon pour la langue des Marquises,
tombe peu à peu dans l’oubli, comme gommé dans la mémoire des
hommes.
Une rupture profonde et durable s’est installée dans la conscience
des Polynésiens. Un bouleversement de société implique une structure
mentale nouvelle, et pour toutes les classes un changement culturel.
C’est peut être la raison d’une incuriosité, voire un dédain pour la culture de ses ancêtres qui a fait que le Polynésien est devenu oublieux.
Cette perte de la mémoire du passé qui s’est poursuivie pendant des
décennies est à l’évidence la pire infortune qui puisse frapper un peuple
ou un individu12.
Mais ce débat n’est pas nouveau. De Bovis ne disait-il pas déjà dans
les années 1850, parlant de L’état de la société tahitienne à l’arrivée
des Européens : « qu’il fallait se presser, que la génération actuelle ne
savait plus rien de ses ancêtres. » De nos jours, en Polynésie française
qui compte un fort pourcentage de jeunes dans sa population, l’Histoire
devient à nouveau pour beaucoup :
« un solide aliment de l’esprit qui entretient et délecte si agréablement ceux qui l’ont une fois savouré, qu’ils s’y attachent après, par
délices, avec des affections et des ravissements incroyables.13 »
Aujourd’hui en Polynésie française, alors que nous vivons à plein
une civilisation de l’écrit même si nous baignons intensément dans un
monde audiovisuel, la langue marquisienne comme la langue de l’archipel des Tuamotu connaissent un timide renouveau grâce à des structures
associatives cohérentes et actives. La langue tahitienne devenue langue
officielle sur l’ensemble du Pays est enseignée avec plus ou moins de
12 Cette rupture paraît avoir été encore plus brutale dans l’archipel hawaiien où selon des sources récentes quelques
dix sept mille insulaires reconnaissaient en 1970 avoir parlé le olelo hawaii quand ils étaient enfants. Vingt ans plus
tard on recensait mille personnes seulement et aujourd’hui seuls les insulaires de l’île Niihau (moins de 300 personnes) et les gens âgés de plus de 60 ans pratiqueraient encore le olelo hawaii de manière habituelle.
13 Citation de G. Autret, généalogiste breton du XVIIè siècle.
23
bonheur comme langue véhiculaire certes mais surtout comme langue
identitaire. Te Fare Vana’a, l’Académie Tahitienne, joue un rôle essentiel
de régulateur et de gardien du Temple. Pour ce qui concerne la défense
et illustration de la langue des Iles Marquises, l’Académie
Marquisienne, Te Tuhuna ‘eo ‘enata de création récente, devrait aussi
se mettre en mouvement.
Bien sûr la rue ou Motu Uta ne parle plus la langue de Ahutoru,
comme on ne parle plus de nos jours à Paris le français de Brantôme. Il
serait vain au nom de l’éthique de vouloir préserver à tout prix une
langue vernaculaire insulaire dans son état « originel » tel qu’on pouvait la parler ou la lire dans les ouvrages missionnaires du début du XIXè
siècle. Nul doute qu’une langue a besoin pour vivre et prospérer de se
frotter à la vie ; il serait illusoire de tenter de la figer, même si le mythe
polynésien raconte qu’un des exploits de Maûi fut d’arrêter dans ses rets
la course du soleil.
Un regret subsiste. Langues de culture orale par essence avant le
Contact, les langues de nos archipels polynésiens, dites mâ’ohi, étaient
riches d’une littérature établie. Hélas dans toutes les aires la langue a
peu peu perdu de sa force et s’est vidée de sa substance, faute de prosateurs et faute de bardes. Peu d’écrits novateurs ont été produits même si
on assiste depuis peu à un frémissement dans l’édition à Tahiti. Il faut à
ce propos saluer l’initiative d’un éditeur local qui vient de rééditer la
poésie de Henri Hiro sorte de tahu’a ori pô intemporel. On peut rêver
qu’il générera des disciples.
Le document Langsdorff
La technique de Von Langsdorff pour noter les termes marquisiens
ne diffère en rien de celle pratiquée par les premiers découvreurs, c’est
à dire recueillir du locuteur un ensemble de sons plus ou moins bien
déchiffrés et les transcrire sur le papier à l’aide du système phonétique
en usage dans la langue maternelle de l’auditeur.
A l’instar des autres langues polynésiennes, la langue marquisienne
n’est pas fixée par l’écriture. Von Langsdorff utilise les signes graphiques
qu’il connaît. Il fait l’effort de noter la quantité vocalique de certains termes
mais ignore la glottalisation qu’il semble pourtant entr’apercevoir parfois :
24
N°311 - Décembre 2007
Ainsi la notation : /ha-i/ the forehead/ pour te /’ae/ ; la notation
/Ee-ho/ the tongue/ pour /e ‘e’o/
Il accole souvent la particule déterminante au terme : /Etama/a
boy/ pour /e tama/ ; ou /Tekuma/ pour /te kuma’a/ ; mais il transcrira /te-a-te/.
Transcription du document Langsdorff
Nous avons tenu à rapporter en l’état les entrées de von Langsdorff :
vocable marquisien relevé phonétiquement et sa traduction interprétée
par von Langsdorff ou son informateur. Nous proposons une écriture du
terme recueilli dans la langue marquisienne en usage hier ou
aujourd’hui ainsi que sa traduction en français. Ce travail d’investigation
ne présente aucun caractère doctrinal ; il laissera probablement apparaître des lacunes voire des impropriétés que ne manqueront pas de
souligner les lecteurs avertis. On pourra s’étonner que de nombreuses
entrées aient fait l’objet de gloses parfois de digressions. Pourquoi pénétrer dans l’antre des mots, exercice ludique et pourtant malaisé ? Sans
doute pour tenter de retrouver l’histoire d’un vocable, le confronter avec
son prototype, se risquer à le positionner dans un environnement particulier ; c’est aussi, c’est surtout rendre hommage quelque peu à l’intelligence d’une langue, au génie d’un peuple.
L’examen du document Langsdorff se limitant au domaine lexical,
nous ne prétendons pas rendre compte de l’état d’une langue à une
période donnée, mais plus modestement transcrire un vocabulaire de la
vie au quotidien, puis observer et tenter de comprendre une micro
société polynésienne du début du XIXè siècle dont nous sommes peu ou
prou les héritiers.
A cet égard, le matériau brut recueilli par von Langsdorff méritait
donc qu’on s’y intéressât d’un peu plus près. Et puis pour citer François
Jacob14:
« …ce qui donne au langage son caractère unique, c’est moins, semble-t-il, de servir à communiquer des directives pour l’action que de
14 in Le jeu des possibles, Ed. Fayart 1981
25
permettre la symbolisation, l’évocation d’images cognitives. Nous
façonnons notre ‘réalité’ avec nos mots et nos phrases comme nous la
façonnons avec notre vue et notre ouïe. Et la souplesse du langage
humain en fait aussi un outil sans égal pour le développement de
l’imagination. Il se prête à la combinatoire sans fin des symboles. Il
permet la création mentale de mondes possibles. »
26
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Vocabulary of the language
of Nukahiwa
(Vocabulaire de la langue de Nuku Hiva)
Ordre de présentation des 335 entrées :
– numéro d’ordre de transcription
– vocable en anglais
– vocable marquisien relevé 15
– écriture proposée en langue marquisienne (sous barres de fraction
slash //)
– équivalence en langue française
– observations.
Sigles et acronymes utilisés :
TAH pour Tahiti - HAW pour l’archipel hawaiien - TUAM pour l’archipel
des Tuamotu - MGRV pour l’archipel des Gambier et plus particulièrement Mangareva – MAORI ou NZ pour le pays maori de NouvelleZélande - RRTG pour l’archipel des Cook et plus particulièrement
Rarotonga - TGA pour l’archipel des Tonga.
Substantifs
1 - a man - enata - /‘enata/ - homme Dordillon donne /enata/ comme étant un terme des îles du SE et la
variation /enana/ un terme en usage au NO et ce vers 1850. Or par
Langsdorff nous apprenons qu’au début du XIXe siècle, dans l’archipel
du NO, on pouvait aussi relever le mot /enata/.
15 Note de l’Editeur : Les mots de Langsdorff sont en caractères gras, ceux de C.Guéhennec en standard et italique.
27
Il serait intéressant de savoir si de nos jours à Nuku-Hiva on trouve
encore le double usage /’enata/ /’enana/ (particulièrement dans les
vallées éloignées de Taihoae, dans la bouche de locuteurs âgés, sédentaires toute leur vie). A noter que le prototype /tangata/ est ici fortement altéré (recul du lieu d’articulation notamment).
2 - a woman - Wahine - /vehine/ - femme On remarque que Langsdorff a relevé le prototype /vahine/ qui ne
semble pas encore altéré en /vehine/
(a ——> e). Toutefois une erreur de transcription est envisageable.
3 - a married man, a husband - Medua - /matua/ - homme marié
(terme de tendresse) La notation de Langsdorff semble être une forme altérée de /matua/
ou /matu’a/ terme qu’on retrouve sur un axe TUAM-TAH-RRTG-TGANZ avec le sens /parent/ en général ou /adulte dans la force de l’âge/
et d’autre part /expert dans une quelconque discipline.
4 - a married woman, a wife - Mahui, Wehanna - /mä’ui/ - pourrait
être /ma’ui/ altération de /makui/ une femme mariée, terme de tendresse pour l’épouse.
Le prototype /mauri/ ou /mouri/ d’où semble issu /mau’i/ désigne le
/siège des émotions ou le cœur/ (NZ et RRTG), /la source de vie/
(TUAM et HAW). Notons que /vahana/ est attesté par Dordillon avec
le sens /mari/ et non /épouse/ ; par ailleurs, la notation /wehanna/ vs
/vahana/ est bien une altération « classique » dans l’archipel
comme dans vahine —> vehine.
5 - an old man - Kouha - /ko’o’ua/ homme âgé, terme d’affection
pour un homme d’âge mûr mais non parvenu au stade de la vieillesse.
Attesté par Dordillon /ko’o’ua/, le terme recueilli semble être une
forte altération du prototype /korokoroua/ (forme réduplicative de
/koroua/).
6 - an old woman - Bachaïo - /pakahio/ - femme âgée 7 - a father - Motua - /motua/ - père On retrouve ce terme aux Tonga avec la même acception.
28
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8 - a mother - Ekuhi - /e kui/ - mère 9 - Parents - Teamutu - /te i’amutu/ - fils ou fille naturels ou adoptifs
de la soeur - Altération de /iramutu/ terme que l’on retrouve en pays
maori (NZ) avec une acception très proche /neveu, nièce/.
10 - a boy, a son - Etama - /e tama/ - enfant mâle, mais aussi fils du
frère 11 - a little boy - Etama iti - /e tama iti/ - petit garçon 12 - a brother - Tuuane eteine - /tu’ane, e teina/ - frère /tu’ane/ que l’on retrouve /tunane ou tukane/ est la forme élidée de
/tungane/. La soeur aînée appelle /tua’ane/ ses frères mais utilise
/teina/ quand elle parle à ses soeurs cadettes. Le frère aîné appelle
ses frères /teina/ et ses soeurs /tuehine/.
13 - a girl, a daughter - Moï - /moi/ - fille légitime mais aussi fille du
frère 14 - a sister - Tôähine - /tuehine/ - la soeur du frère - (la soeur aînée
de la soeur étant /tua’ana/ la soeur cadette /teina/) 15 - a handsome girl - Pohotu - /po’otu/ - belle, jolie, en parlant des
femmes ou des choses Altération de /purotu/ (TUAM, TAH, RRTG).
16 - a tall man - Enata hoa - /‘enata ‘oa/ - homme grand (en taille) A noter l’élément résiduel du phonème /ng/ -> /n/ et dans /roa/ la
glottalisation du /r/ —> /’/ 17 - a lean man - Enata mocca - /‘enata moka/ - homme maigre,
décharné 18 - a fat man - Enata nui - /‘enata nui/ - homme gros 19 - a man-eater - Kaïnata - /kai ‘enata/ - cannibale On relève que Dordillon donne /ta’avi/ et /kaikai’a/ pour cannibale mais cette acception /kaikai’a/ signifiant littéralement /manger
un de ses proches/ semblerait être comprise comme /celle ou celui
qui accomplit l’inceste/. Le terme noté par Langsdorff tombé en
29
désuétude serait issu de /kai tangata/ une expression que l’on relève
notamment aux TUAM, RRTG et à TONG avec la même acception.
20 - the skin - Kuko - /kiko/ - chair La traduction en marquisien de /the skin, la peau/ serait /te ki’i/ c’est
à dire la première écorce, la deuxième écorce, la chair étant /te
kiko/ 21 - the head - Oopocho, obogo - /upoko/ - tête 22 - the forehead - Hâi - /‘ae/ - front - altération de /rae/ 23 - the eyes - Matta - /mata/ - oeil 24 - the eyebrows - Tuke hâë - /tuke ‘ae/ - partie saillante du front,
arcade sourcillière; l’expression /the eyebrows, les sourcils/ serait
mieux traduite par /tuke mata/.
25 - the ears - Buaina - /puaïna/ - oreille On relève que seule la langue marquisienne utilise ce terme alors
que dans toutes les aires du Triangle on trouve le prototype /taringa/
ou ses variantes. Il est bâti à partir des racines PPN /pu/ /qui produit
un son ou fait passer un souffle/ et /angi/ /qui laisse librement passer
le vent/, l’affixe /nga/ servant à substantiver le néologisme. On
obtient le prototype /puanginga/ qui donnera pour l’archipel nord
/te pua’ika/ et pour l’archipel sud /te pua’ina/. Curieusement un
troisième vocable /te puaki’a/ relevé à Nuku Hiva dans la première
moitié du XIXè siècle (Radiguet : 186) révèle un changement dans le
mode et le lieu d’articulation.
26 - the chin - Cohuâï - /kou’ae/ ou /kouvae/ - menton 27 - the jaw-bone - Coufai - /kouvae/ ou /kou’ae/ - mâchoire Comme en pays maori (NZ) le menton et la mâchoire sont rendus
aux MARQ par un terme unique. Aux Samoa on admet une nuance :
/’auvae alalo/ est le menton, littéralement la mâchoire du dessous et
/ivi ‘auvae/ désigne l’os de la mâchoire. Noter qu’à Napuka, atoll
des Tuamotu proche des Marquises on utilisait pour désigner le menton et la fonction de mastiquer /ngau ngau/, issu du prototype PPN.
30
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28 - the mouth - Henatu - /e nutu/ - la bouche d’un animal (le groin
de cochon p.e.) ; noter l’érosion du prototype /ngutu/ : Dordillon
avait noté dans la communauté des Taipi (que fréquenta JB Kabris à
Nuku Hiva) l’utilisation du ng mouillé comme dans /ngana/ disette/
qui deviendra /nana/ 29 - the lips - Kinutu - /ki’inutu/ - lèvres Forme altérée de /kiri ngutu/ littéralement /l’écorce de la bouche/.
Outre le terme relevé par Langsdorff on trouve aussi /’i’inutu/ ou
/ki’ikutu/ ou /kîkutu/ selon la situation géographique du locuteur.
/kinutu/ indiquerait également « les parties secrètes » de la femme
comme le dit pudiquement Dordillon, en d’autres termes les lèvres
cachées. Voir Dordillon édition de 1921 pour les lèvres cachées.
30 - the teeth - Niho - /niho/ - dents 31 - the tongue - Eêho - e /‘e’o/ ou /a’e’o/ - langue altération de /arero/.
32 - the beard - Kumi - /kumikumi/ - barbe 33 - the hair - Whu-oho - /‘ouoho/ - cheveux 34 - the shoulder - Bowhei - /pauhihi/ ou /paufifi/ - épaule Le vocable recueilli par Langsdorff /pou hei/ n’est pas noté par
Dordillon ; il pourrait se lire /soutien essentiel/ à la manière d’un
hauban.
35 - the arm, the hand - Eïma, ehima - /‘i’ima/ , /e ‘ima/ - mains ;
la main, le bras 36 - the elbow - Hima - /tuke ‘ima/ - coude 37 - the fingers - Magamagaïma - /manamana ‘i’ima/ - doigts On relève avec intérêt que le phonème /ng/ est encore bien installé
dans la langue de l’époque. A noter le particularisme du vocable usité
à ‘Ua Pou, /mâmaka ‘i’ima/ qui dénote une altération plus importante : /ng/ —-> /n/ ou /k/ puis glottalisation puis crase, mangamanga’i’ima —-> makamaka —-> ma’amaka —-> mâmaka 31
38 - the fingers nails - Matugu - /matikuku/ ou /mati’u’u/ ou
/ma’ikuku/ - ongles, serres Le terme /matuku/ qui répond phonétiquement à la notation de
Langsdorff signifie un oiseau de mer du genre aigrette aux
Marquises. Peut-être y-a-t-il relation de cause à effet entre la traduction /serres/ et /aigrette sacrée/; noter dans le dernier vocable
/ma’ikuku/ le changement du lieu d’articulation.
Crook et Greatheed en 1799 avaient noté migûku, /maikuku/ aux
Marquises du NO et /mai’u’u/ au SE avec la même acception.
39 - the neck - Kaki-kâkëihe - /kaki/ ou /’a’i/ - cou, gorge 40 - the breast - Huma-huma - /umauma/ - poitrine 41 - the bosom of a female - Tehu-ehoa - /te u/, /e o’a/ - sein, nourriture - Langsdorff a laissé une notation qui curieusement rassemble
à la fois et la fonction et l’organe. A noter par ailleurs que le prototype
PPN /ora/ altéré ici en /o’a/ désigne tout simplement la vie, belle
image que la langue marquisienne a retenue pour désigner la nourriture des hommes.
42 - the heart - Të-â-te - /te ate/ - coeur mais aussi foie et poumons 43 - the back - Matetua - /ma te tua/ - derrière le dos 44 - the belly - Koopu, or Ecopu - /kopu/, /e kopu/ - ventre 45 - the legs - Waïwai - /vaevae/ - jambes 46 - the thigh - Puwha - /puha/ - cuisse 47 - the knee - Moë - /moe/ - se prosterner La traduction /knee, genou/ serait /mu’o/ (altération de /muko/ qui
évoque joliment un bourgeon formant excroissance sur une branche
(HAW - TUAM - TGA).
Il est intéressant de noter la définition donnée par Langsdorff pour
/moe/ traduite improprement par genou. En effet, cette interprétation n’est pas sans rappeler une ancienne coutume polynésienne
relevée par Cook dans deux aires géographiques bien marquées du
Triangle, les îles Tonga et l’archipel de Hawaii : moe ou moea
32
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consistait pour une personne de condition inférieure à mettre
genoux à terre afin de rendre hommage au chef devant qui il se prosternait. Le sujet posait ensuite sa tête sous les pieds de son suzerain
en signe d’allégeance. On peut raisonnablement penser que ce type
de cérémonie a eu cours également à Nuku-Hiva. Chez Radiguet
comme chez Dordillon le terme marquisien hiamoe désigne un
tatouage couvrant le front. Il se pourrait que ce tatouage fût à son origine en relation directe avec la cérémonie de la prosternation. A ce
propos et comme il est question du sieur Kabris principal informateur de Langsdorff, arrêtons-nous un instant sur ses tatouages qui
couvraient une grande partie de son corps (Cf. portrait de Jean
Baptiste Kabris d’après un dessin d’Orloffsky). On peut y découvrir
ce curieux tatouage hiamoe. En outre, on peut tenter de deviner à la
commissure des lèvres un fin tatouage dont les signes présentent une
curieuse similitude avec un autre graphisme gravé celui-là dans la
pierre d’un pilon remarqué par le docteur Rollin alors en poste aux
Marquises dans les années 1920 ; c’est la pierre de Ikoehi. Rollin
avait noté que cette tête de pilon de type marquisien, constituée d’une
double face humaine, comportait aux commissures des lèvres quatre
tatouages qu’il rapprocha des idéogrammes rongorongo de Rapa
Nui. Après enquête ces signes lui parurent signifier les principales
fonctions de la bouche : manger, parler, chanter, et saluer.
48 - the foot - Tewaï-waï - /te vaevae/ - jambes 49 - the heel - Tuki-te-Waïwaï - /tuke vae/ - talon Ce vocable relevé par Langsdorff /tuki te waewae/ est un terme qui
a disparu du vocabulaire, tout au moins à la période Dordillon pour
être remplacé par /tuke vae/ - le terme de Langsdorff montre s’il en
était besoin l’utilité du talon, /tuki/ qui met en branle, qui met en
mouvement les jambes /te waewae/ - l’expression /tuke vae/ se veut
plus une description anatomique.
50 - blood - Tooto - /toto/ - sang 51 - the kidneys - Comaï - /komai/ - génitoires The kidneys, les « rognons », organe des reins seraient /kivakiva/.
33
52 - a leader, or chief - Aiki - /‘a’iki/ - suzerain On a souvent traduit de façon ostentatoire par /le roi/ ou /la reine/
les vocables /te ariki/, /te ari’i/, /te haka’iki/, /te ‘a’iki/ - le terme
polynésien recouvre sans doute une signification plus enrichie et
moins conventionnelle : /te a’iki/ était plutôt un chef investi d’un
mana, pourvu de larges pouvoirs, un chef politique qui instaurait
dans son fief les périodes de cueillette, de chasse, de pêche, et surtout (sémantiquement parlant) le dispensateur des richesses animales et végétales. Il était le suzerain relevant des dieux, qui commandait aux hommes reconnaissant en lui une légitimité en période
de paix comme en période de guerre. Enfin il partageait sa souveraineté oligarchique avec les chefs religieux.
53 - a friend - Taï - /tai/ - ami A dictionary of the Maori language donne /ta/ pour désigner occasionnellement un ami. Le mot recueilli par Langsdorff n’est pas
attesté par Dordillon qui cite /hoa/ ami/ et /tai’o/ vocable étranger
aux Marquises pour /ami/.
54 - a friendly man - Enata-mitaï - /‘enata meita’i/ - homme amical 55 - a stranger - Manehih. - /manihi’i/ - étranger, hôte, qui reçoit
l’hospitalité Altération de manihini; on retrouve ce vocable à Fangatau aux
Tuamotu.
56 - a thief - Ekamu - /e kamo/ - voleur 57 - a dog - Buaka-nûohë - /puaka nuhe/ ou /nuhe/ - chien - de nos
jours on dirait plutôt /peto/ 58 - a cat - Potu - /potu/ - chat 59 - a hog - Buaca - /puaka/ - cochon 60 - fish, in general - Tana-ika - /te tana ika/ - poisson destiné aux
dieux /tana ika/ est sans doute une altération de l’ancienne forme /tanga
ika/ issue de cette coutume ancestrale de l’offrande immolée et
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N°311 - Décembre 2007
offerte au dieu. Cela pouvait être un animal, cochon, oiseau, poisson
ou bien une victime humaine.
61 - a fish - Ika - /ika/ - poisson 62 - a fish, a particuliar kind of black fish - Pahua - /pahua/ désignerait plutôt un coquillage, le bénitier dit Tridacna gigas, une définition qui n’est pas en harmonie avec la traduction de Langsdorff.
63 - flying fish - mâö-ötemâö - /‘o te ma’o’o/ - c’est le /maroro/ plus
connu à Tahiti sous le terme /marara/ c’est le poisson volant, l’exocet de la famille des Exocétidés de l’ordre des Athériniformes qui
comprend une cinquantaine d’espèces.
64 - a shark - Mono - /mono/ - espèce de requin /mono/ ou /moko/ altération de /mango/ qui a donné aussi /mako/
/mano/ avec innovation de sens /lubrique, débauché/ 65 - an eel - Puchi - /puhi/ - anguille 66 - oysters - Uchi - /uhi/ - huître Variété d’huître nacrée utilisée comme pendant d’oreille et servant
pour la confection d’un bandeau frontal surmonté d’une aigrette. A
noter qu’à Tahiti on se servait de ce matériau pour fabriquer le
peigne à tatouer alors qu’aux Marquises on utilisait plus généralement une dent de requin ou un os du phaeton. Langsdorff en observateur avisé a relevé la « chuintante » dans /uhi/ et donné une
bonne notation phonétique.
67 - a sort of crab - Epôôto - /e poto/ - une espèce de crabe 68 - another sort of crab - Pêhû - /pue/ ? - crabe Peut-être faut-il voir une autre notation que celle relevée /pehu/, et
lire /pue/ espèce de crabe/ 69 - a muscle - Tû-ü-âï - /tu’u hia/ - crampe musculaire 70 - a bird - Emânu - /e manu/ - oiseau 71 - a hen - Moha - /moa/ - poule 35
72 - hen’s feathers - Teubu - /te upu/ - touffe de plumes C’est sans doute la description d’un bouquet de plumes rouges
consacrées au dieu tutélaire, aigrette investie d’un pouvoir au cours
de la cérémonie du upu, sorte de discours incantatoire.
73 - a lizard - Ekaha - /e kaka’a/ - espèce de lézard /kaka’a/ et son équivalent /nana’a/ seraient la corruption de /ngangara/ forme rédupliquée du prototype /ngara/, qu’on retrouve à
Tahiti et en pays maori de Nouvelle Zélande rédupliqué au niveau de
la 2e diphtongue.
74 - flies - Tika-uë - /tikau’e/ - mouche 75 - the bread-fruit - Mähie - /mei/ - fruit de l’arbre à pain Aux Tonga c’est aussi /mei/ alors qu’on retrouve /’ulu, kulu, kuru et
‘uru/ à Samoa, Hawaii, aux Tuamotu, Rarotonga et Tahiti.
76 - the bread-fruit tree - Tëmü-meï - /tumu mei/ - arbre à pain 77 - fermented bread-fruit - Maa - /mä/ - fruit fermenté de l’arbre à pain
- /ma/ était le vocable utilisé aussi aux Tonga pour désigner la nourriture ensilée pour les temps de disette dans une fosse creusée dans
la terre. De nos jours /ma/ désigne le pain. Notons /masi/ aux Samoa
ou sa variante /mahi/ à Tahiti.
78 - the leaf of a tree - Tehôü. - /te ‘ou/ - feuille d’arbre Altération de /rou/ qui est une variation de /rau/. On retrouve la
même acception aux Tonga avec un vocable identique /lou/.
79 - cocoa-nuts - Niu - aehie- teehi - /niu a ‘ehi/ /te ‘ehi/ - noix de
coco Rappelons tout d’abord que /niu/ était le terme générique largement
diffusé dans les archipels polynésiens pour désigner le cocotier.
Dordillon a donné pour l’archipel marquisien /’ehi/ (altération de
/rehi/). Or aux Tuamotu (Fangatau, Vahitahi et Anaa) /rehi/ désigne non
pas le cocotier ou le coco en général mais un stade de la croissance du
coco quand une couche mince de chair blanche se forme à l’intérieur.
80 - bananas - Meiga - /meika/ - banane 36
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81 - batatas - Tekuma. - /te kuma’a/ - patate douce 82 - the sugar-cane - Teto - /te to/ - canne à sucre 83 - a sort of root (Arum macrorhizon) - Happeh - /‘ape/ - taro
à grandes feuilles 84 - a flower - Puamomono - /puamomona/ - plante dont la fleur
ressemble à celle du lys -.
85 - beans - Boniû - /poniu/ - plante grimpante dite pois d’Amérique On trouve également dans l’archipel hawaiien le /poniu/
(Cardiospermum halicacabum), plante autrefois utilisée comme
remède contre les vertiges (selon Pukui). Serait-ce la même liane
qu’on trouve aux Marquises ?
86 - a bush - Teita - /teita/, / ‘eita/ - broussaille 87 - grass of différent sorts - Mugu, totoë, buaga /mouku/, /mou’u/ - plante de la famille des cypéracées connue à
Tahiti sous le nom /te mo’u/, cette espèce de jonc très utile autrefois
dans la pharmacopée indigène; donne les fibres de sa tige pour servir
de filtre à ra’au ; une espèce particulière à Nuku hiva a été nommée
Cladium nukuhivense (Pétard).
/toetoe puaka/ - espèce d’herbe, graminée.
88 - wood - Wahie - /vehie/ - bois pour le feu 89 - the bark of a tree - Eipâu - /e pa’u/ - écorce d’arbre Le terme serait plutôt /te ki’i/ (altération de kiri) selon Dordillon et
Le Cléac’h. La notation /pa’u/ de Langsdorff nous apporte un autre
éclairage : le terme est issu du prototype /paku/ qui désigne aux
Samoa et aux Tonga une croûte de pain, la croûte d’une blessure en
pays maori de NZ, et à un degré moindre à Tahiti les pellicules du
cuir chevelu. Remarquons qu’à Vahitahi (Tuamotu) /te paku/ est une
pellicule de sang séché et qu’aux Marquises /te pa’u ou paku/
devient une mince pellicule comme l’onction sur un corps d’une préparation liquide à base de plantes.
90 - the sun - Umati - /’oumati/ - soleil 37
Altération de /roumati/ qui est une variation de /raumati/, littéralement /sec, privé d’eau/ 91 - the moon - Mahine - /mahina/ - lune /mahina/ terme obsolète dans certains archipels comme à Tahiti et
en pays maori de Nouvelle-Zélande est relevé aux MARQ ainsi que
/me’ama/ altération de /marama/ - A Tahiti en 1790, d’après
Morrison, /marama/ était encore en usage pour signifier la /lune/ et
le /mois/.
92 - the stars (the) - Evetu - /e fetu/, /e hetu/ - étoileLes Marquises ne semblent pas avoir subi la loi du /pi’i/ comme à
Tahiti quand un vocable, frappé du tapu par les édiles locaux, disparaissait du langage courant remplacé par un autre à acception équivalente ; c’est le cas de /fetu/ auquel on a substitué le vocable
/feti’a/ qui s’accorde parfaitement avec le prototype /fetu/, la particule /tika/ ou /ti’a/ détenant la même valeur que /tu/.
93 - the new moon - the moon that will come - Mahine e tamai
- /mahina e tâma’i/ - nouvelle lune, jour de mauvaise fortune Dordillon note /mahina hou/ pour nouvelle lune ; l’expression relevée par Langsdorff non attestée par Dordillon ni par d’autres observateurs de la langue semble-t-il, paraît puiser son origine dans l’imaginaire polynésien. Littéralement il s’agit d’une « lune de guerre »
qui révèle un jour de mauvaise fortune dans la plupart des aires polynésiennes (Cf. The maori division of time d’Elsdon Best : 34).
/tâmaki —-> tâma’i/ conflit, querelle, est issu du prototype /maki
—-> ma’i/, souffrance, blessure.
94 - the full moon - (the great moon) - Mahine nui - /mahina
nui/ - pleine luneDordillon donne /mahina pi/ pour la pleine lune /mahina nui/
serait la lune en haut de sa course, dans sa plénitude.
95 - earth (the), land - Kennua. Whennua. - /fenua/ /henua/ - le
pays 96 - island (an), a rock - Mooto - /motu/ - île, îlot 38
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97 - hill (a) - pûfi. - /pufi/ /puhi/ - toupet de cheveux, touffe de
feuilles ou houppe de plumes Ne pas voir dans /pufi/, un mot désignant une colline au sens géographique (a hill) qui se traduirait aux Marquises par /ivi/ ou
/tuaivi/, mais plutôt une ornementation qui se plaçait « en hauteur » :
un bouquet de plumes à la proue de la pirogue, une touffe d’herbe à
l’extrémité d’un piquet pendant la période du rahui (en pays maori
de NZ) mais aussi une coiffure élaborée en forme de gerbe sur le
sommet du crâne (en pays maori de NZ) ornementée de plumes à
Vahitahi (TUAM).
Dans l’ouvrage de Langsdorff est insérée une planche A younger inhabitant of Nukahiwa not yet completely tattooed. La coiffure de ce
jeune guerrier est un savant arrangement de deux toupets - ça n’est pas
sans rappeler la coiffure /po’i’i/ (topknot) une variante de /puhi/,
courante chez les Rapa nui. On notera que le mot /pufi/ ou /puhi/
n’est pas relevé par Dordillon avec la signification ici proposée.
98 - a river, a stream (much water) - Wai-nui - /te vai nui/ - une
rivière à gros débit 99 - the sea - Täi - /te tai/ - la mer 100 - fire - eachi, eahi - /ahi/ (e) - feu (du) 101 - Water - Ewai, ewahi - /vai/ (e) - eau (de l’) 102 - wind (the) - Metani. - /metani/, /metaki/ - vent Relevons l’altération classique à partir du prototype /matangi/ : /a/
—->/e/ et /ng/ —-> /n/ ou /k/.
103 - the north wind - Tukuahu - /tuku ahu/ - vent frais Expression non relevée par Dordillon ; paraît obsolète. Toutefois à
l’analyse, on trouve en pays maori de NZ le terme /tuku/ souffle du
vent de n’importe quel quartier et à Anaa (TUAM) /qui provoque un
souffle/. On a une autre piste avec un vent de l’île de Kaua’i (HAW)
le /ku’uanu/ (= tukuanu). Y-a-t-il eu corruption de /tukuanu en
tukuahu/ ? (Rappelons que /anu/ = fraîcheur, froid). On pourrait
alors penser à un vent « frais » soufflant du NE sur les côtes nord
39
des Marquises de novembre à avril pendant la saison « fraîche ».
Dordillon donne /tiu e aina tokoau, tiu, tiu e aina tuatoka/ pour
des vents soufflant du NO au NE en passant par le N. On est bien loin
de l’expression relevée.
104 - the east wind - Tiutiu - /tiu/ - vent du nord 105 - thunder - Hatu piki, hatuti - /hatuti’i/ et fatuti’i/ - tonnerre,
foudre L’expression /hatu piki/ tonnerre/ n’est pas relevée par Dordillon.
Ce pourrait être une description sommaire de l’éclair : /fatu/ se
mettre en double/ en formant des plis crochus /piki/.
106 - lightning - Teû-ï-ïa - /ui’a/ - éclair - altération de /uira/ 107 - rain - Eua - /ua/ (e) - pluie (il pleut) 108 - iron - Toki - /Toki/ - hache Ce terme désignait l’herminette traditionnelle mais après l’introduction d’objets usuels métalliques, clous et haches d’origine étrangère, il a par extension, servi à désigner le matériau /fer/. Le même
phénomène a joué quand Cook a reconnu en 1778 l’île de Kaua’i
dans l’archipel hawaiien ; par métonymie, les insulaires lui demandèrent de lui donner du /to’i/ qui s’avérait être tout objet en métal.
Notons toutefois que Dordillon retient l’expression /pa’apa’a/ fer
ou ses dérivés/ (terme issu de /parapara/, chatoiement, scintillement comme sable au soleil à Vahitahi).
109 - day - uateu, watea - /atau’a/ (u), /atea/ (u) - aurore (c’est l’),
il fait jour 110 - house (a) - Ohäâi, tehâë - /ha’e/ (o) /ha’e/ (te) - maison
(une), altération de /hare/,/fare/ 111 - boat (a), a canoe - Waga - /vaka/ - pirogue, embarcation 112 - a fishing hook - Medau - /metau/ - hameçon 113 - an axe - Toki - /toki/ - hache - voir entrée 108 114 - the cloth worn round the waist - Eûte. - /ute/ e ‘ute/ - le
mûrier à papier Broussonetia papyrifera largement répandu dans
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les archipels polynésiens - c’est un arbuste servant autrefois à la
confection des étoffes ; l’écorce était mise à rouir puis travaillée
avec le /ike/ le maillet en bois cannelé ; cela fournissait une étoffe
souple de couleur claire très adaptée pour servir de vêtement ceignant la taille.
115 - glass beads - Pipi - /pipi/ - verroterie Ces bijoux de pacotille dont chaque expédition était pourvue devaient
normalement servir de troc dans les échanges avec les populations
locales. Les « découvreurs » verront très vite que les objets en fer
avaient un attrait plus grand. Notons l’extension prise par le mot
/pipi/ qui désigne d’abord un mollusque bivalve de la famille des huîtres (the cockle shell) ; à Reao (TUAM), /pipi/ désigne une huître
perlière (Pinctada maculata) mais aussi un bouton de fleur.
116 - a dagger - Cohe - /Kohe/ - couteau /kohe/ c’est le bambou c’est aussi le couteau fabriqué localement à
partir d’un éclat de bambou.
117 - a fan - Tah - /tahi’i/ - éventail le plus commun - altération de
/tahiri/ ventiler 118 - a fan with a carved handle - Tahikatu - /tahi’i katu/ - éventail
à manche sculpté Il était constitué par une feuille de /vahake/ (le latanier) tressée et
enfichée /katu/ dans un manche (os humain finement ouvragé). Le
/tahi’i katu/ « était une marque de commandement réservé à un
dignitaire et donnait distinction à son porteur » (Rollin : l45-146).
119 - fire-arms - Pûi- /puhi/ - fusil- /te puhi ika/ est de nos jours le
/fusil de pêche sous-marine/ Néologisme construit à partir de /puhi/ /faire jaillir ou souffler violemment/.
120 - ornament of feathers for the head - Beûe - /Peue/ - coiffure
en forme de visière garnie de plumes 121 - another sort of ornament - Heigüa - /Heiku’a/ - couronne de
tête faite de plumes de coq rouges - Altération de /hei kura/ 41
122 - an ornament of feathers for the back - Hopemoa - /hope
moa/- ornement en cheveux. Mèches de cheveux que l’homme coupait de la chevelure de sa femme ; il portait cet ornement à la ceinture d’après Langsdorff (noté aussi par Dordillon). A rapprocher de
/hope/ occiput de la femme à Fangatau et Napuka (TUAM) ; c’est
aussi la queue d’un oiseau à Napuka et Anaa (TUAM). Relevons
aussi cette autre signification pour /hope/ (en pays maori de NZ) et
/’umi hope/ (Hawaii) : le pagne qui ceint les reins (NZ) (‘umi
hope à HAW) ainsi que /sope/ lock of hair left as an ornament/
dans l’archipel samoan (Pratt). On note que plusieurs expressions
relevées par Langsdorff comme /hopemoa/ sont construites pour
donner une valeur forte au déterminé.
123 - a flute of two reeds - Buchoche - /Pu kohe/- flûte double en
bambou 124 - a calebash, as used to hold water - Huë - /hue/ - calebasse,
gourde C’est une cucurbitacée Lagenaria siceraria dont le fruit a donné ce
récipient multi-usages et multiformes plus particulièrement aux îles
Hawaii où l’on travaillait le fruit pendant sa croissance afin de lui
donner un col étroit ou allongé. C’est un contenant intéressant qui
vieillit bien, qui est léger, étanche et dont le contenu reste à l’abri
des prédateurs (insectes ou rongeurs) car le hue est presque toujours suspendu par le col à l’aide d’une cordelette végétale tressée.
125 - a battle, a fight - Toua - /toua/ - combat, querelle Désignait aussi une expédition à Vahitahi, une vengeance à Fangatau
(TUAM) ; un acte de guerre en pays maori de NZ et dans l’archipel
hawaiien.
126 - an oath - Memai, mamai - /mama a’e, mama ‘e/ - incantation
en forme de supplique Curieusement bâtie à partir de deux mots à sens identiques /mama/
/a’e/ consentir, permettre/, l’expression recueillie par Langsdorff
trouve un éclairage instructif quand on se réfère au vocable maori
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de NZ /mama/ perform certain rites with the object of nullifying
a hostile spell or removing tapu et /are/ libre, sans obstruction/.
127 - a woman’s waist-binder - Teiweu - /te ‘eu’eu/ - vêtement féminin sommaire ajusté autour de la taille. On retrouve là, bien qu’altérée
(classique élision du /r/) la forme primitive de /reureu/ pour désigner
le /pareu/ terme en usage à Tahiti ; la forme /reureu/ est attestée à
Rarotonga et /reu/ à Napuka, Fangatau, Vahitahi (TUAM) notamment.
128 - the mind - Wahinehaï - /veinehae/ - fantôme Noter la double signification du mot maori /hae/ tourmenter, causer
de la peine/ mais aussi au sens propre /déchirer, lacérer les chairs/.
L’utilisation de ce vocable n’est pas innocente quand par ailleurs on
retrouve à Napuka (TUAM) ou en pays maori de NZ cet autre sens
pour /hae/ première lueur du jour/ luisance/ On comprend mieux
l’usage de ce vocable qu’on pourrait traduire aussi par apparition
fantomatique à l’aspect blanchâtre comme l’aurore, fantôme qui
vient tourmenter les vivants. Radiguet p. 175 parlait des chimériques rodeurs des ténèbres.
129 - a spirit, a phantom - Tetua - /te etua/ - la divinité De rangs inférieurs si on les compare aux divinités qui commandaient
aux éléments, /te etua/ homme ou femme d’importance de leur vivant
et déifiés après leur mort comme Paetini la fameuse cheffesse de
Nuku-Hiva, polyandre aux trente-deux maris, paraissaient plus accessibles aux mortels qui leur adressaient prières et suppliques.
130 - a necklace of red beans - Teha, tefa. - /hei ha’a ou te fa’a/ collier de graines de pandanus « Les tahitiennes se font des couronnes et des colliers avec les
semences rouges du fara (Pandanus tectorius) » notait Cuzent à
Tahiti dans les années l850. Une coutume bien polynésienne qu’on
retrouve aussi aux îles Samoa et bien sûr aux Marquises.
131 - a lie - Tichoë, tiwawa - /tiko’e, tivava/ - mensonge, menteur Même origine que le vocable samoan /’ole/hoax mystifier, /tiko’e/
semble bâti à partir de /ngore/ allécher, séduire faire espérer à
Vahitahi TUAM, et en pays maori de NZ.
43
132 - a comb (a) - Koheu - /kohe’u/ - peigne, se peigner - on dirait
aujourd’hui /te paehu/ pour un peigne ordinaire - altération de
/heru/ (se peigner en pays maori de NZ) /pa heru heru/ (se peigner à Fangatau). A noter qu’à Vahitahi et Fangatau /heru/ c’est
aussi gratter la terre comme un poulet. Or aux MARQ comme à
Vahitahi et à Napuka, /ko/ c’est creuser des trous en terre avec un
/hou/ outil épointé pour permettre les plantations de /kape/ (cette
variété de taro qu’on trouvait aux MARQ mais aussi à Vahitahi,
Fangatau et Reao). La construction du vocable /ko heru/ qui a
donné /kohe’u/ nous laisse à penser que le peigne devait être un
démêloir à une dent, peut-être trois dents, plutôt que l’objet usuel
que nous connaissons aujourd’hui.
133 - club, for fighting - Käâu-toa - /‘akau ta/ - arme de combat en
bois L’écriture de Langsdorff peut prêter à confusion. On pense à une
arme faite en /toa/ ou bois de fer. Pourtant la nature du matériau
(le bois) est contenue dans l’expression /’akau/ issu du PPN
/rakau/. Il est intéressant de noter qu’à TGA on relève aussi la
même acception /’akau ta/ pour désigner une même arme. On
remarquera le choix judicieux de la particule /ta/ qui signifie entre
autres sens /battre, frapper avec un bâton/ (aux MARQ et dans d’autres archipels) mais aussi /courber, incurver un arc ou l’extrémité
d’un instrument de musique et /façonner/ en NZ TGA, TUAM HAW
(ces deux dernières notions ne sont pas relevées par Dordillon).
134 - lance (a long) - Pakehu. - /Pakeo/ pae’o/ - lance en bois de fer Cette lance en bois de fer était terminée par un os affûté et dentelé
latéralement rapporte Rollin. Peut-être faisait-il confusion avec le
harpon de pêche (te ve’o ) dont L.J. Bouge a donné une description ainsi qu’un schéma dans le Journal de la Société des
Océanistes16 précisant d’ailleurs que l’expédition Krusenstern avait
ramené un exemplaire en Europe (Zurich).
16 JSO tome 4 n°4 décembre 1948 (:148) - la description de Bouge a été contestée par O’Reilly et Reitman souligne Anne Lavondès dans une étude exhaustive sur le sujet, baptisée modestement « Note sur les harpons polynésiens » (parue en 1982 dans le JSO 74-75).
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135 - lance (a lighter sort of lance) - Kêbu. - /kepu/ - lance en bois
de fer 136 - mat (a straw) - moïca. - /moeka/ - natte pour dormir Construit à partir du PPN /moenga/moe/s’allonger pour dormir/ +
particule substantivante /nga/. On notera aussi la présence dans le
vocabulaire marquisien de /moena/ (classique altération de la
vélaire nasale /ng/ qui donne /k/ et /n/). On retrouve le même vocable avec acception similaire à Fangatau (TUAM).
137 - knife (a) - Koche. - /kohe/ - couteau De /kohe/ bambou dont on taillait des éclats tranchants comme un
rasoir.
138 - iron nails - Puïpuï. - /puhipuhi/ - clous métalliques Forme réduplicative de /puhi/ ; le vocable marquisien semble
proche du prototype /puhi/ /mettre en bouquet, rassembler tiges ou
plumes/ image qui peut s’appliquer à un assemblage de clous (NZ et
VHI) par extension ce mot s’appliquera au fer en général et aux outils.
Faux ami : /puhi/fusil/ et pupuhi/jaillir, sortir avec force/ qui tirent
leur origine de /puhi/ souffler/.
139 - priest (a) - Taua, etua. - /tau’a - /etua/ Le /tau’a/ a tantôt été désigné comme un prêtre doté de pouvoirs
divinatoires tantôt comme un sorcier magicien. Sans doute pourrions-nous plus simplement le qualifier de ministre du culte, intercesseur obligé entre les hommes et les dieux lares. On ne redoute
guère l’action néfaste des dieux créateurs, ils sont si élevés dans la
hiérarchie. Par contre on craint les divinités secondaires, notables
de leur vivant (grand chef ou grand prêtre), qui ont été déifiés après
leur mort, comme dans la Rome antique. Selon la croyance populaire ils viennent tourmenter les vivants et les accabler de tous les
maux. Prières offrandes et sacrifices sont les prix à payer pour
retrouver la paix de l’âme et recouvrer la santé. On aura donc
recours au tau’a.
« Parfois, au milieu des sombres nuits, des cris étranges, qui semblent
poussés par quelque bête fauve, partent des crêtes supérieures de la
45
montagne et, longtemps répétés par les échos, troublent les profondeurs silencieuses des vallées; c’est le tahua (sic)17 qui, retiré dans un
lieu sacré, où nul mortel n’oserait le suivre, converse avec un dieu qui
lui révèle la cause des choses. » (Radiguet p. l64)
Le vocable /etua/ désigne /une divinité/ (observons là aussi qu’une
voyelle semi-ouverte /e/ se substitue à une voyelle ouverte /a/).
140 - smoke - Uwai.- /uahi, uwahi/ - fumée On observe que cette forme obsolète /uwahi/ n’apparaît pas dans le
vocabulaire Dordillon qui donne le terme générique /auahi/. On
retrouve la même écriture dans la langue de HAW /uahi, uwahi/
avec les mêmes altérations que le vocable de Langsdorff. Notons
aussi l’effet glide des phonèmes /uwa/ et /ua/.
141 - oar (an) - Ehoh. - /hoe/ (e) - pagaie (une) 142 - salt - tâi - /tai/ - eau salée - le sel proprement dit serait plutôt
/kana/ ou /kanatai, littéralement gravier de mer/
143 - sand - Enutai - /one tai/ ?
Pour désigner le sable c’est l’emploi de /one/ qui serait plus adapté.
Peut-être faut-il lire /one tai/ littéralement sable de mer/.
144 - seed - Kakanai - /Kakano/ - semence- réduplication de /kano/
(kakano NZ - ‘ano’ano HAW) 145 - cord - Vhau - /hau, fau/ - cordelette L’Hibiscus tiliaceus L. - à Tahiti, /purau/ a prêté son nom pour
17 Radiguet a sans doute voulu transcrire /tau’a/prêtre,sorcier/. Et s’il écrit /tahua/ il faut penser à un homophone et non pas au terme /tahu’a/ (qui n’existe pas dans la langue des Marquises, issu du prototype /tahunga/
répandu dans l’aire PPO (et aux MARQ : tuhuna, tuhuka) pour désigner le spécialiste capable de construire une
pirogue, de préparer une médication ou de faire des massages pour soulager un malade ; spécialiste devenu progressivement dans la pensée populaire des îles de la Société notamment, le sorcier, le chaman celui qu’on craint en
raison de son pouvoir non détenu par le commun des mortels, celui qu’on respecte pour ses relations supposées
avec les dieux. Or ces relations privilégiées avec les dieux étaient plutôt dévolues aux seuls taura. Avec l’arrivée
des Européens et l’action des missionnaires le taura a perdu peu à peu de sa raison d’être, d’intermédiaire obligé
entre les dieux et les hommes. Davies notera le terme /taura/prophète inspiré par les dieux/ dans son dictionnaire
tahitien-anglais paru en l851, mais quelques décennies plus tard, dans le dictionnaire compilé par T. Jaussen, on
trouvera à peine la mention /inspiré/ pour /taura/. De nos jours en Polynésie française, la fonction et même le
titre de taura n’évoquent plus rien auprès du grand public. Seul subsiste le vocable tahu’a.
46
N°311 - Décembre 2007
désigner la cordelette obtenue à partir de l’écorce solide de cet
arbre - usage fréquent de nos jours pour constituer des paquets de
poissons tui ika
146 - packthread (thin) - Iti iti vhau - /iti iti hau/ - cordelette fine 147 - looking-glass (a) - Ehakatta, Uhatta - hakata (e), hoata - une
longue vue, un miroir L’autre synonyme /hoata/ a un champ sémantique plus élargi
puisqu’il signifie /luisant, sans tâche/ mais aussi /clair, facile à
apprendre/.
148 - cloth, made from the paper-mulberry-tree - Kachu - /Kahu/ Etoffe et par extension vêtement obtenu à partir de l’écorce du
mûrier /te ‘ute/ 149 - stone - Ekiwa, kiwa - kiva (e) - pierre ronde (une), un galet,
ou un projectile 150 - sail (a) - têa - /‘a/ (te ‘a) - voile (la) Issu du prototype /ra/ à valeur évocatrice puisqu’il désigne tout à la
fois le soleil, le jour et la voile de la pirogue.
151 - present (a) - Taitai - /taetae/ - richesse, bien, fortune Pour mémoire /tae/ amasser peu à peu une somme d’argent (TGA).
152 - drum (a) - Epachu - /pahu/ (e) – tambour Il était fabriqué nous dit Rollin par le « tuhuka a’aka pahu à partir
d’un tronc de mi’o ou de cocotier qui était soigneusement évidé et
longuement frotté et à l’aide d’une pommade à base de coco te
pani. Le tambour était ensuite recouvert d’une peau de requin tendue par des cordelettes. »
153 - orphan child (an) - Enata tubenda. - /enata tupena/ - personne indigente /tupena/ vraisemblablement une forme altérée de /tupenga/
construit avec la racine /tupe/ méprisable (MARQ), privé de pouvoir par un sort ennemi (NZ) et de façon générale en état de faiblesse au sens propre et au sens figuré. Aux SAM (Pratt) on trouve
47
le terme /tupea/ sans ami, sans liens familiaux/, une notion très
proche du vocable recueilli par Langsdorff.
154 - twins - Mahaka - /mahaka/ - jumeaux Altération du prototype /mahanga/ qui donnera aussi dans l’archipel marquisien l’autre variante /mahana/ (attesté à HAW TUAM TGA
NZ RRTG).
155 - an european ship, a large canoe - Tewaka nui - /vaka nui/
(te) - navire 156 - instruments for cutting, as oyster or muscle shells - Uchi /Uhi/ - nacre perlière La coquille galbée de la nacre fine mais résistante convenait tout à
fait pour servir de couteau élémentaire. Si le peigne à tatouer est
fabriqué en os à Nuku-Hiva, /te uhi/ servait à confectionner des
peignes à tatouer aux TUAM, TAH, NZ et HAW.
Pronoms
157 – I Au, or wau - /au, ‘u/ - Je, moi 158 - Thou, or you - Oï - /’oe/ - tu, toi, vous On note l’absence de la vélaire /k/ ici glottalisée ce qui d’après
Dordillon nous donnerait un terme plutôt en usage aux MARQ du SE.
159 - He or she - oë - /ia/ (o) - il ou elle (c’est) 160 - Ye - Ooë - /’o’ua/ - Vous deux (duel) - issu de /korua -
adjectifs, adverbes
161 - black - Keke - /ke’eke’e/ - noir - forme réduplicative du prototype /kere/ 162 - red - Kua - /Ku’a/ - rouge /kura/ c’est aussi et surtout l’oiseau mythique paré de pourpre qui
autrefois s’est fait plumer par les Polynésiens qui habillaient tout le
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N°311 - Décembre 2007
sacré avec les plumes rouges du /moomoo/ à RRTG, du /vini
pa’uri/ à Porapora du /koa’e ‘ula/ aux HAW ou du /kotake/ aux
MARQ pour ne citer que quelques archipels.
163 - yellow, and, probably, also the root that dies yellow - Jega
moa - /‘eka moa/ et /’ena moa/ - désigne la couleur jaune et le
safran L’interprétation de Langsdorff est tout à fait judicieuse ; il s’agit bien
du rhizome de Curcuma longa, le safran bien connu en Polynésie
orientale. Aux Marquises quatre espèces, du jaune à l’orangé étaient
répertoriées.
Langsdorff a noté /jega/ et non /’eka/ ou /’ena/ termes qui sont
attestés une cinquantaine d’années plus tard par Dordillon.
L’absence du /r/, accident phonétique classique dans cette aire linguistique n’est pas inattendue. Son remplacement par le phonème
/j/ est plus insolite. On songe d’abord à une erreur de transcription.
On peut penser aussi au /j/ tongien équivalent du /r/ ou du /t/
maori. La tradition locale ne révèle-t-elle pas qu’il y a eu aux temps
proto-historiques migration à partir des Tonga vers les MARQ NO ?
Ce serait admettre alors qu’au moment du Contact subsistait encore
un signe résiduel du phonème ancien.
Autre remarque à propos de ces deux vocables /’eka/ et /’ena/ qui
ont même acception est la présence dans le vocabulaire marquisien
des deux homophones /’eka/ et /’ena/.
On sait que les termes désignant le jaune et le curcuma sont issus
du PPN /renga/.
Ces deux termes en usage aux Marquises sont bien différents sémantiquement parlant. En effet dans les aires PPO le vocable /renga/
sert à désigner la plante tropicale aux rhizomes de couleur jaune à
l’odeur si aromatique et par extension, la couleur jaune :
/re’a/ TAH, /renga/ RRTG, TUAM, NZ et MGRV, /lena/ HAW et /’eka
ou ‘ena/ aux MARQ.
Le vocable /reka/, (forme simple ou rédupliquée) a une définition
tout autre : c’est la notion de jouissance, joie, plaisir, amusement
de la vie, mais aussi plaisir des sens, volupté, satisfaction sexuelle :
49
/re’are’a/ TAH, /reka ou reka reka/ RRTG, TUAM, NZ et MGRV, /le’a
ou le’ale’a/ HAW, et /’eka/ ou /’eka’eka/ aux MARQ.
On est donc confronté à une ambivalence.
Sans vouloir rechercher à tout prix une relation obligée, on relève
une certaine concordance voire une complicité entre les vocables
/renga/jaune et /reka/jouissance qui tous deux ont donné /’eka/ et
/‘ena/ aux MARQ18.
Par corrélation, on pourrait évoquer la société des /karioi/.
Dordillon donne pour /ka’ioi/ la notation /lubrique, sensuel, luxurieux/ et cette curieuse mention /qui porte et aime les odeurs, pour
les deux sexes/.
« J’ai eu l’occasion à de nombreuses fois d’observer que l’odorat des
Marquisiens étaient particulièrement développé, » dira Langsdorff
(p. 173).
On sait que l’homme, désireux de parfaire son odeur sui generis,
s’est efforcé depuis des temps immémoriaux de composer des senteurs nouvelles. Il a trouvé à volonté dans la nature les ingrédients
appropriés pour la préparation d’huiles et d’essences parfumées
utilisées pour rehausser la beauté du corps, assurément, mais aussi
pour exciter les sens. Dordillon observera aux Marquises qu’une
femme qui se couvre d’odeurs est désignée /e vehine ha’atoka/ littéralement /qui fait les mouvements de la concupiscence/. Quelques
décennies après le passage de Langsdorff le Français Radiguet ressentira lui aussi :
« …partout une âcre senteur, mêlée aux affadissantes émanations de
l’eka-moa, » (pp. 146-147) et notera que « la majeure partie du
temps de l’un et de l’autre sexe se passe à dormir, à chanter à se baigner, à tresser des couronnes de fleurs, de fruits, de pandanus, à s’oindre d’eka- moa » (p. 132).
18 Cette connexité n’est pas sans intérêt si on admet l’usage dans la chaîne parlée de vocables dont l’euphonie est
mise en exergue afin de façonner jeux de langage et jeux de situation. Pour la petite histoire, relevons qu’à
l’Assemblée de la Polynésie française l’an dernier, un incident débordant sur la place publique né d’un jeu de mots
discutable quant à l’éthique, a montré du doigt un certain microcosme politique plus habile en “bons mots” que
dans l’art de façonner /te ta’ere maori/ la quille de la grande pirogue de navigation qui la maintient en flottabilité/, pour reprendre une définition d’un académicien éminent du Fare Vana’a.
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Melville autre observateur attentif notera aussi le fait durant son
séjour à Nuku Hiva chez les Taipi.
En effet si le curcuma était utilisé pour teindre en jaune les tapa
indigènes, ses qualités aromatiques étaient également appréciées ;
le /’eka/ marquisien entrait dans une composition à base d’huile de
coco pour produire le /pani/ dont s’enduisaient les /ka’ioi/, ces
jeunes libertins qui menaient une vie très libre.
Jouir de la vie et amuser le peuple était leur occupation principale.
La compagnie des /karioi/, ‘arioi à TAH, ka’ioi aux MARQ, dont
l’origine remonte à la période pré-européenne et qui a disparu peu
après l’instauration du christianisme était installée dans certains
archipels (leur existence n’a pas été attestée par exemple dans l’archipel hawaiien ni dans celui des Australes). Ces « francs-maçons »
polynésiens, comme les a appelé Tregear se composaient «
d’hommes et de femmes d’un aspect agréable et qualifiées dans les
iles de la Société de feia purotu, personnes gracieuses » (Teuira
Henry : 241). Véritables baladins, ils se produisaient dans des fêtes
somptueuses auxquelles participaient les populations locales qui
souvent régalaient d’ailleurs19. Aux Marquises, « des troupes spéciales de bouffons appelées hoki recrutées en grande partie parmi
les ka’ioi, parcouraient les iles donnant des représentations de
danses, pantomimes et acrobaties. » (Rollin : 84).
A Tahiti comme aux Marquises, les /karioi/ se livraient à « toutes
pratiques licencieuses » que ne manqueront pas de condamner les
missionnaires : « les épouvantables dépravations et les actes de
corruption plus que bestiales auxquels ils se livraient parfois, doivent rester dans l’ombre » (Ellis : 163).
Rappelons qu’il existait chez l’homme polynésien d’avant le Contact,
le temps de la beauté (en tongien un beau jeune homme était /te
toulekaleka/), le temps des plaisirs et le temps du libertinage : aux
Tuamotu /te taurekareka/, à Tahiti /te taure’are’a/. Comprise entre
19 Dans Les dépouilles des dieux (édité par Maison des Sciences de l’Homme Paris 1995), Babadzan raconte la
naissance de ce mouvement et en donne un sens différent de ceux habituellement fournis sur la célébration des
seuls élans libidineux.
51
la petite enfance et l’âge adulte cette tranche de vie pourrait être
qualifiée de temps de la jouvence et du divertissement.
La confrérie des /karioi/ est-elle née du désir d’une élite de perpétuer ce temps du divertissement et de la jouvence ? C’est une hypothèse séduisante. Rappelons que dans l’archipel de la Société ces
jouisseurs sacrifiaient au dieu « Oro plus beau que tous les fils des
hommes et éternellement jeune » (Henry : 238), ce dieu qui promettait un paradis après la mort, « paré de fleurs de toutes formes
et de tous coloris et parfumé des senteurs les plus agréables où
tous les genres d’amusements auxquels les ‘arioi avaient été habitués sur la terre étaient à leur disposition » (Ellis : 164).
Au sein d’une société polynésienne verrouillée par de nombreux
interdits, au contact d’une communauté d’hommes et de femmes
dont chacun des actes de la vie était réglé depuis la naissance
jusqu’à la mort, la confrérie des /karioi/ avait sans doute sa place
comme une sorte d’exutoire. Cet équilibre sera rompu, paradoxalement par ceux-là mêmes qui apportaient des idées toutes neuves de
paix et de justice, et qui vont bousculer les esprits en voulant chavirer les idoles, afin de façonner une pensée nouvelle où sexe et joie
de vivre seront canalisés sinon bannis. Mais ce n’est pas aujourd’hui
notre propos.
Faut-il se prononcer formellement sur la relation obligée entre les
termes /renga/ /reka/ et /karioi/ ? Certes non. Notons toutefois
avant de terminer sur le sujet ces deux expressions marquisiennes
relevées par Handy : le /hami pipi/ était un pagne réservé au
/ka’ioi/, teint en jaune au /’eka/ et parfumé.
Le /’eu’eu pipi/ était un pagne féminin teint également en jaune
/’eka/ mais réservé à la jeune fille nubile, c’est à dire la jeune fille
faite femme apte à goûter aux plaisirs et aux devoirs des adultes.
164 - good - Mei - /meita’i/ - bon 165 - wicked - whahai - /hae/ /hahae/ - mauvais, malicieux Dordillon atteste seulement de la base lexicale /hae/ mais on
retrouve /hae/ = /hahae/ en pays maori de Nouvelle-Zélande avec
la même acception.
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166 - poor, or a poor creature, or a wretch - Kikino - /kikino/ pauvre, misérable Terme rédupliqué du prototype /kino/mauvais/. Il indique un état
d’infériorité et désignait aux MARQ la plus basse classe de la
société.
167 - handsome - metaki. - /Meitaki, meitani/ /meita’i/ - bon,
agréable, attractif Quelques décennies après le passage de Langsdorff ce vocable a
« perdu » la vélaire /k/ au profit d’une glottale, comme attesté par
Dordillon - La notation de Langsdorff /metaki/ désigne plutôt /le vent/.
168 - dirty - eëpo - /‘epo/ (e) - sale (c’est) - forme altérée de /repo/ 169 - high, tall - Oa. - /‘oa/ - long dans le temps ou dans l’espace 170 - very high, very tall - oä nui - /’oa nui/ - très long en taille et
dans le temps 171 - great, much - nui - /nui/ - grand, beaucoup 172 - very great, very much - nui-nui - /nuinui/ - considérable,
très grand 173 - great, long, or large - Hoa - /‘oa/ - long - paraît faire redondance avec /’oa/ (entrée 169) 174 - little - iti - /iti/ - petit, peu 175 - very little - Iti-iti - /itiiti/ - très petit, très peu 176 - light, not heavy - Eama - /e ‘aka’aka/ ou /e ‘ana’ana/ sa
variante, traduirait bien l’idée de légèreté; ce sont d’ailleurs deux
vocables attestés par Dordillon - mais peut-être faut-il rapprocher
le terme recueilli par Langsdorff du tongien /ma’ama’a/ léger en
poids/ ou de /mama/ reconnu dans d’autres aires PPO.
177 - to-day- kabo - /kapo/ - jour (partie du jour écoulée au moment
où l’on parle) littéralement bref moment que l’on conserve un instant, le temps d’un éclair, comme un objet attrapé dans la main.
178 - yesterday - enenahe - /inenahi/ - hier 53
Forme altérée du prototype /nanahi/ - la particule /i/ indiquant un
temps passé, accompli.
179 - this evening - achi-achi - /ahi ahi/ - soir 180 - this morning - oï-oï - /o’io’i/ - le matin Issu du prototype /ongiongi/ (en usage aux Tuamotu) – n’est pas
attesté par Dordillon qui donne la signification /demain/.
181 - early morning - oï-oï tika - /o’io’i tika/, /popou’i tika / - de
grand matin 182 - yes. This is often used as a question - Is it so ? - Ah. - /ae/interjection, dire oui 183 - no - aoë - /‘a’o’e/ - nier, non Forme érodée de /kako’e/ terme marquisien bâti à partir du prototype /kore/ auquel est préfixé la particule causative /ka/ (= haka)
- /kakore/ est attesté à RRTG avec la même valeur.
184 - still, silent - Tuitui - /tu’itu’i/ - silence (faites) Altération de /turituri/ attesté avec même valeur à MGRV, NZ, RRTG,
/kulikuli/ à HAW.
185 - a piece, or a part of any thing - pôôtônoa - /po’o tonoa/ - un
morceau, une portion, qu’on détache d’un ensemble Terme non attesté par Dordillon.
186 - how much - Ehia - /e hia/ - combien 187 - both of us, us two - tehua - /te hua’a / ? /te hu’a/ ? /’ua/ ? pour
signifier /la lignée/ ou /les testicules/ ou le chiffre /deux/ ? On ne saurait se prononcer tant l’acception en langue anglaise est sibylline ;
par ailleurs on remarque que Dordillon a curieusement noté le
terme /hu’a/ avec une glottale alors que ce terme largement
répandu dans les aires PPO n’en comporte pas.
188 - both - tau - /taua/ - deux - duel inclusif : vous et moi 189 - soon - eppo, or heppo - /epo/ - bientôt, dans peu de temps 54
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190 - principally - a-ï-ki, or e-ï-ki - /’a’iki/ ou /’e’iki/ - investi de
richesse Un homme riche est désigné par le vocable te /’a’iki/ qui désigne
aussi le /chef/ qu’on nomme aussi te /haka’iki/. Observons que te
/’e’iki/ non attesté par Dordillon se trouve dans le vocabulaire de
TONG avec la même acception.
191 - where - thea - to hea - d’où 192 - wherefore, why - ehata - /e aha/ - pourquoi, pour quelle
raison La notation de Langsdorff /ehata/ est à rapprocher du vocable
maori NZ / e ahatanga/ /what of that ? /.
193 - come hither - itamâi, bimai, ïutamai - /iutamaita’amai,
pi’imai, i uta’imai/ - viens ici, suis moi 194 - enough - etoe - /e toe/ - assez, suffisant 195 - an exclamation, an expression of astonishment - ehôôôh -
/hahao/ ? signifiant l’agacement 196 - lame - cowi - /kovi/ - lépreux Dordillon signale /teki/ pour désigner une personne qui boîte - on
peut supposer que l’informateur dénommait à Langsdorff un
lépreux dont la maladie avait gagné les membres inférieurs ce qui
le faisait claudiquer - voir entrée 229 -.
199 - cold - eanu - /e anu/ - il fait frais -
Verbes et expressions verbales
200 - to bring, bring me - tukumai - /tuku mai/ - apporter 201 - to burn, to set on fire - etutu teahi - /e tutu i te ahi/ - allumer
le feu 202 - to fasten, to tie on - ahumu - /a humu/ attache ; c’est lier les
choses comme les gens, car /te humua/ désignait une personne
captive 55
203 - fasten the skull to the hip - ahumu te opogo têhôbë. - /a
humu te upoko i te hope/ - fixe le crâne à la hanche. Voici ce que
Langsdorff raconte sur le sujet :
« …le guerrier ou le héros qui tue un ennemi a sa tête en butin ; il
la détache du corps et sur le champ il ouvre le crâne et consomme le
sang et cerveau. Le crâne parfaitement nettoyé est ensuite affublé de
moustaches faites de soies de porc et la mâchoire inférieure est fixée
adroitement avec de la cordelette faite de bourre de coco. Ainsi paré
l’objet est porté à la ceinture. C’est pour son propriétaire un signe
extérieur de distinction et de bravoure. Durant notre séjour nous
avons eu l’occasion plusieurs fois d’examiner ces crânes… »
Rappelons que de son vivant la tête de l’homme polynésien, partie
noble par excellence est tapu. Nul ne songerait à enfreindre cet
interdit comme simplement caresser la tête d’un enfant.
204 - to eat - akaï - /e kai/ - manger 205 - give me to eat - akaï maï - ‘a kai mai - donnez-moi à manger 206 - is it so ? is it true ? - ehoi - e ho’i - Assurément oui Issu du prototype /hoki/ le vocable marquisien s’est glottalisé
comme en reo Tahiti. A noter le quiproquo entre le terme marquisien formulé à la forme affirmative et sa traduction étrangère devenue une locution interrogative.
207 - to catch, as in a snare or trap - amu - /hamu/ - attraper
comme dans un piège. Non attesté par Dordillon on retrouve dans
le vocabulaire tongien le même vocable /hamu/ pour /saisir vivement par la force ou capturer/.
208 - to make fire, by friction - eiaka teahi - /E hika i te ahi/ - Faire
du feu par friction. Le lecteur curieux, lira ou relira Taïpi de
Herman Melville qui décrit avec justesse le déroulé de cette opération (p. 160 coll. Folio chez Gallimard). Sur le sujet, mais aux
Tuamotu cette fois, un autre texte plein d’intérêt, accompagné de
photos de Eric Conte et Jean Kape a paru dans le N°222 du Bulletin
de la Société des Etudes Océaniennes.
209 - to fight - toua - /toua/ - être en guerre, se disputer 56
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210 - to catch with the hand - aheke - /a heke/ - pêcher à la main Une technique de pêche qui serait connue aux Marquises, aux
Tuamotu et même en pays maori de NZ consistant à piéger le poisson dans un conduit naturel en forme d’entonnoir puis de l’attraper
à la main.
211 - to join noses, the substitute for kissing - ehoni-teihu,
onaichu - /e honi i te ihu/ Se saluer aile du nez contre aile du nez, un rite de politesse ancestral peu répandu aujourd’hui dans le Triangle polynésien. Issu du
prototype /hongi/ dont il a gardé le phonème résiduel /n/.
212 - to laugh - bucata, whacata - /pukata, hakata/ - rire Termes non attestés par Dordillon.
Bâtis à partir du prototype /kata/ le rire/ ces deux formes de
construction sont originales ; /pukata/ littéralement /instrument à
produire des rires/ est une variante de /whakata/ ou /fakata/
/hakata/.
La forme /hakata/ nous semble plus indiquée à Nuku-Hiva.
Dordillon note /kakata/ qui révèle une altération du préfixe causatif
/haka/ (hakakata).
213 - let us see - aï - /a a’i/ - observons - du prototype /aki/ 214 - let me alone, said in anger - tume aha - /tuma, tuuma/ courroucé, en colère 215 - to love - nau - /nau/ ou /na’o/ - aimer 20Vocable non attesté par Dordillon sous cette forme ; mais peut-être
est-ce une mauvaise transcription de /hinena’o/ aimer, chérir/. Ce
terme serait issu du PPN /hinangâro/. On voit bien alors les classiques altérations : voyelle ouverte remplacée par une voyelle semiouverte, changement de lieux d’articulation des phonèmes /ng/ —
> /n/ et /r/ —> glottale.
20 Tilesius rapporte que durant son court séjour à Nuku-Hiva, von Langsdorff se serait fait tatouer sur le bras un
motif marquisien signifiant amour, affection passion : /hinena’o/
57
216 - to deposit in the earth, to inter - etomi - /tomi/ - ensevelir,
couvrir Avant le Contact le défunt était enveloppé dans un suaire en tapa
avant d’être installé dans le /vaka ha’e/ sur une plateforme de
sépulture. Avec la venue des Européens le rite va changer peu à peu
avec la mise en terre du défunt. Or l’étymologie de /tomi/ atteste
plus de la coutume ancienne : /to/ masser/ et /mi ou mira/ gâté
corrompu/. Radiguet (pp. 209-213) donne une fidèle description
de massage du mort avec des huiles parfumées, des mois durant.
217 - to fetch, fetch it for me - atu utio-oë - /a tu’u iho i ‘a’o/ apporte, transporte (en bas)
218 - to cough - ehapu - /e hapu/ - tousser 219 - to be hungry - eone - /e one/ - avoir faim - du prototype /onge/ 220 - to scratch - tube - /tupe’e/ - gratter, racler, égratigner On retrouve ce terme en reo Tahiti. Davies en donne une définition
emplie de poésie et non moins savoureuse : « /tupere/ espèce particulière de coquillage auquel on rendait un culte dans certaines îles
car il était réputé être l’outil des dieux de l’au-delà qui grattaient
l’âme des hommes en guise de nourriture. »
221 - to fly - eohna - /e ona/ - voler, sous entendu dans les airs Un terme peut-être en relation avec /kona/ utilisé à Anaa pour désigner /une saute de vent/ et /’ona/ noté en reo Tahiti par Davies pour
désigner /une petite brise/.
222 - let us be friends - mitaï ane-u-tau - /Meita’i a’e ‘otou/ ? Soyons Amis On observe l’emploi de /ane/ (phonème /n/ en usage habituel dans
le groupe SE dira Dordillon) qu’on devrait lire théoriquement /ake/
ou /a’e/, cela tend à montrer s’il en était besoin la libre circulation
entre le groupe d’îles du SE et celui du NO et les emprunts dans la
langue de l’autre.
223 - to be afraid, to have fear - hametau oë - /ha’ameta’u ‘oe ? as-tu peur ? Construit à partir de /hakamataku/.
58
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224 - I am not afraid - aoë hametau aü - /’ao’e ha’ameta’u au/ - je
n’ai pas peur 225 - follow me - mamûï maï - /mai ma mu’i/ - Suivez-moi 226 - to give - tuke mai - /a tuku mai/ - donnez-moi 227 - give me something - tukemai taitai - /a tuku mai titahi
vahaka/ - donnez-moi une portion de quelque chose 228 - to bear, to bring forth a child - aïa teama - /’a ha’i i te tama/
- porter un enfant, pour une femme enceinte - construction à partir
de /ka haki/ - cette locution paraît obsolète et l’on dirait plutôt
d’une femme grosse sur le point d’accoucher qu’elle est /hakaka/
ou /kokaha/.
229 - to be lame - mohoi cowi - /mohoi/ - /covi/ - la lèpre, être
lépreux La traduction /être éclopé/ dépeindrait avec justesse l’état du malade
atteint de cette affection. « La marche du kovi est lente mais une fois
développée, il est rare qu’il s’arrête dans son aggravation, et après
quelques années s’il n’a pas enlevé les malades, il les laisse… privés
de plusieurs parties de leurs membres », commentaire de Lesson,
médecin militaire du détachement français en 1840 (BSEO 216).
Notons la présence du glide qui pose interrogation comme évoqué
précédemment /cowi/ vs /covi/.
230 - this is good - mei tahi mitaki - /meita’i, meitaki/ - bon,
agréable Si Langsdorff a observé les deux formes, Dordillon un demi-siècle
plus tard ne retiendra que la forme érodée.
231 - to hold as a vessel holds water - koiteima - /koi i te ‘ima/ littéralement /façonner la main afin de puiser de l’eau/ 232 - to take hold of - akaëa - /hakahae/ - agacer, provoquer, mettre
en colère 233 - to descend a hill - amaï aheke - /’a mai ‘a heke, ‘a he’e/ - venir
vers le sujet en direction de l’océan, c’est à dire de haut en bas 59
234 - to ascend a hill - amaï ahiti - /‘a mai ‘a hiti/ - monter, venir
vers le sujet dans la direction montagne 235 - to break - wiwah - /vahi/ - briser, séparer en deux 236 - to break any thing in pieces - wiwah ïaoë - /vahi ia ‘o’e/ Mettre en morceaux. Il faudrait sans doute lire /mettre en morceaux
par torsion de la chose/ puisque /’o’e/ est issu de /rore/tordre/.
237 - to cut down - koti - /koti/ - partager, couper 238 - let us cut down trees or make wood - koti te wahie - /koti
the vehie/ - couper du bois de chauffage 239 - to bite - anê-nahu - /’a nanahu, ‘a nenahu/ - /kakahu/ - mordre, couper avec les dents Terme construit à partir du PPN /ngau/ ou /ngahu/ rédupliqué en
ngangahu/. On remarque dans la variante /kakahu/ la substitution
du phonème /ng/ par le phonème /k/, opération habituelle dans la
langue des Marquises du NO.
240 - bite a piece of swine’s flesh - ane-nahu te buaca oë - /’a
nenahu te puaka ‘o’e/ - déchirer de la viande de porc avec les dents 241 - to cool, to make an air with a fan - tahi te tukuanu - /tahi’i
te tuku anu/ - ventiler, rafraîchir Littéralement, agiter l’éventail pour produire de la fraîcheur.
242 - take a fan to cool yourself - ata oë tahi maï oë te tukuanu /’a ta ‘oe tahi’i mai ‘oe te tuku anu/ - prenez un éventail et
rafraichissez-vous 243 - to scrape to pieces - awau - /’a va’u/ - réduire en menus morceaux, raper - issu de /varu/ 244 - scrape cocoa-nuts, and press out the juice - awau oë teehi
ooë toco ehi - /’a va’u ‘oe i te ‘ehi, e ooi te ‘ehi/ - rapez le coco
et extrayez le jus de la pulpe 245 - to sail - wate-e - /’a te’e/ - issu de /tere/, naviguer, voyager 246 - the ship has sailed away - te waka wate-e - /ua te’e te vaka/
- le navire a appareillé 60
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247 - to shorten, to cut a piece off - kokô oti pôôtonôa - /kokoti
poto noa/ - raccourcir un vêtement 248 - to undress, that is, to unbind the cloth worn round the
waist. - atô te kachu - /’a to i te kahu/ défaire un vêtement.
L’utilisation de l’expression /’a taki i te kahu/ serait sans doute
mieux adaptée ; mais l’emploi ici de /to/ (non attesté par Dordillon)
dans le sens /d’étiré, allongé, détendu/ (TUAM et RRTG) est intéressante et montre bien l’idée du locuteur pour qui /to/ est, sous forme
de périphrase : défaire son vêtement (pièce de tissus enroulé à la
taille passant dans l’entrecuisse), se défaire de son /kahu/.
249 - to arrive at a place - watata - /ha’atata, fa’atata/ ? - /’ua
tata/ ? - se rapprocher d’un lieu, d’une destination 250 - a ship is arrived - te waka nui watata - /’ua tata i te waka
nui/ - le bateau est près d’arriver 251 - answer me - apea maï oë - /’a pe’au mai ‘oe/ - répondez-moi On note que /pe’au/ issu de /parau/ a subi les deux accidents classiques aux Marquises du NO : emploi de la voyelle semi-ouverte /e/
et glottalisation du phonème /r/ 252 - to be hot - kaï-kaï - /ka’i ka’i/ - ulcérant, pour parler d’une
plaie ou d’une blessure Ce terme rédupliqué viendrait du prototype /kari/ qui a la même
acception à Mangareva 253 - to awaken - u-a-aï - /’u ‘a’a/ - du PPN /kara/ - être éveillé, ouvrir
les yeux vers quelque chose - on peut penser à une traduction
anglaise impropre et lui substituer /to awake/ s’éveiller, au sens propre ; mais ce vieux vocable anglais /to awaken/ a ici toute sa place.
254 - to cut out - ehu - /’ehu/ - se défaire, tomber en morceaux 255 - to hang up against the wall - ahiki tiûka - /’a hiki ti ‘uka/ suspendre Le choix de /hiki/ paraît singulier ce terme indiquant entre
autres sens la notion de /porter un enfant dans ses bras/ soit à
61
hauteur de poitrine. Sans doute que l’informateur ignorant un
vocable plus adapté comme /tautau/ accrocher au mur, suspendre/ aura construit une périphrase à partir de /hiki/ et de l’adverbe /’uka/ au dessus/ (issu du PPN /runga/), précédé de la
particule causative /ti/.
256 - to strike a light - apûhi teama - /’a puhi i te ‘ama/ - éteignez
la lumière 257 - to extinguish the light - matte teama - /ha’a mate i te ‘ama/ éteindre la torche, le flambeau 258 - to bathe, to wash - kaukau - /kaukau/ - se baigner, se laver En français comme en anglais ce sont des concepts voisins mais pas
identiques. Le Marquisien se baignait dans la rivière ou dans la mer,
mais c’est dans la rivière qu’on se lavait le corps. On comprend
mieux alors que les notions /se baigner et se laver/ si étroitement
liées dans le contexte marquisien soient rendues par un terme
unique /kaukau/.
259 - to invoque the spirit of a person, to which something is
offered - natetu - /natetu’u/ - invoquer les esprits. Ce terme est
noté deux fois par Langsdorff. Une première fois il est cité dans son
ouvrage pour désigner un bien qui a été ensorcelé. Il raconte qu’un
légitime propriétaire à qui on aura dérobé un porc domestique par
exemple fera jeter un sort sur le bien dérobé qui, enchanté, deviendra /tapu/ ; c’est une action de représailles dirigé contre le voleur
supposé qui ne manquera pas alors de tout abandonner honteusement, quittant biens et foyer.
« The swine that have been thus bewitched, ‘natetu’, must never be
killed. »
La seconde mention figure dans ce glossaire. Ce terme recueilli par
Langsdorff est vraisemblablement bâti à partir de trois éléments. La
marque grammaticale /nga/ érodé en /na/ dont la fonction dans le
mot serait de donner plus d’intensité à l’idée exprimée. On trouve
ensuite un mot outil /te/ claquer des dents d’un coup sec (Maori NZ),
montrer les dents (RRTG), faire des yeux ronds comme exorbités
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(SAM), formuler une complainte (HAW), claquer des dents en
émettant un son violent (TUAM /tete/ forme réduplicative), être
bruyant comme un orateur (TAH /tete/ forme réduplicative) et aux
MARQ /tete/ tremblement mais aussi montrer ou grincer des dents/.
Enfin on note la base lexicale /tu’u/ (corruption de /tuku/) qui en
marquisien comme dans la plupart des langues du Triangle polynésien peut signifier donner, offrir mais aussi pardonner, délivrer, rendre libre. (Te paepae tu’u était aux MARQ le support destiné à
accueillir une victime offerte aux dieux). On comprend mieux la
similarité existant entre le terme marquisien relevé par Langsdorff
/natetu’u/ et le vocable des Tonga /ngatetetu’u/ to be in confusion/. Le caractère incantatoire paraît évident si l’on se réfère au
témoignage de Radiguet :
« Un jour, ces cris sinistres de chat huant et de chacal vinrent me surprendre ; je me dirigeai vers le lieu d’où ils partaient, et j’aperçus une
famille, qui, profondément recueillie, semblait attendre quelque décision céleste. Un bruit de lutte se fit dans les broussailles voisines et,
peu après, je vis apparaitre un tahua 21, les bras en l’air, les cheveux
droits, l’oeil égaré, sanglant, les membres grelottants et les mâchoires
s’entrechoquant comme des castagnettes. Il s’approcha du groupe
anxieux et lui transmit un oracle. »
On notera pour conclure que le vocable marquisien noté par
Langsdorff au début du XIXè siècle n’est plus attesté quelques décennies plus tard, quand arriveront d’autres ministres du culte et leurs
codes de prière.
260 - to make, what do you make - ehata oë - /e haka ‘oe/ - quelle
action accomplissez-vous 261 - to make or build a house - ehata tehae - /e hata’a i te ha’e/ L’expression marquisienne relevée présente une plus grande
richesse que la traduction anglaise car elle sous-entend la notion
d’édification de la maison sur une levée constituée de pierres
assemblées le paepae. Propre à l’aire marquisienne cette technique
21 Lire /tau’a/
63
de construction sur une plateforme empierrée solidement permettait une mise hors d’eau de l’habitation et éloignait quelque peu
insectes et rongeurs nombreux.
262 - to come near - auhahaga pimâï - /’a ha’api’i mai/ - se rapprocher du locuteur Issu de /hanga piri/ faire que le sujet se rapproche au plus près du
locuteur/.
263 - what is your name - oaïtoiehoa, oaïtouhoa - /’o ‘ai to i’oa/
- /’o ‘ai to hua’a/ - quel est ton nom, quelle est ta famille Du PPN /ingoa/ —> /ikoa/ et /inoa/ —> i’oa - ce premier terme
est courant dans toutes les aires.
Le second terme mérite une attention particulière. Forme érodée du
PPN /huanga/ lignage, parenté/ l’expression relevée s’insère parfaitement dans le contexte polynésien 22. S’il est un maillon de la chaîne
de vie à qui l’on donnera un nom /te ingoa/ qui assure un statut
social, l’homme est surtout globalité : il est tout naturellement en
aval partie du lignage mais il est aussi et surtout partie prenante de
l’amont, domaine de ses ancêtres. En conséquence, il se doit de
connaître et conserver sa lignée, d’où l’importance dans la société
marquisienne d’avant le Contact du /tuhuna ‘o’ono/ le barde, sourcilleux protecteur du patrimoine qui enseigne chants et généalogies.
264 - to join cloth together, to sew - tuitui kachu - /tuitui i te
kahu/ - coudre 265 - take this away - akawe - /‘a kave/ - emportez ceci 266 - take this, accept this - aï-ïa - /eia/ - voici 267 - open the cocoa-nut - wahi teehi - /’a vahi ‘i the ‘ehi/ - ouvre
la noix de coco 268 - pack off, get you gone - ata oë - /ata ‘oe/ - allez-vous en 22 Dans l’archipel hawaiien on dit ola ka inoa quand le nom d’un ancêtre est attribué à un nouveau-né - littéralement /le nom est plein de vie/.
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269 - to pack up - appa - /apa e/ - adieu et bon vent 270 - to clean, to make white - tawaihe - /tava’i’e/ - blanchir une
étoffe Altération de /tavarire/ blanchir une étoffe, la rendre lumineuse.
271 - to call - apewau - /ape va’o/ ? - demander d’appeler /’a pe’au/ ? - , commander, ordonner, appeler fort Le premier terme /va’o/ de /varo/ /valo/ (appeler à la cantonade à
Tonga) n’est plus attesté par Dordillon sous cette forme.
272 - call the man - apewau-te-enata - /ape va’o i te ‘enata/ ? - /’a
pe’au i te ‘enata / ? - appelez l’homme 273 - to smell sweet, as a flower - kekau - /keka’a, kaka’a/ - sentir
bon 274 - to say - peau - /pe’au/ - parler, dire - de /parau/ 275 - I tell you - peau maï oë - /’a pe’au mai ‘oe/ - dites-moi 276 - I say - eata oe - /e aha ta ‘oe/ - Qu’y-a-t-il ? 277 - tell me the name of the country - ahaki maï oë te hennûah
öh - /’a haki mai ‘oe te henua o/ -Dites-moi comment s’appelle ce
pays 278 - bring me sand - tukumâi enutai - /’a tuku mai e kanatai/ apportez-moi du sel L’informateur a sans doute voulu dire apportez-moi du sable de mer
/’a tuku mai e onetai/ néologisme pour désigner le sel marin 279 - to be pregnant - etubutama - /e tupu tama/ - en état de grossesse 280 - to strike - pehi-pehi - /pehipehi/ - tapoter par petits coups 281 - to sleep - Emoë - /e moe/ - se reposer, se coucher 282 - sleep with me - emoë taua - /’a moe taua/ - Couchons ensemble, toi et moi – duel inclusif 65
283 - to snore - matekâühiemôë - /mataka’u hi’amoe/ - dormir
(avoir envie de), s’assoupir Ces deux termes accolés font redondance, sans doute à dessein
pour accentuer l’image ; la traduction anglaise /ronfler/ paraît inadéquate.
284 - to cut - kokoti - /kokoti/ - couper 285 - to cry out - wewan - /veva’o, vava’o/ - se plaindre en criant Intéressante transcription de Langsdorff qui a entendu le son /an/
proche phonétiquement de /a’o/ si le locuteur passe rapidement sur
la glottale.
286 - to sweat - tuchuanu - /tokohana/ - transpirer Attesté par Dordillon /tokohana/ c’est littéralement le /jaillissement/ /toko/ de la /chaleur/ /hana/. Le terme relevé par Langsdorff
(non attesté par Dordillon) est plein d’attrait, construit pour le
moins par un tuhuka ès-métabolisme ; en effet /tukuanu/ c’est
distribuer, procurer de la fraîcheur ; or s’il est banal d’avoir chaud
et de transpirer cette dernière action a bien un subtil effet régulateur de la chaleur au sein du corps humain.
287 - to swim - ekau - /e kau/ - nager 288 - It gives me pain - hemimaï - /e memae/ - cela me donne de la
souffrance (physique ou morale) 289 - to sit, sit down - Noho oë - /’a noho ‘oe/ - asseyez-vous 290 - to see - tioche - /tiohi/ - observer, regarder attentivement 291 - let us see - tioche aï-aï - /tiohi a’ia’i/ - regarder attentivement
avec l’intention de surprendre, de guetter - réduplication de /ari/—
> /a’i/ 292 - to sing - caba - /kapa/ « Chant païen » dit Dordillon dans l’édition de 1904, « espèce
23 te uta désignant un chant marquisien
66
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d’uta23, parole à double sens et mauvaise » (Dordillon éd.1931).
Alors tout est dit. Sans doute pas. Après examen étymologique du
vocable on peut observer qu’il recèle une notion bien particulière,
reconnue dans les aires du Triangle polynésien : c’est le battement
des ailes d’un oiseau. Les Polynésiens auront retenu cette image de
vie. Ils vont l’intégrer dans ce chant mimé qu’est la danse polynésienne, en codifiant le balancement des bras et le battement des
mains, les mouvements de la hanche et la flexion des jambes.
Ainsi Morrison (p. l86) précieux témoin à Tahiti, à la période du
Contact, nous parle de ce langage universel :
« …des femmes dansant la hura en battant la mesure avec différents
mouvements de mains et de pieds » ; il décrit leur costume et notamment « ces morceaux d’étoffe en plis réguliers bordés de rouge et
attachés de façon à imiter des ailes allant de la hanche à l’épaule ».
Dans Le troisième voyage de Cook édition française de l785 on
découvre en pl. 29 « Une jeune femme de O Tahiti dansant » qui
s’accorde tout à fait à la relation de Morrison.
Quelques décennies après Morrison, en pleine époque missionnaire, Davies recueillera pour /’apa/ « une façon d’utiliser les
mains dans les danses indigènes ».
A Rarotonga Savage parle de la danse /kapa/ comme étant en usage
autrefois dans son île : “the main movements were made by the
body from the hips, whilst certain exercises were performed by
the arms and hands, making graceful movements”.
Aux Tuamotu on retrouve les mêmes gestes, la même grâce. Selon
Stimson, à Vahitahi par exemple, la danse /kapa/ consiste à “to
dance while wiggling and twisting the body and gesturing with
the hands”.
Langsdorff décrit avec force détails la danse à Nuku Hiva ( :158) :
“The performers in the dances make many springs and pantomimic gestures, with quick movements of the hands and arms,
without moving much from one spot”.
Quelques années plus tard, Radiguet, observateur et poète nous
parlera aussi de cette danse des oiseaux mimée par de toutes jeunes
filles (p. l5l) :
67
« Dépouillant aussitôt leur manteau de papyrus24, qui tomba comme
l’enveloppe méprisée d’un bouquet, toutes ces fillettes enfilèrent à
leurs doigts des anneaux surmontés de plumes et de houppes de poils
blancs, puis elles firent à leur tour sautiller follement les aigrettes
légères. Celles qui occupaient la natte exécutèrent une danse qui
consistait à sauter alternativement sur chaque pied, les genoux en
dedans, les talons en dehors, avec des tressaillements de reins et des
tremblements de poignets de plus en plus accélérés. »
On notera encore que la langue marquisienne a conservé un terme
étymologiquement proche du prototype /kapa/ ; il s’agit de
/’apa’apa/ pour évoquer les ailes ou les pans d’un filet de pêche.
293 - sing something - caba maï oë - /kapa mai ‘oe/ - chantez
quelque chose (comme le mave mai par exemple).
294 - to sing as the priests over the dead - ewanahna - /e vanana/ c’est plus psalmodier que chanter Issu du prototype /vananga/ vocable fort pour désigner la connaissance la plus étendue, la plus protégée, qui devait être révélée sans
méprise.
295 - to spring, to leap - hobu - /hopu/ - plonger Terme non attesté par Dordillon, or on trouve /hopu /plonger aux
Tuamotu, à Tahiti, et à Rarotonga.
296 - to die - mate-matte - /mate/ - mourir, la mort 297 - to steal - makamu - /makamo/ - /kamo/ - être volé - voler,
dérober - être volé 298 - don’t make a noise - Maï nia te buaïna - /maniania te
puaina/ - arrêtez ce bruit C’est littéralement /une sensation désagréable à l’oreille/.
299 - to stink - tuchia - /tûhia/ - sentir mauvais 300 - to tatoo - pipikatu - /pipikatu/ - tatouer Le terme relevé par Langsdorff n’est pas attesté par Dordillon. Il est
24 Il faut sans doute traduire par tapa
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bâti à partir de /pipi/ (réduplication de /pi/) /infiltrer ou répandre
un liquide et /katu/ ‘onohu’u et ‘okohu’u/. On
note aussi combien est proche ce vocable marquisien de son homologue tongien /hongofulu/. Dans l’aire PPN on trouvera plutôt le
prototype /angafulu/ parfois altéré en /ngafulu/ —> /ngafuru et
ngahuru/ —> /’ahuru/. Ce vocable PPN n’est pas noté par
Dordillon alors que Forster (de l’expédition Cook) a relevé /bo
nahoo/ qu’on peut transcrire par /po nahu’u/, altération de /po
ngahuru/. Ainsi à la période du Contact on pouvait utiliser
- au NO des Marquises :
/’ongofuru —>’o’ohu’u/ issu du proto-tongien
- et au SE des Marquises (à Tahuata) :
/angafulu —> nahu’u issu du PPN 328 - twenty - itua fulu - /i tua fulu/ - vingt Le locuteur marquisien utilise la racine /fulu/ (à rapprocher du
tongien /uofulu/ vingt/) auquel est préfixé la particule /tua/, un
outil qui sert à dupliquer comme /tua ‘ua/ doubler/.
329 - thirty - tolu ongofulu - /toru ‘ongofulu/ —> /to’u ‘onohu’u/
- trente 330 - forty - fa ongofulu - /fa’ongofulu —> /ha ‘onohu’u/ - quarante 331 - fifty - hima ongofulu - /’ima ‘ongofulu/ —> /’ima ‘onohu’u cinquante 332 - a hundred - tehau - /te‘au/ - cent - de nos jours /hanere/ 71
Autrefois équivalent à 5 quarantaines aux MARQ SE et à l0 quarantaines au NO, la valeur de /’au/ est ensuite ramenée à 100 (époque
Dordillon) dans les deux aires. On retrouve le prototype /rau/ dans
la zone PPO avec la même dichotomie (HAW /lau/400/ - TAH et
RRTG /rau/200/). Par contre à RAPA NUI, fin XIXè siècle William
J. Thomson avait bien noté /ka rau/ pour /cent/.
On pourrait s’étonner de voir /cent/ traduit à Nuku Hiva par /te ‘au/.
On aurait du trouver 2 fois quarante + vingt : /e ‘ua touha me te
tekau/ ou 5 fois vingt : /e ‘ima tekau/ selon qu’on s’exprimait aux
MARQ NO ou aux MARQ SE.
Or le nombre /cent/ est exprimé /teau/ à Tonga un terme bien
proche de celui recueilli par Langsdorff. Faut-il alors considérer
/te/ comme un élément du syntagme le chiffre cent, ou /te/ est-il
agglutiné à /’au/ pour former un vocable nouveau ? La construction
du nombre suivant / ‘ua te’au/ deux cent/ laisse à penser qu’il faut
sans doute considérer /te’au/ comme un élément résiduel de l’aire
tongienne.
333 - two hundred - uatehau - /’ua te’au/ - deux cent Ce vocable n’est pas attesté par Dordillon qui relève /e ‘ua ‘au/.
334 - three hundred - tou-tehau - /to’u te’au/ - trois cent 335 - a thousand - a feï - /afe/ - mille Terme non attesté par Dordillon qui note pour les Marquises du NO
deux fois 400 + cinq quarantaines : /’ua ‘au e ‘ima touha/ selon
l’ancienne manière de compter. Non attesté dans les autres aires
PPO on peut situer au temps proto-tongien l’origine du vocable
/afe/ car usité dans les aires samoanes et tongiennes.
Constant Guéhennec
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74
Evolution de la représentation
cartographique
de l’île de Nuku Hiva
(Archipel des Marquises)
1791 – 1993
1
L’ensemble des îles que nous appelons aujourd’hui « Archipel des
Marquises » n’a pas été « découvert » en une seule fois. Le groupe
sud-est est connu des Européens dès 1595 grâce à l’expédition de
l’Espagnol Mendaña, puis recherché et redécouvert au cours de son
deuxième voyage par l’Anglais James Cook, en 1774. Il porte alors le
nom de « Iles Marquises » ou « Iles du Marquis de Mendoza ».
C’est seulement en 1791 que le groupe nord-ouest est aperçu puis
visité, d’abord en avril par l’Américain Joseph Ingraham, sur le Hope.
Bien que ne s’arrêtant dans aucune des îles, il peut en être considéré
comme « le » découvreur occidental.
Puis c’est, en juin, le tour du Français Etienne Marchand, capitaine
du Solide. Il met pied à terre à Ua Pou (vraisemblablement à
Hakahetau) et prend possession, au nom du roi de France, de ce groupe
d’îles qu’il nomme « Iles de la Révolution » (1ère carte). Le mercredi 22
juin 1791, il quitte Ua Pou (île que ses marins, en son hommage, ont
nommée « Ile Marchand »), pour rejoindre Nuku-Hiva, qu’il va
1 Les diverses cartes reproduites et commentées dans cette étude sont ramenées à l’échelle du croquis de Jouan
(carte no 7). - Les indications en anglais sur les cartes 2, 3, 4 et 5 ont été traduites en français par l’auteur ainsi
que les textes de Wilson et Alexander. - Quelques indications sur la présence humaine n’ont pas été transcrites
(cartes no 5, 7 et 8).
appeler « Ile Baux » (du nom des armateurs de son navire). Faute de
temps, il ne peut l’aborder. Il se contente de la contourner par l’ouest,
nommant la pointe la plus au sud « Pointe Marc » (il s’agit soit du cap
Motumano, soit du cap Tikapo) et la pointe la plus au nord « Pointe
Elysée » (soit Hinahaapapa, soit Teahuotu, d’après la carte I.G.N.
1992). Marchand situe la pointe nord par 8° 48’ de latitude sud. Il
estime que les coordonnées du « milieu de l’île » sont 142° 25’ ouest
(méridien de Paris-origine) et 8° 54’ sud. La carte de Nuku-Hiva qui
résulte de ces observations présente un contour ne correspondant à rien
de vraiment précis.
-IILE BAUX
OU DE LA
REVOLUTION
Nuku-Hiva est dénommée « île Baux », du nom de l’armateur du
Solide. Les toponymes « Pointe Elisée » et « Pointe Marc » tomberont vite dans l’oubli.
76
N°311 - Décembre 2007
CARTE
DE
- II HERGEST 1792
Nuku Hiva est dénommée « Ile Sir Henry Martin ». On y découvre,
nommés par Hergest : le port Anna Maria, la baie du Contrôleur et la
pointe Martin.
La deuxième carte donne une idée approximative des contours de
cette île. C’est la carte de Hergest, de passage sur le Daedalus en 1792
(mais sa carte ne sera publiée qu’en 1798 dans le récit de Vancouver).
Il nomme sa découverte « Ile Sir Henry Martin », et la pointe sud-est :
« cap Martin ». Il attribue à la baie de Taïpivai le nom de « Baie du
Contrôleur ». Il ne donne pas d’explication à cette appellation. Ce nom
restera en usage longtemps.
Si, sur cette carte, nous cherchons à déterminer les coordonnées
non pas du « milieu » de l’île, mais de la baie de Taiohae, que l’auteur
appelle « Port Anna-Maria », nous obtenons : 139° 40’ ouest (méridien de Greenwich) et 8° 55’ sud.
77
La troisième carte de Nuku-Hiva retenue dans cette étude est celle
du capitaine Wilson, commandant le Duff, de passage en 1797. Elle
apparaît dans le récit A Missionary Voyage publié en 1799. Le même
exercice sur les coordonnées donne 140° 1’ ouest et 8° 56’ sud. Voici
comment Wilson raconte son passage au large de Nuku Hiva :
« De la pointe nord de Trevenen’s Island [Ua Pou], nous fîmes voiles
N-E, parcourant vingt-quatre miles, jusqu’à un mile de la pointe S-E
de l’île Sir Henry Martin [Nuku Hiva]. Ce cap est une falaise élevée.
Sur son flanc ouest se trouve la baie du Contrôleur [baie de Taipivai],
large et bien abritée des vents dominants. A l’entrée, et près de Craggy
point [cap Tikapo], émerge un petit rocher [rocher Teotoka], qui a
l’apparence d’une petite embarcation. Au fond de la baie, nous vîmes
CARTE
DE
- III WILSON 1797
Wilson reprend les noms de Hergest : port Anna Maria
et baie du Contrôleur. Il fait apparaître des toponymes
à caractère descriptif ou indiquant une orientation.
78
N°311 - Décembre 2007
quelques maisons, un grand nombre d’habitants rassemblés sur la
plage, et plusieurs pirogues près d’eux, au sec. Toutes les vallées
débouchant sur cette baie semblaient fertiles, de nombreuses collines
étaient couvertes d’arbres, et les espaces intérieurs semblaient plus
habitables que partout ailleurs aux Marquises. A l’ouest de la baie du
Contrôleur se trouvait Port Anna Maria [baie de Taiohae], où le
Daedalus [navire de Hergest, de passage six ans plus tôt - tué à
Hawai’i -] avait jeté l’ancre ; plus loin autour de cette île, je pense
qu’il est hautement probable qu’il y a d’autres excellents lieux de
mouillage. Le capitaine New [Thomas New : commande le Daedalus
après la mort de Hergest] décrit ainsi les habitants : 'une belle race
d’humains, très accueillants et qui se montreraient très certainement
favorables à l’installation de missionnaires – sans compter les grands
avantages que présente l’île d’un point de vue naturel. Il n’était pas
loin de cinq heures de l’après-midi quand nous repassâmes au large
de Craggy Point, puis nous prîmes plein Sud, en route pour Otaheite
[Tahiti]'. »
En mai 1804, le commandant russe Lisiansky, sur la Neva, rejoint à
Nuku-Hiva Krusenstern, commandant russe à bord de la Nadeshda. Le
récit de Lisiansky n’est publié en anglais, qu’en 1814.
La carte de Nuku Hiva (n°4) reste approximative. On peut y voir
une légère ressemblance avec celle de Hergest.
Il est intéressant de noter que les quatre noms qui y figurent sont
des transcriptions de noms marquisiens :
– La baie « Tayohaia » est la baie de Taiohae.
– La baie « Houmé » est la baie du Contrôleur ; on reconnaît le
nom « Hooumi ».
– La baie « Hotisheve » pourrait être celle de Haataivea, ou peutêtre plus probablement celle de Haatuatua, que l’on voit parfois dénommée « baie de la Neva ».
– La baie « Jegawé » est la baie de Hakaui, que Krusenstern avait
nommée « Port Tschitschagoff » (en l’honneur, écrit-il du ministre de
la marine).
79
- IV CARTE
DE LISIANSKY
1804
En 1804, le Russe Lisiansky dresse une carte de Nuku Hiva (publiée
en russe en 1813 et en anglais en 1814) qui ressemble beaucoup
à celle de Hergest (publiée dans Vancouver en 1798). Le toponyme
Anna Maria est délaissé au profit de Tayohaia. Le toponyme
Contôleur est remplacé par Houmé. Sur la côte est, il mentionne une
baie Hotischeve. Au même moment, son compatriote Krusenstern
nomme la baie de Hakaui « port Tschitschagoff ». Lisiansky
nomme cet endroit baie Jegawe. (Le récit de Krusenstern est publié
en russe en 1813 et en français en 1821.) Le commodore Porter
(1813) ne dresse pas de carte de l’île qu’il nomme « île Madison ».
Il nomme la baie de Taiohae « Baie de Massachussets ». Il nomme
aussi, à l’entrée de cette baie, les deux îlots rocheux « sentinelle de
l’ouest » et « sentinelle de l’est ».
La cinquième carte a été publiée en 1934. Elle faisait partie des
papiers personnels du pasteur américain William Patterson Alexander, en
mission aux Marquises en 1832 (William Patterson Alexander in
Kentucky, the Marquesas, Hawai’i) et publiés par sa petite-fille. On y voit
la figuration des grandes vallées (avec les noms des tribus et le nombre
80
N°311 - Décembre 2007
estimé de leurs habitants, indications qui n’ont pas été reproduites ici). Les
coordonnées de Taiohae sont, par déduction : 140° 1’ ouest et 8° 56’ sud.
« L’arrivée des pasteurs américains à Nuku-Hiva
« Nous sommes arrivés à Uapou et avons attendu dans Duff’s Bay (...)
Mais le vent était fort et la mer très agitée, de sorte que nous ne pouvions aller à terre. Pensant que le vent et la mer pourraient être plus
favorables pour débarquer à Nukuhiva, nous en avons pris la direction.
De Uapou, nous pouvions la voir très distinctement ; elle en est éloignée de 27 miles plein nord. Au fur et à mesure que nous avancions,
Uahuga [Ua Huka], la plus orientale des îles du groupe Washington
[groupe N-O], apparaissait plus nettement à l’horizon. A 10 heures le
lendemain matin, c’est-à-dire le 24 octobre, nous jetions l’ancre à
Nukuhiva, dans la baie de Taiohae. Là, nous sommes restés trois jours.
Nous nous sommes entretenus avec les chefs et les hommes importants, et nous avons marché, montant et descendant dans les fertiles
vallées qui, partant de la baie, s’étirent loin entre les montagnes. »
-VCARTE D’ALEXANDER 1832
C’est une carte à rapprocher de celle de Wilson pour le contour et
la mention du promontoire en forme de tour, ainsi que du rocher
au large de cet endroit. Pour Taiohae, le missionnaire américain
reprend les toponymes de Porter, mais en remplaçant
Massachussets par Madison, nom attribué par Porter à l’île entière.
81
La cartographie scientifique de l’île ne commence vraiment qu’avec
la mission de l’ingénieur hydrographe de la Marine Clément Adrien
Vincendon-Dumoulin qui publie ses cartes à la fin d’un important
ouvrage : Iles Marquises ou Nouka-Hiva, en collaboration avec César
Louis François Desgraz, en 1843.
Les contours (sixième carte) se précisent, mais les échancrures de
la côte sont encore très atténuées. Seuls sont nommés le port Akani ou
Tchitchagoff, le port Taïo-hae ou Anna-Maria, la baie de la Neva, le Cap
Martin et trois vallées débouchant dans la « baie des Taïpis ou
Comptroller ».
Le relief se résume à une unique chaîne montagneuse culminant à
1170 mètres, orientée E-O. De cette chaîne partent des chaînons secondaires d’altitude décroissante jusqu’à la côte, séparés par des vallées.
Les coordonnées du fond de la baie de Taiohae : 142° 39’ ouest
(longitude de Paris) et 8° 57’ sud.
CARTE
DE
- VI VINCENDON-DUMOULIN, 1843
Deux nouveautés apparaissent : la baie du « Comptroller » est
aussi qualifiée de « baie des Taïpis ». La « baie de la Neva »
est peut-être la baie Hotischeve de Lisiansky.
82
N°311 - Décembre 2007
- VII CARTE
DE JOUAN,
1858
Cette carte diffère des précédentes par l’abondance de noms
marquisiens qui s’ajoutent aux noms européens. A partir de la fin
des années cinquante du XIXè siècle, la toponymie des côtes de
Nuku-Hiva est connue assez précisément pour ce qui est des sites
les plus remarquables, et elle ne va plus varier.
Une quinzaine d’années après le début de la colonisation, en 1858,
le lieutenant de vaisseau Henri Jouan, qui a exercé auparavant les fonctions de Résident dans l’archipel, publie une brochure, Archipel des
Marquises, dans laquelle il décrit ces îles et offre au lecteur un croquis
pour chacune d’elles.
Celui de Nuku-Hiva (septième carte) présente avec la carte précédente, outre une variante dans le nom même de l’île et ses coordonnées,
quelques différences notables.
La première est la reconnaissance de nombreuses échancrures
côtières : 18 sont nommées, ainsi que les deux grands caps ; au N-E, le
cap « Adam et Ève » et au S-E le cap « Martin ». Neuf points d’ancrage
sont localisés. C’est à bord de la Kamehameha, dont il était le commandant, que Jouan a pu effectuer tous ses relevés.
83
La seconde différence est que le relief, bien que simplement suggéré, reconnaît l’existence d’un espace central : Toovi, qui semble
entouré de chaînes montagneuses. Comme sur la carte précédente, on a
une indication d’altitude, sur la chaîne nord : 1170 mètres, mais ce
n’est pas le point culminant. A ce relief plutôt suggéré s’ajoutent la mention de cascades spectaculaires (660 mètres au fond de la vallée de
Hakahui) et le tracé de quelques cours d’eau aboutissant à la côte sud.
Enfin, le quart ouest de l’île est qualifié de « Terre Déserte ».
La troisième différence est l’apparition de signes précisant une présence « coloniale » : un drapeau pour la Résidence, deux croix (à
Taiohae et à Hatiheu) pour les Missions catholiques. Les coordonnées
du Fort Collet à Taiohae sont : 142° 20’ 20’’ ouest (longitude de Paris)
et 8° 55’ 15’’ sud2.
Le Lieutenant de vaisseau Henri Jouan, Commandant particulier à
Nuku-Hiva entre 1853 et 1856, décrit la baie de Taiohae (dans Archipel
des Marquises) :
« A peu près au milieu de la partie méridionale de l’île s’ouvre la baie
de Taio-Hae (appelée aussi port Anna-Maria, baie de Massachussets,
par Ingraham et Porter), où nous sommes établis. Qu’on se figure un
magnifique bassin de plus de deux milles de profondeur, circonscrit
par un amphithéâtre de montagnes aux formes hardies, que surplombe
le Mouake, grand rideau de colonnes basaltiques, montrant sur sa
crête comme deux embrasures de canon. La baie s’ouvre entre deux
îlots, les Sentinelles, dont l’une à l’ouest est un cône, avec des arbres
de fer rabougris. De l’autre côté, un peu à droite de l’îlot de l’est, on
voit se détacher en blanc, sur la falaise noire, une grande croix, dont
l’arbre serait horizontal, et les bras verticaux. Cette disposition est due
à un dyke qui est venu percer les couches de roches ; de loin, on dirait
une cascade qui tomberait à la mer directement du haut de la falaise.
C’est une très bonne marque pour reconnaître l’entrée du port. Arrivé
à la pointe Arquée, qu’on ne peut mieux comparer qu’à la queue d’un
monstrueux crocodile, repliée vers le sud, on voit d’abord la jolie chapelle et les bâtiments de la Mission catholique, puis, plus sur la droite, le
fort Collet, élevé sur le promontoire de Tuhiva, le pavillon des officiers,
2 Je n’ai pas reproduit sur ce croquis des chiffres (1 à 9) et des lettres (A à D) servant à localiser des groupes
humains par vallées, avec une estimation de population.
84
N°311 - Décembre 2007
l’hôtel du gouvernement au milieu d’un jardin qui s’arrête à une belle
plage de sable blanc, et quelques constructions en ruine. En suivant le
pourtour de la baie vers la gauche, on aperçoit auprès d’une pointe de
rochers noirs, une grande case avec un mât de pavillon ; tout autour,
il y a de grands arbres, au-dessus desquels des cocotiers élèvent leurs
têtes : c’est la demeure du roi Temoana. Près de là on remarque un
gigantesque arbre des banyans. »
CARTE
DU
- VIII STIELER’S HAND-ATLAS, 1887
En 1887, l’atlas allemand Stieler’s Hand-Atlas présente une carte de
Nuku-Hiva dans un cartouche d’environ 7cm sur 5cm (huitième carte).
Les Allemands s’intéressent de près à l’archipel. La S.C.O., Société
Commerciale de l’Océanie, solidement implantée à Hiva-Oa, est une
société de Hambourg. Voici ce qu’on peut lire sur elle dans le Journal
de la Société des Océanistes (n°17, 1961) :
« Société à actions, la Société Commerciale de l’Océanie a été fondée à Hambourg pour prendre en charge, en Océanie française, les
intérêts commerciaux de la société hambourgeoise Südseefirma Joh.
Godeffroy und Sohn. La Société commerciale devint l’établissement
85
le plus important de Tahiti et s’assura une part prépondérante dans les
activités commerciales de la colonie française. Elle possédait des
comptoirs, des plantations et s’occupait également de navigation. »
Cette carte, présentée en original à une échelle différente de celle
du croquis de Jouan, en est cependant la reproduction quasiment à
l’identique (on note une petite différence dans le tracé de la baie de
Hakaui). Les contours sont semblables, les noms retenus et les points
d’ancrage également. Le relief est figuré par des hachures. Les altitudes
sont en pieds. On voit apparaître les chaînes montagneuses qui délimitent le plateau de Toovi. Les coordonnées de Taiohae sont 140° 2’ ouest
(méridien de Greenwich) et 8° 56’ sud3.
- IX CARTE
DE L’ATLAS COLONIAL LAROUSSE,
1905
3 Les mêmes groupes humains sont mentionnés par des chiffres de 1 à 10, dans une répartition différente. Je ne
les ai pas fait figurer.)
86
N°311 - Décembre 2007
En 1904, l’Atlas colonial Larousse consacre une demi-page à l’archipel. L’île de Nuku-Hiva (carte n°9), à l’échelle 1/700 000è, a une
forme générale et des contours proches de ceux de la carte actuelle, et
donc de la réalité. On note cependant une régression simplificatrice
pour l’intérieur de l’île : l’espace central disparaît ; le relief se réduit à
deux chaînes montagneuses perpendiculaires, en « T » couché, délimitant à l’ouest une « Terre déserte » ; le plus haut sommet culmine à
1185 mètres. Les coordonnées de Taiohae sont : 142° 25’ ouest (longitude de Paris) et 8° 56’ sud.
La dixième carte paraît en 1927 dans le livre du religieux missionnaire catholique aux Marquises Siméon Delmas : La Religion ou le
Paganisme des Marquisiens. C’est plus un croquis qu’une carte, où
l’essentiel n’est pas l’exactitude cartographique, mais le caractère pratique des renseignements figurés : baies et points d’ancrage, points de
repère (« roche remarquable, galets, sable, cascades, sommets ») et
enfin chemins et églises. Les coordonnées sont celles de la carte n°9
(dans l’Atlas colonial Larousse).
CARTE
DE
-XDELMAS, 1927
87
- XI CARTE D’APRÈS L’ATLAS DE LA POLYNÉSIE, 1993
La onzième carte a pour base celle parue dans l’Atlas de la
Polynésie française en 1993. Elle est accompagnée du texte suivant :
« Nuku Hiva
Ile la plus vaste du groupe nord et de l’ensemble de l’archipel, Nuku
Hiva a une surface un peu inférieure au tiers de l’île de Tahiti, 339,5
km2. Elle mesure 27 km d’est en ouest, de 15 à plus de 20 km du nord
au sud. Massive, très montagneuse, elle culmine à plus de 1200
mètres. Les rebords successifs de caldeiras emboîtées qui se succèdent vers le nord en demi-cercles concentriques autour de la baie de
Taiohae, déterminent les lignes de relief les plus remarquables.
Séparées par des éléments de plateau (Toovi), elles dominent, surtout
à l’ouest, de vastes planèzes en voie de dissection (Terre Déserte). La
plus externe de ces crêtes porte les sommets les plus élevés (Tekao,
1224 m).
Le relief se complique au nord-est et à l’est où des arêtes secondaires
isolent des baies séparées par de longs promontoires aux formes
contournées (baies de Hatiheu et d’Anaho au nord, baie de Haatuatua
à l’est).
Au sud, les baies correspondent aux points bas des enclos volcaniques
successifs, comme la fameuse baie du Contrôleur, ou la baie très abritée
88
N°311 - Décembre 2007
de Taiohae au centre, ouverte dans une côte accidentée d’éperons
rocheux et précédée de nombreux îlots.
A l’intérieur de l’île comme sur les côtes, des abrupts de plus de 200
mètres marquent les bordures intérieures des caldeiras et la chute des
promontoires sur l’océan. »
Désormais, sur cette carte française, la longitude se rapporte au
méridien de Greenwich.
Michel Bailleul
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- Atlas Colonial Larousse, 1904, Paris.
- ORSTOM, Atlas de la Polynésie française, 1993, Paris.
89
Lettre de Kekela
La lettre de J. Kekela présentée ci-dessous avait été proposée, dans
sa version originale en langue hawaiienne, avec une traduction en
anglais et une ébauche de traduction en français, à notre ami Robert
Koenig par M. Barry Rolett, archéologue américain de renom. Elle fait
partie d’un ensemble de lettres du même auteur conservées à la bibliothèque du Hawn Children’s Society à Honolulu, dont la publication dans
leurs traductions en anglais est projetée.
On sait que c’est fin juin 1853 que, répondant avec d’autres missionnaires hawaiiens à la demande d’un chef de Fatu Hiva, Matunui venu
à Honululu dans ce but, le pasteur hawaiien J. Kekela s’est installé dans
cette île avec sa famille. A l’époque où il signe cette lettre, J. Kekela
réside à Puamau, à l’extrémité est de Hiva Oa, ayant dû quitter Fatu Hiva
à cause du changement d’attitude de Matunui. Il n’y a pas alors, aux
Marquises, d’autres missionnaires protestants que J. Kekela et ses compagnons hawaiiens.
Les lecteurs intéressés trouveront dans le bulletin de la SEO n°160161 de septembre et décembre 1967, un article de Jean-François
Vernier sur J. Kekela, et en particulier sur son intervention pour sauver
du massacre le second d’un baleinier américain, ce qui lui a valu de se
voir décerner la médaille du Congrès par le président des USA.
Pierre Romain
N°311 - Décembre 2007
Puamau, Hivaoa le 17 octobre 1866.
à l’attention
du Révérend L.H.Gullick1,
Recevez, vous et votre famille, mes salutations très chaleureuses.
Nous avons bien reçu votre lettre de février 1866, ainsi que les
journaux que vous nous avez envoyés depuis Tahiti. C’est avec une
grande joie que nous avons lu tout ce qui se trouvait dans votre lettre et dans ces journaux.
Tous les missionnaires de Fatuiva, Hivaoa, Uapou, et Uahuna 2
et moi-même sommes en bonne santé ; Laioha et les autres sont là,
deux d’entre eux étant d’ailleurs là depuis six mois. Vous avez peutêtre déjà reçu des lettres datées de mars, que j’avais confiées à un
baleinier en partance pour Honolulu sans escale. Vous avez sans
doute appris que Kaiheekai, l’épouse de A. Kaukau, a quitté son
mari, et qu’elle mène une vie dissolue avec la population de l’endroit
où ils vivaient ensemble. Kaukau est au désespoir : son épouse s’est
perdue dans le vice, puis son fils, le frère cadet de leur fille Sera qui
vit avec vous deux, est mort en se noyant dans la mer ; Kaukau n’a
pas assisté à sa noyade, car il était alors à Nuuhiva, et c’était Kaiwi
seul qui s’occupait alors de lui.
Il y a beaucoup de guerres à Fatuiva, ici à Hivaoa, et à Uahuna.
En effet, les combats continuent à Fatuiva, les gens de Oomoa 3 se battant contre ceux de Hanavave 4 et de Evaeva 5, et ça n’est pas près de
s’arrêter. Il y a eu des tués, et ceux qui, morts au combat, sont restés
aux mains de l’ennemi, sont mangés ou offerts en sacrifice aux idoles
muettes. Il y a actuellement une petite épidémie à Fatuiva ; c’est la
dysenterie hémorragique, 60 personnes au moins sont déjà mortes. Il
y a eu une guerre civile à Puamau, les combats ont commencé le
1 Le Révérend L. H. Gulick est très vraisemblablement un des responsables du Hawaiian Board of Missions de
Honolulu, qui assure le soutien les missionnaires hawaiiens des Marquises.
2 Aujourd’hui Fatu Hiva, Hiva Oa, Ua Pou, et Ua Huka.
3 Omoa, la vallée située au sud-ouest de Fatu Hiva.
4 Hanavave, la vallée située au nord-ouest de Fatu Hiva.
5 Vraisemblablement Ivaiva nui et Ivaiva iti, situés au nord de Vaitahu sur l’île de Tahuata, ce qui signifierait que
des gens de cette île combattent aux côtés de ceux de Hanavave.
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9 mai et se sont arrêtés le 17 août. Les deux chefs qui s’opposaient
étaient Maheate et Kehauomoea, et chacun avait de nombreux guerriers avec lui ; pendant cette guerre civile, des combats se sont
déroulés tout près de chez nous. Quelqu’un s’est introduit dans notre
maison, m’a arraché un de mes vêtements, et l’a emporté ; nous
connaissions cette personne, mais en temps de guerre, les visages
changent. Ensuite, mes chers animaux ont été tués par des bandes
de guerriers : mes deux ânes et une mule ont été tués à coups de
fusil et mangés par des guerriers. Quelques guerriers sont venus une
nuit pour tenter d’incendier notre vieille maison, mais grâce à ma
vigilance et à ma surveillance, nous nous en sommes sortis sains et
saufs cette nuit-là. Quelques personnes participaient à la surveillance, mais elles dormaient toutes au moment où le feu a été allumé
et j’étais le seul à être éveillé, et c’est ainsi que nous en avons
réchappé. A coup sûr, ce sont les pensées pernicieuses des gens qui
expliquent leurs actes maléfiques, et sûrement pas mes actes pour
leur résister. Je ne fournis pas le moindre début d’aide à une quelconque de ces bandes de guerriers, et n’ai donc évidemment aucun
lien avec leurs déprédations. Certaines personnes sont contre moi
mais d’autres, c’est différent, sont nos amis et veulent nous aider.
Certaines personnes sont aussi contre le missionnaire français 6 et
volent des objets qui lui appartiennent, mais il y a aussi des gens qui
l’aident. Malgré ces difficultés que nous rencontrons, nous ne nous
plaignons pas, et nous ne critiquons pas le Seigneur « Il est Celui
qui donne et Celui qui reprend; que son nom soit béni ! ».
6 Le missionnaire français dont parle J. Kekela exerçant son ministère à l’est de Hiva Oa, on peut en conclure que
c’est le père Adrien Sneppé, en religion père Eleuthère, qui, après être resté deux ans à Puamau, est installé depuis
1860 à Hanaupe, vallée située sur la côte sud de l’extrémité est de l’île, aujourd’hui inhabitée, mais dans laquelle
résidait alors une importante population. En 1866, la mission catholique des Marquises est dirigée par Mgr
Dordillon, vicaire apostolique des Marquises, évêque in partibus de Cambysopolis, qui réside à Taiohae. A Hiva Oa,
outre le père Eleuthère, la mission catholique comprend le père Jean-Marie Fréchou, en religion père Orens. Les
soeurs de Saint-Joseph de Cluny animent une école de filles à Taiohae et, malgré la réduction du nombre de postes
budgétaires effectuée par le gouverneur de La Roncière, elles viennent d’ouvrir une école annexe à Hatiheu, au
nord de Nuku Hiva ; les frères de l’instruction chrétienne de Ploërmel viennent de fermer, suite à la réduction du
nombre de postes budgétaires effectuée par de La Roncière, l’école qu’ils animaient à Taiohae, mais une nouvelle
école y sera ouverte en 1867 par Mgr Dordillon, sans financement public.
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N°311 - Décembre 2007
Des actes mauvais contre des gens de Dieu ne sont pas une
chose nouvelle, il y en a déjà eu dans les temps anciens : Caïn maltraita Abel, et Esaü Jacob ; Joseph, Moïse, Elie, Elisée, Daniel, JésusChrist notre Seigneur, Job, et beaucoup de gens pieux ; et la prophétie de Jésus à ses disciples : « A cause de mon nom, vous serez en
butte à l’inimitié de tous. »
Les gens de ces îles Nuuhiva sont comme un troupeau qui parcourt librement la campagne ; ils ne sont pas coléreux ou emportés
mais, dès lors qu’ils sont pourchassés et attachés avec des cordes, ils
deviennent très sauvages et prêts à attaquer. Quand on les entretient
de la parole de vie par Jésus-Christ, ils se mettent vraiment en colère,
prêts à réagir et à blasphémer.
Nous soignons leurs maladies et leurs faiblesses pour mettre fin
à leurs problèmes physiques. Ah ! s’écrient-ils « ces maladies qui
nous frappent, elles viennent de vous : la blennorrhagie, la syphilis,
les gonflements, mange7, la lèpre , et autres détresses du corps. »
C’est le même discours à propos de la terre : si elle est devenue
stérile, s’il ne pleut pas, si la sécheresse sévit, si les fruits des arbres
à pain tombent, c’est de la faute aux missionnaires. Les mouches qui
piquent, les moustiques, les puces sauteuses, les cent-pieds, ce sont
les missionnaires qui les ont apportés de Oahu dans leurs caisses.
C’est encore la même histoire avec le poisson : parfois, j’accompagne des gens du pays à la pêche, et s’ils n’attrapent rien quand je
suis avec eux, ils m’accusent, c’est moi qui fait fuir les poissons.
Ces maux qui nous frappent ne perturbent pas mon esprit, car
nous gardons espoir dans le Seigneur et dans sa parole : « Heureux
les persécutés pour la justice, car le Royaume des Cieux est à eux.
Heureux êtes-vous si l’on vous insulte et si l’on vous calomnie de
toutes manières à cause de moi. »8 Dieu nous met à l’épreuve de
toutes parts, et nous met à part, afin que le blé soit séparé de l’ivraie,
le parfum de la puanteur, et la vie de la mort.
7 Maladie non identifiée.
8 La citation de J.Kekela, qui est à l’évidence Matthieu 5-11 et 12, est traduite par la version qu’en donne la Bible
de Jérusalem.
93
Depuis le départ de John Ii 9, beaucoup de gens viennent à l’église,
et beaucoup aussi à l’école. Quand Kaiheekai a commencé à s’écarter
du droit chemin, les gens sont venus moins nombreux, et certains
n’ont pas hésité à dire : « Ah! nous pensions que Kaiheekai était réellement une femme pieuse, et nous voyons maintenant que ce n’était
que mensonges. » Tout cela fait bien obstacle à la mission divine.
Il y a un autre obstacle de taille à Puamau; c’est le missionnaire
français. La plupart des gens ont été attirés par de la marchandise. Les
gens vont souvent faire du troc avec le missionnaire papiste pour obtenir du tabac, du boeuf, des filets de pêche, des hameçons, et aussi du
tissu. Et quant à ceux qui ne viennent pas à l’église, ils n’obtiennent
rien ; de ce fait, les gens de Puamau se précipitent à l’église du missionnaire papiste, avec le but d’obtenir de la nourriture. Même mes néophytes y ont été attirés, parce que, moi, je n’ai rien à leur donner. La
richesse du missionnaire papiste est vraiment très grande, et il la distribue à Nahoe, Hanahi, et Hanapaaoa 10 pour recruter des néophytes.
Il n’y a pas plus de dix personnes qui participent avec nous aux
offices du Sabbat. Mais ces quelques personnes, elles valent mieux
que celles qui fréquentent l’église papiste, car celles-ci, ce qu’elles
cherchent, c’est de se remplir l’estomac. Alors que celles qui se joignent à nous, c’est par amour de Dieu et désir d’entendre la parole
de vie éternelle par la voix de Jésus-Christ.
Quel entêtement énorme à pratiquer la guerre et la danse chez
les gens de ces îles, alors que tout cela s’arrêtera un jour, c’est sûr, et
que tout sera alors dans les mains de Dieu « Il n’y a rien que vous
puissiez faire sans moi. » En avril 1866, Laioha et sa famille sont
partis de Hanahi, pour aller vivre à Uahuna, d’où ils nous ont écrit.
Des gens les rencontrent aux offices ou à l’école. Une guerre a éclaté
là où ils vivaient et il y a eu dix morts dans leur quartier.
Il y a actuellement un gouverneur français 11 en poste à Nuuhiva ;
il est déjà venu deux fois à Puamau en bateau, une fois en août, puis
9 Personnage non identifié.
10 Nahoe, Hanahi (Anahi) et Hanapaaoa sont situés à quelques kilomètres à l’ouest de Puamau, où réside J.
Kekela.
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N°311 - Décembre 2007
une autre fois ; en ce moment il est à Fatuiva, d’où il doit revenir
ici. Je vais déposer une plainte auprès du gouverneur français
contre les gens qui ont tué mes ânes et ma mule.
Le petit voilier qui nous appartenait à Kaukau et à moi a sombré à Tahuata ; il était mouillé à Ooma, mais pendant la nuit la
chaîne a lâché et il a disparu ; au lever du jour, Kaiwi et les autres
l’ont cherché ; il y avait bien deux personnes à bord, mais comme il
n’y avait pas de voiles, seulement un foc, il a été entraîné par le vent
jusqu’à la côte de Tahuata, où il a sombré.
Aberahama Natua12, le premier membre de l’église a Fatuiva, est
mort. Il est mort dans le Seigneur.
Je termine cette lettre pour la confier au gouverneur, car c’est
lui qui l’expédiera à Tahiti, et c’est en principe par cette voie qu’elle
vous parviendra.
Transmettez les salutations très amicales de Naomi et les miennes
à tous les missionnaires des Hawaii ; à nos frères de l’Eglise et à tous
nos amis. Priez bien le Seigneur pour nous. Que Dieu soit avec vous.
J. Kekela
P.S. Faites toutes nos amitiés à Maria et Susana. Naomi et ses jeunes
frère et soeur, Rahela et Ioane, sont en bonne santé. Naomi pleure en
pensant à Hanuela et Miss Ogden. Nos plus vives amitiés pour vous
tous en Dieu. Sincérement.
11 Le gouverneur français dont parle J.Kekela est le résident des Marquises, dont le siège est à Taiohae. Depuis
que Mgr Dordillon a été déchargé par arrêté de de la Roncière du 15 novembre 1865 des fonctions de directeur
des affaires indigènes, le résident est le seul à représenter l’autorité française aux Marquises ; il est officier d’étatcivil pour les Européens et, en application de l’arrêté du 19 mars 1863, juge de paix pour les affaires européennes.
Il dispose d’une brigade de gendarmerie composée d’un brigadier et de 3 gendarmes basés à Taiohae, dont l’existence a été confirmée par l’arrêté du 5 décembre 1864. Depuis juin 1866, le résident est le lieutenant de vaisseau
Laurent, précédemment résident des Tuamotu, nommé à ces fonctions par ordre du 26 avril 1866 ; il est arrivé à
Taiohae sur la goélette la Marquisienne, partie de Papeete le 8 juin, navire sur lequel il assurait les fonctions de
capitaine, car, propriété de la mission catholique des Marquises, il est alors loué par l’administration. Il est probable
que les déplacements de Laurent signalés par J. Kekela sont effectués par le même moyen, car le résident des
Marquises ne dispose pas à cette époque d’un bâtiment de l’Etat.
12 Natua, chef à Fatu Hiva, fut le premier baptisé par J. Kekela au cours de son séjour dans cette île.
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COMMENTAIRE
DE LECTURE
Crook enfin !
Le 15 novembre 2007, les éditions Haere Pō ont publié un ouvrage
bilingue dont le titre prestigieux magnifie leur riche catalogue : William
Pascoe Crook, An Account of the Marquesas Islands, 1797-1799 ;
‘William Pascoe Crook, Récit aux îles Marquises, 1797-1799’.
L’introduction de Greg Dening, l’avant-propos de Monseigneur HervéMarie Le Cleac’h, la note éditoriale de Robert Koenig, la biographie succincte de William Pascoe Crook signée Douglas Peacock, le discours
préliminaire de Samuel Greatheed, le rappel que fait le capitaine Wilson
de l’arrivée du missionnaire en juin 1797 constituent autant de prolégomènes peu banals. Le récit de Crook est suivi par plusieurs textes tout
aussi capitaux : Roberts sur la découverte des Marquises, Fanning sur
le passage du missionnaire à bord de la Betsy en mai 1798, la lettre que
Crook écrivit aux directeurs de la London Missionary Society le 23 mai
1798, les instructions que ces derniers donnèrent au capitaine Robson
pour le deuxième voyage du Duff (voyage qui tourna vite court suite à
son interception par un navire corsaire français en février 1799), les
deux témoignages de Robarts, le retour de Crook en Angleterre, le glossaire des tribus citées, la liste des noms mentionnés, celle des îles
connues des Marquisiens et l’index. Robert Koenig revient sur le manuscrit de la Mitchell Library dans l’édition française dont Monseigneur Le
Cleac’h en personne est non seulement le traducteur, mais aussi le transcripteur en marquisien moderne. Le soin d’illustrer le tout a été confié
avec bonheur à Andréas Dettloff. A l’approche des fêtes, quel cadeau !
Quel aréopage au service des Marquises !
N°311 - Décembre 2007
Il n’en fallait pas moins pour servir ce texte fondateur de l’ethnographie marquisienne où le lecteur averti retrouvera les sources les plus
sûres des rares ouvrages d’anthropologie consacrés à l’archipel et de
Typee. Né le 29 avril 1775 à Dartmouth, William Pascoe Crook n’a que
22 ans lorsqu’il débarque en baie de Vaitahu à Tahuata où James Cook
avait tenu à jeter l’ancre le 8 avril 1774 (Resolution Bay), sur les traces
de Mendaña (Madre de Dios sur Santa Christina en 1595). Crook est
accueilli par le chef Tainai dont le père, Honu, qui vient de mourir, avait
été l’interlocuteur de Cook. Il y restera 11 mois avant d’aller s’établir 7
mois à Taioahe sur Nukuhiva. Sa biographie en dit long sur son courage
et sa détermination.
Crook quitte les Marquises en janvier 1799 en compagnie du jeune
Timautete. Il est le premier émissaire du Duff à rentrer en Angleterre fort
de 18 mois de terrain. Sa mission a été un échec, mais quelle moisson
anthropologique récoltée par ce fort en langues qui parle couramment
tahitien et marquisien ! Les directeurs de la London Missionary Society
s’empressent de coucher cette expérience pionnière que nous livrent
aujourd’hui les éditions Harere Pō. Greatheed, Timautete (il meurt en
décembre 1800 !) et Crook se mettent immédiatement au travail. Ce
dernier épouse Hannah Dare le 12 mars 1803 à Covent Garden. Un mois
plus tard, le jeune couple part pour Sydney où, en novembre, il retrouve
les missionnaires qui ont abandonné Tahiti. Les Crook feront donc
l’école aux petits Australiens à Parramatta jusqu’en 1808. A la faveur de
la destitution de Bligh, alors gouverneur, Crook occupe le poste de chapelain colonial jusqu’en décembre 1810. Modiste de formation, Hannah
Crook ouvre boutique. Resté en contact épistolaire avec son ami John
Davies à Tahiti, Crook revient en Polynésie avec femme et enfants (six
filles et un garçon). Ils sont à Moorea en mai 1816. Crook se lance dans
la traduction en tahitien de l’Evangile de Luc en compagnie d’Henry Nott
et de William Ellis. Le Roi Pomare reçoit son exemplaire en 1818. En
avril, Crook s’établit à Paofai. C’est la valeur du port qui verra Papeete
gagner sur les marécages. Crook et Pomare sont proches. A la mort du
roi en décembre 1821, c’est Hannah Crook qui veille sur le petit successeur dont le décès prématuré installera sa sœur Aimata, Pomare IV, sur
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le trône. Fin 1823, les Crook partent à la presqu’île. Ce sera à Vairao
qu’une fois de plus, Crook bâtira église, école et hôpital. Il revient à
Tahuata pour une courte visite en 1825 et retourne à Sydney en décembre 1830. Hannah Crook y ouvre une école et meurt sept ans plus tard.
En 1841, Crook s’installe à Melbourne où il décède le dimanche 14
juin 1846.
C’est une île en proie à la famine et aux luttes inter-tribales incessantes que Crook vient d’adopter. Le cannibalisme élevé en ressort dramatique dans Typee est ici vécu. Mais il fait partie de la tradition au
même titre que tatouage et navigation et Crook n’en rajoute pas. Il est là
pour observer et témoigner. « La mort d’un tau’a semble toujours exiger un sacrifice humain et être par conséquent un signal infaillible pour
des batailles rangées ou des excursions de rapine. » Seuls les prêtres
consomment de la tortue, nourriture des dieux. La dent de cachalot,
comme à Hawai’i et en Nouvelle-Zélande, constitue l’objet le plus précieux. Les pirogues n’impressionnent guère le missionnaire anglais mais
ce dernier, en bon représentant de la nation qui règne seule sur les mers
depuis la Guerre de Sept Ans (1757-1763), comprend comment les
insulaires naviguent :
« Les alizés varient rarement de plus d’un point, soit vers le nord-est,
soit vers le sud-est ; cependant il arrive quelquefois, durant les mois
d’été, qu’il y ait quelques jours où des vents d’ouest soufflent avec une
certaine violence. C’est pourtant avec ces vents que les insulaires préfèrent naviguer, car ils sont quasi certains d’un vent d’est pour les
ramener chez eux. Ceci, mieux que toute autre circonstance connue,
permet d’estimer comme certain le fait que le peuplement des îles des
mers du Sud s’est étendu non pas d’est en ouest, mais d’ouest en est.
C’est de cette façon que les Marquisiens maintiennent une relation
entre toutes les îles de leur archipel. »
Du pur Tupaia éclairant Cook ! Robarts confirme à propos du
‘commerce’ du curcuma :
« Au cours des mois de novembre et décembre, leurs pirogues sont
préparées pour prendre la mer et ils guettent les vents d’ouest ; dès
que ceux-ci se mettent à souffler, ils s’en vont rendre visite à leurs
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N°311 - Décembre 2007
voisins des îles du vent (groupe Sud-Est). Ces derniers estiment ce
parfum si précieux qu’ils sont prêts à donner n’importe quoi pour en
obtenir, à savoir : de belles et grandes pirogues, des porcs vivants,
des herminettes de pierre, de grandes calebasses avec des couvercles
en bois sculptés, de jolis récipients de bois, des coffres massifs, taillés
d’une seule pièce dans un tronc et finement sculptés, des lances, des
piques de combat, des vêtements ou de grandes bandes d’étoffe. »
Bateaux et occidentaux croisent et se croisent déjà dans l’archipel
où l’ethnocide s’apprête à sévir. D’où l’immense valeur du témoignage
de Crook. Sa mission d’homme d’église a provisoirement failli, mais
quel anthropologue de terrain ! Louons les éditions Haere Pō d’avoir
mis ce texte au grand jour !
Serge Dunis
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des Bulletins de la S.E.O. :.............................................................. 200 000 FCP 1676 €
Ce numéro 311 du Bulletin de la Société des Etudes
océaniennes contient :
• Le lexique anglais – marquisien réalisé par Langsdorff
suite à son voyage aux îles Marquises en 1804 et surtout grâce à la présence contrainte et forcée à bord
de Kabris, ce Français devenu Marquisien. Ce document Langsdorff est présenté, traduit et commenté
par Constant Guéhennec.
• Une présentation par Michel Bailleul, de l’évolution
des cartes de Nuku-Hiva par différents navigateurs de
1791 à 1993.
• Une lettre de Kekela, missionnaire hawaiien aux
Marquises en 1866.
• Un commentaire de lecture de Serge Dunis de
William Pascoe Crook, Récit aux îles Marquises, 17971799 des Editions Haere Pō.
N° ISSN : 0373-8957
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 311