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N°305/306 - JaNvier/avril 2006
Bulletin
de la Société
des Etudes océaniennes
(Polynésie orientale)
N°305/306
Janvier / Avril 2006
Sommaire
Avant-propos................................................................................p.
2
Pape’ete de jadis et naguères
1ere Partie
A l’abordage du village de Pape’ete ...............................p.
5
2eme Partie
Au temps des maires des cent premières années
de la commune de Pape’ete (1890-1990) .....................p. 103
Commentaires de lecture
Jean Guiart
The sweet potato in Oceania, a reappraisal .........................p. 192
Serge Dunis.
Lecture anthropologique des Gauguin
de Raphaël Confiant et de Mario Vargas Llosa......................p. 204
Avant propos
Chers amis,
Ce numéro de notre bulletin est rempli de bonnes nouvelles.
La première est que le ministre de la Culture, Tauhiti Nena,
a rétabli à deux le nombre de nos représentants au conseil d’administration du musée de Tahiti et ses îles. Réjouissons-nous !
La seconde est que notre amie Liou Tumahai a offert à
notre Société de précieux documents venus enrichir notre patrimoine bibliographique. Qu’elle en soit remerciée.
La troisième est que votre comité de lecture rassemble ici
les écrits que Raymond Pietri, éminent membre de la Société,
a rédigé au cours du temps, sur Pape’ete, fondée par le pasteur
Crook en 1818 qui l’avait nommée Wilks Harbour.
Il nous emmène en différents chapitres, les uns très courts,
les autres plus étoffés, dans une prose toute personnelle, à travers les péripéties qui ont émaillé l’histoire de Papeete jusqu’en
1990. Il nous restitue la mémoire de personnages qui en ont
marqué les différentes périodes. Nous pourrons constater que,
hormis Taura’atua i Patea dit Tātī, Pōmare, Poroi, Pouvāna’a a
‘O’opa, Teariki, Temaru…, les acteurs sociaux et politiques
portent rarement des noms polynésiens. Prédominent les noms
d’assonance anglo-saxonne et française, voire chinoise. Et ce,
même aujourd’hui où ce sont les descendants de missionnaires
et d’aventuriers, de colons de la première heure, de voyageurs
ou d’arrivés plus récemment qui s’imposent sur la scène de
notre théâtre quotidien. Que l’on partage ou non ses points de
vue, Raymond Pietri participe au traitement de l’amnésie polynésienne.
Nous avons aussi le plaisir de vous présenter les commentaires de lecture du professeur Jean Guiart sur l’ouvrage collectif : La Patate douce.
Avec Lecture anthropologique des Gauguin de Raphaël
Confiant et de Mario Vargas Llosa, le professeur Serge Dunis
nous commente Le barbare enchanté, de Raphaël Confiant,
roman Écriture, 2003 et Le Paradis – un peu plus loin, de Mario
Vargas Llosa, roman Gallimard, 2003.
Bonne lecture
Simone Grand
Tahitienne préparant du bambou pour tresser des chapeaux
Pape’ete
de jadis
et naguères
1
1ERE PARTIE :
a l’abordage du village
de Pape’ete
1
N.D.L.R. « Dans les dictionnaires, à l’entrée « naguère », le grand Robert stipule : « l’orthographe naguères est vieillie » ; le petit Larousse signale : « On a écrit aussi naguères » et
Hachette : « Pour n’a guère(s) : il n’y a guère »…
Le poète Paul Verlaine ayant marqué de son empreinte notre époque scolaire par son titre
de poésie « Jadis et naguère » et notre livre de classe « Littérature Calvet » évoquant l’utilisation de « naguères » qui perdurait en poésie, cette réminiscence permissive a incité l’auteur à utiliser cet archaïsme dans le contexte « rétro » d’un essai de prose poétisée. Point
final. » (V.R. Pietri).
1. rêveries préliminaires rétro
Dans la migration des intrépides Polynésiens – à bord de longues
pirogues doubles, taillées pour lutter contre vents impétueux et flots
tumultueux, après avoir embarqué femmes, cochons et dieux, pour progresser de siècle en siècle à travers l’immensité de Moana Nui – la
science archéologique-linguistique-ethnobotanique-ethnozoologique fait
débarquer les premiers habitants de Tahiti et des îles alentour entre les
ans 300 à 900 après Jésus-Christ2. Partis peut-être d’un point vague au
Sud du fleuve Yang Tsé Kiang, avec un jalon d’accostage à Shomon au
Japon (le carbone 14 de l’ORSTOM, plus le faciès pigmentaire des habitants attestant ce passage), le Grand Océan a éparpillé les survivants des
mers, anciens continentaux devenus insulaires.
Imaginons une telle pirogue qui, la première, aura pu « beacher »
sur la plage divisée par l’embouchure baladeuse de la rivière Vai-’ava, en
un lieu aujourd’hui occupé par les trottoirs asphaltés du bloc TiareSocrédo vers la Banque de Polynésie – peut-être que la plage se trouvait
là où est aujourd’hui implantée notre Mairie nouvelle, puisque les enfonceurs de piliers y ont rencontré une bonne couche de sable…
Cette pirogue aura pu entrer dans le lagon par l’une des passes de
Ta’a-puna, To’a-atā ou Tau-noa, ou en ayant frôlé l’îlot lagunaire de
Motu-Uta après avoir franchi, portée par une ample houle, le récif NordEst aujourd’hui super-élevé par la digue protectrice de l’ogre Port autonome, sinon en ayant passé par-dessus le récif Ouest, de Motu-One vers
la Pointe Tata’a, abritant aujourd’hui l’aérodrome international Louis
Castex inauguré en mai 1961 par le Gouverneur Aimé Grimald,3 dont les
extractions de Punaru’u ont phagocyté Motu-Tāhiri…
Imaginons la sensation du premier découvreur māori posant le pas
sur cette plage de Vai’ete par un matin ensoleillé, ou par un jour finissant
très pluvieux ! L’imagination peut aussi faire arriver le premier occupant
à pied par l’Est, si les premiers-futurs Mā’ohi, hâlés d’écume de mer et
exténués par de longs voyages, avaient touché terre du côté sans récifsbarrières par une nuit sans lune ; et pourquoi pas par l’Ouest, selon les
2
3
Dixit Jean-Marie Dalet, « in magazine » Distance n°99 de Mars-Avril 1990.
Projet cependant repoussé au nom des Tahitiens par le Sénateur Dr Jean Florisson en
1954-1955 à l’Assemblée de l’Union française.
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approches de nos hardis ancêtres au gré des vents humés et par l’observation des vagues et des poissons dans la mer ou des oiseaux et des nuages
dans le ciel, guidés la nuit par un firmament souvent immuablement étoilé,
mettant leur foi en Tāne, Ta’a-roa, Hiro ou Māui…
Imaginons l’ictus émotif de ce premier habitant – prolongement des
Wikings of the Sunrise de Peter Te-rangi-hiroa Buck – venant à se réveiller ici en 1990, ayant constitué avec ses compagnons allogènes, survivants de cette course au soleil, les aborigènes rescapés du continent Mû,
qui ont engendré depuis leur départ de ce voyage scientifiquement calculé la 80ème génération actuelle d’indigènes croisés…
Mais ce jour d’huy, la rivière Pape’ava ne sinue plus en zone marécageuse pour parcourir un lit qu’occupera la rue de la Petite-Pologne
(devenue plus tard rue Paul Gauguin) qui passait derrière la Mairie de
Pape’ete (alors sise à proximité de l’ancien et actuel Marché municipal de
tout Tahiti et d’ailleurs) ayant valu à la rue alors dénommée Bonard d’être
rebaptisée vers 1970 rue François Cardella, du nom du premier maire de
Pape’ete – la précédente rue Cardella étant celle où ce Corse a habité à
l’angle de la rue Bréa aujourd’hui rue Félix Lagarde, dans une maison à
étage typique du style à dentelles coloniales (à l’emplacement actuel du
bâtiment Kuo Min Tang) et qui explique ainsi le nom donné à la clinique
bâtie en 1965, dans la rue depuis dénommée Anne-Marie Javouhey sur
proposition du conseiller municipal Yves Malardé en 1969.
Coudant à Fāri’i-mātā, la Pape’ava disparaît sous le carrefour modernisé dit du Pont de l’Est – ce qui fait demander, de portière à portière, à
l’automobiliste nouvellement arrivé à Tahiti pour repérer une adresse :
« S’il vous plaît, pouvez-vous m’indiquer où se trouve le Pont de l’Est ?
– Vous y êtes dessus ! – ?... ». Mais le rond-point à feux changeants ne
donne pas le temps d’éclairer 1’étonnement du visiteur…
Déviée depuis 1847 par les urbanistes derrière l’actuelle Mairie y
implantée depuis 1920, les crues aux inondations de sinistre mémoire, surtout pour la zone commerçante en contrebas lors des saisons des pluies,
ont été, dans un premier temps, endiguées en 1970 (partie visible encore
du pont dit Waikīkī vers le pont Vai-nini’i-’ore au nom évocateur) tout le
long de la rue des Remparts à partir de son coude à hauteur du bâtiment
Polycom. Dans un second temps, la Pape’ava, ainsi domptée, se cache
depuis 1975 sous des travaux de Génie de la rue des Remparts à double
voie jusqu’au croisement avec l’avenue tri-communale du Prince Hinoi,
où le restaurant chinois Waikīkī à cagibis de la patronne Thérèse à la
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longue tresse noire, – avec ses panneaux plafonniers et sa peinture murale
par G. Bovy de la Muraille de Chine (transférés depuis au Waikīkī rue
Albert Leboucher), – servait des mets réputés de l’Orient extrême…
Mais la Pape’ava, qui glougloutait avec l’agitation d’énormes anguilles
entretenues en face de l’ancien garage des pompiers (emplacement de l’entrée latérale de la mairie néo-coloniale… architectement parlant !), passe
toujours devant la caserne des sapeurs-pompiers installée depuis 1985 (avec
le syndicat Pare-Nui en 1987 et Radio-Pape’ete FM-107 depuis 1987-88)
là même où, de l’autre côté de l’usine d’électricité des Ets Martin, a longtemps brillé le magasin familial des Lou alias ’Arupa (nom du lieu-dit).
Ainsi l’Ecole des Sœurs et la cathédrale (avec sa lugubre sirène hors
clocher annonçant autrefois les incendies) ont longtemps côtoyé la brasserie Emile A. Martin, productrice de la bière Aora’i et de blocs de glace
domestique, tout à côté d’un tamarinier abritant le garage de la voiture
des pompiers de la ville, qui avait pour chauffeur responsable Paepae
Ma’i, lequel vivait là avec une nombreuse progéniture, ayant hérité du
surnom de Pompier, dont Jean, footballeur en 1956-58 à Fē’ī-Pī (habitant
toujours dans ce secteur comme gardien-planton de la boutique Klima),
Albert (décédé) basketteur à Fē’ī-Pī et de la Sélection Tahiti en 1955
(première visite de la sélection de Nouvelle-Calédonie), les chanteursmusiciens Teata « Rossignol » et Francis « Mala » (père du jeune baryton
Steve Ma’i, élève du Conservatoire artistique territorial, dont la voix prometteuse de bel canto a été révélée au public en avril 1990 pour une émigration promotionnelle prochainement en France)…
Tandis que, derrière la brasserie, une rue sécante ou plutôt un large
passage aux senteurs chevalines appelé Remise, allant de la rue Jaussen
à la rue des Beaux-Arts (aujourd’hui rue Edouard Ahnne) en face de l’hôtel-bar-restaurant Métropole, servait de parking, sous de hauts arbres
’autera’a, aux voitures à cheval venues pour le marché – spectacle
encore visible vers 1950 – isolant à l’angle arrière l’atelier-ferblanteriecarrosserie de Henri Lambert, pilier de Fē’ī-Pī avec Albert Haerera’aroa
en face, entre la maison Snow et le garage Citroën.
Madame Momo Penot née Graffe, qui a vécu son enfance dans le
quartier Manu-hō’ē non loin de la Mairie, rectifie la prononciation de
ceux qui vocalisent Pape-ava au lieu de Pape-’ava : l’accent aigu étant
donné, dans la lecture et l’élocution, par l’apostrophe conventionnelle
ou ’eta en abordant des voyelles pour inviter le locuteur à veiller à une
prononciation gutturale (véritable consonne verbale). En effet, lors de
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marée haute remontant depuis Vainini’i’ore la rivière calmée jusqu’aux
abords du Pont de l’Est (que dominait un fort à meurtrières du temps de
guerre), les eaux mêlées de la mer et du murmure ruisselant des hauteurs
de la Mission donnent un goût saumâtre (salin, salé, amer = ’ava,
’ava’ava, tō’ava’ava). Cette assertion plausible écarte la suggestion
avancée par d’aucuns que c’est la rivière de la passe (ava)… qu’elle partage avec la rivière Tīpae-ru’i (Tau-pō), laquelle passe agrandie par dynamitage était jadis rendue plus difficile à négocier, voire d’accès
dangereux (’atā; ataata), par un écueil de corail (to’a) en cas de grosse
mer et de fausse manœuvre : To’a-ata, suggère l’ancien capitaine du port,
Louis « Loulou » Le Caill… à moins qu’un lieu récifal des environs eût
pu servir aux pêcheurs pour confectionner et étendre leurs filets : To’a-tā ;
noter que le pâté de corail intérieur à proximité de la passe, nommé To’atai, sert de balise de virage pour les courses de pirogues.
Abandonnons ce vagabondage sautillant pour un raccourci historique de la naissance et du développement de l’enceinte de Pape’ete, à
laquelle le chercheur-ethnologue suédois Bengt Danielsson, navigateur
par radeau Kon-Tiki en 1947, a consacré en collaboration avec son
épouse Marie-Thérèse une plaquette documentée et illustrée de 90 pages
dans un magnifique ouvrage sur l’histoire de Pape’ete (1818-1990) de
207 pages, produit par Christian Gleizal, diffusé dimanche 20 mai 1990
(séance solennelle du conseil municipal) ! Danielsson y écrit notamment :
« A la suite des premières élections d’après guerre, une nouvelle équipe
s’installe dans l’ancien bâtiment en bois, entre la rue de la Petite-Pologne
et la rue des Remparts, qui jusqu’alors a servi de couvent aux Sœurs de
Saint-Joseph de Cluny » (1919-20).
Tandis que l’Ecole des Frères de Ploërmel – qui se trouvait à l’angle
du Magasin Vigor aujourd’hui occupé par Le Jasmin devenu Le Palais
de la bière en face du jet d’eau – a donné son nom à la rue remontant
rejoindre la rue des Remparts, le commun des gens du pays ayant fini par
l’appeler rue des Ecoles et, plus ironiquement, rue des Eperviers (version
d’un mot tahitien à sens ambigu) de par la réputation des fréquentateurs
du coin qui ne devraient pas être des écoliers… la rue des Remparts
remontant jusqu’à s’incurver pour se confondre avec la rue du Frère
Alain – (laissant découvrir l’Ecole des Frères devenue Collège La Mennais, le Frère Alain, barbu ayant été un mémorable directeur) – dans sa
rencontre avec la rue Dumont d’Urville qui borde l’Ecole protestante
Viénot & le Collège Pōmare…
9
Le centenaire de la ville de Pape’ete 1890-1990, comme commune
de la République, est le prétexte de la présente petite histoire pour remonter aux origines de notre localité. En voici certaines facettes, ce récit parfois sentimental n’ayant pas la prétention d’avoir sélectionné
exhaustivement les véritables faits marquants : c’est ainsi que des épisodes
mineurs peuvent paraître comme relatés avec importance, quand d’autres
événements auront été, involontairement, négligés voire éludés.
2. a la découverte du Pacifique
Après les Polynésiens dans leurs séculaires migrations vers l’Est, le circumnavigateur de 38 ans Samuel Wallis (1728-1795), commandant His
Majesty’s Ship the Dolphin, quitte l’Angleterre à Plymouth le 21 août 1766,
avec un jeune équipage de 122 matelots, en route vers l’Ouest pour étendre
les découvertes anglaises dans l’hémisphère austral du Grand Océan, en
passant par le détroit de Magellan. Une parenthèse pour rappeler : d’abord,
que le conquistador espagnol Vasco Nuñez de Balboa (1475-1517), à 38
ans, après avoir traversé l’isthme de l’Amérique centrale, a découvert en
1513 cette grande masse maritime du globe appelée depuis Océan Pacifique ; ensuite, que le navigateur portugais Fernando de Magellan (14801521), à 40 ans, a découvert et doublé en 1520 le détroit qui porte son nom
entre l’Amérique du Sud et la Terre de Feu mais, entamant le premier
voyage autour du monde, il sera tué aux Philippines.
3. les seconds découvreurs de tahiti
a la conquête du royaume des Pōmare
Découverte par les Portugais au 16ème siècle puis explorée à partir de
1605 par les Hollandais (d’où son ancien nom de Nouvelle-Hollande),
l’Australie sera occupée en 1770 par les Anglais, qui y installeront une
colonie pénitentiaire en 1788 en Nouvelle-Galles du Sud.
L’on prête à l’habile navigateur espagnol Fernandez de Quiros, – la
description qu’il fit de sa forme, de son petit isthme, de sa distance vis-àvis des îles voisines et, surtout, la position géographique qu’il indiqua, tout
concorde à le prouver, malgré la légère différence de quelques milles en
latitude et de 2 degrés en longitude et qu’il l’ait qualifiée d’île plate, –
d’être le premier Européen à avoir découvert, en 1606, l’île de Tahiti qu’il
appela Sagittaria. Il n’y a pas lieu, cependant, de déduire qu’il a foulé le
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sol de ce panache, surgi des noces explosives de la lave et de l’écume de
mer, pour faire d’un volcan libéré des fissures sous-marines la perle du
Pacifique, cliché enchanteur des mers du Sud qui perdure…
Dès 1688, l’excellent navigateur Dampier a décrit le fruit à pain,
ainsi baptisé comme poussant sur un grand arbre que les indigènes de
Guam s’en servent en guise de pain, qui est cueilli non quand il est mûr
épanoui, mais quand il est encore vert et dur et qu’on fait cuire : la croûte
noircie est enlevée pour manger tôt l’intérieur doux, moelleux, blanc
comme de la mie, les indigènes lui ayant indiqué que cet arbre pousse en
grande quantité sur les îles des Larrons (Mariannes).
Lord Anson (1697-1762) confirme cette description, l’équipage de
son navire dans ces mêmes parages préférant, au cours des escales,
consommer ce fruit à pain tellement bon à la place des biscuits marins.
Mais si Dampier dit qu’il n’y a pas de graine ni de noyau à l’intérieur du
fruit, Cook affirme l’existence d’un trognon non mangeable, mais trouve
à sa pulpe un goût insipide, vaguement sucré et qui ressemble plus ou
moins à de la mie d’un pain de froment auquel on aurait mélangé du
tubercule de topinambour…
Dans notre hémisphère méridional, le navigateur Wallis aura découvert successivement Pinaki, Nukutavake, Vaira’atea, Paraoa, Manuhangi
et Nengonengo, puis Meheti’a avant de voir apparaître, le 18 juin 1767,
l’île de Tahiti, sa frégate jetant l’ancre en baie de Mātāvai, ce premier
mouillage étranger par où a commencé notre histoire contemporaine. Souffrant d’une tuberculose aggravée par le scorbut, lui-même ne descendra à
terre que le 12 juillet, reçu par la forte princesse Pūrea. Auparavant, le 25
juin, le lieutenant Tobias Furneaux a planté un mât orné d’une flamme aux
couleurs anglaises, prenant ainsi possession de cette terre qu’il appelle île
du Roi George III (1733-1820). L’escale de 37 jours, – malgré des épisodes
à coups de canon ou « incidents » de méfiance belliqueuse réciproque, lors
des approches du rivage à la recherche de mouillage, navire encerclé de
pirogues, – a entretenu des relations amicales (troc de cochons, chiens,
poules, légumes et fruits contre objets de pacotille, verroterie, haches et
clous) et « accueillantes » pour les étrangers, lesquels auront visité une
partie de l’île. Le Dolphin, provision d’eau pleine, quitte Mātāvai le 27
juillet 1767, Wallis regagnant l’Angleterre le 20 mai 1768 via le Cap de
Bonne-Espérance – l’ancien Cap des Tempêtes doublé au Sud de
l’Afrique par les navigateurs portugais Bartholomeu Dias (en 1487) puis
Vasco de Gama en créant la Route des Indes (en 1497).
11
L’ancien avocat puis colonel Louis-Antoine de Bougainville (17291811), entré dans la Marine, reçoit à 37 ans mission du Roi Louis XV (17101774) pour un voyage autour du monde vers les Indes orientales. Le
navigateur parisien commande la frégate la Boudeuse, quittant Brest le 5
décembre 1766, traverse le détroit de Magellan et l’Archipel dangereux
(Tuāmotu) : Vahitahi, Akiaki, Hao… quand après Meheti’a lui apparaît, le 3
avril 1768, Tahiti. Naviguant au large de la côte Est, son mouillage exécrable
en baie de Tāpora (Hitia’a) durera du 6 au 15 avril et le court séjour à terre,
– non exempt d’incidents, outre la perte de six ancres, – ne donnera pas lieu
à une exploration de l’île. Cependant, poursuivant ce premier voyage de circumnavigation française, « Putaviri » emmène avec lui l’indigène Ahutoru,
qui débarque à Saint-Malo le 15 mars 1769 : âgé d’une trentaine d’années,
il avivera la curiosité des salons parisiens, la narration de Bougainville
venant exciter les esprits sur le mythe du bon sauvage dans l’idyllique Nouvelle-Cythère, en précurseur de l’intemporel mirage polynésien… puisqu’il
persiste encore aujourd’hui. Après un séjour de 11 mois à Paris, dans la
société royale, il réembarque à La Rochelle, transbordant via l’île de France
(Maurice) à l’île Bourbon (Réunion) en octobre 1771, où il meurt de la petite
vérole, sans revoir Tahiti…
Le grand circumnavigateur anglais, alors lieutenant, James Cook (17281779), âgé de 41 ans, embarque à Plymouth sur l’Endeavour, solide bâtiment
charbonnier qu’il commande, pour une double mission visant à contrebalancer
l’emprise espagnole dans le Pacifique par une expédition sur Tahiti.
D’une compétence éprouvée et très versé en astronomie, Cook est chargé
par la Royal Society, avec l’astronome Charles Green et le botaniste suédois
fort cultivé D. C. Solander, d’installer un observatoire pour suivre le passage
de la planète Vénus sur le disque solaire. Après avoir doublé le Cap Horn et
navigué à travers les Tuāmotu (dont ’Anā), Cook mouille le 13 avril 1769 en
baie de Mātāvai, pour établir son observatoire à la Pointe Tefauroa (Cook a
estimé, – le nombre de pirogues de guerre s’élevant à 1720, – le nombre
d’hommes capables de les manier à 86 800, concluant que la population devait
être chiffrée à 204 000 âmes « au moins ». Pour ce premier séjour, hormis les
incidents habituels, règne un climat paisible et Cook entreprend le tour de l’île
en chaloupe et à pied, sans toutefois s’arrêter en rade de Vai’ete. Après avoir
passé 92 jours à Tahiti, Cook appareille le 13 juillet 1769, direction îles Sousle-Vent (Huahine, Ra’iātea) puis Rurutū et Aotearoa (Nouvelle-Zélande), étant
de retour en Angleterre en août 1771, l’indigène Tupaia emmené par Cook
étant mort en cours de route.
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4. la baie de « Puerto de Santa maria » dans l’île amat
Le navigateur espagnol El Capitan don Domingo de Boenechea est
envoyé dans le Pacifique, avec un équipage de 251 marins, sur une petite
frégate l’Aguila, quittant Callao (Pérou) le 26 septembre 1772 – avec
comme mission secrète, dans son voyage océanien de reconnaissance, communiquée par le vice-roi du Pérou, d’explorer Tahiti, d’aider les missionnaires de la frégate (padre José Amich et Juan Bonamo) et de ramener « de
leur plein gré » quelques indigènes à Lima. Tauere, Haraiki, ’Anā,
Meheti’a… et Tahiti est en vue le 8 novembre 1772 et, ayant eu du mal à
trouver un ancrage sûr, Boenechea mouille en baie de Vaiurua à Tautira le
19 novembre. Son second, le lieutenant don Thomas Gayangos, fait en
baleinière, du 5 au 11 décembre 1772, le tour de l’île dont il reconnaît les
ancrages et dressera un récit sommaire, comme la carte qui l’accompagne,
mais qui a le mérite d’indiquer la baie baignant Pape’ete, baptisée Puerto
de Santa Maria. Effectuée cette reconnaissance de Tahiti, dont il estime la
population à « pas plus de 10.000 habitants » après son séjour d’environ un
mois et une semaine, Boenechea quitte Tahiti le 20 décembre 1772 pour
une reconnaissance de l’île voisine de Mo’orea. La frégate Aguila est de
retour au Pérou, à Valparaiso le 21 janvier 1773, y ayant amené 4 naturels
de Tahiti : Thomas Pautu (30 ans), Joseph Tipitipia (26 ans), Franco Heiao
(18 ans) et Manuel Tetuanui (10 ans) – dont deux mourront peu après leur
arrivée : Heiao au port de Valparaiso et Tipitipia à Lima – lesquels seront
les hôtes du vice-roi don Manuel Amat y Juniente4.
A la découverte du continent austral, une nouvelle mission quitte Plymouth le 13 juillet 1772 avec deux navires : le Resolution (capitaine Cook)
et l’Adventure (capitaine Tobias Furneaux), ramenant ainsi Cook à Tahiti
pour un second séjour, du 17 août au 1 er septembre 1773 (15 jours) :
d’abord à Tautira puis à Mātāvai ; et il s’en va à Huahine, Ra’iātea – (où
Furneaux embarque le 7 septembre l’indigène Ma’i sur l’Adventure qui le
débarquera le 14 juillet 1774 à Spithead en Angleterre) – et Aotearoa, à la
poursuite en vain de la Terra Australis incognita, le Resolution revenant par
Rapa-Nui (Ile de Pâques) et les Iles Marquises en mars-avril 1774. Retraversée des Tuāmotu (’Apataki, Tōau, ’Arutua et Kaukura), pour un troisième séjour à Tahiti, du 21 avril au 14 mai 1774 (24 jours), où pas
davantage Cook ne jettera l’ancre dans le lagon de Motu-Uta ; et derechef
4
Rapport du lieutenant Juan de Hervé.
13
il visite Huahine et Ra’iātea, pour être de retour à Plymouth le 30 juillet
1775.
Pour Ma’i, le lecteur se reportera avec intérêt à l’ouvrage ’Oma’i,
ambassadeur du Pacifique par E.H. Mc Cormick5.
Parenthèse :
Māhine Hitihiti de Porapora, embarqué à Ra’iātea sur le navire
Resolution (19 septembre 1773), accompagne Cook (Tonga, NouvelleZélande, Ile de Pâques, Tahuata) regagnant Tahiti (22 avril 1774) après
avoir vu l’Antarctique, les icebergs et la banquise polaire (Fenua teatea).
Il est à Mātāvai au passage du bateau Lady Penrhyn, lieutenant Watts
(1788). Son portrait à la sanguine est conservé au musée de Greenwich
Hospital, dessiné par Peter Hodges : missionnaire de la L.M.S., artisanforgeron du premier convoi du Duff (départ Angleterre 10 août 1796, arrivée Tahiti 6 mars 1797), qui, découragé par l’agitation locale, quitte le
pays par Nautilus (31 mars 1798) pour Sydney.
Nos Tahitiens, baptisés en terre péruvienne, Pautu et Tetuanui, sont
rapatriés lors d’une nouvelle expédition de Boenechea sur l’Aguila quittant Callao le 20 septembre 1774, sur la route de Tauere, Tātakoto,
Hikueru, Haraiki, ’Anā, Tahanea, Meheti’a (13 novembre) puis Tahiti :
au mouillage de Cook en baie de Tautira le 27 novembre 1774, avec de
conserve le navire marchand Jupiter pour y installer les deux missionnaires espagnols franciscains Narciso Gonzalez et Geronimo Clota, chapelle et résidence derrière palissades prêtes pour séjourner à terre dès le
31 décembre 1774, croix et première messe étant célébrées le 1er janvier
1775. Le 5 janvier, le nouvellement promu capitaine Boenechea fait
reconnaître aux chefs Tū et Vehiatua la souveraineté de l’Espagne sur
l’île qu’il a baptisée du nom de Île Amat. Puis l’Aguila, étant partie le 7
janvier en reconnaissance avec le Jupiter à Rā’iatea (10 janvier), est de
retour à Tahiti le 20 janvier avec son commandant soudainement et gravement malade : Boenechea meurt ainsi à Tautira le 26 janvier 1775 et
sera enterré près de la croix fraîchement plantée.
Son second, don Thomas Gayangos, qui est apprécié des indigènes
pour les avoir traités avec tact et gentillesse, prend alors le commandement pour ramener les deux navires au Pérou, laissant sur place, pour
5
Editions Perspectives Mā’ohi 1986, traduction Dominique Bénard, préfaces de José Garanger
et Alfred Coqui Grand.
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aider les missionnaires, deux marins espagnols : le matelot François Perez,
qui se révélera peu respectueux, et l’interprète Maximo Rodriguez (25 ans),
déjà venu en décembre 1772 lors de la première expédition de Boenechea
— sans instruction se dit-il, mais qui tiendra, du 15 novembre 1774 au 12
novembre 1775, un diaire plein de bon sens, premier témoignage d’Européen mêlé à la vie indigène quotidiennement. Après la mort de Vehiatua,
apeurés par les rumeurs, convoitises locales et chapardages, les missionnaires préfèrent, à la réapparition de l’Aguila apportant du ravitaillement le
30 octobre 1775, ré-embarquer le 12 novembre, ayant échoué à leur mission.
Nouveau voyage d’exploration pour le Resolution (capitaine Cook)
quittant Plymouth le 1er juillet 1776, avec le Discovery (capitaine Clerke),
passant à Tupua’i avant de mouiller l’ancre à Tautira le 12 août 1777,
puis le 24 à Mātāvai. Cook apprend, du roi Tū alias Pōmare 1 er
(Vaira’atoa), le passage de missionnaires espagnols ; son expédition
quitte Mātāvai le 30 septembre, direction Mo’orea (11 jours) où avait eu
lieu une certaine agitation guerrière en révolte contre le roi de Tahiti6.
Pour son quatrième séjour donc à Tahiti (50 jours), le mouillage de
Mātāvai, protégé d’avril à septembre quand souffle le mara’amu, lui
ayant donné pleine satisfaction, Cook n’aura pas ancré du tout en rade de
Vai’ava. Repassant à Huahine (23 jours) – où Cook dépose le 12 octobre
notre aventurier tatoué et interprète Ma’i, ramené d’Angleterre où il a
épaté la gentry de Londres, qu’il a quittée le 24 juin 1776 (en y ayant
laissé son tabouret de tête portatif… qui a rejoint en 1986 le Musée de
Puna’auia à un prix de récupération fort onéreux !) – puis à Ra’iātea (34
jours) et Porapora (8 décembre), Cook remonte aux îles Hawai’i où il
sera tué par les Indigènes le 4 février 1779.
5. et vogue le Bounty…! Bligh et Pōmare 1er, grands amis
Ayant participé aux précédents voyages de Cook sur le Resolution, le
Captain William Bligh commandant comme lieutenant le H.M.S. Bounty,
sloop gréé en trois-mâts, appareille de Spithead (rade de Portsmouth) le
23 décembre 1787, avec un équipage de 46 personnes, aux fins d’embarquer aux Iles de la Société des plants d’arbre à pain – sous le contrôle de
2 spécialistes de premier ordre recommandés par le célèbre Sir Joseph
6
N.D.E. En effet. Cook crut que Tū Pōmare était en butte à la révolte de ses sujets et lui prêta
main forte. Alors qu’en réalité, Tū Pōmare était un ari’i parmi d’autres et c’est grâce aux
Anglais qu’il devint « roi ».
15
Banks : David Nelson, botaniste du dernier voyage de Cook, et William
Brown, jardinier – destinés aux plantations des Antilles, en nourriture aux
esclaves noirs des Britanniques. Un temps abominable de froid et de vent
tempétueux, un mois durant, le fait renoncer à doubler le Cap Horn.
Bligh change totalement de route par le Cap de Bonne-Espérance (23
mai) pour être à Tahiti le 26 octobre 1788 : mouillage à Mātāvai, périlleux sous to’erau l’obligeant en décembre à s’abriter en baie voisine de
To’aroa ( ’Ārue), à proximité de Papa’oa, résidence de son ami le Roi7
Pōmare 1er. Le médecin du bord est mort le 9 décembre 1788, victime
intoxiquée de son intempérance, et est enterré dans l’île.
Nelson constate que les pamplemousses introduits au cours du
séjour de Cook en 1777 sont en production. Le 4 avril 1789, ayant connu
d’abord un long voyage (10 mois) sous la dure discipline de Bligh avec
son cat-o’nine-tails8 et cinq mois d’escale en cette terre d’accueil avec
récolte de 1015 ohi ’uru, le Bounty part pour Huahine où Bligh apprend
que Ma’i, l’accompagnateur de Cook, est décédé quelques années plus
tôt de sa belle mort…
L’histoire de la mutinerie du 28 avril 1789 s’ensuivra… tandis que
l’implacable Bligh, qui a réussi, avec 18 marins sur une chaloupe, à regagner Timor (14 juin) puis, par un schooner, Batavia (1er octobre), sera de
retour en Angleterre en débarquant sur l’île de Wight (14 mars 1790).
Sont morts 7 sans revoir leur patrie : le botaniste David Nelson, le second
lieutenant ou 3ème officier William Elphinstone, le boucher Robert Lamb,
les quartiers-maîtres Peter Lenkletter et John Norton, le cuisinier Thomas
Hall et le matelot-médecin Thomas Ledward. Son audacieuse croisière
en chaloupe fait promouvoir Bligh au grade de capitaine de frégate, ayant
ramené en Angleterre 11 survivants : le capitaine en second John Fryer,
le canonnier-chef William Peckover, le maître d’équipage William Cole,
le charpentier William Purcell, les midships Thomas Hayward et John
Hallet, le voilier Lawrence Lebogue, le cuisinier John Smith, le second
quartier-maître George Simpson, le gamin midship Robert Tinkler et le
commis Samuel.
7
8
Qui, à ce moment-là, était ari’i de Pare.
Le « chat à neuf queues » a sévi longtemps dans la Royal Navy. Ce fouet était équipé de
neuf cordelettes tressées dans lesquelles étaient insérées des particules de métal qui griffaient la chair du condamné au fouet comme l’aurait fait un chat en furie.
16
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L’intraitable capitaine Edwards commandant la frégate Pandora, voilier
rapide monté par 160 hommes, est dépêché à la recherche des mutins, mouillant en baie de Mātāvai le 23 mars 1791 pour quitter Tahiti le 9 mai suivant.
Il ramènera 14 mutins dont 4 disparaîtront noyés (midship George Stewart,
matelots : Richard Skinner, Henry Hillbrant et John Sumner) – le Pandora
ayant, en effet, coulé le 29 août sur la Grande Barrière de Corail d’Australie
et dont 99 membres d’équipage plus 10 prisonniers seront sauvés – de retour
via Timor et Batavia (7 novembre), enfin le cap pour l’Angleterre à Spithead
le 19 juin 1792 par le H.M.S Gorgon. Procès pour mutinerie et piraterie en
cour martiale, du 12 au 18 septembre 1792, sur le navire de guerre H.M.S.
Duke ancré en rade de Plymouth : un décret du roi George III du 24 octobre
octroie grâce pleine et entière par clémence à 3 condamnés à mort (midship
Peter Heywood ; second maître d’équipage James Morrison, auteur d’un
Journal ; matelot qualifié et steward du commandant, William Muspratt : sursis mué en grâce), 3 matelots qualifiés étant pendus le 29 à bord du H.M.S.
Brunswick en rade de Portsmouth (Thomas Burkitt, Thomas Ellison et John
Millward) ; 4 ayant été acquittés (Joseph Coleman, armurier ; Charles Norman, second charpentier ; Thomas Mc Intosh, charpentier d’équipage ;
Michael Byrne, matelot qualifié).
A Tahiti, avant l’arrivée du Pandora, le maître d’armes James Churchill a été assassiné par le matelot qualifié Matthew Thompson, lui-même
lapidé à mort, vengé par les amis tahitiens du premier. Promu capitaine de
frégate par l’Amirauté, Bligh reçoit mission de repartir au plus vite afin
d’assurer le transport des arbres à pain de Tahiti dans les Antilles : il quitte
l’Angleterre en août 1791 sur le H.M.S. Providence (de conserve avec l’Assistance, capitaine Portlock), avec à son bord le dessinateur anglais George
Tobin ; Bligh arrive à Tahiti le 10 avril 1792, jetant l’ancre à Mātāvai. Non
sans se renseigner sur les mutins, mais toujours sans avoir connu le mouillage de Pape’ete, il embarque 2500 plants de maiore le 16 juillet 1792 (pour
les déposer à Sainte-Hélène et à la Jamaïque, ainsi que le passager clandestin Popo de Tahiti pour s’y occuper des tumu ’uru), avec l’indigène Maititi
pour Londres où il mourra peu après l’arrivée.
Mission accomplie aux Iles de la Société, Bligh est chargé en 1798
de réprimer une révolte de matelots anglais à l’embouchure de la Tamise.
En guerre contre la France sous la Révolution, Bligh commande un navire
sous l’amiral Duncan, à Camperdown, et un autre navire sous Nelson à la
bataille de Copenhague, y déployant une grande bravoure. Puis le viceamiral Bligh est nommé en 1805 Gouverneur de la N.S.W. en Australie
17
(Nouvelle-Hollande), où son despotisme provoquera une rébellion de la
population et des troupes de Sydney jusqu’à l’emprisonner à Botany Bay
le 26 janvier 1808 : le gouvernement britannique sera obligé d’expédier
un régiment pour le délivrer et il ne sera relâché qu’en mars 1810. De
retour en Angleterre, Bligh prend sa retraite d’amiral et mourra en 1817
dans son manoir du comté de Kent, à l’âge de 64 ans.
Parenthèses :
I). Les 25 mutinés du 28 avril 1789 demeurés sur le Bounty avec le
second lieutenant Fletcher Christian – après avoir largué, sur une chaloupe, Bligh et 18 marins parmi les volontaires, au large de l’archipel des
Amis (îles Tonga) – hostilement accueillis à Tupua’i (25 mai), reviennent
à Tahiti (6 juin) s’approvisionner en embarquant (19 juin) également 24
Tahitiens (8 hommes, 9 femmes, 7 garçons) dans l’intention de retourner
à Tupua’i (26 juin) s’y installer.
Mais les affrontements avec les naturels obligent les pirates (15 septembre) à s’en aller, de nouveau, pour la baie de Mātāvai (20 septembre)
où descendent à terre 16 volontaires : ceux-là même qui, en mars 1791,
seront mis à la réclusion par le capitaine Edwards sur le Pandora, au
secret et aux fers, quittant Tahiti le 7 mai 1791 – (... « que plusieurs prisonniers avaient épousé des filles de chefs extrêmement respectables du
district situé en face du mouillage et que le midship Stewart, en particulier, s’était marié à la fille d’un grand propriétaire terrien qui habitait près
de la baie de Mātāvai »9).
« Les femmes des prisonniers se rendaient chaque jour à bord du Pandora ; elles y amenaient leurs enfants, qui furent autorisés à être portés
devant leurs pères infortunés. Il aurait fallu être bien insensible pour ne
pas être ému au spectacle des pauvres captifs dans les fers et versant
des larmes sur leur frêle progéniture »10.
« Fille d’un chef indigène, Peggy (car c’est ainsi qu’il l’appelait) devint
la femme du midship George Stewart, l’un des mutins du Bounty. Ils
avaient vécu chez le vieux chef en se chérissant mutuellement. Une très
belle petite fille avait été le fruit de leur union et elle était encore au sein
quand arriva le Pandora ; les criminels furent appréhendés et mis aux fers
9
Sir John Barrow : The mutiny and practical seizure of H.M.S., 1831.
10
George Hamilton : Voyage autour du monde.
18
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à bord du navire… A terre dans un état indescriptible de désespoir et
de chagrin, éloignée de son mari, ayant reçu l’interdiction de revenir
sur le navire, elle sombra dans un abattement profond ; minée par la
tristesse, elle perdit le goût de manger et de vivre ; elle cessa de rire ;
elle dépérit graduellement et rapidement pendant deux mois et elle
mourut d’un cœur brisé, au sens littéral du mot, victime de ses sentiments. Sa petite fille vit encore ; elle a été élevée par une sœur, qui l’a
soignée comme si elle était sa propre fille et qui a rempli tous les
devoirs d’une tendre mère à l’égard de ce bébé orphelin »11.
II). Les 9 mutins restants sur le Bounty, approvisionnés, perdent de
vue la pointe Vénus le 22 septembre 1789, partis avec 19 Tahitiens (12
femmes, 7 hommes), car « Christian avait maintes fois exprimé le désir
de découvrir une île inconnue ou inhabitée, ne possédant pas de port pour
abriter un navire ». Depuis mai 1789, la Révolution agite la France pour
une décennie…
6. a la découverte de Pare et Fare-’Ura
Ayant quitté l’Angleterre le 10 août 1796 avec le premier convoi de
missionnaires envoyés en Océanie, le capitaine Wilson commandant le
Duff, venant du Sud, aborde Tahiti par Pā’ea et remonte le long de la côte
Ouest, passant devant la baie de Pape’ete sans s’y intéresser, pour aller s’arrêter sans hésitation au mouillage de Mātāvai le 5 mars 1797. Y débarquent
18 évangélistes de la London Missionary Society, – pour fonder une mission
à Tahiti, qui s’installe à la Pointe Tefauroa, dans une grande maison
construite par Bligh en 1788, encore en bon état, – ainsi que 2 artisans pastoraux : William Pascoe Crook (1775-1846) et le tonnelier John Harris, lesquels seront affectés aux Iles Marquises, à Tahuata (Santa Christina, 6 juin
1797). Mais inadapté par son bref séjour marquisien, Harris réembarque sur
le Duff (26 juin) pour Tahiti.
A son retour des Iles Marquises, le capitaine Wilson effectue un tour
de l’île de reconnaissance à pied ; il découvre, en parcourant le littoral du
mata’eina’a de Pare, une immense maison (Long House : 90 m x 14 m –
h. 6,5 m) appelée Nawnoo, appartenant à la secte des ’arioi : à l’emplacement actuel de l’Hôtel Royal Pape’ete, à proximité de la limite de miti
nanu (marée montante). Cependant, la carte illustrant le récit du narrateur
11
Missionary Voyage of the Duff.
19
semble vouloir désigner ce lieu Nā-nu’u, vocable collectif pour la compagnie rassemblant ’Ārue et Pare, deux anciens mata’eina’a de la province
Te pori-o-nu’u dépendant du royaume des Pōmare12.
Après le départ du Duff courant 1797, Pōmare 1er organise une grande
fête (ta’urua = ta’upiti) les 9 et 10 janvier 1798 aux environs de Nā-nu’u.
Y sont présents : les missionnaires de Mātāvai, plusieurs chefs et prêtres
venus de tous les districts, outre de nombreux participants et spectateurs, le
Roi s’affirmant ainsi « comme chef suprême de Tahiti, grâce à son armée
de mercenaires papa’ā ». Cependant subsiste un mécontentement latent,
avec parmi les contestataires de ce pouvoir le propre fils du roi, le futur
Pōmare II (15 ans).
Durement traités voire molestés durant cette époque, des missionnaires
(dont le révérend James Fleet Cover, le menuisier John Cock, les tisserands
Rowland Hassel et William Smith, le charpentier William Henry) arrivés par
le Duff, à peine plus d’un an auparavant, décident de quitter Tahiti le 31 mars
1798 sur le navire de commerce Nautilus en route pour l’Australie, arrivant
à Sydney le 14 mai 1798 et où le jardinier Samuel Clode (1761-1799) sera
assassiné par un soldat. Les 7 courageux missionnaires restants sont : le
charpentier Henry Bicknell (1766-1820), le bourrelier Benjamin Broomhall
(1776-1802), John Eyre, le médecin John A. Gilham (qui regagnera l’Angleterre par le Duff quittant Tahiti le 4 août 1798), John Harris (lequel quitte
la mission début janvier 1800 par le navire américain Betsy de passage à
Tahiti pour Tonga), le maçon Henry Nott (1774-1844) et John Jefferson
(1760-1807).
Deux aventuriers suédois, Andrew Cornélius Lynd (1766-1807) et Peter
Haggerstein, en arrivant à Tahiti par le navire Daedalus (février 1793), se sont
mis sous la protection de Pōmare, prenant ainsi part dans les luttes intestines
des Indigènes. En particulier, ils servent d’interprètes et informateurs à l’arrivée des missionnaires du Duff (mars 1797) et se mettront au service du capitaine Turnbull de la Margaret à son passage à Tahiti en 1802, en
l’accompagnant dans différents districts hostiles à Pōmare ; atteint d’éléphantiasis, Lynd, installé dans l’île, mourra à 41 ans.
Un second contingent de 9 co-religionnaires de la L.M.S. quitte l’Angleterre par navire Royal Admiral (5 mai 1800) direction Océanie via
12
Dixit l’orateur Temaeva a ‘Anahoa, BSEO 1935, père de l’ancien planton-ronéotypiste
Auguste ‘Anahoa des Affaires économiques.
20
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Sydney pour Tahiti (10 juillet 1801), dont : Samuel Tessier, James Hayward,
William Scott, John Davies (1772-1855), William Waters (lequel, atteint de
troubles mentaux, quitte Tahiti le 29 décembre 1804 pour retourner en Angleterre), Charles Wilson (1770-1857), John Youl (1773-1827) ; ayant quitté la
Mission en mai 1807 pour retourner en Angleterre)…
L’agitation guerrière locale apparemment apaisée, le Roi Pōmare et
son fils paraissent en meilleurs termes, cette façade tendant sans doute à
maintenir le pouvoir de la dynastie menacée, par les fréquences et vis-à-vis
des étrangers notamment cherchant à s’installer de plus en plus lors de leurs
visites. Ainsi, en juillet 1802, les chefs de la côte Ouest, oppressés et révoltés, envahissent Porionu’u, incendiant la grande maison de réunion des
’arioi.
7. Petite histoire des chefs à l’arrivée des étrangers
Il faut signaler qu’il y avait 35 ans que le premier Blanc, Samuel Wallis, était apparu à Tahiti en juin 1767, alors que ’Āmō, l’important chef de
Pāpara (Ouest), avec sa femme Pūrea dite Reine de l’île, âgés chacun d’une
quarantaine d’années, accourus à Mātāvai (est), ont connu les premiers
contacts guerriers meurtriers avec les Anglais, qui utilisent fusils et obusiers
pour disperser les nombreuses pirogues des assaillants indigènes. La paix
s’ensuit avec les relations amicales, mais les coups de canon ont ébranlé
l’autorité de ’Āmō, au profit du clan Vaira’atoa qui s’appuie sur les rapprochements avec les étrangers.
En décembre 1768, Vehiatua (chef de Tai’arapu) s’allie avec Tūtaha
(chef de Puna’auia) pour battre en guerre ’Āmō à la bataille de Pāpara ; ainsi
Vaira’atoa prend le titre de Tū, future branche des Pōmare, tandis que Tūtaha
fait de Pare sa résidence et que Pūrea, séparée de ’Āmō au prestige amoindri,
a pour favori son conseiller-pilote Tupaia (lequel sera guide-informateur en
avril 1769 au premier voyage de Cook sur l’Endeavour avec Banks, mais
n’arrivera pas en Europe, car il meurt victime d’une affection conjuguée de
scorbut, phtisie et dysenterie début 1770, enterré en l’Ile d’Edam avec son
compagnon Taiata, un jeune Tahitien de 12 ans mort, quelques jours avant
Tupaia, le 17 décembre 1769).
Au second voyage de Cook, un double séjour à Tahiti (en août 1773,
puis en avril-mai 1774) l’a fait rencontrer Vaira’atoa-Tū-Tina (30 ans) alias
Pōmare 1er, lequel prépare une flotte de guerre (210 pirogues pour 9000
guerriers) en vue de subjuguer Māhine, chef de Mo’orea en révolte, mais
21
en vain. Au troisième voyage de Cook, nouveau séjour à Tahiti (août-septembre 1777) : le visiteur déclinera une participation aux conflits intérieurs,
souhaitant un retour à la paix dans la population locale.
Cependant, dans une bataille à Pare en 1783, écrasé, le clan Pōmare
doit se replier en montagne, allant même chercher refuge en la presqu’île
indépendante de Tai’arapu. En prolongement des voyages de Cook auxquels a participé Bligh, le Bounty arrive à Tahiti (octobre 1788-avril 1789) :
l’ami de Cook aurait obtenu du collecteur de maiore la cession d’armes à
feu… (cadeaux ? troc avec les futurs « mutins » installés en échange de terrains ?…). Ainsi, les chefs de Tetaha (Fa’a’ā) et de Atahuru (Puna’auia)
vont tenter de se défaire de Pōmare pour investir Pare et Pāpara, mais l’aide
anglaise dont bénéficie Pōmare permet à ce dernier, « par un mouvement
tournant par la mer », de surprendre les insurgés « foudroyés par l’effet des
armes à feu » … La paix s’établit alors avec la souveraineté de Pōmare sur
Tahiti-Nui et son siège à Pare. Au cours de cette régence, début 1791 le fils
reçoit publiquement, à 17 ans, l’investiture de son titre de ari’i Pōmare II,
son père-régent s’occupant à préparer la conquête de Tai’arapu en mars
1791, quand survient le Pandora récupérer les rescapés du Bounty, épisode
relaté plus haut qui ralentit les perspectives belligérantes intérieures…
Toutefois, le Pandora ayant quitté Tahiti (8 mai 1791), lorsque le navigateur Vancouver est de passage fin 1791, Pōmare 1er a déjà étendu son
emprise sur la presqu’île de Tahiti-Iti (Tai’arapu) – confiée au futur Pōmare
II – ainsi que sur Mo’orea et Huahine. Les visiteurs européens, dont aussi
des marins déserteurs et des aventuriers de tout poil parfois conseillers militaires et livreurs d’armes à feu, s’insinuent en même temps que les vecteurs
du christianisme. C’est dans ce contexte que, à la bataille de Atahuru en
lutte contre Pōmare 1er en 1793, meurt ’Āmō (chef esseulé de Pāpara,
depuis la bataille de décembre 1768) et que son fils et successeur Temari’i,
en chef malheureux, apporte le district de Pāpara en héritage royal à la
suprématie désormais consacrée de la dynastie des Pōmare13...
13
N.D.E. - Il apparaît bien dans ce récit que Pōmare n’est pas encore « roi ». Il n’est qu’un ari’i
parmi d’autres mais qui a su s’allier les étrangers pour servir ses ambitions.
22
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Les missionnaires anglais du Duff (mars 1797) puis du Royal Admiral
(mai 1800) entrent ainsi dans un climat d’hégémonie tiraillée, où le père,
adroit, rusé et rapace, est favorable à l’accueil de ces étrangers touchant terre
à Mātāvai — qu’il prend sous sa protection et qui le soutiennent, parce qu’un
besoin réciproque les rapproche, — mais où le fils s’en méfie. L’épisode de
juillet 1802 sus-évoqué, nous voici dans le cours du temps.
Le 3 septembre 1803, Pōmare le Premier, qui a joué un si grand rôle
dans l’histoire de Tahiti, meurt lors d’une visite à bord du Dart, à l’âge de
60 ans, ses ambitions assouvies, semble-t-il… Mais l’attitude hostile de son
fils rend précaire la situation des missionnaires anglais de Londres, qui
avaient obtenu cession de leur domaine de Mātāvai : ceux-ci voient alors la
nécessité de se constituer en forteresse, constamment assiégée.
Pōmare le Second étend son influence entre Mo’orea et Tahiti, au nom
de ’Oro pour contrarier l’action des missionnaires, durant quatre années de
paix relative cependant dans les relations tribales. Mais en juin 1807, il envahit en surprise Puna’auia (défaite complète de l’armée du chef Ta’ata-ri’i),
mais ne surprend pas le clan du chef Tātī Taura’atuai’apatea de Pāpara retiré
à temps en montagne. Puis par mer, l’assaillant Pōmare se rend à Tautira
pour quelque répit. Ultérieurement, en tentant un combat-revanche, Ta’atari’i
est tué ; ensuite, intraitable, Pōmare II met à sac le district de Pāpara. Son
ivresse despotique devenant alors intolérable, le grand ra’atira Pā’ofa’i rallie
l’entièreté de l’île de Tahiti pour s’insurger contre Pōmare II, obligé de s’enfuir à Mo’orea (début 1808).
Ces événements, turbulents pour la conquête spirituelle, entraînent un
nouvel exode de découragement des messagers de paix vers l’Australie.
Sont restés notamment à Tahiti : Nott, Wilson, Hayward, Scott et Davies
pour résister au persistant paganisme, lesquels, – ayant effectué une première tournée évangélique aux Iles Sous-le-Vent en 1807, – s’installent à
Mo’orea (décembre 1808) dans l’environnement d’exil de Pōmare II, qui
peu à peu sera gagné par l’influence chrétienne.
8. intermède pour un rocher isolé en mer
Il y a maintenant une vingtaine d’années (28 avril 1789) qu’a éclaté
la mutinerie du Bounty – qui disparaîtra des longs regards de Mātāvai le
22 septembre 1789 – et que le Pandora a rapatrié les mutins restés à Tahiti
(8 mai 1791). Un certain oubli a dorénavant relégué cette mémorable
23
piraterie des préoccupations actuelles locales comme internationales, car
l’Europe est en pleine effervescence guerrière…
Mais le hasard a conduit le navire marchand américain Topaz, capitaine Folger, qui aborde une île à pic, battue par les flots mugissants comme
pour interdire tout débarquement : Pitcairn, 29 septembre 1808. Il y a été
accueilli par l’Anglais Alexander Smith, seul matelot survivant des 9
mutins ayant suivi le second du Bounty Fletcher Christian et qui, tel un
patriarche, entretient dans une vie exemplaire une maisonnée de 35 âmes
sur un rocher de 10 km2 culminant à 300 m (sommet où Christian s’était
aménagé sa cachette d’observation imprenable). Les mutins, quelques
temps après avoir quitté Tahiti, ont fracassé volontairement et brûlé le
Bounty en mauvais état sur les escarpements de l’île (découverte par le
capitaine Carteret en 1767).
Après collectivement s’être établis et avoir labouré cette nouvelle
terre inhabitée, devenu ombrageux et dictatorial, Christian sera la seconde
victime d’un climat de méfiance et de jalousie, l’irritation et l’exaspération amenant les néo-ennemis à s’entretuer avec les 6 Indigènes mâles
vite esclaves, après neuf mois à deux années (?) de communauté tolérante.
Le matelot John Williams, excellent armurier, est abattu le premier, puis,
après Christian, ce sera le tour successivement du second-canonnier John
Mills, du matelot Isaac Martin et du jardinier William Brown, qui seront
les 5 Blancs occis en cette journée sanglante ; puis, en octobre 1793, les
derniers Tahitiens mâles seront exterminés avec la complicité des
femmes.
La vie semble cool jusqu’en 1798 ; puis les deux matelots William Mc
Koy et Matthew Quintal, bouilleurs d’eau-de-vie de racine Dracaena
terminalis, seront éliminés : le premier, par crise de délire alambiqué, s’est
jeté du haut d’une falaise ; le second, courant 1799, devenu convoiteur et
menaçant, se fera « assommer, comme un boeuf, à coups de hachette » par
les deux Blancs restants, qui vivront dans le repentir, Bible et Livre de
prières dominicales du Bounty en mains.
Un an plus tard (1800), une infection pulmonaire met un terme à
l’existence du midship Edward Young, laissant seul le matelot Alexander
Smith dans sa contrition ; notre champion du Credo mourra à Pitcairn en
mars 1829, âgé de 69 ans. Ce résumé résulte de la première nouvelle de
cette découverte extraordinaire, reçue du capitaine Folger en touchant
Valparaiso et communiquée par le lieutenant William Fitzmaurice (10
octobre 1808) à l’Amirauté d’Angleterre (14 mai 1809) via Sir Sydney
24
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Smith à Rio de Janeiro. Mais les guerres de l’Europe mirent en sourdine
l’événement, quand deux frégates anglaises en croisière dans le Pacifique, le Briton et le Tagus respectivement commandés par Sir Thomas
Staines et le capitaine Pipon, viennent le raviver par un rapport plus
détaillé envoyé de Valparaiso (18 octobre 1814) et reçu début 1815 à
l’Amirauté.
Y est signalée la confession d’un vénérable vieillard, unique survivant des mutins du Bounty, s’appelant cette fois-là John Adams. Elle ne
provoque pas plus de réaction de la part du gouvernement britannique.
Et deux années s’écoulent encore, quand d’abord un baleinier en relâche
y dépose le nommé John Buffet, séduit par la communauté de l’île pour
y devenir l’instituteur et pasteur. Ensuite, en 1825, croise dans le Pacifique, pour une expédition de découverte, le vaisseau de guerre Blossom
capitaine Beechey : il recueille le récit complet de la mutinerie version
John Adams, vieil homme chauve de 65 ans, agile malgré un embonpoint, ayant inculqué à son entourage une extraordinaire instruction
morale et religieuse… comme pour éloigner dans sa retraite d’expiation
son nom véritable d’Alexander Smith, avec la charge de la nombreuse
descendance croisée d’Angleterre et de Tahiti. De cette aventure, seuls 3
mutins auront connu l’ignominieuse punition par pendaison haut et court.
Dans la vie quotidienne à Pitcairn, bien qu’élevant chèvres et porcs
apportés par le Bounty, les premiers habitants en question tuent rarement
un cochon, leur nourriture étant quasiment végétarienne au régime
pētānia14... Le patriarche narrateur demandera au capitaine Beechey, pour
sa félicité suprême, « de lire les prières du mariage pour lui et pour sa
femme (... sa vieille compagne aveugle et alitée depuis plusieurs années)...
cérémonie du mariage où ils furent régulièrement unis, événement consigné dans un registre... ». Selon les lois maritimes condamnant de crime de
piraterie l’insubordination notoire où les sentiments n’ont pas place dans
la discipline, le devoir du précédent visiteur Sir Staines commandait impérativement de passer les menottes à Smith alias Adams pour le ramener en
Angleterre où, jugé et condamné comme ses complices, il aurait subi la
peine de mort… peut-être, car le recul du temps et certaines circonstances
atténuantes, renforcées par son comportement ultérieur à la mutinerie,
14
N.D.E. - Pētānia est la prononciation tahitienne de Pitcairn et désignera par la suite les
adventistes du 7ème jour.
25
hautement méritoire dans la gestion de Pitcairn, lui auraient probablement valu le pardon de Sa Majesté George IV…
Enfin, il faut savoir que l’auteur Sir John Barrow (1764-1848) –
nom donné à une pointe, un cap et un détroit ; grand voyageur et géographe anglais du Lancashire, devenu sous-secrétaire d’ Etat à la Marine
en 1804 : poste qu’il conservera durant 40 années, a notamment créé la
Société Royale de Géographie en 1830 – se porte garant de l’exactitude
des assertions ci-après. Le récit, nuancé dans le temps, des circonstances
de la mort de Fletcher Christian, par le seul survivant témoin des faits,
laisse en effet planer quelques doutes sur le décès réel de Christian dans
sa plantation : à peu près à l’époque où le capitaine Folger visite Pitcairn,
vers 1808 ou 1809, dans la région des lacs de Cumberland et de Westmoreland, bien des gens ont affirmé que Christian se trouvait dans les
parages et qu’il rendait de fréquentes visites à une vieille tante habitant
par là, étant bien connu des gens du cru. Et justement à la même époque,
dans Fore Street, quai de Plymouth, le capitaine Heywood (ancien midship du Bounty) marchant rapidement derrière un homme, dont la
silhouette et l’allure générale ressemblaient tellement à celles de Christian, voulut le rattraper. Mais le marcheur, entendant « les pas se rapprocher de lui, retourna brusquement la tête, dévisagea Heywood et s’enfuit
à toutes jambes ». Dans la course-poursuite après cette frappante ressemblance et leur émotion réciproque, Heywood fut pris de vitesse et l’inconnu disparut dans le dédale des rues, alors qu’il n’avait jamais entendu
parler de lui depuis leur séparation à Tahiti… Troublé mais craignant les
conséquences pénibles d’une telle déclaration, Heywood jusqu’à sa mort
évoquera cet incident peu ordinaire…
9. après la bataille de Fē’ī-Pī
La plupart des pasteurs, partis vers Sydney, accepteront de revenir à
Tahiti entre 1812 et 1815, en même temps que de nouveaux évangélistes
sont venus d’Angleterre grossir la Mission. C’est sur ces entrefaites que,
un complot ourdi par les non-convertis ayant foiré (juillet 1815) contre
les partisans de Pōmare II, acquis à la cause chrétienne, ce dernier sort
vainqueur dans la fameuse bataille de Fē’ī-Pī (12 novembre 1815) en
accordant clémence aux vaincus sans massacre, signe de la progression
de l’influence religieuse… avec destruction de tiki.
S’ensuit la reconquête militaire de Tahiti par Pōmare II en 18151816, alors qu’arrivent de nouveaux évangélistes de la London Missionary
26
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Society, dont William Pascoe Crook « » (1775-1846), déjà affecté avec
John Harris aux Iles Marquises (6 juin 1797), lors du premier contingent
du Duff, et y ayant séjourné deux ans, alors âgé de 22 ans et ayant noté
dans son journal une multitude d’observations, d’une valeur scientifique
inestimable, avec un vocabulaire marquisien. Harris, lui, avait réembarqué (26 juin) aussitôt sur le Duff, effrayé par la familiarité lubrique des
îliennes, pour retourner à Tahiti.
Quant à Crook, le navire américain Betsy, de passage en juin 1798,
l’embarque pour Nuku-Hiva où, parlant bien le marquisien et bien
accueilli, il demeure jusqu’au 8 janvier 1799 : il profitera du passage des
baleiniers anglais Euphrates et Butterworth, pour être de retour en Angleterre en mai 1799. Est du voyage le Marquisien tatoué Timotiti (Temoteitei), qui sera exhibé à Londres où il meurt rapidement de consomption.
Crook retourne en Océanie, marié avec Hannah Dare, séjourne
d’abord en Nouvelle-Galles du Sud (Australie) de 1807 à 1816 : il ouvre
à Sydney le premier pensionnat pour jeunes filles (1804), fonde la première église congrégationaliste (1810) ; il embarque ensuite, avec son
épouse et leurs 7 enfants, sur un navire missionnaire destination Mo’orea
(8 mai 1816), où il installe sa mission en attendant la pacification de
Tahiti.
Vers la même époque, William Ellis (1794-1872) – ayant, lui, quitté
l’Angleterre (23 janvier 1816) avec 7 autres missionnaires pour arriver à
Mo’orea (26 mars), apportant sa presse d’imprimerie à Papeto’ai pour
l’installer à ’Afareaitu – met en pratique ses aptitudes d’imprimeur par
la réalisation d’un abécédaire (juin) en présence de Pōmare II : premier
ouvrage imprimé (devenu introuvable) dans une île du Pacifique. Et
Crook assiste Ellis dans la publication d’un catéchisme adapté (1817) et
d’une traduction de l’ Evangile de Luc (1818).
Laissons ici notre collaborateur Robert Koenig déclarer à l’occasion
des Journées du livre des vendredi 12 et samedi 13 octobre 1990 organisées par l’O.T.A.C.15 :
« Le 30 juin 1817 est imprimée à Mo’orea la première page du premier livre jamais écrit dans une langue du Pacifique; l’éditeur William Ellis
est entouré des autorités territoriales et des corps constitués de l’époque et,
parmi eux, se trouve Pati’i, le grand-prêtre de Mo’orea, celui-là même qui
sera l’informateur d’Ellis pour Polynesian Researches et d’Orsmond pour
15
Office Territorial d’Action Culturelle.
27
Ancient Tahiti »... « Editer c’est aussi imprimer la parole des hommes et
des dieux. Il y a un plaisir tout particulier de relever ce fait : la première
véritable activité industrielle de ce Territoire a été l’imprimerie, activité
fort moderne puisque déjà décentralisée de Mo’orea à Huahine et à
Taha’a. Il y a là le premier clin d’oeil de l’Histoire, puisque la première
activité industrielle à Tahiti se situait à la Pointe Nu’uroa (dite des
Pêcheurs) de Puna’auia, non loin de la future zone industrielle de la
Punaru’u » (polluante et bruyante !)... Le dilemme des éditeurs d’hier est
le même aujourd’hui : problèmes de papier, d’encre, de plomb, de couverture, de reliure… avec en outre le « miconia des éditeurs,... un cancer
mécanique qui ronge les îles… la photocopieuse ! ».
10. Crook établit sa mission à Wilks Harbour
Ellis rejoindra Huahine (20 juin 1818) en emportant sa presse d’imprimerie, alors que Crook, chargé d’installer une nouvelle mission à
Tahiti, a choisi de s’établir à l’Ouest de Pare (14 avril 1818), endroit
appelé Wilks Harbour, nom donné en l’honneur d’un des directeurs de la
London Missionary Society.
Les autres missionnaires, ayant réoccupé les paroisses existantes de
Tahiti, Crook a ainsi choisi un site qui connaîtra, au fil du temps, un
développement dont nous sommes aujourd’hui les héritiers : une ville
portuaire auparavant ignorée. Plaine marécageuse et, de ce fait, peu habitée, la localité compte alors quelques cocotiers et arbres à pain disséminés et beaucoup d’arbustes tāhinu à fines fleurs blanches. Lieu humide
où abonde le moustique à filariose, ce choix conduit Crook à bâtir une
villa sur la colline panoramique de Faiere qu’il dénomme Mount Hope,
à l’air pur et frais d’altitude. Il fait construire également deux grandes
maisons style fare pōte’e à Pā’ōfa’i en bordure de mer (temple et école),
puis un centre de soins dans l’enceinte de la Mission (donc vrai premier
hôpital) – Crook possède de solides connaissances médicales – et tout
cela par dévouement spirituel et social.
Le succès de cette entreprise amène Pōmare II, chef de Pare et qui
a sa résidence royale à Papa’oa (’Ārue), à séjourner souvent sur sa terre
ancestrale de Motu-Uta, dans une sorte de belvédère-cabinet de travail.
Il faut signaler que, vers la même époque, le rassemblement missionnaire protestant à Mo’orea, comme séjour d’accueil avant de rayonner dans les archipels, aligne des pasteurs pionniers tels que :
• David Darling (1790-1867) : passe de Mo’orea (1817) à Tahiti (1819)
pour la station de Puna’auia, ayant assisté au baptême de Pōmare II, est
28
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en tournée à Tai’arapu (1821), est chargé de la Presse de la Mission
(1827), inspecte les stations des Australes et des Marquises (1831), Angleterre (1817), re-Tahiti (1818)...;
• robert Bourne : arrivé à Mo’orea en 1817, assiste aussi au baptême
de Pōmare II en 1819, fonde la station de Taha’a (1822) et va s’installer
en Nouvelle-Zélande (1827) ;
• Henry Bicknell (1766-1820) : « charpentier, scieur de long et faiseur
de roues » de la L.M.S. premier contingent 1797, quitte Tahiti (mai
1808) via Sydney pour l’Angleterre, porteur du manuscrit du premier
livre de lecture en tahitien préparé par Davies (imprimé à Londres,
1810), réapparaît à Mo’orea provisoirement dans la demeure même de
Pōmare (juin 1811), de Papeto’ai est muté à Mātāvai et ouvrira la station de Pāpara (début 1818) ; il aura l’honneur de baptiser Pōmare II,
avec speech de circonstance, le 18 mai 1819, dans la fameuse Royal
Mission Chapel ; il mourra de dysenterie à Pāpara (7 août 1820) ; sa
veuve deviendra la seconde épouse de Davies ;
• Samuel tessier : du contingent des 9 pasteurs arrivés par navire Royal
Admiral (10 juillet 1801), à Tahiti alors en guerre progressive, son
équipe sera envoyée par sécurité à Huahine (1808) ; séjour à Sydney
(octobre 1809-juin 1813), affecté à Mo’orea puis court séjour à
Mātāvai, est adjoint à Bicknell à Pāpara (nov. 1818), assiste aussi au
baptême de Pōmare II (mai 1819), meurt de dysenterie (23 juillet 1820),
deux semaines avant son collègue à Pāpara ;
• Henry Nott (1774-1844) : artisan du premier contingent missionnaire du
Duff (mars 1797), a de grandes aptitudes linguistiques pour prêcher en
tahitien : tour de l’île avec son collègue James Elder (1802) ; leur chairman John Jefferson, maîtrisant parfaitement la langue locale pour la mission de Tahiti, étant mort et enterré à Mātāvai (25 septembre 1807), Nott
réalise avec son collègue James Hayward la première tournée évangélique
à Huahine, Ra’iātea et Porapora ; puis l’insécurité de Tahiti le fait séjourner à Mo’orea (1808-1815), où s’est retiré Pōmare II après sa défaite et où
l’Histoire reconnaît l’ascendant pris par le missionnaire sur le comportement ultérieur du roi, chrétiennement et intellectuellement ; à Huahine
(juillet 1818), puis à Mātāvai (juin 1819) pour rétablir la station abandonnée lors des événements guerriers, il retourne en Angleterre (1825), d’où
il reviendra (1827) pour continuer à travailler avec acharnement en selfmade man à la traduction de la Bible (après celle de l’Evangile de Luc
imprimée sur la presse de ’Afareaitu en 1817) jusqu’en décembre 1835 :
29
il retourne en Angleterre faire imprimer (juin 1836) « le fruit d’un labeur
de vingt années » ; édition complète réalisée, il revient à Tahiti (juillet
1840) puis se retire du service actif pour mourir à Pāpara le 2 mai 1844 ;
• William ellis : sus-évoqué, installé avec sa presse à Huahine (1818),
vient consulter Nott à Tahiti (1821) sur le Code Pōmare, part en visite
aux Iles Marquises puis Hawai’i, retourne à Huahine (octobre 1822) et
quittera l’archipel (31 décembre 1822) pour l’Angleterre où, après un
séjour missionnaire à Madagascar, il mourra le 9 juin 1872 ; ayant
notamment publié à Londres en 1829 Polynesian Researches16 ;
• William Henry (1770-1859) : charpentier du premier contingent missionnaire du Duff (mars 1797) et du groupe repartant sur Sydney (avril
1798) dans la période de guerre à Tahiti… mais il revient à Tahiti (janvier 1800-novembre 1808), les guerres locales l’éloignant alors à Huahine, puis (octobre 1809) en Australie (éducation des enfants), revient
à Mo’orea (septembre 1811), sa femme née Sarah Maben mourant à
Papeto’ai (juillet 1812) : 3 enfants ; repart à Sydney (1813) pour être
réaffecté à son retour, remarié, à la mission entre Pape’ete et Mo’orea
(1813-1832) : sa seconde femme née Ann Shepherd lui ayant donné 11
enfants, tous nés à Tahiti ou Mo’orea, le couple s’est retiré à Sydney en
1842 (W.H. est décédé à Ryde le 1er avril 1859 à 89 ans, Ann le 28 juin
1882 à 85 ans) ;
• John Davies (1772-1855) : arrive à Tahiti à 29 ans (juillet 1801) pour
y demeurer plus d’un demi-siècle au service de sa mission ; ce maître
d’école se révèle comme linguiste, traducteur et historien, formant un
sacré quatuor intellectuel avec Henry, Orsmond et Nott ; après son
alphabet de 1810 (cf. Bicknell plus haut), est en poste à Huahine (18081809), Mo’orea (1811-1818), Huahine encore (1818-1820) sous le
règne du roi Māhine, avec ses collègues Charles Barff, Orsmond et
Ellis ; s’installe ensuite à Pāpara définitivement, dans « une résidence
agréable, avec un verger et quelques têtes de bétail » ; a rédigé The History of the Tahitian Mission 1799-183017 ; il connaîtra l’occupation
française vers 1842 doublée de l’arrivée des missionnaires catholiques ;
cependant, avec Orsmond, il choisit de rester sur place. Il aura quitté les
Iles de la Société une seule fois en 1809, avec un groupe de 7 missionnaires ne pouvant plus exercer leur ministère à la suite de la révolte
16
17
Traduction : A la recherche de la Polynésie d’Autrefois, Société des Océanistes de Paris, 1972.
Histoire inédite (publiée à Cambridge en 1959 enfin).
30
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indigène ; ayant quitté Huahine sur le « brick » Hibernia (17 octobre)
pour aller s’installer en N.S.W. il est de retour, marié, en septembre
1811 pour Mo’orea : sa jeune femme Mary meurt un an plus tard (4
septembre 1812). Il épousera ensuite la veuve de son collaborateur
Bicknell (décédé en 1820) : une Anglaise nommée Mary Ann Bradley
(décédée en janvier 1826) ; il terminera sa vie quasiment aveugle et
impotent, un pasteur indigène lui ayant été adjoint à Pāpara où il meurt
à 83 ans (19 août 1855). Il a publié, en 1823, une première grammaire
tahitienne (Grammar of the Tahitian dialect of the Polynesian language18) puis, en collaboration avec Darling (cité plus haut), A Tahitian
and English Dictionary and a short grammar of the Tahitian dialect19,
ouvrage que les Editions Haere Pō ont fort heureusement reproduit tel
quel en 1985 puis 1987 : ce dictionnaire uniquement tahitien-anglais
auquel se réfère constamment l’Académie Tahitienne Fare Vāna’a…
comme d’autres instances autorisées, constituant avec le fameux dictionnaire exclusivement Pa’umotu-English élaboré par Frank Stimson
(La Haye, 1964) une source délectissime pour les curieux linguistes ;
• John muggridge Orsmond (1788-1856) : arrive de Londres via Sydney
à Mo’orea (27 avril 1817) jusqu’au 20 juin 1818, rejoint Ellis à Huahine,
est à Rai’atea en décembre mais sa femme y meurt en couches (6 janvier
1819)… se remarie à Sydney avec Isabelle Nelson et revient pour s’installer à Porapora (18 nov. 1820) jusqu’en 1824, est désigné pour diriger
la South Seas Academy à Mo’orea, école sélective ; nommé ensuite à
Tai’arapu (1831), il assistera dix à douze années plus tard à la situation
d’occupation française relatée chez Davies ci-dessus, ayant tous deux
oeuvré avec autant d’ardeur et d’érudition dans la confection du dictionnaire tahitien-anglais sus-évoqué. Demeuré sur place après les événements de 1840-1844, il aurait confié un important manuscrit
ethnologique au gouvernement français en 1848, via le Gouverneur
Charles François Lavaud, aux fins de publication, et qui a malheureusement disparu… My God ! Mais sa petite-fille Teuira Henry (1847-1915 :
issue de Isaac Henry, fils de William Henry et de Eliza Orsmond : fille de
John Orsmond et d’Isabelle Nelson), professeur linguiste à l’Ecole Viénot,
réussit à restituer partiellement le travail de son éminent aïeul « Otomoni »
dans l’ouvrage Ancient Tahiti20, légué à nous sous la traduction Tahiti aux
18
Tahiti, Mission Press.
Tahiti 1851, L.M.S.’s Press.
20
Bishop Museum of Honolulu, 1921.
19
31
temps anciens de Bertrand Jaunez21. Pensant se retirer en NouvelleZélande, Orsmond meurt en cours de voyage le 23 avril 1856 et est
immergé dans l’Océan Pacifique.
C’est donc dans l’environnement de cet aréopage, – (liste des noms
cités non exhaustive) – de fréquentation privilégiée réciproquement, que
Pōmare II, personne lettrée, devient traducteur-correcteur de textes
bibliques et ainsi collaborateur préféré de Crook. Ce dernier le soigne, en
outre, des souffrances d’un ancien éléphantiasis, mais le roi est grand
consommateur de rhum…
11. le code du roi Pōmare ii
En assemblée générale convoquée à la résidence de Papa’oa le
13 mai 1819, est approuvé et promulgué le Code Pōmare, essentiellement œuvre de Nott. Et comme il se rend régulièrement au culte du
dimanche au temple de Pā’ōfa’i, Pōmare II est baptisé le 18 mai
1819, en la chapelle royale octogonale de Papa’oa, en présence de
quatre milliers d’assistants.
Episode de la canne à sucre dont la culture a réussi aux Antilles :
envoyé d’Angleterre via Sydney, arrive à Tahiti John Gyles, colon-missionnaire de la L.M.S. (14 août 1818), pour lancer ses plantations à
Mo’orea. La tentative est un échec, car la main-d’œuvre locale, libre et
altière, répugne à la servilité ; notre visiteur abandonne et retourne à Londres (22 juin 1820). Mais le fils de Bicknell, ayant participé à ce premier
essai, va transférer les plants de canne à Tahiti où il réussira à obtenir un
très bon sucre, mais insuffisamment pour l’exploiter en affaire commerciale car onéreuse.
Le commerce s’est peu à peu développé durant ces deux premières
décennies du présent siècle, les guerres s’estompant, grignotées par le
christianisme ; l’élevage porcin fournit du porc salé aux navires en progression de passages ; mais aussi, le pays reçoit crescendo : textiles,
outils, armes et munitions, alcools… Pōmare II est à l’apogée de son
règne, étendant son autocratie sur Tahiti et Mo’orea et sa suzeraineté à
Raro voire aux Tuāmotu. Sa première femme Tetua est morte en juillet
1806, alors qu’il avait la trentaine ; actuellement, la plus jeune des deux
épouses du roi, Teremoemoe, fille du chef de Ra’iātea (l’autre étant sa
21
Société des Océanistes de Paris, 1951.
32
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sœur Teri’itaria), accouchera à Papa’oa d’un fils le 25 juin 1820 : le futur
Pōmare III, confié aux soins hospitaliers de dame Crook à Pā’ōfa’i. En
juillet 1820, on note le passage à Tahiti du navire russe du capitaine Bellinghausen. Le 10 septembre 1820, Crook baptise le nouveau roi en présence d’un millier de personnes.
12. motu-Uta en baie de « Hope town »
D’une stature caressant le double mètre, Pōmare II est impressionnant, mais est devenu ventripotent et son état de santé va se dégrader
rapidement, par suite de « ses habitudes d’intempérance et d’autres excès
méprisables ». En novembre 1821, il est transporté de Papeto’ai
(Mo’orea) à sa résidence de Tahiti à Papa’oa ( ’Ārue), puis il est acheminé pour être installé fin novembre à Motu-Uta où il expire le 11
décembre, au milieu d’une grande affluence.
En 1822, le Conseil de Régence adopte un drapeau-étendard rouge
orné d’une étoile dans l’angle supérieur de la hampe.
Petit à petit, à partir de l’installation missionnaire de Pā’ōfa’i la
plaine marécageuse va se peupler plus à l’Est : les remblais progressent,
les néo-citadins provenant surtout des vallées à l’Ouest de Pare (Hāmuta
et Fautau’a), ainsi que de Tīpaeru’i (Taupō) en amont, comme des agglomérations limitrophes de Pīra’e et Tefana et aussi des Tuāmotu.
Le lieu de débarquement de l’époque est composé de nombreuses
« petites cases… au milieu des orangers, des cocotiers, des goyaviers et
des arbres de toutes espèces qui ombragent le rivage curviligne sur les
bords de la rade… gracieux et pittoresque »22. Les missionnaires l’appellent Hope Town, puisque la localité s’étend en contrebas de Mount
Hope (Faiere).
Cependant, les indigènes l’appellent vite Vai’ete, du nom de la rivière
(source à ’Orovini, entre l’actuelle Assemblée territoriale et la Radio-Télévision) traversant la terre ancestrale des Pōmare (terre entre les actuelles
rue du Dr Cassiau et avenue Bruat). L’extension du peuplement de cette
ville, où en 5 années (de 1818 à 1823) sont venues s’installer avec Crook
près de mille personnes, rend nécessaire la construction plus grande d’un
nouveau temple et d’une nouvelle école. Pōmare III va sur ses 3 ans quand
a lieu la pose de la première pierre du nouveau Temple (5 juin 1823) avec
cérémonie circonstanciée et gigantesque tāmā’ara’a.
22
Journal de bord du capitaine Gabriel de Larcy, 1822.
33
Quant à Crook, la réussite de son dévouement apostolique constatée
à Pape’ete le fait désigner par ses confrères à la tâche plus difficile
d’évangélisation de la presqu’île de Tai’arapu : il est affecté à Vairā’ō
(octobre 1823) avec épouse et enfants (9 désormais) jusqu’en 1830 où il
quitte Tahiti (septembre) pour se retirer en Australie. Crook mourra le 14
juin 1846 à Melbourne (71 ans).
13. intermède missionnaire
De nouveaux missionnaires de la L.M.S. sont venus renforcer en
Océanie l’action et les activités de leurs prédécesseurs. John Williams
(1796-1839) arrive à Mo’orea d’abord (17 novembre 1817), est affecté à
Huahine (20 juin 1818) puis à Ra’iātea pour y fonder la mission, où il est
particulièrement actif (code, école, cultures de tabac et canne à sucre) ;
part à Sydney (octobre 1821), y achète le schooner Endeavour aux fins
d’étendre avec plus d’efficacité l’œuvre missionnaire entre Ra’iātea,
Rurutū, Rimatara et Rarotonga (où il a fait construire le navire Messenger
of Peace) entre 1822 à 1833.
Sont arrivés d’Angleterre par baleinier Tuscan (25 septembre 1821):
le missionnaire Thomas Jones, pour les stations de Vaipiha’a (1822) puis
Hitia’a (1825-1826), le charpentier de métier Thomas Blossom, pour la
South Seas Academy, et le tisserand Elijah Armitage, pour enseigner comment traiter le coton : ce dernier, de Pīra’e passe installer sa fabrique à
Mo’orea (début 1823) ; cette tentative cotonnière ayant fait fiasco, l’orateur
de la prédication Williams emmène Armitage (1833) avec son métier à
Rarotonga où l’expérience, coûteuse, sera finalement abandonnée aussi ;
et le tisserand retournera en Angleterre (mars 1836).
Quant à Williams, il a rallié l’Angleterre (12 juin 1834) pour préparer
son livre Narrative of Missionary enterprises in the South Seas Islands
(avril 1837), qui suscite un vif intérêt ; le succès des ventes permet à la
mission d’acheter et équiper le navire Camden, capitaine Morgan, pour
regagner, via Sydney avec un groupe de jeunes missionnaires, Tahiti (mars
1839). En voulant sillonner pour la conquête spirituelle au-delà des îles
Cook, Williams connaîtra une fin tragique : assassiné à l’île d’Erromango
(20 novembre 1839), le martyr gît en terre samoane à ’Uporu.
Arrivant d’Angleterre, le missionnaire George Platt (1789-1865)
débarque à Mo’orea (17 novembre 1817), pour seconder William Henry
(arrivé en mars 1797) à Papeto’ai et y établir une église (1819) ; il succède
à Orsmond à Porapora (février 1824) puis visite les Iles Australes sur le
34
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Messenger of Peace (1er trimestre 1830). Mais les turbulences politiques
à Porapora l’obligent à aller s’installer à Ra’iātea (1830) jusqu’en mars
1856 ; rentré en Angleterre, il est de retour à Ra’iātea en août 1859 et y
mourra à 76 ans (4 avril 1865).
Charles Pitman (1796-1884), envoyé par la L.M.S., arrive à Tahiti
(31 juillet 1825) pour travailler deux ans dans la Mission entre successivement Tahiti, Ra’iātea et Taha’a. Il est ensuite affecté à Rarotonga
jusqu’en 1854 ; se retire à Sydney où il meurt à 88 ans.
Signalons ici, hors Pape’ete, le cas de Tute « Cook » Tehuiari’i (17811858), premier pasteur et missionnaire protestant tahitien originaire de
Mo’orea, ami du roi Pōmare II et homme de puissante stature. Après les événements locaux de 1817-1818, il émigre avec des missionnaires à Huahine
où, une solide formation ecclésiale dans la nouvelle religion reçue, il est
choisi pour assurer la direction de la première église indigène de Huahine
(mai 1820). Renseigné par William Ellis, le roi Kamehameha III de Hawai’i
sollicite au roi de Tahiti les services de christianisation des pasteurs indigènes ; et Tute est ainsi désigné par la mission de Huahine qu’il quitte via
Pape’ete avec femme et filles (19 juin 1826), pour arriver à Honolulu (24
juillet) où il est bien accueilli comme instituteur-évangéliste et chapelain personnel du roi, jusqu’à sa mort à 77 ans (3 décembre 1858).
14. Sous le règne du roi Pōmare iii, Pritchard entre en scène
Les navires de commerce comme les baleiniers découvrent maintenant en Wilks Harbour, alias Hope Town, alias Pape’ete, un mouillage
toute l’année plus sûr qu’en baie de Mātāvai, pouvant y entrer par les
passes de Taunoa et Tīpaeru’i. Les équipages en permission y distribuent
cadeaux divers, gin et rhum, tandis que les hôtes les reçoivent avec force
’upa’upa engendrant des joies bacchanales.
Après l’envahissement de Pāpara par Pōmare II en 1807 et la guerre
de Fē’ī-Pī (novembre 1815) qui ont laissé des deuils sanglants, les
apports de paix évangélique ont développé, chez les dirigeants actuels
des générations locales, des stratégies et des ambitions de pouvoir nouvelles. ’Ōpūhara de Pāpara tué au combat, son frère Tātī revenu de son
exil à Porapora reprend le titre de chef de Pāpara, le Code Pōmare promulgué en mai 1819 ayant reçu l’assentiment intégral des chefs.
Le 21 avril 1824, en la Chapelle royale de Papa’oa (’Ārue), la cérémonie du couronnement du jeune roi (presque 4 ans) est officiée notamment par les pasteurs Henry pour oindre, Nott pour couronner et Davies
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pour répondre à la place du roi Pōmare III, l’engageant à « promettre de
régenter son peuple avec justice et bonté, selon la Bible et le Code ».
Le 24 décembre 1824 arrive de Londres, par navire Fox Hound, à
Tahiti le missionnaire George Pritchard (1796-1883) : après un an à Fa’a’ā,
il est affecté à Pape’ete. Sa tâche est difficile, mais il est ambitieux et énergique. Installé à Pā’ōfa’i, il entreprend de mener à bonne fin la construction
du nouveau Temple commencé par son prédécesseur Crook, mais suspendue depuis son départ. L’enfant-roi est élève à la South Seas Academy à
’Āfareaitu (Mo’orea), où il a pour précepteur Orsmond ; il accompagne
Pritchard en visite sur le navire Blossom (avril 1826) capitaine Beechey,
dans la rade de Pape’ete, ce navire de guerre qui a accosté à Pitcairn courant 1825 (36 ans après la mutinerie du Bounty).
En mai 1826, l’Assemblée législative (créée en 1824) a institué une
réglementation contre les matelots déserteurs. En août 1826, le navire de
guerre américain Peacock, capitaine Thomas Catesby Jones, fait faire le
voyage Mo’orea-Tahiti à l’élève-roi témoignant d’un esprit vif.
15. la reine Pōmare iv s’installe
En décembre 1826, est fêtée l’inauguration du Temple et des bâtiments annexes. Tombé malade à Mo’orea en saison humide, Pōmare III,
rejeton mâle unique de la dynastie actuelle, succombe rapidement (dysenterie ?) à Pare vers le 10 janvier 1827 (6 ans 1/2) et est inhumé à
Papa’oa. Sa sœur ’Aimata, sans couronnement, prend à 14 ans (née le 28
février 1813) le titre de Pōmare IV, Reine de Tahiti, Mo’orea et dépendances : fille de Teremoemoe, c’est la sœur de celle-ci sa tante Teri’itaria
qui assure, en fine politicienne, la régence. Traditionnellement promise au
ari’i Tāpoa de Porapora, elle s’installe aussitôt à Pape’ete, lieu de vie
plus amusant que Papa’oa, étant adhérente de la nouvelle secte des
Māmaiā aux mœurs libres, et ainsi à la grande appréhension des missionnaires. Il faut dire que les Māmaiā sont des taure’are’a sélectionnés, physiquement et oratoirement, parmi les jeunes gens du type play boy,
jouisseurs sans doute, mais robustes et causeurs virils, et les spécimens
féminins de belles plantes.
Pape’ete fait partie du mata’eina’a de Pare, dépendant de Porionu’u
comme ’Ārue, et devient ainsi le chef-lieu du royaume des Pōmare, l’assemblée annuelle des chefs s’y tenant pour la première fois à partir de
1827. Le pasteur Alexander Simpson (1801-1866) arrive de la L.M.S. à
Tahiti (13 mars 1827) pour Papeto’ai-Mo’orea ; il accompagnera Pritchard
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en tournée aux Iles Australes et aux Iles Marquises sur navire Olive
Branch (mars-mai 1829) et sera chargé de la South Seas Academy.
Débarque le 15 mars 1829 à Pape’ete Jacques-Antoine Moerenhout
(1796-1879), comme subrécargue de la goélette Valdora venant du Chili
pour le négoce et la plonge de la nacre aux Tuāmotu. La trentaine passée,
ce célèbre marchand de mère française et de père belge, quand la Belgique est territoire annexé à la France (de 1794 à 1815), a participé dans
l’armée française comme dessinateur du Génie dans la Campagne d’Allemagne (1813) et la Campagne de France (1814), puis est dans le commerce à Anvers. Secrétaire du consul des Pays-Bas au Chili (1826),
ensuite commerçant, il arrive donc subrécargue à Tahiti (1829) en vue de
créer une plantation de canne à sucre près de Pape’ete, y demeurant
comme négociant toujours en affaires avec Valparaiso, où il s’est marié
avec Petroni La Garcia y La Guerra (1833). Habitant une belle résidence
sur le front de mer, notre immigrant franco-belge sera, avec sa femme
chilienne, témoin privilégié des activités locales.
Vers cette époque, Crook a signalé le passage aux Iles Marquises, à
Tahuata (début 1825), d’Ambroise Favart (1790-1847), marin aventurier
et armurier amateur, qui circulera plus tard dans les Tuāmotu, sur une
goélette chilienne, y ayant flairé la valeur commerciale de la nacre.
A l’avènement donc de Pōmare Vahine, l’influence māmaiā menace
l’autorité et des missionnaires et des chefs. Les plus prestigieux parmi
ceux-ci, Tātī de Pāpara et Hitoti Manua (1770-1846) de Ti’arei-Hitia’a,
vont investir en force Pape’ete (septembre 1829) pour contraindre la
Reine à renvoyer les « faux prophètes de la secte syncrétiste » à Ra’iātea,
où la Reine va s’exiler d’elle-même, prenant ainsi le parti de la Mission.
Pōmare Vahine revient à Pape’ete en janvier 1831 avec une
garde d’environ 400 Māmaiā, auxquels se joignent autant de guerriers des deux chefs de Tai’arapu. Elle exige que tous les chefs de
Tahiti lui rendent hommage. A nouveau Tātī et Hitoti assiègent
Pape’ete pour forcer la Reine à renoncer à son entreprise. La guerre
fratricide est avortée par l’arrivée de deux navires de guerre anglais
(24 mars 1831), lesquels débarquent 86 ressortissants de Pitcairn.
Evacués de leur île où ils ont été élevés dans la stricte observance des
Dix Commandements, les descendants des mutins-naufragés volontaires du Bounty seront vite victimes des maladies apportées par les
baleiniers : 12 innocents meurent, les survivants aidés par Pritchard
regagneront Pitcairn par un baleinier (août 1831).
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Peu de temps après, la Reine choque les missionnaires, en délaissant
son mari Tāpoa, pour épouser son cousin Ari’ifāite (13 ans), fils d’un
chef de Huahine. Alors Tātī, craignant l’influence libertine néfaste des
hérétiques Māmaiā, entreprend d’écraser ces derniers à Tai’arapu lors
d’une bataille militaire sanglante. Et il convoque en assemblée des chefs
la Reine qui, humiliée, en cette séance extraordinaire en la présence habituelle des pasteurs, promet de renoncer à ses pratiques anciennes. Est
alors fondée une Société de tempérance, dont la présidence est confiée à
la Reine Pōmare IV.
Signalons ici un personnage d’époque : Samuel Pinder Henry (père)
alias Teri’itahi (1800-1852), fils aîné du missionnaire William Henry de
la L.M.S. avec sa première épouse Sarah Maben, né à Tahiti (8 février
1800) et ayant étudié à Sydney ; est agent maritime (ari’itai) du Roi
Pōmare, en particulier actif dans le commerce interinsulaire et avec
l’Australie, ayant notamment assuré à la demande du gouvernement de
la N.S.W. le transport à Tahiti des gens de Pitcairn (1831). Il a épousé, à
Sydney, Sophia Wood (juin 1821) ; il exploitera en co-propriété « une plantation de canne à sucre à Ma’iripehe, qui marche mal faute de main-d’œuvre ». Il terminera comme pilote à Pape’ete où il meurt (1er juin 1852).
Mais Pape’ete est déjà envahie par les équipages, véritables fauteurs
de trouble, affluant des navires baleiniers y faisant relâche. Ils chassent
de plus en plus fréquemment les cétacés, au-delà de l’Atlantique, pour
l’huile de baleine : la demande est en augmentation because of le progrès
pour servir au graissage des machines industrielles et à l’éclairage des
maisons et des rues. Il s’agit principalement de baleiniers américains
basés au Massachusetts : la carcasse dépecée à bord, la graisse est fondue
dans d’énormes chaudrons logés en caissons de brique sur le pont ; doublant le Cap Horn – le voyage aller-retour dure 2 à 3 ans ! – ils font de
longues escales plusieurs fois par an, pour provisions d’eau de bord et de
bois de chauffe des chaudrons.
Les matelots, anciens beachcombers, parfois prisonniers ou déserteurs papa’ā surtout d’origine américaine, ont établi des cases de grog
shops sur le front de mer ; les baleiniers, autrefois de 12 par an, sont
maintenant de 80 par an (période 1830-1840). Chaque équipage se compose d’une trentaine d’hommes qui recherchent, après de durs et si longs
séjours en mer, femmes et boissons à terre : deux commerces interdits par
les lois puritaines ratifiées par la Reine à l’incitation des missionnaires,
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payables en tārā marite ou moni manu (pièces à l’effigie d’aigle Sudaméricain). L’ambiance est propice au dévergondage, à l’ivrognerie d’influence excessive sur la population indigène. Aussi l’assemblée des
chefs, où Tātī et Hitoti se signalent, institue un corps de mūto’i doté
d’une prison (la carabousse, carabossa) – de construction légère ne pouvant empêcher des tentatives d’évasion ! – avec une potence à Tīpaeru’i,
afin de réprimer le désordre… bien difficilement.
16. le commerçant moerenhout, Consul et témoin d’une époque
En avril 1835, Moerenhout s’est absenté en Amérique et en France
(pour son manuscrit qui sera publié en 1837 : Voyage aux Îles du Grand
Océan) et est de retour à Pape’ete (4 janvier 1836) avec le titre convoité
de Consul des Etats-Unis et une importante cargaison de marchandises
françaises, la réunion des chefs de Tahiti et Mo’orea en présence de la
Reine l’ayant autorisé à remplir ses nouvelles fonctions (27 janvier).
Le capitaine Arnaud Maurice (1800-1871), navigant à partir du Chili
depuis 1830, connaît les parages des Iles Gambier, Tuāmotu et Fiji – il
s’installera à Huahine (Tefareri’i) avec une Tahitienne à sa retraite. Alors
en relâche à Valparaiso, il renseigne les pères François Caret (1802-1844)
et Honoré Louis Laval (1868-1880), en attente de vents favorables, sur
l’absence de mission installée aux Iles Gambier ; à la recherche donc
d’un terrain propice pour leur apostolat, nos deux catholiques, avec leur
compagnon charpentier, picpucien irlandais père Columban James Murphy, embarquent sur le navire péruvien Peruana pour Mangareva (6 août
1834) et Akamaru (7) où ils s’installent : le Roi Maputeoa sera baptisé
solennellement le 25 août 1836.
Entre temps, ils ont reçu Mgr Etienne Rouchouze (1798-1843) venu
par les mêmes chemin et navire (9 mai 1835), pour y séjourner jusqu’en
1837, et lequel délèguera les Pères Caret et Laval accompagnés d’un
charpentier nommé Vincent, par le « brick » Eliza, capitaine William
Hamilton, à Tahiti ; débarquement à Tautira (20 novembre 1836), accueil
par un Suédois, pour se rendre à pied à Pape’ete. Ils sont reçus par Moerenhout qui les présentera à la Reine, laquelle semble subir l’ascendant
de Pritchard qui brigue, depuis 1832, le titre de Consul britannique.
Après une assemblée de juges sous la présidence de la Reine Pōmare
IV, une lettre d’elle (29 novembre 1836) invite les prêtres catholiques à ne
point résider à Tahiti. Moerenhout, Consul des U.S.A. depuis janvier
1835, leur ayant prêté asile, dans sa case, nos deux missionnaires y sont
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saisis (12 décembre 1836) et expulsés manu militari, pour réembarquer
sur l’Eliza (16 décembre) direction Mangareva (31 décembre). Réapparaissant à Pape’ete en transit pour Honolulu (21 janvier 1837) avec le
Père Maigret, par navire Colombo, le Père Caret n’est pas autorisé par la
Reine à débarquer et la goélette est déroutée sur Valparaiso.
Moerenhout étant énergiquement intervenu contre l’expulsion des
deux curés jugés indésirables, le gouvernement tahitien a protesté auprès
du gouvernement de Washington, qui relèvera ledit protecteur de ses
fonctions de consul des Etats-Unis (18 juin 1837) dans un pays devenu
pleinement protestant et dont Moerenhout souhaitait la France pour assurer la protection du Royaume des Pōmare.
Par contre, devant l’extension des méfaits occasionnés par les escales
répétées des navires étrangers, les missionnaires anglais déduisent que le
seul moyen de combattre les désordres est de demander à un gouvernement
européen de prendre possession de Tahiti. Ils rédigent ainsi une pétition,
signée de la Reine Pōmare IV, à l’adresse de la Reine Victoria de GrandeBretagne (1819-1901), laquelle se contentera de nommer, pour cette « petite
île à l’autre bout du monde, sans aucune valeur économique ou stratégique », le pasteur de Pā’ōfa’i « pour le poste de Consul aux Iles de la
Société et aux Iles des Navigateurs » (14 février 1837), charge effective à
compter d’avril. Pritchard est présenté officiellement à la Reine et aux chefs
par le commandant du navire Imogene (20 novembre) et, le gouvernement
britannique souhaitant un consul non missionnaire, notre agent diplomatique
démissionne de sa charge de la L.M.S. (30 décembre 1837).
Dans son rapport à la Maison Blanche (24 décembre 1837), Moerenhout dénonce les agissements de Pritchard « qu’il accuse d’utiliser ses
fonctions sacrées et son influence politique pour se livrer » à un commerce rémunérateur. Mais Moerenhout et sa femme seront victimes d’un
attentat (nuit du 9 au 10 juin 1838) commis par un matelot, déserteur de
baleinier, d’origine Sud-américaine. Moerenhout se rétablit promptement, pas son épouse…
17. Dupetit-thouars rencontre Pōmare vahine
Le capitaine de vaisseau Abel Aubert Dupetit-Thouars (1793-1864)
effectue sur la frégate Vénus un voyage autour du monde (1836-1839),
pour établir un rapport sur la pêche à la baleine dans l’Océan Pacifique,
où quelques baleiniers français ont fait apparition. A Valparaiso (juillet
1838) il a reçu de France des instructions pour Tahiti, laissant les pères
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picpuciens Joseph Dosithée Desvault (1807-1881) et Louis Borgella
(1808-1873) à Vaitahu-Tahuata (2 août 1838), arrivant à Pape’ete le 2
août 1838, afin d’exiger de la Reine de Tahiti une lettre d’excuses au Roi
des Français, en réparation de l’insulte faite à la France pour les avanies
essuyées par les prêtres Caret et Laval : chose faite, avec 21 coups de
canon pour saluer le pavillon français.
Un traité est conclu avec la Reine (5 septembre 1838) « accordant
aux Français, quelle que soit leur profession, la liberté de s’établir et de
commercer dans les Etats de la Reine Pōmare IV ». Le navigateur, qui a
été fortement impressionné par les qualités de Moerenhout, persuade en
même temps celle-ci de l’accepter comme Consul de France. Cette désignation est ratifiée par une ordonnance (26 octobre 1839) du Roi LouisPhilippe (1773-1850)... alors que dame Moerenhout a succombé (20
octobre 1838), après être restée malade plus de 4 mois, des suites de
l’agression de juin, et que l’agresseur sera l’un des premiers condamnés
à la pendaison (6 février 1839).
Dupetit-Thouars a quitté Tahiti (17 septembre 1838) après avoir
promu Moerenhout et rencontré, à son passage à Tahiti, Jules-SébastienCésar Dumont d’Urville (1790-1842) – polytechnicien qui a fait 3 grands
voyages le conduisant aux îles enchanteresses d’Océanie : comme lieutenant de vaisseau en second de Duperrey, à bord de la Coquille ; comme
capitaine de frégate sur le même bateau devenu l’Astrolabe (1826-1829),
pour explorer la Polynésie et rechercher les traces de La Pérouse ; commandant une exploration des régions australes sur l’Astrolabe et la Zélée,
avec séjour en Polynésie (août, septembre 1838) : Gambier, Marquises,
Tuāmotu et Tahiti.
On note le bref passage (septembre 1838) du voyageur et savant
polonais Paul Edmond Strzelecki (1797-1873) à Pape’ete, venant de Valparaiso sur le Fly, pour la Tasmanie puis Londres.
18. intermède d’époque
Le charpentier Joseph Brémond (1803-1864) de Marseille, arrivé à
Tahiti en 1833, rendra service au Père François Caret lorsque celui-ci, –
après les conventions de la Reine avec Dupetit-Thouars (septembre 1838)
et Laplace (juin 1839) sur l’entrée des Français à Tahiti et le libre exercice
du culte – quittant Mangareva, arrive par le Rob Roy à Pape’ete (31
décembre 1841), en pleine épidémie de variole. C’est le démarrage, difficile, de l’établissement de la Mission Catholique à Tahiti, l’acquisition de
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terrains n’étant pas commode dans les tiraillements consulaires et missionnaires existant à cette époque. Passe à Tahiti (4 mai-5 juin 1842) le
contre-amiral marquis Joseph du Bouzet (1805-1867), en voyage dans
les mers du Sud, de retour en France sur l’Aube, qui essaie d’apaiser les
disputes locales où le consul Moerenhout a du mal à se dépêtrer. S’y distingue, en particulier, le négociant et ancien marin Auguste Lucas (18041854) de Belle-Isle en Morbihan : séjournera 8 ans à Pape’ete de 1839 à
1847, champion procédurier dans les affaires politiques et judiciaires,
pamphlétaire acerbe contre l’Administration et la politique religieuse.
L’écrivain Herman Melville a 23 ans quand il passe à Tahiti (octobre
1842) : il sera reçu dans une maison en briques séchées, que la Mission
catholique vient de faire construire, celle-là même qui sera incendiée
avec la chapelle et tous les documents manuscrits et archives (dont des
travaux pour un dictionnaire très avancé et attendu sur la langue tahitienne) par « les naturels hérétiques » (30 juin 1844). Peu après ce désastre, le Père Caret (né le 14 juillet 1802 à Miniac en Ille-et-Vilaine), miné
par une affection pulmonaire, prend passage sur la Meurthe, pensant être
rapatrié sur Bordeaux par Mangareva, mais il meurt à Rikitea à 42 ans.
Charpentier donc pour divers travaux des missionnaires et de la
Reine, Joseph Brémond est déjà restaurateur-tavernier en 1844 ; ayant pu
épouser sa femme indigène de Pā’ea, ’O’opa a Tetuanui (1809-1899)
dont il eut plusieurs enfants – la Reine venant de lever la défense empêchant un étranger de s’unir à une naturelle – et il mourra à Pape’ete à 61
ans (26 août 1864).
En effet, Alexander Salmon (1820-1866), gentleman né à Hastings,
issu d’une famille banquière de Londres, arrive à Pape’ete (début 1841)
dans un Tahiti assez agité. Il deviendra vite un citoyen d’élite, ayant
épousé (début 1842) la princesse Ari’i’oehau (1821-1897), petite-fille de
Tātī chef de Pāpara, au Temple de Pape’ete.
La rivière Pape’ete (Vai’ete), ou rivière de la Reine (la demeure de
celle-ci occupait l’emplacement de l’actuelle Assemblée territoriale) – dont
la source, avec un mignon bassin visible derrière l’actuel bâtiment de la
Radiodiffusion-Télévision à la base du Mont Faiere, a emporté tant de
témoignages historiques, toujours excitants pour l’imagination ! – coulant
abondamment en plaine marécageuse, était déjà rétrécie par des remblais
et la première enceinte-Est de fortifications en 1843, laquelle sera rasée en
1852. Les débris serviront à combler et asssainir les abords marécageux,
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la rivière coudant avec le « Broom road », artère principale (devenue rue
de Rivoli, puis rue du Général De Gaulle, à cet endroit), cette partieamont de la rivière Pape’ete ayant été cachée lors de la démolition du
Palais de la Reine (devenue Trésor-Finances avec à l’étage le Conseil de
gouvernement en 1958) pour asseoir l’actuel bâtiment de l’Assemblée
territoriale. Le boulevard de la Reine d’alors était bordé d’orangers et de
maiore, la rivière canalisée fin 1858 réapparaissant comme aujourd’hui
pour contourner le Jardin du Parc Albert 1er, d’où a disparu le Lavoir
municipal (avec ses chiottes publiques qui ont rendu bien des services
quoi qu’on en dise !…) lors de l’aménagement du Boulevard des Pōmare
qui a fait sauter le débarcadère de la Zélée puis de la Tamara, embaumé
saisonnièrement par les mambins, ô douce souvenance!…
19. la ville se développe
Toutefois, la L.M.S. a déjà financé la construction, en bois sur fondation de maçonnerie avec toit rauoro, de la maison de la Reine dite
Palais Royal, sur la terre ancestrale des Pōmare (bâtiment à étage du Trésor-Finances-Conseil de gouvernement encore en 1958, actuel emplacement de l’Assemblée territoriale), époque où a été appelée Taraho’i, la
place publique devant cette nouvelle résidence royale, du nom du marae
principal à ’Ārue, bordée par la rue rectiligne partageant l’agglomération
de Māma’o à Pā’ōfa’i. Cette rue, populairement appelée Broom road
(porōmu, purūmu) parce que régulièrement balayée, après avoir été rue
Louis-Philippe, aura son tracé rectifié et deviendra rue de Rivoli et plus
tard avenue du Général de Gaulle…
Mais si la plaine littorale a été vite occupée, les collines de l’arrièrepays, primitivement parsemées d’arbres à fruits savoureux (oranges,
citrons, maiore, ’āhi’a…), sont maintenant envahies par la végétation
dense des goyaviers qui donnent aux cochons s’y nourrissant de leurs
fruits un fumet délicieux.
Le long rapport circonstancié, – au-delà du phénomène de la pêche
à la baleine, – remis par « Peti-Tua nui » à son retour en France (début
juin 1839), promu contre-amiral et commandant de la station navale du
Pacifique – détermine le Gouvernement français, plutôt que d’établir un
protectorat, à envoyer périodiquement un navire de guerre dans cet océan.
D’abord, la frégate l’Artémise : 2 mois en 1839, qui subit des avaries sur
le récif à Ti’arei, faisant séjourner 465 marins à Pape’ete, où ils laisseront
une impression favorable des Farāni. Ensuite, la corvette l’Héroïne : en
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1840, le commandant Cécille, se trouvant en bonne entente avec la Reine
Pōmare IV et Moerenhout, soutenu par Paraita (1787-1865), – nouveau
chef de Pare, de modeste origine sociale, de la lignée inférieure des ari’i
de Pare, devenu l’homme fort du Royaume : il est désigné par ses pairs
en 1830, à 43 ans, comme successeur du chef de Pare qui a été écarté du
pouvoir en raison de ses sympathies pour les Māmaiā. En juin 1839,
Laplace commandant l’Artémise a obtenu de la Reine « le libre exercice
de la religion catholique et la jouissance des mêmes droits et privilèges
que ceux accordés aux protestants ».
La famille de Paraita (Temoehuatea) possède des terrains au centreville qui sont loués aux commerçants étrangers, lui assurant des revenus
confortables. Paraita lui-même exerce un commerce très lucratif en taro,
ufi et ’ūmara, tubercules de longue conservation appréciée des baleiniers;
homme d’affaires rusé, la Reine lui donne pleins pouvoirs (lors de ses
fréquentes absences pour se rendre à Ra’iātea) comme ’auvaha, porteparole de ari’i. Il agit véritablement en « régent », ainsi que le désignent
les documents anglais et français de l’époque, en même temps qu’il gère
les affaires de la ville en vrai précurseur de premier maire de Pape’ete.
Le futur amiral Dupetit-Thouars ayant préconisé au Gouvernement
français de se servir des avantages qu’offrent les « Iles Marquises comme
lieu de déportation pour les criminels endurcis dont les prisons de France
en regorgeaient », comme point d’appui militaire et comme relâche commerciale, la flotte d’expédition pour l’installation française dans l’archipel quitte Brest (20 décembre 1841), via Valparaiso comme port de
ralliement (7 mars 1842), pour Vaitahu-Tahuata (28 avril 1847). DupetitThouars, y mouillant sa belle unité Reine Blanche, est accueilli par le
vicaire Joseph Paul Baudichon (1812-1882) – arrivé 3 ans auparavant par
la goélette anglaise Friend (3 février 1839), amené avec 5 autres missionnaires par Mgr Rouchouze, pour implanter la Mission catholique – qui
sert, en la circonstance, d’interprète au colossal Roi Iotete de Tahuata
(que Dupetit-Thouars avait reçu à bord de la Vénus en août 1838).
La Royale formant une escadre de 7 frégates et corvettes, la prise de
possession a lieu, sans effusion de sang, « avec de grandes démonstrations militaires, religieuses et pyrotechniques, le 1er mai 1842 » (feux
d’artifice, salves d’artillerie, gala, cadeaux-verroteries).
En particulier, Xavier-François Rouge (1810-1870), colon du Jura,
arrivé à Tahiti vers 1840, devient commerçant coté à Pape’ete (négociant et
propriétaire, planteur et usinier en sucre à Fautau’a). Parmi les adversaires
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déclarés de Moerenhout, il est signataire de la pétition réclamant (17 mai
1842) protection au consul des Etats-Unis à Tahiti, Blackler, « en attendant la déchéance de Moerenhout ». Célibataire, Rouge mourra à l’Hôpital de Pape’ete (28 février 1870).
Ainsi est proclamée la souveraineté française et hissé le drapeaufleurdelisé, après Vaitahu, à Taioha’e (1er juin 1842), cérémonies appréciées par les chefs marquisiens, car accompagnées de magnifiques
cadeaux et de somptueux repas avec bons vins.
20. Dupetit-thouars réapparaît pour négocier son protectorat
La Reine Blanche, en arrivant à Tahiti (27 août 1842), reçoit un soir
en rade de Pape’ete la visite de Moerenhout, venu à bord informer Dupetit-Thouars de la situation anarchique à terre et que le moment est particulièrement opportun pour prendre possession de l’île au nom de la
France. En effet, Pritchard s’est absenté (depuis le 2 février 1841) pour
se rendre à Londres (juillet) avec son rapport sur l’événement de la visite
de Dupetit-Thouars en septembre 1838, en y joignant une lettre de la
Reine Pōmare IV demandant pour Tahiti le protectorat de l’Angleterre.
Son audience ministérielle à Londres (mars 1842) laissant le Foreign
Office dans l’attentisme, il quitte l’Angleterre (11 août 1842) avec des
dons pour la Reine, étant assuré de son emprise sur celle-ci pour empêcher l’acceptation d’un protectorat français…
Début septembre 1842, donc 4 ans après les engagements pacifiques
politico-catholiques vis-à-vis des sujets français, l’ambiance fait intervenir
de concert Dupetit-Thouars et Moerenhout. Avec l’assentiment de l’influent trio Tātī, Hitoti et Paraita, ils proposent une demande de protection
française à la signature de la Reine Pōmare IV, alors installée à Mo’orea
en instance de son 4ème accouchement. Cependant, écoutant son premier
mari Tāpoa et sa « seconde mère » Ari’ipāea Teri’itaria, elle n’accepte pas
dans un premier temps ; mais sa sœur adoptive, l’influente Ari’i’oehau,
devenue épouse Ari’itaimai Salmon (début 1842), étant favorable à la
signature, la Reine donne finalement son accord, sur le conseil de son hôte
Tairapa, chef de Papeto’ai, à l’ultime nuit du 9 septembre 1842.
Sorte de premier statut d’autonomie interne du Territoire, le traité
organisant le nouveau Protectorat attribue à la France la défense et les
relations extérieures du Royaume, l’administration du port de Pape’ete (au
grand dam de la Reine, ainsi dépossédée des revenus provenant des droits
d’accostage et des amendes diverses). Est installé à Pape’ete un conseil
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provisoire de gouvernement composé de 3 membres : Moerenhout comme
commissaire du Roi de France avec un rôle prépondérant ; le jeune
Edouard Jules Gabrielli de Carpegna (1816-1883) comme Capitaine de
port – à 26 ans, enseigne de vaisseau sur la Reine Blanche, déjà venu à
Tahiti sur l’Artémise (en 1839), en ménage avec Teina Poro’i dont les descendants joueront des rôles importants dans la vie politique locale ; – et
Dominique Reine, lieutenant sur la Reine Blanche, ainsi installé comme
gouverneur militaire de Pape’ete. Désormais, le drapeau tahitien porte, en
jack dans l’angle supérieur de la hampe, la superposition tricolore, quand
Dupetit-Thouars quitte Tahiti (26 septembre 1842), via les Iles Marquises,
pour Valparaiso-Chili (29 octobre)…
Parenthèse :
L’écrivain aventureux Herman Melville (1819-1891) quitte, avec un
autre matelot Richard Tobias Greene, l’Acushnet en relâche à Taioha’e
(juin-juillet 1842), quand Dupetit-Thouars est en train d’occuper les Iles
Marquises. En août, il est sur le rôle d’équipage du baleinier Lucy Ann,
capitaine Ventom, qui vient à Tahiti (21 septembre) en rade de Pape’ete
où est ancrée la Reine Blanche ; une subversion dans l’équipage du baleinier conduit les marins récalcitrants, auxquels se solidarise Melville, à la
carabossa de Tīpaeru’i où ils sont maintenus alors que le Lucy Ann est
parti (15 octobre). Melville s’échappera de la prison, pour être cultivateur
à Mo’orea, puis barreur sur le baleinier Charles & Henry de l’île-base de
Nantucket (Massachusetts), capitaine J.B. Coleman (7 novembre), direction Rurutū et dans les parages de pêche jusqu’à Honolulu (2 mai 1843).
Il est encore matelot sur la frégate United States, passant aux Iles Marquises puis Tahiti (12-19 octobre 1843, en rade de Pape’ete), Valparaiso
(21 novembre), enfin Boston, Massachusetts (3 octobre 1844), et ne
reviendra pas en Océanie. Mais notre turbulent voyageur laissera dans
son sillage un intéressant témoignage documentaire dans ses récits
romancés : Typee 1846 (Taipi 1951), ’Omo’o 1847 (1951), Moby Dick
1851.
Auparavant, signalons que l’amiral américain Charles Wilkes (17981877) a effectué des voyages d’exploration pour la découverte de l’Antarctique, l’expédition scientifique opérant plus d’un mois dans les
Tuāmotu (août 1839) ; tandis que l’énergique Wilkes « Stormy petrel »
sur le Vincennes séjournera à Tahiti (10-25 septembre)… publiera les
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N°305/306 • Janvier/Avril 2006
résultats de son voyage en 27 volumes (1844 à 1858) et participera brillamment à la Guerre de Sécession…
Par ailleurs, la L.M.S. a envoyé en Océanie de nouveaux missionnaires:
• thomas Joseph (1816-1863) : par Camden via Sydney arrive à Tahiti
(12 mars 1839) ; nommé officiellement pasteur pour Pape’ete, est
affecté à Vai’uriri en 1840, le poste de Pape’ete étant retenu pour Pritchard ; la nouvelle situation politique locale de 1844 étant rendue mal
commode aux missionnaires protestants anglais, Joseph est de retour en
Angleterre (janvier 1845) ;
• William Howe (1797-1863) : pasteur irlandais arrivant via Sydney à
Tahiti (3 août 1839), est affecté à Mo’orea- ’Afareaitu, puis la situation
politique locale le fait rentrer en Angleterre (janvier 1845), où son collègue Joseph l’assiste dans la révision de la Bible en tahitien et son
impression-publication. Son retour toutefois à Tahiti (5 août 1847) le
met en compétition, pour la charge de la paroisse indigène de Pape’ete,
avec son collègue Thomson (de 1844 à 1850) ; mais il officie au temple
de Béthel, dirige l’imprimerie et l’école des enseignants de la mission…
on le retrouvera plus tard ;
• Joseph Johnston (1814-1892) : arrivé par Camden (12 mars 1839), est
nommé à Pāpara ; demeurant à Tahiti après les événements de 1844,
retournera en Angleterre (29 mai 1850) pour terminer pasteur en Australie ;
• robert thomson (1816-1851) : arrivé par Camden (12 mars 1839), va
aux Iles Marquises rejoindre ses collègues John Rodgerson (1803-1847)
et George Stallworthy (1809-1859), tous deux arrivés à Tahiti (23 mars
1834) pour être affectés aux Iles Marquises (11 septembre 1834) avec
l’ancien Ecossais, depuis 1816 en Océanie, David Darling ; mais tous
les 4 abandonneront cette mission (décembre 1841), tandis que Thomson, malgré les événements de 1844, affrontera l’ambiance pour assurer
son ministère indigène de Pape’ete jusqu’à fin 1850, et que Rodgerson
et Stallworthy, après leurs 7 années de mission marquisienne, rejoignent
d’abord Pāpara… ;
• John thomas Jesson (1806-1857) : prêtre catholique puis pasteur de
la L.M.S., arrive à Tahiti (28 février 1842) pour occuper la station de
Pape’ete, puis celle de Tautira (début 1842), et retourner après les événements de 1844 à la case-départ en Angleterre (27 janvier 1845)…
47
Commandant du Talbot, arrive une première fois à Pape’ete (14 janvier 1843-15 février 1844) Sir Thomas Thompson (1804-1865), « chargé
d’une enquête au sujet des événements de septembre 1842 ». Refusant de
reconnaître et de saluer le pavillon du Protectorat français, il reçoit à bord
la Reine exprès venue de Mo’orea en « baleinière battant l’ancien
pavillon ». Il assiste même à une assemblée organisée par la Reine (8
février 1843) qui y « déclare que le protectorat a été établi contre son gré »,
et le lendemain le pavillon du protectorat n’est pas hissé sur sa résidence…
incident à reproches qui la fait s’en aller à Puna’auia.
Le rapport de Thompson reçu à Londres (juillet 1843), objectif,
indique que « l’abandon par la Reine de ses droits souverains, bien qu’obtenu par des intrigues déloyales et, partiellement, par intimidation, n’en a
pas moins été volontairement consenti et ratifié en due forme »... Et
l’Amirauté invitera ses officiers « à ne pas soulever de difficultés qui
seraient de nature à engendrer des conflits internationaux »...
Sur son voyage-retour par Sydney (décembre 1842), Pritchard apprend
qu’en son absence le Protectorat français a été établi à Tahiti. Il obtient du
Gouverneur de la N.S.W. de rejoindre son poste par le navire de guerre Vindictive, commandant John Toup-Nicolas (1788-1851) de la Royal Navy
quittant Sydney (22 janvier 1843) direction Tahiti pour débarquer Pritchard
à Puna’auia (25 février). Sans mandat du gouvernement britannique de Londres pour intervenir dans les affaires de Tahiti, se sentant frustré dans ses
agissements alors que ses fonctions de consul exigent neutralité, Pritchard
déclare que le gouvernement français n’a pas ratifié le traité de DupetitThouars et que le peuple de la Reine Pōmare IV peut compter sur le soutien
du gouvernement anglais… Son comportement vient envenimer une situation revenue au calme depuis septembre 1842, Pritchard ayant amené la
Reine « dans une attitude de protestation et de résistance», conforté par la
présence du navire de guerre anglais, dont le pacha Toup-Nicolas a proclamé aux sujets britanniques de ne point « se soumettre aux règlements
prescrits par les autorités françaises », ayant d’ailleurs adressé à Londres un
sombre rapport (15 mars 1843) sur l’action des représentants de la France…
Mais, Toup-Nicolas ayant reçu l’ordre (29 juillet) de son amiral se
trouvant à Valparaiso, son navire Vindictive quitte Pape’ete (6 août) ; et
sa relation désobligeante des faits à l’Amirauté devra s’incliner ultérieurement devant la version de Dupetit-Thouars sur les affaires de Tahiti. Le
capitaine de vaisseau Armand Joseph Bruat (1796-1855), nommé Gouverneur des Iles Marquises (ordonnance du 8 janvier 1843), arrive à
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Taioha’e, Nuku-Hiva, sur la frégate l’Uranie (14 octobre 1843), avec le titre
également de Commissaire du Roi auprès de la Reine de Tahiti : « Les Iles
Marquises doivent demeurer le chef-lieu du gouvernement, mais le Gouverneur peut fixer sa résidence habituelle à Tahiti si les circonstances le réclament ». Il communique également à Dupetit-Thouars, alors de passage à
nouveau aux Iles Marquises, la lettre du Roi Louis-Philippe à la Reine
Pōmare IV (25 mars 1843) ratifiant le Protectorat français… et nos deux
vecteurs du traité se rendent à Tahiti pour notifier l’officiel message, Dupetit-Thouars arrivant dans un climat tiraillé à Pape’ete (1er novembre 1843).
21. Froissements de drapeaux - Prise de possession
Mais la Reine fait hisser, en signe de protestation, son drapeau à
Motu-Uta au lieu du pavillon du Protectorat (4 novembre), influencée par
Pritchard. Alors Dupetit-Thouars réagit aussitôt en faisant hisser le drapeau français et déposer la Reine en annexant Tahiti. Ainsi il est arrivé
« à l’abrogation du protectorat, auquel il substitue une prise de possession
pure et simple, le 6 novembre 1843 ». Et ce faisant, il installe Bruat pour
gouverner l’île au nom de la France, Dupetit-Thouars devant reprendre
la mer après son coup de force abusif et maladroit…
Bruat (47 ans) avait, en effet, estimé déplorables les conditions
d’installation un an après la prise de possession des Iles Marquises. Il
vient ainsi d’arriver à Pape’ete avec une escadre de 4 navires (Reine
Blanche, Uranie, Danae, Embuscade) et dispose, en outre, d’un bateau
à vapeur le Phaéton pour la desserte entre Tahiti et les Iles Marquises.
Héritant des nouvelles consignes, il a abandonné le projet d’établir une
colonie pénitentiaire aux Iles Marquises, pour débarquer de l’Uranie à
Pape’ete un important matériel avec 63 ouvriers civils spécialisés
(maçons, charpentiers, charrons, tailleurs de pierre, briquetiers et carriers), dont 5 avec épouses et 3 enfants : les premières familles françaises
installées à Tahiti. Leur camp est installé près du lieu occupé aujourd’hui
par le cimetière municipal, à proximité de l’embouchure de Tīpaeru’i.
Dans le nouveau gouvernement, d’ancien commissaire du Roi de
France, Moerenhout devient directeur des affaires indigènes (novembre
1843). Mais ultérieurement, ses rapports avec la communauté anglaise étant
marqués du souvenir anti-britannique lors des événements récents, il sera
relevé de ses fonctions et nommé consul de France en Californie (26 avril
1845) : il quitte Pape’ete par la Brillante (6 juin 1846) pour son poste de
Monterey (1er octobre 1846). Relevé de ses fonctions par le gouvernement
49
français de 1848, Moerenhout est renommé à ce poste consulaire (11
mars 1852) par le Prince Louis-Napoléon bientôt Empereur Napoléon III
(1808-1873) ; ce poste est transféré en 1859 à Los Angeles où il prendra
sa retraite à la fermeture de ce consulat (30 janvier 1879). Il a 83 ans et
meurt à Los Angeles (11 juillet 1879), où il repose au cimetière catholique Calvary ; cet ancien propriétaire de Fāri’imātā aura assisté à la ruée
vers l’or et à la création de l’ Etat de Californie…
Le premier gouverneur, Bruat, se préoccupe d’abord de préparer la
défense du site de Pape’ete, qu’il a choisi pour emplacement de la capitale, de préférence à Mātāvai (trop exposé) et à Port-Phaéton (excellente
rade, mais d’accès difficile), contre d’éventuelles attaques de navires de
guerre, anglais notamment, pour empêcher l’occupation française. Il fait
installer deux batteries stratégiques : l’une sur l’îlot Motu-Uta côté passe,
l’autre vers la plage de Tīpaeru’i en face de la passe ; ainsi que 5 blockhaus comme postes d’observation, sur les hauteurs derrière la ville.
Mais ce sont les chefs tahitiens venus du côté de la Presqu’île qui,
comprenant que les troupes françaises viennent de s’installer pour de bon
dans leur île, ont réuni leurs guerriers pour les en chasser. Espérant les
prendre de vitesse, les soldats de Bruat gagnent rapidement par mer Taravao, en vue de construire un fort, vite fait sur l’isthme, afin d’empêcher
les guerriers de Tai’arapu de passer dans Tahiti-Nui.
Cependant, Hippolyte Foucher d’Aubigny (1799-1848), capitaine de
corvette (1837) arrivé sur l’Uranie (4 novembre 1843), avec le titre de
commandant particulier, est chargé de la défense de Pape’ete (8 novembre). C’est lui qui, dans l’affaire des pavillons (6 novembre), lorsque
Dupetit-Thouars a proclamé le protectorat, fait descendre, à la tête de ses
sapeurs, les couleurs tahitiennes amenées selon la déclaration rituelle de
prise de possession de ce pays au nom de Sa Majesté Louis-Philippe, Roi
des Français, aux sons des tambours ; ceci en présence de la Reine
Pōmare IV, humiliée par le refus de prendre en considération sa lettre de
protestation, d’inspiration pritchardienne du clan protestant (résidents britanniques et habitants convertis) selon l’Histoire…
La période de tension latente qui a suivi entretient la résistance de
la Reine déchue, sous l’influence des missionnaires anglais, qui espère
que l’Angleterre ne l’abandonnera pas23. Elle se réfugie, en effet, dans
23
Lettre aux chefs du 10 janvier 1844, jugée séditieuse et saisie par Bruat.
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leur fréquentation entre le consulat britannique et les navires de guerre
anglais dans les parages, « l’ex-Reine ayant renoncé volontairement à la
protection » que lui accordait le gouverneur Bruat (incident de Piapa, 30
janvier 1844). Henry Samuel Hunt, commandant le ketch Basilisk, est
arrivé à Pape’ete (8 janvier 1844) porteur de l’ordre de Londres d’avoir
à reconnaître le protectorat français, d’où l’ambiance tendue qui règne,
Pōmare Vahine se réfugiant à son bord, et d’où la teneur de la lettre de
Bruat à Hunt (31 janvier) : « je n’ai aucune objection à faire à l’asile que
vous lui donnez, mais… puisque vous acceptez la responsabilité de la
prendre, je regarderai comme un acte d’hostilité son débarquement sur
un point des Iles de la Société »… Hunt, sur sa Basilisk de rendez-vous
stratégiques, s’en ira en juillet 1844.
22. D’aubigny coffre Pritchard, le conflit s’aggrave
Bruat parti à Taravao comme relaté plus haut, la situation effervescente oblige l’autoritaire d’Aubigny à déclarer l’état de siège, à Pape’ete,
et l’attaque d’une sentinelle au camp de l’Uranie (Tīpaeru’i) sera le prétexte pour arrêter le consul anglais Pritchard, qu’il soupçonne d’être
« l’instigateur de la révolte canaque » (3 mars 1844).
Le capitaine de corvette d’Aubigny ayant déclaré l’état de siège à
Pape’ete le 2 mars 1844, dans un climat d’effervescence des naturels dont
il juge Pritchard d’en être l’instigateur, il fait arrêter malencontreusement
ce dernier le 3 mars au matin : il sera enfermé pendant 5 jours dans l’un
des blockhaus en bois sur le mont Faiere24.
Dès apprise cette maladresse impulsive de l’arrestation arbitraire de
Pritchard, Bruat est de retour à Pape’ete (7 mars) et, « en estimant qu’il
serait néfaste pour le prestige de la France de désavouer d’Aubigny », le
gouverneur prend la décision, après cet enfermement de 5 jours en la
carabousse de Tīpaeru’i, d’atténuer la captivité du sélect prisonnier, en le
transférant à bord de la Meurthe à l’ancre, comme véritable hôte du capitaine, diplomatie oblige. Et Bruat invite le commodore gentleman George
Thomas Gordon, arrivé le jour même où sera arrêté Pritchard, à embarquer son compatriote, « en liberté surveillée pour de bonnes raisons »,
sur sa frégate à vapeur Cormorant (13 mars).
24
Robert Dauvergne dans Les débuts du Pape’ete français 1843-1863, p. 129.
51
Par Valparaiso (24 avril), Pritchard rejoint Londres (fin juillet), pour
y apprendre sa mutation (depuis le 16 avril 1844) de Tahiti à Samoa (en
poste de fin juillet 1845 à fin décembre 1856)... rentrant ensuite définitivement en Grande-Bretagne, en activité pour la L.M.S. ; retraité en 1877,
il mourra âgé de 87 ans à Hove (6 mai 1883). L’affaire Pritchard a défrayé
la chronique politico-religieuse de Tahiti au-delà des mers ; cet imbroglio
est laconiquement signalé, dans le Petit Larousse Illustré, en regard de
George Pritchard : « missionnaire anglais 1796-1883 ; la destruction de
ses biens à Tahiti fut à l’origine d’un conflit franco-anglais (1843) » !...
Entre la France et l’Angleterre, la guerre de Bruat n’aura pas lieu.
Edward Lucett (1815-1853), négociant du Middlesex, est commerçant à Pape’ete quand débute le protectorat français. Il a publié Rovings
in the Pacific 1837-1849, où il raconte la prise de possession sus-relatée,
en tant que résident de longue date à Tahiti : il gît au cimetière de l’Uranie depuis le 29 septembre 1853...
Entretemps à Pape’ete, Bruat par prudence a fait renforcer la défense
de la ville par l’érection d’un mur bastionné à l’Est (emplacement actuel
de la rue du Dr Fernand Cassiau) et d’une palissade clayonnée en goyavier
qui enclôt le Camp de l’Uranie à l’Ouest. Il entreprend aussi de construire
une caserne et un hôpital (en bois)... travaux qui traînent en longueur.
A Māhā’ena, les combattants tahitiens de Teaharoa ont construit des
fortifications défensives parallèlement à la plage… qui ne résisteront pas
aux canons gros calibre des 5 navires de l’escadre française (17 avril
1844). Les résistants retranchés, une sanglante bataille est engagée à terre
où 15 militaires – dont l’enseigne de vaisseau Max de Nansouty de la
Reine Blanche (lieutenant de 26 ans) – ont rendu l’âme et la poudre a
zigouillé 102 insurgés.
Les chefs tahitiens durcissent alors leur position pour pratiquer la
guérilla, par des descentes de petits commandos de nuit à partir de leurs
repaires en montagne, en allant attaquer les garnisons de la côte ; ils incendient les maisons et détruisent les cultures des colons et des indigènes piriFarāni. Réagissant par exaspération contre les insurgés disséminés à
l’intérieur de l’île, Bruat dirige sur Ha’apape vers Papeno’o (29 juin 1844)
ses troupes (450 hommes). Les guérilleros de la côte Ouest (Fa’a’ā) saisissent l’occasion pour envahir Pape’ete le lendemain (30 juin) mettant à
feu magasins et maisons privées, tandis que les habitants paniqués se réfugient à Motu-Uta ou sur les navires français et anglais en rade ; ils ne regagneront la terre ferme que plusieurs jours après le retour de l’armée de
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Bruat… Pōmare Vahine exceptée, laquelle en raison de son accouchement
prochain est à bord du navire Craysford commandant Lord George Paulet
(1803-1879), arrivé à Pape’ete (11 juillet 1844) sans entrer dans le port.
Elle souhaite se rendre à Ra’iātea, avec d’autres personnes, où le pair de
l’Amirauté les débarque (18 juillet), le Gouverneur ayant toutefois fait
savoir à ce dernier « qu’il considérerait le départ éventuel de la souveraine
Pōmare comme une atteinte à la pacification des Iles de la Société »...
Mais cet éloignement à Ra’iātea (à l’abri des menées des autorités
françaises) empêche par là même que la situation ne se retourne en
faveur des missionnaires anglais, lesquels quittent Tahiti, à quelques
exceptions près.
23. rétablissement du protectorat - réinstallation de la reine
La situation se complique encore lorsque Bruat reçoit (3 août 1844)
une dépêche officielle du gouvernement français, annonçant le refus par
Louis-Philippe de ratifier l’annexion hâtive de Tahiti prononcée par
l’Amiral Dupetit-Thouars de son propre chef (novembre 1843). Elle
enjoint Bruat à réinstaller la Reine Pōmare IV sur son trône. Ce désaveu
a entraîné le remplacement (juillet 1844) de l’annexeur – promu viceamiral (1846), député (1849) et à l’Académie des Sciences (1855) : il
mourra à Paris à 71 ans (1864) – par le contre-amiral FerdinandAlphonse Hamelin (1796-1864) promu au commandement de la station
navale française du Pacifique, à bord de la frégate Virginie. A son premier
séjour à Pape’ete (21 décembre 1844-fin février 1845), Hamelin constate
que Bruat a exécuté loyalement les instructions par l’envoi d’un émissaire sur le Phaéton pour faire revenir la Reine installée à Ra’iātea, où
elle se cantonne dans la dissidence : tentatives infructueuses, même
Ari’itaimai et Alexander Salmon ont tenté vainement la persuasion.
Après la réception organisée par Hamelin (7 janvier 1845) y invitant les
officiels britanniques de la place, dans le cadre de sa venue pour restaurer
le Protectorat, les approches de réconciliation n’ont pas davantage réussi
à faire revenir l’absente volontaire.
Le Gouverneur, espérant que le choix se porterait sur Tātī, propose
aux chefs de désigner, à la place de la Reine, un roi parmi eux ; mais
ceux-ci font une contre-proposition pour laisser le régent Paraita continuer à diriger les affaires du Royaume, ce qui est accepté néanmoins. Le
rétablissement du Protectorat est solennellement célébré par une grande
fête Place Taraho’i (7 janvier 1845).
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L’idée « de restaurer le protectorat hors de la présence de la Reine et
d’en hisser le pavillon après avoir remis le pouvoir aux chefs » n’est pas du
goût britannique. « Les navires anglais refusent de s’associer en pavoisant
et en tirant des salves d’artillerie à la cérémonie » (17 janvier 1845), Hamelin n’ayant pas consenti à ce que le pavillon anglais du consulat soit hissé…
William Miller (1795-1861), consul général d’Angleterre, est venu
à Tahiti (séjour 10 août 1844-15 février 1845) sur la Thalie « pour étudier
sur place la situation politique causée par les agissements des Français ».
Les susceptibilités diplomatiques dans les froissements de drapeaux n’ont
pas entamé la courtoisie de son comportement dans ses relations francoamicales avec le gouverneur, après les tensions sous Pritchard, et il a rencontré à l’occasion la Reine à Ra’iātea.
Et Hamelin repart (fin février 1845), accompagné de l’Héroïne et de
la Triomphante, direction Callao-Pérou (21 mars). Bruat annonce la création d’une Assemblée législative, où siégeront tous les chefs qui seront
désormais consultés afin de mieux gouverner le pays. Les ouvriers civils
métropolitains sont autorisés à s’installer en famille dans la vallée sise
entre Mont Faiere et Pic Rouge : ce premier quartier, entièrement réservé
aux Papa’ā, deviendra Sainte-Amélie. Quant à d’Aubigny, malhabile
dans sa fermeté envers l’Anglais, il est rentré en France par l’Embuscade
à Lorient (1er juin 1845), où il est promu capitaine de vaisseau peu avant
de mourir, la santé gravement altérée (17 mars 1848).
François Antoine Boyer (1813-1891), natif de Cusset (Allier), sert
comme enseigne en Océanie sous les ordres de Bruat ; lieutenant de vaisseau, son navire Clémentine fait naufrage à l’entrée de la passe de Tapueraha (Port Phaéton, 1843). Second sur l’Uranie (1846), sa conduite des
opérations notamment à Tahiti lui vaut la rosette d’officier de la Légion
d’honneur, après un séjour de 5 années en Océanie. Capitaine de vaisseau
en retraite, il mourra à Toulon âgé de 78 ans.
24. Guerre encore à l’Ouest
ascension du Diadème par Fautau’a
La trêve de récupération permet aux contestataires batailleurs de
préparer une nouvelle attaque (19 mars 1846), un millier de guérilleros
du chef Teaharoa encerclant le fort de Tefauroa (Pointe Vénus) à Māhina.
Par lassitude de ces guérillas et décidé à en finir, Bruat s’y précipite avec
presque toutes ses troupes ; alors les rebelles de la côte Ouest aussitôt
envahissent encore Pape’ete (20 mars), les harcèlements se prolongeant
54
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pendant plusieurs semaines. La situation est toujours critique (fin avril
1846), quand est de retour à Pape’ete la magnifique frégate Virginie de
l’amiral Hamelin, rejoint quelques jours après lui, sur ses ordres, par 3
navires de guerre sans affectation précise à l’ancre aux Iles Marquises.
Les effectifs ainsi renforcés de 200 hommes, avec une douzaine de
canons, – soit globalement une armée de 800 militaires plus 200 auxiliaires
tahitiens, – disposent d’un taux de pénétration capable d’occuper les vallées
de Papeno’o (mai 1846), Fautau’a et Punaru’u et de les verrouiller en y
construisant des forts et de bloquer les descentes sur le littoral.
En particulier, Bruat confie, à son compagnon Louis Adolphe Bonard
(1805-1867), la charge de s’occuper de la vallée de Fautau’a (décembre
1846). Ce polytechnicien de Cherbourg, devenu, après la campagne d’Alger, capitaine de frégate (1842), commandant l’Uranie, arrivé avec Dupetit-Thouars et Bruat à Tahiti (4 novembre 1843), s’est signalé
particulièrement à Māhā’ena (avril 1844), à Fa’a’ā (30 juin 1844) où il sera
blessé, puis à Huahine. Le capitaine de corvette Bonard réussira alors, grâce
à une colonne de 150 voltigeurs (dont la plupart des volontaires indigènes
conquis, guidés par Mairoto de Rapa accoutumé dans cette vallée), l’incroyable exploit d’escalader, au moyen de cordes et lianes, le pic escarpé
du mont Diadème (Te-tara-o-Mai’ao) de 600 m à force de bras. Les escaladeurs arrivent ainsi, par ce passage inattendu, à surprendre d’assaut le camp
retranché des insurgés tahitiens, conquête sans déplorer d’actes d’inhumanité, leur capitulation entraînant la reddition des deux autres vallées.
Embarque sur la gabare La Recherche (30 avril 1842) comme passager à ses frais, Sébastien-Charles Giraud (1819-1892), et comme peintre officiel de l’expédition (séjour 1843-1847 aux Iles Marquises et à
Tahiti). Il assiste à la prise du fort de Fautau’a (septembre 1846), mettant
fin à l’insurrection tahitienne, et qu’ il immortalisera en témoin oculaire
(Musée du Palais de Versailles) avec un portrait à l’huile grandeur naturelle de la Reine Pōmare IV.
Et pacifiquement les autochtones restants, – assagis après 3 ans de
conflit mêlant faucons de Dieu et messies de la paix aux épanchements
canonnés, – se résignent à la soumission en allant déposer les armes à la
résidence de Bruat. Un gigantesque tāmā’ara’a achève l’épisode historique
et un tranquille retour chez soi pour tout le monde, après cette assemblée
générale de la réconciliation (22 décembre 1846). La paix instaurée, est
célébrée la fête commémorative du 2ème anniversaire du rétablissement du
Protectorat, avec un éclat tout particulier (7 janvier 1847).
55
Pōmare Vahine, demeurée réfugiée à Ra’iātea depuis juillet 1844,
est convaincue par son entourage qu’elle perdrait sa couronne en ne se
soumettant pas aux « nouveaux maîtres du pays », d’où l’entrevue avec
Bruat au temple de Papeto’ai à Mo’orea (6 février 1847). C’est là, hors
de l’enceinte sacrée, que Bruat déclare publiquement à la foule que, au
nom du Roi Louis-Philippe, Pōmare IV est rétablie « dans ses droits et
dans son autorité et qu’elle l’exercerait dorénavant sur toutes les terres
du Royaume comme Reine reconnue dans le gouvernement du Protectorat ». En effet, en début de cette année, Bruat a reçu la dépêche datée du
6 septembre 1846 annonçant cette nouvelle, en même temps qu’il est
relevé de ses fonctions.
25. exilée volontaire à ra’iātea, Pōmare iv est de retour à tahiti
Prenant passage avec Bruat sur le Phaéton, la Reine revient à
Pape’ete (9 février 1847), accompagnée de Tāpoa, son principal conseiller et ex-mari, de l’actuel mari Ari’ifāite, de sa mère Teremoemoe et de
sa sœur d’adoption Ari’itaimai avec son mari Alexander Salmon – mais
sans sa tante Ari’ipāea Teri’itaria. Saluée par 21 coups de canon à sa descente du navire, la Reine, les pieds nus et la tête ceinte d’une couronne
de fleurs, traverse la foule d’accueil dense mais silencieuse vers une chaleureuse réception à la résidence du Gouverneur. Dans cette euphorie
cependant transparaît une certaine tristesse.
Le Roi Louis-Philippe et ses ministres, analysant la situation de rébellion à Tahiti, rendent en effet Bruat responsable d’une guerre aussi prolongée et coûteuse… sanction simultanée néanmoins avec une promotion au
grade de contre-amiral. Parmi les derniers actes de Bruat, citons la création
à Pape’ete d’un marché aux poissons à tātahi et un marché aux fruits,
légumes, volailles et viandes à l’emplacement du Marché municipal actuel.
Bruat quitte Tahiti sur l’Uranie (31 mai 1847), en excellente entente
avec la Reine Pōmare IV, laissant à son successeur un pays pacifié. Préfet
maritime à Toulon, puis gouverneur des Antilles, il aura le commandement
suprême en Crimée et mourra en mer du choléra (19 novembre 1855), ayant
sa tombe au cimetière du Père-Lachaise à Ménilmontant (Paris).
Le deuxième gouverneur, Charles-François Lavaud (1798-1878),
franc-maçon notoire du Grand Orient de France et d’origine bretonne,
capitaine de corvette en 1840, est déjà passé à Pape’ete en quittant en janvier 1843 la Nouvelle-Zélande (en cours de possession anglaise) de
retour en France sur l’Allier via Tahiti par le Cap Horn, à l’époque de
56
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Moerenhout. Arrive à Pape’ete, avec un détachement de sapeurs parti
de Brest (28 octobre 1846) par la frégate La Sirène (23 mai 1847),
son prédécesseur Bruat partant 6 jours plus tard.
Le jeune lieutenant des sapeurs, polytechnicien, Louis Lecucq
(1822-1855), jugera sévèrement les 4 années de séjour de Bruat sur
les travaux de la fondation de Pape’ete, qui ne laisse à son successeur
qu’un pays ruiné, un mesquin commerce de détail ayant richement
rétribué marchands, amis, chefs et autres spéculateurs ou exploiteurs,
dans un contexte de préoccupation belligérante (Lecucq a quitté
Pape’ete le 8 juillet 1848 ; il sera tué à Sébastopol le 31 juillet 1855).
Le capitaine Pierre Félix Ribourt (1811-1895), aide de camp du
nouveau Gouverneur, procède rapidement à un recensement plus précis de la population de Tahiti (qui avait été estimée par les missionnaires, avant cette récente guerre, approximativement à 7.000 âmes) :
8082 indigènes + 475 colons européens = 8.557 habitants, dont à
Pape’ete :
REPARTITION
CUMUL
=
INDIGENES
+
COLONS
EUROPEENS
Hommes adultes
701
451
250
Garçons – de 15 ans
170
140
30
Total
871
591
280
Femmes adultes
401
393
8
Filles – de 15 ans
172
164
8
Total
573
557
16
Totaux
1444
1148
296
Pape’ete compte aussi : 834 cochons, 1045 volailles, 102 chevaux. Il y a autant de chevaux dans les districts, indice de la première
phase de modernisation du transport à Tahiti. A cette population urbaine, il faut ajouter environ 1600 militaires pour la garnison de
Pape’ete – chiffre attesté par les documents d’archives – donc plus
nombreux que la population civile.
57
Entrée de Pape’ete
Tetua vahine, la blanchisseuse
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26. Déviation de la rivière Pape’ava - les remparts
Pour parer à toute éventualité de reprise des hostilités, Lavaud se
consacre à renforcer la défense de Pape’ete et entreprend d’abord d’étendre plus à l’Est, au-delà de la Rivière de la Reine, une nouvelle ligne de
fortifications allant de la Pointe des Cocotiers (Fare-’Ute) vers la montagne. La rivière Pape’ava, débouchant alors directement en rade (à hauteur de l’actuel quai d’honneur à paquebots), est sujette de temps en
temps à débordements qui occasionnent des inondations avec dégâts.
Lecucq est chargé de réaliser le creusement par les sapeurs du lit actuel
fortifié sur la berge occidentale, d’où l’appellation restée des Remparts
dénommant la rue longeant la rivière (aujourd’hui grandement souterraine dans sa traversée de la ville).
L’imprimerie du gouvernement, qui existe à partir de 1847, publie
dès 1851 un hebdomadaire du jeudi en tahitien (Te ve’a nō Tahiti ’ei
ha’apararera’a i te parau ri’i ’āpī e faufa’ahia ai tō Tahiti) pour mettre
en valeur l’oeuvre dynamique du gouverneur.
En août 1847, Pape’ete apprend la nouvelle d’un massacre perpétré fin novembre 1846. Ribourt commande une petite expédition
punitive à bord de la Gassendi, pour la capture, sans effusion de sang,
des coupables (originaires de Takume-Raroia) qui ont tué Eugène
Riccardi (1804-1846), – abattu d’un coup de harpon lors d’un assaut
par surprise de son bateau à l’ancre dans le lagon, – et presque tout
son équipage. Marseillais commerçant installé vers les années 1840
à Huahine, faisant du trafic dans les archipels avec sa goélette
La Sérieuse, port d’attache Fare, fréquenté des baleiniers à l’époque,
Riccardi avait été nommé par le gouverneur Bruat comme Résident
avec justice de paix… Le Conseil de Guerre siégeant à Pape’ete (13
septembre 1847) a condamné à mort 8 coupables : 3 seront exécutés,
5 ayant eu leur peine commuée en travaux forcés à perpétuité… mission accomplie « sans tirer un coup de fusil ». Ribourt, entre autres
travaux, a composé une grammaire tahitienne, durant son séjour
jusqu’au 31 décembre 1849, travail remis à l’Académie des Sciences ;
il termine sa carrière général de brigade et mourra à Paris.
En 1848-1849, les sapeurs de Lecucq construisent les premiers
bâtiments en dur de la ville, dont une caserne occupée plus tard par
l’édifice judiciaire (démoli en 1974) et le bloc hospitalier à l’Ouest
de la rivière Vaihī descendant de Sainte-Amélie (ce bloc subsistant en
1990 comme dernier vestige de ces bâtisseurs, au lieudit Vaiami).
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Service de l’intérieur, Pape’ete, Tahiti
Rue du Commandant Destremau, Pape’ete, Tahiti
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Mais longtemps encore co-existent les cases indigènes disséminées
avec des constructions durables de la civilisation extérieure, dans un
contexte d’urbanisme géométrique formant un pôle d’attraction en agglomération militaire, administrative et commerciale, Pape’ete évoluant vers
son destin de ville copiée, inspirée dans son originalité de ressemblances
importées25.
A Londres a été signée entre l’Angleterre et la France une Convention dite de Jarnac (19 juin 1847). De son côté, après le départ de Moerenhout (6 juin) et du dernier stationnaire anglais Calypso, le
commandant Lavaud, estimant « nécessaire de définir les conditions dans
lesquelles fonctionnerait le Protectorat, soumet à la Reine Pōmare IV la
signature d’une Convention » (5 août 1847), qui demeurera théoriquement en vigueur jusqu’à la cession, en 1880, par le Roi Pōmare V, de la
souveraineté de ses Etats, à la France. Mais Lavaud subira le contrecoup
de la Révolution de 1848, devenant commissaire de la République aux
Iles de la Société, en même temps que se forment à Pape’ete des groupes
d’esprit d’opposition (affaires Masset, de Giroux, Fondras, Rousseau ;
libelle du sergent Labouret...). En particulier, dans l’affaire Auguste Marceau (1806-1851), où le neveu du célèbre général et polytechnicien, venu
en voyage océanien-missionnaire (catholique) – commercial sur l’Arche
d’Alliance (novembre 1845-août 1849) pour créer dans les archipels des
comptoirs d’expansion de la Société Française de l’Océanie, le comptoir
commercial à Pape’ete est confié à un certain Gustave Touchard lequel,
au sujet de la vente des vins, se met en conflit avec le gouverneur,...
entraînant Marceau ainsi soumis à une commission d’enquête de France,
qui dégagera Lavaud de toute critique d’abus de pouvoir…
Lavaud a engagé, pour sa connaissance des lois, l’orateur instruit
Mare, érudit en langue, généalogies et coutumes tahitiennes – celui-là
même qui, au service de la Reine Pōmare IV, déclama une harangue de
protestation contre l’amenée du pavillon tahitien, pour que fût hissé le
drapeau français, commandée par d’Aubigny (6 novembre 1843), mais
son discours fut couvert par les 20 tambours du commandant de Bréa…
Lavaud quitte son poste en cordiales relations avec la Reine (novembre 1849), satisfait de « laisser à son successeur une position libre d’embarras, un pays en voie de progrès avec de belles routes ». Contre-amiral
25
Cf. l’excellente étude du professeur Robert Dauvergne : Débuts du Pape’ete français.
61
(en 1853), préfet maritime de Lorient puis commandant d’escadre en
second, né à Lorient, il mourra à Brest (14 mars 1878).
Pierre Morillon, chef du Service des Archives de Polynésie, relève
en page 113 du Bulletin n°254-255 de la S.E.O. que le « bloc hospitalier
à l’Ouest de la rivière Vaihī descendant de Sainte-Amélie… subsistant
en 1990 comme dernier vestige (des bâtisseurs-sapeurs de Lecucq ayant
construit les premiers bâtiments en dur de la ville de Pape’ete en 18481849) au lieudit Vaiami », est une assertion qui doit être redressée.
En effet, les derniers vestiges de cette époque existant encore visiblement de nos jours seraient les forts (blockhaus) dominant le pont de
Punaru’u. En particulier, le lecteur pourra consulter utilement le Journal
de la Société des Océanistes (N°15, décembre 1959, Musée de l’Homme,
Paris) qui a publié 35 pages d’une « étude topographique d’après des
documents inédits » par Robert Dauvergne intitulée Les débuts de
Pape’ete français 1843-1863 comportant notamment 3 plans de Pape’ete
(novembre 1843 à l’arrivée des Français ; 10 mai 1844 par le capitaine du
génie Raimbault ; 29 mai 1861 par le garde du génie Richard). L’auteur
assigne, pour la naissance du Pape’ete français, les date et heure précises
de lundi 6 novembre 1843 à midi, au signal du maître-timonier de la nef
Reine Blanche du contre-amiral Dupetit-Thouars (mouillant en rade de
Pape’ete depuis le 1er novembre, en provenance des Marquises, avec
l’Embuscade du capitaine Mallet, rejoints le 4 novembre par les deux frégates du capitaine de vaisseau Bruat : l’Uranie et la Danae, ce dernier
alors Gouverneur des Iles Marquises depuis janvier p.i., le 17 avril 1843,
Gouverneur des Etablissements Français de l’Océanie et Commissaire du
Roi Louis-Philippe près la Reine Pomare) pour imposer à celle-ci –
conquise, durant l’absence, à l’influence britannique et protestante, via le
consul Pritchard, et hostile au protectorat français forcé le 9 septembre
1842 à l’initiative du même Dupetit-Thouars – l’annexion proclamée sous
le débarquement de 400 marins et 600 soldats avec le matériel initialement destiné aux Marquises, pour commencer les travaux d’installation à
Tahiti en choisissant Pape’ete, permettant ainsi à l’énergique Bruat de réaliser ses visées. Et la future avenue de la Reine Blanche deviendra naturellement plus tard Avenue Bruat… Témoin de cette époque, Herman
Melville a décrit l’ambiance de Pape’ete dans son ouvrage ’Omo’o.
En mars 1844, était achevé le massif de la batterie de l’Embuscade à
l’embouchure de la Tīpaeru’i, près du lieu occupé aujourd’hui par la Piscine
Olympique), alors relié par un chemin au Camp de l’Uranie (artillerie et
troupe logée dans une caserne à étage) bordé de goyaviers touffus, citronniers
et orangers, à l’entrée de la vallée de Teruaoteao’ē. Un hôpital provisoire en
bois – alors que la Pape’ava d’avant Lecucq (lieutenant du détachement de
62
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
génie d’Arras ayant creusé le fossé de la seconde enceinte : emplacement
de la rue des Remparts) marécageait sa descente directe suivant le tracé
de la future rue de la Petite Pologne (actuellement rue Gauguin) – existait dans la zone actuelle du parking de l’actuelle phallique Mairie (Voir
La nef des fous, Draperi, 1990). A Motu-Uta fonctionne un « hôpital »
dans l’ancienne case royale, jouxtant la batterie équipée déjà en mars
1844 de 4 pièces de gros calibre ; une imprimerie lithographique a été
créée à Pape’ete qui publie, à partir de mai 1844, une feuille hebdomadaire l’Océanie Française relatant notamment les transformations de
Pape’ete ; un large débarcadère est construit en octobre 1844 vis-à-vis
l’établissement du restaurateur Brémond. En avril 1845, le charmant village de Sainte-Amélie (entre les forts du mont Faiere et du morne de
’Oro’ura), créé en juillet 1844 , se trouve à très peu de distance en
arrière de l’hôpital du gouvernement ; les premiers travaux de génie réalisés, ces premiers occupants de main-d’œuvre civile de la vallée de
Vaihī allaient massivement participer à la ruée vers l’or en Californie,
laissant la suite des gros travaux (terrassement, extraction de pierre et
transport) entre les mains des exécutants marins et soldats.
Un des édifices les plus importants du nouveau Pape’ete fut la
cathédrale Notre-Dame, construite de 1856 à 1860, l’œuvre en partie du
garde du génie Charles Duval, en un lieu environné de marécages et
sources, dont l’une était visible dans la cour de la banque de l’Indochine
pour s’écouler sous l’accès du garage Gaston Guilbert, rue Jeanne d’Arc,
vers la mer entre Bata et Donald, là où ancraient Mitiaro, Denise ou
Florence Robinson…
Signalons enfin la situation, dans l’arrière-ville, d’une caserne indigène et de l’Ecole des Frères de Ploërmel venus à Pape’ete en 1858, tandis que le vaste terrain Vaiami de l’Hôpital est séparé, par la future rue
de la Canonnière Zélée, d’une grande caserne limitrophe de la rivière
Vaihī, descendant de Sainte-Amélie aujourd’hui aussi complètement
cachée sous l’asphalte pour déboucher en aval du monument du Général
de Gaulle. Dans sa rêverie en actionnant la machine à remonter le temps,
le promeneur venu de l’Ouest à partir de l’O.T.A.C., loin des exhalaisons
répandues aujourd’hui par les tuyaux d’échappement mais dans un environnement parfois de senteurs chevalines et de moustiques des marécages, passait entre 1843 et 1861 devant la maison de la Reine à tātahi
(régions des maisons Brault et Laguesse récemment démolies et clinique
de Pā’ōfa’i), puis à hauteur du consulat anglais et du temple protestant
avec cimetière protestant à côté 26.
26
Voir BSEO n°256/257 pp. 23-26.
63
27. tepano Jaussen installe la mission catholique de tepapa
On notera l’affectation à Tahiti du Père Louis Borgella : arrivé le 2
septembre 1848, il quittera Pape’ete (février 1853) pour Valparaiso où il
meurt à 65 ans (14 décembre 1873).
Mgr Etienne Jaussen dit Tepano (1815-1891), né à Rocles en
Ardèche (12 avril 1815), prêtre picpucien, après un premier séjour à Valparaiso (1845), est nommé évêque pour Tahiti où il arrive par l’Alcmène
(16 février 1849). Enseigne à Ha’apape d’abord, est nommé aumônier
naval du Pacifique (février 1851), sur les goélettes Pape’ete, la Thisbée
et l’Artémise, fonde une école à Pape’ete (1854), fait l’acquisition de la
vallée de la Mission (1855) où est installé l’ Evêché – où seront exploités
comme un vrai jardin d’acclimatation : une plantation de 5 ha de canne
à sucre (bon rendement de cassonade et rhum), une cocoteraie de rapport,
de nombreux maiore productifs, des ruches d’abeilles pour cire et miel,
des grands arbres (badamiers ou ’autera’a, eucalyptus, vignes, manguiers
greffés, etc...), avec un menu bétail (chevaux, bovins, volailles, porcs,
ovins)... progressivement.
Bien que sous Protectorat, Tahiti est géré colonialement par le
ministre de la Marine, les gouverneurs successifs étant des officiers (ne
dépassant pas le grade de capitaine de vaisseau de 1850 à 1863 notamment) habitués à commander autoritairement, se frayant un chemin
administratif de leur propre initiative dans cette législation, ayant une
formation purement navale pour une discipline du bord, alors qu’ils ont
à se mouvoir dans les complexités embarrassantes de la politique
locale (Dixit l’historien Colin Newbury, professeur de l’Université
d’Oxford). Leur but : inculquer aux habitants les valeurs de la civilisation française, en visant une nouvelle promotion accélérée.
Louis-Adolphe Bonard, grand de taille, en est le prototype. Après
un premier séjour où il s’est distingué en coiffant d’assaut l’insurrection par le Diadème (décembre 1846), rentré en France, il sera
nommé capitaine de vaisseau (12 juillet 1847). Le titre de gouverneur
étant supprimé (décret du 28 juillet 1849), Bonard revient nommé
Commandant de la subdivision navale de l’Océanie (décision du 19
juillet 1849) sur la Thisbée, pour être en fonction du 20 mars 1850 au
16 juin 1852. Il s’est imposé rapidement comme maître du pays, en
se basant sur le soutien des chefs, pour circonscrire le pouvoir dynastique à l’exemple du rôle que jouent les missionnaires anglais auprès
des ari’i.
64
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
Cependant, lors des longues sessions de l’Assemblée législative,
réunissant une centaine de chefs et juges, le Commandant-Gouverneur
s’accorde le droit de rejeter souverainement les résolutions des chefs
adoptées par scrutin, lorsqu’elles lui déplaisent, complétant même la
législation s’il le désirait par ses propres ordonnances, que la Reine
contresigne sans protester, s’agissant de rédaction en langue française
qu’elle ne pratique pas… Le régent Paraita est d’ailleurs là pour ratifier
à sa place éventuellement ; obèse à l’esprit délié, dévoué et habile pour
des missions délicates, rapace et au besoin généreux, il est ainsi quasiment un antagoniste naturel de la Reine. Mais la Mission protestante
constitue aussi une force capable de s’opposer au régime autocratique de
Bonard. Après l’exode massif des missionnaires anglais (en 1844), – les
pasteurs Orsmond et Simpson restés sur place ayant accepté le Protectorat, – les diacres tahitiens refusent toujours de se soumettre.
28. activités paroissiales - Hydrographie - agriculture
Dès 1844, des religieuses françaises catholiques sont chargées de
soigner les blessés de la garnison et d’instruire les filles des familles des
chefs. A partir de 1847, des fils de chefs sont envoyés en France dans des
écoles catholiques. Un inventaire des biens de la Mission protestante et
des paroisses est dressé en 1849 et la Mission catholique commence rapidement par entrer en possession de terrains. Une loi de mars 1851 codifiera la situation des cultes par district de résidence.
Alors, le révérend Howe, pasteur anglais envoyé dans le Pacifique
en 1839, qui a été en poste à ’Afareaitu-Mo’orea jusqu’à l’exode de
1844, revient à Tahiti dès 1847 comme prédicateur itinérant. Il doit se
fixer à Pape’ete pour s’occuper de la paroisse de Béthel, fondée dans les
années 1820 pour les papa’ā de langue anglaise ; et il faut le saluer pour
avoir réussi à publier, en 1851, le Dictionnaire tahitien-anglais dit de
Davies (plus de 10.000 mots, fruit d’un travail collectif des missionnaires
durant 50 années) et qui sera réédité tel quel par les Editions Haere Pō
en 1985. Le pasteur Nott ayant effectué la traduction tahitienne de la
Bible, Howe se consacre alors à sa révision complète, version améliorée
toujours en usage actuellement (1990).
Le Protectorat pratiquement transformé en colonie, Bonard souhaite
réaliser son développement économique par des projets agricoles d’envergure, au-delà du commerce d’huile de coprah, de nacre et de perles des
méléagrines qui, seul, intéresse les hommes d’affaires locaux, outre celui
65
des alcools, des tissus et des conserves alimentaires. Les terres indigènes
constituant des biens familiaux inaliénables, les Tahitiens peuvent exploiter leurs domaines par la cueillette des oranges sauvages qui se sont vite
propagées et foisonnent au point de représenter une nouvelle denrée
d’exploitation appréciable.
C’est à ’Ārue en 1788-1789 que le Capitaine Bligh du Bounty a fait
semer les premières graines. La ruée vers l’or en Californie, non seulement a attiré tous les ouvriers civils du village de Sainte-Amélie devenus
chercheurs d’or, mais constitue un appel de ce marché d’oranges succulentes ainsi que pour les tubercules notamment. En effet, les navires de
commerce étrangers dès 1851 assurent exprès la desserte Tahiti-Californie… Mais plus tard, les maladies parasitaires apparues en 1857 déciment graduellement les forêts d’orangers qui bordaient la route du tour
de Tahiti, puis la Californie deviendra elle-même terre d’élection comme
pays producteur d’oranges…
Enseigne de vaisseau sur l’aviso à vapeur Phaéton, Edmond de Bovis
(né à Grasse en 1818) arrive à Tahiti en 1844 : détaché 6 mois à Tai’arapu
pour des travaux hydrographiques (levers de plans), il succède ensuite à
Gabrielli de Carpegna comme directeur du port de Pape’ete et commande
(en 1846) la goélette Pape’ete tout en s’occupant de l’hydrographie de
Tahiti. Attaché au Dépôt des cartes en France (août 1848) pour achever
ce travail, il revient à Tahiti pour la campagne hydrographique de la
Thisbée aux Iles de la Société (1849-1852) ; quittera Pape’ete (2 septembre 1852) sur le Phoque partant pour la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie… Cet actif et persévérant lieutenant de vaisseau laisse
un ouvrage de référence Etat de la société tahitienne à l’arrivée des
Européens27.
Dans la contribution de Bonard, en poste pour deux années, au développement agricole, il faut citer l’introduction de l’avocatier, de la banane
rio, du manioc et de nouvelles espèces de manguiers, apportés par des
navires de guerre ayant fait escale au Brésil. Après Tahiti, Bonard sera
nommé contre-amiral (juin 1855), devenant Commandant de la division
navale du Pacifique (1858-1861), puis il organisera la Cochinchine. Né
à Cherbourg, il meurt à Amiens âgé de 62 ans (31 mars 1867).
27
1855, édité aux E.F.O. et réédité en 1978 par la S.E.O.
66
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29. Développement portuaire de Fare-’Ute
Le 3ème Gouverneur, Théogène-François Page (1807-1867), capitaine
de vaisseau fin 1845, est nommé Commandant naval d’Océanie et Commissaire de la République aux Iles de la Société (5 septembre 1851), et
prend le titre de Commissaire impérial (17 avril 1853) après la proclamation de l’Empire. Sa juridiction englobe la Nouvelle-Calédonie devenue
possession française (24 septembre 1853) mais il ne visitera pas cette île.
Esprit original, caustique, cultivé et curieux, il juge les efforts de ses prédécesseurs infructueux et que la colonie est restée stationnaire. Il estime
pour Tahiti la vocation d’être, par sa position au centre du Grand Océan :
un port de ravitaillement, de radoub et de dépôt ; une étape, tant pour la
ligne à vapeur entre l’Australie et l’Europe, – dans la perspective prometteuse du percement de l’isthme de Panama, – que pour celle entre la Nouvelle-Zélande et la Californie, comme pour la flotte baleinière de 300 à
400 navires en diminuant les passages répétés et onéreux par le Cap Horn.
C’est ainsi que, dans cette prospective géopolitique d’avenir, est bâti,
en deux mois, un arsenal naval complet sur la langue de sable à cocotiers
de Fare-’Ute, grâce à la main-d’œuvre des chefs de Tahiti et Mo’orea et en
exploitant les bois forestiers : 3 vastes magasins-entrepôts, la cale de halage
et le premier quai d’abattage des navires, consolidés et complétés avec un
second quai d’abattage, puis une briqueterie, des belles forges et des ateliers en briques pour le travail du fer (réparation des grandes machines à
vapeur), une cale pour carénage des œuvres vives, ainsi qu’un hangar pour
les embarcations, un hangar pour les naturels et des parcs à charbon.
Le projet de Page de remblayer la partie corallienne de lagon, pour
relier Motu-Uta à Fare-’Ute par un chemin de fer, ne pourra être concrétisé, le ministre de la Marine et des Colonies refusant de fournir rails et
wagons nécessaires.
Afin de capter l’intérêt de la population, le dynamique gouverneur
Page fait publier par l’imprimerie du gouvernement un journal d’information Le Messager de Tahiti, hebdomadaire paraissant le dimanche en
langue française depuis 1852 (actes officiels, nouvelles locales, nationales et internationales).
En rade de Pape’ete, les navires sont ancrés le long de la plage, en
face des magasins de négoce pour chargement ou déchargement des marchandises, l’activité étant visible sur le rivage où haquets et tombereaux
tractés par chevaux ou mulets se croisent au fur et à mesure de la multiplication des affaires.
67
Aux confins de Fa’a’ā, en quelques mois le gouvernement a installé
une fabrique de briques qui marche, avec séchoir bien exposé, l’eau
abondante provenant d’un puits profond et la terre argileuse excellente
étant extraite dans la pente de montagne de la même enceinte en un lieu
inculte et sauvage couvert de goyaviers.
La plupart des maisons de Pape’ete, alors construites en planches et
éléments végétaux, peuvent craindre les incendies, les insectes dévoreurs,
les intempéries : ciment et briques vont consolider les nouveaux bâtiments de la cité.
Déjà le bilan portuaire de 1852 à 1853 est marqué par un accroissement commercial des navires et passagers ; l’arsenal de Fare- ’Ute
entraînant les espérances de trafic par augmentation dans les importations
et échanges d’approvisionnements interinsulaires, en produits des îles
comme en marchandises de l’étranger (dont vins et spiritueux...). Les
exportations d’oranges ont cependant considérablement chuté :
– 6 400 000 oranges en 1852 (Californie 6 319 000, Australie 81 000)
– 1 910 000 oranges en 1853 (Californie 1 179 000, Australie 731 000)
Déficit atténué par une augmentation dans l’exportation de la nacre.
Le mouvement des baleiniers accroît le trafic portuaire des négociants, engendrant, avec un dépôt d’huiles de baleine et de charbon de
houille, le développement des affaires : en navires, en magasins, en travaux de tonnellerie et de manœuvres. Pour agrémenter les escales de la
nouvelle ligne des paquebots Sydney-Panama, créée par un armateur
américain, Pape’ete offre aux visiteurs l’accueil traditionnel des danses
et chants, les artisans et agriculteurs pouvant les tenter par des curios et
fruits divers. L’avenir touristique fait figure florissante. Le rapide navire
Golden Age mouille en rade (24 mai 1854) avec 750 passagers pour une
escale d’une semaine ! Cette unité est équipée d’une machine à mouvement direct s’alimentant en charbon, intéressant donc pour le dépôt de
Fare-’Ute.
30. rougeole, rançon de l’accueil…
Mais, hélas ! aussi, les microbes ont débarqué et provoquent une
épidémie de rougeole (juillet 1854) ; si les Européens en sont protégés,
par une immunité acquise, l’on compte de nombreux morts chez les
Indigènes inaccoutumés, surtout dans les districts. La vie administrative
et publique du pays est paralysée un certain temps. Soins aux malades
et ensevelissement des morts (plus de 700 victimes) préoccupent les
68
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vivants et survivants, les écoles sont désertées : élèves, parents et même
enseignants sont malades ou décèdent.
Ainsi, parmi les victimes, il y a le regretté grand chef Tātī de Pāpara
lequel avait vu Cook et assisté aux événements remarquables des temps
anciens : éloquent et habile orateur, homme de bien toujours, figure historique illustre.
De 1851 à 1866, l’Assemblée législative se réunira presque tous les
ans à Pape’ete, soit au temple protestant, soit au nouveau palais législatif : composée d’environ 100 chefs avant 1853, une délégation de 25
chefs des Tuāmotu s’y ajoute dès à présent. La convention du Protectorat
disposant que « la nomination des chefs de districts est faite par la Reine
de Tahiti et le Commissaire du Roi de France, sur proposition des
huira’atira, des notables », cela a donné lieu à des conflits de candidatures perē-fēti’i et le gouverneur Page a dû sanctionner en 1854 des
nominations sans le consentement de la Reine.
Successeur de Page et 4ème Gouverneur, le marquis Joseph, Fidèle,
Eugène du Bouzet est déjà passé un mois à Tahiti (mai-juin 1842) et a
participé aux voyages de circumnavigation avec Bougainville (18241826) et d’expédition au Pôle Sud de Dumont d’Urville (1837-1840 : en
second sur la Zélée). Après avoir été commandant de la corvette l’Allier
dans les mers du Sud, il effectue une campagne de 4 ans au commandement de la Brillante dans le Pacifique (1845-1849), où il passera à
Pape’ete (avril 1847). Nommé capitaine de vaisseau (22 juillet 1848), il
réapparaît comme gouverneur et commandant de la station navale (décret
du 22 mars 1854) sur la corvette l’Aventure, faisant relâche à Tahiti où il
désigne comme représentant son second Louis François Roy (26 ans,
natif de Cognac) avec le titre de commandant particulier de Tahiti (du 21
novembre 1854 au 30 décembre 1856). Et Du Bouzet, « n’étant tenu à
aucune résidence fixe et obligatoire », – sa juridiction navale englobant
Tahiti, Iles Marquises et Nouvelle-Calédonie, – va séjourner 3 mois dans
cette grande île-ci. Sa frégate ayant fait naufrage aux abords de l’Ile des
Pins (fin avril 1855) sur le chemin du retour à Tahiti, il rentre par le
Duroc en France (où le Conseil de Guerre l’acquitte) et revient à Tahiti
par le Moselle (17 octobre 1856) pour reprendre son commandement.
Au menu de son séjour : fêtes, exercices militaires, voyages aux îles.
L’arsenal de Fare-’Ute continuera à être une bonne affaire, les navires
subissant souvent des avaries au long des voyages, surtout en s’aventurant dans le dédale peu connu des atolls. Sentant le besoin de prendre du
69
repos, Du Bouzet demande à être relevé de ses fonctions (fin février
1858) après 4 années de mandat, pour rentrer en France : nommé contreamiral (7 novembre 1858), il sera commandant de la division navale de
Brésil & Argentine ; il mourra à Paris, après 3 ans d’une maladie incurable, à l’âge de 62 ans (22 septembre 1867).
Quand Page, commissaire de la République aux Iles de la Société,
reçoit le 20 novembre 1854 son successeur le marquis Joseph du Bouzet,
le pharmacien de la Marine de Paris Gilbert Cuzent fait partie de la suite
de ce dernier promu gouverneur des E.F.O.28 Affecté à l’Hôpital de
Pape’ete de 1854 à 1858, étant botaniste amateur, Cuzent cumule les
fonctions provisoires de juge puis d’officier de l’ Etat-civil. En 1857, il
a vu se monter une huilerie de noix de bancoul. De son séjour il laissera
un ouvrage de référence Archipel de Tahiti (Recherches sur les principales productions végétales -1860), qui a été fort heureusement réédité
localement par les Editions Haere Pō en 1980.
En 1858, Mgr Tepano Jaussen a introduit à Tahiti les Frères de
Ploërmel et les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, circulant dans les îles
sur le cotre Vatican de la Mission catholique, desservant notamment les
Tuāmotu, apportant de la terre végétale aux Pa’umotu.
Succède à du Bouzet, comme 5ème gouverneur, son intérimaire le
remarquable officier Jean-Marie Joseph Saisset (1810-1879) : nommé
d’abord Commandant de la subdivision navale de l’Océanie et gouverneur des E.F.O. (18 mai 1858), il entre en fonction à Tahiti (18 septembre 1859) et en Nouvelle-Calédonie, alors encore sous sa juridiction (22
mai 1859), où a été assassiné le colon Bérard ; puis il a le titre de Commandant des E.F.O. (groupant les Iles Marquises et les établissements
militaires et maritimes de Tahiti) et de commissaire impérial aux îles de
la Société (décret du 14 janvier 1860).
31. Urbanisation, embellissement, salubrité
La vie en ville connaît une période de paix. Le gouverneur entreprend
des travaux de dégagement par la démolition des remparts de la Pape’ava
et des fortins non entretenus. La construction d’une cathédrale en pierre de
taille, promoteur Jaussen, est confiée au Génie pour le compte de la Mission catholique : entrepris sur un sol marécageux, les travaux seront vite
28
Etablissements Français de l’Océanie.
70
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interrompus… Le Gouverneur baptise la route du bord de mer Quai
Napoléon (1er janvier 1859) et l’ancienne Broom Road devient rue de
Rivoli car, comme à Paris, la Reine y résidait.
Les habitants sont invités à déblayer les alentours des propriétés
pour l’embellissement et la salubrité de la charmante agglomération, avec
le concours du service du génie chargé de rendre facile la circulation en
matière de voirie : il est défendu de galoper (à cheval...) en ville.
Florissant en 1853, le commerce de transit des baleiniers aura déjà
disparu en 1861 de Pape’ete, la capture de cétacés s’étant raréfiée dans
le Pacifique. Les mouvements de la navigation maritime ont ainsi décru
considérablement, mais l’administration du pays s’est bien organisée
pour relancer le commerce d’échanges de marchandises importées
(farine, légumes secs et bois de charpente de San Francisco ; vivres
liquides, quincaillerie et textiles divers de Valparaiso et de Sydney) et de
produits du cru (huile de coprah, nacre, oranges, jus de citron ; tripang,
fungus29, vanille, café, sucre, rhum...).
Malade de laryngite, Saisset demande à… cesser ses fonctions à
Tahiti (25 avril 1859) pour rentrer en France via Sydney et Marseille (6
juillet 1860) ; sera contre-amiral (mai 1863). Natif de Paris, il y meurt à
69 ans (25 mai 1879).
Le 6ème Gouverneur, Eugène Gaultier de la Richerie (1820-1886), né
à Fort-de-France (Martinique), est capitaine de frégate en arrivant à Tahiti
(novembre 1858) comme intérimaire avec le titre de Commandant particulier. Il sera titularisé dans ses fonctions de Commandant des E.F.O. et
Commissaire impérial aux Iles de la Société (14 janvier 1860), ayant
œuvré avec satisfaction durant un séjour qui durera plus de 5 ans 1/2 en
Océanie.
Il trouve peu nombreux les colons établis dans ce beau pays : moins
de 700 dont 42 femmes européennes (en 1863), mais déjà 59 femmes du
pays ont épousé des colons, croisement durable de civilisations ayant
créé de nouvelles générations enchevêtrées d’habitants.
29
N.D.E. - Tripang ou trépang, terme malais pour l’holoturie (variété locale rori), la variété comestible étant séchée ou fumée pour exportation et être consommée bouillie ou apprêtée.
- Fungus : espèce comestible de champignon fongus connu localement sous le nom de
tari’a ‘iore.
71
32. les ecoles catholiques et protestantes œuvrent
A l’appel lancé par le gouverneur précédent Saisset (octobre 1858), la
congrégation chrétienne de Ploërmel envoie 4 Frères quittant Brest (7 janvier 1860) pour arriver à Tahiti par le Dugay-Trouin (17 octobre !) : Alpert
Pierre Ropert (1832-1879), Arsène Guillet, Hilaire Toublanc et Hubert
Robic installent, sous les exigences autocratiques du gouverneur, l’ Ecole
des Frères : « ouverte d’abord en camp volant improvisé, dans un coin de
la caserne des lanciers indigènes » (2 décembre 1860), ensuite elle « s’installe dans des bâtiments trouvés sur le quai » (septembre 1861 : bloc Vigor
occupé actuellement par l’immeuble Le Jasmin devenu Le Palais de la
Bière). Les Frères sont au nombre de 14 en 1865 : une école est ouverte
aux Iles Marquises (1863-1866), une autre à Mataiea plus durable (1864).
D’esprit conciliant, Ropert a eu l’honneur de poser les premières assises de
l’ Ecole des Frères, futur Collège La Mennais, quittant Pape’ete pour raisons de santé (7 mars 1867) : il mourra de fièvre jaune à 47 ans, à Haïti.
Mgr Jaussen a dû laisser le gouverneur réaliser, à la place d’une
cathédrale, une église modeste avec le concours du Génie ; le père Gilles
Juste François Collette ou Colette (1826-1899), arrivé à Pape’ete le 19
décembre 1854, est Supérieur de Tahiti (1866) ; étant alors nommé curé
de Pape’ete à partir d’avril 1868, son activité ouvrière cessera à 73 ans :
mort à Pape’ete (4 août 1899) et enterré au cimetière de l’Uranie…
Dès 1860, est évoquée la proposition de la Reine Pōmare IV et des
chefs qui souhaitent – l’Administration française favorisant les ministres
du culte catholiques français ; et eux étant reconnaissants envers les missionnaires protestants anglais de les avoir sortis du paganisme – continuer
à pratiquer leur religion protestante, tout en adhérant pleinement à
apprendre la langue française.
Le gouvernement impérial y accède enfin par l’envoi du Pasteur
Thomas Arbousset (1810-1877) de la Société des Missions évangéliques
de Paris, – arrivant à Pape’ete (26 janvier 1863) sur le voilier Dorade
passé par l’isthme de Colon-Panama, – en vue de réorganiser l’ Eglise
protestante locale et fonder une Ecole protestante. Reçu par le pasteur
Howe et l’éloquent pasteur indigène Daniela, chapelain et porte-parole
de la Reine, Arbousset est installé pasteur de Pare (avril 1863) : il fonde
une école du dimanche et un service dominical en français, visite
Mo’orea, les Iles Australes, les Tuāmotu et les Iles Sous-le-Vent.
Il est rejoint par son collègue et gendre François-Emile Atger (18341909), né à Saint-Jean du Gard, venu à Tahiti (10 juillet 1864) pour la
72
Faiere - Colline de la Mission protestante
(Cliché SMEP)
(Cliché SMEP)
(Cliché SMEP)
(Cliché Spitz)
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création de l’Ecole protestante française-tahitienne de Pape’ete ouverte
le 1er août. Arbousset, sa tâche d’organisation accomplie, rentre en France
par le même bateau (23 mai 1865) ; Atger lui succède comme pasteur de
Pape’ete et directeur d’école, fonctions qu’il quittera en juin 1866 ; rentré
en France en avril 1870, c’est à Tunis qu’il mourra à l’âge de 75 ans (14
décembre 1909).
Charles Viénot (1839-1903), alors précepteur à Nérac, a eu comme
élèves de jeunes Tahitiens que fera rappeler la Reine Pōmare IV, avant
d’être envoyé par la Société des Missions Evangéliques pour la scolarisation protestante à Tahiti, en tant qu’instituteur à Pape’ete où il arrive
avec son épouse (25 février 1866) par navire Chevert. Après l’embryon
d’école lancé par Atger, Viénot a la charge de conduire et développer la
nouvelle école inaugurée par le Gouverneur (1er septembre 1866)...
En 1865, a été édifié un nouveau Palais de la Reine près Place
Taraho’i : une bâtisse blanche non loin du Palais résidentiel carré du
Gouverneur, avec le Cercle militaire plus bas, la ville gardant encore un
look agreste. La Reine passe souvent ses journées étendue « à la tahitienne » sur des nattes, cependant qu’elle reçoit « à la française » lors
d’excellents dîners…
La souveraine… est devenue entièrement dépendante du pouvoir du
gouverneur ; le Régent Paraita a perdu son influence passée : il décèdera
dans une certaine indifférence (24 octobre 1865) et sera enseveli sur une
terre ancestrale, dans sa retraite à Māma’o, où sa sépulture a rejoint l’oubli.
33. Quelques figures de l’époque
• Jacques Rouffio (1797-1872), natif de Montauban, arrivé à Tahiti en
1844, fait du trafic dans les îles : d’abord propriétaire du cotre Requin, a
fait l’acquisition de la barque trois-mâts Félix (1853) pour le trafic avec
Valparaiso, comme négociant-armateur, titre qui lui vaut d’être nommé
juge au tribunal du commerce à Pape’ete (1858) ; propriétaire à Pape’ete
et à Puna’auia, il meurt sans descendance locale à Pape’ete (19 avril 1872).
N.B. Jacques Rouffio, marin et armateur, originaire de Montauban,…
meurt à Pape’ete, le 19 avril 1872, sans laisser de descendance directe dans
le pays (p. 498). La notice consacrée à Louis Martin (p. 374), né le 2 février
1843 à La Cotinière, Saint-Pierre d’Oléron en Charente-Inférieure, indique
qu’il est propriétaire dans le quartier Fāri’imātā à Pape’ete et que, de son
union le 11 novembre 1871 avec une jeune fille d’origine chilienne, Eloisa
Ruffio (1854-1905) – l’état civil portera tour à tour Rupfier, Rupfur, Rufo
73
– appelée aussi Carmen Sepulveda, du nom de sa mère – sont issus
six enfants : Louise 1872-1892 (épse Marius Vallier), Marguerite
1874-1970 (épse Johan Muth), Paul 1876-1936 (époux d’Eva Salm),
Héloïse 1877-1968 (épse Henri de Weiss puis Henri Ducos), Emile
1879-1959 (époux d’Anne-Marie Papineau puis Dora Gooding) et
Rose 1882-1972 (épse Constant Deflesselle).
Enfin, la notice consacrée à Constant Deflesselle (p. 141), né le
8 février 1872 à Amiens, indique que cet officier, venu s’installer à
Tahiti en 1900, était capitaine au long cours, très compétent en botanique, sera un long et actif président de la Chambre d’Agriculture,
fonde et dirige le syndicat agricole et ranime le Syndicat d’Initiative
naît un fils Guy (1909)30
• Samuel Pinder Henry fils (1824-1865) : fils aîné de Teri’itahi
Henry, né à Tahiti (23 septembre 1824), ayant étudié à la South Seas
Academy de Mo’orea puis à Sydney, est d’abord planteur à Ma’iripehe, puis dans le sillage de la ruée vers l’or il tente avec son cousin
Isaac Henry (1828-1905) l’aventure en Californie ; préférant revenir
à Tahiti deux ans après, pour exploiter coton et cocoteraie à Mara’a,
il mourra des suites d’un accident (23 mai 1865) à 41 ans…
• Xavier François Caillet (1822-1901), natif de Nantes, est pilotin
puis timonier ; aspirant sous Bruat en Océanie, sur la corvette de
charge Meurthe, il arrive aux Iles Marquises (8 septembre 1843,
Nuku-Hiva) puis à Pape’ete (24 août 1844). Il participera aux divers
combats ayant lieu à Tahiti (1844-1846), est de retour en France en
1847. Capitaine au long cours, il reviendra en campagne en Océanie
où, à Tahiti, sur les goélettes locales Hydrographe et Kamehameha,
en 1857-1858, il est nommé enseigne de vaisseau (10 juin 1857),
devient Commandant particulier des Iles Marquises (30 mars 1857 6 octobre 1858) puis Commissaire particulier des Tuāmotu (15
décembre 1858-15 août 1860) et participera à une expédition hardie,
30
Abrégé biographique extrait du Répertoire Tahitien (Patrick O’Reilly & Raoul Teissier,
Société des Océanistes, 2ème éditon, Paris 1975).
74
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sur le Cassini (janvier 1861), en vue de recueillir tous documents sur
l’état religieux-politique-commercial des Tuāmotu. Rentré en France en
1863, il reviendra sauveteur brûlé dans un incendie en Bretagne, comme
en tant qu’ami, protégé et co-bouffeur de curé de La Roncière, successivement : Résident à Mo’orea (20 avril 1864 - 1er octobre 1865), aux Iles
Gambier (10 décembre 1865 - 20 février 1866), à Rapa (1868, escale
mensuelle de la compagnie anglaise Panama-Sydney), administrateurrésident des Tuāmotu, siège ’Anā (29 décembre 1869 - 11 avril 1870),
Directeur des affaires indigènes à Pape’ete (1870). Il embarque sur le
brick anglais Rita (20 octobre 1870) pour rejoindre son nouveau poste de
commandant de circonscription en Nouvelle-Calédonie (troubles aux îles
Loyalty). Rentré à Tahiti par le Calvados (6 août 1875), bien que retraité,
il sert comme résident aux Tuāmotu (mars 1876 - juin 1877), puis un certain temps inspecteur des affaires indigènes (travaux d’annexion définitive de Tahiti à la France, avec établissement du protectorat des Iles
Sous-le-Vent) ; enfin, il est juge de paix à Taravao (août 1878), pour se
retirer après (fin 1880) dans sa propriété à Pīra’e (’Īriti). Il donnera alors
des cours de navigation à l’Ecole Viénot ; membre du Conseil général en
1886, il mourra âgé de 79 ans, célibataire et sans postérité, à Pīra’e (11
avril 1901), laissant sa propriété à son fermier Gadiot.
• Jean-Baptiste Onésime Dutrou-Bornier (1834-1876), ayant participé
dans la Marine volontairement à la Guerre de Crimée, sera capitaine au long
cours (1860). Avant son départ en Océanie, J.B.O. épouse Valentine Foulon ;
ils ont un fils, Georges (né en 1862) – ce dernier mourra avant 1889 au
retour d’Indochine. Quitte Le Havre via Bordeaux sur son trois-mâts Tampico (1865) pour les mers du Sud par Callao, direction Tahiti (1866), ayant
conduit deux missionnaires picpuciens de Valparaiso à l’Ile de Pâques ou
Rapa-Nui (octobre-novembre 1866) ; il assure deux fois le transport postal
de Tahiti à Callao. Avec un bateau, parti faire du recrutement pour la plantation de ’Ātimaono en travailleurs pascuans (février 1867) – sans succès,
ces derniers s’en méfiant, après le souvenir de la traite péruvienne – il s’approprie, dans l’Ile de Pâques, d’un terrain en vue d’y développer l’élevage
de moutons, bovins, chevaux et porcs. Même voyage de recrutement aux
îles Gilbert ; à son retour (300 passagers à bord), il échange avec l’armateur
écossais John Brander son bateau avarié, pour la goélette Aora’i qui l’emporte s’installer à Mataveri dans l’Ile de Pâques (avril 1868) où, quelques
semaines plus tard, ledit bateau a sombré dans la mer lors d’un coup de vent.
75
En 1869, il fait avec Brander un contrat pour l’exploitation de l’île
et, peu à peu, il se trouve en opposition avec les missionnaires catholiques établis, pour sa manière d’acquisition forcée de terres indigènes
par promesse de livraison d’étoffes, sinon par la menace de ses équipiers
armés de fusils (début 1870) en détruisant la récolte (patate) et incendiant
les cases pour soumettre la petite population de 300 âmes sans vivres, son
associé Brander en visite (fin février 1871) ramenant 67 travailleurs pascuans. La situation dans l’île ne s’améliorant pas, Mgr. Tepano Jaussen
fait quitter ses missionnaires (juin 1871) ; mais dans cet exode, J.B.O.
retient avec lui quelque 170 Pascuans, ayant ravi Kokereta la jeune
femme d’un habitant, qu’il installe comme Reine de l’île pour écrire une
demande de protectorat français au Gouverneur à Tahiti à trois reprises
(1872, 1874, 1875)...
La goélette Marama arrivant de Valparaiso via l’Ile de Pâques (janvier 1877) apporte la nouvelle à Pape’ete d’une insurrection y ayant
éclaté et où la « Reine » a été maltraitée et J.B.O. assassiné, sa maison
ayant été attaquée et saccagée 4 mois auparavant – ils avaient eu deux
filles (Caroline et Hariette) restées avec leur mère, vivant avec un naturel
de là-bas à Mataveri (avril 1878). Une version suggère que cet énergique
aventurier se sera tué en tombant de cheval après boire.
A l’état-civil de Tahiti, J.B.O. a reconnu une fille Marthe Jeanne, née
en mer (29 mars 1868) de la femme indigène Mo’o-a-Tare, et qui épousera
Va’aroaitemata’i : 2 enfants, une fille Tetuaita’ata (née en 1888) et un fils
Xavier Matohi (né en 1890 à Mo’orea, épouse une fille Pater) et dont un
petit-fils est notre sympathique et imposant douanier Onésime Cabral (alias
Jim de Barbès pour les initiés immédiats !) se profilant quotidiennement à
vespa sur le front de mer, et lequel conserve l’épée de son trisaïeul. Personnage hors du commun, le singulier Onésime Dutrou-Bornier séduira le lecteur qui est vivement invité à le découvrir dans le roman d’étude que lui a
consacré Bob Hubert Miot-Putigny : Le Roi de Pâques, 1979, Laffont.
• George comme James William Dunnett est capitaine du navire de
commerce Jane A. Hersey qui vogue entre Sydney et San Francisco, passant notamment à Tahiti… non plus pour charger des oranges pour la
Californie, mais pour décharger des oranges de Californie !, opération
inverse devenue traditionnelle aujourd’hui plus qu’hier…
A Tahiti, Dunnett épouse en 1842 Tuaaveri’i Taimetua, amie de la
princesse Ari’itaimai qui a épousé Alexander Salmon (début 1842) ; 23 ans
76
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plus tard (1865), Dunnett réapparaît à l’occasion de la gérance d’une
affaire Brander, puis (en 1866) comme subrogé tuteur de la future Reine
Mārau-Ta’aroa épouse Pōmare V, fille d’Alexander Salmon.
Est propriétaire près de l’arsenal à Pape’ete (1869), protecteur de la
jeune Sally, puis témoin au mariage d’Auguste Goupil et Sarah Gibson
(octobre 1873) à Pape’ete ; témoin dans l’acte de décès du jeune Ernest
Salmon qui s’est noyé à 23 ans à Titioro (avril 1874), il conduit Mārau à
son mariage (janvier 1875). Sa femme Tuaaveri’i côtoie Mārau lors de
l’annexion de Tahiti à la France (29 juin 1880), tandis que Dunnett figure
sur la liste des invités des amiraux de passage à Pape’ete ; sa sœur Esther
a épousé, à San Francisco, Julius Salmon frère d’Alexander (1847) ;
Dunnett est décédé à ’Anā (15 mai 1885), ayant « espéré dans ce voyage
une amélioration de sa santé alors très altérée ».
• John Brander (1814-1877) arrive d’ Ecosse via Sydney à Tahiti sur ses
37 ans (décembre 1851), issu d’une famille aisée. D’abord dans le négoce
des perles, ses activités commerciales prennent vite de grandes proportions :
armateur, il récolte le fruit des cocoteraies dans les archipels et des cultures
nacrières pour l’exportation. Il a épousé à Pape’ete (1856) Tītaua Salmon
(1842-1898), fille parmi les nombreux enfants de Ari’itaimai et Alexander
Salmon ; sa fortune sera rognée parfois par des spéculations de jeu. Il aura
été consul anglais intérimaire d’avril 1864 à avril 1865, membre du Conseil
privé (mai 1869) et mourra à Pape’ete, âgé de 63 ans (15 juin 1877).
Sa femme, devenue veuve, continuera le commerce de son mari et
épousera, en secondes noces (1878), l’ancien associé de son mari, le
magistrat écossais George Darsie : 3 enfants, et Tītaua mourra en Ecosse.
34. ’Ātimaono ou la grande plantation de « terre eugénie »
Sur recommandation personnelle et enthousiaste du ministre de la
Marine et des Colonies Justin Chasseloup-Laubat – (nommé par l’Empereur Napoléon III à ce poste ministériel important, pour garantir l’ambition de l’Empereur de moderniser la flotte française à fins de conquérir
un vaste empire colonial) – le promoteur étranger William Stewart (18201875), qui a visité Tahiti en 1862, se lance dans la création d’une plantation de coton grandiose. Le Gouverneur est chargé de donner audit gérant
son appui… L’on ignorait à Tahiti son passé d’ancien trafiquant d’alcool,
d’armes et d’esclaves en Mélanésie. Mais son beau-frère Auguste Soares,
financier portugais d’excellente réputation, est président à Paris de la
77
Compagnie agricole déclarée à Londres (Polynesian Plantation Company
Ltd), avec lequel le ministre a affaire exclusivement.
En effet, la guerre civile en Amérique du Nord (blocus maritime
imposé par les Nordistes pour empêcher les Sudistes d’exporter leur
coton) provoque ainsi une pénurie d’approvisionnement des usines européennes, d’où inflation rapide des prix. Alors les planteurs ont la perspective de se lancer dans la culture du coton, surtout aux Indes et en
Egypte, tandis que la Compagnie Soares & Stewart opte pour l’acquisition en 1864 de terres nécessaires à ’Ātimaono (environ 3 000 ha de
terres non cadastrées), domaine nouvellement appelé Terre Eugénie en
l’honneur de l’Impératrice.
Les Tahitiens ayant refusé de travailler dans cette plantation, Stewart
a déjà calculé d’importer de la main-d’œuvre extérieure, en l’occurence
500 coolies chinois, avec l’accord ministériel. Le Gouverneur, dans l’attente de ce contingent, a même dépêché un navire de guerre recruter de
la main-d’œuvre à Raroto’a.
Le Gouverneur Louis-Eugène Gaultier de La Richerie envoie 7
élèves de Tahiti poursuivre leurs études à Nantes (1863). Il quitte Pape’ete
pour la France par le Latouche-Tréville (12 octobre 1864), signalant l’absence de barrières raciales à Tahiti… Nommé capitaine de vaisseau, il sera
Gouverneur de la Nouvelle-Calédonie (juin 1870-octobre 1874), au temps
de la déportation ; il meurt à Lorient à 66 ans (28 juin 1886).
Forgeron au départ, Joseph Langomazino (1820-1885) de Saint-Tropez devient vite un intellectuel self-made installé à Marseille ; ayant
fomenté contre le Prince-Président Louis-Napoléon dans l’affaire du
complot de Lyon, il est arrêté à Digne (25 octobre 1850) ; le Conseil de
Guerre le condamne à la déportation (28 août 1851) : par le navire
Somme, il arrive au Chili, à Valparaiso (avril 1852), est transféré sur le
Moselle pour détention à Taioha’e, Nuku-Hiva, aux Iles Marquises (juin
1852). Sa peine est commuée en bannissement, par faveur spéciale de
l’Empereur Napoléon III, et il peut aller s’établir à Tahiti. Arrivant à
Pape’ete (4 janvier 1854), il sera ouvrier, industriel, marchand, cultivateur… tandis que sa femme ouvre un débit de boissons… qui lui vaudra
un arrêté d’expulsion de la part du gouverneur Saisset : ils prennent passage sur le Novara pour Valparaiso, où le banni exerce la médecine… Il
était accompagné notamment de ses fils Eugène (13 ans, né à Marseille) – futur commissaire de la Marine, ayant quitté Tahiti en 1876 – et
Hégésippe (10 ans, né à Toulon) – futur avocat à Pape’ete (1844-1911)…
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Arrive le 8ème Gouverneur, Emile de La Roncière (1803-1874 : né à
Breda, Pays-Bas), nommé par Napoléon III Commissaire impérial et Gouverneur des E.F.O. (11 octobre 1864-5 juin 1869), commençant son poste
donc à 61 ans. Notre Comte, un tantinet bambochard dans son passé de
sous-lieutenant de cavalerie (1826-1843), a été victime à Saumur (1834)
d’une accusation équivoque dans une affaire de lettres anonymes avec tentative de viol sur la nièce (l’auteur et amoureuse déçue) du puissant maréchal Soult et fille du général commandant l’école des cadets de cavalerie.
Condamné par la Cour d’Assise de la Seine (4 juillet 1835) à 10 ans de
réclusion sans exposition, il subira sa peine à Melun et Clairvaux, mais
son procès d’erreur juridique lui fera obtenir une remise de peine par
Louis-Philippe (1843) et la réhabilitation (16 mars 1849) : cette aventure
est relatée par Bob Putigny dans Le Roi de Pâques signalé plus haut (§33).
Commandant de la Garde nationale, l’Empire étant proclamé,
E.d.L.R. devient Inspecteur de la colonisation en Algérie (1853), est chef
des services coloniaux à Chandernagor (1859) puis à Saint-Pierre &
Miquelon et le voilà à Tahiti.
35. ambiance procédurière
Les deux Gouverneurs L.E.G.d.l.R puis EdLR ont vite pris en grippe le
replet variolé Père Laval, pour sa rigidité théocratique et puritaniste, dans la
christianisation des îles Gambier et s’insinuant aux Tuāmotu (pour les atolls
non encore atteints par les Mormons) : une hostile pétition à Pape’ete des mangeurs de froc mettra en conflit le despotique missionnaire et le haut-fonctionnaire autoritaire La Roncière ; ce dernier trouvera en Louis Jacolliot
(1837-1890), nommé juge impérial des E.F.O., le défenseur de l’action positive du commissaire impérial durant son séjour, auteur de la brochure La vérité
sur Tahiti (affaire de la Roncière, Paris : novembre 1869 – plaquette qui vaudra, à son retour à Tahiti en 1872, comme simple trafiquant, d’être condamné
pour diffamations et injures (accusant la Mission de négoce et d’esprit de
lucre) avec dommages et intérêts (Le Messager de Tahiti, 18 mai 1872).
Et l’intangible congréganiste du hameau de Saint-Léger en Eure-etLoir, – après l’enquête parlementaire diligentée de Paris et effectuée aux
Iles Gambier par le commandant La Motte-Rouge (février 1871), – pour
le bien de la paix mais la tête haute, sera provicaire puis vice-provincial à
Tahiti jusqu’à sa mort à Pape’ete à 72 ans (1er novembre 1880) ; il repose
au cimetière de la Mission catholique, ayant laissé d’importants travaux
écrits en véritable ethnographe minutieux du passé de Mangareva.
79
Notre procédurier gouverneur interférera dans des affaires de justice,
ayant encouragé ou protégé certains promoteurs ou résidents provisoires,
sinon expulsé ou condamné ses adversaires…
Ainsi Jean Pignon (1802-1878), charpentier de navire, originaire de
Gironde, arrive aux Iles Gambier aux débuts de l’installation catholique et
entreprend un commerce prospère de la nacre, puis rentre en France se
marier, mais est ruiné par un incendie. Il revient à Mangareva (1850), rejoint
par son neveu Jean Dupuy (1832-1881) à Rikitea (1858) comme gérant
pour leur commerce en nacre, perles fines et pacotilles ; mais la nacre est
plus rare et les affaires périclitent, les deux colons connaissant d’autres
poisses. L’oncle s’est lourdement endetté au Chili et à Tahiti : son navire le
Glaneur, acheté à crédit à Valparaiso, s’est perdu à Akamaru (18 février
1859). Le neveu est en infraction avec le Code de Mangareva sur les étrangers, pour l’occupation de terrains où tous deux ont construit !
Nos deux Girondins, l’oncle sexagénaire et le neveu enjôleur, sont
engeôlés par la Régente Marie Eutokia en vue d’expulsion : après deux
mois de prison, le commandant du navire Thisbée de passage les fait libérer (avril 1860). Dupuy quitte Rikitea pour Valparaiso, puis est commerçant résident (1870) à Taioha’e, où il mourra à 49 ans (8 juin 1881).
L’oncle d’icelui est mort trois ans plus tôt (25 avril 1878) à Pape’ete où
il avait trouvé… pignon sur rue (1863), pour continuer son commerce
dans un magasin rue de la Petite-Pologne, ayant dû quitter définitivement
Mangareva où sa situation était devenue intenable…
En effet, après leur séquestration mangarévienne, ils ont chargé de
leurs déboires la Mission accusée d’exploiter les indigènes. Cette affaire a
été aussitôt utilisée par la presse anticléricale supportant les résidents étrangers, qui finissent par faire condamner la Régente après des enquêtes sommairement menées en 1861 et 1864. Et l’affaire Laval aura des
répercussions jusqu’à la Chambre des Députés, comme relaté plus haut.
Notre Provençal d’origine génoise Joseph Langomazino est revenu
à Pape’ete, sous le gouvernement de La Richerie (1858) : sa femme tient
un magasin de modes, lui est écrivain chez le Commissaire-commandant.
Ses capacités l’amènent à réorganiser l’Imprimerie du gouvernement, dont
il devient le directeur (5 novembre 1862). Pape’ete sans avocat, il est partie civile dans l’affaire de traite du brig péruvien Mercedes A. de Wholey
(mars 1863), dont le capitaine est accusé d’un recrutement aux Tuāmotu
pour les mines du Pérou. Ses compétences juridiques prouvées en cette
occasion, il est nommé juge assesseur au Tribunal de première instance
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(23 octobre 1863) et suppléant au tribunal criminel, puis juge d’instruction par intérim (octobre 1864), juge impérial, président de la Haute Cour
tahitienne (décembre 1867) : il aura ainsi élaboré une Codification des
actes du gouvernement local de 1842 à 1867 (ouvrage publié à Pape’ete
en 1867)...
Le premier contingent de 329 Chinois : puntis et principalement
hakkas, arrive (28 février 1865) pour le village cédé de ’Ātimaono, devenu
celui des coolies chétifs et imberbes, transformé à la mode asiatique, mais
dans des conditions peu enviables. La plantation est partagée en deux
terres, suivant une allée grandiose de goyaviers, par carrés destinés aux
bananiers coupe-vent, devant abriter les cotonniers et fournir de la nourriture ouvrière. Après la cueillette, le coton est nettoyé et séparé mécaniquement dans l’usine voisine des cases, puis séché sur des claies.
Deux autres contingents (8 décembres 1865 et 6 janvier 1866) porteront le total des Asiates à 1010 coolies, doublant ainsi le nombre autorisé par le ministère, Stewart prétextant que le chiffre d’un millier de
Chinois a été étendu par un arrêté gubernatorial du 30 mars 1864... (les
500 coolies engagés, plus leurs femmes et enfants...). Aux protestations
des colons devant cette massive main-d’œuvre étrangère, le gouverneur
La Roncière avance l’essai exceptionnel pour une entreprise de développement agricole sans comparaison et l’Administration se réservant la
faculté de rapatrier tous ces immigrants aux frais de la Compagnie.
Menée avec fermeté et habileté, l’affaire prospère avec de brillants débuts
en coton, café et canne à sucre…
Mais la guerre civile prend fin en Amérique et le blocus cotonnier
avec, le Sud reprenant son commerce passé avec l’Europe, au détriment
en particulier du lointain coton de ’Ātimaono grevé par un fret trop élevé,
malgré les efforts de Stewart pour réduire les frais d’exploitation : d’ailleurs environ 100 travailleurs coolies sont déjà décédés d’épuisement et
de maladies, de nombreux autres s’étant évadés et installés parmi les
indigènes, certains ayant même pu émigrer aux îles Sous-le-Vent alors
toujours indépendantes. Des rixes éclatant fréquemment à ’Ātimaono, le
gouverneur éloignera 23 perturbateurs en déportation aux Iles Marquises
(1869), tandis qu’un coolie, pris dans une bagarre ayant laissé un mort,
sera guillotiné pour l’exemple…
Propriétaire terrien à Pā’ea et d’un caractère sensible aux manifestations arbitraires, Langomazino connaîtra le désagrément d’expulsion de la
part de La Roncière, après avoir été révoqué en juin 1866 dans les deux
81
affaires épineuses retentissantes sur Mangareva (Laval) et sur la maind’œuvre de la plantation de ’Ātimaono, l’accusant d’être « l’agent d’affaire de toutes les causes véreuses »… Langomazino, défenseur pourtant
magnanime et des causes modestes, doit liquider à son désavantage les
opérations familiales pour derechef aller vivre à Valparaiso.
L’orage des… roncières gubernatoriales passé, Langomazino reviendra à son pays d’adoption : à la réorganisation des tribunaux (1870),
n’étant pas licencié en droit, il ouvre son étude d’avocat-défenseur et
apporte le concours de son expérience dans diverses commissions administratives instituées de 1872 à 1877... Il mourra à Pape’ete, à l’âge de 65
ans (26 janvier 1885), où le Journal Officiel et le Messager de Tahiti lui
ont consacré l’hommage qu’il mérite.
Mgr René Ildefonse Dordillon (1808-1888) est arrivé par navire
Crisquear à Taioha’e (23 janvier 1846) en même temps que Mgr JosephPaul Baudichon (1812-1882), son co-natal congréganiste qui a déjà fait
un séjour marquisien au temps de Dupetit-Thouars, de 1839 à 1844, et
sera attiré à « Tahiti, île désormais ouverte à la libre prédication des missionnaires catholiques », pour un bref séjour cependant (arrivée par le
Cincinnati 15 septembre 1848, départ par l’Arche d’Alliance 28 janvier
1849 pour la France). La Mission catholique alors installée depuis
presque 2 ans aux Iles Marquises, où le poste militaire a été supprimé
(décembre 1858), Mgr Dordillon verra arriver à Taioha’e le lieutenant de
vaisseau Kermel comme chef de poste qui rue dans l’échiquier d’austérité établi par les missionnaires.
Mandé à Pape’ete par le gouverneur de La Richerie pour organiser
le rétablissement de l’ordre (recrudescence d’alcoolisme et de cannibalisme aux Marquises), Mgr Dordillon est désigné Directeur des affaires
indigènes (19 mars 1863) et rentre (mai) avec 4 frères de Ploërmel pour
une école à Taioha’e… Après l’épisode de la petite vérole du bateau Diamant qui retranche 1560 vies chez les Marquisiens, la visite du gouverneur de La Richerie fait miroiter le boom du coton avec la Compagnie
Stewart, dont l’exploitation commencera vers 1867, sous l’impulsion du
gouverneur suivant La Roncière, alors que les menées anticléricales dans
les affaires locales sont entretenues par les résidents gubernatorialement
placés et parmi lesquels se démarque l’enseigne de vaisseau Pierre
Eugène Eyriaud-Desvergnes (1836-1883). Ce dernier, natif de Versailles
et polytechnicien à 21 ans (1857), arrive par l’Alceste à son poste de résident administratif à Nuku-Hiva (octobre 1868). Il exerce arbitrairement
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son pouvoir de vrai gubernator et, à l’instar de ses prédécesseurs-résidents,
va vite se conflictuer avec Mgr Dordillon…
En France, le prince-président Louis-Napoléon, déchu après sa tentative de couronnement en 1840 contre Louis-Philippe, a été condamné
à la détention perpétuelle chez les Hamois ; évadé vers Londres, il revient
en France après la Révolution de 1848 et Badinguet arrive à la Présidence de la République. Proclamé Empereur des Français (2 décembre
1852) en Napoléon III : au début autoritaire, il terminera libéral quand la
capitulation de Sedan (2 septembre 1870) met fin au règne du graveleux
« Napoléon-le-petit », dixit Victor Hugo.
36. melting pot de diaspora
Cette chute de Napoléon III interrompt la vision planétaire d’un
vaste empire colonial. A Pape’ete, le quai Napoléon est rebaptisé quai du
Commerce. ’Ātimaono périclitant, Stewart tente la culture du café, mais
l’entreprise mal gérée fait faillite peu de temps après. Quant aux coolies,
travailleurs de passage tous rapatriables entre 1873 et 1878, ils finissent
par offrir au début une main-d’œuvre bon marché pour les colons français et anglo-saxons, avant de s’installer à leur compte comme cultivateurs maraîchers ou colporteurs. Puis certains deviendront, dans Pape’ete,
commerçants, bouchers, restaurateurs, menuisiers, cordonniers, sommeliers-bourreliers, forgerons, maréchal-ferrants. Ils parviendront ainsi à
posséder des terrains autour de la place du Marché ; en outre, ils bâtissent
leurs immeubles en bois, avec commerce au rez-de-chaussée et habitation
à l’étage abritant une veranda-trottoir.
Aux Iles Marquises, Eyriaud voit s’interrompre l’exploitation de
coton, par le colon Nichols et les coolies émigrés de Tahiti, dès déclarée la
faillite de ’Ātimaono (en 1873) ; mais le Résident, – par ailleurs siffleur
versé en bouchon verseur et pervers persifleur des versets du versifieur
vicaire Dordillon – doit subir une enquête ouverte (en 1873) sur sa gestion
administrative de l’archipel et une dépêche ministérielle (1er octobre 1874)
le rappelle en France, via Tahiti d’où son départ est « marqué d’incidents
pénibles pour l’honneur d’un officier »... lequel aura tout de même séjourné
six pleines années aux Iles Marquises qu’il ne reverra pas, étant rentré à
Cherbourg (1er février 1875), où il mourra à 47 ans (1889), après s’être
marié (12 juin 1878) en Belgique avec une Anglaise née au Brésil…
Le travail à la plantation de ’Ātimaono ayant cessé, en 1873 son
directeur Stewart endosse seul, ruiné, la déconfiture, loin de son beau-frère
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Soarès à Londres, et est déclaré par le tribunal personnellement insolvable
dans la faillite : il mourra modestement, condamné à résidence dans sa maison de ’Ātimaono (24 septembre 1875) quelque peu oublié. Notre polyglotte d’origine écossaise, natif d’Ulster, ayant épousé en premier mariage,
quelque temps auparavant, Tāpuni Gibson (1849-1948), fille de Vahineri’i
(1818-1883) avec son époux de commerçant écossais Andrew Gibson
(1813-1869) de Glasgow (négociant patenté Gibson & Co., près du front
de mer, rue de la Petite-Pologne ; consul du Chili et attachant citadin).
On retiendra que l’entreprise de ’Ātimaono ayant été favorisée par
le gouverneur, des colons calomnieux avaient provoqué la constitution
d’une commission d’enquête sur les conditions de travail à la Plantation
Eugénie, Stewart étant accusé de « faire marcher ses travailleurs comme
des esclaves » : accusation unanimement rejetée par la quinzaine de notables désignés enquêteurs (rapport du 27 septembre 1867).
’Ātimaono évoque un pan de vestige de l’Histoire locale, ayant été
dix années durant le centre vital de Tahiti, dans une diaspora multiple,
où les personnalités agissantes de l’époque ont cadré le tableau d’un faste
suranné dans un décor colonial de balustres et de haut lustre… pour le
premier lustre de cette décennie. Le lecteur s’en divertira, dans le fictif
et néanmoins instructif roman La Grande Plantation d’Albert T’Sterstevens, par sa nostalgie virginienne décroissant de concessions en dérive…
Félix Robin (1818-1889), natif de Poitiers, arrive à Pape’ete par la frégate l’Uranie (4 novembre 1843) ; premier directeur des ponts et chaussées
de Tahiti, puis notaire à Pape’ete et commissaire-priseur (octobre 1848 février 1856) et « réfugié » sept ans à Ra’iātea, est de retour à Pape’ete
(1863) comme homme lige du gouverneur La Roncière : nommé membre
du Conseil privé de la Reine et du Conseil général (président !), il est président du Tribunal de commerce (1868) et membre du Comité directeur de
la Caisse agricole. Il deviendra grand propriétaire et cotonnier et participera
avec J.B. Laharrague et François Cardella dans la société française acquéreur (en 1875) de ’Ātimaono pour poursuivre la vocation agricole de ce
domaine : sucre et rhum, café et vanille avec bétail clairsemé…
37. Perspectives du percement de l’isthme de Panama
Citons l’ouvrage de recherche Du dialecte de Tahiti, de celui des Iles
Marquises et, en général, de la langue polynésienne (Paris, Didot 1853)
de Pierre Louis Jean Baptiste Gaussin (1821-1886), prix de linguistique
Volney 1852, ingénieur hydrographe de la Marine natif de la Guadeloupe,
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– lequel a séjourné quatre années sous les ordres du vice-amiral Bruat
aux Iles de la Société et Iles Marquises, – qui sera président de la Société
anthropologique de Paris (1870-1871).
Après les incidents ingrats de 1867, Mgr Dordillon s’absentera de
Taioha’e (23 janvier 1869-6 décembre 1870) pour le Concile du Vatican,
où le Pape invite l’évêque à continuer sa mission marquisienne. Et le
poète et affectueux missionnaire luttera évangéliquement contre le laiseraller, jusqu’à sa mort à Taihoa’e (11 janvier 1888) âgé de 80 ans, ayant
en particulier légué à la postérité son précieux travail collectif Grammaire et Dictionnaire de la langue des Iles Marquises : marquisien-français et français-marquisien (Paris, 1932).
La Roncière n’aura tenu qu’une session de l’Assemblée législative
durant son mandat. Le fantasque et susceptible gouverneur-comte quitte
Tahiti à 66 ans, couvrant d’un paletot judiciaire son néanmoins long séjour
de plus de quatre ans et demi au service de la France ; révoqué et rappelé, il
arrive à Paris (25 novembre 1869), où est constituée une commission d’enquête sur ses agissements, étant donné les nombreux dossiers de protestations… Mais le gong de la Guerre de 1870 avec le siège de Paris fera
s’estomper cet épisode océanien dans les préoccupations de la Nation. Admis
à la retraite (août 1870), « Monsieur de » meurt à Paris quatre ans plus tard.
En France, l’avocat Jules Grévy (1807-1891) est élu Président de la
République (de 1879 à 1887). Arrive sous son pouvoir (en 1886) l’influent premier ministre Jules Ferry (1832-1893), réputé pour l’instauration de la gratuité de l’enseignement primaire obligatoire et laïque. Il sera
l’artisan d’une expansion coloniale très importante dans un but plus économique que militaire et dans une politique d’assimilation des indigènes
en citoyens français.
Son ami le vice-amiral Jauréguiberry a été nommé (en 1879) ministre de la Marine et des Colonies et le célèbre vicomte Ferdinand de Lesseps (1805-1894), après avoir effectué le percement du canal de Suez
(1869), dirige depuis 1876 la compagnie qui a commencé le creusement
de l’isthme de Panama, dont la réalisation ferait de Pape’ete-Tahiti une
escale indispensable pour voiliers et navires à vapeur (pour le chargement
du charbon de terre).
Voici un survol des sept Gouverneurs qui se sont succédés de 1869
à 1877 :
• 9ème Gouverneur, Michel de Jouslard, né le 30 juin 1814 (DeuxSèvres), est capitaine de vaisseau (1862), quand il est désigné (décret du
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Rue de Pape’ete, Tahiti
Rue de Pape’ete, Tahiti
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27 février 1869) pour remplacer provisoirement La Roncière et arrive par
navire Duchayla via Panama à Pape’ete (12 juin 1869), alors que l’intérim
depuis une semaine (6 juin) est assuré par le capitaine de vaisseau de
Marigny. L’époque est troublée par les affaires judiciaires et mécontentements sus-évoqués où l’administration du Protectorat est litigieuse. Les
instructions de Jouslard apportent, par des mesures de conciliation, un certain calme dans le pays. A la proclamation de la République en France (20
novembre 1870), il prend le titre de Commissaire de la République et
passe son commandement (30 mars 1871) – en quittant Tahiti sur le navire
d’Entrecasteaux (juin 1871) ; il mourra quelques mois après son retour en
France (15 novembre 1872) –
• à son successeur et 10ème Gouverneur, Hippolyte-Auguste Girard,
commissaire de la Marine, qui est nommé le 1er juin 1871 dans « une
situation dégagée d’embarras »... ;
• suivi du llème Gouverneur, Octave-Bernard Gilbert-Pierre, commissaire de la Marine, nommé à ce poste le 17 avril 1876... tandis que le suivant, Auguste Laborde, commissaire général de la Marine, nommé
gouverneur des E.F.O. (décret du 18 avril 1877), n’entrera pas en fonction.
• Le 13ème Gouverneur, Joseph-Henri Brunet-Millet, capitaine de
vaisseau, est nommé le 25 août 1877 ; suivi du 14ème gouverneur, Paul
Serre, Contre-amiral, nommé Commandant « par intérim » le 15 septembre 1877 ; puis du 15ème gouverneur, Auguste-Marie- Edouard d’Oncien
de la Bathie, capitaine de frégate, nommé Commandant « par intérim »
le 1er décembre 1877...
• Le 16ème Gouverneur, Jacques Ferdinand Planche (1829-1894),
natif de Grenoble, capitaine de vaisseau en 1870, a déjà fait une campagne de trois ans dans le Pacifique (sauvetage du paquebot anglais Sommerset au détroit de Torrès, au Nord de la Nouvelle-Guinée), en
commandant du navire Dayot, avec plusieurs mois à Tahiti (1876-1877).
Nommé Commissaire de la République, Commandant des E.F.O., il est
en poste à Pape’ete (4 février 1878) à 49 ans, alors que l’Assemblée
législative n’est plus convoquée depuis 1866.
38. la reine est morte, lui succède son fils Pōmare v
Femme de haute stature et forte au port digne, Pōmare Vahine, mère
tout d’abord de trois enfants morts jeunes, enfantera de Ari’iaue (1835
mort en 1855), Terātāne (1839), Maevarua (1841, décédée en 1873),
Tamatoa (1842, roi de Ra’iātea en 1857), Tapunui (1846) et Tuauira alias
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Quai de la Marine, Pape’ete, Tahiti
Environs de Pape’ete, Tahiti
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prince Joinville (1847, mort en 1875). Atteinte d’une lésion au cœur, elle
s’éteint à 64 ans et demi passés (lundi matin 17 septembre 1877), soit sept
mois après l’arrivée du nouveau gouverneur ; embaumée par Charles
Albert Chassaniol (1843-1927, médecin-chef de l’hôpital, à Pape’ete
depuis 1875) et exposée dans son cercueil en tāmanu ; conduit par l’amiral commandant en chef Serre, le convoi funèbre (samedi 22) « de
Pape’ete pour Papa’oa à 5h45 du matin… s’est effectué à pied pour tout
le monde… au milieu d’un grand concours du peuple… » par beau temps,
après une nuit pluvieuse et avant un samedi après-midi diluvien…
Dès le lundi suivant, l’Assemblée législative en veilleuse est convoquée par l’amiral Serre, dans la grande salle du Palais de Justice (24 septembre 1877), avec à sa droite Terātāne (né à Taravao le 3 novembre
1839), sous le nom de son frère aîné défunt Ari’iaue, qui est proclamé à
38 ans « Pōmare V, Roi des Iles de la Société et Dépendances dynastique
pressenti, pendant que l’assistance du « couronnement » sort devant les
troupes armées sous les acclamations de la foule…
Devant « le nouveau Roi, roublard et fantasque, et pas aussi maniable que sa mère », le ministre-amiral Jauréguiberry a chargé le gouverneur, afin de consolider son pouvoir, d’obtenir le consentement du Roi et
des chefs pour faire muer le protectorat en colonie. Les chefs sont invariablement fidèles aux conseils des influents pasteurs Charles Viénot,
Frédéric Vernier et Prosper Brun de la S.M.E.31. de Paris, lesquels sont
fermement opposés à cette transformation, et le gouvernement refusant
constamment de reconnaître un statut officiel à l’Eglise protestante.
Aussi, la consultation du gouverneur pour l’annexion ne recueillera que
trois signatures.
L’on se souvient du premier séjour (1866-1869) de l’instituteur missionnaire Viénot, pour le lancement de son école à Pape’ete. Rentré en
France, il sera consacré pasteur à Orléans (31 mars 1870) et retournera à
Tahiti avec un important matériel scolaire, l’Ecole se dotant en 1872
d’une imprimerie…
Frédéric Vernier (1841-1915), formé pasteur à Genève (1866), est
envoyé à Tahiti pour la substitution de la mission protestante anglaise par
celle française dans le contexte politique du pays : il arrive à Pape’ete par
navire Chevert (12 septembre 1867) et fait un stage à Papeto’ai-Mo’orea
31
Société de la Mission Evangélique.
89
pour se pénétrer de la langue tahitienne… qu’il finira par posséder parfaitement dans l’usage de son long ministère (1867-1907). Véritable chapelain de la Reine à Pā’ōfa’i-Pape’ete (1867-1877), il va s’attacher à
réorganiser son Eglise avec un statut légal…
Prosper Brun (1843-1916), enseignant de vocation apostolique,
arrive pasteur à Tahiti (1870) pour remplacer François Atger, optant
d’abord pour l’Ecole de Papeto’ai, où il exercera un ministère de trente
années et y ayant fondé une école de théologie (1884), avec construction
du caractéristique Temple octogonal de Fa’ato’ai…
39. modernisation et irrigation de la ville
Tel un pionnier urbaniste, le gouverneur Planche fait entreprendre
néanmoins, sur deux années, des travaux d’utilité publique comme l’embellissement et la modernisation de Pape’ete : irrigation en canalisations
d’eau dans tous les quartiers de la ville, nouvelle aiguade à Fare ’Ute bien
supérieure à celle du Quai de la Reine, permettant l’accostage des gros
bâtiments pour l’approvisionnement en eau douce. La Place du Marché a
été agrandie et ombragée par un toit et flanquée d’un jardin avec fontaines ; de même que les abords de la Place du Gouvernement ont été
plantés d’arbres à ombrages avec l’installation d’un kiosque à musique
pour la fanfare hebdomadaire du jeudi. Au programme, figurent également
l’alignement de rues bordées d’arbres et l’aménagement de trottoirs.
Au conseil d’administration de la colonie, il a appelé des notables
contribuables, créé une caisse de travailleurs immigrés (avril 1878), discipliné la navigation, réorganisé l’administration des Tuāmotu (avec résident à Fakarava), rétabli la résidence aux Iles Gambier…
Alors capitaine de vaisseau depuis avril 1879, suite à un article calomnieux à l’égard de l’armée de mer (France Coloniale, 26 juin 1879 : Faillite
coloniale et capitulation militaire), Planche donne sa démission (6 septembre 1879), laissant sa fonction intérimaire à l’ordonnateur Joyau… Rentré
en France, il épousera (juillet 1880) la veuve depuis 8 ans de son prédécesseur Jouslard. Planche mourra à Toulon (7 avril 1894) âgé de 65 ans.
• Après l’échec de la mission de Planche pour le statut politique colonial du pays, – la pétition réclamant l’annexion, que Planche a fait circuler
parmi les chefs des districts de Tahiti, ayant même irrité le Roi, – le minismarcolo le remplace par un de ses plus habiles collaborateurs, le chef de
bureau Isidore Chessé (1839-1912) : 17ème Gouverneur. Natif de Martinique, ayant connu la Guerre de 1870, il est le premier gouverneur
90
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civil de Tahiti avec le titre de Commissaire de la République aux Iles de
la Société (nommé le 24 février 1880) à 41 ans.
40. l’annexion de tahiti et mo’orea
Avec un doigté indéniable, Chessé obtient d’abord l’accord du nouveau Roi Pōmare V en lui promettant, s’il abdique, « qu’il gardera tous
ses privilèges et honneurs », avec pension annuelle jusqu’à sa mort et
achèvement du Palais royal (toujours en chantier depuis trente ans). Mais
9 seulement des 22 chefs de Tahiti et Mo’orea suivent le Roi lors de la
signature à la résidence (29 juin 1880) de l’acte de cession, qui sera néanmoins ratifié le 30 décembre 1880 par le Sénat (254 voix pour, 0 contre)
et la Chambre des députés (444 voix pour, 0 contre).
L’annexion, connue à Tahiti en mars 1881, est aussitôt célébrée par
un grand banquet où assistent 110 notables, essentiellement colons
mixtes. Et Pape’ete connaîtra l’affluence de la population tahitienne lors
de la commémoration de la prise de la Bastille (14 juillet 1789), – qui a
commencé la veille par une visite à bord du navire de guerre Hugon, le
Roi Pōmare V accoutré d’un uniforme d’amiral (don du Maréchal Mac
Mahon), accompagné d’un aide de camp du gouverneur et d’un interprète, – avec succession de concours de chants (30 groupes de himene,
soit 800 exécutants aux trois-quarts féminins) et danses la nuit du 13 juillet, courses de pirogues, courses de chevaux et d’hommes, régates (dont
des pirogues montées par plus de trente femmes...), courses de baleinières… Tout cela s’étalant sur plusieurs semaines. La Place du Gouvernement est illuminée a giorno avec des lanternes chinoises. La Fête
nationale du 14 juillet 1881, premier Tiurai de la même République, est
annoncée à 8h du matin par la batterie du fort de Faiere, les bâtiments de
guerre en rade arborant leurs pavillons devant le Quai des Subsistances.
Siestes d’après-midi, danses échevelées au clair de lune, spectacle
de musique Place du Gouvernement, bal officiel des raffinés sans préjugés dans des valses effrénées en salle de bal et dehors dans le parc d’accès libre.
Le traité de cession du 29 juin 1880 confère la nationalité française
à tous les anciens sujets du Roi Pōmare V, ainsi qu’à tous les résidents
étrangers sur leur demande, à l’exception des Chinois.
Par arrêté, le gouverneur Chessé crée un Conseil colonial de douze
membres élus (six à choisir par la population polynésienne, six par les
colons métropolitains de Tahiti et Mo’orea), les éligibles devant savoir
91
parler, lire et écrire le français. Aussi seuls trois élus seront des représentants des autochtones (20 août 1880), cette apparente discrimination temporaire devant disparaître dans le futur…
Le décret du 5 juillet 1881 rétablit les fonctions de Gouverneur.
Chessé administrera la colonie jusqu’au 6 septembre, mais l’annexion de
Tahiti lui vaudra chez les partisans de la monarchie locale un inextinguible ressentiment.
• 18ème Gouverneur, Frédéric Dordolot des Essarts (1832-1899), natif
d’Arras, après une campagne dans le Pacifique (1875-1877) comme
second sur la Galisonnière, puis commandant du Beautemps Beaupré
(1877-1879), est commandant partitif de Nouvelle-Calédonie (révolte de
1878). Capitaine de vaisseau, il est nommé Commandant des E.F.O. (5
juillet 1881), étant en poste à Pape’ete le 6 septembre 1881.
• Lui succède Marie-Nicolas-François-Auguste Morau, Commissaire
de la Marine, comme 19ème Gouverneur, en poste le 8 octobre 1883.
Le nouveau Conseil Colonial n’a, cependant, qu’un rôle purement
consultatif et les colons lanceront des pétitions appuyées à Paris, aux fins
d’instituer un système parlementaire analogue au modèle national.
41. l’incendie de Pape’ete en 1884
Localement, l’Océanie Française, premier journal politique de Tahiti,
est financé par Auguste Goupil, avec comme rédacteur Albert Cohen (ancien
journaliste communard déporté à Nouméa). L’ancien journal lancé par le
gouverneur Page étant devenu Journal Officiel (en 1884), à leur tour les
commerçants François Cardella, Victor Raoulx et Paul Martiny fondent un
journal en reprenant à leur compte le nom du nouveau Messager de Tahiti.
De là une meilleure connaissance des événements locaux de l’époque, à
commencer par le grand incendie à l’aube du 23 juillet 1884, qui a ravagé
des blocs commerciaux du centre-ville, où à partir de 1870 les nouvelles
constructions en bois se sont serrées aux abords du Marché, se touchant et
sans jardin, augmentant ainsi les risques de propagation rapide de tout feu.
L’immense brasier, déclaré nuitamment Quai du Commerce et rue de
la Petite-Pologne, a fait intervenir les pompes de la Police, de la S.C.O.32,
32
Société Commerciale de l’Océanie, alors maison allemande installée sur le quai, bloc situé
entre les Ets Donald et les Ets Bambridge. Lors de la Guerre de 1914, la S.C.O. sera mise
sous séquestre et réapparaîtra comme société française en ayant racheté les biens (affaire
ensemble d’ Emile Martin et George Bambridge associé avec Charles Brown-Petersen dans
l’ancien bloc dit aujourd’hui Vaimā).
92
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
des navires de guerre en rade et de l’arsenal de Fare-’Ute ; au matin, le
foyer dompté, une bourrasque fait craindre une extension d’incendie, qui
sera contrariée par le hupe descendu de la montagne. Notre collaboratrice
Jeannine Laguesse, secrétaire de la S.E.O., indique que l’ancienne rue de
la Petite-Pologne (aujourd’hui rue Paul Gauguin) a été ainsi appelée à
cause d’un bistrot à l’enseigne Petite Pologne où le tenancier, un Polonais bien entendu, rafraîchissait les soiffards de sa bistre eau…
Un décret ministériel annonce le remplacement du Conseil colonial par un Conseil général, avec comme seule innovation l’élection
des douze membres sur une même liste, mais aux pouvoirs de décision pas plus étendus. « Au scrutin du 2 novembre 1884, les électeurs
voteront massivement pour les mêmes candidats, papa’ā et demis,
plus aptes à manipuler ce système de gouvernement ». Les conseillers
réélus multiplient leurs interventions pour réclamer à Paris des pouvoirs réels ; leur mandat expirant après seulement un an, le Journal
Officiel (8 avril 1886) promulgue deux décrets du 28 décembre 1885
paraphés par le Président de la République Jules Grévy : l’un définit
les compétences du gouverneur pouvant s’appuyer sur un Conseil
privé de cinq personnes, l’autre crée un Conseil général de dix-huit
membres, avec pouvoirs élargis, élus au suffrage universel pour six
ans, fonctionnaires et militaires ne pouvant en être candidats.
• Est nommé Dauphin Moracchini, Directeur de l’Intérieur, comme
ème
20 Gouverneur « par intérim », en poste le 1er décembre 1885.
42. Premier Conseil Général
Aux premières élections du 13 juin 1886, les électeurs des Iles
du Vent, – confiants en leurs candidats européens soutenus par l’
Eglise protestante, – comme des îles Marquises, des Tuāmotu, de
Tupua’i et Rapa (îles soumises à l’Administration coloniale et aux
consignes des armateurs et commerçants qui facilitent leurs échanges
de marchandises), élisent ainsi dix-sept papa’ā, le 18ème étant Tātī
Salmon, demi évolué, chef de Pāpara et arrière-petit-fils du célèbre
chef de la lignée des Teva.
On retiendra que Jules Grévy a décrété officiellement (début
1884) l’existence de l’ Eglise protestante de Tahiti, laquelle peut se
doter d’un Conseil supérieur (Synode) où siègent les pasteurs de
toutes les paroisses pour que soient pris en considération les intérêts
polynésiens.
93
• 2lème Gouverneur, Etienne-Théodore Lacascade (1841-1906), natif
de Guadeloupe, d’abord chirurgien dans la Marine, député de Guadeloupe (1876), directeur de l’Intérieur de l’Inde (1879), directeur de la
Banque de Guadeloupe (1881), directeur de l’Intérieur de la NouvelleCalédonie (1884), est nommé Gouverneur des colonies pour les E.F.O.
(décret du 2 mai 1886).
L’Angleterre a accepté l’abrogation de la Convention de Jarnac
(1847) reconnaissant l’indépendance des îles Sous-le-Vent. Lacascade
arrive à Tahiti par le trajet maritime Le Havre-New York, puis le train
pour San Francisco, enfin par goélette entrant à Pape’ete début septembre
1886, c’est-à-dire après l’ouverture de la session budgétaire (16 août).
A été élu Président du Conseil général le colon corse de 48 ans François Cardella (1838-1917), barbu au tempérament vif, médecin auxiliaire
de l’expédition du Mexique (en 1863) : ayant stationné trois ans sur un
navire de guerre à Tahiti, il se fixe définitivement à Pape’ete pour ouvrir
une pharmacie (angle rue Brea et rue de Rivoli), avec son collègue de
santé marine François Graffe (1840-1879) : médecin auxiliaire comme
lui à la campagne du Mexique (1862) et médecin de la Plantation à ’Ātimaono (jusqu’au fiasco en 1877) puis administratif aux Iles Marquises,
lequel mourra impotent à Pape’ete.
Grande est la fortune de Cardella (en 1882) quand il achète avec ses
associés l’ancienne plantation de Stewart pour remplacer le coton par de la
canne à sucre en vue de la distillation du rhum. Il épouse Marie-Louise
Cébert (1847-1918), la veuve de son ami Félix Lagarde (décembre 1886),
et confie la direction de sa pharmacie au gendre de ce dernier, – Ambroise
Millaud (1854-1911) : natif d’Angoulême, arrive à Pape’ete en avril 1878,
dans l’Administration jusqu’en août 1889, – jusqu’en 1906... lequel deviendra un puissant homme politique, sa belle-mère en femme intelligente et
autoritaire ayant eu, dit-on, une influence décisive dans son entourage.
Dans son clan dit catholique, l’ancien marin Victor Raoulx (18421914) de l’île d’Oléron, arrivé à Tahiti en 1861, est un self-made man
ayant pratiqué du cabotage aux Tuāmotu pour la maison Crawford &
Co., devenu négociant et homme politique influent. Il est élu Vice-Président du Conseil Général. Ayant alors fondé sa propre maison de commerce, il devient l’importateur le plus important en produits français,
étant associé de longue date dans les affaires avec Cardella, libre penseur.
Le Conseil privé du gouverneur est composé de ses trois collaborateurs principaux et de deux notables locaux : s’y sont fait nommer
94
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
Me Auguste Goupil (dont l’épouse est protestante) et Adolphe Poro’i qui,
après la disparition de Paraita, sert d’intermédiaire entre l’Administration
et la population de la ville portuaire de Pape’ete (environ 3500 habitants),
en raison de sa grande connaissance des problèmes locaux. En novembre
1887, le pays apprend que la nouvelle loi votée en Métropole, pour une
plus grande autonomie aux conseils municipaux, n’est pas répercutée de la
même façon à la colonie, le seul changement étant l’application localement
du système d’élection des conseillers municipaux au suffrage universel.
Le Conseil général de Cardella adresse alors un vœu pour que la
nouvelle législation municipale soit intégralement appliquée dans la colonie, à commencer par la ville de Pape’ete. Mais cette requête est mal
reçue à Paris où le Président Jules Grévy et son minismarcolo Jules Ferry
ont disparu de la scène politique, les rapides minismarcolo successifs,
tous amiraux ne s’intéressant qu’à la Flotte, refusant d’écouter le nouveau délégué des E.F.O. Franck Puaux, élu en 1886 au Conseil Supérieur
des Colonies, qui appuie les demandes répétées du Conseil Général, étant
lui-même de l’Eglise Réformée et ayant eu la faveur de l’ensemble des
électeurs polynésiens protestants.
Le 15 mars 1889, le Département des Colonies est transféré du
minismarcolo au Ministère du Commerce et de l’Industrie et confié à un
sous-secrétaire d’ Etat : est nommé à ce poste Eugène Etienne, négociant
né en Algérie et député d’Oran, administrateur-modèle attachant à son
œuvre rénovatrice le souhait d’une extension pacifique et d’une mise en
valeur du domaine colonial.
• Nouméa étant doté d’un conseil municipal depuis 1879, Etienne a
étudié le dossier des E.F.O. et trouvé justifiées les insistances polynésiennes : les réticences du ministre pour doter Pape’ete d’un conseil
municipal, imité de son homologue néo-calédonien, attendront mars 1890
pour qu’un changement politique ramène l’ingénieur et académicien
Charles de Saulses de Freycinet (1828-1923) pour la quatrième fois au
pouvoir (Président du Conseil en 1879 et 1892). Etienne est maintenu à
son poste et le député Jules Roche, avocat et journaliste, siégeant depuis
1881 en républicain convaincu, est nommé miniscoincolo : tous deux élaborent le décret pour la création de la Commune de Pape’ete. Avis favorable est donné par le Gouverneur Lacascade se trouvant en consultation
à Paris à ce moment-là (les quatre ministres parisiens qui se sont succédés, ayant apprécié sa compétence, le maintiendront en poste à Tahiti
pendant plus de six années entre le 2 septembre 1886 et le 4 juin 1893).
95
Pendant cette consultation à Paris, Maurice d’Ingremard, Directeur de
l’Intérieur, est nommé aux fonctions de Gouverneur « par intérim » le 29
octobre 1889 (22ème Gouverneur)...
43. teraupo’o contre l’annexion de ra’iātea
Protectorat de rurutū et rimatara
L’Angleterre ayant reconnu l’indépendance des I.S.L.V. en acceptant
l’abrogation de la Convention de Jarnac de 1847, Lacascade y proclame
la souveraineté de la France solennellement à Ra’iātea (16 mars 1889),
Huahine (le 17) et Porapora (le 19).
En octobre 1887, trois chefs de Ra’iātea dont Teraupo’o ne reconnaissent pas l’autorité du Résident français, s’étant familiarisés avec les
missionnaires anglais. Teraupo’o ayant hissé son pavillon à ’Āvera, il
résistera en subissant la canonnade d’expéditions militaires françaises
comme rebelle retranché dans la vallée. Il se maintient dans sa réserve
quand Lacascade fait sa proclamation de souveraineté de la France à
Ra’iātea en mars 1889. A Huahine, une sédition vite réprimée fait néanmoins résurgence l’année suivante (22 juillet 1890), cependant que
Lacascade a établi son protectorat aux îles Australes : à Rurutū (27 mars
1889) et Rimatara (le 28).
Jean-Marie Cadousteau (1855-1916), fils parmi les nombreux
enfants d’ Etienne Cadousteau (1825-1870), né à Pape’ete, est interprète
du Gouvernement et apposera ainsi sa signature au bas des actes les plus
importants concernant l’histoire des E.F.O., tels que l’annexion de Tahiti
à la France (29 juin 1880), les prises de possession en mars 1888 de Huahine (16), Ra’iātea (17) et Porapora (19), le protectorat de Rimatara (29
mars 1888) puis sa prise de possession (2 septembre 1901). Il fera partie
du groupe pour le rattachement à la France. Conseiller privé du Roi
Pōmare V, conseiller municipal de Pape’ete, il meurt à Pape’ete le 24
février 1916.
Le Gouverneur a entrepris notamment, outre la fixation de phares,
l’aménagement du port de Pape’ete et la perception des droits d’octroi en
mer. La ligne maritime San Francisco-Tahiti (durée un mois environ en
long-courrier) n’a pu être établie, la Chambre d’Agriculture et le Tribunal
de Commerce sont réformés, le Code des Iles Gambier est abrogé, l’instruction publique s’organise (arrêté du 24 janvier 1887). Il veut combattre
l’opium, organise la participation polynésienne à l’Exposition Coloniale
de 1889.
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A Paris, sur le rapport (20 mai 1890) du miniscoincolo Roche, est aussitôt paraphé par le Président de la République Sadi Carnot le décret instituant dans les E.F.O. une commune ayant pour chef-lieu Pape’ete (voir
textes du rapport et du décret en fin d’article). En route pour Tahiti, Lacascade est lui-même le messager de Tahiti pour annoncer la bonne nouvelle
dans son discours d’ouverture de la session ordinaire du Conseil Général
(18 août 1890), confirmée par courrier (9 septembre), l’arrêté de promulgation paraissant au Journal Officiel (25 septembre). Un arrêté gubernatorial simultané convoque les électeurs de Pape’ete à l’effet de nommer un
conseil municipal de quinze membres (23 novembre).
44. le premier Conseil municipal de Pape’ete
Membre du Conseil général, Cardella ambitionne de devenir le premier maire de Pape’ete. Au scrutin, qui sera ouvert de 8h du matin à 4h de
relevée, en salle d’état-civil (local sis dans le parc attenant au Marché),
voici la liste historique des vainqueurs attendus élus par 336 votants :
• 292 voix : Emile Creusot (1852-1903), natif des Vosges, arrivé soldat à Pape’ete par le navire Calvados (avril 1875), s’installe horloger
(1878) ; a épousé Elisa Keck (décembre 1882), fille parmi les nombreux
enfants de François Keck (1831-1888) : originaire du Haut-Rhin, arrivé
à Pape’ete serrurier-ajusteur (décembre 1854) et y ayant épousé (novembre 1860) Léonie Ruis (1839-1916) originaire du Mexique ; – sans descendance.
• 292 voix : Charles Georget (1855-1895), conseiller général 18861894, fils d’Etienne Lubin Georget (1824-1869) : natif d’Eure-et-Loir,
arrive ouvrier-artilleur à Pape’ete (fin 1849), se fixe colon éleveur en vallée de Tīpaeru’i (1852) et boucher-restaurateur, a épousé Anne Goutard
(1853) arrivée comme gouvernante chez l’Ordonnateur (juillet 1850),
ayant laissé une nombreuse descendance à Tahiti, dont Charles, célibataire, qui prend la suite des affaires de son père.
• 228 voix : François Cardella (1838-1917), évoqué ci-dessus et
ultérieurement.
• 228 voix : Léonard Bonnet (1858-1920), natif de Saint-Etienne,
arrivé caporal d’infanterie de marine à Tahiti (1880), devient colon (avril
1885) puis magasinier de la Marine, avant de se fixer définitivement à
Pape’ete d’abord comme brigadier de police (1900), ensuite commerçant
en cycles ; a épousé Yvonne Salou à Taioha’e (1886), laissant plusieurs
enfants ayant fait souche à Tahiti.
97
• 217 voix : Germain Coulon (1854-1918), né à Bourges, arrivé sergent d’infanterie de marine à Tahiti par navire Navarin (avril 1878),
s’installera horloger à Pape’ete rue de la Petite-Pologne (octobre 1881),
y dirigera l’Imprimerie Nouvelle (1906) avec un salon de photographie,
sera Conseiller général de 1898 à 1903... ; a épousé à Pape’ete (janvier
1882) Blanche Hamelin (1862-1906), fille parmi les nombreux enfants
des époux Ferdinand Hamelin (1829-1899 : à Pape’ete depuis janvier
1852, propriétaire travailleur rue de la Petite-Pologne) et Amélina
Heaulmé (1844-1899) ; – et ils auront beaucoup d’enfants.
• 212 voix : Jean-Marie Laharrague, à Pape’ete depuis 1844, dirige
avec ses frères le comptoir commercial Laharrague & Fils, succursale
de la maison paternelle de Valparaiso ; a épousé Pārurururu a Heimata
(décédée en 1880), originaire de Mai’ao : deux enfants, dont Pierre
(1853) à la descendance toujours installée à Fautau’a.
• 211 voix : Dr Edouard Vincent, natif du Jura, arrivé médecin auxiliaire de la Marine à Pape’ete par navire Sybille (juillet 1870), aussitôt
dirigé comme médecin à la plantation de ’Ātimaono ; puis se fixe comme
médecin civil à Pape’ete (1873), épousant Alexandrine Georget (juillet
1873), fille d’Etienne cité plus haut ; médecin de Pōmare V, sera Président du Conseil général et rentrera définitivement en France après son
mandat municipal ; – son frère Gustave Vincent (1858-1924), nommé
greffier notaire pour les Îles de la Société en 1873, est notaire titulaire de
1881 à 1922, ayant été Conseiller privé du Gouvernement 1894-1900 et
1907-1909, marié en 1876 avec Ta’urua a Ma’i (1861-1918) : plusieurs
descendants.
• 207 voix : Ambroise Millaud (1854-1911), évoqué plus haut.
• 202 voix : Hégésippe Langomazino (1844-1911), né à Toulon,
arrivé avec ses parents (voir Joseph Langomazino sus-évoqué), aide-commissaire dans la Marine : désigné en Nouvelle-Calédonie (1872-1876),
revient à Tahiti travailler avec son père avocat pour lui succéder (1885),
est président de la CCI33 (1884), Conseiller général (1886, réélu 1893) ;
a épousé à Pape’ete (juillet 1877) Berthe von Ewald (1861-1890), – fille
de Harold, sujet du Schleswig-Holstein, et de Mathilde Hunter (18401918) en premières noces : née à Ra’iātea, décédée à Haïphong, ellemême fille parmi les nombreux enfants d’Edward John Hunter d’York
avec Suzannah Chapman de Sydney : – et ils auront beaucoup d’enfants.
33
Chambre de Commerce et d’Industrie.
98
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• 197 voix : Nicolas Huet (1852-1914), né à Metz, arrivé à Pape’ete
(octobre 1876) par navire Petit Bourgeois, comme ouvrier mécanicien, il
deviendra propriétaire et entrepreneur de travaux divers ; membre du
Conseil colonial (1882-1884), sera Conseiller général des Tuāmotu
(1896-1899) ; a épousé en secondes noces (1888) Amélie Fragon (18501899), arrivée à Pape’ete par navire Var (septembre 1875) ; tous deux
mourront en août 1899 : union sans postérité.
• 191 voix : Simonin.
• 190 voix : Victor Raoulx (1842-1914), évoqué par ailleurs, ayant
été président du Conseil colonial (1880-1882), membre du Conseil général (1886-1903), président de la CCI (1886-1912) ; a épousé Caroline
Hort (1850-1918) à Pape’ete (juin 1867) : dix enfants et de nombreuses
descendances.
• 180 voix : Sosthène Drollet (1829-1897), venu d’Estissac (Aube),
arrive en Californie par le Cap Horn puis à Pape’ete (août 1857) ; d’abord
boulanger-pâtissier, il se distingue par la création de la gelée de goyave,
monte une fabrique de glace et d’eau gazeuse (1890) : est membre du
Conseil colonial (1882), du Conseil général, du Conseil privé du Gouvernement (1894) et du comité directeur de la Caisse Agricole (1888-1894) ;
a épousé à Pape’ete (octobre 1859) Célestine Tiniaovahine i To’areia dite
Teretina (1844-1918) : native de Pape’ete, fille de Raita (Liza) née vers
1826 à Farenuiatea-Huahine et des œuvres du capitaine au long cours
américain Smith, laquelle Raita est fille de Meleana nā-Makeha, de
Hawai’i et du capitaine au long cours Yong (Young) de Rhode Island. Sosthène et Teretina auront 11 enfants et beaucoup de progéniture.
• 179 voix : Orsini, mécanicien, époux d’Elisabeth Cadousteau, née
en 1866, fille parmi les nombreux enfants du charpentier Etienne
Cadousteau (natif du Lot-et-Garonne, arrivé à l’âge de 45 ans) et de
Célestine Brémond son épouse (fille des époux Joseph Brémond et
’O’opa a Tetuanui, évoqués au temps de Pōmare IV).
• 179 voix : Victor-Jacques Jehan (1842-1906), natif de Saint-CyrBayeul en Manche, militaire venu se fixer à Tahiti en 1877, colon agriculteur à Fa’a’ā ; a épousé en 1890 Mélanie Chevalier (1875-1912),
divorce en 1894.
Lors de la séance d’installation du Conseil municipal (1er décembre
1890), sont élus : Cardella, maire (13 voix) ; Raoulx, 1er adjoint (8 voix)
et Langomazino, 2ème adjoint (8 voix). En cadeau de Noël, le Gouverneur
Lacascade concède gracieusement à la nouvelle commune de Pape’ete
99
les propriétés suivantes de la colonie : les bâtiments de l’état-civil, les
places et bâtiments publics du Marché, l’abattoir, l’immeuble de l’Eglise
catholique, les presbytères catholique et protestant, le terrain de l’ancienne Prison, la Place du Gouvernement avec le kiosque, le Cimetière
de l’Ouest, la parcelle réservée pour un jardin public à Māma’o, le matériel en place de la conduite d’eau, le matériel d’incendie.
Pape’ete est entrée maintenant dans l’ère de la communalisation. La
vallée puis le lit en plaine de la rivière Fautau’a font le partage de Pare
depuis 1890, du levant au couchant, en Pi’ira’a-’ē à l’Est et Pape’ete au
ponant.
A Ra’iātea, Teraupo’o refusant de se soumettre après une dizaine
d’années de résistance, une expédition militaire française (janvier-février
1897) a fini par s’emparer de cet audacieux chef indigène. Il sera
emmené à Pape’ete, avec sa femme et une dizaine de partisans, pour être
exilé en Nouvelle-Calédonie… et être de retour en 1905 à Ra’iātea.
En ce qui concerne Pape’ete, le lecteur parcourra avec intérêt l’opuscule : Pape’ete : un exemple de croissance urbaine accélérée, par Gabriel
Teti’arahi (Cahiers d’Outre-Mer, oct.-déc.-1993).
100
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
rapport au Président de la république française,
suivi d’un décret instituant dans
les etablissements Français d’Océanie
une commune ayant pour chef-lieu Pape’ete
(Sous-Secrétariat d’Etat des Colonies - 1ère Division - 1er Bureau :
Affaires politiques et Administration générale de toutes les colonies autres
que l’Indo-Chine).
Paris, le 20 mai 1890,
Monsieur le Président,
Le Conseil général des Etablissements Français d’Océanie a émis le
vœu que la ville de Pape’ete, chef-lieu de la colonie, fût érigée en commune.
L’Administration locale a donné un avis favorable à cette création.
L’importance de la ville de Pape’ete, principal centre commercial des
archipels environnants, dont la population s’élève à 3 500 habitants, jouissant presque tous de la qualité de français, me paraît justifier suffisamment
cette demande.
J’ai préparé, en conséquence, en vue d’y donner satisfaction, le projet
de décret ci-joint, que j’ai l’honneur de vous soumettre, en vous priant de
vouloir bien le revêtir de votre signature.
Ce projet de décret rend applicable à la nouvelle commune le décret du
8 mars 1879, qui a institué un Conseil municipal à Nouméa (Nouvelle-Calédonie), sous la réserve que la police municipale, qui, en raison de la présence
à Nouméa de l’élément pénitentiaire, est placée dans les attributions du
Directeur de l’Intérieur, relèvera à Tahiti de l’autorité municipale.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’hommage de mon profond respect.
Le Minisire du Commerce, de l’Industrie et des Colonies,
Signé : Jules ROCHE
101
Décret instituant dans les etablissements Français de l’Océanie
une commune ayant pour chef-lieu Pape’ete
(20 mai 1890)
Le Président de la République française,
Sur le rapport du Ministre du Commerce, de l’Industrie et des
Colonies ;
Vu l’article 8 du sénatus-consulte du 3 mai 1854 ;
Vu le décret du 8 mars 1879 instituant un Conseil municipal à Nouméa
(Nouvelle-Calédonie),
DECRETE :
art. 1er. Il est institué, dans les Etablissements Français d’Océanie, une
commune qui a pour chef-lieu Pape’ete et pour limites :
1° A l’Est, le cours de la rivière Fautau’a, depuis son embouchure
jusqu’au fort du même nom ;
2° A l’Ouest, la route actuelle du cimetière, prolongée jusqu’à la mer ;
3° Au Nord, la mer ;
4° Au Sud, une ligne qui, partant du fort de la Fautau’a, aboutirait à la
route du cimetière prolongée à un kilomètre dans l’intérieur des terres.
Le tout conformément à un plan approuvé par le Gouverneur en
Conseil privé, qui sera annexé au présent décret.
art. 2. Sont rendues applicables à Tahiti les dispositions du décret du 8
mars 1879 instituant à Nouméa (Nouvelle-Calédonie) un conseil municipal,
sous la réserve que les attributions dévolues, par cet acte, au Directeur de l’Intérieur, en ce qui concerne la police municipale, seront exercées à Pape’ete
par le Maire, sous l’autorité de l’Administration supérieure.
art. 3. Le Ministre du Commerce, de l’Industrie et des Colonies est
chargé de l’exécution du présent décret, qui sera inséré au Bulletin des Lois,
au Bulletin officiel de l’Administration des colonies, au Bulletin et au Journal Officiel des Etablissements français de l’Océanie.
Fait à Paris, le 20 mai 1890.
Signé : CARNOT
Par le Président de la République :
Le Ministre du Commerce, de l’Industrie et des Colonies,
Signé : Jules ROCHE
102
Pape’ete
de jadis
et naguères
2EME PARTIE
au temps des maires
des cent premières années
de la commune de Pape’ete
(1890-1990)
La nouvelle salle de réunions du Conseil municipal, au second étage
du néo-palais réginal, a ses murs garnis de neuf portraits, – fraîchement
peints par la dame artiste-peintre Ushi, – des neuf maires ayant officié en
un siècle. Un incendie avait ravagé de nuit le mercredi 18 janvier 1984
la salle du Conseil municipal, un moment transférée à l’étage de l’ancienne « Ecole-Mairie » de Pape’ete, avec les portraits des sept premiers
maires exécutés (pas les maires ! leurs portraits...) par un ancien commerçant et excellent peintre occasionnel Henri Lombard (aujourd’hui alité en
Espagne).
Les voici, brièvement évoqués chronologiquement, des notices biographiques pouvant être consultées à leur sujet dans la 2ème édition 1975
du Répertoire Tahitiens de Patrick O’Reilly & Raoul Teissier (Société des
Océanistes n°36, Musée de l’homme, Paris), à l’exception de Georges
Tetua Pambrun et de Jean Juventin :
1. Du 20 mai 1890 au 6 juillet 1917 : François Cardella
Né à Bastia (Corse) le 27 août 1838, il arrive comme pharmacien et
médecin de la marine à Pape’ete en février 1866 (27 ans 1/2). Il décide
de s’installer comme pharmacien civil en 1869, fonction qu’il exercera
jusqu’à sa mort. Homme politique, le Roi Pōmare V en fera un de ses
conseillers. Est considéré comme un des artisans du rattachement de
Tahiti à la France en 1880, devenant président du Conseil colonial, de sa
création en 1880 à sa dissolution en 1886. Il forme, avec l’industriel et
officier de marine Paul-Georges Martiny (Plantation de ’Ātimaono) et
l’actif marin d’Oléron et négociant Victor Raoulx, une équipe entreprenante et influente dans le commerce et l’industrie agricole locale, qui
fonde l’hebdomadaire politique Le Messager de Tahiti (distinct de l’ancien journal officiel) lequel durera de 1884 à 1887.
Cardella est Président du Conseil général de 1886 à 1903, étant élu
maire à la création de la Commune de Pape’ete pour un mandat cumulé
de 27 ans jusqu’à sa mort (à 79 ans) à Pape’ete le 6 juillet 1917. Sous son
mandat meurt, le 12 juin 1891, le Roi Pōmare V qu’il accompagnera du
Palais de Taraho’i à son enterrement en la sépulture royale à ’Ārue.
Se situe ici, de juillet 1891 à février 1892, l’épisode de l’affaire des
frères Alexandre et Joseph Rorique34, alias Léonce et Eugène De Grave,
34
Cf. Les Frères Rorique, 1934, par René La Bruyère, et Piraterie dans le Pacifique 1973, par Henri
Jacquier.
104
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d’honorable extraction belge dont les agissements, en affrétant la goélette
Niuorahiti pour les Tuāmotu, ont défrayé la chronique locale : la
condamnation à mort des frères assassins en décembre 1893, à Brest,
ayant été commuée en travaux forcés en Guyane, vu leurs antécédents
héroïques, et ils seront graciés en 1899.
Portant barbe et large chapeau, Cardella a laissé le souvenir d’un
maire apprécié dans la population indigène de l’époque, comme en
témoignent ses obsèques, avec le cortège scolaire et les discours, dont
l’hommage du Gouverneur Gustave Julien. A épousé à Pape’ete en
décembre 1886 Marie-Louise Cébert – (née à Pape’ete en 1847 des
époux Jean-Jacques Cébert, commerçant de la Maison Brander, et Anna
Hardies, exploitante du Salon des officiers plus tard Cercle colonial ;
veuve en premières noces de Félix Lagarde : sept enfants, mort en janvier
1886) – qui décèdera en décembre 1918 à ’Auae lors de l’épidémie d’influenza, sans progéniture avec Cardella.
voici quelques fragments d’histoire locale
• Le Père Léonard Terlyn (1843-1906) de Belgique, arrivé à
Pape’ete en octobre 1870, est affecté aux Tuāmotu pour évangéliser les
atolls à partir de ‘Anā. Il meurt à Faaite, attaché à un cocotier qui sera
arraché et emporté par les flots le 8 février 1906, lors du funeste cyclone
ayant ravagé les Tuāmotu. Son collègue, le Père Germain Fierens (18331900) de Belgique également, arrivé en mars 1860, après un court séjour
à Pā’ea, a précédé d’une décennie Terlyn à ‘Anā, pour se consacrer 40
années durant à la conversion chrétienne des Tuāmotu, y mourant le 6
mars 1900.
• Arrive en novembre 1899 le Père Amédée, natif de Morbihan,
futur Mgr Julien Nouailles (1875-1937), aussitôt affecté à ‘Anā auprès de
Fierens. Il subira aux Tuāmotu les deux cyclones de 1903 et 1906 : à
Hikueru, au cours du second cyclone, cramponné à un cocotier, ce costaud
en réchappera ; et il pourra en bâtisseur, naviguant sur le cotre St FrançoisXavier Maris Stella, poursuivre son œuvre de missionnaire aux Tuāmotu
jusqu’en 1932, où il est nommé évêque à Tahiti et il mourra usé à Pape’ete
(14 août 1937). Il a été honoré des Palmes Académiques en 1928.
• A signaler, au cours du long mandat de Cardella : l’inauguration du
buste de Bougainville face à Motu-Uta en 1909, l’ouverture du Canal de
Panama le 15 août 1914, alors que vient d’éclater en Europe la Première
Guerre Mondiale : d’où le bombardement le 22 septembre 1914 de la ville
105
de Pape’ete par deux croiseurs-cuirassés allemands Scharnhorst et Gneisenau, – alors que la canonnière Zélée était volontairement et stratégiquement coulée à quai – espérant se ravitailler en charbon, mais qui furent
repoussés par la batterie de Destremau sur les hauts de ‘Orovini ; ensuite
le départ au Front de 9 appelés en 1915 puis 906 en 1916 et 173 en 1917
(obélisque à tātahi).
• Sous le mandat du maire François Cardella se sont succédés les
Gouverneurs : Etienne Lacascade (1er juillet 1890), Adolphe Granier de
Cassaignac (p.i. 4 juin 1893), Lucien Bommier (p.i. 24 octobre 1893),
Jean Ours (p.i. 7 décembre 1893), Pierre Papinaud (29 avril 1894), Gustave Gallet (p.i. 1er avril 1896), Marie-Louis Gabrié (31 janvier 1897),
Gustave Gallet (1er février 1898), Joseph-Marie de Pons (p.i. 25 mars
1899), Victor Rey (p.i. 14 juillet 1899), Gustave Gallet (30 novembre
1899), Edouard Petit (25 février 1901), Henri Cor (p.i. 5 février 1904),
Philippe Jullien (20 février 1905), Elie Charlier (p.i. 29 mars 1907),
Joseph François (4 décembre 1908), Adrien Bonhoure (12 août 1910),
Charles Hostein (p.i. 6 avril 1912), Léon Géraud (p.i. 4 août 1912), William Fawtier (4 août 1913), Gustave Julien (24 octobre 1915).
Noter la création, par arrêté du 1er janvier 1917, de la Société des
Etudes Océaniennes, dont entre autres sont membres Cardella, Sigogne,
Brault, Poro’i…
2. De juillet 1917 à mars 1920 : lucien Sigogne
Né à Douai-la-Fontaine (Maine-et-Loire) le 27 avril 1883, cet universitaire de Paris, docteur en droit, travaille au Brésil avant de venir dans
la colonie en 1909 en l’étude de Me Auguste Goupil – (né à Rocheforten-mer en 1847, colon installé à Tahiti en 1869, cabinet coté d’avocatdéfenseur ouvert en mai 1873, décédé en juin 1921 à Pape’ete, y ayant
épousé, en octobre 1873, Sarah Gibson 1854-1930, huit enfants), – dont
il épouse en 1910 une de ses filles, Madeleine (1882-1962 : un fils Jean,
né en 1911).
Alors conseiller municipal quand meurt le maire Cardella, la majorité du Conseil désigne au scrutin Me Sigogne (à 34 ans) comme maireintérimaire jusqu’à la cessation des hostilités selon la loi belligérante du
14 mars 1917. La T.S.F. fait connaître la fin de la guerre dès le 12 novembre 1918.
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Un Comité organise de grandes festivités… assombries dès le 16
novembre par l’arrivée du « steamer » Navua venu de San Francisco, qui
répand une épidémie de grippe espagnole avec fièvre s’accompagnant de
transpiration pouvant entraîner une pneumonie fatale. Les ravages se
trouvent au cimetière (600 morts à Pape’ete), le Maire ayant fait preuve
de sang-froid pour prendre les mesures adéquates de secours.
Retour en juin 1919 de 500 rescapés poilus (262 étant éparpillés au
champ d’honneur) et « le Tiurai est transformé en une gigantesque fête
de la Victoire », de même que le 22 septembre 1919 est un 5ème anniversaire exceptionnellement célébré par la Mairie de Pape’ete. Le canal de
Panama apporte le développement des compagnies maritimes faisant de
Pape’ete une escale régulière où les affaires deviennent prospères. Le
Cours de l’Union Sacrée, ainsi nommé, rappelle la lutte ensemble de la
France et de l’Angleterre contre la Germanie dans la récente guerre.
Mais l’année 1920 verra une agitation locale, après la fin de cette
guerre, pour s’insurger contre le système administratif et politique figé ;
la situation confuse est, en effet, créée par les élections retardées en mars
1920 du Délégué consultatif des E.F.O. au Conseil supérieur des colonies : le candidat sortant Georges Gouzy, soutenu par les Anciens Combattants, est nettement battu par le député antillais Gratien Candace,
candidat gouvernemental poussé par l’Administration de la colonie.
Conseil municipal de Pape’ete, Chambre de commerce, Chambre d’agriculture de concert ripostent par des pétitions auprès des autorités
influentes en France, afin d’avoir « le droit pour les E.F.O. d’élire un
représentant siégeant plutôt à la Chambre des Députés ».
Président de la Croix Rouge locale, consul de Suède, Sigogne aura
été maire intérimaire 2 ans 1/2. Sous son mandat restant, il aura connu
comme représentants de la Tutelle les Gouverneurs Gustave Julien puis
Simoneau (p.i. avril 1919), Jocelyn Robert (p.i. mai 1919). Après avoir
investi dans des affaires perlières et agricoles et de prospection minière
sans lendemain, usé par cette activité, il entreprend de rejoindre la
France, mais décède en escale à Sydney (Australie) le 27 février 1935 à
l’âge de 52 ans. L’usage populaire a fini par consacrer l’appellation
Plage Sigogne au bord de mer de Pā’ōfa’i que d’aucuns ont même
appelé la Plage des Cigognes où longtemps a existé une jetée-ponton.
Aujourd’hui, l’accostage de la pirogue double hawaiienne Hokule’a
(Fetū-re’a) le vendredi matin 4 juin 1976 a donné son nom à cette plage
de Pape’ete.
107
3. De mars 1920 au 19 février 1922 : Hippolyte malardé
Né à Vanves (Seine) le 2 août 1867, il est fils de Paul Malardé – (né
en février 1818 en Morbihan, venu à Tahiti en janvier 1844 comme matelot-mécanicien, a participé aux combats de Taravao et Māhā’ena, est
colon militaire en 1846 à Taravao comme éleveur et interprète, propriétaire à ’Auae, négociant à Pape’ete ; retourné en France de 1864 à 1872,
revient se fixer à Pape’ete où il meurt en avril 1882) – et de Zoé Georget
(1844-1933) épousée en juin 1862 à Pape’ete, qui ont eu 2 enfants : Hippolyte et Georges. Hippolyte, arrivé à 5 ans à Tahiti, participe à la
défense de Pape’ete durant le bombardement du 22 septembre 1914, part
comme engagé volontaire en 1915 en France, est Chevalier de la Légion
d’Honneur à Noël 1916, rentre à Tahiti en juin 1918 et est capitaine commandant le détachement d’infanterie coloniale, devient propriétaire de la
plantation-sucrerie de ’Ātimaono en 1919. Il a, en effet, quitté ses fonctions militaires, mais apporte son soutien aux anciens combattants dans
ses actions politiques ; il a alors 53 ans.
La situation locale signalée plus haut en 1919-20 (Cf. Sigogne in
fine) amène Hippolyte à la place de maire aux élections municipales officielles après guerre. En 1902, ayant épousé Justine Raoulx, née en 1883
(une des dix enfants de Victor Raoulx, associé sus-évoqué de Cardella),
ils ont eu 4 enfants. S’étant retiré des affaires, il mourra à Pape’ete le 15
juillet 1937 (70 ans).
Situons ici certains épisodes historiques
En janvier 1903, arrive à Pape’ete le Père Athanase originaire de
Fécamp, futur Mgr André Etienne Hermel (1873-1932), nommé curé de la
cathédrale de Pape’ete, devenant rapidement coadjuteur de Mgr Maxime
Verdier (1835-1922) – ce dernier venu en 1883 à Pape’ete, comme coadjuteur du vicaire apostolique Tepano Jaussen, enregistrera 39 bâtiments
catholiques détruits (19 églises, 14 presbytères, 6 écoles), en diverses îles,
par le terrible cyclone de 1906 ; retraité en 1908, il meurt à Pape’ete le 17
janvier 1922. Hermel lui a donc succédé, nommé évêque à 32 ans en 1905 :
son ministère connaîtra donc le cyclone ravageur des Tuāmotu en 1906, et
il se constitue aumônier, en poste au sémaphore de ‘Orovini, lors du bombardement de Pape’ete (22 septembre 1914). Il a fondé deux journaux : le
Semeur (1909, en français) et Te ve’a katorika (1914, en tahitien).
Avec Mgr Joseph Martin (1849-1912) – à Tahiti depuis décembre
1878, il succède à Mgr Dordillon (décédé à Taioha’e en 1888) aux Iles
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Marquises en 1890, où il mourra, à 63 ans, à ’Atu’ona (27 mai 1912),
ayant eu à subir les sarcasmes de l’engeance Paul Gauguin… lequel
deviendra ce peintre vénéré des temps modernes, pour le renom touristique et de l’enseignement de la Polynésie ! – Hermel défendra les écoles
de la Mission et la sauvegarde sur place des Frères de Ploërmel et des
Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, au moment où l’anticlérical Emile
Combes (Président du Conseil en France de 1902 à 1905) pratique une
politique d’expulsion des congrégations religieuses. Son épiscopat ayant
résisté au combisme, Hermel œuvrera jusqu’à succomber d’un cancer à
Pape’ete 20 février 1932 et ses funérailles chaleureuses sont le signe de
son attachante personnalité.
Sous son mandat, le maire Hippolyte Malardé aura brièvement
apprécié le régime tutélaire des Gouverneurs : Jocelyn Robert (p.i.) puis
Gabriel Thaly (p.i. février 1921), Auguste Guédès (10 avril 1921) et à
nouveau Thaly (p.i. octobre 1921).
4. Du 19 février 1922 au 29 juillet 1933 : Fernand Cassiau
Né en l’île Maurice le 16 novembre 1871, il arrive à Tahiti en 1904
comme médecin colonial après études en France. Il épouse à Pape’ete,
en mars 1905, Louise Goupil 1880-1955 (une des huit enfants sus-évoqués de Me Auguste Goupil : cf. Sigogne) en premières noces. Leur fils
Pierre, né le 13 avril 1906 à Rikitea (Gambier), fréquentera les facultés
de Montpellier puis Paris pour devenir médecin, servant en Syrie avant
de rentrer en 1936, nanti de ses diplômes d’hygiène et de médecine coloniale pour exercer à Pape’ete et animer la pratique des sports de 1947 à
1973 à travers « sa » F.G.S.S.35
Après un court poste aux Iles Gambier, Dr Fernand devient médecin
semi-privé et contractuel à l’Hôpital colonial de Pape’ete lieu-dit Vaiami
et partira comme volontaire à la Première Guerre Mondiale (Verdun, avec
Légion d’Honneur en Vodena). De retour à Pape’ete, il divorce en 1919 et
participe activement dans la vie politique locale qui connaît le développement et l’animation signalés plus haut (cf. Sigogne et Malardé). Praticien
populaire, avec ses qualités de cœur Dr Fernand est élu maire en février
1922. Parallèlement, malgré la requête locale en annulation contre l’élection du député antillais Gratien Candace comme Délégué consultatif des
35
Fédération Générale des Société Sportives.
109
E.F.O. au Conseil Supérieur des Colonies en mars 1920, le mutisme du
Conseil d’Etat permet la réélection du même délégué en 1924, puis en
1928, sans avoir visité nos Etablissements d’Océanie, grâce aux voix des
Tuāmotu notamment…
Noter la création officielle en 1923 des deux associations sportives
Tamari’i Tahiti (devenue plus tard J.T.36) et Fē’ī-Pī , ce dernier club aura
même un certain temps, comme terrain d’entraînement de football, l’enceinte de la mairie de Pape’ete !…
Actif franc-maçon, Dr Fernand est président local de la Ligue des
Droits de l’Homme. Il se remarie en 1927 avec Joséphine ChrétienBlainville 1879-1944 (née à Pape’ete : son père Louis, greffier né en juillet
1840 à Poitiers, arrivé à Tahiti en décembre 1871, mourra à Pape’ete en
juillet 1938 à 98 ans)...
Le Père Emmanuel Rougier (1864-1932), théologien businessman,
robustement charpenté, a réussi des spéculations aux îles Fiji dans les
années 1900-1930, y compris une période fructueuse comme bootlegger,
lors de la prohibition aux U.S.A. Riche et compétent, il s’est installé à
Ta’aone depuis ; son entregent l’amène à la tête de la Chambre d’Agriculture, à la Société des Etudes Océaniennes et au Syndicat d’Initiative,
comme clairvoyant promoteur du tourisme à Tahiti dans un circuit maritime de sportsmen dans le Pacifique. Il succombe de crise cardiaque à 58
ans (16 décembre 1932), est inhumé au cimetière de l’Uranie.
Mais aux élections d’octobre 1932, après les propagandes aux
Tuāmotu menées par Tony Bambridge et Georges « Loulou » Spitz en
faveur du candidat-député Lionel de Tastes (car il est opposé à Candace,
toujours candidat gouvernemental colporté par le subrécargue officiel
Pedro Miller), le nouveau candidat est nettement élu. Cependant, Candace est nommé immédiatement sous-secrétaire d’Etat au ministère des
Colonies, tandis que le vainqueur de Tastes décide, par navire des Messageries Maritimes, à mi-année 1933, de rendre visite à sa nouvelle circonscription où il est impressionné par l’accueil… Bambridge, Spitz et
Cassiau appréciant ainsi la tournure des événements. Par ailleurs, le nouveau gouvernement national fait ressurgir le Conseil général supprimé en
36
Jeunes Tahitiens.
110
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1903, sous la forme de Délégation Economique et Financière, s’agissant
en fait d’une version élargie du Conseil privé, ce qui apporte une autre
amertume…
Sous le mandat du maire Fernand Cassiau, se sont succédé les Gouverneurs : Gabriel Thaly (p.i. 1921), Louis Rivet (septembre 1922), J.B.
Solari (p.i. janvier 1927), Joseph Bouge (30 avril 1928), Léonce Jore
(juin 1930), Alfred Bouchet (p.i. juin 1932) et Michel Montagné (17 juin
1933).
Et Dr Fernand meurt à Pape’ete le 29 juillet 1933. Après avoir dirigé
le Service d’Hygiène (d’abord rue de l’Artémise, derrière le Palais de Justice ; puis à Vainini’i’ore près Fare’Ute), le fils Dr Pierre tiendra son cabinet privé et sportif en la résidence familiale dans la rue du Docteur
Fernand Cassiau, emplacement aujourd’hui occupé par le bâtiment Gondrand…
A cheval entre les mandats des deux maires Cassiau et Bambridge,
il faut signaler les séjours répétés de quelques semaines en 1928, 1930,
1932, 1934, 1936 et 1938 d’André Ropiteau (1904-1940), viticulteur de
Meursault, séduit par l’île de Maupiti. Avec le concours du Syndicat
d’Initiative (président le père Emmanuel Rougier), il réussit à rassembler
en France les fonds nécessaires pour l’érection du buste de l’aspirant
Julien Viaud alias Pierre Loti (sculpteur Philippe Besnard) avec la stèle
de Rārahu. Ropiteau assistera à l’inauguration de ce monument au Bain
Loti à Titioro-Fautau’a (16 juillet 1934). Il est sergent-chef combattant à
la Seconde Guerre Mondiale et sera tué (20 juin 1940) près de Toul, deux
jours avant l’armistice. Cultivé, il avait collectionné une monumentale
bibliographie de Tahiti et de la Polynésie (auteur de Cahiers dont est
extrait Mon île Maupiti, publié à Paris, 1957). De son union avec Vahine
Tauaroa, de Maurua, est né Paul Teri’ivaea reconnu Ropiteau (1937),
longtemps footballeur réputé de Fē’ī-Pī et de la Sélection de Tahiti et
récemment promu major de gendarmerie (1990), en attente d’une retraite
prochaine… en vue peut-être d’exercer une activité politique pour la
bonne cause de l’avenir de son île natale.
5. D’août 1933 au 27 juin 1941 : George Bambridge
Né à Hāmuta-Pare le 1er juin 1887, il est fils de John Maeha’a Bambridge – (né en juin 1859 à Pape’ete, huit enfants dont 3 avec
Ha’amoe’ura Oliver, puis 5 avec Mary Ann Tapscott : née à Gilbert en
111
1867, épousée à Pape’ete en février 1885, décédée en 1898) – et de Mary
Ann Tapscott, lequel John Maeha’a est l’un des 16 ou 22 enfants issus de
l’union de Marae O’Connor-Haumani 1814-1881 avec le tronc commun
des Bambridge : Thomas, né à Londres en 1801 et décédé à Pape’ete le
30 avril 1879 (ayant été inhumé du côté de Titioro-Fautau’a, là où se
trouve aujourd’hui le Pieu mormon).
George prolonge les activités familiales dans la Société Bambridge,
Dexter & Co (carrosserie, peinture, ébénisterie) créée après la Première
Guerre mondiale, puis, avec les businessmen Emile Martin et Charles
Brown-Petersen, acquiert les affaires de la Société Commerciale de
l’Océanie (S.C.O.), ancienne compagnie allemande florissante avant
guerre mise sous séquestre en 1914. Il a épousé Jessie Hélène ‘Orereao
Dexter le 24 août 1907 à Pape’ete (8 enfants : Jojo, Lionel, Willy, Baldwin, Edgar, Antonina, Léone, Raymond).
Elu d’abord conseiller municipal, il devient maire après le décès survenu en cours de mandat du Dr Fernand Cassiau le 29 juillet 1933.
II privilégiera les opérations d’urbanisme de Pape’ete, lançant le
tracé initial de l’avenue à palmiers du Prince Hinoi.
En septembre 1939, dès annoncée la déclaration de la Seconde
Guerre mondiale, le capitaine Félix Broche prend ses dispositions de
défense militaire à Pape’ete. C’est la pénétration allemande au printemps
1940 en France, où le maréchal Philippe Pétain est installé à Vichy
comme chef d’Etat après avoir signé l’armistice en juin 1940. Mais le
vainqueur de Verdun 1916, qui est âgé de 84 ans, est contesté par le gouvernement de la France Libre (constitué par l’Appel-radio du 18 juin
1940, à partir de Londres, du général Charles de Gaulle). Il y a confusion
d’attitudes à Tahiti entre partisans de l’Administration pour servir loyalement le gouvernement légal de Vichy et volontaires pour adhérer à
l’élan de résistance patriotique du général lillois.
Le maire George Bambridge est réputé avoir ainsi été incontinent
partisan, avec son Conseil municipal, pour prendre position en faveur du
Général : fin août 1940 est formé « un Comité ayant pour but le ralliement des E.F.O. à la France Libre » (Fārani Vī-‘Ore). Le référendumpétition rapidement décidé à Tahiti et Mo’orea début septembre révèle une
consultation massivement favorable aux « gaullistes » dont la vibrante
proclamation patriotique à la tribune de la Mairie échoit au duo Edouard
112
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Ahnne (pasteur) et Teri’iero’o a Teri’iero’oitera’i (fameux tāvana de
Papeno’o), devant une assistance où, parmi les anciens combattants de
1914-18 arborant décorations, est remarqué Pouvāna’a a ’O’opa (poilu
de la fournaise du Chemin des Dames).
A été aussi organisée une milice en bleu qui sera appelée Légion
Valmy. Le Comité de la France Libre (dont Edouard Ahnne, Emile Martin et Georges Lagarde, membres du Conseil privé du Gouverneur ; le
Maire George Bambridge ; l’administrateur des Tuāmotu Marcel Sénac,
le médecin de l’Hôpital et administrateur Emile de Curton ; Jean Gilbert,
ancien de l’Aéronavale) s’est déjà constitué un to’ohitu pour se faire
remettre aussitôt le gouvernement de la Colonie, « contre son gré… afin
d’éviter toute effusion de sang », par le Gouverneur légaliste Chastenet
de Géry dans sa résidence en amont de Taraho’i.
Le célèbre navigateur solitaire et champion tennisman de Laval,
Alain Gerbault, qui a fait la Première Guerre mondiale dans l’aviation, a
échappé à l’exil des pétainistes au lazaret de Motu-Uta ou à Maupiti
(Maurua), étant parti par son yacht en septembre 1940 vers la France ;
mais en chemin, il mourra de fièvre à Timor mi-décembre 1941 (ses
restes seront rapatriés en 1946 à Tahiti, selon sa volonté, pour reposer
devant son terrain de football, place Vaitāpē à Porapora).
Sous le gouvernement provisoire, le capitaine Félix Broche de la
caserne de Sainte-Amélie lance un appel-radio afin de s’enrôler pour
de Gaulle : trop de volontaires présents à cet appel, seuls 300 peuvent
embarquer le 21 avril 1941 sur le croiseur anglais Monowai.
Les tiraillements tentaculaires du pouvoir entre gaullistes à Pape’ete
se traduisent par l’envoi en juin 1941 à Tahiti d’un véritable Gouverneur,
Richard Brunot en inspection en Océanie et dont le premier acte est de
dissoudre le Conseil municipal le 27 mai 1941, au titre de « Gouverneur
à titre provisoire de la France Libre dans les Etablissements Français
Libres d’Océanie ». Ainsi prend fin le mandat de maire de George Bambridge qui mourra à Pape’ete le 19 janvier 1942 (54 ans 1/2). Le Conseil
municipal a baptisé, en mémoire de ce maire urbaniste, du nom de rue
George Bambridge, le tronçon routier face Ecole Māma’o, vers l’avenue
du Prince Hinoi.
113
N.B.37 John ’Ote-vai-uri-rau-’ua-rau-o-te-’oto-o-te-manu-i-te-’Oropa’a
« Kone Bambridge », président fondateur de l’Association La famille
Bambridge et ses Alliées, créée le 11 mars de cette année du Centenaire
de Pape’ete, s’est occupé de réaliser une généalogie biographique familiale par l’édition en juin 1990 d’un livre du même intitulé que l’Association susdite.
Le maire George Bambridge aura ainsi connu la tutelle des Gouverneurs : Montagné puis Henri Sautot (p.i. 9 mai 1935), Frédéric Chastenet
de Géry (17 mars 1937), Edmond Mansard (14 septembre 1940, militaire), Emile de Curton (6 novembre 1940, provisoire) et Richard Brunot
(16 juin 1941).
C’est ici l’occasion de signaler un morceau d’existences intimement
liées à notre pito38 de l’univers :
• Félix Robin, cité plus haut, – devenu propriétaire à Ta’aone-Pīra’e
(1879) du terrain future propriété Lewis Hirshon (vers 1935) – s’est associé avec Paul-Georges Martiny, venu à Tahiti à l’occasion de la plantation
de la Terre Eugénie, pour y établir une usine à égrener le coton (30 égreneuses entraînées par une machine à vapeur à condensation et une roue
hydraulique ; une puissante presse hydraulique confectionnant les balles
de coton, dans une exploitation de 17 ha de coton)...
• Auguste Petersen 1850-1914, constructeur naval norvégien, né en
Allemagne, arrivé à Tahiti en 1874, résida aux débuts à To’ahotu. Ouvrier
industrieux, il exploite une scierie fonctionnant au moyen d’une roue
hydraulique pour débiter des planches. Mais vite il observera que nombre
de bateaux de la place ont été construits ou achetés à San Francisco, en
Nouvelle-Zélande ou en Australie ; aussi monte-t-il un chantier de
constructions navales (1876) utilisant sa scierie qui débitera… des
bateaux constamment.
Peu avant son décès à Pape’ete (18 septembre 1914), il a adopté son
associé Charley John Brown (né à Pape’ete le 14 avril 1879, décédé à
Pape’ete le 12 mars 1962) qui a appris le métier de charpentier de marine
à Benicia (Californie), lequel deviendra un florissant armateur, puis s’associera avec Emile Martin et George Bambridge dans la réactivation de
l’ancienne compagnie allemande Société Commerciale de l’Océanie (mise
37
A son siège au Boulevard d’Alsace-Lorraine, chez Bambridge Gym, Manuhō’ē à Pape’ete B.P. 655.
38
Pito est nombril.
114
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sous séquestre en 1914) sise front de mer à l’endroit de l’actuel bloc
Vaimā : nacre, coprah, café… jusqu’en 1942.
Devenu sans doute le plus gros propriétaire terrien localement (à
Fāri’ipiti, à Patuto’a : belle résidence coloniale du nouveau lieu-dit
Vaimā ; au centre-ville : quartier familièrement appelé Bloc Vaimā, outre
à Papeari des multi-hectares, à Ra’iātea et Huahine des poly-hectares...),
notre bicyclettiste homme d’affaires, méthodique comme un horloger,
laissera une succession riche en répercussions !...
Charly a épousé (union sans postérité) Marie-Ann Higgins, 18791961, fille de Henry Klotz (épouse Mabel Higgins) ; ce dernier, décédé
à Flint, est fils parmi les nombreux enfants de Georges Henri Klotz 18261912 : colon berlinois orthodoxe ayant longtemps navigué entre SanFrancisco, Auckland et Tahiti, qui a épousé aux Etats-Unis, une Anglaise
de Jersey (Amélia Anne Hurst 1895-1901) et qui aura beaucoup caboté
aux Iles Marquises entre 1850 et 1900, terminant comme chargé du service de pilotage de Pape’ete août 1901-juin 1902.
6. De fin juin 1941 à fin août 1942 : léonce-rodolphe Brault
Né à Pape’ete le 30 avril 1897 : il est fils de l’avocat de mêmes
prénoms et nom qui, sous le mandat du maire Cardella, fut premier
adjoint (le père : né le 22 août 1858 à Laval, Mayenne ; études chez
les Jésuites ; arrivé à Tahiti le 4 décembre 1881, comme imprimeur
au gouvernement d’abord et ultérieurement dans le civil pour son
compte en 1887, son imprimerie reprenant en 1889 la publication du
Messager de Tahiti – version Martiny-Raoulx-Cardella abandonnée,
signalée plus haut : cf. Cardella – qui durera plus de dix années membre du Conseil général en 1891 puis 1895, devient avocat-défenseur
en 1899 : avocat notamment de Gauguin dans un procès pour diffamation aux îles Marquises en 1903 ; membre du Conseil privé 19071913 ; conseiller municipal adjoint en 1919 ; Consul de Norvège
1912-1933 ; Chevalier de la Légion d’Honneur 1925 ; décédé à Tahiti
le 22 septembre 1933) et de Jane Rosé Bonnefin (la mère : née en
juin 1868 à Fa’a’ā, fille de Pierre Bonnefin natif de Saint-Malo, marié
en avril 1852 à Pape’ete avec Adélaïde Hunter venue de Sydney ;
épouse en juin 1888 à Pape’ete Léonce, 4 enfants : Laurence, Claire,
Léonce-Rodolphe, France « Totote »).
Léonce fils, avocat comme son père, participe comme volontaire à
la Première Guerre mondiale. Il épouse en juin 1920 Francine Lévy née
115
en 1900 (fille d’Emile Lévy né à Paris en 1858 et de Louise Georget née
à Pape’ete en 1860, mariés à Pape’ete en mars 1884, 5 enfants : Alice,
Julien, Charles, Lia, Francine). Léonce fils et Francine auront 4 enfants :
Guy 1929 (qui participe à la Seconde Guerre Mondiale, pâtissier, amateur
de chasse en montagne résidant à Pāpara, épouse Nicole Marx), Yves
1922, Roland 1925 et Claude 1926 (fille), ces trois derniers vivant aux
Etats-Unis.
intermède pour pharmaciens liés à ce pays
• Léon-Augustin Lherbier (1885-1956), natif du Pas-de-Calais,
arrive à Pape’ete en septembre 1928 à 43 ans comme pharmacien auxiliaire : il acquiert la pharmacie Le Brazidec installée depuis 1915 sur le
front de mer, qu’il cédera en 1939 à Henri Jacquier. Ayant été pharmacien
à l’hôpital en deux séjours bisannuels entre 1931 et 1942, il est président
du Syndicat d’Initiative de 1933 à 1940. Il est devenu propriétaire dans
diverses îles, ce qui l’occupera beaucoup dans sa retraite : ses secondes
noces avec Teri’imoe a Hoata à Pape’ete seront sans postérité ; ce
modeste personnage est décédé à Pape’ete le 8 août 1956, ayant laissé en
France deux enfants d’un premier mariage.
• Henri Jacquier (1907-1975), natif de Brest, arrive comme pharmacien à l’hôpital de Pape’ete à 25 ans (décembre 1932) qu’il quitte
en 1939 pour acheter la pharmacie Lherbier. Par ailleurs, le Parisien
de Cambridge Charles Van Den Brook d’Obrenan (1909-1956),
arrivé à Pape’ete en août 1939 et devenu acquéreur des « futurs » plateaux Datcharry, part à la guerre (décembre 1941) dans les F.F.L.39 et
revient à Tahiti en 1948 par son propre bateau l’Arghiro : assure la
présidence du Syndicat d’Initiative (1951-1955) puis animera la
Société hippique au nouvel hippodrome de Pīra’e et mourra le 14
mars 1956. Entretemps, Jacquier a pris la présidence du Syndicat
d’Initiative (1955-1959), son érudition l’amenant à la présidence de
la Société des Etudes Océaniennes à partir de 1953, pour aménager
sites touristiques (marae ’Ārahurahu à Pā’ea notamment) et jalonnements des sites. Patron du populaire Georges Pambrun – notre préparateur en pharmacie a fait involontairement baptiser, par les usagers
tahitiens, la pharmacie Jacquier dite Pharmacie de l’Océanie, du nom
local Fare-Rā’au a Tetua – Jacquier écrira un fameux récit documenté
39
Forces Françaises Libres.
116
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sur les frères Rorique (Piraterie dans le Pacifique, 1973), sa bellesœur Jeanine Laguesse l’ayant secondé dans le secrétariat de la
S.E.O. (jusqu’à ce jour, elle est fidèle au poste, ayant été honorée des
Palmes Académiques)…
Personnage disert, sa voix rauquescente s’est tue le 9 novembre 1975
à Pā’ea, ayant épousé Yvette Laguesse en 1938 à Pape’ete (née en 1916,
fille d’Emile Laguesse 1890-1949 avec Laurence Brault 1899-1941).
Dès la dissolution relatée plus haut dans un climat de discorde, au
Conseil municipal le 27 juin 1941, le nouveau Gouverneur Brunot forme
une commission municipale de 11 membres, en nommant lui-même
parmi les citoyens éligibles : Léonce Brault (président-maire), Alfred
Poro’i (1er adjoint), Georges Spitz (2ème adjoint) et membres-conseillers :
Georges Tetua Pambrun, Temauri Maraetefau, Edmond Viénot, Philibert
Montaron, Charles Lévy, Emile Helme, Marcel Frogier et Tepa a
Teha’amarama.
Mais quelques mois plus tard, le Gouverneur Brunot (qui avait longtemps servi dans les colonies d’Afrique) sera remplacé par le Gouverneur
corse Georges Orselli, lieutenant-colonel de l’Armée de l’Air, lequel
impose un sévère régime de discipline, en commençant par obliger
Léonce Brault à se démettre de ses fonctions de maire le 29 août 1942
(après un mandat de 1 an et 2 mois).
On notera que, à cette époque, après l’attaque-surprise par l’aviation
japonaise de la base américaine de Pearl Harbour (Hawai’i) en décembre
1941, l’Etat-Major des Etats-Unis entre en guerre contre le Japon : sa
stratégie consiste à lancer une grande offensive dans l’Océan Pacifique,
l’opération Bob-Cat de l’amiral Turner ayant choisi Porapora pour installer une base de ravitaillement pour navires et avions, le premier convoi
de navires de guerres arrivant à Fa’anui en février 1942.
Léonce Brault aurait souhaité le transfert de la base militaire américaine à Pape’ete pour stimuler le commerce local, ce qui parut au Gouverneur Orselli d’un rapprochement suspect. Léonce fils est mort le 15
décembre 1977 à Neuilly-sur-Seine (Hauts de Seine).
• Nous saisissons l’occasion ici de signaler l’apostolat de Mgr Paul
Mazé : arrivé prêtre à Tahiti à 25 ans (décembre 1910), pour les îles Cook
d’abord, 1910-1918, puis les Tuāmotu 1918-1937, disposant du petit
cotre Saint-Pierre, il succède à Mgr Nouailles comme vicaire apostolique
117
d’Ascalon à Tahiti, étant sacré évêque à Pape’ete (30 avril 1939) par Mgr
Pierre-Marie Le Cadre, évêque des Iles Marquises (1875-1952). Des
contributions administratives lui permettront de réaliser l’agrandissement
du pensionnat garçons et filles (1949 et 1956), l’ouverture des pensionnats Notre-Dame des Anges de Fa’a’ā (1951) et à Taravao (1962), la
construction d’une école de garçons (Saint-Paul) et d’une école de filles
(Sainte Thérèse) à Taunoa-Pape’ete (1957) et l’extension sur la colline
du Collège La Mennais, le programme de ces constructions étant réalisé
avec le concours des apports des paroissiens. Paul Mazé a installé le
séminaire de retraite de Miti-Rapa à To’ahotu (1952), l’école du Bon Pasteur dominant Tepapa (1956), obtient de la Commune de Pape’ete de
rénover la cathédrale (de 1963 à 1968), pendant que les offices sont célébrés dans un hangar américain non loin de l’Evêché. La hiérarchie établie
en 1966 dans le Pacifique Sud distingue l’archevêché de Pape’ete-Tahiti
de l’évêché suffragant de Taioha’e : Mgr Mazé consacrera le 3 juin 1968
l’enfant du pays Michel Coppenrath (né le 4 juin 1924 à Pape’ete,
ordonné prêtre le 29 juin 1954 à Poitiers, vicaire en 1959 à Sainte Thérèse avec le Père Pierre Laporte...) archevêque de Tahiti, coadjuteur de
Paul. Issu du Finistère, ce dernier se retire au presbytère de Taravao où il
décédera le 22 décembre 1976.
7. De septembre 1942 à octobre 1966 : alfred tera’ireia Poro’i
Né le 3 mars 1906 à Mataiea, il est fils de : le père, Tavararo Elie
Poro’i (né en septembre 1885 à Pape’ete, entrepreneur de spectacles et
propriétaire en ville, y est décédé mi-avril 1930 ; est l’un des 5 enfants
en secondes noces de Maro’uo Adolphe Poro’i 1844-1918 avec Teioatua
Orimai Henry 1852-1918, lequel Maro’uo était fils de Gabrielli de Carpegna avec Fenuu-Tafaratea-Teina a Poro’i) ; la mère, ’Urari’i Joséphine
Davis-Keane 1870-1918 (veuve en premières noces d’Edouard Poro’i
1869-1903, entrepreneur décédé des suites d’un accident lors de la
construction de l’Ecole Centrale, 4 enfants ; épousant en secondes noces
son beau-frère Tavararo en 1905 à Pape’ete, 2 enfants : Alfred et Hortense (qui fut l’épouse d’André Lorfèvre).
Ancien élève de l’Ecole Viénot, Alfred est titulaire du brevet de
capitaine au grand cabotage, devenant directeur de l’agence à Pape’ete
de la Union Steamship Company of New Zealand Ltd jusqu’en 1957. Il a
épousé en août 1936 dans son district natal de Mataiea, en premières
noces, Tū-te-hau-i-vai-ahu Christine Thompson, fille née en 1903 parmi
118
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les 13 enfants de Henry Thompson (né en 1864 à Maupiti et décédé en
1918) avec Mary Ann Emeline Bennett 1874-1951. Alfred et Christine
auront 3 enfants : Charlot 1927 (Président CCI. 1971-1989), Maurice 1930
(décédé à Pape’ete le 3 septembre 1990) et Ernest 1938. Ayant divorcé en
1948, Alfred épouse en secondes noces, fin août 1951 à Pape’ete, Suzanne
Callaway : 3 enfants (Bernard 1952, Ueri’i 1955 et Teina 1958).
Ayant quitté l’U.S.C.N.Z.40 en 1957, il fonde l’Agence Tahiti Poro’i
(voyages maritimes et aériens) rue des Ecoles. II a été élu conseiller
municipal en 1935 au cours du mandat du maire Léonce Brault. Les événements relatés plus haut ayant amené la démission le 29 août 1942 de
Léonce Brault, le Gouverneur omnipotent Orselli nomme à sa place
Alfred Poro’i, alors premier adjoint, pour « continuer à remplir le rôle de
maire nominatif » de la Commission municipale jusqu’à la fin de la
Seconde Guerre Mondiale de 1939-45. Durant cette époque, le Comité
des Gaullistes est devenu Ligue de la France Libre et Combattante, les
anciens combattants y ayant ajouté « un article exprimant leur détermination de défendre les libertés locales et d’obtenir pour la Colonie un statut dit d’autonomie financière et administrative ».
En 1945 a été créée la commune de ’Uturoa à Ra’iātea. Au Gouverneur Orselli, a succédé fin 1945 Jean-Camille Haumant.
Alfred Poro’i est confirmé maire après guerre, lors des élections
municipales du 26 août 1945, ayant depuis 1942 fait partie notamment,
comme président, de la Délégation Economique et Financière. Le retour
des volontaires le 5 mai 1946 – (sur les 300 partis le 21 avril 1941, les
champs de bataille contre le syndrome Hitler en ayant retenu une centaine) – entraîne, au-delà des réceptions d’accueil glorieux, des agitations
revendicatives du fait de l’envoi de Métropole de fonctionnaires venant
occuper des postes pouvant être pourvus par des gens de la place : événements sur le quai de Pape’ete le 22 juin 1947 à l’arrivée du paquebot
Ville d’Amiens. En reconnaissance cependant du sang versé par la France
d’Outre-Mer ralliée à la France maintenant libérée que dirige désormais
le Général de Gaulle, un décret a créé une Assemblée Représentative des
E.F.O. à 20 membres élus au suffrage universel, avec droit d’élire un
40
Union Steamship Company of New-Zealand.
119
député. Se succèdent les gouverneurs : août 1947 le Corse Pierre-Louis
Maestracci, avril 1949 le Corse Armand Anziani, novembre 1950, René
Petitbon d’Auch. Des partis politiques apparaissent, – dont le Comité
Pouvāna’a, légalisé avec l’appellation Rassemblement Démocratique des
Populations Tahitiennes (R.D.P.T.), leader Pouvāna’a a ’O’opa, – tendant
à remplacer l’organisation-décret du 28 décembre 1885 par un texte
reconnaissant des pouvoirs locaux de pleine autonomie. Ayant soutenu le
R.D.P.T., le Dr Jean Florisson – (médecin contractuel à la C.F.P.O.41, qui
s’est installé ensuite à Pape’ete) – est élu sénateur des E.F.O. en juin
1952, ayant battu Robert Lassal-Séré précédemment élu fin mai 1949.
La commune de Poro’i poursuit le plan d’urbanisation mis en place
en 1926, avec quadrillage de Fāri’ipiti, assèchement et remblaiement des
zones marécageuses, aménagement de l’avenue Bruat. Si, après les élections de 1949, Pouvāna’a, originaire de Huahine, devient conseiller à
l’Assemblée et député en octobre 1949, le Conseil municipal de Pape’ete,
à majorité gaulliste U.T.- U.N.R. (Union Territoriale affiliée à l’Union
Nationale pour la République), sera réélu avec à sa tête Alfred Poro’i. En
1950, après un séjour de six mois, le professeur Robert Auzelle de l’Institut d’urbanisme de l’université de Paris a établi le premier plan directeur
de Pape’ete, – dont le recensement a dénombré 3.720 habitants en 1902
et 12.423 en 1946, – le centre commercial de la ville ayant concentré des
magasins essentiellement tenus pas des Chinois. Mais les ressources
municipales d’assainissement et d’édilité manquent, car de nombreux
bouis-bouis vétustes subsistent encore, en raison de changements fréquents des responsables en place (hommes et assemblées diverses)
depuis la création de la commune en 1890.
• René Pailloux (1899-1968) est une figure dans le paysage polynésien de l’époque : natif de La Rochelle, il arrive à Pape’ete instituteur protestant en 1927-1928 ; revenant de France en 1931 dans l’Enseignement,
puis dans l’Administration civile (greffe, Affaires tahitiennes, interprète au
Cabinet du Gouverneur, chargé du journal d’information Te Ve’a Mā’ohi),
il sera « exilé » en 1941-43 à Mo’orea/Motu Uta/Tuāmotu. Alors il se
lance dans le travail de la nacre : atelier à Patuto’a et shop-curios (près du
41
Compagnie Française des Phosphates de l’Océanie.
120
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bar-café aéré garni de bambou Vaihiria au bloc Vaimā) à l’enseigne
SONABO42, où le sculpteur Vaiere Mara, venu de Rurutū, après s’être
formé à l’école marquisienne de Kimitete, s’épanouit pour œuvrer plus
tard à son compte. René quitte Tahiti en 1965 et mourra à Toulon en 1968
à 69 ans, sa fille étant employée municipale à Pape’ete.
Pouvāna’a est réélu député en janvier 1952, tandis que Jean-Baptiste
Heitarauri Céran-Jérusalémy, élu R.D.P.T. pour son action syndicale à
Makatea, brigue le poste de Conseiller de l’Union Française, son élection
provoquant la scission de la majorité Pouvāna’a aux élections de 1953
où le R.D.P.T. a gagné 18 des 25 sièges à l’Assemblée : l’U.T.-U.N.R.
conservera sa majorité au Conseil municipal de Pape’ete.
Venu à Pape’ete à 41 ans (1946), le banquier Jean Bréaud revient un
couple d’années plus tard pour acquérir le domaine de ’Ātimāono alors
propriété de l’avocat-député Georges Ahnne, en y continuant l’élevage
du bétail, les plantations vivrières et la culture de la canne à sucre (qui
avait succédé à la plantation de coton), culture qui sera abandonnée pour
du pamplemousse… la vocation agricole primitivement reconnue pour
ce domaine cédant finalement la place à un golf touristique à 18 trous
réalisé en 1970.
En sport en 1952, la sélection de Tahiti de football reçoit celle de
Nouvelle-Zélande puis la F.G.S.S. envoie, en août 1953, une délégation
sportive de football-basket-boxe-tennis, invitée dans le cadre des fêtes du
Centenaire du rattachement de la Nouvelle-Calédonie à la France. Après
ces deux échanges mémorables, en juillet 1955 c’est au tour de Tahiti à
recevoir footballeurs et basketteurs néo-calédoniens.
En juillet 1956, visite du Général de Gaulle honorant ainsi à Pape’ete
la section locale du Bataillon du Pacifique (les héros de Bir Hakeim...),
accueilli notamment par le maire Poro’i, avec tāmā’ara’a mémorables à
la pointe ’Āhui à Tautira (dont le tāvana est Ra’iari’i a Tevaeara’i,
« poilu » Croix de Guerre) et à la pointe Matira à Porapora. Dans la nuit
de Noël 1956, la ville est embrasée par un incendie destructeur du côté de
42
Société de la Nacre et du Bois des îles.
121
la Pharmacie Jacquier/Aline/Tony Bambridge & Moulin-Rouge/dancing
Lionel’s endiablé de l’époque entre Quinn’s et Col Bleu. En juillet-août
1957, le navire Tahitien emporte à Nouméa et Port-Villa avec Taote Cassiau les sélections de football et basket, de nombreux travailleurs tahitiens y étant installés pour les extractions de nickel, tandis que
l’exploitation des phosphates de Makatea ralentit vers la cessation prochaine.
En septembre 1954, après un mandat de 4 ans de Petitbon, JeanFrançois Toby sera Gouverneur jusqu’en mars 1958. En 1957, les E.F.O.
sont devenus Polynésie française, avec la loi-cadre.
Aux élections législatives de 1956, l’orateur tahitien Pouvāna’a est
réélu député contre l’avocat-défenseur Rudy Bambridge (Rudolph
Tenahe), lequel, élu tête de liste à l’Assemblée territoriale en novembre
1957 avec Gaston Utato Flosse, fonde en juillet 1958 l’U.T.D.-U.N.R.
(Union Tahitienne Démocratique). L’année 1958 est fertile en événements : l’hydravion Catalina s’est abîmé corps et âmes (quelques survivants exceptés) en amerrissant à ‘Uturoa-Ra’iātea ; la M.G.M.43 s’est
installée à Māhina pour le remake de Les Révoltés de la Bounty ; fin mars
arrive, comme successeur de Toby, le Gouverneur Camille-Victor Bailly,
en plein bouillonnement contre l’impôt sur le revenu, avec les manifestations d’avril pour assaillir Assemblée territoriale (à l’étage des Douanes
face Yacht-Club au front de mer : bulldozer de Germain Lévy) et Résidence du Gouverneur (la foule des récalcitrants Henri Lombard en tête
avec porte-voix a’a revendiquant la vice-présidence du Conseil de Gouvernement, que convoite également son collègue Jean-Baptiste Heitarauri
Céran-Jérusalémy, et le R.D.P.T. réclamant l’océanisation des cadres.
S’ensuit l’éclatement du R.D.P.T.
Aux élections sénatoriales de juin 1958, Florisson est battu par Me
Gérald Coppenrath (né à Pape’ete le 27 avril 1922, avocat-défenseur en
1948, épouse Claude Thirel en 1949, élu Conseiller territorial en 1957).
43
Metro Golwyn Meyer.
122
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Au référendum du 28 septembre 1958, la consultation, dans la
confusion locale, maintiendra le Territoire dans la Constitution de la
République Française, marqué en octobre par l’Affaire des cocktails
Molotoff faisant incarcérer Pouvāna’a, lequel a été néronisé par ses
adversaires (politiciens et gouvernement).
Les approvisionnements du Marché de Pape’ete sont maintenant
presque exclusivement assurés par jeeps et trucks arrivant le dimanche à
l’aube depuis le bout de la presqu’île de Tai’arapu, les carrioles à cheval,
comme la Remise, ayant disparu du paysage urbain, de même que les plateaux-tombereaux tirés par les chevaux pour les chargements de marchandises se faufilant dans les rues pour desservir les magasins bric-à-brac tous
les jours de la semaine, abandonnant sur place ou semant en chemin crottins et faisant claquer le fouet, les enfants s’amusant à y tārere 44…
L’hebdomadaire Le Courrier des E.F.O. a duré deux ans en 195253, puis la presse locale, – en dehors du Journal Officiel et des organes
catholique Te ve’a Katorika et protestant Te Ti’arama, – devient fébrile
sporadiquement à l’occasion des périodes électorales : Te Arati’a (journal
du R.D.P.T.), Te ‘Ōmore (Emile Le Caill), Les Débats (Jacques Gervais),
La Tribune (Robert Pambrun) ; le périodique Tamari’i-Tahiti (lancé par
le frère Thénénan en 1952, à l’intention des étudiants éparpillés en
France) se muera localement vers 1957 en Le Semeur, version civile
d’abord au-delà de La Dépêche de Tahiti fondée par Philippe Mazellier
en août 1964, ce dernier ayant auparavant dirigé le Journal de Tahiti créé
et « sponsorisé » par Tony Bambridge ultérieurement à la parution en
feuillets ronéotypés du quotidien Les Nouvelles de Tahiti créé par
Georges Brissaud en 1957...
• Noter que Mgr Hermel avait fondé les deux organes de liaison de
la Mission Catholique Le Semeur en 1909 et Te Ve’a Katorika en 1914...
Radio-Cocotier 45 fonctionnant activement après les courtes émissions
soir et matin de Radio-Tahiti (prolongement du Radio-Club Océanien, où
notamment le volontaire John Martin et Teara-pō Te’auna émettent en
tahitien au-delà des mers). La Mairie de Pape’ete dispose d’une bibliothèque littéraire oubliée sinon rarement fréquentée.
44
45
S’y accrocher.
N.D.E. Radio cocotier = quand le bouche à oreilles fonctionne, véhiculant les nouvelles.
123
• Signalons pour l’histoire que Victor Postaire Le Marais (1904-1963),
natif du Maine-et-Loir, est arrivé à Pape’ete contractuel des P.T.T. (décembre 1946) pour la station intercoloniale de Fare ’Ute (station Marine organisée par l’Armée en 1910, la station-radio de Māhina ayant été installée
en 1915). Ayant notamment monté le premier radio-phare de guidage
aérien et effectué les premiers essais téléphoniques avec la France (1950),
Postaire Le Marais remettra en marche le Radio-Club Océanien en sommeil ; notre scientifique créateur de trichlore à ’Ārue (affaire fondée en
1951 et continuée par son fils Philippe) meurt à Pape’ete le 14 juillet 1963.
Gérald Coppenrath est confirmé sénateur en avril 1959, avec Alfred
Poro’i comme sénateur suppléant, tandis que Pierre-René Sicaud est
devenu Gouverneur fin octobre 1958 (arborant, en certaines circonstances, un couvre-chef feutré avec plume).
• Emile Alexandre Martin (né début décembre 1879 à Pape’ete, mort
en août 1959 à Pape’ete), membre du Conseil privé de 1933 à 1958 et qui
avait été associé en 1917 au rachat d’une petite usine électrique, avec
exploitation téléphonique (concession passée aux PTT en 1925), est devenu
en 1921 seul propriétaire de l’affaire qu’il développe dans Pape’ete et
l’étendra dans les proches districts ; il a racheté en 1936 la Brasserie de
Tahiti avec glacière qu’il modernisera complètement entre 1955 et 1958.
• Antony Bambridge Senior – (né le 1er août 1895, décédé à Los
Angeles le 29 juillet 1964 et inhumé à Hāmuta; père notamment de
Mathilda 1929, Antony Na’ina’i 1924, Rudy 1926), – exploite le « ciné »
Théâtre Moderne depuis les années 1920, collaborant en 1927 dans le
tournage d’Ombres blanches puis de Tabou en 1929 suivi de Taro le
païen et de la première version de Les Mutins du Bounty en 1935. Il a
racheté aux frères Hollande le Ciné Bambou en 1948 et organise des circuits dans ses cinémas bleus des districts, mobilisant l’opinion contre le
groupe Pouvāna’a lors du référendum de 1958. Tony-papa a succédé
comme membre du Conseil privé à Georges Ahnne (1903-1949 : licencié
en droit à Bordeaux, avocat à Pape’ete en 1925, élu député des E.F.O.
1946, réélu 1947, mort à Paris en août 1949).
Environ 700 véhicules toutes catégories sont en circulation à cette
époque-là. Si déjà au 11 novembre 1957 la traditionnelle Coupe des Iles
124
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de football à Fautau’a a connu une effervescence de contrecoup politique, – (Tahiti est qualifié, après prolongation et match nul, au bénéfice
des corners contre Ra’iātea, le conseiller territorial Edwin Atger des
ISLV annonçant alors réclamation et non-participation de Ra’iātea au
match de classement contre Mo’orea ; et la finale sera remportée sur
Makatea par Tahiti, équipe fortement renforcée d’appelés du C.A.M.
issus de Division d’Honneur FGSS) – les événements consécutifs au
référendum ont fait annuler l’édition de novembre 1958 de la Coupe des
Îles, tandis que dans l’entretemps Marlon Brando, Tarita Teri’ipaia et Trevor Howard jouent Mutiny of the Bounty.
• Robert Hervé – (né à Marseille le 10 septembre 1910 ; arrive à
Tahiti en août 1934 après la faillite de l’affaire Banque Kong Ah en
1933 ; participe aux campagnes 1940-1945 du Bataillon du Pacifique,
dont il est commandant après Félix Broche tué à Bir Hackeim en juin
1942 ; exportateur de vanille et nacre, armateur-assureur maritime,
exploitant en coprah des îles Mopelia, Scilly et Bellinghausen, le colonel
est président d’honneur de l’Association des Français Libres) – fait partie
du Conseil Privé 1948-1958, est président de la Chambre de Commerce
et d’Industrie 1957-1970.
Alors influent et travailleur dans les activités politiques de l’époque,
J-B. H. C-J.46 subit, cependant, un échec aux élections législatives de
1960 et n’est pas réélu à l’Assemblée Territoriale en 1966, réintégrant
ainsi dans ses anciennes fonctions à l’Imprimerie Officielle. En décembre
1960, après avoir été Haut-Commissaire en Nouvelle-Calédonie 19561959, Aimé Grimald sera Gouverneur de la Polynésie française jusqu’en
début janvier 1965 ; l’aérodrome international de Tahiti-Fa’a’ā est en
cours de réalisation en 1960, les travaux ayant commencé courant 1959,
et l’inauguration aura lieu début mai 1961.
Les travaux de remblai, à partir de la caillasse extraite du lit de la
Punaru’u, sur le trajet infernal et poussiéreux – nuisances oubliées,
aujourd’hui, place à la nécessité ! – vers Motu-Tāhiri, se poursuivront
toujours avec la Société des Dragages vers Pape’ete pour engloutir
Motu-Uta.
46
Jean-Baptiste Heitarauri Céran-Jérusalémy.
125
La Mairie, Pape’ete, Tahiti
Le front de mer, Pape’ete, Tahiti
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Quelque 5000 militaires, techniciens et sapeurs du Génie débarquent
en 1963 : le Centre d’Expérimentations du Pacifique vient de s’installer,
objectif Moruroa, ainsi qu’en a décidé le général-sauveur respecté par les
générations d’alors de Bir-Hackeim : de Gaulle, après avoir bouleversé
les cœurs des Polynésiens, vient bouleverser la vie polynésienne, gardeà-vous ! repos !... Tous ces grands travaux ont provoqué des problèmes
soudains de main-d’œuvre qu’il a fallu adapter pour la qualifier avec le
temps long, contrariée au démarrage par la résignation pour les autorités
locales de subir des apports étrangers, en l’occurrence un contingent
d’ouvriers portugais et italiens expérimentés et efficaces.
La première explosion est donc sociale, avec en perspective celle de
la première bombe atomique atollienne française programmée pour 1966.
L’échiquier électoral dans un contexte aussi bousculé est tiraillé au point
que, aux élections municipales de mai 1965, la majorité gaulliste de
Pape’ete, soutenant traditionnellement le clan Poro’i en place, subit la
pression croissante des tendances Pouvāna’a. Ce dernier, depuis avril
1960 en détention politique aux Baumettes de Marseille, a été transféré
à partir de juillet 1961, pour adoucissement de son régime d’incarcération, dans un hôpital parisien permettant de le soigner de la phlébite occasionnée lors de son embarquement secret par Māhina sur le Calédonien
(15 mars 1960). De justesse, la liste Poro’i devance la liste adverse, mais
un recours de celle-ci en Conseil d’Etat – (pour radiation préalable abusive de 2.574 électeurs et inscription choisie de 1.130 nouveaux électeurs) – entraîne de nouvelles élections municipales en octobre 1966...
Un mois auparavant, en septembre 1966, un accueil chaleureux a été
réservé au Général Charles de Gaulle qui a été réélu, au suffrage universel, à la présidence de la République en 1965. C’était sa seconde visite
en Polynésie.
• Aux côtés du maire Poro’i, il faut signaler la présence d’André
Juventin, homme discret et social de Tīpaeru’i – né à Pape’ete (11 mars
1901), fils du typographe ardéchois Benjamin Juventin 1870-1958 (arrivé
à Tahiti à 12 ans, futur directeur de l’Imprimerie du Gouvernement) – élu
conseiller municipal depuis 1947 comme adjoint (réélu en 1953 et 1958),
ayant gravi les échelons jusqu’à la direction des Ets Donald-Tahiti qui
exploitaient notamment, en armateur, les goélettes desservant : les Iles
127
Pape’ete, Tahiti
Le marché de Pape’ete, Tahiti
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
Marquises, Vahine Tahiti ; les Iles Sous-le-Vent, Tiare Tāporo (Tāporo
qui tirerait son onomatopée citronnée du nom des fondateurs Edinborow
de ladite Maison).
• Egalement, auprès du maire Poro’i, a été élu conseiller municipal,
comme adjoint de 1959 à 1963, Laurent Le Bihan, pionnier de l’aéronautique du Finistère venu en 1936 pour la base d’hydravion de Fare-’Ute et
qui reviendra après guerre s’installer à Tahiti (ayant épousé Louise Villierme) comme commerçant : Ets Le Bihan, rue Bréa ; il lancera l’utilisation généralisée de la bouteille de gaz dès 1965, dont l’expansion est
devenue irréversible ! L’ancien de Bir-Hackeim Jean-Roy Bambridge, pour
les travaux publics et d’urbanisation de la commune, aura eu un mandat
très actif sous Poro’i, auprès du célèbre chef de voirie Léo Langomazino.
Sous les 24 années de mandat du maire Alfred Poro’i, la Tutelle a
été exercée par les Gouverneurs : Georges Orselli (1er octobre 1941), Jean
Haumant (p.i. décembre 1945), Pierre Maestracci (12 août 1947),
Armand Anziani (2 avril 1949), Louis Girault (p.i. octobre 1950), René
Petitbon (30 novembre 1950), Jean Toby (28 septembre 1954), Camille
Bailly (10 mars 1958), Pierre Sicaud (25 octobre 1958), Aimé Grimald
(12 décembre 1960) et Jean Sicurani (20 janvier 1965).
• Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’instituteur Roger Juventin
à 27 ans est devenu secrétaire général de la Mairie de Pape’ete qu’il marquera crescendo de son sceau depuis 1946 jusque vers la fin du mandat
de Poro’i, en même temps qu’il assurait la présidence de Central Sport ;
un de ses oncles, Henri Juventin (1901-1939) sera conseiller municipal
de Pape’ete de 1930 à 1934…
8. D’octobre 1966 au 13 mars 1977 : Georges tetua Pambrun
Né le 17 juin 1906 à Vahitahu, Iles Marquises, il est un des fils de :
le père, Eugène Pambrun (né en novembre 1874 dans les Hautes-Pyrénées, quartier-maître quittant la France en 1899 sur le croiseur Protet
direction Cap Horn, San Francisco et Tahiti où, en 1902, il embrasse la
carrière de gendarme, en service à Pape’ete d’abord, puis aux Iles Marquises où il se distingue lors du cyclone de janvier 1903; retraité à
Pape’ete, il décédera, lors d’un séjour en France, à Tarbes, le 20 août
1928, âgé de 54 ans) ; la mère, Virginie Lequerré (1880-1955), fille parmi
129
les nombreux enfants de Louisa Nollimberger (1859-1918) et de Joseph
Lequerré (1847-1897 : natif de Dinan, arrivé à Pape’ete comme homme
d’équipage par la frégate Néréide en juin 1868, est cultivateur chez Lucas
à Taravao (1871), brigadier de police à Pape’ete (1874) puis commissaire
intérimaire (1884) et meurt à Pape’ete à 50 ans).
Avec ses frères Aimé (1902), Henri (1904) décédé, et Ernest (1911),
il forme un quatuor bien incrusté dans la génération nouvelle de Tahiti.
Après la dissolution du Conseil municipal le 27 juin 1941, le Gouverneur a formé une commission municipale de 11 membres dont fait
partie Tetua Pambrun, qui sera réélu lors des scrutins successifs sous les
mandats des conseils municipaux relatés ci-dessus. Les divergences du
soutien gaulliste ont façonné de nouvelles donnes. Le ballottage du premier tour des élections d’octobre 1966, défavorable à la liste d’Alfred
Poro’i, consolide les ambitions d’une liste commune adverse pour le
second tour, permettant à la populaire tête de liste Tetua Pambrun d’obédience de la nouvelle formation politique Te ’Ē’a ’Āpī (président Jean
Millaud, avec comme leader-fondateur Francis Sanford, frais retraité de
l’Administration, qui a été élu premier maire de la commune de Fa’a’ā
le 2 mai 1965).
Des élections partielles pour 4 conseillers municipaux, suite à un
recours en Conseil d’Etat de la liste dégommée, ramènent en mars 1968
Yen Howan (élu de 1966, maintenant seulement alors naturalisé français
depuis 5 ans) avec Daniel Millaud, Jean Juventin et Raymond V. Pietri,
renforçant ainsi le renversement de tendance en faveur du front uni municipal. Ainsi donc Tetua Pambrun est Maire de Pape’ete depuis octobre
1966.
Au Gouverneur Grimald a succédé Jean Sicurani (né à Bône en mai
1915) qui entre en fonctions à Pape’ete le 20 janvier 1965, c’est-à-dire
en pleine effervescence d’installation « céeupienne » qui a engendré des
nécessités modificatives des agglomérations et d’urbanisation compliquées d’inflations de coût de vie et de tensions sociales. Pour atténuer les
frictions dans la vie civile, les permissionnaires militaires en sortie du
quartier du BIMAT sont désormais invités à s’habiller en tenue civile…
(une telle entorse quelques années auparavant, chez les appelés du
C.A.M./C.A.I.C.T., conduisait tout droit à « Hollywood » – là où
130
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
Pouvāna’a en 1958 avait connu le bas-flanc ténébreux – pour 10 jours de
salle de police !...).
L’ère Sicurani met en chantier, quatre années durant, de grandes réalisations en bâtiments administratifs : édifices du gouvernement et de
l’administration avenue Bruat, la résidence du gouverneur – (que le voisin Dr Cassiau a comparé à un super-marché de Ouagadougou, quoique
l’architecture ait eu le mérite d’offrir un paysage distinctif du commun), – le nouveau palais de l’Assemblée territoriale (qui a chassé l’ancien Palais royal/Trésor, vestige colonial d’une longue époque révolue),
la nouvelle Douane à Motu-Uta, les Affaires maritimes et la Capitainerie/Port Autonome de Pape’ete ; il faut y ajouter l’implantation de la télévision O.R.T.F., la Maison des Jeunes/Maison de la Culture de
Pā’ōfa’i-Tīpaeru’i, la Piscine olympique municipale de Tīpaeru’i, l’hôpital de Māma’o, les aménagements portuaires de Pape’ete avec la zone
industrielle de Fare-’Ute et Motu-Uta, dont l’Huilerie de Tahiti ; et au
centre-ville l’apparition de la Banque de Tahiti, la rénovation du quartier
commercial, la confection et de l’avenue des Pōmare sur le front de mer
et de l’avenue du Prince Hinoi. Ces travaux se prolongent immédiatement hors Pape’ete : par la Route de Dégagement-Ouest dite Route des
Collines, enjambant Fa’a’ā vers Puna’auia (ouverte à la circulation dans
les deux sens le 14 novembre 1978) et les extensions de l’aérogare de
Fa’a’ā ; et par la rénovation du Stadium de Fautau’a, le Stade Olympique
dit Pater avec la Maison des Jeunes de Pīra’e, le marché de Pīra’e, etc.,
tuiles de bois ou d’asphalte se généralisent.
Cette énumération sélective et non exhaustive implique la mise en
place d’un organe d’urbanisation disciplinée pour maîtriser le développement pressenti. Egalement sont créés en 1966 l’Office de développement du tourisme (O.D.T.) et un code des Investissements à incitation
premièrement touristico-hôtelière, toutes les réalisations sus-évoquées
ayant eu des retombées manifestement commerciales et sociales dans
l’emploi. A Pape’ete l’ex-C.F.P.O.47 a été investie par l’étonnant hôtel
Royal Pape’ete inauguré en mars 1968 (tout contre le voisinage vibrant
de l’usine d’électricité initiale), tandis que l’hôtel Ta’aone (toit de pandanus) doit aborder la concurrence quand sortent dominateurs dans le
47
Compagnie Française des Phosphates de l’Océanie.
131
paysage polynésien l’hôtel Tahara’a (fin 1968), l’hôtel Maeva Beach
(avril 1969) et l’hôtel Travel Lodge (Pointe Tata’a), tous face à Mo’orea
où le Club Méditerranée a étendu ses tentacules du rêve planétaire.
L’hôtel Ta’aone a cessé en octobre 1971, tandis qu’à Pape’ete sont
mis en service l’hôtel Kon Tiki (1973) et Mātāvai Holiday Inn à Tīpaeru’i
(1975), le Travelodge de 1974 étant devenu Beachcomber en 1977.
Pour le 50 ème anniversaire de l’Armistice, après les demandes
conjointes réitérées des personnalités politiques du Territoire, le GénéralPrésident de Gaulle amnistie Pouvāna’a : le Metua est de retour à l’aérogare de Tahiti-Fa’a’ā le 30 novembre 1968 ; réception grandiose dans son
pays qui lui accorde profondément le respect qu’il mérite, le Front Uni
l’accaparant pour un accueil à la véranda de l’Ecole-Mairie Pape’ete,
dominant la foule admirative du vieil homme (73 ans) dans la cour aux
manguiers électoraux.
• Rappelons ici que Jules Niuhitoa Millaud – fils d’Amboise déjà
cité, né à Pape’ete le 4 mai 1894, marié à Pape’ete le 14 juin 1920 avec
Paule Lippmann (parents de l’ingénieur agricole Robert 1922, du sénateur Daniel 1928 et de Sylvain 1932, président de la Chambre d’agriculture et d’élevage), filleul du prince Hinoi Pōmare, sergent dans le
Bataillon du Pacifique à la Première Guerre Mondiale 1914-1918, – est
cadre de la Banque de l’lndochine à Pape’ete de 1937 à 1949. Notamment propriétaire d’un domaine agricole à ’Ātimaono-Pōmare, éleveur
de bovins charolais, il en anime le syndicat et est trésorier-fondateur de
la Croix Rouge locale ; conseiller municipal de Pape’ete (1920-1921),
conseiller privé du Gouverneur (1950-1958), il est président de l’Union
Nationale des Anciens Combattants (1967-1968), participant à l’organisation des cérémonies du 50ème anniversaire de l’Armistice du 11 novembre 1918 annonçant le retour de Pouvāna’a.
Le Golf de ’Ātimaono a eu raison de la vocation agricole de ce
domaine (que lui assignait le professeur René Dumont dans un fameux
rapport sensé) pour servir d’appel à la clientèle que recherche toujours
l’O.D.T. ; Syndicat d’lnitiative et Société des Etudes Océaniennes, Musée
de Tahiti et des îles, y conjoignent leurs efforts pour la restauration du
Marae de la Pointe de Māha-i-ātea (Pāpara) et celle, avec cérémonies
132
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
reconstitutives, du Marae de ’Ārahurahu (Pā’ea). Depuis quelques temps,
les destinées de l’O.D.T. ont été confiées à Alexandre Moeava Ata,
ancien élève prometteur de l’Ecole Viénot puis du Lycée Fermat et de la
Faculté de Toulouse, en même temps que Jacques Denis Drollet bahutait
à Montauban.
Toute cette succession de labeur pour tout le monde aux alentours
met, directement ou indirectement, la commune de Pape’ete à contribution forcément. Le Gouverneur Sicurani s’en va le 10 janvier 1969, étant
remplacé par Pierre Angéli (né en Corse en août 1921) qui arrive à Tahiti
le 11 mars 1969, dans un contexte de majorité autonomiste. Avec lui
démarre à Vairā’ō la station d’étude et de promotion du Centre National
d’Exploitation des Océans (CNEXO). Parallèlement, Paulet Gaston
Flosse a été élu tāvana mata’eina’a de Pīra’e (5 mai 1963), puis premier
maire de la commune de Pīra’e (2 mai 1965), conseiller de gouvernement
(1965) et conseiller territorial (1967).
Le bosseur terrien agricole de Mo’orea Tony John Teariki, tāvana
mata’eina’a de ’Āfareaitu, conseiller territorial à 39 ans (depuis 1953),
sera leader de Te Pupu Here ’Āi’a te Nūna’a ’Ia Ora (résurgence du
R.D.P.T. de Pouvāna’a, depuis la mise hors-la-loi de ce parti après les
événements provoqués de 1958), réélu conseiller territorial en 1957, puis
1962. Pouvāna’a (poilu de 1914-1918) mis en taule aux Baumettes à 65
ans, ancien député élu en 1949 puis 1952, son fils Mātē Marcel ’O’opa
(1917-1961), blessé rescapé de Bir-Hackeim, conseiller territorial de
Huahine, montera en 1959 et est élu député, contre Rudy Bambridge
(juillet 1960), avec Teariki en suppléant : Mātē a dû partir subitement à
Paris se soigner et meurt d’un cancer à 44 ans (14 juillet 1961), son
épouse Céline Colombel devenant ultérieurement conseillère territoriale… Teariki devient alors député, mais en mars 1967, stratégie politique oblige, Teariki étant président de l’Assemblée, il est suppléant au
député, poste décerné au nouveau maire de Fa’a’ā, enfant chéri de Porapora lié aussi à Rikitea, ancien instituteur, leader de Te ’Ē’a ’Āpī. Mention actualisée : non natif de Rikitea, né à Pape’ete le 11 mai 1912,
Francis est décédé à Pape’ete le 21 décembre 1996.
Le retraité président-général Charles de Gaulle, retiré à Colombeyles-deux-Eglises, s’est éteint peu avant le 11 novembre 1970 (L’infirmière
133
gradée Maadi Gobrait s’est rendue aux obsèques), mettant en grand deuil
la section polynésienne du Bataillon du Pacifique qui s’était illustrée dans
la tourmente de 1939-45.
Les esprits quelque peu apaisés après le retour vivant de Pouvāna’a,
le mythe du Vieux le conduit tout naturellement, dans sa récupération des
droits civiques, à être réélu sénateur, après dix années d’exil en 1971 et
c’est justice, le candidat adverse étant Milou Le Caill au langage soigné.
Mais la phlébite et le diabète font mouvoir Te Rū’au en chaise roulante…
L’année 1971 est importante pour Tahiti, sur le plan sportif… et touristique : après Suva (1963), Nouméa (1966), Port Moresby (1969), les
IVèmes Jeux du Pacifique Sud sont avancés à 1971 à Tahiti (la charte des
JPS/SPG48 les fixant généralement tous les 3 ans), pour raison d’opportunité conjoncturelle : entre les Jeux Olympiques (Mexico 1970) et le
Mundial de football (Mexico 1972). Tahiti inaugure ses installations sportives, Taote Cassiau peut être fier de la réussite finale de la F.G.S.S. y
associant les tâches ingrates de son centre de presse de Pā’ōfa’i (sous la
responsabilité du C.T.R. de voile Jean Campistron au regard azuré) et de
la cantine de sœur Ambroise… mais le football tahitien est en deuil de sa
défaite en demi-finale contre les Néo-Hébridais (incessants Vanuatu)...
Angéli s’est attaché à rendre efficace la réforme communale intervenue par décret du 17 mai 1972, qui a créé (après Pape’ete, puis ’Uturoa,
ensuite F’a’a’ā et Pīra’e) 44 nouvelles municipalités : 9 à Tahiti et 35
hors Tahiti. La présence militaire navale et aérienne française donne l’occasion au gouverneur de visiter le maximum d’îles et de mieux connaître
les problèmes prioritaires des archipels, pour favoriser à bon escient leur
développement.
• L’avocat-défenseur Rudy Bambridge, – ancien élève de l’Ecole des
Frères, alors âgé de 30 ans en venant talonner Pouvāna’a aux élections
législatives de 1956, – élu conseiller territorial en tête de sa liste (5
novembre 1957), crée aussitôt le parti U.T.D. qui l’en désigne président :
nous sommes à l’époque de l’application de la loi-cadre, Jean-Baptiste
48
Jeux du Pacifique Sud / South Pacific Games.
134
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
Heitarauri Céran-Jérusalémy est président de l’Assemblée Territoriale,
Pouvāna’a est député, mais le torchon brûle chez les ténors du pouvoir à
teinture d’indépendance dans la convoitise du sceptre de vice-président
du pentagone polynésien côte à côte avec le Gouverneur-président. Rudy
s’éclipse comme leader en 1969, pour promouvoir son poulain Jacky
Teuira et mieux se consacrer à sa charge de membre nommé en novembre 1968 et renommé fin 1969 au Conseil Economique et Social, siège à
Paris… et Rudy, érudit châtelain-marquis de Saint-Rémy, outre ses activités équestres, se partage entre l’hippodrome de Nahoata et ses exploitations agricoles et d’élevage en métairie à Pāpara et dans la plaine de
Vaihiria, entre autres terres, à partir de sa résidence familiale de Hāmuta
dans la principauté des Pōmare, auxquels il est attaché et maintenant luimême princièrement allié avec les Salmon.
Le nouveau maire de Pīra’e, qui est natif de Rikitea, prend alors à
40 ans la tête du parti UTD-UDR (juillet 1971) qu’il façonnera ultérieurement, comme se voulant rassembleur de la population, sous le nom de
Tāhō’ēra’a Huira’atira, qu’il domine depuis Vetea.
Aux élections territoriales de 1972, déjà bat pleins sons le « spectre»
à tête de mort (sic !) de la revendication d’autonomie interne, que d’aucuns brandissent comme antichambre de l’indépendance et du chaos…
Et Utato, notre Eustache ma’areva, ancien élève de l’Ecole des Frères et
aussi ancien instituteur, est installé président de l’Assemblée Territoriale
(octobre 1972), où sont également « montés » Frédéric Tūtaha Salmon
(42 ans) à la fine moustache, gentil avec tout le monde, – qui vient de
remplacer son père adoptif Ra’iari’i Tava’e-a-Tevaeara’i, poilu Croix de
guerre 1916-19, figure célèbre de Tautira comme tāvana de 1919 à 1972
– et Elie Nedo Salmon de Pā’ea, à la voix de stentor (orateur-chanteur)
– ancien élève de l’école des Frères mais protestant, ancien sportif
(boxeur-footballeur) et grand animateur des UCJG/U’i-’āpī, conseiller
territorial déjà à 32 ans en 1957 : notre académicien se consacrera évangéliquement en 1973 à la cause du rattrapage carcéral lors du transfert
(depuis novembre 1970) de la carabousse obsolète de Tīpaeru’i au séjour
privatif à miradors de Tefana en val de Nu’utania.
• L’on se souviendra que l’ancien caboteur puis enseignant Alexandre
Le Gayic, feu l’époux de la tāvana de Pāpara et conseillère territoriale
135
Tuianu, aura de 1962 à 1967 fait un mandat de conseiller territorial pondéré, son épouse, directrice d’école à Pāpara, montant au créneau en
1972 dans la filière Tāhō’ēra’a.
• L’avocat Gérald Coppenrath (ancien élève de l’Ecole des Frères et y
ayant enseigné l’anglais à la classe 1951 du BEPC), premier bâtonnier de
l’Ordre (novembre 1972), aura été auparavant élu conseiller territorial en
1957 ; ses collègues l’installent sénateur en 1959 avec comme suppléant le
maire Alfred Poro’i, ce dernier devenant lui-même sénateur en 1962
jusqu’en 1971, alors qu’il aura terminé sa longue carrière municipale fin
1966.
Gérald, au Sénat, a insisté pour l’implantation d’une antenne locale
de l’O.R.S.T.O.M., prolongement dans le Pacifique de l’Institut Français
d’Océanie (I.F.O.) primitivement lancée à Nouméa.
Vers 1970, Gérald avec Eric Lequerré (ancien élève de l’Ecole des
Frères devenu « maître » après un séjour au Trésor puis à la tête de l’Enregistrement-Domaines), Francis Fuller « FFL » (fier vainqueur de la
mémorable finale Fē’ī-Pī /Excelsior de coupe de Tahiti 1948 de football
4-3, devenu militaire de carrière retraité),… animant alors une formation
affinitaire ’Ia Ora’o Polynesia, décident de composer un groupe des
indépendants avec Frantz Vanizette, Charles Taufa, Maco Tevane (cadastreur passé radio-speaker en reo tahiti)... formation amalgamée
Te AuTāhō’ēra’a, leader « Bing » (29 ans, ancien élève de l’Ecole des
Frères devenu inspecteur des Postes et meneur syndical), ce dernier trio
accédant au conseil municipal de Pape’ete en 1966.
• L’ancien marin rochelais « Vani », conseiller territorial plein d’esprit (clamant ironiquement qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent
pas d’avis – formule utilisée par Alfred Poro’i dans le vote du vœu du 6
décembre 1962 pour le retour de Pouvāna’a), élu depuis 1957, réélu en
1962 puis 1967 et 1972, alternant ses capacités de président avec Jean
Millaud (tête du parti Te ’Ē’a’Āpī) et John Teariki (Here ’Āi’a), à l’Assemblée et à la Commission permanente, tout en assurant la direction de
l’institution Caisse des prestations familiales (future Caisse de prévoyance
sociale)… « Bing » développe une grande activité, devenant conseiller territorial en 1967, et est réélu en septembre 1972, en même temps que le
comptable Michel Law (ancien élève de l’Ecole des Frères, qui aura été
le premier conseiller territorial sino-polynésien), tandis que Maco et
« Bing » vont côtoyer Teuira au Conseil de gouvernement que viennent
136
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
de quitter, en particulier, le jeune douanier Coco Laurey (ancien élève de
l’Ecole des Frères, collégien à La Châtre, passé par l’ENA de Paris) et Jean
Juventin du Here ’Āi’a.
On notera que Coppenrath (auteur d’un livre de référence Les Chinois à Tahiti, 1967), dès son entrée en législature politique, présentera le
dossier ayant amené l’intégration dans la nationalité française par Charles
de Gaulle de la communauté des immigrants chinois depuis ’Ātimaono,
intégration instantanée en 1967 à la faveur d’élections, affaire vivement
débattue à l’époque à l’Assemblée Territoriale et dont se plaît à le rappeler l’ancien champion cycliste devenu conseiller territorial (élu en 1957),
ingénieur des ponts-et-chaussées, Edwin Atger d’avoir vivement protesté
dans un rapport, à consulter aux archives, l’assimilation chromosomique
n’étant pas constatée ni évidente dans les mœurs après un siècle, sinon
une incrustation possessive.
Le Gouverneur Angéli termine son séjour le 31 juillet 1973, alors
que le Centre Polynésien des Sciences Humaines (élaboré par l’ethnologue Danielsson, sur commande du précédent gouverneur Sicurani) a
trouvé son site dans la propriété Genin acquise par le Territoire à
Puna’auia. Il avait fait subir au notaire Marcel Lejeune (ancien militaire
grièvement blessé à la Seconde Guerre mondiale et chevalier de la
Légion d’Honneur), en septembre 1970, le décret expulseur du 24 mai
1932 pour interdiction instantanée de résidence, suite à un comportement
soupçonné subversif à la veille d’une visite ministérielle à Tahiti…
Le journaliste Jacques Gervais des Débats, dans l’époque agitée
antérieurement et postérieurement à 1958, avait supporté pareille mésaventure ; tandis que dans l’ambiance antinucléaire l’ethnologue du « Kon
Tiki » sera suspendu de sa charge de consul honoraire de Suède à Tahiti,
en septembre 1977, par Angéli le champion de la force de frappe nationale. Mentionnons que la loi statutaire du 12 juillet 1977 a abrogé (à tort
ou à raison ?) par son article 72, entre autres décrets, le décret autoritaire
de 1932 contre les indésirables et/ou perturbateurs…
On aura noté que, comme Francis Sanford à Fa’a’ā et Gaston Flosse
à Pīra’e, John French Teariki, de tāvana mata’eina’a de ’Āfareaitu, est
devenu maire de Mo’orea à la communalisation nouvelle de 1972.
137
Dans son entourage politique immédiat, son ex-beau-frère Henri Bouvier,
habile artisan d’art en gravure et sculpture notamment et de la plume
aussi habile que du stylo à bile, anime laborieusement les discussions à
l’Assemblée avec Daniel Millaud et Frantz Vanizette au niveau spirituel
du Front Uni autonomiste : les trois métropolitains polynésianisés de la
scène politique locale.
• Ouvrons ici une parenthèse anecdotique à propos de René Pailloux
qui exploitait la boutique de curios SONABO à l’ancien bloc Vaimā. A
un jeune « pur demi » (ça existe !) d’une vingtaine d’années, qui l’avait
dérisionné (oh !) en « taioro » avec le geste russe koukish du pouce serré
entre l’index et le médius – geste bien mā’ohi d’ailleurs et tombé en
désuétude – le bien connu papa’ā avait rétorqué qu’il était plus Tahitien
que lui, nonobstant sa condition sociale de non-supercision, puisqu’il
avait vécu plus d’années sur cette terre attractive (une quarantaine d’années) et fait l’effort de causer le tahitien…
• Le Parisien Henri Bouvier a 20 ans quand il arrive à Tahiti (1932),
il parcourt vite la Polynésie médiate et profonde ; il épousera en 1937 à
Pape’ete, en premières noces, Pauline Teariki de ’Āfareaitu, mère de
Jean-Pierre (1942). Elu conseiller municipal de Pape’ete en 1966, le
recours du clan Poro’i rend caduque en 1968 son élection (avec 3 autres :
Jean Tapu, d’une part ; Jacques Laurey de ’Ārue et Yen Howan, d’autre
part) hors quota comme résidant à Pīra’e, mais les élections partielles
profiteront à l’entente autonomiste la cause étant déjà entendue (comme
déjà signalé plus haut). Et Bouvier sera néanmoins propulsé conseiller
territorial en 1967, pour alterner comme président de la Commission permanente et vice-président de l’Assemblée Territoriale durant la mandature de 1967 à 1972. Ainsi s’exprime le Père O’Reilly :
« Travailleur opiniâtre, homme de droiture et dévoué à la chose
publique, H. Bouvier est entré à fond dans les responsabilités que lui
avaient confiées ses mandants. C’est lui, souvent assisté de son ami
Daniel Millaud, qui rédige le rapport sur la réforme du statut de la Polynésie Française en vue de doter ce Territoire de son autonomie interne
(1969), la proposition de loi d’autonomie interne de la Polynésie, déposée à l’Assemblée nationale et au Sénat (1970, 1973) »...
S’il a été réélu en 1972, il faut dire que « Riri » a le mérite d’avoir
appris et de pratiquer (même si c’est en saccadé) intelligiblement le reo
vernaculaire.
138
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• Quant à Daniel Millaud, sorti chirurgien-dentiste de Bordeaux,
comme son père il est porteur d’un prénom qui fleure bon la mythologie
locale, Ta’aroa, dont l’incrustation veut rappeler que son pito a été coupé
(c’est donc local ! comme dit l’autre...) ici au Fenua : né à Pape’ete le 26
août 1928. Elu conseiller municipal de Pape’ete en 1966, il est confirmé
en 1968 et réélu en 1971 (maire-adjoint), et translativement conseiller territorial en 1967 réélu en 1972, la tactique du Front Uni l’ayant désigné
solidairement suppléant du sénateur Pouvāna’a en 1974 ; tandis que
Francis Ari’i’oehau Sanford, élu député (alors siège unique) en mars
1967, devançant Teariki, est réélu en juillet 1968 après des élections provoquées par la dissolution de l’Assemblée nationale par le PrésidentGénéral, puis en mars 1973, devançant réciproquement son collègue
« ennemi-ami » de Rikitea Gaston Flosse… Mais si Ta’aroa a le mérite
de s’adonner aux exercices du tahitien, il l’entend bien mais il ne le pratique pas oralement, ce qui rétrécit son plein d’audience, mais il a la
volonté de faire entendre battre son cœur pour son Fenua.
• Les cousins Alban Ellacott (ancien élève de l’Ecole Viénot, ingénieur des travaux publics passé à Cachan) et Joël Buillard (ancien élève
des Frères D+S49 dépaysé de Tīpaeru’i à Talence, pour embrasser l’enseignement en 1957 avec Saturnin Cabral) codirigent activement la
F.O.L.50 ; l’ancien gardien de Fē’ī-Pī , Joël, installé directeur d’école à
Ha’apape, remplacera en mars 1973 à l’Assemblée territoriale son chef de
file ’Ē’ā ’Āpī Francis Sanford.
En juin 1973, le Front Uni a invité à Tahiti des personnalités politiques nationales (J.J.S.S. l’homme du Défi américain ; l’écologiste Brice
Lalonde ; le socialiste de Jarnac, alors premier secrétaire du parti socialiste, François Mitterand, etc.), lesquels feront la promenade de protestation antinucléaire, départ mairie de Pape’ete direction avenue Bruat (siège
de l’Etat) par le front de mer. L’ancien élève de l’école centrale et ancien
instituteur de Fa’anui, devenu chef de cabinet civil (1963) du gouverneur
Grimald, est maire réélu de Fa’a’ā (1971) et sexagénaire en mai 1972
lorsqu’après sa carrière administrative il embrasse à pleins bras un destin
49
Dieu Seul : inscription au frontispice du bâtiment de l’Ecole des Frères, devenue collège
puis lycée La Mennais.
50
Fédération des Œuvres Laïques (F.O.L.).
139
politique. Aussi, en juillet 1973, – alors qu’a été officialisée la loi du 9
janvier 1973 modifiant le code de la nationalité en application de laquelle
l’ensemble des Chinois nés en Polynésie et non encore naturalisés
acquièrent la nationalité française – devant la surdité de la souveraineté
nationale, face aux revendications du bloc autonomiste pour la cessation
des expériences nucléaires en Polynésie, Francis réclame-t-il au souverain républicain l’organisation d’un référendum sur l’indépendance (autodétermination prévue par la Constitution de 1958 de de Gaulle). Le
même feeling avait animé Yannick Amaru (ancien élève de l’Ecole des
Frères passé par Bordeaux), qui fut adjoint au secrétaire général de l’Assemblée territoriale René Leboucher avant d’adhérer pleinement à l’entourage politique de Toni Teariki.
• Frantz Vanizette, lui, arrivé marin à Tahiti passé 25 ans vers 1953,
a épousé Mathilde, fille parmi les nombreux enfants des époux Clémence
Lehartel et Benjamin Céran-Jérusalémy. Ce dernier, s’étant engagé en
1914 pour le front français dans le Bataillon du Pacifique, douanier
retraité, accède à l’Assemblée territoriale, quand y sont également
conseillers son gendre susnommé et son fils Jeannot « J.B.H. ».
« Vani » marquera de son empreinte son passage actif à l’Assemblée
territoriale (depuis 1957), l’urne électorale lui ayant permis de s’y asseoir
depuis 1967 comme représentant indépendant, non-indépendantiste mais
évolutivement autonomiste : « cela est inscrit dans les faits », dit-il pour
calmer le jeu… Mais lorsque Pouvāna’a reviendra dans la Maison du
Peuple, après une absence décennale (1958-1968), son discours en tahitien – alors « autorisé » pour la première fois dans cette langue – ne sera
pas apprécié par le Gouverneur, ni perçu par Frantz, Nédo51 même au
nom de la fraction de conseillers adverse du moment ayant déploré (avec
le secours du renard et de la cigogne ne se comprenant pas devant le
fabuleux fabuliste Jean de la Fontaine) la discourtoise harangue du Metua
envers le représentant de l’Etat…
Au moment de prendre la retraite à la direction de « sa » Caisse des
prestations familiales, « Vani » aura succombé (on le dit après coup, on
l’avait murmuré avant coup) à l’ivresse d’un nouveau mandat espéré aux
51
Est ainsi appelé Elie Salmon.
140
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élections territoriales du 23 mai 1982 et dicté par le virus de la politique
(les affaires publiques). Quiconque aura locuté avec lui daignera ne pas
lui dénier son vif esprit de sel !... Aux journalistes photographes venus
l’encadrer à l’Assemblée, le truculent et malicieux Vani ne les a-t-il pas
jovialement accueillis : « Tant qu’à faire, prenez-moi sous mon meilleur
profil… c’est-à-dire de face ! ».
Ancien président du « club » Fē’ī-Pī (dont il fut lui-même un futé
footballeur, vainqueur de la coupe-minute 1953, grâce à son but d’un tir
fourbe et courbe calculé...), quand le véloce ailier droit Eugène Aubry
déboulait pour marquer imparablement, Frantz pousse une gueulante :
«où il y a Eugène, il n’y a pas de plaisir… » pour l’infortuné adversaire !... Lors de ses premiers pas en tournées de propagande politique,
Francis dixit, il s’était essayé à déclamer quelques bribes en tahitien : «
Terā tiure mea maita’i, terā tātā, mea’ino », pour vouloir dire que la loi
(ture) est bien faite mais c’est l’homme (ta’ata) qui l’applique mal, les
plaisantins ayant compris autrement question prononciation. Et moult
autres reparties, plus fines sinon scabreuses, que les règles de la bienséance empêchent de signaler ici !...
• L’Assemblée Territoriale, ayant réclamé l’introduction de la langue
vernaculaire dans le programme scolaire, a créé par délibération une institution : l’Académie Tahitienne, laquelle, après son installation officielle par
le gouverneur Daniel Videau le 2 juillet 1974 dans la salle du conseil de
gouvernement, se co-désignera désormais Fare Vāna’a. Les 20 nommés
initiaux sont Mesdames : Geneviève Cadousteau épouse Samuel Clark,
Flora ‘Urima épouse René Devatine, Rosa Perez épouse Rudolph Klima et
Antonina Pēni, et Messieurs : Père Hubert Coppenrath, John Doom,
Mehao ‘Āmē Huri, Alexandre ‘Aritana Holozet, Joseph Kimitete, William
Lagarde, Paulo Langomazino, Yves Lemaître, John Temari’i Martin, Raymond Vānanga Pietri, Paul Prévost, pasteur Samuel Ra’apoto, Elie Nedo
Salmon, Francis Ari’i’oehau Sanford, Roland Coco Sue et Maco Tevane
alias Marc Ma’ama’atuaiahutapu, ce dernier en devenant le directeur ou
vāna’a-nui élu le 28 février 1975. Et ce sera le 29 novembre 1978 que le
Conseil du gouvernement de Francis Sanford déclarera le tahitien langue
officielle comme le français dans le Territoire. Au sein du Fare Vāna’a, il
faut signaler la constance de père Hubert chargé des destinées de la Commission de la langue tahitienne qui s’est attelée, entre autres missions, à la
confection du futur Dictionnaire tahitien-français et français-tahitien.
141
En août 1974, à 43 ans Eric Lequerré succède comme conseiller
économique et social du Territoire en France à Rudy Bambridge, ce dernier étant nommé le 4 septembre comme conseiller technique des T.O.M.
auprès du secrétariat d’Etat d’Olivier Stirn (jusqu’en janvier 1977).
Le 9 novembre 1975, le pharmacien Henri Jacquier s’est éteint à
Pā’ea, la direction le la S.E.O. passant alors peu après entre les mains du
dentiste Paul Moortgat.
Durant la dernière période du mandat du maire Tetua Pambrun, tendance ’Ē’a’Āpī avec la présence notamment du sénateur Daniel Millaud
et de Louis Mai’otu’i, Anthelme Buillard, Louis Chavez, etc., les collègues de la tendance Here’Āi’a-Teariki tels que Frédéric Ellacott et
Tonio Leboucher, tous deux anciens élèves de l’Ecole des Frères (Tonio
ayant été un footballeur remarqué à Excelsior), ont exercé une activité
écoutée auprès de leur leader, tandis que Jean Juventin tissait sa trame…
Une lecture tardigrade des ouvrages du journaliste-écrivain Philippe
Mazellier (Tahiti de l’atome à l’autonomie, Hibiscus Editions, 1977, et
Tahiti autonome, 1990) – qui a lancé le Journal de Tahiti (en compagnie
de Michel Anglade, Jean-Baptiste Vernier alias Jean Verneuil pour la
rubrique sportive, Alain Mottet puis François Nāna’i) puis créé La
Dépêche de Tahiti (août 1964) avec le sous-titre « indépendant et objectif » aujourd’hui messeyant – est l’occasion mnémonique, grâce audit
auteur, d’extraire ci-après les événements qu’il a choisis et relatés selon
sa perspicacité à partir de 1963 et concomitants des mandats des maires
Tetua Pambrun et Jean Juventin. Le parcours rétro de ces deux volumes
abondamment illustrés s’accompagne du plaisir de redécouvrir des
visages d’époque, aussi bien des lieux que des figures humaines
aujourd’hui devenues d’hier.
En 1965, ouverture de la clinique Cardella (16 avril), inauguration du
musée Gauguin de Papeari (15 juin), – (Episode se rapportant à ce dernier : le constructeur est l’ingénieur Edwin Atger et l’architecte-correspondant Rodolphe Weimann qui livrent l’enfant du Père O’Reilly au titre de
la Fondation Singer-Polignac en août 1964 ; le sieur Alban Ellacott,
142
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ingénieur nouveau chef des T.P., ayant été chargé de déloger, en juin
1965, le couple de tiki Moana et Heiata alors dressés devant l’ancien
musée-jardin botanique sis à Māma’o (emplacement du dispensaire), tiki
se trouvant à Pape’ete depuis leur transport par navire en 1933 depuis
Ra’ivavae, pour désormais accueillir les visiteurs de Gauguin au Jardin
Harrison Smith et laissant planer leur mana) ; – incendie criminel de nuit
des Affaires économiques rue Gauguin (27 septembre) et inauguration de
Télé-Tahiti à ’Orovini (16 octobre).
En 1966, inauguration du ciné drive-in à ’Ārue (29 avril : 454 placesvoitures et tribune de 550 places), qui connaîtra un succès klaxonnant certains soirs de grand écran sensationnel en plein air, quand la théorie de
bagnoles se presse au guichet, comme pour la superproduction américaine
Les Dix commandements de Cécile B. De Mille (gesticulant alertement à
73 ans sur les chantiers de tournage en 1955 ; et le film attirera des queues
de spectateurs devant le Rex et autres super-salles des grands boulevards
de Paris). Ultérieurement sur la colline de ’Ōutumaoro, le Ciné drive-in
Faugerat/Cheneson apportera un partage de concurrence mais le recul de
fréquentation après l’apparition de la télévision amènera Cheneson à
renoncer à son drive-in envisagé à Taravao… puis les deux cinés de plein
air (d’ailleurs à écran flou les nuits de clair de lune !) durent disparaître
faute de spectateurs. Mais à Pape’ete, Kativinika réussira à maintenir le
Māma’o Palace malgré des hauts et des bas, comme le Rex futur Liberty
puis le Concorde, le grand écran offrant un spectacle autrement plus
appréciable que la petite lucarne familiale. Peu après l’ouverture du Ciné
drive-in de ’Ārue, avait fonctionné sur la ligne droite de Pīra’e, après
Hāmuta, un petit drive-in restaurant avec root-beer de courte existence,
son propriétaire infortuné demi-Marquisien/demi-Américain Rambeke,
venu d’Amérique s’installer ici à cette occasion, ayant été victime de nuit
d’une fatale agression en son home même.
Se déroulent les seconds Jeux du Pacifique-Sud à Nouméa en
décembre 1966, où Tahiti remportera médaille d’or en football et en
basket-ball (masculin et féminin) notamment.
Le concours mondial de chasse sous-marine 1965, étant confié à la
France dont l’équipe représentative est composée de 3 sportifs tahitiens
(’Ara’i Mā’eta, Colas Hoata, Jean Tapu), se déroule à Tahiti-Mo’orea, ces
143
derniers devenant champions du monde par équipe, tandis que Tapu
attendra, en septembre 1967 à Cuba, pour remporter le titre de champion
mondial individuel sur l’Australien Ron Taylor qui l’avait devancé en 1965.
Commencés en avril 1964, les travaux de la digue protégeant Fare-’Ute,
œuvre de la société des Dragages, sont inaugurés le 29 juin 1966,
l’extension portuaire étant depuis 1972 sous la responsabilité de l’ingénieur Rodrigue Le Gayic assisté de Jean-Patrick Bonnette.
En janvier 1968, Tahiti (Pape’ete en particulier) connaît des crues
de pluies diluviennes, la Pape’ava débordant vers les magasins en contrebas selon un processus connu (aujourd’hui oublié, depuis l’endiguement
de la rivière sous la rue des Remparts). En février 1968, le navire-cargo
māori emporte vers Rotterdam la première expédition d’huile de coprah
produite par l’Huilerie de Tahiti, directeur Julien Siu. A la Pentecôte
1968, Michel Coppenrath est ordonné archevêque co-adjuteur à 44 ans
dans les jardins de Tepano Jaussen à Pape’ete. Fin novembre 1968, retour
amnistié de Pouvāna’a (déjà relaté) dans un accueil chaleureux.
En août 1969, les troisièmes J.P.S. ont lieu en Papouasie & Nouvelle-Guinée, où Tahiti rétrocède aux Néo-Calédoniens la médaille d’or
de football, mais conserve encore celle de basket masculin (Suva 1963,
Nouméa 1966, Port Moresby 1969), etc.
A Tahiti a vu le jour en octobre 1969 le mouvement pour le planning
familial.
En octobre 1969 aussi, ouverture de la Banque de Tahiti rue Gauguin,
en association avec la Bank of Hawai’i puis avec le Crédit Lyonnais.
En septembre 1970, les appareils Bermuda et Catalina ne voleront
plus, c’est la fin du service – hydravions, commencé en 1950. Le général
gracieur Charles De Gaulle a trépassé le 10 novembre 1970. En février
1971, les Marquises sont rejointes par leur nouvel évêque Mgr Hervé
Marie Le Cleac’h (56 ans), lequel plus tard s’activera dans une retraite
érudite pour se pencher sur les subtilités de la langue et de l’histoire de
la Terre des Hommes.
En mai 1971 fonctionne déjà le nouvel Hôpital de Māma’o, tandis que
Tetua Pambrun a été réélu maire de Pape’ete. Le 14 juillet 1971, Frédéric
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Ellacott (adjoint au Maire de Pape’ete) est mort d’une seconde crise cardiaque au cours d’une sortie de pêche solitaire côté passe de Punaru’u.
Du 10 au 20 septembre 1971, l’inauguration du stade Pater pour recevoir
les quatrièmes J.P.S. à Tahiti confirme la médaille d’or de basket masculin (capitaine le regretté Jean Tematua avec le « vétéran » Stan Hargous
notamment) mais connaît le deuil en football : en ayant infligé 30 à 0
(football et non rugby !) aux Cook, Tahiti se fait cueillir en diurne à Fautau’a par les Néo-Hébridais 2-1, pour se contenter d’une médaille de
bronze à Pater, les Néo-Calédoniens conservant celle d’or… Le 26 septembre 1971, l’ancien député Pouvāna’a revenu des Baumettes est propulsé sénateur pour représenter la Polynésie Française au Parlement de
Paris… Au fil des années, les baraques foraines entre Taraho’i, Place
Albert vers tātahi ; l’époque des fréquentations style « Quinn’s » d’antan
(établissement démoli en mai 1974) s’est envolée, le bal collet monté
Place du Kiosque s’est depuis longtemps « popularisé »… Bal du 14 juillet et concours folkloriques iront désormais Place Vai’ete au quai des
croisières touristiques, le comité des fêtes passant des mains de la Mairie
de Pape’ete en celles de l’Office du Tourisme avec « atavisme »…
Ne pouvant manœuvrer en rade de Pape’ete, le navire France
(315,50 m) mouille en baie de Vairā’ō le 8 février 1972, lors de sa croisière Tour du monde. Le 24 février 1972 a été décidée la fin de la Fédération Générale des Sociétés Sportives (F.G.S.S. fondée et dirigée par le
Docteur Pierre Cassiau depuis 1947) après 25 années d’existence laborieuse ; le relais sera assuré par le Comité Territorial des Sports, installé
en janvier 1973, à partir des comités régionaux et ligues créés depuis
1969, et présidé par Napoléon Spitz, patron du football ainsi que du club
Central Sport.
• Maco Nena, ressortissant de l’Ecole Centrale et du club susdit,
excellent basketteur et footballeur (son frère jumeau Marcel exerçant
comme gardien au « club » J T.) et par ailleurs employé à la brigade
municipale de Pape’ete, participe comme ailier fracassant en football pour
la médaille d’or de Tahiti (deuxièmes J.P.S. 1966 à Nouméa) avant de
s’adonner à la boxe brillamment : médaille d’or poids lourds contre l’immense Samoan Vea Atimalala aux quatrièmes J.P.S. 1971 à Tahiti puis au
tournoi Océania, devenant champion de France amateur toutes catégories
à Rouen (22 avril 1972) face au champion en titre Alain Victor ; mais,
145
retenu en équipe de France préparatoire aux Jeux Olympiques de Munich,
il sera éliminé lors d’une tournée en Pologne. Ensuite, son palmarès élogieux subira aux cinquièmes J.P.S. 1975 à Guam (à 34 ans) un malheureux dénouement face au Wallisien Pelo par knock-out au second round
d’une fulgurante matraque à la tempe alors que Maco menait le combat.
Tino Rossi, à la mi-avril 1972, vient charmer tardivement en chair
et en os le public tahitien par 4 soirées remplies, le parfum corse de Marinella et Petit papa Noël faisant vibrer la fibre sentimentale rétro.
• Basketteur chez Fē’ī-Pī, Francis Nāna’i (frère de François), grand
adepte de la chasse sous-marine, s’est qualifié en tournoi en France dans
l’équipe de France, en septembre 1972, devenant champion d’Europe en
Angleterre (à 23 ans) ; en 1976, il gagnera en Espagne la compétition
cotée du Mérou d’Or devant le champion d’Espagne Amengual, ancien
champion du monde ; et, en octobre 1977, il devient champion de France
en mer guadeloupéenne, notre champion submarin évoluant ensuite
comme artisan-bijoutier en poe rava. A Biarritz en 1972, Patrick Juventin
s’adjuge le titre de champion de France toutes catégories de « surf » à la
fois en junior (titre qu’il rééditera en 1973), devenant à Tahiti en 1976
champion de France senior.
La carabousse de Tīpaeru’i – qu’a dirigée en particulier Antoine
Coerolli et dont une porte de cellule a été utilisée, après démolition, en
vestige de curiosité dans son salon de coiffure rue des Remparts par
’Anapa Drollet – a disparu chargée d’histoires, de détentions politiques
comme d’aventures diverses avec évasions (geôle-gruyère) : Pape’ete a
perdu son château, les enfermements ayant désormais lieu dans la nouvelle prison de Nu’utania en commune de Sanford (à Fa’a’ā), inaugurée
le 25 novembre 1970 sous gouverneur Angéli. En mars 1972, un vol de
munitions ayant défrayé la chronique est commis par le « commando
Teraupo’o » à la caserne de Fa’a’ā, impliquant surtout Robert Cahn, Bill
Fry, Félix Tehei’ura, Sam You et l’autodidacte Charlie Ching, neveu de
Pouvāna’a mais idéologue indépendantiste à sa manière ; puis en avril
1972, consécutivement à l’enquête du juge d’instruction, a lieu une mutinerie carcérale dévastatrice, pour le budget territorial entre autres ; le
palais de Justice, lors de ces événements, avait émigré dans le Grand
Hôtel rue de l’Artémise (qu’avait occupé en bureaux, précédemment, le
146
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C.E.P.) jusqu’en 1976 à l’achèvement du palais actuel. Le procès du 23
mai 1972 à Pape’ete infligera un verdict considéré sévère de cinq ans de
prison et dix ans d’interdiction de séjour aux fomentateurs sus-désignés.
C’est en mai 1972 aussi que la commune de Pape’ete a installé les premiers parcomètres à la fois tant souhaités et tant décriés…
• Ouvrons ici une parenthèse sportive d’assimilation sinisante ! Aux
débuts des années 50, l’éclectique footballeur-boxeur Afouline avait déjà
mêlé les clameurs diverses du stade-hippodrome de Fautau’a, dans les
matches de football de Sam Min, aux tonitruantes soirées pugilistiques
de l’Etoile Palace à Manuhō’ē. Le bouillant footballeur-boxeur Santiao
apportera ensuite sa dose de participation. En juillet-août 1957, deux
talentueux footballeurs chinois Lai Kui Ping et Yves Chong seront intégrés pour la première fois à la sélection locale pour défendre les couleurs
tahitiennes à Nouméa, dans la traditionnelle confrontation « taratoni-taïpouette » convenue bisannuellement depuis 1953. Après d’autres cas
sportifs, voici maintenant Maurice Apéang natif de Fa’a’ā (septembre
1951) qui devient médaille d’or aux J.P.S. 1971 et aux tournois Océania
à Tahiti (1972) puis à Nouméa, après avoir fréquenté le Bataillon de Joinville et gagné sa place en équipe de France pour les Jeux olympiques de
1972 à Munich où un boxeur américain l’a battu aux éliminatoires ; ses
séjours en France avec les conseils de l’entraîneur militaire Dominique
Ramirez le feront accéder au titre de champion de France professionnel
en super-plume contre le tenant Georges Cottin (abandon au huitième
round) dans la salle de Fautau’a le 1er juillet 1978. Battu à Valence le 13
mai 1979 par Charlie Juriette (qu’il avait battu précédemment à Fautau’a)
sans pouvoir ainsi disputer le titre européen, il s’arrêtera de boxer pour
être mūto’i municipal à Fa’a’ā.
Au-delà des sportifs, élu conseiller territorial le 29 mai 1977 avec
Michel Law (Pupu Taina), accède dans l’arène du peuple Arthur Chung
(Tā’atira’a Polynesia) lequel seul est réélu le 23 mai 1982 pour laisser
place à son collègue John Vognin dans la seconde moitié de ce dernier
mandat territorial (l’ancien Jean-Baptiste Wong Yen Yee de l’Ecole des
Frères, à l’écriture soignée et aquarelliste scolaire de Frère Léofane, étant
par ailleurs un collectionneur d’arts étonnant et qui a fait son service militaire au BIMAT...). S’il ne faut pas oublier les frères Hyacinthe Aline et
Paul Chichong dans cette évocation sino-franco-polynésienne, invitons le
147
lecteur à parcourir avec sagesse l’ouvrage de l’association Wen Fa Histoire
et portrait de la communauté chinoise de Tahiti (1979, Ed. Gleizal).
Lors de la Toussaint 1972, le député-maire Francis Sanford souhaite
auprès du Gouverneur que, à l’instar du monument sis entrée cimetière
de l’Uranie dédié aux marins français morts dans les combats de 1844 à
Tahiti, soit élevé pareil monument à Fa’a’ā, « à la mémoire des héros de
Fa’a’ā morts en 1844 au cours des combats contre les soldats français
pour protéger leur île et leur indépendance ». En 1972 a été mis en route
le CNEXO à Vairā’ō, axé d’abord sur l’exploitation de la crevette.
Au bas de l’avenue Bruat, de Gaulle désormais trône sous forme
d’un mémorial dû à l’architecte Weinmann, combinant symboliquement
le faciès de haute stature du général avec une allure de croix de Lorraine,
dans une double silhouette pouvant rappeler une clé à molette, diront
abusivement certains non-artistes ; il faut, toutefois, signaler la non-adhésion de principe du conseil municipal pour le choix du lieu d’érection au
croisement avec le boulevard des Pōmare (nom de la double voie du front
de mer), la cueillette-souscription publique de 1935 n’ayant toujours pas
donné naissance au monument dynastique.
En février 1973, le money maker venu d’Autriche par correspondances postales fait fureur, la fièvre s’achevant rapidement suivant le système même de participation selon la loi du nombre, des tentatives locales
de convoitise ayant pris le relais sans durer devant la Justice. A démarré
en décembre 1973 le CPSH à Puna’auia, sous la direction de l’ethnomuséographe Anne Lavondès et où se trouve l’essentiel du patrimoine de la
S.E.O. qui a conservé son siège et une fraction archéologique en
l’ex-musée chez Bailly à Pape’ete.
En juin 1973, le bataillon français de la paix pour la croisade antinucléaire, engendré sous Pompidou, harangue la foule à partir du perron
symbolique de l’étage de l’école-mairie, J.J.S.S.52 en tête, puis défile dans
les rues de Pape’ete avant de voguer vers Moruroa aux frais de l’association « Les Français contre la bombe », ledit atoll étant devenu capitale de
la France nucléaire. Alors toujours dans l’ancienne mairie de Fa’a’ā,
52
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
148
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Francis Sanford a adressé le 20 juillet 1973 au président de la République
un télégramme disant que, « si la France continue à faire ses expériences
nucléaires chez nous, les deux parlementaires du Territoire (député Sanford et sénateur Pouvāna’a) demanderont, par l’intermédiaire de l’O.N.U.
et auprès du Parlement, un référendum sur l’indépendance de la Polynésie Française ». Pierre Angéli s’en va le 31 juillet, Daniel Videau arrive
le 11 août.
Le 9 juillet 1973 est inaugurée la troisième banque locale « Banque
de Polynésie » à l’emplacement des anciens Magasins Sin Tung Hing (la
Banque Chin Foo y ayant fonctionné jusqu’en 1934, où elle dut fermer
suite à l’Affaire commerciale dite Kong Ah), en association avec la
Société Générale et la First National City Bank (jusqu’en 1977). L’artisan
de cette opération René Siu, résidant en Californie et y retournant, périt
dans l’accident d’avion Pan Am survenu de nuit le 22 juillet 1973 au
large de la digue de Motu-Uta.
• Signalons les mémorables incendies, survenus en 1974, du supermarché Aline jouxtant SOMAC (nuit du 24 mars), du bloc Fare Tony (nuit
du 9 mai) à Pape’ete et du bar-dancing-restaurant en pandanus, rendezvous des festoyeurs noctambules à ’Ārue : le Pū’o’oro Plage (avec attractions contrôlées de dénudation), incendie vespéral du 8 juin. L’on n’aura
pas oublié le spectaculairement fascinant incendie matutinal du vendredi
23 juin 1969, démarré à l’Hôtel Pacific dans l’ancien quartier Vaihiria et
rue Jeanne d’Arc, ayant mobilisé divers intervenants pompiers, dont un
bazooka d’eau du lagon… et y sera construit le bloc Vaimā actuel, le
représentant propriétaire du quartier ayant décidé de le rénover alors.
• C’est ici l’occasion de faire un effort mnémotechnique pour se rappeler avec une clarté eidétique l’ancienne image de la façade en rez-dechaussée, rue Jeanne d’Arc vers Notre-Dame : Anita Chaussures, Toni
Photo, Garage Guilbert ; Hope-te-Au Vitamine (de Baldwin Bambridge)
puis Morgan Vernex, Caprice de Paris et Bière Manuia, Horlogerie Martin,
Nautilus/Chambon ; à l’angle R.C. face Notre-Dame : Savoie/Importex,
Limonaderie Gazor (Gaston Flosse père), Phocéa (Mme Mamita Dufour)
puis Bijouterie Alfred Mourareau – (le sympathique joaillier Féfé dit
‘A-Mu-raro, longtemps animateur du cyclisme FGSS, artiste-peintre par
ailleurs : auteur d’une seyante fresque dans le hall du bâtiment des PTT
149
précédant l’actuel immeuble étagé, décédé à Pape’ete le 1er juillet 1979) ; –
Magasin d’alimentation Océania avec Boucherie Te-mau-Hoa Afolin, puis
Galerie Bouloc ; Curios Cambridge Manuia, Lingerie Mémène, Passage
Frank Fay, Restaurant Maeva de Mme Angèle Marchand épouse Willy
Bambridge – (resto-pension fréquenté, où nuitamment la patronne fut
agressée par deux voleurs légionnaires le 28 août 1964 et faillit passer
ad patres) – Magasin Chic, Phalène Couture, Permanence syndicale taxi
Mou’a, Pneus Marchal au coin ; rue Bréa : Ets Hamon, Alimentation Silliau, Ets ménagers Laurent Le Bihan (nouveau distributeur de bonbonnes
de gaz) ; Façade mer : angle Messageries maritimes, à l’étage Dentiste
Simonet ; passage Bambridge/Charles Brown, Siquin Textiles/Bata
(époque Léty), Vaihiria (café-bambou de Rōti Tong You/Phineas Bambridge) – (le Vaihiria ombragé de cerisiers bord-de-mer face au mouillage
des yachts, dont furent celui de la superbe patronne du superbe Reposado,
le Valrosa de Marc Danois, le Wanderer (futur naufragé) de l’acteur Sterling Hayden alias Johnnie Guitar… des goélettes Florence Robinson,
Tumuhau, Denise… des navettes Mitiaro, Tamari’i Tahiti (de Le Prado)
puis le Kēkē (de Pierre Sachet)..., des cotres poissonniers, dont Moana-’oterā, qui finit tristement) – Curios Sonabo, Farnham Ménager, Syndicat
d’Initiative, Curios Elma Dexter. Angle face Ets Donald : Hôtel Pacific et
Hôtel Mo’orea à l’étage ; au rez-de-chaussée : auto-école Berdichewski
mais Bata auparavant (époque des frères Zwiebel : l’un à la jambe raide,
l’autre sportif officiant en arbitre de football FGSS et installé depuis en
Californie – Bata ayant plus tard occupé l’angle des anciens magasins
André Lorfèvre/Bouzou Frogier au coin opposé des anciens magasins
Wing Man Lung), puis Rose-Marie textiles (de Kathie O’Brien épouse
Coqui Grand). Adieu vieux quartier chargé d’histoire !…
Mort de Georges Pompidou le 1er avril 1974, le scrutin du 19 mai
(deuxième tour) désignant Valéry Giscard d’Estaing troisième président
de la cinquième République.
Dans le Territoire, l’idée lancée activement vers I960 par l’opiniâtre
Jean-Marie Domard, alors à la tête du service de la Pêche, a fait un chemin
éloquent : l’industrie de la perle noire aux Tuāmotu par opération de greffage chirurgical style japonais, au départ expérimental via la Société perlière de Mānihi (animée par Jacques Rosenthal et Coco Chaze), va se
promouvoir comme fierté locale première, Sixte Stein véritable prolongeur
150
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de Domard ayant développé les coopératives de méléagriniculture perlière, dont les expériences seront concluantes dès 1978.
En décembre 1974, est commercialisée l’Eau royale Vaiari’i de
Papa’oa (’Ārue), affaire devenue concluante quand la pollution
aujourd’hui fait craindre la consommation de nos eaux au robinet.
Le gouverneur Schmitt, veuf, épouse Madeleine Roufflignac le 10
juillet 1975 par devant le maire Tetua Pambrun à Pape’ete, union bénie
en l’Eglise Maria nō te Hau par Mgr Michel Coppenrath. Le 23 octobre
1975, le « commando Teraupo’o » du vol de munitions (signalé plus
haut), reconnu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence comme « prisonniers politiques » (ainsi bénéficiaires de la loi du 16 juillet 1974), est
accueilli à l’aéroport de Fa’a’ā, en provenance des Baumettes, par le
sénateur Pouvāna’a. Le 17 novembre 1975 est fondé ‘Ia Mana te Nūna’a,
siège rouge et blanc à Pā’ōfa’i, tendance à gauche toute, mais distincte
de la fleur-symbole politique socialiste : rose grenat, avec penchant écologiste et en vue de l’indépendance, annonce son secrétaire général Jacqui Drollet. Charlie Ching se rebiffe en fondant avec Félix Tehei’ura son
parti pour l’indépendance Te Ta’ata Tahiti Ti’amā (15 janvier 1976) ;
Robert Cahn s’en distingue en créant son parti ’Āmui tātou nō te
ti’amāra’a o Tahiti… pour se retirer dans le calme à Ra’iātea.
La grandiose arrivée de Hokule’a a été saluée le 4 juin 1976, alors
que le Front Uni a bloqué l’Assemblée Territoriale le 10 juin, empêchant
le Gouverneur Schmitt d’y accéder, etc. Fermeture occupée qui durera 10
mois. Le pasteur Samuel Ra’apoto meurt d’une attaque cardiaque le 15
juin 1976.
Participant à Hawai’i, pour la première fois, à la course annuelle de
pirogues de Moloka’i, du Diamond Head à Oahu (85 km), les rameurs
tahitiens remportent le titre catégorie coque plastique (non-koa) en 1975,
raflant les premières places en 1976 toutes catégories. Acquéreur en 1975
du tableau « Le Rêve » de Gauguin (1892), Paul Yeou Chichong le confie
en dépôt permanent au Musée de Papeari.
• Le 10 janvier 1977, Pouvāna’a meurt après coma à presque 82 ans
(né le 10 mai 1895) ; sa dépouille sera exposée dans la salle des mariages,
151
le cortège funéraire à pied prenant la direction du Temple de Pā’ōfa’i puis
du cimetière de l’Uranie 3ème plateau. Aux élections du 29 mai 1977,
Henri Bouvier a été évincé de la liste Here ’Āi’a, tandis que le Front Uni
compose la majorité pour inaugurer la première version d’autonomie dite
de gestion mi-juillet 1977, où Charles Schmitt quitte son couvre-chef de
gouverneur pour celui de haut-commissaire de la République, le conseil
de gouvernement désigné le 22 juillet à 7 membres (dont ’Ātā au Tourisme et ressources océaniques...) comportant Francis Sanford comme
Vice-président. A Paris, l’ex-gouverneur Sicurani, alors ministre plénipotentiaire de France à Monaco, vient de mourir d’une leucémie foudroyante.
• En août 1977, décède l’unijambiste Moeroa a Moeroa, célèbre
ti’ati’a himene de Pāpara : Moe venait de faire sa dernière prestation de
tārava tahiti aux fêtes folkloriques du « Tiurai » place Vai’ete. Plusieurs
fois vainqueur en himene avec Pāpara, il était né à Mataiea (13 avril
1899), ayant perdu une jambe vers 40 ans dans une manutention en goélette, d’où le pilon caractéristique avec sa silhouette moustachue de
Taraho’i d’autrefois à Vai’ete d’hier.
Côté pirogue, en août 1977 aussi les rameurs tahitiens vont en Californie gagner la plus longue course du monde (110 km : Marina Del ReyNewport Beach) : 1er Tautira et 2ème Fa’a’ā en catégorie six rameurs…
En août 1977 également, le secrétaire d’Etat Olivier Stirn vient officialiser les premiers pas de l’autonomie interne53, la poste centrale est
ébranlée par un dynamitage de nuit et l’ancien officier hydrographe, installé à Tahiti, Pierre Chatillon d’Anglejean est assassiné par balle dans
la nuit54 à son domicile du Lotus à Puna’auia, affaire signée Te Toto
Tupuna (un trio de Pā’ea : les frères Marcel et Jonas Tahutini, Guy
Ta’ero), où Charlie Ching est accusé d’en être l’instigateur : les co-inculpés connaîtront quatre années de procès, de la correctionnelle à la cour
criminelle puis en cassation et enfin pour s’achever en 1981 aux Assises
de Versailles.
53
54
A la date du 11 août 1977. Dynamitage de nuit de la Poste le 12 août à Pape’ete.
Dans la nuit du 12 août 1977.
152
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Le 31 octobre 1977, Charles Schmitt, en faisant un tour en speed
boat en lagon à Puna’auia avec son épouse, meurt dans le chavirement
par les vagues ayant fracassé le bateau. Il sera remplacé par Paul Cousseran nommé fin novembre 1977. Un an après le décès de Pouvāna’a, la
télé-couleur est diffusée par « Télé Tahiti R.F.O. ». Une sauvage mutinerie éclabousse le sang dans la maison d’arrêt de Nu’utania (directeur
Nédo Salmon : père, et sous-directeur Tehina Salmon : fils) au week end
du 14 janvier 1978, faisant deux tués : le gardien Pierre Pā’ū Hoatua, originaire de Porapora, massacré par les détenus mutinés, et Nadir Masters
de Makatea, un détenu descendu par un tireur d’élite lors de l’assaut des
gendarmes, soldats et mūto’i ; tandis qu’un jeune détenu, épouvanté par la
scène du massacre de Pā’ū, se pendra un mois plus tard ; le policier victime
du devoir sera enseveli avec citation à l’ordre de la Nation. Il s’agit là
d’un souvenir pénible dans les réflexions politiques en découlant pour
l’accession à un modus vivendi le plus approprié pour ce pays. En cour
criminelle de Pape’ete, le 10 avril 1979, les sept principaux mutins responsables seront condamnés à des travaux forcés à perpétuité, vingt,
quinze et cinq ans de réclusion criminelle, six autres passant en correctionnelle ; cependant que les assises de Versailles en avril 1982 commueront ces peines : de dix ans de réclusion criminelle (pour Emmanuel
Tauhiro) à quatre ans de prison aux complices ; avocats et accusés
s’étaient entendus pour ramener constamment le procès sur le terrain politique de l’indépendance et de l’antinucléaire, correspondant d’ailleurs aux
graffiti et slogans étalés dans le paysage par les mutins enfermés, Charlie
Ching dans une cellule à part n’ayant pas été impliqué dans cette affaire.
L’on se souviendra des grands graffiti, dans les années 1952 à 1956 par
exemple, « U.S. Go Home » peints de nuit sur les parapets des quais de la
Seine (à cause de la présence américaine permanente du S.H.A.P.E.55 à
Rocquencourt), bien après le débarquement salvateur du 6 juin 1944 des
Alliés répondant à l’Appel de C.d.G. du 18 juin 1940 et ayant laissé de
sanglantes traces en Normandie occupée puis bombardée ; si le rapprochement ici de slogans exacerbés en certaines circonstances peut paraître
déplacé, il invite à mesurer les cogitations.
55
Supreme Headquarters of Allied Powers in Europe = quartier général des forces alliées du
pacte de l’Atlantique Nord installé en France en 1951 à Rocquencourt, Yvelines, et depuis
1967 à Chièvres-Casteau en Belgique.
153
En 1978, le 5 février, le Cunard mastodonte Queen Elizabeth 2 (long
de 320 m) fait une entrée risquée, quant à « elle », dans la rade de
Pape’ete ! Au premier tour du 12 mars, Jean Juventin (Ouest) et Gaston
Flosse (Est) sont élus députés de chacune des deux circonscriptions ; jouissant encore de ses droits civiques tout en étant incarcéré comme inculpé de
participation dans la suppression de d’Anglejean sus-évoquée, Charlie
Ching a fait acte de candidature à l’Ouest à partir de son lieu d’enfermement. Patron de la Conserverie du Pacifique (Copa à ’Ārue), Robert Wan
inaugure le 10 avril 1978 son usine de production de corned beef dit punupua’atoro Hellaby (recette de la fameuse maison de Nouvelle-Zélande),
avec de la viande bovine congelée importée… le gros bétail local étant insignifiant. Dans le Fare Tony, le Conseil économique et social, fraîchement
né, entre en exercice le 28 avril 1978 (il s’installera plus tard dans le bâtiment colo superbement rénové, dans l’ancienne cour des Travaux publics
en bas de ’Oro’ura, qui sera achevé courant 1990), Joël Allain cadre
d’E.d.T. étant le 1er président élu de cette nouvelle institution statutaire.
Fondée le 4 avril 1973, la Société de commercialisation et d’exploitation
du poisson (S.C.E.P., siège à Fare-’Ute), lancée dans la pêche industrielle
en haute mer à l’appât vivant à partir de ’Apataki, soutenue par le Territoire, échoue dans son expérimentation prometteuse, à la grande déception
de son actif patron Warren Ellacott, le Territoire transformant ladite opération le 7 janvier 1980 en Sté Nouvelle C.E.P., directeur Rodrigue Le Gayic
alors directeur du Port Autonome, qui déposera le bilan en décembre 1982.
Dans le même temps, l’élevage de Chanos chanos à Ra’iroa restait
embryonnaire. Le 21 mai 1978, le capitaine Josias Furneaux d’outre-tombe
assiste peut-être avec Francis Sanford et Joseph Lehartel Jr. à l’extraction,
par 32 m de fond en lagon de Tautira, de l’ancre perdue par l’Adventure
(naviguant de conserve avec le capitaine de l’expédition James Cook commandant le Resolution) le 16 août 1773. Le radier submersible construit en
1949 sur la route de Tautira en travers de la Vaitapiha, qui a été témoin de
tant de baignades aux haltes du « Tour de l’île », a été remplacé par un pont
solide inauguré le 23 mai 1978.
En juin 1978, le producteur italo-américain Dino de Laurentiis vient
tourner à Porapora le controversable film Hurricane, tiré de l’œuvre commune de James Norman Hall et Charles Nordhoff (basé sur le cyclone
ayant dévasté les Tuāmotu en 1903) ; il investit aussitôt dans la construction d’un hôtel, pour loger le personnel cinématographique, devenu Hôtel
154
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Marara… Le maire de Paris Jacques Chirac, qui vient de remporter pour
le RPR les élections législatives, rend visite à Tahiti le 20 juillet 1978 où
son « frère » Paulet Flosse lui a organisé un accueil triomphal.
Pour la Noël 1978, le maire Emile Vernaudon exhibe la nouvelle
tenue des mūto’i de Māhina, coiffés d’un chapeau cow-boy type Dallas
avec l’étoile de Vénus, valant depuis au maire le surnom d’autorité de
Shérif.
Le 20 janvier 1979, la cour criminelle de Pape’ete juge l’affaire
Te Toto Tupuna (signalée ci-dessus en août 1977) qui aboutit au verdict
suivant : vingt, dix-huit et dix ans de travaux forcés aux quatre du commando et dix ans de réclusion à Charlie Ching ; les condamnés étant discrètement évacués nuitamment, via Hao, Guadeloupe et Roissy, par avion
militaire, pour internement à la prison de Fresnes.
La cour d’assises de Pape’ete ayant été instituée par la suite, le verdict de la cour criminelle (devenue vestige colonial) sera annulé le 5
décembre 1979 par la Cour de cassation ; le second procès, ouvert à Versailles le 13 janvier 1981, aboutit le 23 au verdict suivant : quinze à dix
ans de réclusion criminelle aux quatre principaux condamnés, cinq ans
de prison à Charlie Ching, les deux autres comparses étant libérés immédiatement (l’un acquitté, l’autre avec remise de peine).
Un couple d’investisseurs italien, les Gonfalonieri, crée en janvier
1978 l’entreprise Tikichimic fabriquant des produits de nettoyage, des
détergents, de la lessive liquide, des flacons plastiques, des savonnettes
touristiques…
La fièvre des charters aériens pour Manille et Baggio aux Philippines auprès des guérisseurs-miracle (pour les désespérés en ulcère à
l’estomac, calculs néphrétiques et tumeurs cancéreuses, les diabétiques
ou cardiaques...) aura peut-être fait illusion deux années, l’imposture
mondialement attestée ayant pratiquement cessé de faire recette courant
1979.
Philippe Mazellier alors moustachu (si, si) qui avait lancé, le 28
mars 1963, le Journal de Tahiti, quotidien d’information (pour le compte
155
de Tony A. Bambridge l’homme au chapeau et à la pipe), ayant cessé le
13 mars 1979, a créé La Dépêche de Tahiti le 3 août 1964 (siège
Fāri’ipiti) pour émigrer plus tard aux abords du pont de Fautau’a.
Depuis 1979, le 5 mars, devenu jour férié décidé par le Conseil de
gouvernement, est commémoré, en présence du secrétaire d’Etat Paul
Dijoud, le 182ème anniversaire de l’arrivée des premiers missionnaires
anglais vecteurs de la Bonne Parole de la London Missionary Society par
le navire Duff, ancré près de la Pointe Vénus (1797). En cette fête de l’arrivée de l’Evangile, c’est ainsi désormais que notre calendrier républicain
local a sanctifié cette date, pour trois jours à Pape’ete se discoure un
« colloque sur le développement touristique des territoires d’outre-mer
du Pacifique ».
Née en janvier 1970, sous l’impulsion du conseiller de gouvernement et suppléant du V.P. Francis depuis le 22 juillet 1977, Yannick
’Āmaru – (ancien de l’Ecole des Frères passé par Bordeaux, où revenant
du travail harassant des vendanges, traînant sa bicyclette percée en bordure de route et notre futur œnologue ayant décliné son nom « ’A-ma-ru »
au gendarme, celui-ci fronça du sourcil : « Je ne demande pas ce que
vous avez à votre roue »… – la SEBAP (Société d’Etudes du Barrage
de la Papeno’o) est actionnée par les frères Howan (Dr Yen et l’ingénieur Yin vivant en Californie) aux fins d’installer un barrage pour produire de l’énergie hydroélectrique. Ladite société devient en 1976
Ener-Pol, siège rue Jeanne d’Arc, à missions plus étendues dans l’exploitation des sources d’énergie hydraulique (captages, exploitation de l’eau),
soutenue initialement par le Territoire, et se transforme en société d’économie mixte en décembre 1978 pour une expansion dans l’exploitation
de tous combustibles liquides ou gazeux. Mais la consultation technique
d’Electricité de France, en 1977, après huit années d’études onéreuses,
va conclure en 1979 géologiquement à une faisabilité risquée du barrage
de Papeno’o, rentabilité non considérée : le projet est classé en juin 1979,
Yannick quittant le conseil de gouvernement.
Grève des armateurs de la flottille interinsulaire locale, accusant
l’Administration de favoriser une certaine concurrence commerciale
déloyale ; elle aboutira à un protocole d’accord le 7 septembre 1979,
après un blocage critique du port de Pape’ete ayant duré sept semaines.
156
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Le président national Valéry Giscard d’Estaing et sa dame AnneAymonne nous rendent visite du 18 au 21 juillet 1979 – V.G.E. est baptisé Teri’ivaetua à Fa’a’ā et Tauhere à Pape’ete où, dans la salle du
conseil municipal, il s’attristera sur la disparition annoncée de l’ancien
bâtiment colonial vétuste. Dans son discours place Taraho’i, il émet le
vœu que le développement économique et social « ne porte pas atteinte
au caractère traditionnel de la vie polynésienne auquel vous êtes légitimement attachés. Votre culture, votre belle langue tahitienne, votre histoire sont pour moi autant de valeurs que la Polynésie doit préserver et
faire connaître ». Son « compatriote » Emile Vernaudon, maire de
Māhina, a soigné son look chevelu pour un accueil guidé grandiose
autour du phare de Tefauroa.
En août 1979 : l’entrepreneur Jacques Favié succède à Eric Lequerré
comme conseiller économique et social d’outremer ; aux 6èmes J.P.S. à
Suva, Errol Bennett mène Tahiti à la médaille d’or de football, battant la
Nouvelle-Calédonie (3-2) en demi-finale et triomphant aisément de Fiji
en finale. Oncle du super-champion cycliste belge Eddy Merckx, le père
Victor Wallons, arrivé en 1940, se retire fatigué en sa Belgique natale le
6 septembre 1979, après avoir consacré 39 ans de sa vie missionnaire
exceptionnelle au service des Tuāmotu et des Pa’umotu en leur causant
intégralement en pa’umotu ; il s’éteindra dans sa retraite le 20 décembre
1986 et, si vous faites une visite à l’Evêché, son buste avec chapeau nī’au
et barbe fournie vous accueille à l’escalier de Mgr Michel Coppenrath à
Pape’ete.
En fin d’après-midi du 5 décembre 1979, par mauvais temps et
grosses vagues à l’entrée de la passe contrôlée et balisée de Pape’ete,
assurant la navette Mo’orea-Pape’ete, le Niumaru chavire dans le remous
du fort courant sortant : treize rescapés vivants (dont deux mioches) vite
secourus par les pilotines du Port, le quatorzième passager un touriste
yougoslave de 6l ans ayant péri noyé (il sera enterré au cimetière de
l’Uranie).
En 1980, disparaissent du paysage des trottoirs de Pape’ete deux
figures clochardes : Emile Tai alias Gauguin (qui exhibait sa bedaine en
marchandant ses nasses de bambou) et Mathieu promenant son ’ōta’a
en soliloquant. En février à Nouméa s’est éteint Jacques Taura’a, figure
157
politique influente auprès de Pouvāna’a avant l’arrivée du C.E.P. ; son
ex-collègue Teariki l’ayant supplanté au sein de son parti en 1966, il avait
repris au marché, entre Pape’ete et Pīra’e, avec sa simplicité et sa jovialité habituelles, ses activités de maraîcher.
La presse locale admirative vante le wonder boy sinon golden boy
Bernard Tapie à son passage-éclair à Pape’ete, le dit-sauveur d’affaires
laborieuses en péril ou périclitantes rachetant en mai 1982 le quatre-mâts
Club Méditerranée (voilier en acier de 72,20m construit à Toulon en
1976 et orphelin de son barreur Alain Colas, mari de Te’ura Krauser, disparu en mer, durant la course dite Route du Rhum, en novembre 1978)
lequel peinait en Polynésie dans l’exploitation des croisières en 19781979 ; nouveau départ donc sous le nom de La Vie Claire.
Visite du ministre de la Défense Yvon Bourges en mars 1980 : les
militants de l’association écologiste ’Ia Ora te Nātura défilent avec banderoles non pronucléaires, son président, l’animateur de Tauhiti, Henri Hiro,
adepte du port permanent du pāreu et remarquable acteur-poète, ayant écrit
audit représentant de la Nation sa pleine contestation quant à l’innocuité
annoncée des tirs. Rebelote de défilé antibombe en décembre 1981.
• L’affable banquier Jean Bréaud et son épouse Tila Nordman endurent un drame insoutenable le week-end du 28 mars 1980 : revenus daredare de Los Angeles parce que leur fils Olivier (H.E.C. de 26 ans, gérant
les affaires familiales de « Tahiti Pétroles » et « Société commerciale
Brenot ») a été kidnappé contre forte rançon. La reconstitution-enquête
révélera qu’Olivier, attiré dans un guet-apens à Pāmata’i, assommé et
amené dans les ateliers « Les Tissages Tahitiens » à Fa’a’ā-plaine l’avantveille, y sera torturé pour être ensuite acheminé à Puna’auia chez les
ravisseurs métropolitains Yves Le Goff (meurtrier récidiviste) et Daniel
Chellé le complice assassin, tous deux ayant réalisé l’entreprise de tissage
avec l’agrément du gouvernement territorial, l’affaire apparaissant non
viable finalement. La radio-télévision venant de divulguer l’enlèvement,
la panique conduit les kidnappeurs à asséner à la barre-à-mine l’infortuné
Olivier, direction Lotus-montagne pour l’enfouir dans un vague passage
d’où la pluie le déterrera : il était mort la veille de l’appel téléphonique à
rançon ! L’enfant de la compagne d’Olivier, Moea Adams, naîtra en août
1980 en Amérique reconnu Olivier-Jean Bréaud.
158
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Le 30 avril 1980, après trois ans de travaux est inauguré, par le H.C.
Cousseran, le V.P. Sanford et l’architecte Weinmann, l’actuel édifice de
la Poste (dont les étages émergent au-dessus des frondaisons à l’entour :
Place Pōmare, Place Taraho’i, Parc Albert 1er, dominant le décor de la
rade de Pape’ete) là où une « nouvelle » poste entre en service en juillet
1962 (fresque Mourareau) pour être démolie en 1977, car devenue trop
petite dès l’inauguration devant les progrès à pas de géant du phénomène
de la télécommunication. La Poste toise ainsi la maison coloniale
Pōmare, survivance modeste d’un passé récent. L’année 1980 est
l’époque de la première desserte de Mo’orea, avec l’arrivée d’Asie
extrême du Tosa rebaptisé Tamari’i Mo’orea.
Le 25 juin 1981, le secrétaire général d’abord adjoint puis tout court
auprès du haut-commissariat, Jacques Fournet (futur préfet de Paris),
coupe le ruban inaugural de l’Usine de jus de fruits de Mo’orea à Paopao,
avec notamment le maire de Mo’orea John French Teariki, etc.
Incendie, le soir du 20 mai 1981, du vieux temple chinois en bois
à Māma’o, dit Tai Kung Chong, construit vers 1876 sur une propriété
acquise par la société de secours mutuel Si Ni Tong (créée en 1872 et
transformée par la suite en société civile immobilière). Le nouveau temple sera inauguré le 1er juillet 1987. La première radio-libre démarre le
18 août 1981 (les frères Aline : Edwin et Albert ; Mario Nouveau...)
émettant de la musique « non-stop », à partir d’un studio au carrefour
du pont de l’Est. Après l’ancien et premier temple protestant construit
en 1908, à Pā’ōfa’i, l’église évangélique inaugure au même endroit le
temple Siroama le 8 août 1981, en présence d’une affluence de choix,
un tāmā’ara’a tahiti réussi ayant été prévu à midi sur le stadium Willy
Bambridge.
Mise en chantier à Fare-’Ute en 1974, la magnifique vedette-navette
de Pierre Sachet pour Pape’ete-Mo’orea, Kēkē 3 (30,40 m ; 200 passagers),
ne sera prête à naviguer, après moult péripéties et déboires dans la
construction et les exigences de la législation, que le 21 novembre 1981...
pour rencontrer une concurrence insupportable de la part des nouveaux
types de transporteurs que sont les ferry-boats apparus depuis courant
1980. Le Territoire finira par soulager Sachet de cette charge en acquérant ce Kēkē en 1989 pour l’affecter aux Marquises en Ka’oha Nui.
159
Ayant assisté à un congrès de la Fédération syndicale mondiale à
Cuba de teinture communiste, à son retour à Tahiti Didier Kintzler (qui se
déclare volontiers adepte du marxisme et qui est, par ailleurs, juriste auprès
de la Caisse de prévoyance sociale) apprend qu’il a été démissionné par le
conseil d’administration quasi-unanime de la C.P.S. (directeur depuis le 12
octobre 1981 : le conseiller territorial d’obédience syndicale ouvrière
Charles Taufā ; président : Ari’imate Braun-Ortega, patron de l’entreprise
d’acconage Cowan). Son licenciement engendrera le 19 mars 1982 une
grève illimitée (légale) du syndicat des gens du ’Āfata Turu-uta’a, la première depuis l’installation en 1963 de celle-ci (C.P.S.), grève dure où se
distinguent Charles Toti, Eliane Soufet, Pierre Chanfour, Jean-Marie
Cheung… entraînant le 25 mars une manifestation des salariés de divers
organismes et services avec participation des dockers, cependant que d’autres tendances syndicales clament s’opposer à une action collective menée
pour servir la cause d’un « semeur de désordre professionnel irresponsable
» et en « accusant l’intéressé de dissimuler des intentions politiques déstabilisatrices, afin d’instaurer une société totalitaire », suite à la grève générale de solidarité déclenchée pour le 1er avril (non légale, dixit l’ITLS et le
juge des référés Renaud de la Faverie : un nom qui connaîtra ultérieurement des faveurs aux fortunes diverses dans notre microcosme politique…
). Les dockers ayant bloqué les activités de manutention portuaire sur fond
de revendications salariales, les interventions séparées du V.P. Francis Sanford d’abord puis de Charles Poro’i (président de la C.C.I. et en cela président du C.A. du Port autonome) dans leur diversion avec l’attitude du
S.G. A. Fournet (en intérim du H.C., Président du gouvernement, absent)
convergent à un protocole d’accord équivoque le 7 avril 1982, le déblocage
portuaire étant effectif le 16 avril… mais l’ambiguïté de la source financière d’apaisement distillera postérieurement les ingrédients qui seront
fatals, dit-on, à Charlot aux élections consulaires de la Chambre de commerce et d’industrie en 1989.
Devant l’Assemblée Territoriale, est inaugurée place Taraho’i lundi
10 mai 1982 (anniversaire de la naissance à Huahine de Pouvāna’a a
’O’opa en 1895, décès relaté plus haut) la stèle du Metua, idée initiale de
l’association Les Amis de Pouvāna’a (fondateur-président Alexis
Vaira’aroa), le buste ayant été commandité par le Pupu Here ’Āi’a de Teariki alors prolongeur de l’ancien RDPT, réglé via Philippe Lou alors
membre de la cellule jeune Hui Tama du Here ’Āi’a auprès du sculpteur
160
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grenoblois Georges Oudot, réalisée en pierre de Vilhonneur. Cérémonie
simple ; aux invités respectables et respectueux s’est joint Gaston Flosse
qui m’a soufflé en passant que Pouvāna’a méritait néanmoins un buste
plus éloquent (entendre : une statue de stature digne du statut d’autonomie
interne de l’An I). Le 23 mai 1982, les élections territoriales digérant l’exFront Uni ont mis en place une majorité (sur trente) de treize (disons 14)
élus Tāhō’ēra’a ayant signé une alliance émilâtre avec les trois élus du
’Āi’a ’Āpī (Napo compris) : Vernaudon présidant l’A.T., Flosse se destinant nouveau V.P. suppléé par Alexandre Teahu-Léontieff, tandis qu’à la
séance d’installation le 1er juin est absent Francis Sanford (unique voix
élue du ’Ē’a ’Āpī), le doyen Toni Teariki (le Here ’Āi’a comptant six élus)
parlant au nom de l’ancienne majorité… et que le lendemain Jacqui Drollet (le ’Ia Mana te Nūna’a comptant trois élus) glosera avec volubilité en
sa langue mater-natale, chose courante depuis. Le nouveau conseiller économique et social chargé des problèmes polynésiens auprès de l’Etat français est maintenant Raymond Desclaux sur proposition fédéralo-syndicale
d’ici et au parfum rose mitigé de French Teariki ici et de François là-bas.
Il faut se souvenir que, localement, François Mitterand (le 4ème Président
de la Vème République élu par 52% contre presque 48% à V.G.E.) avait
obtenu 23,3% contre 76,7% respectivement le 10 mai 1981.
Flosse met fin au rapprochement émiloïde le 21 septembre 1982,
pour incompatibilité d’équations mentales et par idiosyncrasie, l’expérimenté majoritaire étant soupçonné d’émilophagie pour assimiler l’autre –
normal – et le soupe-au-lait minoritaire résistant pour se désinflosser –
normal ! Une alliance, sur le point de se conclure avec Teariki, foire sur
les exigences légitimes car modérées proportionnellement du Here ’Āi’a
(3 sur 7 au C.G.) et Flosse réussit à composer son néo-staff de to’ohitu
suprême grâce à un « glissement » de certains votants à l’A.T. le 13 octobre ; quatre universitaires qualifiés y figurent : les frères Alexandre et
Boris Léontieff, Jacques Tehei’ura et Charles Tetaria, dont trois ont brillé
naguère dans les compétitions sportives aux J.P.S. notamment.
L’épisode « bouches cousues » à la tribune de l’A.T. s’ensuivra du
28 décembre 1982 au 11 janvier 1983, le toujours-Président territorial
Vernaudon ayant… suspendu la séance, clé à l’appui ! Auparavant, la
première quinzaine de novembre 1982 aura été témoin du phénomène de
ferveur apparu avec le Renouveau charismatique lors de la visite de son
catalyseur le père Tardif, vecteur de guérisons potentielles dans la Foi :
161
salle comble à la messe des malades en l’église Maria nō te Hau à la Mission à Pape’ete (mercredi 3), la seconde ayant lieu au stade Pater à Pīra’e
(samedi 13 en fin d’après-midi) : stade et parterre remplis, quel
« populo » ! Vox populi, vox Dei, a sans doute susurré le père O’Reilly y
assistant chaussé de ses malicieuses besicles.
Mais des turbulences atmosphériques baptisent la Polynésie en 1983
de soudainetés dévastatrices : le 22 janvier, des pluies torrentielles s’abattent de nuit sur les Marquises, le cyclone Nano parcourant ensuite une
partie des Tuāmotu (24 et 25), y semant la désolation des atolls touchés
sous l’action conjuguée du vent et de la mer, raclant au passage les Iles
Gambier. En début d’année, signalons que le Haussaire partant Paul Noirot-Cosson a fait place à Alain Ohrel (47 ans). Et voilà qu’encore aux
Tuāmotu le cyclone ’Orama visite méchamment d’autres atolls en février
(21 et 22) ; le cyclone Reva y venant derechef secouer d’autres atolls
oubliés (7 et 8 mars) puis sinistrer les Iles Sous-le-Vent montagneuses
(10 mars), venant même frôler Tahiti (Pape’ete et surtout Pā’ea, 12 mars).
Entre-temps, des élections municipales ont eu lieu les 6 et 13 mars,
où notamment l’agriculteur de Taravao Teariki perd sa qualité de maire
de Mo’orea que lui a ravie Franklin Brotherson ; Tuianu Le Gayic a
évincé Mitou Lehartel, les autres ténors en place ayant conservé leurs
postes, cependant que le modéré officier de marine retraité Alfred Helme,
qui avait succédé à Francis Sanford à Fa’a’ā, a transféré sa magistrature
municipale à l’agent douanier au doux nom Oscar Temaru, leader du
parti indépendantiste : Front de libération de la Polynésie. L’avant-veille,
l’ancien docteur régnant du sport polynésien Pierre Cassiau avait rejoint
l’éternel séjour.
Mais voilà que le seigneur des cyclones (pardon pour cette expression) Ve’ena, amorti dans ses effets par la prévention presse-radio-télémétéorologique, annoncé comme dépression tropicale venue des
Marquises (8 avril), se renforçant en véritable cyclone hors Tuāmotu (10),
surprend les Iles de la Société pour griffer Mo’orea et Tahiti (lundi 11) :
Pape’ete en cours d’après-midi a organisé le choc de la panique mais la
manifestation du cyclone impose sa loi naturelle de destruction fracassant
arbres et maisons (un seul mort : une femme employée municipale, son
pied ayant marché sur une tôle dissimulant un câble électrique, n’ayant pu
162
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être secourue à temps) ; côte-Est vers Hitia’a et Tai’arapu, surtout, et
encore ’Orofero à Pā’ea ont bien souffert. A Pape’ete, Haussariat et Territoire planchent sur l’évaluation des dégâts en vue des secours colossaux
aux sinistrés à partir de l’Agence territoriale de la reconstruction (ATR)
qui vient d’être instituée. La campagne des tirs nucléaires a repris le 20
avril. Le dernier cyclone William sévira les 19 et 20 avril du côté des
Tuāmotu (Hao, Nukutavake, Vāhitahi). Le 28 avril 1983, les frères Joinville et Wilfrid Pōmare fondent le Pōmare Parti, tandis que début mai une
nouvelle réplique du navire Bounty (construit en Nouvelle-Zélande)
arrive chez nous pour un remake (où Mel Gibson joue Fletcher Christian
et Anthony Hopkins le capitaine William Bligh) de Mutiny on the H.M.S.
Bounty.
Les premiers J.P.S. à ’Apia, début septembre 1983 où Maco Nena
(42 ans) trébuche au second round face à un colosse tongien (pas de
médaille d’or en boxe tahitienne), mènent Tahiti à une difficile victoire
en football : 1-0 contre Fiji, but de Gérard Kautai marqué durant les prolongations, dans une ambiance fidjienne et avec un arbitrage défavorable
à nos couleurs… A Pape’ete, le Ciné Bambou rue Colette (anciennement
Ciné Baldwin Bambridge, devenu en 1945 affaire des frères Charles et
Alphonse Hollande, puis cédé en 1950 à Tony Bambridge exploitant du
« Cinéma / Théâtre Moderne » rue Clappier) s’essoufflera comme les
ciné drive-in devant l’accaparement des foyers familiaux par la télévision : l’acquéreur en 1980 et futur promoteur de l’Hôtel Mandarin fera
raser en septembre 1983 ce lieu d’anciennes « matinées enfantines »,
d’ice-cream, de māpē tuitui, de sandwiches-maison.... à l’entr’acte chez
les roulottes foraines d’autrefois. De même que l’ancien et typique hôtel
Stuart, construit en dur en 1923 (année de création des clubs Tamari’i
Tahiti, futur J.T., et Fē’ī Pī), où séjournera en 1930 le peintre Henri
Matisse, est voué à la démolition en octobre 1983... le repreneur Albert
Moux avec l’architecte Weinmann ayant décidé de le reconstruire à sa
ressemblance, la Banque Paribas y ayant élu domicile.
Le statut du Territoire de juillet 1977 dit d’autonomie de gestion
connaît un premier soubresaut en mars 1983 (avant-projet de l’Etat) où
le V.P. Gaston Flosse juge la mouture adressée par le ministre outre-mer
Henri Emmanuelli comme inacceptable et « plus colonialiste que
jamais », car émasculant le pouvoir territorial ; attitude idem au passage
163
du nouveau patron outre-mer Georges Lemoine à l’A.T. le 20 mai 1983 ;
enfin, « le bidule » qualifié de mesquin rapporté à l’A.T. le 21 septembre
1983 fait retour d’un avis négatif général de déception.
Le 5 octobre 1983, accidenté aux commandes de son tracteur (à 69
ans) à Taravao deux jours plus tôt, Tony Teariki (né le 12 juillet 1914 à
’Āfareaitu, protestant et originaire de Rimatara) rend l’âme à l’Hôpital
de Māma’o : ’ua hi’a te ’aito, l’arbre de fer a chu, le Pupu de son époque
marqué de sa droiture, de fermeté et de respect de la parole donnée a
vécu, son épouse Simone Raoulx de ’Auae l’ayant dignement conduit en
sa sépulture, à gauche après le kiosque-reposoir à Pā-‘Urani, enfouie sous
les abondantes couronnes de tiare Tahiti… C’est l’adjoint au maire de
Pape’ete Jean-Baptiste Trouillet (ancien élève des Frérots, infirmier de
métier et intègre syndicaliste) qui accède comme Here ’Āi’a à l’A.T. Un
houleux congrès consécutif de ce Parti à Tīpaeru’i, où l’oublié groupe
Hui Tama des jeunes avait un faible pour Milou Ebb, amènera la faveur
tiraillée des sections sur Jean Juventin, maire de Pape’ete devenu patron
du Here ’Āi’a, le doyen Pierre Hunter n’y ayant peut-être pas ambitionné
de revendiquer le droit d’aînesse…
RECENSEMENT DE LA POPULATION DE POLYNESIE FRANÇAISE
Pape’ete
Fa’a’ā
Tahiti
Total
AVRIL 1977
OCTOBRE 1983
SEPTEMBRE 1988
22 967
16 950
95 604
137 382
23 496
21 927
115 820
166 753
23 555
24 048
131 309
188 814
La coalition antinucléaire mondiale et, en particulier, dans l’Océan
Pacifique s’étant réveillée en avril 1983, le Forum de Canberra (28 août)
refusera l’accès comme observateur officiel à Alec ’Ātā personnellement
mandaté par le V.P. Gaston Flosse au nom de Tahiti, où le Synode de
l’Eglise Evangélique a renouvelé son hostilité et sa déception vis-à-vis du
président de la République quant au non-arrêt des essais nucléaires à Moruroa. François Miterrand aura alors décidé de l’envoi d’une délégation
scientifique de haut niveau (dont Haroun Tazieff, commissaire aux risques
164
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naturels de l’Etat français) à Moruroa : rapport de juin 1983, autorisant
même la venue de personnalités scientifiques étrangères reconnues (du
25 au 28 octobre).
Commerçant en fer forgé notamment à Fare-’Ute, Grégory Lau,
depuis déjà plusieurs années délégué des Chinois de la région Pacifique
Sud, a été désigné pour trois ans (novembre 1983) sénateur de la République de Chine pour ladite région, par la Conférence annuelle de la
Chine de la diaspora à Taipeh.
Mois d’octobre agité à Tahiti où une grève syndicale illimitée
(légale) et dirigée par Didier Kintzler et Stanley Cross notamment amène
une série d’affrontements, incommodant notamment les touristes chahutés, dans les hôtels Tahara’a, Mātāvai, Beachcomber et Maeva Beach,
nécessitant l’intervention de la gendarmerie (le président de la Fédération
Polynésienne de l’Hôtellerie et des Industries Touristiques étant Albert
Moux), agitation d’implications politiques amenant la fermeture volontaire desdits hôtels effective (2 novembre), Conseil de gouvernement et
Assemblée Territoriale étant mis sous le gardiennage musclé des nouveaux gardes de corps de la présidence, des attroupements de syndiqués
bivouaquant place Taraho’i. Les hôtels rouvriront à partir de mi-novembre 1983 (l’hôtel Tahara’a, lui, ne rouvrant qu’en septembre 1984), la
grève s’achevant le 5 décembre 1983. Les événements syndicaux susrelatés feront révoquer Charles Taufa du poste de directeur de la C.P.S.
(mars-avril 1984), Raymond Dauphin abandonnant son cabinet d’avocat
pour succéder à Bing le 18 mai 1984.
Après un nouvel examen d’un projet évolutif du statut dans une
ambiance tiède et ironique (A.T. 12 avril, Assemblée Nationale 9 et 10
mai), est adopté un statut dit d’autonomie interne par l’unanimité des
députés (485 voix) moins un contre, le Sénat votant à l’unanimité (313
voix contre 0 les 17 juillet et 2 août 1984). Gaston Flosse est devenu
entretemps député européen sur la liste Veil-Chirac (17 juin) pour siéger
à Strasbourg. Cependant, Pape’ete aura appris le 11 juillet la démission
personnelle de l’ingénieur Boris Léontieff de son poste de conseiller de
gouvernement chargé de l’équipement.
La nouvelle loi-statut venant d’être promulguée (10 septembre
1984), l’A.T. consacre largement l’installation du nouveau gouvernement
165
territorial à dix ministres (14 septembre) où les adultes autonomistes tiennent les rênes du pouvoir (exit l’ancien président H.C. et fini l’ancien
subalterne V.P. du C.G.).
Le député européen Flosse est le premier président du gouvernement
du Territoire où au super-conseil des ministres notamment apparaissent
les universitaires capés Edouard Fritch (ayant déjà remplacé Boris),
Michel Buillard, Patrick Peaucellier (déjà en place en 1980) et où le Dr
Charles Tetaria a laissé place à l’ingénieur Alban Ellacott et le fidèle dentiste Lysis Lavigne y côtoyant Alexandre-sans-Boris, lequel est VP assurant l’intérim du Président territorial Flosse lorsqu’il s’est envolé, l’avion
et le téléphone automatique instantané étant la nécessité permanente des
mœurs modernes du pouvoir.
En sport hors de Tahiti, nos représentants se distinguent en France :
la nageuse Laurence Lacombe devient championne de France de sa catégorie aux 100 m à Monceau-les-Mines (1983) et à Brive (juillet 1984),
elle bat le record de France féminin toutes catégories (57-23) et la meilleure performance des seize-ans à Dunkerque (16 août 1985) ; après
Patrick Juventin en 1972, les surfers tahitiens s’imposent aux championnats de France à Biarritz : Arsène Harehō’ē est champion de France
senior et champion toutes catégories (1983), Vetea David cadet surclassé
junior est premier de la catégorie et Teremu Harehō’ē second (1984) puis,
au championnat de France toutes catégories, Vetea David est premier,
Teremu terminant troisième.
Revenons à quelques nouvelles éparses !
• Le Père Alphonse Coquin, après avoir servi dans l’Armée, est
ordonné prêtre à 37 ans : affecté à Tahiti en décembre 1930 (34 ans), il
exercera sa charge de curé aux Iles Australes, puis à Taravao, à Pape’ete
(paroisse de Ste Thérèse de 1953 à 1958), à Māhina, à Hitia’a, à Fa’aone,
à Ti’arei ; fera un pèlerinage de Fatima (en août-septembre 1974) avec
un groupe tahitien ; malade fatigué, il quittera définitivement son séjour
polynésien d’affable missionnaire à l’âge de 75 ans pour se retirer à la
maison de retraite des pères des Sacrés Cœurs à Sarzeau, où il côtoie
notre ancien membre actif de la Ligue de Football : le père Pierre Laporte
au moral de vie intact.
Le père Alphonse, né le 20 juin 1896 à Saint Denis de Gastine en
Mayence, ordonné prêtre le 28 juillet 1929, a reçu à « titre militaire », à
166
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la mairie de Sarzeau (localité où se trouve la maison de retraite des pères
des Sacrés Cœurs) le 11 novembre 1995, la croix de la Légion d’Honneur
des mains du général Bruno Gilbert. Il a fêté à Sarzeau ses 100 ans le 20
juin 1996, Mgr Michel Coppenrath ayant eu l’occasion de rencontrer le
séculaire personnage. Le Semeur, en novembre 2002, a annoncé que le
Père Alphonse Coquin est décédé à Vannes le 14 octobre 2002, à plus de
106 ans avec toute sa lucidité.
• Déjà venu à Tahiti en 1966, le pilote exploitant d’Air Gabon JeanClaude Brouillet (auteur de L’oiseau du Blanc, ayant été décoré à sa
vingtaine de la croix de la Légion d’Honneur pour ses prouesses d’interventions aériennes en temps de guerre dans le ciel égyptien et africain)
vient investir dans notre Territoire : démarrant avec l’hôtel Kia Ora avec
plus d’une centaine de bungalows à Mo’orea, qu’il cédera au groupe
Acor en 1985, il a développé en même temps une prospection d’installation et d’exploitation d’une ferme perlière à Marutea Sud et ’Arutua.
Ayant cédé ses affaires à Robert Wan (déjà installé à Rikitea), lassé des
tracasseries administratives locales et refusant d’avoir recours à des
passe-droits, il émigrera sous d’autres cieux plus fructueusement cléments, l’ex-champion de pêche sous-marine Jean Tapu ayant racheté la
ferme de ’Arutua pour promouvoir la perle noire…
Construit en chantier naval français, arrive à Pape’ete le 23 juillet
1987 le superbe blanc voilier quatre-mâts à moteur et voilure commandée
électroniquement Wing Song, pour des croisières hebdomadaires aux Iles
de la Société principalement.
Se souvenir que le navire Liberté qui desservait notamment les Iles
Sous-le-Vent, dont Huahine en particulier, après quelques petites années
de croisières prometteuses, a dû cesser son activité locale fin 1986 pour
regagner en douce la Californie, l’accueil fiscal ici étant décourageant !
A signaler la longue présence, à l’Office territorial d’action culturelle (OTAC) de Tīpaeru’i-Pā’ōfa’i, d’Alain Deviègre avec son équipe de
comédiens chevronnés ou amateurs, organisant de grandes représentations théâtrales home-made (avec la participation naguère de Henri Hiro
et de John Ma’ira’i comme acteurs engagés style intello local), ou à partir
de troupes en tournée ici ; le directeur Francis Stein y devant orchestrer,
167
par ailleurs, la bibliothèque estudiantine comme l’animation des activités
folkloriques, notamment dans le cadre du Comité des Fêtes du Tiurai, etc.
Côté goélettes de la navigation interinsulaire, Aranui armateur la
Maison Win Man Hing, construite en 1945 et assurant la desserte des
Tuāmotu depuis 1969, s’échoue pour de bon devant Marutea Sud (15
septembre 1977) après 17 ans de cabotage, Monseigneur Michel Coppenrath étant passager pour cette dernière aventure…
Quant à la ’Orohena, construite en 1942 et importée en janvier 1948
pour le compte des E.F.O., ce bateau est acquis en mars 1953 par André
Blouin, avec Alfred Voirin comme capitaine ; elle deviendra Vaiātea en
1972, propriété de la famille Rey, et sera condamnée fin 1977 pour
vétusté, sa silhouette quittant le paysage de Pape’ete pour son sabordage
en lagon de Fa’a’ā (Noël 1977).
Le navire-école chilien Esmeralda, magnifique voilier quatre-mâts,
nous rend visite pratiquement tous les deux ans depuis son premier
voyage en 1955.
Arrivé par son yacht Zoé à ’Atu’ona (Hiva-’Oa) pour se fixer aux
Iles Marquises en 1975, le chanteur-poète engagé et acteur belge
Jacques Brel, fumeur invétéré, mourra à l’hôpital franco-musulman de
Bobigny (9 octobre 1978) d’un cancer du poumon : par avion son cercueil arrivé de Paris (13) à Fa’a’ā est aussitôt dirigé vers son île-sépulture marquisienne pour être enseveli à proximité de l’artiste-peintre
Paul Gauguin.
Le Service de la Pêche, régulièrement chaque année, libère à la récolte
désormais des quotas de troca, en des sites différents à Tahiti, sa chair étant
comestible et sa nacre hautement appréciée par les artisans-joailliers.
• Le Tiki-Pē’ue (roulotte foraine apparue en 1963 en face de la
pharmacie Jacquier) s’est déplacé au gré des modifications de l’urbanisme portuaire : le patron Roger Simonet l’installera quelque temps
pas loin du cabinet du Dr Louis Rollin pour fixer ses roues finalement
dans les ombrages gaullistes de la clé molletière, le restaurant-bateau
La Jonque clapotant à côté (avant de sombrer dans un incendie).
168
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Notre roulotte-restaurant fête donc en 1990 ses vingt-sept ans, devenue
étape familière des gastronomes promeneurs noctambules dans le décor
de la rade à reflets des yachts.
Insérons ici une petite évocation d’un coin disparu de Pape’ete : le
café Rendez-vous angle opposé au Magasin Chouchoute, d’où l’on avait
vue sur l’entrée du Quinn’s à gauche et vers le quai à droite sur l’angle
Yacht Club avec restaurant Manin à l’étage. Derrière, en ayant contourné
le Pam-Pam à l’angle opposé à la pharmacie de l’Océanie (Jacquier), le
mémorable Zizou Bar rivalisant de bambou tressé avec le Vaihiria de
l’ancien bloc Bambridge. Zizou de Maeyer, pionnier des époques après
1955, membre alors de la C.C.I., évoque avec nostalgie ce temps de
franches festivités, le Zizou ayant émigré, depuis, aux abords du Royal
Pape’ete, Zizou s’étant installé bord de mer à Pāpara.
L’Hôtel Tahiti est sur son « trente-et-un » en 1990, ayant fonctionné
à partir de 1959 sur la propriété Pōmare à ’Auae, face au décor des
magnifiques couchers de soleil derrière Mo’orea, sous la houlette de l’investisseur américain-hawaiien Spencer Weaver. Ce célèbre établissement
de style local aura abrité tant de fêtes sportives, politiques et autres et
notamment les élections annuelles de Miss Tahiti.
• Figure incontournable dans la restauration de la place, Acajou,
après avoir en particulier fait apprécier sa cuisine au relais touristique
de Faratea à Taravao, puis chez Chapiteau à l’étage Rue des Ecoles
(adresse : rue des Eperviers selon les ricaneurs de ce secteur
aujourd’hui réputé d’Anus-bé) où les gastronomes sont bouche bée
devant les saveurs culinaires offertes, affaire que reprit l’ancien combattant maître-cuistot Gaspard Coppenrath. Et Acajou gérera avec succès un restaurant à voisinage notarial avenue Bruat du 1er avril 1968 à
mi-février 1978, avant de s’installer à son compte personnel au nouveau bloc Fare Tony (à l’angle de l’ancien bâtiment ayant à l’étage à
l’époque le cabinet dentaire Lavigne) : cette nouvelle installation
démarrant en même temps que Roux de « Tahiti Sport » inaugurait avec
Liauzun Jr son show-room de « Nauti-Sport » à Fare-’Ute. Et en 1990
Acajou continue la réputation gustative de son métier, dans un environnement plus animé, où au bloc Vaimā Le Rétro adjacent est venu
accroître la fréquentation quotidienne.
169
A Pape’ete en 1990, il reste quelques rares maisons de bois dites
coloniales : à ‘Orovini où la maison Nam Hoy a disparu avant l’érection du siège Fē’ī-Pī , il y a encore la maison d’Alfred Ahnne, avec
véranda à balustres en dentelles, et plus bas l’Ecole Philanthropique (à
qui la dynastie tahitienne a cédé une table jadis) à étage avec balustresmoulures sur une ancienne terre royale de Pōmare, ex-rue des BeauxArts (aujourd’hui rue Edouard Ahnne) tandis qu’à côté l’hôtel
Métropole a été démoli mais non reconstruit, etc. Quoiqu’on dise, la
ville s’est améliorée, mais les gens oublient vite. Le Marché nouveau a
son cachet, la commune n’ayant pu disposer des sources financières
pour acquérir le bloc Temauri contigu pour sa gare routière des trucks,
ni pour acquérir le coin Daunasson-Pōmare… Mais des bacs à poubelles (en béton Piccolini ou suspendus) ont été largement installés par
la ville, mais ils ont été aussi largement « répandus » par les inciviques
vandales, une catégorie de la délinquance de notre société moderne difficilement maîtrisable : les feux de croisement de la circulation routière
comme les panneaux indicateurs en savent quelque chose !... Nous ne
parlerons pas de l’accroissement cependant des bâtiments d’éducation
scolaire de manière spectaculaire ces vingt dernières années, en même
temps hélas !... que s’accroît le chômage (ou le manque d’embauche
mêlant désœuvrement et oisiveté) d’une jeunesse plus intellectualisée
et aussi plus convoitée par la sournoise prolifération du cannabis ou
pakalolo, les champignons hallucinogènes semblant avoir été supplantés par les plants de paka… les rues étant, par ailleurs, dangereusement
fréquentables quand les ténèbres s’y insinuent. La Brasserie de Tahiti
est allée brasser la bière Hinano désormais à Puna’auia, mais celle-ci
comme d’autres alcools glougloutent euphoriquement dans le pays,
devenant souvent les motifs d’affaires devant tribunal où vols, viols,
bagarres de bringues, corruptions diverses viennent s’offrir aux lecteurs
de nos quotidiens. Il y a également les tombolas régulièrement organisées par les multiples associations, organisations parfois sans aides territoriales ; mais beaucoup de gens localement jouent aussi par
correspondance au Loto national et il se colporte déjà qu’il est dans
l’intention du gouvernement local d’accueillir ici ce goinfre qui signifierait la fin de nos tombolas folkloriques.
Depuis 1980 au sein de l’administration municipale de Pape’ete,
Juju (sobriquet journalistique du maire Jean Juventin) a accueilli
170
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l’hydro-géologue universitaire Barry Mû, natif de Ra’iātea (1er mai 1952
à ’Uturoa) : cet ingénieur de l’eau s’occupera d’abord de l’hydraulique
et de l’assainissement de la ville, développant avec brio l’installation du
service hydraulique dans la vallée tabou au-delà du Bain Loti (maintenant aussi devenue parc à promenades chlorophylliennes guidées) avec
captages protégés à Fautau’a comme à Tīpaeru’i.
Ce serait amnésique de ne point évoquer les événements provoqués
de ce week-end sinistre du vendredi 26 octobre 1987 sur fond politique
de grondement syndicalo-social, ayant éclaté à partir de la zone insulaire
des docks de Motu-Uta, pour se répandre avec une célérité stupéfiante
vers le front de mer et les abords-arrières vite embrasés dans les saccages
jusqu’aux approches des quartiers de l’Assemblée Territoriale. La visite
de constat, le matin suivant cette soirée d’épouvante, a mis à quia les responsables des destinées de ce pays dont Pape’ete, siège-poumon et point
de départ ou d’arrivée de toutes les affaires, est la première bénéficiaire
et aussi victime…
Le gouvernement « provisoire » de Jacky Teuira, en ce qui a trait
aux activités lucratives de Pape’ete, comporte un volet mineur (pour ceux
qui en sont éloignés) au lieu géométrique de la rue Tepano Jaussen, du
presbytère évangélique, du terrain dit Papineau jouxtant la clinique baptisée du nom de l’ancien premier maire de la ville et à proximité des trois
ensembles collégiens de Viénot-Lamennais-Javouhey : la fréquentation
là d’un petit ruahere attractif pour noctambules hors farniente a rendu
pénibles, pour les tranquilles résidents d’auparavant, les triples soirées au
moins des jeudi-vendredi-samedi de chaque semaine, les pétitions environnantes se dissolvant comme les interventions inexistantes sinon inopérantes de la police urbaine. L’établissement dûment « autorisé » (?)
avec surveillance de vigiles assurée (?) attire, en effet, aux parkings et
carrefours tout près, une jeunesse (?) interlope de tout poil, avec engins
pétaradants, où pick-up 4x4, aux échos répercutants de cassettes assourdissantes et gueulantes droguées dans la pleine nuit, n’adoucissent plus
aujourd’hui les mœurs d’avant-hier et d’hier. Générations d’aujourd’hui
et de demain, où allez-vous ?... et comme paraissent dérisoires ces questionnements dans la tourmente universelle, quand les amplificateurs
déversent leurs flots d’hallucination auditive (acousmie) pour vivifier
l’exacerbation !…
171
Abrégeons la litanie enchevêtrée dans tout ce qui précède, par une
note musicale. Créée le 1er août 1968, la SACEM métropolitaine intervient localement à partir de 1965 pour percevoir sa dîme dans les établissements de la place diffusant de la musique « déposée ». Les artistes
locaux connaissent déjà une certaine notoriété : les sœurs Mila et Loma
Spitz animent le fameux Quinn’s avec un orchestre encore mémorable de
nos jours ; les vedettes masculines s’affinent dans les autres boîtes et soirées : Yvon ’Ara’i, Vavitū Salmon, Gabriel Laughlin… qui vont bientôt
tenter l’aventure américaine. A l’époque, le pianiste Eddie Lund (décédé
aux U.S.A. le 4 décembre 1973) a marqué la mélomanie d’adaptation
locale, le garagiste Gaston Guilbert ayant aménagé à Puna’auia un studio
d’enregistrement up to date pour pérenniser, sur disques 48-tours Tiare
Tahiti dès 1945, les voix d’Alec Salmon, de Marie Mariterangi, des
sœurs (Eliane et Denise) Russel ; les sœurs Amédée de ’Orovini ayant eu
le mérite sur tourne-disque à aiguille Gramophone ou « La voix de son
maître », bien auparavant (dans un timbre papa’ā rappelant un tantinet la
performance en tahitien de l’actuelle chanteuse métro Suzanne Boucart)
d’exporter déjà nos airs exotiques d’autrefois encore ronronnés lors de
bringues sentimentales aujourd’hui (ex: Āuē ! te mamae ē… et non pas
‘A-auē ! e māmā ē...).
• Ainsi notre prote Laughlin (fils d’un ancien sportif-athlète Ra’i,
mūto’i-vaguemestre chez le gouverneur), friand de boxe, deviendra musicien-chanteur professionnel jusqu’à déborder de la Polynésie pour aller
promener « la suavité de sa voix parée de toutes les séductions du diable »
(pour parler avec le ton d’une exquise urbanité à la manière de A.M.A...56)
en Europe. D’abord, sous le marrainage de Paulette Viénot en 1972 et l’introduction chez le célèbre producteur Eddy Barclay par le truchement du
directeur commercial Cyril Brillant issu de Pā’ōfa’i. Plus tard, avec l’admiration locale, en participant au grand concours de la chanson française,
remportée en compétition avec cinq concurrents, grâce à son copain compositeur Jean-Claude Cara, pour représenter la France avec la chanson
écologique Humanahum au concours d’Eurovision en Irlande en 1981 :
un samedi 4 avril à Dublin suivi en direct par nos spectateurs, où il fut
coiffé in extremis par des chanteurs étrangers lui laissant néanmoins une
3ème place mémorable (malgré une voix grippée par le to’eto’e rahi).
56
Alexandre Moeava ‘Ātā qui avait ainsi décoré la voix du militaire « libéré » John Chave de
passage à Paris vers 1954-55…
172
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Ensuite il remporte le premier prix au festival international de la chanson,
en solfiant en français, à Palma de Majorque aux îles Baléares.
Le crooner Julio Iglesias étant devenu un visiteur habituel en catimini
chez nous et ayant noué des liens d’amitié avec notre chanteur, commercialement devenu John Gabilou et ainsi que nous l’appelons tous désormais, –
ne chanteront-ils pas impromptu en duo un soir dans les volutes pénombreuses du « dancing » Pītate (entrée interdite aux moins de 18 ans, sic),
comme aussi au « pizzeria » Lou Pescadou, – Gabilou donc fait même
figure de favori au festival international de la chanson à Vina del Mar, au
Chili (février 1983) avec une chanson d’Iglesias, où il est éliminé en demifinale, toutefois après avoir été laudaté par le public chilien, en los onctueux
de consolation. Aux élections municipales de mars 1983, notre chanteur,
également grand souteneur du phénomène sportif de la pirogue (où excelle
en particulier son fils Lewis, grand champion rameur individuel et en
équipe) dans le périmètre de Tefana-i-Ahura’i, accède au Conseil municipal
de Fa’a’ā sur la liste du Tāvini Huira’atira menée par Oscar Temaru…
On se rappellera que Pape’ete aura reçu dans le passé des chanteurs en vacances ou en escale qui ne se sont pas produits devant le
public : Jean Sablon (1953), deux des Beatles : George Harrison et
John Lennon (mai 1964) ; en 1972 : Michel Polnareff, Gilbert
Bécaud, Demis Roussos ; Jacques Brel (1979), Pierre Perret, Petula
Clark (juillet 1983)… Les oreilles tahitiennes ont pu toutefois apprécier, outre David Alexander Winter au Mātāvai de Tīpaeru’i et à la
MJC de Pīra’e, généralement à l’OPEL de Taunoa : Richard Anthony
(novembre 1969), Dalida (janvier 1970) ; en 1972 : Johnny Halliday
(mars), Tino Rossi et Carlos (avril), Joe Dassin (juin), Rika Zaraï,
Jacques Dutronc (novembre) ; en 1973 : Salvatore Adamo et Sacha
Distel (juin), et d’autres plus tard… Durant cette époque, des chanteurs de Nouvelle-Zélande sont aussi venus s’égosiller dans nos
micros, tels Anthony Williams, Howard Morrison, Tuitete, surtout
John Rose57 à la voix fracassante type Tom Jones, Robin (longtemps
57
Il s’agit de John Rowles (et non John Rose), à la fois tenor et crooner entre Tom Jones et
Englebert Hemperdinck, notre chanteur-maison et enchanteur local Gabilou nous ayant
permis de nous délecter de la voix de ce chanteur de Aotearoa qu’il avait invité il y a 20 ans
dans la salle paroissiale de Fa’a’ā et en 2002 à l’O.T.A.C. : ouïr « Tania », quelle jouissance
auditive !…
173
en orchestre d’animation au Royal Pape’ete), après le séjour d’une époque
inoubliable du groupe Tony Chardo et son supersaxophoniste… en imbrication avec nos musiciens chevronnés de la place… sans oublier les
échanges de hit parade entre chanteurs du Caillou arrangés par Roger Dosdane et Gilbert Tong venant ici et nos rossignols allant en tournée en Nouvelle-Calédonie, quel temps d’un romantisme estompé ! Le poète Lamartine
de notre génération scolaire, avec son « Lac », s’épanchant ainsi dans un
fameux vers : « Le temps n’a point de rive, il coule et nous passons », risquerait d’intervertir les verbes du second hémistiche de cet alexandrin, s’il
descendait sur terre aujourd’hui, en : « il passe et nous coulons » !...
Une petite pensée pour le charmeur de l’Eté indien : le 20 août 1980,
Joe Dassin s’effondre au restaurant « Chez Michel et Eliane » (étage audessus de l’actuel Rétro), terrassé par une crise cardiaque. Quant à D.A.
Winter, après le succès de sa chanson-fétiche Oh lady Mary en 1969, il
est devenu businessman depuis à Boston.
Enfin, dernière allusion de mélomane, a été créée en avril 1986 par
Louis Tillet, alors Directeur du conservatoire artistique territorial, l’association Musique en Polynésie que préside maintenant l’ancien professeur
Pierre Boixière, envisageant d’organiser annuellement des manifestations
musicales dont une catégorie d’auditeurs séjournant longtemps ici
éprouve un manque, de telles rencontres pouvant ainsi favoriser la pénétration classique, au moment précisément où le Conservatoire artistique
territorial offre son concours de formation musicale. Sans disposer vraiment de salle à acoustique idéale, des concerts classiques vont pouvoir
se faire connaître en public (kiosque, jardins, certains établissementscafés) ou en salle du musée de Puna’auia, dans le hall de l’Assemblée
Territoriale, comme dans la nef de la cathédrale de Pape’ete… Amateurs
sevrés, vous voilà renseignés, vous pouvez écouter maintenant non seulement les super-artistes en compact disc et en salle adéquate, mais aussi
des virtuoses internationaux au naturel : concerto pour violon, alto, violoncelle, en duo, trio, en quatuor ou ensembles à cordes, pour clarinette,
piano, contrebasse, clavecin, flûte traversière, flûte à bec ; concerts de
musique de chambre ou soirée de gala… Et tout ceci sans négliger la
musique moderne par de talentueux visiteurs… Nous avons connu localement, depuis le jazz-band d’Alain Mottet arrivé en 1952, la musique de
jazz, d’autres ensembles étant sporadiquement venus par la suite (dont le
174
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groupe Haricots Rouges de Maxime Saury en 1973, par exemple)... les
multiples innovations musicales, depuis le lointain phonographe aux appareils sophistiqués des temps modernes après l’intrusion endiablée du rock
and roll venue secouer la langueur aïeule pour accentuer le trémoussement
avivé par la sonorité des instruments si diversifiés… Cet afflux musical a
ainsi agi sur les formes d’expression musicienne, tantôt valorisant tantôt
dénaturant la fibre locale, mais le folklore ainsi tarabusté n’est pas, heureusement, resté figé ; et l’adaptation finit par s’affiner et les instruments
importés (guitare, ’ukulele, accordéon...) ont tant donné des plaisirs à nos
pavillons auditifs, dont le tā’iri pa’umotu et des voix au timbre extraordinaire venues de nos îles éparpillées, avec la confrontation des cousins
raroto’a, que nous ne pouvons que saluer et encourager nos artistes doués
à cultiver l’adoucisseur des mœurs, dans tous ses états, ainsi soit-il !
9. Depuis mars 1977 : Jean Juventin
« Né le 9 mars 1928 à Pape’ete de Louis Juventin (1889-1950) et
de Mere a Tero’oatea (1894-1937), est entré au Conseil municipal de
Pape’ete à l’occasion d’élections partielles qui ont lieu le 12 mai 1968,
sous l’étiquette de liste d’union communale, alliance hétéroclite à quatre
(Tetua Pambrun, John Teariki, Frantz Vanizette, Jeannot Céran-Jérusalémy) qui, le 9 octobre 1966, réussit à détrôner Alfred Poro’i.
Les élections municipales du 9 mai 1971 confortent la position de Jean
Juventin, nommé aux fonctions de 3ème adjoint au maire Tetua Pambrun.
La personnalité de Napoléon Spitz, secrétaire général de tendance
politique ’Ē’a ’Āpī, devait susciter une querelle interne au Front uni dont
l’aboutissement fut l’élimination de Tetua Pambrun au vu des résultats des
élections municipales du 13 mars 1977.
La liste de coalition (Here ’Āi’a, ’Ē’a ’Āpī, Indépendants, Te
Autāhō’ēra’a de Charles Taufā, Tā’atira’a porinetia), menée par Jean Juventin, était assurée de la victoire face aux inconsistances du maire sortant.
Jean Juventin, élu maire, se retrouve ainsi au poste de conseiller à
l’Assemblée territoriale, après le scrutin du 29 mai 1977, et en assure la
présidence depuis 1987 à la tête d’une majorité formée de dissidents du
Tāhō’ēra’a Huira’atira, suite aux événements du 23 octobre 1987.
Les élections législatives de mars 1978 propulsent Jean Juventin aux
fonctions de Député représentant la 2ème circonscription de la Polynésie française avec John Teariki comme suppléant, siège qu’il occupe jusqu’en mars
1986. De mars 1988 à ce jour – nous sommes en août 1990 – le suppléant
175
du député est Alexandre Léontieff, président du gouvernement du Territoire et président d’un parti politique dénommé Te Ti’arama.
A la suite du décès accidentel de John Teariki le 5 octobre 1983,
Jean Juventin assure la présidence du Pupu Here ’Āi’a Te Nūna’a ’Ia
Ora depuis 1984. La mise en place du nouveau statut, en septembre de
la même année, entraîne la démission du maire de la commune de Tevai-Uta, Milou Ebb, qui fonde alors son propre parti Te Arati’a.
Les élections municipales de mars 1989, à l’image de celles de mars
1983, avec une équipe plus soudée du maire Jean Juventin et comme premier-adjoint Jean-Baptiste Trouillet, permettent à Jean Juventin de
conduire du mieux que possible les affaires de la commune de Pape’ete.
Jean Juventin, avec son équipe municipale, s’est attelé à la tâche
dont la priorité est l’aménagement de l’espace urbain.
Les problèmes de logements sont tels qu’il faut recourir à l’acquisition des terrains, sites de quartiers insalubres à assainir et rénover. La
première opération lancée est le lotissement Taupeahotu, sis à proximité
de l’embouchure de la Fautau’a.
Le réseau hydraulique des hauts de Pape’ete et le réseau de captages souterrains dans la vallée de Fautau’a, nécessitant la constitution
d’importantes réserves foncières de protections des sites d’approvisionnement en eau, rendent la commune autonome en matière hydraulique.
Et que dire de la beauté des sites de la vallée de Fautau’a, ouverte aux
promenades champêtres !
La construction d’un nouveau marché et celle de la nouvelle mairie
donnent à Pape’ete son réel cachet de chef-lieu de la Polynésie française.
Mais cela ne saurait suffire, car il faut aussi s’attaquer à d’autres problèmes. C’est sur un terrain sis vallée de Tīpaeru’i, propriété de la commune de Pape’ete, que sera édifié le complexe de traitement des ordures
ménagères de la société Tāmāra’a-Nui (travaux en cours depuis 1989).
Et Pape’ete connaît aussi des problèmes de circulation et de stationnement. La mise en place d’un nouveau plan de circulation, impliquant les transports scolaires et les transports en commun et nécessitant
l’aménagement d’aires de stationnement, à l’exemple de celle en soussol de la mairie, témoigne de la volonté de Jean Juventin à faire de
Pape’ete « une ville où il fait bon vivre ».
L’aide de la municipalité est d’autant plus appréciée lorsqu’elle se
tourne vers les églises : l’édification de nouveaux temples dans la commune
de Pape’ete (Pā’ōfa’i, Tīpaeru’i, Taunoa) et la rénovation de la cathédrale
Notre-Dame de Pape’ete sont appréciées par les fidèles… et les touristes.
Il serait tout aussi tentant d’affirmer que la communauté asiatique,
à travers le nouveau Temple chinois de Māma’o, a trouvé moyen d’exprimer publiquement sa religiosité et ses coutumes ».
176
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
La présentation ci-dessus de l’action de Jean Juventin est due à la
plume de Jean Fa’atau (venu des Affaires Economiques en passant par
l’E.N.A. de Paris), secrétaire général de la Mairie de Pape’ete (datée du
22 août 1990).
On notera que, durant cette période, Gaston Flosse, député-maire de
Pīra’e et président du gouvernement du Territoire, à son retour de Paris
dans le contexte de la fête de l’Evangile du 5 mars 1986, assure auprès
du Premier ministre Jacques Chirac un portefeuille de secrétaire d’Etat
lui conférant le titre de ministre-Président : premier ressortissant du Territoire à un poste de ministre national, quelle carrière au service de la
France de Polynésie !…
L’on remarquera la disparition d’éléments métropolitains à l’Assemblée territoriale depuis l’effacement de Bouvier (représentant permanent
de la S.E.O. au C.A. du C.P.S.H.) et Vanizette (se partageant entre SainteAmélie et Huahine), cependant que les patronymes « d’ailleurs » y prédominent par les vertus du mixage multiple (depuis la venue des premiers
visiteurs-découvreurs où la gent masculine prédominait !), de melting pot
en diaspora, par malaxage et pétrissage de diverses origines, dans le glossaire patronymique de la minorité comme dans le flossaire majoritaire,
pour affiner le rapura’a po’e local… le matronyme originel selon Courbet
ou matriciel ancestral demeurant sous-cutané, chez les représentants demis
(tamari’i ’āfa, tamari’i te’ote’o ïa !), calculateurs par soumission opportuniste… ou réaliste, épicuriens du confort immédiat. Pouvāna’a n’a-t-il
pas confié, dans une interview à François Nāna’i de La Dépêche de Tahiti
en 1975, au sujet d’approches par plusieurs de son mouvement politique,
qu’il s’agissait de ’āfa huare, dans un ricanement mitigé de méfiance, le
vieux « Metua » lui-même, avec son patronyme local, ayant eu comme
grand-père un marin danois et étant, par ailleur, fils naturel de l’imprimeur-journaliste-avocat L.R. Brault Sr (1858-1933), originaire de Laval
(Dixit P. O’Reilly dans Tahitiens, p. 67 & 466).
Suivant déclaration de Jean-Claude Reia Tetuta’ata-Pūto’a (novembre
2005) : Marie Tetuta’ata, née à Fare-Huahine vers 1844, a eu un fils unique
Butscher ’O’opa Maüer alias Ma’avai des œuvres de Butscher François
de Niederctrenz, Haut-Rhin ; ce fils, né en 1861 à Papeno’o, serait le père
de Pouvāna’a a ’O’opa a Tetuaaapua né en mai 1895 à Huahine…
177
Léopold Senghor, académicien français et ancien chef d’Etat du
Sénégal, au-delà de la négritude terme ayant fait florès en d’autres
« itude », n’a-t-il pas déclaré que la meilleure forme de lutte contre le
racisme est le métissage ?… tandis que certains éthymologistes décomposent ce mot-ci en mauvais tissage, comme mésalliance pour mauvaise
alliance, d’autres préférant voir dans cette guerre des gamètes un mixage
enrichissant. Ceci est une tout autre histoire du présent propos, sans
intention polémique qui serait contraire aux principes de la S.E.O…
L’on remarquera également que de nombreux « demis », ayant suivi
leurs humanités en France, à leur retour au Fenua ont tâté dans la politique qui est une école aussi d’apprentissage du parler tahitien, certains
même étant devenus des champions du verbe public au travers d’une lecture obligée de la bible, avec peut-être au démarrage des essais oratoires
devant miroir pour se façonner, comme rats d’opéra et boxeurs le font
pour corriger et améliorer leurs gestes.
Aux nouveaux pas de la Polynésie française (1956), dans l’enceinte
de l’Assemblée les fonctionnaires étaient, plus qu’aujourd’hui, grincheusement qualifiés de budgétivores ; et pourtant déjà les groupements
politiques y puisaient leurs représentants, essentiellement dans l’enseignement, toute inélégance bue. Et par la suite, les indemnités des représentants du peuple se mueront crescendo en véritables salaires
retraitables, au niveau des hautes soldes des sédentaires privilégiés de
l’Administration – (« valorisant » ainsi la représentativité de nos dignitaires lesquels pouvant devenir ou prodigues ou thésauriseurs, en même
temps que s’accentue la dénivellation salariale indécente d’avec les nonclassés talonnés par le chômage) – mettant ainsi la condition active des
serviteurs-servants dans une fragrance attractive justifiant la questionréponse : « Profession ? – Conseiller territorial » (activité sans limite
d’âge, les sexagénaires étant censés être, par leur expérience, porteurs
de sagesse) : en outre, passant de 5 à 7 conseillers de gouvernement en
juillet 1975, ceux-ci sont devenus 11 ministres avec le président en septembre 1984, qu’auront propulsés 30 conseillers territoriaux lesquels
seront bientôt 41, les cabinets ministériels et de l’Assemblée s’étoffant
dans le même temps en cellules administratives conséquentes au service
de nos cinq archipels. Lors d’une séance, le conseiller territorial sinopolynésien Bata Arthur Chung ayant voulu intervenir dans l’intention de
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proposer un abaissement des indemnités salariales de représentation de
l’Assemblée, son co-siégeant Napoléon Spitz ne l’a-t-il pas retenu, parce
que ce serait déprécier la qualité des défenseurs du peuple…
Egalement, dans la même mouvance, se sont considérablement
développées les rentrées communales attelées par ailleurs au Fonds intercommunal de péréquation, le dernier recensement (1988) ayant conféré
à « Oscarpolis », avec son aéroport d’accueil, le titre de capitale numérique, à côté de Pape’ete, chef-lieu en titre avec son naviport autonome
au cœur des affaires polynésiennes.
En application du statut d’autonomie interne mis en place le 6 septembre 1984, la Polynésie française a été dotée d’un drapeau rectangulaire (1 m x 1,50 m) à trois bandes horizontales rouge/blanche/rouge (la
blanche ayant une largeur double des deux rouges identiques) avec au
centre l’emblème territorial circulaire y inscrivant la pirogue double polynésienne vue de face sur fond de rayons de soleil d’or et vagues bleues :
emblème retenu par l’Assemblée le 23 novembre 1984 après le concours
lancé en novembre 1983 auprès des artistes de la place. Les tentatives de
concours lancés en 1983 et 1984, en ce qui concerne l’hymne, sont
demeurées infructueuses.
Statut évolutif qui sera « amélioré » administrativement par la loistatut du 12 juillet 1990 faisant intervenir gouvernementalement trois institutions territoriales : Conseil des ministres, Assemblée Territoriale et
Conseil économique, social et culturel (C.E.S.C.), avec deux innovations : la Chambre territoriale des comptes et le Conseil d’Archipel
consultatif dans chaque circonscription, d’une part, et le Collège d’experts fonciers, d’autre part.
Le 29 juin 1985, premier anniversaire de l’Autonomie interne, est
programmé le Festival des Arts dans la nouvelle salle aérée, construite à
Pīra’e par l’entreprise Teari a Taputuara’i et baptisée Te-aora’i-tini-hau
pour la circonstance de rassemblement des pays participants de la Commission du Pacifique-Sud.
• Coup d’œil sur la représentation politique locale. Le maire de Pīra’e
(depuis 1963), élu le 14 avril 1984 premier président du gouvernement
179
d’autonomie interne, réélu en mars 1986 (ayant été député au parlement
de l’assemblée des communautés européennes du 17 juin 1984 au 20
mars 1986), doit démissionner en février 1987 selon la loi du cumul pour
assumer les fonctions de secrétaire d’Etat chargé des problèmes du Pacifique du 20 mars 1986 au 10 mai 1988, l’Assemblée élisant Jacky Teuira.
Né le 24 juin 1931 à Rikitea, Flosse est chevalier de la Légion d’Honneur, chevalier dans l’ordre national du Mérite, docteur honoris causa en
Corée ; il est élu territorial depuis 1965 à la tête du parti Tāhō’ēra’a
Huira’atira qu’il a fondé. La fortune d’un tel parcours est à la mesure de
ses jalons palatins.
• Alexandre Teahu-Léontieff (né le 20 octobre 1948 à Teahuupo’o),
docteur ès sciences économiques, élu territorial depuis mai 1977 dans la
mouvance Tāhō’ēra’a, promu conseiller du gouvernement en 1982,
devient vice-président du gouvernement le 14 avril 1984 et député en
mars 1986. Les tiraillements politiques après les remous d’octobre 1987
l’ayant amené à démissionner du gouvernement le 2 décembre 1987
après l’apparition d’une nouvelle majorité à l’assemblée, qui installe une
semaine plus tard Alexandre Président d’un gouvernement composite en
s’alliant avec le ‘Āi’a ‘Āpī d’Emile Vernaudon (lequel sera révoqué du
gouvernement le 14 février 1990) ; il devient président du nouveau Pupu
Ti’arama en 1988 et est réélu député en juin 1988.
• Quant à son frère l’ingénieur Boris Léontieff (né le 19 septembre
1955 à Pape’ete), après sa démission hardie sus-évoquée du 12 juillet
1984, il intègre alors le Port Autonome de Pape’ete jusqu’en décembre
1987 pour réapparaître encore au conseil des ministres, accédant en mars
1989 à la succession électorale du poste convoité de maire de ’Ārue, en
faisant bisquer Jacky Teuira, leur ancien collègue politique.
• Oscar Temaru (né le 1 er novembre 1944 à Fa’a’ā), douanier,
devient maire de Fa’a’ā en 1983 ; président-fondateur du parti indépendantiste Tāvini Huira’atira, il est élu comme conseiller territorial depuis
1986 avec son collègue ingénieur James Salmon, alors que le trio territorial du parti ’Ia Mana te Nūna’a de la mandature précédente (Jacky
Drollet, Jacky Van Bastolaer, Pēni Atger) s’est effacé, comme le soucieux
tribun (en reo tahiti et parler professoral) Marius Ra’apoto, etc. Une
génération politique universitaire nouvelle est en effervescence dans l’intelligentsia « polynésienne ».
180
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Yves Tchen, ancien planton dans l’Administration passé patron du
restaurant Pitate Māma’o puis du restaurant Jade Palace en entreprise
familiale au centre Vaimā, s’est ensuite lancé dans la perliculture en
lagons rarotongiens avec expansion d’échanges techniques avec des
exploitations méléagrinicoles aux Tuāmotu dans la perle noire…
Le 28 avril 1986, la centrale thermique nucléaire de Tchernobyl
(Ukraine) explose, irradiant une troïka de cancers (de la thyroïde notamment) et leucémies, dans les environs russes, génocide accompagné
d’empoisonnement des vergers (fruits et légumes) contaminés avec les
prés où broutent les bovins, la radioactivité atteignant ainsi le lait de
vaches et l’air ambiant de l’atmosphère en altitude dont la descente sera
détectée jusques en France (Provence, Alpes, Côte d’Azur, Corse) cinq
jours plus tard…
Gabilou crée localement, en 1986, le concours annuel de chant
« A la recherche d’une étoile », reprenant d’une certaine manière le relais
de l’ancienne école de Cavalo pour cultiver les voies de la voix. En avril
1986, a été inaugurée avec faste la Maison des Jeunes de Pīra’e. En mai
1986, est mise en marche la Centrale d’électricité de Puna’auia (E.D.T.).
Le 12 juin 1986, José Conroy de Pāpara obtient le brevet de pilote, devenant le premier pilote de ligne aérienne comme enfant du pays.
Le 14 juillet 1986, est terrassé par une crise cardiaque, à Puna’auia,
René Leboucher, pilier-secrétaire général de l’Assemblée Territoriale
(l’institution ayant séjourné de 1946 à 1969 à l’étage de l’ex-bâtiment des
douanes à proximité du quai des bonitiers, venue s’installer depuis le 30
mai 1969 dans l’actuel édifice régi dans une ambiance florale sous la
poigne de René).
Le 15 juillet 1986, le célèbre footballeur argentin Diego Maradona
vient passer quelques jours de vacances au Club Méditerranée à Mo’orea
(installé à Ha’apiti depuis mai 1963) : il va même taquiner la baballe
avec la sélection de l’île-sœur amicalement dans un match impromptu…
Le 1er octobre 1986, l’Institut d’Emission d’Outre-Mer lance le billet
de « dix mille » (10.000) francs CFP : d’aucuns disent que ces initiales
quotidiennes signifient Cours Franc Pacifique, d’autres que c’est l’ancien
181
franc local des Colonies Françaises du Pacifique ; le notaire Eric
Lequerré, ancien chef de service des domaines après avoir été cadre à
l’ancien Trésor (Palais Royal), soutient que, par différenciation d’avec le
CFA alors en usage en Afrique, fut déterminé vers 1945 le franc des
Comptoirs Français du Pacifique englobant ainsi Nouvelle-Calédonie et
Etablissements Français de l’Océanie (EFO mués en Polynésie française
en 1956), d’où la parité commune : 1 fr CFP = 5,50 FF anciens, la fixation gaullienne ultérieure du Nouveau Franc = 100 Anciens Francs amenant l’équation 1 FF actuel = 18,18 CFP, cependant que persiste
l’expression « faire du 5,5 » réservée aux dépaysés métropolitains…
Le 21 novembre 1986, atterrit pour la première fois à l’aéroport
international de Fa’a’ā le superbe oiseau blanc anglo-français
« Concorde », avion supersonique ayant déjà atterri en Polynésie sur
l’atoll de Moruroa (en escales exceptionnelles deux fois : en septembre
et en octobre 1985). Il s’agit présentement d’un vol spécial pour son premier tour du monde : 99 personnes à bord dont 88 touristes VIP européens ; tel un élégant rapace, le « Concorde » se posera et reprendra son
essor à Fa’a’ā une fois par an depuis.
En novembre 1986, la première « grande surface » commerciale
Moana Nui s’ouvre à ’Ōutoumaoro (Puna’auia) au bénéfice (?) des
consommateurs, mais en chamboulant les multiples magasins installés de
longue date. A Pāpara, Francis Cowan a fait construire une grande pirogue
double pour voguer vers la Nouvelle-Zélande, en continuité du périple de
Hokule’a ayant relié Hawai’i à Pape’ete en 1976 (dix ans déjà auparavant
!). Le Traité de Rarotonga, établissant une zone-limite de non-prolifération
d’armes nucléaires s’étendant de la côte occidentale de l’Australie vers
l’Amérique du Sud à l’Equateur, a été conclu le 6 août 1985 aux Iles Cook,
entrant en vigueur le 11 décembre 1986. Il faut se souvenir que, le 16 juillet
1945, des savants ont fait exploser la première bombe atomique dans la
plaine désertique au pied des Montagnes Rocheuses, où après quoi le sable
s’y est liquéfié et est devenu vert, dans l’Etat du Nouveau Mexique
(U.S.A.)… Nagasaki et Hiroshima 1945… Bikini 1946, Christmas 19561958, Moruroa 1965. Est créée en 1973 l’association écologique ’Ia Ora
te Nātura qui manifestera son existence sporadiquement dans la défense
de l’environnement, à l’occasion notamment des agressions d’éventrement
du sol portant atteinte à la nature, telles les dégradations des pénétrations
182
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en montagne (se déversant par le truchement des pluies et rivières vers le
lagon nourricier), et des protestations antinucléaires lors des visites ministérielles… Cette association édite régulièrement, depuis, un calendrier
annuel seyant, intéressant pour les pêcheurs et planteurs traditionnels.
Ayant embarqué le 7 septembre 1773 à Ra’iātea avec le capitaine
Furneaux, notre indigène ‘Oma’i a débarqué le 14 juillet 1774 à Spithead
(Angleterre), avec son « tabouret » qu’il donnera à son protecteur britannique : le C.P.S.H. le rachètera en 1986 pour garnir d’histoire le musée
de Puna’auia (tabouret utilisable comme repose-nuque ?).
• Une inquiétude montre son nez en 1986, date d’émergence d’une
maladie de contamination humaine provoquée par les agents des
« encéphalopathies subaiguës spongiformes animales » transmettant la
maladie dite de la vache folle : maladie de Creutzfeld-Jakob (découverte
depuis 1920 et sérieusement étudiée dès 1970) dont certains cas présentent
des symptômes similaires à ceux du syndrome d’Alzheimer (troubles de
goût et pertes de mémoire, bras agités de secousses). Ce fléau, apparu et
ayant pris des allures affolantes dans le cheptel bovin vif en Grande-Bretagne, ainsi que précisera le laboratoire (créé en mai 1990) au Centre de
surveillance d’Angleterre, présente la particularité suivante : l’incubation
peut durer 20 ans avant que se déclare la maladie ; donc celle-ci peut se
développer en souterrain et se déclencher dans des proportions importantes
au-delà des vingt années après consommation de produits issus de tels
bovins atteints. Cette vacherie s’agite-t-elle en nous ici depuis le temps ?…
Le 21 avril 1987 est fêté, dans un faste militaire sentimental, le centenaire de la Caserne Broche, dans ses quartiers en bas de la montagne
Faiere et jouxtant la Gendarmerie, bâtiments d’époque.
Le 26 juin 1987 une convention lie contractuellement la société
Tāmāra’a Nui et le Syndicat Intercommunal de Traitement des Ordures
Ménagères (SITOM), sur l’ensemble des ouvrages de la concession dont
les stations de transfert.
Le 17 décembre 1989, à Puna’auia s’est éteint le président de la
S.E.O. Paul Moortgat inhumé au cimetière de Nu’uroa (son collaborateur
immédiat Rudy Bambridge l’ayant précédé le 27 mars 1982 à Pape’ete,
183
après un accident de la route à Papeno’o), laissant à Eric Lequerré la
charge de gérer la S.E.O.58
Il y a deux cents ans, le 26 août 1789, a été solennellement votée, à
Paris par l’Assemblée constituante, la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen, acte visant à une portée universelle ; les associations
locales s’en recommandant s’activent dans le dessein de défendre les
droits de l’homme (et de la femme). L’Académie tahitienne s’y implique
modestement pour la traduction du placard deux fois séculaire.
En cette année 1990 du centenaire de la ville de Pape’ete, voici pêlemêle quelques échos-souvenirs. Le 20 février 1990, le Territoire a confié
à la société Marama Nui l’exploitation hydraulique des rivières Moaroa
et Ma’iripehe aux fins de construire une usine hydraulique.
Subsiste l’ancien hôpital colonial d’administration militaire, un des
plus anciens bâtiments de Pape’ete ; communément appelé du nom de la
terre Vaiami (après l’inauguration de l’hôpital de Māma’o), il est devenu
hôpital psychiatrique vers 1970-72.
Créé en 1961, sous l’impulsion de la mairesse-conseillère territoriale
Rosa Raoulx de ’Ārue, le groupement de solidarité des femmes de Tahiti
est bientôt trentenaire ; cette association a été présidée par Taote Andréa
de Balman puis la mairesse-conseillère territoriale Tuianu Legayic de
Pāpara ; elle organise chaque année : la journée de maire (fougère) en
mai et la journée de tiare avec bal en décembre, pour ses œuvres sociales.
L’association « Club des Forains », créée en 1970 pour discipliner
les emplacements des exploitants durant les fêtes folkloriques de Heiva
place Vai’ete, est présidée, depuis une dizaine d’années en 1990 par
Albert Porlier ; un syndicat des roulottes foraines (alors une quarantaine)
gère, par ailleurs, l’occupation affectée en zone du Port Autonome. Le 5
mai 1990, il y a 44 ans que Tahiti accueillait le retour des Combattants
volontaires du Bataillon du Pacifique.
58
Eric Lequerré est décédé le 3 décembre 1990 et est inhumé au cimetière St Etienne de
Puna’auia, non loin du guérisseur réputé et fervent catholique Tiurai (mort en 1918).
184
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Est créé en 1990 le Syndicat des propriétaires de chevaux de courses
de Polynésie, avec pour mission l’organisation des activités hippiques à
l’hippodrome (de Nāhō’ata, à Pīra’e) et des sports équestres…
Implanté à Tahiti en 1985, l’Institut des énergies renouvelables pour
le Pacifique Sud est un G.I.E. (entre le Territoire, le C.E.A. et l’Agence
de l’environnement et de la maîtrise) pour l’utilisation des énergies
solaire et éolienne ent et éolienne à Mataiva et Maupiti, avec espérances
en 1990 de développement de la lutte contre la pollution…
Les membres fondateurs, le 18 mars 1960, du Lion’s Club de
Pape’ete gueuletonnent une semaine plus tard, pour leur premier repas,
au restaurant « Les Tropiques » à la Pointe de ’Auae. 30 années après, la
sélecte bienfaitrice se distingue en galas où se mêlent perles et casino
occasionnel.
Le Conservatoire artistique territorial Te Fare ’Upa Rau, créé en
1979, a été installé à Tīpaeru’i, jouxtant l’hôtel Mātāvai. Existe depuis
1980 le Centre des métiers d’art, école favorisant les expressions artisanales (sculptures sur bois et pierre notamment) quartier ’Orae-Māma’o.
L’association de bienfaisance Rotary Club de Tahiti fêtera ses 31 ans en
octobre 1990.
• Devant l’Ecole des Frères, Ah Kiau Chung (né en 1916) a installé
son petit magasin en bois en 1938, il y a donc 52 ans en 1990. Que de
générations scolaires ont défilé devant ses bonbons-citrons (au sirop ou
salés), ses bonbons-coco, ses bonbons-tamarin, ses bonbons-sûrettes…
champions pour faire saliver de mémoire encore aujourd’hui, ses biscuits
gros nœud-papillon craquants au miel, ses ’aratita « home made »…
dans cette immuable boutique !
Créé en 1934, le Radio-Club Océanien (RCO) rend notamment des
services à la collectivité pendant la Seconde Guerre mondiale (son émetteur et ses techniciens apportant leur concours à l’administration militaire) ;
il fait démarrer en 1949 la station Radio Tahiti avec des moyens bénévoles
jusqu’à l’installation en 1956 de l’organisme public de radiodiffusion, le
RCO se muant alors en Club Océanien de Radio et d’Astronomie (CORA).
Il participe à des missions scientifiques dans le monde, étant, depuis
185
1983, au sein de l’Union Internationale des Radios-Amateurs (IARU) ;
localement, il a contribué à des actions de sauvetage maritime comme
lors de calamités naturelles, d’urgences médicales, le CORA disposant
d’un répéteur VHF à Mo’orea et dispensant des cours en radio-électricité
dans le dessein de développer l’esprit radio-amateur.
Mouvement né en mars sous l’impulsion de Jean-Claude Burg (à
l’époque directeur de l’Hôtel Ta’aone, belle unité qui céda plus tard son
emplacement au quartier général du C.E.P.), à l’occasion du passage de
la délégation de la Jeune chambre économique de France en route pour
le congrès mondial à Sydney, la J.C.E. de Tahiti a donc fêté ses 24 ans en
1990 : 1er président annuel et fondateur Jean-Baptiste Vernier…
En octobre 1962, démolition du Palais Royal/Trésor, quand la
Banque de l’Indochine et de Suez a réalisé son nouvel immeuble et que
la première auto-école locale est créée par le Gallibère André Delva (avec
l’associé initial Gérard Delouf), l’agence Delva incrustant en 1990 sa
28ème année. Créée en novembre 1961, la SETIL (ex-SEPOF) réalisera le
lotissement social de Fa’a’ā : 78 logements mis en location-vente en
1963, quand le 5 mai 1961 a été inauguré tout à côté l’aéroport international de Tahiti-Fa’a’ā, il y a donc presque 30 ans déjà ; le CREDO
(constitué en mai 1959, avec la Caisse Centrale de Coopération Economique, président René Quesnot alors président de la Chambre d’Agriculture et d’Elevage – Jean Vernaudon devenant président en 1961 et
directeur général en 1969) ayant réalisé en juillet 1962 le lotissement de
Hāmuta à 24 logements, puis en fin 1962 le lotissement Pāmata’i à 25
logements, l’établissement prêteur social devenant SOCREDO en 1966.
Au terminus de la route péninsulaire à Teahuupo’o, vient d’être réalisée la passerelle en béton près l’embouchure de la rivière Tirahi, permettant aux piétons de se rendre au Fenua ’Aihere et du village tranquille
ainsi protégés de la pollution automobile en 1990…
• Côté artistes-peintres, la Galerie Winkler propose encore des
aquarelles de paysages et scènes polynésiens, produites à partir de Paris
à presque 80 ans par Guy Huzé (né en 1911) : venu ici de 1938 à 1946
puis en 1963-1964. Née à Paris, Henriette Robin, lauréate du salon de
printemps d’Amiens en 1962, vit et peint depuis 1963 à Tahiti (Māhina),
186
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premier prix Fra Angelo 1965 ; ses portraits-types ont belle gueule ! François Ravello (né le 2 mai 1926 à Toulon), après avoir gratté la guitare la
veille « Chez Elle » à Marseille, embarque fin octobre 1956 sur le cargo
Résurgent (ex-Chang Chow) comme garçon de cabine, débarquant à
Pape’ete fin novembre : ancien d’Indochine et ayant fréquenté les expositions de gouaches galerie Soncini en 1964, ses aplats de couleur et expositions ultérieures ayant consacré, depuis, une carrière réputée, séjournant
à Mo’orea dans le voisinage amical du talentueux maître-queux Jean Chapiteau (né le 8 février 1911 à Bourg-en-Bresse), retiré là-bas après sa dernière épreuve de restaurateur vers 1973 à Nu’utere (Pāpara).
• Le 2 mai 1990, Père Daniel Ermon (né à Givrand), fêtant ses 78 ans
dans sa communauté de retraite de Sarzeau, les paroissiens mangaréviens
envisagent de lui offrir un voyage-pèlerinage prochainement ici, où il a été
affecté à 24 ans (arrivé le 11 novembre 1936 à Tahiti, ayant été ordonné prêtre le 28 juillet 1935 à Châteaudun) : il exercera 22 années à Mo’orea, puis
25 années aux Gambier de 1958 à 1983, le valeureux missionnaire rejoindra
sa patrie à 71 ans après ses 47 années consacrées à la Polynésie, avec une
connaissance courante du tahitien. Sur la demande de Mgr Paul Mazé, il a
ronéotypé 4 livrets sur l’histoire de la Mission, après les 50 premières
années de présence, suivant un résumé écrit du temps de Mgr Hermel.
• En juillet 1990, à 23 ans, le Breton Pierre Bellot, handicapé-né
sans bras et unijambiste… mais sportif et artiste-peintre, amateur de
plongée sous-marine… venu en séjour ici, réalise à la nage la traversée
du chenal de quai à quai entre Pape’ete et Mo’orea : 25 km en 9h30 ! A
son retour en France, une souscription lancée à Tahiti lui offrira là-bas
une voiture spécialement adaptée à sa conduite personnelle d’handicapé.
Etc., etc. Nous n’avons pas parlé des « extra-terrestres » (dont une
secte avec gourou-professeur s’est naturalisée sur un îlot à Porapora), ni du
phénomène de la pirogue de compétition olympique (dont les coques effilées ont dorénavant envahi la plage de Pā’ōfa’i), ni du sida (ce fléau de
pénétration ambiguë), ni de la Croix Rouge,… ni des usages de la langue
ayant fait recette : du « tout à fait » aux « effets pervers », etc., etc.
Ceci clôt la revue des mandats des neuf maires des cent premières
années (1890-1990) de la Commune de Pape’ete. On notera que le Conseil
187
municipal de Pape’ete a tenu séance exceptionnellement un dimanche, le
20 mai 1990 dans la nouvelle mairie, le jour du 100ème anniversaire de la
commune.
Voici pêle-mêle la composition du Conseil Municipal élu le 17 mars
1989 et en place lors de l’inauguration officielle et grandiose de la nouvelle Mairie par le Président de la République François Mitterand le 16
mai 1990 (35 membres) : Jean Juventin (maire), Jean-Baptiste Trouillet,
Maco Tevane, Arthur Bata Chung, Donald Chavez, Freddy Vernaudon,
Emile Lee Tham Loi, Michel Mahinui-Tekurio, Jean Tefan, Eric
Mo’oroa, Charles Tetaria, Yen Howan, Michel Ferrand, Raymond Desclaux, Paul Mai’otu’i, Teua’ura Tinitua, Léonard Tite, Etienne Ueva,
Georges Chefat, Charles Fong Loï, Jean Mokoi Kaimuko, Tahimanari’i
Ma’itere, Raymond Pietri, Ralph Hoffmann, David Tea’i, Jacky Piritua,
Jean Tanseau, Mme Josette ’O’opa épouse Yau ; André To’omaru, Patricia Asin, Daniel Teri’iero’oitera’i, Yves Yumain, Mme Louise Lévy
épouse Carlson, Mme Pauline Puaina et Lucien Teinauri.
C’était un mercredi matin ensoleillé, où l’oiseau ’Ōtaha du sculpteur
pascuan tournoya au-dessus de la foule après le discours du Président qui
venait d’être baptisé Te-ari’i-tū-roa. La salle aux neuf portraits des
séances municipales recevra ensuite, dans le livre d’or inaugural, le premier paraphe national : l’écu de la ville de Pape’ete, sur fond majestueux
des monts Aora’i et Te-tara-o-Mai’ao (Diadème), rappelant sa devise :
« I te ’ohipa ti’a e taraire ai te mana » (la droiture raffermit le pouvoir),
à rapprocher de ce pastiche d’un quidam « Nā te ’ohipa ti’a-’ore e tarai
i te mana (le mal-faire finit par façonner le pouvoir, ou : l’expérience de
faux-pas tend à peaufiner le pouvoir : traduction libre et ambiguë…).
Nous laissons aux politologues, sociologues et lecteurs le soin
d’étoffer le centenaire ici décrit sous des facettes obreptices que le prisme
du temps réfracte à l’infini. Nostalgie et superposition de générations et
mentalités croisées…
FIN.
188
Septembre 1990
Vānanga Raymond Pietri
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190
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
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décembre 1992/avril 1993 (p. 97) – n°260 : septembre 1993 (pp. 2-19). –
n°261/262 : mars/juin 1994 (p. 119) – n°265/266 : mars/juin 1995 (pp. 47-67) –
n°269/270 : mars/juin 1996 (pp. 132-135) – n°271 : septembre 1996 (pp. 85-88) –
n°276 : mars/juin 1998 (pp. 98-111) – n°284 : février 2000 (pp. 25-50) – n°295 :
décembre 2002/janvier 2003 (pp. 105-114).
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Le Petit Larousse Illustré
Le Messager de Tahiti
191
The Sweet Potato in Oceania,
a reappraisal
Les ouvrages collectifs sur l’Océanie sont si souvent consacrés à des
idées a priori, des idées de blanc, et servent de point focaux plus à la carrière en devenir des organisateurs, qu’à une vision scientifique, que celuici nous arrive comme un reposant interlude. Son prétexte est parfaitement
raisonnable et rassurant : la patate douce. Il est ici question de la vie quotidienne des gens, ce qui ne porte certes pas à contestation. Mais il s’y
ajoute malgré tout aussi une part de romantisme intellectuel, les scientifiques sont incorrigibles, la patate douce servant de prétexte à des hypothèses sur les voyages polynésiens vers l’Amérique. On y trouve ici ces
deux points de vue, le terre à terre inséré dans la réalité la plus empirique,
et l’envolée lyrique décrivant les hypothétiques expéditions nautiques
anciennes. L’ensemble va devenir l’ouvrage de référence sur la question.
Grâce à cette publication, les lecteurs auront en mains, pour longtemps, en particulier l’état de la question en Nouvelle-Guinée, à quoi ressemble dans les faits la “révolution ipoméenne”, qui a permis, depuis
quatre siècles, la mise en valeur de terres plus élevées (jusqu’à 3.000
mètres d’altitude) et l’expansion démographique, souvent agressive (je l’ai
constaté moi-même dans la vallée de la Baliem), d’une population à qui
la culture de l’igname et du taro n’avait pas permis jusqu’alors d’occuper
les plus hautes terres de son environnement.
Les meilleurs spécialistes de la question sont là. Le terme de « révolution » correspond à la rapidité relative de transformation de populations montagnardes qui, grâce à l’introduction de la patate douce apportée
d’Amérique en Indonésie par les navigateurs portuguais, puis espagnols
(l’hypothèse de Jacques Barrau sur ce point était la bonne), ont disposé
de réserves de nourriture importantes, facilement renouvelables, de bonne
qualité nutritionnelle, leur permettant parallèlement une extension qualitative et quantitative de l’élevage de porcs, et par conséquent, par contrecoup, des échanges cérémoniels à un niveau jamais encore atteint.
Lier ainsi à l’introduction d’une culture nouvelle, acceptée avec
enthousiasme, l’évolution sociale et politique de sociétés se comptant par
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millions d’habitants, est une vision différente de celle de tous les auteurs
qui croient à une tradition millénaire inamovible, et s’en imaginent les
interprètes.
D’une certaine façon, cela remet sur un bon pied les sciences
humaines en Océanie. On aurait aimé disposer de chapitres aussi fournis
et aussi bons pour l’histoire et le développpement de la patate douce en
Nouvelle-Zélande. Les spécialistes n’étaient peut-être pas disponibles. Cela
n’est pas expliqué. On aurait aimé aussi que l’excellent état de la question
concernant la Nouvelle-Guinée occidentale, sous tutelle indonésienne, se
voie attribuer plus de place dans le volume. Mais le chapitre qui y est
consacré est déjà extrêmement précieux.
Par contre, le même sujet traité pour l’ensemble de l’Océanie, ou
pour la Mélanésie, ne présente pas l’exhaustivité des différentes études sur
la Nouvelle-Guinée. La patate douce, ici nourriture de complément, n’y
joue évidemment pas le même rôle historique. Les témoignages, datés et
localisés, sont dispersés dans des milliers de publications, entre autres
missionnaires, petites et grandes, dont les auteurs présents ne maîtrisent
pas toujours la masse. Les archives de la London Missionary Society, disponibles en microfilm à Sydney, Canberra, Wellington et Hawai’i, n’ont pas
été lues dans leur entier. Ce qui fait que le rôle de la dispersion de la patate
douce, en dehors de la Polynésie, par les évangélistes samoans et rarotongiens de la LMS, puis par les pasteurs loyaltiens de cette même LMS, est
indiqué ici et là, mais pas vraiment vu dans son ampleur exacte. Evidemment, indexer les archives de la LMS est un travail que l’informatique, en
particulier Google, va peut-être nous permettre, si du moins on dispose
un jour d’un moteur capable de lire et d’interpréter l’écriture manuelle
anglaise des XVIIIe siècle et du début du XIXe.
Au Vanuatu, aux îles Loyalty et en Nouvelle-Calédonie, il est clair que
la venue de la patate douce est le sous-produit de la prédication protestante britannique, par l’intermédiaire d’évangélistes originaires de Rorotonga et de Samoa.
Certains aspects de l’expression de nos collègues ne devraient pas étonner. Les éloges, mérités, qu’ils font de la reprise des diverses versions du
mythe maori de la patate douce selon Elsdon Best, analysés ici superbement
par Serge Dunis, montrent qu’en dehors de la curiosité intellectuelle tous
193
azimut de Chris Ballard, la « révolution », apportée par Claude LéviStrauss dans la façon de traiter les textes de la tradition orale, est passée
par dessus la tête de nos collègues anglo-saxons. Les anthropologues
sociaux de la grande tradition britannique ne savent trop souvent toujours
pas comment traiter un corpus de mythes.
Un dossier mérite ici d’être soulevé, d’autant que le thème des divagations supposées de la patate douce illustre le romantisme scientifique
appliqué à l’Océanie depuis des générations, c’est celui du recours trop
souvent à des méthodes linguistiques, ou pseudo-linguistiques, de façon à
y découvrir des arguments que l’on espère novateurs.
Il y a quelques décennies, l’aventure de la glotto-chronologie, qu’une
génération d’anthropologues et d’archéologues a pris pour du bon pain,
a emmené tout le monde dans une impasse. André Haudricourt avait eu
le premier la prescience que cela finirait mal. On ne pouvait comparer des
langues et en tirer des conséquences historiques sur la base d’un vocabulaire de quatre cent mots. Il fallait comparer des langues entières, étudiées
exhaustivement, et assurer aux langues océaniennes le même traitement
qu’aux langues indo-européennes. On en est loin. Les langues convenablement étudiées sont de l’ordre de quelques dizaines, sur plusieurs milliers. C’est bien pire en Amérique du Sud.
Mais les coupables étaient là, les linguistes, qui avaient imaginé la
glottochronologie, ou n’avaient pas cru pouvoir s’opposer à une mode qui
nous a fait perdre du temps, et de l’argent. La recherche de raccourcis
méthodologiques n’est jamais bonne conseillère. Le volume présent en est
l’illustration contraire, par sa si fréquente perfection dans le détail.
Le sujet que je voudrais traiter ici plus spécialement est le recours à
des arguments apparemment linguistiques par des archéologues ou des
anthropologues non formés à cette discipline. J’ai reçu, immédiatement
après la guerre, la meilleure formation qui puisse se trouver, en linguistique, à Paris, de la part d’André Haudricourt. J’ai décidé plus tard d’abandonner la linguistique, parce que je ne pouvais véritablement trouver le
temps de pratiquer les deux disciplines, linguistique et anthropologie. Et
que si la linguistique structurale de l’école de Prague m’avait enthousiasmé, on la voyait patauger dès lors qu’il s’agissait d’aller au delà du système des phonèmes et de s’attaquer au texte. J’ai dû faire un choix, mais
194
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je sais, d’expérience personnelle et à l’observation d’autrui, comment les
linguistes travaillent sur le terrain.
C’est ce que ne semble pas connaître Roger Green, notre Américain
égaré en Nouvelle-Zélande (il y en a tant égarés à Tahiti, et tous aussi
agréables à vivre l’un que l’autre, que c’est là une originalité), dont les
idées sont souvent extrêmement brillantes du point de vue de la méthode,
mais peuvent l’amener dans des impasses empiriques.
Je peux parfaitement accepter les arguments de Green quant aux
voyages polynésiens et sud-américains de la patate douce, mais le raisonnement qu’il propose pour y parvenir me semble manquer de fondement.
Il aboutit en fin de compte à rechercher et privilégier une opposition entre
des voyelles initiales brèves ou longues, entre deux formes attestées du
vocable kumara, de façon à démontrer l’existence de deux introductions
différentes de la patate douce depuis son champ sudaméricain.
Une certaine expérience du maniement et de l’enregistrement de textes
en langues océaniennes (je prends toujours sous dictée, ou je fais écrire)
m’a montré que l’opposition entre voyelles longues et brèves, kumara et
kuumara, était extrêment peu stable. D’autant que bien des auteurs européens auxquels on se réfère ne savaient même pas faire la distinction. On
ne peut fonder un argumentaire sur un élément prosodique aussi fragile,
et surtout pas les conséquences que nous propose Roger Green. L’absence
ou la présence d’une consonne, opposition phonologique plus stable, serait
un meilleur argument. En plus, la présence ou l’absence de la longueur (en
parlant à un Européen honoré, sinon honorable) caractérise souvent le
passage de l’inflexion cérémonieuse à la langue de tous les jours.
Comme tant d’autres spécialistes de sciences humaines, notre ami
croit à l’existence de formes absolutives de chaque mot, de celles que l’on
imagine nécessaires à la construction de dictionnaires (les dictionnaires
se construisent en réalité à partir de textes entiers et non de mots obtenus
individuellement en réponse à une question : ça, c’est pour la période de
défrichement). Il n’existe pas de forme absolutive, où que ce soit, du nom
vernaculaire, quel qu’il soit, de la patate douce, par exemple kumara. Ce
nom est décliné d’une façon ou d’une autre, et Green ne tient aucun
compte de ces déclinaisons. Il raisonne par rapport à l’absolu d’un mot
qui n’en a pas, pas plus que tous les autres substantifs.
195
Il ne sait pas que ces déclinaisons peuvent être complexes, du fait de
l’existence de classes nominales, de huit à dix, par exemple à Ouvéa en
langue mélanésienne majoritaire Qèn Iai, dans la langue du nord Ambrym
et d’autres langues voisines au Vanuatu, dans une famille de langues de la
Terre d’Arnhem en Australie, parmi celles sur lesquelles j’ai travaillé personellement), qui ont pour conséquences de multiplier les exemples de
désinences pré ou postposées, dont la présence influe sur la prosodie du
mot lui-même selon la composition phonologique du reste de la phrase.
En résumé, on ne dit jamais kumara, patate douce, mais ma, ta, sa, etc.,
leur kumara, c’est-à-dire, dans la configuration la plus simple : kumarang, kumaram, kumaran, etc. L’accent se porte sur la voyelle finale et
il n’est pas certain que la longueur initiale supporte alors cette proximité.
La question posée aux locuteurs vernaculaires par les enquêteurs blancs
est parfaitement artificielle.
L’existence d’une voyelle, brève ou longue, dans cette forme absolue,
n’est ainsi pas un fait, mais une hypothèse supplémentaire, que rien ne
vient confirmer, étant donné que les conditions exactes où le mot a été
enregistré ne sont pas connues à chaque fois. Ces voyelles longues disparaissent aisément à la déclinaison du substantif ou du verbe d’état.
Dans la perspective d’une graphie correcte comportant une voyelle
longue, une partie des voyelles brèves seraient alors le résultat d’une écriture fautive. Nous aurions besoin, à chaque fois, de phrases entières où le
mot apparaîtrait, et pas de la réponse à la question de blancs qui veulent
imposer inconsciemment leur vision de tel ou tel lexique vernaculaire
océanien.
Ces réserves méthodologiques s’appliquent, non seulement à Roger
Green, mais à tous les auteurs voulant traiter de la kumara sur une base
lexicale, et tout d’abord au tout premier d’entre eux, le docteur Paul Rivet,
par extraordinaire entièrement ignoré ici.
Cette dernière référence nous amène directement à une autre
remarque, concernant l’origine du dossier faisant l’objet de la discussion.
J’ai été soumis, comme étudiant, à la marotte du docteur Paul Rivet, directeur du musée de l’Homme, médecin militaire formé à Lyon par mon père
(en médecine tropicale) et mon grand-père (en physiologie du système
nerveux), et qui voulait, absolument, touchant à tout, que la patate douce
196
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
soit venue d’Amérique Latine en Océanie. Il recherchait déjà les itinéraires
et, dans les langues andines ou autres, toutes les formes du mot kumara.
J’avais commencé par prendre sa méthodologie au sérieux, et je me suis
mis à recopier, il n’y avait pas encore de photocopieuse, les lexiques
indiens de façon à les comparer avec des lexiques océaniens. Les railleries
légères d’André Haudricourt, qui trouvait cela du temps perdu, ont fini par
m’en détourner.
Cependant Rivet aboutissait déjà aux mêmes résultats que cet
ouvrage, arrivant à faire remonter le terme kumara très au nord des plateaux andins (son épouse appartenait à la grande bourgeoisie de l’Equateur : il l’avait enlevée à cheval et cachée à bord d’un navire français sous
le costume d’une bonne soeur). En l’affaire, Douglas Yen avait ainsi un
ancêtre français (déjà pillé très largement par Thor Heyerdahl), qu’il semble ne pas connaître, et qui s’était déjà heurté à la masse des matériaux
qu’il eut convenu de recueillir en Amérique du Sud, du Pérou au Mexique,
pour faire oeuvre utile. Piquer par ci, par là, sur la carte, et aux mêmes
endroits que Rivet, les formes apparentées au terme kumara ne constitue
pas, de ce fait, aujourd’hui, un progrès scientifique déterminant. Rivet a
été par ailleurs le premier à désigner Mangareva comme le lieu probable
de l’introduction de la patate douce en Polynésie (cf. sur ce point l’argumentation justifiée de Green, qui ne le connaît pas). Partant d’une tradition
andine précise, il est le premier à avoir envisagé l’hypothèse d’un voyage
en radeau à voiles depuis l’Amérique du Sud.
Le docteur Rivet n’était pas un homme de science de premier plan, et
il s’était lancé dans sa quête sans méthode bien établie. Mais il avait eu de
la suite dans les idées et avait ainsi précédé d’un demi-siècle, dans le même
discours, nos auteurs actuels. Il est inquiétant que la gomme ait pu ainsi
passer sur un personnage aussi flamboyant. Qui a décidé, un jour, de l’oublier ainsi ? A lire Douglas Yen, il semble bien qu’il n’ait pas eu connaissance de cette facette du dossier. Je crois que Thor Heyerdahl est le vrai
coupable, qui a, par ambition personnelle, coupé ainsi la racine du temps.
On peut faire confiance aux universités nord-américaines. Elles parviendront, un jour, à accumuler les données archéologiques qui nous
manquent pour la côte océanienne du Nouveau-Monde. En attendant, on
joue avec les mots, ainsi qu’avec les vents et les courants du Pacifique
197
oriental, mais ce n’est jamais là qu’un jeu intellectuel. Parfois amusant,
lorsque Douglas Yen nous parle des représentants d’empires militarisés
amérindiens recevant la pirogue polynésienne et veillant à ce que son
équipage ne reparte pas avec trop de plantes indigènes.
On accepte aujourd’hui que la bande dessinée puisse être un mode
de connaissance. En voici un exemple imprévu.
Un autre aspect, cette fois irritant, est la référence constante à Jacques
Barrau pour la distinction empruntée, et fortement simplifiée, par Barrau
à Maurice Leenhardt entre « l’humide et le sec » (s’identifiant à féminin
/ masculin), dans l’analyse de la fonction sociale et rituelle, et de la classification vernaculaire, des plantes alimentaires et cultivées de NouvelleCalédonie. Jacques Barrau n’avait en rien prétendu ici à l’originalité, et il
s’est trompé dans la description du détail de la corrélation, mais cependant c’est à lui que l’on impute constamment ce concept, fondé chez Leenhardt sur plus de vingt années de présence sur le terrain, et développé
dans son ouvrage le plus réfléchi : Do Kamo, ou la personne mélanésienne, Gallimard 1947, pourtant traduit en anglais et édité par l’Université d Chicago. La référence aux sources, et non aux compilateurs, n’a
pourtant pas cessé d’être la règle première de la recherche en sciences
humaines. La traduction des titres de chapitres de l’ouvrage peut donner
une indication utile de la variété des points de vue et de la spécialisation
des auteurs. J’y ajoute les commentaires qui me paraissent appropriés :
• Chris BALLARD : « Encore bonne à penser, la patate douce en Océanie »
(p. 1-13, 4 cartes). Une excellente introduction au dossier dans son ensemble, pour une fois intéressante à lire, véritablement synthétique et très bien
informée, ne se contentant pas de coups de chapeau aux auteurs, par un
homme de science d’une culture professionnelle rare aujourd’hui.
• Michael BOURKE : « La patate douce en Papouasie-Nouvelle- Guinée, la
plante et les gens » (p. 15-24). Une vision synthétique de la place économique et culturelle de la patate douce en Papouasie-Nouvelle Guinée, comparée, ailleurs, à la fonction de l’igname et du taro en Océanie.
• Simon G. HABERLE et Gill ATKIN : « Aiguilles dans une meule de foin :
la recherche de la patate douce (Ipomoea batatas (L.) Lam.) dans le relevé
des pollens fossiles » (p. 25-33, 1 carte, 2 fig., 6 tableaux, 1 photo). Un
dossier technique absolument parfait, aboutissant à un constat de carence.
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• Richard SCAGLION : « La kumara dans le golfe de Guayaquil, en Equateur ? » (p. 35-41, 5 cartes). Le résultat des allées et venues du docteur Paul
Rivet en Amérique Latine sur la kumara, revisité en aveugle par un chercheur moderne qui n’était apparemment pas au courant.
• Roger GREEN : « Les transferts spatiaux de la patate douce dans la préhistoire polynésienne » (p. 43-62, 3 cartes). Une tentative aussi brillamment
inspirée, que parfois mal exécutée, de prendre à bras le corps le dossier des
voyages de la patate douce entre l’Amérique et l’Océanie. L’exposé du dossier
est pourtant remarquablement informé et bien charpenté, extrêmement
complet. Ce sont les preuves linguistiques qui ne sont pas au rendez-vous.
L’auteur est breaucoup plus à son aise dans la mise en évidence de tel ou tel
détail historique négligé jusqu’alors. Green a certainement raison quant à
l’introduction de la patate douce ailleurs que par le moyen de l’île de
Pâques. On cherchera de plus en plus au nord que l’Equateur le point d’origine de la patate douce. Ayant l’habitude d’accueilir des dates au C 14 qui se
révèlent généralement de plus en plus anciennes, j’attends avec intérêt les
nouvelles dates qui ne manqueront pas de surgir quand à l’ancienneté de la
patate douce dans l’archipel hawaiien. Le raisonnement sur les dates archéologiques relatives obtenues comporte toujours une inconnue, étant donné
que la densité des travaux archéologiques dans la grande région, et en Amérique du Sud, est très inférieure à ce qui serait souhaitable pour être raisonnablement sûr des interprétations proposées. L’utilisation de données par
Christophe Sand, au lieu de la référence à mes travaux plus anciens, et que
Sand reprend en y jetant la confusion, par incompétence, n’est pas une
bonne idée. La migration sur l’île des Pins, puis à Lifou, a trait à une pirogue
venue de Rarotonga et non de Tongatapu. Le premier voyage à Maré et Lifou
de la LMS a vérifié que les descendants parlaient encore leur langue d’origine, ce qu’ils ne font plus. Par contre les voyages polynésiens, s’étageant au
cours de plusieurs siècles, aux îles Loyalty (Ouvéa, mais aussi Lifou), puis
sur la côte nordest de la Nouvelle-Calédonie (de Houaïlou pour les Samoans
à Hienghène, Pouébo et Balade pour les autres), comportaient une part de
pirogues venues de Samoa et de Tonga, et pas seulement d’Uvea (Wallis) et
de Futuna (Guiart, Structure de la chefferie en Mélanésie du Sud, 1964 et
1992). Ces données proviennent de la tradition orale loyaltienne et de la
Grande Terre, recueillie systématiquement par moi pendant un demi siècle
et que Sand ne fait que s’approprier, mal. On doit y ajouter la tradition sur
Futuna, au sud du Vanuatu, d’une relation précise en pirogue, aller et retour,
avec Tongatapu, et les pirogues arrivées de Rarotonga aussi sur l’îlot Fila et
199
Mele, au Centre Sud du Vanuatu, ainsi que les pirogues samoanes ayant touché anciennement Makura, la côte de Tongariki, puis le sud de Tongoa
(cette dernière donnée confirmée par l’étude de génétique médicale de Carleton Gajusek sur Tongariki). Les descendants d’un équipage soi-disant massacré sont encore là bien vivants, ce qui est souvent le cas. Aucune de ces
arrivées ne semble avoir apporté la patate douce, qui a été reçue bien plus
tard des mains des évangélistes de la LMS.
La conclusion sur la possibilité d’une introduction polynésienne du cocotier
sur les côtes occidentales de l’Amérique du Sud est une des rares idées nouvelles acceptables dans le dossier si fluctuant des relations anciennes Océanie-Amérique, et dont la vérification de la pertinence dépende de moyens
actuellement disponibles. Comment n’y a-t-on pas pensé avant ? Merci pour
cela à Roger Green.
• Helen LEACH : « Ufi kumara, la patate douce en tant qu’igname » (p.
63-70, 2 fig.). Le rôle de l’igname au goût sucré, dite walei, warei, en Nouvelle-Calédonie, et qui est l’igname dont parle Bronislaw Malinowski aux îles
Trobriand (Dioscorea esculenta), par rapport aux ignames massives ou
longues plus classiques (Dioscorea alata), dont traitent Maurice Leenhardt
et ses successseurs, n’est pas mis en valeur ici de manière précise, alors
qu’il explique, et d’ailleurs élargit en même temps qu’il justifie, le propos
de l’auteur.
• James COIL et Patrick V. KIRCH : « Un paysage ipoméen : l’archéologie
et la patate douce à Kahikinui, Maui, Îles Hawaii » (p. 71-84, 8 cartes, 4
photos, 1 tableau). L’exemple peu connu par les lecteurs français du sérieux
du travail des spécialistes hawaiiens de la question. Le lien entre la culture
de la patate douce sur une grande échelle, et dans un paysage travaillé à
cette intention, avec l’expansion politique pré-, puis post-européenne, de la
dynastie des Kamehameha. Un cas modèle de sophistication de la collaboration entre l’archéologie et l’ethno-histoire
• Paul WALLIN, Christopher STEVENSON et Theng LADEGOFED : « La
production de la patate douce sur Rapa Nui » (p. 85-88). Le texte correspond exactement au titre. L’introduction de la patate douce est mise en relation avec la construction des temples, aux alentours de 1200 AD, sa culture
préférentielle ayant eu lieu dans des fosses protégées au sol constitué d’un
humus artificiel.
• Serge DUNIS : « De kumara et de pirogues. Les mythologies maori et
hawaiiennes et les contacts américains » (p. 89-97, 1 carte, 5 fig.). Cet exercice brillant, une gemme brute dans un ensemble un peu terne, comporte
200
N°305/306 • Janvier/Avril 2006
deux parties, la première sur la mythologie liée à la patate douce, qui se suffirait à elle-même, et un long passage sur les problèmes de relations avec
l’Amérique du Sud, en ce qui concerne les voyages de la patate douce. Le
lien logique entre les deux est évident, mais il n’a pas été vraiment exprimé,
ce qui surprend à la lecture. Le développement portant sur les variantes
mythologiques de la patate douce est diffficile à lire en ce qu’il porte sur les
informations données par Elsdon Best, qui ici ne sont pas localisées. On ne
sait qui a donné chaque version, ni quel lignage, où, chacune peut représenter. Un moyen important d’une interprétation possible manque ainsi. On
devrait ajouter une nuance portant sur les incestes successifs. Chaque
variante authentique porte, au départ, sur un groupe de descendance, et pas
un autre, en un lieu précis, que représentent, d’une façon ou d’une autre,
chacun des personnages du récit (les versions générales sont la création des
auteurs européens). On peut en tirer la conclusion que chacun de ces personnages n’est pas un héros de la mythologie au sens antique du mot, mais
une entité collective symbolique, insérée dans une généalogie justifiant les
détails du prestige revendiqué par un lignage précis. Les incestes indiqués
par les récits, ou reconstruits à partir de ces derniers, sont des incestes classificatoires. C’est-à-dire qu’on ne saurait en tirer des conclusions de type
psychanalytique. L’Oedipe n’a rien à voir là-dedans. Heureusement.
On doit être reconnaissant à Serge Dunis de cette introduction à d’autres travaux, difficiles, sinon impossibles dans ce cadre là. Il faudrait retrouver les
textes originaux de chacune des versions de Best et y ajouter toutes les autres
disponibles pour le reste de la Nouvelle Zélande et alors voir comment chacune se situe, dans l’espace et le temps, par rapport à la société maorie globale, à la date d’expression de chaque tradition particulière. Il s’agirait là
plutôt d’une entreprise collective. L’exemple classique de l’aventure inversée
de Maui tikitiki a Taranga et de Hine nui te Po est plus particulièrement
maori, mais le personnage de Maui tikitiki est presque universel. On le
retrouve aussi bien en Micronésie qu’en Mélanésie, toujours sous la forme
non d’un « héros culturel », mais de l’introducteur des éléments essentiels
de la vie, dont laisser partir la mer jusqu’alors enfermée dans un puits, ou
tirer à l’hameçon les îles de cette même mer tout en se balançant à la
branche d’un banian, arbre qui introduit au chemin qui mène au pays des
morts. Il est à ce moment à la fois trickster et divinité autonome, que l’on
peut visiter à son site cultuel et lui parler face à face, ce que j’ai eu l’occasion
de faire sur Tanna, au sommet du mont Mélèn, en 1952, selon du moins les
personnes de bonne volonté qui ont bien voulu spontanément accréditer, à
ce moment là, et à mon avantage, cette nouvelle version du mythe. Il est alors
201
lié à deux éléments de l’alimentation traditionnelle, à savoir les offrandes
que l’on va lui déposer annuellement, et selon le lieu, un coq blanc (Makata
sur Emae) ou une igname prémice (Port Résolution sur Tanna).
Le lien entre la patate douce et la mythologie maorie est ainsi une création
entièrement originale, qui parle en faveur d’une date ancienne pour l’introduction de cette tubercule. La réduplication d’un inceste premier, celui de
Tane et de Hine nui te Po, aura été le mécanisme stylistique de l’insertion de
la kumara dans la constructon idéologique spécifique issue de l’immigration
maorie. Dix-sept incestes divins successifs proposés, cela recouvre logiquement quelques dizaines de générations. Ou alors, c’est que chaque version
du mythe correspond à un lignage particulier, ce qui diffuse alors l’ensemble
par fragments dans l’espace maori. Nous n’avons ici la réponse ni à l’une,
ni à l’autre question.
• Matthew G. ALLEN : « Les données sur la patate douce en Mélanésie »
(p. 99-108, 3 cartes). Inventaire à peu de choses près complet de la question dans l’arc mélanésien.
• Tim BAYLISS-SMITH ; Jack GOLSON, Philip HUGHES, Russell BLONG
et Wal AMBROSE : « Les données archéologiques de la révolution ipoméenne dans le marais Kuk, haute vallée de la Wahgi, Papouasie NouvelleGuinée” (p. 109-120, 1 carte, 4 plans, 3 tableaux, 1 photo). La revue de
détail du dossier type de l’ancienneté des façons culturales (- 9.000 ans)
dans les Hautes Terres de Nouvelle-Guinée, dossier lancé par les travaux
pionniers et parfaitement ciblés de Jack Golson.
• Poly WIESSNER : « Les fonctions sociales, symboliques et rituelles de la
patate douce dans l’aire Enga, de la première introduction aux premiers
contacts » (p. 121-130, 3 cartes, 1 tableau). La façon dont la patate douce
s’est installée, non seulement en tant que première culture alimentaire, mais
s’est insérée dans des rites sociaux ou religieux fondés auparavant sur le
taro.
• Paula BROWN et Harold BROOKFIELD : « La patate douce, les porcs et
les Chimbu des Hautes Terres de Papouasie-Nouvelle-Guinée » (p. 131136). Les ancêtres de la recherche anthropologique dans les Hautes Terres
de Nouvelle-Guinée, par un couple professionnel, géographe et ethnologue,
revenant sur son terrain dans la perspective de l’ouvrage, et montrant combien leurs résultats étaient encore d’actualité. On ne peut qu’apprécier, non
seulement la fidélité dans cette collaboration, mais la pertinence scientifique
constante de celle-ci.
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• David J. BOYD : « Au-delà de la révolution ipoméenne : la patate douce
sur les marges des Hautes Terres de Papouasie Nouvelle-Guinée » (p. 137147, 1 carte). La variabilité de la fonction sociale de la patate douce d’introduction récente en dehors des grandes masses de population des hautes
vallées.
• Anton PLOEG : « La patate douce dans les hautes terres du centre de la
Nouvelle-Guinée Occidentale » (p. 149-161, 1 carte, 1 tableau). Un inventaire exhaustif de tous les auteurs ayant soit travaillé sur le sujet, soit offrant
une information, parfois plus que brève. Personne n’est oublié.
• Alexander YAKU et Cecilia WYDIASTUTU : « Recherche et développement de la patate douce en Papua, Indonésie, un état des lieux” (p. 163170, 4 tableaux). La démonstration du peu d’intérêt que l’Etat indonésien
porte à ses sujets papous, et de la valeur de l’information sauvée ou acquise
par un petit nombre de chercheurs faisant tout simplement leur travail.
• R. Michael BOURKE : « La révolution ipoméenne continue en Papouasie
Nouvelle-Guinée » (p. 171-179, 2 cartes couleurs, 2 fig.). Les conséquences
socio-économiques de la poursuite de l’expansion de la patate douce depuis
les premiers contacts européens jusqu’à aujourd’hui.
• Douglas E. YEN : « Réflexion, refraction et recombinaison » (p. 181187). Le spécialiste mondial du dossier revenant, de façon douce amère, sur
les nouvelles données, et reconnaissant que son ouvrage pionnier n’était pas
parfait. En ce qui concerne le jeu de devinettes quant à d’où est partie la
kumara, et où elle aurait abordé en premier, on n’a guère avancé par rapport aux hypothèses de Yen, pour la bonne raison que notre ignorance est
à peu de choses près toujours aussi grande pour répondre à la question. Les
moyens de démonstration d’une thèse par rapport à une autre n’existent pas
vraiment encore. Il va falloir de la patience.
La leçon à retenir de cet ouvrage est dans la qualité du professionnalisme
des auteurs, qualité qui diminue chaque fois, rare, que l’un d’eux pense pouvoir toucher seul à une discipline pour laquelle il n’a pas été réellement
formé.
Jean Guiart
2005, Ballard, Chris ; Brown, Paula ; Bourke, R. Michael et Harwood, Tracy, éditeurs, Ethnology
Monographs 19, Oceania56, The University of Sydney, format A 4, 227 p.
203
Lecture anthropologique
des Gauguin
de Raphaël Confiant
et de Mario Vargas Llosa
En grimpant tous deux dans la montagne, celle des pitons du Carbet
pour Raphaël Confiant, celle de Mataiea pour Mario Vargas Llosa, les deux
romanciers nous hissent au sommet de leur art, sur la ligne de partage
des eaux de la création originelle. C’est dans la montagne que le nègre
marron s’est enfui et s’est uni à la dernière des Caraïbes, chimère existentielle qui, à la Martinique, tient lieu de mythe de renaissance, de passation
des pouvoirs de survie entre ethnocide et esclavage. C’est dans la montagne que les dieux polynésiens entretiennent leur bisexualité entre Cielpère et Terre-mère, que leurs aristocratiques descendants abattent le fût
qui donnera la pirogue hauturière de la conquête du Pacifique. Guerre
franco-mexicaine et creusement du canal de Panama d’un côté ; maille à
l’endroit pour Koké, maille à l’envers pour Flora Tristan de l’autre enracinent cette anthropologie de terrain dans l’histoire du XIXe siècle.
En s’alliant aux nègres marrons de l’isthme, Drake, personnification
de l’Angleterre, avait découvert le Pacifique du haut de leur observatoire
feuillu. Trois cents ans plus tard, Ferdinand de Lesseps s’attaque à son
deuxième canal, onomastique perpétuée par tous les patronymes SuezPanama des affranchis de Madinina (la Martinique). Décalage de révolutions industrielles aidant, c’est avec les yeux de Robert Owen que nous
suivons Florita dans son vain Tour de France de Compagne de la Révolution. Comment ne pas regretter l‘échec de Vargas Llosa à l’élection présidentielle péruvienne contre Fujimori en lisant sa présentation des
saint-simoniens, fouriéristes et autres icariens qui servent ici de repoussoirs à la croisade de Madame-la-Colère pour son projet d’Union
ouvrière ? Don quichottesque, la quête de l’Andalouse en déshérence jette
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une vive lumière sur l’errance du petit-fils : pas de Gauguin sans les Pérégrinations d’une paria !
Totalement bilingue, Raphaël Confiant prend langue avec le peintre :
sur le chantier où la fièvre jaune terrasse les naïfs attirés par le métal
jaune, « trois nègres costauds discutent avec une jovialité insolite dans un
idiome que Gauguin reconnaît sur le champ : le créole. » Le parler chantant de Célo, beau nègre de Bel Évent, rend le quotidien supportable.
Devenu îlien, Gauguin prise la duplicité du langage qui « feint de s’ébattre
dans une aveuglante évidence. (…) Que leur français mâtiné d’audaces
créoles s’impose peu à peu à ma personne ! » Lors des veillées mortuaires, « la voix altière des maîtres de la parole » initie le peintre aux rites
de passage : Yéé-Cric ! Yéé-Crac ! En suivant Lafrique-Guinée dans la roide
jungle des Pitons du Carbet, Gauguin précipite son adoption en prenant le
quimboiseur (envoûteur) à son propre jeu : « dans la plus extravagante
raconterie qu’il lui ait été donné d’inventer », il fait croire à son interlocuteur que Napoléon III est fier de ses exploits militaires au Mexique.
Admis dans le cercle, le peintre entend Lafrique-Guinée marteler :
‘Atibon-Legba, maître de l’univers, ouvre la barrière de la création à cet
homme égaré !’ Ce cheminement est si abouti – Confiant retrouve même
le créole d’époque, écrit par exemple ‘oiseau-mensfenil’ et non ‘malfini’
lorsqu’il évoque la buse – que nous allons désormais embrasser toute la
culture insulaire, composantes indiennes et amérindiennes incluses, car
le chantre de la créolité s’identifie totalement à son personnage dont les
noces avec l’île culminent dans son union avec Eléonore de Sainville :
« avec son quart de sang nègre et mon dixième de sang quechua, elle le
dissimulant avec soin, moi l’exaltant à tout bout de champ, nous faisions
figure d‘égarés dans un monde où l’on nous prenait pour des Blancs. »
Au fil de ses ‘Dialogues d’outre-temps’ (génie de la culture orale !)
aussi savants que les acrobaties généalogiques de Vargas Llosa, Confiant
cerne la vérité de peintre que Gauguin a conquise à la Martinique :
« Entre l’éphémère et l’éternel, il y a en fait une relation intime : tous deux
visent au tragique. Moi, j’ai recherché tout au contraire la sérénité que
seuls ces peuples, que nous accusons à tort d’être des primitifs, ont su
205
conserver. » Confiant réussit la sortie de son personnage avec une maestria
digne de la maïeutique : le muletier amoureux de sa jeune amante de la
rue Case-Nègres lui offre un peu de terre martiniquaise, un peu d’argile
rouge-brun qu’il aimait façonner : « la céramique, cette alliance sauvage
de la terre et du feu ramène aux forces primitives, aux premiers pas de
l’humanité. » Dans Le barbare enchanté, Raphaël Confiant atteint à la plus
parfaite expression de son attachement à la Martinique. Son roman est un
Hymne à la création de l’île, un Chant à la naissance de Gauguin.
Arrêt sur image : à Mataiea, le jeune bûcheron qui vaque près du faré
du peintre est « proche de cette limite trouble où les Tahitiens se transformaient en taata vahiné, c’est-à-dire en androgynes ou hermaphrodites,
ce troisième sexe intermédiaire. » Gauguin va suivre Jotépha… « C’était
la première fois que, comme un Tahitien, il entrait à travers bois, s’enfonçait dans l’épaisse végétation d’arbres. » Déclic du romancier venu sur
place tester ses notes : Vargas Llosa a lu entre les lignes révélatrices de
Noa Noa, la propre alchimie créatrice de Gauguin : « il marchait devant
moi (…) De toute cette jeunesse, de cette parfaite harmonie avec la
nature qui nous entourait, il se dégageait une beauté, un parfum (noa
noa) qui enchantait mon âme d’artiste. (…) l’amour en moi prenait éclosion. Et nous étions seulement tous deux. (…) tre une minute l’être faible
qui aime et obéit. » De Nouvelle-Zélande où l’inceste fondateur était pure
mythologie à Hawai’i où il était consommé à l’égyptienne, il y a passage à
l’acte d’une pointe à l’autre du triangle polynésien dont le centre de gravité
est la Polynésie aujourd’hui française. Vargas Llosa soumet Gauguin à l’attraction universelle qui se moque de l’interdit. Et la lumière fut ! Tane le
soleil sépara le Ciel-père de la Terre-mère et depuis, l’astre des astres
passe la moitié de son temps à explorer son père, l’autre moitié à explorer
sa mère, inceste métaphorique à jamais renouvelé pour alimenter les
généalogies en égales valences masculines et féminines. Raison d’être du
personnage central mué en arbre généalogique de ‘D’où venons-nous,
Que sommes-nous ? Où allons-nous ?’
Raphaël Confiant créolise Gauguin à la Martinique, Mario Vargas
Llosa l’infuse de culte solaire digne de l’Inca, comme si les deux romanciers s’étaient donné le mot pour célébrer cette rencontre des civilisations
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N°305/306 • Janvier/Avril 2006
amérindienne et polynésienne aujourd’hui reconstituée. Linguistiquement
et sexuellement, le peintre est un sang-mêlé dont les deux romanciers ont
percé le code. La conjugaison de leurs travaux constitue l’un des fleurons
des célébrations du centenaire de la disparition de Paul Gauguin, l’homme
qui peignait de mémoire…
Serge Dunis
Raphaël CONFIANT,
Le barbare enchanté, roman Ecriture, 2003
Mario VARGAS LLOSA,
Le Paradis – un peu plus loin, roman Gallimard, 2003
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PUBLICATIONS
DE LA SOCIETE DES
ETUDES OCEANIENNES
Prix réservés aux membres - En vente au siège de la Société, aux Archives de Polynésie française
•Dictionnaire marquisien “Dordillon 1904” (Epuisé)
1 500 FCP
•Dictionnaire de la langue tahitienne,
par Tepano Jaussen (9ème édition)
•Catalogue des titres parus aux Bulletins de la S.E.O. (Epuisé)
1917 - 1997
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1 500 FCP
•Les âges de la vie - Tahiti et Hawai’i aux temps anciens
On becoming old in early Tahiti and in early Hawai’i
par Douglas Oliver
•Etat de la société tahitienne à l'arrivée des Européens,
par Edmond de Bovis
•Journal de James Morrison, second maître à bord de la Bounty,
traduit par Bertrand Jaunez
•Les cyclones en Polynésie française (1878-1906),
par Raoul Teissier
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•Chefs et notables des Etablissements français d'Océanie
au temps du Protectorat (1842-1880),
par Raoul Teissier
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par P.-Y. Toullelan
1 200 FCP
•Les Etablissements français d'Océanie en 1885
(numéro spécial 1885-1985)
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•Généalogies commentées des arii des îles de la Société,
par Mai'arii
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par P. O'Reilly
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•Archéologie des Nouvelles-Hébrides,
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•Alexandre Salmon et sa femme Ariitaimai,
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N° ISSN : 0373-8957
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 305-306