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BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES
ETUDES OCEANIENNES
N°299 • Décembre 2003
Gauguin, Morillot, Gouwe
Artistes en Polynésie
Bulletin
de la Société
des Etudes océaniennes
(Polynésie orientale)
N°299 • Décembre 2003
Sommaire
Bengt Danielsson
Les titres tahitiens de Paul Gauguin.................................................................... p. 2
Charles Tyler
Une tombe affaissée en 1921.............................................................................. p. 22
Tihoti, Georges Marti / Constant Guéhennec
Moi Ky Dong, infirmier de Paul Gauguin............................................................. p. 24
Paul Vernier
Notes sur Gauguin.............................................................................................. p. 31
François Daragon
Rencontre avec le peintre Adrian Hermann Gouwe en 1952.............................. p. 38
Pierre Suzanne
Des îles Sous-le-Vent à la Hollande, rencontre avec Gouwe................................ p. 42
Cathy Marzin-Drévillon
Inventaire des archives Gauguin conservés à la S.E.O......................................... p. 50
Christian Beslu
Gauguin dans la philatélie................................................................................... p. 73
Norbert Murie
La mort d’Octave Morillot (1878-1931)............................................................. p. 78
La Zélée aux Marquises, du temps de Gauguin, octobre 1902............................ p. 87
Marguerite Géraux
Au sujet de Paul Gauguin et d’Octave Morillot en 1913....................................... p. 97
Les titres tahitiens
de Paul Gauguin
Les titres que Gauguin a attribué à ses tableaux, gravures, aquarelles et sculptures sont rarement de simples descriptions, mais le plus
souvent des explications de leur sens symbolique, philosophique ou
mythologique. Puisqu’il a utilisé des titres tahitiens pour la plupart de
ses œuvres exécutées pendant ses deux séjours à Tahiti, entre 1891-93
et 1895-1901, il est donc nécessaire de les traduire tous correctement,
ce que je propose de faire ici.
C’est après mon installation en 1949 à Tahiti, où j’habite toujours,
qu’en ma qualité d’ethnologue et d’historien j’ai commencé à m’intéresser à Gauguin. Surtout parce qu’il avait joué un rôle important dans la
vie politique de la Polynésie française qui s’appelait alors les
Établissements Français de l’Océanie. Assez extraordinairement, plusieurs personnalités locales qui avaient bien connu Gauguin et quelquefois même travaillé avec lui jusqu’à sa mort en 1903, étaient encore en
vie et purent me fournir beaucoup de renseignements et documents utiles.
Mon meilleur informateur, Alexandre Drollet, qui appartenait à une
vieille famille franco-tahitienne, était le seul interprète officiel à l’arrivée
de Gauguin en 1891, quand tous les insulaires parlaient encore parfaitement et exclusivement leur langue ancestrale. Des liens d’amitié s’étaient rapidement noués entre lui et le peintre, à qui il avait souvent
essayé d’inculquer des rudiments de la langue tahitienne. Selon
Alexandre Drollet, si Gauguin n’avait jamais réussi à bien comprendre
cette langue, ce n’était pas à cause d’une incapacité intellectuelle, mais
tout simplement parce que la structure de cette langue est entièrement
différente de celle du français. Ceci est encore plus vrai concernant le
rapport avec une autre langue polynésienne, celle des habitants des îles
Marquises, et c’est pourquoi Gauguin, quand il y vécut pendant les deux
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dernières années de sa vie, ne put jamais utiliser un seul titre marquisien
pour ses tableaux.
Le premier trait original de la syntaxe tahitienne est qu’un grand
nombre de mots peuvent fonctionner à la fois comme substantifs, verbes, adjectifs et adverbes et qu’au lieu des déclinaisons, des morphologies et des conjugaisons, ce sont des particules sans contreparties en
français qui déterminent la liaison entre les mots d’une phrase. Cette
particularité explique aussi pourquoi il n’y a pas en tahitien de verbes
auxiliaires, correspondant à “avoir” et à “être”. Une autre dissemblance
aussi étonnante est l’usage général de l’article pour tous les trois articles
français : défini, indéfini et partitif, aussi bien pluriels que singuliers.
En ce qui concerne l’aspect phonétique, la différence la plus singulière est le nombre très limité de voyelles et de consonnes qui sont seulement : a ; e, i, o, u et f, h, m, n, p, r, t, v qui sont prononcées à la manière
française, sauf la voyelle u qui correspond à la diphtongue ou. Ce qui trouble surtout un Français est, d’abord, la longueur distinctive de chaque
voyelle et, ensuite, le fait que le nombre de voyelles d’un mot n’est jamais
inférieur à celui des consonnes et que beaucoup de mots consistent entièrement de voyelles. Parmi les consonnes, c’est surtout le H aspiré qui gêne
un Français. Le troisième problème phonétique, tout à fait inattendu, est
causé par la disparition de certaines consonnes ayant appartenu à la version archaïque du tahitien, le plus souvent K et NG, remplacées depuis
longtemps par un coup de glotte qui ressemble à un H aspiré. On comprend donc bien, par exemple, pourquoi Gauguin s’est imaginé que le nom
de sa seconde femme tahitienne, Pau’ura, était Pahura.
À l’époque pré-européenne, le tahitien était seulement une langue
orale et ce sont les missionnaires protestants anglais qui, au début du siècle dernier, la consignèrent par écrit dans leur traduction tahitienne de la
Bible, en se servant des lettres de leur propre langue. Mais ils n’insérèrent aucun signe pour indiquer la longueur des voyelles ni les coups de
glotte. L’évêque français de Tahiti, Mgr Tepano Jaussen, ne le fit pas, non
plus, dans son dictionnaire tahitien-français, publié quelques années
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avant l’arrivée de Gauguin, et ce n’est que depuis une vingtaine d’années
que la nouvelle Académie tahitienne a introduit l’utilisation respectivement d’un macron et d’une apostrophe. C’est ainsi qu’on peut, par exemple, distinguer la signification du mot pupu, avec des voyelles courtes, qui
veut dire “groupe”, de celle du mot PUPU avec des voyelles longues, qui
veut dire “coquillage”, et comprendre que tai et ta’i sont des mots distincts dont le sens est respectivement “mer” et “son” ou “pleurer”.
Il n’est donc pas étonnant que tous les titres tahitiens de Gauguin
soient aussi sommaires et confus que “le petit nègre” des colons français
en Afrique. Par conséquent, les traductions qu’il en a faites pour le catalogue de l’exposition de ses premières œuvres tahitiennes à la galerie
Durand-Ruel, au mois de novembre 1893, ainsi que dans de nombreuses lettres écrites pendant ses deux séjours à Tahiti à sa femme danoise
Mette et à ses amis français, sont souvent tout à fait fantaisistes. Mais il
se peut que ces prétendues traductions françaises soient, en réalité, ses
désignations primaires des motifs, ce qui, par chance, nous en donne
une meilleure compréhension.
La première personne qui a essayé de faire des traductions plus
“exactes” et détaillées des titres tahitiens de Gauguin n’était pas un historien d’art, ni un linguiste, mais le sympathique écrivain Albert
t’Serstevens qui, pendant son séjour à Tahiti en 1949, est venu me voir
pour me demander certains éclaircissements sur l’ancienne culture
polynésienne, destinés à son livre Tahiti et sa couronne. Mais lorsqu’il
me dit qu’il voulait aussi faire un article sur les œuvres tahitiennes de
Gauguin, je l’ai présenté à Alexandre Drollet qui l’a si bien renseigné
qu’il a pu écrire un article sur “Le tahitien de Gauguin”, publié dans Les
Nouvelles Littéraires du 10 mai 1951. Il est donc très regrettable que
t’Serstevens n’ait demandé à ce grand spécialiste de traduire que quatorze des titres tahitiens de Gauguin.
Ensuite, Georges Wildenstein a inclus dans son excellent ouvrage
Gauguin, sa vie, son œuvre, publié par Les Beaux-Arts en 1958, une
liste de 67 titres tahitiens de Gauguin, “traduits et interprétés” par
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Louis-Joseph Bouge qui avait été secrétaire général de 1915 à 1919 et
gouverneur par intérim de 1928 à 1930 des Établissements Français de
l’Océanie. Malheureusement, il n’avait jamais bien appris le tahitien pendant ces deux séjours et sa connaissance était naturellement affaiblie
vingt-huit ans plus tard, quand il voulut préparer cette liste. Lui aussi
aurait donc dû consulter Alexandre Drollet qui ne mourut qu’en 1963.
Très étonnamment, il ne l’a pas fait et les seules traductions qu’on trouve
dans sa contribution sont une dizaine de celles bien connues de Gauguin
lui-même, mais sans pouvoir expliquer si elles sont correctes ou non.
Quant à tous les autres titres sur sa liste, Bouge ne fait que des
remarques tout-à-fait inappropriées et inutiles sur les indigènes, les animaux et les paysages qu’on voit sur les tableaux.
Lorsque quelques années plus tard, Georges Wildenstein commença à préparer le grand catalogue déjà classique des peintures à l’huile
de Gauguin, publié en 1964 également par Les Beaux-Arts, le professeur de tahitien à l’École des langues orientales de l’Université de Paris,
Joséphine Nordmann-Salmon, et moi-même lui avons fourni, sur sa
demande, des traductions de quatre titres tahitiens, représentant une
trop petite contribution, pour laquelle il nous a néanmoins remercié très
chaleureusement dans sa préface. Mais en ce qui concerne les 125 autres
titres on ne trouve, hélas, dans les notices de ce catalogue que les fausses traductions habituelles, avec seulement ce genre d’explications peu
satisfaisantes : “D’après certains auteurs, la traduction serait… “ ou ”
Plusieurs auteurs ont donné pour titre… “ Parfois une mauvaise traduction est même mal copiée, comme, par exemple, quand Bouge affirme
que Arearea no varua ino (titre numéro 5 de ma liste) signifie : “Sous
l’emprise du revenant,” alors que la signification indiquée dans le catalogue Wildenstein est : “Sous l’empire du revenant”.
J’ai donc estimé tout-à-fait justifié et utile d’accepter la demande du
rédacteur du Burlinqton Magazine, après la parution en 1966 de mon
livre Gauguin in the South Seas, d’écrire pour le numéro d’avril 1967
de cette revue célèbre un article en anglais sur les titres tahitiens de
Gauguin, ce que j’ai fait en collaboration avec le grand linguiste américain, Ralph White, qui vit à Tahiti depuis cinquante ans et qui est le
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meilleur spécialiste de toutes les langues de la Polynésie orientale. Les
organisateurs américains de la magnifique exposition Gauguin en 1988
à la National Gallery de Washington et à l’Art Institute de Chicago,
Charles Stuckey et Richard Brettell, ont utilisé cet article, ainsi que beaucoup de mes documents pendant leur visite à Tahiti, pour rédiger leur
catalogue de plus de 500 pages.
Celui-ci fut par la suite traduit en français et diffusé au Grand Palais
au début de 1989, lorsque la directrice du Musée d’Orsay et grande spécialiste de Gauguin, Françoise Cachin, avait réussi à obtenir le transfert
de cette exposition américaine à Paris. Toute en étant la plus importante
sur Gauguin, elle ne pouvait naturellement pas englober la totalité de ses
œuvres et c’est pourquoi Françoise Cachin m’a encouragé à publier une
liste complète et alphabétique des titres tahitiens de Gauguin avec les traductions françaises les plus correctes possibles. C’est ce que j’ai réussi
à faire maintenant, en collaboration avec les meilleurs spécialistes de
l’Académie tahitienne, Maco Tevane et Hubert Coppenrath. Comme il se
doit, tous les titres sont reproduits exactement comme Gauguin les a
inscrit sur ses toiles, gravures et aquarelles, avec un mélange illogique
de lettres majuscules et minuscules.
Bengt Danielsson
Une première version de l’article de B. Danielsson a paru en 1967 dans le BSEO n°160-161.
En 2003 une nouvelle étude sur la traduction des titres tahitiens a paru dans l’ouvrage collectif
« Ia orana Gauguin » sous la plume de Hiriata Millaud, directrice du Musée de Tahiti et des
îles, Les titres tahitiens de Gauguin, pp. 81-89.
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1. AHA OE FEII ? 1892
Ce titre est composé d’un fragment du pronom interrogatif na te aha,
“pourquoi”, du pronom personnel ‘oe, “tu” et du mot fe’i’i qu’on peut
traduire par le substantif “jalousie”, le verbe “jalouser” et l’adjectif
“envieux”. La traduction de Gauguin dans le catalogue Durand-Ruel :
“Eh quoi, tu es jalouse ?” est donc tout-à-fait satisfaisante.
2. AITA TAMARI VAHINE JUDITH PARARI 1893 OU 1894
Bien que ce tableau, représente Anna, la maîtresse mulâtresse de
Gauguin pendant son séjour en France 1893-95, le titre fait allusion à
Judith, la jeune fille de ses voisins de la rue Vercingétorix à Paris,
William et Ida Molard. Le titre est divisé en trois parties qu’il faut lire
dans cet ordre : Aita parari te tamari vahine Judith, afin de comprendre qu’il veut ironiquement dire : “La femme enfantine Judith n’est pas
encore dépucelée”.
3. APATARAO 1893
Il n’y a dans ce titre qu’une petite erreur d’orthographe sans importance
dans le nom du quartier résidentiel situé à l’ouest de Papeete,
‘Apa’atarao, où Gauguin vécut en 1893 dans la pension de Madame
Charbonnier.
4. AREAREA 1892
Ayant vu dans le dictionnaire de Tepano Jaussen que ce mot, dont l’orthographe correcte est rearea veut dire “plaisir, réjouissance, amusant,
joyeux”, Gauguin l’a traduit d’une manière aussi satisfaisante dans le
catalogue Durand-Ruel par “Joyeusetés”.
5. AREAREA NO VARUA INO 1894
Un varua ‘ino est un “esprit malin” et la signification de ce titre est
donc : “Jouissance de l’esprit malin”.
6. ARII MATAMOE 1892
Bien qu’il n’y ait pas de particules de liaison entre les deux mots, la traduction de Gauguin dans le catalogue Durand-Ruel : “La fin royale”,
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correspond bien au sujet de ce tableau, ou l’on voit un matamoe, signifiant “une tête somnolente”, déposée sur un plateau et qui, également
selon le titre, est celle d’un ari’i, c’est à dire un chef tahitien.
7. AUTI TE PAPE 1894
Un h manque au début du premier mot dont l’orthographe correcte est
ha’uti et qui, à l’époque de Gauguin, signifiait “être turbulent”, alors
que le mot pape avait deux sens : “jus” et “eau douce”. Puisque,
comme c’est souvent le cas, il ne s’agit pas d’une phrase complète avec
les particules nécessaires, il y a deux significations possibles de ce titre
d’une gravure illustrant Noa Noa, dont la première est : “L’eau de la
rivière est agitée” et la seconde : “On bondit dans la rivière”.
8. E HAERE OE I HIA 1892
Ce titre constitue une question très usuelle (avec la seule petite différence
que la forme correcte du dernier mot est hea, signifiant : “Où vas-tu ?”
que pose immédiatement un Tahitien, lorsqu’il rencontre quelqu’un. Il
faut peut-être aussi ajouter que sur un autre tableau cette question est formulée de cette manière encore plus incorrecte : Ea haere ia oe.
9. EIAHA OHIPA 1896
Eiaha étant la particule impérative négative, la traduction la plus logique
serait : “Ne travaillez pas”. Mais il se peut aussi que Gauguin l’ait utilisée
par erreur à la place d’eaha ayant choisi comme titre plus conforme au
sujet de ce tableau la phrase française :”Qu’est-ce que vous faites ?”
10. FA’AARA 1898
Exceptionnellement, Gauguin a indiqué, comme on doit le faire, par une
apostrophe l’occlusive glottale de ce verbe qui veut dire “réveiller”.
11. FAA IHEIHE 1898
Dans ce titre Gauguin a cependant commis l’erreur de prendre deux
occlusives glottales pour des h, car le mot qu’il a appris était indiscutablement fa’ai’ei’e qui selon le dictionnaire de Tepano Jaussen signifie
“élégant, gracieux, vain” et correspond très bien à l’allure de toutes les
femmes tahitiennes sur ce tableau.
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12. FATATA TE MITI 1892
La traduction de Gauguin dans le catalogue Durand-Huel est : “Près de
la mer”. Il est préférable de l’utiliser pour la scène de ce tableau, bien
que la traduction littérale soit : “La mer est proche”.
13. FATATA TE MOUÀ 1892
Cette fois, Gauguin a commis une erreur en déplaçant l’apostrophe qu’il
aurait dû insérer à l’endroit d’une occlusive glottale, entre u et a dans le
mot mo’ua de ce titre, semblable au précédent, signifiant : “La montagne est proche”.
14. HAERE MAI 1891
Ce titre signifie simplement “venir ici”, mais la forme impérative ‘a
haere mai est un accueil très usuel.
15. HAERE PAPE 1892
Ces deux mots sont sans rapport grammatical, signifiant “aller” et “eau
douce”, sont probablement les fragments d’une phrase de ce genre : Te
haere nei ona i te pape, dont la traduction française : “Elle se rend à
la rivière”, constitue une très bonne description du sujet du tableau.
16. HINA MARURU 1893
Hina était le nom de la déesse de la lune dans l’ancienne religion tahitienne et le mot mauruuru, qui est l’orthographe correcte, signifie
“content”, mais on le traduit par “merci”, lorsque quelqu’un exprime sa
satisfaction. À cause de l’absence habituelle de particules de liaison dans
ce titre, on pourrait le traduire, soit par “Hina est contente”, soit par
“Merci, Hina”.
17. HINA TEFATOU 1893
Le sujet de ce tableau est un épisode curieux d’une légende tahitienne
que Gauguin a lue dans l’ouvrage classique de Jacques-Antoine
Moerenhout, Voyages aux îles du Grand Océan. Selon le chapitre apocryphe sur la religion ancienne, il s’agit d’une tentative de la déesse
Hina, s’approchant nue de son fils Fatu, qui est le seigneur de la terre,
de le persuader “d’accorder la vie éternelle aux êtres humains”.
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18. IA ORA NA MARIA 1891
Alors que ia ora na est un salut que tous les Tahitiens utilisent entre eux
et en recevant des étrangers, ce titre représente la version tahitienne de
la prière Ave Maria que Gauguin entendait souvent dans l’église catholique de Mataiea, pendant son premier séjour à Tahiti.
19. I RARO TE OVIRI 1891
Gauguin a traduit dans le catalogue Durand-Ruel ce titre par “Sous les
pandanus” et on voit, en effet, sur deux tableaux presque identiques des
hommes sous ce genre d’arbres. Le mot courant d’un arbre de pandanus
est cependant fara, mais Gauguin l’a évidemment appelé ‘oviri, parce
que c’était, à cette époque, le mot désignant les feuilles de pandanus utilisées pour envelopper du tabac, créant ainsi des cigarettes.
20. MAHANA MAÀ 1892
Ce titre veut dire littéralement “Jour de nourriture”, ou déjà à l’époque
de Gauguin avec plus de précision “samedi”, car les Tahitiens obéissaient alors encore aux prescriptions des missionnaires protestants de
préparer ce jour toute la nourriture qu’ils mangeraient le lendemain,
afin de ne pas profaner le Sabbat en se livrant à des travaux.
21. MAHANA NO ATUA 1894
Puisque ce titre, où il manque des articles définis, veut dire restrictivement “Jour de Dieu”, on pourrait croire qu’il s’agit du Sabbat chrétien.
Mais le dieu dont on voit une statue sur ce tableau est très clairement
tahitien.
22. MANAO TUPAPAU 1892
La traduction de ce titre qu’on trouve dans la plupart des ouvrages de
Gauguin et des catalogues de ses œuvres est incorrectement : “L’esprit
des morts veille”, car manao veut dire “penser” et tupapau “spectre”
et il n’y a aucune juxtaposition grammaticale de ces deux mots. Si on
examine le tableau, il est évident que c’est la maîtresse tahitienne,
Teha’amana, couchée sur leur lit, qui pense qu’un spectre s’est approché d’elle. C’est d’ailleurs l’explication qu’on trouve dans une lettre que
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Gauguin a envoyée à sa femme danoise le 8 décembre 1892. Voici une
précision supplémentaire concernant l’aspect fantaisiste de ce tupapau
qui ressemble à une vieille femme coiffée d’un bonnet, alors que tous les
Tahitiens s’imaginaient que leurs spectres avaient une tête masculine, un
visage pâle, des yeux brillants et de grandes dents.
23. MATAMOE 1892
La raison pour laquelle Gauguin a choisi comme titre ce mot, déjà utilisé
pour le tableau numéro 6 de cette liste et qu’il a traduit dans le catalogue
Durand-Ruel par “Mort”, est obscure, car il s’agit d’un magnifique paysage ensoleillé avec un homme brandissant une hache. Mais ce choix
devient plus compréhensible grâce à un passage de son livre Noa Noa,
où il relate comment son ami tahitien Iotefa abattait souvent de vieux
arbres “morts”, parce qu’ils brûlaient plus facilement.
24. MATAMUA 1892
Le sens de ce mot est “premier”, ce qui explique pourquoi une expression comme i te tau matamua veut dire : “au temps d’autrefois”. La
seule petite erreur de Gauguin est donc d’avoir utilisé exclusivement
matamua, en indiquant dans le catalogue Durand-Ruel qu’il signifie
“autrefois”.
25. MAU TAPORO 1892
Mau est soit l’article pluriel et dans ce cas la traduction serait “Les
citrons”, soit un verbe signifiant “saisir”. C’est cette dernière signification que Gauguin a choisie, en traduisant ce titre incomplet dans le catalogue Durand-Ruel par : “La cueillée des citrons”.
26. MERAHI METUA NO TEHAMANA 1893
Dans beaucoup d’ouvrages sur Gauguin et catalogues de ses œuvres, ce
titre est traduit par : “Les adieux de Tehamana”, ce qui représente une
reproduction erronée de la traduction de Gauguin dans le catalogue
Durand-Ruel : “Les aïeux de Tehamana”. Afin d’en comprendre le sens
exact, il faut d’abord savoir que MERAHI est une forme incorrecte de
l’expression courante mea rahi qui veut dire “beaucoup”, ensuite que
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metua veut dire père, mère, oncle, tante” et finalement que no correspond à la préposition française “de”. Quant à la maîtresse de
Gauguin, dont ce tableau est un excellent portrait, l’orthographe exacte
de son nom est Teha’amana. La meilleure traduction française de ce titre
est donc : “Teha’amana a beaucoup de parents”, un fait qui a étonné et
embarrassé Gauguin, comme il le raconte dans Noa Noa.
27. MONAMONA 1901
La meilleure traduction est “savoureux”, car les Tahitiens utilisent ce
mot pour désigner non seulement la nourriture sucrée, mais aussi la
nourriture grasse.
28. NAFEA FAAIPOIPO 1892
La traduction de Gauguin dans le catalogue Durand-Ruel : “Quand te
maries-tu ?” ne comporte qu’une petite erreur sans importance, à
savoir que l’adverbe interrogatif nafea est utilisé seulement pour le
passé d’un verbe et quand il s’agit du futur l’adverbe grammaticalement
correct est afea.
29. NAVE NAVE 1893
Étant dans ce cas-ci un substantif, ce mot, écrit et prononcé le plus souvent navenave, signifie “plaisir sensuel” et “volupté”. Ce qui explique
pourquoi Gauguin a utilisé ce titre pour le dessin décorant une des vitres
de son studio de la rue Vercingétorix à Paris.
30. NAVE NAVE FENUA 1894
Lorsque navenave, comme ici, est un adjectif, qu’il faut replacer après
le mot fenua, “terre”, sa signification est “délicieuse”. Il s’agit cette foisci d’une des nombreuses gravures illustrant Noa Noa.
31. NAVE NAVE MAHANA 1896
Par analogie, la signification de ce titre, dont l’ordre des mots doit être
mahana navenave pourrait donc être : “Jour délicieux”, mais aussi :
“Jour de plaisir sensuel”.
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32. NAVE NAVE MOE 1894
Il s’agit vraisemblablement du mot désuet moe qui à une époque éloignée signifiait “sommeil”. Puisque sur ce tableau il y a deux belles femmes fatiguées, en toute vraisemblance après avoir longtemps fait l’amour, la traduction la plus appropriée de ce titre serait : “La torpeur
délicieuse”.
33. NOA NOA 1892
L’orthographe exacte du mot de ce tableau de la forêt de Mataiea, devenu très célèbre, parce que Gauguin l’a aussi utilisé comme titre pour le
livre sur son premier séjour à Tahiti, est no’ano’a. Quand il est utilisé
de cette manière comme un substantif, il faut le traduire par “Odeur
agréable”, en ajoutant qu’il s’agit de la nature embaumée, typiquement
tahitienne.
34. NO TE AHA OE RIRI 1896
Dans sa lettre du 14 février 1897 à Daniel de Monfreid, Gauguin traduit ce
titre, dont la fin aurait du être : i riri ai, très correctement par :
“Pourquoi es-tu fâchée ?”, dont la forme féminine du dernier mot s’explique par le fait que toutes les personnes sur ce tableau sont des femmes.
35. OTAHI 1893
De même, dans le catalogue Durand-Ruel, Gauguin traduit correctement
ce titre par : “Seule”, parce qu’il n’y a qu’une seule Tahitienne sur ce
tableau.
36. OVIRI 1895
Le titre de cette sculpture signifie “sauvage”, comme Gauguin l’a immédiatement expliqué. Très curieusement elle représente une femme nue
avec une chevelure qui descend le long de son dos et qui se tient debout
sur un chien et serre contre sa hanche un petit chien.
37. PAPE MOE 1893
Dans ce titre d’un tableau, où l’on voit un jeune Tahitien s’approchant
d’une cascade, c’est seulement le premier mot, pape, que Gauguin a traduit
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correctement dans le catalogue Durand-Ruel par “eau”. Quant au
second mot, il ne devrait pas être celui-ci, mais mo’e, car Gauguin le traduit par “mystérieuse”. Ceci est néanmoins très étonnant, car il a copié
de manière très réaliste une photographie prise par l’Alsacien Charles
Spitz, vivant à Tahiti depuis la guerre désastreuse de 1870.
38. PARAHI TE MARAE 1892
Comme Gauguin le savait fort bien, le mot marae désigne un lieu de
culte ancien avec un autel à gradins et des sièges en pierre dont il reste
encore plusieurs de nos jours. Mais voulant indiquer par le titre du
tableau qu’un temple de ce genre se trouvait près de sa maison à
Mataiea, Gauguin a fait l’erreur assez compréhensible et peu grave de
traduire le mot français “résider” par parahi, dont la signification élémentaire est “s’asseoir” et “habiter” et que les Tahitiens n’utilisent donc
pour des êtres humains.
39. PARAU PARAU 1892
Gauguin a très correctement raconté dans une lettre du 8 décembre
1892 à sa femme danoise que parau veut dire “parole”. Mais puisque
dans ce titre il a doublé ce mot, sans avoir compris que les Tahitiens disent paraparau, le mieux sera de le traduire par “bavardage” ou “potin”.
Il faut aussi ajouter que lorsque Gauguin a inscrit ce titre sur un tableau,
la première fois en 1891, il l’a incorrectement fait précéder de l’article
défini français “Le”.
40. PARAU API 1892
Cette expression, toujours fréquemment utilisée, signifie “nouvelle”.
Mais Gauguin n’a jamais expliqué pourquoi il s’est servi de ce titre pour
un tableau qui représente simplement deux femmes tahitiennes assises
sur la plage.
41. PARAU HANOHANO 1892
En revanche, l’aspect effrayé des femmes sur ce tableau est tout-à-fait
conforme à ce titre qui signifie : “Des paroles effrayantes”.
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42. PARAU NO TE VARUA INO 1892
La meilleure traduction de ce titre étonnamment complet, qui correspond parfaitement à la scène triste de ce tableau, serait : “On parle
du mauvais esprit”.
43. PITI TEINA 1892
La traduction de Gauguin dans le catalogue Durand-Ruel : “Deux sœurs”
n’est que légèrement incomplète, car il aurait du ajouter le mot “cadettes”.
44. RAVE TE HITI AAMU 1898
Dans leur grand catalogue des œuvres de Gauguin, Daniel Wildenstein et
Raymond Cogniat reproduisent incorrectement le dernier mot qui n’est
pas, comme ils indiquent, ramu, mais a’amu, et de surcroît ils traduisent ce long titre d’une manière trop sommaire par : “L’idole”. Malgré
la complexité et l’originalité de ce titre, il est quand même possible d’indiquer la signification exacte de chaque mot. Rave est un mot courant
qui veut dire “prendre, saisir”. Dépendant de la longueurs des voyelles,
hiti signifie soit “monstre”, soit “bord, extrémité”. Le dernier mot, l’adjectif a’amu, obsolète aujourd’hui, veut dire selon le dictionnaire de
Tepano Jaussen : “vorace, glouton”. La meilleure traduction de ce titre
serait donc : “ La prise du monstre vorace”. Ce sujet avait inspiré
Gauguin déjà en 1895 à faire une statue de pierre appelée Oviri dont la
description dans la notice 36 de cette liste convient aussi parfaitement à
cette toile, car il s’agit à nouveau d’un monstre sauvage qui étrangle, en
le serrant contre sa hanche, un petit chien.
45. RUPERUPE 1899
Dans beaucoup d’ouvrages sur Gauguin et de catalogues de ses œuvres, ce
titre est faussement traduit par : “La cueillette des fruits”, ce qui est tout
simplement une description de la scène dépeinte sur ce tableau. Or, la
vraie signification de ce mot qu’on trouve dans tous les dictionnaires est :
“florissant, luxuriant” et s’applique aux plantes et aux arbres, ou disons à
la végétation. C’est pourquoi le titre de la chanson tahitienne la plus populaire à l’époque de Gauguin était Tahiti ruperupe et qu’on voit sur ce
tableau des Tahitiennes enchantées d’avoir pu cueillir tant de fleurs.
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46. TA MATETE 1892
Matete correspond au mot anglais “market”, transformé phonétiquement de cette manière. La seule petite erreur est que l’article défini tahitien est te et non ta. Il s’agit du marché de Papeete, où beaucoup de femmes, comme celles sur ce tableau, sont si séduisantes qu’on l’appelle
souvent “une foire d’amour”.
47. TAPERAA MAHANA 1892
Une orthographe très correcte de l’expression tahitienne, jusqu’à maintenant jamais traduite en français, qui signifie : “l’après-midi”.
48. TARARI MARURU 1897
Ce titre qui n’est reproduit correctement que dans le catalogue du Musée
de l’Ermitage, qui possède, ce tableau, est néanmoins difficile à comprendre, parce que tarari est un mot inconnu et introuvable dans les dictionnaires. Il se peut alors que ce soit un nom propre et la signification en
serait dans ce cas : “Tarari est content”. Mais il est plus probable, que la
vraie orthographe du premier mot soit tara ri’i, signifiant “petites cornes”, une expression qui pourrait bien être une métaphore pour les petites chèvres bien nourries qui occupent le premier plan du tableau.
49. TE AA NO AREOIS 1892
La source d’inspiration de Gauguin, lorsqu’il a peint ce tableau, fut le
mythe concernant l’origine de la secte tahitienne des arioi - areois est l’orthographe anglaise de ce mot - qui étaient des apôtres de l’amour libre. La
belle femme nue, Vairaumati, qui domine le tableau, tient à sa main une
noix de coco germée, symbolisant son fils, dont le dieu “Oro” était le père
et qui par la suite est devenu le premier arioi. Ceci explique pourquoi
Gauguin a choisi ce titre pour son tableau, mais en commettant la petite
erreur d’utiliser le mot a’a qui signifie “racine”, tandis que la traduction
française du catalogue Durand-Ruel fut : “Le germe des areois”.
50. TE ARII VAHINE 1896
Ari’i veut dire “chef” et vahine “femme” ou “épouse”. Selon les particules de liaison qu’on veut insérer dans ce titre, sa signification est donc,
soit “La femme du chef”, soit “La cheffesse”.
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51. TE ATUA 1894
Ce titre d’une gravure, illustrant Noa Noa, signifie “le dieu”, mais très
curieusement on y voit quatre figures d’une allure peu divine et Gauguin
n’a nulle part indiqué leurs noms.
52. TE AVAE NO MARIA 1899
Dans beaucoup de livres et catalogues ce titre est traduit par : “Les jambes de Maria”, ce qui serait vrai seulement si l’orthographe avait été
‘avae. Mais il s’agit en toute vraisemblance du mot avec l’orthographe
‘ava’e qui signifie “lune” et “mois”. Surtout parce que selon le calendrier catholique, c’est le mois de mai qui s’appelle “le mois de Marie”.
53. TE BOURAO 1897
Tout en ayant constamment entendu, pendant son premier séjour que
l’arbre Hibiscus tiliaceus s’appelait burau, Gauguin a utilisé, pendant
son second séjour, l’orthographe impropre de ce titre, précédé inutilement de l’article défini te.
54. TE FAATURUMA 1891
Gauguin a proposé trois traductions différentes : “Boudeuse” dans le
catalogue Durand-Ruel et “Le silence” ou “ tre morne” dans une lettre du
8 décembre 1892 à son épouse danoise. En réalité, ce mot est une extension métaphorique du mot rumaruma, signifiant “couvert, sombre,
maussade”, qui s’applique au ciel. C’est pourquoi ce tableau représente
une femme tahitienne mélancolique, parce que le ciel est assombri.
55. TE FARE 1892
Alors qu’aujourd’hui ce mot est utilisé pour n’importe quelle sorte de
maison, à l’époque de Gauguin il signifiait la case ovale de bambou avec
une toiture de feuilles de pandanus que tous les Tahitiens préféraient. A
l’inverse de tous les autres résidents européens, Gauguin a vécu pendant
ses deux séjours à Tahiti dans une telle case, où il faisait toujours agréablement frais à cause de la toiture protectrice et de l’absence de fenêtres.
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56. TE FARE AMU 1897
Quand finalement en 1897 Gauguin a acheté un terrain à Punaauia, il a
fait construire plusieurs maisons dont une petite, où il mangeait. Elle fut
décorée d’un panneau sculpté avec ce titre qui signifie littéralement :
“La maison qui mange”.
57. TE FARE HYMENE 1892
Il s’agit d’une maison de cantiques, mais himene, qui est l’orthographe
tahitienne généralement adoptée du mot anglais “hymn”, est aussi utilisé
pour toutes autres sortes de chants, même érotiques.
58. TE FARE MAORIE 1892
Comme beaucoup d’Européens font encore aujourd’hui, Gauguin utilisait le mot maori pour les Tahitiens et ce qui était tahitien, alors qu’en
réalité, il désigne le peuple autochtone de la Nouvelle-Zélande. Le mot
totalement distinct utilisé par les Tahitiens eux-mêmes est ma’ohi. On
peut donc quand même traduire ce titre par : “La case tahitienne” et
c’est évidemment parce que le substantif français est féminin que
Gauguin a ajouté la terminaison e.
59. TE FARURU 1891 1893, 1894
Ceci est une orthographe légèrement incorrecte du mot fa’aruru dont le
sens fondamental est “faire trembler”, mais souvent aussi “affronter”.
Par une extension très compréhensible, ce verbe était devenu au temps
de Gauguin synonyme de “faire l’amour”, ce qui explique pourquoi il l’a
utilisé successivement pour une aquarelle, un dessin et une gravure,
représentant un couple d’amoureux dont l’homme serre dans ses bras
une femme agitée.
60. TE PAPE NAVE NAVE 1898
Comme déjà signalé dans la notice numéro 15 pape veut dire “eau
douce” et dans la notice numéro 30 l’adjectif navenave veut dire “délicieux”. Mais il y a un synonyme du premier mot, vai, souvent utilisé
pour désigner une rivière d’eau douce. Il est donc fort probable que
Gauguin a peint ce tableau dans la vallée de Papenoo, où il y a une rivière qui s’appelle Vai navenave.
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61. TE PO 1984
Ce mot, utilisé comme titre pour une gravure illustrant Noa Noa, signifie
couramment “la nuit”, mais il désigne également, dans la mythologie
tahitienne que Gauguin a étudiée, l’époque primordiale de pleine obscurité permanente partout sur le globe.
62. TE POIPOI 1892
Ce mot usuel qui veut dire “le matin” contient deux coups de glotte et
l’orthographe exacte est donc po’ipo’i. Le fait que ce tableau représente
deux femmes au bord d’une rivière est certainement dû à l’habitude
qu’avaient toutes les femmes tahitiennes de se laver chaque matin dans
une rivière.
63. TE RAAU RAHI 1981
Il aurait aussi fallu insérer une occlusive glottale dans le mot de ce titre
qui veut dire “arbre” et dont l’orthographe correcte est ra’au. La traduction de ce titre est donc : “Le gros arbre”.
64. TE RERIOA 1897
Dans sa lettre du 12 mars 1897 à Daniel de Monfreid, Gauguin orthographie correctement ce titre Te rereioa qu’il traduit par : “Le rêve”.
Mais sans avoir compris qu’il s’agit d’un genre spécial de rêve, à savoir
un cauchemar.
65. TE TAMARI NO ATUA 1896
C’est au mois de décembre que Gauguin a opportunément peint ce
tableau sur la Nativité, mais en commettant la faute ridicule d’utiliser le
mot exclusivement pluriel tamari’i et non le nom singulier tamaiti,
“fils”, de sorte que la signification du titre est : “Les enfants de Dieu”.
66. TE TIAI NA OE I TE RATA 1899
Ce titre exceptionnellement complexe et idiomatique se traduit par :
“Es-tu en train d’attendre des lettres ?” L’explication pathétique de ce
tableau est certainement que les voisins tahitiens de Gauguin à Punaauia
lui posaient cette question chaque fois qu’ils le voyaient attendre impatiemment le courrier de France lui apportant de l’argent.
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67. TE TIARE FARANI 1891
La meilleure traduction est : “Les fleurs françaises”.
68. TE VAA 1896
Un mot d’usage très courant dont l’orthographe doit être va’a, signifiant : “La pirogue”.
69. UPAUPA 1891
Comme substantif, ce mot signifie ce que les résidents français à Tahiti
appellent une “bringue”. au cours de laquelle les Tahitiens, à l’époque
de Gauguin, malgré la désapprobation des missionnaires, se retiraient
au fond des vallées pour chanter, danser, boire de l’alcool d’orange et
faire l’amour. Lorsque, comme sur ce tableau, une telle bringue avait
lieu la nuit les fêtards s’éclairaient avec un feu de bois. Il est donc toutà-fait logique quand ce mot est utilisé comme verbe que sa signification
soit : “Se distraire par la musique et la danse”.
70. VAHINE NO TE MITI 1892
La traduction correcte de ce titre est :”Femme de la mer”, alors que
Gauguin vraisemblablement s’est imaginé qu’elle était : “La femme à la
mer”.
71. VAHINE NO TE TIARE 1891
De même, la traduction de ce titre est drôlement : “Femme de la fleur”,
alors qu’il s’agit d’une femme portant comme toutes les Tahitiennes, des
fleurs aux oreilles qui le plus souvent sont des gardénias blancs.
72. VAHINE NO TE VI 1892
Une fois de plus, il est insensé d’utiliser la particule génitive no et de traduire le titre par : “Femme de mangue”, parce que la femme sur ce
tableau tient à la main une mangue. Il convient d’ajouter ici que le mot
vi est utilisé par les Tahitiens pour deux sortes de fruits, les mangues et
les pommes-cythère.
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73. VAIRAOUMATI TEI OA 1892
La belle femme nue qui domine cette scène est l’épouse terrestre du dieu
‘Oro qui figure aussi sur le tableau avec le titre Te aa no Areois, peint la
même année. En corrigeant les erreurs d’orthographe de Gauguin, le
vrai titre tahitien est : Vairaumati te i’oa qui veut dire : “Son nom est
Vairaumati”.
74. VAIRUMATI 1897
Quand Gauguin, pendant son second séjour à Tahiti, a peint un troisième
tableau de cette femme mythologique, il ne savait toujours pas qu’elle
s’appelait Vairaumati.
21
Une tombe affaissée
en 1921…
20 juin [1921]
La nuit dernière les vagues étaient très fortes et tellement saturées
d’écume et de sable que cela en était assourdissant. C’est toujours aussi
fort, et les vagues qui se cassent près de la côte sont si remuées et se
dressent pleines de sable noir qu’elles ressemblent aux rives enneigées
des villes. Plus loin, elles roulent les unes après les autres, comme de
pesantes colonnes de marbres propulsées par une force invisible le long
du fond de l’océan. La surface polie et nervurée de ces gros cylindres
semble aussi dure et dense que la pierre.
Je suis assis sur un banc sur la plage à côté de chez le gendarme –
John Darn, comme un Américain nouvellement arrivé l’appelle.
Quelques garçons essayent de monter leurs chevaux dans le ressac qui
les effraye, les faisant se cabrer et ainsi former de superbes silhouettes
contre l’océan.
Un autre garçon monte comme un fou, hurlant et balançant une
branche de haut en bas de la plage, poursuivit, à une distance désespérée par le chien de l’administrateur. Le soleil est descendu derrière l’habituelle barre nuageuse qui s’accroche comme un voile à l’extrémité
septentrionale de la vallée.
Nous avons passé l’après-midi à couper le nom de Gauguin et la
date de sa mort dans un rocher poli que nous installons sur sa tombe
affaissée dans le cimetière catholique sur la colline derrière chez l’administrateur. Les Français ici ne connaissent pas l’emplacement de sa
tombe, ou s’en moquent mais les gens d’ici le connaissent. Un homme,
encore un enfant quand Gauguin est mort, nous a mené à deux tombes
non marquées, couchées côte à côte, mais il ne pouvait nous affirmer de
laquelle il s’agissait, bien qu’il y fût venu souvent avec sa mère y déposer
des fleurs.
N°299 • Décembre 2003
Plus tard, un homme plus âgé, qui disait avoir aidé à creuser la
tombe, identifia celle de Gauguin comme celle étant la plus proche de la
barrière, et nous y avons installé la pierre.
Nous avions emprunté un ciseau à froid aux propriétaires plutôt
amusés de la Compagnie Navale, et avions laborieusement coupé profondément les lettres dans le rocher poli avec l’espoir qu’avant que la pluie
tropicale et le soleil ne les aient effacés, les Français se seront éveillés à
quelque action et élèveront un mémorial qui perdure dans le temps.
Et pourtant, cette pierre brute avec les mots profondément incrustés,
irréguliers mais décoratifs, placés là par hasard par un passant d’une
autre race, semble en soi un mémorial adapté. Tout près, un grand crucifix s’élève contre le ciel sombre. Les bras de la statue semblent avoir été
retenus et arrêtés à tout jamais au moment où leur large ouverture aurait
inclus la vallée, qui avait été un jour populeuse, vers laquelle la tête salue.
Là est suspendu le Christ désolé, contemplant le paradis perdu
d’Atuona. En face, le sommet noir de Temetiu s’élève vers les cieux tel
un cri de ralliement.
Loin dessous, la flèche blanche de l’église et quelques toits de ses
victimes, restes condamnés d’une race puissante, émergent à travers
l’incessante, ancestrale verdure de la vallée.
Un élément bizarre, surprenant et même grotesque a été soudainement révélé par un essaim d’abeilles, s’affairant d’un bout à l’autre en
passant par un trou qui avait pourri dans le dos de la statue.
Miel sauvage, et la Voix pleurant dans la Nature à l’état sauvage !
Seul le philosophe le plus expérimenté devrait méditer dans le calvaire
d’Atuona.
Charles Tyler
Trad. Cathy Marzin-Drévillon
Nous remercions Mme Lydia Edison-Tyler qui a bien voulu nous confier le Journal de son père
Hugh C. Tyler et mettre une centaine de pages dactylographiées à la disposition de la Société.
H. Tyler, un artiste américain, en compagnie d’un ami, le sculpteur Oscar F. Schmidt, a séjourné
dans les E.F.O. de janvier à octobre 1921. Mme Edison-Tyler est revenue sur les traces de son
père 80 années après lui, et a visité les îles Marquises le Journal à la main. Sans la présence
d’esprit de H. Baumgartner-Lesage, la description des îles et des hommes de ces Pages from
a South Sea diary serait encore inédite… Une petite histoire des tombes de Gauguin a paru en
1999 dans le BSEO n°279-280. R.K.
23
Moi, Ky Dong infirmier
de Paul Gauguin
L’un est exilé politique, le deuxième quitte la vieille Europe de son
propre chef. Tous deux sont des révoltés. Si le premier s’est vu imposer
l’éloignement de son pays l’Indochine, où sa détermination à lutter contre le colonialisme l’a mis au rang des bannis, l’artiste a choisi de fuir
l’Occident, agacé par les contraintes de la civilisation et le jansénisme de
bon nombre de critiques d’art peu enclin à saluer les talents novateurs.
En 1903, au mois d’août, trois mois après le décès de Paul Gauguin,
Victor Segalen arrive à bord de la Durance à Hiva-Oa, dans le district
d’Atuona. Le jeune officier va assister à un événement resté de sinistre
mémoire, dirigé par le brigadier de gendarmerie Claverie, la vente aux
enchères des biens ayant appartenu au sieur Paul Henri, Eugène,
Gauguin, artiste peintre. Parmi les personnages rencontrés, un jeune
homme de vingt-huit ans d’origine asiatique (Ségalen en a vingt-cinq)
Nguyen Van Cam remplissant les fonctions d’infirmier. Ce personnage à
la surprenante destinée sera mentionné par l’écrivain dans son journal
à la date du 12 août comme :
“Le pauvre Ky-Dong (l’enfant rare), mon excellent infirmier et sympathique déporté politique”
Qui donc ? est Ki-Dong ?
C’est une histoire peu commune qui commence le 8 octobre 1875
dans la province de Thaï Binh à Ngoc Dinh tout près d’Hanoï. Dès son
jeune âge Nguyen se fait remarquer par ses qualités intellectuelles. Les
mandarins de sa province obtiennent en 1882 (il n’a donc que sept ans)
une bourse d’études de la cour impériale de Hué. C’est la grande époque
du colonialisme français et des troubles agitent le Tonkin et l’Annam,
contre l’extension du protectorat.
Doc.
ennec
Guéh
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Des pamphlets circulent, virulents, œuvres d’un enfant d’à peine
douze ans qui répond au pseudonyme de “Ky-Dong” phonétisation de
“Qui donc ?” voulant dire aussi “enfant rare, enfant merveilleux”. Nous
sommes en 1887, arrêtés lors d’une manifestation contre la citadelle
française de Nam Dinh Nguyen Van Cam rencontre le résident (sorte
d’administrateur) qui probablement fortement impressionné par la personnalité de l’adolescent obtient qu’il soit relâché et envoyé, en tant que
boursier, faire ses études au lycée d’Alger. Le parcours du jeune homme
est brillant. Neuf ans plus tard il obtient avec grand succès le baccalauréat ès-sciences.
Peu de précisions existent sur cette période du parcours de Ky
Dong qui, dit-on, aurait tenté d’entreprendre une formation d’officier
marinier, désir contrecarré par un mal de mer rédhibitoire. 1896 retour
au Tonkin dans le milieu de l’année, puis en mars 1897 élaboration d’un
vaste projet de mise en valeur d’une plantation avec un Français nommé
Gillard. Il s’agissait de cultiver 4.000 hectares dans la région de Yên-Thê.
Quelque 8.000 hommes sont recrutés non loin d’une enclave, fief toléré,
par le protectorat, de Hoang Hoa Tham devenu personnage central de la
nouvelle de Claude Farrère le présentant comme un pirate.
Les neuf ans d’absence n’ont pas altéré la popularité de celui que la
rumeur populaire décrivait comme sortie de prison par magie. Son opération de recrutement n’en déclenche que plus d’enthousiasme renforçant la note mythologique de la vieille maxime reprise à son compte :
“Le Fils du Ciel sort de la terre défrichée”
La police française voit dans les “enrôlés” davantage d’étudiants, de
lettrés et d’anciens soldats que des paysans. Le rassemblement de cette
troupe paraît suspect, jugement qui est renforcé par la quasi-certitude
que l’auteur de pamphlets circulant à nouveau n’est autre que l’ex-étudiant d’Alger. Décembre 1897, sur ordre du Gouverneur Général du
Tonkin, l’agitateur est emprisonné à Saigon sous le n° 3921.
Le 26 mars 1898 Ky Dong échappe à la Cour Martiale, mais se voit
infliger une condamnation de déporté à vie. A bord du Cholon, c’est la
destination Guyane. Bengt Danielsson, dans son Gauguin à Tahiti et
aux îles Marquises, parle d’une “heureuse erreur administrative du
Ministère des Colonies qui enverra l’exilé non en Guyane mais à Tahiti.
27
Jean-Charles Blanc dans le résumé chronologique de la vie de Nguyen
Van Cam, auteur de la pièce de théâtre “Les amours d’un vieux peintre
aux îles Marquises” dit :
« Sur la route de Guyane débarqué à Tahiti le jeune Indochinois
séduit par son esprit cultivé le gouverneur de l’Établissement français
d’Océanie qui l’envoie occuper le poste d’infirmier aux Marquises. »
À cause de son côté quelque peu romantique, restons sur cette
deuxième version. Dès son arrivée à Hiva Oa, le jeune exilé épousera
Punu Ura à Tamihau dont il aura un garçon, Pierre né en 1902, toujours
de ce monde. Le nom Van Cam apparaît aujourd’hui huit fois dans
l’Annuaire officiel des Postes de 2003.
Le 16 septembre 1901, le village d’Atuona voit Paul Gauguin, à la
santé chancelante, s’installer. Les nombreux points communs entre les
deux hommes faciliteront la naissance d’une amitié. Ky Dong soignera et
soulagera le peintre et s’amusera, dans une œuvre de qualité littéraire
discutable mais drôle, à raconter l’installation pittoresque et la quête
amoureuse d’un homme fatigué, usé, dépeint sous un aspect bourru et
naïf (ce qui n’est, très vraisemblablement, pas loin de la vérité).
La dernière œuvre picturale du maître de la Maison du Jouir aurait
été, paraît-il, commencée par l’infirmier et terminée par Gauguin.
Hypothèse vraie ou fausse, pencher pour la première ajoute à la superbe
de ce personnage à la surprenante destinée ayant quitté ce bas monde
en 1929, il avait 27 ans de moins que Gauguin, décédé lui le 8 mai 1903.
Tihoti-Georges Marti
Constant Guéhennec
28
Collection Daniel Palacz
Nous remercions M. Daniel Palacz qui a bien voulu mettre
à la disposition de la Société quelques unes de ses très précieuses archives.
Notes sur Gauguin
recueillies de la bouche de
M. le pasteur missionnaire
Paul Vernier d’Atuona
(îles Marquises)
pendant notre voyage
de retour à Tahiti
Arrivé seul à Atuona au début de 1901, fuyant la civilisation qu’il
trouvait encore trop avancée à Papeete (Tahiti) Gauguin se procure un
terrain assez vaste et y construit une case en longueur recouverte de
feuilles de cocotier et bâtie assez haut du sol. Cette case avait deux pièces. La première, toute petite car elle n’occupait que le quart de la longueur, le reste consacré à son atelier, comprenait un lit et une étagère
avec quelques livres. En passant près du lit on accédait à l’atelier,
quelques fenêtres à guillotines à l’intérieur, en outre du chevalet, un petit
harmonium, au-dessous de la case il y avait la salle douche et de l’autre
côté la remise pour la voiture, inutile à Atuona, la seule d’ailleurs qui
existait dans l’île.
On pénétrait dans la case par l’un des pignons transformés en façade, l’entrée était surmontée par deux panneaux en bois de rose avec
deux inscriptions sculptées avec soin dans le bois, celle de gauche portait « maison du jouir » celle de droite « soyez mystérieuses et vous
serez heureuses ». En bas de l’escalier à gauche et à droite, deux statues
sculptées en bois de rose, la première représentant un homme avec audessous cette inscription « le père paillard » et visant nettement
l’Evêque des Marquises (Martin mort en 1913) avec lequel il avait eu
des difficultés, la seconde les traits d’une jeune marquisienne avec l’inscription « Ste Thérèse » pour laquelle les mauvaises langues prétendaient que l’Evêque avait des faveurs.
Il voyait peu d’européens surtout pas les gendarmes d’Atuona car il
avait une particulière horreur de ceux-ci. Il voyait de préférence les indigènes surtout des vieux tatoués dont il admirait les tatouages disant que
comme harmonie et symétrie de dessin, c’était parfait. Il recevait aussi
de la jeunesse féminine.
Il travaillait régulièrement tous les jours dans son atelier à des
tableaux qu’il expédiait à Paris à Vollard par l’intermédiaire de la maison Raoulx à Papeete. Vollard s’occupait de la vente de ses tableaux. Il
avait compte ouvert dans une maison de commerce des Marquises, la
société commerciale de l’Océanie (maison allemande). Il était très
généreux et donnait beaucoup aux indigènes.
Tous les jours dans la matinée on pouvait voir Gauguin se diriger
vers les quelques maisons de commerce du village. Comme il était privé
de l’usage prolongé de ses jambes, il s’asseyait volontiers sur les marches de l’escalier conduisant au magasin Varney. Là dans une attitude
nonchalante et bienveillante, il accueillait les rares personnes voulant
bien s’entretenir avec lui de questions intéressant l’art en général et du
sien en particulier.
Il parlait souvent de son ami « Van Gogh » racontant certains souvenirs des différents auteurs qu’il avait connus, Jean Dolent, Stéphane
Mallarmé, lequel lui avait offert avec dédicace une édition numérotée de
« l’après-midi d’un faune ». Gauguin avait fait une eau-forte de la tête
de Mallarmé qui figure sur la traduction du « corbeau » d’Edgard Poë.
Il avait fait don de l’édition originale à M. Paul Vernier avec cette dédicace « à Monsieur Paul Vernier mince chose d’art, Paul Gauguin ». Ce
dernier l’a remis en présent au Commandant Lagorio mais le souvenir
artistique a malheureusement péri avec le navire que commandait le
Commandant Lagorio pendant la grande guerre, le, Kléber qui sauta sur
une mine. Dans un accoutrement à lui pieds nus, les reins ceints du
« pareo » indigène sur lequel retombait une chemise américaine et coiffé d’un bonnet d’écolier du moyen-âge en drap vert avec une boucle
32
Plan de la maison et du terrain de Gauguin à Atuona
•
Collection Daniel Palacz
d’argent sur le côté, ce bonnet a été donné à M. Vernier par l’indigène
Tioka, qui l’a envoyé à son ami, le peintre de Monfried à Paris.
A son arrivée aux Marquises, Gauguin était morphinomane. Le
négociant Varney était arrivé avec son consentement à le décider à lui
remettre sa seringue et sa drogue. Il se mit alors à boire de l’absinthe et
à beaucoup fumer jusqu’à sa fin. Outre ses habitudes d’intempérances,
il souffrait d’une affection des deux jambes généralisées qui autant qu’on
pouvait s’en rendre compte, était un eczéma suintant. Ce mal avait pris
des proportions si vastes, qu’il lui était impossible de se soigner luimême, ce qui motiva l’envoi d’un petit billet à M. Vernier ainsi conçu :
« cher Monsieur Vernier, je suis dans l’impossibilité de me soigner moimême, voulez-vous venir à mon aide ? » Celui ci le soigna jusqu’à sa
mort, survenue au début de 1903, mort subite, dans une syncope, un
vendredi à 8 heures du matin. Pendant son séjour aux Marquises, il
avait toujours manifesté des sentiments hostiles vis à vis de toute religion. Le gendarme et les européens qui vinrent le voir au moment où la
nouvelle de sa mort fut connue, pensèrent que des obsèques civiles seules convenaient à Gauguin, et c’est ce qui fut décidé. Les obsèques furent
fixées au lendemain à 8 heures du matin. En attendant, son corps fut
mis en bière par le gendarme et des indigènes veillèrent son corps
notamment Tioka et le français Frébaud. A l’heure fixée pour les obsèques
quelle ne fut pas leur stupéfaction de constater que le corps venait d’être
enlevé par la mission catholique, une heure auparavant, et transporté en
terre sainte : « Le calvaire » nom du cimetière catholique où l’on enterre que les catholiques munis des sacrements. L’Evêque fit dire ensuite
que l’Eglise ne gardait aucune rancune à Gauguin du mal qu’il avait pu
lui faire et elle le prouvait de cette manière là.
D’ailleurs il est juste de dire, que le matin de sa mort, l’Evêque arriva un des premiers auprès du corps de Gauguin, mais comme il était
mort, il ne pouvait pas être question d’extrême onction. Gauguin repose
donc actuellement dans le cimetière catholique d’Atuona (Marquises).
Il y a trois ans (en 19…?) la tombe était assez mal entretenue et à peine
reconnaissable1.
1 Voir le Bulletin n°279/280 « spécial Gauguin ».
34
N°299 • Décembre 2003
A côté des causes physiques on peut encore invoquer à propos de
la mort de Gauguin, des causes morales qui expliqueraient cette mort
soudaine. Il était en butte aux tracasseries de l’Administration, et sa mort
survenue quelques jours après une condamnation d’un juge venu de
Tahiti sur un rapport de gendarmerie. Le juge s’appelait Horville. Voici
les faits.
Gauguin avait accusé un gendarme d’avoir débarqué d’un navire de
passage une voiture d’enfant sans avoir acquitté les droits d’entrée. Le
fait était vrai mais Gauguin ne put le prouver ainsi fut-il condamné. Le
gendarme prouva par une pièce fabriquée par lui postérieurement qu’il
avait bien acquitté les droits chose facile puisqu’il était le seul agent de
l’administration dans cette île.
Dans plusieurs autres circonstances Gauguin avait pris la défense
des indigènes, objets des exigences injustifiées de l’administration dont
la malveillance datait de loin (l’administration représentée par le gendarme). Voici un fait qui montrera et qui expliquera cette haine de l’administration et les sentiments de Gauguin vis à vis des indigènes.
Elle obligeait (l’administration) les indigènes d’une île voisine
Tahuata, située à environ 10 miles d’Atuona d’envoyer leurs enfants à l’école de cette localité et comme il ne pouvait être question qu’ils y viennent quotidiennement, elle les mettait dans l’obligation de les faire élever comme pensionnaires soit chez les Frères, soit chez les Sœurs. Cette
mesure était injuste et Gauguin se chargea de l’expliquer à ces indigènes
ajoutant qu’ils n’avaient qu’à reprendre leurs enfants et à repartir dans
leur île. C’est ce qu’ils firent et n’en furent nullement inquiétés ce qui
prouvait que la mesure était arbitraire. Il fut donc très regretté par les
indigènes, non seulement à cause de ce service rendu à toute une population mais à la suite d’actes individuels de générosité. Son voisin Tioka
vit un jour sa maison et ses plantations emportées par une inondation.
Il put à grande peine retirer des flots furieux quelques planches de sa
maison. Ce terrain n’étant plus utilisable et devant le désespoir de cet
indigène, Gauguin n’hésita pas à lui faire don par acte sous seing privé,
d’une partie de son propre terrain. Tioka put ainsi rebâtir sa maison.
35
Quelques semaines après sa mort, il fut procédé à la vente des biens
que laissait Gauguin, c’est à dire de sa maison et de son contenu.
Toutefois on fit deux parts de ses biens : les objets d’une utilité publique
pratique furent vendues sur place aux Marquises, sa voiture, son cheval,
ses outils, et quelques meubles. Tout ce qui avait trait à la peinture fut
réuni en lots spéciaux et envoyés à Tahiti. Il y avait dans un de ces lots
les panneaux en bois dont nous avons parlé au début, ceux du lit, sculptés dans le bois également et représentant des scènes d’une obscénité
absolument morbide, où intervenaient des chiens et des êtres humains,
un des lots comprenaient des livres dont un manuscrit très intéressant
paraît-il, quelques œuvres d’art, dessins, tableaux, livres rares avec dédicaces des auteurs, même son harmonium fut transporté à Papeete où la
vente eut lieu. Les objets furent très disputés. Le magistrat Pietri acquit
ainsi la sculpture du « père Paillard », Madame Petit femme du gouverneur emporta dans ses bagages le manuscrit cité plus haut, et l’officier
de marine Cochin, fils du député, plusieurs œuvres d’art.
Le commandant de la « Zélée » canonnière de la station, Lagoris
aurait eu aussi en sa possession un ou deux objets venant de Gauguin.
On suppose qu’ils ont été perdus, lors du torpillage pendant la grande
guerre, du croiseur « Kléber » qu’il commandait.
36
Collection Danie
l Palacz
Rencontre avec Gouwe
en 1952
C’est par Ragueneau que j’ai eu connaissance de l’existence du
peintre Gouwe résidant à Raiatea. C’était en 1952.
Ragueneau, qui avait alors la soixantaine passée de deux ou trois
ans, avait un certain penchant pour la peinture et la poésie. Il m’avait
embauché pour le seconder dans les travaux de décoration pour le théâtre de la Mission.
C’était un original au passé, même pour moi qui l’ai bien connu
assez nébuleux. Il vivait seul, subsistant modestement en donnant des
cours d’anglais (il aurait été marié à une Anglaise) et en tenant la comptabilité de quelques magasins chinois qu’il visitait périodiquement allant
de l’un à l’autre sur un vieux vélo.
Il habitait à peu de distance de la Mission une grande baraque délabrée, à l’image de son occupant comme il plaisantait lui-même. C’est là
qu’il m’hébergea tout le temps que durèrent nos travaux de décoration.
La solitude du bonhomme n’était pas celle d’un saint ermite ennemi
des plaisirs terrestres, elle était, de temps à autre, agrémentée de la visite
impromptue de quelque gamine déssalée, habituée du Quinn’s et autres
dancings, venue lui soutirer la somme nécessaire à l’achat d’une robe…
ou d’une guitare ! comme j’eus certain soir l’occasion d’entendre le
marchandage à travers la cloison disjointe séparant nos deux chambres.
Quelques tableaux se trouvaient accrochés aux cloisons branlantes
parmi lesquels deux ou trois Michon (lequel Michon venait de partir
pour l’Afrique) et… un Gouwe !
Je fus tout de suite frappé par la puissante personnalité se dégageant de ce dernier.
Ragueneau, à ce qu’il me confia, aurait été à l’origine de la cote, déjà
élevée à l’époque, des tableaux de Gouwe, mais il était alors brouillé
N°299 • Décembre 2003
avec ce dernier pour un motif auquel Muller se serait trouvé impliqué…
Il ne m’en dit pas davantage et, de mon côté, je ne cherchai pas à en
savoir plus.
Ce n’est qu’en 1958 que je fis réellement connaissance avec Gouwe
au cours d’une virée dans les îles Sous-le-Vent. Muni de quelques provisions, c’est à pied (moyen de locomotion très courant à l’époque !) que
je me rendis de bon matin à son domicile que l’on m’avait indiqué à
quelques kilomètres d’Uturoa au bord du lagon.
A moins d’habiter un tonneau comme Diogène le Cynique (si l’on en
croit la légende…), il est difficile d’imaginer habitation plus sommaire
que celle qu’habitait Gouwe quand je lui rendis visite. Son fare, construit
sur pilotis tout au bord de la plage, se composait d’une seule pièce. Toit
en niau et cloisons en lattes de bambou tressés. Une courte échelle donnant sur une large ouverture sans porte. Comme ameublement un lit de
planches sans matelas, un simple peue avec une ou deux couvertures. Un
chevalet supportant une toile en train, quelques malles, caisses, toiles
achevées ou inachevées appuyées contre les cloisons, cartons à dessins.
Dans un coin, parmi ce fouillis, une chatte allaitant sa progéniture.
Une ficelle se trouvait tendue d’un bout à l’autre de la pièce à environ
un mètre de l’entrée : une sécurité suite à une chute de l’artiste qui en se
reculant pour juger de son tableau en cours d’exécution, avait basculé
dans le vide ! fort heureusement la chute sur le sable n’avait pas eu de graves conséquences. Néanmoins ce n’était pas une habitude à prendre.
Vêtu d’un simple pareo noué à la taille, Gouwe, qui connaissait mon
existence par Müller avec lequel j’entretenais une amicale relation, me
reçu cordialement comme un confrère sans aucune espérance de
condescendance de la part du maître.
Comme on peut l’imaginer il fut question d’art dans notre conversation, mais aussi de religion ou, plutôt, de philosophie hindouiste dont
Gouwe et Muller avaient adopté, du moins jusqu’à un certain point ; la
morale. Incontestablement j’avais devant moi un mystique, et c’est avec
détachement, et même ironie, qu’il me contait ses avatars (non pas ses
réincarnations, mais plus prosaïquement ses mésaventures…) comme par
exemple ce couple très sympathique venu lui rendre visite pour l’interviewer, mais après le départ duquel il constata la disparition de plusieurs
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dessins et gouaches de ses cartons… Pendant que l’un l’interrogeait et
faisait semblant de prendre des notes, l’autre faisait main basse.
Quelque détaché des biens de ce monde que l’on soit pour se
consacrer tout à son art, il n’en reste pas moins que le corps exige un
minimum d’entretien, or je n’apercevais autour de moi ni réchaud à
pétrole ni casserole pas plus qu’à l’extérieur la moindre trace de fareutu, fare-pape ou fare-iti… la raison en était qu’il prenait pension
chez ses voisins tahitiens. Son semblant de fare ne lui servant qu’à travailler et dormir.
Je fis connaissance ave ce brave couple chez lequel je fus tout naturellement invité à partager le repas de midi. Comme tous les indigènes
des districts, à part ceux cultivant la vanille, ils vivaient de pêche et de la
culture d’un faaapu.
J’eus, dans l’après-midi, l’occasion d’un tête-à-tête avec la vahine.
Il fut surtout question de Gouwe… Il m’apparut que, pour elle, Gouwe
était un personnage mystérieux, quoique familier, un peu tapu. Il n’est
pas comme les autres, qu’elle me confia, il mange à peine. Je lui dis :
« Mange, Gouwe, il faut manger ! mais il grignote un peu de taro, un
peu d’igname, du miti-haari… c’est tout ! »
Il est certain que pour des Tahitiens doués d’un solide appétit la
façon de se nourrir du maître était de nature à les rendre perplexes. Une
si pauvre nourriture ne pouvait être sans conséquences sur son état
général. En effet il se plaignit de sa vue. En nous rendant chez ses voisins,
il me désigna l’horizon sur la mer : « Il n’y a pas si longtemps, qu’il me
dit, par beau temps comme aujourd’hui, je pouvais distinguer Bora
Bora. Maintenant je ne peux plus ».
En effet, dans la direction indiquée, je pus distinguer l’île-sœur.
Vivant isolé dans un tel dénuement, je lui demandai s’il ne lui arrivait pas de se rendre de temps à autre à Uturoa pour se changer les
idées, voir des amis ? Ma question le fit sourire : « Je m’y rends chaque
14 juillet pour saluer le drapeau », qu’il me répondit. Gouwe, en tant
qu’étranger, estimait qu’il était de son devoir envers son pays d’accueil
d’être présent à la manifestation de la fête nationale.
Compte tenu de ce régime spartiate qu’il s’imposait, c’est sans grande conviction que, dans l’après-midi, je sortis une bouteille de rhum de
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N°299 • Décembre 2003
mon sac. Je prévoyais un refus poli… à tort ! Gouwe apprécia cette petite entorse occasionnelle à son régime. Il dégusta un petit verre d’alcool
en connaisseur et c’est sans façons qu’il accepta que je lui laisse la bouteille en partant.
Gouwe, de tous les peintres ayant vécu en Polynésie, est sans doute
celui dont l’œuvre reflète la plus forte personnalité, cependant, revers de
la médaille, celui aussi qui s’est le moins imprégné du caractère local :
une nonchalance incompatible avec le style fougueux du peintre. Hormis
quelques portraits (ressemblance oblige) pour lesquels il a mis un frein
à sa fougue, ses personnages relèvent beaucoup plus du type négroïde
que maori. Un exemple entre autres, son pêcheur au harpon nous
transporte sur quelque rivage africain… idem son Porteur de fei et tant
d’autres personnages. Devant ses paysages si solidement et magistralement construits, je ne perçois ni Bora Bora, ni Raiatea, ni tel ou tel atoll,
mais Gouwe tout entier. Il écrase son sujet, sa personnalité crève la toile.
Gouwe a quitté définitivement Raiatea en 1961 sur conseil très
appuyé de son médecin qui le voyait dépérir faute de nourriture équilibrée, pour finir ses jours à Tahiti sous la surveillance de son compatriote
et vieil ami Müller.
Hélas ! Si l’homme quitta l’île sacrée, sa muse ne le suivit pas,
Gouwe avait tout dit. Ses toiles de Titioro trahissent son grand âge.
Conscient sans doute de sa diminution, il chercha refuge dans l’abstrait
sans grande conviction, en tout cas sans résultat autre que matière à
nourrir la prose de quelque littérateur.
François Daragon
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Des îles Sous-le-Vent
à la Hollande,
rencontre avec Gouwe
Voici les quelques souvenirs que je conserve de mes rencontres
avec Gouwe. Je passe sur les circonstances qui l’ont décidé à venir
s’établir en Polynésie. De même que Van Gogh a découvert la lumière
d’Arles, Gouwe a découvert la lumière de Toulon et de Tahiti. Leur
palette en fut changée. Mais, à la différence de Van Gogh, Gouwe vendait
ses toiles relativement chères.
Notre rencontre est bien grâce à un ami commun, monsieur
Jaubert, ancien combattant 14-18, négociant en vins, peintre amateur,
féru de littérature et de récits de voyage : Cook, Bougainville. Il jugeait
son métier trop prosaïque en regard de ces grands découvreurs.
Décision prise, il s’embarqua avec sa femme et une fille de un an. Il disposait d’un petit capital qu’il destinait à l’achat d’une terre en Polynésie.
Après une série de recherches infructueuses à Tahiti et aux Marquises il
se fixa à Raiatea, à Hanuatai, district de Tevaitoa au pied de la plus haute
montagne de l’île. Il débrousse, plante des cocotiers, achète quelques
bêtes et débute une plantation de vanille.
De très rares popaa habitaient à l’époque les île Sous-le-Vent. Il fait la
connaissance d’Octave Morillot, puis de Gouwe débarquant de Toulon puis
de Papeete, Patio au nord de Tahaa, à la recherche d’un endroit où se fixer.
Jaubert lui fait construire une case à quelques centaines de mètres
de la sienne.
L’amitié grandit entre ces trois hommes, et l’atmosphère devient
très conviviale autour d’une barrique de Bordeaux.
Hanuatai, jouxtant le cirque de Tetooroa au pied de cette grande
falaise brillante de dizaines de cascades est le plus beau paysage de l’île.
Mais, très humide, c’est un repère de moustiques. A l’époque beaucoup
de Tahitiens souffraient de filariose. En 1927, Jaubert fait plusieurs
crises de lymphangite, et une de ses chevilles demeure définitivement
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très grosse. Le docteur l’avertit que s’il reste à Hanuatai il risque les
mêmes « désagréments » aux quatre membres. Il se résout à rentrer en
France, tout en conservant sa propriété. Gouwe conserve sa case qu’il
n’abandonnera qu’un an avant sa mort.
A la mort d’Octave Morillot la famille décide de placer Roland, son
fils, chez les Dominicains de Saint Elme à Arcachon – où je me trouvais
moi-même, coïncidences – et Jaubert le fait « sortir » chaque
dimanche jusqu’en 1939, et la mobilisation de Roland.
Agé de 26 ans en 1945 et désireux de m’établir aux îles Sous-le-Vent
depuis la lecture du Mariage de Loti – Oh ! romantisme, j’en rougis
encore – de l’Evangile au soleil d’Alain Gerbault, et de Raiatea la
sacrée de Huguenin, je cherchais à gagner la Polynésie. Pendant la
guerre j’avais fait la connaissance d’un « planteur » qui avait connu
Jaubert et Morillot. Il avait eu la malencontreuse idée d’aller en vacances
en France en août 1939.
Nanti de l’adresse de Jaubert, je vais à Arcachon, je devais être assez
enthousiaste et convaincant pour que Jaubert me nomme gérant de sa
propriété. Gérance « bidon » car la propriété ne produisait quasiment
rien. Mais, en 1945 il fallait trouver une place sur le premier bateau
reliant la France à Tahiti depuis 1939. L’attestation de Jaubert était le
sésame pour le paradis. J’obtins la place grâce à l’amitié d’un fonctionnaire de la Marine Marchande, et la défaillance d’un futur passager,
opéré d’urgence.
Le Sagittaire, transport de troupe durant la guerre, était très
fatigué, ses deux moteurs tombaient souvent en panne. Après deux mois
de navigation, il se présenta le 5 mai 1946 au petit matin devant la passe
de Papeete. Je ne peux décrire ce que fut ce jour de liesse et la semaine
qui suivit ; souvenirs inoubliables pour tous les habitants de l’île, le
bataillon du Pacifique rapatrié, les passagers, les centaines de pirogues
entourant le Sagittaire ; et moi-même accompagnant Roland que j’avais
retrouvé à bord alors que je l’avais perdu de vue depuis 1933.
Roland, fêté par tous les amis de son père, marié avec un fils de un
an m’enverrait partant avec lui. Et deux semaines après nous débarquâmes ensemble à Uturoa. Je n’étais plus qu’à quelques jours de faire
la connaissance de Gouwe à qui je devais donner une lettre de Jaubert.
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Tout ce long préambule n’a que peu de rapport avec Gouwe. J’y
tiens une place trop grande.
Mon premier contact avec lui fut assez bref. J’allais occuper l’ancienne case de Jaubert, mal entretenue depuis son départ quinze ans
auparavant, et n’ai pas prolongé l’entretien qui a porté surtout sur la vie
à Arcachon de Monsieur, Madame et Marguerite devenue jeune fille. Les
préoccupations matérielles primaient. Gouwe payait un Tahitien qui lui
apportait chaque jour son repas. Je fis de même. N’ayant aucune connaissance ni talent artistique je ne pouvais discuter ni technique ni vision
ni motivation d’un peintre. Ces quelques semaines en Polynésie
m’avaient ouvert les yeux sur la réalité de la vie dans les îles, bien loin
de celle de Loti, d’Alain Gerbault et de Huguenin. De la nécessité d’avoir
un emploi salarié ou de disposer d’un capital suffisant pour acheter une
terre avec un revenu immédiat pour vivre en auto-suffisance. Fin 1946,
je rentrais donc en France reportant à plus tard mes rêves polynésiens.
Début 1951 je revis Gouwe. Entre temps j’avais acheté une terre à
Tahaa. Quant à lui il avait été opéré de la cataracte ; et Anne Hervé, la
femme de J. Boullaire avait organisé une exposition d’une centaine de
toiles de Gouwe. Exposition qui fut un succès. Quelques spéculateurs
locaux flairaient la possibilité de découvrir un nouveau Gauguin. Les
trois cent mille francs surprirent et indignèrent Gouwe !
« C’est beaucoup trop, je n’ai pas besoin de tout cet argent ». Et,
fidèle à ses idées il donna les trois quart de la somme à des amis et à la
famille du Tahitien qui le nourrissait à Haunatai.
Ses journées étaient parfaitement réglées. Lorsque le temps le permettait, le matin, il peignait à l’extérieur, ou travaillait ses toiles sous
l’auvent de sa case ; il déjeunait, puis se reposait.
L’après-midi il lisait. Son ami Müller, le violoniste à Papeete lui
envoyait des livres français en majorité. Il était particulièrement féru de
science-fiction. C’était la grande époque des Ovni, du triangle des
Bermudes, des extra-terrestres qui laissaient des traces sur le sol. Il s’intéressait aussi à des livres de reproductions sur des peintres modernes.
Sans pratiquer lui-même l’abstraction il appréciait la peinture non figurative, Mondrian, Vasarely et ce qui allait devenir l’Ecole Américaine.
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Après avoir dîné la nuit tombée il s’endormait, couché sur une large
planche – il dédaignait les matelas et oreillers, la tête posée sur une pile
de livres.
A la suite de sa première exposition à Papeete, il vendait quelques
toiles, et avait accumulé une centaine de tableaux. C’est alors qu’il lui
pris envie de revoir la Hollande et les vieux amis avec qui il correspondait,
ainsi que sa sœur a Alkmaar.
Le voyage jusqu’en France était facile, mais la partie FranceHollande plus délicate.
Je me suis alors concerté avec M. Jaubert. J’ai accueilli Gouwe à
Marseille, et l’ai conduit à Arcachon, où il resta jusqu’en mai 1959.
Partis dans la matinée, nous arrivâmes le soir à Rouen où j’habitais
alors ; le lendemain matin assez tôt ce fut le départ pour Maastrich.
Excellent déjeuner chez la fille d’un vieil ami ; conversation en français,
heureusement pour moi ; passage rapide à la Haye qu’il désirait revoir.
Il ne reconnut pas la ville, entièrement modernisée, les façades en verre
le choquaient. Mais il appréciait la propreté des rues, les maisons toutes
peintes de couleurs vives et les nombreux parterres fleuris. En fin de
journée nous arrivâmes à un village près d’Eindhoven, au bord du
Zwiderzee où résidait un très vieil ami peintre avec qui il travaillait avant
1914. Ce fut de nouveau un excellent repas largement arrosé. Il était
assez tard, et la journée très longue avec une dizaine d’heures de
voiture. Gouwe n’était pas fatigué et il regarda la télévision jusqu’à minuit. Elle n’existait pas encore à Raiatea. Le lendemain je le conduisis chez
sa sœur a Alkmaar. Je devais venir le rechercher à Liège le 30 août. Entre
temps j’avais déménagé de Rouen à Beaulieu sur mer.
Au jour dit, j’assiste à la dernière soirée avec ses amis hollandais et
belges – de tous âges d’ailleurs - il maniait le hollandais et le français
avec aisance et n’était pas le dernier à raconter « une bien bonne ».
Vers minuit ce fut la séparation, et ses dernières paroles furent : « Je
reviendrai dans dix ans ». Sa vitalité était extraordinaire, et j’y croyais
comme lui.
Sur le chemin du retour nous passâmes par Toulon. Il voulait
revoir une auberge où il avait vécu quelques mois avant de s’embarquer
pour Tahiti. A la Valette, faubourg de Toulon nous avons retrouvé la
47
petite route qui y menait. En campagne il y avait peu de changements en
trente ans. Après un kilomètre environ, l’auberge était là, plantée face
au sud, à la fourche de deux chemins. Sous les yeux indifférents du
jeune aubergiste Gouwe tînt à visiter la chambre occupée trente-cinq ans
auparavant.
Après une nuit à Beaulieu, couché sur le sol avec quelques livres
sous la tête ce fut Marseille et Tahiti.
Je ne le revis qu’un an après dans sa case à Hanuatai. Sujet de conversation : la Hollande.
Lors d’une exposition à Amsterdam, il avait vendu trois toiles au
Staedelek, le musée municipal. Tous ses amis le pressait de rester en
Hollande. Il leur expliquait que la vie « civilisée » ne lui plaisait plus,
que la simplicité de la vie quotidienne, la beauté des paysages au bord
du lagon lui étaient nécessaires.
Curieusement il n’était pas attiré par les Tahitiens, hommes ou
femmes. On peut remarquer que tous ses personnages vus de profil ont
une allure « simiesque », avec un prognathisme très prononcé. Il les
voyait ainsi.
En Hollande il avait fait la connaissance d’une jeune fille grande
admiratrice de son œuvre. Elle désirait vivre avec lui à Hanuatai. Passé
l’emballement du premier moment la raison prit le dessus, ou l’hostilité
de sa famille ? Le projet n’eut pas de suite. Gouwe en fut très peiné.
Sans parler du côté sentimental il ne comprenait pas qu’une adulte
ne tienne pas sa promesse. Il avait des opinions très tranchées sur le
Bien et le Mal ; il ne cachait jamais sa pensée et ne supportait pas les
faux-semblants, même par convenance sociale.
Je me souviens d’un repas où j’étais invité avec lui chez Charnay,
alors administrateur aux îles Sous-le-Vent en 1953. Ce dernier professait
des idées très « gauchistes ». Alors Gouwe lui reprocha de ne pas mettre sa vie en harmonie avec ses idées, qu’il ne partageait rien, bref qu’il
était un menteur. Charnay était gêné, mais n’osait rien dire.
Dans un autre registre Gouwe ne comprenait pas la paresse. Qu’une
personne nantie de dons artistiques ne les développe pas le révoltait.
Madame Charnay se faisait souvent « engueuler » parce qu’elle ne travaillait pas ses dons évidents de dessinatrice – crayon et fusain. Sans être
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au niveau de J. Boullaire elle dessinait remarquablement. Sans « repentir » d’un unique trait de crayon elle réussissait le profil d’un Tahitien.
Après son divorce elle épousa un propriétaire d’Hôtel à Menton, fit des
expositions à Nice et Monaco et fut appréciée par la famille princière.
Gouwe l’avait formée.
Jusqu’à ses derniers jours, et malgré sa santé chancelante, il
retouchait, ajoutait une touche, un point de couleur.
L’hôpital d’Uturoa ne voulait pas risquer de le voir mourir seul à
Hanuatai. Müller lui avait fait construire une petite maison à Titioro, sur
le chemin de la Fautaua. Je ne sais s’il l’a occupée.
Pierre Suzanne
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Inventaire
des archives Gauguin
conservées à la
Société des Etudes Océaniennes
L’inventaire des archives Paul Gauguin conservées à la Société des
Etudes océaniennes qui fait l’objet de la présente publication a été entrepris dans le cadre de recherches documentaires sur l’ensemble du
Territoire de la Polynésie française pour préparer la sélection de ressources documentaires susceptibles d’être présentées au Centre Culturel
Paul Gauguin à Atuona – Hiva Oa (îles Marquises).
Il ne s’agit donc que d’un aperçu des richesses qui ont pu être compulsées dans un instrument de recherche qui sera, nous l’espérons un
jour publié, afin d’en faire profiter les chercheurs.
Contrairement aux idées reçues, des archives Gauguin sont toujours
conservées sur le Territoire, et cette présentation est l’occasion de dévoiler certaines de ces pièces au plus grand nombre.
Plusieurs exemplaires de la collection du Sourire, dont deux des
exemplaires de la première édition du Sourire, août [1899]1, ainsi qu’une collection partielle des Guêpes2, apportent aux chercheurs des sources importantes sur les activités de journaliste de Gauguin à Tahiti, sur
sa façon de se positionner dans la société coloniale, ...
La Société des Etudes océaniennes a également reçu en dépôt différentes pièces d’archives de la famille de James Kekela, missionnaire hawaiien
installé à Atuona. Parmi ces pièces, le livre de compte de James Kekela3.
1 SEO, F° / 36c / 22.
2 SEO, Presse / F° / 36.
3 Livre de compte d’environ 300 pages, commencé par James Kekela (1824-1904) à Atuona en
décembre 1860, et poursuivi par ses enfants restés à Hiva Oa.
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Il s’agit à ce jour du seul document sur Gauguin écrit en marquisien.
Le texte est la page d’un cahier de comptes, qui mentionne la location
par Gauguin d’un terrain pour son cheval, à compter du 10 novembre
1901.
Nous trouvons également dans les archives des Sociétés savantes,
des pièces extraites à un moment donné de leur fonds original et sauvegardées grâce à la perspicacité des membres.
C’est le cas du dossier de succession de Paul Gauguin4, entré par
voix extraordinaire dans les fonds de la SEO. Composé de plusieurs pièces administratives résultant de l’appréhension de la succession par la
curatelle des biens vacants, de plus ou moins de valeur historique
(reçus), nous remarquons l’inventaire après décès5, la mention et le
détail de la vente aux enchères publique à Papeete de biens provenant
de la succession6, apportant des précisions riches d’enseignement sur la
manière et la façon dont la population tahitienne a appréhendé et reconnu les œuvres de l’artiste7.
C’est également le cas des feuillets du registre d’enregistrement des
correspondances de l’administrateur de Taiohae en 1902 et 19038,
période du séjour de Paul Gauguin à Atuona.
4 BSEO N°120.
5 Procès verbal d’inventaire des immeubles ; meubles et objets de toute nature appartenant au
sieur Gauguin Paul Henri Eugène, artiste peintre, 27 mai 1903. SEO.
6 Procès verbal de la vente d’objets mobiliers tels que meubles, tableaux, curiosités, des objets
divers, …, à Papeete, sur la place du Marché, le 2 septembre 1903. SEO
7 Marzin-Drévillon, Cathy in « Ia Orana Gauguin », catalogue de l’exposition au Musée de
Tahiti et des îles – Te Fare Iamanaha, 15 mai - 25 juillet 2003. Co-édition MTI-TFI, Editions d’art
Somogy, avril 2003.
8 Br / F° / 36c / 31
53
Le Sourire
Gauguin crée en 1899 son propre journal, Le Sourire, journal
sérieux, avec en sous-titre cette invitation hommes graves souriez, le
titre vous y invite . Il écrit à Georges Daniel de Monfreid en décembre
1899 : « J’ai créé en outre un journal, Le Sourire, autographié système
Edison, qui fait fureur : malheureusement, on se le repasse de mains en
mains et je n’en vends que très peu. Malgré cela… je suis arrivé à
gagner une cinquantaine de francs par mois. » Le Sourire est rédigé
dans un style très personnel : « Je rédige le « Sourire ». Informes et
indécis, l’œil proche, ces écrits, au recul et à l’examen, deviendront précis si vous le voulez ».
Gauguin s’en prend dans ses écrits au gouverneur Gallet, au procureur Charlier, à l’avocat Goupil, au marchand Drollet.
Journal illustré (annoncé dans le premier numéro comme le seul
illustré de Tahiti), Le Sourire est fréquemment orné de gravures sur
bois, qui en donnent un tout autre intérêt.
La Société des études océaniennes possède dans ses fonds plusieurs
exemplaires originaux du Sourire, exemplaires complets ou fragments.
Les fragments ne sont pas inventoriés ici. Cote : Br / F°/ X / X
Le Sourire, août [1899]
Rénéotypé par l’auteur. 4 p. 37 cm.
Journal sérieux, hebdomadaire paraissant le 21. 3 raira le numéro,
août [1899].
Gérant : Paul Gauguin.
Deux exemplaires : un exemplaire « ordinaire », et un autre
exemplaire aquarellé (?)
Ce numéro est orné de croquis d’animaux : lapin, feuillage, volatile, porc suspendu par le ventre ; mais aussi d’un autoportrait de l’auteur (esquisse), un dessin du gouverneur Gallet et la représentation d’un
54
N°299 • Décembre 2003
théâtre de Guignol et de cavaliers, et en dessous, une tête canine et l’indication « Souriez Médor ».
Les sujets traités sont : « l’inauguration du chemin de fer de
Mataiea » et le récit d’une scène de théâtre jouée « au grand théâtre
national de Bora Bora ».
Le Sourire, 19 septembre [1899]
Rénéotypé par l’auteur, 4 p. 37 cm.
+ supplément, rénéotype, 2 p. XX cm.
Journal sérieux
Gérant : Paul Gauguin.
L’en-tête est représentée par une gravure sur bois : dans un cachet
rond, les lettres P G O.
Articles de l’auteur, qui signe quelquefois de Tit-Oïl : « La Beauté
humaine », avec des dessins (figures de la Martinique, Artistes,
patrons…) ; « Demosthène, C’était pendant l’horreur d’une nuit profonde [ou « An l’an X de la 18è Dynastie Ramsès Tout ceci se passa]» ;
« Première incarnation de Tit-Oïl ».
Supplément non illustré, contient deux écrits, signés Tit-Oïl : un
premier qui concerne la maladie et un second, contre le « ministère
public ». Un « Avis » en bas de page précise que Le Sourire est disponible chez Mr Coulon.
Le Sourire, novembre [1899]
Rénéotype, 4 p. 37 cm. Deux exemplaires, bois différent entre les
deux exemplaires.
Journal Sérieux./ 30 Sol.
Gérant : Paul Gauguin.
Le titre du journal est orné d’un bois gravé inventorié dans le catalogue raisonné Kornfeld9 sous le numéro 58. Il représente trois personages, un masque, un renard et un oiseau.
9 Morgan, Elizabeth. Kornfeld, Eberhard, W. Joachim, Harold. Paul Gauguin, catalogue raisonné of his Prints. Berne : Kornfeld publishers, 1988.
55
Le second exemplaire est orné du bois référencé sous le numéro 59
du Kornfeld. Il représente deux têtes, un oiseau et un chien.
Ce numéro, signé Tit-Oïl fait une place importante à la littérature et
commence par une « critique littéraire [sur] Alfred Jarry », puis une
nouvelle histoire locale sur le gouverneur Gallet, S’intercalent des vers
de Charles Morice, de la prose de Diderot et des mots d’Albert Aurier.
Signé Tit-Oïl.
Le Sourire, décembre [18]99
Rénéotypé, 4 p. 37 cm.
Journal méchant.
Gérant : Paul Gauguin.
Le titre du journal est orné d’un bois gravé inventorié dans le catalogue raisonné Kornfeld sous le numéro 61. Il représente un cheval et
trois oiseaux.
Deux articles illustrent ce numéro : « Salades amères », diatribe
signée P.G. à l’encontre de Goupil et une lettre de « Tit-Oïl, rédacteur au
journal Le Sourire » adressée « à Monsieur Rotschild ».
Le Sourire, [janvier 1900]10
Rénéotypé, 4 p. 37 cm.
Journal méchant.
Gérant : Paul Gauguin.
Le titre du journal est orné d’un bois gravé inventorié dans le catalogue raisonné Kornfeld sous le numéro 62. Le bois représente deux
femmes en discussion, et sur la gauche, l’inscription « Le Sourire ». Le
titre du numéro / de l’article (?) « Bafouillades » illustre la gravure.
Le numéro consacre une grande par des articles à une critique
sévère du milieu colonial.
10 Numéro non daté, date attribuée par J.-L. Bouge, op cit.
56
N°299 • Décembre 2003
Le Sourire
Liste des numéros de la collection et mention de leur conservation
N°
Date
N°1
Août 1899
N°2
Septembre 1899
Supplément au n°2
‘’
N°3
Octobre 1899
Localisation
à la SEO
*
Deux exemplaires.
Croquis
Croquis et bois
gravé (cachet avec
initiales PGO)
*
Supplément au n°3
‘’
N°4
Novembre 1899
N°5
Décembre 1899
N°6
Janvier 1900
N°7
Février 1900
N°8
Mars 1900
N°9
Avril 1900
Supplément au n°9
Observations
*
*
Deux exemplaires,
Gravure sur bois
différente sur les
deux exemplaires.
*
Gravure sur bois
Gravure sur bois
‘’
Les Guêpes
11
Gauguin qui avait besoin d’argent, vint à collaborer aux Guêpes,
mensuel du parti catholique à partir de juin 1899 : il publie sous la
rubrique Tribune libre, sa lettre à M. Charlier, premier d’une longue
série d’articles qu’il signa de son nom ou du pseudonyme Tit-Oïl.
11 Collection non complète conservée à la Société des Etudes océaniennes.
57
« Je devins journaliste, polémiste si vous voulez. Mais naviguer au
milieu de ces récifs sans s’y briser, n’est pas une petite affaire. Il me fallut étudier les détours pour ne pas aller en prison. »
Le ton est donné, les articles de Gauguin ne sont qu’attaques contre
le Gouverneur et l’administration.
Il collabora aux Guêpes à partir du n°5 ; et il en devient le gérant, à
partir du n°13. Ses articles sont parfois signés de son nom, du pseudonyme Tit-Oïl, ou peuvent lui être attribués pour raisons de critique interne12.
Les Guêpes. Première année, n°3, 12 avril 189913. p. 9-12.
Cote : Presse / F° / 36/ 18-8
Les Guêpes. Première année, n°3, 12 avril 1899.14
Cote : Presse / F° / 36/ 18-16
Les Guêpes. Première année, n°4, 12 mai 189915.
Cote : Presse / F° / 36 / 18-16
Les Guêpes. Sans date [12 juin 1899 ?16].
Cote : Presse / F° / 36 / 18-17.
Les Guêpes. Première année, n°6, 12 juillet 189917.
Cote : Presse / F° / 36 / 18-16.
Les Guêpes. [Première année, n°6], 12 juillet 189918.
Cote : Presse / F° / 36 / cote 18-9
12 Danielsson, Bengt et O’Reilly, Patrick. Gauguin journaliste à Tahiti in Journal de la Société
des Océanistes. Tome XXI, n°21, décembre 1965. Paris, Musée de l’Homme.
13 Mauvais état de conservation.
14 Seuls l’en-tête et le haut de la page suivante sont conservés.
15 Seuls l’en-tête et le haut de la page suivante sont conservés.
16 En-tête absente. 2 exemplaires.
Articles de Paul Gauguin : Le champignon parasol de Sumatra, signé Tit-Oïl [pour la première
fois] (p. 21) ; Tribune libre, contenant : 1° [Lettre ouverte à M. Charlier] (p.21-22) ; 2° suivie
d’une note sur [Rimbaud et Marchand, ou les deux façons de coloniser] (p.22-23) ; à la suite
un avis de six lignes, signé Paul Gauguin, manifestant son désir de voir ses factures rédigées
en français (p.23).
17 Seule l’en-tête est conservée.
18 Seul un quart de feuille est conservé. On peut noter qu’il s’agit de la fin d’un article signé
Tit-Oïl (quelques lignes, certainement de l’article « Le mitron Roi Dagobert »).
58
N°299 • Décembre 2003
Les Guêpes. Première année, n°7, 12 août 1899. p.31-3419.
Cote : Presse / F° / 36 / cote 16-10.
Les Guêpes. Première année, n°8, 12 septembre 1899. p. 34-3820.
Cote : Presse / F° / 36 / 18-4.
Les Guêpes. Première année, n°9. 12 octobre 189921. 22 .
Cote : Presse / F° / 36 / 18-15
Les Guêpes. Deuxième année, n°12, 12 janvier 1900. p. 1-5. 23
Cote : Presse / F° / 36, cote 18-12.
Les Guêpes. Deuxième année, n°13, 12 février 1900. p. 7-10.24.
Cote : Presse / F° / 36, cote 18-13.
Les Guêpes. [Deuxième année], sans numérotation, 20 février 1900. p. 11-12. 25
Cote : Presse / F° / 36, cote 18-14.
19 On notera en dernière page une publicité : « Le Sourire. Journal humoristique et illustré.
Paraissant le 19 de chaque mois. En vente chez MM. Kurka et Coulon. Prix du numéro 1 fr. 50
chilien. »
20 2 exemplaires.
21 Articles de Gauguin : V’là les horreurs qui recommencent (p.40-41) ; Administration et
équité ; Justice administrative et devise républicaine ; signés Paul Gauguin ; Histoire de changer, signé Tit-Oïl (p.45)
22 On relèvera la publication d’un Avis : « Nous rappelons à nos abonnés que le journal de M.
Gauguin, le « Sourire » paraît tous les mois en même temps que les « Guêpes », et se trouve
en vente chez M. Coulon ». Et d’une publicité en dernière page de couverture : « Le Sourire,
Journal humoristique et illustré, Paraissant en même temps que les « Guêpes », En vente chez
M. Coulon. Prix du numéro 1 fr 50 chilien »
23 Articles de Gauguin : Doux progrès (p.2) ; un autre article non titré [Il faut avouer…], signé
Tit-Oïl (p.2)
24 Articles de Gauguin : Croquemitaine administratif (p.8-9). Gauguin prend la gérance du
journal (à vérifier). À en juger par le style au moins six des sept articles qu’il contient peuvent
être de la main de Gauguin, mais seul, le plus violent, Croquemitaine administratif, est signé de
son nom. (O’Reilly, P. op. cit).
25 On notera en dernière page une publicité : « Le Sourire. Journal humoristique et illustré.
Paraissant en même temps que les « Guêpes ». En vente chez M. Coulon. Prix du numéro
1 fr. 50 chilien. »
Dans ce numéro spécial consacré à la dissolution de la chambre de commerce (sur 5 colonnes), un article non signé par Gauguin, mais il en est sans doute le rédacteur : les expressions
les phrases caractéristiques de son style y reviennent continuellement. C’est dans ce numéro
que nous voyons pour la première fois Gauguin figurer comme gérant. (O’Reilly, P. op. cit.)
59
Les Guêpes. Deuxième année, n°15, 12 avril 1900. p. 17-20.26
Cote : Presse / F° / 36 / 18-5.
Les Guêpes. Deuxième année, n°16, 12 mai 1900. p. 21-2427.
Presse / F° / 36, cote 18-6.
Les Guêpes. Deuxième année, n°17, 12 juin 1900, p. 25-28.28
Presse / F° : 36, cote 18-3.
Les Guêpes. Deuxième année, n°18, 12 juillet 1900. p. 29-32.29
Presse / F° / 36, cote 18-1.
Les Guêpes. Deuxième année, N°20, 12 septembre 1900. p. 37-40. 30
Presse / F° / 36, cote 18-7.
Les Guêpes. Deuxième année, n°21, 12 octobre 1900, p. 41-44. 31
Presse / F° / 36, cote 18-11.
32
Les Guêpes. Troisième année, N°1, 12 janvier 1901. 4 pages. .
Presse / F° / 36, cote 18-2.
26 Articles de Gauguin : La sauterelle, Paul Gauguin (p.19) ; Terre délicieuse, Le Vivo, signé
Noa Noa (p. 20). Le gérant : Paul Gauguin.
27 Gérant : Paul Gauguin.
28 2 exemplaires. Le gérant : Paul Gauguin.
Article de Paul Gauguin : L’agriculture (p. 28), Paul Gauguin.
29 Le gérant : Paul Gauguin.
30 Le gérant : Paul Gauguin. Pas d’article spécifiquement signé Paul Gauguin. Articles sur la
question chinoise. Le compte-rendu publié dans le numéro (réunion afin de protester contre
l’infiltration des chinois) de septembre, donne une idée assez exacte du discours (rédigé par
Gauguin). (O’Reilly, P. op. cit)
31 Le gérant : Paul Gauguin. Bulletin mensuel, [Compte rendu de la conférence tenue à
Papeete le dimanche 23 septembre 1900 sur la question chinoise], p. 41-42. Trois orateurs,
MM. Raoulx, Gauguin et Langomazino y développent leurs arguments pour appuyer la motion
du Conseil général tendant à limiter les activités des Chinois par des mesures financières restrictives. Extraits ou résumés des discours des trois orateurs. Signature d’une pétition. La collection des Guêpes, de mars 1899 à avril 1902, contient un certain nombre d’articles concernant le problème chinois à Tahiti.
32 Numéro complet (?), mais toute l’en-tête est scotchée…et aucun article signé de Paul
Gauguin ou de Tit-Oïl.
60
N°299 • Décembre 2003
Les Guêpes
Liste des numéros du Journal et répertoire des articles de Gauguin
N°
Date
Localisation Observations
3
12 avril 1899
*
Deux exemplaires
4
12 mai 1899
*
Seul l’en-tête est
conservée
*
5
12 juin 1899
6
12 juillet 1899
*
7
12 août 1899
*
8
12 sept. 1899
*
9
12 octobre 1899
*
Articles de
Gauguin
A Le Champignon
parasol de Sumatra,
signé : Tit Oil.
B Lettre à
Monsieur Charlier,
En-tête manque signée : Paul
Deux exemplaires Gauguin
C [Rimbaud et
Marchand], signé :
Paul Gauguin
D [Avis aux créanciers], signé : Paul
Gauguin
Seul l’en-tête
et un quart de
feuille sont
conservés.
E Le mitron du roi
Dagobert, signé :
Tit Oil.
F La machine
Colbert, signé :
Paul Gauguin/
Deux exemplaires.
G Vlà les horreurs
qui recommencent, signé :
Paul Gauguin
H Histoire de
changer,
signé Tit Oil.
61
N°
12
N° spécial
13
Date
12 janvier 1900
12 février 1900
20 février 1900
Localisation Observations
*
L Doux progrès,
signé : Gauguin.
M [Contre
l’empereur
Gallet], signé :
Tit Oil.
*
Croquemitaine
administrative,
signé :
Paul Gauguin.
*
15
12 avril 1900
*
16
12 mai 1900
*
17
12 juin 1900
*
18
12 juillet 1900
*
20
12 septembre
1900
*
21
12 octobre 1900
*
1
12 janvier 1901
*
62
Articles de
Gauguin
Premier numéro
portant : “le
gérant : Paul
Gauguin”
Q La sauterelle,
signé : P. Gauguin
R Terre délicieuse
S Le vivo, signé :
Noa Noa
T L’agriculture,
Deux exemplaires signé :
Paul Gauguin
U Bulletin
mensuel, signé :
Paul Gauguin
N°299 • Décembre 2003
Livre de comptes, James Kekela33
Il s’agit du seul document sur Gauguin connu à ce jour écrit en
marquisien.
Le texte est la page d’un cahier de comptes.34. Il s’agit de la mention
de la location par Gauguin d’un terrain35 pour son cheval, à compter du
10 novembre 1901. La location est de deux moni par mois, soit 10
francs. Ce cheval sera vendu le 20 juillet 1903 à la Société Commerciale
pour 34 francs (Dossier de succession de Paul Gauguin).
Enfin, le prix de la location fut régulièrement payé : un trait continu
bordant la colonne des dates mensuelles le prouve. Le 8 mai 1903 est un
jour spécifiquement souligné.
Transcription et traduction36 :
Ua maimai mai haoe Gauguin i te
fenua mea tafai ihovare $ 2.00
moni o te utu o te mahina
traduction :
L’étranger Gauguin désire un terrain pour nourrir son cheval, $ 2.00
moni est la prix à payer pour le mois.
Tiaia
attendre
Ua mate Gaugin i te a 8 o mei 1903
Gaugin est décédé le 8 mai 1903
i te hora onohuu i mate havaiki ai
à dix heures il mourut de mort havaiki
ua haatoitoi tia te aie o Gaugin
elle a été réglée la dette de Gaugin
33 Non coté, marque page dans le livre de compte pour la page mentionnant Gauguin.
34 Dépôt provisoire à la SEO de documents, dont un « livre de comptes » de 33 par 20 cm et
d’environ 300 pages ; commencé par James Kekela (1824-1904) à Atuona le 13 décembre
1860 (?), le manuscrit est poursuivi au-delà du départ du missionnaire hawaïen par ses enfants
restés à Hiva Oa. La dernière entrée semble être du 24 septembre 1917. Sermons et généalogies en langue hawaïenne, comptes de plantation, d’élevage, marchandises des goélettes et
liste de noms et de familles de plus en plus écrits en langue marquisienne. Extrait BSEO,
n° 279-280, déc. 1998–mars 1999.
35 Dans la propriété Kekela qui, derrière la Maison du Jouir, s’étend jusqu’au rivage de la baie.
36 Ua mate Gauguin i te’a o mai 1903, la mort de Gauguin en marquisien (traduction de Mgr
H.-M. Le Cleac’h) BSEO, 1998-1999. N° 279-280, p. 27.
63
ia Ioane Kekela e tuu
par Ioane Kekela qui la déclare
i oto o te tuhaaa atahi a tuu
à la succession aussitôt m’est vers
mai te moni i toe o tenei
l’argent dû pour ce
mahina 810 mai 1903.
mois-ci 810 mai 1903.
Dossier de succession de Paul Gauguin
Objet, en 1957, d’une publication par la SEO37, et déjà connu du
public, les pièces du dossier de succession ont récemment été retranscrites page par page, afin de figurer dans le parcours du Centre culturel
Paul Gauguin (Atuona, îles Marquises).
Cote :
Le dossier est composé des pièces suivantes.
Obligations de 1000 francs par M. Paul Gauguin à la Caisse Agricole
de Papeete, du 27 juin 1898. Étude de Me G. Vincent, notaire à Papeete.
5 p. relié ;
Acte de vente de Mgr Martin, vicaire apostolique des Marquises, à
Paul Gauguin, artiste peintre, deux parcelles de terre (Papanui et
Aiteani), 27 septembre 1901 (copie enregistrée à Papeete, le 28 septembre 1903 auprès de Vermeersch) ;
Relevé de comptes de la Société Coloniale de l’Océanie : Duplicata
Monsieur P. Gauguin, Atuona, en compte avec la Société Commerciale de
l’Océanie, factorerie de Taiohae, 30 septembre 1901 – 1er mai 1903 (VI
feuilles, recto), 23 juin 1903.;
Mémorandum de la Société Coloniale d’Océanie à l’attention de M.
E. Vermeersch, 15 décembre 1903, une demi-page ;
Procès-verbal d’inventaire des immeubles, meubles et objets de
toute nature appartenant au sieur Gauguin Paul Henri Eugène, artiste
37 Le dossier de succession de Paul Gauguin, commentaires de Jacquier Henri. et reproduction
intégrale par la Société des Etudes Océaniennes. Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes,
1957, n°120.
64
N°299 • Décembre 2003
peintre, (N° d’ordre, désignation des articles, valeur approximative,
observations), à Atuona, le 27 mai 1903 (signé E. Frébault, Claverie, et
ill.), 6 pages dont 5 manuscrites ;
Procès-verbal de vente aux enchères publiques de divers objets
mobiliers et d’un cheval provenant de la succession du sieur Gauguin
Paul, à Atuona, le 20 juillet 1903 (N° d’ordre, désignation des objets
vendus, noms des acquéreurs, sommes en toutes lettres, prix),
signé : Sevrain, Pierre et Claverie, 8 pages (dont 7 manuscrites) ;
Inventaire des meubles et objets provenant de la succession
Gauguin expédiés par aviso-transport « Durance » à Monsieur le
Curateur aux biens vacants à Papeete, 15 caisses décrites, Atuana, le 11
août 1903, signé Claverie, 4 pages dont deux manuscrites ;
Procès-verbal de la vente d’objets mobiliers tels que meubles,
tableaux, curiosités, dess objets divers, à la requête de M. le curateur
aux successions vacantes, à Papeete, sur la Place du Marché, Papeete, le
2 septembre 1903 (enregistré le 5). (N°, désignation, acquéreurs,
prix en lettres, chiffres). (deux feuillets de 4 pages, 5 pages manuscrites).
Dossier enregistrement Domaines Cadastre, Papeete – Tahiti :
Succession de Gaugain Eugène, Henri, Paul décédé à Atuana
(Marquises) le 8 mai 1903.
Inventaire à l’officine du 2 juillet 1903, n°16. : état des recettes
effectuées pendant le mois de juillet 1903 pour le compte de la succession vacante de Gauguin (agence spéciale des Marquises) (61,75 –
argent trouvé dans les tiroirs du défunt) ;
Idem, août 1903 (1050 : produit de la vente de la case et du terrain ayant appartenu à feu Gauguin) ;
Idem, septembre (1077,15 = produit de la vente aux enchères
publiques de matériel et objets) ;
Copie de la dépêche ministérielle en date du 18 mai 1905, n°5 : le
ministère des colonies à M. Le gouverneur des EFO (faire parvenir en
France le produit net de la succession de M. Gauguin) ;
Lettre du curateur (V) au président du Tribunal de première instance de PPT l’informant que la succession a été « appréhendée par le
brigadier de gendarmerie Claverie… qui en a dressé PV d’inventaire des
65
biens laissés par le défunt… », s.d. ; réponse du président du tribunal
à la requête autorisant à procéder à la vente des biens, 23 juin 1903
(enregistré le 28 septembre 1903) ;
Note de frais de M. Chalron pour transport des caisses, nettoyage,
etc. (35 F) ;
Note de Kekela pour 2 piastres (cheval du 10 avril au 8 mai), 2
juin 1903 (double ex.) ;
État des sommes recouvrées par l’Agent spécial des Marquises pour
le compte du Receveur de l’Enregistrement pendant le trimestre de
juillet 1903, et à mandater au profit de ce comptable sur la caisse du trésor (1974,90), 15 mars 1904. ;
Lettre de Claverie (sous-agent spécial) au curateur aux biens
vacants, 12 août 1903 (pour lui adresser différentes pièces) ;
Bordereau d’inscription d’hypothèque conventionnelle (somme de
1000 F) / Caisse agricole, 29 juin 1898 ;
Reçu du curateur suite à la vente du 2 septembre 1903 (123,70 F) ;
Reçu du receveur de l’enregistrement (41,55) ;
Lettre de ? à Vermersch, « en compulsant les brochures que j’ai
achetées à la vente de Gauguin, j’y trouve une enveloppe contenant en
billets du trésor la somme de 890 F que je vous expédie illico, . ;. »
La consultation simultanée du BSEO consacré au dossier de succession nous permet de noter que les pièces suivantes manquent :
Lettre de Daniel de Monfreid à Gauguin, 15 décembre 1902 –
MANQUE AU DOSSIER ;
Note pour le curateur de la succession aux biens vacants, indiquant que
le peintre Gauguin est décédé à Atuona le 8 mai MANQUE AU DOSSIER ;
Registre d’enregistrement des correspondances
de l’administrateur de Taiohae
Cote : Br / F° / 36-c / 31.
Les feuillets du registre d’enregistrement des correspondances de
l’administrateur des îles Marquises, sis à Taiohae (Nuku Hiva) ont été
recueillis par le Docteur Marcel Pottier lors de son séjour aux îles
66
N°299 • Décembre 2003
Marquises en 1942-43, comme médecin contractuel de l’Administration
dans cet archipel. Ils ont ensuite été entre les mains de Me Gabriel
Gomichon des Granges, puis du Père O’Reilly (qui les transmis en 1967
au Musée Gauguin), et enfin de la Société des études océaniennes.
Le dossier est composé de sept feuilles, en très mauvais état de
conservation. Très âbimés, ils ont été scotchés, ce qui les rend maintenant quasiment illisibles. Les feuillets ne composent pas une suite chronologique du registre d’enregistrement de l’administrateur des îles
Marquises, mais ont été vraisemblablement détachés du registre, du fait
de mention dans les écrits de « Gauguin ». C’est un des nombreux
exemples des pièces Gauguin qui ont été substitués à leur fonds d’origine. Signalons, par ailleurs, que la correspondance de l’adminsitrateur
des Marquises n’a pas été retouvée.
Nous avons retrancrit dans l’inventaire du chrono courrier,
quelques passages concernant Gauguin, passages jusqu’alors non
publiés ; mais la transcription est rendue difficile par l’état des pièces.
n
Feuillet [1] 36 : N°s d’enregistrement du courrier : 11 à 14, aoûtseptembre 1902 :
N°11 : Mr Charpillet, chef de brigade de gendarmerie d’Atuona, au
sujet des écoles et des agissements du Sieur Gauguin ; Taiohae, le 30
août 1902.
Extraits : « … Parmi les instructions verbales que j’ai reçues de Mr le
Procureur de la république avant mon départ de Papeete, il en est que
je dois vous signaler tout particulièrement … Nous n’avons pas le droit
d’obliger les parents à envoyer leurs enfants dans des écoles libres …
Par suite, recommandez aux gendarmes de ne point dresser des procèsverbaux que je me verrais dans l’obligation de classer.
Il faut donc, sans avouer notre impuissance, (illisible) fortement
les parents à envoyer leurs enfants à lécole en leur faisant comprendre
que ces conseils leurs sont donnés dans leur intérêt comme dans celui
de la jeunesse marquisienne.
Quant à Mr Gauguin, il endosse, assume une lourde responsabilité ;
mais si vous ne pouvez l’empêcher d’agir dans la circonstance, vous
devez, en ce qui concerne son refus de payer les impôts, le considérer
67
comme le premier (illisible). A-t-il satisfait aux prescriptions des arti.
43, 44 et 45 de l’arrêté du 16 février 1881, N°49 ?
Si non, veuillez vous conformer aux règles prescrites par les
articles 59, 60 et suivants du même arrêté. C’est votre devoir et personne
ne peut vous blâmer de le remplir.
L’Agent spécial-Administrateur
Signé : F.V. Picquenot
N°12 : Gouverneur, au sujet des écoles, agissements de Mr Gauguin,
septembre 1902.
Extraits : « … L’œuvre malsaine et antifrançaise entreprise par
Mr Gauguin serait due à sa rancune contre l’évêque.
D’après des on dit l’évêque aurait empêché une de ses ouailles
de cohabiter avec Gauguin d’où rancune de ce dernier qui aurait
juré la désorganisation… »
N°13 : Agent spécial d’Atuona ; remplacement du ? de la vallée de
Hanapaua, 3 septembre 1902.
N°14 : Au gendarme Faivre, chef de poste à Uauka, Envoi du Né Puu dit
Koki, 9 septembre 1902.
n Feuillet
[2] 44 : N°S d’enregistrement du courrier n°35, décembre
1902.
N°35 : au Gouverneur, 6 décembre 1902.
N°36 : illisible, 10 décembre [1902]
N°37 : Gauguin …. Atuona, 10 décembre 1902.
« A votre lettre personnelle qui …. Intérêt dont j’ai la charge,
je réponds officieusement ou officiellement, à votre choix.
Vous avez raison de croire à mon asprit de justice et ma décision
dans l’affaire Haputu-Kina que vous me signalez en est une preuve,
c’est également à mon devoir que j’obéis … »
68
N°299 • Décembre 2003
n
Feuillet [3] 45 : N°S d’enregistrement du courrier
suite courrier
N°37 : « … Je ne puis donc, pour ces motifs, accueillir votre demande. »
N°38 : Au Sous-agent spécial d’Atuona, 10 décembre 1902.
Extrait : « … Rapport n°100 – Réclamation Gauguin. La réclamation … n’ayant pas été présentée dans les délais »
n
Feuillet [4] 66 : N° d’enregistrement du courrier : N°S47-49, mai
1903.38
N°47 : au Gouverneur, mort de Paul Gauguin, 23 mai 1903.
Extraits : « J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que
gauguin, Eugène, Henry, Paul, est décédé à Atuona, le 8 de ce
mois, à 11 heures du matin.
Il était, paraît-il, atteint d’une affection cardiaque… »
N°48 : au Curateur des successions vacantes, succession Gauguin, 23
mai 1903.
N°49 : illisible.
n Feuillet
[5] 68 : N°S d’enregistrement du courrier : N°S 53-56, maijuillet 1903.
N°53 : [Monseigneur Martin, propositions pour améliorer l’éclairage
et la conduite d’eau], 28 mai [1903].
N°53 : au Gouverneur, 5 juin [1903].
« Au mois de Mars dernier, j’étais saisi par feu Gauguin contre
le gendarme Saussol plainte que j’ai crû devoir classé39 comme
n’étant pas de ma compétence.
Aujourd’hui même, une lettre du 30 Avril, écrite par Gauguin,
décédé le 8 mai, vient seulement de me parvenir d’Atuona avec
la mention « personnelle »
38 Manuscrit illisible tant le scotch a foncé le trait sur ce papier déjà très fin.
39 Transcription telle quelle dans le texte.
69
J’y lis que le signataire a saisi Me Brault de l’affaire Saussol.
J’ai donc l’honneur de vous faire parvenir un petit dossier composé de trois pièces, afin que, le cas échéant, vous soyez au courant des faits.
Dans cette même lettre, je relève le passage suivant : Monsieur
Brault m’écrit (à propos du coprah de Vaitaha) qu’il faut s’interdire d’ivres [ ?] demi-victoire. La décision prise est celle-ci :
Le gendarme devra prendre la moitié des fruits et pour cette
moitié des fruits il s’arrangera à l’amiable avec les indigènes.
M’auriez vous donc adressé des instructions dans ce sens que je
n’aurais pas reçu ?
Signé : F.V. Picquenot »
N°54 : Gouverneur [reconstruction de la caserne de Hekeani], sans date.
N°55 : Gouverneur [budget des Marquises], 17 juin [1903].
N°56 : Note pour le Chef de poste à Uauka, 20 juillet 1903.
n
Feuillet [6] 70 : N°S d’enregistrement du courrier : N°S 58-59,
juillet-août 1903.
N°58 : sans objet [à Mr Aumond, travaux]. 21 juillet [1903].
N°59 : Envoi de fonds, Coprah, baleinière du Sce local, Gendarme
Pambrun, Au sujet du gendarme Sévrain, Construction d’un hangar pour la baleinière, Succession Gauguin vacations, Permis de
chasse Guillitoue, Etat-civil : demande de fournitures, Taiohae,
le 1er août 1903.
Extrait (Succession Gauguin) : « Il faut payer, sur états dont je
fais envoi à M. Claverie : Frais de gardiennage, d’emballage,
d’embarquement, P.V. d’affiche… ».
70
n
Feuillet [7] 72 : N°S d’enregistrement du courrier : N°S [69], 70 à
74 + 68 ( ?).
N°69 : mars [1902]. Evêque Martin, A.S. [au sujet] son retard.
N°70 : 3 avril 1902. Mr Gauguin A.S. [au sujet] de son refus de payer
l’impôt :
« Monsieur,
J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre lettre du (3)
mars 1902. Je ne puis en ce qui me concerne que transmettre
votre lettre au Gouverneur.
Vous avez parfaitement raison de penser que je suis votre représentant auprès du Gouverneur mais je suis tout d’abord le
représentant du Gouverneur parmi nous et comme tel, n’ai qu’à
faire exécuter les lois et décrets que je reçois sans les discuter.
En attendant que le gouverneur ait statué sur votre protestation,
je ne pourrai donc que faire exécuter la loi, dans ses termes
intégrales.
Veuillez
Signé : Brisson. »
N°71 : 3 avril 1902. Mgr Martin A.S. de procession.
N°72 : 3 avril 1903. Mr. Bouzer.
N°73 : 3 avril 1902. Mr Grelet. Accusé réception.
N°74 : 3 avril 1902. Brig. Atuona, divers.
[feuillet 28, collé]
N°68 : Taiohae, 24 mars. Brig. Atuona, Chefs – Divers.
Cathy Marzin-Drévillon
72
Gauguin
dans la philatélie
Quasiment tous les grands peintres ont eu droit, à travers le vaste
monde, à une ou plusieurs représentations philatéliques de leurs œuvres. Certains, dont Paul Gauguin fait partie, se taillent une part de lion en
ce domaine.
Ce grand artiste qui se voulait ainsi mais qui ne réussit guère à en
convaincre ses contemporains, a eu, depuis, des centaines d’émules plus
ou moins heureux, plus ou moins reconnus. Depuis la mort de Paul il y
a un peu plus de cent ans, ils ont envahi les archipels polynésiens à la
recherche de l’air, des couleurs, de la philosophie… qui, pensent-ils,
ont façonné Gauguin et il apparaît malgré tout qu’une bonne partie d’entre eux ait finalement réussi à trouver ici leur propre inspiration, parfois
même un certain style, si ce n’est un véritable épanouissement artistique
ou, plus prosaïquement, un confortable moyen d’existence. Cependant,
l’Office des Postes de Polynésie française a offert à presque tous, petits
et « moins petits », la chance de voir timbrifier une de leurs œuvres de
leur vivant ce que Gauguin était loin de pouvoir imaginer, d’autant qu’à
son époque, la philatélie en était encore à ses premiers balbutiements.
Le premier timbre représentant un tableau de Gauguin a été émis
le 24 septembre 1953 par la Poste des « Etablissements Français de
l’Océanie » pour commémorer le cinquantième anniversaire de sa
mort ; c’est la toile intitulée « Nafea faa ipoipo » (quand te maries-tu)
qui a été alors choisie et magnifiquement gravée en taille douce par
Munier. De nombreux pays européens ont, depuis, consacré une partie
de leur timbrologie à la reproduction de chefs d’œuvres de la peinture,
ainsi qu’une infinité de républiques dites « bananières » (Caraïbe,
Afrique …) mais ce sont surtout les émirats arabes qui ont monté une
véritable industrie de thématiques philatéliques s’avérant, pour ces
régions, aussi florissante si ce n’est autant rémunératrice que le pétrole.
Bien que les timbres de ces pays n’aient généralement aucune
valeur philatélique et ne soient pas toujours pris en compte par les catalogues, ils trouvent preneurs auprès de thématistes aussi peu pointilleux
sur la valeur des vignettes que sur la fidélité des représentations. Les
coloris s’éloignent en effet souvent de la réalité et, comme si les tableaux
de Gauguin n’étaient pas assez nombreux, certains concepteurs trouvent
intéressant de faire paraître des œuvres parfois découpées en d’inesthétiques tronçons. D’autres pays se montrent heureusement plus respectueux et certains comme la république Tchèque, la France et quelquefois
la Polynésie ont à cœur de faire reproduire les peintures par des artistes
graveurs renommés, permettant ainsi l’émission de timbres en taille
douce du plus bel effet.
A ce jour, la Polynésie française en est à dix-huit représentations
philatéliques des œuvres de Gauguin, y compris les sculptures ; les thématistes ajoutant systématiquement à leur collection des vignettes postales traitant de sujets en rapport plus ou moins direct avec l’artiste :
tombe à Atuona, inauguration du Musée de Papeari, tableaux vivants « à
la manière de… », coquillage (Gauguini)…ainsi que d’autres genres
de documents tels que photographies, cartes postales, reproduction de
lettres, livres, etc…
Les offices postaux des autres Territoires français du Pacifique,
ainsi d’ailleurs que les Iles Cook, essayent de récupérer un peu de la
gloire (posthume) du grand peintre en faisant, eux aussi, paraître de
temps à autre quelques tableaux du maître.
La philatélie suivant également certaines modes, il s’avère actuellement de bon ton d’émettre plusieurs timbres aux sujets différents sur une
même planche ou sur un « bloc-feuillet », ce qui, la plupart du temps,
nuit sensiblement à l’esthétique et à la qualité. Comme dans d’autres thématiques, il y a un nombre important de redites, les pays émetteurs tiennent en effet rarement compte de ce que les autres ont déjà pu éditer, ce
qui permet de constater des différences dans le rendu (cadrage, couleurs, intitulés), les Etats possédant des Musées riches en peintures étant
évidemment les plus à même de reproduire fidèlement les œuvres accrochées aux cimaises (Russie, république Tchèque, Allemagne, France…),
à condition qu’ils s’adressent aussi à de bonnes imprimeries.
76
N°299 • Décembre 2003
Au milieu d’une avalanche de conférences, d’émissions télévisées et
d’écrits en tous genres, il était normal que l’Office des Postes de Tahiti
marque également le centième anniversaire de la mort de l’artiste.
Outre un timbre représentant une toile intitulée « Aha oe feii », conservée au Musée Pouchkine de Moscou, un cachet souvenir et une carte
téléphonique furent émis entre le 8 mai et le 11 septembre 2003.
Les Offices des Postes de Nouvelle-Calédonie et de Wallis et Futuna
émirent chacun une vignette et conjointement deux blocs feuillets (soit
au total trois timbres différents !).
La Métropole choisit, elle, un tableau de l’époque bretonne « Vision
après le sermon, La lutte de Jacob avec l’ange ». Peu d’autres pays commémorèrent l’événement.
Christian Beslu
79
La mort et Octave Morillot
(1878-1931)
Octave Morillot, comme tout un chacun, a rencontré plusieurs fois la
mort sur son chemin. Il a joué avec elle plusieurs parties d’échecs, jusqu’au jour où, lassé, il se laissa emmener par la grande dame noire dans
le monde des ténèbres.
La première fois qu’il dut y penser, c’était lors de la ruine de sa carrière militaire, le déshonneur pour une très honorable famille de grands
magistrats, d’ingénieurs, et de militaires ; tous ses frères et beaux frères
étaient officiers et s’illustrèrent durant la guerre 1914-1918. Affecté par
hasard en 1902 en Polynésie, il fut envoûté par ses îles et ses habitants,
surtout par les vahine dont il voulut perpétuer la grâce, la beauté, la
volupté, dans l’écrin d’une excessive végétation, il demanda permission
sur permission pour avoir le loisir de peindre, et se laissa quelque peu
déborder par le temps, et fut ainsi acculé à un choix difficile imposé par
le ministre de la Marine : mission ou désertion. L’enseigne de vaisseau,
promis un brillant avenir comme l’espérait toute sa famille, était devenu
artiste peintre et progressivement colon. Nostalgique, il vécut à l’écart de
la Société, se consacra à la peinture, à la chasse et à ses plantations de
Tahaa. Mais il ne brisa jamais son sabre d’officier qui fût retrouvé caché
entre deux cloisons dans sa maison de Tonoi, à Raiatea.
Une mort qui devait particulièrement le toucher fut celle de sa marraine, la baronne Denain, sœur du peintre Octave De Penguilly Laridon.
Elle lui avait donné un de ses prénoms, Octave, (qu’il fit d’ailleurs par la
suite passer en premier), lui insufflant ainsi un peu de talent pictural.
C’était déjà bien, mais elle fit mieux. Sa marraine, décédée sans postérité, en fit l’héritier de ses fermes bretonnes qui furent alors vendues et
permirent l’achat des premières terres à Tiva et à Hurepiti, en l’île de
Tahaa.
Une autre partie d’échec, c’est la mort de son frère puîné Roland
(1885-1915), également officier de marine et commandant du sousmarin le Monge qui fut harponné par un navire autrichien, alors qu’il
“La morte”, tableau d’Octave Morillot, figurant à l’exposition de Barbazanges en 1922 (référence B18)
s’apprêtait à lâcher ses torpilles sur l’escadre ennemie, dans les bouches
de Cattaro en mer Adriatique. Sous l’effet du choc et des avaries, le sousmarin coula, mais, grâce au sang-froid de son commandant et de ses
capacités techniques, il réussit à refaire surface et à évacuer totalement
son équipage, puis il s’enferma avec son chien dans le kiosque et se
saborda pour ne pas livrer son bâtiment à l’ennemi. Acte d’héroïsme
reconnu par la marine nationale qui donna le nom de Roland Morillot à
quatre sous-marins successifs, de telle sorte qu’il y ait toujours un
Roland Morillot à naviguer ; le problème semble actuellement résolu
avec le nom de Roland Morillot affecté à un sous-marin d’école qui reste
en rade.
Mais derrière tout ça, la mort de Roland était là pour racheter un
peu la démission d’Octave, et nul doute que Roland s’enfonçant dans l’abîme devait certainement penser à Octave et au nom des Morillot. Octave
répondit à l’écho en nommant son fils né d’un deuxième lit, Roland,
lequel fut lui aussi un officier de l’armée de terre.
Octave eut en effet une première compagne Terai, et c’est aussi un
peu pour elle qu’il choisit les rivages rieurs de l’Océanie. Elle devait lui
donner deux filles dont une s’appelait Anne Marie Raimana et l’autre
Terei Paia ou encore Marie Octavie, laquelle après mariage généra deux
filles dont l’une devint médecin et exerça en métropole. Cette première
vahine Terai devait, l’aisance matérielle venue, tomber malade et mourut prématurément. De l’avis de l’amiral Decoux, qui connut bien le
peintre et le proposa au grade de la Légion d’honneur, le tableau intitulé “La morte” est inspiré de la mort de Terai. Ce tableau fut exposé en
1922 à la galerie Barbazanges, et figure dans le catalogue sous la référence B 18.
La mort le taraudait depuis plusieurs années, quand il se laissa
mourir en 1931. On sait qu’il était nicotino-dépendant et également
opium-dépendant, vraisemblablement depuis sa campagne de Chine, en
1900, sur le croiseur cuirassé amiral Charner. Il avait pris l’habitude
quotidienne d’une petite mort où l’on part en voyage de rêve. On ne lui
connaît pas de toile signée après 1928. Trois années avant sa mort, il ne
peignait plus. Le portrait que fit de lui Gouwe en 1930 montre un
homme cigarette à la main, bien fatigué. Ce pressentiment de la fin lui
82
Octave Morillot sur son lit de mort à Uturoa, avec en arrière plan sa bibliothèque et sa pinacothèque.
donna le temps de régler ses affaires d’héritage, car il avait des biens et
trois enfants : deux filles naturelles et un fils légitime après mariage,
avec une deuxième compagne appelée Tetu. Le seul testament manuscrit
que l’on connaît, est celui du 26.04.1928, établi devant Maître Guépain,
notaire par intérim remplaçant Maître Thuret, laissant l’usufruit de ses
biens à Tetu et faisant de son fils son héritier. Le 23.01.1931, il reconnaît
ses deux filles. Il contracte mariage avec Tetu le 21.02.1931 et décède le
27 avril 1931 à Uturoa en l’île de Raiatea.
De ces faits, et en vertu de la loi qui prévalait à l’époque que l’enfant
naturel ne pouvait prétendre qu’à une part équivalent à la moitié que ce
qu’il aurait eu s’il était légitime, il fut ainsi attribué 4/6è des terres à
Roland, 1/6è à chacune de ses filles, partage accepté le 03.02.1948
devant Maître Dubouch, notaire à Papeete. Nous ignorons tout de l’inventaire des peintures, leur partage, ainsi que celui de la bibliothèque
dont on sait cependant qu’elle comportait 1500 volumes.
Sa première tombe est recouverte d’une modeste croix de bois
enguirlandée de fleurs, peinte et sculptée sans autre mention que les
dates fatidiques. On avait oublié d’y mentionner, comme cela se faisait,
ses titres, qualités, sa profession, et surtout, personne ne se souvenait
que Pierre Benoît dans la préface du Catalogue de l’exposition de 1928
à la galerie Charles Auguste Girard, avait signalé que le peintre souhaitait
comme épitaphe les vers de Pierre Camo :
“Ici repose dans la douceur océanienne,
Au bord d’un golf bleu, sous les bois inconnus,
Sans qu’autour de sa tombe autre chose ne vienne,
Que le bruit de la mer, et le pas des pieds nus “.
Les honneurs tardifs et posthumes sont au rendez-vous, il a été fait
chevalier de la Légion d’honneur en octobre 1928. Le gouverneur
Montagné, le 14 Octobre 1933, va se recueillir sur sa tombe entouré de
Mme Tetu Morillot et du Dr Le Gall, administrateur des îles Sous-Le-Vent,
et également grand collectionneur des tableaux du peintre.
Trois années après, Tetu, privée de son fils parti faire des études en
France, se laisse mourir de chagrin ; on dit que chaque jour après le
84
N°299 • Décembre 2003
décès de son époux, elle blanchissait et repassait son linge, comme s’il
était toujours là ; sans doute son âme était encore toute proche. Après
la mort de son épouse, les pierres tombales sont de rigueur avec chacune la sienne, près l’une de l’autre comme dans le grand monde. Avec le
temps, la concession s’est agrandie et maintenant, à leurs pieds, les tombes de ses filles décédées, l’une en 1984, l’autre en 1995. Curieusement,
celle de Roland décédée le 22.04.2001 n’est curieusement mentionnée
nulle part. On dit qu’il serait enterré dans le même caveau que sa mère
Tetu.
Le peintre eut de nombreux supporters comme le grand ami, l’académicien Claude Farrère, mais deux se sont particulièrement distingués
à l’occasion de sa mort, le Dr Sasportas, et l’administrateur Guy Capella.
Lors de l’Exposition coloniale internationale de Vincennes en mai novembre 1931, les toiles du peintre exposées, du fait de son décès, portaient un crêpe noir. Dans la revue Le monde colonial de 1931, le Dr
Sasportas titre son article : “Le peintre de Tahiti Octave Morillot est
mort. L’article “Le”, mérite bien d’être mis en exergue et en dit long à
ceux qui aiment et apprécient sa peinture et le situe aux cimaises. Il
commençait ainsi : “Octave Morillot, seigneur de Tahaa, peintre de
Tahiti et plus spécialement des Iles sous le vent “…et il continuait :
“Morillot ne peignait pas par force. Sa situation aisée dans laquelle il se
trouvait lui permettait de travailler pour son plaisir et non pour vendre
comme faisait Gauguin, toujours en quête d’argent… Il a su exactement
donner cette atmosphère douce et énervante à la fois de nos Îles. Il a
peint avec une certaine précision leur végétation débordante de vitalité,
il a rendu aussi cette expression de langueur, d’où il semble que la douleur ne soit pas exclue, de nos femmes maories”.
Le 18 juin 1936 s’ouvrait l’exposition rétrospective des œuvres
Octave Morillot, peintre d’Océanie avec 58 toiles exposées au musée de
la France d’Outre Mer. Exposition honorée de la visite du Président de la
République. Guy Capella qui était administrateur à Uturoa, et qui cosigna
l’acte de décès, a rendu un vif hommage dans un article paru dans
Colonies autonomes, magazine trimestriel de novembre et septembre
1936, dont nous extrayons quelques passages significatifs :
85
“Ce marin devenu peintre, restait volontairement exilé dans une île
bien petite des archipels de l’Océanie pour se perdre dans une méditation, qui ne s’est terminée qu’avec la mort parmi ses Tahitiens qu’il avait
tellement aimés… Œuvre puissante et comme jaillie spontanément d’un
rêve des mers du sud…” et il termine avec panache : “ Tous les soirs,
pendant les deux années qui ont précédé sa mort, il est venu étendre sa
longue silhouette lasse sur la terrasse au moment où le crépuscule teignait de mauve le lagon proche, la lèvre dédaigneuse, l’éternelle cigarette
au bout des doigts, il était silencieux parmi nous. Il savait que la maladie
qui le minait sourdement l’emporterait bientôt. Un soir, en face du
Pacifique immense, il est mort ! En apprenant la nouvelle, tous les
Européens des îles étaient venus pour passer près de lui la veillée funèbre, les indigènes aussi, tous ceux des îles, entouraient sa maison, et je
ne puis me souvenir sans émotion qu’un chef de Tahaa prononça sur sa
tombe : “Vous les Blancs, vous êtes venus nombreux, pour rendre un
dernier hommage à celui qui était venu dans notre pays. Vous avez voulu
porter son cercueil, mais c’est notre terre, la terre de nos ancêtres qui
maintenant va le garder pour l’éternité. Il est venu parmi nous, s’est
marié avec une des nôtres, il parlait notre langue. Quand nous étions
malades, il nous a soignés. Lorsque les gens cupides ont voulu s’emparer de nos terres, il nous a protégés. Vous les Blancs, vous pouvez partir,
nous, comme notre terre, nous resterons ici, c’est nous qui le garderons
pour l’éternité. Et cet hommage prolongé au milieu d’une foule qui sanglotait, c’était l’hommage de tout un peuple à celui qui avait été certainement un grand artiste, mais aussi celui qui avait su faire aimer la
France.”
Malheureusement, la mort n’avait pas fini son œuvre. Elle s’est
attaquée à ses propriétés, Utuone, Tauamao, Upai, Teahutapu, Para
hua, Tiva, pratiquement toute la baie d’Hurepiti, Tonoi même, tout a
été pratiquement vendu, dispersé au fil des années, ou morcelé, pour
y établir des constructions banales ou retourner à la friche. Quelle
déception pour le visiteur pèlerin que je suis ! Le fare niau sur pilotis
à Hurepiti a sombré, il n’en reste rien, même pas le ponton où venaient
accoster les speed-boats et les voiliers des navigateurs solitaires comme
86
Première tombe d’Octave Morillot
Devant la tombe d’Octave Morillot, le 14 octobre 1933,
le gouverneur Montagné avec madame veuve Morillot et le docteur Legall.
Jean Yves Le Toumelin, Marcel Bardiaux, et aussi Antoine. La très jolie
maison de Tonoi, à Raiatea, avec sa rotonde vitrée à l’anglaise ouvrant
sur le lagon et la superbe passe de Tearepiti, elle aussi disparue. Il n’en
reste qu’un terrain plat uniformément rasé. La vue en est maintenant
bouchée par les constructions successives de trois luxueux hôtels : Hina
village, le Bali Hai, et actuellement le Hawaiki Nui où l’on vous invite à
visiter la faune et la flore marine et surtout l’épave du Nordby construit
en 1873 et coulé en août 1900, en face de la passe de Teavaroa par 25
mètres de fond.
La mort de l’homme est aussi un naufrage, il faut toujours essayer
de sauver la cargaison, et ici, c’est l’œuvre du peintre que nous voulons
sauvegarder. Nous nous y sommes engagés en tournant autour de sa
tombe pour relever les pots de fleurs artificiels que le vent avait fait rouler un peu partout tout à côté.
Il existe à Tahaa et plus exactement à Tiva une terre qu’il avait
léguée à la municipalité, une petite école qui porte le nom d’Octave
Morillot depuis 1933.
Papeete possède une grande rue Gauguin, pourquoi ne posséderaitt-elle pas aussi une rue Morillot ?
Norbert Murie
88
La Zélée aux Marquises
au temps de Gauguin,
octobre 1902
Vahine dans la Baie des Vierges
Les photos proviennent de l’album de la Zélée “Campagne du Pacifique,
Marseille 18 mai 1902-20 août 1904 le Havre” (S.E.O.-48/15b 2077)
Les officier de la Zélée et leurs guides de retour de la chasse à Nuku-Hiva (cuissots de boeufs sauvages)
Groupe de danses de Nuku-Hiva à bord de la Zélée dans la Baie des Amis à Taiohae.
L’Enseigbe de Vaisseau Tailliez à Atuona.
La “grand” route d’Hiva-Oa
Les enfants de l’école des Soeurs à Atuona.
La Zélée aux Marquises (doc. Beslu).
Une distillerie clandestine marquisienne au temps de Gauguin (doc. Le Port).
Marguerite Géraux,
femme de lettres et peintre
au sujet de Paul Gauguin
et d’Octave Morillot
9 mars 19131
(Au sujet de Tematai, domestique de la Résidence du gouverneur.)
« Je ne sais si j’ai noté sa phrase lorsque Hervé m’a donné 2 planches
sculptées par Gauguin (bien laides certes) « Ah tu ne vas pas mettre
cela dans ton salon ! moi aussi j’ai été à la vente de Gauguin mais tu sais
moi j’ai acheté sa machine à coudre ça c’est bien »
19 mars
J’ai fait la connaissance de Morillot dont j’ai vu les œuvres chez Hinche
il y a un manque absolu de tout, et une couleur copiée sur Gauguin.
Il s’empresse dès maintenant de faire publier ses mémoires intrigue, se
prend pour un maître et comme il a beaucoup de piston il arrivera à être
en vue
Gauguin n’avait rien de tout cela, un brin de folie seulement, un caractère détestable mais ce qu’il faisait il ne la copié sur personne. Tematai
me répète sans cesse que c’est laid, que moi je peins bien… et que lui
Tematai ferait mieux que Gauguin s’il le voulait tout de suite. Et ma
parole je le crois.
1 Extraits du Journal juillet 1912 – juin 1913 de Marguerite GÉRAUD, femme du gouverneur
Léon GÉRAUD, femme de lettres et peintre. Nous remercions Daniel Palacz qui a bien voulu
mettre à la disposition ses précieux documents.
Morillot…
S’il ne copiait la palette de Gauguin, ses couleurs seraient originales
mais sans avoir vu beaucoup de Gauguin, je trouve que tout de même, il
a trouvé l’amalgame de vert pommes pas mûres, les jaunes serins plus
que serins les rouges et les violets que Morillot a recopié en se persuadant qu’il est le premier. Rien ne le rend furieux comme lorsqu’on le
compare à Gauguin (la vérité blesse)…
31 mars
Dîner vraiment royal chez les Pomare hier après chacun y allait de son
petit rire on s’est amusé jusqu’à minuit. Chassagnol osa demander en
échange de ses Gauguins un tableau de poissons de moi. Si Gauguin
vivait il serait mort de rage devant cet échange car d’après ses mémoires,
ses prétentions ne sont pas minces.
9 avril 1913
Ce matin j’ai fait la causette chez Cardella maire pharmacien. Comme
toujours Chassagnol y était et tout en demandant du sel de fruit etc…
Cardella m’a donné plusieurs journaux de Gauguin l’un illustré et écrit
spécialement à lui. Puis ces répliques de Tessier avocat c’est drôle spirituel et unique ma collection s’augmente de Gauguinneries.
12 avril
Terrane voulait voir mes Gauguins. Je lui écris remettant la lettre aux
mutoi dont l’un gendarme français. Ne voyant rien venir je téléphone à
la police qui me répond : « Ah nous avons complètement oublié mais
nous allons la poster. » Il était temps Terraux l’a eue à 7 heures et
s’amène essoufflé s’excuser pendant que moi j’avais déjà réécris et que
j’ai pu lui remettre la lettre où je m’excusais du retard demandant de
venir aujourd’hui. Cette fois il viendra et part demain pour Nouméa d’où
il partira vraisemblablement en France. Je lui ai donné un exemplaire du
Sourire, journal de Gauguin dont j’ai 4 exemplaires. Il est heureux de
cela au possible.
98
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Dans leur politique philatélique, certains pays n’hésitent pas à associer la bigouden à la vahine…
Doc. Beslu
ISSN 0373-8957
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 299