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BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES
ETUDES OCEANIENNES
N°284 • Février 2000
BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES
ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N°284 - Février 2000
Sommaire
Liou Tumahai
Retour aux sources espagnoles.............................................................................. p. 2
Marie-Thérèse Danielsson
Nécrologie de Ralph G. White................................................................................ p. 15
Louis Cruchet
Mythe du lithisme solaire des Pascuans (II).......................................................... p. 17
Raymond V. Pietri
Nécrologie de Roland "Coco" Sue.......................................................................... p. 24
Raymond V. Pietri
Pape'ete de jadis et naguères (suite)..................................................................... p. 25
Philippe Machenaud
Réflexions sur un audit.......................................................................................... p. 51
Comptes rendus d'ouvrages.............................................................................. p. 59
Boenechea
Doc. Museo Naval - Tumahai
[L’illustration de la couverture de ce B.S.E.O. est la carte de l’île de Amat ou Otajeti (Tahiti) relevée en 1772 par Hervé, le premier pilote de la frégate Aguila commandée par le capitaine
Boenechea]
Retour aux sources
espagnoles...
Cet article n’est qu’un appendice qui regroupe un ensemble de
remarques rectificatives qui ont été nécessairement soulevées à la suite
d’un travail mené sur les expéditions espagnoles menées à Tahiti1 dans
son histoire préeuropéenne. A la suite également de l’article de l’historien espagnol Francisco Mellén Blanco, qui a paru dans le numéro 278
d’octobre 1998 du Bulletin de la S.E.O., et qui évoque les journaux de
Máximo Rodríguez (et ses divers exemplaires), ce premier “Européen”
ayant séjourné à Tahiti, il m’est apparu opportun de procéder à quelques
rectifications portant sur certains ouvrages dits de référence, relatifs à la
fin du XVIIIème de l’histoire de Tahiti. Ce souci s’est d’autant plus accru
que ces ouvrages en question sont devenus incontournables, du moins
le constatons-nous, depuis le développement, sur le Territoire en particulier, des études en langues et civilisations polynésiennes ; ainsi mes
rectifications historiques feront surtout référence à deux ouvrages en
particulier Tahiti aux temps anciens de Teuira Henry, ainsi que le premier tome de William Ellis, A la Recherche de la Polynésie d’Autrefois.2
Dans le présent article qui se veut tout simplement informatif, il
sera traité en détails du résumé que font les deux auteurs ci-dessus mentionnés, de ces visites espagnoles à la fin du XVIIIème siècle, et sera en
particulier souligné le caractère parfois approximatif voire confus du
contenu de ces récits.
1 Thèse nouveau régime de Liou TUMAHAI, sur Les expéditions espagnoles à Tahiti au XVIIIè
siècle (Edition critique du manuscrit de Máximo Rodríguez, 1774-1775), en deux tomes, soutenue à Toulouse Le-Mirail, en 1997. Editée chez Septentrion, Lille, 1998.
2 HENRY (Teuira), Tahiti aux temps anciens, Paris, Musée de L’homme, Publication n°1 de la
Société des Océanistes, 1962, 670 p.
ELLIS (William), A la Recherche de la Polynésie d’autrefois, Paris, Musée de L’homme, Société
des Océanistes, n°25, 2 vols. 943 p.
Pour le confort du lecteur, nous reproduisons intégralement ces
passages, tout en procédant aux rectifications historiques et événementielles adéquates ; tout passage, sujet à des commentaires assortis parfois de rectifications, est souligné et signalé en fin de phrase par une
lettre alphabétique majuscule entre parenthèses.
En effet, s’agissant du premier ouvrage, le classique T. Henry, au
chapitre intitulé “Les premiers navigateurs à Tahiti”, la petite-fille du
missionnaire protestant John Orsmond, résume ainsi ces visites de
Boenechea, effectuées à trois reprises au cours de la période 1772 1775.
“En 1772 le capitaine Don Domingo Boenechea fut envoyé en
exploration par le vice-roi du Pérou à bord du «El Aguila».
Parti de El Callao il fit route à l’ouest, passa à travers les Tuamotu
et arriva le 8 novembre à Tahiti ; il mouilla à Teahupo’o et y demeura dix
jours (A). Il nomma Tahiti “Isla de Amat” en l’honneur du vice-roi du
Pérou au service duquel il se trouvait. Quatre hommes de l’équipage
furent condamnés à mort et fusillés et un cinquième échappa au même
sort en s’enfuyant dans la forêt et y demeurant caché jusqu’au départ de
«El Aguila». Cet homme devint plus tard conseiller et membre de la
famille du grand chef Vehiatua et fut le premier blanc qui s’installa à
Tahiti. Il se conforma aux coutumes du pays et on peut encore remarquer le type espagnol dans les traits des chefs de Teahupo’o, ses descendants” (B).
Deux erreurs (A) et (B) sont à signaler dans ce premier récit.
- (A) : En effet, sans reprendre l’introduction historique de F.
Mellén ni rentrer dans les détails de ma thèse, il convient de rappeler
que la frégate Santa María de Magdalena, alias El Aguila, est confiée
pour cette première expédition à Tahiti en 1772-73 au capitaine
Boenechea, secondé par le lieutenant Tomás Gayangos, accompagnés
par le premier pilote Juan Antonio de Hervé ainsi que les deux missionnaires franciscains du Couvent d’Ocopa au Pérou, les frères José Amich
et Juan Bonamó. Les journaux de bord du capitaine Boenechea, du premier pilote Juan Hervé et du père Amich relatent les faits les plus
notables de cette première expédition, selon les critères socio-culturels
de l’époque à Lima.
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S’agissant d’abord du détail de la date du “8 novembre” (A), l’île
de Tahiti a été effectivement aperçue le 8 novembre 1772, saluée plusieurs fois du nom de “Otahiti” par le guide tahitien embarqué auparavant à Mehetia. Mais ce jour-là, en raison de la faiblesse du vent, la frégate ne s’approche pas de l’île ; les Espagnols devront attendre trois
jours au moins avant de pouvoir mettre la chaloupe à l’eau pour se
rendre à terre (le 12 novembre seulement, selon les journaux) ; d’autre
part, les manœuvres d’ancrage ont été difficiles, selon le rapport de
Raimundo Bonacorsi, l’officier responsable du mouillage, et qui a été
adjoint au manuscrit de Boenechea de 1772 ; la frégate arrivant par la
pointe nord-est de Tahiti-Nui, a heurté des hauts-fonds, à proximité des
récifs ; quatre bonnes journées ont été nécessaires pour cette manœuvre
de dégagement et pour les réparations des dégâts occasionnées par la
méconnaissance des parages.
Ensuite, la durée de “dix jours” mentionnée par T. Henry nous
semble bien courte. En effet, les Espagnols ont mouillé dans un premier
temps au large de la baie de Vaiurua baptisée alors du nom de “Santa
María Magdalena” par le capitaine Boenechea, mais ce mouillage étant
de qualité bien médiocre, ils remontent doucement vers la baie de
Tautira, entre le 14 et le 20 novembre 1772. Ils ne débarquent qu’à cette
date-là pour effectuer leur première reconnaissance de la presqu’île
d’abord, puis de la grande île. Ce premier tour de l’île, effectué par certains membres de cette première expédition en chaloupe et accompagnés de plusieurs chefs tahitiens, a lieu du 5 au 10 décembre 1772. Un
rapport circonstancié de ce premier tour de l’île des Espagnols, établi
par le lieutenant Gayangos, est annexé au manuscrit de Boenechea.
- (B) : Cet incident que nous lisons aux pages 29 et 30 de l’ouvrage
de Teuira Henry n’est relaté dans aucun des journaux de bord espagnols
portant sur ce premier voyage de reconnaissance à Tahiti, effectué en
1772-73, en particulier dans celui du capitaine Boenechea ni dans celui
de Gayangos, premier lieutenant à bord de ladite frégate ; aucune allusion
n’est faite non plus par le pilote Juan Hervé, auteur du journal de bord
portant sur la reconnaissance de Tahiti, et encore moins dans celui du
père Amich, aumônier régulier faisant partie de cette première expédition.
T. Henry précise par ailleurs en note qu’elle tire ces renseignements d’un
5
certain Collingridge qui cite un ancien ouvrage espagnol, Description des
îles de l’Océan Pacifique visitées récemment par ordre de sa Majesté,
par don Domingo de Boenechea du navire de sa majesté Santa María
Magdalena (autrefois El Aguila) dans les années 1772 et 1774.
Ce résumé est évidemment émaillé d’un certain nombre d’inexactitudes et de confusions avec les expéditions espagnoles suivantes, comme
on le verra par la suite, du moins d’après nos confrontations ; ces confusions provenant d’une part d’erreurs commises par les copistes de
l’époque et d’autre part, certainement, des effets déformants de la
mémoire, si l’on se rappelle dans quelles circonstances a été rédigé l’ouvrage de T. Henry (voir la préface).
Teuira Henry donne ensuite à ces dix lignes ayant trait au premier
voyage espagnol, une suite à ces expéditions, à travers le paragraphe
situé à la page 32 de son ouvrage, intitulé :
“Retour de Boenechea
Le 6 novembre 1774, Boenechea revint à Tahiti sur la frégate
«El Aguila», accompagnée du transport “Jupiter” et jeta l’ancre à Piha’a
dans le district de Pueu qui se trouve au N. de Taiarapu. La baie où ils
mouillèrent fut nommée Santa-Cruz. Il avait amené avec lui deux prêtres
et deux novices qui s’installèrent comme missionnaires, dans une maison démontable qui fut érigée dans le district de Pueu. Au cours des préparatifs de retour en Amérique du sud, Boenechea mourut subitement
(C). Il fut enterré dans l’île avec les honneurs militaires et l’imposante
cérémonie religieuse qui eut lieu impressionna vivement les indigènes.
Une grande croix portant son nom et l’inscription “Christus Vincit Carlot
(sic) III Imperat 1774” fut élevée sur la tombe. Quelques jours plus tard
les Espagnols quittaient l’île emmenant avec eux quatre Tahitiens dont
deux moururent peu de temps après à Lima. (D).
Les parois de la tombe de Boenechea avaient été recouvertes de
toile et son cercueil avait été enveloppé d’une grande couverture rouge.
Peu de temps après le départ des Espagnols, les indigènes s’emparèrent
de la couverture, objet de leur convoitise. Mal leur en a pris car il en sortit des puces - les premières de l’île - qui ne tardèrent pas à se répandre
dans tout le pays.”
6
Doc. Museo Naval - Tumahai
- (C) : S’agissant de ce deuxième voyage des Espagnols à Tahiti
(1774-75), précisons que Boenechea revient à Tahiti le 27 novembre et
non le 6 ; il meurt subitement, effectivement, le 26 janvier 1775.
Francisco Mellén précise que son état de santé était déjà ébranlé pour
des raisons de climat et également à cause des nombreux voyages à son
actif. Dans une lettre du 26 octobre 1993 adréessée au ministre de la
Marine, don Julián de Arriaga, il aspirait à rentrer en Espagne, pour “se
refaire une santé, écrivait-il, car le climat de Callao ne lui était guère
favorable” (Archive Alvaro de Bazán). Il est mort à l’âge de 61 ans environ, certainement de mort naturelle, les journaux de bord ne spécifiant
aucune cause particulière (nous traduisons à partir des manuscrits non
édités).
- (D) : Quant aux quatre Tahitiens embarqués pour Lima, il est
important de préciser que, d’un point de vue chronologique, dès le
retour de la première expédition à Lima en 1773, des Tahitiens ont été
une première fois embarqués, détail que T. Henry omet de signaler dans
son premier résumé ; en effet, le journal de Gayangos précise bien
qu’ont été embarqués, le 16 décembre 1772, deux hommes d’âge mûr,
un jeune homme et un adolescent d’une douzaine d’années, ce dernier
partant avec le consentement de son père. Ces quatre élus se nomment :
Pautu (de 30 à 32 ans environ), Tipitipia (de 26 à 28 ans), Heiao (de
18 à 20 ans) et Tetuanui (de 10 à 12 ans). Pendant leur séjour dans le
port chilien, Tipitipia meurt de garrotillo, une grippe qu’il aurait
contractée pendant ce voyage de retour. Il est tout de même baptisé du
nom de José ; Heiao, le deuxième Tahitien, meurt le 2 septembre de petite vérole, après avoir reçu le prénom chrétien de Francisco José Amat.
Signalons que Máximo Rodriguez, dont la traduction du Journal
est désormais accessible en français, grâce au travail de la Société des
Océanistes à Paris, reporte, en septembre 1774, les prénoms des
quatre premiers Tahitiens, enrichis de leur nom de baptême : TomasPautu, Manuel-Tetuanui, Francisco-Ojeyao (reproduit tel quel, pour
Heiao, orthographe modernisée), et Tipitipia. Grâce encore à certains
détails qui figurent dans le journal de Juan Pantoja y Arriaga, le second
pilote qui a également participé à la seconde expédition, le jeune
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N° 284 • février 2000
Manuel-Tetuanui, au départ de Callao3 le 24 septembre 1774, était
atteint de petite vérole d’abord, puis d’une tumeur sur l’épaule gauche,
et il a pu revenir à Tahiti, mais très affaibli. Etat de santé qui est,
d’ailleurs, confirmé par Máximo, dès le début de son Journal à la page
56. (Nous nous référons à l’édition française du Journal de Máximo,
publié très récemment par la S.O.4)
Pour l’anecdote, les deux Tahitiens survivants de ce premier voyage,
Pautu et Tetuanui, ont été bien traités et reçus dans une des dépendances
du palais du vice-roi Amat, puis éduqués à l’espagnole. Une fois qu’ils
ont été suffisamment instruits des mystères de la religion catholique, nos
deux Tahitiens ont été baptisés, le 11 octobre dans la cathédrale de
Lima, du nom de Tomás et Manuel respectivement. Ce sont là malheureusement les rares détails qui émanent de la correspondance échangée
entre le vice-roi et l’Espagne, en juin 1773. Nos recherches, pour obtenir de plus amples détails qui seraient susceptibles de nous éclairer sur
cette période de leur adaptation à cette nouvelle vie quotidienne au
Pérou, ont été vaines.
Et cette deuxième expédition a également été menée dans le but de
procéder à une exploration détaillée de Tahiti, d’en prendre formellement
possession et d’enquêter sur la possibilité d’y fonder un établissement
espagnol. C’est ainsi que l’on comprend mieux le récit de T. Henry, intitulé
“Le retour de Boenechea” pour qui la mission consistera à rapatrier Pautu
et Tetuanui d’une part, et à aider d’autre part, les deux missionnaires franciscains à préparer un terrain pour un projet d’évangélisation, avec le
concours des auxiliaires “naturels” Pautu et de Tetuanui récemment
christianisés. Débarqueront alors sur l’île les pères Narciso González et
Gerónimo Clota, ainsi que Máximo Rodriguez et le matelot Francisco
Pérez affecté aux diverses corvées. Ce petit groupe aura maille à partir
avec ce dernier, durant tout leur séjour sur la presqu’île, comme le note
minutieusement Máximo dans son Journal. Il faut enfin mentionner que,
pour faciliter en théorie leur installation sur l’île, les missionnaires et
3 Juan PANTOJA Y ARRIAGA, Un diario inedito sobre la presencia española en Tahiti (17741775), retranscrit et annoté par F. Mellén p. 174 in Revista Española del Pacífico, II, 1992.
4 Máximo Rodriguez Les Espagnols à Tahiti, Société des Océanistes, 1996, Paris, 230 p.
9
Máximo Rodríguez avaient en leur possession un dictionnaire espagnoltahitien, rédigé avec le concours des Tahitiens précédemment embarqués et du pilote Juan Hervé de la première expédition. L’histoire a montré en fait que seul Máximo tirera un grand profit de ce manuel5.
Pour revenir au récit de T. Henry, lors du retour de cette deuxième
expédition espagnole, peu de temps après le décès subit de Boenechea
à la fin du mois de janvier 1773, quatre Tahitiens ont été de nouveau
embarqués. Il sera, en fait, question de ces derniers (E) dans le dernier
récit de T. Henry portant sur la :
“Visite de Langara
L’année suivante en 1775 la frégate «El Aguila» commandée par D.
Cahetano de Langara, revint à Tahiti et jeta l’ancre à Santa-Cruz, portant
des provisions pour les Missionnaires, et ramenant les deux Tahitiens
survivants bien heureux de rentrer chez eux (E). Les Missionnaires
n’ayant eu aucun succès auprès des indigènes qui les avaient pourtant
traités avec respect et bienveillance, décidèrent de rentrer dans leur
pays. Un taureau, un bélier, des cochons espagnols et quelques chiens
furent donnés aux indigènes qui en furent bien contents. La maison des
missionnaires et la tombe de Boenechea leur furent confiées et ils en
eurent soin pendant fort longtemps ; puis «El Aguila» leva l’ancre.”
- (E) : Cette information mérite d’être éclaircie sur deux points au
moins.
Tout d’abord sur la date : Cayetano de Langara y Huarte, capitaine
de la frégate El Aguila, n’est venu à Tai’arapu que le 3 novembre 1775.
Il était chargé, en principe, de ravitailler les deux pères franciscains,
Narciso González et Gerónimo Clota, qui avaient été laissés à Tahiti avec
deux soldats pour évangéliser l’île. Cayetano sera d’ailleurs pris au
dépourvu par la requête insistante des missionnaires pour leur rapatriement immédiat. Cette expédition sera d’ailleurs la dernière mandatée
par le vice-roi du Pérou, Manuel Amat.
5 Voir le tome II de ma thèse où 10 pages sont consacrées à l’analyse du “ rôle privilégié ” que
jouait Máximo auprès de la population tahitienne à cette époque-là (pp. 18-27).
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Ensuite, s’agissant du nombre de Tahitiens rapatriés, deux selon T.
Henry, il est nécessaire, dans un premier temps, d’apporter la précision
suivante : lors du voyage de retour à Lima au début de l’année 1775,
quatre Tahitiens ont été embarqués, deux par bateau.
D’après nos vérifications à partir des différents journaux portant
sur cette deuxième expédition, le lieutenant de vaisseau Gayangos, de la
frégate El Aguila précise en effet qu’un certain Pujoro, originaire de
Maatea, a été embarqué pour sa parfaite connaissances des îles situées
à l’Est de Tahiti, et le second, du nom de Barbarua, un Tahitien important, oncle du ari’i Tu régnant à cette époque-là et originaire de Rai’atea.
Pantoja y Ariaga, second pilote à bord de la frégate, confirme l’identité de ces deux Tahitiens, en ajoutant que “Barbarua est le frère de la
mère du Eri Otu et originaire de Orayatea, et l’autre appelé Pujoro,
connu pour sa parfaite connaissance de toutes les Isles se trouvant à l’E.
de Otajiti”. Ce même pilote fait également état de deux autres Tahitiens,
qui ont voyagé à bord du Jupiter, le navire marchand de José Andía y
Varela, qui a fait partie de la seconde expédition. Nous lisons en effet à
la page 176 du Journal de Pantoja y Arriaga : “Quatre jours après notre
arrivée arriva le Paquebote, lequel transportait deux Indiens, l’un de
Orayatea, l’autre de Otu, le premier mourut au mois de Mai de petite
vérole” (c’est nous qui traduisons).
D’après ces deux journaux et malgré le caractère lapidaire des informations qui rendent leur exploitation plutôt difficile, ils sont donc quatre
Tahitiens au total ; deux sont morts de petite vérole peu de mois après
leur arrivée au Pérou. Un seul Tahitien revient avec l’expédition de
Cayetano de Lángara ; il s’agit de Pujoro, baptisé par la suite du nom de
José, comblé de cadeaux (vêtements, outils et autres colifichets) selon la
lettre que le vice-roi Amat aurait adressée à Julian de Arriaga, secrétaire
d’Etat pour les Indes. Mais qu’en est-t-il du troisième, de nom inconnu
mais faisant partie également de la famille de Tu ? Serait-il resté à Lima ?
Le rapport de rapatriement des Franciscains, établi de façon très
lapidaire par Cayetano de Lángara, ne comporte pas plus de précisions
ni aucune allusion à des Tahitiens éventuellement embarqués. Il faut
supposer qu’il n’y en eut point, comme l’atteste Máximo Rodríguez, en
clôturant son Journal, le 12 novembre 1775.
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“Aucun des naturels ne fut autorisé à venir avec nous, même si
quelques-uns l’avaient demandé, car cinq des huit que nous avions
emmenés à Lima dans la première et deuxième expédition étant morts,
et ils auraient pu supposer que nous les avions tués6.”
A ce stade-là de nos vérifications, nous pouvons donc affirmer
qu’un seul Tahitien revient avec Cayetano de Lángara en 1775, et non
deux comme le prétend T. Henry, erreur reprise par W. Ellis dans son
ouvrage précédemment cité.
D’autres points demeurent obscurs. En l’état actuel de nos
recherches de vérification, n’a pu être menée la véracité de cette exécution à laquelle il est fait allusion en (B) dans le récit de T. Henry, encore
moins celle de la survie du prétendu déserteur espagnol. Les manuscrits
que nous avons pu consulter ne mentionnent pas, apparemment, cet
incident. Il est probable également que T. Henry ait confondu certains
événements antérieurs avec d’autres postérieurement arrivés.
Pour conforter cette hypothèse, nous avons confronté le récit de T.
Henry portant sur ce deuxième voyage avec celui de William Ellis, que
nous avons mentionné en introduction. Ce missionnaire anglais du
XIXème siècle, envoyé dans les îles de la Société par la célèbre London
Missionary Society (L.M.S.), accorde dans le premier tome de son A la
Recherche de la Polynésie d’Autrefois, une trentaine de pages à la question de la présence européenne. Ainsi, au chapitre XVI consacré au Duff
et à l’arrivée des missionnaires à Tahiti, nous lisons :
“Les indigènes étaient enchantés de voir des étrangers venir résider
en permanence chez eux ; car les blancs qu’ils avaient vus jusque-là
n’avaient fait que passer hormis les missionnaires espagnols et leurs
compagnons, ainsi qu’un marin qui eut la vie sauve en s’échappant du
navire de Langara, ancré au large de Vaiarua, à Taiarabu, en mars 1773,
alors que trois de ses camarades avaient été exécutés à bord.” (F)7
6 Cf. note 4, p. 197.
7 ELLIS (William), opus cité, pp. 257-58. Signalons que Ellis reprend la même erreur de T. Henry,
en écrivant : “ En janvier 1775, les navires revinrent, emmenant deux indigènes avec eux ”. Nous
la retrouvons dans un passage de Michel Panoff, auteur de Tahiti métisse, (Denoël, Paris 1989)
à la page 28 où il écrit “ la désertion d’un matelot espagnol qui resta caché jusqu’au départ de
ses compatriotes, puis fut adopté par les gens du lieu dont il partagea l’existence... ”
12
Doc. Museo Naval - Tumahai
Après une vérification minutieuse des sources espagnoles portant
sur ce détail d’une présumée désertion qui se serait produite à l’issue de
ce premier voyage espagnol à Tahiti, en particulier dans les journaux de
bord des acteurs concernés (Boenechea et Gayangos), ensuite dans
celui de Juan Pantoja y Arriaga, second pilote à bord de la frégate, il
s’avère que deux matelots se sont bien absentés mais ils ont été très vite
retrouvés par les Tahitiens et ramenés à bord le jour même, le 22
décembre 1772. D’ailleurs le commandant Boenechea en personne, ne
déplorant aucun incident majeur et, comme il a voyagé dans de bonnes
conditions, se déclare tout à fait satisfait de ce premier voyage, en arrivant indemne dans le port chilien de Valparaiso, le 8 mars 1773.
Nous pouvons donc récapituler en apportant les précisions
suivantes.
1)- Il n’y a pas, à notre connaissance, d’allusion à l’incident évoqué
par W. Ellis en (F), il n’y a pas eu d’exécution de trois camarades. N’y at-il pas ici une superposition avec les récits et incidents anglais ? Le détail
(B) du récit T. Henry s’apparente curieusement avec l’anecdote de la
mutinerie du Bounty à l’issue de laquelle un certain Churchill deviendrait héritier par adoption et conseiller de Vehiatua VI.
2)- Sauf erreur de notre part, l’anecdote des cinq déserteurs (voir
(B) dans le récit de T. Henry) dont quatre tués et le cinquième qui aurait
été “adopté” par la famille de Vehiatua, n’est pas non plus fondée. Il y a
effectivement eu tentative de désertion de la part de deux matelots espagnols, laquelle a été signalée au moment des préparatifs du deuxième
voyage de retour de Gayangos, mais elle n’a pas abouti puisque le
Journal de ce dernier n’évoque que la conduite séditieuse de trois
membres de son équipage ; en outre Juan Pantoja y Arriaga signale que
ces matelots, identifiés comme étant Manuel Montoro et Blas de la
Candelaria, ont été fouettés, attachés à un canon. On peut enfin en lire
une allusion dans le Journal de Máximo Rodríguez, consignée le 28 janvier 1775 :
“[...] Monsieur Don Thomas Gallangos (qui était maintenant le
Commandant) m’ordonnait de partir à la recherche de deux matelots
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N° 284 • février 2000
qui s’étaient absentés pendant la nuit, et nous les trouvâmes plus tard
avec l’aide des naturels de cette île et nous les ramenâmes à bord [...]”
(page 86).
En reprenant ces récits connus de Tahiti avant l’ère chrétienne,
mon propos n’était que d’opérer un retour aux sources espagnoles historiques... (en dépit de l’agacement généré par l’absence de détails parfois), de lever le voile, rétablir chronologiquement certains faits portant
sur des événements sujets au miroir transformant et déformant de la
mémoire.
Liou Tumahai
R
N
E C R O L O G I E
R
RALPH GARNER WHITE
(1918-1999)
Citoyen américain né à Kenmore, New York, le 21 juin 1918, Ralph G. White est
décédé à Punaauia le 17 novembre 1999. C’était un passionné des langues en
général, et après une année à l’Université d’Ann Arbor, Michigan, (1936-37), où il
reçut un diplôme de linguistique du Collège de Littérature, de Science et d’Arts, il
s’inscrivit à l’Ecole supérieure d’Agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière
(Québec) de 1937 à 1938 pour y apprendre le français.
Il ne savait pas encore à quelle famille de langues il consacrerait ses recherches
et, pour commencer, il décida d’étudier les langues scandinaves. Il partit aussitôt
en Norvège, mais ne s’y plut pas et revint rapidement aux Etats-Unis. L’Amérique
centrale et l’Amérique du Sud l’attiraient aussi mais, finalement, il réalisa que certaines îles du Pacifique lui offriraient une unité de langage plus intéressante.
Il se décida pour les îles Marquises, mais pour y aller il fallait passer par Tahiti.
Il arriva à Papeete le 3 mars 1939 et vécut d’abord à Paea où il se consacra à l’étude du reo tahiti, aussi bien auprès des gens du peuple que des érudits tahu’a parau
pa’ari comme Farua Temehameha, puis Ra’itupu vahine à Papara où il s’installa et
se maria le 28 novembre 1942. Sa femme, Ari’ihau Terupe, née à Papara le 18
décembre 1922, fille de Fatahiri Terupe et Maraea Tetefano, lui donna 6 enfants : 1
fille, Hilda Terupe et 5 garçons, Gardner Teiho, Christian Teri’i, Paul Taura’a,
Randolph et Ralph Ta’au.
A Papara, Ralph White habitait non loin du peintre suédois Pierre Heyman et
son père, docteur en philosophie, avec lequel il conversait en «scandinave». Après
la fin de la guerre, il se rapprocha de Papeete et s’installa à Punaauia. Tout en
consacrant une grande partie de son temps à l’étude des langues polynésiennes,
il subvenait aux besoins de sa famille en s’occupant de la correspondance en
anglais de plusieurs importateurs locaux et de celle de son compatriote J. Frank
Stimson, lui-même éminent linguiste spécialisé dans le reo pa’umotu. Il était également technicien en réparation de machines à écrire.
R
R
15
R Il correspondait aussi avec de nombreux universitaires spécialistes des culR
tures de la Polynésie, aux Etats-Unis, en particulier à Hawai’i où il fit plusieurs
séjours, et ailleurs dans le Pacifique. Considéré comme le meilleur traducteur du
tahitien en anglais, il a travaillé, entre autres, avec Douglas L. Oliver et Robert I.
Levy : ce dernier, tout en parlant lui-même couramment la langue, le chargea de
traduire la centaine d’interviews sur lesquels il a basé son ouvrage Tahitians.
Dès notre premier séjour dans les îles (1949-1951), Bengt et moi avions rencontré Ralph, mais c’est surtout après notre installation à Paea en 1953 que, grâce
à Frank Stimson, nous nous sommes liés d’une véritable amitié. Nous avions déjà
commencé à constituer notre bibliothèque et Ralph venait la consulter quand il le
désirait. Chez nous, il rencontrait Aurora Natua, petite-nièce d’Alexandre Drollet,
passionnée elle aussi de sa langue maternelle, et tous ces hommes de science
américains qui revenaient pour continuer leurs recherches interrompues par la
guerre.
En 1962, quand eut lieu le tournage par la télévision suédoise à Raroia,
Tuamotu, d’une série de films basée sur un ouvrage de Bengt pour la jeunesse,
Villervalle dans les Mers du Sud, Bengt emmena Ralph comme «assistant» afin
qu’il puisse profiter de ce séjour de plusieurs mois pour approfondir sa connaissance du reo pa’umotu.
En 1973, lorsqu’Yves Lemaître publia son Lexique du tahitien contemporain, il
y exprima dans son introduction sa reconnaissance «tout spécialement à MM.
Hubert Coppenrath et Ralph G. White qui ont accepté de relire ce manuscrit et dont
les remarques fondées sur une connaissance de longue date de la langue tahitienne m’ont été extrêmement précieuses.»
Après la création, en 1975, de l’Académie tahitienne, dont il ne pouvait pas être
membre étant étranger, Ralph se joignait volontiers aux académiciens qui profitaient ainsi de ses connaissances de la linguistique et de sa longue expérience des
langues polynésiennes.
Durant les années 1970 et 1980, un rite bien sympathique s’était établi chez
nous : tous les dimanche, Ralph venait y prendre son petit déjeuner avec son vieil
ami de Papara, Pierre Heyman. La conversation se poursuivait dans la bibliothèque
où Bengt avait noté pendant la semaine les mots tahitiens lus ou entendus à la
radio et dont il n’était pas sûr de la signification ; il les soumettait à l’avis de Ralph,
tandis que Pierre feuilletait des livres d’art. La matinée se terminait invariablement
par une partie d’échecs. Ralph repartait chez lui, d’abord sur sa bicyclette, remplacée plus tard par une mobylette, car il n’avait jamais eu d’automobile et prenait le
truck pour se rendre à Papeete.
Ralph White était un érudit discret, sans aucune prétention, et même ignoré
dans son pays d’adoption. Malgré des moyens financiers très limités, il accueillait
au sein de sa famille tous les feti’i qui étaient dans le besoin ou tout simplement
s’invitaient. Il travaillait dans la petite chambre à coucher, sur un petit bureau,
entouré de ses livres, avec une machine à écrire d’un modèle ancien qu’il avait
dotée de signes phonétiques spéciaux. On ne parlait que tahitien à la maison.
C’était un véritable homme de science. Grâce à sa passion et à ses recherches,
il laisse une marque indéniable à la connaissance et à la conservation du reo
maohi.
Nous devons lui en être reconnaissants.
Marie-Thérèse Danielsson
16
R
R
Mythe du lithisme solaire
des Pascuans et perspectives
archéoastronomiques
Deuxième partie : les recherches scientifiques
L’île de Pâques compte plus d’un mystère, c’est bien connu.
Le «reflet de l’opinion» de l’aspect mythique de l’île pascuane, certes
quelque peu caduque depuis certaines clarifications1, est assez bien
représenté dans la littérature ethnologique des auteurs piqués d’astronomie qui se sont mis en quête d’un imaginaire solaire d’origine lithique
et mythologique. Un Roggeveen2 n’avait-il pas, déjà, évoqué comme
d’autres l’avaient fait ailleurs, lors du premier contact un culte solaire
qui devait marquer les représentations du ciel pascuan, lorsque l’île
devint “ la chose ” de certains ethnologues en mal d’un comparatisme
renforcé par la proximité des cultures du Nouveau Monde précolombien ? D’autres ont suivi, mais, après le mythe établi en partie par l’expédition norvégienne des années 50, les recherches plus scientifiques,
qui furent menées entre autres par William Liller, arrachèrent un pan de
la mythologie solaire pour ouvrir une nouvelle brèche dans la pensée
archéoastronomique. Les «découvertes» archéoastronomiques de
l’équipe norvégienne allaient-elles être confirmées par l’analyse critique
de l’astronomie moderne ?
NE : la première partie à paru dans le B.S.E.O. 283.
1 Les mystères résolus de l’île de Pâques, CEIPP, éd. STEP, 1993.
2 «On pouvait voir les indigènes se prosterner à plat ventre et saluer le lever du soleil après
avoir allumé des centaines de feux» (phrase de l’historien Behrens, qui accompagnait l’expédition de Roggeven, citée dans Kadath n° 2, Bruxelles, Prim’édit, p. 15).
C’est l’archéologue américain W. Mulloy qui reprit en 1975 l’investigation et la restauration du centre cérémoniel d’Orongo3. Il fit un examen archéologique détaillé à Vinapu4 et retourna à l’île de Pâques à de
nombreuses reprises ; il y trouva d’autres structures qui s’avérèrent être
orientées intentionnellement vers des levers et couchers solaires critiques. L’une des mieux connues est, à l’intérieur des terres, l’ahu A Kivi
avec ses sept moai, redressés par Mulloy lui-même avec l’aide de son
collègue chilien et proche ami Gonzalo Figueroa5. Ils découvrirent que
l’ahu avait été bâti avec ses moai faisant face pratiquement à l’ouest. De
surcroît, un deuxième ahu, Vai Teka, était localisé presque exactement
à l’ouest de A Kivi à 800 mètres de là. Mulloy et Figueroa suggérèrent que
ces alignements étaient intentionnels et inspirés par l’astronomie6… La
balle était donc dans le camp des archéoastronomes américains.
L’archeoastronomie de l’île de Pâques
Pendant plus de deux mois, Mulloy et ses assistants, l’archéologue
Georgia Lee et l’astronome Liller, firent la tournée de tous les ahu côtiers
autour de Rapa Nui en mesurant leurs orientations précises. Quelque
272 sites furent visités, dont certains décrits pour la première fois. Les
résultats ne furent pas surprenants : plus de 90% de ces ahu côtiers
étaient orientés avec leur long côté pratiquement parallèle à la proche
3 Mulloy W., 1975, Investigation and Restoration of the Cereminial Center of Orongo, Easter
Island, part I, Washington, D.C., Easter Island Committee International Fund for Monuments.
4 Où il trouva que la perpendiculaire à la façade maritime du magnifique ahu appelé Vinapu l
visait la direction du lever solsticial d’été ; une perpendiculaire similaire pour Vinapu 2 visait le
lever équinoxial, cf. Mulloy, W, in Heyerdahl and Ferdon (op. cit.), p. 94.
5 Mulloy, W., and Figueroa, G., l978, The A Kivi Vai Teka complex and its relationship on Easter
lsland architectural prehistory, Asian and Pacific Arehaeology Series, n° 8, University Press of
Hawaii, Honolulu.
6 Il est important de noter que presque toutes ces investigations furent conduites avec un compas magnétique (la déviation du nord magnétique par rapport au nord astronomique étant évidemment corrigée). Cependant, comme la carte chilienne met clairement en garde contre des
anomalies magnétiques sur l’île, on peut soupçonner que certaines mesures d’orientation
furent erronées. Conscient de ce problème, Mulloy décida en l965 de conduire un relevé systématique des orientations de tous les ahu connus sur la côte, au moyen d’instruments de mesure optique utilisant la direction des levers et couchers solaires, afin d’obtenir un cadre de référence tout à fait précis (Liller W, 1990, op. cit., p. 6).
18
N° 284 • février 2000
ligne côtière. Il apparut donc qu’à peine plus d’une poignée de ces ahu
auraient pu être orientés intentionnellement dans des directions astronomiques7…
Les analyses critique des “ pierres solaires ”
d’Orongo : William Liller et Georgia Lee
En l986, dans le cadre d’un projet de la NASA, Liller établit un petit
observatoire sur Rapa Nui afin d’observer la comète de Halley8. Pendant
son séjour de trois mois, collaborant avec l’archéologue Georgia Lee, il
vérifia soigneusement les directions indiquées par les «pierres du soleil»
d’Orongo. Prenant connaissance de la découverte de la forte magnétisation des roches proches du site, Lee et Liller se fondèrent exclusivement
sur des photographies et des visées d’étoiles au théodolite afin d’établir
des directions astronomiques tout à fait exactes. Ils trouvèrent que les
orientations proposées par Ferdon n’étaient pas correctes, et que les alignements étaient, pour quelque raison, éloignés de près de l6 degrés des
directions solaires critiques9. Leurs conclusions : ces quatre cavités
avaient dû servir à quelque autre dessein.
D’autres mesures similaires effectuées par l’auteur10 au complexe A
Kiyi-Vai Teka mirent en relief des difficultés quant aux interprétations
proposées par Mulloy et Figueroa. La ligne reliant les deux ahu est
orientée à 5,9 degrés de la direction est-ouest, et les sept moai ne font
pas face à l’ouest, mais bien à 3,2 degrés au sud de cet azimut. L’ampleur
de ces déviations indique, soit que les fondations ont été sommairement
mises en place, soit plutôt qu’il n’y a jamais eu d’intention à caractère
astronomique…
7 Mulloy, W., Liller, W., & Lee, G., 1988, A survey of ahu orientations around the coat of Eas
lsland, disponible chez l’auteur en présentation PC lisible.
8 Liller, W., 1987, A Halley Watch from Easter lsland, Mercury Vol. 16, pp. l30-l37.
9 Lee, G., and Liller, W., 1987, Easter lsland’s “ Sun Stones ”. A critique, Journal of the
Polynesian Society, Vol. 96, pp. 81-93. Voir aussi The “ Sun Stones ” ot Easter Island : A reevaluation, Archeoastronomy., Suppl. to the Journal for the History of Astrononmy, n° 11, S1S11.
10 Liller, W., 1988, Hetu’u Rapanui : The archaeoastronomy of Easuer lsland, in From Asteroids
to Quasars, Cambridge University Press. Voir aussi Liller, W., 1988. The ancient solar observatories of Rapa Nui, Rapa Nui Notes, n° 6.
19
Aussi bien Mulloy que Liller ont, indépendamment l’un de l’autre,
remesuré les deux plates-formes à Tepeu ainsi que les deux à Vinapu ;
ils confirment qu’elles sont effectivement orientées de très près, à moins
d’un degré, vers les directions suggérées. Cependant, les deux sites sont
localisés près de la côte et, selon l’usage, les plates-formes étaient disposées avec leurs longs côtés pratiquement parallèles à la ligne côtière.
Il se trouve qu’aux deux sites, la ligne côtière est orientée vers les
solstices, si bien qu’il ne sera jamais possible de prouver que ces ahu
avaient un but astronomique, à moins de nouvelles révélations.
Paradoxalement les études critiques menés par Liller et Lee, allaient
mener à d’autres constatations validant, de façon assez inattendue, la
thèse en faveur des préoccupations astronomiques des Pascuans et de
leur corrélation avec les cultes religieux. La fin du mythe solaire ouvrait
sur d’autres perspectives archéoastronomiques assez surprenantes.
Les perspectives nouvelles de William Liller :
l’ahu Huri A Urenga
En collaboration avec Sergio Rapu Haoa, Mulloy a étudié et restauré
un autre ahu, Huri A Urenga, à l’intérieur des terres11. Situé à 15 km de
la côte la plus proche, entre Maunga Orito et Puna Pau, il présente un
seul moai debout sur une plate-forme à l’extrémité ouest d’une plaza
emmuraillée. Mulloy nota la curieuse orientation de cette plate-forme :
décalée de quelque 20 degrés par rapport à la disposition générale de
la plaza, une particularité de structure dont on ne connaissait pas
d’autre exemple ailleurs (du moins à cette époque).
De plus, le moai faisait face à la direction du lever solaire du solstice d’hiver. La conclusion de Mulloy était que cette étrange disposition
résultait de la volonté expresse des constructeurs d’ahu de mettre le
moai face au lever solsticial d’hiver. D’après ses mesures à la boussole,
une perpendiculaire à la plate-forme visait cette direction cruciale à
11 Mulloy, W., 1975, A Solstice Oriented Ahu on Easter lsland, Areheaology & Physical
Anthropology in Oceania, Vol. 10.
20
N° 284 • février 2000
moins d’un degré. En l986, Liller et le météorologiste Julio Duarte ont
remesuré cette orientation par des moyens optiques, et ont confirmé le
résultat obtenu par Mulloy12. De plus, ils notèrent qu’à 1,5 km de là et
dans la même direction solsticiale, se trouvait une petite montagne au
sommet pointu connue sous le nom de Maunga Mataengo (voir la carte
parue dans le BSEO 282/283). A son sommet se trouve une caverne clairement visible depuis l’ahu Huri A Urenga. Le matin du solstice d’hiver,
le soleil devait donc se lever directement derrière le pic de cette montagne. Liller et Duarte ont également noté un autre sommet proéminent,
Maunga Tararaina, situé à 1 km à l’ouest ; son pic se trouvait à moins
d’un degré de la direction du coucher solaire à l’équinoxe13.
Mais la découverte la plus convaincante de Mulloy reste sans doute
la suivante : près de la plaza à l’ahu Huri A Urenga, il mit au jour cinq
cavités faites de main d’homme et taillées dans le lit rocheux. Les lectures de Mulloy à la boussole suggéraient un usage astronomique, et
Liller a depuis lors confirmé cette hypothèse : quatre paires différentes
de ces cinq cavités pointaient de près - trois à moins d’un degré - vers
les trois levers solaires significatifs et, de plus, vers la direction du nord.
La ligne reliant une cinquième paire de cavités donnait la parallèle au
mur de la plaza, encore une fois à une fraction de degré près. Ainsi, un
total de dix directions indiquées sont orientées de très près sur les azimuts des levers et couchers solaires remarquables ainsi que sur la direction nord-sud. Il y a donc peu de doute, affirme Liller, que «l’ahu Huri
A Urenga ait servi aux plus anciens Rapanui comme observatoire solaire,
construit avec un niveau de sophistication impressionnant».
12 Liller W. and Duarue, J., 1986, Easter Island’s ‘Solar Ranging Deyice’, Ahu Huri A Urenga,
and Vicinity, Archaeoasuronomy, Vo1. lX, pp. 38-51.
13 Une partie importante de cette montagne a été excavée en 1987 pour produire du remblai
aux fins d’extension de l’aérodrome, mais heureusement, avant ces travaux, Liller et Duarte ont
pu mesurer l’azimut tel que visionné à partir de Huri A Urenga. De même, sa localisation précise
est attestée sur plusieurs cartes topographiques, dont l’Atlas Arqueologico de lsla de Pascua.
21
Les perspectives de Malcolm Clark : l’ahu Ra’ai
Deux ahu ont des noms qui comprennent le mot rapanui Ra’a, qui
signifie «soleil» : Ra’ai et Rua Tau Ra’a14. Les pétroglyphes dans le secteur connu sous le nom de Ra’ai, sur la côte nord de la Baie de La
Pérouse, s’étendent environ sur 1 km à l’intérieur de l’île. Il y a plusieurs
années, l’astronome américain Malcolm Clark fit remarquer que, tel que
visionné à partir de l’ahu Ra’ai, le soleil se levait au-dessus du cratère à
la pointe de Poike (où était supposé avoir résidé le dieu maléfique des
éclipses, Katiki), et se couchait derrière Maunga pu15. C’est du ahu Ra’ai
que le soleil du solstice d’été semble se lever précisément au-dessus du
cratère de la position du pic de Poike. Des mensurations récentes faites
par Liller ont à présent pleinement confirmé les observations faites par
Clark : le repère de Katiki au sommet de Poike a dû jouer un rôle important comme indicateur de calendrier, depuis le centre socioreligieux
d’Orongo16.
Clark a également mis en évidence le rôle des phases lunaires dans
les représentations naturelles ou manufacturées des pétroglyphes de
l’ahu Ra’ai17. Un pétroglyphe comporte des tortues et 28 lignes incurvées
qui constituent un comput lunaire. Par ailleurs, Karl Schanz, un météorologiste, découvrit une pierre (détruite après la construction de l’aéroport
de Mataveri) indiquant les azimuts solaires des solstices, le pôle magnétique et le pôle géographique. Cette pierre dont Liller a pris connaissance
par une journaliste qui lui fit parvenir, en 1966, le rapport établi par
Schanz, indique une possible orientation qui diviserait le mois solaire en
30 secteurs égaux18. Ces deux dernières découvertes pourraient rendre
14 D’après la linguiste Cynthia Rapu, l’orthographe ra’ai pourrait être une variante du même
mot (in Liller, 1990 op. cit., p. 10).
15 Clark, Malcolm A., 1984, Sun, moon, and volcanoes on Easter Island, International Congress
on Easter lsland and Eastern Polynesia.
16 Vu depuis la structure l de Ferdon, le soleil solsticial d’hiver se serait levé un petit 0,6 degré
à droite de ce pic imposant, doté d’un cratère planté d’arbres (Liller, 1990, op. cit.). «Comme
cela a été dit ailleurs, les indigènes ont dû considérer cette coincidence comme accordée par
les dieux», ajoute Liller (p. 10).
17 Lee G., 1992, The Rock Art of Easter Island, Symbols of Power, prayers to The Gods,
Institute of Archaeology University of California, Monumenta Archaeologica 17, p. 180.
18 Liller W., 1988, Karl Schanz’s Calendar Stone, part 2 in Rapa Nui Journal, Los Osos vol. 3,
n°2, p. 4-5
22
N° 284 • février 2000
compte d’une préoccupation astronomique des Pascuans pour les mois
soli-lunaires jamais attestée jusqu’ici par l’archéologie polynésienne.
Pour en finir, il faut mentionner que Georgia Lee, expert en pétroglyphes, a trouvé un ensemble de dessins intéressants gravés dans la
roche et qui semblent représenter des corps célestes, comètes, croissants lunaires, étoiles et peut-être des configurations de constellations19.
Pour nous résumer, selon les recherches de l’astronome William
Liller, l’ahu Huri A Urenga présente des évidences presque irréfutables
d’avoir été planifié pour être un observatoire solaire, et «avec le
Stonehenge de Grande-Bretagne, le Caracol
des Mayas, et le Templo del Sol des Andes,
il doit être considéré comme un monument
dédié à l’intelligence impressionnante de
l’homme de l’Age de la pierre»20.. Certaines
orientations solaires des Pascuans peuvent
également être mis en parallèle aux rites
d’Orongo, comme l’ont fait Clark et Liller à
propos du site de l’ahu Ra’ai, et la préoccupation du comptage calendaire en fonction
des lunaisons semble pour la première fois
avoir été archéologiquement attestée.
Un des ahu contient le nom de la planète Mars. un autre a le nom rapanui pour
Antarès, les Pléiades, la Ceinture d’Orion
(Las Tres Marias). Existe-t-il des observatoires pour d’autres corps célestes et les planètes les plus brillantes ? La
question reste posée et nous effectuons des recherches bibliographiques
à propos de tels sites.
Louis Cruchet
19 Lee, Georgia, 1986 Easter Island Rock Art : Ideological symbols as evidence of sociopolitical change, Ph. D. Dissertation, University of California, Los Angeles.
20 Liller, 1990, op. cit., p. 10 col. 2.
23
R
N
E C R O L O G I E
R
ROLAND “COCO” SUE
(mars 1927 - janvier 2000)
Né à Pape’ete mardi 1er mars 1927, décédé à Pape’ete mardi 18 janvier 2000,
Roland SUE a été membre du Bureau de la S.E.O. durant la période du
3 mars 1976 au 22 novembre 1994, où depuis lui a succédé son fils Guy. Après une
première adolescence à Maupiti, il viendra habiter au lieudit Fâri’imâtâ, sur les
anciennes terres de Jacques Moerenhout, non loin de l’Evêché à Pape’ete, pour fréquenter l’Ecole des Frères. Puis il s’engagera à 20 ans dans l’Armée de 1947 à 1966
pour une carrière militaire de dix-neuf années hors E.F.O., ayant baroudé et séjourné
essentiellement en Indochine. Revenu à Tahiti, démobilisé adjudant, il a été décoré
de la Médaille militaire, de la Croix de guerre T.O.E. (avec citation), de la Croix du
Combattant volontaire (agrafe Indochine), de la Médaille coloniale (agrafe ExtrêmeOrient), de la Médaille commémorative d’Indochine, de la Médaille du règne de Laos,
et fait chevalier de l’Ordre national du mérite.
Il suivra les cours vespéraux bi-hebdomadaires de Martial Iorss (avec notamment
Maco Tevane, Tutea Tatarata, Vânanga Pietri) sur deux années pour obtenir le Brevet
de Capacité pour l’Enseignement du Dialecte Tahitien (août 1963), ayant été désigné
interprète des Tribunaux à Pape’ete en tahitien et traducteur assermenté, puis secrétaire général à la Mairie de Pîra’e (de janvier 1971 jusqu’en 1992). Il fera partie des
20 premiers académiciens du Fare Vâna’a installés par le Gouverneur Daniel Videau
(juillet 1974).
A eu à Pape’ete 5 enfants : d’abord Claude (1945) avant son départ dans l’Armée,
puis avec son épouse Lucienne Maltagliati : Guy (1956), Olivier (1960), Aline (1962)
et Magali (1966).
Les responsabilités qu’il a assumées dans l’Armée ont forgé chez lui un caractère
de discipline, rigueur et honnêteté dans ses activités de la vie civile, administrative et
familiale. C’est, en particulier, le profil du collègue au sein de l’Académie tahitienne
où ses qualités “ budgétaires ” l’ont maintenu aux fonctions de trésorier élu depuis
1985, malgré ses intentions de s’en retirer après les problèmes de santé intervenus
il y a quelque dix années (avec extinction de voix), tandis qu’il renonça à celles d’assesseur à la S.E.O. après plus de 18 années lors du renouvellement de 1994.
Dormant à peine deux heures la nuit sinon somnolant a-t-il confié, un coussin lombaire l’accompagnait pour s’asseoir aux réunions.
Au sein de l’Académie, il avait la charge des séances de travail de la Commission
dite des Permanents (journées de lundi et jeudi), étant, en outre, membre pourvoyeur
en investigation de termes auprès d’anciens pour la Commission linguistique de Mgr
Hubert Coppenrath. Homme discret, lâchant par bribes des anecdotes, en particulier de
son séjour dans le vaste pays d’Indochine (s’il a connu Dien Bien Phu, le militaire anecdotique parle plutôt de l’ambiance de la vie humaine dans les paysages d’une contrée
qu’il a beaucoup aimée et qu’il aurait bien voulu revoir si sa santé l’avait permis).
Ayant participé au banquet annuel du 9 décembre 1999, sans geindre, comme le
loup de Vigny il s’en est allé, franchissant Noël et l’an 2000, en nous adressant peutêtre un message in-ouï : “ Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler… ”
Aux obsèques, de Fâri’imâtâ via Béthel, au cimetière de l’Uranie, Coco sera honoré par les paroles évoquées par ses anciens collègues et aussi son fils Guy, dont
l’éloquente simplicité a rappelé le parcours feutré d’un terrien qui a passé.
V.R.P
24
R
R
Papeete de jadis et naguères
(2ème partie)
Au temps des maires
des cent premières années
de la commune de Papeete
(1890-1990)
8)- d’octobre 1966 au 13 mars 1977
Georges Tetua Pambrun
(suite1)
La grandiose arrivée de Hokule’a a été saluée le 4 juin 1976, alors
que le Front Uni a bloqué l’Assemblée Territoriale le 10 juin, empêchant
le gouverneur Schmitt d’y accéder, etc... fermeture occupée qui durera
10 mois. Le pasteur Samuel Ra’apoto meurt d’une attaque cardiaque le
15 juin 1976.
Participant à Hawai’i pour la première fois, à la course annuelle de
pirogues de Moloka’i, du Diamond Head à Oahu (85 km), les rameurs
tahitiens remportent le titre catégorie coque plastique (non-koa) en
1975, raflant les premières places en 1976 toutes catégories. Acquéreur
en 1975 du tableau «Le Rêve» de Gauguin (1892), Paul Yeou Chichong
le confie en dépôt permanent au Musée de Papeari.
1 Une bibliographie de la «saga de Papeete» se trouve dans le Catalogue des titres paru en
1998 dans le BSEO N°277 (1917-1977) p. 28.
Première partie parue dans le BSEO 282
Le 10 janvier 1977, Pouvâna’a meurt après coma à presque 82 ans
(né le 10 mai 1895) ; sa dépouille sera exposée dans la salle des
mariages, le cortège funéraire à pied prenant la direction du Temple de
Pâ’ôfa’i puis du cimetière de l’Uranie 3ème plateau. Aux élections du 29
mai 1977, Henri Bouvier a été évincé de la liste Here ‘Âi’a, tandis que le
Front Uni compose la majorité pour inaugurer la première version d’autonomie dite de gestion mi-juillet 1977, où Charles Schmitt quitte son
couvre-chef de gouverneur pour celui de haut-commissaire de la
République, le conseil de gouvernement désigné le 22 juillet à 7
membres (dont ‘Âtâ au Tourisme et ressources océaniques...) comportant Francis Sanford comme Vice-Président. A Paris, l’ex-gouverneur
Sicurani, alors ministre plénipotentiaire de France à Monaco, vient de
mourir d’une leucémie foudroyante.
En août 1977, décède l’unijambiste Moeroa a Moeroa, célèbre
ti’ati’a himene de Pâpara : Moe venait de faire sa dernière prestation
de tarava tahiti aux fêtes folkloriques du «Tiurai» place Vai’ete.
Plusieurs fois vainqueur en himene avec Pâpara, il était né à Mataiea
(13 avril 1899), ayant perdu une jambe vers 40 ans dans une manutention en goélette, d’où le pilon caractéristique avec sa silhouette moustachue de Taraho’i d’autrefois à Vai’ete d’hier.
En août 1977 également, le secrétaire d’Etat Olivier Stirn vient officialiser les premiers pas de l’autonomie interne (11), la Poste centrale
est ébranlée par un dynamitage de nuit (12) et l’ancien officier hydrographe, installé à Tahiti, Pierre Chatillon d’Anglejean est assassiné par
balle dans la nuit (12) à son domicile du Lotus à Puna’auia, affaire
signée Te Toto Tupuna (un trio de Pâ’ea : les frères Marcel et Jonas
Tahutini, Guy Ta’ero), où Charlie Ching est accusé d’en être l’instigateur :
les co-inculpés connaîtront quatre années de procès, de la correctionnelle à la cour criminelle puis en cassation et enfin pour s’achever en
1981 aux Assises de Versailles. Le 31 octobre 1977, Charles Schmitt, en
faisant un tour en speed boat en lagon à Puna’auia avec son épouse,
meurt dans le chavirement par les vagues ayant fracassé le bateau. Il sera
remplacé par Paul Cousseran nommé fin novembre 1977. Un an après
26
N° 284 • février 2000
le décès de Pouvana’a, la télé-couleur est diffusée par «Télé Tahiti
R.F.O.». Une sauvage mutinerie éclabousse le sang dans la maison d’arrêt de Nu’utania (directeur Nédo Salmon, père, et sous-directeur Tehina
Salmon, fils) au week end du 14 janvier 1978, faisant deux tués : le gardien Pierre Pâ’û Hoatua, originaire de Porapora, massacré par les détenus mutinés, et Nadir Masters de Makatea, un détenu descendu par un
tireur d’élite lors de l’assaut des gendarmes, soldats et muto’i ; tandis
qu’un jeune détenu, épouvanté par la scène du massacre de Pâ’û, se
pendra un mois plus tard ; le policier victime du devoir sera enseveli
avec Citation à l’Ordre de la Nation. Il s’agit là d’un souvenir pénible
dans les réflexions politiques en découlant pour l’accession à un modus
vivendi le plus approprié pour ce pays. En cour criminelle de Pape’ete,
le 10 avril 1979, les sept principaux mutins responsables seront
condamnés à des travaux forcés à perpétuité, vingt, quinze et cinq ans de
réclusion criminelle six autres passant en correctionnelle ; cependant
que les assises de Versailles en avril 1982 commueront ces peines : de
dix ans de réclusion criminelle (pour Emmanuel Tauhiro) à quatre ans
de prison aux complices ; avocats et accusés s’étaient entendus pour
ramener constamment le procès sur le terrain politique de l’indépendance et de l’antinucléaire, correspondant d’ailleurs aux graffiti et slogans étalés dans le paysage par les mutins enfermés, Charlie Ching dans
une cellule à part n’ayant pas été impliqué dans cette affaire. L’on se souviendra des grands graffiti, dans les années 1952 à 1956 par exemple,
«U.S. Go Home» peints de nuit sur les parapets des quais de la Seine (à
cause de la présence américaine permanente du S.H.A.P.E. à
Châteauroux ?), bien après le débarquement salvateur du 6 juin 1944
des Alliés répondant à l’Appel de C.d.G. du 18 juin 1940 et ayant laissé
de sanglantes traces en Normandie occupée puis bombardée ; si le rapprochement ici de slogans exacerbés en certaines circonstances peut
paraître déplacé, il invite à mesurer les cogitations.
En 1978, le 5 février, le Cunard mastodonte Queen Elizabeth 2
(long de 320 m) fait une entrée risquée, quant à «elle», dans la rade de
Pape’ete ! Au premier tour du 12 mars, Jean Juventin (Ouest) et Gaston
Flosse (Est) sont élus députés de chacune des deux circonscriptions ;
jouissant encore de ses droits civiques tout en étant incarcéré comme
27
inculpé de participation dans la suppression de d’Anglejean sus-évoquée, Charlie Ching a fait acte de candidature à l’Ouest à partir de son
lieu d’enfermement. Patron de la Conserverie du Pacifique (Copa à
‘Ârue), Robert Wan inaugure le 10 avril 1978 son usine de production
de corned beef dit punu-pua’atoro Hellaby (recette de la fameuse maison de Nouvelle-Zélande), avec de la viande bovine congelée importée...
le gros bétail local étant insignifiant. Dans le Fare Tony, le Conseil
Economique et Social, fraîchement né, entre en exercice le 28 avril 1978
(il s’installera plus tard dans le bâtiment colo superbement rénové, dans
l’ancienne cour des Travaux Publics en bas de ‘Oro’ura, qui sera achevé
courant 1990), Joël Allain cadre d’E.d.T. étant le 1er président élu de
cette nouvelle institution statutaire. Fondée le 4 avril 1973, la Société de
Commercialisation et d’Exploitation du Poisson (S.C.E.P. siège à Fare’Ute), lancée dans la pêche industrielle en haute mer à l’appât vivant à
partir de ‘Apataki, soutenue par le Territoire, échoue dans son expérimentation prometteuse, à la grande déception de son actif patron
Warren Ellacott, le Territoire transformant ladite opération le 7 janvier
1980 en «S. Nouvelle C.E.P.», directeur Rodrigue Le Gayic alors
Directeur du Port Autonome, qui déposera le bilan en décembre 1982.
Dans le même temps, l’élevage de chanos-chanos à Ra’iroa restait
embryonnaire. Le 21 mai 1978, le capitaine Josias Furneaux d’outretombe assiste peut-être avec Francis Sanford et Joseph Lehartel Jr à l’extraction, par 32 m de fond en lagon de Tautira, de l’ancre perdue par
l’Adventure (naviguant de conserve avec le capitaine de l’expédition
James Cook commandant le Resolution) le 16 août 1773. Le radier submersible construit en 1949 sur la route de Tautira en travers de la
Vaitapiha, qui a été témoin de tant de baignades aux haltes du «Tour de
l’île», a été remplacé par un pont solide inauguré le 23 mai 1978.
En juin 1978, le producteur italo-américain Dino de Laurentiis vient
tourner à Porapora le controversable film Hurricane, tiré de l’œuvre
commune de James Norman Hall et Charles Nordhoff (basé sur le cyclone ayant dévasté les Tuâmotu en 1903) ; il investit aussitôt dans la
construction d’un hôtel, pour loger le personnel cinématographique,
devenu Hôtel Marara... Le maire de Paris Jacques Chirac, qui vient de
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remporter pour le RPR les élections législatives, rend visite à Tahiti le 20
juillet 1978 où son «frère» Paulet Flosse lui a organisé un accueil triomphal.
Pour la Noël 1978, le maire Emile Vernaudon exhibe la nouvelle
tenue des muto’i de Mâhina, coiffés d’un chapeau cow-boy type Dallas
avec l’étoile de Vénus, valant depuis au maire le surnom d’autorité de
Shérif.
Le 20 janvier 1979, la cour criminelle de Pape’ete juge l’affaire Te
Toto Tupuna (signalée ci-dessus en août 1977) qui aboutit au verdict
suivant : vingt, dix-huit et dix ans de travaux forcés aux quatre du «commando» et dix ans de réclusion à Charlie Ching ; les condamnés étant
discrètement évacués nuitamment, via Hao, Guadeloupe et Roissy, par
avion militaire, pour internement à la prison de Fresnes.
La cour d’assises de Pape’ete ayant été instituée par la suite, le verdict de la cour criminelle (devenue vestige colonial) sera annulé le 5
décembre 1979 par la Cour de cassation ; le second procès, ouvert à
Versailles le 13 janvier 1981, aboutit le 23 au verdict suivant : quinze à
dix ans de réclusion criminelle aux quatre principaux condamnés, cinq
ans de prison à Charlie Ching, les deux autres comparses étant libérés
immédiatement (l’un acquitté, l’autre avec remise de peine).
Un couple d’investisseurs italien, les Gonfalonieri, crée en janvier
1978 l’entreprise «Tikichimic» fabriquant des produits de nettoyage, des
détergents, de la lessive liquide, des flacons plastiques, des savonnettes
touristiques...
La fièvre des «charters» aériens pour Manille et Baggio aux
Philippines auprès des guérisseurs-miracle (pour les désespérés en
ulcère à l’estomac, calculs néphrétiques et tumeurs cancéreuses, les diabétiques ou cardiaques...) aura peut-être fait illusion deux années, l’imposture mondialement attestée ayant pratiquement cessé de faire recette
courant 1979.
Philippe Mazellier alors moustachu si, si, qui avait lancé, le 28 mars
1963, le Journal de Tahiti, quotidien d’information (pour le compte de
Tony A. Bambridge l’homme au chapeau et à la pipe), ayant cessé le
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13 mars 1979 a créé La Dépêche de Tahiti le 3 août 1964 (siège
Fâri’ipiti) pour émigrer plus tard aux abords du Pont de Fautau’a.
Depuis 1979, le 5 mars, devenu jour férié décidé par le Conseil de
Gouvernement, est commémoré, en présence du secrétaire d’Etat Paul
Dijoud, le 182ème anniversaire de l’arrivée des premiers missionnaires
anglais vecteurs de la Bonne Parole de la London Missionary Society
par le navire Duff, ancré près de la Pointe Vénus (1797). En cette fête
de l’arrivée de l’Evangile, c’est ainsi désormais que notre calendrier
républicain local a sanctifié cette date, pour trois jours à Pape’ete se discourt un «colloque sur le développement touristique des territoires
d’outre-mer du Pacifique».
Née en janvier 1970, sous l’impulsion du conseiller de gouvernement et suppléant du V.P. Francis depuis le 22 juillet 1977 Yannick
‘Amaru (ancien de l’Ecole des Frères passé par Bordeaux, où revenant
du travail harassant des vendanges, traînant sa bicyclette percée en bordure de route et notre futur œnologue ayant décliné son nom «‘A-maru» au gendarme, celui-ci fronça du sourcil : «Je ne demande pas ce que
vous avez «à votre roue»...), la SEBAP (Société d’Etudes du Barrage de
la Papeno’o) est actionnée par les frères Howan (Dr Yen et l’ingénieur
Yin vivant en Californie) aux fins d’installer un barrage pour produire de
l’énergie hydroélectrique. Ladite société devient en 1976 Ener-Pol, siège
Rue Jeanne d’Arc, à missions plus étendues dans l’exploitation des
sources d’énergie hydraulique (captages, exploitation de l’eau), soutenue initialement par le Territoire, et se transforme en société d’économie mixte en décembre 1978 pour une expansion dans l’exploitation de
tous combustibles liquides ou gazeux. Mais la consultation technique
d’Electricité de France, en 1977, après huit années d’études onéreuses,
va conclure en 1979 géologiquement à une faisabilité risquée du barrage de Papeno’o, rentabilité non considérée : le projet est classé en juin
1979, Yannick quittant le Conseil de Gouvernement.
Grève des armateurs de la flottille interinsulaire locale, accusant
l’Administration de favoriser une certaine concurrence commerciale
déloyale ; elle aboutira à un protocole d’accord le 7 septembre 1979,
après un blocage critique du port de Pape’ete ayant duré sept semaines.
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Le président national Valéry Giscard d’Estaing et sa dame AnneAymonne nous rendent visite du 18 au 21 juillet 1979. V.G.E. est baptisé
Teri’ivaetua à Fa’a’â et Tauhere à Pape’ete où, dans la salle du conseil
municipal, il s’attristera sur la disparition annoncée de l’ancien bâtiment
colonial vétuste. Dans son discours place Taraho’i, il émet le vœu que le
développement économique et social «ne porte pas atteinte au caractère
traditionnel de la vie polynésienne auquel vous êtes légitimement attachés. Votre culture, votre belle langue tahitienne, votre histoire sont
pour moi autant de valeurs que la Polynésie doit préserver et faire
connaître». Son «compatriote» Emile Vernaudon, maire de Mâhina, a
soigné son look chevelu pour un accueil guidé grandiose autour du
Phare de Tefauroa.
En août 1979 : l’entrepreneur Jacques Favié succède à Eric
Lequerré comme conseiller économique et social d’outremer ; aux
6èmes J.P.S. à Suva, Errol Bennett mène Tahiti à la médaille d’or de football, battant la Nouvelle-Calédonie (3-2) en demi-finale et triomphant
aisément de Fiji en finale. Oncle du super-champion cycliste belge Eddy
Merckx, le père Victor Wallons, arrivé en 1940, se retire fatigué en sa
Belgique natale le 6 septembre 1979, après avoir consacré 39 ans de sa
vie missionnaire exceptionnelle au service des Tuâmotu et des Pa’umotu
en leur causant intégralement en pa’umotu ; il s’éteindra dans sa retraite le 20 décembre 1986 et, si vous faites une visite à l’Evêché, son buste
avec chapeau nî’au et barbe fournie vous accueille à l’escalier de Mgr
Michel Coppenrath à Pape’ete.
En fin d’après-midi du 5 décembre 1979, par mauvais temps et
grosses vagues à l’entrée de la passe contrôlée et balisée de Pape’ete,
assurant la navette Mo’orea-Pape’ete, le Niumaru chavire dans le
remous du fort courant sortant : treize rescapés vivants (dont deux
mioches) vite secourus par les pilotines du Port, le quatorzième passager un touriste yougoslave de 61 ans ayant péri noyé (il sera enterré au
cimetière de l’Uranie).
En 1980, disparaissent du paysage des trottoirs de Pape’ete deux
figures clochardes : Emile Tai alias Gauguin (qui exhibait sa bedaine en
marchandant ses nasses de bambou) et Mathieu promenant son ‘ota’a
en soliloquant. En février à Nouméa s’est éteint Jacques Taura’a, figure
31
politique influente auprès de Pouvâna’a avant l’arrivée du C.E.P. ; son excollègue Teariki l’ayant supplanté au sein de son parti en 1966, il avait
repris au Marché, entre Pape’ete et Pira’e, avec sa simplicité et sa jovialité habituelles, ses activités de maraîcher.
La presse locale admirative vante le wonder boy sinon golden boy
Bernard Tapie à son passage-éclair à Pape’ete, le dit-sauveur d’affaires
laborieuses en péril ou périclitantes rachetant en mai 1982 le quatremâts Club Méditerranée (voilier en acier de 72,20m construit à Toulon
en 1976 et orphelin de son barreur Alain Colas, mari de Te’ura Krauser,
disparu en mer, durant la course dite Route du Rhum, en novembre
1978) lequel peinait en Polynésie dans l’exploitation des croisières en
1978-1979 ; nouveau départ donc sous le nom de La Vie Claire.
Visite du ministre de la Défense Yvon Bourges en mars 1980 : les
militants de l’association écologiste ‘Ia Ora te Natura défilent avec banderoles non pronucléaires, son président, l’animateur de Tauhiti, Henri
Hiro, adepte du port permanent du pâreu et remarquable acteur-poète,
ayant écrit audit représentant de la Nation sa pleine contestation quant à
l’innocuité annoncée des tirs. Rebelote de défilé antibombe en
décembre 1981.
L’affable banquier Jean Bréaud et son épouse Tila Nordman endurent un drame insoutenable le week-end du 28 mars 1980 : revenus
dare-dare de Los Angeles parce que leur fils Olivier (H.E.C. de 26 ans,
gérant les affaires familiales de «Tahiti Pétroles» et «Société commerciale Brenot») a été kidnappé contre forte rançon. La reconstitution-enquête révélera qu’Olivier, attiré dans un guet-apens à Pâmata’i, assommé et
amené dans les ateliers «Les Tissages Tahitiens» à Fa’a’â-plaine l’avantveille, y sera torturé pour être ensuite acheminé à Puna’auia chez les
ravisseurs métropolitains Yves Le Goff (meurtrier récidiviste) et Daniel
Chellé le complice assassin, tous deux ayant réalisé l’entreprise de tissage avec l’agrément du gouvernement territorial, l’affaire apparaissant
non viable finalement. La radio-télévision venant de divulguer l’enlèvement, la panique conduit les kidnappeurs à asséner à la barre-à-mine
l’infortuné Olivier, direction Lotus-montagne pour l’enfouir dans un
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vague passage d’où la pluie le déterrera : il était mort la veille de
l’appel téléphonique à rançon ! L’enfant de la compagne d’Olivier, Moea
Adams, naîtra en août 1980 en Amérique reconnu Olivier-Jean Bréaud.
Le 30 avril 1980 après trois ans de travaux est inauguré, par le H.C. Cousseran, le V.-P. Sanford et l’architecte Weinman, l’actuel édifice de
la Poste (dont les étages émergent au-dessus des frondaisons à l’entour :
Place Pômare, Place Taraho’i, Parc Albert 1er, dominant le décor de la
rade de Pape’ete) là où une «nouvelle» poste entre en service en juillet
1962 (fresque Mourareau) pour être démolie en 1977, car devenue
trop petite dès l’inauguration devant les progrès à pas de géant du phénomène de la télécommunication. La Poste toise ainsi la maison coloniale Pômare, survivance modeste d’un passé récent. L’année 1980 est
l’époque de la première desserte de Mo’orea par ferry-boat, avec l’arrivée d’Asie extrême du Tosa rebaptisé Tamari’i Mo’orea.
Le 25 juin 1981, le secrétaire général d’abord adjoint puis tout
court auprès du haut-commissariat, Jacques Fournet (futur préfet de
Paris), coupe le ruban inaugural de l’Usine de jus de fruits de Mo’orea
à Paopao, avec notamment le maire de Mo’orea John French Teariki,
etc...
Incendie le soir du 20 mai 1981 du vieux temple chinois en bois à
Mâma’o, dit Tai Kung Chong, construit vers 1876 sur une propriété
acquise par la société de secours mutuel Si Ni Tong (créée en 1872 et
transformée par la suite en société civile immobilière). Le nouveau
temple sera inauguré le 1er juillet 1987. La première radio-libre démarre le 18 août 1981 (les frères Aline : Edwin et Albert ; Mario Nouveau...)
émettant de la musique «non-stop», à partir d’un studio au Carrefour du
Pont de l’Est. Après l’ancien et premier Temple protestant construit en
1908, à Pâ’ôfa’i, l’Eglise Evangélique inaugure au même endroit le
Temple Siroama le 8 août 1981, en présence d’une affluence de choix,
un tâmâ’ara’a tahiti réussi ayant été prévu à midi sur le stadium Willy
Bambridge.
Mis en chantier à Fare-’Ute en 1974, la magnifique vedette-navette de
Pierre Sachet pour Pape’ete-Mo’orea, Keke 3 (30,40 m ; 200 passagers)
33
ne sera prête à naviguer, après moult péripéties et déboires dans la
construction et les exigences de la législation, que le 21 novembre
1981... pour rencontrer une concurrence insupportable de la part des
nouveaux types de transporteurs que sont les «ferry-boats» apparus
depuis courant 1980. Le Territoire finira par soulager Sachet de cette
charge en acquérant ce Keke en 1989 pour l’affecter aux Marquises en
Kaoha Nui.
Ayant assisté à un Congrès de la Fédération syndicale mondiale à
Cuba de teinture communiste, à son retour à Tahiti Didier Kintzler (qui
se déclare volontiers adepte du marxisme et qui est par ailleurs juriste
auprès de la Caisse de Prévoyance Sociale) apprend qu’il a été démissionné par le conseil d’administration quasi-unanime de la C.P.S. (directeur depuis le 12 octobre 1981 : le conseiller territorial d’obédience
syndicale ouvrière Charles Taufa ; président : Ari’imate Braun-Ortega,
patron de l’entreprise d’acconage Cowan). Son licenciement engendrera
le 19 mars 1982 une grève illimitée (légale) du syndicat des gens du
‘Afata Turu-uta’a, la première depuis l’installation en 1963 de celle-ci
(C.P.S.), grève dure où se distinguent Charles Toti, Eliane Soufet, Pierre
Chanfour, Jean-Marie Cheung... entraînant le 25 mars une manifestation
des salariés de divers organismes et services avec participation des dockers, cependant que d’autres tendances syndicales clament s’opposer à
une action collective menée pour servir la cause d’un «semeur de
désordre professionnel irresponsable», et en «accusant l’intéressé de
dissimuler des intentions politiques déstabilisatrices afin d’instaurer une
société totalitaire», suite à la grève générale de solidarité déclenchée
pour le 1er avril (non légale, dixit l’ITLS et le juge des référés Renaud
de la Faverie : un nom qui connaîtra ultérieurement des faveurs aux fortunes diverses dans notre microcosme politique...). Les dockers ayant
bloqué les activités de manutention portuaire sur fond de revendications
salariales, les interventions séparées du V.P. Francis Sanford d’abord
puis de Charles Poro’i (président de la C.C.I. et en cela président du C.A.
du Port autonome) dans leur diversion avec l’attitude du S.G.A. Fournet
(en intérim du H.C., Président du gouvernement, absent) convergent à
un protocole d’accord équivoque le 7 avril 1982, le déblocage portuaire
étant effectif le 16 avril... mais l’ambiguïté de la source financière d’apai34
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sement distillera postérieurement les ingrédients qui seront fatals, diton, à Charlot aux élections consulaires de la Chambre de Commerce et
d’Industrie en 1989.
Devant l’Assemblée territoriale, est inaugurée place Taraho’i lundi
10 mai 1982 (anniversaire de la naissance à Huahine de Pouvana’a a
‘O’opa en 1895, décès relaté plus haut) la stèle du Metua, idée initiale
de l’association Les Amis de Pouvâna’a (fondateur-président Alexis
Vaira’aroa), le buste ayant été commandité par le Pupu Here ‘Âi’a de
Teariki alors prolongeur de l’ancien RDPT, réglé via Philippe Lou alors
membre de la cellule jeune Hui Tama du Here ‘Âi’a auprès du sculpteur
grenoblois Georges Oudot, réalisée en pierre de Vilhonneur. Cérémonie
simple ; aux invités respectables et respectueux s’est joint Gaston Flosse
qui (m’)a soufflé en passant que Pouvana’a méritait néanmoins un buste
plus éloquent (entendre : une statue de stature digne du statut d’autonomie interne de l’An I). Le 23 mai 1982, les élections territoriales digérant l’ex-Front Uni ont mis en place une majorité (sur trente) de treize
(disons 14) élus Tâhô’êra’a ayant signé une alliance émilâtre avec les
trois élus du ‘Âi’a ‘Âpî (Napo compris) : Vernaudon présidant l’A.T.,
Flosse se destinant nouveau V.P. suppléé par Alexandre Teahu-Léontieff,
tandis qu’à la séance d’installation le 1er juin est absent Francis Sanford
(unique voix élue du ‘E’a ‘Âpî), le doyen Toni Teariki (le Here ‘Âi’a
comptant six élus) parlant au nom de l’ancienne majorité... et que le
lendemain Jacqui Drollet (le ‘Ia Mana te Nûna’a comptant trois élus)
glosera avec volubilité en sa langue mater-natale, chose courante depuis.
Le nouveau Conseiller économique et social chargé des problèmes polynésiens auprès de l’Etat français est maintenant Raymond Desclaux sur
proposition fédéralo-syndicale d’ici et au parfum rose mitigé de French
Teariki ici et de François là-bas. Il faut se souvenir que, localement,
François Mitterand (le 4ème Président de la Vème République élu par 52%
contre presque 48% à V.G.E.) avait obtenu 23,3% contre 76,7% respectivement le 10 mai 1981.
Flosse met fin au rapprochement émiloïde le 21 septembre 1982,
pour incompatibilité d’équations mentales et par idiosyncrasie, l’expérimenté majoritaire étant soupçonné d’émilophagie pour assimiler l’autre
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normal et le soupe-au-lait minoritaire résistant pour se désinflosser
normal ! Une alliance, sur le point de se conclure avec Teariki, foire sur
les exigences légitimes car modérées proportionnellement du Here’Âi’a
(3 sur 7 au C.G.) et Flosse réussit à composer son néostaff de to’ohitu
suprême grâce à un «glissement» de certains votants à l’A.T. le 13
octobre ; quatre universitaires qualifiés y figurent : les frères Alexandre
et Boris Léontieff, Jacques Tehei’ura et Charles Tetaria, dont trois ont
brillé naguère dans les compétitions sportives aux J.P.S. notamment.
L’épisode «bouches cousues» à la tribune de l’A.T. s’ensuivra du 28
décembre 1982 au 11 janvier 1983, le toujours-Président territorial
Vernaudon ayant... suspendu la séance, clé à l’appui ! Auparavant, la
première quinzaine de novembre 1982 aura été témoin du phénomène
de ferveur apparu avec le Renouveau Charismatique lors de la visite de
son catalyseur le père Tardif, vecteur de guérisons potentielles dans la
Foi : salle comble à la messe des malades en l’Eglise Maria nô te Hau à
la Mission à Pape’ete (mercredi 3), la seconde ayant lieu au stade Pater
à Pîra’e (samedi 13 en fin d’après-midi) : stade et parterre remplis, quel
populo ! vox populi, vox Dei a sans doute susurré le père O’Reilly y
assistant chaussé de ses malicieuses besicles.
Mais des turbulences atmosphériques baptisent la Polynésie en
1983 de soudainetés dévastatrices : le 22 janvier, des pluies torrentielles
s’abattent de nuit sur les Marquises, le cyclone Nano parcourant ensuite
une partie des Tuâmotu (24 et 25), y semant la désolation des atolls touchés sous l’action conjuguée du vent et de la mer, raclant au passage les
Îles Gambier. En début d’année, signalons que le Haussaire partant Paul
Noirot-Cosson a fait place à Alain Ohrel (47 ans). Et voilà qu’encore aux
Tuâmotu le cyclone ‘Orama visite méchamment d’autres atolls en février
(21 et 22) ; le cyclone Reva y venant derechef secouer d’autres atolls
oubliés (7 et 8 mars) puis sinistrer les Iles-Sous-le-Vent montagneuses
(10 mars), venant même frôler Tahiti (Pape’ete et surtout Pâ’ea, 12
mars).
Entre-temps, des élections municipales ont eu lieu les 6 et 13 mars,
où notamment l’agriculteur de Taravao Teariki perd sa qualité de maire
de Mo’orea que lui a ravie Franklin Brotherson ; Tuianu Le Gayic a évincé Mitou Lehartel, les autres ténors en place ayant conservé leurs postes,
36
N° 284 • février 2000
cependant que le modéré officier de marine retraité Alfred Helme, qui
avait succédé à Francis Sanford à Fa’a’â, a transféré sa magistrature
municipale à l’agent douanier au doux nom Oscar Temaru, leader du
parti indépendantiste : Front de Libération de la Polynésie. L’avant-veille,
l’ancien docteur régnant du sport polynésien Pierre Cassiau avait rejoint
l’éternel séjour.
Mais voilà que le seigneur des cyclones (pardon pour cette expression) Ve’ena, amorti dans ses effets par la prévention presse-radio-télémétéorologique, annoncé comme dépression tropicale venue des
Marquises (8 avril), se renforçant en véritable cyclone hors Tuâmotu
(10), surprend les Îles de la Société pour griffer Mo’orea et Tahiti (lundi
11) : Pape’ete en cours d’après-midi a organisé le choc de la panique
mais la manifestation du cyclone impose sa loi naturelle de destruction
fracassant arbres et maisons (un seul mort : une femme employée municipale, son pied ayant marché sur une tôle dissimulant un câble électrique, n’ayant pu être secourue à temps) ; côte-Est vers Hitia’a et
Tai’arapu, surtout, et encore ‘Orofero à Pâ’ea ont bien souffert. A
Pape’ete, Haussariat et Territoire planchent sur l’évaluation des dégâts
en vue des secours colossaux aux sinistrés à partir de l’Agence
Territoriale de la Reconstruction (ATR) qui vient d’être instituée. La
campagne des tirs nucléaires a repris le 20 avril. Le dernier cyclone
William sévira les 19 et 20 avril du côté des Tuâmotu (Hao, Nukutavake,
Vahitahi). Le 28 avril 1983, les frères Joinville et Wilfrid Pômare fondent
le Pômare Parti, tandis que début mai une nouvelle réplique du navire
Bounty (construit en Nouvelle-Zélande) arrive chez nous pour un remake
(où Mel Gibson joue Fletcher Christian et Anthony Hopkins le capitaine
William Bligh) de Mutiny on the H.M.S. Bounty.
Les 7èmes J.P.S. début septembre 1983 à ‘Apia, où Maco Nena (42
ans) trébuche au second round face à un colosse tongien (pas de
médaille d’or en boxe tahitienne), mènent Tahiti à une difficile victoire
en football : 1-0 contre Fiji, but de Gérard Kautai marqué durant les prolongations, dans une ambiance fijienne et avec un arbitrage défavorable
à nos couleurs... A Pape’ete, le Ciné Bambou rue Colette (anciennement
Ciné Baldwin Bambridge, devenu en 1945 affaire des frères Charles et
Alphonse Hollande, puis cédé en 1950 à Tony Bambridge exploitant du
37
«cinéma» Théâtre Moderne rue Clappier) s’essoufflera comme les ciné
drive-in devant l’accaparement des foyers familiaux par la télévision :
l’acquéreur en 1980 et futur promoteur de l’Hôtel Mandarin fera raser
en septembre 1983 ce lieu d’anciennes «matinées enfantines», d’icecream, de mâpê tuitui, de sandwiches-maison... à l’entr’acte chez les
roulottes foraines d’autrefois. De même que l’ancien et typique Hôtel
Stuart, construit en dur en 1923 (année de création des clubs Tamari’i
Tahiti, futur J.T., et Fê’î Pî), où séjournera en 1930 le peintre Henri
Matisse, est voué à la démolition en octobre 1983... le repreneur Albert
Moux avec l’architecte Weinman ayant décidé de le reconstruire à sa ressemblance, la Banque Paribas y ayant élu domicile.
Le statut du Territoire de juillet 1977 dit d’autonomie (de gestion)
connaît un premier soubresaut en mars 1983 (avant-projet de l’Etat) où
le V.P. G.F. juge la mouture adressée par le ministre outre-mer Henri
Emmanuelli comme inacceptable et «plus colonialiste que jamais», car
émasculant le pouvoir territorial ; attitude idem au passage du nouveau
patron outre-mer Georges Lemoine à l’A.T. le 20 mai 1983 ; enfin, «le
bidule» qualifié de mesquin rapporté à l’A.T. le 21 septembre 1983 fait
retour d’un avis négatif général de déception.
Le 5 octobre 1983, accidenté aux commandes de son tracteur (à 69
ans) à Taravao deux jours plus tôt, Tony Teariki (né le 12 juillet 1914 à
‘Afare’aitu, protestant et originaire de Rimatara) rend l’âme à l’Hôpital
de Mâma’o : ‘ua hi’a te ‘aito, l’arbre de fer a chu, le Pupu de son
époque marqué de sa droiture, de fermeté et de respect de la parole
donnée a vécu, son épouse Simone Raoulx de ‘Auae l’ayant dignement
conduit en sa sépulture, à gauche après le kiosque-reposoir à Pâ-’Urani,
enfouie sous les abondantes couronnes de tiare tahiti... C’est l’adjoint
au maire de Pape’ete Jean-Baptiste Trouillet (ancien élève des Frérots,
infirmier de métier et intègre syndicaliste) qui accède comme Here ‘Âi’a
à l’A.T. Un houleux congrès consécutif de ce Parti à Tîpaeru’i, où l’oublié
groupe Hui Tama des jeunes avait un faible pour Milou Ebb, amènera la
faveur tiraillée des sections sur Jean Juventin, maire de Pape’ete devenu
patron du Here ‘Âi’a, le doyen Pierre Hunter n’y ayant peut-être pas
ambitionné de revendiquer le droit d’aînesse...
Population de Pape’ete (recensements avril 1977/octobre 1983/
38
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septembre 1988) : 22.967 habitants/23.496/23.555, contre à Fa’a’â
16.950/21.927/24.048, pour 95.604/115.820/131.309 à Tahiti et
137.382/166.753/188.814 en Polynésie française.
La coalition antinucléaire mondiale et, en particulier, dans l’Océan
Pacifique s’étant réveillée en avril 1983, le Forum de Canberra (28 août)
refusera l’accès comme observateur officiel à Alec ‘Âtâ personnellement
mandaté par le V.P. G.F. au nom de Tahiti, où le Synode de l’Eglise
Evangélique a renouvelé son hostilité et sa déception vis-à-vis du président de la République quant au non-arrêt des essais nucléaires à
Moruroa. François Miterrand aura alors décidé de l’envoi d’une délégation scientifique de haut niveau (dont Haroun Tazieff, commissaire aux
risques naturels de l’Etat français) à Moruroa : rapport de juin 1983,
autorisant même la venue de personnalités scientifiques étrangères
reconnues (du 25 au 28 octobre).
Commerçant en fer forgé notamment à Fare-’Ute, Grégory Lau,
depuis déjà plusieurs années délégué des Chinois de la région Pacifique
Sud, a été désigné pour trois ans (novembre 1983) sénateur de la
République de Chine pour ladite région, par la Conférence annuelle de
la Chine de la diaspora à Taipeh.
Mois d’octobre agité à Tahiti où une grève syndicale illimitée (légale)
et dirigée par Didier Kintzler et Stanley Cross notamment) amène une
série d’affrontements, incommodant notamment les touristes chahutés,
dans les hôtels Tahara’a, Matavai, Beachcomber et Maeva Beach, nécessitant l’intervention de la gendarmerie (le président de la Fédération
Polynésienne de l’Hôtellerie et des Industries Touristiques étant Albert
Moux), agitation d’implications politiques amenant la fermeture volontaire desdits hôtels effective (2 novembre), Conseil de Gouvernement et
Assemblée Territoriale étant mis sous le gardiennage musclé des nouveaux gardes de corps de la Présidence, des attroupements de syndiqués
bivouaquant place Taraho’i. Les hôtels rouvriront à partir de minovembre 1983 (l’hôtel Tahara’a, lui, ne rouvrant qu’en septembre
1984), la grève s’achevant le 5 décembre 1983. Les événements syndicaux sus-relatés feront révoquer Charles Taufa au poste de Directeur de
la C.P.S. (mars-avril 1984), Raymond Dauphin abandonnant son cabinet
d’avocat pour succéder à Bing le 18 mai 1984.
39
Après un nouvel examen d’un projet évolutif du statut dans une
ambiance tiède et ironique (A.T. 12 avril, Assemblée Nationale 9 et 10
mai), est adopté un statut dit d’autonomie interne par l’unanimité des
députés (485 voix) moins un contre, le Sénat votant à l’unanimité (313
voix contre 0 les 17 juillet et 2 août 1984). Gaston Flosse est devenu
entretemps député européen sur la liste Veil-Chirac (17 juin) pour siéger à Strasbourg. Cependant Pape’ete aura appris le 11 juillet la démission personnelle de l’ingénieur Boris Léontieff de son poste de
conseiller de gouvernement chargé de l’Equipement.
La nouvelle loi-statut venant d’être promulguée (10 septembre
1984), l’A.T. consacre largement l’installation du nouveau gouvernement territorial à dix ministres (14 septembre) où les adultes autonomistes tiennent les rênes du pouvoir (exit l’ancien président H.C. et fini
l’ancien subalterne V.P. du C.G.).
Le député européen Flosse est le premier Président du
Gouvernement du Territoire où au super-conseil des ministres notamment apparaissent les universitaires capés Edouard Fritch (ayant déjà
remplacé Boris), Michel Buillard, Patrick Peaucellier (déjà en place en
1980) et où le Dr Charles Tetaria a laissé place à l’ingénieur Alban
Ellacott et le fidèle dentiste Lysis Lavigne y côtoyant Alexandre-sansBoris, lequel est VP assurant l’intérim du Président territorial Flosse
lorsqu’il s’est envolé, l’avion et le téléphone automatique instantané
étant la nécessité permanente des mœurs modernes du pouvoir.
En sport hors de Tahiti nos représentants se distinguent en France :
Laurence Lacombe devient championne de France de sa catégorie aux
100 m à Monceau-les-Mines (1983) et à Brive (juillet 1984), elle bat le
record de France féminin toutes catégories (57-23) et la meilleure performance des seize-ans à Dunkerque (16 août 1985) ; après Patrick
Juventin en 1972, les «surfers» tahitiens s’imposent aux championnats
de France à Biarritz : Arsène Harehô’ê est champion de France senior et
champion toutes catégories (1983), Vetea David cadet surclassé junior
est premier de la catégorie et Teremu Harehô’ê second (1984) puis au
championnat de France toutes catégories Vetea David est premier,
Teremu terminant troisième.
40
N° 284 • février 2000
Revenons à quelques nouvelles éparses. Le Père Alphonse Coquin,
après avoir servi dans l’Armée, est ordonné prêtre à 37 ans : affecté à
Tahiti en décembre 1930 (34 ans), il exercera sa charge de curé aux Îles
Australes, puis à Taravao, à Pape’ete (paroisse de Ste Thérèse de 1953 à
1958), à Mâhina, à Hitia’a, à Fa’aone, à Ti’arei, fera un pèlerinage de
Fatima (en août-septembre 1974) avec un groupe tahitien ; malade fatigué, il quittera définitivement son séjour polynésien d’affable missionnaire à l’âge de 75 ans pour se retirer à la maison de retraite des Pères
des Sacrés Cœurs à Sarzeau, où il côtoie notre ancien membre actif de
la Ligue de Football : le Père Pierre Laporte au moral de vie intact.
Déjà venu à Tahiti en 1966, le pilote exploitant d’Air Gabon JeanClaude Brouillet (auteur de L’oiseau du Blanc, ayant été décoré à sa
vingtaine de la croix de la Légion d’Honneur pour ses prouesses d’interventions aériennes en temps de guerre dans le ciel égyptien et africain)
vient investir dans notre Territoire : démarrant avec l’Hôtel Kia Ora avec
plus d’une centaine de bungalows à Mo’orea, qu’il cédera au groupe
Acor en 1985, il a développé en même temps une prospection d’installation et d’exploitation d’une ferme perlière à Marutea Sud et ‘Arutua.
Ayant cédé ses affaires à Robert Wan (déjà installé à Rikitea), lassé des
tracasseries administratives locales et refusant d’avoir recours à des
passe-droits, il émigrera sous d’autres cieux plus fructueusement cléments, l’ex-champion de pêche sous-marine Jean Tapu ayant racheté la
ferme de ‘Arutua pour promouvoir la perle noire...
Construit en chantier naval français, arrive à Pape’ete le 23 juillet
1987 le superbe blanc voilier quatre-mâts à moteur et voilure commandée électroniquement Wing Song, pour des croisières hebdomadaires
aux Îles de la Société principalement.
Se souvenir que le navire Liberté qui desservait notamment les IlesSous-le-Vent, dont Huahine en particulier, après quelques petites années
de croisières prometteuses, a dû cesser son activité locale fin 1986 pour
regagner en douce la Californie, l’accueil fiscal ici étant décourageant !
A signaler la longue présence, à l’Office Territorial d’Action
Culturelle (OTAC) de Tîpaeru’i-Pâ’ôfa’i, d’Alain Deviègre avec son équipe
41
de comédiens chevronnés ou amateurs, organisant de grandes représentations théâtrales home-made (avec la participation naguère de Henri
Hiro et de John Ma’ira’i comme acteurs engagés style intello local), ou
à partir de troupes en tournée ici ; le directeur Francis Stein y devant
orchestrer, par ailleurs, la Bibliothèque estudiantine comme l’animation
des activités folkloriques notamment dans le cadre du Comité des Fêtes
du Tiurai, etc...
Côté goélettes de la navigation interinsulaire, la Aranui armateur la
Maison Win Man Hing, construite en 1945 et assurant la desserte des
Tuâmotu depuis 1969, s’échoue pour de bon devant Marutea Sud (15
septembre 1977) après 17 ans de cabotage, Monseigneur Michel
Coppenrath étant passager pour cette dernière aventure...
Quant à la ‘Orohena, construite en 1942 et importée en janvier
1948 pour le compte des E.F.O., ce bateau est acquis en mars 1953 par
André Blouin, avec Alfred Voirin comme capitaine ; elle deviendra
Vaiatea en 1972, propriété de la famille Rey, et sera condamnée fin
1977 pour vétusté, sa silhouette quittant le paysage de Pape’ete pour son
sabordage en lagon de Fa’a’â (Noël 1977).
Le navire-école chilien Esmeralda, magnifique voilier quatre-mâts,
nous rend visite pratiquement tous les deux ans depuis son premier
voyage en 1955.
Arrivé par son yacht Zoé à ‘Atu’ona (Hiva-’Oa) pour se fixer aux Iles
Marquises en 1975, le chanteur-poète engagé et acteur belge Jacques
Brel, fumeur invétéré, mourra à l’hôpital franco-musulman de Bobigny
(9 octobre 1978) d’un cancer du poumon : par avion son cercueil arrivé de Paris (13) à Fa’a’â est aussitôt dirigé vers son île-sépulture marquisienne pour être enseveli à proximité de l’artiste-peintre Paul
Gauguin.
Le Service de la Pêche, régulièrement chaque année, libère à la
récolte désormais des quotas de troca, en des sites différents à Tahiti,
sa chair étant comestible et sa nacre hautement appréciée par les artisans-joailliers.
42
N° 284 • février 2000
Le Tiki-Pê’ue (roulotte foraine apparue en 1963 en face de la
Pharmacie Jacquier) s’est déplacé au gré des modifications de l’urbanisme portuaire : le patron Roger Simonet l’installera quelque temps pas
loin du cabinet du Dr Louis Rollin pour fixer ses roues finalement dans
les ombrages gaullistes de la clé molletière, le restaurant-bateau La
Jonque clapotant à côté (avant de sombrer dans un incendie). Notre
roulotte-restaurant fête donc en 1990 ses vingt-sept ans, devenue étape
familière des gastronomes promeneurs noctambules dans le décor de la
rade à reflets des yachts.
Insérons ici une petite évocation d’un coin disparu de Pape’ete : le
café Rendez-vous angle opposé au Magasin Chouchoute, d’où l’on avait
vue sur l’entrée du Quinn’s à gauche et vers le quai à droite sur l’angle
Yacht Club avec Restaurant Manin à l’étage. Derrière, en ayant contourné
le Pam-Pam à l’angle opposé à la Pharmacie de l’Océanie (Jacquier), le
mémorable Zizou Bar rivalisant de bambou tressé avec le Vaihiria de
l’ancien bloc Bambridge. Zizou de Maeyer, pionnier des époques après
1955, membre alors de la C.C.I., évoque avec nostalgie ce temps de
franches festivités, le Zizou ayant émigré depuis aux abords du Royal
Pape’ete, Zizou s’étant installé bord de mer à Pâpara.
L’Hôtel Tahiti est sur son «trente-et-un» en 1990, ayant fonctionné
à partir de 1959 sur la propriété Pômare à ‘Auae, face au décor des
magnifiques couchers de soleil derrière Mo’orea, sous la houlette de
l’investisseur américain-hawaiien Spencer Weaver. Ce célèbre établissement de style local aura abrité tant de fêtes sportives, politiques et autres
et notamment les élections annuelles de Miss Tahiti.
Figure incontournable dans la restauration de la place, Acajou,
après avoir en particulier fait apprécier sa cuisine au relais touristique
de Faratea à Taravao, puis chez Chapiteau à l’étage Rue des Ecoles
(adresse : rue des Eperviers selon les ricaneurs de ce secteur aujourd’hui réputé d’Anus-bé) où les gastronomes sont bouche bée devant les
saveurs culinaires offertes affaire que reprit l’ancien combattant maître
cuistot Gaspard Coppenrath. Et Acajou gérera avec succès un restaurant
43
à voisinage notarial Avenue Bruat du 1er avril 1968 à mi-février 1978,
avant de s’installer à son compte personnel au nouveau bloc Fare Tony
(à l’angle de l’ancien bâtiment ayant à l’étage à l’époque le cabinet dentaire Lavigne) : cette nouvelle installation démarrant en même temps que
Roux de «Tahiti Sport» inaugurait avec Liauzun Jr son show-room de
«Nauti-Sport» à Fare ‘Ute. Et en 1990 Acajou continue la réputation gustative de son métier, dans un environnement plus animé, où au Bloc
Vaimâ Le Rétro adjacent est venu accroître la fréquentation quotidienne.
Côté pirogue, en août 1977 les rameurs tahitiens vont en Californie
gagner la plus longue course du monde (110 km : Marina Del Rey Newport Beach) : 1er Tautira et 2ème Fa’a’â en catégorie six rameurs...
A Pape’ete en 1990, il reste quelques rares maisons de bois dites
coloniales : à ‘Orovini où la maison Nam Hoy a disparu avant l’érection
du siège Fê’î-Pî, il y a encore la maison d’Alfred Ahnne avec véranda à
balustres en dentelles, et plus bas l’Ecole Philanthropique (à qui la
dynastie tahitienne a cédé une table jadis) à étage avec balustres-moulures sur une ancienne terre royale de Pômare, ex-rue des Beaux-Arts
(aujourd’hui rue Edouard Ahnne) tandis qu’à côté l’Hôtel Métropole a
été démoli mais non reconstruit, etc... Quoiqu’on dise, la ville s’est améliorée, mais les gens oublient vite. Le Marché nouveau a son cachet, la
Commune n’ayant pu disposer des sources financières pour acquérir le
bloc Temauri contigu pour sa gare routière des trucks, ni pour acquérir
le coin Daunasson-Pômare... Mais des bacs à poubelles (en béton
Piccolini ou suspendus) ont été largement installés par la ville, mais ils
ont été aussi largement «répandus» par les inciviques vandales, une
catégorie de la délinquance de notre société moderne difficilement maîtrisable : les feux de croisement de la circulation routière comme les
panneaux indicateurs en savent quelque chose !... Nous ne parlerons pas
de l’accroissement cependant des bâtiments d’éducation scolaire de
manière spectaculaire ces vingt dernières années, en même temps
hélas !... que s’accroît le chômage (ou le manque d’embauche mêlant
désœuvrement et oisiveté) d’une jeunesse plus intellectualisée et aussi
plus convoitée par la sournoise prolifération du cannabis ou pakalolo,
44
N° 284 • février 2000
les champignons hallucinogènes semblant avoir été supplantés par les
plants de paka... les rues étant, par ailleurs, dangereusement fréquentables quand les ténèbres s’y insinuent. La Brasserie de Tahiti est allée
brasser la bière Hinano désormais à Puna’auia, mais celle-ci comme
d’autres alcools glougloutent euphoriquement dans le pays, devenant
souvent les motifs d’affaires devant tribunal où vols, viols, bagarres de
bringues, corruptions diverses viennent s’offrir aux lecteurs de nos quotidiens. Il y a également les tombolas régulièrement organisées par les
multiples associations, organisations parfois sans aides territoriales ;
mais beaucoup de gens localement jouent aussi par correspondance au
Loto national et il se colporte déjà qu’il est dans l’intention du gouvernement local d’accueillir ici ce goinfre qui signifierait la fin de nos tombolas folkloriques.
Depuis 1980 au sein de l’administration municipale de Pape’ete,
Juju (sobriquet journalistique du maire Jean Juventin) a accueilli l’hydrogéologue universitaire Barry Mû, natif de Ra’iâtea (1er mai 1952 à
‘Uturoa) : cet ingénieur de l’eau s’occupera d’abord de l’hydraulique et
de l’assainissement de la ville, développant avec brio l’installation du service hydraulique dans la vallée tabou au-delà du Bain Loti (maintenant
aussi devenue parc à promenades chlorophylliennes guidées) avec captages protégés à Fautau’a comme à Tîpaeru’i.
Ce serait amnésique de ne point évoquer les événements provoqués de ce week end sinistre du vendredi 26 octobre 1987 sur fond
politique de grondement syndicalo-social, ayant éclaté à partir de la
zone insulaire des docks de Motu-Uta, pour se répandre avec une célérité stupéfiante vers le front de mer et les abords arrières vite embrasés
dans les saccages jusqu’aux approches des quartiers de l’Assemblée
Territoriale. La visite de constat, le matin suivant cette soirée d’épouvante, a mis à quia les responsables des destinées de ce pays dont Pape’ete,
siège-poumon et point de départ ou d’arrivée de toutes les affaires, est
la première bénéficiaire et aussi victime...
Le gouvernement «provisoire» de Jacky Teuira, en ce qui a trait aux
activités lucratives de Pape’ete, comporte un volet mineur (pour ceux
qui en sont éloignés) au lieu géométrique de la rue Tepano Jaussen, du
45
presbytère évangélique, du terrain dit Papineau jouxtant la clinique baptisée du nom de l’ancien premier maire de la ville et à proximité des
trois ensembles collégiens de Viénot-Lamennais-Javouhey : la fréquentation là d’un petit ruahere attractif pour noctambules hors farniente a
rendu pénibles, pour les tranquilles résidents d’auparavant, les triples
soirées au moins des jeudi-vendredi-samedi de chaque semaine, les
pétitions environnantes se dissolvant comme les interventions inexistantes sinon inopérantes de la police urbaine. L’établissement dûment
«autorisé» (?) avec surveillance de vigiles assurée (?) attire, en effet, aux
parkings et carrefours tout près, une jeunesse (?) interlope de tout poil,
avec engins pétaradants, ou pick-up 4x4 aux échos répercutants de cassettes assourdissantes et gueulantes droguées dans la pleine nuit,
n’adoucissant plus aujourd’hui les mœurs d’avant-hier et d’hier.
Générations d’aujourd’hui et de demain, où alllez-vous ?... et comme
paraissent dérisoires ces questionnements dans la tourmente universelle,
quand les amplificateurs déversent leurs flots d’hallucination auditive
(acousmie) pour vivifier l’exacerbation !...
°°°
Abrégeons la litanie enchevêtrée dans tout ce qui précède, par une
note musicale. Créée le 1er août 1968, la SACEM métropolitaine intervient localement à partir de 1965 pour percevoir sa dîme dans les établissements de la place diffusant de la musique «déposée». Les artistes
locaux connaissent déjà une certaine notoriété : les sœurs Mila et Loma
Spitz animent le fameux «Quinn ‘s» avec un orchestre encore mémorable de nos jours ; les vedettes masculines s’affinent dans les autres
boîtes et soirées : Yvon ‘Ara’i, Vavitû Salmon, Gabriel Laughlin... qui vont
bientôt tenter l’aventure américaine. A l’époque, le pianiste Eddie Lund
(décédé aux U.S.A. le 4 décembre 1973) a marqué la mélomanie
d’adaptation locale, le garagiste Gaston Guilbert ayant aménagé à
Puna’auia un studio d’enregistrement up-to-date pour pérenniser, sur
disques 48-tours Tiare Tahiti dès 1945, les voix d’Alec Salmon, de Marie
Mariterangi, des sœurs (Eliane et Denise) Russel ; les sœurs Amédée de
‘Orovini ayant eu le mérite sur tourne-disque à aiguille gramophone ou
«La voix de son maître», bien auparavant (dans un timbre papa’â rappelant un tantinet la performance en tahitien de l’actuelle chanteuse
46
N° 284 • février 2000
métro Suzanne Boucart) d’exporter déjà nos airs exotiques d’autrefois
encore ronronnés lors de bringues sentimentales aujourd’hui (ex : Âuê !
te mamae e... et non pas ‘A-aue ! e mama e...).
Ainsi notre prote Laughlin (fils d’un ancien sportif-athlète Ra’i,
muto’i-vaguemestre chez le gouverneur), friand de boxe, deviendra
musicien-chanteur professionnel jusqu’à déborder de la Polynésie pour
aller promener «la suavité de sa voix parée de toutes les séductions du
diable» (pour parler avec le ton d’une exquise urbanité à la manière de
A.M.A...) en Europe. D’abord, sous le marrainage de Paulette Viénot en
1972 et l’introduction chez le célèbre producteur Eddy Barclay par le
truchement du directeur commercial Cyril Brillant issu de Pâ’ôfa’i. Plus
tard, avec l’admiration locale, en participant au grand concours de la
chanson française, remportée en compétition avec cinq concurrents,
grâce à son copain compositeur Jean-Claude Cara, pour représenter la
France avec la chanson écologique Humanahum au concours
d’Eurovision en Irlande en 1981 : un samedi 4 avril à Dublin suivi en
direct par nos spectateurs, où il fut coiffé in extremis par des chanteurs
étrangers lui laissant néanmoins une 3ème place mémorable (malgré
une voix grippée par le to’eto’e rahi). Ensuite il remporte le premier
prix au festival international de la chanson, en solfiant en français, à
Palma de Majorque aux Iles Baléares.
Le crooner Julio Iglesias étant devenu un visiteur habituel en catimini chez nous et ayant noué des liens d’amitié avec notre chanteur,
commercialement devenu John Gabilou et ainsi que nous l’appelons tous
désormais, ne chanteront-ils pas impromptu en duo un soir dans les
volutes pénombreuses du «dancing» Pitate (Entrée interdite aux moins
de 18 ans, sic), comme aussi au «pizzéria» Lou Pescadou, Gabilou donc
fait même figure de favori au festival international de la chanson à Vina
del Mar, au Chili (février 1983) avec une chanson d’Iglésias, où il est éliminé en demi-finale, toutefois après avoir été laudaté par le public chilien, en lots onctueux de consolation. Aux élections municipales de mars
1983, notre chanteur, également grand souteneur du phénomène sportif
de la pirogue (où excelle en particulier son fils Lewis, grand champion
rameur individuel et en équipe) dans le périmètre de Tefana-i-Ahura’i,
47
accède au Conseil Municipal de Fa’a’â sur la liste du Tâvini Huira’atira
menée par Oscar Temaru...
On se rappellera que Pape’ete aura reçu dans le passé des chanteurs en vacances ou en escale qui ne se sont pas produits devant le
public : Jean Sablon (1953), deux des Beatles : George Harrison et John
Lemon (mai 1964) ; en 1972 : Michel Polnareff, Gilbert Bécaud, Démis
Roussos ; Jacques Brel (1979), Pierre Perret, Petula Clark (juillet
1983)... Les oreilles tahitiennes ont pu toutefois apprécier, outre David
Alexander Winter au Matavai de Tîpaeru’i et à la MJC de Pîra’e, généralement à l’OPEL de Taunoa : Richard Anthony (novembre 1969), Dalida
(janvier 1970) ; en 1972 : Johnny Halliday (mars), Tino Rossi et Carlos
(avril), Joe Dassin (juin), Rika Zaraï, Jacques Dutronc (novembre) ; en
1973 : Salvatore Adamo et Sacha Distel (juin), et d’autres plus tard...
Durant cette époque, des chanteurs de Nouvelle-Zélande sont aussi
venus s’égosiller dans nos micros, tels Anthony Williams, Howard
Morrison, Tuitete, surtout John Rose à la voix fracassante type Tom Jones
(entendre Tania à la salle paroissiale de Fa’a’â sur invitation de Gabilou,
quelle jouissance auditive !...), Robin (longtemps en orchestre d’animation au Royal Pape’ete), après le séjour d’une époque inoubliable du
groupe Tony Chardo et son supersaxophoniste... en imbrication avec nos
musiciens chevronnés de la place... sans oublier les échanges de hit
parade entre chanteurs du Caillou arrangés par Roger Dosdane et
Gilbert Tong venant ici et nos rossignols allant en tournée en NouvelleCalédonie, quel temps d’un romantisme estompé ! Le poète Lamartine de
notre génération scolaire, avec son «Lac», s’épanchant ainsi dans un
fameux vers : «Le temps n’a point de rive, il coule et nous passons», risquerait d’invertir les verbes du second hémistiche de cet alexandrin s’il
descendait sur terre aujourd’hui en : «il passe et nous coulons»!...
Une petite pensée pour le charmeur de l’Eté indien : le 20 août
1980, Joe Dassin s’effondre au restaurant «Chez Michel et Eliane» (étage
au-dessus de l’actuel Rétro), terrassé par une crise cardiaque. Quant à
D.A. Winter, après le succès de sa chanson fétiche Oh Lady Mary en
1969, il est devenu businessman depuis à Boston.
Enfin, dernière allusion de mélomane, a été créée en avril 1986 par
Louis Tillet, alors Directeur du Conservatoire Artistique Territorial,
48
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l’association Musique En Polynésie que préside maintenant l’ancien
professeur Pierre Boixière, envisageant d’organiser annuellement des
manifestations musicales dont une catégorie d’auditeurs séjournant
longtemps ici éprouve un manque, de telles rencontres pouvant ainsi
favoriser la pénétration classique, au moment précisément où le
Conservatoire Artistique Territorial offre son concours de formation
musicale. Sans disposer vraiment de salle à acoustique idéale, des
concerts classiques vont pouvoir se faire connaître en public (kiosque,
jardins, certains établissements-cafés) ou en salle du Musée de
Puna’auia, dans le hall de l’Assemblée Territoriale, comme dans la nef
de la Cathédrale de Pape’ete... Amateurs sevrés, vous voilà renseignés,
vous pouvez écouter maintenant non seulement les super-artistes en
compact disc et en salle adéquate, mais aussi des virtuoses internationaux au naturel : concerto pour violon, alto, violoncelle, en duo, trio,
en quatuor ou ensembles à cordes, pour clarinette, piano, contrebasse,
clavecin, flûte traversière, flûte à bec ; concerts de musique de chambre
ou soirée de gala... Et tout ceci sans négliger la musique moderne par
de talentueux visiteurs... Nous avons connu localement, depuis le jazzband d’Alain Mottet arrivé en 1952, la musique de jazz, d’autres
ensembles étant sporadiquement venus par la suite (dont le groupe
Haricots Rouges de Maxime Saury en 1973 par exemple)... les multiples
innovations musicales, depuis le lointain phonographe aux appareils
sophistiqués des temps modernes après l’intrusion endiablée du rock
and roll venue secouer la langueur aïeule pour accentuer le trémoussement avivé par la sonorité des instruments si diversifiés... Cet afflux
musical a ainsi agi sur les formes d’expression musicienne, tantôt valorisant tantôt dénaturant la fibre locale, mais le folklore ainsi tarabusté
n’est pas, heureusement, resté figé ; et l’adaptation finit par s’affiner et
les instruments importés (guitare, ‘ukulele, accordéon...) ont tant
donné des plaisirs à nos pavillons auditifs, dont le tâ’iri pa’umotu et
des voix au timbre extraordinaire venues de nos îles éparpillées, avec la
confrontation des cousins raroto’a, que nous ne pouvons que saluer et
encourager nos artistes doués à cultiver l’adoucisseur des mœurs, dans
tous ses états, ainsi soit-il !
Vahanga R. Piétri
49
Post Scriptum et Errata
- au BSEO N° 271 de septembre 1996, p. 88 § ; l’habile artisan d’art
Bouvier s’étant enquis s’il y avait coquille dans l’expression de sa
“plume aussi habile que du stylo à bile (bille ?) ”, acteur et auteur
avons bien ri finalement : fautes d’impression ou d’imprimerie ?...
- au BSEO n° 276, p. 102 : le secrétariat de l’Académie Tahitienne
rectifie que c’est le 29 novembre 1978 que le Conseil de
Gouvernement de F. Sandford déclarera le tahitien langue officielle
comme le français dans le Territoire.
ERRATA aux fragments précédents :
- Au BSEO n° 256/257 p. 2 : parmi les grands arbres, il faut lire
badamiers (‘autera’a) et non bananiers.
- Au BSEO n° 265/266 p. 47 : ce n’est pas en 1985, mais dans la nuit
après un conseil municipal qu’un incendie a ravagé l’étage de
l’Ecole-Mairie le mercredi 18 janvier 1984.
50
Réflexions sur un audit
Madame le Ministre,
Mesdames et Messieurs les administrateurs,
Monsieur l’Inspecteur Général de l’administration du Territoire,
Monsieur le Trésorier des Etablissements publics,
Monsieur le Contrôleur des dépenses engagées,
Monsieur le Directeur,
Monsieur le Commissaire de gouvernement,
Mesdames,
Messieurs,
Jusqu’à une période récente1 le patrimoine de la Société des Etudes
océaniennes n’a pas posé de problème majeur et ses collections sont à
la disposition des pouvoirs publics et du public depuis de nombreuses
années sans que cela n’ait généré la moindre difficulté.
Aujourd’hui, le conseil d’administration de la Société des études
océaniennes a pris connaissance de l’audit relatif au Centre polynésien
des sciences humaines. Ses membres se sont longuement arrêtés sur les
développements qui lui sont réservés.
Notre Société, qui vient de fêter ses 80 ans, estime que les développements du rapport d’audit du Centre polynésien des sciences humaines
en ce qui la concerne sont de nature à porter atteinte à la notoriété et à
l’honorabilité dont elle jouit. Centre né du travail et de l’abnégation des
membres bénévoles de la Société qui n’ont jamais compté leur temps
pour faire avancer la cause culturelle du territoire.
1 Ce texte a été distribué aux membres du conseil d’administration du Centre polynésien des
sciences humaines le 15 octobre 1999.
Pourtant, le rapporteur avait pris soin de rencontrer, à leur initiative
et à plusieurs reprises, le président et le trésorier de la société. A ces occasions les arguments développés ci-dessous lui ont été soumis. Ils n’ont
malheureusement pas été retenus et justifient notre position aujourd’hui.
Les remarques touchent autant la forme que le fond.
Sur la forme
Notre première interrogation porte sur la méthodologie. Le dossier
détenu par la direction de la réglementation et du contrôle de la légalité
(DRCL) constitue quasiment le seul élément ayant servi de support de
réflexion concernant la S.E.O. Il s’agit en fait du “ registre des associations ” prévu par l’article 5 de la loi de 1901. Il est constitué des déclarations que la loi fait obligation de faire au gré des modifications dans
les organes directeurs ou les statuts.
Or le dossier de la S.E.O. est constitué pour partie des pièces réglementaires mais aussi d’une sorte de sous-dossier fait d’un mélange de
documents disparates qui, au regard de la loi de 1901, n’ont aucune
vocation à y figurer voici une première entorse quant à l’orthodoxie
administrative.
Mais il est aussi évident que ce sous-dossier est notoirement incomplet (n’y figure pas par exemple la convention de 1970 signée entre la
S.E.O. et le Gouverneur dont l’objet portait sur la gestion du futur musée
de Tahiti, ayant pourtant été enregistrée auprès du service des domaines
ou encore le testament de mademoiselle Auffray). Ce sous-dossier ne
peut servir à étayer un raisonnement juridique indiscutable.
Il faut aussi écarter deux erreurs, l’une factuelle et l’autre juridique.
•Page 22 paragraphe 8 du rapport, il est fait état d’une modification
des statuts de la S.E.O. voulue par l’assemblée générale du 6 décembre
1994 qui n’a pas fait l’objet des déclarations légales. Pourtant par lettre
n° 462 MFR/AA du premier mars 1995, l’administration accuse réception de la déclaration de modification des statuts de la S.E.O. opérée fin
1994.
52
N° 284 • février 2000
•Page 21, il est largement fait état d’un dossier constitué par les services du gouverneur relatif à la S.E.O. au musée de Papeete ( ici appelé
musée des E.F.O.). Ce “ dossier ” est constitué de trois pièces : un projet
d’arrêté, un projet de lettre et un rapport de présentation.
L’essentiel réside dans le fait que les projets d’actes, seuls susceptibles de créer des droits ou obligations, n’ont pas été signés. On peut
aussi constater qu’un papillon y est attaché sur lequel figure la mention
manuscrite en rouge “ PROJETS SUPPRIMES ”. La volonté de l’autorité
normative ne souffre pas l’ambiguïté, en 1948 le gouverneur a voulu
censurer le raisonnement de monsieur Haumant, secrétaire général,
signataire du rapport de présentation.
Ces actes sont juridiquement inexistant et ne peuvent non plus servir de support au raisonnement juridique.
Ceci reste encore plus évident lorsqu’il s’agit du rapport de présentation que l’on doit déjà utiliser avec le plus grand discernement dans le
cas d’un acte signé.
Ainsi, dans le cadre d’un stricte débat juridique, la totalité de la
page 21 à partir du membre de phrase “ En 1948...... ” doit être considéré comme n’existant pas.
A titre incident il faut préciser que le dispositif législatif et réglementaire de la loi de 1901 a été promulgué sur le Territoire en 1946 privant le gouverneur de son pouvoir de contrôle et d’agrément préalable
sur les associations à compter de cette date. Le nouveau dispositif instaure un régime de liberté qui s’oppose au régime de police connu
jusque-là. Il ne dispose plus d’aucun pouvoir pour s’immiscer dans la
vie des associations en général et de notre Société en particulier.
Sur le fond
Les développements concernant la S.E.O. se circonscrivent exclusivement à son patrimoine et s’articulent autour de trois axiomes.
Ils sont présentés de la façon suivante : le premier, élément maître,
constitue le pivot (1) puis deux autres(2a, 2b), subsidiaires, pour le cas
où il ne trouverait pas à prospérer :
1 - ) Ainsi, l’association ne peut être propriétaire puisque les dons
sont faits au profit du musée de Papeete.
53
2 - a) Puis, l’association ne dispose pas de la personnalité morale
et ne peut donc posséder.
2 - b) Enfin, l’association se trouve juridiquement incapable de
recevoir à titre gratuit.
Le rapport indique page 22 paragraphe 2, que des flottements se
font jour en ce qui concerne la collection Hélène Auffray. L’utilisation du
terme musée de Papeete représenté par la Société des études océaniennes confirmerait bien que le don n’a pas été fait à la S.E.O. mais a
une autre entité qui serait : le musée de Papeete.
Aucun acte n’a jamais créé le musée de Papeete (ou musée des
E.F.O. ou encore musée de la colonie). Il ne s’agit que d’une dénomination, une enseigne en quelque sorte. Le musée de Papeete est l’enseigne
de la S.E.O. Il est patent que l’utilisation du vocable “ musée de Papeete ”
dans l’esprit de ceux qui l’utilisent, désigne la S.E.O.
D’ailleurs le professeur Vérin a fait don au “ musée de Papeete ”
d’un certain nombre d’objets. Questionné récemment sur le point de
savoir qui il pensait gratifier, c’est sans ambiguïté qu’il a fait savoir qu’il
s’agissait de la S.E.O. Il a d’ailleurs pris soin d’en informer le conservateur fin 1997.
Aucun acte n’a créé le musée de Papeete.
En ce qui concerne la collection Auffray donnée au musée de
Papeete par testament en 1972 (testament daté de 1965), le Territoire a
réclamé et perçu les droits liés à cette mutation auprès de la S.E.O. pour
un montant de 370.000 Cfp. Qui d’autre que le propriétaire s’acquitte de
cet impôt ?
Cet acte a fait l’objet d’un contrôle par le conservateur des hypothèques qui s’assure notamment de la régularité de l’opération au regard
des textes applicables, ceci sous le contrôle du gouverneur alors chef de
territoire et soucieux du devenir des collections de la S.E.O. comme cela
a été démontré. L’administration n’a pas cru bon devoir opposer à l’association une quelconque incapacité juridique qui l’affecterait.
Il n’aura pas échappé que la succession de mademoiselle Aufray
portait sur divers biens, tant mobilier qu’immobilier.
54
N° 284 • février 2000
Le règlement de cette succession a nécessité l’intervention d’un
notaire. Qui mieux que ce professionnel connaît le droit applicable en
matière successorale et les incapacités nées de situations juridiques spécifiques ? Comment aurait-il pu ignorer les dispositions du texte régissant les associations, texte majeur du droit français ?
Au delà de l’aspect juridique, nos membres, notamment les plus
empreints de sagesse, s’interrogent sur ce qui motive 30 ans après, cette
remise en cause du legs de Mlle Auffray.
Page 22 dernier paragraphe, la S.E.O. ne pourrait rien posséder
pour les motifs suivants : d’abord de 1917 à 1950, la S.E.O. n’a pas la
personnalité morale. Seules les personnes peuvent posséder, par conséquent la S.E.O. n’a pu valablement acquérir à titre gratuit ou à titre onéreux ; ensuite a partir de 1950 (date à laquelle la S.E.O. bascule dans le
cadre de la loi de 1901), cette loi fait interdiction, aux associations, de
recevoir des dons et legs.S.E.O. n’a donc pu valablement accepter les
legs qui lui ont été faits. Examinons tour à tour ces deux affirmations.
Au premier argument, il peut être avancé que la loi du 10 avril 1834
relative aux associations a été promulguée en Polynésie en 1874. Ces
associations disposent de la personnalité morale mais leur constitution
relève de procédures différentes de la simple déclaration prévue par la
loi de 1901.
Une lettre n° 2065 APA du 9 juin 1948 (date à peine lisible) contenue dans le dossier de la D.R.C.L., cite clairement dans son premier
paragraphe, une partie des textes fondateurs de notre association. Il
s’agit notamment des articles 291 et suivants du code pénal. Ce document a été porté à la connaissance du rapporteur en attirant son attention sur le dispositif du code pénal intéressant les associations. Une
recherche à peine plus poussée auprès du Service des archives aurait
permis de “ redécouvrir ” la loi du 10 avril 1834 déjà citée (voir aussi
Recueil des textes promulgués de 1843 à 1992 édités par l’Imprimerie
officielle). Certes, il n’est pas aisé de disposer du texte dans sa version
promulguée dans les Etablissement français de l’Océanie, compte tenu
notamment des techniques de promulgation usitée à cette époque.
55
Mais l’administration dispose des moyens suffisants pour obtenir, dans
des délais raisonnables, ce type de documents d’autant que l’audit s’est
déroulé sur une période d’une année.
Ainsi, on ne comprend pas ce qui pousse le rapporteur à écrire :
“ Ce groupement dit S.E.O. fondé par le gouverneur n’a à priori du point
de vue statutaire aucune personnalité morale ”. Certes, il est rajouté
“ Mais ceci demanderait une vérification approfondie par rapport aux
anciens textes applicables sur le territoire ”. Comment prendre une
position si tranchée dans un premier temps lorsque l’on concède dans
un second une ignorance totale des textes applicables ?
Pour le second argument relatif à l’incapacité de recevoir, quand
bien même devrait-il prospérer, il convient de faire deux objections :
1 - ) la jurisprudence s’est faite extrêmement souple concernant les
biens mobiliers. Les développements contenus dans le “Lamy association” relatif aux dons et legs est à ce titre extrêmement éclairant.
La S.E.O. a exclusivement reçu des biens meubles.
2 - ) la S.E.O. peut aussi être propriétaire par le truchement de la
prescription acquisitive dans les conditions prévues au titre XX du code
civil. Nous sommes face à une possession paisible et de bonne foi dépassant largement les trente ans pour la quasi totalité des collections.
La Société des Etudes océaniennes dispose de la personnalité
morale comme en attestent les textes. D’ailleurs, l’article 5 de l’arrêté
fondateur de 1917 prévoit que l’administration mettra à la disposition de
la société les locaux et le matériel nécessaire à “ la conservation en lieu
sûr de ses archives, ouvrages de bibliothèque, collections, etc. ”.
L’utilisation d’un processif prouve que l’entité ainsi créée dispose
d’un patrimoine qui, en droit, constitue l’un des attributs de la personnalité morale.
56
N° 284 • février 2000
En conclusion
La S.E.O. est seule à être mise en cause alors même que d’autres
personnes morales de même nature font partie comme elle du conseil
d’administration du C.P.S.H. et sont dans une situation juridique en tout
points identiques.
Ainsi, il n’y a pas d’interrogation relative :
•à la personnalité morale de Tenete
•sur sa capacité à recevoir des dons et legs
•pas plus que sur le fait qu’elle ait ou non satisfait aux exigences
prescrites par la loi de juillet 1901.
La date du 2 octobre 1996 marque le début de la tourmente en ce
qui concerne la remise en cause de la propriété de la S.E.O. sur ses collections. Il était notamment signifié à notre Société, au gré d’une visite
en ses murs faite sur invitation du bureau, que l’administration envisageait de s’approprier les collections de la S.E.O. Il était encore envisagé
de mettre à la disposition de l’Office territorial d’action culturelle la collection de livres rares et uniques de notre association en prêt public.
D’autres événements révèlent aussi la grande difficulté pour les responsables du C.P.S.H. à définir la place de notre société au sein de l’établissement. Nous en trouvons l’illustration dans la page “culture” du
numéro de mai 1998 du mensuel Te Fenua et consacrée au centre
“Te Ana Vaha Rau”. L’article a trait à la sauvegarde du patrimoine
archéologique polynésien donc aux collections d’objets existants, il est
regrettable que la S.E.O. ait été oubliée.
Ces éléments laissent à penser qu’il y aurait une volonté de “ tourner la page Société des études océaniennes ”. Le rapport d’audit page
23, ne conclut-il pas : “ D’ailleurs, n’eût été le poids du passé, la cession
par la S.E.O. au territoire de toutes collections, de manière inaliénable
et imprescriptible, résoudrait définitivement le problème… ”.
L’assemblée générale de la Société ne fait pas sienne cette proposition. Il convient d’ailleurs, de rappeler la prophétique motion votée il y
a deux ans à l’unanimité par l’assemblée générale du 22 mai 1998,
publiée dans le numéro 278 d’octobre 1998 du B.S.E.O. et reproduit
57
ci-après : “ L’AG de la S.E.O confirme une fois de plus son attachement au
patrimoine qui a été confié à la société et mandate le bureau pour veiller
fermement à ce que ses droits de propriété soient reconnus et respectés ”.
Mais déposséder la Société ne fera pas pour autant tomber ses
collections dans le patrimoine du musée de Tahiti et des îles ou du
Territoire. Si les dons, legs ou donations venaient a être annulés il serait
alors fait application des règles de dévolution successorales du code
civil.
Les pouvoirs publics doivent aujourd’hui clairement faire connaître
leur position en ce qui concerne les collections de la Société des études
océaniennes. Il convient de mettre un terme aux critiques et contestations. Cette situation ne peut que porter atteinte à la notoriété et l’honorabilité dont jouit la S.E.O depuis sa création, comme l’atteste une lettre
datée du 14 mars 1917 du président de la République française, accordant “ son haut patronage à la Société des études océaniennes ”.
Ce contentieux doit être purgé au plus tôt.
Pour ce qui concerne les collections du C.P.S.H, la S.E.O souhaite :
•que soit réalisé au plus tôt le catalogue attendu depuis maintenant plus de 10 années.
•qu’il y soit fait mention de la propriété des objets.
•qu’il soit dorénavant fait obligation aux opérateurs qui exploitent
l’image de collections provenant du musée de Tahiti et des îles,
de mentionner la collection dont est issu l’objet concerné dans
le cadre de demandes conformes aux usages en la matière.
•que soient signées des conventions de dépôt entre la S.E.O. et
le C.P.S.H.
Pour les membres du bureau de la S.E.O.,
le trésorier, responsable du Patrimoine
Philippe Machenaud
58
N° 284 • février 2000
COMPTE RENDU
ELIANE GANDIN :
Le Voyage dans le Pacifique de Bougainville à Giraudoux,
l’Harmattan, Paris 1998.
L’auteur de cette étude, Eliane Gandin, a enseigné les lettres classiques au lycée
Paul Gauguin dans les années quatre-vingts ; nous étions tous deux intervenants au
centre Universitaire de Pirae (Université de Montpellier III) à l’époque (1986-1989)
où l’implantation d’un enseignement universitaire à Tahiti créait, auprès de ses pionniers, un enthousiasme et une convivialité qui furent rapidement déçus dès la structuration de l’université locale.
Eliane Gandin définit la problématique dominante de son étude : il s’agit d’une
“interrogation sur les facteurs de la transformation d’un espace géographique... en
un espace littéraire aux dimensions mythiques”. Elle va ainsi interpeller successivement les œuvres de Louis-Antoine de Bougainville, Denis Diderot, Jules Verne, Pierre
Loti, Victor Segalen et Jean Giraudoux. Et de conclure que non seulement “le
Pacifique, du mythe fondateur à sa subversion ne cesse d’engendrer une floraison
littéraire” mais qu’un “voyage dans le Pacifique est toujours un voyage en littérature”.
Ce travail présente trois atouts de taille ; d’une part la recherche bibliographique française sur laquelle s’appuient les analyses est très solide, d’autre part l’auteur maîtrise parfaitement et avec bonheur les technique d’analyse de textes ce qui
donne à son récit cohérence, clarté et profondeur. Elle saisit parfaitement l’important
de l’accessoire et nous conduit en quelques pages à l’essentiel. Enfin le livre est bien
écrit, la lecture en est donc agréable.
Toutefois - et je m’exprime là en tant que connaisseur du sujet - cette étude
souffre de quelques défauts. D’abord son titre : il s’agit moins d’un “Voyage dans le
Pacifique de Bougainville à Giraudoux” que d’une analyse synthétique de quelques
productions littéraires inspirées par la Polynésie à la suite d’un voyage réel ou fictif.
Le titre annonce un espace et un corpus incomplètement abordés. Le sujet serait
d’ailleurs intraitable autrement que dans le cadre d’une recherche encyclopédique et
interdisciplinaire. Deuxièmement l’auteur n’utilise point son expérience personnelle
(6 ans en Polynésie) dans l’appréhension et le traitement du phénomène littéraire
polynésien ; elle s’en tient à l’analyse textuelle, il manque donc l’apport d’un vécu qui
rendrait plus humaine et nuancée la démarche du critique. Troisièmement, elle
méconnaît la production livresque et critique locale (notamment les études parues
depuis trois quarts de siècle dans le Bulletin de la S.E.O.).
En conclusion, ce “Voyage dans le Pacifique de Bougainville à Giraudoux” est
un travail intéressant, mais venant peut-être un peu tardivement, dans la mesure où
des études plus complètes ont déjà été menées sur chacun des auteurs traités. Quant
à la mise en série des œuvres travaillées par Eliane Gandin, elle ne bouleverse pas
substantiellement la perception que l’on a du phénomène littéraire océanien. Elle le
conforte.
D. Margueron
59
COMPTE RENDU
Les îles Marquises. Archipel de mémoire
Ouvrage collectif dirigé par Eve SIVADJIAN Paris,
Autrement, H.S. n° 116, 232 pp.
Qui ne connaît aujourd’hui, de nom tout au moins, les îles Marquises ? Grâce,
notamment à Jacques Brel, ce lointain archipel polynésien semble familier à bien des
Européens. Or, les Marquises ne sont pas Tahiti ou les îles Sous-le-Vent. Terres violentes, brutales parfois, difficiles d’accès, tant matériellement que spirituellement,
les Marquises ne se livrent pas au premier abord. Aussi, le grand mérite de l’ouvrage
conçu et dirigé par Eve Sivadjian est-il d’aller au-delà des clichés, de se débarrasser
de tout exotisme et de pénétrer les îles Marquises dans leur réalité, loin des images
d’Epinal, loin des cartes postales à usage des touristes pressés ou superficiels.
L’autre atout de cet ouvrage est d’avoir été conçu par des auteurs qui connaissent
parfaitement, et le terrain – Jean-Louis Candelot et Patrick Chastel résident aux
Marquises, Marie-Noëlle et Pierre Ottino-Garanger y sont installés pour leurs
recherches depuis des années - et les sujets qu’ils traitent : Paule Laudon, Michel
Bailleul ou Jean-Marc Régnault sont des spécialistes reconnus de leurs domaines
respectifs : la peinture et l’histoire de la Polynésie française. Quant à Eve Sivadjian,
coordinatrice de ce numéro, ses reportages ethno-culturels et ses livres témoignent
du sérieux qu’elle apporte à chaque publication.
Les îles Marquises Archipel de mémoire qui a bénéficié du soutien du
Secrétariat à l’Outre-Mer se divise en trois parties intitulées : “ La vie immédiate ”,
“ Paysage d’une culture avant cataclysme ” et “ Le choc des mondes ”.
Dans la première partie, Eve Sivadjian établit un état des lieux et répond à la
question : quelle est la situation actuelle de cet archipel ? Elle dresse le bilan des difficultés de ces îles – problème des voies de communication, de cherté de la vie, de
scolarisation, de dépeuplement dans certaines vallées - mais elle met aussi en
exergue les atouts des Marquises : la recherche d’un développement soucieux à la
fois des traditions – qui, pour beaucoup, sont encore à redécouvrir - et des richesses
tant culturelles que naturelles du pays. Enfin, elle souligne très bien la volonté qui
anime les femmes marquisiennes, volonté de s’en sortir, de donner à leurs enfants
une éducation et une instruction propres à les préparer aux défis du monde de
demain.
La deuxième partie se compose d’un article de Jean-Louis Candelot qui part à
la recherche des Marquisiens d’autrefois, texte très dense qui permet de comprendre
leur cosmogonie et les relations que ceux-ci entretenaient avec leurs dieux ou avec
la mort.
L’article de Marie-Noëlle et Pierre Ottino-Garanger, deux chercheurs que l’on
connaît bien en Polynésie française1, est axé sur la découverte ethnologique des
anciens Marquisiens : leur habitat, leur structure sociale, les lieux sacrés, l’art du
tressage et de la sculpture…
1 Ils ont publié, à la fin de l’année 1998, un très beau livre consacré à l’art du tatouage aux îles
Marquises : Te Patu Tiki (vol. 1), Papeete, Ch. Gleizal éditeur.
60
N° 284 • février 2000
La troisième et dernière partie aborde l’époque des contacts et de la colonisation. Michel Bailleul, dans un texte très documenté intitulé “ L’Etat, l’Eglise et l’archipel ” retrace l’histoire, souvent conflictuelle entre ces trois composantes. Il explique
également, de manière pertinente, comment, à la phase de déculturation – disparition de la langue marquisienne sous la pression de l’école française, interdiction des
chants, des danses - succède depuis le début des années 70 une quête identitaire,
recherche qui ne va pas sans quelques oppositions, nombre de Marquisiens ne souhaitant pas voir resurgir un passé symbolisé en particulier par les pratiques cannibales.
L’article de Patrick Chastel passe en revue tous les écrivains et poètes qui, de
Hermann Melville à Jacques Brel en passant par Stevenson ou Segalen, ont été
séduit par “ l’escale du mythe ”.
Paule Laudon revient sur les traces de Koke, nom que donnaient les
Marquisiens à Paul Gauguin, et rappelle le combat du peintre pour défendre ce
peuple dont il se sentait faire partie. Elle souligne à propos la capacité de Gauguin à
pénétrer le sens du sacré des Marquisiens et à comprendre la beauté, la grandeur et
le mystère de ce peuple.
Enfin, Jean-Marc Régnault s’attache à démontrer qu’il faut prendre avec beaucoup de précautions l’idée fort répandue selon laquelle les Marquisiens souhaiteraient se détacher de Tahiti et se rapprocher de la France, par le biais de la départementalisation par exemple. Par l’examen minutieux des résultats de différentes élections depuis 1945, l’historien montre en fait la complexité des relations entre les
Marquises et Tahiti d’une part, et entre les Marquises et la France, d’autre part.
De part la qualité des textes qui sont toujours d’une lecture tout à fait accessible au grand public, de par l’intérêt du sujet lui-même, Les îles Marquises Archipel
de mémoire est un ouvrage qui mérite de figurer dans la bibliothèque de tout honnête homme.
M. Aït-Aarab
M GR T EPANO J AUSSEN
M G R I.-R. D O R D I L L O N
DICTIONNAIRE
GRAMMAIRE
DE LA
LA
DE
LANGUE TAHITIENNE
TAHITIENNE
LANGUE
DICTIONNAIRE
ET
DE LA LANGUE
DES ILES MARQUISES
1904
SOCIÉTÉ
DES
ETUDES OCÉANIENNES
SOCIÉTÉ
DES
ETUDES OCÉANIENNES
TAHITI
1 9 9 9
Publié avec le concours du Ministère de la Culture de la Polynésie française
61
COMPTE RENDU
Regards. Une vie polynésienne
par Jean-Claude LAMA Papeete, éditions “ Au Vent des îles ”, 1999, 216 pp.
Les premières pages, pour ne pas dire les premiers chapitres du récit de JeanClaude Lama, donnent un sentiment de déjà lu. Les clichés abondent, comme dans
n’importe quel roman colonial, Tahiti, reine des îles des mers du Sud, baignant dans
son lagon tout écumant par la blancheur des vagues qui se brisaient sur le récif barrière, dévoilait son corps raviné, ses monts en pain de sucre et ses sommets phalliques qui montaient à l’assaut des nues1. Les portraits se complaisent à mettre en
relief la sensualité des personnages féminins, Maïté, une superbe métisse chinoise
polynésienne […] sanglée dans un petit short raz des fesses mettant en valeur ses
longues jambes bronzées, dotée d’une belle poitrine des plus généreuses ; […] cette
fille pulpeuse qui énervait les sens des hommes. [Céline avait] un visage typiquement polynésien, […] une bouche charnue et pulpeuse. Hinatea, aguicheuse, provocante, […] fille rieuse et énergique, aux formes pulpeuses et ardente amoureuse.2
Les descriptions se résument à des énumérations d’adjectifs qualificatifs :
cocotiers ondoyants, belle vallée, végétation vivace et luxuriante mille fois utilisés ;
les termes appartenant au lexique tahitien fourmillent, souvent accompagnés d’une
traduction, démontrant ainsi que c’est bien à un lecteur métropolitain ignorant des
réalités polynésiennes que s’adresse le texte.
Heureusement, l’auteur, même s’il cède ici et là à de telles facilités stylistiques,
est un authentique raconteur d’histoire(s). Son héros, Jean, dont on devine aisément
qu’il ressemble comme deux gouttes d’eau à Jean-Claude Lama - un pseudonyme,
pour un écrivain vivant toujours à Tahiti - va vivre deux décennies qui ont profondément bouleversé la vie des ces îles. Le roman s’ouvre au moment de l’installation, en
Polynésie française, du Centre d’Expérimentations du Pacifique (1962-1963) et se
clôt sur le saccage de Papeete par des manifestants (1987 ou 1995 ?). Le héros est
donc le témoin attentif des métamorphoses de la société polynésienne, témoin engagé également de par son mariage avec une jeune Marquisienne, Céline, qui lui donnera une petite fille prénommée Linda.
Les deux voyages qu’effectue le personnage principal aux îles Marquises
jouent un rôle clé dans le roman dans la mesure où ils agissent comme des révélateurs de la réalité polynésienne. Le premier séjour qui permet à Céline de présenter son époux popa’a aux membres de sa famille, et notamment à sa mère, est
placé sous le signe de la vie puisqu’il précède la naissance de Linda. Jean, bien
qu’encore sous le charme des îles, devine cependant que sous des abords
aimables et charmants se dissimule un monde excessif, sans nuances, d’une violence et d’une férocité qui vous laissait perplexe3. Le second voyage, par contre,
est marqué par la mort : quelques jours après leur séjour à Nuku-Hiva, Jean et sa
1 Jean-Claude Lama, Regards. Une vie polynésienne, Papeete, éditions “ Au vent des îles ”,
1999, p.38.
2 Idem, pp. 8, 18, 41 et 44. Souligné par nous.
3 Idem, p. 74.
62
N° 284 • février 2000
compagne apprennent la disparition de la mère de Céline. Et c’est dans ce chapitre
huit que le roman prend une autre tonalité, véhémente et dénonciatrice. Les envolées lyriques sur la beauté des femmes tahitiennes et les paysages de cartes postales laissent la place à un constat pessimiste et désabusé. Le voile se déchire
découvrant une réalité effrayante :
Les hommes ivres, bavant, ne tenant plus debout, les sens fouettés pour des
viols abrupts, leurs violences survoltées, au milieu de femmes et d’enfants pleurnichant qui se sauvaient dans tous les sens et qui, eux-mêmes, en grandissant reproduisaient le même modèle, le seul qu’ils avaient connu.4
Dès lors, rien n’échappe au regard aigu et sans complaisance du narrateur : ni
l’école qui vomit des graines de petits hommes aux regards terribles de haine5, ni les
hommes politiques, piètres personnages qui, dans des volte-face de girouette,
s’unissaient dans des alliances opportunistes de circonstance6, ni l’élite métisse fascinée par une sous-culture américaine de la côte Ouest des Etats-Unis7.
Dans ce tableau d’une noirceur désespérante, le narrateur, et avec lui le lecteur,
trouve néanmoins des motifs d’espoir et d’optimisme. Deux personnages, de par
leurs qualités morales et leur humanité, émergent, gardant, tout au long du roman,
dignité et grandeur d’âme, deux personnages féminins d’ailleurs : Grand-mère
Louise, tout d’abord, qui joue, à l’adresse de Jean, le rôle d’initiatrice en lui dévoilant
les trésors de la culture et de la tradition polynésiennes ; la mère de Céline, d’autre
part, une petite vieille encore énergique, toujours affairée8 au visage sans cesse éclairé par un sourire angélique.
Le message de Jean-Claude Lama est clair : la femme (polynésienne) est plus
que jamais l’avenir de l’homme (polynésien) : qu’ils appartiennent à la génération
précédente – Grand-mère Louise, la mère de Céline - ou à la génération actuelle Marie, Linda - les personnages féminins ont une force intérieure qui les place à cent
coudées au-dessus des hommes, veules, brutaux et cyniques. Les dernières lignes
du roman sont, à cet égard, lourdes de significations :
Linda, calme et apaisée, abordait sa vie de jeune et belle femme, sûre d’ellemême, de cette assurance sereine des personnes qui ont affronté et surmonté les
épreuves de la vie au travers des orages qui faillirent les faire vaciller.
Beau et solide rejeton que Jean avait planté en terre polynésienne.9
M. Aït-Aarab
4 Idem, p. 104.
5 Idem, pp. 114-115.
6 Idem, p. 154.
7 Idem, pp. 214-215.
8 Idem, p. 100.
9 Idem, p. 216.
63
PUBLICATIONS
DE LA SOCIETE
DES ETUDES OCEANIENNES
Prix réservés aux membres
En vente au siège de la Société, aux Archives Territoriales.
•Dictionnaire de la langue marquisienne
par I.R. Dordillon (édition de 1904)
•Dictionnaire de la langue tahitienne,
par Tepano Jaussen (9ème édition)
•Catalogue des titres parus aux Bulletins de la S.E.O.
1917 - 1997
1.500 FCP
1.500 FCP
1.500 FCP
•Etat de la société tahitienne à l'arrivée des Européens,
par Edmond de Bovis
1.000 FCP
•Journal de James Morrison, second maître à bord de la Bounty,
traduit par Bertrand Jaunez
1.500 FCP
•Les cyclones en Polynésie française (1878-1906),
par Raoul Teissier
1.000 FCP
•Chefs et notables des Etablissements français d'Océanie
au temps du Protectorat (1842-1880),
par Raoul Teissier
1.000 FCP
•Colons français en Polynésie orientale,
par P.-Y. Toullelan
1.000 FCP
•Les Etablissements français d'Océanie en 1885
(numéro spécial 1885-1985)
1.500 FCP
•Moruroa, aperçu historique 1767-1964,
par Christian Beslu
1.000 FCP
•Généalogies commentées des arii des îles de la Société,
par Mai'arii
1.000 FCP
•Tahiti au temps de la reine Pomare,
par P. O'Reilly
1.500 FCP
•Mémoires de Marau Taaroa,
par Takau Pomare
1.500 FCP
•Tahiti 40,
par Emile de Curton
1.000 FCP
•Archéologie des Nouvelles-Hébrides,
par José Garanger
3.000 FCP
•Alexandre Salmon et sa femme Ariitaimai,
par Ernest Salmon
1.500 FCP
•Collection des numéros disponibles des Bulletins de la S.E.O. : 200.000 FCP
ISSN 0373-8957
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 284