B98735210105_271.pdf
- Texte
-
Bulletin
Etudes
Océaniennes
Société
des Etudes océaniennes
&
fondée le 1er
janvier 1917
Service des Archives territoriales
vallée de
Tipaerui
B.P.110
Papeete - Tahiti
Polynésie française
tél. (689) 41 96 03
Banque Westpac : 01 20 22 T 21
—
C.C.P. : 834-85-08 Papeete
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Robert KOENIG
Président
Mlle
Vice-Présidente
Secrétaire
Secrétaire-adjoint
Trésorier
Trésorier-adjoint
M.
Jeanine LAGUESSE
Raymond PIETRI
M. Yvonnic ALLAIN
M.
M.
Philippe MACHENAUD
Jimmy LY
ASSESSEURS
Mme Louise PELTZER
M.
Mme Annie SAVOIE
M. Christian BESLU
Mme V. MU-LIEPMANN
M. Michel BAILLEUL
Membre
Guy SUE
correspondant près la Société des Océanistes
Bernard SALVAT
MEMBRE D'HONNEUR
M. Bertrand
JAUNEZ
[gis
Société des
Études Océaniennes
BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES
ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N° 271 Septembre 1996
SOMMAIRE:
Samuel H. ELBERT:
-
Les deux frères
qui allèrent aux enfers (Havai'i)
p. 2
Henri LAVONDES:
-
Deux récits & textes
p. 13
marquisiens
A'atoua Germain Valentin: Tekao
...
p. 17
Flora DEVATINE:
-
Y a-t-il
une
littérature ma'ohi ?
p. 24
Edouard AHNNE:
-
De
l'emploi des adjectifs et pronoms possessifs
p. 39
Hervé AUDRAN:
-
2 tableaux: Jours de lune et Numérotation
p. 44
Alexandre DROLLET:
-
De
l'emploi des possessifs dans la langue tahitienne p.
47
Louise PELTZER:
-
La
p. 51
négation en tahitien
Kate RILEY:
-
Langue perdue ou gardée aux îles Marquises
p. 58
Henri VERNIER:
-
I nia i te mou'a, sur
la montagne
p. 68
Daniel MARGUERON:
-
Une
parole de proximité
p. 70
Annick LOMBARDINI:
Missions
évangéliques de Paris 1863-1923:
langues dans une politique d'assimilation
Raymond PIETRI:
Pape'ete de jadis et naguères
-
rôle des
-
Société des
Études Océaniennes
p. 80
p. 85
Jft/s/fr/tsi' r/r
igjjr
(SA/s/aï fîréftsitWistr£
.K/rr^/'/r
ALLERENT
LES DEUX FRERES QUI
AUX ENFERS
[HAVAI'I]
Il y a bien longtemps, deux frères appelés
ensemble à Atuona. Chacun d'entre eux était le chef
faisaient tout
Feke'e, avait
ce
une
qu'on leur
femme.
Feke'e et Tea'a vivaient
de quarante hommes qui
demandait de faire. Un seul des deux frères,
nageait dans la baie d'Atuona, et l'aîné
dans sa pirogue quelques-uns de ses
hommes et partit à la poursuite du monstre, mais, alors qu'il était sur le point
de lancer son harpon, la bête baissa la tête et plongea dans les profondeurs de
Il y avait une grosse tortue qui
des deux frères voulut la tuer. Il prit
l'océan.
plongeon soudain de la tortue était le signe de
précis elle était en train de coucher
avec quelqu'un, sans aucun doute son frère cadet qui n'avait pas de femme à
lui. Même aujourd'hui, aux Marquises, un homme qui ne prend pas de
poisson n'accuse ni les éléments, ni sa propre maladresse, mais est persuadé
que c'est sa femme qui est infidèle. Maigre consolation !
Le lendemain, la tortue vint près du rivage pour tenter le frère. De
nouveau, il prit sa pirogue et poursuivit la bête, de nouveau elle baissa la tête
et plongea dans les profondeurs juste avant qu'il ne la frappe. Le jour suivant
Le frère savait que ce
l'infidélité de
encore,
sa
femme, qu'à ce moment
il subit la même épreuve.
quatrième jour, quand la tortue vint, le frère aîné appela son cadet
auprès de lui. "Si tu veux avoir ma femme, dit-il, prends-la maintenant, pour
que ma pêche ne soit pas gâchée. Il est tapu de prendre la femme d'autrui
quand il est à la pêche." "Non, dit le cadet, je n'ai pas envie de ta femme
Le
maintenant."
prit sa pirogue, mais comme il était sur le point de
projeter son harpon sur la tortue, elle disparut sous les vagues. En proie au
découragement, l'homme pagaya vers le rivage. Il mit sa pirogue à l'ombre, là
où les rayons du soleil ne risqueraient pas de l'abîmer, et détacha le balancier.
Il en avait fini avec sa pêche. Il retourna chez lui en portant le balancier sous
Le frère aîné
son
bras.
temps, le cadet était allé chez sa belle-sœur. Ils étaient encore
quand la mère vit l'époux légitime revenir. "Vite ! dit-elle, vite !
Lève-toi ! Lève-toi ! Voici qu'arrive ton frère !" L'homme et la femme étaient
trop occupés à leurs jeux pour prendre garde aux paroles de la vieille femme
Entre
ensemble
et ils firent la sourde
oreille à
ses
avertissements.
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Études Océaniennes
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Le frère aîné
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Septembre 1996
rapprocha de la maison. Il marchait vite, portant sous
pirogue.
"Lève-toi, dit la vieille épouvantée, lève-toi ! Ton frère est tout près."
Le couple était encore trop plongé dans ses jeux pour faire attention à elle.
"Vite, dit la vieille, cette fois en criant, ton frère est sur le paepae ! Vite ! Lèvese
bras le balancier de
son
sa
toi !"
Elle faisait un tel tapage que le frère cadet finit par s'arracher des bras
de la femme, et, sans prendre le temps de lever la tête, il se précipita tête
baissée vers la porte. Juste à ce moment, son frère entrait avec le balancier
le bras. Le
jeune homme, dans la panique de sa sortie précipitée vers le
regardait pas où il allait, et tandis qu'il courait aussi vite qu'il
pouvait, sa tête heurta le balancier. Il s'infligea une terrible blessure, du sang
rouge se répandit. Il tomba sur le sol, poussant des cris perçants et versant des
larmes de douleur. "Es-tu en train d'essayer de me tuer ?" demanda-t-il,
furieux, à son frère. "Non, répondit son aîné, je ne t'avais pas vu. J'étais
simplement en train de rapporter le balancier à la maison. Ce n'est plus la
peine d'essayer de pêcher maintenant."
sous
salut,
ne
Le blessé
se
tourna alors vers sa mère et
lui demanda comment il
guérir de sa grave blessure. Celle-ci pansa sa tête avec des feuilles
fau et lui parla en ces termes : "Ce pansement n'est que
provisoire. Le seul homme capable de te guérir est un aveugle qui vit solitaire
pourrait
se
et de l'écorce de
dans
une
caverne,
loin
vers
l'intérieur des terres, tout
Tuonono. C'est ton oncle. Son
nom
au
fond de la vallée de
est Tuna Hakaoho. Il
vous
faut aller
auprès de lui et l'emmener pour qu'il vous conduise dans son pays de Havai'i,
alors tu seras un homme guéri."
La vieille femme désignait l'aveugle du terme polynésien de matapo,
qui signifie "œil de nuit" ; et pour les Polynésiens la nuit est une chose
redoutable et terrifiante.
"Mais comment
l'ai
au
ferai-je
pour trouver ce
matapo, dit le frère cadet, je ne
vu. Personne ne l'a vu. Il ne quitte jamais sa caverne solitaire tout
fond de la vallée." "Fais-toi une fronde avec de l'écorce de fau, puis va-t-en
jamais
fond de la vallée",
prescrivit la vieille femme. "Tu trouveras un jeune
train de cueillir des fruits à pain. C'est le fils du matapo, celui qui
pourvoit à sa nourriture. Ce garçon s'appelle Anahua (Fleur de Grotte). Il
passe tout son temps à chercher de quoi manger pour le vieil homme qui ne
peut quitter sa caverne tout au fond de la vallée verdoyante. Il monte aux
arbres pour cueillir les fruits à pain et descend au bord de mer pour pêcher. Il
vous faut tuer ce garçon. Il vous faut tirer sur les rochers avec votre fronde et
lorsque vous entendrez des voix, vous saurez où trouver le matapo qui vous
tout
au
garçon en
conduira
aux
enfers."
Le frère cadet à la tête blessée
le lui avait ordonné. Il
se
fit
une
se
mit alors à faire
fronde (maka)
en
comme
la sage
écorce de fau, aussi
vieille
longue
3
Société des
Études
Océaniennes
.'/Jzz//r/z'/t z/r /zz ./rrsr/t' z/r?)
&/zzz/z\) Z' zz'zz/zzz'////z\)
m
faits. Il emporta la fronde et monta dans la
en fallait pour deux hommes
vallée d'Atuona. Au moment de son
qu'il
départ, le soleil était bas à l'orient, avant,
qu'il atteigne son but, il était déjà haut au-dessus de sa tête. Il marchait,
baissés vers le sol. Il s'arrêta quand il sentit le suc blanc de fruits à
pain fraîchement cueillis tomber sur sa tête. Ce frère avait le don de prophétie
et de sagesse. C'est la raison pour laquelle il sentit le suc du fruit à pain sur sa
même
les yeux
tête.
Regardant en l'air dans l'arbre, il vit Fleur de Grotte en train de
pain mûrs avec une longue perche. Ce dernier était jeune,
bien bâti, beau. Il l'appela en lui disant : "Ha'ci mai inei, viens ici." Fleur de
Grotte fut effrayé en voyant cet étranger gigantesque qui l'appelait d'un ton si
impérieux, mais il n'osa pas désobéir. Il descendit de son arbre. Tea'a le frappa
sur la tête avec son u'u (casse-tête). Le garçon tomba inanimé sur le sol. Le
meurtrier trancha le cou avec son herminette de pierre, et attacha la tête alors
cueillir des fruits à
qu'elle saignait encore à sa ceinture, là où les anciens Marquisiens attachaient
toujours la tête de leurs victimes, pour que tout le monde puisse bien voir et
en
devenir
respectueux.
Il tira alors
avec sa
fronde
en
direction de l'imposant pic Temetiu. La
pierre rebondit alors contre les rochers connus sous le nom de Tanifata'a
(Plate-forme retentissante). Il écouta attentivement, mais aucune voix ne
répondit ; il entendit seulement le bruit du vent dans les arbres de fer. Il tira
encore une
pierre, cette fois en direction de Fe'ani, sur les rochers appelés Ati
Ku'a. Aucune voix ne répondit. Il lança de nouveau une pierre, cette fois-ci
dans la direction indiquée par son bras droit. Il entendit la pierre frapper une
falaise, des voix retentirent dans le lointain et il sut que c'était son oncle
s'écriant que la pierre de fronde avait brisé sa caverne, et il en fut heureux. La
première partie de sa quête était achevée.
Cachée derrière une barrière de fougères géantes, il trouva la caverne
de l'aveugle. L'entrée en avait été brisée par la pierre qu'il avait tirée avec sa
maka. Son oncle était un vieil homme flétri avec une chevelure blanche. Il était
affalé dans un coin de la caverne sur une natte de palmes de cocotier. Il était
tatoué de la tête
aux
pieds. Sur
ses
bras, maintenant si amincis et pitoyables, il
avait des motifs d'un bleu sombre décrivant un labyrinthe ; sur son dos il y
avait un poisson ressemblant à un serpent, sur ses jambes il y avait encore des
cercles et des angles. En travers de ses yeux tombait une bande bleue comme
un
pansement, mais les yeux eux-mêmes étaient clos, privés de la vue depuis
sa naissance. Le nom du vieil aveugle était Tuna Hakaoho Vevau (Irriter la
Chenille Vevau). Vevau est le nom ancien de la vallée d'Atuona.
"Bien, que désires-tu ? dit l'aveugle lorsqu'il entendit les pas du frère
cadet. Tu as assassiné mon fils. Tu as tué mon seul moyen de subsister. Tu as
supprimé le garçon qui me nourrissait et me vêtait. Maintenant tu veux finir
ton vilain ouvrage et me mettre à mort à coups de pierres." "Qu'est-ce qui te
y
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fait penser que j'ai tué ton fils ?" demanda le frère étonné que
connaisse son secret. "Je suis vieux et faible, et mes yeux sont en
nuit,
répondit le
personnage
l'aveugle
proie à la
décrépit, mais je possède le don de prophétie. A
frappé la tête de mon fils, une goutte de sang est tombée sur
ma
poitrine. Maintenant je suppose que ce va en être fini de moi aussi. Il ne
me reste
plus de parents ni de défenseurs." "Non, répondit Tea'a, je suis ton
neveu Tea'a. Je
prendrai soin de toi. Mais je veux d'abord aller dans ton pays
de Vaetapuauna à Havai'i. Ma tête a été blessée et c'est là seulement qu'elle
peut être guérie. Je souhaite que tu me conduises là-bas."
"C'est un voyage difficile et dangereux !"
"Qu'importe !"
"Je suis trop vieux et trop faible pour y aller !"
"Souviens-toi que si tu restes là, tu n'auras plus de nourriture."
"Es-tu assez fort pour une telle entreprise ?"
"Je suis un des hommes les plus forts d'Atuona. N'ai-je pas jeté une pierre
depuis la vallée avec une force telle qu'elle a brisé la porte de ta caverne ?
l'instant où tu
as
N'est-ce pas une preuve de force que
"Laisse-moi te toucher." Le vieillard
noueuse
et tremblante.
cela ?"
parcourut le corps de Tea'a d'une main
Il commença par
les pieds puis fit aller
sa
main aussi
qu'elle pouvait atteindre, c'est à dire seulement à la hauteur de ses
anciens, les Marquisiens étaient des hommes grands
et vigoureux et parmi eux, Tea'a était celui qui l'était le plus. "Oui, dit le
matapo, je sais maintenant que tu es capable de m'emmener à Havai'i. Mais
peux-tu emporter mes trésors avec toi ?"
haut
hanches. Dans les temps
regarda les biens que Tuna avait amassés durant les
qu'il avait passées enfermé dans sa caverne. Il vit le
pukaha, une brosse faite de bourre de coco, le ike, fait en toa, ou bois de fer,
utilisé pour battre le tapa, le tutiia, fait en bois de ton, l'enclume de bois sur
laquelle on étend le tapa pour le battre ; il y avait des statues et des idoles, des
ornements d'oreilles et toutes les précieuses œuvres d'art des anciens
Marquisiens. Maintenant que son fils Anahua, Fleur de Grotte, était mort, ces
richesses étaient tout ce qui lui restait au monde, et il ne voulait pas s'en
séparer.
Tea'a
nombreuses années
Désormais le soleil s'était couché derrière
dans
ce
le mont Fe'ani, et l'obscurité,
tropical, avait soudainement envahi la terre. Cela n'embarrassa
qui partit dans les ténèbres en portant sur son dos l'aveugle et ses
pays
pas Tea'a
trésors.
"Halte !" cria le vieillard
après qu'ils eurent marché dans l'obscurité
pendant plusieurs heures. "Je sens le meae netae, la fleur rouge qui pousse près
de la plage d'Atuona. Fais-moi descendre de ton dos. Nous sommes près de
l'entrée de Havai'i."
5
Société des
Études Océaniennes
r/r ///■ r/eJ
.
Ils firent maintenant
plonger les pirogues dans l'eau, comme
des
poissons. En bas ! en bas ! toujours plus bas ! ils descendirent. "Halte !
J'entends quelque chose de dangereux, dit l'aveugle, quelque chose qui peut
causer notre mort, ce sont les keho tuta'i 'ua, la porte de Havai'i". Les gens
regardèrent et virent qu'ils devraient passer à travers un étroit passage gardé
par des roches qui glissaient d'un côté à l'autre à toute vitesse, se heurtant
l'une contre l'autre avec assez de force pour mettre en pièces tout objet qui
aurait le malheur de se trouver pris en cet endroit. "Nous ne pouvons pas
passer, s'écria Feke'e terrifié, nous allons être pris par les roches et voler en
mille
morceaux
!" "Nous passerons, annonça
le Voyant d'une voix sévère,
vite et nous passerons sans nous faire prendre." Ils arrêtèrent leur
pirogue pour calculer le moment d'affronter les mâchoires de Havai'i. C'était
comme d'attendre un moment de calme pour faire franchir les brisants à une
pirogue sur la plage d'Atuona.
"Allez-y", cria le vieil homme. Les hommes s'arc-boutèrent sur leurs
pagaies comme ils ne l'avaient jamais fait auparavant, et la poupe de la
deuxième pirogue glissa à travers l'ouverture avant que les dents de pierre
n'aient pu se refermer sur elle.
Ils continuèrent à pagayer et à descendre, jusqu'à ce que le vieil
homme ordonne à nouveau un arrêt. "Halte ! cria-t-il, j'entends quelque chose
de dangereux, quelque chose qui peut causer notre mort. C'est le feu de
Havai'i." Ils entendirent le bruit du feu. Ils virent une hampe de feu qui
montait et qui descendait comme si un démon invisible pilonnait le sol avec
une masse. "Nous ne pouvons pas y aller ! s'écria Feke'e terrifié, le feu nous
réduira en cendres." "Nous passerons, cria le vieil homme d'une voix sombre
pagayez
la flamme, mais il vous
l'heure, vous avez pagayé lentement, cette fois-ci,
sinon vous serez brûlés et dévorés par le feu."
Le vieil homme calcula la durée de la hampe de flamme, comme le
font les gens de mer pour le déferlement des lames sur la plage, et finalement
donna le signal. "Pagayez, sinon c'est la mort." Jamais des hommes ne
ployèrent sur des pagaies avec une telle force. Le moment du départ avait été
si bien calculé et le maniement de la pagaie si rapide que le dernier homme
comme un
bloc de roche noire. Nous passerons sous
faudra pagayer vite. Tout à
il vous faudra pagayer vite,
sentit la chaude haleine de la flamme en train
de retomber, mais sans être
touché.
de Havai'i. Le chef les
grandes démonstrations d'amitié et dit que tous leurs désirs
seraient satisfaits. Ils furent reçus et nourris pendant trois mois. En surface, les
relations des deux chefs étaient agréables et aussi paisibles qu'une mer calme,
mais Tea'a soupçonnait le chef de Havai'i avec son sourire empressé et ses
manières doucereuses, et les pouvoirs surnaturels de Tea'a lui disaient de se
tenir sur ses gardes.
Désormais, ils étaient dans le royaume
accueillit
avec
de
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Études
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Un matin de bonne heure, le chef accueillit Tea'a avec une proposition.
"Organisons une fête, dit-il d'un ton rusé, faisons une commémoration ; j'ai
tout ce qu'il faut, sauf le 'ava, cette plante sacrée. Nos femmes la prépareront et
nous aurons en abondance un liquide fort qui nous fera oublier nos misères."
"Fort bien, acquiesça Tea'a, j'enverrai deux de mes meilleurs hommes." Il laissa
alors le chef et convoqua deux de ses meilleurs hommes et leur donna ses
instructions. "Le chef de Havai'i est en train d'essayer de nous tuer, leur dit-il.
Ses pouvoirs ne sont pas aussi grands que les miens. Je peux lire dans son
esprit, je sais ce qu'il pense. Vous deux, vous allez aller dans la vallée en quête
de 'ava. Ce chef a déjà envoyé deux de ses hommes. Il attendent au pied de
l'arbre à pain géant à l'embranchement des chemins, avec l'intention de vous
tuer quand vous passerez. Quand vous serez proches de cet endroit, il vous
faudra faire un saut tous les deux et dépasser ainsi ces hommes qui ne
pourront vous faire aucun mal."
Ils firent tous deux
l'intérieur des terres,
comme
Tea'a le leur avait dit. Ils allèrent
vers
quand ils virent l'arbre à pain géant à
furent bien étonnés que leur
oiseau, et quand ils touchèrent le sol, ils avaient
mais
l'embranchement des chemins, ils sautèrent et
bond soit
comme
le vol d'un
largement dépassé l'endroit dangereux. L'obscurité était tombée quand ils
retournèrent avec le 'ava. Tea'a appela ses quarante hommes et leur parla en
ces termes : "Nous sommes en danger. Pendant trois mois, nous avons été
nourris et logés à Havai'i, et tout le monde nous a fait des sourires. Maintenant
c'est fini et une grande guerre se prépare. Vous êtes des hommes forts et
fidèles, et je sais que je peux compter sur vous pour exécuter tout ce que je
vous ordonnerai. Si vous voulez être sauvés, vous devez obéir à mes ordres
scrupuleusement. Cette nuit vous tous, sauf le plus jeune, vous devez vous
tenir devant notre maison et uriner. Il vous faudra uriner jusqu'à ce que vous
receviez l'ordre d'arrêter. Tous, sauf le plus jeune ; que tous sauf Nanahoa
sortent. Faites face au village du chef de Havai'i et commencez à uriner."
En réponse à son ordre, les trente-neuf hommes sortirent et se mirent à
uriner. C'était comme un grand fleuve qui s'épandait entre leur maison et le
village, trop grand pour qu'un quelconque ennemi puisse le traverser. Et,
entraînés par l'urine, les rochers sur le sol se mirent à rouler, comme ils le font
quand les ruisseaux, grossis par les pluies diluviennes, emportent tout devant
eux. Toute la nuit, les hommes urinèrent et toute la nuit les rochers
dégringolèrent de la montagne. Le bruit des pierres qui tombaient était comme
le grondement du tonnerre : "Rer, rer, rer, rer, rer, rer, rer."
Avant le point du jour, Tea'a leur dit qu'ils pouvaient s'arrêter et ils
rentrèrent tous pour dormir. Lorsque le jour parut, Tea'a jeta un coup d'œil
dehors et vit que l'épouse du chef de Havai'i se tenait là. Il appela le plus jeune
de ses hommes auprès de lui. Il s'appelait Nanahoa, Ami sur le Départ, et il
était fort et beau. Il lui dit : "Maintenant, c'est ton tour, sors et urine."
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Société des
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/Su f/r
Le
6/ Zrr/r/r s/r?) O/ur/r?} @rrsf///r/i/iY'-)
.
jeune homme sortit et se mit à uriner. Son outil était aussi long que
du chef fut pleine d'admiration et de désir. Le
le bras d'un homme et la femme
jeune homme heurta le pilier
structure
un
trembla
comme
d'angle de la maison avec son outil, et toute la
autrement dit,
si elle avait été frappée avec un u 'u,
casse-tête.
auprès de son mari et lui dit : "Emmène
chercher de l'écorce de fail. Je veux passer
La femme du chef retourna
tes hommes
dans la vallée pour y
de la tribu de Tea'a."
partit avec tous ses hommes et sa femme appela le jeune
homme auprès d'elle et lui demanda de coucher avec elle. Dans le vagin de la
femme il y avait un tiki sacré qui conférait à son mari son mana, c'est-à-dire
son
pouvoir. Ce dieu du chef des Enfers était le mitn et le hake, l'odeur infecte
de l'urine croupissante et de la transpiration sous les aisselles, soigneusement
empaquetée dans des mèches de cheveux graisseux. En l'absence de ce tiki son
mari n'avait aucun pouvoir et était comme tout le monde. La femme désirait
très fort le garçon. "Enlève le tiki, dit-elle, enlève le !" Il fit ce qu'on lui disait.
Son outil était trop gros pour la femme, et elle cria de douleur.
Le chef depuis la montagne entendit ses cris, et comprit qu'il s'était
fait rouler et qu'il avait perdu ses pouvoirs. Désormais, il ne pourrait
combattre ses ennemis qu'avec ses forces ordinaires, sans le secours de la
magie.
un
moment avec un garçon
Le chef
Le matin
suivant, deux hommes de Havai'i et
deux hommes de la
envoyés chercher des crabes avec des sacs. Ils cherchèrent sur les
long de la côte pendant toute la journée, mais Havai'i n'est pas
comme la terre des hommes, il n'y a pour ainsi dire pas de crabes. Au moment
où le soleil avait disparu, les deux hommes de Havai'i avaient pris des crabes,
mais les hommes de Tea'a n'avaient réussi à prendre que deux rats qu'ils se
gardèrent de montrer aux autres.
terre furent
blocs noirs le
Ils se trouvaient loin du village et fatigués par les épreuves de la
journée, les hommes s'allongèrent pour dormir. Au bout de quelques minutes,
l'un de ceux qui venaient de la terre se tourna vers les deux qui venaient de
Hawaii qui étaient allongés près d'eux les yeux clos. "Dormez-vous ?"
demanda-t-il. "Non," répondirent les hommes. Quelques minutes plus tard, il
posa la même question. "Dormez-vous ?" "Non ." Cette fois-ci, il attendit un bon
moment avant de poser sa question. "Dormez-vous ?" Il n'y eut pas de réponse.
Pour plus de sûreté, les deux hommes venus de la terre attendirent jusqu'à ce
qu'ils entendent les autres ronfler. Alors, ils prirent furtivement les deux crabes
du sac des gens de Havai'i et les mirent dans leur propre sac. Quant à leurs rats,
ils les mirent dans le sac des gens de Havai'i. Ils sourirent intérieurement de
leur malice et plongèrent, confiants et bienheureux, dans le sommeil.
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A
l'aube, tous quatre s'éveillèrent et retournèrent au village. Les gens
de Havai'i
apportèrent leur sac à leur chef, mais quand ils l'ouvrirent pour en
retirer les
ils
en
ces
crabes, ils trouvèrent que leurs sacs étaient vides. "Ah ! s'écrièrentmanière d'excuse, il y avaient des trous dans les sacs. Les crabes ont fait
trous et
leur chemin
leur avait
se
sont
vers
échappés pendant la nuit." En fait les rats avaient rongé
ignoraient le tour qu'on
la liberté, mais les deux hommes
joué.
Le chef de Havai'i rassembla
tribu. "Nous
attendre
harangue enflammée, les gens de la terre sont
sa
ne
pouvons pas
davantage, leur dit-il en une
trop puissants et trop rusés. Il nous faut les frapper maintenant ou nous
sommes perdus. Venez avec moi. Nous allons en finir avec eux maintenant."
Les hommes de Havai'i encerclèrent le logement des hommes de la
terre, ils l'attachèrent solidement avec l'écorce de fan qu'ils avaient collectée la
veille afin que nul ne puisse en réchapper. Ensuite ils empilèrent des fagots
contre la maison et y mirent le feu. Les flammes montaient jusqu'au ciel. La
chaleur était intense. Inflammable, le bois de cocotier vira au rouge et tomba
en
poussière. Bientôt il ne resta plus rien de l'habitation sinon quelques
cendres achevant de se consumer. Quand le feu prit, les gens de la terre furent
frappés de terreur. "Nous voilà piégés, piégés, trahis," grommela Feke'e. "Non,
s'écria Tea'a, soyez tranquilles. Nous serons sauvés. Mon pouvoir est grand.
La mort n'est pas pour nous maintenant. Voyez ! Ces créatures vont nous
sauver." Il montra du doigt les deux crabes qui creusaient un trou immense
dans le sol. C'était un tunnel par lequel passèrent en toute sûreté jusqu'au
rivage, Tea'a, Feke'e, Tuna, l'aveugle, et les quarante hommes. Chaque fois
que cette espèce de crabe creuse un tunnel, il aboutit dans le sable.
Un messager rapporta au chef de Havai'i qu'il avait vu l'ennemi au
bord de la mer, et de colère, ce dernier emmena ses hommes sur la plage pour
combattre ouvertement les hommes de la terre. Le combat fut long et les
hommes
échangèrent des coups de casse-tête u'u, mais à la fin Tea'a triompha
pouvoirs étaient grands tandis que son adversaire avait perdu les siens
quand sa femme avait couché avec le garçon venu de la terre.
"Halte", cria le chef de Havai'i quand il vit ses hommes tomber de
tous côtés autour de lui, nous ne pouvons combattre contre des héros de cette
trempe ! Arrête, Tea'a, nous nous rendons. Qu'exiges-tu de nous ?" "D'abord je
demande qu'on nous laisse partir en paix pour le monde de lumière, dit Tea'a,
et deuxièmement, je demande que tu me donnes ta fille, Tiahe'e 'i Havai'i
(Voyageuse des Enfers)."
Aussitôt, la troupe commença son voyage de retour vers la terre.
car ses
Samuel H. Elbert
Traduit de
l'anglais
par
Henri Lavondès
11
Société des
Études
Océaniennes
.ZJrr/Zy/r/i r/r /rs .Zyyvr//■ y/r?) (C/s/Zr) Z y ■y>y//y yr///y y'■>
NOTE DU TRADUCTEUR
Il existent à la
bibliothèque du Bishop Museum bien des trésors. Le
qu'y a déposé Samuel Elbert sous le titre de Marquesan Legends n'est certes
pas le moindre d'entre eux. Ce manuscrit dactylographié de 346 pages contient une
cinquantaine de légendes parmi lesquelles un grand nombre dont aucune version n'est
présente dans les recueils de ses illustres prédécesseurs, K. von den Steinen et E. S. C.
Handy. Le travail d'Elbert est donc tout à fait indispensable pour la connaissance de la
littérature orale narrative des îles Marquises, qui est certes une de celles qui ont été les
mieux recueillies parmi les productions littéraires de la Polynésie française, mais dont
les recueils existants ne reflètent que très imparfaitement la variété et l'extraordinaire
richesse. Il possède à mes yeux une qualité supplémentaire. La littérature et le plaisir
qu'elle engendre ont été parmi les tous premiers moyens qui ont permis qu'une
communication s'instaure entre les Européens et les civilisations exotiques dont les
voyages de découverte leur révélaient la déconcertante étrangeté. Mais encore faut-il
que le traducteur sache se faire l'interprète, au sens large du terme, des "textes" qu'il
veut faire connaître à ses contemporains. Car ces textes hérissés d'allusions à des
usages, des croyances, des techniques, un environnement botanique et zoologique,
dont le lecteur non spécialiste ignore parfois tout, sont souvent d'un accès très difficile
pour lui. Les admirables amateurs qui nous ont fait connaître les belles histoires des
anciens Maori et des anciens Hawaiiens, le Gouverneur Grey, le juge Fornander ont su
trouver, avec l'aide de leurs collaborateurs et continuateurs, les traductions, pas
toujours très fidèles, mais fort efficaces, qui permettaient d'aplanir au mieux ces
difficultés, et donc d'offrir au lecteur la possibilité de prendre le maximum de plaisir à
manuscrit 1
sa
lecture.
un jour à Samuel Elbert pourquoi il n'avait jamais publié le
qu'il avait déposé au Bishop Museum. Il m'a répondu qu'il le considérait
comme une œuvre de jeunesse comportant des imperfections et ne méritant pas la
publication (il faut dire qu'il n'avait guère plus de 25 ans quand il commença son
travail de collecte). Or, probablement, ce sont précisément à cause de ces imperfections
que la traduction d'Elbert est particulièrement vivante et agréable à lire et s'inscrit ainsi
dans la ligne de l'œuvre des grands collecteurs du XIXe siècle. Depuis Samuel Elbert a
eu le
temps d'élaborer une œuvre abondante plus en accord avec les normes sévères de
l'érudition et de la philologie en matière d'édition de textes, et en particulier, en
collaboration avec Torben Monberg, From the two canoes, un recueil des traditions
orales des îles polynésiennes de Rennell et de Bellona, dans l'archipel des îles Salomon,
un recueil
qui est un modèle du genre.
Le texte publié ici a été recueilli en 1934 à Vaitahu, île de Tahuata. L'histoire
des deux frères a été dite par Mahina, un conteur. J'ai suivi d'aussi près qu'il m'était
possible l'élégante traduction de Samuel Elbert, même s'il m'arrivait de n'être pas
d'accord avec certains des partis pris qu'il a, en accord avec les modes de l'époque, cru
devoir adopter, par exemple avec la traduction systématique de presque tous les noms
J'ai demandé
manuscrit
propres.
1
Extrait de
déposé
au
Marquesan legends, Collected and translated by Samuel H. Elbert. Manuscrit
Bernice P. Bishop Museum Honolulu, pp. 4-51.
12
Société des Etudes Océaniennes
N° 271
—
Septembre 1996
DEUX RECITS
ET TEXTES MARQUISIENS
Le présent travail reprend dif érents recueils de textes de la tradition
marquisienne, publiés antérieurement sous forme provisoire ou
une thèse1, en en améliorant, je l'espère, la transcription et la
traduction. Le propos est de rendre progressivement disponible la plus
grande part possible de l'abondant manuscrit en langue marquisienne que j'ai
recueilli principalement à Ua Pou au cours des années 1963-76. Les textes les
plus intéressants par leur contenu mythologique ou en raison de leur qualité
littéraire seront retenus d'abord, avec le souci de présenter pour chaque récit
la majorité des versions recueillies. En effet s'il est incontestable que certaines
versions peuvent être plus intéressantes que d'autres, on sait qu'il n'est pas de
"vraies versions", qu'il n'existe pas de versions qui soient absolument
identiques et qu'il n'existe pas non plus de version totalement dénuées
d'intérêt. Les diverses versions se complètent et s'éclairent mutuellement les
unes les autres. Leurs contradictions font partie de la richesse du mythe
qu'elles rapportent et sont même souvent fondamentales pour accéder à la
orale
annexés à
substance de
son
message.
plupart des textes qui suivent ont été écrits directement par les
petit nombre de cas (qui seront signalés),
quand le conteur, en raison de l'état de sa vue notamment, ne pouvait les
écrire lui-même, ils ont été dictés par lui à un membre proche de sa famille
(conjoint ou enfant le plus souvent). Enfin quelques textes m'ont été dictés par
leur narrateur ou ont été obtenus à partir de transcription d'enregistrements
La
conteurs eux-mêmes. Dans un
magnétiques2.
Transcription
La transcription phonologique d'une langue polynésienne comme le
marquisien ne pose au collecteur de textes que deux problèmes : la notation
de l'occlusive glottale (') et celle de la longueur vocalique. Une première
dactylographie du texte marquisien a été effectuée par notre collaborateur
Samuel Te'iki'ehuupoko (le plus souvent à partir des cahiers manuscrits écrits
par les conteurs eux-mêmes). Il a pu sans difficulté se plier à la discipline de
glottales. Les noms propres qui étaient inconnus de lui ont
problème : il en a noté les glottales en fonction de son intuition de la
noter les occlusives
posé
un
13
Société des
Études
Océaniennes
Ijjr .'jiïn/ïïr/Ssi f/r
/r/ ./rr//'//■ r/fJ ' /r/ .Zrr/r/r
Zj/z/Zm Z')rAz//i/z>/t/iZ>£
Histoire d'un homme de Hakamo'ui
I. Il vivait avec ses
richesses, il
ne
travaillait pas, il ne faisait que
femmes. 2. Il
ses grandsparents adoptifs. Il alla la prendre. 3. Cette jeune fille tomba amoureuse du
jeune homme. Ils vécurent ensemble. 4. Une semaine passa, deux semaines,
qu'ils aient rien mangé de carné (iina'i). Ils mangeaient la poopoi sans
manger et dormir. Cet enfant grandit et commença à penser aux
entendit parler d'une jolie femme qui habitait à Teava'ite'aki avec
sans
mangeaient du ka 'akiin et c'était le trognon du mei qui leur servait
plat de résistance (iina'i). Avant, le 'iina'i, c'était sa parentèle de Pae'oa qui
le lui procurait. Depuis que la belle vivait avec un mari, sa parentèle ne
s'occupait plus d'elle. 6. Les deux vieux dirent :
Avant on nous fournissait le plat de résistance (iina'i). Depuis que
notre petite-fille vit avec cet homme, on ne nous donne plus rien.
'iina 'i. 5. Ils
de
—
7. Cette femme se
voulait
prendre
sa
femme, elle lui tournait le dos. Elle ne faisait plus attention
à lui. La femme murmurait
—
fatigua du jeune homme. Quand le jeune homme
:
Je n'ai plus de cœur à la
tâche, je n'ai plus de force dans le ventre.
jeune homme s'enfuit plein de honte. Il arriva chez son père à
Ha'epapa. Son père lui dit : — Te voilà ?
8. Le
9. Son fils lui dit
Le
père dit
Son
:
plus de moi !
Qu'est-ce qu'il y a ?
10. Le fils dit : —Je me le demande !
père lui dit :
—
—
Ma femme
:
ne
veut
—
Va dans la maison de
tatouage.
alla. Il se fit faire des tatouages sur la partie interne du
bras les tatouages (tiki) paheke et les deux ipu 'oto. 12. Trois jours après s'être
fait tatouer, il arriva chez son père. Son père lui dit :
Va prendre un bain et frotte-toi avec le curcuma qui sert à enduire
II. Ce fils y
—
le pagne.
13. Le fils alla faire
son
ce
que son
père lui avait dit. Il arriva auprès de
père. Son père lui dit :
—
Comme tu
es
beau,
mon
fils. Monte auprès de ta femme.
brousse, il siffla. Sa femme le regarda. Le
14. Ce fils monta à travers la
jeune homme lui fit voir ses tatouages. Sa femme se détourna. Le jeune
homme descendit en pleurant chez son père.
16
Société des
Études
Océaniennes
N° 271
Tekao
no
—
Septembre 1996
tiitahi 'enana 'i Hakamo'ui
I. Too ia noho me taa
ia taetae, 'aa'o'e 'e
hana. Taa ia hana 'e
tihe te ma'akau 'i te vehine.
'i Teavaite'aki too ia noho
me too ia mou tupuna haakai. Me too ia hano. 3. 'U makimaki hua
moo'ii 'i hua maha'i. 'Ua noho 'aaua. 4. 'A tahi 'aatapu, 'a 'ua
'aatapu, 'aa'o'e he kai 'i te 'iina'i.. 'Ua kai 'i te poopoi, 'aa'o'e he
'iina'i. 5. 'Ua kai 'i te ka'akuu, 'e pouho te 'iina'i. 'Omua 'e 'i'o te
'iina'i mei io te hua'a mei Pae'oa. Te noho o hua po'otu me te
vaahana, 'aa'o'e 'e ti'ohi te hua'a. 6. 'U pe'au na ko'oua :
kai, 'e hiamoe. 'U ka'uo'o hua tama, 'ua
2. 'Ua 'oko 'eeiea tiitahi vehine po'otu
'Omua 'e 'i'o taa taatou
—
'iina'i. 'I te nonoho 'ia 'o taa taaua
po'upuna me te 'enana nei, 'aa'o'e 'i 'i'o haka'ua.
7. 'U pa'opa'o hua vehine 'i hua maaha'i. la to'o hua maaha'i
'i hua vehine, 'ua hu'i te tua. 'Aa'o'e hakamau haka'ua. 'U koohumu
hua vehine, 'ua ko'e te hei 'o te hana, 'i'i ko'e te koopuu.
8. 'Ua
rere
te maaha'i me te
hakaa'ika. 'Ua tihe io te motua 'i
Ha'epapa. 'U pe'au te motua :
—
'Ua tihe koe ?
9. 'U
—
'U
—
pe'au te tama :
'Ua ko'e te makimai
pe'au te motua :
'E aha ?
10. 'U
—
'U
—
'o ta'u vehine !
pe'au te tama :
'E aha oti
!
pe'au te motua :
'A he'e io te ha'e
patu 'ia tiki.
'ia patu 'i te
II. 'Ua he'e hua tama
paheke me naa ipu 'oto. 12. Poo
motua. 'U pe'au te motua :
tiki
—
'A he'e 'a kaukau
tiki
'i te vai 'u taapui me te
—
'oto 'o te puuhaa
'eka hami piipii.
pe'au. 'Ua
'i hua hana 'a te motua 'i
io te motua, 'u pe'au te motua :
13. 'Ua hana hua tama
tihe te tama
ma
to'u 'aa te tiki, 'ua tihe io te
po'ea koe tu'u tama, 'a hiti io te vehine.
io he ma'a 'eitaa 'ua vio. 'U ti'ohi te
hakakite hua maaha'i 'i te tiki. 'U kaavi'i te vehine, 'ua
Mea
14. 'Ua hiti hua tama
vehine. 'U
heke te maaha'i mete uee io te motua.
17
Société des
Études
Océaniennes
r/r /r/ . /f r/r/r r/r?) (y/z/y/k) ^'Wys/uW/s/sJ-
«
15. Son
—
Le
—
:
jeune homme dit
Ma femme
16- Le
—
père lui dit
Qu'est-ce qui te fait pleurer ?
ne
:
veut pas
!
père dit encore
Fais toi
encore
:
faire des tatouages
dans l'aisselle
:
les motifs
(au kohe) et "hachures penchées" (koniho haka'eva'eva).
17. Le père dit :
Tu es très beau, mon fils ! Ta femme t'embrassera !
18. Il monta jusque chez sa femme, il siffla. Sa femme le regarda, elle
lui tourna le dos. Alors le jeune homme se mit à pleurer tant et plus, il
descendit auprès de son père.
19. Le père dit à son fils :
Qu'est-ce qui ne va pas avec vous deux ? De quoi vous nourrissez"feuilles de bambou"
—
—
vous
quand vous êtes chez vous ?
Le fils répondit : —De poopoi et de ka'akuu.
20. Le père dit : —Et quoi d'autre ?
Le fils dit
21. Le
:
—C'est tout.
père dit
:
rien de carné (iina'i) ?
Non, c'est le trognon du fruit à pain qui nous sert de 'iina'i.
Le père dit :
Les gens qui habitent derrière chez vous ne vous donnent rien de
—Vous
ne
mangez
—
—
carné ?
22. Le fils dit
23. Le
:
—Non.
père dit
:
irons toi et moi passer la nuit à Hakateivi, nous
pécherons du poisson à la ligne.
24. A la nuit ils péchèrent tous deux du poisson. Quand il fit jour, ils
emportèrent ce poisson. Ils allèrent tous deux à leur maison de Ha'epapa.
25. Le père dit à son fils : —Salut, mon fils. Fais le travail que je t'ai
enseigné.
C'était de ma faute, je ne t'avais pas appris à pêcher. Monte chez ta femme.
26. Le jeune homme arriva à la maison de sa femme et des deux vieux.
—
Il dit
Demain,
nous
:
—
Voici du
poisson !
Les vieux dirent
—
:
Quel festin !
27. La femme entendit
mari dans
ses
bras et lui donna
propos. Elle se réveilla, alla prendre son
baiser. 28. Les grands-parents dirent :
ces
un
18
Société des
Études
Océaniennes
N° 271
15. 'U
pe'au te motua
'E aha too koe
—
'U
—
uee
pe'au te maaha'i
Septembre 1996
:
?
:
'Aa'o'e 'e makimaki tu'u vehine !
16. 'U
pe'au haka'ua te motua
Patu haka'ua te tiki
—
—
ma
:
'oto 'o te ka'akee, 'e mou 'au kohe me na
koniho haka'eva'eva.
17. 'U
pe'au te motua :
po'ea oko koe 'e tu'u tama ! 'U hopu 'ia koe 'e too vehine.
18. 'Ua hiti 'ua tihe io te vehine, 'ua vio. 'U ti'ohi te vehine : 'u kaavi'i
'A tahi 'a uee oko te maaha'i, 'ua heke io te motua. 19. 'U pe'au te motua
—
te tua.
'i te tama
Mea
:
—
'E aha te
pi'o too koo'ua ? 'E aha too koo'ua pohu'e io too koo'ua
ha'e ?
'U
pe'au te tama :
'E poopoi, 'e k'akuu.
20. 'U pe'au te motua :
—
—
'U
'E aha tiitahi ?
pe'au te tama
'Ua pao.
21. 'U pe'au
:
—
—
—
'U
—
pouho mei taa maatou 'iina'i.
pe'au te motua :
'Aa'o'e, 'e
22. 'U
—
te motua :
'Aa'o'e kootou 'e kai 'i te 'iina'i ?
'Aa'o'e 'e 'i'o taa kootou 'iina'i mei mu'i ?
pe'au te tama :
'Aa'o'e.
23. 'U
—
pe'au te motua :
O'io'i 'ua he'e taaua 'i Hakateivi 'i te 'aumoe, 'ua hii 'i te ika.
24. 'I te poo 'ua hii 'aaua 'i te ika.
he'e 'aaua io too 'aaua ha'e 'i Ha'epapa. 25.
Kaa'oha 'e tu'u tama, 'a hana
—
au
te
pi'o 'aa'o'e
au
'I te oatea 'e kave te'e hua ika. 'Ua
'U pe'au te motua 'i te tama :
koe 'i tu'u hana 'i hakako ia koe. No
'i hakako ia koe 'i te haïra 'avaika. 'A hiti io too vehine.
26. 'Ua tihe hua maaha'i io te ha'e 'o te vehine me na
te maaha'i
—
'U
—
ko'oua. 'U pe'au
:
Eeia te ika !
pe'au na ko'oua
Tapava'u !
:
27. 'Ua oko te vehine 'i hua
tekao, 'ua va'a, 'ua hano 'i te vaahana
hopu, u'a hoki. 28. 'U pe'au naa tupuna :
19
Société des
Études Océaniennes
.M//YSr//si r/r /rr .Yfr/r/r r/r.-) ë/uf/r.) ë;rr///u'r/t/u\)
Va
prendre un bain. Mais avant d'aller à la rivière, commence par
manger, tu iras ensuite prendre ton bain.
29. Quand son ventre fut rassasié, elle fut pleine de forces pour faire
l'amour. 30. Le jeune homme vit que ce que son père lui avait dit était vrai. Le
jeune homme travailla et tous deux vécurent heureux. C'est une histoire qui
s'est passée autrefois à Hakamo'ui. Ce n'est pas une légende, c'est une histoire
vraie. 31. C'est Moo'iiateheetehee qui l'a racontée à Fiu Samuel et c'est Fiu qui
—
me
l'a racontée.
Histoire de Tihoti Valentin5
I. Il vint
d'Amérique sur un navire baleinier. Leur navire vint par ici.
épuisée et Ua Pou était l'île la plus proche. Ils
arrivèrent à Hakahetau pour y chercher de l'eau.
3. Sa fonction était d'être capitaine en second de la baleinière. En une journée
on eut assez d'eau. 4. Il
partit avec Caroline. Le soir il n'était pas là, on le
chercha. 5. Le capitaine dit aux Marquisiens :
2. Leur
eau
—
douce était
Cherchez-le.
Quand les Marquisiens les virent tous deux, ils leur dirent :
—
Filez
plus loin.
6. On avait caché Caroline et Valentin dans
grotte à Ke'aa-'Oa, au
Marquisiens chérissaient Valentin, "notre
Européen". 7. Caroline était la fille adoptive de I'ihau. Sa mère était une
une
fond de la vallée d'Aneou. Les
cheffesse, Moo'iiateheetehee de Hakahau. 8. Le navire baleinier
jours à Hakahetau, puis partit. Moo'ii les reçut et les
I'ihau leur donna
assurer sa
une
resta trois
à Hakahau. 9.
du coton pour
des vêtements à ses
emmena
terre à Ma'aetai. Tihoti Valentin
planta
subsistance et celle de
sa
femme et procurer
enfants.
ÎO. Voici
quels furent
ses
enfants
:
Tin-jon, Teotora, des
garçons,
Marie-Thérèse, Tahiataha'ani, Dorothée, Tuatapu, Ue'ani. Tinjon n'eut pas
d'enfant, Teotora n'eut pas d'enfant. Marie-Thérèse eut cinq enfants : Uetini,
Paaroo, Tahiapuhe, Titike'o, 'A'atoua Germain. Dorothée eut un enfant :
Tumuhe.
Tuatapu eut un enfant : Kohirui.
Chicago en Amérique et que son père était
Tin-jon. C'est Tahiahu'i Félicité, la fille de Penepena, qui a raconté cette
II. Tihoti disait être né à
histoire à A'atoua Germain Valentin.
12. Tihoti et
sa
femme moururent à Hakahau. Leur
nom
est
porté
sur
l'état civil de Hakahau.
Ecrits par
Lavondès
A'atoua Germain Valentin, textes établis et traduits
la collaboration de Samuel Teikiehuupoko.
avec
20
Société des
Études
Océaniennes
par
Henri
N° 271
—
kaukau, 'eepoo
'A he'e io he vai
—
Septembre 1996
he'e io he vai, 'a kaikai 'omua, 'a
tahi 'a kaukau te vai.
koopuu, 'a tahi 'a 'i'i ai ia hana. 30. 'Ua kite hua
29. 'U maakona te
maaha'i 'u toitoi te tekao 'a too ia motua. 'Ua hana hua maaha'i, 'u meita'i too
'aaua noho.
'E tekao kaakiu 'i
Hakamo'ui, 'aa'o'e 'e tekao a'akakai, 'e tekao toitoi.
Samuel, na Fiu i tekao mai ia au.
31. Na Moo'ii'ateheetehee'i tekao ia Fiu
Tekao
no
I. 'Ua he'e ia mei Menike
Tihoti Valentin
ma
'uka te isepe
ve'o pa'aoa. 'Ua tihe too
ma teenei keekee. 2.'Ua pao te vai, 'o U'a Pou te henua tata'eka.
'Ua tihe 'aatou 'i Hakahetau 'e hano 'i te vai. 3. 'E keapuu 'e 'ua taa ia hana 'i
'aatou
ihepe
'uka 'o te
poti ve'o pa'aoa. 'I te poo 'e tahi 'ua 'ava te vai. 4. 'Ua rere me
ia, me te 'umihi. 5. 'U pe'au te keapuu 'i te 'enana :
Karorina. 'I te ahiahi 'aa'o'e
—
'A 'umihi.
la kite te 'eanana ia
'aaua, 'u pe'au.
6. 'U hakanaa 'ia Tihoti
Aneou 'i te
vao.
Valentin
Tootahi te
me
rere.
Karorina io he
ana
'i Ke'aa 'Oa 'i
'U hakataetae te 'enana ia Valentin taa taatou haao'e. 7.
Karorina 'e moo'ii haakai
na
I'ihau, 'e hakatepei'u te
kui, 'o
ihepe ve'o pa'ao'a 'i
Moo'iiateheetehee mei Hakahau. 8. 'Ua noho te
Hakahetau 'e to'u poo, 'u he'e. 'Ua to'o Moo'ii ia 'aaua kave mai
'Ua tuku I'ihau 'i too 'aaua henua 'i Ma'aetai. 'Ua nanu tihoti
'uru'uru
mea
'i Hakahau. 9.
Valentin 'i te
pohu'e no 'aaua, mea to'o 'i te kahu.
Tin-jon, Teotora, 'e tama'oa. Marie-thérèse
Tuatapu, Ue'ani. Tinjon, 'aa'o'e 'a ia tama. Teotora,
'aa'o'e 'a ia tama. Marie-Thérèse : Uetini, Paaroo, Tahiapuhe, Titike'o, A'atoua
Germain, 'e 'ima tama. Toorootee : Tumuhue, e tahi tama. Tuatapu : Kohirui,
IO. No taa ia tama
:
Taahiataha 'ani, Toorootee,
'e tahi tama.
motua
no
II. 'U pe'eau Tihoti i haanau ia 'i Siikaakoo 'i te henua Menike, too ia
Tin-jon. 'U tekao mai Tahiahu'i Félicité moo'ii na Penapena, hakaa'iki
Hakahau 'i hua tekao nei ia 'A'atoua Germain Valentin.
12. 'Ua mate ia 'i Hakahau me taa
ia vehine. 'Eenaa too 'aaua ikoa io
he 'eetaa-sivile 'i Hakahau.
21
Société des
Études
Océaniennes
r/r- /ff ./^'rvr//'
Çj/ur/rrX
rrrr/M r/t// r.)
NOTES
1
Principalement
:
1964, Récits marquisiens, ORSTOM, Papeete, 107
p.
Multigr. et
1966, Récits marquisiens, 26me série, ORSTOM, Papeete, 207p. Multigr. ainsi que
1975, Terre et Mer, Thèse pour le doctorat ès Lettres, Volume II, choix de récits et
de textes
2
Un
marquisiens, Université de Paris V, Paris.
exposé plus détaillé
sur
les diverses méthodes de collecte utilisées figure
dans Lavondès, 1967, Observations on Methods in Assembling Oral Traditions in
the Marquesas, in Genevieve A. Highland et al. (Ed), Polynesian Culture History.
Essays in Honor of Kenneth P. Emory, Bernice P. Bishop Museum Special Publication
56, Honolulu, pp. 483-500.
3
En effet, un accent tonique se place sur la dernière syllabe des mots à finale
longue et l'avant dernière syllabe des mots à finale brève cette dernière syllabe se
trouvant de ce fait
obligatoirement allongée. L'opposition de quantité se trouvant
neutralisée dans cette position, nous n'avons introduit aucune notation pour
l'avant dernière syllabe.
,
4
Nous faisons donc nôtre le
point de vue exprimé par G. Manessy : "Le même
logique interne de la langue nous a fait renoncer à la
traduction 'mot à mot' qui, transformant un exposé cohérent en un chaos informe,
ne trahirait
pas moins le français que le bwamu." G. Manessy, Tâches quotidiennes
et travaux saisonniers en pays bwamu, p. VI.
souci de fidélité à la
5
NOTE A L'HISTOIRE DE TIHOTI VALENTIN
A'atoua Germain Valentin
selon l'usage marquisien des années
possède un nom marquisien, un prénom chrétien et un patronyme —
n'est pas véritablement un conteur et j'ai de bonnes raisons de
penser que son
répertoire se limite à ces deux histoires. L'une malgré ses dires a tous les
caractères d'une légende sinon d'un mythe, tandis que l'autre
apparaît bien
comme un récit
historique, fort intéressant d'ailleurs, car bien caractéristique de
ces histoires de familles marquisiennes
qui sont rares à ne pas placer quelque part
dans l'énoncé de leur généalogie quelque fugitif
européen ou américain qui, à
l'exemple de Kabri ou de Robarts, s'est laissé séduire par les appâts de la vie
—
soixante, il
insulaire et
a
fait souche dans les îles.
L'histoire de cet "homme d'Hakamo'ui"
(une vallée adjacente à celle d'
Hakahau, à Ua Pou), qui reste anonyme dans le récit, met remarquablement bien
en valeur certains traits
importants de la culture marquisienne. Certaines
conceptions relatives à l'alimentation. Pour les Marquisiens les aliments se
répartissent en deux classes. Il y a tout d'abord les aliments d'origine végétale, le
plus important étant la poopoi, faite de fruit à pain (mei) rôti et de pâte de fruit à
pain fermenté (maa) ; le ka'akuu, fait de fruit à pain rôti frais pilé avec du lait de
coco, est également très apprécié. Ces aliments végétaux et bien d'autres encore
(taro, bananes, patates douces etc.) rentrent dans la classe des kaikai (terme qui
peut désigner tous les aliments en général mais qui lorsqu'il est opposé au suivant
22
Société des
Études
Océaniennes
N° 271
—
Septembre 1996
désigne plus particulièrement les aliments végétaux). Le manque d'aliments
végétaux entraîne la faim (oke : faim, famine). Tous les aliments d'origine animale,
marine (poisson surtout, mais aussi crabes, coquillages etc.) ou terrestre (cochon,
volaille etc.) sont classé dans la catégorie des 'iina'i. Le manque d'aliment
d'origine animale est exprimé par le terme kana (qui signifie aussi manquer de
tabac). L'idée de substituer au 'iina'i le pouho, c'est-à-dire le cœur dur et
incomestible du fruit à pain, est une aberration impensable dans la vie réelle et
cela suffit à nous montrer que nous sommes dans le monde du mythe et non du
récit historique. L'erreur de notre homme est de respecter la forme bipartite de la
classification des aliments, mais non son contenu. Et de substituer à l'opposition
entre nourriture végétale et nourriture animale une opposition entre nourriture et
déchet alimentaire.
Cette courte histoire renvoie aussi à un moment particulièrement
important du cycle de vie : le passage de l'adolescence, et plus particulièrement,
bien que le terme ne figure pas dans le texte, de la condition de kaa'ioi, à celle d'
'enana motua, littéralement "d'homme père", c'est-à-dire d'adulte. L'état de kaa'ioi
implique l'oisiveté et la dépendance économique (notre homme ne faisait que
manger et dormir) et quelques tâches non mentionnées ici, comme une intense
participation à la vie cérémonielle de la communauté et à ses groupes de chants et
de danses. Le passage à l'état adulte implique non seulement cet élément
d'attirance sexuelle que crée le tatouage, comme le comprend seulement le père
dans un premier temps, mais aussi et surtout la capacité de nourrir une famille,
son
épouse et ses enfants d'abord, ses beaux-parents ensuite, surtout dans un
premier temps et s'ils sont âgés, comme doivent l'être les parent adoptifs de la
jeune femme, qui sont des grands-parents adoptifs (tupuna haakai) comme très
souvent chez les Marquisiens. Et cette obligation alimentaire porte tout
prticulièrement sur le 'iina'i dont les hommes étaient les pourvoyeurs principaux
puisque eux seuls avaient la possibilité de pratiquer la pêche en pirogue,
embarcation qui, comme l'on sait, était strictement tapn pour les femmes.
Dans la
avons
transcription du texte marquisien, faute de disposer du macron, nous
nous satisfaire de noter les voyelles longues par le redoublement de ces
dû
voyelles.
Koekoe, le ventre, les entrailles, est chez les Marquisiens le siège de la pensée et des
émotions, la tête, upoko, étant le siège de la sacralité.
Paheke, une bande oblique sur le visage, tatouage caractéristique, selon les auteurs,
de Nuku Hiva et secondairement de Ua Pou. Ipu 'oto, tatouage sur la face interne
du bras. Cf. Madeleine Marie-Noëlle Bergh Ottino, La vie quotidienne des anciens
Marquisiens d'après les premiers documents eu.ropéens : un exemple le tatouage, vol. II
Corpus alphabétique des noms de tatouage. Thèse de doctorat, Université de Paris
I
Panthéon-Sorbonne, 1996, pp.93-94 et 195-196. On remarquera que si le conteur
place correctement le tatouage ipu 'oto, il n'en n'est pas de même pour le tatouage
paheke qui lui se situe sur le visage et non sur la face interne du bras.
-
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Société des
Études Océaniennes
f/r /fs ./rr/r/r r/eé O/nr/eà- {'Vw/i/rsi/trà
igr
"Y a-t-il une littérature ma'ohi ?
Onquine répondra
tout de go, à cette question-leitmotiv, double, ambiguë,
appelle pas,
d'autres,
en
double,
en ce sens que,
dans les limites de la société
ou
de la culture
plurielle,
en vie, en Polynésie,
cette "littérature ma'ohi", "éventuelle", se
d'expression française et
ambiguë,
en
car,
décomposerait
celle, de langue polynésienne,
quelque part, à la base, elle a, en
exister,
en
celle,
germes,
Le doute que cette littérature puisse
La certitude qu'il n'y en a pas,
La croyance
L'idée,
Quant
en
qu'il ne pourrait y
en
avoir,
fait, qu'elle ne peut être qu'insignifiante!
questions comme à celle, leitmotiv, posée plus haut,
répondre, quand on ressent qu'il pourrait s'en suivre, s'enraciner,
inappropriation, inadéquation, inadaptation, incompréhension?
aux
autres
comment y
...
Si l'on choisit d'examiner la question,
appliquée à la littérature
d'expression ma'ohi, il y a lieu, avant tout échange, de s'entendre sur les
termes que chacun utilise, dans leurs diverses
acceptions et vécus différents.
Qu'est-ce que la "littérature"?
Qu'est-ce qui fait "littérature"?
Se réfère-t-on
aux
mêmes faits?
Dans
l'affirmative, cela signifierait que, tous vivent, baignent, depuis
quelques siècles, dans la même culture,
Utilisant, depuis des générations, la même langue,
Concevant, organisant, se représentant, gérant, vivant le monde, de la
même manière!
Est-ce le
cas
de la
Polynésie française?
Par
ailleurs, échanger avec l'Autre, dans la langue de l'Autre, avec les mots
l'on manie, tant bien que mal, que l'on ne possède (!?!?) que
depuis, à peine, une, deux générations, rarement plus,
de l'Autre, que
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Société des
Études
Océaniennes
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Septembre 1996
physique, humain, social, mental, intellectuel, culturel,
spirituel, de base, qui n'est pas celui,
De la société, de la langue, de la culture, d'origine, de l'Autre,
Dans
un
contexte,
Cela suffit-il, et assure-t-il,
chacun, de parler la même langue et des mêmes
choses?
de se remettre en mémoire et de redécouvrir le
l'histoire, la vie des mots, porteurs des petits comme des hauts faits
humains, de la civilisation.
Il est, donc, nécessaire
sens,
On va, donc, passer en revue,
quelques termes, tels
que
définis dans
un
"pluri-dictionnaire Larousse, dictionnaire encyclopédique de
l'enseignement" (1977).
Le mot littérature, vient du latin, litteratura, "écriture", et
désigne
œuvres écrites d'un pays, d'une époque, dans la
plus de la communication qui s'établit avec celui qui les lit, elles
portent la marque de préoccupations esthétiques, morales ou philosophiques",
"1
"2
l'Ensemble des
—
mesure
où,
en
le Métier, travail de
—
l'écrivain"
le mot écriture,
"1
l'Art de
—
représenter durablement la parole par un système de signes
pouvant être perçus par la vue"
"2
la Manière
—
particulière d'écrire"
"la manière de transcrire les mots au moyen
d'un système de signes
graphiques, nommé "alphabet"
"l'ensemble de signes graphiques exprimant un énoncé"
"3
la Manière dont
—
un
écrivant
exprime
sa
pensée ..."
le mot écrire, du latin scrïbere
"1
—
système
"2
Exprimer les sons de la parole ou de la pensée au moyen d'un
de signes graphiques"
convenu
—
Exposer, déclarer dans un ouvrage imprimé"
le mot
"1
—
imprimer, du latin imprimere, "presser sur"
Communiquer, transmettre...
Faire, laisser par
"2
—
pression, empreintes, marques ..."
Reporter (sur du papier, du tissu, etc.)un texte, un dessin, par
25
Société des
Études Océaniennes
A
r/r /rr .Zrr/d/r r/ni Z/'/Zr.) Z-r/vs/t/r/is/r,:
Ijggr
pression d'une surface portant des caractères, des clichés enduits d'encre selon
les techniques de l'imprimerie"
le mot
graphique, du
grec
graphein, "dessiner", "écrire", "décrire"
"Qui représente par des signes ou
le mot dessin, dessiner, du latin
des lignes"
designare, "dessiner"
"Représentation sur une surface (à l'aide d'un crayon, d'une plume, d'un
pinceau, etc.) de la forme et non de la couleur des objets"
le mot tatouer, de
"Imprimer
le mot graver,
"1
ou un
—
Tracer
canif,
"Graver
le
sur
sur
un
l'anglais to tattoo
corps
des dessins indélébiles"
du francique graban, "creuser"
en creux une
figure, des caractères
sur
le bois
le marbre ou la pierre avec un ciseau"
souvenir, un nom, etc. dans sa mémoire, dans
avec une gouge
son
esprit, etc.,
les y
enregistrer durablement"
Tracer sur une planche de métal ou de bois avec un burin ou une
pointe une oeuvre (tableau, dessin, etc.) pour la reproduire en un certain
nombre d'exemplaires par l'impression"
"2
—
le mot
"1
—
enregistrer, de en et registre
Transcrire
ou
inscrire
sur un
registre, pour authentifier, rendre
officiel"
"2
—
Noter par
écrit
ou
dans
sa
mémoire"
le mot tracer, du latin tractns, "trait"
"1
—
moyen
Tracer
un
dessin,
une
figure géométrique, etc., les représenter
au
de lignes et de points"
le mot
creuser,
du bas latin
crosus
"Se dit d'une chose dont l'intérieur est vide"
le mot
hiéroglyphe, du
grec
hiéros, "sacré" et gluphein, "graver"
"Chacun des signes qui servaient aux Egyptiens à écrire les mots de leur
langue" et qui "peuvent évoquer un objet ou une idée en rapport avec leurs
formes ou simplement représenter un son" (p. 672).
(En Polynésie, on ne parle que de "pétroglyphes",
décrivant, simplement, un état, sans envisager,
particulière!)
ou
"d'inscriptions sur pierres",
lui reconnaître de qualité
sans
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Société des
Études
Océaniennes
N° 271
Alors, "l'écriture", "des oeuvres écrites",
Existent-ils dans le monde ma'ohi ?
—
Septembre 1996
des "écrivains",
Y a-t-il une correspondance, dans la langue et la culture de
qu'est "l'ensemble" "littérature" de l'Autre?
Sous quelle forme?
Qu'est-ce qui pourrait,
l'Un, de ce
dans la culture de la société polynésienne, y
correspondre?
A-t-on, y trouve-t-on
les mêmes références?
A tourner autour des termes,
ne
pas
peut apparaître comme une
stratégie, pour
répondre à la question!
Mais,
ces
préliminaires n'ont d'autre raison que celle de relier l'Un à l'Autre,
de redéfinition des termes, de leur
Et, par cet essai de clarification,
contenu, pour l'Un comme pour l'Autre,
C'est tenter de les mettre, tous deux, en
En les amenant à se
situation optimum d'échange,
situer dans des espaces et
des schémas mentaux,
équivalents,
S'y posant dans ce que chacun est,
Pour échanger sur des sujets comparables,
identitaires,
même plein, de choses, semblables, mais dénommées,
qui sont, donc, à mettre, par correspondance, par équivalence,
en connexion, en communication.
Parlant donc, sur un
différemment,
dialogues de sourds, fin, décourageants, et aux
stratégique, des mal-entendus, mal-entendants,
Ceci, afin de mettre fin aux
silences
en
retraite
Lesquels dialogues peuvent faire
sourire, malicieusement ou
des plans sur lesquels
ironiquement, devant le décalage et la non-concordance
chacun s'est placé pour échanger avec l'autre,
passerelles, entre deux mondes, deux peuples,
les circonstances et les volontés humaines et/ou
humanistes, charitables, ont fait se rencontrer, il y a plus de deux
Et, donc, de tendre des
cultures, que l'histoire,
deux
divines,
siècles,
en
Lesquels peuples, coexistent, avec bonheur, depuis
intelligence, dans la paix du Christianisme,
plus d'un siècle, vivant
bonne
Bien que, parfois, se côtoyant, plutôt que s'efforçant de découvrir,
d'apprécier, réellement, l'Autre, dans ce qui fait sa spécificité, sa richesse, son
humanité,
27
Société des
Études
Océaniennes
.iZj// //r/Z/z r/r /s/ ./f r/r/f s/s\)
(£>///r/r.-) ^r/v//s Zr//.// r)
lesquels mondes, depuis leur rencontre et leur tentative mutuelle
l'autre, accusent, actuellement, un décalage,
évidemment, de plus en plus visible, qu'il n'est que temps de prendre en
Et
d'assimilation de l'un par
compte,
D'autant
plus
le décalage, en question, justifie toutes les hésitations,
que
Lequel, avec toute la souffrance contenue, constitue, simultanément,
l'espace de gestation et d'émergence de cette "littérature ma'ohi", d'expression
française et/ou polynésienne, qui n'ose pas encore s'écrire.
Y a-t-il
littérature ma'ohi ?
une
Mais
pourquoi cette question?
similaire à "la littérature",
Est-ce pour savoir s'il existe quelque chose de
dans le monde mental, intellectuel de la société culturelle
Ou
cherche-t-on pas,
ne
les mêmes termes et
propre
sous
polynésienne?
simplement, à y retrouver la réplique exacte, dans
la même forme, de ce que l'on connaît, dans sa
société?
Ainsi, à question
Si l'on
réponse
ambiguë, réponse multiple!
place, pour
négative,
se
sera
Et viendra
y
répondre, dans l'espace culturel de l'Autre, la
confirmer, si besoin était, la pensée
passage, dans l'idée générale,
littérature ma'ohi n'existe pas.
de l'Autre, la confortant,
au
communément admise et répandue, que la
répond par l'affirmative, celle-ci, pour inattendue et inconcevable
qu'elle sera, va apparaître, insensée, dépassant tout entendement, incongrue,
provoquant une levée de boucliers-doute, suspicion, scepticisme!
Si l'on y
Il faudra,
avance, ...en
malgré tout, justifier sa réponse et faire la preuve de ce que l'on
ses références, ...si possible, les mêmes que l'Autre!
donnant
l'on va tenter, à l'instant, mais, avec ses références, à soi, lesquelles,
fait, courent, d'avance, le risque de n'être, donc, pas, forcément,
Ce que
de
ce
compréhensibles, ni, simplement, acceptables, sinon douteuses, par ou pour
l'Autre,
Etant donnée la forme
d'expression habituelle
d'échange,
ou
traditionnelle de
chacune des cultures, en situation
Et
vu
comme
la
prééminence de la culture de l'Un, par rapport à celle de l'Autre,
les interlocuteurs!
cela est vécu, par
28
Société des
Études Océaniennes
N° 271
Dans
Il
dialogue, ouvert, que
ce
s'agit d'entendre,
Bien
l'on ne s'y méprenne pas!
concevable, possible!
compris, dans leur tentative
faire se peut, sur des plans équivalents!
Les non-dits
des
non
Et cela passe par
de placer l'échange,
demander à l'Autre de mieux préciser sa
pensée, et même son arrière-pensée,
S'il peut la percevoir et la dire, annonçant
amené à formuler sa question.
Les modes
Septembre 1996
simplement,
entendu, si cela est
autant que
—
le but, intime, profond, qui l'a
pensée, d'être, tout comme
de vie, de
question, sa
les stratégies, diffèrent,
selon le lieu, le moment,
Même, pour
En
atteindre un objectif commun!
fait, il faut
prendre le risque
le problème, et le problème est, précisément,
l'Un par rapport à l'Autre,
Non en tant que forces à apposer, à opposer,
Mais, en termes d'échange, de richesses humaines à proposer,
Pour se connaître, se reconnaître.
De poser
De
ne
se
poser,
Jusqu'ici, l'objectif culturel, humaniste,
et n'est pas, encore, d'instituer
à déposer,
civilisateur, de cette fin de siècle,
fut pas
Une
mondiale ou internationale
Des peuples, orientaux, occidentaux,...
Journée ou une Année
conquérants, puissants, sur-développés,
industriellement, techniquement, technologiquement
économiquement, sanitairement, humainement,
politiquement, socialement, familialement,
intellectuellement, philosophiquement,
culturellement, moralement, spirituellement...
Mais, simplement, d'aller
autochtones, minoritaires...
Certaines, violentes,
à la rencontre des
fracassantes, dans
!
populations et des cultures
leur expression, d'autres, plus
silencieuses,
D'être à leur
De les
écoute,
apprécier,
différemment!
29
Société des
Études
Océaniennes
.ZJ/s/Zr/s// Zr Zs/ .Zrr/r/r Zr,j Z///Zr-)
Alors, "l'écriture", "des
oeuvres
■)
■
On
emploie ta, a, na, o ta pour désigner
3) Les aliments et boissons, préparations et ustensiles culinaires
Na 'oe anei ïa
O ta'u ïa
:
Cette nourriture est-elle à toi ?
maa
Elle est à moi
maa
Aita
a
tatou
Aita
a
tatou inaï
Nous n'avons rien à manger
Nous n'avons pas de viande ou
maa
de
poisson
Na 'u te
afii
Pour
moi, la tête
toi, la cuisse
Pour moi, l'eau
Pour toi, l'eau de coco
Na 'oe te ate
Pour
Na 'u te pape
Na 'oe te pape
haari
A
ïa
amu
i ta
oe
Ua
ama
anei ta
Ua
ama
ïa
Mange ton poisson
oe
Ton four est-il cuit ?
maa
Il est cuit
Horo 'a tu i te tahi
E
ahi
maa na
'na
Donne-lui
quelque nourriture
Prépare-nous de la popoï
papahia te tahi popoïna tatou
2°) Les discours, les écrits, le travail :
O te parau teie a te taata orero
Teie ta matou pure ia'oe na, e te Atua
Voici le discours de l'orateur
Voici la
prière
que nous
t'adressons, Seigneur
Faatia i ta matou pure
E parau navenave ta 'na
Exauce notre
E
Tu
Sa
puka maitai ta 'oe
Ua tae mai ta 'na parau
Aita oia i rave ta'na ohipa
Na 'na te
prière
parole est agréable
bon livre
as un
Sa lettre est arrivée
Il n'a pas fait son
C'est sa faute
hape
Eaha ta 'na hara
Quel est
son
travail
crime ?
3°) La parenté en ligne directe et légitime exige également l'emploi de ta
Ta 'u taeae
mon
frère
Ta 'u tamaiti
mon
enfant
Ta 'na vahine
sa
Dans cette
E tamahine iti
phrase
no'u,
:
femme
:
ta'n taeae : J'ai
une petite fille ; c'est celle de mon frère, on
emploie no pour la fille qui n'est qu'une nièce et ta pour le frère qui est son
consanguin.
na
Ta semble être la
mauiui ta'u
avae.
l'erreur n'a pas
particule favorite des étrangers, ils diront toujours : Ua
au pied, au lieu de Ua maniui to'u avae. Quelquefois
grande importance, mais souvent ceux qui parlent ainsi se
—J'ai mal
42
Société des
Études
Océaniennes
N° 271
couvrent de
"papaa".
Un
E
Septembre 1996
ridicule. Les Tahitiens disent entre eux : Quelles drôles de gens que
Ils
propres membres.
ces
—
—
se
comparent à des animaux et mangent sans cesse leurs
étranger disait un jour à son hôte :
i te
afi no oe
Expression qui constitue une double injure : d'abord, parce qu'il dit à son hôte
qu'il a une tête d'animal — nous dirions une gueule — ; puis, il lui ordonne de
amu oe
la manger.
indigènes eux-mêmes, écrit Orsmond en 1837, sont trop portés à
étrangers.
J'entendis, cm jour, un vieillard, qui reprenait vertement une jeune fille :
Veux-tu m'insulter ? je ne suis pas un poisson, mais un homme.
Dis : Te omii na'oe.
La tête est pour toi, et non pas : Te omii no'oe. —
Les
imiter les
—
C'est ta tête.
Edouard Ahnne
NOTE
(1) En 1861, la traduction de la Bible en tahitien fut révisée une troisième fois
la direction du missionnaire John Barff de Tahaa, fils d'un des premiers
missionnaires venus à Tahiti. John Barff était né à Raiatea et parlait le tahitien
comme sa langue maternelle. On peut donc considérer la traduction actuelle
comme un
ouvrage classique de la langue tahitienne, ne renfermant qu'un
sous
mjnimum d'erreurs.
NOTE DU TRADUCTEUR.
déjà parlé dans un précédent article (Bulletin n° 11) de cette
qu'Orsmond appelle aussi le pii : mo'a signifie sacré, c'est
souvent l'équivalent de tapu. Certains noms, certaines particules désignant la
divinité ou les puissants du jour étaient sacrés ; le vulgaire n'avait pas le droit
de les employer et, dans les cérémonies religieuses, les fautes de langage des
récitants étaient très sévèrement punies (Voir Les Immémoriaux de Segalen).
Dans son désir de conserver la pureté de la langue, le vénérable Orsmond
semble presque regretter l'abolition du mo'a. C'est pourtant lui qui à propos du
pii cite le vieux dicton tahitien : Te taata i hape i te reo ra, o ohure ura tona io'a ; tera
te an raa o te ohure ura, e tapu ia, qu'il nous est difficile de traduire en français,
mais qui semble bien indiquer que les fautes de langage étaient punies du
supplice de l'empalement.
Que de pals il faudrait de nos jours, si cette loi était toujours en vigueur !
Nous
avons
coutume du mo'a
43
Société des
Études Océaniennes
r/e /a Vfrciéfé e/e-ï 'Sfar/e* f céa/t/c/t/ie-J-
,
N° 271
—
Septembre 1996
ETUDE COMPARATIVE POLYNESIENNE
.
Noms des
jours de lune
^
VERSIONS TUAMOTU
Par Huri
Maui de
Fakirua de
Par Pou a
Ganahoa de
Par F.
de
Teregomaihiti de
Tuteamaru de
Par Ralph
Teragireva de
lune
Kakahina
Hao
Hao
Hao
Hao
Marokau
1er
Rogomatitiro
Par Bernard
Jours
Par Torohia
a
Napuka
f
a
TAHHIEN
MARQUISIEN
MANGAREVIEN
I.
Groupe N.O.
II.
Groupe S.E.
Hiro hiti
OTipi
OTipi
0 Hoata
Otipi
Maema-tai
Tuhava
Tunui
2ème
Hiro
0 Hoata 0 Hiro
0 Hiro
0 Hoata
0 Hiro
E tahi-hania
Ohiro
Maema-rua
Tunu
3ème
Hoata
0 Hoata
Hania tahi
Ohoata
Maema-toru
Tuhakaota
Hania-tahi
Hania-roto
Hania-tahi
Hania roto
0 Hoata
Hania-tahi
E roto-hania
4ème
0 Hania-tahi 0 Hoata
Te tahiga m Hania
Fakaoti-hania
0 hania tahi
Marna riro
Maheamatahi
Hania-roto
Hania fakaoti
Hania hakaoti
Hania-roto
E tahi korekore
0 hania roto
Nakore tahi
Hania-fakaoti
E roto korekore
0 hania hakaoti
Kore-tahi
Nakore roto
Kore-kore tahi
Fakaoti korekore
Nakore tahi
Maheama-ua
Maheama-tou
Koekoe-tahi
Nakore roto
Kore-tai
Korekore-rna
Korekore-toru
Korekore kaha
Tuhava
Tuhakaoata
Maheamatahi
Maheama-ivavana
Nakore hakaoti
Oari
Ohuma
Omahuru
Ohua
Mahari
Aivaku
5ème
6ème
Hania-fakaoti
7ème
Korekore talii
8ème
Korekore fakaoti
9ème
0 Tamatea
0 Vciri
lOème
0
Te
0 Huna
0 Maharu
13ème
0 Maitu
14ème
15ème
0 Turn
17ème
18ème
Rakau tahi
Rakau roto
Rakau fakaoti
Korekore tahi
Korekore roto
Korekore fakaoti
19ème
20ème
21ème
22ème
23ème
24ème
25ème
26ème
29ème
30ème
Koekoe-ua
Koekoe-ivavena
Oreore mûri
Koekoe-tou
Koekoe-haapao
Tamatea
Hatanui
Ai
Ai
Huna
Maheau
Huna
Ari
0 Vari
0 Tamatea
0 Tamatea
0 Tamatea
Ovari
0 Tamatea
OHua
0 Tamatea
OHua
0 Vari
0 Huna
OHua
0 Huna
0 Vari
0 Huna
0 Mahuru
0 Maitu
0 Tamatea
0 vari
Ohuna
0 Huna
OHua
0 Mahuru
0 Maharu
OHua
0 Hotu
Ohua
Oetua
0 Maharu
0 Maitu
Omaharu
Ohotu
0 Maitu
0 Maitu
0 Hotu
Omaitu
Omaure
Atua
Oatua
Ohotunui
0 Maragi
0
0 Hotu
0 Maragi
Oturu
Ohotunui
Ohotumaie
Orakau
Omotahi
Korekore-tai
Korekore-rua
Korekore torn
Korekore-riro
Vehi-tahi
Vehi-rua
Vehi-toru
Vehi-riro
Honu maue
Tuu
0 tuu
Oaniva
Akau
Motohi
Tohiau
Taukume
Oakau
Onetohi
Koekoe-tahi
Koekoe-vaveka
Kumea
Koekoe-haapao
Oreore mûri
Tea
Takaoatutahi
Tuhiva
Tagaroa mua
Takaoatu-vavena
0 Maragi
0 Turu {0 Pahoro)
tahiga
na
rakau
Te rotoga na rakau
Te hakaotiga na rakau
0 Hotu
Rakau tahi
Rakau roto
Rakau fakaoti
Kore tahi
Te
Kore-roto
OKero
Mauri kere
0 hari-kero
Kore-fakaoti
Hania-tahi
Hania-roto
Hania-fakaoti
Tahi
tagaroa
0
Maragi
Pahoro
Rakau tahi
Rakau roto
Rakau hakaoti
Nakore tahi
Nakore roto
Nakore hakaoti
Na
Na
tagaroa tahi
tagaroa roto
Na tagaroa hakaoti
0 Rogo mauri tia
0 Rogo mauri kakere
Na taiva tahi
Na taiva roto
Na taiva hakaoti
-
Tinai ki
32ème
N.B.
Oreore mua
Oreore roto
Korekore roto
Tinai ki te po
31ème
Koekoe-tahi
Maheama-haapao
tepo
0
Ragi
0 Turu
E tahi korekore
E roto korekoere
Fakaoti korekore
E tahi tagaroa
0 Turu
Rakau-tahi
Rakau-roto
E roto
Rau-fakaoti
Fakaoti tagaroa
E tahi rakau
E roto rakau
Fakaoti rakau
E tiketike
Korekore-tahi
Korekore-roto
Korekore fakaoti
Tagaroa-tahi
Tagaroa-roto
Tagaroa fakaoti
Rogonui
Rogomauri
Mauri kero
Tinai ki te po
Hania-tahi
Hania-roto
Hania hakaoti
Kore tahi
Kore roto
Kore-hakaoti
Tinai-po
Mauri Kero
Tinai ki te po
Mauri Kero
0
0 hotu
0 torn (Pahoro)
Tanin te aiahi
0 Hiro
Rogo nui
0 Rogo mauri
j
maragi
Tagaroa tahi
Tagaroa roto
Tagaroa hakaoti
Rogo-nui
Rogo-mauri
0
Otika
0
tagaroa
0
Hua
Otane
Takaoatu-haapao
Omouri
Evehi
0 tane
Ohoata
Tumii
Tane
Ono nui
Onomate
Mouiheo
Okomate
Maharu
Hua
Maitu
Ohua
Oatiati
Ovaka
Ovehi
'
Hami ami mûri
Korekore-fakaoti
Rogo-nui
0 Rogo mauri
0
28ème
mua
Hami ami roto
0 Vari
Rogo-nui
0 Rogo mauri
0 tikatika
27ème
Hoata
Hami ami
Nakore hakaoti
tahiga m Taiva
Te rotoga na Taiva
Te otiga m Taiva
Te tahiga na tagaroa
Te rotoga na tagaroa
Te hakaotiga na tagaroa
0 Rogo-nui
0 Rogo mauri
Tagaroa-tahi
Tagaroa-roto
Tagaroa fakaoti
Tipi
Kore-roto
0 Hotu
Te
0
Kore-fakaoti
0 Maharu
0 Maitu
0 Hotu
0 Maragi
16ème
rotoga m Hania
Tefakaotiga m Hania
Te tahiga m kore
Te rotoga m kore
Te hakotiga m kore
OHua
llème
12ème
Tipi
Hotu
Marai
Turutea
Raau
mua
Raau roto
Raau mûri
Oreore
mua
Oreore roto
Taaroa roto
Taaroa mûri
Tane
Roo nui
Roo maori
Mutu
Teriere
comparant les sept listes paumotu, les unes avec les autres, on ne peut s'empêcher de marquer qu'elles offrent des transpositions erronées et même des interpolations. Mais un expert
avec un peu de bonne volonté, de réflexion et de sagacité arriverait facilement, je pen e, par voie de comparaison et d'instruction à rétablir le texte original de son unité primitive.
Jr certaines listes en offrent jusqu'à 32. Cette anomalie étonne.
Pourquoi cette divergence de nombre dans les diverses listes ? Il n'y a que 29 jours de lune.
En
connaisseur
Le tableau des Jours de lune
a
paru en
avril 1929 dans le Bulletin S.E.O. n° 30
p.
260).
Étu<
es
Océaniennes
Société des
P. Hervé AUDRAN
COMPARTIVE polynésie
LINGUSTQE Numérotain
Fiji
Nle-Zéande
Tahit
Marquise
particule)
(en
Mangreva
E
Rua
E
Eva
E
E
Waru
E
Whitu
Vaù
Hi
tu
E
Tekau
E
Iwa
reka
Rog ur
Onohuù
Ahuru
Aiva
Iva
lima ono vitu walu eiwa tini
E
Rima
Ono
Toru
Pae Ono
Wha
Toru Maha
dua rua tohu
E
Tahi
Piti
(tahi) (rua) (ha) (rima) (fene) (varu)
Hoe
Aima ono hitu Avaù
A
Aha
A
toù
A
Aùa
O
varu Eiva
Ka
E
tahi
A
Ka
ono Ehitu
Erima
Ka
E
Eha
Ka
E
Erua toru
Ka
tahi
E
tahi2
E
ite
ite
ite
2
E
E
E
E
toru
geti
E
E
fa
ha
E
E
4
geti ope
E
3
rima
E
E
5
7
E
varu
E
E
Kihoke EHava
E
ope Ehitu
E
E
Aea
6
8
Eiva
E
Egahur
Ponapona Tukenohi
9
10
miha Ehene hito Ehava Enipa Fak raki
E
(ke a)
Uia
(ope) rima hene hito (hvaawru ) nipa Hakraki
E
Napuka Karari ite geti Kaope Kamihe hene tika hava ohur Kapaha
Reao
E
rari
Mar gai
A
1
Orai1
tahi mea Kuoni Taoni
Hao
(en
Paumotu gén ral)
Nbrs
(Ngahur)
ahur )
(hoe
(hori-hori)
1
La
existe evoinc
II
1
ran
e
meogiphae-e-tni
kieet-
2
lDaenss
P.
Hervé
AUDRN
Le
tableau
Tuaamuunsoxeti (aasi:1kborégnt dldî'lEeoeissnt Nldumaéroetain
ddfaeçpcpc'ouesmat-xàintr.,(h86(42ÎogOr9753i))hktnt,,)fhakeneirti-pvo-. àNiatceag:pproéufmskenc.i., (SBld231uapaenmopE9l°y5né3sOrite)isu.0
N° 271
—
Septembre 1996
DE L'EMPLOI DES POSSESSIFS
(ADJECTIFS OU PRONOMS)
DANS LA LANGUE TAHITIENNE1
Le lecteur est prié de ne voir dans l'étude qui va suivre et dans ses
commentaires
but
:
idée de
aucune
celui de relever les
erreurs
polémique. Nous
ne
visons qu'un seul
partout où elles se trouvent.
La Société des Etudes Océaniennes fait
appel à toutes les bonnes
travailler en commun dans un but essentiellement éducatif et
scientifique ; elle ne saurait, sans perdre ses caractères, permettre ou accepter
l'ingérence dans son sein d'aucune propagande en faveur d'un parti ou d'une
coterie quelconque. Toute considération de personne, de qualité ou de rang
doit être mise à part pour ne retenir que l'effort plus ou moins louable
déployé par tous ceux qui poursuivent un but intéressant.
Il n'y a donc pas lieu de "vénérer" plutôt celui-ci que celui-là. C'est en
restant dans la plus stricte neutralité qu'on peut rendre à chacun selon ses
volontés pour
mérites.
Ceci
dit, arrivons-en à
nos
"moutons".
Dans le Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes numéro
mois de
1938,
62, du
la signature E.A., une étude fort intéressante
sur
l'emploi dans la langue tahitienne, des particules prépositives to, ta, no, na,
o, a, etc. qui servent à exprimer des adjectifs et pronoms possessifs.
Pour l'étranger qui désire s'initier à la langue des Maori, l'usage de ces
prépositions est, en effet, une réelle pierre d'achoppement, tout comme pour
l'emploi en français des articles, le, la, un, une. Mais, tandis qu'en français
aucune
règle ne commande le genre lorsqu'il s'agit d'objets neutres, c'est-àdire sans sexe, il existe bien au contraire en tahitien, une règle parfaitement
nette et précise régissant l'emploi de ce que Gaussin appelle "des
prépositions
de possession se contractant avec l'article te pour former les pronoms ta et to".
Hormis quelques exceptions peu nombreuses, cette règle ne souffre aucune
mars
a paru
sous
tolérance.
1
L'article d'Alexandre Drollet
notes
a
paru en
du traducteur d'Orsmond,
juin 1938 dans le Bulletin n° 63
avec
les deux
Edouard Ahnne.
47
Société des
Études
Océaniennes
A
Sgjr
m
,
.YJ/f/Yr/Zsi f/r
■
Yrr//■//' r/r?) &//t-tZrà Y rzv/// Zr/u/r-)
Il est à remarquer qu'aucune des grammaires ayant paru avant celles
de Vernier et Drollet n'a fourni une explication ou règle claire et précise
permettant de savoir comment
les prépositions a et o doivent être employées
Celle de la Société des Missions de Londres
publiée en 1823
celle qui fut imprimée à Tahiti en 1851, ou celle de Tepano
Jaussen (Paris, Belin, 1898) sont complètement muettes sur ce point pourtant
si important de la syntaxe tahitienne. Cette étrange lacune ne peut être
attribuée qu'à une ignorance manifeste des subtilités de notre dialecte tahitien.
Mais malgré les énormes erreurs commises par la plupart de ces philologues,
il faut, néanmoins, reconnaître tout le mérite de leurs louables efforts.
Ce qui est fort regrettable, c'est que ces inexactitudes sont imprimées
et répandues partout ; elles survivent à leurs auteurs et ne tendent qu'à
augmenter la confusion dans l'esprit de l'étudiant.
correctement.
aussi bien que
qu'en français les adjectifs possessifs sont : mon, ton, son,
les pronoms possessifs sont : le mien, le tien, etc. Mais, si en principe,
l'idée de possession se lie en général à celle de propriété, elle se rapporte
également à la parenté en général et non exclusivement à la parenté en ligne
directe et légitime, comme le prétend à tort le missionnaire anglais Orsmond.
Dans ce dernier cas, la préposition a n'évoque plus l'idée de propriété ; elle
exprime simplement le génitif, de (of). C'est pourquoi il faut dire : Te vahine a
Taero, la femme de Taero ; Te Tane a Tetua, le mari de Tetua, que leur union
soit légitime ou non. On dit également : Te tamahine o Tetua, la fille de Tetua,
parce qu'elle est issue du sein de sa mère. La préposition a ne s'emploierait
correctement qu'au cas où, dans ce dernier exemple, l'enfant ne serait
qu'adoptée et élevée par Tetua. De même, Tetua dira : To'u tamahine, ma fille,
ou Ta'il tamahine tavai, ma fille adoptive, ou
encore Taù tamahine.
Quant au père, il dira toujours, Taù tamahine, ma fille, à moins qu'il ne
veuille spécifier qu'il en est l'auteur, auquel cas il dira : To'n tamahine, ma
Nous
savons
etc. et que
fille
;
To'n
mau
tamari'i,
mes
enfants.
On voit ici que, contrairement à l'opinion du missionnaire Orsmond,
le mot taù n'est nullement plus paresseux que ta'u et to'u. Notre missionnaire
ignorer que ta'u est un véritable adjectif possessif, mon, ma, tandis que
ta'u et to'u sont les prépositions « et o du génitif contractées avec l'article te et
semble
enclitique aux pronoms ail et oil. On trouve dans la Bible tahitienne
exemple typique de l'emploi correct du "paresseux" taù : Luc, chapitre IX,
verset 35 : "O taù Tamaiti here teie, Celui-ci est mon Fils bien aimé".
Jamais un Tahitien, même de nos jours, ne se trompe dans l'emploi
des prépositions de possession, ta, to, na, no, a, o ; ainsi, il ne dira jamais ta'u
taeae, pour mon frère, et si le missionnaire en question a employé ce pronom
dans ses sermons, il a sûrement provoqué quelques sourires et peut-être aussi
quelques quolibets parmi ses ouailles.
liées par
un
48
Société des
Études Océaniennes
N° 271
—
Septembre 1996
Il ne suffit pas, à notre avis, de donner
"quelques règles et de nombreux
exemples" pour instruire l'étudiant. Il importe, au contraire, d'élaborer
premièrement une règle bien solide1 après quoi on l'appuie sur des exemples
corrects. C'est là ce
que n'a su faire le missionnaire Orsmond. Ainsi quand il
dit : "Na'oe te ate, pour toi la cuisse", il se
trompe. Le mot ate appliqué aux
animaux et surtout aux poissons signifie le "foie" ;
quand il s'applique à
l'homme exclusivement, les muscles jumeaux, joints au
ensemble le triceps sural qu'on appelle communément le
soléaire, forment
mollet, terme très
peu usité en tahitien. Chez tous les animaux, les oiseaux, aussi bien que chez
l'être humain, la cuisse se nomme hùfà ou hùhà. Horoa'tu i te tahi maa na'na, est
également incorrect. Le Tahitien dira : A horoà atu i te màà na'na, Donne-lui de
la nourriture, ou (des aliments), de même, il dira : A horoà atu maa màà na
ratou, Donne-leur un peu de nourriture, ou quelque nourriture. Un autre
exemple erroné : "E papahia te tahi popoï na tatou, Prépare-nous de la popoï". Il
faut dire : E papahia oe i te popoï, ce qui signifie : Prépare de la popoï, ou, suivant
les circonstances : Tu prépareras
(futur). La particule E, devant le verbe
Papahia (piler, écraser, broyer au moyen d'un pilon), c'est un impératif qui
exprime plutôt un désir, un voeu, tandis que la particule A sert à exprimer un
ordre formel, un commandement.
Dans l'anecdote du vieillard
reprenant une jeune fille, la phrase : Te
de : La tête (de poisson) qui t'appartient, tandis
que : Na oe te omii, rend mieux le sens de : Pour toi, ou à toi est la tête.
Quant à l'apostrophe placée entre na et oe, elle n'a pas sa raison d'être,
ce
signe de ponctuation n'étant employé — comme en français — que pour
marquer l'élision d'une voyelle. On le trouve dans na'ù, na'na, pour na aku, na
ana, en maori. Pour marquer, en tahitien, l'explosive gutturale provoquée par
la suppression des consonnes K et G, les missionnaires ont
adopté, la virgule
renversée ou un accent sur la voyelle qui suit immédiatement la consonne
supprimée, mais il est préférable de ne pas en abuser. Ainsi, Kaïga, terre, pays,
patrie d'origine, fait en tahitien, àïà ; ici Yï est une voyelle liquide2.
omii na'oe ; a
1
Note du traducteur ;
bien solide ?
2
plutôt le
sens
On peut se demander sur quelles bases sera établie cette règle
Note du traducteur de M. Orsmond. En
ce
qui concerne le mot ate, la rectification de
parfaitement justifiée, car M. Orsmond traduit en anglais ce mot par :
"the calf of the leg" ce qui signifie bien le mollet. L'erreur est donc
imputable au
traducteur qui a pris la cuisse pour le mollet.
Pour les accents ou apostrophes de ton et tau, s'ils sont parfois fautifs, comme le
pense
M. Drollet, le traducteur en prend également la responsabilité, ayant
pour excuse que
le manuscrit qu'il a reproduit est plus que centenaire et d'une lecture souvent difficile.
M. Drollet est
E. A.
49
Société des
Études
Océaniennes
•^Bjpr
Jft/f/Kr/Ssi f/f- /s/ ./rrt'é/A r/r?ï fj/s/r/r.l (f?r
dissertation, citons un passage tiré de l'œuvre
"On voit par là combien il est nécessaire de comparer entre
Avant de clore cette
admirable de Gaussin
eux
:
différents dialectes, même pour en étudier un seul, et, ainsi que nous l'avons
langue polynésienne nous apparaît encore une fois comme étant parlée,
par un seul peuple, mais par l'ensemble des peuples polynésiens. "
les
annoncé, la
noir
Au
sujet de la traduction de la Bible en tahitien, voici ce
qu'a écrit
faut remarquer que, à Tahiti, une grande partie des
distinctions du langage ont disparu depuis l'arrivée des missionnaires anglais, qui
n'ont pu les saisir toutes. Souvent même le changement a eu lieu systématiquement,
et il en était difficile qu'il enffit autrement. Ayant entrepris et mis à fin la traduction
de la Bible, œuvre vraiment remarquable, et ne voulant introduire qu'un petit nombre
de mots nouveaux empruntés à l'hébreu, au grec, au latm et à l'anglais, ils ont dû
nécessairement forcer la signification des mots tahitiens pour représenter un nouvel
ordre d'idées et pour peindre les mœurs si caractéristiques de l'Orient..." Et plus
loin : "Personne ne mettra en doute l'influence que les missionnaires, par leurs leçons
et par les livres qu'ils ont publiés, ont dû avoir sur le langage de la population actuelle
Gaussin
en
1853
:
"Il
de Tahiti. "
Alexandre DROLLET
La couverture du BSEO 271
la parole et au
verbe sont les
premiers .mots du premier chapitre de l'Evangile de Jean dans leur première
traduction en langue tahitienne (par Henry Nott et Pomare II, imprimé à Tahiti en
1821), en langue marquisienne (par James Bicknell, imprimé à Honolulu en 1858,
puis par René I. Dordillon à Bar-le-Duc en 1883) ainsi qu'en langue mangarévienne
(imprimé à Braine-le-Comte en 1908).
Les 4 textes de la couverture du BSEO n° 271 consacré à
Le Musée de Tahiti et des
Mgr Le Cleac'h
îles, le Centre de documentation de l'Eglise évangélique et
nous ont
aidés à collecter
ces
textes, qu'ils en soient vivement
remerciés!
50
Société des
Études
Océaniennes
N° 271
—
Septembre 1996
LA NEGATION EN TAHITIEN
%'!^1
deux sortes de négation1
en tahitien: une négation totale, celle qui
phrase entière, et une négation partielle qui ne concerne que le
prédicat ou le noyau prédicatif. Le choix des différents termes de
négation dépend du sens et de la forme de la phrase non négative
correspondante. Le terme de négation est mis en tête et le reste de la phrase
1
y a
nie la
lui est subordonné2. Le
sujet est le même pour les deux phrases, il suit, en
général, immédiatement le terme négatif. Les phrases négatives sont presque
toujours des phrases à deux prédicats.
Les termes de la négation sont aita ('aore), e'ita (e'ore), e'ere, eiaha et
'ore, les termes de négation presque tous des dérivés formés des particules aet e- et des termes ita "se soulever les
épaules pour dire non", 'ore "disparaître,
se terminer" et 'ere "être
privé de".
AITA
"non,
ne
pas"
Aita est
employé avec les prédicats verbaux, exceptionnellement avec les
prédicats comme les prédicats inclusifs, ceux qui expriment l'idée
"d'avoir". Il peut être remplacé par 'aore .
autres
-
Prédicats verbaux
La
négation aita est utilisée lorsque le prédicat verbal est introduit par la
particule aspectuelle ua (accompli) ou par la particule aspectuelle tê (progressif),
ces dernières étant
obligatoirement remplacées par les particules i et e dans la
phrase négative.
Si le noyau prédicatif est un verbe, ua est remplacé par la particule i dans la
phrase négative mais si le noyau est un nom, il est remplacé par la particule
inclusive
e.
1. Ua
reva
te
pahî.
/ /Asp. partir /art. bateau //
"Le bateau est
parti."
pahî i reva.
/ / Nég. /art. bateau /asp. partir / /
"Le bateau n'est pas parti."
-
Aita te
2. Ua ta'ata.
//Asp. monde.//
-
"Il y a du monde."
Aita e ta'ata.
/ / Nég. /part. incl. monde
"Il
n'y
a
//
personne."
51
Société des
Études
Océaniennes
s/r //r ///rAVr r/a)
fë/n-r/eâ-
Lorsque la phrase non négative est introduite par la particule
celle-ci est remplacée obligatoirement par la particule e.
Tê ta'oto nei te
/ / Asp.
progressive te,
tamarïi.
mau
dormir déict. /art. plur. enfant / /
"Les enfants dorment."
Aita te
-
/ / Nég.
mau
tamari'i
e
ta'oto nei.
/art. plur. enfant /asp. dormir déict. / /
ne dorment pas."
"Les enfants
-
Prédicats inclusifs
négation aita lorsque le prédicat inclusif a
(idée "d'avoir").
1. E pape tô tera vâhi.
//Part. incl. eau /art.-prép. dém. endroit //
"Il y a de l'eau à cet endroit."
On utilise la
valeur possessive ou
locative
Aita tô tera vâhi
-
e
pape.
// Nég. /drt.-prép.
"Il
dém. endroit /part. incl. eau / /
endroit."
a pas d'eau à cet
2. E 'ahu tô Merehau.
n'y
/ / Part. incl. robe / art. poss.
"
Aita tô Merehau
-
Merehau / /
Merehau est vêtue."
e
'ahu.
/ / Nég. / art. poss.
"Merehau n'est pas
E'ITA "non, ne
Merehau / part. incl. vêtement / /
vêtue."
pas"
On emploie la négation e'ita lorsque la particule aspectuelle de la phrase non
négative est la particule e (non accompli). E'ita peut être remplacé par e 'ore.
1. E haere mât ou i Huahine.
/ / Asp. aller /nous / à
Huahine / /
"Nous irons à Huahine."
E'ita mâtou
-
e
haere i Huahine.
// Nég. /nous /asp.
"Nous n'irons pas
2. E
reva
te
mau
aller/prép. Huahine / /
à Huahine."
tamari'i.
/ / Asp. partir / art. plur.
"Les enfants
-
E'ita te
mau
enfant / /
partiront."
tamari'i
e reva.
// Nég. / art. plur. enfant
"Les enfants
ne
/
asp.
partir / /
partiront pas."
52
Société des
Études Océaniennes
N° 271
E'ERE "non, ce n'est
E'ere nie les
—
Septembre 1996
pas"
prédicats nominaux, prépositionnels, inclusifs, numéraux et ceux
conjonction, jamais les prédicats verbaux. C'est une
introduits par une
négation
-
par
privation.
Prédicats nominaux
Lorsque le sujet est une forme nominale simple (art. + lexème), seul le terme
de négation e 'ere est employé.
O Teva tô mâtou matahiapo.
/ / Ident. Teva/art.-prép. nous aîné //
"Notre aîné est Teva."
-
E'ere tô mâtou
matahiapo o Teva.
/ / Nég. /art.-prép. nous aîné/ident. Teva. //
"Teva n'est pas notre aîné."
-
Prédicats
prépositionnels
mai au.
/ / Prép. art. maison direct, /je //
"Je viens de la maison." (origine)
E'ere au mai te fare mai.
// Nég. /je/prép. art. maison direct.. //
"Je ne viens pas de la maison."
1. Mai te fare
-
2. Nâ Tiare tera mîmî.
/ / Prép. Tiare / dém. chat / /
"Ce chat est à Tiare."
-
E'ere tera mîmî nâ Tiare.
Il Nég. / dém. chat / prép. Tiare
"Ce chat n'est pas
-
//
à Tiare."
Prédicats inclusifs
Lorsque le sujet du prédicat inclusif est une forme nominale simple, le terme
de négation utilisé est e'ere, la phrase négative ne contient qu'un seul prédicat,
la négation, le prédicat inclusif étant devenu le complément.
E 'orometua
o
Tihoni.
/ / Part. incl. pasteur/ident. Tihoni
"Tihoni est (un) pasteur."
-
E'ere
o
//
Tihoni i te 'orometua.
/ / Nég. Iident.
Tihoni/prép. art. pasteur. / /
(un) pasteur."
"Tihoni n'est pas
53
Société des
Études
Océaniennes
Jk
•/////r/s/u\)
UNE PAROLE DE PROXIMITE
REGARDS SUR LA LITTERATURE POLYNESIENNE
ANGLOPHONE DU PACIFIQUE
"DES PETITS SIGNES NOIRS"
doptant
prétendu point de vue maori pour témoigner de
polynésienne à l'époque où se répand et
s'enracine le prosélytisme missionnaire protestant, l'écrivain Victor
Segalen, dans son célèbre roman les Immémoriaux (1907), rend compte des
signes écrits et du phénomène de l'écriture en général, tel qu'est censé les
percevoir le prêtre païen Paofai. Segalen mêle fausse naïveté et vraie poésie
dans cette évocation qui correspond à la définition de l'exotisme en tant
"qu'esthétique du divers" :..Les étrangers blêmes... ont beaucoup d'ingéniosité : ils
tatouent leurs étoffes blanches de petits signes noirs qui marquent des noms, des rites,
des nombres. Et ils peuvent, longtemps ensuite, les rechanter tout à loisir.
Quand, au milieu de ces chants, - qui sont peut-être récits originels, - leur mémoire
hésite, ils baissent les yeux, consultent les signes et poursuivent sans erreur. Ainsi
leurs étoffes peintes valent mieux que les mieux nouées des tresses aux milliers de
un
l'affaiblissement de la culture
nœuds...
Plus récemment écrit, le roman d'Alan Duff, l'Ame des guerriers (1990),
aborde dès les premières pages la question de la situation du livre dans la
société maorie contemporaine : alors que l'héroïne Jake Heke, fouille dans les
chambres de
ses
enfants à la recherche de livres, considérés
véritable
comme une
allégorie du désir de réussite sociale, elle ne découvre que des
bandes dessinées, des revues de sport et, sous le lit de l'aîné de ses fils, un
magazine pornographique ; c'est alors qu'elle se demande "Pourquoi les Maoris
ne s'intéressent-ils
pas aux livres ?" et comprend que sans livre la société maorie
"n'a aucune chance de s'en tirer dans la société moderne". Cette interrogation
anxieuse sur l'écriture le livre et la lecture, bien légitime
lorsqu'elle provient
d'un écrivain maori, constitue l'un des défis majeurs des sociétés de tradition
orale, car il s'agit en réalité d'une part importante de leur intégration dans les
processus d'échanges et de communications contemporains.
Henri Hiro lui-même, tant pétri de la tradition polynésienne, dans
l'interview qui clôt le recueil poétique intitulé Message poétique (1991),
exhortait les Polynésiens à écrire : "Pour assurer la continuité (culturelle), il faut
que le Polynésien se mette à écrire... il doit écrire et ainsi s'exprimer, peu importe que
ce soit en reo ma'ohi, en
français ou en anglais, l'important est qu'il s'exprime".
70
Société des
Études
Océaniennes
N° 271
Il y a là une question fondamentale
formes d'expression de la culture.
—
Septembre 1996
qui touche à l'identité comme aux
Aujourd'hui pourtant, l'écriture n'est plus l'apanage des seuls Européens,
s'opérer1, timide sans doute, mais réel. En effet, depuis
quelques années apparaît en Polynésie française une littérature francophone
écrite par des Polynésiens (Flora Urima/Devatine, Michou Chaze, Charles
Manutahi, Louise Peltzer, Chantai Spitz, Jean-Marc Pambrun etc.). Les
premiers textes relevaient du genre poétique (le phénomène est connu : c'est
par la poésie qu'un peuple renoue avec la culture), depuis, des récits en prose
sont produits. L'émergence de cette littérature signifie que les Polynésiens
sont à même d'exprimer leur être, leurs émotions, leur imaginaire et de jouer au sens littéraire du terme - avec la langue française. Cette littérature devient
le signe à la fois d'une appropriation et d'une intégration culturelle, mais aussi
paradoxalement d'une révolte peut-être contre cette culture étrangère
envahissante, au point qu'elle change l'individu, conscient désormais de la
distance existant entre le monde des origines et la personnalité revisitée par la
modernité. Etre écrivain polynésien ne constitue pas encore toutefois un signe
de reconnaissance sociale, phénomène si important dans une société en
le transfert finit par
situation de modernisation
ou
d'acculturation.
jeunes écrivains polynésiens - des femmes surtout - surmontent un
certain nombre de problèmes fondamentaux comme ceux du passage à l'acte
d'écrire dans la langue qui fut celle du colonisateur, ceux liés à l'existence ou
non d'éditeurs locaux, voire de lecteurs. Ces écrivains polynésiens font
entendre une voix qui n'est plus celle des Occidentaux, lesquels avaient
pourtant pris l'habitude depuis deux siècles d'occuper le terrain des
représentations imaginaire et littéraire des îles océaniennes.
Ces
thèse sous forme de postulat : nous pensons que l'écriture,
qu'expression artistique, s'impose à tous les peuples accédant à la culture
moderne dès lors qu'ils ont atteint un seuil de connivence ou d'intégration. C'est ainsi
qu'une littérature d'émergence (dite francophone, anglophone etc.) est apparue dans
l'ensemble des pays jadis colonisés. Mais il convient de se demander si elle saura
partout se pérenniser, compte tenu des traditions et de l'histoire de chacun des pays où
I
Cet article repose sur une
en
tant
elle s'inscrit.
points de vue ou hypothèses sont envisageables; il est, par exemple, possible
certaines cultures pourraient faire l'économie de l'écriture littéraire et
passer d'une culture essentiellement orale à des formes plus adaptées d'expression
artistique comme la peinture, le cinéma, la chanson, la danse, l'art oratoire etc. La
présence toutefois de quelques écrivains ne signifie pas pour autant que l'écriture soit
reconnue pour ce qu'elle est, par le corps social.
II faut encore, pensons-nous, attendre en Polynésie deux ou trois décennies pour être
D'autres
de penser que
fixé
sur
le sort de l'écriture littéraire.
71
Société des
Études
Océaniennes
.'Jff/s//*•///* f/f' /ï
maori, grâce à un piano dont la musique initie une relation d'amour
passionnelle, très intense et physique. Les personnages atypiques de cette
histoire remplissent tous des fonctions
symboliques.
Le film est tourné dans le bush, "une contrée moussue, très intimiste
qui a
cet
aspect un peu trouble presque sous-marin", et la présence des Maoris n'est
figurative ni anecdotique ; ils participent à l'histoire tout naturellement
parce qu'elle se déroule sur leur terre et qu'il y a promiscuité entre eux et les
Blancs. Et il est d'ailleurs question des terres
que les Blancs essaient d'acheter
à vil prix.
Le scénario est suivi d'un
exposé précis et utile concernant la réalisation du
film lequel précise en outre les enjeux
personnels - pour la réalisatrice - et
collectifs pour la société néo-zélandaise - de La leçon de
piano.
Ce livre-scénario tient à la fois du roman et du
théâtre, il complète à
merveille le film qu'il rend plus dense,
plus complexe et partant plus
ni
-
littéraire...
Daniel
Margueron
2
Signalons également pour le lecteur intéressé par la production littéraire néocontemporaine, la traduction du roman de Janet Frame (née en 1924) Oxols
Do Cry, en français Les hiboux pleurent vraiment aux éditions
Joëlle Losfeld à Paris en
zélandaise
novembre 1994, traduction dûe à Catherine Vielledent.
Dans la
préface, Viviane Forester écrit : "Aux antipodes, la Nouvelle-Zélande et,
partout ailleurs, à chaque heure et sans fin, des êtres éperdus de patience, qui
ne se lassent
pas de désespérer, avides de volupté, bousculés au sein d'une durée
implacable où ils tentent de se bercer, fût-ce sur un mode précaire, tandis
qu'inexorable la mémoire piège chaque instant pour en répercuter les échos en abîme.
Parmi eux les Withers, dont Janet Frame nous conte la
saga blême et sensuelle à la fois.
Les Withers ballottés, coincés,
pauvres et dignes, sans autre ressource face au vide, au
chaos de l'existence, que celle de former une famille. Les
Withers, bloqués et
frémissants, confrontés à la mort comme aux factures..."
comme
Ce
roman
n'est pas sans
Tamahori s'est
inspirée
rappeler celui d'Alan Duff, Once were Warriors dont Lee
réaliser l'Ame des guerriers, film qui a connu un succès
pour
prodigieux à Tahiti au cours du 4° trimestre de l'année 1995 (une dizaine de semaines
à l'affiche et
près de 20.000 spectateurs, soit 10 % de la population de la Polynésie
française). Entre les Withers et les Heke la famille maorie d'Auckland -, une
différence fondamentale apparaît : la redécouverte de la culture
polynésienne
fonctionne comme une bouée de sauvetage pour
ces déclassés déculturés, tandis que
les Withers n'ont
pas ou plus accès au bonheur d'une culture-ressource qui agirait
comme une transcendance,
permettant le dépassement d'une existence quotidienne
médiocre, problématique et sans espoir.
-
78
Société des
Études
Océaniennes
N° 271
—
Septembre 1996
BIBLIOGRAPHIE
leçon de piano, scénario, traduit de l'anglais par Sandrine Patte, Union
d'Éditions, collection 10/18 n° 2423, Paris 1994.
Alan, l'Ame des guerriers, traduit de l'anglais par Pierre Furlan, Actes Sud, Arles
CAMPION Jane, La
Générale
DUFF
1996 ;
Potiki, VHomme-amour, traduit de l'anglais par Hélène Devaux-Minié,
1993 ;
IHIMAERA Witi, Tangi, traduit de l'anglais par Jean-Pierre Durix, éditions Belfond,
GRACE Patricia,
éditions Arléa, Paris
Paris 1988 ;
LACABANNE Sonia, les Premiers romans
anglaise (1948-1983), Publications
polynésiens, naissance d'une littérature de
de la Société des Océanistes n° 43,
1992.
MARGUERON Daniel, Tahiti dans toute sa littérature, éditions
langue
176 pages, Musée
de l'Homme, Paris
l'Harmattan, Paris 1989.
ANNEXE
BIBLIOGRAHIE DES AUTEURS
SONIA LACABANNE
POLYNESIENS CITES DANS
L'OUVRAGE DE
BAKER, P. H. Behind the tattooedface, (Watamongo Bay Cape Catley, 1975)
FRISBIE, F. Miss Ulysses from Puka-Puka, the autobiography of a South Sea
Trader's
Daughter (London Macmillan CY, 1948),
GRACE P. Waiariki (Auckland : Longman, 1975),
Mutuwhenua : the Moon Sleeps (Auckland : Longman, 1978),
HAU'OFA, E. Tales of the Tikongs, (Auckland : Longman, 1983),
HOLT, J.D. Waimea Summer (Honolulu : Topgallant, 1976),
Princess of the Night Rides and Other Tales (Honolulu : Topgallant, 1977),
HULME, K. The Bone People (Auckland : Spiral in association with Hodder Stoughton, 1983),
IHIMAERA, W. and LONG D.S. Into the World of Light (Auckland : Heinemann, 1982).
IHIMAERE, Witi, Tangi (Auckland : Heinemann, 1973).
Whanau (Auckland : Heinemann, 1974).
Pounamou-Pounamou (Auckland : Heinemann, 1977).
PILLAI, R, Tlte Celebration (Suva : Mana Publications and SPCAS, 1980).
WENDT, A., Sons for the Return Home (Auckland : Longman Paul, 1973).
Flying Fox in a Freedom Tree (Auckland : Longman 1974),
Leaves of the Banyan Tree (Auckland : Longman 1979),
Pouliuli (Auckland : Longman 1977)
L'ouvrage de Sonia Lacabanne ne comporte pas d'autre bibliographie en fin de volume
que celle-ci (les livres ou articles consultés se trouvent en note de bas de pages, au
du texte), nous voudrions ajouter le travail suivant :
SUBRAMANI, South Pacific Literature, From myth to fabulation, University of the South
fil
Pacific, Suva, 1985.
79
Société des
Études
Océaniennes
A
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m
MISSIONS EVANGELIQUES DE PARIS
EN POLYNESIE DURANT L'ENTREDEUX GUERRES :
ROLE DES LANGUES DANS UNE
POLITIQUE D'ASSIMILATION
Lorsque les Missions Evangéliques de Paris s'engagent à Tahiti en 1863,
elles entendent avant tout
participer à l'avènement d'un monde chrétien.
marqué du signe de l'ambiguïté, non seulement
parce qu'il se situe dans le contexte général d'une expansion mondiale des
nations occidentales, mais aussi parce
que les missionnaires eux-mêmes
acceptent les liens entre mission et colonisation et adhèrent totalement à la
logique de construction de la nation française en pratiquant "tout à la fois
Toutefois cet élan est
l'internationalisme chrétien
La
sens
et le
patriotisme français."1
question des langues étant indissociable du rapport Etat-Nation dans le
où "l'Etat construit la Nation entre autres à travers
sa
langue"2, il convient
d'examiner le rôle que les missionnaires de la Société de
paris font jouer aux
langues française et locales dans la politique d'assimilation dont ils sont des
acteurs de premier plan. C'est un lieu commun, en effet, de dire
qu'ils se sont
attachés à préserver les langues locales, mais
qu'en a-t-il été exactement ? A
travers cette
question, il s'agit moins pour nous de décerner des points de
de chercher les logiques mises en œuvre
regard du pouvoir politique et de l'évolution de la société.
bonne
en
ou
de mauvaise conduite que
L'utilisation de la
langue tahitienne
ou
le pragmatisme des pasteurs
Il est probable que bon nombre de
pasteurs sont marqués par le
pragmatisme et souscrivent à la proposition selon laquelle "pour l'envoyé de
Dieu, la langue n'est pas une fin, c'est un moyen d'instruire le
peuple". Le
recours à la
langue vernaculaire qui est entendu de la quasi-totalité de la
population peut, en effet, s'avérer l'outil le plus efficace pour l'instruction
80
Société des
Études
Océaniennes
N° 271
—
Septembre 1996
religieuse du peuple. Le tahitien, dominant, permet donc de toucher les
milieux populaires. Il contribue, d'autre part, à rendre le "message proclamé"
moins étranger et à faire que l'autre s'évangélise en partie lui-même. Ceci est
d'ailleurs la manière générale de procéder des Missions évangéliques.
Remarquons aussi que cela démontre, si c'était nécessaire, que le rôle souvent
attribué à l'Eglise Protestante dans la préservation des langues autochtones
est tout à fait exagéré : la langue n'est qu'un moyen pour faire passer
l'Evangile.
Il est assez exceptionnel d'entendre des pasteurs s'exprimer sur ce sujet et
prendre position pour le choix de l'une ou l'autre langue comme le fait par
exemple L. de Pomaret, missionnaire chargé de la paroisse tahitienne de
Paofai de 1907 à 1924. Il affiche clairement, au directeur des Missions de Paris,
septembre 1923, sa volonté de faire usage du tahitien pour évangéliser les
indigènes et écrit : "Nous n'avons pas à les sortir de leur milieu national mais
à faire pénétrer de plus en plus l'Evangile dans ce milieu. La tradition
constante de notre Société des Missions est d'annoncer aux indigènes
en
l'Evangile dans leur langue, de nous faire
et Tahitiens avec
franciser
[...] Malgaches avec les Malgaches
les Tahitiens et non de les
[...]
qu'une forte instruction
Il faut
civiliser à outrance et de les
biblique soit assurée et donnée au peuple
langue, et que les écoles [...] tout en enseignant le
français aux enfants indigènes, deviennent, au point de vue de la religion et
de la conversion, des pépinières vivantes de l'église indigène"3. C'est dans ce
sens que M. de Pomaret demande au comité directeur des Missions dans son
rapport du 13 septembre 1923 "que les nombreuses jeunes tahitiennes, qui
sont élèves pensionnaires de notre école de filles, soient envoyées à l'école du
dimanche tahitienne qui a besoin d'elles, qui les réclame...".
tahitien dans
sa
L'attitude de
propre
ce
pasteur va,
semble-t-il, au-delà de l'utilisation de la langue
simple outil de communication. Il confère à cette utilisation une
signification idéologique, pas très explicite cependant. L'argumentation qu'il
développe laisse voir que, dans cette défense du meilleur moyen
d'évangélisation, les motivations ne sont pas très claires. En effet, L. de
locale
comme
financiers. Il écrit : "Seules la bible
évoque par exemple des intérêts
tahitienne et la mentalité tahitienne formée par
Pomaret
elle produisent les collectes
leur succès". De plus, objectifs et moyens
enfants tahitiens ne sont pas orientés
l'Eglise tahitienne on aboutit droit, et très prochainement, et dès
maintenant même, à une nouvelle génération qui, née à Tahiti, aura honte de
la langue, de la Bible et de l'Eglise de ses pères".
L. de Pomaret veut également éviter une coupure culturelle entre l'Eglise
de langue tahitienne et celle de langue française, cette dernière tendant à
des
églises tahitiennes et assurent
semblent
se
confondre chez lui : "Si nos
vers
81
Société des
Études
Océaniennes
f/r 6/ S/r-r/t'/A r//>tl &//f-r/c& fcrrz/su'r/i/srJ
«igjjr
s
devenir l'église de la bourgeoisie française, "demie" ou tahitienne de l'époque.
D'ailleurs, dans la très forte demande de prédication en français, l'ensemble
missionnaire perçoit bien les aspects ambigus pour les éléments qui
comprennent les deux langues. "Nous croyons sincèrement que, mettre fin à
ce
qui existe comme Œuvre française serait priver de tout secours religieux un
certain nombre de personnes qui, plus ou moins fréquemment, viennent
s'assembler autour de la Parole de Dieu. Or, ces personnes, pour la plupart, ne
se
joindraient pas à l'Eglise tahitienne, soit par ignorance de la langue, soit par
préjugé - regrettable évidemment - mais avec lequel il faut compter". Ce signe
de distinction sociale par la fréquentation du culte dans l'une ou l'autre
langue risque, en effet, à terme de conduire à une désaffection ou à une
scission de l'église.
Quoi qu'il en soit, à travers ces déclarations, nous pouvons noter le souci
des missionnaires protestants de s'adapter partout et d'installer une stratégie
de maillage permettant l'intégration de tous. Il n'est pas difficile de percevoir
le pragmatisme qui commande l'usage de la langue française pour obtenir
l'adhésion de la bourgeoisie et celle de la langue tahitienne comme outil de la
défense et de l'implantation populaire du protestantisme et même comme
moyen de légitimer l'action missionnaire outre-mer : "Faites cesser [...] le
contact fréquent, vivant avec la Bible tahitienne, aussitôt l'esprit missionnaire
s'éteindra". Cependant, la ligne de partage n'est pas facile à établir dans la
mesure où les choses ne sont pas clairement affichées.
du corps
La
promotion de la langue française
va
autrement des maîtres
Si les pasteurs
sont, en général, mus par une
logique tahitianophone, il
d'écoles missionnaires protestants.
C'est,
en
en
effet,
champ missionnaire étroitement associé au domaine
rencontrent surtout les cas les plus explicites de préférence
dans les fractions du
scolaire que se
francophone sans toutefois que les personnes s'en prennent ouvertement aux
langues locales.
Ces missionnaires ne peuvent renier l'héritage de leurs prédécesseurs de
la fin du XIXème siècle tel le pasteur Atger qui, à l'inauguration de l'Ecole
Protestante Française de Papeete, le 17 septembre 1866, marquait de façon
claire son hostilité vis-à-vis de la langue locale : "La langue indigène ellemême est pour nous une autre difficulté. Exprimant surtout les besoins et les
sentiments d'un peuple enfant, elle est insuffisante pour rendre toutes les
nuances de nos idées morales et se dresse souvent entre nous et ce peuple
comme une barrière. Et bien ! cette barrière, nous la supprimerons, ces
obstacles nous travaillerons à les vaincre. Nous apprendrons aussi le français
à nos enfants et, avec une langue nouvelle, nous ferons pénétrer dans leurs
esprits des idées nouvelles et dans leurs cœurs les principes d'une plus haute
82
Société des
Études Océaniennes
N° 271
—
Septembre 1996
[...]et la patrie dont nous servons l'influence et dont nous propageons
langue et la civilisation [...] sera contente de nous."
moralité
la
Comment des missionnaires, des hommes si
bien de leur temps,
ce genre de discours qui reflète tout à fait la mentalité du
début du XXème siècle et les idées du géographe français Onésime Reclus. Ne
pourraient-ils rejeter
moins une "solidarité humaine à
à la langue un rôle unificateur
associant le progrès général de la société au recul des particularismes ?
La connaissance du français semble ainsi être l'un des objectifs majeurs de
l'enseignement. Dans une lettre adressée au directeur et aux membres du
comité de la Société des Missions, Edouard Ahnne parle des efforts faits par
l'administration pour répandre le français. Plus loin, il fait état des limites de
l'Eglise protestante pour ouvrir des écoles car "dans la plupart des îles nous
n'avons que des pasteurs indigènes ne sachant pas ma mot de français, lacune
que nous déplorons". Pour atteindre cet objectif, les dispositions prises par
l'arrêté du 7 novembre 1857, proscrivant l'usage de la langue tahitienne
pendant les heures de classe, sont conservées pendant toute la période de
l'entre-deux-guerres. L'utilisation répressive du "symbole" est très vivace. Il
est cependant impossible de quantifier précisément son usage.
Cette attitude d'hostilité à l'égard de la langue tahitienne est largement
partagée par la bourgeoisie locale et par les parents d'élèves, usagers de
l'école, qui mettent en avant, par une sorte de contrat verbal passé avec
l'institution, l'acquisition privilégiée de la langue française pour accélérer un
processus d'acculturation et de promotion sociale. Ce phénomène est
particulièrement visible pour les gens du peuple qui compensent la précarité
de leur position sociale et culturelle en détournant très tôt leurs enfants de la
tradition avec l'espoir que peut-être ils pourront obtenir un poste dans
s'agit-il
d'apporter la civilisation ou au
partage culturel" et d'assigner
pas
travers le
l'administration. Dans
une
lettre collective adressée au directeur des Missions
de missionnaires fait part de cela : "De
plus, la population indigène recherche l'instruction et la culture
françaises... les enfants envoyés ici des districts et des îles, le sont pour
acquérir le plus de français possible. Si nous nous y refusons, d'autres sont
tout prêts à le faire, incrédules militants ou surtout les suppôts de Rome..."
Ainsi, se positionner dans le domaine de la langue française, c'est d'abord
faire preuve de loyauté envers la République en montrant qu'on n'est pas
Anglais ou anglophile et en entrant dans la politique nationale de l'instruction
publique ; mais c'est aussi un moyen d'asseoir l'institution et la structure
protestante face à la concurrence catholique.
de Paris le 2 octobre 1923, un groupe
plus
en
Nous pouvons
dire qu'en général, les missionnaires avaient, face à la
question de la langue, une préférence francophone. Par cette politique, ils ont
maintenu une ligne de loyalisme français. Si certains se sont attachés à
83
Société des
Études Océaniennes
A
f/r //■r f/b-réé/A s/r?)
(5/ur/r.i fàr/'/7/iïr/i/trà
s
défendre "le
particularisme tahitien", c'est surtout par pragmatisme : la langue
toujours avérée comme un canal très efficace pour la
propagande chrétienne surtout dans les milieux les plus populaires. Cette
défense du particularisme n'est pas du tout en contradiction avec la politique
d'assimilation de l'administration française. Dans l'un ou l'autre cas, tel
semblait être le prix à payer, pour implanter le protestantisme dans toutes les
couches de la société, installer l'Eglise protestante et réaliser l'intégration de la
population locale dans la République une et indivisible.
locale s'étant
Durant la
période qui court de la première à la seconde guerre mondiale,
pouvoir civil continue à utiliser plus ou moins subtilement la mission
protestante à son profit pour encadrer la population des E.F.O. Les
missionnaires protestants adhèrent totalement à cette politique qui permet au
protestantisme de se trouver une place dans la société française et d'exister
comme communauté française et comme une des forces vives de la nation.
le
Quoi qu'il en soit, individuellement ou par l'institution qu'ils
représentaient, les missionnaires protestants ont joué un rôle déterminant
dans la diffusion des idées républicaines. En cela, ils sont restés des hommes
en
"vêtements occidentaux".
Annick LOMBARDINI
NOTES
1
II n'est pas possible d'aborder ce passage sans rappeler que nous nous trouvons en
pleine situation de francophonie, terme et notion forgés par Onésime Reclus (18371916) en 1880, et consistant à classer les hommes selon les langues qu'ils utilisent. Elle
s'inscrivait alors dans le cadre d'un colonialisme
"assigner à la langue
sans
honte, civilisateur et revenait à
dépourvu d'un arrière plan impérialiste".
Cf. Simone Wion, "Connaissez-vous Onésime Reclus ?" in Reflet n° 28,1988,
p. 25
2 D. Baggioni, "Normes linguistique et langue(s) nationale(s) : variété de processus de
constructions des identités linguistiques nationales dans l'espace
européen passé et
présent", polycopié. Université Paris VII, p 7.
3
Discours du directeur du comité des Missions évangéliques (Rapport annuel de 1923,
Archives du Defap).
un
rôle unificateur
non
84
Société des
Études
Océaniennes
N° 269-270 Tome XXIII N° 5 Avril 1996
PAPEETE DE JADIS ET NAGUERES
AU TEMPS DES MAIRES DES CENT PREMIERES
ANNEES DE LA COMMUNE DE PAPEETE
1890-1990
(2ème partie)
|année 1971 est importante pour Tahiti, sur le plan sportif... et touristique :
après Suva (1963), Nouméa (1966), Port Moresby (1969), les IVèmes Jeux
du Pacifique Sud sont avancés à 1971 à Tahiti (la charte des JPS/SPG les
fixant généralement tous les 3 ans), pour raison d'opportunité conjoncturelle : entre
les Jeux Olympiques (Mexico 1970) et le Mundial de football (Mexico 1972). Tahiti
inaugure ses installations sportives, Taote Cassiau peut être fier de la réussite finale
de la F.G.S.S. y associant les tâches ingrates de son Centre de presse de Pâ'ôfa'i
(sous la responsabilité du C.T.R. de voile Jean Campistron au regard azuréen) et de
la Cantine de soeur Ambroise... mais le football tahitien est en deuil de sa défaite en
demi-finale contre les Néo-Hébridais (incessants Vanuatu)...
Angéli s'est attaché à rendre efficace la réforme communale intervenue par
qui a créé (après Pape'ete, puis 'Uturoa, ensuite F'a'a'â et
Pira'e) 44 nouvelles municipalités : 9 à Tahiti et 35 hors Tahiti. La présence militaire
navale et aérienne française donne l'occasion au Gouverneur de visiter le
maximum d'îles et de mieux connaître les problèmes prioritaires des archipels,
pour favoriser à bon escient leur développement.
décret du 17 mai 1972,
Rudy Bambridge, — ancien élève de l'Ecole des Frères,
âgé de 30 ans en venant talonner Pouvâna'a aux élections législatives de 1956,
élu conseiller territorial en tête de sa liste (5 novembre 1957), crée aussitôt le
parti U.T.D. qui l'en désigne président : nous sommes à l'époque de l'application
de la loi-cadre, J.B.H. est président de l'Assemblée Territoriale, Pouvâna'a est
député, mais le torchon brûle chez les ténors du pouvoir à teinture
d'indépendance dans la convoitise du sceptre de vice-président du pentagone
polynésien côte à côte avec le gouverneur-président. Rudy s'éclipse comme leader
en 1969,
pour promouvoir son poulain Jacky Teuira et mieux se consacrer à sa
charge de membre nommé en novembre 1968 et renommé fin 1969 au Conseil
Economique et Social, siège à Paris... et Rudy, érudit châtelain-marquis de SaintRémy, outre ses activités équestres, se partage entre l'hippodrome de Nahoata et
ses
exploitations agricoles et d'élevage en métairie à Pâpara et dans la plaine de
Vaihiria, entre autres terres, à partir de sa résidence familiale de Hamuta dans la
principauté des Pômare, auxquels il est attaché et maintenant lui-même
princièrement allié avec les Salmon.
L'avocat-défenseur
alors
—
85
Société des Etudes Océaniennes
Jb9k
r/r- /rs /f rt'r/r r/s>,) (y/wr/r?)- forr/s/t /r///u\ï
+
.
Le
maire de
Pira'e, autre natif de Rikitea, prend alors à 40 ans
parti UTD-UDR (juillet 1971) qu'il façonnera ultérieurement, comme
se voulant rassembleur de la
population, sous le nom de Tâhô'êra'a Huira'atira,
qu'il domine depuis Vetea.
nouveau
la tête du
Aux élections territoriales de
1972, déjà bat pleins sons le "spectre" à
(sic !) de la revendication d'autonomie interne, que d'aucuns
brandissent comme antichambre de l'indépendance et du chaos... Et Utato,
notre Eustache ma'areva, ancien élève de l'Ecole des Frères et aussi ancien
instituteur, est installé président de l'Assemblée Territoriale (octobre 1972), où
sont également "montés" Frédéric Tutaha Salmon
(42 ans) à la fine moustache,
gentil avec tout le monde, — qui vient de remplacer son père adoptif Ra'iari'i
Tava'e-a-Tevaeara'i, poilu Croix de Guerre 1916-19, figure célèbre de Tautira
tête de mort
comme
Tâvana de 1919 à 1972
—
et Elie
Nedo Salmon de Pâ'ea, à la voix de
stentor
(orateur-chanteur) — ancien élève de l'Ecole des Frères mais
protestant, ancien sportif (boxeur-footballeur) et grand animateur des
UCJG/U'i-'Apî, conseiller territorial déjà à 32 ans en 1957 : notre académicien
se consacrera
évangéliquement en 1973 à la cause du rattrapage carcéral lors
du transfert (depuis novembre 1970) de la carabousse obsolète de
Tipaeru'i au
séjour privatif à miradors de Tefana en val de Nu'utania.
L'on
souviendra que
l'ancien caboteur puis enseignant Alexandre Le
Gayic, feu l'époux de la Tâvana de Pâpara et conseillère territoriale Tuianu,
aura de 1962 à 1967 fait un mandat de conseiller territorial
pondéré, son
épouse, Directrice d'école à Pâpara, montant au créneau en 1972 dans la filière
se
Tâhô'êra'a.
L'avocat Gérald Coppenrath (ancien élève de l'Ecole des Frères et
y
ayant enseigné l'anglais à la classe 1951 du BEPC), premier bâtonnier de
l'Ordre (novembre 1972), aura été auparavant élu conseiller territorial en 1957;
ses
collègues l'installent sénateur en 1959 avec comme suppléant le maire
Alfred Poro'i, ce dernier devenant lui-même sénateur en 1962
jusqu'en 1971,
alors
qu'il
aura
terminé
sa
longue carrière municipale fin 1966.
Gérald, au Sénat, a insisté pour l'implantation d'une antenne locale de
l'O.R.S.T.O.M., prolongement dans le Pacifique de l'Institut Français
d'Océanie (I.F.O.) primitivement lancée à Nouméa.
Vers 1970, Gérald
Eric
Lequerré (ancien élève de l'Ecole des Frères
Trésor puis à la tête de l'EnregistrementDomaines), Francis Fuller "FFL" (fier vainqueur de la mémorable finale Fê'îPî/Excelsior de coupe de Tahiti 1948 de football 4-3, devenu militaire de
devenu "maître"
après
avec
un
séjour
au
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Société des
Études
Océaniennes
N° 269-270 Tome XXIII N° 5 Avril 1996
retraité),... animant alors une formation affinitaire 'la Ora o Polynesia,
décident de composer un groupe des indépendants avec Frantz Vanizette,
Charles Taufa, Maco Tevane (cadastreur passé radio-speaker en reo tahiti)...
carrière
amalgamée Te Autâhô'êra'a, leader "Bing" (29 ans, ancien élève de
inspecteur des Postes et meneur syndical, ce dernier
trio accédant au Conseil municipal de Pape'ete en 1966.
L'ancien marin rochelais "Vani", conseiller territorial plein d'esprit
(clamant ironiquement qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis
formule utilisée par Alfred Poro'i dans le vote du vœu du 6 décembre 1962
pour le retour de Pouvâna'a), élu depuis 1957, réélu en 1962 puis 1967 et 1972,
alternant ses capacités de président avec Jean Millaud (tête du parti Te 'E'a
'Âpî) et John Teariki (Here 'Âi'a), à l'Assemblée et à la Commission
Permanente, tout en assurant la direction de l'institution Caisse des
Prestations Familiales (future Caisse de Prévoyance Sociale)... "Bing"
développe une grande activité, devenant conseiller territorial en 1967, et est
réélu en septembre 1972, en même temps que le comptable Michel Law
(ancien élève de l'Ecole des Frères, qui aura été le premier conseiller territorial
sino-polynésien), tandis que Maco et "Bing" vont côtoyer Teuira au Conseil de
Gouvernement que viennent de quitter, en particulier, le jeune douanier Coco
Laurey (ancien élève de l'Ecole des Frères, collégien à La Châtre, passé par
l'ENA de Paris) et Jean Juventin du Here 'Âi'a.
formation
l'Ecole des Frères devenu
—
On notera que
Coppenrath (auteur d'un livre de référence Les Chinois à
Tahiti, 1967), dès son entrée en législature politique, présentera le dossier
ayant amené l'intégration dans la nationalité française par De Gaulle de la
communauté des
instantanée
en
immigrants chinois depuis 'Atimâono, intégration
1967 à la faveur d'élections, affaire vivement
débattue à
l'époque à l'Assemblée Territoriale et dont se plaît à le rappeler l'ancien
champion cycliste devenu conseiller territorial (élu en 1957), ingénieur des
ponts-et-chaussées, Edwin Atger d'avoir vivement protesté dans un rapport, à
consulter aux archives, l'assimilation chromosomique n'étant pas constatée ni
évidente dans les moeurs après un siècle, sinon une incrustation possessive.
Le gouverneur
Angéli termine son séjour le 31 juillet 1973, alors que le
Polynésien des Sciences Humaines (élaboré par l'ethnologue
Danielsson, sur commande du précédent gouverneur Sicurani) a trouvé son
site dans la propriété Genin acquise par le Territoire à Puna'auia. Il avait fait
subir au notaire Marcel Lejeune (ancien militaire grièvement blessé à la
Seconde Guerre Mondiale et chevalier de la Légion d'Honneur), en septembre
1970, le décret expulseur du 24 mai 1932 pour interdiction instantanée de
résidence, suite à un comportement soupçonné subversif à la veille d'une
Centre
visite ministérielle à Tahiti...
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Études
Océaniennes
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.
Le
journaliste Jacques Gervais des Débats, dans l'époque agitée
postérieurement à 1958, avait supporté pareille
mésaventure ; tandis que dans l'ambiance antinucléaire l'ethnologue du "Kon
Tiki" sera suspendu de sa charge de consul honoraire de Suède à Tahiti, en
septembre 1977, par Angéli le champion de la force de frappe nationale.
Mentionnons que la loi statutaire du 12 juillet 1977 a abrogé (à tort ou à
raison?) par son article 72, entre autres décrets, le décret autoritaire de 1932
contre les indésirables et/ou perturbateurs...
antérieurement et
On aura noté que, comme Francis Sanford à Fa'a'â et Gaston Flosse à Pira'e,
John French Teariki, de tâvana mata'eina'a de 'Afare'aitu, est devenu maire de
Mo'orea à la communalisation nouvelle de 1972. Dans son entourage politique
immédiat, son ex-beau-frère Henri Bouvier, habile artisan d'art en gravure et
sculpture notamment et de la plume aussi habile que du stylo à bile, anime
laborieusement les discussions à l'Assemblée
Vanizette
avec
Daniel Millaud et Frantz
niveau
spirituel du Front Uni autonomiste
Métropolitains polynésianisés de la scène politique locale.
au
Ouvrons ici
:
les trois
parenthèse anecdotique à propos de René Pailloux qui
exploitait la boutique de curios SONABO à l'ancien Bloc Vaimâ. A un jeune
"pur demi" (ça existe !) d'une vingtaine d'années, qui l'avait dérisionné (oh !)
en "taioro" avec le
geste russe koukish du pouce serré entre l'index et le médius
geste bien maohi d'ailleurs et tombé en désuétude — le bien connu papa'â
avait rétorqué qu'il était plus Tahitien que lui, nonobstant sa condition sociale
de non-supercision, puisqu'il avait vécu plus d'années sur cette terre attractive
(une quarantaine d'années) et fait l'effort de causer le tahitien...
une
—
Vânanga Raymond PIETRI
NOTE
Pape'ete de jadis et naguères a paru dans les B.S.E.O. suivants:
1ère partie A l'abordage du village de Pape'ete (n° 252-253, 254-255, 256-257, 258259, 260),
2ème
partie Au temps des maires des cent premières années de la
Pape'ete (265-266, 269-270).
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