B98735210105_263-264.pdf
- Texte
-
Bulletin
de la
Société
des Etudes
(JTCol d'Ihulehoa
Océaniennes
Motuua
APNAHOE
Hanaki
HANAPAOA
Pointe Malitenua
/
,OvPUAMAU/(è)
.
_
'
'
753m
Ututihe
-*
HEKEANI
Hanaupe
iHANAHEHE \
A
-
mamelon
s
source
|
cascade
<
point de
ou
pic
vue
Ci.
plage de sable
©
village habité
O
village désert (tombeaux et ruines)
m
banyan
*
vestige archéologique,lieu 'sacré'
T
emplacement de l'aibte légendaire
—
itinéraire touristique
—
autre
N° 263-264
itinéraire
Société des
Études
Océaniennes
Société des Etudes Océaniennes
Fondée le 1er janvier
1917
Service des Archives Territoriales
Vallée de Tipaerui
BJ\ 110
Papeete
Polynésie Française
TéL 41 96 03
Banque Westpac : 012022 T 21
—
CCP : 834-85-08 Papeete
CONSEIL D'ADMINISTRATION
t M. Paul MOORTGAT
Président
t Me Eric
Vice-Président
LEQUERRE
Mlle Jeanine LAGUESSE
Secrétaire
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
ASSESSEURS
M. Yvonnic ALLAIN
M. Robert KOENIG
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
MEMBRE D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
Société des
Études
Océaniennes
BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES
ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N° 263-264 TOME XXIII
-
N° 1-2
JUILLET-SEPTEMBRE 1994
SOMMAIRE
• RECRUTEMENT SUD-AMERICAIN EN OCEANIE ORIENTALE
EN 1862-1863
•
par
HIVA-OA EN 1922 PROMENADE
2
TOURISTIQUE AVEC
MONSIEUR LE BRONNEC
•
Corinne RAYBAUD
par
Michel BAILLEUR
LA NAISSANCE DU "RASSEMBLEMENT
19
DEMOCRATIQUE
DES POPULATIONS TAHITIENNES" (LE R.D.P.T.)
par
• L'ETHNOARCHEOLOGIE
:
POUR
LE PASSE
•
Jean Marc REGNAULT 24
QUE LE PRESENT ECLAIRE
par
Eric CONTE
RECIFAL ET DE SES RESSOURCES ILE DE
ARCHIPEL DE LA SOCIETE
•
51
VALEURS SOCIO ECONOMIQUES DU MILIEU CORALLIEN
par
MOOREA,
Annie AUBANEL
65
HISTOIRE DE L'INTRODUCTION ET DE L'INVASION DE
MICONIA CALVES CENS A TAHITI par
Jean-Yves MEYER
107
• PUBLICATIONS DE LA SOCIETE DES ETUDES OCEANIENNES
Société des
Études
Océaniennes
2
RECRUTEMENT SUD-AMERICAIN EN
OCEANIE ORIENTALE
EN 1862-1863
CAS DE L'ILE DE
PAQUES
L'île de
Pâques, connue mondialement par ses statues et son
été découverte en 1722, mais n'a reçu jusqu'en 1862
que de très brèves visites d'étrangers. Don Felipe Gonzalez y Haedo était
venu en prendre possession au nom du Roi d'Espagne en 1770, mais
écriture rongo-rongo, a
aucune
colonisation n'avait suivi
sa
visite.
Durant la deuxième moitié du XIXème siècle,
après l'abolition de
l'esclavage, le développement de l'agriculture et de l'industrie entraîne
dans le monde entier la recherche de main-d'œuvre
«
volontaire
».
Le
Pacifique n'échappe pas à la règle, car le Pérou se développe pour des
raisons que nous allons voir, et le continent sud-américainne dispose pas
de réservoir de main-d'œuvre suffisant.
Nous allons étudier la manière dont
d'œuvre
a
moitié de
I
-
affecté l'île de
sa
ce
recrutement de main-
Pâques, la vidant en quelques mois de plus de la
population.
DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE
DU PEROU
Le Pérou devient indépendant en 1821 et, comme la plupart des
ibéro-américains, il choisit le principe du libéralisme économique
comme voie de
développement ; comme eux, il passe sous domination
britannique à cause du manque de marchandises à exporter, le décollage
économique s'avère difficile, car les plantations et les mines d'argent sont
en décadence
depuis le XVIIIème siècle.
La plupart des Indiens vivent en autarcie dans les Andes, ou sont
asservis au système de la grande propriété (les haciendas). Le Pérou
végète, isolé des grands courants d'échanges, à demi oublié, sans réelle
perspective d'émergence.
En 1840, le pays entre dans une ère de grande prospérité
économique avec la reprise de l'exploitation du guano, délaissée depuis
l'époque incaïque.
pays
Société des
Études
Océaniennes
3
Le gouvernement
décrète monopole d'état les dépôts de guano des
règlement d'exploitation est élaboré et imposé par
Ramon Castilla, métis natif de Tarapaga qui est élu Président de la
République de 1845 à 1851 et de 1853 à 1862.
Le pays s'intègre alors au marché international grâce à son quasimonopole du salpêtre et du guano ainsi que de quelques produits
d'agriculture tropical : coton et canne à sucre. Dès lors que ces cultures se
développent, le besoin de main-d'œuvre se fait impérieusement ressentir.
îles Chinchas. Un
A)- Besoin impérieux de main-d'œuvre
Dès
l'époque de la conquête, au Pérou et dans l'ensemble de
l'Amérique latine, le choc microbien, la déportation des Indiens et les
mauvais traitements (encomienda et mita) ont obligé les gouvernements à
avoir recours à l'immigration, car les populations d'origine indienne rie
possèdent qu'un taux d'accroissement faible.
Environ 90 000 esclaves africains sont importés entre 1530 et 1821,
qui sont employés dans les haciendas du littoral où se développent des
activités agricoles et d'élevage du bétail.
A partir du début du XIXème siècle, il est désormais impossible de
compter sur la traite ; l'esclavage est condamné et son abolition est
proclamée progressivement au cours du siècle dans tous les pays
d'Amérique du Sud et même le Brésil doit s'y résoudre en 1888.
Au Pérou, le Président Castilla, habile et actif, sait gagner à sa
cause les Indiens et les Noirs en abolissant les tributs
obligatoires des
premiers et en supprimant l'esclavage des seconds.
Cette situation engendre une pénurie importante et l'on se tourne
vers l'Asie. En 1849, un
privilège est concédé à D. Domingo Elias pour
importer des colons asiatiques.
Ce sont les Chinois qui jouent le rôle de substituts des esclaves
africains dans de nombreux pays d'Amérique latine.
Au Pérou, des milliers sont nécessaires, soit pour exploiter le guano
des îles Chinchas, soit pour travailler dans les exploitations agricoles des
plaines littorales. De 1849 à 1874, d'après un mémoire du Ministre
péruvien Tirado, 87647 coolies chinois débarquent au Callao.
Lors de la guerre de Sécession, face à la très forte demande
internationale, le Pérou désire accroître sa production de coton et de riz
mais manque d'ouvriers.
Il y a deux demandes conjointes : l'une des propriétaires
d'haciendas côtières et l'autre, des organisations nationales qui désirent
peupler et coloniser l'intérieur pour des raisons géopolitiques. Ces
dernières vont recruter jusqu'en Europe des agriculteurs et des artisans
Société des
Études
Océaniennes
4
confirmés
:
Irlandais, Allemands, dont
B)- Intervention de
C'est à
que leur sort ne fut
des nègres qui les avaient
nous verrons
très différent de celui des coolies chinois
précédés dans les champs.
pas
ou
Joseph Charles Byrne
moment de
pénurie qu'entre en scène Joseph Charles
Byrne, aventurier irlandais, fils d'un marchand de bétail de Dublin, qui
s'est donné une réputation d'expert en immigration dans les îles du
Pacifique.
Le gouvernement du Président Castilla, hostile à l'introduction de
nouveaux coolies chinois et
qui avait tenté d'opposer un véto à la loi votée
par le Congrès le 15 janvier 1861 autorisant à nouveau l'importation de
main-d'œuvre asiatique sous certaines conditions, accueille avec
enthousiasme les offres de Byrne, qui se propose de recruter dans les îles
du Pacifique Ouest les colons des deux sexes nécessaires au
développement des plantations et au renouvellement de la domesticité.
La loi du 15 janvier avait été promulguée par le Président le 14 mars 1861
et elle pouvait
s'appliquer aux propositions de Byrne.
Le 12 avril 1862, la gazette gouvernementale El Peruano publie
l'autorisation accordée à J.C. Byrne d'introduire pour cinq ans des colons
originaires des îles du Pacifique Sud-Ouest.
Byrne est informé que, en l'absence de consulat péruvien dans ces
îles (non précisées), tous les contrats de recrutement seront vérifiés par les
autorités péruviennes à l'entrée d'un port péruvien et que les travailleurs
non volontaires ne
pourront pas être débarqués.
ce
Toutes les conditions de sérieux et d'honnêteté semblent donc
réunies
a
priori
conditions. Note
pour que l'immigration se déroule dans de bonnes
est donnée au Gouverneur du Callao, publiée dans le
en
N°2, tome LXIII du Journal Officiel.
Dès l'obtention de cette autorisation, Byrne constitue sa société et
prépare un navire pour un premier voyage.
Ce dernier, l'Adelante, quitte
le port de Callao le 15 juin 1862.
C)-
Polémique diplomatique.
Dès le 9 octobre 1862, soit moins de six mois
après que cette
accordée, le Consul Général du Roi de Hawaï, Thomas
Eldrige, fait parvenir au Ministère des Relations Extérieures à Lima une lettre
de protestation, critiquant la permission accordée aux
agents d'importation
de main d'ouvré. Cette lettre reçoit un écho défavorable du ministre
péruvien
des Affaires Etrangères, José
Grégorio Paz Soldan, lequel lui répond, le 2
novembre, que quiconque est libre de venir travailler au Pérou.
autorisation eut été
Société des
Études
Océaniennes
5
D'ailleurs, ajoute-t-il, depuis le décret du 5 mars 1856 et la Loi du
janvier 1861 qui ont réglementé l'immigration des colons asiatiques, le
Pérou a reçu de nombreux immigrants de Paris, de Londres, d'Irlande,
d'Allemagne et d'Espagne. Dans ces contrats intervenus entre particuliers
et « colons » ou « immigrants », le gouvernement
péruvien se borne, ditil, à accorder la simple protection que méritent « toutes les industries licites
15
et
honnêtes
»
laissant
aux
soins des intéressés de faire valoir leurs actions
et leurs droits de la manière
qu'ils croient la plus convenable.
péruvien ajoute enfin que les derniers immigrants
venus de la
Polynésie (arrivés le 13 septembre 1862) se trouvent dans ce
cas et
que : «... s'il s'avérait que certains aient été transportés par violence et
par fraude, le gouvernement péruvien réprimerait les abus qui lui seraient
dénoncés et ferait appliquer un juste châtiment aux violateurs des droits privés
afin qu'ils ne puissent poursuivre leurs activités....»
Cette remarque lui est d'autant plus facile à faire qu'il est de
notoriété publique à Lima que le premier convoi
d'immigrants venu sur
l'Adelante de l'île Penryhn est composé de volontaires venus en famille
dans les meilleures conditions, quoique les quotas de la Loi de 1861
n'aient pas été respectés (253 immigrants au lieu des 151 autorisés
puisque l'Adelante jauge 151 tonneaux).
Dès le 15 octobre 1862, le Chargé d'Affaires de l'Empire français au
Pérou, Edmond de Lesseps, avait fait écho à la protestation du
représentant de Hawaï, craignant que les contracteurs péruviens
sévissent au dépens des îles de la Polynésie placées sous la protection de
l'Empereur.
Il reçoit, le 5 novembre, une réponse et des documents montrant
que toutes les garanties ont été prises à l'arrivée pour vérifier la légalité
de l'importation des « colons », ainsi que l'assurance qu'aucun ne venait
de la partie française de la Polynésie.
On doit reconnaître a posteriori aux diplomates hawaïen et français
le mérite d'avoir pressenti que cette immigration entraînerait de néfastes
abus, mais il faut aussi admettre que c'est la vigilance du consul
britannique John Barton qui permit d'éveiller l'attention du corps
diplomatique pendant la préparation même de l'expédition Byrne.
John Barton avait alerté ses supérieurs dès le 29 mai, puis le 11 juin.
Son Secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères, Earl Russel, chargeait alors
le nouveau Chargé d'Affaires à Lima, W.S. Jerningham, de surveiller la
manière dont cette immigration allait être conduite car «... it is not
improbable that the system.... may degenerate into the slave trade in
Le ministre
disguise....
»
Société des Etudes Océaniennes
6
Mais
au
moment où elles étaient
formulées (octobre 1862), ces
protestations et plaintes étaient sans fondement et c'est avec raison que
les diplomates péruviens les ont rejetées.
II
-
RECRUTEMENT SUD-AMERICAIN EN OCEANIE
A)- Le voyage
de YAdelante
qu'il est la source de la vague d'immigration polynésienne au
Pérou, il est intéressant de savoir si le premier voyage de 1862 portait en lui
Parce
toutes
les
prémisses du commerce qui allait dépeupler l'île de Pâques entre
octobre 1862 et
mars
1863.
d'importer des colons au Pérou avait été donnée à J.C.
Byrne le 1er avril et annoncée officiellement par El Peruano le 12 avril 1862 en
des termes sans ambiguïté pour la destination des colons.
L'autorisation demandée est accordée à D.J.L. Brine (sic), pour cinq
ans, d'introduire au Pérou des colons des deux sexes, natifs des îles du
Pacifique Sud-Ouest, pour servir dans l'agriculture et comme domestiques.
L'autorisation
Avec
son
ami et associé américain B.D.
Clarck, il forme
une
société
le recrutement d'indigènes aux Nouvelles-Hébrides.
Cette société loue à une autre société, Ugarte y Santiago, un bateau de 151
tonneaux, YAdelante, avec son capitaine A. Grassman, afin de faire un premier
voyage qui se propose de ramener au Callao environ 170 colons des deux
sexes (le quota
imposé par l'article 2 de la Loi de 1861 n'est a priori pas
respecté).
Le contrat d'engagement des Polynésiens est déjà imprim, et l'on sait
qu'ils doivent s'engager pour cinq ans, que leur salaire sera de 5 dollars par
mois, qu'ils seront libres de retourner chez eux à la fin de leur contrat, à la
charge de celui qui les aura engagés. Ce contrat peut être transféré.
Dès que le bateau est prêt, Byrne embarque aux frais de la compagnie
un
agent du gouvernement pour montrer qu'il tient à respecter la Loi du 14
mars 1861 sur
l'immigration.
Le 15 juin 1862, YAdelante quitte le port de Callao pour les Nouvellesenregistrée à Lima
pour
Hébrides.
juillet, il fait escale aux Marquises pour faire de l'eau en
prévision du long voyage qui l'attend. Il y embarque un interprète, le Chilien
José Villegas, et cinq Marquisiens comme hommes d'équipage, avec un
contrat de cinq mois à huit pesos/mois (7,76 $). Il est convenu de les ramener
et de les débarquer aux Marquises lors du voyage de retour.
Le 10
L'escale suivante, bien que
années par ses
fortuite, va bouleverser pour plusieurs
conséquences l'équilibre social de la région Pacifique.
Société des
Études
Océaniennes
7
Afin de
renseigner sur les éventuelles possibilités de commerce
région et de confirmer les dires d'un bateau chilien envoyé là en 1853
pour recueillir l'équipage du Chatham, Byrne fait escale à Penrhyn (appelé
aussi Tongareva ou Mangarongaro).
Il rencontre sur l'atoll le nommé Ben
Hughes, commissionnaire de
commerçants péruviens, qui lui permet d'établir un commerce plus profitable
que celui de la nacre ou de la bêche-de-mer qu'il envisageait.
se
dans la
En effet, ce dernier l'informe du recrutement de travailleurs
volontaires effectué la veille par le navire de guerre français le Latouche
Tréville. Les 130 indigènes recrutés pour aller travailler dans les plantations
de café et de
canne
à
sucre
à Tahiti ont
accepté un salaire mensuel de 4 $ et
un
engagement de deux ans.
Byrne considère inutile de poursuivre vers l'Ouest son voyage en
direction des Nouvelles Hébrides dès lors que les indigènes acceptent avec
enthousiasme de s'engager aux mêmes conditions financières qu'avec les
Français.
En trois jours, avec l'aide de Ben Hughes, il engage 83
leurs enfants, ainsi que 49 célibataires (30 garçons et 19 filles).
couples
avec
Le voyage de retour vers Callao se déroule sans problème autre que la
(naturelle) de Byrne lui-même et d'une Polynésienne ainsi que la
naissance de trois bébés. Le bateau n'étant pas équipé pour transporter autant
de monde, il doit obtenir de la nourriture de deux bateaux rencontrés en mer
et doit d'abord faire escale au port de Huacho avant de rejoindre Callao le 13
septembre 1862.
L'Adelante a été contraint de laisser à Penrhyn de nombreux indigènes
désireux de s'engager, notamment ceux qui ont été ramenés de Tahiti par le
Latouche Tréville et qui attendent son retour.
mort
206 des
ans
nouveaux
arrivants, classés
comme
d'âge), sont confiés à J.M. de Ugarte
pour
travailleurs
qu'il agisse
(plus de douze
au profit des
actionnaires de la société de recrutement.
Les
Polynésiens sont dispersés d'abord vers les employeurs qui en
départ du navire, puis vers ceux qui
acceptent de payer le voyage de leur employé soit 200 $ pour les hommes,
150 pour les femmes et 100 $ les adolescents de plus de 12 ans. On évite
soigneusement de partager les familles.
avaient fait la demande avant le
Ainsi moins de trois mois
après son départ, YAdelante est revenu au
port avec une cargaison d'hommes et de femmes qui semble avoir dégagé
pour ses auteurs un profit énorme estimé entre 30 et 40 000 dollars pour une
mise de fonds inférieure à 10 000 dollars.
Société des
Études
Océaniennes
8
rapporte autant à ses auteurs en si peu de temps,
qui explique la fébrilité avec laquelle se lancent, dans ce commerce et pour,
le malheur de l'île de Pâques, les spéculateurs du Pérou, ceux du Chili et
même de l'Equateur lorsque le récit du voyage de YAdelante est connu à
Valparaiso et dans les ports de la côte Est de L'Amérique.
Aucun
commerce ne
ce
B)- Fébrilité
au
port de Callao
L'Adelante, ayant débarqué ses passagers, refait ses
approvisionnements et s'apprête à repartir mais est devancé par près de neuf
navires dont les armateurs n'ont pas été insensibles aux profits dégagés par la
compagnie de Byrne.
Certains de ces navires, comme YEmpresa, ont déjà effectué des
transports de coolies chinois et ne nécessitent aucun aménagement, d'autres
s'équipent en toute hâte à l'image de YAdelante, avec des grilles pour fermer
l'entrepont et des couchettes pour plusieurs dizaines de passagers, des
caisses à eau et une grande cuisine, ainsi qu'une réserve d'armes à toutes fins
utiles.
en
Pour certains même, toute perte de temps est évitée en quittant
en faisant les
aménagements nécessaires en pleine mer.
le port
l'état et
Le
gouvernement péruvien ayant accordé toutes
demandées, la principale interrogation des armateurs concerne
les licences
la destination
qu'ils vont indiquer à leurs recruteurs, car on parle déjà à Callao d'une
intense activité diplomatique de la part des Consuls anglais, français et
hawaïen. Il apparaît à tous les capitaines qu'il faille éviter a priori de recruter
dans les îles Tuamotu, les Marquises et les Gambier, qui relèvent de la
souveraineté de la France.
Les
être la
premiers d'entre eux à s'intéresser à l'île de Pâques qui se trouve
première terre habitée hors la souveraineté de la France, sont ceux de
navires chiliens.
choix est la proximité du continent
qu'aucune nation « civilisée » n'y exerce sa
souveraineté, l'île ayant été annexée par les Espagnols en 1770, mais non
Assurément, la
cause
de
ce
américain et surtout le fait
colonisée.
L'île de
Pâques est située sur la route maritime directe entre
Valparaiso et Tahiti ou Sydne, et donc assez bien connue des capitaines
chiliens, qui savent n'y rencontrer aucune force armée, ni bureaucratie.
Ils connaissent, par
ouï-dire et par tous les récits des navigateurs
depuis Roggeveen, la curiosité et la simplicité d'esprit des Pascuans. C'est
donc vers l'île de Pâques que se dirigent au mois d'octobre 1862 les quatre
premiers navires recruteurs : les chiliens Bella Margarita et Elisa Mason ainsi
que les péruviens Serpiente Marina et General Prim.
Société des
Études Océaniennes
9
0- Recrutement à l'île de Pâques
Le recrutement de main-d'œuvre à l'île de
Pâques s'effectue en
phases : la première entre le mois d'octobre et le mois de décembre
1862 où les Pascuans ont été volontaires pour s'embarquer, la seconde
pendant quelques jours de décembre où ils ont été recrutés plus
brutalement et, enfin, une période jusqu'en juin 1863 où ils se sont laissés
convaincre de rejoindre leurs parents et congénères au Pérou.
trois
1- Première
phase du recrutement : Octobre à Décembre 1862
Le
premier navire sud-américain à toucher les rivages de l'île est le
péruvien Serpiente Marina (capitaine Martinez), parti du port de Callao le
26 septembre 1862.
Son intention n'est pas de recruter des colons, mais de faire escale
sur la route
qui le conduit à Mangareva, dans l'archipel des Gambier. Le
23 octobre, des Pascuans curieux montent à bord pour échanger des
provisions contre la pacotille ou des vêtements plus résistants aux
intempéries que leur tapa. Quand le navire lève l'ancre, le capitaine tente
de les retenir à bord, mais l'équipage ne peut saisir que deux Pascuans
qui sont enfermés dans l'entrepont.
Ce navire est suivi par un brick chilien, le Bella Margarita (capitaine
Henrisen), venu avec l'intention de recruter là son contingent de
volontaires. Ce navire, parti le 4 octobre de Callao, est de retour au Pérou
dès le 24 novembre avec 154 immigrants, dont 12 femmes.
Le Consul anglais de Callao, E.W. Robertson, obtient l'autorisation
d'interroger les Polynésiens et de s'assurer qu'un contrat en bonne et due
forme leur a été fait signer et qu'ils l'ont fait de leur plein gré.
De la même manière que pour ceux de YAdelante, ces travailleurs
sont dispersés aux propriétaires qui acceptent de payer 200 ou 300 dollars
en
remboursement de leur transport.
Le commanditaire de l'expédition
recueille ainsi après moins de
prix qui approche les 45 000 dollars !
On comprend aisément que cette confirmation de la rentabilité
d'un tel commerce, après le « coup » de YAdelante, incite les armateurs
péruviens à accélérer la préparation de leurs navires. En moins de deux
semaines, pas moins de huit navires recruteurs s'élancent vers l'île de
Pâques et son formidable réservoir de main-d'œuvre.
Avant que ces navires ne touchent l'île, deux autres navires : l'un
péruvien, l'autre chilien, se sont déjà présentés à Rapa Nui. L'un et l'autre
n'ont eu aucune peine à engager les indigènes curieux, grâce semble-t-il à
la présence d'un interprète qui a su leur vanter les charmes des
plantations péruviennes.
deux mois
un
Société des
Études
Océaniennes
10
barque péruvienne General Prim (capitaine Orlando), partie de
Margarita, recrute rapidement
115 personnes (106 hommes, 7 femmes et 2 garçons), qu'elle ramène à
Callao le 6 janvier 1863, soit moins de 41 jours après son départ, à la
satisfaction de son armateur, la firme Ugarte y Santiago.
Quelques jours après, le 26 janvier voit l'arrivée du navire chilien
Elisa Mason (capitaine Sasuetegui), chargé de 238 émigrants (140 hommes,
86 femmes et 12 adolescents). Contrairement à ses prédécesseurs, ce
navire n'a pas été très rapide car il a quitté Callao le 3 octobre, pour se
rendre dans l'archipel des Marquises où ses efforts de recrutement n'ont
pas été récompensés, malgré la présence à bord d'un interprète
polynésien. Il a donc fait voile vers l'île de Pâques, où il a pu engager son
contingent en deux semaines.
En moins de deux mois, d'octobre à décembre 1862, ce sont donc
plus de 507 Pascuans de plus de douze ans qui se sont engagés
volontairement à aller travailler dans les champs ou comme domestiques
La
Callao le surlendemain de l'arrivée du Bella
au
Pérou.
déplorer toutefois l'enlèvement de deux indigènes trop
le capitaine du Serpiente Marina. A la
différence des volontaires, ces derniers seront assez chanceux toutefois de
On doit
curieux, retenus de force par
recouvrer
la liberté à Tahiti et de revenir sains et saufs sur leur île au
début de Tannée 1864.
2- Deuxième
phase de recrutement : 23 décembre 1862
groupement de huit bateaux à la tête duquel
le navire espagnol Rosa y Carmen et son capitaine
Elle est l'oeuvre d'un
doit remarquer
Marutani.
on
quitté Callao à la même période (entre le 29
l'intention manifeste de mener une
opération conjointe de recrutement, car ils ont attendu l'arrivée du plus
lent d'entre eux pour effectuer leur raid. D'autre part le capitaine du Elisa
Mason a été prié d'une manière rude par les quatre premiers capitaines
arrivés de cesser ses opérations de recrutement et de quitter le mouillage
de l'île de Pâques.
Ces bateaux ont
novembre et le 9 décembre 1862) avec
Les faits ont été
•
•
•
•
•
perpétrés par :
péruvienne Carolina, capitaine Morales
la goélette péruvienne Hermosa Dolores, capitaine Geary
le brick péruvien Guillermo, capitaine Rodriguez
le brick péruvien José Castro, capitaine Acevedo
la barque espagnole Rosa y Carmen, capitaine Marutani
la barque
Société des
Études
Océaniennes
11
•
le brick
•
la
•
péruvien Micaela Miranda, capitaine Carcamo
barque péruvienne Rosa Patricia, capitaine Mota
la goélette péruvienne Cora, capitaine Aguirre
Ce
jour-là, 200 Pascuans sont faits prisonniers par la force des
partagés entre les navires proportionnellement au nombre
d'hommes ayant participé au coup de force. Les prisonniers sont ensuite
transférés sur deux navires qui retournent directement à Callao : le
Carolina et le Hermosa Dolores, alors que les six autres, après deux autres
et
armes
tentatives infructueuses de recrutement armé les 24 et 25 décembre,
continuent leur route
vers
Rapa.
Ces deux navires arrivent
au
Pérou le 25
janvier 1863
avec
respectivement 122 et 160 Pascuans.
On sait maintenant que certains navires ont gardé à bord quelquesuns de leurs
prisonniers, notamment le Rosa y Carmen (63), le Guillermo (2
dont une vieille femme rejetée à la mer), le Micaela Miranda (1) et le Cora
(1 enfant).
Si l'on comptabilise les Pascuans débarqués à Callao et ceux gardés
à bord, les huit navires
semblent avoir contraint 348 personnes et un
enfant.
Ce dernier ainsi que
libérés par
1864.
le premier garçon retenu par le Guillermo sont
la population des Gambiers et rejoignent leur île en janvier
Si le raid terrestre du 23 décembre avait
rapporté 200 prises, il faut
remarquer que les 148 autres Pascuans ont été saisis lors de leur
bord des navires, victimes de leur curiosité et de leur cupidité.
3- Troisième
visite à
phase du recrutement : janvier à juin 1863
Elle est l'oeuvre de bateaux isolés et elle montre qu'il n'était pas
toujours nécessaire de recourir à la force pour obtenir le départ des
Pascuans pour le Pérou, que la ruse ou la persuasion ainsi que les
cadeaux étaient de biens meilleurs argument.
•
Le Rosalia, une barque péruvienne commandée par
Bollo, partie le 16
le capitaine
décembre 1862, ramène 196 Pascuans à Callao le 3
février 1863.
•
Le Teresa, une autre
Munoz et
barque péruvienne commandée par le capitaine
qui était partie le 25 octobre de Callao, y revient avec 203
Pascuans le 23 février 1863.
•
Le
Carolina, reparti de Callao
le 6 février, profitant de
son
expérience, rejoint le Pérou le 1er avril 1863 avec un chargement de 73
personnes.
•
Le José Castro, ayant
décidé de rentrer à Callao après être allé à
Société des
Études Océaniennes
12
Rapa, repasse à l'île de Pâques et recrute 21 personnes, qu'il dépose le 21
avril 1863
•
au
Pérou.
Le brick
péruvien Barbara Gomez (capitaine Penny), parti le 3 avril
de Callao, y revient le 11 juin avec 23 passagers.
•
Le brick péruvien Misti (capitaine Basagoita),
parti le 26 février 1863
de
Valparaiso, est saisi à Rapa avec 2 Pascuans à bord, qui retrouveront
leur île en janvier 1864.
Le dernier navire péruvien à rallier Callao avec des immigrants est
la barque Urmenita y Ramos (capitaine Urrubarrencon), le 17 juillet 1863,
•
avec
31 Pascuans à bord.
Un autre navire chilien, le Conception (capitaine Gervasoni), a quitté
Valparaiso le 7 février en vue de recruter des Pascuans mais n'y est pas
parvenu et a continué sa route vers les Marquises et la Polynésie où il
s'est échoué à Tahaa en juin 1863.
•
Si l'on
comptabilise les Pascuans ayant quitté leur île après le raid
qu'on se rende à l'évidence
qu'il était impossible à l'équipage d'un seul navire de recommencer le
coup de force perpétré par 80 hommes armés jusqu'aux dents contre une
population maintenant avertie, on doit admettre que la troisième phase
du recrutement, avec 549 recrues et sans effusion de sang, fut beaucoup
plus rentable pour les recruteurs que la deuxième.
du 23 décembre, sur les différents navires, et
Ainsi, il apparaît que le recrutement à l'île de Pâques intéressa :
phase : 507 volontaires + 2 prisonniers (libérés à Tahiti et
Première
rapatriés).
Deuxième
phase : 348 prisonniers (2 libérés à Tahiti et rapatriés, 1
jetée à la mer) dont 200 lors du raid du 23 décembre.
Troisième phase : 547 volontaires + 2 prisonniers (libérés à Rapa
puis rapatriés).
femme
Le
mythe selon lequel les Pascuans furent tous enlevés de force et
transportés au Pérou, victimes de négriers venus exclusivement du
Pérou, est encore vivace dans la littérature mondiale et doit être combattu
avec force à la lumière des documents de l'amirauté britannique qui
veillait par son représentant consulaire à Callao à ce que les immigrants
entrassent au Pérou de leur plein gré.
Au total, on peut quand même être surpris d'apprendre que plus
de 1054 personnes, sur une population estimée entre 2000 et 3000
personnes, aient été volontaires pour quitter l'île. Cela peut s'expliquer
par la situation économique et politique de l'île en 1862. Comme nous le
verrons en
étudiant les structures sociales du
recruteurs sont arrivés
peuple
pascuan,
les
juste après le changement annuel de chef et la
Société des
Études Océaniennes
13
destitution de l'ancien et de
des vaincus d'échapper aux
son clan,
qui pourraient expliquer le désir
persécutions par un exil volontaire vers le
Pérou.
D)- Un contrat
d'engagement.
Les
compagnies créées au Pérou pour le recrutement des Polynésiens
prennent soin de fournir à leurs capitaines des contrats-type d'engagement.
L'étude d'un de ces documents, retrouvé à l'Evêché de
Papeete, permet de
nous
faire
une
idée très
précise de
ce que
les indigènes étaient amenés à
ratifier.
Tout
d'abord, il convient de préciser que les Polynésiens dans leur
connaissaient pas l'écriture avant l'arrivée des Européens,
qu'aucun d'entre eux ne savait lire.
ensemble
ne
Il est évidemment enfantin de faire tracer
une
croix
(probablement en
lui tenant la
main) sur un morceau de papier à un individu qui n'a jamais
vu de sa vie un
papier ni une plume. Comme un enfant s'amuse à tracer des
lettres avec l'aide d'une main experte, les indigènes ont dû se
prêter de
bonne grâce à cette gestuelle. Les Pascuans en particulier, habitués à tracer
avec une dent de
requin des signes sur les bois flottés ont dû apprécier cette
nouveauté.
D'autre part,
la notion du temps chez les Polynésiens et chez les
particulier n'a rien à voir avec une conception occidentale de la
durée. La seule personne qui ait connu avec précision leur pensée est le
premier Européen, Eugène Eyraud, qui a séjourné neuf mois avec eux sur
Pascuans
l'île
en
en
1864
:
«...Ils n'ont l'idée ni de la lecture ni de l'écriture. D'un autre côté,
ils
comptent très facilement et ont des mots pour représenter tous les nombres. Ils
une mesure de temps et c'est une année lunaire. Mais là mcore,
les souvenirs s'affaiblissent et ils ne sont pas d'accord sur le nombre de lunes.... »
connaissent même
Bien
qu'expliqués par un interprète, les termes du contrat
d'engagement ne pouvaient rien signifier à leur yeux.
Que peut signifier : « alimentos sanos » pour des Pascuans qui ne
consommaient, avant l'implantation des Européens, que des patates douces
et du poulet cuit à l'étouffée, des rats et des
mollusques, de la canne à
sucre....
?
Quelle représentation mentale pouvaient-ils se bâtir d'" un vestido" ?
La plupart des Rapanui vivaient nus, «...car tout le monde porte le même
uniforme : une bande d'étoffe de papyrus ou autre plante, qu'ils attachent par un
cordon de cheveux et dont ils se ceignent les reins.... un morceau de la même étoffe,
mais plus grand, jeté sur les épaules et fixé autour du cou par deux coins....»
Société des
Études
Océaniennes
14
est de même des gages qu'ils devaient recevoir : « cinco pesos
plata » : les Polynésiens ne connaissaient pas la monnaie et les
Pascuans ne disposaient d'aucun système économique autre que le troc
de leur curios avec les baleiniers ou les navigateurs. S'ils s'embarquaient,
ce n'était
pas pour un salaire qu'ils n'auraient pas sû dépenser ni pour
économiser un pécule parce qu'il n'y avait aucune boutique ni aucun
commerçant sur l'île.
Tous les termes du contrat sont incompréhensibles à un indigène
qui n'a pas de maison, qui n'a jamais travaillé pour quelqu'un et qui peut
encore moins comprendre « el servicio domestico » et ce que peut être
«...respeto y obedencia » à ses supérieurs. Si les subrécargues des navires
faisaient signer les contrats, si les capitaines transportaient les colons, ce
n'était pas par cupidité mais par nécessité économique. Tous se doutaient
bien qu'aucun des indigènes ne pouvait imaginer la réalité de ce qu'on lui
proposait, mais tous savaient aussi que des populations entières avaient
besoin de domesticité. On ne peut leur enlever toute compassion et les
affubler de toutes les tares de l'humanité, car nous avons la preuve que
certains marins, embauchés pour le transport de l'huile de coco et qu'on
avait forcés à naviguer sur les navires de recrutement, avaient demandé à
être débarqués.
Il
en
en oro o
E)- Un
y
épisode tragique : le calvaire des Pascuans à bord du Rosa
Carmen.
allons le voir maintenant, 63 Pascuans,
prisonniers le 23 décembre 1862, ne furent pas rapatriés tout de suite
Callao et restèrent à bord du Rosa y Carmen jusqu'au 10 juillet 1863,
Pour leur malheur, nous
faits
vers
date de leur arrivée
au
Pérou.
barque espagnole, commandée par le désormais tristement
célèbre Marutani, n'avait pas fait à l'île de Pâques le plein de son
contingent d'immigrants, fixé à quatre cents (le bateau jaugeait 402
La
tonneaux).
Après avoir quitté l'île de Pâques, le navire avait rejoint
l'archipel
des Gambiers, dépendant administrativement de Tahiti et de l'autorité du
Protectorat. Le capitaine n'atteint pas son but à Mangareva à cause de la
méfiance des Polynésiens mis en garde par l'autorité française, ni à Rapa,
dans l'archipel des Australes à cause de la position du mouillage trop
éloignée du village.
pénétrer à Rakahanga, à cause
imposante de son navire. Il retient toutefois à bord sept jeunes
gens qui péchaient au bord du récif.
Il échoue aussi dans
sa
tentative de
de la taille
Société des
Études Océaniennes
15
Dans
Téquateur, en restant éloigné des îles proches de
populations avaient été prévenues de la présence des
recruteurs, le navire fait route vers Pukapuka où il recrute à sa manière
habituelle plus de 60 Polynésiens.
Toujours accompagné du Micaela Miranda, il rejoint l'archipel des
Tokelau où il embarque 136 recrues, ce qui porte son effectif à 266
passagers. L'eau potable commence à manquer à bord et le capitaine
dirige son navire vers Tutuila aux îles Samoa, non sans augmenter son
contingent de cinq indigènes récupérés en mer.
L'obstination du capitaine à recruter à tout prix fait qu'il embarque
à Fakaofo des individus malades de dysenterie aiguë et que cette maladie
se
propage chez tous les indigènes. Quand les matelots descendent les
réservoirs à eau à Tutuila pour les remplir, les Samoans les confisquent
pour obtenir le retour des hommes de Fakaofo.
Contre la restitution des caisses à eau, le capitaine libère les six
hommes demandés, mais leur état est tel que trois d'entre eux décèdent
dès leur arrivée au rivage !
Le capitaine, réalisant qu'il lui est impossible de rentrer au Pérou
avec des êtres en si mauvais état de santé, décide de
rejoindre l'île de
sa
route vers
Tahiti où les
Niue où il sait trouver
un
missionnaire et des médicaments. Il tente
toutefois de
compléter son contingent en recrutant dans l'île de Ta'u
(groupe des îles Manu'a) mais n'y réussit pas.
A Niue, il réclame au
révérend W.G. Lawes son secours pour
enrayer l'épidémie de dysenterie et le remercie en enlevant dix-neuf
indigènes ! Nous sommes le 9 mars 1863, cela fait déjà deux mois et demi
que les indigènes sont confinés dans l'entrepont ; il devient nécessaire de
nettoyer le bateau des déjections et de trouver une île pour que les
malades les
plus atteints recouvrent la santé et leur bonne figure.
n'est pas par humanité, du moins es-ce par souci
économique....
Sur les conseils d'un aventurier nommé Paddy Cooney embarqué à
Niue, le capitaine fait route vers l'île Sunday, dans l'archipel des
Kermadec, où il décharge ses passagers. Cette île a été bien choisie, elle
Si
est
haute,
ce
avec
de
des sommets de 400 à 500 mètres, le sol est riche et couvert
végétation. Il
prospèrent.
y a
des lacs dans les parties basses. Quelques familles
y
Un témoin,
la visite était
300
le capitaine de la goélette Emily, raconte : «...l'objet de
d'essayer de remettre sur pied sa cargaison humaine, au nombre de
plus : des hommes, femmes et enfants qui étaient mourants. Ils étaient si
faibles que peu d'entre eux pouvaient encore marcher et se tenir debout, certains
ne
pouvaient que ramper....
ou
Société des
Études
Océaniennes
16
Le
premier déchargement consistait en 55 hommes dont trois seulement
dans l'embarcation à son arrivée sur
ménagement sur la grève et certains
ménageaient pas leurs coups et frappaient
tenaient debout ; trois furent trouvés morts
la plage. Les restants furent déchargés sans
à même les rouleaux. Leur
geôliers
ne
qui tombaient....
...Quatre-vingts d'entre eux moururent peu après leur arrivée sur la
plage.... à peine avaient-ils retrouvé quelque force, ceux qui avaient pu ramper se
nourrissaient de tout ce qui tombait entre leurs mains et il s'ensuivit des
diarrhées qui en emportèrent plus d'un. Les cadavres étaient enterrés dans le
sable de la plage, ils se couvraient et se découvraient au rythme des marées....
...Le 19 avril, beaucoup d'entre eux pouvaient à nouveau marcher.... et
certains s'enfuirent vers l'intérieur des terres quand le navire s'en alla....»
ceux
Un autre témoin,
le capitaine
Nicholls du baleinier Rainbow,
rapporte qu'à son passage plus de 130 Polynésiens avaient trouvé la mort
et il en compta seulement 70 de valides à terre.
L'épidémie cessa et le navire repartit le 1er mai, non sans que le
capitaine eût pillé les provisions des habitants de l'île et leur eût
communiqué la maladie qui en tua huit sur vingt-deux après son départ.
Carmen fut l'île de Pitcairn où le
capitaine en personne alla demander des cannes à sucre pour des
esclaves » qu'il assurait ramener dans leur île.
L'escale suivante du Rosa y
«
Deux habitants étant allés à bord et
en
étant revenus sains et saufs
et de leur aspect anglo-saxon
(c'étaient des descendants de l'équipage anglais de la Bounty),
à
cause
de la blancheur de leur peau
rapportèrent avoir vu les Polynésiens confinés et entassés, dont beaucoup
étaient affectés d'une toux qui «faisait trembler leur carcasse ».
Plus de six mois et demi
après avoir été enlevés de force dans leur
île, les Pascuans du Rosa y Carmen arrivent au port
drame n'est malheureusement pas
de Callao, mais leur
fini.
La presse péruvienne a rapporté dans le détail les péripéties des
navires recruteurs à l'Ile de Pâques, au mois de décembre 1862 et, sous la
pression du corps diplomatique, le ministre a interdit à tous les capitaines
de port péruvien d'autoriser l'entrée du Rosa y Carmen.
Bénéficiant
sans aucun
doute de
sa
nationalité
espagnole, le
capitaine est averti par l'amiral Pinzon, commandant les navires
espagnols du port de Callao, que des navires français s'apprêtent à le
saisir et à le faire juger pour les actes qu'il aurait commis contre des sujets
Société des
Études Océaniennes
17
français. Ayant pu faire valoir auprès des autorités militaires la validité
des contrats signés avec les Polynésiens, il n'est pas inquiété, mais ses 126
passagers sont consignés à bord. Les Pascuans survivants de ce très long
périple dans le Pacifique Sud n'auront même pas l'occasion d'aller à terre
avant que les bateaux ne les ramènent dans leur île, car ils vont être mis
en
quarantaine sur des pontons flottants avant l'inspection sanitaire.
&eJ é&J■
Sdse ces/tddadste ^east
ede
A"(Âeéesstde
dd&eptddjde S^tJeeetdepeed
ss/tsdJestdeistd ^ Jescdddé ddedj
édeiA&e et dzetddetes, /tessd/tssstct/teid?
edit
e/,
e/teste/tttsd,
e/eeeedse/teted,
/stessst tde
edteste ss/dss/e esesdesstdê,
de exs/ttdetdste
e>tt ,/est
/
-
et
de seeeesetf
J1- deed edtsstsiee
esédesnestd,
este Jtsst
et
ssyteéJesideisid
d>sssedede des
«
fëdeJet ^A&etJesst m
eest/tes^d e/ss iddèsssee
edeJ et&stestdJ Attesté,
ed et de cessttdeeede
36,5 %o) à une
profondeurs de 300
mètres
(Marquet, 1988).
2 Cette
information
a
été relatée dans
un
quotidien de Tahiti "La
Dépêche" du 1er février 1993.
Société des
Études
Océaniennes
83
Une
espèce de canard, le canard à sourcils, Anas superciliosa,
au lac Temae. C'est la même espèce que l'on
retrouve à Port-Phaëton et d'une façon générale aux îles du vent,
près des points saumâtres.
Toutes ces fonctions du complexe récif lagon intéressant
des organismes qui vivent habituellement ailleurs et dont
certains sont des ressources économiques, ne sont pas
actuellement quantifiables sur le plan socio économique.
vit à Moorea
4.1.6
-
Maintien de la biodiversité
La notion de biodiversité
comprend 3 aspects principaux :
a) la diversité spécifique, b) la diversité génétique, c) la diversité
des habitats et des communautés.
La diversité
spécifique ou richesse du nombre d'espèces du
connue et souvent citée en exemple
d'une biodiversité maximale avec les forêts tropicales humides.
Ce très grand nombre d'espèces qui vivent dans les récifs
milieu corallien est bien
coralliens est très certainement due à l'ancienneté et à la
au fil des millions d'années dans un
conditions environnementales relativement stables. Il
pérennité de cet écosystème
milieu
aux
faut toutefois
appréciation de richesse spécifique
géographiques concernées. Le milieu
corallien de Moorea compte environ 2.000 espèces dont, 100
coraux, 600 mollusques, 30 échinodermes, 50 crustacés, 500
poissons (Salvat, com. per.), et environ une dizaine de
mammifères marins pour ne citer que les principaux groupes de
vertébrés et d'invertébrés de taille supérieure au centimètre. Ces
chiffres peuvent être multipliés par deux ou trois au maximum
pour certains groupes seulement si l'on prend en compte
l'ensemble de la Polynésie française. La faune marine
polynésienne appartient à la province biogéographique indo¬
pacifique qui voit des milliers d'espèces réparties sur les littoraux
des côtes est africaines à l'île de Pâques en passant par le sud-est
asiatique, l'Australie et la Nouvelle Calédonie.
en
nuancer
fonction des
cette
zones
Société des
Études
Océaniennes
84
La richesse
espèces du milieu corallien polynésien est
des raisons biogéographiques (Salvat, 1967). Aux
Philippines le nombre d'espèces est 3 à 5 fois plus important,
quel que soit le groupe zoologique ou botanique considéré. Le
diversité spécifique de Moorea est donc toute relative en
poissons comme en invertébrés, comparativement à la Grande
Barrière d'Australie ou la Mer Rouge.
L'endémisme concerne des espèces qui n'existent que dans
une zone limitée. Ainsi en est-il de certaines
espèces de
coquillages qui n'existent qu'aux Marquises. Dans les récifs
coralliens de Moorea n'existe aucune
espèce animale ou végétale
qui n'existe pas dans les autres îles de la Société. L'endémisme
marin y est donc nul. H en va tout autrement du milieu terrestre.
L'endémisme d'espèces marines existe au niveau de la Polynésie
française, espèces qui ne vivent que là, mais en petit pourcentage.
La diversité génétique concerne la variabilité au sein d'un
groupe ou d'une espèce, et c'est à cette dernière que nous
limiterons notre commentaire. La métapopulation correspond à
une
espèce qui est largement répartie dans différentes zones
comme par
exemple le poisson perroquet. Mais les différents
stocks de cette espèce, ceux de Tahiti, de Rangiroa et de Moorea
peuvent être isolés les uns des autres. Si tel est le cas, s'il n'y a
aucun
échange entre ces populations, l'une d'elles peut
disparaître à jamais en cas de pollution ou d'élimination du stock
par prélèvement. Si tel n'est pas le cas, s'il y a des échanges entre
les populations, un stock disparu peut être renouvelé. Ces
questions qui appréhendent terriblement les problèmes de
gestion des espèces sont au cœur de recherches scientifiques
actuelles (Planes, 1992). Les espèces sont elles isolées
génétiquement ou non ? Les techniques modernes
d'investigations permettent d'appréhender et de quantifier cet
isolement génétique entre deux populations d'une même espèce
dans deux îles différentes. Les résultats sont encore trop
partiels
pour que l'on puisse généraliser (Planes, 1992) mais on peut
en
faible pour
Société des
Études
Océaniennes
85
être, plusieurs espèces de poissons coralliens
(pour ne parler que d'eux) vivent en auto-recrutement dans
chaque île. Le nombre de larves venant d'autres lieux serait
limité. On conçoit les conséquences à en tirer pour la gestion des
penser que, peut
stocks.
Polynésie française.
pratiquement inexistants à
l'exception de quelques baies et l'écosystème lagonaire et récifal
de Moorea est très « océanique » du fait de son exiguïté. Les
mangroves sont totalement absentes et les quelques centaines de
palétuviers issus de l'introduction de cet arbre (Rhizophora) il y a
une quarantaine
d'années à Moorea (Cavaloc, 1987) n'ont pas
La diversité des habitats est faible en
En effet les milieux saumâtres sont
donné lieu à la constitution de forêts littorales comme
elles
Nouvelle Calédonie ou à
Madagascar. Les herbiers marins sont très clairsemés, rares et de
faibles étendues, comparativement à ces mêmes régions. Si cette
diversité est faible à l'échelle de la Polynésie et donc de Moorea,
il faut toutefois souligner l'originalité des deux baies de la façade
nord de l'île car rares sont les baies et les habitats marins qui s'y
rattachent, en Polynésie.
existent naturellement
aux
Fiji,
en
fin de
compte, faible pour les récifs de Moorea comme pour le reste de
la Polynésie. Nous n'avions pas encore eu l'occasion de
l'évoquer. Cela n'est pas quantifiable socio économiquement
mais implique deux considérations pour la gestion du milieu et
de ses ressources : a) la biodiversité doit être d'autant plus
maintenue qu'elle est faible, c'est comme un capital réduit qu'il
faut préserver et ne pas gaspiller, b) cette faible biodiversité a
sans doute pour conséquence
une plus grande fragilité de
l'écosystème face aux agressions naturelles et anthropiques mais
Cette biodiversité
avec ses
trois aspects est
rien n'est moins certain et des recherches doivent
à cet
donc,
en
être entreprises
égard (Salvat, com. pers.). Les recommandations pour
gestion de ce milieu doivent intégrer cette caractéristique.
Société des
Études Océaniennes
la
86
4.2
Les fonctions d'utilisation
-
4.2.1
-
Aquaculture
A Moorea il y a
13 bassins d'élevages de crevettes,
l'eau du lagon, situés dans la basse vallée
d'Opunohu et dont l'E.V.A.A.M. vient de louer les
installations à un privé. Il n'existe pas d'autre bassin à terre
car leur implantation est difficile compte tenu de l'étroitesse
de la bande littorale. Il n'existe pas d'aquaculture en milieu
alimentés par
naturel.
4.2.2
-
Sources
d'énergie
Il n'existe pas de captage d'énergie à
d'eaux lagonaires et océaniques à Moorea.
partir des masses
Mais il existe des
possibilités au niveau des passes et chenaux. L'IFREMER a
étudié un projet ETM (Energie Thermique des Mer) en 1983 à
Papeete auquel aucune suite n'a été donnée pour l'instant. Le
système reposait sur l'utilisation de la différence de
température entre deux couches d'eau de l'océan, l'une
profonde et froide (inférieure à 4°C), l'autre en surface et
chaude (supérieure à 26°C).
4.2.3
-
Récréation et tourisme
En
93.000 touristes dont 40 %
d'Europe. Le pourcentage des
considérablement diminué depuis 1988
1990, Moorea
a reçu
venant des Etats-Unis et 32 %
visiteurs américains
a
mais la
par
fréquentation des lignes en direction de la Polynésie
des compagnies « charter » semble vouloir modifier cet
état de fait. Selon toutes les études de marché menées
sur
la
région, le paysage, la mer et les sites conservés à l'état naturel
constituent les
principales satisfactions ressenties par les
visiteurs.
Laurans
la
(1992) a cherché à établir en terme de « valeur »
place du milieu naturel lagonaire et récifal dans l'industrie
Société des
Études
Océaniennes
87
touristique. L'auteur note que le milieu qu'il étudie n'est
qu'un élément du milieu naturel de Moorea, difficilement
isolable. Deux types de résultats sont obtenus : des résultats
du lagon
qualitatifs » c'est-à-dire précisant l'importance
dans l'attraction des hôtels (ils sont tous construits en
«
lagon et quelques fois les pieds dans l'eau), dans
pratiquées par leurs clients, etc. et des résultats
quantitatifs » permettant de compléter et d'actualiser les
données du service du tourisme et en première étape de
décrire en les chiffrants les retombées économiques de
l'activité hôtelière. Le ratio retenu exprime la contribution du
lagon à l'activité hôtelière et le pourcentage de clients qui
pratiquent souvent une activité exploitant les caractéristiques
de son écosystème. En retenant alors le pourcentage le plus
élevé parmi le total des activités de ce type, et en multipliant
le pourcentage correspondant à chaque hôtel par son nombre
de nuitées annuelles, puis en calculant le pourcentage sur le
total, il obtient une estimation de 77 % en rappelant que plus
l'établissement est petit, plus le pourcentage est élevé.
bordure du
les activités
«
En conclusion,
le ratio représentant la part du lagon
de l'île que les
dans l'ensemble des ressources naturelles
touristes
de
-
ce
pratiquent est de 77 %. Le chiffrage par
application
ratio donne les résultats suivants :
concernant les
retombées directes, les nuitées liées au lagon
représentent 280.000 de francs CFP, le chiffre d'affaire lié au
lagon représente 3 milliards de francs CFP quant aux revenus
salariaux dus au lagon ils représentent 924 millions de francs
CFP. Les emplois liés au lagon sont évalués à 490.
concernant les retombées indirectes, les retombées
-
au lagon à travers l'hôtellerie peuvent être
façon suivante : achats (nourritures boissons)
lmillion CFP, fournitures extérieures 0,6 million CFP,
amortissements 0,3 million CFP et redevances 67.000 CFP.
économiques liées
ventilées de la
Société des
Études
Océaniennes
88
Même si des efforts
importants doivent être réalisés
pour développer des activités touristiques terrestres, le lagon
reste l'élément majeur de l'environnement pour
lequel le
touriste se déplace. Les bungalows sur l'eau sont donc, aux
dire des hôteliers, un élément indispensable à l'hôtel à cause
de son taux de remplissage et de son prix de location. Celui ci
varie considérablement d'une île à l'autre, selon sa réputation
et aussi selon la qualité de l'hôtel. Les 76 bungalows sur
lagon de Moorea représentent un coût de construction 1992
de l'ordre de 456 millions CFP. Ils rapportent au Territoire
une redevance annuelle liée à
l'occupation du domaine
public maritime de 3 millions CFP. Ils sont loués avec un
facteur multiplicateur de 1,1 en moyenne par rapport aux
autres bungalows. Ils « occultent » une surface lagonaire de
l'ordre de 2.300 m2 (30 m2 x 76 bungalows).
4.2.4
-
Protection de la nature
Plusieurs motivations
peuvent conduire à la création de
protégées lagonaires : l'intérêt scientifique d'une part
et l'intérêt économique d'autre part.
La mise en place de zones protégées part de l'analyse de
zones
la diversité du milieu. En
qui concerne l'écosystème
peut mettre en évidence une certaine
homogénéité de l'écosystème corallien tout autour de l'île de
Moorea, avec la succession de zones concentriques du rivage
à l'océan, qui se trouve presque partout et ne permet pas de
dégager une originalité d'un secteur de l'île par rapport aux
autres. Il y a bien sur des différences secondaires, surtout
selon la façade considérée ; elles devront toutefois être prise
en considération s'il convient de
protéger certaines zones ou
de prescrire à certaines d'entre elles des utilisations spéciales.
Au plan scientifique, la radiale de Tiahura au nordouest de Moorea, assez
représentative de la succession des
communautés lagonaires et récifales, a un intérêt certain
corallien
ce
on
Société des
Études
Océaniennes
89
puisque cette radiale de près de 1 km de long est étudiée
depuis 1971 par divers scientifiques et que plus de 20 thèses
et 200 publications scientifiques en traitent. Cet effort de
recherche a déjà été évalué en termes d'activités chercheurs et
budgétaire. Il s'est concrétisé au cours des 20 dernières
années par la réalisation de 60 études environnementales
concernant le milieu lagonaire récifal dont 25 % se situent à
Moorea. Le montant de ces
études est d'environ 138 millions
(francs constants 1989) et représentent 0,07%o
0,20%o de la F.B.C.F 4. (Aubanel et Salvat 1990).
CFP
et
du P.I.B 3.
première réserve a été créée en 1993 dans le secteur
(Tiahura). Elle couvre 150 hectares et
concerne essentiellement la pente externe de Tiahura et une
partie de la zone barrière entre la passe Taotoi et l'îlot
Tiahura. C'est une concession maritime pour recherche
scientifique demandée par l'Antenne EPHE auprès du
Ministre de la Mer. La circulation en surface demeurera libre
Un
nord ouest de l'île
les activités subaquatiques dans cette zone sont
aux scientifiques qui y entretiennent différents
appareils de mesure et procèdent à des observations
fréquentes et de surveillance d'une année sur l'autre.
alors que
réservées
économique de zones qui seraient protégées
pour les hôtels en général et ceux possédant des
L'intérêt
est évident
bungalows sur l'eau en particulier, mais il est également
important pour les autres exploitants du lagon, comme ceux
qui proposent les activités nautiques liées à la présence de
coraux
poissons etc. comme la plongée sous-marine, les
promenades en bateau à fond de verre.
3 P.I.B.
:
Produit Intérieur Brut
Capital Fixe est la somme des
équipements et stocks de tous les agents économiques. Elle correspond
4 F.B.C.F.
aux
:
La Fonction Brute de
investissements.
Société des
Études Océaniennes
90
Si
n'est actuellement
protégée ni réservée à
usage particulier à Moorea, cette notion s'impose de plus en
plus et constitue une des pièces maîtresses du Plan de Gestion
des Espaces Maritimes (PGEM) de Moorea en cours d'étude et
d'élaboration. Vu le nombre d'activités utilisant le lagon dont
certaines sont conflictuelles par rapport à d'autres, les pêcheurs
ont également besoin d'un classement pour assurer la pérennité
des ressources qu'ils exploitent. Il est clair que la petitesse du
complexe laguno-récifal de Moorea ne permet pas, surtout avec
croissance et développement, que toutes les activités puissent se
faire partout. Un zonage des activités autorisées et interdites est
une
impérieuse nécessité à moyen terme.
aucune zone
un
Faute de
actuellement
protégées, il n'est pas
possible d'en évaluer l'intérêt économique. Mais cet intérêt
futur nous a permis d'aborder cette question des zones
protégées ou à usage réservé, que nous n'avions pas encore
traité. Il est à noter que cette fonction de protection de la nature
se
regroupe avec d'autres fonctions.
4.3
-
4.3.1
zones
Les fonctions de
-
production
Pêche
La
pêche lagonaire à Moorea (Aubanel, 1993a) concerne
poissons mais aussi un certain nombre
d'invertébrés tels que les mollusques, les crustacés et les
échinodermes péchés dans l'écosystème corallien du récif
frangeant à la pente externe. Les moyens utilisés sont le fusil
harpon, le filet et la ligne ou dandinette. Ces méthodes sont
relativement sélectives pour la pêche du poisson et
conservatrices pour les habitats coralliens et le reste de la faune,
car aucun
moyen destructeur tels les poisons, les explosifs etc.
ne sont
employés à Moorea comme c'est le cas dans d'autres
régions du monde. Il n'y a donc pas destruction ou dégradation
du milieu par les pêcheurs alors que c'est le cas d'autres
essentiellement les
Société des
Études
Océaniennes
91
particulier sur les littoraux urbanisés ou
d'exploitation de matériaux coralliens.
L'absence d'un statut précis du pêcheur, l'importance du
lagon dans la vie des habitants de l'île de Moorea et de ceux de
la Polynésie en général, rend un recensement des pêcheurs
lagonaires très difficile sinon impossible. En effet une personne
qui perd ou attend un emploi peut devenir pêcheur. Il y a
également celui qui va pêcher « quand l'émission télévisée ne me
plaît pas ». Les pêcheurs lagonaires de Moorea sont estimés à
une cinquantaine dont une trentaine pèchent et vendent
régulièrement. Une quinzaine d'entre eux considèrent que la
pêche est leur activité économique principale. Ces nombres sont
à rapporter au nombre d'habitants de Moorea, 8.800, dont 2.763
actifs. Le secteur primaire compte 442 actifs dont 15 soit 3,4 %
ont pour activité économique principale la pêche. Le secteur
secondaire compte 515 actifs et le tertiaire 1806.
activités humaines
dans les
en
zones
poisson en tui (filoche) sur le
particulièrement le dimanche entre 5h
matin, s'adresse presqu'exclusivement aux
La commercialisation du
bord de la route et tout
30' et 7h du
habitants de Moorea. Les habitudes sociales et culturelles
pas changé dans ce
n'existe pas de troc.
n'ont
domaine et restent traditionnelles et il
obtenu sur le tonnage des
poissons lagonaires péchés annuellement à Moorea donnent
entre 33 et 66 tonnes, soit 7 à 13 kg/ha/an. La quantité de
poissons péchés risque d'être sous estimée du fait qu'il n'existe
pas de criée et qu'une partie, difficile à évaluer, est vendue soit
sur commande, soit hors des points de vente en bord de route,
soit expédiée à Tahiti au moyen d'une camionnette qui sillonne
un
quartier. Il est important de noter que le pêcheur lagonaire
ne
capture qu'une trentaine d'espèces dont 5 représentent 65 %
en
poids des poissons péchés. Des études de dynamique de
population de ces espèces dominantes sont indispensables pour
pouvoir évaluer leur sous ou sur exploitation.
Les résultats que nous avons
Société des
Études Océaniennes
92
Les
revenus
dus à la
pêche lagonaire représentent entre
16 et 33 millions CFP par an auxquels on
peut ajouter
l'autoconsommation évaluée entre 2 et ^ tonnes. Le revenu
d'un pêcheur lagonaire vivant à Moorea est compris
par mois, ce qui équivaut au
S.M.I.G. mensuel qui était en 1992 de 81.892 CFP.
En dehors des poissons
proprement lagonaires, les
polynésiens pèchent, depuis le début du siècle, des ature au
moyen de grandes sennes à petites mailles. Il s'agit d'une
pêche artisanale, saisonnière et collective. Parce qu'elle est
pratiquée dans le lagon au fond des baies, nous avons inclus
cette pêche dans notre étude.
A Moorea, la
pêche aux ature débute en septembre pour
se terminer en
juillet, mais la production principale se situe
en mars. Il
y a quatre propriétaires de filets sur la côte nord
de l'île où sont situées les deux
plus grandes baies de
Moorea, la baie de Cook et la baie d'Opunohu. Sur la côte est,
il y a deux
propriétaires de filets de moindre importance vue
la configuration des baies.
Pendant la saison, le pêcheur de ature
pêche 6 jours par
semaine. Chaque
propriétaire de filet embauche entre 10 et 30
moyen
entre 70.000 et 100.000 CFP
manœuvres.
Ce sont, soit des membres de
personnes qui n'ont pas d'emploi fixe.
Un filet de 100 mètres de
long est
sa
famille, soit des
évalué à 160.000.FCP
c'est-à-dire sans les plombs, les flotteurs etc... et à
200.000.CFP tout équipé. Sa durée de vie est
importante, une
«
nu »
vingtaine d'années environ sinon plus. En dehors du filet le
propriétaire possède une ou deux pirogues équipées d'un
moteur de 9,9 cv. L'aide
qui est accordée au pêcheur déclaré
correspond à 50 % du coût de l'investissement avec un
plafond de 500.000.CFP. Quant au carburant, il lui est
remboursé 3 CFP/litre de carburant acheté.
Société des
Études
Océaniennes
93
considérerons que la quantité de
pêchée est de 28 tonnes, ce qui représente
un revenu annuel de 14 millions. Si nous considérons qu'au
cours d'une saison « normale » le propriétaire d'un filet
pêche environ 7.000 tui soit 7 tonnes qu'il vend 500 CFP/kg,
que les frais représentent 20 % et qu'il distribue en salaire
En moyenne nous
ature annuellement
50 % de
ses
environ 1,4
bénéfices, une saison « normale » lui rapporte
million par an. Ces chiffres nous ont été
communiqués
4.3.2
-
par
Ressources
Il
les propriétaires eux-mêmes.
génétiques et médicinales
s'agit de la présence dans l'écosystème d'espèces ou
aquaculture et dans le domaine
pharmacodynamique actuelle ou future. Dans ce contexte les
espèces endémiques, que l'on pourrait trouver à Moorea et
qui n'existeraient pas ailleurs, pourraient être de première
importance. Malheureusement le milieu corallien de Moorea
ne contient aucune espèce endémique à l'île.
Bien que l'exploitation des espèces marines en vue
d'obtenir des substances utilisées en pharmacopée soit
relativement récente, quelque produits marins ont été utilisés
en médecine traditionnelle depuis fort longtemps. De
récentes recherches ont conduit à la découverte de composés
intéressants provenant d'animaux marins, produits qui
possèdent des propriétés anticancérigènes, antimicrobienes,
antivirales, cardioactives et neurophysiologiques. Nombre de
ces substances ont des structures chimiques qui ne
ressemblent à aucune de celles des espèces terrestres. Depuis
15 ans des milliers d'espèces vivantes ont été étudiées,
de variétés intéressantes
notamment dans les
en
récifs coralliens de Nouvelle-Calédonie
(ORSTOM, CNRS et Rhône-Poulenc) et un programme
intitulé
«
biologique » existe à
zoologiques comme les éponges
Substances marines d'intérêt
Nouméa. Certains groupes
ont été bien prospectés.
Société des
Études
Océaniennes
94
La faible diversité
babsence
spécifique des récifs de Moorea et
d'espèces endémiques ne met pas cette île en bonne
place compétitive quant à la recherche de nouvelles
substances d'intérêt
pharmacologique. Un programme
EPHE-INSERM
(Recherche Médicale, Ministère de la Santé)
existe néanmoins à Moorea
organismes ont été récoltés
au
titre
duquel quelques
extraction et repérage de
molécules intéressantes (Cyanophycées, holothuries,
scléractiniares...) ; les études chimiques sont en cours.
Soulignons que l'intérêt de ces recherches, si une molécule
particulière est découverte, n'entraînera pas comme autrefois
des collectes massives des
organismes concernés sur le
terrain, ce qui à l'époque pouvait être une ressource
économique. En effet, la molécule repérée et sa structure
identifiée
4.3.3
-
sera
le
pour
plus souvent synthétisée. •
Agrégats
La seule
vivante
qui soit extraite du
lagonaire est le matériau corallien appelé
communément « soupe de corail » arraché au milieu
frangeant du lagon au moyen d'une drague. L'exploitation de
ressource non
milieu
cette ressource s'est essentiellement déroulée dans les années
soixante et soixante dix.
Sur l'ensemble de l'île de Moorea 18 sites d'extraction
de matériaux coralliens ont été recensés. Parmi ces
extractions, seules 4 ont été réalisées dans le but
un
chenal et 1 pour un
d'aménager
aménagement portuaire. Tous les
autres correspondent à des extractions
pour l'aménagement
des routes et des voies de
pénétration (Porcher et Gabrie,
1987). La soupe de corail est un matériau inerte idéal pour la
construction des routes car il ne réagit pas aux infiltrations de
l'eau et, à la longue, se
compacte bien.
La redevance due
pour l'extraction de matériaux inertes
dans l'espace littoral
immergé varie en fonction de la période
Société des
Études
Océaniennes
95
envisagée, de la situation géographique (dans les autres
archipels les prix sont plus bas) et de la qualité de
l'exploitant. Ainsi, en 1990, à Moorea, le montant de la
redevance, pour un mètre cube de matériau extrait, est de 400
francs pour un privé, de 300 CFP pour les collectivités locales
et gratuite pour l'administration territoriale, cela après avoir
stagné à 20 francs CP jusqu'en 1980 et à 60 francs CP jusqu'en
1990.
Le montant total des redevances d'extractions à Moorea
le Territoire peut être évaluée à 89 millions pour
période de 18 ans comprise entre 1968 et 1987.
Le prix de vente ou d'achat de cette ressource pose
problème car s'agissant de ressource extraite du lagon, bien
public, elle n'a jamais eu de valeur propre. Pour les
extractions réalisées avant 1968, le service de l'équipement
perçue par
une
n'a versé
aucune
redevance
au
Territoire. Le coût d'extraction
de corail en milieu lagonaire correspond donc
uniquement à la location d'une drague (personnel compris).
Il peut être estimé entre 100 et 125 francs CFP le m3, déposé
en bordure du rivage (prix 1990), c'est-à-dire hors
transport.
Si Ton suppose que le site d'extraction était exclusivement
choisi en fonction de la localisation des travaux à terre, ce qui
fut le cas pendant de nombreuses années, le coût des
de la soupe
matériaux coralliens nécessaires à la construction des routes à
Moorea
peut être estimé à 68 millions de
francs CFP (francs
1990).
Depuis 1987, le matériau corallien extrait du lagon,
prélèvement, a été remplacé par un sable corallien
extrait en pied de colline, sous la cocoteraie. Le prix de vente
de cette soupe de corail terrestre est de 1.600 CFP le m3 (hors
transport), prix que nous pouvons rapprocher du précédent :
100
125 CFP. La soupe de corail extraite à terre revient à
l'achat 13 fois plus cher que celle qui était extraite dans le
lagon.
interdit de
-
Société des
Études Océaniennes
96
Si les routes de Moorea avait été construites
matériau terrestre, le coût de la matière
avec ce
première aurait été de
1,08 milliard CFP contre 68 millions CFP suite à l'utilisation
d'un matériau corallien de
qualité identique sinon meilleure.
puisqu'elle représente plus
d'un milliard, ce qui s'est fait au détriment de la
qualité de
l'écosystème corallien.
Salvat (1987) note
que l'extraction de matériaux
coralliens est l'une des causes premières de
dégradation des
La différence de coût est énorme
récifs du monde entier. Le site d'extraction devient un
véritable désert impropre à toute colonisation
par des
organismes benthiques compte tenu des sédiments
extrêmement fins et thixotropes qui y séjournent. Les matières
organiques s'accumulent dans un milieu réducteur et induit
des sédiments nauséabonds. La moindre
agitation de l'eau
remet en
suspension des quantités de fines qui vont
endommager les coraux avoisinant la zone d'extraction. La
mise en place d'écrans protecteurs
lors des récentes extractions
ainsi que le reprofilage de la zone sont autant d'amélioration.
Aucune somme d'argent n'a
jamais été dépensée pour
réduire les inconvénients des anciennes zones d'extractions en
milieu lagonaire ni à fortiori
pour les restaurer. A titre
d'exception on notera qu'un programme de recherche a été
mis en place pour la restauration de sites
dégradés et que
méthodes et techniques sont maîtrisées (Jardin,
1992) mais
suivi
aucun
4.3.4
-
ne
semble
envisagé.
Souvenirs, ornements, curios
Il
s'agit des matériaux inertes
ou
vivant retirés du lagon
de Moorea et alimentant le marché des souvenirs
pour
touristes. S'il est des régions où cette ressource est
importante
conséquences de son exploitation catastrophiques
(Philippines, îles de l'Océan Indien), ce n'est pas le cas à
et les
Moorea.
Société des
Études
Océaniennes
97
4.4
-
Les fonctions d'information
Les fonctions
se
rattachant
aux
valeurs esthétique et
application dans
organisées par les
culturelle des récifs coralliens sont mises en
l'éducation lors des sorties terrain
enseignants du primaire et du secondaire à Moorea, ainsi que
par les concours de dessin ou de rédaction mis en place aussi
bien à Moorea que dans d'autres îles. Cet effort est
accompagné et soutenu par une plus grande sensibilité à
l'écologie et à l'environnement qui se matérialise par les
actions médiatiques et aussi, dans une certaine mesure, par la
prise en compte politique des problèmes environnementaux.
Si l'on peut dire que les récifs présentent une valeur
culturelle certaine pour les Polynésiens, on ne peut pas dire
qu'il s'y rattache une valeur historique, du moins à Moorea,
comme c'est le cas pour les marae ou certains lieux
légendaires terrestres. Il n'y a pas, par exemple, d'épave
immergée historique comme c'est le cas dans certains pays.
A la fonction culturelle se rattache toute l'inspiration
artistique que représente le milieu naturel considéré. Cet
aspect est important dans le domaine de la peinture mais
aussi, par exemple, du cinéma. Nombreux sont les peintres
qui se sont inspirés des paysages lagonaires de Moorea,
depuis ceux qui étaient à bord des bateaux de Cook et de
Bougainville aux plus récents (Ravello...). Le film sur les
Révoltés du Bounty a été tourné à Moorea. On peut également
mesurer l'importance du milieu naturel insulaire de Moorea
et de son système corallien par les livres et brochures
touristiques en vente. Au sein de la Polynésie française,
Moorea tient, après Tahiti, la seconde ou la troisième place,
en concurrence avec Bora Bora. Quelques livres traitent
exclusivement de Moorea mais tous ceux qui se consacrent
par l'image à la Polynésie comportent toujours des vues
aériennes des récifs de Moorea avec leurs magnifiques
couleurs.
Société des
Études
Océaniennes
98
C'est aussi le
lagon, évocateur de la beauté des
paysages ensoleillés de Moorea, qui est repris dans de
nombreuses brochures publicitaires à l'intention des
touristes.
La valeur
scientifique des récifs de Moorea qui sont
scientifique internationale à la
suite du Congrès sur les Récifs organisé en 1985 et
par suite
des très nombreuses recherches qui
s'y déroulent depuis 30
ans, font maintenant partie du capital intellectuel et du
connus
de la communauté
rayonnement du Territoire.
5
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS AU
NIVEAU DE LA PLANIFICATION ET DE LA POLITIQUE
À MENER
-
La
population de Moorea est estimée à environ 10.000
démographique de l'île étant due
pour une large part au solde migratoire (1,9 %) l'estimation
de la population en 2020 est délicate. Nous retiendrons une
valeur moyenne de 19.000 habitants. Quant aux
projections
de développement
économique, elles misent essentiellement
sur le tourisme avec un doublement de la
capacité hôtelière.
Dans cette perspective c'est la façade nord de l'île, sur
laquelle sont déjà concentrés la presque totalité des hôtels et
45 % de la population
qui sera concerné.
La pression sur la ligne
de rivage va augmenter ainsi
que la charge polluante arrivant au lagon. Ces projections
sont au delà de la
capacité de charge des récifs et du lagon,
déjà mal en point en 1993. Les conséquences sur les
communautés vivantes de l'écosystème corallien
risquent
d'être catastrophiques. Les ressources actuellement
prélevées, c'est-à-dire essentiellement la pêche, seront très
habitants. La croissance
fortement réduites.
Société des
Études
Océaniennes
99
pression anthropique et de ses conséquences
lagonaire et récitai de Moorea, et dans le souci
d'aboutir à une gestion intégrée et durable, il nous parait
qu'un certain nombre d'efforts particuliers doivent être fait sur
des points concrets. Nous les présenterons sous la forme
d'objectifs et de moyens pour y parvenir.
Au
5.1
vu
de la
le milieu
sur
-
Limitation de l'utilisation des
Objectif
:
pentes
Limiter les apports terrigènes dans le lagon de
Moorea.
Moyens : Etablir la carte des pentes des sols cultivables, tout
particulièrement dans le bassin versant de la caldeira centrale
et des deux baies d'Opunohu et de Cook.
d'agriculture susceptibles d'être
développés en fonction de la qualité des sols et de leur pente.
Déterminer la pente maximale au delà de laquelle, pour
chaque type d'agriculture, il ne peut y avoir exploitation.
Réglementer les méthodes et techniques agricoles.
Déterminer les
types
Résultats attendus
aux
activités
:
Diminution des apports
anthropiques
lagon.
au
terrigènes dûs
niveau des embouchures de
rivières et dans le
5.2
-
Le conservatoire du
littoral
Objectif : Assurer la protection définitive des espaces
fragiles ou menacés.
naturels
Conservatoire du littoral » au
l'enregistrement. En dehors
des terrains que cette cellule pourrait acheter, des parties du
lagon pourraient lui être affectées et pour lesquelles ne
pourrait être accordée aucune concession maritime à charge de
remblai ou non. La cellule serait chargée de contrôler
l'existence d'un passage public au droit des propriétés
Moyens : Réactiver la cellule
«
sein du service des domaines et de
remblayées.
Société des
Études
Océaniennes
100
Résultats attendus
littoral
:
Coordonner les actions de
qu'il soit terrestre
ou
protection du
marin. Stopper la privatisation
du littoral
5.3
-
Stabilisation
rigoureuse de la ligne de rivage
Objectif : Stabiliser dans
ligne de rivage.
Moyens
Adopter
sa
position et
sa nature
l'actuelle
politique volontariste interdisant les
a) par une campagne d'information sur les effets
néfastes de la disparition des zones frangeantes naturelles, b)
par une application systématique de la réglementation
interdisant sans étude préalable la modification de la
ligne de
rivage c) par une application systématique des peines de
simple police et que puisse être révisée leur montant pour
l'instant fixées en référence à
l'homologation métropoleterritoire datant de 1985 d)
par l'augmentation de la
redevance de façon à la rendre dissuasive, attribuer les fonds
ainsi récoltés au conservatoire du littoral
pour la protection
:
une
remblais
des espaces
naturels.
Résultats attendus
Blocage de l'anthropisation de la ligne de
rivage qui est actuellement de 33 % à Moorea.
5.4
-
Etude
Objectif
:
:
prospective d'un réseau d'assainissement
Disposer des connaissances nécessaires à
avant projet de réseau d'assainissement
l'élaboration d'un
des
usées du littoral nord de l'île.
eaux
Moyens
:
En s'appuyant sur les expériences réalisées dans
puisque le réseau d'assainissement de
toujours pas vu le jour et que les études s'enlisent,
d'autres îles tropicales
Tahiti n'a
il conviendrait de rassembler les éléments nécessaires à
la
réalisation d'un avant projet : étendue du réseau de collecte
des
eaux
la station
usées, situation niveau de traitement
et
d'épuration, mode d'évacuation et lieu
Société des
Études
Océaniennes
capacité de
rejet.
de
101
préservation du milieu corallien à
démographique et
touristique, exige la
moins pour la façade nord de Moorea, d'un
Résultats attendus
:
La
l'horizon 2.000, avec la poussée
éventuellement le développement
réalisation,
au
assainissement collectif. Vu les coûts d'une
les différentes
sources
telle réalisation et
place, il est
de financement à mettre en
opportun de se préoccuper
dès à présent de cet
assainissement.
5.5
-
Compléter les connaissances scientifiques.
Objectif : Les programmes de recherche scientifique n'ont pas
toujours apporté les résultats qui sont indispensables, à un
moment donné, à la résolution de problèmes de gestion.
Autrement dit la connaissance scientifique n'est pas toujours
présente
en amont.
connaissances.
L'objectif serait ici, d'obtenir ces
Moyens : Lancer des appels d'offre précis, et commander des
études extrêmement ciblées compte tenu de la nécessité de
indispensables à la gestion. Nos recherches
quelques insuffisances de connaissances qui
pourraient être établies par les organismes de recherche
territoriaux ou métropolitains ou des bureaux d'études
environnementales, implantés à Moorea ou à Tahiti :
1 régime hydrodynamique des rivières de Moorea, débits et
charges particulaires (pouvoir apprécier les apports
terrigènes au lagon et les contrôler au fur et à mesure du
développement de l'île, afin d'établir leur conséquence sur
connaissances
révèlent
-
les formations coralliennes).
hydrodynamique des eaux lagonaires et océaniques
temporelle en fonction des
divers régimes de houle et de vent (connaissance
indispensable pour la dispersion des eaux usées rejetées et
l'indispensable nécessité dans un avenir proche d'un réseau
général d'assainissement et de points de rejet)
2
-
côtières dont leur variabilité
Société des
Études
Océaniennes
102
3
diverses actions à réaliser
qui sont évoquées dans d'autres
paragraphes : études de dynamique de populations d'espèces
de poissons pêchées dans le lagon par les habitants de
Moorea
et
conséquences et risques pour l'homme des
activités sous marines nommées « shark
feeding »
(alimentation de requins).
-
-
-
Résultats attendus
5.6
-
:
Aide à la
Surveillance du milieu
gestion de l'espace littoral.
lagonaire et récifal
Objectif
: Etablir le bilan de santé des communautés
coralliennes et renseigner les autorités sur les changements
d'une année sur l'autre suite aux phénomènes naturels et aux
conséquences des activités anthropiques.
Moyens : Il s'agit de mettre en place tout autour de Moorea
l'équivalent du Réseau Territorial d'Observation Lagonaire
qui existe sous l'égide de la Délégation à l'Environnement
pour Tahiti, ou d'étendre celui ci à Moorea. Une dizaine de
localités convenablement sélectionnées en fonction des
mêmes critères qui ont
prévalu pour la mise en place du
réseau de Tahiti, pourrait se
répartir tout autour de Moorea et
tout
spécialement sur la côte nord. Un tel réseau devra
comporter des analyses de sels nutritifs pour lesquels peu
d'informations fiables sont disponibles et qu'on accusent
d'avoir entraîné des proliférations
d'algues dans le lagon à la
suite de dégradation du peuplement corallien.
Une solution, à étudier et peut être plus
avantageuse
financièrement pourrait être de contracter le Centre de
Recherches Insulaires et Observatoire de l'Environnement
d'Opunohu, EPHE, ex Antenne Museum EPHE, et/ou La
Gump Research Station de la baie de Cook, Antenne de
l'Université de Berkeley, pour réaliser cette surveillance
qui
doit être
au
moins annuelle.
Société des
Études
Océaniennes
103
Résultats attendus
:
Informations des élus et des autorités sur
lagons et récifs et sur les changements.
surveillance du milieu naturel à
l'échelle insulaire. Mise en évidence et connaissance des
causes des changements observés.
l'état de santé des
S'acheminer
5.7
-
vers une
Gestion rationnelle de la
pêche lagonaire
Objectif : Assurer la pérennité des stocks d'espèces
dans le lagon.
pêchées
: Faire réaliser diverses études telles que
évaluation des stocks, recrutement et potentiel de pêche
Moyens
:
1)
des
espèces actuellement récoltées dans le lagon dans la cadre de
la pêche artisanale, 2) justification des mailles des filets
utilisés pour que
la pêche soit la plus sélective possible.
Résultats attendus
sous
:
estimation des surexploitations ou
des
exploitations de chaque espèce importante,
minimales
restrictions de
connaissances pour établir si nécessaire les tailles
de pêche des poissons et pour déterminer des
périodes de pêche en cours d'année.
5.8
-
Restauration des zones coralliennes
dégradées
Objectif : Restaurer par des reprofilages physiques et par
transplantation de colonies coralliennes les anciennes zones
d'extraction de soupe de corail.
: Les anciennes zones d'extraction corallienne étant
localisées, il conviendrait de procéder à des restaurations
Moyens
expérimentales sur 2 ou 3 d'entre elles avant de généraliser
les procédures aux autres zones. Une étude expérimentale est
en cours
depuis 1992 au Beachcomber-Park Royal. Des
enseignements peuvent en être tirés qui permettraient de
mieux aborder
un
second chantier
Société des
Études
expérimental.
Océaniennes
104
Résultats attendus
Elimination des anciennes soupes
de
écologiques néfastes perdurent dans le
lagon et qui constituent par ailleurs une pollution esthétique
préjudiciable au tourisme.
:
corail dont les effets
Annie AUBANEL
REFERENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
ADJEROUD, M., 1992. Communautés benthiques des récifs frangeants dans une baie d'un écosystème
corallien insulaire (baie
d'Opunohu, île de Moorea) : zonation, structure des communautés et
biodiversité. D.E.A
d'écologie biologique, Université Paris VI, Brest, Lille, Perpignan
septembre 1992, : 50
et E.P.H.E.,
p.
AUBANEL, A., 1993a. Evaluation socio-économique de la pêche en milieu corallien dans l'île de Moorea
(Polynésie française) : persistance d'une consommation locale traditionnelle hors du
développement touristique. Journal de la Société des Océanistes (sous presse).
AUBANEL, A., 1993b. Valeurs socio-économiques du milieu corallien et de ses ressources, application' à
île
océanique du Pacifique Sud : Moorea, archipel de la Société. Thèse de Doctorat de
Montaigne, Bordeaux III, Spécialité : Géographie tropicale et
aménagement : 344 p.
une
l'Université Michel de
AUBANEL, A.
et
SALVAT, B., 1990. French Polynesia government and research institution involvment in
coral reef environmental studies
during the 20 last years. Intérêts et investissements, en
Polynésie française, relatifs aux études environnementales récifales au cours des 20 dernières
années. Congrès de l'International Society
for Reef Studies (I.S.R.S.) 1990, Nouméa, Nouvelle
Calédonie, Proc. Int. Reef Studies Congress, 1990, p 9-16.
CARIES, J.C., 1990. Marine environment monitoring of Papeete harbour and of coastal ecosystem of
Tahiti as part of Territorial
monitoring network. Surveillance de la qualité du milieu marin dans
la circonscription du Port Autonome de
Papeete et autour de Tahiti, dans le cadre du Réseau
Territorial d'Observation.
Congrès de l'International Society for Reef Studies (I.S.R.S.) 1990,
Nouméa, Nouvelle Calédonie, Proc. Int. Reef Studies Congress, 1990, p 17-24.
CAVALOC, E., 1988. Colonisation des Rhizophora (Palétuviers) récemment introduits à moorea (Société,
Polynésie française). Bilan de répartition 1987 et conséquences écologiques. Rapport polycopié
Antenne Museum E.P.H.E. en
Polynésie française, Centre de l'Environnement de Moorea,
référence 1988- RA 23: 43 p.
COLLET, M., 1987. Utilisation des pesticides en
encourus
par
Polynésie française : Application à déterminer les risques
le milieu marin. Polynésie française, ministère de la santé et de l'environnement,
délégation à l'environnement, : 28
DE
GROOT, R., S., 1991. Functions and
p.
socio-economic values of
coastal/marine protected areas. A
methodology for assessing the benefits of protected areas in human society, with special
reference to coastal/marine ecosystems in Mediterranean area. Paper
prepared for the thematic
meeting on « economical impact of protected areas » of the Mediterranean Protected Areas
Network (MEDPAN) in Ajaccio (Corcica), 27
September 1991: 25 p.
DE
GROOT, R., S., 1992. Functions of nature ; evaluation of nature in environnemtal planning,
management and decision making. Wolters-Noordhoff : 315 p.
DEMOUGEOT, P., 1989. Etude préliminaire des conséquences des processus érosifs anthropiques sur les
rivières et les lagons,
et de la mise en place des techniques de lutte dans les îles hautes de Tahiti
et Moorea
(Polynésie française). D.E.A « Connaissance et gestion des milieux coralliens littoraux
et océaniques », Université
française du Pacifique, Papeete, Tahiti, 6 novembre 1989, 69 p.
Société des
Études
Océaniennes
105
caractères naturels des îles tropicales. In : Nature et
tropicales : réflexions et exemples, Collection « Iles et Archipels » n° 3 : 9-
DOUMENGE, F., 1984. Unité et diversité des
hommes dans les îles
24.
FATH-CHAVANNE, S., 1989. L'élimination des déchets ménagers :
moindre coût. Problèmes
protéger l'environnement au
économiques, n° 2.141 du 20 septembre 1989
:17-23
of Coral Reefs at Moorea island (French Polynesia) by Acanthaster planci.
295-305.
FAURE, G., 1989. Degradation
Coast. Res., 5(1):
J.
SALVAT, B., 1989a. Dégradations anthropiques des zones
polynésiens, influences sur l'ensemble de l'écosystème,
peuplements ichtyologiques. Action SRETIE, Rapport Antenne
GALZIN, R., GABRIE, C., LEFEVRE, A., et
frangeantes des récifs coralliens
incidences
sur
les
EPHE/Museum, 1989 RA 33 :52 p.
JARDIN, C., 1992. Rapports d'activité : RI, R2, R3 et R4. In «
physique et biologique d'une zone récifale dégradée »
Chantier expérimental de restauration
CETE Méditerranée d'Aix en Provence,
Marseille, 150 p.
LAURANS, Y., 1992. Environnement et développement économique : valeurs ajoutées et revenus issus
du tourisme lié aux récifs coralliens (Ile de Moorea, Polynésie française). Rapport Centre
Economie-Espace-Environnement, Université de Paris
d'Opunohu, Moorea Réf. 1992 RA 45 : 32 p.
-
I et Centre de l'Environnement
Dispositifs de concentration de poissons et habitudes alimentaires des thonidés en
Polynésie française. D.E.A. Connaissance et gestion des milieux coralliens littoraux et
océaniques : 61 p.
LEHODEY, P., 1990.
LONDON, S., TUCKER, L., 1992. A comparison of the effects of agriculture and development at two bays
on Moorea, French Polynesia and the effects of a water outflow on a nearshore coral
community. In « The ecology and geomorphology of tropocal islands ». University
at Berkeley interdepartmental studies 158, fall 1992, Moorea course report. 17 p.
MARQUET, G., 1988. Les eaux intérieures de la
of California
Polynésie française. Principales caractéristiques
physiques, chimiques et biologiques. Thèse de doctorat,
Université de Paris VI, 14 décembre
1988,233 p.
NAIM, O., 1982. Bilan
qualitatif et quantitatif de la faune malacologique mobile associée aux
Polynésie française). Malacologia, 22 (1-2) : 547-551.
algues du
lagon de Tiahura (Moorea,
PAYRI, C.E., 1982. Les macrophytes du lagon de
Tiahura (île de Moorea, Polynésie française). Inventaire
Répartition - Biomasse - Variations saisonnières - Dynamique
Turbinaria ornata (Phéophycées - Fucales). Thèse 3ème cycle : 260 p.
floristique
-
des populations de
PLANES, S., 1992. Les échelles spatiales de dispersion des larves de poissons récifaux en Polynésie
française : Influence sur la différenciation géographique des populations. Thèse de doctorat
Université Paris VI : 220 p.
the barrier reef-lagoon
of Moorea, french Polynesia. International Society for Reef Studies, Annual
meeting, Berkeley, California, 13 - 16 december 1991 : « Reefs Beyond the Golden Gate »,
program and abstract, : 48.
POOLE, M., 1991. Environmental determinants of spinner dolphin habitat use in
system waters
PORCHER, M., et GABRIE, C., 1987. Schéma général d'exploitation
des granulats et protection de
les extractions en
Moorea et des îles sous le vent. Rapport spécifique :
milieu corallien. CETE Méditerranée/Museum-EPHE, RA 22A : 190 p.
l'environnement de
RAMADE, F., 1989.Eléments d'écologie, écologie appliquée.
SALVAT, B., 1967. Aperçu biogéographique sur les
MacGraw Hill, Paris : 578 p.
mollusques marins de Polynésie.
Prem. Salon. Int.
Man., Nice : 15-20.
recommendations
»,
reefs : facts and
reefs. In « Human impacts on corl
B. Salvat éd.. antenne Museum E.P.H.E. French Polynesia :
SALVAT, B., 1987. Dredging in coral
Société des Etudes Océaniennes
165-184.
106
Hiconia calvescens
1.
Inflorescence
antérieure
étoilée
(X
(X
position
du
filet
base
antdiéres
DC.
terminale
et
cicatrice
de
la
phase
florale
2.
Bouton floral
recouvert d'une
pubescence
3.
Pétale à nervation palmée
(X
4.
1/3).
13).
13).
Fleur
épanouie
(X 13).
5.
Coupe longitudinale d'une fleur épanouie
(X
13). 6. Coupe transversale de l'ovaire
(X 13). 7. Etamines porées
au
stade
bourgeon floral
(a)
et
fleur
épanouie
des
dans
les
(X 33).
d'un tégument coriace
(b) .
Noter
la
deux cas et la présence de
glandes a la
8. Baie noire (X 10). 9. Graines
pourvues
(X 65).
Dessin Andreas Cettloff
Société des
Études
Océaniennes
107
HISTOIRE DE L'INTRODUCTION
ET DE L'INVASION
DE MICONIA CALVESCENS A TAHITI
«
Au gré
des ambitions humaines, les plantes voguent d'un continent à l'autre, d'une
imperturbables de toutes les aventures et de tous les exils ».
(R. Koenig)
île à l'autre, compagnes
Déclarée « espèce nuisible en Polynésie Française » par arrêté territorial
1990, Miconia calvescens est la peste végétale la plus
importante à Tahiti par l'étendue de sa répartition et de ses
conséquences sur la flore indigène et le milieu naturel. L'histoire de
l'introduction et de l'extension à Tahiti de cette plante ornementale de la
famille des mélastomatacées reste partielle sinon méconnue et le plus
souvent de auditu. Elle constitue pourtant l'illustration typique du
déplacement volontaire d'espèces végétales hors de Taire d'origine et de
leurs introductions aux conséquences parfois bénéfiques... souvent
en mars
désastreuses.
I / LA DECOUVERTE AU
Le contexte
A
MEXIQUE
historique
partir de la seconde moitié du XVIIIème et tout au long du XIXème
siècle, les grandes expéditions
scientifiques
se
multiplient sous l'impulsion
des académies et des souverains. Des voyageurs naturalistes partent explorer
les Amériques, l'Asie et TOcéanie pour y faire l'inventaire de toutes les
ressources
«
exotiques
avec
naturelles. La découverte et l'introduction
»,
en
Europe de plantes
à des fins alimentaires, médicales ou ornementales, s'accélèrent
les mouvements humains.
de
altilis
allemand Alexander
Alors que, en 1788, le capitaine William Bligh, ancien compagnon
James Cook, est chargé de ramener de Tahiti des plants d'Artocarpus
«l'arbre à pain » à bord du sloop H. M. S. Bounty, le baron
accompagné du botaniste français Aimé Bonpland partent
floristique de l'Amérique espagnole. Entre 1799 et 1804, ils
explorent le Venezuela, Cuba, la Colombie, l'Equateur, le Pérou, le Mexique
et collectent plus
de 60 000 échantillons de plantes. Ils publient en 1816 la
première Monographie des Mélastomatacées qui décrit et dépeint plus de 150
espèces de Melastoma et de Mice: a.
Von Humboldt
faire l'inventaire
Société des
Études
Océaniennes
108
Des
mystérieuses ruines de Palenque
...
Ce sont les
Belges Auguste B. Ghiesbrecht (1808-1888) et Jean-Jules
(1817-1898) qui firent connaître Miconia calvescens à l'Europe
entière. Le premier, grand voyageur
zoologiste et naturaliste, découvrit la
plante dans la province mexicaine du Chiapas près de Palenque (cf. Carte
1) lors de sa deuxième expédition au Mexique qui commença en février
1850 (Ghiesbrecht, 1849). Il
l'envoya à J. J. Linden, botaniste et directeur
du Jardin Royal de
Zoologie et d'Horticulture à Bruxelles entre 1852 et
1861. Ils avaient déjà
prospecté et herborisé ensemble de 1838 à 1840, en
compagnie du dessinateur Nicholas Funck (1816-1896) dans « les régions
élevées de l'Etat voisin de Chiapas » :
Veracruz, Tabasco et le Yucatan
(Linden & Planchon, 1867).
J. J. Linden baptise la plante Cyanophyllum magnificum, en raison de
ses grandes feuilles à revers
pourpre, et l'expose en 1857 à Londres, à
l'Exposition de la Société d'Horticulture de Paris et au Festival Horticole
Linden
de Berlin. C'est d'ailleurs
« Berliner
Allgemeine
au
Professeur Dr. K. Koch, rédacteur du
Gartenzeitung », à qui l'on doit la première
l'exemplaire de l'exposition avait quelques pieds de hauteur et
possédait des feuilles opposées, courtement pétiolées de 16 pouces de longueur sur
7-Ifl pouces de largeur. Celles-ci étaient longuement lancéolées et
parcourues
description
par
3
: «
nervures
parallèles reliées par des
nervures latérales distantes entre elles
d'un demi-pouce ; entre ces dernières se
trouvent
de
nombreuses
lignes
transversales. Le bord était finement
cilié et la
face supérieure d'un magnifique vert velouté,
sur
lequel ressortait vivement la blancheur de la
nervure médiane, et le vert très clair des
latérales. La face inférieure
présentait, au contraire, de la manière
la plus splendide cette couleur bleurouge que les Anglais désignent
généralement sous le nom de
pourpre, mais que je nommerai,
pour la distinguer du véritable
pourpre foncé, pourpre bleuâtre »
(traduit de l'allemand). Il n'est
pas surprenant de voir comme
nervures
,
1
,
.
I
premier dessin de Cyerropta,!/™
paru dans la
«
première
i/tluit I to tnidiiM" lipnndrni- natnrril».
Revue Horticole, Journal d'Horticulture
Études
de
...
IdltG
plclIltG Gn pot (cf. FigurG 1).
Pratique » de 1859 (page 359).
Société des
illustration
Océaniennes
109
présence de « ce joyau du règne végétal [...] dans les forêts humides
qui environnent les mystérieuses ruines de Palenque » (Linden,
1958) dans la région mexicaine du Chiapas est confirmée un siècle plus
tard par plusieurs récoltes de botanistes contemporains (cf. Carte 1) : D.
E. Breedlove la retrouve en 1982 à 25 km au Sud de Palenque, en forêt
tropicale humide près des ruines de Bonampak dans la Municipalité
d'Ocosingo, en forêt montagnarde humide jusqu'à 1170 m d'altitude dans
la Municipalité de La Trinitaria ; E. Martinez la collecte en 1986 dans la
Municipalité d'Ocosingo sur le chemin de Palenque ; H. Hernandez et C.
Gonzales la récoltent en 1985 près de Santa Maria Cb;malapa dans l'état
voisin d'Oaxaca et décrivent cette plante plus connue sous le nom
vemaculaire de « jeepe ... arbolito 8 m de alto, flores color crema, aromatica,
envés de la hoja color morado ».
La
et sombres
Carte 1
:
lieux de récolte de Miconia calvescens à feuilles bicolores
au
Mexique
(d'après échantillons d'herbiers).
•
=
première découverte (vers 1850)
O
=
récoltes de 1982-1986
Société des
Études
Océaniennes
110
...
aux
jardins botaniques du monde entier
En raison de la coloration et de la
grandeur de ses feuilles, le succès
en Europe est immédiat : « Parmi
les introductions nouvelles, aucune ne provoqua autant l'attention et l'intérêt
des connaisseurs, que les 9 plantes envoyées par le directeur Linden de Bruxelles
[...]. Toutes, cependant étaient surpassées par la Mélastomatacée à grande
feuilles, le Cyanophyllum magnificum » (Koch, 1857). « Cette noble plante,
exposée par nous dans le courant de l'année dernière, à Londres, à Paris et à
Berlin, a été l'objet de l'admiration générale » (Linden, 1858). « Elle excita
partout l'admiration des amateurs des merveilles du règne végétal [...] et forma
un des
premiers joyaux de l'Exposition de la Société d'Horticulture de Paris »
(Groenland, 1859) ; « un de ces végétaux devant lesquels les plus indifférents
s'arrêtent émerveillés, la plante a un port superbe, rehaussé par les dimensions
considérables de ses feuilles » (Linden & Rodigas, 1894) ; "One of the best
and most striking of all conservatory foliage subject"
(Bailey 1900).
de cette
plante dans le monde horticole
Pendant
plusieurs années, des pieds de Cyanophyllum magnificum,
magnifica par J. Triana (1871) puis identifié comme
étant Miconia calvescens De Candolle par
J. J. Wurdack (1971), furent
cultivés dans les serres chaudes et humides du Jardin Botanique National
de Belgique. Ces arbres fleurirent et fructifièrent et les nombreuses
plantules obtenues furent distribuées dans d'autres jardins botaniques
d'Europe (Wurdack, op. cit.). M. calvescens est, en effet, signalé en culture
au Jardin
Botanique National de Belgique jusqu'en 1907 (F. Billiet, comm.
pers.), au Royal Botanic Garden d'Edinburgh jusqu'en 1969 (J. D. Main,
comm.
pers.) et dans le catalogue du Botanisher Garten Miinchen en 1963
(A. Kress, comm. pers.).
renommé Miconia
Il est
également cultivé aux quatre coins du globe : en Indonésie au
Bogor Botanical Garden entre 1950-60, en Algérie au Jardin d'Essai du
Hamma en 1952, au Zaïre au Jardin Botanique de Kisantu en 1972, et en
Jamaïque au Castleton Garden, où la plante s'est naturalisée (Wurdack,
op. cit.). Des graines en provenance de Chiapas ont été plantées au
Fairchild Tropical Garden de Miami aux Etats-Unis en 1967 et une
bouture a été envoyée en 1971 au United States National Arboretum de
Washington (C. Hubbuch, comm. pers.). M. calvescens a été également
introduit en 1888 au Royal Botanic Garden de Peradenyia au Sri Lanka en
provenance du Mexique (A. H. M. Jayasuriya, comm. pers.).
Société des
Études
Océaniennes
Ill
II /
L'INTRODUCTION A TAHITI
Au parc
Motu Ovini de Tahiti
L'introduction de M. calvescens à
Tahiti est l'œuvre de Harrison
de physique au
s'est retiré à Tahiti
en 1919 (cf. Figure 2). Il constitua, par l'achat de terres successif, un
domaine de 137 hectares au lieudit Motu Ovini dans le district de Papeari
qui devint par la suite jardin botanique (Barrau, 1964).
Willard Smith (1872-1947), ancien professeur
Massachusetts Institute of Technology de Boston qui
passionné d'horticulture tropicale effectua de nombreux
Malaisie, à Singapour, Bornéo et Java ainsi qu'à la Jamaïque, à
Cuba, à Trinidad, au Panama et à Ceylan (actuel Sri Lanka) entre 1921 et
1938. Il correspond avec de nombreux spécialistes des jardins tropicaux
d'Amérique et du Sud-Est Asiatique comme W. R. Lindsay, directeur du
Canal Zone Experiments Gardens, E. D. Merrill, directeur de l'Arnold
Arboretum de Harvard ou J. H. Parsons, directeur du Royal Botanic
Gardens de Paradenyia à Ceylan
(actuel Sri Lanka). Il est également en
Ce
voyages en
avec
Museum
of
le
Comparative Zoology at Harvard
College et l'Institute for Biological
Research in the Tropics de Cuba
(Barrau & O'Reilly, 1972).
contact
Figure 2
:
Sir Harrison Willard SMITH,
fondateur du
Jardin Botanique de Papeari et
introducteur du Miconia calvescens à
Tahiti
Société des
En 1936, le jardin botanique
comptait déjà « près de 250 espèces
botaniques nouvelles : plantes alimentaires
destinées à améliorer le régime des
indigènes, bois de menuiserie, bambous
à fleurs
ou
géants,
plantes
d'ornementation » (O'Reilly et Teissier,
1975). On doit notamment à H. W.
Smith l'introduction d'une variété de
pamplemousse, le Citrus grandis
Osbeck (Rutacées), qu'il récolta au
Sarawak (Bornéo) et qui est devenue
actuellement une des plantes vivrières
et commerciales les plus importantes
en Polynésie Française (Maclet et
Barrau, 1959).
Études
Océaniennes
112
Parmi les
plantes ornementales introduites par H. W.. Smith, citons
benghalensis L. (Moracées), le banyan des Indes, Ravelana
madagascariensis J. F. Gmel. (Musaceés), 1'« arbre du voyageur » de
Madagascar, Dendrocalamus giganteus Munro (Graminées), un bambou
géant originaire du Sud-Est Asiatique ou encore Medinilla magnified
Lindl., une Mélastomatacée des Philippines aux grandes inflorescences
roses et
pendantes.
Comme on peut encore le lire sur l'étiquette d'herbier écrite de sa
propre main, H. W. Smith introduisit des graines de Miconia magnified en
avril 1937, en provenance de
Peradenyia au Sri-Lanka. £,es graines
germées ont été mises en pot en octobre 1957 «potted and set out in October
Ficus
1937
».
Sur le
plateau de Taravao
M. calvescens aurait été introduit simultanément dans la Station de
Recherche
Agricole située sur le plateau de Taravao (presqu'île de Tahiti Iti) par Jean Boubée, collaborateur et ami de H. W. Smith.
Cet ingénieur agronome, arrivé au Service local de l'Agriculture
(actuel Service de l'Economie Rurale) en 1934, aurait tenté d'en exploiter le
bois, notamment comme piquets de clôture.
III / L'INVASION A TAHITI
Une
phase de latence
Jusque dans les années 50, la plante n'est signalée qu'à l'intérieur du
Jardin Botanique : d'abord par G. M. Baas Becking, en juillet 1950, sous le
nom
de Miconia
flammea. Cette confusion taxonomique s'explique
par la
face inférieure des feuilles de cette espèce ; puis par
dans une annexe de son ouvrage « La Végétation des
lies de la Société », intitulée « Liste des espèces étrangères du parc particulier
de Motu Ovini de Papeari ».
Une étude approfondie décrivant l'organisation du district de
Papeari au cours des années 1967 et 1968 ne mentionne pas la présence de
M. calvescens dans la végétation environnante du domaine Motu Ovini.
Pourtant elle souligne que « certains arbres introduits récemment, les
Caecropia, forment des peuplements qui prolifèrent avec vigueur » et note
l'envahissement de certaines cocoteraies non entretenues par Pisidium guajava,
Lantana camara, Mimosa pudica » (Ravault, 1980).
M. Guérin, directeur du Jardin
Botanique de Papeari jusqu'en 1989,
se souvient de l'existence d'un
grand arbre reproducteur à son arrivée en
1974, qu'il a fait couper (Guérin M., comm. pers.).
coloration rouge de la
H. R. Papy en 1951-54
«
Société des
Études
Océaniennes
113
Une extension
Ce sont des
rapide
scientifiques de passage en Polynésie Française qui, dans
les premiers à s'inquiéter de la prolifération de M.
les années 1970, sont
calvescens à Tahiti.
Fosberg, botaniste au National Museum of Natural History du
Washington, exprime ses premières inquiétudes
lors d'un séjour à Tahiti en 1971 ; J. Raynal, sous-directeur du Laboratoire de
Phanérogamie du Museum National d'Histoire Naturelle, rédige un rapport
sur les introductions d'espèces étrangères à Tahiti en 1973 et lance un
avertissement prémonitoire : « je n'hésite pas à qualifier ce Miconia d'ennemi n°l
de la végétation tahitienne ». M. calvescens a envahi alors le haut de la Station de
F. R.
Smithsonian Institution of
il est à craindre que d'ici peu d'années la presqu'île entière soit
bois de Miconia ». L'espèce a été également signalée aux
environs du Belvédère (Fare Rau Ape) près de Papeete.
Taravao et
«
couverte de ces
A. Martin signale M. calvescens dans le fond de la vallée de
Papenoo dans un rapport ethnobotanique du CNRS : « une mention spéciale
doit être faite à Miconia magnifica, Mélastomatacée aux belles feuilles décoratives
vertes et rouges qui présente un caractère nettement envahissant ».
En 1974, M.
la
même
La
les
année,
botanistes F. R.
Sachet,
Fosberg et M.H.
mission à Tahiti,
en
constatent son
extension
rapide
dans les vallées humides
:
M.
apparaît être le
principal danger pour la flore
déjà menacée de Tahiti («It
appears to be the major threat to the
already endangered flora of Tahiti »).
calvescens
photographie de la
prolifération de Miconia sur le
plateau de Taravao » fait, en 1975,
la première page du bulletin
Une
«
trimestriel de l'Association pour
la Protection de la Nature en
Polynésie Française « la Ora te
Natura »,
Te Natura o
Figure 3
:
première page du bulletin
Polynesia
»
de l'Association de Protection de la Nature
de
«
3).
Polynésie Française paru en 1975 (N°2).
Société des
Études
consacré aux pestes
animales et
Océaniennes
végétales (cf. Figure
114
En
1979, B. Le Vot, professeur de Sciences naturelles au Lycée P.
que « l'ennemi public n°l de toutes les autres espèces végétales »,
a envahi la totalité de la
presqu'île de Tahiti (communes de Taiarapu Ouest et
Est), le Sud de l'île (communes de Vaihiria, Papeari, Hitiaa) et pénètre dans la
Gauguin, signale
caldeira
: « de la zone côtière
jusqu'au col d'Urufau, Miconia magnifica se
multiplie activement et devient prédominant ». On trouve maintenant « des
couverts monospécifiques de Taravao à la Vaitepiha, la
principale vallée de TahitiIti » (Raynal, 1979).
En 1982, lors d'une
expédition au Lac Vaihiria, J. Florence, botaniste au
souligne que « l'existence de Miconia est
particulièrement frappante sur les bords du lac où il a déjà envahi les forêts à
Cyathea-Pandanus [...] conférant à ce paysage un aspect de désert biologique ».
Centre ORSTOM de Tahiti,
Selon lui,
«
Miconia représente un danger que les autorités mesurent mal
naturel ». Les vents violents et les pluies
pour la sauvegarde du patrimoine
diluviennes lors de la période
cyclonique exceptionnelle de 1982-83 (6
perturbations cycloniques) auraient jouer un rôle imp jrtant pour l'extension
de M. calvescens (Birnbaum 1989), plus en supprimant le couvert
végétal (ce
qui a permis une croissance et une reproduction accélérée des individus déjà
présents en sous-bois), qu'en créant de nouvelles zones à coloniser lors de la
chute d'arbres et des glissements de terrain (J. Florence, comm. pers.).
Société des
Études
Océaniennes
115
génération humaine, M. calvescens a recouvert les deux
(cf. Carte 2). Il faudra néanmoins
attendre 1988 pour qu'un programme de recherche sur cette plante
envahissante soit engagé au Centre ORSTOM de Tahiti, à la demande du
En moins d'une
tiers de l'île de Tahiti soit environ 85 000 ha
Ministère Territorial de l'Environnement et de la Recherche...
IV / NOUVELLES INTRODUCTIONS
ET NOUVELLES
MENACES
L'extension de M. calvescens à Tahiti à
partir des deux foyers
d'invasion, Papeari et Taravao, s'est effectuée par dissémination naturelle
(oiseaux, vent ou cours d'eau). Excepté peut-être pour Moorea, située à
vingt kilomètres à vol d'oiseau de Tahiti, les introductions dans
Pacifique sont essentiellement d'origine humaine.
Introduit plusieurs fois à Raiatea (Iles Sous-le-Vent), d'abord en
1955 comme plante ornementale dans la vallée de Uturaerae, puis dans
les années 70 dans la vallée de Tetooroa et en 1981 à Faaroa par le
transport de terre « contaminée » en provenance de Tahiti, M. calvescens
recouvrait en 1992 environ 242 ha. Avec plus de 100 000 pieds détruits,
les opérations d'arrachage manuel qui se sont déroulée en 1992 et 1993
avec la collaboration de l'Armée et des scolaires de l'île ont permis
d'arrêter la progression de cette peste végétale (Meyer, sous presse).
moins de
les autres îles du
M. calvescens
a
été
également introduit dans l'archipel des Hawai'i
dans les années 1970, par l'intermédiaire de l'industrie horticole très
« florissante »
(Gagne & al., 1992). Encore récemment cultivé dans de
jardins botaniques, au « Helani Garden » et au « Ali'i Garden »
près de Hana sur l'île de Maui, dans les nombreuses plant nurseries de
Hilo sur l'île de Hawai'i, et au « Lyon's Arboretum » de Oahu, M.
calvescens a été proposé sur la « Noxious Weed List » établie par le
nombreux
Département d'Agriculture de l'Etat de Hawai'i (Higa, 1983), au même
titre que deux autres mélastomatacées envahissantes, Clidemia hirta et
Melastoma malabathricum. Comme en Polynésie française, toute entrée ou
tout commerce de plantes de cette famille est désormais interdits.
Cependant d'autres introductions continuent d'être signalées.
Sur
l'île de la Grenade (Petites Antilles), un artiste passionné d'horticulture a
introduit M. calvescens vers 1970 dans la région de St-George, au pied du
Grand Etang Forest Reserve » (P. Cazin-Bourguigon, comm. pers.). En
Nouvelle-Calédonie, une petite population croît dans un jardin botanique
privé situé sur les pentes du Mont Koghi dominant la vallée de la Yahoué
près de Nouméa (R. Lavoix, comm. pers.).
«
Société des
Études
Océaniennes
116
Ainsi M. calvescens constitue
un cas d'invasion
biologique en milieu
spectaculaire, considéré comme unique par de
nombreux scientifiques et spécialistes des invasions
(communications
personnelles de L.L. Loope, R. H. Groves, H. R. Herren, R. Petocz).
L'histoire de son introduction et de son extension n'est
pas sans rappeler
celle de la jacinthe d'eau Eichhornia
crassipes. Introduite pour la première
fois en 1884 en Louisiane, en
provenance du fleuve Orénoque en
Amazonie, cette plante aux grappes de fleurs violettes et jaunes a
maintenant envahi la majorité des cours d'eau des
régions tropicales et
subtropicales. Elle constitue un véritable fléau, obstruant les rivières et les
insulaire terrestre
canaux
d'irrigation.
L'invasion par M. calvescens met en évidence, d'une part, la
fragilité
écosystèmes insulaires face aux perturbations externes d'origine
humaine, notamment les introductions volontaires (ou involontaire)
d'espèces animales et végétales, et, d'autre part, la nécessité sinon
l'urgence de protéger et de conserver la flore polynésienne riche et
originale (plus de 1000 espèces indigènes dont 50 % d'endémiques,
Florence, 1987).
Malgré les nombreuses études effectuées afin de caractériser
l'envahisseur-type («the ideal weed » selon Baker, 1965), il est difficile de
prévoir si une espèce sera envahissante ou pas. Miconia calvescens semble,
par exemple, s'être naturalisé au Sri-Lanka sans perturber la végétation
naturelle (Dassanayake &
Fosberg, 1987). De plus, l'existence d'une phase
de latence («the lag time » selon Ewel,
1986) entre le moment de
l'introduction et le moment où la
plante est perçue comme un problème,
et qui peut durer
plusieurs dizaines d'années, retarde toute action
immédiate voire même préventive.
Si M. calvescens a été déclaré « hors-la-loi » aux îles Hawai'i
(poster
Wanted locations of Miconia » publié en 1988) et en
Polynésie Française
(dépliant « Halte au Miconia » paru fin 1993), il fait encore les beaux jours
de l'industrie horticole dans le reste du monde.
Aujourd'hui encore, on
peut trouver M. calvescens (ou sous le nom horticole de M. magnifica), « the
showy velvet-tree in tropical Southern Mexico », dans la liste des plantes
ornementales de la dernière édition de « TROPICA, color
cyclopedia of
exotic plants and trees » et de « EXOTICA,
pictorial cyclopedia of exotic
plants » (Graf A. B., Roehrs Inc. Publisher, 1993), les deux bibles des
amateurs de plantes
exotiques...
des
«
Jean-Yves MEYER
Société des
Études
Océaniennes
117
REMERCIEMENTS
Ce travail essentiellement bibliographique a
été d'abord commencé
"Conservatoire et Jardins Botaniques de Nancy" et au
Museum National d'Histoire Naturelle de Paris, puis à Tahiti au Centre
ORSTOM de Tahiti et au Jardin Botanique de Papeari. Il est ensuite le
fruit d'une correspondance fournie avec les établissements scientifiques
en
France,
au
jardins botaniques du monde entier, entre 1992 et 1994.
Je tiens vivement à remercier, pour leur aide précieuse et leur
grande amabilité, Olga Allaume (bibliothécaire du Centre ORSTOM de
Tahiti), Robert M. Burkhart (exploratory entomologist, « Hawai'i
Department of Agriculture »), Patrick Cazin-Bourguignon (ingénieur
agronome à la Mission Agricole de St-George, Grenade), Jacques Florence
(botaniste au Centre ORSTOM de Tahiti), Hina Gerbier (directrice du
Jardin Botanique de Papeari, Tahiti), Michel Guérin (Délégation à
l'Environnement, Tahiti), Dr. Hans R. Herren (director of the
International Institute of Tropical Agriculture, Bénin) ; Dr Lloyd L. Loope
(Haleakala National Park, Maui, Hawaii), Dr. Ronald Petocz (consultant
parks planner and ecologist, Philippines), Mme Raynal (Laboratoire de
Phanérogamie du M. N. H. N., Paris) et Mr. Pierre Valck (conservateur du
"Conservatoire et Jardins Botaniques de Nancy").
Mes remerciements vont à ceux qui se sont donné la peine de
répondre à mes lettres et ont ainsi contribué aux investigations sur M.
calvescens : Dr. Frank Almeda (California Academy of Science, EtatsUnis), Mme. F. Billiet (assistant au Jardin Botanique National de
Belgique), Dr. Okky S. Dharmaputra (Southeast Asian Regional Centre
for Tropical Biology, Bogor, Indonésie), Ole Hamann (director of the
Botanic Garden University of Copenhagen, Pays-Bas), Charles Hubbuch
(director of the Fairchild Tropical Garden, Miami, Etats-Unis), Dr. A.H.M.
Jayasuriya (National Herbarium of Peradeniya, Sri Lanka), Dr. A. Kress
(Botanisher Garten Miinchen-Nymphenburg, Allemagne), Mr. Raymond
Lavoix (Nouvelle-Calédonie), Dr. Beat E. Leuenberger (Botanischer
Garten und Botanisches Museum Berlin-Dahlem, Allemagne), John D.
Main (curator of the Royal Botanic Garden Edinburgh, Royaume-Uni),
Maru Garcia Pena (Herbario Nacional de Mexico, Mexique), Dr. Victoria
Sosa (Instituto de Ecologia, Mexique), Dr. Ir. Suhirham (director of the
Botanic Gardens of Bogor, Indonésie), Roy Vickery (curator of Flowering
Plants of The Natural History Museum of London, Royaume-Uni) et Dr.
John J. Wurdack (Smithsonian Institution of Washington, Etats-Unis).
et les
Société des Etudes Océaniennes
118
BIBLIOGRAPHIE
I / LA DECOUVERTE AU
BAILEY? L. H. 1900
MEXIQUE
Cyclopedia of American Horticulture. Mac Millan and Co.
,
London, vol. 3 :1011-1012.
GHIESBREGHT A., 1849. Extrait d'une lettre écrite de Mexico,
en date du 14
(Note de Ch. Morren). Ann. Soc. d'Agric. Bot. Gand, 5 : 467.
GROENLAND J., 1859. Le Cyanophyllum magnificum. Revue Horticole (Journal
d'Horticulture Pratique) ser. 4,8 :359-361.
KOCH K., 1857. Einige neue Pflanzen aus der Linden'schen Gàrtnerei zu Brussel.
Berliner Allgemeine Gartenzeitung, 31 : 241-242.
LINDEN J. J., 1858. Plantes nouvelles mises dans le commerce en 1858. Belgique
octobre 1849
hortic., 8:167.
LINDEN
et
J. & PLANCHON J. E., 1867. Les explorations botanique de la Colombie
particulier le voyage de M. J. Linden de 1840 à 1844. Belgique hortic.,
en
17:235-256.
LINDEN L. & RODIGAS
E., 1894. Miconia velutina. Illustr. Hort., 41 : 331.
J., 1871. Les Mélastomatacées (Commission chorographique des EtatsUnis et de la Colombie). Transaction of the Linnean Society of London, vol.
TRIANA
XXVm
:
131.
WURDACK
J. J., 1971. Notes on some cultivated species of Miconia
(Melastomataceae). Baileya, vol. 18 :17-18.
II / L'INTRODUCTION A TAHITI
BARRAU
J. & O'REILLY P., 1972. Jardin Botanique de Papeari. Société des
Océanistes, n°9 : 32 pages.
MACLET J. N. & BARRAU J., 1959. Catalogue des plantes utiles aujourd'hui
présentes en Polynésie Française. Journal d'Agriculture tropicale et de
Botanique appliquée, VI : 1-22.
O'REILLY P. & TEISSIER R., 1975. Tahitiens, répertoire bio-bibliographique de la
Polynésie Française. Publications de la Société des Océanistes, n°36 : 524525.
Société des
Études
Océaniennes
119
III / L'INVASION A TAHITI
BAAS BECKING L. G.
M., 1950. Liste préliminaires de plantes introduites à
Tahiti. Commission du
FLORENCE
Pacifique Sud, Document Technique, n°7 :14.
J., 1982. Rapport de mission au Lac de Vaihiria
mai 1982.
(Tahiti) du 17 au 19
Rapport du Centre ORSTOM de Papeete, section Botanique : 4
pages.
FOSBERG F. R. & SACHET M. H., 1981.
Miconia calvescens de Candolle. In
Polynesian Plant Studies, Smithsonian Contributions to Botany, n°47, 130:36-37.
— Introduction à une étude écologique.
Polynésie Française, n°6 :4-15.
MARTIN M. A., 1976. Compte rendu de la mission ethnobotanique effectuée à
Tahiti, dans la vallée de la Papenoo (Juillet/Août 1976). RCP du CNRS,
LE VOT B., 1979.
La Végétation à Tahiti
Bulletin des Naturalistes de
n°259:11 pages.
R., 1951-54. Liste des espèces étrangères du parc particulier de Motu
Papeari (Tahiti). In Tahiti et les Iles Voisines : la Végétation des Iles
de la Société et de Makatea, Travaux du laboratoire forestier de Toulouse,
t. V, 2ème section, vol. 1, Annexe D : 371
RAYNAL J., 1973. Introductions malencontreuses d'espèces étrangères. Rapport
PAPY H.
Ovini à
au
Muséum National d'Histoire Naturelle
:
12 pages.
J., 1979. Three Examples of Endangered Nature in Pacific Ocean. In
HEDBERG I. (ed.) : Systematic Botany, Plant Utilisation and Biosphere
Conservation, Almquist and Wiksell, Uppsala : 149-150.
RAVAULT F., 1980. Papeari : l'organisation de l'espace dans un district de la côte
Sud de Tahiti. Travaux et Documents de l'ORSTOM, n°126 : 43-52 et
RAYNAL
Planche 2.
IV/ NOUVELLES INTRODUCTIONS
DASSANAYAKE M. D. & FOSBERG F. R., 1987. A Revised Handbook to the
Flora of
Ceylan. Smithsonian Institution & National Science Foundation,
vol. VI
178-179.
:
FLORENCE, 1987. Endémisme et évolution de la flore en Polynésie Française.
Bulletin de la Société Zoologique de France, 112 (3-4) : 370-380.
GAGNE B. H., L. L. LOOPE, A. C. MEDEIROS & ANDERSON J. A., 1992. Miconia
calvescens : a threat to native forests of the Hawaiian Islands. Pacific
Science, vol. 46 : 390-391.
HIGA S. Y., 1983. The noxious nature of
Melastomataceae. Hawai'i Department
plants belonging to the family
of Agriculture, Division of Plant
Industry, Plant Pest Control Branch : 4 pages.
Statut de Miconia calvescens à Raiatea : origine,
répartition, abondance, extension et lutte. Actes des Illèmes Journées de la
Recherche en Polynésie.
MEYER J.- Y., sous presse.
Société des
Études Océaniennes
120
PUBLICATIONS
DE LA SOCIETE
DES ETUDES OCEANIENNES
EN VENTE AU SIEGE DE LA SOCIETE
aux
ARCHIVES TERRITORIALES
VALLEE DE TIPAERUI
—
Dictionnaire la
par
—
Européens,
par
E. de Bovis
Bounty,
traduit par B. Jaunez
Alexandre Salmon et sa femme Ariitaimai,
Ernest Salmon
cyclones en Polynésie française
(1878-1906), par Raoul Teissier
par
—
—
—
—
1.000 FCP
français
temps du Protectorat
(1842-1880), par Raoul Teissier
Colons français en Polynésie orientale,
par P.-Y. Toullelan
Les Etablissements français d'Océanie
au
1885 (numéro
1.000 FCP
1.000 FCP
spécial 1885-1985)
Moruroa, aperçu historique 1767-1964,
1.500 FCP
Christian Beslu
Généalogies commentées des arii
des îles de la Société, par Mai arii
Choix de textes des dix premiers Bulletins
1.000 FCP
par
—
1.500 FCP
Chefs et notables des Etablissements
en
—
1.500 FCP
Les
d'Océanie
—
1.000 FCP
Journal de James Morrison,
second maître à bord de la
—
1.200 FCP
Etat de la société tahitienne à l'arrivée
des
—
langue tahitienne,
Tepano Jaussen (7ème édition)
1.000 FCP
de la Société des Etudes océaniennes
1.000 FCP
(mars 1917 - juillet 1925)
Société des
Études
Océaniennes
Le Bulletin
Le Bureau de la Société accepte
l'impression de tous les articles
qui paraissent dans le Bulletin mais cela n'implique pas qu'il
y sont exposées, ou qu'il fait siens les
commentaires et assertions des divers auteurs qui, seuls, en
prennent toute la responsabilité.
épouse les théories qui
Aux lecteurs de former leur
Le Bulletin
appréciation.
ne
fait pas de publicité.
La Rédaction
Les articles
a
réservé
condition
publiés dans le Bulletin, exceptés ceux dont l'auteur
droits, peuvent être traduits et reproduits, à la
expresse que l'origine et l'auteur en seront
ses
mentionnés.
Toutes communications relatives
doivent être adressées
au
au Bulletin,
ou à la Société,
Président, B.P. 110, Papeete, Tahiti.
Pour tout achat de Bulletins, échange ou donation de
s'adresser au siège de la société, SEO, B.P. 110 Papeete.
Le Bulletin est envoyé
gratuitement à tous
Cotisation annuelle des membres-résidents
ses
membres.
4.000 F CFP
:
Cotisation annuelle des membres non-résidents
4.000 F CFP
:
+
Prix d'un numéro
au
livres,
frais de port
1.000 F CFP
Siège :
IMPRIMERIE STP MULTIPRESS
Société des
Études Océaniennes
H1VA OA EN 1922
PROMENADE TOURISTIQUE
AVEC MONSIEUR LE BRONNEC
À VOIR
:
(1) Pointe Kaledo
(2) Fontaine aux eaux bouillonnantes
(3) Chez Lacharne 'philosophe'
H1VA OA EN 1922
PROMENADE TOURISTIQUE
AVEC MONSIEUR LE BRONNEC
À VOIR
:
(1) Pointe Kaledo
(2) Fontaine aux eaux bouillonnantes
(3) Chez Lacharne 'philosophe'
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 263-264