B98735210105_258-259.pdf
- Texte
-
Bulletin
de la
Société
des
Etudes
Océaniennes
N° 258-259
Tome XXI
-
N° 9 et 10 / décembre 92
-
avril 93
Société des Études Océaniennes
Société des Etudes Océaniennes
Fondée le 1er janvier 1917
Service des Archives Territoriales
Vallée de
BJP. 110
Tipaerui
Papeete
Polynésie Française
TéL 4196 03
Banque Westpac : 012022 T 21
—
CCP : 834-85-08 Papeete
CONSEIL D'ADMINISTRATION
t M. Paul MOORTGAT
Président
t Me Eric
Vice-Président
LEQUERRE
Mlle Jeanine LAGUESSE
Secrétaire
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
ASSESSEURS
M. Yvonnic ALLAIN
M. Robert KOENIG
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
MEMBRE D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
Société des
Études
Océaniennes
BULLETIN
DE LA SOCIÉTÉ
ÉTUDES OCÉANIENNES
DES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
N° 258-259. (TOME XXI- N° 9
décembre 92 - avril 93
et 10)
SOMMAIRE
Hervé
DANTON
3
MAKATEA
Jules
"EN ROUTE POUR LE FRONT"
M1LLAUD
Lettre de J. Millaud à
Sonia
FAESSEL
Jean-Marc
REGNAULT
Winston
PUKOKI
....
47
LA FÊTE TAHITIENNE
OU LE MALENTENDU
....
50
"DES ÉLECTIONS POUR RIEN OU PRESQUE...".
ANALYSE
DES
DERNIÈRES ÉLECTIONS
TERRITORIALES EN POLYNÉSIE FRANÇAISE.
....
67
....
93
REMERCIEMENTS
....
97
LISTE DES PUBLICATIONS
....
98
sa
famille
DU FARE 'AIRA'A UPU A
en
1916
L'UNIVERSITÉ
FRANÇAISE DU PACIFIQUE :
DE L'ENSEIGNEMENT DES SCIENCES
TRADITIONNELLES...
...
A LENSEIGNEMENT
Société des
SCIENTIFIQUE DES TRADITIONS
Études Océaniennes
Carte
—
n° 1.
L'île de Makatea et l'exploitation du gisement
de phosphate.
Gisement principal. Affleurements continus de minerais à
plus de 80 % de phosphate
—
tricalcique.
—
Gisement secondaire. Minerais de
phosphate tricalcique discontinu
poches
sur
calcaires coquilliers
principalement.
Société des
Études
Océaniennes
en
dolines
ou
en
3
MAKATEA
arrêtés en octobre 1966
depuis est apparue plus de la moitié de la population vivant actuellement en
Polynésie.
Soixante
ans
d'histoire économique de l'Océanie se sont
et
a alors perdu l'une de ses premières exportations et source de devises
étrangères ainsi qu'un fort et utile second pôle d'activité, nécessaire contre-poids à
la métropole administrative, centrale, voire centralisante, que peut être une villecapitale-port comme Papeete.
Le Territoire
rappeler aux deux tiers de la population qui sont nés après
époque de la grande épopée des phosphates de Makatea, toute l'importance
de cette exploitation dans l'économie des Etablissements Français de l'Océanie. Il
fait suite, vingt ans après, à des travaux beaucoup plus novateurs à l'époque
comme ceux de J-M. Obelliane, François Doumenge, et Louis Molet dont il
Ce document vise à
cette
faut ici saluer la mémoire.
objectif est de rappeler quelques vérités occultées et quelques données
économiques oubliées dans les affres du temps qui passe et efface. Il n'est pas ici
question de bilan, ni de jugement, mais simplement d'un récit et parfois de
Notre
questions, ou de suggestions.
l'étude d'une
passé, qui peut effectivement et conjoncturellement présenter
d'étranges similitudes avec les périodes troublées que nous traversons.
Tout
ce
travail s'inscrit dans une volonté à caractère historique de
tranche de notre
Ce texte est le résumé fort incomplet d'une épopée, celle d'hommes, d'une
compagnie et de ces dirigeants, d'un peuple aussi, mais par un auteur qui n'a ni
vécu cette période, ni la prétention d'une vocation (tardive) d'historien, seulement
la passion de savoir ce qui se passait de 1908 à 1966 à Makatea.
: les opinions ou points de vue exprimés dans ce texte n'engagent que l'auteur de
lignes et en aucun cas son employeur. Les archives utilisées ont été extraites des
collections privées des personnes consultées et des bibliothèques publiques dont
notamment le Service Territorial des Archives, et je liens à remercier ici toutes ces
personnes nombreuses et serviables qui m'ont encouragé, renseigné et ont donc
grandement contribué à la rédaction de ce document.
N.B.
ces
Société des
Études
Océaniennes
4
PRÉSENTATION
DE
L'ÎLE
DE MA KATE A
Géographie de l'île
A l'ouest de
l'archipel des Tuamotu, par 16° de longitude Sud et 148,5°
de latitude Ouest, à une cinquantaine de kilomètres de
Rangiroa et à 180
kilomètres de Tahiti, Makatea est un atoll surélevé unique en
Polynésie
Française. Vingt-huit kilomètres carrés de surface, en forme grossière¬
ment de haricot de 7,5 km dans sa
plus grande longueur et de 4 km dans
sa
plus grande largueur, Makatea a été habité dès les origines du
peuplement de la Polynésie.
Cette île d'abord nommée
nom
de Makatea. Elle
a
Papatea, le grand roc blanc, a
été "re-découverte" à l'époque
ensuite pris le
occidentale en
1722 par
Jacob Roggeveen sur le navire Arend et a été surnommée Vîle de
L'île apparaît au dessus des flots avec ses falaises
impressionnantes surplombant un étroit récif. Les hauteurs moyennes
la
Guérison.
sont de 40 à 50 mètres et le sommet culmine
l'île,
un
au
Mont Puutiare
au
nord de
temps appelé le Mont Fallières (en 1910...).
Selon les
sondages réalisés en 1956 et 1957 par le Capitaine de Frégate
Peaucellier, les fonds marins plongent verticalement à partir du rivage.
A 500 mètres au
large de Temao, ils atteignent 450 m de profondeur.
L'île est dénuée de
plateau littoral. Elle est entourée d'un récif sur une
grande partie des 24 km de son pourtour sauf au sud-est, au nord et au
nord-nord-est sur 3 à 4 kilomètres au total où les falaises
plongent
directement dans la mer. De plus des éboulements se sont
produits sous
l'action conjointe des éléments, la houle, la
pluie et le vent.
Des
plages minuscules
formées au nord-est et à l'ouest de l'île à
ensemble, l'île ..est un bloc de calcaire
thèse, J-M. Obelliane classe l'île en trois grands
se sont
Moumu et Temao. Dans
soulevé. Dans
secteurs
:
•
une couronne
•
une zone
•
sa
son
périphérique de calcaires coralliens
intermédiaire de calcaires coquilliers
des noyaux centraux de calcaires
crayeux à l'emplacement des anciens lagons.
L'origine de la morphologie de l'île reste discutée. D'aucuns penchent
pour la présence de dépôts calcaires de près de 400 mètres de haut sur
une base, le cône
volcanique, avec une phase d'affaissement continue
précédant un soulèvement. Ceci explique alors la configuration tant
émergée que sous-marine et la différence de déclivité à moins
300 mètres.
Société des
Études
Océaniennes
5
Une autre
explication qui est rapportée
par
François Doumenge signale
que Makatea comporte deux édifices coralliens distincts, un édifice
inférieur ancien qui aurait eu le temps de se stabiliser et une partie plus
récente
qui émerge actuellement.
D'autres
supposent que l'île est constituée d'un seul bloc dont les deux
parties n'ont pas subi les mêmes attaques des éléments (pluies, vents,
houle, chaleur,...) ce qui conduit aux affaissements que l'on constate sous
la forme des falaises. La configuration des falaises avec la présence de
cavités, de grottes, des encoches et pour la partie sud des plates-formes
en
gradins laisse encore là place à deux interprétations. La plus courante
suppose un exhaussement en plusieurs phases avec des périodes d'arrêt
laissant le temps à l'érosion naturelle d'oeuvrer. L'autre interprétation
suppose que le soulèvement est continu.
Afin de
compléter ces informations générales, il n'est pas inutile de
préciser que sur sept espèces végétales endémiques aux Tuamotu, quatre
sont présentes sur l'île de Makatea qui a bénéficié d'une grande
continuité naturelle. Il s'agit notamment du palmier Pritchardia
Vuylstkeana.
Quant à la faune, il faut aussi signaler que certaines espèces
polynésiennes endémiques ne se trouvent plus qu'à Makatea, notamment
les harpes Harpa Amoarettn et Gracilis, le pigeon vert dénommé
ptilope. Le pigeon gris rupe qui est trouvé dans tout le bassin Pacifique
ne
survit
en
Polynésie qu'à Makatea.
Présentation
géologique
J-M. Obelliane montre que les caractéristiques supérieures de l'île
résultent de l'évolution de la sédimentation d'un atoll composite avec
trois grands secteurs. Les phosphates se présentent en affleurement à la
surface du sol. Lorsque celui-ci est débroussé, l'apparence est alors une
surface
plane assez régulière. Cette couche de sable phosphatée ôtée,
apparaissent les feo, ces colonnes de calcaires durs et stériles de
composition magnésienne proche de la dolomie.
Entre
feo, git le minerai de phosphates dans des cavités peu
certaines, de 0,8 à 1,2 m et d'un diamètre de 0,5 à 1 m ; ou
tronconiques d'un diamètre de 3 à 15 m au niveau du sol,
devenant cylindriques en profondeur sur plusieurs dizaines de mètres,
2 à 3 m.Le phosphate se présente pour 80 % du
avec un diamètre de
minerai sous forme de sable meuble de forme pseudo-oolithique et
pisolithique, et sinon sous forme de nodules de colophanites de taille
pouvant atteindre jusqu'à 50 ou 80 cm.
ces
profondes
pour
dans des fosses
Société des
Études
Océaniennes
6
Origine du phosphate
Autrefois, les scientifiques expliquaient la formation du gisement de ce
phosphate tricalcique à haute teneur (80 à 85 %) par l'accumulation
d'excréments d'oiseaux et de déchets de
poissons, transformés sous
pluies et d'infiltration, aux dépens du calcaire
crayeux se dolomitisant très fortement. Il s'agissait en fait de la même
explication que celle concernant l'origine du guano dans un contexte
légèrement différent.
l'influence des
eaux
Une autre théorie
de
récente
a été
proposée ces dernières années par
M.
F. Rougerie. Il s'agit de la théorie de
équipe de l'ORSTOM
l'endo-up-welling qui constate que les atolls sont de véritables oasis au
milieu du désert océanique et qui explique ce phénomène par le fait que
ces atolls sont de véritables
"pompes" d'eau profondes et froides, riches
en sels minéraux,
grâce à leur structure corallienne interne et poreuse.
une
assez
avec
Ces
"pompes" remontent l'eau minéralisée des profondeur par le jeu des
thermiques, jusqu'à la surface, ce qui explique les
concentrations rencontrées à l'intérieur des lagons comparativement à
celles de l'extérieur dans les zones océaniques de haute mer. Les
applications de cette théorie sont aussi bien la capacité des
communautés coralliennes à calcifier que l'accumulation des sels
minéraux tels que les sels de phosphates. L'explication proposée pour la
présence ou l'absence de phosphates dans un atoll serait alors
l'existence d'une passe sur l'atoll et en conséquence d'un courant entre le
large et l'intérieur ce qui empêche tout dépôt stable.
différences
En
résumé, l'atoll fermé est le siège d'une capitalisation des flux de
nutriants
en zone
sublagonaire anaérobie puis d'une précipitation de
phosphates
de
zones
sous forme d'apatite. Cette théorie laisse beaucoup moins
d'ombre que la précédente qui de l'avis même des auteurs,
J-M. Obelliane et François Doumenge en particulier, comportait plus de
questions que de réponses.
Société des
Études
Océaniennes
7
HISTORIQUE
DE L'EXPLOITATION DE MAKATEA
pas avec les phosphates. En effet,
les premiers Polynésiens dès l'origine de leur
implantation. Puis l'occidentalisation de la Polynésie orientale fait
prendre au destin de Makatea une étrange tournure puisque l'île sert de
bagne ou plus justement de lieu de déportation depuis 1842 jusqu'au 25
mars 1851, date à laquelle "la peine de déportation sur l'île est abolie
et commuée en peine de travaux publics dans les fers".
L'histoire de Makatea
ne commence
l'île est habité par
Origine de l'exploitation
présence de phosphates à Makatea aurait été décelée à la fin du
ème siècle soit avant celle de Nauru et de Ocean (Banaba) puisque
celle de Nauru est réalisée par Albert Ellis en 1902. Le Capitaine
Bonnet, officier en retraite de l'armée française, retiré à Tahiti, serait
à l'origine de cette découverte (vers 1890 d'après François Doumenge).
La
XIX
exploitation artisanale a été tenté en 1898, mais le stade industriel
s'imposait manifestement vu les difficultés d'extraction. Le produit de
cette production artisanale a probablement été écoulé auprès des
navires qui sillonnaient encore le Pacifique à cette époque à la
Une
recherche de guano.
Nauru
commence en
Parallèlement, l'exploitation industrielle de
1906
avec
la Pacific Phosphates Company, groupe
germano-australien jusqu'en 1914 puis anglo-australien sous le nom de
Phosphates Commission. Celle de Ocean commence en 1904 tandis
qu'une exploitation s'ouvre à Angaur (Carolines Occidentales) en 1909
sous la coupe des Allemands puis des Japonais après la première guerre
British
mondiale.
Océanie l'ingénieur des Arts et Métiers Etienne Touzé
septembre 1871. Il est nommé chef des Travaux Publics
et de ce fait prend notamment en charge le secteur minier, dans le
contexte de l'époque où l'on s'active toujours à la recherche de
phosphates pour remplacer le guano en voie de disparition, après un
demi-siècle d'exploitation par les Américains (Guano Act de 1856) puis
par les Anglais et les Australiens.
En 1905, arrive en
né à Limoges le 21
mariage le 6 juillet 1907
Auguste Goupil, Etienne
place les structures de base de l'exploitation industrielle
Allié entre-temps à la famille Goupil par son
avec Sarah née en 1885 à Papeete, fille de Me
Touzé met
en
Société des
Études
Océaniennes
8
du
gisement de Makatea,
de
sa
belle-famille
en profitant de ces appuis et des bons
les milieux anglo-saxons puisque Me
rapports
Goupil a
en effet effectué
années
d'études
en
plusieurs
Angleterre. Localement,
Me Goupil dirige le plus gros cabinet d'avocat avec son gendre Lucien
Sigogne, maire de Papeete de 1917 à 1922, alors que son neveu Albert
Goupil dirige un journal local, et que le troisième gendre, le Dr Fernand
Cassiau
Papeete
avec
(1871-1934), est
en
un
autre notable éminent, futur maire de
1922.
Les
expériences industrielles de Nauru et Ocean conduisent Etienne
analyser sérieusement le cas de Makatea. Il a connaissance de
toutes ces informations et notamment entend parler des scientifiques
américains de la mission embarquée sur le navire Allmtross qui, sous la
direction du professeur Alexandre Agassiz passa par Papeete en 1904 et
avait été reçue par Me Auguste Goupil, son beau-père. Des échantillons
sont prélevés à Makatea, en vue d'analyses, par son beau-frère, Albert
Goupil. Une étude de mise en exploitation est alors commencée.
Touzé à
Une mission de la Pacific Phosphates Company Ltd. passe en Océanie en
1907 avec M. Arundell, vice-président, ainsi que Coxon Ellis et son fils
Morgan sur le bateau Thyricin, entre le 14 et le 28 août 1907 avec cinq
jours d'escale à Makatea entre le 19 et 26 août. Ils embarquent
Me Auguste Goupil et le représentant de la colonie, Etienne Touzé, puis
font route sur Makatea pour rejoindre Albert Goupil en plein travail. Ils
confirment sur place que l'île est "phosphatée".
A
l'époque, la législation minière applicable en Océanie est un vieux
impérial de 1810, la loi du 21 avril 1810 et son arrêté local du 27
mars 1874. Etienne Touzé
passe outre cette réglementation en invoquant
l'argument majeur que le phosphate du gisement de Makatea est
superficiel et donc ne répond pas aux contraintes réglementaires existant
en matière minière mais bien
plutôt à celles concernant le domaine des
carrières, ce qui allège considérablement les obligations des entre¬
preneurs puisque l'Etat n'a plus à intervenir en tant que propriétaire du
texte
sous-sol.
En second
lieu, et avec l'aide de son beau-père,
éminent et influent à Papeete, est établi un
type
les
propriétaires des terres de l'île
pour
homme de loi reconnu,
de contrat à passer avec
l'achat du phosphate.
Ce contrat est
rédigé en français et en tahitien. Ces
nombreux et disséminés à travers
l'archipel des
l'indivision
commence
à
se
faire sentir. Près de 1
Société des
Études
propriétaires sont
Tuamotu. De plus,
200 contrats sont signés
Océaniennes
9
et ainsi couvrent
quasiment l'ensemble du gisement. Le beau-frère
Goupil s'est chargé personnellement de la
plupart de ces transactions.
d'Etienne Touzé, Albert
Il faut insister
sur la complexité du cadre juridique de l'époque en
matière minière et foncière, comme le rapporte ultérieurement en 1911 et
1912 le député Maurice Viollette à la tribune de l'Assemblée Nationale
à propos
de l'Océanie. Le texte régissant la propriété foncière a été,
semble-t-il, mal appliqué par ceux que le député appelle des
fonctionnaires
incompétents, ce qui place une grande partie des proprié¬
revendiquants dans une situation illégale au regard d'une
législation bancale selon les propos du député.
taires
ou
1907, est fondée une première société, la Société Française des Iles du
Pacifique entre Etienne Touzé, la famille Goupil et la Pacific Phosphates
Company de Nauru. Puis, le 4 décembre 1908, Etienne Touzé revient de
France avec les statuts de la Compagnie Française des Phosphates de
l'Océanie, CFPO, au capital de 6 millions de francs qui reprend les actifs
de la Société Française des Iles du Pacifique pour 2 millions de francs. Les
En
déposés le 2 octobre 1908 à Paris sont publiés dans le Journal
Officiel de l'Océanie.
statuts
Les
cinquante-deux actionnaires nomment administrateurs Georges et
Jean Baptiste Hersent, Raoul Jonhston, Albert Taraud, résidant tous à
Paris et John T. Arundel, Hermann Voss, Sir John Pilter, Bernard
Balding, John Euvart de Londres ainsi que les liquidateurs de la Société
Française des Iles du Pacifique Léon Bertrand et Félix Gorsch-Chacou et
Jules Mesnier, premier président du conseil. Dans l'intervalle, Etienne
Touzé donne sa démission de la fonction publique et prend la direction de
la CFPO en Océanie; Me A. Goupil assure la fonction de conseiller
juridique.
Néanmoins, les événements
ne
sont pas restés dans un cadre aussi calme
exposé peut le laisser croire. En effet, le phosphate suscite
beaucoup d'intérêt et de convoitises économiques en Occident alors que
l'expansion coloniale des grandes nations européennes se poursuit dans
le domaine économique. Les positions allemandes, anglaises et
françaises à Angaur, Nauru, Ocean et Makatea ne sont qu'un aperçu
d'une véritable guerre économique qui précède la grande guerre de
1914-1918. Le phosphate en est l'un des enjeux puisque les terres pauvres
en sels minéraux telles qu'au Japon, en Australie ou en NouvelleZélande ne peuvent être cultivées rentablement qu'avec l'apport
que cet
Société des
Études
Océaniennes
10
d'engrais à base de phosphates. Ainsi, la découverte du gisement de
qui n'est pas restée ignorée du reste du monde n'a pas
seulement intéressé les intérêts français et anglo-saxons mais aussi des
Makatea
intérêts allemands.
Les contrats
signés
Me Goupil sont à peine conclus que ces intérêts
procédé. Ils envoient un navire, le Natuna, et
s'ingénient à faire signer un même type de contrat, souvent aux mêmes
propriétaires de Makatea, à des conditions beaucoup plus avantageuses
mais apparemment au mépris des accords
déjà conclus.
par
utilisent le même
Plus de 100 contrats sont ainsi
signés par cette nouvelle compagnie qui
prend le nom de Compagnie Française des Phosphates du Pacifique, (CFPP),
créée autour d'intérêts franco-allemands regroupés par la Dresden Bank
et
en
en
association
avec
notamment la reine Marau Salmon. Le directeur
est M. Bonnel de Mézieres. Des
la CFPO contre
soit
près de deux
Celle-ci
très
ce
commence
réduit,
sur une
procès sont donc engagés à Papeete par
nouvel intervenant. Ils aboutiront seulement
en
1910
ans après le début de l'exploitation des gisements.
donc avec deux compagnies concurrentes sur un espace
île éloignée de tout.
En 1910, la CFPO sort grand vainqueur de ces batailles juridiques et
rachète les actifs de la CFPP en liquidation, qu'elle absorbe. La CFPO
concilie les bonnes
grâces de la reine Marau dont le prestige reste
grand parmi la population locale, en reversant à la souveraine puis à
ses
ayants-droits, les montants de baux annuels.
se
En
1911, les terrains domaniaux
sont mis à la
disposition de la CFPO
du
politique
difficile. En effet, il faut signaler que "l'affaire Makatea" est
portée
devant le parlement français par le
député Maurice Viollette, porteparole du parti radical qui, à la tribune de l'Assemblée Nationale le 12
juillet 1911 et le 30 mars 1912 dénonce les erreurs de l'administration
locale et son incapacité en Océanie, et met en
exergue les difficultés à
oeuvrer
pour la CFPO, compagnie à laquelle il ne s'oppose pas et qu'il
qualifie de sérieuse puisqu'elle "...donne un élan nouveau à la relance
d'une économie d'une colonie qui se mourait". Ces
propos furent ensuite
quelque peu oubliés lors des préparatifs de la guerre. Le 13 août 1914, les
35 hommes commandés par
l'Enseigne de Vaisseau Barbier de la
canonnière Zélée arraisonnent à Makatea le
cargo allemand Walkure
chargeant du phosphate. C'est le début de la guerre, même en Océanie.
pour l'extraction de phosphates conformément aux instructions
Ministère parisien chargé des Colonies, dans un contexte
Société des
Études
Océaniennes
Société des
Études
Océaniennes
11
Exploitation
vers
Etienne Touzé
a
le régime de croisière
passé douze
ans
à diriger cette exploitation jusqu'en
1921, date à laquelle il rentra définitivement en France après seize ans
sous les
tropiques océaniens. Il devient alors administrateur-délégué
puis de 1937 à sa mort en 1950, président-délégué puis présidentdirecteur-général de la CFPO Peu avant sa mort, le Conseil
d'Administration comporte encore Bernard Balding, alors que des noms
familiers se perpétuent : Georges Johnston, Marcel Hersent viceprésident, et que d'autres apparaissent comme le Président Arnaud
Faure, Rowland Muir, Jacques Dubois, Gaston Bouffe, Léon Moquet et
Hubert Outhenin-Chalandre.
De 1918 à 1921,
des recherches sont effectuées par la Compagnie sur les
et de Niau. Parallèlement, la Compagnie
îles voisines de Matahiva
Navale de l'Océanie effectue
Napuka
aux
succès des recherches depuis 1918 sur les
(Marquises), Teuaua (Marquises), Tepoto et
sans
îles de Puka Puka, Ua Huka
Tuamotu.
A Makatea, Etienne Touzé a eu à mettre en place l'ensemble des
infrastructures et des réseaux, et fut confronté à des difficultés colossales
dont notamment :
•
•
•
•
le manque d'eau
l'absence de main d'oeuvre
les
problèmes d'accès
l'énergie.
par
L'approvisionnement
la
mer
en eau
L'eau a, dès le départ, fait l'objet
l'absence de source et de nappe
de tous les soins des entrepreneurs en
phréatique connue susceptible d'être
pompée. Aussi, les installations sont munies de réservoirs, et des
systèmes de récupération d'eau de pluie sont mis en place en 1908.
5 000 m3 de citernes sont ainsi installées. De plus, les liaisons mari¬
times transportent aussi de l'eau en ravitaillement complémentaire.
Contacts
avec
l'extérieur
Le trafic
portuaire comporte deux réseaux, celui lié au ravitaillement,
Papeete-Tuamotu vers Makatea et l'autre lié aux
exportations de phosphates vers l'étranger. Le trafic maritime local est
essentiellement local
Société des
Études
Océaniennes
12
assuré
en
1909 par
et Martin
plusieurs armateurs de Tahiti, MM. Brown, Petersen
quelques années plus tard dans le domaine
que l'on retrouvera
de l'électricité.
Plus
précisément, la CFPO affrète le cargo-boat Cholita de 98 tonneaux
propulsé au gazole, ainsi que la goélette à voile Tiare Apetahi louée à
MM. Brown et
Petersen, constructeurs. Parallèlement, la CFPP
a
loué la
goélette à voile Suzanne de 24 tonneaux à M. Martin, armateur.
Le voyage
entre Papeete et Makatea prend 24 heures aller en goélette à
le retour. Outre le transport d'eau, les
liaisons maritimes locales approvisionnent l'île en produits
alimentaires tels que les fruits et légumes, mais aussi en matériaux de
construction, et acheminent le courrier.
moteur et de 17 à 18 heures pour
Une concession
d'occupation du domaine public maritime et du littoral a
la CFPO (arrêté du 3 avril 1909) et un
quai en bois est alors construit jusqu'au récif. Pour ce qui concerne
l'exportation du minerai, le service est assuré par des minéraliers de 10
à 13 000 tonnes. Des travaux considérables sont réalisés pour les
accueillir mais la configuration définitive n'apparaîtra pas avant
1954, soit 45 ans après le début de l'exploitation.
été obtenue à Temao début 1909 par
A cette
époque, en 1909, les navires s'amarrent au large de Temao auprès
de corps-morts installés à cet effet. Ces corps-morts ont été installés non
sans mal
puisque le premier navire chargé de l'opération, Y Ocean Queen
exprès d'Australie après escale à Papeete s'est violemment échoué
Makatea-après avoir voulu
la contourner par l'est. Une avarie de moteur
(grippage d'un collier
d'excentrique) serait à l'origine de l'accident. La houle a drossé le
navire sur le récif, et si l'ensemble des
passagers a pu être débarqué
sains et saufs, l'Océan Queen
quant à lui ne p.ut être sauvé et disparut
inexorablement dans les flots. De plus, l'appontement
subit fréquem¬
ment les assauts du mauvais
temps. Le lundi 26 janvier 1920, la tempête
provoque même la mort du directeur M. Marting emporté par une lame
après que l'appontement se soit effondré. Le jeune Pierre Thunot, à ses
côtés, parvient à surnager. 11 restera plus de douze heures dans l'eau,
agrippé aux épaves, avant d'être sauvé.
venu
sur
le récif, semble-t-il, au nord de l'île de
Pendant dix-huit années, le transport
des phosphates a été organisé au
départ de Temao vers les minéraliers amarrés à 400 mètres du rivage
par 400 m de profondeur. Une ancre de 6 tonnes est posée sur les fonds
marins, des chaînes et des câbles goudronnés forment la partie verticale
du système relié à une énorme bouée de 75 tonnes. De
plus, à 10 m sous la
Société des
Études
Océaniennes
13
surface de la mer, un gros organeau se trouve
bouées et d'autre part au récif par deux ancres
forme un triangle isocèle déformable suivant
attaché d'une part à deux
à une patte. Cet ensemble
le mouvement de la mer.
Des petits bateaux du style chalands conduits par des pilotes
polyné¬
siens convoyaient les paniers emplis de phosphates.
Ce
type de chargement prenait 3 à 4 jours par mer calme. En cas de
tempête, les opérations pouvaient être suspendues pendant deux à trois
semaines.
L'énergie
L'exploitation nécessite beaucoup d'énergie pour le séchage du phos¬
phate et le convoyage du minerai. Le charbon est la source d'énergie
principale jusqu'en 1949 environ, alors que le fuel fait son apparition dès
1920. La CFPO loue un emplacement sur le port de Papeete pour
entreposer son stock de charbon. Elle reprend en fait un emplacement
laissé par la marine nationale. C'est ce stock qui est brûlé en 1914, par
mesure conservatoire dès que sont
aperçus les croiseurs allemands de
l'Amiral von Spee. La Compagnie passe des accords avec la marine
nationale et se charge d'assurer jusqu'en 1949 des stocks de réserve qui
servirent notamment aux navires alliés pendant les deux guerres
mondiales. Ensuite, la Compagnie opte pour le fuel et le gazole stockés
encore à
Papeete, derrière le stockage de charbon. Elle utilise des
groupes lents en continu Sulzer (120 tours/mn) qui ont fonctionné depuis
les années 20 environ jusqu'en 1968.
Main-d'oeuvre et cadre de vie
L'absence de main-d'oeuvre
conduit les
entrepreneurs à provoquer des
migratoires à l'intérieur de la Polynésie et même du grand
Pacifique ce qui sera explicité dans la seconde partie de ce mémoire.
a
flux
Il faut
déjà signaler que ce recrutement n' a rien à voir avec le trafic des
négriers qui ont sillonné le Pacifique tout au long du XIXème siècle afin
de rassembler de la main-d'oeuvre pour les plantations de coton, de
canne à sucre ou pour le ramassage du gunno. Ainsi,
par exemple, des
Marquisiens et des Paumotu parmi tant d'autres Océaniens ont été
littéralement enlevés de leur île pour aller travailler aux îles de
Chincha au Chili à l'extraction du giiniio. Peu revinrent de ces îles et
malades de la variole. Ils contaminèrent la population des Marquises
ce qui provoqua la mort d'au moins 1 400 personnes.
Société des
Études
Océaniennes
14
La vie à Makatea est alors
organisée autour de l'ancien village de
village de Temao ayant été littéralement rasé par les
cyclones de 1906 - et du campement de la CFPO sur le plateau de Temao,
en
surplomb de la plage, à environ un kilomètre du rivage et cinq de
Moumu. La CFPO y a installé ses bureaux, ses magasins, ses hangars, les
habitations des employés et les logements des travailleurs.
Moumu
En
La
-
l'autre
1909, 250 personnes sont employés par la CFPO dont 180 Polynésiens.
plupart travaille, cette année-là, à l'édification des lourdes
infrastructures. Lors de la visite du Gouverneur
Joseph François en
septembre 1909, 50 tonnes de phosphates ont déjà été extraites, ce qui
prouve le démarrage rapide de l'exploitation. Des installation
électriques (800 CV), une machine à glace et une machine à distiller, une
pompe destinée à monter l'eau de la plage de débarquement jusqu'au
camp de la CFPO viennent équiper les installations de Makatea.
Un médecin
appointé par la compagnie suit la population de l'île sur le
plan sanitaire. Un seul gendarme se charge de nombreuses tâches telles
que celle d'instituteur (!), de sous-agent spécial du Trésor, d'huissier, de
douanier et enfin de policier lors de la visite du Gouverneur François en
septembre 1909. Ce dernier lui adjoint très rapidement un auxiliaire.
Le Gouverneur
François devait aussi mettre en place l'Administrateur
partir de 1910 sur instruction du Ministère des
dernier aura en fait son siège sur l'île de Tahiti après avoir
des Tuamotu à Makatea à
Colonies. Ce
été à Fakarava
au
XIX ème
siècle.
Aspects réglementaires
La situation
1910
se
stabilise
avec
l'éviction de la CFPP de l'île de Makatea
qui laisse le champ libre à la CFPO II est probable que la
présence d'intérêts allemands dans la compagnie malchanceuse a dû
jouer à l'époque en sa défaveur, en plus des aspects juridiques déjà
évoqués et de la bonne implantation de ce qu'il faut appeler le clan
Goupil. Les derniers aménagements du cadre réglementaire sont mis en
place avec la promulgation le 1er juin 1918 du décret du 17 octobre 1917
réglementant le domaine minier et classant les phosphates comme
substance minérale de gîte
concessible (article 5). Il n'est plus alors
question de faire référence à l'exploitation de carrière.
en
ce
Malgré les avertissements du député Viollette
demande et obtient
en
1918
avant guerre,
la CFPO
(Décision n° 534 du 30 octobre 1918) et
Société des
Études
Océaniennes
en
1922
15
(Décision du 16 septembre 1922) deux concessions
respectivement de 2 000 ha et 904 ha.
Mais,
sur
le site de Makatea,
si le respect des intérêts des populations et même de
archéologiques sont déjà pris en compte dans
l'environnement et des sites
cette nouvelle
réglementation qui abroge en Polynésie le texte de 1810, il
qu'à l'époque, les rédacteurs ne se soucient pas de "l'aprèsexploitation".
faut noter
La concession accordée est
perpétuelle ce qui enlève toute idée de
responsabilité des concessionnaires en la
matière après la fin de l'exploitation. En 1919, un texte (arrêté du 8 avril
1919) réglemente l'extraction de mines et la production de statistiques.
Il faudra attendre 1954 pour qu'un nouveau code minier soit établi par
décret ; il est rendu applicable en Polynésie par une délibération en
réhabilitation du site et de
1957.
MAKATEA
-
Funérailles d'un Coolis Japonais -
Sôciété des
3
-
Discours
Études
Océaniennes
16
L'EXPLOITATION DE MAKATEA DE 1918
À
1966
Techniques et production
Moyens de production
La
première méthode d'extraction est la plus simple qui soit : la pelle,
et la brouette. Les difficultés du relief et la configuration du
gisement présentant une couche phosphatée superficielle en contact
avec le socle karstifié rendent nécessaire cette méthode
après un
débroussaillement complet de la zone de chantier ce qui oblige
notamment à enlever les arbres tels que les aito, les purnu
et les
le
seau
banians.
Les
équipes installent ensuite les équipements de base, les lignes
électriques, les tapis roulants. Le travail d'extraction peut alors
commencer.
Le minerai
se
présente sous forme de sable sur 80 % du gisement et sous
forme de nodules de taille pouvant atteindre 50 à 80 centimètres. Les
ouvriers travaillent à la pelle et au seau, descendent dans les cavités et
grattent le minerai remonté par des treuils. Les engins mécaniques feront
plus tard leur apparition mais sans révolutionner l'exploitation. Le
minerai est transporté en brouettes manoeuvrées sur des planches
faisant fonction de chemin et même de ponts jusqu'aux tapis roulants qui
rejoignent les hangars de la compagnie. Chaque site est récuré jusqu'au
fond des accumulations de phosphates qui
peuvent atteindre 30 mètres
et même 50 mètres de profondeur.
Lorsqu'un site est complètement
exploité, il est abandonné et retourne à la nature après une phase de
lavage par les pluies tropicales (3 à 4 m d'eau en moyenne par an). La
végétation regagne alors graduellement ses droits. Rapidement, des
tapis roulants ont été installés pour la collecte du minerai vers l'usine.
Les groupes de travailleurs s'activent au
rythme du grincement de ces
tapis roulants qui parfois s'arrêtent pour cause de panne ou
d'engorgement. C'est alors l'occasion d'une pause pour les travailleurs
de l'équipe soumis à rude épreuve en raison des conditions
climatiques.
Viendra
ensuite
l'apparition du réseau ferroviaire d'environ 7
d'oie à travers l'île jusqu'aux installations
de Temao pour la collecte des
tapis roulants. Une locomotive diesel tire
les bennes auto-déversantes de 5 m^
qui circulent sur ce réseau
kilomètres
en
double patte
d'écartement de 60 centimètres
.
Société des
Études
Océaniennes
17
Néanmoins, le transport par brouettes est maintenu puisque celles-ci
constituent l'unité de mesure de comptage et de rémunération des
ouvriers. A Temao, le phosphate est séché pour ramener sa teneur en eau
de 15
18 % à 3 % environ
puis stocké en trois silos de capacité globale
supérieure à 30 000 tonnes. Ces installations en haut de la falaise de
Temao sont reliées à la plage par un plan incliné et un va-et-vient.
-
En 1927 à
Temao,
jetée métallique de cinquante mètres de portée au
en prolongement du quai. Ces installations
sont insuffisantes pour faire amarrer les cargos. Néanmoins cette jetée a
permis de faire passer l'exploitation à une phase supérieure. Une
flottille d'une vingtaine de chalands de 9 à 10 mètres continue donc de
transporter le phosphate dans des paniers. Ces chalands sont mis à
l'eau dans le plan d'eau de Temao, long de 50 m, large de 20 et profond
de 1,50 m. Cette technique usitée pendant 26 ans jusqu'en 1953 nécessite
beaucoup de main-d'oeuvre et un atelier d'entretien conséquent pour ce
qui concerne la réparation des bateaux.
une
delà du récif est construite
1953, est décidée la réalisation d'un important ensemble de
chargement du minerai pour remplacer la technique longue et coûteuse
en
vigueur. L'entreprise Bres de Tahiti installe à partir du 11 juin 1954
une
jetée métallique avec encorbellement de 106 mètres de portée sur la
mer au delà du récif. Cette construction fabriquée par les ateliers Seibert
En
de Sarrebruck
livrée le 11
a
été commandée le 30 avril 1954, a commencé à être
juin 1954
avait débuté
en
par les Messageries Maritimes alors que le génie civil
1954. L'achèvement des travaux eut lieu le 25
mars
octobre de la même année. Ces travaux coûtèrent
plus de 120 millions de
francs.
Les fonds marins
atteignent 40 m au bout de la jetée ce qui permet aux
cargos de mouiller amarrés à quatre grosses bouées. Cette installation
est dimensionnée pour charger 550 tonnes de minerai à l'heure à l'aide
d'une
"sauterelle" mobile. Ainsi,
20 heures
10 000 tonnes sont chargées en
qui correspond au chargement d'un bateau. L'immobili¬
quatre. La production de phos¬
phates atteint 1 000 à 1 200 tonnes par jour soit un rendement moyen par
travailleur sur le chantier de l'ordre de 5 tonnes par jour.
ce
sation de celui-ci est donc réduite par
La
production
En 1911, 12 000 tonnes sont produites alors que la production mondiale
tourne autour de 3,5 millions de tonnes. En 1913, 82 056 tonnes sont
produites, puis environ 30 000 tonnes
Sôciété des
par an entre
Études
1916 et 1920.
Océaniennes
18
Le
décollage dû aux travaux de 1927 est sensible avec 251 000 tonnes en
grande crise de 1929 frappe l'exploitation ; moins de
000 tonnes sont produites par an en 1933 et 1934, alors
que 130 000
1929. Mais la
80
tonnes le sont
1935 à la sortie de la crise.
en
La
production annuelle stagne à moins de 200 000 tonnes par an
jusqu'après la Seconde Guerre Mondiale sur une consommation mondiale
annuelle de 7 à 10 millions de tonnes.
Au total, 11 279 436 de tonnes ont été extraites de 1908 à 1966, soit
9 627 789 tonnes
exportées après
séchage (et perte de 17 %). Les ventes
Japon, la Nouvelle-Zélande, mais aussi
l'Australie, l'Inde et Hawaii, et même l'Allemagne entre deux guerres.
Le Japon commence ses
importations en 1911, les stoppe en 1941 pour
cause de conflit mais les Australiens et les
Néo-Zélandais, déjà clients,
viennent alors les
remplacer, ayant perdu momentanément Nauru. Puis
le Japon reprend ses
importations en 1954.
sont
réalisées
le
vers
Dans les années 1960, le
Japon constitue de nouveau le principal
acquéreur avec le groupe Mitsui, compagnie importante dans l'archipel
nippon dès avant-guerre, notamment dans l'immobilier et le secteur
B.T.P. Sur l'ensemble de
l'exploitation, il apparaît que le Japon
acquiert plus de la moitié de la production totale de Makatea, soit plus
qu'aucun autre client, tel que la Nouvelle-Zélande, deuxième acheteur;
l'Australie restant un client
marginal de la CFPO
Le
prix de vente du phosphate présente aussi un grand intérêt à l'étude.
Ainsi, il faut noter une série de phases de stabilité de ce prix. De 1925 à
1934, les prix sont stables et ce pour les trois acquéreurs à 44 F cfp/tonne.
Il est donc admissible de
penser que ces ventes se réalisent dans le cadre
de contrats qui pourraient être
pluri-annuels. La reprise économique
postérieure à la grande crise de 1929 - 32 voit une augmentation du prix
du phosphate de plus de 50 % de 1934 à 1935.
Puis, cette augmentation
est de nouveau suivie d'une
période de grande stabilité de 1935 à 1939.
La
première année de guerre en 1940 fait grimper le cours du phosphate
prix est multiplié par 2,4 en 1941. Est-ce parce que le seul
client est le Japon ?
de 50 %. Le
Ces prix restent élevés mais stables de 1941 à 1944 avec comme
acheteurs les pays alliés de la zone, Nouvelle-Zélande et Australie.
L'après-guerre connaît encore
1945, et
encore +
Japon reprend
10 %
en
1958,
+
ses
50 %
en
une
forte augmentation du prix, + 50 % en
1947. Les
prix augmentent encore lorsque le
activités d'importations en 1950 - 51 : + 25 % en 1954, +
20 %
en
1959.
Société des
Études
Océaniennes
Tableau
:compartif dceomesrial
tovepeagunrpllrodrudibcuciatin,1M96khoespt0.a
20
Ces
quelques chiffres prouvent à l'évidence le grand professionnalisme
sa bonne implication dans le marché international.
L'entreprise "coloniale" s'est donné les moyens de faire fonctionner son
exploitation. De plus, la déconnexion due à la Seconde Guerre Mondiale
n'affecte en rien les capacités d'intervention et de décision de la
Compagnie. Alors que les marchés se traitent habituellement à Paris, la
CFPO réussit à poursuivre efficacement son activité en Océanie de 1940
à 1947, et gère au mieux ses intérêts : entreprise coloniale délocalisée ?
Cette capacité inquiétera même le Ministère de l'Industrie en 1947 au
point d'envoyer en Polynésie un expert afin de comprendre ce qui s'est
passé.
de la CFPO et
La
productivité des ouvriers est aussi très changeante, 104 tonnes par an
ouvrier en 1912, au début de l'exploitation, autour de 220 tonnes
de 1913 à 1915, puis une forte baisse autour de 100 tonnes de 1916 à 1920.
A cette époque, la chute de la
production n'a pas entraîné de
licenciements. La production est ensuite stable par pallicrs, d'environ
180 tonnes par ouvrier et par an de 1921 à 1928, d'environ 250 tonnes par
ouvrier et par an de 1929 à 1931, alors que les effectifs de la mine se
réduisent pour répondre aux contraintes extérieures de la
grande crise de
1929 32, d'environ 400 tonnes par ouvrier et par an de 1932 à 1956, avec
cependant des variations de 321 à 520 tonnes autour de cette moyenne, et
et par
-
des accidents, comme en 1937, avec 623 t/an/ouvrier et
286
La
en
1947,
avec
t/an/ouvrier.
production est ensuite à
peu près stable de 1957 à 1966 autour de 800
et par ouvrier. La productivité quadruple ainsi en 50 ans,
grâce d'abord à l'amélioration des performances des ouvriers, puis aux
évolutions techniques, tant d'organisation de la collecte, que des
moyens
d'extraction. En 1966, toute activité cesse à la fin de l'exploitation
après que 11,3 millions de tonnes ont été produites.
tonnes par an
Organisation
-
Employés
Structures d'accueil
En fonctionnement
normal, l'île de Makatea abrite 2 à 3 000 personnes
selon les
époques. La plupart est regroupée au nouveau village de
Vaitepaua au dessus de Tcmao sur le plateau, alors que des familles
originaires de l'île continuent d'habiter l'ancien village de Moumu. Une
centrale électrique équipée de trois
groupes électrogènes de 300 kVV
fournit l'électricité pour les installations de la
Compagnie et les
particuliers, jusque dans chaque habitation.
Société des
Études
Océaniennes
21
De la même
façon, l'eau est distribuée après avoir été pompée de la
phréatique atteinte en 1933 lors d'une extraction à 50 mètres de
profondeur. Un pompage de 20 m3/heure permet de fournir les 150 m3
nécessaires chaque jour pour tous les usages, industriels ou non. Bien que
l'eau soit parfaitement potable, les populations polynésiennes
préfèrent utiliser pour leurs usages alimentaires les eaux de pluies
recueillies dans les citernes. Regroupés à Vaitepaua (plateau de
Temao), les logements entourent les installations de la Compagnie sises
sur le site initial du
premier campement. Les employés disposent de leur
propre logement, alors que les ouvriers sont regroupés en dortoirs
collectifs pour les célibataires, aménagés en studio-véranda pour ceux en
couple. Ces dortoirs sont des bâtiments de quatre à cinq mètres de haut,
longs de vingt mètres et très aérés. Chacun peut librement se rendre au
réfectoire pour se nourrir, ou retirer ses provisions à l'économat pour
cuisiner à domicile ou dans les foyers aménagés pour les ouvriers, non
nappe
loin des dortoirs, ou encore aller au restaurant chinois.
La
population polynésienne se nourrit essentiellement de poisson péché
ou
importé de Tikehau (de 2 à 2,5 tonnes par mois) puis de
Kaukura, deux îles proches de Makatea. Le reste de l'alimentation
comporte du riz, du boeuf en boîte (punu punntoro) et, principalement
pour les autres ethnies, des conserves, de la viande frigorifiée de Tahiti
ou de Nouvelle-Zélande, du
porc local, des légumes frais, du lait, des
localement
oeufs,...
Un bateau de la
CFPO, Y Oiseau des îles I puis YOiseau des îles II assure le
au moins une fois par semaine entre
Tahiti et Makatea par un voyage d'environ 11-12 heures. Ce navire est
muni d'une chambre froide ; il peut transporter des containers, et son
aménagement intérieur lui permet de transporter des passagers dans de
confortables conditions. Deux armateurs locaux assurent le transport de
poissons entre les îles Tuamotu et Makatea, mais transportent aussi
ravitaillement
régulièrement
parfois certains
passagers puisque l'île
kilomètres de Makatea, sert de lieu de
de Tikehau, à environ 70
villégiature pour certains
personnes de la CFPO Tikehau a d'ailleurs conservé un certain cachet
de cette époque ancienne, trente ans après la fin de l'époque minière.
Un
hôpital, deux médecins, un dentiste temporaire suivent la
population au niveau de l'hygiène et de la santé. Ils traitent quelques
cas de
grippes, de typhoïde, de parasitoses intestinales, et aussi de
tuberculose. La variole a disparu vers les années 1945, la lèpre a aussi
disparu, la filariose a très sérieusement régressé pour stagner autour de
Sôciété des
Études
Océaniennes
22
vingt personnes atteintes, principalement parmi les gens originaires de
l'île.
Deux
cinémas, deux restaurants et deux débits de boissons ont été créés.
De
plus, 34 marchands ambulants (roulottes) se sont installés ainsi que
trois coiffeurs dont un ambulant, 23 magasins ("chinois"), deux
photographes, deux tailleurs, trois menuisiers, un matelassier et trois
réparateurs de cycles. En sus de l'économat géré par la CFPO, tout ce
tissu économique fonctionne correctement.
Il faut noter la
présence des réparateurs de ces vélos très utilisés sur les
principale de Vaitepaua est
goudronnée. Le chemin de fer sert aussi au transport collectif pour le plus
grand plaisir de tous.
chemins de Makatea où seule la route
La vie
religieuse.
La
population est très religieuse comme partout en Polynésie. Sur la
population d'après-guerre, la plupart des religions présentes en
Polynésie sont représentées : protestants, catholiques, mormons,
adventistes, sanitos, et témoins de Jéhovah. La grande majorité de la
population est protestante en 1960 (1 650 personnes). Cela est dû très
certainement à la présence importante de populations des Australes
(Tuhaa Pae). Un pasteur et deux diacres gèrent cette importante
communauté. Les catholiques sont moins nombreux, 350 à 500 selon les
années. Un fond constitué des ethnies européennes et chinoises est
complété par les travailleurs sous contrats, ce qui explique les
variations significatives. Un katekitn s'occupe de cette communauté qui
reçoit la visite régulière d'un prêtre itinérant chargé de quatre îles des
Tuamotu (secteur nord-ouest). Les sanitos sont une centaine, les
adventistes et les mormons une vingtaine, les témoins de
Jéhovah
d'implantation tardive (1958).
Employés de la CFPO
Le recrutement de la main-d'oeuvre est certainement le
crucial que durent résoudre les différents
problème le plus
responsables de la CFPO au
cours des 50 ans
d'exploitation. Ces problèmes sont de plusieurs ordres
comme l'ont bien démontré les travaux du
pasteur Louis Molet, ceux du
Pr. François
Doumenge et ainsi que le rapportent les notes de la
Compagnie elle-même (à partir des travaux confidentiels de
M. Ecorcheville). En effet, il a fallu trouver immédiatement des
compétences et des bras. Puis, il a été nécessaire de garder ces ouvriers
pour augmenter la qualification et la productivité. Ensuite, il a fallu
Société des
Études
Océaniennes
23
gérer les problèmes sociaux inhérents à la présence de plusieurs
sur une île somme toute très petite
voire exiguë. Enfin, il a aussi été nécessaire de prendre en compte les
problèmes sociaux de la Polynésie vu l'implication de Makatea dans
l'économie locale. Deux guerres mondiales ont dû être supportées. Enfin,
l'arrêt de l'exploitation a dû être gérée sur le plan des personnels. Rien
que ces éléments méritent une réflexion approfondie qui dépasse
largement le cadre de ce document. Mais la prise de conscience de ces
différents problèmes qui traversent cinquante ans d'histoire de la
Polynésie est déjà un pas important dans la compréhension du
phénomène Makatea.
communautés de cultures très diverses
1908, la Compagnie recherchait 300 personnes mais ne put
25 d'origine polynésienne. En juin 1909, ils étaient 75 alors
que l'effectif passe à 180 locaux lors de la visite du Gouverneur
J. François en septembre 1909. Ceux-ci sont de Tahiti, des
A
l'origine
en
en
trouver que
Iles-Sous-le-Vent et de l'île elle-même.
complet est alors de 250 personnes, l'origine des 70 "étrangers"
Mais peut-être sont-ils tout simplement français
métropolitains. En mars 1910, arrivent 26 personnes de Manihiki et 21
Japonais. Une tournée de recrutement aux Australes échoue en février
1911. Dès lors, 250 ouvriers japonais sont embauchés la même année.
L'effectif
n'est pas connue.
les travailleurs polynésiens pratiquent alors
ne semblent pas adaptés à un travail suivi
selon les techniques occidentales de l'époque tant en matière de
discipline que d'organisation. Le 12 août 1913, seuls 11 ouvriers sur 30 en
fin de contrat renouvellent leur engagement, soit un tiers intéressé à
l'exploitation de la mine. Les autres regagnent leur île d'origine ce qui
oblige de nouveau les responsables de la Compagnie à rechercher de
nouveaux travailleurs. Les Polynésiens sont encore 151 en 1913, mais 80
Il faut
signaler
que
l'absentéisme à outrance. Ils
en
1914.
première guerre mondiale. Le Bataillon du Pacifique quitte
Polynésie en 1916 ce qui d'une part appauvrit le contingent de
travailleurs potentiels et d'autre part enlève des personnels à la mine.
Les travailleurs sont alors essentiellement des Japonais. Leur nombre
.oscille entre 250 et 300 jusqu'en 1925.
Survient la
la
En
1926,
sur
803 travailleurs affectés à la mine, il y a :
287
272
174
70
(Annamites) (36 %)
(34 %)
(22 %)
Polynésiens
(9 %).
Japonais
Vietnamiens
Chinois
Société des
Études
Océaniennes
24
Un fort
contingent vietnamien vient remplacer les Japonais qui ont
quitté
en masse Makatea à la fin de l'année 1925. Les effectifs ont aussi
sérieusement augmenté en cette année 1926
accompagnant le
développement de l'exploitation et
Japonais.
pour
remplacer le départ massif des
Le recensement de 1926
indique 1 086 résidents sur l'île de Makatea dont
hommes, 223 femmes et 193 enfants. La répartition ethnique est la
suivante : 35 Français, 467 Polynésiens, 8 Cook Islanders, 343 Chinois,
200 Vietnamiens, 18 Japonais, 1 Suédois, 1 Suisse, 10
Tchécoslovaques et
670
I
Norvégien.
Le caractère
sont
cosmopolite est affirmé. Sur cette population, 116 couples
formés.
La crise
économique mondiale de 1929 frappe de plein fouet la CFPO et
d'augmentation constante de personnel.- constatés ces 9
dernières années. Le personnel est ainsi réduit de moitié en deux ans
inverse le courant
entre 1929 et 1931.
Malgré cela,
en 1932, le recensement indique 1 160 résidents sur l'île de
Makatea dont 630 hommes, 268 femmes et 262 enfants. Sur cette
population, 175 couples sont formés. En six ans, l'afflux est remarquable
ainsi que l'expansion
démographique, 70 unions nouvelles et 69
naissances.
La
répartition ethnique est alors la suivante : ~38 Français, 659
Polynésiens, 8 Cook Islanders, 199 Chinois, 212 Vietnamiens, 29
Japonais, 1 Américain, 2 Russes, 1 Belge, 1 Italien, 1 Tchécoslovaque, 1
Norvégien et 8 Anglais. Le caractère cosmopolite est toujours aussi
affirmé.
II faut noter
le fort
départ des Chinois alors que le contingent
stable, peut être plus spécialisé. La forte présence de
Polynésiens (+ 200 personnes contre 115 femmes et enfants
supplémentaires) doit s'expliquer en dehors du travail immédiat de la
mine. Les Chinois sont aussi,
pour partie, employés en dehors de la
vietnamien est
mine, certainement dans les
commerces.
Ce
phénomène de sous-emploi se fait sentir jusqu'en 1934, année pendant
laquelle le personnel n'est que le sixième de celui de l'année 1929. Il n'y
a
presque plus de Chinois ni de Japonais, encore quelques Vietnamiens et
Polynésiens. L'exploitation reprend en 1935, le personnel double avec
des Vietnamiens et des
Polynésiens.
Société des
Études
Océaniennes
Répartion
dethniqsu
1àM9aeok6un0vtr8rie.s
an ée
19 0
Japonis
B
Chinos
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Anamites
D
1
Polynésie
ouvries
Total
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G
Co k
111992648 Islander
111999654328608420
26
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les
populations vietnamiennes
bloquées à Makatea mais quitteront l'île en masse dès 1946 et 1948 à
la réouverture des lignes maritimes et après une rébellion en 1947 matée
sans effusion de sang par les troupes de marine débarquées sur l'île, à
peine arrivées d'Indochine. Le nombre de ces travailleurs est réduit par
4 en deux ans. Les derniers quitteront l'île en 1953 (au moment de la
guerre de Corée).
sont
Le recensement de 1941
la
43
indique 1 248 résidents
répartition ethnique suivante :
sur
l'île de Makatea
avec
Français, 883 Polynésiens, 8 Cook Islanders, 103 Chinois, 167
Belges, 12 Suisses, 4
Vietnamiens, 17 Japonais, 1 Américain, 2 Russes, 2
Tchécoslovaques, 1 Roumain et 6 Anglais.
Le caractère
cosmopolite reste affirmé. Pour pallier le manque de mainqui ne peut être trouvée en Polynésie pour cause de guerre et de
bataillon du Pacifique, les responsables de la Compagnie vont
d'oeuvre
rechercher des travailleurs
aux
Iles Cook, 205 arrivent en 1943. Ils
seront 351 en 1944 et resteront
jusqu'en 1953 entre 240 et 350 puis
quitteront l'île entre 1954 et 1955.
Parallèlement, le contingent polynésien ne fait que s'accroître au retour
de la guerre
jusqu'à la fin de l'exploitation. Ils devient le groupe le plus
à l'arrivée des "cousins"
dans ce rôle de groupe
majoritaire, les deux contingents alternant dans ce rôle jusqu'en 1947 où
le groupe polynésien reprend l'avantage et atteint même la barre des
deux-tiers en 1953. En 1956, presque 100 % des travailleurs sont
Polynésiens sur 563 personnes.
important
en 1934 puis majoritaire en 1935, sauf
Cook Islanders en 1943 qui se substituent à eux
Parmi
ces
travailleurs, les trois-quarts sont affectés directement à
l'extraction du phosphate alors que l'autre quart est employé dans les
différents ateliers de la
Compagnie : magasins ; forge-fonderiechaudronnerie ; mécanique générale ; électricité ; menuiserie ;
maçonnerie ; peinture.
Ces travailleurs
spécialisés sont formés à Makatea et apprennent un
métier,ce qui facilite à l'évidence tout retour dans l'île d'origine. Alors
qu'au début les contrats sont rarement renouvelés, peu à peu les travail¬
leurs prennent l'habitude de passer
plusieurs années sur l'île et l'ancien¬
neté progresse considérablement ainsi
que la qualification. Outre ces
travailleurs, il faut aussi considérer les cadres et les employés.
Société des
Études
Océaniennes
27
Il y a en
effet dans les années I960, 27 cadres et une dizaine d'agents de
une vingtaine sont locaux, les autres expatriés
maîtrise. Parmi ceux-ci
sous
contrat.
Il y a en outre quarante-huit employés, dont douze femmes, occupés aux
tâches administratives, comptables, de l'économat, du port et divers
(TSF, laboratoire, santé). De plus, 70 familles au moins gèrent les
dont
commerces
nous avons
parlé plus haut, dont les 34 roulottes.
chef de poste
représente l'Administrateur des Tuamotu, accompagné de
deux gendarmes soit le même nombre depuis cinquante ans ; deux
personnes aux Postes et Télécommunications et sept enseignants.
Enfin, et
le plan des structures de l'Etat, un
sur
administratif
Cet ensemble est
répartis
comme
accompagné d'épouses et d'enfants approximativement
suit en 1962 :
en
32 enfants
9
en
24 enfants
spécialisés
:
Ouvriers
:
:
504
:
Agents de maîtrise :
Employés :
Ouvriers
25
couple sur 28
couple sur 9
43 en couple sur 48
118 en couple sur 134
304 en couple sur 495
Cadres CFPO
Soit
au
total
en
couple
sur
715
85 enfants
223 enfants
403 enfants
et 767 enfants
s'ajoutent 70 personnes de la Compagnie pour la goélette et les
Papeete, et les familles autochtones de Makatea que j'estime
à environ 35 familles, soit 40 à 50 hommes environ, dont à peu près 40 en
couple avec 200 enfants. En ajoutant les 70 familles de commerçants,
nous retrouvons approximativement les 3 071
personnes du recensement
réalisé par la Compagnie en janvier 1962.
A cela
bureaux de
En
1965, la répartition est alors la suivante :
Ouvriers
19
en
60 enfants
11
en
24 enfants
Employés
spécialisés
:
Ouvriers
:
couple sur 28
couple sur 12
31 en couple sur 45
96 en couple sur 117
215 en couple sur 387
Soit
:
371
Cadres CFPO
:
Agents de maîtrise :
:
en
couple
sur
585
85 enfants
322 enfants
571 enfants
1 106 enfants
le nombre d'enfants de la mine a doublé mais les effectifs ont
diminué, 585 contre 715 en 1962 par baisse du nombre de manoeuvres.
En 1965,
Société des
Études
Océaniennes
28
En matière
d'ancienneté, il faut noter qu'en janvier 1965 et malgré le
démarrage de l'énorme chantier du CEP (Centre d'Expérimentation du
Pacifique), les chiffres sont les suivants :
Ancienneté
1965
en
+
de 5
+
ans
de 10
+
ans
de 20
89%
76%
36%
16%
80%
55%
31%
Agents de maîtrise
(12 personnes)
75%
66%
25%
Cadres
82%
54%
36%
Ouvriers
Spécialisés
(113 personnes)
Manoeuvres
ans
22%
(387 personnes)
Employés
(45 personnes)
(28 personnes)
Ainsi, 55 personnes en 1965 ont connu l'exploitation pendant la seconde
guerre mondiale et 195 personnes environ en 1965 ont pu connaître
l'édification de la
portée métallique bâtie
en
1954.
Les salaires
Les ouvriers ont reçu outre la nourriture,
150 kWh par famille et par mois), l'eau et
Années
1908
1916
1923
1915
1922
1925
le logement, l'électricité (60 à
les soins médicaux :
1926
1927
1940
Fcfp
1946
1949
350
1125
*
Montant
en
1941
"1945
50
75
150
200
250
*malgré la crise de 1930 à 1934
Années
1950
1951
1952
1954
1953
1956
1820
1998
1957
1962
2165
5200
Montant
en
Des
Fcfp
1500
1658
primes de rendement et d'heures supplémentaires permettent à ces
revenu de base et parfois même, de
ouvriers de doubler facilement leur
le décupler (record atteint une fois).
En
1964, aucun ouvrier ne gagne plus de 15 000 Fcfp par mois mais 90%
gagnent plus de 7 000 Fcfp par mois, et 30 % plus de 10 000 Fcfp par
mois.
Société des
Études
Océaniennes
29
Ceci
permet aux ouvriers d'atteindre contre force labeur la
des ouvriers spécialisés employés dans les ateliers.
répartis dans les catégories suivantes
en
1960
rémunération
Ceux-ci sont
:
Catégorie
3
4
5
6
Salaire
5 868
7 092
9 108
11 142
mensuel
Les
employés répondent quant à
1
3.905
Catégorie
eux au
barème suivant
:
2
3
4
5
6
7
8
4.375
5.295
6.620
7.935
9.260
10.575
11.905
Salaire
mensuel
en
Les
Fcfp
avantages annexes ajoutés leur
entre 7 000 et 15 000
Une
Fcfp
par
confèrent une rémunération qui oscille
mois.
prime de retraite est aussi attribuée aux ouvriers et employés ayant
longs séjours sur l'île, de 30 à 150 000 Fcfp selon si la personne
effectué de
concernée est
un
ouvrier
ou un
cadre. Il convient de noter le recoupement
des échelles de salaires et des
ce qui limite par nature la
structure déjà fortement hiérar¬
catégories
formation de classes sociales dans
une
chisée.
manoeuvre qui double son salaire par ses heures supplémentaires et
primes de rendement gagne autant qu'un ouvrier spécialisé, et que la
plupart des employés administratifs avec leur 40 heures par semaine.
Un
ses
Les cadres
perçoivent en 1962 une rémunération mensuelle dans
fourchette variant de 20 à 35 000 Fcfp avec en moyenne 27 000 Fcfp.
la
il
ajouter à cela les primes diverses et les avantages en nature déjà
évoqués pour les travailleurs. Les rémunérations de base des agents de
maîtrise oscillent entre 14 500 et 22 000 Fcfp selon l'ancienneté et la
qualification. Ce salaire de base est en fait régulièrement doublé par les
primes de rendement et d'heures supplémentaires et leur rémunération
totale oscille en réalité entre 25 et 50 000 Fcfp par mois.
faut
Selon les usages en vigueur en Polynésie à l'époque,
les rémunérations proposées sont intéressantes voire
réclamation
ailleurs
ne
semble avoir
comme on a
pu
il est considéré que
attractives. Aucune
marqué les mémoires. Les problèmes sont
le voir.
Société des
Études
Océaniennes
30
La vie sociale
Ont
déjà été évoquées les structures religieuses
avec la prépondérance
les années 60, les structures de la Compagnie, et
de l'Etat, fort peu présent sur l'île. Il faut encore
loisirs offerts aux personnels de la Compagnie.
des protestants dans
celles plus discrètes
insister
sur
les
Il existe de nombreux clubs de
sports, tennis, basket, football, jeux de
boules mais aussi des groupes de danse
polynésienne qui participent aux
Tiurai de Papeete de 1953 jusqu'en 1961 au moins. La pêche est aussi une
occupation tant de détente qu'alimentaire, lors des repos du dimanche et
des jours fériés. Il existe même une
bibliothèque accessible à tous, avec
des ouvrages en tous genres et des périodiques très variés.
En
1960, trente postes de radio inondent de musique les bâtiments des
ouvriers, chaque employé possède alors son poste. L'île vit au rythme
des musiques de Radio Tahiti qui de plus émet une heure et
quart par jour en
langue tahitienne. Ces émissions radiophoniques sont très écoutées dans
les
cinq cités d'ouvriers.
Selon les propos mêmes du pasteur Louis Molet : "...la société de Makatea
est fortement
organisée, précisément encadrée, nettement hiérarchisée,
subtilement contraignante. Elle insère les individus et par extension les familles
dans
une
société
globale où chacun doit
se
sentir à
sa
place."
Cet état stable n'a pas
été aisé à obtenir, en témoignent la mobilité des
premiers travailleurs polynésiens, et l'inconstance apparente de ces
derniers face à la rigueur d'un labeur difficile, continu dans un cadre de
discipline à l'occidentale. Puis la présence majoritaires d'étrangers de
cultures différentes, des Chinois, des Vietnamiens, des
Japonais, a fait
de Makatea
Enfin,
un
une
île
étrangère à la Polynésie.
peu avant
grande crise de 1929
concours
avant la
-
_
la Seconde Guerre Mondiale, en 1935, après la
1934, Makatea est redevenue polynésienne avec le
des "cousins" Cook Islanders et ce
pour une trentaine d'années
fermeture de l'exploitation : 25 ans
d'expérience sociale pour
obtenir le succès de
l'intégration d'un site industriel à une région et à un
peuple. L'expérience sociale de Makatea est autant individuelle que
collective. En effet, il est évident
que les nombreux Polynésiens qui ont
travaillé et vécu à Makatea ont
acquis personnellement un savoir-faire,
une
discipline de travail et une capacité à la vie en communauté
urbaine, comme le font remarquer François Doumenge
et Louis Molet.
Société des
Études
Océaniennes
31
part, les groupes de familles migrantes ont acquis l'expérience
de la coexistence avec des étrangers tout d'abord puis avec des
D'autre
y a eu forcément restructuration de ces
entités, notamment parce que les jeunes chefs de familles soudain
détachés du ati traditionnel, deviennent autonomes et sont pourvus de
Polynésiens d'autres îles. Il
moyens
financiers importants.
Chacun trouve
place dans chaque groupe désormais modifié et plus
"moderne", occidentalisé, sans pour autant subir les
sa
adapté à
une vie
vicissitudes bien
connues
de la cité urbaine, froide, déstructurante et
impersonnelle, et notamment le phénomène d'acculturation souvent
corollaire de l'urbanisation.
Les individus tout
de familles sont soumis à la triple
pression des contraintes professionnelles, sociales et religieuses. Louis
Molet pense que ce contexte participe à la réussite de l'expérience
comme
les groupes
sociale de Makatea.
que cet encadrement semble correspondre à l'image que l'on se
fait désormais des structures qui régissaient les anciennes sociétés poly¬
J'ajouterai
nésiennes à l'ère
pré-européenne. Rappelons que ces structures ont permis
population nombreuse comme celle de Tahiti, environ 100 000
personnes pense-t-on aujourd'hui, de coexister et de survivre sur une île
somme toute petite.
à
une
professionnelle s'est substituée à la contrainte de
pêche, l'agriculture et l'art guerrier, dans une société
très hiérarchisée (arii, nito, ninnnhuiie, ...), fortement organisée
(répartition des terres, des zones de pêche,...), contraignante (avec les
notions de tabu, de rahui, ...), où chacun trouve cependant sa place.
La
contrainte
subsistance
:
la
dans la société traditionnelle l'existence de
chef temporel qui régit le travail et la vie
"prêtre" qui régit la vie spirituelle.
D'autre part, on retrouve
deux pouvoirs, celui du
sociale et celui du
L'absence du troisième
pouvoir, soit le patron qui ne régit pas la vie
sociale, soit le responsable public (élu, représentant de "l'Etat", de la
force publique, ...) qui ne régit pas la vie professionnelle caractérise ce
type de société qui semble bien fonctionner.
Ces
comparaisons mériteraient une analyse approfondie par des
spécialistes en la matière puisque l'auteur de ces lignes ne peut
prétendre qu'à les esquisser en l'absence de compétence idoine.
S'ociété des
Études
Océaniennes
32
L'impact de Makatea
en
Polynésie
Les
de
impacts de l'exploitation minière de Makatea
plusieurs niveaux :
sur
la Polynésie sont
les personnes en Polynésie
les flux migratoires
•
sur
•
sur
•
sur
les achats dans le circuit
•
sur
les
revenus
issus de
polynésien
l'exportation du phosphate.
A propos
des personnes, le sujet des emplois a été traité longuement dans
paragraphe précédent sur un plan qualitatif qu'il est d'ailleurs
difficile de quantifier. De 1957 à 1962,1a CFPO annonce les
dépenses de
personnel suivantes :
le
!
;
En
Année
1957
1958
1959
1960
1961
1962
Dépense en
Fcfp
86,3
89,3
97,0
108
106
97
million
1962, cela représente 14% de la
salariale de
Polynésie et 25%
privé. Il est clair qu'à la fin de
l'exploitation, 600 personnes ont dû être reclassées ce que nous étudierons
dans le chapitre suivant. Quant aux flux
migratoires, ils ont perturbé la
Polynésie au moins sur l'île même de Makatea pendant toute la
première phase de l'exploitation lorsque les "locaux" étaient
minoritaires sur un chantier
qui leur devenait étranger. Il faut aussi
noter que les contacts entre les îles Cook et la
Polynésie ont repris à cette
époque au moins sous l'influence de Makatea. Il est en effet rapporté que
des groupes de danses des Cook se sont
produits au Tiurni de Papeete
de la
masse
masse
salariale du secteur
dans les années 1960.
Qu'en est-il des migrations définitives ? Elles
ne sont
jamais citées.
Les communautés chinoises et
distinguer
Tahiti ? Il
polynésiennes de Polynésie savent-elles
originaire de Makatea d'un autre Polynésien ou Chinois de
semble que 30 ans
passés ont permis une totale intégration.
un
En
revanche, les achats dans le circuit polynésien sont très
conséquents.
Nourrir et faire vivre 2 à 3 000
personnes oblige à l'organisation que
nous avons décrite. Au
plan quantitatif, il est là encore très difficile
d'avancer des chiffres. La CFPO
en
Polynésie, et 18 millions
en
France et 27,1 millions à
importations transitant
en
annonce 21 millions d'achats en 1959
1962 contre 25,3 millions directement
l'étranger cette année-là,
par
Papeete.
Société des
Études
Océaniennes
ces
deux dernières
33
L'impact le plus, visible et le plus important constitue les recettes-du
budget du Territoire en matière dë patentes, de droits de douanes,
d'impôts et de droits de sortie.
La
patente créée en 1910 spécifiquement pour l'extraction et
l'exportation de phosphates coûte 1 million Fcfp à la Compagnie en
1962.
Les droits de douanes
rapporté' 3,3 millions
L'I.R.C.M.
(impôt
les bénéfices
en
sur
les biens achetés
évoqués, plus haut ont
1962 contre 10,38 millions Fcfp en 1957.
sur
le
revenu
des capitaux mobiliers)'et l'impôt
sur
(ou les sociétés) respectivement 2,7 et 14,6•millions en 1962.
plus grosse source de revenus pour le Territoire concerne le droit
de sortie perçu sur les exportations, de 0,75 Fcfp/tonne à l'origine en
Mais la
1910, il devient
proportionnel.
Son montant est de 10 %.
dévaluation, de 23 %
en
en 1956, 20 % en juillet 1957 après la
1959'et enfin de 25 % en I960; Ce qui donne :
1961
Année
1960
millions
113,675
1
12,264
1962
1963
1964
77,417
77,342
86,28,1
1965
1966
!
79
50,834
(estimés)
Fcfp
OTWVV,WV..^.
Ces droits sont directement liés
aux cours
mondiaux des différents
marchés des
phosphates et influent directement sur l'équilibre du
budget du Territoire, ce qui ne peut pas permettre une gestion facile ni
même saine de ce budget. Ainsi en 1962, la crise économique qui secoue la
planète et notamment frappe le Japon a les répercussions que l'on voit en
matière de revenus sur le budget du Territoire. Sur les 115 millions
attendus, 77 millions ont été reçus.
Ces
ressources
représentent
Années
1950
:
1951
1960
1961
1962
1963
1964
1966
|
24 5
20,6
12,0
7,7
6,8
3,4
i
531
637
824
1000
1259
1493
1956
% des receltes
1 1,8
8,5 à
9,5
Budget
millions
en
Fcfp
Cette
exportation représente 441 millions en 1961 et 389 millions en 1962
d'exportations totales de Polynésie dont 319 millions de
coprah, 145 millions de vanille et 45 millions de nacre, soit 42 % des
exportations de l'année 1962.
sur
921 millions
S'ociété des
Études
Océaniennes
34
Le tableau suivant rassemble les
parts
dans le total des exportations :
des différents produits exportés
Année
1913
1916
1928
1933
1939
[
1944
1949
j 1954
1959
1962
Phosphate
15 %
8%
14 %
23 %
16%
j 32 %
27 %
j 28 %
34%
40 %
Coprah
39 %
61 %
60 %
54 %
42 %
j 29 %
58 %
j 41 %
33 %
Vanille
35 %
37 %
| 16 %
8%
| 19%
20 %
19 %
*
19 %
~35
%
16 %
Il est à constater
que
le phosphate passe devant le coprah au moins à
reprises, en 1944, en 1959 et en 1962, au gré des besoins mondiaux de
phosphates et des cours du coprah.
trois
Le taux de couverture des
1967 est le suivant :
importations
par
les exportations entre 1944 et
Année
19471194811949 1950!195111952 1953 1954 1955
Taux
1,16 1,0510,80
Année 1956
Taux
1957H958 Ï
0,94 0,8710,82 0,9
I
0,891 0,901 0,58
7_—ï T962TÎ963]
1
„
i 10,83
0,64 0,55
j 0,74 0,93
0,87
196411965 1966
j 0,46 [0,21 {0,14
0J3
La fin de
l'exploitation minière s'annonce dès 1962 alors que parallèle¬
l'émergence du CEP gonfle artificiellement les importations.
Ainsi, le phosphate a permis tout comme le coprah et les autres
ressources
agricoles, l'équilibre delà balance commerciale. La Polynésie
est, à cette époque, intégrée dans une économie
régionale même si ce
facteur d'intégration repose sur une économie de
type colonial. Elle y a
ment
sa
place.
Les
exportations de phosphates pendant'les deux guerres mondiales en
échanges avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande lui ont permis de
survivre dignement et
d'échapper à une disette certaine après la rupture
des relations commerciales avec
l'Europe. A cette époque, l'économie est
de type colonial, avec des
capitaux étrangers qui viennent s'investir
pour extraire les richesses du sol ou du sous-sol. C'est le
du coprah et de la vanille et d'autre
révolue de
nos
jours,
a
l'équilibre de la balance
cas
du coton,
puis
part du phosphate. Cette période,
laissé la place à une économie de transfert où
commerciale
Société des
a
Études
disparu.
Océaniennes
Société des
Études
Océaniennes
Société des
Études
Océaniennes
35
LA FIN DE L'EXPLOITATION DE MAKATEA
Le
départ
Dès I960, les
responsables de la CFPO ainsi que les analystes extérieurs
la fin de l'exploitation s'approche. Louis Molet de l'ORSTOM
et François Doumenge en sont très conscients dès 1961
puisque l'un et
l'autre l'évoquent et recherchent des solutions. François Doumenge
rappelle que J-M. Obelliane a mené de minutieuses investigations pour
évaluer le quantitatif de minerai restant. En septembre 1962, au passage
de François Doumenge, la compagnie estime ses réserves à 1,4 millions
de tonnes soit quatre ans d'extraction au rythme en cours.
savent
que
Dès avant, le Gouverneur et le Conseil de Gouvernement ont sollicité
Louis Molet à l'ORSTOM pour conduire une étude afin de connaître les
desiderata des 600 employés de la mine en matière de reconversion. Les
délais sont donc
pu le voir, le Territoire a pris des
contraignantes dès 1960, en doublant les droits de sortie.
Ces mesures sont d'ailleurs jugées discriminatoires par la Compagnie qui
trouve de plus la situation injuste tel que le rapporte Louis Molet lors de
son passage en 1962.
mesures
La fin de
connus
et
comme on a
fiscales
l'exploitation
se
résume
•
le devenir des travailleurs
•
le devenir de la CFPO
•
les
•
implications sur
le devenir de l'île.
en
3 volets
:
l'économie du Territoire
Le
premier volet concernant les travailleurs a fait l'objet de l'étude sus¬
à l'ORSTOM
C'est, avec l'aspect des produits
financiers à destination du budget du Territoire, la principale
préoccupation des responsables du Territoire. Le devenir de la
Compagnie la concerne au premier chef alors que celui de l'île semble à
l'époque ne concerner que très peu de personnes. Quatre ans ont passé
jusqu'en 1966, et l'exploitation a définitivement cessé après avoir
démonté une partie de la voie ferrée, et retourner jusqu'au terrain de
football pour en extraire les dernières tonnes de phosphate. A cette date
limite du lundi 12 septembre 1966, plus de 11,2 millions tonnes de phos¬
phate ont été extraites.
citée commandée
.
Société des
Études
Océaniennes
36
L'Oiseau des îles II évacue les milliers de personnes
restant
15 septembre 1966 jusqu'à son dernier
à partir du
le 21 octobre 1966 avec 50
le commandement du Capitaine Peaucellier.
voyage
personnes
à bord sous
L'immeuble de la CFPO à
Papeete est mis
en vente,
il deviendra l'hôtel
"Royal Papeete".
Le dernier cinéma de l'île tenu
par Antony
puis sa famille est entièrement démonté puis
nom de "Rex" devenu ensuite le
"Liberty".
A. Bambridge (1895-1964)
remonté à Papeete, sous le
Les groupes électrogènes de la
Compagnie sont cédés au Territoire pour
être initialement installés sur la
presqu'île de Tahiti en
phase
d'électrification. C'est
qui expliquait le choix du 50 hz. En fait, ces
groupes ne seront jamais installés et resteront des années sans usage dans
les entrepôts de l'administration. En revanche des
groupes du CEA
provenant du Maroc seront installés sur la presqu'île.
L'Oiseau
des
Iles
ce
II est vendu
par la CFPO au CEP en cours
(Le premier bateau du même nom avait été
vendu au Mexique). Le CEP utilisera cette unité
jusque dans les années
1980 avant de le saborder. Il était
jusqu'alors géré par les Messageries
Maritimes avec l'équipage d'origine, au début toutefois.
d'installations
sur
En octobre 1966,
les sites.
une
mission du Service des T.P.
avec
M. Bonnard,
accompagné d'un détachement de l'armée de trente hommes et son
lieutenant, ainsi que d'un soutien médical en la personne du Dr Raymond
Bagnis, vient inspecter les installations pour récupérer ce qui peut l'être.
Pendant ce temps, la Marine Nationale relève les ancres et les bouées
amarrées au large de l'île au
moyen du bateau Scorpion de la DCAN. Ces
ont vraisemblablement été remouillées sur les
sites, Hao ou
Moruroa. La mission d'inspection du service des T.P. ne décidera en fin
de compte de ramener
que les panières en osier encore utilisées pour le
transport de sable entre les îles.
ancres
L'île de Makatea est soudain abandonnée dans cette fin de l'année
1966,
les derniers personnels
les installations
rapatriés sur Papeete ou dans leur île d'origine,
abandonnées, les terrains laissés en l'état.
Le Territoire établit, sous la
plume du Gouverneur Sicurani, un arrêté le
14 décembre 1966
pour mettre fin à la concession sans clause particulière
(arrêté n° 4161/TP du 14/12/66). La CFPO remet ses installations au
Territoire qui les rétrocédera en 1984 à la commune de
Rangiroa.
Société des
Études
Océaniennes
37
La
A
a
compagnie CFPO
Makatea, l'ensemble des installations est abandonné
alors toute liberté d'en
user comme
au
Territoire qui
bon lui semble. Ce délaissement
correspond à un abandon de fait selon le service des mines local mais ce
dernier indique aussi que ce cas de figure n'est pas prévu par les textes en
vigueur et notamment la réglementation minière. L'autorité concédante
ne
peut donc pas recourir contre l'exploitant pour abandon et non remise
en
état.
Dès 1957, la Compagnie a mis en chantier un second
Nouvelles Hébrides à Forari sur l'île de Vate, pour
site minier aux
l'extraction de
manganèse. Passé sous le contrôle du groupe UNILEVER par Y Anglo-French
Phosphates Corporation, puis de la Compagnie Financière de Suez, de la
Banque de l'Indochine et du groupe Henri Duwez en 1958, la Compagnie
avait augmenté son capital à cinq reprises ; de 6 millions à l'origine en
1908, il passait à 13 millions en 1920; à 37,5 millions en
1931 certainement pour faire face aux conséquences de la grande crise
de 1929 puis à 75 millions en 1946, ensuite à 375 millions en 1956 et
-
-
finalement à 750 millions
en
1960.
La
Compagnie est désormais taillée pour survivre au delà de Makatea,
la présidence générale de M. Georges-Picot et la direction de
M. Gorce. Installée dès 1961 puis repliée aux Nouvelles Hébrides en
1966, selon le même système qu'à Makatea avec port, village et
installations, la Compagnie tente de vendre la mine de Forari en 1967
pour 250 à 300 millions Fcfp, devant la récession des cours du manganèse.
Trois repreneurs de la région, Roger Gaillot maire de Thio, un espagnol,
sous
Nerum, dentiste à Thio et véritable promoteur
rachat, réussissent à acquérir la mine pour 30 millions Fcfp.
Vincente Mas et M. Van
de
ce
Cette mine est définitivement abandonnée
l'indépendance du
avec
des
pays
d'accueil. En 1992,
au
on
début des années 70 avant
reparle de
sa
réouverture
capitaux australiens.
La mine de Forari
aura cependant produit en 1963, 23 156 tonnes de
minerai, en 1964, 70 174 tonnes à partir de 215 263 tonnes de tout venant,
en 1965, 73 182 tonnes à partir de 390 300 tonnes de tout venant.
La CFPO
disparaît alors définitivement du circuit mais semble n'avoir
jamais été dissoute.
Société des
Études
Océaniennes
38
Les travailleurs
Suite à l'étude de Louis Molet, la situation des travailleurs est bien
Pour
qui concerne les ouvriers sans spécialité, leur retour dans
d'origine sera perçu comme un retour en fin de contrat, sans
difficulté particulière. La double nuance tient au fait que le
nombre des
rentrants n'est pas compensé cette fois par des
départs et que ce nombre
des retours est conséquent.
connue.
ce
leur île
Les cadres
expatriés ont le choix entre poursuivre leur carrière avec la
ou faire jouer
la clause d'expatriation et retourner en
métropole. Le quart des effectifs de Forari qui sont de 255 personnes ont
plus de cinq ans d'ancienneté en 1965 et viennent donc de Makatea dont
parmi eux, vingt-neuf Polynésiens d'origine, une vingtaine de cadres
métropolitains et une dizaine d'océaniens blancs ou demis de Polynésie.
CFPO à Forari
Les ouvriers
spécialisés quittent Makatea et rejoignent en grande partie
boutique comme les commerçants chinois
venus de Makatea ou
rejoignent les grands chantiers de l'époque, à
savoir l'agrandissement du port
de Papeete, et la mise en place des
installations du CEP (Centre d'Expérimentation du
Pacifique). Ce
chantier du CEP emploie 400 personnes en 1964, soit la moitié de
l'effectif complet de Makatea et 3 500
personnes en mai 1965, soit 5 fois
l'effectif de la mine. Il
y aura jusqu'à 5 700 employés au CEP en 1967
pour retourner à 2 800 personnes lorsque les infrastructures seront
l'île de Tahiti où ils installent
achevées.
Faut-il
rappeler la démarche des responsables polynésiens auprès des
parisiennes au début des années 1960 lorsque l'inquiétude
gagnait ceux-ci face à une exploitation minière sur la fin et des produc¬
tions agricoles menacées ?
autorités
Et faut-il
rappeler à l'époque la réponse du Général de Gaulle qui a
problèmes, celui des Polynésiens en mal
d'emplois et celui de la France qui se devait de quitter le Maghreb pour
tester ses armements
atomiques et rechercher un site relativement
éloigné d'Europe vu les risques à l'époque de la "guerre froide" ?
Il est possible de dire
que la reconversion des travailleurs s'est passée
sans problème. Et même
pour prolonger les propos tenus par Louis Molet,
résolu apparemment deux
les travailleurs de Makatea ont essaimé dans leur île
ou à Tahiti,
partout en Polynésie et sur les chantiers de Moruroa et de Fangataufa en
apportant leur discipline, leur savoir-faire et leur technique de travail.
Société des
Études
Océaniennes
39
L'expérience de Makatea a certainement contribué à faciliter les
travaux
évoqués et la mise en place du CEP aux fins fonds des îles
Tuamotu, le goût et l'habitude pour l'expatriation d'île à île étant
acquis bien que l'absence des familles sur les sites du CEP a certainement
été considéré comme le contraire d'une avancée sociale. Il est
probable
que d'autres travailleurs ou les mêmes après un séjour au CEP sur les
sites, ont quitté la Polynésie pour la Nouvelle Calédonie où le "boom"
du nickel créait
une
zone
d'attraction forte pour ces travailleurs
expérimentés.
Les
conséquences
sur
le Territoire
L'inquiétude des responsables du Territoire est très forte dès 1959 comme
on a
pu le voir tant par leurs démarches auprès des autorités parisiennes
que pour leur souci de l'avenir des travailleurs polynésiens. Le souci de
la préservation des ressources financières n'est
pas la moindre des
préoccupations de ces responsables qui comme on l'a vu n'ont pas hésité à
doubler rapidement les droits de sortie sur le
phosphate.
Cette
pas
technique du "presse-citron"
de
comme
une
ne
s'accompagne malheureusement
de réhabilitation ou de reconversion du site de Makatea
le prouve a contrario les comptes financiers de
l'époque. Seule
mesures
école
a
été construite
en
1962.
Le Territoire semble
trop préoccupé par les grands bouleversements qu'il
rencontre, l'ouverture sur le monde avec la construction de l'aéroport,
l'essor du tourisme, les grands chantiers du CEP, pour consacrer
quelques
qui dans les esprits comme le
souligne François Doumenge a toujours été une réalité étrangère au
Territoire, en fait à Tahiti, métropole dominante et centralisante, et ce
malgré la présence constante de la CFPO à Tahiti.
ressources
à
une
reconversion d'un site
François Doumenge fait à juste titre une comparaison entre l'attitude des
responsables de Polynésie qui considèrent les ressources du phosphate
comme des fonds destinés à
compléter le budget du Territoire pour
d'autres objets avec celle des responsables de Nauru, dont la
gestion
prudente s'est traduite par la mise en place d'un fonds spécial de réserve
destiné à la réhabilitation et à la reconversion de l'île
après
l'épuisement du gisement supposé à l'horizon 2000 cà l'époque (en 1962).
Quarante
avant la fin de
l'exploitation du gisement de Nauru,
indépendance en 1968, les responsables nauruans ont
envisagé l'avenir de leurs enfants et petit-enfants en plaçant 28 % des
droits de sortie perçus dans ce fonds de réserve.
ans
avant même leur
Société des
Études
Océaniennes
40
Selon
François Doumenge, une gestion similaire appliquée à Makatea
permis de dégager plus de 80 millions de francs cfp sur la période
1950-1962, de quoi envisager sereinement une reconversion du site. Cette
somme
correspond en effet à environ 800 millions de nos francs cfp de
aurait
1992.
Il reste
encore à préciser que la
CFPO ne se sentait pas liée au Territoire
quant à son développement ultérieur, la preuve en est l'absence
d'investissement dans d'autres domaines que la mine. Ceci est le
propre
d'une entreprise coloniale même si d'autres
types d'entreprises sont
aussi caractérisés de cette
façon.
L'abandon de Makatea et
conséquences
ses
•
3 071 habitants
en
•
78 habitants
au
recensement de février
•
34 habitants
en
avril
•
42 habitants
en
octobre 1983 et
•
58 habitants
en
septembre 1988.
janvier 1962,
1971, 5
ans
après l'abandon,
1977, puis
L'île de Makatea est depuis 1971 l'île des Tuamotu la moins
peuplée des
îles Tuamotu réellement habitées. Makatea est effectivement devenue
l'île fantôme telle que
publié mi-1966
en
le craignait Michel Anglade dans
supplément du quotidien "La Dépêche".
Mais que s'est-il passé ? Plusieurs
la reconversion de l'île :
•
son
tiré-à-part
projets ont pourtant été envisagé
pour
l'utilisation des calcaires restants
pour faire des clinkers a due être
en raison de la trop forte teneur en magnésium de ceux-ci;
rejetée
•
l'absence de
marne
exclue
en
outre la
ciment ;
•
la reconversion
les années 1960
en
en
complexe touristique n'est
raison de l'absence de
d'aviation et de
•
la mise
est
en
possibilité de fabrication de
pas envisageable dans
plage, d'espace pour une piste
l'éloignement;
place d'entrepôts frigorifiques
abandonnée
en
pour
les thoniers japonais
l'absence de port et toujours à cause de
Ceux-ci ont
pour
•
les
l'éloignement.
quand même tenté à deux reprises de prendre pied
ce projet;
exploitations agricole, horticole
et forestière
démarrent pas.
Société des
Études
Océaniennes
sur
(bois de santal)
l'île
ne
41
Tout
un
potentiel technique et économique est donc abandonné à la
rouille, dynamité à la demande du Territoire en 1988 par les soins de
l'entreprise Daniel Palacz ; c'est le sort final de la portée métallique qui
faisait la fierté des responsables de la CFPO en 1954.
Il est
possible de considérer que la Polynésie n'a pas souffert de la fin de
l'exploitation du gisement de Makatea trop occupée comme on l'a dit
par ses nouveaux centres d'intérêt, trop concentrée à digérer les nouveaux
apports de cette civilisation moderne.
Les personnes revenues sur
avant 1958 n'ont pas reconnu
le Territoire après 1965 et l'ayant quitté
facilement leur ferma, la ville de Papeete,
le front de mer, la zone résidentielle puis agricole de Faaa transformée
en zone suburbaine et aéroportuaire, le motu
Uta en "Motu Uta-Zone
Portuaire". Makatea a été vite oubliée dans ce grand chambardement,
même apparemment par les acteurs eux-même qui sont encore pourtant
près de 500 à pouvoir témoigner.
La
question que posaient tant François Doumenge que Louis Molet était
l'après Makatea sans le centralisme de Tahiti et sans
l'agressivité urbaine de Papeete. Michel Anglade se demande déjà ce
que deviendra la Polynésie après la fièvre du CEP.
de penser
Ces
questions constituent le centre des problèmes qui
la Polynésie.
se posent avec
acuité désormais pour
Sur
plan, la Polynésie a perdu avec les phosphates sa première
exportation vers des zones monétaires en dehors de la "zone franc",
voire sa première exportation en valeur, certaines années. Prélude à un
vaste mouvement, le Territoire perd là en 1965-66 les trois-quart de ses
ressources en devises étrangères, phénomène
qui s'est poursuivi ensuite
par la chute de la production de la vanille puis la chute des cours du
coprah.
un
autre
Désormais, l'économie polynésienne est soumise essentiellement
aux
injections de capitaux extérieurs liés aux CEP ainsi qu'à son tourisme, et
ses exportations ne couvrent que 5 à 10 % des importations contre environ
80 à 100 % jusqu'en 1960. D'autre part, la perte de Makatea en tant que
second pôle économique n'a pas été remplacé par l'émergence du bipôle
Hao-Moruroa. Ce bipôle a en effet été destiné aux besoins militaires du
CEP et de la DIRCEN (Direction du Centre des Essais Nucléaires) mais n'a
jamais fait l'objet d'un projet de pôle de développement économique
Société des
Études
Océaniennes
42
capable de contrebalancer le poids écrasant de Tahiti ainsi que
a
pu le faire pendant cinquante ans de 1908 jusqu'à 1958-1960.
Makatea
Tout
donnant du
poids aux îles Australes et aux Iles-Sous-le-Vent,
joué ce rôle oublié depuis 1960 soit depuis 30 ans, de second
pôle de développement. Il faut bien avouer que toute les tentatives
récentes de mise en place d'un second pôle économique
de développement
en
Makatea
se
a
sont révélées des échecs
réalisation
en
ou se
sont arrêtées avant même
raison des difficultés inhérentes à de tels
un
début de
projets.
Cette remarque prend toute sa valeur au
regard des sites actuels de Hao
voire même de Moruroa qui semblent voués à un abandon
plus ou moins
rapide
par
Makatea
le CEP, dès lors d'un arrêt prolongé des expérimentations.
aujourd'hui
Cette
petite île des Tuamotu a retrouvé le calme paisible pour ne pas
torpeur propre à l'archipel. Une soixantaine de personnes vivent
dans le village de Moumu, adossé au plateau, à nouveau recouvert de
végétation masquant les pièges que forment désormais ces puits et
excavations fort profondes,
vestiges de l'exploitation minière. Les
dire la
installations dont le chemin de fer rouillent dans la moiteur ambiante.
Makatea, ville-île fantôme.
Makatea est devenu le symbole d'un échec politique
après avoir été
celui d'un double succès tant social que
économique et industriel.
Symbole d'échec
car ce
site exploité n'a pas été restauré, et parce que les
installations ont été abandonnées,
gaspillées.
Les conseils éminents de
François Doumenge n'ont pas été suivis. Des
projets de reconversion ont cependant été avancés, à nouveau, preuve que
le site bien qu'occulté n'est pas si oublié
qu'il y paraît.
Ainsi pour l'anecdote,
je citerai la proposition de mettre en place une
raffinerie de pétrole sur l'île de Makatea.
Projet bien vite oublié dans
les années 1980, ce
type de reconversion a failli donné une nouvelle
chance à l'île quinze ans
après son abandon.
Un autre
avec un
Palacz
projet a été lancé pour une éventuelle
début de réalisation de
piste d'aviation
en
1977.
exploitation de pêche,
par l'entreprise Daniel
La mairie de Makatea
a d'ailleurs été doté vers cette
époque de
matériels lourds du Service des T.P.
pour commencer ces travaux. Ce
chantier n'a jamais été achevé.
Société des
Études
Océaniennes
Société des
Études
Océaniennes
43
Les
projets
pour
Makatea
L'exemple de Nauru est très similaire de celui de Makatea à la triple
différence que l'île est encore en exploitation pour quelques années, que
Nauru est le centre d'habitation de la population et
que cette exploi¬
tation commencée depuis 1906 a passé quasiment tout le siècle. De
plus,
les Nauruans tiennent à rester sur leur île, indépendante depuis 1967-68.
Plusieurs rapports dès les
réhabilitation de Nauru
années 1950 concluent à l'impossibilité de la
qui se transfère aisément à l'époque à
Makatea. Mais ces rapports sont d'origine anglo-saxonne et peuvent être
soupçonnés de partialité sous pression de la compagnie exploitante BPC.
Une mission française montée à l'initiative de l'Ambassadeur de France
à Fiji a été récemment envoyée à Nauru, en décembre 1990. Elle était
composée de cadres du CTFT (Centre Technique Forestier Tropical) et du
ce
Service des Mines de Nouvelle Calédonie.
La
question de la réhabilitation a été réétudiée de façon pragmatique
d'une reconversion pour l'usage des sols. En effet, la présence de
pinacles empêchent tout usage du sol et il y a donc lieu de les faire
disparaître. Un petit nombre de ces pinacles de calcaire pourraient être
réutilisés pour faire des marbres. Une autre part pourrait servir à faire
des parpaings, et du clinker comme base de départ à la fabrication de
ciment. Mais la plus grande part trop friable serait laissé sur place
après broyage et compléterait la formation du nouveau sol artificiel.
Deux techniques d'arasement sont proposées, le dynamitage et
l'arasement par chenillard.
en vue
Le
dynamitage des 1 500 hectares du site de la mine de Nauru à 700
pinacles en moyenne par hectare, à 3 000 Fcfp par tir de mine ainsi que
le matériel lourd nécessaire
(trois chariots de foration
avec
marteau
hydraulique et bras articulés de 15 mètres, trois compresseurs, trois
bulldozers de 25 tonnes) portent le coût de cette technique à plus de
4 milliards Fcfp pour une durée de travaux de 10 ans environ sans
compter le coût de la main d'oeuvre (15 à 20 employés environ).
L'arasement par chenillard pour la même surface de 1 500 ha et la
même durée de travaux de 10 ans nécessite deux pelleteuses (ou dragues),
■
cm
Le
bulldozer de 50 à 70 tonnes et
coût est alors
estimé
à
un
compacteur de 20 à 50 tonnes.
1,3 milliards
Fcfp avec une dizaine
d'employés (salaires non compris). Les devis proposés correspondent
approximativement à une période de recettes de droits de sortie sur le
phosphates de 3 à 10 ans selon les deux propositions. Mais est-ce
réaliste ?
Société des
Études
Océaniennes
44
Les
projets s'accompagnent en seconde phase d'un reboisement, d'un
développement de l'agriculture et de l'horticulture. Un exemple réussi
de reboisement est à mettre à l'actif du CTFT de
Nouméa, sur des stériles
en Nouvelle Calédonie et sur des terrains
calcaires aux îles
Cook. Le problème de l'eau reste dans ces
projets un élément majeur et
déterminant de réussite ou d'échec.
miniers
CONCLUSION
Des
projets existent pour une réhabilitation de Makatea si tant
population le veuillent. Est-elle nécessaire ?
les intéressés et la
est que
Sur un plan purement
économique, la réponse ne s'inscrit pas dans le
cadre d'une forte nécessité. Sur le
plan de la dignité, la réponse devrait
être beaucoup plus affirmative car avoir abandonné de telles
installations n'est pas très flatteur pour un
pays qui en a vécu quand
même pendant cinquante ans.
Il n'est bien sûr pas question de
critiquer les acteurs
dû répondre à une foule de contraintes et de
de l'époque qui ont
difficultés, ce qui explique
d'ailleurs le désintérêt pour cette "réalité
étrangère à la Polynésie de
l'époque". Ces responsables de l'époque ont de toute façon trouvé des
solutions aux problèmes de la société
polynésienne des années 60 puisque
la paix sociale a été
préservée, et un développement assuré. Seule l'île
de Makatea est restée
Sur
comme un
point noir
au
milieu de
ce
tableau.
plan plus général, l'exemple de Makatea doit servir. Des instal¬
industrielles, très importantes ont été gaspillées par manque de
temps, de personnel, et d'intérêt, et par surcroît de confiance en la manne
un
lations
du CEP. Quand on examine les données
économiques de l'époque, comment
jeter la pierre à ces responsables polynésiens, alors que nos voisins
calédoniens, actuellement beaucoup plus "remontés" contre une
Métropole maladroite se laissent cependant bercer au gré de transferts
financiers massifs qui n'ont
pourtant pas l'importance de ce qu'a connu la
Polynésie dans les années 1960.
Doit-on perdre les installations industrielles du CEP
comme celle de
Makatea ? Telle est désormais l'une des
questions qui se posent aux
décideurs face à un tel retour de situation.
Doit-on laisser l'économie
polynésienne sur un simple vecteur écono¬
bien plutôt la diversifier comme à l'époque "coloniale" de
Makatea où le phosphate, la
vanille, et le coprah ont permis à la
mique
ou
Société des
Études
Océaniennes
45
Polynésie de vivre dignement après l'ère du coton, des oranges et des
escales portuaires pour le ravitaillement en eau et en vivres ?
Les
questions sont posées, ce ne sont peut-être pas les questions
paraissent importantes pour notre avenir.
essen¬
tielles mais elles
Hervé Danton
Bibliographie
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Courtet Henri, Nos établissements
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Société des
Études
et Etienne Touzé)
Océaniennes
46
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Débals
parlementaires de l'Assemblée Nationale, 1911
député Maurice Violletle).
170. (M. le
Encyclopédie de la Polynésie,
tome 8,
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75 à 102 et 1912, p. 161 à
chapitre 8, Une économie coloniale
129.
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121 à
Encyclopaedia Universalis, le phosphate.
Makatea, Bilan socio-économique d'un demi-siècle d'expérience. Journal des
Océanisles, tome XV, décembre 1959, p. 180-200.
L'installation pour
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rade foraine de Makatea. Le Génie
Civil, 15 mai 1957, 8 pages.
Le Mémorial
Polynésien,
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474 à 489.
"Nauru cherche docteur miracle", Les Nouvelles de Tahiti, édition du 26
décembre
1990, p. 45 à 48.
Phosphates de l'Océanie. Le Journal des Finances, 20 février
Société des
Études
Océaniennes
1959.
47
En route pour
Lettre de
le 'FRONT"...
Jules Millaud
les 29 et 30
sur
le Maitai,
janvier et 1er février 1916.
,
L'original de cette lettre, écrite au crayon le 29 janvier 1916 à bord du
Ship C° of New Zealand semblait se détériorer. Je
l'ai recopiée intégralement, (l'original est classé avec la correspondance de cette
époque). C'était la guerre. Mon premier voyage hors de Tahiti et en route pour la
France, via la Nouvelle-Zélande, l'Australie et Nouméa, où notre contingent
devait stationner près d'un an avant d'être dirigé sur la Métropole par le Gange,
paquebot mixte des Messageries Maritimes.
S/S Maitai de Y Union Steam
Ma chère
A
Maman,
midi, demain dimanche, nous serons à Wellington, après une
qui ne fut pas trop fatigante, ni trop ennuyeuse : "M'ennuyer,
traversée
mais comment ?"
Je lis beaucoup, on a des himene, des aten et le soir de huit à dix
heures, dans notre salle à manger surnommée le "Sous-sol", nous
apprécions Fradet dans son répertoire ; j'y ai chanté aussi "Nini-Peaude-Chien"
Ne
qui fut un succès.
je vous oublie, je reste tous les soirs accoudé au
bastingage un moment : c'est celui que je vous consacre. Personne n'est
oublié, je te vois dans ta chaise renversée, ton livre ou ton crochet à la
main, les deux gosses se chamaillant et toi qui leur promets une gifle
qu'ils ne recevront jamais !
va
pas
croire
que
Paulette lit-elle
toujours dans
son
lit,
au
risque debrécher ton
budget par
sa consommation énorme de pétrole ? Je vois son air pincé en
lisant ce mot, pauvre Paulette. Je pense aux affaires de Félix à
Atimaono, à Dédé, à Lili et Minou dont le souvenir m'est d'autant plus
vivace que j'ai eu la joie de goûter leur pâte de banane qui est exquise.
Ma valise si bien
rangée me rappelle Marcelle, le complet gris qui
orgueil demain matin, tu sais, vous savez à qui il me fait
penser, Léon dont les livres, apportés si gentiment par lui au moment où
j'allais quitter le pays, me procurent de très agréables moments.
fera
mon
Société des
Études
Océaniennes
48
Toutes
ces choses si douces
qui me viennent le soir à la tête ne me
neurasthénique, ni ne m'affaiblissent pas, comme il en est de
quelques-uns, mais me donnent au contraire le courage de tout supporter,
de tout affronter
parce que je sais que vous m'aimerez davantage, si je
reviens après avoir fait comme mes frères de France.
rendent pas
Nous
Rarotonga où l'on est resté quatre heures à se
Le village n'a rien de bien épatant, mais
avons vu
baigner et à marcher
un peu.
l'île
frais, vert, de petites collines
les montagnes bleuies par le
aise durant les trois premiers
jours, la santé est
vue
du bateau est ravissante
couvertes de
verdure
lointain. Mal à
mon
:
détachent
se
c'est
sur
maintenant
excellente, il fait frais, un peu, c'est délicieux. Seule la
cuisine est atroce, c'est fade, fade, l'heure du
repas est un véritable
supplice, car il faut pourtant bien se nourrir.
C'est
après un concert, organisé par les passagers de Première et
la présidence du Commandant, que je continue ma lettre.
Soirée très réussie, Mr. Lesrats a très
gentiment chanté le cor de Frégier,
des Anglais ont dit des vers, une
Anglaise laide de Rarotonga a mal
chanté, sa fille très jolie, pianiste, fut très applaudie. Le Commandant
a remercié les Tahitiens de leur
concours, surtout de leur gaîté, de
l'entrain qui ont rendu aux
passagers et cà lui-même cette traversée
particulièrement agréable. Il s'est excusé de n'avoir pu nous mieux loger
car, d'après lui, les gens qui vont au secours de leur
patrie ne seront
jamais assez bien traités. Il s'est dit très honoré d'avoir eu à son bord des
troupes. Vive l'entente cordiale, la Marseillaise et l'hymne anglais
nous, sous
chantés par tout le monde, vive la France, vive
Alliés, il
ajouté : vive Papa Joffre. On voit
admiré par eux. Après la séance, le "Sous-sol"
ma couchette où
j'écris, des rires, du violon.
a
l'Angleterre, vive les
que cet homme est très
est en pleine activité, de
Dimanche 30
La
Nouvelle-Zélande
est
en vue
janvier 1916
; nous longeons la côte pendant
grande malheureusement et l'on ne
peut pas très bien voir les villages et les fermes qui certainement ne
manquent pas dans cette grande étendue de terre. Avant l'arrivée à
Wellington, le brouillard nous force à marcher très doucement, toutes les
trente secondes un
coup de sirène, on fait machine arrière pour rectifier
la direction, on ne voit
que très peu et à courte distance.
très
longtemps, la distance
est
un
Société des
peu
Études
Océaniennes
49
Puis tout à coup, alors que nous
déjeunons, par les hublots, on
aperçoit les maisons aux toits rouges, le brouillard s'est
presqu'entièrement dissipé et l'on est dans la rade immense de
Wellington. La ville est étagée et l'on voit des maisons à grande
hauteur
sur
les collines.
Deux bateaux arrivés
après nous, dont les capitaines n'ont pas
le nôtre dans ce brouillard, se sont mis au plein.
Nous n'avons pu
débarquer que vers quatre heures. Dîné en ville,
mauvaise cuisine. Nous avons passé notre première
soirée dans un ciné où
se donnait une soirée
protestante patriotique.
aussi bien manœuvré que
Une fanfare passant
marchant
au
pas, nous
les
dans la
avons
rue suivie d'une centaine d'hommes
suivis, ils sont tous entrés dans cette
salle et quelqu'un est venu sur la route nous
prier de rentrer. On s'est
exécuté, il a fallu monter, à l'applaudissement de l'assistance sur la
scène, derrière les pasteurs et les chanteuses. Un homme revenant du
front a fait un très long discours et l'on s'est
pas mal rasé.
Mardi 1er février 1916
où
Hier, invités par le maire de la ville à visiter le Parc Zoologique
thé était servi,
gâteaux, limonades, speech d'usage. L'après-midi
jardin botanique, pas très grand, mais une merveille.
Des fleurs ravissantes et disposées avec
beaucoup de goût. On a vu dans
une
petite serre une collection de bégonias tubéreux! Des fleurs simples,
d'autres doubles de la grosseur du poing : des
rouges, des blanches, jaunes
; c'est certainement ce que l'on a vu de plus beau. Le soir, théâtre, mais à
un
c'était le tour du
frais, c'était très bien. Nous sommes invités ce soir 1er février à
nous donnons une représentation au profit des
victimes de la guerre : otea, himeiie et quelques autres chansons.
nos
l'opéra et demain soir
N'étant pas fixé sur la date de notre
départ,
lettre maintenant et en écrire une autre si notre
je préfère terminer ma
séjour à Wellington est
prolongé. Tu embrasseras tout le monde
nouvelles. Je n'écrirai à la
N'oublie pas
pour moi et donneras de
famille qu'une fois à Nouméa.
grand'mère, à qui j'envoie
Soigne-toi bien Maman, et
ne
une carte
t'inquiète
pas
t'embrasse bien fort.
mes
postale.
de ton fils chéri qui
Jujules
Société des
Études
Océaniennes
50
La fête tahitienne
ou le malentendu
Lorsque, le dimanche 4 avril 1768, Bougainville et ses hommes ancrent.
La Boudeuse et L'Etoile dans le
lagon de Tahiti, en face du district du
chef Ereti, ils viennent de traverser le terrible détroit de
Magellan
cinquante-deux jours de mauvais temps et de vents, souvent contraires puis de naviguer dans les eaux perfides de l'Archipel Dangereux (les
Tuamotu), ainsi nommé par Bougainville car "...la navigation est
-
extrêmement
périlleuse au milieu de ces terres basses, hérissées de brisants et
d'écueils, où il convient d'user, la nuit surtout, des plus grandes
précautions", écrit-il dans son Voyage autour du monde (1).
semées
Aussi les
Français sont-ils charmés de l'accueil favorable qu'ils
le temps des épreuves est passé. Ils sont encore en train de
chercher un mouillage
que déjà : "plus de cent pirogues de grandeurs
reçoivent
:
différentes
et toutes
à balancier environnèrent les deux vaisseaux." (2)
Les
échanges commencent dans la bonne humeur et la bonne foi. Si les
Tahitiens montrent encore quelque réserve, ils laissent éclater leur
joie
lorsque les étrangers descendent à
terre : "nous y fûmes reçus par une foule
immense d'hommes et de femmes (...). Ils ne savaient comment
exprimer leur
joie de nous recevoir" (3), écrit encore Bougainville dans son Voyage.
Officiers et hommes
ensuite conduits
Ereti
d'équipage sont
qui leur offre
une
collation
:
devant le chef
fruits, poisson grillé et de l'eau.
Ainsi fêtés dès leur arrivée
par tout un peuple et par
Français sont tout naturellement invités à participer
leur chef, les
à la fête de
l'hospitalité. Si Bougainville reste assez pudique, ses compagnons
racontent en détail ce
qu'ils appellent leur "réception" dans les notes de
leurs Journaux de bord (4).
Société des
Études
Océaniennes
51
Ecoutons celle du
jeune volontaire Félix Fesche :
de tout le monde fut assez singulière (... ) Une
l'amour se glisse sur deux pommes naissantes
ennemies l'une de l'autre et dignes comme celles d'Hélène de servir de modèle à
des coupes incomparables par l'agrément de leur forme. La main glissa bientôt et
par un heureux effet du hasard, tomba sur des appâts cachés encore par une de leur
toile. Elle fut bientôt ôtée par la fille elle-même que nous vîmes alors avec le
seul habillement que portait Eve avant son péché. Elle fit plus, elle s'étendit sur
la natte, frappa sur la poitrine de celui qui était l'agresseur, lui faisant entendre
qu'elle se donnait à lui et écarta ces deux obstacles qui empêchent l'entrée de ce
temple où tant d'hommes sacrifient tous les jours. L'appel était bien engageant,
et l'athlète qui la caressait connaissait trop bien l'art de l'escrime pour ne pas
prendre sur le champ si la présence de 50 Indiens qui l'environnaient, (...). (5)
"Ma réception ainsi que celle
main hardie et conduite par
La fête est malheureusement
publique et, tous en conviennent, il n'est
facile de vaincre ses préjugés européens qui accordent plus
mystère aux choses de l'amour.
pas
Bougainville, dans son Voyage autour du monde,transforme cette
l'hospitalité en un tableau paradisiaque :
de
fête de
"Chaque jour nos gens se promenaient dans le pays sans armes, seuls ou par
petites bandes. On les invitait à entrer dans les maisons, on leur y donnait à
manger ; mais ce n'est pas à une collation légère que se borne ici la civilité des
maîtres de maisons ; ils leur offraient des jeunes filles ; la case se remplissait à
l'instant d'une foule curieuse d'hommes et de femmes qui faisaient un cercle
autour de l'hôte et de la jeune victime du devoir hospitalier ; la terre se jonchait
de feuillage et de fleurs, et des musiciens chantaient aux accords de la flûte un
hymne de jouissance.
est ici la déesse de l'hospitalité, son culte n'y admet point de mystères, et
chaque jouissance est une fête pour la nation." (6)
Vénus
au passage l'inspiration
d'écrivain. Outre les formules
Saluons
véritable de Bougainville et son talent
heureuses
:
"Vénus est ici la déesse de
l'hospitalité", "chaque jouissance est une fête pour la nation", ou poétiques : "la
terre se jonchait de feuillages et de fleurs", il donne à la fête tahitienne une
dimension
mythique.
simple et magique, l'offrande tout d'abord : "ils
jeunes filles", puis la spontanéité et l'instantané : "la case
se remplissait à l'instant", "la terre se jonchait de feuillage", enfin l'aspect
religieux : "des musiciens chantaient aux accords de la flûte une hymne de
jouissance. Vénus est ici la déesse de l'hospitalité".
Le rituel est à la fois
leur offraient des
Société des
Études Océaniennes
52
Le tout
se
rejaillit
sur
dans une transparence absolue et la jouissance du couple
l'assemblée tout entière : "...chaque jouissance est une fête pour
la nation". Ainsi la fête de l'hospitalité devient-elle le symbole d'un
peuple et l'expression de son bonheur.
passe
L'amour à Tahiti est à la fois fusion de l'homme
fait dans
Tahiti
-,
avec
la nature
-
il
se
à même le sol, couvert du feuillage et des fleurs de
de l'homme avec la collectivité - la jouissance est partagée et
une
encouragée
case,
par
le public-, de l'homme
avec
la divinité -Vénus.
Cette page
de Bougainville enthousiasma les contemporains, on
l'imagine : la découverte d'un amour naturel, libre et exempt de préjugés
fit d'emblée partie de l'imagerie de Tahiti.
Voltaire
ne
écrit le 11
cache pas son
juin 1774
enthousiasme
au
chevalier de Lisle, à qui il
:
"Ce service divin consiste à faire coucher ensemble
jeune homme et une jeune
présence de Sa Majesté et de cent courtisans et courtisanes. On
peut assurer que les habitants de Tahiti ont conservé dans toute sa pureté la plus
ancienne religion de la Terre." (7)
fille
un
tout nus, en
Diderot, qui rédige son Supplément nu Voyage de Bougainville dès
1772, se souviendra lui aussi de cette page de Bougainville car elle
illustre
parfaitement sa
écrits entre 1770 et 1775
théorie des trois codes,
:
ce dont témoignent ses
le Tahitien est heureux parce que le code civil,
naturel et
religieux ne se contredisent pas, alors qu'ils déchirent
l'Européen écartelé entre des lois contraires, comme le supplicié sur la
roue.
Si les voyageurs sont charmés par la fête de l'hospitalité, ils sont en
revanche impressionnés par les cérémonies mortuaires. Durant leur
séjour, ils ont assisté à l'enterrement d'un personnage important et ils ont
décrit l'apparat de la cérémonie. Le
prince de Nassau en donne une
bonne description :
"Tous les
matins, un prêtre revêtu d'une dalmatique de plumes, la tête couverte
pièce d'étoffe et d'un grand bonnet de plumes auquel pendent plusieurs
ornements de nacre, vient avec le
peuple danser devant le corps au son d'une
espèce de castaignaittes faites de coquilles nacrées. Le prêtre se retourne plusieurs
fois en soufflant dessus. Les femmes pendant toute la cérémonie
pleurent le
d'une
mort." (8)
Le
chirurgien de bord, Vivez, est frappé par les "cris horribles" (9)
poussés par le grand prêtre.Visiblement, les voyageurs sont spectateurs
d'une symbolique qui leur échappe : Vivez ne sait
pas si les Tahitiens
brûlent leurs morts
ou
non,
Commerson, le naturaliste de La Boudeuse,
Société des
Études
Océaniennes
53
s'est aperçu que les insulaires tiennent beaucoup à leurs morts puisqu'ils
les emportent avec eux dans la montagne lorsqu'ils s'enfuient après le
second incident du séjour au cours duquel des Tahitiens sont blessés par
des soldats
français. Tous concluent que cette cérémonie constitue le signe
plus marqué qu'ils aient vu. Bougainville essaie de faire le
point sur la question de la religion des Tahitiens et avoue nettement son
incompréhension. Il écrit dans le Voyage :
de culte le
"Il est fort difficile de donner des éclaircissements
de bois que nous avons
culte leur rendent-ils ? " (10).
vu
chez
eux
des
statues
sur
prises
leur
pour
Il
religion. Nous avons
des idoles; mais quel
rapporte dans ce même Voyage les renseignements qu'il a
d'Aotourou, le Tahitien qu'il ramène en France avec lui :
"Nous
fait
pu
obtenir
la
religion beaucoup de questions à Aotourou, et nous
comprendre qu'en général ses compatriotes sont fort superstitieux, que
les prêtres ont chez eux la plus redoutable autorité, qu'indépendemment d'un être
supérieur, nommé Erit-Era, le Roi du Soleil et de la Lumière, être qu'ils ne
représentent par aucune image matérielle, ils admettent plusieurs divinités, les
unes bienfaisantes, les autres malfaisantes ; le nom de ces divinités ou
génies est
Eatoua, qu'ils attachent à chaque action importante de la vie un bon et un
mauvais génie ; lesquels y président et décident du succès ou du malheur. Ce que
nous avons appris avec certitude, c'est que, quand la lune présente un certain
aspect qu'ils nomment Madama Tamaï, Lune en état de guerre, aspect qui ne
nous a pas montré de caractère distinctif qui puisse nous servir à le définir, ils
avons
sur
avons cru
sacrifient des victimes humaines." (11)
Remarquons sa prudence : "nous avons cru comprendre". Il y a là une vague
approche de la théogonie tahitienne : Yéatoua, les divinités bien¬
faisantes
ou
malfaisantes, l'influence du soleil et de la lune, mais tout
cela reste bien flou et
Bougainville est tout heureux de parler d'un être
supérieur, du sommeil après la mort, ce qui lui fait croire que les
Tahitiens ont un sens de la divinité suprême et du paradis, comme les
chrétiens d'Europe. Si l'on parvient à les guérir de leur superstition on
les convertira aisément, et c'est exactement ce qu'ont pensé les
missionnaires.
Au terme de cette
rapide présentation, une évidence s'impose
Européens n'ont absolument rien compris à la fête tahitienne.
:
les
Projetant leurs préjugés, en référence constante aux débats
philosophiques de leur siècle -et surtout à celui qui oppose les notions de
nature et de civilisation- les voyageurs français ont voulu voir une
spontanéité, une transparence, une propension à la bonté chez les
Tahitiens qui les ont accueillis si chaleureusement. Ils se rendent bien
Société des
Études
Océaniennes
54
compte que ces insulaires ne sont plus des sauvages, qu'ils ont atteint
un
certain
degré de civilisation, mais au lieu de s'interroger sur les
composantes profondes de cette civilisation, ils la rapprochent
immédiatement de ce qu'ils connaissent : l'Europe.
Ainsi
distinguent-ils naïvement les hommes libres des "domestiques",
qu'ils appellent "rois", de la populace esclave. La hiérarchie
reproduit celle de l'Europe, mais en beaucoup plus doux puisque le roi ne
s'entoure pas du lourd protocole de l'étiquette et que la notion de
propriété reste très relative.
les chefs,
Bref,
ce
qu'ils ne voient jamais, c'est qu'ils ont en face d'eux une culture,
complexe, dont la symbolique et les rituels leur échappent
infiniment
totalement.
Le
grand capitaine Cook lui-même, bien que bénéficiant d'un traitement
puisque les insulaires organisent des fêtes en son honneur, se
laisse lui aussi aveugler par les préjugés européens.
de faveur
Lors de
son troisième
voyage, il est reçu aux îles de l'Amitié par le chef
Finou. Le 10 Mai 1777, il assiste à une démonstration grandiose de ce
qu'il
parade militaire. Suivent des démonstrations de chants
Cook décrit spontanément en termes européens :
nomme une
et de danses que
"Leur chant n'était pas dépourvu d'une harmonie agréable et tous les mouvements
correspondants étaient si adroitement exécutés que ce nombreux corps de ballet
semblait agir comme si c'était une seule grande mécanique. Nous étions tous
d'avis qu'une exécution semblable recueillerait l'applaudissement unanime d'un
théâtre européen ; et elle dépassait tellement tous les spectacles dont nous avions
essayé de les divertir qu'on eût dit qu'ils-se piquaient de nous montrer la
supériorité qu'ils avaient sur nous." (12).
On le voit bien
:
Cook ne perçoit pas le sens profond de ces
démonstrations. En revanche, sa curiosité insatiable le pousse à
s'interesser à une fête plus secrète: le 8 Juillet, le fils et héritier du roi
Poulaho
ces
va
être investi du
pouvoir de
son
père,
ce que
Cook rapporte
en
termes:
"Nous avions compris en écoutant Poulaho que son fils et héritier allait être
admis à certains
honneur
qui
ne
privilèges, parmi lesquels celui de
lui avait
pas encore
été accordé. " (13)
Société des
Études
Océaniennes
manger avec son
père,
55
Bien
qu'invité, Cook n'est pas le bienvenu : la fête se passe au marcie et
ne sont pas disposés à le renseigner sur ce qu'il observe. Sa
présence les met mal à l'aise, on lui dit que la façon dont il est vêtu ne
convient pas ; toutes ces difficultés qu'on lui oppose ne lui plaisent guère
mais, pressé de s'en retourner et "ne sachant quelles seraient les conséquences
les insulaires
d'un
refus", il cède
aux
instances des habitants. (14)
Cette fois, la présence de Cook
nettement indésirable et même
eux-mêmes. Le roi
car
tout allait sans
et des Européens qui l'accompagnent est
dangereuse et pour les insulaires et pour
prie Cook de "commander à l'équipage de ne pas bouger,
tarder devenir tabou, et si un quelconque des nôtres, ou des
siens, se trouvait dans le voisinage, il serait assommé avec une massue et même
mati, ce qui veut dire tué." (15)
Dans
différence de culture oppose nettement deux
le comprend pas : tout ce qu'il désire, c'est voir la
prix car il ne supporte pas cette exclusion. Il se place
précis
peuples, mais Cook
ce
cas
cérémonie à tout
donc
avec ses
d'oeil
en
une
ne
hommes derrière
coulisse
sur
une
la cérémonie
barrière, d'où il peut jeter un coup
qu'il décrit longuement.
avoue que "ce fut en vain que nous tentâmes de découvrir non
signification générale de la cérémonie, que l'on appelle uatche, mais
ses différentes parties. A toutes nos questions, la seule réponse fut, presque sans
exception, le mot tabou." (16)
Cependant il
seulement la
explication de cette cérémonie : il comprend que "la
basant sur les gestes qu'il a
observés "...une posture d'humilité, les yeux baissés, les mains jointes", il en
déduit que "...dans cette occasion, ils se considéraient comme placés
directement sous le regard d'un être suprême" (17), et l'on retrouve ici la
projection des a priori européens.
Il tente donc
une
religion était mêlée à cette institution", mais, se
l'importance de l'événement : Cook fait ici
l'expérience de l'exclusion. Il l'accepte mal mais sent bien qu'il est
confronté à un monde différent du sien, qu'il ne comprend pas, et il en est
d'ailleurs frustré : malgré son "désir de s'instruire", comme il l'écrit, les
insulaires ne répondent pas à ses questions. Et nous touchons là au coeur
du problème : la rencontre entre Européens et Tahitiens fut un
gigantesque malentendu.
Notons
C'est
ce
toutefois
qu'analyse parfaitement Jean-François Baré dans son livre : Le
Pacifique (18).
Malentendu
Bougainville interprète comme un message de paix - il voit de son
pirogue approcher et "conduite par douze hommes nus qui nous
présentèrent des branches de bananiers, et leurs démonstrations attestaient que
c'était là le rameau d'olivier" (19), est en fait un présent que font les
Ce que
navire
une
Société des
Études
Océaniennes
56
Tahitiens à des hommes
jeune
pousse
qu'ils pensent être habités par les dieux, la
de banane-plantain étant une offrande médiatrice "qui
permettait à des catégories de personnes ou d'êtres, normalement considérés
comme hétérogènes, de communiquer." (20).
La fête de
l'hospitalité participe de la même démarche : Bougainville
reçoit les présents du chef Ereti - des pièces d'étoffe, "deux grands colliers
faits d'osier et recouverts de plumes noires et de dents de requin" (21) - sans en
comprendre la signification : pour lui, ces présents entrent dans une
politique d'échange - le troc avec les indigènes - alors qu'il s'agit pour
les Tahitiens de se concilier les faveurs de ces hommes-dieux qu'ils
redoutent. Ces dieux deviennent d'ailleurs envahissants à la
longue car
ils dépouillent les maohi de leurs ressources: ainsi
s'expliquent les
attaques soudaines des Tahitiens contre les membres de l'équipage du
Dolphin, commandé par le capitaine Wallis.
Jean-François Baré révèle
et les dieux est "une
en effet que la confrontation entre les hommes
possibilité mythologique attestée" (22) chez les maohi.
Le second incident
qui provoque la fuite des Tahitiens dans les
montagnes, dans l'après-midi du 12 Avril 1768, illustre lui aussi cette
révolte des insulaires contre ces dieux prédateurs : on
rapporte à
Bougainville que trois ou quatre insulaires sont tués ou blessés, il fait
mettre "aux fers quatre soldats soupçonnés d'être les auteurs du forfait" (23) et
l'enquête révèle que les soldats avaient abusé : ils proposaient un clou
contre un cochon, qui est l'animal réservé aux chefs et aux dieux. Le vol
n'est pas une affaire de tempérament, comme l'ont cru les
Européens,
mais l'appropriation d'objets
appartenant à ces hommes-dieux et que
les chefs, comme le veut leur
rang, gardent jalousement.
Ce n'est pas par amitié
Aotourou accompagnent
spontanée envers les Européens qu'Omaï et
Cook et Bougainville, mais pour voir le roi que
les Tahitiens imaginent être le dieu de ces hommes venus d'au-delà des
mers. La lecture de la rencontre entre
Européens et Tahitiens à la
lumière de l'anthropologie révèle donc
l'ampleur du malentendu, dans
les deux sens, chaque culture
ayant projeté sur l'autre ses références
propres, évidence pour nous, hommes du XX ème siècle, qui avons appris
à comprendre les implications du mot différence. Mais il n'en allait
pas
de même chez ces fils des Lumières, bien convaincus de la
supériorité de
leur civilisation.
Certes, ils perçoivent la différence, mais la comparent immédiatement
à leur propre système, retenant les éléments
qui pourraient l'améliorer
ou éprouvant une certaine
nostalgie d'un âge d'or ou d'un Eden qu'ils
voient à Tahiti et qui
appartiennent à la mythologie européenne.
Société des
Études
Océaniennes
57
qu'au XVIII^me siècle, les Européens peuvent se sentir exclus de la
qu'ils ne comprennent pas, les missionnaires vont
s'exclure eux-mêmes de ce qu'ils nomment barbarie.
Alors
fête tahitienne
C'est que leur référence n'est pas d'ordre philosophique ou
mais d'ordre religieux. C'est aux missionnaires qu'on doit les
culturelle,
premières
expressions de l'exotisme - l'aspect paradisiaque de ces îles du
Pacifique - qui contrastent avec la sauvagerie des insulaires, qu'avait
déjà révélée Cook en assistant à des sacrifices humains dans les marne.
dans un décor édénique mais son âme est
possédée du démon. Le grand combat est engagé : les missionnaires
anglais amenés par le Duff en 1797 vont mener une lutte acharnée contre
le paganisme tahitien, jusqu'à la victoire finale en 1815 avec l'adoption
par Pomare II du protestantisme dont il fait la religion officielle de
Dès lors, le Tahitien vit
l'île.
celle célébrée
temple, la fête païenne - les
- sera interdite car c'est
dans le rythme endiablé des corps livrés à l'ivresse dionysiaque que se
manifeste la possession de Satan. Pour mieux extirper la barbarie de
l'âme tahitienne, les missionnaires furent les premiers à s'interesser de
près à la théogonie tnaohi : les Polynesian Researches (23) de William
Ellis deviennent un ouvrage de référence dès leur parution à Londres en
La seule fête tolérée
sera
au
sacrifices, les danses, la célébration du dieu Oro
1829.
ne manque pas de le citer et rend hommage à la
qualité de la recherche anthropologique de l'ouvrage dans son Voyage
pittoresque autour du monde (24), paru en 1834. Ecoutons le narrateur du
Voyage pittoresque raconter la fête officielle du dimanche :
Dumont d'Urville
"Le
temple était assez vaste pour
s'asseoir
sur
des bancs
assez
recevoir trois cents personnes, qui pouvaient
propres
(...) Quand nous entrâmes (ce jour-là était
dimanche), le temple était plein ; les femmes d'un côté, les hommes de
l'autre ; tous si bizarrement accoutrés, que j'eus grand peine à contenir un éclat
de rire (...). Les missionnaires avaient tant de fois prêché qu'il fallait se couvrir,
que ces malheureux s'étaient couverts à tout prix, de guenilles apportées par les
Anglais et les Américains. " (25)
un
On le voit, le voyageur n'est pas tendre envers les missionnaires : ils ont
transformé le Tahitien en un malheureux accoutré de guenilles
européennes, la fête sauvage est devenue triste et ridicule. Dès lors,
deux types de discours vont s'affronter : celui des missionnaires, relayé
ensuite par les colons, considère le Tahitien comme une victime de la
superstition et du péché et exclut la fête tahitienne, manifestation
Société des
Études Océaniennes
58
suprême de cette barbarie qu'il faut vaincre à tout prix, celui des
voyageurs qui dénonce les méfaits de ces mêmes missionnaires, installés
comme des potentats dans chaque île du Pacifique et
dont la justice âpre
et rigoureuse ne laisse aucun répit au malheureux Tahitien.
Toujours dans
son Voyage pittoresque, Dumont d'Urville cite quelques
observations des voyageurs. En 1824, le capitaine russe Kotzebue s'émeut
des châtiments sévères infligés aux insulaires par les missionnaires "qui
étaient à la fois
et
les surveillants des consciences
et
les redresseurs des torts"
:
"Un indigène ayant volé une chemise à l'un des marins du Rurick, fut garotté
malgré le pardon du capitaine russe (...) et envoyé au travail des routes (...) la
pénalité n'était pas moins rigoureuse pour la faiblesse de la chair. Ces
Tahitiennes, si galantes et si libres jadis, étaient devenues réservées par crainte
plus que par vertu, on infligeait des corrections exemplaires à celles qui se
livraient
aux
marins. " (26).
Melville, qui a séjourné à la prison de Tahiti en 1841, dresse lui aussi
dans Omoo (27) la liste des punitions infligées aux Tahitiens : fouet,
traque des couples illégitimes, saisies dans les maisons lorsque la messe
manquée deux fois, travaux forcés à la construction des routes.
est
Inversement, le père Thomas Arbousset écrit en 1867 dans son ouvrage:
Tahiti et les îles adjacentes : "...il serait impossible de décrire le profond
abîme de maux dans lequel le péché avait plongé ce petit peuple." (28) Il exalte
le courage du missionnaire, brebis parmi les loups : "...que de douleurs et
d'amertumes dans la vie d'un missionnaire forcé de supporter de tels procédés
(l'infanticide) dans l'espérance que des jours heureux viendront." (29)
De la même manière, le colon
va rejeter le Tahitien qu'il juge fainéant et
incapable d'aucun travail, et dont la fête est dégradante. Ainsi, dans la
Tahiti coloniale des années 1850, vont se
côtoyer deux mondes
parallèles avec chacun leur fête. Celle des colons est d'abord officielle :
elle célèbre le départ ou l'arrivée d'un fonctionnaire
important.
L'écrivain
T'Serstevens
La Grande Plantation la
reconstitue
réception du
Lespinière, arrivé à bord de l'Isis
en
dans
son
roman
nouveau gouverneur,
1863
historique
le comte de
:
"Des voitures brillantes arrivaient de tous côtés et
déposaient autour de la tente
leurs occupants sanglés dans la taille mince de leur
redingote, et tout un parterre
de crinolines que surmontait, de
place en place, une minuscule ombrelle à
manche coudé. La troupe, en grande tenue, formait la haie entre la rade et l'hôtel
du Protectorat où l'on disait
que la reine et ses deux filles étaient arrivées depuis
plus d'une heure." (30)
Société des
Études
Océaniennes
59
Le
plus souvent, la fête coloniale a lieu dans le palais du gouverneur ou
dans la maison richement meublée d'un colon influent. Les Tahitiens de
haut
lignage sont invités - la reine et sa suite notamment - mais les deux
mélangent pas. Le même T'Serstevens raconte un bal :
races ne se
"Les dames blanches s'étaient alignées d'instinct sur les chaises capitonnées qui
garnissaient l'un des côtés de la salle, leur crinoline bouffant autour d'elles, les
décolletés épanouis parmi les gazes et les rubans des corsages. Les Tahitiennes
s'étaient groupées sur la banquette qui faisait face, un peu gênées d'avoir les
jambes pendantes au-dessous d'elles, avec des démangeaisons de s'accroupir sur le
velours ou sur le parquet (...). Les métisses (...) ne pouvant s'asseoir parmi les
blanches et ne voulant pas consentir à le faire parmi les canaques, restaient
debout et s'étaient retirées dans
Même
d'une
un
autre
salon. " (31)
atmosphère compassée au bal donné par la reine à l'état major
frégate de passage dans Le Mariage de Loti :
"Dans la salon tout ouvert, étaient
femmes de la
cour, tout
rangés les fonctionnaires européens, les
habits de gala." (32)
le personnel de la colonie, en
musique du bal est assurée par les fanfares des équipages de passage
par l'inévitable piano que l'on trouve chez les colons de bon goût. Ce
même Loti, parlant de l'extase que provoque chez Raharu, sa compagne
tahitienne, la musique jouée au piano, se sent étranger à la fête
tahitienne qui le fascine mais le dégoûte également. Voici sa
description :
La
ou
"Les Tahitiennes battaient des mains, et accompagnaient le tam-tam
d'un chant
choeur, rapide et frénétique ; chacune d'elles à son tour exécutait une figure ;
le pas et la musique, lents au début, s'accéléraient bientôt jusqu'au délire et,
quand la danseuse épuisée s'arrêtait brusquement sur un grand coup de tambour,
une autre s'élançait à sa place, qui la surpassait en impudeur et en frénésie (...)
Ces soirs-là, il semblait que Rarahu fût une autre créature. La upa-upa réveillait
au fond de son âme inculte la volupté fiévreuse et la sauvagerie." (33)
en
rejet à travers les termes "frénétique",
"sauvagerie", "délire" : la signification de la fête lui échappe et il n'en
voit que l'aspect décadent des sens débridés. C'est au nom du
puritanisme effrayé qu'il abandonne Rarahu lorsqu'elle se livre tout
entière à la upa-upa sur son île natale de Moorea :
On devine clairement
son
pensée religieuse, tout sentiment chrétien s'étaient envolés avec le
l'obscurité tiède et voluptueuse redescendait sur l'île sauvage (...) tout était
redevenu séduction, trouble sensuel et désirs effrénés (...). C'était bien ma petite
femme en effet (...) entre nous deux, il y avait des abîmes pourtant (...) elle était
une petite sauvage. " (34)
"...toute
jour
;
Société des
Études
Océaniennes
60
C'est
ce
passé tahitien, qui ressurgit intact lors de la fête, que Loti
n'accepte pas. Il ne veut pas se remettre en question et son exotisme est
épuré de tout danger : sa Tahiti est confortable et rassurante, elle
correspond à ses rêves d'enfant, ainsi qu'il l'écrit à sa soeur :
"Petit garçon, au foyer de famille, je songeais à l'Océanie; à travers le voile
fantastique de l'inconnu, je l'avais comprise et devinée telle que je la trouve
aujourd'hui. Tous ces sites étaient déjà vus, tous ces noms étaient connus, tous
ces personnages sont bien ceux
qui jadis hantaient mes rêves d'enfant, si bien que
par instants c'est aujourd'hui que je crois rêver. " (35).
Melville, à l'inverse de Loti, insiste pour assister à une danse secrète
-missionnaire oblige - dans la vallée isolée du
village de Tamai, sur
l'île d'Eimeo
il a en effet fallu
quitter Papeete, trop civilisée, pour
aller à la rencontre de
l'authentique. Son texte restitue à la fête son
mystère païen et suggère l'accord mystique des jeunes filles avec la
-
lune
:
"Le cercle se mit à virer lentement ; les danseuses se
déplaçaient
abaissant leur bras. Bientôt, les voilà
qui accélèrent leur allure et
en
latéralement,
qui tournoient
cercle ; leur gorge se
soulève, leur chevelure vole, les fleurs tombent, et leurs
étincelants dessinent des arabesques lumineuses. Pendant ce temps, les deux
jeunes filles qui sont à l'intérieur du cercle, passent et repassent sans cesse l'une
devant l'autre. Elles s'inclinent de côté, leurs
longs cheveux pendant au sol; elles
glissent d'un côté à l'autre, un pied continuellement en l'air, les doigts tendus en
avant et jouant dans les
rayons de la lune (...). Voilà le lorry-lorry, car tel est, je
crois, le nom qu'on donne à la danse des jeunes filles de Tamai." (36)
yeux
Pas de sensualité
effrénée, dangereuse et décadente ici, mais des
harmonieux, une magie étrange qui semble
vouloir capter la lumière de la lune : "les
arabesques lumineuses" des yeux,
les doigts "jouant dans les
rayons de la lune".
mouvements aériens et
Trente
sans
ans
avant
juger : il
Loti, Melville
tente de
percevoir l'autre, le différent,
étrange d'un autre temps,
se contente d'observer cette fête
d'une autre culture.
Un
demi-siècle après lui, deux
voyageurs français tenteront de retrouver
cette race tahitienne déculturée
par un siècle de
christianisme et de lui restituer son ancienne
le
passé de
Gauguin et Victor Segalen. Pour
missionnaires
et
de la civilisation
Société des
ne
dignité : j'ai nommé Paul
l'un et l'autre, les ravages
font
Études
aucun
doute.
Océaniennes
des
61
Gauguin écrit à
sa
femme
"Le sol tahitien devient
en
Juillet 1891
:
à fait
français et petit à petit tout cet ancien état de
disparaître. Nos missionnaires avaient déjà beaucoup apporté
d'hypocrisie protestante et enlèvent une partie de la poésie, sans compter la
vérole qui a envahi toute la race." (37)
choses
tout
va
Le titre même Les Immémoriaux (38) de Segalen, exprime à lui
drame des Tahitiens; ils sont ceux qui ont perdu leur passé et
seul le
le livre
s'ouvre symboliquement sur l'oubli de la parole : Terii, le récitant,
échoue à l'épreuve de la parole lors de la fête du dieu Oro en se
trompant d'un nom en récitant la généalogie de Pomare.
Pour tous les deux il
va
mobile sont différents
:
s'agir de restituer le passé tahitien, mais leur
Gauguin découvre la splendeur de la religion
océanienne dans les écrits de Moerenhout et de de Bovis (39) et ses toiles
s'inspirent du mythe de Hina, la lune, et des aeroï, concrétisant ce qu'il
depuis 1880 : "vous trouverez toujours le lait nourricier dans les arts
affirme
primitifs." (40)
Pour
Segalen, le contact avec l'Océanie, qu'il découvre en 1903, lui
permet de réfléchir sur la notion d'exotisme, qu'il définit dans son Essai
sur l'exotisme (41), texte
composé de notes qui s'étend sur plus de dix
qui paraîtra après sa mort. L'exotisme est d'abord une
la sensation de l'exotisme. Terrain solide et
fuyant. Ecarter vivement ce qu'elle contient de banal : le cocotier et le chameau.
Passer à la belle saveur. Ne pas essayer de la décrire mais l'indiquer à ceux qui
sont aptes à la déguster avec ivresse" (42), tels sont les conseils que donne
Segalen à celui qui veut décrire Tailleurs. 11 invente dans Les
Immémoriaux une forme qui lui permettra de créer la subjectivité
absolue, de décrire Tailleurs par les yeux de l'autre : "...l'inhumain",
écrit-il encore dans son Essai, "son véritable nom est l'Autre." (43)
années et
sensation: "...commencer par
Gauguin et Segalen vont donc restituer au Tahitien sa véritable
grandeur et sa différence. C'est grâce à ses yeux d'artiste que Gauguin
perçoit la beauté et le mystère de la race tahitienne, à la différence des
Européens qui ne savent pas voir. Parlant de son premier modèle, il écrit
dans Noa-Noa
:
"Peu jolie en somme comme règle européenne : belle pourtant. Tous ses traits
une harmonie raphaélique dans la rencontre des courbes, la bouche
modelée par un sculpteur parlant toutes les langes du langage et du baiser, de la
avaient
et de la souffrance, cette mélancolie de l'amertume mêlée au plaisir,
passivité résidant dans la domination. Toute une peur de l'inconnu." (44)
joie
Société des
Études Océaniennes
de la
62
La
perception de la différence, liée pour Gauguin à la race maori dont le
passé féodal donne à la reine et aux femmes un visage imposant et à
leurs yeux "comme un vague pressentiment des passions qui poussent en un
instant" (45), renvoie à sa propre altérité, douloureuse à supporter.
Gauguin se sent seul : il ne parle pas le tahitien, il est obligé se vivre à
l'européenne - en ce qui concerne la nourriture tout au moins. Quand il
ramène Tehamana avec lui, il sait bien que, malgré son aspect
vulnérable c'est encore une enfant il y a chez elle "la fierté indépendante
-
de
la
toute cette
-
race" et que
danger était
pour
"la lèvre moqueuse, quoique tendre, indiquait bien
(lui) et non pour elle" (46).
Une seule solution alors
s'observer
-
que
s'apprivoiser l'un à l'autre. Pour ce faire,
longuement, vivre dans une case, se marier à la tahitienne
Koké et Tehamana
-
:
découvrir l'île
-
son
centre secret :
la vallée de la
Punaruu, les esprits de la montagne - la nuit que Gauguin passe seul sur
l'Orofena, en somme, passer avec succès les épreuves d'une initiation,
car
c'est bien de cela
qu'il s'agit dans Noa-Noa.
La récompense : ne plus être spectateur, mis à l'écart, mais acteur,
participant. Gauguin parle de deux manifestations collectives dans
Noa-Noa : la fête européenne - un
mariage - la fête tahitienne - la
pêche aux thons. De la première, il n'est que spectateur, amusé : "...au
centre
de la table la cheffesse admirable de
dignité, parée d'une robe de velours
semblant de costume de foire",
critique acerbe : "...l'évêque protestant, qui protégeait la jeune fille sortie des
écoles religieuses de Papeete, imposait le mariage, et cela hâtivement, à cette
jeune fille avec ce jeune chef", ou franchement indigné lorsqu'il remarque le
tatouage d'infamie qui marque la joue d'une aïeule centenaire, triste
trace de la justice des missionnaires :
"...je compris alors cette défiance
aujourd'hui du Maori vis à vis des Européens." (47)
orangé
: costume
Du reste, cette
prétentieux, bizarre,
un
fête imposée se termine tristement
:
Tehamana est ivre
Gauguin avoue qu'il fut pénible pour lui de la ramener au logis.
Inversement, la pêche tahitienne est solidarité : "tous donnaient la main à
traîner le long du rivage des filets", harmonie le
ciel, la mer, les esprits se
répondent : "...un nuage d'oiseaux de mer surveille les thons (... ) là réside le
dieu de la mer" joie : "...une seconde fois nous fûmes heureux."
morte et
-
-
Gauguin est le héros de la fête : il porte chance et participe au partage
du butin rangé sur le sable. Mieux, le secret des
esprits lui est révélé et
ses deux thons lui
apprennent l'infidélité de Tehamana : "...il me
alors que le poisson pris par l'hameçon à la mâchoire du dessous
infidélité de votre vahiné pendant votre absence à la
pêche." (48)
Société des
Études
Océaniennes
raconta
signifie
63
a idéalisé son séjour tahitien dans Noa-Noa, même
l'air d'une confession ; on y retrouve la très classique
Cependant Gauguin
si
son
récit
a
opposition entre la nature, représentée par les Tahitiens, bons sauvages,
mais profondément humains, et la civilisation, représentée par les
Européens colonisateurs, tous méprisables, à commencer par le
Lacascade.
gouverneur
Tout cela reste bien
simpliste et sent la mise en scène, dans laquelle le
Gauguin tient le rôle principal : lui seul, en tant qu'artiste
délaissé de tous et honni par le conformisme bourgeois, est suffisamment
sauvage - ne se nomme-t-il pas lui-même l'indien ? - pour entrevoir la
véritable nature tahitienne. Malgré tout, il y a chez Gauguin la volonté
nommé Paul
de saisir l'autre dans
sa
différence.
Pas d'exotisme de
pacotille chez lui, mais des couleurs, des expressions,
qu'il peint sur ses toiles : c'est le mystère tahitien,
l'intériorité d'une race qu'il donne à voir. C'est d'ailleurs cet aspect de
Gauguin que salue Segalen : il admire en lui le premier artiste exotique,
au sens
qu'il donne à ce terme - la perception du divers et du différent et lui rend hommage en allant en pèlerinage sur sa tombe à Hiva Oa et
contribue à forger la légende de Gauguin dans son article : "Gauguin dans
des mouvements
son
dernier décor." (49).
peuvent se lire comme un drame symbolique dont les
protagonistes sont d'abord des personnages tahitiens, puis la race
maorie tout entière. Segalen a volontairement évacué tout point de vue
européen pour tenter de restituer la subjectivité absolue : Terii, le
récitant, raconte, car telle est sa fonction, puis sa parole est relayée par
le "on", le "ils" pluriel, soit le choeur tahitien.
Les Immémoriaux
la fête tahitienne trouve sa véritable
dans tous les cas étrange, à jamais
indéchiffrable pour nous, Européens, hommes d'une autre culture Pour la
restituer, Segalen plonge dans l'histoire et collecte les textes qui
parlent du passé de Tahiti : l'ethnologie est ainsi la base de l'exotisme.
Le lecteur des Immémoriaux peut alors assister, en spectateur, aux
différentes étapes de la fête du dieu Oro :
C'est donc chez
dimension
:
Segalen
que
rituelle, mystique, et
peuplades foraines des îles soeurs, et
des belles fêtes attire et englue comme l'huile nono les mouches de
). Le cortège se mit en route: les Maîtres- du - jouir et, devant eux
Haamanihi, le menaient avec grande majesté. Derrière marchaient les chefs, les
promeneurs-de-nuit, les sonneurs de conque marine, les sacrificateurs et les
gardiens-des-images. Bien haut Sur la marée des épaules humaines se balançaient
les Plumes Rouges, simulacre du dieu ; (...) les sourdes voix des maîtres Arioï
"De tous les coins des vents, se ruaient les
que l'attrait
marais (
...
Société des
Études Océaniennes
64
originel (...)• Armé d'une coquille tranchante, le grand-prêtre
s'approcha de la bête dédiée. Il lui ouvrit péniblement la gorge. Les Arioï
chantaient (
). Sitôt les atua repus, les desservants devaient lancer, par-dessus
les barrières, le surplus des offrandes (
) les Tahitiens du rivage, replets et
satisfaits, somnolaient sur le ventre en attendant l'heure des beaux discours." (50)
achevaient le chant
...
...
fait piètre figure et ne
peut que décevoir les Tahitiens qui révèrent la puissance et la violence
de leur dieu Oro, représenté avec majesté par les douze hommes-dieux,
Par contraste,
les arioï
la fête religieuse des missionnaires
:
étrangers mâchaient leur petite nourriture. On les vit aussitôt porter aux
de boisson rougeâtre: on s'attendait à quelque prodige : tout
demeurait calme (...) On méprisa." (51)
"...les
lèvres les coupes
Face
aux
missionnaires, "les douze à la jambe
"Ils parurent
tatouée":
(...). Ceinturés du maro blanc sacerdotal, poudrés de safran, ils
peints de jaune, dans le soleil jaune qui ruisselait sur leurs peaux
onctueuses. Leurs immobiles et paisibles regards contemplaient la merextérieure ; (...) Leurs poitrines, énormes, comme il convient aux puissants,
vibraient de liesse et de force en jetant des paroles cadencées. Joyeux et forts, en
pouvoir de toutes les sagesses, ils promenaient à travers les îles leur troupe
fêteuse et magnifiaient les dieux de vie en parant leurs vies mêmes de tous les
jeux du corps, de toutes les splendeurs, de toutes les voluptés. " (52)
marchaient
regard d'un peintre et celui d'un poète pour faire
:
étrange et barbare pour l'Européen qu'elle
renvoie à sa propre altérité elle se laisse enfin contempler pour ellemême, échappant à tout système philosophique, à toute idéologie.
Gauguin et Segalen ont parlé du paradis tahitien, mais il était perdu.
Ce n'était ni lage d'or, ni l'Eden, ni les champs Elyséens, mais le passé
grandiose et splendide d'une race dont ils déploraient la déchéance.
Leur sensibilité et leur intelligence leur ont permis de sympathiser avec
elle et leurs mots de poète, l'harmonie des couleurs ont restitué à la fête
tahitienne sa véritable grandeur, sa véritable dimension, qui n'est pas
la nôtre, et dont nous serons toujours les exclus.
Il
aura
donc fallu le
revivre le fête tahitienne
Sonia Faessel
Société des
Études Océaniennes
65
NOTES
1. Louis-Antoine de
Bougainville: Voyage autour du monde, Ed. Folio, préf. J. Proust,
Gallimard, reproduction de l'Ed. de 1771: Voyage autour du monde par la frégate du
Roy La Boudeuse et la flûte L'Etoile en 1766, 1767, 1768 et 1769, Paris, chez
Saillant & Nyon, p. 218.
2. Ibidem, p.222
3. Ibidem, p. 229
4. Publiée par Etienne Taillemite: Bougainville et ses compagnons autour du monde,
Journaux de navigation, Ed. de l'Imprimerie Nationale, Paris, 1977, 2 vol.
5. Journal de Fesche et de Saint-Germain, in Taillemite, tome I, p. 81-82.
6. Bougainville: Voyage autour du monde, Ed. Folio, p. 285.
7. Ed. Garnier de la Correspondance de Voltaire, vol. 49, p. 15.
8.Taillcmile, Journal de Nassau, tome II, p. 398.
9.Taillcmile, Journal de Vivez, tome II, p. 248.
10. Bougainville: Voyage autour du monde, Ed. Folio, p. 256.
11. Ibidem, p. 257.
12. Cook James: Relations de voyages autour du monde, tome II, Ed. La Découverte,
p.37-38.
13. Ibidem, p.41.
14. Ibidem, p. 42-43.
15. Ibid, Ibid.
16. Ibidem, p.47.
17.Ibidem, p.48.
18. J-F Baré: Le Malentendu
Pacifique, Hachette, 1985.
Bougainville: Voyage autour du monde, Ed. Folio, p.222.
20. J-F Baré: Le Malentendu Pacifique, p. 104.
21.Bougainville: Voyage autour du monde, Ed. Folio, p.230.
22. J-F Baré: Le Malentendu Pacifique, p. 127.
23. William Ellis: Polynesian Researches, Londres, 2 vol., 1829, réédition française
sous le titre: "A La Recherche de la Polynésie d'autrefois",in Publications de la
Société des Océanistes, n° 25, Musée de l'Homme, Paris, 1972, 2 vol.
24. Dumont d'Urville Jules-Sébastien-César: Voyage pittoresque autour du monde,
Paris, Tessé, 1834-1835, 2 vol., in 8°, Ed. moderne ( extraits) Ed. Haere Po no Tahiti,
19.
1988.
25. Ibidem,
p.527.
26. Ibidem, p.563.
27. Herman Melville: Omoo, 1842, Ed. moderne, G-F, 1990.
28. Thomas Arbousset: Tahiti et les îles adjacentes, voyage et
1862-1865 ), Paris, chez Grassart, 1867, p. 19.
29. Ibidem, p.42.
30. A. T'Serslcvens: La Grande Plantation, A. Michel, 1952,
31. Ibidem, p. 55.
séjour dans
ces
îles (
p.l 12.
32. Pierre Loti: Le
Mariage de Loti, 1880, Ed. moderne, G-F, 1991, p.69.
33; Ibidem, p. 125-126.
34. Ibidem, p. 149.
35. Ibidem, p.73.
36. Herman Melville: Omoo, p.357-358.
37. Paul Gauguin: Lettres à Mette, juillet
1891, Tahiti, in Oviri, Ecrits d'un sauvage,
Ed. Folio, coll."Essais", Gallimard, Paris, 1974.
38.Victor
Segalcn: Les Immémoriaux, 1907, Ed. moderne. Pion,
Humaine", dirigée par, Jaen Malaurie, 1956, rééd., 1982.
Société des
Études
Océaniennes
coll."Terre
66
Voyages aux îles du Grand Océan, Paris, Arlhus Bertrand, 1837,
(M. de) :"L'Elat de la société tahilicnnc à l'arrivée des Européens", in Revue
Coloniale, Paris, 1855.
40. Gauguin P. : "Cahiers pour Aline", in Oviri, p. 94.
41. V. Scgalen: Essai sur l'exotisme, publié pour la première fois en 1955 par PierreJean Jouve, coll."Biblio Essais", Le Livre de Poche, 1986, reprise de l'Ed. Fata
Morgana de 1978.
42. Ibidem, p. 33.
43. Ibidem, p. 77.
39. Mocrcnhoul J-A:
Bovis
44. Paul
Gauguin: Noa-Noa, Ed. de la Plume, 1901, Ed. moderne, Folio, coll.
"Essais", Gallimard, Oviri, écrits d'un sauvage, 1974, p. 109.
45. Ibidem, p.
103.
120.
47. Ibidem, p. 124-125.
48. Ibidem, p. 125-127.
49. Victor Segalen : "Gauguin dans son dernier décor", in Mercure de France, juin
1904, réédité dans l'Essai sur l'exotisme, opus cité note 4L
50. Ibidem, p. 51, 53, 54, 55, 56.
51. Ibidem, p. 101.
52. Ibidem, p. 104, 105, 106.
46. Ibidem, p.
Société des
Études Océaniennes
67
DES ELECTIONS POUR RIEN...
OU PRESQUE
ANALYSE DES DERNIERES ELECTIONS TERRITORIALES
EN POLYNESIE
FRANÇAISE
INTRODUCTION
Le 16
mars
1986,
élections territoriales le parti de Gaston Flosse
aux
(président sortant), le Taho'era'a Huira'atira (très proche du R.P.R. de
Métropole) obtenait 30 084 voix, soit 40,42 % des suffrages exprimés et
22 sièges (la majorité absolue des 41 sièges de l'Assemblée : soit 53,65 %
de ces sièges). Sans problème donc, le Taho'era'a ayant la majorité
absolue, Gaston Flosse conservait la présidence du gouvernement du
Territoire. Des problèmes sociaux, des déchirements internes au
Taho'era'a lui faisaient perdre, d'abord la présidence, puis la majorité
au cours de l'année 1987. Une nouvelle majorité, née de tractations
politiques et non d'élections, voyait le jour.
Le 17
mars
1991, le même Taho'era'a obtient 26 681 voix soit 31,42
% des
suffrages exprimés et 18 sièges soit 43,9 % des sièges.
VOIX
% par rapport aux
suffrages exprimés
nombre de
sièees
sur
16
mars
1986
30 084
40.42 %
22
17
mars
1991
26 681
31,42 %
18
TABLEAU N°1
HUIRA'ATIRA EN
:
% des
sièges
de l'A.T.
53,65 %
43,90 %
RESULTATS ELECTORAUX DU
1991 AUX ELECTIONS
1986 ET
41
TAHO'ERA'A
TERRITORIALES
On remarque immédiatement pour ces deux élections l'écart
entre le nombre de voix obtenues et le nombre de sièges attribués.
important
pourcentage des suffrages exprimés et
1986 et de 12,5 % encore en 1991.
des sièges, l'écart est de 13
absolue et dans le
premier cas, le parti obtient la majorité
deuxième cas, il domine les autre forces qui obtiennent
Dans le
14, 5 et 4 sièges. Le
gouvernement.
En
% en
respectivement
problème des alliances se pose alors pour former un
Société des
Études
Océaniennes
68
Après plusieurs jours de négociations le 'Ai'a 'Api (5 élus), dont le leader
est le député-maire de Mahina, Emile Vernaudon, choisit l'alliance
avec le Taho'era'a
Une majorité théorique de 23 conseillers permet donc
la constitution d'un gouvernement dirigé par Gaston Flosse. Quelques
mois après cette alliance est rompue, le 11 septembre 1991. Gaston
.
un renfort dans les amis de Jean Juventin,
Papeete, qui sortent ainsi de l'union qu'ils formaient avec le
parti de l'ancien Président du gouvernement, Alexandre Léontieff.
Flosse trouve immédiatement
maire de
Mais
majorité suffit-elle à gouverner? Là encore de nouveaux
petite faille dans le statut d'autonomie
interne (qui convoque l'Assemblée Territoriale?), une excessive
séparation entre l'exécutif et le pouvoir réglementaire, et la Polynésie
n'est plus vraiment gouvernée.
une
facteurs interviennent. Une
De toute
façon, les majorités se font et se défont. L'électeur n'est pas
ailleurs sans doute qu'en Polynésie Française
l'article 27 de la Constitution de la V ^me République : "Tout mandat
impératif est nul", ne s'applique à ce point.
Tout, pourtant, semblait réuni pour que le Taho'era'a puisse gouverner
sans
problème. Sans problème? Ce serait mal connaître la Polynésie.
consulté. Nulle part
—
I
—
LE SYSTEME ELECTORAL ET LES MŒURS
POLITIQUES
:
UNE CASCADE DE PRIMES AU PLUS FORT
Le 16
1986, des élections territoriales ont eu lieu un peu plus d'un an
renouvellement normal de l'Assemblée.
Le statut d'autonomie interne
appliqué le 8 septembre 1984 n'avait pas
entraîné le renouvellement de l'Assemblée élue en 1982.
mars
avant le
Disposant d'une
politique différent, le Prési¬
dent du gouvernement du Territoire
(tel est son titre exact d'après
l'article 5 du statut), Gaston Flosse avait
proposé la dissolution de
majorité incertaine, élue dans
un
contexte
l'Assemblée.
Un
la
vœu
émis
en ce sens
par
les conseillers le 29 août 1985, aussi bien de
majorité
que de l'opposition, était transmis au Premier ministre
conformément à l'article 81 de la loi statutaire. Le conseil des ministres,
à Paris, pouvait accepter ou refuser. Selon une
ligne généralement
Société des
Études
Océaniennes
69
retenue, celui-ci suivit le vœu des représentants du Territoire et un
décret du 23 décembre 1985 dissolvait l'Assemblée locale.
Les élections étaient alors fixées
au
16
mars
1986,
comme
les élections
législatives. Ce jour-là, en métropole et dans les D.O.M., on votait deux
fois : pour la représentation nationale et pour la représentation
régionale. Ainsi, curieusement, pouvait-on assimiler élections
régionales et élections territoriales, renforçant ainsi le sentiment de
beaucoup que l'autonomie interne n'était qu'une variante de la
régionalisation. Mais la coïncidence ne devrait plus se reproduire.
Avant de procéder aux élections il avait été souhaité et souhaitable de
modifier les dispositions de la loi électorale datant de 1957.
1985, l'Assemblée Territoriale adoptait le rapport du
Roger Doom que le gouvernement français transformait en
Le 17 octobre
conseiller
projet de loi voté par le Parlement en décembre 1985.
Le nombre de conseillers territoriaux passait de 30 à 41. La composition
par archipel devenait la suivante (cf. Tableau 2).
1957
1986
1DV
16
22
ISLV
6
8
TUAMOTU-GAMBIER
4
5
MARQUISES
2
3
AUSTRALES
2
3
TABLEAU
N° 2
:
REPRESENTATION DES ARCHIPELS
A L'ASSEMBLEE TERRITORIALE EN
Les listes auraient désormais deux
NOMBRE DE SIEGES
candidats de plus que
le nombre de
sièges à pourvoir. Cela permettrait d'éviter des recours à des élections
partielles. En effet tout conseiller devenu ministre cédant sa place au
suivant de liste, on imagine que dans les archipels à faible représen¬
tation, ce phénomène lié à des démissions ou des décès rendait celles-ci
trop fréquemment nécessaires. L'âge d'éligibilité était abaissé de 23 à
21 ans et les dispositions du code électoral s'appliquaient à la Polynésie
Française.
disposition lourde de conséquences, nous le verrons, créait un seuil de
suffrages exprimés pour pouvoir participer à la répartition des
sièges. Le but était d'éviter une dispersion des voix dans un Territoire où
le nombre de candidats n'a d'égal que ce que l'on rencontre dans les pays
ayant nouvellement accédé à la démocratie libérale.
Une
5 % des
Société des
Études Océaniennes
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 258-259