B98735210105_256-257.pdf
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-
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N° 256 257
Tome XXI
-
N° 7 et 8
'
Société des
/ mars-octobre 1992
Études Océaniennes
Société des Etudes Océaniennes
Fondée le 1er janvier
1917
Territoriales
Tipaerui
Service des Archives
Vallée de
B.P. 110 Papeete
Polynésie Française
TéL 4196 03
Banque Westpac : 012022 T 21
—
CCP : 834-85-08 Papeete
CONSEIL D'ADMINISTRATION
Président
t M. Paul MOORTGAT
t Me Eric
Vice-Président
LEQUERRE
Mlle Jeanine LAGUESSE
Secrétaire
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
ASSESSEURS
M. Yvonnic ALLAIN
M. Robert KOENIG
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
MEMBRE D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
Société des
Études Océaniennes
BULLETIN
SOCIÉTÉ
DES ÉTUDES OCÉANNIENNES
DE LA
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
N° 256-257
MARS
-
TOME XXI - N° 7 et 8
OCTOBRE 1992
SOMMAIRE
Papeete de jadis et naguère - 2è suite de la partie
À l'abordage du village de Papeete
Vananga Raymond PIETRI
Précisions des lecteurs (additif)
:
Le four de terre en Polynésie :
dans une société en mutation
Christian GHASARIAN
Une technique traditionnelle
Les Espagnols en
Annie BAERT
le premier regard
Océanie
ou
2
22
28
40
Archéologie et festival des arts,
le cas de lipona à Puamau, Hiva-Oa
Pierre OTTINO
77
Protohistoire des spéculations sur
des Polynésiens - 1595-1838
Jean-Marc PAMBRUN
Souvenirs de perles
Laure GINESTY
l'origine
102
d'un inspecteur du travail
123
La prédation et l'adaptation
chez les poissons récifaux
Vincent DUFOUR
du comportement
Société des
134
Études
Océaniennes
2
PAPEETE DE JADIS ET
NAGUÈRE
(2ème suite de la partie)
À L'ABORDAGE DU VILLAGE
DE PAPEETE
Tepano Jaussen installe la Mission
Catholique de Tepapa
27.
-
On notera l'affectation à Tahiti du Père Louis
Borgella
:
arrivé le 2
septembre 1848, il quittera Pape'ete (février 1853) pour Valparaiso où
meurt à 65 ans (14 décembre 1873).
il
Mgr Étienne Jaussen dit Tepano (1815-1891), né à Rocles en Ardèche
(12 avril 1815), prêtre picpucien, après un premier séjour à Valparaiso
(1845), est nommé évêque pour Tahiti où il arrive par YAlcmène (16 février
1849). Enseigne à Ha'apape d'abord, est nommé aumônier naval du
Pacifique (février 1851), sur les goélettes Pape 'ete, la Thisbée etVArtémise,
fonde une école à Pape'ete (1854), fait l'acquisition de la vallée de la
Mission (1855) où est installé l'Évêché—où seront exploités comme un vrai
jardin d'acclimatation : une plantation de 5 ha de canne à sucre (bon
rendement de cassonade et rhum), une cocoteraie de rapport, de nombreux
maiore productifs, des ruches d'abeilles pour cire et miel, des grands arbres
(bananiers, eucalyptus, vignes, manguiers greffés, etc ...), avec un menu
bétail (chevaux, bovins, volailles, porcs, ovins)... progressivement.
Bien que sous Protectorat, Tahiti est géré colonialement par le Ministre
de la Marine, les gouverneurs successifs étant des officiers (ne dépassant pas
grade de capitaine de vaisseau de 1850 à 1863 notamment) habitués à
autoritairement, se frayant un chemin administratif de leur
propre initiative dans cette législation, ayant une formation purement navale
pour une discipline du bord, alors qu'ils ont à se mouvoir dans les complexi¬
tés embarrassantes de la politique locale ( dixit l'historien Colin Newbury,
professeur de l'Université d'Oxford). Leur but : inculquer aux habitants les
valeurs de la civilisation française, en visant une nouvelle promotion
le
commander
accélérée.
Société des
Études
Océaniennes
3
Louis-Adolphe Bonard, grand de taille, en est le prototype. Après un
premier séjour où il s'est distingué en coiffant d'assaut l'insurrection par le
Diadème (décembre 1846), rentré en France, il sera nommé capitaine de
vaisseau (12 juillet 1847). Le titre de gouverneur étant supprimé
(décret du
28 juillet 1849), Bonard revient nommé Commandant de la subdivision
navale de l'Océanie (décision du 19 juillet 1849) sur la Thisbée, pour être en
fonction du 20 mars 1850 au 16 juin 1852. Il s'est imposé rapidement comme
maître du pays, en se basant sur le soutien des chefs, pour circonscrire le
pouvoir dynastique à l'exemple du rôle que jouent les missionnaires anglais
auprès des ari'i.
Cependant, lors des longues sessions de l'Assemblée Législative, ré¬
une centaine de chefs et
juges, le Commandant-Gouverneur s'ac¬
corde le droit de rejeter souverainement les résolutions des chefs adoptées
par scrutin, lorsqu'elles lui déplaisent, complétant même la législation s'il
le désirait par ses propres ordonnances, que la Reine contresigne sans
protester, s'agissant de rédaction en langue française qu'elle ne pratique
pas... Le régent Paraita est d'ailleurs là pour ratifier à sa place
éventuellement ; obèse à l'esprit délié, dévoué et habile pour des missions
délicates, rapace et au besoin généreux, il est ainsi quasiment un antagoniste
unissant
naturel de la Reine. Mais la Mission Protestante constitue aussi
une
force
capable de s'opposer
au régime autocratique de Bonard. Après l'exode
massif des missionnaires anglais (en 1844),—les pasteurs Orsmond et
Simpson restés surplace ayant accepté le Protectorat,—les diacres tahitiens
refusent toujours de se soumettre.
28.
-
Activités paroissiales
-
hydrographie
-
agriculture
Dès
1844, des religieuses françaises catholiques sont chargées de
soigner les blessés de la garnison et d'instruire les filles des familles des
chefs. A partir de 1847, des fils de chefs sont envoyés en France dans des
écoles catholiques. Un inventaire des biens de la Mission Protestante et des
paroisses est dressé en 1849 et la Mission Catholique commence rapidement
par entrer en possession de terrains. Une loi de mars 1851 codifiera la
situation des cultes par
district de résidence.
Société des
Études
Océaniennes
4
Alors, le révérend Howe, pasteur anglais envoyé dans le Pacifique en
1839, qui a été en poste à 'Afare'aitu-Mo'orea jusqu'à l'exode de 1844,
revient à Tahiti dès 1847 comme prédicateur itinérant. Il doit se fixer à
Béthel, fondée dans les années
il faut le saluer pour avoir réussi
à publier, en 1851, le Dictionnaire tahitien-anglais dit de Davies (plus de
10.000 mots, fruit d'un travail collectif des missionnaires durant 50 années)
et qui sera réédité tel quel par les Editions Haere-Pô en 1985. Le pasteur Nott
ayant effectué la traduction tahitienne de la Bible, Howe se consacre alors
à sa révision complète, version améliorée toujours en usage actuellement
pour s'occuper de la paroisse de
1820 pour les papa'a de langue anglaise, et
Pape'ete
(1990).
pratiquement transformé en colonie, Bonard souhaite
développement économique par des projets agricoles d'enver¬
gure, au-delà du commerce d'huile de coprah, de nacre et de perles des
méléagrines qui seul intéresse les hommes d'affaires locaux, outre celui des
alcools, des tissus et des conserves alimentaires. Les terres indigènes cons¬
tituant des biens familiaux inaliénables, les Tahitiens peuvent exploiter leurs
domaines par la cueillette des oranges sauvages qui se sont vite propagées
et foisonnent au point de représenter une nouvelle denrée d'exploitation ap¬
préciable.
Le Protectorat
réaliser
son
le Capitaine Bligh du Bounty a fait
premières graines. La ruée vers l'or en Californie, non seulement
a attiré tous les ouvriers civils du
village de Sainte-Amélie devenus cher¬
cheurs d'or, mais constitue un appel de ce marché d'oranges succulentes
ainsi que pour les tubercules notamment. En effet, les navires de commerce
étrangers dès 1851 assurent exprès la desserte Tahiti-Californie... Mais plus
tard, les maladies parasitaires apparues en 1857 déciment graduellement les
forêts d'orangers qui bordaient la route du tour de Tahiti, puis la Californie
deviendra elle-même terre d'élection comme pays producteur d'oranges ...
C'est à 'Arue
semer
en
1788-1789 que
les
Enseigne de vaisseau sur l'aviso à vapeur Phaéton, Edmond de Bovis
(né à Grasse en 1818) arrive à Tahiti en 1844 : détaché 6 mois à Tai'arapu
pour des travaux hydrographiques (levers de plans), il succède ensuite à
Gabrielli de Carpegna comme Directeur du port de Pape'ete et commande
(en 1846) la goélette Pape'ete tout en s'occupant de l'hydrographie de
Tahiti. Attaché au Dépôt des cartes en France (août 1848) pour achever ce
Société des
Études
Océaniennes
5
travail, il revient à Tahiti pour la campagne hydrographique de la Thisbée
aux
îles de la Société (1849-1852) ; quittera Pape'ete (2 septembre 1852) sur
le
Phoque partant pour la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie
persévérant lieutenant de vaisseau laisse un ouvrage de référence
Etat de la société tahitienne à l'arrivée des Européens
(1855, édité aux
E.F.O. et réédité).
...
Cet actif et
Dans la contribution de Bonard, en poste pour deux années, au déve¬
loppement agricole, il faut citer l'introduction de l'avocatier, de la banane
rio, du manioc et de nouvelles espèces de manguiers, apportés par des
navires de guerre ayant fait escale au Brésil. Après Tahiti, Bonard sera
nommé contre-amiral (juin 1855), devenant Commandant de la division
navale du Pacifique (1858-1861), puis il organisera la Cochinchine Né à
Cherbourg, il meurt en Amiens âgé de 62 ans (31 mars 1867).
.
29.
-
Développement portuaire de Fare-'Ute
Le 3ème gouverneur, Théogène-François Page (1807-1867), capi¬
taine de vaisseau fin 1845, est nommé Commandant naval d'Océanie et
Commissaire de la République aux îles de la Société (5 septembre
1851), et
prend le titre de Commissaire Impérial (17 avril 1853) après la proclamation
de l'Empire. Sa juridiction englobe la Nouvelle-Calédonie devenue
posses¬
sion française (24 septembre 1853) mais il ne visitera pas cette île.
Esprit
original, caustique, cultivé et curieux, il juge les efforts de ses prédécesseurs
infructueux et que la colonie est restée stationnaire. Il estime pour Tahiti la
vocation d'être, par sa position au centre du Grand Océan : un port de
ravitaillement, de radoub et de dépôt ; une étape, tant pour la ligne à vapeur
entre l'Australie et l'Europe, — dans la
perspective prometteuse du perce¬
ment de l'isthme de Panama, — que pour celle entre la Nouvelle-Zélande
et la Californie, comme pour la flotte baleinière de 300 à 400 navires en
diminuant les passages répétés et onéreux par le Cap Horn.
C'est ainsi que,
dans cette prospective, géopolitique d'avenir, est bâti,
mois, un arsenal naval complet sur la langue de sable à cocotiers de
Fare-'Ute, grâce à la main-d'oeuvre des chefs de Tahiti et Mo'orea et en
exploitant les bois forestiers : 3 vastes magasins-entrepôts, la cale de halage
et le premier quai
d'abattage des navires, consolidés et complétés avec un
second quai d'abattage, puis une briqueterie, des belles forges et des ateliers
en
deux
Société des
Études
Océaniennes
6
briques pour le travail du fer (réparation des grandes machines à vapeur),
cale pour carénage des oeuvres vives, ainsi qu'un hangar pour les
embarcations, un hangar pour les naturels et des parcs à charbon.
en
une
Le
projet de Page de remblayer la partie coralienne de lagon, pour relier
Motu-Uta à Fare-'Ute par un chemin de fer, ne pourra être concrétisé, le
Ministre de la Marine et des Colonies refusant de fournir rails et wagons
nécessaires.
l'intérêt de la population, le dynamique gouverneur
Page fait publier par l'Imprimerie du Gouvernement un journal d'informa¬
tion Le Messager de Tahiti, hebdomadaire paraissant le dimanche en langue
française depuis 1851 (actes officiels, nouvelles locales, nationales et
internationales).
Afin de capter
Pape'ete, les navires sont ancrés le long de la plage, en face
magasins de négoce pour chargement ou déchargement des marchandi¬
ses, l'activité étant visible sur le rivage où haquets et tombereaux tractés par
chevaux ou mulets se croisent au fur et à mesure de la multiplication des
En rade de
des
affaires.
Aux confins de Fa'a'a, en quelques mois le gouvernement a installé
fabrique de briques qui marche, avec séchoir bien exposé, l'eau
abondante provenant d'un puits profond et la terre argileuse excellente étant
extraite dans la pente de montagne de la même enceinte en un lieu inculte
et sauvage couvert de goyaviers.
une
plupart des maisons de Pape'ete, alors construites en planches et
végétaux, peuvent craindre les incendies, les insectes dévoreurs,
intempéries : ciment et briques vont consolider les nouveaux bâtiments
La
éléments
les
de la cité.
Déjà le bilan portuaire de 1852 à 1853 est marqué par un accroissement
l'arsenal de Fare-'Ute entraînant les
espérances de trafic par augmentation dans les importations et échanges
d'approvisionnements interinsulaires, en produits des îles comme en mar¬
chandises de l'étranger (dont vins et spiritueux...). Les exportations d'oran¬
ges ont cependant considérablement chuté :
6.400.000 oranges en 1852 (Californie 6.319.000, Australie
81.000)
commercial des navires et passagers,
•
Société des
Études Océaniennes
7
1.910.000 oranges en 1853 (Californie 1.179.000, Australie 731.000)
déficit atténué par une augmentation dans l'exportation de la nacre.
•
Le mouvement des baleiniers accroît le trafic portuaire
des négociants,
engendrant, avec un dépôt d'huiles de baleine et de chabon de houille, le
développement des affaires : en navires, en magasins, en travaux de
tonnellerie et de manoeuvres. Pour agrémenter les escales de la nouvelle
ligne des paquebots Sydney- Panama, créée par un armateur américain,
Pape'ete offre aux visiteurs l'accueil traditionnel des danses et chants, les
artisans et agriculteurs pouvant les tenter par des curios et fruits divers.
L'avenir touristique fait figure florissante. Le rapide navire Golden Age
mouille en rade (24 mai 1854) avec 750 passagers pour une escale d'une
semaine ! Cette unité est équipée d'une machine à mouvement direct
s'alimentant en charbon, intéressant donc pour le dépôt de Fare-'Ute.
30.
-
Rougeole, rançon de l'accueil...
Mais, hélas ! aussi, les microbes ont débarqué et provoquent une
épidémie de rougeole (juillet 1854) ; si les Européens en sont protégés par
une immunité acquise, l'on compte de nombreux morts chez les
indigènes
inaccoutumés, surtout dans les districts. La vie administrative et publique du
pays est paralysée un certain temps. Soins aux malades et ensevelissement
des morts (plus de 700 victimes) préoccupent les vivants et survivants, les
écoles sont désertées : élèves, parents et même enseignants sont malades
ou
décèdent.
Ainsi, parmi les victimes, il y a le regretté grand chef Tati de Papara
lequel avait vu Cook et assisté aux événements remarquables des temps
anciens
éloquent et habile orateur, homme de bien toujours, figure
historique illustre.
:
De 1851 à
•
1866, l'Assemblée Législative se réunira presque tous les
Pape'ete, soit au Temple protestant, soit au nouveau Palais législatif
:
composée d'environ 100 chefs avant 1853, une délégation de 25 chefs des
Tuâmotu s'y ajoute dès à présent. La convention du Protectorat disposant
que «la nomination des chefs de districts est faite par la Reine de Tahiti et
le Commissaire du Roi de France, sur proposition des huira'atira, des
ans
à
Société des
Études
Océaniennes
8
notables», cela
a
donné lieu à des conflits de candidaturespere-feti'i et le
gouverneur Page a dû
tement de la Reine.
sanctionner en 1854 des nominations sans le consen¬
Page et 4ème gouverneur, le marquis Joseph Fidèle
Eugène du Bouzet est déjà passé un mois à Tahiti (mai-juin 1842) et a
participé aux voyages de circumnavigation avec Bougainville (1824-1826)
et d'expédition au pôle sud de Dumont d'Urville (1837-1840 : en second sur
la Zélée). Après avoir été commandant de la corvette VAllier dans les Mers
du Sud, il effectue une campagne de 4 ans au commandement de la Brillante
dans le Pacifique (1845-1849), où il passera à Pape'ete (avril 1847). Nommé
capitaine de vaisseau (22 juillet 1848), il réapparaît comme gouverneur et
commandant de la station navale (décret du 22 mars 1854) sur la corvette
VAventure, faisant relâche à Tahiti où il désigne comme représentant son
second Louis François Roy (26 ans, natif de Cognac) avec le titre de
Commandant particulier de Tahiti (du 21 novembre 1854 au 30 décembre
1856). Et du Bouzet, «n'étant tenu à aucune résidence fixe et obligatoire»,
sa juridiction navale englobant Tahiti, îles Marquises et NouvelleCalédonie, — va séjourner 3 mois dans cette grande île-ci. Sa frégate ayant
fait naufrage aux abords de l'île des Pins (fin avril 1855) sur le chemin du
retour à Tahiti, il rentre par le Duroc en France (où le Conseil de Guerre
l'acquitte) et revient à Tahiti par le Moselle (17 octobre 1856) pour reprendre
Successeur de
—
son
commandement.
Au menu de son séjour : fêtes, exercices militaires, voyages aux îles.
L'arsenal de Fare-'Ute continuera à être une bonne affaire, les navires su¬
bissant souvent des avaries
au long des voyages, surtout en s'aventurant
dans le dédale peu connu des atolls. Spntant le besoin de prendre du repos,
du Bouzet demande à être relevé de ses fonctions (fin février 1858) après 4
années de mandat, pour rentrer en
bre
il
France : nommé contre-amiral (7 novem¬
commandant de la division navale de Brésil & Argentine;
Paris, après 3 ans d'une maladie incurable, à l'âge de 62 ans (22
1858), il
mourra
à
sera
septembre 1867).
Quand Page, commissaire de la République aux lies de la Société,
reçoit le 20 novembre 1854 son successeur le marquis Joseph du Bouzet, le
pharmacien de la Marine de Paris Gilbert Cuzent fait partie de la suite de ce
dernier promu gouverneur des É.F.O. Affecté à l'Hôpital de Pape'ete de
1854 à 1858, étant botaniste amateur, Cuzent cumule les fonctions provisoi-
Société des
Études
Océaniennes
9
juge puis d'officier de l'État-Civil. En 1857, il a vu se monter une
son séjour il laissera un
ouvrage de référence
Archipel de Tahiti (Recherches sur les principales productions végétales 1860), qui a été fort heureusement réédité localement par les Éditions Haerede
res
huilerie de noix de bancoul. De
Pô
en
1980.
En
1858, Mgr Tepano Jaussen
introduit à Tahiti les Frères de
Saint-Joseph de Cluny, circulant dans les îles sur
le cotre Vatican de la Mission
Catholique, desservant notamment les
Tuâmotu, apportant de la terre végétale aux Pa'umotu.
a
Ploërmel et les Soeurs de
Succède à du Bouzet, comme 5ème gouverneur, son
intérimaire le
remarquable officier Jean-Marie Joseph Saisset (1810-1879) : nommé
d'abord Commandant de la subdivision navale de l'Océanie et Gouverneur
des E.F.O. (18 mai 1858), il entre en fonction à Tahiti
(18 septembre 1859)
juridiction (22 mai 1859), où
a été assassiné le colon Bérard ;
puis il a le titre de Commandant des E.F.O.
(groupant les Iles Marquises et les Etablissements militaires et maritimes
de Tahiti) et de Commissaire impérial aux Iles de la Société
(décret du 14
janvier 1860).
et en
Nouvelle-Calédonie, alors encore
31.
-
sous sa
Urbanisation, embellissement, salubrité
La vie
ville connaît
période de paix. Le Gouverneur entreprend
dégagement par la démolition des remparts de la Pape'ava et
non entretenus. La construction d'une cathédrale en
pierre de
en
une
des travaux de
des fortins
taille, promoteur Jaussen, est confiée au Génie pour le compte de la Mission
Catholique : entrepris sur un sol marécageux, les travaux seront vite inter¬
rompus... Le Gouverneur baptise la route du bord de mer Quai Napoléon
(1er janvier 1859) et l'ancienne Broom Road devient rue de Rivoli car,
comme à Paris, la Reine
y résidait.
Les habitants sont invités à déblayer les alentours des
propriétés pour
l'embellissement et la salubrité de la charmante agglomération, avec le con¬
cours du Service du Génie
chargé de rendre facile la circulation en matière
de voirie
:
il est défendu de
Florissant
disparu
en
en
1853, le
galoper (à cheval...)
commerce
en
ville.
de transit des baleiniers
déjà
1861 de Pape'ete, la capture de cétacés s'étant raréfiée dans le
Société des
Études
Océaniennes
aura
10
Pacifique. Les mouvements de la navigation maritime ont ainsi décru con¬
sidérablement, mais l'administration du pays s'est bien organisée pour
relancer le
d'échanges de marchandises importées (farine, légu¬
charpente de San Francisco ; vivres liquides, quincaille¬
rie et textiles divers de Valparaiso et de Sydney) et de produits du cru (huile
de coprah, nacre ; oranges, jus de citron ; tripang, fungus, vanille, café, sucre,
rhum ...).
mes secs
commerce
et bois de
Malade de
laryngite, Saisset demande à... cesser ses fonctions à Tahiti
(25 avril 1859) pour rentrer en France via Sydney et Marseille (6 juillet
1860) ; sera contre-amiral (mai 1863). Natif de Paris, il y meurt à 69 ans (25
mai 1879).
Le 6ème gouverneur, Eugène
à Fort-de-France (Martinique), est
Gaultier de la Richerie (1820-1886), né
capitaine de frégate en arrivant à Tahiti
(novembre 1858) comme intérimaire avec le titre de Commandant particu¬
lier. Il sera titularisé dans ses fonctions de Commandant des É.F.O. et
impérial aux îles de la Société (14 janvier 1860), ayant oeuvré
satisfaction durant un séjour qui durera plus de 5 ans 1/2 en Océanie.
Commissaire
avec
Il trouve peu nombreux les colons établis dans ce beau pays : moins
de 700 dont 42 femmes européennes (en 1863), mais déjà 59 femmes du pays
ont
épousé des colons, croisement durable de civilisations ayant créé de
générations enchevêtrées d'habitants.
nouvelles
32.
-
Les
Écoles catholiques et protestantes
œuvrent
À l'appel lancé par le gouverneur précédent Saisset (octobre 1858), la
congrégation chrétienne de Ploërmel envoie 4 Frères quittant Brest (7
janvier 1860) pour arriver à Tahiti par le Dugay-Trouin (17 octobre!) :
Alpert Pierre Ropert (1832-1879), Arsène Guillet, Hilaire Toublanc et
Hubert Robic installent, sous les exigences autocratiques du Gouverneur,
l'Ecole des Frères : «ouverte d'abord en camp volant improvisé, dans un
coin de la caserne des lanciers indigènes»
(2 décembre 1860), ensuite elle
«s'installe dans des bâtiments trouvés sur le quai» (septembre 1861 : bloc
Vigor occupé actuellement par l'immeuble Le Jasmin devenu Le Palais de
la Bière). Les Frères sont au nombre de 14 en 1865 : une école est ouverte
Société des
Études
Océaniennes
11
îles Marquises (1863-1866), une autre à Mataiea
plus durable (1864).
D'esprit conciliant, Ropert a eu l'honneur de poser les premières assises de
l'École des Frères, futur Collège La Mennais,
quittant Pape'ete pour raisons
de santé (7 mars 1867) :
il mourra de fièvre jaune à 47 ans, à Haïti.
aux
Mgr Jaussen a dû laisser le Gouverneur réaliser, à la place d'une
cathédrale, une église modeste avec le concours du Génie ; le père Gilles
Juste François Collette ou Colette
(1826-1899), arrivé à Pape'ete le 19
décembre 1854, est Supérieur de Tahiti
(1866) ; étant alors nommé curé de
Pape'ete à partir d'avril 1868, son activité ouvrière cessera à 73 ans : mort
à Pape'ete (4 août
1899) et enterré au Cimetière de l'Uranie...
Dès
chefs
1860, est évoquée la proposition de la Reine Pômare IV et des
qui souhaitent — l'Administration française favorisant les ministres
du culte
catholiques français ; et eux étant reconnaissants envers les mission¬
anglais de les avoir sortis du paganisme— continuer à
pratiquer leur religion protestante, tout en adhérant pleinement à apprendre
la langue française.
naires protestants
Le gouvernement impérial y accède
enfin par l'envoi du Pasteur
Thomas Arbousset (1810-1877)
de la Société des Missions
Évangéliques de
Paris, — arrivant à Pape'ete (26 janvier 1863) sur le voilier Dorade passé
par l'isthme de Colon-Panama,— en vue de réorganiser l'Église Protestante
École Protestante. Reçu par le pasteur Howe et
l'éloquent pasteur indigène Daniela, chapelain et porte-parole de la Reine,
Arbousset est installé pasteur de Pare (avril
1863) : il fonde une école du
dimanche et un service dominical en français, visite
Mo'orea, les îles
Australes, les Tuâmotu et les îles-Sous-le-Vent.
locale et fonder
une
Il est
rejoint par son collègue et gendre François-Émile Atger (18341909), né à Saint-Jean du Gard, venu à Tahiti (10 juillet 1864) pour la
création de l'École Protestante française-tahitienne de
Pape'ete ouverte le
1er août. Arbousset, sa tâche
d'organisation accomplie, rentre en France par
le même bateau
(23 mai 1865) ; Atger lui succède comme pasteur de
Pape'ete et directeur d'école, fonctions qu'il quittera en juin 1866 ; rentré
en France en avril
1870, c'est à Tunis qu'il mourra à l'âge de 75 ans (14
décembre 1909).
Société des
Études
Océaniennes
12
(1839-1903), alors précepteur à Nérac, a eu comme
fera rappeler la Reine Pômare IV, avant d'être
envoyé par la Société des Missions Evangéliques pour la scolarisation
protestante à Tahiti, en tant qu' instituteur à Pape'ete où il arrive avec son
épouse (25 février 1866) par navire Chevert. Après l'embryon d'école lancé
par Atger, Viénot a la charge de conduire et développer la nouvelle école
inaugurée par le Gouverneur (1er septembre 1866)...
Charles Viénot
élèves de jeunes Tahitiens que
En
Taraho'i
1865,
:
a
été édifié
un nouveau
bâtisse blanche
une
gouverneur, avec le
non
Palais de la Reine près Place
loin du Palais résidentiel carré du
Cercle Militaire plus bas, la ville gardant encore un look
agreste. La Reine passe souvent ses journées
des nattes,
étendue «à la tahitienne» sur
cependant qu'elle reçoit «à la française» lors d'excellents
dîners...
entièrement dépendante du pouvoir du
perdu son influence passée : il décédera
dans une certaine indifférence (24 octobre 1865) et sera enseveli sur une
terre ancestrale, dans sa retraite à Mama'o, où sa sépulture a rejoint l'oubli..
La souveraine
Gouverneur ; le
33.
-
...
est devenue
Régent Paraita
a
Quelques figures de l'époque
Jacques Rouffio (1797-1872), natif de Montauban, arrivé à Tahiti en
1844, fait du trafic dans les îles : d'abord propriétaire du cotre Requin, a fait
l'acquisition de la barque trois-mâts Félix (1853) pour le trafic avec
Valparaiso, comme négociant-armateur, titre qui lui vaut d'être nomméjuge
au
tribunal du
commerce
à
Pape'ete (1858)
;
propriétaire à Pape'ete et à
Puna'auia, il meurt sans descendance locale à Pape'ete (avril 1872). Samuel
Pinder Henry fils (1824-1865) : fils aîné deTeri'itahi Henry, né à Tahiti (23
septembre 1824), ayant étudié à la South Seas Academy de Mo'orea puis à
Sydney, est d'abord planteur à Ma' iripehe, puis dans le sillage de la ruée vers
l'or il tente avec son cousin Isaac Henry (1828-1905) l'aventure en Califor¬
nie ; préférant revenir à Tahiti deux ans après, pour exploiter coton et
cocoteraie à Ma'ara, il mourra des suites d'un accident (23 mai 1865) à 41
ans
...
Xavier
François Caillet (1822-1901), natif de Nantes, est pilotin puis
timonier ; aspirant sous Bruat en Océanie, sur la corvette de charge Meurthe,
il arrive aux îles Marquises (8 septembre 1843, Nuku-Hiva) puis à Pape'ete
Société des
Études
Océaniennes
13
(24 août 1844). Il participera aux divers combats ayant lieu à Tahiti (18441846), est de retour en France en 1847. Capitaine au long cours, il reviendra
en
campagne en Océanie où, à Tahiti, sur les goélettes locales Hydrographe
elKamehameha, en 1857-1858, il est nommé enseigne de vaisseau (10 juin
1857), devient Commandant particulier des Iles Marquises (30 mars 1857
6 octobre 1858) puis Commissaire particulier des Tuâmotu
(15 décembre
1858-15 août 1860) et participera à une expédition hardie, sur le Cassini
(janvier 1861), en vue de recueillir tous documents sur l'état religieuxpolitique-commercial des Tuâmotu. Rentré en France en 1863, il reviendra
sauveteur brûlé dans un incendie en
Bretagne, comme en tant qu'ami,
protégé et co-bouffeur de curé de La Roncière, successivement : Résident
à Mo'orea (20 avril 1864 - 1er octobre
1865), aux îles Gambier (10
décembre 1865
20 février 1866), à Rapa (1868, escale mensuelle de la
Compagnie anglaise Panama-Sydney), administrateur-résident des Tuâ¬
motu, siège'Anaa (29 décembre 1869- 11 avril 1870), Directeur des affaires
indigènes à Pape"ete (1870). Il embarque sur le brick anglais Rita (20
octobre 1870) pour rejoindre son nouveau poste de commandant de circons¬
cription en Nouvelle-Calédonie (troubles aux îles Loyalty). Rentré à Tahiti
par le Calvados (6 août 1875), bien que retraité, il sert comme résident aux
Tuâmotu (mars 1876 - juin 1877), puis un certain
temps inspecteur des
affaires indigènes (travaux d'annexion définitive de Tahiti à la France, avec
établissement du protectorat des îles-Sous-le-Vent) ; enfin il est
juge de paix
à Taravao (août 1878), pour se retirer après
(fin 1880) dans sa propriété à
Pira'e (Triti). Il donnera alors des cours de navigation à l'École Viénot ;
membre du Conseil Général en 1886, il mourra âgé de 79 ans, célibataire et
sans postérité, à Pira'e (11 avril 1901),
laissant sa propriété à son fermier
-
-
Gadiot.
Jean-Baptiste Onésime Dutrou-Bornier (1834-1876), ayant participé
de Crimée, sera capitaine au long
cours
(1860). Avant son départ en Océanie, J.B.O. épouse Valentine
Foulon; ils ont un fils, Georges (né en 1862)—ce dernier mourra avant 1889
dans la Marine volontairement à la guerre
au
retour d'Indochine.
Quitte Le Havre via Bordeaux
sur son
trois-mâts
Tampico (1865) pour les Mers du Sud par Callao, direction Tahiti (1866),
ayant conduit deux missionnaires picpuciens de Valparaiso à l'île de Pâques
ou Rapa-Nui
(octobre-novembre 1866) ; il assure deux fois le transport
postal de Tahiti à Callao. Avec un bateau, parti faire du recrutement pour la
plantation de 'Atimâono en travailleurs pascuans (février 1867) — sans
succès, ces derniers s'en méfiant, après le souvenir de la traite péruvienne —
Société des
Études
Océaniennes
14
s'approprie, dans l'île de Pâques, d'un terrain en vue d'y développer
l'élevage de moutons, bovins, chevaux et porcs. Même voyage de recrute¬
ment aux îles Gilbert ; à son retour (300 passagers à bord), il échange avec
l'armateur écossais John Brander son bateau avarié, pour la goélette Aora'i
qui l'emporte s'installer à Mataveri dans l'île de Pâques (avril 1868) où,
quelques semaines plus tard, ledit bateau a sombré dans la mer lors d'un
coup de vent.
il
En 1869,
un contrat pour l'exploitation de l'île et,
opposition avec les missionnaires catholiques
établis, pour sa manière d'acquisition forcée de terres indigènes par pro¬
messe de livraison d'étoffes, sinon par la menace de ses équipiers armés de
fusils (début 1870) en détruisant la récolte (patate) et incendiant les cases
pour soumettre la petite population de 300 âmes sans vivres, son associé
Brander en visite (fin février 1871) ramenant 67 travailleurs pascuans. La
situation dans l'île ne s'améliorant pas, Mgr. Tepano Jaussen fait quitter ses
missionnaires (juin 1871) ; mais dans cet exode, J.B.O. retient avec lui
quelque 170 Pascuans, ayant ravi Kokereta la jeune femme d'un habitant,
qu'il installe comme Reine de l'île pour écrire une demande de protectorat
français au Gouverneur à Tahiti à trois reprises (1872, 1874, 1875)...
peu
à
peu,
il
il fait
avec
Brander
se trouve en
goélette Marama arrivant de Valparaiso via l'île de Pâques (janvier
1877) apporte la nouvelle à Pape'ete d'une insurrection y ayant éclaté et où
la «Reine» a été maltraitée et J.B.O. assassiné, sa maison ayant été attaquée
et saccagée 4 mois
auparavant — ils avaient eu deux filles (Caroline et
Hariette) restées avec leur mère, vivant avec un naturel de là-bas à Mataveri
(avril 1878). Une version suggère que cet énergique aventurier se sera tué
en tombant de cheval
après boire.
La
A l'état-civil de
Tahiti, J.B.O.
a reconnu une
fille Marthe Jeanne, née
(29
mars 1868) de la femme indigène Mo'o-a-Tare, et qui épousera
Va'aroaitemata'i : 2 enfants, une fille Tetuaita'ata (née en 1888) et un fils
Xavier Matohi (né en 1890 à Mo'orea, épouse une fille Pater) et dont un
en mer
petit-fils est notre sympathique et imposant douanier Onésime Cabrai (alias
les initiés immédiats !) se profilant quotidiennement à
vespa sur le front de mer, et lequel conserve l'épée de son trisaïeul.
Personnage hors du commun, le singulier Onésime Dutrou-Bornier séduira
le lecteur qui est vivement invité à le découvrir dans le roman d'étude
que
lui a consacré Bob Hubert
Miot-Putigny: Le Roi de Pâques, 1979, Laffont.
Jim de Barbès pour
Société des
Études
Océaniennes
15
George comme James William Dunnett est capitaine du navire
commerce.AmeA. Hersey qui vogue entre Sydney et San Francisco,
de
passant
notamment à
Tahiti...
plus pour charger des oranges pour Ja Californie,
mais pour décharger des oranges de Californie !
opération inverse devenue
traditionnelle aujourd'hui plus qu'hier...
non
A Tahiti Dunnett
épouse en 1842 Tuaaveri'i Taimetua, amie de la
princesse Ari'itaimai qui a épousé Alexander Salmon (début 1842) ; 23 ans
plus tard (1865), Dunnett réapparaît à l'occasion de la gérance d'une affaire
Brander, puis (en 1866) comme subrogé tuteur de la future Reine MârauTa'aroa épouse Pômare V, fille d'Alexander Salmon.
Est
propriétaire près de l'arsenal à Pape'ete (1869), protecteur de la
jeune Sally, puis témoin au mariage d'Auguste Goupil et Sarah Gibson
(octobre 1873) à Pape'ete ; témoin dans l'acte de décès du jeune Ernest
Salmon qui s'est noyé à 23 ans à Titioro (avril 1874), il conduit Mârau à son
mariage (janvier 1875). Sa femme Tuaaveri'i côtoie Mârau lors de l'an¬
nexion de Tahiti à la France (29 juin 1887), tandis que Dunnett
figure sur la
liste des invités des amiraux de passage à Pape'ete ; sa soeur Esther a
épousé,
à San Francisco, Julius Salmon frère d'Alexander (1847) ; Dunnett est
décédé à 'Anaa (15 mai 1885), ayant «espéré dans ce
voyage une améliora¬
tion de
sa
santé alors très altérée».
John Brander
(1814-1877) arrive d'Ecosse via Sydney à Tahiti sur ses
(décembre 1851), issu d'une famille aisée. D'abord dans le négoce
des perles, ses activités commerciales prennent vite de
grandes proportions:
armateur, il récolte le fruit des cocoteraies dans les archipels et des cultures
nacricres pour l'exportation. Il a épousé à Pape'ete (1856) Titaua Salmon
(1842-1898), fille parmi les nombreux enfants de Ari'itaimai et Alexander
Salmon ; sa fortune sera rognée parfois par des
spéculations de jeu. Il aura
été consul anglais intérimaire d'avril 1864 à avril 1865, membre du Conseil
Privé (mai 1869) et mourra à Pape'ete, âgé de 63 ans
(15 juin 1877).
37
ans
Sa
femme, devenue
veuve,
continuera le
commerce
de
son
mari et
épousera, en secondes noces (1878), l'ancien associé de son mari, le
magistrat écossais George Darsie : 3 enfants, et Titaua mourra en Ecosse.
Société des
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16
34.
-
'Atimâono
ou
la
grande plantation de "Terre
Eugénie"
Sur recommandation
personnelle et enthousiaste du Ministre de la
Chasseloup-Laubat — (nommé par l'Empe¬
reur
Napoléon III à ce poste ministériel important, pour garantir l'ambition
de l'Empereur de moderniser la flotte française à fins de conquérir un vaste
empire colonial) — le promoteur étranger William Stewart (1820-1875),
qui a visité Tahiti en 1862, se lance dans la création d'une plantation de coton
grandiose. Le Gouverneur est chargé de donner audit gérant son appui...
L'on ignorait à Tahiti son passé d'ancien trafiquant d'alcool, d'armes et
d'esclaves en Mélanésie. Mais son beau-frère Auguste Soares, financier
portugais d'excellente réputation, est président à Paris de la Compagnie
agricole déclarée à Londres (Polynesian Plantation Company Ltd), avec
lequel le ministre a affaire exclusivement.
Marine et des Colonies Justin
En
effet, la guerre civile en Amérique du Nord (blocus maritime
imposé par les Nordistes pour empêcher les Sudistes d'exporter leur coton)
provoque ainsi une pénurie d'approvisionnement des usines européennes,
d'où inflation rapide des prix. AJors les planteurs ont la perspective de se
lancer dans la culture du coton, surtout aux Indes et en Egypte, tandis que
la Compagnie Soares & Stewart opte pour l'acquisition en 1864 de terres
nécessaires à 'Atimâono (environ 3.000 ha de terres non cadastrées),
domaine nouvellement appelé Terre Eugénie en l'honneur de l'Impératrice.
a
Les Tahitiens ayant refusé de travailler dans cette plantation, Stewart
déjàcalculé d'importer de la main-d'oeuvre extérieure, en l'occurence 500
coolies
ce
chinois,
l'accord ministériel. Le Gouverneur, dans l'attente de
contingent, a même dépêché un navire de guerre recruter de la mainavec
d'oeuvre à Raroto'a.
Le Gouverneur E.G.d.l.R. envoie 7 élèves de Tahiti
poursuivre leurs
(1863). Il quitte Pape'ete pour la France par le LatoucheTréville (12 octobre 1864), signalant l'absence de barrières raciales à
Tahiti... Nommé capitaine de vaisseau, il sera
gouverneur de la NouvelleCalédonie (juin 1870-octobre 1874), au temps de la déportation; il meurt à
Lorient à 66 ans (28 juin 1886).
études à Nantes
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17
Forgeron au départ, Joseph Langomazino (1820-1885) de SaintTropez devient vite un intellectuel self-made installé à Marseille ; ayant
fomenté contre le Prince-Président Louis-Napoléon dans l'affaire du com¬
plot de Lyon, il est arrêté à Digne (25 octobre 1850) ; le Conseil de Guerre
le condamne à la déportation (28 août 1851) : par le navire Somme, il arrive
au Chili, à
Valparaiso (avril 1852), est transféré sur le Moselle pour
détention à Taioha'e, Nuku-Hiva, aux Iles Marquises (juin 1852). Sa
peine
est commuée en bannissement, par faveur spéciale
de l'Empereur Napoléon
III, et il peut aller s'établir à Tahiti. Arrivant à Pape'ete (4 janvier 1854), il
sera ouvrier, industriel, marchand, cultivateur... tandis
que sa femme ouvre
un débit de boissons
qui lui vaudra un arrêté d'expulsion de la part du
Gouverneur Saissct : ils prennent passage sur le Novara pour Valparaiso, où
le banni exerce la médecine... Il était accompagné notamment de ses fils
Eugène (13 ans, né à Marseille) — futur commissaire de la Marine, ayant
quitté Tahiti en 1876— et Hégésippc (10 ans, né à Toulon) — futur avocat
à Pape'ete (1844-1911)...
...
Arrive le 8cme gouverneur, Emile de la Ronciôre (1803-1874 : né à
Breda, Pays-Bas), nommé par Napoléon III Commissaire impérial et
Gouverneur des E.F.O.
(11 octobre 1864-5 juin 1869), commençant son
poste donc à 61 ans. Notre Comte, un tantinet bambochard dans son passé
de sous-lieutenant de cavalerie
(1826-1843), a été victime à Saumur (1834)
d'une accusation
équivoque dans une affaire de lettres anonymes avec
la nièce (l'auteur et amoureuse déçue) du puissant
maréchal Soult et fille du général commandant l'Ecole des cadets de
cavalerie. Condamné par la Cour d'Assise de la Seine (4 juillet 1835) à 10
ans de réclusion sans exposition, il subira sa peine
à Mclun et Clairvaux,
mais son procès d'erreur juridique lui fera obtenir une remise de peine par
Louis-Philippe (1843) et la réhabilitation (16 mars 1849): cette aventure est
relatée par Bob Putigny dans Le Roi de Pâques signalé plus haut (§33).
tentative de viol
sur
Commandant de la Garde nationale, l'Empire étant proclamé, E.d.L.R.
devient Inspecteur de la colonisation en Algérie (1853), est
chef des services
coloniaux à
Chandernagor (1859) puis à Saint-Pierre & Miquelon et le voilà
à Tahiti.
Société des
Études
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18
35.
-
Ambiance
procédurière
Les deux gouverneurs EGdlR puis EdLR ont vite pris en grippe le
replet variolé Père Laval, pour sa rigidité théocratique et puritaniste, dans la
christianisation des îles Gambier et s'insinuant aux Tuâmotu (pour les atolls
non encore atteints par les
Mormons) : une hostile pétition à Pape'ete des
mangeurs de froc mettra en conflit le despotique missionnaire et le haut-
fonctionnaire autoritaire La Roncière ; ce dernier trouvera en Louis Jacolliot
(1837-1890), nommé juge impérial des E.F.O., le défenseur de l'action
positive du commissaire impérial durant son séjour, auteur de la brochure La
vérité sur Tahiti (affaire de La Roncière, Paris: novembre 1869)
plaquette
qui vaudra, à son retour à Tahiti en 1872, comme simple trafiquant, d'être
condamné pour diffamations et injures (accusant la Mission de négoce et
d'esprit de lucre) avec dommages et intérêts {Le Messager de Tahiti, 18 mai
1872).
_
Et
l'intangible congréganiste du hameau de Saint-Léger en Eure-etaprès l'enquête parlementaire diligentée de Paris et effectuée aux
Iles Gambier par le commandant La Motte-Rouge (février
1871), — pour le
bien de la paix mais la tête haute, sera
provicaire puis vice-provincial à Tahiti
jusqu'à sa mort à Pape'ete à 72 ans (1er novembre 1880) ; il repose au
cimetière de la Mission Catholique, ayant laissé d'importants travaux écrits
en véritable
ethnographe minutieux du passé de Mangareva.
Loir,
—
Notre
procédurier gouverneur interférera dans des affaires de justice,
protégé certains promoteurs ou résidents provisoires,
expulsé ou condamné ses adversaires...
ayant encouragé ou
sinon
Ainsi Jean Pignon
(1802-1878), charpentier de navire, originaire de
Gironde, arrive aux îles Gambier aux débuts de l'installation catholique et
entreprend un commerce prospère de la nacre, puis rentre en France se
marier, mais est ruiné par un incendie. Il revient à Mangareva (1850), rejoint
par son neveu natal Jean
Dupuy (1832-1881) à Rikitea (1858) comme gérant
leur commerce en nacre, perles fines et pacotilles ; mais la nacre est plus
rare et les affaires
périclitent, les deux colons connaissant d'autres poisses.
L'oncle s'est lourdement endetté au Chili et à Tahiti : son navire le Glaneur,
acheté à crédit à Valparaiso, s'est perdu à Akamaru
(18 février 1859). Le
neveu est en infraction avec le Code de
Mangareva sur les étrangers, pour
l'occupation de terrains où tous deux ont construit!
pour
Société des
Études
Océaniennes
19
Nos deux Girondins, l'oncle sexagénaire et le neveu
enjôleur, sont
engeôlés par la Régente Marie Eutokia en vue d'expulsion : après deux mois
de prison, le commandant du navire Thisbée de
passage les fait libérer (avril
1860). Dupuy quitte Rikitea pour Valparaiso, puis est commerçant résident
(1870) à Taioha'e, où il mourra à 49 ans (8 juin 1881). L'oncle d'icelui est
mort trois ans plus tôt (25 avril
1878) à Pape'ete où il avait trouvé pignon
sur rue (1863),
pour continuer son commerce dans un magasin rue de la
Petite-Pologne, ayant dû quitter définitivement Mangareva où sa situation
...
était devenue intenable...
En effet,
après leur séquestration mangarévienne, ils ont chargé de
d'exploiter les indigènes. Cette affaire a
été aussitôt utilisée par la presse anticléricale supportant les résidents
étrangers, qui finissent par faire condamner la Régente après des enquêtes
sommairement menées en 1861 et 1864. Et l'affaire Laval aura des
réper¬
cussions jusqu'à la Chambre des Députés, comme relaté
plus haut.
leurs déboires la Mission accusée
Notre Provençal d'origine génoise Joseph Langomazino est revenu à
Pape'ete, sous le gouvernement de La Richerie (1858) : sa femme tient un
magasin de modes, lui est écrivain chez le Commissaire-commandant. Ses
capacités l'amènent à réorganiser l'Imprimerie du Gouvernement, dont il
devient le directeur (5 novembre 1862). Pape'ete sans avocat, il est
partie
civile dans l'affaire de traite du brig péruvien Mercédès A. de
Wholey (mars
1863), dont le capitaine est accusé d'un recrutement aux Tuâmotu pour les
mines du Pérou. Ses compétences juridiques prouvées en cette occasion, il
est nommé juge-assesseur au Tribunal de
première instance (23 octobre
1863) et suppléant au tribunal criminel, puis juge d'instruction par intérim
(octobre 1864), juge impérial président de la Haute Cour tahitienne
(décembre 1867) : il aura ainsi élaboré une Codification des actes du
gouvernement local de 1842 à 1867 (ouvrage publié à Pape'ete en 1867)...
,
Le
premier contingent de 329 Chinois : Puntis et principalement
Hakkas, arrive (28 février 1865) pour le village cédé de 'Atimâono, devenu
celui des coolies chétifs et imberbes, transformé à la mode
asiatique, mais
dans des conditions peu enviables. La plantation est
partagée en deux terres,
suivant une allée grandiose de goyaviers, par carrés destinés aux bananiers
coupe-vent, devant abriter les cotonniers et fournir de la nourriture ouvrière.
Après la cueillette, le coton est nettoyé et séparé mécaniquement dans
l'usine voisine des cases, puis séché sur des claies.
Société des
Études
Océaniennes
20
Deux
contingents (8 décembres 1865 et 6 janvier 1866)
porteront le total des Asiates à 1010 coolies, doublant ainsi le nombre
autres
autorisé par le Ministère, Stewart prétextant que le chiffre
Chinois a été étendu par un arrêté gubernatorial du 30 mars
d'un millier de
1864... (les 500
coolies engagés, plus leurs femmes et enfants...). Aux protestations des
colons devant cette massive main-d'oeuvre étrangère, le Gouverneur La
Roncière avance l'essai exceptionnel pour une entreprise de développement
agricole sans comparaison et l'Administration se réservant la faculté de
rapatrier tous ces immigrants aux frais de la Compagnie. Menée avec
fermeté et habileté, l'affaire prospère avec de brillants débuts en coton, café
et canne
à
sucre...
Mais la guerre civile prend fin en Amérique et le blocus cotonnier avec,
le Sud reprenant son commerce passé avec
l'Europe, au détriment en par¬
ticulier du lointain coton de 'Atimâono grevé par un fret
trop élevé, malgré
les frais d'exploitation : d'ailleurs environ
décédé d'épuisement et de maladies, de
nombreux autres s'étant évadés et installés parmi les
indigènes, certains
ayant même pu émigrer aux îles-Sous-le-Vent alors toujours indépendantes.
Des rixes éclatant fréquemment à 'Atimâono, le Gouverneur
éloignera 23
perturbateurs en déportation aux îles Marquises (1869), tandis qu'un coolie,
pris dans une bagarre ayant laissé un mort, sera guillotiné pour l'exemple...
les efforts de Stewart pour réduire
100 travailleurs coolies ont déjà
Propriétaire terrien à Pâ'ea et d'un caractère sensible aux manifesta¬
arbitraires, Langomazino connaîtra le désagrément d'expulsion de la
part de La Roncière, après avoir été révoqué en juin 1866 dans les deux
affaires épineuses retentissantes sur
Mangarcva (Laval) et sur la maind'oeuvre de la plantation de 'Atimâono, l'accusant d'être
«l'agent d'affaire
de toutes les causes véreuses»...
Langomazino, défenseur pourtant magna¬
nime et des causes modestes, doit
liquider à son désavantage les opérations
familiales pour derechef aller vivre à Valparaiso.
tions
L'orage des... roncières gubernatoriales passé, Langomazino revien¬
son
pays d'adoption : à la réorganisation des tribunaux (1870), n'étant
pas licencié en droit, il ouvre son étude d'avocat-défenseur et apporte le
concours de son
expérience dans diverses commissions administratives
instituées de 1872 à 1877... Il mourra à
Pape'ete, à l'âge de 65 ans (26 janvier
1885), où le Journal Officiel et le Messager de Tahiti lui ont consacré
l'hommage qu'il mérite.
dra à
Société des
Études Océaniennes
21
Mgr René Ildefonse Dordillon (1808-1888) est arrivé par navire Cris1846) en même temps que Mgr Joseph-Paul
co-natal congréganiste qui a déjà fait un séjour
marquisien au temps de Dupetit-Thouars, de 1839 à 1844, et sera attiré à
«Tahiti, île désormais ouverte à la libre prédication des missionnaires
catholiques», pour un bref séjour cependant (arrivée par le Cincinnati 15
septembre 1848 - départ par YArche d'Alliance 28 janvier 1849 pour la
France). La Mission Catholique alors installée depuis presque 2 ans aux Iles
Marquises, où le poste militaire a été supprimé (décembre 1858), Mgr
quar à Taioha'e (23 janvier
Baudichon (1812-1882), son
Dordillon
verra
chef de poste
arriver à Taioha'e le lieutenant de vaisseau Kermel
qui
rue
dans l'échiquier d'austérité établi
par
comme
les missionnai¬
res.
Mandé à Pape'ete par le Gouverneur de La Richerie pour organiser le
rétablissement de l'ordre (recrudescence d'alcoolisme et de cannibalisme
Marquises), Mgr Dordillon est désigné Directeur des affaires indigènes
(19 mars 1863) et rentre (mai) avec 4 Frères de Ploëmel pour une école à
Taioha'e...Après l'épisode de la petite vérole du bateau Diamant qui retran¬
che 1560 vies chez les Marquisiens, la visite du Gouverneur de La Richerie
fait miroiter le boom du coton avec la Compagnie Stewart, dont
l'exploita¬
tion commencera vers 1867, sous l'impulsion du Gouverneur suivant La
Ronciôre, alors que les menées anticléricales dans les affaires locales sont
entretenues par les Résidents gubernatorialement placés
et parmi lesquels se
démarque l'enseigne de vaisseau Pierre Eugène Eyriaud-Desvergnes (18361883). Ce dernier, natif de Versailles et polytechnicien à 21 ans (1857),
arrive par VAlceste à son poste de résident administratif à Nuku-Hiva
(octobre 1868). Il exerce arbitrairement son pouvoir de vrai gubernator et,
à l'instar de ses prédécesseurs-résidents, va vite se conflictuer avec
Mgr
aux
Dordillon...
En France le
prince-président Louis-Napoléon, déchu après sa tenta¬
en 1840 contre
Louis-Philippe, a été condamné à la
détention perpétuelle chez les Hamois ; évadé vers Londres, il revient en
France après la Révolution de 1848 et Badinguet arrive à la Présidence de
la République. Proclamé Empereur des Français (2 décembre 1852) en Na¬
poléon III : au début autoritaire, il terminera libéral quand la capitulation de
Sedan (1er septembre 1870) met fin au règne du graveleux Napoléon-letive de couronnement
petit, dixit Victor Hugo.
Vananga Raymond PIETRI
(A suivre)
Société des
Études
Océaniennes
22
PRÉCISIONS DES LECTEURS
(ADDITIF)
Lettre de
Mgr H.-M. Le Cleach du 29 Juillet 1992 (Hakahau, Iles
Marquises)
A la suite des articles
épisodés sous le titre Papeete de jadis et naguères
depuis les bulletins précédents n° 253 et n° 254-255 de la S.E.O., déclarant
avoir toujours rêvé d'un «document relatant succinctement, mais avec
clarté, les événements dont l'enchevêtrement complique la turbulence
politico - religieuse qui secoue le Tahiti des années 1838 à 1850», Monsei¬
gneur souhaite, dans un souci de constante recherche de la vérité historique
contextuelle, apporter la précision suivante :
«Cependant
de signaler un «blanc» dans vos
(Bulletin N°253, page 38, dernières lignes):» Père
François Caret lorsque celui-ci...quittant Mangareva, arrive par la Bob Roy
à Papeete, le 31 Décembre 1841.»
,
vous me permettrez
documents. Vous écrivez
En
fait, la «Rob Roy» quitte «les Iles Marquises, mieux la baie de
Hakahau, île Ua Pou. Le Père Caret est arrivé aux Marquises, à Hakahau le
19 Mai 1840. Il y
séjourne, manifestement dans l'attente de pouvoir s'im¬
planter à Tahiti. Le 30 Avril 1841, son confrère note dans la chronique
journalière: «Le Père Caret fait ses malles.» Le 11 Juillet 1841 : « Le Père
Caret écrit à Père Armand Chausson et à Frère Nil, résidant à Taiohae,
Nukuhiva, de quitter leur poste et se rendre à Tahiti. « Iles embarqueront le
31 Juillet 1841.
«Le 21
décembre, Mardi. Arrivée de la goélette Rob Roy, de Tahiti,
appartenant à Mr. Nuth, Capitaine Loby.»
Le Père Caret, son confrère le Père
Augustin Fournier et deux jeunes
Marquisiens embarquent à bord, dans la soirée du 22 décembre, non sans
incidents quelque peu dramatiques
pour les missionnaires. Le récit en est
donné dans le Mémorial Polynésien.
(Volume : II. Page 224) : un texte qui
vaut la
lecture.
Société des
Études
Océaniennes
23
Le Père F.
Caret, Pro-Vicaire de l'Evêque en voyage, a donc pris la
décision d'abandon
temporaire de la Mission des Marquises pour réussir
l'implantation de celle-ci à Tahiti. Le chroniqueur écrit : «31 Décembre
1841, Vendredi. Arrivés dans le port de Papeete, nous avons mouillé vers les
10 heures du matin.Nous
Armand s'est trouvé
de suite descendus à terre.Le Père
sommes
le
rivage... Monsieur Moernoult (sic), agent de la
France, est tout à fait notre ennemi... Cependant, le Père Caret et moi avons
été voir cet intraitable et incompréhensible agent ; il n'a pu s'empêcher de
parler contre les Pères et s'est fortement plaint qu'ils fussent venus si tôt...
11 acependant daigné nousoffrirsa main lorsque nous sommes sortis de chez
sur
lui.»
N d 1 R
S'agissant d'un raccourci historique axé sur la croissance de
Pape'ete, la relation a escamoté le passage du Père Caret aux Marquises en
quittant Mangareva (21 janvier 1839), arrivant dans l'archipel marquisien
le 3 février 1939 pour y séjourner jusqu'au 22 décembre 1841 et embar¬
quer—non sans avoir vu sa maison pillée dans une situation locale agitée
jugée intenable,— sur la goélette Rob Roy arrivant en rade de Papeete le 31
décembre 1841. A la veille donc du Jour de l'An 1842, Père Patrick O' Reilly
(Tahitiens, 2e édition 1975, p. 91 à 93) écrit que «l'on peut dater de cette
époque l'établissement (difficile et en pleine épidémie de variole) de la
Mission Catholique à Tahiti». Par ailleurs, afin de préciser les sources de
documentation comme souhaité par le distingué lecteur, la bibliographie
afférente
-
sera
listée
en
fin d'essai.
O
o
o
Pierre Morillon,
Chef du Service territorial des Archives, relève
en
page 113 du Bulletin n° 254-255 de la S.E.O. que «le bloc hospitalier à
l'Ouest de la rivière Vaihi descendant de Sainte Amélie
subsistant en
-
1990
...
dernier
vestige (des bâtisseurs - sapeurs de Lecucq ayant
premiers bâtiments en dur de la ville de Pape'ete en 1848-1849)
Vaiami»,est une assertion qui doit être redressée.
comme
construit les
au
lieudit
En
effet, les derniers vestiges de cette époque existant encore visible¬
nos jours seraient les forts (blockhauss) dominant le pont de
Punaru'u. En particulier, le lecteur pourra consulter utilement le Journal de
la Société des Océanistes (N° 15 Décembrel 959, Musée de l'Homme, Paris)
ment
de
Société des
Études
Océaniennes
24
qui
a publié
inédits» par
35 pages d'une «étude topographique d'après des documents
Robert Dauvergne intitulée Les débuts du Pape'ete français
1843 1863, comportant notamment 3 plans de Pape'ete (novembre 1843
à l'arrivée des Français ; 10 mai 1844 par le capitaine du génie Raimbault
; 29 mai 1861 par le garde du génie Richard). L'auteur assigne, pour la
naissance du Pape'ete français, les date et heure précises de lundi 6
novembre 1843 à midi, au signal du maître - timonier de la nef Reine
Blanche du contre -amiral Du Petit Thouars (mouillant en rade de Pape'ete
depuis le 1er novembre, en provenance des Marquises, avec l'Embuscade
du capitaine Mallet, rejoints le 4 novembre par les deux frégates du capitaine
de vaisseau Bruat : l'Uranie et la Danaé, ce dernier alors Gouverneur des
Iles Marquises depuis janvier puis, le 17 avril 1843, Gouverneur des Etablis¬
sements Français de l'Océanie et Commissaire du Roi
Louis-Philippe près
la Reine Pômare) pour imposer à celle-ci — conquise, durant l'absence, à
l'influence britannique et protestante, via le consul Pritchard, et hostile au
protectorat français forcé le 9 septembre 1842 à l'initiative du même Du
Petit-Thouars—l'annexion proclamée sous le débarquement de 400 marins
et 600 soldats avec le matériel initialement destiné aux
Marquises, pour
commencer les travaux d'installation à Tahiti en choissant
Pape'ete, per¬
mettant ainsi à l'énergique Bruat de réaliser ses visées. Et la future Avenue
de la Reine Blanche deviendra naturellement
plus tard Avenue Bruat
Témoin de cette époque, Herman Melville a décrit l'ambiance de Papeete
dans son ouvrage Omoo.
-
-
...
En
mars
1844, était achevé le massif de la batterie de l'Embuscade (à
l'embouchure de
laTipaeru'i, près du lieu occupe aujourd'hui par la Piscine
Olympique), alors relié par un chemin au Camp de l'Uranie (artillerie et
troupe logée dans une caserne à étage) bordé de goyaviers touffus,
citronniers et orangers, à l'entrée de la vallée de Teruotcaoe.Un
hôpital pro¬
visoire en bois—alors
que la Pape'ava d'avant Lecucq (lieutenant du
détachement de
génie d'Arras ayant creusé le fossé de la seconde enceinte
emplacement de la Rue des Remparts) marécageait sa descente directe
suivant le tracé de la future rue de la Petite
Pologne (actuellement Rue
Gauguin)—existait dans la zone actuelle du «parking» de l'actuelle phalli¬
que Mairie (Voir La nef des fous, Draperi, 1990). A Motu-Uta fonctionne un
«hôpital» dans l'ancienne case royale, jouxtant la batterie équipée déjà en
mars 1844 de 4
pièces de gros calibre ; une imprimerie lithographique a été
créée à Pape'ete qui publie,
à partir de mai 1844, une feuille hebdomadaire
l'Océanie Française, relatant notamment les transformations de
Pape'ete ;
:
Société des
Études
Océaniennes
25
large débarcadère est construit
octobre 1844 vis-à-vis l'Etablisement
1845, le charmant village de Sainte
Amélie (entre les forts du Mont Faiere et du morne de
«Oro'ura), créé en
juillet 1844, se trouve à très peu de distance en arrière de l'hôpital du
Gouvernement ; les premiers travaux de génie réalisés, ces premiers
occupants de main - d'oeuvre civile de la vallée de Vaihi allaient massive¬
ment participer à la ruée vers l'or en Californie, laissant la suite des
gros
travaux (terrassement, extraction de
pierre et transport) entre les mains des
un
en
du restaurateur Brémond. En avril
exécutant marins
et
soldats.
Un des édifices les
plus importants du nouveau Pape'ete fut la
1860, l'oeuvre en partie du
garde du génie Charles Duval, en un lieu environné de marécages et sources
(dont l'une était visible dans la cour de la Banque de l'Indochine pour
s'écouler sous l'accès du Garage Gaston Guilbert, Rue Jeanne d'Arc, vers
cathédrale Notre-Dame, contruite de 1856 à
la
mer
entre
Bata et Donald, là où ancraient Mitiaro, Denise ou Florence
Robinson...).
La rivière
Pape'ete (Vai'etc), ou rivière de la Reine (la demeure de
occupait l'enplacemcnt de l'actuelle Assemblée Territoriale)—
dont la source, avec un mignon bassin visible derrière l'actuel bâtiment de
la Radiodiffusion- Télévision à la base du Mont Faiere, a
emporté tant de
témoignages historiques, toujours excitants pour l'imagination ! —coulant
abondamment en plaine marécageuse, était déjà rétrécie par des remblais et
la première enceinte-Est de fortifications en 1843,
laquelle sera rasée en
1852 : là où passera le boulevard de la Reine, ultérieurement la rue du
celle-ci
Docteur Fcrnand Cassiau. Les débris serviront à combler et assainir les
abords
marécageux, la rivière coudant avec le «Broom road», artère princi¬
pale (devenue rue de Rivoli, puis rue du Général du Gaulle, à cet endroit),
cette partie - amont de la rivière Pape'ete
ayant été cachée lors de la
démolition du Palais de la Reine (devenue Trésor - Finances avec à l'étage
le Conseil de Gouvernement en 1958) pour asseoir l'actuel bâtiment de
l'Assemblée Territoriale. Le boulevard de la Reine d'alors était bordé
d'orangers et de maiore la rivière canalisée fin 1858 réapparaissant comme
aujourdhui pour contourner le Jardin de la Place Albert, d'où a disparu le
lavoir municipal (avec ses chiottes publics qui ont rendu bien des services
quoi qu'on en dise !...) lors de l'aménagement du Bulevard des Pômare qui
a fait sauter le débarcadère de la
Zéleé, puis de la Tamara, embaumé
saisonnièrement par les mambins, ô douce souvenance.
,
Société des
Études
Océaniennes
26
Signalons enfin la situation, dans l'arrière - ville, d'une caserne
indigène et de l'Ecole des Frères de Ploërmel venus à Pape'ete en 1858,
tandis que le vaste terrain Vaiami de l'hôpital est séparé, par la future rue de
la Canonnière Zélée, d'une grande caserne limitrophe de la rivière Vaihi,
descendant de Sainte Amélie aujourd'hui aussi complètement cachée sous
l'asphalte pour déboucher en aval du monument du Général de Gaulle. Dans
sa rêverie en actionnant la machine à remonter le
temps, le promeneur venu
de l'Ouest à partir de l'O.T.A.C., loin des exhalaisons répandues aujourdhui
par les tuyaux d'échappement mais dans un environnement parfois de
senteurs chevalines et de moustiques des marécages, passait entre 1843 et
1861 devant la maison de la Reine, à tâtahi (région des maisons Brault et
Laguesse récemment démolies et Clinique de Paofai), puis à hauteur du
Consulat anglais et du Temple protestant avec cimitière protestant à côté...
-
B.S.E.O. n° 244
-
255
(p.102).
Le capitaine de corvette d'Aubigny ayant déclaré l'état de siège à
Pap'eete le 2 mars 1844, dans un climat d'effervescence des naturels dont
il juge Pritchard d'en être l'instigateur, il fait arrêtér malencontreusement
ce dernier le 3 mars au matin : il sera enfermé
pendant 5 jours dans l'un des
blockhauss en bois élevés sur le mont Faiere (dixit Robert Dauvergne dans
Les débuts du Pape'ete français 1843 - 1863, p. 129).
V.R.P.
Société des
Études
Océaniennes
Société des
Études
Océaniennes
28
LE FOUR DE TERRE EN
POLYNÉSIE
:
UNE TECHNIQUE TRADITIONNELLE
DANS UNE
SOCIÉTÉ
EN MUTATION
Les activités humaines liées à la nourriture constituent des indicateurs
culturels
privilégiés. L'approvisionnement en denrées alimentaires, la pré¬
paration et la consommation de celles-ci font appel à des façons de faire
vécues comme «naturelles» car intégrées plus implicitement qu'explicite¬
ment lors de la socialisation. Ces activités quotidiennes sont «stables» et les
modifications qu'elles subissent traduisent souvent des diffusions culturel¬
les. L'intérêt porté plus particulièrement sur les techniques de cuisson de la
nourriture permet toujours de saisir des domaines sensibles de la culture
comme le rapport au temps
et à l'environnement naturel ainsi que la
répartition des tâches selon la génération et le sexe.
Dans les sociétés polynésiennes,
les modes traditionnels de cuisson des
perdent d'années en années leur place ancestrale. En Polynésie
Française notamment, les transferts technologiques, accrus durant les trois
dernières décennies, ont considérablement transformé les attitudes vis-àvis de la nourriture. Depuis l'apparition de la cuisinière à gaz, les cuissons
traditionnelles «au gril», sur les braises ou sur les pierres chauffées, et «à
l'étouffée», dans le four de terre, sont devenues occasionnelles. Dans un
contexte économique nouveau, où les transferts sociaux consécutifs à
l'implantation du centre d'expérimentation nucléaire de Mururoa engen¬
drent une hausse du niveau de vie, ces techniques ancestrales, remplacées
dans la vie quotidienne par des procédures modernes, ne sont quasiment plus
employées qu'en milieu rural, le samedi ou le dimanche, et dans certaines
circonstances exceptionnelles comme lors des fêtes.
aliments
Des
recherches, menées dans les archipels des îles Marquises, des îles
et des îles Australes, m'ont
permis de constater que seules les
familles dont les activités sont toujours basées sur la pêche et sur l'agricul¬
ture utilisent encore de
temps à autre ces techniques au cours de la semaine.
Sous-le-Vent
Autrefois, les aliments étaient cuits de façon directe ou indirecte. Les
sur les modes de cuisson dans la
Polynésie ancienne
données actuelles
Société des
Études
Océaniennes
29
(obtenues dans les récits de voyages, les documents ethno-historiques et en
faisant appel à la mémoire des anciens) ne permettent pas d'affirmer qu'ils
purent être bouillis. L'eau, placée dans un récipient creux en bois (le umete
à Tahiti), pouvait toutefois être rendue chaude par l'introduction de pierres
préalablement chauffées sur un foyer de braise. Cette technique a, semblet-il, permis d'effectuer des bains de vapeur et de réaliser des préparations
médicinales. L'introduction de la marmite en fer, par les Européens, a donc
engendré la première «révolution culinaire» en Polynésie.
La cuisson directe de la nourriture
les braises
les
pierres a été
fréquemment employée dans les temps anciens. Elle subsiste de nos
jours, surtout pour le fruit de l'arbre à pain (uru : Artocarpus altilis), le
poisson et les poulpes enveloppés dans des végétaux. Mais si le fruit de
l'arbre à pain est encore souvent cuit de cette façon aux Iles Marquises, ce
mode de cuisson est aujourd'hui relativement occasionnel dans les autres
archipels de la Polynésie Française, où il est surtout employé lors d'un
pique-nique ou lorsque des pêcheurs veulent consommer quelques poissons
sur le lieu de pêche. Le
foyer préparé sur le rivage peut alors être constitué
de coraux chauffés sur de la braise. Cette cuisson «au gril» est un procédé
simple et rapide qui s'avère particulièrement efficace lors des déplacements.
sur
ou
très
Comme le
«gril», le four de terre (ahima'a à Tahiti, umu'ai aux
kaikai aux Marquises), avec son mode de cuisson indirecte,
n'a pas été employé pour chauffer des liquides. La nourriture cuite par ce
procédé pouvait tout au plus avoir la consistance d'une pâte, comme le
tiromi taro aux Australes1, lepopoi aux Marquises2 et lepo'e aux Iles So.usle-Vent3, celle-ci étant bien enveloppée dans des végétaux choisis. Aujour¬
d'hui, il arrive que des marmites avec un «couvercle végétal» (souvent des
feuilles de bananier), contenant des préparations assez fluides de légumes
et de viandes, soient placées dans le four. Cette procédure, tout en consti¬
tuant une économie d'énergie, donne aux aliments cuits dans ce récipient la
Australes,
saveur
umu
de la cuisson
au
four de terre.
Après avoir été la principale technique utilisée pour consommer une
nourriture cuite, le four de terre n'a plus aujourd'hui qu'une place annexe,
voire symbolique, dans le rapport entretenu avec la nourriture en Polynésie
Française. Avant d'aborder les conditions de ce changement d'habitude, je
rappelle brièvement le principe de ce mode de cuisson des aliments :
Société des
Études
Océaniennes
30
1/ creusement d'une fosse
2/ pose et
(ou nettoyage de celle-ci)
combustion du bois à l'intérieur
3/
placement des pierres
4/
répartition des pierres chauffées
5/ mise
6/
en
sur
les braises
place d'un «tapis végétal»
sur
les pierres
disposition des aliments
7/ pose d'une «couverture végétale» sur la
8/ fermeture finale du four
avec une
nourriture
épaisseur de terre
9/ cuisson des aliments d'une durée variant selon leur nature
10/ ouverture du four et consommation de la nourriture chaude.
La
préparation du four de terre en Polynésie Française connaît des
techniques (notamment l'utilisation du corail à la place des
pierres destinées à chauffer les aliments et l'emploi de sacs en toile plutôt
que la terre pour couvrir le four) qui s'inscrivent néanmoins dans le proces¬
sus décrit ci-dessus. Autour des différentes
étapes de la procédure, viennent
par ailleurs se greffer un certain nombre d'opérations toutes aussi importan¬
tes les unes que les autres, pour aboutir à la bonne cuisson de la nourriture.
De nombreux «rapports» doivent, en effet, être respectés pour consommer
une nourriture bien cuite. Les
principaux mettent en jeu : la dimension de la
fosse, la qualité et la quantité du combustible et des pierres utilisés, le temps
de chauffage des pierres, les végétaux employés, les aliments à cuire et la
durée de cuisson de ceux-ci une fois le four fermé. Outre la question des
«rapports» entre ces facteurs, la disposition du bois, des pierres, de la
nourriture et des végétaux est aussi déterminante. Voici une rapide descrip¬
tion de la connexion de ces données, ainsi que quelques indications techni¬
ques devant nécessairement être prises en compte par les archéologues qui
se trouvent très souvent confrontés à des
vestiges de fours anciens
(baptisés : «structures de combustion») lors de leurs investigations dans les
sites d'habitat polynésien.
variations
A/ Pour favoriser
rarement
une
bonne conservation de la chaleur, le
four est
préparé sur une surface plane mais dans une fosse ronde, en général
fixe, d'un diamètre moyen de 50 à 60 cm. La fosse, en forme de cuvette, a
une
profondeur d'environ 20 cm en son centre. La dimension de cette fosse
(diamètre et profondeur), qui détermine aussi la quantité et la qualité du
combustible et des pierres à utiliser, est liée à la
quantité de nourriture à
Société des
Études
Océaniennes
31
cuire. La cuisson de
beaucoup d'aliments, lors des réceptions et des fêtes,
importante, qui est alors généralement de forme
ou
partir
rectangulaire
ovale (à
de lm50 de long), et de nombreux morceaux
de bois réputés résistants, dont la combustion est assez lente et dont les
braises restent incandescentes suffisamment longtemps pour bien chauffer
les pierres. Afin d'emmagasiner et de conserver beaucoup de chaleur pour
cuire longuement les aliments, ces pierres doivent être plus grosses que
celles utilisées pour le four à usage familial.
nécessite
une
fosse de taille
B/ Un bois
de «résistance moyenne» est
utilisé pour un four de
petite dimension, alors qu'un four de taille importante nécessite la combus¬
tion d'une grande quantité de bois assez résistants (notamment le alto :
Casuarina equisetifolia) laissant beaucoup de braise et prolongeant le
chauffage des pierres. La dimension moyenne du bois employé pour un four
familial est de 3 à 5 cm de diamètre et 30 à 50 cm de long. Des essences de
bois, se consumant relativement vite (comme le purau: Hibiscus tiliaceus)
et utilisées en petite quantité, peuvent être destinées à ne chauffer que légè¬
rement des pierres de petite dimension. Lorsque le bois employé n'est pas
très résistant, il est généralement assez gros. Sinon, il sert surtout à lancer le
feu. Si le bois résineux est évité, du bois vert est parfois employé, à condition
de la placer par-dessus le bois sec. Il prolongera la combustion et donc le
chauffage des pierres déposées sur le foyer. Outre la qualité du bois, sa
disposition dans la fosse est aussi importante. Les branches alignées hori¬
zontalement les
sec
unes sur
les autres
sur
les brindilles enflammées
se consu¬
lentement. Celles
qui sont par contre légèrement espacées, sur deux ou
perpendiculaires les uns aux autres, favorisent le passage des
flammes qui les brûleront plus rapidement. Cette disposition a pour consé¬
quence de moins chauffer les pierres posées sur le monticule de bois en cours
de combustion. D'une façon générale, le gros bois surplombe le foyer. Les
fumerons, risquant d'enfumer la nourriture, sont systématiquement retirés
avant la pose des végétaux sur les pierres.
ment
trois niveaux
C/ Les
pierres destinées à emmagasiner la chaleur
nourriture sont aussi choisies
méticuleusement,
car
les braises
pour
cuire la
la chaleur dégagée par
(ou le feu) risque de les faire éclater. Celles qui s'effritent ou qui
ne sont pas utilisées. Les pierres
jugées convenables sont généralement des basaltes qui supportent bien la
chaleur du foyer. Récupérées dans les rivières, elles ont en principe une
surface poreuse. Nous avons vu que le chauffage des pierres est déterminé
ont une
surface lisse éclatent dans le feu et
Société des
Études
Océaniennes
32
la quantité et la qualité du combustible employé. La dimension des
pierres est également importante. Elles ont en principe 5 à 12 cm de diamètre
pour un four à usage domestique. Pour cuire les aliments dans un grand four,
on choisit des pierres assez grosses (environ 15 à 20 cm de
diamètre), car
elles conservent mieux la chaleur emmagasinée. Celles-ci atteignent cepen¬
dant un degré de chaleur moindre que les petites, bien que leur chauffage,
plus lent, soit prolongé. Les pierres de dimension importante sont donc em¬
ployées pour des cuissons relativement longues, pouvant aller jusqu'à 48 h
ou plus pour certains
grands fours collectifs comme les umu ti des Iles
Australes5, d'une importante quantité de nourriture, tandis que les petites
pierres, associées à des petits fours, servent à cuire des aliments réputés
«tendres» et faciles à cuire (poisson, po'e, etc.). Ces pierres, chauffant
rapidement, refroidissent aussi dans leur chauffage. Elles seront plus
chaudes si elles ont été posées sur le foyer dès le début de la combustion,
avant la formation des braises. Généralement au nombre d'une
quinzaine,
dans le four familial, les pierres sont disposées en nappe (sur un seul niveau),
les plus grosses vers la périphérie de la fosse, afin de maintenir les autres au
milieu du foyer lors de la combustion du bois conduisant à l'effondrement
du monticule. Leur chauffage dure en principe de une à trois heures.
par
D/ L'insuffisant
ou
l'excessif chauffage
des pierres peut être «rééqui¬
la
le
libré» par la pose ou non d'un isolant végétal vert entre les minéraux et
nourriture. L'épaisseur et la nature de cet isolant déterminent également
temps de cuisson des aliments et leur consistance finale. Le choix d'un
isolant
chargé d'humidité, comme les fibres de troncs de bananier (préala¬
avec un
bâton), favorise la formation d'une vapeur l'inté¬
rieur du four, ce qui a pour effet de ramollir la nourriture. Les
végétaux
considérés pas assez humides peuvent être légèrement arrosés d'eau pour
obtenir le même résultat. Les aliments
placés sur de fines branches vertes de
goyavier (tuava : Psidium guajava) alignées parallèlement sur les pierres
ont, en revanche, une consistance assez sèche après la cuisson. Selon la
nature des aliments,
l'épaisseur de ce «tapis végétal» peut aussi varier à
l'intérieur du même four. Si cette
épaisseur est mal calculée, la nourriture
risque d'être trop ou pas assez cuite.
blement écrasés
E/ Les éventuelles
ture, tout en
enveloppes végétales placées autour de la nourri¬
protégeant celle-ci d'une chaleur trop forte qui risque de la
Société des
Études
Océaniennes
33
griller, contribuent à lui donner une consistance tendre, notamment lorsque
l'on emploie des feuilles contenant beaucoup d'humidité comme celles de
bananier.
F/ La
quantité et la qualité des aliments à cuire sont déterminées par
l'agencement des données exposées ci-dessus. Pour la cuisson de la viande,
l'isolant végétal est généralement de faible épaisseur, voire inexistant
lorsque les pierres sont peu chauffées (en raison, par exemple, d'une
insuffisance de combustible ou de l'utilisation d'un bois peu résistant). La
viande de cochon, réputée assez difficile à cuire, est systématiquement
placée au milieu du four, là où elle peut recevoir le maximum de chaleur. Les
poissons, les fruits et les tubercules, cuisant relativement facilement, sont
quant à eux bien isolés des pierres et souvent placés près du bord intérieur
de la fosse. Les aliments sont généralement déposés en nappe sur le «tapis
végétal». Ce n'est que lorsqu'ils sont cuits en grande quantité dans un grand
four qu'ils peuvent être placés en amas.
végétale» du four (principalement constituée de
dupurau et du fruit de l'arbre à pain) contribue
également, par la formation de vapeur qu'elle dégage lors de la cuisson, à
bien cuire,les aliments. Il est important de ne pas écraser la nourriture avec
cette couverture, car cela peut nuire à la bonne répartition de la chaleur à
l'intérieur du four. C'est pourquoi deux tiges de bois sont parfois placées en
croix horizontale sur les aliments avant la pose des végétaux.
G/ La «couverture
feuilles vertes du bananier,
fermer un grand four.
végétale» permet d'éviter le contact malencontreux de la
nourriture avec la terre. Mais pour le four familial, depuis longtemps déjà,
des vieux sacs en toile (utilisés notamment pour la récolte du coprah)
remplacent les pe'ue, ces nappes confectionnées à partir de feuilles de
pandanus (Pandanus tectorius) séchées puis tressées, placées autrefois sur
les végétaux verts recouvrant la nourriture. Ces sacs permettent d'éviter
l'emploi de terre et l'opération plus longue et plus délicate que cela
implique. L'essentiel est de rendre le four bien hermétique lors de sa
fermeture, car l'éventuelle déperdition de chaleur risque de nuire à la bonne
H/ La terre est traditionnellement employée pour
La «couverture
cuisson des aliments.
cuisson de la nourriture dans le four est déterminé par
compte de tous les «rapports» énoncés précédemment. Ainsi,
I/ Le temps de
la
prise
en
Société des
Études Océaniennes
34
lorsque des aliments faciles à cuire sont placés dans un four pour cuire une
nuit entière, il est important de ne pas trop chauffer les pierres et/ou de n'en
utiliser qu'une petite quantité, et de bien isoler la nourriture en la posant sur
un «tapis végétal», etc. Le problème principal qui peut se poser à la cuisson
de la nourriture à l'étouffée dans le four de terre est l'insuffisante cuisson
dont les causes sont à chercher dans : l'insuffisant chauffage des pierres (dû
chauffage trop court, à leur trop petit nombre, à la mauvaise qualité
bois), la mauvaise répartition de la chaleur sur la nourriture (due à un
isolant végétal trop épais), une mauvaise disposition des aliments dans le
four, une couverture trop lourde qui écrase la nourriture, une mauvaise
fermeture du four laissant la chaleur interne s'évaporer. Mais la cause
principale de l'insuffisante cuisson de la nourriture reste cependant de ne pas
l'avoir laissée assez cuire dans le four. C'est la raison pour laquelle on con¬
sidère qu'il est toujours préférable de prolonger la cuisson un peu plus que
prévu6.
à leur
du
techniques et des matériaux employés, ce
pris en compte lors de la préparation du four de
terre souligne la complexité de la procédure. Celle-ci est sous-tendue par des
règles précises, bien que l'habitude confère à ce savoir-fa.ire un caractère
«naturel», qui conduit à l'enchaînement automatique des opérations. Les
influences extérieures ont fait que cet ancien mode de cuisson est devenu
occasionnel
lorsqu'il n 'est pas purement et simplement oublié — dans un
bon nombre de familles polynésiennes. Aujourd'hui, comme je l'ai déjà
souligné, seules les populations rurales continuent à cuire plus ou moins ré¬
gulièrement leur nourriture dans le four de terre à fonction familiale. Celuici est encore préparé fréquemment le samedi aux îles Australes et ouvert le
dimanche matin (après l'office religieux)7. Aux îles Sous-le-Vent, il est plus
occasionnel. Certaines familles le préparent alors le dimanche matin (pour
l'ouvrir à midi) ou lors de la réception d'invités. Le four de terre est, par
contre, d'ores et déjà très rare aux îles Marquises, où il ne fait plus partie des
Sans entrer dans le détail des
relevé succinct des facteurs
—
habitudes culinaires.
technique devenue exceptionnelle n'est préparée que lors d'oc¬
exceptionnelles, comme la visite d'un évêque dans le village...
Cette
casions
traditionnelle de cuisson de la nourriture n 'est plus pri¬
domestique car, depuis de nombreuses années, la
fait son apparition dans la quasi-totalité des familles en
Cette technique
mordiale dans l'unité
cuisinière à gaz a
Société des
Études Océaniennes
35
Polynésie Française. Son emploi, lié à la consommation du riz et aux
préparations culinaires non traditionnellement polynésiennes, traduit un
changement radical dans la rationalité économique et dans le rapport à la
nourriture. S'il est vrai que chez les ruraux le gaz est consommé avec
parcimonie, la cuisinière facilite néanmoins les nouvelles préparations met¬
tant en jeu des ustensiles modernes, tels que la poêle et la casserole, qui
permettent les innovations culinaires (cuisson à l'huile, préparation de
sauces, etc.) et procurent un gain de temps. Il n'est plus nécessaire de s'ap¬
provisionner en combustible et en végétaux, ni de nettoyer le four après le
refroidissement des pierres de chauffe en retirant celles-ci de la fosse, en
enlevant la cendre, etc.
L'emploi de la marmite permet aussi de faire bouillir fréquemment,
Polynésie,'particulièrement dans
les sociétés rurales comme les Iles Australes : la racine de taro (Colocasia
esculenta). Ce tubercule peut aussi être cuit en grande ou en petite quantité
à n'importe quel moment, sans aucune préparation spécifique. Afin d'éco¬
nomiser la nouvelle forme d'énergie plus onéreuse — le gaz (dont le rem¬
placement des bouteilles n'est d'ailleurs pas toujours immédiat du fait des
difficultés d'acheminement dans les îles) — la technique de cuisson em¬
ployée aujourd'hui pour bouillir le taro fait, la plupart du temps, appel aux
«moyens» traditionnels. À l'intérieur de la petite cabane en tôle, en bois, ou
parfois encore en feuilles de cocotier tressées (1 tfare umu aux Iles Austra¬
les), composée de trois murs (parfois uniquement deux), destinée à abriter
du vent ou de la pluie le four de terre et à ranger l'outillage qui lui est lié (les
provisions de bois, les enveloppes sèches de noix de coco servant également
de combustible, les pierres, les sacs de toile, etc.), la marmite est posée sur
un
foyer, généralement distinct du four de terre, alimenté en bois. D'autres
tubercules (comme les pommes de terre, les patates douces) et certains
légumes sont également cuits de cette façon dans cet ustensile aujourd'hui
complètement intégré dans les habitudes culinaires.
durant la semaine, un aliment de base en
Selon le
goût polynésien, les aliments cuits à l'étouffée dans le four de
incomparable, procurée par les végétaux employés et le
parfum propre de la terre. Ils ne sont donc pas assaisonnés (avec du sel, du
poivre, une sauce particulière, etc.). Le four est traditionnellement préparé
par le père de famille. Bien que ce dernier se fasse souvent aider par un
adolescent pour des tâches annexes (écraser les fibres du tronc de bananier,
apporter le bois, etc.), il porte la responsabilité de la cuisson plus ou moins
terre ont
une saveur
Société des
Études
Océaniennes
36
Rappelons que celle-ci est, en principe, consommée
À chaque préparation, la connaissance empirique du
«technicien-cuisinier» est remise en jeu. Tout le savoir-faire, acquis par
l'expérience, consiste à éliminer l'incertitude, toujours présente dans la
réussite de la cuisson des aliments et donc de la préparation du four de terre.
Les échecs (cuisson insuffisante, nourriture grillée, etc.) sont, en fait, très
rares. Ils soulignent un «décalage» entre l'opérateur et le savoir tradition¬
nel «polynésien», ce qui, dans le contexte contemporain idéalisant la «polynésianité», est toujours dévalorisant. C'est pourquoi, le plus souvent, la
personne qui ne maîtrise pas ce savoir-faire ne s'engage pas seule dans la
procédure et se contente généralement d'aider celui qui porte la responsa¬
bilité de cette préparation.
bonne de la nourriture.
dès l'ouverture du four.
L'apparition du réfrigérateur transforme également les habitudes et at¬
Depuis son entrée dans l'espace
domestique, les distributions de fruits, de tubercules et de poissons (après la
pêche), qui resserraient les liens communautaires, tout en évitant le pourris¬
sement d'une nourriture abondante, ont considérablement diminué. Par
ailleurs, il n'est plus indispensable de faire sécher ou de cuire rapidement les
aliments au four de terre afin de pouvoir les conserver quelque temps. Ce fait
explique aussi la quasi-disparition de la préparation du four domestique de
courte durée (trois à quatre heures) pendant la semaine.
titudes liées à la conservation des aliments.
réfrigérateur a bouleversé les réseaux d'échanges
limitant la distribution communautaire, la cuisinière à gaz a
Si le
sociaux en
transformé
l'organisation familiale dans son rapport à la préparation et la consomma¬
tion de la nourriture, au niveau du temps de préparation et de cuisson, d'une
part, et de la répartition des tâches, d'autre part. Traditionnellement la pré¬
paration du four de terre est impartie à l'homme, mais, la cuisson au gaz ne
nécessitant pas de travail de force, la préparation culinaire revient,cette fois,
à la femme et s'effectue dans la maison. La «cabane-cuisine», à l'extérieur
de la maison, devient annexe, tout comme le four de terre qu'elle abrite.
Parallèlement, la dépendance alimentaire des Polynésiens vis-à-vis des
produits de l'extérieur va en s'amplifiant, car l'adoption des techniques
modernes de cuisson implique une importation et une consommation
d'aliments différents de ceux préparés et cuits au moyen des techniques tra¬
ditionnelles, comme le pain et surtout le riz qui supplante aujourd'hui les
produits locaux. Quelques «adaptations» reflétant un compromis possible
Société des
Études Océaniennes
37
parfois réalisées, comme par exemple la cuisson du fruit de l'arbre à
pain, traditionnellement cuit sur un foyer de braise, aujourd'hui parfois
grillé sur un des feux de la cuisinière à gaz...
sont
Si la nourriture
change et/ou cuit différemment, la technique de
préparation du four évolue aussi. A ce sujet, l'utilisation relativement
récente du baril en métal (le drum polynésien), dans lequel on reproduit la
procédure employée pour le four de terre, semble être la limite extrême de
l'adaptation (ou du syncrétisme!), au-delà, ce ne serait plus un four polyné¬
sien... Mais les perspectives d'avenir de la cuisson dans le four de terre sont
restreintes, car les jeunes Polynésiens-, mêmes ruraux, se détachent peu à peu
de tout ce qui touche aux techniques ou conduites traditionnelles. Ce sont
particulièrement les vieux qui maintiennent encore cette tradition et qui ont
encore en mémoire des variations
techniques qui ne sont déjà plus em¬
ployées. Pour eux, la préparation du four de terre, si longue soit-elle, n'est
pas vécue comme une activité astreignante. La seule contrainte de cette
technique semble avoir été le ramassage du bois, car il était parfois
nécessaire d'aller le chercher assez loin des groupes d'habitations. Les vieux
constatent qu'aujourd'hui le caractère de plus en plus occasionnel de ce
mode de cuisson fait qu'il n'y a quasiment plus la «concurrence» inter¬
familiale qu'ils ont connue pour s'approvisionner en combustible : le bois
est en abondance, tout près... Ils se souviennent que leurs parents leur recom¬
mandaient toujours de s'appliquer dans la préparation et voient que les
jeunes générations ont tendance à «expédier» cette préparation en se
souciant moins des détails techniques. Ils observent, par ailleurs, avec une
certaine nostalgie, la dépendance accrue des jeunes vis-à-vis d'aliments
importés et aujourd'hui de première nécessité. Les enfants réclament à la
maison une nourriture du type de celle consommée dans les cantines
scolaires, ce qui a pour effet de changer les habitudes familiales.
Malgré une connaissance encore assez générale du principe de cette
technique par les jeunes qui ont observé ou aidé les aînés de leur entourage,
et bien que la cuisson des aliments dans le four de terre soit toujours
vécue
comme «familière», le déclin de mode de cuisson est déjà engagé. Mais sa
survie en tant que technique n'est pas véritablement menacée car, au
moment même où il quitte la tradition, il entre dans le «folklore polyné¬
sien»... à préserver. Dans ce contexte, la complexité de la préparation et la
durée de la cuisson des aliments sont alors valorisées. Des grands fours
(symboliquement associés à l'idée de fête) sont ainsi préparés pour les
Société des
Études
Océaniennes
38
touristes des
grands hôtels, pour la fête d'une paroisse, pour la visite d'une
personnalité importante, etc. On utilise alors de grands bacs grillagés pour
placer la nourriture dans le four.En définitive, la technique de préparation
du four de terre
qui reste liée à la consommation d'une nourriture
«traditionnelle» (le ma'a tahiti) — se maintient dans la Polynésie contem¬
poraine. Mais, dans cette réactualisation, la connaissance des anciens sur les
moindres détails de la préparation disparaît progressivement. La technique,
réifiée, devient peu à peu un moyen d'expression d'une «tradition» et d'une
identité propre. Objet d'un enjeu symbolique, la nourriture cuite au four de
terre est en passe d'être consommée avant tout comme un «signe» distinct.
—
Christian GHASARIAN
Centre
d'anthropologie généralisée
Université de la Réunion
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Les structures de combustion et leur
interprétation archéologique
exemples en Polynésie,
:
quelques
Journal de la Société des Océanistes n° 66,
T. XXXI, 1981.
Société des
Études Océaniennes
39
1. Le tiromi taro est
pâte obtenue en écrasant et en malaxant au
racines de taro (Colocasia esculenta), au préalable
Cette pâte, enveloppée dans un panier de feuilles de
tressées, est ensuite placée dans le four de terre afin d'y cuire une
fois, ce qui lui donne un goût légèrement sucré.
une
moyen d'un pilon des
bouillies et épluchées.
cocotier
seconde
2. Le popoi est une
l'arbre à
pain cuit
au
pâte obtenue en écrasant et en malaxant le fruit de
préalable sur un foyer de braise que l'on place ensuite
dans le four de terre.
3. Lepo'etst une pâte préparée avec des fruits cuits, de l'amidon et
lait de noix de coco, également placée à recuire dans le four de terre.
du
4. En raison du peu
d'informations de caractère véritablement ethno¬
logique sur l'ancienne civilisation polynésienne, la démarche ethno-archëologique, qui utilise les informations présentes pour envisager les techniques
et conduites du passé, est fondamentale pour retracer le vécu
historique des
Polynésiens.
5. Le
ti est
grand four collectif, traditionnellement organisé lors
aux Iles Australes, dans lequel les familles
insèrent chacune leurs propres racines de ti ou rauti (Cordyline terminalis)
afin de les faire cuire pendant trois jours. Ces racines sont ensuite mâchées
avec délice par les enfants qui croquent, dans le même temps, des
quartiers
de noix de coco. Ces racines, cuites au four et écrasées, fournissaient à
l'origine du sucre à la population.
umu
un
des fêtes communautaires
employé aux îles Australes dit d'ailleurs : «Quand
(la nourriture), n'oublie pas d'en laisser «une partie» pour le
(le four)».
6. Un ancien dicton
tu
cuis le ma'a
umu'ai...
7. Les missionnaires furent à
l'origine de cette coutume en Polynésie
baptisant le samedi : mahana ma'a (littéralement : «le jour de la
nourriture»). Les aliments préparés et mis à cuire le samedi étaient consom¬
més
chauds
le dimanche, lors de l'ouverture du four. Ce jour, libéré
des obligations culinaires, pouvait être alors entièrement consacré aux
activités religieuses. Aujourd'hui encore, de nombreuses familles des îles
Australes (considérées comme relativement traditionnelles par rapport à
l'ensemble de la Polynésie Française) ne préparent pas leur nourriture le
dimanche, jour du regroupement communautaire à travers la prière, les
chants religieux et l'étude de la bible.
en
—
—
Société des
Études
Océaniennes
40
LES ESPAGNOLS EN
OCÉANIE
OU
LE PREMIER REGARD
L'épopée des navigateurs espagnols à travers le Pacifique n'est pas très
même si les historiens savent qu'ils furent les premiers à l'explorer,
car ils ont été suivis, bien
plus tard, par des marins célèbres tels que Wallis,
Bougainville, Cook, etc... qui les ont en quelque sorte occultés.
connue,
Les textes
qui se rapportent à ces voyages sont moins nombreux que
qui relatent les expéditions du XVIIIème siècle ; ils existent cependant,
mais la langue dans laquelle ils sont écrits, l'espagnol du XVIème, rend leur
accès difficile ; ils ont été traduits en anglais au début de ce siècle et leur
traduction française est en cours. Il s'agit principalement du récit de trois
expéditions menées par Alvaro de Mendana et Pedro Fernandez de Quirôs
vers les îles Salomon, les îles
Marquises, les Tuamotu et les NouvellesHébrides entre 1567 et 1606, publié à Madrid en 1876 sous le titre
suivant : Historia del descubrimiento de las regiones austriales, hechopor
el capitân Pedro Fernandez de Quirôs (Histoire de la découverte des régions
austriales réalisée par le capitaine Pedro Fernandez de Quirôs). Une
nouvelle édition, déjà épuisée, a été publiée par Historia 16 en 1986, sans
aucun apport nouveau. Ces deux
ouvrages sont la transcription fidèle d'un
manuscrit qui se trouve à la Bibliothèque du Palais Royal de Madrid.
ceux
Les
renseignements qu'on y trouve sont difficiles à exploiter pour une
raison, qui tient au fait que les connaissances en matière de navigation
des marins du XVIème et du début du XVIIème étaient plutôt
approximati¬
ves. Il n'en reste pas moins
qu'ils permettent de retrouver tout un pan de
l'histoire du Pacifique et des Polynésiens, et ce
qu'ils nous racontent est tout
à fait passionnant, à la façon d'un véritable roman d'aventures, avec ses
épisodes tragiques, ses moments glorieux, ses anecdotes comiques, des
intrigues et des complots, des tempêtes et des calmes plats, et surtout, bien
sûr, le premier regard porté par des étrangers sur les habitants et les îles de
ce qui s'appellera plus tard la
Polynésie : intéressant mélange d'admiration
autre
Société des
Études
Océaniennes
41
peur, qui entraîna à la fois violence et
châtiment exemplaire des assassins, assortis de
et de
laissent pas
estime, massacres suivis du
commentaires moraux qui ne
indifférent aujourd'hui.
L'Europe n'avait pas encore inventé le mythe du «Bon Sauvage», dont
pétris les navigateurs du XVIIIème. Las Casas, le grand défenseur des
Indiens, meurt en 1566, c'est-à-dire un an seulement avant le premier voyage
de Mendana, et son Histoire des Indes ne sera éditée qu'en 1875 ! La
controverse de Valladolid, qui pose la question de savoir si les Indiens ont
une âme et sont donc des hommes, date de 1550. L'Espagne ultra-catholique
a expulsé
les Juifs en 1492, les musulmans qui refusent le baptême sont
sommés une première fois de quitter le territoire en 1502 et leur expulsion
définitive interviendra en 1609, deux ans après le retour de Quirôs. L'Inqui¬
sition, organe religieux et politique, règne sur les consciences . Pour les
hommes de l'époque, chrétiens fervents, l'"Indien" (ainsi nommé pour la
première fois par le pape espagnol Alexandre VI Borja -Borgia- en 1493) est
un peu comme un enfant, qui a besoin d'éducation et de protection.
seront
Évidemment,
tous ces
marins n'étaient pas des saints : les «leaders»
grand chose à voir avec les vauriens qu'ils étaient contraints
d'embarquer et sur lesquels ils avaient une autorité qui allait en s'effritant au
fur et à mesure que surgissaient les difficultés et les angoisses. Nous voilà
face à des contrastes, des contradictions, des paradoxes, d'ailleurs bien dans
l'esprit du temps, puisque ce sera le fondement même du Baroque qui va
dominer la littérature et l'art espagnols du XVIIèmc.
n'avaient pas
Nous
sommes
donc
au
milieu du XVIème siècle, et les années qui
permettre d'assister à trois expéditions extraordinaires :
celles de Mendana, en 1567 aux îles Salomon et en 1595 aux îles Marquises,
viennent vont
et celle
nous
de Quirôs, en
Mendana
aux
1606
aux
Tuamotu et aux Nouvelles-Hébrides.
îles Salomon
Espagnols qui ont pensé les premiers à explorer ce nouvel
il y a bien longtemps... entraînés par une formidable «locomotive»
Chistophe Colomb. Les frontières du monde connu s'étaient
ouvertes et tout était
désormais possible. Ils étaient autant nourris de
connaissances bibliques que de vraie science géographique, et le tout était
Ce sont les
espace, et
nommée
Société des
Études Océaniennes
42
esprits en une sorte de tourbillon qui donnait le vertige à ces
même temps, à la conquête du
continent et à celle du nouvel océan : l'Amérique et le Pacifique.
mêlé dans leurs
hommes audacieux. On assista alors, en
nouveau
conquis que déjà Magellan
Pukapuka, qu ' il baptise «San
Pablo», et découvrant les Philippines D'autres expéditions suivirent, dont
une qui connut un sort dramatique, en 1526, au cours de laquelle on suppose
qu'une caravelle, la «San Lesmes», se serait échouée aux Tuamotu, et que
ceux de ses 70 hommes d'équipage qui n'avaient pas péri dans le naufrage
En
effet, le Mexique n'était pas encore
faisait le tour du monde, passant sans s'arrêter à
.
auraient fait souche
sur
place
...
temps-là, l'exploration et la conquête du continent se
poursuivent, et les rumeurs se répandent sur un terrain tout disposé à les
recevoir : les Indiens du Pérou parlent d'îles situées loin à l'ouest, dont le
nom
quechua signifie «ceinture» (on pense bien évidemment à des atolls,
mais il ne s'agissait peut-être «que» des Galapagos ... ), et où il y aurait de
l'or en quantité Il n'en faut pas plus pour que les esprits s'enflamment. Peu
importe que ces mers soient inconnues, qu'on n'ait aucune carte, que les
conditions matérielles de la navigation soient absolument épouvantables, il
faut y aller !
Pendant
ce
.
Les mobiles sont,
bien sûr, la soif de l'or (il semble qu ' il y en ait partout
arrive) ainsi que la mission que leur assigne leur roi d'agrandir ses
possessions, mais ce n'est pas seulement cela : les «leaders» de ces aventures
sont des hommes cultivés, curieux et profondément chrétiens : ce qui les
pousse, c'est aussi l'esprit de découverte proprement dit, et le désir de sauver
les âmes innombrables de ces «sauvages», qui sont encore aux mains du
diable et donc promises aux affres de l'enfer ; en les sauvant, ils gagneront
leur place au paradis. Dans quel ordre classer ces mobiles, qui ne semblent,
à ce moment-là, contradictoires à personne, c'est une autre question ...
où
on
Commence alors
une
interminable série d'attentes dans les anticham¬
bres, car pour réaliser ces voyages, bien sûr, il faut des crédits : pour acheter
les bateaux, les équiper, les approvisionner en vivres et en babioles pour le
troc futur avec les «Indiens», sans compter les hommes qu 'il faudrait pouvoir
sélectionner
Mais à la même époque, les finances publiques sont sollici¬
...
tées de tous côtés et la concurrence est vive ; il est donc
Société des
Études
Océaniennes
difficile de retenir
43
ne serait-ce que l'attention d'un fonctionnaire quelque peu influent sur des
projets qui n'offrent aucune garantie de succès, de rentabilité dirait-on
aujourd'hui, quand il y en a tant d'autres qui sont bien plus «sûrs», ou plus
urgents.
personnel qui fait la différence, et ainsi, en 1567,
commandement d'une expédition
vers les îles Salomon (selon la Bible, les îles du Roi Salomon regorgeaient
d'or, et comme on ne les avait pas encore trouvées, c'est qu'elles se situaient
dans la dernière partie du monde qui fût encore inexplorée), grâce à son
oncle, le licencié Garcia de Castro, qui fut gouverneur du Pérou du 22
septembre 1564 au 26 novembre 1569 et qui pense à ce voyage depuis déjà
un certain temps, puisqu'il en avait d'abord chargé un certain Pedro Aedo,
en 1565, avant de le lui interdire, sous prétexte qu' il le soupçonnait de vouloir
se soulever contre son autorité. Il faut noter, à ce sujet, que, à la fin de son
mandat, il sera condamné à indemniser ce Pedro Aedo, sans que cela ne
l'empêche d'ailleurs d'être nommé au Conseil des Indes.
C'est alors le contact
Alvaro de Mendana de Neira obtient le
(il est né en Galice, au nord-ouest de l'Espagne,
1543), est arrivé au Pérou en compagnie de son
oncle, en 1564, et s'est jusque-là consacré à des tâches juridiques. Il a le titre
de général et sa mission est d'explorer les régions australes où il doit y avoir
des terres, selon les fameuses rumeurs rapportées plus haut et auxquelles il
se réfère dans le rapport qu'il adresse au roi après son retour. C'est vague ...
Mendana
terre de
a
marins,
26
24
ou
en
1541
ans
ou
du port de Callao, au Pérou, le 19 novembre 1567, le jour où on
qui devient la patronne de l'expédition, avec une «flotte»
de deux bateaux, baptisés Los Reyes (les Rois), navire-capitaine, et Todos los
Santos (Tous les Saints), navire-amiral, et plus de 170 hommes, marins,
soldats et serviteurs. Parmi les dirigeants de l'expédition, Pedro Sarmiento
Il part
fête Sainte Isabelle,
qui commande le navire-capitaine, est un homme d'une person¬
complexe : c'est un autodidacte qui maîtrise le latin comme sa seconde
langue ; il est allé dans les Flandres, en Nouvelle-Espagne (le Mexique
actuel), s'est intéressé à la culture inca (il écrira plus tard la historia de los
Inkas) et a subi deux procès de l'Inquisition. Il a aussi été au service du comte
de Nieva, le précédent vice-roi du Pérou, qui fut retrouvé mort, sans doute
assassiné. C'est d'abord à lui que le nouveau gouverneur par intérim, Lope
Garcia de Castro, avait confié l'expédition, avant d'y renoncer à cause de son
de Gamboa,
nalité
Société des
Études
Océaniennes
44
passé et de
sa
faible expérience maritime. Il embarque cependant pour ce
le navirelui, c'est
voyage et changera de bateau en cours de route : il fera le retour sur
amiral. Une autre forte personnalité du voyage est Hernân Gallego :
c'est-à- dire responsable de la
navigation de l'ensemble des deux bateaux, qui comptent en tout quatre
pilotes, et embarquera sur le même navire que Mendana. On lui doit un récit
de l'expédition. Le maître de camp, qui a autorité sur les soldats, est Pedro
de Ortega Valencia, natif de Guadalcanal et ancien alguacil mayor de
Panama (une sorte de gouverneur). Il y a aussi à bord quatre religieux
franciscains, dont le vicaire (leur supérieur pour la durée du voyage)
s'appelle Fray Francisco de Galbez. N'oublions pas de mentionner don
Fernando Enrîquez, alférez general (lieutenant général), et Pedro Xuârez
Coronel, qui était le capitaine de l'artillerie.
un
vrai marin et il
sera
nommé piloto mayor,
Castro, le voyage a bien failli ne pas
ecclésiastiques s'y étaient opposées à cause de la
présence de Sarmiento, qui sent un peu le soufre ; YAudiencia (tribunal) de
Lima trouvait que cela allait coûter trop cher (plus de 100.000 ducats,
quoique les sources divergent sur ce point), et YAudiencia du Chili en
réclamait l'exclusivité, considérant que les terres à découvrir étaient plus
proches de ses côtes que de celles du Pérou
Malgré l'appui du
gouverneur
avoir lieu. Les autorités
...
plus des caravelles comme au temps de Christophe
: plus grands, portant trois mâts avec un
(voiles
gréement mixte
carrées et voiles latines, ce qui permettait de
remonter un petit peu mieux au vent), un gaillard d'avant en surplomb et une
poupe arrondie ; ils sont considérés à l'époque comme les bateaux les plus
sûrs. On ne connaît pas les dimensions des bateaux de Mendana, ni le nombre
de.personnes qu'il embarque pour ce premier voyage. On sait cependant
qu'ils emportaient des armes : des petits canons et des arquebuses. Quant aux
vivres, ils font froid dans le dos : de l'eau, conservée dans des jarres et des
barriques où elle croupissait vite, du biscuit de mer dont les charançons ne
tardent pas à se régaler, de la viande salée dans des tonneaux, pas toujours
très étanches
et des animaux vivants, avec qui les hommes cohabitent
comme ils peuvent ; ils sont destinés à améliorer l'ordinaire, mais aussi à
faire souche sur les îles qu'on rencontrera (car on n'en doute pas un seul
instant).
Les bateaux
Colomb,
ce sont
ne
sont
des
«naos»
...
Société des
Études Océaniennes
45
parvenir, les navigateurs (les «pilotes») ont des connaissances
près, mais pour ce qui est de
la longitude, c'est une autre affaire : ils se situent en estimant la distance
parcourue, comptée en lieues, depuis Lima : vraiment très approximatif !
Cela fera d'ailleurs naître de savoureuses controverses au beau milieu du
désert de l'océan Pacifique. Mais on en reparlera.
Pour y
succinctes
:
ils savent calculer la latitude, à peu
plutôt le 20 au petit jour, car
permit pas de quitter le port de toute la nuit, ils
parcourent 800 lieues sur le parallèle de Lima sans rien voir, passant sans
doute entre les Tuamotu et les Marquises, mais ne sont nullement découra¬
gés ; ils décident seulement de changer de cap et remontent un peu plus vers
le nord : le récit de Hernân Gallego ne fait aucune référence à d'éventuelles
discussions au sujet du cap à suivre ; mais il ressort d'autres documents que
Sarmiento, qui voulait rester plus dans le sud, fut persuadé d'une entente
secrète entre Mendana et sonpiloto mayor Gallego, et qu'il rompit avec eux
(de son côté Gallego ne cache pas le profond mépris qu'il éprouve pour
Sarmiento, qu'il décrit plus tard s'acharnant sur les indigènes). Puis, le 8
janvier, Mendana se rend de nouveau aux arguments de Sarmiento et change
Partis donc de Callao le 19 novembre, ou
l'absence de vent ne leur
une
nouvelle fois de cap.
C'est ainsi que
ils découvrent
une
le 15 janvier, soit près de deux
île, la Isla de Jésus (sans doute
mois après leur départ,
l'île Nui,
une
des Tuvalu,
l'archipel nommé plus tard «Gilbert et Ellice») ; des «Indiens» s'appro¬
en pirogue et repartent aussitôt ; les deux navires passent la nuit à la
cape et, le lendemain matin, se lève une terribe tempête : un coup de mer brise
même un barreau du pont du bateau de Mendana. Il renonce alors à aller à
terre et juge préférable de faire route, encouragé cependant par cette
première découverte.
de
chent
Quinze jours et 180 lieues plus tard (ou 160, selon Gallego), en pleine
nuit, ils manquent s'échouer sur des hauts-fonds, mais juste au dernier
moment, le vent, qui les y poussait gentiment, forcit et vient sur l'avant,
retombe, puis revient : on affale les voiles et on se met à la cape jusqu'au
matin ; c'est alors qu'ils découvrent des hauts-fonds sur lesquels ils se
seraient
là la main de
(«de la Chandeleur»)
précipités s'ils avaient continué à faire route. Voyant
Dieu, ils les baptisent
aussitôt «de la Candelaria
Société des
Études Océaniennes
«
46
Purification de la Vierge.
parce qu'on est le 2 février et que c'est la fête de la
Certains auteurs l'identifient comme l'atoll «Ontong Java»,
l'île «RoncadoD>
d'autres comme
(des Salomon).
plus tard, ils manquent de nouveau s'échouer sur une pointe
qui dépasse de l'extrémité d'une nouvelle île ; le navire refuse de
virer et, en dernier recours, ils invoquent la Vierge : le bateau enfin obéit à
la barre et on met cap au large jusqu'au lendemain matin . Là, un autre rocher
surgit devant l'étrave et, de nouveau, on se met à dire des prières, tout en
manoeuvrant (Mendana cite le fameux proverbe : A Dios rogando y con el
mazo dando, ce qui équivaut à «Aide-toi et le ciel t'aidera») : enfin le bateau
s'écarte. Que ce soit une intervention divine, on n'en doute pas un seul
instant, car, alors qu'on cherche un endroit où jeter l'ancre avant la nuit, on
voit, sur la terre et sur la mer, des signes qui le confirment : une étoile
brillante, à droite de la hune du grand mât, qu'ils suivent jusqu'à entrer dans
une baie qui
leur paraît sûre, juste au moment où se produit un éboulement : un grand morceau de montagne avec arbres et rochers tombe dans la
mer en provoquant un grand fracas et de grosses vagues. C'est le 9 février,
jour de Sainte Apolonia, et ils jettent enfin l'ancre dans la première île de
l'archipel des «Salomon», dans une baie qu'ils baptisent «Baie de l'Etoile»,
en souvenir de celle
qui les a guidés et qui a gardé son nom. Leur premier
souci est d'aller à terre dresser une croix et rendre grâces à Dieu, puis
Mendana prend possession de l'île au nom de Sa Majesté ; il la baptise Santa
Isabel, du nom de la sainte qu'on fêtait le jour de leur départ du Pérou ; elle
a
gardé le même toponyme. Mendana reçoit la visite du chef de l'endroit et
les deux hommes procèdent au traditionnel échange de leurs noms : Mendana
prend celui de Bile Banhana et est surpris d'entendre cet «Indien» prononcer
le sien sans difficulté aucune, de même que le Credo qu'il lui fait répéter en
«romance» (c'est-à-dire dans la langue castillane et non en latin) aussi bien
que si c'était un Espagnol. Le nom indigène de cette île était Samba, d'après
Gallego, qui fait une intéressante description de ses habitants : ils ont la
couleur des mulâtres, les cheveux crépus, ne portent rien d'autre qu'un
cache-sexe, adorent des couleuvres et des crapauds (amusant mélange de
vraies observations et de fantaisies !) ; comme ils leur avaient envoyé en
cadeau un morceau de bras humain, il en déduit qu'ils mangeaient de la chair
Huit jours
de récif
humaine.
Société des
Études Océaniennes
47
A Santa
Isabel, où il
va
rester en tout
trois mois, Mendana fait
brigantin, baptisé Santiago (Saint Jacques, le saint patron de
l'Espagne), plus maniable que ses deux navires et avec un tirant d'eau plus
faible, afin de procéder à l'exploration de la région. La construction prend un
certain temps, car c'est la saison des pluies ; de plus, il y a peu de spécialistes.
En même temps que la construction, il organise deux expéditions à terre :
l'une dirigée par le capitaine Pedro Sarmiento, l'autre sous les ordres du
maître de camp Pedro de Ortega. Il envoie aussi ce dernier faire une visite de
courtoisie à Bile, pendant laquelle il fait la connaissance de son père,
Salacay, qui se montre peu intéressé par les nouveau-venus. Des «Indiens»
armés viennent aux bateaux, mais n'osent pas s'en approcher ; Bile les
construire
un
aperçoit et reconnaît des ennemis : il embarque avec ses hommes dans des
pirogues et se précipite sur eux : ils se rendent aussitôt. Mendana, qui a
assisté à la scène, est impressionné par la fière allure de Bile : il le décrit
pirogue, portant une haute coiffe de plumes blanches et
noires, ses bras sont ornés d'anneaux faits d'un os très blanc et de bracelets
où alternent de petits morceaux de corail et des petites dents ; il porte aussi
un petit «bouclier» au cou et un casse-tête à deux bouts. Bile monte à bord
et informe Mendana que plusieurs chefs de l'île, dont il énumère les noms,
se préparent à attaquer les navires et lui ont proposé de se joindre à eux, mais
il ajoute qu'il n'a pas voulu ; au contraire, il lui offre son aide. Mendana l'en
remercie et lui fait quelques présents. Deux jours se passent sans qu'il
revienne. Supposant qu'il s'est allié aux autres, Mendana envoie Pedro de
Sarmiento en expédition à terre : sa mission est d'aller jusqu'à une cordillère
voir si on aperçoit la mer de l'autre cô.té et savoir s'ils sont sur une île ou une
«terre ferme», avec 16 soldats et 6 serviteurs, chargés de faire des vivres pour
debout dans
sa
rivière sinueuse, près de
trouvé dans son village.
Sarmiento ne poursuit pas l'exploration (il faut cependant retenir que
l'expédition vers la cordillère centrale de Santa Isabel ne sera pas répétée
Il parcourt 6 lieues et arrive à une
laquelle il rencontre Bile, que l'on n'avait pas
quatre jours.
siècle), car il y a trop d'Indiens autour d'eux, et, après avoir
appris l'existence d'un grand seigneur nommé Ponemanefaa, il décide de
revenir au navire, accompagné de Bile. Redoutant une escarmouche, car les
Indiens lui crient en espagnol : «fuera, fuera» («dehors»), il tente de capturer
Bile, pour avoir un otage, mais celui-ci s'échappe et un soldat est blessé à la
avant le
20ème
Société des
Études
Océaniennes
48
flèche. Les Espagnols mettent les «Indiens» en déroute et font
prisonnier : un frère de Salacay, donc un oncle de Bile, qu'ils ramènent
à bord. Mendana le libérera deux ou trois jours plus tard pour retrouver
l'amitié de Bile, et c'est Pedro de Sarmiento qui le ramènera à son village,
provoquant une telle allégresse que les «Indiens» lui offrent de s'asseoir et
lui apportent des noix de coco et du «binahu «, une sorte de racine qu'ils
mangent en guise de pain.
tête par une
un
première expédition à terre n'ayant pas donné les résultats
qu'escomptait Mendana, il en décide une deuxième, qu'il confie à Pedro
Ortega : celui-ci doit revenir avec un rapport sur ce qu'il aura vu après avoir
escaladé la cordillère avec 30 arquebusiers, 15 rondachiers et 15 serviteurs,
chargés de rapporter de la nourriture pour huit jours. Cette mission dure une
semaine. Au début, tout se passe bien et les «Indiens» se montrent amicaux,
jusqu'à ce qu'il rencontre une troupe aux intentions belliqueuses : il
s'empare de leur chef, mais celui-ci s'enfuit et, dès lors, les «Indiens» ne
cessent de les attaquer jusqu'à ce qu'ils arrivent sur les terres de Bile. Une
de ces escarmouches dure du lever du jour jusqu'à environ trois heures de
l'après-midi ; deux soldats sont blessés : l'un eut la cuisse traversée par une
flèche, l'autre un bras ; ce dernier meurt des suites de sa blessure une semaine
plus tard. Pedro de Ortega revient et Bile lui fait donner des noix de coco.
Selon le rapport qu'il fait à Mendana, cette terre est une île : c'est ce que lui
a dit le chef de la région où se trouve la cordillère et, de plus, une fois là-haut,
Cette
il
a vu
la
de l'autre côté.
mer
jour, pendant l'expédition de Ortega, alors que Mendana est à terre
reçoit la visite du chef de la région occidentale
de l'île, nommé Bene, accompagné de ses gens en armes. Celui-ci lui fait
cadeau d'un morceau de chair humaine qui semblait avoir appartenu à un
jeune garçon, en lui disant de le manger. Mendana se dit désolé de voir chez
eux cette affreuse coutume ; il le fait enterrer solennellement et dit au chef
dans sa langue (ce qui révèle en passant qu'il faisait l'effort de l'appren¬
dre) : «Je ne le mange pas». Les «Indiens» se montrent offensés, remontent
dans leurs pirogues et s'en vont.
Un
en
train d'entendre la messe, il
Pendant
temps-là, la construction du brigantin continue et, pour que
pas sans rien faire, Mendana décide deux nouvelles
il envoie Gabriel Munoz et Diego de Avila, chacun avec 12
ce
les hommes
ne restent
expéditions
:
Société des
Études Océaniennes
49
l'autre la côte Est ; Munoz marcha
pendant quatre lieues et ne vit rien d'autre d'intéressant qu'une rivière qu'il
baptisa «de San Matîas» (Saint Matthieu) parce que c'était le saint du jour
(14 mai). Avila fit aussi quatre lieues et traversa des villages où les «Indiens»
se montrèrent d'abord craintifs car ils connaissaient le mal que pouvaient
soldats, explorer l'un la côte Ouest et
faire les
arquebuses ; il vit une rivière à laquelle
il donna son propre nom.
Entre-temps le brigantin est achevé, mais, avant de l'envoyer en
exploration, Mendana, qui n'a pas d'interprète, charge Pedro de Ortega
d'une expédition sur les terres d'un chef nommé Meta, à dix lieues du
mouillage, avec 20 arquebusiers, 15 rondachiers et quatre des «Indiens» de
Bile comme guides. Il ramène quatre autres «Indiens» : Mendana en libère
deux et garde les deux autres qui sont les fils de Meta : l'un ira avec Pedro
de Ortega, comme interprète sur le brigantin, et l'autre restera avec lui. Il lui
montre toutes les épices qui sont à bord et le garçon reconnaît le clou de
girofle, la noix muscade et le gingembre ; il dit ne pas connaître le poivre, ni
le macis, ni la cannelle ; il ajoute qu'ils ont une épice qui ressemble à la
cannelle, mais qui n'a pas le même goût : ils l'appellent «laquifa». Mendana
lui montre ensuite des perles et des pépites d'or : à propos des perles, il dit
qu'il y en a beaucoup dans la mer, ils les appellent «daui» ; quant à l'or, il
dit, en montrant son île qu'il y en a beaucoup et qu'ils l'appellent «areque».
Mendana, ayant observé que les «Indiens» avaient les oreilles et les narines
percées, lui demande s'ils y mettent de l'or, mais le garçon lui dit que non et
lui fait comprendre qu'on en trouvait là où coulait de l'eau.
construire le brigantin, car il va
rencontrer de nombreux haut-fonds, sur lesquels les navires se seraient
déchirés et les hommes auraient été perdus. Avec ce nouveau bateau, deux
mois après leur arrivée, Pedro de Ortega quitte la baie de la Estrella et
commence par longer la côte de l'île Santa Isabel, avec une petite troupe de
32 hommes (dont 18 soldats, 12 marins et le navigateur en chef de l'expédi¬
tion, Hernân Gallego) pour une exploration qui dure un mois : ils découvrent
ainsi de nombreuses îles, dont plusieurs ont encore aujourd'hui le nom qu'ils
leur donnent : l'île de Ramos (des Rameaux, fête catholique qui précède
Pâques), la Florida (parce qu'elle fut découverte le jour de la «Pâque
fleurie»), Guadalcanal (ainsi nommée d'après le nom d'un village de la
province de Séville d'où venait le capitaine du brigantin), où ils découvrent
du gingembre, dont les naturels ne se servent pas.
Mendana
se
félicite d'avoir fait
Société des
Études
Océaniennes
50
Ils reviennent ensuite vers
Santa Isabel et découvrent au passage
San
Jorge (Saint Georges, le saint du 23 avril) - de son nom indigène Varnesta,
selon Hernân Gallego, et Borne, selon Mendana - dirigée par un chef nommé
«Benebonafa», et qui possède une baie où pourraient mouiller, à ce que
rapporte Gallego, 1000
navires ! Ils y trouvent deux récipients de terre cuite
(les seuls de ce genre qu'ils aient trouvés sur cette terre), et dont les «Indiens»
leur disent qu'ils ont été apportés d'une autre île lointaine. Ils y voient des
perles dont les «Indiens» ne semblent pas faire grand cas, alors qu'ils
accordent beaucoup de prix à des dents qui semblent être celles d'un «grand
animal».
Pendant le retour,
le brigantin se heurte aux vents
d'Est-Sud-Est, et ne
peut les remonter ; Ortega envoie des hommes sur une pirogue en avertir
Mendana, mais il doit les récupérer de justesse, après qu'ils se sont échoués
sur un récif, se déchirant les pieds sur le corail. Lorsqu'ils rejoignent enfin
Santa Isabel, plusieurs des hommes des deux naos sont morts, d'autres sont
malade.
du brigantin et de Pedro de Ortega, Bile vient aux
comprendre qu'il est le vassal
d'un roi, sur l'ordre duquel il est venu le voir, lui et les autres chefs, pour les
amener à la connaissance de Dieu et de la sainte foi catholique. Bile se montre
fort attentif et demande où était ce roi : Mendana lui dit qu'il était en Castille,
que Dieu avait créé le ciel, la mer et la terre ; Bile se déclare alors vassal du
roi d'Espagne, en tant qu'ami de Mendana, et celui-ci fait aussitôt rédiger un
procès-verbal de cette déclaration (témoignage du formalisme qui régit les
actes de cet ancien juriste, tout à fait à l'opposé de l'image que l'on se fait
habituellement de ces aventuriers !).
Pendant le voyage
navires deux fois et Mendana tente de lui faire
Comme le mouillage du port de l'Etoile est décidément
fort malsain (ils
à celui de Darien en Amérique Centrale), Mendana donne
l'ordre à toute la flotte de repartir le 8 mai et d'aller jeter l'ancre à
Guadalcanal, à l'embouchure du fleuve «Ortega», dans un endroit qu'il
baptise «Puerto de la Cruz» (port de la Croix), probablement là où se trouve
aujourd'hui la capitale des îles Salomon, Honiara. Mendana en prend
solennellement possession, au nom du roi d'Espagne, et dresse une croix sur
le rivage. Comme les «Indiens» les attaquent à coups de flèches, les
le comparent
Société des
Études
Océaniennes
51
arquebusiers en tuent deux et font fuir tous les autres. Le 19 mai, 30 hommes
découvrent «un fleuve d'or», deux poules et un coq, ce qui, dit
Gallego, réjouit fort le capitaine de l'expédition.
vont à terre et
chef ainsi que Hernando Enriquez, alférez (lieutenant)
général de Mendana, repartent alors en exploration sur le brigantin et font
d'autres découvertes, émaillées d'escarmouches avec les naturels.
Le navigateur en
temps-là, Mendana envoie Andrés Nunez faire une nouvelle
expédition à terre avec 20 soldats ; à la suite d'accrochages avec les naturels,
il est blessé et mourra une semaine plus tard. Mendana va lui-même à terre
avec 27 hommes et Pedro de Ortega ; il escalade une colline du haut de
laquelle il compte plus de 30 villages, fort peuplés. Il décide de faire des
vivres en donnant aux «Indiens» les pacotilles qu'il a apportées, mais ils les
refusent ; alors, avec l'accord des soldats et des religieux (autre preuve de son
formalisme), le jour de l'Ascension, il décide d'utiliser la force : il va à terre
et s'empare d'une grande quantité de tubercules, ce dont les «Indiens» se
montrent fort mécontents : pour se venger, ils lui tendent une embuscade et
tuent neuf Espagnols occupés à faire de l'eau : seul un Noir (sans doute un
serviteur) réussit à s'échapper à la nage. Les représailles sont pour le
lendemain : Sarmiento brûle les villages et tue plusieurs «Indiens», ce qui
provoque la colère de Mendana.
Pendant ce
Enriquez, parti sur le brigantin, tarde à revenir 18 jours,
pendant lesquels le navigateur en chef Hernân Gallego, ainsi que quelques
soldats sont pris de fièvre. Enriquez doit faire face à de nombreuses attaques
des «Indiens», tant à terre qu'en mer, sans qu'aucun de ses hommes ne soit
blessé. Il doit aussi affronter une tempête. Toutes les îles qu'il découvre sont
Hernando
très
peuplées,
au
point
que
les Espagnols en sont émerveillés.
Enriquez revient au mouillage où se trouve le reste de la flotte et,
il constate la mort de plusieurs hommes, cette fois tués par les
indigènes lors de la corvée d'eau. On lui raconte qu'ils avaient été attaqués
par plus de 40 000 Indiens (ce chiffre invraisemblable révèle la peur que
devaient éprouver en permanence les Espagnols, malgré leur supériorité
militaire) parce qu'ils s'étaient emparés d'un enfant et qu'ils ne voulaient pas
le leur rendre, même en échange d'un porc (on voit la valeur de cet animal
Puis
de nouveau,
Société des
Études Océaniennes
52
pour les «Indiens» et aussi le tort que pouvaient causer les Espagnols à une
économie à l'équilibre fragile lorsqu'ils allaient à terre se ravitailler...). En
représailles, Mendana envoie ses hommes à terre brûler les villages où leur
fureur augmente lorsqu'ils découvrent des restes des vêtements de leurs
compagnons, car tout laisse à penser qu'ils ont été mangés.
Le 13
juin, les trois bateaux quittent Santa Isabel et repartent vers de
une tempête, pendant laquelle les prières
redoublent, et découvrent une île qu'on baptise San Cristobal (Saint
Christophe) ; le mouillage reçoit le nom de la Visitaciôn, qu'on fêtait ce jourlà Ils vont à terre, prennent possession de l'île et, le lendemain, ils veulent
faire des provisions de nourriture. Mais ils sont reçus par un Indien qui
invoque-le diable, selon Mendana, puis tous ses compagnons se précipitent
vers les Espagnols et menacent Mendana qui s'était avancé pour rétablir la
paix ; il fait tirer quelques coups d'arquebuse et gagne le village, où il fait dire
une messe le lendemain et où il s'empare
de toute la nourriture qu'il peut
nouvelles terres. Ils subissent
.
trouver.
Le 4
juillet, le brigantin repart, avec Francisco Munoz Rico, Hernân
Gallego et 30 soldats (Gallego dit : 12 soldats et 13 marins), pour une
exploration de huit jours. Ils longent l'île de San Cristobal et découvrent une
île que ses habitants appellent Aguari et qu'ils nomment Santa Catalina
(nom qu'elle a gardé), puis une autre qu'ils nomment Santa Ana, où ils
affrontent des «Indiens» tatoués et hurlants, si habiles et si forts qu'une de
leurs lances reste enfoncée dans le crâne d'un soldat jusqu'à ce qu'un de ses
compagnons la lui arrache, une autre transperce le bouclier du capitaine et
le bras qui le tenait. Mendana en est abasourdi, car ces lances n'ont pas de
pointe en fer, et la force de ces hommes lui semble surhumaine. Comme les
«Indiens» qui avaient été faits prisoniers dans les îles précédentes s'étaient
échappés, on s'empare de quatre naturels, dont deux s'enfuient aussitôt, afin
d'avoir des interprètes pour la suite du
voyage.
D'après les déclarations concordantes des «Indiens» des différentes
a pas d'autres terres sous le vent, mais il y en a au Sud-Est :
cependant, les navires ne peuvent pas remonter sur ce cap.
îles, il n'y
C'est
pourquoi, le 7 août, Mendana réunit les capitaines des deux
bateaux, leurs navigateurs, les soldats et les marins, afin de décider si on
Société des
Études
Océaniennes
53
devait
«peupler» ou repartir. L'avis général fut d'aller rendre compte à Lima
ils ne sont pas assez nombreux pour «peupler» et ceux qui
restent sont malades, à court de munitions, les arquebuses ont rendu l'âme
et ils se sentent bien loin de tout secours éventuel ; cependant, ils se disent
disposés à rester si Mendana leur en donne l'ordre (c'est du moins ce qu'il
affirme dans son rapport, mais il est permis d'être quelque peu sceptique à
ce sujet, car il n'a pas souvent donné des preuves d'autorité...). Il décide donc
de procéder aux préparatifs de départ : il fait calfater les coques et réviser les
gréements. Comme les deux interprètes lui semblent insuffisants, Mendana
de
ce
voyage, car
envoie Francisco Mufioz faire
une
descente à terre de nuit ; celui-ci revient
petit jour avec un homme, sa femme, son fils et la soeur de sa femme. Il
plus tard que tous ces gens sont devenus chrétiens et ont appris les
prières avec beaucoup de soin. L'homme, sa belle-soeur et un des deux
garçons mourront à Lima en prononçant le nom de Jésus, ce dont Mendana
remercie le Seigneur.
au
racontera
Dans son rapport au
roi, Mendana précise que l'on peut lever des soldats
qu'il a découvertes : à Santa Isabel 30 000, à San Jorge 10 000,
à Guadalcanal 300 000, à Buena Vista, San Dimas et à l'île des Fleurs 50 000,
à Santiago 100 000, à San Cristobal 100 000. Ces chiffres, au-delà de leur
aspect fantaisiste, traduisent indirectement l'importance numérique des
populations indigènes. Il ajoute que ce que l'on peut exploiter, c'est le clou
de girofle, le gingembre et la noix muscade, dont il donne les noms dans la
langue des «Indiens». Il ajoute qu'il y a aussi des perles : à preuve, il rapporte
une nacre. Il a entendu les «Indiens» de San Cristobal dire que leur île
renferme de l'or, dans les rivières, que leurs femmes en portent des grains
autour du cou, mais qu'ils ne savent pas le fondre. Il ne porte pas le même
nom à San Cristobal et à Santa Isabel
Un de ses soldats, spécialiste en
plantes (un botaniste), a également trouvé, par hasard, une épice nommée
«spica nardi «, dont les Indiens ne se servent pas. Il y a aussi du santal : ce
sont les médecins de Lima qui le découvrirent en examinant la couleur et
l'odeur des armes «indiennes» que Mendana avait rapportée. Il y a aussi de
l'ébène, dont ils font leurs armes. Il a vu aussi des massues de métal entourées
de palme tressée, dont ils se servent pour se battre ; Mendana ajoute que c'est
de la pyrite de fer, ce dont il se réjouit, car c'est la mère de tous les métaux.
De l'argent, il n'y en a pas.
dans les îles
.
Société des
Études
Océaniennes
54
Quant
fruits, il y a des pommes, des melons, qui ne sont bons que
quand il ne pleut pas. Il y a des porcs et des poules semblables à ceux
aux
d'Espagne, des pigeons ramiers bien plus gros que ceux d'Espagne, de
nombreux perroquets. La terre est très fertile et presque toutes les
plantes
qu'elle donne sont odorantes ; on trouve du basilic. Mendana a aussi
découvert que la gomme d'un certain arbre peut soigner la goutte, et cela
définitivement, comme il en fit l'expérience avec un de ses soldats nommé
Pero Juarez.
Au
cours
de la réunion dont
on
parlait plus haut, il s'agit de déterminer
la route à suivre pour rejoindre le Pérou. Là, on
suppose que la polémique dut
être vive, car il y avait deux écoles : Sarmiento, sans autres
preuves que sa
conviction personnelle selon laquelle on arriverait ainsi à la terre
qu'il
n'avait pas pu découvrir à l'aller et qui
se trouvait face aux côtes
tenait pour la route du Sud, mais les vents étaient contraires ;
chiliennes,
tandis que
Gallego s'appuyait sur le rapport de l'expédition de Legazpi, le conquérant
des Philippines, qui avait prouvé, deux ans
auparavant, en 1566, que l'on
pouvait revenir de Manille à Acapulco par «la route du Levant» (tornaviaje),
c'est-à-dire en profitant des vents de sud-ouest de la mousson d'été
pour faire
du nord-est jusqu'à environ 40° de latitude Nord
puis, en restant sur ce
parallèle, utiliser les vents d'ouest jusqu'aux côtes américaines : il tenait
donc pour la route du Nord. C'est cette
option que choisit Mendana,
apparemment contraint et forcé, mais, en parlant à ses hommes, il insiste sur
le fait que l'hiver arrivera au fur et à mesure
qu'on se dirigera vers le Nord,
car cela leur
prendra au moins six mois, qu'ils auront forcément du mauvais
temps et qu'ils feraient mieux d'attendre à terre l'équinoxe de septembre (il
imagine que les alizés vont s'inverser à l'équinoxe) ; il ajoute qu'entre-temps
ils pourraient aller avec le
brigantin chercher des vivres ; mais il doit renoncer
à les convaincre (les marins lui
répondent que l'homme de terre fait des
discours, quand l'homme de mer navigue). Piètre général.
Nos marins appareillent donc du
port de la Visitation, sur l'île de San
Cristobal, le 11 août, par vent fort d'Est-Sud-Est : ils mettent déjà sept jours
à remonter au vent pour doubler les îles de San
Cristobal, Santa Ana et Santa
Catalina. Le temps est changeant, le vent est souvent fort et Mendana,
malgré
la décision prise au cours de la réunion
générale, s'obstine à essayer de faire
du Sud : il casse une vergue et déchire une voile. C'est alors
que les soldats
se réunissent et lui présentent
une requête, selon laquelle il doit se ranger à
Société des
Études
Océaniennes
55
l'avis des
pilotes qui disent qu'il est impossible de naviguer vers le Sud et
qu'ils vont tous mourir. Les marins aussi protestent et sont si affaiblis que
c'est à peine s'ils peuvent, ou veulent, manoeuvrer les voiles. Finalement, il
se rend à leur avis et les prévient qu'ils vont souffrir. Leur joie alors est telle
qu'ils semblent ressuscités.
D'après ce qu'ils observent à la surface, ils pensent qu'ils ne passent pas
loin de la Nouvelle-Guinée (ainsi baptisée par Ortiz de Retes, frappé par la
ressemblance de
habitants
de la Guinée
d'Afrique lorsqu'il en
prit possession en 1545 ). Le temps passe
Le 4 septembre, quand ils
franchissent l'équateur, ils se croient perdus et les navigateurs s'affrontent
vivement. Ils parcourent 25 lieues en 11 jours, par 5° Nord, dans le «pot-aunoir», zone redoutée encore des marins d'aujourd'hui pour ses vents faibles
et changeants. Les vivres et l'eau manquent, et beaucoup d'hommes souf¬
ses
avec ceux
...
frent, certains même meurent. Par 8° 1/2 Nord, ils voient des îles basses que
personne n'a jamais vues en revenant des Philippines et les baptisent Bajos
de San Mateo
(Saint Matthieu, le saint du jour), le 21 septembre. Des
mais les «Indiens» se sont enfuis. Le 4 octobre, par 19°
1/3, ils voient une île basse qu'ils appellent San Francisco (Saint François,
le saint du lendemain ). Ils sont déçus, car elle n'est habitée que par des
oiseaux, et il semble qu'il n'y ait pas d'eau douce ; on diminue alors la ration
d'eau à un cuartillo par jour (un demi-litre environ) et celle de pain à 12
onces ( à peu près 360 grammes ). On continue à faire du Nord, du Nord-Est
ou du Nord-Ouest, selon le vent. Le navire-amiral a plus de mal à remonter
au vent que l'autre bateau et il faut sans cesse l'attendre. Malgré cela, par 32°
1/2, on le perd de vue. On tente de l'attendre encore toute une journée mais,
pour ne pas dériver, on doit remettre à la voile. On est à la veille de la St Luc,
le 17 octobre, et c'est alors que se lève un terrible coup de vent de Sud-SudEst, tel que Hernân Gallego déclare n'en avoir jamais vu de semblable en 45
ans de navigation. Le bateau gîte fortement et l'eau y pénètre au point que
les marins qui sont à l'intérieur doivent nager ; un religieux leur fait dire des
prières et les exhorte à mourir en bons chrétiens ; la chaloupe est larguée à
la mer, mais cela n'est d'aucune utilité ; le capitaine donne l'ordre d'abattre
le grand mât mais les pilotes s'y opposent, car ils disent qu'ensuite leur
navire ne pourra plus faire route et que ses hommes seront condamnés. Mais
Mendana rétorque qu'on n'est qu'à 70 lieues de la côte et qu'on pourra faire
ce chemin avec la seule misaine. On abat donc le grand mât, qui tombe avec
la voile et les vergues et emporte le pavois dans sa chute ; le bateau se redresse
hommes vont à terre,
Société des
Études
Océaniennes
56
la misaine pour pouvoir gouverner,
doit aussi démolir le château-arrière
pour alléger encore le bateau, et on hisse une couverture de lit en guise de
voile : on peut enfin abattre et se mettre aux pompes ; on garde la couverture
pendant deux jours, avant de renvoyer une misaine, et on met cap au Sud,
perdant ainsi 50 lieues. Cette tempête a définitivement séparé les deux
bateaux, ce qui ajoute encore à l'angoisse. De plus, les pilotes, qui croyaient
être à 70 lieues de la terre, s'étaient trompés : c'était 700 ! Tout le monde
se croit perdu.
peu ; Mendana veut alors déployer
mais elle part en lambeaux aussitôt. On
un
Le 29 octobre, un nouveau coup de vent de Sud emporte les
faut alors re-hisser les couvertures jusqu'au 31, où le vent oblige
voiles : il
Mendana
à faire du Sud-Ouest. Le vent change sans arrêt, passant du Sud à l'Ouest, au
Nord-Est, à l'Est, au Nord-Est, à l'Est-Nord-Est... Les hommes n'en peuvent
plus, l'eau est sévèrement rationnée, le biscuit aussi et, de plus, il est pourri
(à ce sujet, Mendana précise dans son rapport qu'il reçoit la même ration que
les autres). Cette situation va durer trois mois. Les hommes ont les gencives
qui enflent, la chair leur pousse par-dessus les dents : on peut reconnaître là
les symptômes du scorbut. Certains meurent de faim, ou de soif, d'autres
deviennent aveugles de faiblesse ; on doit jeter un corps à la mer chaque jour
et Mendana assiste à l'agonie de ses hommes en frémissant ; il en frémit
encore en rédigeant son
rapport. Une forme de folie gagne les soldats, qui
jouent leur ration d'eau aux cartes et, quand ils perdent, ils restent là à hurler
jusqu'à la distribution suivante. Certains se révoltent et Mendana doit les
ramener à la raison. Quand les
vents, le froid ou le brouillard obligent à
refaire du Sud, ils disent que le navigateur en chef est résigné à rester un an
ou même deux en mer, car il y est habitué, lui ; ils veulent abattre
(c'est-àdire venir vent arrière), faire demi-tour et revenir aux Philippines ; ils lui
demandent de prendre l'avis des pilotes. Il suppose alors que ce sont eux qui
ont poussé les hommes et il répond que, si on en est là, c'est leur faute, car
il n'ont pas voulu lui faire confiance. Il affirme que le vent contraire ne va
pas durer et leur rappelle qu'il est soumis aux mêmes conditions qu'eux. Il
reste imperturbable, car la situation ne lui
paraît pas encore désespérée ; il
parvient finalement à leur faire attendre la prochaine lune, disant qu'alors le
temps changera.
Dieu, dit-il dans
rapport, leur vient alors en aide, calme le vent et
apparaître à la surface un tronc d'arbre qui leur redonne confiance : c'est
signe indubitable de la présence de la terre. Chacun en prend un morceau
son
fait
un
Société des
Études
Océaniennes
57
souvenir... Cette terre tant désirée, ils la voient enfin huit
jours plus
tard, la veille de la fête dt Notre Dame de la O (sic), le 19 décembre. On longe
la côte, que Mendana trouve différente de ce
que disent les cartes des
comme
navigateurs qui sont
débouche
une
revenus des Philippines, et on arrive dans une baie où
rivière. Il va à terre faire de l'eau avec
quelques hommes, sur
radeau
improvisé, fait de planches et de barils, puisqu'ils n'ont plus leur
chaloupe ; là, ils tuent des mouettes et des pélicans pour faire du bouillon à
l'intention des malades, coupent du bois pour construire une barque puis
reviennent à bord, où on va même jusqu 'à sacrifier un
grand perroquet blanc,
qu'on a rapporté des îles Salomon, et le voyage continue.
un
Le 22 janvier,
Mendana entre enfin dans le port de Santiago de Colima,
Mexique, au nord d'Acapulco. Trois jours plus tard, il
voit arriver le deuxième navire, qui avait été perdu de vue avant la terrible
tempête du mois d'octobre : lui aussi est démâté, a perdu sa chaloupe et se
trouve à court d'eau. Pedro de Ortega est si malade
que Mendana pense qu'il
faudra l'enterrer le lendemain, mais la joie de revoir ses compagnons
lui rend
ses forces. On
imagine d'ailleurs sans peine l'allégresse de tous ces hommes,
qui se mettent aussitôt à parler de la terre comme de leur mère et disent que
l'océan n'est fait que pour les poissons... Plus de trente hommes sont morts
pendant ce voyage.
sur
la côte ouest du
Sarmiento est arrêté dès l'arrivée du navire-amiral, à la demande de
Mendana, pour avoir voulu adresser au roi un rapport mensonger sur ce qui
passé pendant ce voyage (dans lequel il l'accusait, en particulier,
d'avoir sciemment abandonné le navire:amiral au cours de la
tempête du
mois d'octobre), puis il est relâché. Il ne poursuit pas cependant
jusqu'au
Pérou ; sa vie n'est pas finie pour autant et, entre autres choses, il
prépare un
lexique sur la langue des indigènes des îles Salomon, puis il connaîtra ensuite
de nombreuses aventures, dont la poursuite du corsaire
anglais Francis
Drake, en 1579, sur l'ordre du vice-roi Toledo, et mourra vers 1587.
s'était
On reste 40
jours dans ce port mexicain, où des hommes guérissent
d'autres continuent à mourir. Il n'y a aucun moyen sur place de
réparer les navires, aussi Mendana décide de repartir pour Realejo, au
Nicaragua. Il y est fort mal reçu, jusqu'à ce que quelqu'un reconnaisse
Hernân Gallego (on les avait pris pour des «luthériens», à la suite du
passage
du pirate Hawkins) ; Mendana fait réparer ses bateaux,
malgré le refus du
tandis que
Société des
Études
Océaniennes
58
des officiers royaux de lui venir en aide financièrement : lui
Gallego doivent donc emprunter en engageant l'or et l'argent qu'ils
possèdent. Les réparations prennent deux mois, au bout desquels il repart
pour le Pérou.
gouverneur et
et
reprend donc la mer le 2 mars pour aller porter à Lima la nouvelle de
Après avoir encore subi de nombreux contre-temps, il y arrive
le 11 septembre 1569, soit 7 mois 1/2 après son arrivée au Mexique, ou
encore 22 mois après son départ. Le voyage proprement dit, jusqu'à la
Nouvelle-Espagne, a duré 16 mois ; si on en retranche les trois mois écoulés
avant la première découverte intéressante et les six mois consacrés au retour,
il reste que l'exploration elle-même a duré 7 mois : 70% du temps a donc été
«perdu» dans l'aller et le retourIl
leur arrivée.
visitador (inspecteur) du Royaume de
Galice, proche de la Nouvelle-Espagne, datée du 20 mars 1569,
Une lettre de Juan de Oroso,
Nouvelle-
ce que l'on pense alors du résultat de ce voyage : ils ont bien découvert
de nombreuses îles, mais elles offrent peu d'intérêt, car on n'y a vu aucune
révèle
or, ni argent, ni rien d'autre dont on pût tirer un profit quelconque,
leurs habitants vont nus (ce qui est, sans doute, à ses yeux, le signe d'une
épice, ni
et
«primitive») ; le seul avantage qu'il leur reconnaît, c'est qu'on
pourrait réduire ces gens en esclavage, ou fonder une ville dans une de ces
îles, qui servirait de base de départ à de futures explorations vers la terre
ferme, dont on avait entendu parler, et où il y avait de l'or, de l'argent et des
gens habillés ; Oroso ajoute que cette navigation se ferait bien mieux en
partant de la Nouvelle-Espagne que depuis le Pérou, à cause du régime des
vents qui sont contraires lorsqu'il s'agit de revenir.
civilisation
La seule satisfaction de Mendana à
ouvert de
son
arrivée
sera
nouvelles routes, mais il ne retrouvera jamais
donc celle d'avoir
les îles Salomon, ni
personne d'autre d'ailleurs avant les années 1780, deux siècles plus tard.
Hernân Gallego a considérablement sous-évalué la distance entre Callao et
les
«Bajos de la Candelaria» : il l'estime à 1638 lieues, alors qu'il y en a 2284
(9700 km au lieu de 13525), soit une erreur de 28%). En fait, c'est la largeur
du Pacifique qu'il a sous-estimée, un peu comme Christophe Colomb avait
sous-estimé celie de l'Atlantique
...
Société des
Études
Océaniennes
59
question pour Mendana d'en rester là : il veut
il
repartir, car a la preuve qu'il y a des îles dans ces régions
inconnues et, à cette époque, on pense que des îles nombreuses sont le signe
infaillible de la proximité d'un continent.
Bien sûr, il n'est pas
absolument
Il
Mais
son deuxième voyage le conduira aux îles Marquises.
oncle n'est plus le gouverneur du Pérou, et le vice-roi en poste,
repartira, et
son
lorsqu'il revient des Salomon, ne se montre absolument pas intéressé par ses
récits, pas plus que ses successeurs : il lui faudra attendre 26 ans ...
Mendana
Le
aux
îles Marquises
vice-roi du Pérou
nouveau
s'appelle Francisco de Toledo
;
il est
bon gouverneur, mais sa réputation est entâchée par la
mort du dernier descendant des Incas. Le moins qu'on puisse en dire est qu 'il
considéré
est mal
comme un
disposé
envers
Mendana,
en
partie influencé par Sarmiento qui
pas avoir trouvé, ni cherché vraiment, le continent austral.
Mendana est lavé de tout soupçon par le Docteur Barrios, à la suite d'un
l'accuse de
ne
procès mené par le tribunal de Lima, maisToledo ne fléchit pas. De plus, son
attention est requise par les incursions des corsaires Drake et Cavendish, qui
ne cesseront
pas entre 1579 et 1587.
d'Espagne, où il a des appuis (entre
fois) assez bien placés, pour contrebalancer le
mauvais effet produit par les incessantes lettres de Sarmiento, et qui lui
obtiennent plusieurs Capitulations, c'est-à-dire des contrats avec la Cou¬
ronne, le 27 avril, le 14 juillet, le 20 août, plus une autre en septembre 1574
(5 ans après son retour), l'autorisant à organiser une expédition, à ses frais,
pour «conquérir et pacifier» les îles de la Mer du Sud.
Mendana
autres son
se
oncle,
rend alors à la cour
encore une
obligations sont les suivantes : emporter 500 hommes, dont 50
leurs femmes, leurs enfants et leurs armes ; emporter aussi des
animaux : 20 vaches, 10 juments et 20 chèvres destinées à la reproduction,
ainsi que 10 chevaux, des boucs , 20 brebis et les moutons correspondants,
10 truies et 2 porcs ; emporter les navires nécessaires, pourvus des vivres et
équipements requis ; fonder trois villes, dont une capitale, au cours des six
ans qu'on lui accorde pour «peupler» (coloniser) ces îles ; et enfin, déposer
la somme de 10 000 ducats comme garantie de la réalisation de ce contrat.
Ses
mariés,
avec
Société des
Études
Océaniennes
61
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Société des ; tudes Océaniennes
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^
OE L PE RU
62
(autorité suprême,
politique et militaire) de ces îles, pour la durée de sa vie et de celle d'un fils
ou du successeur qu'il désignera ; il est nommé gouverneur et capitaine
général des îles pour la même durée, avec un salaire qu'il définira lui-même
en fonction de la richesse de ces terres ; il aura le titre de alguacil mayor pour
la même durée. Par ailleurs, il est autorisé à emporter 20 esclaves noirs, libres
de tous droits dans ces îles et nulle part ailleurs, et 80 esclaves noirs, sans
frais, d'Espagne du Portugal, du Cap Vert ou de Guinée, dont un tiers de
femmes. Il pourra emporter un navire de 300 tonneaux chargé de marchan¬
dises d'Espagne et, chaque année, un bateau pourra emporter, dans les terres
colonisées, les armes et les provisions qu'il jugera nécessaires. Il obtient
également le droit de percevoir des droits de douane, pendant la durée du
premier voyage, et celui de ne payer que 10 % sur l'or, l'argent et les perles.
Il sera exempté d'impôt sur les achats et les ventes pendant 20 ans ; aucun
droit ne sera perçu sur ce qui sera emporté là-bas, pendant 10 ans, et cette
durée est portée à 20 ans pour lui et sa famille. Il aura à vie l'autorisation de
posséder deux pêcheries, une de perles et une de poissons. Il pourra répartir
En
échange, il obtient le titre d' «adelantado
«
,
les Indiens entre
ses
hommes et attribuer des terres
aux
découvreurs. Il
pourra construire trois forteresses, avec le salaire correspondant. Il aura le
droit de prendre pour lui et pour les deux générations suivantes, un
«repartimiento» d'Indiens (droit d'utiliser les services d'un groupe d'In¬
diens, à charge de les évangéliser) ; s'il vient à mourir, sa veuve en aura la
jouissance, et s'il possède des Indiens dans une autre province, il pourra
continuer à jouir de leur produit. Il est autorisé à créer un poinçon pour
marquer l'or et l'argent, à nommer des officiers des Finances Royales, à
mater toute révolte, à
prendre des ordonnances sur l'exploitation des
mines ; il jouira de la juridiction civile et criminelle pour ce qui devra aller
devant les Conseils ; il sera considéré comme immédiatement inférieur au
Conseil des Indes et personne d'autre que lui n'aura de pouvoir judiciaire
dans les îles. Il a le droit de lever en Espagne ou au Pérou jusqu'à 500
hommes, sans que les autorités de justice ne puissent s'y opposer. Enfin, il
aura des vassaux à
perpétuité et le titre de Marquis.
Ces
Capitulations sont signées en 1574, mais Mendana ne repart
le milieu de 1576, après avoir engagé des hommes
l'expédition, et arrive à Panama fin janvier 1577.
le Pérou que vers
Société des
Études
Océaniennes
pour
pour
63
Là, le président du tribunal, le Dr Loarte, veut se venger sur lui d'une
rancoeur
qu'il a gardée contre son oncle Castro du Conseil des
Inde : le prétexte, c'est la plainte d'un des soldats qui ont été enrôlés en
vieille
confisqué
coffre d'affaires personnelles
Espagne et à qui la douane
a
Mendana,
rôle puisque c'est lui qui l'a engagé, prend sa
comme
c'est
son
un
;
défense. Tout cela provoque une certaine agitation, parmi les gens de mer,
rend Mendana responsable ; il le fait arrêter et jeter dans le même
et Loarte en
cachot que les Noirs (affront suprême), où il le laisse quatre jours, avant de
le transférer à la maison du Cabildo (conseil municipal) jusqu'à son embar¬
quement pour le Pérou.
roi dans
lettre
qu'il lui adresse de
laquelle il ajoute qu'il se rend au Pérou avec
crainte, car le vice-roi Toledo est connu pour être lui aussi un ennemi déclaré
de Castro, ce qui l'obligera peut-être à se rendre à Quito jusqu'à ce qu'un
nouveau gouvernement lui
soit plus favorable ; il supplie le roi Philippe II de
faire donner des ordres pour éviter que Toledo n'oppose des obstacles à la
Mendana raconte tout cela
au
une
Panama le 3 février 1577, dans
réalisation de
son
voyage.
Et effectivement,
une
autre lettre
que
Toledo lui met des bâtons dans les roues: en témoigne
Mendana adresse au Conseil des Indes le 24 mars 1580.
que Toledo s'est opposé à son voyage par
deuxième fois il l'a gardé prisonnier de nombreux jours,
Il y
affirme
deux fois,
que
la
et ajoute que cela
grand préjudice, entre autres, à de nombreuses demoiselles qui
le départ pour se marier et embarquer avec leurs époux et
qui, maintenant, risquent de sombrer dans la mauvaise vie ... sans compter
le préjudice porté à ses finances personnelles, qui sont épu isées ; car c'est tout
juste s'il peut couvrir ses frais, grâce à une «encomienda» (forme légalisée
du repartimiento) d'Indiens qu'il possède à Guanaco.
a
causé
un
n'attendaient que
Le
roi, occupé ailleurs, ne peut pas
intervenir efficacement, malgré ce
que stipulent les Capitulations, mais la mauvaise volonté de Toledo n'est pas
seule responsable du retard que déplore Mendana : il y a aussi la conquête du
qui n'en finit pas et qui draine tous les hommes disponibles du
puis, d'après Toledo, son projet n'éveille pas l'enthousiasme chez
les aventuriers, qui y voient trop de risques pour trop peu de profit. Il a donc
du mal à recruter, bien que le vice-roi l'y autorise, exceptionnellement.
Chili
Pérou ; et
Société des
Études
Océaniennes
64
Quant
hommes
qu'il avait amenés d'Espagne, c'étaient presque tous des
délinquants qui se sont évaporés à la première occasion, car il ne pouvait plus
les payer. Ce que rapporte Toledo, on s'en doute, n'est pas l'avis de
Mendana, comme le révèlent les lettres qu'il envoie en Espagne.
aux
Mendana doit donc attendre la nomination d'un vice-roi
qui lui soit
qui se produit en 1586. Il s'agit du comte de Villar, qui se
montre disposé à l'aider : il lui donne, en particulier, des terres où il peut faire
cultiver du blé qu'il emportera pour son voyage. Un certain Hernando
Samero Gallegos de Andrade lui propose un navire totalement équipé, et 100
hommes qu'il paye lui-même.
favorable,
ce
Mais
en
1587, les corsaires anglais viennent retarder ce voyage qui
pourtant semblait sur le point de se faire : Mendana est plus ou moins
contraint de participer à la lutte contre ce nouvel ennemi.
Son deuxième
départ se réalise enfin, en 1595, soit 26 ans après la fin
premier voyage. Mendana a maintenant 54 ans, et depuis environ 1586,
ou 1580
(les sources divergent), il est marié avec une dame dont on aura
l'occasion de reparler, dona Isabel de Barreto, d'origine galicienne elle
aussi. D'après le vice-roi Villar, ce serait un mariage de convenance, et la dot
de dona Isabel servirait à renflouer les finances de Mendana, toujours dans
le but de repartir aux îles Salomon. Et d'après une autre mauvaise langue,
Sarmiento, ce ne serait pas son premier amour, car s'il fut si pressé de revenir
de sa première expédition, c'est qu'il était amoureux...
du
Le déclic
qui a enfin précipité les événements, c'est la nomination d'un
vice-roi, don Garcia Hurtado de Mendoza, marquis de Canete,
célèbre conquérant du Chili. Il est arrivé au Pérou en 1556 avec son père, don
Andrés Hurtado, qui est vice-roi et le nomme gouverneur du Chili. Puis il fut
lui-même nommé vice-roi du Pérou en 1590 et, entre autres choses remar¬
quables, chargea son beau-frère, don Beltrân de la Cueva y Castro, d'une
expédition, à laquelle participa Mendana, contre le corsaire anglais Richard
Hawkins : il le captura dans les eaux
équatoriennes en 1594 et le mena
prisonier à Lima (ainsi disparaissait un des obstacles qui s'opposaient à une
nouvelle expédition ultramarine, sans parler de Sarmiento,
qui n'est plus en
mesure de nuire à Mendana
). Le marquis de Canete reviendra en Espagne
à la fin de son mandat, en 1596, et ne verra donc
pas le retour de l'expédition.
nouveau
Société des
Études
Océaniennes
65
Mendoza cède 3 bateaux à Mendana pour
le prix symbolique de 9 000
sera le navire-capitaine (St Jérôme), ainsi
qu'une galiote ((petite galère légère), la San Felipe et une frégate, la Santa
Catalina, toutes les deux équipées de rames et adaptées aux missions de
reconnaissance en eau peu profonde. De plus, il les dote de 16 pièces
d'artillerie et leurs munitions, 150 arquebuses et 100 jarres de poudre, 20
quintaux de plomb, 300 rouleaux de mèche, pris sur le butin qui vient d'être
confisqué au corsaire anglais Hawkins . Il lui fournit aussi 60 tonneaux pour
les provisions d'eau.
ducats
:
le San Gerônimo
qui
quatrième bateau de la flotte, la «nao» Santa Isabel,
le navire-amiral. Si les Capitulations autorisent Mendana à embar¬
quer 500 hommes, il n'y aura à bord des quatre bateaux «que» 378 personnes
environ, dont 182 sur la seule Santa Isabel. On trouve de nombreux soldats,
dont 200 arquebusiers, qui ont été recrutés par un beau-frère de Mendana,
Lorenzo de Barreto, à Truj illo et à Sana. Il y a aussi des marins, bien sûr, mais
également des «civils», les futurs colons : parmi eux, 98 femmes et enfants.
Ils embarquent parce que le but de ce voyage est de «peupler» les îles
Salomon, c'est-à-dire d'y installer une population espagnole, d'y fonder des
villes, d'y bâtir des églises ... car on embarque également six religieux.
Mendana achète le
qui
sera
Madame Mendana, dona Isabel, et trois de ses
Diego et don Luis Barreto. Le navigateur en chef,
destiné à devenir célèbre, est Pedro Fernandez de Quirôs, né à Evora, au
Portugal, vers 1565, et ensuite élevé dans les bas quartiers de Lisbonne, où
abondaient les mauvais garçons ; il a embarqué plus tard comme subrécargue
sur des navires marchands, où il a acquis les connaissances nautiques lui
permettant de devenir piloto mayor. Il se marie vers 1588 avec une Madri¬
lène, Ana Chacon, et en a deux enfants : Francisco et Jerônima. Mais il
semble qu'il n'emmène pas sa famille à bord, ou du moins il n'en parle
jamais. Lope de (la) Vega, marié à une belle-soeur de Mendana, dona
Mariana de Castro, est l'amiral de la flotte et commandant du navire Santa
Isabel. Le «maître de camp», capitaine des soldats, est un homme irascible
de soixante ans, Pedro Marino Manrique. Parmi les hommes qu'il dirigera
d'une main de fer, nombreux sont ceux qui ont participé aux révoltes qu'a
connues ces dernières années la «riche et belliqueuse» ville de Potosi.
A bord il y a aussi
: don Lorenzo, don
frères
Société des
Études Océaniennes
66
quitte Callao le vendredi 9 avril 1595, vers d'autres ports de
péruvienne, afin de poursuivre l'équipement en hommes et l'appro¬
visionnement. Elle quittera vraiment le continent le 16 juin suivant, deux
mois plus tard.
La flotte
la côte
premier jour, la zizanie s'installe entre le maître de camp, qui se
le pilote principal, qui ne lui en reconnaît
aucune sur sa
personne et qui en fait une affaire d'honneur. Une autre source
de brouilles est la présence de Doha Isabel, qui se mêle de ces questions, alors
qu'elles ne sont pas de son ressort... Lorsque les navires arrivent au port de
Santa, on trouve au mouillage un bateau chargé de marchandises et de Noirs,
qui vient de Panama et se dirige vers Lima et qui a le malheur d'avoir belle
allure : certains marins lui confisquent sa chaloupe pour l'empêcher d'appa¬
reiller avant l'arrivée de Mendana, à qui ils conseillent fortement de s'en
emparer, en disant qu'il rembourserait ses propriétaires quand Dieu le
voudrait ...Il n'y consent pas et l'affaire est close, provisoirement... La flotte
se dirige ensuite vers Cherrepe, le port de la ville de Santiago de Miraflores,
où se trouve un autre bateau de bel aspect, la Santa Isabel. Les officiers du
navire-amiral veulent persuader Mendana de le prendre pour remplacer le
sien, qui ne leur plaît pas ; dans ce but, ils percent la coque en sept endroits,
de sorte que les soldats déclarent qu'ils refuseront d'embarquer sur un navire
qui prend l'eau ; le pilote et le maître de camp présentent une pétition dans
le même sens, et Mendana cède, non sans dédommager quelque peu le
propriétaire.
Dès le
montre imbu de son autorité et
Mendana
se
voit dans
l'obligation de débarquer certains de
ses passa¬
gers qui lui paraissent peu recommandables ; il faut dire que Philippe II avait
écrit au vice-roi de faire embarquer pour cette expédition tous les vauriens
qui pullulaient
au
La confiance
Pérou
...
règne pas : Mendana fait faire à Quirôs cinq cartes de
navigation, une pour lui et une pour chacun des quatre pilotes, en lui précisant
de n'y faire figurer que la côte péruvienne, de Arica au sud à Paita au nord,
et deux points à 1500 lieues à l'ouest de Lima, l'un
par 7° et l'autre par 12°
de latitude. L'explication en est
simple : les îles Salomon sont à 1450 lieues
ne
à l'ouest de Lima et elles
se
situent dans cette «fourchette» de latitude
n'a donc besoin de rien d'autre pour
: on
s'y rendre. De plus, avec des cartes aussi
«vides», Mendana veut éviter qu'un bateau ne lui fausse compagnie.
Société des
Études
Océaniennes
67
Le maître de camp est
si irascible et si offensant envers les gens de mer
débarquer. Mendana le convainc de n'en rien faire et décide
l'appareillage, le vendredi 16 juin, au son des clairons et des tambours.
que
Quiros veut
Sur la San Jerônimo
(navire-capitaine) ont embarqué Mendana, dona
Isabel, dona Mariana de Castro, les frères de dona Isabel, le maître de camp,
les officiers
supérieurs et deux prêtres, dont un qui a le titre de vicaire. Sur
(navire-amiral), se trouvent l'amiral Lope de Vega, deux
capitaines et un prêtre. Sur la San Felipe (la galiotc), le capitaine Felipe
Corzo,ses officiers et ses gens. Sur la Santa Catalina (la frégate), le capitaine
Alonso de Leyva, faisant fonction de lieutenant.
la Santa Isabel
Le vent, comme à
l'accoutumée, est de Sud-Est à Est-Sud-Est, et on met
cap à l'Ouest-Sud-Ouest puis à l'Ouest quart Nord-Ouest, jusqu'au 21
juillet, quand par 10°50', à cinq heures de l'après-midi, on aperçoit la
première île ; comme c'est la veille de la sainte Madeleine, c'est le nom que
Mendana lui donne : Santa Magdalena ; il pense que c'est la terre qu'il
cherche et tout le monde avec lui se réjouit d'avoir fait un voyage si rapide
(quand même plus d'un mois ... ), au cours duquel 15 mariages ont été
célébrés. Il fait entonner un Te Deum que tous reprennent avec grande
dévotion.
Hiva, la première des îles du groupe Sud des
Marquises, et le récit que fait Mendana de son séjour est le premier qui ait
jamais été fait sur la Polynésie, ce qui le rend extrêmement précieux.
Cette île, c'est Fatu
pirogues marquisiennes, leurs balanciers, précise
qu'elles portent de trois à dix hommes . Puis il décrit les hommes : «presque
blancs», très robustes, sains et forts, énergiques «jusque dans leur façon de
parler». Ils sont entièrement nus, ont le visage et le corps tatoués de couleur
bleue, certains tatouages représentent des poissons ; ils ont les cheveux longs
qu'ils portent lâchés dans le dos ou torsadés, et beaucoup sont blonds. En un
mot, ils sont beaux, et il est partagé entre deux sentiments : remercier le
Seigneur de cette beauté et se lamenter de voir toutes ces âmes perdues.
Il décrit d'abord les
Les Marquisiens lui font signe de venir à terre en disant quelque chose
qu'il retranscrit : «analut», ce qui correspond peut-être à «a mai iuta», le «a»
du mot «uta» étant atone. Ils lui donnent des cocos, une sorte de pâte
Société des
Études
Océaniennes
68
enveloppée dans des feuilles (sans doute de la popoi), des bananes et des
bambous pleins d'eau. Ils regardent avec amusement les femmes qui sont
sorties sur le pont pour la circonstance. L'un d'entre eux monte sur le bateau
et Mendana lui donne un chapeau et une chemise : il est si amusé qu'il appelle
ses compagnons, et quarante d'entre eux (chiffre symbolique, repris très
souvent pour signifier un assez grand nombre de personnes) viennent à bord.
Près d'eux, les Espagnols se sentent ridiculement petits: l'un des Marquisiens
dépasse d'une bonne tête le plus grand des Espagnols, qui pourtant était
considéré par les siens comme une sorte de phénomène. Les Marquisiens
parcourent le pont en tous sens et touchent tout ce qu'ils voient, y compris
les bras des Espagnols, leurs barbes et leurs visages. Comme ils se montrent
déconcertés par tous ces vêtements et toutes ces couleurs, les soldats ouvrent
leurs chemises, baissent leurs bas et retroussent leurs manches, ce qui les
rassure
quelque peu et, en même temps, les amuse beaucoup.
Mendana et
quelques soldats leur donnent des chemises, des chapeaux
qu'ils s'accrochent au cou, puis ils se mettent à chanter,
à danser et à appeler leurs compagnons. Les Espagnols commencent à les
trouver importuns et leur font signe de s'en aller, mais en vain ; bien au
contraire, les petits larcins s'intensifient. Mendana fait alors tirer un coup de
couleuvrine (un petit canon), qui produit l'effet recherché : terrorisés, les
Marquisiens se jettent à l'eau et regagnent leurs pirogues, non sans tenter de
remorquer le navire vers le rivage, en attachant une corde sous le baupré, ce
qui est très dangereux, car si le bateau s'échoue, il est perdu - il n'existe aucun
moyen de le déséchouer et ses hommes seraient alors condamnés. Cette
tentative cependant ne réussit pas et Mendana se rassure.
et
d'autres babioles,
Sur les
pirogues, il remarque un homme qui semble être le chef, sous
palmes, et un autre, qui fait des grimaces épouvantables dans
leur direction, pour les impressionner. Les Marquisiens font «sonner leurs
coquillages» (sans doute le pu) et frappent de leurs pagaies le bord des
pirogues. La tension monte et quelques-uns sortent leurs lances, d'autres
préparent leurs frondes et commencent à lancer des pierres vers les bateau :
un soldat est blessé. Les
arquebusiers se préparent, mais comme il a plu, leur
poudre ne prend pas très vite ; cependant le vieil homme qui faisait des mi nés
redoutables est tué d'une balle en plein front et sept ou huit autres avec lui.
Les Marquisiens s'éloignent alors et les bateaux peuvent
reprendre leur
une
ombrelle de
Société des
Études
Océaniennes
69
plus tard, trois Marquisiens reviennent dans une pirogue : l'un
branchage vert et quelque chose de blanc à la main, ce qui est
interprété comme un signe de paix ; il vient les inviter à entrer dans sa baie,
mais Mendaha n'accepte pas ; les trois hommes s'en vont après avoir laissé
quelques cocos.
route. Un peu
d'eux porte un
elle est taillée à
pic sur la mer, elle est haute et
vallées profondes où vivent les «Indiens» ; le
mouillage se trouve sur la côte Sud ; elle est très peuplée, car en plus de tous
les gens qui se sont approchés en pirogue, la plage et les rochers du rivage
Mendaha décrit l'île
:
montagneuse, avec des
étaient noirs de monde.
Il la décrit
en
détails, mais
Salomon, qu'il cherchait :
ne
la reconnaît pas : ce n'est pas une des îles
c'est donc une nouvelle découverte.
poursuit sa route et aperçoit trois autres îles : la première, à 10 lieues
Nord quart Nord-Est de Fatu Hiva, il l'appelle San Pedro (Saint Pierre);
elle n'est pas très haute , est très boisée et près du rivage, un peu au large, il
Il
au
remarque une
de Motane.
roche escarpée. On ne s'en approche pas. C'est sans doute l'île
cinq lieues au Nord-Ouest deSan Pedro, présente de
plaines et ses sommets sont beaux à voir ; elle est très peuplée. Il la
baptise Dominica, ("est sans doute Hiva Oa.
La deuxième île, à
belles
La troisième est
au
Sud de la Dominica, à un peu
plus d'une lieue, et en
séparée par un chenal navigable : elle reçoit le nom de Santa
s'agit de Tahuata.
est
Cristina. Il
baptise toutes les quatre " Las Marquesas de Mendoza", en
Marquis de Canete, afin de montrer la reconnaissance qu'il lui
Mendaha les
mémoire du
voue.
jeter l'ancre près de la Dominica, quand de nombreuses
teint un peu plus
brandit un branchage
quelque chose de blanc et fait des signes aux Espagnols, au moment
Il cherche à
pirogues s'approchent, avec à leur bord certains hommes au
foncé que ceux qu'il a vus à Fatu Hiva. Un vieil homme
vert et
Société des
Études
Océaniennes
70
où leur bateau vire de bord ; croyant
tire les cheveux et leur fait signe de
qu'ils s'en vont, il s'en montre déçu, se
revenir. Mendana est tenté mais le fort
vent d'Est ne le lui permet pas et, de plus, on ne voit aucune baie où s'en
abriter, pas même depuis la frégate qui, pourtant, navigue plus près de terre
; elle signale cependant qu'il y a énormément de monde sur le rivage et ajoute
en passant qu'un Marquisien qui était monté à son bord a
pu soulever un veau
par l'oreille...
La nuit
passe à la cape et, le lendemain, Mendana envoie le maître
de camp avec 20 hommes dans la chaloupe chercher un mouillage et/ou de
l'eau à Santa Cristina. Il se retrouve bien vite encerclé par des pirogues et,
se
pour se rassurer, ses hommes tuent plusieurs Marquisiens ; un des Espagnols
en tue deux d'une seule
balle, et alors commence une conversation à laquelle
s'attendrait vraiment pas
dans ces circonstances : le soldat aussitôt
qui lui a donné l'ordre de tirer. Comme Quirôs lui répond alors
que, s'il devait le regretter à ce point, il n'avait qu'à tirer en l'air, notre
bonhomme rétorque qu'il ne voulait pas perdre sa réputation de bon tireur.
Le pilote, interloqué, ne peut que lui demander à quoi lui servira sa bonne
renommée quand il ira en enfer
on ne
maudit celui
...
La
chaloupe, n'ayant trouvé ni mouillage, ni eau douce, revient vers le
bateau, où le maître de camp constate que les visiteurs marquisiens lui ont
volé la petite chienne qui lui tenait compagnie depuis le Pérou
...
La même
troupe repart le lendemain à Santa Cristina ; cette fois, les
soldats descendent à terre, bien alignés, jouant du tambour, et vont se poster
autour d'un village. Le maître de
camp appelle les habitants et, quand ils
s'approchent, il trace une ligne par terre en leur faisant comprendre qu'ils ne
doivent pas la franchir, puis leur demande de l'eau. Ils lui en apportent dans
des cocos et l'auteur du récit dit, fort pudiquement, que les Marquisiennes
apportèrent d'autres fruits. Il ajoute que, d'après les soldats (ce qui est une
façon de ne pas se prononcer lui-même), beaucoup d'entre elles sont très
belles et qu'elles se sont pas farouches : elles vinrent s'asseoir
près des
Espagnols et bavarder : c'est sans doute la même pudeur qui le fait terminer
en disant
que «les mains se sont régalées»
...
Pendant
d'aller
temps-là, le maître de camp demande aux Marquisiens
remplir ses jarres d'eau, mais ils lui répondent par signe d'y aller luice
Société des
Études
Océaniennes
71
même, après en avoir dérobé quatre -délit gravissime, étant donné qu'il s'agit
lui d'une simple question de survie- et qui le pousse à faire tirer des
coups de feu.
pour
Mendana, ayant appris dans quelle baie se trouvait la chaloupe, veut y
son navire ; mais en s'approchant de terre, le vent lui manque
faire mouiller
houle le
et la
précipite fort près d'un rocher à pic sur la mer. Le danger est
on hisse une voile qui heureusement se gonfle et écarte le bateau
la haute mer. Puis il apprend que ce n'est pas un bon mouillage, car le
grand, et
vers
pierres coupantes, qui peuvent scier les cordages ; de plus, une
plus en sortir. Excédé par les plaintes continuelles
de ses hommes, il décide de repartir vers les îles Salomon, en disant que l'eau
qu'ils avaient à bord suffira. Quiros lui représente le danger de reprendre la
mer avec des provisions déjà bien entamées et, finalement, il va jeter l'ancre
dans une autre baie, que les hommes de la chaloupe viennent de reconnaître.
fond est fait de
fois entrés, on ne pourra
Le
lendemain, le 28 juillet, Mendana
descend à terre avec sa femme et
jamais dite aux Marquises :
imitent tout ce que font
les Espagnols, dans une atmosphère fort pacifique, idyllique, dirions-nous...
Une belle Marquisienne vient s'asseoir près de dona Isabel et l'évente : ses
plupart des gens entendre la première messe
les «Indiens» y assistent en silence et attentivement,
la
dona Isabel veut lui en couper une mèche,
mais comme elle refuse, elle n'insiste pas, afin de ne
cheveux blonds sont si beaux que
en
souvenir sans doute,
pas
la fâcher...
prend solennellement possession des quatre
promène sur Santa Cristina ; il sème du maïs devant les Marquisiens
et bavarde avec eux comme il peut, puis regagne son bord, laissant à terre le
maître de camp et tous les soldats. Une algarade ne tarde pas à éclater, un
Mendana, après la messe,
îles et se
soldat est blessé et tous les
«Indiens» s'enfuient dans la brousse, emmenant
les Espagnols les poursuivent, mais ils se
leurs femmes et leurs enfants ;
réfugient sur le sommet de trois hautes collines, d'où leurs cris, qui résonnent
sur les versants, terrorisent les soldats . Cela ne va pas plus loin pour cette
fois.
espagnoles descendent à terre se promener sur la plage,
pendant que les marins font des provisions d'eau et de bois, sous la protection
des trois postes de gardes, car le courage des Marquisiens les
Les femmes
Société des
Études
Océaniennes
72
impressionne : l'auteur du récit se réjouit de ce qu'ils n'aient pas de flèches
car, sinon, le danger serait grand Mais comme ils ont vu le mal que peuvent
faire les arquebuses, ils se montrent, en général, plutôt amicaux, et offrent
des régimes de bananes, afin de les faire repartir au plus tôt et de retrouver
la paix de leur village. Un homme de belle allure a appris à se signer et à dire
«Jésus, Marie» ; chaque Espagnol devient l'ami d'un Marquisien ; ils
s'asseyent deux par deux et chacun enseigne à l'autre comment désigner
dans sa langue les différentes choses qu'ils voient : le ciel, la mer, le soleil,
.
etc.
Cette apparente amitié ne doit pas
faire illusion : un jour où des
Marquisiens viennent offrir des cocos aux hommes qui sont à bord, ceux-ci
s'imaginent que cette visite a pour but d'étudier les points faibles des navires
et ils les reçoivent à
coups de couleuvrine et d'arquebuse, les poursuivant
même jusqu'à terre avec la chaloupe. Là, ils s'emparent de deux
pirogues où
se trouvent les cadavres de trois malheureux
qu'ils pendent à un arbre après
les avoir tailladés de la lame de leur épée, afin
d'inspirer de la crainte à tous
ceux
qui les verraient. Le narrateur, après avoir rapporté les faits, ajoute qu'il
ne voit
pas ce que pouvaient craindre quatre navires armés de ces gens sans
armes et munis de
pirogues ; il ne cache pas sa réprobation, qu'il assortit d'un
commentaire moral : un jour, ces hommes sauront que c'est un grave délit de
tuer un corps qui a une âme et il sera
trop tard alors pour s'en repentir. On ne
peut pas ne pas voir là comme un écho de la controverse de Valladolid
...
Tous les Marquisiens ne sont pas reçus de la même façon à bord : l'un
d'eux, qui est devenu l'ami du curé, visite le bateau et observe tout ce qu'il
voit
et à
avec une
attention «surprenante
dire «Jésus, Marie» et veut
chez un Indien» ; il apprend à se signer
repartir avec les Espagnols quand il apprend
qu'ils s'en vont.
Mendana
femme, dans
laisser une trentaine d'hommes, dont certains
île, mais Comme ils refusent, il y renonce.
veut
cette
Le
avec
leur
séjour des Espagnols à Santa Cristina - Tahuata se solde par de
nombreux morts (le récit n'en donne pas, bien sûr, le nombre exact, et il est
bien difficile d'en avancer
un), ce que le narrateur déplore : il condamne non
seulement ces actes criminels, mais ceux
qui les ont permis et ceux qui ne les
ont pas punis. Il est difficile de ne
pas voir là une sévère critique de Mendana.
Société des
Études
Océaniennes
73
La baie où les navires étaient
mouillés fut baptisée Madré de Dios,
il
dit protégée
sans doute de Vaitahu, sur la côte Ouest, que le narrateur
de tous les vents, sauf bien sûr du vent d'Ouest, qu'ils n'ont pas eu
s'agit
d'observer. Il la décrit en détails, et
permettront aux
l'occasion
fournit tous les signes particuliers qui
marins de la reconnaître, ainsi que les précisions utiles sur
l'endroit où faire de l'eau.
Il décrit aussi
mêmes
lui semblent avoir le teint plus foncé que
mais qui ont la même langue, les mêmes armes et les
ses
de Fatu-Hiva,
ceux
habitants qui
pirogues.
Il n'oublie pas
de décrire le village, qui forme comme les deux côtés
il pense que ce sont des
carré, bien empierré ; quant aux maisons,
habitations collectives, où dorment sans doute
d'un
beaucoup de personnes
d'après le nombre de «lits» (sic) : il décrit leur toiture à deux pans, leur
plancher surélevé par rapport au niveau de la rue, leurs ouvertures, leur
charpente, leur couverture de palmes, etc.
Évidemment, il parle des femmes et précise que tous ceux qui les ont
sont du même avis : le sien n'est donc pas subjectif ! Il est intarissable
sur leurs jambes, leurs mains, leurs yeux, leur visage, leur taille, pour
lesquels il semble manquer d'adjectifs : tout est «lindo, bello, hermoso»
(beau, joli, ravissant).. Pour mieux se faire comprendre, il ajoute que
certaines d'entre elles sont plus belles que des dames de Lima, ce qui, vu la
réputation des Liméniennes, n'est pas peu dire. Leur teint n'est pas «albo»
(blanc pur), mais «bianco» : jolie nuance poétique qui confirme d'autres
observations précédentes. Elles se couvrent les seins et le reste du corps au
moyen de «tuniques finememt tissées de toutes petites palmes».
vues
Le narrateur
c'est
où
se
un
nous
donne aussi la
description d'un temple marquisien
espace entouré d'une palissade, au
des statues «mal sculptées»,
trouvent
:
milieu duquel il y a une maison,
ainsi que des offrandes (un porc
aliments) ; il rapporte aussi que, les soldats les ayant enlevées, ils
attaqués par les Marquisiens, qui firent preuve d'un profond respect
pour cette maison et ces statuettes, ce qui sembla aux Espagnols entre
absurde et sacrilège.
et
d'autres
furent
Société des
Études
Océaniennes
74
Nous
également la description précise des pirogues de haute
mer, qui peuvent porter de trente à quarante rameurs : leur coque est faite
d'un seul tronc d ' arbre, et comprend une quille, une proue et une poupe - c ' est
l'observation d'un marin qui est capable d'apprécier les détails de l'architec¬
ture. A ^es yeux, il ne s'agit pas d'une embarcation rustique ou primitive ;
d'ailleurs, il ajoute qu'à leur demande, les Marquisiens leur ont déclaré
qu'ils se rendaient dans d'autres îles avec ces pirogues, ce qui, pour le
navigateur qui a traversé le désert du Pacifique et connaît tous les dangers qui
guettent ceux qui vont sur la mer, est une sorte de brevet de «navigabilité»,
et provoque son admiration. Il décrit aussi les instruments avec lesquels ces
pirogues sont construites : des herminettes faites d'os de gros poissons et/ou
de coquillages, aiguisées sur de gros cailloux réservés à cet usage.
avons
Il passe ensuite à la constitution physique des Marquisiens, qui
semble respectable et dont il peut juger parce que, de nuit, dit-il,
lui
les
Espagnols devaient se couvrir alors que, de jour, le soleil était très fort. Il
n'en dit pas plus, cet exemple devant lui paraître suffisant pour prouver la
résistance et la santé de ces «Indiens», à côté desquels les Espagnols
ressentaient très certainement un net complexe d'infériorité.
,
La
description se termine par une énumération : des animaux (poules
«de Castille»), un grand arbre aux feuilles dentelées (peut-être
pain, dont les Marquisiens, selon le narrateur, appellent le fruit
«mets blanc» et que nos navigateurs consommèrent en quantité), une pâte
assez aigre qui est conservée dans des grottes (peut-être le ma qui sert encore
aujourd'hui à préparer lapopoi ), des fruits qui ressemblent aux châtaignes,
en plus
gros (le ihi qu'on apelle le mapekTahiti ? ), des noix de la même taille
que celles de Castille (le ma'i'i, ou fruit de l'arbre qu'on appelle auteraa à
Tahiti, ou le tiairi, la noix de bancoul ?), des courges et des fleurs (belles,
rouges et sans odeur : peut-être les hibiscus).
et
porcs
l'arbre à
Et il termine
disant
qu'il n'en sait pas plus, parce qu'ils n'ont pas
exploré l'intérieur des terres et qu'ils ne comprenaient pas la langue
marquisienne, n'ayant pas d'interprète, ce à quoi il attribue une grande part
du mal qui a été fait.
en
La visite est terminée et Mendana donne l'ordre de procéder aux
préparatifs de départ. Avant d'appareiller, il fait encore ériger trois croix en
Société des
Études
Océaniennes
f
75
plus une autre qui a été sculptée dans un arbre et qui
du
jour
5
porte la date
: le août 159^. Puis il met le cap à l'Ouest, toujours à
trois endroits différents,
la recherche des fameuses îles Salomon.
Espagnols sont donc restés peu de temps aux Marquises : du 21
juillet au 5 août, soit 15 jours en tout. Ils n'ont vu que les îles du groupe Sud
(qui n'auront plus d'autre visite européenne connue jusqu'à celle du capi¬
taine Cook en 1774), sans soupçonner l'existence des îles du Nord, dont le
capitaine français Etienne Marchand prendra possession le 22 juin 1791 et
qu'il appellera les «îles de la Révolution». Elles seront annexées par Dupetit
Thouars en 1842, gardant leur nom de «Marquises».
Les
séjour ? Le nom, tout d'abord : si les
Marquisiens appellent leurs îles «Henua enata» ou «enana» (ce qui veut dire
«terre des hommes»), elles sont connues dans le monde entier comme «îles
Marquises», ce qui va devenir en langue tahitienne Matuita, jusqu'à la
Qu'est-il resté de
ce
court
réhabilitation, il y a peu, de leur nom
indigène.
place, il n'y a bien sûr aucun vestige du passage de Mendana : les
croix
de bois ont soit pourri naturellement avec le temps, soit été
quatre
détruites par les Marquisiens, peu enclins à les conserver, et la tradition orale
ne semble pas avoir gardé le souvenir des morts dont cette première visite
européenne fut la cause.
Sur
rencontre des familles marquiskmnes qui portent un
(Mendiola, ou Peterano par exemple), il ne date
évidemment pas de 1595, mais peut-être du passage au 19° siècle de bateaux
baleiniers dont certains membres d'équipage ont préféré mettre sac à terre.
Si
aujourd'hui
on
patronyme espagnol
l'on peut retenir du voyage de Mendana, c'est surtout qu'il nous
témoignage, succint certes, mais cependant fort précieux, parce
qu 'il fut le premier qui ait jamais été écrit sur un peuple polynésien -on n'en
aura pas
d'autre avant la fin du XVIIIème siècle. Le sentiment qui domine
chez Mendana, c'est l'admiration devant ce qu'il découvre, qu 'il s'agisse des
pirogues de haute mer qu'il décrit en homme qui sait ce que naviguer veut
dire, des maisons où il remarque, entre autres détails, le plancher surélevé,
ou des
villages dont il apprécie le sol empierré. Ce qu'il rapporte dans son
récit, c'est la preuve qu'il n'a pas rencontré un peuple primitif, mais une
Ce que
offre
un
Société des
Études
Océaniennes
76
apte à l'évangélisation.
s'agit bien là d'une de ses préoccupations constantes. N'oublions pas
que Las Casas considérait la religiosité naturelle des Indiens comme un gage
de succès pour la propagation de la foi chrétienne. On peut, bien sûr, ressentir
société organisée, donc civilisée, et donc, finalement,
Car il
description qu'il donne du temple
marquisien : il parle de statues «mal sculptées» et d'offrandes grossières (le
porc étant l'animal le plus vil), mais il fait aussi référence au profond respect
que l'endroit inspire aux Marquisiens, et c'est sur ce point qu'il insiste. Ces
hommes ne sont pas des sauvages, et tout espoir est permis.
une
certaine condescendance dans la
Évidemment,
admira¬
qualités
principales aux yeux d'un Espagnol de l'époque : elles sont belles ( la pâleur
tion face
aux
ce
qui
hommes et
nous touche aussi aujourd'hui, c'est son
femmes qu'il a vus. Celles-ci ont deux
aux
Europe) et elles sont pudiques
(elles se couvrent les seins et le reste du corps). Lorsqu'elles viennent voir
les marins, il ne parle pas de provocation, mais relate une scène plutôt
bucolique et charmante.
du teint était
un
des critères de la beauté
en
hommes, ils l'impressionnent par la noblesse de leur allure
magnifique constitution physique -ils sont grands, robustes et fort
vigoureux. Ils sont bien différents des Indiens de l'Amérique espagnole de
la fin du XVIème siècle, plus petits et moins fiers. Tous les Espagnols en sont
frappés et, si on ajoute à cela le grand nombre des Marquisiens qui viennent
à bord ou qu'ils rencontrent à terre, il ne faut pas chercher plus loin la raison
pour laquelle les arquebuses ont parlé : réflexe de peur bien plutôt que
Quant
aux
et leur
d'agressivité.
Il reste, bien
sûr, des questions sur la taille des navires et l'identité de
exemple. Mais, surtout, comment se termina ce
voyage ? Quelle audience rencontra son récit en Amérique et en Europe ?
leurs passagers, par
Quelle influence eut-il
navigateurs du XVIIIème siècle ? Pourquoi
l'Espagne «oublia-t-elle» complètement ces îles pendant deux siècles ? Ces
points feront l'objet d'autres études.
sur
les
Annie Baert
Société des
Études
Océaniennes
77
ARCHÉOLOGIE
ET FESTIVAL DES
ARTS,
LE CAS DE IIPONA À PUAMAU,
HI VA OA
Introduction
Le troisième Festival des Arts des îles
Marquises manifeste un re¬
l'archipel et l'affirmation de son identité polyné¬
sienne. Le premier, lancé par l'île de Ua Pou en 1987, fut suivi en 1989
par Nuku Hi va ; en décembre 1991, il eut lieu à Hiva Oa.
nouveau
culturel de
qui distingue ce festival des précédents est la volonté des habitants
organisateurs de restaurer des sites archéologiques. Ils firent ainsi
appel au Département d'Archéologie, du Centre Polynésien des Sciences
Humaines, qui mène depuis longtemps des actions dans cet archipel. Une
mission fut alors dépêchée, en novembre 1990, avec l'appui du Haut
Commissaire de la République en Polynésie Française, pour choisir les sites
et organiser les travaux futurs. Devant l'ampleur des projets, il fut décidé
d'effectuer les travaux en cinq mois répartis en deux sessions, ce qui
permettait, à priori, d'éviter la saison des pluies du milieu de l'année. Ces
travaux concernèrent la restauration du tohua -site communautaire- de
Upeke, a Taaoa, dirigée par Eric Conte et Jean-Luc Rieu, l'organisation et la
présentation d'un petit musée communal, confiées à Marie-Noëlle de
Bergh, ainsi que l'étude et la restauration du me'ae -site religieux- de Iipona,
dans la vallée de Puamau, à l'extrémité nord-est de l'île. C'est ce dernier,
dont nous fûmes chargé, qui retiendra notre attention.
Ce
et
des
La volonté de restauration de sites
la
archéologiques traduit de la part de
affirmation de son identité culturelle. Dans des sociétés de
la culture et la connaissance sont véhiculées par la parole,
l'hémorragie démographique du début du siècle et les perturbations induites
par le contact européen ont très rapidement bouleversé ces sociétés.
population
une
tradition orale
ou
langue demeure le seul garant quotidien de la spécificité de ces
peuples. Au delà des mots, cette culture se manifeste également par des
La
Société des Etudes Océaniennes
78
modes de vie, des mentalités, des gestes et des techniques. Cette langue et
ces attitudes sont cependant sensibles à l'évolution du monde et se modifient
lui. Seule demeure stable
l'empreinte de cette ancienne culture sur des
plus durables, tels les paysages et les nombreuses traces inscrites
dans le sol. Les pierres organisées et les structures lithiques élaborées par les
anciens Polynésiens participent de façon concrète et évidente à la mémoire
collective, supports mnémotechniques d'une culture actuelle qui cherche à
travers ses propres empreintes à retrouver sa mémoire, elles méritent toute
avec
éléments
notre
attention et
une
réelle collaboration entre les habitants et les archéolo¬
gues.
La volonté de restaurer des sites
archéologiques traduit, de la part des
Marquisiens, la reconnaissance de leur patrimoine culturel et le refus d'un
développement qui fasse table rase du passé. L'archéologue poursuit les
mêmes buts et tente, parallèlement à ses intérêts scientifiques de recherche,
de répondre à une demande émanant des habitants chez qui il n'est qu'un
hôte passager. Restaurer un site c'est respecter la volonté des autres et
concilier sa propre recherche à l'attente des pays d'accueil. C'est également
avoir la satisfaction de comprendre un site jusqu'à ses racines et tester sa
compréhension, en redonnant visage à des ruines. La restauration ne pourra
ne bien se faire qu'après une étude
archéologique préliminaire et parallèle au
déroulement des travaux.
Après une situation générale du site de Puamau et de son cadre géogra¬
phique, la suite de notre texte sera en fait une présentation schématique du
me'ae de Iipona et de quelques notions nécessaires à sa compréhension.
Notre intention, ici, n'est autre que de„guider le lecteur et éventuellement,
nous l'espérons, le futur visiteur des vallées
marquisiennes.
La vallée de Puamau
Les vallées
marquisiennes se présentent en général sous deux types
géomorphologiques dont le plus répandu est une vallée étroite et encaissée,
fruit d'une érosion rapide dans les flancs d'un volcan jeune. L'autre type
consiste en une large vallée, de forme subcirculaire, qui résulte de la forme
du volcan initial ; elle est localisée à l'emplacement du cratère partiellement
effondré dans les eaux et s'ouvre donc largement sur l'océan. Elle est
bordée, côté terre, de falaises aux parois abruptes dont les sommets dessi¬
nent une ligne de crête pratiquement continue qui l'isole relativement des
autres territoires de l'île. Ce type de vallée, généralement vaste, abritait
Société des
Études
Océaniennes
79
autrefois
une
ment aux
population répartie en plusieurs tribus, contraire¬
longues et étroites qui n'abritaient en général qu'une ou
nombreuse
vallées
deux tribus.
La vallée de Puamau est du deuxième type. La crête domine, d'une
ligne régulière, culminant à 700 m., le fond de vallée qui s'ouvre sur l'océan
par une baie frangée de sable et de gros galets. Divers torrents découpèrent
ce fond de vallée en forme de large éventail que se répartissaient, avant
l'arrivée des Européens, huit tribus dont celle des Naiki.
La ligne de crête enchâsse ce territoire relativement uniforme au sein
duquel n'émerge qu'un unique point remarquable : le piton du mont Toea.
Ce piton dressé vers le ciel est un neck résultant d'une cheminée secondaire
dégagée par l'érosion fluviatile. Ses parois grises de roche nue se distinguent
particulièrement bien du tapis vert de la végétation recouvrant presque
uniformément les alentours. Un toupet d'arbres de fer couronne son som¬
met. Elément remarquable émanant de la terre et se dressant vers le ciel, c'est
à son pied que la tribu des Naiki décida d'implanter son principal site
religieux, le me'ae de Iipona.
particulièrement connu en Polynésie par la quantité et la
sculptures de pierre, et particulièrement de deux d'entre elles, les plus grandes de Polynésie, l'île de Pâques mise à part. L'impor¬
tance de ces statues, ou tiki, dont on recueilli les traditions à la fin du siècle
dernier et au début du XIX siècle, occulta en quelque sorte l'importance du
site lui-même dont l'organisation resta méconnue, en dehors d'un plan
schématique dressé par Linton en 1921. Le me'ae était alors à l'abandon
depuis longtemps et bien perturbé. Les travaux de 1991 permirent d'en
dresser "l'état des lieux" et d'en reconstituer le plan à la veille de son
abandon. Les me'ae sont des structures complexes sur lesquelles peu
d'informations sont disponibles, ce qui rend leur étude aussi intéressante
Ce site est
dimension de
que
ses
nécessaire.
présence du piton détermina l'implantation du site, sa disposition
guidée par la topographie du lieu. L'existence d'un torrent fut à cet égard
déterminante. Descendant des hauteurs sud de la vallée en direction du nord
Si la
fut
rejoindre l'océan, le torrent Ahonu se heurta aux premiers reliefs
piton Toea, ce qui le contraignit à décrire une courbe
vers l'ouest, avant de reprendre sa course initiale. Le petit méandre ménagea
ainsi un bel espace, d'environ 120 m de large sur 150 m de long, entre le piton
pour
entourant la base du
Société des
Études Océaniennes
80
et le
lit du torrent. Cet espace naturellement
pentu vers
vers la mer, présentait
quelques grossiers
le nord, et donc
paliers. Les anciens
Marquisiens l'aménagèrent en respectant sa topographie tout en l'amélio¬
rant à leur avantage et selon leur
conception religieuse. Trois longs murs
furent ainsi progressivement montés pour
aménager les paliers en trois
terrasses relativement planes. Le me'ae
proprement dit fut établi sur les
deux terrasses principales dont la plus élevée reçu
les aménagements les plus
orienté
tapu
(sacré).
La provenance des éléments de construction
lithiquc révèle une utilisa¬
tion maximale des matériaux disponibles et un contrôle ou du moins
l'affirmation des relations avec une bonne partie des tribus de la vallée.
Le me'ae associait ainsi les quatre
matières lithiques utilisables de
là-même réunissait sur le même site divers lieux géographi¬
ques. Sur l'emplacement même du me 'ae, des blocs, visibles ou dégagés lors
des travaux de construction, fournirent la
majeure part des matériaux de
base. Ces blocs, tirés de la nature environnante et
dégagés de la terre,
n'étaient pas l'émanation d'une entité
particulière ; leur matière, leur forme
et leur dimension variables,
irrégulières, n'étaient dû en quelque sorte qu'au
hasard. Le cône d'éboulis de Toea fournit
également une part importante
des matériaux, la roche provenait du
piton lui-même et portait sans doute en
elle une part de la valeur attribué à Toea. L'utiliser c'était fonder le
site,
revendiquer son appartenance et associer intrinsèquement le me 'ae au piton
dressé. La roche était de même
origine et donc homogène, seuls le temps et
la chute des blocs étaient responsables de leur usure
plus ou moins pronon¬
cée et de leur dimension, les plus beaux blocs furent utilisés en
parement des
principales structures, les autres réservées aux constructions plus modestes.
Puamau et par
En dehors de
ces blocs de basalte trouvés sur
place, les Marquisiens
également de gros galets lisses apportés du rivage, à quelques
deux km. plus au nord. La roche était
également un basalte mais particuliè¬
rement dense et, plus encore, elle avait
subi un long traitement. Elle résultait
en effet d'un lent travail des
vagues de l'océan, cet océan qui avait porté les
ancêtres fondateurs sur les rivages de ces îles. Utiliser ces
galets, c'était
utiliser des pierres plus tout à fait naturelles car
façonnées par les éléments
et purifiées par la mer ; c'était
apporter au milieu des terres une part de cet
océan et, avec lui, la mémoire d'un
peuple de marins. On assurait alors le lien
avec ses origines, avec les liens tissés sur les rides de la
grande mer. Ces
galets étaient réservés à quelques pavages dont on couvrait le sol ou
utilisèrent
Société des
Études
Océaniennes
81
certaines
plates-formes, comme sur le rivage ils recouvraient la terre. Une
plage, un autre rivage renaissait ainsi, par la volonté des hommes, au
milieu du fenua, la terre patrie de la tribu.
autre
Le quatrième type de roche, un tuf volcanique, était le seul qui ait
véritablement été taillé par les hommes. De gros blocs furent extraits d'une
carrière éloignée d'environ 700 m., et sans doute de plusieurs autres
réparties dans la vallée, pour être hâlés à grand-peine sur le site, et servir à la
sculpture des grandes statues ou des grosses têtes ornant le me'ae. Ce
matériau fut également taillé en forme de dalles qui, mises verticalement,
ornaient la façade de structures importantes et supportaient la première
rangée d'un pavage, toujours constitué de galets. On associait ainsi le
matériau façonné par les hommes et celui façonné par la nature, celui
provenant des terres et celui originaire de la mer. Deux variétés de tuf fut
utilisée, l'une plus grossière et de couleur rouge, l'autre de grain beaucoup
plus fin et homogène et de couleur gris clair. La première variété, sans doute
pour sa couleur, était la plus recherchée et les trois statues de tuf rouge furent
érigées sur la plus haute terrasse.
Des huit
sculptures initialement connues, les travaux entrepris permi¬
d'augmenter ce chiffre à dixhuit dont cinq statues, dix têtes et trois
fragments de sculptures, auxquels s'ajoutent deux pétroglyphes. Il faut
signaler qu'une grande tête se trouve actuellement au musée de Berlin, elle
fut en effet emportée par une compagnie commerciale allemande implantée
aux
Marquises et qui dût quitter les lieux lors de la première guerre
mondiale. La plus grande des statues mesure 2,63 m. hors sol et les autres
avoisinent les 2 m., quant aux têtes taillées, elles varient de 0,30 à 1 m.
rent
Les trois tiki, de tuf rouge, furent donc implantés sur la terrasse la plus
élevée, comme l'étaient sans doute les deux plus grosses têtes, également de
tuf rouge. Devant et en contrebas, la seconde terrasse était divisée longitudinalement. La partie arrière, contre la terrasse supérieure, était dégagée et
partiellement pavée, à l'est se dressaient les deux tiki de tuf gris, à l'ouest,
côté rivière, la pente était aménagée par des paliers et c'était sans doute par
là que s'effectuait l'accès principal au me'ae. La partie avant de cette
terrasse concentrait la majeure partie des plates-formes pavées et des
pavages, elle était destinée aux prêtres qui y séjournaient lors des temps de
rituels.
La restauration de cet ensemble très
une
bonne
perturbé permis de reconstituer
partie des structures lithiques existantes sur ce type de me'ae. la
Société des
Études
Océaniennes
82
fouille
permit d'en comprendre ou d'en approcher la fonction et de mettre au
jour un matériel osseux important, vestige des sacrifices et des repas
effectués, elle permit également de récolter un outillage de pierre et de rares
ornements d'os, et d'apporter quelques informations sur la
chronologie
relative des structures.
Des
sondages effectués
1956 par une équipe norvégienne furent
L'analyse d'échantillons de charbons,
'situa son occupation aux alentours des XV et XVI siècles.
Auparavant, à
l'extrême fin du XlXsiccle, l'ethnographe allemand von denSteinen récolta
plusieurs légendes et traditions qui lui permit, en recoupant cinq généalo¬
gies, de situer le fonctionnement de ce me'ae vers 1750 et, au plus tôt, aux
tout débuts du XVIII siècle. Ce
qui est certain c'est que le site est le fruit de
réaménagements successifs et de réutilisation de structures antérieures. Ces
réaménagements semblant relativement courants, le site tel que nous le
connaissons actuellement ne remonte probablement pas à une lointaine
antiquité et daterait sans doute du XVIII et du début du XIX siècle.
surtout
orientés
sur
en
la datation du site.
Avant d'aborder individuellement les éléments structurels du
site,
présenterons quelques notions relatives aux me'ae ainsi que, sous
forme d'index, les aménagements
qui leur sont associés. Ce "guide" au
me'ae Iipona pourrait également servir une reconstitution éventuelle, in
situ, des éléments architecturaux et ornementaux aujourd'hui disparus car
composés de matériaux périssables.
nous
Le
me'ae, présentation générale
Le concept polynésien de marae
évoque une idée
mais cette notion évolua à la fois dans lu
temps et selon
En
d'espace solennel,
les archipels.
Polynésie occidentale le terme s'applique en général aussi bien à
qu'à un espace d'activité publique.
un
lieu sacré
En Nouvelle
reste de la
Zélande, il désigne un lieu de réunion, alors que dans le
Polynésie orientale il prend essentiellement le sens d'espace
religieux.
Aux
Marquises, le mot utilisé
nombre très varié de
confondre
aux marae
sites, de
est celui de me'ae. Il
structures et
des îles de la Société.
Société des
Études
s'applique à
d'édifices, et
Océaniennes
ne
saurait
un
se
83
le terme ahu, rencontré ailleurs en Polynésie,
plus volontiers utilisé dans quelques cas où, dans le reste de l'archipel, le
A Nuku Hiva et Ua Pou,
est
terme
de me'ae est indifféremment
Le
me
'ae est considéré
comme
employé.
l'espace sacré par excellence. Toujours
c'est-à-dire d'accès interdit ou réservé à des personnes dont le mana
important, il l'était particulièrement pendant les temps de rituels.
Le terme désigne avant tout, aux Marquises, un site funéraire qui correspond
au lieu d'inhumation de lignées importantes. Chaque maisonnée possédait
un espace similaire, mais le terme de me'ae ne pouvait alors véritablement
s'y appliquer. Il désigne également tout endroit où étaient déposés les os des
individus d'un clan ou d'une tribu. Ce pouvait être unpaepae tout aussi bien
qu'une grotte, un ensemble de caches, un arbre... Ces lieux, essentiellement
sépulcraux, se trouvaient généralement dans des endroits retirés et difficile
d'accès. Il sont toujours respectés... et évités.
tapu,
était très
plus connus des visiteurs sont des lieux sacrés apparte¬
vallée, et consacrés à des ancêtres prestigieux.
Tandis que certains étaient intégrés ou voisins d'espaces communautaires tohua -, cas le plus habituel dans le groupe sud, d'autres, les plus tapu, se
trouvaient plus à l'écart.
Les me'ae les
nant à une
tribu,
ou une
Aucun plan type n'était fixé pour l'élaboration d'un me'ae. Son
implantation obéissait toutefois à un certain nombre de choix concernant
l'emplacement, l'orientation, la topographie du site, la proximité d'élé¬
ments naturels, etc. Le ruisseau ou la source proche , le piton rocheux le
dominant... font ainsi partie intégrante du lieu sacré dont la raison d'être se
justifie, entre autres, par leur présence. Certains rochers peuvent être des
éléments essentiels des sites, d'autres servirent simplement de points
d'ancrage aux murs et aux plates-formes, d'autres encore, par la nature de
leur grain, furent utilisés comme polissoirs ou pierres à aiguiser. On y tailla
également des cupules associées ou non aux polissoirs. Certains blocs
portent des pétroglyphes, d'autres furent sculptés afin d'offrir l'image d'un
tiki, parfois enfin ils servirent d'autel ou pierre d'offrande.
La notion de Mana
s'agit d'un des plus importants concepts de la philosophie religieuse
polynésienne. Les nombreuses subtilités de ses manifestations le rendent
particulièrement difficile à traduire précisément.
Il
Société des
Études Océaniennes
v
84
être,
Essence éminemment mouvante permettant au monde d'exister, tout
toute chose était potentiellement porteur et conducteur de mana. Ce
potentiel transmis de génération à génération était cumulatif ; la quantité de
reçue à la naissance dépendait de l'acquis cumulé par les ancêtres.
Ceci assurait aux familles d'artisans-experts, de chefs, de prêtres, de
guerriers, une suprématie réelle et ceci explique également qu'un enfant
premier né ait plus de mana que ses parents. Ce fait influait sur le gouverne¬
ment par exemple, car le père agissait en régent à
partir de la naissance de son
mana
aîné.
D'autre part, un chef important possédant beaucoup de mana assurait,
par cette force "vivifiante" qui émanait de lui, l'abondance des récoltes, le
bien-être de son peuple. Un grand guerrier ou un
expcri-tuhuna opérait par
la même de grandes actions ou d'autres tenant du
prodige.
Le
s'écoulait des sources les plus abondantes vers les concen¬
plus faibles ; une personne ayant beaucoup de mana était ainsi
susceptible de le voir s'irradier ailleurs et s'amenuiser, d'où les multiples
précautions prises afin de le conserver ou de le protéger. Par ailleurs un mana
trop important pouvait perturber ou détruire ce avec quoi il entrait en
contact ; à fin de protection, les interdits visaient alors à éviter les contacts
entre les objets et les êtres au mana
trop inégal. C'est un aspect de la pensée
polynésienne qui explique nombre de comportements anciens.
mana
trations les
Lieux
profanes et lieux sacrés
L'espace de la vallée, le fenua ou henua, s'organisait en fonction de
zones : lieux
d'habitation, espaces agricoles, lieux de cueillette,
espaces de réunion, sites défensifs, etc., il était également ponctué de lieux
tapu, par opposition à ceux qui ne l'étaient pas, considérés comme me'ie.
diverses
Le
diverses
Marquisien qui se déplaçait sur ce territoire le faisait en respectant
règles, plus nombreuses pour les femmes que pour les hommes.
Les endroits
profanes - vahi me'ie étaient accessibles à tous, ils s'op¬
très grand nombre de sites tapu : sites funéraires
lieux
consacrés à des divinités, résidence de prêtre - tau 'a - ou de chef - haka 'iki
ou encore ateliers d'artisans
spécialisés - tuhuna ou tuhuka - anciens lieux
posaient à
-
un
,
-
d'habitation devenus tapu, etc.
Société des
Études
Océaniennes
85
Pour les désigner on utilisait divers termes dont : a, ona tapu, pito tapu,
taha tapu, vahi ane, vahikakea, vahi mamane, vahi tapu... ou encore vahi ou
nahihi'o hi'o, lieux de silence et de calme parfait... Il convenait d'éviter ces
endroits
de
ou
ne
les
approcher qu'avec certaines dispositions et précau¬
tions.
Structures et
aménagements tapu
*
Paepae ou upe tapu : Plates-formes lithiques devenues tapu pour de
multiples raisons.
Ce
pouvait être une structure destinée à abriter des restes, des objets
lesquels il était interdit ou dangereux d'entrer en contact en raison de
leur mana. Il pouvait s'agir d'anciens lieux de résidence de personnes qu'il
ne convenait
pas d'approcher, pour la même raison, ou encore de l'ancienne
résidence d'une famille, frappée d'un tapu à la suite d'une maladie, d'une
avec
mort ou d'un
*
interdit lancé contre elle.
toa'i, au sud, Hanaua ou tokai, au nord : Lieux où
reposaient des femmes mortes en couche -Vahine hanaua ou fanaua - ou,
plus rarement, d'autres personnes. Leurs esprits étaient redoutés. Les
structures étaient évitées. Elles se présentaient comme des entassements de
pierres. Ce pouvait être aussi des plates-formes, plus longues que larges,
atteignant parfois près de trois mètres de haut.
Fanaua
"Chacun
ou
apportait des présents au tokai de ses ancêtres comme il
plus ou moins tapu" (S.
entendait les honorer. Les tokai étaient nombreux et
Delmas).
*
Ahu
:
"On
distingue le ahu henua ou fenua, commun à toute la tribu
c'est le me'ae proprement dit et le ahu ikoa enana, particulier à une
famille. Ces derniers étaient tantôt des lieux où l'on apportait à manger aux
et
dieux, sans se permettre d'y manger soi-même, ahu ordinaires, ou tantôt des
sépultures pour les grands-prêtres, les tau 'a, les chefs, les prêtres dépositai¬
res de la tradition orale du clan, les tuhuna o'oko, en même temps que des
lieux de sacrifices dont l'accès était exclusivement réservés aux prêtres, aux
chefs et guerriers." (S. Delmas).
*
Me'ae
importantes,
:
que
l'on faisait les prières rituelles les plus
l'on offrait les prémices des récoltes, que l'on portait les
C'était là que
Société des
Études
Océaniennes
86
offrandes les
plus significatives et c'était donc là qu'étaient déposés les
humaines, soit directement soit après avoir été exposées sur le
tohua, espace communautaire public. Les hommes, prêtres ou chefs, parfois
guerriers et artisans spécialisés ne s'y rendaient pas souvent. Ces lieux
n'étaient qu'exceptionnellement habités, si ce n'est
par un prêtre-ermite
parfois.
victimes
Un des traits
particuliers des me 'ae est leur variété d'aspect, due à leur
importance, ainsi qu'à la topographie de l'endroit qui guidait les construc¬
teurs.
La situation et la forme des terrasses étaient déterminées
par leur rôle
et le relief. La plus sacrée de celles-ci, celle ou se dressaient les tiki et où se
déroulaient les rites importants : offrandes, sacrifices...
occupait une posi¬
tion dominante. Sur les autres s'élevaient, en fonction de la vocation du lieu
et des circonstances, des
aménagements
variés.
Il y avait au moins deux bâtisses, l'une servait aux
l'autre au grand prêtre. Cette
prêtres ordinaires et
dernière, toujours située dans les limites de
l'enclos sacré, était élévée sur une des plus hautes
plates-formes. Il lui était
donné une forme très pointue
caractéristique qui la fit comparer aux tours
d'oracle anu'u des îles Hawaii. Il
pouvait y avoir parfois un troisième
bâtiment destiné à abriter certains
objets rituels.
-
-
Dans cette même enceinte étaient
également
condaires destinées aux diverses cérémonies
funérailles
clan... Ces
ou
fêtes à la mémoire d'un
dressées les structures se¬
qui devaient s'y dérouler :
prêtre, d'un chef, entrée en guerre du
aménagements provisoires étaient ensuite soit rendus à
la nature,
soit démontés.
Les statues
-
tiki
-
qui
se
dressaient
sur ces
plus sacrées
lieux étaient éminemment
que celles des bâtiments encadrant les lieux de
résidence des chefs et des hauts
dignitaires. Elles
nages
prestigieux qui avaient été élevés
au
rang
réunion, de la
représentaient des person¬
d'ancêtres déifiés.
En temps ordinaire, les limites de l'enclos sacré,
que
étaient rappelées par de petits murets, doublés en
des
nul n'ignorait,
période de cérémonie par
alignements de gaules blanches marquant impérativement le tapu.
Société des
Études
Océaniennes
87
Détails des
aménagements des me'ae
espèces privilégiées comme le ti - Cordyline fructicosa
qui ombrageaient le plus souvent ces lieux tels : Y'aoa banyan, Ficus prolixa -, le tamanu - calophyllum inophyllum -, le mai'i ou
koua'i'i
badamier, Terminalia glabrata -, le tou - faux ébénier, Cordia
subcordata -, le toa - arbre de fer, Casuarina equisetifolia -, le mi'o - bois de
rose d'Océanie, Thespesia populnea -, le pua ou kaupe - Fagraea berteriana
-, etc. on pouvait voir se dresser des faisceaux, des perches, des échafauda¬
ges divers, des formes tressées ou enveloppées de tapa et des offrandes sur
de petites estrades couvertes de nattes.
En dehors des
-
et des arbres
-
Sur les me'ae, on
rencontrait des structures en matériaux végétaux si
périssables qu'entre les temps de rituels elles se détérioraient rapidement et
donnaient au site une allure abandonnée. Les Européens s'y sont souvent
mépris en le croyant déconsidéré, alors qu'il n'en était pas moins respecté et
sacré. Le site et les structures étaient en effet remis en état pour chaque
cérémonie. Ces structures comprenaient de nombreuses constructions
dont
:
*
Fa 'e ou ha 'e tu 'a ou
tukaka, fa'e ou ha 'e tukau oupukao : La "maison
pointue", lieu de recueillement du prêtre,
sacrés.
abritant aussi parfois des objets
.
lipona, le souvenir d'un prêtre
de tau a tamehe.
Pour le site de
de grand prestige est
conservé. Il avait mérité le nom
D'après les informations recueillies par les Handy,
4,5
m.
à5
m.
dans les années 20,
type a avoir été construite à Puamau avait environ
de côté ( 3 mao ou brasses) et plus de 15 m. de haut (10 brasses,
la dernière bâtisse de
ce
'umi). Sa construction avait nécessité la participation de tout le clan
pour rassembler l'ensemble des éléments nécessaires. La mise en place, par
contre, était réservée aux serviteurs des prêtres. Il avait ainsi fallu réunir à
peu près 12.000 gaules d'hibiscus pour l'ossature de cette "tour" dédiée, ici,
à Pupuke. Il n'y avait aucune représentation de cette divinité à l'intérieur
mais, par contre, un emplacement lié à un épisode mythique de la vie du
héros légendaire Fai y était signalé - Te ani puta ia Fai.
soit
un
*
Fa 'e
va
'a
ou
ha 'e vaka, ou
bien encore fa 'e ha 'a pa 'a : La "maison
pirogue" ou "maison à faire sécher". C'était le lieu
Société des
Études
soigneusement construit
Océaniennes
88
et décoré où étaient
exposés et se desséchaient, dans un cercueil-pirogue, les
de défunts importants : grand prêtre, tuhuna o'oko, grand chef ou haut
dignitaire...
corps
A Hiva
Oa, à l'exception de Puamau, il était plutôt d'usage de
une plate-forme
lithique particulière appelée taha
construire à cet effet
tupapa 'u.
*
Keho
Pierre
:
basaltique. Sur de
rares
me'ae
se trouvent
des rochers
et, ou, des pierres dressées qui servaient de pierres-dossiers. A Puamau, dans
certains cas, les tuhuna étaient associés à des rites se déroulant sur le me 'ae,
ces
pierres étaient utilisées
*
Koufau
ou
par
Kouhau
:
les plus âgés d'entre
eux.
perches d'Hibiscus tiliaceus, hau ou fau,
signaler un emplacement tapu. A
écorcées et donc blanches, destinées à
Puamau, lors des cérémonies,
rouge et
*
une
soixantaine de celles-ci, ornées de tapa
blanc, marquaient les limites de l'espace le plus sacré.
Pa 'oa
ou
pupa =
Regroupement en faisceaux de ces mêmes perches.
Le
plus souvent ils étaient ornés de tapa et parfois surmontés d'un
plumet de palmes de cocotier. Ces structures pouvaient être désignées par le
terme de tapi tiki ; Elles marquaient habituellement
l'approche des lieux où
étaient exposés les morts - 'omua'e, ha'e tupapaku 'omua'e ou taha
tupapa 'u.
Lors de funérailles de
prêtres, trois de ces faisceaux représentant les
plus élevées dans la hiérarchie des dieux, étaient
placés devant la plate-forme où reposait la dépouille mortuaire.
trois divinités célestes, les
*
Kopiripiri ou opinipini
bâtiment, une pirogue...
:
palmes de cocotier tressées
pour orner un
*
Tapakau ou tapa 'au : palmes de cocotier tressées par les prêtres
représenter le défunt.
*
*
Maeva
Houtu
ments et
:
:
pour
banderolles de tapa surmontant les bâtiments sacrés.
tronc
destiné à
un
d'arbre à
pain sculpté de forme humaine, vêtu d'orne¬
lieu sacré.
Société des
Études
Océaniennes
89
*
Ananu'u
festivités
temporaire construit aussi bien lors de
sacrées, placé en plein air ou, parfois, dans le fa 'e
Petit échafaudage
:
profanes
que
tukau.
dans
A Puamau,
ce
dernier
cas,
il consistait en l'assemblage d'un
piquet et d'une pièce transversale contre lesquels étaient fixés quatre palmes
de cocotiers
aux
folioles tressées.
feiahu : construction provisoire dressée lors de manifesta¬
premier né d'un chef. Le feia 'u tapa, monté sur une
plate-forme basse, était une sorte d'abri très bien orné dont les poteaux
étaient habillés de tapa et la charpente assemblée par des liens particuliers.
*
Feia 'u
ou
tions touchant l'enfant
Figurations d'oiseaux mythiques, de couleur rouge,
placées à intervalles réguliers sur la poutre faîtière de la "case d'inspiration"
du tau 'a, le/a 'e tukau. Leur nombre correspondait, à Puamau, au nombre de
brasses ma 'o donné à la longueur de la bâtisse. Ils étaient constitués d'une
carcasse de bambou et d'un rembourrage. Le tout était enveloppé de tapa
rouge. L'oiseau n'avait pas de pattes car il était directement lié à la poutre
de faîtage.
*
Manu ku'a
-
:
-
Ces oiseaux
symbolisaient la présence de la troisième des divinités
les chefs, Tehitikaupeka, qui accompagnait l'âme des
célestes honorées par
morts dans l'au-delà.
*
Hukihuki : Ensemble de
trois bâtonnets piqués sur la ligne de faîtage
fa'e tukau. Ils symbolisaient les trois divinités célestes Teuutoka,
Tehitikaupeka et marquaient le mana du tau'a. A la mort de ce
dernier, ces ornements, faits d'un bois particulier, étaient placés auprès du
du
Teuuhua et
tau'a défunt.
ils étaient disposés à intervalles réguliers entre les manu
enveloppés de tapa blanc et rouge ; de longues bandelettes
échappaient et claquaient au vent, marquant le tapu sur le bâtiment.
A Puamau,
ku 'a. Ils étaient
s'en
*
Pahu me'ae
:
Très grands tambours,
liés au me'ae, pouvant atteindre
diamètre d'un peu moins de 0,50m. Un des bois
Calophyllum inophyllum -, la peau était de requin.
plus de 2,45 m. pour un
utilisé était le tamanu
-
Société des
Études
Océaniennes
90
*
Pahu
vanana
Tambour étroit, haut d'environ 1,80 m., fait de tou
vanana :
Cordia subcordata
-
qui était frappé par des officiants et accompagnait les
(chants de célébration) sur le me'ae.
-
Les tambours n'étaient
pas les seuls instruments
les me'ae. Il y avait toujours une ou
plusieurs
musicaux rencontrés
conques marines -putona
faites à partir d'un triton - Charonia tritonis
(L.) - appelé vehineno temano,
"la femme du requin".
sur
-
*
Tai nui, oupa kehoh. Nuku Hiva : Fosse de
rejet du me'ae recueillant
les restes de sacrifices et d'offrandes. Ces restes ou les offrandes ellesmêmes pouvaient parfois être placés sous une construction du site,
par
exemple lors des travaux d'assise d'une nouvelle plate-forme.
*
Tuu avai ia ahi
des feux liés
aux
rites
espace rectangulaire bordé de ke'etu où étaient faits
qui avaient lieux sur le me'ae.
:
A
Puamau, la petite structure rectangulaire 26, sur le coté du fa'e
(structure 28-29) est un makuhane. Cet espace, assez
semblable au précédent, est considéré comme étant réservé au feu du
chef,
à travers la fumée duquel le tau'a
distinguait les événements à venir.
touteko du chef
*
'Ua
ma:
Fosse silo où était
entreposée la pâte fermentée, ma, du fruit
pain. Celle-ci pouvait être conservée un très grand nombre
d'années en cas de besoin. Quotidiennement utilisée dans la
préparation de
la nourriture, ce ma servait ici aux officiants et
pour les offrandes aux
de l'arbre à
divinités et ancêtres.
Me'ae
llpona de Puamau
Tradition concernant le site recueillie par
K.
Steinen, à Puamau
:
en
1897, auprès de Pihua
von
den
Autrefois vivaient à cet endroit trois nobles Naïki : Te
Eitafafa,
Hakieinui et Maiauto. Ils entrèrent en conflit avec leurs voisins des vallées
de l'ouest. Ils
l'offrirent
en
capturèrent
un chef des Etu Oho, de Hanapa'aoa : Tiu
sacrifice. Pour venger sa mort, des clans
proches et
o'o et
alliés
entrèrent en guerre. Ils vinrent de Hanaupe et Moea avec à leur tête les chefs
Pahivai et Mataeiaha. Se joignit à eux également le clan côtier de Puamau,
les Pa'ahatai. Les Naiki furent vaincus et chassés de cette côte.
retrouve
aujourd'hui à Atuona, Nuku Hiva, Ua Pou
Société des
Études
Océaniennes
et Ua Huka.
Ôn
les
91
vainqueurs transformèrent cette résidence de chef, avec toutes ses
me'ae. Aux deux grandes terrasses de celui-ci furent donné
les noms des chefs vainqueurs: lepaepaePahivai, où se dresse le tiki Takaii,
Les
annexes, en un
et le paepae
Mataeiaha,
contre-bas.
vainqueurs qui auraient fait dresser les grands tiki,
plane certains doutes sur ce point en particulier.
Ce sont
mais il
en
ces
même
D'après l'étude de cinq généalogies de l'île,
comparées par K. von
Steinen, et où apparaissent certains des personnages impliqués dans ces
événements, il semble raisonnable de situer la transformation de ce site en
me'ae au cours du XVIII ème siècle*.
den
fut offerte par une cheffesse de la
hawaiien Kekela qui débroussailla le lieu, abattant notam¬
ment les grands banyans sacrés, afin d'en faire une plantation de café. Il est
possible que ce soit, en partie, au cours de ces travaux que les tiki furent
Vers la fin du XIX ème, cette terre
vallée
au
pasteur
endommagés.
plupart des tiki de ce site ont été extraits de carrières de tuf agglomérat volcanique - situées loin dans la vallée, à l'aide d'outils de
pierre : pics, herminettes... La carrière d'où fut tiré tiki 7a£aù'(Teohopuapu)
fut frappée d'un tapu qui interdisait tout nouvel emploi de cette roche. Il fut
strictement respecté. Les Marquisiens considéraient que ce type de roche,
appelé ke'etu, la seule qu'ils taillaient véritablement, avait la propriété de
lentement continuer à "pousser".
La
complexité des traditions nous fit ici privilégier celle recueillie par
également se référer à A. Baessler, F. W.
Christian, E.S.C. et W.C. Wandy et R. Linton et bien sûr, comme le firent
précédemment ces chercheurs, aux habitants de Puamau et des Marquises.
Au delà des nuances, des contradictions et des dramatiques oublis dont
l'hémorragie démographique de la fin du XIX siècle est la principale cause,
c'est à la mémoire même d'un peuple qu'il s'adressera. Une mémoire qui
ignore la fixité et que caressent des regards, des paroles et des pierres.
La
von
den Steinen. Le visiteur pourra
Société des
Études
Océaniennes
92
93
Meae
lipona de Puamau
répartition
Plan de
des structures
de galets (30 cm)
de blocs "tout-venant"
remplissage de cailloutis
pavage
pavage
pierre sur chant
dalle de tuf (keetu)
C23
ezzzza
5
0
10
m
Localisation du site
m
m
e
Société des
Étut^^Océaniennes
:
:
principaux murs des terrasses
cônes
d'éboulls du piton Toea
94
Présentation des structures d'après les travaux de
1991 et ceux de R. Linton
en
1920-21
Le site
s'organise, au pied du piton Toea, en deux grandes terrasses
principales auxquelles s'adjoignent deux autres espaces plans moins amé¬
nagés, l'un situé au sud (1) et l'autre au nord (28). Le torrent Ahonu, formant
à l'ouest une courbe évitant Toea, enserre et délimite ce site de
Iipona.
Les dimensions des deux
d'est
grandes terrasses sont, du nord au sud, de 62
ouest, de 75 m. Quant
limites extrêmes 120 m. sur 150 m.
et
m.
1
-
en
Grand espace
plan retenu
au
par un
site lui-même, il atteint dans
puissant
mur
ses
de soutènement côté
nord.
2 à 9
des
Première terrasse du me'ae. De 2 à 6
l'espace est très perturbé,
vestiges d'alignements et quelques pavages sont observables.
3
-
4
-
-
Petite
plate-forme, signalée par Linton
l'écroulement d'un arbre, le ruissellement...
qui fut très endommagée par
Espace plan où ont été conservés, lors des aménagements anciens,
grands rochers dont une pierre - A - portant un pétroglyphe. Ce dernier représente un visage suggéré par un regard - mata - et la
un
certain nombre de
bouche.
Tous
pétroglyphes sont fragiles. Il faut s'abstenir de les surligner à
objet, même de bois ou de craie, afin de les préserver pour les
générations futures. Seuls la patience et la lumière leur donneront le relief
ces
l'aide d'un
souhaité.
5
-
Longue terrasse dont le bord extérieur s'est effondré sous I ' action du
l'aménagement du chemin.
torrent et surtout de
6
-
Vaste espace en
7
-
Petite
dénivelé, ponctué d'alignements et de pavages.
plate-forme pavée
Société des
en
partie de galets.
Études
Océaniennes
95
8 Alignement délimitant l'arrière de la terrasse où se situent les trois
grands tiki E, F et G. Il indique probablement une des limites de l'espace le
plus sacré de cette plate-forme, appelée parfois Paepae Pahivai.
-
Espace très perturbé comprenant diverses structures internes dont
petite plate-forme légèrement surélevée. Le bloc rocheux - B - porte un
certain nombre de cupules, dépressions et quelques pétroglyphes, dont un
visage sur un relief dont il épouse la forme. R. Linton présente ce rocher
comme une pierre-autel ou une pierre destinée à recevoir des offrandes.
9
-
une
C Tête de tuf. Tiu O 'o.
-
la structure 9, et de facture
D
-
Originellement posée sur l'angle nord-ouest de
très proche de D.
proche de C ; emportée en Allemagne
mondiale, elle est actuellement conservée à
Tête de tuf. De facture très
lors de la
première
guerre
Berlin.
E
-
Te Ana 'Ehu'ehu, Fau Poe.
Ce tiki est représenté assis, soit une
peu commune. Sans doute de sexe féminin, cette statue avait
basculée. Des divers noms attribués, peut-être peut-on retenir celui de Fau
été
position
Poe, épouse de Takaii et
F
-
Takaii. Chef et
qui aurait été représentée sur ce site.
grand guerrier réputé pour sa force.
e Noho 'Ua, Fau Poe, Maiauto, Pete'e Ta Mu'imu'i.
implantée sur une plate-forme plus basse et plus ancienne
que celle où se trouve Takaii et que les sédiments avaient recouvert. Elle
serait contemporaine de la bordure 12. L'ancienneté de cette statue expli¬
querait peut-être la variété des noms qui lui sont attribués et la confusion qui
règne quant à son sexe. D'après les ornements de chevilles, découverts lors
de la fouille, il s'agirait d'un chef ou d'un guerrier et non d'une femme
comme beaucoup le pensaient.
G
-
Te Tova'e
Cette statue est
10 à 27
-
Deuxième terrasse du me'ae.
Trois zones s'y distinguent
: un
dégagé (10) s'étend en contrebas du piton rocheux Toea puis, à son
pied, une série d'anciennes structures, parallèles à ce dernier (27) ; de 15 à
26, une série de plates-formes constituent le second ensemble traditionnel¬
lement important du site, et parfois désigné, pour partie du moins, comme
Paepae Mataeiaha.
espace
Société des
Études Océaniennes
96
H Te Ha 'a Tou Mahi a Naiki, Manuiotaa. Il fut scuplté dans un tuf
homogène de couleur gris clair, plus dur que le tuf rouge, qui s'apparente à
celui utilisé pour I. Remarquable par la qualité de son exécution et
par sa
conception, ce type de tiki, pour lequel l'emplacement de la tête a volontai¬
rement été réservé, n'est
pas exceptionnel, mais rare. Il semble avoir été
déplacé, probablement pour être emporté. Mais les tiki ont parfois une
farouche volonté de rester sur place, la mémoire de ces îles en témoignent !
Sa tête fut retrouvée au milieu des éboulis au nord-ouest de 17.
L'emplace¬
ment exact de ce tiki n'est
pas connu malgré la suggestion, sans aucune
certitudes, de Linton qui le situait en D, il a été redressé à l'endroit où il
gisait.
-
10
Grand espace
plan, sur lequel apparaissent quelques rares élé¬
plates formes, petit-enclos, alignements... L'ensemble
de cette surface est recouvert par des sédiments dont le
décapage partiel mit
au jour la
partie sud de la bordure 12 et un pavage en contrebas de Takaii. Cet
espace dégagé formait-il un petit tohua, à l'époque précédente, ou contem¬
poraine, de la consécration de ce site en me'ae ? La poursuite des recherches
pourrait le préciser. T. Heyerdahl, lors du passage de l'expédition archéolo¬
gique norvégienne en 1956 y fit quelques sondages qui livrèrent des
-
ments de structures
:
,
ossements
d'animaux ; deux échantillons de charbon furent datés
:
le moins
profond (M-706, à une profondeur de 30 à 50 cm. du sol contemporain) situe
l'occupation de cet endroit autour de 1497 + ou - 200 ans et lé second (K-525,
entre 1,10 et 1,30 m. de profondeur) autour de 1316 + ou - 100 ans.
I
Makii Tau'a
(Te) Pepe. Cette exceptionnelle représentation de tiki
excécutée, avec un soin remarquable, dans une roche identique à
utilisée pour le tiki H, et peut-être par le même tuhuna.
-
couché fut
celle
Ce tiki
paraissait unique jusqu'à la découverte récente d'un fragment
sculpture, retrouvée sur la pente en contrebas du me'ae Meiaute de
d'une
Hane
,
à Ua Huka.
Cette statue avait été renversée et
ouvrit une fouille, sur une
peut-être déplacée. T. Heyerdahl
superficie de 9 m2, près de l'emplacement où elle
se trouvait alors. Un échantillon de charbon de
bois, prélevé à 15 cm. de
profondeur donna la date de 1487 + ou
150 ans. Son équipe et lui
redressèrent le tiki à l'emplacement où il se trouve actuellement, soit au
centre de la dépression de leur fouille.
-
Société des
Études
Océaniennes
97
10'
Petite
-
plate-forme très perturbée. Supportait-elle à l'origine le
tiki ?
plate-forme basse, signalée par Linton, à présent ruinée. Il
pourrait s'agir en fait des vestiges d'un pavage.
11
-
Petite
Alignements de gros blocs délimitant entre eux une sorte de couloir
partiellement comblé. L'alignement supérieur constitue une bordure faite
d'éléments de grande dimension, correspondant à une ancienne structure
partiellement mise au jour lors des travaux de 1991. Cette structure pavée est
contemporaine de la plate-forme supportant.le tiki G.
12
-
13
ment
-
Terrasse
allongée partiellement pavée et retenue par un aligne¬
perturbé.
12 et
13
-
l'accès actuel et
partie ruinés, ces alignements et paliers
peut-être principal du site (cf. 18).
En
constituent
Espace en pente où l'on devine quelques alignements et paliers. Il
avec 12 et 13, l'entrée actuelle du site et peut-être également
l'accès ancien. En contrebas ont été récemment rapportés certaines pièces
( Q et R notamment), appartenant au me'ae mais séparées de celui-ci par
14
-
constitue,
l'ouverture du chemin.
pavée de galets, pratiquement carrée, datant des tout
aménagements du site, à l'époque où il était devenu un me'ae. La
tradition rapporte qu'à chacun de ses angles se trouvait une tête de tuf. Deux
ont assez bien résisté au temps et à la tentation des hommes, J et K ; la
troisième L, retrouvée lors des travaux de 1991, est très altérée ; quant à la
quatrième, il n'en reste que des fragments. Le matériau de tuf rouge, utilisé
pour ces têtes, se dégrade rapidement. Cette structure pourrait constituer la
base du fa'e tukau, réservé au grand prêtre inspiré.
15
-
Plate-forme
derniers
16 Espace plan entre lepaepae 23-24 et la plate-forme précédente. Un
alignement et un pavage partiel subsistaient avant la restauration, les pierres
dressées pouvaient servir d'appuis-dos (cf. E.S.C. Handy) ou avoir été
placées à la mémoire d'un ancêtre.
-
angles de la structure
le nom de Tono
J, K et L - Têtes de tuf originellement placées aux
15. L'une de ces têtes, peut-être la mieux conservée, porte
Fiti.
Société des
Études
Océaniennes
98
17
Plate-forme aménagée de diverses structures dont notamment
deux paepae, sans doute bordés de dalles de tuf,
ke'etu, posées de chant et
-
pavés de galets avant leur destruction.
18
-
Passage aménagé de degrés qui était entièrement fossilisé
diverses couches d'éboulis. Ce devait être
peut-être
accès réservé
un
ments 12 et
aux
un
officiants. Il
des accès ancien
se
au
sous
me'ae, et
situe dans l'axe des
aligne¬
29.
19, 20, 21 et 25
Espace plan partiellement pavé, très charbonneux,
aménagé de diverses structures. Un pavage
21, une petite plate-forme 20, en partie restaurée, y sont associés. Cet espace
est bordé par les deux paepae 23-24 et
26, les plates-formes 15 et 22 ; il
s'étend jusqu'au mur de façade qui le limite au nord.
sorte
de
cour
-
et de lieu de travail
20 Cette petite plate-forme est une belle structure de combustion
par¬
ticulièrement élaborée. Elle correspond au makuhane,
l'espace de cuisson
où brûlait le feu du chef. Le tau'a,
prêtre inspiré, tout proche pouvait, à
travers la fumée qui s'en
échappait, prédire des événements futurs.
-
22
Plate-forme pavée de galets, implantée
pavée qui bordait l'accès en escalier 18.
-
23-24
sur une ancienne terrasse
Paepae tohotika destiné à recevoir de jour le chef. Il présente
longitudinale en deux plates-formes. L'une à l'avant,
plus basse -paehava vaho, 24 - faisant office de terrasse et l'autre à l'arrière
paehava oto, 23 - délimitée par un alignement constitué de ke'etu, sur
laquelle était construite une habitation sans l'espace destiné au repos. Là
encore les galets du bord de mer ont servi à former le
pavage. Les travaux de
restauration permirent la mise au
jour d'un petit tiki de basalte dense, exposé
au musée communal de Eliva
Oa, de fragments d'objets en os et de nombreux
ossements liés aux fêtes
religieuses qui se sont déroulées sur le site. Ils
représentent un excellent échantillonage des offrandes faites aux divinités
ancestrales et aux prêtres
qui les servaient.
-
l'habituelle division
-
La protection de ces structures contre les fouilles
clandestines est un
devoir pour tous afin d'éviter leur destruction ainsi
que la disparition
d'éventuels objets manufacturés. Petite
type encore conservé
de tout
un
part du patrimoine marquisien de ce
sur ces
îles,
ces
objets représentent l'héritage culturel
peuple.
Société des
Études
Océaniennes
99
26 Ancien paepae, très ruiné avant restauration. Il aurait porté le fa 'e
touteko où résidence du chef Puhee, du même ati que Takaii. Dans
-
l'alignement des dalles de ke 'etu, correspondant au rebord de la plate-forme
supérieure du paepae, se trouve un tête de tiki en tuf rouge très érodée - M .
Cette structure, comme la plupart de celles se trouvant au pied de Toea avait
servi de carrière de pierres. De nombreuses pierres du site furent également
utilisées, entre autres pour la réalisation du chemin de pénétration dans cette
vallée...
placée au centre de l'alignement de keetu
pierre de seuil. Il lui manque la partie inférieure du visage. Une de
ses oreilles conservée était percée, comme celles de quelques autres tiki
marquisiens.
M
-
Tête de tuf. Elle avait été
comme
N tpo ou ko'oka
fut inséré dans la ligne
-
taillé dans un bloc de tuf. Ce récipient peu profond
de ke'etu, le fragment brisé fut retrouvé dans le
remplissage du paepae.
27
tuent
Ensemble
-
un
d'alignements, parallèles au piton rocheux, qui
ensemble de structures sans doute anciennes et
consti¬
aujourd'hui très
endommagées. Elles servirent de carrière de pierres dans la dernière période
d'occupation du me'ae, et par la suite aussi.
A l'arrière de ceux-ci
se
source
destinés à
anciens Marquisiens la
trouvent divers murs et murets
contenir le cône d'éboulis de Toea
qui fournit
aux
principale des matériaux Ethiques de construction.
constituées de blocs parfois impression¬
utilisées comme plates-formes.
Ces terrasses artificielles,
nants, ont été, pour une part,
O Jambes et bassin d'un tiki
-
de
brisé, implanté à l'envers dans un pavage
galets.
Q et R
-
Têtes de tiki, autrefois
implantées de l'autre côté du chemin,
près du torrent.
Espace plan partiellement fossilisé, perturbé depuis peu, on y
distingue, outre la grande bordure 29, divers murets, enclos, alignements et
deux petits paepae non surélevés.
28
-
Société des
Études Océaniennes
100
29
Bordure antérieure, faite de blocs de
grandes dimensions. Elle
postérieure de 12 et constitue également une
ancienne structure partiellement fossilisée et remaniée. Ces travaux de réa¬
ménagements étaient fréquents... rendant la compréhension d'un site aussi
délicate qu'intéressante.
-
semble similaire à la bordure
En dehors de cette
zone centrale représentée sur le plan, les structures
d'aménagement se poursuivent au-delà de ces deux grandes terrasses et
jusqu'au torrent.
Espèces végétales du site et de
ses
environs
immédiats
*
Sur le
*
De l'autre coté de la fourche du
piton rocheux Toea : des Casuarina equisetifolia (arbres de fer
toa), des Pandanus tectorius (haa ou faà) et des Ficus prolixa (banyan ou
aoa).
ou
sur
chemin, se trouve un banyan ainsi que
la terrasse 1, contre Toea.
*
Sur la
plate-forme Pahivai (2 à 9), de grands pommiers Cythère Spondias dulcis, tumu vi - et quelques cocotiers - Cocos nucifera, tumu ehi
arbres à pain - Artocarpus altilis, tumu mei - ainsi que des manguiers Mangifera indica, tumu vimako - d'introduction européenne, ombragent les
structures et les tiki. Des auti verts Cordy line fructicosa - poussaient encore
-
-
sur
la structure 2
en
1991.
*
Sur la
*
Sur la terrasse 28 poussent encore
plate-forme Mataeiaha (10 à 26), les arbres à pain surtout sont
remarquables, lorsque ce n'est pas un foisonnement de papayers -Carica
papaya -, de kape - Alocasia macrorrhiza -, de puauhi ou puahi - igname,
Dioscorea cayenensis - et autres plantes sauvages !
quelques arbres à pain ainsi
que
des
cocotiers.
*
edulis
*
de
Sur le cône d'éboulis de Toea, des ihi ou
châtaigniers
des souches d'arbres de fer encore enracinées.
-
Inocarpus
-,
Le
long du torrent, des arbres à pain, des cocotiers et des châtaigniers
Polynésie.
Société des
Études
Océaniennes
101
*
Morinda citrifolia
des
kape - Alocasia macrorrhiza parsèment le site. Quelques essences, autrefois présentes sur les me'ae ou
anciennes des Marquises, furent également plantées fin 1991, à l'occasion
Des noni
-
-
et
du festival.
*
ces terrasses, côté mer, se dresse un grand
anatai
à
Erythrina variegata,
Hiva Oa ou ketai à Ua Pou.
Sur la colline faisant face à
Pierre Ottino
-
ORSTOM
Pour mémoire
Ce site
monuments et
a
été classé le 23
juin 1952,
par
arrêté N° 805
au
titre de la protection des
sites.
Heitaa
Piokoe
Taiava
Henry, Tamarii Nocl,TeamoanaMathias,TeikitaahituTuki,Tipahaehae Alfred dit Tehau et
Matuu, Tohetiaatua Ernest dit Tia, Philippe et Teaiki, Touatekina Pierre dit Haii, Albert et
Noms des participants aux travaux de 1991: Chimin Augustin dit Tanaoa,
Bernarddit Vohi, Huhina YvesditTahitoua, Joseph, Pacom et Eric, Kaiha Jean-Marc,
Jean dit Aiu, Emmanuel et Sylvain, Poevai MathiasditTeii et Léonard, RaiheuiTerii,
Bertho.
Société des
Études
Océaniennes
102
PROTOHISTOIRE DES
SUR
SPÉCULATIONS
L'ORIGINE DES POLYNÉSIENS
1595-1838
Il n'est pas
question ici de faire l'histoire des théories sur l'origine des
Polynésiens. Cette histoire qui constitue l'essentiel d'une thèse en préparation.
Il s'agit plus d'exposer en préliminaire quelques grandes lignes d'une partie
de cette histoire tout en rappellant les principales théories qui ont été émises
sur l'origine des Polynésiens, ceci à seule fin de permettre au lecteur d'être
en mesure de rentrer
pour ainsi dire - dans le vif du sujet. On peut distinguer
grosso-modo trois grandes phases de l'histoire des théories sur l'origine des
Polynésiens. La première phase que nous qualifierons de protohistorique est
influencée par les visions découlant de la quête et de la découverte de la terra
ûMS/rû/isi/zcogmïa. C'est laplus longue puisqu'elle correspond àla publication
des récits de voyages liés aux grandes explorations et aux découvertes faites
dans le Pacifique, depuis Pedro Fernandez de Queiros à Charles Wilkes
(1595 - 1842). Elle sera très prolifique en ce sens que se mettront en place
toutes les prémices des théories actuelles. Elle s'achèvera en même temps
que sera publiée l'étude de Horacio Haie en 1846. La seconde - classique
celle-là voit, à partir de cette date charnière, la constitution des grandes
théories qui s'inscrivent dans le champ du développement et de
l'institutionnalisation des grandes disciplines scientifiques, de l'anthropologie
et des sciences naturelles en
particulier. On assistera à la fondation de la
science positive. Elle recouvre la seconde moitié du XIXe siècle ainsi que la
première moitié du XXème siècle. La troisième période enfin, qui correspond
à l'histoire actuelle, s'étend des années
cinquante à nos jours. Elle se
caractérise par le développement croissant de l'archéologie, de la préhistoire,
de la linguistique et de
l'ethno-botanique auquel est lié l'affirmation du
courant théorique dominant actuel, à savoir
l'origine asiatique des Polynésiens.
Nous traiterons ici seulement de la
première période en guise d'introduction
à la connaissance des théories sur
l'origine des Polynésiens. Introduction
nécessaire pour entrevoir l'hitoire
qui suivit et suggérer ce qui l'a précédé et
qui appartient d'ores et déjà à la préhistoire de l'anthropologie océanienne.
-
-
Société des
Études
Océaniennes
103
En
effet, si la vision européenne de l'origine des
Polynésiens
a une
préhistoire, elle a aussi, comme phase intermédiaire, une "première histoire"
une
protohistoire pourrait-on donc dire - avant d'avoir une histoire dite
"moderne". Les spécialistes du peuplement de la Polynésie ont pris l'habitude
depuis une centaine d'années de commencer l'histoire des théories sur
l'origine des Polynésiens à partir des débuts du XIXe siècle. Une histoire qui
a ses sempiternels grands ancêtres: William Ellis envisage en 1829 l'hypothèse
amérindienne de l'origine des Polynésiens ; Grégoire Louis Domeny de
Rienzi en 1836 soutient l'origine asiatique, suivi plus tard de Horatio Hale
qui publie en 1846 le travail considéré comme étant le plus marquant des
recherches sur la théorie asiatique ; Jacques-Antoine de Moerenhout enfin,
défendra en 1837 la thèse selon laquelle les Polynésiens ne viennent ni de
l'ouest, pas plus que de l'est, mais qu'ils ont une origine locale. Incidemment
on
rappellera que Johann Reinhold Forster avait déjà émis cette hypothèse
en 1778 et que James Cook en avait fait autant la même année pour inaugurer
la thèse de l'origine asiatique. Ces auteurs qui appartiennent à cette "première
histoire" de l'anthropologie océanienne sont le plus souvent évoqués, plus
rarement commentés, mais jamais reconnus véritablement comme des
personnages-clés vis à vis desquels les chercheurs contemporains ont une
dette épistémologique. Et combien d'autres textes oubliés, d'auteurs qui ont
précédés ceux-là même que l'on rappelle accompagné d'une simple date et
parfois d'une courte citation sans autre signification que celle de fournir un
arrière-plan de circonstance.
-
qu'il s'agit de faire l'historique des théories sur
l'origine des Polynésiens, l'attitude la plus courante des préhistoriens est de
mentionner rapidement les hypothèses formulées dans le demi-siècle qui a
suivi la découverte de Tahiti en 1767. Ce procédé tout à fait légitime dès lors
qu'il ne prend en compte que les opinions qui dérivent d'observations faites
de visu est néanmoins incomplète. Ces premières ébauches théoriques
découlent bien plus du produit des idées préconçues antérieures à 1767 et de
celles alimentées à la faveur de la découverte d'autres îles du Pacifique, que
Par ailleurs, dès
objet qui se serait donné à l'observation et aurait comme par miracle
sa vérité intrinsèque. Comme on le verra plus tard, les îles de la
Polynésie et ses habitants ont été entrevus avant d'être vus, et ces visions
premières ont fourni matière à des esquisses théoriques sur leur origine dont
la problématique, bien que l'objet d'étude - les hommes - fût parfois absent,
n'évoluera guère au cours des siècles qui suivront.
d'un
révélé
Société des
Études Océaniennes
104
Du continent austral
au
continent
englouti
Sans vouloir remonter pour le moment
à la préhistoire des spéculations
partie du globe qu'est la Polynésie - ce sera l'un des objets de cette
thèse on conviendra pour le moment de se
rapprocher des présupposés sur
l'origine des Polynésiens autant que les premiers navigateurs se sont
géographiquement rapprochés de l'objet d'une quête inlassable qui durera
trois siècles : la terra australis incognita. On supposait depuis l'Antiquité
l'existence d'un continent austral situé aux antipodes qui, pour des raisons
de symétrie, ferait contrepoids au continent européen et serait indispensable
à l'équilibre de la planète. Au XVIe siècle les découvertes géographiques
semblaient, aux yeux des cosmographes, en attester l'existence. La première,
la Terre de Feu découverte par Fernand de Magellan, est considérée comme
une portion de ce continent, comme le
montrent, entre autres, les cartes de
Gerhard Kremer plus connu sous le nom de Gerard Mercator (1569)1 et
d'Abraham Ortels dit Ortélius (1589).
sur
cette
-
Sur celle-ci, rapporte
Jean-Paul Faivre, au sud de la Nova Guinea et
delà d'un détroit qui figure le détroit de Torrès
vingt ans avant Torrès, s'étend la "Terra Australis sive Magellanica non dum
détecta", Jusqu'à la Terre de Feu et au détroit de Magellan »2.
«
des Insulae Salomonis
,
au
A la suite de Fernand de Magellan, les navigateurs3
qui sillonneront la
Polynésie feront de chaque île et archipel rencontrés une partie de la terra
australis incognita. Selon Pierre-Adolphe Lesson, le
Portugais Pedro
Fernandez de Queiros « doit être considéré comme le premier qui ait cru
pouvoir affirmer l'existence d'un continent méridional dans le S.E., le S.S.O.
et même l'O. des
Marquises »4. D'ailleurs, il crût lui-même avoir trouvé le
continent austral quand Luis Vaez de Torrès découvrit en 1606 les NouvellesHébrides. C'est à cette époque, semble-t-il,
qu'émerge la thèse du continent
englouti. Elle ne fonde pas encore la conception locale ou autochtone des
Polynésiens telle qu'elle sera développée en 1837 par Jacques-Antoine de
Morenhout en particulier. Elle sert essentiellement aux continentalistes à
justifier l'impossibilité de migrations par mer des Polynésiens. En effet, à la
fin du XVIe siècle, la
présence d'habitants dans cette partie du monde
certains
intrigue
navigateurs au point de s'interroger sur leur origine et leurs
migrations5.I,a quête du continent austral est corrélative du questionnement
sur l'origine des
peuples et de leurs migrations. L'éloignement des continents
Société des
Études
Océaniennes
105
asiatique et américain, l'éparpillement des îles et la direction des vents
dominants dans cette partie du monde seront dès cette période les premiers
arguments avancés pour appuyer les spéculations sur l'existence d'un vaste
continent ou, à défaut de celui-ci, d'une chaîne d'îles très rapprochées. Ainsi,
Fernandez de Queiros, évoquant la présence des habitants aux îles Marquises
qui s'offrirent à sa vue et à celle d'Alvaro Mendaha de Neira en 1595,
préfigure l'une des prémices de la théorie continentaliste de l'origine des
Polynésiens en ces termes : « De quelque côté qu'on les suppose partis, il
faudra nécessairement admettre une chaîne d'îles ou un continent »6, à
moins, dit-il par ailleurs, « qu'on ne veuille soutenir qu'ils ont été
particulièrement créés »7.
Il faudra néanmoins attendre 1753 pour que
le gégraphe français,
Philippe Buache8, développe la première démonstration scientifique de la
englouti. Pierre-Adolphe Lesson rapporte à ce propos
que Philippe Buache était si « convaincu de sa nécessité » qu'il émit alors
l'opinion que le continent « non encore trouvé » devait avoir occupé
l'emplacement des îles actuelles de la Polynésie.
théorie du continent
«
Paris,
il présenta, en 1744, à l'Académie des sciences de
laquelle était tracée la suite des montagnes subaquées
Pour le prouver,
une
carte sur
indiquant le vaste continent qu'il supposait avoir été absorbé par la mer de
cette partie du monde. Sur cette carte il indiquait la prolongations des monts
se
dirigeant vers Tahiti »9.
hypothèse du continent englouti ne sera reprise que trente ans plus
1778, par le naturaliste Johann Reinold Forster10 et ce, malgré la
confirmation faite par James Cook, quatre ans plus tôt, de l'inexistence du
continent austral. Comment comprendre cette obstination ? S'il est vrai, pour
Cette
tard,
en
paraphraser Alfred Métraux, que beaucoup d'Européens ne pouvaient « se
résigner à la perte d'un continent »", sinon de décider que de « cette terre
australe, il ne serait resté que les sommets des montagnes, qui forment
aujourd'hui les archipels ou les îles égrenés entre l'Asie et l'Amérique »12,
cette remarque ne fournit qu'une partie de l'explication. La thèse du
continent englouti participait encore, chez certains savants, d'une conviction
largement répandue à l'époque, à savoir que les peuples rencontrés dans le
Pacifique ne pouvaient, faute d'avoir atteint le stade de progrès technologique
des nations européennes, avoir traversé les mers sur d'aussi longues distances.
Société des
Études
Océaniennes
106
Les thèses
"continentalistes" de
l'origine des
Polynésiens
C'est à
l'apogée du Siècle des Lumières que les théories "asiatiques"
l'origine des Polynésiens vont commencer à faire l'objet
de discussions. Cette fin du XVIIIe siècle est dominée principalement par
des hommes qui vivent sous l'influence des idées philosophiques et religieuses
de la Renaissance et du Siècle des Lumières en Europe. Cette période ne sera
pas totalement sous l'emprise de la recherche spéculative. Bien au contraire,
la plupart des hommes embarqués à bord des voyages de circumnavigation
sont des savants
qui oeuvreront bien plus à la constitution des disciplines
scientifiques naissantes, qu'aux simples spéculations, même si - il faudra
plus tard en tenir compte - les idées du grand siècle sur l'univers, l'homme
et la nature auront une grande influence sur leur vision des choses. Les
observations des navigateurs jointes aux analyses des naturalistes et des
géographes embarqués au cours de ces expéditions vont en tout cas procurer
l'essentiel des matériaux qui autoriseront les premières formulations
théoriques de l'origine des Polynésiens.
et "américaines" de
Les
spéculations associées à ce qu'il faut convenir d'appeller les
asiatiques" de l'origine des Polynésiens font leur apparition alors
que la question du continent austral n'est pas encore résolue par les
découvreurs. Toujours d'après Pierre-Adolphe Lesson, le premier savant à
avoir suggéré l'idée d'un peuplement de la Polynésie par l'Asie est
Joseph
de Guignes13. En 1761, il écrira que les Polynésiens descendaient des Chinois
car, dès le quatrième siècle après J.C., ceux-ci « voyageaient sur les mers de
l'Amérique, allaient jusqu'au Pérou, et parcouraient toutes les îles de la
Malaisie et plusieurs de celles de la Polynésie ou Océanie Orientale »14.
Parmi les navigateurs, George Robertson, maître d'équipage de Samuel
Wallis sur le Dolphin exprimera quelques années plus tard une opinion
similaire mais pour des raisons différentes. Il pense que les Polynésiens, à
"théories
cause
de leur ressemblance
avec
les
Juifs,
«
sont certainement venus d'Asie
premier, par la voie de Sumatra, Java, Nouvelle Hollande et Zélande »15.
Mais les principaux points qui formeront le corps des thèses du XIXème
siècle seront véritablement avancés à partir de 1770 en recourant de plus en
plus systématique au comparatisme sur les langues et les races des peuples
en
rencontrés.
Société des
Études
Océaniennes
107
Premières
spéculations
Polynésiens
En
sur
l'origine malaise des
1771, Louis-Antoine de Bougainville admet l'origine asiatique
des
en se basant sur les remarques philologiques que lui confiera
Court de Gebelin et que celui-ci publiera en 177416. Dans son ouvrage, Court
Polynésiens
plus précisément la thèse d'une origine malaise des
Polynésiens en se fondant sur des ressemblances qu'il voit entre les langues
malaise et polynésienne. Par ailleurs, Louis-Antoine de Bougainville introduit
la dimension raciale en constatant que « le peuple de Tahiti est composé de
deux races d'hommes très différentes, qui cependant ont la même langue, les
mêmes moeurs et qui paraissent se mêler ensemble sans distinction »17. Ces
observations linguistiques et raciologiques seront reprises par James Cook
et surtout par Johann Reinold Forster en 1778. Entre-temps, en 1772, il faut
faire remarquer que la possibilité de communications entre les peuples
polynésien et américain est avancée pour la première fois par Jules Marie
Crozet. Celui-ci, tout en invoquant, à la suite de Philippe Buache, la nécessité
d'un existence lointaine d'un continent à présent englouti pour faciliter les
migrations terrestres, suggère « que c'est par la Nouvelle-Zélande, les terres
de Gebelin
avance
australes et les îles de la
mer
du sud que
l'Amérique
a
été peuplée »18.
véritable
asiatique de l'origine des Polynésiens qui est à la
source de nombreux travaux ultérieurs. Plus largement, sur un plan
épistémologique, on peut même dire que son travail ouvre le champ de ce qui
deviendra la préhistoire océanienne. D'emblée il réfute 1 ' idée de ceux qui ont
tendance à penser que «les habitants des îles du tropique viennent
originairement d'Amérique, parce que les vents d'Est sont ceux qui dominent
le plus dans ces parages, et que les misérables petites embarcations des
Naturels peuvent à peine naviguer contre le vent»19. Sa démonstration est
En 1778
donc, Johann Reinhold Forster apporte la première
contribution à la théorie
résumée dans
«
Si
on
ces
quelques lignes
:
consulte d'ailleurs les vocabulaires du
Mexique, du Pérou, du
Chili, et ceux des autres langues américaines, on n'aperçoit aucune
ressemblance, même éloignée, avec les langues des Iles de la mer du Sud. La
couleur, les traits, les formes, le tempérament et les usages des peuples
ces insulaires sont absolument différents.
les distances de six cent, sept cent, huit cent ou même mille
d'Amérique et de
Société des
Études Océaniennes
J'ajouterai que
lieues, qui sont
108
entre
le Continent
la petitesse et de la
que
les Habitants
d'Amérique et la plus orientale de ces Iles, rapprochées de
mauvaise qualité de leurs pirogues, prouvent, suivant moi,
ne sont
jamais
venus
Pour Johann Reinhold Forster,
d'Amérique »20
fort de
.
sa croyance
dans
un
continent
englouti qui seul expliquerait la possibilité de migrations des populations
humaines, les Polynésiens viennent de l'Ouest : « Les îles de la mer du Sud
se trouvent, pour ainsi dire, liées aux îles des Indes orientales. La plupart de
ces dernières terres sont habitées par deux différentes races d'hommes »21.
Sa conviction se fonde en effet sur la présence dans ces îles de deux races
qu'il retrouve aussi dans les mers du Sud : une race noire qui correspond à
la seconde race présente en Océanie et que l'on rencontre en particulier dans
l'intérieur des terres des Philippines, en Nouvelle Calédonie et en Nouvelle
Guinée ; une race blanche vivant sur les côtes des Philippines, proche de la
race blanche des mers du Sud. D'autre part, il trouve qu'il y a « une
conformité très remarquable entre plusieurs mots de langue de la race
blanche des Insulaires de la mer du Sud, et ceux de la langue Malaise »22.
Cette conformité est expliquée par le fait que « tous ces dialectes conservent
différents mots d'une Langue ancienne qui était plus répandue, et qui s'est
divisée peu à peu en différents idiomes »23. Aussi, concut-il que. :
langue des Iles de la mer du Sud, qui sont semblables
Malaise, démontrent clairement, suivant moi, que les
Iles orientales de cette mer, ont été peuplées par les Iles de l'Inde ou les Iles
septentrionales de l'Asie »24.
«
Les mots de la
à d'autres de la Langue
qui émet aussi pour la première fois
laquelle la race noire fut la première occupante des îles
Océaniennes. Cette derniere opinion sera adoptée en 1831 par Jules Sébastien
César Dumont d'Urville qui considérera « la race noire comme celle des
véritables indigènes, au moins de ceux qui ont occupé les premiers le sol de
l'Océanie. Les hommes d'un teint plus clair appartiennent à une race de
conquérants qui, provenant de l'ouest, se répandit peu à peu sur les îles de
C'est Johann Reinhold Forster
l'idée selon
l'Océanie »25.
Ainsi, c'est à partir de cette époque que les caractères physiques
observés chez les Polynésiens et les Malais, jointes aux données linguistiques,
Société des
Études
Océaniennes
109
premiers instruments d'analyse et de comparaison en faveur
peuplement de l'Océanie par deux grandes races bien distinctes : une
race noire ou mélanésienne et une race malaise. Ce sont ces distinctions qui
conduiront, à la suite de Court de Gebelin, William Mardsen26, le comte de
La Pérouse27, le Père Juan-Ignacio Molina28, et le géographe Claret de
Fleurieu29 à faire descendre les Polynésiens des Malais. Ainsi, le Comte de
La Pérouse, évoquant les îles océaniennes, disait en 1787 :
fourniront les
d'un
Le langage, les moeurs de leurs habitants ne nous sont pas inconnus
les observations qui ont été faites par les derniers voyageurs, nous
«
; et
permettent même
de former des conjectures
probables sur l'origine de ces
de différentes
»30.
peuples, qu'on peut attribuer aux Malais, comme celle
colonies des côtes d'Espagne et d'Afrique, aux Phéniciens
préoccupations permanentes du Comte de La Pérouse sera de
« que les vents alizés sont peu constants dans ces
parages ; qu'il y est presque aussi aisé de remonter à l'est que de descendre
à l'ouest, ce qui facilite les grandes navigations de ces peuples sous le vent
»31
Une remarque qui, par la suite, formera un argument essentiel pour
démontrer la possibilité des migrations par mer d'ouest en est. A l'opposé de
son
prédécesseur, Jean-Ignace Molina formule en 1789 une hypothèse qui
renoue avec la thèse de Jules Marie Crozet. Il admet lui aussi que des contacts
aient eu lieu entre Polynésiens et Américains, voire qu'une migration ait pu
se
produire du continent asiatique vers le continent américain. Bien que ne
disposant d'aucun témoignage pour argumenter son opinion, il disait qu'« il
serait mieux de faire dériver les habitants du Nouveau-Monde du vieux
monde, sur l'Océan par la chaîne d'îles, contre le cours de la mousson ou de
la Nouvelle-Zélande et sous l'influence des vents »32.
L'une des
s'attacher à montrer
.
La thèse
javanaise et les hypothèses
Au début du XIXe siècle, en
sur
amérindiennes
même temps que se poursuivent les travaux
l'origine malaise des Polynésiens, deux
nouvelles thèses préoccupent à
présent les savants et les voyageurs : 1 ' origine javanaise et l'origine américaine.
On trouve trace de cette dernière hypothèse en 1803 chez le Père Joachim
Zuniga. Celui-ci se fonde à la fois sur l'analogie qu'il voyait
langages des Philippines, de la Nouvelle Guinée et de la Polynésie
Martinez de
entre les
Société des
Études
Océaniennes
110
d'une part, et sur
l'obstacle aux migrations par mer de la Malaisie aux
Philippines que constituaient à son avis les vents d'Est d'autre part,
pour conclure que « les habitants de toutes les îles de la mer du Sud viennent
de l'Est, en marchant devant le vent »33, de même
que les habitants des
Philippines « vinrent de l'Est, et, présumons nous, de l'Amérique du Sud et,
favorisés par les vents, ils avancèrent graduellement vers l'Ouest, à travers
l'Océan Pacifique qui est rempli d'îles et d'amas d'îles
peu distantes les unes
des autres »34. L'origine javanaise des
Polynésiens vient s'opposer à la thèse
malaise qui continuera néanmoins à être défendue, notamment,
par Adalbert
von Chamisso35en 1821. Il convient de
s'y arrêter un instant. En effet, hormis
le fait que son étude offre la particularité de faire la
synthèse des travaux de
ses prédécesseurs, Adalbert von
Chamisso, s'appuyant sur l'idée que toutes
les langues parlées dans le monde dérivent d'une même
source, replace le
peuplement des Polynésiens dans le cadre d'une théorie générale de l'origine
de l'homme dont il situe le. berceau dans « la haute terre d'Asie » et
qui,
«s'avançant de toute part, prend possession du continent»-36. L'homme se
répand ensuite sur tous les continents pour se différencier en plusieurs
branches raciales sous l'influence des climats. S'agissant du
peuplement de
l'Océanie, il distingue deux races : les Papou ou Nègres austraux (sic) qui
occupent principalement l'intérieur des Philippines, la Nouvelle-Guinée, les
Nouvelles-Hébrides et la Nouvelle-Calédonie ; et « un
peuple de hardis
navigateurs, la race malaise, (qui) se répand, de la pointe S. E. d'Asie, sur les
terres habitées par les Papous,
jusqu'aux îles les plus E. et les plus éloignées
du Grand-Océan »37.
La thèse d'une
origine javanaise des Polynésiens est véritablement
John Crawfurd38. Celui-ci, comparant et analysant les langues
parlées en Malaisie et en Polynésie, concluera à une souche javanaise des
Polynésiens comme des Malais. Reprenant les réflexions philologiques de
Johann Reynold Forster sur l'idée d'une «
langue ancienne » originelle, il est
l'inventeur de ce qu'il a appellé le « Grand
polynésien », ce langage parlé par
un «
peuple inconnu » qui, le premier, est allé s'établir à Java. En 1826,
Adriano Balbi39, reprenant la thèse crawfurdienne du
peuple inconnu, en fera
la souche de deux branches humaines
principales : les Javanais et les Malais
d'une part, et les Océaniens d'autre part, admettant ainsi
l'origine commune
des Malais, des Javanais et des Polynésiens. La même année, les naturalistes
René-Primevère Lesson40 et Karl Heinrich Mertens41, soutiendront une
conception plus orientaliste puisqu'ils feront descendre les Polynésiens des
amorcée par
Société des
Études
Océaniennes
111
Hindous. Pour René-Pimevère Lesson, Malais et Polynésiens forment deux
distincts d'une race qu'il appellait indoue-caucasique et dont il
rameaux
situait la patrie d'origine en Tartarie et dans le royaume d'Ava. Un peu plus
tard, il finira par réfuter sa thèse Hindoue-caucasique au profit d'une origine
japonaise.
A la même
période, le naturaliste Jean-Baptiste Geneviève Bory de
à côté
d'une
espèce commune qu'il appellait «neptunienne» et qui occupait une aire
géographique comprise entre Madagascar et le Chili. Il considérait que «la
race océaniqu» orientale que formaient les Polynésiens
s'était, à un moment
donné, «séparée de la race Malaise avant la connaissance des métaux»42 et
avait sans doute eu un berceau de diffusion différent qui aurait pu être
l'Amérique. Il s'étonnait d'ailleurs que personne n'y ait songé plus tôt. «
L'habitude, disait-il, où l'on était de peupler le Nouveau-Monde avec des
enfants du patriarche Seth, ne l'a sans doute pas permis. Une telle opinion
pourrait se soutenir tout comme une autre »43. Mais, ignorant sans doute des
travaux de certains de ses prédécesseurs qui avaient déjà soutenu une telle
possibilité et ne disposant pas lui-même d'arguments dans ce sens, il
conclut : « En attendant qu'on nous en prouve la possibilité, nous continuerons
à reconnaître le point d'où s'irradia la race océanique dans la NouvelleSaint-Vincent considère quant à lui que les Polynésiens constituaient,
des Malais d'une part, et des Papous d'autre part, l'une des trois races
Zélande »u.
Cette possibilité sera soutenue trois ans plus tard par William Ellis.
Comme pour Joachim Martinez de Zuniga, la quasi omniprésence des vents
alizés soufflant dans le Pacifique fut pour William Ellis en 1829 le principal
argument en faveur d'une origine amérindienne des Polynésiens. En effet,
bien qu'admettant, à l'instar de plusieurs de ses prédécesseurs, des traits de
similitude
entre certains
mythes cosmogoniques Polynésiens, Hébreux et
Hindous, ainsi que de nombreux « points de ressemblance entre les Polynésiens
et les Malais de
Java, de Sumatra, de Bornéo, des îles Ladrones, Carolines
et des Philippines »45, il ne
pouvait admettre que les peuples Polynésiens
«aient pu construire des embarcations et traverser six ou sept mille milles
avec des vents régulièrement contraires»46. Pour lui, on ne pouvait conclure
qu'en ces termes : «ou bien qu'une partie des habitants actuels des îles des
mers du Sud sont venus d'Amérique
; ou bien que des tribus polynésiennes
sont, dans des temps très reculés, parvenues jusqu'au Continent américain»47.
Société des
Études
Océaniennes
112
Pour confirmer son
opinion, il trouva d'autres points de ressemblances entre
mers du Sud et les habitants de Madagascar à l'ouest,
des
Aléoutiennes
et des Kouriles, au nord (elles partent du détroit
ceux
îles
de Behring pour former la chaîne de montagnes reliant 1 ' ancien et le nouveau
monde) et aussi entre les Polynésiens et les habitants du Mexique et de
certaines parties de l'Amérique du Sud »48. Il trouva enfin que « beaucoup
de mots dans la langue, et de nombreuses coutumes et traditions des
Américains ressemblent tellement à ceux de l'Asie que l'on peut en déduire
qu'ils venaient originairement de cette partie du monde »49 et trouva des
analogies entre certains mots, coutumes et traditions américaines et asiatiques.
La théorie de William Ellis ne fera que peu d'adeptes durant les trente années
qui suivirent. Elle ressurgira avec Edmond de Bovis (1855), Gilbert Cuzent
(1860) et Jules Garnier (1870), pour ne citer que les premiers.
«
les insulaires des
Il faut par ailleurs signaler la contribution
de Frederik William Beechey50
qui,
vers 1829-1830, introduisit une notion qui sera par la suite reprise à
maintes fois : celle "d'entraînement involontaire" dans le peuplement des
îles par
l'ouest. A cette époque, beaucoup de savants, tout en étant favorables
origine malaise des Polynésiens, ne peuvent pour autant admettre que
ceux-ci aient migrés par mer contre des vents contraires et préfèrent, pour
cette raison une migration terrestre suivant le détroit de Behring et le
continent américain. Frederik William Beechey démontrera au contraire «
que la direction des vents alisés ne s'oppose nullement à la migration de
l'Ouest vers l'Est, attendu que les vents alisés sont remplacés, pendant les
trois mois de l'année, par les vents de la mousson d'Ouest »5,.ct que les
Polynésiens ont pu bénéficier « accidentellement » de ces vents. En 183 1,
Jules-Sébastien-César Dumont d'Urville, bien qu'admettant une origine
occidentale et asiatique des Polynésiens, ne croit pas pour autant que ceuxci aient pu provenir soit des Hindous ou des Malais avec lesquels il voit « trop
de différences dans les rapports physiques »52. Il lui apparaît plutôt que les
hommes qui semblent « avoir le plus de rapports avec la race polynésienne
ont été, dans la Malaisie, les habitants de l'intérieur de Célèbes, nommés
Alfourous »53, et considère l'archipel des Célèbes plus comme une étape
migratoire des Polynésiens que comme leur berceau. D'après Pierre-Adolphe
Lesson, Jules-Sébastien-César Dumont d'Urville ne fit que reprendre en cela
une
opinion qui aurait été, semble-t-il émise pour la première fois par le
docteur Leyden54, lui-même cité par René-Primevère Lesson. Jules-Sébastienà
une
Société des
Études
Océaniennes
113
ailleurs que deux races en Océanie : « Je
point, dit-il, cette multiplication de races adoptée par quelques
auteurs modernes. Revenant au système simple et lucide de l'immortel
Forster, si bien continué par Chamisso, je ne reconnais que deux races
vraiment distinctes dans l'Océanie, savoir : la race mélanésienne, qui n'est
elle-même qu'un embranchement de la race noire d'Afrique, et la race
polynésienne basanée ou cuivrée, qui n'est qu'un rameau de la race jaune
originaire d'Asie »55, laquelle « offre autant de nuances diverses que la race
blanche qui habite l'Europe »56. En 1834 pourtant, il va réviser en partie son
opinion. Tout en conservant ses conclusions quant à distinguer les Polynésiens
des Malais, il s'interroge cette fois-ci sur la probabilité d'un continent
englouti qui aurait communiqué avec l'Asie et qui aurait constitué le
véritable point de départ des migrations polynésiennes. Reprenant les
conceptions quant à celà de Philippe Buache et de Johann Reinhold Forster,
il pose la question : «Ne serait-il pas plus simple de supposer qu'un continent
ou grande île comme l'Australie dut jadis occuper une portion de l'Océanie,
habitée par un peuple dont les tribus polynésiennes ne sont que les débris
échappés à quelque grande convulsion du globe ?»57.
César Dumont d'Urville
ne
voit par
n'admet
américaine des Polynésiens
une opinion
similaire à celle de Juan Ignacio Molina avec, cette fois-ci, de nombreux
arguments. S'opposant à la conception de William Ellis selon laquelle
l'Amérique aurait pu peupler la Polynésie, il pensait au contraire que le
continent Américain a été colonisé par l'intermédiaire des Polynésiens. Son
opinion était fondée, entre autres considérations, sur le fait que les asiatiques,
contrairement aux Polynésiens et aux Américains n'étaient pas
anthropophages, et qu'ils avaient donc subi l'influence des peuples des mers
du Sud avant d'atteindre le Nouveau Monde ; et que d'autre part, il existe une
grande similitude de langage entre les Américains et les Polynésiens. En
1836, Grégoire Louis Domeny de Rienzi énonce pour la première fois une
thèse selon laquelle Bornéo serait le berceau primitif de tous les peuples
d'Océanie qui auraient formés des variétés issues du croisement de quatre
races distinctes : « Malaise, Polynésienne ou Daya, Papoua et Endamène »,
laquelle a « vraisemblablement » formé la population primitive de l'Océanie.
Pour lui comme pour René-Primevère Lesson auparavant, les Polynésiens
sont donc des Dayaks et ils s'apparentent le plus avec les Bougi des Célèbes.
Cette même
est
de
nouveau
année, la question de l'origine
débattue
avec
John Dunmore
Société des
Lang58 qui émettra
Études Océaniennes
114
A
son
avis, la langue polynésienne
a
dû
«
naître dans
un
état central, au sein
d'un
peuple puissant et navigateur. Selon nous, précise-t-il, cet état central,
ce foyer, c'est l'île Kalémantan ou
Bornéo, et les Daya-Bouguis sont ce
peuple »59. Etudiant ensuite les traits de similitude entre la langue polynésienne
et la «
langue Dayak », il conclut en ces termes :
En admettant que
le foyer primitif des Polynésiens a été dans l'île de
Daya, et particulièrement les Daya-Idaans qui habitent le
Nord de cette grande terre, la grande difficulté
d'origine disparaît : la langue
et les peuples
polynésiens, ainsi que la langue et les peuples de l'Océanie
occidentale et australe, seraient venus de ce
point central »60
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 256-257