B98735210105_251-252.pdf
- Texte
-
BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
-
JL
m
N° 251-252
TOME XXI
—
N° 3 / Sept.-Déc. 1990
Société des
Études
Océaniennes
Société des Etudes Océaniennes
Fondée le 1er janvier 1917
Service des Archives Territoriales
Vallée de Tipaerui
B.P. 110
Papeete
Polynésie Française
TéL 4196 03
Banque Westpac : 012022 T 21
—
CCP : 834-85-08 Papeete
CONSEIL D'ADMINISTRATION
t M. Paul MOORTGAT
Président
Me Eric
Vice-Président
LEQUERRE
Mlle Jeanine LAGUESSE
Secrétaire
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
ASSESSEURS
M. Yvonnic ALLAIN
M. Robert KOENIG
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
MEMBRE D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
BULLETIN
DE LA SOCIÉTÉ
DES
ÉTUDES OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
N°251-252-TOME XXI
-
N°3
SEPTEMBRE-DÉCEMBRE 1990
SOMMAIRE
002
Avertissement
Georges Forster l'Européen : Du voyage autour du monde
à la Révolution française :
Jean Scemla
Les débats de l'Assemblée
003
législative tahitienne (1824-1866) :
049
Bernard Gille
Hors texte de la session de l'Assemblée
législative
095
de mars 1866
Les
phosphates de Mataiva : Eric Lequerré
097
Hommage à Paul Moortgat : Bernard Salvat
106
Comptes rendus :
Henri Vernier
Missions
et en
:
Au vent des
cyclones, Puai noa mai te vero.
protestantes et Eglises évangéliques à Tahiti
108
Polynésie française
Jacques Nicole : Au pied de l'écriture. Histoire de la traduction
de la Bible en tahitien
110
Publications de la Société des Etudes Océaniennes
113
Errata
au
BSEO n° 249-250 : La danse et la
Société des
Études
poésie
Océaniennes
en
deuil
114
2
AVERTISSEMENT
L'article de J. Scemla
Georges Forster l'Européen » avait été écrit pour
Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes »
consacré au Bicentenaire mais il a paru d'abord dans les
«Temps Modernes»
de février 1990 (n° 523, pp. 137-187).
un
numéro
spécial du
«
«
Nous remercions l'auteur et les
responsables des
«
Temps Modernes
»
qui
nous permettent aujourd'hui de reproduire cet article et de célébrer le
Bicentenaire de la Révolution française et le premier anniversaire de la chute
du Mur de Berlin... Cela aurait
plu à Georges Forster, citoyen allemand et
citoyen français !
Quelques « bonnes pages » de la première édition du
illustrent le texte de J. Scemla et les premiers pas de notre
livre de G. Forster
naturaliste dans la
langue tahitienne dE 1773.
Nous avons accompagné l'article de
B. Gille des discours, en hors texte,
impérial prononcés en mars 1866 lors de
l'ouverture de la session de l'Assemblée législative des Etats du Protectorat
des Iles de la Société et des
Dépendances : les lecteurs découvriront avec
intérêt et plaisir le texte et l'écriture des paroles royales et
impériales dans les
deux langues officielles de
l'époque.
de la Reine et du Commissaire
Nous remercions enfin Pierre Morillon et le Service des Archives
territoriales qui, pour illustrer le texte d'E. Lequerré, ont mis à notre
dispo¬
sition l'affiche de 1880 proclamant
rattachement des Etats de
à
le
Pomare V
la France.
Le comité de rédaction
Société des
Études
Océaniennes
3
GEORGES FORSTER ^EUROPEEN
DU VOYAGE AUTOUR DU MONDE
A LA REVOLUTION
FRANÇAISE
L'accueil de
Georges Forster à la Convention nationale en 1793 est
plus heureux de la Révolution française. Pour tous,
Forster n'est pas seulement l'un des trois députés allemands venus offrir le
l'un des moments les
soutien solennel des Etats
rhénans, il est aussi savant dans toutes les
sciences, érudit en six langues et le seul des grands découvreurs du Pacifique
à rejoindre le mouvement révolutionnaire. Tous les jeunes d'Europe ont lu
relation autour du monde et vibré aux aventures de celui
qui a eu la chance
partir et d'avoir vingt ans dans les mers du Sud en compagnie du capitaine
Cook. Forster que certains surnomment « le jeune » pour le distinguer de son
père naturaliste comme lui, Forster le jeune incarne tous les enjeux scienti¬
fiques du XVIIIe siècle. L'ovation qu'il reçoit à la fin de son discours salue
en lui l'esprit
des découvertes et les utopies mêlées de la Révolution et des
îles du Pacifique. Chacun, en cet instant d'unanimisme, ne doute pas que la
Révolution est l'événement le plus important du siècle. Le président de Brie
descend de son siège embrasser Forster et ses compagnons Patocki et le
jeune Adam Lux. L'Assemblée debout leur fait un triomphe.
sa
de
Janvier 1794
Forster
pas sous la guillotine, mais de chagrin
d'épuisement. Voir la Terreur et le grand ratage général de tant d'espoirs
le tuent littéralement. Il est alité et ne quitte plus la chambre depuis qu'un
soir de décembre il est sorti sans son manteau. Est-ce une façon, une tenue
pour sortir de la Révolution ?
:
ne meurt
et
Société des
Études
Océaniennes
4
Le Polonais Malieczewski
qui lui rend visite a tout essayé. Il sait que
déceptions peuvent être plus acérées que la guillotine et qu'on ne
peut sauver Forster, pas plus que celui-ci n'a pu protéger Adam Lux de
l'échafaud. Personne ne pouvait protéger Lux contre ses tentations suicidai¬
res. Il
proclamait partout, et de plus en plus haut, son dégoût devant les
exécutions qui se multiplaient. Une fois, il a même voulu se suicider à la
tribune de l'Assemblée pour que son sacrifice illuminât le cœur des
députés.
Forster avait réussi in extremis à l'en dissuader. Mais il ne peut l'empêcher
quelques semaines plus tard de faire circuler un texte défendant l'honneur
révolutionnaire de Charlotte Corday. Adam Lux finit par être arrêté et
Forster, le défenseur des droits de l'homme qui, au Cap, a dénoncé les
esclavagistes, le pourfendeur de toutes les tyrannies et des obscurantismes,
lui qui, autrefois à Tahiti, a même boxé un naturel commerçant venu offrir
une femme à l'encan, lui,
député d'honneur de la Convention, directeur de
missions diplomatiques aux frontières, il ne peut intervenir dans la capitale
de la liberté pour sauver ce jeune fou d'Adam Lux.
certaines
Personne
l'aurait pu »,
lui a dit bien souvent Malieczewski. Mais,
heure, à quoi bon parler encore. Forster est atteint d'une pneumonie,
peut-être doublée d'une pleurésie, leur a-t-on dit. Une maladie d'idéaliste.
Rilke, le poète, est bien mort d'une piqûre de rose.
«
ne
à cette
L'histoire de
Georges Forster est troublante, sublime aussi, s'accordent
pourtant gênés par l'immense ombre d'amertume qui
recouvre son souvenir. Chacun,
cependant, le tire d'un côté ou de l'autre de
la Révolution. Est-ce un préromantique ou un précurseur
du socialisme
comme le dit Jaurès ?
Pourquoi certains cherchent-ils encore à expliquer son
engagement par ses mauvaises relations conjugales (Perthes) ou par son
manque d'argent (Guillaume de Humboldt), quand d'autres ne voient dans
son parcours
que la manifestation d'une exceptionnelle cohérence de pensée
(Marita Gilli) ou d'une noblesse exemplaire (André Chuquet) ?
à dire les historiens
croix
son
Naturaliste, initiateur de l'anthropologie moderne, alchimiste et roserepenti, il n'est pas un domaine de la connaissance qui ait échappé à
intérêt durant
sa
brève vie. Enfant des Lumières, il a cru de toutes ses
forces dans l'idée du
progrès de l'esprit et celui des sociétés. L'Encyclopé¬
die, à ses yeux, était loin de clore la connaissance, mais l'ouvrait à
l'action,aux autres arts et techniques, aux autres mœurs et coutumes, aux
problèmes d'identité. Peu d'hommes ont autant réfléchi à la variété des
cultures humaines, et, parmi ses contemporains,
il est de ceux qui sont allés
Société des
Études
Océaniennes
5
le
plus loin dans cette voie du cosmopolitisme. Georges s'est en toute
comporté comme un citoyen du monde et, pourrait-on dire aujour¬
d'hui, il préfigure cet « étranger professionnel » dont parle Abdel Khatibi à
propos de Segalen.
occasion
Sa mort dans les bras de Malieczewski, à Paris, loin des siens dispersés
en Suisse (femme
et enfants) et à Berlin (ses parents) correspond au mic-mac
de
sa
naissance
arrivée
I.
-
en
: en
Prusse
Pologne, dans une famille allemande d'origine écossaise
vers
1640.
Forster, le voyageur
Forster naît
1754
village de Nassembuhen près de Dantzig, une
région qui passera entre les mains de l'Allemagne au partage avec la Russie,
en 1772. Il
passe sa jeunesse, à partir de onze ans, dans la région de la Volga,
puis à Londres où son père est nommé professeur au collège libre de
Warrington. A dix-sept ans, Georges parle six langues et connaît toutes les
littérature d'Europe. Il est pétri de culture grecque et cite les auteurs latins.
Son seul maître a été son père, Reinhold, le savant. Un personnage singulier
qui accumule les polémiques dans ses emplois, mais un être bien intéressant
et passionné qui ne met jamais son drapeau dans sa poche. Ancien pasteur,
il a abandonné sa charge au village de Nassembuhen pour se consacrer à ses
recherches en sciences naturelles, une discipline que Linné, nouveau pro¬
phète de l'époque, vient de mettre en effervescence. En 1765, il reçoit
mission de Catherine II de Russie d'effectuer une étude sur Saratov, une
région de la Volga où une colonie allemande doit venir s'installer, mais il se
fâche avec ses fonctionnaires, comme il se fâchera plus tard avec l'Amirauté
anglaise à son retour du voyage autour du monde. Des disputes qui lui
coûteront chaque fois des soucis d'argent. Aussi le disait-on grincheux,
raide, catégorique. Mais il a été le meilleur des professeurs pour son fils, en
qui tous les dons de la nature semblaient réunis. Reinhold a été d'autant plus
attentif et rigoureux que Georges n'a pas reçu une éducation traditionnelle
en
au
à l'école.
Quand Reinhold est nommé directeur des
opérations scientifiques à
bord du Resolution de
Cook, il impose son fils comme son assistantnaturaliste et dessinateur, un bon poste d'observation pour un jeune homme
Société des
Études
Océaniennes
6
qui veut découvrir le monde. Dans l'ombre de Reinhold, Georges pourra
faire des études sur « la géographie, l'histoire naturelle et la philosophie
morale, et en particulier sur la Terre et ses souches, l'eau et l'océan,
l'atmosphère, les révolutions du globe, les corps organisés, et l'espèce
humaine
».
Les Forster
occupent la place enviable de Joseph Banks, le richissime
châtelain
qui, àvingt-cinq ans, s'est embarqué à ses frais sur Y Endeavour (le
premier voyage de Cook) en compagnie d'une bande de savants
et d'artistes (plus quatre
domestiques dont deux Noirs). Ce mécène érudit et
est
vite
devenu,
original
à son retour, un personnage considérable à Londres.
La moisson des résultats qu'il a rapportée du Pacifique a mis la communauté
scientifique en émoi. Pas une discipline qui n'ait été concernée par ses
informations. En linguistique, le rousseauiste lord Monboddo fait son miel
des listes du vocabulaire tahitien pour développer ses thèses évolutionnistes
sur « l'origine et les progrès du langage ». En physique, Joseph Priestley
publie un essai remarqué sur la lumière et les phénomènes atmosphériques
sous les diverses latitudes. Quant aux naturalistes, ils ne
comptent plus leurs
sujets de découvertes et d'étonnement. Ils commencent même à s'interroger
sur le genre
du corail : une plante ? un animal ? un des premiers maillons de
la chaîne organique ?
navire du
Grâce à
l'organisation mise en place par Banks, le Pacifique présente
paradoxe d'être la dernière région du monde connue des Européens et la
première à être saisie et présentée scientifiquement. L'Amirauté anglaise
adopte le modèle d'exploration de Banks non seulement pour tous les futurs
voyages dans le Pacifique, mais aussi pour lancer une grande expédition de
découverte (sous les ordres de Pennant) des côtes... d'Irlande.
ce
Banks était candidat au deuxième voyage
de Cook, mais — fêté depuis
héros
national, honoré comme un bienfaiteur de l'humanité,
reçu dans tous les clubs de Londres — sans doute en prit-il trop à son aise
son retour en
l'Amirauté
exigeant d'agrandir les cabines destinées à recevoir sa
équipe. Celle-ci était d'ailleurs pléthorique et la personnalité de
Priestley, qu'il voulait engager, peu appréciée par l'Amirauté qui voyait
déjà dans ce savant une graine de révolutionnaire (Priestley soutiendra ef¬
fectivement la Révolution française). C'est ainsi que lord Sandwich finit par
porter ses regards sur celui qui, depuis son arrivée à Londres, n'avait cessé
de marcher sur les traces de
Priestley. Ce Reinhold Forster était aussi
compétent que Priestley, professeur au même collège et membre de la même
Royal Society.
avec
en
nouvelle
Société des
Études
Océaniennes
7
Occuper le poste de Banks, c'est embrasser une vision qui traverse
disciplines jusqu'à l'esthétique et l'art. Banks était membre de la
très sérieuse Society of the dilettanti, un club d'esthètes qui cultivait le goût
en toutes choses, notamment à l'occasion de
banquets et de déplacements en
Italie. Italianisants, ils prônaient une peinture néo-classique. Parmi les
membres, Sir Joshua Reynolds, le maître de l'école néo-classique anglaise
qui a fondé la Royal Academy en 1768.
toutes les
Georges,
lui aussi
en
sans avoir fréquenté d'école, de club ou d'académie, dessine
virtuoso. Au cours du voyage, en même temps qu'il exécute ses
planches de botanique, il peint quelques gouaches et incite Hodges, le
peintre de l'expédition, à s'émanciper de l'école classique dont il est issu.
Tous les deux sont marqués par les travaux de Priestley (Reinhold a apporté
à bord son ouvrage sur les phénomènes lumineux). Georges tentera notam¬
ment une grande toile bleue et or, à l'Antarctique, pour rendre les effets de
lumière des glaces polaires. Et Hodges deviendra, sur ce point de la lumière,
un maître précurseur de Turner.
Tous les
verte comme
mesurer.
enjeux sont culturellement liés dans ces voyages de décou¬
Georges, placé au cœur du dispositif de Reinhold, peut le
Le Resolution est un laboratoire ambulant où les Forster retrouvent
le naturaliste suédois Anders
Sparrmann, les astronomes William Wales et
Bayly, le peintre William Hodges. Les «experimental gentlemen»,
comme les
appellent les matelots, sont bien acceptés car chacun à bord est
gagné, comme le note Sparrmann, par la poursuite de « la nouveauté et de
William
la découverte
A-t-on
».
déjà vu de tels flâneurs sur les mers ? Ils exécutent le relevé des
côtes, observent le passage des planètes, collectionnent les coquillages, les
coraux. Au XVIe siècle, les
navigateurs étaient attirés par l'or, les épices. Au
XVIIIe, ils partent apprendre le monde et découvrir l'homme. Ils sont, pour
la première fois, ouverts à l'interrogation ethnographique. « Ils voient un
frère dans tout homme » et expriment « les signes avant-coureurs des droits
de l'homme », selon Jules Verne qui en fait ses héros dans sa série les Grands
Navigateurs. Cook est son favori : Cook, le roturier, dont le père, un ancien
garçon d'écurie, apprendra la lecture pour lire les récits de son fils. Cook,
qui, dit-on, n'accepte pas de prêtre à son bord, est le capitaine bien aimé de
tous ses hommes. Georges lui voue confiance et admiration : « Le fait qu'il
renonçait volontairement à tout privilège pour sa personne, les exemples in¬
nombrables témoignant de son souci paternel pour le bien-être de ses
Société des
Études
Océaniennes
8
subordonnés, tout cela lui valait une confiance qui allait jusqu'à l'enthou¬
siasme. On peut donc affirmer à bon droit que sa discipline était exemplaire
et cela avec d'autant plus de raison que ceux de ses officiers qui avaient servi
sur
d'autres navires de guerre avant
trouvaient pas assez
Georges
dure...
de passer sous les ordres de Cook
ne
la
».
aussi manquer d'être impressionné par les égards visle capitaine exige de la part de ses hommes. « Mon
équipage, dit Cook, ne manqua jamais, ou presque jamais, aux règles que je
crus devoir lui
imposer », et ce, même dans les circonstances les plus
périlleuses ou quand les insulaires deviennent agressifs, comme en ce jour
de 1773, à Tahiti, où Cook garde son calme et explique pourquoi il n'en est
pas pour autant « plus sévère » : « M'y prenant d'une autre manière, je me
serais à la fin nui à moi-même; et par la destruction de leur richesse, je ne
pourrais espérer que la vaine gloire de les obliger à faire les premières
ouvertures d'accommodement et qui sait si mes violences auraient produit
ne peut
à-vis des naturels que
cet
effet ? La bonté de leur caractère et la bienveillance de leur cœur, un
traitement doux de leur part et
la crainte de nos armes à feu nous rendaient
proprement leur amitié. Si j'avais cessé de me comporter avec humanité à
leur égard, j'aurais aigri leur caractère et un usage trop fréquent de nos armes
à feu aurait excité leur vengeance et leur aurait peut-être appris que ces armes
sont pas si terribles qu'ils l'imaginaient. Ils sentaient très bien la supério¬
rité de leur nombre, et personne ne connaît la force d'une multitude en fu¬
ne
reur ».
Cook n'est pas
le seul membre de l'expédition à déjà connaître Tahiti.
Furneaux, commandant YAdventure (le navire qui accompagne le
Resolution) fut autrefois le second officier sur le Dolphin de Wallis. Le
lieutenant Pickersgill s'apprête à retourner dans l'île pour la troisième fois.
Quant au soldat de marine Gibson, il fut si enchanté de son premier séjour
qu'il fit une vaine tentative de désertion. Aussi la réputation tahitienne estelle grande à bord où l'anecdote du capitaine Wallis et de la reine Purea,
enlacés et en pleurs devant tous au moment du départ, a déjà fait le tour de
l'équipage. Enfin Reinhold, auteur de la traduction anglaise du Voyage
autour du monde de Bougainville, ne se prive pas de raconter les descriptions
cythéréennes et anacréontiques du chevalier français auquel il ne peut
s'empêcher d'adresser quand même quelques coups de patte pour ses con¬
clusions hâtives et ses piètres observations scientifiques. Mais le livre de
Bougainville a remporté un immense succès dans toute l'Europe où des
Tobias
éditions allemandes et hollandaises sont
Société des
Études
en
préparation. A Paris, l'arrivée de
Océaniennes
9
Ahutoru
porté l'engouement à son comble. Le jeune Tahitien y a été aussi
dans sa Polynésie natale, où l'on dit les femmes « très
accueillantes, fort gracieuses et même caressantes ». Dans certains salons où
l'on se flatte d'avoir reçu Bougainville et son protégé, on fait circuler des
pamphlets, des lettres comme celles du docteur Commerson au docteur
Lalande. Le naturaliste de Bougainville écrit depuis l'île Bourbon une
a
bien reçu que
évocation de Tahiti
«
seul coin de la Terre où habitent des hommes
sans
vice,
besoin, sans dissension ». Si Bougainville appelle Tahiti
la Nouvelle Cythère », Commerson préfère la nommer « la bonne utopie
». Et dans certaines belles demeures de Paris,
l'utopie se déplace avec les
convives au fond du jardin, dans le pavillon aménagé en case tahitienne.
sans
préjugé,
sans
«
A
Londres, quelques voix discordantes se font entendre, comme celle
abrégée du voyage de Y Endeavour qui, ne pouvant
de l'auteur d'une version
croire avoir
la même île que
le Français, se moque du témoignage de
Bougainville. Mais Banks ne dissimule pas son enthousiasme pour Tahiti
qu'il compare à l'Arcadie des premiers Grecs. Dans ce pays des antipodes,
le pain lui-même, symbole de valeur et de travail, pousse tel un fruit sur les
arbres. Grâce à de pareilles images, l'île s'est vite emparée des imaginaires
pour incarner aux yeux des Européens l'Age d'or, le lieu où régnent la
volupté, la nonchalance et le partage sous les auspices d'un culte à Vénus.
Voltaire n'en cache pas sa joie en lisant une première version du voyage
autour du monde de MM. Banks et Solander, qu'une édition française de
1771 publie avec le texte de Bougainville. « Je ne connais rien de plus
subversif, écrit-il au chevalier de Lisle. Je vois avec un plaisir extrême que
M. de Bougainville nous a dit la vérité. Quand les Français et les Anglais sont
d'accord, il est démontré qu'ils ne nous ont pas trompés. Je suis encore dans
l'île de Tahiti, j'y admire la diversité de la nature. J'y vois avec édification
la reine du pays assister à une communion de l'église anglicane et inviter les
Anglais au service divin qu'on fait dans le royaume. Ce service divin consiste
à faire coucher ensemble un jeune homme et une jeune fille tout nus, en
présence de sa majesté et de cinq cents courtisans et courtisanes. On peut
assurer
que les habitants de Tahiti ont conservé, dans toute sa pureté, la plus
ancienne religion de la Terre. »
vu
Un an
plus tard, en 1772, Diderot également s'inspirera de l'amoralisme
de Tahiti pour écrire son Supplément au voyage de
Bougainville, texte qui ne sera publié qu'en 1795, onze ans après sa mort.
L'abbé Bourdet de Vauxcelles, qui le préfacera, verra en Diderot « le
véritable instituteur de la sans-culotterie... et le bonhomme le plus immoral
'
et des libertés sexuelles
Société des
Études
Océaniennes
10
en
propos,
le ravisseur le plus débridé, le plus à la housarde
que
Dieu ait
créé».
Cet intérêt immédiat des
philosophes enracine le mythe tahitien dans
prérévolutionnaires et aussi dans ce qu'on a appelé les « basses
Lumières », c'est-à-dire toute cette masse de libelles et de pamphlets où, à
partir du thème tahitien, les mœurs étriquées d'Europe et leurs conventions
peuvent être aisément dénoncées.
les Lumières
Tahiti est donc vanté
malgré son amoralisme qui représente précisé¬
les
pour
Européens. Ceux-ci sont-ils trop abîmés de préjugés
pour méconnaître le relativisme des cultures, les non-correspondances des
comportements et des logiques ? Ahutoru à Paris et Mai plus tard à Londres
seront les nouveaux Usbeck et Rica des Lettres persanes qui ont
déjà
enseigné que l'Occident n'est pas le seul mode d'organisation éthique dans
le monde. Et quand même Ahutoru et Mai se montreront satisfaits de leur
séjour, les pamphlétaires utiliseront leurs personnages pour tenir les dis¬
cours les plus critiques sur les sociétés
européennes. Le sauvage a déjà servi
comme figure réthorique à
Montaigne, Lahontan ou Rousseau pour exhorter
les civilisés à se mettre à l'écoute de ces naturels pour
qui, ainsi que le dit
Diderot, « le sentiment de la liberté est le plus profond des sentiments ». Et
si « le Tahitien touche à l'origine du monde », Diderot considère
que «
l'Européen touche à la vieillesse ». Tahiti n'est certes pas la plus importante
des découvertes du vaste Pacifique, mais elle est celle qui a eu
l'impact le
plus inouï sur l'Europe, provoquant son autoréflexion.
ment un défi
Tahiti est donc d'autant
plus attendu par l'équipage du Resolution et de
VAdventure, que l'île n'est plus cette fois la première étape dans le
Pacifique, car l'expédition n'a pas suivi la route par le cap Horn des trois
précédentes circumnavigations. Passé parle cap de Bonne-Espérance, Cook
entre dans le
Pacifique par le sud de l'Australie, s'arrête en Tasmanie, puis
en Nouvelle-Zélande. Ces escales
permettent à chacun à bord de comparer
entre « les nations qui ne font
que sortir de la barbarie », et de mieux
apprécier tout ce qui distingue Tahiti dès leur premier contact. Un deuxième
séjour sept mois plus tard, après avoir sillonné le Pacifique Sud, leur permet
de confirmer leur premier
jugement : Tahiti est bien en tête du palmarès des
nations.
Les
Forster, partisans des thèses évolutionnistes, appliquent les prin¬
cipes de la théorie des climats de l'Abbé du Bos, Montesquieu et Winckelmann, selon lesquels « la civilisation, explique Reinhold, est plus avancée
Société des
Études
Océaniennes
11
à tous
égards suivant que les insulaires se trouvent plus ou moins loin des
pôles : ils jouissent d'une subsistance plus variée et plus abondante... Il
paraît que les hommes n'ont habité que malgré eux les extrémités des zones
tempérées ». La méthode empiriste et comparative prônée par Reinhold
permet d'organiser le monde sauvage qui s'offre aux premiers regards dans
un prodigieux désordre.
Les
Tasmaniens, timides et apeurés, sont miséreux comme les Lapons
et les
Patagons. Les Maoris de Nouvelle-Zélande, malgré des conditions
plus favorables, sont encore anthropophages. Quant aux Marquisiens, pourtant « la plus belle race des Mers du Sud », selon Georges («Ils
surpassent toutes les autres nations par la régularité de leur taille et de leurs
traits »), « leur Constitution n'a pas encore acquis une forme monarchique
déterminée. La nature de leur pays, qui demande plus de travail et de culture
qu'aux Iles de la Société, est la principale cause de cette différence. »
d'existence
Tahiti est de loin le pays «
où tout atteste l'opulence et le bonheur », dit
qui venaient par hasard à Tahiti
convenaient tous qu'ils n'avaient jamais vu de contrée aussi riche ». Que le
rigoureux et scientifique Reinhold utilise ce mot de bonheur mérite d'être
remarqué. « On a déjà prouvé que Tahiti et les autres îles de la Société sont
à cet égard plus près du bonheur qu'aucune des nations que nous avons
rencontrées ». Georges n'emploie pas ce mot. Son vocabulaire est plus
esthétique et politique.
Reinhold,
«
et les habitants des autres îles
C'est à la
presqu'île de Tahiti, à la baie de Vaitapiha, que la bande
débarque la première fois. Cook est tout de suite à ses affaires, Reinhold
flanqué de son grand épagneul (Pomaré le lui réclamera et il le lui offrira) et
Hodges encombré de ses cartons à dessins. Georges avance au milieu des
plantations : « Elles répondaient parfaitement à l'attente que je m'étais
formée d'un pays que M. de Bougainville compare à l'Elysée. » Il grimpe au
sommet de la colline qui domine la baie. Hodges l'y accompagne pour
planter son chevalet : « Ce lieu, d'où nous découvrions la plaine sous nos
pieds et plus loin la mer, était un des plus beaux qui aient jamais frappé mes
regards. Il rappelait à mon souvenir et surpassait les descriptions les plus
délicieuses des poètes. »
Hodges, à ses côtés, n'est pas moins enthousiaste. A Londres, ses
s'efforçaient de représenter l'Age d'or et voilà qu'un Age d'or in¬
soupçonnable se présente à lui dans la manifestation de tous ses éclats. Dans
cette nature en fête, le décor simple et grandiose à la fois ennoblit le sauvage
maîtres
Société des
Études
Océaniennes
12
le posant
dans un paysage proche, en effet, de l'Elysée, de Cythère,
l'Utopie ou l'Arcadie. Comment Hodges peut-il résister à la tentation du
grand style antique ?
en
Georges lui-même
ne peut
s'empêcher de renchérir
sur
les rappels
grecs et latins de ses prédécesseurs. Les femmes sont belles comme Vénus
et les hommes semblent des modèles
pour Phidias et Praxitèle, d'autres
pour Hercule ou Lycurgue. « Leur beauté si frappante, dira-t-il aux
Marquises, excitait notre imagination. Nous mettions la plupart à côté des
fameux modèles de l'Antiquité. »
encore
La société
polynésienne offre une débauche d'esthétique jusque dans
protocoles sociaux, comme ce rituel de rencontre, auquel assiste Geor¬
ges, entre Hitihiti (ou Œdidee) embarqué à Raiatea et deux jeunes gens
«d'un certain rang » rencontrés au large et que les Anglais accueillent à
bord: « Nous les fîmes entrer dans la chambre du
capitaine où on leur
présenta Œdidee. La politesse de la nation voulait qu'ils lui offrissent en
dons des vêtements : et à l'instant, ils tirèrent les leurs
qui étaient d'une
étoffe fine, et ils les mirent sur ses épaules. Pour les remercier, il leur montra
les
tous ses trésors.
»
Les manières
simples des naturels n'en sont pas moins d'une rare
élégance. Plus on s'approche du roi, plus augmentent le faste des costumes,
du décorum et les
marques de déférence. Le arii garde, cependant, en toute
occasion, une majesté bonhomme et les manières simples et juvéniles de son
peuple.
Georges connaît un choc esthétique que ne tempèrent pas les informa¬
sur les
pratiques de sacrifice humain et d'infanticide. S'il a une
réticence, elle concerne plutôt l'organisation politique entre « les différen¬
tes classes de
sujets, telles que arii, manahune et teuteu qui ont un rapport
éloigné avec celles du gouvernement féodal ». Mais, ajoute-t-il aussitôt, «la
simplicité des manières de vivre modère ces distinctions et ramène l'égali¬
té. Entre l'homme le
plus élevé et l'homme le plus vil, il n'y a pas
ordinairement à Tahiti cette distance qui subsiste en
Angleterre entre un
négociant et un laboureur. L'affection des insulaires pour les arii que nous
tions
avons
remarquée dans toutes les occasions, nous donne lieu de supposer
regardent comme une seule et même famille. L'origine de (leur)
gouvernement est patriarcale, et avant que la Constitution eût pris la forme
actuelle, la vertu élevait peut-être seule au titre de père du peuple. La
familiarité qui règne entre le souverain et le
sujet offre des restes de la
qu'ils
se
Société des
Études
Océaniennes
13
simplicité antique. Le dernier homme de la nation parle aussi librement au roi
qu'à son égal, et il a plaisir à le voir aussi souvent qu'il le désire. Le prince
s'amuse quelquefois à faire les mêmes travaux que ses sujets et, n'étant pas
encore
dépravé par de fausses idées de noblesse et de grandeur, il rame
souvent sur sa pirogue sans croire
qu'il déroge à sa dignité. »
Proches de la vertu des
origines, les Tahitiens connaissent-ils « l'heu¬
ignorance » qu'évoquera Robespierre et « où, selon lui, la sagesse nous
avait placés »? Le parallèle avec les Grecs, dont Forster, pourtant moder¬
niste, abuse, est bien entendu flatteur et aussi pertinent à l'égard de l'Europe
en
proie à une anticomanie qui culminera au moment de la Révolution,
gagnant même les classes populaires qui nommeront leurs enfants Gracchus,
César ou Cornélia. « Ah ! comme il eût été facile de rédiger une Constitution
pour un peuple neuf », déclare Sieyès devant le comité des rédacteurs de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En 1793, la Convention
reuse
s'installe dans
une
nouvelle salle des Tuileries où trônent les bustes des
grands législateurs antiques : Solon, Lycurgue, Démosthène, Platon, Brutus,
Camille, Publicola, Cincinnatus.
Les Tahitiens bénéficient de la même force des commencements que
celle des anciens
Grecs, eux-mêmes bons sauvages, enfants doués de l'aube
repère de l'Antiquité permet de situer Tahiti non seulement
par rapport aux autres sociétés des mers du Sud, mais aussi en tant que peuple
neuf par rapport à l'Europe, certes à son apogée, mais en quête de « régé¬
nération » et à qui il est donné de pouvoir se penser autre qu'elle n'est,
d'inventer sa propre négation pour mieux mesurer le chemin qui la sépare de
de l'Occident. Le
la liberté.
Les voyageurs
qui touchent les îles d'Océanie pénètrent dans un espace
l'utopie et l'histoire. Déjà au XVIe siècle, le texte d'Amerigo
Vespucci suscite le récit à l'île d'Utopie que Thomas More attribue à un
compagnon d'équipée d'Amerigo. La Cité du soleil est aussi une île exotique
que Campanella place dans l'océan Indien.
situé entre
Entre Tahiti et
l'Europe, le trouble est réciproque et les repères tradi¬
positivement brouillés. En définitive, quelle société peut prétendre
précéder l'autre ? Comment juger ce qui est impalpable : le bonheur, la
qualité d'un mode d'existence ? « Quoique je parle, dit Reinhold, de la félicité
des nations européennes, je sais que la corruption des gouvernants et des in¬
dividus, le luxe et le vice l'entremêlent de beaucoup de misères et que le
bonheur des peuples de l'Europe ou de l'Asie paraît réellement moindre que
tionnels
Société des
Études
Océaniennes
14
celui de
quelques nations de la
mer du
Sud; je parle seulement en général.
»
Mettre
l'Europe, Tahiti et la Grèce antique sur le même cercle des
l'époque. Reinhold et Georges n'y échappent
pas. Mais caressez ce cercle, il devient vicieux. Heidegger, au XXe siècle, se
demande encore si la Grèce n'est pas devant nous. Même Marx, peu suspect
de nostalgie, s'interroge longuement sur l'attrait que ces premières républi¬
ques exercent sur lui. L'avenir sera-t-il toujours en deçà des origines ?
«L'Europe a vu succéder, aux siècles finissants de la Grèce et de Rome, les
siècles de barbarie dont nous sommes issus », dit en juin 1793 BillaudVarennes, afin d'exhorter les députés de la Convention à la régénération de
civilisations est le jeu favori de
la France.
La classe inférieure de Tahiti
s'apparente
aux ilotes de Sparte et aux
chefs, Georges veut les décrire
c'est-à-dire « comme des hommes
esclaves d'Athènes et Rome. Quant aux
peint les héros d'Homère »,
plus que naturelle. Leurs estomacs, d'une dimen¬
sion prodigieuse, exigent une quantité d'aliments qu'ils consomment et il
paraît que les Grecs n'aimaient pas moins les porcs que les Tahitiens
d'aujourd'hui. On observe la même simplicité des mœurs dans les deux
nations et leur caractère est également hospitalier, affectueux et humain. »
«comme on
d'une stature, d'une force
Quand, revenant à Tahiti un an plus tard, Georges a la chance d'assister
navale réunie pour l'attaque de Moorea (Eimeo), il continue
d'évoquer la Grèce : « Cette flotte nous rappela souvent les forces navales
qu'employait cette nation dans les premiers temps de son histoire. Les Grecs
étaient sans doute mieux armés, parce qu'ils se servaient de métaux... Mais
les efforts réunis de la Grèce contre Troie ne furent guère plus considérables
que l'armement d'Otoo (le roi de Tahiti) [o Tu] contre l'île d'Eimeo. »
à
une revue
La
plus belle référence grecque de Georges concerne Raiatea qu'il
compare à la Phéacie. L'équipage y arrive en pleine réjouissance arioi. Toute
l'île semble envoûtée par la présence de la troupe fêteuse. Constitués en une
initiatique, les Arioi sont comédiens, musiciens, poètes mais aussi
«maîtres-du-jouir » selon Segalen qui les décrira encore comme « beaux
secte
parleurs, beaux mangeurs, robustes époux, en toutes choses admirables et
forts ». Tout homme et toute femme, quel que soit son rang, peut y entrer à
la condition unique d'être beau. Les Arioi apportent plaisirs
et fastes d'île en
île. A Raiatea, les Anglais sont vite gagnés par l'ivresse générale. Partout des
invitations à partager des banquets, participer à des danses, assister à des
représentations théâtrales. L'une de ces pièces s'intitule la Naissance de
Société des
Études
Océaniennes
15
l'enfant. Une autre a pour personnage le capitaine Cook lui-même. Jamais les
marins n'ont encore connu un tel air de félicité. Un groupe de jeunes femmes
passe devant Georges, en chantant un couplet dédié à Hina, la déesse de la
Lune, « non la chaste Diane, précise-t-il, mais l'Astarté des Phéniciens ».
Elles disent : « le brouillard dans la Lune, ce brouillard j'aime ». Alors
Georges se croit transporté dans la légendaire et festive Phéacie où Ulysse
rencontre Nausicaa.
Tahiti et
îles n'ont pas
usurpé leur réputation. Les visiteurs sont
d'y retrouver personnages et lieux familiers. La baie de Matavai est
l'un de ces fameux théâtres où Cook, venu observer le passage de Vénus
devant le soleil, a longtemps séjourné en 1769 et où Wallis avant lui s'est
ses
assurés
livré à des actes de
fraternisation,
non sans
avoir fait tirer le canon contre les
Tahitiens.
L'épisode fut sanglant, mais la stupeur passée les relations
reprirent avec un caractère franchement commercial. Les vahine voulaient
des clous pour leurs tane (les hommes) démunis de métal et les Anglais leur
en donnèrent jusqu'à voler et arracher dangereusement ceux du navire. Bref,
c'est dans cette baie déjà historique qu'arrive, un soir de juillet 1773, le
Resolution de Cook. L'accueil est aussi chaleureux qu'à Vaitapiha mais
écourté en raison de l'heure tardive. Comme à leur habitude, les piroguiers
ont regagné le rivage à la tombée de la nuit : « La lune brilla toute la nuit au
milieu d'un ciel sans nuage et couvrit de ses rayons argentés la surface polie
de la mer, tandis qu'elle nous montrait dans le lointain un paysage charmant
qui semblait avoir été créé par les mains d'une fée. Un silence parfait régnait
dans l'air; on entendait seulement par intervalles quelques 0'tahitiens qui
étaient restés à bord et qui jouissaient de la beauté du firmament avec les amis
(anglais) qu'ils avaient connus en 1769. Assis à côté du vaisseau, ils conver¬
saient de paroles et par signes. Nous les écoutâmes, ils demandèrent sur tout
ce qui était arrivé aux étrangers depuis leur séparation, et ils racontèrent à leur
tour la fin tragique de Toutaha [ Tutaha] et de ses partisans. »
Comment
Georges ne serait-il
pas
impressionné
par
le comportement
nouveau, rencontré nulle part ailleurs, de ces hommes confiants et libres ? «Il
est doux de penser que la philanthropie semble naturelle aux hommes et que
les idées sauvages
de défiance et de haine ne sont que la suite de la
dépravation des mœurs. » Mais qui lui en voudrait pour une telle déclaration
à son premier soir à Matavai, alors qu'il ne doute pas d'aboutir à l'expérience
la plus importante de son voyage ? Voici un peuple qui, après les massacres
de Wallis, pourrait nourrir un légitime esprit de vengeance à l'égard des
Anglais. Or ce « ressentiment des injures » les tourmente peu. Quelles autres
Société des
Études
Océaniennes
16
nations peuvent montrer un visage aussi favorable ? Et Georges, conquis,
considère déjà l'histoire d'un point de vue tahitien : « L'attaque faite par les
Tahitiens
le
Dolphin naquit probablement de quelques outrages commis
par les Européens sans le vouloir, et quand cette supposition ne serait pas
fondée, si la conservation de soi-même est une des premières lois de la
nature, cette nation avait sûrement droit à regarder les Anglais comme des
usurpateurs, et même de trembler pour sa liberté. »
sur
Du 11 août au 17 septembre
1773, les Britanniques rencontrent tous les
chefs, toutes les princesses, puis appareillent pour un grand tour dans le
Pacifique sud. Quand, sept mois plus tard, ils reviennent : « il n'est pas
possible de décrire la joie que ressentit l'équipage voyant qu'on portait le
cap à Tahiti. Assurés de la bienveillance des insulaires, nous regardions
cette île comme notre seconde patrie », écrit Forster. Enfin, devant Matavai:
« Chacun
contemplait la métropole des îles des tropiques et, quoique je
fusse très malade, je me traînai sur le pont pour jouir de la vue. L'île était
infiniment plus belle alors que huit mois auparavant. Les forêts sur les
montagnes revêtues d'un nouveau feuillage semblaient étaler avec com¬
plaisance la variété de leurs couleurs. J'apercevais des cantons agréables sur
les collines intérieures
parées d'une robe de verdure. Mais les plaines
vives
esprit
Calypso. »
brillaient par l'éclat de leurs couleurs : les teintes les plus
embellissaient ces fertiles bocages : en un mot tout rappelait à notre
surtout
l'île enchantée de
Ainsi Tahiti est bien l'escale favorite des voyageurs et
des lecteurs,
Cook confirmera encore à son troisième voyage, en adoptant l'île
sa principale base, où il viendra
reposer son équipage durant trois
idée que
comme
mois.
Chargé de toute la force du mythe
l'exotisme d'une
rencontre nouvelle.
XVIIIe siècle ébranle
une
grec, le thème tahitien ajoute
La diversité humaine redécouverte au
certaine idée de la révélation et provoque une
première expérience de la mort de Dieu. Et si, à partir de la variété des
sociétés, surgissait une nouvelle image de l'homme ?
Les textes de
Georges et Reinhold Forster contiennent toutes les pré¬
occupations parfois contradictoires des futurs ethnologues : comment ne
pas être universaliste quand on fait le tour du monde et que l'on cherche un
guide du comportement ? Et comment ne pas être relativiste quand l'empi¬
risme et la science imposent de relever, souligner, « tracer les différences »
(Reinhold) entre les cultures ?
Société des
Études
Océaniennes
17
Les Forster tentent de
répondre à ces questions en appliquant la théorie
leurs observations confortent. Par le recueil d'informations
météorologiques, physiologiques, botaniques, géologiques et l'usage extensif de la méthode comparative, ils envisagent l'homme comme un tout,
ses mœurs et ses productions dans le prolongement de la chaîne environne¬
des climats que
mentale. Ils
en
retirent l'idée
qu'il est partout perfectible
sous
latitudes. Les différences sont certes déroutantes mais elles
retards
des
les diverses
que des
ne sont
la voie de la civilisation.
Enfin, aux déterminisclimatiques, les Forster combinent un rousseauisme volontariste.
Georges, notamment, imagine ce qu'un pouvoir éclairé parviendrait à
réaliser s'il faisait siennes les idées des philosophes. Il estime avec les
réformateurs que des hommes nouveaux peuvent s'autoproduire par la
ou
avances sur
mes
culture et la volonté. Ainsi naîtront des sociétés libres à la mesure de leur
temps. Cet espoir illimité dans l'éducation et l'énergie transformatrice est
rendu possible par le fait que les philosophes ont nouvellement reconnu la
politique
comme une
instance décisive.
Georges ne croit pas, cependant, que les Tahitiens soient blottis dans
quelconque perfection d'un âge d'or ou enfermés dans un temps répétitif.
Il nourrit une vision dynamique, progressiste de l'histoire, et il inscrit les
sociétés dans le lent processus de « civilisation », pour employer un mot neuf
créé à partir de « civilisé » et qui fait florès pendant la deuxième moitié du
XVIIIe siècle. (Selon Jean Starobinski, ce terme apparaît pour la première
fois en France sous la plume de Mirabeau, le père, dans L'Ami de l'homme,
en 1754, et avant 1760 en Angleterre, dans un discours d'Adam Fergusson.
Dès le tournant du siècle, le néologisme entre dans les dictionnaires; voir Le
Remède dans le mal, 1989). Les Forster font un grand usage de ce mot :
la
Les
Marquisiens ne sont pas parvenus à ce degré de civilisation dont
jouissent les Tahitiens » (Georges). « Tahiti et le groupe des îles hautes qui
l'environnent paraissent les seuls endroits où la civilisation ait fait des
progrès » (Reinhold). « Les Tahitiens furent autrefois anthropophages avant
d'arriver à ce degré de civilisation qu'a amené l'excellence de leur pays et
de leur climat » (Georges).
«
longue marche comme le dit Diderot ? une
dévloppement peuvent se repérer (4 selon
Adam Fergusson, 10 selon Condorcet, 3 selon Auguste Comte) ? ou bien y
a-t-il un cercle de la civilisation comme le dit Mirabeau, avec sa phase
ascendante vers l'apogée et sa chute vers son déclin ?
,
La civilisation est-elle
une
route droite où des stades de
Société des
Études
Océaniennes
18
Georges use de toutes les formules dans cet esprit « d'interprétation
optimiste et résolument non théologique » dont parle Starobinski à propos
des Encyclopédistes. Ainsi les Tahitiens sont-ils
plus riches, plus avancés
que les autres insulaires. Leur Constitution politique est plus monarchique
qu'aux Marquises, mais moins absolutiste qu'en Europe. Leur égalité paraît
plus faible que celle des Marquisiens (en tête donc du palmarès des nations
à ce point de vue), mais plus réelle que celle des vieilles nations
policées
d'Europe. La simplicité des manières tahitiennes en remontrera toujours aux
civilités contraintes et aux ambitions
démocratiques des Occidentaux, mais
Georges a vu les signes avant-coureurs de la corruption royale tahitienne, du
laisser-aller au luxe, à la paresse, à l'exploitation du peuple. «
Nous sommes
entrés dans le cercle des révolutions »,
prophétisait Rousseau qui jugeait
impossible que les royautés d'Occident puissent se maintenir. A Tahiti,
ailleurs, la civilisation semble susciter contre elle-même ses propres
maux, ce qui permet au jeune Forster de s'exercer sur la métaphore du cercle
et de prévoir, comme l'on fait ses
gammes, qu'àTahiti, un jour « le peuple
s'apercevra de son esclavage et des causes qui l'ont produit, et le sentiment
des droits de l'homme se ranimant en lui, il
y aura une révolution : tel est le
comme
cercle des affaires humaines
».
Georges goûte d'autant plus cette égalité heureuse et éphémère que
menaces
pèsent encore sur la société tahitienne, notamment « le
dommage irréparable qui leur a été causé par la ruine des principes moraux»,
d'autres
occasionnée par
les successives arrivées européennes. « Je crains bien, ditil, que notre connaissance n 'ait fait que du mal aux habitants des mers du Sud;
et je crois que les
populations qui se sont le mieux tirées d'affaire sont celles
qui, par crainte ou méfiance, n'ont pas permis à nos matelots d'entrer en
relations
avec
elles.
»
Diderot considère aussi que
les Européens doivent « s'éloigner » de ces
hospitalières océaniennes, afin de ne pas souiller leurs fragiles popu¬
lations. Georges n'a pu lire son
Supplément, mais il partage son souci de
préserver les cultures et inaugure, avec lui, un courant de pensée qui ira
jusqu'à Segalen et Lévi-Strauss.
côtes
Le texte de Forster est le
premier en Grande-Bretagne à envisager la
responsabilité d'une dégradation de la société tahitienne, puisque ce rôle
était, aux yeux de toute l'Angleterre unanime, dévolu aux Français accusés
d'y avoir introduit la vérole. Cette première formulation de l'idée du contact
fatal sera reprise à Londres
par Fitzgerald dans un texte violent contre
Société des
Études
Océaniennes
19
l'Europe (Injured islands) et surtout en France par Taitbout. Ce dernier ne se
gêne pas pour recopier des phrases entières de Forster qu'il s'approprie sans
le citer. Par exemple celle-ci qu'on sait maintenant inspirée par un soir
d'euphorie : « Il est doux de penser que la philanthropie semble naturelle à
tous les hommes et que les idées
sauvages et de défiance ne sont que la suite
de la dépravation des mœurs », mots auxquels Taitbout croit bon d'ajouter
(dépravation) qui ne peut exister chez un peuple qui n'en a même pas
«
l'idée».
L'Essai
l'île d'O'Tahiti de Taitbout
pour but déclaré d'opérer «la
générale et tant désirée à qui l'esprit humain devra un jour
l'association libre et entière et parfaite de tous les hommes. Pour ce faire,
Taitbout, derrière lequel certains, en 1779, ont cru à tort voir Bougainville,
propose « une esquisse d'un système qui sera adopté par tous les hommes à
partir de la connaissance des causes physiques qui doivent nécessairement
influer sur l'ordre moral ». Taitbout pille les développements de Forster
illustrant la théorie des climats grâce au cas « intéressant philosophique¬
ment» de Tahiti. C'est pourquoi dans The European vision of the South
Pacific, l'Australien Bernard Smith conteste l'affirmation de Chinard, le
grand commentateur de Diderot, selon laquelle Taitbout serait le fondateur
de l'anthropologie moderne. Ce titre reviendrait plutôt aux Forster et notam¬
ment à Georges qui, toujours selon Bernard Smith, a encore influencé les
poètes Henry James Pye, l'auteur du Process of refinement, et Cowper dans
son œuvre Task où est
prophétisée... la chute de la Bastille.
sur
a
révolution
Le retour des
explorateurs à Londres fait d'autant plus sensation qu'ils
ramènent, à bord de VAdventure, le Polynésien Mai. Le mythe tahitien s'est
d'autre part, en 1774, encore exacerbé. Un an plus tôt, a paru l'édition
officielle publiée par Hawkesworth des quatre premiers récits de circumna¬
vigations anglaises (Lord Byron, Wallis, Carteret et Cook, premier voyage).
Avec ces quatre relations, Hawkesworth est censé faire oublier celle de
Bougainville. Hélas ! l'ouvrage semble écrit par un émule du navigateur
français. Hawkesworth, qui a traduit en 1754 le Télémaque de Fénelon,
admire les philosophes français. Ce qui permet à certains Anglo-Saxons,
dont l'Américain Henry Adams, d'avancer que « le sentiment de Hawkes¬
worth et les goûts cythéréens de Bougainville et Commerson ne plaisaient
pas à tout le monde, et moins que partout en Angleterre où la philosophie
française et ses bergères étaient rarement les bienvenues. Un ami m'a signalé
une citation de Horace Walpole qui écrivait à l'un de ses
correspondants en
1773 : « J'espère que vous êtes sincèrement agacé à la lecture des nouveaux
Société des
Études
Océaniennes
20
qui peuvent faire de vous un bon second dans la marine, mais ne
apprennent rien du tout. Le docteur Hawkesworth est encore plus
énervant : une vieille gentille Noire de quarante ans, la reine Purea, porte le
voyages
vous
capitaine Wallis dans ses bras par-dessus une rivière quand il était trop
faible pour marcher, et le voilà qui les représente comme une nouvelle
version de « Didon et Enée ». Tout ce qui ravissait les Français était à peu
près sûr de déplaire aux Anglais et ainsi, dès le début, Tahiti prit une couleur
française qui finit par décider de son sort. »
Le malicieux Adams force la note de la différence
franco-anglaise.
déplaire à tout le monde en Angleterre. Ses
Voyages n'ont-ils pas représenté l'ouvrage le plus populaire durant dix ans
en
Grande-Bretagne ? 115 lecteurs ont même été comptés en deux ans à la
seule Bristol Library : un record ! On pourrait trouver autant de Français
sceptiques envers le mythe tahitien que d'Anglais enthousiastes à l'égard de
l'idée du « noble sauvage » (Fitzgerald dans son poème O'Tahiti, Scott
Waring dans l'Epitre d'un officier anglais à la reine Oberea (Purea), et
Anna Seward dans La Lettre d'une femme de qualité...). Cependant, on ne
peut s'empêcher de penser qu'Adams a malgré tout raison. Son point de vue
tranché peut, à propos des Français, être rapproché de l'avis de Gilles
Lapouge, non moins catégorique, qui relève que les Français, et eux seuls,
lisent l'utopie comme un monde clair et rayonnant, alors que tous les textes
canoniques étrangers de l'utopie décrivent des univers totalitaires et ef¬
frayants. Enfin, à propos des Anglais, Bernard Smith a le même regard sur
leur réaction devant le mirage océanien. Il estime même
que l'opinion
anglaise, où le méthodisme monte en puissance, est plus scandalisée que
charmée par les libertés sexuelles de Tahiti. Et d'énumérer tous ceux
qui
envisagent déjà, à la fin du XVIIIe siècle, d'apporter l'Evangile aux Tahitiens. Bernard Smith décèle aussi sans
peine, jusque dans les textes anglais
les plus favorables àTahiti (Hawkesworth, Courtenay
dans l'Epitre d'un
officier...), un sentiment patriotique alors à son sommet « après, dit-il, une
série de remarquables victoires militaires ». Un récit de 1768, Le
Naufragé
de William Falcone, a « promu
le marin britannique comme une figure
patriotique que les poètes ont repris. O'Tahiti (le poème) se sert de cette
convention qui célèbre les marins britanniques qui iront jusqu'au
bout du
monde traversant chaleur et froid, affrontant la maladie et le cannibalisme,
non
pour de l'or ou des esclaves comme les Espagnols, ou pour apporter des
maladies vénériennes comme les
Français, mais pour servir la science
britannique. » Dans un deuxième temps, les marins anglais partiront pour
relever le challenge de l'histoire : « le devoir de missionnarisation ».
Hawkesworth n'a pas pu
Société des
Études
Océaniennes
21
En
1774, quand les Forster rentrent à Londres, le thème tahitien est loin
Anglais indifférents. Les épîtres et autres textes de critique
de laisser les
philosophique de la société européenne se multiplient, aux côtés de pam¬
phlets burlesques et ironiques à l'égard de Hawkesworth et Banks plus
intéressés, disent les mauvaises langues, par les femmes exotiques que par
les plantes exotiques. Une épître de Scott Waring attribuée fictivement à
Oberea (Purea) se moque des amours imaginaires de Banks, en imitant les
pudibonderies de Hawkesworth. Une seconde attribuée cette fois à Banks
s'intitule : Epistle from Mr. Banks : voyager, monster-hunter, amoroso to
Oberea, queen of Tahiti.
Reinhold est
impatient de répondre à tous ces textes et notamment à
reproche à ce dernier de croire que la vieille théorie
de l'envers du monde peut suffire à expliquer le gigantisme imaginaire des
Patagons, ou encore d'avoir édulcoré les dessins de Parkinson et Buchnan
du premier voyage de Cook, en confiant leurs gravures à l'italianisant
Cipriani. Reinhold ne doute pas que l'Amirauté va lui confier la rédaction
officielle du deuxième voyage et commence à faire valoir ses exigences.
Pour lui, pas question de bafouer la vérité en proposant une vision idéalisée
des insulaires. Hodges l'apprend à ses dépens. Reinhold se fâche net en
découvrant son tableau Débarquement à l'île des Amis où les naturels sont
représentés avec de longues barbes « contre l'usage du pays », et les femmes
revêtues de draperies flottantes de la tête aux pieds dans le bon style grec,
quoique les naturels soient toujours nus du haut à la ceinture». C'est la
ceux
de Hawkesworth. Il
«
brouille.
Reinhold
raison de
vigilant sur cette importante question
regard, mais ses manières sont trop abruptes. L'astronome prend position
en faveur de son ami
Hodges dont il défend l'honnête reportage, et son art
de montrer les relations qui unissent les climats, la flore, les sociétés
humaines. Hodges n'est-il pas le seule peintre qui ose répondre au tableau
emphatique de Mai par Sir Joshua Reynolds, par un portrait plus réaliste que
celui du maître. Oui, Reinhold Forster est quelque peu injuste envers
Hodges, l'un des peintres préférés des historiens d'art, un artiste solitaire
dont les travaux sur la lumière et l'atmosphère, ainsi que les innovations
techniques auxquelles il fut conduit, annoncent Constable et Turner. Hod¬
ges sera encore le premier peintre européen à visiter l'Inde et à initier
l'Occident à l'orientalisme. Son réalisme courageux lui vaudra en 1795 de
voir fermer son exposition par le duc d'York qui la visita de forte méchante
humeur après sa défaite contre les troupes révolutionnaires commandées par
a
se montrer
du
Soqiété des
Études Océaniennes
22
Carnot. Le duc
heurte
«
prétexta sa crainte que l'érotisme des travaux de Hodges ne
les classes inférieures de la société ». Hodges est un grand peintre,
et la
polémique déclenchée par Reinhold est du plus mauvais effet
place publique.
sur
la
L'affaire
indispose l'Amirauté dont le premier Lord, le comte de
Sandwich, est occupé à recevoir Mai comme un hôte de marque en son
château où des fêtes grandioses, qu'on dit dépravées, sont données en
l'honneur du jeune Tahitien. Mai est charmant, il enchante les Londonien¬
nes et fréquente
l'opéra. Joseph Banks, un autre de ses protecteurs, le
présente dans les cercles où il évolue avec une étonnante facilité. Mai, « a
lion in the society », devient vite une figure recherchée. Toutes les célébrités
de l'époque défilent devant lui : le savant allemand Lichtenberg veut le
rencontrer, ainsi que le fameux grammairien anglais, le Dr. Johnson, et son
biographe Boswell, ou encore Priestley. Enfin, avec le portrait grandeur
nature de Mai en habit tahitien par Sir Reynolds, Londres a son bon sauvage.
La seule fausse note est Forster père, dont les prétentions et les manières
indisposent lord Sandwich. Reinhold est convoqué et contraint de signer une
convention selon laquelle il ne pourra publier ce qu'il croira bon d'écrire
qu'après la sortie officielle du récit du second voyage de Cook. En clair
l'Amirauté lui retire la rédaction de la relation. Le coup est dur pour
Reinhold, et a même pour effet de le conduire à la prison du Banc du roi pour
dette, le temps que son fil et le comte de Hesse-Cassel réussissent à satisfaire
ses
créanciers.
L'Amirauté
charge le chanoine John Douglas d'écrire le texte officiel.
première relation qui paraît en 1777, avec deux mois d'avance sur
celle de Douglas, est celle de Georges qui a saisi sa chance : « N'étant
pas
lié par ces engagements (de Reinhold) je crus devoir, sur les matériaux
que
j'avais rassemblés, entreprendre moi-même cette relation. Mon père n'étant
pas obligé de me priver de ses secours et dans toutes les occasions impor¬
tantes, je n'ai pas craint de consulter ses journaux... Je me suis quelquefois
livré aux mouvements de mon cœur, et j'ai exprimé librement les sentiments
d'humanité ou d'indignation qui m'agitaient. Mes remarques tendent sou¬
vent à l'accroissement du bonheur des
peuples que nous avons examinés, et
sans attachement ou aversion
pour aucune nation particulière, j'ai fait des
éloges ou des censures avec partialité. »
Mais la
Le succès est immédiat. Des
France et
en
Allemagne. Georges
Société des
projets de traduction sont envisagés en
a alors vingt-trois ans. On admire la
Études
Océaniennes
23
fraîcheur et la maîtrise de son style,
l'universalité de ses intérêts. Cependant,
temps pour les Forster de quitter Londres. Le père et le fils peuvent
travailler dans toutes les langues jusqu'à Moscou. Georges décide de se
rendre seul à Paris où il reçoit un accueil chaleureux. Le moment est
favorable. Louis XVI, admirateur de Cook, a donné l'ordre à la flotte
française en guerre contre l'Angleterre (guerre de Sept ans) de ne pas tirer
sur les navires du
capitaine Cook dont les expéditions servent à toute
l'humanité. Georges profite un peu de la gloire de Cook en France où sa
relation est publiée, insérée dans celle de Cook, ne s'en
distinguant que par
ses guillemets.
Le séjour à Paris est des plus agréables pour Forster, libéré
de la tutelle de son père. Les portes s'ouvrent devant le jeune découvreur au
seuil, nul n'en doute, d'une gloire ascendante. Il rencontre Buffon et surtout
Benjamin Franklin, auréolé de la Révolution américaine, et avec qui il
sympathise. L'auteur du Plan pour faire du bien à des pays lointains et
déshérités (1771) emmène Forster à une loge maçonnique (les
Neuf sœurs).
il est
Georges ne trouve pourtant aucun emploi à Paris, pour lui-même ou
père. Il se rend en Allemagne où le comte de Hesse-Cassel le nomme
professeur au collège Carolinium de hesse-Cassel. Pour son père, il obtient
son
une
chaire d'histoire naturelle à l'université de Halle. Reinhold
y restera
jusqu'à la fin de
sa
vie, misanthrope et hargneux, dit-on.
Quant à
Georges, il fait à Dusseldorf la rencontre de Friedrich Jacobi.
provoquent en lui « une tempête psychologique ». Georges
est un esprit rationaliste. Jacobi est l'un des
premiers romantiques alle¬
mands, l'un de ceux qui annoncent le mouvement littéraire Sturm undDrang
(tempête et élan) qui réunira bientôt autour des idées de Herder des écrivains
comme Gœthe, Schiller,
Stolberg. Forster n'avait encore jamais osé opposer
les exigences de la sensibilité à l'idéal classique des Lumières, défendu
jusque-là par Gœthe et Schiller. Or Jacobi lui rappelle que le sentiment de
la nature n'est pas réservé aux Tahitiens et il l'engage à tirer les leçons de
Leurs entretiens
son
propre voyage,
à la raison. Seules
à mieux se connaître lui-même. Quelque chose échappe
l'inspiration et l'introspection permettent d'approcher,
sinon d'accéder à la rationalité des événements. Jacobi
ouvre
Forster à la
philosophie de Herder en laquelle il
se reconnaîtra entièrement. Il défendra
même Herder contre Kant, mais on va voir qu'il ne se débarrassera jamais
d'une certaine propension à l'explication mécaniste même au plus fort des
événements les
plus irrationnels de la Révolution. En fait, il restera à miHerder, comme il a concilié le culturalisme de
chemin de Kant et de
Rousseau et le naturalisme de Diderot.
Soçiété des
Études Océaniennes
24
Georges et Jacobi échangeront une volumineuse correspondance jus¬
qu'en 1792. La rencontre a provoqué une crise spirituelle. Georges visite les
églises. A Cologne, il décrit la cathédrale comme un temple divin où il aime
se recueillir. Mais Forster n'est
pas un mystique au sens classique. Que
cherche-t-il ?
ACassel, Georges a pour ami Sommering qu'il appelle son frère. Tous
francs-maçons, mais Georges trouve les travaux des loges alle¬
mandes et anglaises sans surprise. Ils s'affilient donc aux Rose-Croix,
s'adonnent un temps à l'alchimie avant de rompre définitivement avec
toutes « les branches, sectes et systèmes ».
deux sont
Georges change de vie. Il se rend souvent à Gôttingen, toute proche,
apprécié par l'intelligentsia de la célèbre université. Il rencontre
Goethe et fonde avec Lichtenberg le fameux Magazine pour les Sciences et
la Littérature de Gôttingen, qui va vite concurrencer Le Museum allemand.
Enfin il épouse Thérèse Heyne, la fille du savant de Gôttingen, archéologue
et philologue, commentateur illustre de
Virgile. Thérèse est gracieuse. Tous
louent son esprit, sa bonne humeur. Sommering dit d'elle qu'elle est une
femme géniale. Seul Reinhold dira que Thérèse aura été « la mort » de
Georges.
où il est
En
1784, les Forster quittent Cassel pour Vilnius, en Lituanie, où
Georges doit diriger les grands travaux de rénovation qui ont été décidés au
moment du partage de la région. Le
projet est grandiose mais manque de fi¬
nancement, et Forster se retrouve à nouveau professeur dans une école de
Jésuites. Il n'aime pas enseigner, surtout pas à des débutants. D'autre part,
le couple connaît à Vilnius ses premières tensions, Georges
trompant
Thérèse avec la Langmeyer. Les Forster songent à
quitter la ville, quand
Catherine II, décidant l'envoi d'une expédition scientifique russe dans les
mers
du
Sud, engage Forster et paye ses créanciers. La guerre russo-turque
projet. Cependant Forster est délivré de Vilnius et rendu à
anéantit le
l'Allemagne.
Dans ce pays, sa
comme « les
Herder
réputation est grande. Son père et lui ont été salués par
Ulysses du Pacifique » ayant donné « un récit des
espèces et des variétés humaines si éclatant que nous ne pouvons que
souhaiter que de semblables relations d'autres
régions du monde nous
parviennent pour mieux connaître l'homme ». Inspirateurs de l'ethnoanthropologie (en France, la première société d'ethnologie sera créée en
1799 par de Gérondo, grand lecteur des
voyages de Forster), Reinhold et
Société des
Études
Océaniennes
25
Georges sont aussi les pères de la géographie moderne dont le véritable
fondateur, Alexandre de Humboldt, sera précisément un des grands amis de
Georges à partir de 1789-1790. « Avec Georges Forster, dira de Humboldt,
commence une nouvelle ère de
voyages scientifiques, dont le but est la
géographie et l'anthropologie comparée. Il était doué d'un sens esthétique
délicat et gardait vivantes en lui les images qui avaient meublé son esprit à
Tahiti et dans d'autres îles, autrefois plus heureuses, de la mer du Sud. Il a
d'abord écrit avec grâce les différents degrés de végétation, les conditions
climatiques, les rapports entre la nourriture et la civilisation des hommes
selon leur habitat et leurs origines... Ce n'est pas seulement dans sa mer¬
veilleuse description du deuxième voyage de Cook, mais surtout dans ses
«Petits écrits» qu'il s'avère être un précurseur dont les leçons profiteront à
la postérité. » (Kosmos, 1847).
Célébré
le
premier explorateur allemand de son temps, Geor¬
ges exerce une grande influence sur les écrivains allemands. Depuis 1778,
Heinrich von Gerstemberg, Claudius, Stolberg, Christian Overbeck veulent
fonder une colonie de poètes à Tahiti. Longtemps, ils ont cherché à
persuader Klopstock, le grand poète, de se joindre à une expédition qui ne
verra jamais le jour. Mais ces
rêveurs ont inauguré un engouement allemand
pour Tahiti qui s'imposera d'autant plus facilement qu'il recoupe la senti¬
mentalité préromantique. Beaucoup n'hésitent pas à mêler Tahiti et l'île al¬
lemande de Felsenburg, en principe sur le Danube. En 1781, Pfeil situe
Felsenburg dans les mers du Sud, comme le fera Stolberg en 1788 pour y
faire régner les principes de Platon et Rousseau. Jean-Paul Richter se sert
aussi de Tahiti pour imaginer sa Selige Insel (1794), séjour de l'amour et de
l'éternel printemps. Qu'arrive-t-il aux Allemands ? La fin du siècle les voit
s'engouer pour la mode tahitienne, avec des Otaheitische Hiitten et des
Otaheitische Pavillon, des cabanes qui, nous dit Volk, s'ajoutent au décor
du jardin pour offrir une retraite exotique à l'amour.
comme
En 1780,
marins
Georges Forster recueille et publie les témoignages de deux
allemands, Heinrich Zimmermann et Barthel Lohman, membres de
la troisième
expédition de Cook. Grâce à
eux,
il reconstitue les étapes du
voyage et il est le premier à raconter la mort de Cook. La version officielle,
encore une fois confiée à John
Douglas, ne sortira que quatre ans plus tard.
Enrichie de 61 gravures de Webber, elle suscitera l'enthousiasme général,
dont celui de Louis XVI qui fera préparer une édition spéciale pour l'édu¬
cation du
dauphin et lancera l'expédition de Lapérouse sur le modèle scien¬
tifique établi par Cook.
Société des
Études
Océaniennes
26
Cook est le
grand héros du siècle finissant. Sa mort provoque un choc
regard sur le monde sauvage. L'assassinat de Hawaii s'ajoute
aux massacres en Nouvelle-Zélande de Marion Dufresne (1772) et des
hommes de Furneaux (1774), et à Samoa, de la troupe du commandant de
Langle (1787) sous les yeux horrifiés d'un Lapérouse impuissant. La, relation
que ce dernier fait parvenir à Paris, illustrée par un tableau de la scène
sanglante par Ozanne, marque profondément les esprits. Le capitaine Crozet,
un des
rescapés de l'équipage de Marion Dufresne, part en croisade contre
les idées du bon sauvage. En Grande-Bretagne, la réaction est encore plus
vive, si l'on en croit Bernard Smith : les naturels sont bien des sauvages, et
la seule question est désormais de savoir s'ils méritaient d'entrer dans le
royaume de Dieu.
et un nouveau
En
1791, à Paris, les Conventionnels, inquiets du silence de Lapérouse
sans nouvelles depuis 1788, votent les crédits
pour une
expédition de recherche commandée par d'Entrecasteaux. C'est le seul acte
de la Révolution à propos du Pacifique. Les révolutionnaires français, trop
à leurs affaires, se sont désintéressés des antipodes et de leurs enjeux. Aussi
n'ont-ils pas songé à exporter leurs instituteurs, comme les Allemands n'ont
pas mieux réussi à fonder leur colonie de poètes. Mais les Anglais enverront
leurs missionnaires. 1797 ouvrira une nouvelle ère pour l'île deTahiti et, à
partir d'elle, pour toute l'Océanie. Forster, qui souhaitait que « la mer du Sud
fût inconnue à l'Europe et à ses inquiets habitants », mourra en 1794, avant
que Haweis ne fonde la London Missionary Society (1795) qui armera le
navire Duff. Pour Georges le dernier signe venu deTahiti sera l'histoire, bien
dans l'air du temps, de la mutinerie de la Bounty : une bonne et symbolique
nouvelle, une exemplaire révolte contre l'arbitraire dans des parages tahitiens, en avril... 1789.
dont ils sont
La vision du sauvage a
donc changé, mais le thème tahitien intéresse de
qui s'en servent pour énerver leur propre réalité : des
écrivains fantastiques ou de grands délirants. Ainsi, c'est en passant devant
Tahiti que le personnage véloce du baron de Munchhausen part pour la Lune
et l'étoile du fromage (1787). C'est encore à Tahiti
que Hildebrand Bownan
imagine un peuple extraordinaire dans ses Voyages à Carnoviria, Taupinaria,
Olfataria et Audidante, publiés à Londres en 1778. En France, VHomme
volant de Restif de la Bretonne fait également le déplacement de Tahiti dans
les mers du Sud. Jusqu'à Sade qui, de sa lecture des voyageurs, tire «
que tout
est en raison de nos mœurs et du climat
que nous habitons. Ce qui est crime
ici est souvent vertu quelques lieux plus bas, et les vertus d'un autre
nouveaux auteurs
Société des
Études
Océaniennes
27
hémisphère pourraient être irréversiblement des crimes
Philosophie dans le boudoir, 1796).
pour nous »
Après les philosophes, les scientifiques, les pamphlétaires, les
(la
roman¬
ciers, Tahiti devait encore inspirer l'art théâtral fort prisé sous la Révolution.
En octobre 1788, La Mort de Cook, pièce en quatre actes d'Amould, laisse
une
impression de splendeur
décors et mise
en
aux spectateurs. Jamais encore costumes,
scène n'ont bénéficié d'autant de moyens. La pièce est
aussitôt
produite, au début de 1789, en Grande-Bretagne (au Covent Garden
Londres, puis à Dublin, Limerick, Hull...) où le public a déjà fait
un triomphe
à la pièce Ornai (1785) d'O'Keefe. Ces deux pièces sont
considérées comme les premières productions théâtrales où la recherche du
spectaculaire joue un rôle de premier plan. Pour La Mort de Cook, Arnould
a cru être réaliste en
adoptant un style monumental (un volcan fumant
domine la scène), et pour Ornai, le Garrick Theater de Londres a fait venir
à grands frais de Paris le peintre et académicien Philippe de Louthenbourg.
Heureusement que sir Joshua Reynolds, séduit par tant de grandiloquence
antique, opine aux majestueux tableaux.
Theater de
11.
—
Forster, le révolutionnaire
De tous les
spectacles de l'époque, le plus grand est sans conteste celui
1789, Georges Forster applaudit depuis Mayence
au récit qu'on lui fait de la fameuse journée du 14 : « Dans de telles occasions,
les forces de l'homme se développent, la raison s'élève. On ne voit plus rien
dormir, ni croupir... Il est beau de voir ce que la philosophie a mûri dans les
têtes et ce qu'elle a réalisé dans la société, sans qu'il n'y ait un exemple qu'un
changement aussi complet ait coûté si peu de sang et de ruines. Ainsi, c'est
bien là la voie la plus sûre : instruire les hommes sur leur véritable intérêt et
leurs droits ; tout le reste viendra de lui-même. »
de la Révolution. En juillet
Après la nuit du 4 août, il écrit : « Quelle séance ! elle est sans exemple
ne crois pas qu'il soit possible de porter les choses à la
perfection ; on n'atteint pas l'idéal. Je ne désire donc pas que cet enthou¬
siasme, que beaucoup jugent très exagéré et déplacé, disparaisse jamais.
Sans enthousiasme que deviendrait l'humanité dans cette partie de l'univers
que nous habitons ? »
dans le monde. Je
Société des
Études
Océaniennes
28
En
septembre 1789, Guillaume de Humboldt vient à Mayence lui
apporter des impressions fraîches de Paris. Tous deux pressentent que le
qui commence engage pour vingt ans « au moins » l'avenir de
l'Europe. Georges estime surtout que la République va libérer les
forces économiques entravées jusqu'à présent par les despotes, ce qui aura
pour conséquence un bouleversement des relations commerciales en Eu¬
rope. En décembre 1789, il écrit à Jacobi qu'il continue de se passionner
pour les événements de France : « C'est un spectacle intéressant, non pas de
voir que la France combat, mais comment elle combat. Cette lutte du
despotisme et de la démocratie ne ressemble à aucune de celles qui l'ont
précédée. »
mouvement
toute
Au
printemps 1790, Forster prend un congé de trois mois pour
effectuer, en compagnie d'Alexandre de Humboldt, le jeune frère de
Guillaume, une randonnée le long du Bas-Rhin jusqu'en Hollande. Sa
relation, publiée en France sous le titre de Voyage philosophique et
pittoresque des rives du Rhin, est accueillie comme l'un des meilleurs
ouvrages de littérature de voyage. Georges peut une nouvelle fois s'y livrer
à l'étude comparative des diverses situations locales sur la voie de la
civilisation et de la liberté. Ses vues du Rhin, du Brabant, de Flandres, et de
Hollande finissent par le convaincre, avant même d'arriver en France, que
la bouche du volcan se trouve à Paris. Toute l'Europe en ressent la chaleur.
Chemin faisant, il glane des informations sur de nombreux sujets.
Dès les
premiers jours à Aix-la-Chapelle, il s'intéresse aux problèmes
économiques, car « partout et toujours le développement économique a été
inséparable de la liberté civile et a duré autant qu'elle ». A Aix, il se réjouit
de constater la réussite d'entrepreneurs du textile parce qu'ils ont la rare
liberté en Europe « de diriger souverainement leur fabrique : ils ne
subissaient d'autres restrictions que celles qui leur étaient imposées par la
mesure même de leurs forces ou par
l'étendue de leur capital ». Avec de
telles préoccupations économiques, Georges se reconnaîtra à Paris dans la
politique des Girondins, mais après l'été 1793, il se ralliera aux thèses plus
populistes des Montagnards. C'est pourquoi Jaurès le déclare plus révolu¬
tionnaire que Barnave, l'homme qui a, pourtant, donné « l'interprétation
industrielle de tout le mouvement politique moderne ». Pour Barnave
comme pour Forster, l'industrie est la réalisation de la liberté. Mais,
poursuit Jaurès, la pensée de Forster est plus profonde et plus généreuse.
Barnave ne songe qu'à la glorieuse et brillante victoire de la bourgeoisie;
c'est à toute l'humanité que pense Forster sous l'inspiration de Kant. C'est
Société des
Études
Océaniennes
29
en
tout homme et dans le
plus humble manœuvrier
comme
dans le chef
d'entreprise le plus puissant que doit être réalisée la pleine dignité humai¬
ne ». Jaurès a une
grande sympathie pour Forster à « la forte pensée vaillante
et triste », pour ses débats « tourmentés ». Il s'écrie : « Ah !
quel grand
homme
d'Etat, réfléchi, véhément, résolu
et
clair, eût été Forster pour
l'Allemagne révolutionnaire ! Mais celle-ci se déroba et le sol manqua sous
les
pieds du grand homme qui osait trop tôt.
Au
»
de
son
périple européen, Forster s'est aussi beaucoup
interrogé sur la violence, par exemple celle qui marque le passé d'une ville
comme Liège dont l'histoire, constate-t-il, n'a
progressé que par à-coups
brutaux. Et la Révolution française elle-même ne constitue-t-elle
pas la plus
grande scène de déchaînement des forces jamais vue ? Comment les
révolutionnaires pourront-ils se gouverner dans la tourmente ? Les
philo¬
sophes ont promu l'éthique politique mais ont théorisé, loins des événe¬
ments, tandis que Forster peut voir que les hommes de 1789 qui se
cours
réclament des Lumières
ment
incontrôlable
se
trouvent devant
une
réalité inédite et franche¬
irruption », « un tremblement de terre », « une
neige ». Et pourtant, les Français ont su faire preuve jusqu'à
présent « d'une modération divine ». C'est pourquoi : « La Révolution est
commencée et non pas finie ; pourvu
qu'elle n'aille pas trop vite », écritil à son beau-père Heyne.
: « une
coulée de
En
Hollande, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen
proclamée à Paris et la délibération du 20 mars 1790 par laquelle l'Assem¬
blée nationale s'engage à ne pas se livrer à des
conquêtes, ni à employer la
force contre aucun peuple, sont bien accueillies
par des hommes tels que
Valckemer qui y voit une promesse universelle de
paix. Forster remarque
encore que
les villes prospères des Pays-Bas ont su sortir de la crise
économique née après les événements révolutionnaires de 1787.
De
Hollande, il s'embarque pour l'Angleterre qu'il n'a pas revue
depuis douze ans. Londres compte beaucoup d'admirateurs de la Révolu¬
tion française, qui s'inscrirait dans le droit fil des
principes de la « glorious
revolution » de 1688. « En cette aube, se sentir vivre était bonheur
suprême,
être jeune une félicité absolue », dira William Wordsworth.
Cependant,
Forster ne croise ni Priestley, ni Thomas Paine, ni Charles James Fox, tous
fervents révolutionnaires. La ville s'apprête à renouveler le Parlement. Les
cercles politiques sont agités, mais tous paraissent indifférents aux événe¬
ments continentaux.
Soqiété des
Études Océaniennes
30
D'Angleterre, Georges passe enfin en France, à Calais où il arrive le 24
juin. Le 13 juillet, il sera à Mayence. Il ne reste donc que peu de temps à Paris,
mais suffisamment pour voir l'élan unitaire et la puissance du mouvement
populaire. « Mon passage à Paris a, du moins, suffit à me persuader qu'il
n'est pas possible de penser à une contre-révolution. Tout est calme, tout
promet aux nouvelles institutions les meilleures suites. La vue de l'enthou¬
siasme à Paris et surtout au Champ-de-Mars, où l'on faisait les préparatifs de
la grande fête nationale, élève le cœur, parce qu'il est commun à toutes les
classes du peuple, parce qu'il est tout entier dirigé vers le bien commun. »
Même Louis XVI vient se mêler à la foule de deux cent mille personnes, sans
garde, sans suite. Il prend la pelle sous les acclamations de l'assistance qui
s'embrasse
aux
connaissent
ce
Dans
cris de
«
Vive la nation !
sentiment, car - dit Forster
-
». «
Seules les nations libres
elles seules ont
une
patrie.
»
lettre datée du 12 juillet,
il écrit à Jean de Muller avoir été « le
qui
est aujourd'hui animée d'un feu, d'un zèle, d'un rayon de lumière enfin qui
ne paraît
pas d'abord résulter de ses propres forces, mais qui semble au
contraire un de ces grands coups du sort inscrutable qui régit l'univers ».
une
témoin du redoublement d'enthousiasme dans cette nation intéressante
Ainsi tout est calme et
va
pour
le mieux, mais le coure des événements
provient d'un « sort inscrutable ». Georges ne balance pas, mais il a besoin
de ce pôle incertain devant son horizon pour apprécier ses convictions.
Beau est le spectacle des forces, beau et sublime même en leur action
destructrice. Dans l'irruption du Vésuve, dans les tempêtes nous admirons
l'indépendance divine de la nature... Et il en est ainsi du monde moral, avec
cette seule différence que la raison et la passion sont des forces plus
élastiques encore que la foudre et l'électricité. »
«
1790, Edmund Burke publie ses Réflexions sur la Révolution
française, un livre assassin qui remporte à Londres un grand succès (quatre
retirages en quelques semaines). Voss, l'éditeur de Berlin, souhaite que
Forster le traduise. Mais il s'y refuse, n'y trouvant qu'« un misérable ver¬
Fin
biage » répond-il à Voss. Les idées de Burke méritent d'être combattues et
critiquées, estime-t-il, et de fait, il réfutera ses thèses à deux reprises, en 1790
dans un Essai sur la littérature anglaise, et en 1792 dans la préface à l'édition
allemande des Droits de l'Homme de Thomas Paine. Il comprend que Burke
ait peur des possibilités vertigineuses qu'ouvre la Révolution, mais les
discoure sur la raison des événements, leur justesse, lui apparaissent dérisoi¬
res. Forster voit
qu'il n'y a de repos que relatif entre les forces antagonistes.
Société des
Études
Océaniennes
31
C'est le
pouls de la nature. A vouloir le nier, Burke ne préserve que le confort
déjà périmé.
d'un ordre
La
philosophie de l'histoire de Herder l'aide à mieux appréhender le
française, loin d'être une poussée
irrationnelle, est au contraire la plus juste expression populaire, celle que
recherchent déjà Herder
pour l'Allemagne, bientôt rejoint par Klopstock,
Fichte et d'autres de plus en plus nombreux.
L'intelligentsia allemande n'a
déchaînement des forces. La Révolution
caché son intérêt et son admiration pour la France révolutionnaire. Dans
ode Eux et pas nous,
Klopstock regrette que ce ne soit pas l'Allemagne
qui ait produit « le plus grand acte du siècle qui va jusqu'à l'Olympe ; et toi,
ô Allemagne, seras-tu misérablement bornée
pour le méconnaître! » Même
après la Terreur et bien d'autres vicissitudes qui ont terni l'image de la
Révolution, Kant observe encore en 1798 que « la Révolution rencontre
malgré tout, dans l'esprit des spectateurs, une sympathie qui s'approche de
l'enthousiasme. Un tel phénomène ne s'oubliera jamais ; car il a découvert
au fond de la nature humaine une
possibilité de progrès moral qu'aucun
homme n'avait jusqu'à
présent soupçonnée ».
pas
son
Ainsi
en
revient-on
toujours à cette « nature humaine » dont Diderot
guide du comportement afin d'échapper au despotisme des
mœurs, des cultures, des législations. Rousseau, plus volontariste, voulait
s'affranchir du déterminisme de la nature par culture,
la
mais il reconnaissait
lui aussi qu'il existe « au fond de soi un
principe inné de justice et de vertu».
Ce principe naturel, Forster croit le retrouver dans
l'opinion publique en
France. C'est pourquoi, dans son Essai sur la littérature
anglaise (1790), il
répond à Burke que la Révolution, loin de représenter une création métaphy¬
sique d'esprits destructeurs, est une œuvre de « la justice de la nature ». De
plus, la Révolution n'est pas pour l'instant violente. C'est pourquoi les im¬
précations des contre-révolutionnaires lui paraissent vaines. « Au nom de
Dieu, écrit-il à Voss, que l'on soit capable enfin de comprendre la marche de
notre temps ! Les destins de l'heure
présente sont très longtemps préparés et
il est impossible que les digues
pourries qu'on oppose à l'inondation de la
liberté résistent. Nous vivons dans une époque décisive de l'histoire du
monde. Depuis l'apparition du christianisme, il nes'estrien
produit de pareil.
A l'enthousiasme, au zèle de la liberté, rien ne
peut s'opposer que la cons¬
titution stupide de l'Asie. »
voulait faire le
Le 26 août 1792, 28 personnalités d'Europe et
d'Amérique, dont les
diverses œuvres ont contribué à abolir « les fondements de la
tyrannie et
Société des
Études
Océaniennes
32
préparé les voies de la liberté », sont élevées au titre de citoyens d'honneur
France, sur une proposition du député Marie-Joseph Chénier. Parmi
eux : les Anglais Joseph Priestley, Thomas Paine, Jeremy Bentham, les dé¬
de la
Clarkson, les Italiens Gorani
Pestalozzi, les Allemands Klopstock, Schiller et Campe, le Polonais
Thadée Kosciuszko, les Américains G. Washington, J. Hamilton, James
Madison, le Danois Corneille Paw. « Bienfaiteurs de l'humanité » par leurs
travaux divers, ces hommes sont reconnus français au nom de leur univer¬
salité. Beaucoup d'entre eux sont d'ailleurs déjà à Paris. Pour Forster, le
fenseurs des Noirs W. Wilberforce et Thomas
et
contraste est
grand avec la situation à Mayence où le prince d'Erthal espère
contre-révolution, réservant le meilleur accueil aux émi¬
grés français, abandonnant sa politique libérale. A l'université, le profes¬
seur de philosophie Dorsch, l'ami de Georges, doit quitter la ville pour avoir
enseigné la philosophie de Kant.
encore
dans
une
A
l'approche des troupes révolutionnaires françaises, le prince et les
émigrés s'enfuient des palais où, quelques jours plus tôt, ils recevaient en
grande pompe le nouvel empereur d'Autriche. Custine et ses hommes
entrent, sans avoir à tirer un coup de feu, dans Mayence le 21 octobre 1792.
Les collègues de Forster pavoisent. Mettemich arbore la cocarde tricolore
et Wedekind demande le titre de citoyen français « le plus beau dont un
homme puisse s'enorgueillir ».
Autour de
Georges et Thérèse, l'enthousiasme n'est pas moins grand.
l'ami Huber. Il y a aussi Caroline que Thérèse invite souvent. Caroline
est son amie d'enfance depuis Gôttingen, mais à quoi pense-t-elle en intro¬
duisant chez elle celle qu'elle compare à Mme de Merteuil des Liaisons
dangereuses ? Et Caroline, fille de l'orientaliste Michaelis, veuve depuis un
an du médecin Boehmer, qui épousera successivement F. Schlegel et
Schelling, que tous les Allemands appelleront par son seul prénom et que
Il y a
Schiller
nomme «
Dame Lucifer »,
Caroline devient donc la maîtresse de
Georges. Thérèse aime Huber. On comprend que, dans cet imbroglio,
l'entrée des Français à Mayence ait achevé d'échauffer les esprits. Tous et
toutes poussent Georges à rallier Custine. Mais lui, si prompt à se passion¬
ner, reste modéré devant cette Révolution qui vient jusqu'à lui. Qu'importe
l'engagement de quelques-uns quand le peuple allemand ne semble pas
préparé à l'aventure ! Il constate une « indolence allemande » qui lui « excite
la bile ». Tout le pays semble passif. « Ce sont des gens à qui il faudra finir
de commander d'être libres », plaisante-t-il à sa femme.
Société des
Études
Océaniennes
33
Forster reste indécis
plusieurs semaines. Il a reconnu dans la Révolu¬
lesquelles il a toujours combattu. Son propre
itinéraire, son mépris des frontières et du patriotisme, ne le désignent-ils pas
à un rôle d'explication des événements ? Ne doit-il
pas exprimer son point
de vue aux Allemands encore hésitants ? et
rappeler que la raison d'être des
Etats n'est pas dans le développement de la
puissance publique, mais dans
le progrès des individus et des sociétés. Pourtant Forster hésite. Que décider
quand « on ne trouve pas de districts en Allemagne où le peuple soit assez
élevé pour qu'il puisse faire usage de sa liberté » ? De la Prusse aux Etats du
Rhin, l'Allemagne émiettée n'a pas de projet. Comment la réveiller ?
tion toutes les idées pour
Ces réflexions
au
seuil de
l'engagement inquiètent déjà ses correspon¬
dants. Voss l'invite à demeurer un
« bon Prussien ». Forster lui
répond : « En
qui concerne ce point, que je dois rester Prussien, j'ai beaucoup à
répondre. Si je comprends bien ce vœu, il est en contradiction avec les
principes que j'ai toujours exposés - prudemment il est vrai, à cause du
despotisme - et avec mon amour de la liberté. Je suis né à une heure de
Dantzig, dans la Pologne prussienne, et j'ai quitté mon pays natal avant qu'il
tombe sous la domination prussienne. Je ne suis pas, à cet égard, un
sujet
prussien. J'ai vécu comme un savant en Angleterre, fait un voyage autour du
monde et cherché ensuite à communiquer à Cassel, Vilna, Mayence, mes
modestes connaissances. Partout où j'étais, je m'efforçais d'être un bon
citoyen ; là où j'étais, je travaillais pour gagner mon pain. Ubi bene, ibi
patria doit rester la devise des savants. C'est celle aussi de l'homme libre qui
doit vivre isolé dans de petits pays qui n'ont pas de constitution. Si c'est être
un bon Prussien
lorsqu'on vit à Mayence sous la domination française, que
de souhaiter à tous les Prussiens, comme à tous les hommes, le bien d'une
prompte paix et la fin des maux de la guerre, je suis un bon Prussien, comme
je suis un bon Turc, un bon Chinois, un bon Marocain. Mais si on entend par
là que je dois, à Mayence, renier tous mes principes et, dans cette fermen¬
tation, ou m'abstenir ou persuader aux Mayençais qu'ils doivent rétablir
l'ancien despotisme au lieu d'être libres avec les Français, j'aimerais
mieux
être accroché à la prochaine lanterne. »
ce
En
novembre, Forster participe avec Boehmer, le beau-frère de Caro¬
line, à la création d'une société d'Amis du peuple établie sur le modèle des
Jacobins. Il
longuement pesé sa décision. Mayence ne doit pas attendre que
l'ancien empire allemand se libèrent ensemble. Mayence
doit, au contraire, montrer l'exemple et, avec les autres Etats frontaliers du
Rhin, rallier le champ de la Révolution. Il en espère un effet d'entraînement
a
toutes les nations de
Société des
Études
Océaniennes
34
peuple allemand. Il ne s'agit pas, pour lui, de fondre adminispatries, mais de manifester son adhésion aux principes de la
démocratie. Son discours du 15 novembre, devant les clubistes, a un grand
retentissement. Pour Jaurès, c'est le plus admirable discours politique, «
peut-être le seul discours politique qui ait été prononcé à cette date en
Allemagne ». En voici un extrait :
dans tout le
trativement les
Citoyens, je veux d'abord toucher en passant aux malentendus qui
pourraient naître entre nos frères français et nous d'une différence du
caractère national, mais que l'on cherche à grossirperfidement au point d'y
trouver une preuve de l'impossibilité d'une union politique entre les deux
nations... Cela a été jusqu'ici une subtile politique des princes de séparer
soigneusement les peuples les uns des autres, de maintenir entre eux des
différences... Parmi les inventions innombrables, par lesquelles ils savaient
égarer leurs sujets, il faut compter l'adresse avec laquelle ils ont propagé
la croyance à des différences héréditaires entre les hommes. Ces différen¬
ces, ils les ont artificiellement créées par la contrainte de lois, ils les ont fait
prêcher partout par des apôtres stipendiés. Quelques hommes, disait-on,
sont nés pour commander et gouverner, d'autres pour posséder des béné¬
fices ou des emplois, la grande masse est faite pour obéir. Le nègre, par la
couleur de sa peau et son nez écrasé, est prédestiné à être esclave du Blanc.
Et par d'autres blasphèmes encore la sainte raison était outragée... Etre
libres et égaux, c'était la devise des hommes raisonnables et moraux C'est
aussi maintenant la nôtre. Pour le plein usage de ses forces corporelles et
spirituelles, chacun a besoin d'un droit égal, d'une liberté égale. Et seule
la différence même de ces forces doit déterminer entre elles des différences
d'application O toi, qui as le bonheur d'avoir reçu de la nature de grands
dons de l'esprit, ou une grande robustesse corporelle, n'es-tu pas content
de pouvoir donner toute la mesure de ta force ? Comment peux-tu refuser
à celui qui est plusfaible que toi de tenter avec sa force moindre ce qu 'il peut
faire sans nuire à autrui.
«
«
C'est vrai, on a
dès sa jeunesse inspiré à l'Allemand de l'éloignement
pour son voisin français ; c'est vrai, les mœurs, le langage, le tempérament
des Français diffèrent des nôtres. C'est vrai encore : lorsque les monstres
les plus
cruels dominaient en France, notre Allemagne était encore toute
fumante de leurscrimes. Alors un Louvois, dont l'histoire garde le nom pour
que les peuples puissent le maudire, faisait mettre en flamme le Palatinat,
et LouisXIV, un misérable despote, prêtait son nom à cet ordre détesté. Mais
ne vous laissez pas égarer, mes concitoyens, par les événements du passé.
Société des
Études
Océaniennes
35
La liberté des Français
n'est vieille que de 4 ans, et voyez déjà, ils sont un
peuple neuf, créé, pour ainsi dire, sur un modèle tout nouveau. Eux les
vainqueurs de nos tyrans, ils tombent dans nos bras, ils nous protègent, ils
nous donnent la
preuve la plus touchante d'amourfraternel en partageant
avec nous la liberté si chèrement achetée
par eux-et c 'est lapremière année
de la République.
Nos
langues sont différentes, nos pensées doivent-elles l'être pour
l'égalité cessent-elles d'être des joyaux de l'humanité si
nous les
appelons Freiheit et Gleichheit ? Depuis quand la différence des
langues a-t-elle rendu impossible d'obéir à une même loi ? Est-ce que la
despotique souveraine de Russie ne règne pas sur cent peuples de langues
différentes ? Est-ce que le Hongrois, le Bohémien, l'Autrichien, le Braban¬
çon, le Milanais ne parlent pas chacun leur langue et en sont-ils moins les
sujets du même empereur ? Jadis les habitants de la moitié du monde ne
s'appelaient-ils pas citoyens romains ? Et sera-t-il donc plus difficile à des
peuples libres de se rattacher ensemble à des vérités éternelles, qui ont leur
fondement dans la nature même de l'homme, qu 'il ne l'était à des esclaves
«
cela ? La liberté et
d'obéir à
un
même maître.
Ce qui est vrai reste vrai à Mayence comme à Paris, en quelque lieu
quelque langue qu 'il soit dit. C'est d'abord en un point particulier que
le bien doit éclater au jour, et de là ensuite il se répand sur toute la terre.
C'est un Mayençais qui a inventé l'imprimerie, et pourquoi ne serait-ce pas
un Français qui inventerait la liberté au XVIIIe siècle ?
Concitoyens,
prouvez bien haut que le cri d'appel de cette liberté, même en langue
allemande, sonne terrible pour des esclaves, annoncez-leur qu 'ils doivent
apprendre le russe s'ils ne veulent pas entendre et parler une langue
d'hommes libres. Que dis-je ? Non, faites tonner à leurs oreilles que bientôt
les mille langues de la Terre ne seront plus parlées que par des hommes
«
et en
libres...
»
Le 1er novembre
1792, une administration générale provisoire est
Boehmer, déjà secrétaire de Custine et président des clubistes, y
figure ainsi que Dorsch et Forster. Quand Boehmer a l'idée d'organiser un
nommée.
référendum
deux
registres (l'un rouge à tranche tricolore pour les amis
liberté, l'autre noir pour les ennemis de la Révolution), Forster
s'oppose à cette mascarade qui offusque l'idée même de liberté. Il ne
souhaite pas de précipitation. L'Allemagne ne sera pas libre avec une liberté
imposée. En janvier 1793, un scrutin pour la Convention nationale des pays
sur
de la
Société des
Études
Océaniennes
36
rhénans est
organisé. L'abstention est énorme
communes sur
: on ne vote que dans 106
900. Mais la Convention nationale des Allemands libres est
élue et
peut se réunir. Le 16 mars, elle porte Forster à la vice-présidence et
proclame, le 17 mars, la déchéance d'une vingtaine de princes. Le 18,
Forster monte à la tribune. Il déclare
Voici,
:
concitoyens, le moment favorable où vous pourrez
libres, aussitôt que vous aurez pris la résolution ferme
de vous rattacher à la France et de faire avec elle cause commune. Ayez
l'honneur d'être les premiers en Allemagne à secouer vos chaînes, ne
laissez pas vos voisins vous devancer... Le Rhin, un grandfleuve navigable,
est la limite naturelle d'un grand Etat libre, qui ne désire aucune conquête,
mais qui accueille les nations qui se joignent volontairement à lui et qui est
fondé à exiger une indemnité de ses ennemis pour la guerre arbitraire qu 'ils
lui ont déclarée. Le Rhin restera, comme il est juste, la limite de la France.
R n'y a pas de regard un peu exercé aux choses de la politique qui ne voie
cela... Peut-être vous a-t-on dit qu 'il serait difficile de détacher de l'Empire
allemand, les pays de ce côté-ci du Rhin. Je demande si on n 'a pas détaché
déjà de l'Allemagne et donné à la France l'Alsace et la Lorraine. L'expé¬
rience démontre par des exemples innombrables que dans les grands et
décisifs moments les choses moyennes et médiocres, qui n'osent être qu'à
demi, qui ne sont ni le chaud, ni le froid, ne réussissent qu 'à blesser tous les
partis et à tout mettre en fermentation »
«
mes
devenir et demeurer
La Convention allemande se range à ses vues et le charge, avec Lux et
Patocki, de porter ces décisions à la Convention à Paris. Les trois hommes
quittent Mayence le 25 mars. Ils sont à Paris le 29 et le 30 à la séance de
l'Assemblée. Au discours de Forster, « l'intrépide défenseur d'un peuple
libre », le président répond avant même que le décret ne soit rendu : « Venez
citoyens, vous partagerez nos dangers, ils ne sont rien pour l'homme
courageux qui les brave ! Vous partagerez notre gloire, la gloire d'un peuple
à qui il restera toujours, quels que soient l'événement, la liberté ou la mort.
Puisse votre exemple, en éclairant les peuples, les convaincre qu'ils ne sont
forts que par l'union et que
les despotes n'ont de pouvoir qu'en les divisant!
Quel que soit le décret que va porter l'assemblée, vous êtes, vous serez nos
amis
:
oui,
recevez en
échange l'attachement de 25 millions d'hommes. La
Convention nationale, sensible au vœu d'un peuple de frères, va délibé¬
rer...» L'assemblée décrète
que Mayence et les communes avoisinantes de
Worms, Spire, Grunstadt, Durkheim... font partie intégrante de la Républi¬
que française. Forster est maintenant citoyen français.
Société des
Études
Océaniennes
37
A Paris, Lux, Patocki et Forster descendent à l'hôtel des Patriotes hol¬
landais,
du Moulin. Ils retrouvent
petite colonie d'étrangers fort
Anglo-Américain Thomas Paine, surnommé « Common
sense » (d'après le titre d'un de ses livres
publiés en 1775), héros de la
Révolution américaine, est là entouré des Britanniques Miss Williams, la
rue
une
active. Le célèbre
poétesse, Mary Willstonecraft, l'auteur du Droit de la femme, et l'Ecossais
Christie. Forte et vilaine gueule, Paine aime boire et ne mâche pas ses mots.
Forster découvre un personnage « égoïste et d'humeur variable, mais
spirituel et intelligent ». Les deux hommes partagent la même opinion sur
Burke auquel Paine a répliqué dans son livre Les Droits de l'Homme.
Georges accepte d'écrire la préface de l'édition allemande de l'ouvrage.
Il retrouve encore des Polonais rencontrés à Wilnius, dont Maliezecwski, et les Hollandais Jacques Blauw et Gaspard Meyer, membres du Comité
batave. Et puis, il y a toute la société des Allemands de Paris, parmi lesquels
le Prussien Qoots n'est pas le moins discret depuis ce jour de
juin 1790 où
il a conduit une délégation de 36 personnes venues, en ambassade du genre
humain, offrir
un
soutien solennel à la France des Droits de l'Homme. Jean-
Baptiste du Val-de-Grâce, baron de Qoots, aime faire parler de lui. Il a
choisi comme prénom Anacharsis, nom d'un héros scythe. Devenu député
français, comme Thomas Paine, il se proclame orateur du genre humain.
Passionné et excessif, il veut bannir du vocabulaire le mot « étranger ». Pour
la
France, il est prêt à se battre contre la Prusse
République française
«
département futur de la
».
Alors que
Qoots finira hébertiste, Gustave von Schladrendorf est
proche des Girondins. Jeune étudiant dilettante, fort riche, fils d'un ministre
de Frédéric II, il est arrivé à Paris avant la Révolution pour y étudier. Il y est
resté et habite non loin de Forster à l'hôtel des Deux Sicile, rue de Richelieu,
où cet ami de Jacobi reçoit ses hôtes dans une ample robe de chambre.
Forster, qui apprécie « le noble caractère, le cœur pur et la lucidité » de
Schladrendorf, lui rend souvent visite dans sa petite chambre où se pressent
de nombreux autres compatriotes : Oelsner, Reinhard, Kerner, Guillaume de
Humboldt, mais aussi la fine fleur des Girondins : Brissot, Gmdorcet,
Sieyès.
Voilà
Georges dans le cratère.
« Je m'attends à tout, et je suis prêt à
le
avril
sa
femme.
tout», écrit-il
8
à
Revenir à Mayence, qui subit alors le
blocus des contre-révolutionnaires, lui est désormais interdit. Quant à
Thérèse, elle recommence sa vie en Suisse avec Huber. Georges se laisse
Société des
Études
Océaniennes
38
entraîner parses nouveaux compagnons à
fréquenter assidûment le Club des
Jacobins, et lui-même fonde avec Dorsch et Hoffmann la Société des
Patriotes mayençais, rue de la Jussienne. Il rencontre et sympathise avec
Bernardin de Saint-Pierre, Chamfort, Théroigne de Méricourt, et combien
d'autres personnages encore, tous passionnants, exaltés, tragiques, tous pris
dans
une tourmente
imprévisible.
L'irruption de la Révolution était inévitable, mais devait-elle être si im¬
pitoyable ? Forster aime la comparer à un phénomène naturel, telle une
avalanche ou une coulée de lave. C'est pourquoi il ne croit pas possible de
l'expliquer seulement « en raison », c'est-à-dire « sans sentiment ». Que la
Révolution se méfie de la raison ! dit-il, prévoyant le risque de la Terreur et
de la froide idéologie : « Plus noble et plus excellent est l'instrument, plus
diabolique en sera l'abus : incendie, inondation, les nuisibles effets de l'eau
et du feu ne sont rien à côté du mal que fera la raison, et remarquons le bien:
la raison sans le sentiment. » Il redoute autant les excès de la passion.
Comment garder raison quand, dans une même journée, il passe de l'enthou¬
siasme le plus grand au « dégoût de tout » que lui inspirent les intrigues,
l'égoïsme derrière les discours, et le désordre régnant ? « Plus on est initié
aux secrets des intrigues ou, mieux encore, plus on connaît le labyrinthe
odieux dans lequel chacun se roule, plus on a besoin de la froide philosophie
pour ne pas douter de tout ce qui s'appelle vertu. » Il ne prendra part à aucune
lutte de faction et
Il
ne
les commentera presque pas.
conscience que
les Français sont, cependant, les acteurs d'une
qui les dépasse. Il lui arrive de les critiquer, mais il a pour eux de la
compassion. Ils sont victimes de la Révolution comme les Allemands furent
les martyrs de la Réforme pour laquelle ils ont payé de leur vie. Le 23 mai,
il écrit : « Tout en déraisonnant, riant, plaisantant, polémiquant, intriguant
de façon précipitée, la nation française conduira jusqu'au bout sa Révolu¬
tion, narguant toutes les forces coalisées. »
a
histoire
Quelle foi tenace ! L'ardeur de Forster a plus d'une fois l'occasion de
refroidir, mais toujours la Révolution le récupère. Dans ses Ebauches
parisiennes, il veut tenter d'atténuer ce que sa violence peut avoir de terrible
pour l'opinion allemande, car, quoi qu'il arrive, il a maintenant la conviction
qu'un résultat positif est définitivement acquis : la liberté ne périra plus. « Je
ne peux plus regarder l'homme comme l'enfant du hasard, et les idées de
vertu et de véritié comme des billevesées ; s'il y a quelque chose de réel dans
ces idées, ce n'est pas peine perdue de combattre
pour leur empire, et alors
se
Société des
Études
Océaniennes
39
ô
Révolution,
avec tous tes maux et toutes tes
horreurs, sois la bienvenue !»
Jusqu'au bout Georges veut croire et servir la Révolution. Malheureu¬
séjour à Paris se déroule pendant les mois de la plus grande
détresse. Le gouvernement révolutionnaire se met en place entre le début du
printemps et la fin de l'été 1793, alors que la hausse des prix fait régner un
climat d'émeute et de surenchère funeste aux députés de la Gironde. Georges
déplore leur éviction, le 2 juin, mais il a été déçu par leur gestion peu réussie
de la crise économique. Les Montagnards, qui partageaient leur credo dans
le libéralisme économique, ont su se montrer plus souples et accepter de
prendre les premières mesures de contrôle du commerce des grains et de
répression des infractions. Pour lui, l'heure n'est pas à la fidélité aux dogmes,
mais à l'urgence et la nécessité de donner à manger à tout le monde. Il se
rapproche donc peu à peu des Montagnards et vote, le 19 juillet, la constitu¬
tion de l'An I au nom des Allemands libres de Mayence.
sement son
A cette
occasion, il prononce un discours exhortant les troupes révolu¬
tionnaires à voler
de
ville
assiégée. La Convention nationale
allocution sera consignée au procès-verbal et, applaudissant
son
patriotisme, elle stipule qu'il soit fait mention honorable de sa conduite.
Hélas ! les troupes révolutionnaires s'ébranlent trop tard et Mayence tombe
le 23 juillet. La constitution montagnarde ne sera jamais appliquée, mais son
adoption a, sans aucun doute, représenté pour Georges un moment historique
décisif afin de sauver la République proclamée le 21 septembre 1792. Au soir
du 19 juillet, écrivant à sa femme, il se reprend à espérer en une nouvelle
impulsion des forces de l'esprit, une nouvelle capacité du peuple à s'autoproduire. Fichte, un jeune auteur allemand, le répète comme lui dans son
ouvrage que Forster a lu la veille du vote : « Un bon livre allemand me
réservait hier une autre joie sur l'homme et sa condition, 1792, petit inoctavo, Berlin à la revue de Franke. C'est une des rares productions de notre
temps, l'œuvre d'un homme jeune qui pense et sent avec justesse. Comme
il est impossible qu'il y ait un accord complet entre les esprits, il y a un point
sur lequel
ses idées s'éloignent des miennes. Ce sont ses idées politiques sur
la communauté de la propriété. »
au secours
sa
décide que son
Encore
plus proche des thèses de la Gironde, Georges a cru trop
longtemps que la Révolution libérerait les forces économiques pour accepter
sans débat le principe d'une
restriction à la propriété. Cependant, la question
va l'intéresser de
plus en plus. Au début du printemps, il se montre hostile,
comme les
Montagnards, aux propositions de ceux qu'ils nomment « les
Société des
Études
Océaniennes
40
enragés et exagérés » qui poussent les sections à l'insurrection. Peu à peu,
pourtant, il se range à l'idée d'une intervention de l'Etat. Les Montagnards,
eux aussi longtemps hésitants, adoptent le 26 juillet une loi contre l'acca¬
parement des richesses, destinée à empêcher la spéculation sur les denrées.
Georges approuve ce texte comme il acquiesce au décret du 29 septembre
fixant, pour un an, les prix des marchandises et les salaires. Le revirement
est donc total par rapport à son libéralisme initial. Il a pris conscience que
l'état moral et culturel dépend étroitement des conditions sociales et écono¬
miques. Seule la Révolution, pense-t-il, peut désormais produire la base
d'une culture supérieure parce que plus égalitaire, sur laquelle la liberté
politique pourra se réaliser. La Révolution ne peut être que l'œuvre du
peuple tout entier. D'où son intérêt pour les masses, les opinions publiques
et son mépris des factions.
Au milieu de l'été 1793 la Révolution connaît
ses
plus grands dangers.
Le territoire national est envahi aux
frontières, et à l'intérieur l'insurrection
fédéraliste gagne plusieurs départements. En Vendée, la révolte court de
victoire
victoire. C'est
pourquoi, après l'échec des Girondins, il estime
seuls les Montagnards peuvent tenir tête à la coalition des monarques
européens. A ses yeux, la Révolution n'est toujours pas finie et ne pourra pas
l'être tant que ses acquis ne seront pas stabilisés. C'est la raison pour
laquelle il approuve sans réserve la décision de la Convention proclamant,
le 10 octobre, que le gouvernement restera révolutionnaire « jusqu'à la
paix».
en
que
Réalise-t-il que
la Terreur se met en place progressivement ? Malgré
suspicion à l'égard des étrangers, il se voit confier des missions
diplomatiques aux frontières pour négocier des échanges de prisonniers
avec les
Anglais. Il est d'abord envoyé à Cambrai, en Flandres, puis à Arras,
en Artois. Ces
déplacements l'éloignent plusieurs mois de Paris où, le 5
septembre, le tribunal révolutionnaire, créé en mars et jusque-là d'une
activité relativement minime (entre mars et septembre, de 5 à 15 condam¬
nations par mois) est réorganisé. Très vite la répression s'intensifie. Entre
les deux derniers mois de l'automne 1793 et janvier 1794, 193 personnes
sont expédiées à la guillotine.
le climat de
Si
Georges a salué la proclamation de la forme révolutionnaire du gou¬
vernement, c'était parce que la Révolution était en train de livrer bataille sur
tous les fronts. Il fallait alors
repousser l'ennemi aux frontières, reprendre
Toulon, Lyon, stopper la révolte vendéenne. Il s'agissait donc de mettre fin
Société des Etudes Océaniennes
41
à la circonstance de la guerre.
Or,
au
lieu de sortir de la
guerre
civile, le
gouvernement, pourtant victorieux sur tous les fronts, l'étend. La lutte n'est
plus celle de la Révolution contre ses ennemis mais celle d'un groupe contre
d'autres
partis. C'est l'époque où disparaissent Marie-Antoinette, le duc de
Biron, ex-général des Armées de la République, le duc d'Orléans dit
Philippe Egalité, Mme Eisabeth, les Girondins Brissot, Vergniaud, et les
Feuillants Bailly et Barnave. « L'impression immédiate, écrit Georges, est
horrible et le spectacle trop fort pour les contemporains. » Le 7 novembre,
c'est au tour d'Adam Lux, vingt-sept ans, d'être guillotiné.
Lux n'a pas
voulu d'intervention
en sa
faveur, ni même qu'on le
défendît. Au
Forster
a
vu,
contraire, il a souhaité mourir en contre-révolutionnaire.
comme lui, l'exécution de Charlotte Corday. Les deux amis se
rue Saint-Honoré quand la charrette de la jeune femme
passée devant eux. Ils l'ont suivie, remontant la rue jusqu'à la place de
la Révolution où se dressait l'échafaud : « Elle était, dit Georges, florissante
de santé, charmante, belle, belle surtout sous l'auréole de chasteté qui
l'entourait. Sa tête aux cheveux châtains, coupés court, était une tête antique
posée sur le buste le plus superbe. Jusqu'à la fin, elle garda sa sérénité. »
trouvaient ensemble
est
Passant de l'accablement
au
soutien actif,
Georges s'épuise, exacerbe
rumination, éprouve sa foi dans des principes exaspérés à force de ressassement. Le 26 mai, il avait écrit à Thérèse : « Je suis sûr que l'homme sincère
sa
ne
peut travailler que dans la mesure où il s'estime lui-même. Je crois que
c'est
agissant comme je l'ai fait qu'une certaine évolution en moi a été
possible, qui fut certes douloureuse mais est devenue en même temps l'objet
d'une contemplation; si j'ai conscience d'avoir agi selon mes convictions et
en ne cédant pas à mes passions, alors je suis satisfait de tout ce qui s'est
passé. » Cette belle déclaration de principe vole en éclats à la mort de Lux.
Il se demande, au contraire, si tout le mal ne provient pas plutôt des principes
et non des passions. Et Lux qu'il désapprouvait de se compromettre aussi
puérilement en voulant diffuser ses Réflexions à la Convention nationale à
lire le lendemain de sa mort, Lux, puéril et pur à la fois, n'a-t-il pas été lucide
avant lui ? Et, dans ce cas, depuis quand Georges se trompe-t-il ? Georges
revoit bien souvent son chemin depuis Mayence, mais à force de s'interro¬
ger, il se croit parfois « danser au bord du gouffre de la folie ».
en
En octobre, le
ministre Lebrun, son protecteur qui lui a confié les deux
Nord, est arrêté. Forster, dont le courrier est censuré,
s'attend à l'être à son tour, mais rien ne vient. Au contraire, on le charge
missions dans le
Société des
Études
Océaniennes
42
d'une nouvelle mission
diplomatique à la frontière suisse du Comté de
qui lui permet, le 10 octobre, de retrouver Thérèse et Huber
à Pontarlier. Voilà les deux êtres qu'il aime le plus au monde. Il ne voudrait
plus les quitter, mais il sait qu'il ne les reverra plus jamais.
Neuchâtel,
ce
En décembre
1793, il termine trois textes : Les Ebauches parisiennes,
Description de la Révolution à Mayence, Les rapports entre la science
politique et le bonheur de l'humanité, qui sont trois appels à la Révolution.
Il écrit également quelques articles pour faire connaître les Préliminaires de
paix, la revue de Huber. Mais depuis son retour, le 26 novembre, il se sent
brisé, sans désir, sans espoir. Comment reprendre un goût de vivre quand ses
amis, tout autour de lui, sont incarcérés, guillotinés ou poussés au suicide ?
comme Chamfort qui rate dramatiquement sa tentative, Schladrendorf
arrêté (il le restera jusqu'à la chute de Robespierre), puis Cloots et Paine
jetés, le 28 novembre, à la prison du Luxembourg (Paine sera libéré et pourra
reprendre son poste de député, mais Cloots sera guillotiné).
Forster n'a pas
à renier les idées pour lesquelles il s'est battu toute sa
vie, mais le désastre qu'il observe a de quoi le rendre amer. Et toute son
action mayençaise, désormais inutile, risque d'apparaître avec le temps
comme une absurdité. Pourtant, n'avait-il pas longtemps réfléchi avant de
s'engager ? Fallait-il attendre que les peuples soient mûrs pour leur accorder
la liberté, comme beaucoup le prétendaient alors en Allemagne ? On a vu que
cette question l'avait préoccupé au moment de son engagement. Or, en
1793, Kant lui donne raison sur ce point : « Je ne peux pas admettre l'opinion
de ces hommes, même s'ils sont les plus intelligents, qui affirment qu'un
certain peuple sur le point d'établir la liberté légale n'est pas mûr pour la
liberté, que les serfs d'un propriétaire terrien ne sont pas encore mûrs pour
la liberté, ou bien que tous les hommes en général ne sont pas libres pour la
liberté religieuse. Si on doit admettre cette assertion, la liberté ne se
réaliserait jamais; car on ne peut être mûr pour la liberté si on ne l'a pas
auparavant acquise; il faut être libre pour apprendre à se servir de ses forces.
Les premiers essais seront certes grossiers. Cependant, on ne devient jamais
raisonnable que par ses propres expériences. » Mais si Georges n'a rien à se
reprocher, il s'est exposé au risque du nationalisme allemand.
Un
plus tôt, depuis Berlin, Voss, l'éditeur, l'avait bien prévenu que
déraisonnait sur son compte. « Forster est perdu pour l'Alle¬
magne » (l'ami Sommering). « Maintenant, Forster est à peu près un horsVloi en Allemagne » (Heyne, son beau-père). « Malgré ce penchant que j'ai
an
tout le monde
Société des Etudes Océaniennes
43
la Révolution française, je ne peux pas pardonner à Forster d'être passé
moment et publiquement du côté français » (l'ami Guillaume de
Humboldt). A tous Forster a répondu qu' « on ne (lui) reprochera jamais
d'avoir servi d'instrument pour obliger les hommes à faire ce qu'ils n'au¬
raient jamais fait sans y être forcés ».
pour
en ce
national, faible en Allemagne au début de la Révolution
française, a crû à son contact et, peut-on dire, en réaction contre elle.
Klopstock, qui dans un premier temps avait eu honte que la Révolution fût
française, prend ses distances vers 1793 et reconnaît son erreur. Fichte
restera révolutionnaire jusqu'en 1799, mais rompra d'une manière encore
Le sentiment
plus spectaculaire en reniant le rationalisme des Lumières et le « contrat
social » de Rousseau. Place désormais au projet allemand qui, par le génie
de sa culture, pourra réussir ce que la France n'a pu accomplir.
signes de l'éveil national allemand. Mais cette «cul¬
qui prenait son essor représentait plus, à ses yeux, l'expression d'une
culture européenne qùe le produit unique d'un sol. Il a donc prôné inlassa¬
blement une vision élargie à l'Europe, sinon à tout l'univers. La Déclaration
des Droits de l'Homme n'a-t-elle pas été conçue pour s'appliquer aussi aux
Cafres et aux Chinois ? Oui, Forster a été ébloui par la Révolution française,
par les possibilités infinies d'avancées qu'elle faisait découvrir. Mais il
connaissait la mise en garde du premier Herder de ne pas se risquer à
privilégier une nation. La France n'est d'ailleurs pas, à ses yeux, meilleure
ou
supérieure aux autres. Elle montre seulement le chemin, car elle est la
nation qui s'émancipe. Georges a confiance dans le réveil des autres peuples
et dans la mutation de progrès qui traverse l'Europe. D'autres révolutions
n'ont-elles pas déjà eu lieu en Amérique, à Genève (en 1768, et 1782), en
Hollande (1785 et 1787), en Irlande (1780), en Angleterre (1640 et 1688) ?
Ne faut-il pas se réjouir que les opinions publiques s'expriment et soient en
mesure de se communiquer leurs expériences et de dialoguer en lieu et place
des despotes ?
Forster
a vu
les
ture»
Les nationalismes sont, pour Forster, dès forces positives et nécessaires
mesure où il les conçoit comme des manifestations de souveraineté
dans la
populaire, des reflets des opinions publiques : « Notre opinion publique est
le produit de la réceptivité du peuple enrichi par les apports de tous les
mouvements », dit-il. En ce sens populaire, le nationalisme s'interprète
comme un concept ouvert. Ainsi comprend-il l'idée nouvelle de nation,
c'est-à-dire comme la traduction du génie propre à chaque peuple qui se
Société des
Études Océaniennes
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libère, génie national qu'il subordonne à la totalité de la culture humaine.
Comment
Georges aurait-il pu imaginer qu'à la suite de Herder, l'Allema¬
s'orienterait vers l'autarcie littéraire jusqu'à exalter, sur un ton roman¬
tique, « le cosmopolitisme du goût littéraire allemand » ?
gne
Il arrive souvent à
Georges de
repenser
à
ses
manuscrits restés à
Mayence. Il les
suppose perdus (ses malles contenant ses notes et ses
herbiers collectionnés lors du tour du monde ont aussi été perdues dans un
naufrage, entre Londres et Francfort) et présume ses travaux littéraires en
cours compromis. Il ne refranchira plus jamais le Rhin. Pour aller où ? Pas
à Mayence où sa tête est mise à prix (selon une information fausse de
Thérèse), ni à Berlin où le roi s'est opposé en 1792 à ce qu'il soit nommé
membre de l'Académie des sciences. Encore moins à Halle où son père
l'a
renié depuis un an et souhaite le voir pendu à une lanterne. Georges n'a pas
revu sa mère qui, à la fin de ses
jours, est devenue faible d'esprit. Georges
lui-même est-il si assuré de ne pas déraisonner parfois ?
Il reste donc à Paris où il est à l'abri du besoin, depuis que
a accordé
par un vote, le 29 juin, une indemnité
la
de
18 livres par jour, « comme un
député français ». Mais on ne lui propose plus
de missions diplomatiques, pour lesquelles, d'ailleurs, il se sent
peu de
disposition. En neuf mois à Paris, en combien de projets a-t-il espéré ? Il a
failli dirigé un journal destiné au public allemand, obtenir une place à la
Bibliothèque nationale, partir même en Inde, en Perse et en Angleterre où
une
imprimerie l'attendait pour se développer. Forster le jeune, prêt à tout,
dans la force de ses trente-neuf ans, cependant épuisé physiquement, usé
moralement. Privé de ses amis parisiens arrêtés, disparus, Forster n'a jamais
été aussi isolé qu'en cette triste fin d'année 1793.
Convention nationale lui
Les ennemis de la Révolution ont souvent
prétendu qu'il était mort
chagrin, déçu par la Révolution. Cela paraît assez invraisemblable », dit
Marita Gilli à la fin de sa remarquable thèse sur Forster. Elle insiste sur ses
derniers mots, relevant sa réelle fatigue et le scorbut contracté dans le
Pacifique qui, mal guéri, l'a affaibli toute sa vie. Mais le chagrin n'est pas
plus contre-révolutionnaire qu'il n'est incompatible avec la fatigue. Pour¬
quoi Marita Gilli refuse-t-elle son chagrin à Forster, alors qu'elle reconnaît
que sa mort est « triste » et d'une « dimension tragique » ? Certes, Forster,
au moment où il
prend le lit pour un refroidissement, ne se doute pas que son
sort est scellé. Il ne voit
pas la mort approcher. Sa surprise est grande quand
le mal se transforme en
pneumonie et même en pleurésie, selon André
«
de
Société des
Études
Océaniennes
45
biographes. Mais qu'est-ce qui le mine ainsi pour être
alors que trois médecins sont
à son chevet, il n'a plus de forces pour lutter. Il meurt à trente-neuf ans, à 5
heures du matin, le 10 janvier 1794. Le lieu où il est enterré n'est pas connu.
Chuquet, l'un de
ses
aussitôt à bout de souffle ? Dès le 27 décembre,
Le 9 janvier, veille de sa mort, il a confié son intention de se garder
d'autres révolutions. Jusqu'à son dernier jour, il a tenté de trouver la réponse
claire, cherché à expliquer ses choix. Aussi mesure-t-on ce que cet ultime re¬
virement suppose de longue et douloureuse introspection, probablement né¬
cessaire pour que ce raisonneur trouve l'apaisement et combatte son
chagrin.
Il
faut,
avec
Marita Gilli, considérer Forster comme un authentique ré¬
volutionnaire. Mais sous-estimer
ses
paroles des derniers jours serait mé¬
connaître l'un des
aspects les plus intéressants de sa personnalité : sa
inquiète jamais aboutie, sa sincérité, ses oscillations répétées
depuis un an entre la plus totale euphorie et la plus profonde détresse.
Malade, il a continué sa réflexion, se déterminant encore une fois par rapport
à la Révolution. Perdrait-il sa qualité de révolutionnaire pour avoir constaté
que « la lave de la Révolution » ne coule plus majestueusement ? « Elle
n'éclaire plus », dit-il. Forster est intéressant jusque dans ses derniers
instants. Son tempérament inlassablement raisonneur le rend attachant. Il
était d'un moralisme lourd, propre à déprimer le premier nietzschéen venu.
Aurait-il fini par s'en défaire ?
recherche
aiguë des potentialités dévastatrices de la
extrêmes devait en être manié avec
d'autant plus de vigilance et de modération. Ne rien privilégier donc, ni les
dangereuses passions, ni la despotique raison, et pas même l'opinion
publique que Forster considérait comme « l'instrument et l'âme de la
Révolution ». Dès qu'elle s'avère prépondérante, elle ne peut plus assurer
la garantie de la démocratie ». Avec de tels principes la voie est étroite,
surtout qu' « il n'existe pas de moyens termes, répète-t-il, car la liberté
relative aboutit au despotisme » (lettre à sa femme au début de 1793). Tout
au long de l'année, il n'a cessé de s'engager et, tendant toujours plus vers la
révolution sociale, il s'est rapproché des Robespierristes avant de les
entrevoir comme de nouveaux despotes, tyrans de la raison dont ils seraient
eux-mêmes les premières victimes.
Il avait
une
conscience très
fermentation révolutionnaire. Le jeu des
«
On pourrait être tenté, aujourd'hui, de voir dans les derniers débats de
Georges Forster comme une anticipation de ceux de nos modernes historio-
Société des
Études
Océaniennes
46
graphes de la Révolution française, anciens marxistes repentis pour la
plupart, qui aujourd'hui applaudissent François Furet de leur dire ce qu'ils
veulent entendre : que nous serions enfin en mesure de sortir de la roue des
contradictions dans laquelle nous serions enfermés depuis deux cents ans :
libéralisme ou intervention de l'Etat, primat de l'individu ou primat de la
collectivité, universalisme
ou
relativisme... ? Furet et ses amis consensuels
veulent réconcilier les contradictions et ne voir que
la complémentarité dans
antagonismes. Forster n'était pas aussi idéaliste : « Le milieu entre les
extrêmes que quelques philosophes ont recherché avec tant d'ardeur et ont
souvent cru trouver, cet équilibre total des forces représente bien le calme,
mais il s'agit du calme de la mort. »
les
Forster s'est
engagé sur la plupart des problèmes qui, depuis lors,
politique. On reste fasciné, après deux
siècles, par la qualité et la multiplicité des questions qu'il a traitées,
remâchées, les abordant pures de tout dogme.
constituent le fond même de la
Par exemple,
à propos du contact de la civilisation européenne avec les
petites nations du Pacifique, il a d'abord prôné la fermeture à l'extérieur,
puis il a recommandé, décidément, l'ouverture. Il aurait encore évolué avec
les événements, car les faits étaient pour lui souverains (un reste de son em¬
pirisme scientifique). Mais on peut être assuré que cette ouverture selon lui
n'était ni missionnaire, ni coloniale. L'ouverture, condition, but et origine
du progrès a constitué son principe le plus constant. La vie entière de Forster
l'Européen, le citoyen du monde, en témoigne.
Jean SCEMLA
BIBLIOGRAPHIE
Œuvres de G. Forster
Son
Voyage autour du monde » est traduit et inséré dans la relation de Cook publiée
sous le titre : « Voyage
dans l'hémisphère austral et autour du monde
sur les vaisseaux du Roi l'Aventure et la Resolution »
(Editions Hôtel de Mion).
en
«
«
1778 à Paris
Voyage philosophique et pittoresque sur les rives du Rhin fait en 1790 », Paris an
m.
Société des
Études
Océaniennes
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European Vision and the South Pacific » (Yale
Société des
Études
Océaniennes
University, 1985).
A
VOYAGE
ROUND
THE
dreflèd after the European manner.
It
WORLD.
was
much juicier
than
our
Hews
under-ground, had preferved and concentrated all
boiled, and beyond comparifon more tender than
roafted meat.
The equal degree of heat with which it
its
juices.
The fat
not
was
lufcious and furfeiting, and
the Ikin inftead of
being hard as a ftone, which is always
pork, was as tender as any other
part.
After dinner our bottles and glafles were brought
in, and our friend Orèa drank his Ihare without flinching,
the cafe with
which
our
roafted
appeared to
us
rather extraordinary, fince almoft
all the natives of thefe iflands
our
expreflèd
a great
diflike
to
ftrong liquors. Sobriety is a virtue almoft univerfal
them, and particularly among people of inferior rank.
with
They
rage,
It
is
are
however acquainted with
an
intoxicating beve¬
which is much admired by fome of the old chiefs.
made
in
the moft
difguftful manner that can be
imagined, from the juices contained in the root of a fpecies
of pepper-tree.
chewed
a
This
it.
is
cut
fmall, and
the pieces
by feveral people, who fpit the macerated mafs into
bowl, where fome
upon
root
water
(milk) of
They then ftrain it through
coco-nuts
a
bres of coco-nuts,
is poured
quantity of the fi¬
fqueezing the chips, till all their juices
the whole liquor is de¬
canted into another bowl.
They fwallow this naufeous
fluff as faft as pofllble ; and fome old topers value themfelves
cn
being able to empty a great number of bowls.
mix with the cocoa-nut-milk ; and
Société des
Études
Océaniennes
VOYAGE
A
ROUND
Our
THE
WORLD.
paflenger, Porea, who
ferved with the natives here
as
was not
he had been
fb re-
Huahine,
at
of his new acquaintances into the captain's
cabin, and immediately fat down with him to perform the
brought
one
He drank about a pint, which in
of an hour made him fo dead drunk,
operation.
quarter
down
on
the floor without motion;
his face
lefs than a
that he lay
was
inflamed,
fwelled out of his head. A found fleep of fcveral hours was neceflary to reflore him to his fenfes ; but as
foon as he had recovered them, he appeared thoroughly
afhamed of his debauch.
The pepper-plant is in high
efteem with all the natives of thefe iflands as a fign of peace ;
and his eyes
together, naturally implies
good fellowfliip. It feems, however, that drunkennefs here
is puniflied, like all other excelles, by difeafe.
The old
men who make a pradlice of it are lean, covered with a
fcaly or fcabby fkin, have red eyes, and red blotches on all
parts of the body.
They acknowledge thefe evils to be the
confequence of drinking ; and to all appearance, the pepperplaht, which they call awa, tends to produce leprous com¬
perhaps, becaufe getting drunk
plaints.
and fervants
feafted on the remains ; and the fame croud who had pro¬
fited by our liberality before, now paid their court to them.
The failors were complaifant only to the fair fex; and giv¬
As foon as we
had dined, our boat's crew
ing
Société des Etudes Océaniennes
Société des Etudes Océaniennes
49
DÉBATS DE L'ASSEMBLÉE
LÉGISLATIVE TAHITIENNE
(1824-1866)
LES
législative tahitienne (1) s'est réunie pour la première fois en
dernière session en 1877, lors de l'avènement du roi
(2). Elle n'a cessé légalement d'exister que le 29 juin 1880, date de
L'Assemblée
1824
et
elle
Pomare V
a
tenu sa
"la réunion à la France des îles de la Société et
dépendances" (3).
parlement tahitien débute en 1824, année où les
législateurs eurent à délibérer sur l'abolition de la peine de mort. Elle se termine
en 1866, dernière session où il y eut des débats législatifs (4). L'Assemblée a
siégé de façon irrégulière durant cette période et toutes les délibérations n'ont
pas pu être étudiées (5).
L'étude des débats du
parlement a été créé à l'instigation des missionnaires de la Société
afin de limiter les pouvoirs du souverain
tahitien. Ils essayèrent d'instaurer une monarchie parlementaire en s'inspirant du
modèle britannique. La société polynésienne était à l'époque très hiérarchisée et
rigide, organisée autour de chefs qui disposaient d'un pouvoir absolu. Ces
derniers siégeaient à l'Assemblée comme membres de droit et leur influence
était déterminante dans les débats (6).
Ce
auxiliaire des missions de Londres,
parlementaires modernes dans une
conséquences sur le fonctionnement de
l'Assemblée. Beaucoup de législateurs étaient mal préparés à l'exercice de leurs
fonctions car ils n'avaient aucune formation juridique et certains savaient à peine
lire et écrire, en particulier au début de la période étudiée. Les débats prouvent
qu'ils avaient dans l'ensemble conscience de leur impréparation au rôle qu'ils
devaient jouer. Tout le travail parlementaire sera donc préparé, organisé et
L'introduction brutale d'institutions
société traditionnelle
a eu
de nombreuses
Société des
Études Océaniennes
50
les représentants du pouvoir exécutif. Les missionnaires britanniques
jusqu'en 1842 et ils pourront ainsi faire
voter des lois favorables à la propagation de leur doctrine et hostiles à
l'installation de religieux catholiques. A partir de l'instauration du Protectorat, le
9 septembre 1842, le travail parlementaire sera contrôlé par les représentants de
la puissance protectrice. L'Assemblée sera encore utilisée comme contrepoids au
pouvoir royal, mais elle permettra également l'application progressive des lois
françaises à Tahiti.
encadré par
exerceront cette tutelle sur l'Assemblée
Les débats du
historiens
parlement tahitien ont été négligés par la plupart des
qui ont préféré privilégier l'étude du pouvoir exécutif durant le règne
de la reine Pomare.
Avant d'aborder le contenu des travaux
parlementaires, il est nécessaire de
législative.
fixer tout d'abord le cadre des débats de l'Assemblée
Préliminaire
:
Le cadre des débats
Le contenu des délibérations de l'Assemblée est
en premier lieu fonction de
période étudiée. De plus, lors de
chaque session, les débats parlementaires sont précédés d'un cérémonial
rigoureux qui souligne l'importance des travaux de cette institution. Enfin, il
serait vain d'essayer d'analyser la substance de ces débats si l'on n'expliquait pas
au préalable la façon dont ils étaient organisés et contrôlés par le pouvoir exécutif.
l'évolution du cadre institutionnel durant la
A
-
L'évolution du cadre institutionnel
Dès 1819 les missionnaires
britanniques avaient cherché à modifier la
despotique du gouvernement du roi Pomare II. Ils avaient convaincu ce
souverain de l'intérêt de promulguer de nouvelles lois sous le nom de "Code
Pomare". Mais ce texte de 1819, le premier code tahitien, ne contenait aucune
disposition constitutionnelle, malgré les efforts déployés auprès du roi par la
mission protestante. Le 13 mai de la même année plusieurs milliers de personnes
et les chefs tahitiens furent réunis à Pare, district royal, afin d'approuver le code.
Néanmoins, il ne s'agissait pas de la première réunion du parlement car ce
recueil de lois ne fut pas discuté et les personnes réunies à cette occasion ne for¬
maient en aucun cas une assemblée législative.
nature
Les missionnaires durent attendre la mort de Pomare II, le 7 décembre
1821, pour réduire les pouvoirs du souverain. A cette date, Pomare III n'avait
Société des
Études
Océaniennes
51
qu'un an et la régence fut assurée par son oncle, avec l'aide des religieux,
jusqu'au 21 avril 1824, date à laquelle ces derniers décidèrent de couronner le
nouveau roi. Préalablement à cette cérémonie, la première assemblée législative
tahitienne se réunit du 23 février au 3 mars 1824 et transforma le pouvoir royal
en
monarchie constitutionnelle.
janvier 1827 et sa demi-soeur, Aimata, fille
Vahine IV. Elle était
âgée de 14 ans et son avènement eut lieu sans consécration officielle, la jeune
reine préférant se divertir, laissant les missionnaires et les chefs se disputer le
pouvoir. Ces derniers, profitant de l'immaturité de la reine, ignorèrent
l'Assemblée législative et rétablirent leur autorité qui avait été réduite par Pomare
IL Le désordre s'établit et, après les excès dus aux pouvoirs pris par les chefs, ce
sera le missionnaire Pritchard qui jouera un rôle important dans l'amélioration de
cet état de choses. Il deviendra le principal conseiller de la reine et il l'amènera
progressivement à s'intéresser au gouvernement du royaume.
Pomare III mourut le 11
adultérine de Pomare II, lui succéda sous le nom de Pomare
rédigé par la mission protestante et sera promulgué
(7). Ce recueil de lois ne comporte aucun texte d'ensemble concernant
le pouvoir exécutif, mais il contient un certain nombre de dispositions éparses
relatives à l'organisation du royaume, au souverain et à l'Assemblée législative.
Dans le cadre fixé par le code, la reine gouvernait et, en cas d'absence, elle était
représentée par un régent. Les missionnaires chargés de la rédaction du nouveau
code avaient pris soin de préciser les limites des pouvoirs du souverain par
rapport à la loi : "Si la reine ou toute autre personne puissante abolit une loi, ce
sera là une véritable violation de la loi" (8). De même, "la reine et les personnes
Un
en
nouveau
code
sera
1842
puissantes, et tous les hommes devront observer avec
demeure soit bonne sur cette terre" (9).
soin les lois, afin que la
plan administratif, le royaume était divisé en districts et il y avait un
ces circonscriptions. Selon la tradition, les districts
étaient regroupés en sept grandes divisions, cinq pour Tahiti et deux pour
Moorea. Dans chaque division il y avait un grand juge et ces sept magistrats
formaient la cour suprême (cour des To'ohitu). Le district était donc la cellule de
base de l'organisation politique et administrative du royaume et c'est à ce niveau
qu'étaient élus les députés de l'Assemblée législative.
Sur le
chef à la tête de chacune de
A la suite de l'instauration du Protectorat,
le pouvoir
exécutif fut dédoublé.
compétente pour tout ce qui concernait les affaires
tahitiennes d'ordre interne. La puissance protectrice était chargée de toutes les
affaires relatives aux étrangers au royaume, à la gestion des relations extérieures,
à la garantie de la sûreté individuelle et des propriétés et, enfin, à l'ordre public
(10). L'Assemblée législative voyait également sa compétence réduite aux
La reine Pomare était
affaires intérieures tahitiennes
Société des
Études
Océaniennes
52
Dupetit-Thouars annexa Tahiti le 6 novembre 1843 et
Bruat à la tête des Etablissements français d'Océanie, en y
incluant le royaume de Pomare IV (11). Mais le roi Louis-Philippe désavoua
cette annexion et le Protectorat fut rétabli le 7 janvier 1845. Tous les actes pris
par Bruat dans le domaine de l'administration des indigènes, entre 1843 et 1845,
étaient donc illégaux. Ces arrêtés du gouverneur furents légalisés par une
assemblée des chefs et des juges, le 8 janvier 1845, puis par la convention du 5
août 1847 (12) passée entre le commissaire du roi Lavaud et la reine. Enfin, le
décret impérial du 14 janvier 1860, relatif à l'organisation des pouvoirs publics
français dans les Etats du Protectorat, maintiendra en vigueur les arrêtés pris
localement par les représentants de la France.
Le contre-amiral
installa le gouverneur
précisa les conditions d'application du
Désormais, les pouvoirs de la reine étaient limités par le représentant
de la puissance protectrice qui intervenait de concert avec elle, dans le cadre du
pouvoir exécutif, pour toutes les questions concernant les indigènes. Le
commissaire exerçait seul l'autorité sur les étrangers et il était compétent en
matière de relations extérieures. Il avait aussi un droit de contrôle général sur
l'administration locale (13) et sur les travaux parlementaires (14).
La convention du 5 août 1847
Protectorat.
Jusqu'à l'annexion en 1880 les institutions évolueront peu, mais la pratique
institutionnelle ira dans le sens d'une réduction progressive des pouvoirs de la
reine et de l'Assemblée
au
profit de ceux exercés par le commissaire.
Durant la
période étudiée, la séance d'ouverture des débats parlementaires
une cérémonie solennelle dont le but était de souligner
l'importance de l'institution législative.
donnait lieu à
B
-
Le cérémonial d'ouverture de
chaque session
Les cérémonies d'ouverture des sessions de l'Assemblée
représentaient
un
législative
des événements majeurs de Tahiti au temps de la reine Pomare.
Pour la
période antérieure au Protectorat, le spectacle était plutôt
pittoresque, ainsi qu'a pu le décrire un voyageur de passage (15) : "Vers les 9
heures du matin, la reine Pomare se déplaça en grand apparat, escortée de plus
de cent hommes, ses gardes du corps... En tête du cortège flottait le drapeau de
Tahiti, rouge, blanc, rouge, en bandes horizontales. Derrière venaient la reine et
le roi, suivis des troupes royales, en file sur deux rangs. Enfin venaient tous ceux
qui s'étaient trouvés quelques titres à figurer dans cette parade. Ce défilé, qui
s'étirait le long de la plage avançait solennellement vers le temple... La nef était
occupée par la reine et les militaires les bas-côtés par les femmes... Au nombre
,
Société des
Études
Océaniennes
53
de huit
ou
dix, les officiers de la suite royale étaient vêtus d'uniformes de toutes
de leurs bonnes
couleurs et de tout acabit. Ils avaient dû les récolter au hasard
fortunes
ou
lors de la visite de
quelques navires de guerre" (16).
Si cet événement haut en couleur a marqué à ce point un voyageur, on peut
présumer que l'effet de ce cérémonial sur la population indigène devait être
considérable. C'était le but recherché par les missionnaires qui souhaitaient ainsi
ancrer dans la conscience populaire la place importante du parlement au sein
d'une monarchie constitutionnelle.
partir de l'instauration du Protectorat les cérémonies prirent un caractère
beaucoup plus solennel et les troupes de la garnison en grande tenue
remplacèrent les militaires de la suite royale aux uniformes disparates. Le
cortège officiel avait perdu son caractère populaire et bigarré et il n'était plus
composé que des fonctionnaires civils et militaires, ainsi que des consuls
étrangers. L'ouverture de chaque session fut alors soumise à un rituel qui devint
immuable à la suite d'une note du commissaire impérial Du Bouzet en 1855
(17). Tout comme ses prédécesseurs, ce représentant de la puissance protectrice
avait le souci de l'apparat et du respect de l'étiquette. Il s'agissait surtout de
montrer l'importance que la France accordait aux institutions du Protectorat,
c'est à dire essentiellement à la reine (18) et à l'Assemblée législative. Ainsi,
lors de l'ouverture de chaque session, le commissaire prenait soin de traiter la
souveraine tahitienne avec tous les égards dus à son rang, en particulier devant
les consuls étrangers (19).
A
strict (20). Un
impérial De La Roncière, en date du 15 mars 1866, en rappelle
les modalités : "Deux compagnies d'infanterie de marine prendront les armes en
grande tenue, à midi et demi... Un détachement de 20 hommes, commandé par un
officier, occupera les abords du Fare-apoo raa (21). Deux factionnaires seront postés
à chaque porte. La troupe restant en dehors de ce détachement formera la haie,
depuis la porte de la salle jusqu'à la grille du palais de la reine... A une heure moins
un quart, les officiers de terre et de mer, les fonctionnaires et les employés de
Le cérémonial observé entre 1855 et 1866 était extrêmement
ordre du commissaire
l'administration
se
réuniront à l'hôtel du gouvernement pour y
prendre le
impérial. Le cortège, précédé par un détachement de
gendarmerie, se rendra chez la reine pour la conduire à l'Assemblée. A la sortie du
palais de la reine, une salve de 21 coups de canon sera tirée par la batterie d'artillerie.
A ce signal, les bâtiments de guerre sur rade hisseront le pavillon du Protectorat en
tête du mât de misaine. Pendant le passage du cortège, les troupes présenteront les
armes. La marche sera fermée par le détachement de lanciers à cheval, en grande
tenue. A l'arrivée de la reine et du commandant commissaire impérial à
l'Assemblée, les clairons sonneront aux champs. A l'issue de la séance, il sera tiré
une nouvelle salve de 21 coups de canon. La reine et le commissaire impérial seront
reconduits avec le même cérémonial" (22).
commandant commissaire
Sotiété des Etudes Océaniennes
54
également soumise à un rituel très précis : elle
puis à celui du commissaire et enfin à la
présentation d'une adresse par un député (23). Ces discours, qui sont directement
liés aux thèmes développés dans les délibérations propres à chaque session,
La séance d'ouverture était
était consacrée
au
discours de la reine,
seront étudiés avec le contenu des
débats.
porté à l'Assemblée par les représentants du pouvoir exécutif
fastes des cérémonies d'ouverture. C'est l'ensemble des
parlementaires qui était soumis à leur tutelle.
Mais l'intérêt
ne se
limitait pas aux
travaux
C
-
L'organisation et le contrôle des débats
Il faut
distinguer entre la période qui a précédé l'établissement du
qui a suivi cet événement.
Protectorat et celle
1
-
au
Le
pouvoir des missionnaires
jusqu'en 1842
sein de l'assemblée
Dès 1824 le but
poursuivi par les missionnaires était double.
s'agissait tout d'abord de limiter les pouvoirs du souverain tahitien en
légiférer en collaboration avec le roi
(24). Le code Pomare de 1842 rappela que le pouvoir d'établir des lois nouvelles
ou d'abroger des lois anciennes n'appartenait qu'aux législateurs (25). La reine
avait le droit d'exprimer son point de vue avant l'adoption d'un texte, par
l'intermédiaire de son orateur. Elle ne pouvait en aucun cas modifier les textes
après leur adoption par l'Assemblée. Mais, en limitant les pouvoirs royaux, il ne
s'agissait pas pour autant de créer un véritable parlement autonome, capable
d'exprimer librement la volonté populaire.
Il
reconnaissant à l'Assemblée le droit de
objectif recherché par les pasteurs était de contrôler et d'orienter
législative dans le sens des intérêts de la mission protestante. Ce but fut
atteint grâce à la présence de l'un d'entre eux dans l'enceinte de l'Assemblée. En
effet, "un missionnaire de la parole véritable de l'Evangile" (26) devait être
nommé auvaha -orateur et secrétaire- dès l'ouverture de chaque session. Il avait
pour rôle "d'arranger les paroles" des députés. Ainsi, les électeurs devaient
s'accorder entre eux, dans chaque district, afin d'exprimer leurs désirs aux
parlementaires. Alors ces derniers devaient faire "connaître leurs paroles à
l'auvaha afin qu'il les arrange" (27). Les électeurs, c'est à dire les propriétaires
fonciers, voyaient ainsi leurs voeux modifiés ou rejetés par l'orateur selon les
intérêts des missionnaires et, pour mieux contrôler l'action des législateurs, les
Le second
l'action
Société des
Études
Océaniennes
55
votes avaient lieu
à main levée. Par l'intermédiaire de l'auvaha, la mission
pouvait ainsi faire pression sur les membres de l'Assemblée qui prirent peu à
peu l'habitude de voir leurs travaux préparés et dirigés par des étrangers. La
plupart des textes votés par l'Assemblée jusqu'à l'instauration du Protectorat
furent donc rédigés par des religieux qui avaient un ascendant considérable sur
les législateurs tahitiens peu préparés à exercer leurs fonctions.
partir de 1842 la tutelle des travaux parlementaires sera exercée par les
représentants de la puissance protectrice.
A
2
L'organisation et le contrôle des débats
le protectorat
-
sous
représentants du pouvoir exécutif continuèrent à exercer la même
un cadre juridique nouveau. Il y eut en effet deux changements
importants durant cette période. D'une part, la compétence de l'Assemblée
législative fut réduite et, d'autre part, un règlement organisa les travaux
parlementaires à partir de 1851.
Les
tutelle mais dans
a) L'immixtion de ia puissance protectrice
dans l'exercice du pouvoir législatif
A
aux
partir du 9 septembre 1842 la compétence de l'Assemblée
fut réduite
affaires tahitiennes d'ordre interne. Le gouvernement protecteur
donc
agir librement pour les relations extérieures du royaume
qui touchait aux Français et aux étrangers.
pouvait
protégé, ainsi que
pour tout ce
au commissaire un pouvoir quasi-législatif
pouvait faire tous les règlements relatifs à la
marche des services administratifs, à l'intérêt du bon ordre et de la sûreté du
territoire et il pouvait en fixer la sanction par les pénalités que réclameraient
l'urgence et la gravité des circonstances.
D'autres textes
(28) donnèrent
dans des domaines essentiels. Il
Bruat (29) modifièrent le code Pomare de
étrangers d'assister aux séances de l'Assemblée sans son
autorisation, ce qui excluait automatiquement les missionnaires. Tous ces actes
furent légalisés ensuite par l'Assemblée et par divers textes (30).
Deux arrêtés du gouverneur
1842
en
interdisant
aux
1847, véritable charte du Protectorat, donna au
plus de pouvoirs vis à vis de l'Assemblée. Celle-ci ne se
réunissait que si elle était convoquée conjointement par la reine et le
commissaire. Le souverain tahitien ne souhaitait pas voir les parlementaires
La convention du 5 août
commissaire
encore
siéger trop souvent et les convocations étaient
Sotiété des
Études
laissées à l'initiative du
Océaniennes
56
1849, 1852,
législatifs
après 1866 (31). Le représentant du gouvernement protecteur était en outre seul
compétent pour proroger la session de l'Assemblée "après en avoir fait connaître
les motifs à la reine" (32). Cette dernière et le commissaire avaient le droit
d'assister aux séances, de s'y faire représenter et d'y prendre la parole. En réalité
la souveraine n'intervenait pas dans les débats et faisait simplement lire un
discours
son
mari
lors
de
la
par
séance d'ouverture.
L'article 21 de la convention était important : "Les lois votées par l'Assemblée
sont d'abord adressées au commissaire du roi qui, avec la reine, les examine en
conseil de gouvernement ; la reine s'y fait représenter quand elle le juge
convenable". En pratique le commissaire décidait seul, en présence de deux
députés désignés par l'Assemblée pour compléter le conseil. Les lois modifiées à
cette occasion par le pouvoir exécutif devaient être présentées à nouveau à
l'approbation des parlementaires.
commissaire. Ce dernier
ne
réunira d'ailleurs pas les législateurs en
1856, 1859, 1862, 1863, 1864, 1865 et plus du tout pour des travaux
En outre, la reine et le commissaire bénéficiaient d'un droit de veto
puisque les lois votées ne pouvaient être exécutées qu'après avoir reçu leur
approbation (article 24). Dans ce cas le texte ne pouvait être représenté à
l'Assemblée qu'à la session suivante.
sessions, qui duraient en moyenne neuf jours, le commissaire et la
pouvaient faire "de concert, des règlements ayant force de loi" (article 28),
à condition de les soumettre à l'approbation de l'Assemblée lors de la session
suivante. Cette pratique se développera et les parlementaires se contenteront
souvent d'approuver les ordonnances adoptées en conseil de gouvernement. En
cas de désaccord sur un projet de loi, les législateurs prendront même l'habitude
de s'en remettre à la décision du commissaire, dont ils ratifieront l'ordonnance
Entre les
reine
par
la suite.
A
partir de 1848, trois représentants du gouvernement protecteur siégeront
avec voix délibérative (33). Ils avaient pour mission d'exposer les
projets de loi émanant du pouvoir exécutif mais leur formation juridique leur
permettait de dominer les débats. Ils présentaient de très nombreux textes à
l'Assemblée, ce qui laissait peu de place à l'initiative législative des
parlementaires car les sessions étaient très brèves.
à l'Assemblée
encore plus les pouvoirs de
puisqu'il retira aux législateurs l'initiative des lois, ce droit n'étant
plus reconnu qu'au gouvernement, c'est à dire au commissaire.
L'article 4 de la loi du 6 avril 1866 limita
l'Assemblée
Néanmoins, l'importance des travaux parlementaires après 1848
rendu nécessaire
une
organisation plus stricte des débats.
Société des
Études Océaniennes
avait
57
b) "Le règlement pour la tenue des séances
législative des îles de la Société" (34)
de l'assemblée
république Bonard a créé ce règlement car il lui
une assemblée composée de plus de cent
que la procédure des délibérations ne soit précisée (35).
Le commissaire de la
semblait difficile de faire travailler
personnes, sans
Le 10
mars
1851 la reine et le commissaire sanctionnèrent donc une loi de
: "Règlement pour la tenue des séances de l'Assemblée
législative des Iles de la Société". Ce texte est particulièrement important
puisqu'il s'appliquera jusqu'en 1866, c'est à dire pendant la période durant
laquelle l'Assemblée a eu la plus intense activité législative. C'est à partir de
l'entrée en vigueur de ce règlement que l'Assemblée a pu être "assimilée à un
véritable parlement" (36).
l'Assemblée s'intitulant
Bonard souhaitait utiliser l'Assemblée pour
"contrecarrer l'autorité de la
(37). Pour cela, il fallait organiser cette institution le mieux possible, sur
le modèle d'un parlement européen. Le règlement ne comportait pas moins de 12
chapitres et de 64 articles et il innovait en particulier dans trois domaines : le
scrutin secret, l'inviolabilité des députés et le droit de pétition.
reine"
réglementation traduisait également l'influence des juristes français qui
aux missionnaires britanniques. En effet, le droit parlementaire
français n'est pas uniquement fondé sur l'usage, comme au Royaume-Uni. Il a son
origine dans les lois constitutionnelles et dans les règlements.
Cette
avaient succédé
A partir de 1851 les travaux parlementaires deviendront donc
plus formalistes que durant la période précédente. Les commissaires
beaucoup
successifs
essaieront de faire en sorte que les débats soient très sérieux, afin de rendre plus
crédible l'action de l'Assemblée. Dans cette
maîtresse de cette
optique le bureau était la pièce
organisation.
organisé par les articles 1 à 10 du règlement. D'après
premier il se compose de six personnes : un président, un vice-président
quatre secrétaires élus pour toute la durée de la session.
Le bureau était
l'article
et
président sont de maintenir l'ordre dans l'Assemblée,
parole, de poser les questions, d'annoncer le résultat des suffrages,
de prononcer les décisions de l'Assemblée et de "porter la parole au nom de
cette dernière et conformément à son voeu" (article 4). A chaque séance, et avant
Les fonctions du
d'accorder la
à l'ordre du jour, il donne connaissance à l'Assemblée des communica¬
qui la concernent, en donnant la priorité à celles présentées par le pouvoir
exécutif. Chaque fois que les délégués du gouvernement le souhaitent, ils
prennent la parole pour soutenir ou combattre les projets de loi. Le rôle du
président s'étend également à la police intérieure et extérieure de l'Assemblée, à
la direction des débats, à la vérification des pouvoirs, à l'inviolabilité des
de passer
tions
Société des
Études Océaniennes
58
pétitions et au "mode de votation". Enfin, le président envoie aux
commissions "toutes les pièces relatives aux objets qui doivent y
être discutés". Trois comités préparaient le travail de l'Assemblée : le comité
d'examen des lois, le comité d'examen des pétitions et celui chargé des finances.
députés,
aux
comités et
aux
Mais la fonction essentielle du
Néanmoins,
vers
président résidait dans la conduite des débats.
la fin de la période étudiée, c'est le délégué du gouvernement qui
jouera ce rôle, ce qui lui permettra d'agir sur le contenu des débats.
Les débats
se
composaient d'un exposé des motifs des projets de loi, puis
article, avant de passer au vote sur l'ensemble du texte.
d'une discussion article par
projets du gouvernement étaient discutés en priorité et ses délégués ou
pouvaient prendre la parole toutes les fois qu'ils le désiraient. Ceci leur
permettait de réduire les interventions des parlementaires et d'écarter les
propositions de loi gênantes, d'autant plus que les sessions duraient en moyenne
neuf jours et que la discussion des textes du gouvernement ne commençait que le
troisième jour. Le député Taatanuru s'éleva contre cette pratique lors de la
session de 1861 : "Nous avons passé plusieurs jours à examiner les projets de loi
déposés par le gouvernement ; je demande que nous examinions ceux proposés
par les députés" (38).
Les
orateurs
Les débats traînaient
parfois en longueur car les parlementaires tahitiens,
laissaient souvent emporter dans leurs discussions. La
qualité de leurs discours a été soulignée par plusieurs contemporains. C'est ce
qui ressort d'une lettre du capitaine Ribourt, aide de camp du commissaire du roi
en 1848 : "Ce peuple est naturellement et bien réellement éloquent : les discours
que j'entends m'étonnent souvent par leur adresse et leur profondeur, toujours
par leur convenance. Vos illustres (les parlementaires français) auraient souvent
beaucoup à apprendre des nôtres et feraient rarement mieux" (39).
excellents orateurs, se
Les débats avaient lieu
en
tahitien, langue fort imagée, et leur traduction en
français donne parfois de bien curieuses métaphores. En 1860, le député
Maheanuu répondait ainsi au discours de la reine : "Les chefs de la nation
tahitienne sont une partie de vous-même ; les députés sont vos pieds et les
To'ohitu sont vos bras" (40). En 1855, le député Aitu déclarait : "Le projet du
gouvernement est un enfant sur le point de naître. Cet enfant a une bien grosse
tête relativement au reste du corps, qui n'est plus rien du tout. Si vous laissez
sortir la tête, le corps glissera ensuite sans que vous vous en aperceviez" (41).
Les thèmes traités dans les débats de 1824 à 1866 sont extrêmement variés
possible de les regrouper en deux parties. La première rassemble les
aux institutions du royaume et la seconde traite des délibérations
concernant le développement économique et social.
mais il est
débats relatifs
Société des
Études Océaniennes
59
I
-
Les débats relatifs
aux
institutions
rubrique, prise au sens large, seront traités les débats relatifs à la
justice, à l'éducation, à l'Assemblée et à la reine.
Dans cette
A
-
La
justice
C'est
un
qui revient souvent dans les délibérations de l'Assemblée,
prononcés lors de la séance d'ouverture de chaque
les seize projets de loi étudiés en 1861, huit concernaient la
thème
tout comme dans
les discours
session. Ainsi, sur
justice.
question, il en est un qui est
exemplaire à plus d'un titre : celui portant sur l'abolition de la peine de mort.
C'est un des premiers sujets abordés par la toute jeune assemblée en 1824 et
c'est certainement le thème qui a suscité un des plus grands débats, "dont la
hauteur des sentiments avait vivement frappé les voyageurs qui avaient pu y
assister" (42).
Parmi tous les débats consacrés à cette
Le code Pomare de 1819 avait
les auteurs d'attentat
ou
prévu la peine de mort pour les meurtriers et
d'actes de rebellion. Deux individus furent ainsi
avoir tenté de renverser le gouvernement. En
roi et deux des hommes qui
avaient prémédité ce crime furent appréhendés... La sentence de mort leur fut
appliquée et ils furent pendus à une poutre entre deux cocotiers" (43).
exécutés le 25 octobre 1819, pour
1821, "un complot fut organisé pour assassiner le
La peine de mort, surtout par pendaison, selon la coutume anglaise,
"heurtait violemment la nature tahitienne" (44). Il semblerait, en effet, que la
peine de mort n'ait été que rarement pratiquée à Tahiti pour des infractions de ce
genre : "La coutume tahitienne voulait que les condamnés fussent transpercés
par une lance, aient le crâne défoncé à coups de casse-tête ou soient décapités.
En réalité, le Tahitien ne pratiquait pas la peine de mort. Il ne supprimait son
semblable que dans les sacrifices religieux et dans les guerres " (45).
capitale (46) fut ouvert par Hitoti,
premier chef de Papeete, qui était pour le maintien de cette sanction : "Les lois
d'Europe, de ce pays dont nous avons reçu tant de bien de toute espèce, ne
doivent-elles pas être bonnes ? et les lois d'Europe ne punissent-elles pas de
mort le meurtrier ?... ce que font les hommes d'Europe, peut-être ferions nous
Le débat
sur
l'abolition de la peine
bien de le faire ?"
Société des
Études Océaniennes
60
répondit que l'application de toutes
européennes conduirait au bouleversement des moeurs et usages locaux.
Si l'on suivait le raisonnement d'Hitoti il faudrait "infliger une peine très grave à
Outami, premier chef de Punaauia lui
les lois
ceux
qui forcent une maison, qui dérobent des animaux, des fruits ou qui
prennent de faux noms". Or, ces
pratiques tahitiennes n'étaient pas sanctionnées
jusqu'alors car, poursuivait Outami, '.'nous savons tous que forcer une de nos
cases de feuillage et de bambou n'est pas une bien grande faute et que dans l'état
de communauté où nous vivons tous, prendre des fruits ou un porc quand on a
faim n'est pas un crime". Il termina son discours par une remarque de bon sens :
"Puisque ce qui peut être mal en Europe ne l'est pas au même degré sur ces îles,
nous ne devons pas nous guider, en règle générale, par ce seul motif que les lois
d'Europe ont parlé dans un sens ou dans un autre". En conclusion, il proposait de
supprimer la peine capitale et de la remplacer par le bannissement à perpétuité
dans une île déserte, sanction également prévue dans le code de 1819.
Oupouparou prit alors la parole en rappellant que c'était la Bible
qui devait guider l'action des législateurs. Or, celle-ci déclare : "Celui qui a
répandu le sang de l'homme, son sang sera répandu par l'homme".
Le chef
grand juge Tati lui répondit : "Ce précepte ne va-t-il pas tellement loin
le suivre jusqu'au bout... un homme est amené devant
moi, il a répandu le sang, j'ordonne qu'il soit mis à mort ; je répands son sang,
qui donc répandra le mien ?" Il fit alors appel à l'autorité du Nouveau Testament
qui ne prévoit pas la peine de mort en cas de meurtre. Le grand juge opta lui
aussi pour le bannissement et termina son intervention par ces mots : "Et puis,
n'est-ce pas assez qu'il y ait sur la terre de méchants hommes qui se souillent de
sang, et la loi n'aurait donc rien de mieux à faire que de les imiter. Est-ce bien au
nom de la justice de faire que l'homme devienne meurtrier de son frère ?".
Le
que nous ne pourrons pas
Pati, chef et grand juge de Moorea abonda dans le sens de Tati :
"Pourquoi
punissent-ils ? Est ce par colère ou pour le plaisir de
faire du mal, est-ce par amour de la vengeance, comme nous le faisons en temps
de guerre ? Rien de cela : un homme bon, juste, ne cherche point à se venger, il
n'agit pas non plus par colère. Là où il y a de la souffrance ne saurait exister du
plaisir ; là où il y a du mal, et où on répand le sang ne saurait exister la justice".
des hommes vraiment justes
Après les grands chefs, un homme de moindre rang prit la parole et
développa des arguments inspirés également par la religion, mais assez originaux
pour l'époque dans un pays qui avait abandonné ses coutumes traditionnelles
depuis peu : "Un des motifs pour punir est de corriger le criminel et de le rendre
bon, s'il est possible. Or, si nous tuons le meurtrier, comment le rendrons-nous
meilleur ? Si nous l'envoyons dans une île déserte, où il sera livré à lui-même et
contraint de réfléchir, te Atua (Dieu) peut juger à propos de faire mourir les
mauvaises choses qui sont dans son coeur et d'y faire naître de bonnes choses".
Société des
Études
Océaniennes
61
la peine de mort
le bannissement. Ce débat, tout empreint de morale chrétienne,
est d'une très grande qualité, surtout si on le compare à ceux qui se déroulèrent à
la fin de la période étudiée. Entre 1851 et 1866 les parlementaires tahitiens
s'intéresseront essentiellement à ce qui touche à l'activité de tous les jours et les
débats d'idées laisseront la place à des préoccupations plus terre à terre.
Finalement, l'Assemblée vota à l'unanimité l'abolition de
et
la
remplaça
par
Après l'instauration du Protectorat, les principaux textes portant sur la
justice furent débattus en 1855, 1861 et 1866 (47). Il n'est pas possible de tous
les étudier dans le cadre de cet article et seuls quelques extraits significatifs
seront analysés.
Le souverain tahitien et le
commissaire
ne
cessèrent de rappeler aux
juges l'importance de la justice. Ainsi, lors de la séance
la reine Pomare fit lire par son mari, le prince
Ariifaaite, le discours suivant : "Ainsi vous aurez à prendre des mesures sages et
fortes pour assurer à la loi son entière exécution. C'est avec un vif sentiment de
peine que j'ai vu des juges, ces hauts gardiens de la propriété et de la sécurité
des familles, demeurer indifférents alors que leurs sentences restaient sans effet,
ou bien laisser reposer la loi quand il aurait fallu frapper avec énergie.
L'inexécution de la justice tend à la ruine des peuples en facilitant l'élévation et
la fortune des hommes vicieux et pervers" (48).
parlementaires et
aux
d'ouverture de la session de 1860,
session de 1866, le
impérial De La Roncière fustigea les juges partiaux et vénaux : "La
participation des juges au partage des amendes qu'ils étaient appelés à
prononcer, ainsi qu'à des frais de justice élevés, faisait nécessairement naître des
doutes sur leur impartialité. Vos lois semblaient avoir moins pour but de vous
assurer la paisible jouissance de vos biens, et de garantir le maintien de l'ordre,
que de grossir la bourse de ceux qui étaient appelés à concourir à leur
application" (49). En conclusion, il demanda aux parlementaires de remédier à
cette situation en approuvant l'ordonnance du 14 décembre 1865 (50). Cet acte
avait pour but de redéfinir l'étendue de la compétence des tribunaux tahitiens.
En particulier le droit français serait appliqué à l'avenir aux différends entre
Tahitiens et Européens portant sur le droit de propriété des terres, devant la cour
des To'ohitu (51) qui serait désormais présidée par un magistrat français. Le
député Hitoti s'éleva contre cette dernière disposition de l'ordonnance : "La cour
des To'ohitu se compose actuellement de douze membres ; je ne vois pas
pourquoi on lui donne un président étranger" (52). Le délégué du gouvernement
lui répondit : "C'est afin de la maintenir dans l'observation des formes de la loi
et d'éviter des annulations fréquentes de ses arrêts pour ne pas les avoir
De
même, lors du discours d'ouverture de la
commissaire
(53). Le délégué s'étonna de la remarque d'Hitoti car il n'y avait rien
sein de cette juridiction. En effet, la loi du 30 novembre 1855 sur
jugements édictait qu'un délégué du gouvernement assisterait non seulement
observées"
de
les
nouveau au
Société des
Études Océaniennes
62
la
cour
des To'ohitu, mais
aussi le tribunal d'appel. Le représentant du
"Hitoti sait très bien aussi que par le fait et
commissaire conclut par ces mots :
la nature même de son mandat, ce délégué dirigeait véritablement les débats.
n'y a donc en réalité que le nom de changé" (54). Dans la suite du débat le
délégué du gouvernement fera remarquer que "neuf pourvois ont été formés
jusqu'à ce jour contre des arrêts de la cour des To'ohitu... Sur ces neuf pourvois,
six ont été acceptés, trois rejetés... Ces six cassations d'arrêts sur neuf qui ont été
demandées expliquent suffisamment la nécessité de l'introduction d'un président
étranger à la Haute cour tahitienne" (55).
par
Il
Mais le
délégué du gouvernement n'eut
toujours le dernier mot et il dut
l'Assemblée daigne
l'approuver. Les parlementaires repoussèrent l'article premier car il prévoyait
que les litiges fonciers entre Tahitiens seraient jugés par cinq propriétaires
fonciers choisis par le juge de paix français. Le député Metuaaro s'opposa à cette
mesure et proposa une autre solution : "Le conseil de district où est la terre peut
fort bien connaître de l'affaire en premier ressort ; s'il y a appel on viendra à
Papeete devant les To'ohitu qui jugeront en dernier ressort" (56). La séance fut
suspendue et la modification fut soumise au commissaire qui l'accepta. Au
niveau du conseil de district, seuls les juges tahitiens intervenaient donc dans les
litiges entre indigènes. Néanmoins, l'appel de leurs décisions était jugé par les
To'ohitu dont le président était français. L'ancienne cour d'appel était supprimée
pas
modifier le contenu de l'ordonnance de 1865 pour que
et les décisions des To'ohitu étaient soumises à la ratification du commissaire et
de la reine
(57). On comprend mieux l'empressement à accepter la modification
justice indigène était
souhaitée par l'Assemblée puisque, de toute façon, la
contrôlée par un magistrat français et par le commissaire.
De toute
"L'Assemblée,
Toutes
ces
manière, comme le fait remarquer à juste titre C.W. Newbury :
dernier jour de sa carrière, sonna le glas du code des lois tahitien.
au
lois, y compris celles votées dans les sessions récentes de cette assemblée,
furent
abrogées, à l'exception de quatorze d'entre elles (58)... La base légale sur
laquelle les juges indigènes avaient opéré était sapée d'un seul coup" (59).
Entre le
mais
premier débat en 1824 et le dernier
également un grand changement.
en
1866 il
y à une constante
pas varié tout au long de la période étudiée, c'est la tutelle
l'Assemblée par les missionnaires, puis par le commissaire. Si
l'abolition de la peine de mort a été votée à l'unanimité c'est, bien sûr, parce que
Ce
exercée
qui n'a
sur
cette décision
correspondait à la volonté des législateurs, mais surtout parce que
opposés à la peine capitale (60). En 1866, la
quasi-totalité des propositions du commissaire sera acceptée après de
nombreuses interventions du représentant du gouvernement.
les missionnaires étaient désormais
Société des
Études
Océaniennes
63
changement entre 1824 et 1866 vient du fait qu'avant 1842 la plupart
proposés étaient d'une grande simplicité, à la portée de tous. Pour la
période 1851-1866 il en va tout autrement. L'introduction de la législation
française à Tahiti va nécessiter l'élaboration de textes très précis, d'une très
grande complexité, en particulier dans le domaine de la justice. Les législateurs
capables d'avoir une vision d'ensemble du système judiciaire étaient très peu
Le
des textes
impréparation au rôle qu'ils devaient jouer, ils se
les représentants du commissaire. C'est ce
qu'avouera naïvement le député Ruatai lors de la séance du 26 décembre 1861 :
"Je désire que les juges soient éclairés sur la loi ; je remplis moi-même ces
fonctions et je déclare que j'ignore beaucoup de choses" (61).
nombreux. Conscients de leur
laissaient facilement influencer par
"En
fait, les discussions étaient menées par le représentant du
gouvernement et lorsqu'une opposition se manifestait, l'ascendant de ce dernier
et l'aide des orateurs du gouvernement -souvent d'anciens députés- utilisant les
de l'éloquence polynésienne, amenaient toujours l'adoption du projet
gouvernemental" (62).
ressources
B
-
Le
système éducatif
l'enseignement à Tahiti au XlXè siècle est inséparable de
d'évoquer la question religieuse avec
problèmes posés par le système éducatif.
L'histoire de
celle des missionnaires. Aussi est-il naturel
les
Avant l'instauration du Protectorat,
entièrement entre les mains des missionnaires
l'Assemblée vota
et
une
loi
en
1834
les écoles de district étaient
anglais. Ainsi, à leur demande,
exigeant la présence obligatoire à la chapelle
à l'école.
même, la loi XVIII du code Pomare de 1842 est consacrée à
l'enseignement (63). D'après l'article 4, les parents "qui ne veilleront pas à ce
que leurs enfants se rendent réellement à l'école pour apprendre à lire la parole
de Dieu ainsi qu'à écrire, ces personnes seront en faute ; elles seront jugées et
condamnées à 50 brasses de travail tel que défricher avec soin la route
publique..." L'article 5 est également sévère avec les enfants et stipule que ceux
"qui feront acte de paresse pendant quelques jours et ne se rendront pas à l'école,
seront pris et y seront conduits par les officiers publics. Ceux qui enseignent
chercheront quelques moyens de leur faire honte et de les encourager afin qu'ils
ne soient point paresseux pour se rendre
à l'école".
De
législateurs au mois de mai
imposera l'obligation scolaire jusqu'à quatorze ans, ce qui est remarquable
pour l'époque.
Le code des lois révisées dans l'Assemblée des
1845
Société des
Études
Océaniennes
64
Les
problèmes d'éducation seront un souci constant pour les autorités du
discours d'ouverture de session législative où la
question du système éducatif ne soit soulevée.
Protectorat. Il n'est pas un
Ainsi, le 1er
mars
1851 le commissaire de la république rappela aux
parlementaires le but à atteindre
: "J'espère qu'avec les encouragements donnés
élèves, bientôt toute la jeunesse des terres du Protectorat saura
lire, écrire et compter..." (64) et il évoqua les progrès accomplis en matière de
formation professionnelle : "Les progrès qu'ont faits la plupart des jeunes gens
que vous m'avez confiés, me sont un sûr garant qu'avec de la persévérance, dans
peu d'années, vous pourrez vous même réparer les navires, édifier des maisons
belles et commodes, exécuter tous ces travaux qui embellissent et enrichissent un
pays" (65).
aux
maîtres et
aux
En 1852 le commissaire
soulignait dans son discours que les écoles avaient
progrès marquants et il ajoutait : "Le concours général entre les
meilleurs élèves de chaque école se fera sous vos yeux le 15 mars prochain ; il
vous mettra à même de juger si les enfants indiens sont moins intelligents, moins
susceptibles d'apprendre que les enfants des autres nations" (66).
fait des
Le 2 novembre 1855, le commissaire Du Bouzet prononça un important
discours essentiellement consacré à l'éducation. Il expliqua ainsi aux
parlementaires l'importance de leur rôle en la matière : "L'éducation pour
l'enfance est le plus précieux des bienfaits ; toutes les vues du législateur doivent
se tourner vers les moyens de la perfectionner... Un des moyens reconnu partout
comme le plus efficace est de donner une attention spéciale à l'éducation des
jeunes filles. Mères de famille un jour, elles seront pour leurs enfants de
véritables institutrices... Chez tous les peuples la condition sociale des femmes
indique leur degré de civilisation. Que vos jeunes filles acquièrent, dès leur plus
tendre enfance, dans une école particulière, des connaissances plus étendues et
des habitudes d'ordre et de travail et, au bout d'une ou deux générations, la
société tahtitienne
sera
transformée" (67).
Du Bouzet
poursuivit en insistant sur l'importance de l'étude de la langue
française : "L'étude de votre langue doit continuer à passer en première ligne,
mais les jeunes gens n'acquerront jamais une instruction supérieure sans l'étude
d'un idiome plus répandu et riche en ouvrages de sciences et de littérature. Celle
de la langue française peut seule mettre vos enfants à même d'acquérir ces
connaissances qui développent les qualités de l'esprit, sans lesquelles nul n'est
appelé à exercer une influence utile dans son pays ; ils pourront alors devenir
aptes à exercer toutes les industries qui sont aujourd'hui le domaine exclusif des
blancs" (68).
Apparemment ces propos ne furent pas suivis d'effet, comme semble le
démontrer le discours de la reine lors de l'ouverture de la session de 1860 : "Je
Société des
Études
Océaniennes
65
inquiétude quel sort est réservé à la nation tahitienne si vous
sérieusement de l'éducation de vos enfants. Si vos enfants se
rendent aux écoles pendant quelques heures du jour, vous les laissez, le reste du
temps, libres de s'adonner à leurs passions, qui détruisent bientôt le corps après
avoir corrompu le coeur" (69). Le commissaire poursuivit dans le même sens :
"Je trouve que l'instruction publique est dans un état assez triste, eu égard à ce
qu'on devait attendre des lois qui la règlent. Bientôt, si vous n'y preniez garde
vous marcheriez en arrière. L'étude de la langue française fait peu de progrès.
Comment voulez-vous que le gouvernement protecteur vous emploie dans son
administration et à son service si vous ne pouvez être en relation avec lui, à toute
heure et à tout instant ?" (70). Il prend soin de préciser qu'il ne veut "certes pas
supprimer le parler tahitien", mais l'étude du français doit être "la première
chose à enseigner à vos enfants" (71).
me
demande
ne vous
avec
occupez
A l'ouverture de la session de
1861, la reine insista à nouveau sur cette
"Je suis très contente des instituteurs français envoyés à Papeete et je
désire sincèrement que vous leur confiiez l'instruction de tous les enfants de mon
peuple. L'étude de la langue française, qui deviendra bientôt notre langue usuelle,
assurera à jamais l'intimité de nos relations avec les Français..." (71 bis).
question
:
puisque le commissaire
déjà aujourd'hui aussi répandue parmi
vous que dans bien des contrées de l'Europe" (72). Il expliqua aux législateurs
que les écoles prospéraient et que dans celles qui avaient été ouvertes par
l'administration, les enfants étaient reçus sans distinction de religion. Il précisa :
"Mon devoir est de protéger chaque culte, et je me réjouis quand je puis être
utile à l'un comme à l'autre" (73). Il est vrai qu'il n'en avait pas toujours été
ainsi de la part de ses prédécesseurs.
La situation semblait s'être améliorée en 1866
affirmait
:
"L'instruction élémentaire est
effet, dès l'instauration du Protectorat, les autorités françaises ont eu à
un problème d'envergure. Pour développer le pays il fallait que la
population puisse parler le français. Or, le système éducatif était entre les mains
En
résoudre
religieux britanniques qui étaient hostiles à la présence française. Les
catholiques francophones étaient très peu nombreux et la
population, très fidèle aux pasteurs, s'en méfiait.
des
missionnaires
Pour soustraire les fils de chefs et les enfants de
la famille Pomare à
anglaise plusieurs solutions furent envisagées : cinq fils de chefs
furents envoyés en France en 1848 pour une durée de trois ans. Puis, l'éducation
des enfants de la reine fut confiée à des instituteurs français protestants. D'après
le commissaire Lavaud il fallait qu'ils "soient élevés dans un esprit français et
non livrés aux mains des ministres anglais. Je dis plus, il faut que leur instituteur
soit protestant, parce que j'ai échoué dans ma tentative en voulant confier leur
éducation à des prêtres catholiques et que la reine préférerait les laisser dans
l'ignorance que de puiser l'instruction à cette source" (74).
l'influence
Société des
Études
Océaniennes
66
En 1850 le commissaire Bonard
entreprit de réduire le nombre des
missionnaires protestants à Tahiti. Diverses mesures administratives furent prises
contre eux : ils devaient limiter leur activité à un district et ils ne
pouvaient
prêcher qu'avec l'approbation de l'administration. Une déclaration de
l'Assemblée législative du 28 mars 1851 décida que leurs biens seraient
désormais propriétés nationales : "Les Taïtiens n'ont jamais donné et ne donnent
pas les terrains et les maisons servant de logement aux missionnaires, ainsi que
les églises à la Société des missions de Londres... Les districts sont seuls
propriétaires des terrains, églises et maisons destinés aux logements des
missionnaires ; ils peuvent en disposer librement pour y établir les missionnaires
de leur choix" (75). Cette mesure très sévère fut critiquée au sein même de
l'administration (76), mais elle aboutit au but recherché, c'est à dire limiter
l'influence protestante anglaise.
Parallèlement, l'administration facilita le développement de
l'enseignement catholique (77), ce qui aboutit à la création de plusieurs écoles
par les soeurs de Saint Joseph de Cluny, par les frères de Ploërmel et par les
missionnaires de Picpus (78).
Néanmoins, beaucoup de Tahitiens souhaitaient que leurs enfants aient des
Une solution fut trouvée avec la nomination de pasteurs
français. Ceci permettait à la fois de développer l'enseignement du français, en
respectant les convictions religieuses des parents protestants, tout en luttant
contre l'influence anglaise. Une pétition et un projet de loi furent examinés par
l'Assemblée lors de la session de 1860 (79). Le projet de loi sur le "Culte
protestant national" fut approuvé par les parlementaires. Désormais, seuls les
Français et les Tahitiens pouvaient être pasteurs : "Les étrangers ne peuvent
remplir ces fonctions dans les Etats du Protectorat" (80). Le même texte
demandait à la reine et au commissaire deux ministres protestants français.
L'article 6 stipulait : "Ils prendront la direction de nos écoles, présideront les
réunions des ministres de l'église nationale...". L'article 7 prévoyait une rémuné¬
ration globale de 5000 francs par an, payée par la caisse des écoles. La lecture de
cet article suscita une réaction amusante du député Hume, élu de Tautira : "J'ai
dit l'autre jour qu'il fallait mille missionnaires pour bien enseigner la langue
française à nos enfants... Mais depuis que j'ai entendu parler de 5000 francs, je
pense qu'il y aura assez avec deux missionnaires mais il faudra toujours qu'un
deux soit fixé à Tautira" (81).
instituteurs protestants.
Le député Tîriati chercha à démontrer que d'après l'Evangile les ministres
devaient pas être payés. Son collègue Tariirii lui répliqua sèchement : "On ne
demande pas ces missionnaires pour prêcher, mais pour enseigner nos enfants.
ne
Vous
savez
que
les enfants n'arrivent jamais à l'âge adulte sans être débauchés
déjà" (82).
Société des
Études
Océaniennes
67
Les débats étaient très animés
chaque fois que l'Assemblée abordait des
financières
questions
impliquant de nouvelles dépenses pour les députés. Dans
ce cas, les propositions démagogiques ne manquaient pas. Ainsi, lors du vote de
la loi sur l'enseignement en 1853, il est prévu que chaque chef de famille versera
une contribution mensuelle de 50 centimes pour payer les instituteurs. Le député
Piapa, hostile à cette mesure, proposera que "le gouvernement, notre riche père,
se charge de l'éducation de nos enfants qui sont aussi les siens... La France est
riche... Si l'on veut absolument donner
demanderons
en
aux
abandonnant
une
solde
aux
instituteurs...
nous
fonctionnaires grassement
une
rétribués de faire preuve de générosité
partie de leurs appointements aux instituteurs" (83).
A
chaque session les propositions visant à réduire "l'impôt des écoles"
député Anima demanda à ce que la
contribution soit réduite à 50 centimes par trimestre. Son collègue Taia reprit sa
proposition en ajoutant que "les enfants qui n'auraient rien appris ne payent
rien" (84).
furent nombreuses. Ainsi, en 1860, le
Mais les débats
pas au
C
-
portant sur la réduction de la pression fiscale ne se limitent
domaine de l'éducation.
Les débats relatifs à l'Assemblée et à la Reine
1) L'Assemblée
Parmi toutes les
questions relatives à l'Assemblée qui furent débattues en
qui sera évoquée lors de chaque session entre 1851 et
1866 : la construction du palais législatif, ou fare apoo-raa. Il y aura un autre
débat intéressant, lors de la dernière session législative, sur la réduction des
pouvoirs de l'Assemblée.
son
a)
-
sein
(85), il
en est une
le fare apoo raa
réunira dans les locaux de la chapelle
parlementaires décidèrent de
construire un palais qui ne sera inauguré qu'en 1861. Entre temps, l'Assemblée
tiendra ses sessions dans la salle d'armes de l'artillerie, puis dans le nouveau
Jusqu'en 1850 l'Assemblée
se
protestante de Papeete. Ce temple ayant brûlé, les
temple protestant.
Dès 1851
un
projet grandiose fut proposé à l'Assemblée par un de ses
membres, le juge Nuutere. Il s'agissait
Société des
d'un immeuble de 30 mètres sur 16 avec
Études
Océaniennes
68
étage comportant des tribunes publiques et surmonté d'un dôme de bronze
doré. Devant les réticences de certains de ses collègues, le député Arahu s'écria :
un
"Si j'étais à la place du gouverneur, au lieu de dégrader
la salle d'armes de
l'artillerie, je vous enverrais faire vos lois en plein vent, sous l'ombrage des
cocotiers" (86). Après l'intervention du représentant de
la puissance protectrice,
le texte fut voté et la construction devait être terminée
pour
l'année suivante.
Lors de l'ouverture de la session de 1852 il n'en était rien et le
commissaire Bonard expliqua les raisons de ce retard : "Le
transport des bois a
pris plusieurs mois ; les pluies torrentielles de cette année et, je dois le dire, le
peu de zèle de quelques travailleurs indiens, ont retardé considérablement ce
travail... Courage donc et terminons cet
ouvrage... Faisons taire par des faits
ceux qui disent
que les Indiens entreprennent tout et n'achèvent rien" (87). En
1851, le député Fanane avait en effet déclaré que les gens de Tahiti, "prompts à
entreprendre, sont vite lassés" (88).
Les commissaires successifs évoqueront
la construction du fare apoo-raa
dans de nombreux discours. Après bien des vicissitudes
(89), celui-ci sera
inauguré en 1861.
Dès 1860, de nombreux
l'impôt versé
pour la
vote du 1er mai 1860
parlementaires avaient proposé de supprimer
construction de l'édifice, mesure qui fut adoptée par un
(90). En conséquence, les fonds étant épuisés dès 1861, il
fallut alors financer les travaux de finition avec les ressources de la caisse des
écoles (91). Ironie du sort, ce palais ne sera achevé que
pour la dernière session
législative de 1866. Ainsi, il avait fallu quinze années pour terminer un édifice
dont la réalisation était importante aux yeux de
tous les parlementaires. Il faut
dire que ces derniers n'acceptaient pas facilement de
participer au financement
ou à la construction de leur
propre palais.
Dans d'autres domaines les
remettre à la décision du
législateurs avaient pris l'habitude de s'en
esprit qu'ils acceptèrent de
commissaire. C'est dans cet
voter la réduction de leurs pouvoirs en 1866.
b)
-
La réduction des pouvoirs de l'Assemblée
Les débats relatifs à la loi du 6 avril
1866,
sur
les pouvoirs de l'Assemblée
législative, furent
ouverts par le délégué du gouvernement qui dirigea en fait
toutes les délibérations durant cette dernière session. Il
présenta le projet en
précisant qu'il ne s'agissait que d'actualiser la loi XXXIII du code de 1848 "à
laquelle il a été fait quelques modifications" (92).
L'article 3
n'apportait en effet qu'un changement mineur puisque
publiques. Le député Tauhiro objecta que dans ce
à craindre que des ivrognes ne s'introduisent dans la salle et ne
désormais les séances étaient
cas,
"il est
Société des
Études
Océaniennes
69
viennent
nous
troubler"
(93).
apportée par l'article 4 était beaucoup plus importante
pour les parlementaires, puisqu'elle leur enlevait l'initiative des lois :
"L'initiative pour la proposition des lois appartient au gouvernement" (94). Ils
s'agissait en réalité d'une réforme radicale et aucun député ne fit la moindre
remarque à son sujet. L'ensemble du texte fut adopté à l'unanimité, sans
discussion. Ainsi, un texte qui réduisait considérablement la compétence de
l'Assemblée ne souleva aucune objection, si ce n'est celle relative à la présence
éventuelle d'ivrognes lors des débats. La seule intervention qui suivit ce vote
fondamental fut celle du député Tematua qui déclara : "A propos de la loi que
nous venons de voter, je désire demander à Monsieur le délégué du
gouvernement s'il ne serait pas possible de nous faire payer le reste des
vacations qui nous reviennent" (95). Cette ultime remarque montre à quel point
les parlementaires tahitiens avaient perdu le goût des grands débats pour ne
s'intéresser qu'aux problèmes de tous les jours et à leurs avantages financiers. Il
est vrai, comme le remarque C.W. Newbury, que l'Assemblée mourut "d'un
afflux de lois qu'elle ne comprenait pas..." (96).
La modification
Certains parlementaires étaient conscients de leur propre faiblesse. En
1866, l'Assemblée avait ainsi décidé d'envoyer une pétition à l'empereur
Napoléon III, afin qu'il prolonge le séjour du commissaire De La Roncière, très
apprécié des Tahitiens. Le député Tematua fit alors cette remarque désabusée :
"Tous les gouverneurs qui se sont succédé à Tahiti avaient les meilleures
intentions, et leur but était de nous faire du bien. Mais nous n'avons jamais suivi
leurs conseils, et nous avons eu tort... Avant de parler de conserver ici le
gouverneur actuel, je voudrais que les Tahitiens s'engageassent à bien suivre ses
conseils, parce que sans cela le bien qu'il cherche à nous faire n'aura aucun
résultat" (97). Cette déclaration montre bien la relation de confiance qui avait pu
s'établir entre le commissaire et les législateurs. On comprend mieux pourquoi
les parlementaires s'en remettaient volontiers à la décision du représentant de la
puissance protectrice dans les cas difficiles.
2) L'impôt relatif à la liste civile de la Reine
impôt avait été voté par les parlementaires lors de la session de
laquelle le nouveau code tahitien avait été adopté.
Cet
durant
1848
accepta d'abroger la plupart des lois tahitiennes afin
d'appliquer la législation française à Tahiti. Les législateurs eurent donc à se
prononcer sur un nouveau texte régissant l'impôt appelé liste civile (98). Il était
payé par tous les sujets du Protectorat assujettis à la contribution personnelle, c'est à
dire tous ceux âgés de 16 à 60 ans, hormis les femmes mariées et les infirmes (99).
En 1866 l'Assemblée
.Société des
Études Océaniennes
70
Le
député Maheanuu proposa d'augmenter la contribution à la liste civile
pouvoir achever la construction du palais de la reine. L'impôt devait ainsi
passer de 2 francs à 5 francs par an pour les hommes et de 1 franc à 2 francs 50
centimes par an pour les femmes non mariées. Plusieurs parlementaires
acceptèrent cette proposition mais la plupart la refusèrent. Le député Taputaata
expliqua ainsi les raisons de son refus : "Je suis pauvre et je suis obligé de
travailler pour vivre. La reine, au contraire, est pourvue de tout ce qui lui est
nécessaire, et elle doit se contenter des 2 francs que je lui donne" (100).
Maheanuu insistant, Taputaata dit le fond de sa pensée, affirmant que la reine
avait les moyens nécessaires pour achever son palais. Il ajouta : "Si elle préfère
dépenser son argent à autre chose, ce n'est pas notre faute. Au lieu de parler
d'augmenter son impôt nous devrions plutôt nous agenouiller dans cette enceinte
et prier Dieu de l'éclairer, de la guider dans la voie qu'elle doit suivre, et de
l'empêcher de dépenser son argent à tort et à travers" (101).
afin de
Le
délégué du gouvernement réprimanda le député en lui rappelant qu'il ne
parler de la reine qu'avec "tout le respect et les égards qui lui sont dus". Il
ajouta : "Nul ici n'a mandat de scruter sa conduite privée... Je regrette d'avoir à
faire une observation de cette nature" (102). Après ces mots sévères,
parfaitement acceptés par les législateurs, le représentant du gouvernement
conseilla une augmentation modérée de l'impôt car, "les charges qui pèsent sur
les sujets du Protectorat sont déjà lourdes... et songez à ceux dont vous êtes les
mandataires et qui auront à payer l'impôt que vous aurez fixé" (103). Finalement
les parlementaires n'accordèrent qu'une légère augmentation pour une durée
devait
limitée de deux
ans.
Ainsi pour chaque projet de loi ayant une incidence financière, même
modique, les débats seront longs et très animés. Il y aura plus de cinquante
interventions pour augmenter très faiblement l'impôt de la liste civile.
Il
de même pour tous
les débats relatifs au développement
économique et social : les discussions seront très animées dès que les intérêts des
uns et des autres seront en
jeu.
Il
-
en sera
Les débats relatifs
au
développement
économique et social
La reine et le commissaire
cesseront de
rappeler aux parlementaires
qu'ils ont été élus pour la défense de l'intérêt général et pour contribuer au
développement du royaume. Ainsi, le commissaire Lavaud terminait son
discours d'ouverture de la session de 1848 par ces mots : "Soyons tous animés
ne
Société des
Études
Océaniennes
71
d'un bon
esprit, écartons notre intérêt personnel, mais ayons
le bien du pays" (104).
toujours
en vue
le
bien et rien que
représentants de la puissance protectrice qui se succédèrent à
effet une idée commune : assurer le développement économique
et social de ce pays. Leur but était "d'inculquer aux indigènes quelques-unes des
valeurs de la civilisation française... Cette obsession du "développement" des
Tahitiens leur fut commune à tous" (105). En conséquence, les commissaires se
mêlèrent des affaires intérieures et extérieures du royaume, "la main droite et la
main gauche pour un peuple qui ne peut se développer que par le commerce
maritime et l'agriculture" (106).
Tous les
Tahiti eurent
en
Les raisons stratégiques à l'origine du Protectorat laissèrent peu à peu la
place à des arguments fondés sur les possibilités économiques du pays. Bruat
pensait même que Tahiti et ses dépendances fourniraient des terres aux déportés
de la colonie pénitentiaire des Marquises (107).
Les commissaires eurent donc de
plus en plus recours "au commerce et aux
plantations pour obtenir des revenus destinés, d'une part à couvrir les frais de
l'assimilation, et, d'autre part, à justifier, vis à vis de la Métropole, les avantages
d'une telle politique" (108).
sensible à ces théories axées sur le
développement, à cause du statut juridique ambigu issu des accords de 1842. En
conséquence, l'aide apportée par Paris à ces projets était minime, car tant que
Tahiti et ses dépendances ne seraient pas une colonie, "on n'avait aucune
garantie légale de pouvoir poursuivre sans risques sérieux un placement sur une
grande échelle" (109). Pour ces raisons, et malgré les demandes faites par les
commissaires successifs, le gouvernement central refusa de créer un service
d'immigration subventionnée pour Tahiti (110). Cette position ministérielle ne
changea pas jusqu'à l'annexion. Chasseloup-Laubat, ministre de la Marine de
1859 à 1867, pensait que ce pays n'était qu'un "point de relâche" pour les
navires français et qu'il fallait "amener Tahiti à se suffire à elle même, y
développer la civilisation dans la mesure assez étroite du possible" (111).
Mais l'administration centrale était peu
Les commissaires eurent
de moyens,
l'administration centrale.
et avec peu
ainsi toute latitude pour développer
le royaume tahitien, sans instructions
à leur guise,
très précises de
"galvaniser les indigènes" (112) afin de
productions agricoles d'exportation. Dans cette optique, il semblait
indispensable de transformer la société traditionnelle en développant la propriété
foncière individuelle (113). Ceci permettrait en outre la vente régulière de terres
à des étrangers souhaitant les mettre en valeur (114). L'Assemblée eut donc à
étudier une série de textes visant non seulement à réformer le régime foncier
tahitien mais également à protéger le marché local et la population indigène.
Dès 1850 Bonard décida donc de
favoriser les
Société des
Études Océaniennes
72
A
La
-
Le
législation foncière
développement agricole du pays nécessitait une nouvelle législation
l'enregistrement des terres et la vaine pâture.
concernant
1) L'enregistrement des terres
La loi tahitienne du 24
mars
1852 (115) créa une commission
d'enregistrement des terres qui établit une distinction entre les
d'apanage, liées aux charges de chefs, et les terres privées.
terres farii hau
ou
L'article 12 stipulait que les terres
d'apanage "ne sont point la propriété du
gouvernement français : elles sont destinées à assurer aux chefs de district et à
leur famille, des moyens d'existence en
rapport avec leur position élevée. Ces
terres ne pouvaient être aliénées sans une décision de
l'Assemblée, sanctionnée
la reine et le commissaire (article 13). L'état des terres d'apanage fut dressé
cinq députés, puis soumis à un vote de ratification du
parlement tahitien.
par
par une commission de
Les terres
privées devaient être déclarées à la commission qui les inscrivait
registre local conservé par le conseil de district. En cas de contestation
entre propriétaires, le différend était soumis à la cour des To'ohitu.
sur un
H y avait sept registres
commission ne fut pas très
à tenir pour chaque district (116) et le travail de la
rigoureux (117). Un tiers des districts avait été
recensé par la commission et beaucoup de
propriétaires tahitiens n'étaient donc
pas connus. L'arrêté du 5 novembre 1862 (118), portant organisation du Service
du cadastre, exigea l'enregistrement
de tous les titres de propriété avant le mois
de février 1863. Les contrevenants s'exposaient à
une amende de 30 francs et les
terres non réclamées seraient remises au domaine colonial.
Chaque propriétaire
devait faire dresser les plans de son terrain.
Cette tentative se solda par un échec car
peu de Tahitiens avaient bien
voulu déclarer leurs droits. Elle eut pour
conséquence d'inquiéter les
propriétaires indigènes et désormais il y eut une quantité croissante de
contestations qui furent réglées par les conseils de districts et les tribunaux. En
effet, de plus en plus de propriétaires réclamaient un jugement pour garantir
leurs droits. Le problème du régime foncier relevait désormais
plus de la justice
que du cadastre. Un appel des décisions des conseils de district était possible
devant la cour d'appel tahitienne créée en 1855, dont les arrêts
pouvaient être
infirmés par les To'ohitu. Les décisions de cette dernière cour
pouvaient être
également révoquées par une décision du commissaire ou de la reine.
Société des
Études
Océaniennes
73
procédure très complexe fut réformée par l'ordonnance du 14
qui fut ratifiée par la loi du 28 mars 1866 sur l'organisation
judiciaire tahitienne (119).
Cette
décembre 1865
l'administration pour réformer le régime
abouti au résultat escompté, c'est à dire généraliser
Toutes les tentatives faites par
foncier tahitien n'avaient pas
la
propriété privée pour développer les cultures d'exportation. Mais il est vrai
le libre parcours des animaux n'avait pas favorisé les productions agricoles.
que
2) La vaine pâture
La loi X du code Pomare de 1842 concernait "tous les
bestiaux qui vont sur
montagne, dans les gorges et les vallées, pour manger les fei d'un propriétaire
différent" (120). Ce texte prévoyait que les agriculteurs pouvaient tuer les
cochons ou les boeufs qui avaient mangé ou détruit leurs fruits. Ils devaient
la
partager la viande avec le
propriétaire de l'animal.
prescrivait le bornage de toutes les propriétés et l'article
de
la
loi
stipulait
premier
XIV
qu'il fallait " que chacun entoure de clôtures un
espace de terrain et sème de tous les fruits" (121). L'article 12 de la loi XX
prévoyait que le propriétaire d'animaux ayant forcé un enclos serait jugé et
Le code de 1848
condamné à payer
les dommages faits par l'animal.
1851, à la demande du commissaire Bonard, l'Assemblée vota une loi
publics dans chaque district (122). Ces terres étaient cultivées
par une main d'oeuvre gratuite, les amendes et les taxes ayant été transformées en
journées de travail agricole. Mais les chefs de district détournèrent ces corvées au
profit de leurs terres d'apanage, ce qui n'apportait rien au commerce local.
En
créant des enclos
la loi
En 1855, le commissaire Du Bouzet obtint de l'Assemblée l'abrogation
sur les enclos publics ainsi que celle de 1848 sur le bornage.
de
qu'entre temps l'élevage s'était considérablement développé à
qui avait eu pour conséquence le libre parcours des animaux ou vaine
pâture. Ainsi, dans son discours d'ouverture de la session de 1851, le
commissaire Bonard avait déclaré : "Quelques Indiens m'ont témoigné le désir
d'élever des moutons, des boeufs ; je m'empresserai de les aider dans cette voie
nouvelle, en leur prêtant des animaux qu'ils soigneront et qui les enrichiront...
D'ici à quelques années, il sera inutile de faire venir de loin des chevaux ; je ne
saurais trop engager les autres districts à suivre cet exemple" (123).
Il est vrai
Tahiti,
ce
Les
une
voeux
de l'administration seront
exaucés à
un
tel point que dès 1853
pétition fut adressée au commissaire par plusieurs propriétaires européens et
renvoyé devant l'Assemblée qui l'étudia dans sa séance du
tahitiens. Ce texte fut
.Société des
Études Océaniennes
74
1er
juillet 1853 (124).
Les pétitionnaires prétendaient que le bétail errant était un fléau pour
l'agriculture et demandaient à ce que les animaux soient parqués : "Les ravages
qui sont faits journellement aux plantations par les animaux errants désespèrent
un cultivateur, empêchent toute tentative
agricole de se former, et rendent par là
toute culture
infructueuse..." Il était demandé à l'Assemblée de
voter une
loi
ayant pour but "l'abandon d'un endroit... pour y parquer les bêtes à cornes aux
environs de Papeete. Et, à l'égard des chevaux, ânes, chèvres, cochons,
volailles... d'ordonner et
exiger que ces animaux soient parqués et nourris sur les
propriétaires respectifs, sous peine de les voir confisqués". La
pétition fut rejetée par l'Assemblée car, selon la majorité des parlementaires,
l'élevage avait fait ses preuves et avait enrichi la population. L'agriculture étant
peu développée, les cultivateurs devaient entourer leurs parcelles d'enclos.
Comme le déclara un orateur, il valait mieux ne faire qu'un enclos autour des
vergers que d'en faire trois, un pour les porcs, un pour les chevaux et un pour les
boeufs. En fait, les législateurs n'avaient pas pu se mettre d'accord sur le point
de savoir à qui incomberait le soin d'élever des clôtures.
terres de leurs
Désormais la
lors des débats de
question de l'abolition de la vaine pâture reviendra sans cesse
chaque session. Ainsi, dans son discours d'ouverture de la
session de 1857, le commissaire du Bouzet déclarait
:
"Je voudrais voir aussi la
population indigène s'occuper sérieusement d'élever le bétail... de là dépend
l'alimentation de la ville de Papeete... Mais pour élever le bétail sans nuire à
l'agriculteur, il ne faut pas le laisser errer comme aujourd'hui... Les hui-raatira
devraient s'associer pour créer des enclos" (125).
En 1860, un projet de loi hostile à la vaine pâture fut déposé à l'Assemblée
satisfaire de nombreux cultivateurs tahitiens. Une pétition ayant le même objet
fut également déposée à la demande de plusieurs agriculteurs européens (126).
pour
Lors de la discussion du
projet de loi le député Hurue mit en garde ses
utilisant des arguments propres à émouvoir tout
on renferme les bêtes à cornes, on sera obligé de
renfermer les cochons également, mesure qui nous privera de ces bonnes choses"
(127). Un peu plus tard il se contredit en plaidant contre la vaine pâture : "Je n'ai
vu vendre que des feis et des maiores, et non pas des boeufs. Nous n'avons
jamais vu non plus les canots de Moorea apporter des chargements de boeufs au
marché ; ils n'apportent que des poissons" (128). A ces mots, le député
Taumihau s'écria : "Que nos boeufs ne soient pas renfermés car ils sont nos
pères" (129).
collègues contre
ce texte, en
amateur de bonne chère : "Si
Finalement, le comité d'examen des lois proposa de confier le projet au
pouvoir exécutif : "Le comité pense que c'est un trop grand travail pour nous,
que nous ne pourrons pas trouver les mesures à adopter. Le comité pense aussi
qu'il faut demander à l'Assemblée de prier la reine et le commissaire impérial de
Société des
Études
Océaniennes
75
se
charger de ce soin... Ce travail se ferait les mois prochains, et,
législative, le projet de loi vous serait présenté" (130).
à la prochaine
assemblée
Devant cet
vivement
:
aveu
"Vous
d'incapacité des législateurs, le député Teaatoro réagit
d'entendre cette proposition ? Je pense que, comme
venez
demandée depuis longtemps dans les assemblées
qu'on veut la remettre à nouveau entre
impérial, je pense que nous ne devons
pas accepter cela, mais prendre une décision tout de suite" (131). Le député
Opura abonda dans son sens : "Ne remettons pas cette affaire à la reine ou au
commissaire impérial, parce que toutes les années on l'a remise, et il n'a encore
c'est
une
chose que nous avons
sans arriver à aucun résultat, et
les mains de la reine et du commissaire
passées,
été rien fait"
(132).
député Maitaitai qui donna l'aigument décisif : "Je pense
devons pas être si pressés de renfermer les bestiaux car ce sont les
étrangers qui sont les propriétaires de la plus grande partie des troupeaux à
Tahiti..." (133). Cette affaire délicate qui touchait aux étrangers nécessitait
Mais
ce
fut le
que nous ne
l'intervention du commissaire.
En
distinction subtile entre les
propriétaire. Le député Hamana résuma la
fait, les législateurs souhaitaient faire une
animaux, selon la nationalité de leur
question de la façon suivante : "Renfermons les bêtes à cornes, mais laissons les
cochons libres, parce qu'ils sont à nous. Mais les bêtes à cornes et les chevaux
appartiennent en plus grande partie aux étrangers" (134). Cette solution
n'apparut pas comme très efficace et finalement l'Assemblée confia au pouvoir
exécutif le soin de rédiger un projet de loi. Dès la fin de 1861 une ordonnance du
commissaire et de la reine interdit la vaine pâture dans plusieurs districts (135).
Lors de la session
suivante,
en
1866, l'ordonnance de 1861 fut
soumise à la
projet de loi étendant
cette mesure à Tahiti et Moorea. Il justifia ce texte en ces termes : "Pour se
soustraire à la dévastation, suite de cette liberté injuste et exagérée, nombre
d'habitants ont été obligés de faire de leurs propriétés une véritable place forte.
Toute culture est impossible dans un pareil régime..." (136). Le délégué du
gouvernement rappela qu'avant d'arriver à la suppression radicale du libre
parcours "on ne peut sans danger pour l'alimentation publique, procéder que
lentement et graduellement..." (137). Le projet soumis à l'approbation des
parlementaires laissait au commissaire et à la reine le soin de régler par des
ordonnances l'application progressive de l'abolition de la vaine pâture à Tahiti et
Moorea. Il y eut plus de quarante interventions lors des débats, car ce sujet
concernait la plupart des législateurs et touchait à l'activité de tous les jours
d'une population esssentiellement rurale. Une fois encore l'intérêt particulier
avait tendance à l'emporter sur toute autre considération. Le député Teupoo
déclara notamment : "Je ne désire pas que les cochons soient parqués ; mais pour
les bêtes à cornes, qu'on les tue toutes, ça m'est égal" (138). Le délégué du
ratification de l'Assemblée et le commissaire proposa un
Société des
Études
Océaniennes
76
gouvernement lui répliqua sèchement : "Sans doute, vous n'en
avez pas...
le
gouvernement ne pourrait admettre une combinaison qui aurait pour résultat la
destruction des animaux... Ce que nour recherchons ici, c'est le moyen d'étendre
le domaine du cultivateur
sans
léser gravement
les intérêts des éleveurs" (139).
Le
projet avait pour but d'exclure les animaux errants de tout le littoral, où
il y avait la plupart des cultures, et de les parquer dans un certain nombre de
vallées dont les propriétaires seraient indemnisés. Ceci n'était qu'une étape vers
l'application radicale à Tahiti et Moorea de l'abolition de la vaine pâture. Après
de nombreuses joutes oratoires entre les propriétaires des vallées et les éleveurs,
ces derniers ne souhaitant pas indemniser les
premiers, le projet de loi fut adopté
par l'Assemblée le 3 avril 1866. Selon C.W. Newbury, "il en résulta
immédiatement la destruction en masse de tout le cheptel de cette région (dans
les districts concernés par la mesure), ce qui força Tahiti à recourir aux îles Hawaï pour son approvisionnement en viande fraîche" (140).
Ainsi, les craintes du délégué du gouvernement se trouvaient confirmées
beaucoup de cultivateurs avaient abattu le bétail errant sur leurs terres.
:
En conclusion, les réformes concernant
cadastre et le
bornage,
pas
plus
que
l'enregistrement des terres, le
celles concernant la vaine pâture n'avaient
réussi à inciter les Tahitiens à modifier leurs méthodes traditionnelles de
production.
Cette société polynésienne, extrêmement réticente en matière de législation
foncière, souhaitait également bénéficier d'un certain protectionnisme face aux
changements économiques qui intervenaient.
B
-
La protection du marché local et de la
population indigène
1) Libéralisme
le
ou
interventionnisme ?
Dès l'ouverture de la session de 1851, le commissaire Bonard expliqua que
local ne devait pas se développer au détriment de la population
commerce
indigène
"Pour
initier peu à peu aux relations commerciales sans faire
dépens, il a été créé un Comité de commerce et
d'agriculture. Ses membres sont payés par le gouvernement français ; ils ne
peuvent faire aucun bénéfice ni sur vous, ni sur la vente ; tout en tenant les
comptes des denrées produites par chaque district, ils assurent l'écoulement de
ces denrées à bord des navires sur rade de Taïti" (141).
:
vous
votre éducation à vos
Société des
Études
Océaniennes
77
la
Beaucoup de députés déposèrent des projets de loi tendant à fixer les prix à
production pour différentes denrées locales, en les soustrayant ainsi à la loi de
l'offre et de la demande. De nombreux débats eurent lieu entre les tenants du
libéralisme et
ceux
de l'interventionnisme des
pouvoirs publics en matière
économique.
en 1851, le député de Faaa, Poroï, proposa une loi fixant le prix des
vendues aux capitaines des navires américains. Ces fruits étaient
revendus en Californie, pays riche qui inspira à Poroï cette réflexion : "La nature
en lui donnant des mines d'or, l'avait mis en position de faire convenablement
les choses et il fallait en profiter. Puisque la Californie a besoin de nos oranges,
qu'elle les paye et largement !" (142). Il proposait de fixer le prix à dix francs le
cent, c'est à dire entre trois et cinq fois le prix couramment pratiqué. Ceux qui
vendraient moins cher se verraient infliger de fortes amendes. Après examen du
projet, le rapporteur, Oté, expliqua les raisons du rejet de cette proposition par le
comité d'examen des lois : "Comment ! Nous adopterions des mesures qui
auraient pour effet d'éloigner les étrangers et de chasser leurs navires de nos
côtes ! Ils gagnent de l'argent avec nous, beaucoup d'argent. Tant mieux ! Plus
ils en gagneront, plus ils seront tentés de revenir... dans des échanges de cette
nature, personne ne s'appauvrit, tout le monde s'enrichit" (143).
Ainsi,
oranges
Quelques députés ayant défendu le projet de Poroï, le député Arahu
aux parlementaires que ce texte portait atteinte au droit de propriété :
"Il n'y a pas de raison pour fixer plutôt le prix des oranges que celui de tout
autre objet d'échange... Vous allez attenter au plus inviolable de tous les droits,
au droit de propriété... Que serait votre prix légal, sinon une violence et une
usurpation de mon droit ?... Votre loi n'est pas seulement mauvaise, elle est
ridicule" (144).
démontra
Enfin, le chef Honoré décida l'Assemblée à rejeter le texte, en faisant appel
sens des parlementaires : "Quelques esprits étroits se sont figurés que,
parce qu'il est venu quelques navires faire des chargements d'oranges à raison
de deux francs et de trois francs le cent, ils pouvaient tripler et quadrupler leurs
bénéfices, en faisant une loi qui fixerait le prix à dix francs. Ce serait le contraire
au
bon
qui arriverait, si cette loi stupide venait à être adoptée... Que chacun de nous
réfléchisse à ce qu'il ferait, si un marchand s'avisait de tripler le prix de ses
étoffes? Il irait ailleurs n'est-ce pas ? Les navires qui viennent charger des
oranges à Taïti feraient absolument la même chose..." (145).
de propositions faites par
législateurs afin de fixer les prix à la production. Un député demanda que le
prix de la nacre soit fixé à dix piastres la mesure, un autre suggéra que les étoffes
soient toutes tarifées à vingt sous la brasse, même les étoffes de soie et plusieurs
proposèrent de fixer le prix de l'huile et celui des noix de coco (146).
Lors de la session de
1860, il y eut une dizaine
les
Société des
Études
Océaniennes
78
Tous
projets furent rejetés par l'Assemblée mais ils prouvent le
désarroi de nombreux producteurs tahitiens confrontés à des
règles
commerciales qu'ils comprenaient mal et qui jouaient souvent en leur défaveur.
ces
2) Le crédit et les contrats de travail
Dans le même
esprit, les députés proposèrent à plusieurs reprises
indigènes. En effet, des commerçants sans scrupule
profitaient de la crédulité des autochtones pour les endetter sans limite.
d'interdire le crédit
Ainsi,
aux
1860, le député Mahutia demanda "qu'il soit défendu de contracter
l'avenir, qu'on paye fidèlement celles existant actuellement, mais
qu'on n'en fasse plus, et que celui qui s'obstine à en faire soit jugé" (147).
en
des dettes à
Cette proposition des députés des Tuamotu fit l'objet d'un projet de loi
qui fut
adopté le 30 décembre 1861. A partir du 1er janvier 1862, il était défendu aux
Polynésiens d'acheter des marchandises à crédit chez les Français et les étrangers.
En conséquence, "aucun tribunal des Etats du Protectorat ne
pourra exiger des
indigènes le paiement des dettes ainsi contractées" (148). Le député Roura
approuva ce texte en ces termes : "Cette loi nous met à l'abri des comptes faux
qu'entraîne souvent l'achat à crédit. Si je prends pour cinq piastres de marchandises
chez un malhonnête homme, et que je ne puisse le payer de suite, j'ai
fort à craindre
d'être inscrit sur un registre pour la somme de dix piastres" (149).
La même loi visait à
réglementer les contrats de travail passés entre les
Polynésiens et les Français ou les étrangers. Ce texte protégeait les travailleurs
locaux et l'article 4 stipulait qu'en "cas de contestation au sujet de l'exécution de
ces conventions,... les
parties s'adresseront aux tribunaux" (150).
L'article 5 instituait le repos hebdomadaire et des jours fériés : "Ils (les
indigènes) seront libres de leur temps les dimanches et jours de fêtes reconnues
et celles annoncées par le
gouvernement, telles que les fêtes d'août" (151).
L'article 6 prévoyait que les conventions verbales ne pouvaient entraîner le
déplacement des indigènes hors de leurs districts plus de huit jours. En cas de
déplacement prolongé, les conventions devaient être écrites et soumises à
l'autorisation du gouvernement (article 7). Enfin, toute convention non
contractée conformément à ces prescriptions ne serait pas reconnue
par les
tribunaux (article 8).
Cette loi est intéressante à bien des
égards. Tout d'abord, elle a été votée à
la plupart des textes adoptés par l'Assemblée
émanaient du gouvernement. Ensuite, il s'agit d'un texte
protégeant la
population locale contre les risques de l'endettement, limitant ainsi les profits
des commerçants qui formaient pourtant un groupe de
pression influent. Enfin,
la demande des
députés alors
que
Société des
Études
Océaniennes
79
c'est
une
loi sociale
originale
pour
l'époque et pour la région, visant à protéger
d'employeurs peu scrupuleux.
la main d'oeuvre locale contre d'éventuels abus
Il est à remarquer que ce
texte a été voté sans
la moindre intervention du
délégué du gouvernement. Il était donc possible pour les parlementaires de
prendre l'initiative de lois importantes et de les faire adopter par l'Assemblée. Si
l'exemple ne s'est pas produit plus souvent, c'est surtout par manqué de volonté
de la part des législateurs.
Bien d'autres lois ayant pour but le développement économique et social
été votées par l'Assemblée (152). Comme les précédentes, ells ont échoué
dans la tentative de changement des mentalités locales, préalable au décollage
ont
économique dans le cadre de la politique de "dynamisation des indigènes". C'est
sans doute ce qui inspira cette réflexion désabusée du député Tematua en 1866.
Après avoir rappelé que les commissaires avaient toujours eu "les meilleures
intentions" à l'égard des Polynésiens, mais que ces derniers n'ont "jamais suivi
leurs conseils", Tematua fit un bref historique des échecs passés : "Monsieur
Bonard nous proposa la loi sur les enclos publics et nous l'adoptâmes. Il est vrai
que cette institution ne réussit pas, mais ce ne fut pas sa faute. D avait fait cette
loi dans notre intérêt. Plus tard, nous demandâmes qu'elle fût changée, et on créa
les enclos particuliers. Cela ne réussit pas davantage ; presque personne ne fît
d'enclos. Etait-ce la faute du gouverneur ? Non, ce fut la nôtre. Enfin, il n'y a
pas longtemps vinrent les ordonnances sur les réunions en villages et la
construction des cases métriques. Le commissaire impérial avait sans doute
encore de bonnes intentions à notre égard, mais cela n'a pas réussi davantage :
aujourd'hui les cases métriques ne sont pas encore terminées. Est-ce la faute du
commissaire impérial ? non" (153). Un autre député, Haereotahi, abonda dans
son sens : "Depuis l'établissement du Protectorat et le gouvernement de
Monsieur Bruat dont la mémoire nous est chère à tous, nous avons eu plusieurs
du bien. Il est vrai qu'aucun d'eux n'a
La Roncière) dans l'intérêt de tous et
regretterions beaucoup son départ" (154).
gouverneurs qui tous ont voulu nous faire
travaillé autant que celui-ci (le comte De
nous
justesse de ces propos, l'Assemblée, lors de la dernière
législative de 1866, votera à l'unanimité une pétition
demandant la prolongation du séjour du commissaire De La Roncière. Ce dernier
sera effectivement maintenu à son poste jusqu'en 1869 mais, ironie du sort, il ne
réunira plus ces parlementaires qui avaient tant souhaité son maintien en
Convaincue de la
séance de l'ultime session
fonction à Tahiti.
tahitienne est tombée en
partir de 1866, c'est avant tout parce que l'action menée par cette
institution avait permis d'atteindre les objectifs qui avaient été la raison d'être de
En
conclusion, si l'Assemblée législative
désuétude à
Société des
Études
Océaniennes
80
sa
création
ou
de
son
développement après 1842.
Tout d'abord, l'Assemblée avait
parfaitement joué le rôle de contrepoids au
pouvoir royal tahitien. Il n'était plus nécessaire de la réunir à partir du moment où
la pratique des institutions du Protectorat avait réduit les prérogatives royales,
par
suite de l'immixtion totale du représentant français dans les affaires tahitiennes.
Ensuite, les commissaires successifs avaient orienté le travail législatif de
progressivement le droit français à Tahiti, ce qui fut réalisé
pour l'essentiel à partir de 1866.
manière à introduire
De même, l'évolution des débats
parlementaires avait réduit l'Assemblée à
qu'une simple chambre d'enregistrement, se bornant à ratifier les
ordonnances du pouvoir exécutif. Il est vrai que
les législateurs avaient pris la
fâcheuse habitude de s'en remettre au bon vouloir du représentant de la
puissance protectrice, dès que les débats avaient peu de chance d'aboutir du fait
de la complexité des questions traitées.
n'être
Enfin, lorsque les réformes foncières et les lois chargées d'assurer le
développement du pays "eurent échoué à provoquer chez les Tahitiens un
changement considérable dans les cultures susceptibles de troc international, il
ne resta plus à l'administration,
pour créer des entreprises agricoles et les
exploiter, qu'une population blanche assez disparate" (155). Désormais
l'Assemblée n'avait plus à jouer ce rôle "d'instrument précieux" (156) dont les
décisions seraient facilement acceptées par la population locale,
puisque cette
dernière aurait dorénavant un rôle plus réduit dans le développement. En effet,
l'administration subventionnera les petits planteurs français ou étrangers
à partir
de 1860 afin qu'ils produisent du café, du coton et de la canne à sucre. La main
d'oeuvre locale étant coûteuse, on fit appel à l'immigration
pour développer
quelques plantations. C'est ainsi qu'un Irlandais nommé William Stewart
développera le coton dans la plantation d'Atimaono (157), laquelle eut son heure
de gloire au moment de la guerre de Sécession. En 1864 Stewart fut autorisé à
faire venir à Tahiti 1000 coolies chinois, puis 500
Polynésiens de divers
archipels du Pacifique. Ainsi, la politique de l'administration menée de 1850 à
1866 qui "avait visé à faire du Protectorat une colonie de
plantations" (158) en
s'appuyant sur la population locale, avait laissé la place à un développement
fondé sur l'immigration.
Néanmoins, même si l'oeuvre législative de l'Assemblée n'a pas donné
escomptés, il n'en reste pas moins que cette institution a joué
un rôle
politique tout à fait original dans les archipels de l'Océanie
intertropicale, mais également au sein de l'ensemble français, au XlXè siècle.
L'étude des débats montre que les parlementaires polynésiens
ont pu s'exprimer
librement durant une vingtaine de sessions sur toutes les questions
essentielles
qui se posaient à une société en mutation, même si la finalité de leur travail leur
tous
les résultats
Société des
Études
Océaniennes
81
échappait parfois. Les législateurs tahitiens ont été associés à chaque étape du
développement et de la transformation de leur pays. Le seul fait que les
représentants de la puissance protectrice aient réuni l'Assemblée à treize reprises
durant le Protectorat, montre bien qu'elle avait, selon l'expression de Bonard,
son "utilité pratique". Ainsi, les commissaires seront obligés de réunir
l'Assemblée chaque fois qu'ils souhaiteront appliquer une grande réforme à
Tahiti. C'est particulièrement vrai lors de l'ultime session législative de 1866, où
le vote des parlementaires était indispensable pour assimiler les Polynésiens dans
l'ensemble français. En effet, "la législation de 1866 qui avait mis fin au code tahitien donna à la France la clé de Tahiti ; Chessé en arrangeant l'annexion
(l'avait plus qu'à ouvrir la porte" (159).
BERNARD GILLE
Société des
Études
Océaniennes
82
NOTES
(1) Sur l'organisation et l'action de cette institution, voir notre article
législative tahitienne (1824-1880)", à paraître dans la Revue
française d'histoire d'outre-mer en 1991.
"L'Assemblée
1827)
(2) Pomare I (1743-1803) ; Pomare II (1774-1821)
; Pomare IV (1813-1877) ; Pomare V (1839-1891).
;
Pomare III (1820-
(3) Proclamation de Pomare V
aux Tahitiens en date du 29 juin 1880,
français de l'Océanie (B.O.E.F.O.), 1880, p.
196, Archives de la Polynésie française (A.P.F.).
Bulletin officiel des Etablissements
(4) L'ultime session de 1877 ne réunissait que les membres de l'Assemblée
présents à Papeete le 25 septembre 1877, "pour reconnaître et acclamer le
nouveau souverain de Tahiti qui succède à la feue reine
Pomare", B.O.E.F.O.,
1877, p. 277. Il n'y eut pas de débats, mais uniquement un discours du contreamiral Serre, Commandant en chef, Commandant
provisoire des Etablissements
français de l'Océanie, suivi de la lecture de la nouvelle organisation royale. Une
deuxième séance eut lieu le lendemain, où l'Assemblée fît "des voeux pour
la
longue durée et la prospérité du nouveau règne" Ibid.
(5) L'Assemblée s'est réunie
en
1824, 1826, 1829, 1834, 1836, 1837, 1838,
1842,1845,1848,1850,1851,1853,1854,1855,1857,1858,1860,1861,1866,1877.
De 1853 à 1877 le
Messager de Tahiti publia les débats. Les procèsimprimés et distribués en supplément au
B.O.E.F.O. Pour les débats antérieurs à 1852, voir O'REILLY et REITMAN,
Bibliographie de Tahiti et de la Polynésie française, Société des océanistes,
1967, p. 720. Des extraits des débats ont été publiés par divers auteurs. Voir en
particulier O'REILLY (P.), Tahiti au temps de la reine Pomare, Société des
océanistes, les Editions du Pacifique, 1975, p. 51 et s. Voir également BOUGE
(L.J.), "Le code Pomare de 1819", Journal de la Société des océanistes, n° 8,
1952, p. 9. L'article de L.J. Bouge concerne une partie des délibérations de la
verbaux de 1861 à 1877 furent
session de 1824. Tous les débats avaient lieu
en
tahitien et ils furent traduits
en
français à partir de l'instauration du Protectorat. Seuls les débats déposés aux
Archives de la Polynésie française ont été étudiés, ainsi que ceux publiés par les
auteurs précités.
(6) La composition de l'Assemblée a varié entre 1824 et 1866. Ce
parlement se composait de chefs, de grands juges, ou To'ohitu (à partir de 1848),
membres de droit, et de représentants élus par les propriétaires fonciers (huiraatira). De 1824 à 1850, l'Assemblée a compté une centaine de membres. En
Société des
Études
Océaniennes
83
1848 il y avait 40 membres de droit et 59 élus. En 1855 il y avait 49 chefs et
grands juges et 73 députés. Lors de la session de 1866 il y avait 32 membres de
droit et 15 députés.
(7) Code Pomare de 1842, B.A., B.R., 8°, 60, p. 227, A.P.F.
(8) Ibid., article 2
(9) Ibid., article 6.
(10) Proclamation conjointe de la reine Pomare et du contre-amiral DupetitThouars, en date du 9 septembre 1842, B.O.E.F.O., appendice à la réédition des
arrêtés du gouverneur,
1843-1847, Papeete, 1864, p. 233 et s., A.P.F.
(11) Armand, Joseph Bruat, capitaine de vaisseau, gouverneur des Iles
Marquises, est nommé gouverneur des Etablissements français d'Océanie,
commissaire du roi aux Iles de la Société. Il entre en fonction le 1er novembre
janvier 1845 Bruat prend le titre de gouverneur des Etablissements
français de l'Océanie, commissaire du roi près la reine des Iles de la Société.
1843. Le 6
(12) B.O.E.F.O., 1848, p. 75, A.P.F.
(13) Ibid., article 3 : "L'organisation intérieure des Iles de la
réglée avec l'approbation de la puissance protectrice."
Société est
(14) Ibid., articles 21 à 30.
(15) Ce récit est de FRANCIS ALLYN OLMSTED, Incidents on a whaling
voyage..., New-York, 1841, p. 82, cité par O'REILLY, 1975, op. cit., p. 53.
(16) Ibid. Olmsted prend soin d'ajouter quelques détails amusants sur
puis sur celui des hommes du rang : 'Tous portaient
des pantalons blancs, un peu trop justes pour leurs puissantes ossatures ou qui,
simplement, avaient voulu suivre de trop près la mode des vêtements collants.
l'accoutrement des officiers,
Un
ou
deux
portaient des chaussettes, mais la plupart avaient glissé leurs
extrémités inférieures dans de grosses bottes de cuir, sans aucune espèce de
substance intermédiaire. Un de ces hommes me frappa par son curieux
revêtu d'un habit de clergyman, costume d'un caractère
plus pacifiques qu'il avait transformé pour la circonstance en terrifiant
uniforme de guerrier, au moyen de galons écarlates d'un demi-pouce qui
bordaient son vêtement et en soulignaient les coutures. Il avait bouclé là-dessus
un baudrier rouge vif ; la combinaison des couleurs était vraiment merveilleuse!
accoutrement. Il était
des
Derrière les officiers avait
pris place la soldatesque. On avait certainement
habillés
!...
un grand effort d'uniformité et, de loin, tous semblaient
du même bleu. Mais en s'approchant quelle variété dans le coloris des étoffes
fait à
son
sujet
Le vêtement inférieur des soldats
était toujours blanc, mais
grande fantaisie ait régné dans la distribution des
Société des
il semble qu'une
culottes qui correspondaient
Études Océaniennes
84
gabarit personnel de chaque individu. De grands échalas devaient
petite taille et des rondouillards, n'ayant pu
fermer la ceinture de leurs pantalons, en avaient assuré la bonne tenue en nouant
par dessus un foulard autour de leur taille".
rarement au
tenter de revêtir des costumes de
(17) Cité par O'Reilly, 1975,
p.
54.
(18) Comme le remarque C.W. Newbuiy : "La convention (de 1847) avait
fait de celle-ci (la reine), de par sa position du chef suprême, un rouage essentiel
du Protectorat. Ses privilèges devaient être respectés et
l'étiquette observée à son
égard". C.W. NEWBURY, "L'administration de l'Océanie française de 1849 à
1866", Revue française d'histoire d'outre-mer (R.F.H.O.M.), Paris, 1960, t. 46,
n° 163-165, p. 102.
(19) "Le gouverneur, commissaire impérial, accompagné des consuls
d'Angleterre et des Etats-Unis, ainsi que de tous les officiers de terre et de mer,
s'est rendu chez S.M. la reine, à laquelle il a offert le bras, pour la conduire au
temple protestant...", B.O.E.F.O., 1855, p. 226.
Du Bouzet
précise en outre : "Des invitations officielles sont adressées aux
assister ; on leur réserve des places pour eux et leur famille". Cité
par O'REILLY, 1975, p. 54.
consuls pour y
(20) Ce rituel fut observé
(21) Nom donné
au
en
1855,1857,1858,1860,1861, et 1866.
palais où siégeait l'Assemblée à partir de 1861.
(22) B.O.E.F.O., 1866,
p.
33.
(23) "Avoir sur le devant de l'estrade... deux fauteuils placés de manière
que la ligne qui les sépare soit au milieu de l'estrade. Ces deux fauteuils .sont
destinés à recevoir la reine et le commissaire impérial ; la reine prend celui de
droite et le commissaire impérial s'assied à sa gauche. Un fauteuil au second
rang... est réservé pour Ariifaite, le mari de la reine... Le discours de la reine est
alors lu à haute voix par son mari... Quand il a fini, le commissaire impérial se
lève et lit son discours d'ouverture en français, la traduction en tahitien en est lue
aussitôt après... L'orateur de l'Assemblée répond ensuite, en son nom, à la reine
et au commissaire
impérial.
Les
députés nouvellement élus et les chefs nouvellement nommés viennent
prêter le serment de fidélité à la reine et au gouvernement du Protectorat".
Note de Du Bouzet, de 1855, citée par O'REILLY, 1975, P. 54.
alors
(24) "Aucun règlement ne devait être considéré comme une loi, mais ceux
qui avaient été approuvés ou proposés par les députés et avaient reçu la sanction
du roi, et chaque règlement, proposé par les députés et approuvé
par le roi devait
être observé comme la loi dans le pays". ELLIS (W.), A la recherche de la
Polynésie d'autrefois, Polynesian researches, publication de la Société des
Société des
Études
Océaniennes
85
océanistes, n° 25, Musée de l'homme, Paris, 1972, p. 590.
(25) Articles 2 et 6 de la loi XXXI du code Pomare de 1842, op. cit.
(26) Ibid., article 4.
(27) Ibid.
(28) Ordonnance du 28 avril 1843 sur l'administration de la justice et les
pouvoirs du gouverneur aux Iles Marquises. Cette ordonnance a été étendue à
Tahiti par un arrêté local du 13 avril 1845, maintenu en vigueur par le décret
impérial du 14 janvier 1860 traitant de l'organisation des pouvoirs publics dans
les Etats du Protectorat.
(29) Arrêté du 1er octobre 1844, réédition des arrêtés du gouverneur,
B.O.E.F.O., 1864, p. 28. Arrêté du 6 janvier 1845, B.O.E.F.O., 1864, p. 33.
(30) Durant cette période, le royaume tahitien avait
Thouars, lequel fut désavoué par le roi Louis-Philippe.
été annexé par Dupetit-
(31) Le commissaire De la Richerie décidera de ne plus réunir l'Assemblée
après 1861 : "La reine est du reste parfaitement dans cet ordre d'idées, et elle ne
m'a, d'aucune façon, rappelé que j'avais oublié en 1862, 1863 et 1864, de lui
parler de l'Assemblée..." Cité par O'REILLY, 1975, p. 63.
(32) Article 8 de la convention de 1847, B.O.E.F.O.,
1848, p. 75.
(33) Il s'agit du commissaire du roi près la cour des To'ohitu, du
cour et de l'orateur du gouvernement, B.O.E.F.O., 1864, p. 83.
greffier
de cette
(34) B.O.E.F.O., 1850-1852, p. 152.
(35) Les codes de 1842 et dé 1848 n'ont édicté que quelques règles
des séances. Par exemple l'article 4 de la loi XXI du code
Pomare de 1842 prévoit la nomination d'un orateur et secrétaire -un auvaha- qui
dirige et organise les débats.
concernant la tenue
(36) GUESDON (G.). Le royaume
Faculté de droit de Caen, 1960, p. 200.
protégé des Iles de la Société,
thèse,
(37) Lettre de Bonard au ministre de la Marine, 16 juillet 1850, Centre
(C.A.O.M.) Aix en Provence, Océanie, A 68, C 13.
des
Archives d'Outre-Mer
(38) Procès-verbaux de l'Assemblée législative des Etats du Protectorat,
1861, Papeete, 1863, DANIELSSON, n° 401, p. 45, A.P.F.
session de
(39) Bulletin de la société des études
1939, p. 135.
(40) Messager de Tahiti, 6 mai
océaniennes, n° 65, tome VI, mars
1860, p. 79.
(41) Ibid., 18 novembre 1855.
Société des
Études
Océaniennes
86
(42) GUESDON (G.), I960,
(43) ELLIS (W.), 1972,
p.
p.
553,
219,
op.
op.
cit.
cit.
(44) BOUGE (L.J.), 1952, p. 9, op. cit. Tous les débats concernant
peine de mort sont extraits de cet article.
l'abolition de la
(45) Ibid.
(46) Ibid.,
10 à 13.
p.p.
(47) Loi du 30 novembre 1855
sur
les jugements ; loi du 19 décembre 1865
les amendes ; loi du 24 décembre 1861 sur les tribunaux supérieurs ;
26 décembre 1861 modifiant celle de 1855 sur les jugements ; loi
loi du
du 26
décembre 1861 sur les appels des jugements et sur la taxe des témoins ; loi du 30
décembre 1861 sur l'adultère ; ordonnance du 14 décembre 1865 ratifiée par la
sur
loi du 28
mars
1866.
(48) Messager de Tahiti, 6 mai 1860, p. 1.
(49) Procès verbaux de l'Assemblée..., session de 1866, Papeete, 1866,
DANIELSSON, n° 402, p. 10. Comme le fera remarquer un député lors de la
session de 1861
: "Dans beaucoup de districts des îles Tuamotu, le chef donne à
charge de juge, de chef mutoi ou de mutoi (policier indigène) ; il
s'en suit que les fonctionnaires sont tous unis par les mêmes liens de l'intérêt et
ne font de bien que ce qui leur est personnel." DANIELSSON, 1961, p. 43.
ses
enfants la
(50) Ordonnance portant réorganisation du service judiciaire tahitien, 14
122.
décembre 1865, B.O.E.F.O., 1865, p.
(51) "Une cour suprême formée de sept grands juges ou To'ohitu siégeait à
Papeete ét constituait la principale instance d'appel en matière de conflits
fonciers. Elle était
en
outre habilitée à modifier les articles des codes... Ce
tribunal fut conservé
de haute
cour
anciens codes
après l'établissement du Protectorat sous la dénomination
tahitienne et dut progressivement substituer le code civil aux
missionnaires". Dictionnaire illustré de la Polynésie, To'ohitu,
Editions de l'alizé, Tolède, 1988.
(52) DANIELSSON, n° 402, p. 38.
(53) Ibid.
(54) Ibid.
(55) Ibid., p. 70.
(56) Ibid.,
p.
28.
(57) La loi tahitienne du 30 novembre 1855 avait ouvert le recours en
sans fixer de délai. Il était impossible de
pour définitif ces arrêts et il y avait absence complète de sécurité dans la
cassation contre les arrêts des To'ohitu
tenir
Société des
Études
Océaniennes
87
propriété établie
de demander
au
par jugement de cette cour. Les Tahitiens avaient pris l'habitude
commissaire la révision de tous les jugements rendus sous
l'administration de
cette
situation
en
son
prédécesseur. L'ordonnance du 22 mars 1865 remédia à
les recours en cassation.
fixant des délais pour
(58) La liste des lois qui n'ont
3 mai 1847
-
pas
été abrogées est la suivante :
(possession des terres) ;
10
mars
1851
(règlement de l'Assemblée) ;
-
18
mars
1851
(ministres du culte)
-
25
mars
1851
(abolition de la peine de déportation) ;
28
mars
1851
(déclaration
-
-
-
31
mars
sur
;
les propriétés nationales) ;
1851 (interdiction de
la vaine pâture dans le district de la
Papenoo);
-11
mars
1852 (actes de
l'état-civil)
;
-
22
mars
1852
(loi électorale)
-
24
mars
1852
(enregistrement des terres) ;
-
30 novembre 1855
-
(loi
sur
;
les jugements) ;
7 décembre 1855 (loi sur les
écoles)
;
-16 février 1857
(modification de la loi électorale) ;
-17 février 1857
(punitions à infliger aux enfants non assidus à l'école) ;
-19 février 1857 (loi sur les
cimetières) ;
B.O.E.F.O., 1866, p. 156.
(59) NEWBURY (C.W.), 1960, p. 132, op. cit.
(60) VERNIER (H) - Au vent des cyclones, Rouen,
(61) DANIELSSON, 1861, p. 43.
(62) GUESDON, 1960, p. 218.
(63) Code Pomare de 1842, p. 204.
(64) B.O.E.F.O., 1851, p. 164.
(65) Ibid.
(66) B.O.E.F.O., 1852, p. 322.
(67) B.O.E.F.O., 1855, p. 228.
Société des
Études Océaniennes
1986,465 p., p. 29.
88
(68) Ibid.
(69) Messager de Tahiti, 6 mai 1860,
p.
1.
(70) Ibid., p. 2.
(71) Ibid. A ce sujet le député Tenaki fit une proposition originale : "Je
les enfants soient tous instruits pendant une année sur la langue
française et l'autre année sur la langue tahitienne". Messager de Tahiti, p. 104.
désire que
(71 bis) DANIELSSON, 1861,
(72) DANIELSSON, 1866,
p.
p.
3.
14.
(73) Ibid.
(74) Lavaud au ministre de la Marine, 10 octobre 1850, C.A.O.M.,
Océanie, H 5, C 26, cité par NEWBURY, 1960, p. 115. Sur l'enseignement et les
missionnaires, voir cet article de NEWBURY, p.p. 114-119.
(75) B.O.E.F.O., 1851, p. 162.
(76) Lors de la session de 1866, le délégué du gouvernement répondit ainsi
député Apo qui souhaitait reprendre une terre occupée autrefois par le
révérend Davis : "Ces terres furent réputées "apanage de l'Evangile" (Farii
evanelia), et je crois même que cette prise de possession atteignit non seulement
les terres prêtées, mais aussi les maisons que les missionnaires avaient élevées
sur ces terres. Singulière récompense de la libéralité des uns et du dévouement
des autres !" DANIELSSON, 1866, p. 100.
au
(77) Ce qui n'empêcha pas les commissaires Page et De la Richerie
en conflit avec l'évêque.
d'entrer
(78) "En tout, les catholiques enseignaient environ 400 élèves dans les
écoles de districts, dont moins d'un quart étaient des convertis. En 1862, il y
avait 26 écoles de district à Tahiti et Moorea, dont chacune enseignait de 20 à
100 élèves
au total 751 garçons et 630 filles. Les deux écoles catholiques de
Papeete avaient 119 élèves". NEWBURY, 1960, p. 119.
-
(79) La pétition déclarait notamment : "Nous désirons ardemment que nos
la langue française ; mais nous ne voulons pas que lorsqu'ils
apprennent le français, ce ne soit que dans le but de changer de religion".
Messager de Tahiti, 5 août 1860, p. 147.
enfants apprennent
(80) Article 3, Messager de Tahiti, 8 juillet 1860, p. 125.
(81) Messager de Tahiti, 1860, p. 125.
(82) Ibid. Finalement, l'Assemblée adressa une pétition à l'empereur
Napoléon III afin qu'il envoie à Tahiti deux pasteurs français. La Société des
missions évangéliques de Paris accepta quelques années plus tard. Thomas
Société des
Études
Océaniennes
89
Arbousset et
en
gendre Atger arrivèrent ainsi à Tahiti en 1863, suivis par Viénot
Vernier en 1867. Arbousset quitta Tahiti dès 1865.
son
1866 et par
(83) D'après la loi sur l'instruction publique du 5 juillet 1863, il y avait
catégories d'instituteurs. D'une part, les missionnaires ou fonctionnaires
rétribués par le gouvernement. D'autre part, les instituteurs non salariés qui
devaient percevoir une solde annuelle de 120 francs à 200 francs, payée sur la
caisse des écoles, alimentée par la contribution mensuelle de 50 centimes.
Messager de Tahiti, 1853, séance du 5 juillet.
deux
D'autres lois
sur
l'instruction publique ont
été adoptées le 7 décembre
1855, le 17 février 1857 et le 16 mai 1860.
(84) Messager de Tahiti, 10 juin 1860, p. 104.
(85) Les principaux textes concernant l'Assemblée législative sont
les
suivants:
-
-
-
Loi XXXIII du code de
Loi du 10
mars
1851,
Loi électorale du 22
-
Loi du 31
-
Loi du 6 avril
(86) Cité
mars
par
sur
mars
1852,
1866,
1848,
sur
sur
sur
la nomination des députés ;
le règlement de l'Assemblée ;
1852 ;
l'indemnité parlementaire ;
l'Assemblée législative ;
O'REILLY, 1875,
p.
55.
(87) B.O.E.F.O., 1852, p. 321.
(88) O'REILLY, 1975, p. 55.
(89) En 1859, du Bouzet signale au Ministre que ce palais, "vaste édifice
proportion avec les besoins et les ressources de Taïti, avait été
abandonné pendant trois ans..." Cité par O'REILLY, 1975, p. 55.
d'ailleurs hors de
(90) En 1858 les députés payaient un impôt de 12 francs 50 centimes par
mois. Il fut réduit à 5 francs par mois à partir du 1er janvier 1859. En outre, les
familles devaient fournir des souscriptions pour la construction du palais ou y
journées de travail. En 1860 les recettes pour construire le fare
apoo'raa s'élevaient à 44 149,84 francs. Messager de Tahiti, 9 septembre 1860,
p. 161.
consacrer
des
(91) DANIELSSON, 1861, P. 53.
(92) Ibid., 1866,
p.
88.
(93) Ibid.
(94) Ibid.,
p.
92.
Société des
Études Océaniennes
90
(95) Ibid.,
p.
94.
(96) NEWBURY, 1960, p. 106.
(97) DANIELS SON, 1866,
p.
120.
(98) La reine Pomare percevait cet impôt sur la population autochtone. Il
s'élevait à 7000 francs par an en 1864. Elle recevait en outre une subvention de
25000 francs de la part du gouvernement français qui finançait également
indigène. Sur 183 799 francs payés par l'administration
1864, 104 799 provenaient du budget colonial et 79 000 francs
étaient des revenus de source indigène. Il fallait ajouter à ces dépenses les
bourses versées aux Tahitiens travaillant dans les écoles catholiques, soit 54 000
francs pour 1864. A partir de 1865 la subvention diminua. Voir à ce sujet
NEWBURY, 1960, p. 114 et p. 149.
l'administration
française
en
(99) Jusqu'en 1863 la contribution des Tahitiens aux revenus locaux
façon suivante : contribution à la liste civile, souscription pour
s'établissait de la
fare-apoo raa (jusqu'en 1861), 50 centimes par mois pour
chaque enfant scolarisé, travaux d'entretien des routes. En 1863 fut imposée la
contribution personnelle de 10 francs par an et de 10 francs de journées de
travail (à 1 franc par jour).
la construction du
Sur cette
question, voir NEWBURY, 1960, p. 111.
(100) DANIELSSON, 1866, P. 76.
(101) Ibid., p. 78. Les griefs à l'égard de la reine ne manquaient pas.
D'après C.W. NEWBURY, les commissaires "estimaient qu'elle essayait
d'installer le plus grand nombre possible de membres de sa famille à la tête des
districts et qu'elle exploitait sa position... pour obtenir de nouveaux privilèges.
Sa place dans la hiérarchie des chefs de district, affirmait le commandant Page,
avait été gagnée aux dépens de familles plus anciennes et ayant plus de droits
qu'elle, durant le règne de Pomare II, qui, "à l'aide de moyens étrangers à ses
peuples... n'a constitué qu'une puissance inhérente à sa personne, que ses
successeurs directs et en particuler la reine actuelle n'auraient certainement pas
pu conserver si notre Protectorat (ou tout autre) n'était venu, de l'assentiment
même des chefs, lui donner une sorte de consécration" (Page au ministre de la
Marine, 8 février 1856, C.A.O.M., Océanie, A 57, C 10.) Un autre commandant
se plaignait de ses prétentions au "droit traditionnel" de disposer des terres
tahitiennes sous couvert du régime français et désapprouvait ses tournées dans
les districts qui entraînaient, en fêtes et tributs, l'épuisement de leurs ressources
(Du Bouzet au ministre de la Marine, 10 décembre 1854, C.A.O.M., Océanie, A
71, C 13)." C.W. NEWBURY, 1960, p. 103.
(102) Ibid.
Société des
Études Océaniennes
91
(103) Ibid.
(104) B.O.E.F.O., 1848, p. 24.
(105) NEWBURY, 1960, p. 99.
(106) Ibid., de la Richerie au ministre de
Océanie, A 68, C 13.
l'Algérie et des Colonies, 12
novembre 1860, C.A.O.M.,
(107) Ibid., Bruat au ministre de la Marine,
(108) Ibid.,
p.
27 juin 1850.
100.
(109) Ibid.
(110) Ibid., Ducos, ministre de la Marine en 1854 écrivait à ce sujet : "Dans
ambiguë, nous ne pouvons... ni faire suffisamment la police
intérieure dans l'intérêt de l'hygiène des naturels et du développement des
cultures, ni organiser un système de concessions de terres, qui puisse y attirer une
population du dehors..." Note sur Tahiti, 1854, C.A.O.M., Océanie, A 69, C 13.
cette situation
(111) Ibid., C.A.O.M., Océanie, E
30, C 141.
(112) Ibid., Bonard au ministre de la Marine, 16 juillet 1850, C.A.O.M., A
68, C 13. Lors des discours prononcés à l'ouverture de chaque session de
l'Assemblée, les commissaires et la reine ne cessèrent de fustiger la paresse et
d'exhorter la
mars
population au travail. Ainsi, lors de la séance
1851, la reine déclara : "Notre beau pays
inaugurale, le 1er
n'a rien à envier à ceux que la
plus favorisés... Que nous manque-t-il donc pour tirer parti de ces
ressources ? Le commissaire de la république vous l'a déjà dit
souvent, et en cela je suis entièrement de son avis, ce qui nous manque, c'est le
goût du travail, c'est l'activité.
nature a le
admirables
principal et indispensable de toutes les richesses ;
l'expérience prouve que le travail est un garant de moralité...
Travaillons donc, travaillons tous ; que les grands donnent l'exemple aux petits.
Bannissons le désoeuvrement, ce fléau de notre pays, et nous aurons pour
résultat, non seulement l'accroissement du bien-être matériel du pays, mais
encore la diminution du libertinage, de l'ivrognerie et de tous les autres vices...
Le travail est l'élément
en
outre
et quand
exemple,
quand vos terres défrichées se couvriront d'abondantes récoltes, quand vous
aurez donné des ouvriers indigènes à toutes les industries qui sont encore
aujourd'hui l'apanage exclusif des étrangers, vous reconnaîtrez que vous n'avez
pas seulement augmenté vos richesses, accru la prospérité matérielle du pays,
mais que vous avez travaillé à la morale publique et à la religion" B.O.E.F.O.,
Du courage donc, législateurs, faites la guerre au désoeuvrement ;
mis le travail en honneur par vos lois, et surtout par votre
vous aurez
1851, p. 165, A.P.F.
Société des
Études
Océaniennes
92
(113) Le commissaire De la Richerie déclarait
que
l'on ne pourrait pas
faire progresser le Protectorat tant que les indigènes n'auraient pas "renoncé à
cette vie commune dans laquelle il n'y a de fixe ni domicile, ni nom propre, ni
propriété individuelle dans le
janvier 1864.
sens
français du mot". Messager de Tahiti, 30
but, l'arrêté du 15 octobre 1851 créa le Service de l'Enregis¬
Désormais, seul un acte écrit et enregistré pou¬
vait servir de preuve et les contestations entre indigènes et Européens étaient
portées devant le Tribunal de paix. B.O.E.F.O., 1850-1852, p. 235.
(114) Dans
ce
trement et du Domaine colonial.
(115) Ibid.,
p.
314 : Loi tahitienne
sur
l'enregistrement des terres.
(116) Registres des terres de chefferies, des ventes, des transferts, des
conciliations, des donations, des héritages, des comités.
(117) Comme le souligne C.W. NEWBURY, "il semble évident que, dans
le chef de famille avait fait enregistrer les terres en son nom
pour toute la famille. Il ne se trouva nulle part de famille dont les divers
de nombreux cas,
soient fait inscrire séparément comme propriétaires... La
fragmentant approximativement les terrains pour attribuer à un
membre adulte de chaque famille les jardins ou les plantations revendiquées
pour la famille entière." NEWBURY, 1960, p. 127.
membres
se
commission
(118) B.O.E.F.O., 1862,
le
p.
188.
(119) Ce texte a été étudié au début de la première partie de cet article dans
paragraphe consacré à la justice,
(120) Réédition du code de 1842, 1864,
(121) B.O.E.F.O., 1848, réédité
en
p.
1864,
p.
189.
65.
1851, sur les enclos publics. B.O.E.F.O., 1851, p.
prévoyait que lorsque le nombre des condamnations ne donnerait
pas assez de main d'oeuvre pour l'entretien de l'enclos, le chef convoquerait
tous les habitants du district, ou un certain nombre par jour, de manière à faire
passer successivement chaque individu au travail. Enfin, l'article 6 prévoyait que
les revenus de ces enclos appartenaient au district.
(122) Loi du 14
mars
144. L'article 4
(123) B.O.E.F.O., 1851, p. 67.
(124) Messager de Tahiti, 17 juillet 1853.
(125) B.O.E.F.O., 1857,
p.
132.
(126) Messager de Tahiti, 2 septembre 1860, p. 158.
(127) Ibid.,
p.
103.
(128) Ibid.,
p.
115.
Société des
Études
Océaniennes
93
(129) Ibid.
(130) Ibid.
(131) Ibid.
(132) Ibid.
(133) Ibid.
(134) Ibid., p. 116.
(135) Papenoo, Haapape, Arue, Pare, Faaa,
(136) Procès-verbaux de l'Assemblée...,
Punaauia, Paea.
DANIELSSON, 1866, p. 14.
(137) Ibid., p. 54.
(138) Ibid.
(139) Ibid.
(140) NEWBURY, 1960, p. 124.
(141) B.O.E.F.O., 1851, p. 168. Les fonds provenant de ces ventes étaient
propriété des districts et devaient servir à encourager l'agriculture, soit en
donnant des outils, soit en donnant une récompense pécuniaire aux agriculteurs
les plus zélés.
la
(142) Cité par O'REILLY, 1975, p. 59.
(143) Ibid.
(144) Ibid.
(145) Ibid.
(146) Messager de Tahiti, 10 juin 1860, p.
103.
(147) Ibid.
(148) Procès-verbaux de l'Assemblée...,
DANIELSSON, 1861, p. 30.
(149) Ibid.
(150) Ibid.
(151) Ibid.
(152) Loi de 1850 sur le travail ; lois de 1851 sur le travail public et
1861 sur les travaux publics, sur la construction
cases et sur la plantation obligatoire des cocotiers, tamanu et maiore.
l'entretien des routes ; lois de
des
(153) Procès-verbaux de
(154) Ibid.,
p.
l'Assemblée..., DANIELSSON, 1866, p.
122.
Société des
Études
Océaniennes
120.
94
(155) NEWBURY, 1960,
p.
132.
(156) Bonard au ministre de la Marine, 16 hjuillet 1850, C.A.O.M.,
Océanie, A 68, C 13, cité par NEWBURY, 1960, p. 105.
ou
(157) Stewart régnait sur un domaine de 8500 hectares de terres achetées
louées, mais il n'y avait que 2000 acres de terres cultivables. La plantation
périclita à partir de 1872, les
NEWBURY, 1960, p. 138.
(158) Ibid.,
p.
cours
du coton ayant chuté. Sur cette question, voir
154.
(159) NEWBURY (C.W.), The administration of french Oceania, 18421846, thèse, Australian national university, Canberra, 1956, p. 245. D'après le
vice-amiral Cloué, ministre de la Marine en 1880, "après
la mort de Pomare IV,
le besoin de
préserver les intérêts économiques français dans la zone dans
l'optique du projet du canal de Panama, détermina l'annexion". Cité par
NEWBURY, 1956, p. 241.
Société des
Études
Océaniennes
ILES DE LA
SOCIÉTÉ ET DÉPENDANCES
PROCÈS-VERBAUX
DE
LÉGISLATIVE
L'ASSEMBLÉE
DES
ETATS DU PROTECTORAT
AVEC
LE
TEXTE
TAHITIEN
EN
REGARD
Session tie M 80S
PAPEETE
IMPRIMERIE
DU
JUILLET
Société des
GOUVERNEMENT
1866
Études Océaniennes
États du Protectorat
des lies de la Société et
dépendances.
ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE
Session de 1866
PROCÈS-VERBAL D'OUVERTURE
Ce 21
mars
1866, à
une
heure de l'après-midi,
S. M. la Reine Pomare et le Commandant Commissaire
Impérial,
accompagnés des officiers de terre et de mer et des fonctionnaires
et employés de l'administration, se sont rendus au
palais de l'As¬
semblée législative, où ils ont été reçus avec le cérémonial d'usage.M&r l'évêque d'Axiéri et son clergé, M. le consul des Etats-Unis
d'Amérique, les Frères de Ploërmel, les Dames de Saint-Joseph de
Cluny et leurs écoles, honoraient de leur présence cette solennité.
Après une prière dite par M. le Rev. Atger, les discours suivants
ont été prononcés :
Discours de Si. H. Pomare IV»
Messieurs
En venant ici
au
les
Députés,
milieu de
vous
ouvrir la session
législative de
1866, je suis heureuse de pouvoir tout d'abord vous assurer de
l'étroit accord, de la vive sympathie qui existent entre moi et le
représentant de S. M. l'Empereur Napoléon, notre puissant protec-
Société des
Études
Océaniennes
Te roau fenua o te Hau Tamaru i te mau fenua Totaiete e te mau mai.
APOO
RAA
TURE
IRITI
Putuputn raa i te matahiti 1866
PARAU
NO
ï teie nei mahana 21 no
TE
IRITï
mati 1866, i te
mahana,
Ua haere T. H.
o
Poraare
e
te Tomana te
RAA
hora boe i te tape raa
Auyaha o te Emepera,
hia e te mau raatira to uta e to te pahi, e te feia toroa
'toa hoi o te Hau nei, i te aorai iriti raa ture, e i reira te farii raa
hia mai, mai te mau peu faahanahana i matau hia ra.
ma
te
pee
Ua haere atoa mai hoi te Episekopo no Ahieri, e tona mau orometua, te Tonitara o te mau Hau amui hia i Marite, te mau taeae
no Ploërmel, te mau tuahine no S1 Joseph de Cluny, e ta ratou tau
haapii raa, e ua faahanahana i taua oroa ra.
I mûri ae i te hoe pure raa na te orometua ra na Miti Atger, ua
tdio hia teie tau parau i mûri nei :
Parau na te
Arll vahiné.
E HOMA, E TE FEU IRITI TURE
NEI,
ionei i rotopu ïa outou na, e iriti i teienei apoo
raa iriti raa ture no te matahiti 1866, te rahi nei to'u poupon, i te
mea e, te tia roa nei to'u faaite papu raa'tu na mua, i te rahi o te
au e te manao maitai e vai nei i rotopu ia'u e te Auaha o T. H. te
A haere mai
ai
au
Emepera ra o Napoléon, to tatou
Société des
nei tamaru mana rahi. Ua tupu
Études
Océaniennes
teur. Cette union
procède d'une estime, d'une confiance récipro¬
chaque jour fortifie, et dont je me plais à rendre ici un
témoignage public.
Depuis la dernière législature, le pays a sensiblement progressé,
et je dois noter que dans ces derniers
temps surtout la population
tahitienne, stimulée par l'exemple, par les encouragements et par
les certitudes du résultat, a pris des habitudes de travail
qui ont
développé dans le pays une activité, un mouvement d'affaires du
meilleur augure pour un avenir prochain.
Avec le concours bienveillant et empressé de M. le Commandant
Commissaire Impérial, je me suis efforcée de diminuer les charges
qui pesaient sur mes sujets, d'augmenter leur liberté individuelle ;
et, sous cette influence, j'ai vu avec satisfaction qu'un grand nom¬
bre d'entre eux se livraient avec goût à l'agriculture, source de
richesse qu'on dit n'être nulle part aussi abondante qu'à Ta¬
ques, que
hiti.
Unissez
vos
Commissaire
efforts
avez
miens et à
ceux
de M. le Commandant
Impérial
ralentisse pas.
votre bien-être.
Vous
aux
pour que ce mouvement vers le travail ne se
Avec la prospérité agricole du pays s'augmentera
pu remarquer que
le nombre des bâtiments qui fré¬
quentent notre port de Papeete s'accroît de jour en jour. Cette ac¬
tivité est le
vérez dans
en
rien
signe certain d'un développement du commerce. Persé¬
habitudes de travail, et dans peu nous ne le céderons
pays de l'Océanie où les échanges amènent le plus de
vos
aux
vie et de richesse.
Ce nouvel état de choses m'a fait sentir la nécessité de
dégager
législation des restes du passé, qui n'offraient plus de suffi¬
santes garanties, aujourd'hui que la population tahitienne tend, par
ses habitudes de travail et par sa coopération au progrès agricole, à
se confondre avec la population européenne. Des intérêts identiques
nécessitaient une législation unique. Aussi me suis-je associée avec
empressement à la réforme qui me fut, à cet égard, proposée par
M. le Commandant Commissaire Impérial. D'urgence du change¬
ment me parut telle, que je crus devoir, par l'ordonnance du
14 décembre 1865, qui en établissait les bases, le mettre à exécution
notre
dès le début de l'année courante.
Cette ordonnance
vous sera
Société des
présentée. Je la recommande à votre
Études
Océaniennes
anae
mai tei reira
no roto i te au maitai, e te tiaturi maite raa hoi
tahi, o le haere maite i te rahi raa i te mau maha¬
tei riro ei mea poupou roa na'u te faaite papu raa
te tahi i nia i te
na
'toa,
e o
i mua i to outou na aro.
Mai te putuputii raa mai â o te apoo raa faahopea ra, ua haere
maite te fenua nei i mua na nia i te ea o te maramarama ; e te tia
'toa nei ïau te faaite atu ïa outou ê, i teie tau i mairï. aenei, no to
Tahiti nei hio raa i te ohipa a tetahi paeau, no to ratou faaitoito
raa hia e no to ratou ite papu
atoa raa hoi i te faufaa e roaa mai
tu
ïa ratou, ua
e ua
raa
haamatau atoa tura ratou i nia i te hinaaro rave ohipa
haere maite te itoito
; e
o
te
hoi tei reira
tapao anae
nei a mûri atu.
Mai te tauturu maitai hia mai
taata" i te hooboo haerea i te rahi
no te
maitai
e roaa
mai i te fenua
e te Tomana te Auaha o te Emepei te mau titau raa tei faateimaha mai
faarahi i to ratou ra tiama raa, e no
tei reira, ua hio aenei au mai te poupou rahi, e e raverahi i rotopu
ïa ratou tei haapapu roa i nia i te ohipa faaapu; o te tumu hoi ïa
no te taoa o tei parau hia e, e ore e noaa noa ê i te mau vahi atoa
mai teie i Tahiti nei te huru.
ra, ua haamama roa aenei au
i nia i to'u nei mau taata, te
E amui maite mai râ i ta outou
Tomana te Àuvaha o te Emepera,
na mau ravea
i nia i ta'u
e ta te
ia ore ia hamarirau noa'e teienei
rave ohipa ra. Tei te ruperupe
hoi o te faaapu rae haere atoa'i to outou na maitai i te rani raa.
E mahere ê ua ite aenei outou, e o te mau pahi tei tapae mai i
roto i to tatou ava i Papeete nei, te haere maite nei ïa i te rahi raa i
te mau mahana 'toa. E tapao ïa e^te haere atoa nei te ohipa hoo
taoa i te.rahi raa. A faaitoito maite ra i te haamatau raa ïa outou
iho i te ohipa, e e ore ïa e mahia, ua ore atura o
ua
noa e i mûri i te mau fenua 'toa i Oceania nei, tei hau ta ratou taoa
e te maitai i te roaa raa mai na roto i te hoo raa taoa.
No taua huru api ra ra i tupu ai to'u manao e, te riro nei ei
tere raa
i
mua
i nia i taua hinaaro
raa
mea
Tahiti
mairi
tia, ïa faataa ê hia tu i ta tatou nei mau ture te mau
vahi atoa
i toe mai i te huru tahito ra, no te mea, aore atura tei reira i riro ei
paruru au maitai no te huru o to Tahiti nei i teie anotou,
no te rahi o to ratou hinaaro ohipa, e no te itoito i te faatupu hae¬
rea i te mau ohipa faaapu,. te faaô haere nei ratou ïa ratou
inaha hoi,
iho i
te papaa. No te mea ra e, o tahi a
faufaa tei imi hia, ïa hoe atoa'e ïa ture to niaiho ïa ratou atoa e
tiai. No reira hoi i faatia ru noa 'tu ai au i taua huru api ra a faaite
hia mai ai e te Tomana te Auaha o te Emepera. No to u atoa hoi i
te raa e, e mea tia ïa faaoioi roa hia taua mau haapao raa api ra, ua
faatia papu vau i te tumu o taua ohipa ra ria roto i te faaue raa
mana no te 14 titema 1865, ïa haamana hia mai te mahana matamua
rotopu i te mau
haapao
raa a
mai â o teienei matahiti.
£ tuu hia 'tu taua faaue raa mana ra
'
Société des
i mua i to outou aro. Te
Études Océaniennes
sagesse et
ici.
à votre sollieitude pour les intérêts que
vous
représentez
Mais si de grandes choses se sont
déjà accomplies, des travaux
importants sont en voie d'exécution ou d'élaboration. Une ordon¬
nance sur l'état-civil,
que je signai à Moorea le 17 janvier dernier,
est le complément naturel de cette loi du 11 mars
1852, qui a pré¬
paré l'établissement de la famille parmi nous. L'établissement de la
famille se lie intimement à celui de la propriété---ne l'oubliez
pas.
Que votre concours soit donc assuré à l'exécution de cet
impor¬
tant travail, destiné à satisfaire vos sentiments naturels
d'affec¬
tion et à sauvegarder vos propriétés et vos intérêts matériels.
Toutes ces mesures, jointes aux efforts des instituteurs
auxquels
je témoigne ici mon entière satisfaction, jointes aussi au goût pour
l'instruction que je vois avec
plaisir, grâce à leurs efforts, se déve¬
lopper de plus en plus dans la jeunesse tahitienne, ne peuvent man¬
quer d'élever le niveau moral de la population, et d'augmenter son
bien-être.
Je
termine, Messieurs les Députés, en appelant la bénédiction de
peuple et sur son auguste protecteur. Puisse la Provi¬
dence vous inspirer de sa
sagesse et de ses lumières dans vos
Dieu
sur mon
délibérations l
Discours de M. le Commandant
Commissaire
Représentants
des
populations
du
Impérial.
Protectorat,
La solennité
qui vous réunit dans cette enceinte sera une des
plus marquantes dans l'histoire de votre pays par les lois que vous
allez être appelés à voter.
A ce point de
vue, je suis heureux d'y présider.
Vous venez d'entendre les
paroles de votre Reine ; écoutez aussi
les miennes.
En
rappelant le passé que vous ne sauriez regretter, en vous
parlant du présent qui vous assure la tranquillité, la justice et la
liberté, je vous montrerai l'avenir qui est*ouvert à tous.
Dès mon arrivée, je n'ai
pas tardé à voir que les lois qui vous
astreignaient à une foule de travaux publics étaient une entrave au
vous
Société des
Études
Océaniennes
tiaturi nei
no te
au i nia i to outou na
paari ïa
feia 'toa te mono hia e-outou îonei.
imi maitai hia, ei faufaa
Mai te mea ra e, e ohipa rahi tei oti aenei i te rave hia, e
vahi rahi atoa teié e rave hia nei e te imi hia nei hoi. Te hoe
hoi faaue raa mana no te mau parau no te fanau raa, te pohe
raa e te
faaipoipo raa tei papai hia e au i Moorea i te 17 no
Tenuare i mairi aenei, o te faaoti raa mau ïa i te ture no te 11 no
mati 1852, o tei faaineine i te ohipa faatia raa i te huru fetii i rotopu ïa tatou nei. Te faatia raa i te huru fetii ra, te piri maite ra ïa i
nia i te hafipapu raa i te fenua i roto i to tatou rima. Eiaha roa tei
reira ïa moe noa e ïa outou.
la papu maite ra to outou na turu raa mai i te haamana raa hia o
teienei ravea maitai e tia'i, ua haapao hia hoi ïa ei faatia i to outou
na aroha fetii
mau, e ei paruru hoi i to outou na mau fenua, e i ta
outou atoa
na mau
taoa.
O teie atoa nei
mau ravea ia apiti hia i nia i
te itoito o te feia
te faaite papu nei au i teienei i tou mauruuru i ta
ratou ra mau ohipa, e ia apiti atoa hia i nia i te hinaaro i te ite,
tau e hio nei mai te poupou rahi e te parare maite nei i rotopu i te
ui api nei no roto â i te ohipa a taua feia haapii ra, eita roa tu ïa e
ore noae i te faatupu i
te huru nehenehe i rotopu i te taata toa nei,
haapii tamarii,
e
e
te faarahi hoi i to ratou maitai.
Te faaoti nei au, e te mau iriti ture nei, ma te tau maite atu i te
Atua e ïa haamaitai roa mai oia i tou nei mau taata e i to ratou tamaru
hanahana ; e ïa tuu atoa
outou i roto i ta outou
rama no
mai hoi Oia i te paari
na
imi
raa
e
te marama-
parau.
Parau a te Tomana te Auvalia o te
E HOMA, OUTOU O TE MONO 1 TE MAU TAATA O TE
Emepera.
HAU TAMARU NEI,
rahi i putuputu mai ai outou i roto i teienei
aorai, e riro ïa i te taio hia i rotopu i tei hau roa i te faufaa i tei haa¬
pao hia i to outou nei fenua, no te huru o te mau ture e tuu hia 'tu
i mua i to outou na aro, ia faatia hia mai e outou. No reira i riro ai
ei vahi poupou rahi na'u te peretileni i taua oroa nei.
Ua ite atu na outou i te parau a to outou Arii vahine, a faaroo
atoa mai na ra i ta'u. A faaite atu ai au i to te tau i mairi aenei, e o
te ore paha e nounou rahi hia e outou ; a paraparau atu ai i teie e
vai nei, e noaa papu mai ai ia outou te hau, te parau tia e te tiama
raa, e faatano atoa 'tu vau ia outou i to mûri nei, e o te roaa ohie
noa mai i te taata 'toa.
I to'u a tae raa mai ionei, ite oioi noa 'tura vau e, o te mau ture
tei-titau hua mai.i te ohipa ua rau te huru i niaiho ia outou, ua
E riro teienei oroa
'
Société des
Études
Océaniennes
développement du travail agricole dans votre pays. Sous mon pré¬
décesseur, les années 1862 et 1863 comptent à elles seules sept or¬
donnances imposant des corvées, des travaux de toutes sortes. Les
indigènes ne trouvaient là que des fatigues et des amendes à payer.
Le dégoût et l'abandon des cultures devaient en être la consé¬
quence.
Aujourd'hui que j'ai de fait aboli toutes ces mesures, que le tra¬
particulier de chacun est immédiatement payé par la Caisse
agricole, que celui qui veut aider aux travaux publics reçoit person¬
nellement son salaire ;
aujourd'hui, enfin, que rien n'entrave plus
votre liberté
personnelle, je vois avec plaisir que les travaux s'en¬
treprennent dans tous les districts, que les terres se défrichent, que
le coton se sème, et que
déjà un'grand nombre d'entre vous a tou¬
ché le prix de son labeur.
Ce premier pas dépasse, je suis
heureux de le constater, toutes
mes
prévisions et il garantit un avenir plein de prospérité ; car
n'oubliez pas, Tahitiens, que. vous habitez une terre bénie de
Dieu,
et qu'elle vous rendra au
centuple ce que vous lui aurez confié.
Les impôts que vous avez eu à
payer jusqu'en 1865 étaient trop
lourds. Celui qui pouvait les acquitter
d'avance et en un seul paie¬
ment n'avait pas moins de 72 francs à donner.
Quand on était ré¬
duit à les payer partiellement, ils
pouvaient monter à 230 francs
par tête. Cet état de choses devait cesser.
Depuis que je suis au milieu de vous, c'est tout au plus si vous
payez un impôt égal à l'impôt personnel des Européens.
A mon point de vue, c'est
trop.
Le devoir de celui qui administre un
pays qui se fonde est d'éta¬
blir le moins de taxes
possible, car toute taxe est une entrave au
progrès.
Un projet de loi
qui vous sera présenté abolit définitivement ces
corvées qui, sous tant de
formes, étaient des impôts non moins
lourds et souvent
plus gênants que les autres.
L'impôt de cette année s'élève, en tout, à 22 francs pour les
hommes et 11 francs pour les femmes non mariées.
Je le répète, c'est encore
trop. J'espère que la Reine et moi par¬
viendrons à le réduire, et il ne vous sera demandé
que le strict né¬
vail
cessaire.
Mais cet
impôt réduit, il faudra
Société des
que
Études
chacun l'acquitte exactement
Océaniennes
ei taupupu,
rii'O ia
rave raa hia o te man ohipa faaapu
matahiti hoi 1862 e te 1863, i raro ae iana
ei opani i te
i to outou nei fenua. 1
i tei mono hia mai e
titau mai i te haa e te
na
e hitu atoa ïa tau faaue raa mana toi
ua rau te huru. O te rohirohi anae ra
e te aufau raa utua tei tuu hia mai i nia i to Tahiti nei, e o te atata
e te faarue taue i te ohipa faaapu te liopea i tei reira.
I teienei ra, ia faaore roa hia e au taua man titau raa 'toa ra, ia
aufau oioi hia 'tu e te Afata faaapu te hoo no te faufaa e roaa mai i
au
nei,
ohipa,
o te feia 'toa te hinaaro
ohipa hau ra, te aufau hia
'tura ia tana utua ianaiho ra, e aore roa 'tura e taupupu e toe nei i
te vai tiama raa o te taata 'toa, te hio nei au mai te poupou rahi e
te haamata hia nei te ohipa faaapu i roto i te mau mataeinaa 'toa,
te vaere hia nei te fenua, te tanu hia nei te vavai, e ua roaa mai
hoi i tahi paeau rahi i rotopu ia outou na te faufaa no roto i tana ra
ohipa.
Taua mau vahi matamua i roaa maira, e te poupou nei au i te
faaite raa 'tu e, ua hau e roa ïa i mua i tei manao hia e au, te faaite
atoa mai ra ïa i te maitai e te faufaa rahi e roaa mai i to te fenua
nei a mûri atu, eiaha hoi ia moe noa'e ia outou e to Tahiti nei e, te
parahi nei outou i nia i te hoe o na fenua tei haamaitai roa hia e te
Àtua, e e tai hoe hanere tana e tuu mai no te liuero hoee tanu hia i
ohipa a te taata 'toa ; i
i te tauturu mai i te rave
te
teienei, inaha,
raa
i te
mau
roto iana.
mau titau raa 'toa hoi i aufau hia e outou e ta« roa mai nei i
matahiti 1865, e mea teimaha roa ino ïa ; o tei tia hoi iana te au¬
fau mai i tana na mua e i te aufau raa hoe ra, ua taea roa ïa te 72
0 te farane tana i tuu mai ; area ra te taata tei aufau riirii noa mai
Te
te
1 tana ra, e taea roa ïa na farane e 230 tana e aufau. la faaore roa
liia tei reira huru teiaha e tia'i.
Mai to'u a hoi tae raa mai i rotopu ia outou na, te aufau noa
ia outou i na moni rii te ore e huru faito rea i te moni e aufau hia
nei
I to'u nei ra hio raa e rahi hua ïa.
niaiho i te hoe fenua
faaiti roa ïa i te mau
titau raa ; o taua mau titau raa 'toa ra hoi e taupupu anae a ïa.
Na te hoe parau ture te tuu hia 'tu i mua i to outou na aro, e
nei
e
te mau
papaa.
noi e au iana te faatere i te hau i
tei haamata rii noa aéra i te haere i mua, o te
O te
ohipa
faaore faaoti
roa
i taua
mau
ohipa 'toa ra. À faaue hia 'tu ai hoi ïa
ia outou lia roto i te mau ravea toa ua rau te huru, ua riro anae à
ïa mai te titau raa te huru, o tei faito atoa i te tahi i te teiaha, e ua
hau ae hoi i te peapea.
Te moni avae e titau hia i teienei matahiti, e 22 ïa farane ta té
farane ta te mau vahine taa noa. Te parau faahou
nei
e riro atu a
reira, e o te
moni anae e au ra te ani hia 'tu. A ite ai ra outou e, ua faaiti roa
hia taua mau titau raa ra, ia aufau maite hia mai ïa e te taata toa
mau
tane, e 11
atu nei ra vau e, e rahi hua a. Te manao
ra vau e,
i te tia to te Arii vahine e to'u nei hoi faaiti raa i tei
'
Société des
Études Océaniennes
à payer vos chefs, vos
juges, vos instituteurs, la po¬
districts ; vous avez à
participer aux frais d'entretien
car vous avez
lice de
vos
des routes,
à subvenir à celui des bâtiments communaux, je veux
parler de vos chapelles, des cases de chefferie, etc. Enfin, il ne faut
pas oublier non plus ces anciens serviteurs de l'Etat tahitien dont
vous devez
soulager les vieux jours.
La bonne harmonie
qui existe entre la Reine et moi m'a permis
de penser à faire disparaître la condition d'infériorité
dans laquelle
se trouvaient les Tahitiens vis-à-vis des
Européens.
Cette condition était la
conséquence forcée des lois qui vous ré¬
gissaient et qui créaient ici deux peuples, deux intérêts
différents,
presque
hostiles.
En cherchant à lever cette
barrière, je voulais aussi constituer la
propriété, bases de toute société civilisée.
Un de mes prédécesseurs dont le souvenir vous est resté
cher à
juste'titre, M. Bonard, avait déjà fait une loi sur l'état civil. Mal¬
heureusement l'exécution n'a pas répondu à son
attente, et les in¬
convénients sont restés à peu près ce
qu'ils étaient.
L'ordonnance des 17-i8 janvier que
vous êtes appelés à sanction¬
famille et la
ner va
combler cette lacune.
Les districts de Faaa et de Punaauia ont
déjà aujourd'hui leur
régulièrement établi. Ce travail, malgré des difficultés
d'exécution, sera mené à bonne fin ; car lorsqu'on veut le bien
comme je le veux, on
parvient à le faire.
Mais pour
que la famille et la propriété soient établies sur des
bases solides, il faut des
garanties qui ne peuvent se trouver que
dans une justice éclairée.
état civil
Vous êtes les premiers à le
reconnaître, l'organisation judiciaire
de votre pays était, dans sa
complication, tout-à-fait incomplète.
Vos trois degrés, je dirai même vos
quatre degrés de
profit
juridiction,
pour la clarté des affaires, n'avaient pour résultat que
de reculer la solution de vos
contestations, solution qui n'était ja¬
mais définitive.
sans
La
participation des juges au partage des amendes qu'ils étaient
appelés à prononcer, ainsi qu'à des frais de justice élevés, faisait
nécessairement naître des doutes
Société des
sur
Études
leur
impartialité.
Océaniennes
mai te
tia'i, tei ia outou hoi te aufau i te moni toroa a to
haava, te feia haapii tamarii, temutoi
i to outou na mau mataeinaa, tei ia outou atoa te tauturu mai i te
mau ravea no te faanehenehe raa i te purumu, e te mau fere o te
taata 'toa, oia hoi te mau fare pure raa e te fare e parahi hia e te
mau tavana, e eiaha 'toa ia moe noa'e te mau tavini tahito o te Hau i
Tahiti nei, tei ia outou atoa hoi te tauturu atu ia ratou i to ratou
hapa
ore e
outoumàu tavana, ta te mau
nei ruhiruhiâ raa.
No te au maitai
ra e
mai ai to'u
e, e
vai nei i rotopu ia'u e te Arii vahine î tupu
faaore roa i te huru haehaa raa o to Tahiti
nei, ia faaau hia 'tu i nia i te papaa.
O taua huru haehaa ra ra, e mea noaa mai ïa no roto i te huru
taa è o te mau ture tei haamana hia i niaiho ia outou, i riro ai to te
fenua nei mai na nunaa taa è e piti, i te faatupu raa i te hinaaro
manao
mea ra è, te au ore noa 'tura te hoe i te tahi. A tai te faataa è i taua arai ra, ua hinaaro atoa vau i te
haapapu maitai i te huru fetii e te taoa, o te tumu mau hoi tei reira o te mau amui raa maramarama 'toa.
lia faatia *o M. Bonard, te hoe o na Tavana matamua ra, e o tei
vai maite mai â te manao maitai iana i rotopu ïa outou na, ua faatia
oia i te hoe ture no te papai raa i te mau parau no te fanau raa, te
ohe raa e te faaipoipo raa; na pehea ra, aore atura te haamana raa
ia o taua ture ra i au noa'e i tei hinaaro hia e ana, e vai tia ore
noa 'tu ra taua ohipa ra mai tona ïa huru tahito.
Na te faaue raa mana ra no te 17-18 Tenuare, te tuu hia 'tu i
mua i to ratou na aro ïa imi hia, na tei reira e faatia papu roa i
taua mau vahi tia ore ra. Ua oti nehenehe roa aenei hoi te mau pa¬
rau no te fanau raa e te faaipoipo raa i na mataeinaa ra i Faaa e i
Punaauia. A vai mai ai hoi te taupupu i te rave raa hia o taua ohipa
ra, e oti maitai roa 'tu â ïa, no te mea, ïa hinaaro noa'e te taata i te
maitai mai iau atoa e hinaaro nei. e oti atu â ïa tei opua hia.
la maitai ra hoi te faatumu raa i te fetii e i te taoa i nia i
te niu aueue ore, ei paruru au maitai atoa ïa e tia'i, e e ore
reira e itea hia, maori ra e i roto i te mau haava raa maramarama
taa
è,
mata'i
e
mai te
ra vau
tei
'nae ra.
O outou na ra tei ite papu ê te vai tia ore noa nei te
hia o te mau haava raa i to outou nei fenua, e te fifi rahi
horo raa e toru, e e tia 'toa iau ïa parau e, na horo raa e
faataa raa
hoi. Na
maha i
'tu ïa i hopoi noa mai i
te maramarama i roto i te imi raa ; e aore roa 'tu e hopea ê ae i
noaa mai, maori ra ê, o te faaatea ê noa 'tu â i te mahana e oti ai, e
roto i taua mau
aore
ohipa maro
raa ra, aore roa
'tu râ hoi i taa maitai.
raa hoi i te mau haava i roto i te mau utua i
faautua haere hia e ratou iho râ, e i roto i te mau taime rarahi
titau hia no te haava raa, ua faatupu papu ia i te manao i roto
te
Te faatuhaa 'toa
aau
taata e, ua
faatia paetahi hia taua mau ohipa ra.
Société des
Études Océaniennes
i
tei
Vos lois semblaient avoir moins
pour
but de vous assurer la pai¬
jouissance de vos biens, et de garantir le maintien de l'ordre,
que de grossir la bourse de ceux qui étaient appelés
à concourir à
leur application ou d'alimenter les caisses
indigènes.
Dans votre budget
particulier de 1864, le premier qui ait été
publié, le simple rachat des condamnations à des journées de tra¬
vail figurait pour la somme de
27,100 francs. Je ne parle pas des
amendes, qui étaient alors confondues avec le produit de
l'impôt
personnel. Dans votre budget de 1865, les condamnations à des
jour¬
nées de travail
ayant été obligatoirement converties en amendes,
par l'ordonnance du 4 août 1864^ ces deux sources de revenu
figu¬
raient pour un total de
42,660 francs. C'est énorme.
Mes relations d'amitié avec votre
Reine, la conformité de nos
vues en tout ce
qui peut contribuer au bien des Tahitiens, m'ont
permis de ne pas ajourner plus longtemps la mesure
que récla?maient
sible
les circonstances.
Sa
Majesté,
en approuvant l'ordonnance du 14 décembre
dernier,
grande preuve de sa sollicitude pour tout ce qui touche
à vos intérêts moraux et matériels.
L'application de la loi française
que vous allez être appelés à sanctionner a presque entièrement dé¬
barrassé les justiciables de ces condamnations
pécuniaires hors do
proportion, d'ailleurs, avec les délits auxquels elles s'appliquaient,..
Tous vous avez
déjà vu combien nos lois libérales et paternelles
étaient appliquées avec
justice ; tous vous avez accepté ce change¬
ment avec
satisfaction, car vous saviez que nos institutions font
l'admiration du monde et que
chaque peuple cherche à se les ap¬
proprier.
a
donné
une
Votre vote
population
Sauf les
mes
sera
de la convention du
Protectorat, restent soumis aux tribunaux
êtes placés aujourd'hui sous les mêmes lois que les
; vous êtes appelés comme eux à tous les
emplois que
instruction vous mettrait à même de
remplir.
indigènes,
Européens
votre
donc que
l'expression légale des vœux de la
représentez.
procès au sujet de la possession des terres, qui, aux ter¬
ne
que vous
vous
Vous connaissez les
charges que fait peser sur vous ce droit de
chacun, même de celui qui ne possède pas une brasse de terrain, de
faire vivre
son
bétail
dévastation, suitè de
sur
la terre d'autrui. Pour
cette liberté exagérée et
Société des
Études
se
soustraire à la
injuste, nombre d'ha-
Océaniennes
cnrrt^,.
Hapchia 'tura
c, aore
hiV ei<
uyi^xcfi
aWS*fcotoiËai»j[>Q)i£(â.
tg ,oju{riaryimS^ j
ta outou
vai hau noa mai ai ta outoi
e ei faaore hoi i te
peapea, ei faaï
hia ei haamana i taua mau ture ra,
i
ravea e
ï
pute o- te feia
tcHiaap^ 7
aiif^ifeitai hô^i te JQptpj
H Ah^~ * ^
!
afata tahiti.
ra»^MS^te*mktdliitL4^M/e
e,
man^sij^iari^hana 'n^rra, e
I roto i ta outou na parau latau
itea hoi te nenei raa hia o tei reira huroMpaïf^
te moni i haapao hia ei mono i te
a
0
27,100 farane. E ore au e faaite noa tu i te^inwu ■ tftua moni,
no te mea, ua amui noa hia ïa i roto i te moni avae i aufau hia mai.
1 roto ra i te parau tatau raa moni no te matahiti 1865, no te
mea e, ua oti aera te mau utua mahana i te faariro hia e te faaue
raa mana no te 4 no atete 1864, ei utua moni, te moni i papai
hia
mai
e e roaa
ne.
E
roto i taua na
no
mea uanaana roa
No te
rahi
au
maitai
te tano
ra e
pihaa
raa e
piti
ra, e
42,660 ïa fara¬
ïa.
vai nei i rotopu ia'u e to outou nei Arii v. no
parau i te mau mea 'toa e faufaa hia'i
ta maua
o
Tahiti nei, aore atura i tia iau te haamaoro noa 'tu â i te faatia raa
i te
mau ravea
i titau hia mai i teienei anotau.
A faatia'i hoi T. H. i te faaue
mairi
aenei,
manao
ua tuu atu ïa oia
tuu ore raa i te mau
raa mana no
te 14
no
Titema i
i te hoe tapao itea papu hia, no tona
ravea 'toa e faufaa hia'i outou, i te
Eaeau
ia hoi o te
te tino, eture
i te farani,
paeau atoa
te 'tu
taoa.ïa outou
No te haamana
raa
o te hoi
ani ohia
na e e faatia
o
mau
hua mai, i huru tiama roa'i te taata 'toa i taua mau utua moni ra,
tei ore roa' tu i au noa'e i nia i te hara i faautuahia'i, no te mea e,
e mea teimaha roa.
Ua ite è aenei outou atoa na i ta matou mau ture faatiama e te
faaherehere i te haamana raa hia mai te parau tia, ua faatia hua
mauruuru rahi, i taua vahi e faahuru è hia nei,
ite outou e, te faahiahia nei to te ?.o atoa i ta matou
te tamata nei te mau fenua 'toa i te faariro i tei reira
mai outou mai te
te mea, ua
no
huru ture, e
ei ture atoa na ratou iho.
E riro maoti to outou na faatia raa mai i
raa
ra
o
i te hinaaro
to te mau
te Hau
rimao te
o
ohipa
Tamaru,
mau
te feia
'toa
maro raa
ua
tei reira, ei faaite papu
hia nei e outou ionei ; eiaha
mai te au hoi i te parau faaau
e mono
fenua,
tuu roa hia ïa tei
reira huru ohipa i roto i te
Tiripuna tahiti.
hoe, outou e te mau
noa ia outou, mai ia ratou atoa hoi ia mau i te
mau toroa te au ia tuu hia 'tu i nia ia outou na, mai te faaau a i
nia i te huru o to outou na ite.
Ua ite outou i teienei hopoia rahi teiaha e vai noa nei a i nia iho
ia outou, oia te tia raa i te taata 'toa, e oia 'toa te feia aore roa 'tua
ratou e maa fenua iti ae, te vaiho i ta ratou ra mau puaa ia haere
noa na e ia amu noa na hoi i to vetahi e fenua. la ora mai ra ratou
Ua tuu hia outou i teienei i raroae i te ture
papaa
'toa,
e e
tia
Société des
Études
Océaniennes
bitants ont été
obligés de faire de leurs propriétés une véritable
place forte. Toute culture est impossible sous un pareil régime, et
il faudrait
J'ai
renoncer
à avoir des routes s'ildevait
se
continuer.
plaisir que vous l'aviez compris, et que dans tous les
districts le projet de suppression générale de la vaine
pâture avait
été accueilli avec faveur. Cette question
sera soumise à vos délibé¬
rations, et vous voterez, j'en suis certain, avec empressement, la loi
destinée à la résoudre, convaincus
que ses résultats seront à la fois
une garantie
pour la sécurité des cultures et une source de revenu
pour les propriétaires des vallées qui serviront de parcs au
vu avec
bétail.
Quant
au bétail lui-même, il ne périra
plus dans les précipices.
reproduction mieux surveillée améliorera les races, et, au lieu
de ces chasses pénibles et dangereuses
auxquelles il fallait se livrer
afin de pourvoir à la consommation
journalière, les animaux desti¬
Sa
nés à la boucherie seront facilement trouvés au fur èt à mesure des
besoins.
Vos écoles prospèrent. Dans celles qui
ont été ouvertes par l'ad¬
ministration, les enfants sont reçus sans distinction de religion.
Mon devoir est de protéger chaque culte, et je me
réjouis quand je
puis être utile à l'un
comme
à l'autre.
L'instruction élémentaire est
parmi
déjà aujourd'hui aussi répandue
Cela vous fait
fréquenter assi¬
vous que dans bien des contrées de l'Europe.
honneur. Continuez donc à engager vos enfants à
dûment les écoles.
dois cependant exprimer ici le regret de ne
pouvoir joindre à
l'instruction élémentaire une éducation professionnelle
qui aurait
été à la fois une ressource pour vos enfants et
pour le pays qui man¬
que d'ouvriers.
En entrant dans cette enceinte, vous avez
remarqué que les sa¬
crifices faits par vous et par le budget local avaient enfin eu
pour
résultat l'achèvement de la Fare
Apoo-raa. Cet édifice restera con¬
sacré à la justice et aux assemblées tahitiennes.
Outre ces quelques questions
principales dont je viens de vous
entretenir, il vous en sera soumis d'autres d'un ordre plus secon¬
daire. Ecoutez mon défégué à votre assemblée dans les
Je
qu'il
vous
tions que
explications
donnera. Faites-lui librement et sans crainte les observa¬
vous suggérera votre dévouement aux intérêts généraux
Société des
Études
Océaniennes
i te pau e tupa mai no roto i taua tuu tia ore haere noa raa i te
puaa ra, aore atu ïa e ravea è ae ta vetahi mau fatu fenua maori ra
e, te aua i to ratou mau fenua e te faariro roa mai te pa ra te huru.
la vaiho noa hia mai a taua huru tahito ra, e ore roa 'tu ïa e nehe-
nehe noa'e te
faaapu
raa ;-e aore
i faaore hia
ra,
cita 'toa ïa ta tatou
purumu hia.
Ua hio ra vau mai te mauruuru e, ua maramarama te taata i nia
i taua vahi ra i roto i te mau mataeinaa 'toa, e ua farii maitai hia
mai te parau no te opani roa raa i te puaa. E tuu hia 'tu ra taua
parau ra i mua i to outou na aro ia imi hia e outou ; ua ite papu hoi
au e, e riro outou i te faatia
papu roa mai i te ture te haapao hia ei
faaore roa i tei reira ; ua taa hoi to'u manaoe, e riro atu a ïa ei pae
i
ruru
0
te mau
ohipa faaapu,
e
te mau faa te faariro hia ei
E
ei
aua
ravea 'toa
puaa.
hoi
e
faufaa hia'i te fatu
taua mau puaa ra hoi, e ore atura ia e taa faahou i roto i te
tarere, e no te mea e, ua faaamu e ua tia'i maitai hia, e riro
ïa te nana i te haere maite i te maitai raa ; e ore atura hoi ïa teie¬
nei mau a'u raa rohirohi e te taia tei haapao hia ei ravea e roaa
mai ai te maa e au i te mau mahana 'toa nei ; no te mea e, e roaa
ohie noa tura te mau puaa i haapao hia e e tiapai, ïa tae noa 'tu i
te mahana e hinaaro hia'i ra.
o
mato
Te haere maite nei ta outou mau haapii raa i mua. I tei faatia
hia e te hau ra, te farii hia maira ïa te tamarii mai te haapao ore i
te huru o to ratou faaroo. O ta'u nei hoi ohipa, o te paruru maite
ïa i te mau huru faaroo atoa, e te poupou nei au mai te mea e, ïa
faufaa noa hia e ta'u nei mau ravea i te tauturu raa 'tu i te hoe, e
aore ra i te tahi. Te haapii raa hoi i te mau parau rii matamua ra,
ua huru parare roa ia i rotopu ia outou, mai tei tatii
paeau rahi
atoa o te mau fenua i Europa ra. la arue roa hia outou i tei reira !
E tamau maite â ra i te ao atu i ta outou tamarii, ia haere tuu ore
â ratou i te haapii raa.
Te tia 'toa nei ra ia'u te faaite atu i to'u peapea, i te mea e, aore
atura i tia 'tou apiti atoa ràa mai i nia i taua haapii raa parau ra, i
te hoe haapii raa toroa, oi riro hoi ïa ei maitai na to outou na ta¬
marii e na to te fenua 'toa nei, no te mea te iti roa nei te feia rave
ohipa.
Aorai, ua ite atura ia outou
e outou e toi tuu atoa hia mai hoi e
te hau o te fenua nei, ua manuïa roa hia 'tura ïa, inaha hoi, ua oti
roa aenei te Fare-apoo-raa. E faataa roa hia teienei fare rahi no te
mau ohipa haava raa, e no te mau Apoo raa a to Tahiti nei.
A taa mai ai ra na parau rarahi tei oti aenei i te faaite hia 'tu e
au ïa outou na, e tuu atoa hia 'tu te vetahi tau parau rii iho i mua
1 to outou na aro. E faaroo maitai mai ra outou i te parau a te
auaha te tono hia mai e au i te apoo raa nei, i te mau vahi atoa tana
e haamaramarama'tu ïa outou. E faaite papu mai, mai te taia ore,
A tomo mai ai outou i roto i teienei
ê,
o
te moni rahi i tuu hia
mai
Société des
Études
Océaniennes
que vous
représentez. Faites-lui part de vos idées
la Reine et moi les examinerons
et de
vos
besoins ;
attention, et nous réunirons
nos efforts pour augmenter
par de nouvelles mesures et par l'exacte
application de celles que vous allez sanctionner le bien-être, la
liberté auxquels vous avez droit.
Il n'appartient pas à l'homme appelé à la tâche difficile de
gou¬
avec
semblables d'avoir l'outrecuidance de dire
que ses œuvres
parfaites, et que si l'on y touche le pays est perdu.
Je m'estime heureux si je suis parvenu
à faire quelque bien, et
verner ses
sont
je le serai également quand j'apprendrai que ceux qui me suivront
auront aussi apporté leur part au développement du
pays et au bon¬
heur de la population, soit en suivant les mêmes errements
que
moi, soit en leur en substituant d'autres qu'ils auront jugés meil¬
leurs. Ceci est tout simplement un sentiment d'honnête homme.
Vous aimez, Tahitiens^ à rattacher aux grands événements sur¬
venus dans votre
pays la naissance de vos enfants. Tel d'entre vous
dit fièrement aujourd'hui : « Je suis né à l'époque où, à la suite d'une
sanglante lutte, le christianisme s'établit définitivement dans notre
île. » Vos enfants qui naissent aujourd'hui, un jour aussi, diront avec
orgueil « qu'tYs sont nés à l'époque où l'Assemblée dont vous faites
partie a,
la proposition de la Reine, doté le pays d'institutions
paternelles qui l'ont définitivement fait entrer dans la
grande famille des peuples civilisés. » Ils conserveront, je n'en
doute pas, le souvenir de l'Empereur, le puissant protecteur de
votre beau pays, le propagateur dans le monde des belles et
grandes idées, à qui vous devrez la prospérité dont vous jouirez
sur
libérales et
alors.
Société des
Études
Océaniennes
i te
feia
mau
parau atoa e manao hia e outou, e e riro ei maitai no te
hia e outou na. Faaite mai iana i to outou manao e i te
hoi e au ïa outou. E ïmi maite hia ïa e maua o te Arii v.
e mono
mau mea
e e
amui maite
raa
api,
i ta
maua
e na roto atoa
faatia hia mai e outou,
maua 'toa mau
ravea, na roto i te haapao
hoi i te haamana papu raa i te mau ture e
i te faatupu raa i te maitai e te tiama raa e
ïa outou.
E ore hoi e tia i te taata tei
au
maori
ïa parau
rave
te Tavana i niaiho i te taata mai iana 'toa iho i te
hia
fenua i reira.
rave
te
haapao hia ei
i teienei ohipa ata,
huru,
noa na mai te arue e mai te teoteo e. lia tia roa te ohipa i
e ana, e ïa faahuru ê noa hia e e tetahi ê
ra, ua ino roa ïa
ra e o
E rahi tou poupou
e mauruuru
mai te mea e,e maa maitai iti ae te oti ia'u, e
itenoa'eê, ua itoito atoa ratou te mono mai
atoa vau ïa
ia'u nei i te imi
raa i te faufaa o te fenua e i te maitai hoi o te taata,
i te
pee raa i te taiara i haere hia e au nei, e aore ra i te mono raa
mai i te vetabi ê alu mau ravea tei manao hia e ratou e ua hau ae
ïa i te maitai. E manao noa ra teie te tupu mai i te aau o te feia
haapao
raa
tia.
rahi
outou, e to Tahiti nei, te tapao haere i te fanau
tamarii i nia i te mau parau rarahi i tupu haere
i to outou nei fenua. E mahere noa 'tu te tahi i rotopu ia outou na i
te parau mai mai te arue e : Ua fanau hia mai au i te anotau a
faatia papu hin'i te faaroo kerisitiano i te fenua nei i mûri ae i te aro
raa hia o te hoe tamai rahi riaria. Area ta outou na mau tamarii te
fanau hia mai i teie anotau, e riro ïa i te tao mai mai te ahaha e : E
0 vau nei
hoi, ua fanau hia mai au i te anotau a tuu mai ai te apoo raa
no reira 'toa outou na, a tuu mai ai oiana to te fenua nei, i nia i te
ani raa a te Arii vahine, i te mau turc faatiama e te faaherehere o tei
faaô papu roa ïa matou i rotopu i te fetii rahi o te mau nunaa maramarama ra. E mahere a ratou i te tamau maite i te manao raa 'tu
1 te Emepera, te tamaru puai i to outou nei fenua faahiahia, iana
i tei haaparare i te mau manao rarahi maitatai i rotopu i to te ao
nei, nona e roaa mai ai ïa outou te maitai e vai mai i rotopu ïa ou¬
E
mea au
na
raa o ta outou na mau
tou i
reira.
Société des
Études
Océaniennes
Société des
Études
Océanie«nes
97
Les
phosphates
de Mataiva
Depuis un peu plus de 15 ans, grâce aux travaux du chercheur
Rossfelder, on sait que le sous-sol de certains lagons des Tuamotu renferme
des gisements de phosphates en qualité proche de ceux extraits à Nauru, ce
qui a son importance. C'est le Vice-Président Francis Sanford qui eut la
primeur de cette révélation et du choix de l'atoll de Mataiva pour une
première extraction. Bien qu' intéressé au plus haut point par l'exploitation
de l'océan et des
lagons, il devait confier ce dossier au Conseiller Yannick
Amaru qui avait en charge le ministère compétent à cet égard. Le gouver¬
nement Gaston Flosse devait hériter de ce dossier qui fut confié à Patrick
Peaucellier, lequel le réactiva notamment dans les domaines relevant de sa
compétence : fiscalité et aspects économiques et financiers du projet. Le
gouvernement d'Alexandre Léontieff semble, à l'heure qu'il est, avoir entre
les mains un dossier
complet. Et si, d'un point de vue technique comme
financier, la décision semble ne pas faire problème, par contre son oppor¬
tunité fait l'objet de réflexions. Rien n'est simple, dit-on, dans le Territoire.
En effet l'Opposition s'est, comme il se doit, emparée
les variantes auxquelles nous sommes désormais habitués,
Société des
Études
Océaniennes
du dossier, avec
selon la person-
98
nalité du Président du Gouvernement. Des
déplacements de personnalités
politiques à Mataiva eurent lieu et s'ensuivirent les déclarations habituelles
en la matière. Des associations dites de
protection de l'environnement
évoquèrent l'affaire et manifestèrent leur opposition au projet.
Le
problème politique se réglera, ainsi qu'il convient, à l'Asssemblée
un débat
paraît souhaitable comme devant permettre à l'Op¬
position de s'exprimer sur un sujet de cette importance.
Territoriale où
En
revanche, le débat ouvert sur la protection de l'environnement
paraît plus délicat. D'abord parce qu'il concerne les habitants de l'atoll
et eux seuls (nous devons, en effet, éviter de faire de Mataiva notre
Larzac).
Mais aussi parce que la question
qui se pose est, malgré tout, de savoir s'il
y aura véritablement une atteinte indélébile et définitive à la totalité de
l'atoll, ou une simple gêne pour la partie de l'île concernée directement par
l'exploitation. Nous savons, en effet aujourd'hui, qu'il est possible d'isoler
entièrement et efficacement la partie du
lagon faisant l'objet d'une exploi¬
tation directe et ainsi permettre au
surplus du lagon (4/5èmes du tout) qu'il
conserve à sa biomasse son
équilibre. Demeurent évidemment les risques
de tsunamis et de
cyclones avec immersion des terres et du lagon.
Se posera
également la question de la gestion des flux de personnes que
provoqueront ces travaux importants, compte tenu de l'exiguïté de la zone
d'impact. Une attention particulière devra être apportée sur ce point parti¬
culier où
bénéficions d'une expérience appréciable : Makatea, BoraBora, Hao, Rikitea. Une étude sociologique serait bienvenue à cet égard,
avec enquête sur les sites énoncés
plus haut et auprès des personnes ayant
nous
vécu cette
expérience.
L'aspect financier du projet devra aussi être examiné afin, pour l'île
Mataiva, de profiter de cette extraction et à sa population d'éviter un
sentiment de frustration. L'intérêt de la
population concernée serait de
conférer à ces ressources, de caractère
exceptionnel, une pérennité : no¬
tamment, au moyen de placements immobiliers ou de placements en titres,
actions ou obligations. Procédés peu
communs au Territoire et encore moins
de
à
nos
collectivités locales.
Mais subsistera
un
obstacle difficile à contourner et
qui tient à la nature
juridique des droits susceptibles d'être invoqués concernant le lagon de
Mataiva (et nos lagons, en
général). C'est à cette question lancinante que
je m'efforcerai d'apporter une réponse.
Société des
Études
Océaniennes
99
Le domaine
public maritime en Métropole
Les domanistes sont à
l'origine de la constitution en France métropo¬
royal et, par conséquent, dans sa grande majorité, du
domaine national public comme privé. Le domaine public en Métropole
comporte notamment : la mer, les rivages de la mer, ainsi que les étangs
d'eau salée soumis aux incursions de la mer. Ces portions de domaine
public, en raison de leur nature et de leur destination, font l'objet d'une
protection particulière et sévère. Elles sont propriété de l'Etat qui les
administre à des fins d'intérêt public. C'est le fondement de l'inaliénabilité
et de l'imprescriptibilité du domaine public.
litaine du domaine
Ces
principes de base ont subi depuis, des entorses, notamment lors de
en Méditerranée que sur l'Atlantique, de marinas, ces
dernières constituant ni plus ni moins des privatisations de portions de
domaine public maritime. Il est vrai qu'elles avaient fait l'objet, au préala¬
ble, d'une procédure de déclassement... Le principe de l'inaliénabilité était
la
réalisation, tant
sauf.
et le
Dès l'acceptation par la France, le 25 mars 1843, de placer les Etats
Gouvernement de la Reine Pomare IV sous sa protection, les praticiens
du droit
penchèrent sur les problèmes fonciers et les conditions de leur
règlement, la Reine en ayant fait une manière de «domaine réservé» à sa
souveraineté, à son autorité, à celle de l'Assemblée Législative tahitienne,
ainsi qu'à celle des « tribunaux du pays ». Ces praticiens se heurtèrent
aussitôt au particularisme et à la spécificité de la coutume locale concernant
les lagons, les récifs, les passes, les chenaux et les trous à thons de l'océan
(apo'o 'a'ahï). Et c' est ainsi qu'il fut convenu, dès le départ, que des
portions de domaine public étaient susceptibles d'appropriation privée.
D'où les revendications, de ces portions de domaine public maritime, en
application de la Loi Tahitienne du 24 mars 1852 sur l'enregistrement des
terres et les célèbres tomite dits tahitiens. Ces revendications, ces tomite,
constituent, aujourd'hui, des titres de propriété incontournables et
reconnus par les tribunaux. Nous tenterons, plus loin, une définition de
ce droit
particulier que l'on serait tenté de rapprocher de cette notion,
moderniste certes, de droit des Etats riverains sur la zone économique
se
exclusive attenante à leur territoire.
Société des
Études
Océaniennes
1tiu8n0.
2n9o
Patpee te,
Pape te,
TPROCLAMTIN AHIENS
Parau
PVAOMUARXE PViOTtMAoAHRIE
DE
«
a
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 251-252