B98735210105_249-250.pdf
- Texte
-
BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
JL
M
ç
N° 249-250
TOME XXI
—
N° 2 / Mars-Juin 1990
Société des
Études
Océaniennes
Société des Etudes Océaniennes
Fondée le 1er janvier 1917
Service des Archives Territoriales
Vallée de Tipaerui
B.P. 110 Papeete
Polynésie Française
Tél. 4196 03
Banque Westpac : 012022 T 21 — CGP : 834-85-08 Papeete
CONSEIL D'ADMINISTRATION
t M. Paul MOORTGAT
Me Eric LEQUERRE
Mlle Jeanine LAGUESSE
M. Raymond PIETRI
Président
Vice-Président
Secrétaire
Trésorier
ASSESSEURS
M. Yvonnic ALLAIN
M. Robert KOENIG
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
MEMBRE D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES
ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N° 249-250
-
TOME XXI
-
N° 2 MARS-JUIN 1990
SOMMAIRE
CROISEUR LE "DUQUESNB
:
Rapport de fin de
(1886-1888)
campagne
1
ADIEU PRESIDENT MOORTGAT
Homélie
:
45
Père Paul Hodée
46
Eloge funèbre : Jean Montpezat
Le coeur et l'esprit... : Gérard Guyot
Pauro Moortgat... : Raymond Vananga Pietri.
L'adieu de la SEO... : Raymond Vananga Pietri.
Qu'il nous manque, Paulus... : Paule Laudon
55
Ferveur et fidélité...
56
:
Gilles Artur.
Un enthousiasme d'adolescent...
:
Michèle de Chazeaux
Un
48
50
51
52
57
infatigable chercheur... : Lysis Lavigne
L'homme pressé... : MichelAnglade
59
Il était
63
mon
ami...
:
62
Bertrand Jaunez
APRES MOORTGAT
64
LA DANSE ET LA POESIE EN DEUIL
:
Raymond Vananga Pietri
Gilles Teri'i
Hollande, prince de la danse tahitienne
Madeleine Mou'a, la reine de la danse polynésienne
Henri Hiro, un poète n'est plus
"Eaha atu ra ?"
"'Aitau"
"Mihi" : poèmes de Henri Hiro
"Hiro e, 'ena atu na" — "Hiro, avec toi nous sommes" :
poèmes de John Maira'i.
Ua. mate te toa : Duro Raapoto
—
—
67
72
77
82
86
90
Compte rendu
Valérie Gobrait
Essai
:
Le Tuaro'i -
d'analyse d'un discours religieux ma'ohi.
Société des
Études
Océaniennes
100
Le bureau de la SEO remercie Christian Beslu qui lui a confié le
"Rapport de
fin de Campagne —années 1886-1888— du Croiseur le "Duquesne" ainsi
que la préface qui suit.
Dans le Bulletin n° 235 de la SEO
extrait du
(juin 1986), nous avions donné un
"Rapport de fin de campagne" du croiseur Duquesne 1886-1888.
A la relecture de ce précieux document, il nous a
paru judicieux de le
porter en totalité à la connaissance des membres de la Société car outre son
intérêt médical certain, il comporte de nombreux
renseignements techniques
et donne une idée des difficultés
d'adaptation au moment de la transition dans
le monde marin de la voile à la vapeur.
Grâce à
l'obligeance du Chef de la Documentation du Mûsée de la
Historique de la Marine, nous pouvons donner
les caractéristiques techniques et photographie de ce bâtiment stationnaire de
la force de souveraineté dans le Pacifique de 1886 à 1888 sous le
pavillon de
Marine
et
de celui du Service
l'Amiral Marc de St Hilaire.
Outre sa fonction représentative, le bâtiment stationnaire avait
déjà un
rôle d'assistance médicale et autres dans toutes les îles du
Pacifique Sud et
n'hésitait pas, suivant les escales prévues, à prendre du courrier
postal.
Christian
Société des
Études
Océaniennes
Beslu
1886
nn.CCÔ
Société des
Études
Océaniennes
2
ILID
=y
se
La campagne du Pacifique, qui
sur la corvette cuirassée la
faire
vient de se terminer, devait
Thétis, mise en armement à
Cherbourg le 15 Octobre 1885.
Le 2 Décembre l'Amiral Marcq de S*- Hilaire arborait son
pavillon et le 6, la corvette prenait le large : au bout de peu de
jours, le navire faisant eau de toute part, la situation devenait
très difficile à bord dans un début de campagne, et l'Amiral prit
la résolution de relâcher à Madère, pour rendre compte au
Ministre de l'état du bâteau. La Thétis fut reconnue impropre à
continuer son voyage, et reçut l'ordre de rentrer à Lorient, où
nous arrivions le 31 Décembre, après avoir déposé à Lisbonne
l'Amiral, qui devait rallier la station par la voie des Paquebots.
Le Duquesne,
destiné à le remplacer dans sa mission,
pris armement en ce port le 22 Décembre et reçu les
aménagements nécessaires pour recevoir l'Amiral et son
Etat-Major.
avait
Le Duquesne est un croiseur
de 1ère classe, mû
par un appa¬
reil à vapeur de 1.800 chevaux et armé de 21 canons. Il a été
cons-truit dans un bassin à Rochefort et armé pour la première
fois en 1879, pour suivre les manoeuvres de l'Escadre
d'Evolutions.
Désarmé immédiatement après
la campagne
catégorie de réserve au port de Lorient, où il
est resté jusqu'à l'armement actuel. Sa construction est mixte :
C'est un bâteau en fer, revêtu de bois sur deux faces. Le revête¬
ment intérieur, qui est surtout un isolant, n'est effectivement
qu'une boiserie dissimulant les courbes du navire. Il laisse
entre le fer et lui un intervalle qui permet l'écoulement des eaux
d'infiltration et, jusqu'à un certain point, une circulation à
d'été, il
a
été mis
en
l'air.
Le
Duquesne est assez grand, les logements sont assez spa¬
qu'il n'y ait pas à craindre d'encombrement, mal¬
gré son effectif, qui est en moyenne de 580 hommes. Cependant,
cieux,
pour
Société des
Études
Océaniennes
3
une
étude rapide sur la
valeur hygiénique des diverses parties
il a été fait pour
habitées du navire fera ressortir combien peu
assurer la ventilation des Etages Inférieurs.
large, spacieux, bien dégagé offre de l'arrière à
d'oeil qui surprend. Il est percé de nombreuses
ouvertures, panneaux ou claires-voies, dont l'ensemble, y com¬
pris la section du ventilateur, représente un carré de 40 mètres.
Mais les panneaux en général, sont bien étroits, encombrés
par les échelles, de là la difficulté d'y établir des manches à
vent, si utiles pour venir en aide à la stagnation de l'air dans
les parties basses du navire. A l'extrême avant du pont, sous le
gaillard, la Teugue est le logement affecté aux Secondsmaîtres: C'est aussi une salle d'armes, et son sabord met en
batterie une pièce de chasse. D'une propreté exquise, bien éclai¬
Le pont,
l'avant
un
coup
grand sabord, deux hublots, une clairedu pont, cette teugue est vaste, dégagée, très
élevée du pont. Elle constitue un poste de couchage de choix pour
les 21 Seconds-maîtres qui l'habitent. C'est le lieu le plus frais
du navire, le plus tranquille aussi, car la cloison qui le limite,
l'isole effectivement et amortit les bruits du pont. C'était à coup
sûr, le lieu indiqué pour y installer l'hôpital, surtout en présence
de la Campagne que le Duquesne allait entreprendre.
rée et ventilée par un
voie et
ses
deux portes
Les appartements de l'Amiral, les chambres des Officiers
Supérieurs, le Carré occupent l'arrière de la batterie. A partir de
là, elle se développe jusqu'à l'avant, vaste, dégagée, haute
d'entrepont et sans cloisonnement. L'air et la lumière y arri¬
vent en abondance par 32 sabords et les écubiers qui, avec les
panneaux du pont, assurent une ventilation parfaite. Le seul
obstacle sérieux est le massif qui est formé à son milieu par la
réunion des cuisines et des tuyaux de la machine : Mais la batte¬
rie est si vaste que 449 hommes y trouvent un poste de couchage
dans des conditions d'hygiène avantageuses. A la mer, et en
particulier sans vapeur, quand la fermeture des sabords est
nécessaire, la chaleur s'accroît bien vite ; on y respire une buée
nauséeuse. C'est que toute cette vaste surface d'aération latérale
cesse entièrement de fonctionner. Les sabords de la batterie sont
bien munis de hublots, mais les verres sont fixes. Serait-ce
compromettre la sécurité que de les rendre mobiles ? Cette
modification assurerait le renouvellement de l'air, et
amènerait un bien être appréciable.
Société des
Études
Océaniennes
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faux-pont, plus éloigné de l'air libre, moins ouvert, bien
éclairé, offre nécessairement des qualités hygiéniques
bien inférieures. Un cloisonnement multiplié le divise en 12
compartiments qui ne communiquent que par des portes
étanches; l'air n'y arrive directement que par les hublots, qu'on
ne peut ouvrir que sur des rades calmes. Il en résulte fatalement
une pénurie sensible d'aération et des entraves à la circulation
Le
moins
de l'air et à
son
renouvellement. L'ensemble de la surface
aératoire de cet
étage (44 hublots, 10 panneaux de la batterie)
représente, en déduisant les obstacles, un carré de 26 mètres
environ. Mais à la mer, cette surface respiratoire se trouve
considérablement réduite. L'air alors n'arrive plus que par les
panneaux, son mouvement est prodigieusement ralenti ; il y a
stagnation dans bien des points et viciation de l'air sous
l'influence de la chaleur et des émanations de la machine.
Les compartiments de l'avant, Magasin Général, poste des
maîtres, leurs chambres, la chambre des Stoppers, dont
faux-pont avant, sont dégagés et ont cha¬
cun un panneau communiquant avec la batterie. 43 hommes y
ont leur poste de couchage. Cette partie du faux-pont est suffi¬
samment éclairée ; c'est aussi la plus favorisée pour l'aération,
qui s'y fait sur rade par les hublots de l'avant. En marche, la
température y est sensiblement moins élevée que dans les
autres points. D'une part les foyers de la Chaufferie y détermi¬
nent un appel d'air ; de l'autre, dans la marche avant, tout l'air
chaud est refoulé dans les parties arrière.
Le faux-pont milieu est très encombré : Les caissons de
l'Equipage, le farcot, le coffre à vapeur, toutes les dépendances
de la machine, le four, etc... remplissent presque entièrement
ce vaste espace, et ne laissent
guère, comme vide, qu'une longue
coursive étroite et obscure, qui, des deux côtés, le parcourt
d'arrière en avant. C'est la partie du faux-pont la plus sacri¬
l'ensemble constitue le
fiée. Entièrement obscure dans la plus grande partie de son
étendue, elle renferme toutes les sources de chaleur et l'aération
est presque nulle, d'où il résulte la raréfaction de l'air et une
température très élevée. Vers son milieu se trouve
l'implantation du grand mât et l'ouverture de la cheminée à
air, qui le traverse et offre une voie ouverte à l'écoulement de
l'air chaud. Tout à fait à l'avant de ce faux-pont milieu, et dans
le carré des caissons de l'Equipage se trouve le poste de cou¬
chage de 10 hommes, gardiens de caissons. Des hublots latéraux
y assurent au mouillage une ventilation suffisante, mais à la
y
Société des
Études
Océaniennes
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le renouvellement de l'air n'est plus soumis qu'au courant
partie du navire. Ce carré est d'ailleurs
bien encombré par les caissons des sacs, qui, avec notre
équipage, sont très nombreux ; ceux-ci faits en bois très épais,
occupent un cube considérable, et sont un obstacle sérieux à la
circulation de l'air. Une construction en treillis de fer, à la
place du bois, pourrait, pensons-nous, améliorer notablement
cette situation, sans compter qu'elle pourrait être très avanta¬
mer,
bien ralenti dans cette
geuse en cas d'incendie.
Le faux-pont arrière
participe de l'hygiène générale de cet
étage. Limité à l'avant par une cloison qui le sépare des dépen¬
dances de la machine, à l'arrière par la cloison étanche du
coqueron de la barre, cet espace est assez dégagé dans son
milieu. Il renferme les chambres des officiers, le poste des
aspirants, et sert de logement à 22 personnes. La ventilation n'y
est assurée que par les hublots et par deux panneaux, qui, à
l'avant et à l'arrière, communiquent avec la batterie. Mais ces
panneaux sont très petits ; munis d'échelles, celui de l'avant est
notablement rétréci par la manche d'aération de l'arbre de
l'hélice, si bien que leur ensemble ne représente guère qu'une
surface aératoire de 3m40. La fermeture des hublots diminue
d'autant l'apport de l'air extérieur ; et, quand la machine est en
action, les vapeurs surchauffées, qui y arrivent, viennent
amoindrir une situation déjà peu avantageuse. Les aspirants,
dont les hamacs sont suspendus au milieu, ont moins à souffrir,
mais les officiers, dans leur chambre, sont dans une position
très
pénible.
L'air chaud envahit leur logement, s'y accumule et reste
immobile, refoulé par le faible courant qui traverse le faux pont.
Ce qui ajoute encore un fort appoint à cet état, c'est la situation de
la cale à eau directement au dessous, et la nécessité d'une fabri¬
cation presque constante d'eau distillée à la mer. Cette eau
arrive aux caisses, chaude, et répand dans le faux-pont, avec sa
chaleur, les vapeurs nauséabondes qu'elle dégage par le refroi¬
dissement. La privation d'air ou plutôt le défaut de son renou¬
vellement, une température qui ne descend guère au dessous de
30°, mettent les officiers dans l'impossibilité de trouver dans
leur chambre un repos effectif. Le sommeil y est lourd, traversé
de cauchemars, le réveil pénible ; aussi abandonnent-ils leur
logement
pour
aller dormir
au
Société des
carré.
Études Océaniennes
6
Sous voiles, cette situation s'améliore sensiblement ; c'est
qu'alors les feux sont éteints et que, par l'action des goélettes,
les panneaux sont des voies d'apport d'air frais. Quand on est
sous vapeur, au contraire, ils deviennent des voies de
dégage¬
ment pour l'air chaud qui arrive surtout en masse quand on
stoppe, alors que le ventilateur de la machine n'est plus en
action. Pour améliorer l'état de ce faux-pont on établit des
manches à vent en toile, qu'on fait passer par des trous de pas¬
sage de projectiles. Mais les trous donnent tout à fait à l'arrière
du faux-pont ; et ces manches, étranglées au passage, ont un ef¬
fet qui n'est guère sensible à distance. En un mot, les chambres
des officiers deviennent, à la mer, dans les pays chauds, des
logements malsains, et il est nécessaire qu'on établisse pour
elles un système de ventilation qui ouvre un dégagement à l'air
qui s'y accumule et devient irrespirable.
La cale, qui loge dans sa partie moyenne l'appareil moteur,
représente un vaste domaine, dont le cloisonnement trop multi¬
plié, arrête toute circulation d'air. L'aération ne s'y fait que par
des panneaux souvent étroits, et qui n'ont pas tous de communi¬
cation directe avec le pont. Quatre compartiments divisent la
cale avant : l'Etage inférieur du magasin général, qui a une
voie
de
communication
avec
la
batterie.
La
chambre
d'Inflammation, dans laquelle donne accès un panneau qui
s'ouvre dans le faux-pont devant le poste des maîtres : Vient
ensuite la cale du maître de manoeuvre et la plate-forme de la
cale avant, où donne accès un large panneau qui fait puits
d'aérage avec les panneaux supérieurs qui lui correspondent
jusqu'au pont. Cette plate-forme est le poste de couchage de 6
hommes ; la température n'y est pas très élevée et l'aération s'y
fait dans des conditions assez bonnes, surtout quand il est
possi¬
ble d'y faire arriver une manche à vent. Il n'en est pas de même
de la cambuse et de ses dépendances, qui, avec les émanations
de ses magasins, ne reçoit l'air et la lumière
que par un
panneau qui s'ouvre dans le faux-pont, loin de toute ouverture
supérieure.
La cale-arrière s'étend, au-dessus de la
ligne d'arbre,
depuis la machine, avec laquelle elle a une porte de communi¬
cation et l'arrière du navire. Une cloison, munie de
porte,
limite, sur l'arrière le poste des blessés. C'est au dessous de sa
plate-forme que se trouve la cale à eau ; elle contient soutes à
poudre, à projectiles, chambres de combat, pharmacie etc...
L'air y arrive par deux panneaux qui,
sur ses confins, ont une
Société des
Études
Océaniennes
7
qui leur correspondent sur le
trouvent
y
leur poste de couchage. La
température y est élevée, à la mer, lorsqu'on fait de l'eau
distillée, mais, au mouillage, cet inconvénient disparaît.
communication directe
avec ceux
pont. Trois caliers
Entre la cale-avant et la Chaufferie se trouve un vaste
dépendance de la machine, qui sert de poste de couchage
s'y fait par un étroit panneau qui
s'ouvre dans le faux-pont et par la porte de communication avec
la chaufferie. Il se forme là un courant très sensible, mais
localisé et sans effet pour le renouvellement de l'air dans ce
compartiment : La température n'y est pas exagérée, mais la
ventilation y est nulle. Il faudrait là une manche à vent à
demeure, passant par les trous de passage des projectiles qui le
traversent au fond ; quand les circonstances permettent de l'y
établir, l'amélioration est notable. C'est là qu'est situé le lavabo
des mécaniciens qui après le quart, viennent y faire leurs
ablutions. Des robinets et des casiers pour recevoir les gris de
chauffe y sont installés. Des dispositions ont été prises pour que
ce lavabo ne devienne pas un foyer d'humidité, nuisible à
l'hygiène de ce logement.
En somme, le coëfficient de la valeur hygiénique des divers
étages diminue rapidement en descendant vers les fonds, faute
d'un renouvellement d'air assuré, avec un équipage aussi
nombreux que celui du Duquesne, il est heureux que la vaste
contenance de la batterie surtout, permette de ne loger dans les
cales qu'un petit nombre d'hommes. Comme il n'existe à bord
aucun système de ventilation artificielle, malgré le cloisonne¬
ment multiple de ses étages inférieurs, l'aération à la mer ne se
fait plus que par des panneaux, dont l'étroitesse est manifeste.
Immobile, cet air s'échauffe, se vicie par la respiration et les
émanations de toute sorte qu'exhale la machine, et perd par
degré ses qualités vivifiantes. Ces inconvénients sont sensibles
surtout dans les petits espaces, dans le poste des mécaniciens et
dans les chambres des officiers, sur l'arrière du faux-pont.
La machine seule est pourvue d'un appareil de ventilation :
Les hautes températures, observées dans les essais, ont nécessité
l'installation au dessus de la chambre de la machine d'un ven¬
tilateur actionné par l'appareil moteur. Ce ventilateur fonc¬
tionne très bien, mais le dégagement de l'air chaud n'est pas
suffisant ; aussi en marche, la température moyenne dans la
machine est de 45° au voisinage des cylindres. Si l'on stoppe, le
ventilateur cesse d'agir et l'on voit de suite le thermomètre
espace,
à 13 chauffeurs. L'aération
Société des
Études Océaniennes
8
rapidement : Dans les travaux, nécessités par la mise
train, les ouvriers travaillaient avec une température de 58°,
situation qui a pu être adoucie par l'établissement de manches à
monter
en
vent.
L'Hôpital, par sa situation et son exiguïté, offre les condi¬
plus désavantageuses. Il est situé sur le pont, au milieu
du bateau, au dessous de superstructures, qui font suite aux
barres de théorie, au centre des bruits du pont et de la
manoeuvre. Comme conséquence, l'isolement des malades et
leur repos sont entièrement compromis. Si l'éclairage et
l'aération se font dans les meilleures conditions, la
température y est exagérée, très pénible à supporter pour les
malades ; le thermomètre y atteint 32°. En effet, l'hôpital se
trouve placé au dessus de toutes les sources de chaleur ; Limité à
l'avant et à l'arrière par des boiseries, qui dissimulent dans
les deux sens, les tuyaux qui servent de dégagement à toutes les
cuisines, au four, aux machines auxiliaires. De plus, ses parois
latérales, minces, sont encore exposées aux ardeurs du soleil.
A la mer, quand tous ces foyers de chaleurs fonctionnent,
l'hôpital est une véritable étuve, où l'on ne pourrait sans danger
laisser séjourner un malade grave. Sa trop grande ventilation
devient elle-même un danger par la puissance des courants
d'air. Son exiguïté est manifeste ; Traversé dans son milieu
par la cage du puits d'aérage, qui de la superstructure descend
tions les
donner l'air et la lumière
Grame,
au
niveau du four et de la machine
surface se trouve transformée en deux petits carrés,
réunis par deux étroites coursives latérales. Cinq lits y étaient
entassés l'année dernière, mais à la suite d'un commencement
d'incendie, communiqué par les tuyaux des cuisines aux
boiseries de l'avant, et des modifications apportées pour éviter
pareil accident, trois lits seulement trouvent place dans
l'infirmerie. Ce chiffre est bien insuffisant pour un équipage
aussi nombreux. De plus, les deux carrés seuls utilisables pour
le service, mesurent à peine 20 m.c. et si l'on tient compte de
l'encombrement des lits et des objets indispensables, il ne reste
pour la circulation et les besoins du service qu'un espace bien
trop limité. Il a fallu pour augmenter la surface de l'infirmerie,
au moins pendant la visite et les
pansements, empiéter sur le
puits d'aérage, qui la traverse. Au moment du service, un pan¬
neau volant en caillebotis
y est établi, et cet expédient donne plus
de facilité. En résumé, l'emplacement de l'hôpital est mal choi¬
si à tous égards : ses dimensions, le nombre des lits ne sont pas
sa
Société des
Études
Océaniennes
9
en
rapport avec le chiffre des malades, que peut fournir un effec¬
de 600 hommes ; ajoutons qu'il n'est guère possible
tif de près
d'y établir des hamacs à demeure. Aussi, dans le service ordi¬
naire, on utilise des crocs laissés libres sous la teugue, pour
suspendre les hamacs des malades qui, sans qu'il soit néces¬
saire de les aliter, ont cependant besoin du repos. Grâce au long
séjour du Duquesne au mouillage de Papeete et à la possibilité
d'envoyer tous nos malades à l'hôpital militaire, l'installation
actuelle a pu suffire. Mais, si le navire était appelé à faire une
campagne de navigation, il serait indispensable, pensons-nous,
de modifier l'état des choses ; et la teugue semblerait tout indi¬
quée pour y établir l'hôpital dans des conditions satisfaisantes.
Dans la traversée de San-Francisco à Tahiti, quelques cas de
varicelle s'étant montrés à bord, la teugue a été le seul endroit où
ces malades aient pu être isolés avec avantage.
La Pharmacie a, dans la cale-arrière, son magasin
d'approvisionnement, où médicaments, linge et ustensiles se
trouvent dans de bonnes conditions de conservation. Mais
l'hôpital a bien peu de place pour renfermer les objets en service
journalier. Les deux armoires de l'avant ont dû être supprimées
lors de l'incendie ; celles de l'arrière sont plus en sécurité,
mais on ne saurait y renfermer des substances susceptibles de
s'altérer à la chaleur. Les médicaments dans ce cas sont casés
sur des étagères dans l'hôpital. Signalons avec regret l'absence
d'un cabinet de bains, si petit qu'il fût, et l'embarras occasionné
par l'impérieuse nécessité de baigner un malade, étant donné
l'exiguïté de l'hôpital.
Le poste des blessés, pour le combat, est situé à l'extrême
limite de la cale-arrière ; une porte le met en communication
avec la plate-forme de cette cale, où peuvent être disposés des
matelas, pour la réception des blessés. Grâce à ce moyen
d'évacuation, ce poste se trouve suffisamment dégagé pour fonc¬
tionner dans d'assez bonnes conditions. L'air et la lumière y
arrivent par un panneau correspondant à celui de l'Amiral sur
le pont, c'est-à-dire qu'il ne faut compter que sur un éclairage
artificiel. Les blessés ramassés dans des batteries sont portés
sur des civières jusqu'au panneau correspondant au poste des
médecins, et déposés dans le
fauteuil-cadre, où ils sont
commodément assujettis. Ce fauteuil monte et descend suspen¬
du par une patte d'oie à un palan, et son mouvement est régulari¬
sé
au
moyen
conducteurs
de bagues qui, à ses quatre angles, glissent sur des
rigides. Avec cette installation l'arrivée des
Société des
Études Océaniennes
10
blessés dans la cale
ferait
encombre. Mais
qui leur
toujours dans ces profondeurs, en l'absence de tout
système artificiel, c'est l'air, dont la circulation au moment du
combat, alors que toutes les cloisons sont fermées, sera absolu¬
se
sans
ce
manquera
ment annihilée.
La propreté
du navire, facteur si puissant de l'hygiène dans
agglomération d'hommes, a toujours été de la part du Com¬
mandement, l'objet d'une sollicitude constante. Comme consé¬
quence, pas de foyer suspect, pas d'émanations malsaines, et
nous dirons, dans le compte-rendu médical, que la santé de
l'Equipage s'est maintenue très bonne, sans qu'aucun
symptôme soit venu inspirer la moindre inquiétude à ce sujet.
Les cales sont parfaitement étanches, entretenues dans un état
remarquable de propreté, blanchies à la chaux et régulièrement
désinfectées. La cale à vin a été désarrimée plusieurs fois dans
la Campagne, lavée et assainie ; les barriques du reste sont
l'objet d'un soin particulier. Il en est de même des caisses à eau,
dont le lavage est fait après chaque vidange : Les panneaux sont
alternativement relevés de chaque bord, pour favoriser le
renouvellement de l'air dans les fonds : Leur lavage se fait sur
le pont à grande eau, et ce n'est que lorsqu'ils sont parfaitement
secs, qu'ils sont descendus et remis en place. La cale de la
machine reçoit nécessairement en marche toutes les souillures
variées qui s'échappent d'une machine en action, matières
grasses dont les transformations chimiques donnent naissance
à des effluves délétères. Mais dès l'arrivée au mouillage, à la
mer, quand les feux sont éteints, les graisses sont enlevées et un
grand lavage s'opère. Dès que l'eau des chaudières est suffi¬
samment refroidie, elle est répandue dans la cale et rejetée en¬
suite à l'extérieur, entraînant avec elle toutes les graisses. Cette
eau a souvent une odeur très
offensante, quand la machine est
restée longtemps en action. Dès que les pompes sont franches,
l'eau qui reste est extraite par les petites pompes d'assèchement ;
puis les fonds sont grattés et blanchis à la chaux chlorurée. Ces
opérations sont l'objet d'une surveillance incessante de la part
de l'autorité du bord, et elles contribuent puissamment à entrete¬
nir à bord une santé générale qui laisse peu à désirer. Dans les
faux-ponts avant et arrière, la propreté est parfaite. Ces parties
du reste sont suffisamment éclairées et peu exposées aux sale¬
tés. Les officiers et les maîtres, qui les habitent, ont tout intérêt à
les faire entretenir en parfait état. Il n'en est pas de même du
faux-pont milieu, qui est obscur, très fréquenté, et dans lequel se
une
Société des
Études
Océaniennes
11
trouvent toutes les dépendances de la machine. Ce n'est qu'à
force de soins et de vigilance, à l'aide d'artifices, qu'il est possi¬
ble d'arriver au résultat qui a été obtenu à bord. Le lavage n'est
jamais fait à grande eau ; deux fois par semaine, le faux-pont
est lavé à l'eau douce, et le samedi, briqué à l'eau salé.
L'assèchement s'y fait assez rapidement.
Les poulaines se trouvent sur le pont en à bord de chaque côté
du navire ; elles constituent là pour l'hôpital un voisinage sou¬
vent offensant. Leur installation laisse peu à désirer, mais
leurs tuyaux d'écoulement sont défectueux, car malgré tous les
soins, il y a souvent une obstruction dont les conséquences sont
fort désagréables. Elles fonctionnent alternativement pendant
24 heures, l'une d'elle étant consignée pour être soumise au
briquage et à la désinfection. Un factionnaire a la consigne de
faire pomper chaque homme qui en sort.
L'équipage de la Thétis avait été formé à Cherbourg de
contingents qui venaient de faire campagne en Islande.
C'étaient en grande partie, des hommes solides, habitués à la
mer, au service, dont la valeur fut appréciée dans les gros temps
que nous rencontrâmes sous Madère. Malheureusement il ne
put pas nous suivre en entier sur le Duquesne, une partie
seulement fut destinée à compléter le nouvel équipage, en
majorité déjà formé par tous les marins disponibles de la
Division de ce port. L'armement fut rapide (en 20 jours le
Duquesne prenait la mer) et notre séjour en rade presque nul.
Chaque jour, des hommes, arrivés à bord la veille, débarquaient
le lendemain ; les mutations étaient nombreuses, si bien que
l'équipage ne fut définitivement constitué que la veille du
départ.
Malgré tous ces mouvements, la visite sanitaire fut faite
avec le plus de soin possible et l'on put se débarrasser d'un
certain nombre d'hommes, à tempérament lymphatique,
strumeux, pouvant faire présager des affections chroniques et
un défaut de résistance aux fatigues de la navigation. 17
hommes furent envoyés à l'hôpital, reconnus incapables de
faire la campagne et remplacés à bord avec avantage. Ce n'est
Société des
Études Océaniennes
12
qu'après les premiers jours de
faire
une
étude d'ensemble de
mer
nos
qu'il
nous
fut possible de
matelots et d'en apprécier la
valeur
corporelle. L'équipage au nombre de 580 (y compris
qu'entraîne la Majorité) se composait de 2/3 de
marins inscrits, pour 1/3 qui provenaient de la conscription où
de l'engagement volontaire. Tous à l'exception de 20, avaient
déjà navigué soit à l'Etat, soit au Commerce. La moitié de notre
effectif était formé de Bretons, un quart de Normands ; le reste
venait de l'intérieur ou des divers départements maritimes. La
l'excédant
de la taille, prise
les livrets, était de 1 m 641. Ce
grande partie de l'équipage étant
formée de gens venant de la le catégorie, la taille inscrite sur
les livrets ne correspondait qu'à l'âge de 18 ans. Il était facile,
du reste, à l'Inspection, et en prenant un petit Breton comme
terme de comparaison, de voir que cette moyenne était dépassée
de beaucoup.
moyenne
sur
chiffre est inexact, car une
Nombre d'hommes mesuraient 1
saient même la taille de 1
m
75.
m
70 ;
quelques-uns
Quant à l'âge
moyen
pas¬
des
marins proprement dits, il était de 22 ans. C'est l'âge qui offre
les meilleures conditions pour entreprendre une campagne,
celui où l'homme atteint son complet développement ; c'est en¬
celui où il est le
plus apte à résister aux fatigues de toute
exigences de la discipline du bord.
La force moyenne de l'équipage ne pouvait être rigoureuse¬
ment évaluée ; mais les données précédentes feront voir que
cette force était dans une bonne moyenne. Si les beaux temps,
qui ont distingué notre longue traversée à la voile de France à
Tahiti, n'ont guère donné aux marins l'occasion de mesurer
toute leur puissance, les longs et pénibles travaux exécutés dans
la machine, ont pu mettre en évidence toute la force et la résis¬
tance du personnel mécanicien. Du reste, au départ, plusieurs
de nos hommes n'avaient pas atteint l'âge de 21 ans ; quantité
d'autres étaient loin d'avoir acquis leur maximum de déve¬
loppement et de force, qu'ils ont obtenu par l'effet des exercices
quotidiens et de la gymnastique salutaire du service. Il est hors
de doute qu'aujourd'hui, malgré les changements survenus
dans sa composition, que la force moyenne de l'Equipage est
bien supérieure à celle qu'il y avait au début de la Campagne.
Le meilleur esprit n'a cessé de régner dans l'équipage, qui
a conservé
toujours sa gaîté, indice certain du bien-être et de la
satisfaction. La campagne s'est passée dans de bons pays, et
core
sorte et à
se
plier
aux
Société des
Études
Océaniennes
13
le
temps n'est venu donner sa note
désagréable. La longue station que le Duquesne a fait à Tahiti,
eût pu devenir monotone, mais les sorties mensuelles, que lui a
fait faire l'Amiral, en visitant les divers groupes environ¬
nants, les excursions à Auckland, à San-Francisco, ont produit
la plus heureuse diversion. Toujours les hommes ont joui des
distractions qu'on a pu leur créer ; Jeux, musique, danses,
chants, joutes sur l'eau... Les promenades militaires autour de
l'Ile ont produit le meilleur effet. La faculté qu'ils ont eu d'aller
à terre fréquemment, au mouillage de Papeete surtout, n'a pas
peu contribué à entretenir leur bonne humeur. Grâce à cette
mesure, ils se sont toujours très bien comportés à terre ; les per¬
missions devenaient pour le plus grand nombre des prome¬
nades salutaires, au lieu d'être comme souvent des prétextes à
l'ivresse. Enfin des vivres frais toujours, une variété de nourri¬
ture que l'on tâche de rendre la plus grande possible, complètent
la somme des conditions, qui ont contribué à maintenir en
excellent état la santé de l'Equipage.
La propreté individuelle a été l'objet de la sollicitude la plus
grande de l'autorité du bord. Chaque jour, de l'eau douce est dis¬
tribuée pour le lavage du corps, et des Inspections journalières
en surveillent l'exécution. Ainsi tenus en réveil, les hommes
sont forcés de laver avec soin les parties du corps habituellement
à découvert ; et, dans les visites sanitaires à l'Infirmerie,
l'homme arrivant tout nu, il est facile de se rendre compte de
son état de propreté corporelle. Au reste, à Papeete, les bains de
mer étaient quotidiens. - La bouche est l'objet d'une surveil¬
lance particulière ; chaque jour, à une heure déterminée, il y a
lavage des dents auprès de l'Infirmerie. Tous les hommes y
passent périodiquement et le plus souvent possible ; de l'eau
douce et de la poudre de charbon leur sont distribuées. Aussi, il
est rare de trouver, dans les visites, des gencives en mauvais
état, fougereuses, saignantes, ou les dents envahies par le tartre.
Comme résultat de tous ces soins, nous signalerons la rareté de
la Stomatite, et le petit nombre de dents arrachées à bord.
rarement
mauvais
Société des
Études Océaniennes
14
ILA
=
y
—
Après un armement précipité et de rapides essais, le
Duquesne partit de Lorient le 16 Janvier 1886, avec mission
d'aller le plus rapidement possible à Tahiti. L'Amiral, qui
avait rallié la station par la voie des paquebots, devait tempo¬
rairement mettre son pavillon sur le Magon. La courte traver¬
sée de France
aux
rapidité de notre
Canaries
nous
désillusionne bien vite
sur
la
révélant bien des points faibles
dans le fonctionnement de l'appareil moteur. Des dépenses
exagérées de charbon pour une marche inférieure, des fuites
nombreuses de vapeur et des chocs inquiétants commandaient
impérieusement le démontage de la machine et une visite
sérieuse de ses organes. On se mit à l'oeuvre dès l'arrivée à
Ténériffe. Nous dirons que les travaux furent longs, qu'ils
durèrent tout le long du voyage ; et le Duquesne dut continuer en
voilier sa navigation.
voyage, en
Arrivé à Ténériffe le 23 Janvier, le Duquesne resta à
l'ancre pendant six jours. Malgré les travaux nécessités par
l'embarquement du combustible épuisé, cette relâche, au début
d'une campagne, fut d'un heureux effet. Elle permit de faire un
bon approvisionnement de vivres frais et d'envoyer nos
marins
à terre. Qu'elle que soit la résistance d'un
équipage, il est bon de
ne l'amener que
graduellement à s'adapter aux conditions nou¬
velles dans lesquelles il est appelé à vivre. La 1ère bordée, qui
descendit à terre, paya un large tribut au vin capiteux des
Canaries ; ce fut une surprise suivie d'une véritable déroute. Il
ne se passa aucune scène de
désordre, aucun accident, mais, le
soir, les abords du quai ressemblaient à un champ de carnage ;
la plupart des permissionnaires furent ramenés à bord en un
gros tas. L'expérience était faite ; et la 2ème bordée tenue en
garde, ne subit pas pareille humiliation.
Le 29, le Duquesne partait de
Santa-Cruz, faisant voile pour
Montévidéo ; la machine ne fut remontée que le temps néces¬
saire pour traverser les calmes de l'Equateur. Le
passage
Société des
Études
Océaniennes
de la
15
ligne fut signalé par les aspersions d'usage ; justifiées
d'ailleurs par la chaleur que nous eûmes à supporter. Le temps
nous favorisa jusqu'à l'entrée de Montévidéo, où le Duquesne
mouilla le 13 Mars après un pénible louvoyage en rivière. Notre
séjour sur cette rade fut de cinq jours. Les relâches n'étaient
jamais longues ; c'est que le commandant avait hâte de rejoin¬
dre l'Amiral à Tahiti. Or, la route à faire était longue et notre
beau croiseur n'était plus qu'un bâtiment à voiles ; il n'y avait
pas de temps à perdre. D'ailleurs le Duquesne n'avait pu pren¬
dre son mouillage que fort loin de terre et les communications
n'étaient pas faciles. Cette relâche ne fut qu'un repos relatif
pour l'équipage. Elle nous permit de prendre des vivres frais en
abondance, et surtout un grand approvisionnement d'excellents
boeufs en prévision de la longue traversée que nous avions à
faire dans le Pacifique.
Le Duquesne quitta Montévidéo le 19 Mars, descendit la côte
d'Amérique à la vapeur, et donna dans le détroit de Magellan le
26 Mars au soir, pour mouiller le 27 à Punta-Arenas. Cette
colonie Chilienne n'a pas pris tout le développement qu'on pou¬
vait attendre de sa situation magnifique et de la fertilité du sol.
Ce n'est qu'un misérable village ; depuis que la mine de char¬
bon n'est plus exploitée, chacun se livre au lavage de sables
aurifères. La culture est bien délaissée et les ressources qu'un
navire en relâche peut s'y procurer, sont minimes. Le Duquesne
y a passé quatre jours au mouillage, employés à faire du char¬
bon et à réparer la machine ; et ce n'est qu'à grand peine que les
tables ont pu avoir une fois du poisson. Il a été impossible de se
les moindres légumes fais. Le 1er Avril, à 8h du soir,
détroit, charmés par la vue du magnifique
panorama qui, de chaque côté, se déroulait à nos yeux. Les
plages sablonneuses de l'entrée du détroit firent bientôt place à
des collines boisées, des îles verdoyantes, couvertes d'oiseaux
aquatiques ; puis ce furent des montagnes remplies de neige,
des sommets abrupts, des glaciers, des torrents se précipitant
avec fracas dans la mer. Nous croisâmes quelques pirogues de
Fuégiens, qui grelottaient presque nus dans leur barque, avec le
regret de ne pouvoir entrer en communication avec eux. Mais le
Duquesne, avec sa misérable machine, avait besoin de dévorer
l'espace et de sortir au plus vite de ces parages dangereux. Du
reste, nous traversions Magellan dans une bonne saison et avec
un temps superbe ^ la fonte des neiges était bien avancée.
procurer
nous
sortions du
Société des
Études Océaniennes
16
Nous avons passé en tout six jours dans le détroit avec une
température moyenne de 9°5 et un écart de 5° du jour à la nuit. Le
cap Pilares doublé, le Duquesne entrait dans le Pacifique et
commençait véritablement sa campagne. La marche à la va¬
peur fut continuée pendant quelques heures pour nous éloigner
des côtes ; mais la machine demandait grâce. On mit à la voile;
et le 17 Mai, après 47 longs jours de mer, consécutifs, toujours
favorisés par de beaux temps, nous arrivions à Tahiti. Pendant
toute la traversée, la machine a été l'objet de travaux considéra¬
bles, de jour et de nuit ; elle n'a été mise en marche qu'en vue de
Papeete, pour franchir la passe du Récif.
Le Duquesne venait de faire un voyage de 122 jours, dont 108
mer et 15 seulement en relâche. On ne comptait que 19
jours
de marche à la vapeur. Ce long voyage de France à Tahiti se
à la
distingue par la bonne santé de l'équipage, remarquable surtout
jusqu'à Magellan. Dès que le Duquesne entre dans la zone des
Canaries, toutes les affections catarrhales, bronchites, angines,
etc... disparaissent par degré, et, à par deux hommes, atteints de
Rhumatisme articulaire sans gravité, nous atteignons les
régions chaudes, sans autres exempts de service que de légers
blessés.
Sous la
ligne, se montrent quelques embarras gastro¬
intestinaux, qui cèdent bien vite à l'administration d'un ipéca,
et des amygdalites, contractées pendant le sommeil sur le pont.
C'est pendant notre séjour à Punta-Arénas, que sont observés
les premiers malades sérieux. Le nommé Hervel, matelot de
3ème classe, est atteint de Broncho-pneumonie, et le matelot
Ferré entre à l'hôpital pour une Fièvre-Typhoïde de moyenne
gravité, dans le cours de laquelle se fera une rapide évolution
tuberculeuse. Plusieurs bronchites, quelques angines viennent
encombrer l'Infirmerie. La saison n'était pas très mauvaise ;
sans doute à la brusque transition de
température,
mais c'est
notre passage rapide des chaleurs tropicales
au climat du
détroit, qu'il faut attribuer ce changement dans la constitution
médicale. Jusqu'à Tahiti, la bonne santé à bord ne s'est pas
démentie, malgré la fatigue inséparable de longs jours en mer ;
mais nous avons toujours eu du beau temps, et les 25 boeufs,
embarqués à Montévidéo, ont permis de donner à l'Equipage de
la viande fraîche jusqu'à l'arrivée. L'influence pernicieuse du
Pacifique sur les poitrines délicates, ne tarda pas cependant à se
manifester ; nous n'eûmes à traiter que des affections de poi-
par
Société des
Études
Océaniennes
17
trine. Trois
pneumonies, l'une compliquée de pleurésie ont été
soignées à bord ; la marche a été franche, régulière, et deux de
ces
hommes étaient en pleine convalescence à l'arrivée à
Papeete. Un matelot, atteint de bronchite chronique, et en traite¬
ment à l'Infirmerie a été frappé d'hémoptysie. Bientôt la fièvre
s'allume ; des craquements secs, puis humides, suivis de râles
muqueux se font entendre au sommet du poumon droit. C'était,
comme il arrive fréquemment sous ces climats, une tuberculose
à marche rapide, qui se dénouera à Tahiti.
En somme,
dans
un voyage
de quatre mois et
sur un
effectif
de 580 hommes, nous avions eu Six maladies graves à soigner,
toutes affections du poumon ; à l'arrivée à Papeete, quatre
malades furent dirigés sur l'hôpital, deux phtisiques et deux
convalescents.
Du 17 Mai 1886 jusqu'au 5 Octobre 1887, le Duquesne a dû
tenir station à Papeete ; l'Amiral chargé des affaires politiques
des îles Sous-le-Vent, avait l'ordre de ne pas s'éloigner de
Tahiti. Dès lors, la Campagne n'est guère plus qu'un long
mouillage, fréquemment interrompu par de courtes sorties, pen¬
dant lesquelles nous visitons quelques groupes d'îles environ¬
nants. C'est ainsi que :
« du 5 au 11 août
1886, le
Duquesne visite les baies de Moorea.
septembre ; Voyage aux Marquises, avec relâche à
Nuku-Hiva, Vaitahu, la Dominique, la Madeleine.
du 18 au 28 octobre ; le navire fait le tour de l'Ile et mouille à
du 14
«
au
28
«
Taravao & Tautira.
du 12 au 17 novembre, nouvelle tournée à Moorea.
du 20 au 27 décembre ; voyage aux Iles Sous-le-Vent avec
«
«
mouillage à Raïatéa.
du 8 au 22 juin 1887, le Duquesne fait la tournée Générale des
Iles Sous-le-Vent et visite Raïatéa, Tahaa, Bora-Bora et
«
Huahine.
«
du 13
le
au 19 septembre, visite
lagon de Fakarava.
au
Paumotu
avec
mouillage dans
contribué
agréable que soit un mouil¬
lage, à la longue, il devient monotone, et il n'est pas mauvais de
faire changer d'air à un équipage aussi nombreux et de
détourner un peu la direction générale des idées.
Ces courtes tournées ont à coup sûr puissamment
au
maintien de la santé à bord. Si
Société des
Études
Océaniennes
18
Indépendamment du côté pratique, ces sorties avaient, pour
plus grand nombre, l'attrait de la nouveauté ; c'était une vé¬
ritable distraction pour tous ; et, à tous ces titres, elles ont produit
le
le meilleur résultat.
Pendant cette période, qui s'est entièrement passée autour
de
possessions de l'Océanie, la santé de l'équipage s'est
à un degré très satisfaisant, en rapnort avec
l'absence d'endémie dans ces pays. Qu'il nous suffise de dire
qu'avec un équipage de près de 600 hommes, les journées
d'exemption de service à bord, jointes aux journées d'Hôpital à
terre, donnent une moyenne de 3,6 pour cent. 24 hommes ont dû
être renvoyés en France pour le conseil de santé, et nous comp¬
tons 8 décès. A remarquer que, sur ces chiffres, la moitié sont
attribués à des affections de poitrine, chroniques particu¬
lièrement, que ces maladies ont, sous ces climats, une tendance
fatale à l'accélération de leur marche ; enfin que le Duquesne
avait, à Lorient, fait le vide à la Division, et embarqué un
certain nombre d'hommes qui, dans un armement moins
précipité, n'auraient probablement pas entrepris la Campagne.
nos
maintenue
Au mois de Mars 1887, le Duquesne a fait un voyage à
Auckland. Partis de Tahiti le 5 Mars, nous arrivions le 23 dans
ce port, et nous étions de retour à
Papeete le 23 Avril. Nous
avions séjourné 14 jours en Nouvelle-Zélande. La fièvre Ty¬
phoïde faisait quelques victimes en ville ; du reste il n'y a pas
eu de permissionnaires dans
l'Equipage. Cette excursion a été
une bonne aubaine, qui nous a permis
de revivre quelques jours
de la vie d'Europe, au milieu du mouvement d'une
grande
ville. Nous étions là en fin d'automne, et nous avons ressenti
l'impression des premiers froids, avec une température
moyenne de 13°. Le chiffre habituel de nos exempts de service
s'est ressenti d'un pareil changement de température, augmen¬
té par l'apparition de Rhumes, de diarrhées à
frigore. Un mate¬
lot a contracté une pneumonie ; un autre une pleurésie ; enfin
deux hommes, atteints d'état muqueux sans gravité, ont été
soignés pendant la traversée de retour. Ces malades étaient en
pleine convalescence à l'arrivée du Duquesne à Papeete.
La fin de la
Campagne a été plus active ; le Duquesne quitte
mouillage à Papeete le 5 Octobre, pour aller à SanFrancisco, revient à Tahiti le 9 Janvier 1888, après relâche aux
Sandwich, enfin le 2 Février, il repart pour Nouméa, où il
son
Société des
Études
Océaniennes
19
arrive le 17 du même mois. Ici
se
termine la campagne,
Duquesne devant rester dans le Pacifique,
Calédonie
nos
remplaçants, qui arrivent
par
le
attendons en
le paquebot de fin
nous
février.
Dans la traversée d'aller à
San-Francisco, nous n'avons
qu'un seul malade ; un homme, qui n'avait pas un
jour de maladie depuis l'armement, est subitement pris, le 14
Octobre, d'une hémoptysie abondante, qu'on a de la peine à
arrêter. La fièvre s'allume, tenace, avec une température de 40°,
malgré l'administration de la quinine, des antithermiques.
L'hémoptysie se renouvelle, accompagnée de tous les signes
d'une Tuberculose aiguë. Cet homme est mort le 5 Novembre à
l'hôpital de San-Francisco, après 20 jours de maladie.
réellement
Le séjour du Duquesne dans ce port a été de 40 jours, sur les¬
quels 15 ont été passés à Mare-Island, arsenal de la marine, où
le navire est entré au bassin. Dès notre arrivée, on signalait en
ville quelques cas de Variole. La maladie se dissémina bientôt
dans les divers quartiers, et menaçait de prendre les proportions
d'une épidémie. Les précautions les plus grandes furent prises à
bord. Pas de permissionnaires ; les agents des vivres allaient à
terre pour le service ; les embarcations avaient l'ordre de se
tenir au large sur les avirons. Enfin, nous pûmes nous procurer
une petite quantité de Vaccin animal, en cas d'accident. Rien
d'anormal n'eut lieu à bord pendant notre séjour et nous
n'eûmes qu'à soigner que de légères maladies.
Duquesne quitta San-Francisco le 6 Décembre ; huit
jours après le départ, le 14, un homme se présente à la visite avec
de la fièvre et tous les signes d'un début de fièvre éruptive. Le
lendemain, nous constations comme un Rasch, deux bandes de
rougeur scarlatiniforme, étendues en avant, sur la partie supé¬
rieure du tronc, et sur le haut des cuisses ; rien ailleurs. Le soir,
une éruption similaire, blanche, avait envahi ces rougeurs. Le
lendemain, la fièvre était entièrement tombée ; l'éruption se flé¬
trissait, suivie bientôt d'une desquamation rapide. La maladie
avait duré trois jours. Cet homme était canotier-major ; il était
souvent allé à terre, mais sans jamais y descendre. Nous vîmes
là un cas avorté de varioloïde peut être. D'ailleurs cet homme
Le
avait été vacciné étant enfant et revacciné sans succès avant le
départ de France. Le malade fut isolé du mieux possible dans
Société des
Études
Océaniennes
20
l'Infirmerie. Rien de
nouveau
ne
se
produisit les jours sui¬
vants; mais le 20, à la visite du matin, jour de l'arrivée à Hono¬
lulu, deux hommes se présentent avec une éruption caractérisée
de varicelle. L'éruption s'était faite avec une réaction bien
minime ; toute fièvre avait disparu, lorsque nous les vîmes. Dès
lors, le Commandant, à notre demande, fit évacuer la Teugue,
et nous pûmes là isoler effectivement nos malades.
Le lendemain 21, un nouveau cas se présente, identique aux
précédents, avec une éruption de varicelle déjà faite. La qua¬
rantaine nous fut imposée à Honolulu et nous quittâmes ce port
le 24, laissant au Lazaret nos trois malades atteints de Varicelle
en bonne voie de guérison. Nous avions pu avoir de l'Office
Sanitaire du vaccin de génisse ; et, par précaution, nous pro¬
cédâmes à la revaccination de 80 hommes avec peu de succès.
D'ailleurs, au départ de France, nous nous étions assurés que
tous nos marins avaient de bonnes marques de vaccin et qu'ils
avaient été revaccinés au quartier.
La teugue, où les varicelles avaient séjourné, fut désinfec¬
tée, lavée avec soin, et consignée jusqu'à ventilation parfaite.
Les effets, qui avaient servi aux malades, furent condamnés et
jetés à la mer ; et, grâce à ces précautions, nous ne vîmes appa¬
raître aucun nouveau cas. Seize jours après, le 9 janvier, le
Duquesne arrivait à Papeete avec un parfait état de santé dans
son équipage, et était admis en libre
pratique.
La santé de
l'Equipage se maintient très bonne pendant
séjour à Tahiti, tout employé à ravitailler le navire.
Enfin, le 2 Février, le Duquesne quitte définitivement la station
et fait route pour Nouméa où il arrive le 17 du même mois. Ici se
termine la Campagne ; Etats-Majors et Equipage en entier sont
renouvelés par des remplaçants qui arrivent à la fin de février.
L'Etat Sanitaire est parfait ; les exempts de service à bord n'ont
que des affections légères ; quatre hommes sont en traitement à
l'hôpital, deux pour des maladies de l'oeil, les deux autres sont
atteints de bronchite chronique.
notre court
Société des
Études
Océaniennes
21
AIPHIEcpiïï MÏÏIilMCGAIL
y
Clinique Interne.- Ce qui frappe, dans le tableau général
pendant ces 26 mois, ce sont les affec¬
tions
des organes respiratoires. Angines, laryngites,
Bronchites se montrent plus fréquentes, il est vrai, quand le
Duquesne passe rapidement de +30° à une température moyenne
de 12° ; mais leur fréquence à Tahiti étonne tout d'abord. C'est
que la salubrité si connue de cette île, exempte d'endémie,
n'exonère pas de l'action combinée des phénomènes météorolo¬
giques. Une chaleur constante, une humidité considérable,
jointes à la tension électrique de l'atmosphère ont pour résultat
des maladies observées
inévitable la raréfaction de l'air et la suractivité fonctionnelle
du poumon. De plus, l'abaissement de température, la nuit, si
sensible à certaines époques, la brise de terre qui souffle dès le
soir et descend des montagnes saturée de vapeur, et les rosées
abondantes sont des causes constantes de refroidissement et
d'inflammations des voies aériennes.
Les bronchites, en général bénignes,
ont cédé assez
promptement à l'emploi des boissons adoucissantes, des expec¬
torants et d'un régime modéré. Leur durée moyenne fut de 8
jours. Mais, des récidives fréquentes ont déterminé, chez un
certain nombre d'hommes, prédisposés, des Bronchiteschroniques, des Catarrhes secs ou purulents, pour lesquels
l'huile de morue a été prodiguée. Quelques-uns ont pu se
remettre assez pour continuer la Campagne ; mais la plupart
d'entre eux, longtemps soignés à bord et à l'hôpital à terre
ensuite, ont dû être renvoyés en France, en présence des progrès
de la maladie.
pulmonaires confirmées ont été observées pen¬
Les deux premiers malades ont été alités
pour une bronchite fébrile dans le détroit de Magellan ; des
hémoptysies comme antécédents et les signes de l'auscultation
ont tout de suite fixé le diagnostic. Avec les fatigues de la mer,
malgré tous les soins, ces malades avaient traversé la période
Six phtisies
dant la campagne.
de ramollissement à l'arrivée à Tahiti.
Société des
Études
Océaniennes
22
Les autres tuberculoses se sont déclarées pendant le séjour
Océanie sur des sujets, qui semblaient jouir d'une constitu¬
tion robuste, et chez lesquels la poussée tuberculeuse devint
manifeste à la suite de bronchites répétées. Leur salut était dans
en
prompt retour en France, car, sous ces climats, ces affections
parcourent leurs périodes avec la plus grande rapidité. Ils
un
furent, dès qu'il fut possible, envoyés à l'hôpital de Papeete,
attendre la première occasion.
pour
Douze hommes ont été atteints de pneumonie, et sur ce nom¬
bre, quatre fois la pleurésie est venue s'ajouter à l'inflam¬
mation du poumon. Ces maladies ont suivi une marche
régu¬
lière ; la Digitale, l'alcool, aidés de vésicatoires, ont été les
traitements institués. Toutes se sont rapidement terminées par
la guérison, à l'exception d'un cas, survenu chez un
cuisinier,
déjà tuberculeux, et qui est mort subitement d'asphyxie à
l'hôpital.
Dans
autre ordre de
lésions, mais intéressant égale¬
de la respiration, il a été observé 5 pleurésies,
et spécialement sur des hommes de la machine. Sous les lati¬
tudes chaudes, que nous avons parcourues, ces chauffeurs bai¬
gnés de sueur et ne prenant aucune précaution, échappent à toute
surveillance, et vont avec insouciance se mettre sous une
un
ment les organes
manche à air. Telle est souvent la cause de ces refroidisse¬
ments subits. Ces inflammations pleurales ont été assez sim¬
ples en général, mais deux de ces malades ont présenté un
épanchement abondant ; chez l'un d'eux, matelot chauffeur du
reste, la maladie est passée à l'état chronique, et, l'homme a
succombé des suites d'un épanchement purulent après trois
mois d'hôpital à Papeete.
Rhumatismes.- L'affection rhumatismale n'est pas une
maladie de ces climats ; les douleurs ; les
lumbago, qui figurent
sur les statistiques sont contractés ordinairement
pendant le
sommeil sur le pont, ou par l'exposition dans un courant d'air
vif, le
étant
quelques soins en ont vite raison.
aigus, qui aient été soumis
au départ de France, où ils
ont été contractés. La guérison
ne s'est pas fait attendre d'un
traitement approprié, dès que le navire a eu atteint les latitudes
chaudes. Cependant le 2e Maître de Manoeuvre
Lopin, et le fourcorps
en sueur ;
Les seuls rhumatismes articulaires
à notre observation, se sont montrés
Société des
Études
Océaniennes
23
rier Coûteux ont dû être renvoyés en
France pour rhumatisme
chronique et anémie. Ces hommes avaient eu déjà, avant de
venir à bord, des atteintes de rhumatisme articulaire ; la mala¬
die prit, dès le début, une marche torpide, accompagnée
d'atrophie musculaire et de symptômes cardiaques chez le
fourrier. Il n'y avait plus dès lors à compter sur une guérison à
bord.
Maladie de l'intestin.- C'est ici surtout
qu'est manifeste
Quand on songe à la
quantité d'imprudences que font les hommes, à la profusion de
fruits dans le pays, on est étonné de la rareté et de la bénignité
des affections de l'intestin. Tout se réduit à quelques coliques,
quelques diarrhées passagères, qu'un peu de diète suffit à
calmer. J'en dirai pour les embarras gastriques, qui prennent
naissance sous l'influence de la chaleur, d'une atmosphère
chargée d'électricité, et qui souvent ne reconnaissent d'autre
cause que la quantité d'eau ingérée d'une façon inopportune.
l'innocuité du climat idéal de Tahiti.
Deux hommes ont été rapatriés pour des affections chro¬
niques de l'Intestin, rebelles au traitement et ayant déterminé
un état d'anémie avancée. Ce sont le matelot Nicolas qui a été
repris, au début de la campagne, de diarrhée chronique,
contractée en Cochinchine, et le 1er maître Magasinier Leneveu
qui, à la suite des fatigues du service, a été atteint de dysenterie.
Ce sous-officier, qui avait fait précédemment un long séjour au
Sénégal, était porteur d'une hypertrophie symptomatique du
foie.
le nommé Delacour, sans indisposi¬
préalable qui l'ait conduit à l'infirmerie, a été pris subite¬
ment d'une hématémèse considérable,
accompagnée de
syncope, de refroidissement, de douleur à l'Epigastre. Le
malade est mis de suite à l'usage de boissons glacées, du perchlorure de fer, de la limonade sulfurique. L'hémorragie
s'arrête. Le lendemain, il éprouve de la tension à l'Epigastre,
des sueurs froides, le vomissement de sang recommence, et le
malade est envoyé à l'hôpital à terre. Bientôt se montrent tous
les signes de l'ulcère de l'estomac. Douleur, vomissement après
le repos, hémorragies, constipation, amaigrissement, anémie,
et le malade est renvoyé en France par le premier bateau.
Un matelot chauffeur,
tion
Société des
Études
Océaniennes
24
Du 19 au 20 Octobre 1886, le navire étant à la mer, j'ai eu à
soigner 37 hommes de l'équipage qui ont présenté tous les
signes d'une violente indigestion : Vomissements, coliques
très vives, forte diarrhée, suivis de faiblesse générale ; du reste
pas la moindre crampe. Ces accidents ont cédé bien vite à
l'administration d'une infusion aromatique et d'une potion à
l'éther et au laudanum. Après deux jours de repos, tous ces
hommes ont repris leur service. A quoi attribuer ces accidents ?
On ne saurait incriminer les météores ; car le Duquesne
naviguait en Division avec deux croiseurs et aucun d'eux n'a
signalé rien de semblable. La ration avait été faite avec
l'endaubage ; les boîtes étaient saines et, pour la distribution,
leur contenu est mélangé dans une baille. Le charnier de la
batterie avait été rempli avec le fond d'une caisse ; et les
hommes atteints ayant bu à cette source, je crois qu'il ne faut pas
chercher ailleurs la
Fièvres.-
cause
de
ces
accidents.
Dans la classe des
fièvres, notons quelques cas
inflammatoire, qui n'ont rien offert de
particulier, et qui ont été guéries en 4 ou 6 jours, à l'aide d'un
purgatif et de quelques prises de quinine, la fièvre intermittente
est inconnue dans les parages que nous avons fréquentés ; les
rares cas, qui figurent
sur les statistiques, et observés dans le 1er
hivernage, n'ont été que des récidives d'infection contractée
dans d'autres pays. La guérison, du reste, ne s'est pas fait atten¬
dre ; et, depuis plus d'un an, il n'est plus question à bord d'accès
de fièvre synoque ou
intermittent.
L'état
des
observées compte neuf fièvres
général, ont été de moyenne gravité. Surve¬
nues surtout à l'époque des chaleurs de la mauvaise
saison, ces
fièvres ont guéri sans encombre ; et, après une courte convales¬
cence, les hommes ont pu reprendre leur service. La fièvre
typhoïde a occasionné un décès : Le nommé Amelain, musici¬
en, envoyé à l'hôpital pour une affection, qui paraissait exempte
de danger, (la Température n'ayant pas dépassé 38°6) a présenté
tout d'un coup les accidents les plus
graves, et succombé avec
tous les symptômes de la péritonite par perforation intestinale.
Typhoïdes, qui
maladies
en
Albuminurie.- Le nommé Sergent, matelot de 3e classe, qui
plusieurs fois déjà demandé du repos pour une faiblesse
avait
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Études
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25
générale, que rien ne justifiait, se présente, au mois d'Octobre
1886, à la visite avec un oedème partiel de la face. Ses pieds
enflent le soir ; et, sans que l'appétit soit bien diminué, il sent
ses forces disparaître. L'amaigrissement fait des progrès, et
l'examen des urines fait constater la présence d'une grande
quantité d'albumine. Nous étions à Papeete. Sergent est envoyé
à l'hôpital. La maladie poursuit sa marche avec rapidité ;
l'hydropisie s'accentue. Quelque temps après surviennent des
accidents pulmonaires et cardiaques de la plus grande gravité,
et sergent succombe le 12 Décembre, après un mois et demi
d'hôpital, des suites d'une néphrite Albumineuse aiguë.
Diabète.- Le 10 février 1887, le nommé Hugot, matelot de 3e
classe ; qui depuis le départ n'avait jamais été malade, se pré¬
sente à la
visite, accusant une dépression des forces de jour en
jour croissante. Pas de fièvre d'ailleurs, aspect extérieur nor¬
mal, mais amaigri, cet homme n'accuse aucune douleur. Il lui
est prescrit le repos et des toniques. La pensée nous vient
d'examiner ses urines, et nous constatâmes une polyurie accu¬
sée, le malade n'accuse pas d'augmentation de la soif. Mais ses
urines, traitées avec le procédé de Miahle, donnèrent un précipi¬
té abondant, caractéristique de la présence de sucre. Cet homme
fut envoyé à l'hôpital de terre, où, son état ne faisant que
s'aggraver, le conseil de santé
a
décidé
un
rapatriement.
Clinique externe.- Les affections de l'ordre chirurgical
assez peu d'intérêt ; celles qui figurent en plus grand
nombre sont les contusions, les plaies simples ou contuses,
toutes de peu de gravité. Les plaies ont été nombreuses, leur siège
le plus fréquent a été le pied ou la jambe. Elles ont guéri à bord
sans difficulté, à la condition de consigner les blessés au repos
dans leur hamac. Les accidents n'ont pas été nombreux et n'ont
surtout pas eu de suite fâcheuse. Un homme a fait une chute de la
vergue barrée sur le pont, le corps tombant à plat sur les ma¬
noeuvres du pied du mât. Aucune lésion n'a été constatée, mais
seulement un certain degré de commotion cérébrale et de stu¬
peur. Ce marin a conservé un peu de surdité de l'oreille droite.
Deux luxations de l'épaule se sont produites dans des chutes
sur le pont ; immédiatement réduites sans l'aide du chloro¬
forme. Ces lésions ont parfaitement guéri. L'une s'était faite en
avant, incomplète, l'autre était sous glénoïdienne. Le 20 Juillet
offrent
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26
1887, le marin Philip
a fait une chute sur les pieds d'une hauteur
il en est résulté une fracture des deux os de
dessus des malléoles, compliquée d'une
contusion très grande. Cet homme a été soigné, guéri à l'hôpital
de Papeete et envoyé convalescent en France.
de 5 mètres environ ;
la jambe droite, au
Quelques entorses
sans gravité complètent le tableau des
pendant la campagne. Leur guérison
complète a été obtenue par le massage, aidé d'applications
résolutives et d'un bandage contentif approprié.
blessures
observées
Quantité d'abcès, de furoncles, tous de peu de gravité, ont été
soignés à bord. Les panaris ont été fréquents au début de la
campagne surtout, à cause des grands travaux d'astiquage faits
à cette époque. Aucun n'a eu de suite fâcheuse. Le nombre des
phlegmons a été notable ; leur siège a été, pour la plupart, le pied
et la main surtout. Quatre fois ils ont pris la proportion
d'érysipèles phlegmoneux, qui ont tous guéri sans accident,
grâce à des incisions profondes et pratiquées en temps opportun.
Les adénites inguinales, sympathiques de plaies aux pieds se
sont terminées heureusement par le repos et une médication
antiphlogistique.
Avant d'arriver à Montévidéo, dans la traversée d'aller,
Monsieur Rochas, Lieutenant de Vaisseau, a été atteint d'un
phlegmon profond de la partie postérieure du cou, survenu à la
suite de l'irritation causée par un volumineux furoncle. Ce
phlegmon s'est accompagné d'une forte fièvre, amenant, avec
l'insomnie, une inappétence complète et un état d'anémie avan¬
cée. En présence de cet état général et des fatigues de la longue
traversée, que nous avions à faire, Monsieur Rochas a été laissé
à l'hôpital à Montévidéo le 19 Mars 1886, et a rallié le Duquesne
au
mois de Janvier 1887.
Le nommé Demantes quartier-maître Mécanicien, en tra¬
vaillant dans un cylindre a reçu sur l'oeil droit le choc d'un
éclat de fonte. On constate une contusion violente de l'oeil, une
plaie anguleuse non pénétrante de la cornée, et en arrière de
l'iris on aperçoit un léger nuage rosé. Cet homme a été envoyé à
l'hôpital de Papeete ; et à notre départ, il s'était formé dans cet
oeil une cataracte traumatique. Certificat de blessure lui a été
délivré. Une hydarthrose du genou, deux hygromas guérirent
par une compression méthodique et graduée, sans le secours
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27
d'autre moyen,
à l'exception d'un repos absolu.
Signalons
d'otites, dues surtout à la négligence des
soutiers, et une série d'hémeralopes, aisément guéris par des vésicatoires et quelques jours de consigne dans l'obscurité de la
cale. C'est le traitement qui a toujours le mieux réussi.
encore
quelques
cas
Les maladies de la peau ne présentent guère d'intérêt ; au
départ de France, on observe quelques cas de gale bien vite gué¬
ris, et qui disparaissent complètement dès que nous arrivons
dans les latitudes chaudes. A signaler quelques herpès, dont 4
pour lesquels le collodion a été employé avec le plus grand
succès, des ecthymas simples, enfin une mentagre présentée par
un chauffeur. Cette maladie rebelle, sans cesse excitée par
l'action de la chaleur des fourneaux et du contact du charbon,
s'est améliorée notablement, mais n'est pas guérie à la fin de la
zona
campagne.
Les maladies vénériennes ont été
nombreuses et la statis¬
Nombre
simples
ont pu se soigner sans discontinuer leur service. L'équipage
n'étant allé à terre qu'à Tahiti, il est aisé de se rendre compte de
ce qui revient à l'infection locale. En venant de France, nous
tique ne donne pas le chiffre exact des cas observés.
d'hommes, atteints d'uréthrites bénignes, de chancres
avons eu
à
soigner
:
uréthrites, dont deux compliquées d'orchites.
indurés, traités par la liqueur de Van-Swieten;
deux fois malgré le traitement, des accidents secondaires
se sont montrés sous forme de plaques muqueuses à la gorge
«
5
«
3 chancres
et de
«
tâches à la peau.
3 bubons
suppurés ; un seul suivi
de décollement.
parfaitement guéris à l'arrivée
Tahiti. Etant données la licence des moeurs à
Tahiti, l'absence de toute visite sanitaire, et la facilité qu'ont les
matelots pour aller à terre, le nombre de Vénériens n'a pas été
trop considérable. Cependant il a été observé 58 maladies véné¬
riennes, ainsi décomposées :
Tous
nos
vénériens étaient
du Duquesne à
12
uréthrites, 7 chancres mous, 17 chancres
bubons, 4 bubons d'emblée.
18 chancres et
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indurés,
28
L'uréthrite a été rare et facilement guérie : dans deux cas
seulement elle s'est accompagnée d'orchite.
Les chancres quelle que fût leur nature, ont marché rapide¬
ment
vers
la guérison sans
accident,
sans
phagédénisme. Le
traitement mercuriel était immédiatement institué
signe d'induration et assuré
sium. Toutefois six d'entre
par
eux
au
moindre
l'emploi de l'Iodure de potas¬
ont dû être soumis à
un
2e traite¬
les pilules de Ricord, des accidents étant survenus,
sous forme d'ulcérations au voile du
palais, de psoriasis pal¬
maire, etc... La fréquence du bubon est à signaler ; dans deux
cas seulement, nous l'avons vu suivre le chancre
induré, et gué¬
rir sans suppuration. Il n'en est pas de même du chancre mou :
sur 23 chancres
constatés, il y a eu 16 bubons ; et les 4 bubons
d'emblée ont pu suivre des ulcérations qui ont passé inaperçues.
L'adénite, sous ces climats, est toujours longue à guérir ; la
suppuration est de règle, et fréquemment suivie de décollements
interminables. Très souvent, le bubon est double.
En somme, nous avons eu un dixième de l'Equipage atteint
de maladies vénériennes pendant un séjour de 22 mois à
Tahiti; et sur 40 chancres constatés, 17 étaient de nature
syphilitique, soit 42 pour cent.
ment par
-
Rapatriés : la commission de
santé de la Division et le conseil
de santé de la Colonie ont décidé le renvoi en France de 24
hommes du Duquesne
.
HMoêdlê©
=====
y—-
=====
Ulvoaz Gabier 18 ans. Entré à l'hôpital du bord le 3 Mai,
atteint de Bronchite fébrile ; cet homme ne s'est
jamais présenté
à la visite. Dès le premier
examen, on constate de l'expiration
-
prolongée, rude à gauche, l'affaiblissement du
vésiculaire du même côté,quelques craquements
malade se plaint de dyspnée. Crachats opaques peu
murmure
secs. Le
aérés, con¬
tenant, les jours suivants, quelques stries de sang. La fièvre
Société des
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Océaniennes
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Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 249-250