B98735210105_243.pdf
- Texte
-
BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
N° 243
TOME XX
—
Société des
N° 8 / Juin 1988
Études
Océaniennes
Société des
Études Océaniennes
Fondée
ORSTOM
-
en
1917.
Arue
-
Tahiti.
Polynésie Française.
B.P. 110- Tél. 43.98.87
Banque Indosuez 012022 T 21
—
C.C.P. 834-85-08 PAPEETE
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Paul MOORTGAT
Président
Vice-Président
Me Eric LEQUERRE
Mlle Jeanine LAGUESSE
M.
Secrétaire
Trésorier
Raymond PIETRI
assesseurs
M. Yvonnic ALLAIN
M. Robert KOENIG
Mme Flora DEVATINE
M. Roland SUE
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R.P. O'REILLY
Société des
Études
Océaniennes
BULLETIN
DE LA SOCIÉTÉ
DES
ÉTUDES OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
N° 243
-
TOME XX
-
N° 8 JUIN 1988
SOMMAIRE
Danse, musique et chant dans la Bible tahitienne
J. Nicole
:
L'ésotérisme tahitien :*P. A. Riffard
1
7
L'insertion des Rapanui à Tahiti et Moorea
(1871-1920) : Patricia Anguita
21
Le lézard dans l'art océanien, les légendes
en Océanie : I. Ineich - M. Payri
40
et la littérature
Tradition & Développement
les Tuamotu : J-M. Chazine
-
Un espace privilégié
:
48
Bibliographie de l'atoll de Takapoto
:
B. Salvat
55
Comptes rendus
J. Talandier et E.A. Okal
Détection du volcanisme sous-marin
:
-
L'exemple de la Polynésie Française
61
Code des Communes
61
Iles
tropicales
-
Polynésie Française
en
Insularité
-
Insularisme
Société des
-
CRET
Études Océaniennes
62
'
'
"
-
#
Société des Etudes Océast sennes
Mgr TEPANO JAUSSEN
DICTIONNAIRE
de la
langue tahitienne
Société des Études Océaniennes - Papeete 1988.
6ème édition revue et augmentée.
Ce dictionnaire classique de la langue tahitienne dont la première
édition date de plus de cent ans, est enrichi d'une partie du
vocabulaire technique homologué par l'Académie Tahitienne.
A côté du dictionnaire de Davis
(tahitien-anglais), l'ouvrage de
Tepano Jaussen (tahitien-français et français-tahitien), demeure
l'indispensable ouvrage de référence.
Achetez-le
et
offrez-le. (1 60G CFP, franco de port
Société des
Études
Océaniennes
en
Polynésie).
DANSE, MUSIQUE ET CHANT
DANS LA BIBLE TAHITIENNE
La plupart des familles qui possèdent une Bible tahitienne savent
qu'elle est l'œuvre des missionnaires. En fait le premier exemplaire de la
traduction complète de la Bible en tahitien, a été offert par Henry Nott à
la reine Victoria le 8 janvier 1838 ; elle a donc très exactement 150 ans,
comme le rappelle
Jacques Nicole, dans sa thèse "Au pied de l'Écriture".
Venu dans le Pacifique en 1975 pour enseigner à l'École pastorale
d'Her mon à Papeete, puis au Pacific Theological College à Suva (Fidji),
Jacques Nicole s'est passionné pour la langue tahitienne d'hier et
d'aujourd'hui, et pour l'histoire de l'évangélisation du Grand Océan ; il a
soutenu avec succès, le 12 février 1988, à la Faculté de
Théologie de
l'Université de Lausanne (Suisse) sa thèse consacrée à l'histoire de la
traduction de la Bible en tahitien, fruit de plus de dix ans de recherches et
de découvertes de nombreux
textes inédits.
J.
Nicole, tout à la fois théologien, linguiste, historien et musicien
présente cette réflexion sur l'écriture des Écritures, qui marque en
fait "un véritable tournant dans l'histoire du Pacifique" comme le
soulignait le professeur Guiart.
nous
Devenue ouvrage de référence et objet de vénération, la Bible
tahitienne n'est pas seulement un véritable monument littéraire, qui a fixé
la langue classique, ou culturel, tant elle a imprégné l'âme polynésienne et
inspiré toutes les autres traductions dans toutes les îles ; elle a été hier
l'enjeu conscient et inconscient des désirs de la morale et de la politique de
ses traducteurs anglais et
polynésiens ; elle doit aujourd'hui, avec les
progrès de l'exégèse, l'évolution de la langue, être l'objet d'une nouvelle
traduction.
En reconstituant les
étapes d'une traduction étalée sur plus de trente
Bible "en pièces détachées", J. Nicole démystifie
respectueusement les valeurs des envoyés de la London Missionary
Society ; le meilleur exemple en est le chapitre 8 de la thèse, où dans la
traduction des termes de musique et de danse de l'Ancien Testament,
s'expriment les enjeux, se joue la stratégie et se trouvent les compromis.
(Tradutore-traditore).
ans,
et en remontant
Nous
vous
une
présentons ici
ce
chapitre.
R. Koenig
Société des
Études
Océaniennes
2
On se gardera bien de mettre sur le compte des seuls mamaia
dégoût prononcé des missionnaires à rencontre de la danse et,
plus généralement, de toute manifestation publique de la sensualité
humaine. Dès l'époque du Nouveau Testament, les impératifs
missionnaires de l'Eglise naissante avaient conduit les apôtres à
demander aux communautés chrétiennes de s'abstenir de tout
comportement scandaleux et de faire un usage judicieux de la
le
liberté chrétienne. Mais c'est au contact du néo-platonisme que les
théologiens, dans leur grande majorité, contractèrent une méfiance
croissante pour "la chair et ses œuvres". Elle les conduisit en
particulier à prendre les mesures sévères, mais pas toujours
efficaces, pour bannir la danse des églises et de leur enclos. Ainsi
l'interdiction dont elle fait l'objet dans les tout premiers codes
missionnaires des îles de la Société apparaît moins arbitraire qu'on
l'a parfois prétendu, surtout si l'on se rappelle qu'à l'époque de leur
promulgation, danser signifiait un retour délibéré aux coutumes
pré-chrétiennes. De plus le XVIIIe siècle anglais avait sécrété,
particulièrement dans la petite bourgeoisie, un extrême rigorisme
moral doublé d'un sens .exacerbé des convenances qui mettait les
missionnaires fort mal à l'aise devant l'exultation un peu échevelée
des célébrations juives, surtout face à un peuple qui, en la matière,
manifestait des dispositions peu communes ! Tous ces éléments,
ajoutés à la polémique des dispositions anti-mamaia qui faisait
rage à l'époque où Nott travaillait à l'édition intégrale de la Bible,
aident à comprendre la manière souvent surprenante dont il a
rendu les termes de danse, de musique et de chant.
La Bible tahitienne
danse
:
utilise quatre mots pour parler de la
heiva et mehula, dont l'usage ne semble
ori, upa ou upaupa,
des règles de traduction très précises.
de quinze fois dans des
contextes
du divertissement et de la
joie exubérante, dans les jeux enfantins, plus rarement dans le
cadre d'une fête religieuse ; ori apparaît également dans l'étrange
description de la danse bondissante de la Mort elle-même devant
l'effroyable Leviathan. Le traducteur suit ainsi l'acception usuelle
et générique de ce terme, sans nuance particulière.
Il en va différemment de upa-upaupa qui apparaît princi¬
palement dans le cadre de cérémonies religieuses comme, par
exemple, l'épisode des danseuses de Silo ou le triomphe de David ;
le mot avait été proprement évincé par Nott dans l'édition de 1838
avant de réapparaître dans celle de 1847. Il est intéressant de
constater que c'est upa qui est utilisé dans le contexte péjoratif
pas
toujours guidé
par
revient pas moins
fort divers : dans l'expression
Le mot ori
ne
d'Exode et dans
sa
citation
Société des
en
I Corinthiens.
Études
Océaniennes
3
C'est à la révision de 1863 que
l'on doit la seule mention du
femmes
En effet
Henry Nott avait jugé nécessaire de créer un néologisme à partir de
l'hébreu
mehula, pour "danse" dans des contextes
d'exultation liturgique. Il l'utilisait en Exode comme dans le récit
fort similaire de la fille de Jephté en Jugues. Mais c'est surtout dans
sa retraduction des
Psaumes que Nott manifeste une vigilence
particulière, certainement à cause du rôle central que ce livre était
appelé à jouer dans le culte tant familial que public. Dans sa
traduction maintes fois révisée, Davies avait pourtant déjà fait
preuve d'une grande prudence en traduisant notamment
par oaoa - joie - dans le Psaume 30. Il avait pourtant maintenu ori
heiva pour désigner la danse triomphale de Myriam et des
d'Israël après le désastre des Egyptiens dans la mer Rouge.
dans les invitations à la danse des Psaumes 149 et 150. Nott se
hâtera d'y substituer mehula qui, à la différence de tant d'autres
néologismes bibliques, ne pénétrera jamais dans le langage cou¬
personne aujourd'hui n'en connaît la signification !
A ces quatre termes, il faut en ajouter un cinquième, ou'a,
ainsi que son fréquentatif ou'au'a - bondir, sauter - qui vient
accentuer l'aspect athlétique de la jubilation biblique à laquelle
parfois, la création entière, collines, forêts ou fleuves, est appelée à
s'associer. Il qualifie également la danse des prêtres de Baal autour
de l'autel, lorsqu'ils tentaient de relever le défi lancé par Elie le
prophète.
Le malaise d'Henry Nott et de ses compagnons transparaît de
manière particulièrement aiguë dans certaines expressions où la
crudité gaillarde du texte hébreu est atténuée en éliminant,
notamment, l'idée de danse au profit de celle de chant, de joie et de
divertissement. La plus intéressante, à notre avis, désigne la
ritournelle dansée à la gloire de David et qui irritait si fort le roi
Saul : pehe-pu-piti - littéralement "chanson en deux groupes" - qui
fait irrésistiblement penser au fameux tarava tahitiens.
De même, dans l'épisode relatant l'exhubérance du peuple et
de son roi David lors du transport de l'Arche de l'Alliance vers
rant :
Jérusalem, la TOB, suivant étroitement le texte hébreu, traduit
"dansaient de toutes leurs forces devant Dieu" ; la Bible tahitienne,
elle, utilise l'expression himene ma te u'ana - chanter avec fougue !
Dans le même épisode, mais raconté en II Samuel 6, on trouve
oaoa-haere-raa
marche joyeuse. Même remarque à propos des
bouffonneries de Samson à la cour des Philistins, le verbe p1r\ 10
-jouer, danser - est rendu successivement par faaarearea - divertir,
amuser
au verset 25, et par faanavenaveraa - charmer - au
-
-
verset 27.
Société des
Études
Océaniennes
4
On
se
rappelle le mépris de Mikal, fille de Saul, lorsque,
sa fenêtre, elle voyait David, dénudé, danser comme un
homme de rien devant ses servantes : le même verbe p Ti V) ,
penchée à
utilisé par le royal
curieuse expression
danseur pour se justifier, est ici rendu par la
haapeu taata ino - faire de vilaines manières qui constitue, plus qu'une simple traduction, une véritable
paraphrase.
Nous terminerons notre inventaire des expressions bibliques
de la danse en comparant les traductions française et tahitienne
d'un même verset du Cantique des Cantiques : E hi'o outou i te
vahine Sulami i te aha ? Mai te
mea
te
hi'o
ra
matou
i te
mau
pupu
piti ra. - Pourquoi regardez-vous la Sulamite ? Parce
que nous regardons les groupes de deux armées lV3 est
ici accolé à un terme obscur, en une expression qui peut signifier
soit "danse de Mahanaïm" (Palestine) soit, plus probablement,
"danse en deux camps ou à deux partenaires". De toute manière,
l'idée de danse se trouve proprement évincée de la traduction
o
na nuu e
tahitienne.
Il n'est pas
dans notre propos, évidemment, d'élaborer un
répertoire exhaustif des nombreux vocables tahitiens invitant, dans
la Bible, à la louange et à la jubilation devant Dieu. Nous nous
bornerons à faire quelques remarques sur l'usage des termes
techniques de la musique instrumentale et chorale.
De manière très poétique, les Tahitiens ont assimilé la
musique à un gémissement : oto, dans sa forme causative faaoto.
Les instruments de musique, qu'ils soient à vent, à anche, à cordes
ou à percussion, deviennent donc des "objets à faire gémir" - mau
mea i faaotohia - des "manières à faire gémir" - mau peu faaoto des "objets inanimés qui gémissent" - mau mea. ora ore e oto nei ou encore "les manches à faire gémir" - mau mauhaa faaotohia. En
règle générale, les divers traducteurs ont utilisé, si possible, le nom
des instruments autochtones ; dans le cas contraire, ils donnaient,
selon la règle déjà énoncée, une consonance tahitienne aux termes
hébreux.
Te pu : Il s'agit d'une conque marine dont les Tahitiens savent
tirer de fort beaux sons pouvant être entendus loin à la ronde et qui
jouait
rôle important dans les cérémonies religieuses de l'ancien
C'est, et de très loin, l'instrument le plus fréquemment
un
marae.
mentionné dans la Bible tahitienne
: nous en avons
de cent,
cor
traduisant à la fois le
dénombré plus
et la trompette
Te vivo : Cette petite flûte, dont on joue avec le nez, avait une
place primordiale à l'occasion des divertissements tahitiens. On la
Société des Etudes Océaniennes
5
retrouve
festifs.
et
mentionnée à 11 reprises, dans des contextes fort joyeux
Pourtant Nott et Davies ont cru devoir lui préférer
parfois des néologismes, tels helila de
en Samuel 10, que
Crook avait rendu par vivo quelques années auparavant ; ogeba de
,
jLJh.y
et nekaba de
,
it?*
.
Te
pahu : L'importante percussion polynésienne, fait très
significatif, n'apparaît presque jamais dans les listes bibliques
d'instrument de musique. Nous n'avons, en effet, répertorié aucune
mention du toere, une seule du pahu dans le contexte polémique de
Job 21
alors que Crook n'avait éprouvé aucune difficulté à
l'utiliser dans le contexte déjà cité de Samuel 10 - et deux mentions
du tariparau dans la version révisée en 1863 d'Exode 15, où il
désigne le tambourin de Myriam. Partout ailleurs, Nott, comme
-
l'avait fait Davies avant lui du reste, substitue aux termes tahitiens
l'hébraïsme tophe de *) dont le sens échappe également à tout le
monde !
De tous les autres instruments
-
la
et
-
te nabala
te teselete - sistres
cithare,
cymbale
En
-
-
bibliques tahitianisés, te kinura
te supheri - le cor, - te manatima
clochettes seul le sumebala - tymbale ou
la harpe,
ou
trouvé place dans le vocabulaire tahitien.
a
qui concerne le chant
quasiment chassé de la Bible
ce
rencontre
-
constamment
le néologisme himene a
équivalents tahitiens. On le
par contre,
ses
dans le contexte des célébrations litur¬
giques, parfois précisé par umere - chant de louange -, par arue - cri
joie, exultation -, par haamaitai - chant de bénédiction, ou
encore par oaoa - chant de joie. Un autre anglicisme, salamo, a
conservé jusqu'à aujourd'hui son sens technique de. psaume, mais
non celui, plus général, d'hymne ou de cantique qu'il reçoit, en
particulier, dans les listes bibliques de chants liturgiques. Les
traducteurs ont également créé un néologisme à partir de l'hébreu.
V
chant
qui n'est plus utilisé que comme titre tahitien du
Cantique des Cantiques : Sire. On le trouve, comme le précédent,
dans la suscription de certains psaumes, ainsi que dans les listes
d'Ephésiens et Colossiens.
de
-
-
plus profanes des rondes enfantines, des
féminines, des chansons d'ivrognes et de railleurs ou de
réjouissances diverses, on trouve pehe - chant, chanson. Fait
significatif, ce mot ne prend un sens liturgique que dans les textes
polémiques où Dieu, par la bouche de son prophète, témoigne de
son dégoût pour les cérémonies et les cantiques de son peuple. Il
convient d'y ajouter des expressions ma'ohi telles que reo umere littéralement "air de louange" - reo oaoa - air joyeux ou encore oto
Dans les contextes
ritournelles
Société des
Études
Océaniennes
6
utilisé pour traduire le genre des complaintes, éligies ou
otoraa,
lamentations chantées.
autres
Un vocabulaire
mettait donc en
hymnologique presque entièrement nouveau
place à l'intention des communautés chré¬
tiennes, réservant la terminologie ma'ohi traditionnelle aux
contextes polémiques, péjoratifs ou profanes.
Nott devra encore, certainement pour les mêmes raisons de
censure, renoncer à la belle expression ma'ohi que Pomare II et luimême avaient utilisé en Jean 10 pour traduire la Fête de la
Dédicace, raumatavehiraa, pour celle imprécise et banale, de
faahouraa - renouvellement.
se
Les règles qu'il suivait apparaissent donc assez claires et
logiques :
Lorsqu'il en avait le choix, il utilisait généralement le terme le
plus anodin du vocabulaire de la fête tahitienne : ori plutôt que
-
heiva
-
ou
a
aucune
-
upa.
éliminé certains termes par trop chargés de sensualité festive :
pour une mention du pahu et deux du tariparau, on n'en trouve
Il
Il
a
du toere, par
exemple.
souvent édulcoré la
verve
du texte
biblique, quitte à
en
modifier parfois le sens.
Il a ainsi créé les éléments d'unê
terminologie liturgique nouvelle
face aux mamaia particulièrement, que la joie
chrétienne procède de pulsions radicalement différentes de la fête
païenne ou profane et doit donc utiliser d'autres modes
d'expression.
Mais la danse a la vie dure, à Tahiti comme ailleurs ! Elle
réapparaît même très tôt dans la vie paroissiale des îles Australes,
dont les stations n'ont jamais été sous le contrôle direct des
missionnaires, dans le cadre du tuaroi, appelé aussi matuturaa. Il
s'agit d'un "exercice biblique communautaire" typiquement
ma'ohi, ponctué de chants traditionnels, les tarava, sur la mélodie
desquels le verset étudié est astucieusement adapté. Lorsque le ton
s'anime, on peut fréquemment voir un homme ou une femme se
lever et exprimer sa joie par un mouvement de tout le corps, parti¬
culièrement des mains. Les gestes sont parfois destinés à souligner
le sens des paroles ; le plus souvent ils font bonnement partie
intégrante de leur arueraa, de leur exultation devant Dieu et devant
-
pour marquer,
leurs frères.
Jacques NICOLE
Société des
Études
Océaniennes
7
L'ÉSOTÉRISME TAHITIEN
"lorsqu'on
a étudié les doctrines secrètes
prêtres polynésiens..."
(H. Nevermann) (1)
des
Beaucoup de livres ont été écrits sur la civilisation tahitienne
sur la religion tahitienne, mais aucun sur l'ésotérisme
tahitien (si l'on excepte un ouvrage de très bas niveau sur le mana).
On comprend pourquoi. L'ésotérisme, par définition, demeure
caché, ou du moins discret ; il se présente comme une doctrine
secrète ou une pratique occulte. Cette difficulté, propre à tout
ésotérisme particulier (comme l'alchimie ou la Rose + Croix) aussi
bien qu'à l'ésotérisme en général, croît en Polynésie française. A
cela, il y a trois raisons au moins. D'abord, bien que la découverte
de Tahiti par Wallis date de 1767, les témoignages sur l'ésotérisme
ma'ohi paraissent pauvres : ils se limitent, dans la pratique, à
quelques pages de Cook, de Ellis, de Orsmond (via Teuira Henry) ;
et
même
les documents directs sont
et de textes
rares : on
constate l'absence de
peintures
écrits, la pluralité des versions
en littérature orale, la
reconstitution- des marae, la destruc¬
mauvaise conservation -ou
tion des anciennes "idoles",... D'autre part, depuis 1797, la
Polynésie française se veut chrétienne ; les découvreurs (comme
Cook), les missionnaires (comme Ellis), les chercheurs (comme
Nevermann) rejettent comme "païenne", "immorale" ou "supersti¬
tieuse" la "magie" polynésienne ; Bougainville avoue même son
(1) Les Religions du Pacifique et d'Australie (1968), trad, de l'ail., éd. Payot, 1972,
Société des
Études
Océaniennes
p.
14.
8
impuissance à savoir et à comprendre : "Il est fort difficile de
donner des éclaircissements sur leur religion... En général ses
compatriotes sont fort superstitieux" (2). Enfin, -tout le monde le
reconnaît, surtout les Tahitiens- on ne trouve plus ou presque de
guérisseurs comme Tiurai (mort en 1918), de spécialistes de la
marche sur le feu comme Tupua (qui exerçait à Raiatea en 1898),
d'informateurs comme ceux que consultait J. M. Orsmond de 1817
à 1834
(3).
"L'ésotérisme tahitien". Par "tahitien"
nous
entendons ici
:
de
Polynésie française, plus exactement de la population ma'ohi
(les Maori étant la population polynésienne de Nouvelle-Zélande).
Quant au mot "ésotérisme", nous avons essayé de le définir dans un
autre livre (4). Un ésotérisme est un enseignement occulte, doctrine
ou théorie, technique ou procédé, d'expression symbolique,
d'ordre métaphysique, d'intention initiatique. On reconnaît qu'un
objet est ésotérique lorsqu'il présente des caractéristiques bien
précises et parfaitement spécifiques : opposition ésotérique exotérique, analogies et correspondances, usage des nombres
symboliques et des cycles cosmiques, affirmation du subtil, recours
aux sciences et arts occultes (alchimie, astrologie, divination,
magie, médecine occulte), impersonnalité de l'auteur, discipline du
la
secret.
Existe-t-il
un
ésotérisme tahitien ? Nous
nous
contenterons
approche, qui énumérera les principaux ésotérismes. Bien
entendu, cette recension exigerait une autre étude, celle des
conditions ; il faudrait surtout se pencher sur la structure du
vocabulaire sacré, l'organisation sacerdotale et le système des
symboles dans les représentations figurées, dans le vêtement, dans
les mythes et légendes.
d'une
1) Des mythes obscurs
Un ésotérisme
"primitif', autrement dit appartenant à une
écriture, se fonde presque toujours sur un ou des
mythes. Et ces mythes sont souvent ésotériques en ce sens qu'ils ne
sont pas connus de tous et contiennent des connaissances sacrées
qui débordent le cadre social et l'enseignement religieux. En
société
sans
(2) Bougainville, Voyage autour du monde... (1771), X, avril 1768, éd. Maspéro, coll. La
Découverte, 1980, p. 156.
.
(3) Mlle Teuira Henry, Tahiti
J. M.
aux temps
anciens (1923) (d'après les papiers de
Orsmond, 1824-1848), trad, de l'an., 1962, Publications de la Société des
Océanistes (P.S.O.), pp. 16, 161,
255, etc.
(4) P. Riffard, Dictionnaire de l'ésotérisme, éd. Payot, 1983, pp. 119-130.
Société des
Études
Océaniennes
9
Polynésie française, les grands mythes, donc les mythes de
l'origine, ont une composition nettement ésotérique. Ils n'étaient
sus que de quelques-uns, les "promeneurs de nuit" (haere po), et
compris que de quelques-autres, les grands-prêtres (tahu'a nui),
cela dans une atmosphère hiératique. A propos des experts qui se
consacraient à la transmission du patrimoine littéraire, P. O'Reilly
et J. Poirier notent : "Ces hérauts publics... exprimaient par leurs
déclamations la pensée des ancêtres et pouvaient être les interprètes
des dieux ; (...) remarquons que nous ignorons tout de la partie
ésotérique de leur science, qui a dû être considérable et semble
malheureusement irrémédiablement perdue" (5). Quant au contenu
des mythes, il répond à celui des mythes ésotériques en général :
évocation d'un déluge, idée d'un centre du monde, affirmation d'un
vide initial, image de l'œuf cosmique, notion de Premier
Homme,... Le Chant de Création du Monde proclame : "... Depuis
des temps immémoriaux existait le grand Ta'aroa, Tahitumu
(l'origine)... La coquille était comme un œuf qui tournait dans
l'espace infini... Tu étais avec Ta'aroa (l'unique) quand celui-ci créa
l'homme..." (6).
2) Les chamanes (tahu'a
Le
:
créateurs)
point le plus important demeure celui des spécialistes de
l'ésotérisme. On
ne
saurait les confondre ni
avec
les sorciers
(tahutahu), spécialistes du sacré dans le mal, ni avec les prêtres en
général (tahu'a), spécialistes du sacré pour le culte. Certes les
ésotéristes ma'ohi s'appelaient aussi tahu'a, "créateurs", "prêtres"
(alors qu'on les nomme joliment "ancres des dieux", taoula aitou,
aux Samoa) (7), mais ils avaient ceci de
particulier qu'ils étaient
initiés. Un initié a subi des épreuves physiques, morales et
spirituelles pour atteindre une expérience directe et efficace du
monde divin. Exactement, le tahu'a est un chamane : quelqu'un
capable d'extase personnelle, quelqu'un œuvrant dans une
communauté pour assurer le lien avec le ciel et l'enfer, quelqu'un
croyant en des esprits, démons, génies. Les anciens Européens ont
beau les appeler "sorciers", dans la vieille tradition de l'Inquisition,
on
reconnaît
en
eux
des chamanes. Comme les chamanes
d'Amérique du Nord ou d'Asie du Nord, ces hommes réalisent des
exploits spirituels, guérissent des maladies surnaturelles, partent en
quête des âmes malades ou mortes, mémorisent mythes et
(5) Apud Histoire des littératures,
(6) Tahiti
aux
temps anciens, pp.
ency.
Pléiade, t. I, 1955,
p.
343-346.
(7) J. B. Stair, Old Samoa, Londres, 1897, p. 220 sq.
Société des
Études
Océaniennes
1477.
10
généalogies, formules et prières. Maui, héros de nombreuses
légendes, monte au ciel et descend en enfer, il peut voler en prenant
la forme d'une colombe (8). "Dans les îles Marquises, on raconte
l'histoire de la bien-aimée du héros Kena, qui s'était suicidée parce
que son amoureux l'avait grondée ; Kena descend aux Enfers,
capture son âme dans une corbeille et retourne sur la terre" (9). Du
point de vue non plus littéraire mais historique, les Polynésiens
distinguaient dix sortes de chamanes, adonnés chacun à quatre des
dix disciplines reconnues. Cette organisation ésotérique rappelle
dans un autre contexte celle des Romains (Pontifes, Vestales,
Augures,...), des Etrusques (spécialistes de l'haruspicine, des
foudres, des prodiges,...), des Celtes (druides devins : vates, druides
poètes : bardes,...), a) Le chamane des sanctuaires (tahu'a marae)
s'occupait de l'édification et de l'utilisation des marae, les
sanctuaires par excellence des Ma'ohi. J. Morrisson écrit en 1792,
après avoir quitté la fameuse "Bounty" : "Les marae ou lieux de
prières sont des rectangles de terrain abondamment plantés
d'arbres et entourés d'un mur de pierres d'un mètre à deux mètres
de hauteur et de même épaisseur (...). Les premiers de ceux-ci (les
prêtres) sont les iahua marae et leur rôle est de faire les offrandes
au marae et de
s'occuper du lieu sacré ; ils chantent les prières ou
les hymnes dans une langue inconnue des indigènes" (10).
b) Le chamane de pêche (tahu'a tautai) utilisait, outre les
incantations, sacrifices, prières, rites, des pierres (puna) ayant la
forme du thon
de la bonite pour
faire venir ces poissons. C'est,
typiquement, un acte que Frazer ferait entrer dans la "magie
sympathique" (11). c) Le chamane herboriste (tahu'a ra'au) relève
de l'ésotérisme par sa connaissance des plantes médicinales.
J. Brotherson, dit Teriifaahee, observe ceci qui est capital, tant du
point de vue spéculatif que du point de vue pragmatique : les
recettes se divisent en "recettes données" (ra'au horoa) et "recettes
pas données" (ra'au eere ite mea horoa), ces dernières étant sans
valeur voire dangereuses sans la prescription directe de l'herboriste
qui lui donne son "pouvoir spirituel" (12). Le plus célèbre de tous
ou
(8) Katharine Luomala, Maui-of-a-Thousand-Tricks, Bishop Museum, bulletin 198,
Honolulu, Hawaï, 1949.
(9) M. Eliade, Le Chamanisme
Payot, 1974,
p.
et
les techniques archaïques de l'extase (1951), 2e éd., éd.
290.
(10) Journal de James Morrison, second maître à bord de la "Bounty" (1792), trad, de l'an.,
S.E.O., 1966, pp. 147, 149.
(11) J. Frazer, Le Rameau d'or (1890-1915), vol. I : Le Roi magicien dans la société
primitive, chap. 4, trad., coll. Bouquins, 1981, p. 41.
(12) "Les Nouvelles de Tahiti", 10 juillet 1985, Papeete,
Société des
Études
p.
19.
Océaniennes
11
les chamanes médecins demeure Tiurai le Guérisseur, bien présenté
en 1925 par Orsmond Walker dans le n° 10 du "Bulletin de la
Société des Études Océaniennes". "Issu d'une des plus puissantes
familles de l'île (de Tahiti), Tiurai mourut en 1918, à l'âge de
83 ans... Il apprit les secrets de la thérapeutique indigène, qu'il
pratiqua sous toutes ses formes jusqu'à sa mort... Pour les soins
qu'il donnait, Tiurai ne s'attendait point à un paiement en espèces
et n'en acceptait jamais... Autant de cas, autant de méthodes
différentes. Le pouvoir de Tiurai comme guérisseur a été très
discuté ; certes il a fait des cures merveilleuses lorsqu'il a été obéi à
la lettre, et d'un autre côté des personnes dignes de foi affirment
qu'ils ont vu mourir des malades soignés par Tiurai".
d) Le chamane de la marche sur le feu (tahu'a umu-ti) est
phénomène métapsychique aussi célèbre qu'inexpli¬
cable : l'art de ne pas sentir et de ne pas faire sentir aux autres la
chaleur de la braise, art caractéristique des "maîtres du feu" dans
diverses initiations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie. C'est le tahu'a qui
rend le phénomène possible. L'ethnologue Gudgeon l'atteste : "Je
dois vous dire que j'ai vu (à Rarotonga, aux îles Cook) la
cérémonie du feu (umu-ti), et que j'y ai même participé... Nous
trouvâmes le tohunga (tahu'a), un homme de Raiatea, qui faisait
les préparatifs nécessaires... Le tohunga dit à Mr Goodwin : 'Je fais
passer en vous mon mana, emmenez vos amis avec vous'... J'effec¬
tuai le passage sans mal et un seul membre de notre groupe fut
gravement brûlé, toutefois il fut établi -dit-on- qu'à l'instar de la
femme de Loth, celui-ci s'était retourné pour regarder en arrière,
chose contraire à toutes les règles... Quand l'opération fut
terminée, je sentis un fourmillement assez semblable à de légères
secousses électriques, sous la plante des
pieds, et cela dura sept
heures ou même plus... Le tohunga était un jeune homme, mais de
Raiatea, où l'aptitude des gens à marcher sur le feu se transmet par
voie héréditaire. Je peux seulement vous dire qu'il s'agit de mana
tangata (mana humain et personnel) et de mana atua (mana des
esprits)" (13). e) Le chamane exorciste (taata tatai) répond à un
besoin de la société polynésienne. Cette dernière admet le pouvoir
des sorciers (tahutahu) et l'existence d'entités maléfiques : les âmes
des récents défunts (tupapa'u), les esprits mauvais (varua'ino)( 14).
Il faut donc chasser ou réduire les influences néfastes. A cet effet,
maître d'un
(13) W. E. Gudgeon,
The Umu-Ti or Fire-Waiking Ceremony, "The Journal of the
Polynesian Society", VIII, 1899, Wellington, Nouvelle-Zélande,
(14) A. Babadzan, Naissance d'une tradition. Changement culturel et syncrétisme religieux
aux Iles Australes (Polynésie française), Travaux et documents de l'ORSTOM, n" 154,
1982, pp. 47 sq„ 221 sq„ 257.
Société des
Études
Océaniennes
12
l'exorciste utilise divers moyens, en
particulier les formules, le
bruit, les grimaces. Voici une formule : "Sortez, ô dieux (atua) !
Retournez aux ténèbres, auxquelles vous appartenez, et ne revenez
jamais plus dans cette personne !..." (15). Voici quelques rites :
tendre une Bible, manipuler la lumière, frapper deux cannes de
bambou croisées l'une
l'autre, lancer des insulaires (16). f) On
peut faire des remarques analogues sur les autres types de
chamanes, ceux de l'agriculture (tahu'a fa'aapu), de la voyance
(tahu'a hi'ohi'o), de la taille des pierres (tahu'a taeai ofai), des
pirogues (tahu'a tarai va'a), des légendes (tahu'a ara pô).
sur
3) Les inspirés (ùru hia
mot à mot excités fortement)
:
Les
inspirés sont des prophètes au sens strict : ils ont la
d'interprètes d'un dieu (atua). A côté des chamanes ils
apparaissent moins structurés et ne s'appuient plus sur l'extase
mais sur la possession. Dans l'extase, l'âme est dite se séparer du
corps et voyager dans l'espace pour voir, pour guérir ou autre ;
dans la possession, au contraire, un élément étranger s'introduit
dans l'homme, un dieu vient l'habiter et parler par des mots ou des
gestes. Autre différence, le chamane est un initié en ce qu'il a
longtemps travaillé, tandis que l'inspiré est un homme dominé de
façon provisoire, involontaire souvent (17). En 1837,
Moerenhout (18) a donné une superbe description des inspirés :
fonction
"Des individus
étrangers à leur ordre (celui des prêtres),
du moins périodiques, comme les
prêtresses de Delphes, pouvaient presqu'en tout temps rendre leurs
oracles, représentaient le dieu et en prenaient souvent le nom. Un
individu, dans cet état, avait le bras gauche enveloppé d'un
morceau d'étoffe, signe de la présence de la Divinité. Il ne parlait
que d'un ton impérieux et véhément... Il tremblait alors de tous ses
membres, la figure enflée, les yeux hagards, rouges et étincelant
d'une expression sauvage
Il répondait aux questions, annonçait
l'avenir, le destin des batailles, la volonté des dieux ; et, chose
étonnante ! au sein de ce délire, de cet enthousiasme religieux, son
langage était grave, imposant, son éloquence noble et persuasive".
inspirés
en permanence ou
...
(15) Tahiti
aux
temps anciens, p.
219.
(16) Naissance d'une tradition, pp. 65-67.
(17) H. Laval, Mangareva. L'histoire ancienne d'un peuple polynésien, 1938, éd. A.
Maisonneuve, 1942, t. I, p. 482.
(18) J.A. Moerenhout, Voyages
t.
aux
îles du Grand Océan ( 1837), éd. A. Maisonneuve, 1942,
I, p. 482.
Société des
Études
Océaniennes
13
4) Les médiums (haapaoraa varua'ino
esprits mauvais)
Outre les chamanes, les
Ceux-ci avaient
:
mot à mot s'occupant des
inspirés, existaient les médiums.
différent. Ils servaient non plus à
la communauté mais à des personnes privées ; ils étaient possédés
un
statut
encore
plus par des dieux connus et fixes mais, au hasard des
consultations, par tel ou tel esprit ; ils exerçaient non plus de jour
mais de nuit ; ils pratiquaient non plus l'extase chamanique ou
l'inspiration prophétique mais la transe spirite. Handy a laissé une
description d'une séance médiumnique aux îles Marquises (19) :
non
"Ceux
qui incorporent le dieu ou l'esprit à travers leur bouche
façon à pouvoir prophétiser et à répondre à des questions
touchant la maladie et la mort étaient spécialement appelés pae'a.
Ce sont souvent, sinon toujours, des femmes. Leur pratique était
dénommée ha'a topa te etua, "faire descendre le dieu", ou ha a uu
te etua, "faire entrer le dieu"... Le pae'a ouvrait grande sa bouche et
le dieu entrait à travers elle dans son estomac. Il parlait ensuite
d'une voix geignarde censée être celle du dieu, disant les causes de
la maladie et les possibilités de guérison".
de
5) Les devins (hVohVo)
Comme tous les
peuples, la population ma'ohi de Polynésie
française détenait et détient diverses techniques pour connaître (?)
l'avenir, soit directement par voyance, donc, soit indirectement au
moyen des mancies, donc. Les chamanes voyants, mais aussi les
inspirés, les prêtres, les gens du peuple (manahune) jouissent
d'intuition divinatrice ou lisent les signes. Exemple de voyance
(vrai ou faux) : la prédiction de l'arrivée des navires européens (20)
sans balancier avec des hommes vêtus de
pied en cap. Exemple de
mantique (efficace ou supersticieux) : "Le sacrifice du cochon se
faisait habituellement à la veille de quelque entreprise. L'épine
dorsale, les oreilles et les entrailles fournissaient les présages. Ainsi,
quand il y avait un défaut dans l'épine dorsale, si les oreilles se
tenaient droites après la mort, il ne fallait pas entreprendre la
guerre sous peine d'être battu. Les indices donnés par les entrailles
étaient plus compliqués" (21).
(19) E.S. Handy, The Native Culture in the Marquesas, Bishop Museum, Publications 9,
Honolulu, Hawaï, 1923, p. 265.
(20) Le Mémorial polynésien, Mazellier
Papeete, Tahiti, 1978, pp. 120-121.
-
Danielsson, t. 1
:
1521-1833, éd. Hibiscus,
(21) Ed. de Bovis, Etat de la société tahitienne à l'arrivée des Européens ( 1855), Société des
Etudes Océaniennes (S.E.O.), n° 4, Papeete, Tahiti, 1978, p. 36.
Société des
Études
Océaniennes
14
6) La société secrète des Arioi et celle des Ka'ioi
Le
grand anthropologue Mauss dit ceci : "Il existe à Tahiti
une
société des Areoi, seule société secrète que je connaisse vraiment en
Polynésie" (22). Mais est-ce bien une société secrète ? et de quel
type ? est-elle bien la seule en Polynésie française ou même en
Polynésie ? Les Arioi, à y regarder superficiellement, semblent une
profane faite de comédiens ambulants qui vivent dans
la pire licence sexuelle. Cependant, certains points laissent penser
que les Arioi, comme les Francs-Maçons d'Europe ou les Triades
association
de Chine
ou
les Gens-du-Blâme de
des membres
l'Islâm, cachaient derrière la
spirituel. Pour être admis Arioi, il
fallait que l'homme ou la femme se montrât capable de transe ; la
majorité des spectacles consistait en représentations dramatiques
de mythes (comme dans les Mystères antiques) ; les membres
étaient hiérarchisés en sept grades, chacun ayant -sauf le premierun tatouage
spécifique (cette fois, on se rappellera que les initiés de
Cybèle et d'Atargatis, eux aussi, étaient tatoués). Aussi les Arioi ne
sont pas admirés (ou craints) comme
simples comédiens, mais
respectés (et craints) comme de possibles hommes du sacré. Forster
en 1774 le voyait déjà
: "Les Arioi jouissent de différents privilèges,
masse
un
et on a pour eux une
noyau
grande vénération
aux
îles de la Société et
(sic) à Tahiti" (23). Les Arioi n'étaient pas la seule organisation
initiatique de la Polynésie française. Les Arioi de l'archipel de la
Société et les Ka'ioi de l'archipel des Marquises présentaient de
nombreux points communs : culte de la fécondité, ouverture de
l'association aux membres qui ne seraient pas nobles (arii),
tatouage rituel, grades, représentations dramatiques à caractère
traditionnel et symbolique, liberté sexuelle.
7) Le culte secret de Io
En 1933, le linguiste J.F. Stimson (24)
révélait, à partir de
renseignements donnés par ses informateurs dans l'archipel des
Tuamotu, l'existence d'un culte d'un dieu unique et supérieur,
ignoré du peuple, et appelé Io. Outre les quatre grands dieux
-Ta'aroa, Tane, Rongo, Tu- et au-dessus d'eux "les Polynésiens
avaient un dieu suprême, primordial, créateur de toutes choses, de
tous les êtres, et que seul un petit
groupe de prêtres connaissaient
(22) Manuel d'ethnographie (1947), Petite Bibliothèque Payot, p. 151.
(23) J.G.A. Forster, A Voyage round the world..., 1777, Londres, 2 vol.. Sur l'archipel de la
Société : t. I, pp. 253-417, t. Il, pp. 51-161.
(24) J.F. Stimson, Tuamotuan Religion, Honolulu, 1933,
Société des
Études
pp.
Océaniennes
9-93 (textes
sur
Io).
15
(sic). Bref, il s'agirait d'un culte ésotérique s'ajoutant
exotérique pratiqué par tout le monde" (25).
8) Le centre spirituel
Les doctrines
fréquemment
:
au
culte
Raiatea
ésotériques -Guénon y a insisté- croient
spirituel légendaire, à la fois réel et
en un centre
idéal
: les Juifs ont Jérusalem, les Chrétiens
Rome, les Musulmans
Mekke, les Grecs Delphes, etc. L'ésotérisme ma'ohi s'est donné
un lieu sacré :
Raiatea. Cette île est présentée comme étant
Havai'iki, lieu mythique des Polynésiens ; elle possède le seul
marae international, celui où les
prêtres de toute la Polynésie
venaient : le fameux marae Taputapuatea du district d'Opoa ; c'est
à Opoa que furent fondées deux religions, celle de Ta'aroa, celle de
Oro, et l'association sacrée des Ario (sous Tamatoa 1er) ; les âmes
des morts étaient censées se rendre à Raiatea, sur "ce mont tapu
qui soutient, plus haut que les nues, le Rohutu délicieux" (26)
{Rohutu noanoa : les Élysées parfumées).
La
9) La puissance (mana)
Pour les
Polynésiens, le mana est cette qualité qui rend tel
efficace, tel objet agissant. Le critère est le succès. On le
pense comme une sorte de pouvoir appartenant à certains humains
et à certains êtres ou événements ; avoir ou utiliser ce
pouvoir
permet de réaliser des prodiges. En Polynésie, le mana peut se
transmettre par voie héréditaire (on a vu que c'était le cas pour le
tahu'a umu-iti cité par Gudgeon) ; on peut aussi l'acquérir au
contact d'une autre personne ou d'un objet (par exemple en étant
en relation avec un
authentique chamane, en touchant une effigie
de pierre [ti'i] dite vivante). Le mana se révèle dangereux, nuisible
même, pour l'homme qui n'a pas personnellement de mana : il ne
peut supporter cette puissance sacrée. Le mana peut paraître et
disparaître, être volé. Parmi les hommes ceux qui ont le plus de
mana sont, bien entendu, le héros (aito)
et le chamane (tahu'a) ; le
héros détient le pouvoir politique, le chamane détient la puissance
spirituelle : la tête des chefs était particulièrement tabou (tapu) à
cause de cela (27). Ce
qui est mana participe du monde divin (ao
ra) tout en demeurant dans le monde présent (ao nei), l'os du mort
homme
(25) B. Danielsson, La Polynésie, apud Ethnologie régionale, vol. I : Afrique - Océanie,
ency. de la Pléiade, 1972, p. 1292.
(26) V. Ségalen, Les Immémoriaux (1907), II, 1 ; Presses Pocket, 1982, p. 115.
(27) D. Porter, Journal of a Cruise made to the Pacific Ocean, New-York, 1822, p. 65 (aux
Marquises).
Société des
Études
Océaniennes
16
ce titre rempli de cette force mystérieuse (28) (d'où la
quantité d'ossements dans les marae). On le voit, la notion de
mana, d'essence polynésienne, paraît être une notion occulte, une
idée ésotérique. Les ethnologues ont cherché des équivalents dans
le wakan des Indiens Dakota (chez lesquels le mot désigne aussi le
chamane !), le nyama des Ouest-Africains, etc.
étant à
10) Les sanctuaires (marae)
Le sujet est immense. Et à peine exploré quant à l'aspect
spirituel, qui est malgré tout le premier. En quoi y-a-t-il ésotérisme
dans les marae ? Tout ce qui concernait les marae était tabou ; le
nom de la divinité était tenu secret ; les prêtres utilisaient une
langue archaïque hermétique aux autres ; dans une fosse étaient
cachés des objets regardés comme magiques (anciens objets
cultuels, cheveux coupés, cordons ombilicaux, rognures d'ongles) ;
des convents de grands-prêtres venus de Nouvelle-Zélande, de
Hawaï, etc. s'y tenaient (du moins à Raiatea), où étaient transmis
mythes et généalogies ; le rite de construction des marae obéissait à
un symbolisme
profond ; la plus grande partie des rites consistait à
manier le mana, à invoquer les dieux, à incarner les âmes dans les
pierres ; les chamanes avaient leur marae, et aussi les sorciers et les
artisans organisés en corporations ; le marae était interdit aux
femmes et au peuple, sa plate-forme (ahu) à tous ceux qui n'étaient
pas des officiants ; le bruissement des feuilles -comme à Dodone en
Grèce- indiquait une parole divine à qui savait l'entendre ; etc.
J. Garanger de conclure : "Le grand marae Taputapuatea d'Opoa à
Raiatea était le grand centre religieux de tout le monde ma'ohi...
L'ésotérisme était de règle" (29).
11) Un monument "astrologique"
Les
archéologues ont récemment découvert à Mangareva ce
les habitants nomment "le trou du Soleil". Il s'agit d'un puits
assez profond, fait de pierres, qui a cette particularité d'être creusé
de façon à observer le solstice d'hiver. Vers le 22 juin (solstice d'été
dans l'hémisphère Nord), le Soleil atteint le Tropique du Cancer,
l'hiver austral commence. Un historien peut considérer ce puits
comme un observatoire pré-scientifique, mais les historiens des
religions ne peuvent que constater le lien étroit entre la pierre et
que
(28) R.H. Codrington, The Melanesians, Oxford, 1891, p. 119.
(29) Pierres et rites sacrés du Tahiti d'autrefois. Société des Océanistes, Musée de l'Homme,
Paris, 1979, p. 10.
Société des
Études
Océaniennes
17
l'astrologie, les solstices et les initiations. L'observation des
s'accompagne souvent de rites secrets. Stone-henge, entre
autres exemples, se présente comme un monument
mégalithique
orienté en fonction et en prévision des solstices.
solstices
12) La magie
Au
large, la magie et l'ésotérisme peuvent se confondre.
strict, la magie n'est qu'un des arts occultes, l'action
efficace quoique non naturelle et non rationnelle qui transforme
par la parole, par le geste, par l'image ou par la pensée. Les
Polynésiens -mais cela ne paraît guère original- ont abondamment
pratiqué la magie. L'activité des chamanes relève en grande partie
de la magie. Voici un cas de magie relaté par Anne Hervé (30) :
Au
sens
sens
"Il
faut
jamais plonger ou se baigner quand on s'est disputé
conjoint. Ainsi, à Apataki, en 1927, quand une femme
étrangère à l'île eut le bras arraché jusqu'à l'épaule, en plein lagon,
par un petit requin, c'est parce qu'elle venait de se disputer avec son
mari, qui, de colère, avait jeté du cotre sa couverture à l'eau ; la
femme s'était jetée à l'eau pour la rattraper".
ne
avec son
Il
s'agit dans
ce cas
de magie naturelle.
13) Objets ésotériques
Si l'on demandait à un Européen à quoi lui fait penser un
éventuel ésotérisme à Tahiti, il répondrait : "le tiki". L'idée est
répandue que "les statues polynésiennes" -les "tiki"- sont remplies
de mana et donc dangereuses. En partie la tradition ma'ohi
confirme cela. Le ti'i se présente comme une statuette de pierre ou
de bois, qui représente de façon stylisée ou réaliste un humain ou
un dieu. La fonction des ti'i relève de l'ésotérisme : ils
symboli¬
saient des âmes ou esprits, on les utilisait pour jeter les sorts
(comme
en Europe
de bornes (comme
les poupées à aiguillettes), on les plantait à titre
dans la Grèce antique les Hermès) (31). On les
dote de la faculté de se déplacer, de jeter des pierres. Cela ne vaut,
bien sûr, que pour les effigies vivantes (ti'i or a), celles qui ont
encore le mana, la force donnée
par l'ancêtre ou le dieu ou le
mauvais esprit. Les anecdotes sont légion.
(30) Anne Hervé, Magie et sorcellerie chez les indigènes de l'archipel Paumotu, "Journal de
la Société des Océanistes", t. 4, 1948,
p. 55.
(31) Anne Lavondès, Art ancien de Tahiti. Société des Océanistes, 1979, p. 19.
Société des
Études
Océaniennes
18
14) L'initiation
Au centre de l'ésotérisme
(qui est une connaissance secrète) se
(qui est une mutation intérieure). Pas de mystère
purification. Honoré Laval a donné quelques lignes sur
trouve
sans
l'initiation
l'initiation
:
"Tout individu
qui aspirait à la dignité de prêtre devait passer
espèce d'apprentissage ; puis venaient les diverses
cérémonies... Il devait d'abord apprendre une infinité de récits, (...)
que j'appellerai évocation faite aux dieux pour en obtenir quelque
faveur, et surtout conjuration pour les fléchir et détourner tout
malheur, tels que les maladies, la mort, etc. Il devait prendre le
costume d'un nouveau taura
[tahu'a], qui consistait uniquement en
une ceinture en feuilles de ti, et
promettre d'observer la continence
pendant tout le temps que dureraient les longues cérémonies du
'igogo (initiation), et plus tard toutes les fois que sa position
exigerait le tapu vis-à-vis de sa femme... Avant de procéder à la
cérémonie du 'igogo, les futurs taura -ils étaient ordinairement
plusieurs à la fois- se construisaient chacun plusieurs cabanes
provisoires près du marae (autel ou lieu sacré)... Une fois leurs
cheveux rasés, les initiés venaient à leur tour raser ceux de
par une
l'initiateur. A
ce
moment, ce dernier se trouvait ordinairement
sous
le coup
d'une inspiration subite... Les initiés faisaient à cinq
reprises un plongeon (dans la mer), en passant par-dessus le dos de
l'initiateur qui s'était couché de tout son long dans l'eau... Venait
ensuite le 'igogo proprement dit ou bouchée mystérieuse.
L'initiateur prenait un morceau de fruit à pain fermenté et cuit sans
avoir été pétri qu'il mêlait à la crème de coco également cuite... A
chaque initié qui recevait une bouchée, il disait : 'Reçois Tu', et
l'initiateur se sentait alors sous le coup de l'inspiration..."
Cette citation
(o.c., p. 309 sq.) paraîtra longue, mais elle est
précieuse. Elle fait entrer le curieux au cœur même de
l'ésotérisme tahitien, dans son aspect intérieur, spirituel, évolutif.
L'initiation tahitienne ressemble à toutes les initiations spirituelles
que l'on connaît. Il y a distinction du maître et du disciple :
initiateur et initiable ; il y a séparation entre futur initié et peuple ;
il y a secret ('igogo : initiation : bouche mystérieuse ; en grec,
"mystère" vient de la racine mu, "bouche close") et silence (la
demeure de l'initié s'appelle 'are-mumu, "séjour de silence") ; il y a
changement de statut social : l'initié ne s'habille plus et ne se
comporte plus comme les autres, et il ne parle plus comme un
homme mais au nom du dieu qui l'inspire ; il y a plusieurs étapes
dans l'initiation, symbolisées par des cabanes successives, symboles
extrêmement
Société des
Études
Océaniennes
19
elles-mêmes d'états mentaux et de mondes
il y a le rite du repas sacré ; etc.
La
pensée tahitienne
spirituels hiérarchisés
;
propension à l'ésotérisme. Cela se
séparations : langage archaïque des
prêtres, interdictions nombreuses, tatouage réservé, et ainsi de
suite. Cela se manifeste aussi idéologiquement, par des notions :
celle de mana (puissance occulte), entre autres ; C. Bausch (32)
ess'ayait même de trouver la classique opposition entre ésotérisme
et exotérisme dans la distinction entre ao
(lumière, monde) et po
(nuit, enfers).
a une
manifeste socialement, par des
L'ésotérisme tahitien n'est pas
complètement mort. Récem¬
Papeete, on voyait un guérisseur exercer sur la place
publique ; à Raiatea, un homme, Tuarii, pratique régulièrement la
marche sur le feu ; les ti'i et les marae continuent à inspirer une
crainte respectueuse ; ces temps derniers, à propos d'un éboulement meurtrier à Huahine, les
journaux ont signalé que de vieilles
femmes avaient soupçonné l'événement car une pierre venait de
tomber d'un point précis de la montagne, or chaque fois que cela se
produisait un malheur s'ensuivait (33).
ment, à
Un dernier
point mérite d'être signalé. Nous n'avons parlé
jusqu'à présent que de l'ésotérisme ma'ohi, de la population
indigène de Polynésie française. Or, il existe aussi un ésotérisme
papa'a, de la population occidentale. Depuis une dizaine d'années
on observe un succès grandissant des
phénomènes ésotériques,
qu'il ne faut pas confondre avec le succès foudroyant des
confessions. A Arue, on remarque la présence de l'ordre rosicrucien A.M.O.R.C., d'origine américaine ; on note les passages, à
Papeete, d'orateurs du Grand Orient de France, une des
principales obédiences maçonniques ; les œuvres de O.M.
Àïvanhov, Maître de la Fraternité Blanche Universelle, se vendent
bien. La question suivante vient alors à l'esprit : existe-t-il enfin un
ésotérisme tinito, un ésotérisme propre à la population chinoise
vivant à Tahiti ? La réponse est oui. Il suffira de mentionner l'usage
des baguettes divinatoires dans le temple du quartier Mamao à
Papeete. Faut-il craindre un syncrétisme ? Autre et vaste question.
(32) C. Bausch, Po and A o : analysis of an ideological conflict in Polynesia, "Journal de la
Société des Océanistes", n° 61, 1978, p. 170.
(33) "Le Nouveau Journal de Polynésie", Papeete, 22 avril 1987.
Société des
Études
Océaniennes
20
L'ésotérisme à Tahiti montre
avenir
un
beau
passé et promet
un
bel
...
Pierre A. RlFFARD
Docteur
en
philosophie,
docteur ès-Lettres et Sciences humaines ;
Université de
Ouagadougou, Burkina Faso.
BIBLIOGRAPHIE
J.
COOK, The Journals of Captain Cook, J.C. Beaglehole édi., Cambridge, 4
vol., 1955-1967, 3352 p. Trad. fr. du premier voyage {Relation des voyages...,
1773, trad. 1774, 4 vol., Paris), du second voyage (Voyage clans l'hémisphère
austral..., Mil, trad. 1778, 5 vol., Paris), du troisième voyage (Troisième
voyage..., 1784, trad. 1785, 4 vol., Paris).
W.
P.
ELLIS, A la recherche de la Polynésie d'autrefois (1829), trad, de l'an.
(Polynesian Researches), Publications de la Société des Océanistes (P.S.O.),
Musée de l'Homme, Paris, 2 vol., 1972, 945 p.
HUGUEN1N, Raiatea la sacrée {1902-1903), éd. Haere po no Tahiti, Papeete,
Tahiti, Polynésie française, 1987.
E.S. HANDY, The Native Culture in the
Honolulu, Hawaï, U.S.A.
Mil. Teuira HENRY,
Tahiti
;
Marquesas, B.P. Bishop Museum, 1923,
Kraus reprint Co., New York, 1971, p. 265 sq.
aux
temps anciens
(1923), trad, de l'an., P.S.O.,
1962, 671 p.
E.S.
HANDY, Polynesian Religion (1927), Bishop Museum, bulletin 34,
publication 12, Honolulu, 1978, 342 p. ; Kraus reprint Co., New-York, 1971,
p. 233 sq.
W.E.
M.
MUHLMANN, Arioi und Mamaia, Wiesbaden, 1955, éd. Steiner, X-269 p.
ELIADE, Le Chamanisme et les techniques archaïques de l'extase (1968),
2e éd., éd. Payot, 1974, pp. 289-295.
D.L.
OLIVER, Ancient Tahitian Society, University Press of Hawaï, Honolulu,
vol., 1974.
3
Le Mémorial
A.
polynésien, éd. Hibiscus, Papeete, 1977
ss.,
6 t., surtout t. I.
BABADZAN, Naissance d'une tradition. Changement culture! et syncrétisme
religieux aux Iles Australes (Polynésie française), ORSTOM, 1982, 313 p.
Encyclopédie de la Polynésie, éd. Gleizal/ Multipress, Papeete, 1986 ss., 9 vol.,
vol. 4 (A la recherche des anciens
Polynésiens) et vol. 5 (La vie quotidienne
dans la Polynésie d'autrefois, 144 p.).
Société des
Études
Océaniennes
21
L'INSERTION DES RAPANUI
A TAHITI ET MOOREA
(1871-1920)
Dès la seconde moitié du XIXème
siècle, Tahiti devient la
d'accueil d'un certain nombre de groupes ethniques arrivés
comme main-d'œuvre.
En effet, l'île connaît alors un dévelop¬
terre
pement de l'économie de plantations qui nécessite de nombreux
bras. La
dépopulation tahitienne, critique, obligeait donc les
appel à des travailleurs émigrés. Parmi ces
populations déplacées, une communauté Rapanui élira domicile
sur une colline (Pamatai) à proximité de Papeete. Ce groupe existe
toujours et nous fournit l'occasion de reconstituer son passé, et son
insertion dans la réalité sociale politique et économique de
l'époque.
colons à faire
La
plantation Brander à Haapape
un certain nombre de Rapanui pour
plantation de Haapape. D'accord avec son
associé le capitaine Dutrou Bornier, qui était installé à l'Ile de
Pâques, 241 insulaires avaient signé un contrat qui les obligeait à
rester dans la plantation pour trois ou cinq ans.
La maison Brander cultivait de la canne à sucre et fabriquait
son propre sucre.
La culture et la récolte de coton était aussi
pratiquée et la main-d'œuvre était toujours insuffisante.
Les immigrants Rapanui furent donc installés à Haapape qui
correspond actuellement à la commune de Mahina. Il existe peu de
documents sur cette plantation et seul un plan cadastral est
En 1871,
Brander fit venir
travailler dans
sa
accessible. Tout de suite
une
Société des
forte surmortalité réduit les effectifs.
Études
Océaniennes
22
"Soit par
de nourriture
suite du changement de climat, soit à cause du peu
qu'on leur donne ou de mauvais traitements qu'ils
ont endurés, ou enfin par l'effet de la
nostalgie dont ils sont atteints
profondément" (1).
C'était
son
l'explication donnée
par
le T.R. Père Bousquet dans
rapport aux membres des conseils centraux de l'Œuvre pour la
propagation de la Foi, en janvier 1872. La personne la plus proche
des Rapanui était à cette époque le Père de la Paroisse de
Haapape : le Père Georges Eich. Une de ses lettres, datée du
21.06.1872 signale :
"A 20 minutes d'ici est une grande plantation de coton où
travaillent tous les habitants de l'Ile de Pâques qui ont été
transportés l'année dernière à Tahiti. Il y en a environ 210 de
transportés. Une grande mortalité qui a éclaté soit à cause du
changement de climat, soit à cause du peu de nourriture et de
mauvais traitement, les a décimés plusieurs fois. Il y a 52 morts
depuis leur arrivée (c'est-à-dire) un quart" (2).
Jusqu'à l'année 1873 les décès des Pascuans de la plantation
Brander étaient annoncés dans le Messager de Tahiti : à cette date,
77 Rapanui étaient déjà morts. Le Père Eich dans une lettre du
5.10.1873 comptait 95 morts !
Dans le Mémorial Polynésien qui fait d'ailleurs une erreur en
situant la plantation Brander dans l'actuel district de Papenoo,
limitrophe de Mahina (jadis Haapape), un article au titre
significatif "On meurt aussi à Papenoo" - rend compte de ce
mouroir qui fut la plantation pour ces transportés :
"A Papenoo, les Pascuans subissent le même destin que les
Mélanésiens et les Micronésiens parqués à Atimaono : ils sombrent
dans la mélancolie, commencent à tousser, sont pris de fièvre,
vomissent et perdent leurs forces. La seule différence, c'est que les
Pascuans disparaissent plus lentement, sur une période d'environ
deux ans, à raison d'un ou deux par semaine" (3). Il nous faudra
nous en tenir aux lettres du Père Eich
pour en savoir davantage sur
les Pascuans de la plantation. Il raconte cependant : "Je dois être
sur mes gardes en allant chez eux
pour les confesser, car on m'a
menacé plusieurs fois".
Quelques enfants sont nés de couples employés chez Brander,
mais à côté de tous les décès leur nombre est infime, d'autant
plus
(1) Père Americo Cools, L'Ile de Pâques et la Congrégation des Sacrés Cœurs,
Documentations, MS 271. 788-95 (972) - 5 Rome 1979, p. 183 (969).
(2) Idem.
(3) Ph. MAZELLIER, Mémorial Polynésien, Ed. Hibiscus, Papeete, 1979, Tome III.
Société des
Études
Océaniennes
23
que certains ne survivront guère longtemps. A partir de 1877 la
dénomination "Rapanui" sera abandonnée dans les rubriques du
Messager de Tahiti ; la démographie pascuane dans la plantation
Haapape sera donc plus difficile à cerner.
Le comportement des Rapanui semble être très satisfaisant et
même Torometi et Roma (jadis des guerriers redoutables) se
conduisent correctement. Il y a cependant quelques exceptions.
Ainsi, le "Tribunal supérieur de Papeete, constitué en Tribunal
criminel, Audience du 27 septembre 1875, a prononcé son verdict
dans les dix affaires que nous énumérons : 5° Paranape, Antonio et
Atamu, indigènes de l'Ile de Pâques, vol avec violences et voies de
fait : 5 ans de réclusion, 5 ans et 3 ans de prisons. M. Langomazino,
défenseur" (4).
de
Si ces Rapanui étaient jugés par le Tribunal supérieur de
Papeete, c'est qu'ils étaient libérés des obligations contractées lors
de l'établissement du contrat de travail sur la plantation Brander.
En effet, le Conseil d'administration avait décidé en février 1874 :
"Art. 1er : la direction des affaires indigènes est chargée sous notre
autorité, de la police, de la discipline et de la protection des
immigrants" (5).
Les immigrants sous contrat coupables d'un délit, étaient donc
jugés et punis dans la plantation même par le directeur des Affaires
indigènes sans avoir recours au Tribunal supérieur de Papeete. Il
existe à l'Archevêché de Papeete une liste avec le nom de ceux qui
furent confirmés
en
1871 et 1872. Ils sont
au
nombre de 92 mais
ce
qui est significatif c'est qu'on retrouve les mêmes noms sur la liste
des acquéreurs de terres quelques années plus tard qui assurèrent la
continuité de la communauté pascuane à Tahiti. Les conditions de
vie, même si le planteur devait se plier aux lois d'immigration de
1864 (qui empêchèrent l'esclavage) étaient très éprouvantes. Ainsi,
"comme ceux des Gambier (terre d'accueil d'un autre groupe
d'immigrants Rapanui), ils songent à retourner chez eux. Mais
comme le disait le Père Eich "Je doute fort de
l'accomplissement de
leurs vœux. Ils se sont engagés les uns pour 3 ans, les autres pour
5..." (6).
Les Rapanui durent aussi se plier aux diverses ordonnances
promulguées à l'époque en rapport avec les immigrants. En 1872,
tous ceux qui n'étaient pas sous contrat devaient avoir un permis
de résidence signé par le Directeur de l'Intérieur et par le
(4) Messager de Tahiti, du 08.10.1875.
(5) Messager de Tahiti du 06.02.1874.
(6) A. COOLS,
p.
182 (468).
Société des
Études
Océaniennes
24
Commandant du Port de
Papeete. Ils étaient aussi contraints de
des impôts ou d'autres charges afférentes aux Indigènes (7).
Selon les réglementations de 1864 les Rapanui étaient des
salariés, (20 francs par mois en moyenne) et la nourriture et leur
rapatriement étaient aux frais du planteur qui les engageait.
En 1877, une ordonnance permet aux Océaniens étrangers de
se faire naturaliser : ils deviennent donc sujets du Protectorat et
sont en tant que tels rayés du rôle du Service des Contributions (8).
Nous n'avons pas trouvé cependant des Rapanui naturalisés. Tous
avaient presque terminé leur contrat, mais ils étaient encore sous le
contrôle de Brander qui devait leur fournir la nourriture, subir les
inspections et payer leur rapatriement. A la fin des contrats, le
retour ne s'effectua pas > le planteur avait trouvé un moyen de
détourner la loi ou la plantation ne produisait pas assez pour
engager ces frais. Les Rapanui se tournèrent donc vers la mission
catholique, seul refuge accessible pour cette communauté sans
payer
recours.
La Mission à Tahiti
Si les Pascuans font
appel à la Mission Catholique, ce n'est
hasard. Ils avaient été convertis par les membres de la
Congrégation de Sacrés Coeurs (Picpus) dont leur mission à
Rapanui dépendait du Vicariat Apostolique de Tahiti et par
conséquence du Vicaire Mgr Tepano Jaussen.
pas par
L'église catholique, avec ses prêtres, proposaient aux Rapanui
vie, une assistance et une protection. Ainsi la foi
catholique, exprimée avec un style polynésien très particulier,
unifie cette communauté autour de ses prêtres et de leurs activités.
Les baptêmes, les confirmations, les mariages et les décès étaient
des célébrations qui réunissaient les Rapanui plusieurs fois dans
l'année. La célébration de la messe, les processions des fêtes,
l'adoration du Saint-Sacrement, les temps des prières, les retraites
annuelles dans la chapelle de l'évêché étaient des activités qui
un
cadre de
rassemblaient cette communauté autour des "Pères". La vie de
("pupu"), la communauté ("amuiraa") (9), c'étaient des
phénomènes intrinsèques de la religion catholique. Le Père a une
connotation d'autorité mais aussi d'affection (Metua).
groupe
Les chants et la
parole remplacèrent l'écriture, et ainsi les
(7) Messager de Tahiti, 17.02.1874.
(8) Messager de Tahiti, 02.11.1877.
(9) P. HODÉE, Tahiti, 1834-1984, 150
Société des
ans
de vie chrétienne
Études
en
Océaniennes
église,
p.
250 & suivantes.
25
"himene" (chants) et le "matuturaa" ("soirées-débats") (10) sur "un
thème catéchétique" (11) duraient toute une nuit en se terminant
par une messe d'action de grâces au petit jour
les Rapanui soient partis avec Brander en
(12). Bien que tous
1871, nous avons
retrouvé une lettre datée du 01.03.1872 adressée au Père Fouqué
dans laquelle Mgr Jaussen signale qu'il y a 14 Rapanui engagés à la
mission. Au même moment le Père Roussel (qui était le chef de la
Mission à l'Ile de Pâques) était aussi à Tahiti avec 13 séminaristes
mangaréviens. Nous pensons donc que les Pascuans étaient venus
de Mangareva avec le père Roussel.
Mgr Jaussen était en train d'acheter une propriété à Pamatai
pour y loger les séminaires, il ajoute dans sa lettre : "Les Rapanui
seront installés dans le reste à mesure qu'ils seront libres" (13) soit
lorsque leurs engagements avec Brander prendront fin. Quel était
le statut exact des Rapanui dans la mission ? Ils étaient en général
engagés sous contrat. Ainsi en 1872, un contrat est établi entre 6
Rapanui et Mgr Jaussen dont voici les termes : "Les indigènes de
l'Ile de Pâques désignés ci-dessus s'engagent à travailler chez
Monseigneur l'évêque d'Axiéri et à faire tous les travaux qui leur
seront ordonnés, pendant trois années consécutives à compter du
1er juillet 1872, moyennant une somme mensuelle de vingt francs,
plus la nourriture et le logement. Aucun des engagés ne pourra
refuser de travailler à moins de
cas
de maladie et il
ne
pourra non
plus s'absenter de l'établissement de Monseigneur sans sa
permission. Les indigènes de l'Ile de Pâques ci-dessus dénommés
ne demandent pas dans le présent contrat d'engagement à
être
rapatriés, le rapatriement n'aura lieu qu'autant que l'administra¬
tion l'exigera, après l'expiration de ce contrat, et alors il aura lieu
aux frais de l'engagiste" (14). On leur fit lecture du contrat car ils
étaient illetrés. Ils acceptèrent toutes les clauses ou conditions en
apposant à chacun une croix. Les autres contrats sont des
exemplaires types appelés "contrat d'engagement". Ils étaient
rédigés selon les mêmes termes mais la durée de l'engagement
pouvait varier : trois ans, douze ou dix huit mois. Le salaire sera de
20 francs par mois de 1872 à 1875, date qui correspond aux
derniers contrats trouvés à l'Archevêché de Papeete. Engagés alors
par la mission on trouvera aussi des Rapanui travaillant à Papeete
et à Faaa (district dans lequel se trouvait le domaine de Pamatai).
(10), (11), (12) P.
HODÉE, Tahiti 1834-1984, 150
ans
de vie chrétienne
suivantes.
(13) A. COOLS,
p.
182 (467).
(14) Document de l'Archevêché, "Contrat de Travail", 1-241-4-1.
Société des
Études
Océaniennes
en
église,
p.
250 &
26
Il y avait 12
Faaa (15).
travailleurs accompagnés de 3 enfants à Papeete et 10 à
Les Rapanui se feront remarquer par leur travail sérieux et le
soin qu'ils apportent à leurs tâches : le Père Colette avait fondé en
1869 à Faaa l'Œuvre des Apprentis, école dont les élèves méritants
étaient chaque année récompensés. En 1875, Grégoire, un
Rapanui, recevait un prix pour une bibliothèque construite dans
l'atelier de menuiserie. Timothé, un apprenti maçon, recevait, lui,
prix
piédestal en corail (16). En 1877, Grégoire Tuteau
prix de menuiserie après deux années d'appren¬
tissage. De leur côté, Paua Maria-Tepano et Paina Jone recevaient
un prix de maçonnerie (17). En 1878, lors de la remise de
récompense par la commission chargée de plantations, Roma chef
de la communauté pascuane à Pamatai se voyait décerner une
mention honorable pour le travail effectué dans la plantation. Les
années qui suivirent verront encore des Rapanui récompensés pour
leur capacités et la qualité de leurs travaux.
Petit à petit, ceux qui échappèrent aux maladies se regrou¬
pèrent à Pamatai pour former une véritable communauté. Elle sera
au début étroitement dépendante de la mission mais s'émancipera
progressivement sans pour autant perdre sa cohésion ni sa foi.
Toullelan affirme d'ailleurs que "en ce qui concerne les Indigènes
provenant des Territoires plus éloignés, tout démontre que la
plupart du temps, ils entendirent protéger leur particularisme" (18).
Il continue en citant Méthivet, lequel ajoute : "Les Rapanui
(habitants de l'Ile de Pâques) se sont regroupés tous dans une
vallée concédée par la Mission catholique près de Papeete et font
des merveilles, cultivant le coton, les patates douces, les melons, le
maïs" (19).
En fait le domaine de Pamatai
que nous étudierons dans le
détail plus loin - n'a jamais été concédé, mais loué et ensuite vendu.
Cette cohésion de la communauté se voit confirmée par la liste des
Pascuans de Tahiti établie par Me Call où nous constatons leurs
rôles comme témoins dans les naissances, les mariages et les décès
de Rapanui mais aussi comme parrains de nouveau-nés à leur
baptême.
un
pour un
recevait
encore un
-
(15) Archevêché de Papeete, Archives 1-24-1-11.
(16) Le Messager de Tahiti du 24.09.1875 et du 07.09.1877.
(17) Idem.
(18) P.Y. TOULLELAN, Tahiti colonial (1860-1914), Sorbonne, 1984, p. 94.
(19) Idem,
p.
94.
Société des
Études
Océaniennes
27
La communauté pascuane de Tahiti vécut longtemps
elle-même si l'on juge par l'absence de mariages
communautaires. Son comportement diffère donc de celui
répliée
inter¬
adopté
à Moorea ou Mangareva où l'intégration à la population
autochtone semble avoir été plus rapide. Naturellement, certains
Rapanui formèrent des foyers avec des tahitiennes et il existe
aujourd'hui quelques familles d'ascendance pascuane complète¬
ment incorporées à la société tahitienne. Dans leur grande
majorité, les Rapanui préfèrent cependant rester unis dans le
domaine de Pamatai, la Mission catholique et Mgr Jaussen étant
alors les piliers de la nouvelle communauté qui se formait.
sur
La Mission à Moorea
En
mission
1871, Mgr Jaussen décida de lancer modestement la
catholique à Moorea, dans le district de Haapiti, au lieu dit
Varari (20). Ce sont des habitants des Tuamotu et des Rapanui
arrivés au terme de leur contrat avec Brander qui fournirent les
premiers éléments de cette implantation. Ils formèrent une
coopérative agricole dont le Messager de Tahiti parle dans ces
colonnes : "A l'occasion de fêtes du 9 septembre 1878, est
désignée une Commission pour procéder à la visite des plantations
dont les propriétaires désireraient concourir pour l'obtention des
récompenses : classant d'abord les mérites des cultures par
districts, la Commission a pu constater que l'île de Moorea passe
en première ligne : 3ème
prix à Romepo et autres associations de
huit indigènes de l'Ile de Pâques, dont quatre mariés, établis à
Varari, district de Haapiti, depuis trois ans sur un terrain de 30
hectares qu'ils ont pu payer par leur travail et deux hectares loués.
Cette plantation présente huit hectares de coton de 1 à 3 ans en bon
état et en bonne qualité, 2 000 cocotiers environ, bien espacés, dont
une partie nouvellement
plantée par eux : 500 sont en plein
rapport. Ils ont aussi un champ de taro. L'aspect de cette propriété
est très satisfaisant" (21). Voilà donc un des rares documents qui
parle des Pascuans de Moorea, dont la lecture nous apprend qu'ils
étaient propriétaires de leurs terres. En étudiant les registres de
l'État-Civil de Haapiti-Moorea de 1875 à 1920, nous notons un
grand nombre de décès mais aussi beaucoup de mariages. L'âge
moyen de ceux qui se mariaient était de 30 ans. Ils étaient alors
descendants des migrants de 1871. Dans les actes de mariage, nous
avons remarqué qu'ils prenaient comme épouse des Puamotu de
(20) P.
HODÉE, Op. Cit.,
p.
212.
(21) Messager de Tahiti, février 1879.
Société des
Études
Océaniennes
28
Fangatau (Tuamotu). Une lettre du Père Rogatien Martin au T. R.
Père Bouquet à Paris nous en livre la cause : "Son district (au Père
Eich) de Haapiti verra désormais une réunion nombreuse de
catholiques ; outre les quelques indigènes de Moorea même, il y
avait eu une petite immigration d'une vingtaine de Rapanui qui s'y
étaient établis. Ils sont maintenant mariés et ont des enfants. De
plus, la semaine dernière, 29 personnes ont été emmenées de
Fangatau (Tuamotu) où elles mouraient de faim et ont été portées
à Moorea. Ce sera toute une réunion" (22).
Le nombre exact de Rapanui à Moorea varie selon les sources
utilisées. Ils étaient huit dans l'association de 1878, dont quatre
mariés. 20 pour le Père Martin et 12 selon un document non daté
de l'Archevêché de Papeete appelé "Acquéreurs" : ce document
présentant
une
liste de Rapanui de Pamatai et de Moorea.
La communauté de Moorea
conserva elle-aussi de nombreux
liens avec celle de Tahiti. Nous avons constaté d'ailleurs l'existence
de mouvements dans les deux sens. Ce groupe finira par se
confondre avec la population autochtone et il deviendra de plus en
plus difficile de suivre la trace des descendants : il faudrait pour
complète sur les généalogies pascuanes que
nous devons à Me Call. Les
Rapanui s'installèrent donc dans des
domaines cultivables, et à la différence des immigrants chinois qui
investirent dans le commerce, les Pascuans s'intégrèrent au groupe
des petits propriétaires terriens qui recouvraient presque l'en¬
semble de la population de Tahiti. L'attachement des Polynésiens à
la terre et l'activité agricole sont des caractéristiques culturelles
auxquelles les Rapanui ne faisaient pas exception. Ils étaient
pêcheurs ou cultivateurs, ils ne changèrent pas de métier à Moorea.
cela utiliser l'étude très
Le Domaine de Pamatai
La communauté
Rapanui s'installa dans ce domaine et fit de
lieu d'habitation mais aussi sa source de revenus. Les
terres de Pamatai furent aussi à l'origine de la Seconde Migration
Pascuane à Tahiti en 1968. De fait, elles incarnent la continuité
ses
terres son
Rapanui dans cette île même si durant de longues années (19201968) les terres furent abandonnées ou aliénées.
"Ce domaine de 103 hectares, situé près de Papeete dans le
district de Faaa, fut vendu aux enchères à la mission catholique fin
mars 1872. C'était l'ancienne propriété
Faucompré et elle a coûté
2.176.681 francs" (23). Nous avons déjà cité la lettre de
(22) A. COOLS, p. 198 (512).
(23) A. COOLS, Op. Cit., p. 205 (530-1).
Société des
Études
Océaniennes
29
Mgr Jaussen du 01.03.1872 dans laquelle il affirme que les terres de
qui n'étaient pas utilisées pour le Séminaire le seraient par
les Rapanui libérés de leurs obligations envers Brander. Ceux qui
avaient signé pour 3 ans étaient libres en 1874 et ceux qui s'étaient
engagés pour 5 ans en 1876. C'est à partir de cette année que les
Rapanui commencèrent à louer les terres dudit domaine. Les
Pascuans mirent sur un pied une sorte de coopérative qui louait les
•terres ou les redistribuait. Chaque exploitant devait payer 15
piastres (1 piastre chilien = environ 5 frs) par hectare et par année,
plus 3 piastres pour l'emplacement de la maison, payable chaque
année aussi. L'ensemble de la production ne revenait pas complè¬
tement à l'agriculteur puisqu'il devait en reverser une partie à la
Pamatai
mission.
Les problèmes financiers ne vont pas tarder à
nombreux documents les mettent en évidence. Voici
survenir. De
exemple :
"Harepare n'a pas payé son bail à partir du 2 juillet 1876 jusqu'au
23 janvier 1877, il doit 190 francs et il possède 4 hectares dont 150
pour le bail et 40 pour la production. Teiva, Ariano et Terano ont
les mêmes dettes. Kupa a payé pour les cocos 49 F, il doit 109 F.
Teroa doit 60 F pour avoir fait des dégâts à Pamatai" (24).
Dans
taire
un
autre document
nous
avons
retrouvé
"Les
un
ce
commen¬
Rapanui de Pamatai se moquent de nous, depuis 3 ans
ils ne paient rien. Cependant, outre le coton, ils ont une quantité
considérable de cocotiers en rapport, plantés autrefois par la
Mission (25).
En 1885, le Père Colette, décide de faire une visite à Pamatai
pour essayer d'arranger le problème de dettes (26). Le 25 de la
même année, un projet de contrat de vente des terres du domaine
est rédigé par Mgr Jaussen aux Rapanui : l'action du Père Colette
avait porté ses fruits. Auparavant, les Rapanui intéressés par
l'achat des terres devaient payer toutes leurs dettes, somme qui
avait été retenue comme prix de la transaction. Mais le R.P.
Rogatien Martin écrivait au T.R. Bousquet à Paris le 4.10.85 :
"Quant à Pamatai près de Papeete, vendu l'an dernier (en fait
c'était la même année) aux Rapanui établis sur ce terrain, il y a un
peu à craindre que le paiement ne s'effectue pas. Ils ont fait le
premier paiement de 5 000 frs ; le second qu'ils avaient l'intention
de faire en juillet dernier n'a pas encore eu lieu" (27). Finalement le
:
(24) Archevêché de Papeete, Doc. TFA PAM 5-13 & 4 6.
(25) Idem.
(26) A. COOLS, Op. Cit.,
pp.
(27) A. COOLS, Op. Cit.,
p.
512-513.
512-513.
Société des
Études
Océaniennes
30
26
septembre 1887 un acte fut signé entre Mgr Jaussen et 25
Rapanui dont les charges et conditions de la vente sont stipulées
avec le
prix, le nom des acquéreurs et la somme déjà versée. Le prix
du domaine était fixé à 25 000 frs. Les Rapanui avaient payé
22 500 frs, la somme qui restait devait être payée dans un délai de
trois mois. Ainsi 25 Rapanui devenaient propriétaires "d'un terrain
de 118 hectares, composé d'un ensemble de parcelles décrites dans
les actes qui ci-après relatés au titre "Établissement de propriété".
Ce domaine est traversé par la route de ceinture (qui contourne
tout le périmètre de l'île de Tahiti)
qui le divise en deux parties très
inégales, la partie qui se trouve placée entre la route et la mer ne
comporte qu'une étroite bande de terre sur laquelle se trouve une
source d'eau potable.
La partie dudit domaine située entre la route
de ceinture et la montagne représente donc presque
la totalité de la
propriété" (28).
Qui
la Mission à vendre Pamatai. Si nous relisons le
en 1882 dans le livre du P. Hodée, nous
constatons
que la
Mission souffre d'un déficit annuel de
20 000 frs (29). Ajoutons aux problèmes financiers des problèmes
avec l'administration. L'Église
n'ayant pas de personnalité
juridique n'avait pas le droit d'acquérir et de gérer ses biens.
Ajoutons à cela que les missionnaires gênaient l'organisation
législative française dans la mesure où ils sont arrivés avant, avec
des propos religieux "dans des populations dépourvues de
gouvernement régulier" (30). L'accumulation foncière de part de la
mission fait l'objet des mauvais commentaires et feront sans doute
pression sur Mgr Jaussen pour qu'il vende. Mais les Rapanui
furent respectés en tant qu'acheteurs, puisque "faute de pouvoir
repartir dans leur Ile de Pâques, ils devaient trouver sur leur lot les
ressources qu'apportaient diverses plantations"
(31).
poussa
compte de Mgr Jaussen
Le 27.2.88 était enregistré à Papeete un acte déposé à l'étude
de M. G. Vincent, notaire, en présence de deux témoins
réprésen¬
tant
les 25 Pascuans
acquéreurs de Pamatai : "Voulant sortir de
partager équitablement entre eux ledit domaine,
en prenant considération de
l'importance de versements faits par
chacun d'eux sur le prix d'acquisition, ont nommé d'un commun
accord pour arbitres Henri Courtet garde d'artillerie et Nicolas
François Rouanne..., pour procéder à la division dudit domaine au
l'indivision'
(28) Acte de
et se
vente
(29) P. HODÉE,
(30) P.
p.
du Domaine de Pamatai, cédé par Judy Hereveri.
360.
HODÉE, Op. Cit.,
p.
345.
(31) Idem.
Société des
Études
Océaniennes
31
lotissement et à l'attribut des lots revenant à chacun d'eux dans les
conditions plus haut indiquées" (32). Les parcelles furent donc
numérotées et attribuées à chaque propriétaire. Avec l'acte de
plan était dressé portant les noms des propriétaires et les
(d'origine Rapanui) de chaque parcelle.
vente, un
noms
"Mais il est extrêmement convenu entre toutes les parties : 1° Que la parcelle du domaine située entre la route de ceinture et la
mer restera commune entre tous les
comparants, les sources qui s'y
trouvent entretenues à frais commun. 2°
La parcelle indiquée au
plan ci-annexée par les lettres ABCD sera également commune
pour recevoir l'Église, l'école, le cimetière et la maison de réunion
des comparants. Cette parcelle, pas plus que la précédente ne
pourra être aliénée sans le consentement unanime de toutes les
parties, qui ne pourront en demander le partage ou la licitation" (33).
-
Ces deux
parcelles occasionneront des différends qui obli¬
geront la communauté à avoir un procès devant les tribunaux.
Pour gérer ces deux parcelles, puisque les autres lots avaient
déjà été répartis, ils ont créé une assemblée qui veillait sur les
produits des-dites parcelles et de deux ruches d'abeilles. Un gérant
a été nommé en la personne de Ropero Karepare, au point de vue
financier et dans les rapports avec l'administration. Cette personne
était chargée de recevoir l'argent des terrains loués à des Chinois
(immigrants aussi) et l'argent qui venait aussi des terrains loués
dans la propriété des Rapanui à Moorea. Il devait veiller à ce que
tous les profits de ces terres, soit par les loyers ou par la vente de
produits, soient remis entre les mains du Père Colette qui était
chargé de la communauté Rapanui de Pamatai.
Mais des problèmes surgirent et au Tribunal civil de Première
Instance de Papeete un procès fut demandé par Bruno Oreara et
consorts (Ropero Karepare, Mati Petero, Nikonore Mariu,
Hinanironiro Mikaera et Kakarevareva Tepano) contre Maurata
Onorato et Consorts (Pua a Tiriiano, Ringavaruvaru a Jaremia,
Tera Tite et Tearahiva Mikaela).
Tous ont dû répondre aux interrogatoires des 8 et 9 avril 1890
devant la Chambre du Conseil du Tribunal civil de Première
Instance de Papeete. Le 10 avril d'autres Rapanui
faveur de Maurata Onorato et Consorts.
témoignent
en
Bruno Oreara et Consorts accusaient Maurata Onorato et
Consorts de
ne
avoir respecté les conventions
pas
(32) Extrait des minutes de
(33) Extrait des minutes de
sur
l'Étude de M. G. Vincent, notaire à Papeete.
l'Étude de M. G. Vincent, notaire à Papeete.
Société des
Études
Océaniennes
les terres
32
"Ils se sont appropriés les produits des parcelles de
réservés, c'est-à-dire le miel, les cocos, les maiore (espèce
d'arbre à pain) et le foin" (34). D'autres accusations étaient
formulées ; les défendants niaient les faits tout en apportant des
éclaircissements aux affirmations données précédemment. Pua a
Triano déclare pour sa part que Karepare a "dilapidé deux cent
soixante et onze piastres et demie provenant des terrains loués à ces
Chinois. Il a vendu également deux cent quatre-vingt dix neuf
piastres de Moorea et il a donné cette somme à l'évêque. Les gens
de Moorea qui ont versé cette somme se plaignent de n'avoir pas eu
de parts dans le partage de Pamatai" (35). Il n'avait jamais été
question d'inclure les Rapanui de Moorea dans l'achat du domaine
communes.
terres
de Pamatai.
Cet interrogatoire nous montre que les relations
de la communauté étaient plutôt difficiles, dès que la
à l'intérieur
mission leur
responsabilité de gérer leurs biens. Les interpré¬
avait donné la
tations des faits étaient très différents et ils ne reconnaissaient
même pas tous le même chef. Pour un groupe au moment du
procès, Karepare exerce encore ses fonctions. Pour les autres,
c'était Tiriano qui avait été élu "puisqu'il (Karepare) avait été
destitué par l'Assemblée à cause de. sa mauvaise gestion..." (36).
Ajoutons que les femmes jouaient un rôle très actif puisqu'elles
étaient dépositaires de l'argent de la communauté. Il s'agissait bien
souvent de la femme du gérant.
Cette
incapacité de se mettre d'accord face aux problèmes
qu'il fallait régler judiciairement va devenir un handicap pour ceux
qui, lors de la Seconde Migration de 1968, ont voulu revendiquer
les terres de Pamatai.
Nous
maintenant que
la mission finira
cela ne se fît pas
par
le Jugement de 1890. Archevêché de Papeete, Doc.
non
revendiquer
problème.
En effet, en 1916, le 29 août, Mgr Hermel jugera prudent
d'acheter, au titre de la Corporation Catholique de l'Océanie,
"pour le compte exclusif de la Mission, les deux terres laissées
comme propriété commune" (37).
Cependant, la Mission n'ayant pas de personnalité civile
(jusqu'en mai 1939), se voyait souvent contester ses propriétés à
moins qu'elles ne fussent inscrites au nom d'un prêtre ou de
Mgr Jaussen comme c'était le cas de Pamatai avant qu'il ne soit
ces
savons
terres communes,
(34) Doc.
sur
bien
que
(35) Doc. Jugement 1890.
(36) Idem.
(37) Archives Archevêché de Papeete
Société des
:
1-24, 6-18b.
Études
Océaniennes
sans
classé.
33
Pascuans. En 1947, le vicaire apostolique de Tahiti écrivait au
Supérieur du Collège de SSCC au Chili parce que : "Aujourd'hui
certains (illisible)... ou protestants qui se prétendent descendants
des Rapanui acquéreurs du Domaine de Pamatai, gens très
malveillants veulent évincer la Mission" (38). Il demande alors
"d'obtenir des natifs de Rapanui (à l'Ile de Pâques) de revendre à la
Mission leurs droits indivis sur deux petites parcelles de terre sans
importance" (39).
aux
Les lots ont bien été
récupérés par la Mission puisqu'en 1975
Mgr Mazé, dans une lettre à Me Call, lui confirmait que la parcelle
côté montagne "est occupée actuellement par un couvent de Filles
de Jésus et par l'Église du Christ Roi. Elle (la Mission) garde en
outre la bande qui fait face à l'aéroport, située entre la route et la
mer" (40).
Finalement, nous avons retrouvé un rapport établi par le Père
en 1943, sur le problème des terres communes dont nous
avons déjà parlé. Il dresse une liste des parcelles de Pamatai avec
leur propriétaire originel et les transformations successives qu'elles
ont subies. Huit lots ont été vendus dont quelques uns à d'autres
Pascuans (Bruno Oreara par exemple), 3 ont été loués et les
revenus envoyés aux héritiers à Rapanui, enfin 2 données, dont une
à la Mission qui se chargera aussi de préserver les intérêts pascuans
à Tahiti et d'envoyer régulièrement les revenus des parcelles aux
membres de la famille du propriétaire à Rapanui.
Malheureusement, les titres ou actes qui pourraient témoigner
de telles transactions font cruellement défaut ; un document trouvé
à l'Archevêché de Papeete expose brièvement les faits : "Tout ce
monde (les gens de Pamatai) s'est dispersé, abandonnant ces lots. Il
est des lots qui sont devenus propriété des gens, qui n'y avait aucun
titre, par l'occupation trentenaire. Peut-être le manque d'eau et de
routes est la cause partielle de cette désertion" (41).
Célestino
Nous pensons que les lots n'ont pas été véritablement
abandonnés, mais que les ventes, locations ou donations n'ont pas
été légalisées ; le temps et le manque de preuves ont rendu progres¬
sivement aléatoires toutes les revendications.
Les autorités chiliennes
(auxquels l'Ile de Pâques est attachée
depuis 1888) ont d'autre part interdit aux Pascuans de quitter l'île
de 1914 à 1960. Certains ont tout de même tenté de fuir
(38) Archives Archevêché de Papeete
:
1-24, 6-18b.
(39) Idem.
(40) Idem.
(41) Archevêché de Papeete,
Archives Doc. TFA PAM 1-1.
Société des
Études
Océaniennes
vers
Tahiti,
34
ce qui s'avéra une véritable
odyssée. Aucun ne pourra venir
s'occuper des terres qui jadis appartenaient à leurs ancêtres venus
en 1871. Cependant, celles-ci
acquièrent peu à peu de la valeur, leur
viabilisation-route goudronnée, adduction d'eau - a fait un capital
important qui finit par attirer l'attention des héritiers pascuans à
Rapanui. Ceux-ci reviennent en 1968 (année de l'arrivée d'une ligne
aérienne chilienne, Lan Chile à Papeete) et en revendiquent la
propriété. Les querelles se multiplient d'autant que le seul
argument employé est très souvent l'appartenance à la famille du
propriétaire de 1887. La famille polynésienne recouvre ordinai¬
rement un groupe très large d'individus, notamment avec la
pratique presque systématique de l'adoption. On imagine aisément
les multiples argumentations pour bénéficier de l'usufruit de ces
terres. Lorsque le gouvernement de la
Polynésie Française décida
de régulariser le problème de la propriété des terres de Pamatai, en
1956, le gouverneur Petitbon demanda à Mgr Mazé (Vicaire apos¬
tolique) de faire venir de Rapanui les procurations en règle des
propriétaires. Seuls trois répondirent - ceux des lots 10, 12 et 13 - et
envoyèrent les procurations signées le 19 janvier 1959 devant-le
"Jefe Militar" de l'Ile de Pâques et légalisées
par le Vice-Consul de
France à Santiago. Ces lots appartiennent maintenant aux héritiers
qui en avait fait la revendication : ils sont venus de Rapanui pour
exploiter leurs terres. Les autres ont par contre beaucoup de mal à
faire valoir leurs droits théoriques. La loi sur les trente ans
d'inoccupation réduit tous les espoirs et en tant qu'étrangers les
démarches sont plus difficiles et plus coûteuses. Le sort de l'actuelle
communauté, son insertion et son futur seraient des sujets dignes
d'une étude approfondie.
Les affiliations
parentales indispensables pour la survie de
l'objet d'une recherche très poussée de la
part de Mac Call qui identifia les tribus ou "mata" auxquelles
appartenaient chaque lot de Pamatai en 1887 selon la notion de
propriété de l'Ile de Pâques. Ainsi, il analyse toutes les possibilités
d'affiliation qui pouvaient donner un certain droit sur telle ou telle
parcelle. Une même personne pouvait donc affirmer avoir des
droits sur deux lots différents si elle démontrait que son affiliation
au propriétaire
original était valable selon les règles polynésiennes.
Les choses étaient donc loin d'être claires, nombreux furent ceux
obligés de prêter serment en déclinant leur nom devant un
notaire (°).
cette communauté
furent
Quelques Rapanui de la communauté de Pamatai sont
île, mais nous n'avons pas trouvé beaucoup de
témoignages sauf quelques lignes titrées du livre du Père Englert :
retournés dans leur
Société des
Études
Océaniennes
35
"Le capitaine Policarpo Toro (celui qui fera l'annexion de l'Ile
Pâques pour le Chili) leva l'ancre le 29 août 1888 avec le bateau
"Angamos" du port de Papeete. Dans cette opportunité sont
montés à bord les mariés (le nouveau catéchiste pascuan Nicolas
Pakarati et sa femme de Tuamotu) et quelques autres Pascuans qui
résidaient à Tahiti et qui voulaient retourner dans leurs terres.
Entre eux Tepano Rutirangui, devenu lépreux pendant son séjour
de plusieurs années à Tahiti. Mgr Verdier dans sa lettre où il
transmit les notes du Père Eich parle de trois lépreux venus de
Tahiti qui sont retournés dans leur île natale" (42).
de
(établie par Mac Call) des navires qui touchaient
Pâques jusqu'en 1900, on remarquera plutôt le passage de
Pascuans vers Tahiti que le contraire. Nous pensons qu'en sa
grande majorité les acquéreurs de Pamatai sont morts à Tahiti,
mais que le peu d'actes de décès retrouvés est dû à un incendie qui a
détruit une grande partie de cette précieuse documentation. Nous
avons appris par voie orale que quelques enfants provenant de la
génération née à Tahiti avaient été envoyés à Rapanui par leurs
parents, mais là encore, les données sont trop réduites. La lèpre
naturellement, ne va pas arranger les choses. Mac Call raconte
qu'en 1895 le docteur Jean Nadeaud "recensera 15 lépreux parmi
le petit groupe de Rapanui" (43).
Selon le recensement de 1881, il y avait à Tahiti et Moorea 88
indigènes de l'Ile de Pâques (44).
En 1900, selon Baessler, Neue Sudcesilder, Berlin 1905, la
colonie des Pascuans se composait de 20 hommes, 11 femmes et 13
enfants (45).
Dans la liste
l'Ile de
qui aurait visité Pamatai en
les Rapanui. Selon un livre
publié en 1910 deux colonies existaient durant le siècle dernier, une
à Niue-Mam à Haapiti (Moorea) et l'autre à Pamatai, mais aucun
chiffre n'est donné, ce qui réduit sérieusement nos sources.
Ajoutons que le trafic entre Tahiti et Valparaiso diminue
considérablement à cette époque et que l'Ile de Pâques annexée par
le Chili en 1888 ne représente pas grand intérêt pour les bateaux,
sauf pour la maison Brander qui continuait à recevoir la
production de laine. A ce propos écoutons le Père Eich en 1898 :
"... Les navires de Tahiti n'allant plus à Valparaiso, ne passent plus
Mac Call cite aussi
1906 et aurait
eu un
une
personne
petit entretien
avec
(42) A. COOLS, Op. Cit., Extrait du Père Englert, p. 212 (55).
(43) Me Call GRANT, Reaction to Disaster, Australia, 1976, p. 350.
(44) Le Messager de Tahiti, 1882, p. 64.
(45) A. COOLS, Op. Cit., p. 219 (516).
Société des Etudes Océaniennes
36
à l'Ile de Pâques, et pour louer une
goélette cela coûterait de 4 à
5 000 frs" (46). Les
Rapanui de Tahiti n'avaient sûrement pas de
quoi payer ce prix pour retourner chez eux
L'agriculture était donc l'activité économique la plus
importante pour cette communauté de Pamatai. Ainsi, dans la liste
des Rapanui résidant à Tahiti de 1871 à
1900, rédigée par Me Call,
90% des hommes étaient des agriculteurs ou avaient un
rapport
avec l'activité
agricole. Il est probable que les femmes suivaient et
aidaient leurs maris dans les
champs.
La
mer
semble avoir été
une source
de
revenus
pour
certains
Rapanui. Ainsi une annonce parue dans le Messager de Tahiti du
27 septembre 1883 demande à MM
Tera, Peremaratino, Repikio,
Teakarotu et Makario Kopunnui de se
présenter pour toucher leur
salaire après un licenciement sur une
goélette mangarévienne.
Les
Rapanui de Tahiti n'ont jamais perdu espoir de retourner
d'origine. Dans un jugement qui était fait à Papeete
entre les héritiers de l'association
Brander, Dutrou Bornier et
Mgr Jaussen à propos des possessions de l'Ile de Pâques, une
réclamation a été faite par un groupe de
Rapanui installées à Tahiti
dans leur île
et
Moorea.
Le
14
juin 1884 "à neuf heures du matin au greffe des
Papeete et devant nous greffier, a comparu
Langomazino, défenseurs près lesdits Tribunaux et de :
M. Apero a Tamanu
2° M. Renvaruvaru a Hau
tribunaux de
M.
1°
-
3° M. Tahuahana
a
Ohuiti
-
-
4° Aoiti
célibataire
a
Huei
-
5° D. Pava
a
Manu,
majeure - 6° M. Oterea a Anakena, tous indigènes de
Rapanui Ile de Pâques, cultivateurs, demeurant à Faaa, île de
Tahiti 7° M. Oramuka a
Rati, indigène de la même île, demeurant
à Haapiti, Moorea..."
(47). Lesquels venaient formuler des
observations aux terres qui leur appartenaient et
qui n'avaient,
selon
-
été vendues à Dutrou Bornier.
Mais le 24 juin 1884, devant le Tribunal de
Première Instance
de la Chambre Civile, Audience de criées :
la vente des biens à l'Ile
de Pâques appartenant à la société
communauté indivise BranderDutrou Bornier, a eu lieu sans tenir
compte des réclamations faites
eux, pas
par Mgr Jaussen et par les Rapanui de Tahiti et Moorea.
Le
Tribunal considéra que ces réclamations n'avaient
pas de
fondements sérieux, et elles ont été
consignées dans le Cahier des
Charges sans que d'autres observations aient été faites ensuite sur
le même
sujet.
(46) Idem.
(47) Actes du Tribunal de Première Instance, Chambre Civil de
Papeete, 1884.
Société des
Études
Océaniennes
37
Nous remarquons que
le défenseur de Mgr Jaussen et des
ce jugement est le même : M. Langomazino. Ce sera
le dernier effort de cette communauté pour faire valoir ses droits
Rapanui dans
terre d'origine. Malheureusement,
rien,une fois de plus nous devons laisser
soin de rendre justice.
sur sa
ses
au
efforts n'aboutirent à
temps et à l'histoire le
Conclusions
Le décès de presque
maladie soit par carence
les deux tiers des émigrants, soit par
alimentaire ou nostalgie va faucher les
rangs des 241 travailleurs arrivés dans la plantation de Haapape.
En 1873, soit deux années après il ne reste que 146 survivants. A la
plantation, chez Brander, ils possédaient le statut de travailleurs
émigrés, ils étaient nourris, logés et soignés par le planteur, comme
le lui commandaient les différentes instructions gouvernementales.
Ceux qui furent engagés à la Mission depuis le début et ceux
qui s'y réfugièrent à l'issue de leur contrat en 1874 eurent beaucoup
plus de chance ; leur statut d'agriculteur et une meilleure alimenta¬
tion en sont la cause. Un autre groupe d'une vingtaine d'individus
choisira de partir à la mission de Moorea. Plus tard, ceux qui
s'étaient engagés pour 5 ans et dont le contrat venait à échéance en
1876 vinrent grossir les rangs de la Mission de Pamatai.
Ainsi, d'après la liste de Mac Call et selon les données de
l'État-Civil de la commune de Faaa, nous comptons à Tahiti 80
Rapanui en 1886, y compris ceux qui sont nés depuis 1871, 30 à là
Mission de Moorea.
Nous avons vainement cherché des actes de naturalisation à
Tahiti. Ceci nous laisse à penser que les Rapanui furent bien
par les autorités du Protectorat
Gouvernement territorial après l'annexion : ils
puis par celles du
n'éprouvèrent pas le
besoin d'accéder au statut de Sujet Français. On peut avancer à
cela plusieurs raisons et notamment le fait que la communauté
n'était pas nombreuse, que son activité économique s'inscrivait
sans heurt dans l'économie du Territoire, enfin que les autorités
regardaient avec bienveillance l'apport de bras propres à remplacer
ceux qui faisaient défaut dans l'agriculture de plantation.
L'intégration se fit donc au fil des ans, et à mesure que leurs espoirs
acceptés
de retour s'amenuisaient.
Il
impossible d'établir le nombre exact de ceux qui
Rapanui, mais nous pouvons cependant affirmer
qu'ils furent peu nombreux en raison des difficultés inhérentes à ce
nous
est
retournèrent à
Société des
Études
Océaniennes
38
genre de voyages : son prix et surtout la rareté des liaisons entre
Tahiti et l'Ile de Pâques. Si l'ethnie
pascuane ne prospéra pas, la
religion catholique fut cependant la grande gagnante de cette
migration. Les Rapanui furent très attachés à leurs missionnaires
la pratique religieuse cimenta cette
communauté, face aux
Tahitiens en majorité protestants à Tahiti et Moorea.
et
La mission catholique eut donc une action
bénéfique pour les
Rapanui : elle permit à la communauté de survivre alors que la
mort n'épargnait pas ceux
qui travaillaient pour Brander à la
plantation de Haapape.
Entre 1920 et 1968, date de la Seconde
Migration, la
communauté pascuane à Tahiti ne
compte plus que quelques
individus. Aucun flux migratoire en provenance de l'Ile de
Pâques
ne se produisit dans cet intervalle car le
gouvernement chilien avait
interdit le départ des habitants.
La
cause
directe de la Seconde
Migration fut exclusivement
économique. En effet, les terres de Pamatai avaient pris de la
valeur du fait de la proximité de
l'aéroport de Faaa. La reven¬
dication de ces terres et leur propriété
pouvaient ainsi assurer un
revenu substantiel aux
Rapanui, en général démunis, de l'Ile de
Pâques.
Les espoirs qu'avaient nourris les
Rapanui à propos des terres
de leurs ancêtres à Tahiti ont très souvent été
déçus, du fait surtout
de la pratique de l'occupation trentenaire
qui déterminait à Tahiti
le véritable propriétaire.
Bien que les
caractéristiques ethniques
Pascuans fussent proches de celles des
géographique empêchera
une
et culturelles de
ces
Tahitiens, leur origine
assimilation totale.
Patricia ANGUITA
Société des
Études
Océaniennes
39
Voici le tableau de Mac Call
N°
I
PROPRIÉTAIRE
HUKIHIVA Keretino
2 TUTESO Keretorio
NOM
DES LIEUX
MATA
(ou TRIBU)
Hangakee
Ngatimo
Tupahotu
Ruahere (Ruabe ?)
MAKE Kinitino
Tahie
4
MAURATA Onotaro
?
6
RUA Atirino
7
MATI Petero
Tepito ote fenua
Apina
Hangahahave
Mataotihi (Marotiri)
8
ROPERO Harepare
Motutautara
9 TEREA Hute
(1)
A RAPA-NUI
3
5 OREARE Bruno
:
Miru
Haumoana
Ngatimo
Miru
Miru
Anakena
Miru
Tupahotu
Tupahotu
13 TEHENA Reone
Hangatee, Huhatupu
Uhiapua (Uhi 'a Pua)
Vaituru (Rano Aroi ?)
Maungahauepa
14 TEARAHIVA
Mera ??
10 TEMARU Matia
11
MARIUS Nikonore
12 HEREVERI
15
Agutino
RENGAVARUVARU
Miru
Miru
?
Hangamainiku ??
(HANGA Ma'i Hiku)
Ngaure
Tetaheri
Miru
(?)
Koro
o
18 Veroauka Timione
Tongariki
Hang
19 TEPUKU Petero
Tahai
Marama
20 TAUATIAGA Mateo
R
16 ANTONIO
Aringa
17 TERONGO Reone
21
22
23
24
25
Rongo
?
Haumoana
Pukuparia
TUMATAHI Lataro
Ahutapeu (Ahu Tepeu) Miru
TORUTAHI Remuto
Miru
Ranokauhuruapohe
HINANIRONIRO
Miru
Vaingau
PUNA Naporeo
Hangaoona ??
Tupahotu
(Hanga o Hoonu ?)
HAKAREVAREVA Tepano Anakenapapamarama
Miru
(1) Me Call, op. cité, p. 354.
Société des
Études
Océaniennes
40
LE
LES
LÉZARD DANS L'ART OCÉANIEN,
LÉGENDES ET LA LITTÉRATURE
EN OCÉANIE
Introduction
Quatre Scincidae et cinq Gekkonidae, soit un total de neuf
regroupés dans deux familles, se rencontrent en Polynésie
française (Blanc et al., 1983 ; Ineich, 1987). Malgré cette relative
diversité, n'ont été retrouvées que trois appellations les concernant
dans le langage polynésien (Chabouis et
Chabouis, 1954 : 49).
L'attribution de ces dénominations à
chaque espèce ou même
lézards
famille demeure délicate :
"moo fare" (lézard des
—
maisons)
ne
devrait
la
appelés
les Scincidae sont
concerner que
famille des Gekkonidae dont les représentants
sont
"margouillats"
par
souvent rencontrés
—
—
les Européens, alors
au
que
sol des habitations ouvertes ;
"moo ofai"
(lézard des cailloux) se rapporte certainement aux
Scincidae qui seuls sont observés sur le sol ;
"moo haari" (lézard des cocotiers) est difficile à attribuer car
tous les lézards sont fréquents sur les troncs ou sous les écorces
des cocotiers.
Notre travail constitue un premier inventaire des
représenta¬
tions et des mentions de lézards dans l'Art, les Légendes orales et la
Littérature non scientifique en Polynésie orientale.
1.
Représentations de lézards
L'Art décoratif
rectilinéaire
:
polynésien est
les reproductions de
Société des
Études
caractéristique par sa nature
Reptiles - lézards et tortues -
Océaniennes
41
constituent une des exceptions. De nombreuses coutumes polyné¬
siennes tirent leur origine première en Asie et il est fort probable
qu'il en soit de même pour les figurations de lézards. En effet, leur
fréquence décroit d'ouest en est, à mesure que l'on s'éloigne du
continent pour se rapprocher de la Polynésie orientale.
1.1.
Tatouages
Leur usage était très répandu en Océanie. Les récits de
voyage
capitaine Cook mentionnent un natif de l'archipel des Hawaii
qui présente un lézard tatoué dans son dos (in Best, 1923 : 328).
du
1.2.
Pétroglyphes
Sur l'île de Fatu Hiva, archipel des Marquises, Thor
Heyerdahl (1974 : 243) découvre l'existence d'une dalle particu¬
lière : "Il y avait suffisamment de choses à voir le long de la piste
pour détourner notre attention. Nous vîmes partout de vieux murs.
Une large pierre était couverte de l'assemblage familier de
dépressions en forme de coupes, et à côté une dalle était sculptée
d'un grand lézard au relief accentué. C'était très ancien. Je trouvai
étrange qu'un artiste de jadis ait représenté un petit animal qu'il ne
mangeait ni ne vénérait, et l'ait sculpté de cette taille. Et il n'y avait
ni caïman, ni alligator en Polynésie. Le plus gros reptile que nous
ayons vu était notre petit compagnon de chambre, Garibaldus, le
gecko. Aucun Polynésien ne se mettrait en peine de l'immortaliser
en version agrandie sur une dalle. C'était vraiment curieux".
Sur le site de Hatiheu, île de Nuku Hiva, archipel des
Marquises, Rolett (1984) décrit des pétroglyphes composés de trois
types de tortues, d'un animal surnaturel, d'un oiseau de brousse et
de deux poissons ; aucun lézard n'est discernable.
1.3.
Sculptures
Best
sur
bois
328) mentionne la présence de lézards sculptés et
sur la crainte des Marquisiens envers ces
Reptiles : "Lizards appears carved on the steps of stilts from the
Marquesas, and Porter tells us that the natives of that group have a
great dread of lizards". Nous avons nous même pu constater
l'indifférence manifestée par les Polynésiens envers les lézards.
(1923
:
attire notre attention
Victor Segalen (1907 : 169) rapporte l'existence d'un bâton
sculpté d'un lézard mort : "Chacune de ces figures, bien chantée,
désigne un être différent : ce poisson-là, nageoires ouvertes, est un
dieu requin. Ceci représente : trois-chefs savants. On voit en plus la
Terre, la Pluie, le Lézard mort".
Société des
Études
Océaniennes
42
Malgré l'existence de seulement deux espèces de lézards, un
scinque et un gecko, d'ailleurs communes aussi avec la Polynésie
française, l'Ile de Pâques possède des animaux gravés sur du bois
(Best, 1923 : 328) : "A wood carving representing a lizard appears
in Mrs Routledge's work on Easter Island".
1.4. Dessins rupestres
La seule référence trouvée est celle du romancier T'Serstevens
(1952
160) dans "La grande plantation". Il remarque qu'une
fantasmagories des légendes polyné¬
siennes, lézards gigantesques, couleuvres plus grosses que des
pythons, cloués par le harpon d'un héros rieur qui porte en lui la
force et la cruauté des dieux". Bien entendu, l'existence de ces
représentations ne peut-être acceptée sans vérifications.
:
grotte de Tahiti "abrite les
2.
Légendes orales anciennes
Avant d'ahprder les
légendes tahitiennes se rapportant aux
faut préciser que souvent les récits folkloriques
tirent leur origine d'observations réelles. Ainsi, le plus gros gecko
du monde, Hoplodactylus delcourfi, originaire très certainement
Reptiles, il
nous
de Nouvelle-Zélande et découvert tout récemment dans les
collections du Muséum de Marseille, correspondrait à un animal
mythique du folklore maori, le "kawekaweau", qui serait donc
espèce biologique véritable (Bauer et Russell, 1987).
Les textes de Teuira
une
Henry (1928 : 395) attestent du rôle sacré
animaux, mais il demeure impossible d'attribuer les
dénominations utilisées à une espèce biologique : "Les lézards
étaient des dieux pour la famille royale d'Oropa'a à Tahiti. Le
mo'o-areva, lézard à tête relevée et à queue fourchue que l'on
trouve loin à l'intérieur de Ta'apuna, était l'émanation de Tipa, le
dieu guérisseur, il remplissait de crainte ceux qui le rencontraient.
La queue de ce lézard a deux ou trois stries. Le mo'otea, lézard de
couleur claire était l'émanation du Tû-o-te-ra'i (stabilisé du ciel
éclairé par la lune). Le mo'o'uri (lézard sombre) et le mo'o'arara
(lézard strié) étaient les émanations de Te-ohiu-maeva (La fléchette
victorieuse) ; le mo'o-puapua (lézard fleur) qui vit sur les fleurs
était l'émanation des fées parmi les fleurs. Lorsqu'un enfant royal
de la maison d'Orapa'a naissait, ces lézards lui étaient présentés et
on les invoquait
pour assurer une longue vie à l'enfant. Pomare II
fut le dernier roi pour lequel cette cérémonie fut accomplie. Des
nuages bas sur l'horizon avec leur contours frangés étaient appelés
"Ata-mo'o-areva no te tere ari'i" (Nuages du lézard à queue
tenu par ces
Société des
Études
Océaniennes
43
la famille
bien avec
cette appellation que l'expression existe toujours à Tahiti dans sa
forme moderne "Tere ari'i" (Voyage royal). La tortue était
fourchue des voyageurs royaux). Lorsque les membres de
Pomare allaient en mer, le temps coïncidait en général si
l'émanation des dieux de l'océan".
légende rapportée par cet auteur (op. cit. : 629630) est celle du grand lézard de Fautaua ; elle pourrait concerner
un crocodile mythique. Une femme qui habitait une grotte avec son
mari, son fils et sa fille, ramassa un gros œuf trouvé au bord de la
La seconde
lézard qui grandit rapidement et
mangea les deux enfants en l'absence des parents. Dès leur retour,
le gros lézard dû fuir et se trouva contraint à escalader un sommet
de montagne d'où il chuta. Son corps tomba sur le sol et se fracassa
en mille morceaux. La queue, qui se planta dans la terre, donna
naissance à un massif de bambous unique par son aspect mais sans
usage car les tiges étaient trop cassantes. Le rocher marqué par
l'empreinte de ce gros lézard dans la vallée de la Fautaua reste
rivière. A l'éclosion
naquit
un
inconnu.
dernier,
effectivement à des
par les
proto-polynésiens venus des régions plus à l'ouest : "The image of
the large lizard placed on one of the marae at Tahiti, and the long
Best (1923 : 323) cite Fenton, mais contrairement à ce
il croit que toutes ces sculptures correspondent
lézards et non pas à la réminiscence de crocodiles aperçus
carved house at Maketu,
and, in fact, in every New Zealand pa (NDR : fare), are simply
memories of the terrible crocodiles which were the source of
perpetual danger, and the occasion of heroic exploits, in the lands
from which their fore fathers came".
row
of lizards still to be seen in Pokiha's
Le
crocodile marin, Crocodilus porosus, est commun sur
l'archipel des Salomon ; le Vanuatu, où il est rare, constitue sa
limite orientale. Adamson (1939 : 64) signale que Gerrit Wilder lui
parla, à Honolulu en 1932, d'un squelette de crocodile découvert
dans les exploitations de phosphate à Makatea, atoll surélevé de
l'archipel des Tuamotu, mais que cette découverte ne fut pas
publiée. Caria H. Kishinami, qui dirige la collection des Vertébrés
du Muséum B.P. Bishop de Honolulu, nous dit (comm. pers. du 22
décembre 1986) n'avoir aucune information sur ce squelette et le
département d'Anthropologie de ce même Muséum ne possède
aucun renseignement sur un quelconque squelette animal de
l'archipel des Tuamotu. Sans preuve réelle, nous ne pouvons
considérer comme valide la mention de ce crocodile qui explique¬
rait certaines des représentations énigmatiques et des légendes
mentionnées ci-dessus.
Société des
Études
Océaniennes
44
Autre
légende rapportée par Teuira Henry (op. cit. : 630-631),
large dos. Dans la vallée de la Papeno'o, un gros
lézard femelle ensorcella un chef qui, comblé de Bonheur,
celle du lézard à
succomba à
ses
charmes. De leurs étreintes d'une nuit d'amour
naquit un fils qui fut présenté au chef mais renié, en vain, car la
ressemblance était trop grande. Ainsi le pouvoir du chef fut bafoué
par ses sujets qui refusèrent cette liaison secrète.
En ce qui concerne la légende de l'homme-lézard, elle reste
toujours imprécise. Nous mentionnerons seulement l'existence
d'une statuette d'homme-lézard originaire de l'Ile
de Pâques et
conservée au Musée de l'Homme à Paris. Le texte de
Gorsky
(1985 : 49-51) faisant référence à ces hommes-lézards sur l'île de
Moorea pourrait bien se rapporter au culte de l'homme-oiseau
propre à l'Ile de Pâques et qui, de plus, n'a aucune relation avec
l'existence de sépultures dans les parois de falaises : "C'est sur l'àpic des falaises qui bordent les rivages que les hommes-lézards
accomplissaient les exploits repris de nos jours en Occident, par les
champions de l'escalade verticale. Les ancêtres Polynésiens de cette
discipline n'effectuaient toutefois pas leurs périlleuses ascensions
pour le seul amour de la performance, mais pour assurer à leurs
défunts des sépultures inviolables dans des grottes creusées très
haut dans la paroi de la falaise. Munis de lianes assemblées en
longs et solides cordages, deux ou trois hommes-lézards gagnaient
d'abord la grotte choisie. En bas, parents ou amis attachaient de
ces
lianes le cadavre. Généralement celui d'un chef
qui, enveloppé d'un suaire, faisait
l'immobilité définitive face
les yeux de l'âme".
au
sa
ou
d'un notable
dernière ascension
avant
ciel visible de l'orée de la grotte avec
Métraux
auteur à
(1941 : 102-103) est, à notre connaissance, le seul
faire part de l'existence d'un démon à allure de Femme"Les anciens Pascuans attribuaient à ces démons ou à ces
Lézard :
dieux secondaires d'importantes découvertes. C'est ainsi
que les
deux démons féminins, Femme-Lézard et Femme-Hirondelle-de-
Mer, leur auraient enseigné à préparer la
la matière colorante
cit. : 150) cite
qui lui "raconta qu'à défaut de rame
pua,
extraite du curcuma". Ce même auteur
(op.
également un ancien pascuan
de cérémonie des danseurs brandissaient des statuettes de bois
des moko (figures de lézards)".
ou
L'étymologie de l'île de Moorea, dont la dénomination
actuelle fut attribuée par un prêtre, signifie "lézard
jaune". Lors
d'une sortie sur le marae
Titiroa, l'un de nous (I.I.) a observé un
gros mâle immobile du gecko Gehyra oceanica qui était, en
journée, le dos plaqué
contre le tronc d'un
Société des
Études
Océaniennes
pleine
"mape", Inocarpus
45
fagifer, à deux mètres de haut. On ne pouvait donc voir que son
ventre fortement coloré en jaune citron. Il est probable qu'une telle
vision par ce prêtre soit à l'origine du nom de cette île. Signalons
toutefois que ce comportement reste très rare chez ce gecko.
3. Littérature
La culture
polynésienne étant exclusivement orale, les seules
mentions de lézards dans la littérature sont celles de romanciers et
d'aventuriers
européens.
plus populaire dans la littérature océanienne est,
fidèle compagnon du couple
Heyerdahl sur l'île de Fatu Hiva, archipel des Marquises. Laissons
Thor Heyerdahl (1974 : 172) nous le présenter : "Le seul
compagnon de chambre que nous tolérions était Garibaldus, un
gros lézard, ou plutôt un gecko, qui logeait à l'étage supérieur,
dans le feuillage de notre toiture. Garibaldus était aussi gros qu'un
châton nouveau-né et, en guise de loyer, il nous aidait à mettre de
Le lézard le
sans
conteste, Garibaldus, le
l'ordre dans la foule de fourmis et autres insectes. Il était même
dévorer un mille-pattes venimeux, s'il en
dans la maison. Mais Garibaldus n'était pas un
acrobate silencieux. Il parcourait en tambourinant les murs de
bambous rongés par les vers, en secouant sur nous des cascades de
poudre blanche. Et pendant que nous étions en train de dormir en
bas, Garibaldus trônant sous le plafond, coassait, ronronnait et
poussait des cris rauques. Il était en outre extrêmement indécent. Il
suffisamment hardi pour
pénétrait
un
de visite, mais par une coïncidence
tombaient toujours sur moi. En fait, il devait
soigneusement viser, car si je changeais de place avec Liv (NDR :
son épouse), celle-ci n'était jamais atteinte. C'était invariablement
moi qui lui servais de cible. Et si j'assénais un coup de poing sur la
table et menaçais de l'emprisonner dans l'un de mes bocaux de
collectionneur, Garibaldus gloussait et disparaissait en un éclair
dans le feuillage du toit".
Cet auteur (op. cit. : 70) constate la fréquence des lézards dans
les habitations et leur important rôle écologique pour la régulation
laissait partout ses cartes
apparente, elles
du nombre des insectes volants : "Nous nous mîmes
à bénir les
araignées et les petits lézards amicaux qui se cachaient dans la
chaume et nous aidaient à combattre les moustiques envahissants".
Mousset (1949 : 198) avait déjà remarqué la présence de lézards à
son époque : "Par la claie de bambous de mes murs, par la porte
grandouverte, des brises s'en venaient rafraîchir l'intérieur de ma
cabane, caresser les lézards qui nichaient sous la chaume du toit, et
Société des
Études
Océaniennes
46
ranimer le parfum lourd de l'huile dont Teuira se frottait les
cheveux". Ce dernier auteur notait également, et de façon très
poétique, l'absence de Serpents sur ces îles : "... au milieu de cette
végétation tendue vers le ciel, silencieuse et sous laquelle nul
serpent jamais ne glissa, quels transports, quelles ivresses, quelles
actions de grâce rendues à la beauté
Conclusions
De
travail
préliminaire concernant le Lézard dans l'Art, les
Légendes et la Littérature en Océanie, il en ressort trois
ce
conclusions
:
(1) Les représentations picturales et sculpturales, sur bois ou sur
pierres, sont plus rares pour les lézards que pour les tortues,
certainement du fait de l'utilisation de
l'alimentation locale ;
ces
dernières dans
(2) Les légendes
se rapportant aux lézards sont relativement
nombreuses mais elles restent très imagées ; pour cela, Fidentification biologique des espèces concernées demeure
impossible.
D'autre part, ces mêmes légendes ne permettent
pas d'exclure
l'hypothèse qu'elles puissent aùssi concerner les crocodiles. Deux
cas sont donc
envisageables : (a) le crocodile marin, souvent
rencontré en dehors de son aire de distribution,
pouvait être
Polynésie française, ou alors (b) les
histoires orales transmises de génération en génération font
persister dans la mémoire collective la crainte qu'inspirait cet
animal dangereux aux ancêtres venus de Mélanésie. Le deuxième
cas semble actuellement le
plus probable, sachant qu'aucun
squelette fossile de crocodile n'a jamais été découvert en Polynésie
présent à titre exceptionnel
en
orientale ;
(3) Dans la littérature océanienne, la présence des lézards sur ces
appréciée par de nombreux écrivains et
poètes.
îles est mentionnée et
par
Ivan INEICH (1) et Michèle Payri (2)
(!) Centre de l'Environnement (RCP 806)
(2) 70, rue Monge - 75005 Paris.
Société des
-
Antenne Muséum/EPHE- B.P. 1013 Moorea.
Études
Océaniennes
47
BIBLIOGRAPHIE
ADAMSON, A.M. 1939. Review of the fauna of the Marquesas Islands
discussion of its
origin. Bull. B.P. Bishop Mus. 159
...
and
63-64.
:
RUSSELL. 1987. Hoplodactylus delcourti (Reptilia :
Gekkonidae) and the Kawekaweau of Maori folklore. J. Ethnobiol. 7(1):
BAUER, A.M. et A.P.
83-91.
on the occurence of the lizard in Maori carvings, and
myths and superstitions connected with lizards. New Zealand J. Sci.
Technol. 5 (6) : 321-335.
BEST, E. 1923. Notes
various
BLANC, C.P., I. INEICH et F. BLANC. 1983. Composition et distribution de la
faune des Reptiles terrestres en Polynésie française. Bull. Soc. Et. Océan.
n° 223, 18 (12) : 1323-1335.
1954. Petite histoire naturelle des
français de l'Océanie. Tome II, Zoologie. Paris, P.
49, pl. 14.
CHABOUIS, L. et F. CHABOUIS.
Etablissements
Lechevalier
:
CROMBLE, R.I. et D.W. STEADMAN. 1987. The lizards of Rarotonga and
Mangaia, Cook Island Group, Oceania. Pacif. Sci. 40 (1-4) : 44-57.
Polynésie
GORSKY, B. 1985.
:
Les perles de la Société. Grands Reportages 49 :
40-54 et 80-81.
1928 (1978). Tahiti aux temps anciens. Publ. Soc. Océan., n° 1,
Paris, 671 pp.
HENRY, T.
Musée de l'Homme,
HEYERDAHL, T. 1974 (1976). Fatu Hiva, le retour à la nature. Edit. Pacif.,
Papeete, Tahiti.
INEICH,
I.
1987. Recherches sur le peuplement et l'évolution des Reptiles
de Polynésie française. Thèse de Doctorat nouveau régime.
terrestres
Académie de
Montpellier, Université des Sciences et Techniques du
Languedoc, novembre 1987 : 515 pp.
METRAUX, A.
1941 (1980). L'Ile de Pâques. Edit. TEL, Gallimard, Paris,
194 pp.
MOUSSET, P. 1949. Mourir en homme (Kia mate toa).
Edit. Grasset, Paris,
290 pp.
marquisien. Etude
l'interprétation des pétroglyphes polynésiens. Bull. Soc. Et. Océan.
ROLETT, B. 1984. Les tortues et le passage dans l'au-delà
pilote
n°
sur
228, 19 (5)
:
1613-1636.
SEGALEN, V. 1907 (1985). Les Immémoriaux. Edit, du Seuil, Coll.
Point, Paris,
220 pp.
T'SERSTEVENS, A. 1952. La grande plantation. Edit. Albin Michel, Paris.
Société des
Études Océaniennes
48
TRADITION &
Un espace
DÉVELOPPEMENT
privilégié
:
les Tuamotu
Depuis plusieurs années, les Tuamotu sont l'objet de
sur leur passé. Quand celui-ci est très lointain et ne
peut
plus apparaître que sous forme de témoins enfouis dans le sol, il
s'agit d'archéologie. Quand les témoins sont occulaires ou issus de
leurs descendants proches et peuvent contribuer à la reconstruction
de ce passé, on a pris l'habitude en Océanie, pour simplifier,
d'appeler ethno-archéologie, cette procédure d'approche. Elle ne
satisfait vraiment ni les archéologues ni surtout les ethnologues
pour qui elle est par trop réductrice, voire épiphyte.
La chance a voulu que certains vestiges archéologiques
sortaient du cadre habituel et relevaient pratiquement d'une
"archéo-agronomie". Ces vestiges et leur contenu s'avéraient
rapidement, après recherches et analyses, pouvoir être réactivés et
même réinsérés dans la dynamique générale d'évolution des atolls.
Il s'agit des fosses de culture que l'on trouve sur presque tous
les atolls des Tuamotu. Ce sont de vastes espaces dont l'aména¬
gement, sur plusieurs hectares, par les ancêtres des Puaumotu
actuels, a nécessité une quantité de travail considérable et une
organisation communautaire extrêmement efficace.
recherches
La minutie des
techniques mises en œuvre, la diversité des
pratiquées et l'adaptation particulière, non seulement à la
géomorphologie des atolls en général -et des motu en particuliermais également au biotope végétal environnant, plaident
pour une
révision fondamentale des apports que peuvent avoir les Sciences
Humaines, appliquées au passé d'une communauté rurale.
cultures
Société des
Études
Océaniennes
49
Ainsi avons nous progressé peu à peu du passé au présent, en
s'attachant à faire apparaître non seulement les traces "en creux",
laissées par une communauté dont les protagonistes se sont
évaporés
au
n'était que
positif
pour
fil du temps, mais le potentiel de leur contenu. Ce qui
"témoins négatifs" pour les archéologues, devenait
l'ethnologue et ses contemporains, aussi surpris que
lui.
aux missions déjà réalisées depuis 1985, la
qui vient de se dérouler avait des objectifs conjoints :
a) Assurer le lancement effectif du programme "Productions
Faisant suite
mission
vivrières
aux
Tuamotu.
b) Poursuivre, en concertation avec le cinéaste P. Auzépy, les
prises de vue et enregistrements correspondants et organiser
une
animation locale.
c) Recueillir et enregistrer les données ethno-archéologiques
comparatives, sur les techniques et les savoirs du passé, relatifs
aux différentes ressources des atolls.
Au terme d'un séjour d'un mois, un premier bilan peut être
établi, pour les trois axes d'intervention prévus confirmant à la fois
En étroite Concertation
l'aide et la participation
de la commune de Ana'a, le programme de remise en
fosses ancestrales, maite, a pu être entrepris (Fides
leur convergence et leur complémentarité.
avec le service de l'Économie Rurale, avec
du maire et
culture des
Général 87).
PROGRAMME
Le programme
d'expérimentation est axé, dans un premier
temps sur le Motu Fakarevareva pour plusieurs raisons : Tout
d'abord, seul occupant des lieux et ancien Tavana de l'île, Rauri
Teaku, est pour nous un informateur de premier ordre. Son
expérience et ses connaissances, ajoutées à l'intérêt et la surveil¬
lance bienveillante qu'il porte à l'ensemble de nos travaux sont un
atout décisif. Ensuite, la taille de l'îlot : un peu moins de 5 ha au
cadastre, sa morphologie présentant toute la gamme des faciès d'un
îlot corallien, sa situation entre deux chenaux (hoa) semifonctionnels, assez poissonneux, en font un petit "modèle"
exemplaire. Ajoutons à cela, la présence d'une grosse quinzaine de
fosses de culture de dimensions relatives importantes : 10 à 30 m de
long, au relief relativement accentué qui procurent une bonne
surface de fonds. Tout cela, indiquant une occupation et un
aménagement importants de l'espace est complété par des indices
d'activités humaines anciennes notables. Un niveau d'occupation
Société des
Études
Océaniennes
50
enfoui, court
par
contenant de
nombreuses lentilles charbonneuses. Plusieurs
intermittence le long des berges NW à SW,
riches en déchets ou fragments de travail de la nacre,
apparaissent à la surface du sol ainsi que quelques sépultures de
types pré- et proto-européens. Les récits légendaires relatifs à ce
motu qui nous ont été contés
peuvent être mis en relation assez
étroite avec les vestiges extrêmement altérés de marae
que nous y
avons découverts ainsi
qu'avec les grandes épopées guerrières des
nappes
"parata" de la tradition orale recueillie dans les années 30 de
ce
siècle.
Le
système hydraulique souterrain, s'il
a
peut-être été altéré
lors des derniers cyclones de 83, n'est en tout cas, actuellement,
pas
saumâtre au goût. La végétation, un
peu réduite par quelques
incendies de "nettoyage" de cocoteraie, reste encore bien vivace et
un éventail de variétés habituel aux Tuamotu. Certaines
fosses que nous avons sélectionnées, ont sans aucun doute
possible,
été longuement utilisées autrefois :
l'épaisseur et la couleur de la
couche du fond l'attestent bien.
représente
PROCÉDURES
Parmi la quinzaine de fosses regroupées dans la partie SSE de
l'îlot, une grande fosse en "L", de près de 30 m de longueur et d'une
quinzaine de mètres de large se décomposant pratiquement en
deux parties distinctes avait été l'année dernière, sommairement
préparée. Le débroussage gradué des abords qui y avait été réalisé,
à savoir coupe claire à 30 cm du sol, avec sauvegarde des
espèces
arbustives à production végétale importante, suffisait encore pour
année. Par contre, le désouchage des quelques cocotiers qui
avaient été coupés l'an passé était indispensable, ainsi que le
cette
nettoyage de la zone touchée par l'étendue de leurs racines.
Dans l'une des fosses, après avoir effectué ces extractions, on a
enlevé et tamisé (maille de 1,5 cm env.) toute la terre du fond, sur
un épaisseur d'environ 30 cm, sur une surface effective de 50 m2.
Dans cette zone destinée à la culture potagère d'espèces importées
simples
on a préparé des semis de divers choux, navets, con¬
combres, tomates... La cavité laissée par l'enlèvement d'une souche
a été exploitée et est devenue un
puits, par creusement complémen¬
taire qui, de plus, indique clairement les variations du niveau de la
nappe. Ce puits, situé à proximité permet un arrosage régulier de
démarrage qui associé à un ombrage modulé, a permis de faire
lever rapidement les semis qui seront donc très bientôt repiqués
dans l'ensemble de la fosse.
Société des
Études
Océaniennes
51
Dans les deux fosses
adjacentes,
on a
fait plusieurs aména¬
gements :
-
Une tranchée périphérique pour couper court à toutes les racines
pénétrantes et drainer l'éventuel excès d'eau de pluie. Il servira
ensuite de réservoir à compost et accueillera les 'ape (Alocasia)
qui préfèrent l'humidité. Dans la surface restante, uniquement
dégagée des souches de cocotiers, 70 et 80 trous respectivement
d'environ 35 cm de diamètre et de profondeur, ont été creusés.
Remplis de feuilles de negonego (Messerschmidtia) grossière¬
ment hachées et légèrement recouvertes de sable humifère, ils
sont destinés aux plantations de tubercules de taro (Colocasia),
tarua (Xanthosoma), maoîa (Cyrtosperma)...
L'approvisionnement en ces tubercules sera effectué dans un
premier temps, à partir de Papeete, le maraîcher local de Ana'a, ne
disposant pas avant 3 à 4 mois de rejets ni de tubercules mûrs.
Trois autres fosses de 50 à 80 m2 de fonds dans lesquelles
Rauri Teaku a déjà planté des bananiers et de la canne à sucre, ont
été sélectionnées pour être préparées de la même manière au cours
des interventions mensuelles prévues durant deux années consé¬
cutives.
qui avaient été plantés en 86,
poussent déjà très correctement, dans diverses fosses environ¬
nantes, des creux ou des trous fertilisés par apports de détritus
végétaux et marins (poissons et requins notamment...). Deux
planches en "L" de 200 m2 chaque ont été spontanément plantées
par Rauri en octobre et novembre 87 en patates douces et vont
bientôt produire.
Un petit inventaire botanique sommaire a été entrepris sur le
motu, avec une localisation des zones de colonies prépondérantes.
Certaines seront "protégées" telles que pia (Tacca), Pandanus,
naupata (Scaevola) par exemple, d'autres, seront même ré¬
Plusieurs arbres fruitiers
introduites
:
ngatae
(Pisonia), tamanu (Callophyllum), miro
(Thespésia), Tou (Cordia) notamment.
CONCLUSIONS
Les précisions sur les connaissances que l'on a déjà fait
apparaître sur la fertilité des "paleo-sols" des fosses de culture, due
notamment au compost que les Paumotu d'autrefois avaient su
fabriquer, incitent comme on l'a vu plus haut, à entreprendre deux
procédures d'expérimentations complémentaires. L'une consiste en
une reconstitution, élémentaire et rigoureuse, des plantations
Société des
Études
Océaniennes
52
ancestrales pour en
évaluer et actualiser toutes les possibilités ;
l'autre, à expérimenter dans ces mêmes sols, des cultures vivrières
exogènes déjà plus ou moins consommées couramment.
Techniques anciennes et possibilités actuelles sont ainsi
confrontées mais surtout combinées dans les mêmes conditions.
C'est d'autant plus important que l'éventail et la
qualité des
ressources alimentaires possibles pour
les Paumotu, est réduit.
Sur un espace aussi complexe et fragile que celui des atolls, la
combinaison de la tradition issue d'une longue et difficultueuse
expérience et d'un développement nécessairement adapté, s'avère
être une formule pragmatique, efficace et prometteuse.
TOURNAGES ET ANIMATION AUDIO-VISUEL
Bénéficiant à
nouveau de l'aide matérielle de
l'EVAAM, nous
également effectué au cours de notre séjour, des tournages
en Vidéo 3/4 U-matic. Réalisés en étroite collaboration
par le
cinéaste Mr Patrick Auzépy avec lequel nous avons travaillé à des
productions àudio-visuelles depuis 1981, au total, 3 heures de
prises de vues vidéo scénarisées et plus de 8 heures de prise de son,
ont été enregistrées, surtout
auprès des personnes les plus âgées de
l'île. Dépositaires du plus grand savoir et de
l'expérience la plus
complète, nous les avons interrogés à partir et autour des thèmes
de l'alimentation et de la vie d'autrefois. La
description des
techniques employées encore au début du siècle, pour les
avons
ressources
alimentaires
recettes, tombées
en
a débouché sur le recueil de diverses
désuétude. Elles-mêmes amènent les vieux à
évoquer les soirées, les veillées communautaires, donc les légendes,
récits, chants, expériences et même évocation des structures
familiales
et
sociales d'antan.
Ces tournages ont été réalisés pour
compléter et prolonger
ceux de l'an
passé et mener ainsi à la production de documents
audio-visuels destinés à divers types de diffusion. Une locale, se
subdivisant,
différents
pour
des raisons de sensibilités
entre Ana'a et
et de
les Tuamotu d'une part,
langages
Tahiti et les
autres Archipels d'autre part. C'est la manière
dont notre
documentaire vidéo "Le sable, l'eau et l'humus", produit et diffusé
sur RFO et
Vidéo-Archipel en 87 avait été reçu et
perçu par ces
communautés, qui nous a conduits maintenant à en tenir compte
en prévoyant
la réalisation de quelques variantes.
La
procédure de remise en fonctionnement des fosses de
le Motu Fakarevareva, a été filmée dans son ensemble.
Des prises de vue illustrant la manière dont les habitants du
village
culture
sur
Société des
Études
Océaniennes
53
de Ana'a avaient réussi à
d'arbres fruitiers et même
faire pousser un assez grand
nombre
implanter quelques jardins potagers sur
(massif corallien karstique exhaucé) remblayées et
départ, qu'ils doivent occuper depuis les
cyclones de 83. Diverses méthodes individuelles de production de
compost ont été observées et enregistrées à des fins d'information
et d'émulation pédagogiques.
les
zones
de feo
totalement incultes au
En même temps, nous avons continué à nous intéresser à la
corrélation existant encore entre le contenu de l'expression
nette
spécifiques l'accompagnant.
réguliers et même systématiques que nous
avons organisés, soit devant les personnes filmées, soit, devant les
populations, ont naturellement abouti à stimuler, aussi bien les
mémoires des uns que lever les réticences des autres. Certaines de
nos prises de vue, rapidement montées en bout à bout et montrées
sur place ont également provoqué une réflexion non seulement sur
notre rôle et notre action mais également sur ceux du savoir et du
statut des anciens, au sein de la communauté villageoise.
Cet aspect dynamique de notre mission qui avait été élaboré
en 87, en accord avec les administrations territoriales et métropoli¬
verbale
en
Paumotu et les gestes
Les visionnements
commencé à porter ses fruits.
L'utilisation de la vidéo, dans un cadre souple, mais
rigoureusement préparé par des contacts, une connaissance et une
réflexion préalables, confirme tout son intérêt. A la fois instrument
d'enregistrement de la réalité permettant d'en fixer des moments
choisis ou privilégiés pour les uns, il est aussi miroir donnant à voir
sa propre image autant pour soi que pour les autres. Les réactions
qui ont suivi les projections des 4 émissions de 20 minutes que nous
avons réalisées sur place nous l'ont confirmé : informations ou
questionnements intensifs, suivaient invariablement ces
projections.
Quels que soient les thèmes abordés, il s'est trouvé confirmé
que le besoin de diffusion des connaissances, que ce soit sur
l'alimentation, les procédures de cultures anciennes et récentes, le
patrimoine culturel et archéologique en particulier, était immense.
La médiation que l'audio-visuel introduit, a permis de réduire
notablement l'écart, voire même le cloisonnement entre certaines
classes d'âge et certaines familles. Un lien culturel a été recréé et
tendu entre les enfants des écoles accompagnés et guidés par les
enseignants et les personnes âgées qui décrivaient un monde passé.
Ceci s'est concrétisé par une visite sur un marae, encore localisé par
quelques uns, mais complètement délaissé et sans nom connu, a
taines des Tuamotu, a
Société des
Études
Océaniennes
54
permis à chacun d'en connaître les caractéristiques telles
l'archéologie les définit.
Cette mise
que
du savoir des uns, au
profit de tous,
qu'elle suscite naturellement,
correspond à la mise en oeuvre d'une dynamique culturelle, dont les
Tuamotu, ont bien besoin, pour sortir d'un enclavement historique
avec
les
en commun
éventuelles
controverses
certain.
Issue d'une démarche
l'expérience menée à Ana'a
ethno-archéologique à l'origine,
l'utilisation rationnelle et délibérée
de connaissances modernes, s'est trouvée actualisée et
en une expérience de
développement à caractère
global. Le devenir d'une communauté rurale est tributaire aussi de
la conjonction entre les images qu'elle peut se faire de son
passé et
l'avenir qu'elle se projette.
par
de moyens et
transformée
L'utilisation
méthodique de l'audio-visuel permet d'ores et
déjà de contribuer efficacement à la "revitalisation culturelle du
monde rural" que constitue en fait, la communauté Paumotu.
J-M. Chazine
Ethno-archéologue CNRS
Société des
Études
Océaniennes
55
BIBLIOGRAPHIE
DE L'ATOLL DE
TAKAPOTO
Archipel des Tuamotu
Takapoto (Archipel des Tuamotu) a été l'objet
pluridisciplinaires â partir de 1974 dans le cadre du
programme MAB - Man and Biosphere - de l'UNESCO, thème 7
"Écologie et utilisation rationnelle des écosystèmes insulaires". Les
domaines de recherches, fondamentales et appliquées, ont
concerné les sciences naturelles et les sciences de l'homme.
L'atoll de
d'études
(60)
l'un des atolls les mieux
monde, dont 136 en
Polynésie, dont 84 en Polynésie française, dont 76 dans l'Archipel
des Tuamotu). Cette liste est continuellement mise à jour, non sans
efforts, car les publications continuent à paraître sans que
l'information nous parvienne nécessairement. Cette liste ne
comporte que les travaux publiés dans des périodiques scienti¬
fiques et dans des comptes-rendus de congrès ; les rapports à
diffusion restreinte ne sont pas répertoriés, à quelques exceptions
près (rapports de synthèse).
Les références ci-après sont données selon les règles interna¬
On trouvera
ci-après la liste des travaux publiés à ce jour
l'Atoll de Takapoto qui est maintenant
connus du monde (400 atolls dans le
sur
tionales de mention des références bibliographiques. Pour une
meilleure diffusion de l'information, on trouvera ci-après les titres
complets des périodiques les plus
graphique :
Annales de l'Institut
cités dans cette revue biblio¬
Océanographique, Paris.
d'Histoire Naturelle, Paris.
Bulletin du Muséum National
Société des
Études
Océaniennes
56
Bulletin de la Société des Études Océaniennes.
Comptes-rendus de l'Académie des Sciences, Paris.
Comptes-rendus de la Société de Biogéographie, Paris.
Journal de la Société des Océanistes, Paris.
Marine Biology.
Proceedings of the Fifth International Coral Reef Congress,
Tahiti 1985.
BIBLIOGRAPHIE TAKAPOTO
ANONYMOUS, 1977
Comptes-rendus de recherches, 1974/1976, programme
Biosphère (MAB), Thème VII sur les îles :
écologie et utilisation rationnelle des écosystèmes insulaires, Takapoto,
Tuamotu, Polynésie française, Papeete, Mars 1977 : 150 p.
de l'UNESCO
sur
-
l'Homme et la
BAGNIS R., GALZ1N R., BENNETT J., 1979
Océanistes, 35 (62)
:
-
Poissons de Takapoto. J. Soc.
69-74.
BAY D., FALCONETTI C., JAUBERT J.,
1985
-
In situ metabolism of
two
species of Caulerpa (Chlorophyta) in the lagoon of the atoll of Takapoto
(French Polynesia). Proc. 5th Int. Cora! Reef Cong. Tahiti, 6 : 649-654.
BIRKELAND C., SMALLEY T.L., 1981 Comparaison of demersal plankton
from comparable substrata from a high island and an atoll. Proc. 4th Int.
Coral
Reef Symp., Manila, Philippines, I
:
437-442.
BLANC
C., INEICH I., 1985 - Statut taxonomique et distribution des reptiles
de Polynésie française. Note préliminaire. C. R. Soc.
Biogéog.
61 (3) : 91-99.
terrestres
BLANC
C., INEICH I., BLANC F., 1983
faune des
18
(12)
:
reptiles terrestres
en
- Composition et distribution de la
Polynésie française. Bull. Soc. Et. Océan.,
1323-1335.
BLANC
F., 1983 - Estimation du polymorphisme enzymatique dans trois
populations naturelles de nacres (Pinctada margaritifera) en Polynésie
française. C. R. Acad. Sci. Paris, 297 (3) : 199-202.
BLANC F., DURAND P., SHINH-MILHAUD M., 1985
- Variabilité génétique
populations de nacre noire perlière Pinctada margaritifera (Mollusque
bivalve) de Polynésie. Proc. 5th Int. Coral Reef Cong. Tahiti, 4 : 113-118.
des
BOUCHON C., 1983
- Les peuplements de Sclératiniaires de l'atoll de Takapoto
(Polynésie française). J. Soc. Océanistes, 39 (77) : 35-42.
BOUCHON-NAVARO Y., 1983
- Distribution quantitative des principaux
poissons herbivores (Acanthuridae et Scaridae) de l'atoll de Takapoto
(Polynésie française). J. Soc. Océanistes, 39 (77) : 43-54.
CHAZINE J.M., 1977 - Prospections
Océanistes, 33 (56-57) : 191-214.
Société des
archéologiques à Takapoto. J. Soc.
Études
Océaniennes
57
- Les organismes constructeurs de l'atoll
Takapoto. J. Soc. Océanistes, 35 (62) : 31-34.
CHEVALIER J.P., DENIZOT M., 1979
de
CHEVALIER J.P., DENIZOT M.,
RICARD M., SALVAT B„ SOURNIA A.,
l'atoll de Takapoto. J. Soc.
P., 1979 - Géomorphologie de
Océanistes, 35 (62) : 9-18.
VASSEUR
1978 - La localisation de Culocoïdes belkini dans les archipels de la
Société, des Tuamotu et dans les îles Cook, et méthodes de lutte. Cah.
Orstom. sér. Entomologie Médicale et Parasitologie, 16 (4) : 278-288.
DUVAL J.,
- Études ethnologiques et socio-économiques conduites à
Takapoto dans le cadre du programme MAB. Takapoto, Tuamotu,
Polynésie française. Compte rendu de recherches 1974-1976, Papeete, mars
1977 : 134-140 (In ANONYMOUS 1977).
FAGES J., 1977
pulchrum
GALZIN R., TRILLES J.P., 1979 - Sur la présence de Cymothoa
Lanchester 1902 (Isopoda, Flabellifera, Cymothoidae) en
Polynésie
française. Crustaceana, 36 (3) : 257-267.
HARMELIN-VIVIEN M., LABOUTE P., 1986 - Catastrophic
hurricanes on atoll outer reef slopes in the Tuamotu (French
Coral
Reefs, 5
:
impact of
Polynesia).
55-62.
L, 1982 - Contribution à l'étude des reptiles terrestres de
française : taxonomie, écologie et biogéographie. DEA Écologie
INEICH
Académie de
Polynésie
Tropicale
Montpellier, 28 mai 1982 : 29 p.
JAUBERT J., 1977 - Light metabolism,
in a South Pacific atoll : Takapoto
Reef Symp., Miami, 2
:
and the distribution of Tridacna maxima
(French Polynesia). Proc. 3th Int. Coral
489-494.
1981 - Light dependent growth forms of Caulerpa
the lagoon of the atoll of Takapoto (French
Polynesia). Proc. 4th Int. Coral Reef Symp., Manila, Philippines, 2 :
JAUBERT J., MEINESZ A.,
urvilliana Montagne in
425-429.
1986 - Les coraux (Scléractinaire et
Hydrocoralliaires) de l'atoll de Takapoto, îles Tuamotu : aspects écologiques.
Mar. Ecol, 7 (1) : 75-104.
KUHILMANN D.H., CHEVALIER J.P.,
LAIGRET J.,
1977
-
Les recherches et les activités médicales et paramédicales
dans le cadre du programme MAB. Takapoto,
réalisées à Takapoto
Tuamotu,
Polynésie française. Compte-rendu de
recherches 1974-1976,
ANONYMOUS 1977).
MAGNIER Y., WAUTHY B., 1976 - Esquisse hydrologique du lagon de
Takapoto, Tuamotu. Cah. ORSTOM, Sér. Océanogr., 14 (4) : 279-287.
MEINESZ A., JAUBERT J., DENIZOT M., 1981 - Preliminary note of the
distribution of the algae belonging to the genus Caulerpa in French Polynesia
(atoll de Takapoto and island of Moorea). Proc. 4th Int. Coral Reef Symp.,
Papeete, mars 1977 : 122-133 (In
Manila, Philippines,
2
:
431-437.
NEWHOUSE J., 1979 - The energy budget of
1976. Cahier de l'Indo-Pacifique, I, 2 :
Takapoto, Tuamotu Archipelago,
195-213.
O., 1983 - Écologie et structure des peuplements de Crustacés
décapodes associés aux coraux du genre Pocillopora en Polynésie française
ODINETZ
Société des
Études
Océaniennes
58
et en
Micronésie (Guam). Thèse de
1983 : 221 p.
spécialité, Univ. P.
M. Curie, Paris VI,
et
23 avril
P1RAZZOL1 P.A., MONTAGGIONI L.F., 1984
de l'océan et du bilan
-
Variations récentes du niveau
hydrologique dans l'atoll de Takapoto (Polynésie
française). C.R. Acaci. Sciences, Paris, 299, Sér. II, 7
PIRAZZOL1 P.A., MONTAGGIONI L.F.,
1986
-
:
321-326.
Late holocene
level
sea
changes in the northwest Tuamotu islands, French Polynesia, Pacific Ocean.
Quaternary Research., 25 : 350-368.
POLLOCK N.J.,
1978
Océanistes, 34 (60)
POLLOCK N., 1979
-
-
:
Takapoto. La prospérité, retour
133-135.
Économie
îles. J. Soc.
aux
des atolls (Takapoto, Polynésie française et
: 463-476.
Namu, Iles Marshall). Bull. Soc. Et. Océan., 207
RENON J.P., 1977
- Zooplancton du lagon de l'atoll de Takapoto (Polynésie
française). Ann. Inst. Océanogr., 53 (2) : 213-236.
RICARD
M., 1983
Primary productivity of atolls and hight island of the
comparizon of their functioning. Pac. Sc. Avs. 15th
Congress, february 1983, 2 : 198.
southern Pacific
-
ocean : a
RICARD M., BADIE C„ RENON J.P., SIMEON C„ SOURNIA A., 1978
Données sur l'hydrologie, la productivité primaire et le
-
zooplancton du lagon
de Takapoto (archipel des Tuamotus, Polynésie française).
Rapport CEA
R-49I8 Sér. Documentation (En Saclav B.P. N° 2, 91190 Gif-sur-Yvette :
89 p.
RICARD
M.,
GUEREDRAT
J.A.,
MAGNIER
Y.,
RENON
J.P.,
ROCHETTE F., ROUGERIE F., SOURNIA A., WAUTHY B„ 1979
plancton du lagon de Takapoto. J. Soc. Océanistes, 35 (62)
RICHARD G., 1977 - Quantitative balance and
in the Takapoto lagoon (French Polynesia).
I
:
-
Le
47-57.
production of Triclacna maxima
Proc. 3rd Int. Coral Reef Svmp.,
599-605.
:
RICHARD G., 1978 - Abondance et croissance de Area ventricosa dans le
de Takapoto (Tuamotu, Polynésie
française). Haliotis 9 (!)
:
lagon
7-10.
RICHARD G., 1982
- Mollusques lagunaires et récifaux de
Polynésie française.
Inventaire faunistique - Bionomie - Bilan quantitatif - Croissance Production. Thèse d'état, Univ. P. et M. Curie, Paris VI, 8 mars 1982 :313 p.
RICHARD G., 1983
atoll
dec.
- Growth and production of Chama iostoma in
Takapoto
lagoon (Tuamotu, French Polynesia). Int. Soc. Reef Studies, Nice, 8-9
1983, Interdisciplinary studies in Coral Reef Research : p. 24.
RICHARD G., 1985
de
- Croissance et production de Chama iostoma dans le lagon
Takapoto (Tuamotu, Polynésie française). Atoll Research Bull., 292 :
11-22.
RICHARD G., SALVAT B.,
MILLOUS O., 1979 - Mollusques et faune
benthique du lagon de Takapoto. J. Soc. Océanistes, 62 (25) : 59-68.
ROB1NEAU C., 1977
33
(54-55)
:
-
Takapoto, étude socio-économique. J. Soc. Océanistes,
3-37.
ROUGERIE F., 1979
l'atoll de
- Caractéristiques générales du milieu
liquide lagonaire de
Takapoto. J. Soc. Océanistes, 35 (62) : 35-45.
Société des
Études
Océaniennes
59
(1983) - Takapoto atoll, Tuamotu archipelago :
vegetation and flora. Atoll Research Bull., N° 277 - 41 p.
SACHET M.H.,
SALVAT B.,
insulaires
1976
Un programme interdisciplinaire sur les
-
terrestrial
écosystèmes
Polynésie française. Cahiers du Pacifique, 19 : 397-406.
en
SALVAT B., 1977
-
Un atoll sous microscope. Sciences et Vie,
723
:
67-71.
- Le programme MAB 7 en Polynésie française. Takapoto,
Polynésie française. Compte rendu de recherches 1974-76,
Papeete, mars 1977 : 4-36 (In ANONYMOUS 1977).
SALVAT B., 1977
Tuamotu,
- Recherches réalisées sur l'environnement terrestre et marin de
Takapoto dans le cadre du programme MAB Takapoto, Tuamotu, Polynésie
française. Compte rendu de recherches 1974-76, Papeete, mars 1977 : 99-121
(In ANONYMOUS 1977).
SALVAT B., 1977
- Recherches sur l'atoll de Takapoto
française). J. Soc. Océanistes, 35 (62) : 5-7.
SALVAT B., 1979
(Tuamotu, Polynésie
- Geomorphology and marine ecology of the Takapoto. atoll
(Tuamotu archipelago). Proc. 4th Int. Coral Reef Symp., Manila,
Philippines, 1 : 503-509.
SALVAT B., 1981
- Research in the Pacific undertaken by France within MAB
project 7 in French Polynesia. UNESCO, MAB Report Serie 47 : 23-26.
SALVAT B., 1983
SALVAT B., RICHARD
5th Int. Coral Reef
G., 1985 - Takapoto atoll, Tuamotu
Cong. Tahiti, 1 : 323-378.
SOURNIA A., 1976 - Primary
the role of foraminiferan
archipelago. Proc.
production of sands in the lagoon of an
symbionts. Mar. Biology, 37 : 29-32.
atoll and
RICARD M., 1975 - Production primaire planctonique dans
lagons de Polynésie française (île de Moorea et atoll de Takapoto).
C.R. Acad. Se. Paris, 280, sér. D : 741-743.
SOURNIA A.,
deux
1975 - Phytoplancton and
Takapoto atoll, Tyuamotu island. Micronesica, 11
SOURNIA A., RICARD M.,
(2) : 159-166.
Données sur l'hydrologie et la productivité
lagon d'un atoll fermé (Takapoto, Tuamotu), Vie et Milieu, 26 (2 B) :
SOURNIA A., RICARD M.,
du
primary productivity in
1976
-
1-27.
sessiles des récifs
atoll de Takapoto). Proc.
VASSEUR P., 1985 - Étude des peuplements sciaphiles
coralliens de Polynésie française (île de Moorea et
5th Int. Coral
Reef Cong. Tahiti, 5 :
147-152.
qualitatives et quantitatives de la
VINCENT DE VAUGELAS J., 1980 - Études
matière organique vivante et détritique de
sédiments coralliens dans les îles
polynésiennes de Tahiti, Moorea et Takapoto. Thèse Doct.
Univ. P. et M. Curie, Paris VI, 20 mai 1980 : 103 p.
de spécialité,
composition in lagoon
Reef Symp. Manila,
VINCENT DE VAUGELAS J., 1981 - Organic matter
sediments of French Polynesia. Proc. 4th Int. Coral
Philippines, 1 : 411-416.
VACELET J.,
1977
-
Éponges Pharétonides actuelles et Sclérosponges de
Polynésie française, de Madagascar et de la
Nat., Sér. Ill, 444 Zoo/. (307) : 345-368.
Société des
Études
Réunion. Bull. Mus. Nat. Hist.
Océaniennes
60
VERVOORT W., VASSEUR P., 1977
notes
on
-
Hydroids from French Polynesia with
Vertandelingen, 159 : 98 p.
distribution and ecology. Zool.
Bernard SALVAT
Antenne Museum
EPHE
Centre de l'Environnement
-
B.P. 1013 PAPETOAI
MOOREA
Société des
Études
Océaniennes
61
COMPTE-RENDU
TALANDIER J. & OKAL E.A. (1987)
Détection
du
volcanisme
sous-marin.
L'exemple de la
Polynésie Française.
In
Pageoph, Vol. 125, n° 6 (article de langue anglaise).
Se basant sur leur expérience en Polynésie Française, les auteurs
présentent les différentes méthodes sismiques de détention et identifica¬
tion du volcanisme sous-marin. Ils s'attachent à décrire et interpréter les
fortes crises des volcans de la région de Tahiti-Mehetia (Plus de 32.000
séismes perçus au cours des crises de 1981 à 1985), au titre de la
surveillance à courte distance et du volcan Mac-Donald pour la détection
plus lointaine. Mais la perception par le Réseau Sismique Polynésien de
l'activité de volcans de régions aussi éloignées que les Tonga, le Sud du
Japon, le Nord de la Nouvelle-Zélande ou les Galapagos est aussi
rapportée. Les caractéristiques des différents types d'ondes sismiques,
reçues à ces occasions, sont décrites, ainsi que les informations qu'elles
peuvent fournir sur
l'activité de
ces
volcans.
Code des Communes de Polynésie Française.
(Parties législative et réglementaire) - Edition Haere Po -
Papeete
-
1987
-
142 p.
Instituées
depuis 1971, dispersées sur près de 4 millions de km2
d'océan, les 48 communes et 98 communes
Société des
associées constituent la base
Études Océaniennes
62
administrative
entre
la
et
politique de la Polynésie Française, le premier
population
contact
et les élus.
Ces
communes n'ont pas toutes été créées en même
temps, puisque
Papeete existe depuis 1890, celle d'Uturoa depuis 1945 ; celles de
Pirae et de Faaa depuis 1965. Faut-il
rappeler que jusqu'en 1971, les
quelques 80 îles que les zones rurales de Tahiti et de Raiatea étaient
structurées en districts, eux-mêmes
regroupés pour chaque archipel, en
Circonscription administrative.
celle de
Le
présent Code constitue une partie du Code métropolitain, d'avant
qui ne sont pas applicables localement, et
adaptées à la Polynésie.
les lois de décentralisation
Le Code est publié sous la double
égide du Haut Commissariat, et du
Bureau des Affaires Communales, qui
ont tenu à réaliser un
pratique et de référence. Les
ouvrage
emploient plus de 3.000 agents
permanents et gèrent plus de 17 milliards CFP (dont 6 en investisse¬
ments), c'est dire leur importance dans la vie du Territoire.
communes
Cette édition, pratique et maniable, en format de
poche, avec table
synoptique et alphabétique, se révélera indispensable à tous ceux qui
s'intéressent à la vie communale, à la vie
politique et à l'esprit civique en
Polynésie.
Iles Tropicales, Insularité, "Insularisme".
Édité en 1987 par le Centre de Recherches sur les
Espaces Tropicaux
-CRET- Institut de Géographie, Université de Bordeaux III. 33405Talence499 p.
Ce gros ouvrage, des plus intéressants,
reprend l'ensemble des
communications faites lors du colloque "lies, Insularité, Insularisme"
tenu à Bordeaux en octobre 1986. Plus de soixante
chercheurs, provenant
d'horizons géographiques divers et possédant des formations
variées,
ont
en
échangé leurs points de
Indien
ou
Atlantique.
C'est autour de quatre thèmes
communications et les discussions
—
—
y
leurs méthodes sur un monde insulaire
pleine mutation, tant dans l'espace de l'océan Pacifique, de l'océan
vue et
principaux que se sont articulées les
qui s'ensuivirent :
La nature et sa protection en milieu insulaire.
Approche historique, sociologique et anthropologique des sociétés
insulaires.
—
—
Aménagement de l'espace et développement des îles : de l'économie de
plantation à l'économie des services.
Statut politique et devenir des pays insulaires.
Société des
Études
Océaniennes
63
qu'au travers de ces quatre thèmes, traités de manière
les divers auteurs de ces communications, parmi lesquels
se comptent les meilleurs spécialistes, comme le recteur F. Doumenge, les
professeurs A & C. Huetz de Lemps, Guy Lasserre, Yves Monnier, Jean
Poirier, David Lowenthal, Singaravélou, Pierre Vérin, Alain Saussol et
J-P. Doumenge parmi d'autres, revient, tout au long de l'ouvrage, cette
lancinante question qui porte sur la viabilité des espaces insulaires.
Vulnérables tant sur le plan de leur environnement que sur celui de leur
économie, les milieux insulaires ont développé et cultivent leur spécificité,
leur "différence", en fonction de leurs propres contraintes, et par rapport
Il
me
semble
approfondie
aux
par
milieux continentaux
ou
définis
Ce recueil de textes restera
nature et
un
comme
ouvrage
tels.
de réflexions quant à la
à l'avenir du monde insulaire.
P. De deckker
Société des
Études
Océaniennes
•
•
■
"
.
.
'
.
'
.
'
•••
•
; '.
•
'
"...
'■
7;
;•
Société des
■
Études
7
Océaniennes
:
:
'
'
i
:
■
•
■
'
Le Bulletin
Le Bureau de la Société accepte l'impression de tous les articles
qui paraissent dans le Bulletin mais cela n'implique pas qu'il
épouse les théories qui y sont exposées, ou qu'il fait sien les
commentaires et assertions des divers auteurs qui, seuls, en
prennent toute la responsabilité.
Aux lecteurs de former leur
Le Bulletin
ne
appréciation.
fait pas de publicité.
La Rédaction.
Les articles publiés, dans le Bulletin, exceptés ceux dont l'auteur
réservé ses droits, peuvent être traduits et reproduits, à la
condition expresse que l'origine et l'auteur en seront mentionnés.
a
Toutes communications relatives
Société, doivent être adressées
au
au Bulletin, au Musée ou à la
Président. Boîte 110, Papeete,
Tahiti.
Pour tout achat de Bulletins, échange ou donation de livres,
s'adresser au siège de la société, ORSTOM, B.P. 110 Papeete.
Le Bulletin, est envoyé gratuitement à tous
Cotisation annuelle des membres-résidents
résidant
en
Cotisation
étudiants
pays
pour
membres.
ou
français
2 500 F CFP
les moins de vingt
Cotisation annuelle
ses
ans
et les
1 500 F CFP
-
pays
20 dollars US
étranger
té des
Études
Océanii
COMPOSITION ET IMPRESSION
POLYTRAM
TAHITI
- Rue Tihoni Tefaatau, Pirae TAHITI
POLYNÉSIE FRANÇAISE
Boite postale 5390 Pirae
Société des Etudes Océaniennes
Fait partie de Bulletin de la Société des Études Océaniennes numéro 243