B98735210105_242.pdf
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-
BULLETIN
DE M
SOCIETE
DES ETUDES
OCEKNIENNES
À
Y
N
TOME XX
—
242
N° 7 / Mars 1988
Société des Etudes Océaniennes
Société des
Études Océaniennes
Fondée
ORSTOM
-
en
1917.
Arue
-
Tahiti.
Polynésie Française.
B.P. 110- Tél. 43.98.87
Banque Indosuez 012022 T 21
—
C.C.P. 834-85-08 PAPEETE
CONSEIL D'ADMINISTRATION
M. Paul MOORTGAT
Président
Me Eric LEQUERRE
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Vice-Président
Secrétaire
M.
Trésorier
Raymond PIETRI
assesseurs
M. Yvonnic ALLAIN
Mme Flora DEVATINE
M. Robert KOENIG
M. Roland SUE
MEMBRES D'HONNEUR
M. Bertrand JAUNEZ
R.P. O'REILLY
Société des
Études
Océaniennes
BULLETIN
DE LA SOCIÉTÉ
DES
ÉTUDES OCÉANIENNES
(POLYNÉSIE ORIENTALE)
N° 242
-
TOME XX
-
N° 7 MARS 1988
SOMMAIRE
Étymologies de "Papeete"
Dumont d'Urville et la
Navigation stellaire
L'Université
:
Karl H. Rensch
Polynésie
sans
:
C. Couturaud
instruments
Française du Pacifique
Notes de lecture
:
L'arbre et la
1
:
en
Océanie
9
:
Erik Jonsson
Michel Ricard
pirogue : Joël Bonnemaison
...
34
53
55
Comptes rendus
Pierre Lacour
Ch. Beslu
P.
:
De l'Océanie
:
au
Pacifique, histoire et enjeux
Cartes Postales anciennes de Tahiti
Delebecque
:
L'excès pondéral chez les salariés de Tahiti
Ivan Ineich : Recherches
des reptiles terrestres de
le peuplement et l'évolution
Polynésie Française
60
63
63
sur
Société des
Études
Océaniennes
64
1
ÉTYMOLOGIES
DE "PAPEETE"
Étude critique
Lorsque l'on demande à un Tahitien le sens du nom de sa
capitale, il répond en général que Papeete (1) tire son nom d'un
petit ruisseau où la Reine Pomaré avait l'habitude d'aller chercher
de l'eau (pape) dans un panier Çete). A ce stade, la plupart des gens
cessent, en général, de poser des questions, tout en se demandant
pourquoi la Reine utilisait un panier alors qu'à l'époque tout le
monde utilisait une gourde (2) ; lui avait-on offert un panier
étanche, fabriqué par un artisan Tahitien de qualité, avec une
couvercle pour empêcher l'eau de s'échapper pendant le transport ?
L'étymologie, branche de la linguistique qui recherche
l'histoire des mots depuis leur origine, est fascinante en soi. A
travers les cultures, les individus pensent que le lien entre un objet
et son nom n'est pas arbitraire, et que le nom est plus qu'une simple
étiquette. Nous rions lorsqu'un enfant de 4 ans, à qui l'on demande
pourquoi un cochon est appelé un cochon, vous répond : "parce
qu'il est sale" ; et pourtant cette réponse réflète parfaitement bien la
conviction bien ancrée chez beaucoup de gens, que les noms ont
une motivation et qu'ils renferment l'essence, le caractère et la
nature de la chose ou de l'idée qu'ils indiquent. Rien d'étonnant à
ce que l'étymologie ait toujours été un terrain de jeux pour les
linguistes amateurs qui, confrontés à l'origine incertaine d'un nom
ou
d'un mot, se servent d'une imagination sans retenue pour
résoudre le problème.
(1) L'orthographe officielle n'indique pas l'occlusive glottale qui est phonémique en
tahitien. Papeete doit être prononcé Pape'ete.
(2) Espèce de courge, dite courge calebasse. Par extension récipient constitué par le fruit de
la gourde après séchage et vidage. (N. de R.)
Société des
Études
Océaniennes
2
A première vue, le mot Papeete a une structure morpholo¬
gique transparente. N'importe quel dictionnaire tahitien vous
apprendra que pape signifie eau et 'ete panier. A. Drollet (3),
linguiste local bien connu qui devait se méfier de l'étanchéité des
paniers tahitiens, présente une explication plus plausible de
l'étymologie. Dans un article du Bulletin de la S.E.O. il écrit :
"Papeete, parce que d'après ce que l'on raconte, la Reine
Pomaré IV ne buvait jamais d'autre eau que celle de la source
située derrière son palais. Après avoir quitté son palais, elle buvait
soit de l'eau d'un coco fraîchement cueilli, soit l'eau de sa source
qui lui était apportée dans un panier de gourdes remplies de cette
eau pure".
Nous
jamais si oui ou non la Reine Pomaré se
boire dans des gourdes portées dans des
paniers, mais nous pouvons, sans hésiter dire, que ce n'est pas elle
qui donna le nom "Papeete" à la source derrière le palais, car la
Reine naquit en 1827 et on trouve déjà le nom de Papeete dans une
lettre écrite par son père Pomaré II en 1810 ; à l'époque, il vivait à
Moorea. Il est, bien entendu, très improbable que la famille ait eu
l'habitude de se faire apporter de l'eau à boire dans des paniers.
ne
saurons
faisait apporter son eau à
Dans cette lettre, le nom Papeete se réfère à un terrain qui
appartenait à la famille Pomaré. Sans pouvoir affirmer que
Papeete était aussi le nom du petit ruisseau qui prenait sa source
dans le domaine royal, la composition sémantique du mot laisse à
penser qu'à l'origine il était utilisé comme hydronyme (4). Le petit
ruisseau se jetait dans le lagon en un lieu appelé Nanu Bay par les
premiers missionnaires.
Le
premier blanc à résider à proximité de
ce
lieu fut William
Crook de la Société des missionnaires de Londres. A
Moorea, il décida de
ne pas
son
retour de
retourner au district de Matavai où
vivaient les missionnaires
avant que la situation politique ne les
oblige à quitter temporairement Tahiti. D'après les archives de la
SML,
nous
Crook
sur
connaissons la date exacte de l'arrivée de William
les
rivages de Nanu Bay
;
c'était le 14 Avril 1818. Crook
confrères n'utilisaient ni Nanu Bay, ni Papeete pour désigner
le lieu de leur nouvelle installation ; ils le nommaient Wilk's
Harbour. A cette époque, Nanu Bay était déjà devenu le mouillage
et ses
préféré des navires faisant escale à Tahiti. Les capitaines
préféraient avoir à négocier la passe étroite menant à la baie plutôt
(3) Drollet, p. 24.
(4) Hydronymie
:
étude des
noms
de fleuves (ou
Société des
Études
cours
d'eau).
Océaniennes
3
de laisser leurs navires exposés au vent du Nord qui peut
souffler en tempête et de la façon la plus imprévue, dans cette baie
de Matavai qui servit de mouillage à Wallis, Cook et Bligh.
que
La raison pour laquelle les missionnaires n'appelaient pas
Papeete le lieu de leur nouvelle installation tient très probablement
qu'il désignait seulement le domaine royal. Vers la fin des
ou au début des années 1830, Papeete perdit son sens
limité et devint le nom largement répandu de la communauté, de
plus en plus importante, installée sur les rives de Nanu Bay. Le fait
que le nom ait été popularisé par des popa'a ayant une connais¬
sance nulle ou très limitée de la langue explique les orthographes
divergentes qui prévalaient à l'époque : Papeete, Papieti (Wilkes),
Papaete (Delessert), Papaiti (Moerenhout), Papeiti, Papeïti. Il
semble que les auteurs francophones aient préféré l'orthographe
Papeiti, Papeïti. Son origine remonte à la prononciation de
l'orthographe anglaise. Les anglophones qui ne connaissaient pas
la langue tahitienne lisaient le e comme un /' et la prononciation
Pape-iti était probablement courante parmi les non-Tahitiens
lorsque les Français arrivèrent sur la scène. Dès 1823, on trouve
l'orthographe Papeiti sur un croquis du port intitulé : "Esquisse du
port de Papeiti d'après les relevés de MM. Bérard et de Blosseville,
officiers de la Coquille".
Dupetit-Thouars, Bruat et Raimbault, l'officier du Génie qui
dressa le plan de "Papeiti" en 1844, suivent l'exemple de leurs
collègues de la Marine. Ils ont pour excuse qu'entre temps une
justification étymologico-populaire de Papeiti avait été fournie,
par laquelle iti équivalait à "petit", d'où Papeiti — petite eau. On
trouve une preuve de cette interprétation dans un rapport de
l'expédition de l'Autrichien Novara qui, en 1856, fit escale à Tahiti
au cours de son tour du monde. Dans la version publiée de
l'ouvrage de Novara, nous apprenons que Papeiti est un nom
composé de pape "eau" et de iti "petit" (5).
Bien évidemment il ne peut y avoir aucun doute sur la pronon¬
ciation et l'orthographe correctes tahitiennes de Papeete. Les
orthographes de rechange ne sont que le triste exemple de
l'ignorance et du peu de cas que faisaient les popa'a de la langue
tahitienne et de ses usagers. J'ai trouvé la première mention
authentique de Papeete, c'est-à-dire de la main d'un personnage
indigène, dans une lettre de Pomaré II datée : "Taheite, Papeete, le
Vendredi 25 Sept. 1812". Le Roi, qui tenait son instruction des
missionnaires, avait appris à représenter le son "e" par la lettre
au
fait
années 1830
(5) Novara, vol. III, p. 186.
Société des
Études
Océaniennes
4
£ et à utiliser la lettre "e" pour le son "i". Cet habile
artifice fut utilisé dans les premiers temps par les missionnaires
grecque
anglophones pour parer à l'ambiguïté des lettres e, i, qui, dans
l'orthographe anglaise, peuvent représenter les sons e, i, ai, suivant
le mot dans lequel elles se trouvent. C'est ainsi que maitai s'écrivait
"maetae" et anei "an £ e" (6). L'occlusive glottale n'était indiquée
par aucun signe ou caractère diacritique particulier. Il était
seulement entendu qu'une séquence de 2 voyelles était prononcée
comme 2 voyelles séparées par une
occlusive glottale : ee = e'e.
La lettre de Pomaré était adressée
missionnaires
qui, à
l'époque, vivaient encore à Moorea. L'un d'eux traduisit la lettre en
anglais et en envoya une copie à la London Missionary Society en
Angleterre. Il est surprenant de constater qu'il traduit Pap £ £ te
par Papeite, ne tenant aucun compte de l'orthographe correcte de
son
royal élève. Le même missionnaire change encore l'ortho¬
graphe en Papehiti lorsqu'il traduit une deuxième lettre de Pomaré
écrite quelques semaines plus tard, le 8 Octobre 1812.
aux
Vers le milieu du 19ème siècle les autorités
françaises renon¬
Papeiti en faveur de Papeete. On ne sait pas très bien qui
fut à l'origine de ce changement, mais à cette époque, un certain
nombre de fonctionnaires français avait acquis une connaissance
convenable de la langue tahitienne, et, parmi eux, Adam
Kulczycki, Commissaire des Affaires Indigènes de 1840 à 1850.
Kulczycki, Polonais d'origine naturalisé Français, avait étudié la
géographie et la cartographie en Pologne avant d'émigrer en
France pour des raisons politiques. A Tahiti, il s'intéressa à la
culture tahitienne et continua à exercer ses talents de cartographe.
Il releva et dressa la carte de l'île dans sa plus grande partie (7).
Dans sa fonction officielle de chargé des Affaires Indigènes, il
utilisait la langue tahitienne - qu'il connaissait parfaitement - dans
ses rapports avec la
population locale. Toute tentative d'officialiser
une
orthographe non tahitienne de Papeete aurait certainement
provoqué l'opposition des gens d'un certain niveau intellectuel.
Le rejet de Papeiti "petite eau" comme étymologie possible
nous ramène à
pape et à 'ete, notre point de départ. Dans le "Tahiti
aux temps
anciens" de Teuira Henry, on trouve une troisième
cèrent à
(6) Newbury,
p.
7
c'est le moins
dans
:
et décidèrent,
qu'on puisse dire
...
"father", le 0
grec pour
contre toute
-
le
agréé
par
a comme
raison, d'adopter le système peu pratique la majorité, consistant à utiliser a comme
dans "face" et pour e comme dans "ine"
l'utiliser tel quel, et enfin se débarrassant du i.
(7) Novara, carte
en
regard,
p.
210, "Die lnsel Tahiti nach den Aufnahmen des Herrn Adam
und Dirktors der Angelegenheiten der Eingeborenen".
Kulczyki (sic), Astronomen
Société des
Études
Océaniennes
5
tentative
difficulté
d'explication du sens de Papeete. Bien qu'elle évite la
conceptuelle du panier à eau, cette interprétation ne
trouva pas beaucoup d'audience auprès des Tahitiens. D'après
Teuira Henry, 'ete ou 'ete'ete, signifierait en vieux tahitien,
"mouvement ou choc" et pourrait, concernant l'eau, se traduire par
"jaillissement, bouillonnement". Ainsi Papeete signifierait "eau qui
jaillit" ; mais elle signale aussi que 'ete est un homophone (a le
même son) de panier, laissant au lecteur l'impression qu'elle n'est
pas convaincue.
Son
écrite
-
étymologie pêche
en
tahitien ancien
par
ou
absence de toute documentation
moderne
-
sur
l'existence de 'ete
"jaillissant" (8). Le dictionnaire de Davies donne, pour 'ete'ete :
"être choqué, dégoûté, honteux" et il semble y avoir un écart
sémantique considérable entre un choc émotionnel et le
jaillissement-choc de l'eau, qui est son interprétation du verbe
"jaillir". Toutefois, les dictionnaires sont rarement complets et
exhaustifs, et il serait absurde de dire qu'un mot n'existe pas sous
prétexte qu'il n'existe aucune trace de ce mot, tout particulièrement
lorsqu'il s'agit de quelqu'un comme Teuira Henry qui faisait
autorité sur le plan du langage et de la culture tahitiennes.
Un argument en faveur de l'étymologie de Teuira Henry nous
vient de la comparaison avec les autres langages polynésiens. Sur
l'île d'Anaa, dans l'archipel des Tuamotu, il existe une forme tokete
(préfixe to + kete), signifiant "jeter, gicler comme l'écume de la
mer". Le k des Tuamotu correspond à l'occlusive glottale de la
langue tahitienne. L'on sait que les Tahitiens faisaient des
emprunts à la langue Tuamotu chaque fois que le "tapu" porté sur
un mot les obligeait à en changer. Nous verrons plus loin que
Papeete avait été formé pour répondre à un "tapu" restrictif.
L'hypothèse de "l'eau qui jaillit" se trouve renforcée par l'étude des
noms propres à la fois de Tahiti et des autres îles polynésiennes.
Dans l'ancienne subdivision de
Afa'ahiti, il existe une rivière
(eau qui jaillit) (9), et à Tonga (Vavau et
Ha'apai) (10) nous trouvons l'équivalent de Papeete, à savoir Vaihi
(vai = eau, hi = jet) utilisé pour désigner un petit ruisseau. De plus,
le nom d'une des plus fameuses plages du monde, Waikiki, est
composé de wai, "eau" et kiki, "jaillir". Si Teuira Henry a raison,
nommée Vai-hi
(8) Andrews & Andrews donne pour 'ete : "jaillir, s'écouler, défaillir", se référant
probablement à Tahiti aux temps anciens de Teuira Henry, source principale de leur
dictionnaire ; cf. p.
(9) Henry,
p.
Vil.
88.
(10) Gifford, p. 245.
Société des
Études
Océaniennes
6
Papeete et Waikiki seraient linguistiquement liés à la
manière de
Neufchatel et de Newcastle.
Le dictionnaire hawaïen des
noms
de lieux
de Waikiki était utilisé pour désigner
drainés plus tard pour former le Ala Wai
nom
indique que le
des marécages qui furent
canal. Le nom pape'ete a
nous
peut-être eu un sens analogue : l'environnement de la source du
ruisseau était marécageux. (Il fut drainé au siècle dernier et ses
eaux envoyées dans le lagon. Le ruisseau qui donna son nom à la
capitale de Tahiti n'existe plus en tant que cours d'eau naturel).
Nos commentaires
sur
l'étymologie de Papeete seraient
nous omettions de signaler que pape "eau" est une
substitution à la forme plus ancienne vai qui est le mot protopoly¬
incomplets si
nésien pour eau. A Tahiti, vai était "tapu"d'après la coutume dite
pi'i qui interdisait l'usage d'un mot faisant partie du nom d'un
chef (11). Le "tapu" fut levé à la mort du chef en question et
n'affectait que le district dans lequel il résidait. Pour ce qui est de
Papeete, en tant qu'agglomération rien ne permet de dire - comme
certains auteurs le prétendent (12) - que le petit ruisseau dont elle
tire son nom, se soit appelé Vai'ete avant l'institution d'un pi'i
"tapu" ; bien au contraire, il existe de fortes présomptions en
faveur de
premier nom.
voisinage immédiat et descendant de la vallée de
Sainte Amélie, se trouve un ruisseau appelé Vaihii, qui avait
conservé le mot ancien vai, soit parce qu'il n'avait pas été sujet à un
"tapu" (district différent ?), soit qu'il ait repris son nom après la
levée de la restriction. Le nom Vaihii est évidemment composé de
vai et hii et ceux qui chercheront le sens de hii dans le dictionnaire
de Davies seront surpris d'y lire la définition qui en est donnée :
"sorte de panier pour mettre des fruits destinés à la Reine ou à une
cheffesse". Encore un "panier à eau" ?
A première vue, il semblerait que ceux qui interprètent 'ete par
"panier" aient gagné la bataille." Du point de vue sémantique,
Papeete est sans aucun doute une forme échappatoire du "tapu",
équivalente à Vaihii. Dans un ouvrage de Delessert datant de 1846
et intitulé "Voyage dans les deux Océans, Atlantique et Pacifique"
une carte, "Plan de Papeete, Ile de Tahiti" porte la confluence de
deux ruisseaux, située côté montagne de la Broom Road, et, dans
Dans
ce
son
(11) D'après Ahnne (p. 8),
par vai. (?)
ce
fut à
cause
d'un chef du
nom
de Vaitua
que pape
fut remplacé
(12) "Le premier nom de la ville à sa formation, sous le règne des Pomaré, il y a cent ans
environ, lorsque le siège de la royauté fut transféré de Arue à Pare, était Vaiete, qui
signifia
comme
Papeete
:
Eau Panier". (Anahoa,
Société des
Études
p.
529)
Océaniennes
7
un pont enjambant ce cours
Bien que ne portant pas de nom, on peut
facilement identifier ces deux cours d'eau comme étant le Papeete
et le Vaihii. Le fait qu'ils soient réunis explique l'identité
le
voisinage du Palais du Gouverneur,
d'eau ainsi formé.
sémantique de
ces
deux
noms.
La solution définitive de cette controverse restera
en
suspens
des nouvelles recherches n'auront pas confirmé l'ortho¬
graphe correcte de Vaihii en Vaihi'i (13). Au cas ou -encore une
fois- il s'agirait d'une bévue de popa'a et ou Vaihii devrait être
Vaihi ou Vaihihi, les partisans de la théorie de "l'eau jaillissante"
auraient un. argument de plus pour affirmer leur victoire. D'après
le dictionnaire de Davies, hi ou son doublement hihi signifie "qui
jaillit, comme de l'eau ou tout autre liquide".
tant que
Article inédit
Karl- H. RENSCH
Australian National University
Trad. B. Jaunez
l'article de Dauvergne (p. 115) : "Outre de petits
le lagon, de l'Ouest à l'Est, la rivière Vaihii (Vaihihi, vallée de
Papeete..." Pas de commentaires sur l'orthographe Vaihihi.
(13) L'orthographe Vaihihi se trouve dans
ruisseaux se jetaient dans
Sainte Amélie), la rivière
Société des
Études Océaniennes
8
BIBLIOGRAPHY
Andrews, E. & Andrews, I.D.
-
A comparative dictionary of the Tahitian
language. Chicago 1944.
- De la coutume du 'Pi'i' et des modifications
Vocabulaire tahitien. BSO n° 11, 1926, pp. 6-10.
Ahnne, E.
qu'elle apporta
- Du nom original de Papeete et de quelques autres
géographiques. BSO n° 55, Nov. 1935, p. 528.
Anahoa, T.
au
noms
Bolton, W.W. - How the town [Papeete] got its name. In Pacific Islands Monthly
vol. 8, Jan 1938, p. 20-22.
Danielsson, B. & Mazellier, P.
Dauvergne, R.
p. 113.
[Davies]
-
-
-
Le Mémorial Polynésien. Papeete 1978.
Les débuts du Papeete Français 1843-1863. JSO n° 15, Dec 1959,
A Tahitian and English dictionary. Tahiti 1851.
Rectifications à apporter à certains noms mal orthographiés
langue tahitienne. BSO n° 6, Sept 1922, p. 23.
Drollet, A.
Gifford, E.W.
-
Henry, Teuira.
Tongan place
-
names.
en
Bernice P. Bishop Museum Bulletin 6, 1923.
Ancient Tahiti. Bernice P. Bishop Museum Bulletin 48,
Honolulu 1928.
Julien, G. - Comment prononcer le mot Papeete. In Le Monde colonial illustré n°
10, juillet 1924, p. 244.
LMS
Archives, School of Oriental and African Studies, University of London.
Newbury, C.W. ed., - The History of the Tahitian Mission 1799-1830. Cambridge
University Press 1963.
Reise der Oesterreichischen
1858, 1859 unter den
Fregatte Novara um die Erde in den Jahren 1857,
Befehlen des Commodore B. von Wullerstorf-Urbair.
Wien 1866.
Société des Etudes Océaniennes
9
DUMONT D'URVILLE
ET
LA
POLYNÉSIE
-
1838
-
Nous sommes le 7 septembre 1837, il est environ 14 heures.
L'enseigne de vaisseau Duroch, tout juste âgé de 25 ans, second
lieutenant à bord de l'Astrolabe, vient de donner l'ordre de larguer
la remorque qui reliait son navire au remorqueur Crocodile.
Derrière lui, son commandant, silencieux jusqu'alors, prononce la
parole rituelle : "Je prends".
Duroch descend de son banc de commandement, près de la
barre, enlève son hausse-col, insigne de sa fonction d'officier de
quart, et laisse la place au commandant, le capitaine de vaisseau
Dumont d'Urville.
A 47 ans, celui qu'on surnomme déjà "le Cook Français", et
qui ne cache pas la fierté que lui procure cette appellation,
entreprend son troisième voyage d'exploration autour du monde.
Ce voyage est d'autant plus important que tout le monde est parfai¬
tement conscient qu'il est le dernier qui sera accordé aux
scientifiques français.
Né
en
1790, cet aristocrate normand est entré dans la Marine à
au concours d'admission à l'école Poly¬
la suite d'un échec
technique. Rien ne le prédispose à la vie militaire. C'est tout
naturellement qu'une éducation très "Rousseauiste" le conduira à
ne s'intéresser qu'aux aspects scientifiques et aventureux qu'offre la
Marine royale au XIXe siècle.
Promu officier en 1808, époque maudite pour la marine
française, le jeune Dumont d'Urville ne tarde pas à se rendre
Société des
Études Océaniennes
10
compte des désagréments qu'un marin ambitieux peut rencontrer
fin
d'Empire. Non seulement il n'est pas question de se
qui ne le gêne pas outre mesure, mais en plus, les
croisières anglaises empêchent toute sortie de navires pour quelque
destination que ce soit. D'embarquement en embarquement, les
jeunes officiers français de l'époque doivent se contenter de "faire
en
cette
battre,
ce
des ronds dans l'eau".
C'est cette vie que Dumont d'Urville va mener durant 10 ans.
Personnage solitaire, n'aimant ni les fêtes ni la vie de garnison, il
occupe son temps à de nombreux travaux scientifiques. La
botanique est une passion depuis sa plus tendre enfance ; il va
profiter de ses loisirs forcés pour publier une "Flore toulonnaise"
dont le succès lui ouvrira les portes de la société cultivée et des
milieux scientifiques de Provence. Sur l'Aquilon, à Brest, il
sympathise avec le commandant Maingon, ancien directeur de
l'Observatoire, qui lui apprend l'astronomie, la navigation et l'utili¬
sation, rare à l'époque, des montres marines. Sur le Donauwerth, à
Toulon, c'est le commandant Infernet qui lui donne le goût des
grands voyages de circumnavigation. Cet officier, héros de
Trafalgar, était le second du capitaine Marchand qui, en juin 1791,
à la barre du Solide, découvrait Ua-Pou et le groupe nord des îles
Marquises. Plus tard, c'est le contre-amiral Hamelin, majorgénéral du port de Toulon, qui le prend en amitié. Avec lui,
Dumont d'Urville découvre l'entomologie et continue à se
passionner pour le Pacifique. L'amiral a bien connu cette région en
tant que commandant du Naturaliste, le second navire de
l'expédition Baudin, en 1800.
En
espoir naît chez Dumont d'Urville, de pouvoir
en pratique toutes ses connaissances scien¬
tifiques. Il apprend l'armement de l'Uranie pour un voyage autour
du monde, sous le commandement du capitaine de frégate
De Freycinet. Si elle réussit, cette expédition sera la première à
réaliser un tour du monde complet au nom de la France, depuis le
retour de Bougainville.
Deux hommes y participent, auxquels Dumont d'Urville liera
son nom dans les
prochaines années : le naturaliste et écrivain
Jacques Arago et l'enseigne de vaisseau Duperrey. Malheureu¬
sement pour notre jeune officier, lorsqu'il présente sa candidature,
elle est refusée. L'État-major est déjà complet.
mettre
1817,
un
officiellement
C'est l'année 1819
qui apporte enfin le bonheur professionnel
jeune homme. Cette année-là, le capitaine de vaisseau GauttierDuparc arme son navire, la Chevrette, pour effectuer une
au
Société des
Études
Océaniennes
11
campagne hydrographique en Méditerranée. Le but de
nouvelle campagne est de dresser la carte exacte de l'archipel
du Levant. Dumont d'Urville donne là toute la mesure de son
quatrième
cette
passions. A tel point que, dès la fin de
le retient pour la suivante. Il s'agit
des détroits du Bosphore et desDardanelles. C'est au cours de cette nouvelle expédition que se
place l'épisode de la découverte par Dumont d'Urville de la célèbre
savoir-faire et de
ses
diverses
la campagne, son commandant
alors de faire l'hydrographie
Vénus de Milo.
A
la suite de cette dernière campagne
hydrographique, le
Gauttier-Duparc est convoqué à Paris, au Dépôt des
Cartes et plans de la Marine. Il doit y rédiger le rapport de ses
expéditions, les instructions nautiques qui en seront issues, ainsi
que les cartes dont il faut faire une épreuve définitive. Compte-tenu
du travail qu'il a fourni, c'est Dumont d'Urville qu'il choisit pour
commandant
l'assister dans
ce
travail de rédaction.
A cette époque, le Dépôt bruisse de l'activité des officiers de
l'expédition Freycinet. Tout récemment arrivés, ceux-ci ont
également entrepris de rédiger le compte-rendu de leur voyage.
Naturellement, Dumont d'Urville se lie avec eux, et plus
particulièrement avec Duperrey qu'il avait déjà rencontré à
Toulon.
hommes s'enthousiasment
réciproquement. L'un
possède l'expérience de la navigation dans le Pacifique et regrette
que les aspects géographiques et cartographiques du voyage qu'il
vient d'effectuer aient été négligés. L'autre possède l'expérience
cartographique et scientifique nécessaire et rêve depuis des années
de partir sur les traces de Cook. Il n'en fallait pas plus pour que
naisse l'idée d'un voyage en commun. La route à suivre et le projet
des instructions sont rapidement mis au point. Dumont d'Urville
fait intervenir les appuis qu'il commence à avoir. Le plan de
l'expédition est présenté au Ministre et rapidement accepté.
Les
deux
Le 11 août
1822, les deux amis quittent Toulon à bord de la
Coquille, petit navire de charge d'une trentaine de mètres,
identique à la Chevrette. Le voyage se fera d'est en ouest, sur les
traces de Bougainville ; au moins partiellement. S'il réussit, il sera
le premier à le faire dans ce sens, depuis son illustre prédécesseur.
Duperrey, plus ancien de quelques mois dans le grade, est offi¬
ciellement le commandant. A ce titre il se charge de la navigation.
Dumont d'Urville est le second et dirige toute la partie scientifique.
Contrairement à
Cook,
ce voyage
ses
prédécesseurs mais suivant le modèle de
doit visiter
Société des
un
grand nombre d'archipels. Après
Études Océaniennes
12
brève relâche aux Malouines, l'expédition passe le Cap Horn,
visite les côtes du Chili et du Pérou jusqu'à Payta, aux environs de
une
l'équateur. De là, le
rencontrée est
cap est
mis
sur
les Tuamotu, où la première île
découverte. Il s'agit de Reao qu'on baptise du
nom du ministre de la Marine, le duc de Clermont-Tonnerre. La
suite du voyage se fait par Tahiti, les îles de la Société, Bora-Bora,
où l'on s'attarde en raison de la qualité de l'accueil, Tonga, le
une
Vanuatu, les Salomon, les Carolines, l'Indonésie, l'Australie, la
Nouvelle-Zélande, les îles Gilbert, les Marshall, les îles de
l'Amirauté et la Nouvelle-Guinée.
Le bilan scientifique est considérable. Dumont d'Urville et ses
assistants rapportent, entre autres, 3 000 espèces de plantes dont
400 sont nouvelles, 1 100 espèces d'insectes dont 300 sont
inconnues et 400 autres absentes des collections du Muséum de
Paris. A cela doivent s'ajouter plusieurs flores complètes, des
hydrographiques, des études ethnographiques, philolo¬
giques et linguistiques. C'est lors de ce voyage que Dumont
travaux
d'Urville entreprend sa monumentale étude sur les différentes races
polynésiennes. Cette étude devait justifier tous ses voyages à venir.
Cependant, des dissensions naissent entre les deux chefs de
l'expédition, dès le retour en France. Les mémoires et comptes
rendus des travaux scientifiques de Dumont d'Urville ont été
publiés dans les recueils de l'Académie des Sciences. Duperrey, lui,
ne fait rien. Son second ne se fera
pas faute de lui reprocher d'avoir
voulu les honneurs et de s'en être contenté, sans
publier
récit et
avoir la ténacité de
bilan du
voyage. Une telle publication aurait
au moins fait valoir les mérites de tous, officiers,
scientifiques et
marins.
un
un
Heureusement pour Dumont d'Urville, si son collègue hérite,
auprès du public, de la gloire du voyage, les Sociétés savantes et le
ministère de la Marine savent récompenser l'homme de science. Il
est fait capitaine de frégate,
en novembre 1825, et reçoit le
commandement de la Coquille, rebaptisée l'Astrolabe. Avec elle, il
partira dans le Pacifique compléter les travaux entrepris sous
Duperrey.
Prenant une direction opposée à celle de la Coquille, le navire
double le cap de Bonne-Espérance, traverse l'Océan Indien au
niveau des quarantièmes rugissants et arrive à Port-Jackson,
actuellement
Sydney. De là, l'expédition explore une partie des
archipels déjà vus avec Duperrey et fait l'hydrographie de toute la
région. Elle visite l'île nord de la Nouvelle-Zélande, les îles
Loyauté, la côte nord de la Nouvelle-Guinée, les Carolines et le
Société des
Études
Océaniennes
13
Vanuatu. C'est entre
deux derniers
archipels, dans le groupe
les indications du capitaine anglais
Dillon, Dumont d'Urville découvre les restes de l'expédition
Lapérouse, sur l'île de Vanikoro. Contrairement à ce qui a été trop
souvent dit ou écrit, Vanikoro n'est ni un atoll ni un ensemble de
hauts-fonds. C'est une île haute, culminant à 923 mètres, ceinturée
par une barrière corallienne délimitant un assez vaste lagon auquel
on accède par
plusieurs passes. C'est en voulant franchir l'une
d'elles, de nuit et en pleine tempête, que les deux navires de
Lapérouse se sont échoués. Les survivants auraient alors construit
une embarcation de fortune pour disparaître ensuite vers le nord.
ces
des îles Santa-Cruz que, sur
L'Astrolabe est de retour
France le 25
en
mars
1829. Le
voyage aura duré trois ans. L'expédition rapporte un lot considé¬
rable de cartes et notes hydrographiques ainsi que des souvenirs du
voyage de Lapérouse, retrouvés par une vingtaine de mètres de
fond. Le Dépôt des Cartes et plans de la Marine est à ce point
satisfait des travaux rapportés, que Dumont d'Urville est fait
capitaine de vaisseau, alors qu'il n'a
Comme il est de tradition dans
pas encore
ces
40 ans.
cas-là, le commandant de
l'expédition et quelques uns de ses officiers sont affectés au Dépôt
des Cartes et plans pour rédiger le compte-rendu de voyage.
Survient alors la Révolution de 1830. Dumont d'Urville est un
libéral et il n'a jamais caché ses sympathies républicaines. Sans
participer physiquement à cette Révolution, qu'il approuve
cependant, il court se mettre à la disposition du gouvernement
provisoire. Comme il est le seul officier supérieur disponible, les
autres se réfugiant dans un attentisme prudent, on lui confie le
commandement des navires qui vont conduire le roi déchu en exil.
Il accepte. C'est là une grave erreur de la part d'un homme qui
désire faire carrière.
Pendant des années, Dumont
d'Urville devra compter
avec
qui lui reprochent cette action. Les légitimistes verront en lui
le bourreau exécutant les ordres d'un gouvernement illégal, issu de
la Révolution. Les Orléanistes ainsi que les ralliés de la dernière
heure l'accuseront toujours d'avoir été le dernier soutien de l'ancien
régime. Il lui faudra ainsi attendre jusqu'en 1836, pour trouver en
la personne du vice-amiral De Rosamel, un ministre compréhensif.
ceux
effet, depuis deux ans la rédaction du compte-rendu de son
est terminée et il souhaite repartir pour une troisième
circumnavigation. Tout en égalant le nombre des voyages réalisés
par Cook, ce nouveau tour du monde devrait lui permettre de
collecter les renseignements qui lui font encore défaut.
En
voyage
Société des
Études
Océaniennes
14
Un plan de cette expédition est présenté au Ministre, puis au
Roi. Tous deux l'approuvent. La route prévue contournera le cap
Horn d'est en ouest, touchera les îles Gambier, les Australes, les
Cook, les Tonga, les Fidji, Vanikoro, les Salomon. Elle contour¬
nera la Nouvelle-Guinée par le nord et l'Australie par l'ouest,
visitera la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande, les îles Marshall,
Carolines, Philippines et Bornéo avant de rentrer par l'Océan
Indien. Le Roi Louis-Philippe est conquis par ce projet. Il
demande qu'on y ajoute une pointe vers l'Antarctique, afin de
vérifier jusqu'à quel point un navire peut s'engager dans les glaces.
Dumont d'Urville demande
qu'on lui attribue à nouveau la
de 27 ans. Comme les dangers
ne manqueront
pas, le Ministre propose qu'un second navire
l'accompagne. Ce sera la Zélée, corvette strictement identique à
l'Astrolabe. Le commandement de ce navire est confié au capitaine
de corvette Jacquinot, secondé par le lieutenant de vaisseau
Du Bouzet. Jacquinot est le meilleur ami de Dumont d'Urville.
Ensemble, ils ont participé à la quatrième campagne hydrogra¬
phique de la Chevrette. En 1822, Jacquinot fut appelé aux
fonctions de premier lieutenant de la Coquille. C'est lui, encore,
que Dumont d'Urville appela comme second de l'Astrolabe, en
1825. On comprend ainsi la parfaite complicité de ces deux
hommes, de caractères très différents, au demeurant, qui naviguent
ensemble depuis près de 20 ans, Du Bouzet n'est pas un novice lui
non plus, puisqu'à peine âgé d'une trentaine d'années, il a déjà fait
un tour du monde avec Hyacinthe de Bougainville, le fils du
premier circumnavigateur français.
En ce 7 septembre 1837, donc, le capitaine de vaisseau
Dumont d'Urville doit se sentir bien soulagé en prenant la relève
du jeune enseigne Duroch. Il est venu à bout de toutes les
difficultés qui n'ont jamais cessé de s'amonceler devant lui. Il y eut
des problèmes administratifs : les trois expéditions organisées
l'année précédente ont coûté cher. Il y eut des difficultés poli¬
tiques : le député républicain François Arago, était violemment
opposé à ce voyage pour des raisons d'ordre purement personnel. Il
y eut des difficultés scientifiques : les académiciens chargés de
rédiger les instructions étaient désireux de ne pas contrarier Arago,
leur secrétaire perpétuel. Il y eut des difficultés familiales : l'épouse
du commandant, malade autant que l'un de ses enfants, ne voyait
pas sans une certaine appréhension cette nouvelle séparation de
vieille Astrolabe, maintenant âgée
trois
ans.
Les neuf
premiers mois de navigation ne sont pas ceux qui
intéressent le plus Dumont d'Urville. Ils sont consacrés à la route
Société des
Études
Océaniennes
15
qui permet de rejoindre le Pacifique, ainsi qu'à l'expédition en
de Weddell, demandée par le Roi.
mer
Le 29 mai 1838, les deux corvettes quittent la côte chilienne et
vers la Polynésie. Dumont d'Urville est radieux. Il écrit
s'élancent
dans
journal personnel : "De cet instant seulement commençait
dont j'avais conçu et proposé le projet... J'allais
une navigation dont j'avais une longue expérience,
"renouer le fil des travaux hydrographiques qui m'étaient familiers,
"revoir ces riantes îles de l'Océanie que j'avais souvent visitées, et
"surtout j'allais recueillir de nouveaux matériaux pour mes études
"ethnographiques, ethnologiques et philologiques commencées
"depuis si longtemps et si souvent interrompues par d'autres
"occupations" (1).
son
"la campagne
"recommencer
ne
Et pourtant, le commandant n'est pas au bout de ses peines. Il
sait pas encore et ne se doute pas de l'importance des avanies
le dieu de la mer a décidé de lui faire subir sur cette partie de sa
navigation. Sur une distance qu'un navire bon marcheur parcourt
en quinze jours, et les autres en une vingtaine, l'Astrolabe et la
Zélée en mettront soixante quatre. Là où les deux corvettes
pensaient être portées par les alizés naissants de sud-est, elles ne
rencontrent que de faibles brises résiduelles, tournant en
permanence du sud-ouest au nord-ouest. A ces vents faibles et
contraires s'ajoute une houle importante et de petits grains
que
tournants et
violents.
En 27
jours, les navires ne parcourent que 1 500 nautiques, ce
qui leur donne une vitesse moyenne de 2,3 nœuds, à peine plus de
4 kilomètres à l'heure. Jacquinot, pourtant doté d'un caractère
optimiste, écrit : "C'était pour la troisième fois que j'entreprenais
"un voyage de circumnavigation et je ne me souvenais pas d'avoir
"fait une traversée aussi triste, aussi ennuyeuse et aussi mono¬
tone" (2).
Le 9 juillet, les calculs des officiers, après le point de midi,
mettent les deux corvettes à quelques milles de Sala y Gomez,
voisine de l'île de Pâques. Rien, pourtant, n'est en vue. Le 10 juillet,
l'île de Pâques devrait être en vue, à son tour. Il est probable que
les chronomètres servant au calcul des positions sont déjà déréglés.
Dumont d'Urville décide de ne pas perdre de temps en vaines
recherches qui ne feraient qu'augmenter le retard déjà accumulé.
Quatre jours plus tard, les alizés commencent à se faire sentir en
(1) Dumont d'Urville (Jules, Sébastien, César), Voyage
T.
au
pôle Sud et dans l'Océanie...,
III, Pp. 109-110.
(2) Jacquinot (Charles), Voyage
au
pôle Sud
Société des
et dans l'Océanie..., Tome III, P. 340.
Études
Océaniennes
16
même temps que la température augmente de manière très sensible.
La bonne humeur revient à bord. Chacun sent confusément
l'approche de la terre. D'ailleurs, la multiplication du nombre de
prises de tazards, bonites, thons et coryphènes de toutes tailles en
apporte la confirmation.
Enfin, le 31 juillet au matin, après deux mois de mer, la vigie
annonce la terre, visible dès 9 h 30. A midi, les officiers font le
point et constatent que les chronomètres du bord les placent
effectivement 40 nautiques trop à l'ouest, soit environ 70 kilo¬
mètres.
LES ILES GAMBIER
Avec l'arrivée aux, îles Gambier, commence la période d'études
si chères à Dumont d'Urville. Depuis 15 ans qu'il a découvert cet
Océan Pacifique et ses peuplades, il ne vit
que pour lui, il ne pense
qu'à elles. Il a entrepris des travaux scientifiques sur l'hydro¬
graphie, la botanique, la zoologie et l'entomologie de ce milieu où
étudier. Mais les études qui lui tiennent le plus à
cœur sont celles
d'ethnologie, de philologie et de linguistique
descriptive. Il a réuni une quantité considérable de notes, au cours
de ses divers voyages. Il les ordonne
lorsqu'il en a le temps et
compte les transformer en une série de publications, le moment
venu. Novateur en de nombreux
domaines, il espère bien, là aussi,
être celui qui ouvrira la voie de l'étude des hommes et des
langues
du Pacifique.
tout est encore à
Dumont d'Urville
le
génie des langues. Il parle couramment
plupart de celles d'Europe et, grâce à une mémoire prodigieuse,
il est en mesure de se faire
comprendre dans un grand nombre de
dialectes polynésiens et mélanésiens. Il arrive donc en pays de
connaissance. C'est ici qu'il voulait venir. C'est dans ce but,
uniquement, qu'il a organisé cette expédition.
a
la
Les îles Gambier sont
nombre de
huit, enchâssées dans un
Ce lagon a la forme d'un triangle d'une cinquan¬
taine de kilomètres de côté, partiellement ouvert au sud et à l'ouest.
En 1838, on ne connaît, fort mal, qu'un
accès par le sud-ouest. A
cette époque les huit îles sont habitées, mais
quatre d'entre elles,
sur la face sud du
triangle, ne sont que des îlots madréporiques
faiblement peuplés.
lagon
au
commun.
Le 1er août, après avoir audacieusement
navigué à travers les
chenaux coralliens mal explorés du sud, les deux corvettes laissent
tomber l'ancre sur la pointe sud-ouest d'Akamaru. Immédiatement
Société des
Études
Océaniennes
17
le travail
s'organise. Il n'est pas question de donner quartier libre
équipages. De Roquemaurel, le second de l'Astrolabe, part à la
recherche d'une aiguade. Marescot-Duthilleul, le troisième
lieutenant, conduit les scientifiques à Aukena et Mangareva. Là, il
devra prendre contact avec les autorités locales. Barlatier-Demas et
Duroch, les premier et second lieutenants de l'Astrolabe,
accompagnés de Tardy de Montravel, le second lieutenant de la
Zélée, vont installer à terre un observatoire de physique et de
météorologie. Enfin, les scientifiques, Vincendon-Dumoulin,
ingénieur hydrographe, Hombron et Le Breton, médecins des
corvettes, vont gravir les 441 mètres du mont Duff, pour y établir
une station de géographie.
Tous les hommes sont émerveillés par ce qu'ils voient. Ils
attendent cette première escale polynésienne depuis des mois et
leurs espoirs ne sont pas déçus. Le lieutenant de vaisseau
De Roquemaurel, toujours très sensible à la poésie des lieux visités
note dans son journal personnel : "L'île de Mangareva sur laquelle
"je me dirigeai n'a guère plus d'une lieue d'étendue. La montagne
"escarpée qui la domine est la seule partie de l'île où l'on puisse
"apercevoir le sol mis à nu. Partout ailleurs règne la plus belle
"végétation, toute la côte présente à l'œil un magnifique verger qui
"forme autour de l'île la plus magnifique ceinture que l'on puisse
"voir" (3).
Dès le lendemain, alors qu'une bordée reste au travail, l'autre
est autorisée à descendre à terre. Dumont d'Urville en profite pour
aller faire sa visite protocolaire aux autorités. Le roi Maputeoa
détient officiellement le pouvoir temporel de l'île. Mais il n'a de
puissance que celle que veulent bien lui concéder les autorités reli¬
gieuses. L'évêque en titre, âgé d'une quarantaine d'années,, est
Monseigneur Rouchouze. Assisté du père Cyprien et de deux
jeunes prêtres de 29 et 35 ans, Laval et Carret, il impose depuis
quatre ans, la dure loi de son dieu. Il réglemente l'organisation
sociale et économique de l'archipel; impose vêtements et coutumes
de l'Europe et épuise la population en divers travaux, plus ou
moins forcés, d'édifices à vocation religieuse.
aux
Lorsque Dumont d'Urville et ses hommes visitent l'archipel,
religieux ne sont là que depuis peu et leur mégalomanie n'a pas
encore pris l'ampleur qu'elle atteindra dans les années à venir. Les
Mangaréviens semblent heureux de leur vie. Les connaissances des
les
(3) Archives nationales
-
Sous-série Marine 5 JJ
-
Voyages et missions hydrographiques
-
Article 5 JJ 149 : Deuxième voyage de circumnavigation du capitaine de vaisseau
Dumont d'Urville. Journal de campagne tenu par le lieutenant de vaisseau De
Roquemaurel.
Société des
Études
Océaniennes
18
prêtres les ont mis à l'abri des maladies et leur fournissent une
nourriture régulière. Leur présence les protège, en outre, des
pillages et razzias des aventuriers qui croisent dans la région.
L'accueil est
mettre au
généralement chaleureux et, incontestablement, à
crédit des missionnaires. La moralité de tous est très
grande et les marins, privés de femmes et de tavernes, sont
condamnés à errer. Partout, ils sont invités par les indigènes qui
improvisent souvent des fêtes en leur honneur ou les invitent à
pêcher avec eux. De la part des missionnaires aussi, l'accueil est
généreux.
Les deux commandants et
plusieurs officiers sont invités, à
plusieurs reprises, à manger chez l'évêque. Celui-ci se fait, à chaque
fois, une joie de se promener avec ses hôtes et de les guider sur son
île. Monseigneur Rouchouze offre un vocabulaire hawaïen à
Dumont d'Urville, pour ses études de philologie. De son côté, le
secrétaire du prélat, Monsieur Latour, établit une liste de 800 mots
du vocabulaire de base de la langue mangarévienne, qu'il offre
également au commandant. En remerciement, les marins français
mettent tout en œuvre pour être agréable à de si charmants hôtes.
De nombreux outils leur sont offerts, d'autres confectionnés à
bord, y compris une grande chaloupe destinée à faciliter les
déplacements de l'évêque. Le patron de chaloupe de Dumont
d'Urville, Evenot, autrefois tailleur dans le civil, est même mis à
contribution afin de couper un patron de pantalon pour le Roi.
Chaque fois qu'il le peut, Dumont d'Urville part herboriser en
compagnie des matelots Baur ou Bernard, selon le service des
bordées. A plusieurs reprises, il se fait accompagner de son second,
De Roquemaurel, esprit curieux, et de l'élève Gervaize. A leur
grand désespoir, ils ne trouvent pratiquement aucun insecte : "... ce
"qui nous a prouvé que ce terrain est très pauvre pour l'entomo"logie, même encore plus que Tahiti" écrit Dumont d'Urville (4).
On se doute bien qu'un milieu aussi cosmopolite qu'une
expédition maritime, n'est pas sans générer des opinions très
diverses
sur les faits et les hommes rencontrés. A bord de
l'Astrolabe et de la Zélée existe une entente, voire une complicité
entre les hommes qu'on ne trouve que rarement dans les autres
expéditions. Le seul élément qui séparerait ces hommes, pourrait
être la religion.
En fait, il n'en fut rien. Le libéralisme des chefs de l'expédition
a rapidement fait école au
point que chacun a compris que pour
(4) Dumont d'Urville (Jules, Sébastien, César), Voyage
T. III, P. 193.
Société des
Études
au
pôle Sud
Océaniennes
et dans l'Océanie...,
19
vivre quatre ans en bonne intelligence et dans un espace aussi
réduit, il vaut mieux chercher des sujets d'entente que des pommes
de discorde. Chacun tient scrupuleusement son journal personnel
dont il fait le fidèle reflet de ses pensées, de ses sentiments et de ses
impressions.
Le second de la Zélée, le lieutenant de vaisseau Du Bouzet,
issu d'une famille de bonne noblesse et élevé dans la tradition
royaliste et catholique, écrit : "Si, comme tout semble l'annoncer,
Manga-Réviens continuent à mettre en pratique tous les
"enseignements qu'ils ont reçus, on peut leur prévenir d'avance un
"avenir heureux. Leurs îles deviendront, dans cet archipel, le foyer
"de la véritable civilisation, de celle qui est fondée sur la religion et
"sur une bonne morale pratique. Ces habitants offriront dans
"l'histoire un des exemples si rares des peuples passés de l'état
"sauvage à la civilisation, en conservant à la fois leurs qualités
"primitives sans adopter les vices de peuples civilisés" (5).
Le lieutenant de vaisseau Barlatier-Demas, premier lieutenant
de l'Astrolabe est, quant à lui, moins proche de la religion et plus
critique à son égard. Dans son journal, il écrit : "Je trouve qu'on
"aurait bien mieux fait d'apprendre à ces gens-là à cultiver leurs
"terres et se servir de leurs mains, qu'à faire toutes les mômeries de
"notre sainte religion... pour civiliser un pays, il faut autre chose,
"que des oremus" (6).
"les
Enfin, le jeune enseigne de vaisseau Coupvent-Desbois,
quatrième lieutenant à bord de la Zélée, se montre plus soucieux
d'impartialité et s'interroge : "Si les missionnaires ont apporté ce
"changement avantageux dans la moralité du pays, ils ont par
"contre-coup enlevé à ces peuples leur caractère primitif... Est-il
"préférable pour le bonheur de ces peuples de leur apporter de
"nouveaux vêtements et par suite de nouveaux besoins ? La
"décence et la morale ne pourraient-elles exister sans qu'une femme
"soit couverte des pieds à la tête, et qu'un homme soit enveloppé de
"haillons... La loi chrétienne n'est-elle pas assez large pour se plier
"aux différences de climat et de position et pour laisser à chaque
"peuple son caractère distinctif' (7).
(5) Du Bouzet (Joseph-Fidèle), Journal personnel, Service historique de la Marine,
Manuscrit 379.
(6) Barlatier-Demas (François-Edmond), in Voyage au pôle Sud et dans l'Océanie..., T. III,
P. 346.
(7) Coupvent-Desbois (Aimée-Auguste), Journal personnel in Archives Nationales,
Série 5 JJ : Voyages et missions hydrographiques - Article 5 JJ 128 : Journaux des
officiers de la Zélée.
Société des
Études Océaniennes
20
Dumont d'Urville
ne prend pas partie dans ces discussions de
qu'il n'est pas particulièrement favorable à la
religion. Il ne lui est pas, non plus, hostile. Simplement, il l'ignore
comme ne faisant pas partie de son monde.
Lorsqu'il juge un
prêtre, c'est uniquement en termes professionnels qu'il tranche. Il
voit les bons prêtres qui font le bien autour d'eux en
respectant la
carré.
On sait
liberté d'autrui, et les autres. Par contre, il se montrera
assez
systématiquement opposé à l'œuvre des pasteurs. A de rares
exceptions près, il ne voit en eux que des hommes plus enclins à
s'occuper d'intérêts privés qu'à évangéliser. A Mangareva, il
représente la France. Et si ce petit royaume théocratique le fait
sourire, il n'en laisse rien paraître.
Bientôt, la météo
se
gâte. Les expériences des scientifiques
doivent être interrompues. Seuls travaillent encore, sous la
pluie, le
lieutenant de vaisseau Thanaron et l'enseigne de vaisseau Duroch
qui, depuis le début de l'escale, complètent la carte dressée par
Beechey,
dans la
en 1826. Celle-ci péchait beaucoup
région de la grande passe sud.
par ses
imprécisions
Le 9 août, le Roi vient dîner à bord. On le couvre de cadeaux.
Le dimanche 12 août, pour impressionner
officiers en grande tenue, accompagnés de
les indigènes, tous les
40 hommes de chaque
célébrée par l'évêque. Le lundi,
corvette, assistent à terre à la messe
Thanaron et Duroch ont terminé leur travail. Le temps est toujours
mauvais. Les deux commandants décident donc de lever l'ancre le
mercredi 15 août, à l'aube.
Ce n'est pas sans un certain
soulagement que les religieux
voient partir ces marins qui étaient pourtant
venus encourager leur
œuvre. Ils ont eu la crainte
permanente de l'inconduite de ces
hommes et peut-être, aussi, une certaine inquiétude
quant à une
possible ingérence de l'État dans leurs pouvoirs et leur administra¬
tion. En fait, tout semble s'être bien passé, si on
excepte un petit
incident, que le père Laval, dans ses mémoires, nous conte ainsi :
"... il y eut une tentative de neuf matelots contre une fille d'Atituiti.
"La pauvre fille se voyant cernée
par tout ce monde, se sauva par la
"montagne, put arriver
"en criant
au secours...
sans
être prise jusqu'à la maison paternelle
Heureusement que
"de là ; il accourt, et la fille
"fut pas violentée...
le père n'était pas loin
protégée de la présence de son père ne
"J'étais à dicter à M.
Ducorps, commissaire de l'Astrolabe,
renseignements sur les îles et leur paganisme, quand un
"gardien de la baie d'Atituiti, Kerone, vint me raconter le fait des
"des
Société des
Études
Océaniennes
21
"neuf matelots... M.
Ducorps pleura..." (8).
Enquête faite par le commandant de la Zélée, à laquelle
appartenaient les matelots incriminés, il ne s'agissait que d'une
mauvaise blague, d'un pari idiot entre marins. Ils voulaient
seulement effrayer les missionnaires ; ceux-ci ne cessant, en toutes
occasions, de plaider le respect de la vertu et leurs jeunes-filles.
Dumont d'Urville, autant que Jacquinot, n'accordent que quelques
lignes à l'événement, dans leurs journaux de bord. Quand à
Ducorps, que les hasards de l'Histoire feront revenir, quelques
années plus tard comme premier administrateur français de NukuHiva, ses larmes ne semblent pas avoir été fort abondantes
puisqu'il ne parle pas de cette affaire dans son journal personnel.
On peut, par ailleurs, penser que si les neuf gaillards avaient été
résolus à commettre un forfait, ce n'est pas la présence du seul père
de l'infortunée jeune fille qui les en eût empêchés.
Selon son habitude, Dumont d'Urville fait mettre le cap au
large sans informer personne de la route qu'il désire suivre. A
l'origine, il avait prévu une route très sud. Celle qui ferait des alizés
des vents portants. C'est l'allure la plus favorable aux corvettes. Il
devait ainsi reconnaître Rapa, Rurutu, les îles Australes et
Rarotonga. Étant déjà passé par Tahiti lors de son premier tour du
monde, il ne souhaitait pas y revenir, mais plutôt explorer des îles
peu connues. Il avait sans doute une arrière-pensée de possible
colonisation qui permettrait de faire pièce de l'omniprésence
britannique.
Les événements vont
décider autrement. Il s'en
explique :
j'avais perdu (à chercher Pâques)... m'avait
"dégoûté de poursuivre ma route sur les parallèles de 28° à 23°
"pour aller reconnaître les îles de Vavitou (9), Rimatara (10),
"Mangia (11) et Raro-tonga, comme je l'avais proposé dans mon
"projet de voyage... Je sentis qu'il y avait plus d'avantages à aller
"visiter le groupe des îles Marquises... qu'aucune expédition
"française n'avait parcouru. Enfin, ce que je venais d'apprendre au
"sujet des missionnaires qui avaient passé à Tahiti, me donnait lieu
"de croire que l'honneur du pavillon me commandait d'aller sur les
"lieux... pour recueillir des renseignements positifs au sujet de cette
"triste affaire, en informer mon gouvernement et menacer la reine
"et les chefs d'un châtiment exemplaire de l'outrage commis envers
en
"... le temps... que
(8) Laval (Honoré)
:
Mémoires
pour
servir à l'histoire de Mangareva, P. 173.
(9) Raivae.
(10) Rimatara.
(11) Mangaia.
Société des
Études
Océaniennes
22
citoyens français" (12). On aura compris que l'affaire en
question est celle de l'expulsion, quelques mois auparavant, des
pères Laval et Caret qui avaient tenté de prendre pied à Tahiti.
Cap au nord-nord-est, donc, les deux corvettes arrivent, le
lendemain de leur départ, en vue de l'atoll de Marutea, alors appelé
"des
île Hood. Elles ont vainement cherché à reconnaître l'île
Moerenhout, aujourd'hui Maria, dont elles possèdent pourtant les
coordonnées exactes.
Sans doute
s'agit-il d'une erreur de
réglés, comme
car les chronomètres sont parfaitement
le démontreront les prochains relevés.
navigation
Le
relever
lendemain, 17 août,
une
île
Krusenstern.
mesure
île
cherche,
sans
plus de succès, à
Cet
par Wilson et High-Island par
échec est tout à fait compréhensible dans la
où il n'existe
aucune
figure
sur les cartes de
139° 05' de longitude ouest
nation d'île
on
baptisée Duff
terre dans cette région. En fait, cette
l'époque par 23° de latitude sud et
(méridien de Paris), sous la dénomi¬
présumée.
Le 20 août, à l'aube, on met en panne au
large de l'île Minerve.
lequel l'ingénieur VincendonDumoulin et son équipe souhaitent faire des relevés. Il faut
franchir le récif en baleinière, en se laissant porter par une grosse
vague qui revient périodiquement. L'expérience est hasardeuse
pour des non initiés mais la mer est calme et le vent faible : tout se
passe bien. Les scientifiques rectifient la position de cette île que,
Duperrey d'abord, Beechey ensuite, avaient indiquée de manière
erronée. A dix-heures trente, les relevés sont terminés et les
C'est
un
long atoll
corvettes
repartent.
sans passe sur
"A midi nous voyons encore la pointe nord-ouest de
"Minerve... et un quart d'heure après, la vigie signalait l'île Series
"dans l'ouest-quart-nord-ouest. Dans toute la traversée j'ai soin de
"faire veiller attentivement dans la partie nord sans rien découvrir.
"Il est donc probable que Clermont-Tonnerre de Duperrey n'est
"autre que Minerve, découverte l'année précédente par le capitaine
"Bellingshausen" (13), peut-on lire dans le journal de bord de
l'Astrolabe. Les suppositions de Dumont d'Urville sont rigoureu¬
sement exactes et la position qu'il relève de l'île Minerve
correspond bien à celle de l'atoll de Reao, qu'on appelait effec¬
tivement Clermont-Tonnerre, au XIXe siècle. Précisions que l'île
Series est l'atoll de Puka Ruha.
(12) Dumont d'Urville (Jules, Sébastien, César), Voyage
T. III, Pp. 189-190.
(13) Dumont d'Urville (Jules, Sébastien, César), Voyage
au
pôle Sud
et dans l'Océanie...,
au
pôle Sud
et dans l'Océanie...,
T. III, P. 219.
Société des
Études
Océaniennes
23
Le
24, la vigie signale une terre dans le lointain. Cependant, la
préférable d'attendre l'aube pour s'en
approcher. Il s'agit des îles Dominique, composées, au nord, de
Hiva-Oa, la plus grande, au sud-ouest de Tahuata et de l'îlot
Motane au sud-est. Les corvettes passent au milieu du groupe et
parviennent jusqu'à la plus grande des Marquises, un peu plus au
nord, Nuku-Hiva.
nuit tombant, il est
LES
MARQUISES
Dumont d'Urville pense trouver
Dupetit-Thouars aux
Marquises et adopter avec lui une attitude commune vis-à-vis des
populations de la région. Au commandement de la Vénus, cet
officier a été délégué par le gouvernement français pour assurer la
protection du commerce dans le Pacifique et assurer, en même
temps, la police des nationaux.
Aux îles Juan-Fernandez, Dumont d'Urville a
appris de la
pêcheurs locaux, le passage de la Vénus, deux mois
avant lui. Il sait qu'il va, comme lui, en Polynésie et doit passer aux
Marquises pour y rencontrer les baleiniers qui y font escale. C'est
pour cela que l'Astrolabe et la Zélée viennent mouiller en baie de
Taiohae, le meilleur abri de la principale île de l'archipel.
bouche de
Les
sont à
peine mouillées, en cette matinée du 26 août
1938, que du rivage partent des dizaines de pirogues. Elles sont
uniquement montées par des hommes. Les femmes suivent à la
nage. La foule est considérable. Tout le monde veut monter à bord
et les matelots ne sont pas les derniers à lancer par dessus bord tous
les bouts et cordages qu'ils trouvent. Devant l'invasion, les
ancres
commandants
se
voient
obligés de faire établir les filets d'abordage.
sur les lisses de pavois.
Les invités sont filtrés et la foule s'amasse
Il est inutile de
préciser la difficulté que vont avoir les officiers,
long de la journée, pour faire travailler les équipages. Ils
n'ont d'yeux que pour ces femmes, agrippées aux filets d'abordage,
qui les interpellent et leurs font des signes non équivoques. Voilà
qui les change des prudes prosélytes des Gambier. Comment
travailler quand tant de promesses s'offrent à eux. Mais Dumont
d'Urville est intraitable : les filets ne seront pas enlevés.
tout
au
Comme l'équipage, les jeunes officiers semblent trouver les
Marquisiennes à leur goût : "Avec des mains et des pieds bien
"tournés, une gorge arrondie, des yeux vifs et expressifs, plusieurs
"passeraient pour jolies en Europe", écrit l'un deux. Ce n'est pas
l'avis du prude second de l'Astrolabe, De Roquemaurel, qui,
Société des
Études
Océaniennes
24
enthousiasmé par le paradis des Gambier, n'est pas loin de
considérer Nuku-Hiva comme l'enfer : "(les Marquisiens) sont de
"vrais démons, dont la vue seule pourrait faire pâlir d'effroi ;
"imaginez-vous des hommes dans l'état de nature, non point
"cependant tels qu'ils sortirent des mains du Créateur qui les fit
"sans doute à son image aussi bien que nous, mais des hommes
"défigurés de la tête aux pieds par le tatouage le plus bizarre.
"Figurez-vous ces corps hideux n'ayant pour tout vêtement que des
"peintures burlesques incrustées dans la peau ; voyez autour de
"vous ce peuple grimacier fourbe, voleur, avide de chair humaine...
"Concevez la dépravation de ces hommes qui ne connaissent ni les
"douceurs de la vie domestiques, ni le mariage..." (14).
De toute la journée, personne ne quittera les corvettes. Ce
n'est que le soir que Dumont d'Urville, cédant aux instances de son
état-major, acceptera de faire baisser les filets d'abordage. Se
renfermant dans sa cabine, il voudra ainsi ignorer ce qui se passera,
toute la
nuit,
sur son
navire.
Le lendemain
matin, montant sur le pont, le commandant y
grand nombre de jeunes Marquisiennes qui y ont
passé la nuit. Il ordonne de les renvoyer immédiatement. Ces
demoiselles n'apprécient pas le bain matinal qui leur est ainsi
imposé. Elles se vengeront, le soir venu, en négligeant ostensi¬
blement l'Astrolabe pour n'aller faire commerce de leurs charmes
que sur la Zélée.
trouve encore un
Dès le matin du 27 août, l'enseigne de vaisseau MarescotDuthilleul est désigné pour hydrographier la baie de Taiohae.
L'enseigne Tardy de Montravel, de la Zélée, en fera autant de la
baie voisine de Taipivai. Dumont d'Urville, Jacquinot et de
Roquemaurel vont à terre se promener, observer la population et
tenter
d'en rencontrer les chefs.
En
fait, la vallée vit
sous
l'autorité unique d'une femme :
Patini. Les contacts que les Français ont avec elle sont excellents.
Elle leur explique qu'elle assume la régence dans l'attente du retour
de son neveu Moana. Celui-ci, après des différends avec ses sujets,
fait retraite dans une école pastorale des Samoa. Depuis lors, les
habitants de Taiohae vivent dans la crainte permanente des
conséquences du retour de leur chef. Ils avaient même cru, un
temps, qu'il était à bord des corvettes françaises.
Dupetit-Thouars n'est pas passé à Nuku-Hiva. Patini se
renseigne et finit par savoir qu'on l'a vu, quinze jours plus tôt, à
(14) Archives Nationales, Sous-série Marine 5 JJ : Voyages et missions hydrographiques.
Article 5 JJ 144 A : Voyage de Dumont d'Urville sur l'Astrolabe et la Zélée - 1836-1841.
Société des
Études
Océaniennes
25
Fatu-Hiva, la plus sud des îles du groupe. Il est aussi passé à
Tahuata, d'où il est parti pour Tahiti, sans visiter les autres îles de
l'archipel. La venue de l'Astrolabe et de la Zélée devient donc sans
objet. Le cap va être remis sur Tahiti, puisqu'aucune expérience
scientifique n'a été prévue aux Marquises. Pourtant, la décision de
départ tarde. Les Français se trouvent bien dans ces îles. La
rencontre entre les deux civilisations ne va certes pas sans heurts.
Escroqueries et chapardages sont fréquents. Mais, le principe
admis, tout le monde s'en accommode, avec le même sourire qui
réunions de règlements des litiges.
Le 30 août, l'approvisionnement en bois et en eau est terminé.
Les commandants envisagent de partir mais les commissaires
demandent un délai. Il s'agit de trouver, en nombre suffisant, les
cochons qui fourniront la viande fraîche. Ces animaux sont
frappés de tabou et les habitants de Taiohae ne veulent pas s'en
séparer. Heureusement, lors de ses travaux hydrographiques dans
la baie voisine, Tardy de Montravel a su lier d'excellentes relations
avec les Taipis, pourtant réputés fort agressifs. Ils acceptent de lui
vendre une partie de leur cheptel. Ne voulant faire moins que leurs
ennemis, les gens de Taiohae finissent par accepter de troquer
5 cochons contre vingt livres de poudre.
Dès lors, rien ne retient plus l'expédition à Nuku-Hiva. Le
départ est fixé pour le 2 septembre. La veille, Patini est invitée à
déjeuner à bord. Elle est accueillie au son d'une salve de canon,
conformément à son rang, et conviée à assister à un exercice de tir
qui l'impressionne favorablement. Lorsque, quelques années plus
tard, le chirurgien Lesson (15), à bord du brick Pylade, fera escale
à Taiohae, Patini lui parlera souvent, et avec beaucoup d'admi¬
ration de son "grand ami d'Urville".
préside
aux
LES TUAMOTU
Ayant recruté deux déserteurs baleiniers américains pour les
guider parmi les Tuamotu, les corvettes s'éloignent vers Tahiti. Là,
elles pourront recaler leurs chronomètres et rencontrer DupetitThouars. Les deux capitaines de vaisseau ont plusieurs problèmes
politiques à régler d'un commun accord. Par ailleurs, Dumont
d'Urville souhaite amener son collègue à des vues identiques aux
siennes sur une possible installation française aux Marquises.
(15) Pierre-Adolphe Lesson est un ami de Dumont d'Urville. Il a été chirurgien à bord de
l'Astrolabe lors de son précédent voyage autour du monde. Chirurgien sur le Pylade,
dans le Pacifique, de 1839 à 1842, il est ensuite revenu comme médecin-chef de la
Polynésie de 1843 à 1850.
Société des
Études
Océaniennes
26
Ce n'est pas sans inquiétude que Dumont d'Urville engage ses
navires dans les Tuamotu. L'archipel est mal connu, de nombreux
atolls restent à découvrir, la cartographie en est très approximative
et les violents courants pratiquement inconnus. Tout cela est
sûrement la cause de ce que cette expédition de découvertes ne s'est
pas attachée à explorer la région. La route est encore longue et les
expériences nombreuses, avant le retour à Toulon. Il est inutile de
prendre trop de risques, si tôt.
Après avoir longé Ua-Pou dans l'après-midi du 3 septembre,
les corvettes entreprennent de rechercher l'île Tiberonnes dont
Hutchinson, le pilote engagé à Taiohae, a signalé l'existence. Elles
ne la trouvent pas. Et pour cause... Il n'y a aucune terre sur près de
500 kilomètres entre les Marquises et les Tuamotu.
Le 5 septembre, vers midi, l'Astrolabe et la Zélée sont en vue
d'un atoll que Dumont d'Urville nomme Tiokea. Il s'agit en réalité
de Tiooka, ancien nom de Takaroa. Notons que les corvettes ont
parcouru cette distance à plus de neuf nœuds., ce qui est
considérable. Aussitôt après on reconnaît Oura, aujourd'hui
Takapoto.
Deux solutions s'offrent alors
aux
commandants
porter dans l'ouest afin de contourner les Tuamotu,
:
laisser
ou
bien
continuer sud-sud-ouest et traverser les atolls. Curieusement, mais
surtout en raison d'une cartographie erronée, c'est la seconde
solution qui est retenue. Les vents sont tombés. La navigation est
lente et
délicate, surtout la nuit, et la dérive due
aux
courants, très
importante.
Le 7
septembre,
"A 5 heures 30... la vigie signale
une longue
première doit être... l'île
"Ireland, l'ancienne Carlshoff de Roggewein (16)... la terre du vent
"me paraît se rapporter à Raraka (17)... A 7 heures je fais route au
"sud-sud-ouest sur l'île Wittgenstein (18)... il est près de 9 heures
"lorsque nous la découvrons. Je dirige ensuite la route à l'ouest de
"l'île Elizabeth (19)... à 6 heures du soir, nous nous trouvons à
"2 milles de l'île Greig (20)" (21).
"terre
sous
le vent et
:
une
autre
(16) Il s'agit de l'atoll d'Aratika qui,
sur
au
vent. La
les cartes de l'époque, porte le
nom
de Kotzebue ou
Carlshow.
(17) Là, Dumont d'Urville
se
trompe. Il s'agit en fait de Kauehi, aperçue et non baptisée en
1831, jamais vue depuis. Cette rencontre est donc
une
découverte ignorée. Raraka
se
juste derrière Kauehi, à l'est.
(18) Il s'agit de l'atoll de Fakarava.
trouve
(19) Atoll de Kaukura.
(20) Nom européen de Niau.
(21) Dumont d'Urville (Jules, Sébastien, César), Voyage
T. 4, Pp. 53-54.
Société des
Études
au
pôle Sud
Océaniennes
et
dans l'Océanie...,
27
Il est intéressant de noter à
quel point Dumont d'Urville a eu
région dangereuse sans le moindre
problème. Et cela d'autant plus qu'il utilise des cartes fausses où de
nombreux atolls ne figurent pas, certains sont mal positionnés ou
même confondus avec d'autres. C'est ainsi que la position qu'il
relève et attribue à l'île Elisabeth, nom européen de Kaukura, est
en réalité celle de Toau, ignorée par ses cartes. On observe
également que le groupe voisin, les îles Palliser (22), bien plus sûr à
traverser, est fui par les navigateurs. Les cartes y signalent un
entrelac très compliqué d'îles, dont la plupart n'ont aucune
de la chance de traverser cette
existence réelle.
pour l'anecdote, que l'expédition croise, à quelques
sud de sa route, l'atoll de Tahanea. Il est appelé, à
Signalons,
milles
au
l'époque, Tschitschagoff, du nom du ministre russe de la Marine.
Or, quatre ans plus tard, le lieutenant de vaisseau Du Bouzet,
second de la Zélée, épousera Catherine Tschitschagoff, la fille du
ministre en question. Séduit par la Polynésie, Du Bouzet va lui
consacrer 17 ans de sa vie. Il y revient, en 1841, comme
commandant d'un navire stationnaire, avec lequel il va sillonner les
archipels durant des années. Il deviendra ainsi le grand spécialiste
français de la navigation en Polynésie. A tel point qu'il sera nommé
gouverneur de Tahiti, en 1854.
Après l'île Greig, la mer est libre jusqu'à Tahiti. A bord
l'excitation est à son comble. Hommes et officiers, mis en
condition par l'accueil des Marquisiennes, attendent beaucoup de
leur escale tahitienne. Dumont d'Urville, qui est déjà passé à Tahiti
lors de son premier tour du monde écrit : "Tous mes compagnons,
"séduits par les portraits flatteurs qu'en on fait les navigateurs sont
"impatients de visiter cette soi-disant reine de l'Océanie. Pour
"moi... je n'éprouve d'autres désirs que celui d'observer les
"changements qui se sont opérés depuis cette époque..." (23).
Le 9 septembre au matin, les montagnes de Tahiti se profilent
enfin à l'horizon. Deux possibilités de mouillage s'y offrent. Soit la
rade de Papeete, à l'abri du récif, soit la baie de Matavai, ouverte
sur la haute mer mais proche de la pointe Vénus. Cette pointe, très
exactement relevée par toutes les missions qui s'y sont succédées,
permet de recaler très précisément les chronomètres qui servent, en
mer, au calcul du point. C'est ce dernier mouillage que choisit
Dumont d'Urville.
(22) Composé d'Arutua, Apataki et Kaukura, ce groupe avait
labyrinthe, par le navigateur hollandais Roggeveen.
(23) Dumont d'Urville
T. 4, P. 51.
été baptisé à tort, en 1722, le
(Jules, Sébastien, César), Voyage au pôle Sud et dans l'Océanie...,
Société des
Études
Océaniennes
28
TAHITI
La nouvelle de l'arrivée des deux corvettes
se
propage
rapidement. La Vénus étant en rade de Papeete, il y a maintenant
trois navires français à Tahiti. C'est un événement sans précédent.
Il conduit certains autochtones à se poser des questions quant à la
véracité des dires des pasteurs. Ceux-ci ont, en effet, tendance à
affirmer qu'il n'existe aucune marine aussi puissante que celle de
l'Angleterre. Cette présence, rapportée au contexte strictement
local, semble démentir de telles affirmations.
Les premiers à contacter les nouveaux arrivants sont les
pasteurs. Une importante mission est installée à Matavai. Elle
compte certains des plus anciens prédicateurs de l'île. N'ignorant
rien du but de la visite des Français, ils demandent à voir des
commandants. Le pasteur Rodgerson qui dirige la mission,
explique combien lui et ses pairs sont également mécontents de
l'attitude de Pritchard, le conseiller de la Reine. Il critique ses
actions, trop souvent dictées par des soucis politiques ou des
intérêts personnels. Sa façon d'agir leur cause plus de soucis que de
satisfaction. Les pasteurs tiennent à le faire savoir et désirent que
ce
problème soit,
une
fois pour toute, réglé
au
mieux des intérêts de
chacun.
Cette manière d'aborder les choses n'est pas pour déplaire à
Dumont d'Urville. Il a toujours prôné la franchise et
stigmatisé la
fourberie qu'il rencontre trop souvent chez les hommes de
pouvoir.
Dès lors, d'excellents contacts se nouent entre les officiers
français
et les pasteurs britanniques de Matavai. De
fréquentes rencontres
auront lieu durant toute l'escale.
Rodgerson a vécu plusieurs années aux Marquises. Son
expérience lui permet de compléter d'abondance le vocabulaire
marquisien déjà recueilli à Nuku-Hiva par Desgraz, le secrétaire de
Dumont d'Urville. Il y ajoute un important
lexique tahitien.
Le lendemain de leur arrivée, Dumont d'Urville et
Jacquinot
partent, en baleinière, faire les visites protocolaires. A mi-chemin,
dans le lagon de Taonoa, ils rencontrent l'embarcation de
DupetitThouars. Celui-ci avait envoyé, la veille, des pilotes à ses
collègues
pour les inciter à venir mouiller à Papeete. Moins ancien en grade
que Dumont d'Urville, il a estimé de son devoir, aujourd'hui, de
rendre visite à celui-ci. Les deux commandants
embarquent avec
lui et se dirigent vers Papeete.
A bord, avec Dupetit-Thouars, se trouve
Moerenhout, le
récent consul de France à Tahiti.
Belge de naissance, ce commer¬
çant est l'ancien consul des États-Unis. Ennemi personnel de
Société des
Études
Océaniennes
29
Pritchard, il a pris la défense des pères Laval et Caret lors de leur
débarquement illégal sur l'île. C'est cette courageuse prise de
position qui a conduit Dupetit-Thouars à en faire le consul de
France.
En
chemin, l'embarcation croise une barque montée par
Pritchard, qui se dirige vers Matavai. Il ne fait pas de doutes que le
conseiller de la Reine va visiter ses collègues de Matavai pour
connaître les intentions des
nouveaux arrivants. Peut-être même,
désire-t-il rencontrer Dumont d'Urville pour lui donner sa version
de l'affaire des missionnaires catholiques. Alors que l'embarcation
de Pritchard fait mine de
se
diriger vers celle des Français, Dumont
d'Urville refuse de le rencontrer.
A
midi, les quatre hommes mangent à bord de la Vénus. Il est
Reine. Son intervention
décidé que Dumont d'Urville visitera la
doit donner plus de poids à celle de
Dupetit-Thouars, afin
réparation de la brutale expulsion de Caret et Laval.
L'entrevue a lieu le lendemain. Les quatre hommes sont
accompagnés d'un interprète : Henry. La salle d'audience se limite
à un hangar ouvert à tous vents. Pomare est assise par terre,
d'obtenir
sa cour. Elle tient son nouveau-né dans les bras. Le
cérémonial est très restreint, comme l'écrit Dumont d'Urville : "Un
entourée de
"petit escabeau me fut offert devant la Reine, MM. Moerenhout et
"Henry se placèrent comme ils purent près d'elle, le capitaine
"Dupetit-Thouars alla s'étendre sur une natte à côté de Pomare
"Tane, et le capitaine Jacquinot fit comme lui" (24).
Après un long moment de silence, Dumont d'Urville rappelle
à la Reine qu'ils se sont déjà rencontrés, lors de son premier
voyage, 16 ans plut tôt. Elle s'appelait alors Aimata et n'était
qu'une jeune fille d'une quinzaine d'année. Rien alors ne la
destinait à régner. Elle l'assure s'en souvenir. Elle sourit, même, à
l'évocation de cette époque où elle était tranquille et ne faisait que
ce qu'elle voulait.
Le commandant français lui rappelle la bonne entente qui a
toujours régné entre leurs deux peuples. Il s'étonne de la brutalité
dont on a fait preuve à l'égard des missionnaires catholiques.
Reprenant les arguments de Dupetit-Thouars, il menace et promet
la guerre s'il y a récidive.
Pritchard n'assiste pas à l'entretien. Pomare se sent dépassée
par des événements auxquels elle ne comprend rien et ne sait que
(24) Dumont d'Urville (Jules, Sébastien, César), Voyage
T.
au
pôle Sud
IV, P. 68.
Société des
Études
Océaniennes
et dans l'Océanie...,
30
faire. Elle proteste de ses bonnes
intentions. Dumont d'Urville note
journal : "Je vis que la pauvre femme n'était que l'écho
"des Anglais...
"Je m'aperçois que Pomare est vivement affectée et que des
"larmes commencent à s'échapper de ses yeux qu'elle dirige vers
"moi avec une expression de colère assez évidente..!" (25).
Forts des points nouveaux marqués sur la Reine, les Français
décident d'aller voir immédiatement Pritchard : "Le palais de celuidans
son
"ci paraît vaste, commode, et ses alentours annoncent à l'instant
"que c'est l'habitation du véritable souverain de ces îles...
"M. Pritchard est un homme de 45 ans environ... il porte dans ses
"formes extérieures cet orgueil et cet air de dignité froide et
"réservée si naturels aux Anglais, lorsque la fortune va les chercher
"dans les classes les plus infimes pour les élever à un certain
"rang" (26).
Dumont d'Urville lui fait savoir, sans ambiguïté, son
mécontentement et les conséquences que le renouvellement de tels
actes entraîneraient. Il ajoute qu'il le croit capable, désormais, de
protéger des Français en danger, serait-ce au péril de sa vie.
En bon
diplomate et compte-tenu de la force momentanée de
interlocuteur, Pritchard abonde dans son sens. Il assure qu'on
l'a sans doute dénigré et que les pouvoirs qu'il détient, n'ont rien de
commun avec ceux qu'on lui prête. Il certifie, cependant, être
disposé à protéger les sujets de toutes nations, de pareilles actions.
son
La
partie diplomatique de l'escale tahitienne est achevée. Il ne
plus aux équipages qu'à effectuer le ravitaillement. Les
commandants se sont liés d'amitié et les échanges sont nombreux
entre l'Astrolabe, la Zélée et la Vénus. Dupetit-Thouars vient à
Matavai examiner l'ensemble des travaux réalisés par l'expédition,
aussi bien dans le détroit de Magellan que sur le continent
antarctique. Il avoue son admiration et son soulagement. Les
bruits insidieusement répandus à Valparaiso, par les Anglais de la
reste
division Ross, lui avaient laissé croire à
mission.
un
échec total de la
L'un des
jeunes élèves de la Vénus est à ce point enthousiasmé
les travaux scientifiques, qu'il demande à embarquer sur la
Zélée. Les deux commandants règlent ce problème. La Vénus est
un bâtiment important
doté d'un équipage en conséquence. L'élève
par
De Flotte est donc autorisé à
rejoindre l'expédition.
(25) Dumont d'Urville (Jules, Sébastien, César), Voyage
T.
au
pôle Sud et dans l'Océanie...,
IV, P. 70.
(26) Id., T. IV, P. 71.
Société des
Études
Océaniennes
31
Bien
qu'aucun travail n'ait été prévu pour cette escale,
officiers œuvrent à titre personnel. L'ingénieur
Vincendon-Dumoulin et les enseignes Tardy de Montravel,
Coupvent-Desbois et Gaillard ont installé un observatoire sur la
pointe Vénus. Ils s'y livrent à des expériences de physique et de
magnétisme. Les médecins gravissent les pentes des montagnes et
inspectent les récifs à la recherche d'espèces qui enrichiront leurs
collections. Le chirurgien Hombron y est même cruellement piqué
par un ptéroïs. De Roquemaurel, Du Bouzet et Desgraz multi¬
plient les contacts avec les Tahitiens qui leur fournissent de
nombreux renseignements sur leur langue, leur vie, leur histoire...
Le 16 septembre 1838, après avoir vainement attendu,
plusieurs jours, la visite que la reine Pomare avait promis de faire à
plusieurs
bord, les corvettes lèvent l'ancre. Elles vont reconnaître les îles
Sous-le-Vent, avant de se diriger vers les Samoa. Il leur reste
encore deux longues années de navigation et de recherche à
effectuer, avant de rentrer à Toulon.
Cette
expédition scientifique est la dernière qu'aura organisé
Élaborée dans une ambiance de contestation et
la France.
d'hostilité,
compris
ses
ceux
résultats furent considérables et salués par tous ; y
qui l'avaient combattue.
Ce qu'elle apporte à la Polynésie est plus considérable qu'il n'y
paraît à première vue. Rien ne fut imposé par la force. Ce n'était
pas dans le style de Dumont d'Urville. Mais partout il sut
appréhender les réalités locales, les noter et les faire connaître à qui
de droit. C'est en cela qu'on peut considérer que ce grand marin est
à l'origine de l'évolution moderne dans un certain nombre de
région du Pacifique et plus particulièrement en Polynésie.
A Rikitea, les missionnaires ont bien senti, et surtout Laval, le
plus passionné, le danger que cet homme poli, serviable mais
distant, pouvait représenter pour leur royaume théocratique. Nous
l'avons dit, Dumont d'Urville n'était pas hostile à leur implanta¬
tion. Il leur est même favorable car il y voit la base d'une possible
entreprise de colonisation. Il en parle à Dupetit-Thouars qui pense
comme lui. L'idée sera plus tard reprise par Bruat et soutenue par
le Ministre, Roussin. Tous, à son égal, sont des marins. Laval se
battra, courageusement, contre ses idées. Dans sa lutte désespérée
il écrira quelques pages oh combien prémonitoires : "... je pense
"que ces colons qui viendront exploiter ces contrées n'y sèmeront
"peut-être pas des vertus. Pourtant l'Océanien serait capable de
"devenir homme s'il n'était conduit que par la douceur et la morale
"de
l'évangile.
Société des
Études
Océaniennes
32
pourquoi alors parle-t'on de venir leur enlever leur
Pourquoi venir s'emparer de leurs propriétés ?... Mais je
"croirais, moi, qu'il y a plus de gloire à protéger sans asservir. On
"veut peut-être essayer de ramasser des millions ; mais on se
"trompe. L'Océanie n'aura pas de millions à fournir à la France
"et
on sera peut-être au contraire obligé, pour soutenir la
"colonie, d'avancer de grosses sommes qui ne rentreront jamais
"dans le trésor de l'état qui aura voulu faire des spéculations sur ces
"pauvres îles..." (27).
"Et
"liberté ?
...
Les Marquises avaient intéressé Dumont d'Urville. Libres de
l'emprise des pasteurs, elles étaient une cible facile pour une nation
européenne à la recherche de points d'implantation dans le
Pacifique. Proches des zones de pêche à la baleine, elles offraient
une
intéressante base de ravitaillement
implantation
indigènes.
toute
des
passait
ne
aux
que par un
navires baleiniers. Mais
assagissement des
mœurs
impressions qu'il s'ouvre à Dupetitcelui-ci
décide de retourner aux Marquises, après son départ de Tahiti. On
sait que l'acharnement des deux hommes viendra à bout des
réticences des diplomates français. Dès son retour en France,
Dupetit-Thouars se verra confier le commandement d'un autre
navire. Sa mission sera de faire des Marquises la première colonie
française du Pacifique. Le commissaire Ducorps, de l'Astrolabe,
sera le premier administrateur de Nuku-Hiva. Le capitaine de
corvette Du Bouzet, second de la Zélée, sera pour sa part, chargé
d'y faire régner l'ordre, au commandement de l'Aube.
C'est de toutes
ces
Thouars, lors de leur rencontre à Papeete. Impressionné,
A
Tahiti,
comme
ailleurs, le
passage
de l'Astrolabe, et de la
Zélée n'a rien déclenché dans l'immédiat. Mais toutes les bombes à
retardement destinées à une explosion de la situation étaient
déposées. L'adversaire acharné de Pritchard, Moerenhout, voyait
sa position personnelle renforcée du titre de Consul de France et de
l'immunité diplomatique concomitante. La présence de trois
navires français avait favorisé l'éclosion d'un parti francophile.
Pour la première fois la toute puissance de Pritchard, et du parti
anglais, se voyait entamée.
Bien sûr, Pritchard a
réagi. Deux mois après le départ de
contourné l'accord signé par la force, en
édictant une loi interdisant le culte catholique. Bien sûr, il a fallu
attendre près d'un an, après le départ de la Vénus, pour voir le
Dupetit-Thouars, il
a
(27) Archives de Picpus, 68.2. Laval à
Mémoires pour
Bonamie, le 10 juin 1842. Cité par le père O'Reilly in
XC-XCl.
servir à l'histoire de Mangareva, introduction, Pp.
Société des
Études
Océaniennes
33
passage
d'un autre navire français. Mais quel passage (28).
En avril 1839, l'Arthémise, commandée par le capitaine de
vaisseau Laplace, entre en rade de Papeete. Laplace est chargé de
la même mission de police que Dupetit-Thouars. A la suite d'une
avarie subie sur le récif de Tiarei, le navire doit être abattu en
carène. Ainsi les calfats pourront rendre la coque étanche, à
nouveau. C'est l'affaire de quelques semaines.
Les
Français s'installent à Fare-Ute. Laplace profite de
son
temps libre pour intervenir auprès de Pomare et faire abroger la loi
d'interdiction du culte catholique. Elle cède. Pritchard subit sa
deuxième défaite en quelques mois.
Mais le fait le
plus marquant de cette escale imprévue est le
parti français. Les Tahitiens apprécient haute¬
ment la gentillesse de ces marins. Leur attitude les change de
l'habituelle arrogance des baleiniers et des déserteurs anglo-saxons.
Mais surtout, comme eux, les marins français aiment l'alcool, les
fêtes, les danses, la bonne chère, la décontraction. Toutes choses
que
les. pasteurs interdisent. Les hommes de l'Arthémise
transgressent allègrement et impunément ces interdictions. Pire, ils
invitent les Tahitiens à les visiter et à partager leurs distractions,
sans crainte de punitions. Ainsi, progressivement, pour les
habitants de Papeete, se forge l'idée que Moerenhout et les.
Français représentent le retour aux libertés que les pasteurs leur
renforcement du
ont ôtées.
Au fil des visites de navires français, le parti de Moerenhout se
renforce. Parallèlement, la reine Pomare a de plus en plus de
difficultés à faire régner l'ordre. La situation est donc mûre pour
Du Bouzet organise ce parti qui, par la voix des chefs Tati,
Paraita, Hitoti et Utami va demander le protectorat de la France.
que
C. COUTURAUD
•(28) En réalité,
français, l'Héroïne, commandée par le capitaine de vaisseau
Mais, uniquement chargé de la protection des baleiniers,
intervenu dans les affaires locales.
un
autre navire
Cécille, est passé entre-temps.
il n'est pas
Société des
Études
Océaniennes
34
NAVIGATION STELLAIRE
SANS INSTRUMENTS EN OCÉANIE
Dans les
équatoriales, la navigation stellaire
suivantes :
eaux
sans
instruments
se
fait par les méthodes
1. Direction par les étoiles à basse altitude.
C'est le "compas stellaire" bien connu en
utilisé dans certains régions.
Océanie qui est
encore
2. Direction par les étoiles
Le navigateur voit les
à haute altitude.
étoiles autour du zénith comme un compas
renversé et garde son bateau aligné sur une ligne formée par trois étoiles.
C'est là la méthode de Kràmer des trois étoiles, publiée déjà en 1903 mais
apparemment comprise que tout dernièrement.
3.
est
Latitude par les étoiles à haute altitude.
C'est la méthode de "l'étoile zénithale". Si la déclinaison d'une étoile
égale à la latitude d'un lieu, elle culminera au-dessus de
ce
lieu
au
zénith. Certains auteurs croient avoir trouvé des preuves de son
utilisation en Océanie, et pensent qu'elle est assez précise pour donner de
bons
atterrissages
utilisation
sur
les petites îles, d'autres rejettent les
précision.
preuves
de
son
et mettent en doute la
4.
Latitude par les étoiles à basse altitude en direction nord et sud.
L'estimation de l'altitude de l'étoile polaire au-dessus de l'horizon a
été
rejetée
étant trop imprécise par les premiers navigateurs, étant
l'étoile polaire était loin du pôle céleste à cette époque. Nous
proposons une autre méthode, qui consiste à utiliser les configurations
des étoiles par rapport à l'horizon.
comme
donné que
5. Latitude par les étoiles à basse altitude en
Étant donné que la sphère céleste semble
l'horizon quand un
direction est ou ouest.
s'incliner par rapport à
observateur change de latitude, les configurations, par
Société des
Études
Océaniennes
35
rapport à l'horizon, formées par les étoiles se levant à l'est ou se couchant
à l'ouest peuvent être utilisées pour fixer la latitude. Cette méthode
primitive a été complètement négligée par les chercheurs, mais il y a des
preuves écrites de son utilisation. Elle semblerait grossière mais elle est en
fait assez précise pour trouver des îles les plus petites.
Nous traiterons ici principalement des "nouvelles" méthodes 2 et 5 et
ajouterons quelques commentaires sur les méthodes 3 et 4, en soulignant
la manière indigène de reconnaître les configurations, par contraste avec
la manière occidentale de mesurer des angles d'élévation.
1. Direction par
les étoiles à basse altitude.
L'utilisation du "compas stellaire" a fait
discussions et d'une ample documentation, et a
l'objet de nombreuses
même été expérimentée
(Goodenough 1953, Lewis 1972B et 1978). Si l'on y ajoute l'habilité des
autochtones à naviguer à l'estime et à se diriger d'après la houle quand il
faisait jour, cela était suffisamment précis pour des distances modérées.
Dans le cas de distances plus longues, on mettait le cap de façon à être sûr
d'arriver au vent de l'île à atteindre. Quand le navigateur voyait îjue le ciel
qu'il observait correspondait à celui qu'il se rappelait avoir vu dans l'île
auparavant (voir section 5) il pouvait tourner à vau-vent (en vérifiant
pendant la nuit les configurations des étoiles par rapport à l'horizon) et
suivre le parallèle jusqu'à l'île. Ce point de vue est corroboré par le
rapport de Lewis sur Tonga (19728:236) expliquant comment les
autochtones retournaient de loin à leur île. "On suivait une étoile qui
donnait une idée approximative de la direction à suivre. Quand on
s'approchait, on mettait le cap sur d'autres étoiles". Pour que cette
méthode réussisse, il fallait que le navigateur puisse déterminer d'après
l'aspect du ciel nocturne le moment où il atteignait la latitude de Tonga.
2. Direction par
les étoiles à haute altitude.
simple. Le navigateur est couché sur le dos dans le
regarde les étoiles autour du zénith. Il repère une ligne d'étoiles
qui, d'après son expérience, montre la direction à suivre, et demande au
timonier de mettre le cap dans cette direction.
La méthode est
bateau et
bateau, on a l'impression que le disque du
quand l'embarcation change son cours, le ciel semblera
tourner lorsque le bateau changera de direction, et les étoiles conduc¬
trices ne seront plus alignées avec le bateau, si bien que le navigateur
devra donner des ordres au timonier pour corriger le cours.
De même que, sur un
compas tourne
fait, cette vision du ciel ressemble exactement au compas renversé
autrefois,les capitaines au long cours tenaient accroché au-dessus de
couchette, pour s'assurer que leur navire suivait la bonne route, sans
En
que,
leur
avoir à
se
lever.
Pour que cette
méthode de direction par les étoiles soit d'une
Société des
Études Océaniennes
36
précision acceptable,
ces étoiles ne doivent pas être trop
écart de 30° est admissible, cela veut dire
éloignées du
qu'une ligne
d'étoiles pourrait être utilisée pendant quatre heures, et qu'il en faudrait
donc encore deux autres pour naviguer toute la nuit. Avant que la ligne
d'étoiles servant de guide descende trop bas, le navigateur doit en
substituer une autre, parallèle à la première, tout comme le navigateur se
dirigeant d'après une étoile située à l'horizon doit changer quand la
première monte trop haut dans le ciel et n'indique plus la bonne direction
(ou se couche s'il va vers l'ouest), ce qui met environ deux heures.
zénith. Si
un
Même pour une pirogue normalement dirigée d'après les étoiles
situées à l'horizon, cette méthode pourrait être valable comme alternative
en temps de brume quand souvent seules les étoiles situées très haut
demeurent visibles.
Il est évident que cette
autochtones
comme
méthode a été en fait utilisée par les
l'indique le compte-rendu suivant de Kràmer
(1903:247) des îles Samoa
:
S'ils n'avaient pas
d'étoiles méridiennes ou situées à l'horizon, ils
possédaient quand même un autre moyen qui leur était propre.
Ils cherchaient un groupe de trois étoiles culminantes, c'est-àdire trois étoiles proches formant une ligne, comme le Baudrier
d'Orion, l'amoga, qui en est le plus bel exemple. L'un des marins
se couchait alors sur le dos dans l'espace
étroit (liu) de l'embar¬
cation, dans le sens de la longueur, évidemment, et comme il
voyait les trois étoiles juste au-dessus de lui, ou plus exactement
une au centre, la deuxième à droite
(taumatau) et la troisième à
gauche (tauaama), il était capable, d'après ce qu'il voyait, de
donner des instructions
au
timonier.
La référence
aux étoiles de droite et de
gauche, outre celle située au
indiquer que la ligne des étoiles était perpendiculaire au
cours, plutôt que parallèle. Ceci est possible, et en fait pourrait aller tout
aussi bien. Mais il se pourrait aussi que l'auteur n'ait pas su comment
expliquer qu'une étoile était "au-dessus" et l'autre "au-dessous", alors
qu'il avait déjà affirmé que toutes les trois étaient juste au-dessus. Une
tradition de Tokelau indique que les trois étoiles étaient bien en fait
alignées parallèlement à la direction suivie : " Tolu : les trois étoiles dans le
Baudrier d'Orion. A leur zénith celles-ci sont un guide direct de
Nokunono à Atafu" (Macgregor 1937:90).
centre, semble
Atafu est au nord-ouest de Nokunono (relèvement 317°) et le
Baudrier d'Orion indique à peu près la même direction (relèvement 307°).
La
fig. 1 est une vue du Baudrier d'Orion avec une flèche donnant la
direction de Nokunono à Atafu. Il faut se rappeler que l'ouest est à la
droite de la figure étant donné qu'elle représente le ciel. Quand j'ai voulu
vérifier les relèvements
céleste pour
la mauvaise
est à
droite
en utilisant une carte pour les îles et un atlas
Orion, j'ai tout d'abord été déçu de voir qu'Orion était dans
direction, jusqu'au moment où je me suis aperçu que l'ouest
sur une
carte
céleste !
Société des
Études
Océaniennes
37
Le fait que
le Baudrier d'Orion culmine de 8° au nord du zénith dans
n'empêche pas qu'il puisse être utilisé comme repère pour se
diriger. (Cela indique au même temps que l'expression autochtone que les
ethnographes appellent commodément "le zénith" devrait en fait être
traduite par "au-dessus").
cette zone
Sabatier (1939:94-95), dans un compte-rendu sur l'île d'Abemama,
parle d'une navigatrice couchée sur le dos et regardant le ciel pendant des
heures, indiquant quand il fallait changer de bord parce que le vent était
contraire. Lewis (1972B:240) inclut ce compte-rendu dans son chapitre :
"Détermination de la position en mer" dans la partie ayant pour soustitre : "Preuves de l'utilisation des étoiles du zénith". Il est cependant peu
probable que la navigatrice était en train de vérifier la position à l'aide de
cette méthode. En supposant que la pirogue ait eu une vitesse de 6 nœuds
et que la navigatrice ait été capable de déterminer la latitude avec la très
haute précision de 12', il aurait fallu au moins deux heures pour qu'elle ait
pu noter le changement. Il paraît plus raisonnable de penser qu'elle
vérifiait constamment le cours à l'aide d'une ligne d'étoiles près du zénith.
Hutchins (1984) fait le commentaire suivant : "Je ne crois pas qu'elle
indiqué quand il fallait changer de bord. Je crois qu'elle contrôlait
dans quelle mesure les bords successifs et alternés étaient parallèles, ce qui
lui permettait ainsi de déterminer si un changement dans le vent contraire
rendait un bord plus favorable que l'autre".
ait
Après la description de la méthode faite par Kràmer dès 1903, le
risque de se demander en quoi consiste la nouveauté. Le fait est
que cette méthode n'a été bien comprise que très récemment. Akerblom
(1968:42-43) commente : "Krâmer n'a donné aucune indication pouvant
expliquer comment ces trois étoiles étaient utilisées et comment la
méthode fonctionnait dans la pratique. Les données de base sont bien
lecteur
Société des
Études
Océaniennes
38
trop insuffisantes pour permettre une analyse réaliste de la méthode".
Lewis (1972B:246) est du même avis : "Krâmer... se réfère à des
techniques de Samoa qui consistent à se coucher sur le dos dans une
pirogue et à observer des groupes d'étoiles. Ses informateurs ont insisté
sur l'importance de groupes de trois étoiles, bien
que leur méthode d'utili¬
sation n'ait pas été expliquée de façon satisfaisante".
Un ethnographe allemand, E. Reche, a écrit un article sur la navi¬
gation d'après trois étoiles des Polynésiens (1927:214-219, 266-271), mais
il suggère que la direction se faisait d'après des
triangles d'étoiles près de
l'horizon. Ceci n'a évidemment aucun rapport avec les lignes de trois
étoiles situées au-dessus de l'observateur décrites par Kramer.
Il faut remarquer d'autre part que cette méthode ne fonctionne bien
dans les tropiques, où les étoiles élevées semblent avancer le long de
lignes pratiquement droites sans tourner. Dans les mers européennes, la
direction d'une ligne d'étoiles change si rapidement en tournant autour du
pôle nord qu'elle est inutile pour la navigation. C'est probablement la
raison pour laquelle l'explication si simple des "trois étoiles" de Krâmer a
échappé si longtemps aux chercheurs européens.
que
3. Latitude par
Si
une
étoiles à haute altitude.
certaine étoile culmine
au
zénith au-dessus d'une certaine île,
le
navigateur saura qu'il a atteint la latitude de cette île quand il observera
que cette étoile culmine au zénith. Le problème est de déterminer le zénith
dans le ciel sans instruments. Une des méthodes proposées est de lever le
bras aussi haut et droit que possible et de tourner en cercle. C'est facile à
dire mais difficile à faire, surtout sur le pont instable d'une embarcation.
Lewis a mis cette méthode à l'épreuve dans un voyage en catamaran,
faisant son observation en prolongeant la ligne du mât, et il a obtenu une
précision de 1°. Il estime que, dans des conditions favorables, il serait
possible d'obtenir une précision allant jusqu'à 30' ou 30 milles nautiques
(1972B:245-246). Akerblom (1968:38) doute d'une telle précision et ajoute
entre parenthèses : "Le débat ici ne présente
cependant qu'un intérêt
théorique car rien ne fait penser que les Polynésiens aient en fait
déterminé leur latitude
en
utilisant
une
étoile du zénith".
Il
paraît douteux que les Océaniens aient utilisé cette méthode étant
qu'ils en avaient de plus précises à leur disposition, dans laquelle
l'horizon était utilisé comme ligne de référence. Nous en reparlerons dans
donné
les sections 5 et 6.
L'expérience de Nainoa Thompson, qui
a
navigué
sur
Hokule'a (une pirogue double polynésienne reconstruite) de Hawaii à
Tahiti en 1980, tend à le prouver. Il a constaté que la détermination
précise du zénith était suffisamment ardue sur terre et bien plus
mer, et a rejeté cette méthode (Finney et al 1986:58).
Société des
Études
Océaniennes
encore sur
39
4. Latitude par
Si
étoiles à basse altitude
observateur
au
nord et
au
sud.
déplace vers le nord, les étoiles au nord
s'élèveront au-dessus de l'horizon, et les étoiles au sud s'abaisseront. Il est
donc possible de déterminer la latitude en mesurant l'altitude des étoiles
un
se
près des pôles célestes. Si l'on
dispose pas d'instruments, il est possible
échelle la largeur des doigts avec le bras
tendu. Évidemment, cette méthode ne peut être utilisée que lorsque les
étoiles sont près de l'horizon et quand celui-ci est bien visible.
de le faire
La
en
utilisant
mesure
semble être
ne
comme
de l'altitude de l'étoile
polaire
pour
déterminer la latitude
méthode parfaite, mais peut donner lieu à des erreurs
considérables. Même si l'on arrive à mesurer exactement l'altitude, le fait
que
une
l'étoile polaire est à
une
distance de 52' du pôle céleste entraîne
une
marge d'erreur de 50 milles nautiques en latitude. Il y a mille ans, quand
les Océaniens naviguaient déjà sur le Pacifique, l'étoile polaire était à une
distance de 5° du pôle nord. L'erreur aurait donc été de 300 milles
nautiques,
ce
qui aurait été tout-à-fait inacceptable.
Ces difficultés
disparaissent si l'on ne pense plus à mesurer des
angles, mais à reconnaître des configurations. La configuration des étoiles
près du pôle céleste et de l'horizon changera perceptiblement même pour
le moindre changement de latitude. Il devrait ainsi être possible d'obtenir
la détermination de la latitude de façon aussi satisfaisante, sinon
davantage, que celle obtenue en mesurant l'altitude de l'étoile polaire avec
la largeur du doigt. De plus, il est sans importance que le pôle céleste soit
ou non visible au-dessus de l'horizon. La Croix du Sud
peut être utilisée
même au nord de l'équateur et la Petite Ourse au sud. Hutchins m'a dit
qu'il a utilisé la Grande Ourse de cette manière dans les îles Trobriand à
8°15'S (1984).
Thompson sur Hokule'a, pendant l'aller-retour de 1980 de Hawaii à
Tahiti, a utilisé une adaptation de cette méthode qui lui a donné la
latitude en degrés (Finney et al 1986-56-57). Ayant appris par cœur la
distance angulaire entre deux étoiles qui seraient simultanément dans le
méridien et la déclinaison de l'étoile plus proche de l'horizon, il estimait
l'élévation de l'étoile la plus basse au passage du méridien en utilisant
comme
mesure
la distance entre les deux étoiles. En sachant la
déclinaison de l'étoile la plus basse et son
calculer la latitude.
élévation, il devenait facile de
Il était nécessaire de déterminer la latitude en degrés en raison de la
manière dont se faisait l'expérience. La position exacte de l'embarcation
était déterminée par satellite et enregistrée continuellement (60). Tous les
matins avant l'aube et tous les soirs au crépuscule Thompson mesurait la
latitude et estimait la longitude pour obtenir une détermination de
aux relevés de satellite lorsque le voyage était fini.
De cette manière on obtenait une bienne évaluation des méthodes noninstrumentales utilisées pour mesurer la latitude.
position comparable
Un ancien
navigateur polynésien, allant de Tahiti à Hawaii serait
Société des
Études
Océaniennes
40
seulement intéressé de savoir
quand il aurait atteint la latitude d'Hawaii.
qu'il lui faudrait faire serait alors de se rappeler une confi¬
guration d'étoiles par rapport à l'horizon qui pouvait être aisément
identifiée. Thompson a remarqué "qu'à la latitude de Honolulu l'étoile
La seule chose
inférieure de la Croix du Sud verticale
l'horizon
est exactement à
mi-distance
entre
l'étoile la plus élevée de la
Croix". Il a trouvé cette méthode
beaucoup plus facile que celle de mesurer l'altitude d'une seule étoile. "La
Croix du Sud était, en fait, l'un des repères de latitude les plus précieux
quand on s'approchait de Hawaii pendant le voyage du retour" (58). On
pourrait objecter qu'il n'est pas facile de trouver des repères aussi
frappants que celui-ci pour chaque île. Toutefois les possibilités
augmentent considérablement lorsqu'on se rend compte que le couple
d'étoiles servant d'étalon ne doit pas nécessairement être voisin de l'étoile
située près de l'horizon, et que les étoiles n'ont pas besoin d'être dans le
méridien. Il suffit simplement d'une ligne verticale ou horizontale entre
les étoiles pour déterminer l'heure astronomique à laquelle l'observation
doit se faire, ainsi qu'une étoile pas trop éloignée du méridien et située
près de l'horizon, dont l'élévation est égale à la distance entre deux étoiles
situées dans le champ visuel. La fig. 2 en représente quelques exemples.
et
di
d?
LAT.
23"
S
LAT.
3°
S
y
~
LAT.
d.
LAT.
16°
4°
•
N
S
*
QUAND LA LIGNE
-----
ENTRE
d\
ÉTOILES EST HORIZONTALE OU
VERTICALE, LE MOMENT EST ARRIVÉ
DE VÉRIFIER SI dl = Û2.
DEUX
DANS
CE
CAS
ON
EST
A
LA
Î--
LATITUDE
INDIQUÉE.
LAT.
Fig. 2. Détermination de la latitude
petite ourse (à droite).
par
Un inconvénient de cette méthode
Société des
Études
la grande
qu'il
y a
9"
N
ourse
(à gauche) et la
lieu de connaître est
Océaniennes
que
41
l'horizon doit être nettement visible
toujours le
comme une
ligne,
ce
qui n'est
pas
cas.
5. Latitude par
les étoiles à basse altitude à l'est
fonde
ou
à l'ouest.
le fait
qu'une constellation d'étoiles se
(ou se couchant à l'ouest) semblerait s'incliner vers le nord
quand un observateur se déplace vers le sud, et vice versa. C'est là un fait
bien connu, mais on ne s'est pas rendu compte que ça donne une méthode
à haute précision pour déterminer la latitude.
La méthode
se
sur
levant à l'est
Un
île devrait, afin d'être
de pouvoir retourner
constellation avec
deux étoiles à la même élévation près de l'horizon. En pleine mer, s'il
regardait les deux étoiles en question, il pourrait alors voir s'il se trouve
au nord ou au sud de la latitude de l'île, et approximativement à quelle
à
navigateur sur
une
sur
l'île, étudier le ciel à l'est (ou à l'ouest) et trouver
une
distance.
La méthode est parfaitement valable près de l'équateur, où les étoiles
lèvent verticalement suivant des lignes perpendiculaires à l'horizon.
Plus loin de l'équateur les constellations s'inclineront légèrement à mesure
se
qu'elles montent dans le ciel. Dans les tropiques, cet effet est cependant
très peu sensible et ne présente pas de problèmes.
La fig. 3 est une tentative de démonstration de la précision de cette
méthode. Comme on peut l'observer, il est parfaitement possible de voir
une
pente dans une ligne entre deux étoiles de la grandeur d'un quart de
qui correspond à 15 milles nautiques en latitude. Cela devrait
même la plus petite des îles. Il est important de
remarquer qu'un horizon brumeux ne mènerait qu'à une petite perte de
précision, et que si l'horizon était même complètement caché par des
nuages, il serait possible d'avoir une assez bonne approximation.
degré,
ce
suffire pour trouver
60
MILLES
AU
NORD
DE
L'ILE.
30
MILLES
AU
NORD
DE
L'ILE.
15
MILLES
AU NORD
DE
L'ILE.
SUR
L'ILE.
Fig. 3. Deux étoiles au-dessus de l'horizon à l'est.
Société des
Études Océaniennes
42
Y a-t-il des indications dans les références
ethnographiques
permettant de penser que cette méthode a été au fait utilisée par des
Océaniens pour déterminer la latitude ? C'est bien ce
qu'il me semble.
Itilon, un navigateur de Ninigo, a dit à Lewis (1972B:247) qu'une constel¬
lation
appelée Maan, constituée par Canope, Sirius et Procyon était
importance vitale pour toute navigation". Pour retrouver Ninigo,
Sirius devait être "exactement au centre de
Ninigo", ce qui était le cas
quand "une ligne de petites étoiles australes appelées Tieti indiquait la
"d'une
direction de Sirius".
Ceci
se
réfère évidemment à
une
méthode visant à déterminer la
latitude, et la seule façon de l'utiliser était d'observer l'aspect du triangle
formé par les trois étoiles Maan - car elles he sont
pas tout à fait alignées quand elles se lèvent ou elles se couchent. En fait, le triangle Maan
convient parfaitement à cet effet. Sirius est l'étoile la
plus brillante du ciel
et Canope la suit de près.
Procyon est moins brillant, mais quand même
de la première magnitude. Elles sont donc faciles à
apercevoir «même
quand le ciel s'éclaire passablement à l'aube et également par temps de
brume la nuit.
Pourquoi trois étoiles ? Sirius
et
Canope, les deux plus brillantes,
ne
suffiraient-elles pas ? Il est plus simple à mon avis de se rappeler l'incli¬
naison d'un triangle (car on peut comparer l'inclinaison de trois
lignes)
que l'inclinaison d'une seule ligne, à moins que la ligne soit exactement
parallèle à l'horizon. La fig. 4 montre l'aspect de la constellation Maan
sous trois latitudes différentes.
PIKE LOT
8° 6' N
NINIGO
ATA PU
8°
1° 15'S
33' S
Fig. 4. Maan (Procyon, Sirius et Canope)
se
levant
Atafu.
sur
Pikelot, Ninigo et
L'aspect du triangle dans sa totalité suffit à faire des approximations
grossières pendant un long voyage, mais pour une évaluation plus précise,
quand il s'agit de faire un bon atterrissage, on a avantage à inclure une
étoile (ou des étoiles) ayant exactement la même élévation au lever
que
l'une des étoiles principales, de telle sorte
qu'une ligne passant par elles
Société des
Études
Océaniennes
43
soit parallèle à
l'horizon. C'est ce qui doit être la fonction des Tieti dans le
rapport de Ninigo. Il convient de remarquer que les Tieti indiquent
toujours la direction de Sirius, quelle que soit la latitude de l'observateur.
La façon dont elles indiquent cette direction doit être précisée et facile à
reconnaître si elles doivent servir à déterminer la latitude. Il est évident
qu'une disposition parallèle à l'horizon est la meilleure, mais si elle se
trouve perpendiculaire elle pourra aussi servir, bien qu'étant un peu
moins précis. Comme on se réfère aux Tieti sous le nom d'"étoiles du sud"
il est probable qu'elles sont au sud de Sirius et forment avec cet astre une
ligne parallèle à l'horizon.
Jusqu'à quel point cette méthode était-elle répandue ? A part le
compte-rendu détaillé de Lewis de Ninigo, il pourrait s'avérer difficile de
trouver d'autres indications de son usage dans les références. Un
ethnographe faisant l'interview d'un navigateur autochtone penserait
naturellement à la méthode de mesurer des angles d'élévation ou à trouver
des étoiles au zénith (le seul "angle" qu'on puisse mesurer sans
instruments !) plutôt qu'à reconnaître des configurations, et n'arriverait
donc pas à comprendre les explications. Un tel fossé culturel est difficile à
combler. Peut-on s'attendre à ce qu'un ethnographe établisse un rapport
correct et sans préjugés à propos de quelque chose qu'il ne comprend pas,
ou même suffisamment détaillé pour
permettre une interprétation
ultérieure ? Lewis a accompli cette tâche en tout honneur. Il connaissait
suffisamment ses navigateurs pour se rendre compte que chacune de leurs
paroles avait un sens. D'autres auraient pu les rejeter comme absurdes, ou
les altérer pour leur "donner un sens".
Lewis
lui-même.
parlait directement à un homme qui avait utilisé cette méthode
Qu'en serait-il resté si cela avait été une tradition orale vieille
de plusieurs générations ? Dès que la fonction des Tieti avait été oubliée,
celles-ci auraient probablement été exclues comme n'ayant aucun
rapport, et seule la phrase : "vous étiez près de l'île quand Sirius était
exactement au centre de Ninigo" serait restée. La tradition aurait alors été
considérée comme dépourvue de sens par les chercheurs, étant donné que
Sirius n'est jamais au zénith à Ninigo.
Les tristes
paroles d'Itilon : "Mon grand-père en savait bien plus" et
qu'aucune des anciennes connaissances ait été retenues"
montrent combien a été perdu depuis que les puissances coloniales ont
rendu illégaux les voyages à longue distance en pirogue. (Lewis 1978:93).
Il se pourrait fort bien que bon nombre des traditions "dépourvues
de sens", où les étoiles dont il est question sont loin d'être des étoiles de
zénith sur les îles respectives, soient en fait des vestiges d'instructions sur
la manière de retrouver l'île au moyen d'une étoile principale bien connue,
et d'une petite étoile ayant la même élévation au lever ou au coucher.
Après quelque temps, l'étoile la plus remarquable serait la seule retenue
"Il était étonnant
dans la tradition.
Une méthode consistant à reconnaître des
nocturne
et à les
comparer avec
Société des
configurations dans le ciel
des images emmagasinées dans la
Études
Océaniennes
44
mémoire
semble
compliqué, car nous sommes habitués à déterminer
des angles. Pour un navigateur autochtone,
cependant, cela est parfaitement naturel. Il a une profonde connaissance
des positions des étoiles et il est obligé d'avoir remarqué le changement
d'aspect des constellations ascendantes dans ses voyages vers le nord ou
vers le sud. De là il n'y a guère qu'un pas à franchir
pour comprendre les
possibilités qu'il avait ainsi de déterminer la latitude.
nous
la latitude
Au
en
cours
"deux étoiles
mesurant
de
ne
Pour Arcturus et
voyage en Hokule'a, Thompson a remarqué que
lèvent simultanément qu'à une latitude spécifique".
son
se
l'Épi, cela
produit à 21° de latitude N. En allant vers
près suivre sa progression vers son port
d'attache en voyant l'intervalle entre les heures d'ascension des deux
étoiles diminuer de plus en plus". (Finney et al 1986:58). C'est un cas
particulier de la même méthode qui va bien avec des étoiles brillantes
(Arcturus et l'Épi sont toutes deux de la première magnitude). Pour la
plupart des îles, cependant, il ne sera pas possible de trouver un tel couple
d'étoiles. Comme sur Ninigo, la procédure normale consistera à choisir
une étoile brillante comme partie aisément identifiable de la
configuration
et une étoile faible, ou plusieurs étoiles faibles proches les unes des autres,
qui formeront l'autre partie. En ce cas il faudra attendre quelque temps
après l'ascension pour que les étoiles les plus faibles atteignent leur pleine
luminosité et puissent être identifiées avec certitude. En raison aussi de la
réfraction de la lumière d'une étoile proche de l'horizon, qui fait que son
image se trouve légèrement élevée, la pente de la ligne entre les étoiles
augmentera légèrement à mesure que les étoiles sortiront de la brume à
le
nord, "il pouvait à
se
peu
l'horizon.
Il convient de mentionner ici que les navigateurs arabes, qui
utilisèrent cette méthode pendant le Moyen-Age, parlaient toujours
d'étoiles horizontales
(Tibbetts 1971:353).
Un
capitaine espagnol, Sanchez y Zayas, se réfère énigmatiquement
à une méthode qu'utilisaient les autochtones pour déterminer la latitude
après avoir été déviés de leur cours :
Alors, ils ont recours à leurs observations ; ils remplissent d'eau
une canne creuse et observent les étoiles au zénith, et à
partir de
là étudient la position du" vaisseau (1866:263).
Lewis considère ceci
comme
(1972B:242). Mais comment
une
méthode d'étoile de zénith
remplie d'eau peut-elle servir à
déterminer le zénith ? Une utilisation logique de la canne serait celle d'un
niveau à alcool, c'est-à-dire qu'on pourrait boucher chaque extrémité
avec le doigt, et la soulevant à bout de bras, sentir l'eau avec les deux
doigts. De la position horizontale, on pourrait imaginer une ligne perpen¬
diculaire allant vers le zénith. Mais alors un fil à plomb ferait l'affaire
mieux et plus simplement.
A court
d'imagination
une canne
pour
découvrir
une
explication logique,
au
nous
disons que quelque chose ne va pas : la canne remplie d'eau et l'étoile
zénith ne sont pas compatibles. Sanchez aurait-il pu inventer soit la
nous
Société des
Études
Océaniennes
45
soit le zénith ? La canne doit être acceptée, étant donné qu'elle joue
majeur dans l'histoire, mais le zénith pourrait être une
déformation ajoutée par Sanchez afin de donner un sens à quelque chose
qu'il ne pouvait comprendre.
canne,
un
rôle
Une fois ôté l'obstacle du
zénith,
utilisation possible de la canne
que deux étoiles ascendantes
sont à la même élévation. La canne améliorerait la précision de la
méthode lorsque l'horizon est caché par des nuages. C'est ce que les
autochtones auraient pu essayer d'expliquer à Sanchez. Comme cela ne
est celle d'un niveau à alcool pour
une
vérifier
voulait rien dire pour lui, il aurait pensé que quelque chose
et il aurait ajouté "au zénith" pour corriger le problème.
lui échappait
Kràmer (1903:247) décrit comme suit une méthode utilisée par les
navigateurs de Samoa pour déterminer leur position en louvoyant ou
après avoir dévié de leur cours en raison du mauvais temps :
Mais si les embarcations naviguaient et louvoyaient dans les
alizés, ou si le mauvais temps les faisait dévier de leur cours,
alors ils cherchaient une étoile descendante qui se couche à la
même latitude ("Breite") et au même moment qu'Orion se lève,
comme par exemple Arcturus et le Bouvier. Alors quelqu'un
viserait à l'arrivée l'étoile descendante et un autre à l'avant
l'étoile montante, et si l'embarcation n'était pas alignée, ils
verraient facilement s'ils se trouvaient trop loin au nord ou trop
loin au sud de la ligne. Cette observation simultanée à l'avant et
à l'arrière était
A
une
des
spécialités des anciens navigateurs.
ceci, Akerblom ( 1968:31-32) fait le commentaire suivant :
Un tel procédé est inconcevable. En premier lieu, les deux étoiles
à l'horizon sur lesquelles la pirogue devait s'aligner auraient dû
avoir une différence d'azimuth de 180° exactement. Or il est en
fait très rare de voir des étoiles offrant cette combinaison. Pour
prendre un relèvement exact, il faut avoir des instruments très
précis, et les Polynésiens n'en possédaient pas. En deuxième
lieu, avant qu'un changement dans le relèvement des étoiles, dû
à la déviation de la ligne du cours, devienne apparent, la pirogue
aura tellement dévié de son cours que le navigateur aura proba¬
blement déjà compris par d'autres signes que sa navigation est
en défaut
Les étoiles servant de guide à l'avant et à l'arrière ne
pourraient pas être utilisées pour déterminer les déviations afin
de corriger le cours.
...
début, j'étais pleinement de l'avis d'Akerblom. Kramer avait dû
s'il s'agissait de traverser un lac, où les déviations du cours
peuvent facilement être déterminées en prenant des relèvements à partir
du point de départ et de l'arrivée, car les distances sont courtes. Appliquer
cette même méthode à des étoiles situées à des années-lumière de distance
Au
penser comme
semble
parfaitement incongru, puisque même des astronomes avec leurs
précision doivent utiliser le diamètre de l'orbite terrestre
instruments de
Société des
Études
Océaniennes
46
autour du
directions
soleil pour obtenir
les étoiles.
des modifications mesurables dans les
vers
J'ai été tenté de
m'interrompre à ce point et de dire que Krâmer avait
compris son vieil ami Le'iato de Tutuila. Mais plus je lisais
ce qu'il écrivait, plus j'avais de respect pour Krâmer, aussi ai-je continué à
chercher une explication logique, que j'ai fini par trouver.
sans
doute mal
Voici
qui pouvait se produire. Supposons que la pirogue est
ouest, et tournée vers une étoile ascendante et une autre
descendante à 10° environ au-dessus de l'horizon. Si l'on déplace la
pirogue de 5° de latitude vers le nord, les points directement à l'est et à
l'ouest resteront identiques, mais les étoiles visées s'inclineront vers le sud.
La fig. 5 montre le ciel à l'ouest. Une ligne allant de l'étoile au point situé
à l'ouest de l'horizon s'incline maintenant de 5° à gauche. Le relèvement
par rapport à l'étoile n'est plus de 270° mais de 269° 7'. Puisque la même
chose s'est produite à l'est, le relèvement à l'étoile située à 10° au-dessus de
l'horizon n'est plus de 90°, mais de 90° 53'. La différence de relèvement est
donc de 269° 7'
90° 53' - 178° 14' (Fig. 6).
ce
alignée d'est
en
-
Fig. 5. Gauche. Une étoile sur l'horizon
10°. Les deux juste à l'ouest.
Droite. A 5°
franc
étoiles
plus
au
et
une
autre à une élévation de
nord, l'étoile à l'horizon garde la position
pivot autour duquel la configuration des
ouest. Elle est le
a
tourné de 5°
vers
L'étoile à 10° d'élévation
le sud.
est
maintenant
déplacé de 53'.
Reste le
problème de savoir comment mesurer ces légères déviations
instruments. Je propose la méthode suivante : Supposons que la
pirogue aille droit vers l'est. Un homme à l'arrière de la pirogue vise droit
devant lui, et quand l'étoile ascendante est exactement à la verticale audessus de l'œil droit (ouvert) de l'homme à l'avant, il lui fait un signe. A ce
sans
moment, l'homme à l'avant, qui vise l'étoile descendante à l'ouest, doit
déterminer si cette étoile est verticalement au-dessus de l'œil de l'homme à
Société des
Études
Océaniennes
47
l'arrière
s'il y a une déviation à droite ou à gauche. Dans la fig. 7 on
l'homme placé à l'avant verrait l'étoile au-dessus de la tête
de l'homme à l'arrière (les hommes étant à une distance de 10 mètres et les
voit
ou
comment
étoiles à
une
descendante
élévation de 10°). Comme on le voit sur la figure, l'étoile
(étoile B) est loin à gauche quand l'embarcation dévie de 5°
ETo'ile:
b
ETOILE A
Fig. 6. Visée avant-arrière quand la pirogue,
trop au nord.
en
route vers l'est, est de 5°
ETOiLE B
ETOILE
/77777/
'
A
^J777777 77777T^J7777T
A
Ia
'A
A'
"////; S&jrs/V//,
(\ A\
777777^FCT775
A\ à
0°
1°
5
PIROGUE TROP AU
Fig. 7. Visée avant-arrière pour vérifier la latitude.
NORD
Étoiles à 10°
d'élévation. Observateurs à 10 mètres l'un à l'autre.
Société des
Études
Océaniennes
48
latitude, et même si l'embarcation dévie de 1° en latitude (soit 60 milles
nautiques) le déplacement de l'étoile est manifestement visible.
en
La méthode Rua pour la navigation polynésienne décrite par Dodd
(1986:9-11) semble être essentiellement identique à la méthode ici
analysée.
Comme
méthode
indique des changements de latitude, elle ne
cours que pendant la navigation par
latitude. Si mon interprétation du compte-rendu de Kràmer est correcte,
elle pourrait ainsi être considérée comme preuve que la navigation
par
latitude était pratiquée en Polynésie. Elle s'oppose
à ce qu'affirme
Akerblom (1968:47) sur la navigation par latitude :
En théorie, il est possible que les Polynésiens aient
navigué par
cette méthode, mais comme il n'y a pas une seule
preuve qu'il en
soit ainsi, elle ne peut être décrite, comme on le fait
parfois,
cette
peut être utilisée pour vérifier le
comme
une
de leurs "méthodes exactes".
Cette méthode utilise le même phénomène (celui où on voit les
constellations s'incliner quand on se déplace vers le nord ou vers le sud)
que celle qui compare l'élévation de deux étoiles ascendantes à l'est. Ce
n'est en fait qu'une variation de cette méthode.
Kramer ajoute une note énigmatique à la description de la méthode
lignes de trois étoiles près du zénith pratiqué à Samoa pour diriger les
pirogues pratiqué à Samoa : "Une de ces constellations s'appelait
également manu, qui signifie également apparaître (auftauchen)".
"Auftauchen" veut dire littéralement "sortir de l'eau" (après y avoir été
submergé) et pour un groupe d'étoiles vues d'une île, cela pourrait vouloir
dire "sortir de l'océan" c'est-à-dire se lever. Se pourrait-il
que la constel¬
lation Manu ait la même fonction sur les îles Samoa
que la constellation
Maan sur Ninigo, c'est-à-dire celle d'indiquer la latitude
d'après son
des
inclinaison
en
se
levant ?
6. Discussion.
Nous voulons démontrer ici
qu'il existe plusieurs méthodes à la fois
et pour déterminer la latitude sans
instruments. Étant donné que les évaluations de
comptes-rendus de
l'Océanie n'ont pas tenu compte de toutes ces
possibilités, elles prêtent
maintenant à discussion. Quelques exemples le montrent.
pour
diriger
une
embarcation
Akerblom (1968:82) cite la tradition suivante concernant les
directions de navigation de Rarotonga à la Nouvelle-Zélande :
La tradition dit que
les étoiles servant de guide pendant le
jusqu'ici de "Takitumu" étaient Atutahi (Canope),
Tautoru (le Baudrier d'Orion), Puanga (Rigel), Karewa,
Takurua (Sirius), Tawera (Vénus comme étoile du matin),
Meremere (Vénus comme étoile du soir), Matariki (les
Pléiades), Tama-rereti (la Queue de Scorpion), Te Ikaroa (la
Voie lactée)".
voyage
Société des
Études
Océaniennes
49
Ses commentaires sont les suivants :
"... on donne les noms d'étoiles
dispersées dans tout le
firmament. Les directions n'ont aucune signification. Une étoile
avec une déclinaison d'environ 37°S est nécessaire
pour une
étoile servant de guide. Parmi les étoiles mentionnées, seules
certaines étoiles de
Scorpius remplissent cette condition".
Il est maintenant
possible de trouver des utilisations qui ont un sens
pour la plupart des étoiles mentionnées. Canope, Sirius, Rigel et le
Baudrier d'Orion forment dans le ciel une configuration qui peut avoir été
utilisée à la fois pour la direction par les étoiles à haute altitude (comme le
groupe de trois étoiles de Kràmer) et pour déterminer la latitude au lever
ou au coucher (comme la constellation
Canope-Sirius-Procyon sur
Ninigo). Scorpion, qui se lève quand le groupe de Sirius-Orion se couche,
peut également avoir rempli les deux fonctions. Même la Voie lactée, qui
de prime abord apparaît complètement déplacée dans ce contexte, peut
avoir été utilisée pour la direction par les étoiles à haute altitude. On doit
se rappeler que le cours n'a
pas besoin d'être très précis. Il suffit
d'atteindre la latitude de la Baie de Plenty (où les pirogues abordaient
traditionnellement) bien avant d'arriver en Nouvelle-Zélande, puis de
naviguer droit vers l'ouest, en utilisant les étoiles mentionnées pour
vérifier chaque nuit la latitude.
Voici
autre
exemple :
qui servent de guide pour toucher terre sont celles qui
s'élèvent au-dessus de chaque terre, comme YHoku-lea qui
un
Les étoiles
s'èlève au-dessus des îles Hawaii et YHoku-lea
sur
Tahiti, etc."
(Beckwith, 1932:82).
Une autre traduction du même passage est
la suivante :
protectrices... sont celles qui sont suspendues (kau)
chacune sur les différentes terres, comme Hoku-lea sur les îles
Hawaii, et la Croix du Sud sur les terres de Tahiti, etc." (Lewis,
1972B:238).
Les étoiles
Lewis interprète le passage en le considérant comme une preuve que
Polynésiens utilisaient les étoiles de zénith pour déterminer la latitude.
Akerblom (1968:40), qui appuie son argument sur le fait que la Croix du
Sud ne peut être une étoile de zénith de zénith en Tahiti, et sur la
traduction : "s'élève au-dessus de chaque terre", est convaincu qu'il s'agit
des étoiles d'horizon pour se diriger seulement, et nie que les Polynésiens
aient été capables de déterminer la latitude.
les
Il se pourrait toutefois que la méthode des étoiles montantes pour
déterminer la latitude soit en cause. Celà éliminerait le problème des
étoiles loin du zénith et explique la phrase "s'élève au-dessus de chaque
probable que les petites étoiles accompagnant les
lumineuses afin de déterminer la latitude soient retenues dans
terre". Il n'est pas
tradition
plus
une
qui est vieille de plusieurs siècles.
Il faut
également
se
rappeler
Société des
que
les traditions étaient probablement
Études
Océaniennes
50
plus visuelles qu'orales. Le père montrait à son fils, ou le maître à son
élève, les étoiles qu'il fallait utiliser pour trouver une certaine île. Si l'une
des étoiles avait un nom, ce nom servait d'appellation pour tout le groupe
d'étoiles utilisé. Sinon, le nom d'une étoile proche pouvait servir
d'appellation et de point de départ à partir duquel on pourrait découvrir
la configuration d'étoiles plus petites en question.
Comment donc résoudre l'énigme de ces navigateurs primitifs
capables d'expéditions aussi extraordinaires avec des connaissances si
rudimentaires en astronomie ? Comment pouvaient-ils se
diriger sans
s'égarer dans ces mers immenses ? La réponse, à mon avis, est qu'ils
savaient si bien reconnaître les configurations formées par les étoiles dans
le ciel, et la façon dont elles se déplaçaient selon que l'on allait vers le nord
ou vers le sud, qu'ils pouvaient toujours dire
près de quelle île ils se
trouvaient en latitude. Leur conception du ciel nocturne était
holistique.
Un simple aperçu de quelques étoiles dans n'importe quelle direction
suffisait à leur indiquer s'ils étaient dans la bonne direction. Et après un
regard circulaire à l'horizon ils savaient quelle île ils rencontreraient en
allant droit
Il
sur
l'est
ou
sur
l'ouest.
peut qu'on leur ait demandé en vain comment ils faisaient. Ils
su le dire. Il
peut se faire que ces connaissances se soient
tellement imprégnées dans leur esprit qu'elles aient été subconscientes
plutôt que conscientes. Ils savaient tout simplement, sans savoir comment
se
n'auraient
ils savaient.
Nous pouvons comprendre comment les nomades trouvent leur
chemin dans les vastes terres qu'ils parcourent parce
que nous utilisons le
même procédé, bien qu'à une échelle beaucoup plus modeste, dans notre
promenade du dimanche à la campagne : nous prenons des points de
repère. Mais nous sommes incapables de comprendre comment les
anciens navigateurs océaniens pouvaient se servir des étoiles de la même
façon, car leur profonde connaissance des constellations et des configu¬
rations qu'elles forment dans le ciel, indispensable pour établir ces
points
de repère, nous fait défaut. Cette connaissance n'est même
pas l'apanage
de l'astronome moderne, car il a plutôt recours à des atlas et des
catalogues. C'est par nécessité que les Océaniens gardaient tout en
mémoire. Ils ne pouvaient mesurer les angles, n'ayant les instruments
nécessaires. Par contre ils pouvaient reconnaître des
configurations
d'étoiles, et les comparer avec celles qu'ils avaient apprises. Leur
expérience se forgeait au cours d'une vie entière, tout d'abord avec des
maîtres exigeants dans leurs écoles de navigation, et ensuite sur
l'océan,
maître qui ne faisait grâce d'aucune faute.
Quand à leur connaissance des étoiles s'ajoute celle de l'océan, avec
et ses mouvements de houle, ainsi
que leur habileté à
naviguer dans l'estime et leur capacité à déceler la proximité d'une île
grâce aux oiseaux et aux nuages, on comprend qu'ils aient acquis une
parfaite maîtrise des mers, confiant dans leur pouvoir de naviguer là où ils
le désiraient, et de retourner sains et saufs.
ses
courants
Société des
Études
Océaniennes
51
Peut-être les
expériences actuellement faites avec la pirogue
inspireront d'autres à les continuer. Cela pourrait même faire
l'objet d'un sport parmi les yachtmen de naviguer dans le Pacifique sans
instruments, utilisant un simple cahier avec les cours des étoiles pour se
diriger entre les îles et les configurations d'étoiles au-dessus l'horizon pour
les retrouver. Cela serait un juste tribut aux anciens navigateurs
autochtones, les meilleurs qui aient jamais parcouru la Mer du Sud.
Hokule'a
Je ne saurai mieux faire que de citer en conclusion une histoire tradi¬
tionnelle de Samoa telle qu'elle a été recueillie par Krâmer qui l'a traduite
allemand
en
(1903:246-247)
:
Malama a'e le taeao, ua tatau
tonu le taumua 'o lo lauava'a ma
le nu'u.
'O le mea 'ua la maua ai Manu'a,
ona o
ai i
se
; 'o fetu fo'i 'ua le sese
isi mu'u. Ona toe liliu mai
fetu
pa 'o ali'i i Tutuila va'ava'ai pea
lava i fetu, 'ua fai ma la alava'a ;
'ua la iloa
fo'i matua tonu lava
Quand le soleil se leva, la proue
de leur pirogue était tournée
droit vers leur destination.
Voilà pourquoi ils atteignirent
c'est grâce aux étoiles.
étoiles, ils ne se trom¬
pèrent pas de chemin. Puis ils
retournèrent à Tutuila, regardant
toujours les étoiles et mettant le
cap sur elles ; ils savent que les
étoiles sont parfaitement fidèles.
Manua
Grâce
:
aux
Remerciements
Je suis reconnaissant à M. Yves Chauvin de l'Université de
Californie à San Diego qui d'après avoir discuté avec moi de mes idées sur
la
navigation dès 1983, m'a encouragé à écrire cet article, et à M. Edwin
manuscrit, a corrigé des
Hutchins de la même université, qui a lu mon
erreurs et m'a fait d'utiles commentaires.
Article original
traduit par Edith
Erik JONSSON
San Diego
Jonsson-Devillers.
Société des
Études
Océaniennes
52
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London.
Société des
Études
Océaniennes
53
L'UNIVERSITÉ FRANÇAISE DU PACIFIQUE
L'Université
Française du Pacifique
été officiellement créée par un
plein exercice qui a
pour mission d'assurer un enseignement de premier et de troisième cycle,
tant en formation initiale qu'en formation continue. L'université a à sa
tête un président, professeur d'université ou assimilé, nommé par le
ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ; le président est
assisté d'un secrétaire général nommé par le ministre, sur proposition du
président. Le mandat du président est de trois ans, renouvelable une fois.
Cette université se compose d'une présidence, située à Papeete comme le
stipule le décret, et de deux centres universitaires d'égale importance, l'un
en Polynésie Française, l'autre en Nouvelle-Calédonie ;
chaque centre est
dirigé par un directeur nommé par le conseil d'administration sur
proposition du président de l'université. L'Université Française du
Pacifique comprend deux instances, une instance de décision, le conseil
d'administration, et une instance de consultation, le conseil scientifique et
culturel. Le conseil d'administration comprend 20 membres désignés soit
par l'État soit par les Territoires (il y a de droit deux représentants de la
Polynésie Française, deux de la Nouvelle-Calédonie et un de Wallis et
Futuna) ; il se réunit deux fois par an, en alternance à Tahiti et à Nouméa.
Le conseil scientifique et culturel comprend entre 15 et 30 membres : il
comprend essentiellement des directeurs d'organismes étrangers
d'enseignement et de recherche du Pacifique, ainsi que des attachés
décret
en
date du 28 mai 1987. C'est
culturels des ambassades de la
La création de l'Université
de
la
une
a
université de
zone.
Française du Pacifique traduit la volonté
partie du monde, majoritairement
France de créer dans cette
anglophone, un centre de rayonnement universitaire qui remplisse une
triple mission aux plans de la formation, de la recherche et de la culture.
L'action principale consiste, bien entendu, à répondre aux besoins des
T.O.M. en matière d'enseignement supérieur de premier et de troisième
cycle, mais également à nouer des liens scientifiques et culturels avec les
états de la zone dont les étudiants, à majorité anglophone seront accueillis
selon des modalités qui leur permettront de suivre les enseignements tout
en se formant à la langue et aux techniques françaises.
Française du Pacifique a ouvert et ouvrira ses divers
enseignements selon un calendrier connu pour les divers DEUG
(Diplômes d'Études Universitaires Générales) et en cours de définition
L'Université
Société des
Études
Océaniennes
54
les DEUST (Diplômes d'Études Universitaires en Sciences et
Techniques) et pour les troisièmes cycles. La rentrée universitaire s'est
déroulée le 28 février 1988 à Nouméa, en raison du
particularisme de son
calendrier scolaire et universitaire austral. 180 étudiants se
répartissent au
sein des trois DEUG qui ont été ouverts : un DEUG Droit
(sous la
responsabilité de Y. PIMONT, Professeur issu de l'Université de Rouen ;
un DEUG Sciences A ou SSM
(Science et Structure de la Matière) et un
DEUG Sciences B ou SNV (Sciences de la Nature et de la
Vie), tous deux
dirigés par le Professeur J. PRÉVOST venant de l'université de Limoges.
La rentrée à Tahiti se fera le 15
septembre 1988 pour ces trois mêmes
DEUG mais également pour le troisième
cycle de "Biologie et Écologie
Marine Littorale". En 1989, ouvriront les DEUG
littéraires, un certain
nombre de DEUST et de troisièmes
cycles répondant aux besoins
spécifiques des trois territoires.
pour
Au niveau des infrastructures et du
personnel, l'Université Française
Pacifique voit ses moyens se mettre progressivement en place et se
renforcer, traduisant en cela la volonté de la France et du gouvernement
français de construire une université capable de remplir la mission qui lui
du
a
été confiée
:
personnel à la fin 1988 : 15 enseignants (7 professeurs et 8 maîtres-deconférence) aidés dans leur tâche par des missionnaires et des chargés
de cours recrutés localement ; 22
administratifs, techniciens ou
personnels de service (dont 12 recrutés localement).
bâtiments : le gouvernement français a débloqué une somme dè
2 milliards de F.CFP afin de construire dans les trois ans
qui viennent,
deux campus universitaires à Nouméa et à Tahiti ; 200
millions
de F.CFP supplémentaires serviront à
équiper ces bâtiments.
A Nouméa, les enseignements sont réalisés dans un ensemble de
5 étages, situé à Magenta. Ce bâtiment, qui servait
auparavant de foyer
pour les jeunes cas sociaux, a été réhabilité grâce à des crédits territoriaux
(100 Millions de F.CFP) et transféré à l'Université jusqu'à ce que le
programme de construction du centre universitaire de l'île Nou soit
réalisé. A Tahiti, il est prévu que, pendant la période de
construction du
centre universitaire, les enseignements soient réalisés au Service de
la
Promotion Universitaire de Pirae. Ce service, qui
avait pour vocation le
soutien logistique aux universitaires venus de métropoles pour assurer un
enseignement de premier cycle, devenant caduc par suite de la création de
l'Université Française du Pacifique.
—
—
L'Université Française du Pacifique est encore très jeune et la phase
de mise
en
place doit
se
faire lentement
et
progressivement
car
elle n'a pas
droit à l'erreur. Sa création résulte d'un pari sur l'avenir mais il ne fait
pas
de doute que le dialogue et la concertation avec ses
partenaires français et
étrangers permettront de faire de cette université un lieu privilégié de
rencontres et
d'échanges
au
sein du Pacifique sud.
Michel Ricard
Société des
Études
Océaniennes
55
Notes de lecture
L'ARBRE ET LA PIROGUE
-
UN SYMBOLE ET UN MESSAGE INSULAIRE
Co-publié
l'ORSTOM et les éditions ARLEA, "La dernière île"
entreprise dans l'archipel du Vanuatu
par Joël Bonnemaison, géographe à l'Institut français de recherche
scientifique pour le développement en coopération. Fruit d'un travail qui
a débouché sur une thèse d'État, ce livre est aussi un
témoignage
personnel, ce qui en renforce l'intérêt.
par
est l'aboutissement d'une recherche
L'île de Tanna est au cœur de l'ouvrage et la connivence qui s'est
établie entre l'auteur et ses habitants l'a poussé à essayer d'en comprendre
les motivations et les représentations sans verser dans une identification
illusoire. Il l'a fait d'autant plus volontiers qu'il a vécu un des temps forts
de
l'île, qui, à l'aube de l'indépendance, est entrée en dissidence et a refusé,
nom de la coutume, de se soumettre à l'autorité de Port-Vila. La
volonté de préserver son identité face aux agressions de l'extérieur paraît
au
constante de son histoire et un des traits qui la distinguent
milieux insulaires océaniens dont l'occidentalisation a été plus
d'autres
rapide.
Avec une opposition aujourd'hui murée dans le silence, Tanna est une des
îles qui a su le mieux préserver son héritage culturel et cet attachement
prend du relief au moment où la plupart des sociétés tendent à se couler
bon gré mal gré dans le moule occidental.
une
Dans une première partie, Joël Bonnemaison se livre à une
rétrospective des contacts qui se sont noués entre Européens et
Mélanésiens dans le cadre régional et local. Il ne se borne pas à retracer
les étapes de la pénétration coloniale mais s'efforce d'en retrouver
l'épaisseur en utilisant une approche anthropologique. Cela le conduit à
replacer les événements et les acteurs dans leur contexte, à se pencher sur
leurs motivations, à étudier leurs relations et à mieux appréhender
l'ambivalence de leurs rapports et les malentendus qui en découlent. Loin
de succomber à une représentation réductrice et globalisante d'un passé
Société des
Études
Océaniennes
56
pétrifié, il
souligne la complexité foisonnante et contingente. Il en
manifestent la résurgence de phénomènes
récurrents, la persistance d'attitudes et de comportements que l'on croyait
caduques et les réévaluations sélectives qui en sont faites à la lumière du
présent. Cela lui permet de mieux identifier les structures et les rapports
sociaux et d'en étudier la dynamique dans
l'espace et le temps.
Au fur et à mesure qu'ils découvrent
l'archipel et y prennent pied, les
Européens manifestent des attitudes accordées à leurs mobiles. L'image
qu'ils offrent aux Mélanésiens dépend de leurs visées,dont la dominante
peut être idéaliste ou utopique, lorsqu'il s'agit de découvrir la fameuse
"terra australis" ou d'élargir le faisceau des connaissances du siècle des
lumières, mystique lorsqu'il s'agit de répandre la lettre de l'église réformée
ou de lui
opposer l'esprit de la contre-réforme, beaucoup plus prosaïque
lorsqu'il s'agit de trouver de nouvelles sources d'approvisionnement et de
développer des cultures commerciales de rapport,reposant sur le colonat
et une main-d'œuvre à bon marché. Leur
représentation des indigènes elle
aussi fluctue et va des farouches cannibales aux "bons
sauvages" parés de
vertus naturelles,avant qu'une aliénation
progressive ne les réduise à un
bétail humain abruti et oisif dont il convient
d'exploiter les corps et de
montre
sauver
en
la permanence que
les âmes.
L'organisation sociale qui prévaut à l'aube de la colonisation paraît
simple et cohérente, avec une population tournée vers la terre et divisée en
groupes territoriaux autonomes qui entretiennent des relations
apparemment égalitaires. A la fin du XIXème, l'archipel des NouvellesHébrides dont fait partie Tanna se voit placé sous une double tutelle
anglaise et française. L'administration du territoire, que les français
qualifient de condominium et les Anglais de pandemonium, s'avère plus
disjointe que conjointe et elle fait l'objet d'une "rivalité mimétique" qui
s'accélère dans les années 60. Cette opposition débouche sur le
plan
politique lorsque prennent consistance les mouvements d'idées qui vont
conduire à la formation du Vanuatu indépendant de 1980. C'est
ainsi,
qu'au début des années 70, se crée un parti nationaliste mélanésien qui
reçoit le soutien des églises protestantes anglo-saxonnes fortement
majoritaires dans l'archipel. Sur le modèle d'autres territoires océaniens,
le "Vanuaaku Pati" ou VAP se
propose de construire une nation à partir
d'une structure d'encadrement
partisane,hiérarchisée,débouchant sur un
État centralisé. Les groupes minoritaires à dominante francophone se
prononcent de leur côté pour une structure fédérale et un cheminement
plus lent vers l'indépendance cependant que leurs discours se réfèrent de
façon croissante à la Coutume.
Le
renouveau
de la Coutume et la recherche du
passé qui l'accom-
pagne,prennent de l'ampleur dans des îles comme Santo et Tanna qui se
mettent à rêver de leur propre
cette référence quasi-magique
indépendance. "Littéralement fasciné" par
à la Coutume, Joël Bonnemaison a essayé
d'épouser le regard des gens de Tanna pour s'en pénétrer. Il lui a fallu
pour cela aller au-delà d'explications fonctionnelles s'appuyant sur une
Société des
Études
Océaniennes
57
logique matérielle et se tourner
symboles qui lui donnent
et les
les fondements culturels de la société
cohérence et sa signification profonde.
vers
sa
La deuxième
partie de l'ouvrage, qui relate cette recherche des
origines et des mythes-fondateurs, s'intitule "l'arbre et la pirogue". Cette
image illustre bien l'expérience profonde de fragiles communautés
humaines isolées
au
milieu des
mers.
Dans la
mesure
où elle constitue
un
petit monde clos replié sur lui-même, l'île renvoie à l'harmonie originelle
mais ne peut y prétendre qu'en transcendant sa finitude par une ouverture
sur le reste de l'univers. Selon la Coutume de Tanna, "l'arbre est la
métaphore de l'homme, comme la pirogue est la métaphore du groupe".
L'arbre symbolise le besoin d'enracinement et l'attachement viscéral à la
terre,de populations arrivées au terme de leurs migrations incertaines. A
l'inverse, la pirogue témoigne du besoin d'espace et du refus du
confinement de gens pour qui la mer est une route et le seul lien avec
l'extérieur.
Il est frappant de constater combien la symbolique des habitants de
Tanna, aujourd'hui presqu'exclusivement tournés vers la terre, s'appuie
sur des images inspirées de la mer. La Coutume abonde en métaphores
marines : la pirogue est le berceau du groupe fondateur, les ancêtres ou
"yani niko" sont les voix de la pirogue et chaque territoire est lui-même
une pirogue. Au terme d'un conflit, abattre la voile de la pirogue équivaut
au retour au calme, attacher les pirogues signifie l'unité retrouvée et les
vaincus rejetés sont considérés comme des hommes-flottants. A l'inverse,
d'autres métaphores expriment la stabilité conquise au terme d'une
errance. Beaucoup s'appuient sur les pierres sacrées qui, après
avoir formé une horde hurlante, se sont progressivement tues et
immobilisées dans des lieux,où elles conservent un pouvoir magique qui
longue
procède de la volonté de concilier des principes opposés.
Le temps mythique de la "nepro" où l'île ne comptait qu'une seule
pirogue et formait un hâvre de paix est depuis longtemps révolu. Le
"chemin de l'alliance" s'est souvent transformé en "sentier de la guerre" et
la guerre elle-même a échappé au contrôle social pour devenir une "guerre
volée" échappant à toute codification. La période coloniale s'est
accompagnée d'une remise en ordre et d'un retour au calme mais elle est
elle-même à l'origine de conflits sous-jacents qui émergent au grand jour à
l'approche de l'indépendance. C'est la période du "Combat dans l'île" que
retrace, avec un recul qui permet d'en saisir les enjeux, la dernière partie
de l'ouvrage. Après avoir localisé les sources de conflit et examiné la
situation insurrectionnelle qui se développe à l'aube de l'indépendance,
l'auteur se penche sur ses conséquences et sa portée.
Dans la mesure où elle a mis fin aux guerres intestines qui secouaient
l'archipel, l'arrivée des blancs a pu coïncider avec les aspirations locales
mais elle s'est accompagnée de la mise en place autoritaire de nouvelles
structures qui ont méconnu et bousculé les us et coutumes en vigueur. Cet
ordre nouveau procède moins de l'instauration d'un pouvoir civil de
caractère condominial que de la domination religieuse qui l'a précédé
Société des
Études Océaniennes
58
la même ambition civilisatrice. A
partir de foyers missionnaires
prosélytisme de catéchumènes
fraîchement convertis, cette tutelle s'est propagée vers l'intérieur de l'île
sous forme d'ondes progressivement amorties. Symbolisée
par la "Tanna
Law" et l'instauration de tribunaux chrétiens, elle est vite devenue
impopulaire car elle ne s'est pas bornée à attaquer les moeurs en usage
mais a redéfini le rapport à la terre en termes de propriété individuelle,
selon une logique étrangère à celle des autochtones. Dépossédés de leurs
droits, ceux-ci n'ont pu se livrer qu'à une résistance souterraine qui a
débouché sur l'élaboration de nouveaux mythes et l'exploitation des
dissonances existant au sein des églises et du pouvoir condominial.
avec
implantés près du rivage et grâce
Elle
va
au
aussi donner naissance à la fin de 1940 à
un
courant
d'inspiration millénariste, celui de John Frum, personnage imaginaire
dont le prénom fait référence à Jean Baptiste, annonciateur de la "Bonne
Nouvelle" et dont le nom dérive du mot anglais "broom" qui signifie
balai. Refus de la société blanche et apologie de la Coutume sont au cœur
d'un message qui fluctue au gré des apparitions de John Frum d'un
endroit à l'autre de l'île ; sous l'influence de la guerre du Pacifique, il va
verser dans la métaphore américaine et conduire à un mouvement
structuré dont le rituel s'inspire du modèle religieux presbytérien et du
modèle militaire américain. Maintes fois réprimé et chaque fois renaissant
de ses cendres, il regroupe encore plus de 3.000 partisans à la veille de
l'indépendance ; mais, au fur et à mesure que s'éloigne l'âge d'or qu'il
appelle de ses vœux, il devient le siège d'une dérive mystique qui
s'alimente au message chrétien et à un fonds collectif de croyances
ancestrales. Cela explique probablement l'échec des tentatives de
récupération politique qui ont pu en être faites comme la marginalisation
progressive dont il est l'objet faute,d'avoir su traduire en termes concrets
une vision syncrétique de
la tradition et de la modernité.
Après
série de péripéties qui interviennent dans une atmosphère
contexte de surenchère politique, les porte-parole de la
Coutume finissent par avoir le dessous face à un parti nationaliste mieux
structuré et davantage en phase avec les problèmes de l'heure. Les
oppositions se cristallisent sur le sens même de la coutume à laquelle
chacun se réfère. Les leaders progressistes du parti nationaliste VAP
font volontiers appel aux valeurs traditionnelles dans lesquelles ils voient
un symbole de l'identité mélanésienne. Les
adeptes de la Coutume vont
plus loin et, en même temps qu'une arme idéologique contre la volonté
centralisatrice de leurs adversaires, y découvrent un modèle d'organisa¬
tion de la société, ou même le ciment d'une "nation". A Tanna, ils vont
jusqu'à l'identifier à une société originelle située hors du temps mais dans
un espace bien structuré dont la restauration
permettrait de mieux
affronter les problèmes contemporains.
une
tendue et dans
un
Envisagée sous l'angle de l'idéologie dominante en matière de
développement, la Coutume apparaît facilement comme une force
rétrograde et un symbole d'obscurantisme. La politisation'généralisée qui
Société des
Études
Océaniennes
59
accompagné la marche vers l'indépendance a pu donner consistance à
interprétation. Il paraît cependant difficile de réduire la Coutume à
l'écume de considérations politiques de circonstance alors qu'elle se situe
dans le temps long où s'élabore le substrat d'une société. C'est à ce niveau
qu'elle prend toute sa signification et qu'apparaît sa logique profonde, par
delà une approche maladroite d'un présent souvent abordé à la seule
lumière du passé. Comme le souligne Joël Bonnemaison, c'est d'abord
une identité et une conception du monde en harmonie avec le milieu
environnant qu'exprime la Coutume. Son rôle essentiel est peut-être de
a
cette
donner
un sens
et une
raison de vivre
dont la survie matérielle
aux
habitants des îles océaniennes
pose pas de problème fondamental. L'organi¬
sation communautaire et les réseaux d'alliance et d'échanges égalitaires
sur
ne
lesquels elle s'appuieront du mal à se concilier avec une logique
sur la compétition individuelle et la recherche du profit.
occidentale basée
C'est cet
en ce
sens
en brèche que s'attachent
fraction des habitants de Tanna et c'est
héritage culturel aujourd'hui battu
à défendre dans leurs
que
cœurs une
leur île peut prendre valeur de symbole pour le reste du
monde. Ce message semble avoir peu de chances d'être entendu dans les
autres îles du Pacifique qui viennent d'accéder au rang de nation et se sont
dotées de structures
étatiques
sur
internationale^avec lesquels elles
le modèle des
se trouvent en
pays
de la communauté
relations d'intégration et
d'interdépendance croissantes. De façon plus générale, la petite musique
démodée qui prône un idéal d'égalité et de solidarité risque d'être étouffée
dans le brouhaha de la concurrence que se livrent des sociétés sans projet,
qui s'abandonnent trop facilement à leur appétit de puissance et de
domination.
Gilles Blanchet
Joël Bonnemaison, "La dernière île", Paris, 1986, ARLEA et
405 pages.
Société des
Études
Océaniennes
ORSTOM,
60
COMPTE-RENDU
Pierre LACOUR (1987)
De l'Océanie au Pacifique, histoire et
Paris, Éditions France-Empire, 187 p.
enjeux.
Préfacé par M. Alain POHER, Président du Sénat, cet ouvrage du
sénateur centriste Pierre LACOUR se veut un plaidoyer pour un
renforcement tous azimuts de la présence française dans le Pacifique,
appelé plus encore qu'aujourd'hui à jouer un rôle essentiel dans l'avenir
planète. Présente dans la région grâce à son "tripode" (CalédoniePolynésie-Wallis), la France se doit, selon Pierre LACOUR, d'entre¬
prendre un effort exceptionnel dans la région pour y affermir son assise
politique et économique afin d'y déployer ensuite, grâce à de nouveaux
dispositifs statutaires pour ses trois territoires, des atouts qui lui
permettront de renforcer ses relations commerciales avec les divers
partenaires que compte la zone Pacifique.
de la
Son livre s'articule autour de trois parties : la première retraçant
l'histoire de la présence française dans le Pacifique, la seconde celle de
l'émergence de nouvelles puissances et la remise en cause de l'influence
française dans la région et la troisième, l'analyse de l'importance
économique et stratégique de la zone et l'intérêt que cela représente pour
la France.
Si
nous
l'auteur,
partageons, dans ses grandes lignes, les thèses émises par
cependant que regretter certaines lacunes qui
nous ne pouvons
affaiblissent
non
seulement
ses
propos
mais aussi la crédibilité de
sa
démonstration.
L'historique de la présence française dans le Grand Océan - la
première partie du livre - pêche par de trop nombreuses erreurs
Société des
Études
Océaniennes
61
historiques et géographiques. S'il est important pour "l'honnête homme",
qui Pierre LACOUR destine son travail, de connaître l'origine de la
présence française dans le Pacifique à la suite des expéditions
exploratoires des BOUGAINVILLE, des LA PÉROUSE ou des
DUPERREY, présence liée à la guerre d'implantation religieuse dans les
archipels opposant protestants anglais aux catholiques français, pour en
arriver à l'instauration des protectorats ou à la prise de possession des
entités diverses qui ont fait ou font encore partie de l'ensemble français
actuel, il est tout aussi important pour ce même honnête homme, de
connaître ces événements, ces faits historiques avec précision. Il ne nous
paraît pas correct de prétendre que l'Église catholique était présente en
Océanie jusqu'à la fin du 18ème siècle si ce n'est dans sa partie
micronésienne ; il ne l'est pas plus de dire que les premiers ministres
protestants quittent l'Angleterre à bord du DUF(sic) en 1798 alors qu'ils
parviennent à Tahiti sur le DUFF le 5 mars 1797. Détails sans doute. La
façon dont il rapporte l'affaire PRITCHARD est également inexacte :
Alexander SALMON, "l'israélite australien converti au protestantisme"
(p. 45 et 53) est londonien mais aussi pro-français.
à
Dupetit THOUARS n'était pas avide d'une popularité facile (p. 48)
un sens aigu de l'intérêt supérieur de la Nation ; il n'était pas
non plus démagogue comme je crois l'avoir bien démontré dans l'édition
que j'ai donnée du manuscrit de PRITCHARD, le Consul de GrandeBretagne que Londres, à la suite de ses déboires, envoya comme Consul à
Samoa et non pas à Tonga (p. 49). Sans doute Pierre LACOUR s'est-il
trop inspiré d'ouvrages qui datent, comme celui de Paul Thureau-Dangin
sur l'histoire de la Monarchie de Juillet publié en 1890, au détriment de
travaux plus récents où sont rectifiées les erreurs factuelles des auteurs
précédents.
mais avait
L'auteur, parfois, se permet certains écarts surprenants comme ses
les Saints-Simoniens et la gestion de la Nouvelle-Calédonie
(p. 61 et suivantes) ou encore, citant le doyen Cuche dans son Précis de
droit criminel (1936), lorsqu'il veut nous faire croire que les détenus en
France tuaient pour "mériter" la transportation...
pages sur
Nous ne rejetons pas 'T'aide-mémoire pratique" que Pierre
LACOUR souhaite mettre à la disposition de ses lecteurs ; nous aurions
souhaité plus de précisions et moins de formules pour le moins bizarres
ou
celle qui, parlant des baleiniers, précise
Nouvelle-Zélande "et le trouvaient parfois
Maoris anthropophages" (p. 33).
à l'humour douteux
comme
qu'ils cherchaient refuge
dans l'estomac des
en
Dans la deuxième partie de son livre, Pierre LACOUR décrit
l'échiquier que représente le Pacifique pour les diverses puissances
impériales de la fin du 19ème siècle, il examine ensuite la montée en
puissance de nouvelles entités politiques régionales comme l'Australie et
la Nouvelle-Zélande ou encore le Japon qui, de puissance militaire
anéantie, a aujourd'hui réussi sa guerre économique et est en passe de
reprendre certaines responsabilités militaires en accord avec les États-
Société des
Études
Océaniennes
62
Unis. Pierre LACOUR analyse avec
pertinence le fait du nucléaire dans le
Pacifique mais il aurait dû s'attacher, comme pour la première partie, à
plus de précisions. En effet, le Traité de Rarotonga qui cherche à faire du
Pacifique Sud une zone dénucléarisée est qualifié de traité de Horotongo
(p. 112). "L'honnête homme" ne peut s'y retrouver ! Le mérite de ce
chapitre provient de l'effort entrepris pour inclure dans la même analyse
l'ensemble des acteurs, incluant ceux d'Amérique latine, même si la
confusion entre pays de la bordure du Pacifique et entités insulaires du
Pacifique persiste. C'est le lot de nombreux ouvrages traitant de la
question, le plus célèbre étant "Pacifique, nouveau centre du monde".
Quant à l'influence française et aux enjeux économiques que
représente son "tripode", je ne peux m'empêcher de rester sceptique tant
les exemples donnés paraissent limités quand on les met en parallèle avec
les flux financiers issus de la métropole qui alimentent leur réalité
économique.
Dans
troisième
partie, Pierre LACOUR entend justifier l'effort
la France se doit d'accomplir pour participer pleinement
à l'Eldorado économique que représente la zone Pacifique. La France
pêche par son absence dans le Pacifique nord ; il lui faut transformer ses
stratégies commerciales et être plus incisive. Le peut-elle et ne faut-il pas
plutôt examiner les causes réelles de cette absence qui me paraissent
quelque peu occultées ? Ne proviennent-elles pas d'ailleurs du poids de
l'histoire qui fait que la France se contente des marchés que son
expansion au 19ème siècle lui avait accordés ? Il en est de même pour
notre présence dans le Pacifique Sud au sujet de laquelle Pierre
LACOUR ne fait même pas mention de la création, par M. Jacques
CHIRAC en mars 1986, du Secrétariat d'État aux DOM-TOM chargé
des problèmes du Pacifique Sud, confié à M. Gaston FLOSSE. La
France trouvera sa propre dimension dans le Pacifique, nord comme sud,
lorsque Paris aura compris que sa présence dans la zone passe par un
effort récemment entamé de concertations, d'explications et d'acceptation
avec ses voisins anglo-saxons.
sa
exceptionnel
que
Nos territoires sont essentiels à l'Hexagone trop étroit et à l'équilibre
politique du Pacifique Sud ; je ne crois pas qu'ils soient la voie de
pénétration obligée vers le Pacifique nord. Faire une "Région Économi¬
que du Pacifique" de nos trois TOM, comme le préconise le Sénateur
LACOUR, ne provoquera pas la synergie efficace entre les partenaires
régionaux, métropolitains, européens et océaniens, tant que nous ne
serons pas mieux acceptés. Il nous semble que superposer une structure
nouvelle à d'autres complique davantage les choses. Le rayonnement de la
France dans le monde n'est pas une question structurelle. Son
rayonnement dans le Pacifique l'est encore moins.
Paul De Deckker
Société des
Études
Océaniennes
63
Ch. BESLU
1987 - Cartes Postales anciennes de Tahiti
Les Éditions du Pacifique. 96 p.
Fort belle
réalisation, qui nous présente un choix très varié de
postales.
Les premières "datables" remontent aux environs de 1880, et la
période de sélection se termine au début du siècle.
L'engouement universel de l'époque pour la carte postale explique la
relative abondance de la production sur cette courte période.
Les reproductions (noir et couleurs) sont excellentes. Un texte concis
et précis les accompagne et transforme ce qui pourrait n'être qu'un simple
recueil iconographique, en une agréable promenade vivante et historique.
Cette résurrection des images de la fin du 19ème siècle, dans une
édition fort soignée est un régal. Avec cet ouvrage, l'imagerie tahitienne
du passé a acquis ses lettres de noblesse.
150 cartes
K-H. et P. DELEBECQUE
L'excès pondéral chez les salariés de Tahiti - 1987.
tab., bibl. - Service d'Hygiène et de Salubrité Publique.
50 p.,
Les auteurs
le niveau
procèdent à l'étude des relations de l'excès pondéral avec
d'instruction, l'hypertension artérielle, le diabète, la goutte, la
consommation de tabac
La
et d'alcool.
ration
calorique moyenne du Polynésien dépasse de 66% la
théorique comportant un excès de lipides et de glucides, en
particulier de glucides et d'absorption rapide. Conséquence de cet apport
hypercalorique, l'excès pondéral affecte une proportion importante des
ration
salariés de Tahiti.
Les hommes sont
davantage concernés que les femmes. Plus les
sujets sont âgés, plus le pourcentage d'excès pondéral est important, avec
une relative stabilité après 40 ans, retrouvé dans les deux sexes.
Les auteurs ont mesuré en fonction de l'âge, les risques
tension artérielle de diabète et de goutte en cas d'embonpoint et
d'hyper¬
d'obésité
par rapport aux sujets de corpulence normale ou maigre. L'excès
pondéral majore considérablement ces risques, particulièrement chez les
plus jeunes. Cependant c'est après la cinquantaine que la situation est la
plus grave. L'organisme résiste mal à la surcharge calorique répétée. Avec
l'âge, plus de la moitié des obèses deviennent hypertendus, plus de 20%
sont goutteux. La plus grande partie des cas de diabète se manifeste chez
les
sujets présentant déjà
un
excès pondéral.
Société des
Études
Océaniennes
64
La surcharge pondérale constitue un problème important de santé
publique, analogue à celui que l'on peut rencontrer dans les pays riches.
L'apport calorique trop important, l'excès de sucre et de graisses, y
caractérise l'alimentation des populations, avec tous les inconvénients que
cela comporte pour l'organisme et en premier lieu, l'appareil cardiovasculaire. En Polynésie française, la cause de décès principale est
représentée par les maladies de l'appareil circulatoire : 20,7 % des décès en
1985. Une prévention de stratégie primaire s'impose et la nutrition y a sa
place.
Ivan INEICH
(1987)
Recherches
terrestres de
le
peuplement et l'évolution des reptiles
Polynésie Française.
sur
Thèse de Doctorat Université des Sciences et
Techniques du Languedoc,
MONTPELLIER, 515 p., 948 références bibliographiques.
L'extrême insularité de la Polynésie française présente une situation
favorable pour une étude de la mise en place et de l'évolution du
peuplement des lézards, groupe le mieux représenté des Vertébrés
densités que par sa distribution.
terrestres, tant par ses
L'examen des positions systématiques de ces lézards a permis de
distinguer deux espèces confondues sous un même binôme chez les
Scincidae : Emoia cyanura (Lesson, 1826) et E. pheonura Ineich, 1987.
Dans les populations du gecko Lepidodactylus lugubris, cinq clones
parthénogénétiques syntopiques, diploïdes ou triploïdes, une lignée
bisexuée très localisée géographiquement à quelques rares îles ou atolls par exemple l'atoll de Takapoto, archipel des Tuamotu - et certains
individus stériles probablement issus d'une hybridation entre ces deux
premiers groupes sont individualisés par leur coloration ; la validité de ces
groupes est confirmée par l'examen de caractères morphométriques et
méristiques.
La confrontation des
profils d'infestation du gecko Gehyra oceanica
trois acariens parasites ectodermiques (g. Geckobia, famille des
Pterygosomatidae) avec la variabilité de certaines plaques et écailles
céphaliques suggère l'existence de deux espèces jumelles regroupées sous
par
ce
binôme.
La vaste distribution des taxons rencontrés sur ces îles est discutée en
fonction de leurs aptitudes aux transports qui agissent en synergie et
concernent la
morphométrie, la physiologie, la reproduction, l'éthologie
l'écologie. Un examen détaillé de la fréquence des queues régénérées et
des doigts et orteils amputés, deux mutilations regroupées sous la
dénomination de "préjudices corporels", permet de mettre en évidence
une importante SOCIABILITÉ chez la
plupart de ces lézards.
et
Société des
Études
Océaniennes
65
analyse micro-évolutive de 25 à 35 caractères morphométriques
méristiques sur plus de 6 000 individus des sept espèces les plus
abondantes, collectés récemment sur une trentaine d'îles des cinq
archipels, tous sexés par la dissection, montre que, malgré la répartition
de ces îles sur une surface marine comparable à celle de l'Europe, alors
que les terres émergées n'occupent qu'une superficie équivalente à la
moitié de la Corse, les capacités de dispersion ne permettent pas
l'isolement de populations, même sur l'archipel le plus reculé, celui des
Marquises. Cependant, sur ce dernier, les caractères retenus pour cette
analyse présentent souvent des fréquences significativement différentes
par rapport aux quatre autres archipels. La grande variabilité rencontrée
chez presque tous les taxons n'est que rarement liée à l'âge ou au sexe des
Une
et
individus.
L'uniformité du peuplement herpétologique de Polynésie française
s'exprime par sa composition, mais aussi par ses caractéristiques morphoméristiques. Trois hypothèses peuvent l'expliquer :
—
—
—
colonisation récente de
une
ces
îles,
inaptitude intrinsèque à l'évolution,
de grandes aptitudes à la dispersion entraînent un flux génique qui
dilue toute amorce de spéciation.
une
Les arguments
développés dans les chapitres précédents permettent
retenir que la troisième hypothèse ; la dispersion est alors étudiée
chez différents groupes biologiques à titre de comparaison. L'étude des
acariens parasites de G. oceanica met en évidence une dispersion assurée
de
ne
surtout par
les jeunes et les juvéniles de sexe femelle.
Ce peuplement herpétologique est comparé à d'autres peuplements
insulaires du Pacifique Sud et finalement, deux cas spectaculaires de
radiation en Polynésie française sont étudiés pour tenter d'expliquer les
mécanismes à la base de leur explosion polyspécifique : les Mollusques
terrestres du g.
du g.
Miocalles
Partula sur l'île de Moorea et les Insectes Curculionidae
sur l'île de Rapa (archipel des Australes).
La mobilité et l'amplitude des habitats occupés semblent être les
conditions principales pour réaliser un isolement qui puisse aboutir, en
Polynésie française, à une évolution des taxons vers des formes
endémiques. L'isolement est fonction d'une multitude de facteurs qui
pourront provoquer ou non une radiation adaptative :
mobilité et écologie,
—
—
—
—
mode de dispersion (aérien, marin, ...),
génétique intrinsèque,
histoire géologique et écologique des formations insulaires occupées
(érosion, mouvements eustatiques durant les glaciations, cycles
volcaniques, mouvements de la plaque Pacifique, déforestation, ...).
Reptiles terrestres de Polynésie française constituent l'aboutisse¬
d'un filtrage, par des mailles de plus en plus fines, sur les
capables de coloniser des îles océaniques de plus en plus éloignées
Les
ment extrême
taxons
Société des
Études
Océaniennes
66
du centre
d'origine, la Nouvelle-Guinée. Leur succès dans cette modalité
impossibilité d'évolution car leurs importantes capacités de
dispersion, facilitées par toute une série d'adaptations positives
convergentes, ne permettent pas l'isolement de populations. Par contre,
l'important flux génique inter-populations et inter-dèmes assure une
grande variabilité chez ces taxons, par l'hybridation d'individus à
génomes légèrement différenciés.
entraîne
une
Ces lézards peuvent être considérés comme des GÉNÉRALISTES
ÉCOLOGIQUES SPÉCIALISÉS BIOGÉOGRAPHIQUEMENT dans
la colonisation des îles
océaniques parmi les plus isolées au monde ; cette
caractéristique confère à ce peuplement une place toute particulière dans
l'étude du "syndrome insulaire".
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